GAL ERIE D E L'ANCIENNE COUR. T O M E S E C O ND.   264 K-8 GAL ER I E D E L'AICIENNE COUR, O u MÉMOIRES ANECDOTES P O U R SERFIR A L'HISTOIRE DES REGNES DE LOUIS XIV ET DE LOUIS XV, TOME SECOND. A M A E ST RICHT, Chez J. E. Dufour & Phu. Roux, Imprimeurs-Libraires afforiés. M, DCC. L X X X V 11.   MÉMOIRES ANECDOTES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DES REGNES DE LOUIS XIV ET DE LOUIS XV. MONTAUSIER (i> O n ne doic pas diffitnuler que, dans fa jeunefle, le Duc de Montaufier fi'aic eu le plus, grand foible pour lesfemmes. N'étanc queMarquis de Salles & fimple Cornette dans la Compagnie des Chevau-Legers du Comte de Briflae, alors Gouverneur de la Lorraine, il s'acwcha h. une Dame de cette Province, donc la beauté, & plus encore les fentiments qu'elle avoic pour lui, firenc naïcre dans (0 Né en 1610, mort en 1690. Tome IL A  & Memoires anecdotes fon cceur la paffiön la plus forte. I!s s'aimerenc & firent paroitre aiïèz librement leur amour pendant une année enciere : mais un accidenc vinc troubler leur repos; &, par un revers facheux, cette Dame devinc prifonniere. Le Marquis fit ufage de couc fon crédic auprès du Gouverneur, pour adoucir les rigueurs de la prifon a une perfonne fi chere. II fut follicité de'faire quelque chofe de plus, & la Dame prifonniere ne lui offroit pas moins qu'elle-même pour prix de la liberté qu'elle le preffoit de lui procurer, mais il fut inacceflible a une tentation fi délicate : il fit violence h fon cceur, & facrifia, fans délibérer, 1'amour, la beauté, 1'éclat d'une grande alliance a la fidélité qu'il devoit a fon Roi. Sa modeftie auroit laiflë dans 1'oubli cette aftion héroïque, fi la perfonne même qui en avoit été 1'occafion ne 1'eüt publiée dans la fuite, & ne fe fut fait un devoir de rendre juftice a un homme, dont la fermeté admirable juftifioit les fentiments qu'elle avoit eus pour lui. Un attachement plus folide fuccéda bientöt a celui dont on vient de rapporter des circonftances fi glorieufes pour Ie Marquis de Salles. Ce fut vers ce temps-  ite Louh XIV & de Louis XV. 3 la qu'il vit, pour la première fois, celle qui devoit régner conftamment fur fon cceur, & lui être unie par des liens que la mort feule pouvoit diffbudre. Jufqu'alors il n'avoit appris que de la renommée, les grandes qualités de 1'illuftre Julie d'Angennes, Marquife de Rambouiilet $ mais une aclion comparable a celle qu'il venoit de faire en Lorraine, quoique dans un genre différent, lui fit naitre la curiofité de voir par lui-même, ce qu'il ne favoit encore que par le rapport des autres. De deux freres qu'avoit Mademoifelle de Rambouiilet, le cadet, dans un age encore tendre, fut frappé de Ia pefte, qui défoloit la Capitale du Royaume, &qui, après s'être répandue fur le peuple, porta fes ravages jufque dans les palais des Grands. Ce fut en cette occafion, que cette héroïne allarmée du danger de fon frere, & de celui auquel fon illuftre mere vouloit s'expofer en affiftant le malade, donna un exemple mémorable de fa fermeté & de fa rendreflè. Elle ne put détourner d'abord Madame de Rambouiilet de la réfolution qu'elle avoit prife; mais elle obtint au moins de partager le péril avec elle. Sa jeuneffe, fa beauté, la délicaxefiè de fon tempérament, le foin de A ij  4 Mémoires anecdotes conferver une vie que touc confpiroic k rendre heureufe, touc cela ne put . 1'empêcher de faire un facrifice, que Ia religion & la nature même n'exigent point. Elle fe renferma dans la charabre du malade, oü elle. fit confencir Madame de Rambouiilet a ne point encrer; & feule, au milieu d'un air empefté, elle affifta avec une préfence d'efprit & une tranquillité toujours égale, non-feulement fon frere, mais encore plufieurs domeftiques qui furent attaqués du mal contagieux. Sa tendre charité ne put fauver celui qui en étoit le principal objet. Ce frere , dont la vie lui étoit plus chere que la fienne propre, fuccomba a la violence du mal, & expira le neuvieme jour, entre les bras de fon incomparable fceur. II n'eft pas étonnant que ce trait héroïque ait fait naitre d'autres fentiments que ceux de 1'admiratiou, dans une ame de la trempe de celle de Montaufier. Quelqu'un félicitoit un jour le Marquis de Salles de ce qu'il dépendoit de lui d'être 1'ami d'un grand Miniftre. Je le voudrois Men, répondit le Marquis, iil vouloit des amis; mais je ne le veux pas, paree qidlneveut que des e/clayes.  de Louis XIV & de Louis XV. 5 A la mort du Préfident de Périgny, qui avoit d'abord été Préceptèur du Dauphin , le Duc de Montanfier demanda qu'il fut remplacé par Bof/hef. Louis XIV, dont 1'intencion étoit de laifler au premier toute 1'autorité de cette éducation, redouta pour le Gouverneur i'afcendant d'un homme tel que 1'Evêque de Meaux : „ Sire, lui dit a ce fa„ jet leDuc de Montanfier, cen'eftpas „ a moi, mais au Prince qu'il eft impor„ tant que le préceptear convienne: d'aii„ leurs, il ne m'arrivera jamais de rien „ exiger de contraire a la dignité d'un „ Evëque ". Louis XIV avoit écrit ce billet pour M. le Duc de la Rochefaucault: „ Je me „ réjouis comme votre ami de la charge de Grand -Maitre de ma garde-robe „ que je vous ai donnée comme votre „ Roi "t II montra ce billet a M. de Montaufier; & ce Courtifan véridique eut le courage de lui faire obferver que c'étoit de 1'efprit mal employé. Louis fupprima ce billet. En 1662., le Roi fut malade de la rougeole, jufqu'a faire trembier pour une vie fi précieufe. Le Marquis de Salles A iij  6 Mémoires anecdotis en fut plus allarmé que perfonne; & le Roi inftruit de la crainte & de 1'affliction de ce fidele ferviteur, 1'ayant fait appelier : Vous avez eu raifon, lui ditil avec bonté, de craindre de me perdre; vous auriez per du votre meilleur ami; je connois votre mérite mieux qiiaucun autre, & je veux le mettre a fa place : les effets fuivirent de prés les paroles. M. de Montaufier ayant été choifl pour fuccéder au Duc de Longueville, dans le Gouvernement de Normandie ,1e Parlement de cette Province voulut d'abord lui difputer quelques-uns des droits attachés h la place qu'il occupoit. On prétendit le traiter difFéremment de fon prédécefièur, fous prétexte qu'on devoic a un Prince du Sang beaucoup plus qu'a un homme qui ne 1'étoit pas. M, de Montaufier remontra paifiblement aux Députés du Parlement, que le prétexte allégué étoit frivole; que les honneurs qu'on avoit rendus a M. le Duc de Longueville étant des prérogatives inconteftablement attachées a la qualité de Gouverneur, quiconque étoit revêtu du même caraftere, devoit prétendre aux mêmes droits, qu'enfin la regie en ces occurren-  de Louis XIV & de Louis XV. % ces eft d'honorer 1'homme du Roi, non i raifon de fa qualité perfonnelle, mais a raifon du Prince qu'il repréfence. Toutes ces raifons ne toucherent point le Parlement, qui perfifta dans fa réfolucion, & eng3gea même plufieurs perfonnes de qualité a chicaner mal-a-propos M. de Montaufier. II comprit que, pour terminer tous les procés qu'on lui fufcitoit, il falloit un arrêt fuprême, qui ne laiflat aucune reflburce a la chicane, & qui appuyat fortement la juftice de^fa caufe; elle écóit trop bonne pour n etre pas écoutée. La Cour ordonna que non-feulement on traitac M. de Montaufier comme on avoit fait M. le Duc de Longueville, mais qu'on lui rendit encore certains honneurs que le Prince même n'avoit pas eus. Cesordresn'auroienc fervi qu'a aliéner les efprits au-lieu de les ramener, fi Montaufier n'en avoit tempéré la rigueur par fa modération & fa modeftie; mais content de ce qu'il jugea néceffaire au fervice du Roi, il fe rel&cha fur bien des chofes qu'il étoit en droit d'exiger. Après la conqoête de la Franche-Coraté en 1668, le Roi vintgoüter a SaintGermain le fruit de fes travaux. II étoit A iv  § Mémoires anecdolts accompagné des plus illufh-es guerrters qui avoienc partagé la gloire de cette expédition. Montaufier briiloit parrai ces héros; & toute Ia Cour, foic par une véritable eftime, fok uniquement pour parler le langage du Maitre, s'emprefioit a celebrerles louanges du Duc. Mais loin de s'en laifièr éblouir, il ne fongea qu'a en mérker de nouvelles; & il en mérka bjentót en effet, en s'expofanta un nouveau genre de périls qui ne demandent pas moins d'intrépidité & de grandeur dame, queceuxqui fe trouventdans les fieges & dans les batailles. On apprit que Ja pefte faifoit fentir a Rouen ce qu'elle a de plus terrible, & que tous les quartiers de cette grande Ville en étoient infeftés. Le Duc de Montaufier, plus attentif que perfonne aux intéréts d'une Province qui lui étoit confiée, fut des premiers averti du danger dont elle étoit menacée, & nedifFéra pas d'un moment a voler a fon fecours. On lui repréfentoit qu'il étoit contre la fagcffè de s'expofer de fang-froid a un périi certain; mais i! répondoit a ces confeils timides: Que peur lui, il croyoit les Gouverneurs obligês a la réficknee comme les Evêques; & que fi Vobligation n'en étoit pas fi étroite en toutss circonftatices,  de Louis XIV & de Louis XV. 9 elle étoit du moins égale dans les calamités publiques. La Ducheflè fonépoufe fut effrayée de fa réfoiution, &, fans ofer 1'attaquer ouvercement, elle ne lui fit connoïtre que ce que fon cceur ne pouvoit cacher, les cruelles allarmes oü elle alloit être réduite pendant fon abfence. Mais le Duc furmonta généreufernent eet obftacle; & plus touché de 1'exemple héroïque de la Ducheffè dans une pareilie rencontre, que des larmes qu'il lui voyoit répandre, il aima mieux 1'imiter que de céder a fa tendrefiè. 11 partit pour Rouen; & s'étant enfermé dans cette Ville infortunée, il s'appliqua tout entier au foulsgement de ceux que la pefte avoit déja attaqués, & h préferver ceux qu'elle avoit épargnés jufqu'alors. La fureur du mal fe ralentit peu-apeu; plufieurs malades furent fauvés; le cours de la contagion fut arrêté dans 1'efpace de deux mois ; 1'air fut parfaitement purifié, & touc un grand peuple reconnut devoir fon falut au zele & a 1'intrépidité de fon Gouverneur. Depuis cette époque, le Duc de Montaufier fut regardé par les habitants de Rouen, comme le pere de la patrie; & le fouvenir de fes bienfaics vivra auffï long-temps dans cette Ville, qu'on y confervera la A v  io Mémoires aneclotes mémoire du terrible fléau, qui en fuc 1'occafion. Mon fils, dit Louis XIV, en préfentant M. le Duc de Montaufier au Dauphin : „ Voila 1'homme que j'ai choiu* „ pour avoir foin de votre éducation. Je n'ai pas cru pouvoir rien faire de „ mieux pour vous, & pour mon Royau„ me. Si vous fuivez fes inftru&ions & „ fes exemples, vous ferez tel que je „ vous défire. Si vous n'en profitez pas, „ vous ferez moins excufable que la plu- part des Princes, dont on négligé or„ dinairement les premières années: & „ moi je ferai quitte envers tout le mon„ de; le choix que j'ai fait me met a „ couvert de tout reproche ". A ces mots, Montaufier tombe aux genoux de I'enfant augufte qui lui eft confié; & lui baifant avec refpecl une main qu'il couvre de fes Iarmes: „ Recevez, lui dit-il, „ Monfeigneur, cette marqué de fou„ miflion & de refpeft; c'eft la feule „ que, de plufieurs années, puifiè vous „ donner fans crime un homme qui va „ devenir votre pere & votre maïtre ". Les Conrtifans accufoient Montaufier de fatigüer le Dauphin. „ Pourquoi  de Louis XIV & de Louis XV. 11 ,, tant d'exercices, s ecrioient-ils? Pour,, quoi tant de veilles, tant d'études? „ la fanté du Prince eft menacée ; a-t-il „ befoin de tant de lumieres" ? La Reine trompée, joint fa voix a celle des accufateurs. Le Gouverneur rette inébranla- • ble. II attend que Louis XIV parle. „Je „ n'ai qu'on fils, dit le Roi au milieu de „ fa Cour qui attendoit la condamnation „ de Montaufier; mais j'aimerois mieux .„ qu'il mourüt, que de le voir fans lu„ mieres & fans vertu, & de préTaget „ qu'il fera un jour funefte a mes Sa» jets ". La première fois que M. le Dauphin monca a cheval, étant forti du pare de Verfailles, il demanda ce que c'étoit que des chaumines qui fe préfentoient a fes yeux : on lui répondit que c'étoient des maifons de payfans; & comme il témoignoic avoir peine a le croire, M. de Montaufier fon Gouverneur le fit delcendre de cheval; & 1'ayant fait entrer dans la première cabane qui fe rencontra: Voyez , dit-il, Monfeigneur; cefi fous ce chaume & dans cette miférable retraite que logent le pere, la mere & les enfants qui travailknt fans ceffe pour payer Vor dont vos palais font orA 'vj  12 Memoires ctnecdctes nés, &> quimeurent de faitnpour fok. vemr aux fraix de votre table. Les Médecins du jeune Prince étant plus attachés aux maximes de leur art qu aux loix de la Religion & de 1'Egiife, décuterent qu'il devoic êcre difpenfé du Careme pendant fa jeuoeflè. Mais le Gouverneur s oppofa a 1'ordonnance, & dit que Ie Dauphin étoit d'un %e aflèz avancé, & dune fenté aflez forte pour obferver 1 abftinence prefcrite. En vain pour le gagner, on allégua la qualité d Heruier préfomptif de la Couronne; le Duc inébranlable fur fon principe réphqua que les enfants des Rois, & les Roiseux-tnêmes étoient afiujettis aux loix de I Eghfe, & qu'ils devoienc y être encore plus foumis que les autres , par 1 obljgation que leur impofe leur rane ae donner 1'exemple aux peuples. Pour termmer le différend, on propofade s'en rapporter au jugement d'un Prélat • 7e Ie veuxbien, répondic le Gouverneur; mats s tl décide contre mot, on ne tronver a pas mauvais que je tóen tienne a laparole de PEvangile, qui dit que, ft un aveugle mene un autre aveu<*le, tls tomberom tous deux dans le préciptce, On crue 1'ébrankr, en lui remon-  de Louis XIV & de Louis XV. 13 trant qué fi le Prince tomboit malade, on ne manqueroit pas de s'en prendre a lui; mais il repréfenta a fon tour, qu'on auroit tort de le rendre refponfable des accidents qu'il ne lui étoit pas poflible de prévoir; & qu'une crainte fondée fur un avenir ïncertain ne Pengageroit jamais a parler contre la juftice & contre fa confcience. 11 fallut céder & abandonner 1'affaire a la difcrétion du zélé Gouverneur, & l'on n'eut pas fujet de s'en rependr. Sous fa conduite, Ie Dauphin obferva toutes les abftinences de l'Eglife, & fa fanté n'en fut pas moins bonne; il étoit plus robufle a quirze ans, qu'on ne TeO: communément a vingt-cinq. Dès que les artic'es du mariage de Monfeigneur avec la Princefie de Baviere furent arrêtés, le Duc de Montaufier cefia d'avoir le titre de Gouverneur; '& s'il ne perdic rien de fon autorité fur le Dauphin, auprcs duquel le Roi vouluc qu'il reilde encore quelque temps avec les droits de Gouverneur, dont il convenoic de fupprimer Ie nom, ce changement ne laifia pas de lui procurer plus de liberté qu'auparavant. Son afllduité auprès du jeune Prince ne Fempêcha plus de fe rendre a la fociété des Gens  ï4 Mémoires anecdotes de Lettres, dont le commerce faifoit fa pafllon chérie, & qu'il avoit été forcé de négliger pendant long-temps. Ce fut a cette époque, qu'il fe lia d'amitié avec le célebre Defpréaux. Les circonftances de ce rapprochement de Montaufier & de Boileau méritent detre rapportées. Le Duc avoit pris ce fameux Poëte en averfion, a caufe du mépris qu'il paroiffoit faire , dans fes Satyres, des vers de Chapelain , dont M. de Montaufier étoit le proteéteur déclaré, depuis 1 etroite amitié qu'il avoic contraftée avec lui dès fa première jeunefie k 1'hótel de Rambouiilet. II faifoit éclater dans toutes les occafions fes fentiments fur Ie compte d'un homme qu'il croyoit fnjufte a 1'égard de fon ami; & ayant fu que le Roi avoit accordé une penfion a Defpréaux, il s'enexpliqua tout-a-fait au défavantage du Satyrique. Le Poëte n'ignoroit pas les difpofitions du Duc a fon égard, & il en étoit défolé. Pour ramenër un homme, dont 1'eftime & le fuffrage étoient d'un fi grand poids, il témoigna, dans fon Epitre a Racine, la peine qu'il reflenroic de n'avoir pu les mériter jufque-la. Après avoir cité plufieurs Seigneurs de la Cour, dont fa Mufe préféroit 1'approbation aux applaudif-  Je Louis XIV & Je Louis XV. 15 fements du vulgaire, le Poëce s'écrie dans cette Epïtre: Et plüt au Ciel encor, pour couronner 1'ouvrage, Que Montaufier daignat y joindre fon fuffrage! Un trait fi obligeant fit fur le cceur de Montaufier tout 1'effet que Defpréaux s'en étoit promis; le Duc commenca dès- lors h revenir de fes anciennes préventions; & peu de temps après, le fieur de Puimorin, frere de 1'Auteur des Satyres, homme fort connu & fortaimé a la Cour, étant venu a mourir, le Duc de Montaufier rencontra Defpréaux dans la galerie de Verfailles, & lui marqua, en pafiaut, le regret qu'iL avoit de la mort de fon frere. Je fats, lui répondit Defpréaux, que mon frere faifoit grand cas de famitié dont vous l'avez honoré\ mais il en faifoit encore flus de votre vertu; & il m'a toujours dit que les gr aces dont le Roi macomblé, & les bons traitements que je repis ici, ne peuvent réparer le malheur que fat eu de ne pouvoir mériter jufqiïa préfertt les bonnes gr aces du plus vertueux &du plus refpeclable Seigneur qui foit a la Cour. — Oublions le pajfé, lui repartic M. de Montaufier en 1'em-  *6 Mémoires anecdotef braflaiK, je veux être de vos amis comme jeletois de votre frere; &> pour faire connoiffance, venez, je vous en prie, dU ner aupurdhui avec mot. Depuis ce moment, Defpréaux trouva toujours dans ieDuc un ami généreuxqui luidemeura hdelement attaché jufqu'au dernier jour de fa vie, & qui fat conftamment Ie fincere admirareur , & Ie cenfeur févere des nouveaux Ouvrages de eet illufrre roece. > oL<\PUC de Monraufier avoit demandé a ba Majefté, une petite Abbaye pour un de fes amis ; il fut refufé, & fortit funeux de chez Ie Roi, en difant : II nyaque les Miniflres & lesMaitrefes qui ayent du pouvoir en ce pays. Ces paroles n'étoient pas erop bien choifies, Ie Roi les fut: il fit appeller Montaufier, lui reprocha avec douceur fon emportement, le fit reflbuvenir du peu de fujet qu'il avoit de fe plaindre de lui, & Je lendemain il fit Madame/fe Cruiïbl Dame du Palais. Cetre conduite digne de 1 itus eft une vengeance bien cruelle. Le Duc de Montaufier devant aller prendre les eaux, demande a M. de Caumartin un homme de Lettres qui pftt  de Louis XIV'& de Louis XV. 17 1'araufer pendant fon voyage. On lui donna 1'Abbé Fléchier, & ils partirenr. Le premier jour, 1'Abbé applaudifioit a tout ce qu'avanc;oit M. de Montaufier, qui difoit tout bas & d'un air faché : Voilci nosflaneurs. Le lendemain, 1'Abbé qui avoit pénétré le caraétere de ce Seigneur, ne cefia de le contredire ; & ce fut alors que M. de Montaufier pric du goüc pour lui, & fe chargea de fa fortune. Les ennemis de Moltere voulurent perfuader au Duc de Montaufier, que c'étoit lui que le Poëte avoit en vue dans la Comédie du Mifanthrope. Le Duc de Montaufier alla voir la piece, & dit en fortant : „ Je voudrois bien „ reflèmbler au Mifanthrope de Mo„ liere ". En 1682, Mademoifelle le Fevre oyant dédié un Livre h Louis XIV, il ne fe trouva perfonne a la Cour qui ofêc 1'introduire auprès de Sa Majefié, paree que cette Demoifelle, connue depuis fous le nom de Madame Dacier, étoit alors Proteftante. Le Duc de Montaufier , infiruit de fon embarras, offric de lui rendre ce fervice. II la fit monter  i8 Mémoires anecdotts dans fon carrofie, & la préfenta elle & fon livre a Louis XIV, qui dit fort léchement au Duc de Montaufier qu'il avoit tort d'appnyer des gens de cette religion; que pour lui il feroit défendre que fon nom parüt a la tête des Livres des Huguenots, & qu'il donneroitordre quon faifit tous les exemplaires du Jivre de Mademoifelle le Fevre. Le Duc de Montaufier répondit a Sa Majefté, avec cette liberté que feul il ofoit fe permettre : „ Sire, eft-ce ainfi que „ vous favorifez les Lettres ? Je vous le „ dis hautement, un Roi ne doit pas „ être bigot ". II ajouta enfuite qu'il remercieroit la Demoifelle au nom du Roi; qu'il lui feroit préfent de cent pjftoles, & qu'il dépendroit de Sa Majefté de les lui rendre , ou de ne les lui rendre pas. M. le Dauphin venoit de prendre Philipsbourg; le Duc de Montaufier lui écrivit : „ Monfeigneur, je ne vous fais „ pas de compliment fur laprife de Phi„ lipsbourg; vous aviez une bonne ar„ mée, des bombes, du canon & Vauban. „ Je ne vous en fais point auffi fur ce „ que vous êtes brave; c'eft une vertu „ héréditaire dans votre Maifon: mais je  de L ottis XIV & de Louis XV. \ 9 , ine réjouis avec vous de ce que vous ", êtes libéral, généreux, humain, fair ", fant valoir les fervices d'autrui, &ouj, bliant lesvótres; c'eft fur quoi je vous „ fais mon compliment". LA PRINCESSE DES URSINS (i). Ca ALjisïut dépêché de Madrid par la Princeffe des Ürfins, pour un voyage fi myftérieux, que 1'obfcurité n'en a jamais écé éclaircie. II fut dix-huit jours en chemin, inconnu, cachant fon nom, & paffa a deux lieues de Chalais oü étoient fon pere & fa mere, fans leur donner figne de vie, quoique fort bien avec eux. I! röda fecretementen Poitou, & enfin y arrêta un Cordelier de moyen fige dans le Couvent de Brefluire, qui_, dès qu'il fe vit arrêté, s'écria : Je futs per du. Chalais le conduifit dans les prifons de Poiriers, d'ou il dépêcha a Madrid un Officier de Dragons qui connoifibit ce Cordelier, dont on n'a jamais fu le nom. Chalais pouffa jufqu'a Paris, (1) Morte en 1712.  20 Mémoires anecdotes vim a Marly, un mercredi que Ie Roi avoit pris médecine. Torci le mena 1'apres-dinée dans le cabinet du Roi, avec qui il fut une demi-heure. Chalais s'en a»a le foir même a Paris. Ce ne fuc bientot après que bruits affreux contre ',e Dt,c d'Orléans, qui , difoic-on, par Ie moyen de ce Moine, avoit empoifonne nos Princes, & prétendoic en empoifonner bien d'autres. En un infant, Paris retentie de ces horreurs; Ia «-our y applaudit, les Provinces en furent inondées, ainfi que les Pays étrangers. On fit venir Ie Cordelier pieds & poings liés a la Baftille, oü il fut livré uniquement a M. d'Argenfon. Le Lieutenant de Police rendoit compte au Roi direétement de beaucoup de chokes au grand dépit de Pont -Chartrain, qui ayant Paris & Ia Cour dans fon département, voyoit dans fon inférieur une efpece de Miniftre plus confidéré que lui, & qui fe conduifoit de maniere a fe faire beaucoup d'amis, fur-tout parmi les Grands. M. le Duc d'Orléans laifla tomber cette pluie, faute de pouvoir 1 arrecer. Elle ne put augmenter la défertion devenue générale. II s'accouetimoit a ia foheude; & comme il n'avoit jamai* oui parler de ce Moine, il n'eut pas la  de Louis XIV & de Louis XV. 21 plus légere inquiétude a ce fujet. Mais d'Argenfon , qui 1'interrogea plufieurs fois, vit, en habile homme, la folie d'un déchaineraent deftkué de toute vraifemblance, & dont 1'emportement ne pouvoit empêcher M. le Duc d'Orléans de jouer le plus grand röle pendant une minorité que la"vieillefle du Roi laiffoit voir d'affez prés. II profita de fon miniftere pour entrer de plus en plus dans fes bonnes graces; & cette conduite lui valut une grande fortune. Le Cordelier demeura prés de trois mois a la Baftille, fans parler a perfonne qu'a M. d'Argenfon; après quoi, Chalais, Prévöt de Madame des Urfins, le ramena lui-même de Paris a Ségovie, oü il fut enfermé dans une tour du Chiteau. 11 y étoit encore plein de fanté dix ans après. II y vomilïoit des horreurs contre la Maifon d'Autriche & les Miniftres de la Cour de Vienne, qui le lailïbient pourrir dans cette prifon; il ne lifoic que des Romans, & fe conduifoit avec autanc de fcandale que quatre murailles le peuvent permettre a un fcélérat. On pré-? tendit qu'il avoit fait fon marché pour> empoifonner le Roi d'Efpagne& lesenfants : fes fureurs contre Vienne fembloient favorifer cette opinion; elle pré-  32 Mémoires anecdoies valut dans les efprits les plus fages atlr dela & en-deca les Pyrénées. Mais ce myftere étant demeuré myftere, on fè gardera bien de rien prononcer a ce fujer. Ce malheureux mouruc dans fa prifon de Ségovie. Touc Ie monde faic que Jules Albérotti s'éleva au plus hauc degré de Ia faveur auprès de Philippe V, Roi d'Efpagne; mais beaucoup de gens ignorenc que le Poëte Campifiron fuc le premier inftrument de fa fortune. Albéroni étoic né fujec des Ducs de Parme. II embraffa 1'état Eccléfiaftique, &obtinc une Cure qui fuffic quelque temps a fon ambition. Un hafard lui Mc faire connoilTance avec Campiftron, & ce hafard fut la fource de fa grandeur. Ce Poëte voyageoic en Italië; il fut volé, & laifle prefque nud dans le voilinage du Presbytere d'AIbéroni, qui lui prêta les habits de fon frere, & quelque argent pour fe rendre a Rome. Dans la fuite, Campiftron iuivit le Duc de Vendöme dans les guerres d'Italie. L'armée fe trouva aux environs de ia demeure de fon ami. Le Duc de Vendöme fouhaitoit d'avoir quelqu'un qui put lui découvrir oü les. tabicants des campagnes cachoient leur*  ife Louis XIV& de Louis XV. 23 vivres. Campiftron lui paria a'Albéroni comme d'un homme intelligent, dont les fervices pourroient être utiles a ce Général. On le fit venir, & il foutint parfaitement 1'idée que Campiftron avoit donnée de lui. II s'attacha au Duc de Vendöme, qui fit quelques démarches pour lui procurer un Bénéfice qui valüt mieux que fa Cure. II lui offrk celle d'Anet, qui étoit h fanomination. L'Abbé Albéroni ne voulut pas quitter fon protecleur, & il le fuivit en Efpagne. Le grand crédit de Madame des Urfins mit le Duc de Vendöme dans lanéceflité d'avoir avec elle de grands rapports; il choific Albéroni pour entretenir leur correfpondance, tandis qu'il feroit a la tête des armées. Madame des Urfins goüta fort eet Abbé , qui, de fon cöté, n'oublia rien pour s'attirer fa puiffante protection. A la mort du Duc de Vendöme, il fe dévoua tout entier au fervice de cette Dame, & eut la plus grande part a fa confiance. Madame des Urfins qui s'étoit flattée d'époufer le Roi d'Efpagne, fe voyant déchue de 1'efpérance de régner par elle' raême, voulut du mnjr.s régner fous une aui;re. Pour eet efFet, elle confulta 1'Abbé  24 Mémoires anecdotes Albéroni fur le choix de la nouvelle Reine. Albéroni le fixa fur la Princeffe de Parme, qu'il peignic comme un efpnt de poupée, avide de plaids, incapable d ambicion. Philippe V eft bientöc décermme, & 1'Abbé part pourné-ocier ce mariage. Mais ayant appris q*ue la •Princeffe eti d'un caraclere tout différent du portrait que lui en a fait Albéroni, Madame des Urfins obtient du Roi vn ordre a fon Miniftre de furfeoir !a négociation. Le courier arrivé juffrment la veille du jour pris pour la terminer. Albéroni eft frappé de ce coup, mais n eft point abattu. II demande au courier s'ii veut vivre ou mourir, & lui ordonne de n'arriver que le lendemain. Le manage fe conclut; & Albéroni écrit en Efpagne que Ie courier eft arrivé trop tard. La nouvelle Reine arrivé a Madrid; & fon premier foin eft de hater ia fortune d'Albéroni, & Ia difgrace de la Princeffe des Urfins. Le  de Louis XIV & de Louis XV. i.5 LE DUC DE LAUZUN (ï> IVt. de Lavzvn entra dans le monde en 1655,"avec ur>e compagnie de Chevaux-Légers, & la cape & 1'épée. ïl gagna les bonnes graces du Cardinal Mazarin, & puis celles du Roi par des rapporrs & de petits fervices. On le fit Meftre-de-Camp d'un Régiment de Dragons avec de grands appointements. Quelque temps après, Sa Majefté le vouiant envoyer a fa garnifon , il fe figura que c'étoit pour 1'éloigner de fa maitrefie , dont il crue le Roi amoureux; la jaloufie le fit parler infolemment a Sa Majefté, qui le fit roettre a la Baftille en 1665. Trois mois après, le Roi 1'envoya quérir, pGur le voir avec une barbe de Capucin qu'il avoit laifté croitre dans fa prifon, & toute la Cour en rit beaucoup. Lauzun rentra fi bien dans les bonnes graces de Sa Majefté, qu'elle créa en fa faveur une charge de Colonel - général des Dragons de (1) Né en 1634, mort en 172J.' Teme II. B  zö Mémoires anecdotes France, qu'il eut la permiflion de verr dre peu de temps après. II acheta prefque aufli-töc celle de Capkaine des Gardes-du-Corps en 1669. H commanda 1'armée Royale en Flandres. Mademoifelle, qui avok refufé tant de Souverains, après avoir eu 1'efpérance d'époufer Louis XIV, voulut faire a quarante-trois ans la fortune d'un Gentilhomme. Elle obtint du Roi la permiflion d'époufer le Comte de Lauzun. Elle lui donnoit tous fes biens eftimés vingt millions, quatre Duchés, la Souveraineté de Dombes, le Comté d'Eu, le Palais d'Orléans, qu'on nomme le Luxembourg. Elle ne fe réfervoit rien, abandonnée toute entiere a 1'idée 'flatteufe de faire a ce qu'elle aimoit une plus grande fortune, qu'aucun Roi n'en a fait a aucun fujet. Le contrat étoit dreffé : Lauzun fut un jour Duc de Montpenfier. II ne manquoit plus que la Cgnature. Tout étoit pret, lorfque le Roi, aflailli par les repréfentations des Princes, des Miniftres, des ennemisd'un homme trop heureux , retira fa parole , & défendit cette alliance. II svoit écric aux Cours étrangeres pour annoncer ce mariage : il écrivit la rupture. Cependant, Lauzun n'en fut pas  de Louis XIV& de Louis XV. 27 plus mal auprès du Roi. Au contraire, Sa Majefté le dédommagea en mille manieres de cette fortune manquée. Mais Lauzun crut pouvoir époufer en fecret la Princeffe, qu'on lui avoit permis , quelques mois auparavant , d'époufer en public; & le Monarque indigné le fit arrêter & conduite a Pignerol par deux cents Moufquetaires. Lauzun y fut renfermé dix années entieres; il en forcit enfin en 1680; & ce ne fut qu'après que Madame de Montefpan eüt engagé Mademoifelle a donner la Souveraineté de Dombes & le Comté d'Eu au Duc du Maine encore enfant, qui les poflëda après la mort de cette Princeffè. Elle ne fit cette donation, que dans 1'efpérance que M. de Lauzun feroit reconnu pour fon époux ; elle fe trompa : le Roi lui permit feulement de donner a ce mari fecret & infortuné, les terres de Saint-Fargeau & de Thiers, avec d'autres revenus confidérables que Lauzun ne trouva pas fuffifants. Elle fut réduite a être'fecretement fa femme, & a n'en être pas bien traitée en public. Elle mourut en 1693. pour le Comte de Lauzun , il paffa en Angleterre en 1688. Toujours deftiné aux aventures extraordinaires, il conduifit en France B ij  2§ Mémoires anecd&tes la Reine, époufe de Jacques II, & fort fils au berceau, II fut faic Duc; il commanda en Irlande avec peu de fuccès, & revinc avec plus de réputation actachée a fes avencures, que de confidération perfonnelle. On Fa vu mourir fort agé, & oublié, comme il arrivé a tous ceux qui n'ont eu que de grands événemencs , fans avoir faic de grandes chofes. Le Duc de Mazarin déja retiré de Ia Cour en ]66o, vouluc fe défaire de fa Charge de Grand-Maïcre de FArtillerie. Lauzun , plus connu alors fous le nom de Paiguilhem, en euc venc des premiers; jl la demanda au Roi qui Ia lui promit, mais fous le feeree. Le jour venu oü le Roi devoic le déclarer, Paiguilhem qui avoic les entrées des Gencilshommes de la Chambre qu'on nomme aufli les grandes entrées, alla attendre la fortie du Roi du Confeil des Finances, dans une piece oü perfonne n'entroit pendant ce Confeil. II y trouva Nyert, premier Valet-de-chambre en quartier, qui lui demanda par quel hafard il y venoit. Paiguilhem fur de fon affaire, crut fe dévouer ce premier Valet - de - chambre, en lui faifant confidence de ce qui alloic  de Louis XIV& de Louis XV. ao fe déclarer en fa faveur. Nyerc lui en témóigna de la joie , puis tira fa montre, & vit qu'il avoic encore le tempsdalier exécuter, difoic-il, quelque chofe de prefTé que le Roi lui avoic ordonné. II monte quatre a quatre un petie efcalier au haut duquel écoic le Bureau oü Louvois cravailloic toute lajournée, quand la Cour étoit a Saint -Germain. Nyert entre dans ce Bureau, èkavertit Louvois qu'au fortir du Confeil des Finances, Paiguilhem alloit être déclaré GrandMaïcre de 1'artillerie. Ce Miniftre haïffoit Paiguilhem , ami de Colbert fon émule, & il en craignoit Ia faveur & les hauteurs dans une Charge qui avoit tant de rapports avec fon département, & de laquelle il envahiffoit les fon&ions & 1'autorité tant qu'il pouvoit; ce qu'il fentoit bien que Paiguilhem ne fouffriroic pas. II embraffe Nyerc, le remercie, lerenvoieau plusvite, prendqueU ques papiers pour lui fervir d'introduction, defcend & trouve Paiguilhem & Nyert dans la piece qui menoit au Confeil. Nyert fait le furpris de voir arriver Louvois, & lui dit que le Confeil n'eft pas levé. „ N'importe,répond Lou„ vois, je veuxentrer, j'ai quelque chofe „ de prefle a dire au Roi"; & il entre tous B iij  33 Mémoires antcifotet de fuite. Le Roi furpris de le voir lui demande cequi 1'amene. Louvoisle tire dans 1 embrafure d'une fenêtre , lui dit r üaiLq?il va déc,arer Paiguilhem Grand -Maitre de 1'artillerie ; que Sa Majefté eft bien maicrelTe de fes chojx & de fes graces, mais qu'il a cru de fon fervice de lui repréfenter 1'incompatibilite qui eft entre Paiguilhem & lui: qu il voudra tout changer dans 1'artiilene; quii eft impoffibie que le fervice s y fafTe, vu la méfinrelligence qui regne entre le Grand-Makre & le Secretaire a Lcat; que le moindre inconvénientfera d importuner Sa Majefté de leurs querelles &de leurS> prétentions, dont il faudra qu elle foit jugea tout moment. Le Ro?, piqué de voir fon fecret connu précifément de celui a qui il avoit a cceur de Ie cacher, répond k Louvois d'un air fort ieneux , que cela n'eft pas faic encore, /e congedie, & va fe rafieoïr au Confeil. Un moment après, Sa Majefté fort pour aller a la mefie, voit Paiguilhem, & paflè fans lm rien dire. Paiguilhem fort étónné attend le refte de la journée; & voyant que la déclaration promife ne venoic point, en parle au Roi a fon petit coucher. Le Roi lui répond qu'il verra. L ambiguué de cette réponfe allarme Pai-  de Louis XIV & de LouisXV. 3 i guilhem. II va trouver Madame de Montefpan, a qui il faic pare de fon inquiétude , & la conjure de la faire cefler. Elle lui promec merveille , & 1'amufe ainfi plufieurs jours. Las de touc ce manege, il prend une réfolucion incroyable , fi elle tt*eüt éié arieftée de toute la Cour. II étoit forc bien avec une femme-de-chambre favorice de Madame de Montefpan; & ce fut par fon moyen qu'il vint a bout de la plus harfardeufe entreprife dont on ait entendu parler. Malgré la violence de fes amours, le Roi ne découcha jamais d'avec la Reine; mais il fe mettoit fouvenc les après-dinées entre deux draps chez fes maitrefies. Paiguilhem fe fit cacher par cette femme - de - chambre fous le lit dans lequel le Roi s'alloit mettre avec Madame de Montefpan; & par leur converfation , il apprit 1'obftacle que Louvois avoit mis a fa Charge, la colere du Roi de ce que fon fecret avoic été éventé, & fa réfolution de ne point la lui donner. II entendit tous les propos qui fe cinrenc fur fon compte entre le Roi & fa rnaicrefiè , & que celle-ci qui lui avoit tant promis de bons offices, lui en rendoit d'auffimauvais qu'elle pouvoic. Le plus léger haB iv  3* Mémoires anecdota iard pouvoit déceier ce téméraire: & alors que feroit-il devenu? II fut 1^. heureux que fage. Le Roi & fa "efiè fe „rent du lit : le Roi s'habille & sen va; Madame de Montefpan ft met a fa coilecte, pour aller a Ja rénétition d'un BalJer ^ ?a n.; Da. rf wute ia Cour devoient fe trouver. La iemme-de-chambre tire Paiguilhem de 1 ht i revint fe coller a ,a Pofte de la chambre de Madame de Montefpan; & Jorfqu'elleenfortitpourfrrel ml ï r,ePe"tl0n' 11 ^ Préfenta la mam, & Ju, demanda d'un air refoec- 2?™/ r ilrP°UVOk fe flatter qo'elle eftt Sé m7v1rde ,üi auprès de Sa ivjajeite. Llle 1 atfura que oui, & Inj 'fi, nne ongoe ficïion de\ous les fe v ces quellevenoit de lui rendre. Afin de la mieux enferrer il Ia poulra de nouvelJes queftions; puiss'approchant de fon oreiltó, U lui dit qu'elle étoit une menteule, une coquwe, une....& lui répéta mot pour mot toute fa converfation en'fn r Roi;„Madame d* Montefpan en futfitroublée, qu'elle n'eut pas Ja force de repondre une feule parole- & Speinefut-eUe arrivée au lieu oü devoS fe faire Ja répétition du Ballet, qu'elle  de Louis XIV & de Louis XV. 33 s'évanouit; toute la Cour y étoit déja. Le Roi fort effrayé vint a elle, & ce ne fut pas fans peine qu'on la fic revenir. Elle conta le foir au Roi ce qui lui étoit arrivé, & ne douta point que ce ne füc te diable qui eüt fi vite informé Paiguilhem de tout ce qu'ils avoient dit fur fon compte. Le Roi fut extrêmement irrité de toutes les injures que Madame de Montefpan avoiteffuyées. Paiguilhem, de fon cöté, étoit furieux de manquer 1'artillerie; de forte qu'ils fe trouvoienc 1'un & Tautre dans une étrange contraince, lorfqu'ils étoientenfemble. Cela ne put durer que quelques jours. Paiguilhem avec fes grandes entrées épia un tête-a-tête avec le Roi, lui paria de 1'artillerie, & le fömma avec audace de tenir fa parole. Le Roi lui répondit qu'il n'en étoit plus temps, puifqu'il ne la lui avoit donnée que fous le fecret, & qu'il y avoit manqué. Paiguilhem, éloi.gné du Roi de quelques pas , tourne le dos, tire fon épée, en caffe la larae avec lepied, & s'écrie en fureur, qu'il ne fervira plus un Prince qui lui manque fi vilainement de parole. Le lendemain matin, Paiguilhem qui n'avoit ofé fe montrer, fut arrêté dans fa chambre & ccnduit a la Baftille. B v  34 Mémoires anecdotes En 1670, Ie Roi, fous prétexte d'alJer v^ficer fes places de Fiandres! voulnc g.«, un voyage rriompbanc avec ,es uame, ü sy fit accompagner d'un corps de troupes confidérabl?, dont fi donna le commandement au Comte de Lauzun avec la patente de Général d'a ' Zt hWT 60 fic ,es foR«ons avec rP d? rzsni(iceace & de galand tene. Cer éclac donna de la jaloufie a Louvois Le Miniftre fe joignit, Pour perdre Lauzun, a Madame de Montef Pan, qui 0 avoit point oublié les injures atroces qu il lui avoit dites. Ils firenc f dans lefpric du Roi, Je fouveniHdeT'é pee bniée & !es prétentions de Lauzun h la mam de Mademoifelle; £ Te pe" gmrentdailieurs commi un homme dangereux qui, par fa magnificen f& fes Procligahtés s'étoit mis"dans J lé* fc adoren IIs lui flrent un crime de fes liai- de Ia Cour & foupconnée depoifon. Ces jnenées durerent toute 1'année 1671 lans que Lauzun put s'appercevoir de nen au vifage du Roi, ni a eek de Maaame de Montefpan, qui le tra tok avec la diftfcffion &^ totoé 0 d  de Louis XIV& de Louis XV. 35 naires. Lauzun fe connoifibic parfaitement en pierredes , & ce mérite le mettoit fouvent dans le cas d'obliger Madame de Montefpan : un foir du mois de Novembre 1671, qu'il étoit allé a Paris faire un achat de diamants pour cette Dame, le Maréchal deKochefort, Capitaine des Gardes en quartier, 1'arrêta, comme il ne faifoit que de mettre pied a terre & entrer dans fa chambre. Lauzun, fort furpris, voulut favoir le pourquoi de cette violence, demanda a voir le Roi ou Madamede Montefpan, ou du moins a leur écrire. Tout lui fut également refufé. On le conduifit a la Baftille, & peu après a Pignerol, oü il fut enfermé fous une baffe voute. Sa charge de Capitaine des Gardes-du-Corps fut donnée a M. de Luxembourg, & le Gouvernement de Berry au Duc de la Rochefoucault, qui fut enfuite GrandMaitre de la garde-robe. Quelle dut être Ia fituation du Comte de Lauzun précipité en un clin-d'oeil, du faïte de la grandeur, dans un cachot du chateau de Pignerol ! II eut le courage de Ia foutenir aftez long-temps; mais a la fin, il devint fi malade, qu'il fallut fonger a fe confefler. On lui a entendu dire qu'il craignic qu'on ne lui envoyat un Prêtre fupB vj  . 3& Mémoires anecdoter pofé, & que ce fut Ja raifon qui lui ffe demander un Capucin. Dès qu'il le vit, il lui fauta a la barbe, & la tira de tous cótés, pour s'aiïurer qu'elle n'étoit point poftiche. II fut quatre ou cinq ans dans ce cachot, II y avoit des prifonniers a coté & au-deflus de lui; ils trouverenc Ie moyen de lui parler. Ce commerce les conduifit a pratiquer une ouverture cachée pour s'entendre plus aifément, puis de 1'accroïtre de maniere a pouvoir fe vifiter. Le Sur-Intendant Fouquet étoit renfermé dans leur voifinage , depuis 1664. qu'il y avoit été conduit de la Baftille, II fut par fes voifins, que Lauzun étoit fous eux. Fouquet qui ne recevoit aucune nouvelle, en efpéra de lui, & voulut le voir. II 1'avoit laifle jeune homme , & protégé du Maréchal de Grammonr,. & bien recu chez la Comteiïh de SoifTons, de chez qui le Roi ne bougeoit. Les prifonniers qui avoient lré connoiflance avec lui, firent tant qu'ils le perfuaderent de fe laiffer hiffer par leur trou pour voir Fouquet chez eux. Les voila' donc enfemble; & Lauzun de raconter fa fortune & fes malheurs. Le Sur-Intendant ouvrit les oreilles, quand ü entendit dire au cadet de Gafcogne qu'il avoit été Général des  de Louis XIV & de Louis XV. 3 7 Dragons , Capitaine des Gardes - duCorps, & qu'il avoit eu la patente & la fonétion de Général d'armée; mais Fouquet le crue fou, lorfqu'il lui expliqua comment il avoit manqué 1'Artillerie, & ce qui s'étoit paffe a ce fujet. II crut la folie arrivée a fon comble, & craignit même de fe trouver feul avec Lauzun, quand celui-ci raconta comment fon raariage avec Mademoifelle avoit été rompu, quoiqae le Roi y eüc donné fon confentement. Cela refroidit beaucoup leur commerce du cóté de Fouquet, qui lui croyant la cervelle totalement renverfée, ne prenoic que pour des contes en 1'air, toutes les nouvelles que Lauzun lui difoit. La prifon du malheureux Sur-Intendant fut un peu adoucie avatit celle de Lauzun. Sa femme & quelques Officiers du chateau de Pignerol eurent la permiffron de le voir, & de lui apprendre des nouvelles. Une des premières chofes qu'il leur dit, fut de plaindre ce pauvre Paiguilhem a qui la tête avoit tourné, mais dont on cachoit la folie dans cette même prifon. Quel fut fon éionnement, quand tous lui confirmerent ce qu'il avoit fu de Lauzun! II n'en revenoit pas, & fut tenté de leur croire a tous la cervelle dérangée ; il  38 Mémoires ante dot es falluc du temps pour le perfuader. A Ton tour Lauzun fut tiré du cachot, «ut une chambre, & bientót après la même liberte qu'on avoit donnée k Fouquet; enfin, ils purenc fe voir tous deux tant quils voulurent. On n'a jamais fu comment Fouquet avoit déplu a Lauzun; mais ce dernier fortit de Pignerol fon ennemi; & tant qu'il vécut, il ne cefla de rendre de mauvais offices a la familie du Sur-Intendant. Le Duc de Lauzun ne fe confola iamais de n etre plus Capitaine des Gardesdu-Corps, & cette folie le dominoit fi puiflamment, qu'il prenoit fouvent un habit bleu a galons d'argent, qui, fans etre tout-a-fait femblable a 1'uniforme de Capitaine des Gardes aux jours de revue, en approchoit beaucoup. A 1'aVe de quatre-vingts ans, il avoit encore cette mame, qui 1'auroit rendu ridicule, ii, a torce de fingutarités, il ne fe iut rendu fupérieur au ridicule même. Quand Ia pefle de Marfeille fut rouca-faii: paöee, M. de Lauzun demanda une Abbaye pour 1'Evêque de cette ville Peu après, il y eut un travail ou ce Prélat fut oublié. Lauzun fit fern-  de Louis XIV & de Louis XV. 39 blant de 1'ignorer, & demanda a M. le Duc d'Orléans s'i! avoic eu la boncé de fe fouvenir de 1'Evêque de Marfeille. Le R.égent fuc embarraffé. Le Duc de Lauzun, comme pour lever l'embarras, lui dit d'un ton doux & refpeclueux : „ Monfeigneur, il fera mieux une autre „ fois". Ce farcafme rendic le Régenc muet, & le Duc de Lauzun s'en alla en fouriant. A quelque temps de-la, M. le Duc d'Orléans répara fon oubli, & donna une groffe Abbaye a 1'Evêque deMarfeille qui venoit de refufer 1'Evêché de Laon, en difant qu'il ne vouloit point changer d'époufe. Ce même Duc de Lauzun empêcha une promotion de Maréchaux de France, par le ridicule qu'il jetta fur les Candidats qui la preffoient. II dit au Régent, qu'au cas qu'il fit, comme on le difoit, des Maréchaux de France inutiles, il le fupplioit de fe fouvenir qu'il étoit le plus ancien Lieutenant-Général du Royaume, & qu'il avoit eu 1'honneur de commander des armées avec la patente de Général. Trois ou quatre ans avant fa mort, M. de Lauzun eut une maladie qui le mit a  4° Mémoires anecdotes 1'extrémité; il ne vouloit voir perfonne cependanc M. & Madame de Biron fe ha-' farderent d entrer dans fa chambre fur la pointe du pied, & fe thirenc derrière fes ndeaux hors defa vue; maisil les appercut dans la glacé de fa cheminée. II fut choque de cette entree fubreptice, öeil compru qu'impatiente de fon héritage, Madame de Biron venoit pour racher de s aüurer parelie.même,s'il mourro.t bientot. II voulut Ten faire repentir. Le voila donc a demander pardon h Dieu de fa vie paüée, & a déclarer h voix haute que dans 1'impuifiance oü il eft de faire pénitence, il vc-m du moins employer toas les biens quë Dieu lui a donnés , a racheter fes péchés, & les léguer fans réferve aux Hópicaux. II exhala cette réfolution d un ton fi déterminé, que Biron & ft femme ne douterent pas un inftantqu il n exécutat ce defTein, & qu'ils ne fuflènc privés de toute fa fucceffion. ils n eurent pas envie de 1'épier davantage, & vinrent fur le champ conter a la DuchefTe de Lauzun 1'arrêi qu'ils venoient d entendre, & la conjurer d'y porter remede. Enfuite Je malade enïoie chercher les Notaires, les fait attente quelques moments, puis Jes fait entrer, & leur diéïe fon tc-ftamera qui fut un  de Louis XIV& de Louis XV. 41 coup de mort pour Madame de Biron. Cependant il differe de le figner, fon intention n'étant pas d'en venir a cette extrémité. Quand il fut rétabli , il rit beaucoup avec fes amis de cette efpié* glerie. Le goüt de la galanterie dura fort longtemps a M. de Lauzun. Mademoifelle en fut jaloufe , & cela les brouilla, a plufieurs reprifes. E:ant a Eu 1'un & 1'autre, Lauzun ne put fe contenir fur eet article. Mademoifelle le fut, s'emporta, 1'égratigna, & le chaffa de fa préfence. La ComtefTe de Fiefque fit le raccommodement. Mademoifelle parut au bout d'une galerie; il étoit k 1'autre bout, & il en fit toute la longuenr fur fes genoux jufqu'aux pieds de Mademoifelle. Ces fcenes, plus ou moins fortes, recommencerent fouvent. A la fin, il fe lafia d'être battu, & a fon tour battit Mademoifelle. Cela arriva plufieurs fois, tant qu'a la fin laffés de bonne foi 1'un de 1'autre, ils fe brouillerent pour ne plus fe raccommoder. Mademoifelle le chaffa de fa maifon, & ne voulut plus le revoir même a 1'article de la mort. M. de Lauzun s'étok chargé d'amener  42 Mémoires anecdotcs en Francek Reine d'Angleterre, femme deJacqaes II, & le Prince de Galles leur hls. II mir tant djadreflè, de zele & de courage dans cette opération, que tout reuffit au gré de fes fouhaits. La Reine & le jeune Prince arriverent fans accident a Galais. Louis XIV, informé de lneureufe manoeuvre de Lauzun, crut deyoir lu, en témoigner quelque reconnoifiance ; il lm ecrivit de fa main, & lui manda qufi pouvoit revenir a la Cour & lm envoya en même-temps un Lieu' renant des Gardes un Exempt, quarante Gardes, & M. le Premier avec des carroflès,des maitres-d'hötel, & Cout ce quiérojt néceflaire h la Reine fugitive. Le Roi dit enfuite, qu'il venoit d'écrire a un homme qui avoit beaucoup vu de fon ecnture, & qui feroit bien-aife d'en revoir encore. Sa Majefté envoya M. de Seignelay a Mademoifelle, pour lui dire, qu après les fervices que M. de Lauzun venoit de lui rendre, il ne pouvoit s empecher de le voir. Mademoifelle s'emporta, & dit : „ C'eft donc la Ia recon„ noifrance de ce que j'ai fait pour les enfants du Roi "? Enfin, elle entra dans une rage épouvantable qu'elle ne Pu Cfhf; Un des amis de Lauzun fut chargé de lui préfenter une Iettre de fa  de Louis XIV& de Louis XV. 43 part. Elle la prit & la jetta dans le feu en fa préfence; mais eet ami la retira, & repréfenta a Mademoifelle , que du moins elle la devoit lire. Mademoifelk alla s'enfermer un moment, & reparut, en difant qu'elle 1'avoit brülés fans 1'ouvrir. Deux jours avant la revue d'un des camps de Compiegne, M. de Lauzun demanda au Comte de Teffé s'il avoit bien fongé a tout ce qu'il lui falloit pour faluer le Roi a la tête des Dragons, dont il étoit Colonel-général. Et la-deflus ils parierent du cheval, de 1'habit, & de 1'équipage : „ C'eft fort bien , lui dit „ Lauzun; mais le chapeau! je ne vous „ en entends point parler. — Mais, non, „ répondit Teffé, je corrpte avoir un „ bonnet. — Un bonnet, repartit Lau„ zun , y penfez-vous? un bonnet! Le „ Colonel-général, un bonnet ! Monfieur le Comte, vous n'y penfez pas. „ —- Comment donc, lui dit TefTé, ^& „ d'ou peut venir votre étonnement "? Lauzun fe fit prier long-temps avant que de parler. Enfin, vaincu par fes inftances, il lui dit qu'une diflinftion de cette charge étoit de ne paroitre devant le Roi qu'avec un chapeau gris. TtfTé furpris avoue  44 Mémoires anecdotes fon ignorance; & dans 1'effroi de Ia fatife ou il feroit tombé fans eet avis, fe répand en remerciments, & court dépecher un de fes gens a Paris pour lui en rapporter un chapeau de cette couleur. Lejour de la revue, TefTé fe trouve au lever du Roi, qui, fort étonnéde lui voir un chapeau gris, lui demande oir ïl a pris cette coëffure. L'autre fe pavanant, lui répond qu'il l'a faic venir de rms.,, Et pourquoi faire, dit le Roi? n ~~ n/,re-' reprend TdFé' c'eftque Vo,, tre Majefté nous faitl'honneurdenous „ voir aujourd'hui. — Hé bien, ajouta „ Je Roi encore plus furpris, qu'a cela ,, de commun avec un chapeau gris? — „ Sire, dit TefTé qui commencoit a être „ embarraffé, c'eft que le privilege du „ Colonel-général eft d'avoir ce jour-la „ un chapeau gris. — Un chapeau gris! „ reprit le Roi, oü diable avez-vous pris „ cela? — C'eft M. de Lauzun, Sire, „ pour qui vous avez créé cette Charv ge , qui me Ta dit ". Et auffi-töc le JJuc de Lauzun d'étouffer de rire & de s éclipfer. „ Lauzun s'eft moqué de vous, „ répondit le Roi un peu vivement. „ Croyez-moi, envoyez tout-a-l'heure „ ce chapeau au Général des Prémon« trés". Quoique la plaifanteriedeLau-  de Louis XIV'& de Louis XV. 45 zun fut un peu forte, Teffé n'ofa s'en föcher,& la chofe en demeura la. M. de Lauzun étoit le feul Francais confidérabie qui eüt eu part a 1'affaire d'Angleterre. Sa Majefté Britannique crut lui avoir des obligations infinies, & le laiffa, en partant pour 1'Irlande, dans la confidence intime de la Reine fon époufe. A propremenr pirler, Lauzun étoit le Miniftre d'Angleterre en France. II n'avoit jamais été aimé de M. de Louvois, mais il n'oublioit rien pour gagner les bonnes graces de Madame de Maintenon. II n'ignoroit pas que cette Dame regardoit comme fa créature M. de Seignelay avec qui elle étoit liée par fes foeurs, Madame de Beauvilliers & Madame de Chevreufe. Lauzun crut donc qu'il feroit un grand coup pour lui, & qui plairoit fort a Madame de Maintenon , de tirer 1'affaire d'Irlande des mains de M. de Louvois, pour la mettre dans celles de M. de Seignelay. II perfuada fi bien la Reine d'Angleterre, que cela fut fait, & peut-être au grand contentement de M. de Louvois, qui ne pouvoit être chargé de tout, & qui n'auguroit pas favorablement de cette tentative.  4& Mémoires anecdotes LE PREMIER-PRÉSIDENT DE HARLAY Ci\ c ^ EST dommage qu'on n'ait pas fait un narlèana de tous les dits de ce Magif. trat très-fécond en réparties fouvent mgénieufes, & prefque toujours malignes. En voici quelques-uns qui donne. ront une idéé de fon cara&ere. M.Momalaire, qui futChevalierde 1 Ordre en 1724, avoit époufé en fecondes noces une fille du Comte de BufTy - Rabutin. Le mari & la femme étoient grands parleurs & grands chicaneurs. Un jour qu'ils étoient a 1'audience du Premier - Préfident, le mari voulut prendre la parole ; la femme la lui coupa , & fe mit a expliquer fon affaire. M. de Harlay écouta quelques rrunutes; puis 1'interrompant: Monteur, d(t-il au mari, ejt-ce la Madame votre femme? „ Oui, Monfieur", répondit Montalaire fortétonné de la queftion. Que (1) Né en 1639, «lort en 1713%  de Louis XIV'& de Louis XV. 47 je vous plains, Monfieur, répliqua le Premier-Préfident en hauffant les épaules d'un air de compaffion. Ec la-deffüs SI leur tourna le dos. Ils fe retirerent outrés, confondus & fans avoir pu tirer de lui autre chofe que cette infulte. Les Jéfuites & les Peres de 1'Oratoire étoient fur le point de plaider enfemble; le Premier-Préfident les manda, & les voulut accommoder. II travailla un peu avec eux; puis lesconduifant : Mes Peres ,dit-il aux Jéfuites, c'eft unplaifir de vivre avec vous;8t fe tournant tout court vers les Peres de 1'Oratoire, & un bonheur, mes Peres, de mourir avec vous. Le Duc de Rohan, fortant mécontent de fon audience, 1'avoit prié de ne le point conduire; & après quelques compliments, il crut avoir vaincu fa réfiftance. Dans cette perfuafion, il defcend i'efcalier en difant rage de lui a fon Intendant qui 1'avoit accompagné. Chemin faifant, 1'Intendant tourne la tête & voit M. de Harlay fur fes talons; il s'écrie pour avertir fon maitre. Le Duc de Rohan fe retourne, & fe meta complimenter pour faireremonter le Premier-  43 Mémoires anecdotes Préfidenc : Oh.' Monfieur, lui repónd „ le Magitfrat, vous dices de fi belles „ chofes, qu'il n'y a pas moyen de vous „ quiccer ". Et en eifer, il ne le quitta pas qu'il ne 1'eut vu monter en carroffe. La Duchefiè de la Ferté alla lui demander audience, & , comme tout le monde , effuya fon humeur. En s'en allant, elle s'en plaignit a fon homme d affaire, & traita le Premier-Préfident de vieux finge. II la conduifoit fans qu'elle s'en doutat; a la fin, elle s'en appercut • mais elle fe flatta qu'il ne 1'avoit'pas entendue, & il la.remit dans fon carroflè, comme fi de rien n'étoit. A peu de temps de-la, fa caufe fut appellée & gagnée; elle accourt chez le PremierPréfident , & lui rend mille aélions de graces. II y répond par des révérences; puis la regardant entre deux yeux: „ Madame, lui dit-il devant tout Je" „ monde, je fuis bien-aife qu'un vieux 5, finge aitfaitquelqueplaifirhunevieille 7, guenon ". Et puisil lareconduifittrèsrefpeétueufement jufqu'a fon carrofTe. La fureur de la Duchefiè fe peignoir fur fon vifage, & Je Premier-Préfident la bravoit par de fréquents faluts & de profondes inclinations de tête. Les  dt Louis XIV & de Louis XV. 49 Les deux freres Doublet, tous deus Confeillers, & dont 1'ainé avoit du mérite & de la capacité, avoient acheté les Terres de Perfan & de Croy, dont ils prirent les noms. Cis allerenc a 1'audience du Premier-Préfident, qui faifanc femblant de ne les pas connoïtre, demanda comment ils s'appelloienr. Ayant entendu leurs nouveauxnoms:M?/^«, leur dit-il, je vous reconnois. Au refte, il traitoit pas mieux fa familie que les étrangers. Son fils étoir fur-tout 1'objet de fes plus injurieux farcafmes. Lorfqu'ils étoient le mieux enfemble , ils ne fe parloient que de la pluie & du beau temps, & toujours fur un ton de cérémonie. S'ils avoient quelques affaires domefliques a rraiter, ils s'écrivoient, & les billets cachetés couroient d'une chambre a 1'autre ; ceux du pere étoient fouvent trés - durs, & ceux du fils quelquefois très-piquants. Jamais il n'alloit chez fon pere, qu'il ne lui envoylt demander s'il ne 1'incommoderoit point. Le pere rëpondoit, comme il eut fait a un étranger. Dès que le fils paroifioit, le pere fe levoit, le chapeau a la main, difoit qu'on approcbat un fiege a Monfieur , & tie fe rafleyoit qu'en Tome II. C  £0 Mémoires anecdotes même-temps que lui : au départ il fe levoit & faifoit une profonde révérence. Le fils avoit tout le inauvais du pere, autant de malice & plus de ridicule; mais il n'avoic ni fes talents, ni fes lum ieres. L'Académie Francoife, lorfqu'elle alla complimenter Louis XIV fur la mort de Madame la Dauphine, n'ayant pas été re^ue felon l'ufage , & avec tous les honneurs rendus aux Cours Souveraines, M. de Harlay qui étoit membrede cette Compagnie, s'en piaignit direétement au Roi; & pour rendre plus fenfible la faute qu'on avoit fake, il dit aSa Majefté : „ que FrancoisI, lorfqu'on „ lui préfentoit, pour Ja première fois, „ un homme de Lettres,faifoit troispas „ au-devant de lui", Un Monfieur Dumont, Avocat, étoit dans ce préjugé, que celui qui défend une caufe, ne doit négliger aucune eCpece dc moyens, paree que chaque Juge a fes principes bons ou mauvais, fuivant lefquels il fe décide. II plaidoït un jour une fameufe caufe a la GrandChambre du Parlement de Paris, &mêloit a des moyens viétorieux, d'autres  de Louis XIV & de Louis XV. $i moyens captieux ou peu décififs. Après 1'audience, le Premier-Préfident de Harlay lui en fit des reproches. „ Monfei„ gneur, lui répondic-il, un tel moyen „ eft pour Monfieur un tel; eet autre „ pour Monfieur un tel, &c. " Après quelques féances , 1'affaire fut jugée, & Dumont gagna fa caufe. L'audience finie, le Premier - Préfident le fit appelIer , & lui dit : „ Maitre Dumont, „ vos paquets ont été rendus a leur „ adreffe ". Les Comédiens du Roi vinrent en corps lui demander une grace; l'Acteur qui porta la parole, lui dit qu'il parloic au nom de fa Compagnie. M. de Harlay voulant lui faire fentir 1'impropriété de cetteexpreffion, réponditvivement: „Je „ veux délibérer avec ma Troupe,pour „ favoir fi je dois accorder a votre „ Compagnie la grace qu'elle me de„ mande". Un Fermier des Poftes étoit venu le folliciter, & lui racontoit fon affaire avec beaucoup de volubilité : „ Un mo5, ment, dit M. de Harlay, ce n'eft point „ ici qu'il faut courir la pofte ". Un Procureur vouloit fe juftifier auC ij  5» Mémoires anecdotes prés de lui de quelques tours de fon métier. Le Premier-Préfident, fans vouloir 1'écouter, lui dit en préfence de plufieurs perfonnes qui fe trouvoient la ~. „ Maïtre un tel, vous êtes un frippon ". Monfeigneur a toujours k mot pour rire> répondit le Procureur, fans fe déconcerter. LE DUC DE CHAROST. M . VEfcalopkr, Préfident a Mortier, avoit une 611e très-riche, dont M. de Sully avoit fait le mariage avec M. le Comte de Charo/t, qui fe trouva un homme de mérite, qui fe diftingua dans toutes les guerres de fon temps, & qui eut toujours des emplois confidérables. II s'attacha au Cardinal de Richelieu, & cette protectión lui valut dans la fuite la charge de Capitaine des Gardes-duCorps. Le Cardinal Mazarin, qui fe piqua d'aimer & d'avancer tous ceux qui avoient été particuliérement attachés au Cardinal de Richelieu, qu'il appelloit toujours fon maitre, maria le fils du Comte de Charoft a la fiüé unique du premier lit.du Sur-Intendant Fouquet,  de Louis XIV& de Louis XV. 53 qui étoit alors dans 1'apogée de la fa- < veur. La mort du Cardinal fuivit de pres le mariage du jeune Charoft, & fut fuivie de plus prés encore de Ia difgrace de Fouquet. Colbert s'éleva bientót fur les ruines du Sur-Intendant; & pour aflurer fa perte, il fe joignit a le Tellier, dont il étoit pourtant 1'ennemi. Ils voyoient Tun & 1'autre, avec inquiétude, combien le vieux Charoft & fon fils étoienc fenfibles aux malheurs de Fouquet, OC quels mouvements ils fe donnoient en fa faveur. Le fils étoit Capitaine des Gardes en furvivance de fon pere, & le Roi leur confervoit toujours la meme amitié. Cependantil eüt fouhaité de voir paffer leur charge en d'autres mains ; mais trop fur de leur fidélité, & trop accoutumé a une fortede déférence pour le pere, il ne pouvoit fe réfoudre h 1'era dépouiller. Ce fut donc aux deux Miniflres a recourir a la voie de la négociation, & ils eurent la permiffion de leur faire un pont-d'or. Charoft, vieux routier de Cour, fentit qu'a la longue il ne leur réfifteroit pas, & confentit a fe démettre, mais aux conditions les plus avantageufes. Le Traité fut donc que M. de Duras lui rendroit le prix de fa charge, & qu'il en feroit pourvu : que C üj  54 Mémoires anecdotes M. de Charoft aurok pour rien Ia Lieutenance générale de Ja Picardie, duBouJonois & des Pays reconquis, avec le commandemenr en chef de la Province • que fon fils aurok Ja furvivance de ladite Lieutenance & celle du Gouvernement de Cala,s, & que 1'un & 1'autre feroient teits Ducs a brevet. Ce ne fut pas tout: le pere obtint deux autres chofes; 1'une Fat un billet entlérement écrk & figné de la main du Roi, portant parole & promefle exprefie, de ne point faire de Fair de Franee, fans accorder d'abord cette grace a Charoft pere & fils. L'aurre chofe fut un brevet d'affaires a 1'un & a 1 autre, c'eft-a-dire, de moindres entrées que celles des premiers Gentilsnommes de la Chambre, & de beaucoup plus grandes que toutes les autres. Cette voie fi rare & fi précieufe d'un accès continuel, n'étoit pasle compte des deux Miniftres; mais Charoft brufqua ce dernier point, du Roi a lui, comme le vin du marché, fans lequel il ne pouvoit le conclure de bon cceur. Le billet fut, de la part du Roi, un effbrt extréme de confidération. C'eft 1'unique promefle d'aucune grace que Louis XIV ait jamais donnée par écrk. On verra bientöt de quillé importance furent les entrées &  de Louis XIV&de Louis XV. 55 la promelf*, & combien ce trait fut celui d'un habile homme. Charoft le pere mourut en i6«i, agé de foixame - dixfeptans, & toujours en grande coniidération. Son fils fervit avec difün&ion, &fe maintint dans la familiarité du Rok Cependant il avoit vu faire en divers temps plufieurs Ducs vérifiés, tels que MM. de la Feuillade, de Chevrcuje, de la Roche-Guion, de Duras, & le Maréchal d'Humieres. II s'en étoit plainti & le Roi qui ne les faifoit point Pairs, lui répondoit toujours froidement qu'il avoit tort de fe plaindre. Charoft n'avoit plus rien a répliquer; mais il vovoit bien que Ie Roi fe moquoit de lui. A la fin, la faveur de M. de Harlay, Archevêque de Paris, prévalut. II étoit Duc a brevet depuis le mois d'Aoüt 1674, & il defiroit ardemment d'attacher la Pairie a fon Siege. Le Roi ne le defiroit pas moins que lui; mais comme il ne vouloit point faire Charoft Pair de France, il recommanda le plus grand fecret a 1'Archevêque; quitte après, a fe défaire, comme il pourroit, des clameurs de Charoft. Celui-ci eut vent de ce qui fe paflbit; il en paria au Roi, qui biaifa, & fe défit de lui fous prétexte de quelque affaire. Charoft ne fe rebuca C iv  56 Mémoires anecdoUt point II attaqua Ie Roi * Ia fin du petfe coucher &, fon billet a Ia main L iomma de fa ParoJe, comme le plushon- i^e Koi ne put difcoavenir de 1'eneaee- es fervices de TArchevëque qui Séritoient une exception en fa faveur. Cha-. roft trouva ces raifons fort bonnes; mais 'I ajouta qu'elles ne concluoient en aucurie maniere pour fon exdufion, & qu elles ne pouvoient forcer Ie Roi a manquer, pour 1'unique fois de fa vie. & une promefie folemnelle qu'il Jui repréfentoit écrite de fa propre main. Le Roi prétendit que, pour cette fois , J Archevêque devoit paflèr feul, & afTura Charoft qu il ne feroit plus aucun Pait ChllT- raP^k aV0" donnée, Charoft mfifia, & ne puc ïien dans cette première féance. U fe retira apres une demi-heure de vaines tentati- reprifes, & toujours h la même heure. Lnhn, il remporta Je prix de fa perféverance. Le Roi lui dit qu'il auroit mieux fait de lui rendre fa parole; mais que, pu,fqu;il infiftoit, il falloit bien la tenir^ & qu il pouvoit avertir, de fa part, Ie Premier-Préfident & le Procureur-gé-  de Loüis XIV& de Louis XV. 57 néral. On juge bien qu'il ne perdit pas de temps; mais 1'Arehevêque, qui avoic compté fur la diftinction d'être recu feul, voulut au moins être le premier en date, & prittoutes fes mefures pour cela. Charoft en fut inftruit, & vint retrouver le Roi, toujours au petit coucher, toujours fon billet a la main. Le principal étoit accordé , 1'acceflbirè ne tint pas long-temps. Le Roi avoit bien confenti tacitement a la furprife que 1'Archevêque vouloit faire; mais une fois éventée, il ne pouvoit plus Tautorifer. il promit a Charoft d'arrêter le Prélat, qui, en effet, ne fut enrégiftré & recu au Parlement que huit jours après lui. L'Archevêque , piqué de n'avoir pu réuffir a faire paffer fa Pairie la première , eut la politeffè de vouloir évitet la préféance aétuelle de Charoft, & pour cela, il voulut être recu a la dérobée, & fans 1'affiftance d'aucun Pair. II fuc encore 'découvert & forcé dans ce dernier retranchement. En moins de vingtquatre heures, Charoft s'afïura d'un aflèz grandnombre de Pairs, qui, arrivés fur Jes fept heures du matin a la Grand'Chambre, y trouverent 1'Archevêque a qui ils firent leur compliment. Sa furprife & fon dépit ne purent fe cacher. C v  58 Mémoires anecdottf Ces Pairs prirent auffi-töc Ieurs places, & 1 Archevêque fut obligé de prendre la fienne au-deflbusdu Duc de Charoft. Cette aventure fut trés - ridicule pour I Archevêque; & Charoft eut une fotiffaftion complete. II avoit été Duc a brevet avec fon pere en 1672 , & il fut Pair avec 1'Archevêque de Paris en 1600. Dans la campagne de Liile, en 1667, le Roi commanda lui-même fes troupes. II avoit fous lui, le Maréchal de Turenne. On fit le fiege de Lille; & un jour que Louis fe tenoit a la tranchée dans un lieu oü le feu étoit très-vif, un foldas le prit rudement par le bras, en lui difant: Otez-vous, efi-ce la votre place? Les Courtifans, appuyant fur ce mot, vouloient lui perfuader de fe retirer. II étoit prêt a céder ü ces confeils timides, iorfque le vieux Duc de Charoft s'approchanc de fon oreille, lui dit a voix baflè: Sire, ilefttiré, il faut le boire. Le Roi Je crut, demeura dans la tranchée, & lui fut fi bon gré de cette fermeté, que le même jour, il rappella le Maiquis de Charoft fon fils, qui écoic alors exilé.  de Louis XIV & de Louis XV. 59 M. DE CHAMILLART (f). ]Vf. DE CHAMILLART étOÏt Utl grand homme qui marchoit en dandittant, & donc la phyfionomie ouverte tr'annoncoit que de la douceur & de la bonté, & tenoit parole. Son pere, Maitre des Requêtes, mourut en 1675 , Intendant a Caën, oü il avoit été prés de dix ans. L'année fuivante, le fils fut Confeiller au Parlement. B étoit fage, appliqué, peu éclairé, de bon commerce, & fort honnête homme. H jouoit bien tous les jeux, & cela 1'initia un peu hors de fa robe; mais fa fortune fut d'excellerauBillard. Le Roi, qui s'araufoit fort de ce jeu, dont le goüt lui dura longtemps, y faifoit prefque tous les foirs d'hyver, des parties avec M. de Vendöme, Mi le Grand,M. de Grammont& le Maréchal de Villeroy. Ils furent que Chamillart y jouoit foit bien; ils voulurent en efiayer a Paris. Ils en furent fi contents, qu'ils en parierent au Roi, & (1) Né en 1651, mort en vrir. C vj  °o Mémoires anetdotn kranterent tant, qu'il dit a M. le Grand Fis en ^ft^^SgJ encore plus que MM, de vïïoy & de Grammon .Js firem ie oy & par ie du Roi oü il étoit ie plus for, II sy comportade maniere a pfaj* „ Roi & aUX Courtifans. Louis xiv le lnttaatP,,US ^P^'&ilen parL6 tan a y/adame de Maintenon, qu'dle voulut le voir. U fe tira g bieVle,£ C,0nVerfadoH avec elte, qu^elle Ja fin V. VOif q^lquéfoIPS, & Je Rol m f g°?3a,U raoi"smutant que ie roi. Malgre fes fréquens vovaees k VerfaUJes, i fut ,ffido raaSf^ Jais, & continua d'y rapporter. CeJa lui aeqmt 1'aJeétion de fes Confrères Qu rent nn CoBr&k Roi Jui ft. iuf m,' r nAS amis' & le Koi voulut qu il fut Ma&re des Requêtes nnr£ Uiateau,& crois an* après, Chamilkrs  de Louis XIV & de Louis XV. 61 fut fait Intendant de Rouen; il avoit prié le Roi de ne le pas éloigner de lui, & il obtint la permiffion de venir paffer de temps en temps fix femaines a Verfailles. Le Roi le mena a Marly, & le mie de fon jeu au Brelan. II prit des Croupiers , paree que le jeu étoit trop gros pour lui; il y fut heureux. Au bout de trois ans d'Intendance, oü. il ne fe méconnut pas, il vaqua une Charge d'Intendant des Financesque le Roi lui donna de fon propre mouvement en 1689, & oü il demeura dix ans. II cultiva fi bien Madame de Maintenon, depuis qu'il fut devenu fédentaire a Paris & h Ia Cour, qu'elle le choifit pour adminiftrer les re* venus & toutes les affaires temporelles de Saint-Cyr; ce qui établit desrapports continuels entre eux. Avec la proteftion de cette Dame & tant d'autres véhicules, Chamillart parvint aa Conrrêle-général & le Roi s'applaudit publiquement de fon choix. II porta dans eet emploi une douceur, une patience , une affabilité quï y étoient inconnues, & qui lui gagnerene tous ceux qui avoient affaire a lui. 11 ne fe rebutoit point des propofitions les plus abfurdes & les plus réitérées. Son tem» pérament y eontribuoir, par un fiegme qui ne fe déntentoit poin5> mais qui n'a-  62 Mémoires anecdotes voit rien de repouffant. Toute Ia Cour 1'aima, pour la facilité de fon accès, pour fa politefTe, & pour une infinicé de fervices qu'il rendoit fans les faire acheter par des foumiffions. Le Roi lui montra confhmment de l'affeétion & de 1'eftime. Chamillarc eut le malheur de ne trouver dans^ fa familie perfonne dont le mérite étaySt fa faveur. Sa femme, fes freres & fes autres parents étoient tous fort bornés, & fes propres talents ne fuppléoient pas aux appuis domefh'ques. Avec de tels entours & fon peu de capacité, il lui falloit toute famitié du Roi & de Madame de Maintenon, pour fe foutenir dans fes places. Dreux & Chamillari étoient Confeillers en Ia même Chambre & intimes amis. Dreux étoit fort riche , & Chamillarc fort peu accommodé des biens de Ia fortune. Leurs femmes accoucherent en même-temps d'un fils & d'une fille : Dreux, par amitié, demanda a Chamillart d'en faire Ie mariage. Chamillart repréfenta a fon ami qu'avant que ces enfants fuffent grands & en état de fe marier, il trouveroit des partis bien plus confidérables que fa fllle. Dreux, homme droic, franc, & qui aimoit Chimil-  de Louis XI V& de Louis XV. 63 lart, perfévéra fi bien, qu'ils fe donnerent réciproquement parole. Avec les années, la chance avoit tourné; Dreux étoit demeuré Confeiller au Parlement, & Chamillart parvint a tout ce que nous venons de voir; mais ils furent toujours amis intimes. Sept ou huit mois avant que Chamillart devint Contröleur-général, il alla trouver Dreux, & lui dit que leurs enfants étoient en age de fe marier, & de les acquitter de leur parole. Dreux, touché d'une propofition fi généreufe, fit tout ce qu'un homme d'honneur peut faire pour rendre a fon arm une parole qu'il ne pouvoit plus tenir fans expofer fa familie a de grands embarras. Chamillart le fomma de temr la fienne, & ce combat de générofité dura plufieurs jours de part & d'autre. A la fin Chamillart, bienréfolu de partager fa fortune avec fon ami, 1'emporta, & le mariage fe fit. II obtint pour fon gendre Fagrément du Régiment de Bourgogne, &bientót après, la Charge de GrandMaitre des Cérémonies que Blaimnlle lui vendit. Le Roi prit prétexte de cette Charge, pour faire entrer Madame Dreux dans les carroffès, & la faire marger avec Madame la Duchefiè de Bourgogne. C'eft le premier exemple de deux noros  *4 Mémoires aneedotes bourgeois décorés d'eux-mêmes /w prétexce de TerrP «<= Vj-omte. Car tout aufïï - rAr ivr temnf ? emP°"oient beaucoup de emp fans ,e rendre moins nffidïïf pJt procés Ss°naP d^b°rd tout ™™ de P ece qui, difort-,1, faifoit ie gaia de fon fort Tr ■ Cf, fe miE h Cf»er Plus ^"..icijacs, quifetrouvereut la,  dt Louis XIV& de Louis XV. 65 paree que 1'arrêt ne faifoit que d'être figné; ils les vifiterent, & la piece s'y trouva. Voila 1'bomme a fe défoler, & pendant ce temps, Chamillart a lire la piece, & a Ie prier de lui donner un peu de patience. Quand il 1'eut bien lue & relue t „ Vous avez raifon lui dit-il, n elle m'étoit inconnue, & je ne com- prends pns comment elle a pu m'é„ chapper; elle décide en votre faveur. „ Vousdemandezvingt mille livres,vous „ en êtes débouté par ma faute, c'eft a „ moi a vous lespayer. Revenez après • „ demain ". Cet homme fut fi furpris, qu'il fallut lui répéter ce qu'il venoit d'entendre. II revint le fur-lendemain, & Chamillart qui avoit battu monnoie de tout ce qu*il avoit, & emprunté le refte, lui compta les vingt mille livres, lui demanda le fecret, & le congédia; mais il comprit que le rapport des procés & 1'examen des pieces ne pouvoient fe concilier avec ce Billard de trois fois la femaine. II n'en fut pas moins affidu au Palais, ni moins attentifa bien juger; mais il ne voulut plus être Rapporteur d'aucune affaire, & remit au Greffe celles dont il étoit chargé. Cela s'appelle une belle & grande aftion dans un juge, & plus encore dans un Juge  66 Mémoires anecdotes auffi mal - aifé que 1'érok alors M. de Chamillarc. LE MARÉCHAL DE VILLARS CO. A < , ■TV.pres la viftoire de Fridlingue en 02, comme Villars marchoit a la réte de fon Infanterie a travers un bois, une voix cria: Nous fommes coupés. A ce moe tous les Régiments fe difperfenr. Villars courtaeux, & leur crie: Allons, mes amis, la vicloire eft a nous, vive le Roi. Les Soldatsrépondent en tremblant, Vive le Roi, & recommencent h fuir. La plus grande peine qu'eut le Générale rut de rallier les vainqueurs qu'une parejlle terreur livroit a la merci des ennemis. II paroit bien extraordinaire, que les mêmes hommes qui viennent de combattre avec tant d'ardeur & de fuccès, foient fubitement faifis d'une terreur panique, & qu'ils perdent Ie jugement au point de ne pouvoir pas revenir du trouble de leurs fens : toutefois 1'Hiftoire fournit un grand nombre de pareils exem- (i) Né en 1651, mort en 1734,  de Louis XIV & de Louis XV. 67 pies. Les Francois remis de leur frayeur, proelamerent Villars Maréchal de Ftance furie champ debataille; & quinze jours après, Louis XIV confirma ce que la voix des Soldats lui avoic accordé* En 1703, ce Maréchal étanc parti d'Alface pour joindre 1'Eleéteur de Baviere, s'approcha de Kcntzingen, donc il vouloic fe rendre maitre. Quelques Religieux lui apporterent des contribudons. II les renvoya, avec ordre de dire a la Garnifon de mettre bas les armes, fous peine d'êcre paffee au fil de 1'épée, & que, fi elle droic un feul coup, touc feroit mis a feu & a fang dans la Ville. Le Commandant, intimidéparces menaces, fe rendit fans coup férir. On trouva dans la Ville, qui étoit aflez bien fortifiée, outre une nombreufe artillerie, beaucoup de municions de guerre & de bouche. Villars, charmé de faire remarquer ce tour d'adreffe aux Officiers-généraux, leur dit: „ Avouez, Meffieurs, que „ fi cette place ne fe fut pas rendue, il nous „ eüt été impoffible de la prendre, n'ayant „ pas une piece de canon. II faut quel„ quefois que la hardiefTe fupplée l Ia for„ ce. Des menaces faites a propos a un „ ennerai fupérieur, ne peuvent que le  68 Mémoires anecdotes „ furprendre, & lui donner des allarmes >, qui 1'obligent a accorder des chofes » qu'on ne fauroic obtenir aucremenc Lors de la journéede Malplaquet ert 1709, le Maréchal de Villars fe trouva affez griévement blefTé pour fe faire admmiftrer les Sacrcmenrs. On propofa de faire cette cérémonie en fecret. „ Non, „ dit Je Maréchal, puifque 1'armée n'a „ pu voir mourir Villars en brave, il „ eft bon qu'elle le voie mourir en „ Chrétien ". Villars furvécut a fes bJeiTures, & fut choifi pour rétablir en Flandres les affaires de la France. On prétend que la Ducheffe de Villars voulut difTuader fon mari de fe charger d'un fardeauauiS dangereux; mais que le Maréchal reietta ce confeil timide. „ Si j'ai, difoic-il, le „ malheur detre battu, j'aurai cela de „ commun avec les Généraux qui ont „ commandé en Flandres avant moi ï fi „ je reviens vainqueur , ce fera une „ gloire^que je ne partagerai avec per„ fonne ". Villars eut bientdt cette gloiFe. Le 24 Juillet 1712 , il tomba fur un Camp de dix-fept Bataillons retrancbés a Dénain fur 1'Efcaur. Quoique  de Louis XIV & de Louis XV. 69 1'entreprüe füc difficile, le Général ne défefpéra pas de la viftoire. „ Meffieurs, dic-ii aux Officiers qui 1'entoüroient, „ les ennemis font plus forts que nous; „ ils font même retranchés,- mais nous „ fommes Franeois: il y va de 1'hon„ neur de la Nation ; il faut aujuur„ d'hui vaincre ou mourir, & je vais „ vous donner Texemple ". II fe met auffi-töt a la tête des troupes qui, encouragées par fa préfence, font des prodiges de valeur, & battent les Alliés commandés par le Prince Eugene. Selon quelques Auteurs du temps, il s'en faut bien que le Maréchal de Villars ait eu tout le mérite de cette expédition. Ils en font honneur au Maréchal de Montefquiou, & prétendent que Villars ne 1'approuva qu'après 1'exécution. Quoi qu'il en foit, voici comme ce fait eft préfenté dans les Mémoires de SaintSimon. Le Prince Eugene affiégea Landrecie, Le Roi, piqué des avantages qu'il ne laifïbit pas de prendre, quoique deftitué du fecours des Anglois, vouloit enprofiter, & trouvoit fort mauvais que Villars laiffat affiéger & prendre les places de la dernkre frontiere, fans don-  7° Mémoires anecdotes ner bataille pour 1'empêcher. Villars en avoic des ordres réicérés; mais il tdtonnoit & reculoic toujours, & manqua plufieurs occafions de battre le Prince Eugene, dont quelques - unes furent fi vifibles, que 1'armée en murmura publiquement. II cherchoit , difoic, il, les moyens de faire lever Ie fiege de Landrecie ; & le Roi attendoic tous les jours des couriers de Flandres avec la plus grande impatience. Momefquiou vit jour a donner un combat avec avanrage. II étoit fort connu du Roi, a qui il dépêcha fecretement un courier avec un plan de fon deffèin. La réponfe fut prompte; il eutordrede fuivre & d'exécuter fon projet, même malgré Villars, mais de fe conduire, par rapport a lui, avec adreflè & prudence. Le Prince Eugene s'étoit éloigné de Marchiennts, & même de Denain , oü étoient fes principaux magafins, & qu'il avoit retranchés, en y laiffant dix-huit Batail- lons & quelque Cavalerie. A cette nouvelle , le Maréchal deMontefquiou prefia Villars de s'y porter. Dans la marche, Montefquiou s'avanca avec une tête, quatre Lieutenants -généraux & quatre Maréchaux-de-Camp, arriva devant Denain , fit prompcement fes difpoficions,  de Louis XIV & de Louis XV. 7 x & attaqua les reiranchements. Villars marchoit doucemenc avec legrps del'armée, déja faché d'en voir une p3rtie en-avant avec Montefquiou. II le fut bien davantage, quand il entendit le bruit du feu qui commencoit. II dépccha ordre fur ordre d'arrêter, de ne point actaquer, de 1'attendre, & toujours fans fe hater le moins du monde, paree qu'il ne vouloit point de combat. Montefquiou lui manda que le vin étoic tiré, & qu'il falloit le boire, & poufTa fi bien les attaques, qu'il emporta les retranchements, entra dans Denain, s'y rendit maitre de toute 1'artillerie & des magafins, tua beaucoup de' monde, & fe mit en pofture de s'y maintenir, s'il étoit attaqué par le Prince Eugene qui arrivoit avec fon armée de 1'autre cöté de la riviere, qui fut témoin de 1'expédition, qui recueillit les fuyards, & qui s'arrêta, paree qu'il ne crut pas devoir attaquer Denain. Villars arrivant avec le refte de 1'armée, comme tout étoit fait, enfonca fon chapeau , & s'applaudit de ce triomphe qui n'étoit pas le fien, mais dont il recut les compliments, comme tout le monde fait. -Le Dauphiné fut en 1708, le théacie  ?a Memoires anecdotes des exploics de Villars; il y fit échouer tous Jes deffeins du Duc de Savoye. „ II faut, ditun jour ce Prince, que le „ Maréchal de Villars foit forcier, pour „ favoir tout ce quejedois faire;jamais „ homme ne m'a donné plus de peine, ni plus de chagrin ". On le preflbit en 1677 de prendre une cuiraflè pour une aétion qui devoit étre vive & meurtriere. „ Je ne crois „ pas, répondit-il tout haut en prém fence de fon Régiment, ma vie plus „ précieufe que celle de ces braves „ gens-Ia" La première fois que Ie Maréchal de Villars, étant de retour a Paris après la Campagne de Denain, fut a 1'Opéra, la Demoifelle Ander, faifant le röle de la Gloire dans Ie Prologue ó'Armide, lui préfenta une couronne de laurier. La même chofe eft arrivée de nos jours au Maréchal de Saxe après Ia bataille de Fontenoy; il fut coaronné par uneniece de celle qui avoit couronné Villars. En 1734, Louis XV ayant déclaré Ia guerre a la Maifon d'Autriche r le Maréchal de Villars, quoique agé de quatre-  de Louis XIV & de Louis XV. 73 quatre-vingt-deux ans , fut choifi pour commander en Italië les troupes réunies de France, d'Efpagne & de Sardaigne. Un Officier confidérable lui repréfentant au fiege de Pizzigitone qu'il s'expofoit trop : „ Vous auriez raifon fi j'é„ tois a votre age, répondit le Maré„ chal; mais a 1'age oü je luis, j'ai fi „ peu de jours a vivre , que je ne dois „ pas les ménager, ninégligerles occa„ fions de me procurer une mort glo„ rieufe". L'aftoiblifiement de fes forces ne lui permit de faire qu'une campagne : il partit pour s'en retourner en France; mais une maladie mortelle 1'arrêta a Turin. „ Dieu vous fait de grandes graces, lui „ dit fon Confeffeur. Vous avez mené „ une vie oü vous vous occupiez plus „ de votre gtoire que de votre falut; „ Dieu pouvoit vous enlever au milieu „ des dangers oü vous vous êtes tant de „ foisexpofé; il vousa confervé jufqu'a „ préfent pour vous donner le temps de „ vous reconnoitre; & c'eft une faveur ,, qu'il n'accorde pas a tout Ie monde. „ Le Maréchal de Berwick n'a pas eu le „ même bonheur que vous; ilvientd'ê„ tre tué au fiege de Philipsbourg d'un Towe II. D  74 Mémoires anecdotes „ coup de canon en vifitant les travaux „ de la tranchée ". Quoi, répond ViiJars, le Maréchal de Berwick eft mort de cette manier e? Je Vavois toujours dit, qu'il étoit plus heureux que moi. II expira uu moment après. Cet illuftre guerrier s'étoit diftinguê fort jeune dans la profeffion des armes. Louis XIV, charmé de fon ardeur naiffante, difoit de lui: „ II mefembleque, „ dès que 1'on tire en quelque endroit, „ ce petit garcon forte de terre pour s'y „ trouver". Villars avoit mis a prix Ia tête du Chef des Camifards, qui s'étoient révoltés dans les Cévennes. Ce rebelle, témoin du fupplice de fes compagnons, & reconnoilTant que tót ou tard il lui faudroic fubir le même fort, prit un parti qui lui réuffit. II connoifioit la générofité & la clémence du Maréchal. S'étant préfenté devant lui, il lui demanda s'il étoit vrai qu'il eüt promis mille écus a. celui qui le livreroit mort ou vif ? Le Maréchal ayant répondu que oui: „ Cette „ récompenfe me feroit due, continua „ Ie Camifard, fi mes crimes ne m'en „ avoient rendu indigne ; mais j'ai tant  de Louis XIV & de Louis XV. 75 „ de confiance dans laclémence du Roi „ & dans votre générofité, que je ne „ crains poinc de vous apporter moi„ même cette tête criminelle, dont vous „ pouvez difpofer ". II étoit a genoux, en difant ces mots; le Maréchal 1'ayant fait relever, lui fit compterfur lechamp les mille écus, & expédier une amnifïie générale pour lui & pour quatre - vingts perfonnes de fa fuite. Le Sieur Thierry, Avocat aux Confeils , avoit fa maifon fituée prés de 1'hötel ou fè tenoient les aflèmhléespour le Confeil de la Guerre; il fut réfolu de joindre le cabinet de eet Avocat a 1'un des Bureaux du Confeil. Thierry qui n'aimoit pas a fe déranger pour accommoder les Commis du Bureau, prit la réfolution de préfenter au Régent un placet qui mérite de trouver place ici, tant par fa fingularité que par 1'heureux fuccès dont il fut fuivi. „ Monseigneur, „ Thierry, Avocat aux Confeils du Roi, „ remontre trés-humblement a Votre „ Alteffe Royale, que M. le Maréchal „ de Villars n'ayanc plus d'ennemis a D H  76 Mémoires anecdotes „ combattre, ni de Traité a faire, a mis ,, le fiege devant le cabinec d'un pauvre „ Avocat. II s'imagine que la place fe „ rendra a la première fommation; mais s, le fuppliant a réfolu d'attendre le gros „ canon. Ce gros canon, Monfeigneur, „ eft 1'ordre précis de Votre Aitefle „ Royale. 'Signé Thierry. 1718 ". Ce placet ayant été renvoyé k M. de Villars, Préfident du Confeil de la Guerre, le Maréchal le trouva fi bien fait, qu'il déclara au Duc Régent : qu'il „ fe faifoit un plaifir de lever ce fiege, „ le premier qu'il eut levé de fa vie ". Le Roi vouloit faire paffer le Maréchal de Villars en Italië, pour qu'il ha4tit le fiege de Turin, qui, par fa longueur, commen§oit a devenir ridicule. Villars refufa, fous prétexte qu'il craignoit de ne pas réuffir de ce cöté-la : il allégua d'ailleurs des douleurs degoutte. On lui envoya un fecond courier, & il fit la même réponfe. Le Roi étonné de fa réfiftance , lui écrk , & après avoir combattu fes raifons, il ajoute : „ Afin qu'il n'y ait point de nou„ velles répliques, je vous ordonne de „ partir en pofte le lendemain de 1'arri-  de Louis XIV & de Louis XV. 77 „ vée de mon courier, de pafTer par le „ chemin le plus court, pour vous ren„ dre en Lombardie, afin que le Duc d'Orléans mon neveu puiiïë renvoyer „ le Duc de Vendöme incontinent après „ fon arrivée ". Un pareil ordre ne donna pas lieu a la délibération. Villars fe préparoit a partir dès le foir du même jour, lorfqu'il re?ut un contre-ordre de la propre main du Roi. Ce contreordre étoit accompagné d'une lettre du Miniftre, qui expliquoit le motif du changement. „ Le Roi auroit été bien,, aife que vous vous fufliez mis en che„ min pour 1'Italie, fuivant les ordres „ que Sa Majefté vous en avoit donnés „ mais faifant réffcxion qu'elle vous y „ envoyoit malgré vous, & que cela „ pouvoit être fujet a des inconvénienis „ contraires au bien du fervice, elle a „ jugé plus a propos d'y envoyer M.le „ Maréchal de Mar/in". La vraie raifon qu'avoit M. de Villars pour refufer d'aller en Italië, n'étoit ni la crainte de ne point réuflïr, ni fes douleurs de goutte. II la confia fecretement au Miniftre lui-même. „ J'aurois, dit-il dans fa réponfe a M. „ de Chamillart, trouvé M. le Duc d'Or„ léans indifpofé contre moi par les „ mauvais fervices que n'auroient pas D iij  78 Mémoires anecdotes „ manqué de me rendre M. & Madame „ de Nancrè tout-puiflants auprèsdece „ Pn'nce , a caufe de la Terre de Sablé „ que j'ai eu, comme vous favez, incen„ tion d'acheter, &c. ". Quelle eftfouvent la caufe des plus grands malheurs pour une Nacion! Villars n'auroic point commis les fauces de Marfin. Le Maréchal de Villars aimoic a répéter qu'il ("n'avoir eu que deux plaifirs bien vifsen fa vie, celui deremporcer un prix au College, & celui degagner une bataille. Ce Général témoignoit, dans routes les occafions, le plus grand mépris pour les Agréables de Cour. Cette conduite lui fufcita des ennemis, & il ne 1'ignoroic pas. Un jour qu'il prenoit congé du Roi pour aller commander 1'armée: „ Sire, lui dic-il, je vais combattre les „ ennemis de Votre Majefté, &je vous „ laiflè au milieu des miens ". Villars avoit acquis fes richeffès par des contributions dans le Pays ennen . Des Courtifans du Dnc d'Orléans, Régent du Royaume, devenus riches par ce bouleverfement de 1'Ecat, appellé  de Louis XIV & de Louis XV. 79 Syftéme, fembloient fe glorifier de leurs richeffès: Pour moi, leur dit Villars, je riai jamais rien gagné que fur les ennemis. NINON DE LENCLOS (i> D e tous les amants de Ninon, le Marquis de Villarceaux fut le plus aime. Madame de Villarceaux, époufe du Marquis, en étoit furieufe, & riet^ne le prouve mieux que 1'anecdote qu on va rapporter. Cette Dame avoit un jout beaucoup de monde chez elle : ondefira de voir fon fils; il parut accompagnede fon Précepteur : on le fu parler, & on ne manqua pas de louer fon efprit. Lamere, pour mieux juftifier les éloges , pna le Précepteur d'interroger fon éleve lur les dernieres chofes qu'il avoit apprifes. „ Allons, Monfieur le Marquis, dit Je n-rave pédagogue: Quem habuit SucceJJorem Belus,Rex Jfyriorum?Ninvm, répondit le jeune éleve. Madame ae Villarceaux, frappée de la reffemblance (i) Née en 1615, morte en 1706. D iv  80 Memoires anecdotts de ce nom avec celui de Ninon , ne put fe contenir. „ Voila, dit-elle, de belles „ mftructions a donner a mon fils, que ,, de 1'entretenir des folies de fon pere "' Le Précepteur eut beau s'excufer, & donner les explications les plus fatiffaifantes , rien ne put faire entendre raifon a cette femme jaloufe. Le ridicule de cette fcene fe répandit dans toute Ja Ville, & Molière en tira un parti fort mgénieux dans fa petite Comédie de la Comteje iEfcarbagnas. a,iLe 9°™*Je Ckoifeul, qui fut depuis Maréchal de trance, étoit un des amants malheureux de Mademoifelle de Lenclos. II avoit pourtantd'excellentes quaiités; mais il n'entendoit rien a faire 1 amour. Ninon, fatiguée de fes pourfuites, ne put s'empêcher de lui appliquer un jour ce vers de Corneille : Ah! Ciel, que de ver rus tous me faites haïr J Ce qui mit le comble a la home de ce Seigneur, c'eft qu'il fe vit préférer un nyal, dont il ne fe feroit jamais défié. C etoit Pécourt, célebre Danfeur de ce temps - la. II rendoit de fréquentes vifites a Ninon. Le Comte de Choifeul le  de Louis XIV & de Louis XV. 81 rencontra un jour chez elle , avec uti habic aiïèz reflèmblant h un uniforme. Après quelques autres propos ironiques, le Comte lui demanda dans quel Corps il fervoit. Monfeigneur, lui répondit Pécourt fur le même ton ,je commande un Corps oü vous fervez depuis longtemps. Une querelle qui s'éleva entre deus amants de Ninon, fut portée devant la Reine Régente, & fit que cette Princeffe fongea quelque temps a faire mectre Mademoifelle de Lenclos dans un Couvent, en lui laiffant le choix de fa retraite. Ninon, a qui 1'on vint faire cette propofition, répondit du ton le plus refpeétueux en apparence, qu'elle choififfoit le Couvent des grands Cordeliers. Le Marquis de la Chdtre aimoit Mademoifelle de Lenclos, & en étoit aimé, lorfqu'il recut un ordre d'aller joindre 1'armée. II étoit inconfolable, moins encore de la néceff.é, que des fuites de fon éloignement. Pour fe tranquillifer, il s'avifa d'un expédient affez fingulier; ee fut d'exiger de Ninon un billet par lequel elle s'engageac a lui refter fidelle. Elle eut beau repréfenter que ce qu'il D v  82 Mémoires anecJotes demandoit étoit extravagant; il fallut faire le billet & le lïgner. Le Marquis le baifa mille iois, le ferra précieufement, & pamt avec la plus grande confiance. L)eux jours après, 1'inconftante Ninon ie trouva dans les bras d'un nouvel amant. La fohe de ce billet lui revint alors a 1 efprit & elle s'écria deux ou trois fois: AkJ le bon billet qu'a la Chdtre! failHe piaifante, qui depuis a fait proverbe. IAttachement de Gourville au parti du Grand Condé i'obligeant de quitter le Koyaume,il vint trouver Mademoifelle de Lenclos, dont il étoit alors 1'amant favorifé, & lui apporta vingt mille écus en or, qu'il la pria de lui garder jufqu a fon retour; il alla dépofer une pareille fomme entre les mains d'un Eccléfiafhque qui avoit une grande réputation de faimeté. Au bout de deux mois, INmon, fuivant fa coutume, prit un nouvel amant. Le pauvre Gourville errant dans les Pays étrangers apprit cette nou"die & crut fes vingt mille écus perdus. De retour h Paris, au-lieu d'aller defcendre chez Mademoifelle de Lenclos, fon premier foin fut d'aller retirer des mains de 1'Eccléfiaftique les vingt mille écus dépofés. Celui-ci nia le dé-  de Louis XIV & de Louis XV. 83 pöt. Gourville n'imaginanc pas qu'il füt plus heureux aupiès de Ninon , craigmc même de 1'aller voir, pour n'être pas forcé de haïr & de méprifer une femme qu'il avoic tant aimée. Ce ne fut qu'a la derniere extrémité qu'il fe rendit chez elle \ & lorfqu'elle lui eut témoigné le plus grand étonnement de ne point recevoir fa vifite : Monfieur, lui dit-elle , il mefl arrivé un grand malheur en votre abfence; fai per du... ( a ces mots, Gourvilie ne douta pas qu'il n'eüc tnen .conjeéturé,) faiperdu le goüt que favois pour vous; mais je nat pas per du la mémoire, & voici les foixante mille francs que vous mavez confiés. Us Jont encore dam la même caffette ou vous les avez ferrès. Remportez-les, mats ne vous objlinez point a me demander ■un cceur dont je ne puis plus difpofer en votre faveur. II ne me re/te pour vous que Vamitiè la plus fincere. Gourville ne put s'empêcher de foupirer encore; mais il prit fur lui de chercher fon bonheur dans un commerce moins délicieux, mais plus durabie que celui de 1'amour. L'aventure de 1'Abbé Gédoyn fait foi que, jufqu'a la vieilleiïè la plus avancée, Ninon conferva Ie don d'aimer & de D vj  o4 Mémoires anecdotes plaire. Cec Abbé luifutpréfentéen \6o&. II avoit alors vingt-neuf ans, & Ninon approchoit de quatre-vingts. Cependant ï en i1™ fi éperdument amoureux, cc la follicita fi vivement, qu'elle confentit a 1'écouter. Mais elle ne voulut Ie rendre heureux qu'au bout d'un eertam temps qu'elle lui fixa. Le terme arrivé, il ia conjura au nom de 1'amour de tenir Ia parole qu'elle lui avoit donnée. LI en avoit plus de raifons de différer, & 1 Abbé plus amoureux qne jamais, lui demanda pourquoi elle 1'avoit fait Janguir fi iong-temps. „ Hélas ! mon cher n Abbé, répondit-elle, ma tendreffe en " l> avJ *Tm que ,a vótre; mais » eelt J eftet d un petit grain de vanité 3, que j avois encore dans Ia tête j'ai „ voulu attendre que j'euffe quatre„ vmgts ans accomplis, & je ne les ai t? fe d hlÊr ^ foir ". Cette derniere Imifon dura environ un an , & ce fut Mademoifelle de Lenclos qui rompit la première. L'Abbé Gédoyn en futfenfiblement touché. II concinua toujours de la voir, de 1'aimer & de 1'eftmer. '. Ninon, dans Ie cours de fes galantenes, donna le jour a deux enfants. Le premier oecafionna une finguiiere difpute  de Louis XIV & de Louis XV. 85 entre le Comte d'Efirées & 1'Abbé d'Effiat, qui tous deux prétendoient aux honneurs de la paternité. Soit que cette conteftation amufat Ninon, foic qu'en effet elle ne fe crut point affez füre de fa décifion pour la rifquer, elle ne voulut point prononcer dans cette affaire. Après bien des démêlés, les deux rivaux prirent un cornet dans un triclrac, & jouerent aux dez a qui appartiendroit 1'enfant. Le fort le donna au Comte d'Eftrées, qui, dans la fuite devenu Maréchal de France & Vice-Amiral, plaga ce jeune homme dans la Marine, & prit foin de fa fortune. Ce premier fils de Ninon eft mort Capitaine de vaifïèau en 1732, a 1'age de foixante & quinze ans. Le pere du fecond fils de Ninon ne fut point équivoque; c'étoit le Marquis de Gerfey qui 1'avoit fait élever fous le nom du Chevalier de Villiers; on lui avoit toujours caché le fecret de fa naiffance. Cependant Ninon le faifoit quelquefois venir chez elle pour lui procurer un peu d'amufement & de liberté. II y paflbit ordinairement plufieurs jours de fuite, & elle le traitoit comme un parent éloigné & peu riche, auquel elle s'intérefibic par pure générofité. Mais  t6 Mémoires anecdotes bientót ce jeune homme, né avec un tempérament ardent & une ame fenfible, ne put fe défendre des charmes de Ninon. En effet, quoiqu'elle eüt alors cinquante-fix ans , elle étoit encore dans tout 1'éclat de fa beauté. Elle s'appercut de 1'amour du Chevalier, fans en être allarmée. Elle crut que ce ne ferou qu'un feu de jeuneffe qui s'éteindroit de luimême; elle ne connoilToic pas le caractere violent de fon maiheureux fils. II fe jetta un jour a fes pieds, & lui baifant la main, il lui déclara fon amour dans les termes les plus tendres & les plus paffionnés. Ninon, fans paroitre émue, le fit relever fur le champ, & lui répondit froidement qu'il étoit trop jeune pour lui parler d'amour, & elle trop agée pour fécouter. II infifia, en lui proteftant qu'il 1'adoroit, & qu'il mourroit de douleur fi elle le voyoit avec indifférence. Ninon prit alors un ton févere; elle le menaca de toute fa haine, s'il ofoit encore 1'entretenir de fes feux. Le Chevalier de Villiers s'abandonna au plus affreux défefpoir. Elle crut devoir avertir le Marquis de Gerfey, qui lui confeilla de découvrir un fecret qu'elle ne pouvoit plus garder. Ninon écrivit un jour a fon fils qu'elle avoit a lui parler dans fa petice  de Louis XIV & de Louis XV. 87 rnaifon du FauxbourgSainc-Antoine a Picpus. II y vola. Eile fe promenok dans fon jardin. II fe jetta a fes genoux, & prenanc une de fes mains, Ia baigna de fes larmes. Aveuglé par ion ivreiïè, il ülloit fe porter aux dernieres encreprifes: „ Arrêtez, malheureux, s'écria fa mere. „ II faut arracher Ie bandeau qui vous „ couvre les yeux. Apprenez que vous „ êtes mon fils, & frémifièzd'horreur". A ces mots, Ie jeune homme refte frappé comme d'un coup de foudre; fon vifage fe couvre d'une paleur mortelle; il leve les yeux fur fa mere, il les baiffe; puis la quittant précipitamment , il fe jette dans un petit bois qui étoit au bout du jardin, & fe pafiè fon épée au travers du corps. Ninon ne fonge pas d'abord a fuivre fon fils. A la fin ne le voyant point reparoïtre, 1'inquiétude la fait entrer dans le petit bois. A peine a-t-elle fait trente pas, qu'elle appercoit le corps fanglant de eet infortuné jeune homme. Ses yeux prefque éteints fe tournent fur elle; il fembloit vouloir lui parler. II veut exhaler quelques paroles, & eet effbrt hate fon dernier foupir. Les cris de Ninon appellent tous les domeftiques: ils 1'arrachent a eet horrible fpectacle; & fes amis prennent toutes les précau-  88 Mémoires anecdotes tions néceffaires pour dérober au public Ia connoifiance de cette tragique aventure. Tous les beaux-efprks briguoient le fuffrage de Mademoifelle de Lenclos. Elle ne 1'accordoit qu'aux plus aimables. Les autres s'en vengeoient par des fatyres qu'elle ne lifoit point. Ils ne lui pardonnerent pas d'avoir baillé un jour a 1'Académie Francoife, oü 1'on prononcoit un difcours de réception. Un Académicien fit fur-le-champ 1'épigramme fuivan te: Dans un difcours Académique Rempli de Grec 8e de Latin, Le moyen que Ninon trouve rien qui Ia piqué ? Les figures de Rhétorique Sont bien fades après celles de 1'Arétin. Le Poëte Scarron, dont Mademoifelle de Lenclos étoit 1'amie, ayant quitté le petit-collet en 1651, pour époufer Mademoifelle iïAubigné, qui logeoit chez lui depuis un an qu'elle étoit de retour de la Martinique, Mademoifelle . de Lenclos fit bientöt connoifiance avec cette jeune Dame, dont elle goüta Pefprit & les graces. Elle ne tarda pas a fe  de Louis XIV & de Louis XV. 80 lier intimemenc avec elle, & fouvent même elle lui prêca de 1'argent dans fes befoins les plus preffants. Ces bons offices n'empêcherent pas Madame Scarron qui avoit dix-neuf ans moins qu'elle, de lui enlever le coeur du Marquis de Villarceaux fon amant, & 1'un des hommes les plus aimables de fon temps. Mademoifelle de Lenclos en fut long - temps piquée au vif, & fe repentit d'avoir pris pour confidente une femme plus jeune qu'elle. Mais, comme elle favoit qu'il n'eft point d'éternelles amours, elle pardonna dans la fuite a Madame Scarron, & depuis elle fut toujours fa meilleure amie. De tous les amants de Ninon, le Marquis de Villarceaux fut le feul qui fe retira le premier. Comme il avoit beaucoup d'efprit, qu'il étoit beau, bien fait & fort galant, fes conquêtes amoureufes lui coutoient peu, & il n'efl: pas étonnant qu'il les ait multipliées. Du refte, jugeant du coeur de toutes les femmes par le fien , il portoit la jaloufie jufqu'a 1'extravagance. II étoit quelquefois fi jaloux de Mademoifelle de Lenclos, qu'ii faifoit cacher fous fon lit de petits garens pour favoir fi, pendant fon abfen-  <)0 Memoires anecdotts ce, quelque rival ne venoit point pafïèr les nuits avec elle. Le Marquis de Sévigné s'étoit partagé afïèz long-temps entre Mademoifelle de Lenclos, & la Champmêlé, qu'il quitta enfin pour fe fixer a Ninon. Non contente de ce facrifice, Mademoifelle de Lenclos exigea qu'il lui livrat les lettres de cette actrice. Son deffèin étoit de les faire fervir h fa vengeance , & de les envoyer par un inconnu, a 1'amant en cïcre de la Champmêlé. Heureufement que Madame de Sé»igné fut inftruite de ce projet. Elle fit venir fon fils; le blama beaucoup d'av^ir eu 1'imprudence de facrifier ces Jettres a Ninon; lui fic fentir Ja héceffité de" les ravoir; & lui ordonna d'aller fur-ie-champ les redemander è Mademoifelle de Lenclos. A 1'jnfiant même» M. de Sévigné fe rendic chez elle, & lui paria avec tant d'amour, d'éloquence & d'adreffe, qu'elle confentit a lui rendre les lettres. Sitöt qu'il les eut entre les mains, il courut les porter a fa mere, qui les fit bruler en fa préfence. Un jour, Mignard, le célebre Peintre, étoit chez Mademoifelle de Lenclos,  de Louis XIV'& de Louis XV. t)i &fe plaignoit que fa fi!le, qui fut depuis la Comteflè de Feuquieres, manquoit abfoluraent de rnémoire : Vous étes trop heureux, Monfieur, lui dit Ninon, elle ne cilera pas. Mademoifelle de Lenclos répétoit fouvent, que la beauté fans graces efl un hameconfans appdt. Qu'unefemmefenfée nedoit jamais prendre d''amant fans l'aveu de fon cceur, ni de mari fans le confentement de fa raifon. Qu'on ne doit faire provifion que de vivres, & jamais de plaifirs; qu'il faut toujours les prendre au jour la journée. Que les rides auroient été beaucoup mieux placées fous le talon que fur le vifage. Qu'elle rendoit graces a Dieu tous les foirs de fon efprit, & qu'elle le prioit tous les matins de la préferver des fottifes de fon cceur. II eft inutile d'avertir que Thiftoire du No&ambule, ou du petit homme noir, qui vint trouver Mademoifelle de 1'Enclos a 1'age de dix-huit ans, pour lui offrir une beauté éternelle, eft une fable dénuée de vraifemblance & de réalité* Cependant comme elle eut un cours pro-  93 Mémoires anecdotes digieux, je vais la rapporter telle qu'elle fut débitée dans le temps. „ Mademoifelle de Lenclos, a lage „ de dix-huit ans, étant un jour feule dans fa chambre, on vint luiannoncer „ un inconnu, qui demandoit a lui par„ Ier, & qui ne vouloit point dire fon „ nom. D'abord elle lui fit répondre „ qu'elle étoit en compagnie, & qu'elle „ ne pouvoit pas le voir. Je fais, dit-il ,, au domeftique, que Mademoifelle eft „ feule, & c'eft ce qui m'a fait choifir ,, ce moment pour lui rendre vifite. „ Retournez lui dire que j'ai deschofes „ de la derniere importance a lui com„ muniquer, & qu'il faut abfolument „ que je lui parle. Cette réponfe fin,, guliere donna une forte de curiofité a „ Mademoifelle de Lenclos; elle or„ donna qu'on fit entrer 1'inconnu. C'é„ toit un petit homme, agé, vêtu de „ noir, fans épée, & d'aflez mauvaife „ mine; il avoit une calotte &des che„ veux blancs, une petite canne fort lé„ gere a la main,& une grande mouche „ fur le front. Ses yeux étoient pleins 4, de feu, & fa phyfionomie affèz fpiri„ tuelle. —- Mademoifelle, lui dit-il en 5, entrant, ayez la bonté de renvoyer „ votre femme-de-chambre, car per-  de Louis XIV & de Louis XV. 93 „ fonne ne doit entendre ce que j'ai a „ vous révéler. A ce débuc, Mademoi„ felle de Lenclos ne put fe défendre „ d'un petit mouvement de frayeur; „ mais faifant réflexion qu'elle n'avoic „ devant elle qu'un petit vieillard décré„ pit, elle fe raffura, & fit fortir fa „ femme-de-chambre. — Que ma vi„ fite, lui dit-il, ne vous effraie point, „ Mademoifelle : il eft vrai que je n'ai „ pas coutume de faire eet honneur a „ tout le monde; mais vous n'avez rien „ h craindre. Soyez tranquille, & écou„ tez-moi avec attention. Vous voyez „ devant vous, un homme a qui toute „ la terre obéit, & qui pofiède tous les „ biens de la nature. J'ai préfidé a votre „ naiffance. Je difpofe a mon gré du „ fort de tous les humains; & je viens „ favoir de vous de quelle maniere vous „ fouhaitez que je difpofe du votre. Vos „ beaux jours ne font encore qu'a leur „ aurore; vous entrez dans lage oü les „ portes du monde vont s'ouvrir devant „ vous; & il ne dépend que de vous „ d'être la perfonne de votre fiecle la „ plus illuftre & la plus heureufe. Je „ vous apporte la grandeur fuprême, „ des richefiès immenfes, & une beauté „ écernelle. ChoififTez de ces trois chofes  94 Mémoires anecdotes „ celle qui vous touche leplus, & foyez ,, convaincue qu'il n'eft point de mortel „ fur la cerre qui (bit en état de vous en „ offrir aütant. — Vraiment,Monfieur, „ lui répondit-elle en éclatant de rire, „ j'en fuis bien perfuadée, & la magni„ ficence de vos dons eft fi grande... — „ Mademoifelle, vous avez trop d'ef„ prit, lui dit - il en 1'interrompant, „ pour vous moquer d'un homme que „ vous ne connoificz pas. Choififièz, „ vous dis-je, ce que vous aimez le „ mieux, des grandeurs, des richeflès, „ ou de la beauté éternelle; mais dé„ terminez - vous promptement; je ne s, vous accorde qu'un inftant pour vous „ décider. — Ah 1 Monfieur, lui dit-elle, „ iln'yapas a balancer fur ce que vous „ avez la bonté de m'offrir; & puifque „ vous m'en laifièz le choix, je choifis „ Ia beauté éternelle. Mais, dites-moi, „ que faut-il faire pour' obtenir une chofe „ aufii précieufe? — Mademoifelle,lui „ dit-il, il faut écrire votre nom fur mes „ tablettes, & me jurer un fecret invio„ lable; je ne vous demande rien de „ plus. Mademoifelle de Lenclos lui „ promit tout ce qu'il voulut, & écri„ vit fon nom fur de vieilles tablettes noires ï feuillets rouges, qu'il lui  de Louis XIV& de Louis XV. 95 préfenta, en lui donnant un petit coup " de fa baguette fur 1'épaule gauche.— , C'en eft aftez, dit-il, comptez fur une ' beauté éternelle, & fur la conquete „ de tous les coeurs. Je vous donne Ie pouvoirdetoutcharmer. C'eft le plus „ beau privilege, dont une créature hu„ maine puiffe jouir ici-bas. Depuis fix „ mille ans que je parcours 1'universd un „ bout a 1'autre, je n'ai encore trouvé , fur la terre que quatre mortelles qui ' en ayent été dignes, Sémiramis, Hé," lene, Cléopatre & Diane de Poitiers; , vous êtes la cinquieme, & la derniere „ k qui j'ai réfolu d'en faire don. Vous paroitrez toujours jeune & toujours fraiche. Vous ferez toujours charmante & toujours adorée. Aucun homme ne ' pourravous voir, fans devenir amou„ reux de vous; vous ferez aimée de tous ceux que vous aimerez. Vous „ iouirez d'une fanté inaltérable, vous , vivrez long-temps, & ne vieilhrez „ jamais. II y a des femmes qui femblenc '" être nées pour le plaifir des yeux; il y " en a d'autresqui femblent n'être faites " que pour le charme des coeurs : vous ' réunirez en vous ces deux qualités fi „ rares. Vous ferez des paffions dans un '„ age oü les autres femmes ne font envi-  9ó Mémoires anecdotes „ ronnées que des horreurs de Ia décré» „ pitude. On pariera de vous tant que » le m°nde fubfiilera. Touc ce que ie „ wens de vous dire, Mademoifelle, „ tioit vous paroicre un enchantement. „ Maïs ne me faices point de queftions, h je n ai rien a vous répondre. Vous' » ne me verrez plus qu'une feule fois „ dans toute votre vie, & ce fera dans „ moins de quatre-vingts ans. Trem„ blez alors; quand vous me reverrez „ vous n'aurez plus que trois jours i „ _vivre; Souvenez-vous feulement que „ je m appelle No&ambule. II difpa„ rut a ces mots, & laiOa Mademoi„ lelie de Lenclos dans une fraveur „ mortelle ". J Les auteurs de ce conté le terminent en faifant revenir le petit homme noir chez Mademoifelle de Lenclos, trois jours avant fa mort. Malgré fes domeftiques, il pénetre jufque dans fa chambre, sapproche du pied de fon lit, en ouvre les rideaux. Mademoifelle de Lenclos le reconnoit, palit , & jette un grand en. Le petit homme, après lui avoir annoncé qu'elle n'a plus que trois jours a vivre, lui montra fa fignature & difparoit, en prononcant ces mots d une voix terrible : TremMe, een eft fait,  ie Louis XIV & de Louis XV. M fait, tu vas tomber en la puiffance de Lucifer. Cette Hiftoire, réchauffée pour Mademoifelle de Lenclos , fut imaginée plus d'un fiecle avant fa mort, a 1'occafion de Louife deBudes, feconce femme de Henri I"., Connétable de Montmtrency, laquelle mourut foupconnée de poifon en 1599. Cette Dame'qui avoit été extrêmement belle, devint, un moment après fa mort, fi noire & fihideufe, qu'on ne la pouvoit regarder qu'avec horreur; ce qui donna lieu a divers jugements fur la caufe de fa mort, & fic conclure que le Diable, avec qui 1'on fuppofe qu'elle avoit fait un pacle dans fa jeunefie, étoit entré dans fa chambre , fous la figure d'un petit vieillard habillé de noir, & 1'avoit étranglée dans fon lit. Tornt II. E  cj3 Mémoires anecdotes MOLIÈRE (i). Lorsqu'en 1659 Moltere donna fa Comédie des Précieufes Ridicules, un vieillard qui affiftoic a cette repréfentation , charmé d'y trouver un ridicule fi bien faifi, fe mit a crier du milieu du parterre : Courage, Blolier e, voila la bonne Comédie. Tout l'Hörel de Rambouiilet fe trouva a la première repréfentation de cette piece, qui futjouée avecunapplaudifièmentuniverfel. Au fortir de la Comédie, Ménage prenant Chapelain fon ami par la main : „ Monfieur, lui dit-il, nous „ approuvionsvous& moi toutesles fot„ tifes qui viennent d'être critiquées (i „ finement; mais, croyez-moi, il nous „ faudra déformais brüler ce que nous „ avions adoré, & adorer ce que nous „ avions brül'é". La Comédie des Fdcheux plut beau- (1) Né en 1620, mors en 1673.  de Louis XIF& de Louis XF. 9$ coup a Louis XIV. Un jour que ce Prince ibrtoic d'une repréfentation de cette piece, il dit a Molière, en voyant pafier le Comte de Soyecourt, infupportable chaflèur: „ Voila un grand origi„ rial que tu n'as pas encore copié C'en fut affez. La fcene du Fdcheux Chajfeur fut faite & apprife en moins de vingt-quatre heures; & comme Molière n'entendoit rien au jargon de la chaflè, il avoit prié le Comte de Soyecourt luimême de lui indiquer les terines dont ü devoit fe fervir. Aux reprêfentatïons de fEcole des Femmes, on put remarquer 1'efpece d'enchantement que produit dans un Acteur la perfecYton du talent. La Demoifelle de Brie, qui avoit joué d'original leröle SAgnès dans cette Comédie, crut devoir le céder, a prés de foixanteans, a une Aétrice plus jeune. Lorfque celle - ci parut, le parterre demanda 11 hautement la Demoifelle de Brie, qu'elle fut obligée de reprendre ce même róle, & elle le garda jufqu'a foixante - cinq ans. VAmour Médecin, petite Comédie en profe, fut faite & apprife en cinq jours E ij  ioa Mémoires anecdotes de temps; c'eft la première piece dans laquelle Molière aic joué les Médecins. Pour rendre cette plaifanterie plus agréabie au Roi, il choific les premiers Médecins de Ia Cour, auxquelsil donna des mafques faits pour eux. Ces Médecins étoient Meflieurs de Fougerais, Efprit, Guenaut & d'Aquin. Comme Molière vouloit déguifer leurs noms, ilpria Boileau de leur en faire de convenables. II en compofa qui étoient tirés du Grec, & qui défignoïent Ie caraélere de ces Meflieurs. II donna a M. de Fougerais le nom de Desfonandrès, qui fignifie tueur d? hommes; a M. Efprit qui brédouilloit, celui de Balfis, qui fignifie jappant, aboyant. Macroton fut lenom qu'il donna a M. Guenaut, paree qu'il parloit fort lentement. Et enfin, celui de Tomès , qui fignifie faigneur, fut donné a M. d'Aquin qui ordonnoit fouvent la laignée. Après avoir ridiculifé les Médecins en particulier, Molière les foua en corps dans fa Comédie du Malade imaginaire. II les pourfuivoit même hors du théatre. Etant au diner du Roi, ce Prince lui dit: Vous avez un Mêdecin; que vous fautit ? „ Sire , répondit Molière , nous  At Louis XIV & de Louis XV. i o i „ caufons enfemble, il m'ordonne des „ remedes; je ne les fais point, & je » gueris ". Molière fe préparoit a donner fon Geor ges-Dandin, lorfqu'on vint lui dire qu'il y avoit dans le monde un Dandin qui pourroit fe reconnoïcre dans fa piece, & .qui avoit affez d'intrigue pour le deflèrvir. „ Laiiïèz-moi faire, dit Molière, „ je viendrai a bout de 1'empêcher de ,', remuer, & j'efpere même 1'intéreffer ,. pour moi". Comme le Dandin en queftion étoit alfidu au tbéatre & cenfé connouTeur, Molière vint le trouver un jour, & lui demanda une heure pour lui faire une letture. Notre homme futfillatcéde ce compliment, que, toutes affaires ceffantes, il donna parole pour Ie lendemain, & courut le foir même annoncer k toutes fes connoiflances que Molière devoit venir lui lire une de fes pieces. Lorfque Molière vint au rendez-vous, il trouva une nombreufe afTemblée, & fon homme qui préfidoit. La piece fut trouvée excellente; & lorfqu'elle fut jouée, perfonne ne la fit mieux valoir, que celui qui auroitdü s'en facher, puifquelesévénements mis en fcene, étoient en partie fon hiftoire, E jij  l£>2 Mémoires anecdofe/ Lorfque le Bourgeois Gentilhommt fl l°"é, P°ur la Femiere fois devant -Louis XIV, le Prince ne s'expliqua point fur cette piece, & Molière penfoit qu'elle ïi avoit pas réufü. Quelques Seigneurs meme publioient qu'elle étoit déteftable. Mais après une feconde reprcfentation, le Roi dit a Molière: „ Jene vous ai poinc „ parlé de votre piece a la première re», préfentation, paree que j'ai craint d'ê» tre féduit par le jeu des Afteurs; mais », en vénté, Molière, vous n'avez en3, core rien fait qui m'aitautant diverti, „ & votre piece eft excellente ". AufOm 1 Auteur fut accablé de louanges, & les Courtifans , fans excepter ceux qui avoient Ie plus critiqué, répétoient touc Je bien que Ie Roi avoic dit de la nouveile Comédie. On fait que Molière infera dans les iourbenes de Scapin deux fcenesentieresdu Pédant joué, mauvaife Comédie de ttrano de Bergerac. Quaad on lui " reprochoit cette efpece de plagiat, il répondoit : „ Ces deux fcenes font afTee „ bonnes;ellesm'appartenoientdedroit: „ il eft permis de reprendre fon bienoü „ on le trouve ". Dans la petite piece du Médecln  de Louis XIV & de Louis XV. .103 Maitré lui, il y a une Chanfon que chante Sganarelle, & qui commence par ces mots : Qu'ils font doux ! bou■teille ma mie, &c. Le Préfident Rofe, -de 1'Académie Francoife, & Secretaire ■duCabinet, fit des paroles latines fur cec air., d'abord pour s'amufer, & enfuite pour jouer une petite piece a Molière. 11 lui reprocha d'être plagiaire, en préfence du Duc de Montaufier; ce qui donna'lieu a une conteftation un peu vive. M. Rofe foutint toujours, en ■ chantant les paroles latines, que Molière les avoit traduitesen francois d'une Epi£$ramme laiine imitée de VAntologie. II n'avoua ce qui en étoit que quelques moments après. Voici ces paroles: Quam dulces! Amphora amoena, Quam dulces Sunt tuae voces! Oum fundis merum in calices, Utinam femper effes plena! Ah ! ah ! cara mea lagcna, "Vacua cur jaces ? La Comédie du Tartufe attira beaucoup de tracaflèries h notre Auteur. Les faux dévots crierent au fcandale. Cependant une feconde répréfentation étoit annoncée pour le lendemain ; raflèmE iv  ac>4 Mémoires anecdote* biée étoit des plus nombreufes, & ]<& Acteurs alloient commencer, iorfqu'il Wh un ordre du Premier-Préfident du Parlement, ponant défenfe de iouer ? i?rC\2a rapporte «3ue MoIiere dk ^ ^^hlée : Mefiieurs, nous allion, donner le Tartufe ; mak M. k ■Premier-Préfident ne veut pas qtïvn te joue. 2 Pour peu qu'on fok au fait de 1'Hifioire littéraire du dix-feptieme fiecle, ©n faic que la cinquieme fcene du troifieme Aéte des Femmes Savantes eft copiée d après nature. Ménage y eft joué fous le nom de Fadim, & 1'Abbé Cotin fous celui de Triffbtin. Cet Abbé étoit vraiment 1'Auteur du Sonnet a la Princeffe Vrank. II 1'avoit compofé pour Madame de Nemours, & il éroic allé le montrer a Mademoifelle, qui samufoit de ces petits Ouvrages, & qui d'aifleurs confidérok 1'Abbé Cotin, quelle honorok du nom de fon ami. Comme il achevoit de lire fes vers, Ménage entra chez la Princeffe; elleïes lui montra, fans en nommer 1'Auteur. Ceiui-ci les trouva ce qu'ils étoient, déteftables; & nos deux Poëtes fe dirent, a .ce fujet, touies ks douceurs que Molière  de Louis XIV & de Louis XV. a rimées fi agréablement. Trijjotin étoic sppellé Tricotin aux premières repréfentations. L'Acteur avoic affectó de rendre le ton & les geftes de 1'original. L'Abbé Cotin s'étoic avifé d'écrire contre Boileau & contre Molière. Les Satires du premier 1'avoienc déja couverc de ridicule ; mais la fcene des Femmes Savantes le rendic 1'objec de la rifée publique. On prétend même qu'il fut fi accablé de ce dernier coup, qu'il tomba dans une mélancolie qui le conduific au tombeau. Molière avoic formé le projet de traduire en vers fran?ois le Poëme de Lucrece. Mais défelpérant de rendre dans un langage mefufé les endroits philofophiques de ce Pcëce, il mit en vers les morceaux poétiques, & craduifit enprofe «out ce qui eft, dans Lucrece, plutd* diffèrcation que poéfie. Sa traduétion étoit prefque achevée, lorfque fon domeftique s-'avifa un jour de prendre le premier cahier pour en faire des papillotes. Molière de dépit jetta le refte au feu. Notre Auteur étoit fort lié avec Ie célebre Avocat Forcrqi, homme redourable dans la difpute, par la capacitê'& E r  io6 Mhnolrts etnecdotes la grande étendue de fes poumons. I's eurent un jour a table une converfacion fort echauffée en préfence de Defpréaux Molière fe tournant du cöté du Satirique, lui dit :Qu'eft-ce que la raifon avec un plet de voix, contre une gueule comme celle-la ? Cet illuftre Comique avoic coutume de^dire, que le mépris étoic une piliule qu on pouvoit bien avaler, mais qu'on ne pouvoic guere la mêcher fans faire la gnmace. Ceux qui ne voyorent en lui que le Comédien, lui en faifoient mftcher quelques-unes. II s'étoic préfencé un jour, en fa qualité de Valet-de chambre, pour faire le lit du Roi. Un autre Valet-de-chambre qui devoit 1'aider dans cette fonclion, fe retira brufquement, en difant qu il ne feroit point le lit avec un Comédien. Eellocq , autre Valet-dechambre, homme d'efprit & qui faifoit de très-jolis vers, fe préfenta dans le moment, & dit :„ Monfieur de Molière, „ voulez-vous bien que jaie 1'honneur „ de faire le lit du Roi avec vous " ? Cette aventure étant venue aux oreilles du Roi, Sa Majefté fut très-piquée qu'on eüt témoigné du mépris a Molière. Cet inimitable Auteur étoit fu/ec k de  de Louis XIV & de Louis XV. 107 fréquentes diftraétions. On rapporte de lui ce trait que je n'ofe garantir. Un jour . qu'il étoic preffé par 1'heure du Speclacle, il pric unebrouette,mais cette voiture n'alloit pas aflez vite a fon gré. II en fort, & fe met a la poufïèr par-derriere. II ne s'appergut de fon étourderie que par le ris inextinguible du brouetteur, & paree qu'il fe vit tout crotté en arrivant. Le mauvais état de la fanté de Molière , qui le réduifoit fouvent au lait, lui rendoit auffi 1'air de la campagne nécefTaire. C'étoit pour en jouir a fon aife, qu'il louoit dans le village SAuteuil une petite maifon, dont Chapelle difpofoit, ainfi que de la table de fon ami, qui ne pouvoit plus en faire les honneurs. L'aventure qu'on va rapporter, fut la fuite d'un fouper fait dans cette maifon. Les convives étoient Chapelle, Defpréaux, &c tous hommes de plaifir, & le Comédien Baron, qu'ils avoient forcé Molière de leur laiiïèr, quoique fon extréme jeunefle le rendit peu propre a leur tenir tête. Molière, après avoir pris fon lait devant eux, s'étant allé coucher, ils fe mirent a table. Une partie du repas fut telle qu'elle devoit être entre des gens E vj  i8 Memoires anecdotet dVprit, & de bonne humeur. Quand te vin leur eut une fois échauffé la tére, ik tomberent infenfiblement for la Morale Les miferes de Ia vie fixerent long-temps eurs réflexions; & qnelqu'uo ayant cké Ja maxime des Anciens, que le premier bonheur eft de ne point naitie, & le jecond de mourir promptement; ils Ia pmenc tous pour un confeil falmaire, & fur le champ iis réfolurent de s'aller soyer. La riviere étoit proche, ils y cousent. Baron effrayé erie au fecours, & va réveiller Molière. On voleaprèseux, on les retire de 1'eau. Ce fervice excite leur colere; ils pourfuivent leurs bienfcicTgurs 1 épée a la main. Molière fe prélente, queftionne fes amis, feint de leur spplaudir, & renvoie d'un ton de colere ceux qui s'étoient mêtés de Jeur fauver ia vie. II fe plainc enfuite de leur manque damitié. „ Que Jeur avoit-il fait, « f0™ W iJs vouluflènt fe noyer fans » Ju ? L'injufiice étoit criante, Chapelle en convint; & tous enfemble inviterent Molière a venir fur le ehamp fe noyer avec eux. „ Non pas tout-a-l'heu. », re, réphqua-t-il, une fi belle néfcion „ doit-elle s'enfévelir dans les ténebres » de la nuit? La prendroit on jamais » pour un efFort de raifon ? ne lui don*  de Lou is XIV-& de Louis XV. ioo „ neroit-on pas pour motif le défefpoir „ ou rivreflè? Demain, au grand jour, „ bien a jeun, parfaitemenc de fang„ froid, nous irons, en préfenee de touc „ le monde, nous jetter dans Peau la „ tête la première L'héroïfme du nouveau projet enlevatous les fuffrages, & Chapelle prononea gravement :„ Oui, 5, Meflieurs, ne nous noyons que de„ main matin. En actendant, allons ache„ ver le vin qui nous refte **. Le lendemain, ils ne penferent plus aux miferes de la vie, & ne fongerent qu'a fe divertir fur nouveaux fraix, Molière avoit beaucoup cultivé lés connoifiances philofophiques; elles faifoient fouvent le fujet de fes entretiens avec Chapelle. Ils en parloient un jour dans un bateau qui les ramenoit $Au+ teuilü Paris, & n'avoient pour auditeur qu'un Minime, qui paroiflbit leur prêter une oreiile très-attentive. Quoique difciplede Gassendi, Molière s'accommodoit aflez des principes de Defcartes. II voulut ce jour-la forcer Chapel'e d'avouer que le Syftême phyfique de ce dernier, étoit mille fois mieux imaginé que celui S'Epkitre, rnjeuni par leur ma?cre, Le;Mim'mepris a témoin de cette  ii o Memoires anudotes vérité', parut en convenir par un flgne approbatif: Chapelle, toujours fidelle a GafTendi, fait une expofition ingénieufe de fon fyftême. Autre figne approbatif de la part du Minime. On s'échauffe, on difpute; on obje&e, on répond, & furchaque chofe que 1'un ou 1'autre dit, le Minime, fans proférer un mot, applaudit de la mine &du gefte. Enfin, on arrivé devant les Bons-hommes ; Ie MiOime fe fait mettre a terre , & prend congé de nos Philofophes, en Iouant la profondeur de leur fcience. Une beface, dont il chargea fon bras en fortant, leur apprit que 1'arbitre en leur dilpute n'étoic qu'un Frere Quêteur. } Molière revenant d'Auteuil avec le fameux Mufieien Charpentier, donna 1'aumóne a un pauvre, qui, un inf tant après, fit arrêterle carroffe, & lui dit i Monfieur, vous n'avez pas eu dejfein de me donner une piece d'or; lavoici. — Oü la vertu va-t-elle fe nicher, s'écria Molière? Tiens, mon ami, en voila une autre. La première place vacante & 1'Académie Francoife devoit être accordée a Molière. La Compagnie s'étoit arrangée au fujec de fa profeffion. Molière n'ati-  de Louis XIF & de LouisXF. 111 rok plus joué que dans les rö'es du haur comique; mais fa more précipitée dérangea les projets de l'Acadêmie ,&lapriva d'un fujet fi digne d'elle. II y avoit déja quelque temps que Molière crachoit le fang, lorfqu'il donna fon Malade imaginaire, A la troiöeme repréfentation de cette piece, il fe fentic plus incommodé qu'auparavant, & on lui confeilla de ne point jooer, mais il voulut faire un effort, & cet effort abrégea fes jours. II lui prit une convulfion en prononc/ant juro dans le d'vertifïèment de la réception du Malade imaginairs. On le tranfporta chez lui,: & il mourut quelques moments après. Les Supérieurs Eccléfiaftiques lui refuferenc d'abord la fépulture en terre fainte. Quoi! s'écria fa veuve, en refufe un tombeatt a un homme a qui la Grece auroit dreffê des autels! Le Roi fit parler a 1'Archevêque de Paris, qui révoqua fa défenfe, a condition que 1'enterrement feroit faic fans bruit & fans éclat. Deux Prêtres accompagnerent le corps fans chanter; & on 1'enterra dans le cimeciere qui eft derrière la Chapelle de Saint-Jofeph dans la rue Montraartre. II y avoit a Paris une Courtifanne ap-  %ti Mémoires anecdotes ■ pellée laTourelle, qui refièmbloit iT.parfaitement a Mademoifelle Molière, femme du célebre Comique de ce nom, qu'il étoit mal-aifé de ne s'y pas méprendre; elle faifoit même métier de galanterie, mais avec moins de bonheur; ce qui lui fit naitre la penfée de fe faire paffer pour cette Aétrice auprès de ceux qui n'avoieno pas grand commerce avec elle, elle crut que c'étoit un moyen d'augmenter fes finances; & la chofe lui réuffit fi bien pendant quelques mois, que tout le monde y étoit trompé. Un Préfident de Grenoble, nommê £***, qui étoit devenu amoureux de Mademoifelle Molière, en la voyant fur Je théatre, cherchoit par-tout Paris quelqu'un qui put lui en donner la connoiffance : il alloit fouvenc chez one femme appellée hledoux, dont la profeflion étoit des'entremettredans ces fortesd'incrigues; il lui témoigna qu'il fouhaitoit connoitre la Demoifelle Molière, & qu'il ne tiendroit pas a la dépenfe, pourvu qu'elle püt le fatisfaire. La chofe n'cuc pis été difficiJe, pour peu que la Ledoux eüt eu d'habitude avec cette Aétrice; mais par malheur elie ne Ia connoiffoit point; cependant elle imagina que,  de Louis XIV& de Louis XV. 113 fans fe donner beaucoup de peine, eHe pouvoit employer la Tourelle dans cette affaire , & que la reflèmblance de ces deux créatures mettroit celle-ci a même de jouer le perfonnage de la Comédienne. Elle déclara donc au Préfident, qu'elle ne connoiffoit point Mademoifelle Molière, mais qu'elle avoit une amie qui la gouvernoit abfolument, qu'elle la feroit preffentir fur ce chapitre, & que, dans quelques jours, elle lui en diroit des nou velles. Le Préfident la conjura de ne rien négliger pour le rendre heureux, l'afturant qu'elle pouvoit compter fur fa reconnoiffance. II ne fut pas plutöt forti , qu'elle envoya chcrcher la Tourelle, a qui elle dit qu'elle venoit de trouver une bonne dupe, dont on pouvoit tirer grand parti; qu'elle fe tint prête pour Ie jourqu'elle lui indiqua, & fur-tout qu'elle s'étudiat a bien contrefaire Mademoifelle Molière. Dès le lendemain, le Préfident vint pour favoir le fuccès de la négociation. La Ledoux, qui vouloit faire valoir fes peines, lui répondit que les chofes n'alloient pas fi vite qu'il 1'imaginoit; qu'on lui avoit promis de parler a Mademoifelle Molière, & qu'il falloit fe donner un peu de patience. Le Préfident la conjura de prendre a cceur cette affaire >  i *4 Mémoires anecdotts & de ne rien épargner de ce qui pouvoit la faire réuflir. Chaque jour, il venoitfavoir oü en étoient les chofes, & s'il y avoitlieud'efpérer. Enfin, quand la Ledoux eüt pris les temps qu'il falloit pour exagérer les difficultés de fa commifiion, elle alla trouver le Préfident, & lui dit avec tranfport, qu'elle venoit de furmonter tous les obiïacles qui s'oppofoient a fon bonheur, & qu'elle avoit parole de la Demoifelle Molière pour ,fe trouver chez elle le lendemain. L'amoureux Préfident promit de n'oublier jamais le fervice qu'elle lui rendoit. On prit 1'heure du rendez-vous, & il s'y trouva long-temps avant la Demoifelle, qui s'y rendit fous un habit fort négligé, •comme fi elle ent appréhendé d'êrre reconnue. Elle affeéta féternelle toux de la Molière, fes mines, fon air important; ne paria que de vapeurs, & joua fi bien fon róle, qu'un homme plus connoifièur y cüc été trompé : elle fit beaucoup valoir 1'obligation qu'on lui avoit de fa complaüance a paroitre dans un lieu, dont le nom feul lui faifoit horreur. Le P.éfident lui répondit qu'elle n'ayoit qua prefcrire la reconnoilfance qu'elle vouloit qu'il en eur, & que tout ce qu'il avoit au monde étoit a fa dif-  de Louis- XIV & de Louis XV. 11 § poficion. La Tourelle ru fort i'opulente; & après s'être long-temps défendue, elle lui dit qu'elle confentok a recevoir un préfent de lui, pourvu que ce préfent fut de peu de valeur. Qu'enfin, elle n'accepteroit qu*un collier pour fa fille qui étoit alors au Couvent. Notre galant Magiftrat la mena prefquc sutfi-cót fur le Quai des Orfevres, oü il la pria de le choifir tel qu'il lui plairoit. Eüe perfifh a ne le vouloir que d'un prix modique \ ce délintérefiement étoit un nouveau charme pour M. L**\ 11 continua plufieurs jours de la voir, toujours au même endroit, oü elle le pria en grace de ne jamais lui pnr'er atnhéatre, paree que fes camarades avoient ane extréme jaloufie contre elle, & qu'elles feroient charmées de trouver une occafion de la perdre. II lui obéiffoit, & fe contentoit d'aller voir jouer Mademoifelle Molière, qu'on admirok alors avec raifon dans le róJe de Circé, dont elle s'acquittok parfakement. Un jour que la Tourelle avoit manqué au rendez - vous , oü fon amant 1'attendk plufieurs heures inutilement, celui -ci, après s'être long-temps impatienté, prit le parti d'aller a la Comédie , malgré toutes les raifons de la Le-  n 6 Mémoires anecdotes doux, qni n'oublia rien pour 1'en détourner. II fut donc a ITIötel de Guénégaud, & la Molière fut la première perfonne qu'ü appereuc fur le théatre. Croyant qu'un petit emportement de paffion ne déplairoit pas dans la circonltance, il y monta, contre lesdéfenfes qu'elle lui en avoit fakes; il étoit bien réfolu de lui marquer le chagrin qu'il avoic de ne 1'avoir point vue 1'après-dinée. II ne put d'abord lui parler a caufe de la foule des jeunes gens qui 1'entouroient alors. II fe contentoit de fourire, toutes les fois qu'elle tournoit la tête de fon cöté, & de lui dire, quand elle paflbit dans une loge oü il s'étoit mis exprès: „ Vous „ n'avez jamais été fi belle; & fi je n'é„ tois pas amoureux, je le deviendrois „ aujourd'hui". Mademoifelle Molière, accoutumée a ces fortes de compliments, ne faifoit aucune attention a ce qu'il lui difoit; elle ne voyoit dans M. L*** qu'un homme qui la trouvoit a fon gré, & qui étoit bien-aife de le lui faire connoüre. Pour le Préfident, il étoit hors de lui-même de voir avec quelle indifférence elle recevoit fes douceurs. La piece lui paroiflbit d'une longueur infupportable; impacienc d'apprendre fa deflinée, ü fut  de Louis XIV & de LouisXV. 117 a la porte de la loge oü elle fe déshabilloit, & il y entra avec elle, dès que la Comédie fut finie. Cette Actrice étoit fort impérieufe, & Ia liberté de M. L***Iui parut infultante. Ce n'efl: pas qu'il ne foit permis d'entrer dans les loges des Comédiennes ; mais il faut du moins que ce foient gens qu'elles connoifTent. Mademoifelle Molière qui, jufqu'a ce jour, n'avoic pas même appercu cet homme, fut on ne peut plus furprife de fa hardieflè, & pour 1'en punir, elle réfolut de ne rien répondre a tout ce qu'il lui diroit. 11 crut d'abord qu'elle n'ofoit parler en préfence de la femme - de - chambre qui Ia déshabilloit. Cette fille étoit un nouvel obflacle pour le Préfident; & comme il ne vouloit pas témoigner fon inquiétude devant elle, il faifoit figne a famaitreflè de Ia renvoyer, & qu'il avoit quelque chofe a lui dire. Mademoifelle Molière n'avoit garde de répondre a des fignes qu'elle n'entendoit pas; mais notre amant qui croyoit être afièz d'intell;'gence avec elle, pour qu'elle dut corr> prendre cette facon de s'exprimer, prcnoit fon filence pour des marqués de colere ou d'infidélité; & 1'envie qu'1 avoic d'apprendre ce qui caufoit cec:e  n8 Mémoires anecdotes froideur, 1'obligea de s'approcher & de lui demander ce qui 1'avoic empêchée de fe trouver au rendez-vous de 1'aprèsdinée. La Demoifelle lui répondit, d'un ton très-haut, qu'elle n'entendoic rien a ce qu'il vouloit lui dire. II demanda, en baiflant encore plus la voix, fi 1'on pouvoit parler devant cette fille. L'Actrice étonnée de ce difcours , lui répliqua , d'un ton encore plus élevé : „ Je ne „ crois pas avoir rien d'afiez myftérieux „ avec vous, pour devoir prendre ces „ fortes de précautions, & vous pourriez „ vous expliquer avec moi devant toute „ la terre ". L'aigreur aveclaquelle elle acheva ces mots, fit entiérement perdre patience au Préfident, qui lui dit: „ J'approuverois „ votre procédé, Mademoifelle, fi de„ puis que je vous connois, j'avois fait „ quelque aclion qui dut vous déplaire; „ mais je n'ai rien h me reprocher; & „ quand vous manquez au rendez-vous „ que vous m'avez donné, & que je „ viens tout inquiet dans la crainte qu'il „ ne vous foit arrivé quelque accident, „ vous me traitez comme le plus cou,, pable de tous les hommes ". II feroit impoflible de bien repréfenterTéconnemenc de Mademoifelle Mo-  de Louis XIV & de Louis XV. 119 liere. Plus elle confidéroit le Préfident, moins elle fe fouvenoit de lui avoir famais parlé; & comme il avoic touc 1'extérieur d'un honnête-homrae, 1'émotion avec laquelle il concinuoit fes reproches lui marquant d'ailleurs que ce ne pouvoit être une limple plaifanterie, fa £urprife augmenca fi fort, qu'elle ne favoic que croire de tout ce qu'elle voyoit. Le Préfident, de foncöté, ne pouvoit comprendre d'oü venoit le filence de cette i^ftrice. „ Enfin, lui dit-il, donnez-moi ., une bonne ou mauvatfe raifon qui „ vous paroifie juftifier un procédé pa* reil au vötre ". II cefia de parler pour entendre la réponfe de Mademoilélle Molière; mais elle n'étoit pas encore revenue de fon étonnement, & la confternation du Préfident ne cefibit d'augmenter. C'é;oic une chofe ptaifante de les voir fe regarder tous deux fans fe rien dire; ils s'examinoienc avec une attention, qui, s'ils eufiènt eu des fpectateurs, n'eüt pas manqué de les divertir beaucoup. Enfin, la Demoifelle Molière, réfolue de s'éclsircir fur une aventure qui lui paroiflbit extraordinaire , demanda au Préfident, av. c un grand férieux, ce qui pouvoit Pobiiger a lui dire qu'il la connoiflbit; qu'elle  lao Mémoires anecdotet avoit pu croire au commencement, que c'étoit une plaifanterie ; mais qu'il la pouflbit fi loin, qu'elle ne la pouvoit, plus fupporter. Elle infifta particuliérement fur le rendez-vous, qu'il prétendoit lui avoir donné, ce qui étoit une énigme a laquelle elle ne comprenoit rien: „ Ah! „ Dieu ! s'écria le Préfident, peut-on „ avoir Paudace de dire a un homme, „ qu'on ne Pa jamais vu, après ce qui „ s'eft palTé entre vous & moi! je fuis „ faché que vous m'obligiez d eclater & „ de manquer aux égards qu'un homme „ doit a toutes les femmes; mais vous „ ne méritez pas qu'on fe tienne dans les moindres bornes avec vous, après „ m'être venue trouver vingt fois dans „ un lieu comme celui oü nous nous „ fomines vus; pour demander fi je vous „ connois, il faut que vous foyez la der„ niere des créatures". On juge bien que Mademoifelle Molière , de Phumeur dont elle étoit, ne fut pas infenfible a ces duretés. Croyanc que c'étoit une infulte que le Préfident lui vouloit faire, elle dit a fa femme-de« chambre d appelier fes camarades. „ Vous „ me faites plaifir, lui dit cet amant fu„ rieux, & je fouhaiterois que tout Paj, ris fut ici, pour rendre votre honte publique»  de Louis XIV& de Louis XV. izi ?, publique: Infolent, j'aurai bientöt rai- fon de votre extravagance, lui répli„ qua l'Aéfrice ". Dans ce moment, une partie des Comédiens entrerent dans fa loge, oü ils trouverent le Préfident dans une fureur inconcevable, & la Demoifelle fi fort en colere, qu'elle pouvoit a peine articuler deux mots de fuite. Elle expliqua pourtant le mieux qu'elle put a fes camarades, ce qui 1'avoit obligée de les envoyer chercher. De fon cöté le Préfident leur conta les raifons qu'il avoit d'en ufer ainfi avec la Demoifelle Molière; leur protefhnt avec mille ferments, qu'il la connoifibit pour 1'avoir vue dans un lieu de débauche, & que le collier qu'elle portoit au cou, étoit un préfent qu'il lui avoit fait. La Demoifelle, que ces paroles rendirent encore plus furieufe, voulut lui donner un foufflet; mais il la pré» vint, & lui arracha fon collier, croyant avec la plus grande certitude que c'étoit le même qu'il avoit acheté fur le quai des Orfevres. A cet affront, que la Comédienne ne crut pas devoir fupporter, elle fit monter tous les gardes du Spectacle. On ferma la porte , & Fon envoya chercher un Commifiaire, qui fit conduire le Magiflrat en-prifon, oü il Tome II. F  i2Z Mémoires anecdotes refta jufqu'au lendemain, qu'il en fortir fous caution , foutenanc toujours qu'il prouveroit ce qui 1'avoit forcé de maltraiter Mademoifelle Molière; car il ne pouvoit fe perfuader que ce ne fut pas elle qu'il avoit vue chez la Ledoux. La Comédienne, qui demandoit de grandes réparations contre le Préfident, fit informer de cette affaire ; elle fut confrontée devant 1'Orfevre , croyant que cette feule preuve détruiroit Terreur du Préfident; mais elle fut bien autrement défolée, quand 1'Orfevre aflura que c'étoit la même a qui il avoit vendu un collier. Elle étoit inconfolable de ne pouvoir jufïifier fon innocence; elle fai, foit faire des perquifitions par tout Paris de la Ledoux, qui s'étoit cachée a la première nouvelle de cette aventure. On eut beaucoup de peine a la trouver; enfin, on en vint a bout, & elle avoua que c'étoit par fon moyen que le Préfident avoit vu une fille, qui, par la reffemblance qui étoit entre elle & la Demoifelle Molière, avoit déja trompé un grand nombre de perfonnes; & que c'étoit de cette reflèmblance que provenoit Terreur de ce pauvre amant. La Tourelle fut prife a fon tour, & Mademoifelle Molière en eut une joie inexprimable; car elleefpé-  de Louis XIV & de Louis XV. 123 roic par-la faire comber tous les bruics qui avoient couru dans le monde a fon défavancage. Elle faifoit travailler avec foin au procés de fa rivale; & comme elle étoic riche, & que la Tourelle n'avoic de reflburce que fes bonnes forcunes journalieres, 1'affaire fe cermina a fa fatisfaction. Malgré 1'injuflice qu'il y avoic a punir ces femmes d'une faute, donc cecce Aétrice eut pu leur donner des legons, la Ledoux & la Tourelle furenc expofées devant l'hötel de Guénégaut, oü logeoic la Demoifelle Molière, qui, fatisfaite d'avoir obtenu une pleine vengeance, crue s'êcre parfaitement récablie dans 1'opinion publique. L U L L I (i> 01 que né en Italië, Lulli eft mis au rang de nos plus célebres Artiftes, paree qu'il n'avoit que quatorze ans lorfqu'il fut tranfporté en France, dont il créa la Muiique, & qu'il lui confacra jufqu'a fa more, fes cravaux & fon génie. II avoic d'abord été Page ti) Né en 1633, mort en 1687. F ij  124 Mémoires anecdotes chez Mademoifelle de Montpenfier:, qu'il amufoic par fes faillies, & par le charme de fon talent a jouer du violon. Elle aimoit en lui jufqu'a fes efpiégleries, & le jeune Lulli abufoit fouvent de la trop grande facilité de cette Princeffe. Elle ie promenoit un jour dans les jardinsde Verfailles, & difoit a d'autres Dames : „ Voila un piédeftal fur lequel on auroit „ dü mettre une ftatue ". La Princeffe ayant continué fa promenade, on rapporte que Lulli fe mit tout nud, cacha fes habits derrière le piédeftal, fe placa deffus, & fe tint dans 1'attitude d'une ftatue en attendant que Mademoifelle repaffat. Elle revint en effet quelque temps après, & ayant appergu de loin une figure fur ce piédeftal, elle en témoigna fa furprife. „ Eft-ce un enchan„ tement, s'écria -1 - elle " ! s'étant approchée davantage, elle reconnut enfin la vérité de cette aventure. Les Dames & les Seigneurs qui accompagnoient Mademoifelle, vouloient qu'on punit févé* rement la prétendue ftatue; mais la Princeffe lui pardonna en faveur de la nouveauté de cette faillie qui la divertit beaucoup. Les ennemis de Lulli 1'accufoient de  de Louis XIV'&de Louis XV. 125 devoir le fuccès de fa muiique a Quinaulc; fes amis même lui difoient quelquefois, en plaifantant, qu'il n'étoit pas fort difficile de mettre en chant des vers foibles, & qu'il éprouveroit bien d'autres difficultés fi on lui fourniflbic des vers énergiques. Lulli, animé par cette plaifanterie, court a fon clavecin, & après avoir cherché un moment fes accords, chante ces quatre vers d'Iphigénie : Un Prêtre environné d'une foule cruelle , Portera fur ma fille une main criminelle, Déchirera fon fein, & d'un ceil curieux, Dans fon cceur palpitant confultera lesDieux! Un des Auditeurs a raconté qu'ils fecrurent tous préfents a cet affreux fpeftacle, & que les fons, dont Lulli animoit ces paroles, leur faifoient drefler les cheveux fur la tête. Un jeune homme, fort content d'un Prologue d'Opéra qu'il avoit compofé, étoit venu le montrer a Lulli, & le prioit de lui en dire fon fentiment. Mais Lulli, qui n'avoit jamais rien vu de fi mauvais. dit avec naïveté au jeune homme, qu'il n'y avoit qu'une lettre a retrancher au bas du Prologue, & fe chargea lui-même F iij  i2 6 Mémoires anecdotes de Ja correétion; de forte, qu'au-lieu de Fin du Prologue qu'on lifoic aupa- ravant, on ne Jifoit plus que Fi du Prologue. Lulli ayant fait jouer pour lui feul un de fes Opéra que le Public n'avoit pas goüté , cette fingularité fut rapportée a Louis XIV, qui jugea que, puifque Lulli trouvoit fon Opéra bon, il devoit 1'être. II le fit exécuter devant lui. La Cour & la Ville changerenc de fentiment : cet Opéra étoit Armide. II y avoit Iong-temps que Louis XIV avoit accordé des lettres de nobleflè n Lulli. Quelqu'un vint lui dire qu'il étoit bien heureux que le Roi 1'eüt ainfi exempté de fuivre la route commune, qui eft d'acheter une Charge de Secretaire du Roi; que s'il avoit eu a palier par cette porte, elle lui auroit été fermée, & qu'on ne 1'auroit pas recu. Un homme de cette Compagnie s'étoit même vanté qu'on refuferoit le Muficien s'il ofoit fe préfenter. Pour avoir le plaifir de narguer fes ennemis, Lulli garda fes Jettres de nobleffe, fans les faire enrégiftrer, & ne fit femblant de rien. En  de Louis XIV & de Louis XV. 127 1681 , on rejoua a Saint - Germain la Comédie & le Ballet du Bourgeois Gentilhomme, dontil avoit compofé la mufique. II exécuta lui-même le róle du Mufti , & quoiqu'il n'eüt qu'un filet de voix, il vint a bout de le remplirau gré de tout le monde. Le Roi lui en fic des compliments. Lulli faifit cette occafion. „ Sire, dit-il, j'avois defièin d'ê„ tre Secretaire du Roi; mais ces Meffieurs ne voudront plus me recevoir. „ — Ils ne voudront plus vous recevoir, „ repartit le Monarque : ce fera bien „ de Phonneur pour eux; allez, voyez „ M. le Chancelier". Lulli alla du même pas chez M. le Tellier, & .le bruic fe répandit qu'il alloit être Secretaire du Roi. Cette Compagnie ne manqua pas d'en murmurer. „ Voyez, difoit-elle, „ le moment que prend ce Farceur en„ core eflbufflé des gambades qu'il vient „ de faire fur le théatre. Prétendre a „ une Charge, a un titre honorable, „ vouloir entrer au Sceau "! M. de Louvois,'follicité par MM. de la Chancellerie, & qui étoit de leurs Corps, paree que tous les Secretaires d'Etat doivent être Secretaires du Roi, reprocha a Lulli fa témérité, & lui dit qu'elle ns convenoit pas a un homme comme F iv  i28 . Mémoires anecdoies lui, dont le grand mérite étoit de faire nre. „ Eh! têce-bleu , répondit Lulli, » vous en feriez autanc fi vous le pou* yiez " Enfin, le Roi paria a M. le iellier. Les Secretaires du Roi étanc venus faire des remohtrances a ce Mimftre, fur ce que Lulli avoic traité d'une Charge parmi eux, & fur 1'intérêc qu'ils avoienc qu'on Ie refufat,pour 1'honneur du Corps, M. le Tellier leur répondit en termes encore plus humiliants que ceux donc Ie Roi s'étoit fervi. Quand il fut quefiion des provifions, elles furent expédiées fans diffkuité. Le jour de fa réception, Lulli donna un magniüque repas aux Anciens de fa Compagnie, & le foir un plat de fon métier, J Opera oü 1'on jouoit le Triomphe de J Amour. II y aflifca vingc ou trente de ces Meflieurs, qui, comme de raifon occupoient ce jour-la les meiileures places, & qui écouterent avec un férieux admirable les menuets & les gavottes de leur confrère le Muficien. Tout l'Opéra appric avec joie que fon Seigneur s étant voulu donner un nouveau titre n en avoit pas eu le démenti. M. de Louvois même ne crut pas devoir garder fa mauvaife humeur. Ayant rencontré Lulli a Verfailles: Bonjour, mon Confrère,  * de Louis XIV&de Louis XV. 129 lui dic-il en paffant, ce qui s'appella un bon moe de M. de Louvois. Lulli mourut d'une blefTure qu'il s'étoit faite au petit doigt du pied en battant la mefure avec fa canne. Cette bleffure qu'on négligea d'abord , devint fi confidérable, que fon Chirurgien voulut lui couper le doigt. Malheureufement on retarda 1'opération , & le mal gagna infenfiblement la jambe. Son Confeffeur qui le vit en danger, lui dit qu'a moins de jetter au feuce qu'il avoit noté de fon Opéra nouveau, intitulé Achille êP Polixene, il n'y- avoit pas d'abfolutïon a efpérer : il brüla fon Ouvrage. Quelques jours après, le malade fe trouva mieux, on le crut même hors de danger. Un des jeunes Princes de Vendöme étant venu le voir, lui dit:., Eh quoi, „ Baptifte, tu as jetté ton Opéra au feu ? „ Morbleu, tu es bien fou d'avoir brülé „ une fi belle mufique". Paix, paixt Monfeigneur, lui répondit Lulli a l'oreille , je favois bien ce que je faifois, j'en ai gardé une copie. Par malheur, cette plaifanterie fut fuivie d'une rechüte qui 1'emporta. Le Chevalier de Lorraine étoit auffi F v  13° Mémoires anecdotes venu le voir lorfqu'il étoic a 1'extrêmïté, & lui marquoit la tendre amitié qu'il avoic pour lui. Madame Lulli qui étoic préfente, 1'interrompit en lui difant : „ Oui vraiment, Monfieur, vous êtes „ fort de fes amis; c'eft vous qui leder„ nier 1'avez^enivré, & qui êtes caufe „ de fa mort". Tais-toi, ma chere femme, lui dit Lulli, tais-toi; M. le Chevalier m'a enivré le demier; & fi fen réchappe, j'efpere bien qu'il tn'enivrera le premier. JEAN DE LA FONTAINE (,). La FoNTAiNÊvécmdzns uneforte d'apathie qui le rendóic indifférent a tout ce qui fait 1'objet de la cupidité des autres hommes. Un tel caractere fembloic devoir 1'éloigner du mariage; cependanc par complaifance pour fa familie, il époufa Marie Héricard, fille du Lieucenancgénéral de la Ferté-Milon. Cette femme avoit de 1'efprit & de la beauté ; mais elle étoit d'un commerce difficile. La (i) Né en i6u, mort en 169J,  de Louis XIV&de Louis XV. 131 Fontainene rarda pas a s'en laffer; il crut devoir s'en éloigner ,& vinta Paris, pour y vivre a fa fantaifie. II avoic peut-être totalemenc oublié fa femme, lorfqu'on lui perfuada de retourner a la Fercé-Milon, & de fe réconcilier avec elle. II part a ce deffein par la voiture publique, arrivé chez lui, & demande fon époufe. Le domeflique lui répond que Madame eft au Salut. La Fontaine va chez un de fes amis qui lui donne a coucher, &lerégale pendant deux jours. Ce terme expiré, il reprend fa place dans la même voicure, & revienc a Paris fans avoir vu fa femme. 11 répond a ceux qui lui demandenc des nou velles de fon raccommodemenc: J'ai été pour la voir; mais je ne Vai pas trouvée, elle étoit au Salut. Notre Poëte fit un fecond voyage a la Ferté-Milon, & voici quel en fut le fujet. Un vieux Capitaine de Dragons , nommé Poignan ,fréquentoicaffiduement dans la mailon de Madame la Foncaine, qui, comme on 1'a die, avoic de la beauté fans en être moins fpirituelle : Poignan n'étoic ni dage , ni d'humeur l troubler le repos d'un mari. Cependant on fit de mauvaifes plaifanteries k la Fontaine, en lui difant qu'il étoit défF vj  13 2 Mémoires anecdotes honoré, s'il ne fe battoit avec le Capitaine. Frappé de cette idéé, il part le lendemain , arrivé chez fon homme, 1 éveille, lui dit de s'habiller & de le fuivre. Poignan, qui ne faic ce que touc cela fignifie, forc avec lui. Ils arrivenc dans un lieu écarté. Je yeux me battre avec vous , lui dit la Fontaine, on me Va confeillé; & fans attendre la réponfe, il met 1'épée a la main. Poignan la lui fait fauter du premier coup. La Fontaine fatisfait le fuit dans fa maifon , oü ils sexpliquenc & fe réconcilient en déjeunant. En lifant les Fables de ce Poëte inimitable, on y remarque un génie fi facïle, qu'on diroit qu'elles font tombées de fa plume; c'eft ce qui le faifoit appelIer un Fablier par Madame de la Sabliere. Cette Dame avoit recueilli la Fontaine dans fa maifon. Elle dit, un jour, après avoir congédié tous fes domefti' ques: „ Je n'ai gardé avec moi que mes „ crois bete?, mon chien, mon chat,& „ la Fontaine ". Le bon la Fontaine avoit grande envie de fe procurer en moules de terre les plus grands Philofophes de 1'antiquité.  de Louis 'XIV$3 de Louis XV. 133 Un jour qu'il y faifoit travailler, il entra chez Madame de la Sabliere avec 1'air le plus affligé : „ Ah! quel malheur, Mada„ me, quel malheur"! II fe défole; on 1'interroge 5 ïl eft long-temps fans pouvoir répondre. Enfin , queftionné , prefiê : „ Vous favez, Madame, lui dit-il, que „ nos Philofophes étoient au four, touc „ alloic bien; mais hélas! Socrate a cou„ lê, tout eft perdu ". Un Fermier - général 1'avoit'invité a diner, dans la perfuafion qu'un Auteur, dont tout le monde admiroit les contes, ne pouvoit manquer de faire les amufements de la fociété. La Fontaine mangea, ne paria point, & fe leva de fort bonne heure, fous prétexte de fe rendre a 1'Académie: on lui repréfenta qu'il n'étoit pas encore temps: Je le fais bien, répondit-il; auffiprendrai-je le chemin le plus tong. La Fontaine eut un fils qu'il garda fort peu de temps auprès de lui. II le mit a lage de quatorze ans entre les mains de M. de Harlay, qui fut depuis Premier-Préfident, & lui recommanda fon éducation & fa fortune. Se trouvant un jour dans une maifon oü étoit ce jeune  '34 Mémoires anecdotes homme, qu'il n'avoit pas vu depuis Iongtemps, il ne le reconnut point, & témoigna cependant a la compagnie qu'il lui trouvoit de 1'efprit & de 1'amabilité. Quand on lui eut dit que c'étoit fon fils, il répondit froidement: Ah !fenfuis bien aife. Rabelais fut toujours 1'idole de Ia Fontaine; c'étoit le feul Auteur qu'il admirat fans refïriétion. Un jour qu'il étoit chez Defpréaux avec Racine, Boileau le Doéteur, & plufieurs autres perfonnes d'un mérite diftingué, on y paria beaucoup de Saint Auguftin & de fes Ouvrages. La Fontaine ne prenoit aucune part a la converfation, & gardoit le filence Ie plus morne & le plus fiupide en apparence. Enfin, il fe réveilla comme d'un profond fommeil, & demanda d'un ton fort férieux a 1'Abbé Boileau, s'il croyoit que Saint Auguftin eut plus d'efprit que Rabelais? Le Boéïeur 1'ayant regardé depuis les pieds jufqu'a la tête, lui dit pour toute réponfe : Prenez garde, M. de la Fontaine, vous avez mis un de vos bas è Venvers; & c'étoit vrai. Un jour Racine le conduifit a Ténebres, & s'appercevant que 1'Office lui  de Louis XIV'& de Louis XV. 135 paroiffoit long, il lui donna, pour 1'occuper , un volume de la Bible qui contenoit les petits Prophietes. II tomba fur la priere des Juifs dans Baruch, & ne pouvanc fe laffer de 1'admirer, il difoit a Racine. „ C'étoit un beau génie que „ ce Baruch : qui étoit-il " ? Pendant plufieurs jours, lorfqu'il rencontroit dans la rue quelque perfonne de fa connoiffance, après les compliments ordinaires, il élevoit la voix pour leur demander : „ Avez-vous lu Baruch? c'étoit un beau „ génie"! Un des amis de ce Poëte, lui avoit prêté les Epïtres de Saint-Paul: il les lut avec avidité; mais bleffé de la dureté apparente des écrits de 1'Apötre, il ferma le livre, le rapporta a fon ami, & lui dit: Je vous rends votre livre: ce Saint Paul' la ne/l pas mon homme. Racine & Defpréaux Fappelloient le bon-homme, & n'en rendoient pas moins juftice h fon rare talent. Dans un fouper chez Molière, oü fe trouvoit Dep cóteaux, célebre Joueur de flüte, le bonhomme parut plus rêveur qu'a 1'ordinaire : Defpréaux & Racine tenterent en vain de le réveüler par des traits vifs &  Mémoires anecdotes piquants. Ils poufferent même Ia raillerie fi loin, que Molière trouva que c'étoic aller au-deia' des bornes. Au fortir de table, il tira a part Defcöteaux dans lembrafure d'une fenêtre, & lui parlant de 1'abondance du coeur: „ Nos beaux • „ efprits, dit-il, ont beau fe trémouffer, „ ils n'effaceront pas le bon-homme ". . A fon extréme naïveté, la Fontaine pignoit le plus grand défintérefiemenr. Un jour qu'il arrivoit a 1'Acadéraie Francoife plus tard qu'a 1'ordinaire, la barre ie trouva tirée au bas des noms, & fuivant 1'ufage, il ne devoit pas avoir part aux jettons de cette féance. Les Académiciensqui 1'aimoient tous, convinrent d une commune voix que pour cette fois, il falloit faire en fa faveur une exception a la regie. „ Non, Meflieurs, „ leur dit-il, cela ne feroit pas jufte; je » fois venu trop tard, c'eft ma faute". Ce qui fut d'autant plus remaraué, qu'un moment auparavant un Acadéinicien extremement riche, & qui, logé au Louvre, n'avoit que la peine de defcendre de fon appartement pour fe trouver tout rendu, avoit entr'ouvert la porte de 1'Académie; & ayant vu qu'il arrivoit trop tard, 1'avoit refermée, & étoit remonte chez lui.  de Louis XIV & de Louis XV. 137 Le Confeflèur de la Fontaine le voyant attaqué d'une maladie dangereufe , 1'exhortoit a réparer le fcandale de fa vie par des aumönes. „ Je n'en puis faire, ré„ pondit le Poëte, je ne poffede rien; „mais on fait une édition de mes Con„ tes, dont il me revient cent exem„ plaires : je vous les donne; vous les „ ferez vendre pour les pauvres ". La garde qui étoit auprès de lui pendant fa derniere maladie, voyant avec quel zele le Pere Poujet de 1'Oratoire 1'exhortoit a bien mourir '.Eh '.mon Pere, ne le tourmentez pas tant, lui dit elle, il eft plus béte que méchant. Dieu iïaura jamais le courage de le damner. Après fa mort, Madame de la Fontaine ayant été inquiétée pour le paiement de quelques charges publiques, M. d'Armenonville, alors Intendant de Soiffons, écrivit a fon Subdélégué, que la familie de cet homme illuftre devoit être exempte a 1'avenir de toute impofition. Depuis cette époque , tous les Incendants de Soiffons ont cru qu'il étoic de leur honneur de faire confirmer cette grace,  138 Mémoires anecdotes BOSSUET (JACQUES BÉNIGNE) (i). Bossuet n'étoit encore que Chanoine a Metz, fuivant les uns, Soudiacre, fuivant les autres, limple Tonfuré, lorfqu'il époufa fecretement Mademoifelle Defvieux de Mauléon, d'une bonne familie de robe, de beaucoup d'efprit, d'une éminente vertu. Ses talents Pamenerent a Paris: fa femme 1'y fuivic; quelques-uns difent qu'elle 1'y avoit attiré. Mademoifelle Defvieux étoit fans biens : Boffuet qui en acquit infenfiblement dans PEglife, pourvut d'abord a fes befoins; enfuite lui donna un état convenable a fa naiflance. La vertu de 1'un & de 1'autre écartoit tout foupcon de galanterie, Parmi leurs domefiiques, les uns furent admis au myftere, les autres le découvrirent, & tous ne fe tü> rent pas: ce bruit parvint jufqu'au Pere de la Chaife, qui dit un jour i Boffuet: » Vous êtes, Monfeigneur, plus Mau„ léonifte que Molinijle ". Dès que le (0 Né en 1617, mort en 1704,  de Louis XIV& de Louis XV. 139 fecret fut évencé, on raffembla plufieurs circonftances, telles que les vifites fréquentes du Prélat, fes longs féjours a Paris, malgré fa régularité, les voyages de Mademoifelle Defvieux a Germigny, maifon de campagne des Evêques de Meaux; 1'accroiiïement de fa fortune & de fon train, & mille autres chofes qui accréditerent Ie témoignage des domeftiques. Ceux qui furent le mariage, le cacherent par égard pour la Religion. Après la mort du Prélat, fes créanciers pourfuivirent BofTuet fon neveu, Maitre des Requêtes, pour le payeraent d'une maifon achetée a Paris en 1684; & celui-ci ne s'étant porté héritier que par bénéfice d'inventaire, ils recoururent par voie de faifie a Mademoifelle Defvieux, qui occupoit la maifon depuis 1'achac. Celle-ci produifit deux acles: par le premier, BofTuet s'étoit engagé de faire cette acquifition: par le fecond, il lui en avoic fait une donation pure & fimple. Les créanciers s'obflinant, elle communiqué fon contrat de mariage a fon Avocat, qui lui répond du fuccès de fon affaire. Le Roi, fur le rapport qui lui en fut fait, donna ordre a TAbbé Boffuet de Taffoupir. Uh accommodement réduific les créanciers au filence. Thémifeuil de  H° Mémoires anecdotes Saint -Hyacinthe fouhaitoit fort qu'on le crut iffu de ce mariage. Quelques-uns ont cru que le Pere de la Chaife s'étoit fervi de cette anecdote, pour exclure BofTuet du Cadinalat & de TArchevêché de Paris. BofTuet, encore enfant, donna d'heureux préfages de ce qu'il feroit un jour. Dès Tage de fept a huit ans, il apprenoit par coeur des Sermons, qu'il prononcoit de fort bonne grace. La Marquife de Rambouiilet en ayant oui parler , Jouhaita de Tentendre, & fit naitre le même defir aux perfonnes qui tous les foirs s'afïèmbloient chez elle. Le jeune BofTuet y fut conduit entre onze heures &minuit, &prêcha avec beaucoup d'agréraent & d'afTurance. Toute Taflèmblée en parut très-fatisfaite. Voiture qui, dans la converfation comme dans les lettres, couroit toujours après Tefprit, dit, au fujet de lage du Prédicateur & de Theure de Ia prédication : En vérité, je n"ai jamais entendu prêcher, fitot ni fi tard. Louis XIV fut fi content, la première fois qu'il entenditprêcher BofTuet, qu'il fit écrire en fon nom au pere du  de Louis XIV & de Louis XV. 141 jeune Orateur, pour le féliciter d'avoir un tel fils. Ua jour le Roi reneontra par hafard le Saint-Sacrement que 1'on portoit a Verfailles a un de fes Officiers; il 1'accompagn3, pour 1'exemple, jufque chez le mouranf, & ce fpeétacle le toucha fi fort, qu'a fon retour, il ne put s'empêcher de faire part a fa maitrefie du trouble de fa confcience. Madame de Montefpan dit qu'elle étoit aufll touchée de repentir, & ils réfolurent de fe féparer. L'Evêque de Meaux fut appellé pour les aider dans ce deffein. La Dame partit pour Paris, & 1'Evêque , après avoir eu plufieurs conférences avec le Roi-, & après avoir fait pendant huit jours plufieurs voyages a Paris, dans lefquels il porca, fans le favoir, des lettres qui ne parloient rien moins que de dévotion, fut bien étonné, quand il la vit de retour a Verfailles, & plus encore'quand de ce raccommodement il vit naitre M. le Comte de Touloufe, le dernier des enfants que Madame de Montefpan ait eu de Louis XIV. Dans fes controverfes, Boffuet n'apportoit point affez d'art pour cacher aux  142 Mémoires anecdotes autres le feritiment de fa fupériorité. On fait le reproche indirect que lui en fic un jour 1'Archevêque de Rheims le Tellier. Boffuet préfentant a Louis XIV le célebre Mabillon : Sire, dit ce Prélat, fai fhonneur de préfenter a Votre Majefté le plus [avant homme de fon Royaume. Le Tellier ajouta : & le. plus humble. L'Oraifon funebre de Madame enlevée a la fleur de fon age, eut le plus rare fuccès, celui de faire verfer des larmes a la Cour. Boffuet fut obligé de s'arrêter après ces paroles : „ O nuit défaf„ treufe ! nuit effroyable ! oü retentit „ tout-a-coup comme un éclat de ton„ nerre, cette étonnante nouvelle : Ma,, dame fe meurt, Madame eft morte ". L'auditoire éclata en fanglocs, & la voix -de 1'Orateur fut interrompue par les foupirs 6k par les pleurs. Lorfque Boffuet alla prêter ferment de fidélité entre les mains de Madame la Duchefiè de Bourgogne, pour la Charge de fon premier Aumönier, cette Princeflè ne put s'empêcher de dire dans une de fes faillies ordinaires : Ah ! la honne tête que fai la a mes pieds.  de Louis XIV & de Louis XV. 143 BofTuet donnoit a Tétude tout le temps qu'il n'employoit point aux fonctions de fon miniflere; rarement fe permettoit - 51 la promenade : c'eft ce que fon Jardinier lui repréfenta un jour afièz naïvement. Ce Prélat Tayant trouvé fur fon chemin, lui demanda comment alloient les arbres fruitiers: „ Hé , Mon„ feigneur, vous vous fouciez bien de „ vos arbres; fi je plantois dans votre ,, jardin des Saint Auguftin & des Saint „ Chryfoftóme, vous lesviendriez voir; „ mais pour vos arbres, vous ne vous ,, en mettez guere en peine ". Toutes les fois que Boffuet avoit une Oraifon funebre a compofer, il lifoit Homere en grec. Cette leéture élevoit fon ftyle a la hauteur de fon fujet : „ J'allume, difoit ce grand hom„ me, mon flambeau aux rayons du „ foteil". La Princeffe des Urfins étoit a Rome en 1698, lorfqu'on y porta 1'affaire de M. de Fénelon concernant le Quiétifme. Voici ce qu'on lit dans une des lettres de cette Dame au Maréchal de Noailles: „ J'ai fu que M. de Cambrai a envoyé „ ici a fes partifans un thême donné autre-  344 Mémoires anicdotes „ fois a Monfeigneur par M. de Meaux, „ dans lequei il écabliffoic par des auto„ rités_ qu'on ne m'a pas cicées , qu'il „ feroit è fouhaiter qu'il n'yeütniEn5, fer, ni Paradis, afin d'oter de Va,, mour^ que Von doit avoir pour Dieu, „ Vefpérance & la crainte, qui en gd„ tent la pureté. Oü cet homme-la, „ continue la PrinceiTe, va-t-il chercher „ de pareilles chofes "? Suppofé que Boffuet eüt donnéau Dauphin unthêrne fur cette matiere, il paroit évident que la tournure & le fens n'en étoient pas tel qu'on les voit ici. Madame des Urfins répétoit un récit qui fans doute étoit peu exaél. BolTuet avoit pris pour devife ces deux mots, qu'il répétoit a chaque page dans fes écrits contre Fénelon, apertè, aperte. II combattoit fon rival avec autant de politelfe que dezoie.Qu'auriezvous fait, lui dit un jour Louis XIV, fi favois foutenu M. de Cambray? — Sire, lui répondit BofTuet avec une intrépidité vraiment épifcopale, faurois crié vingt fois plus haut. Un jour le Roi, voyant entrer Boffuet, lui dit: „ Nous parlionsdes Spec„ tacles,  4e Louis XIV & de Louis XV. 145 „ tacles, qu'en penfez-vous? —- Sire» „ il y a de grands exemples pour, ré„ pondic le Prélat; mais il y a des rai„ fbnnements invincibles contre ". BOILEAU-DESPRÉAUX (i> Ojeux qui connurent Boileau dans fon enfance, ne prévirent point ce qu'il feroit un jour. Son pere même avoic coutume de dire , en le comparant k fes autres enfants : Pour Cotin, ee [era tin bon garf on, qui ne dira du mal de per[onne. On a rapporté que le petit Boileau, jouant dans une cour, fit une chüte, & que fa jaquette s'étant retrouffée, un dindon lui donna plufieurs coups de bec fur une partie très-délicate. Boileau en fut incommodé toute fa vie : „ & „ de-la peut-être, ajoute un Auteur „ moderne, cette févérité de moeurs, „ cette difette de fentiments qu'on re„ marqué dans fes Ouvrages; de-la fa (i) Né en 1636, moft en 1711. Tome IL G  146 Mémoires anecdotes „ Satyre contre les Femmes , contre „ Lulli, Quinaut, & contre les Poéfies ,, galantes ". II faut peut-être attribuer a la même caufe fa mauvaife humeur contre les Jéfuites, qui, ies premiers, ont tranfplanté les coqs-d'Inde en Europe. II fut d'abord deftiné au Barreau, & plaida même une caufe, dont il fe tira fort mal. Comme il étoit prés de commencer fon plaidoyer, le Procureur s'approcha de lui, & lui dit: „ N'oubliez „ pas de demander que la partie foie „ interrogée fur faits & articles. — Et ,, pourquoi, lui répondit Boileau ? la „ chofe n'efl-elle pas déja faite? Si „ tout n'efl pas prêt, il eft inutile que „ je plaide ". Le Procureur fit un éclat de rire, & dit a fes confrères : „ Voila „ un jeune Avocat qui ira loin; il a de s, grandes difpofitions ". Lorfqu'il publia fon premier Ou vrage, on vint lui dire que les Critiques Ie déchiroient. Tant mieux, répondit-il, les mauvais ouvrages font ceux dont on n& dit ni bien ni mal. Dans une de fes Satyres, Boileau avoit  de Louis XIV&de Louis XV. 147 appelié le Traiteur Mignot, un empoifonneur; celui-ci porta fes plaintes au Magiiïrat, qui le renvoya, en lui difanc que 1'injure dont il fe plaignoit, n'étoit qu'une plaifanterie, & qu'il devoit eni rire le premier. Mignot, peu fatisfait de cette réponfe, prit Ia réfolution de le faire juftice lui-même, & s'avifa, pour cet effet, d'un expédient tout nouveau. Ce Patiffier-Traiteur avoit la réputation de faire d'excellents bifcuits , & touc Paris en envoyoit chercher a fa boutique. II fut que 1'Abbé Cottin avoit compofé une Satyre contre Defpréaux leur ennemi commun, & comme aucun Libraire n'ofoit fe charger de cette Satyre, il la fit imprimer a fes fraix; & quand on venoit chercher des bifcuits, il les enveloppoit dans la feuille qui contenoit la Satyre imprimée, afin de Ia répandre de tous cötés. Lorfque Boileau vouloic fe réjouir avec fes amis, il envoyoic chercher des bifcuits chez Mignot pour avoir la Satyre de Cottin. Par la fuite, Mignot, voyant que les vers de Defpréaux, loin de le décrier, n'avoienc fervi qu'a le mettre plus en vogue » chanta les louanges du Poëte , & lui xivoua plus d'une fois qu'il lui devoit fa fortune. G ij  I4& Mémoires anecdotes Patru avoit la réputation d'être fort rigide fur la langue francoife; c'étoit un Cenfeur éclairé, mais un peu trop févere. Quand Racine faifoit a Defpréaux des obfervations fur fes Ouvrages , le Satyrique, au-lieu de lui citer le proverbe latin , Ne fis Patruus mihi, N'ayez pas pour moi la févérité d'un oncle, lui difoit: Ne fis Patru mihi, N'ayez pas pour moi la févérité de Patru. . Defpréaux étoit un excellent Pantomime , & ce talent le faifoit rechercher de plufieurs fociétés. II contrefaifoit ceux qu'il voyoit, jufqu'a rendre parfaitement leur démarche, leurs geftes, & même leur fon de voix. II amufa un jour ie Roi en contrefaifant devant ce Prince tous les Comédiens. Le Roi voulut qu'il contrefit aufli Molière, qui étoit préfent, & lui demanda enfuite s'il s'étoic reconnu. „ Nous ne pouvons, répon„ dit Molière, juger de notre reffèm„ blance; mais la mienne eft parfaite, „ s'il m'a aufli-bien imité que mes ca„ marades ". Le Libraire Barbin avoit une maifon de campagne très-pecite, mais donc il  de Louis XIV & de Louis XV. 140 faifoic fes délices; il voulut y donner \ diner a Boileau. Au fortir de table, il le mena dans fon jardin qui étoit d'une étendue proportionnée n la maifon. Après en avoir fait deux ou trois fois le tour, Defpréaux appella foncocher, & lui dit demettre les chevaux au carrolTe. „ Eh! „ pourquoi donc, lui dit Barbin, voulez„ vous vous en retourner fi prompte„ ment"? Ce/l, répondit Boileau,pouraller prendre fair a Paris. Dans un diner chez le Préfident de Lamoignon , dont les aéteurs étoient les maïtres du logis , les Evêques de Troyes & de Toulon, le Pere Bourdaloue , fon compagnon, Defpréaux & Corbinelli , on paria beaucoup des Ouvrages des Anciens & des Moderne?. Defpréaux foutint les Anciens, & la réferve d'un feul Moderne qui furpafibic, a fon goüt, & les vieux & lesnouveaux. Le compagnon de Bourdaloue demanda quel étoit donc ce livre fi diftingué? Defpréaux ne voulut pas le nommer. Corbinelli lui dit : „ Monfieur, je vous „ conjure de me le nommer, afin que „ je pafiè toute la nuit a le lire ". Defpréaux lui répondit en riant : „ Ah! „ Monfieur, vous Pavez lu plus d'une G iij  ï5° Mémoires anecdoter r, fois, j'en fuis affuré ". Le Jéfuite reprend, & prefTe Defpréaux de nommer eer Auteur fi merveilleux. Defpréaux lui «Kt: „ Mon Pere, ne me prefièz point". .Le Pere continue : Defpréaux le prend par le bras; & le ferrant bien fort, lui dit i „ Mon Pere, vous le voulez;hé ,, bien, c'eft Pafcal. — Morbleu, Paf„ cal! dit lePere fortétonné; Pafcal eft „ beau, autant que le faux le peut être. » — Le faux, dit Defpréaux, le faux! „ Sachez qu'il eft auffi vrai qu'il eftinic „ mitable. On vient de le traduire en „ trois langues ". Le Pere répond : „ H „ n'en eft pas plus vrai pour cela ". Defpréaux s'échauffe, & criant comme un fou, entame une autre difpute. Le Pere s'emporte de fon cöté; & après quelques difcours fort vifs de part & d'autre, Defpréaux prend Corbinelli par ie bras, s'enfuitau bout de la chambre; puis revenant & courant comme un forcené, il ne voulut jamais fe rapprocher du Pere, & s'en alla rejoindre la compagnie qui étoit demeurée dans Ia falie a manger. On prétend que Malherbe répondoit è ceux qui fe plaignoient qu'on ne récompenfoit point aflëz les Poëtes, que  de Louis XIV & de Louis XV. i$i „ c'étoit agir prudemment, & que le „ meilleur Poëte n'étoit pas plus utile „ a 1'Etat qu'un bon joueur de quilles". On rapporte auffi que Boileau dit un jour: „ Avouez que j'ai deux talents aufll pré„ cieux 1'un que 1'autre; 1'un de bien „ jouer aux quilles, & 1'autre de bien „ faire des vers ". Si ces anecdotes font vraies, elles fuppofent que Malherbe & Boileau confondoient le Poëte &leVerfificateur. Un Poëte vraiment digne de ce nom, eft le chantre par excellence des talents & de la vertu. La Grece dut autant fes fuccès & fa gloire a fes Poëies qu'a fes héros. Dans une compagnie oü fe trouvoit Defpréaux, une Demoifelle fut priée de danfer, de chanter & de. roucher du clavecin, on vouloit faire briller fes talents, qui étoient médiocres. Chacun s'empreffa de lui faire des compliments; ils étoient diftés par la politeffe. Boileau, qui ne vouloit ni flatter, ni déplaire, ajouta, d'un ton moitié brufque & moitié galant : „ On vous a tout appris . „ Mademoifelle, hormis a plaire; c'eft „ pourtant ce que vous favez le mieux ". Un jeune Abbé qui avoit du talens G iv  3 52 Mêmoms anecdotes pour Ia chaire, demandoit des confeils 1 Boileau pour fe perfe&ionner dans 1'art de la Prédication. Pour toute réponfe, Defpréaux lui dit d'aller entendre le Pere Bourdaloue & 1'Abbé Cottin. Le jeune Abbé, furpris du paralIele, s'écria : „ Mais, Monfieur, com3, ment 1'entendez-vous, & quel fruit „ puis je retirer des Sermons de 1'Abbé „ Cottin " ? 11 faut pourtant que vous ies entendiez tous deux, répliqua Boileau. Le Pere Bourdaloue vous appren. dra ce qu'il faut faire; & F Abbé Cottin > ce qu'il faut éviter* Le Pere Bouhours fe plaignoit un jou? a Defpréaux de quelques critiquès titk primées contre fa Tradudion du Nouveau Teftament, & lui difoit: „ Je fais v d'ou; elles partent : je connois mes „ ennemis : je faurai me venger d'eux. -, — Gardez-vous-en bien, mon Pere, „ lui dit Defpréaux; ce feroit alors qu'ils auroient raifon de dire que vous n'avez „ pas entendu le fens de votre original,. „ qui ne prêche par-tout que le pardon s, des injures ". II y a dans Ia Comédie du Mifanthrope un trait que Molière, habüe a faifir  de Louis XIV& de Louis XV. 153 le ridicule par-tout oü il le trouvoic, copia d'après nature, & ce fut Boileau qui le fournit. Molière lui reprochoit ur» jour fon acharnement contre Chapelainy & lui repréfentoic que ce Poëte, 1'objec éternel de fes Satyres, étoit particufiéreraent aimé de M. Colbert, & que ces railleries outrées lui attireroient i Ia fin la difgrace du Minifire, & peut-êcre du Roi lui même. Ces réflexions ayant mis le Poëte Satyrique de mauvaife humeur: „ Oh! le Roi & M. Colbert feront ce „ qu'il leur plaira, dit-il brufquement; .„ maisa moins que le Roi ne m'ordonne „ expreflèment de treuver bons les vers „ de Chapelain, je foutiendrai toujours „ qu'un homme qui a fait Ia Pucelle, „ mérite d'être pendu ". Molière fe mie a rire de cette faillie, & 1'employa en1'uite fort a propos dans la derniére fcene du fecond adle de fon Mifanthrope. Racine n'ignoroit pas combien le fujet de Bérénice étoit mal ehoifi; mais il n'ofa fe refufer au defir de la Princefle Henriette d'Angleterre, qui voulut qu'il traitat ce fujet en coneurrence avec le grand Corneille. Defpréaux qui étoit moins courtifan que Racine, & qui s'intéreifoit véritablement a la gloire de fon G v  154 Mémoires anecdotes ami, difoic, en blaroant fa complaifance: Si je nïy étois trouvé,je Vaurois bien empêché de donner fa parole. L'armée du Grand Condé étoic toute compofée de jeunes gens. Defpréaux Falla voir, & Son Alteffe lui ayanc demandé ce qu'il en penfoic: Monfeigneur, répondit Defpréaux, elle ferafort bonne quand elle fera majeure. C'eft que le plus agé des Soldats n'avoic pas vingt quatre ans. Sans affecter un extérieur dévot, Boileau fut toujours exact & remplir les principaux devoirs de la Religion. Se trouvant aux Fêtes de Paques dans la Terre d'un ami, il alla a confeflê au Curé, qui ne le connoiffoit pas, & qui étoit un homme fort iimple. Avant que d'entendre fa confeifion, il lui demanda quelles étoient fes occupations ordinaires? De faire des vers, répondit Boileau Tant pis, dit le Curé; & quels vers?-— Des ■Satyres, ajouta le pénitent. — Encore pis, reprit le Confeffeur; & contre qui? — Contre ceüx, dit Boileau, qui font mal des vers; contre les vices du temps; contre les Ouvrages pernicieux, contre les Romans, contre les Opéra.., — Ah!  de Louis XIV & de Louis XV. 15 5 s'écria le Curé, il n'y a donc pas de mal, & je n'ai plus rien a vous dire. Defpréaux avoic joui quelque temps d'un Bénéfice eccléfiafïïque , fans être fort fcrupuleux fur les devoirs qu'impofe le titre de Bénéficier. Comme on lui repréfenta qu'il ne pouvoit le garder en füreté de confcience, il en fit fa démiffion entre les mains de 1'Evêque de Beauvais, & fupputant que ce qu'il en avoic retiré pouvoit fe monter a deux mille écus, il employa cette fommea des ceuvres de charité. Le célebre Patru étoit au momene de vendre fes livres, le feul bien qui lui reftoit, pour fatisfaire a des créanciers impitoyables. Defpréaux ayantappris l'ex* trémité oü il fe trouvoit, & fachant qu'il. étoit fur le point de les donner pour une fomme affez modique, vint lui en offrir un tiers de plus. Mais après lui en avoir compté la fomme convenue, il mit dans le marché une condition qui furprit agréablement Patru \ ce fut qu'il garderoit fes livres comme auparavant , & que lui Boileau ne feroit que fon furvivan .ier dans la jouiffance ,& la propriété de la bibliotheque, , G vj  iS^ Mémoires anecdotet f.Louis XIV ayant demandé a Boileau 1'age qu'il avoit, le Poëte lui répondit s „ Je fuis venu au monde un an avant „ Votre Majefté, pour annoncer les mer • veilles de fon regne ". Dans la Campagne de 1677, Louis XIV n'eut, pour ainfi dire, qu'a fe montrer, pour voir tomber fous fa puiifance toutes les Places qu'il aiïïégeoit. Racine & Defpréaux, fes Hiftoriographes, ne fuivirent pas Ie Roi dans fes expéditions. A fon retour, il leur témoigna fa furprife furie peu de curiofieé qu'ils avoieno montrée. Comiiient, leur dit-il, n'avezvous pas eu envie de voir un fiege? Le yoyage n'étoitpas leng. — Sire, lui répondirent-ils, nes Tailleurs furent trop lents. Nous leur avions commandé des habits de campagne; lorfqu'ils nous let apporterent, les Villes que Votre Majefté affiégeoit étoient prifes. Cette réponfe ingénieufe fit rire Ie Roi, qui leur recommanda de fe difpofer a le fuivre k Ja Campagne fuivante; ce fut celle de Gand. Dans cette Campagne, le Roi s'espofa beaucoup; Boileau lui repréfenta qu'il ne s'en étoit faliu que- de fept pas  'ie Lou is XIV & de Louis XV. 157 que Sa Majefté n'eüc été atteinte d'un boulet de canon; il la prioit de ne pas Fobligera finir fi-töt fon hiftoire. Accmbien de pas êtiez-vous du canon ? dit le Roi a Defpréaux. A cent pas, répondit FHiftoriographe. Mais n'aviez-vous pas peur, répliqua le Roi. Oui, Sire, je tremblois beaucoup pour Votre Majefté, 6? encore plus pour moi. Après la prife de Gand, Racine & Defpréaux n'épargnerent point au Roi les flatteries les plus ridicules. Dans 1'étonnement des fatigues qu'ils avoient vu Sa Majefté partager avec les troupes, ils lui dirent que les Soldats avoient raifon de chercher a fe faire tuer pour finir une vie fi épouvantable. Ils difoient aufli qu'encore que le Roi craigmt les fenteurs, ce Gand d'Efpagne ne lui feroit point mal a la tête; & Madame de Sévigné, \ qui ces flagorneries faifoient pidé, ajoutoit par dérifion , qu'un autre moins fage que Sa Majefté en pourroiï bien être entêcé fans avoir des vapeurs. Malgré ces traks & quelques autres qu'on pourroit rapporter , Boileau n'é» toit pas un fin Courtifan. II témoignoi: publiquemenc fon attachementpour fylef-  158 Mémoires anecdoles fieurs de Port-Royal, qu'on avoit peinc£ a la Cour comme une fociété de novateurs & d'efprits turbulents; & quelqu'un lui ayant annoncé que le Roi lé propo foit de traiter fort durement les Religieufes de cette Abbaye, il répondit: Et comment fera-t-ii pour les traiter plus durement qü'elles ne fe traitent elles-mêmes? II lui échappoit, en d'autres occafions, des faillies encore plus indifcretes. Un jour qu'on parloit devant Louis XIV de la mort du Comédien Poiffon : „ C'eft une perte, dit le Roi; ,, il étoit bon Comédien ". Oui, reprit Boileau, pour faire un Dom Jap/iet : il ne brilloit que dans ces miférablespieces de Scarron. Racine, qui, dans 1'occafion, n'étoit guere moins imprudent, lui fit figne de fe taire, & lui dit en par* ticulier : „ Si vous êtes toujours aufii „ indifcree, je ne puis plus parohre avec „ vous a la Cour ". J'en fuis honteux, lui répondit Boileau: mais quel efl l'bom-, me a qui il riéchappe pas une fottife ? Quoi qu'on ait pu dire, Defpréaux faifoit le plus grand cas du mérite de Qorneille. En voici une preuve qui fiiit honneur a 1'un & a 1'autre. Après la mort de Colbert, Ia penfion que le Roi  de Louis XIV&dt Louis XV. 159 donnoit h Corneille fuc fupprimée. Defpréaux qui étoit avec la Cour a Fontatnebleau, courut chez Madame de Montefpan pour la prier d'engager le Roi a rétablir cette penfion. II en paria ïuitnême au Roi, & lui dit qu'il ne pouvoit , fans honte & fans une efpece d'injuftice, recevoir une penfion de Sa Majefté, tandis qu'un homme comme M. Corneille en étoit privé. Defpréaux paria avec tant de chaleur, & fon procédé parut fi grand & fi généreux, que fur le champ le Roi ordonna que 1'on portat deux cents louis d'or a Corneille. Ce fut M. de la Chapelle, parent de Defpréaux , qui les lui porta de la part du Roi. Lorfque le Marquis de Saint-Auïaire fe mit fur les rangs pour entrer a 1'Académie Francoife, Boileau noublia rien pour 1'écarter, & répondoit a ceux qui lui repréfentoient qu'il falloit avoir des égards pour un homme de cette condition : Je ne lui difpute pas fes titres de nobleff'e; mais je lui difpute fes titres du Parnajfe. Un Académicien ayant répliqué que Saint-Aulaire avoit aufli fes titres du Parnafiè, puifqu'il avoit com-, pofé de jolis vers : Hé biefrfMót)fieur;  i6o Mémoires anecdotes lui dit Boileau, puifque vous eftimêz fes vers, faites-moi ïhonneur de méprifer les miens. II arrivoit rarement que dans les difputes littéraires qui s'élevoienc a 1'Académie, Boileau eüc le grand nombre de Ion cöcé, paree que la plupart de fes Confrères étoient peu difpofés a favorifer fon opinion. Un jour cependant il fut viftorieux; & quand il parloit de ce tnomphe, il ajoutoit, en élevantla voix: „ Tout te monde fut de mon avis, ce „ qui m'éconna; car j'avois raifon, & „ c'étoit moi ". On difoit a Defpréaux que le Roi faifoit chercher le Doéteur Arnauld, & quil avoic donné ordre de farrêter. Le Roi, répondit-il, eft trop heureux, pour le trouver. M. de Seignelay, Secretaire d'Ecat, conferoit avec Boileau fur un point de littérature r & cherchoit a 1'embarrafler. Après ,1'avoir harcelé par des raifons qui n'étoient pas fort bonnes, il le crut battu, & lui dit avec un fourire nmerSt dédaigneux : Répondez, répondez a cela. Comme Boileau vit que ce  de Louis XIV & de Louis XV. 16 x Miniflre metcoic de la hauteur dans la difpute, il eut le courage de dire: „ Mon„ fieur, j'ai toujours fait ma principale „ étude de Ia littérature : tout le monde „ convient même que j'en ai écritavec „ quelque fuccès; fi vous voulez que je „ réponde, il faut vous foumettre a re„ cevoir mes inftructions au moins trois „ jours de fuite ". II finit par lui citer quelques préceptes des plus importants d'Ariftote. Le Minifire fe fentit battu, & toute la Compagnie applaudit intérieurement a la fermeté du Poëte. Racine, en fortant, dit a Boileau : „ O le „ brave homme! Achille en perfonne „ n'auroit pas mieux combattu ". Monchefnay, Auteur du Bolceana, avoit publié quelques Satyres que Defpréaux ne goücoit point du tout, ce qui avoit jetté beaucoup de froid entre eux deux. „ II me vient voir rarement, di„ foit Boileau, paree que, lorfqu'il eft „ avec moi, il eft toujours embarralfé „ de fon mérite & du mien ". Le Duc d'Orléans avoit invité Defpréaux a diner; c'étoit un jour maigre, "& 1'on ne fervit que du gras. On s'appefcut que le Poëte refufoit de tous ka  i6z Mémoires anecdotes plats. „ II faut bien, lui dit le Prince > ,, que vous mangiez gras comme Iesaur „ tres, on a oublié le maigre. — Vous „ n'avez qu'a frapper du pied, Monfei„ gneur, lui répondit Boileau, & les „ poiflbns fortiront de terre ". Cette allufion au mot de Pompée, fit plaifir a la Compagnie; & fa conibnce a ne vouloir point toucher au gras, fit honneur a fa religion. Louis Racine, étantécolierde Philofophie au College de Beauvais , avoit fait une piece de vers francois pour déplorer la deftinée d'un chien'qui avoit fervi de viótime a des legons d'Anatomie. Madame Racine, qui avoit fouvenc entendu parler du danger de la paffijn des vers, & qui la craignoit pour fon fils, lui ordonna d'aller trouver Boileau qu'elle avoit prévenu , 6c a qui elle avoit repréfenté ce qu'il devoit a la mémoire de fon ami dans cette circonftance. Le jeune homme obéit , «Sc ce ne fut pas fans trembler, qu'il fepréfenta devant ce rigide Cenfeur des talents médiocres. En effet, Defpréaux prit un air févere; & après avoir dit a Louis Racine que la piece qu'on lui avoit montrée i-étoic trop peu de chofe pour lui faire  de Louis XIV & de Louis XV. 163 connoïcre s'il avoit quelque génie : „ 11 „ faut, ajouta-t-il, que vous foyez bien „ hardi, pour ofer faire des vers avec „ le nom que vous portez. Ce n'efl: pas „ que je regarde comme impoflible que „ vous deveniez un jour capable d'en „ faire de bons; mais je me métie de „ tout ce qui eft fans exemple: & depuis „ que le monde eft monde, on n'a point „ vu de grand Poëte fils d'un grand „ Poëte. Le cadet de Corneille n'étoit „ point tout-a-fait fans génie; cepen„ dant il ne fera jamais que le très-petic „ Corneille : prenez bien garde qu'il ne „ vous en arrivé autant. Pourrez-vous „ d'ailleurs vous difpenfer de vous at,, tacher a quelque occupation lucra„ tive; & croyez-vous que celle des „ Lettres en foit une? Vous êtes le fils „ d'un homme qui a été le plus grand „ Poëte de fon fiecle, & d'un fiecle oü „ le Prince & les Miniftres alloient au„ devant du mérite, pour lerécompen„ fer : vous devez favoir mieux qu'un ,, autre a quelle fortune conduifent les ,, vers ". Louis Racine difoit avec modeftie, qu'il s'étoit fouvent rappellé ce fermon, dont il avoit fi mal profité. Defpréaux regardoit le Virgik travefti^  164 Mémoires anecdotet comme Pouvrage d'un bouffon. „ Votre „ pere, dit-il un Jour a Louis Racine, „ avoit la foiblefle de lire quelquefois le „ Virgik travefti; mais il fe cachoit de „ moi, pour rire". . Boileau conferva jufqu'a la fin de fes jours fon humeur cauftique & févere. L'Abbé le Verrier, cherchant a le diftraire agréablement dans fa derniere maladie, lui lifoit une Tragédie qui faifoit alors beaucoup de bruit. La lefture finie, il dit a cet Abbé : „ Eh! mon ami, ne „ mourrai-je pas affez vite ? Les Pra„ dons que nous avons baffoués dans no„ tre jeuneffe, étoient des foleils auprès 3, de ces gens-ci " (O* Lorfqu'on lui demandoit comment il fe trouvoit, il répondoit par ces vers de Malharbe : Je luis vaincu du temps, Je cede a fes outrages.' ■ Un moment avant que de mourir, il vit entrer un de fes amis, & lui dit, en " (1) Malheureufement pour Boileau, c'éioi* «e Rhadamifit qn'ij parloit ainfi.  de Louis XIV'& de Louis XV. 165 lui ferranc la main : Bon jour & adieu: radieu [era bien long. II fe trouva une nombreufe aflèmblée a fon convoi; ce qui furprit tellement une femme du peuple, qu'elle ne put s'empêcher de dire : // avoit bien des amis : on ajfure pourtant qu'il di' foit du mal de tout le monde. CHAPELLE (i> M . le Prince étant a Fontainebleau, retint Chapelle, deux jours a 1'avance, pour un fouper. Le jour venu, Chapelle alla fe promener 1'après-dinée, & fa promenade le conduifit vers le Mail. Des Officiers de quelques Seigneurs y jouoient a la boule. II prit plaifir a les regarder. Un coup douteux, qu'on le pria de juger, augmenta fon attention. Le jeu fïni, les acteurs 1'inviterent a venir dans un cabaret prendre fa pare d'un repas, aux fraix duquel la perte (1) Né en 1621, mort en i686i  i66 Mémoires anecdotes avoit été deftinée. II accepta 1'ofFre fans balancer; tint table fept ou huit heures; but amplement, a fon ordinaire, & s'amufa beaucoup avec des convives, qui ne fe laflbient point de 1'entendre. Le lendemain, M. le Prince lui fit des reproches obiigeants fur fon manque de parole. II ne s'excufa que par un récic ingénieux de fon aventure, & le termina par dire très-férieufement: En vérité, Monfeigneur, c'étoient de bonnes gens C2? bien aifés a vivre, que ceux qui m'ont donné ce fouper. M. le Prince lui pardonna fans douce; maisil necontinua pas de 1'admettre aufli familiérement a fa Cour. Chapelle ne fut pas du nombre des Beaux-Efprits que le Grand Condé appelloit fouvent dans fa retraite de Chantilly. Naturellement gai, Chapelle ne fe livroit guere au férieux qu'il ne fut ivre. Dans un fbuper qu'il fit tête-a-tête avec un Maréchal de France, le vin leur rappella par degrès diverfes idéés ohilofophiques & morales, & réveilla chez eux des fentiments de Chriftianifme. Ils réfléchirent profondémenc fur les malheurs attachés a Ia condition humaine, & fur 1'incertitude des fuites de cette vie.  de Louis XIV & de Louis XV. 167 Ils convinrent que rien n'efl plusdangereux que d'être fans religion; mais ils trouverenc comme impoffible de vivre pendant un grand nombre d'années dans Je monde en bon Chréaen. Ils finirent par envier le bonheur des Martyrs. Ouelques moments de fouffrance, diloient-ils, leur ont valu le Ciel. Hé bien, dit Chapelle, allons enTurquieprêcher la Foi; nous ferons conduits devant un Bacha;je lui répondrai cemme il convient, vous répondrcz comme moi, Monfieur le Maréchal. On m'empalera, vous ferez empalé; nous voila Saints. —- Comment, s'écrie le Maréchal en colere! Eft - ce a vous, petit compagnon, it me donner Vexemple ? Cefi moi qui parler ai le premier au Bacha, qui ferai martyrifé le premier; moi, maréchal de France, & Duc & Pair. — Quand il s'agit de la Foi, réplique Chapelle en bégayant, je me moque du Ma~ réchal de France, & du Duc & Pair. Le Maréchal lui jette fon affiette a la tête; Chapelle fe précipite fur le Maréchal : ils renverfent table, buffet, fieges. On accourt au bruit. Ils expofent leur différend ; & ce ne fut pas fans beaucoup de peine qu'on vint a bout de lescalmer 1'un & 1'autre.  ïó8 Mémoires anecdotts Chapelle étoic véritablement ami d'une Demoifelle Chouars , fille' de condition, qui avoit de 1'efpric & des connoiffances. Comme on ïervoit a fa table de très-bon vin, il alloit de cemps en temps fouper tête-a-tête avec elle. Un foir qu'ils avoienc tenu table aflèz longtemps , la femme-de-chambre furvint , & fut bien étonnée de voir fa maicreflè en pleurs, & Chapelle accablé de trifceflè. A fes queftions fur la caufe de ce qu'elle voyoic, Chapelle répondic en foupiranc, qu'ils pleuroienc la more du Poëte Pindare, malheureufe viétime de 1'ignorance des Médecins, qui 1'avoienc tué par des remedes contraires h fa maladie. La-deflus, ample élogedu Poëte, détail immenfe de fes belles qualités, & de fes talents poétiques, fans oublier la vigueur de fon tempérament, que les remedes avoient détruit. La bonne femmede-chambre, pénétrée jufqu'au fond du cceur, joignit fes larmes k celles de fa maierefle; & tous trois continuerent a regretter avec fanglots, qu'un fi grand homme eut péri fi malheuieufement. Le Duc de Brifac, réfolu d'aller en Anjou pafler queique temps dans fes Terres, voulut y mener uue compagnie agréable.  fit Louis XIV & de Louis XV. i 6f agréable. II fit tanc, par fes propres follicitations & par celles des amis de Chapelle , qu'elle 1'engagea d'être du voyage. Ils parcirenc de Paris fort contents 1'un de 1'autre; leurquatriemedinée fut a Angers. Comme ils devoient y coucher, Chapelle fit trouver bon au Duc, qu'il allac diner chez un Chanoine de la Cathédrale , fon ancienne connoifiance. II y fuc recu comme chez un Chanoine , & trouva le vin fi bon, qu'il tint table jufqu'au foir affez tard, & ne revint a 1'hötellerie que pour fe coucher. Le lendemam matin quand il falluc partir, il dit au Duc qu'il ne pouvoit pas avoir 1'honneur de 1'accompagner plus loin; qu'il avoit trouvé fur la table de fon ami le Chanoine, un-vieux Plut/iroue, dans lequel, a Pouverture du livre, il avoit lu : Qui [uit les Grands, [erf'devient. Le Duc eut beau lui dire qu'il le regardoit comme fon ami ; qu'il feroit "chez lui le maitre; qu'il y vivroit en toute liberté ; qu'il n'éprouveroit abfolument aucune forte de contrainte, il n'en put rien tirer que ces paroles: P l u t a r gu b Va dit; cela we vient pas de moi : ce n'efl pas ma faute; maisPlutarque a raifon. Le Duc partit feul, & Chapelle revint a Paris. Tome II, FS  |»9 Mémoires anecdoter Les écsrts que Ie vin caufoic fréquerament a Chapelle, sffligeoient fes véritables amis; ils écoient même, en quelque forte, indignés de ce qu'il profïituoit fi iouvenc les agréments de fa converfation a des gens peu faits pour en jouir, & qui n'avoienc pour lui d'autre mérite que de bien boire. Molière avoic en vain épuifé toutes les refïburces de leloquence & de 1'amitié, pour le retirer de cette efpece de crapule; d'autres avoient échoué de même. Defpréaux fe flatta d'être plus heureux. Quelques jours après une aventure d'éclat, il rencomra Chapelle dans la rue; &, lui voyant Fair un peu confus, il crut le moment de fa converfion enfin arrivé. La franchife la plus cordiale, mife en oeuvre par Peftime & i'amitié , dicïa fur le champ a Defpréaux tout ce qui pouvoit faire renIrer Chapelle en lui-même. Celui-ci, touché jufqu'aux larmes , s'écrie que „ c'en eft fait, & qu'il veut tont de bon „ fe corriger ". Defpréaux 1'embrafTe ovec joie. Jefens, continua Chapelle, combïen vous avez raifon. Jlchevez , mon cher ami, de me perfuader; mais entrons ici, vous parlerez plus a votre aife. II 1'entraine dans un cabaret voiiin. On apporte ene bouteille, ils boi*  Se Louis XIV & de Louis XV. 171venc chacun un coup. Defpréaux parle, Chapelle applaudk. La bouceille fe vuide; elle eit fuivie de quelques autres. Enfin , Defpréaux , repréfentant avee force a fon ami ls tort qu'il fe faifoir, par fa honteufe paflion pour ie vin ; Chapelle, le remerciant, & proteftanc fans ceffe de ne plus boire; mais tous deux buvant toujours d'autant, ils s'enivrerent fi bien , qu'il fallut les reporter chez eux. Après ce coup d'effai , Defpréaux jura folemnellement de ne plus travailler a la converfion de Chapelle , qui mourut fans que fon amour pour le vin eut fouffert aucune diminution. Un jour Molière défia Chapelle de faire quelque chofe que 1'on put rifquer fur leThéatre. Chapelle accepte le défi, demande un fujet, & s'engage a le traiter. Molière lui propofe le Tartufe, auquel il travailloit alors; lui communiqué fon plan, & 1'exhorte a le remplir. Chapelle y mit le temps qu'il voulut; & 1'ouvrage fait, il fe hata de Ie porter a Molière. Ce h'étoit rien moiris qu'une Comédie : toutes les fcenes étoient comme autant de petits ouvrages'fénarés, oü 1'efprit étoit prodigué, * H ij  172 Mémoires anecdotes mais oit prefque rien ne cendoit a 1'ae- tion de la piece. C'étoit, a le bien prendre, des recueils d'épigrammes & de bons mots affez ingénieufement coufus ; & Chnpelle fut forcé de convenir lui-même qu'il n'avoit aucun talent pour le Thédtre. II auroic pu s'en douter , fur l'effai qu'il c-n avoit déja fait. Lorfque Molière travailloit a la Comédie des Fdcheux, les ordres du Roi le preffant de finir, il engagea Chapelle a lui faire la fcene de Caritidès. Chapelle ne fit rien que de très-froid, & 1'on n'y trouva pas même un mot plaifant qui mériiat d etre confervé. Le bruit cependant couroit dans le public, que Chapelle aidoit beaucoup Molière dans la compofition de fes Pieces, & Chapelle ne laiflbit pas d'en tirer vanité. Molière, juftement piqué, lui fit dire par Defpréaux, qu'il eut a faire celfer de pareils bruits; finon , qu'il le forceroit de montrer a tout le monde la miférable fcene de Caritidès. Chapelle fe trouvoit a diner chez un de fes amis a cóté d'un petit Marquis, affez refièmblant a ceux que Molière a fi bien joués dans fes Comédies. Ce Marquis x qui foupgoimoit Ch*?*'  de Louis XIV& de Louis XV. 173 pelle de 1'avoir chanfonné, s'étoic mis exprès a cöté de lui , pour avoir 00 cafion de Fincommoder. II fit tomber la converfation fur les vers fatyriques contre les gens de qualité; il dit que s'il connoiffoit quelques-uns des Auteurs , il les roueroit de coups de bdton : il revint plufieurs fois a la charge, hauiTant le ton, gefficulant beaucoup, remuant fans ceffè, & gênant de plus en plus Chapelle, Thomme du monde qui aimoit le plus fes aifes. Ennuyé des propos, fatigué de Fimportunité du Marquis, Chapelle n'y pouvant plus tenir, fe leve avec précipitation, & lui dit, en préfentant le dos : Frappe, & va-t-en. Le Marquis, confondu par cette faillie, baiffe la voix, éloigne fon fiege, & comble Chapelle de politelfes. H lij  '74 Mèmwts an eed at ex JEAN RACINE (r> Au milieu des études férieufes, dont en occupoit 1'enfance de Racine a PortRoyal-des-Champs, le Roman grec desAmours de Thtagene & de Caricïée, 'lui tomba par hafard entre les mains. Il Ie dévoroit, lorfque le Sacriliin Claude Lancekt, qui le furprit dans cette Iecture, luiarracha le livre, & le jetta au feu. Le jeune Racine trouva le moyen «Ten avoir un autre exemplaire, qui eut le même fort. Enfin, il s'en procura un iroifieme; & pour n'en plus craindre Ia privation, il 1'apprit par coeur, & Ie porta enfuite au Sacriflain, en difant ï Vius pouvez encore brüler celtd-ci comme les autres. La Tragédie d'Alexandre fut repréfentée, le 15 Décembre 1665, fur le Théatre de Molière; elle n'y eut aucun fuccès. Racine, mécontentdujeu de cette Troupe , lui attribua la chüte de fa (0 Né en 1639, mort en 1695,  de Louis XIF & de Louis XV. ï 7 5 piece; il la retira pour la donner aux Comédiensdel'Hötel de Bourgogne. Ce parti que prit Racine, fut caufe que Mademoifelle Duparc, la meilleure Actrice du Théatre de Monfieur, le quitta pour palier fur le Théatre de lTIötel de Bourgogne; ce qui mortifia Molière, & fur, entre lui & Racine, la fource d'un refroidifTemenc, qui dura toujours, quoiqu'ils fe rendifient mutuellement juftice fur leurs Ouvrages. La pafllon de Racine pour Mademoifelle de Champmêlé fe foutint aflez longtemps; on a dit cependant qu'elle écoutoit toujours les galanteries des differents Seigneurs qu'elle féduifoit par fes talents, Sans doute que les infidélkés de cette Aftrice ne furent point d'abord connues de Racine; comme elle revenoit toujours h lui, lorfqu'elle n'avoit plus occafion de lui manquer, il fe crut peut-être plus aimé qu'il ne 1'étoit réellement. Cette illufion ceffa. Le Comte deClermont-Tonnerre réuffic a la détacher entiérement de Racine; ce qui fit dire qu'un tonnerre Vavoit déracinée. On prétend qu'il fut tellement afïïigé de cette féparation, qu'elle contribua en partie a le (Jégoiuer du Théatre. H IV!  *7Ó Mémoires anecdoüt . Subligny, Auteur qui n'eft connn aui jourd hui que par les critiques qu'il fi> contre Racine, mie au jour une Comédie,' qui n étoit qu'une fatyre tfAndromaque* Cette mauvaife Comédie fut jouée avec quelque fuccès par Ia Troupe du Roi • elle fut, en France, 1'origine de ce genre xnalheureux , qu'on appel le Parodie. Ce Subligny eut une rille, qui fut la premiere Danfeufe de 1'Opéra ;. caf auparavant, c'étoient des hommes déguilés r qui, en danfanc, repréfentoienc les fem* mes. La Comédie des Plaideurs eut un grand fuccès a la Cour Louis XIV y tit de grands éclacs de rire. On faic que le début de cette Piece avoit été moins heureux a Paris. A leur retour de SaintGermain , les Comédiens vinrent annoncer a 1'Auteur ee fuccès inefpéré. Racine logeoit a 1'hótel des Urfins; U étoit minuit alors. Trois carroffes a cette heure, dans uue rue oü 1'on n'en avoic jamais tant vus, réveillerent tous les voilias: on fe mie aux fenêtres; & comme cn vic que ces carroffes étoient arrêtésa la porte de Racine, on ne douta point qu'on ne vint 1'enlever pour avoir mal parlé des Magiftrats dans fa Comédie,  de Louis XIV & de Louis XV. J 7 7 Le lendemain, touc Paris le crue a Ja Conciergerie. Pendant que tous les amis de Racine vantoient 1'art avec lequel il avoir traité un fujet auffi fimple que celui de Bérénice , Chapelle gardoic le filence. Racine lui dit: Avouez-moi, en ami, vertre fentiment; que penfez-vous de Bérénke?—Ce que jen penfe, répondic Chapelle ? Marionpleure, Marion crie, Marion veut qu'on la mark. Cette plaifanterie affligea beaucoup Racine; & rien ne prouve mieux qu'il portoit Ia ienfibilité jufqu'a la foihlelfe. On venoit de donner pour petite Piece, a la fuite d'Andromaque, Ia Comédie des Plaideürs. Un vieux Financier qui croyoit que ces deux Pieces n'en faifoient qu'une, voulut témoigner a Racine le plaifir qu'il avoit eu a leur repréfencation: Je fuis, Monfieur, lui difoitil, on ne peut pas plus content de votre Andromaque; cefl une folk Piece; je fuis 'féulement éionné qu'elle finiffe fi gakment. J'avois d"abord eu envie de pleurer, mais la yue des petits chiens m'a fait beaucoup rire. - La Phsdre de Racine fut repféJerjrt'ée' H r  ?l?8 Mémoires antcdotts pour la première fois, fur le Théatre de 1'Höcel de Bourgogne, Ie premier JanVier 1677; celle de Pradon, le troifiefne du même mois, fur le Théatre de la fue Guénégaur. La Tiagédie de Racine tfeuc qu'un fuccès fort équivoque, & la Piece de Pradon fut portée jufqu'aux Tnues. Ce fut 1'effet des précautions que prirent les perfonnes attachées au parti de Madame la Ducheffc de Bouillon. Elles flrent retenir toutes les premières loges des deux Théatres, pour cette repréfentation & les cinq fuivantes; & afin d'empêcher les partifans de Racine de prévaloir contre la cabale qui lui étoit oppofée, elles laifièrent vuides toutes les premières loges du Théatre de 1'Hötel de Bourgogne. Cette rufe leur coüta plus de quinze mille livres; mais elle produifit 1'effet qu'elles s'en étoient promis, celui daffurer a Pradon le plus grand concours. Madame Deskoulieres qui avoit affifté a la première repréfentation de la Phedre de Racine, publia un Sonnet dans lequel elle effaya de ridiculifer les beautés les plus remarquables de cette Tragédie. Ce Sonnet fut, dit-on, compofé dans un fouper qu'elle donna, au fortir de cette  de Louis XIV& de Louis XV. i7,9 Piece, a Pradon & a quelques perfonn.es qui lui écoient affeétionnées. Voici le Sonnej. Dans un fauteuil doré, Pkeire, tremelante _& blême , Dit des vers oü d'abord perfonne n'entend rign. Sa Nourrice lui fait un fermon fort Chrétien, Contre 1'affreux deffein d'attenter fur foi-mêjras. Hippolyte la hait prefqu'nutant qu'elle l'aime. Rien ne change fon coeur, ni fon chafte mainjjgn. La Nourrice 1'accufe-, elle s'en punit bieu. Théfit a pour fon fils une rigueur extréme. Une groffe Aricie , au teint rouge, aux .cijns blonds (1), N'eft-la que pour morttrer deux énormes tetons , Que, malgré fa froideur, Hippolyti idolatre. I! meurt enfin, trainé par fes courfïers ingrats; Et Phedre , après avoir pris de la mort-aux-rats , Vient, en fe confeflant, mourir fur le Théatre. Cette critique fut bientót répandue dans Paris. Le lendemain au raatin 1'Abbé de Tallemant 1'ainé en apporta une c&pie a Madame Deshonlieres; elle la recut comme une nouveauté, & publispar-tout qu'elle la tenoit dc cet Acadércicien. Un pareil trait ne fait pas 1'éloge (1) C'étoit Mademoifelle A'f.nneiaut, qui éttlt Monde & grafie, msis très-jolie. H 4  l8o Mémoires anesdotn de cette Dame. Les amis de Racifie foupeonnerent M. le Duc de Nevers d'dtre I auteur du Sonnet, & lui répondit rent ainfi ; Dans un palais doré, Damon,. jafoux & blême t Fait des vers on jamais perfonne n'entend rien» 11 n'eft ni Courtifan, ni Guerrier, niChrétien, Et fouvent pour rimer, il s'enferine lui-même. La Mufe, par raalheur-, le haii autant qu'il l'aime, 1! a d'un franc Poëte & 1'air & le maintico. II veutjugerde tout, & n'en juge.pas bien. II a pour le phébus une tendreffe extréme. UneSceur vagabonde (i), aux crins plus noitsque blonds, Va par tout 1'univers promener deux tetons». Dont, maïgre fon pays, Damon.eft idolatre. Ilfe tuea rimer pour des Lecleurs ingrats. t'Enéide, a fon goüt, eft de la mort-aux rats: It, felon lui, Pradon eft le Pvoi du Théatre. Le Duc de Nevers fut owré des perfonnalités renfermées dans cette Piece. II 1'attribuoit a Rac ine & a Defpréaux, & il les fit menacer de toute fon indignation. II n'en falloit pas tant pour effrayer (i) Horunce Mancini, époufe d'Armancl-CliarJ.es. it- ia Pent, Duc de la Meiljera.e,  de Louis XIV & de Louis XV. i U les deux Poëtes; auffi s'empreflerent-ils de déclarer qu'ils n'avoient aucune pare au Sonnet. C'étoic en effet le Chevalier de Nantouillet, le Comte de Fiefque, les Marquis de Manicamp & d'Èffi'at, & M. de Guilleragues, qui 1'avoienc compofé en commun. Cependant pour ralïurer Defpréaux & Racine,M. le Duc Henri-Jules les invita a- venir fe réfugier auprès du Grand Condé, fon pere. Si vous n'ayez pas fait le Sonnet, venez, leur difoit-il, a Vhêtel de Condé, ou M. le Prince faura Men vous garantir de ces menaces.... Si vous Tavez fait, vencz auffi d l''hotel de Condé, & M> le Prince vous prendra de. même fous fa prote&ion, paree que le Sonnet efi tres plaifant. Ces menaces n'eurenc point de fuite , paree que M. Ie Prince réconcilia nos deux Poëtes avec le Duc de Nevers. La Tragédie de Phedre eft la feule Piece de Racine ou la pafllon de 1'amour foit peinte avec toutes les füreurs tragiques dont elle efi fufceptible; encore y eft-elle défigurée par la froide intrigue d'Mippolyte & d^Aricie. Quand Arnauld. reprocha cet épifode \ 1'Auteur, en lui difanc: Pourquoi eet Hippolyte emóürzux? Racine qui fentoic ce défaut 2'j(h  i.Ss Mémoires anecdotts bien que lui, fe contenta de répondre * Eh ! Monfieur , fans cela qttauroient dit les Petits-Maltres? Dès que Racine eut renoncé au Théatre, il fongea férieufement a fe réconeiber avec Meflieurs de Port-Royal. M SStcole étoit celui qui avoic plus de raiJon de fe plaindre, il fut auffi le plusaifé èramener. M. Arnauld ne lui pardonna jamais bien fincérement les plaifanteries dont Angélique Arnauld, fa fceur, avoic ete lobjet. Racine eut a peine recouvré Tamitiê de fes anciens Maitres, qu'il fe brouilla avec Corneille ,• & voici a quelle occalion. Ce dernier avoit ofé dire en pleine Académie, qu'il nemanquoic au Germantcus de Bourfault que le nom de Racine, pour être une Piece achevée. Celui-ci s'offenfa avec raifon de ce difcours: mais il eut bïentöt autant de tort que Corneille, en ce qu'il repouffa ce trait de fatyre détournée, par des paroles injuneufes & piquantes qui n'auroient pas du lui échapper. Depuis ce temps il y eut entre eux un refroidiiTement qui n'a Sni qu'avec la vie. 'L'exïréme fenfibilité de Racine sVteir-  de Louis XIV & de Louis XV. 183 doic a tout. On repréfentoit Eflher a Siint-Cyr : 1'Aétrice qui faifoit le Röle ó'Elife fut trompée par fa mémoire : Ah, Mademoifelle ! s'écria Racine, quel iort vous fakes d ma Piece ! Les larmes qu'arracha a cette jeune perfonne une réprimande auffi prompte, ne permirent pas a Racine d etre infenfible a ces pleurs; mais il n'en parut pas moins qu'il pardonnoit difficilement tout ce qui pouvok fervir a humüier fon amour-propre. Un jeune Régent du College de Louis le Grand fe propoia d'examiner, dans un Difcours qu'il prononca a la rentree des Galles, fi Racine étoit Poëte ou Chrétien : Racinius an Chriflianus aH Poëta? Etil décida que cet illuftre Tnagique n'étoit ni 1'un ni 1'autre, Nee Chriftianus nee Poëta. C'étoit une fottifequi ne méritoit pas la moindre attention ; mais remprefiement des Jéfuites de défavouer leur Confrère, prouve inconteftablement qu'iis étoient tous perfuadés qu'il n'étoit pas homme a fouffrir patietnment un pareil outrage. Louis XIV aimoit beaucoup a 1'eniendre lire , paree qu'il lui trouvoit ut^ talent fingulier pour faire fentir les beau-  184 Memoires amtdotes tés d'un Ouvrage. II dit a Racine de lui chercher quelque Livre propre a l'amufer pendant une indifpofition qui i'obligeoit h fe tenir au Iir. Racine lui propofa les Vies de Plutarque. Cefi du gaulois, dit le Roi. Racine fubftitua fi habilemen* les mots en ufage a ceux qui étoient vieillis, que Louis"XIV pric ie plus grand plaifir a cette lecture. Dans une autre occafion, il lut a Auteuil, devant Boileau, M. Nicole & quelques autres de fes amis, Yfödipe de Sophocle qu'il traduifoit fur ie champ. f&i vu, dicM. de Valincourt, nos meilkures Pieces repréfentées par nos meilkurs Atleurs; rien rfa jamais approché du treuble oü me yetta dans cette occafion le récit dti Poëte. C'étoit en fe promenant que Racine mettoit fes Tragédies en vers. Le même M. de Valincourt prétend qu'il les récitoit a haute voix, & que lenthoufiafme avec lequel il les prononcoit, raffembla un jour autour de lui les Ouvriers qui travailloient aux Tuileries, & qui s'iraa* ginerent, aux geiles qu'il faifoit, & aux mouvement-s qu'il fe donnoit, que e'éicic un homme au défefboir, qui alipii fe jetcer dans fe br.ffin/  deLouis XIV & de Louis XV. 185 Dès que Racine eut renoncé au Théa"tre, il n'alla plus aux Spectacles; il ne parloit jamais dans fa familie, ni de Tragédie, ni de Comédie; & une remarque bien flnguliere, c'eft que Madame Racine ne connoiflbic les chef-d'eeuvres de fon mari, ni par la repréfentation, ni par Ja lefture. L'indifférence de cette Dame pour les graces qu'il recevoit de Louis XIV eft tout aufïï inconcevable. Racine revenoit de Verfailles: Félicitez-moi. dit-il a fa femme en 1'abordant, volei une ïwurfe de mille louis que le Roi ma donnée. Elle étoic alors mécontente d'un de fes enfants, qui n'avoit pas voulu étudier depuis deux jours; au-lieu de témoigner a Racine la part qu'elle prenoiï a fon contentement, elle le preffa de faire une réprimande a fon fils. Une autre fois, dit Racine, nous en parierons; livrons-nous aujourd'hui d notre jots. Elle inüfla. Quelle infenfibilüé ! difoir Boileau. Un jour que Racine revenoit de Verfailles pour diner avec fa familie , un Ecuyer de M. le Duc vint 1'avértir que ce Prince 1'attendoit a 1'hótel deCondé : Je riaurai pas Vhonneur dy alkr ., rcpondit-ü; ié y a plus de huit jours que  i86 Mémoires anecdotes je ti ai vu ma femme & mes enfants; ils fe font une fête de manger avec moi une tres belle carpe, je nepuis me dif penfer de diner avec eux. L'Ecuyer lui repréfenta que M. leDuc feroit mortifié de ce refus, paree qn'il avoic chez lui une très-brillance compagnie. Racine tic alors apporcer la carpe, qui étoit efftftivement fuperbe : Jugezvous-mëme, lui dit-il, fi je puis me difpenfer de diner avec mes pauvres enfants, qui ont voulu me régaler aujourdliui, <§? qui n"auroient plus de plaifir slis mangeoient ce plat fans moi. je vous prie de faire valoir cette raifon auprès de Son Alteffe Séréniffime. Le plus grand défaut de Racine étoit un penchant invincible k la raillerie , & même a la raillerie la plus amere. Auffi Defpréaux répondoit-il k ceux qui Ie trouvoient trop malin : Racine ïejl bien plus que moi. Leurs amis communs, tels que Molière, Chapelle, &c., fe défioienc plus du premier que du fecond, qu'ils trouvoienc feulemenc trop vif & trop emporté. Quelqu'un s'étonnoit un jour devant Racine, de ce que la Judith de Boyer  de Louis XIV & de LouisXV. 187 rfavoit pas écé fifflée lors de la première repréfentation : Les ftfflets, die Racine, étoient h Verfailles aux Serfnons de VAbbé Boileau. Defpréaux lui-même ne trouvoit pas grace auprès de' fon ami, quand il lui échappoir quelque chofe qui donnoii prife au farcafme. Un jour qu'il avoit avancé a 1'Académie des Infcriptions une propofition ou faulïe ou ridicule, Racine ne s'en tint pas a une fimple plaifanterie ; il revint a la charge fi fouvenr, que Defpréaux perdic patience, & s'écria : Hé bien, oui,fai tort; mais ƒ'aime mieux avoir tort que i'avoir orgueilkufement raifon. Ce grand Poëte avoit la foiblefle de vouloir paffer pour courtifan, mais cette petite fcience lui étoic inconnue , & il n'y entendoit rien. Louis XIV Ie voyant un jour a la promenade avec M. de Cavoye :„ Voila, dit-il, deux „ hommes que je vois fouvent enfem„ ble-, j'en devine la raifon : Cavoye „ avec Racine fe croit bel-efprit: Ra„ cine avec Cavoye fe croit courtifan ". Racine jouitToit auprès de Madame de  i88 Mémoires anudotes Maintenon de la plus grande confidération. II avoic fouvent 1'honneur de s'entrecenir avec elle, & c'écoic dans ces encretiens qu'il lui lifoic l'Hiftoire de Louis XIV, a proportion qu'il 1'avancoic. Des exploics du Roi on en vint un jour a 1'examen de fon adminiitration. L'Etac épuifé par les guerres ne préfentoic par-couc qu'une furface ftérile oü régnoient la défolation, la mifere. & le découragemenc. Racine en traca un tableau fort animé. Madame de Maintenon ne put fe défendre d'y paroitre fenfible : il crut que c'écoic le moment de hafarder les vues de réforme qu'il avoic imaginées. II fe laifla perfuader de les mectre par écric. Plein de confiance en fes idéés, il porce a Madame de Maintenon le Mémoirë qu'elle lui avoic faic faire. Elle commencoic a peine a lire ceMémoire, que le Roi encra. Le fecret étoit difficile a garder dans cette occafion : Madame de Maintenon ne puc fe défendre d'avouer. la part que Racine avoit a cet ouvrage. Quelque louable que füt le zele qui le lui avoit fait entreprendre, Louis XIV le défapprouva. Paree qiïil fait faire parfaitement des vers, croit - il tout favoir ? Et paree qttil eft grand PeUte, neut-U être Mi-  ie Louis XIV & de Louis XV. i g f tïifïre? On rapporta a Racine ce que le Roi avoic die a la vue de fon Mémoire. La craince qu'il euc d'avoir déplu a Louis XIV lui caufa un fi grand chagrin, qu'il en comba malade. Madame de Maincenon le prévinc en même - temps de ne plus venir la voir qu'elle ne le ficavercir. Dès ce moment, fa difgrace lui parus fans remede. Dans' cecte circonfhnce, les Charges de Secretaires du Roi furent toutes fbumifes a une augmentation de finance: Racine qui s'étoit mis fort a 1'étroit pour schever le payement de la fienne, ne fe trouva pas en état de payer cette nouvelle contribution. II voulut recourir. aux bontés du Roi qui, en 1685, lui avoit fait reflituer une fomme de quatre mille livres de caxe nouvelle, qu'il avoic payée pour la Charge de Tréforier de France au Bureau des Finances de Moulins. Le Mémoire qu'il adrefia au Roi, lui fuc préfencé par quelques amis qui écoienc en faveur. Le Roi répondic: „ Cela ne fe peur; s'il fe trou,, ve dans la fuite quelque occafion de „ le dédommager, j'en ferai fort aife". L'extrême feniibilité de Racine avoit tout gacé; fon impatience aggrava fon  u$o Mémoires Sneedotes, infortune. Madame de Maintenon avoiï la plus grande envie de lui parler; mais comme elle ne pouvoit pas le recevoir chez elle, elle avoit été obligée d'attendre que le temps amenac 1'occafion de 1'entretenir. Elle trouva un jour Racine dans le Pare de Verfailles: Que craignezvous, lui dit elle ? c'eft mol qui fuis la caufe de votre malheur : il eft de mon intérêt & de mon honneur de réparer ce que fai fait : votre fortune devient la mieune : laiffcz paffèr ce nuage, je ramenerai le beau temps. — Non, non, Madame, lui répondit Racine, vous ne le ramenerez jamais pour moi... — Et pourquoi, reprit-elle, avez vous unepareille penfée? Doutez-vous de mon cceur & de mon crédit? — Je fais, Madame, lui répondit-il, quel eft votre crédit , & je fais quelles bontés vous avez pour moi; mais fai une tante qui m'aime d'une fagon bien differente que vous: cette fainte fille demande tous les jours è Dieu pour moi des difgraces, des humiliations, des fujets de pénitence; elle aura plus de crédit que vous. Dans Ie moment lebruit d'une calèche les interrompit. Ceft le Roi .'s'écria Madame de Maintenon ; cachez-vous. Racine fefauva dans un bofquet.  itLom XH'c- AtLouhXir. iqi Racine confcrva toujours une amitié tendre pour Boileau. Dans fa derniere maladie , il lui dit en 1'embrafTant: Jere,v c-rdc comme un bonheur pour moi ,> dc mourir avant vous". Ii §n èmemé a Port - Royal - desChamps, ainfi qu'il 1'avoit demandé par fon tefhment; mais comme il avoit toujours cherché a fe rendre agréable a Louis XIV qui ne regardoit pas d'un ceil favorable 1'Abbaye de Port-Royal, quelques perfonnes de la Cour s'entretenant du lieu oü Racine avoit voulu être enterré, un Seigneur connu par fes bons mots, dit a ce fujet: Racine n'eiU pas ofé le faire de fon vivant. Après la mort de Racine, Louis XIV fe reflbuvint de la promefle qu'il avoic faite de le dédommager d'une grace qu'il n'avoit pu luiaccorder. Dès que ceMonarque fe vit dans 1'impoflibilité de lui tenir parole, il crut ne pouvoir mieux s'acquitter qu'en accordant a fa veuva une penfion de deux mille livres réverfib!e fur le dernier de fes enfants. Ainfi le plus grand des Rois s'emprefla toujours d^honorer par fes bienfaits la mémoire d'un Poëte qui fera dans tous les fiecles  102 Mémoires aneccïotes la gloire & 1'ornement de la Nacion Frsiï» eoife. Ségrais a prétendu que cetce maxima de la Rochefoucault : C'eft une grande pauvreté de n'avoir qu'une forte d''efprit, fut écrite pour Defpréaux & Racine, donc toutes les converfacions rouloienr fur la littéracure, & fur la Poéfie en particulier. Ceci peuc être vrai de Boileau, qui aimoit h parler de fes Ouvrages; mais Racine,jaloux deplaire dans la fociété, favoit que le grand fecret d'y réuffir eft de faire en forte que les autres foient encore plus contents d'eux-mêmes que de nous. C'eft ce qui lui faifoit dire a fes enfants: „ Ne croyez pas que ce foient „ mes Pieces qui m'attirent les careffes „ des Grands. Corneille fait des Vers „ cent fois plus beaux que les miens, „ & cependant beaucoup de gens le né„ gligenc; onne l'aime que dans la bou„ che de fes Aéteurs : au-lieu que fans „ fatiguer les gens du monde du récit „ de mes Ouvrages, dont je ne leur „ parle jamais, je les entretiens de chofes „ qui leur plaifent. Mon talent avec eux „ n'eft pas de leur faire fentir que j'ai „ de 1'efprit, mais de leur apprendre qu'ils en onc". Santevil  9e Louis XIV&de Louis XV. 193 S A N T E U I L (1). Avant de chancer !es Myfteres der Chriftianifme, Santeuil avoic célébré la gloire de quelques grands Hommes, & enrichi Ia ville de Paris d'un grand nombre d'Infcripcions. Ce fut BolTuec qui engagea le Poëte Vidtorin a quitcer les Mufes profanes pour fe confacrer aux chants de 1'Eglife : cependanc il fit encore un Poëtne ou les Dieux du Paganifme jouoienc le principal róle. BofTuet, a qui il avoic promis de ne plus nommer dans fes vers les Divinités de Ia Fable, le traita de parjure. Santeuil, fenfible a ce reproche, s'en excufa dans une piece, a la tête de laquelle il fit mettre une vignette oü il étoit repréfenté a genoux, la corde au cou & une torche a la main, faifanc amende honorable a la porte de 1'Eglife de Meaux. Boffuet fe contenta de cette fatisfaclion. Les Jéfuites ne furent pas fi faciles a (i) Né en 1630, mort en 1697. Tome IL X  it)4 Mémoires antcdotes ealmer ; ils ne lui pardonnoienc pas 1'Epitaphe qu'il avoit compofée pour M. Arnaud. En vain adrefla-t-il au Pere jouvenci une lettre, dans laquelle il prodiguoit les plus grands éloges a Ia Société. Comme il ne rétraétoit pas ceux qu'il avoit donnés a leur plus grand ènnemi, cette démarche ne fervit qu'a faire connoïtre la légéreté du Poëce. Le Pere Commre donna fon Linguarium ; un ennemi des Jéfuites ne 1'épargna pas davantage dans fon Santolius pcenitens; & le Poëte de Saint - Victor fervit de preuve a cette vérité, qu'en voulant fe ménager deux partis oppofés, il arrivé qu'on déplait a tous les deux. Santeuil ne fut jamais que fous-Diacre : cela ne 1'empêcha pas de vouloir prêcher dans une occalion oü 1'on manquoit de tout autre Prédicateur; mais a peine fut - il monté en chaire, qu'il perdit fon fujet de vue : il fut obligé de defcendre. En feretirant, il apoftropha ajnfi fon Auditoire : „ J'avois encore „ bien des chofes a vous dire; mais il eft „ inutile de vous prêcher davantage, M vous n'en deviendrez pas meilleurs". Santeuil fit un jour des vers pour uq  de LouisXIV & de Louis XV. 195 écolier. L'enfant lui demanda 9 qui il avoit cette obligation ; le Viclorin répondit : „ Si on te le demahde , tü „ n'as qu' K v  ss6 Mémoires mucdotet me. Les vrais motifs de fa détention furent d'abord un feeree entre Ia ReineMere, le Cardinal Mazarin, Monfieur, & 1'Abbé de la Riviere fon favori. On apprit enfin que le crime de Saujeon étoit d'avoir voulu marier Mademoifelte a 1'Archiduc, avec qui on étoit alors en guerre. II avoit eu des intelligences avec un bourgeois de Fur nes, & ce bourgeois en avoit eu avec une perfonne de qualité qui étoit a la Cour de ce Prince ; mais, foit du confentement de fon maïtre, feie comme efpion payé pour la trabir, cette perfonne avertit Ie Cardinal de la négociation. La Reine rrouva que Mademoifelle étoit coupable, & en paria a Monfieur avec tant de reffentiment, qu'il n'ofa pas excufer la Princelfe fa fille. Mademoifelle fut appellée au Confeil, oü la Reine lui reprocba d'avoir des intelligences avec les ennemis de 1'Etat, & d'avoir manqué au refpeér qu'elle lui devoit, ainfi qu*a M. Ie Duc d'Orléans, en fongeant a fe marier fans leur permiffion. Monfieur fe montra encore plus courroucé. Mademoifelle foutinc hardiment qu'elle n'avoit rien Xu de cette négociation, & prit de-Ik occafion de reprocher a Monfieur fon pere de n "avoir pas voulu la marier a 1'Empereur, & de  de Louis XIV & de Louis XV. zz? I'abandonner dans une circonftance oü fa gloire étoic injuflement attaquée. Elle fortit du cabinet de la Reine avec des yeux oü il y avoic plus de colere que de repentir. Le lendemain, 1'Abbé de la Riviere 1'alla crouver de la pare de fon maïcre, pour lui défendre de voir qui que ce fut avanc d'avoir. faic 1'aveu de touc ce qu'elle favoic de cette affaire. Mademoifelle demeura ferme dans la négative, & ce ne fut pas fans éprouver un déplaifir bien fenfible, de ce qu'on lui enlcvoic celle de fes femmes qu'elle aimoic le mieux, & qu'on foupconnoic de lui avoir ménagé de longues converfations avec Saujeon. Enfin, Mademoifelle fe laffa de cette efpecedecaptivité, &, fans rien avouer de fes intrigues avec ce Gentilhomme, elle fit prier le Cacdinal de travailler a la remettre biendans Fefprit de la Reine ;on prefik Monfieur de lui pardonner , & 1'Abbé de Ia Riviere vint lui porter quelques paroles de douceur, qu'il accompagna de refpeéfueufes réprimandes fur fa conduite. Le même jour cette Princefle vint voir la Reine, qui Ia recut affez froidement. Elle flnitpar lui dire qu'elle devoit croire fa faute très-grave, puifqu'elle la voyoit défapprouvée par un auÉ bon pere que K vj  228 Mémoires anecdotet ' !e fien, & par elle, qui 1'avoic toujours trauée comme fa propre fllle. Enfin ,1apaix fe fit enriéremenc, par une vifite que Mademoifelle eut la permifïïon de rendre a Monfieur le Duc d'Orléans, qui I'aimoit tendrement, & qui attendoic avec impatknce le moment de le lui témoigner. Saujeon en fut quitte pour quelques femaines de prifon a Pierreen-Cife, d'oü il fortit le n Mai de cette même année, Lorfque Gafton, Duc d'Orléans (i), appnt la nouvelle de la décention des Pnnces de Condé, de Conti & du Duc de Longueville : Voila, dit Son Altefïè Royale, un beau coup de filet; on vient de prendre un lion, un finge & un renard. Gafton avoic Pefprit vif, & nous avons de fes reparties & de fes bons mots qui valent ceux de Henri IV. Soubife étant allé a la Rochelle faire* une vifite a la Dame de Rohan fa mere, le jour du combat entre les Francois & les Anglois a leur defcente' dans l'Ifle de Ré, Monfieur dit : Soubife obferve (0 Né «n 160S, mort en 1660.  de Louis XIV'& de Louis XV. 229 le Gomman dement de Dieu, Honora patremet matrem, UvivrU long- temps. On rapporte que Monfieur ayam rencontré la Reine (Anne d'Autriche) qui venoit de faire une neuvaine pour avoir desenfants, il lui dit en raillant: Mada~ me, vous venez de folliciter vos Juges contre moi :je confens que vous gagniez votre procés, fi le Roi a ajfez de crédit pour cela. Frangois de Gondi, Archevêque de Paris, mourut en 1654. Selon un ancien ufage , le lit du mort appartenoit de droit a 1'Hötel - Dieu. II y eut procés a ce fujet, entre 1'Höpital & les créanciers du Prélat. Le Parlement débouta ceux-ci de leurs oppofitions , & adjugea le lit avec tous fes accompagnements a 1'Hócel-Dieu. Ce fut, dit Saint-Foix, le lit de noces de la file d'un Ecopome. Le Duc d'Eperncn fe prévalant de I'envie que le Cardinal Mazarin avoit de faire époufer fa niece au Duc de Candaleion fils, demanda de tenirle rang de Prince ï la Cour, comme les Batards, de France,. & les Maifons de Savoie &  230 Mémoires anecdotes de Lorraine. Quoique cette prétention fut déraifonnable, & qu'il ne fut pas au pouvoir du Roi de lui accorder cette diftinétion , paree que les Princes ne' le fonc que par la feule naifiance; cependantle Cardinal, quineconnoilfoitpoinï les regies du Royaume , écouta cette propofkion, & Ie Prince de Condé en ayant ouï parler, demandi quele même avantage fut accordé a Ia Maifon de Bouillon. Le Prince de Conti follicita la même grace pour Ie Prince de Marjillac & la Maifon de la Rochefoucaulê. Ceux de la Maifon de Rohan qui avoient déja commencé d'enjouir, fe mirent auiïi fur lesrangs, & le Duc de la Tremsuilleh demanda avec le plus grand emprelfement. Quand ce bruit ié fut répandu a la Cour , tous les gens de qualité en furent offenfés, prétendant que cette difcinftion injurieufe étoit contre Fancierj ufage du Royaume. Pour empêcherque cela ne s'exécutat, Manicamp , SaintLuc, Saint-Maigrin & le Marquis de Cceuvrés, s'affemblerent avec le confenteroent de la Reine, & réfolurent d'engager tous leursamis afejoindre a eux. En effet, ils fe réunirent Ie lendemain au nombre de trente chez le Marquis de Montgtat, Miure de la Garde-rob?; ou y figna ur.e  de Louis XIV & de Louis XV. 231 afTociacion pour s'oppofer a cette nouveauté. Par le même écrit, toute la Noblefle du Royaume fut invitée a prendre part a une caufe fi jufte. Des Gentilshommes de toutes les Provinces du Royaume fe rendirent a Paris pour figner cette union. Le nombre en fut li grand, que la falie du Marquis de Montglat n'étant pas afièz fpacieufe pour contenir tant de monde, il fut réfolu qu'on s'aflembleroit déformais dans la maifon du Marquis de Sourdïs. II y fut arrêté qu'on députeroit aux Princes Batards de France, & a ceux de Lorraine & de Savoie, pour les fupplier de fe joindre a la Noblefie, puifqu'il étoit de leur intérêt que des particuliers ne s'élevaffent point a leur niveau. Les Princes fe trouverent chez le Duc de Vendöme pour recevoir la députation; & le lendemain ce Duc vint a 1'hötel de Sourdis afiurer la Nobleffe, de la part des Princes, de leur jonéfion avec elle. On députa auffi chez les Ducs &. Pairs, quipromirent de s'oppofer a 1'entreprife qu'aucun de leur Corps voudroit faire pour s'élever au - deffus des autres. Le Duc de Scbomberg en vinc donner parole aux Gentilshommes affemblés. Le Ciergé fut fapplié de s'af-  üja Mémoires anecdoier fembler exrraordinairement, & Jes Dépurés de la Noblefle allerent le prier de ne pas I'abandonner dans eette occafion. Le lendemain 1'Archevêque d'Embrun, de la Feuillade , vint offrir a la, NoblefTe union & fervice , avec aflurance que le Clergé fuivroit fon ancienne couttime, qui étoit de ne fe point féparer d'intérêcs d'avec elle. Cependant la Reine ayant appris que, dans cette affemblée compofée de plufieurs fortes d'efprits, il y en avoit qui parloientde la réformation de 1'Etat, elle réfolut,nefe fentant point afitz forte pour la rompre, d'y envoyer les Maréchaux de France pour y préfider, & empêcber qu'il ne s'y traitat d'aucune affaire contre fon autorité. Les Maréchaux d'Eftrées, de-, Schomberg, de VHGpital & de Villero§ s'y rendirent a ce deflèin; & après avoir afluré la Noblefle de la proteétion de leurs Majeftés, ils dirent qu'ils étoient venus de leur part pour conférer avec 1'afiemblée, & chercher les moyens de la fadsfaire. Comme 1'affluence étoit ligrande , qu'on ne pouvoit plus tenir dans cette falie, le Maréchal de 1'Hópital oflrit la fienne qui étoit beaucoup plus vafte; & le lendemain on s'y affembla. Les Maréchaux aflurerent la  de Louis XIV'&de Louis XV. 233 Compagnie, que la Reine n'accorderoit rang de Prince, qu'a ceux qui le tiendroient de ieur naifiance, & qu'elle en donnoit fa parole. Pour Pexécution & la füreté de cette promeiïè, Sa Majefté offroicun Brevet; mais PafTemblée inlifta d'abord fur une Déclararion vérifTée au Parlement. La Reine n'y voulut point confentir, difant que ce n'étoit pas a cette Compagnie a régler les honneurs da Louvre qui dépendoient uniquement de la, volonté du Roi. Quoique les Frondeurs, dont PafTemblée étoit compofée en grande partie, opinaflent toujours k la Déclaration, cependant les deux tiers desvoix furent a fe contenter du Brevet: aijif} PafTemblée fut rompue, & Pon nomina des Députés pour aller reraercier leurs Majeflés & Son AltefTe Royale Mle Duc d'Orléans. Le Cardinal auroit fort fouhaité, dans cette circonftance, les honneurs d'un pareil remerciment; mais cela n'avoit point été réfolu dsns 1'affèmblée, oü Pon n'auroit ofó le propofer a caufe des Frondeurs; cependant , quand tout le monde fut féparé, le Maréchal de Villeroy prit fur lui, avec quatre de fes amis, d'aller remercier Son Éminence au nom de la Nobleffe, qui n'étant plus affemblée, ne pouvoit pas le dé/A-  234 Mémoires anecdotes vouer. Le Cardinal les recut dans fon audience, & affeéta de les reconduire en grande cérémonie, comme s'ils euflènt été les vrais Députés de la Noblelfe. L'Abbé de la Riviere (i), depuis Evêque de Langres, légua, en mourant, cent écus h celui qui feroit fon Epitaphe. En voici deux des moins mauvai fes. Monfieur de Langres eft mort Teftateur Olographe, Et vous me promettez, fi j'en fais 1'Epitaphe, Les cent écus par lui légués k cet effet. Parbleu , 1'argent eft bon dans le fiecle oü nous ibmmes; Comptez toujours : Ci git le plus méchant des hommes. Payez : le voila fait. Ci git un très-grand perfonnage, Qui fut d'un illuftre lignage, Qui pofféda mille vertus , Qui ne trompa jamais , qui fut toujours fage : Je n'en dirai pas davantage, C'eft trop mentir pour cent , écus. Scarron (2) fut d'abord Abbé & Chanoine du Mans. Dans cetce Ville, com- (i) Mort en 1670. (i) Né en ióio , mprt en 1660.  êe Louis XIV & de Louis XV. 235 me dans plufieurs autres, le Carnaval finir. par une Foire & par des mafcarades publiques. L'Abbé Scarron voulut en être; & pour fauver la décence de fon état, il imagine de fe déguifer en Sauvage : en conféquence, il s'enduit de miel toutei les partiesdu corps, ouvre un lit de plumes , & s'y roule jufqu'a ce que le Sauvage foit bien empennê. Trois de fes amis en font autant, & 1'accompagnent a ia Foire dans ce grotefque équipage. Bientöt ces nouveaux mafques attirentl'attention de la foule; on les entoure, on les déplume, & Scarron finit par avoir plutót 1'air d'un Chanoine que d'un Américain. A ce fpeétacle, le peuple eft indigné, & crie au fcandale. Les quatre mafques fe dégagent enfin de la foule, & pourfuivis, dégouttants de miel & d'eau, par-tout relancés, ils trouvent un pont, le fautent héroïquement, & vone fe cacher dans les rofeaux de la Sarte, Bientöt leurs feux s'amortifiènt. Un froid glagant pénetre leurs veines; une lymphe acre fe jecte fur leurs nerfs & fe joue de toute la fcience des Médecins. Les trois camarades du jeune Abbé périflènt des fuites de cette aventure. Scarron nt> leur furvit que pour être un abrégé de toutes les miferes huraaines.  t$6 Mémoires anecdotes Scarron étant encore Abbé, fut préfenté a la Reine Anne d'Autriche, & lui demanda la permiffion d'être fon malade en citre d'office. La Reine fourit, & ce fouris fut un Brevet; en conféquence, il obtint une penfion de cinq cents écus; mais comme cette penfion n'étoit pas exaétsmem payée, Scarron follicitoit une Abbaye : on lui répondit qu'il étoit hors d'état de faire aucun fervice. „ Hé bien, dit-il, qu'on me donne un ,„ Bénéfice fimple, mais fi fimple, qu'il „ ne faille que croire en Dieu pour le ,, deflèrvir ". Un bon Religieux perfuadé que les fouffrances font des faveurs du Ciel, dit un jour a Scarron :„ Je me réjouis avec „ vous, Monfieur, de ce que le bon „ Dieu vous vifite plus fouvent qu'un 5, autre". Eh! mon Pere, répondit Scarron, le bon Dieu me fait trop ihonweur. Scarron prés d'expirer, voyant fes pa» rents & fes domefliques fondre en larmes autour de fon lit : Mes enfants, leur dit-il, je ne vous ferai jamais autant pleur er que je vous ai fait rire; & un moment après il ajouta : Plus d'infomme, plus de gom te : je vais enfin me hien porter.  de Louis XIV & de Louis XV. 237 Un jeune homme h qui Pierre Corneille CO avoit accordé fafille, fit que 1'état de fes affaires mectoit dans la néceflité de rompre ce mariage, fe préfente un matin chez ce grand Poëte, perce jufqu'a foncabinet, &lui dit:,, Je viens, „ Monfieur, recirer ma parole, & vous „ expofer le motif de ma conduite... „ Eh! Monfieur, lui répliqua Corneille, ,,, ne pourriez-vous pas, fans m'inter„ rompre, parler de tout cela a ma fem„ me? Montez chez elle, 'e n'entends „ rien a toutes ces affaires-la ". M. de Turenne s'étant trouvé a une repréfentation de Sertorius , s'écria a deux ou trois endroits de la Piece :„Oü „ donc Corneille a-t-il appris 1'art de la „ guerre ". Le Maréchal de Grammont difoit a foccafiond'O^ö», „ que les CEjvres de „ Corneille devroient être le bréviaire „ des Rois, & Louvois, qu'il faudroit „ un parterre eompofé de Miniltres d'E„ tat pour juger cette piece ". Au combat de la porte Saint - Antoine le Duc de la Rochefoucault (2) re- (1) Né en 1606, mort en 1684. ts) Né en i6ij , mort en 16S0.  «3§ Mémoires anecdotes cut un coup de moufquet qui lui fit perare la vue pour quelque temps. II fic graver a ce fujet, un portrait de Madame la Ducheffe de Longuevilie dont il étoit amoureux, avec ces deux vers au bas : Faifant la guerre au Roi, j'ai perdu les deux yeux; Mais pour un tel objet, je 1'euffe fait aux Dieux. L'illuflre Auteur des Maximes ne fut point de 1'Académie Frangoife. L'obligation de haranguer publiquement un nombreux Auditoire, fur le feul obftacle qui 1'éloigna de cette Coufpagnie. Avec tout Ie courage qu'il avoit montré en tant d'occafions, & malgré la fupériorité que fa naiflance & fon efprit lui donnoienc fur des hommes ordinaires, le Duc de Ia Rochefoucault ne fe fentoit pas capable de pronoricer quatre lignes en public, fans éprouver une forte de défaillance» De Leftang, Auteur des Regies de bien traduire, avoit pris tous fes exemples de bonnes traduéïions dans les Livres de d'Ablancourt, ou le Port-Royal, & ceux des mauvaifes dans les Ouvrages de 1'Abbé de Marolles. Celui-ci en fut trés-piqué, & s'en p.'aignit a tout le  de Louis XIV & de Louis XV. 239 monde. De Leftang ayant jugé a propos de 1'appaifer, choifit pour cela le jour oü 1'Abbé de Marolles alloit faire fes Paques, & fe préfentant devant lui comme il fe mettoit a genoux pour communier : „ Monfieur, lui dit-il, vous êtes „ en colere conrre moi : je crois que „ vous avez raifon; mais, Monfieur, „ ajouta-t-il, voici un temps de miféri„ corde, je vous demande pardon ". De lamaniere dont vous vous yprenez, lui répondit 1'Abbé de Marolles, il riy a pas moyen de s'en défendre : allez, Monfieur, je vous pardonne. Quelques jours après, cet Abbé rencontrant de Leftang , lui dit: Croyez-vous en être quitte ? Vous m"avez extorqué un pardon que je n'avois pas envie de vous accorder.,, Mon„ fieur, Monfieur, lui répliqua de Lef., tang, ne faites pas tant le difficile; on peut bien, quand on a befoin d'un „ pardon général, en accorder un parM ticulier ". L'intrépidité avec laquelle le PremierPréfident Molé(i) affronta les plus grands dangers lors des troubles de la Fronde, (1) Né en 1584, mort en 1656*  •240 Mémoires anecdotes faifoit dire au Cardinal de Retz : „ Si ce „ n'étoit pas un blafphême d'avancer „ que quelqu'un a été plus brave quele ,, Grand Condé, je dirois que c'eft Ma„ thieu Molé ". Des mutins s'étoient attroupés a la porte de ce Magiftrat; il voulut y aller. L'Abbé de Chanvalon, qui étoit alors avec lui, elfayoit de 1'en détourner: „ Ap„ prends, jeune homme, lui dit lePré„ fidentMolé, qu'il y a lom du poignard „ d'un fcélérat au cceur d'un homme de „ bien ". Un d'entre eux 1'ayant un jour infulté au milieu d'une place publique, jufqu'è lui prendre la barbe qu'il portoit fort longue, il le menaga de le faire pendre. Cette menace auroit pu lui devenir funefte; mais il répondit a ceux qui lui en faifoient la réflexion, „ que fix pieds ,, deterre feroient toujours raifon au plus „ grand homme du monde ". Le Maréchal de Gajjion (i) étoit mort dans le Calvinifme. Un Profeflèur du College de Lizieux, nommé Marcel\ compofa 1'Eloge funebre de ce Maréchal, (O Né -a 1609, men en 1657,  At Louis XIV & de Louis XV. 24 c chal, & l'annonga par'une affiche publique. L'Univerfité, qui ne jugea pas convenabie qu'un homme de ion corps fit le panégyrique d'un Calvinifie, lui fit défendre de le prononcer. L'Orareur en appella au Chancelier Séguier, qui ordonna qu'on s'en tiendroit a la délibération de 1'Univerfité. Différentes circonftances motiverent fans doute'cette défenfe. Quoi qu'il eh foir, on a vu, un fiecle après,. 1'Académie Francoife propofer pour fujet de fon prix d'Eloquence, 1'éloge du Maréchal de S'axe", mort en France dans la Religion Luthérienne. Madame deVenelle, Gouvernante des nieces du Cardinal Mazarin , faifoit fi bien fa charge de. furveillante, qu'elle fe. levoit', même en dormant, pour venir voir ce que faifoient fes pupilles. Marie Mancini, celle qui depuis époufa le Connétable Colonne, avoit 1'habicude de dormir la bouche ou verte. Une nuit entre autresla Dame fomnambule lui mit en tatonnant, Ie doigt fi avant dans Ia bouche, que cette jeune perfonne s'éveillant en furfauc, la mordit jufqu'au fang. On peut juger quel fut Jeur étonnement de fe trouver toutes deux en cet état. On en fit ie conté au Roi le Tmne. IIK L  242 Memoires anecdotes lendemain, & toute la Cour s'en amufapendant plufieurs jours. Sur la fin de 1661, Louis XIV voulut honorer du collier de fon Ordre le Maréchal Fabert (1), qui fe fit un point d'honneur de le refufer, paree qu'il n'étoit pas Gentilhomme. Le Monarque répondit de fa main a la lettre de remerciment du Maréchal :„ Ceux a qui je vais „ diftribuer Ie collier, nepeuventjamais „ en recevoir plus de lufixe dans Ie mon„ de, que le refus que vous en faites par „ un principe fi généreux, vous en donne „ auprès de moi ". Le Cardinal Mazarin avoit propofé h Fabert de lui fervir d'efpion dans 1'armée : Cet Officier lui répondit : „ Un „ grand Miniftre comme vous doit avoir ., toutes fortes de gens a fon fervice; „ les uns doivent le fervir par leurs „ bras, les autres par les rapports qu'ils „ lui font: trouvez bon que je fois dans „ la claflè des premiers ". Le fiege de Dunkerque avoit été entrepris par les Frangois en 1658, avec (1) Né en 1599, mort en 1662%  de Louis XIV & de Louis XV. 243 h convention tiès-formelle que Ia placo feroit livrée a 1'Angleterre. Cromwell, averti que Turenne écoit charge d'y mettre un Gouverneur de fa nation, comrnuniqua fes foupcons h l'Ambafiadeur de France qui nia Ja chofe. Le Protecteur, irrité de cette mauvaife foi, tira de fa poche 1'ordre que M;zarin lui avoit donné : ,, Je prétends, lui dit-il, ,, que vous dépêchiez un courier au „ Cardinal, pour lui faire favoir que je „ ne fuis pas homme a être trompé; & „ que fi une heure après la prife de „ Dunkerque, on n'en délivre pas les clefs au Général Anglois, j'irai en per„ fonne demander les clefs des portes ,. de Paris ". Madame la Duchefiè de Bouillon étoit la plus jeune des nieces du Cardinal Mazarin, & n'en étoit pas la moins aimée. Son Éminence s'amufoit beaucoup a lui faire des plaifanteries qu'elle ne prenoit pas toujours bien, fur-tout dans fa plus tendre enfance. Elle n'avoit encore que fix ans, lorfque fon oncle imagina de lui faire croire qu'elle étoit enceinte. Le refientiment qu'elle en témoigna, le divertit fi fort, qu'il réfolut de pouffèr encore plus loin cette plaifanterie. II fit L ij  2Jf4 Mémoires anecdotes étrécir fes habits, & on taehoic de lui perfuader que c'étoit elle qui avoit groffi. Cela dura autant qu'il fallut pour lui faire paroitre la chofe vraifemblable; cependant elle s'en défendit toujours avec beaucoup de vivacité, jufqu'a ce que le temps de 1'accouchement étant. arrivé, elle trouva un tnatin entre fes draps un enfant qui venoit de naitre. II feroit difficile d'exprimer quel fut fon étonnement & fa défolation a cette vue. II rfy a donc, difoit-elle, que la Vier ge & moi a qui cela foit arrivé; car je rfai pas rejfenti le moihdre mal. La Reine Ja vint confoler, & voulut êcre marraine; plufieurs autres perfonnes vinrent complimenter 1'accouchée; & ce qui avoic été d'abord un pafle-teraps domeftique, devint a la fin un divertiffement public pour toute la Cour. On la prefTa a di* verfes rcprifes de déclarer le pere de i'enfant; mais tout ce que 1'on en puc tirer, fut, que ce ne pouvoit être qua le Roi^ ou le Comte de Guiche, paree qu'il ny avoit que ces deux hommes-la qui Veujfent embrajjie. , ' Madame de Bouillon, qui, en 1680» avoit é é aflignée pour répondre pardevant es CommifTaires de la Chambre des Pafons, s'y rendic accompagnée de  de Louis XI V& de Louis XV. 245 neuf carroffes de Princes ouDucs; M. de Vendóme Ia menoit. M. de Bezons lui demanda d'abord, fi elle n'étoit pas venué pour répondre aux interrogats qu'on lui feroit; elle die que oui; mais qu'avanc d'entrer en matiere, elle lui déclaroic que tout ce qu'elle alloic dire ne pourroit préjudicier au rang qu'elle tenoit, ri a tous fes privileges, & ne voulut rien dire ni écouter davantage, que le Greffier n'eut écrit cette déclaration préliminaire. M. de Bezons la queftionna fur ce qu'elle avoit demandé zlaVoifin. Elle répondit qu'elle 1'avoit priée de lui faire voir les Sibylles; & après huit ou dix autres queftions d'aufii peu d'importance, fur lefquelles elle répondit toujours en fe moquant, M. de Bezons lui dit qu'elle pouvoit s'en aller; & M. de Vendöme lui donnant la main fur le feuil de Ia porte de cette chambre, elle s'écria qu'elle n'avoit jamais oui dire tant de fottifes d'un ton fi grave. La propofition de marier 1''Infante avec Louis XIV, avoit été faite a 1'Efpaghe dès 1'année 1658. Philippe étoit retenu par certaines confidéradons. Pour acbever de le déterminer, Mazarin imagina un moyen digne de fa politique. L iij  zafi Mémoires anecdoies II mit fur le tapis Ie mariage du Roi avec Marguerite, Princeffe de Savoie. Le Duc, & Madame Royale fon époufe, viörent a Lyon. Le Roi y vit la Princeffe, & en paroiflbic fatisfait, Iorfque Ie Comte dePimentel arriva de fon cóté a Lyon incognito, avec ordre d'offrir Ia Paix & Y Infante Marie-Thérefe. L'alliance avec Ia Savoie fut rompue; & Ie Duc de Savoie joué par Mazarin, partic de Lyon après un féjour de deux fois vingt-quatre heures. On prétend qu'étant fur la frontiere, il fe retourna du cöté de Ia France, & dit: Adieu, France , pour jamais; je te quitte fans regret. Mazarin fe tira d'affaire avec Madame Royale, en lui donnant un écrit ligné du Roi, que fi Sa Majefié n'époufoit pas l Infante, il épouferoit la Princeffe Marguerite. Cette jeune Princeflê diffimula de fon mieux; cependant elle ne put s'empêcher de laifTer échapper quelques larmes. Le mariage de Marie Mancini avec Ie Connétable Colonne, propofé du vivant du Cardinal, fut célébré a Ia Cour le 11 Avril 1661, environ un mois après fa mort. Le Roi la combla de préfents. II fut auffi généreux que s'il 1'eut encore  de Louis XIV & de Louis XV. 34? aimée; mais il ne 1'aimoic plus; & malgré toutes les agaceries qu'elle employa pour faire revivre une paflion, dont elle vouloit perfuader qu'elle n'étoit pas guérie , elle parr.it, & fuivit fon mari eft Italië. Ce mari, qui ne croyoic pas qu'il put y avoir de 1'innocence dans les amours des Rois, fut fi ravi de trouver le contraire, qu'il compta pour rien de n'avoir pas été le premier maitre du cceur de fa femme. II en perdit la -mauvaife opinion qu'il avoit, comme tous les Italiens, de la liberté que les Dames ont en France, & il voulut qu'elle jouït de cette même liberté a Rome, puifqu'elle en favoic fi bien ufer. II eft ponrtant vrai qu'elle en ufa fort mal dans la fuite. Comme la Duchefiè Mazarin fa fceur, elle abandonna fon mari , dont elle prétendoit avoir de grands fujets de plainte. Hor* tenfe étoit alors a Rome; elle devint la confidente du projet de Madame la Connétable, & voulut partager avec elle le danger de fa fuite, les craintes, les inquiétudes, & les embarras qui Advent de pareilles réfolutions. La Connétable, fuivie de fa foeur, partit le premier Mai 1670, ayant faifi 1'occafion de 1'abfence de fon mari qui étoit allé a une de fes terres a quinze milles de Rome. L iv  H% Memoires anetdoteg La fortune qui peut beaucoup dans nos entreprifes, & p!us encore dans nos aventures, fit errer Madame Ja Connétab!* de Royaume en Royaume, & la jetta enfin dans un Couvent de Madrid. Hortenfe étoit paiïée de France en Italië; Marie pafTa d'Italie en France. Le Chevalier de Rohan avoit, pour ainfi dire, préfidé an projet de 1'évafion de la Ducheffe Mazarin, & peut-être en avoit-il été caufe : Je Chevalier de Lorraine bromlla Ia Connétable avec les plus honnêtes gens de Rome & avec fon man>& quitta Rome ouil étoit exilé, pour revenir en France avec elle. Ces deux Seigneurs, dont le mérite ne confiftoir pas a inficer la fidélité des héros de Roman, quitterent fun & 1'autre les héroines dont ils s'étoient chargés, & les Iivrerent a tout ce que Ia malignité des conjeéïures peut imaginer de plus jnjurieux. Le Connétable, plus fageque Je Duc de Mazarin, qui appuyoit fur *ous ces bruits, & qui les a immortalifes dans les plaidoyers d'Erard fon Avocat, obtint du Pape une excommunication majeur e ,& ipso facto, contre ceux qui parleroienl mal de 'Madame fa femme. Aux foudres du Vaiican qui ne pouvoienc touc au plus que  de Louis XIV'& de Louis XV. 249 pallier le mal, le mari joignic quatorzs couriers par autant de différents chemins, & un homme alui, qui joignic 1'époiTe fugicive h Marfeille; il n'en remporta qu'une très-belle lettre pour fon maitre, de la part de la Connétable. Elle s'étoit munie d'un paffe-port, & elle ar* riva enfin a Paris, ayant quitté fa foeur a Lyon, d'oü celle-ci prit le chemin de Chambery. Nous ne fuivrons point la Connétable Colonne dans fes voyages, oü elle eut le temps de fe repentir dece caraétere vif & peu réfiéchi qui la rendit le jouet de la fortune & de la fable de 1'Europe, jufqu'a ce qu'elle en fut touch fait oubliée. Elle mourut h Madrid, au mois de Mai 1715, agée de prés de foixante 6c dix ans, 6c dans 1'obfcurité d'un Cloltre, elle qui avoit afpiré a Péclac d'une Couronne. La belle Hortenfe fa foeur, étoit morte a Chelfey, en Angle* terre, le 2 Juillet i6oy. Etant jeune, le Chancelier Séguier (1) étoit entré chez les Chartreux : ily prit 1'habit. Comme il étoit tourmenté de tentations, que la folitude n'amonif- (i) Né'en xjêS, mort en 1672. L v  250 Mémoires anecdotes fok pas, le Supérieur lui perrnit, lorfqu'il fe fentiroit prefTé , de tinter la cloche du chreur, afin d'avertir fes Confrères de fe mettre en prieres pour lui obtenir la vicïoire fur 1'Efprit immonde. Mais le jeune Moine recourut fi fouvent a cet expédient, que Ie voifinage fatjgué s'en plaignit : & on fut obligé de lui interdire cet exercice. Chriftine (i), Reine de Suede, vint a Paris en 1657. On admira en elle une jeune Reine qui, a vingt-fept ans, avoic renoncé a la fouveraineté , dont elle étoit digne, pour vivre libre & tranquille. Elle plut beaucoup a la Cour de France, quoiqu'il ne s'y trouvé pas une femme dont le génie put atteindre au lien. Le Roi la vit & lui fit de grands honneurs; mais il lui paria a peine : élevé dans 1'ignorance, le bon fens avec lequel il étoit né, le rendoit timide. La plupart des femmes & des courtilans n'obfèrverent autre cholè dans cette Reine Philofophe, finon qu'elle n'étoit pas coëffée a Ia francoife, & qu'elle danfoit mal. Les fages ne condamnerent JCO N-e en 1616, morte en 1689,  de Louis XIV& de Louis XV. 2$t dans elle que le meurtre de Monaldefchi fon Ecuyer, qu'elle fit aflalüner a Fontainebleau dans un fecond voyage. De quelque faute qu'il fut coupabie envers elle, ayant renoncé a la Royauté, elle devoit demander juftice;, & non fe la faire. Elle eut été punie en Angleterre; mais la France ferma les yeux fur cet attentat contre 1'autorité du Roi, contre le droit des Nations, & contre 1'humanité. Chriftine voulut affifter h unedesféances de 1'Académie Francoife; on n'eut rien de meilleur a lui donner qu'une traduétion faite par Cottin de quelques vers de Lucrece contre la Providence, auxquels il oppofa une vingtaine de vers pour la foutenir. 11 n'efl pas inucile de remarquer que , dans la même aifemblée, on lut devant Chriftine quelques articles du Diébonnaire auquel i'Académie Francoife travailloit dès-iors; on tomba fur ie mot Jeu, dans lequel fe trouverem ces mots : Jeux de Princes, qui ne plaifent qiia ceux qui les fint. La Reine Chriftine de Suede étoic toujours en juibucorps & en perruqne d'homme. Lorfqu'elle vint a Fontainebleau, plufieurs Dames de la Cour s'avancereiic pour rembrafièr. Tant de L vj  252 Mêtnoirts mecdottï careflès lïmportunerent, & elle ne pUf „ onc ces Dames de me baifer? Eft- " u6 C?,u/e que is «flèrable * un 5, homme "? On a déja va que cette Reine avoit lait un fecond voyage en France. Comuje. elle n y..étoit ni attendue ni defirée, elle n y fut pas aufli bien recue que la première fois. Elle fut contrainte de sarretera Fontainebleau, oü elle s'enauya beaucoup Peu de perfonnes la furent vifiter, & ce voyoge eut la def«nee desaétions imprudentes, qui, peur J ordinaire, occaflonnent du chagdn & des regrets. Elle y montra que fes vices balancoient au moins fes vertus. On 3 déja parlé du meurtre de MonaldefchiV ce fut a Fontainebleau qu'elle commic cette abominable aeïion. Voici comment on la raconte. „ Chriftine envoya chercher le Pere Mathurin de JaCha„ pelie , &lui donna un paquetaferrer; „ puis ayant donné fes ordres, elle fit „ appeller un nommé Monaldefchi , Centilhorome qui étoit a elle ; & 5, Payant mené dans la galerie' des „ Cerfs, elle lui dit qu'il 1'avoit trahie, „ & qu'il falloit qu'il en füt puni. Sur *». ce l"'-1 m la chofe, elle fit venir le  di Louis X1V& de Louis XV. a % „ Pere Mathurin; Sc lui ayant demanda j, fes - lettres , elle les montra a cet „ homme, qui demeuraflupéfait. Alors „ il fe jetta a fes pieds, 6r lui demanda „ pardon. Elle lui dit qu'il étoit ua „ iraitre, 6c qu'il ne méritoit pas de „ grace. Ayant dit au Pere de le con„ felTer, elle les Iaifla tous deux pour ,, rentrer dans fon appartement, d'cü „ elle envoya dans la galerie Sentinelli, „ fon Capitaine des Gardes, qui avoit „ ordre de faire 1'exécution. II étoic „ frere d'un Sentinelli, favori de cette „ Princeffe; 6c Monaldefchi, ace qu'on ,, difoit , par jaloufie , 1'avoit accufé „ fauffement de beaucoup de crimes; „ mais perfonne n'a été bien indruk de „ la vérité de cette hifloire; c'efl pour„ quoi je ne parle que de l'action, & point „ de Ja caufe. Monaldefchi refufa long„ temps de fe confeffer, demanda par„ don a fon bourreau Sentinelli, 6c le „ conjura d'aller de fa part iroplorer la „ miféricorde de la Reine leur maitreflè; „ ce qu'il fit, mais il ne put rien obtenir, „ que la confirmation du premier arrêt. „ Chriftine fe moqua du criminel, de „ ce qu'il avoit peur de la mort, 1'ap„ pella poltron, & dit h fon Capitaine » des Gardes il faut qu'il'meu-  254 Mémoires anecdotes t, re; , mort, & en même-temps lui voulut „ donner quelques coups d'épée; mais il „ fe trouva plaftronné; fi bien qu'il ne „ fut blefte qu'au bras. II recut un fe„ cond coup a la tête; & comme il fe „ vit baigné dans fon fang, il fe con„ fefia au Pere Mathurin , qui étoit aufii „ elïrayé que fon pénitent. Après 1'avoir „ confefiè, le bon Pere alla fe jetter ,, aux pieds de cette Princefiè impitoya„ ble, qui le refufa tout de nouveau. „ Enfin, Sentinelli lui pafia fonépéeau „ travers de la gorge, & la lui coupa. „ Quand Monaldefchi fut expiré, on „ prit fon corps qu'on alla enterrer fans „ bruit. Après cette barbare aclion, ,, Chrifiine demeura dans fa chambre, „ a rire & a caufer, aufii tranquillement „ que fi elle eut fait une chofe indiffé. „ rente ". Cet afte de cruauté indigna 13 Reine-Mere; le Roi & Monfieur ie blarnerent publiquement, & Je Cardinal qui n'étoit pas cruel^ en futtrès-oflënfé. Toute la Cour eut horreur de cette atrocité,&rétrafta leslouanges qu'elleavoit d'abord données a la Reine de Suede. On Iaifla cette Reine s'ennuyer long-temps  de Louis XIV & de Louis XV. 255 a Fontainebleau, pour luimontrerlemépris qu'on avoit pour elle; mais enfin elle fupplia tant de fois le Miniftre de la laifler venir a Paris, qu'il fut impoflible de la refufer. 11 eft a croire qu'elle auroit fouhaité de pouvoir s'établir en France; mais on lui fic entendre qu'elle ne pouvoit y demeurer que peu de jours. On affeéta de la loger au Louvre dans 1'appartement da Cardinal Mazarin , pour lui montrer qu'il falloit qu'elle le quinac promptement. Elle partit enfin , après avoir recu quelque argent^ du Roi, & s'en retourna h Rome, oül'action qu'elle s'étoit permife en France ne la fic pas eftimer. Philibert - Emmanuel de Lavardin, Evêque du Mans, déclara en mourant, qu'il n'avoit jamais eu 1'intention d'adminiftrer les Sacrements de 1'Eglife. Plufieurs Prêcres & quelques ;Evêques qui avoient recu les Ordres de lui, fe firent réordonner fous condition. De ce nombre fut Mafcaron, qui venoit d'être nommé a 1'Evêché deTulles, & qui eft mort Evêque d'Agen en 1703. L'avis de M. Pavillon, Evêque d'Alet, avoit été qu'on aïïèmblat un Concile provinciol, oü 1'on proccderoic conue la mémoire de Lavar-  256 Mémoires anecdotes din. Mais comme cela eöt faic trop declac, & quTiI y avoic des perfonnes d'un grand mérite qui appartenoient a la Maifon de cec Evêque, 1'affairen'euc pas de fuite. r On a prétendu que Pafcal fji) érofc ne Mathématicien; & pour ie prouver, on a dit que fans aucun fecours & par la feule pénétration de fon efprit, étanc a peineagé de douze ans, il avoit poufTé 11 loin fes recherches, qu'il en étoit venu jufqu'a ia trente-deuxieme propofition fEuclide. Un Jéfuite fe trouvant un jour dans une alfemblée oü quelqu'un rapportoit ces circonflances, peut-être exagérées, dit froidement „ que les amis „ de Pafcal ne rendoient point affez de „ juftice a ce grand homme ". Et comme on le prefla de s'expliquer, il ajouta „ qu'il lui fembloit que cette hyperbo„ le, quelque outrée qu'elle parut, étoit „ trop peu de chofe pour reconnoüre „ 1'obligation que les amis de Pafcal lui „ avoient pour les Provinciales, dans „ lefquelles i! avoit fait bien d'autres hy„ perboles en leur faveur". (0 Né en 1625, mort en 1662,  -de Louis X1V& de Louis XV. 357 Un jour du mois d'Oétobre 1654 , Pafcal écant alié fe promener, fuivanc fa coutume, au Pont de Neuilli, dans un carroflë a quatre chevaux, les deux premiers prirentle mords aux dents vis-a-vïs unendroit oüiln'y avoit point degardefou, & fe précipiterent dans Ia Seine» Heureufement la première fecouffe de leur poids rompit les traits qui les attachoient au train de derrière, & le carroiïè demeura fur le bord du précipice. Mais on fe repréfente fans peine la commotion que dut recevoir la machine frêle & languiffante de Pafcal. II eut beaucoup de peine a revenir d'un long évanouiffement; fon cerveau fut tellement ébranlé, que dans la fuite, au milieu de fes infomnies & de fes exténuations, il croyoic voir de temps-en-temps, a cóté de fon lit, un abyme prêt a 1'engloutir. On attribue a la même caufe une efpece de vifion ou d'extafe qu'il eut peu de temps après, & dont il conferva la mémoire dans un papier qu'il porta toujours fur lui entre 1'étoffe & la doublure de fon habit. Les Jéfuites avoient eu aifez de crédit pour faire fupprimer les éloges de Pafcal & d'Arnaud dans le livre des Hommes Illuilres de Perrault. Sur quoi on cita  253 Mémoires anecJotes ce parage de Tacite: Prafulgebant Caffius & Brutus eo ipfo qubd eorum ejfi. gies non vifebantur. Ces éloges ont été récablis depuis. Saim-Evremont (i) avoic éré renfermé trois mois a la Baftille , pour quelques plaifanteries fakes a table contre le Cardinal Mazarin. Pour fe vengerdu Cardinal , il fit, dans une lettre écrite au Maréchal de Créqui, la fatyre du Traité de Paix des Pyrénées. Le Roi ayant eu communication de cette lettre, ordonna qu'on arrêtat 1'auteur. Saint-Evremont, effrayé de cet ordre, fe retira en Angleterre, oüil employa prefque toute fa vie a follicicer vainemenc fon rappel. Après la mort de Valentin Conrart, qu'on pouvoit regarder comme le fondaceur de 1'Acadéinie Frangoife (2), un grand Seigneur ignoranc fe préfenta pour le remplacer; Patru ( 3 ) détourna la Compagnie de ce choix par cet apolo- (1) Né en 1613 , mort en 1703. (2) Ce fut dans Ia maifon de Valentin Con» rart que cette illuftre Compagnie fe forraa ea 1619, & s'affembla jufqu'a 1'an 1634. {3) Né" en 1604, mort en 16S1.  de Louis XIV & de LouisXV. 259 gue : „ Un ancien Grec avoic une lyre „ admirable; il s'y rompic une corde : „ au-lieu d'en remetcre une de boyau, „ il en voulut une d'argent; & ia lyre, „ avec fa corde d'argent, perdit fon har„ monie ". Patru avoit profeflé toute fa vie une efpece de fcepticifme. Le grand Boffuet alla le voir lorfqu'il étoit mourant, & lui dit : „ On vous a regardé jufqu'ici, „ Monfieur, comme un efprit fort: fon„ gez a détromper le public par des dif„ cours finceres & religieux. — II efi „ plus a propos que je me taife, répon„ dit Patru : on ne parle dans ces der„ niers moments que par foibleffe ou „ par vanité ". Quelques mois après la mort du Car* dinal Mazarin , il arriva (en 1662. ) un événement qui n'a point d'exemple; ck ce qui efi non moins écrange, c'efl que tous les Hiftoriens 1'ont ignoré. On envoya , dans le plus grand fecret, au chateau de 1'Ifle Sainte - Marguerite dans la Mer de Provence, un prifonnier inconnu, d'une taille au-deffus de 1'ordinaire, jeune & de la figure la plus belle & la plus noble. Ce prifonnier dans la route portoit un mafque, dont la mentonniere  s6o Mémoires anecdotes avoic desreflbrts d'acier, qui lui laiflbient la hoercé de manger avec le mafque fur le wfage. On avoic ordre de le tuer s'il fe decouvroic. II refta dans f Me jufqu'a ce qu un Officier de confiance, nommé oam-Mars, Gouverneur de Pignerol, ayant été faic Gouverneur de la Baftille Jan 1690, 1'alla prendre al'Me de SainteMarguente , & le conduific a la Baftille toujours marqué. Le Marquis de Louvois alla le voir dans cecce Ifle avanc la tranflation, & lui paria debouc & avec une conlldération qui cenoit du refpeét. Cet inconnu fut mené a ia Baftille, oü il fut logé aufii bien qu'on peuc l'être dans ce chateau. On ne lui refufoit rien de ce qu'il demandoir. Son plus grand goüt étoic pour le linge d'une fineflè extraordinaire , & pour les dencelles; il jouoit de la guitarre. On lui faifoit la plus grande chere, & le Gouverneur s'afféyoit rarement devant lui. Un vieux Médecin de la Baftille, qui avoit fouvent traité cet homme fingulier dans fes maladies, a dit qu,!! n'Aavoi-jamais vu fon vifage, quoiqu'il eüc fouvenc examiné fa langue & le refte de fon corps. II étoit admirablement bien fait, difoit ce Médecin : peau étoit un peu brune : il intércffoic par le feul fon de fa voix, ne fe piai-  de Louis XIV & de Louis XV. 2 61 gnant jamais de fon état, & ne laifTanc point entrevoir ce qu'il pouvoit être. Cet inconnu mourut en 1704, & fut enterré la nuit a la Paroiiïè Saint-Paul. Ce qui redoubla 1'étonnement, cefi: que quand on 1'envoya aux Ifles Sainte-Marguerite, il ne dilparut dans 1'Europe aucun homme confidérable. Ce prifonnier 1'écoit fans doute; car voici ce qui arriva les premiers jours qu'il étoit clans 1'Ifle. Le Gouverneur mettoit lui-même les plats fur la table, & enfüite fe retiroit après 1'avoir enfermé. Un jour le prifonnier écrivit avecun couteau fur uneaffiette d'argenr, & jetta 1'afliette par la fenêtre, vers un bateau qui étoit au rivage prefque au pied de la tour. Un Pêcheur, aqui ce bateau appartenoit, ramaila 1'affiette & la rapporta au Gouverneur. Celui-ci étonné, demanda au Pêcheur : „ Avez-vous lu „ ce qui eft écric fur cecte afliette,& „ quelqu'un 1'a-t-il vue entre vos mains? ,, Je ne fais pas lire, répondit le Pê„ cheur; je viens de la trouver, per„ fonne ne 1'a vue ". Ce payfan fut retenu jufqu'a ce que le Gouverneur fut bien informé qu'il n'avoit jamais lu, & que 1'affiette n'avoit été vue de perfonne. ,, Allez, lui dit-il, vous êtes bien heun re"x de ne favoir pas lire •". M. de  Mémoires anecdotes Chamillarc fuc le dernier Miniiïre qui euc cec écrange fecret. Le fecond Maréchal de la Feuillade fon gendre, le conjura, a genoux, de lui apprendrece que c'écoic que cec homme quon ne connuc jamais que fous ie nom de 1''Homme au mafque de fer. Chamillarc lui répondic que c'écoic Ie feeree de 1'Ecac, & qu'il avoic faic fermenc de ne le révéler jamais. II n'yapoincd'exemple dans fllifloire d un fecret d'Etat auiïi bien gardé que celui-ci. Suivanc M. de Sainc-Foix, l'homme au mafque de fer feroit un cer' tain Duc de Montmouth, fils de Charles II, Roi d'Anglecerre. Mais la majefté de Ia taille de cet inconnu, les égards refpeftueux avec lefquels on le fervoit a la Baftille, des traits de reffemblance frappants , ont faic naitre d'autres conjectures. Voici dans quels termes elles fe trouvent énoncées dans un Ouvrage trèsconnu. Louis XIV avoit eu de Madame de la Tallier e un fils connu fous Ie nom du D jc de Fermandois. Ce jeune Prince fut élevé avec tout le foin poffible : il étoic beau, bien fait, plein d'efprit; mais fier, emporté, & ne pouvoit prendre fur lui de rendre au Dauphin le refpect qu'il  de Louis XIV & de Louis XP. 263 lui devoic comme a 1'Héritier de laCou» ronne. Ces deux jeunes Princes a-peuprès de même age , étoient de caracteres trés - oppofés. Monfeigneur', aufii bien partagé que le Duc de Vermandois du cöté des agréments, 1'emportoit infiniment par fa douceur, par fon affabilité , & par la bonté de fon cceur. Cétoient ces mêmes qualités qui rendoienc le Dauphin 1'objet des mépris du Duc de Vermandois. Celui-ci répétoit fans ceffe qu'il plaignoit les Francois de ce qu'ils étoient deftinés a obéir un jour a un Prince fans efprit, & fi peu digne de commander. Louis XIV, a qui on rendoit compte de la conduite du Duc de Vermandois, en fentoic bien toute 1'irrégularité ; mais 1'autorité cédoit a 1'amour paternel, & ce Monarque fi abfolu n'avoit pas la force d'en impofer a un fils qui abufoit de fa tendreflè. Enfin, le Duc de Vermandois s'oublia un jour au point de donner un foufflet a Monfeigneur. Le Roi en eft aufii-tót Informé, il tremble pour le coupable; mais quelque envie qu'il ait de feindre d'ignorer cet attencat, ce qu'il fe doit a lui-méme & a fa Couronne, & Téclat que cette aétion avoit fait a la Cour, n% lui permectoit pas d'écouter fa ten-  .264 Memoires anecdotes dreflè. II aflèmble , non fans fe faire violence, fes conti den ts les pïusf ntimès; il leur laiffe voir toute fa douleur, & leur demande confeil. Attendu la grandeur du crime , & conformément aux loix de 1'Etat, tous opinent a la mort. Quel coup pour un pere trop rendre! Cependant un des Miniftres, plus fenfible que les autres a l'afflidtion de Louis XIV, lui dit qu'il y avoit un moyen de punir le Duc de Vermandois fans lui örer la vie; qu'il falloit 1'envoyer au plutöt a i'armée, qui pour lors étoit fur les frontieres du coté de la Flandre; que peu après fon arrivée on femeroit le bruit qu'il étoit attaqué de la peile, afin d'effrayer & d'écarter tous ceux qui auroient envie de le voir; qu'au bout de quelques jours de cette maladie feinte, on le feroit paffër pour mort; & que, tandis qu'aux yeux de toute I'armée on lui feroit des obfeques dignes de fa naiffance , on le transféreroit de nuit avec un grand fecret, au Chateau de 1'Ifle Sainte-Marguerite, poury finir fes jours. Cet avis fut généralement approuvé, & fur-tout p3r 1'affligé Monarque. On choiiit des gens fideies &difcrets pour la conduite de cette affaire. Le Duc de Vermandois part pour I'armée avec un équipage  de Louis XIV & de Louis XV. 26 f page magnifique. Tout s'exécute ainfi qu'on Fa projetté; öt tandis qu'on pleure au camp la more de cet infortuné Prince , on le eonduit par des chemins détournés a 1'Ifle Sainte-Marguerite, & on le remet entre les mains du Commandant, qui avoit recu d'avance ordre de Louis XIV de ne laiflèr voir fon prifonnier h qui que ce fut. Un feul domeftique qui étoic'du fecret fut transféré avec le Prince; mais étanttnortenchemin, les Chefs de 1'efcorte lui défigurerent le vifage a coups de poignard, afin d'empêcher qu'il ne fut reconnu, le laifferent étendu dans le chemin après 1'avoir fait dépouiller pour plus de précaution, & cohtinuerent leur route. Le Commandant du CMteau rraitoit fon prifonnier avec le plus proffond refpeél ; il le fervoit lui-même, & prenoit les plats a la porte de 1'appartement des mains des Cuifiniers, donc aucun n'a jamais vu le vif3ge du Duc de Vermandois. Ce Prince s'avifa un jour de graver fon nom fur le dos d'une affiecce avec la pointe d'un couteau. Un Pêcheur entre les mains de qui tomba cette afliette, crue faire fa cour en la portam au Commandant, & fe flatta d'en être récompenfé : mais ce malheureux fut trompé, & on s'en défit fur-le-champ, Toms II. M  2Ó6 Mémoires anecdotet afin d'enrevelir avec cec homme un feeree d'une fi grande imporcance. Précaucion déplacée! puifqu'il eft plus que vraifemblable par les faits qu'on vienc de rapporter, & par ceux qu'on va lire, que le feeree a été mal gardé : accident trés-ordinaire , fur-tout dans les affaires des Grands. Le Duc de Vermandois refta plufieurs années a 1'Ifle Sainte-Marguerite; on ne 1'a lui fit quitter, que pour, le transférer a la Baftille. Ce Prince portoit toujours un mafque, lorfque, pour caufe de maladie, ou pour quelque autre fujet, on étoit obligé de le montrer. a quelqu'un. Des perfonnes dignes de foi ont affirmé avoir vu ce prifonnier mafqué, & ont rapporté qu'il tutoyoit le Gouverneur qui lui rendoit de grands refpeéts. Scuderi CO avoi- -ous les défauts. des mauvais Poëtes, un orgueil intraitable, de fréquentes diftraécions, & la manie d'entretenir de fes Ouvrages tous -ceux qu'il rencontroit : mais il joignoit a ces travers d'excellentes qualicés, & entre autres beaucoup de générofité & (i) Né en 1610, mort en 1667.  de Louis XIV& de Louis XVf. 267 de grandeur d'ame. Le trait qu'on va lire en fait foi. La Reine Chriftine avoit promis a Scuderi, pour la dédicace de fon Poeme ÜAlaric, une chaïne d'or de mille piftoles. Le Comte de la Gardie, donc il eft parlé fort avantageufement dans ce Poëme, venoic d'encourir la difgracede cecte Princeffe; elle fouhaicoic en conféquence que le nom du Comce fut öcé de cet Ouvrage. On en üt la propoficion k Scuderi, qui répondit, ,, que la chaine ,, d'or, füt-elle auffi groffe & aufïï pe„ fante que celle dont il eft faitmention „ dansl'Hiftoire des ïncas, il ne détrui„ roic jamais 1'aucel oü il avoit facri,, fié". Cette fierté noble déplut a Chriftine qui retint la chaïne; & le Comte de la Gardie qui auroit dü reconnoïtre la générofité de Scuderi, ne lui en fitf pas même un remercimenr, Le Roi écoic a la Foire Saint-Germain, lorfque le Duc de Guife vinc lui apporter le Traité par lequel le Duc Charles IV, qui n'avoit point d'enfants légitimes le faifoit héritier des Duchés de Lorraine & de Bar. Après favoir lu, Sa Majefté dit qu'il n'y avoit point de bijou a la Foire qui valüt celui qu'elle M ij  26a Mémoires anecdotes venoit de gagner. Un des articles du contrat étoit que Louis XIV, en reconnoijfance de cette donation, agrégeroit èfa Couronne tous les Princes de la Matjon de Lorraine, & qu'ils feroient dorénavant conftdérês en France comme Princes du Sang Royal; que la créanon qu'il en feroit, feroit homologuée dans toutes fes Cours de Parlement, & f reconnue par tous les Etats du Royaume; en forte que lefdits Princes, felon leur droh d'aineffe , feroient capables d'y fuccéder, en cas que la ligne de Bourbon vint a manquer. Ce Traité ainfi conclu jetta la confternation dans 1'efprit du Duc Frangois, frere du Duc Charles, du Prince de Vaudemont, 6c de la Duchefiè d'Orléans Pour les Princes de la Maifon de Lorraine qui étoient fujets du Roi, a caufe des biens qu'ils polfédoient en France, 1'efpérance de devenir Princes du Sang, & d etre dorénavant confidérés en cette' qualité, les confoloit de 1'extinaion de leur propre Maifon. Ils ne confidéroient pas que leur^ Chef étant éceint, Ie Roi lui-même n'auroit pas le pouvoir de maintenir 1'agrégation dont ils fe flat-' toient, & que leur poftérité tomberoit dans la fimple condition de Gemilshorn-  de Louis XIV& de Louis XV. 269 mes, paree que les cadets d'une Maifon fouveraine, ne font Princes, qua caufe de la fouveraineté de leur Chef. Tandis que la Maifon du Duc Charles s'intriguoit pour faire calfer ce contrat, il vivoit a Paris en homme privé , & s'amufoit a faire 1'amour h une certaine Mariane, fille d'un nommé Pajot, Apothicaire de Mademoifelle deMontpenfier. Son goüt pour cette fille s'accrut en fort peu de temps, au point de lui faire prendre la réfolution de 1'époufer. Pourécarter les obftacles que les Princes Lorrains tacheroient d'oppofer a 1'accompliffement de fes vceux, il intéreffa dans cette affaire, \eDac Francois fon frere, a qui il promit de reconnoitre, par un acte authentique & public, le Prince de Lorraine fon frere, pour 1'héritier légitime de fa Couronne, même a 1'exclufion desenfants males qui pourroienr naïcre de ce mariage. II ajouta que fon intention étoit de faire annuller le Traité qu'il venoit de paffer avec le Roi de France, & immédiatement après, de fe dépouiller de la Sou veraineté en faveur du jeune Prince fon neveu. Le Duc Francois fe laiffa éblouir par ces belles promefles; encon* féquence,il donna les mains ace mariage, & en figna même les articles; mais la Du-  27© Mémoires antcdotes chefiè d'Orléans ayant appris la réfolntion de fon frere, vint fe jetter aux ge. ook da Roi,&le conjura de prévenir le déshonneur de fa Maifon. Louis XIV aeut pas de peine a confentir a 1'enlévement de Marie-Anne Pajot, qu'il fit tranfporter dans un Couvent de Reltóeufes, d oü le Duc de Lorraine ne put Ta-, lacher, Cet affront ne fut point capable de corriger le Duc Charles. Comme il ne pouvoit vivre fans quelque intrigue amoureufe, il ne tarda pas a s'enfiammer pour une Demoifelle Saint-Remi gle du premier Maitre - d'Hötel de Ja' Duchefiè d'Orléans. II lui promit de 1'époufer, & fit la même déclaration a fon pere, qui, malgré 1'aventure toute récente de Mariane, fut affez fimple pour fe prêter aux vues du Prince. La Duchefiè d'Orléans fut bientöt inftruite de cette nouvelle intrigue. Elle apprit que le Duc fon frere voyoit MademoiJèlle Saint-Remi chez une de fes femmes appellée la llaie, qui étoit 1'entremecteufe ordinaire des amours du Prince. Elle fit renfermer ces deux femmes dans «ne chambre de fon palais; & pour óter au Duc tout moyen de leur parler ou de les faire évader, elle mit fi bonne  deLouisXIV&de Louis XV. 271 garde a toutes les portes, & les.fe fi lien renforcer, qu'un jour que le Pnnce faifoit effort pour vah^ nnt dobfc cles, un SuilTe, trop fidele k la conii gne luiporta un coup de hallebarbe, tont il fut légérement Weffi. Enfin, voyant que le Roi appuyon la Duchefiè fa Lur dans 1'oppofition qu'elle mettoit a fon mariage, le Duc de Ï£™« * détermina a quitter Paris, ou fa conduite aSonnématierea bien des propos Le trait qu'on va rapporter, proove mieux encore a quel point le Duc de Lorraine fut foumis a 1'empire de 1 amour. Ce Prince étoit devenu éperdument amoureux de la fille d'un Bourg-meftre de Bruxelles; mais la mere, femme d honneur, la veilloit de fi prés, que le Duc Charles ne put jamais trouver occafion de lui parler. Enfin, la mere, la fille & l'amant fe rencontrerent un jour dans un feftin avec plufieurs perfonnes de dilrinétion. Comme la paffion du Ducetoic connue de tout le monde, on pnt pretexte de parler de la Demoifelle, & Charles pria ceux qui étoient prélents , d'ensager la Dame a lui permettre de dire deux mots a la jeune perfonne en préfence de tous les convives. La mere refufa. Le Prince offcit de ne lui parler M iv  3?3 Mémoires anecdofesqu'autam de temps qu'il pourroit tenir ün charbon ardent dans Ja main. Cette condiuon parut fi forte, qu'on y foufcrivir. Le Duc fe retira donc a 1'écart avec la iJemoifeJJe, prit un charbon ardent & entama la converfation. Elle dura fi lonetemps, que la mere jugea h propos de linterrompre. Le charbon étoic éteinr. Sï i?f\Ug^de Tk dou,eurq"edut éprouver Je Duc de Lorraine 1 Mademoifelle de Rohan, fille du Duc de ce nom, qui s'étoit fignalée durant la guerre des Huguenots, étoic hériciere «Je la Maifon, & avoic toujours vécu dans une telle répucation de vercu & de fageffe , qu'il fembloit qu'elle ne düc jamais rencontrer perfonne digne d'elle pour Ia naiflance & pour le mérite. Elle s étoic flattée d'époufer M. le Comte de óoiilons , & avoit été accordée avec Robert, fecond fils de fEleéfeur Palacin & qui mourut Roi de Bohème. Elle avoic refufé M. de Nemours, aïné de Ia Maifon de Savoie en France. Rien n'égaloit fa nerté; cependanc elle fe prit d'inclinatiort pour M. de Chaboc, premier Maréchaldes-logis de Gallon Duc d'Orléans. 11 étoit fort pauvre, & fon équipage confiftoit en un miierable carrofie pref.  de Louis XIV & de Louis XV. 273 que fans fuite, qui le traïnoit chez Mademoifelle de Rohan. II relevoit, a la vérité, ce médiocre état par beaucoup de bonnes qualités, qui le faifoient eonfidérer de tout le monde. Sans être beau, il avoit fort bonne mine, étoit bien faic de fa perfonne, & danfoit parfaitemenc bien; on a même cru que c'étoient la les charmes qui avoient féduit Mademoifelle de Rohan. Quoiqu'il ent de 1'efprit & de la valeur, il ne s'étoit jamais acquis de la réputation dans la guerre; il avoit é:é élevé jufqu'a lage de vingt-quatre ans pour être d'Eglife, & n'avoit fait que quelques campagnes en qualité de Volontaire. Ses amours avec Mademoifelle de Rohan durerent quelques années , & donnerent lieu a une infinité d'intrigues : beaucoup de perfonnes prirent foin d'y fervir Chabot, & entre autres la Marquife de Pienne, fa coufinegermaine, qui fut depuis la Comteffe de Fiefque. Chabot devint tout d'un coup magnifique; on vit augmenter fon train; ce qui donna lieu a divers propos; iï ne s'arrêtoit a rien de ce qu'on pouvoit dire, pourvu qu'il vint a bout de fon affaire. II penfa qu'il étoit néceffaire de s'appuyer d'une puifïante proteftion, & s'auaeha a M. le Duc d'Enghien, qui M»  274 Mémoires anecdotes employa tout fon crédit pour faire réuflïr ce manage; il fut le premier qui en paria a Mademoifelle de Rohan, & ce fut avec fuccès: il en paria aufli au Cardinal Mazarin & a la Reine, & demanda pour Chabot un Brevet de Duc, afin que Mademoifelle de Rohan ne perdic point fon rang lorfqu'elle 1'épouferoit. II obtint tout ce qu'il demanda; & les obllacles écartes, il falluc pafier a Ia conclufion. M. le Duc de Sully, coufin-germain de Mademoifelle de Rohan, y fervit encore de tout fon pouvoir; il 1'alla trouver & lui dit que tout étoit découvert; que Madame fa mere vouloit la faire enlever, & qu'il n'y avoit de füreté pour elle' que dans le mariage qu'elle difièroit. blle fe rendit fur 1'heure a 1'Hötel de Sully, oü étoit Ie Duc d'Enghien, qui lui fit prendre fa derniere réfolution. Mademoifelle de Rohan avoit alors vingtfept ou vingt-huit ans; cependant efie n eut pu trouver a Paris un Prêtre qui ofat Ia marier; il fallut donc aller fecretement a Sully avec Chabot. Un Prêtre qui paflbit fur la riviere de Loire , & qui venoit de Rome avec des pouvoirs, Ja maria h 1'infu de Madame fa mere. Quand Madame de Rohan le fut, elle ne penfa plus qu'aux moyens de s'en  de Louis XIV & de Louis XV. 27 S venger; ce qu'elle fic depuis, en toutes les occafions. Le Marquis de Racan (Os'écoit Hé étoitement avec Mademoifelle de Gournai Cette favante fille le confultoit lux fes Ouvrages; mais elle rencontroit quelquefois dans ce Poëte un cenfeur qui mortifioit fon amour - propre. U n'approuva point des Epigrammes que Mademoifelle de Gournai avoit compofées Cette Demoifelle lui ayant demandé comment il les trouvoit?' Sant rel & fans pointe , répondit Racan. Ouimporte! reprit-elle, ce font des Epigrammes et la Grecque. Deux jours après, ils fe trouverent a diner enfemble : on fervit un mauvais potage. Mademoifelle de Gournai fe tournant du cöté de Racan, lui dit: „ Voila une méchante foupe". Mademoifelle, réparrit auffi-töt Racan , c'eft une foupe a la Grecque. Ce bon mot courut la Ville, ikdevint proverbe. Pour exprimer qu un Cuifinier étoit mauvais, on difoit: II fait de la foupe h la Grecque. Ce Poëte racontoit fort agréablement (1) Né en 1580, mort en f670. M vj  27° Mémoires antcdotes des hifioriettes de fon invention, dont Ja nnefle n'étoit pas femie de tout le monde. II fit un jour, dans uue nombreufe compagnie, un conté fort plailant, dont perfonne ne rit. S'en é'ant appercu, il dit a Ménage, qui étoit a coté de lui : Je vois bien que ces Meffieurs ne niont pas entendu; traduiJez-moi, s'il vous plait, en langue vulgaire. Le Baron de celui qui fut Introduéteur des AmbafTadeurs , étoit fort ignorant, & faifoit le capahle. Un jour qu'il étoit a diner chez M. de Pontchartrain, ouil y avoit beaucoup de monde, il fe mit a parler de ce qu'il favoit le moins, & a trancher fur les queftionqui étoient Ie moins de fa compétence. Madame dePontchartrain qui fe plaifoic h 1'humilier, lui défia de lui nommer 1'Auteur du Pater. Le Baron rit &pjaifante d'un pareil défi; & Madame de Pontchartrain poufiè fa pointe, & le ramene au fait qu'il veut éludér. II fe défend en retraite jufqu'a Ja fin du diné. M. de Caumanin qui avoit joui de fon embarras , le fuit au fortir de table, & lui fouffle a 1'oreilie, Moïfe. Au café, le Baron qui fe croit bien lort, remet le  de Louis XIV & de Louis XV. 27? Pater fur le tapis, & Madame de Pontcharcrain n'eut pas de peine k le pouüer a bout, & ü prononca magiftralement que c'étoit Mo'iïe qui avoit fait le Pater. L'éclat de rire fut univerfel. Chacun lui dit fon mot fur fa rare fuffifance; il fe brouilla avec Caumartin, & ce Pater devint 1'hiftoire du jour. Son ami le Marquis de Gêvres n'étoit p3s moins ignorant que le Baron, & fe compromettoit fouvent avec une égale confiance. Caufant un jour dans les cabinets du Roi, Scadmirant, enconnoifleur, plufieurs tableaux, entre autres, des crucifiements de différents Maitres, il décida que le même en avoit fait un grand nombre & tous ceux qui fe trouvoient la. On fe moqua de lui, & on lui nomina les Peintres, dont on reconnoiflbit la maniere. „ Point du tput, s'écria le Mar„ quis,cePeintres'appelloit I. N. R. I. , Ne voyez-vous pas fon nom fur tous ces tableaux"? Cette balourdife prêta beaucoup a rire. Les relations des pays éloignés faifoient le plus grand amufement de la Mothe le Vayer (i> Quelques heures (1} Né en Jj8a, mort en 1672.  2? 8 Mémoires anecdotes avant fa mort, fon ami Bernier vint le voir. Dès qu'il 1'eut reconnu : Quelles nouvelles avez-vous du Grand-Moeol, lui demanda-c-11 ? Ce furent fes dernieres paroles. Louis-Viftor de Rocheckouart fr), Duc de Mortemar & de Vivonne, d'abord Général des Galeres, & enfuite Ma ■ réchal de France, étoic un homme de beaucoup d'efpric, & fertile en bons mots. Au pafTage du Rhin, il montoic un cheval blanc qui paffa des premiers; & comme le fleuve étoit rapide, ie Duc de Vivonne adrelfa ces paroles a fon cheval qu'il appelloit Jean:„ Jean le Blanc, „ ne fouffre pas qu'un Général de mer „ foic noyé dans 1'eau douce ". Un jour le Roi le railloic fur fa grolfeur excraordinaire en préfence du Duc d'Aumont qui n'écoic pas moins gros: Vous grofiffez a vue d'oeil, lui die ce Prince, vous ne faites point d'exercice. — Ah ! Sire, c'eft une médifance, répliqua M. de Vivonne ; il n"y a point de jour que je ne fajfe au moins trois fois le tour de mon coufin d'Aumont. Le même Prince lui (i) Né en 1636, mort en 1688.  de Louis XIV'& de Louis XV. 2.79 demandant ce que la lecture faifoit a 1'efprit. Ce que vos perdrix font d mesjoues* répondit-il. II avoit les couleurs extrêmemenc vives. Mademoifelle Scuderi CO fit un voyage en Provence avec fon frere. Ils coucherent au Pont-Saint-Efprit, & on les placa dans une chambre a deux fits. Avant de s'endormir, Scuderi paria de Cyrus, & demanda a fa foeur ce qu'ils feroient du Prince Mafard, un des héros de ce Roman. Mademoifelle Scuderi étoit d'avis de 1'empoifonner; mais après quelques conteftations, il fut arrêté qu'on le feroit affafliner. Des Marchands logés dans une chambre voifine, ayant entendu la converfation, crurent que ces deux Etrangers complotoient la mort de quelque grand Prince, dont ils déguifoient le nom fous celui de Mafard. On avejtit la Juftice du lieu. Le frere & la foeur furent arrêtés & mis en prifon. Ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'ils réuffirent a fe juftifier & a obtenir leur élargiflement. (1) Née en 1607, none en 1701,  28o Mémoires anecdotet i. ,fc?JVrarquife de Sévigné (i) affifioic a 1 Office a Saint-Paul fa ParoifTe. Le Credo y fut chanté en mauvaife mufique. „ Ah .' que cela eft faux 1 s'écria „ Madame de Sévigné ". Puis fe tournant vers ceux qui 1'écoutoient : „ Ne „ croyez pas que je renonce a la Foi: je n'en veux pas a la lettre, ce n'eft qu au chant ". La Connétable Colonne & la Duchefiè de Mazarin fa fceur pafTant a Arles, chacune avec un petit coffre rempli de pierrenes, Madame de Sévigné qu'elles allerent voir chez M. de Grignan, s'appercut qu'elles étoient en linge fale. Elle leur envoya, le foir, une douzaine de chemifes avec un billet qui commengoit ainfi: „ Vous voyagez en héroïnes de Roman : force pierredes, & point de » linge blanc ". Après Ia difgrace de Lauzun, Ie Roi envoya chercher M. de Marfillac, fils du célebre Duc de la Rochefoucault, Auteur des Maximes, & lui dit: „ Je vous „ donne le Gouvernement de Berry qu'a„ voit Lauzun ". Marfillac répondit : (i) Nee en ié2$, morte en i6 on eüc dü raettre plus d'ordre, pouf« fer davantage Ie raifonnement ". II paria de tout en maitre, & cependant perfonne ne fut défabufé. Le carrofTede 1'Evêque écant venu Ie prendre a quelques Iieues d'Angers, on reconnut que Ie Cenfeur d'Arnauld étoit Arnauld lui-même , & cbacun fe répandit en excufes. Après fon exclufion de la Société de Sorbonne, le Dofteur Arnauld fut obiigé de fe tenir caché pour fe fouftraire k de nou velles perfécutions. La Ducheffe de Longuevilk lui offrit une retraite dans fon hótel, & 1'on cenvint qu'il y paroitroit en habit fécnlier, avec une grande perruque fur la tête & 1'épée au cöté. II y fut attaqué de la fievre, & la Ducheffe ayant fait venir le Médecin Brayer, lui dit que c'étoit pour un Gcnrühomme qu'elle protégeoit, & a qui elle avoit donné depuis peu une chambre dans fon hótel. Brayer montg chez le malade, qui après 1'avoir entretenu de fa fievre , lui demande des nouvelle?. „ Onparle, lui dit Ie Méde„ cin, d'un Livre nouveau qu'on attri„ bue au Dc-cleur Arnauld ou ï M. de  de Louis XIV & de Louis XV. 299 Saci; mais je ne le crois pasdeceder„ nier, il n'écrit pas fi bien ". A ce mot, Arnauld oubliant fon habit gris & fa perruque , lui répond vivement : Que voulez-vous dire ? mon neveu êcrit mieux que moi. Brayer qui étoit homme d'efprit, envifage fon malade, fe met a rire, defcend chez Madame de Longueville, & lui dit: „ La maladie de votre Gen„ tilhomme n'eft pas coniidérable; je „ vous confeille cependant de faire en „ forte qu'il ne voie perfonne, il ne fauj „ pas le laiffer parler". Onjugera, parle traitfuivant, de lin> térêtqu'Arnauld mettoit a 1'affaire du Janfénifme. Un jour Nicole, fon ami &fon compagnon d'armes pour la même caufe, mais né d'ailleurs avec un caraétere doux & accommodant, lui repréfentoit qu'il étoit las de cette guerre, & qu'il vouloic fe repofer. Vous repofer ! répond Arnauld : Eh! naurez-vous pas pour vous repofer ïétemité toute entier e? M. Feuillet (O regardoit Monfieur faire collation en Carême. Monfieur en fortant de table, lui montra un petit bif- (1) Né en i6n, mqrt en 1693. N vj  Mémoires anecdotes cuit qu'il prit encore fur Ia table, en difan. : Cela n eft pas rompre le jeune ■neft-üpas vrai? Feuillef JDi répoZl Mangez un veau, &fiyez Chrétien. Ce ,STm, ?>We de Flandres, en 1677,Monfieur c 1) battit Ie Prince d'Orange èCafTd, & cette victoire facilita ia pnfe de Cambrai, que ie Roi affiégeou en perfonne. Louis XIV momra en cette occafion quelque jaloufie contre ion frere. On remarqua qu'il fot peu quefhon de cette bataille dans fes converlations; qu'il n'eut pas la curiofité daller voir Ie lieu du combat, & qu'il ne fut pas trop content de ce que les peuples fur fon chemin crioient: „ Vive " le.*ï0l& Monfieur quiagagné la ba» taille • Le« geus fenfés prévirent dès ce moment que Monfieur ne fe retrouveroit de fa vie a ia tête d'une armée. Cependant il étoit natureiiement intrépide,affable fans baffeffe, aimoit 1'ordre étoit capable de fuivre un bon confeil' (0 Né en 1640, mort en 1701,  de Louis XIV & de Louis XV. 301 II avoic afiez de défauts, pour qu'on doive rendre juitice a fes bonnes qualités. L'amour avoic égaré 1'Abbé de Rancê (1), l'amour occafionna fa converiion. Cec Abbé, au retour d'un voyage, allanc voir la belle Ducheflè de Montbazon qu'il aimoit, & donc il ignoroit la mort, monta par un efcalier dérobé, & étant entré dans 1'appartement, il trouva fa tête dans un plat. On 1'avoit féparée du corps, paree que le cercueil de plomb qu'on avoit feit faire s'étoic trouvé beaucoup trop court. Ce fpeétocle inattendu fit une telle impreffion fur 1'Abbé de Rancé, qu'il lui infpira la plus grande averfion pour tout ce qu'il avoit aimé jufqu'alors; &dès ce moment, il forma le projet de réformer la Trappe. Le 18 Février 1677, le Parlement de Paris abolit le congrès, qui, depuis cent vingt ans, étoit en ufage fans loi qui J'eüt établi. L'abolition s'en fit a 1'occa ■ fion du mariage de Cnrdouan, Marquis de Langei, avec une Saint-Simon Cour- (1) Né en 1615 , mott en 1700,  3°2 Memoires anecdotes taumer. Après trois ans d'habitation, la mariage fut déclaré nul, pour caufe d'impuiffance, par Arrêt du 8 Février 1659. La femme époufa enfuite Ie Marquis de Boejle-Caumont; & Langei époufa Diane deMontault de NoaUles, dontil eut feptenfants. II avoit protefté devant Notaires contre 1'Arrêt. Après la prife de Namur, on trouva chez les Jéfuites de cette Ville, douze cents foixante bombes toutes chargées, avec leurs amorces. Les bons Peres gardoient précieufement ce dépót, fans en rien dire, efpérant de les rendre aux Efpagnols, au cas qu'on nous eut fait lever le fiege. Le Roi fe contenta d'envoyer le Pere Redeur a Dole. Mais Ie Pere de la Chaife dit que le Roi étoit trop bon, & que les Supérieurs de leur Compagnie feroient plus féveres que lui. Un pauvre Paffementier du Fauxbotirg Saint-Marceau, étoit taxé a dix écus pour un impöt fur fa maïtrife. II ne les avoit pas; on le preflè : il demande du temps; on le lui refufe : on prend fon pauvre lit & fa pauvre écuelle. Quand il fe vit en cet état, la rage s'empara de fon cceur; il coupa la gorge a trois de fes enfants  de Louis XIV& de Louis XV. 305qui étoient dans fa chambre; fa femme fauva Ie quatrieme & s'enfuit. Le pauvre homme fut mis au CMtelet, & on le pendit Ie lendemain : il dit que tout fon chagrin étoit de n'avoir pas tué fa femme & fon quatrieme enfant. Depuis le fiege de Jérufalem, il ne s'eft point vu une telle fureur. Le Comte de Chamilly étoit Gouverneur de Gr ave, Place démantelée & affiégée en 1674 parle Prince d'Orange, qui poufibit le fiege très-vigoureufemenr. Le Roi ordonna deux fois au Comte de capituler: ce brave Général n'y voulut entendre qu'a la derniere extrémité; & qnoiqu'il n'eüt plus dequoi faire la moindre réfiftance, il fortit de la Place avec tous les honneurs de la guerre, & recut un accueil très-honorable du vainqueur. De retour a Verfaifles, le Roi, après favoir beaucoup loué de la belle défenfe qu'il avoit faite, & fur-tout d'avoir foutenu dans une mauvaife Place un fiege de quatre vingc-treize jours , & affoibli confidérablement I'armée ennemie par de vigoureufes forties, lui permit de lui demander une grace. Sire, lui répondit Chamilly Je vousprie de m'accorder cdte ds mon Colonel qui eft la Baftille. — Et.  3 m'a commandé d'ufer avec vous du terme >j de Monfeigneur; j'obéis a 1'ordre que je » viens de recevoir, avec la même exactitude 3> que j'obéirai toujours h tout ce qui viendra w de votre part, perfuadé que vous favez k j> quel point je fuis, Monfeigneur, votre trèsi} humbie & très-obéiffant ferviteur. Signé A m b r e, Le Maréchal d'Albret fit cette réponfe au Marquis d'Ambre. » Monfieur, mon Maitre & le votre, étant » le Prince du monde le plus jufte & Ie plus j> éclairé, vous a ordonné de me traiter de j> Monfeigneur, paree que vous le devez; & » comme je m'explique nettement & fans n équivoque, je vous affure que je ferai a » 1'avenir, felon que votre conduite m'y » obligera, Monfieur, votre très-humble öt » très-affecYionné ferviteur. Signé. Le. Marichati d'Albretv Le Pere Defmarès (1), de TOratoire, s'annonca comme un des plus grands CO Né en 1599» mort en 1687. O vj  324 Mémoires anecdotes Orateurs du fiecle de Louis XIV. Cefi: de lui que Boileau a die: Defmarès dans Saint-Roch n'auroit pas mieux prêché. Mais des querelles théologiques dans lefquelles il eut 1'imprudence d'entrer, lui fufciterent de puifiants ennemis, & il fut obligé de paffer Ia plus grande partie de fa vie dans la retraite. Le Duc de Liancourt lui avoit donné un afyle dans nne de fes Terres au Diocefe de Beauvais. Un jour que Louis XIV paffoit par-la, le Duc prit la liberté de lui prélènter Ie Pere Defmarès, alors agé de quatre-vingts aas. Le bon vieillard dit au Monarque , avec un ton de liberté & de candeur qui lui étoit propre : Sire, je vous demande une grace. —Demandez, répondit Louis XIV, & je vous ï accorder ai. — Sire, reprit gaiement le Pere Defmarès, permettez-moi de prendre mes lunettes, afin que je contemple le vifage de mon Roi. Louis fe mit a rire, & finic par avouer a tous ceux qui étoient autour de lui, qu'il n'avoit point entendu de compliment qui lui fut plus agréable. M. le Pelletier, fucceflèur de Colbert, étoit un honnête homme, mais unhom-  de Louii XIV & de Louis XV. 325 me médiocre. U ne plaiibit ni a 1VJ. de Louvois ,ni a M. de Seignelay. Ces deux Miniftres ne laiiïöienc échapper aucune occafion de lui fufciter des embarras. On lit dans les Mémoires de Noailles, que M. de Louvois propofa au Roi une dépenfe de trente millions : qu'il en fit confidence aM. de Seignelay, qui de fon cöté lui dit en avoir propofé la veille une de vingt millions; & cela, pour voir Commeni M. le Pelletier pourroit s'en tirer. En 1685, Saint-Geni, vieux Officier, Lieutenant de Roi de Hombourg, ayant été caifé fur des plaintes que 1'Intendant avoit faites contre lui a la Cour, s'enferma dans fa chambre, & fe donna trois coups de couteau, dont un le perca de part en part, & lui fit faire un fi grand cri, qu'on courut a fa chambre , dont on enfonca la porte. On le trouva baigné dans fon fang. II fut tranfporcé au Chitelet, & on alloit le condamner h être pendu , lorfque le Roi lui envoya fa grace, avec cent piftoles & fix cents livres de penfion, en lui mandant qu'il ne vouloit jamais le voir, ni fe fervir d'un fou tel que lui. Lettres de Bi/J/yRabutin.  326 Mémoires anecdoiet M. de Roquelaure CO raccommodant/ fa perruque devant un miroir dans Ia: chambre de Madame Ia Dauphine, Ie Duc de la Ferté lui fit les cornes parderriere. Roquelaure s'en étant appercu,. alla trouver auffi-töt Madame Ia Duchêflë iïdrpajon, Dame d'honneur, & lui dit. que le Duc de la Ferté avoit eu 1'infolence de montrer dans la chambre de Madame la Dauphine, devant les filles, tout ce qu'il portoit. La Ducheffe forten colere, alla favoir des filles comment: cela s'étoit pafié; elles lui dirent la chofe comme elle étoit, & Madame d'Arpajon ne fic qu'en rire, Madame deTManges, fceur déMada. me de Montefpan, donna pour étrenne* a M. Ie Duc du Maine, une chambre grande comme une table, & toute dorée. Au-deffus de la porte, il y avoit écrit engroffeslettres: Chambre sublime. En dedans étoient un lit & un baluflre avec un grand fauteuil dans lequeï étoit affis M. le Duc du Maine fait en cire & fort reffem blanc. Auprès de lui étoit M. de la Rochefoucault, auquel ii (i) Né en 16*5 , mort en 1685,  de Louis XIV'& de Louis XV. 32? donnoit des Vers a examiner. Derrière le fauteuil, on voyoic M. Scarron, M. de Marfillac, & M. de Condom; & a 1'autre bout de 1'alcove, Madame de Thianges & Madame de la Fayelle lifant des Vers enfemble. Au-dehors du baluftre, paroilfoit Defpréaux qui, armé d'une fourche , empêchoit fept ou huit méchants Poëtes d'approcher. Racine étoit auprès de Defpréaux, & un peu plus loin la Fontaine, auquel il faifoit figne de la main d'avancer. Toutes ces figures étoient faites en cire, écchacun de ceux qu'elles repréfentoient avoit donné la iienne. On les appelloit la Cabale fublime. Le Duc de Mzzle moteurde Ia fameufe Ligue d'Ausbourg. La rrame étoic E bien ourdie, & le feeree fi bien gardé, qu'un hafard fingulier puc feul Ie faire découvrir. Voici comme Ie faic fe crouve raconcé dans les Mémoires manufcrits de Charpentier, ancien Commis du Marquis de Louvois.,, Ce Miniilre y fuivant „ facoutume, tenoic a Bruxelles un Of„ ficier Francois , qui-, fous prétexte „ d'une affaire d'honneur qui lui étoit „ arrivée en France, s'y étoit réfugié & „ mis fous la protection du Gouverneur „ général Efpagnol, a qui il faifoit affï„ duement fa cour. II s'étoit rendu agréa„ ble aux Grands par fes manieres paM lies. M, le Prince de Vaudemont s'efP v]  348 Mlmoirts anecdotes „ timant heureux, s'il pouvoit s'attacher „ un fujec qui lui paroifibit fi rempli de .„ mérite , 1'obligea, par beaucoup de ,, prévenances, a prendre un logement „ dans fon palais. D'Aubigny, c'étoit i, Ie nom de 1'Ofiicier, eut bien voulu „ s'en difpenfer, pour n'être point gêné „ dans fon emploi, mais un refus pou„ voit le faire découvrir \ il 1'accepta. II „ n'y avoit que peu de temps qu'il y étoit „ logé, lorfque pafiant feul dans 1'ap„ partement du Prince, il appercut un „ papier fur un bureau; il le prit, & „ s'étant retiré dans fa chambre, il vit „ que c'étoit un Traité de la grande Li„ gue , faite entre plufieurs Potentats a „ Aasbourg contre la France. II 1'en„ voya 'aufli-töt au Marquis de Louvois, „ qui étoit déja dans quelque inquiétu„ de, depuis qu'il avoit été informé de „ ce qui s'étoit paflé au Carnaval de Ve„ nife entre quelques Princes, pour difr, pofer les chofes au Traité général. „ La Cour de France fut extrêmement „ furprife de ce Traité; cet ouvrage, „ conduit par le Prince d'Orange, pa„ roiflbit cimenté de toutes parts avec „ tant de mefures, & un fi grand con„ eert entre ceux qui y étoient com„ pris, que 1'on voyoit bien qu'il étoic  de Louh' XIV & de Louis XV. 349 „ fait de bonne main, & qu'il feroit „ durable. „ Le Prince de Vaudemonc , a qui „ cette copie avoit été fouftraite, étoit „ fort en peine, & la chercha long-temps. „ D'Aubigny fe conduifit en cette „ occafion avec tant d'adreffe & un air „ fi naturel, que nul foupeon ne tomba „ fur lui; au contraire, lui étant furvenu „ une affaire, dans laquelle attaqué par „ un homme de la Ville il eut le malheur „ de le tuer, le Prince le prit fous fa „ proteétion. Mais cette aétion, quoi„ que légitime & d'un homme de coeur, „ ayant attiré a d'Aubigny d'autres en„ nemis qui pourfuivoient la vengeance „ du mort, le Prince lui confeilla de s'é„ loigner, & lui donna même des let„ tres de recommandation auprès de M. „ le Duc de Zeil, qu'il feignit d'aller „ fervir. „ S'étant arrêté a Aix-la-Chapelle, ou „ fe tenoient les conférences des Dépu„ tés des Princes ligués, il crut qu'il „ pourroit y découvrir leurs réfolutions, „ & qu'il y étoit plus utile au fervice „ du Roi, ou du moins autant qu'a „ 'Bruxelles. „ Un Commis du Marquis de Lou„ vois, au-lieu d'ufer de l'adrcffe qu'an  35° Mémoires anecdotes „ avoic coucume de mettre fur les Iec„ tres qu'on Jui écrivoic, lui en adrefla „ une par mégarde fous Je nom ifAu„ bigny, Officier Frangois, & concre„ fignée de Louvois. Elle fuc d'abord „ portee au Gouverneur de la Place, „ qui 1'ayanc ouverte, reconnut qu'il „ y avoic dans la Ville un homme fuf„ pcét; il en fic des recherches; & „ d'Aubigny, fur les indices, fucarrêté „ fous le faux nom qu'il portoit; il „ défavoua inutilemenc Ja lettre , fon „ procés lui fuc faic comme efpion : pen,, danc la procédure , on écrivic au Prince „ qui le protégeoic a Bruxelles. Le Prince „ faifanc alors réflexion ala perte de fon „ Traité deLigue, écrivic qu'il falloic Ie punir comme efpion. Le Confeil de „ guerre le condamna a une more infe„ nse, quoiqu'il protefhk de fon inno„ cence. Le foir avant 1'exécution, un „ jeune Officier étanc venu avec vingt „ foldats pour le garder h vue, pendant „ la nuic, dans la cour oü il écoic pri„ lonnier, après quelques trifiescompli„ ments fur fon état, 1'on propofa de „ boire pour éloigner les funeftes idéés. „ D'Aubigny donna de Fargentaun fol„ dat pour aller acheter de quoi leur faire » collation \ il apporta ce qu'il avoit  de Louis XIV & de Louis XV. 35* „ acheté, & tous entrerent dans la cham„ bre pour en prendre leur part. Pendant; „ que chacun s'occupoit a rötir des ha„ rengs autour d'un grand feu, d'Au„ bigny s'élarga vers la porte qui étok „ affez proche & qu'ils avoierrc lailfée „ impruderament ouverte, & la poulfant „ fur lui il les enferma & fortit du ChaV „ teau fans obftacle. Après de très-grands „ périls, malgré les recherches du Gou„ verneur & de fa Garnifon, il trouva „ le moyen de fortir de la Place & de „ fe rendre a Dinant, oü il apprit les „ inquiétudes que fa détention avoic „ caufées au Marquis de Louvois, qui „ avoit inutilement tout tenté pour le „ fauver : mais il eft remarquable, & „ cela n'eft pas nouveau, que la nuit „ même que d'Aubigny s'échappa de fa '„ prifon, fes cheveux & fa barbe de„ vinrent tout blancs, de noirs qu'ils „ étoient. „ Ce fut donc par d'Aubigny, que .„ 1'on vit en France le projet d'une „ très-longue & très-fanglante guerre, & les préparatifs que tant de Puiflan„ ces liguées faifoient pour opprimer le „ Royaume". La petice-vérole avoit tellement déSgta-  352 Mémoires anekdotes " tèPeliJfbn (i), que Madame de Sévigné difojc de Jui, qu'il.abufoitde la permiffion que les hommes onc d'être laids. Une Dame le prit un jour par la main, & le conduifit chez un Peintre, en difant a celui ci : Tout comme cela, trait pour trait, & fortit brufquement. Le Peintre le fixa, & le pria de fe tenir en place. PelilTon demanda 1'explication de 1'aventure. Monfieur, répondit Je Peintre, fai entrepris de repréfenter,pour cette Dame la Tent at ion de Jefus-Chrifl dans le défert; nous contéftons depuis une heure fur laforme qiiil faut donner au Dia. ble; elle vous fait Ihonneur de vous pr en. dre pour modele. La beauté de fon ame Je dédommageoit bien de fa flgure. II étoit fur Je point d'abjurer le Proteftantifme, lorfque M. de Montaufier dit \ Mademoifelle Scudéri, que fi cela arrivoit, il feroit Précepteur du Dauphin, & Préfident \ Mortier. Pelifibn en étant mformé, difFéra fon abjuration, afin de ne point paroitre embrafièr la Religion Catholique par des motifs humains. II faifoit tous les ans Ja fête de fa réunion a 1'Eglife, & célébroit chaque année fa (3) Né en 1624 , mort en 1693,  de Louis XIV & de Louis XV. 353 forrie de la Baftille, en délivrant quelques prifonniers. Pelifion, privé de livres, d'encre & de papier, n'euc long-temps dans fa prifon d'autre reflource contre 1'ennui, qu'une araignée qu'il avoit apprivoifée. Le Gouverneur de la Baftille vint un jour voir fon prifonnier, & lui demanda, avec un fouris infultant, \ quoiil s'occupoit : Peliflbn, d'un air ferein, lui dit qu'il avoit fu fe faire un amufement; & donnant auffi-töt fon fignal, il fic venir 1'araignée apprivoifée fur fa main. Le Gouverneur nel'eut pas plutót vue, qu'il la fit tomber a terre, & 1'écrafa avec fon pied. Ah! Monfieur, s'écria Peliflbn, faurois mieux aimé que vous meufjiez caffé le bras. L'aclion de ce Gouverneur étoit cruelle, & ne pouvoit venir que d'une ame atroce. Pelifion avoic écric 1'hiftoire de 1'Aca; démie Francoife. Cette Compagnie ayant entendu en pleine atfemblée la leclurede cette hiftoire, qui n'étoit quemanufcrite, il fut arrêté, quelques jours après,. que la première place vacante feroic deftinée a 1'Auteur, & qu'en attendant, il auroit droit d'afllfter aux aflèmblées, & d'y opiner comme Académicien, avec cette claufe, que la même grace ne pour-  354 Mémoires anecdotes roit être faite d perfonne, pour quelque confïdération que ce fut. Jean Barth & Ie Chevalier de Forbin, tous deux Lieutenants de vaifleau, efcorcoient, en 1680, vingt navires:ils avoient deux frégates; Ie premier, une de vingt-quatre canons; le fecond, une de feize. Ils rencontrerent par le travers de rille de Wight deux gros vaiflèaux de guerre Anglois, de cinquante & de foixante canons. La partie n'étoit aflurément pas égale; mais entre ces deux hommes, le confeil de prendre la fuite ne pouvoit être propofé par perfonne. Ils fe facrifierent pour fauver le convoi. Le combat s'engagea : il fut long & fanglant de part &'d'autre; mais il falluc enfin céder a la force. Le convoi s'étoit fauvé pendant le combat; nos deux intrépides Marins furent menés a Plimouth. On les mit dans une prifon pour les punir de leur téméraire bravonre. Jean Barth pafibit tranquillement fon temps a fumer & a boire : il étoit dnns ia prifon comme dans fon vaiiTeau. Forbin, agité par une imagination ardente, rêvoit aux moyens de s'évader. II en imagina un qu'il fit goütera Jean Barth, Stquiréuffit. Les deux prifonniers s'cchappereuc pen*  de Louis XIV & de Louis XV. 355 dant la nuit,fe jetcerent dans nne barque de pêcheur, & arriverent a Breit a travers mille périls. Louis XIV les récompenfa 1'un & 1'autre, en lesfaifant Capitaines de vaifleau. La France qui étoit dans une difette extréme de toutes fortes de grains, en 1694, en faifoit venir des pays du Nord. On attendoit avec impatience une flotte de cent voiles , chargée de bied, fous 1'efcorte de deux vaifiëaux Danois. Jean Barth fut envoyé au-devant de ce convoi avec fix vaifiëaux. Les Hollandois s'en étoient déja emparés. Jean Barth qui les rencontra peu de temps avant qu'ils entralfent dans leurs ports, les attaqua , quoiqu'ils euflèRt deux vaifiëaux & cent treize pieces de canons plus que lui. Point de canon, point de fufil, dit-il aux fiens: a Vabordage, le fabre a la main. Les Hollandois ne s'y refuferenc pas. Trois de leurs vaifiëaux furent enlevés, la fiotte fut reprife & conduite dans nos ports. Forbin CO dans une de iès expéditions avoit eu fon vaifièau frappé par un coup de vent,qui leremplit d'eau. L'équipage (i) Né en 1656, mort en 1733.  35Ó Mémoires anecdotes effrayée lè lamentoir, & faifoit desvoeóx a tous les Saints. Mais Forbin perfuadé que c'étoit le momentd'agir: „ Courage, „ mes enfants, cria-t-il aux Matelots, „ tous ces veeux font bons; mais fainte ,; pompe, fainte pompe! c'eft a elle qu'il „ faut s'adrelfer ; n'en doutez pas, elle „ vous fauvera ". I! donna 1'exemple, & 1'équipage fut fauvé. Jean Barth CO, amenéa Verfailles par le Chevalier de Forbin, fumoit fa pipe dans 1'embrafure d'une fenêtre ouverte. Louis XIV 1'ayant fait appeller, lui dit: „ Jean Barth, je viens de vous nommer „ Chef d'Efcadre. — Vous avez bien „ fait, Sire, répondit le Marin en re„ tournant fa pipe ". Cette réponfe ayant excité un grand éclat de rire parmi les Courtifans, qui la trouvoient aufli abfurde que brutale : „ Vous vous trom„ pez , Meflieurs, leur dit gravement „ Louis XIV; cette réponfe eft celle „ d'un homme qui fent ce qu'il vaut, „ & qui compte m'en donner bientöt „ de nouvelles preuves". Louvois, paflionné pour Ia gloire du (i) Né en 1651, mort en 1701,  de Louis XIV & de Louis XV. 357 Roi & le fuccès de fes armes , avoit depuis long-temps compris la néceflité de foutenir le zele des Officiers par de nouvelles récompenfes. L'Ordre de SaintLazare lui offrit des reüources. 11 avoic pour ainfi dire forcé M. de Ncrejian a lui en céder la Grande-Maitrife; & comme il traitoit toutes les affaires militairement, il diftribua les Commanderies de cet Ordre aux Officiers, qui, par de belles & heureufes attions, avoient mérité les bienfaits & les récompenfes du Souverain. Mais cette refföurce n'exifta pas long-temps. Après la mort de ce Miniftre, Louis XIV voulut porter fon actention fur tout ce qui a rapport k cet Ordre, purement hofpitalier dans fon origine. II crouva que les fonds en étoient appliqués a des objets abfolument étrangers a fa fondation. Ce Prince, dont la confcience étoit naturellemem délicate, choifit ce qu'il y avoit de plus fages & de plus éclairés dans le Confeil, pour examiner rigoureufement le paffe, &pourvoir encore plus utilement a 1'avenir, en donnant une forme a un Ordre qui n'en avoit prefque plus que le nom, & furtout en réglant 1'ufage qu'on feroit des biens dont il étoit en pofieffion. M. d'Aguefleau fut un des Commi.fiaires nom-  358 Mémoires anecdotes més par le Roi dans cette affaire, & il en devint bientöt le maitre par la déférence que fes Confrères eurent pour lui. II penfa qu'il étoit de la juffice & de la piétéduRoi, de s'approcher autant qu'il étoit poffible, de Pintention des Fondateurs, en fe conformant du moins a 1'objet général de leur chariré; & il crut que •fi la maladie de la lepre, pour laquelle avoienc été inffituées les maladreries de cet Ordre, avoit difparu, leurs fonds devoient refter deftinés au foulagementdes pauvres. Son fentiment fut donc qu'il falloit réunir les maladreries de 1'Ordre de Saint-Lazare, aux Hötels-Dieu les plus proches, & aux Höpitaux des lieux oü il n'y avoit point d'Hötel-Dieu. II reftoic un obftacle a vaincre : c'étoit Pinconvénient de priver les Officiers Militaires du fecours de quelques Commanderies de 1'Ordre de Saint-Lazare. M. d'Agueffeau étoit bien éloigné d'envier aux gens de guerre des récompenfes qu'ils achetent au prix de leur fang; mais il lui paroiffoit injufte de les prendre fur le patrimoine des pauvres; & entre deux objets qui mémoient également la protection du Roi, le feul parti qu'il trouvoit convenable a la majefté Royale, étoit de concilier ces deux vues, au-lieu de les  de Louis XIV & de Louis XV. 359 faire combattre 1'une contre 1'aiure, Ainfi, pendant qu'il étoit occupé a faire rendre aux pauvres la juftice qui leur étoit due, fuivant 1'elprit de la fondation, il vouloit d'un autre cöté faire éclater la magnificence du Roi a 1'égard de ceux qui le fervent dans fes troupes, par 1'infiitution d'un Ordre Militaire, qu'il feroit aifé d'établir en faifant des retrancheraents infenfibles fur les dépenfes de la guerre, & dont la Croix feroit une diftinétion honorable, & les Commanderies une récompenfe utile pour les Officiers que le Roi voudroit en favorifer. Tous les Cornmiflaires entrerent dans des vues dont la noblefiè égaloit la juftice. M. d'Agueffeau fut chargé, lorfque le Roi eut approuvé fon avis, de drefièr les Edits & les Arrêts qu'il falloit donner pour confommer ce projet. II eut 1'honneur de les préfenter au Roi, qui fe les fit lire avec plaifir, trouvant fa confcience aufii i'oulagée, par 1'ufage auquel on deftinoit lesbiens de 1'Ordre de Saint-Lazare,que fon amour pour la gloire flatté, par 1'inftïtution de 1'Ordre Militaire de SaintLouis. La Noblefle Francoife doit donc la naiffance d'un Ordre qui a fi fort contribué a relever fa gloire, a M. d'Agueffeau , pere du Chancelier de ce nom.  3fJo Mémoires anecdoles Dans le Couvent des Cordeliers de Mantoue, les Religieux étant au réfectoire, un grand nombre prirent querelle ( en 1600 ) au fujet de Louis XIV & du Prince d'Orange; les uns criant, vive France; les autres, vive Orange. La difpute alla fi loin, qu'ils fe firent des armes de tout ce qui fe rencontra fur le lieu, & donnerent un petit combat, oü cinq de ces bons Peres demeurerent fur la place, & plufieurs furent dangereufement bleffés. Le Maréchal de Luxembourg (1) avoit emporté fur le Prince d'Orange les batailles de Fleurus, de Leuze, de Steinkerque, deNerwinde. Ce Prince fulminant contre 1'afcendant que le Maréchal avoit fur lui, s'avifa de dire un jour: „ II eft donc décidé que je ne battrai „ jamais ce bofiu-la ". M. de Luxembourg, informé dece propos, répondit: „ Coroment fait-il que je fuis bofiu? il „ ne m'a jamais vu par-derriere ". Lorfqu'on chanta le Te Deum ït Nötre - Dame pour la victoire de la Mar- faille, (i) Né en 1618, mort en 169 J.  de Louis XIV& de Louis XV. 361 faille, il y avoic dans cette Eglife uti grand nombre de drapeaux que le Maréchal de Luxembourg avoic enlevés aux ennemis. Le Prince de Conti fe rendic a cecte cérémonie, accompagné du Maréchal qu'il tenoit par la main : Meflieurs, dit-il en écartant la foule qui embarraffoit la porte, laiflez paflèr le Tapiflier de Notre-Dame. On lit dans 1'Hifloire de ce Héros, que le regret d'avoir mieux fervi le Roi que Dieu , lui fit dire au lic de la mort: „ qu'il auroit préféré a 1'éclat de tant „ de victoires qui lui devenoient inutiles „ au Tribunal du Juge des Rois & des „ Héros, ie mérite d'un verre d'eau „ donné aux pauvres pour l'amour de „ TEtre fuprême '\ Après avoir fait toute la guerre de Hollande fous M. le Prince & M. de Turenne, le Marquis de Crenant obtint le Gouvernement de Cafal, oü il fic fa réfidence jufqu'a la démolition des fortifications de cette Place. Les ennemis ne le laiflerent point tranquille dans fon Gouvernement. II eut d'abord a fe défendre d'une confpiration formée par le Comte de Faffdty, Gouverneur de la Ville pour le Duc de Mantoue, qui vou- Tome II. Q  3&2 Mémoires amcdotes lok la livrer aux Impériaux. II fallort toute la prudence & toute la fagacité de M. de Crenant, p'our ne pas fe Jaifièr tromper au manege adroit de cet Italien. Le projet du Comte de FafTaty étoit d'ouvrir une porte aux ennemis, & de faire égorger tout ce qui fe trouveroit de Francois dans la Ville. M. de Crensnc s'étant bien afluré du deffein de ce Gouverneur, 1'invita a diner avec toute fa familie; & au moment oü Ton fe leva de table , il ie fit arrêter & enfermer dans la Citadelle. II pria le Sénat de s'aflëmbler, paree qu'il avoit des affaires de la plus grande importance a lui communiquer. En attendant, il fe montra dans la place & dans les rues, inftrnifant les babitants du danger qu'ils avoient couru d'être égorgés. Quand le Sénat fütaflèmblé, il y rendit compte de fa conduite, &aflbra les Corps qui lecompofoient de la proteétion du Roi. II fit défarmer un Régiment que le Duc de Mantoue entretenoit, craignant que ce Prince ne fut Pauteur fecret de la confpiration ; & en même-temps, il commanda un détachement pour aller attaquer les Impériaux, qui s'étoient avancés jufqu'a Moncale, pour profiter du moment oü on les avertiroit que les portes de Cafal étoient ouvenes.  lü Louis XIV& de Louis XV. 363 Une jeune Dame étoic allée vifiter le Chateau de Verfailles pendanc 1'abfencedu Roi. „ N'efl-ce pas, lui dit-on , „ un paiais enchanté "? Oui, réponditelle, mais ilfaut que Venchanteur y foit. Madame de Rambure étoit une femme qui, avec de la jeuneflè, de Ia beauté, de 1'efprit & de la fortune, avoic des goüts forts bizarres. Elle avoit aimé des Muficiens, des Hiflxions, des Danfeurs de corde, ou pour mieux dire, en favorifant tous ces gensla, elle n'avoit aimé perfonne. Enfin, un GentiJhomme nommé Caderouffe, fut lui infpirer une véritable paflion. C'étoit un joueur qui, ayant perdu tout fon argent, vint un jour fe défefpérer chez elle. Elle le confola par J'efpér3nce de Jui en fournir afièz pour regagner ce qu'il avoit perdu; & en effet elle lui envoya quinze cents louis d'or qu'elle avoit empruntés fur fes pierredes. CaderoufFe étant allé le foir même dans la maifon oü il avoit perdu la veille, & quelqu'un lui ayanc demandé ce qu'il y venoit faire fans argent : „ Les gens „ comme moi, répondit-il, ne man„ quent jamais de reffources, graces „ aux bagues & aux joyaux de la bonne „ femme Rambure ". II ne fe doutoic Q ij  364 Mémoires anecdotes pas que cette Dame fut dans 1'alcove de cette chambre avec la maitrefle du logis. On imagine bien ce que doit penfer une femme paffionnée qui fe voic traiter de la forte. Elle tomba en défaillance ; & dès qu'elle fut revenue, on la pofte dans fon carrolTe, & de-la dans fon lit, oü elle mourut quatre jours après. Cecte action infame de Caderoulfe le décria par-tout, mais ne fut point affez punie par le déshonneur. Le vrai talent de Quinault (1) étoit pour la Poéfie lyrique; mais il fe méprit d'abord, & fic des Tragédies & des Comédies. II n'avoit que dixhuit ans lorfqu'il compofa fa première Piece intitulée les Rivales. Les Comédiens étoient alors dans 1'ufage d'acheter les Pieces de Théatre; au moyen de quoi le profit de la recette ne fe partageoit point avec les Auteurs. Cet ufage avoit fon inconvénient, car il arrivoit afièz fouvent que h Piece étoit mal accueillie du Public. Aufii les Comédiens mettoient-ils un prix très-modique a leurs emplettes. Quelquefois la répucation de 1'Auteur faifoit hauf- (1) Né en 1635, mart en 16SS.  de Louis XIV & de Louis XV. 365 fer le prix de 1'Ouvrage. Trifian VHermite, pour rendre fervice a Quinault fon éleve, fe chargea de lire aux Comédiens la Piece des Rivales. Elle fut acceptée avec de grand éloges, & ils convinrent d'en donner cent écus. Alors Triitan leur apprit que cette Comédie n'étoit point de lui, mais d'un jeune homme appellé Quinault qui avoic beaucoup de talent. Cet aveu fit rétracler les Comédiens. Ils dirent a Trifian, que la Comédie dont jl avoit fait la lecture, n'étant point de fa compolition, ils ne pouvoient hafarder que cinquante écus. Trifian infifta vainement pour les faire revêm'r a leur première propofition; enfin, il s'avifa d'un expédient; ce fut de leur propofer d'accorder a Quinault le neuvieme de la recette dechaque repréfentation tant qu'on joueroit cette Piece dans fa nouveauté. Cette condition fut acceptée de part & d'autre, & a fait loi depuis. Louis XIV ayant goüté 1'Opéra qui ne faifoit que de naitre en France, engagea Quinault dans cette carrière a laquelle il étoit deftiné; pour 1'encourager, il lui accorda une penfion de deux mille livres. CePoëre reconnoilfantchanta les louanges du Roi fon bienfaiéteur dans les Prologues de fes Opéra. On pourroit Q iij  366 Mémoires anecdotes peut-être lui reprocher d'avoir porté un peu trop loin ces fortes de louanges. Après la bataille d'Hochftet, un Prince d'Allemagne dit malignement h un prifonnier Franc, ois : „ Monfieur, fait-on „ encore des Prologues en France " ? Le Comte de Flamarens fut obligé de fortir du Royaume a 1'occafion de (on fameux duel avec MM. de Chalais, Noirmoutier & d'Antin, contre les deux la Brette , MM. de Saint-Aignan & d'Argenlieu, & n'eut jamais Ia liberté d'y rentrer. Après avoir voyagé dans plufieurs Cours de 1'Europe, dont ils'attira 1'efiime & la bienveillance, il alla fe fixer a Vienne. L'Empereurlui donna un Régiment, qu'il remit lorfque les Maifons de France & d'Autriche fe brouillerent, renoncant aux brillantes efpérances que la faveur de ce Prince pouvoit lui faire concevoir. II conferva toujours un coeur Francois, qui ne lui permit jamais de fervir contre fon pays. II pafia dans les Cours du Nord, d'oü il revint quelques années après a celles du Midi, qu'il avoit déja vues. II vécut a celle de Turin jufqu'a Ia guerre de la fuccefiion d'Efpagne. II offrit fon épée & fa vie a Philippe V. Ce Prince agréa fes olfres de  de Louis XIV& de Louis XV. 367 fervice, lui fic une grofTe penfion, l'ho • nora de la Clef d'or, & voulut qu'il 1'accompagnat dans fon voyage de Naples. & de Milan. II mourut a Burgos, peu de temps après fon retour en Efpagne, fort regretté de toute la Cour, & furtout de la jeune Reine qui 1'avoit pris en grande aftlétion pour les qualités aimables de fon coeur & de fon efprit. Cette Princeffe lui envoya durant fa maladie fes Médecins & fes Chirurgiens, pour qu'ils lui donnaffent tous les fecours qui dépendoient de leur art. Tous leurs foins n'ayant pu le garantir de la mort, elle ordonna qu'il fut enterré d'une ma« niere convenable a fa qualité. On lui fic de pompeufes funérailles qui fignalerenc l'eftime fingufiere que la Reine d'Elpagne faifoit de cet illuftre Etranger. Ainfi finit le Comte de Flamarens, qu'un exil rigoureux & conftant ne put rendre infidele a fa Patrie. Le Baron de Beauvais, Capitaine du Bois de Boulogne & de la Plaine de SaintDenys, & Francine, Gouverneur de 1'Opéra, étoient convenus que 1'unchafferoit, & que 1'autre iroit a 1'Opéra, quand ils voudroient, fans payer. Quelque temps après leur convention, FranQ iv  ,^68 Mémoires antcdoks cine eft arrêté dans la Plaine de SainrDenys par un Gatde qui lui dit, que M. le Baron iui abandonnoit telle & telle plaine , & s'en réfervoit telle & telle autre ; fur cela Francine fe retire. Le lendemain le Baron étant a 1'Opéra, & voulant monter fur le Théatre, trouva un homme avec une pertuifane, qui lui dit, que M. Francine lui a hienabandonné Ja p'aine du Parterre; mais que pour celle du Théatre, il fe 1'eft réfervée. Leurs amis communs fe mêlerent de cette affaire, & 1'un & 1'autre alla par-tout oü il voulut. Louis XIV créa la Charge de Lieutenant de^ Roi de la Baftille en faveur de M. du Joncas, Exempt des Gardes-duCorps dans la Compagnie de Duras. Dès qu'il fe vit inftallé dans cette place, Ie premier foin de cet Officier fut d'examiner les raifons que plufieurs prifonniers détenus depuis long-temps a la Baftille pouvoient avoir de demander leur liberté; après qu'il en eut reconnu la juftice, il s'employa avec ardeur pour Ia leur procurer. Des ames atroces lui repréfenterent qu'il alloit fe priver d'un revenu confïdérabte en faifant ouvrirles prifons. „ Je n'ai que de 1'argent a perdre, leur „ répondit-il; & ces malheureux ne  de Louis XIV & de .Louis XV. 369 „ jouiflent pas d'un bien qu'ils eftiment „ plus que la vie ". Cecte noble & généreufe fenfibilité fut très-applaudie, même a la Cour. La Requête des Diclionnaires, Piece remplie de traits fatyriques contre 1'Académie Francoife, empêcha Ménage d'être recu de cette Académie. Surquoi le Profefièur Montmaur difoit aflèz plaifamment, „ que c'étoit a caufe de cette „ Piece qu'il falloit le condamner a en „ être, comme on condamne un hom* „ me qui a déshonoré une fille, a Yé„ poufer". On montroit h Ménage un Tableau de ie Sueur, oü Saint Bruno, le pieux Fondateur des Chartreux, étdit repréfenté avec une vérité d'expreflion frappante. On lui demanda ce qu'il en penfoit; il répondit : Sans fa regie, il parleroii. Le premier jour que Namur fut invefti ( en 1692 ), les Dames les plus confidérables de la Ville firent une députation au Roi pour lui demander un pafieport: on le leur refufa, difant que ce n'étoit pas 1'ufage. Elles envoyerent faire une (éconde fois la même demandé; on la teut refufa encore. LU bien, répon- Q »  37° Mémoires anecdotes dirent-elles, allez dire au Roi que nous ferons très-glorieufes de nous rendre fes prifonnier es de guerre; & fur le cbamp elles fe préparerent a fortir de Namur avec leurs enfants & leurs femmes. Louis XlVnomma un des Seigneurs de fa Cour les plus polis pour aller leur faire des civilités, & les mener en füreté jufqu'a des tentes qu'on avoic faic dreffer pour les recevoir, & oü elles crouverenc des rafraichifiemencs. Les carroflès du Roi allerent les prendre 1'après-midi, & les conduifirent dans une Abbaye voifine, oü elles refterenc jufqu'a la fin du fiege. Les Soldacs fe piquerenc aufii de galanterie : ils accoururent au-jdevant de ces Dames, pour aider leurs* gens \ porter les paquets; & prenant les petits enfants dans leurs bras, ils les porterent a la fuite . de leurs meres, fans commettre aucun défordre, ni la moindre action contraire \ 1'humanité ou a la décence. Lors du fiege de cette ville, en 1695, il y avoit dans le Régiment du Colonel Hamilton, un Bas-Officier qui s'appelloit Union, & un foldat nommé Valentin. Ces deux hommes devinrent rivaux; & les querelles particulieres que l'amour avoit fait naitre entre eux , les rendirent ennemis irréconciliables. Union,  de Louis XIV & de Louis XV. 31 * que fon grade d'Officier é'.evoit audeffus de Valentin, faififfoit toutes les occafions poffibles de tourmenter celuici, & de hü faire éprouver fon reffentiment. Le foldat, qui connoiifoit les devoirs de la difcipline militaire, fouffroit patiemment la mauvaife humeur de foa Officier, & obéiflbit fans réfiftance : ils furent commandés 1'un & 1'autre pour fattaque du cbateau. Les Francois firent une fortie , oü 1'Officier Union recut uncoup de feu dans lacuiiïè : il tomba; &, comme les Francois prelToient de toutes parts les troupes alliées, il étoit fur le point d'êtrefoulé aux pieds. Dans ce défaflre, il appercut Valentin fon ennemi, & lui cria '.Ah! Valentin ! peuxtu ntabandonner? . Valentin courut auffi - tot a lui, & au milieu du feQ des Francois, il ne craignit point de 1'enlever & de le mettre fur fon dos. II le tranfporta ainfi jufqu'a la hauteur de 1'Abbaye de Salfine. Dans cet endroit, un bouietde canon tua Valentin , fans toucher 1'Officier: Valentin tomba fous le corps de fon ennemi qu'il venoit de fauver. Celui-ci oubliant alors fa bleffure , fe releva en s'arrachant les cheveux ; & , fe reje:tant auffi-tót fur le cadavre de fon bienfak- Q vj  372 Mémoires anecdotes teur, il s'écriok: Ah! Valentin! Valentin ! eft-ce pour moi que tu meurs, pour moi qui te traitois avec tant de barbarie? Je ne pourrai jamais te furvivre... Je ne le veux pas... Non. l\ fut impoffible de féparer Union du ca,davre fanglant de Valentin. On 1'enleva tenant toujours embralfé le corps de fon bienfaiéteur; &, pendant qu'on portoic ainfi 1'un & 1'autre, leurs camarades, qui connoiflbient leur inimitié , pjeuroient a la fois de douleur & d'admiralion. Lorfque Union fut rarnené dans la tente, on pmfa malgré lui la blefiure qu'il avoit regue : mais le jour fuivant ce rnalheureux Officier, appellant tout jours Valentin , expira a.ccablé de regrets.. Lorfqae la Princefie Adèlaide de Sa* voie vint en France pour époufer IYL le Duc de Bourgogne, elle n'étoit point encore nubile. Son mariage ne fut célébré que 1'année fuivante 1697, & confommé deux ans après. Viclor-Amédée eüc fouhaité qu'on appellat fa Fille la Princeffe de Savoie : Louis XIV ne trouvoit pas d'inconvénient a ce qu'elle fut appellée dès-lors Ducheffe de Bourgogne^ Cependant il fut arrête dans le Confejl  de Louis XIV& de Louis XV. 373 qu'on ne 1'appellerok point Ducheffe de Bourgogne, puifqu'elle ne 1'écoit pas encore ; ni Princeffe de Savoie, paree qu'en cecte qualité elle ne devroic pas avoir la préiéance fur les Princefles du Sang RoyaU mais qu'on 1'appelleroic fimplemenc la Princeffe. Le peuple, dans la joie de voir finir la guerre par cette alliance, 1'appella la Princeffe de fe. Paix. Le Roi avoic fait le fiege de Mons en perfonne (en 1691) : il étoic aceompagné des Princes du Sang & des principaux Seigneurs de fa Cour. Jamais fiege ne fuc pouffé plus vigoureulèment. On y vk un fingulier fpeéhcle..Sur les onze heures du matin, 1'artiüeFie fe tut tout-a-coup; & au fracas épouvantables des bombes, fuccéda un concert de hautbois que les Officiers du Régiment du Roi donnerenc aux Dames de la Ville. Les Muficiens s'é» toient placés fur un ouvrage encore touc fumant de carnage,dont nos troupes venoient de s'emparer. Les Dames de la Ville accoururent furie rempart pour Fécouter, ck ne s'en retournerent qu'après qu'il eut celfé. Mélange de galanterie & de fureur guerriere qui peint biea lesFran5ois !•  374 Mémoires anecdotts Le 12 Oétobre 1691, la Cour étant k Fontainebleau, le Prince de Courtenay & le Marquis de la Vauguyon tirerent 1'épée dans le veftibule qui étoit entre la Chapelle & 1'appartement du Roi d'Angleterre; les témoins dirent que la Vauguyon étoit Pagrefieur. Aufli - tot qu'on les eut féparés, celui-ci courut a 1'appartement du Roi, & fe jettta k fes pieds, en lui difant, qu'il lui apportoit fa tête. Le Roi lui ordonna de fe retirer, en ajoutant que Ie GrandPrévöt lui rendroit compte de la chofe. Sa Majefté envoya faire le même commandement au Prince de Courtenay. C'eft un crime capital que de tirer 1'épée dans le Louvre; cependant, comme la Vauguyon étoit allé fur le champ trouver Ie Roi, Sa Majefté .voulut bien lui faire grace. II en fut quitte pour quelques mois de Baftille, & le Prince de Courtenay fubit la même peine. Quoiqu'ily eüt autant de diftance entre leur faute, qu'entre leur naiffance, onne mit point de différence dans leur punition. Ce fut un grand fujet. d'étonnement pour toute la Cour. Lettres de BuJJy-Rabutin. Au commencement du regne de Philippe V, il arriva a Cadix une flottille  de Louis XIV & de Louis XV. 375 richement chargée. II s'y trouva huit grandes caiifes adreflëes au Révérend Pere Général de la Compagnie dejefus^ Ces caiflès penferenc rompre- les reins a ceux qui les déchargerent. Leur extreme pefanteur donna la curiofité de favoir ce qu'elles contenoient; on en ouvrit une oü 1'on trouva de groflès billes de chocolat, dont le poids fit foupgonner quelque chofe. La première qu'on eflaya de rompre, renfermoit un lingot d'or, & il en étoit de même de toutes les autres. Cette découverte fit beaucoup de bruit, & les Jéfuites n'oferent réclamer les huit caifiès qui, fautede trouver maïtres, furent adjugéesau Roi dEfpagne. Lorfque Meflieurs de Sorbonne ac^ cepterent le College des Quatre Nations, ils demanderent, pour première condition , qu'on délogeac la Comédie de la rue Guénégaud. Les Comédiens marchanderen! des places dans cinq ou fix endroits; mais par-tout oü ils alloient, c'étoit merveille d'entendre comme les Curés crioient. Le Curé de Saint - Germain - 1'Auxerrois obtint qu'ils ne feroient point a 1'Hötel de Sourdis, paree que de leur Théatre on auroit entendu les orgues, & de 1'Eglife on auroit par-  57^ Mémoires mecdotes faitemenc bien entendu les violons. Le Curé de Saint-André-des-Ares ayant fu qu'ils fongeolent a s'établir dans la rue de Savoie, vint trouver le Roi, & lui repréfenta qu'il n'y avoit bientöt plus dans fa Paroifie que des Aubergiftes & des Coquetiers, & que fi les Comédiens y venoient, fon Eglife feroit déferte. Les Grands Auguftins préfenterem aufii leur requêce; mais on prétcnd que les Comédiens dirent a Sa Majefté que ces meines Auguftins, qui ne vouloienc point de leur voifinage , étoient fort affidus fpeéfateurs de la Comédie, & qu'ils avoient offert de vendre a la Troupe des maifons qui leur appartenoient dans la rue d'Anjou, pour ybatir nn Théatre, & que le marché fe feroit conclu, fi le lieu eut été plus commode. L'allarme fut grande dans tout le quartier, & les Comédiens eurent défenfe de batir dans la rue de Savoie. Defpréaux écrivoit a Racine a ce fujet: „ S'il y „ a quelque malheur dont on puifle „ feréjouir, c'eft, a mon avis, celui des „ Comédiens : fi on continue a les trai„ ter comme on fait, il faudra qu'ils „ aillent s'établir entre la Villette & la „ Porte Saint-Martin : encore ne fais» v je s'ils n'auront point fur les bras le  de Louis XIV & de Louis XV. 3?? „ Curé de Saint - Laurent "; & Racine lui répondit: „ Ce feroit un digneThéa„ tre pour les (Euvres de M. Pradon ". Préchantrê (1), mauvais Poëte Touloufain, avoit fait le plan d'une Tragédie intitulée : La Mort de Néron. II travailloit dans un hotel garni a Paris. II oublia un jour dans fa chambre, un papier oü il avoit tracé la difpofition de fes fcenes. On y lifoit ces mots, au-deflbus de quelques chiffres : lei le Roi [era wé. L'Aubergifte, déja frappé de la phyfionomie effarée du Poëte, crue devoir porter cet écrit au Commiflaire du quartier. Préchantrê, s'étant rendu Ie foir a fon auberge, fut bien étonné de fe voir entouré de gens armés qui venoiene pour le faifir; mais ayant appercu fon papier entre les mains du Commiflaire, il s'écria plein de joie : Ah! le voila ; c'eft la fcene ou fai dsffein de placer la mort de Néron. On ne fuc pas longtemps a reconnoitre 1'innocence du Poëce. La Tragédie é'Ariane étoit le triom- (i) Né en 16S3 , mort en 1708.  378 Mémoires anecdotts phe de la célebre Aftrice LVIadeinoifelle Duclos. Un jour que le Parterre redemanda cescte Piece, Dancourt, Orateur de la Troupe, qui s'étoit avancé pour en annoncer une autre, fe trouva embarrafTé, paree qu'un certain fardeau que Mademoifelle Duclos n'avoit pas recu des mains de 1'hymen, 1'empêchoit de jouer. Comment annoncer cet état au Parterre fans blefier la délieateflè de 1'Actrice ? Lorfque le tumulte des cris eft tombé, Dancourt s'avance, fe répand en compliments & en excufes, cite une maladie de Mademoifelle Duclos, qui étoit préfente, & par un geile adroit défigne le fiege du mal. A l'ioflant cette Actrice , qui 1'obfervoit , fort précipitamment des couliflès, s'élance au bord du théatre, applique un foufflet fur la joue de 1'Orateur, & fe tournant vers le Parterre, dit : Meflieurs, nous aurons thonneur de vous donner demain Ariane. Le Marquis de Vifé, qui fe fit diflinguer par fa valeur militaire fous le regne de Louis XIV, avoit d'abord fervi dans la Fare. Quand xe Régiment fut réformé, le Roi voulut que la compagnie de ce brave Officier fut confervée : on 1'in-  de Louis XIV'& de Louis XV. 379 corpora dans le Régiment de Toiras. Une diftinction plus flatteufe encore iui fut accordée par la décifion d'un Confeil de guerre, tenu fous 1'autorité du Duc de Joyeufe, Colonel-général de la Cavalerie légere. Ce Confeil, pour perpétuer a jamais les aétions de valeur de M. deVifé, lui accorda, pour fa perfonne & pour celle de fes enfants, de por ter des timbales en guerre. Louis XIV, qui, comme on fait, mit tous fes foins a compofer fa Maifon militaire de ce qu'il y avoit de plus braves Officiers dans fes armées, choifit M. de Vifé pour remplir une place d'Enfeigne dans fes Gardes. Le Roi joignit un billet écrit de fa main, ala lettre par laquelle M.de Louvois lui annoncoit cette nouvelle. Ces témoignages de la fatisfaction du Monarque, ne firent qu'enflarnmer davantage le zele & le courage du Marquis de Vifé. A 1'attaque du chateau de Fauconnier, le premier affaut que firent nos troupes n'ayant point réufli, il obtint de faire une tentative a la tête des Gardes-du-Corps. II forma le deffein de s'emparer de ce cbateau, en traverfant vis - a - vis de la brêche un foffé plein d'une eau vive & courante. II choifit tous ceux de fa troupe qui favoient  3Ro Mém oir ei ante dot es nager; les valets de bonne volonté furent de Ia partie : il fe trouva deux cents nageurs, a la tête defquels M. de Vifé traverfa le foffé a la nage, 1'épée entre les dents, & gagna la brêche. On croit voir revivre les Paladins de TAriofte. Cet Officier recut trois coups de moufquet au moment'qu'il abordoit; un lui perca 1'épaule, 1'autre lui entra dans le corps, & le troifieme lui cafla la machoire , perca fa langue, & lui brifa quatre dents: fon courage n'en fut point abattu : il donnoit fes ordres de la main, quand il ne le pouvoic pas de la voix. On imagine bien que cette place fe rendic. Le Roi dit, en apprenant Ia maniere dont Ie chSteau de Fauconnier avoit été emporté: II ny a que Vifé capable d'une telle aclion. Après que le Pcë:e Lainez eut recu fes Sacrements dans faderniere maladie, le Prêtre a qui il s'étoit confeffé fic emporter pendant la nuit une cafiètte pleine de vers licencieux. Le moribond s'étant réveillé, cria au voleur, fic venir un Commiflaire, drefia fa plainte, fic rapporter la cafiètte par le Prêtre même, & fur le champ fe fi: tranfporter de Ia paroifle de Sainc-Sulpice fur celle  de Louis XIV& de Louis XV. 381 de Saint-Roch, oü il mourut. II avoit demandé que ce fuc dans la plaine de Mont-Marcre, afin, difoic-il, de voir lever le foleil encore une fois avant que de mourir. Le Chevalier, depuis comte de Grammont (1), donc nous avons des Mémoires écrits par Hamilton, étoit devenu éperdumenc amoureux d'une foeur de cec aimable Ecrivain. La Demoifelle Hamilton s'étoit trop fiée a la paffion de fon amant, & aux promeffes réitérées qu'il lui avoit faites de 1'époufer. Soic inconftance, foic qu'il voulüc ' remettre fon mariage a un autre temps, le Chevalier de Grammont partic de Londres fans remplir fes engagements. Hamilton fenfible a cet affront, court après le Chevalier dans le deffein de fe couper la gorge avec lui, s'il perfifte a vouloir déshonorer fa foeur. II 1'atteint a quelques milles de Londres. Après les compliments ordinaires, il lui demandé froidement s'il n'a rien oublié dans cette Capitale ? Le Chevalier, qui voit oü tend cette queftion, & qui peut-être n'étoit (1) Mort au commencement de ce fiecle.  Mémoires anecdotes pas d'humeur de fe batcre, répond au Comte Hamilton : Oui, Monfieur, fai oublié d'époufer Mademoifelle votre foeur; & il recourne a Londres pour faire ce mariage. Le Marquis d'Humieres venoit d'être fait Maréchal de France, a Ia follicitation du Vicomte de Turenne , qui ne put réfifter aux charmes & a 1'efprit de Ja Marquife fon époufe. Le jour même Louis XIV, rencontrant le Comte de Grammont, lui dit : „ Savez-vous qui „ je viens de faire Maréchal "? Oui, Sire, lui répondit-il, c'eft Madame d'Humieres. Le Marquis de ***, qui tout récemment^venoit d'obtenir ce titre malgré 1'obfcurité de fa naiiTance, abordant un jour Je Comte de Grammont, qui étoic alors fort dgé, lui dit d'un air affez libre : „ Bon jour, vieux Comte ". Bon pur, jeune Marquis, lui répondit ce Seigneur. Le Comte de Grammont trouvant un jour deux de fes valets qui fe battoienc 1'épée a la main, vouluc fi abfolument en favoir Ia caufe, que 1'un d'eux lui avoua qu'ils lui avoient volé cinq louis d'or, & que la querelle venoic de ceque fon camarade vouloit en avoir  de Louis XIV & de Louis XV. 383 trois. „ Tenez, dit-il, en tirant vingt„ quatre livres de fa poche; vous êtes de grands marauds de vous égorger „ ainfi pour un louis Le Comte de Grammont parloit au Roi d'un fait qui s'étoit paifé du temps de la Fronde. Le Roi lui demanda: Quand cela arriva-t-il? M. de Grammont lui répondit: „ Sire, c'eft du temps que nous „ fervions Votre Majefté contre le Car„ dinal Mazarin ", M. le Comte de Grammont tomba dangereufement malade en 1696. Le Roi qui lavoit que ce Seigneur n'étoit pas fort dévot, lui envoya le Marquis de Dangeau pour le voir de fa part, & lui dire qu'il falloit fonger a Dieu. M. de Grammont fe tourna alors du cöté de Madame la Comtefle fa femme, qui avoit toujours été très-dévote, & lui dit : Comtefle, fi vous rfy prenez garde, Dan* geau vous efcamotera ma converfion. C'eft au fujet de ce bon mot, qui courut dans toute 1'Europe, que SaintEvremond écrivit a Mademoifelle de 1'Enclos : „ Vous vivez dans un pays „ ou 1'on a de merveilleux avantages „ pour fe fauver : le vice n'y eft guere „ moins oppofé a la mode qu'a la vertu; „. pécher, c'eft ne favoir pas vivre, &  384 Mémoires anecdotes „ choquer la bienféance autant que la „ religion. II ne falloit autrefdis qu'êcre „ méchant, il faut être de plus mal„ honnête homme, pour fe damner en „ France préfentement. Ceux qui n'ont „ pas aflèz de confidération pour 1'autre „ vie, font conduits au falut par les „ égards & les devoirs de celle-ci ". Le favant Nicoïe (i) s'étant préfenté pour leSous-Diaconat, lesExaminateurs lui demanderent combien il y avoit de prieres renfermées dans le Pater. II parut interdit a cette queftion, & fa timidité 1'empêcha de répondre comme il convenoir. II ne fut point admis a ce premier Ordre. Ces Meflieurs, inftruits que celui qu'ils avoient refufé n'étoit rien moins qu'ignorant, vinrent lui faire des cxcufes, & Pexhorterent a recevoir la Prêtrife; mais il regarda toujours leur refus comme celui de Dieu même, & il ne fut toute fa vie que fimple Tonfuré. Nicole avoit travaillé, de concert avec le célebre Arnauld, au Livre de la per- pétuitê (i) Né en 1625, mert en 1695.  de Louis XIV& de Louis XV. 3S5 pétuité ie la Foi^ il eut même la plus grande pare a cet ouvrage, qui devoit paroitre fous fon nom; mais ayant effayé quelques dégoüts de la part du Cenfeur, il vint trouver M. Arnauld , & lui die qu'il falloit qu'ii confentit a palier pour 1'Auteur de cet Ouvrage. „ Monfieur, „ ajouta-t-il, ce n'efl pas la vérité qui „ perfuade les hommes, ce font ceux « qui la difent ". Avant que de fe retirer a Port-Royal, cet Ecrivain célebre avoit choifi fa retraite au fauxbourg Saint-Marceau; & quand on lui en demandoit ia raifon : „ Cefi, répondoit-il, que les ennemis „ qui ravagent la Flandre, & qui me„ nacent Paris, entreront par la porte „ Saint-Martin, & auront toute la ville „ a traverfer avanc que d'arriver jufqu'a ï, moi". Quoique 1'un des plus illuflres Solitaires de Port - Royal - des - Champs, il évitoit toujours de prendre parti dans les querelles qui les divifoient quelquefois. Je tiahne poitit, difoit-il, les'guerres civiles. Auffi n'avoit-il que peu d'af» cendant dans cette fociété. Madame de Longueville étoit prefque la feule perfonne de Port-Royal qui déférêt aux fentiments de Nicole; ce qui lui fit dire, Tome IL R  386 Mémoires anecdotes quand elle mourut, quil avoit perdu tout fon crédit. Et comme elle étoit la feule qui 1'appeliat M- VAbbé, i! ajoutoit affëz plaifamment : J'ai même perdu mon Abbaye* Un Soldat envoyé par M. de Vauban pour examiner un pofte, y recut une balie dans le corps. II vint rendre compte de ce qu'il avoit obfervé, & Ie fit avec toute la tranquillité poihble, quoique le fang coulat en abondance de fa blefla* re. M. de Vauban voulut récompenfer fa bravoure, & Ie fervice qu'il venoit de rendre; il lui préfenta de 1'argent : Non, Monfeigneur, lui dit Ie Soldat en le refufant, cela gdteroit mon dMoni BarbefieuxCOmomm prefque fubw tement : 1'Archevêque de Reims, fon oncle , recut fon dernier foupir, lui paria beaucoup de teftament, & peu de fa confcience. Le voyant expiré, il entra dans fon cabinet, remplit fes poches de bijtjux, parcourant tous les papiers, en prit un; & rentrant dans la chambre oü fon neveu venoit de mourir: „ Par- (i) Né en i66S, mort en 1701.  de Louis XIV & de LouisXV. 387 „ bleu, dit-il, voila une plaifante chofe „ écrite de la main de Barbede ux: J'au„ rai d ma trente-troifieme année une „ grande maladie, de laquelle je ne „ réchapperai pas ". Ce Miniftre, héritier de la créduiité de fon pere pour Faftrologie, confultoit fouvent le Pere Alexis, Cordelier, qui, d'après la connoilTance de fes débauches, avoit hafardé cette prédicfion. Lors de Ia révocarion de 1'Edit de Nantes, le Comte de Rlïye & fa femme s'étoient retirés en' Danemarck. Comme il étoit Lieutenant- général en France, il fut fait Chevalier de 1'EIéphant, Grand Maréchal, & commanda les troupes. II jouiffoit lui & fa femme de la plus grande confidération. Le Comte & Ia Comteift, ainfi que Mademoifelle leur fille , avoient fouvenE 1'honneur de manger a Ia table du Roi. II arriva, a un diner, que la Comtefle de Roye, frappée de 1'étrange figure de Ia Reine de Danemarck, fe' tourna vers fa fille, & lui demanda fi elle ne trouvoit pas que Ia Reine reflèmbloit k Madame Panache comme deux gouttes d'eau. Quoiqu'elle eüt parlé francois, elle fut entendue de la Reine, qui voulut R ij  388 Mémoires anecdotes favoir ce que c'étoit que cecce Dame Panache. La Comtefle lui dit que c'étoit une Dame fort aimable de la Cour de France; mais elle dit cela d'un air aflèz embarrafle. La Reine , qui avoit vu fa furprife , n'en fit pas femblant; mais inquiete de la comparaifon , elle écrivit a Magereton, Envoyé de Danemarck a Paris, de lui mander.ce que c'étoic que Madame Panache, fa figure, fon age, fa condition, & fur quel'pied elle étoit a ia Cour de France. Magereton, fort étoujié, répondit a la Reine, qu'il ne comprenoit pascomment le nora de Madame Panache étoit parvenu jufqu'a elle; que cette femme étoit une petite & vieille créature, avec des lippes & des yeux éraillés qui faifoient mal au cceur; une efpece de mendiante qui s'étoit introduite a la Cour a la faveur de fa folie; qui étoit tantót au fouper du Roi, tantót au diner de Monfeigneur & de Madame la Dauphine, ou a celui de Monfieur, tant a Verfailles qu'a Paris , oü -chacun fe divertifibit a la mettre en colere; qui chantoit pouille a tout le monde pour faire rire, & quelquefois très-férieufement, & avec des injures, qui embarrafibient, & qui divenifibient encore plus les Princes & PrinceUes qui.  de Louis XIV & de Louis XV. 3S9 lui emplifibient les poches de viandes & de ragouts, donc la fauce découloic le long de fes juppes : que les uns lui donnoienc de 1'argent, & les autres des chiquenaudes ou des croquignoles qui la meccoient en fureur, paree que, avec fes yeux pleins de chaffie, elle ne voyoic pas au bouc de fon nez, & ne pouvoit deviner qui 1'avoit frappée. A cette réponfe, la Reine de Danemarck fe fentit fi piquée, qu'elle ne put plus fouffrir la Comtefle de Roye; elle en demanda juftice au Roi fon mari. Ce Prince trouva mauvais que des étrangers qu'il avoic comblés d'honneurs & de richeflès, fe moquaflent de fa femme d'une maniere 11 outrageante. II remercia le Comte de Roye, & lui fit dire de fe retirer. Rien ne put conjurer cet orege; il falluc partir, & s'en aller a Hambourg, d'oü il paflaen Angleterre avec toute fa familie; il y vécut dix-huit ans fans charge & fans fervice, & mourut aux eaux deBath en 1690. Au fiege SOflalric (en 1694), petite ville d'Efpagne dans la Catalogne, un Suiflè & deux Grenadiers du Régiment de Noailles s'avancerent jufqu'au premier retranchement, dont le revêtemenc  39o Mémoires anecdotes étoit de dix pieds, & qui de plus avoit trois^ pieds de paliflades. Ils fe mettent en tête d'y entrer, montent fur les épaules 1'un de 1'autre, & viennenc a bout de leur entreprife. Ils appelier c leurs camarades; ceux-ci accourent & montent de même. Le nombre grofïïfTant, les Officiers marchent pour foutenir les foldats. On chafle, de retranchement en retranchement, 1'ennemi troublé par cette audace; on entre avec lui dans le CMteau. Ceux qui gardoient le chemin couvert du cöcé de la campagne, 1'abandonaent faifis de terreur, & fe fauvent dans un bois, oü les Dragons campés prés de-!a, les tnent ou les font prifonniers. Nous n'eümes que trente hommes tués ou blefTés. Le Comte d'Ayen, fils du premier Maréchal de Noailles, fut préfent a cette aélion. II racontoit que -les deux Grenadiers avoient un peu de vin dans la tête; qu'arrivés au pied du premier retranchement, 1'un dit a 1'autre: Je gage que tu n'oferois monter ld; que Ia gageure faite, ils monterent tous deux» crierent en haut, Vive le Roi, & appellerent Ia Ttoupe. C'eft ainfi que Ie hafard & la témérité conduifent quelquefois a des fuccès qui confondent la raifon.  de Louis XIV & de Louis XV. 39* A 1'affaire de ia Boine (en 1690), le Prince d'Orange euc avant le combac les épaules effleurées d'un coup de canon, qui le mit tout en fang. II ne laiflVpas de ranger fes Troupes en bataille, & de fe trouver au combat; mais fa bleffure étoit fi confidérable , qu'il fe vit enfin obligé de s'abfenter de fon Armee. Cela fit courir le bruit qu'il étoic mort. On cn avoit tant d'envie en France, que les peuples en firent d'eux-mêmes des feux de ioie, qui ne furent pas affez tót arrêtés par la Cour, oü les principaux Miniftres, & fur-tout Louvois, entretenoient ï'erreur commune par leurs difcours. Le jour que ce bruic fe répandit dans Palis, on vit de tous cótés des Princes d'Orange de paille qu'on jectoic dans le feu en buvant a la fanté du Roi, & en y faifant boire les paffants, qu'on arrêtoic malgré eux. Cette fête générale dépluc fort aux gens fenfés; & je ne fais fi le Prince d'Orange a jamais recu un plus grand éloge, ni qui marquat mieux la crainte que fes ennemis avoient de lui. Ce qu'il y a d'incroyable, c'eft qu'on fut un mois entier fans favoir s'il étoic en vie ou non, tant la Cour étoit bien informée. Le Prince d'Orange n'étant encore R i»  392 Mémoires anecdotes que- Sradthouder, fe trouva a Ia reoréSÏÏÜ" °Pé"'d^ le prologue ie debut de fAmeur :„QuV ine chafi* » Ie Rot de France " ? Un jeune Seigneur Anglois, a fon retour, ayant dit a ce Prince, alors Roi dAnglecerre que ce qui lui avoit paru de plus plaifanc a la Cour de France *cou ,e Roi eut une vieilie raaurefTe un ^une Miniftre (Barè>e/ïeUx\ „ Cela doit vous apprendre, jeune hoen„ me, lm dit Guiliaume, qu'il ne faie 3? ulage ni de 1'une ni de 1'autre ". A ia mort de Louvois, Louis XIV envoya chercher CAamlay, & lui 0ffric la placedeSecretaire d'Etat delaguerre. quoiqueBarh/ïeux en eötlafurvivance II remercia le Roi, & lui dit: „ Si Vo» tre Majefté ne veut pas donner abfolu» ment Ia place au fils, je la fupplie de a, nommer tout autre que moi, qui ne n peux me revêtir de la dépouiile du » pere, mon ami & mon hienfai&eur ". Rivaroht, Gentilhomme Piémontois, devenu Lieutenanr- Général & Grand! Croix de Saint-Louis, au fervice de Fran«e, avojt eu une jambe emportée d'un  de Louis XIV & de Louis XV. 393 coup de canon. II fe" trouva depuis a la Bataille de Nerwinde, oü fa jambe de bois fut emportée d'un parei! coup:,, Au „ diable les fots, s'écria-t-il, qui ne fa„ vent pas que j'en ai d'autres dans mon „ équipage ". Madame la Ducheffe de Bourgogne difoit un jour a Madame de Maintenon, devant leRoi : „ Savez-vous, ma tante, „ pourquoi les Reines d'Angleterre gou„ vernent mieux que les Rois ? C'eft „ que les hommes gouvernent fous lè „ regne des femmes, & les femmes fous celui des hommes ".. Catinat (1) commandoit 1'Armée en Piémont, lorf'qu'il reent (en 1692) Ie Baton de Maréchal de France. Le Gentilhomme qui dévoit le lui porter étant tombé malade en chemin, on chargea de cette commiflion un courier a qui Catinat quoiquerpeu riche, fit donner un billet de mille écus. Celui qui étoit chargé de payer ce billet a Paris, écrivic au nouveau Maréchal, que le Gentilhomme prétendoit que c'étoit a lui que W Né en 1637, mon en 1712. R v  394 Mémoires anecdotes devoit revenir cette gratifkation. Qu'on donne mille écus è chacun d'eux, répondit aufli-töt Catinat, Ce Général fe rendit h la Cour pour concerter avec le Roi & les Miniftres le plan de Ia Campagne fuivante. Après qu'il eut épuifé tout ce qu'il y avoit a dire fur les opérations militaires, Louis XIV lui dit : „ C'eft affez parler de mes affaires \ „ comment vont les vötres ? -— Fort bien, „ Sire, graces aux bontés de Votre Ma „ jefté, répondit le Maréchal ". Voïlci, dit le Roi en fe tournant vers fesCourtifans, le feul homme de mon Royaume qui mait tenu ce langage. Le Marquis de Dangeau fj) étoit un Gentiihomme deBeauce. II ne manquoit pas d'un certain efprit, il avoit beaucoup d'honneur & de probité : le jeu le mit dans les meilleures compagnies; il y gagna tout fon bien, & eutle bonheur de n'être jamais foupconné. II prêta obligeamment, fe fit des amis; & la füreté de fon commerce lui en acquit d'utiles & de véritables. II fit fa cour aux Maitreffes du Roi; le jeu le mit de leurs par- (i) Né en 163S, mort en 17x0.  de Louis XIV & de, Louis XV. 395 ties; elles Ie traiterent avec familiarité, & lui procurerent celles du Roi: il faifoit des vers, étoit bien fait, de bonne mine, & galant. Le voila en alTez bonne pofture ala Cour, mais toujours fubalterne. On avoit follicité pour lui un logement a Verfailles; & voici comment il l'obeinr. Le Roi jouant un jour avec lui, le plaifanta fur fa facilité a faire des vers, qui k la vérité étoient rarement bons, & touc d'un coup lui propofa des rimes fort fauvages, & lui promit le logement s'il les rempliflbit fur le champ. Dangeau accepta, n'y penfa qu'un moment, les remplit toutes, & fut ainfi logé au Chaceau. II acheta enfuite une Charge de Leéteur du Roi, qui n'avoit point de fonétions s mais qui donnoit les entrées du petit coucher, &c. Son afliduité lui mérita le Régiment du Roi Infanterie, qu'il ne garda pas long-temps; puis il fut envoyé en Angleterre oü il demeura peu; & a fon retour, il acheta le Gouvernement de Touraine. Son bonheur voulut que le Duc de Richelieu fit de fi groffes pertes au jeu, qu'il en vendit-fa Charge de Chevalier d'honneur de-Madame la Dauphine, au mariage de laquelle il 1'avoit eue pour rien. M. Dangeau ne manqua pas une fi bonne affure. II en donna R vj  3.0 Mmeïrss anecd'otes cinq cents mille livres, & fut revêtu d'une Charge qui faifoit de lui une efpece de Seigneur, & qui lui arfura 1'Ordre, qu'il eut bientöc après en 16Ü8. II perdit fa Charge a la mort de Madame la Dauphine ; mais il avoit eu une place de Menin de Monfeigneur. Madame la Dauphine avoit une Fille d'honneur d'ua Chapitre-d'Allemagne, jolie & faite comme une nymphe, avec toutes les gracesde 1'efprit & du corps; fa vertu étoit fans reproche : elle étoit fille tfun Comte de Lorefiin, & d'une foeur du Cardinal de Furfiemberg, qui a tant fait de bruit dans le monde, & qui étoit dans la plus haute eonfidération a la Cour. Ces Loreltin étoient de la Maifon Palatine, mais d'une branche méfalliée par un de ces mariages qu'on appelie de la main gauche, & qui. n'en font pas moins légitimes. L'inégalité de Ia mere fait que ceux qui en for> sent n'héritent point; mais ils ont un gros partage , & tombent du rang de Prince a celui de Comte. Le Cardinal de Furfiemberg qui aimoit beaucoup cette niece, cherchoit è la marier. Elle plaifoit fort au Roi & a Madame de Maintenon; mais elle n'avoit rien, comme toutes les Allemandes. Dangeau , veuf depuis long-temps d'une f<£nr de la Ma-  de Louis XIF & de Louis XV. 307 réchale d'Ecrées, fe préfenta pour une fi grande aPance. Mademoifelle Lorefiin dit avec toute la hauteur de fon pays r qu'elle n'en vouloit point. Le Roi s'en mêla, & le Cardinal fon oncle la fit confentir. Le Maréchal & la Maréchale de Villeroy en firent la noce, & Dangeau fecrut Elecleur Palatin. C'étoit le rneilleur homme du monde, mais a qui Ia tête avoit tourné d'être grand Seigneur; cela 1'avoit chamarré de ridicules. Madame de Montefpan avoit dit de lui aflezplaifamment, qu'on ne pouvoit s'emr.êcher de 1'aimer & de s'en moquer. Sa fadeur naturelle y entée fur la baflèfle du Courtifan, en fit un compofé fort plaifaut. La Grande-Maïtrife de 1'Ordre de Saint-Lazare 1'acheva. Le Roi lui donna cette Charge, dont il tira tout le parti qu'il put. II fe fit le finge du Roi dans les promotions de eet Ordre, cü toute Ia Cour fe rendoit peur rire, tandis qu'il s'en croyoit admiré. II fut de 1'Académie Frangoife, & CoafeiJIer d'Etat d'épée, & fa femme première Dame du Paiais comme femme du Chevalier d'honneur. M. de Vaudrey, qui fut depuis Lieu" teoanjt- Général t avoic d'abord été Kovi*  398 Mémoires anecdotesce chez les Religieux de Saint-Claude. ïl les quicta pour être Capitaine des Grénadiers du Régiment de Mérode, Iors de fa levée. II eommarrdoit fa Compagnie au fiege de Coni (en 1694). Dans une fortie que firent les ennemis, il les repoufia jufqu'au-dela du pont-levis : il y fut fait prifonnier, après avoir recu trencetrois bleflures; il s'étoit défendu courageufement jufqu'a la derniere qui 1'atterra. Les ennemis rentrerent dans la Ville & le laiffèrent pour mort. Une bonne femme vint a palier quelque temps après, & vit M. de Vaudrey noyé dans ion lang. Son cceur érnu de ce fpeétacle,.& par picié, elle fe faifit d'une pierre dans le defiein de 1'achever en lui écrafant la tête, & de 1'empêcher ainfi de fouffrir plus long-temps. Un Officier-Major de la Place qui arriva a 1'inftant oü cette femme alloit afiommerce malheureux Officier, lui cria d'arrêter. M. de Vaudrey fut emporté dans la Ville, mis entre les mains des Chirurgiens qui lui donnerent les fecours de leur art, & leguérirent. Quand il commenca a pouvoir dire quelques mots, le Gouverneur de Coni lui vint faire vifite : il fe trouva qu'ils étoient parents, même aflez proches., Les foins farent multipiiés par la tendrefle que le  de Louis XIV & de Louis XV. 309 Commandant de la Place concuc pour un prifonnier fon parent, que les circonftances rendoient intéreffant pour tout le monde. M. de Vaudrey recouvra fa liberté en même-temps que Ia vie. Cette üventure lui donna une grande célébrité. On ne parloit a la Cour que de fa bravoure, & de la compaiïion de Ia bonne femme. Le Roi fut curieux de voir un homme qui avoit échsppé a tant de périls. Quand M. de Vaudrey paffa l\ Paris pour aller joindre le Régiment de Brague qu'on Jui avoit donné après le fiege de Coni, il recut ordre de fe rendre a Verfailles. II repréfenta qu'étanc ob'igé de porter une calotte d'argenc pour couvrir fon crane qui étoic ouvert, & un cafque pour la foutenir, il rj£ pouvoit pas fe préfenter devanc Sa Majefté. On lui die que le Roi vouloit le voir„ II fut préfenté a toute Ia Familie Royale , qui fe fit raconter fon aventure dans toutes fes circonftances. Sa modeftie fuc encore plus admirée que fon courage, Depuis qu'il eut paru a Ia Cour, on ne 1'appella plus que 1'Officier de Coni. II fut rapidement avancé dans les grades. A fa douzieme année de fervice, on le fic Maréchal-de-Camp, & deux après Lieu^nant-Général. II foutint dans toutes les  400 Memoires ünecdotes aétions ou il fe trouva, la réputation do brave Officier de CaisL Au combat de 7ö»y2rf, je feu prit au vaiflèau de M. de Coetlogon par un coup de canon qui donna dans des grenades, öc dans un baril de poudre. La dunette tut enlevée avec ceux qui étoient deflua. Cet: intrépide Officier, qui mérita depuis ie Laton de Maréchal de France, éteignit ie feu, & revint prendre fon pofte. lf Chevalier d'Ih'ieres fut un des fepc Gardes de ia Marine enlevés lorfque la dunette fauta. Ayant été jecré h cinquante pas dans la mer fans ê;re bleffé, il nagea quelque temps, & eut le bonheur de rencontrer une planche, parle moyen de laquelle il fe foutint deux heures fur leau. II pafTa entre les deux Iignes, & eftuya pendant ce temps tout le feu de nos vaifiëaux & de ceux de 1'ennemi. II w la revue de tous, fans qu'il y en eut aucun qui voulut Ie fècourir; au contraire, s'étant approché d'une chaloupe, & ayant prié des matelots de Ie recevoir, ils Ie chargerent a coups d'aviron, & 1'un d'eux lui enfönca prefque I'eftoraac. On fe croyoit Angfois, paree qu'il avoit les cheveux Wonds. Enfin, après que plufieurs chaloupes lui en-  de Louis XIV & de Louis XV. 401 rent paffé fur le corps, lorfque l'èxcès de la laflltude le laiflbic fans efpérance, il fuc regu comme Anglois dans le vaiffeau du Chevalier de Rofmadée , fans y être reconnu d'auc-ün Officier, ni d'aucun Garde-Marine. On lui paria Anglois qu'il n'entendoit pas; & comme il demeura trois heures fans rien dire, paree qu'il avoit perdu connoifiance, les matelots pfétendirerit que c'éton un Huguenot qui ne vouloit pas répondre de peur d etre obligé de fe convertir. Peu s'en fallut qu'on ne le iettat a la mer. Au combat de Carpy, un Cavalier ennemi, dans le fort de la mêlée, vinc la bride entre les dents, décharger fes deux piftolets fur ie Comte depuis Maréchal de Tejfé; une balie donna dans fa perruque. Le Comte ne daigna pas fe fervir de fon épée.ni de fes piftolets; il fondit fur cet Officier , & le reconduifis a coups de canne dans fon Efcadron. M. de Longueval, Capitaine de Cavalerie au Régiment de la Feuillade, ayanr été détaché avec cinquante Maitres, je ne fais pour quelle expédition, prit un guide qui coanoiflbic fi mal les lieux,  402 Mémoires anecdotes que s'écanc égarés, ils fe crouverenc aü milieu du camp des ennemis h trente pas de la tente du Prince de Naffau. M. de Longueval, après avoir adroitemenc MéCGü"?F? Qu'il n'y étoit pas , entra dans la tente, le demanda, & dit qu'il venoit lui rendre compte d'une commifiion dont il 1'avoit chargé. 11 ajouta qu'il avoit eu beaucoup de fatigues, & pria qu'on lui fit donner quelques rafraichiffèments. On lui apporta des eaux glacées de toute efpece; & pendant le repas qu'il feignit de prendre, il examina tous ceux qui étoient dans la tente, & les ayant jugés incapables de luiréfifter, il s'en faifit, fit enlever tout ce qu'il trouva de meilleur, & traver fa le camp ennemi avec fon butin & fes prifonniers. II eft rare de trouver plus de fang-froid & de courage qu'il y en a dans cette aéfion.. M. Galland (i), Traduéteur des Mille & une nuit, débutoit par ces mots dans prefque tous fes conr.es: Ma chere foeur, fi vous ne dormez pas, faites-nousun de ces beaux contes que vous favez. (1) Né en 1646, nsort en 171 h  de Louis XIV & de Louis XV. 4°3 Cette uniformité déplut, & 1'Auteur en efiuya plufieurs railleries, entre autres celle-ci: Quelques jeunes gens qui venoiencde fbuper en Ville, pafiant paria rue Dauphine oü M. G^tend demeuroit, 1'appellerent de toute leur force. Èvejjlë par leurs cris, il fe jette hors de fon lit, ïkcourt toutnuda ra fenêtre. ri faifoit le plus grand froid. Après différentes queftions , les jeunes gens finiflent par lui dire: M. Galland, fi vous ne dormezpas, faites-noüs quelqiiun de cei beaux contês que vous favez. M. de Lauhanie étoit Gouverneur de Landau , lorfque le Roi desRomains vint former ie fiege de cette Place. Après un mois de tranchée ouverte, ce Prince lui fic foramer de fe rendre. „ II eft fi „ glorieux , répondit 3VL de Laubanie, „ de réiifter a un Prince qui a tant de „ valeur & de capacité, que je defire „ d'avoir encore quelque temps cette „ gloire ". Sur quoi ie Roi des Romains s'écria: „ 11 y a vraiment de la gloire a „ vaincre de pareils ennemis ". Le fiege ayant encore duré un mois,&un Trompette étant venu faire la même fommadon, avec ordre de demander au Commandant s'il vouloit donc s?enfevelir  4°4 Memoires anecdotes fous les ruines de la Piace , celui-ci répondit que le maufolée étoit trop beau pour ne point Vambitionner; mais qull tdcheroit de recuier l"honneur de la fépuiture Les Romains étoient auffi braves, maïs n'a.voient pas cette gaieté militaire. Une bombe avant éclaté auprès de M. de Laubanie, a la défenfe de ia lunette de ia porte de France,il fut bleiTé au-deflbus de 1'eftomac, & rendu aveugle par la terre & les pierres qui lui couvrirent le vifage. Les Officiers de la Garnifon jugeant qu'il n'étoit pas poffible de faire une plus longue défenfe, lui propoferent de fe rendre. II ne leur répondit pas; ce ne fut qu'a la derniere extrêmité qu'il fit battre la chamade. II obtinc une capitulation fort honorable, après foixante-neuf jours de tranchée ouverte. Le Duc de Bourgogne avoit laplus tendre efiime pour M. de Laubanie. On raconte qu'un jour il le préfenta a Louis XIV, en lui difant : Sire, voilé, un pauvre aveugle qui auroit befoin d'un baton. Le Roi ne répondit rien. M. de Laubanie fut fi frappé de ce filence , qu'il tomba malade, & mourut peu de temps après.  de Louis XIV& de Louis XV. 403 Palaprat, 1'affocié de Brueys dans la compotkion du Grondeur, finic par s'attacher a M. de Vendöme, qui le placa auprès de fon frere, en qualité de Secretaire des Commandements. II difoic au Grand-Prieur des vérités fort dures. Un jour le Maréchal de Catinat lui dit: Vous me faites trembler. — Raffurezvous, lui répondit Palaprat, ce font mes gages. L'Abbé de la Bourlie, homme de mauvaifes moeurs, & que Ie défordre de fes affaires avoit contraint de fortir de France, s'étoit retiré en Angleterre, ou il devint fanatique par humeur & par ambition. II étoit bien fait de fa perfonne, avoit quelque naiffance & quelque efprit, & étoit d'ailleurs h.irdi menteur : ne fachant plus que devenir, il avoit entrepris de tout fifquer pour fe procurer quelque établidèment. Afin de colorer fa défertion , il répandit a la Cour d'Angleterre que, quoique néCaiholique, il n'avoit pas ïaiffé de prendre de grands préjugés contre fa Religion; & que dans ces fentiments, il avoit toujours entretenu un commerce avec les Proteffants, & confervé avec ceux qui étoient reftés en France, des liaifons in-  4^6 Mémoires anecdotes times, & notammenc avec ceux de Languedoc. II afiura qu'on en verroic bientöc des eftets pour Ja caufe commune des Alliés, & pour la Religion Proteltante, pour peu qu'on voulut 1'aider, & lui en donner les moyens. II fut fi bien fe faire écouter, qu'on lui donna un Régiment de Dragons, & de 1'argent en abondance. II fe lia avec le nommé Ravenel, & d'autres de fon parti, qui avoient accepté la derniere amniftie, & étoient fords du Languedoc fous la foi des pafiè-ports, & fous promeife de n'y plus revenir. II arrêta avec eux, qu'ils fe couleroient infenfiblement a Montpellier & h Nimes, avec ce qu'ils pourroient ramafier de leurs gens, auxquels on feroit trouver des armes; qu'ils gagneroient dans ce pays tout autant de gens qu'ils pourroient, & que quand tout feroit pret, a un certain jour donc on feroit convenu , on égorgeroit les Commandancs, 1'ïntendant & autres Officiers du Roi; enfuice ils devoienccrier:. Liberté de confcience, & point d'impots. Ils fe flattoient par ce moyen de compofer un petit' Corps d'armée des habitants. du pays, avec lequel ils marcheroient vers les cötes, & y joindroient quatre mille hommes tant Anglois que Hollan-  de Louis XIV & de Louis XV. 407 dois, qui y devoient débarquer avec des armes, des munitions de guerre, de 1'argent, & 1'Abbé de laBourïie devenu Colonel. Cette pratique ne fut pas découverte d'abord, on eut feulement avis que les aflèmblées recommencoient; & fur cela, Sa Majefté envoya ie Duc de B er wiek, fuivi de quelques troupes, en Languedoc, a la fin de Mars 1705. IIy découvrit qu'il y avoit des Camifards cachés dans Montpellier. La garde des portes de cette Ville fut redoublée; on lui donna ordre de ne iaifièr fortir perfonne, & d'en permettre 1'entrée a tout le monde. Sur 1'avis que recut M. de Berwick, que trois hommes fe tenoient cachés chez un certain habitant, il enyoya le Prévöt avec fes Archers pour s'en faifir. II y en eut un de tué; les deux autres furent pris: on leur trouva des papiers qui firent découvrir un grand nombre de complices. L'un de ces deux hommes promic que fi on lui donnoit la vie, il nommeroic Ja maifon oü Ravenel & les autres Chefs fe tenoient cachés dans Nimes. On 1'y conduifit aufii - tot; & le Duc de Berwick partit avec 1'Intendant pour s'y rendre. Tous ces Chefs y furent trouvés & pris avec leurs complices on leur fit leur pro-  4oS Mémoires anecdotes cès, & ils furent brülés ou rompus. On en compta jufqu'a trois cents cinquante qui furent exécutés. Leur projet ayant manqué, le commerce & la tranquiilité du Languedoc fe rétablirenr. Jamais Savant n'a poulTé plus Join que le Pere Hardouin (i) 1'éxtravagancede 1'érudition & de la critique. if Xoutenoit, entre autres rêveries, que fi Fon excepte les CEuvres de Cicéron, 1'Hiftoire Naturelle dePline,les Géorgiques de Virgile, les Satyres & les Epicres d'Horace, & quelques autres Ouvrages de ce genre, tous les autres écrirs des Anciens avoient été fabriqués dans le treizieme fiecle par des frippons de Moines qui s'étoient donné lemot pours'appeller Homere, Platon , Ariftote, Plutarque, Tertulien, Origene, Bafi'e, Auguftin , &c. Suivant ce Pere, aucune médaille ancienne n'eft authentique, ou du moins il y en a trés-peu; encore faut-il, en expliquant celles-ci, prendre chaque iettre pour un mot entier. Par ce moyen, difoit - il, on découvre un notivel (ij Né en 1646, mort en 171,9.  de Louis XIV & de Louis XV. 409 nouvel ordre de chofes dans l'Hiftoire. Un Savanc Antiquaire crue qu'on ne pouvoic réfuter cecte bizarre facon d'interprêter les médailles, que par une plaifanterie. „ Non, mon Pere, lui dit-il un „ jour, il n'y a pas une feule médaille „ ancienne qui n'ait été frappée par les „ Bénédictins : Je Ie prouve; ces lettres „ Con. ob. qui fe trouvent fur plufieurs „ médailles, & que les Antiquaires ont "„ la fimplicité d'expliquer par Co n s- „ tantinopoli Obs1gnatu m, „ fignifient évidemment : Cufi omnes „ nummi officind BenedicJind ". Cette interprétation ironique fic fourire le Pere Hardouin, mais ne lui fic pas changer de léncimenc. Un Jéfuite, fon Confrère & fon ami, lui repréfentanc un jour que le Public étoit fort choqué de tous fes paradoxes, le Pere Hardouin lui répondit brufquement : „ Croyez-vous donc que je me „ ferai levé toute ma vie a quatre heures „ du matin, pour ne dire que ce que '„ d'autres avoient dit avant moi" ? Mais, lui répliqua fon ami, il arrivé quelquefois qiien fe levant fi matin, on compofe fans être bien éveillé', & qu'on débite ' les rêveries d'une mauvaife nuit pour des véritês démontrêes. Tome II. S  41 o Mémoires anecdotes Quelque temps après que ce Pere eut publié fon Syftême de la fuppofinon des Auteurs, il fut chargé par le Clergé de France de travailler a une édition des Conciles. Le Pere le Brun de 1'Oratoire, alla levoir dans le temps qu'il étoit occupé de cette importante Colleétion, & lui dit: „ Si ce que vous avez avancé „ eft vrai, vous travaillez bien infruc„ tueufement, & vous allez publier un „ Recueil de fauflètés, de fourberies & ,, d'impouures qui ont été fsbriquées „ pour détruire la Religion ". Le Jéfuice garda un moment le filence; & puis il s'écria dans une efpece d'enthoufiafme : E ny a que Dieu & moi qui fachions la force de robjetlion que vous me faitss ici. Les Supérieurs du Pere Hardouin l'obligerent de donner une récrcéfation de fes rêveries; il la donna, & n"y fut pas moins attaché. Quoique lesfentimentsde ce dofte vifionnaire menent a un pyrrhonifme univerfel, il n'en fut pas moins toute fa vie un modele de régularité, de piété & de religion. Peu de jours avant fa mort, il s'écria dans reffafion de fon cceur: „ O mon Dieu 1 on a beau dire „ que je ne crois rien : je vous aime de „ toute mon ame, & vous rerriercie de  de Louis XIV & de Louis XV. 411 „ m'avoir óté la foi humaine, pour me „ laiflèr la foi divine Trop de facilicé dans le nouveau Roi d'Efpagne (Philippe V) 1'expofoic fouvent 3 de fauffes démarches.II avoir. confenci (en 1701) que fa Nourrice le fuivu a Madrid, & cette femme netardapas a abufer des bontésdu Prince. Elle avoic une cour; elle ne rendoit pas les vifites aux femmes de condition; elle voulut faire ouvrir une porte fur un efcalier dérobé , par oü elle feroit defcendue dans 1'appartement du Roi.. L'Ambaffadeur de France 1'empêcha. De petites chofes peuvent avoir de grandes fuites , & Louis XIV y donna toute fon attention. Torci marqua plus d'une fois au Duc d'Harcourt , qu'il ne convenoic poinc que la Nourrice, quoique bonne femme, fit aucune figure. II efi facile (ce font fes termes) que la tête tourna aux Francois, & principalement aux Frangoifes, en Pays étranger. Cette femme avoit obtenu du Roi, pendant qu'iljouoit au Billard, 1'entretien d'un attelage de huit chevaux fans la pardcipation de notre Ambaifadeur; & 1'on remarquera que, pour foulager les finances d'Efpagne, on venoit de réduire h S ij  412 Mémoires anecdotes fix les Gentilshommes de la Chambre, qui étoient au nombre de quarantedeux. De quel ceil, des Grands, privés de leurs Charges par économie, devoient - ils voir le fafte de cette Etrangere ? La Nourrice fut rappellée en France. Lorfque le Duc de Vendöme commandoit 1'Armée des deux Couronnes en Lombardie, la défertion étoit confidérable parmi les Italiens. En vain la peine de mort étoit exécutée contre les déferceurs; rien ne pouvoit fixer le Soldat fous fes drapeaux. A la fin, le Général qui connoiflbit la foiblelfe des Italiens, fit publier que tous ceux qui déferteroient, feroient pendus a finfiant, & fans l'afliftance d'aucun Prêtre. Cette punition, comme on 1'avoit prévu, fit fur eux plus d'impreflion que la mort même. lis auroient bien rifqué d'être pendus; mais ils n'oferent pas courir le rifque d'être pendus fans confeifion. En 1710, le Duc de Vendöme fut envoyé au fecours de Philippe V, Roi d'Efpagne. Ce Général n'eut pas plutoc palfé les Pyrénées, qu'il vit les Grands délibérer fur le rang qu'il tiendroit parmi eux. „ Tout rang m'efl bon, leur „ dit - il; je ne viens point vous dif-  de Louis XIV& de Louis XV. 413 „ puter le pas , je viens fauver votre „ Roi". Ce Monarque difoit un jour au Duc de Vendöme : „ II eft furprenanc qu'étant „ le fils d'un pere dont le génie étoit „ borné, vous excellierdans la fcience „ militaire". Mon efprit, répondit Vendöme, vient de plus loin. II vouloit faire entendre qu'il refièmbloit a Henri IV, dont il étoit arriere-petit-fils. On vit fe former & s'exécuter , en 1703, une entreprife odieufe, que ne peut excufer l'amour de la liberté qui la fuggéra. Le Comte de la Barre, Officier de la Garnifon de Montauban, un npmmé La Place, Tréforier des Bailliagós de Ternier & de Gaillard, & un autre Gentilhomme avoient été renfermés pour differents fujeis au Chateau de Pierre-en-Cife a Lyon. II n'y avoit pas d'apparence qu'ils duflent être fitöt élargis. C'eft ce qui les fit réfoudre a périr ou a fe fauver, préférant le danger de la mort, aux tourmencs d'une longue & dure captivité. Le Comte de la Barre n'étoit, a proprement parler, qu'un prifonnier de guerre qu'on avoit furpris dans Chambery, oü il s'étoit introduic pour le fervice du Duc de Savoie. II S iij  414 Mémoires anecdotes avoic la permilfion d'écrire a fes amis, & 1'on ne décachetoit poinc les lectres qu'il en recevoic. Son projec étanc formé, il profica de la liberté qu'on lui laiflbic, 65 de la négligence du Gouverneur, pour mander a fes amis qu'on lui tint des chevauxprêts pourun cenain jour, qui étoit le 22 de Mai. Après avoir bien difpofé les compagnons de fa caprivité, il alla trouver Matmeville, Gouverneur duChaV teau, & lui dit qu'ayant appris que fa femme étoit accouchée d'un fils, il fouhaicoic fe réjouir de cette heureufe nouvelle avec plufieurs autres prifonniers; qu'il alloit donner un repas a ce fujet, & qu'il le prioit d'être de la partie. Le Gouverneur y confentit, & fe rendit dans la chambre du Comte, avec fon Major & plufieurs perfonnes du dehors. Après le repas, le Major fortit pour reconduire les convives étrangers. Manneville le fuivit & fe rendit dans fa chambre, ou il fe mit dans un fanteuil, un livre a la main. Les Conjurés demeurés feuls, delibérerent fur ie parti qu'il y avoit 3 prendre. Effrayés de 1'horrible attentat qu'ils alloient commetcre, quelques-uns propoferent de différer; mais le Comte leur ayant fait voir le danger d'un retardement, la craince d'être découvens les  de Louis XIV &de Louis XV. 41 $. déterraina a cecte exécution. lis fortirenc au nombre de cinq; deux refterent dans la cour, & les trois autres monterent a la chambre du Gouverneur, qui ne fe défiant point du danger qui le menacoit, les recut a fon ordinaire. Ils fe jetterent fuiv lui, & lui mirent un baillon pour 1'empécher de crier. Leur intention écoit peuc-êcre d'en refter Fa; mais le Gouverneur ayanc voulu faire de la réfifcance, il fuc poignardé h Finftanc. Les cris qu'il poufla attirerent une fervante, qui voulut fonner la cloche pour donner 1'allarme; mais elle eut le même fort que fon maitre. Après lui avoir donné un coup de poignard, ils lui lierent les pieds & les mains, & la laiffèrent expirante a cöté de lui. Les deux autres prifonniers reftés exprès dans la cour, envoyoient les gardes 1'un après 1'autre dans la chambre, & a mefure qu'ils entroient on les mafiacroir. Un jardinier & un cuifinier furenc aufii poignardés. Enfuite, le Comte de la Barre fit ouvrir tous les cachots, en criant: Sauve qui peut, le Gouverneur efi tué avec toute fa garde. Plufieurs prifonniers qui n'étoient la que pour caufe de Religion, refuferent d'accepter la liberté qu'on leur ofitoit de cette maniere. Ils aimerent mieux la de voir a S iv  416 Mémoires anecdotes leur innocence , ou a la cléraence du Roi. Le Comte de la Barre fortit, lui cinquieme, par une porte de derrière. Ils monterent fur des chevaux qu'on avoic eu foin de tenir prêts, & fe rendirent en diligence a Geneve. La Maréchauflee avertie trop tard, courut inutilement après; eux. M. de Chamillard écrivic a 1'Ambaffadeur du Roi en Suiflè, & au Réfidenc a Geneve; mais ils firent de vains effóïts pour qu'on leur remic les coupables. ïl '. 3ir!!).*j C: l.ih'i) ItfllléVÏÜQ M. de Seignier, Lieutenanc-Colonel du Régiment de Provence Infanterie, fit des aéfions de valeur fort éclatantès au fiege de Namur, a Steenkerque & a Nerwinde; mais ce qui Ie diftingua furtout, ce fut 1'indignation qu'il montra lors de la bataille d'Hochftet, 'quand on vint lui propofer de figner la capitulacion de Plinthem. On fe fouvient que vingt-fept Bataillons étoient enfefmés dans le village de ce nom, & qu'ils ferendirent fans avoir tiré 1'épée. M. de Seignier commandoit fa Brigade de'Navarre. On vint lui dire qué tous les Officiers fupérieurs avoient figné la capituJation par laquelle ils fe rendoient prifonniers de guerre, & qu'il ne refioit plus  de Louis XIV'& de 'Louis XV. 417 qu'a prendre fa fignature. II eut horreur de cette propofition 2 il foula fon épée aux pieds; & fes foldats, excités \ 1'honneur par fon exemple, briferent leurs armes & enterrerent leurs drapeaux. Le Roi créa M. de Seignier Maréchal-deCamp. Louis XIV craignic quelque temps un attentat contre la perfonne même de fon petit-fils, Ie Roi d'Efpagne; & fur des avis recus de toutes parts (en 1702), il fuppofa le Prince Eugene capable d'un crime fi noir. II avoit déja envoyé fix Gentilshommes Francois, qui ne devoient point quitter Philippe a I'armée, fans que Fon fut les motifs de cette précaution. LeDuc de Vendöme étoit averti de veilIer fpécialement k Ia confervation dn Prince. On en fit un devoir particulier a 1'Ambafiadeur; Torci. en écrivic même h Louvüle par ordre du Roi, & lui marqua \ Le Prince Eugene ne croit pas avoir dautres reffources pour fortir avantageufement de Vembarras oü il fe trouve. On ne fauroic croire que de tels foupcons eufienc un fondement folide. Un Nouvellifie de 1'Armée ayant écric que la crainte de quelque attentat des ennemis contre la perfonne du Roi, avois S v  4'.8 Memoires anecdótes fait renforcer fa garde ordinaire, & Ia lettre ayant été interceptée, Eugene la renvoya au Duc de Vendöme avec un manifefte de fa main, concu en ces termes : „ Cette lettre a été prife par un „ de nos partis. L'on fait favoir a M. „ le Duc de Vendöme & a toute 1'Ar„ mée, que le Prince Eugene n'a jamais „ été un affaflin, & qu'il n'y a aucune „ raifon qui put 1'obliger a une aufii in„ fame aclion : il eft même connu dans „ le monde fur le pied de ne fervir que „ pour 1'honneur & la gloire ; outre „ qu'il fert un maitre qui n'a jamais „ employé de pareiis moyens, & qui „ eft incapable de les commander. Ainfi, „ s'il n'y a d'autres raifons que cela qui „ ait fait redoubler les gardes, on les „ peut, fur ma parole, lailfer dans le pre„ mier état". Quelle apparence en effet qu'Eugene eut midité ce crime affreux? Wlais les avis qu'avoit recus la Cour de France, ne devoient pas être négligés: ils auroient dü feulement demeurer fecrets. Le Prince Eugene, après la bataille SHochftet, invita les prifonniers Francois ii un Opéra; & au-lieu d'une Piece fuivie, il fit chanter cinq Prologues de Quinault a la louange de Louis XIV. „ Vous voyez, dit-il, Meflieurs, que  de Louis XIV & de Louis XV. 419 ,, j'aime a entendte les louanges de vo„ ere Maitre ". Le Prince de Courtenay, 1'Abbé fon frere, & le fils unique du premier, auxquels cetce branche fe trouvoic réduite, préfenterent au Régent une proteftation refpeéfueufe, mais forte & bien écrite, pour la confervation de leur état, comme ils 1'ont toujours fait, aux occafions qui s'en font préfentées, & a chaque renouveSlement de regne. Elle fut recue poliment, & n'eut pas plus de fuccès que toutes les précédentes. L'iniufiice conftante, faite a cette branche de la Maifon Royale iffue du Roi Louis le Gros, a du furprendre d'autant plus, que dans aucun temps perfonne n'a contefté a cette Maifon fon extraction vraiment royale, & que Louis XIV lui-même Ia reconnoiiToit telle. Ce Prince de Courtenay étoit un homme dont Ia figure annoncoit bien ce qu'il étoit. Le Cardinal Mazarin eut envie de voir s'il en pourroit faire quelque chofe; fon deflein étoit de lui donner une de fes nieces. Afin de l'éprouver a loifir, il le mena dans fon carrofle , de Paris a Saint-Jean-de-Luz, pour les Conférences des Pyrénées. Ce voyage ne fe fit pas fans plufieurs féjours. S vj  420 Mémoires anecdotes' Le Prince de Courtenay étoit né en 1640; il avoit donc alors prés de vingt ans. II n'eut ni l'efprit,.ni le fens de proiicer d'une fi bonne fortune. I! pafia touc. ce voyage avec les Pages du Cardinal, qui ne le vit jamais qu'en carrofie, & qui défefpéra d'en pouvoir faire quelque chofe. Aufii 1'abandonna-t-il en arrivanc a la frontiere, •■ d'oü il revint comme il pur. II ne laiffa pas de fervir, & même' avec valeur, dans plufieurs Campagnes de Louis XIV. Le Cardinal du Bois fé piqua de le tirer de 1'efpece de mifere oü il vivoit, & lol fit donner de quoi payer fes dettes & faire quelque figure. II mourut en 1723. Son fils ainé, fimple Moufquetaire, fut tué au fiege de Mons que le Roi faifoit en perfonne. A 1'occafion de cette perte, Louis XIV alla voir le pere, & cela fut remarqué, paree que depuis long-temps il ne faifoit plus cet honneur a perfonne, & que M. de Courtenay 'ne jouiflbic auprès de lui d'aucune diftin&ion. Son autre fils fervit peu, & fut un très-pauvre homme. II époufa une feeur de M. de Fertus, revenue de Lisbonne, & veuve de Gonzalès-JofephCarvalho Palatin , Sur-Intendant des batiments du Roi de Portugal. C'étoit une femme de mérite, qui neut point d'en-  de Louis XIV & de Louis XV. 421 fants de fes deux maris. M. de Courtenay vécut très-bien avec elle; il étoit riche, fe portoit bien, & fa tête faifoit plus craindre 1'imbécillité que la folie. Cependant un matin que fa femme étoit h la Mefle aux petits Jacobins, on entendit fur les neuf heures deux coups de piftolet tirés fans intervalle; & fes gens étant montés dans fa chambre, le trouverent mort dans fon lit, quoiqu'il n'eüt aucun fujet de chagrin, & qu'il eut paru fort gai tout le jour de la veille. On étouffa ce malheur, qui éteignit enfin la malheureufe branche de Courtenay; car il ne refta plus que le frere de fon pere, qui étoit un Prêtre de fainte vie. II avöit 1'Abbaye de Saint-Pierre d'Auxerre & le Prieuré de Choifi en Brie. II mourut dans une grande vieilleffè, le dernier male de la Maifon de Courtenay. II iaiffa une niece, fille de fon frere, & mariée au Marquis de Bauffremont. En 1706, le Duc de la Feuillade avoit été chargé du fiege de Turin. Comme cette opération étoic importante & difficile, Vauban offric de fervir comme Volontaire dans 1'Armée, & uniquemenc pour donner fes confeils a la Feuillade. Celui-ci le refufa, & dit audacieufe-  422 Mémoires anecdotes ment : fefpere prendre Turin & la Coehorn; c'étoit le nom du Direfteurgénéral des fortifications des ProvincesUnies, & Ie rival de Vauban. Cependant la Feuillade s'y prenoit fi mal, qu'apres deux mois il ne fut pas plus avancé que le premier jour. Louis XIV confulta iur ce fiege Vauban, qui offrit encore d aller conduite les travaux. Mais, Monfieur le Maréchal, lui dit Ie Roi, fongez-vous que cet emploi efi au-deffous de votre dignitéï „ Sire, répondit Vau„ ban, ma dignité eft de fervir 1'Etat. „ Je laiflerai le baton de Maréchal de France a Ia porte, & j'aiderai peut„ être le Duc de la Feuillade a prendre „ la Ville ". Ce vertueux Citcyen fut refufé, paree que 1'on craignit de mortifier Chamillart, Miniftre de la guerre, & beau-pere du Général. Tout le monde fait qu'on fut obligé de lever le fiege de Turin. Le Cardinal de Noailles alloit fouvent vifuer les pauvres, les prifonniers & les malades de Bicêtre. Dans une de fes vïfites, il demanda a voir le quartier des perfonnes détenues pour caufe de folie. Un homme d'environ quarante ans fe préfente a Son Éminence, & la fupplie  de Louis XIV & de Louis XV. 423 de lui procurer fon élargifTement. „ Je „ mérite, Monfeigneur, lui dit-il, que „ vous vous intérefliez en ma faveur. Je „ jouiflbis d'une fortune honnête ,• & „ mes parents, pour avoir mon bien, „ m'ont accufé de folie, & ont eu alTez „ de crédit pour me faire enfermer dans „ cette maifon. Je conjure Votre Emi„ nence de me queftionner fur toutes „ fortes de fujets; elle reconnoitra par „ elle-même 1'injuftice de ma détention ". En eifet, le Cardinal, après une demiheure d'entretien, le trouva de très-bon lens, & ne doüta pas que le prifonnier ne fuc la viclime de 1'avidité de fes parents. „ Je plains votre fort, lui dit-il, &je vous promets de travaillera vous „ procurer inceffamment votre liberté. „ Je reviendrai la femaine prochaine, „ & j'efpere apporter avec moi, 1'ordre „ de votre délivrance.—J'ai encore une „ grace a vous demander, Monfeigneur, „ lui dit le prifonnier; ne venez pas un „ Samedi, paree que je recois ce jour,, la la vifite des ames du Purgatoire. „ —-Vous faites bien de m'en avertir, „ lui dit le Prélat en fe ricirant ". L'Abbé de Saint-Pierre (1) eut pour (1) Né en 165js mort en 174].  424 Mémoires anecdotes condifciple, au College de Caen, Varignon, qui depuis s'eft rendu célebre comme Mathématicien. Ce dernier étoit peu favorifé des biens de la fortune, & ne pouvoit continuer fes études. L'Abbé de Saint -Pierre, frappé des talents de ce jeune homme pour les Mathématiques, le logea avec lui , & , toujours plus touché de fon mérite, réfolut de lui faire un fort qui le 'mit en état de culnver fon génie. Cet Abbé, cadet de Normandie, n'avoit que dix-huit cents livres de rente; il en détacha trois cents qu'il donna par contrat a Varignon. Ce peu, qui étoit beaucoup par rapport au bien du donateur, étoit beaucoup aufii relativement aux befoins du donataire : Fvun fe trouva riche, & 1'autre heureux d'avoir enrichi fon ami. L'Abbé de Saint-Pierre étoic perfuadé que les chofés importantes ne peuvent être remifes trop fouvent fous les yeux du Leéteur. II y a d'excellentes chofes dans vos Ouvrages, lui difoit-on quelquefois; mais elles y font trop rèpêtées. I! demandoit qu'on lui en citat quelques-unes; & on n'étoit pas embarrafle. „ Vous les avez donc retenues, ajoutoit„ il? Voila jufiement ce que je me pro„ pofois en les répétant; fans cela vous  de Louis XIV & de Louis XV. 425 „ ne vous en fouviendriez plus aujour„ d'hui ". Ce bon Abbé s'étoit déclaré, par fes maximes & par fa conduite, contre le célibat des Prêtres ; mais il refpecla toujours le lit conjugal. II fe choififlbic de jolies fervantes; & lorfqu'elles lui donnoient des enfants, il avoit foin de leur faire apprendre quelque métier. II les deftinoit de préférence a celui de perruquier, paree que les têtes a perrüque, difoit-il, ne manqueront jamais. L'Abbé de Saint-Pierre étoit Aumö nier de Mademoifelle, & ce titre lui fit tort dans la fuite. II faifoit valoir, dans un de fes livres, 1'avantage de la pluralité des Confeils; les ennemis de la Régence firent femblant d'y voir une fatyre dü Gouvernement de Louis XIV, & facherent de mordfier le Régent dans un Officier de fa Maifon. Mais ne pouvant rien faire de juridique contre 1'Abbé, ils cabalerent dans 1'Académie, dont il étoit membre, pour 1'en faire exclure, II n'en refh pas moins 1'ami des Acadé miciens lettrés, qui obtinrent que fa place ne feroit remplie qu'a fa mort. La Comteffe de Soifons mourut a  4*6 Mémoires anecdotes Bruxelles dans le plus grand- abandon, pauvre & méprifée de touc le monde, fort peu confidérée du Prince Eugene fon illuftre fils. Ce fut en fa faveur que le Cardinal Mazarin fon oncle, créa, au mariage du Roi , la charge de SurIntendante. Elle fut la maicrefiè de la Cour, 1'arbitre des grades & des fêtes , jufqu'a ce que la craince de partager fon empire avec les autres favorites , la jetta dans une folie qui la fit chafièr, ainfi que Fardés & le Comte de Guiche. Elle fit fa paix & obtint fon retour par la démifiion de fa charge, qui fuc donnée a Madame de Montefpan, dont le mari ne vouluc recevoir aucune grace, du Roi, qui ne pouvanc la faire Ducheffe , & ne fachant commenc la faire affeoir, fuppofa que la charge de SurIncendance emportoic le Tabourec. A fon recour, la Comtefle de Soifibns fe vit dans un état bien different de celui d'oü elle étoic tombée. Elle fe trouva tellement impliquée dans l'afFaire de la Voifm, brülée en Greve pour fes poifons & fes maléfices, qu'elle prit leparti de fe réfugier en Flandres. Elle pafla de Flandres en Efpagne, oü les Princes étrangers' n'ont ni rang ni diftinétion. La Reine, fille de Monfieur, n'avoit  de Louis XIV & de Louis XV. 427 point d'enfants, & avoit tellement gagné 1'eftime & le cceur du Roi fon mari, que la Cour de Vienne craignit tout de fon crédit, pour détacher 1'Efpagne de Ja grande alliance faite contre la France. Le Comte de Mansfeld étoit Ambafladeur de 1'Empire a Madrid; dès fon arrivée , la ComteflTe de Soiffons lia un commerce intime avec lui. La Reine, qui ne refpiroit que France, eut un grand defir de voir la Comtefle; mais le Roi d'Efpagne, qui avoit oui parler d'elle, & a qui il venoit des avis qu'on vouloit empoifonner la Reine, eut toutes les peines du monde a y confentir. II permit a la fin qu'elles fe viflènc quelquefois les après-dinées, & prefque toujours en fa préfence. Les vifites redoublerent, & toujours avec répugnance de la part du Roi. II avoit demandé en grace a la Reine de ne jamais goüter vin qu'elle n'en eüt bu le premier, paree qu'il favoit bien qu'on ne Ie vouloit pas empoifonner. Le lait eft trésrare k Madrid ; un jour qu'il faifoit grand chaud, la Reine cn defira , & la Comtefle, qui peu-a-peu avoic ufurpé des moments de tête-a-têce avec elle, lui en vanca d'excellenc, qu'elle promit de lui apporter a la glacé. On pré-  428 Mémoires anecdotes tend qu'il fut préparé chez le Comte de Mansfeld. La Comtefle de Soifibns 1'apportaa la Reine, qui le but & qui mourut peu de temps après, comme Madame fa mere. La Comtefle, qui avoic donné ordre a fa fuite, ne s'amufa point au palais; elle vint chez elle ou fes paquets étoient faits, & s'enfuit en Allemagne, n'ofant pas plus demeurer en Flandres qu'en Efpagne. Dès que la Reine fe trouva mal, on fut ce qu'elle avoit pris, & de quelle main. Le Roi d'Efpagne envoya chez la Comtefle de Soifibns, qui ne fe trouva plus. II fit courir après de tous cötés; mais elle avoit fi bien pris fes mefures, qu'elle échappa. Elle vécut quelques années obfcurément en Allemagne , d'ou elle retourna en Flandres, pour y vivre dans un délaiflementprefque abfolu. Mémoires de SaintSimon. Pradon (i) ayant fait une Piece de Théatre, s'en alla, le nez dans fon manteau, fe mêler dans la foule du Parterre, afin de fe dérober a la flatterie, & d'apprendre, fans être connu, ce que lè (i) Mort en 169S.  de Louis XIF & de Louis XV. 429 public penferoic de fon Ouvrage. Dès le premier aéte, la Piece fut fifflée. Pradon qui s'étoit attendu a de grands applaudilfements, perdic d'abord contenance. Un de fes amis qui 1'avoit accompagné, s'appercevant de fon trouble , le prit par le bras, & lui dit: „ Monfieur, tenez „ bon contre ce revers; & fi vous m'en ,. croyez, faites comme les autres, ii „ vous ne voulez pas qu'on vous foup„ conne d'être 1'Auteur de la Piece ". Pradon revenu a lui-même, goüta ce confeil, & fe mit a fiffler de toutes fes forces. Un Moufqueraire 1'ayant poufle rudement, lui demanda pourquoi il fiffloit, ajoutant que la Piece étoit bonne & que fon Auteur méritoit d'être encouragé. Pradon repoufla le Moufquetaire, & jura qu'il fiffleroit jufqu'au bout. Le Moufquetaire, irrité de cette réponfe , prend le chapeau & la perruque du Poëte & les jette fur le Théatre. Pradon, fenfible a cet affront, donne un foufflet au Moufquetaire ; & celui - ci mettant 1'épée a la main, veut tuer fon adverfaire, & lui fait deux croix fur Ie vifage. Enfin, Pradon, fifflé, battu & content, gagne la porte, & va fe faire pan fer. Jamais Poëte ne fut plus ignorant que  43° Mémoires anecdotes Pradon. Dans quelques-unes de fes Pieces , ii tranfportoic en Afie des Villes d'Europe. Un Prince luien ayant fait des reproches : „ O! lui répondit Pradon, „ Votre Alteflè m'excufera, cefi: que „ je ne fais pas la Chronologie ". M. le Grand-Prieur s'étant ofFenfé de quelques paroles peu ofFenfantes que le Prince de Conti avoit dites, 1'aborda dans la cour de Meudon , le chapeau fur la tête & enfoncé jufqu'aux yeux. comme s'il vouloit tirer raifon de lui. Le Prince de Conti le fit fouvenir du refpecl qu'il lui devoit. Le Grand-Prieur lui répondit qu'il ne lui en devoit point. Le Prince de Conti lui paria avec toute la hauteur, & en même - temps avec toute la fageftè dont il étoit capable. Comme il y avoit du monde, cela n'euc point d'autre fuite : mais Monfeigneur qui fut la chofe un moment après, & qui fe fentit irrité contre le GrandPrieur, envoya le Marquis de Gêvres pour en donner avis au Roi; & fur le champ, Sa Majefté fit venir M.de Pontchartrain , a qui il donna fes ordres pour envoyer M. te Grand-Prieur a la Baftille. Tout le monde loua M. le Prince de Conti.  de Louis XIV& de Louis XV. 431 . Le Pays (1) étoic un Poëte médiocre, dont la gaiecé faifoit le principal mérite. Un jour qu'il voyageoit en Languedoc , le Prince de Conti qui paffbit fa vie dans cette Province, s'écarta de fon équipage de chaife, vint & une hötellerie oü étoit le Poëte, & demanda a 1'Höte s'il n'y avoit perfonne chez lui. On lui répondit qu'il y avoit un galant homme, qui faifoit cuire une poularde dans fa chambre pour fon diner. Le Prince qui aimoit Èt s'amufer y monta, & trouva Le Pays appliqué a parcourir des papiers. II s'approcha de la cheminée, en difant: „ La poularde eft cuite, il faut „ la manger". Le Pays qui ne connoiffoit pas le Prince, ne fe leva point, & lui répondit: „ La poularde n'eft pas cuite, „ & elle n'eft que pour moi". Le Prince s'opiniatra k dire qu'elle étoit cuite, & Le Pays foutint qu'elle ne 1'étoit pas. La difpute s'échauffoit, lorfqu'une partie de la Cour du Prince arriva. Le Pays 1'ayant reconnu, quitta fes papiers, Sc courut fe jetter aux genoux du Prince, en lui criant: Monfeigneur, elle ejl cuite, elle eft cuite. Le Prince de Conti fe (1) Né cn 1656, mort en 16^0.  432 Mémoires anecdotes divertit beaucoup de cette aventure, & dit au Poëte, avec cet air de bonté qui lui étoit naturelle : Puifqü'elle eft cuite, il faut la matiger enfemble. Ce Prince n'avoit jamais pu regagner la confiance & 1'amitié du Roi. 11 étoit né ambitieux, & jamais il neput atteindre a quoi que ce fur. Seul, de tous les Princes, il n'avoit ni Gouvernement, ni Charge, ni même de Régiment; tandis que les autres, & fur-tout les Bdtards, en étoient accablés. Défefpéré de cette haine implacable du Roi, il chercha a noyer fes déplaifirs dans le vin, & dans d'autres amufements qui n'étoient plus de fon age , & auxquels fon corps affoibli par les excès de fa jeuneffe, ne put fuffire long-temps. Bientöt la goutte 1'accabla ; il fe vit en proie a tous les chagrins, fans pouvoir faire ufage des feuls remedes qu'il eut adoptés pour s'en diftraire. Pour comble d'amertume, il ne vit un retour glorieux & certain que pour le regretter. Chamillart dont les lumieres étoient bornées, mais qui avoit ie cceur droit & Francois, fentoit le défordre des affaires & les befoins preflants de la Flandre ; il ofa montrer au Roi & a Madame de Maintenon , le Prince de Conti, donc lanailfance même lecédoit v a  de Louis XIV& de Louis XV. 433 a la réputation , comme notre unique reflburce dans le facheux état de cette frontiere & de 1'Armée qui Ia défendoir. La nécefiité forga Louis XIV a fe relS-. cher de fahaine^ & Chamillart eut Ia, permifllon d'annoncer au Prince qu'il étoit choifi pour commander 1'Armée de Flandres. Conti treflaillit de joie» & fe livra fans réferve aux plus flatteufes efpérances : mais il n'étoit plus temps de les réalifer; il étoit mourant, & ce retour tardif ne fervit qu'k lui faire regretter la vie. II périt lentement, avec Ia douleur d'être conduit a la mort par les difgraces, & de ne pouvoir retourncr a la vie par 1'ouverture d'une carrière^ plus brillante qu'il ne 1'avoit efpéré. Ce Prince , contre 1'ordinaire de ceux de fon rang, avoit été extrêmemenf. bien élévé. II étoit fort inftruit, & les défordres de fa vie n'avoient fait qu'offufquer fes connoiflances, fans les éteindre. Comme Ie Satyrique Frangois ne fe montra d'abord que fimple fpectateur dans la fameufe querelle fur les Anciens & les Modernes, le Prince de Conti dit un jour a Racine:,, Si Boileau continue „ encore a garder le filence, vous pou„ vez 1'afiurer que j'irai a 1'Académie „ écrire fur fon fauteuil: Tu dors, Bru- Tams II. T  432 Mémoires anecdotes divertit beaucoup de cette aventure, & dit au Poëte, avec cet air de bonté qui lui étoit naturelle : Puifqu elle eft cuite, il faut la manger enfemhle. Ce Prince n'avoit jamais pu regagner la confiance & 1'amitié du Roi. li étoic né ambitieux, & jamais il nepuc atteindre a quoi que ce für. Seul, de tous les Princes, il n'avoit ni Gouvernement, ni Charge, ni même de Régiment; tandis que les autres, & fur-tout les Batards, en étoient accablés. Défefpéré de cette haine implacable du Roi, il chercha a noyer fes déplaifirs dans le vin , & dans d'autres amufements qui n'étoient plus de fon nge , ékauxquéls fon corps affoibli par les excès de fa jeunefie, ne put fuffire long-cemps. Bientöc la gontte 1'accabla ; il fe vit en proie a tous les chagrins, fans pouvoir faire ufage des feuls remedes qu'il eut adoptés pour s'en diftraire. Pour comble d'amercume, il ne vit un retour glorieux & certain que pour le regretter. Chamillart dont les lumieres étoient bornées, mais qui avoit le cceur droit & Francois, fentoit le défordre des affaires & les befoins prelïïmts de la Flandre ; il ofa montrer au Roi & a Madame de Maintenon , le Prince de Conti, donc la naiffance même le cédoit a  de Louis XIV& de Louis XV. 433 a la réputation , comme notre unique reiïburce dans le facheux état de cecte frontiere & de 1'Armée qui la défendoit. La néceffité forca Louis XIV & fe relê-. cher de fa haine^ & Chamillarc euc la permiffion d'annoncer au Prince qu'il étoit choifi pour commander 1'Armée de Flandres. Conci treflaillic de joie, & fe livra fans réferve aux plus ffotteufes efpérances : mais il n'écoic plus cemps de les réalifer; il étoic mouranc, & ce retour tardif ne fervit qu'a lui faire regrecter la vie. II péric lencemenc, avec la douleur d'être conduit a la mort par les difgraces, & de ne pouvoir retouracr a la vie par 1'ouverture d'une carrière^ plus brillante qu'il ne 1'avoit efpéré. Ce Prince , contre 1'ordinaire de ceux de fon rang, avoit été excrêmemenc bien élévé. II étoit fort inftruic, & les défordres de fa vie n'avoient faic qu'ofFufquer fes connoifiances, fans les éteindre. Comme le Satyrique Frangois ne fe montra d'abord que fimple fpeclateur dans la fameufe querelle fur les Anciens & les Modernes, le Prince de Conti dit un jour k Racine:,, Si Boileau continue „ encore a garder le filence, vous pou„ vez 1'afiurer que j'irai a 1'Académie „ écrire fur fon fauteuil: Tu dors, Bru- Tome II T  434 Mémoires anecdotes „ tus ".Boileau fe réveilla, & donna contre Perrault les Réflexions fur Longin. Duguay-Trouin (i), qui pouflbit l'amour de la difcipline militaire jufqu'a la févérité la plus inflexible, étoit pourtanc le meilleur ami de ceux qui fervoient fous lui. Ayant obtenu, en 1707, une pension de Louis XIV pour une aétion d'éclat, 11 écrivit au Miniftre pour le prief de faire tomber cette penfion a fon Capitaine en fecond, qui avoit eu unecuifle emportée dans 1'aclion. Je fuis trop récompenfé, ajouta-t-il, fifobliensPavancement de mes Officiers. La prife de Rio-Janeiro en 1711, eft la plus importante & la plus connue des expéditions de Duguay-Trouin. Elle fit le plus grand bruit en Europe, tant par la hardiefle de 1'entreprife, que par la vigueur de 1'exécudon. Lorfque cet Officier revint en France, chacun s'emprelfoit de le voir; & Ie long des routes le peuple s'attroupoit autour de lui. Un jour qu'une grande foule étoit ainfi aflemblée, une Dame de difiinétion vint & paffer; elle demanda ce qu'on regardoit : on lui dit que c'étoit Duguay- (1) Né e* 167 j, mort en 1736",  de Louis XIV & de Louis XV. 435 Trouin; alors elle s'approcha, & perca la foule pour mieux voir. DuguayTrouin paruc étonné. Monfieur, lui ditelle, ne foyezpas furpris;je fuis bienaife de voir un Héros en vie. Louis XIV fe plaifoit a 1'entendre raconter fesexploits; ce qu'il faifoit toujours avec autant de vivacité que de modefiie. Un jour que cet Officier faifoit au Monarque le récit d'un combat oü fe trouvoit un vaitTeau nommé la Gloire : y, J'ordonnai, dit-il, a la Gloire de me „ fuivre". Elle vous fut fidelle, repric LomVXIV. M. de Briffac, Major des Gardes-duCorps, étoit un homme droit, &qui ne pouvoic fouifrir les gens faux. II voyoic avec impatience toutes les tribunes bordées de Dames au Salut des Jeudis & des Dimanches, oü le Roi ne manquoit guere d'affilter, & que prefque aucune ne s'y trouvoit quand on favoit de bonne heure qu'il n'y viendroit pas. Sous prétexte de lire dans leurs heures, elles avoient toutes des petites bougies devant elles pour les faire remarquer. Un foir que le Roi devoit aller au Salut & qu'on faifoit la Priere qui le précé» dok, tous les Gardes étant poflés & Tij  43& Mémoires anecciotes toutes les Dames placées, arrivé Ie Major, qui paroifiant a la tribune du Roi, leve fon baton, & dit très-haut : „ Gardes du Roi, rentrez dans vos „ falies, le Roi ne viendra pas ". Auflitöt les Gardes obéiflënt, les petites bougies s'éteignent, & toutes les femmes fe retirent, excepté la Ducheiïè de Guiche, Madame de Dangeau & une ou deux autres , qui demeurerent. Briflac avoit pofté des Grenadiers aux débouchés de la Chapelle, pour arrêter les Gardes, qui reprirent leurs poftes dès que les Dames furent aflez loin pour ne s'en pas douter. La-deflus arrivé le Roi, qui, bien étonné de ne point voir de Dames remplir les tribunes, demanda par quelle aventure il n'y avoit perfonne. Au fortir du Salut, Briflac lui conta ce qu'il avoit fait, non fans plaifanter fur la piété des Dames de la Cour. Le Roi en rit beaucoup , ainfi que tous ceux qui 1'accompagnoient. L'hiftoire s'en répandit immédiatement après, & toutes ces femmes auroient de bon cceur étranglé M. de Briflac. Le Cardinal d'Etrées (i), favant & (i) Né en i$z8, mort en 1714.  de Louis XIV& de Louis XV. 437 aimable, ne pouvoit entendre parler de fes affaires domeftiques. Preffé par fon Intendant & fon Maitre-d'höcel, de voir fes compr.es qu'il n'avoit pas vus depuis grand nombre d'années, il leur donna un jour. Ils exigerent qu'il fermat fa porte, pour n'être pas interrompus; il y confentit avec peine; puis fe ravifant, il leur dit, que pour le Cardinal Bonzi fon ami & fon Confrère, il ne pouvoit s'empêcher de le voir, mais que ce feroit merveille fi le feul homme qu'il ne pouvoit refufer venoit précifement ce jourla. Sur-le-champ il envoya un domefiique affidé du Cardinal Bonzi le prier avec inftance de venir chez lui un tel jour entre trois ck quatre heures , le conjurant de n'y pas manqner; mais fur toutes chofes, qu'il parut venir de luimême. II fit monter fon Suiflè dès le matin du jour donné, & lui défendit de laifièr entrer perfonne de toute 1'aprèsdinée , excepté le Cardinal Bonzi qui furement ne viendroit pas; mais s'il s'en avifoit, de ne pas le renvoyer. Ses gens ravis de pouvoir 1'entretenir de fes affaires, fans être interrompus, arrivent fur les trois heures; le Cardinal laiffa fa familie , & le peu de gens qui, ce jourla , avoient diné chez lui, paffe dans un T iij  438 Memoires anecdotes cabinet oü fes gens d'affaires avoient étaïé leurs papiers. II leur difoit mille chofes ineptes fur fa dépenfe oü ils n'entendoient rien, & regardoit fans ceflè vers la fenêtre, fans en faire femblant, foupirant en fecret après une prompte délivrance. Un peu avant quatre heures arrivé enfin un carroflè. Ses gens d'affaires s'emportent contre le Suiflè, & crient qu'il n'y aura donc pas moyen de travailler. Le Cardinal ravi s'excufe fur les ordres qu'il a donnés. „ Vous verrez, ajouta-r-il, que s, ce fera le Cardinal Bonzi, le feul hom„ me que j'ai excepté ". Tout aufli-töt on le lui annonce; & lui de hauflèr les épaules, mais de faire öter les papiers & la table : les gens d'affaires s'en vont en peftant. Dès qu'il fut feul avec le Cardinal, il lui conta pourquoi il lui avoit demandé cette vifite, & tous deux en rirent beaucoup. Oncques depuis fes gens d'affaires ne 1'y attraperent, & de fa vie n'en voulut entendre parler. Le Cardinal d'Etrées étoit au diner du Roi; Louis XIV lui adreffant la parole, fe plaignit de 1'incommodité de n'avoir plus de dents. Des dents, Sire, reprit le Cardinal; & qui eft-ce qui en a? Le rare de cette réponfe eft qu'a fon age, il les avoit encore blanches & fort bel-  ie Louis XIV & de Louis XV. 439 les, &que fa bouche grande, maisagréable, étoic faite de maniere qu'il les montroic beaucoup en parlanc. Aufïï le Red fe mit-il a rire de cette réponfe, ainfi que toute l'aflèmblée, & le Cardinal lui* même qui n'en fut pas plus décontenancé. L'Abbé deVattevilletOfaK du Baron , Ambafiadeur ii Londres, fut d'abordColonel du Régiment de Bourgogne pour le Roi d'Efpagne, & fe diftingua par plufieurs aclions d'éclat. Mécontent d'un pafle-droit, il quitta le fervice, & fe fit Chartreux. Après avoir fait fes vceux, s'ennuyant de la folitude, il fe procura quelque argent de fa familie, & fans laiffer tranfpirer fon deflèin, fit acheter un habic de Cavalier , des piftolets & une épée, fe traveftit une nuit dans fa celluie, & prit le chemin du jardin. Soit hafard, ou foupcon de la partduPrieur, ils fe rencontrerenr. Vatteville le poignarde, efcalade la muraille de 1'encios, faute fur un cheval qui 1'attendoit lk, s'éloigne prompcemenc, &nes'arrête qu'après une courfe de huit ou dix heures. Ce fut dans un lieu écarté, oü il n'y (i) Né en iéiO, mort en 1710» T iv  44° Mémoires anecdoles avoic pour toute habication qu'une auberge il fic rnettre a la broche un gigot & une aucre piece de viande, qui étoic tout ce qui s'y trouvoit alors. A peine cornraencoit-il a manger, qu'un voyageur entre dans 1'auberge; n'y trouvanc plus rien» il ne doute pas que le premier arrivé ne veuille bien partager un diner qui femble fuffifant pour deux : mais Vatteville prétend qu'il n'y en a pas trop pour lui. La querelle devient vive, & Ie nouveau venu s'empare de 1'un des deux plats. Vatteville furieux, tire un de fes piftolets, lui en caffe la tête, met 1'autre fur la table, Sc menace 1'höteffe- & un valet qui étoient aecourusau bruit, de les traiter de même s'ils ne fe retirent, & ne Ie iaiflènt diner en paix. II s'éloigne enfuite au plus vite, effuie des fortuafisdiverfes dans fes voyages, & Snit par fe retirer dans les Etats du graad-Seigneur, oü il prend le Turban, obtient du fervice, & fe diftingue aflez pour devenir Bacha & avoir le Gouvernement de quelques Places dans la Morée, au temps oü les Véniüem & les Turcs y étoient en guerre.', Cette circonftance lui fit naitre 1'idée de chercher a rentrer avec fürecé dans fa patrie. II négocia fecretement avec les Fénitiens, qui obtinrent  de Louis XIV'&de Louis XV. 44* pour lui, a Rome, 1'abfolution de fon apoftafie, fa fécularifation, & un bénéfice confidérable en Franche-Comté : au moyen de quoi, il leur livra les Places donc il écoic le maitre. De retour dans fa Province au momenc oü Louis XIV y porcoit la guerre, il fervic aflez ucilemenc la France, pour en obcenir des graces marquées. L'Archevêché de Befangon étanc venu a vaquer, le Roi 1'y nomma; mais le Pape crouvant du fcandale a faire Archevêque un apollac, un renégac, & un meurtrier, refufa conftamment les Rulles. Vatteville fuc obligé de fe contenter, en échange, de deux bonnes Abbayes, & du hauc Doyenné de Befancon. 11 y vécut en grand Seineur, avec un équipage de chafle, une cable fompcueufe, crainc, refpeété, du moins & 1'extérieur; allanc de cemps en temps aux Chartreux, voir ceux de fon temps qui y vivoient encore. Le Comte, depuis Maréchal de Rozen (i), homme de tête & d'une bravoure connue, étanc a Metz, recjuc ordre de faire changer de garnifon au Régimenc (i) Mort en 1715. T v  44- Mémoires anecdotes de fon nom; il ordonna a fon LieutenancColonel de partir. Les Officiers refuférent d'obéir, fous prétexte qu'il leur étoic dü quelque contribution de Corps. Le Lieutenant-Colonel en avertit le Comte de Rozen; il arrivé, voit le Régiment en bataille, ordonne au premier Capitaine de partir; & fur fon refus, lui calfe la tête; il donne le même ordre au fecond» qui lui obéit fur-le-champ, & tous les autres Officiers fuivent fon exemple. En 1705, le Général Thungen in* veftit Haguenau oü commandoit M, de Pery, alors Brigadier. Trente-trois pieces de canon eurent bientót fait deux grandes brêches au corps de cette mauvaife Place. M. de Pery avoit a craindre qu'elle ne fut emportée d'aflaut. Son chemin couvert avoit trop d'étendue pour être défendu par les troupes de la garnifon. IIenvoya, fur les fix heures du foir, de la Chau propofer è M. de Thungen de fe rendre dans trois jours, s'il n'écoit point fecouru avant ce temps-fó, \ condition qu'il fortiroit lui & fa garnifon avec tous les honneurs dus a de braves gen*. Le Comte de Thungen répondit qu'il n'y auroit point d'autre traitement » accendre que celui d'être prifonniers  ie Louis XIV & de Louis XV. 443 de guerre. M, de Ia Chau, après avoir vainemenc infifté, die a M. de Thungen : Hé Men, Monfieur, nous fommes encore en ét at de nous défendre, & nous vouions périr fur la brêche, plutot que de nous rendre de cette maniere. M. de Pery ayant fu Ia réponfe du Général ennemi, fic afièmbler les principaux Officiers de fa garnifon, & leur déclara fecretemenc qu'il avoic pris le parti de fortir de la Place la nuic fuivance avec toutes fes troupes. Ils lui repréfenterent en vain le danger d'une telle réfolution. „ Mon parti eft pris, dit-il, & je prends „ la chofe fur moi". Afin que les Bourgeois ne foupconnaffent point fon defiein, & n'en donnaflent pas avis aux ennemis, il fit des difpofitions comme s'il eut voulu faire une fortie; & fous ce prétexte, il défendit, fous peine de la vie, qu'aucun Bourgeois ne fortit de fa maifon, & n'y renfermat aucun Soldat. Dès les huit heures du foir, il fit mettre la garnifon fous les armes, & la mena dans le chemin couvert. II prit a part M. de Harlin , Colonel d'Infanterie, & lui dit: Je vous laiffe ici avec quatre cents hommes pour faire un feu continuel fur les ennemis, afin que par ia vous couvriez ma marche. Après quoi T vj  441 Mémoires anecdotes il fortit avec fa garnifon par Ia porte de Saverne , fachant que la Place n'étoit point inveftie de ce cöté-la , & qu'il n'y avoit que deux Gardes de Cavalerie. II attaqua la plus foible qu'il tailla en pieces \ 1'autre prit la fuite. M. de Pery fit une fi grande diligence, qu'il entra dans Saverne huit heures après être forti d'Haguenau. Le Comte de Mercy, qui le pourfuivoit avec mille chevaux, ne put Patteindre. M. de Harlin ne fon t d'Haguenau qu'une heure après, n'y laiffane que cent hommes malades ou bleffés, parmi lefquels il y en avoit trente qui avoient la force de tirer des coups de fufil pour amufer les alfiégeants. M. de Harlin trouva le chemin libre, & alla rejoindre M. de Pery fans avoir rencontré d'obftacle. M. de Pery fut fait Lieutenant - général pour récompenfe d'une aftion fi hardie & fi bien concertée, & M. de Harlin Brigadier, pour 1'avoir fecondé avec tant dlntelligence. Après la défaite de nos troupes h Ramillies, dont le défaftre jetta la confternation dans tout le Royaume, M. de Quadt, qui fut depnis Lieutenant-général, & qui fervoic alors (en 1706), comme Brigadier dans I'armée de Villars en  de Louis XIV & de Louis XV. 441 Allemagne, écrivic cette lettre au Minift^ „ 11 y a déja plufieurs années que ie „ Roi m'a accordé une penfion de mille „ livres; & c'eft vous, Monfeigneur, „ qui m'avez procuré cecte grace dans „ un temps oü j'en avois un extréme „ befoin. Quoique je fois fort pauvre, „ néanmoins vos bontés me mectent en „ étac de men paflèr. Je vous envoie „ 1'ordonnance de 1'année derniere, & „ n'en demandé plus tant que la guerre „ durera. C'eft un petit fecours pour le „ Roi. Néanmoins, Monfeigneur, fi Pon „ vouloit s'exécuter dans la circonftance „ préfente, je fuis perfuadé que cela „ feroic des fommes aflez confidérables „ pour remédier au malheur qui vienc „ d'arriver. Je voudrois que ma mifere „ me permic d'en faire davantage. Si je „ viens a être tué au fervice du Roi, je „ vous prie de vous fouvenir de ma fem„ me é- de mes enfants ". On devine bien quelle fut la réponfe' du Miniftre; mais il n'en eft pas moins beau a M. de Quadt d'avoir donné un pareil exemple de zele & de défintéreflement. L'Abbé de Chaulku (i), k 1'ige de (2) Né sa 1Ó39, siort *n 1720»  4# Mémoires anecdotes tjuatre-vingts-ans, s'étoit déciaré Paraaf» de Mademoifelle de Launay, dont nous avons des Mémoires fous le nom de Madame de Staal. Comme il étoit devenu aveugle, il prêtoic a fa maitreiTe beaucoup de charmes qu'elle n'avoit pas; & ne comptant plus fur les fiens, il tachoic de fe rendre aimable, a force de foins & de complaifances. II propofoit quelquefois d'ajouter les préfents a 1'encens qu'il offroit. Mademoifelle de Launay, Jmportunée un jour des vives inftances avec Iefquellesil ia prioitd'accepter mille piftoles, Jui dit: „Je vousconfeille, en „ reconnoifJance de vos ofFres généreuv' fes, de n'en pas faire de pareilles a „ bien des femmes; vous en trouveriez „ quelqu'une qui vous prendroit au mot". Oh ! répondit-il aflez naïvement, ;'e fais Men a qui je m'adreffe. Le Comédien Dancourt CO avoit été chargé d'aller préfenter aux Adminiftrateurs de l'Hö:el-Dieu les rétributions que la Comédie eft obligée de donner & cet Höpital. En s'acquittant de cette commiffion, il fit un beau difcours, pour £0 Né en 1661 , mort en 171$,  de Louis XIV& de Louis XV. 44? prouver que les Comédiens méritoient, par le fecours qu'ils procuroient aux pauvres , d'être a 1'abri de l'excommunica Jean Racine. 174 Santeuil. 193 Fénelon. 200 Rouffeau (Jean-Baptifie"). 207 La Mothe. 213 Traits génêraux & particuliers du Siècle de Louis XIV, qui nont pu fournir des articles féparés. 21 et Fin de la Table du fecond Volume.