E $ S A I D E LITTÉRATURE. TOMÉ S E L O N D.     E S S A I d e LITTÉHATÏJ1.E, a. L'ÜSAGE des DAMES. p a r A. H. DAMPMAITIN. *»■———— -<+*•- ■*+ Les lettres forment la jeunesfe & font le charme, de Page avancé. La prospéritè en eft ptus brillante , Padverjlté en recoit des confolations, & dans nos maifons, dans celles des autres, dans les poyages, dans la folitude, en tout. tems, en tout lieu, elles font la douceur de notre vie. Ciceroit. tome second. A AMSTERDAM, Chez GAS PA R D HEJNTZEN, ImprimeurLibraire, dans le Warmoesftraat, vis-a-vis ie Vygendam. 17 9 4.   E S S A I D E LITTÊït ATÜ8.& TRENTE DEUXIEME LECTURE, öuvr.ages de G a I e t Éi ^üelquefois 1'ame éprouve des mouvemena d'une mélancolie fatigante, fans pouvoir fe rendre compte k ellé ffléme du motif qui les produit : Cherchez alors un remede dans les ouvrages de gaie-; te. Je n'en pourrai mettre fous vós yeux que peu de ce genre, car il rCy a pas de nation plus fage que la Frangaife la plume d la maia (*). Ce ne fera pas fans quelque furprife que vous trouverez è chaque pas la raifon, la reteöue t que vous rencontrerez de lom en loin la frivolité, 1'enjouement parmi les écrits d'un peuple réputé léger, inconféquent, autant d'après fes aftions que d'après fes discours. L'art. de plaifanter fi difficile , fi rare , ne faurait fupporter de médiocrité, il piaic par desfus tou[ ' ou devient infupportable. Les tournures recherché»  2 ESSAI de LITTÉRATURE. produifent tout au plus un fourire, qui, né fut les lévres y meurt fur le champ fans pénetrer jusqu'au cceur. De tous les engagemens, il n'en exifte pas de plus délicat, que celui d'amufer , tant on le rend difficile a 1'inftant même oü on le fofme: Qui fe propofe de répandre de 1'enjouement s'impofe une tache bien pénible. S'il écrit , qu'il foit naturel , qu'il ne promette rien d'avance ; s'il parle, qu'il ne perde pas de vue que les éclats de rire du plaifant tuent la joye de ceux qui 1'écoutent. Dès qu'on parle de gaiété , le pjemier hommage appartient a Rabelais. II faut connaitre, au moins de nom, eet homme fameux & fingulier que le bon La Fontaine trouvait fi naïf, fi plaifant, fi naturel , qu'il ne pouvait concevoir les perfonnes qui ne lui accordaient pas la préférence fur les plus graves écrivains de 1'antiquité. Quelque favorable £ révention que vousinfpire ce fuffrage, alfurément d'un trés grand poids, vous acheverez avec peine la le&ure du Gargantua , amas informe dans lequel on ne parvleet a ramasfer des pailletes qu'en remuant d'énormes décombres. Les plus beaux diamans, ne vous fembleraient-ils pas trop payés, s'il fallait les retirer vousmême de la mine , les dépouiller de leur groffiere enveloppe & les polir avant d'en faire ufage. Rabelais posfedait un esprit propre a briller dans les plus beaux tems, mais taché de tous les défauts du mauvais goüt. Du refte plus loué que lu, ü obtient presque toujours de fes admirateurs une eftime fur parole. Ceux qui le goutent réellement  ÓUVRAGES DE, GAIETÉ. , font quelques hommes fupérieurs dont les yeux y découvrent des beautés cachées au vulgaire: Dans un asfemblage auffi confidérable d'allégories, d'alluIfohs', chaque lefteur fait une récolte diiférente felon fon intelligence , fon application, ou d'après fes goüts : Ce qui frappe 1'un , échappe a 1'autre. En pareil cas, les fentimens dépendent trop de la fantaifie pour fe rencontrer uniformes. Des caraderes chagrins fe pkifent k voir les gouvernemens cntiqués, les grartds maltraités, les Rois tournés en ridicule: Enfin des esprits fonts, recherchent avec ardeur les premiers germes de la hardiesfe prétendue philofophique qui a produit tant de violentew explofions. A ce dernier égard le curé de Meudon eut des opinions trés prononcées , il attaqua les corps les plus refpedés, les plus redoutes de fon tems. Plus ferme dans fes principes que la foule de fes imitateurs, la mort ne lui caufa aucun effroi, fes dernieres paroles furent une Proffesfion de foi conforme a ce qu'il avait toujours dit & écrit: „ Je „ vais chercher un grand peut-étre; tirez le rideau, „ la farce est jouée Impietés inexcufables. Vous faifirez de bien bonnes armes contre la tnstesfe dans le Roman comique plein d'une fran che gaieté , écrit d'un trés bon ftyle; c'efi le feul des ouvrages de Scaron qui foit encore lu. Cyrano de Bergerac reconnu, par le févere Boileau pour un fou de beaucoup d'esprit , nous a laisfc des ouvrages, a la fois plaifans & originaux: De Plats jeux de mots, de fades quolibets, vous blesA 2  4 ESSAI deLITTÉRATURE. feront maïs re fauraient entierement ternir les effets d'une brillante imagination. On fe rend avec pïaïfif dans 1'empire de la lune: A 'travers les grelots de la folie qui retentisfent autour de tous les écrits de Cyrano , fe fait de tems en tems entendre la voix de la philofophie, voix qui plait infiniment d'après la furprife qu'elle caufe. Quoique la réputation de Voifenon ait été appellée de fon tems , „ une bluette fortie du plus frêle des . atomes ," elle ne s'évanouira pourtant pas. Ses contes, furtout fon hiftoire de la félicité , plaifent beaucoup : Ce font, il est vrai, des bagatelles, m£s rendues avec grace , pleines de bonnes plaifanteries, femées de réflexions fines, qui prouvent la connaisfance des hommes, tandis que celle de la fociété ett annoncée par de trés- juftes obfervations. Voifenon, portant dans le monde les faillies dont font ornés fes écrits, fut d'abord recherché pour fes agrémens; bientöt fon honêteté obtint 1'eftime enfin fa fenfible délicatesfe le fit chérir: Un de mes amis a qui eet homme , d'après 'de longues & incimes liaifons, femble avoir transmis fes talens & fes qualités attachantes, m'a «conté qu'un, méchant auteur fit une épigratnme contre Voifenon', avec la précaution d'omettre fon nom dans ,e courant delapiece; il la porte a 1'aimable abbé pour lui en demander fon avis. Ceku-ci voit a merveiüe qu'il en est le héros ; mais fans en rien témoigner , il prend une plume, corrige quelques mauvais vers, met au haut du papier: Contre Pabbé de Foifenon. Tenez,Mon-  OUVRAGES de GAIETÉ. 5 fleur , dit-il a 1'auteur, „ vous pouvez a préfent la „ faire courir, les petites correétions, que j'y ai „ faites, la rendront plus piquante." Cafote me parait un écrivain trés agréable. Le Diable amoureux («), Olivier excitent a un rire franc & naturel, parceque 1'on nVppercoit ni ]a prétention a 1'esprit, ni 1'annonce d'un plan préparé. La gaieté de Cafote fait une partiè de fon toe, il vit par elle & toujours avec elle; auffi pour la répandre dans fes écrits, nuls efforts ne lui font nécesfaires, puisqu'on chercherait envain ' a étouffer cette gaieté par les plus grands dansers comme le prouve évidemment fon entree dans les prifons de Pabbaye. „ On fit coucher dans notre chambre , dit St „ Méard un homme agé d'environ quatrJ „ vingt ans; nous apprimes le lendemain que c'é „ tan le fieur Cafote, la gaieté un peu folie de ce „ vieülard, fa facon de parler oriëntale, &eat di " verfl0U k notre en»ui Le lendemain t-uJ „ fieurs voix appellérent, fortement M'. Cafote- lin „inftant après nous entendiraes pasfer fur 1'es „ ealier une foule de perfonnes qui parlaient fort „ haut, des cliquetis d'armes , des cris dWies. » * de femiues^ ce viedlard ünvi da ren*nt, «tnó ) Dans fon agomie de 38 heures. A 3  6 ESSAI de LITTÉRATURE. „ fa fille qu'on entrainait: Lors qu'il fut hors du „ guichet, cette généreufe fille fe précipita au cou „ de fon pere ; le peuple touché de. ce fpe&acle „ demanda fa grace & 1'obtint." Anecdote attendrisfante & fublime : O nature! Que tes fentimens ont d'intérêt, ont de puisfances; quels cceurs afiez barbares pour les outrager ? A leur afpecl: la plus cruelle fureur tombe défarmée. TRENTE TROISIEME LECTURE. .4 ^ 1- C^üelque vif, quelque fincere que foit le defir qui m'anime de ne laisfer dans 1'oubli aucune des branches de la littérature, je crains que plufieurs aient échappé a mes recherches. II est donc de mon devoir de vous indiquer les resfources propres a. réparer d'involontaires erreurs; resfources, dont vous même fentirez la valeur & la nécefiité; car eet esfai ne préfente aucune partie approfondie , c'eft fimplement k leur origine que vous vous trouverez conduite afin de prendre celles dont il vous plaira de fuivre le cours. Votre choix fixé, vous trouverez en grand nombre des mftructions plus étendues que les miennes.  C R I T I Q U E S. Critiques. Cherchez d'abord les Critiques, éerivains nécesfaires qui feraient trés efiimés, fi trop fouvent üs ne fervaient pas d'organes a de coupables pas«ons. Les beautés des auteurs hals s'évanouisfent. les défauts des auteurs favorifés disparaisfent. Ra,' rement fe préfente la jufte appréciation qui reconnai| dans les ouvrages des hommes le mélan-e mévitable de blen & de mal. Selon celui des deux qui domine, un ouvrage est bon ou mauvais • Tout recorder, tout réfufer , c'est également s'éloigner du vrai. Si par exemple Clément eut employé moins d'aigreur contre Voltaure, nous applaudirions unanimement a d'importans fervices rendus aux lettres Vous ne tirerez donc un avantage réel des Crifil ques, qu'après des efforts dirigés pour diftinguer les dégrés de confiance, qui leur font dus. D'abord fe préfentent en foule les Critiques qui mus par de vils motifs, cherchent avec afiiduité relévent avec complaifance les défauts d'un ouvrage & de fon auteur, tandis qu'üs s'eöbrcent de fermer les yeux du public fur les chofes dignes d'eftime ou de louange. „ Un critique, dit Swift, „ qui lit uniquement pour trouver 1'occafion de* „ faire des cenfures, des reproches, me parait un „ être auffi barbare que le ferait un juge qui pren„ drait la réfolution de faire pendre tous les hom., mes conduits devant fon tribunal." Rejettez loin A 4  8 ESSAI de LIT TÉRATURE. de vous avec indignation les écrits fortis d'entre des mains fi coupables. Ne derobez aucun inftant ni a vos occupatiqns, ni a vos plaifirs en faveur des Critiques attachés a des recherches de date, a des éclaircisfemens de texte. Leurs longues veilles enfantent péniblement quelques pefantes dilfertations fur de minutifes bagatelles ; re^us avec empresfement, tout le tems du triomphe des érudits, ik languisfent oubliés depuis que les progrès de la raifon ont fait fentir, ,, qu'il vaut mieux avoir du bon fens, , qu'une mémoire toute remplie de nieubles inu2 tiles (*)." Etudiez les eftimables Critiques qui discutent avec clarté , qui jugent fans 1 prévention , qui font des reproches a regret, qui recherchent les occafions de louer, qui respedent, mais qui adoucisfent le plus posfible les arrêts didés par la juftice , qui ménagent enfin les auteurs. Le grand Arnauld s'écrie: „ Faites voir avec force les abfurdités des auteurs „ que vous réfutez, mais en méme tems ayez „ beaucoup de douceur pour les perfonnes coupa„ bles; furtout ne vous permettez pas des réflexions „ défobligeantes; donnez a ce que vous critiquez le „ nom le plus favorable, & prenez quelques tours pour „ accorder les contradidions les plus apparentes." Vous concevrez de vous même qu'un Critique est rigoureufement aftreint a trés bien posféder les ob- Bayle.  CRITIQUES. 9 jets fur lesquels il prononce : En un mot, „ pour „ bien critiquer, il faut avoir du jugement, de la „ fcience de 1'intégrité, de la vigueur & de la „ modeftie (*)." Nous voyons chaque jour des écrivains, qui fauta d'avoir aflez muri leurs connaisfances, fentent retomber fur eux-mênies les traits qu'ils lancent & reftent couverts de ridicules ineffagables, Peu d'ouvrages me fèmblent ausfi propres k bien diriger des leftures, que les deux ages du gqtit & du génie Francais: Vous louerez un plan parfaitement concu , des objets clasfès avec juftesfe , les différens genres bien définis, des vers agréables, •une profe prenant le ton convenable a chaque fujet. Vous ne ferez blesfée que d'une partialité peutétre pardonnable d'après fa rareté. La Dixmerie , ne fe laisfant point entourer par les ferpens de 1'envie , réclame pour fes contemporains une fupériorité trop fouvent appuyée fur des titres incertains ou faux. Adorateur fanatique de Voltaire, il met aux pieds de eet éfprit univerfel des étres qui planent dans les mèmes regions; pour comble d'idolatrie, J. jacques eft facrifié par les mains d'un homme qui dans toute autre circonitance , montre un esprit aimable , une ame généreufe, un coeur fenü" "ble. Peut-étre 1'enthoufiasme ne produifit jamais un tel aveuglement: Les injuftices, commifes envers Rousfeau, non feulement outragent le godt, le gé-  io ESSAI db LITTÉRAT URE. nie & la vertu, mais elles nuifent au fyfteme que Pauteur prétend écablir. Une téméraire imprudence entreprit feule de prouver la prééminence de notre fiecle , fans employer fon plus bel ornement. jour.naux. 3?ouk. clasfer nos idees, pour guider nos études, pour diriger nos leclures, nous posfédons des fecours dont les anciens étoient privés; ce font les Journaux. Leur nombre augmente chaque jour d'après leur utilité, d'après leur agrément. Tous n'obtiennent pas la même faveur; quelques uns ont un fuccès brillant, mais pasfager; plufieurs meurent dès leur naisfance; cependant il en eft qui conferveni une eftime, une confiance acquifes & méritées par d'anciens, par de multipliés fervices. Ayez recours k ces derniers afin d'ajouter aux ouvrages que je vous ai indiqué , afin de reétifier les arrêts que je puis avoir prononcé avec plus de zèle que de justesfe. Regardez enfin les journalirtes comme des juges autorifés paria fanétion publique , & recufés feulement par la médiocrité on par 1'esprit de vengeance. Sallo, quoiqu'eu aient publié fes ennemis, fut le créateur des Journaux. Lorsque fon journal des favans parut, les bons esprits prévirent combien d'avantages réfulteraient de ce nouvel établisfement; mais les auteurs, n'étant point accoutumés k fe voir repris fur leurs négligences, fur leurs défauts, s'é-  JOURNAUX. ii levèrent avec fureur , cabalèrent avec habileté , obtinrent par des intrigues, par des flatteries, Pap* pui de plufieurs grands. Des perfécntions, des chagrins, telles furent les récompenfes qui abrégèrent les jours d'un homme digne d'éloges & d'honneurs, puisque dans Pespoir de coiitribuer aux progrès des beaux arts, des fciences, il confacra fa vie a Pétude, quitta fon état, confuma fa fortune , facrifia fa fanté. Bayle fit prendre le plus grand esfor aux Journaux ; fes nouvcllcs de la république des lettres produifirent d'heureux effets. On peut en grande partie leur rapporter le goüt de faine critique , de fagediscuffion qui parut tout a coup. Soyez fure d'en retirer de Pinftruftion, du plaifir ; elles réusfisfent même par des défauts asfez confidérables. Quelques mauvaifes plaifanteries, quelques récits graveleux , quelques disfertations trop circonftanciées fur des matieres délicates, font des négligences qui plaifent beaucoup, chez Bayle , paree qu'elles mettent fon génie plus au niveau de celui du lefteur ; de plus elles infpirent la confiance. D'ailleurs ce fage froid impartial avait devant lui le livre, jamais Pauteur: Procédé, que trop iöuvent fes fuccesfeurs ont dédaigné. Tournemine fuivit avec honneur les traces de Bayle, fon flyle eft élégant, fon esprit pénétrant. Par malheur d'un caraétere vif, il fe livrait a de repréhenfibles préventions; membre d'un corps ambitieux, puisfant & despotique , il obéisfait aux ordres de fes fupé-  ia ESSAI de LITTÉRATLIRE. rieurs, respedtait les préjugés de fes confrères, foutenait leurs principes, défendait leurs intéréts & ne pouvait par conféquent ni recommander, ni pratiquer la véritable philofophie. Je ne vous conduirai pas parmi tous les bons Journaux, parceque nous nous trouvons a eet égard dans une espece dJopulence qu'il ferait trop fastidieux de déployer en entier Un mouvement de prédileftion me porterait fans héfiter veis les cinq années littéraires du Génévois Clement , fi leur légéreté, leur agrément, leur impartialité , n'étaient dépréeiés par un fréquent oubli de décence, défauts quelquefois la fuite d'une fausfe imitation de Bayle , ma.s provenant bien plus fouvent d'une erreur, commune chez les hommes de cabinet: Lo.squ'ils pretendent fe revötir des airs du beau monde, ils prennent le ton libre pour 1'amabilité. Les graces loin de leur fourire fuient- a la vue de la pudeur blesi'ée. Le Mercure de France a mérité une place honorable dans les bibliotheques les mieux choifies. Malheureufement fa rédaétion n'a pas toujours été confiée a des iVlarmontel , a des Laharpe. L'esprit des Journaux préfente un monument favorable a la fplendeur des lettres. Vous le verrez généralement répandu, recherché , honoré de beaucoup de confiance. Le. . . . Mais la crainte de vous arrêter trop longtems m'empêche de donner tous les éloges qu'il me ferait doux d'oftrir. La reconnaisfance publique, 1'eulle récompenfe  JOURNAUX. ig digiïe des travaux de 1'homme de lettres, appartient de droit aux bons journaliftes , d'après les dëfagrémens & les dangers aux quels ils s'expofent en remplisfant avec exaclitude d'ingrates, de pénibles fonctions. L'amour propre des auteurs s'éfïkrouche fi vite, qu'il prend pour aütant d'outrages' des actes de juftice. Les expresfions les plus honnétes n'adoucisfent pas 1'amertume de la critique; c'est envain que Le Seigneur Jupiier fait dor er la pilule (*}. L'écrivain jugé répond aux remarques par des plaintes, fouvent même par des injures. Commcnt fe perfuader , ce qui pourtant est vrai, que Fréron joignait a beaucoup d'esprit un goüt asfés fur pour que Voltaire répondit a un feigneur Piémontais qui lui demandait quel critique il confulterait avec le plus de fruit a Paris. „ Je ne connais perfonne au „ desfus de ce cóquin de Fréron, & certes mon fuf„ frage n'efl; pas fuspeét." L'auteur de Paniiée littéraire était en outre excellent homme, cher a fes amis, recherché dans la fociété; cependant le . croiriés-vous ? C'eft ce même Fréron „ par qui Pon baille en France.'J D'abord fi plaifament acoutré 'dans la Dunciade d'une paire d'ailes mifes a rebours, enfuite repréfenté fous la figure d'un ane brayant au pied d'un arbre , fur le fonnnet duquel eft placé une Lyre, Molière.  H ESSAI de LITTÉRATURË. Oue vent dire cette Lyre ? Cejl Melpomene ou Clairon, Et ce monjïeur qui fait rire, N^eft-ce pas Martin Fréron ? Enfin par le plus impardonable des ëxcès il fut produit fur la fcene , pour y être couvert d'oprobres & de calomnies. DlCTIONAIR.es. ournez k votre avantage les bons Dictionaires , qui répandant & mettant a la portee de tout le monde les connaisfances, enlévent bien des épines au travail: Leur excès peut cependant nuire. Qui borne fes études aux Dictionaires fe pare de trompeufes apparances, propres k féduire au premier abord, mais dont le moindre ufage fait évanouir le faux brillant. Employons donc les Dictionaires , mais avec retenue , confultons les fur tout objet a parcourir j mais non pour les parties qu'il est de notre ambition ou de notre intérêt de parfaitement posféder. Dans la foule des Dictionaires fe fait remarquer le Dictionaire Hiflorique (c), dont jJai retiré de grands fervices pour eet esfai. On loue avec empresfement les auteurs de ce bel ouvrage comme ayant réuni une érudition vafle , un ityle correct, un goüt févere , a un grand refpect pour les mceurs,- & pour la Religion. (c) La lierniere écliïion que je connais eft de Caen 1789.  OÜVR. QU'IL EST DANGEREUX &c. f* Ouvrages qu'il est dangereux de lire trop tót. T jUA Pmdence ordonne de reculer, jusqu'a ce que la raifon foit murie par de bonnes leftures, par de fages réflexions, quelques livres dangereux, les uns pour les esprits peu formés, les autres pour les cceurs aeufs. Aux maux que produifent ces derniers oppofons les digues les plus fortes. On peut vivre heureux, on peut contribuer au bonheur des fiens on peut même fervir utilement fa patrie fans'posl féder des lumieres trés étendues, mais qui dédaigne les vertus furcharge Ia terre d'un inutile fardeau quand ü ne répand pas le défordre par fes crimes. Livres dangereux pour le c (e u r. Sous les plus riantes fleurs font cache's quelquesfois des animaux venimeux qui blesfent d'une morteUe atteinte la main asfez imprudente pour cueillir avec précipitation & fans choix tout ce qu'elle peut atteindre. Tel eft le poifon que plufieurs ccrivains repandent dans leurs ouvrages, a la faveur de féduifantes apparences. Ses fuites deviennent d'autant TRENTE QUATRIEME LECTURE.  i5 ES SM de LITTÉR ATURE. plus certaines, d'autant plus fuuestes, que des formes agréables le revêtisfent. Le crime a découvert n'est point a craindre : La nature le fit hideux afin qu'il infpirat de Phorreur ; Part au contraire travaiüe fans relachë a corriger cette difformité, & trop fouvent le fuccès couronne de coupables efforts. (Peft furtout la jeunesfe qui doit redouter des pieges que 1'expérience confommée n'évite elle même que difficilement. Un coeür bien afiërmi dans fes principes , peut feul favourer fans pérü Phiftoire des amours de Manon L'Escaut & du Chevalier Desgrieux, ouvrage unique en fon genre. Par le plus grand abus d'esprit Prévöt parvient a y faire eliérir fin jeune étourdi, une fille fans mceurs. Tous les tort| de Manon font effacés au moment ou elle e.xpire dans un défert horrible, accablée de fatigues de chagrins, n'ayant que le ciel & fon amant pour tetnoins de fes fouffrances. Perfonne qui n'arrofe de pleurs la fosfe que Pinfortuné Desgrieux creufe de fes mains avec le feul fecours de fon épeé rompue, & daiis laquelle il renferme les reftes de la beauté qu'il aimait fi éperdument. Plus de talens encore fc>mblent employés dans les Liaifons dangereufes, dans ces lettres d'une magie de llyle qu'on ne cesfe d'admirer; mais de quels maux profonds & dangereux devait être cangrenée la nation fur les mceurs de laquelle un auteur (*) a pu faire (") Uclos.  LIVRES DANGEREUX POUR fESPRlr ,f ■MgMtion, seIelra«»<:ngenéra1[|.i„, P«es & meres, «Spon* St rajufts d«■? r°m ,rop foIidemeM l le°> <<°»' >« ver- «™le, vo»s «mirez des t „ ' ^ ^ ™ '« * i i\ ,rz conrase de rc^« ^ a r conrl C°°rs de corn""ion- si- ment rare? s extreme- , laies' Auffi Presque tous ceux qui ontlW,, LIVRES DANGEREUX POUR E'ESPRIT. YU0IQUE laPoéfie rende a certains 11 , *** de * Pi- acerés, fa c f v ° ^Jo d« piquant dans la profe ; mais rent bien phls facilement ™ ff r S d'après les Mt ., ement en offenf« perfonelles «aprcs les details qui ne fauraient trouver dans des vers. i-juver p ace ToM. II. ' "e "n&toon originale B  ï8 essai de littérature. rcunit des beautés de toute espèce: Prés de plaifanteries ingénieufes fe trouvent des tnorceaux dignes des premiers orateurs , quelquefois des pasfages qui rappellent la majesté de PÉpopée, partout une marche rapide; enfin Parme du ridicule fi bien maniée que la ligue en regut un coup mortel. Le vieux langage de la Satyre Ménippée dérobera peut être a vos yeux une partie de fes agrémens, mais vous jouirez de tous ceux des lettres adresfées a Pauteur des hèréfies imaginaires; lettres recherchées avec empresfement, malgré Pentier oubli dans lequel restent piongés 1'écrivain & Pouvrage qu'elles attaquent. Leur grande beauté vous affligera par fois; on fouffre de ne pouvoir pas effacer jusqu'au fouvenir de quelques phrafes employées a fe jouer de perfonnages refpedables auxquels Racine devait tant de reconnaisfance, comme lui même ne tarda pas a le fentir. Auffi Boileau, après avoir entendu la ledure de la feconde lettre, modele achevé d'ironie, figure fi rarement bien mife en ufage, fi froide quand elle n'est pas trés ménagée, Boileau dit a fon ami: „ Cette lettre fera autant de tort a votre coeur, que d'honneur a votre esprit." A quelque oifiveté que vous foyez condamnée ne perdez pas un feul moment a la ledure des lettres de Patin , trés imprudemment recommandées a la jeunesfe: Elles font le dernier excès de la méchanceté. Leur auteur plein de venin le distillait fur tous lesobjets qui fe rencontraient fotis fa plume & cela fans choix, fans mefure, lans exception. II défigurait les anec-  LiVRES DANGEREUX POUR L'ESPRIT. i9 dotes, déchirait fes ennemis, maltraitrait fes amis, & ne s'épargnait pas lui même plutót que de lais* fer échapper 1'oecafion de lancer un trait épigrammatique. Les maux piiyfiques, les contrarietés du fort en aigrisfant le caraétere, en excitant 1'esprit, «kient quelquefois entierement le ccEur. Plufieurs libellistes méritent donc la pitié. Un régime fain, quelques iecours les raccommoderaient avec le genre humain qu'ils attaquent moins par haine que par humeur* ïaiS d'autres> P,us rares * la vérité, font pour ainfi dure petris de fiel, restent par esfence , par goüt* par principe k jamais déchainés contre tous les hommes Un Chevrier,par exemple, éprouvait, lorsquil compofait, des élans de méchanceté, comme J. Jacques était transporté par des enthoufiasmes de fen* fibihte & Voltaire par des effervescences d'ima-ina^ tion: Cesaccès, dignes d'une furie, enfantèrent des ecnts remplis Gesprit mais virulens de „oirceur. Le colporteur, tracé avec énergie, écrit avec feu, offre a chaque pas des traits empoifonnés des por! traus affreux. Clément dit, en parlant des ridicule* duuecle:,,^ doute que Mr. Chevrier, quoi„ que membre de deux académies de province, ait , asfeZ vu lacour&lesfemmes du grand monde, „ pour en feïre des portraits bien resfemblans. Oue «j aye tort ou non, Cest fans malice que je, vais " £ f°Urn:r un ridicu1^ Pour la feconde édition dé » fOÜ Chapitre des beau* esprits; c'est celui de ce * P6intre aVeu£10 «* fe Plaiftit a tracer avec ni B a  io ESSAI de LITTÉRATURE. „ batoh la fïgure qu'il imaginait aux geus dont U entendait pari er." II ferait difficile de rencontrer dans aueun tems un écrivain plus univerfellement lu que Mercier. L'année 2440, le Tableau de Paris, fatyres outrées, fouvent ameres, mais hélas ! Quelquefois trop vraies, ont été dévorées par le public. Une forte énergie , des vues neuves, un üyle attachant, même par fes défauts, font devenus autant de titres recommandables dans un tems oü tous les esprits fermentaient. TRENTE CINQUIEME LECTÜRE. .4— n-w ■., . J,. LlVB.ES LICENTIEUX PR.OHIBÉS. ÜUlA fagesfe des aétions, la modestie du maintien qualités qui méritent de trés grands éloges, ne fufïïfent pas k la femme vertueufe. Peu contente des plus belles apparences, elle croirait blesfer la chasteté, fi fes plus fecrettes penfées s'écartaient de la décence. Les livres, qui tendent a pervertir les mceurs , vous feront donc toujours étrangers. Redoutez ces dangereux ouvrage, honteux abus de 1'esprit, dernier terme de la corruption. Leurs coupables auteurs restent voués au mépris des gens honnêtes: Ce mépris s'est exprimé avec tant de force que depuis plufieurs années aucun nouvel ouvrage licentieux n'a paru. Ce n'est que dans des compofitions an-  LIVRES CONTRE LA RELIGION. at ciennes & rebattues, n'offrant aucun fel, primes de tout agrément, que la jeunesfe fouüle fon irna^flatwn, degrade fes qualités morales. Quelque févere que dut etre cette prohibition, je crains bien d'étre forcé de laisfer une fois dormir la loi. Pourrais-je en effet lans une ngueur extréme prétendre que vous renonSaffiez au plaifir de connaitre ce poëme unique, ^ msfTrt tableaUXfi--'figais, d'un co-. lons fi parfalt. Laisfez donc aprocher de vous la ^pfeduifame JeaMe; cependam couyrez cenle de" ^ certazne de rester fans témoins. Toute femme furpnfe avec une brochure indecente a la main, fe trouve expofée aux entreprifes de ces hommes corrompus qui font profesfion d'épier les faiblesfes d'un fexe, qu'il est ausfi flatteur d'embrafer d'une pasfion ventable, qu'affreux de féduire de propos déPbéré. Livres contre la reugion. £d*l attaques contre la Religion, dirigées il y a tentoon q ^ ™ d'ach~ent que d'os- entauon, ont perdu le nom de hardiesfJ Ph ques, cdui d,ifldécens & e^ans Ces ecarts affligent les hommes de bien ST^-*? bornés'égarent faible conduiftnt a une viellesfe malheureufe, rendent af&eux le ter-me inévitable. A notre heure dermere' fe ** a coup les principes gravés B s  3a ESSAI de LITTÉRATURE. dans 1'enfance, oubliés pendant 1'orage des pasiïons* outragés dans le tems de force , & fuivis dans ce terrible moment du remords le plus redoutable effet du courroux céleste. Écrivains téméraires, qui portez une main facrüége fur les dogmes religieux, courez prés de ce lit de douleur, & reconnaisfez lesfuites terribles de vos criminelles entreprifes. Un malheureux étendu, le corps brifé de fouffrances, 1'ceil é°aré, 1'esprit abattu, le cceur desféché, charge de malédidtions les auteurs des livres dans lesquels il a puifé 1'impiété: Envain des parens défolés, des pasteurs animés d'un faint zele, s'efforcent de lui apporter quelques foulagemens : Une ame inquiete & bourrelée peut elle dans un inftant acquérir cette paix, qui, produite par Pexercice des vertus, par 1'entiere cotifiance dans 1'Être fuprème, adoucit feule les affres de la mort. A eet aspeft effrayant tous vous prendrez vous mêmes en horreur, vous maudirez les mouvemens d'un funeste délire, mouvemens infpirés par 1'orgueil & par la méchanceté. Les défenfes, quelques légeres qu'elles foient, les avis, quelques réfervés qu'ils paraisfent, fatiguent a la longue; qu'il me foit donc permis de fuspendre pendant peu d'inftans le röle de confeiller, pour en remplir un bien plus agréable , celui d'admirateur. Ce doux relacbe donné a mon esprit lui permettra d'entrer avec plus de vigueur dans quelques parties trés intéresfantes, mais dont on ne tire de grands avantages qu'a la fuite de nombreux & de pénibles  LIVRES CONTRE LA RELIGION. ,3 tra™*.- Semb,ab,es en ceh , ^ le cultivateur les ait anof&s de fes fuems 4 Apres avoirrendu des hommages aux eflbm H. 1.«x prodaflics d„ géMe, mon eceur „ZJ! o^oefflE", de - * £££ aei atteindre, vous etonne: Remplisfez votre amd'une genéreufe émulation: Gardez vous de léd r^ fa, sfe , fflals QU1 comme le lierre desféche les ra S'attaChe- *°» ^v deux Jeünes eleves „ ce fameux Apollon du Belvé» der, la pius parfaite des «ve- » «ümé offre a nos regards un ctre trop DL t >■ parfait pour ne pas repréfenter un Zn «"onunique, la feule dans laquelle Pan ."T ^ ^ ^ «> *on de éls e W par tam de beautés laisfe .omber le Ju' de fes maxns défaülantes dés lors fes idéés fe 1  34 ESSAI DE LITTÉRATURE. trécisfent, fes vues fe raccourcisfent, toujours il languira dans la médiocrité. Son compagnon au contraire fent fon imagination s'élever ; fon fang bouilloner, fon coeur palpiter, il brüle d'exhaler le feu qui 1'embrafe: Les premières difficultés, les revers d'abord inévitables accroisfent fon ardeur, il produit d'admirables copies: Bientót même il enfante des morceaux qui lui font propres: Son nom reste. i jamais gravé dans le temple de mémoixe.  E S S A I SUR LES F E M M E S, DÉDIE A MA VERTUEUSE AMIE T****. Que fervent lefavoir , P esprit & le talent? Talmer, te plaire eft tout, & le reste efl néant. Desfages quelquefois femends la voix fublime, Chanter les Dieux, le tems, le cahas & l'abyme, Etpeindre les beautés du naifant univers. Je nefais, mais Pennui fe mèle d leurs concerts. Auprès de ta beauté, qu>eft-ce que le génie? Helvetius. „ U n fentiment purifiant 1'atne, détruifant 1'empw des fens, foumettant Pintérét perfonnel a ce- de lm menie, un tel fentiment parut longtems a " T yfUX k ^orite des imaginatC vi! » ves, des coeurs fenfibles tant que la feVere deftruc- » res. Je penfais que Hnion des ames exiftait mr„ querneat dans le fameux fysteme d£ » garde dans Pantiquité comme une infpiration 1 * Vllle' miS *** <• -s Jours paxJ les réves *5  25 ESS AI de LITTÉR AT URE. „ de la philoibphie encore au berceau. Plus d'une „ fois j'ofai d'une langue indiscrette lancer des traits „ contre les partifans de 1'extrême fenfibilité , qui „ transportant notre être dans les régions romanesques, „ caufaient un délire heureufetnent pasfager. Je vous „ ai connu, & toutes mes idees ont pris un nouveau cours." „ Les anciennes jouisfances dépouillées d'appas „ empruntés, n'ont plus préienté qu'une repousfante „ fumée: Les prétendues erreurs fe font montrées „ revëtues de charmes incorruptibles, célestes & furs „ de plaire a jamais, parceque le vice ne les flé„ trit point par fon foufle empoifonné." >, O jour fortuné, ou pour la première fois s'oiTrit a mes regards celle qui devait déchirer 1'épais „ bandeau des préjugés, vous resterez préfent a ma mémoire, tant que quelque chaleur circulera dans „ mes veines. üne fête rasfemblait la plus brillante „ fociété chez * **: La réputation de votre beauté „ étoit déja répandue : Avant votre arrivée les femmes fe plaignaient que les hommes distraits ne p, regardaient que la porte par laquelle vous deviez „ entrer : Dès que vous parütes, les yeux, que Pon „ comptait arrêter pendant peu d'inftans pour fatis„ faire la curiofité, restèrent fixés, fans qu'un fenti„ ment indérinisfable leur permit de fe détourner." „ Engagé dans d'autres liens j'approchai lente„ ment; que devins-je en voyant ces traits régu„ liers mais agréables, ces grands yeux pleins de feu mais oü fe peint la bonté, cette taffle  SÜR LES FEMMES. 3? „ noble mais aifée : Un mouvement inconnu, une „ agitation tumultueufe & douce, s'emparèrent de „ moi: mon trouble ne vous échappa point. L'accueil n le plus flatteur fit disparaitre tout figne d'embarras; ,, le calme régna fur mon front, tandis que 1'orage „ intérieur continua dans toute fa violence,'» Ah ! qui pourrait efacer dans un jour „ La profondeur des traces de Pamour? „ Ceft le torrent, qui, fillonant la plaine, s, A tout empreint du fable qu'il entraine. „ Les prés rougis, le guérèts dépouillés „ Marquent les lieux que fon cours afouillés; „ Mais un printems fufflt d la nature „ Pour réparer Pémail de la ver dure: „ La vie entier e d peine reproduit, „ Lapaix du cceur qu'unfeul inftant détruit."(*') » Un feu dévorant, qui s'infinua dans les plus » petites parties de mon étre, m'étonna fans m'al„ larmer. Quelques lueurs d'espérance verfaient fur „ mes premiers pas une faible lumiere & fuffifaient " P°ur bannir 1'effroi. Admis dans votre fociété „ j'ofai d'abord nourrir des vues... . Vous m'en „ avez fait rougir, vous m'avez pendant peu d'in„ ftans mis a votre hauteur. Prés de vous j'ai „ goüté la volupté fuprême dont les hommes s'éloi„ gnent a fi grands pas, quand ils la cherchent dans „ desplaifirsmoinsdélicats. Un feul foupir nous rendait {') Bernard.  38 ESSAI de LITTÉRATURE. j, heureux ; ce foupir était pur comme votre ame, j, nul remords ne 1'empoifonnait. Je n'étais pas for„ cé de prodiguer ces fausfes & hypocrites préve„ nances par lesquelles Pamant fascine les regards ,, de 1'époux trompé; prévenances qui répugneut aux „ cccurs honnêtes & qui deviennent le comble de „ Poutrage, quand leur motif parait au jour. „ Prés d'atteindre mon iixieme lustre, lancé de„ puis plufieurs années dans le tourbillon du grand „ monde, entraïné par le torrent des plaifirs enfans „ bruyans du luxe & de la corruption, je ne fem„ blais plus appelé au bonheur de goüter les jouis- fances de 1'ame. Les doux parfums renfermés „ dans le modeste calice de la fleur des champs,ne „ flattent plus 1'odorat blafé par 1'excès des fortes odeurs. Cette régénération presque fumaturelle , un feul inftant la produifit, il changea toute mon „ exiftence; il me transporta dans un monde nou- veau ; il foutient encore mon courage au milieu >, des revers. Mille fois j'al prétendu le décrire , mais défespéré de rendre froide, inanimée, une „ feene dont la feule idéé allume en moi un brülant » enthoufiasme, d'impatience, de fureur j'ai brifé „ ma plume: N'importe, encore une tentative elle „ foulagera du moins ma peine. Tel est Pappanage des plaifirs de la vertu ; leurs traces qui plaifent ,, dans tous les tems, laisfent empreint en nous un „ tableau touchant, fur lequel nos yeux, desféchés „ ou par trop de bien, ou par trop de chagrin, re,, prennent Pattendrisfante humanité. Les plus fé-  SUR LES FEMMES. 20 „ duifantes formes des plaifirs du vice font entremé„ lees d'amertume, s'évanouisfent avec rapidité, & „ nelaisfentaprès elles que des traces hideufes. L'honv „ me, s'il n'est pas a'bruti, s'erTorce d'arracher de fa „ mémoire fes égaremens, mais liélas! tous fes efforts „ restent fuperflus," „ Heureux, cent fois lieureux, qui peut fans trou„ ble, fans repentir, ramener fes penfies fur toutes „ les aftions de fa vie. Le préfent, idole encenfé „ par tant de mortels, n'a de valeur que par le pasfé, au pouvoir duquel fe trouve également n foumife 1'espérance compagne fidelle & derniere „ resfource des infortunés." „ Mes regards fe portent avec inquiétude fur ce » pasfé puisfant mobile de notre bonheur, ou de no„ tre peine. Une mer orageufe me pénétre de ter» reur; les flots mugisfans fe brifent contre dénormes rochers; des volcans vomisfent des torrens de „ feu & de fumée; les cieux font couverts de „ images ténébreux : A eet effeyant aspedt mes „ esprits font abbatus, tout a coup un éclair part, „ fillonne, fend 1'atmosphère, & par fa clarté bien„ faifante me découvre une isle fortunée qUe refpec „ tent les Autans: Le feul Zéphir la fertilffe par fa „ caresfante haleine : Toujours les horreurs de la „ nature font resfortir fes beautés." „ Je cours vers eet afile enchanteur: O délicieufe „ furprife ! Je reconnais le lieu oü nous fumes en „ femble: La s'éleve le temple de la paix; les re „ grets fur le pasfé, les foucis du préfent, les crain-  30 ESS AI db LITTÉR.AÏUR& 0 tes pour 1'avenir n'ofeht jamais approeher de fort „ facré parvis. O ma vertueufe amie, la divinité, „ placée für 1'aUtel, m'appaïait fous vos traits, pour „ m'apprendre que jusqu'a mon dernier foupir, c'est de vous que je dois attendre quelques heures fortunées." „ Depüis fix mois, je vous adorais: Ma bouche, faible ihterprête, répettait fans cesfe que je vi„ vrais toujours fous vos loix. Vos principes, en „ mepénétrantde refpect m'empêchaient de connaitre j, fi je posfedais quelque pouvoir für vous. Le doute „ afFreux empoifonnait ma vie; touchée de tant de }, fouffrances, vous me dites unjour: >, Demain mon „ mari part de grand matin pour la ckajfe, je pré„ tends profiter de cette occafion pour vous faire con„ naitre les feminiens dont mon cceur eft rempli. Ces „ mots enflammèrent mon imagination. Envain la „ nuit vient elle porter le calme fur la terre, le „ fommeil n'approche point de ma paupiere. Je „ dévance les premiers rayons de Paurore: Le bruit 3, le plus léger m'occupe, m'intéresfe, enfin le forr „ des trompes, les aboyemens des chiens, les cris „ des valets annoncent le départ des chasfeurs. Je „ fors de mon appartement, le cceur palpitant de „ défir, de crainte , d'espérance: Je vous rencontre, „ vous prenez mon bras, vous dirigez mes pas vers „ une montagne peu éloignée dont le flanc était „ couvert de bois élevés. Nous avanconsj bientöi „ la forêt nous prête fon ombre majeftueufe- Nous „ reconnaisfons le caraftere de la nature ; agréablè it dans fon enfance, impofante dans fa force, affreufs  SUR LES FEMMES. 3, » dans fa caducité. Ce bosquet, planté de rejettons * naisfans, egaye Pesprit, le remplit d'amoureufes „ penfees: Ces arbres vigoureux, dont le fom.net fe „ balance dans les airs, approche des cieux & cou„ vre .u loin la terre d'une ombre épaisfe, impri. „ ment dans 1'ame un refpeél religieux : Ces bran„ ches rompues, ces troncs dépouillés, ramènent la trifte, la pénible, mais profitable image d'une de„ ïtrucnon inévitablp t« „ • «vitaoie. je me crois transporté dans " Un fanftu^-e ; une mélancolie tendre & refpec„ tueufe éleve mes pe„fées purifie mes défirs Ce " Z'ZT SI'aViSf0nS lentement' obft™t -t ienfibles, & p]ongés dans de douces réverieSt TaQ v dis que jeparaisrasfurer votre marche chancelante „ vous me pénétrez dJétincelles qu. feuks » „ chent mes jambes affoiblies de ft dérober fous „ moi. Enfin nous atteignons le fommet. Quel ma«3, mfiqae point de yue frappe nos regards l» dans toute fa pompe, parcourt un „ c:el azure; aucun nuage n'obseurcit eet astre vi„ vifiant fans le feeours duquel la nuit étendrait „ fes voiles funebres & Ia Mon régnerait ^ ufle terre pnvée de chaleur.» „ Le fleuve formant au desfous de nos pieds une „ enorme catarafte, qu'on ne neur ni „ ■ ■ > y« un ne peut m voir ni enten- que'de v/rit?eV' * MeUde M°npas * dit *vec .„twt dement »' j', ' ' ' L'am<""Êeux ftlencc, lund Us mots fuperflus.  3» ESSAI de LITTÉRATURE. „ dre fans émotion, pourfuit fon cours majeftueux a „ travers du plus beau vallon: Deschamps variés, des „ troupeaux nombreux , des villages étendus dé„ ployent les richesfes de la nature, rehausfées par l'aétive induftrie de 1'opulent cultivateur : Des „ monts, glacés terminant 1'horifon avec leurs têtes „ chenues, couronnent le plus fuperbe tableau." ,, Mes yeux, d'abord étonnés, éblouis, fe re„ portent bientót fur vous , j'éprouve une eni~ vrante fenfation : Je me vois entouré des plus ,, parfaits ouvrages fortis des mains de Tordonnateur fuprême, (ƒ) Tout a coup vous tombez a genoux „ vos belles mains fe lévent vers le ciel, votre „ charmante bouche fait entendre de mélodieux ac„ eens. Etre tout puijfant, infiniment bon, infiniment „juste, par qui tout ce que nous voyons exifte, que „ ma voix parvienne jusqu'd toi: Ecoute le ferment „ que je fais a"'aim.tr jusqu'au dernier foupir le mor„ tel d qui je ni'unis. Qy-'il rêgne d jamais fur „ moi.... Mes penfées, mes défirs , je les mets en. „ fon pouvoir, ma vertu fera le feul facrifice qu'il ,, n'obtiendra pas. Exauce mes priéres. Si nous ne trahijfons pas nos devoirs, permets que nous vivions „ Pun pour Vautre ! Si au contraire nous violons les „ refpeciables loix de l'honnêteté, fais tomber fur nos têies les chdtimens dus aux parjures.'" » Je  SUR LES FEMMES. 33 » Je füivis votre exemple: tous deux nous primes 1'engagement facré avec trop de zèle, avec trop „ d'ardeur, poür que dans aucun tems i] feit violé » » GM»t«, «e dites-vous alo,s,fur ma fidélité fur „ nut cónftance , „iais rappellez vous toujours qu>une h femme vertueufe ne faurait être féduite, vos entre»prifes, fans vous conduire d votre but, me jetter " ™ient dans le défespoir." „ Depuis cette union folemnèlle, vous me pi-odi» gates les plus tendres foins, les prévenan.es les plus „ delicates : J'exütais en vous, vous exiftiez en moi. " Le fentimem *te, qui nous animait, en donuant du prix aux moindres plaifirs, alle'geait toutes " nosP™. Tropheureux momens, pourquoi n'avez * PaS terminé ma Carriere? J'ai c««nu une fé» ücite prés de la qu'elle toute autre déformais res" tera froide & fans prix." » A Pinftant ou le devoir m'arrachait d'auprès ,> flatta. Tel que la viffime paree pour le facri>, hce, je m'avancai vers le malheur ; char-é d'a » greables festons & de brillantes bandelettes: Son" t> ge trompeur, reveil affreux. . . L,]l01 * TfeZ ',ei",eUX P0Ur ^"-"^sfer/paraïsfairdès" l0r! appde a s'ennorgueillir de fon fon • " % têfte f0"S le de la nécelfité, ^ » d» f » de vingt deux années de travaux ü n cherche Pintérêt & ne trouve que la pij, eplj  34 ESSAI de LITTÉRATUR.E. quefois par de flatteufes apparences, il court pour „ embrasfer un ami, il ne rencontre qu'un protec„ teur. Son creur , que Pespérance avait épanoui, fe resfere foudain par la honte." „ Le défir, d'apporter des foulagemens a mes peines, de fatisfaire ma reconnaisfante fenfibilité, 3, m'engage a tracer d'une main appefantie par la „ douleur quelques traits a la louanee des femmes „ dont fans vous je ne me ferais formé qu'une bien „ imparfaite image." Femmes Auteurs. lusieurs femmes, peu fatisfaites de plaire dans un cercle circonfcrit, ont aspiré a faire les délices du public. Quelques unes, d'après de trés heureufes tentatives, occupent au temple de mémoire des places distinguées. Vous ferez bientöt convaincue que, fi elles cédent aux hommes 1'honneur de remporter le prix dans Péloquence, dans la haute poéfie , enfin dans les fujets ou trés relevés ou trés profonds, en revanche, une fupériorité marquée leur échoit en partage, quand font traités les fujets de fimple agrément, oü le naturel parait plus que 1'acquis.  STYLE ÉPISTOLAIRE APPARTIENT &c. L.E STUE ÉPISTOLAIRE APPARTIENT AUX FEMMES. IrfE Style Èpiftolaire femble exclufivement appartenu- aux Femmes: Des esprits, fi m,expri. »er amri,plus en mon,oie courante , s'employent, b^en mieux aux ufages journahers. Chez une femme d'esprit, coulent comme d'une fouree abondante les détails légèrs qui content beaucoup a Vhomml fupeneur Lifez deux lettres: La première d'une femme, la feconde d'un homme; en fuppofant les deux perfonnes, de qui elles viennent, douées au meme dégré d'esprit & de talens: Vous ne fauriez prononcer que la lettre de la Femme foit réellement n ecrite, cependant vous la préférerez a caufe ( d'un moéleux, d'un oubli de travail, qui ne fe rencontre* pas dans la lettre de 1'homme a laquelle les eflorts, faits pour acquérir des graces, donnent un ton de gene , amfi qu'une tournure guindée. Suppofé que cette expérience, propofée Pour fe convaincre de combien les femmes furpasfent les hommes dans le Style ÉpuMaire , ne vous para:sfe pas fuffifante ; ü me fera facile de 1appuyer de quelques exemples. Quand Balzac donna fes lettres, il produifit une grande ienfation dans le monde littéraire • I es hommes, les Plus éclairés que posfédan la Fr'ance fedmfcrentd'opinion, mais tous, foit comme appro*«urs, Ipit comme critiques, s'occupèrent W C 2  36 ËSSAI de L1TTÉRATURE. tems d'un livre que maintenant peu de perfonnes ouvrent. L'enthoufiasme pasfé, 1'oubli préfent font je penfe , également injuftes. Les lettres de Balzae , rempliesde déclamations, de jeux de mots, ne fauraient étre dépouillées du mérite réel d'avoir été le premier ouvrage en profe écrit avec quelque élégance dans la langue Francaife. On n'avait pas encore eu d'exemple d'un Ityle aulTi plein, auffi nombreux. Son auteur peut, a jufte titre , pasfer pour avoir autant contribué a la perfection de la profe , que Boileau a celle de la poéfie. Cependant la réputation du premier fe trouve entiérement évanouie tandis que la gloire du dernier refle inaltérable; difFérenee que nous devons moins attribuer a une inégalité de talens, qu'aux époques diverfes dans lesquelles ont paru ces deux hommes eftimables (g). Si Balzae n'eut écrit que dans le tems ou les esprits s'étaient éclairés, oü fer.mentaient les germes de tous les talens, on ne ferait pas fans doute cho* qué des hyperboles & des pointes qui défigurent fes belles penfées & fes nobles exprelfions: On ne foufFrirait pas de la peine que 1'auteur a prife pour donner de 1'importance , de 1'éclat, de la valeur, a des matieres dont lui-méme reconnaisfait la futilité, quand il les appelait de pompeufes bagatelles. Voiture , contemporain , émule, ami de Balzae, obtint encore plus d'applaudisfemens. „ C'eft le Q) Balzae eft né en Z594 & Boileau cn 163S.  STYLE ÉPISTOLAIRE APPARTTENT &c. B1 » premier qui fut en France ce qu'on appelle un „ bel esprit (*)•" Ses lettres, compofées avec autant de travail que celles de Balzae, me paraisfent fort au desfous, parcequ'a mes yeux , Pafteclation de gaieté & de légéreté devient de toutes les affedations la plus détéftable. Vous ne lirez donc Voiture que pour juger de la marche du goüt dont les progrès furent fort rapides. Un homme, asfez admiré pour que M*. de Sévigné ne pardonne pas aux critiques indifcrets qui fe permettent quelques remarques fenfées fur „ un esprit libre , badin, „ charmant; tant pis pour ceux qui ne Pentendent „ pas," un homme, que Boileau dans fa jeunesfe avait loué, fut peu d'années après accablé de reproches pour la fausfeté de fes idéés, pour la maniere ridicule de fon ftyle. Quelques traits fins ou délicats font trop achetés par une foule de plates équivoques & de fades boufonneries. Les bonnes plaifanteries étaient asfurément inconnues de ceux qui les faifaient ausfi bien que de ceux qui les appréciaient; lorsque la lettre de la Carpe fut recue comme un chef-d'ceuvre. Voiture 1'écrivit pour féliciter le Duc d'Englnen de fes fuccès en Allemagne : II y fit parler k Carpe au Brochet par allufion a un jeu de fociété dans lequel le prince & lui avaient recu les noms de ces deux poisfons. Pour qu'un tel badinage réusfit de nos jours, ü (*) Voltaire.  38 ESSAIdeLITTÉRATURE. faudrait qu'il préfentat des penfées ingénieufes fans recherche, & fimples fans trivialité. Celles que je Tais citer n'y feraient pas admifes. „ Quoique vous „ ayez été excellent, jusques ici, dans toutes les „ fausfes oü 1'on vous a mangé , il faut avouer „ que la fausfe d'AUemagne vous donne un grand goüt & que les lauriers, qui y entrent, vous re„ lévent a merveille. Les gens de 1'Empereur, qui „ vous penfaient frire & vous manger avec un grain „ de fel, en font venus a bout comme j'ai le „ dos." Vous vous croirez fondée a me repréfenter que , puisque jusqu'a préfent j'ai cherché les modeles de perfeftion chez les écrivains venus pendant ou depuis les beaux jours de Louis XIV , ceft une injuftice de tenir une conduite différente par rapport au ftyle épütolaire. „ Pourquoi, direz vous, citer Bal„ zac & Voiture placés au premier Crépufcule, par conféquent n'appercevant que de faibles rayons de la lumiere dont jouirent ceux qui fleurirent „ dans la force de ces mêmes beaux jours, vers le déclin desquels nous marchons a grands pas ?" La meilleure réponfe a cette objeftion fera de vous préfenter un homme lié par fes talens avec les plus beaux efprits de fon fiecle , & par fon rang avec les plus grands perfonnages. Busfi Rabutin a donné fept volumes de lettres. L'écrivain, dont i'hiftoire amoureufe des gaules fit la célébrité, & caufa les malheurs, posfédait un esprit fupérieur: La richesfe de fon imagination,  STYLE É PISTOL A1RE APPARTIENT &c. 39 la carrière qu'il parcourut lui donnent même beaucoup de resfemblance avec övide. Tombé comme le poéte Romain dans la disgrace de fon maitre, il chercha les moyens d'en fortir par des louanges immodérées, par des asfurances excesfives de dévouement. Louis XIV ne recut ces différens hommages qu'avec dégout, malgré fa paffion pour la flaterie. Quoique les éloges du Roi & ceux, fans doute plus finceres, que Bufii s'adresfe a lui-même, remplisfent le plus grand nombre de fes lettres; quelques unes roulent cependant fur des fujets importans, & toutes font trés bien écrites. Dans plufïeurs circonftances elles montrent dans leur auteur un homme d'un goüt exquis. Cependant des fuccès d'abord prodigieux ne fe font pas foutenu d'après une géne, d'après une roideur qui felon moi, loin de leur étre particuliere , fe retrouvent dans toutes les lettres écrites par des hommes. Ce jugement, porté fur les lettres familieres, ne s'étend pas jusqu'a celles qui font des corps d'ouvrage d'une forme asfez nouvelle , que plufieurs hommes célèbres out trés heureufement employé, dans des Romans, dans des Voyages, dans des lecons de morale , & méme dans des cours de fcience : Elle a divers avantages entre lesquels fe diftingue la poffibilité de changer de fujets fans Ie fecours 'des tranfitions, fi difficiles a bien amener. L'arTranchisfement des entraves féduit toujours les C4  4o ESSAI DB LITTÉRATURE. hommes, paresfeux par nature ; ausfi les tentatives en ce genre ont elles été tres fréquentes, mais la plupart malheureufes. Les auteurs, qui trompés a, la vue cHun désordre apparent fe font perfuadés qu'ils travailleraient avec fuccès fans fuivre de plan ne pouvaient que par de cruelles chutes payer une fi grosfiere erreur; Aucun ouvrage n'eft beau qu'autant qu'il préfente un enfembie dont la liaifon refte plus ou moins vifible felon la nature du fujet, ou felonie genre d'esprit de celui qui le compofe; mais fouvent 1'auteur couronné de palmes, grace a fes lettres deftinées au public, loin de conferver des traits faillans dans celles adresfées a fes amis, s'y rpontre fee & froid. Montesquieu partait de Paris permettez-moi de vous écrire, dit - il a une femme extrömement aimable. Volontiers, répondit celleci pourvu que ce foit des lettres Perfanes." Succes des Femmes dans l'ant i q u i t é. s§> l chez les Grecs Sapho furpasfa en délicatesfe , en harmonie tous les poëtes; fi Corinne ofant disputer la palme a Pindare 1'emporta cinq fois; fi la célèbre Aspafie donna des lecons de goüt aux Alcibiade, aux Périclés, aux Platon, même a Socrate; fi Thargelie mit a fes pieds les princes, les philofophes, fubjugués par des charmes aux quels les année? n'ötèrent rien de leur pouvoir: Un Roi de Thesfalie s'étant cru trop heureux de partager fon tróne avec cette Femme étonnante, après qu'elle eut  SUCCÈS des FEMMES en FRANCE. 4I couronné publiquement la pasfion de quatorze amansü dans Rome une Julie, une Agrippine brffièrent pres des plus fllu&es éerivains, que ne doit-on pas attendre des talens des femmes chez un peuple qui de tout tems leur prodigua Pencens; qui toujours fe plut a orner les idoles aux pieds desquelles ü pasfait fes beaux jours. Succes des Femmes en France. Quand même les Femmes Francaifes n'eusfent ete que peu riches des dons de la nature il Jeur eutfuffi, pour mériter des fuccès, d'être Pame des affaires, comme cèUe des plaifirs, de préfider publiquement aux flêtes, d'infpirer en fecret les plus importantes réfolutions, de diriger les goüts, de fixer les fuffrages. La grande influenee des femmes fe retrouve k toutes les époques de Philloire de notre patrie, même dans le tems oü ce fuperbe pays était couvert d'immenfes forêts habitées par des hommes a demi fauvages. Annibal ne parvint a traverfer les hordes des Gaulois qu'en captivant,. par fes préfens, par fes flatteries , les grosfieres beautés auxqu'elles etaient remis les intéréts publiés; Ce fut avec un égal fruit, que Charles Quint employa depuis les mêmes moyens. Sans doute dans ce long espace de tems les objets de féduftion avaient beaucoup chanC5  4a ESSAI de LITTÉR 4TURE. gé de formes; mais malgré les fiecles écoulés, toujours lubfiftait, en fon entier pour le fonds, la galanterie qualité presque inhérente au caractere na-» tional. Cette galanterie, portée fous Francois L a un trés haut dégré, contribua beaucoup a la renaisfance des lettres. Tandis qu'un Roi fpirituel, vaillant, aimable , méritait par des fecours généreux, par une protection éclairée , par le foin d'appeler a la cour des Femmes reléguées jusqu'alors dans leurs chateaux, méritait, dis-je, le titre glorieux de reftaurateur des lettres; fa fceur les cultivait aveo diftinftion: La profe de Marguerite eft d'une naïveté a la fois agréable & piquante ; on la rechercherait encore, li elle respedait d'avantage la décence. Comment accorder le ton licentieux de 1'Heptameron avec la vertu qui faifait dire que cette princesfe, „ Surpasfait en. pureté comme en „ valeur les perles cPorienu" Vous jugerez a quel prix confidérable elle mettait la poéfie d'après la fin de fa jolie épigramme faite pour Marot: , . . Mais on ne peut & pen donne ma foi Jljfez prifer votre belle fcience.  Yüand fous Louis XIV. la France parut Ie foyer du génie, & qu'on y vit en méme tems fleurir des hommes fupérieurs dans tous 'es genres , les femmes ne reftèrent point au desfous de leur fiecle ; pluüeurs contribuèrent au triomphe de Ia nation', aucune autant que me. de Sévigné. Vous ne connaisfez pas encore fes lettres: J'ofe prédire que vous les hrez avec tant de ravisfement, qu>a peine forties de vos mains elles y rentreront. On ne peut quitter ce recueü dont le fonds est une inépuifable fenfibilité, qu'exprime fous des formes toujours nouvelles toujours élégantes , un esprit abondant, plein de feu & de délicatesfe; tréfor moins bien connu des Francais que des étrangers in&uits qui nous envient fa posfesfion & qui fentent que comme il n'eut jamais de modele, il ne produira que d'imparfaites copies. Rien «n'honore d'avantage cette femme unique que d'avoir compté parmi fes amies d'autres femmes qu'un esprit moins ëlevé eut traité en rivales • Elle chérit Mc de Villars connue par de charmantes lettres, dans lesquelles fe rencontrent fur la, cour de Charles II, des anecdotes curieufes qui peignent, d'une maniere ausfi vive qu'enjouée, les ufages, les mceurs des Espagnols. Busfi bel esprit Fanfaron, qui ne put mal^é tous fes efforts approcher de fon' inimitable cou-  44 ESSA1 de LITTÉRATÜRE. fine , fe vit également furpasfé par fa fille dont les lettres font écrites avec naturel, avec esprit, avec délicatesfe. A fon entrée dans le monde fous le nom de Me de Coligni , elle réunit tous les fuffrages. „ Rien de plus charmant, de plus interes„ fant que cette jeune Rabutin ," difait Me. de Sévigné. M11?. Scuderi de fon cöté mandait a Bufii: Votre fille a autant d'esprit que fi elle vous vo„ yait tous les jours, & elle eft ausfi fage que fi elle ne vous avait jamais vu." Malheureufement les idees exagérées du pere 1'emportèrent fur de fi louables dispofitions; une femme, confidérée & respeftée, fe couvrit de ridicules par fon ardeur a réalifer des chimères Romanesques. On la vit, avec autant de furprife que d'indignation, plaider contre fon fecond époux, La Riviere , un des hommes les plus aimables , les plus fpirituels de fon tems. Ces belles qualités avaient enflammé le cceur de la jeune veuve au point, que dans un transport pasfionné elle avait pris avec lui des engagemens fignés de fon fang. L'amant adoré devint bientöt un époux odieux indignement outragé. La vanité ne tarde pas a étouffer la tendresle chez les femmes, quand le délire eft plus dans leur esprit que dans leur cceur.  ROMANS. Romans. ME . de Sévigné fut rechercliée par les plus illuftres perfonnes de fon tems, mais fon cceur cédant a une douce fimpathie préféra toujours 1'auteur de Zayde, de ce Roman délicieux dont le fuccès parut bientót balancé, même éclipfé par celui de la prïncesfe de Cleves. M«. de La Fayette fe furpasfa elle-même dans cette feconde produdion que rendent aimable fon élégance, fa décence, fa vraifemblance. C'eft la première de ce genre qui ait mérité en France de plaire aux hommes de goüt , ausfi at-elle regu des diftindions extrëmement flatteufes. Fontenelle la lut trois fois; le grand Frdderic 1'admit dans fa bibliotheque perfonnelle. La princesfe de Cleves obtint trop de couronnes, pour que quelques épines n'aient pas percé a travers des fleurs dont elles font formées. Je me plais a vous rapporter la critique de Busfi; c'eft un modele qu'applaudit Me. de Sévigné : „ rotre critique de la princesfe de Cleves eft admi„ rable , mon Coufm : Je my reconnais ; & fy au„ rais même ajouté deux ou trois bagatelles qui vous „ ont asfurément échappè.'1' „ J'oubliais de vous dire que j'ai enfin lu la prin„ cesfe de Cleves avec un esprit d'équité,& point „ du tout prévenu du bien & du mal qu'on en a „ écrit. J'ai trouvé la première partie admirable ; „ la feconde ne ra'a pas paru de méme. Dans le 45  40 ESSAI de LITTÉRATURE. j, fecond 1'aveu de Madame de Cleves k fon mari eft extravagant, & ne fe peut dire que dans „ une hifioire véritable ; mais quand on en a fait „ une a plaifir, il eft ridicule de donner a fon „ Héroïne un fentiment fi extraordinaire. L'auteur, „ en le faifant a plus fongé a ne pas resfembler „ aux aütres Romans qu'a fuivre le bon fens. Une 1, femme dit rarement a fon mari qu'on eft amou„ reux d'elle; mais jamais qu'elle ait de 1'amour „ pour un autre que pour lui ; & d'autant moins „ qu'en fe jettant a fes genoux, comme fait la „princesfe, elle peut faire croire a fon mari, „ qu'elle n'a gardé aucune borne dans 1'outrage qu'elle lui a fait. D'ailleurs, il n'est pas vrai„ femblable qu'une pafiion d-'amour foit longtems „ dans un cceur de même force que la vertu, de„ puis qu'a la cour en quinze jours, trois femaines, „ ou un mois, une femme attaquée n'a pas pris „ le parti de la rigueur, elle ne forige plus qu'a „ disputer le terrein pour fe faire valoir, & fi , „ contre toute apparence & contre 1'ufage, ce combat de Tamour & de la vertu durait dans „ fon cceur jusqu'a la mort de fon mari, alors elle „ ferait ravie de les pouvoir accorder enfemble en époufant un homme de fa qualité , le mieux fait „ & le plus joli cavalier de fon tems. La premie„ re aventure des jardins de Coulumiers n'est pas vraisfemblable & fént le Roman. C'est une grande jj juftesfe que la première fois que la princesfe fait i, k fon mari 1'aveu de fa pasfion pour un autre 9  R- O M A N Si ^ monfieur de Nemours foit a point nommé derrie„ une palisfade d'oü il 1'enteiid. Je ne vois pas j, même de nécesfité qu'il la fut & en tout cas „ il fallait le lui faire favoir par d'autres voyes. „ Cela fent encore bien le Roman de faire par„ Ier les gens tous feuls, car outre que ce n'est „ pas 1'ufage de fe parler a foi-méme, c'est qu'on „ ne pourrait favoir ce qu'une perfonne fe ferait » dit; a moins qu'elle n'eut écrit fon hiftoire; encore dirait-elle feulement ce qu'elle aurait penfé. „ La lettre écrite a Me. de Chartres eft encore du „ ftyle des lettres de Roman, obfcure, trop lon„ gue & point du tout naturelle : Cependant dans ce „ fecond tome tout y eft; ausfi bien conté & les „ expresfions en font ausfl belles que dans le premier." Ou reconnait avec peine, avec furprife la hauteur fouvent petite de Busfi, en lifant, dans la lettre qui fuit celle que je viens de citer, „ notre criti„ que de la princesfe de Cleves eft de gens de qua. „ lité qui ont de 1'esprit.-" Le défir d'imiter Me. La Fayette anima Me. de Givri. Sa Comtesfe de Savoye approche de Zayde • il y régne un air de modeftie, un ton de fimplicite' qui lui donnent beaucoup de grace. Me. de Tencin moins lieureufe resta trés loin & du modele & de Hmitatrice, je défire pourtant que vous lifiez fes ceuvres, parceque le ton de la trés bonne compagnie y domine. Perfonne ne pouvait mieux le connaitre, qu'une femme qui pendant longtems  4 48 ESS AI de LITTÉRATURE. rasfembla chez elle ce que non feulement Paris f mais 1'Europe posfédait de plus diftingué par le rang & par 1'esprit, Les grands feigneurs, les beaux esprits j les philolbphes, les favans de toutes les contrées s'empresfaient de grosfir la fociété que Me. de Tencin appellait, fa ménagerie fpirituelle & dontelle fe faifait écouter avec autant d'attention que de plaifir. Me. D'Aunoi, encore plusfaible, plait cependant a la jeunesfe par la légérêté, par la facilité avec lesquelles font écrits fes contes & plus particnliérement fon voyage d'Espagne. Si je notmne ici Me. de Villedieu qui paf fon extraordinaire abondance obtint d'abord quelque tér putation, c'est pour vous prévenir que les feuls jugemens des hommes éclairés doivent être adoptés. Si vous vous en rappörtiez aux éloges donnés, ou par 1'ignorance, ou par Pe^prit de parti, vous vous trouveriez engagée dans la leéture, „ d'in„ fipides écrits qui g&tent le goüt des jeunes „ gens (*)." II appartenait a Me. Ricoboni dë marcher avec éclat dans une route ausfi battue. Ses ouvrages , pleins d'esprit, respirent a chaque page une fenfibilité que nul homme ne parviendrait a exprimer avec autant de délicatesfe. Les lettres de Juliette Catesby resteront toujours comme un chef-d'ceuvre de naturel & de grace. Une (*) Voltairc.  ROMANS. 49 Une femme, dont la tombe est encore jourftellement arrofée des pleurs de Pamitié , dont le nora feul émeut ceux qui ont eu le bonheur d'admirer en elle la réunion, peut-être unique, des plus belles, des plus attachantes qualités: Me. Elie de Beaumont a donné le tableau des femmes fans pudeur, des hommes fans morale livres aux désordres, malheureufement tolérés par les mceurs du jour. Ce tableau fe trouve plein de vérité , les routes ténébreufes, les resfources crimihell.es du vice y font découvertes avec autant de force que de juftesfe: Des mains pures attaquèrent les autels élevés a la corruption; elles les ébranlèrent; honneur affez grand, puisque celui de les renverfer refte au desfus des forces humaines. Les lettres du marquis de Rofelle fauveront de 1'oubli le nom de M*. Elie de Beaumont; mais quoique trés eftimées, elles ne feront jamais un titre asfez diftingué de gloire pour obtenir les hommages dusa celle dont les talens, fondés fur une mémoire prodigieufe , fur des connaisfances variées fur un goüt trés fain , étaient rehausfées par une maltérable douceur, par une aimable gaieté par une rare prudence. L'image de la vertu fe vóyait empreinte jusques fur les traits de fa noble figure Tous ces Romans, trés agréables, ont en outre'le merite précieux d'avoir contribué a Ja chüte du genre déteftable que les éblouisfans fuccés de la Calprenéde firent adopter a M1Ie. Scuderi: Sa carte du Tendre, accueillie par les petits maitres de la 1 OM. II. £,  50 ESSAI de LITTÉRATÜRE. cour de Louis XIV, est de nos jours unanimement jnéprifée. Q_uel leéteur a le courage de s'occuper de tendre fur inclination, de tendre far eftime, de tendre fur reeonnaisfance. Si par hafard la curiofité porte a jetter les yeux desfus, le dégout les fait promptement détourner. Vous regretterez qu'une perfonne d'autant de mérite ait employé beaucoup de tems a la compofition de eet infupportable verbiage. Ses travaux mieux dirigés nous eusfent enrichi d'ouvrages dans les quels fe feraient rencontrés tout a la fois des leqons & des plaifirs. Nous avons pour gage de ce que j'avance la morale du monde : Cet excellent livre plait par fon indulgente fagesfe, étonne par une finguliere connaisfance des femmes que 1'auteur juge avec une impartialité dont aucun homme ne ferait capable. Vous verrez que, précédant les philofophes modernes,qui fe font glorifiés de découvrir une vérité neuve au moment oü ils rapportaient toutes nos aftions k 1'intérêt, cette fille eftimable défigne 1'avarice comme 1'unique caufe de tous les crimes; caufe funefte , qui, ne fe bornant pas a propager le vice, étouffe la vertu. La fraicheur, la grace de 1'imagination de M«e. Scuderi femblent prouvées pa^ le trés joli impromptu qu'elle fit a Vincennes, envoyant une pierre oü le grand Condé, pour foulager les ennuis de fa prifon, avait planté des ceuillets qu'il anofait tous les jours.  ÖUVRAGES U TIL ES. 5, En voyant ces mllcts, qu'un illuftre guerrier; Arrofa d'une main qui gagna des batailles, Souviens-ioi qu>Apollon bdtisfait des murailles j Et ne t'ètonneplus de voir Mars jardinier. Ouvrages ütiles. Quelque valéar que vous attachiez aux produdions que j'ai cité, il en exifte cependant qui wclament plus d'éfttoe, d'après une utilité mieux niarquee. Les confeils de M«. de Puifieux a fon atnie offrent un taél tres jufte fur Ia fociété , fur fes ufages, fur fon espnt, fur fes mceurs. VoUs y verrez par! faitement indiqués & peints les ridicules a fuir les défauts a détefter , les vertus a culti verSi je m'addresfais è une de ces jeunes perfbri«s, qui hvrées aux égaremens de la jeunesfe, cherchent le bonheur d^illuiions en ülufions, né^li gent leurs devoirs & ne respirent que ° é coquetterie, a la fuite de laquelle marchent trop fouvenr les défordres & ]£s ^ ^ ^ P „ Lifez les ceuvres de M«. Lambert; fi vous ne „ chensfez pas enfuite la vertu , c'eft qlie le «er » me n'en exifte Pas dans votre ame ; dés lors „ vos malheurs pourront exciter la pitié, mais ils ne mériteront jamais Pintérêt." Ce que je con* fexlto alors, dans 1'espérance qu'il en réfulterait un fruit ialutaire, je vous le propofe comme un moyen asiuré d'obtenir une des plus douces jouisD 2  52 ESSAI de LITTÉRATURE. fances, celle de trouver trés bien rendus les fentimens, les principes gravés au fond de votre cceur. Les devoirs des enfans, les fonftions maternelles, 1'amitié, 1'amour, traités par Me. Lambert avec finesfe, avec grace, avec vivacité d'imagination , avec juftesfe d'esprit, prouvent que cette femme charmante fut parfaite comme amie, comme époufe, comme mere: Elle infpire le défir de 1'imiter, parceque fa philofophie n'ayant rien de fee, rien d'outré, rien de pédantesque, offre une route femée de fleurs; en un mot tout ce qui est forti de fa plume porte les fignes d'un goüt fupérieur , & refpire la douce chaleur d'un cceur aimant. Ouvrages agréables. " ^LUI r^utut ^üt^-s ^ 1'agréable emporte tous „ les fuffrages." (/z) Ce haut point de perfeélion est trop rarement atteint pour que toute ambition modérée ne foit pas fatisfaite , quand elle obtient un des deux avantages, celui de plaire, ou celui d'inftruire. MUe. de Montpenfier a mis beaucoup d'esprit & de grace dans des portraits, compofitions trés a la mode pendant quelque tems, mais tombées d'après les efforts qu'elles coutent, ainfi que d'après leur peu de vérité. Tous les portraits qui nous restent {h) Qmnc tuiit punSum qui mistst utile dukl, h O R A C ü.  OUVRAGES AGRÉABLES. 53 quoique fortis d'entre des mains habiles paraisfent ou vagues ou flattés: Ceux d'après nature eusfent été renvoyes parmi les coupables libelles. Quelques perfonnes ont prétendu fe peindre elles-mémes; il en est réfulté un combat asfez fingulier entre la vanité brülant de fe fatisfaire & la modestie défirant infpirer de h confiance. La première, toujours la plus iorte, espere pouvoir impunément a la faveur d'aveux peu confidérables vanter de belles qualités. L'inévitable prévention, produite par 1'amour proPre quand nous parions de nous mémes, marche élement a Ia fuite d'autres penchans quand nous parions de nos contemporains. On posféde deux portraits de M«. de Sévigné dans lesquels fe rencontrent de nombreufes contradans: A celui fait par Mf* de La Fayette appartient fans nul doute la préference, cependant pour qui lit avec foin les lettres de M de sevrgne ü est impoffible de „e pas reconiiaitre que Buil,, quoique fuspecl a titre d'amant malheureux dit fouvent la vérité. Pour bien juger d'après un Ponrait, il fandrait dérnéler ]e femimen/ *k*éi afin d'adoucir les traits, foit favorables, foit desavantageux; mais tous les fentimens ne demandent pas une égale discufiion. La haine déprécie bien mieux que Pamitié „evi0Ue. L'amom- ne faurait presque compter pour rien : A fa „aisfance ü voit tout parfait; dans fa foree ü jouit fans rien deerne, S>étemt-il, les défauts fe groffisfenr,Z qualites estimables s'erfacent: „ jQ n'y a gueres de >, gens quz ne foient honteux de s'être aimés, quand D 3  54 ESSAI de LITTÉRATURE. ils ne s'aiment plus:" (*) Maxime bien affiigeante, par malheur, hélas! généralement vraie. Vous trouverez beaucoup d'esprit, beaucoup de facilité dans la relation de 1'isle imaginaire, dans la Princesfe de Paphlagonie, deux nouyelles de Mlle. de Montpenfier, oü elle s'est mife en jeu fous le nom de la Reine des Amazones; mais pour apprécier cette illustre Princesfe, il faut lire fes mémoires. Quoiqu'elle y paraisfe trop fouvent occupée d'objets minutieux, elle n'en infpire pas moins du refpeft, de Pintérét: Du refpeét, quand elle a la noble ferme té de ne pas prendre le deuil dont la cour de France fe couvrit houteulement a la mort de Cromwel: De l'intérêt, quel cceur asfez dur pour en refufer a une femme, qui après avoir dédaigné la main de plufieurs Princes, voulut rendre a 1'amour un des plus beaux hommages qu'il ait jamais recu , en élevant a elle un fimple gentilhomme: Embrafée par une paffion impétueufe, elle n'éprouya que contradiétions, qu'infortunes; la félicité ne fembla Papprocher que pour rendre fa chute plus affreufe : Déja elle goütait la douce joye de combler de bienfaits 1'objet de fa tendresfe, déja fe préparait le beau jour qui devait couronner fes feux, quand 1'autorité lui enleva tout espoir de bonheur, en arrachantde lés bras fon amant pour le charger de fers, Ses plaintes, fes gémisfemens, retentirent envain: L'amante généreufe prodigua des richesfes énormes; facrifice léger, lorsqu'il (• ) La Rochefoucauk.  OUVRAGES AGRÉABLES. 55 procure la liberté de Pobjet aimé. Cette liberté tant defirée, fi chérement achetée, loin demettre un terme aux peines de Mademoifelk, ne fit qu'en ouvnr une nouvelle fource. Laufun traita avec ftoi* deur, avec mépris, la bienfaitrice aux pieds de laqueUe il eut vécu, s'il n'avait pas été iudigne de fes bontes. Ce favori, vain, indiscret, ambitieux, Pousfa Pingra.itude jusqu'a reprocher comme exceslive la vivacité des fentimens, que la reconnaisfance lui prefcnvaitde refpeéter, au cas que fon cceur ne lui permit pas de les payer d'un égal retour. Dans le recueil asfez confidérable des ceuvres de M"e. de Montpenfier, vous distinguerez avec plaifir Plufieurs lettres de IVK de Motteville, femme qui Par les agrémens de fon esprit, par les qualités de fon cceur, fe fit chérir de tout le monde, & qui posféda. Ia confiance de trois grandes Princesfes. Nous lui devons des mémoires fürs de plaire malgré la né-U. gence de leur ftyle. On y rencontre des anecdotes rendues avec un ton de bonne foi que la feule vénte peut prendre, M«. de Nemours, parente, contemporaine, émule ce M* de Montpenfier, n'a pas des titte^ heureux v1S-a-vis de la postérité. Vous remarquere2 la grace du ftyle de fes mémoires, foués en outre comme trés fidelles. Les portraits y font d'une touche délicate: Des détails intéresfans s'y trou. vent fauvés de 1'oubli dont ils ne feraient pas fortis fans ce fecours. M"e. Bernard fit de tels progrès dans la beauté du D4  S6 ESSAI de LITTÉRATURE. ftyle , que les critiques restetit encore incertains, s'ds lui doivent attribuer, ou a fon ami Fontenelle la relation de Pisle de Bornéo, allégorie connue tant par fa tournure ingénieufe , que parcequ'elle est la première des trop nombreufes attaques faites a la religion. Rome & Geneve, y font introduites & maltraitées fous les noms de Mero & cVEnegu. Je compte parmi les inftansde ma vie les plus agréablement occupés, ceux que j'ai donné a la leélure des mémoires de Me. Staal: Vous ferez peu lürprife de la fimplicité, de 1'élégance , du goüt de cette femme célebre en apprenant que née avec infiniment d'esprit, elle pasfa presque toute fa vie a la cour de Sceaux; c'est-a-dire au milieu de ce que la France posféda de plus aimable & de plus illustre ; en un mot dans le fein de la politesfe, de la magnificence ; amie des Toureil, des Malefieu , elle embrafa de feux ardens Cliaulieu dont le cceur ne put être fauvé par les glacés de Page. Au mérite littéraire de ces mémoires fe joint celui de 1'intérêt. Ce n'est point une de ces vies dont les circonftances, importantes pour ceux qui en font les acteurs, restent aux yeux du public d'infipides bagatelles. Dans celle-ci fe retrouve une partie des principaux événemens d'une époque orageufe: Vous y appercevrez les fils fécrets qui faifaient mouvoir les divers rèsforts, & qui font ailleurs imperceptibles. L'amour fuit les pas de Me. Staal : Par lui une prifon d'état devient le féjour de la volupté; des fers pefans fe changent en chaines de fleurs: La paffion  OUVRAGES AGRÉABLES. 57 des deux captifs que le leéteur fe plait a partager, irend trés fenllble Mnconftance du Chevalier: Cette inconftance, qui fit verfer tant de larmes a 1'amante abandonnée, ne fut pas fon feul malheur en ce genre. Dépourvue d'attraits, elle eut fouvent, comme Sapho, le malheur de pleurer fur le mépris de plus d'un Phaon. Sans avoir le desfein de fe parer dJun excès de févérité, Me. Staal, de fon aveu, ne voulut fe peindre qiSen bufte; circonfpection, qui n'empêche pas d'appercevoir qu'elle paya tribut a la galanterie un peu libre, qui fort en vogue fous le gouvernement du Duc d'Orléans, resfemble fi peu a celle des beaux jours de Louis XIV, que le nom feul de cette derniere est parvenu jusqu'a nous: En un mot Me. de Staal eut les ..mceurs revues: „ Pendant le tems de Vaimable rêgence, „ Tems confacrépar la licence, „ Oü la folie, agitant fon grelot, „ D'un pied leger parcourt toute la France, „ Oü nul mortel ne daigne être devot, „ Oü Pon fait tout, excepté pénitence. (*) La resfemblance de nom est caufe qu'asfez de perfonnes confondent Me. Staal avec Me. Stael, auteur des lettres fur J. Jacques; ces lettres, accueillies avec transport par une partie du public , avec dureté par une autre partie, étincellent d'esprit. Les (*) Völiaïre.  58 ESSAI de LITTÉR.ATUR.E. inégalités du génie s'y reconnaisfent : Des négligences, des pasfages déclamatoires font trés fouvent fuivis par le ton propre a célébrer 1'écrivain le plus éloquent, 1'homme le plus fenfible qui jamais ait paru fur la terre. Ouvrages de sentiment. „ -A^za, mon clier Aza!" Ces feuls mots rappellent a toute ame aimante les lettres d'une Péruvienne fi tendres & fi naïves. Jamais, jamais, les mouvemens tumultueux d'un cceur paffioné ne furent aufii bien exprimés. Les infortunes, les perfécutions relévent les charmes, les vertus de Zilia. Elle devient une héroïne au milieu des dangers; fa conftance ne parait ébranlée que quand le fort la réfervant a la plus forte des épreuves la place entre Phomme qu'elle adore & fon généreux bienfaiteur. II n'y avait qu'une femme d'infiniment d'esprit, & d'une parfaite fenfibilité, capable de décrire, avec tant de grace, avec tant de délicatesfe, jusqu'aux plus fecrets myftéres du cceur d'une amante jeune & tendre; mais elle eut du remettre la plume entre les mains de fon ami, quand Pamant parait en fcene. Que eet Aza fe montre peu fait pour infpirer une grande paffion ! Qu'il est froid ! Comment a-t-il allumé une flamme presque céleste fans être lui même embrafé? On'fouffre pour Zilia, on la plaint, on est prét a la blamer d'après Pespèce de refponfabilité a la quelle toute femme fe voit foumife fur  OUVRAGES de SENTIMENT. 59 ion choix, puisque le plus fouvent 1'opinion publique est fixée par ce choix. Vous ne pardonnerez auffi qu'avec regret a Pintéresfante Péruvienne, quelques tournures recherchées, quelques deftinétions métaphyfiques, qui ne fe rencontrent pas dans le langage du fentiment, furtout lorsque les femmes 1'employent, C'est a elles qu'il appartient de préférence de failir ce naturel, eet abandon que 1'esprit cherche envain a imiter. Qui fent le mieux, exprime nécesfairement le mieux, or perfonne ne met en doute que les femmes, ne fentent beaucoup mieux que les hommes: Par un fi bel avantage la nature prétendit les dédommager des asfujettisfemens , des maux aux quels elle les condamnait. Comme c'e'st en proportion du fentiment qu'on éprouve, & non de celui qu'on infpire, qu'exiile le bonheur, celui des femmes furpasfe de beaucoup Je nötre : Outre d'incalculables facrifices, qui toujours faibles au gré de PÊtre asfés heureux pour les faire, resférent fi fort les-liens qu'elles forment, une paffion vraie devient le centre ou fe rapportent toutes leurs adiions, toutes leurs penfées, tous leurs défirs; tandis que chez les hommes, cette méme paffion reste iöuvent fecondaire d'après la foif des grandeurs & des richesfes. Eh' Qui pourrait méconnaitre que lorsque Pamour ne" régne pas fans partage, d'abord il languit, bientót d pént, s'il parait fe foutenir pendant un terme asfez long, c'est que fon apparence furvit toujours a fa réalité. Le mortel, dépourvu d'organes inteUecluels, mé-  6b ESSAI de LITTÉRATURE. connait feul , que Pamour tient les facultés phyfiques & morales des femmes asfervies fous 1'Empire Ie plus abfolu. Les phénomenes, produits chez elles par ce fentiment fi puisfant, fe retrouvent a toutes les époques de Phistoire, fur toutes les parties de la terre. Je me plais a mettre fous vos yeux un exemple tiré d'une florisfante contrée, oü les hommes, adonnés a. de férieufes, a d'aftives occupations, ne peuvent pas fe livrer a la fenfuelle paresfe, mere des voluptueux plaifirs; oü les femmes, fouvent folitaires & négligées, ne fauraient exalter leur imagination par ces entretiens galans & paffionnés, qui font prendre un esfort fi relevé a la fenfibilité naturelle, oü le climat n'embrafe pas les fens par des feux dévorans, oü la terre enfin prèsque foumife a 1'Empire des Eaux , n'offre aucun trait du lieu oü fut bati le temple de Pamour, Palais enchanté, fi bien décrit par Voltaire: „ Ld tous les champs voifins, peuplés de myrtes verds „ N'ont jamais rcjfenti Poutrage des hyvers. Partout on voit mürir, partout on voit éclore „ Et les fruits de Pomone & les préfens de Flore, „ Et la terre n'attznd, pour donner fes moijfons, „ Ni les vceux des humains, ni Pordre des faifons. En Hollande, une jeune fille fut fubitement attaquée (*) de fymptomes terribles & pestilentiels. D'après 1'arrêt fatal des Médecins, fes parens la re- {») En 164Ö.  OUVRAGES de SENTIMENT. 61 leguèrent dans un jardin écarté dont perfonne n'approchait qu'avec effroi. Quelques alimens, ■ tendus de loin, restèrent les feuls fecours accordés a cette infortunée. Depuis fix mois que durait une fi cruelle captivité, les maux, aigris par les chagrins, ne laisfaient plus aucun rayon d'espoir. Celui qu'elle aimait arriva des régions lointaines dans lesquelles fon devoir 1'avait pendant long-tems retenu. Plein d'impatience, ivre d'amour, il courüt chez le pere de fa bien aimée, il la demanda avec empresfement; ö coup funeste!... On lui apprend qu'il a perdu fon araante : Les détails de la plus déplorable des fituations le pénètrent de pitié, de colere; fentimens, qui s'épanchent en plaintes furie, fort de la victime, en inveftives contre les perfécuteurs: „ Barbares, s'é„ criet-il, renoncez aux titrcs facrés de pere, de „ mere, que vous avez fouillés: Celui de bourreau „ vous appartient. Je vais prés d'elle ; mes foins „ Parracheront au trépas; ou du moins j'obtiendrai „ du ciel la cruelle faveur de périr au méme inm ftant qu'elle." Ses amis prétendent 1'arrêter : Efforts inuriles ! Quels obftacles ne franchit pas le véritable amant? La porte fe brife ; ü entre : Le fpedacle, qui frappe fes regards, fait hérisfer fes chereux: Celle, qu'il adore, étendue fur un lit de douleur, livide , froide, refpirant a peine; il ]a prend dans fes bras, il la presfe contre fon fein, il lui prodigue les plus tendres, les plus vives cares-  62 ëSS Ai ±>e LlTTÊÜATÜREi fes, il les continue fans relache j il foulage d'abord fes fouffrances. Bientót 1'amour achevant ce miracle, le danger disparait. Un mois a peine est écoulé, que la jeune perfonne reprend fes charmes, & couronne les feux de fon libérateur. Amfterdam accorda des distinftions, des biens a ce couple intéresfant qu'une poëte rendit a jamais immortel. (*) P o é s i e. JL'amour, n'en doutons pas, fit les premiers poëtes. Ces mortels, dont les noms eusfent du pasfer a la postérité la plus reculée, voulurent plaire 4 la beauté quand ils inventèrent un langage qui flatte également nos facultés morales & phyfiques. Le-. femmes , douées d'organes beaucoup plus délicats, favent mieux que nous apprécier les vers qu'elles ififpirent. Plufieurs, intimement & a juste titre convaincues que le fimple róïe de juge était au desfous d'elles, ont pris en main la Lyre poétique &lui ont fait rendre des fons harmonieux. Une d'entr'elles ofa bien invoquer Calliope, mais bientót malgré fes talens, effrayée de la vaste carrière qui fe déployait h fes regards, elle ne fe crüt pas asfez de force pour tracer le plan d'un poëme (^*J Vincent Fabricius.  P O É S I E. || épique: Cette crainte la fit fe dérober h un travail qu'il est auffi glorieux que difficile d'exécuter heu. reufement. En effet, une belle charpente épique fuppofe dans qui 1'exécute un esprit étendu , une imagination forte, un jugement droit, un goüt fevère, foutenus par des connaisfances approfondies & variées fur les produdions de la nature, fur les ufages des fociétés, fur les mceurs des hommes, fur les influences du climat, fur la pofition des lieux: Auffi dès qu'un poëte est parvenu a 1'exécuter avec fuccès, Pédifice de 1'Épopée fe trouve presque por té au comble. M=. du Boccage fe contenta d'imiter Miiton; mais ne pouvant pas racheter des fautes de conduite, des violations de mceurs, des écarts fréqueus, par les fublimes & ravisfans élans du poëte anglais; fa Colombiade n'obtint qüe peu de fuccès. Cet exemple malheureux ne femblerait-il pas une" Twriere élevée pour s'oppofer aux tentatives des femmes que 1'orgueil remplirait du préfomtueux défir de prendre un vol trop haut; au Iieu qu'elles fe voyent attirées vers les genres légers par les rofes également fraiches & brillantes, nées fous les pas de celles qui n'ont prétendu cultiver que de rians parterres. Les mémes mains ne fauraient former des bouquets & rasfembler des faisceaux d'armes. Les vóJres feraient tallées par 1'attouchement des durs métaux; les nótres dépouüleraient les fleurs de leurs attraits encore plus délicats qu'éclatans. Empresfonsuous de chercher les traces des femmes, mais que «e fort avec le feul desfein de relever les nombreuiés,  64 ESSAIdeLITTÉRATURE. les charmantes guirlandes dont elles font couverten & ornées. Une Princesfe, dont la beauté, dont Pesprit, dont les graces captivaient tous les cceurs, & dont les infortunes exciteront dans tous les fiecles la pitié ; Marie Stuart, qui après avoir eu le front ceint de deux couronnes, périt par la main du Bourreau, aimait beaucoup les vers & les faifait asfez bien: Quelques poéfies, confacrées a chanter fa tendresfe pour Chatelard, furent mifes au nombre des accufations portées contre elle : Son gout pour la galanterie, fon ardeur pour les plaifirs, la jettèrent dans de trés blamables imprudences que Pon aurait pourtant tort de regarder comme la véritable caufe de fon injuste fupplice, La Reine d'Écosfe périt victime immolée a Pimplacable jaloufie d'Elifabetli, femme extraordinaire , qui prétendait au doublé avantage de compter par fes talens parmi les grandshommes, & par fes agrémens parmi les plus belles perfonnes de fon fexe : Attachant un prix infini a. fes charmes, elle fut pénétrée pour fa coufine de la haine que toute rivale voue a celle qui Péclipfe. Marie, née pour Pamour, accoutumée aux hommages d'une cour magnifique & polie, fe fentait eile-mème peu propre au gouvernement; & n'entreprit de régir PEcosfe que par obéisfance aux ordres des Guifes fes oncles. Le fceptre fut toujours prêt a s'échapper de fes belles mains : Ne pouvant en> foutenir le poids, elle le pamgea avec des hommes ornés des qualités propres a féduire, mais dépourvus de  P O É S I E. 6s de celles nécesfaires pour commander. Aprés mille petnes intrigues, trop fouvent enfanglantées, la Reine, chasfée par fes fujets, réduite a une longue captivité périt fur un échafaud, avec un courage qui tend fa mémoire refpeftable. Elle femble avoir prévu d'avance Penchainement des malheurs qui Pattendaient. Ce fut avec la rius vive douleur qu'elle s'arracha d'une terre appellée a jufte titre le Paradis des Femmes: Ses adieux lont repétés chaque jour. • Adieu, plaifantpqys de France, O ma patrie La plus chérie. Qui a nourri ma jeune enfance. Adieu, France, adieu, nos beaux jours. La nef, qui déjoint nos amours , N'a eu de mol que la moitié: Une part te refte, elle efi tienne ; Je la fie d ton amhié. Pour que de Vautre il te fouvienne; La familie de Pafchal femble avoir été choifie pour préfenter un phénomène , qui, fans exemple jusqua elle, ne pataitra peut-étre jamais : La vertu y impofait fflence au génie. MH Pafchal, ainfi que fon Uluitre frere, négligea des talens propos a charme, les hommes, qu'elle préféra d'édirier par une fervente piété. „Cette vertueufe fille avait „ fait beaucoup d'éclat dans le monde par la beau* te de fon esprit, paï m talent t OM. II.'  66 ESSAI de LITTÉRATURE. poéBe, mais elle aval* renonce de bonne lieure aux vaïns amufemens du fiecle, & était une des „ plus humbles religieufes de la maifon de Port „ Royal (*)." Mlle. Chéron a laisfé des poéfies agréables, & dignes d'ébges, quoiqu'asfez faibles. Cette fille ce'~ lèbre réuffit bien mieux dans fes tableaux, dont plufieurs méritent d'être recherchés. Me. de Brégy regut un accueil empresfé, de la part des érudits & des hommes de Iettres qui fe disputaient Phonneur de couronner la niece du favant Saumaife. Bientót elle montra qu'elle n'avait pas befoin de titres étrangers pour donner du luftre a fes talens. Ses vers ingénieux annoncent plus de finesfe d'esprit, que de fenfibilité de cceur. On lui doit cette jolie épitaphe : „ Oj desfous git un grand feigneur, „ Qjxi de fon vivant nous apprit, ()\un homme peut vivre fans cceur „ Et mourir fans rendre Pesprit." Me. Déshoulieres a donné des idylles pleines de douceur, de grace, de naturel qui ne recevraient aucun reproche fi les lecons d'une morale asfurément trés eftimables n'y devenaient pas fatigantes par leur monotonie , & fi les images, leurs plus jolis ornemens, n'étaient pas reconnues pour des copies tirée» d'anciens recueils. Malgré ces taches, Voltaire a (•) Racine.  P ° É S I E. 6? dit „ de toutes les dames Franeaisfes qui om cul » T ^ ^ Désh0ulie- - c'eUe qu a t » Plus reuffi, puisque c'eft celie dont on a retenu „leplusde ver," Tout le monde fe rapelle «^ te maxime pleine de vérité. „ Nul n'est content rlefa fortune „ Ni mécontent de fon efprit." M*. Déshoulieres hérita d'une bien faible partie auesd"r^deftmere'puisque— au desfus du médiocre. M°. de La Sufe , Plus avantageufement parta»ée a et recherchées pour le-^- esfe, fes JCJIS Madrigaux plaifent beaucoup; mais Pour que fes odes fusfent favorablement recues faUatt que les ledeurs fe laifasfent fédujp 'ie grace* du poëte dont on a dit agréablement: ,, Qu'elle Déésfe ainfi vers nous descend des cieux ? " £fi~Ce rmus > Pa^, ou la Reine des dieux, „ Dont nous refentons la préfence ? „ Toutes trois en vérité. „ C'eft Junon par fa naisfance t ,j Minerve par fa fcience, „ Et Vénus par fa beauté." Non loin de M«. de La Sufe, retenez une place Pour Me. de Montaigu dont les ouvrages font lus avec plaifir. D'itoftres étrangers ont, de tout tems, conficré E 2  68 ESSAI de LITTÉRATURE. leurs inftans de loifir a tracer des vers Frangais. La mere du Maréchal de Saxe, de ce héros dont les talens ramenèrent la gloire impofante de Louis XIV a fon plus haut apogée. La belle Me. de Konismark cultivait notre poéfie. Envoyéè par Augufte pour fléchir Charles XII, elle ne put approcher d'un Roi, qui livré tout entier aux travaux militaires, dédaignait la volupté, „ Pour goüter, tout fanglant, le plaijlr & la gloire , * Que donne aux jeunes cceurs la première vit7oire(*0" L'affeétation avec laquelle Charles évita fa rencontre , lui parut un mouvement de crainte honorant plus le pouvoir de fes charmes que 1'encens des autres mortels. Son admiration pour ce conquérant généreux, magnanime, mais „ fier & même un „ peu farouche ,J' fe peignit dans des vers que nos femmes les plus célèbres eusfent adopté avec empresfement, „ elle introduifait les dieux de la fable 5, qui tous louaient les différentes vertus de Charles; „ la piece finisfait ainfi Ct)" „ Enfin chacun des dieux discourant d fa gloire, „ Le placait par avance au temple de mémoire; „ Mais Vénus ni Bacchus rten dirent pas un mot." De nos jours mille charmantes pieces, échappées ;des porte-feuilles des femmes, prouvent que chez (•} Ricinè. (t) Vokaire.  P O É S I E. 6o dies les talens & le goüt ne font pas menacés de la decadence dont les triftes fignes percent dans une foule d'écrits modernes. Me. de Beauharnais jouit d'une réputation trop bien établie pour qu'un fuffrage de plus put y rien ajouter. Perfonne n'a mieux chanté Pamour & l»a, mmé. Voyez comme ces deux fentimens paraisfent tour a tour agréablement peints dans fes poéfies; „ Sans Vamitiè, fans fa douceur, » La vie, hélasl eft importune: »» Qge fait le rang ë? la fortune ? t, Ah ! Pon n'est rien que par le cceur. ~ ----- ~ amour, amour, „ Aufein des fonges je t'adore ; » Je te cherche dans monfommeil, „ Et c'eft pour t'adorer encore, „ Quej'aime Pinftant du reveil: » Qifiil ouvre ou ferme fa carrière, „ Hé! que me fait l'aftre du jour ? „ Apeineje vois fa lumiere: „ L''appercoit-on en ce féjour ? „ C'eft tonflambeau qui Véclaire." L'idylle fur La Fontaine de Vauclufe asfure A Me. Verdier I'honneur d'avoir mis au jour un des morceaux des plus purs , des plus élégans de la poéfie Francaife, Dans toutes les woduétions de cette femme a la fois fi fupérieure & fi modefte, fe rencontre le ftyle du cceur de M«. Déshoulieres, E 3  7o ESSAI db LITTÉRATURE. mais foutenu par l'exa&itude de Boileau, mais réIiausfé par 1'harmonie de Racine. Son heureux talent fe prête également a tous les tons; prétend-elle peindre les avantages des beaux arts qui remplisfent fes inftans , qui charment fes ennuis , elle met fous nos yeux le berger Hilas adorant Aminte; mais" Aminte non moins infenfible que belle, fe rit des vó*ux empresfés de mille amans & n'aime que les chans de Philomele; Hilas cherche a imiter ces fons mélodieux. „ Hötes légers de ce bocage 7 „ Oifeaux difoit-il dans fes chans , ,, Enfeignez moi vötre ramage, ,, Ma bergère aime vos accens ; ,, Fajfent-ils plus tendres encore , „ Jïs ne fauraient rendre jamais, L'excès des charmes que j'adore, „ Ni l'excès des maux qu'ils m'ont fait. Aminte ravie pasfe de 1'indifférence a l'amour. Jeunes amans profitez de Vexemple, „ Pour ètre aiméi, c'eft peu d'étre conftans, „ Sacrifiez au graces aux talens, „ Et le bonheur vous ouvrira fon temple ; „ Vous ne devez qu'a leur fecours heureux, j, Le don charmant d'intérejfer une ame; „ Hilas aimait, on méprifa fa flamme ; „ Hilas chanta, Vamour comble fes veux."  p O É S I E. 7I Entrelace-t'elle des fleurs ou des ramaux , elle en asfortit le mélange avec une grace infinie; la lyre d'Orphée animait les objets les moins fenfibles, " Verdler' ?ar une fflétamorphofe bien plus heureufe rend tout les objets aimans. „ Ces ormeaux joignent leur feuillage, » Non pour braver les feux du jour, Mais pour nous préfenter l> image, >■> De deux cceurs unis par Pamour." Veut-elle, après avoir comme Tibulle ibupiré «ies vers diétés par la tendresfe, chanter fur fes Pipeaux rustiques; une aimable nmplicité devientfa parure. » 11 n,estPoint ici de ruijfeaux, >, coulefur Pherbc fleurie; ■» Pour exciter la rêverie , „ Nous n'avons ni bois ni berceaux. „ Au lieu de hêtres & de chênes, „ Varbre de Palias fur nos plaines, „ Etend fon paifible rameau ; » Quant aux habitans du hameau „ lis n'ont ni rubans, ni houlette, „ Des fleurs n'ornent point leur chapeau, „ Et pour rasfembler leur troupeau, „ Un cornet leur fert de mufette» euf^6' f*"1*0» ^refois Me. D'Entremont eut donne plufieurs pieces telles que la délicieuiè E4  7a ESSAI de LITTÉRATURE. feuvette, elle eut obtenu d'être comparée a Voltaire pour les pieces fugitives, dans lesquelles ce grand homme eft le plus inimitable. Le papillon , de la rofe Recoit le premier foupir; Le foir une peu plus éclofe Elle écoute le Zéphir. Jouir de la même chofe , Ceft enfin ne plus jouir. 'jfpprenez de mafauvette, Qu'on fe dok au changement; Par ennui d'être feulette , Elle eut moineau pour amant. C'eft fürement être adroite, Etfe pourvoir joliment. Mais moineau fera-t-il fagt 7 yrila fauvette en fouci. S'il changeoit Vieux quels dommage ? Mais moineaux aiment ainfi. Puisqu'Hercule fut volage, Moineaux peuvent l'être aujji.  P O É S I E. ?s Vous croiriez que la pauvrette t En regrets fe confuma : Au village unefillette , Auroit ces foiblesfes ld ; Mais le même jour fauvette, Avec pincon s'arrangea. La faiblesfe de Ia poéfie de M'. de Busfi n'empêche pas de remarquer du naturel, de 1'agrément dans plufieurs des pieces qu'elle nous a laisfé. Je ne crois donc pas céder aux préventions d'une anciene amitié quand je retrace a ma mémoire cette jolie Elegie : „ Vous qui vous balancezfous ces ormes touffus , „ Oifeaux, éloignez vous de cefunefte azile , „ Pour gouter vos chanfons ilfaut un cceur tranquille, „ Et mon cceur, hélas! ne Pest plus. „ Un berger trop cher me délaife ; „ Mes pleurs, fes fermens, n'ont pu le retenir; „ L'ingrat! il porte ailleurs fes vceux & fa tendresfe, „ Et de ma trop longue faiblesfe, „ II aperdu le fouvenirP Les femmes confervent en poéfie la prééminence que nous leurs avons reconnu dans la profe, toutes les fois qu'infpirées par leur ame elles rendent les mouvemens touchans de la fenfibilité ; lifez les vers luivans, & jugez vous-même. Votre fexe pouvait feul avec autant de délicatesfe , de goüt, de grace offirir des confolations a un infortuné courbé fous le E5  74 ESSAI de LITTÉRATURE. poids des disgraces. Si dans 1'exil le moindre trait d'intérêt nous aflette , combien ne devons nous pas être ému , d'un fentiment qui nous remplirait d'admiration, de reconnaisfances, de refpeét, au comble de la prosperité. Heureux me direz vous le mortel qui a pu infpirer un fi doux épanchement; j'ofe vous asfurer, que, fait pour 1'apprécier, il fent que par lui font adoucies les plaies les plus douloureufes de fon cceur. É pi tee a mon ami Ë ju i g b. jé. Tu regrettes donc ta patrie , Et ton époufe & tes enfans ; Une mere bonne & chérie , Et les rofes de ton printenis. Pleurs qu'un fouvenir fait répandre, Prouvent la fenfibilité ; Avec une ame douce & tendre, Qyfaifiment on eft ajfetlé ƒ Mon bien aimé , le cri de la nature , Ne pourra jamais m'ojfenfer; Eien loin que mon cceur en murmure , Que ne peut-il tout remplacer ; Le tems feul te fera connaitre , Si ** ff fait aimer; Et nos Hens un jour peut-être , Auront le droit de te charmer : Mon pays deviendra la terre ; Oü tu couleras tes vieux ans , Mes tendres foins repiplaceront ta mere,  P O É S I E. Et mes hommages tes enfans. Une époufe par fa tendresfe, Pourrait-elle plus accorder ? Mon bon ami, partage mon ivresfe, Et tu croiras tout pojféder. Pourquoi redouter de l'automne , Les approches & les Autans ; Lesfruits fi doux aue dismnfc Pnmrm? Val ent bien les fleurs du printenis. Que mon amefut fatisfaite , Quand exilé par Paveugle fureur ; Au fonds d'une Jimple retraite, Tu vins m'apporter le bonheur. Vas, ne crains pas cette horde cnnemie, Vont vainement Pimplacable furie Jusqu'en mes bras viendrait pour Pécrafer Le nceud qui m'enchaine d ta vie , Dis-moi l qui pourrait le brifer ? E1 amour en déploiant fon aile, Te vollerait au meurtrier; Et mon cceur a fa loifidelle, Tefervirait de Bouclier. Mais loin de moi cette effrqyante image Du préfent feul je goüte la douceur, Le plaifir fera mon partage, Unfeufipur brille mon cceur. Rappelle toi que la conftance, Accompagne les vrais amours, Et loin des rives de la France, Tu retrouveras d''heureux jours.  76 ESSAI de LïTTÉRATURE. 'Vers de Société. JPoint de cercle a cette heure qui ne fe glorifie de fon bel esprit, de fon poëte : Dans les villes du dernier ordre fe rencontrent des hommes, qui écrivent avec élégance, qui font des vers agréables. L'espric a péuétré jusques dans les lieux les plus retirés, en • réfulte-t-il des avantages réels ? C'est fur quoi 1'on peut difficilement établir une opinion certaine. Si tout k coup la mer, fans ajouter a la masfe de fes eaux, franchisfait les bornes qui lui font prefcrites, & couvrait la furface de la terre, fa profondeur diminuerait a proportion que fa fuperficie croitrait: Des barques légères Cllonneraient encore fes eaux devenues incapables de porter de trés gros batimens. De même les jolies compofitions abondent de toutes paris tandis que les ouvrages de grande Laleine font envain défirés. Plus de têtes organifées pour en coneevoir le plan ; point de mains asfez fortes pour eruployer les matériaux nécesfaires dans leurs fondemens. Cette diminution de profondeur devient le triomphe des femmes, d'autant que leur esprit fe trouve joint a une finesfe de tact qui les préferve presque toujours du ridicule; elles peuvent réclamer comme un bien propre les plus jolis vers de fociété. Leurs füccès en ce genre, renouvellés fans cesfe, ne permettent pas, tant ils font nombreux , que perfonne fe propofe jamais de les rasfembler.  VERS DE SOCIÉTÉ. ff Me, de Luxembourg, célèbre par fes charmes qui produifirent une fi vive fenfation ,• quand elle entra dans le monde fous le nom de Bouflers, que Pon „ crut voir la mere des amours," attirait autant d'hommages par les agrémens de fon esprit que par fes graces extérieures. Vous chercherez longtems avant de rencontrer des vérs auffi légers, auffi délkats que ceux qu'elle fit pour Me. de la Valiere : lis accompagnaient une navette envoyée a cette amie qui, après avoir dans fes beaux jours pousfé au plus haut dégré Part de plaire, recut lors de fa vièllesre la récompenfe de fon excellent caraétere dans les foins que tout Paris lui prodigna. „ ISemblimc frappe ici nos yeux : „ Si les graces , Pamour & Pamitiê parfaite, „ Peuvent jamais formcr des nceuds, „ Fous devez tenir la navette. Tendre Amie, intéresfante Coufme (O, fans la crainte que les fentimens qui m'attachent k vous ne rendisfent mes éloges fuspeéts, je célébrerais ici vos talens. Une grande fenfibilité aux malheurs de eeux qui vous font chers s'efl: oppofée a vos pro- (i) MUe. de Dampmartin Collorgues, dont Iepereadünnödecharmantes poéfies entre lesquclles fe diftingué une épitre appelée la grande garde & compote pendant une c.-mpagne qu'il ftifait comme capitaine de cavalerie dans le régiment du Commisfaire gdndral: Quelques comédies de Mr. de Collorgues ont 6t6 trouvdes plenes d'esprit & d'une grande gaieté.  78 ESSAI de LITTÉRATURE. grès. Vos jours ont été confumés dans les antres de la douleur; a peine un rayon de joye a parfois frappé vos yeux ; cependant vous avez chanté le plaifir. Parmi ces agréables couplets, bien plutöt épanchemens de votre cceur, qu'erforts de votre esprit, auxquels une voix touchante prête des attraits que je ne faurais leur conferver, j'ai fidellement retenu ce confeil: O vous tendres amans, Qui voulez qu'on vous aime, Arrivez d pas lens A ce bonheur fuprtme. Eh ! que ferait Pamour Sans la délicatesfe? Le plaijïr eft Ji courtl Prolongez fon ivrejfe. Succes en Vers et en Prose. IOoileau, qui par 1'extrëme juftesfe de fon esprit, a mérité que plufieurs de fes vers devinsfent des maximes générales, prouve par fonpropre exemple la vérité de ces deux-ci : ,, La nature, ferlile en efprits excellens, Sait entre les auteurs partager les talens." Ce poëte fupérieur fe traine, pour auffi dire, dans la profe. Corneille, le grand Corneille devient pefanr, diffus, dès qu'il ne parle plus ce langage  SUCCES EN VERS ET EN PROSE. 79 par fois fi fublime dans la bouehe de fes héros. Racine & Voltaire, ainfi que les mortels asfez heureux pour fuivre leurs pas, font des êtres privilégiés, qui loin d'exciter 1'envie , devraient infpirer de' Padmiration, de la reconnaisfance, puisqu'a eux feuls appartient 1'inappréciable avantage d'éclairer & d'enchanter tour a tour. Les femmes, dans des genres a la vérité asfez frivole*, offrent quelques unes dentr'elïes favorifées du doublé talent des vers & de la profe. ' La petite fille du Maréchal de la Force cueillit avee asfez d'honneur la doublé palme pour qu'un nom , deja glorieufement tracé fur les pages de Phiftoire obtint le même éclat dans les faftes de la littérature Le poeme des Chateaux en Espagne parait Pélan d'une belle irnagination : Des pieces de poéfie lé«ère offrent de la grace, de la facilité, du naturel ■ En profe Phiftoire fecrette de Marie de Bour«o Qyi venëe Punivers peut bien dompter mon cceur." Ce ne fut qu'après s'étre bien asfurée que les perfonnes de fon fexe reftaient loin de Pélévation tragique, que Me. de Maintenon eut recours a Racine, „ pour qu'il contribuat aux vues qu'elle avait „ de divertir les demoifelles.de St. Cyr en les in„ ftruifant, démarche a laquelle on doit Esther & „ Athalie. Me. de Brinon, première fupérieure de „ St. Cyr, aimant les vers & la comédie, compofait „ des pieces déteftables quoiqu'elle eut de 1'esprit, „ & une facilité incroyable d'écrire & de parler. „ Me. de Maintenon voulut voir une de ces pie„ ces: Elle la trouva telle qu'elle était, c'eft-a-dire, „ fi mauvaife, qu'elle la pria de n'en plus faire jouer ,, de femblables. Nous donnons ces particularités d'après Me. de Caylus, fes fouvenirs juftifient 1'enthoufiasme dont  t h É a t r e. g3 elie péiiétra tous les beaux esprits de fon tems, & que nul d'entr'eux n'exprima mieux que La Fare. „ Sans espérancc & même fans défirs , „Je regrettais les fenfibles plaifirs „ Dont la douceur enchanta ma jeunefe, „ Sont-ils per du, difais-je,/ans retour? »* Et n'es-tu pas cruel, amour , p Tol, que f ai fait dans mon enfance , <,, Le maitre de mes plus beaux jours , « D'en laijfer terminer le cours » li Vennuyeufe indijférenfe : „ Alors j'appercus dans les airs, „ L''enfant, mj.hre de l'univers , „ Qui, d'une joye inhumaine, » Me dit, en fouriant, Tiras, ne teplainsplust „Je vais meur e fin d ta peine, „ Je te promets un regard de Caylus-'' Me. de Grafigni a fait répandre bien des larmes dans Cénie, piece intéresfante, femée de traits heureux, remplie de fentimens attendrisfans, mais écrite avec une recherche trés contraire au naturel du dialogue, mais entiérement dépourvue de force comique. Les jolies petites pieces de Me. de Genlis fe rangent parmi les plus délicates produclions confacrées a la jeunesfe, fans pourtant augmenter les richesfes de notre Théatre. Me. Mennet, auteur des agréables contes orientaux, a depms Peu joui de 1'honneur de voir fes F 3  84 ESS AI de LITTÉR ATURE. MontagUards d'Auvergne applaudis & fuivis. Cette comédie plait, intéresfe , respire partout une tou^ chante fenfibilité ; parfois elle étincelle d'esprit, mais trop fouvent vous la trouverez faible, languisfante, même obfcure. Nulles qualités louables ne dédomagent d'une gêne fatigante que produit, foit la préfence de cara&eres épifodiques, foit l'introduftion de fcenes inutiles. Adoptez pour principe fondamental de vos jugemens fur tout ouvrage dramatique, que les perfonna<*es, les discours , les fituations , les faits, les incidens, doivent concourir a la marche de l'aftion. Du moment oü il eft poflible, comme dans la plupart des pieces des femmes, d'intercaller ou de fupprimer des fcenes , fans renverfer en entier 1'édifice ; on a peut être produit un ouvrage charmant fous plufieurs rapports, mais auquel trés certainemertt n'appartiennent pas les honneurs fcéniques. Teaductions. IPouE qu'on ne puisfe pas reprocher a leur fexe d'avoir négligé aucune espece d'étude, plufieurs femmes fe font asfujetties au röle de traducleur qui demande un travail, une patience bien pénibles pour des esprits légers, pour des imaginations vives. Lorsque nous remonterons a la littérature des anciens, vous aurez lieu d'admirer les efforts de Me. Dacier, femme a la fois étonnante par fon érudition, efümable par les fervices qu'elle a rendu,re-  ÉLOQUENCE. g5 fpedable par fes vertus. Sur de fi beaux titres fu. rent, pendant fa vie, jettés des „uages proVe„a„t cl un Zele outré, mais presqu'entiérement diffipés aux yeux de la poftérité. Laisfant dans 1'oubli quelques Traduétions qui femb ent peu convenir aux femmes, comme par exemPle,cellede MUe. Joncoux des nottes latines Z tes par Nicole fur les lettres provinciales: Empresfons nous de reconnaftre , que les Francais doivent des dames, presque tous les ouvrages Italiens & Anglais transportés dans leur langue. Afin d'éviter une longue énumération, je me coft -terat de deux exemples. Ce ne fut'pl ^ fans quelque peme que le célèbre Hume appritqu>u, «e f mme entreprenait de traduire fa belle re dAngleterre. Le phitofophe peu galant fe per mit meme quelques farcasmes ; mais après avoir lu 1 ouvrage de M*. Bénoit, il crut devoir des remer! -mensa cette dame: Elle les méritait ainfi que Z fuffrages du public. H W' B°ntems fi connne par fes graceSj ftn espnt, a traduit, avec autant d'exadtnude que %Z gance, le poëme des faifons de Thompfom ÉLOQ UENC E. ' 1^'amoue fem devient impé£ueux chez mes, tand, que les autres paffions font en génlal tendres, douces & délicates: Elles reftent donc le p u fouvent pnvées du véritable aliment de Péloauencc ^mmm^m & ent^ne de Mm^m F 3  86* ESS AI de LITTÉR ATUR E. Cependant un talent bien prononcé éleva Mlle. Ma» zarelli au desfus des bornés ördinaires. Les éloges de Sulli & de Descartes appellent cette fille eftimable dans le fein des meilleurs orateurs. Erüdition et Sciences. HI]L.ien de plus rare que de fe borner aux chofes pour lesquelles on a de véritables talens. Une espece d'inquiétude porte fouvent nos défirs fur ce qui n'est pas regardé comme de notre resfort. Les défirs , accueillis par 1'amour propre , fe changent a nos yeux en d'heureufes dispofitions. De la tant de revers esfuyés même pas des hommes de mérite , pour avoir préféré de fausfes routes a celles que la nature leur indiquait de fuivre. Les femmes, loin d'éviter cette erreur, s'enfoncèrent lors de la renaisfance des lettres, a la fuite des favans, dans les profondes mines de 1'érudition ; Nullement propres a y pénétrer , elles en rapportèrent plus de rtdicules que de connaisfances. Perfonne ne pouvait s'empêcher de fourire, en entendant les exprefiïons fcientifiques & furannées, dont fe fervait Mlle. de Gournai, immortalifée par 1'honneur que lui fit Montaigne de 1'adopter pour fa fille d'alliance. La familie de Patin fuca 1'érudition avec le lait : Les Guy, les Charles, admis dans le monde favant, n*y rencontrèrent pas un fuccès aulfi flatteur que leurs femmes? que leurs fceurs, hérisfées de grec &  ERUDITION ET SCIENCES. 87 de latin. Malgré leur énorme & pefante masfe , les m folio n-étouffent pas entiérement le penchant pour le beau fexe , mais fis rendent feulement Ion expreffion ridicule. M*. Patin & fes filles Gabnelle & Charlotte prirent place k Pacadémie de Padoue. Toutes trois k Penvie publièrent des ou, vrages dans la plupart des quels elles dédaignèrent d'employer la langue vulgaire. Les panégyriques, les harangues, les disfertations, fr„its de leurs 10„4 travaux, reftent enfouis dans le fonds des bibliotht ques, dont par fois Pon retire les réflexions morales & chretiennes de Me. Patin la mere. Les hommages, que j'ai été jaloux de rendre 4 M Daaer, ne m'empéchent pas de reconnaïtre la pefanteur de fon ftyle , Paigreur de fon ton dans les disputes littéraire, Ces défauts deviennent des preuves évidentes que les favantes études dénaturent un fexe dans lequel tout doit plaire, j„squ>aux lecons qu'd donne. Les caufes de la corruption du gout,l'Homére défendu font regretter qu'une da me,recommandable par tant de titres, ait dans ces deux circonftances perdu de vue la devife qu'elle avait adopté d'après Sophocle , „ le filence eft „ 1'ornement d'une femme.» Ce ne fut pas fans furprife que le public vit la conduite differente des combattans: Tandis que 1'homme de lettres réunisfait pohtesfe , légéreté , philofophie ; la femme favante fe montrait prévenue jusqu'a 1'aveuglement, pédan. te & groffiere. „ Elle fuit les Graces , difait Boi„ leau, & les Graces la fuyent." F4  82 ESSAI de LITTÉRATURE. Gertain Rhéteur d'Athènes, s'écria Me. Dacier , louait Homére avec des expréflions groffieres & déplacées; Alcibiade juftement choqué donna un foufflet a eet imprudent orateur. A quel traitement devrait donc être condamné Mr. de la Motte pour les blasphémes dont-il n'a pas craint de fouiller fa bpuche, & que chaque jour encore il vomit contre Piliade & contre Podisfee? Par un bonheur inoui, répondit en fouriant 1'aimable académicien , la riche mémoi„ re de Me. Dacier ne lui a pas rappellé 1'anecdote d'Athènes lors de notre derniere rencontre : D'a„ prés la chaleur avec laquelle disputait cette da„ me, il est apparent que j'eusfe été encore plus maltraité que ce pauvre Rhéteur innocemment „ coupable." Quelque vrai que foit un principe, toujours fe rencontrent des exceptions. Me. Desroche & fa fille parürent a la fois vertueufes , érudites, belles , agréables, favantes & fpirituelles. Ces rares qualités leur acquirent moins de célébrité que la tendresfe qui les unisfait entr'elles. De toutes parts des admü-ateurs, des adorateurs accouraient les encenfer. Pasquier dans des vers trés pafiionés nous apprend qifune puce appercue fur la gorge de la fille fut chantée par les plus grands - hommes du fiecle en Francais, en Italien, en Latin, en Grec. Les têtes, embrafées park feu poétique,par le beau lieu qu'occupait ce trop heureux infeóte, lui promirent 1'immortalité. La demoifelle répondit tres galamment, Sc dans les diverfes langues que chacun avait employé.  ER.UDITION ET SCIENCES. 89 Les époux furent journellement refufés, quoique plufieurs d'entr'eux fondasfent leurs prétentions fur des talens diftingués, fur des richesfes confidérables. La mere & la fille, émules, amies, compagues fidelles, ne trouvaient des charmes a la vie, qu'autant qu'elles étaient réunies. Toutes deux, a 1'exemple de Philémon & Baucis, demandèrent au ezel de ne pas fe furvivre : „ Vceux touchans pleinement „ exaucés!" La pefte les ravit le même jour a leur patrie qui les honora de regrets finceres, qui les cite encore coinme un titre de gloire (fc). De même que chez les Athèniens Arhetée, fachant éviter les exces d'Hyparchie & les ridicules des femmes pédantes, honora la philofophie; chez les Francais une femme plülofophe a recueilli la gloire de faire connaitre a fes compatriotes, le grand-homme, devant le génie duquel s'abaisfent tous les esprits. „ La nature, fes loix étaient obfcuritê , „ Dieu dit: que Newton foit; dès lors tout fut clartê (/). Me. du Chatelet fut, en calculant la marche de 1'univers, facrifier aux Graces. Toujours on la vit 1'ornement des fétes, les délices de la fociété. Le grand monde n'appercevait qu'une femme aimable dans celle prés de qui les phibfophes venaient s'inftruü-e: Les fciences, les lettres, les plaifirs, 1'amitié (k) Elles moururent en 1587 4 Poitiers. (/) „ Natu/e and natures laws lay at itight, „ God faid Newton hts and all was light" F5  go ESSAI de L1TTÉRATURE. remplirent fes jours que Pamour pnt foin auffi d'embellir de fes faveurs. Ce furprenant asfemblage de talens oppofés fut heureufement exprimé dans 1'étrenne que voiei: „ Une Etrenne frivole d la Doble Uranie, „ Peut-on ldpréfenter ? oh ! trés bien;pen réponds. ,, Tout lui plak, tout convient d fon vafte génie, „ Les livres, les bijoux, les compas, les pompons , „ Les vers, les diamans, le birihi, Poptique, „ L'algebre, les foupers , le latin, lesjupons, „ Vopéra, les procés, le bal & laphyjïque." Ces vers furent envoyés par Me. de Bouflers dont Pesprit, dont 1'amabilité , fe retrouvent traits pour traits dans le Chevalier de Bouflers, que vous verrez avoir bien agréablement célèbré fa charmante Maman. Cette dame conferva jusqu'au dernier foupir fes qualités attachantes, fon enjouement fpirituel, fa bonté facile : Par un dernier épanchement de fenfibüité elle voulut que les plaifirs de la jeunesfe folatrasfent autour de fon lit de mort. Peu d'heures avant que la tendre & conilante amitié lui fermat les yeux, fon appartement devint une falie de bal. Me. du Chatelet, en répondant a fon amie, voulut prouver qu'elle était digne de chercher le bonbeur dans le fentiment: Hélasl vous avez oublié, „ Dans cette longue Kyrielle, Deplacer le nom de Pamitié; 9 Je donnerais le refte pour elle."  PRÉTENTIONS A L'ESPRIT. 91 Prétentions a l'esprit. fureur de pasfer pour favantes produifit chez les femmes l'affeétation de penfées & de langage ré* pandue fur toute la France , mais dont le principal foyer fe trouvait au fameux hotel de Rambouillet. Les meilleurs esprits fe laisfèrent féduire par un faux & éblouisfant jargon, jusqu'au jour ou Molière désfilla tous les yeux par les Précieufes ridicules. Ménage, a la première repréfentation de cette piece, eut Ia franchife de dire a fon ami Chapelain affis prés de lui & empresfé de mêler fes applaudisfemens a ceux du public : „ Nous approuvions vous „ & moi toutes les fottifes qui font critiquées fi fine„ ment, & avec tant de bon fens." Par une heureufe révolution dans le ton des entretiens, le naturel, jusqu'alors rigoureufement évité, parut & avec lui le véritable esprit. Rien néanmoins de plus difficile dans tous les tems que de rasfembler un cercle de beaux esprits, fans que les prétentions percent bientót, elles fubftituent la contrainte , la roideur a 1'aimable & douce négligence. L'envie démefurée de briller devient autant le tourment de celui qui 1'éprouve que du témoin des pénibles efforts qu'elle infpire : Une fociété , trés célébre en ce genre, fe rasfembla longtems chez Ia réfpeclable Me. Geoifrin, chez cette femme toujours  92 ESS AI de L ITT ÉR AT U RE. qccupée d'ades de bienfaifance. Quoiqu'un grand nombre d'hommes, diftingués par leur mérite, par leurs talens, compofasfent ce bureau d'esprit, lespoëtes,les auteurs comiques 1'ont pourtant a 1'envie expofé au ridicule. La plupart des traits maiins furent fans doute aiguifés par la jaloufie; mais la vérité ordonne de reconnaitre que plufieurs ne portaient pas a faux. On applaudisfait trop fouvent a des mots recherchés dans le goüt de celui par lequel Me. Geoffi-in , pour défigner les hommes, qui devant tout a leur mémoire , ne font riches que de réminiscence, les appeiait des bêtes frottées d'esprit. Les heureux changemens, qu'introdufirent dans le monde les chefs-d'ceuvres de Molière , furent développés par une fille étonnante. Au fein des voluptés elle fut montrer aflez d'esprit, aflez de graces, pour s'afiurer, plus certainement, 1'immortalité que' bien des hommes ftudieux confacrant leurs plus belles années aux moyens d'acquérir la moins frivole de toutes les chimères. M»e. L'Encios fixant prés d'elle les premiers hommes de la Viile & de la Cour, leur comuniqua fon enjouemein, fa légéreté d'esprit, fa prévenante politesfe. Ils rcv- .ent le nom d'oifeaux des Tournelles par allnfion au quartier de Paris qu-'habitait celle qui les réunisfait. Charlesval, admis dans cette charmante fociété que le plaifir aniinait, & dont il devint lui-même un des premiers ornemens, s'écria :  PRÉTENTIONS A L'ESPRIT, 93 ne fuis plus oifeau des champs, „ Mais un des oifeaux des Tournelles, » Qyifa™ choix desfaifons nouvelles, „ Se parient d'amour en tout tems , „ Et quiplaignent les tourter elles, „ De nefe baifer qu'au printems. L'on répétera toujours plufieurs faillies heureufes de cette perfonne unique dont les cheveux blancs dont les rides ne fi-ent pas fuir Pamour ; qui cueil' lit les rofes du plaifir dans Page oü les autres mortels font condamnés a n'envifager que les cyprès de la mort. La viellesfe termina fes jours fans avoir pu lui enlever les moyens de plaire. ' Les lettres, que D'amours a publié fousle nom de M1Ie. PEnclos, font beaucoup d'honneur a eet écrivain ; mais Vhéroine de la galanterie n'eut certainement pas adopté une métaphifique trés fubtile trés précieufe , par conféquent bien éloignée de la'phi lofophie fimple, du naturel, de la délicatesfe qui fe diftinguent dans le peu de fes lettres que nous a confervé S'. Evremont. Aucun écrit ne peindra jamais auffi fidellement le caradere de Ninon , que le mot qu'elle répettait fouvent a fes amis: „ Dés queg'ai fait Ufa-e de „ ma raifon , je me fuis mife en téte d'examiner „ lequel des deux fexes était le mieux partagé. J'ai „ vu que les hommes ne s'étaient point du tout mal„ traités dans la diitribution des lots, & je rae fuis „ faite homme.1''  94 ESSAIdeLITTÉRATÜRE. JLves femmes fe trouvent condamnées par la nature a une épreuve aufil pénible que délicate , lorsque le doux befoin d'aimer & 1'impérieux défir de plaire furvivent au pouvoir des charmes. La dévotion, 1'ambition peuvent feules foulager de cruelles inquiétudes, & mettre fin a un mal-aife plus difficile a fupporter que 1'infortune, parcequ'aucun facrifice ne vient, en flattant 1'amour propre, relever le courage & centupler la patience: De ces deux triiles resfources, la derniere n'appartient qu'aux femmes qui par leur rang, ou par leurs talens peuvent influer fur les événemens. Tandis que la dévotion offre un port ouvert indiftinftement a tous les individus. Les dévotes furpasfent donc de beaucoup les ambitieufes: Elles font diftinguées entr'elles par différentes nuances trés marquées. La première de ces nuances, malheureufement peu répandue, offre une piété a la fois humble, compatisfante , éclairée; vertu fublime qu'on ne peut s'empccher d'aimer , & qu'on ne faurait trop refpeéter. Vous plaindrez, en leur accordant de 1'intérêt, ces cceurs fimples & bons qui, autant par oifiveté que par fenfibilité, cherchent toujours a s'attacher; qui, de bonne foi dans la dévotion comme dans la galanterie, font neanmoins prêts a pasfer tour è. tour de la volupté au recueillement, du recueillement a la volupté, DÉVOTION.  D É V O T I O N.. 95 „ Car de f amour d la dévotion , „ // n>eft qu'un pas: l'un dont credit fans barnes allumait 1'envie de fes contemPorames , paya bien cher fa grandeur. L'ennui rongeui^ êmpoifoijUant fa vie , la fit fouvent foupirer apres fon ancienne obfeürité. P0Ur rempiir la pemble tache d'amufer uh homme blafé ft t0„t, el e d.fira le fecours de Ninon a qui des richesfes, d honneurs furent offerts, pourvu qu'elle m.rehat iou -les ctendarts de Phypoerifie, mais cette fille philofophe répondit a Phomme chargé de la né»ofcation; „ Jeune, j'ai fefufé de vendre mon corps, » vieille, je rfé mèttrai pas' mon- ame a prix." ii Vous avez fans doute la promesfe d'épouiér dans » 1 autre monde Dieu le pere ,» difait le cynique DAubigné quand il entendait fa f* r foupirer après la fin d'une grandeur devenüe par 1'habitude une mfupportable contrainte. Te/Ie elt la fuite trop commune de cette tyrannique pasfion; quiconque fe'met ious fon joiig ne tarde pas a le détefter, mais fe Jent contramt, par uri ifréfiftible pouvoir, a lèportér jusqu'au dérnier foüpir. • L^ m°rt fe montre moins cffrayante que Ie repos * celui quz s'est livré longtems au tumuïté des affaires. Charles Q„int foulagéaii fon ennui en tourmentant les moines chez lesquels il s'était retiré. Tout mimftre disgracié, quelque celèbre qu'il ait «é par fes talens, par fon amabilité, lors des jours de ion uevation, n'est pi„^ mèm stf l OM. IX. Q  58 ESSAI de LITTÉR ATURE. ïnquiétude fait le tourment de fa familie; tous ceux qui 1'entourent, trainent une vie fi triste , qu'ils fou pirent après 1'inftant oü doit fe terminer une carrière fur la fin de laquelle on chercherait , fans aucun fruit, a répandre quelques fleurs. M'. de Maintenon, avide de tous les genres de réputation, voulut augmenter le nombre des femmes auteurs. Elle a laisfé des lettres écrites avec esprit; mais qui font dépourvues des agrémens des lettres de femmes. On les croirait volontiers 1'ouvrage d'un homme, ne perdant pas de vue qu'il travaillait pour le public. Vous y rencontrerez quelques anecdotes piquantes: Les effbrts de la favorite, pour donner une idéé avantageufe de fon caractere, ne vous empécheront pas de reconnaitre une ame impérieufe , liautaine, hypocrite. Les partifans de Me. de Maintenon citent en fon lonneur la maifon de S'. Cyr. Ce refpeétable étaDlisfement,, loué avec excès, ne faurait entrer en compenfation avec de profondes blesfures, dont les cicatrices encore douloureufes ont contribué aux fecousfes aétuelles; mais, ajoutent-ils, elle fut défintéresfée. Cette vertu ne coüte rien aux ambitieux. Celui qui posfède avec la foif des grand eurs 1'énergie propre a les atteindre, méprife les richesfes. La cupidité est toujours 1'annonce de vues étroites. Arrêtez vos regards fur tous les ambitieux qui fe préfentent dans 1'histoire, depuis Alexandre & Céfar jusqu'au Cardinal de Res: Vous les verrez tousprodigues: S'ils fouhaitent de 1'or, c'est pour acheter  A M B I T I O N. 9g lès initrumens méprifables qui fervent a leur élévation & qu'ils font toujours également prêts a récompenfer ou bien a brifer, felon que le demande Pexécution de leurs projets. La Beaumelle, éditeur des lettres dè Me. de Maintenon, s'y est permis plufieurs altérations; il leur a joint des mémoires écrits avec chaleur, aux quels les gens infcruits n'accordent que peu de coafiance ; ils leur reprochent de fréquens outrages a la vérité * un manque de retentie ainfi que des invraifemblances dans les a&ions, dans les discours des perfonnes mifes en fcene. Ce ferait cependant commettre une injuitice de les trailer avec le mépris dont Voltaire a prétendu les couvrir: La haine difta un arrêt trop févere. La Beaumelle, avec une imprudence, avec une effronterie impardonnables, attaqua un hommé pour lequel il fe fentait plus que perfonne pénétré d'admiration. Rage infenfée & criminelle, malheureufement trop dans la nature, de chercher la célébrité par des coups portés aux grandes chofes. Plus d'un Eroftrate confent a fe faire écrafer, pourvu que le bruit s'en conferve. Voltaire, trop affeété d'outrages fort au desfous de lui,' traita de fot celui que devant fes arais i] reconnaisfait pour un pendurt de beaucoup d'esprit: G 2  ioo ESSAIdbLÏTTÉRATÜRE. Femmes appelées au gouvernement. ^Q^uoique la nature, juste dans les dons qu'elle fait a 1'humanité, femble u'avoir pas destiné les inêmes aux deux fexes: Plufieurs femmes néanmoins ont posfédé les talens, le génie, les vertus, qui cara&érifent les grands hommes. Sémiramis, Elifabeth égalèrent les plus illustres Monarques. Les fiecles a venir ne parleront qu'avec étonnement de Catherine qui d'une main asfurée régit le plus vaste empire de la terre; qui, prote&ice des arts, conquérante, légiflatrice , voit fa renommee croitre chaque jour. Sur les dégrés les plus élevés du tröné, quelques femmes ont occupé des postes importans. Me. de Guébriant, revêtue du caraétere d'Ambasfadeur en Pologne, foutint ce éara&ere avec beaucoup de digJiité; les détails de fa conduite plaifent infiniment dans le récit qu'en a fait Laboureur. Vous y apprendrez que cette dame avait , de 1'aveu des historiens, „ autant de droit au titre de Maréchal de France que fon époux qui vécut & mourut en héros." Talent pour reconnaitre le Mérite. s exemples auffi frappans, qui pourraient étre foutenus par plufieurs autres, ne me paraisfent pourtant pas des preuves convaincantes , que les femmes foient en général destinées aux emplois du  TALENT POUR RECONN. LE MÉRITE. 101 gouvernement. Ces emplois les détourneraient trop de leurs devoirs les plus facrés, ppur quJelles s'y trouvent fouvent bien appelées; mais un talent, extrêmement utile a la fociété, & que Pon doit regarder comme leur appartenant de préférence, c'est la fagacité avec laquelle elles pénètrent le mérite, avant qu'il foit dévéloppé & fouvent plutót que Pliomme même qui Ie posféde. L'histoire offre, a Pappui de cette vérité, des traits fans nombre : II fuffira de vous en citer un bien digne de remarque. Me. de Guercheville décourrit dans Richelieu trés jeune, & prédicateur asfez médiocre, les germes d'un génie fupérieur ; elle lui fit faire fon premier pas, vers la grande fortune qui le rendit arbitre des deftinées de PEurope. Les femmes ne fe bornent point a découvrir le mérite, a lui accorder ce ftérile hommage avec lequel la plupart des hommes croient asfez le récompenfer ; elles 1'encouragent, elles le foutiennent: Leur fenfibilité, leur vanité font également fatisfaites en voyant les talens couronnés par leurs foins. D'ailleurs plus vives dans leurs fentimens, elles s'attachent aux lettres avec une ardeur que nous ne connoisfons pas. C'eft, ou fur le tróne, ou parmi les dames du plus haut rang, ou tout au moins chez celles qui font dans 1'aifance, que nous avons trouvé les femmes qui fe font rendues recommandables a la-postérité ; tandis que les princes, que les grands, que les riches ont rarement pris la plume, & 'plus rarement encore s'en font fervi avec habileté, fans doute d'aG 3  loa ESSAI de LITTÉR ATTJRE. prés les foins importans qui les occupent. Le plus fouvent les hommes deviennent auteurs par intérêt, les femmes le font par goüt. JVPie. Lusfan est la feule femme trés connue qui aït écrit pour vivre. Ses ouvrages portent plufieurs empreintes de 1'étroite gêne k laquelle était reduite 1'auteur. Cependant elle fut conftamment aidée par fon ami la Serre, homme d'esprit & de goüt,-quoiqu'asfez détestable poëte pour que Boileau le flétrit a chaque pas. Le befoin de groffir, de multiplier les produétions qui la nourrisfaient, forga Mlle. Lusfan a rendre faibles des Romans dont les plans étaient fages, lesfituationsheureufes, les caracteres naturels. Trente deux volumes, réduits a flx ou fept, formeraient Une trés agréable colleclion ; mais quel littérateur posfédera la patience nécesfaire pour entreprendre ce long retranchement. On ne fe charge pas volontiers de réparer une maifon dont presque toutes les pieces font entièrement inhabitables. En effet les feules anecdotes de la cour de Philippe Auguste fe lifent encore avec plaifir; mais elles font asfez cotnmunèment refufées a Mlle. Lusfan ; Boismorand , leur véritable auteur, crut dit-on , devoir a fon caraétere d'Eccléfiastique de ne pas les faire paraïtre fous fon nom.  PROTECTRICES des TALENS. 103 PS.OTECTR.ICES DES TALENS. distinétion, que je viens de remarqu er , trés flatteufe pour les femmes, fe retrouve également dans les fecours qu'elles accordent. Le grand fait presque toujours fentir le poids de fa prote&ion; fon époufe au contraire prend le ton de Pamitié vis-a-vis de fes moindres protégés. Les fervices du premier font quelquefois plus durs a recevoir que les refus de la feconde: Auffi de tout tems les auteurs preférérent ils les bienfaitrices aux bienfaiteujs. Ce fut pres de Christine que Descartes terraina une carrière a jamais célèbre par le premier éclair qui ait jetté de la clarté dans des ténèbres trop épaisfes, trop anciennes pour fe diffiper par les efforts d'un feul mortel. Qui trouva la méthode, ouvrit le chemin de la vérité, & déploya une étendue de génie, une force d'ame que Pon ne faurait trop admirer. Christine parut aux yeux de Descartes mériter qu'il lui confacrat fa vie. Après la mort du philofophe Francais, cette Reine trouva que les fa vans attirés prés d'elle ne fatisfaifaient pas asfez fon défir de s'inftruire; elie descendit du tróne pour cultiver les lettres: Des fingularités obscurcirent aux yeux du vulgaire un génie que les hommes éclairés admiraient, fans fe diffimuler, que celle qui le posfédait en faifait fouvent mauvais ufage, d'après une inquiétude commune a tous les Etres placés hors de leur élément. Dans Rome, pour lors le centre des beaux G4  le>4 ESSAIdbLITTÉRATURE. arts, Christine fe rappelait quelque fois avec regrêt fon ancienne grandeur : La générofité fut la feule yertu qu'elle conferva fans altération." Ses bienfaits ne s'arrêtèrent jamais, ils furent distribués avec choix, avec délicatesfe. Le poëte Filocaya leur dut 1'exiftence de ia familie fous la loi trés expresfe de garder le filence le plus fcrupuleux fur la main qui le fecourait: Un tel filence est Punique condition que les cceurs fenfibles trouvent difficile a remplir pour prouver leur reconnaisfance. Christine, qui dut fes principaux titres de gloire aux encouragemens, aux fecours répandus fur les favans, fur les hommes de lettres, mérita auffi des «"loges perfonnèls pour quelques ouvrages. Ses Loi/irs, recommandables pour des penfées fortes, pour des appercus fins, font défigurés par une foule de choquantes contradiclions. Ses réflexions fur Alexandre annoncent la plus grande préjérence, en faveur d'un prince fur les traces du quel elle eut voulu marcher, & avec lequel elle fe flattait d'avoir des traits de resiemblance. Les penchans héroïques fe dévéloppèrent de bonne heure dans fon ame. De ce moment elle gémit fur fon fexe La fille de Gustave AdoJphe frémisfait de douleur & de rage de ne pas imiter fon pere, un des plus grands hommes qu'ofFre Hiistoire moderne. Perfonne en effet ne peut méconnaitre ce héros du nord pour un rr nee 'aimable , fenfible, éloquent, vertueux, „ mort, Pépée a la „ main, le commandement a la bouche, & la vic?i toire clans Pimagination."  PROTECTRICES des TALENS. 105 : Les Écrivains, infpirés par de justes & nobles fentimens, ont itnmortalifé mille & mille proteftrices, toutes asfuj-ément recommandables, mais a des dégrés différens: Peu d'entr'elles ont acquis autant de droits que Me. de Longueville, k qui fon esprit & fes charmes firent jouer un róie tres important dans les troubles de la fronde. Que eet esprit devait avoir d'agrément! Que ces charmes devaient étre puisfans, puisque dans le nombre des hommes fubjugués par leur irréfiftible ascendant furent deux fages: Turenne, ébloui, porta a la révolte Parmée qu'il commandait: La Rochefoucaujt, atteint d'un coup de Moufquet, s'écria: „ Pour merker fon cceur, pour plaire è fes heaux yeux, „ J'ai fait laguerre auxRois;je Pouraisfake auxDieux." L'esprit d'intrigue, 1'ambition , s'éteignant chez M= de Longueville, firent place au goüt des lettrés: Elle pousfa d'abord ce goüt jusqu'a 1'extrême ; elle y porta 1'ardeur, 1'inquiétude qui, lors des désordres polmques, Pavaient jettée dans des inconféquences, dans des entreprifes hafardées, d'après les qu'elies d'héroïne d'un grand parti, elle en devint l'avantunere. Benferade , Voiture, beaux esprits a la mode, divifaient alors le public au fujet de deux fonnets; pim de Job par Benferade, 1'autre d'Uranie par Voiture, Le Prince de Conti parut d la tête des partifans de Job; Me. de Longueville mit en ufage toute la véhémence, toute 1'habileté d'un chef de parti confommé, pour foutenir Uranie. Si fon G5  io5 ESSAI de LITTÉRATURE. exceffive chaleur mérita le blame, fon goüt fixa les fuffrages. Job bientót ne trouva plus de leéteurs : Uranie peut encore plaire ; fon début est trés naturel. Mais fous quelque raport que fe foit niontrée M?. de Longueville lors des guerres civiles & depuis dans les disputes littéraires, fa mémoire ne nous intéresfe dans eet inftant que d'après fa généreufe amitié Pour Mesf. de Port Royal: Son hótel, fon crédit, fes biens furent confacrés a fauver de la perfécutioh de ref eftables & grands Écrivains, trop favans, trop vertueux pour que, fans la fureur de parti, on ne fe fut pas empresfé de recevoir leurs lecons, de quelque tnaniere qu'eUes fusfent préfentées. Qu'importe le nom? Tout ce qui porte les hommes au bien mérite la confidération. Les littérateurs, les favans pleuraient encore Me. de Longueville, lorsque la fortune favorable leur offrit un avantageux dédomagemenf. Me. du Maine, appelant prés d'ellé les hommes les plus célèbres, fit de feaux le féjour de 1'amabilité, le temple du goüt, la retraite de la philofophie. Nous ne posfédons aucun ouvrage de cette princesfe; mais nous favons que perfonne ne paria „ jamais avec plus de „ graces, avec plus de netteté, avec plus de rapi„ dité.» Me. la Sabliere posfédait- les talens du bel esprit & les connaisfances du vrai philofophe. Bermcr, en lui dédiant fes doutes, reconnut publiqueraent fa transcendante fupériorité dans les hautes feiences. De fi rares avantages, joints a la protectie; con-  INFL. des FEMMES dans da SOCIÉTÉ. io? ftante & éclairée qu'elle ne le lasfa pas de répandre fur tous les hommes d'un mérite distingué, feraient fans doute les titres les plus honorables dc toute autre femme, mais ils restenc presqu'entièrement oubliés quand on parle de Pintéresfante Me. la Sabliere. Tout cceur fenfible refpe&e & chérit en elle la tendre amie de La Fontaine, qui fans cesfe prodigua des foins empresfés a fon cher Fablier: Celui-ci fut de fon cóté jaloux d'immortalifer les agrémens, les vertus de fa bienfaitrice: „ Je vous gardais un temple dans mes vers. „ O vous,, Iris, qui favez tout charmer, >■> Qui favez plaire en un dégré fiprême; „ Vms que Pon aime d Pégal de foi-même. Ce que chez vous nous vojons eftimer i, N'cft pas un Roi qui ne fait pas aimer, Ceft un mortel qui fait mettre fa vie „ Pour fon amie." Influence des Femmes dans la SoCiété. influence des femmes dans la fociété, fe trouve fur toutes les pages de 1'histoire, gravée profondèment avec des caraéteres que 1'homme refléchi Ut fans peine. Tant qu'a Sparte les mceurs fe confervèrent asfez pures pour (*) „ que 1'on y eut plus facilement ren- ( * } PJutarque.  '08 ESSAI DE LITTÉRATURE. » contré un chameau buvant du haut du moot jj raygete dans PEurotas, qu'une femme adultere,'' Jes Lacedemoniens furent refpecïés & redoutes: lis donnaiem des géne>aüX aux Grecs; ils faifaient tremwer les plus puisfans despotes. Du jour oü la richesfe: s'introduifit, le luxe „aequit, & traina a fa iu-te la corruption; les loix de Lycurgue' tombêrent en defuetude; les hommes prostituèrent eux-mémes ■es Epoufes fans pudeur: Les meres fpartiates cesfèrent de porter dans leur fein des citoyens: Le prebier peuple de la terre en devint bientót le dernier. Dans Rome naisfante „ les femmes fe distinguaient Par leur fobriété, par leur décence, par leur pudeur: » Mes reftaient étrangeres a cette hardiesfe repöusfan» ^ qui, commune maintenant, était fi rare chez les „ anciens Romains: Une femme ayant elle-même » plaidé fa caufe, Ie fénat fit confulter 1'oracle d'A" pollon P°ur favqir fi eet événement extraordinaire „ n'annongait pas a la République quelques malheurs „ prochains." (m) Sous Auguste, fans être au desfus de tout reproche leurs mceurs, les femmes refpeöaient la décence, cultivaient & protégeaient les lettres; auffi ce beau fiecle compta-t-il des Pollion, des Agrippa, des Mécene; vit-il fleurir Virgile, Horace, Ovide & le fenfible Tibulle: Du moment oü les Mesfaline, oü les Popée, foulant aux pieds toute bienféance, ne rougirent plus d'aueun désordre, les crimes inon- ( 7i) Hiftoire ds la Rjyalité de Cliartage & de Rome.  INFL. dès FEMMES dans da SOCfÉTÉ. 109 dêrent 1'Empire; ils firrent fans termes comme fans bornes. Lors des beaux jours de Louis XIV une galanterie recherchée, délicate, magnifique, embelisfait la cour de France & la rendait le modele de 1'Europe. Racine, Boileau, Molière, La Fontaine, aspirèrent aux fuffrages des Sévigné, des La Fayette, des Montespan ; ils cherchaient les graces prés d'un". fexe a„ quel 1'on peut dire avec vérité: » Tout auteur, qui voudra vivre encore après lui, „ Doit s'aquérir votre fuffrage. „ Tl n'est beauté dans nos écrits i,Dont vous ne connaijjiésjusques aux moindres traces."(*) La licence, introduite par le régent, rendit bientót ridicules & furannés les hommages éclatans offerts k la beauté; qUe de maux n'eusfent-ils pas prévenu! Les femmes, fur les qu'elles fe fondent nos plus cheres espérances, ne doivent pas rejetter les avantages qui leur font accordés. Loin d'expofer un : empire du plus grand prix; qu'eUes cherchent k le conferver tout entier, qu'elles pénétrent jusque dans fes fondemens. Nos vceux feront comblés, II nous pouvons les feconder dans cette importante recherche. Q*) La Fontnine.  iio ÉSSAI de LITTÉRATURE. P o u v oir de l'esprit au dessus de. celui de la beauté. JCs/'observateur attentif né vit pas longtems dans le monde, fans remarquer que les hommes n'y occupent de rang qu'en proportion de leurs emplois on de leurs richesfes; II n'en est aucun dont 1'entierë exiftence foit le fruit de fes qualités perfonelles. Au lieu que plufieurs femmes y recherchées, honörées pour elles mêmes, justifient ]e mot de Me. de Sévigné : „ LJesprit dé Me. de Coulanges est „ une dignité." Si Pespnt devient pour les femmes' une dignité il ii'en est pas de même des avantages extérieurs, qu'elles mettent pourtant fort au desfus dans leur propre estime. Loin de moi la penfée de méconnaitre le pouvoir de la beauté, de ce don céleste, qui fubjugue presque tous les mortels, & dont peutétre aucun nef resfentit plus fortement les effets. Je chéris la mémoire des jours pasfés fous fon empire , qu'un feul regard fonde, mais qui bientót s'écroule lorsque les agrémens de l'esprit ne le foutiennent pas. Me. ***, par fa charmante phifionomie, par fa tournure féduifante , attirait autour d'elle beaucoup d'amans promptement mis en fuité par fa mausfade converfation: Un deux fe permit cette épigfamme qui trouve dans le monde de fréquentes applications: „ Alexandrine d la doublé pouvoir j, De rendre un. cceur indifférent & tendre $  POUVOIR de L'ESPRIT AU DESSUS &c, u i „ Car pour Pointer s'il fuffit ie la voir, „ Pour n'aimer plus il fuffit de Pentendre." La beauté traine après elle de nombreux dangers i le plus commun est la prétention de jouir de fes droits lorsqu'ils font anéantis. L'amour propre dérobe aux yeux des femmes un écueil contre le .quel presque toutes viennent échouer: Comment ne pas fouhaiter avec ardeur de fe dilfimuler a foi-même, de cacher aux autres la perte d'un bien qui nous a toujours paru d'un fi grand prix ? Toute femme devrait écrire fur le premier feuillet de fon fouvenir; » n'a Pas l'esprit de fon age, „ De fon age a tout le malheur. (*) Pour celles qui fonttondamnées è ne quitter les ornemens de la galanterie que pour fe revêtir des livrées de la dévotion, elles font peut-être bien de retarder le plus qu'il leur est poffible un fi trifte changement. Mais qu'elles fachent que la jeunesfe feule leur offre des resfources, „ pes vielles femmes „ ont raifon d'aimer les jeunes gens; ils font fi heu- reufement dispofés par la nature , quJiJs voyent „ des charmes oü les autres ne voyent que des rui„ nes & des débris." (f) (*) Voltaire. (t i Juftiae & St, Flour par Ferrieres.  ua ESSAI de LÏTtÉRATÜRÉ. PoÜVOIR DU CCEUR AU DESSUS db CELUI DÉ L'ESPKIT. T JLu/A beauté frappe, mais bièntöt die fefane, fouvent méme 1'habitüde lui öte tout fon prix. Rarement celui qui parvient a la conquérii, conferve t-il dans fa posfesfion d'autre jöuisfance que cèlle de la vanité flattée d'entendre fes fuccès applaudis ou jaloufés. L'esprit, fe reproduifant fans cesfe fous des formes différentes, plait plus longtems; cependant 1'habitude ne lui devient gucres moins funeste qu'a la beauté. L'envie de plaire, fonprincipal aiguillon, s'émousfe dans un commerce intime & journalier, qui ne tarde pas a répandre cette langueur pénible dónt, par un bonheür dignef d'envie, les hommes tornés rie foupconnent pas léxifténce. Ces perfoiv nes, fi recherchées dans le monde, qui fe goütent, qui s'estiment, qui s'aiment, reünies en familie tombent bièntöt dans Pengourdisfement, laisfcnt par intervalle échapper quelques phrafes oifeufes: Dn étranger parait-il; toutes a I'inftant fe réveilleÉt: Le feu n'était que couvert; il reprerid de l'.clat,' dés qu'on le nourrit avec Pamour propre, fon véfifable aliment. La beauté,- Pesprit nè rémportent donc que des fuccés plus ou moins pasfagefs: Ceux qui font iftaltérables appartiennent' au cceur ; fes qualités' atltachent a jamais: Elles aequièrent chaque jour plus de taleur; elles s'épa.ncü.en,c fans ïaterruption & fans fin  C.ONCL USION. it3 fin; feules elles répandent le bonheur; feules elles asfurent la félicité de celle qui les posféde. Cónclusion. XXn coup-d'ceil ausfi peu étendu prouve asfez que je n'ai' point eu la prétention de vous faire connaitre toutes les perfonnes de votre fexe, distinguées par des talem. Jusqu'a ce jour de fimples esiais ont été confacrés a les célèbrer, pendant que les éloges qu'elles méritent fourniraient fans peine des matériaux fuffifans pour plus d'un ouvrage confidérable. Quand a tnoi jaloux de donner des marqués d'un estime, d'un dévouement fans bornes, je me fuis propofé de montrer que, fupérieures dans les genres d'agrément, elles fe font rendues utiles par des lecons d'une aimable & riante fagesfe; moins heureufes du cóté des fciences & de Pérudition , quelques unes s'y font cependant illustrées. Tant de titres de gloire puisfent-ils nous apprea; dre a refpcdter, a admirer celles qu'un attrait tout puisfant nous fait chérir. Sachons, pour les rendre dignes d'elles', épurer les hommages que nous leur offrons. Qui ne s'occupe que de leurs appas ne jouit que de la moindre partie de leurs charmes* puisque c'est en éclairant, en policant les hommes qu'elles les conduifent a la félicité. Femmes, que 1'Ètre fuprême a produit dans fa bonté, pour femer quelques fleurs % notre wufte exiftence,pour adoucir 1'amertume de la fource abondante dam Tom. Ü. n  H4 ESSAI de LITTÉRATURE. laquelle tant de malheureux boivent k longs traits les peines, les fouffrances, les humiliations; pour étouffer les vices; pour asfurer le triomphe de la bienfaifance : Écoutez les derniers accens d'une voix fi longtems confacre'e a répéter les iermens d'un cceur brülé d'amour: Peut-étre alors eusfai-je fans fuccès tenté de vous donner de fages confeils: La pasfion eut égaré ma raifon; maintenant que mes feuls plaifirs fe rencontrent dans un doux fentiment de réminiscence, je mets fous vos yeux quelques réflexions infpirées par un vif intérêt, müries par une asfez longue expérience. Par la beauté vous acquèrez des admirateurs, par 1'esprit vous obtenez d'être recherchées, par la conduite vous parvenez a la confidération, mais par le cceur vous vous faites adorer: Par lui vous bravez les outrages du tems, vous étouffez Pinconftance, vous regnez fur la terre. Évitez la coquetterie; appreciez les pompeufes frivolités du luxe; fuyez les étres corrompus; dédaignez la médifance; abhorrez 1'envie; mettez votre gloire dans les titres d'amie, de fille, d'époufe, d'amante, de mere; refpeétez la morale; chérisfez la religion; idolatrez la vertu; foyez, foyez fenfibles, les hommes vous éléveront des autels fur les quels fumera fans cesfe un encens ausfi pur que déücieux.  C O N C L U S I O N. n§ TRENTE SIXIEME LECTURE. Jl> e vois a cette hetire, distinétement, le but que je me fuis propofé d'atteindre. D'abord trompé par une première apparence, je Pai cru peu loin du lieu d'ou je partais. Mon ceil embrasfant a la fois tout Pespace a parcourif , appercevant en perfpective le terme, je ne me formais pas une idéé juste du chemin qui m'en féparait. Le voyageur inexpérimenté fe réjouit d'arriver dans peu d'inftans au pied de cette tour élevée qui termine une droite & large avenue; il marche fans précaution , il na ménage ni fes forces ni fon haleine; mais, ö furprife cruelle! L'objet défiré femble a chaque pas s'éloigner; des obftacles d'abord invifibles naisfent en foule ; Pimpatience, 1'ennui font maudire cent fois Pentreprife : Enfin ce n'est que bien avant dans la nuic que le malheureux harasfé finit une journée, qui ne lui avait d'abord paru qu'une fimple promenade. Sans le feu facré de Pamitié, qui plufieurs fois a ranimé mes forces épuifées, depuis longtems j'eusfe abandonné une tache trop difficile a remplir au milieu d'asfujettisfantes occupations. Des confeils, aux quels je destinais peu de place, formeront presque un ouvrage: Cependant la partie la plus étendue est achevée: La littérature des anciens, celle dé quelH 2  iio* ESSAI de LITTÉR.ATUR.Ë* ques nations modernes, ne feront pas traitées aveé autant de détails que la littéraiüre des Frangais, paree que cette derniere devenue pour ainfi dire univerlèlle est particulièrement la votre. Ce choix de ledure fera peut-être loin d'obtenir Votre aveu: vous me reprocherez 1'oubli de plufieurs parties importantes: Un tel oubli ferait inexcufable, fi je vous avais promis des legons élémentaires & univerfelles, mais le feul titre PeJJai me fouftrait a la nécesfité de justifier les fautes commifes, malgré tous mes eflorts pour les éviter. Je ne crois de mon devoir que de vous rendre compte des motifs d'après lesquels quelques fujets ne m'ont pas paru propres a être traités. Science, Érudition. JL'A fcience, 1'érudition s'acquièrent par des travaux fouvent fi fatigans, fi fecs, qu'ils vous dégoüteraient a jamais, non feulement de toute étude , mais encore de toute ledure : II est trés heureux que des perfonnes cultivent les terreins arides & ingrats. Saus le fecours des hommes profonds, toute imagination vive fe lasferait, ou bien flétrirait fes charmes par de longues recherches. Laisfez 1'érudition aux hommes, réfervez-vous 1'agrément; ces qualités bien rarement exiftent enfemble : La première réclame pour elle feule tous les inftans d'une vie longue & appliquée. L'homme qui réunit. a la fois les honneurs de bel  PHILOSOPHIE MODERNE. u7 esprit, de favant, d'érudit le doit presque toujours a une charlatanerie asfez artistement combinée, pour faire qu'une certaine masfe de connaisfances paraisfe beaucoup plus conlidérable qu'elle ne Pest reek lement. Philosophie Moderne. » Je regarde & n'envifage, „ Pour mon arriere faifoii, w Q]fe k malheur d'être fage, „ Et l'inutile avantage, „ De connaitre la raijfbn." N'allez pas furtout vous former de la fagesfe une rebutante image; la véritable plait par fa douceur ï La fausfe effraye par fon auftérité, Pune aspire a da** H 3  u8 E5SAI de LITTÉRATURE. riger nos penchans, 1'autre affiche k prétention de les étoufFer. L'homme entièrement livré a fes pasiïons court au devant de fa perte : L'homme fans paffions végète privé de toute énergie: L'homme modéré mérite feul le nom de fage. Heureux qui le doit a la nature, estimable qui 1'obtient par de généreux efforts. Les vertus de tempérament font les plus certaines , les vertus de principe font les plus refpeétables, car que de combats a Iivrer, quand ü faut furmonter nos organes phyfiques, nos modifications intelleduelles ainfi que les influences du lieu qui nous a vu naïtre: Ces dernieres, bien loin d'être chimérique», fe retrouvent chez toutes les générations. Soumis ainfi que tous les hommes infortunés a 1'espece de dure contrainte qui, ne leur permettant pas de perdre de vue leurs malheurs, font qu'ils y rapportent tous les objets, j'avais longtems réfléchi fur les miens, fans pouvoir remonter a leur fource, lorsqu'a ma trés grande furprife je la découvris dans ce pasfage d'une lettre de Racine, écrite de la ville oü j'ai vu le jour: „ Vous faurez qu'en ce pais-ci on „ ne voit gueres d'amour médiocre; toutes les pas„ fions y font démefurées & les esprits de la ville „ d'üzés, qui font asfez légers en d'autres chofes, „ s'engagent plus fortement dans leurs inclinations, „ que dans tout autre pays du monde." Trop fouvent 1'hypocrite de vertu , Ie pédant de fagesfe fe voyent confondus avec le philofophe. Si vous defirez ne pas commettre d'erreur en ce genre, gravez dans votre mémoire, & comparez aux hommes  POLITIQUE. ïi9 qui fe préfenteront devant vous, le portrait ausfi fi* delle qu'énergique qu'a tracé Ie vertueux Destouches. ... Laphilofophie eft fobre en fes discours, Et croit que les meilleurs font toujours les plus couris; Que de la vérité l'on atteint l'excellence. Par la réflexion & le profond filence. Le out d'un pkilofophe eft de fi bien agir Qjte de fes atlions, il n'ait point d rougir, II ne tend qu'a pouvoir fe maitrifer foi-même: C'eft ld qu'il met fa gloire 6? fon bonheur fuprême, Sans vouloir impofer par fes opinions, 77 ne parle jamais que par fes a&tons. Loin qu'enfyftemes vains fon esprit s'alambiqae; Etre vrai, jufte & bon, c'eft fon fyfteme unique. Humble dans le bonheur, grand dans l'adverfitét Dans la feule vertu trouvant la volupté, FaiJUnt d'un doux loifir fes plus ckeres délices, Plaignant les vicieux, & déteftant les vices> Poila le Philofophe. Et s'il n'eft ainfifait, II ufurpe un beau nom, fans en avoir l'effet. Politique. JTe vous féliciterai fincèrernent, li asfez heureufe pour vous foustraire h la fureur du jour, vous évitez les discusfions politiques, fous le poids desquelles Pesprit & le bon fens font presqu'entièrement étouffés. La raifon n'infpire gueres nos légiflateurs de ruelles. Le politique, admiré dans un cercle, exciterait Pindignation ou plutöt la pitié de Phomme in-i H 4  iflo ESSAI de LITTÊRATUR.E. ftruit qui fe verrait pour fon malheur condamné k Pécouter. De tout tems les hommes, fe piquant d'amabilité, furent des étres friyoles, occupés d'eux-mêmes, incapables de lier enfemble deux ïdées. Semblable au Cameléon a qui l'on ne connait de couleur que celle de 1'pbjet fur le quel il est pofé, le fat n'a point de qualités qui lui fqient propres : La mode fournit les différentes nuances dont ii fe pare fans qu'aucune laisfe d'impresfion profonde. Nos peres le virent galant & léger; féduifantes bluettes, qui s-évanouirent avec rapidité. Déja Me. Deshouliéres exhalait fes plaintes fur les manieres indécentes des jeunes courtifans: „ Nous gémisfons toutes, éerivait-elle, de „ voir que les Nemours, les Guife, les Basfompiere ?, aient des fuccesfeurs fi peu resfembïans avec eiix." On fe rappelle le tems oü la hardiesfe phüofophique infpirait les propos de l'agréabk: Depuis anglomane, il fut occupé de fes chevaux, corrompu fans délicatesfe, prodigue fans magnifieence, étranger aux beaux arts: Aujourdiiui vous Pentendez calculer les intéréts de 1'Europe , demain peut-être.... toujours rien. ■ Du reste 1'effervescence des Francais par rapport aux opérations du gouvernement, quoiqu'ayant éclatée depuis peu d'années, remonte trés haut. Pendant longtems les feux renfermés dans les flanes caverneux d'un vokan fe font entendre, gronaent, jettent au milieu des habitans d'alentour un eiiroi avec lequel Phabitude ne tarde pas a les famüiarifer. Tout  POLITIQUE. i2I a coup 1'éruption fe fait, elle est d'autant plus violente que plus de barrières s'y font oppofées. Tous les cceurs formaient, des vceux pour de fages réformes. Les meüleurs esprits annoncaiéat des fecousfes inévitables , le nom de liberté retentisfait dans tous les écrits, dans tous les discours. Cependant nul mortel qui prévit les terribles bouleverfemens dont nous fommes témqins. Dans les premières fecousfes ont paru des talens asfez marqués, asfez nombreux pour étonner 1'Eurppe, quelques uns parviendrpnt a la poftérité: Le nom de Mirabeau reftera gravé dans les farces de Phiftoire, comme Pefffayant exemple de ce que peut produire le génie alimenté par tous les vices. Cependant la vertu pouvant feule donner a Péloquence le grand caraöere de la fublimité , les antagonistes de Mirabeau Péclipfèrent. Plufieurs font applaudis, & conferveront toujours un éclat qu'aucun reproche n'obfcurcira : Parmi eux fe diftingué Rivarol, dont les talens deviennent chaque jour d'un plus grand prix : Ils doivent contribuer au foutien du goüt & des beaux arts. Mais quel mortel asfez fort pour fupporter , comme une autre Atlas, le monde littéraire ébranlé jusques dans fes fondemens? J- Jacques, toi feul eus pu ne pas fléchir fous un tel fardeau. Les entretiens politiques, que fi péa d'hommes H 5  lai ESSAI de LITTÉR. ATURE. font en état de foutenir avec quelques fuccès, deviennent trop fouvent ridicules dans la bouche des femmes. Plaire est leur partage, difcuter ne leur réuffit pas, puisqu'elles ne le font presque jamais fans aigreur. Permettez moi de vous rapporter le mot plein d'esprit & de raifon prononcé par un prince que perfonne n'accufera jamais de rigidité ou d'indifférence. Le régent, Philippe Duc d'Orléans follicité par une maitresfe qu'il adorait de lui confier les fecrets du cabinet, la conduifit devant fa gkce : „ Regarde , juge toi-même; ces traits char„ mans, chefs-d'ceuvres de la nature, rendez-vous des amours, ont été formés pour les plaifirs, & „ nullement pour les affaires." TRENTE SEPTIEME LECTURE. LiTTÉRATURE ANCIENNE. 3L/Es richesfes de la langue Francaife font asfez abondantes pour que l'on puisfe y accumuler des tréfors, je ne faurais cependant qu'applaudir a Pardeur, que vous ra'avez témoigné, de posféder d'autres langues, afin de jouir d'une foule de beautés que vous vous flateriez envain de retrouver dans les traduclions. Chaque langue posfède fon caraftere propre, qui ne fe transmet qu'imparfaitement dans une autre. Le tradufteur fidelle voit avec furprife, avec douleur  LITTÉRATURE ANCIENNE- 123 les plus riches tableaus devenir entre fes mains, de froides copies: Homme impatient, il renonce a fon entreprife ; dépourvu de délicatesfe , il donne fans fcrupule fon esquisfe au public ; entrainé par un esprit vif, il tracé une imitation dont les beautés dépendent de la portée de fes talens , mais laisfent les lecleurs étrange'rs au mérite réel de 1'original. Les langues mortes deviendront-elles 1'objet de vos études ? Depuis que Molière a porté une fi forte atteinte aux femmes favantes , 1'érudition ne rient plus étouder les graces. La pédanterie ne fe place plus prés de la beauté : Ce ridicule fe rencontre même rarement parmi les femmes d'un certain age, qui pourtant employent tant de patience, tant d'efforts , tant d'induftrie , pour jouer le plus difHi cile de tous les röles; celui de conferver une exiftence dans ce que l'on appelle la fociété , quand les agrémens font évanouis. Je ne vous verrais donc qu'a vee peine un Despotaire entre les mains, ou chargeant votre mémoire du jardin des racines grecques. Cependant les liens.du fang, mais plus encore ceux de 1'amitié, m'unisfent a une jeune perfonne qui, guidée par un vif défir de s'inftruire & fans aucun fecours, a franchi heureufement les difficultés dont fe voit entourée 1'approche des productions de Pantiquité; ces difficultés font femblables aux terreins arides, aux rochers afFreux fous lesquels la nature cache les plus  224 ESSAI de LITTÉRATURE. précieux métaux, comme pour nous apprendre que le travail devient le partage de l'homme dès qu'il prétend s'approprier foit les richesfas matérielles, foit les richesfes intelleduelles. Un feul exemple doit rarement fervir de regie. Celle-la feule imitera fans danger M»e. de Latourdaigues, qui comme elle réunira application, esprit, fagesfe. Ses fuccès n'ont eu aucune influence fur fon caraétere. Sa douceur , fa fimplicité , fa niodefüe ne laisfent entrevoir de fes talens que ce qui peut plaire , fans exciter la j-aloufie: Elle obtient d'autant plus furement des éloges qu'elle les cherche moins. L'arrét, que je me fuis permis de porter fur 1'infuffifance du travail des .traduéteurs, vous rendra plus pénible a fuivre le confeil qui vous détourne de 1'étude des langues grecques & latines. II m'en coute a moi-méme que vous renonciez a la jouisfance de ces inimitables chefs-d'ceuvres, qui depuis des fiecles excitent 1'admiration des hommes éclairés : Pour qu'ils ne vous reftent pas tout a fait étrangers, prenez en du moins une faible idee dans quelques traduétions. Les Francais ne font pas opulens en ce genre.  TRADUCTIONS. i95 JL ant que 1'érudition conferve de la vogue, les ouvrages originaux fe trouvant entre les mains de la plupart des lecteurs, on compte peu de traductions, & celles qui voyent le jour n'obtiennent pas asfez d'eftime pour occuper des hommes de mérite. Les favans en us avaient perdu de leur haute faveur en France , lorsque D'Ablancourt fe dévoua tout entier a la carrière , „ bien moins honorée „ qu'honorable" de traduéteur. Ses amis, loin de rendre juftice a 1'utilité de fes entreprifes , cherchèrent a 1'en détourner , mais il eut la fagesfe de réfifter a leurs prieres. „ L'on fert mieux fa patrie, „ difait-il, en traduifant de bons livres, qu'en en „ compofant qui le plus fouvent ne difent rien de bon, ni de nouveau." Les fuccès de D'Ablancourt devinrent ausfi brillans que nombreux: Ils furent dus en grande partie è la bonté de fes ouvrages, mais beaucoup ausfi a fa réputation d'esprit, furtout a fon talent fupérieur de la parole. Dans ce dernier genre il féduifait au point de faire dire qu'en entendant fon admirable converfation, on regrettait qu'il n'y eut pas toujours un homme chargé de 1'écrire. Ses traduftions , accueillies par le public comme autant de morceaux parfaits, choquèrent par leur manque d'exaöitude les gens inftruits qui, forcés de disfimuler pour ne pas TRADUCTIONS.  m ÉssAt dklittéhatürë. blesferPehthoufiasinè gcméral,préféhtèrent leurs reproches fous des formes recherchées. Les traduétions recurent de leur part le nom de belles infiddles que le. gens du monde changérent en celui de belles immortelles: Lequel de ces deux titres qu'il plaife d'a-réer Pon doit cónvenif de bonne foi que peu de perfonnes' aujourd'hui les lifent avec plaifir, & que toutes y defirent des changemens & des correftions. Les hommes les Flus éclairés de PEurope, réünïs en une focieté dont la vertu, dont la piété étaient les liens, ont rendu de grands fervices Pour hater les progrès de 1'esprit humain. Port Royal fut un foyer, duquel fe répandirent des torrens de lumiere, pour vivifier toutes les branches des connaisfances. Racine dans cette école , prit pour les anciens, un goüt éclairé qui devint une 4es principales caufes de la perfeftion de fon talent. Ses fuccés ne lui firent pas perdre de vue les maïtres aux lcgons desquels il devait tout. On le vit rechercher avec empresfement, recevoir avec refpecl les confeils d'Arnauld, k la fois grammairien, géometre,-logieien, métaphyfieien, théologien & philofophe. Quoique les immenfes ouvrages d'Arnauld foient d'un genre qui les empêche d'être beaucoup lus , vous ne fauriez douter de la réalité d'une prééminence qui lui était accordée par tous fes contemporains. Boileau, juge fi féveré du mérité,- fi peu fiatteur fur ce point, que lé roi 1'objet de fon  LlTTÉIlAÏURE GRECQUE ET LATINE. ia? cuke ne put jamais influer fur fa maniere d'apprecier les auteurs, Boileau cite a la poftérité, comme le titre qui met le comble a fa gloire. Arnauld le grand Arnauld fit mon apologie* Le poëte mettait au desfus de tout, Peftime, le fuffrage de ce martyr, En cent lieux opprimê par la noire cabale , Le plus favant mortel qui jamais au écrit. Après avoir donné des métbodes pour appfendre les langues, après avoir fait paraitre leur eftimable Rhétorique, leur excellente logique, les vénérables folitaires crürent les tradudions des auteurs anciens d'une néceffité abfolue : Plufieurs fuccès couronnèrent leurs louables desfeins* TRENTE HÜITIEME LECTURE. .4 <«* fc, LlTTÉRATURE GRECQUE ET LATINE. <3TE réunirai dans le même corps les ouvrages des Grecs & des Romains, paree que de leur enfemble fe forme la belle antiquité. Ces peuples fameux n'eurent qu'une feule littérature qüe le vainqueur adopta de celui qu'il chargeait de fers. Pendant longtems *, Rome fe fouvint que fon deftin était de „ foumettre les peuples fous fon empire, de dider  ia8 ESSAI de LlTTÉRATURE. „ les löix de la paix, de pardonner a ceux qui le „ foumettaient, d'abattre les orgueilleux. (*)" Quand les citoyensj renoncant a leur grand caraftere* fentirent le prix des produétions du génie, de celles des beaux arts, ils ne rougirent pas de s'inftruire prés d'hommes ausfi connus pour leur esprit, pour leurs talens, que méprifés pour leur basfesfe, & pour leur corruption. La main j qui brifa dans Atlièhes la fiatue de la liberté , y desféclia toutes les iburees des vertus. Le fang des Miltiade, des Cimon , des Thémiftocle, des Ariftide, ne coula plus dans les veines d'aucun de leur descendans; 1'avilisfement de ces derniers parait une juIte expiation de 1'ingratitude qui perfécuta , lors des beaux jours de la République , les grands hommes fes foutiens & fes ornemens.- La flatterie, dégradant tous les individus, l'homme puisfant trouvait dans Athènés les honneurs réfervés a la divinité: Le malheureux y cherchait inutilement un afile, il n'y rencontrait que d'infultans, que d'inhumains refus. Tel eft cependant le pouvoir des beaux arts, qu'ils protègent ceux qui les posfèdent, même après la perte de toute eftime, & de toute confidération. Sylla n'eut pas plütot fatisfait un jufte mouvement de courroux, en livrant pendant vingt quatre heures Athènes a la fureur des foldats, qu'il s'empresfa de relever fes édifices, de 1'honorer du' titre d'amie O vT^  LlTTÉRATURE GRECQUE ET LATINE. 129 d'amie des Romains, de lui rendre un luftre litteraire moins éclatant a la vérité, mais bien plus doux & peut-étre plus flaneur que le luftre acquis par les armes ou par la politique. Atticus pasfa fes plus beaux joürs k Athènes. Atticus, homme étonnant dont Phiftoire dans aucun tems n'offre pas d'autre exemple, qui fut au milieu des plus violens orages vivre heureux & tranquille; modele des fages, il fe fit chérir par des ennemis irréconciliables entr'eux ; dans les dernieres & terribles convulfions de la liberté de fa patrie, il conferva fans nulle altération une neutralité, criminelle fi elle eut été Peffet de Pindifférence & de 1'égoïsme, mais refpedable 'étant le fruit d'une faine raifon & d'une douce fenfibilité. „ Quel plus frappant té„ moignage de fon amabilité ("*), jeune il fut „ tres agréable a Sylla, vieux il plut k M. Bru„ tus: Dans Page mur il vécut intimement lié „ avec Hortenfius, avec Cicéron, de forte qu'il „ eft difficile de juger a quelle époque de fa vie „ il mérita le plus d'être recherché." Cicéron fit briller a Athènes les premiers éclairs de fes fublimes talens, éclairs encore faibles, mais qui fuffirent pour offusquer les Rhéteurs les plus renommés de la Gréce. Néanmoins Athènes continua pendant plufieurs fiecles a refter 1'école des jeunes Romains diftingués par leur naisfance & par leurs richesfes. (•) Cornelius Nepos. Tom. II.  l3o ESSAI de LlTTÉRATURE. Tous les fiecles anciens comme les modernes portent-des caraéteres prononcés, par lesquels font inlluencés, les meilleurs esprits. Nul mortel n'est asfez fort de lui-méme, pour fe mettre entièrement au desfus du goüt de fes contemporains. Celui qui dans fes écrits leur adresfe le plus de plaintes & de reproches reste enlasfé dans d'indisfolubles liens, que trés fouvent il n'appercoit pas. D'heureufes circonItances vous permettent de juger les effets produits par 1'esprit du jour, en comparant entr'eux deux illustres Romains dont nous posfédons des ouvrages de même genre, traduits avec une admirable perfeétion. Cicéron & Pline le jeune ont laisfé dans leurs lettres des monumens d'un trés grand prix : Celles de Cicéron a Atticus ont été rendues par Mongault avec autant d'exaclitude que d'élégance ; elles font de plus enrichies de notes favantes, propres a répandre un grand jour fur les perfonnages qui jouèrent des róles importans a 1'époque mémorable de la chüte de la république Romaine. Prèsvöt a fi bien pris le ton, la tournure des lettres familieres, que vous croirez lire un ouvrage excellent écrit en Frangais. La traduction de Sacy des lettres de Pline est célèbre par des beautés qui font disparaitre les légers défauts de 1'original. Vous admirerez ces deux refpeétables anciens; vous reconnaitrez dans Pline un génie auffi vaste, une ame ausfi élevée, un cceur ausfi fenfible. Mais vous regretterez que la noble firoplicité, le charmant naturel  PO ÉS IE des ANCIENS. x-i ae Cicéron foient remplacés par des traits brillans, & par des recherches affeétées. TRENTE NEÜVIEME LECTURE. Poésïe des Anciens. B 'apres ce que j'ai dit de Porigine de la poéfie , ainfi que de la marche lente de 1'esprit humairi vers la profe, les poëtes anciens nous occuperont les. premiers. Le chantre d'Achille commande le refpee* & 1'admiration. C'est un fleuve qui coule dans un vaste Iit creufé par la nature: Ses flots roulent des richesfes inappréciables & répandent 1'abondance: Des milliers de canaux tirés de fon fein n'affaiblisfcnt pas fon cours; aucun d'entr'eux n'approche de fa majefté. La main de l'imitateur , quelqu'habile qu'elle foit, ne faurait donner a fes ouvrages le noble caraétere que le génie créateur imprime aux productions qu'il enfante. Me. Dacier doit a un mérite réel, Pavantage de conferver beaucoup de leéteurs, mais entre fes mains Homere, qu'elle aimait avec tant de pasfion, voit fon feu entièrement éteint. II ne pouvait appartenir qu'a une femme favante de dépouiller ainfi de fes charmes 1'objet qu'elle adorait; toute autre lui I 3  ï3» ESSAI de LlTTÉRATURE. en eut au contraire prêté de nouveaux, enfantés par fon imagination. Cependant fon ouvrage, malgré fes défauts, n'a pas été furpasfé, ni par celui de Gien, ni par celui de Bitaubé; Le Brun peut feul entrer en balance. Cherchez une idéé de la fublimité d'Homere, fublimité de penfées, de circonftances, d'expresfions dans quelques pasfages traduits par Boileau : Vos justes éloges feront mêlés de finceres regrêts de ce que le pere de la poéfie ne revive pas tout entier fur ce ton admirable. Boileau & Racine furent longtems indécis, s'ils ne réuniraient pas leurs talens & leurs efforts pour faire au public le beau préfent d'une traduélion de Hliade: Mais des raifons, que perfonne n'oferait blamer, tant elles doivent avoir été d'un grand poids, perfuadèrent a ces deux illustres amis qu'ils confumeraient beaucoup d'années fans parvenir a des réfultats dignes d'eux. Quelle riclie moisfon ne femblait pas promettre des morceaux tels que ceux-ci: Comme Pon voit les flots foulevés par Porage, Fondrefur un vaijfeau qui s'oppofe d leur rage; Le vent avec fureur dans les voiles frémit: La mer blanchit d'ècume & Pair au loin gémit. Le matelot troublé, que fon art abandonne, Croit voir dans chaque flot, la mort qui Penvironne. Venfer s'émeut au bruit de Neptune en furie, PlutonfQrtdefontröne, ilpdlit, il s'écrie;  POÉSIE des ANCIENS. i33 Jl a peur que ce Dieu dans eet affreux fejour D'un coup de fon trident nefajfe entrer lejour, Et par le centre ouvert de la terre ébranlée, Ne fajfe voir du ftyx la rive défolée, Ne découvre aux vivans eet empire odieux Abhorré des mortels & craint même des Dieux. Héfiode, moins grand, moins fublime qu'Homere, parle de l'agriculture fur laquelle il apprend plutöt les préjugés du peuple que des procédés a fuivre. Encore moins critique fur les fujets religieux, il rasfemble dans fon bouclier d'Hercule tout ce que la fuperftition avait fait éclore dans des esprits ignorans, vifs & légers. Bergier & Gien en ont donné chacun, une traduélion également fidelle. Sapho, la plus fpirituelle des femmes qui jamais aient exifté, dut a fes talens le titre de dixieme mufe; titre glorieux, mérité dans cette circoullance, mais depuis ridiculement pröftitué. Une ame de feu, un cceur fenfible, une imagination vive, un caraclere impétueux livrèrent cette fille célebre a des pasfions violentes qui la précipitèrent au milieu des flots, dans lesquels elle périt, martyre a jamais mémorable de ramour. Une ode, un hymne, quelques fragmens confervés par d'anciens auteurs, font les feuls débris qui nous restent des poéfies de Sapho. Ces.morceaux font au desfus de toute valeur: Appréciez leurs beautés dans le peu que Boileau a fait pasfer dans fa langue avec tant de fuccès. I 3  134 ESSAI de LlTTÉRATURE. Heureux, qui prés de toi pour toi feule foupire Quijouit duplaifir de t'entendre parler; Qyi te voit quelque fois doucement luifourire. Les Dieux dans fon bonheur peuvent-ils l'égaler? Jefens de veine en veine , une fubtile flamme, Courir par tout mon corps, fitöt que je te vois: Et dans les doux transports oü s'égare mon ame Je nefaurais trouver de langue ni de voix. Un nuage confusfe répandfur ma vue. Je n'entends plusje tombe en de douces langueurs, Etpdle, fans haleine, interdite, éperdue Unfriffon mefaifit, je tombe, je me meurs. Quelques chanfons, infpirées par la volupté, produites par un esprit aimable, polies par un goüt délicat, rendent Anacréon immortel. Suivre de loin fes pas, tel fut, tel est encore, tel fera fans doute toujours le but vers lequel tendront les efforts des "bons poëtes. Ce parfait modele n'exifterait que pour les favans fi La Fontaine ne nous avait transmis un petit nombre de. fes morceaux , fans leur dérober aucune de leurs graces, totalcment évanouies, fous la plume de plufieurs traduöeurs, a la tétè des quels fe Voit pourtant Me. Dacier. Jamais le naturel, 1'abondance, la fimplicité, ne fe rencontrèrent chez aucun poëte au méme dé-ré  POÉSIE DES ANCIENS. 135 que dans Théocrite. Ses poéfies tirent fouvent des beautés de leur négligence; femblables a de douces, k de naïves, a de fenfibles bergères qui dédaignent les parures de la ville; loin d'ajouter a leurs attraits elles les dénatureraient, fi elles ne les dérobaient pas tout a fait. Appliquez k Théocrite les paroles qu'il adresfait aux Mufes: „ Tout ce que vous tou„ chez s'embellit." Son heureux talent mit k profit les précieux avantages de la langue Grecque, fi harmonieufe qu'aucune exprefiion n'y est basfe, & que les plus petits détails s'y rendent avec agrément, avec noblesfe. L'idylle des Pécheurs,le morceau le plus délicat de tous ceux confervés des anciens, aura pour vous beaucoup d'attraits. De 1'esprit, de la fenfibilité deviennent nécesfaires pour gotiter 1'aimable douceur de charmes fimples & attachans, qui puifés dans la belle nature n'ont point été profanés par les ornemeiis de l'art: L'ingénieux Fontenelle n'en fentit pas la valeur; fes yeux pénétrans, mais que ne mouillaient jamais de douces larmes, n'étaient pas formés pour s'arrêter fur Théocrite : Ce poëte enchanteur conferve , entre les mains de Chabanon , tant d'élégance, tant de fraicheur , qu'on ne peut méconnaïtre beaucoup de rapport entre le poëte Grec & 1'écrivain Francais. Bion, Mofchus contemporains, émules de Théocrite, préfentent des idéés fimples, riantes & rendues avec une charmante délicatesfe. La mort d'Adonis reparait encore chaque jour traduite ou imitée par nos meilleurs poëtes. L'amour fugitif „ est une des I 4  *S5 ESSAI DE LlTTÉRATURE. „ Plus agréables pieces de poéfie qui fe foient ia, „ mais faites." J L'Antologie (n) parait telle qu'une guirlande en- chamre de la nature, dont elle-ffiéme achéve de rendre le groupe fi intéresfant. La main de 1'amitié moffreunedeeesfleurs^aignezenrecevoirl'hommage. Epigramme imitée de l'Antologie. Laiffe moifur ton front pofer cette couronne Qpe la Reine des fleurs d trejfé de fa main • La. Rofe, le Muguet & la tendre Anémone, Vont envier Véclat de ton beaufein. * Ne fénorgueillis pas de paraitre fi belle, Zéphir détruit lefoir, fes amours du matin, Et la beauté, *** comme la fleur nouvelle , Brille, fefane &fe ternit foudain. Une réunion, a la fois délicieufe & attachante telle q«e celle des poëtes lyriques dont je viens de vous Parler , ne faurait être formée que chez les Grecs • La poéfie des Romains , celle des modernes ne font point émaillées de fleurs auffi nombreufes, auffi vanees, auffi brillantes. Presque toutes fe font évanomes ou du moins ont été fanées entre les mains de Longepiere destiné, malgré tout fon zèle pour Pantiquité, A ^figurerjesjlus beaux ouvrages. Les O) Ce mot, dont la fignification piopre eft ,eci,ei] de fléurs ZS^ZJïaT" ^ *S? épiS"mm£S d^JrenSpo" ;  POÉSIE des ANCIENS. 137 traduftions de eet auteur faites en profe runde font dépourvues d'agrément & de précifion: Elles ne tombent pas dans un entier oubli, grace a quelques notes trés estimables. v Une profe trainante a plufieurs fois défiguré PEnéide. Ce poëme ne vous fera donc qu'inparfaitetnent connu , même dans la traduction de Desfontair.es , la feule qui fe life. Celui qui peut fe pénétrer des beautés de 1'Enéide les voit naitre en foule autour de lui, & s'empresfe de les recueillir toutes, incapable de déterminer un choix. Quelle ordonnance fuperbe, quel merveilleux fublime , quelle diétion pure, qu'elle poéfie harmonieufe ont contribué a 1'élévation de eet inappréciable monument du génie ? Les plus nobles fentimens, les plus beaux mouvemens de Pame, les plus touchans épanchemens de fenfibilité s'y trouvent réunis. Nul mortel fans doute asfez dévourvu de facultés fentimentales pour contempler d'un ceil fee 1'affreux défespoir de Didon, Princesfe ornée de toutes les qualités faite pour infpirer, pour fixer Pamour, &, „ qui n'étant point etrangêre au malheur, apprit „ a fecourir les malheureux." Le peu d'intérêt qu'on fe fent pour Enée vous affligera. Eft-ce donc la le fils de Vénus, a la naisfance, a 1'cducation duquel les Graces préfidérent fans doute. Spiritual; franc, vaillant, généreux, tel il devrait s'offrir a nos yeux. Je lui pardonnerais quelques brillans écarts, quelques aimables faiblesfes, bien plus volontiers que cette trifte raifon, que 15  133 ESSAI de LlTTÉR ATURE. cette prudente réferve qui ne lui permettent Jamais de plaire fans des fecours furnaturels. Achüle impetueux, adorant Briféis , bravant Agamemnon, fa. cnfiant Heffer, aux manes de fon ami, esfuyant les pleurs du vieux Priam: Voila le Héros qui m'attache, qui m'entraine, avec lequel je brüle de me precqnter au milieu des combats. Plufieurs écrivains ont penfé, q„e la froideur du premier perfonnage de PEnéide réfultait de fa trop grande piété, d'après laquelle St. Evremont Prétendait voir plütot en lui Ie chef d'un monaftere que le fondateur d'un empire: Ce reproche eft mal fonde, puisqu'Enée, préfentant Pimage d'un légiflateur en mémc tems que celle d'un conquérant, ne pouvait trop refpeffer la religion, unique bafe lür laquelle doit porter un bon gouvernement : En rejettant une caufe , il faut établir celle qui la remplace, je vais le tenter. De la maniere dont un homme fe préfente pour la première fois, foit dans la fociété, foit dans Phiftoire, foit dans le poëme, foit fur la fcene, foit dans le Roman, réfulte une préveution qui depuis influe beaucoup fur les fentimens qu'on lui accorde: Souvent ou fent 1'injuftice d'effets auxquels on ne peut fe dérober quoiqu'ils foient produits par une feule vue : D'après cette importance du début,importance qui ne fiuiroit jamais être mife k une trop haute valeur , jugeons des fuites de celui d'Enée le plus désavantageux poffible. Le courroux implacable de Junon pourfuit les  POÉSIE des ANCIENS. i39 infortunés échappés au désastre & a rcmbrafement de Troye; cette Déésfe excite une violente tempête: „ Les vents déchainés foólévent les flots; les plus „ épaisfes ténèbres s'étendent fur Ia mer; les poles „ retentisfent du bruit de la foudre; le ciel eft „ embrafé du feu des éclairs ; tout annonce aux ma„ telots une mort prochaine ; foudain les membres „ d'Enée font faifis par le froid, il léve fes mains „ fuppliantes vers le ciel." Quel mouvement déplacé dans un héros, qui doit au moins envifager avec fermetc le trépas, quand il ne 1'affronte pas de propos délibéré. En vain des commentateurs prétendent-ils qu'Enée ne regrettait pas la vie, mais fe plaignait de la perdre fans gloire. Un tel fentiment s'exprime par 1'indignation & non par des plaintes. Cette terreur, jufte objet du mépris des deuxfexes, flétrit fouvent le caradtere d'Enée: A plufieurs reprifes „ fes che'veux fe dresfent, „ fa voix expire fur fes levres (o.)" Virgile point asfez fatisfait de PEnéide (I) dans 1'exécution de laquelle il appercevait des négligences, qui la plupart reftent invifibles pour les critiques les plus févéres, demanda qu'après fa mort ce poëme fut livré aux flammes. Ses feuls titres inconteitables lui paraisfaient être fes Eglogues & furtout fes Géorgiques. „ J'éprouve , dit Roucher, en lifant certains „ morceaux des Églogues & des Géorgiques un atten„ drisfement qui ne fe manifefte point, il eft vrai, {'-) Stelerunt coma , £? vox faucibus hapt.  Ho ESSAI de LlTTÉRATURE. „ par des larmes, mais qui peut-étre eft plus doux par„ ce qu'il me fait tomber comme dans une espece de rêverie amoureufe. Virgile fait aimer ce qu'il „ chante paree qu'il Pa aimé le premier." H- appartenait a notre fiecle de produire un poëte Francais qui, a 1'exemple des célèbres Pope & Dryden , transport* dans une langue moderne les beautés d'un ancien. De Lille nous a préfenté fans rien dérober de leurs charmes les Géorgiques, c'efta-dire le poëme le plus travaülé qu'ait laisfé leprince des poë'tes Ladns. Lucain fe foumettant a la marche hiftorique ne pouvait atteindre lamajeftueufe grandeur de 1'Epopée: Une exaftitude, qui bannit lemerveilleux, qui ne permet que peu d'épifodes, juftifie les critiques asfez fevéres pour dépouiller la Pharfale des honneurs accordés aux grands poëmes. Trop peu d'intervalle féparait la chüte de la république, du règne de Néron , pour que la réputation des guerriers, qui fixèrent en Thesfalie,les deftinées de la terre, ne confervatpasdes traces de quelques faiblesfes : La lime du tems peut feule plonger dans Poubli les tributs, que tout mortel paye a Phumanité. „ Le refped qu'on a pour „ les Héros, dit avec raifon Racïne , s'augmente a „ mefure qu'ils s'éloignent de nous: L'éloignement „ des pays répare en quelque forte la trop" grande „ proximité du tems; car le peuple ne met gueres „ de ditférence entre ce qui est, fi j'ofe ainfi par„ Ier, a mille ans de lui, & ce qui en eft a mil„ le lieues."  P0ÉS1E des ANCIENS. 141 Lucain crut que malgré le rapprochement des époques & des contrées, les perfonnages grace a fon coloris, acquéreraient dans fes mains, de la dignité : II réunit toutes les forces de fon génie, pour leur donner une haute ftature; mais outrant les proportions, employant des formes gigantesques, il rendit quelques fois puérils, même ridicules ceux que fon desfein était de préfenter nobles & impofans : Ses récits par leurs exagérations devienent fecs & froids ; fes maximes philofoplüques calquées fur celles de Sénéque, blésfent encore plus dans les vers du neveu , que dans la profe de 1'oncle; mais des beautés ravisfantes rachèttent de fi graves défauts. Les harangues, les defcriptions, ont dans Lucain une fublimité , que vous chercheriez fans fruit chez tout autre poëte ; leur force de penfées, leur richesfe de poéfie, leur chaleur d'expresfion, fubjuguent, entrainent,infpirent 1'enthoufiasme:Des éclairs de génie brillans, nombreux & prolongés, s'oppofent a ce que le goüt après avoir rejetté les éloges excelfifs, adopte une entiere condamnation. Si Racine & Boileau profcrivirent la Pharfale, Corneille 1'admira , en fit fes délices, lui dut fes plus profondes vues politiques, fes plus impétueux mouvemens: Ce grand nom fuffit pour tenir la balanee dans un jufte équilibre. Brébeuf loin d'adoucir les traits forcés de fon modele , femble au contraire s'être plu a le furcharger d'hyperboles, d'antithéfes, de fentimens hors de  i+i ESSAI de LlTTÉRATURE. nature. Cependant la pompe de fa marche , les Qéiï de fon imagination , le luxe de fon ftyle éblouirent au pomt d'obtenir des fulfrages unanimes. Un ter me asfez long s'écoula, avant que dans Paris : Ön maudit la pharfak, auxprovinces fi chere (*). SiPenfemble du travail de Brébeuf caufe quelque lasfitude, plufieurs pasfages fe font vivement applaudu-. Quel poëte de nos jours, rejetterait la description de eette horrible forêt, confacrée parPabfurde & cruel fanatisme des habitans de Marfeüle Pour la première fois les foldats de Céfar connurent' la crainte dont les fit bientót rougir, ce chef in trépide qui fe riait également du courroux du ciel & de la terre; „ Tous les vceux criminels qui s'ofrent en ees lieux „ Ofienfent la nature, en révérant les Dieux: „ Ld dufang des humains, on voitfuer les marbres „ On voit fumer la terre, on voit rougir les arbres. ' „ La foudre accoutumée, d punir les forfaits , „ Craint ce lieufi coupable & n>y tombe jamais. » Ld de cent Dieux divers, les grojjïeres images, „ fmpriment l'épouvante & forcent les hommages. „ La mouffe & lapdleur, de leurs membres hideux „ Semblent mieux attirer les refpecis & les vceux, „ Sous un air plus connu la divinité peinte j * Tro^rait moins d'encens & ferait moins de crainte. C *) Boileau.  POÉS IE des ANCIENS. 143 j, Tant aux faibles mortels il efi bon d'ignorcr; „ LesDieux qu'il leurfaut craindre & qu'il faut honorer. Marmontel a traduit Lucain, avec beaucoup de fagesfe, mais point asfez de chaleur. D'après les foins de La Harpe, notre poéfie est enrichie de plufieurs beaux morceaux de la Pliarfale. Aucun pasfage n'est a mes yeux, auffi faillant que celui dont j'ofe vous préfenter une traduction. Heu. reux fi ma copie conferve quelques traits du plus fuperbe tableau: L'antiquité dans fes riches & abondans tréfors ne renferme rien de plus fublime : Les traits qui le compofent larges, fermes & hardis, eusfent étonné le génie de Virgile, même celui d'Homére. Quoique la Pliarfale foit un monument élevé en Phonneur de Pompée; eet illuftre romain n'y occupe pas le premier rang: Tous les regards s'arrêtent fur Caton dont la fuperiorité, parait a la fois brillante, foutenue & jufte. Longtems après 1'anéantisfement de Ia République, fon plus zèlé défenfeur infpirait encore aux Romains un entlioufiasme fans bornes : Les maïtres du monde ne devinrent pas tout a coup asfez vils, pour oublier qu'a la funefte époque; oü la licence, 1'anarchie , le vice déehiraient les entrailles de Rome,- oü le peuple, féduit, égaré, corrompu , fervait 1'ambition & Pavarice des grands: Oü les foldats cangrénés, indifférens au bien public, vendus a leurs chefs, fecondaient les plus criminels desfeins; Caton feul combattait en faveur de la liberté: „Ne (*) croyant pas être placé fur la terre pour  144 ESS AI de LlTTÉRATURE. 1 „ fon avantage perfonnel, mais pour le fervice de „ Fétat, la joie n'approcha plus de fon cceur dès que »i la patrie fut en danger. Du jour ou fe déploya „ le finiftre étendart de la guerre civile, fes ché„ veux blancs tombèrent fans foin fur fon front „ rigide: Une barbe hideufe couvrit fes joues : „ Toute étude lui devint importune, tout plaifir „étranger, fans cesfe il pleura fur les malheurs du „ genre humain." Tandis que les poëtes chantaient Caton, les orateurs faifaient retentir la tribune de fes louanges. Céfar quoique voyant 1'univers a fes pieds, fut blesfé de la gloire du feul mortel qu'il n'avait pü dompter: Rome point encore fagonnée a la fervitude cacha mal fon indignation, quand elle entendit le vainqueur de Pliarfale, outrager C*) les cendres d'un ennemi, dont les vertus prescrivaient du refped a ceux même qui le haïsfaient. Les hiftoriens par leurs fuf&ages unanimes donnèrent aux divers éloges une impofante fanftion : L'un d'eux (f) recommandable fous plufieurs rapports s'écrie: „ Caton par fon génie, par fa vertu était „ plus prés des dieux que des hommes. Jamais il ne „ fit le bien par oftentation; mais ti'après l'impofiibi„ lité de s'en écarter. Ne croyant raifonnable que „ ce qui était jufte , exempt des vices, loin des fai„ blesfes, il fe plaga toujours au desfus des coups „ de la fortune." Après C*) L'aati Caton. (t) Velleius Paterculus.  POÉSIE des ANCIENS. 145 Après la défaite de Pliarfale, Caton furpris mais point accablé , réfolut de fauver la répüblique, ou de périr fous fes débris: Ennemi de deux hommes cgalement ambitieux, on Pavait vu marcher fous les Qrdres de celui qui plus vain & moins habile, loin de menacer d'un danger trés presfant, marquait une ombre d'égards aux légitimes dépofitan-es de 1'autonté : Quand ce chef malheureux fut tombé fous |e fer d'un asfaffin, & que quelques grains de terre jettés par la main d'un esclave cachèrent obfcurcment, fur les rives du Nil, les reftes du grand Pompee, Caton coürut en Afrique, prés du gendre de ce méme Pompée , auquel malgré les inftantes prieres de toute Parmée, il céda le commandement, par déférence pour fa dignité confulaire: Cet aéte derefpeét, bien digne du généreux fupport des loix, entraina la ruine de la république. Seipion point asfez citoyen pour facrifier fon orgueü, fe chargea d'un fardeau fous lequel il fléchit, tandis qu'il eut été léger pour Caton : L'intrépidité, les talens, les vertus de ce grand homme fe deployèrent dans la marche parmi les déferts de la Lybie : Les légions parvinrent a furmonter des obftacles, presqu'invraifembJables. La nature du terrein, la difette de vivres, le manque d'eau, la violence des orages, furent des digues fortes, élévées, & nombreufes, mais s'abbaisfant a Paspeét de Catoti; „ Après une tempête qui pendant quelques heures a parut le préfage de 1'entière ruine de la nature. „ Tout chemin est effacc, nulle tracé pour fe diriger, Tom. IL K  H6 ESSAI de LlTTÉRATURE. „ que quelques feux célestes, comme fur le fein des „ mets. Les Astres fervent de guides, encore 1'ho„ rizon resferré de la Lybie ne les offre t'il pas „ tous, plufieurs restent cachés fous la convexité j, du globe." „ Bientót la chaleur étouffe le vent qu'avait fait „ naitre 1'orage: L'air s'embrafe, les membres font „ baignés de iueur, les bouches desféchées par la „ foif. On appercoit,loin de toute fource, quelques „ goótes d'une eau bourbeufe: Un foldat les arra„ chant avec peine de desfus le fable , les recueille „ dans fon casque, & les offre a Caton. La gorge „ des foldats était fouillée de pouffiere; le général „ tenant en fes mains ce peu de liqueur allumait „ 1'envie. Me crois tu donc s'écria Caton, le feul „ de Parmée, gui foit dégradé & fans vertu? Te pa„ rais-je donc ji ejféminé, fi anéanü par les premières „ chaleurs. Seul tu mériterais le fupplice de boire „ aux yeux de tes compagnons altérés. Alors plein „ d'indignation il fait rouler au loin le casque: „ Cette eau fuffit a tous." „ On approche du feul temple de la Lybie; il ap„ partient aux fauvages Garamantes; La Jupiter ne „ parait point la foudre en main, mais fous la „ forme d'un bélier armé de cornes tortueufes, il regoit le titre d'Ammon. Les peuples ne lui ont „ pas élevé de fomptueux édifices; leurs offrandes „ ne refplendisfent pas de rubis & de diamans, „ Quoique le fier Ethiopien , 1'heureux Arabe, le „ riche habitant de 1'Inde, adorent le feul Jupiter  POÉSIE des ANCIENS. 147 „ Ammon, ce Dieu est encore pauvre : Ses autels „ depuis tant de fiecles ne font pas profanées par „ le luxe: Son fanduaire repousfe 1'or de Rome »> par les mceurs anciennes. Une forêt verdo>, yante unique dans fes contrées annonce la pré„ fence d'un Dieu. Tandis qu'aucun feuillage ne „ parait fur la mer de fables brülans qui fépare „ Bérenice, de Leptis, des arbres élevés couvrentle „ fake du féjour d'Ammon. Ce prodige est 1'effet „ d'une fource qui captive Parêne, bannit la fécheresfe, & répand la fertilité. Rien cependant „ n'oppofe d'obftacle aux feux du foleil, lorsque fe „ balancant au fommet de 1'Olimpe il partage lejour. „ Les branches protégent a peine leurs troncs, „ tant Pombre raccourcie par les rayons fe res„ ferre vers le centre. En ce lieu le cercle du Soüüce„ frappe le Zodiaque. La les fignes du ciel fe meu„ vent verticalement: Le Scorpion ne marche pas „ avant le Taureau; le Bélier ne céde pas a la Ba„ lance ; la Vierge n'ordonne Pas aux Poisfons de „ héter leurs pas tardifs; Chiron fe montre égal ., aux Gémaux; Pardent Cancer envifage 1'humide „ Capricorne; le Lion ne s'éleve point au desfus du „ Verleau. Qui que tu fois habitant féparé du reste de5 „ mortels par la Zone torride Pombre que tu recois „ est toujours oppofée k la notre: Tu trouves Cy„ nofure (*) lente; tu penfes qu'Arcas (f) plonge f * ) La petite ourfe. C f ) La granJe oi)rfe> K 3  148 ESSAI de LlTTÉRATURE. „ dans 1'abyme des eaux fon cliar desféché : Tu „ crois toute conftellation, méme dans fon apogée, „ foumife a la mef! Tu restes a une égale diftance 9, des deux Poles: Tu vis fous 1'Equateur qui dans „ fon cours rapide, entraine le firmament a travers „ 1'immenfité des cieux. „ Des peuples accourus de 1'Orient, remplisfaient les „ portiques, demandaient a Jupiter Ammon de leur dé„ voiler 1'avenir, tous par refpect fe retirent a Pappro„ elie du généralromain. Les chefs fupplient Caton, de „ confulter eet oracle fi renommé dansPunivers, d'ap9, précier par lui-méme fon antique célébrité. Labienus „ plus qu'aucun autre le presfe de s'éclairer fur les „ événemens, par le fecours du ciel Le hafard, (dit-il) la fortunc elk-même, conduifent nos pas vers le parvis d'un Dieu redoutable, dont Vappui nous eft offert: Soutenus par un fi puijfant protecteur nous fur,, monterons les Syrtes , nous connahrons les divers „ hafards de cette guerre. A qui les Jmmortels décou„ vriraient-ils plus de vérité, confieraient-ils plus de „ fecrets , qu'a Vauguste Caton? Par leurs fuprêmes „ loix ta vie fut toujours dirigée : Tu marches fur les traces d'un Dieu. La liberté d'entretenir Jupiter „ t'eft donnée ; Tnflruis toi des deftins, du criminel Céfar, „ recherche quelles révolutions menacent notre patrie. Le „ peuple renner a-Pil dans fes privilèges? Obéira-t'il ,, aux loix, ou la guerre civile reftera-t'elle fans fruit ? „ Pafjionné pour Pauftere vertu, remonte d fon effence & demande, quel eft le vrai modele de Phonnéte."  POÉSIE des ANCIENS. 149 „ Caton plein du Dieu qu'il porte dans fon ame „ tranquüle, épanche ces paroles dignes du Trépied 5, facré. Que prétens tu Labienus que je cherche ? Ne „ veux je pas plütöt mourir libre, les armes d la „ main, que de ramper fous un mahre? La vie eft v elle rien autre chofe que le retardement d'un êtat „ ftable? Qjielle force peut nuire d l'homme de bien? „ La fortune aux prifes avec la vertu ne prodigue t-elle „ pas envain des menaces? Le défir des ablions loua„ bles ne fuffit pas ? La vertu tire t-elle quelque luftre „ dufuccès? Voild ce que nous favons, Ammon ne le „ graver ah pas plus profondément dans nos cceurs } „ Quelque filence qui régne dans les temples nous dé„ pendons de la divinité, nous n'agisfons, que d'après „fes décrets proclamés d toute heun,fans le fecours „ d'inutiles paroles. L'Etre fuprême découvre d l'homme „ naifant, les objets jusques auxquels fon intelligence „ peut parvenir: II ne choifit point une plage aride pour „ fe manifefter d peu de mortels ; il n'enfevelh pas „ la vérité dans ces fables? A-t-il d'autre demeure „ que la terre , l'onde, le ciel, & le cceur du jufte? „ Pourquoi donc le chercher fi loin ? Jupiter eft tout „ ce que tu vois, tout ce que tu fens, tout ce que tu • „ penfes. Qite les hommes timides, livrés d de per„ petuelles allarmes fur l'avenir, aient recours aux „preftiges: Pour moi ce n'eft point un oracle, mais n la- certitude de la mort, qui me rend inêbranlable: Sous fes coups tombent également le Idche & le „ courageux: II fuffit que le ciel ait prononcé eet arrêt." », Ainfi parle Caton, & fans outrager la foi qu'on K 3  150 ESSAI de LlTTÉRATURE. „ porte a ce temple, il s'éloigne de fes autels, abandonnant aux peuples leur Ammon qu'il ne daigne „ pas éprouver." „ Le foldat harasfé fuit avec refpecr fon général, n ttarchant a pied une lance a la main. Caton n'or„ donne pas, il mpntre par fon exemple a foutenir „ les travaux: On ne le voit point affis fur un char, » fes esclaves ne plient pas fous une litiere; le fom„ meil ne ferme fes yeux que par courts intcrval„ les: Lorsque parait une fontaine longtems défirée, a la jeunesfe impatiente court s'abreuver de fes eaux: „ Caton s'arréte & n'étanche fa foif qu'après que m les derniers valets de 1'armée ont fatisfait a leurs „ befoins." 3, Si la plus éclatante gloire appartient aux hom„ mes vraiment magnanimes, fi l'on contemple la „ vertu dépouillée du fuccès, ce que nous louons „ avec transport dans nos plus illustres ancêtres, fut „ 1'ouvrage de la fortune. Qui d'entreux, par des „ vidoires remportées, par des fleuves de fang „ répandus, par des peuples conquis, mérita un fi grand nom ? Je me glorifierais bien plus de cette „ marche k travers les fyrtes de la Lybie , que „ du 1'arouche honneur de fouler a mes pieds , „ comme Marius, la tête de Jugurtha , que de la „ fastueufe gloire de monter au Capitole , comme „ Pompée, trois jours de fuite fur un char. Rome „ reconnais le pere do la patrie, le héros digne de „ tes autels, par qui dans aucun tems tu ne rougiras „ de jurer , tu Padoreras même comme un Dieu  POÉSIE des ANCIENS. 151 „ tutélaire fi jamais ta tête fe relève, après avoir „ brifé le joug." „ Cependant on foule une plaine de feu, que jus-« „ qu'a ce jour les Dieux avaient interdit aux mor„ tels, les rayons du foleil deviennent plus forts, „ les fources plus rares. Tout k coup jaillit du milieu des fables une fontaine, fes eaux abondan„ tes, font fi remplies de ferpens qu'a peine peu„ vent elles les contenir. Les froids Aspics rampent fur fes bords: Dans fon fein des Dispes brülans restent „ alterés. Caton certain que fes foldats périsfent, „ s'ils s'éloignent de cette fource, s'écrie. Compa„ gnons ne redoutez point un danger chimérique, puifez „fans retard cette onde falutaire, le venin des fer„ pens n'eftfunefte que mêlé dans le fang, leurs morfu„ res le portent, leurs dents tranchent nos defiinées; mais „ leur boiffon n>eft pas mortelle II dit & prend „ de ce poifon incertain. Dans les fables de la Ly„ bie, ce fut la feule fontaine dont il but le ft premier.-"' .4 K j.. Votre cceur penétré d'autant d'amour, que de refped pour la divinité eut resfenti un mouvement d'indignation fi par égard aux époques j'avais placé Lucrece a la tête des grands poëtes latins. Cet homme d'un esprit fupérieur, s'égara dans fes principes. Sa mainaudacieufe&facrilégeprétenditfapperjesantiques appuis de la fociété; renverfer les cultes; étouffer les fentimensreligieux; ce but lui paraisfait fi noble, que K 4  152 ESSAI de LlTTÉRATURE. Pespérance d'en avoir approché , dans fon poëme , „ de la nature des chofes" devint une glorieufe récompenfe: II périt vidime de fon criminel fyftéme dont les germes avaient été femés & dévéloppés dans fon ame par de fougueufes paffions : Un philtre amoureux répandu dans fes veines, & fe joignant a de cruels remords fa raifon fut troublée : De noirs acces de fureur le tourmentèrent, un d'eux 1'emporta dans la force de Page. La Grange a traduit avec force, & enrichi de notes favantes le poëme de la nature. La prédiledion du tradudeur ne Pempéche pas de reconnaitre, avec tous les hommes inftruits, que fi les plus graves reproches encourus par Lucrece portent fur fes principes , plufieurs néanmoins font avec raifon faits a fes talens. Sa belle poéfie parait fouvent déparée par des fautes de ftyle asfez fortes pour répandre d'épais nuages fur des matieres inintelligibles dès qu'elles ne font pas dévéloppées avec la plus grande clarté! Ses expreffions dures blesl'ent des perfonnes accoutumées au beau langage des écrivains du fiecle d'Auguste. La divinité que Lucrece invoque ne lui préte que rarement fa ceinture enchanteresfe. „ Mere des descendans d'Enée, volupté des hom„ mes & des dieux, vivifiante Venus, tu fécon„ des les mers couvertes de vaisfeaux & les champs „ chargés de fruits. Par toi tous les êtres animés „ refpirent, & jouisfent de Péclat du foleip. A ton „ approche,les Vents fuyent; les Nuages fe diffipent, la Terre t'oflre en tribut fes fleurs parfumées; les  POÉS IE des ANCIENS. i53 „ flots de 1'Océan te fourient; 1'Olympe paifible brille „ d'une douce lumiere." Si vous vous hafardez dans cette dangereufe lecture, tenez fous votre main le contre-poiïbn, propre & détruire fes facheux effets: II fut préparé par le Cardinal de Polignac , 1'aimable compagnon de voyage que fe choifit Voltaire , allant chez le Dieu du goüt. Dans 1'anti-Lucrece font combattus avec chaleur, réfutés avec fuccés les fyftemes du poëte latin, qui fe voit encore vaincu dans fa propre langue , par la perfeétion du ftyle. La ravisfante harmonie de Virgile fe retrouve quelques fois dans Polignac, dont le riche pinceau préfente de bien belles images. Qu'il ferait doux de prodiguer des éloges, fans les méler d'aucunes critiques, a une entreprife fi refpeétable par fon but, & fouvent fi belle dans fon exécution; mais la févere impartialité, prefcrit d'ayouer, que Porgueil du théologien perce prés de la fagesfe du philofophe: Des préjugés mettent 1'auteur moderne, presque dans le même état d'enfance, fur ies objets de phyfique, que 1'adverfaire qu'il eut du terrasfer d'après les immenfes piogrès, faits depuis plufieurs fiecles vers le fommet des fciences. Bougainville a réuni les fuffrages, par fon beau travail fur 1'anti-Lucrece. La traduction du poëme, trés exaéte, trés pure, mais point asfez noble, eft' précédée d'un discours écrit avec tant d'élégance*, de goüt & de fagesfe, qu'il fuffit pour asfurer°la réK5  154 ESSAI de LlTTÉRATURE. j utation de eet estiniable écrivain, que fa modeftie priva des honneurs littéraires. Le poëte du goüt, de 1'imagination, de la raifon, Horace , philofophe hardi, Courtifan aimable, n'a trouvé chez les Francais que de faibles tradudeurs: Le Batteux est forti fans fuccès d'une entreprife a laquelle Pavait appellé la voix publique, d'après fon mérite littéraire bien reconnu. Ce n'est point a un Rhéteur que peut appartenir la gloire de faire revivre Pami de Mécène, 1'Emule de Virgile, le disciple d'Epicure: Elle fera le partage de celui qui, par un concours extraordinaire réunira le génie de la poéfie, 1'étude de la phiJofophie, la politesfe du plus grand monde. Elle eut été recueillie de nos jours par le Duc de Nivernois fi cédant aux vceux de plufieurs hommes éclairés, il eut tenté une entreprife pour laquelle la nature, 1'étude & la fortune femblaient 1'avoir formé. Le poëte aimable auquel j'ai dü les intéresfans regrets permet que je vous préfente deux odes traduites avec asfez d'élégance & de fidélité pour infpirer le défir qu'il s'occupe avec fuite d'une entreprife dont 1'heureufe exécution enrichirait infiniment les lettres.  POÉSIE des ANCIENS. Conseils d'un amant jaloux a une maite.e sse infidelle. Doris, ne vante plus de ton nouvel amant Le vifage vermeil, la blonde Chevelure, De fes bras arrondis Palbdtre éblouiffant, Et eet enfemble heureux qu'a formé la nature. # Du défespoir alors féprouve les fureurs ; Je palis, je rougis, & je pdlis encore; Mon ceil laijfe d regret échapper quelques pleur s , Signe, hélas! trop certain du feu qui me dévore. ® Je brüle, quand je vois ce jeune audacieux Profaner ton beau fein, dans fa rage amoureufe, Ou laijfer fur ta levre un trophée odieux Du bonheur qu'y grava fa dent voluptueufe. ® Crois en d mes confeils, Doris, n'ècoute pas Des fermens qiCa dim la feule jouiffance. Le cruel! il flétrit ces baifers délicats Qjte Vènus embauma de fa plus douce ejfence. /  Ï56- ESSAI de LlTTÉRATURE. Heureux ! cent fois heureux ! ces tranquilles époui Qlfaffemblent de Vhymen les chaines fortunées: Amour chaffant loin d'eux la crainte & les dégodts Comble encor de faveurs leurs dernieres années. A UN JEUNE HOMME TROP AM0UR.EUX DE SA riGURE. O toi, que pare encor l'éclat de la jeunejfe, Que Vénus embellit de toutes fes faveurs, Ne Pénorgueillis point: la main de la vielleffc Bolt te faire bientót éprouver fes rigueurs. Quand Page aura blanchi ta blonde Chevelure, Quand ce teint, qui fait honte aux lis éblouifans, Quand ces traits enchanteurs, l'orgueil de la nature, Auront été flétris par les glacés du tems : En voyant au miroir un fi cruel outrage, „ Dieux! (diras-tu, confus de ta vaine fierte) „ Que n>eus-je en mes beaux jours la raifon en partage, „ Ou que ne puis-je voir refleurir ma beauté!" Barthe, admirateur fanatique d'Ovide, a traduit fon art d'aimer. Des pasfages extrêmement libres, des defcriptions couverces d'ne gaze encore moins  POÉSIE des ANCIENS. 157 épaisfe que celle qui aux yeux des Romains paraisfait trop claire pour ne pas blesfer la pudeur., font des défauts fans doute graves, mais presqu'a chaque pas fe retrouve une touche aimable & légere. Quelques partifans qu'eut Tart d'aimer, ce n'était pourtant pas fur ce fonds léger qu'Ovide prétendait élever 1'édifice d'une grande réputation, II croyait y être parvenu par fon livre des Métamorphofes, qui paraisfait a fes yeux un chef-d'ceuvre, puisqu'il s'exprime ainfi quand il en parle : „ J'ai „ conduit a fa fin un ouvrage que ui le fer , ni „ la flamme, ni Ie tems dévorant, ni le courroux „ des dieux, ne fauraient détruire.'* Le poëte pouvait, feul s'aveugler a ce point. La profufion d'esprit ne répare pas les défauts majeurs d'un ouvrage qu'il eft difficile de clafler. Honorerez vous du titre de poëme épique des morceaux détachés, qui placés fans ordre, qui dépourvus de liaifons n'offrent pas la moindre tracé d'un plan, de cette importante partie a laquelle 1'Epopée doit presque toute fa pompe majeftueufe? Appellerezvous poëme didaftique des aventures dont 1'esprit ne tire aucune inftruétion, & dont la plupart peuvent corrompre le cceur : Forcée de refufer aux Métamorphofes le grand & rare mérite de 1'enfemble , vous ferez réduite a louer les beautés de détail: Elles font en grand nombre, plufieurs du premier ordre ; mais prés d'elles on rencontre des pasfages languisfans, quelques uns indécens fans agré-  158 ESSAI db LlTTÉRATURE. ment. Les fiétions fouvent plutót puérües qu'in«émeufes, d'ailleurs presque toutes inventées par de tres anciens auteurs, n'ont laisfé au poëte Jatin que le faxble honneur de les réunir & de les rajeunir dans fes vers. Le fuccès de cette célèbre compilation n'en a pas moins été prodigieux, pareéque fon auteur posfédait les qualités qui font illufion. Un esprit vif, une poéfie harmonieufe font disparaftre fes défauts & les rendent méme féduifans. Auffi contribua-t'il'infiniment k dépraver le goüt de fon fiecle : Les jeunes gens & les femmes mirent fon faux brillant k Ia mode: Tandis que ce bel esprit, confumé de douleurs dans 1'exil, immortalifait la petitesfe,la basfesfe de fon ame par fes plaintes honteufes, & par les flatteries outrées qu'il adresfait k un prince dont il ne parvint jamais a fléchir le courroux, Rome lui prodiguait Pencens. Malgré fa facilité bien furprenante, a la juger par fes propres paroles, „ tout ce „ que j'esfaye d'écrire fe trouve naturellement de Ia „ poéfie il ne pouvait fatisfaire aux demandes empresfëes que fes amis lui faifaient au nom des gens du plus haut rang. Parmi tant d'admirateurs fe rencontrèrent bientót des imitateurs qui perpétuèrent les défauts d'Ovide, fans les couvrir des mémes fleurs. On s'écarta fans peine de la belle nature, on furchargea les écrits de faillies & de jeux de mots; mais perfonne ne posféda cette fuperbe imagination, qui quoique fans frein plait par fa richesfe, enchante par les vives couleurs dont elle  POÉSIE des ANCIENS. 150 orne tous les objets, qui fouvent attendrit, & qui ne perd de fa chaleur que par trop de fécondité. L'enthoufiasme de fes contemporains pour Ovide renaft chaque jour, furtout dans 1'êge ou* le goüt n'étant pas encore formé, l'on fent plütot que l'on ne juge les ouvrages. Les Métamorphofes ont été longtems, pour ainfi dire, le magafin des beaux arts. Les Artiftes de tous les genres venaient y chercher leurs fujets, leurs matériaux & leurs ornemens. Si vous négligiez de les connaitre , vous ne jouiriez qu'imparfaitement d'une infinité de tres belles chofes. Entre plufieurs tradudions Franeaifes des Métamorphofes , celle de Banier est recherchéé. Thomas Corneille voulut que la littérature Francaife lui dut un Ovide en vers. Son entreprife, trés louable fous plufieurs rapports, échoua par un manque de chaleur, défaut comraun a tous les ouvrages de eet écrivain. Sl. Ange a donné des preuves de talent dans une nouvelle tradudion des Métamorphofes qui n'est pas entiérement achevée. Le mérite de 1'exaditude s'y trouve relevé par celui d'une verfification élégante & correde; mais le véritable imitateur d'Ovidc c'est Quinault. II a mis fous les yeux des fpedateurs les merveilles enfantées par la mythologie; il a dans fes beaux opera donné la vie aux récits des Métamorphofes. La facilité, la légéreté, 1'enjouement de Cattule s'évanouislent même fous la plume de Pefai:  *6o ESSA1 de LlTTÉRATURE* L'auteur de Zélis au bain femblait tenter fans témërité de rendre de précieux fragmens infpirés par la volupté méme. Peut-étre n'a-t'il échoué que d'après la faiblesfe qu'il eut de prendre pour modele Dorat, fur la fupériorité duquel Pamitié feule pouvait lui faire illufion. Auffi le moineau de Lesbie ne nous eft-il transmis que dépouillé de presque toutes fes graces. Properce, fi recherché des hommes aimables de fon tems, n'a point obtenu de nos jours les mëmes fuccès, malgré les efforts de Peftimable Longchamps. ^ Tibulle, ó vous dont la délicatesfe & la fenfibilité ont tant d'attraits pour les belles ames; qu'avec raifon vous étes appellé le poëte des amans: Nous posféderions vos touchantes compofitions fans qu'elles eusfent perdu de leur intérêt, fi Colardeau eut entrepris de les traduire, La Fare n'eft parvenu qu'a de faibles imitations, & Marolles ne préfente qu'un corps décharné, privé de toute chaleur & de toute vie ; Bertin a fouvent inrité Tibulle de la maniere la plus heureufe. Jeunes beautés, répétez fouvent fes chants. Songez-y bien; la coupable beauté Que nul amant n'a pu trouver conftante , Dans fon Automne expiant fa fiené, Seulc en un coin plaintive & gémisjante , A la lueur d'une lampe mourante f Conduit Vaiguille , ou d'une main tremblantt, Tourne unfufeau de fes pleurs hume3é< Eii  POÉSIE des ANCIENS. z6i En la voyant la maligne jeunesfe, Triomphe & rit de fa douleur. E amour, armé d'un fouet vengeur, Be défirs impuisfans tourmente fa viellesfe ; Elle implore V~énus ; mais la fiere Déesfe, Détournefes regards & lui répond fans cesfe, Qu'elle a mérité fon malheur, Un nouveau traducïeur de Tibulle, s'étant proP°fe rour but d'unir Pélégance a la facilité,Pa atteont, Jugez-le vous même d'après cette courte elégie dans laquelle 1'aimable Sulpicie eft fenfée s'adresfer k elle même ces paroles: „II eft né enfin ce fentiment que doit cacher la „ Pudeur, & qu'une fausfe gloire m'ordonne de ne „pas révéler. Fléchie par mes vers, Cithérée Pa „ conduit & Pa placé dans mon fein. Vénus a „rempli fes promesfes. Qu'il peigne mes plaifirs „ celm qui n'a jamais connu Pamour. Je n'en veux „ rien confier k mes tablettes mêmes. Quelqu'un „ pourrait les lire avant mon amant : Que mon er„ reur m'est chere ! il est dur de forcer fon vifa„ ge a feindre la vertu. Cérinthe eft digne de moi; >, je fuis digne de Cérinthe'' Cet agréable ouvrage vient d'une main k laquelle nous devions déja de la reconnoisfance pour plus d'un préfent d'une grande valeur: Pastoret a fans doute voulu prouver que Pimmenfe érudition ne chasfe pas toujours les graces: Quand, occupé de Moyfe, de Zoroastre, de Confucius & de Mahomet, Tom. II. L  i62 ESSAI de LlTTÉRATURE. eet auteur fe plonge dans de profondes recherches de métaphylique, de morale & de légiilation , il discute avec ordre , clarté & précifion : Son élégance fa délicatesfe, fa fenfibilité plaifent autant qu'elles intéresfent, lorsqu'il nous transmet les expreffions fentimentales du plus aimable des poëtes. Rien de plus fimple , de plus varié, de plus élégant que les fables de Phédi-e ; quoique peu nombreufes elles fuffifent a la gloire de leur auteur , qui s'attachant a donner des leeons d'une morale trés pure , ne mériterait aucun reproche fans les éloges qu'il s'est fouvent prodigué lui-même. De tels éloges contraftent avec le titre de fables Efopienncs que la modeftie 1'avait engagé de donner a fon recueil, afin de fe reconnaitre hautement imitateur; ils deviennent en quelque forte excufables par la néceflité de fe défendre contre des courtifans devenus accufateurs par flatterie : Séjan , homme méchant, miniftre abfolu , fentait fa confeience fi bourrelée par les remords, que les hommages rendus a la vertu lui paraisfaient autant de reproches indirects & outrageans, auffi le vit-on ouvertement perfécuteur de Phédre. La Fontaine a paré de nouveaux attraits le fabuliste latin, fans jamais atteindre fa précifion que vous retrouverez d'avantage dans la traduftion de Sacy, mais plus encore dans le beau travail de Lallemant. Perfe , obfeur & ferré, mais grand penfeur, me femble autant au desfus du mépris dans lequel quel* ques critiques ont prétendu le plonger, qu'au des-  POÉSIE des ANCIENS. ,63 fous des éloges exagérés d'un petit nombre d'admirateurs. Selis & Monnier fe font efforcés de vainere les difficultés que préfente la traduftion d'un poëte parfois inintelligible ; leurs travaux les ont conduit a une espece de guerre dans laquelle vous ne prendrez aucun parti, puisque ces deux écrivains ont de juftes droits a des éloges. Juvenal, dont la colere fut PApollon, met fans cesfe au jour le fentiment qui 1'anüne; fes critiques trop ameres, fes portraits trop chargés, fes reproches trop fanglans clioquent bien plus qu'ils ne corrigent. „ Ses ouvrages tous pleins Pafreufes vérités, „ Etincellent pourtant defublimes beautés. „ Soit que fur un écrit arrivé de Caprée „ // brife de Séjan la ftatue adorée ; „ Soit qu'il fajfe au confeil courir les fénateurs, „ D'un tyfan foupconeux pales adulateurs, „ Ou quepousfant a bout la luxure latine , „ Aux porte-faix de Rome il vende Mesfaline, „ Ses écrits pleins de feu partout brillent auxyeux (*). Dusfieux, furmontant des difficultés contre les quelles plufieurs auteurs avaient échoué, s'est acquis un rang honorable entre les hommes de lettres par fa belle traduétion de Juvenal. Martial n'exifte en Francais d'une maniere lifible que dans quelques imitations disperfées chez les poé- (*) Boileau.  i64 ESSAI db LlTTÉRATURE. tes. Votre bonté vous empéchera de regretter les ouvrages d'un poëte protégé par Domuien, méprifé par Trajan, doué de beaucoup d'esprit, mais étranger au naturel, ne connaisfant pas les mouvemens de fenfibilité, blesfant a chaque pas le goüt: Ses compolitions coniiftaient en épigrammes mieux jugées par lui-même que par aucun critique: „ Peu „ font bonnes, quelques unes font médiocres, plulleurs font déteftables." QUARANTIEME LECTÜRE. •4- •****■ ••• -4- Tragédie des Anciens. C^hez les Grecs la Tragédie parvint h un dégré de perfeélion qu'ont admiré tous les peuples polis. Vous pourrez jouir d'une partie de ce tréfor, d'après le théatre des Grecs de Brumoi (/>). Cet ouvrage , accompagné de discours trés fages & de remarques profondes, ferait au desfus de tout reproche fans un ftyle diffus, fans une prévention trop marquée pour les anciens, que le favant Jéfuite fut traduire mais chercha inutüement a imiter. Eschyle, trouvant Part dans Penfance, lui fit faire de louables progrès; II fut porter la terreur au plus (p) II ftut fe fervir de la derniere édition, d'une fupe'riorité' bien tnarquée dans toutes les parties.  TRAGÉDIE des ANCIENS. 165 haut point; mais fon ton toujours enflé & rude parait quelquefois celui d'un énergumene. Si Brumoi vous femble ne 1'avoir pas rendu avec des traits asfez males, vous aurez recours a la belle traduction de Pompignan. Le premier pas de Sophocïe dans cette carrière fut une vicloire remportée fur Eschyle, qu'il était' auffi hardi d'attaquer , que glorieux de vaincre. Cet éclatant fuccès plaCa le jeune poëte dans un rang qu'il occupa honorablement jusque dans la viellesfe la plus avancée. Nous ne posfédons que peu de fes pieces, la plus célèbre, Philoétete , a paru fur le théatre Francais par les foins de La Harpe. Ce travail eftimable eut réuni plus de fuffrages, fi Fénélon n'avait pas tiré du même Philoctete une épifode regardée avec raifon comme le plus bel ornement de Téléraaque, par conféquent trop admirée pour qu'il ne foit pas dangereux d'être mis en comparaifon avec elle. Euripide feul fut digne de disputer la palme a Sophocle : Celui-ci, noble , élevé, ayant de plus mérité par la douceur de fes vers le furnom de /'Abeilk attique , n'infpirait pas les douces, les délicieufes émotions dont Euripide pénétrait les cceurs: Plein de fenfibüité, il fit parler a Pamour fon véritable langage ; toucher fut le principal moyen qu'il employa mais fans négliger fes vers toujours faits & polis avec peine. De . plus il respeétait asfez la morale pour que Socrate voulut asfifter a toutes fes pieces. Le Sage jouisfait avec L 3  166 ESSAI de LlTTÉRATURE. empresfement du fruit des legons qu'il avait donné au poëte 1'un de fes diciples. Plufieurs beautés des chefs-d'ceuvres dramatiques des Grecs restent effacées, depuis la cbüte de la langue dans laquelle ils furent compofés. Car quelle' haute idéé ne doit on pas concevoir de produdions dont les efiets feraient rejettés, comme des contes hors de toute vraifemblance, fans le refpeél du aux graves hiiloriens qui les attefient. A la vue des Euménides, la terreur fut telle que des enfans moururent, que des femmes enceintcs fe blesfèrent ; la repréfentation d'Androinaque jetta les Abdérites dans une espece de démence. Après la défaite de Nicias en Sicile , les foldats vaincus durent la liberté & la vie aux vers d'Euripide qu'ils recitèrent; anecdote également honorable pour les peuples viétorieux pour les prifonniers & pour le pöëte. Avant de quitter les Tragiques Grecs, vous remarquerez qu'ils ont eu un avantage bien réel fur les Tragiques Francais : Celui du rang qu'ils occupaient dans Pétat. Des particuliers cultivant les lettres dans le filence du cabinet, rarement admis prés des grands, jamais nommés aux places importantes, ne fauraient atteindre 1'élévation de penfées, démcler les resförts de la politique, pénétrer les mouvemens d'une ame ambitieufe, comme des hommes appellés au timon des affaires, conduifant pendant la guerre les foldats fut le chemin de la gloire & char-  COMÉDIE des ANCIENS. i67 gés pendant la pair de 1'adminiftration. Eschyle, Sophocle, couverts de nobles cicatrices, recueillirent a la fois les couronnes accordées aux belles actions & celles obtenues par les talens. Euripide , fuyant Athènes d'après fa trop grande fenfibilité a d'injuites critiques, vint chez Archelaüs Roi de Macédoine, qui s'empresfa de le cboifir pour premier miniftre. Si les grands tragiques modernes ambitionnent d'être mis en parallele avec les grands tragiques Grecs, ils dédaignent d'entrer en lice avec ceux des Romains, tant ces derniers font restés loin des modeles qu'ils prétendaient imiter. Nous ne posfédons des tragédies jouées a Rome que la colleétion communément attribuée a Sénéque , quoiqu'on y reconnaisfe fans peine le caractere trés marqué de plufieurs auteurs. Ce recueil, dont Marolles a donné une traduétion presqu'inltfible, choque également la raifon & le goüt. Cependant il fe fait par momens admirer. QÜARANTE ET UNIEME LECTURE. CoMEDIE DES ANCIENS. V^ous trouverez les Comédies des Anciens plus difficiles a bien apprécier que leurs tragédies, paree qu'elles tiennent aux ufages, auxridicules, aux vices L 4  i6B ESSAI de LlTTÉRATURE. du flecle qui les vit naitre. Tandis que 1'anjbition , la pitié , la terreur , Pamour , les grands mobiles tragiques, fe retrouvent dans tous les tems, chez tous les peuples. L'amertume des traits qüe lancent les auteurs comiques annonce le dégré de fociabilité de leurs contemporains. Athènes ne s'était donc pas entierement purgée de Pancienne barbarie commune aux premiers Grecs, lorsque fes habitans accueillirent avec transport Aristophane & lui prodiguèrent même des honneurs, il lan9a fon venin impunément fur les plus grands perfonnages fans respeél ni pour les talens, ni pour les vertus. II perfécuta Euripide; il prépara la cigüe que firent boire a Socrate des fcélérats hyrocrites. Si le peuple ne s'était pas accoutumé a voir impunément outrager dans la Comédie des Nuées le plus fage des philofophes, un vieillard vénérable n'eut pas péri par la main des bourreaux, après avoir dans fa jeunesfe verfé fon fang pour la défenfe de fa patrie, après avoir confacré fon age mtir a former des citoyens vcrtueux. Au moment ou eet injufte fupplice flétrisfait la réputatiori d'Athènes, Aristophane triomphant blesfait fur Ie théatre la pudeur & la religion par des obfeénités, par des impiétés que Brumoi cherche iuutilement a pallier. Ce poëte efironté, qu'enivraient les applaudisfemens de fes concitoyens & des étrangers, fe regardait comme un perfonnage de telle importance qu'il dit un jour en public : „ Si les Lacédémoniens demandent  COMÉDIE des ANCIENS. 169 „ Egine, ce n'est pas qu'ils fe foucient de cette „ ifle , mais c'eft qu'ils veulent fe venger de moi „ & m'óter mon bien." Quelques hommes indignés de fa faveur populaire citèrent Aristophane devant les juges, comme coupable de prendre fans aucun droit le titre de citoyen. L'accufé, loin de s'en laisfer impofer par 1'aspeét d'un tribunal refpedable, récita pour unique défenfe & d'un ton impudent les vers qu'Homére, perdant un peu de vue la majefté de 1'Epopée, met dans la bouche de Télémaque i „ Ma mere m'a bien dit que mon pere eft Ulisfe, „ Pourtantje n'en fais rien; car il n'est nul qui puisje, „ Me dire pour certain de quel pere il eft fils (3)." L'esprit de fociété parait avoir beaucoup gagné" depuis Aristophane jusqu'a Ménandre. La fupériorité de celui-ci est bien reconnue , quelques peu nombreux que foient les fragmens qui nous reftent de lui: Ils font trés précieux , Le Clerc les a recueilli. Chez les Romains, Plaute avec beaucoup d'esprit, avec beaucoup de verve , fut bas dans fes plaifanteries, outré dans fes caraéleres, & plat dans fes jeux de mots. De fi énormes défauts furent hautement blamés par les beaux esprits du fiecle d'Augufte , mais ils ne firent pas tomber des pieces fou- C7) Traduifliori de Dupleix.  170 ESSAI de LlTTÉRATURE. tenues pendant plufieurs fiecles par leur force comique. Cette force manque entierement a Térence, qui préfente pour compenfation de la pureté , de la délicatesfe, de la grace, en un mot ce que l'on appelait par excellence de VAuidsme. Ses portraits achevés , pleins de vérité , mais exécutés avec des traits trop .fins, trop déliés, pour ne pas fe perdre dans la perfpeétive , frappaient peu a la repréfentation. Auifi du tems de Céfar ne paraisfaient-ils déja plus fur le théatre quoiqu'ils fe trouvasfent entre les mains de toutes les perfonnes inftruites, comme de nos jours. Ce qui vous frappera le plus, c'estle progrès in> menfe que 1'urbanité femble avoir faite depuis Plaute jusqu'a Térence , quoique ces deux poëtes aient été presque contemporains. Le grand avantage du dernier a eet égard parut la fuite de fon étroite liaifpn avec les premiers hommes de la République. Scipion, Lélius pasférent pour être fes guides, & fes coopérateurs dans 1'exécution de fes pieces élégantes, qui plairont tant qu'il exiftera quelqu'étincelle de gout. Me. Dacier, qui a traduit ces deux poëtes, préfére le -plus ancien. Ses éloges, un peu outrés fur la chaleur de fon aétion , fur la variété de fes intrigues, deviennent infupportables lorsqu'ils font confacrés a égaler des pieces trés informes aux plus belles de Molière; c'est choquer la raifon que prétendre affimiler deux hommes entre lesquels fe trouve tant de diftance.  TRADUCTIONS EN VERS. 171 Ti adüctions en Vers. s esprits froids, qui s'attachent plus au fonds qu'aux formes, les esprits vifs, qui dévorent les belles images, demandent également des traduéteurs pour les poëtes, mais prefcrivent des marches différentes: Les premiers permettent d'écrire en profe; les feconds impofent d'employer la poéfie. Peu de discus» fions ont oecupé autant de bons esprits. Vous trouverez, on ne faurait mieux éclaircis, tous les points de vue fous lesquels peut être confidérée cette question de littérature. II n'est aucun doute que celui qui traduit en vers furmonte mille & mille difficultés que ne rencontre pas celui qui traduit en profe : Par conféquent il acquiert plus de gloire. Mais 1'avantage , reconnu en Phonneur de 1'écrivain, s'étend-il jusqu'a 1'ouvrage? C'eit une difficulté trop délicate pour que je me liafarde de la réfoudre : C'est a vous feule de prononcer, fur une prélerence qui tient fi fort au goüt, que ce que mon expérience peut vous apprendre fur cela fe réduit presqu'a rien. La profe plus exacte fait évanouir la fraicheur 1'éclat, Pharmonie , en un mot les véritables beautés poétiques. Les vers en évitant la fécheresfe s'écartent de la réallté. Lorsque vous lirez des poéfies traduites en profe, autant vaudrait, comme Pa dit un homme d'esprit, regarder une tapisferie d Penvers. Si elles le font en vers, vous prendrez une  17? ESSAI de LlTTÉRATURE. idéé de 1'enfemble ; vous faifirez les principaux traits parfemés de loin en loin ; les autres refteront perdus, peut-étre feulement altérés, peut-être même plus finis, mais toujours changés. QUARANTE-DEUXIEME LECTURE. ÉLOQUENCE DES ANCIENS. IrfA^ nature, magnifique dans fes dons, produit a la même époque les hommes fupérieurs. Les grands profateurs font le plus fouvent les contemporains des grands poëtes. Si. le fer d'un asfaffin guidé par des tyrans n'eut abattu la tête de Cicéron, autour de lui fe feraient rasfemblés les Virgile, les Horace, &c. L'orateur Romain , qui ravit a Athènes la fupériorité de talens qu'elle confervait même après fa chute; qui fauva fa patrie des complots d'un fcélérat; qui fiatta Pompée; qui rampa aux pieds de Céfar; qui mourut jouet d'un enfant, avait une ame honnête, mais peu proportionnée a la beauté de fon génie. II entrainait par fon éloquence; il répandait du jour fur la nature des Etres; il inftruifait les hommes fur leurs dev^irs; il confolait la viellesfe; il donnait des legons a la jeunesfe, fans pourtant influer en rien fur les destinées de 1'Empire. Dans les révolutions qui fe fuccédèrent avec rapidité, chaque  ÉLOQUENCE dbs ANCIENS. ifj chef défira d'être loué par lui, mais aucun ne l'employa ni comme guerrier, ni comme homme d'état. Auffi furvécut-il a la grande confidération dont il avait joui. La paix, la guerre, les intéréts politiques discutés dans les asfemblées publiques, chez les peuples libres, donnaient le plus grand prix aux travaux des orateurs qui tenaient fouvent entre leurs mains le falut ou la perte de 1'état; mais la chüte de la liberté entraina celle de 1'Éloquencè. Si dans Athènes, fi a Rome courbés fous le joug de la Tyrannie, furent entendus quelques discours remarquables, ils parurent confacrés a la flatterie ; ils devinrent la preuve de 1'esprit de ceux qui les prononcaient, mais ils firent rarement 1'éloge de leur ame. Nous ne faurions déterminer avec juilesfele dégré d'impreffion produite par les orateurs de 1'antiquité, puisque leur principal moyen n'est pas parvenu jusqu'a nous. Chez eux le débit était de toutes les qualités celle qui obtenait le plus de fuccès. Les longs & pénibles efforts de Demosthènes pour corriger quelques imperfeétions dans fes organes, prouvent 1'importance attachée a la maniere de s'énoncer. En gourmandant les flots mutinés, ce pere de 1'éloquence avait acquis une force d'expreffion a la qu'elle fes ennemis rendaient eux-mêmes juftice. Eschyne, ayant ófé lutter contre lui, dans la harangue de la Couronne, paya de 1'éxil fa témérité. Retiré chez les Rhodiens, il leur lut les deux discours prononcés dans cette fameufe querelle. Le fien recut des ap-  174 ESSAI de LlTTÉRATURE. plaudisfemens ; mais celui de fon rival excita des transports d'admiration. „ Ah! s'écria 1'infortuné, „ qu'aurait-ce été, fi vous euffiez entendu mugir k „ taureauV Cicéron. rasfure. que les plus beaux esprits prétendraient. en vain acquérir quelque gloire dans la carrière d.e , 1'Éloquence , s'ils négligeaient 1'action. „ Repréfentez-vous, dit-il, Gracchus faifant retentir „ ces fublimes exclamations:" Ou fuyerai-je? Au capitohl .Hélas ! II eft fouillé du fang de mon frere. Chercherai-je un - afile dans mes foyers domeftiques ; une mere au comble de Pinfortune m'y attend baignée de larmes, Uvrée au défespoir. -„ Le.ton., les re„ gards, les gestes du tribun donnèrent tant de „ pouvoir k des mouvemens déja trés paffionés, par „ eux-mêmes, que fes ennemis les plus acharnés „ verfércnt des pleurs. La phyfionomie, les bras, „ furtout la voix font les armes de 1'orateur; fans ,, elles il ne faurait yaincre." Cette aétion, prcfentée comme fi nécesfaire, femble un fecours fuperflu a celui qui lit avec attention les harangues qui nous ont été confervées. Comment admettre que de fi grandes beautés demandasfent, pour exciter Tadmiration, les fecours d'ornemens étrangers; mais ces beautés ne furent jamais préfentées en entier au peuple devant qui elles eusfent été déplacées. Quelque fpirituelle, quelque polie qu'on fe permette de fuppofer la populace ou d'Athènes ou de Rome ; elle n'en était pas moins une masfe que les grands effets pouvaient feuls remuer.  ÉLOQUENCE des ANCIENS. i?5 & fur laquelle les traits délicats fe feraient émousfés. Livrez a un ftatuaire habile deux bloes de marbre: De 1'un doit fortir une ftatue pour décorer votre jardin ; de 1'autré 1'itnage d'un ami pour orner votre. eabinet. Des coups de cifeaux hardis produiront.la ftatue du jardin, avec des traits d'autant plus fortement prononcés, que fe trouvera plus éloigné le point de vue du quel on devra l'appercevoir. Celle au contraire destinée a être, pour ainfi dire,' fous votre main, charme» par la délicatesfe & par* le moëlleux de fes formes, par le parfait du p0li, en un mot par le firii de 1'exécution. Les orateurs connaisfant les effets de la perfpeffive iie livraient pas aux ïefteurs éclairés les harangues, telles que les avaient éntendues des asfemblées tumultueufes & pafiionées. Les changemens étaient toujours confide'rables & fouvent trés heureux. Quand 1'infame Clodius périt fous les coups des esclaves de Milon, les hommes de bien, quirestaient en petit nombre dans Rome, virent avec plaifir le" chatiment^ d'une foule de crimes dont 1'impunitë prouvait a la fois la corruption du gouvernement, le pouvoir de la licence, le triomphe de 1'anarclüe! Cicéron s'oflrit pour étre le défenfeur de celui qui 1'avait délivré de fon plus cruel ennemi; mais dans une ville devenue le repaire de brigandsqui foulaint aux pieds des loix divines & humaiiies, le méchant rencontrait.d'hardis complices: Ceux de Clodius remplirent la. place le jour du plaidoyer. Inutüement les  l?6 ESSA I de LlTTÉRATURE. bons citoyens s'abaisfèrent-ils jusqu'a fe liguer avec les faétieux vendus a un homme presqu'auffi dépravé que celui qu'il avait immolé. Le défordre parut extréme; Cicéron trembla, Milon fut éxilé: Ayant recu quelques mois après de la part de Porateur le discours compofé en fa faveur, il lui répondit: „ Je „ te remercie de ton fuperbe ouvrage; fi tu avais „ ainfi parlé devant le peuple, je ferais k Rome; „ mais je ne mangerais pas - d'excellens barbeaux a „ Marfeille." Le talent des deux orateurs par excellence a été fouvent comparé & mis en balance. Plufieurs érudits, d'opinions diverfes, ont enfanté des milliers, d'énormes, & de pefans volumes dans les quels est défini & analyfé ce dont l'homme de goüt jouit avec ravisfement. Si Démosthène montre un génie plus male, plus vigoureux, peut-être Cicéron 1'emporte-t-il comme parfait écrivain. Cependant ce dernier, que certainement l'on ne foupconnera pas de ne point apprécier fes grands moyens, reconnait la fupériorité du premier, qui feul remplisfait 1'idée qu'il s'était formée de Péloquence. Evitant de prononcer un jugement au desfus de mes forces, je me bornerai a remarquer que ces deux hommes de génie eurent dans leur caraétere plufieurs traits de resfemblance & qu'ils vécurent dans des circonftances femblables. Egalement enthoufiastes de la liberté , ils n'eurent le courage de la deffendre que dans leurs écrits. Après avoir excité leurs  ËLOQUENCE bes ANCIENS. ï?7 leurs citoyens a la guerre, üs ne furent pas y Paraitre avec dignité, Démosthénes prit la fuite a la bataille de Chéronée livrée d'après fes confeih ; n-ayant honte d'entreprendre Péloge des guerriers mom dans cette rencontre, il recut d'Eschine ce feproche fanglant& mérité: „ Comment avec les pieds qui ont « li lachement quitté leur poste au combat, ofe„ tu monter a la tribune jour y louer des Guer-> riers, que toi feul a coiiduit aü trépas" Cicéron en Thesfalie. Ne pouvant diffimuler fa irayeur. Exagerait fans cesfe les forces de Céfar' „ Si tu pasfais, lui dit Pompée, dans le camp ennel » nu, nous deviendrions auffitot redoutables a tes » yeux : Cependant va dans quelque ville atten„ dre quel fera le fort des atmes :" Ce confeü fut fuivi avec un empresfement peu honorable. Une fi honteufe faiblesfe, qu»ii est bien difficile d'allier avec une grande vertu , fit chez les deux orateurs place k beaucoup de fermeté, du moment ou fis virent devant eux une mort inévitable L'impérieufe loi de la néceffité éleva leur ame au niveau de leur génie. L'orgueil étouflant la pufillanimité , ils remplirent avec éclat cette fcene terrible, au milieu des horreurs de laquelle l'homme attaché encore du prix aux applaudisfemens de ceux qui 1'entourent Quand approche Pinftant de la defiruétion, les corps polmques comme les corps animés donnent, par uri dernier effort, des fignes de vigueur própres k faire aUufion fur leurs maux, mais les tristes avant-coureurs Tom. ii. m  i7S ESSAI de LlTTÉRATURE. d'une ruine totale : Athènes & Rome ne voyaient autour d'elles que des rivaux foumis lorsque deux Mortels d'un caraéïere entreprenant, d'un courage ïnébranblable , d'un génie fécond , d'une ambition vaste , congurent le projet de leur donner un maiire. Philippe & Céfar, a des époques trés éloignées Pune de Pautre , obtiurent les mémes fuccès. Nuls obftacles ne les arrêtèrent: Le danger presfant de leur patrie enflamma d'un noble zèle Démosthénes & Cicéron. Ce fentiment infpira de fuperbes morceaux, faits pour relever ceux a qui ils étaient adresfés; mais les hommes corrompus ne font tout au plus fusceptibles que d'une efferVescence paslagere après laquelle ils tombent épuifés. Démosthénes & Cicéron portèrent fi loin 1'éloquence, qu'elle devait nécesfairement rétrograder après eux. Nés libres, ils moururent fujets: Chez eux fe rencontrent plufieurs des vertus du citoyen, quelques uns des défauts du courtifan. Après avoir loué avec magnificence les meurtriers des ufurpateurs, 1'un fut féduit par Alexandre , Pautre fervit Augufte. Vous ne lirez pas fans plaifir , fans utilité une traduction de Démosthénes ouvrage trés eftimable D'Auger. Cicéron jouit d'une telle confidération dans le monde littéraire, que la liste de fes commentateurs, de fes traduéteurs, de fes panégyristes formerait feule un volume: Je me garderai bien de vous en donner une longue & fatigante énumération , mais vous-  ÊLOQÜËNCE i>Es ANCIENS. if9 trouverez fucceffivement indiqués les ouvra-es les plus propres k vous faire connaïtre ce grand°-homme. Ses penfées font auffi folides que fes maximes nobles : Son plus beau talent est de préfenter la vérité avec tant de force & fous des formes fi vanees que les esprits les plus faibles en font frapPes, que les hommes les plus diffipés Pappercoivent „ il femble, dit Maucroy, que les graces „ diétent tout ce qu'écrit Cicéron: U fort tant de Iumiere de fes ouvrages que ceux qui les li» lent en font éclairés, & l'on remarque que de tous „ les auteurs anciens, c'est celui qui donne le plu, », d esprit a fes ledteurs." Prépare* vous a comiaitré Cicéron dar* fes irrimortels écrits, par la leéture de Phiftoirë de f3 viè qui fait beaucoup d'honneur k fon auteur Midleton. On trouve difficilement rasfemblés dans le mêmë corps d'ouvrage autant d'agrément, d'intérêt, rudition. Un littérateur, compté parmi les généreux deffeafeurs du bon goüt, d'Olivet pousfait jusqu'a Pidc* latne fon enthoufiasme pour 1'orateur Romain. Quelques traduélions, favorablement accueillies parle public* font trop dépourvues de chaleur pour que ïëïir premier fuccès fe foutint longtems: Elles reftent & anmoms recommandables, par une pureté qui ftó prendpeu chez un des meüleurs grammairiens qui ait jamais exifté. ^ Ce fovant, dont en général les écrits ont été plus etas que recherchés, parceque Pesprit dé fagke M 2  ï8o ESSAI db LlTTÉRATURE. qui les diclait négligeait trop les moyens de plaire, a parfaitement re'uffi dans 1'édition latine de Cicéron : Elle fuppofe des connaisfances trés faines, trés variées & trés nombreufes. QUARANTE TROISIEME LECTURE. Livr.es Ceassiques des Anciens. 30C.omere , Sophocle , Euripide , étaient depuis longtems dans la tombe ; Démosthénes, Efchine ne faifaient plus entendre leurs voix, quand Ariiiote, dans fa Rhétorique & dans fa poétique , donna des préceptes faits pour étre toujours médités avec fruit. Ces deux excellens ouvrages, dont Casfandre nous a donné une trés eftimable traduction , font dignes du jeune prince auquel ils ont été deftinés. Alexandre dut aux legons recues dans fa jeunesfe un goüt des beaux arts, un amour de la philofophie qui fouvent percèrent au milieu des Guerres continuelles dans lesquelles le précipita une foif de gloire que rien ne pouvait asfouvü-. Cette foif s'étendant a tous les genres de fuccès, fouvent il s'écria : „ O Athéniens, qu'il m'en coute pour être „loué de vous!" Ce conquérant penfait d'après Ariftote que les hommes éclairés d'Athènes posfedaient le goüt pur & délicat, a qui feul il appartient de donner aux belles chofes leur jufte valeur.  LIVRES CLASSIQUES des ANCIENS. i2x L'illuftre iniütuteur d'Alexandre nous prouve, par les arréts qu'il prononce, que chez les anciens comme chez les modernes, des paffions, des intéréts perfonnels influent fur les jugemens des particuliers. Tandis que le respeétable Ifocrate est loué pour fes grands talens; tandis que Démosthénes, 1'appelant fon maitre, attribue h une extréme timidité" & a une trés faible voix, fi eet excellent & habile homme n'a pas régné dans la tribune, tandis que Cicéron le regarde comme le créateur de 1'harmonie de la langue Grecque, Aristote dit : „II est „ honteux de fe taire quand Ifocrate parle.'' Cette harmonie de la langue Grecque, perfedtionnée par les travaux dTfocrate, était trop admirable pour que nous puiffions prendre une jufte idéé de fes effets, encore moins concevoir comment elle pouvait étre auffi répandue. Théophraste depuis foixante ans comptait parmi les écrivains les plus élégans, les plus purs d'Athènes : Son éloquence , fa politesfe confolaient de la mort de Platon : Un jour s'approchant d*une femme qui vendait des fruits, il lui en demande' quelques mis. Ce ne fu t pas fans peine qu'il ree ut pour réponfe : „ Étranger, je vais a Pinftant vous fervir,'* en effet ce philofophe avait pris naisfance a Erefe Cr) d'oü il s'était éloigné depuis 1'age de quinze ans. Ce fut dans 1'étude de Cicéron que Quintilien puifa la faine critique, l'art d'écrire, la ri- (rj Ville de Lesbos, M3  i8a ESSAI DE LlTTÉRATURE. fjiesfe d'expreffions & la jultesfe de penfées qui brillent dans les inilitutions oratoires au point d'en former la plus parfaite des Rhétoriques. Gédoin 1'a traduite & Pa enrichie d'une préface, excellent morceau de littérature. Quelques critiques reprochent a eet aimable écrivain de ne pas être asfez fidelle traducteur; mais tout le monde fe trouve forcé de reconnaïtre que quand de lui-même il donne des lecons, elles font bonnes, & préfentées avec autant de netteté que de graces. L-'obfcurité & 1'enflure s'étaient emparées des discours & des écrits, quand Longin donna fon traité du fublime, „ dans lequel il est lui-même trés „ fublime." L'excellent jugement de Boileau lui fit fentir le prix infini de eet ouvrage nomraé par Cafaubon Livre Por, pour marquer que malgré fa 9, petitesfe il peut-être mis en balance avec les .plus gros volumes." Une traduction fortie d'entre des mains auffi habiles ne pouvait être que trés précieufe. Je me rappellerai toujours d'avoir eu le bonheur de voir'Duclos a Dinant fa patrie. On recherchait avec empresfement un homme que fon esprit faifait admirer , dont les vertus infpiraient le refpect & qu'il était difficile de ne pas chérir malgré fa franchife, pousfée quelquefois jusqu'a la brusquerie; perfonne qui ne rechercha une converfation pleine de faillies heureufes, entremélée de récits agréables. Parmi quelques confeils, que eet homme célèbre voulut bien me donner pour le choix de mes études,  SCIENCES dbs ANCIENS. ig3 il répéta plufieurs fois celui-ei: „ Lifez, étudiez » faüs J'amais vous en lasfer la traduftion de Boi„ leau du traité du fublime." La marche de 1'esprit £ été la méme en France que dans Athènes & dans Rome. Le ftyle entortillé, le neologisme distinguaient les nouveaux écrivains, lorsque le Batteux donna fon cours d'étude & Crevier fa Rhétorique. Depuis longtems l'on défirait en vajn des fuccesfeurs dignes des orateurs facrés du fiecle de Louis XIV , quand Mauri publia fon esfai fur 1'éloquence de la chaire. On jouisfaic enfin des immortels chefs-d'ceuvres de la poéuc , Voltaire lui-même n'ajoutait plus de nouveaux titres a la gloire acquife lors de fes beaux jours, au moment oü Marmontel mit au jour fa poétique. Sciences des Anciens. Si vous eufiiez voulu fixer votre attention fur les Sciences, je me ferais bien gardé de vous chercher des maftres chez les Anciens. L'imagination put dès les premiers tems donner cours a fon feu créateur. La morale ne demandait pour paraitre que peu d'obfervations faites par des esprits juftes & réfléchis. La légiflation dut fes premiers fondemens a Pamour de la juftice gravé dans M 4 QUAR.ANTE QUATRIEME LECTURE.  iU ESSAI de LlTTÉRATURE. !e cceur de l'homme , & fit des progrès d'après les avantages que chaque individu attendit de la bonté, de la force du gouvernement; mais des fiecles fans nombre fe font écoulés avant que l'on ait porté jusqu'au point oü nous les voyons maintenant les expériences fans lesquelles toute fcience reile chimérique , ou du moins incertaine. Les mathématiques pures, deftinées a fixer les juftes rapports entre difterentes idéés, restèrent dans 1'enfance. On ne peut y découvrir des vérités que par Pobfervation, on n'y parvient a des principes certains que d'après 1'expérience ; ces deux guides étaient bannis par Pesprit de fyliéme généralement répandu. Les mathématiques mixtes , qui foumettent les phénomènes au calcul & a la mefure, avaient fait des progrès, mais fans approcher de la transcendance qu'ont atteint les favans modernes. Nous n'appercevons chez les anciens aucune connaisfance de la véritable clef des découvertes importantes, de 1'application de 1'algebre a la géometrie. Cette derniere partie, malgré fa fimplicité, marchait avec une extréme lenteur. Pythagore offrit aux Dieux une Hécatombe f», quand il fut certain que le quarré, formé fur 1'hypoténufe (t) d'un triangle reftangle, était égal a la fomme des quarrés formés fur les deux %s) Sscrlfiee de cent boeiifs. X t) On appelle triangle reftangle celui dins lequel il y a dn ai?» gle droit: La ligne oppofée 1 eet angle eft 1'hypoténufe. \  SCIENCES des ANCIENS. 185 autres cótés; propofition facfle que plufieurs jeunes gens presfentent d'eux mêmes. La Phyfique des anciens resta toujours dansle dernier état de faiblesfe. Les uns trouvaient le principe univerfel des chofes dans le feu ; les autres dans Peau, plufieurs dans Pair, mais presque tous admettaient des Corpuscules élémentaires de formes variées qui, fe mouvant depuis Péternité & fe réunisfant fortuitement, produifaient fans nulle volonté les fuperbes & innombrables richesfes de la nature. Ces Corpuscules, connus fous le nom d'Atomes, durent tant de célébrité a Démocrite D'Abdere, qu'on les crut longtems inventés par ce philofophe quoiqu'ils fusfent trés antérieures a lui. L'Astrouomie étayait fes abfurdes conjeétures de raifonnemens que peu de réflexions eusfent renverfés. Thalés, affez inrlruit pour prédire les Eclipfes, n'en place pas moins la terre immobile au centre du Monde. Anaximène prenait la Terre pour une furface plate que Pair foutenait, & que le Ciel renfermatt. Ce Ciel était une voute de cristal oü les Étoiles restaient clouées, & qui devait fa clarté au Soleil & a la Lune,deux énormes roues pleines de feu. Anaxagore penfait donner une idéé de Pénorme masfe du Soleil quand il difait que eet astre furpasfait en grandeur le Péloponnefe. Pythagore a jamais illuftre annonca le mouvement de la terre, Péxiftence des Antipodes, la révolutions des Cometes,la nature des Étoiles & des Planetes, mais il flétrit fa gloire en avangant, en foutenant avec chaleur que Ms  i86 ESSAI de LlTTÉRATURE. les Astres, par leurs mouvemens, formaient un concert parfait. Comme peu de perfonnes adoptaient ce paradoxe, Pythagore , fubftituant le perfonnage d'imposteur au caraétere de philofophe , prétend°it que fes oreilles étaient délicieufement afteétées par Pharmonie célefte : Soudain fes difciples 1'annoncèrent pour certaine. Dans cette feéte, 1'enthoufiasme en faveur du chef était porté fi haut que du moment oü Pon pouvait prononcer : „ II a dit," les doutes s'évanouisfaient, la raifon fe taifait, 'la plus aveugle confiance était feule écoutée. L'hiftoire de la nature resta méme négligée jusqu'a 1'époque oü Alexandre , par une magnificence digne du conquérant de la plus riche partie de la Terre , fit parvenir a fon ancien gouverneur huit cents talens, lui donna des chasfeurs , des pêcheurs, enfin lui procura toutes les resfources nécesfaires pour fubvenir aux travaux, aux dépenfes qu'exigent les nombreufes & profondes recherces a faire dans cette immenfe partie. Aristote répondit k la confiance dont il était fconoré. Ce prinee des philofophes joignait k une paffion extraordinaire pour 1'étude , un esprit en même tems vaste & capable de réuffir également dans des genres trés différens: Son hiftoire des animaux, admirée de 1'antiquité, estimée de nos jours , n'a point encore été traduitc en Francais. i Vous fupporterez fans peine la privation de 1'ouvra'ge d'Arifcote par la jouisfance de celui de Pline.  SCIENCES des ANCIENS, 187 3, Pline, dit Buffbn , a travaillé fur un plan bien „ plus vaste ; il a voulu tout embrasfer; il femblp j, avoir voulu mefurer la nature , & Pavoir trouvca trop petite pour Pctendue de fon esprit/' La grande érudition, Pétonnante variété de eet auteur font des fources inépuifables de plalfir & d'utilité. A la fois favant ftudieux , citoyen respeéïable, il s'oceupait des moyens d'augmenter fes connaisfances, même pendant les lieures que l'homme le plus foumis a Pimpérieufe loi de la néceffité confacre aux douceurs du repos. Comme écrivain il fe diftingué par un ftyle appartenant a lui feul, qui, ferré , fort, énergique devient trop fouvent dur. On est furpris que celui, qui deffine avec tant de vérité la nature , ne prenne jamais fon ton. Pline a trouvé un traduéteur digne de lui dans Poinfinet de Sivry, dont le trés estimable travail est connu de peu de perfonnes, paree qu'il parait bien froid prés de la belle imitation que Buffon a donné du méme ouvrage dans fon hiftoire naturelle. Ne portez jamais vos regards fur les Sophismes, qu'inventa Eubolide fecond chef de la feéte Mégarique. Toutes les autres feétes en furent tellement infeclées qu'ils y étouffèrent entierement la voix de la raifon. L'art de la discuffion parut d'abord ; bientót vint celui de la dispute. Des difficultés d'abord fubtiles & captieufes dégénérérent en ridicules & abfurdes puérilités. On fouriait fans doute de pitié, quand un orgueilleux ftoïcien fier de prefcrire des lecons aux humains, foulant aux pieds  188 ESSAI de LlTTÉRATURE. les grandeurs, dédaignant les richesfes , s'égalant aux Dieux, débitait avec un férieux ridicule: „ Rat est une fyllabe , or un rat a mangé le from« mage, donc une fyllabe a mangé le fromage.» QUAR AN TE CINQUIEME LECTURE Morale des Anciens. 3ues anciens fe font montrés véritablement grands en morale, leurs fuccès prodigieux dans cette intéresfante partie furent le fruit d'une parfaite connaisfance des hommes, a 1'étude. de laquelle les fages fe Hvraient avec ardeur. De longs & fréquens voyages hatèrent leurs progrès: Le tems a détruit des relations qui, diélées par un esprit d'obfervation, devaient être extrêmement précieufes. Cette perte augmente 1'estime raéritée par le fameux voyage de Paufanias ou fe trouvent raslémblés beaucoup de faits importans fur Phiftoire, la Géographie, & la Chronologie. Vous le lirez avec d'autant plus de plaifir que Gédoin en a donné une trés fidelle & trés élégante traduction. Quelques éloges qui foient accordés aux philofophes qui ont écrit fur la morale ; la juftice prescrit néanmoins de reconnaïtre que Socrate est en Grece le plus illuftre fondateur de cette véritable bafe de toute fociété. Sa réputation fe transmet de fiecles en  MORALE des ANCIENS. 189 liecles: Déclaré par 1'oracle le plus fage des Grecs, il femble avoir été réellement le plus fage qui ait exifté chez aucun peuple, & dans aucun tems. Peu jaloux de Pimmortalité , il ne chercha point a Pacquérir par des ouvrages; mais deux de fes difciples la lui ont asfuré. Sous le nom de leur maitre, ils ont donné des préceptes de vertu dans lesquels on refpecte le caraéïere des grandes ames; on admire les exprelfions du génie. Platon, noble, majeftueux, parlant un langage presqu'au desfus de celui des hommes, mérita le titre de divin pour la pureté de fa morale. Cette morale parut même fi belle aux premiers peres de l'églife, que plufieurs d'entr'eux crurent y démêler aflez de traits du christianisme , pour la regarder comme une préparation a PEvangile; mais payant tribut aux faiblesfes de Pesprit humain, Platon fut fouvent incompréhenfible a force de fiibtilité,: Sa prétention a une fublimité continuelle le jetta dans des figures ridicules par leur exagération. Le recueil de fes ceuvres, complet en Francais d'après les travaux de Dacier, de Louis Racine, & de Maucroix, ne préfente qu'une aflez faible traduction. Le goüt levere de Xénophon, lui faifant éviter les défauts de Platon, le met bien au desfus pour ceux qui favent jouir des véritables beautés. Sa riante fimplicité, fon aimable douceur ont fait dire, „ que les graces repofaient fur fes levres." Les Grecs 1'appelèrent la mufs AtUniennt: Les plus cé-  iöö ÈSSAÏ dè LITTÉRATfJRË. iebrès Romains en firent leurs délices; les moderiies éclairés font fes admirateurs. Ce grand-homme, k la fois guevrier, hifïorien, philofophe , préfente en oütre le caractere le plus attachant dont on confervè le fouvenir; il est, fi j'ofe m'exprimer ainfi, la fleur de Pantiquité. A peine pourrez vous le lire dans Charpentier, & quoique 1'Archer ait moins mal réulfi , vous défirerez cependant qu'une autre tradueteur paraisfe fur les rangs. Epicure, voyant avec peine que peu d'hommes fe pénétraient des principes des moralistes fes prédécesfeurs ou fes contemporains, penfa qu'il conduirait a la vertu, s'il ouvrait, pour y parvenir, une route femée de fleurs. „ Sa dodïrine fut que le i, bonheur de l'homme est dans la volupté." Paroles mémorables dont la fausfe interprétation a jetté une foule de perfonnes dans des désordres, que le ^fondateur de I'Epicurisme combattit toujours avec force par fes écrits, comme par fes exemples. Gasfendi, un des plus respeclables favans que ia France ait posfédé, a rendu hautement juftice aux principes & aux mceurs de ce fameux philofophe Grec. Le Batteux a prouvé autant de talent que d'érudition dans la morale d'Epicure tirée de fes propres écrits. Ce livre vous plaira beaucoup en vous inftruifant. La lettre k Ménécée mérite furtout, une attention particuliere. Quoique le Batteux foit moins enthoufiaste que Gasfendi, il vous prouvera cependant qu'Epicure exhortait fans cesfe a la continencea la fobriété §  MORALE des ANCIENS. i$t qu'il pratiquait les vertus d'un fage , d'un citoyen* qu'il refpeétait la religion. „ Quelle féte, quel „ fpeclacle pour moi, s'écriait Dioclés , de voir Epi„ ci-re dans un temple! tous mes foupgons s'cva„ nouisfeut, la piété reprend fa place, & je ne fen„ tis jamais mieux la grandeur de Jupiter, que depuis que je vois Epicure a genoux.'' Des intentions ausfi louables ont pourtant entraïné des fuites funestes: Pour avoir imprudemment employé le mot de volupté fans lui attacher une définition précife, un mortel, qui fe propofait de faire triomplier la fagesfe, fut Pauteur de la corruption de plufieurs fiecles. Le même génie, qui ravit a la Grece la palme de 1'éloquence , eut ausfi 1'honneur de transporter dans fa patrie la fagesfe d'Athènes. Les ouvrages de philofophie, enfans du loifir de Cicéron, n'ont malgré le poids des fiecles, rien perdu ni de leur • utilité, ni de leur agrément, ni de leur éclat. Addisfon asfure „ qu'une penfée revétue du ftyle de „ Cicéron, ou bien préfentée par un écrivain ordi„ naire offre la même différence que celle qui fe „ trouve dans un objet , quand il est d'abord éclai„ ré par la lumiere du foleil, enfuite par une fimple bougie." Les offices de Cicéron, c'est-a-dire les devoirs de l'homme dont Voltaire a dit, „ on n'écrira jamais „ rien de plus fage, de plus vrai, de plus utile," ont été, depuis peu , traduits d'une maniere trés distinguée par Brosfelard.  19a ESSAÏ de LlTTÉRATURE. Suppofé qu'un penchant déterminé pour les moralistes anciens vous fasfe défirer un plus grand nombre de leurs ouvrages, il fera facile de vous fatisfaire par la leclure de Sénèque. Les célèbres penfeurs modernes, Montaigne, Bayle, J. Jaques, ont puifé leurs plus förtes idees dans eet auteur, dont ils fe nourisfaient. Trés fouvent nous n'avons fous de nouveaux titres que des extraits, ou des paraplirafes du fameux Stoïcien Romain. Tant qu'il est resté dans fa langue, bien des perfonnes ignoraient la fource qui foumisfait avec tant de libéralité aux fages du jour; mais cette fource reste découverte a tous les yeux par une tradudion, qui, quoique trés bonne, n'a pourtant pas atteint le'dégré ou 1'eut porté 1'e timable, le favant La tGrange , fi la mort n'avait arrête le cours de fes travaux. Sénèque est un de ces hommes rares ,-fur les talens duquel perfonne n'ófe élever des doutes quoique chacun leur accorde de différens dégrés de mérite. Comme Ecrivain il réunit,felon Quintilien, tous les défauts brillans propres a féduire les jeunes gens; en effet il faut avoir un jugement formé pour ne pas étre entrainé par fa grande abondance, par fes pompeufes expreffions, par fes éblouisfantes antithefes. II offrê 1'asfemblage des beautés, des défauts qui fe rencontrent dans tous les traits des beaux arts, quand a la fuite de la plus haute perfedion paraisfent les premiers fymptomes de décadence. Alors les ornemens font riches & finis, mais ils furchargent, ils étouffent le vrai Beau, toujours naturel, toujours  MORALE des ANCIENS. ,93 toujours fimple, quelqu'élevés que puisfent étre les fujets traités. Confidéré dans fon caraftere de philofophe, Sénèque mériterait peu d'éloges dans les, fuperbes lettres adresfées a Licinius. Lifez les, mais ne touchez jamais fes traités; ils vous cauferaient de 1'ennui, même de la peine par le peu de confiance qu'infpire leur auteur : On y voit infiniment d'esprit & d'incroyables efforts employés a jrécher une morale trop févere, pour qu'elle ait été propofée de boune foi. Sachez que quiconque loue beaucoup une qualité ne la posfede pas. La crainte, qu'un oeil pénètrant* ne déméle que nous femmes étrangers a ce dont nous nous glorifions , nous jette dans.l'eïcès. Celui qui fait le vain étalage d'une. vertu n'en connait que le nom; celui qui la met en pratique, en parle peu, & toujours avec inodestie. Le faux dévot, dur, intolérant, prétend impofer des loix auxquelles il fe feumet a 1'extérieur pour mieux s-y feuftraire en fecret. L'homme pieux au contraire, doux, indulgent excufe les fautes des autres & ne le pardonne a lui-même aucune faiblesfe Le Fanfaron veut tout effrayer; il traite de pufillanimité jusqu^aux moindres aétes de prévoyance: Le brave au contraire „e fe pare point de ce qu'il croit un devoir & n0n pas un mérite d'exécuter; feupconnant difficilement 1'exiftence du lache il fe montre prêt a fexcufer, il rougirait de 1'outrager. Lhypocrite en morale annonce avec faste des re-les outi-ees, prefcrit une perfedion imaginaire & corn Tom. II. N  T04 ESSAI de LlTTÉRATURE* damne les plus innoeens penchans. Lë Sage au contraire veille fans cesfe fur fa propre conduite , n'affecte aucune fupériorité & met une aimable douceur dans fes discours- dans fes aétions. D'après ces principes jugeons Sehéqué. Ne foyez point étonnée fi jé dévéloppe le caractere de ce Coryphée du Stoïcisme; mon desfein est de vous indiquer par un exemple auffi distingué,- les moyens de reconnaitre les moralistes auxquels vous devrez du refpeél. „ II y a, dit Voltaire; des char„ latans en tout; en lüstoire, en littérature, en phi„ lofophie* même en fcienee." Prévenir la jeunesfe contre les artifices- dont elle fe voit entourée, me femble un fefvice réel, qui mérite de compter parmi les premières preuves d'intérêt qu'on peut lui donner. Sénèque, ne fe bornant pas a de fimples exhortatiohSj donne des ordres abfolus. Selon ce maitre rigide, loin de redóüter le malheur, il faut le braver, il faut regarder les grandeurs avec mépris, rejetter les voluptés , chérir la pauvreté, défirer la mort. Quelque vertueux que fut l'homme qui préfcrirait de tels devoirs* je ne craindrais pas de lui reprocher trop de dureté, mais de quelle impudence tie mérite pas d'être accufé celui qui les éxige impérieufement & les dément par fa conduite. Le plus beau fpetlacle que la terre puijfe offrir au del, dit Sénèque, eft l'homme jufte aux prifes avec la fortune. De quelle maniere foutient-il une lutte qu'il loue fi magnifiquement ? En éxil dans.la Corfe, Jbfl orgueil lui fait d'abord adresfer a fa mere d«  MORALE Dfis ANCIENS. 195 fuperbes confolations, que peu de tems après il contredit. Ce n'est point asfez pour lui d'adorer les coups que porte Claude, comme ceux de la foudre lance'e par Jupiter, on Je voit prodiguer les plus basfes flatteries a Polybe, ramper aux pieds de ce vil alfranchi, & folliciter avec basfesfe un ordre de retour. Les grandeUrs font au dejfous des vceux du fage I'écrivain, qui s'exprime ainfi, pasfa fa jeunesfe lancé dans les intrigues de la cour de Caligula; il y chercha de 1'élévation par tous les moyens poffibles, même par la galanterie. Le chatiment trop févere, que lui fit esfuyer 1'Empereur, le rendit intéresfant. Agrippine crut donc flatter 1'opinion publique quand èlle 1'appella pour partager avec Burrhus le foin des premières années de Néïon. Sénèque, d'après ce choix, fe trouva dans un rang élevé, & rien ne lui couta pour s'y maintenir. II compofa en 1'honneur de Claude un éloge tellement exagèré que (a) „ perfonne ne put retenir fes rires „ en entendant parler de la prudence, de la fagesfe „ d'un imbécille, que le même orateur outrageait d'un autre cöté par la plus fanglante Satyre." II favorifa les premières paffions de fon éleve : Aulfi lorsque Néron, „ fubjugué par la force de fon C«) Poflquam ad prudeniiam, fapientiamqus yertit neino temptratifum. (v) Vapocolahmtops que J. Jacquts a traduit. N 2  jgó ESSAI de LlTTÉRATURE. amour pour Aété, cesfa d'obéir a fa ruere, il „ donna toute fa confiance k Sénèque." (x) De la désobéisfance aux ordres de fa mere, Néron pasfa bientót a la haine, enfin au défir du parricide; ce monllre, frémisfant d'avoir échoué dans fa première tentative, fit fur le champ appelier fes deux mftituteurs. Qy) „ Avaient-ils auparavant ignorë 1'at„ tentat? Rien de plus incertain. O) Saifis d'ef„ froi ils gardèrent un profond filence, jusqu'a ce „ que Sénèque plus hardi fixa Burrhus Comme pour „ lui demander s'il fallait commander aux foldats „ le meurtre d'Agrippine." Afin qu'aucune circonftance, capable d'aggraver Miorreur d'un fi grand crime, ne manquat, 1'Empereur a la face de la terre rendit compte de fa conduite. Cependant ,, (> duclion beaucoup plus fidelle que celle de la liruyere N 4  aoo ESS AI de LlTTÉRATURE. charmes entrainans, vous appelle prés de Plutarque. Quoique les vies des hommes illustrcs fbient réellement fort fupérieures aux ceuvres de morale ; ces dernieres ont néanmoins de grandes beautés. Le philofophe de Chéronée y parait tel qu'un viellard vénérable que Page met au desfus'de toute parure, dont Pexpérience éclaire, dont la bonté touche, & qui remplit les yeux de fes auditeurs de larmes d'attendrisfement. O viellesfe! que de refped tu imprimes, que d'at«aciiement tu infpires, lorsque tu parais au milieu de nous induigente & gaye. La divinité femble avoir placé la perfuafion fur tes levres, pour nous remplir de Pamour de la vertu. Amyot, par fon ftyle vif, naturel, naïf, élégant, a rendu les ouvrages de Plutarque un tréfor natioaial. CfT) Ce fervice peut feul fauver de Péxécration ta mémoire de Pinftituteur de deux Rois;-Pun le plus emporté, Pautre le plus faible qui fe foient affis fur le tröne de France. Les étrangexs, pour qui notre langue dans fon enfance, n'a que des difficultés, & point de graces, doivent préfèrer Dacier exad, corred, mais froid' tradudeur. AmI0t^ fu conferver toute» 'es graces des amours de Théagène & Chsnclée. II eft digne-de remrque, que en 0uvr.ige dont les jolis rabletüx font trés voluptueux, quelquesfois aüez indéccns pour blefler la pudeur a pourtant été compofé par Héliodore évéque de Trica & traduit par un autre prélat. Ce roman peut fe regarder comme le modele de tous les lrvres de galanterie, qm ont para depuis en fi graird nombre.  MORALISTëS de da PLUS HAUTE &c. aoi Tous ceux qui chérisfent les lettres recherchent le travail du favaut & ipirituel Ricard. Son élégante & noble traducïion fe montre enrichie de notes inftruétives, avant lesquelles plufieurs pasfages restaient inintelligibles, ou paraisfaient déplacés. Puisfent les orages aftuels ne pas interrompre le cours d'une des plus belles entreprifes littéraires que préfente notre fiècle. QUARANTE SEPTIEME LECTURE. MoR-alistes de la plus haute antiquité. JL/es Grecs inftituteurs des Romains en morale avaient eux-mêmes été devancés par des nations' qui toutes faifaient remonter leurs coutumes, leurs connaisfances, leurs mceurs, leurs loix , jusqu'a différens fages. Les écrits de ces fages furent des flambeaux h la clarté desquels, marchèrent les PhiJofophes du Portique, de 1'Académie &c. L'orgueil de ces derniers ne fe prêtS qu'avec répugnance aux fentimens qu'ils devaient k leurs maitres : Auffi ne posfèdons nous que des traditions fouvent obscures, fur les refpedables légillateurs de la haute antiquité. Le premier de ces hommes, produits pour la félicité de leurs femblables est Moyfe: Dix fiecles avant le regne de la philofophie grecque, il entreN5  soa ESSAÏ de LlTTÉRATURE. prit de policer un peuple dont les mceurs étaient tres corrompues. Le viol, le rapt, 1'adultere 1'incesue, fe rencontrent presqu'a chaque pas chez les générations antiques, qu'un esprit de préjugé donne imprudemment pour modeles. La vie pastorale était alors la plus honorée. Abel gardant fes brebis fut plus cher a 1'être fuprême , que Cain fertilifant la terre par fes fueurs. Abraham , Jacob, eurent pour richesfes des troupeaux : Moyfe foignait ceux de Jethro quand il fut appellé pour fa misfion. Puisfant, par fon génie dont les payens ont ibuvent reconnu la fupériorité, par fon caraclere dont les plus critiques circonftances dévéloppèrent la force, il donna des loix morales dignes de la refpeftueufe admiration de tous les fiecles. Les vices fur ent profcrits, furtout la vengeance, „ Ne vous bornez pas a ne point outrager vótre „ ennemi, fecourez le non feulement en fa perfonne mais encore foulagez les animaux qui lui appartien„ nent." L'aumöne, fous le beau nom de julb'ce, devi t un devoir d'une indispenfable néceffité. Enfin , de toutes les vérités morales & religieufes, celle qui porte les plus heureux fruits parut profondèment gravée. „ Si nous pouvons dérober nos ac„ tions a Pceil fevere des loix, aux regards péné„ trans du public, elles n'échappent point a 1'être, „ fuprême qui punit le fcélerat dans quelqu'obfcurité qu'il prétende fe cacher." Le feul reproche fait a Moyfe, est d'avoir oublié le reste de la terre, pour réunir un peuple étranger  MORALISTES de da PLUS HAUTE &c. 203 £ tous les autres: En effet les Juifs, vertueux jusqu'au fcrupule vis-a-yis de leurs concitoyens, restent tout a fait libres d'égards par rapport aux autres hommes. Le légiilateur penfa que quiconque s'attache par humanité aux habitans de toutes les contrées devient frpid pqur fa patrie. Les affedtions du cceur s'affaiblisfent, par trop de dévéloppement. Le philantrope univerfel n'aime rien avec feu. Moyfe d'après ces principes infpira aux hébreux de la haine contre tous les gentils; les astraignit k des coutumes particulieres qui les féparent des autres fociétés, & les unisfent entr'eux: L'expérience prouve avec quelle fagesfe habile, ont été jettés les fondemens, d'un édifïce destiné a braver les outrages des fiecles accumulés. Le Juif disperfé fur la face de la terre, est partout le même : Vous le trouverez dans Pimmenfe Pekin, dans Populente Amfterdam, dans Rome dégradée, tel qu'il fut il y a trois mille ans; exact au fabbat, ami du travail, indultrieux dans le cornmerce ; flattant les hommes dont il a befoin , mais plein de haine contre ceux qui ne fuivent pas fa loi ; de plus, juftement révolté des procédés durs, que d'abfurdes préjugés lui prodiguent fans cesfe. Les nombreufes ramifications des Juifs répandues au milieu des plus grands peuples, peu vent fe comparer a des filets d'eaux, qui couleraient k travers des fleuves, fans fe méler avec leurs ondes. Peu de perfonnes ont asfez réfléchi pour fe convaincre que de trés petites barrières, font les obila-  ao4 ESSAI de LlTTÉRATURE. cles qui fe franchisfent le plus difficilement; parceque, fi j'ófe m'exprimer ainfi, le peuple s'identifie avec les ufages journaliers: Puièfe Pavenir ne pas donner de nouvelles preuves de ce que j'avauce : Les changemens, apportés dans les mois, les femaines les lettres chez un grand peuple, après avoir d'abord produit un fourire de mépris, deviendront peut être aux yeux de la postérité, 1'opération la plus profondément calculée, pour affermir la nouvelle republique. L'antiquité de Moyfe ne permet pas de le regarder comme un imitateur des grecs: Dans fa jeunesfe, il eut pour contemporain Cécrops, qui le premier réunit les habitans de la grece , pour lors asfez barbares, pour n'avoir aucune idéé ni de Punion conjugale, ni de la divinité : Dans fes derniers jours, Cadmus porta quelques connaisfances des lettres, chez les fils des hommes, que Cécrops avait réuni foixante années avant. Moyfe au desfus du róle de plagiaire , n'a pourtant pas de droits au titre de fondateur univerfel. Les premiers peres de 1'Eglife, animés d'un zele refpeclable dans fon principe, mais excesfif dans fes effets, prétendirent, que les ouvrages de ce grand homme, ont été 1'immenfe réfervoir , dans lequel, font venus puifer , les Arülote , les Numa , enfin tous les fages du Paganisme : Les fanatiques, les fuperftitieux en avaient auffi rapporté toutes les erreurs de la fable: Par quelques raifonnemens qu'ait été appuyé ce fyfteme il s'est bien vite évanoui,  MORALISTES de la PLUS PIAUTE &c. 205 devant quelques judicieufes obfervations. De Paveu de Jofeph, historiën non fuspeél quand il parle au désavantage de fes compatriotes, les peuples restèrent trés longtems dans une entiere ignorance fur les Juifs, & fur leurs livres. Avant Alexandre, les grecs n'avaient point pénétré dans la Judée. La Bible, depót facré des loix, du culte, des mceurs des hébreux ne fut traduite que par Pordre de Ptolomée Philadelphe. Sans chercher de' communication entre les anciens moralistes & légillateurs, on doit trouver trés naturelle la resfemblance qui fe rencontre dans leurs maximes, & dans leurs loix. Tous partis.du même, point, ont fuivi la même route, étudié les hommes, mis a profit 1'espérienee, & fontparvenus aux mêmes réfultats: L'éloignement des contrées, -celui des fiecles, ne changent pas les paffions placées par la nature dans le cceur de 1'hommej Thoot légiilateur des Egyptiens, ne nous a laisfé qu'un nom trés célèbre , les tems ont effacé toute tracé d'inltitutions refpeftées chez les anciens. L'Egypte fut pendant longtems reconnue pour le fanctuaire de la fagesfe, vers lequel accouraient les fages jaloux d'éclairer leurs femblables: Loin d'y recueillir de précieufes récoltes, Thalés ainfi que les autres philofophes de la grece n'en rapportèrent que des erreurs. Sans doute, que les fciences fe divifaient en deux parties, dont Pune fe dérobait avec foin aux yeux des étrangers : Nous devons le. croire d'après la Théologie, qui préfentaU deux corps de doctrine  aoö ESSAI de LlTTÉRATURE» bien distinds; ]e premier, pliblié, contenait des fuperftitions auffi grosfieres que ridicules, le fecond, occulte, décoüvrait aux feuls initiés, des vérités transcendantes & fublitnes. „ On reconnait que Zoroastre Rois des Badriehs, ?, est Ie premier qui ait pratiqué les arts de la ma„ gie, découvert les principes des chofes, & calculé les mouvemens des Astres.» (*) Les Grecs habitués a flétrir du nom de barbare tout étranger^ recónnurent le légiflateur, le fage des Perfes, pour ün être fupérieur, interpréte & confident des dieux: Pythagore s'avotia disciple dë ce grand hömme, dont la fede fubfifte de nos jours. Ses principes, fur les devoirs civilsi fur les fentimens d'amitié, d'amour, fur les vertus religieufes , infpirent autant de refped qirils caufent d'admiration. Les plus favantes recherches laisferit dès nuages, des incertitudes, fur 1'exiftence des premiers légiflateurs: Les anciens donnaient fouvent les noms d'après la profesfion : Zoroastre fignifie Obfervateur del Aftres, ce qui rend probable, le fyfteme que plufieurs Zbroastres ont paru fur la terre. Dans le tems ou, le plus connu des Zoroastres inftruifait presque toute PAfie, cinq fiecles avant les philofophes grecs, Confucius fleurisfait a la Chine. Cet homme d'un mérite étonnant parvint a obtenir une vénération, qui transmife de fiecles en fiecles, est devertue un 'culte religieux dont il n'exifte pas d'aure exemple. Les (*J Justin.  MORALisTES de la PLUS HAUTE fltó. aef dynasties fe font fuccèdées, Pempire lui-même$ a fouvent changé de maitres, fans que Pon ait enlevé . aucune prérogative aux deseendans de Confucius : Lui-même regoit encore les noms de fatte du genre humaih, comble de fainteté, modele des rois. Cette prodigieufe renommée$ fut autant acquife par des ouvrages admirables de phiiofophie, que par des actions dignes de louange: Toujours Confucius exer£a les vertus qu'il prefcrivait; dans fa vie conforme è fes préceptes il déploya de la bonté, de la patience, du courage, & cela fans faste, fans jamais fe donner en fpeótacle: Sa grandeur d'ame loin de Pabandonner redoubla dans Pinfortune: Je fuis accablé „ par (*) 1'indigence (difait-il) j'obtiem è peine „ quelques mets groffiers, & je n'ai que de Peau „ pour pure boisfon. Si je veux goüter un fommeil „ nécesfaire,- mon bras replié fous ma tête est mon „ feul oreüler. Eh bien! Je trouve dans eet état „ même une espece de volupté Pinfortune & la döu„ leur ont des délices pour la vertu, que m'importe „ cette cönfidéfation que les riches ou les puisfans tirent de leur rang, ou de leurs tréfors: Ces digni„ tés i cette qpulence resfemblent pour moi a ces „ nuages légers, que le vent pousfe & agite dans j, les airs. Un titre commun a Zoroastre & a Confucius, les couvre des rayons d'une gloire pure, bien au desfus, de 1'éclat fouvent trompeur dont brillent les mora¬ al Traduit par Paflom.  ao8 ESSAI de LlTTÉRATURE. listes Grecs ou Romains: Tous deux exhortent a ne' jamais remettre au lendemain une bonne action & preferivent de pardonner les injures : Mais quelques respeélables qu'ils fe montrent, fous de fi intéresfans rapports , combien reftent-ils au desfous du légiflateur des chrétiens. Sans une lumiere furnaturelle, la fagesfe humaine ne fe ferait fans doute pas élevée, jusqu'au fommet de toutes les vertus: Traités de morale, Receuils d'apophtegnes, rentrez tous dans la pousfiere a 1'approche du discours prononcé fur la Montagne : Recu, lüivi par les hommes, il porterait au milieu deux, la paix le bonheur, la fainteté. „ Aimez vos ennemis, benisfez ceux qui vous mau„ disfent, faites du bien a ceux qui vous haïsfent, „ & priez pour ceux qui vous courent fus, & vous „ perfécutent." Quand les vertus font réelles, il fuffit de les nomner: Leur excellence frappe tout esprit qui n'est pas fasfiné par les pasiions; ce principe devient un nouvel hommage rendu a la fupériorité du Christ , dont les legons toujours concifes, paraisfent fouvent offertes fous des images attachantes. L'ostentation, la vengeance , la calomnie, font étouffées, jusque dans leurs plus profondes Racines. „ Quand tu fais 1'aumóne, que ta main gauche ne fache point ce que fait ta droite. „ Si quelqu'un te frappe a la joue tourne lui p> ausfitöt Pautre.^ „ Pourquoi regarde tu le foetus qui est dans 1'ceil » de  SÜPÉRIORJTÉ des ANCIENS sur. les &c. 209 „ de ton voifin, tu n'appergois pas une poutre qui s, est dans ton ceil.-*' Enfin Phumilité est la bafe des vertus Chrétiennes, comme 1'orgueü est celle des vertus philofophiques. QÜARANTE HUITIEME LECTURE. Supériorité des Anciens sur. les Moderne s. Dans chaque fiecle , outre les qualités k louer & les vices a blamer, on rèmafque encore un goüt prédominant qui fe répand fur tous les objets, qui fe retrouve chez tous les individus. Lors des beaux jours de la France il y régnait un esprit de dispute , tufte reste de la Rage Théologique, Pun des plus terribles fiéaux dont Phumanité ait été affligée. Les opinions religieufes, les fyftemes fur les fciences, les discuffions littéraires produifirent de nombreux & de violens orages. Une querelle k jamais célebre fut celle de la fupériorité des anciens fur les modernes, fupériorité rejettée avec hauteur par un parti, tandis qu'un autre la foutenait avec feu. Des deux cótés parurent des hommes a talens qui, loin de rester unis par les hens de Pestime, devmrent ennemis irréconciliables. Des propofitions hafardées, des épigrammes furent les escarmouches qui précédérenc un engagement généxal. Perrault Tom. II. O  aio E S S A I db LlTTÉRATURE. auquel les traits de la fatyre n'ont point enlevé la réputation d'un mérite diftingué , fit la première attaque. Ses paralleles des anciens & des modernes caufèrent une fermentation générale. Quelques vues faines, quelques jugemens impartiaux font étouffés par 1'esprit de parti qui dicta & déprécia eet ouvrage : II prouve que la paifion , aveuglée fur fes propres intéréts, fe privé fouvent elle-même de fes meilleures resfources. Des Chapelain, des Scudéri font oppofés aux Anacréon , aux Euripide , tandis que les Racine, les Boileau restent dans 1'oubli, C'est le général, qui, marchant k une aétion périlleufe , laisferait en arriere fes meilleures troupes. Les éloges parurent prodigués fi mal a propos, & les critiques fi peu justes, que le prince de Conti dit: „ C'est un livre oü tout ce que vous avez jamais ouï louer dans le monde est blamé , & oü tout ce „ que vous avez jamais entendu blamer est loué. „ Si Boileau n'y répond pas, j'irai a 1'académie „ Francaife écrire k fa place: Tu dors Brutus." Quelqu'eut été le motif du filence de Boileau, il n'attendit pas de nouvelles inftances pour le rompre. Ses réflexions critiques fur Longin décellent plus d'humeur contre les modernes, que de zèle pour les anciens (gg). \gg~) Pérault est traité avec une dureté révoltante; il refoit Ie reproche de heurter lourdement la raifon ; d'être tombé dans des ignorante! tl groffieres qu'elles lui ont attiri la rifée des gens de lettres ; de pouver par fon galimathias qu'il n'a entendu ni le lat in, ni le  SÜPÉRIORITÉ des ANCIENS sur les &c. au La guerre allumée fe continua avec acharnement, en vain les esprits modérés propoférent-ils de recliercher les bons ouvrages, de négliger les mauvais, fans aucun égard k la date de leurs compofitions : Ils ne furent point écoutés. Le tumulte s'augmentant chaque jour parut enfin extréme quand La Motte defcendit dans 1'aréne. Après avoir traduit, on plu tót défiguré en vers trés faibles 1'Hiade, il attaqua le pere de Ia poéfie épique, condamna fon plan, fes longs détails, fes cornparaifons communes, fes héros groffiers, fes fages Babillards, fes Dieux abfurdes i Cet attentat enflamma le courroux de Me. Dacier & lui fit entreprendre fon ouvrage fur les caufes de la corruption du goHt. La Motte répondit par des réflcxions fur la critique , oü 1'élégance, la finesfe, Phonnèteté, les raifonnemens fpécieux font tour a tour employés. La dispute s'échauffa de plus en plus. Les érudits, fecouant la poufliere de leurs cabinets, coururent fe ranger prés de celle qui défendait Pantiquité, avec plus de courage que d'adresfe & furtoüi de modération. La Motte s'offrit presque feul k cette" foule d'ennemis: Leurs coups redou'blés ne le firent jamais s'écarter de Pinaltérable douceur qui marquait toutes les circonftances de fa vie. Les Gret, ni le Iranftis. Le manque de politesfe fe trouTe quelque fois peu compenfé par 1, fölidité deS raifonnemens, car perfonne n admettra comme convaihquant: „ Fiudare fera toujoüra Pihdare, „ Homere toujours Hoinere , & les ScuUeri dts Scuderi." O a  au ESSAI db LlTTÉRATURE. épigrammes les plus fanglantes, les injures les plus grosfieres n'étaient repousfées que par des ouvrages qui honoraient également 1'esprit & le caraétere de eet intéresfant écrivain. Fontenelle ne foutint fon ami qu'avec circonfpection ; la paix lui paraisfait un bien préférable a tout autre. / Le France entiere fut agitée & partagée a 1'occafion de débatsoifeux, fuites de la fureur du jour, jusqu'a ce que plufieurs écrivains rendisfent le fervice de les couvrir de ridicule, tant dans leurs ouvrages que fur le théatre. La grande question de la fupériorité des anciens, me parait imposfible a réfoudre, car dans les langues mortes, de même que plufieurs beautés font perdues, beaucoup de défauts font adoucis. Les traits fins & délicats, les fautes légeres , qui nous échapent, frappaient certainement, les hommes éclairés d'Athènes & de Rome. S'ils revoyaient le jour, les volumineufes disfertations de nos érudits feraient a leurs yeux des pieces ridicules, dans lesquelles ils trouveraient peut-être blamés les pasfages qu'ils louaient, & loués ceux qu'ils blamaient. Cependant fuppofé que le public eut exigé un arrét définirif, il eut fallu fe défendre de préventions faites pour pousfer aux extrémes, il eut fallu discuter avec fagesfe , il eut furtout fallu bannir 1'aigreur qui produit toujours de coupables excès. On fuivit une route trés différente. Pendant que Perrault & fes partifans s'obitinaient a ne rien trouver de beau  LANGUES MODE RN ES. 2iS chez les anciens; ceux, qui les combattaient, admiraient aveuglement toute chofe datant de deux mille années. M«. Dacier, loin de reconnatoe avec Horace qu'Homere par fois fommeille, pasfe d'extafes en extafes. Sa tendresfe pour les anciens connut affez peu de bornes, pour qu'elle foutint lapureté des mceurs de Sapho. ^ Sans la crainte de paraftre trop préfomptueux en élévant ma voix, aprés que tant d'illuftres adverfaires ont déployé les resfources de 1'attaque & de la défence, je dirais que les anciens rapprochés de la nature offrent plus de beautés primitives, & les modernes plus de beautés faélices. C'est-a-dire, que les premiers ont la fupériorité pour la force des penfées, pour la grandeur des images; en un mot, pour tout ce qui tient a 1'invention : Les feconds pour 1'ordre ,. pour le goüt; en un mot, pour tout ce qui dépend de la correction. Bornée a 1'étude desLangues Modernes, vous ne ferez fans doute pas entrainée par la déraifonnable prétention de les posféder toutes; vous vous garderez bien de confumer beaucoup de tems pour O 3 Langues Modernes. Qü AR ANTE NEüVIEME LECTÜRE,-  214 ESSAI de LlTTÉRATURE. un fuccès trés incertain. Les feuls organes Je Penfance fe plient a la multiplicité des idiomes: La Hollande offre en ce genre des phénomenes qui furprennent les étrangers : Des enfans de dix ansparient avec facilité presque toutes les langues de PEurope. C'est pour me conformer a 1'ufage recu que j'employe 1'expreffion parler les differentes langues ; elle me parait toujours improprement appliquée pour les enfans, comme pour les hommes. En effet, parler n'est autre chofe qu'exprimer fes penfécs, or tout homme n'a de penfées que dans la langue qui lui fervit pour diftinguer. les premières fenfations, & que l'on appelle a jufte titre langue matcrnelle. Dans mon opinion nous ne parions elfectivement qu'une feule langue; nous la revêtons h la vérité de mots différens, mais fans jamais la perdre de vue: Son génie fe foutient partout, il peree a chaque inflant malgré nos efforts pour rétouffer. Je ne me hazarderai point a fixer votre choix ; convaincu que dans tous les genres d'étude les progrès font dus en grande partie au goüt qui nous les fait embrasfer; mais ce goüt en général trés utile me parait d'une nécesfité abfolue pour apprendre les langues. Sans un attrait bien fenti la fécheresfe des Grammaires devient un obftacle infurmontable. Plufieurs routes s'oflïiront a vos regards: Choifisfez fans crainte, puisque toutes aboutisfent a des termes heureux.  LANGUE HOLLANDAISE. «15 Langue Hoxlandaise. Qüand les Hollandais posfédèrent un état indépendant, fruit de leur patience, de leur fermeté, de leur courage, ils fe portèrent avec énergie vers deux objets importans; la confervation d'une liberté fi cliérement achetée, &la découverte d'un moyen qui put, par des richesfes acquifes, fuppléer a celles que le fol refufait: Tous les bons esprits concoururent a 1'envie pour former un gouvernement, pour créer un commerce. La fagesfe de Tun , la fplendeur de Pautre étonnèrent PEurope. Aucun pays que le Hollandais n'ait rendu tributaire de fon induftrie, aucune contrée oü il ne fe foit fait estimer par fon économie par fa fimplicité , par fa bonne foi. Chez de tels. hommes n'ont percé que trés tard, le luxe, la galanterie, funestes caufes des désordres, mais auffi véritables principes des beaux arts & des lettres. La nature a prefcrit par fes loix immuables que des mêmes iburces découleraient a la fois des biens & des maux, comme pour apprendre a l'homme, qu'il n'exifte aucune chofe a laquelle il puisfe fans péril fe livrer aveuglement: Rien au contraire dont la prudence ne trouve moyen de tirer quelque avantage. Le goüt de la littérature n'a donc jamais été ni trés commun, ni trés vif en Hollande. D'habiles mécaniciens, de profonds calculateurs, de favans ingénieurs, de grands Marins, y parurent toujours préférables aux beaux esprits : 04  ai6 ESSAI de LlTTÉRATURE. mais le génie, loin d'avoir befoin d'encouragemens, furmonte les entraves qui lui font oppofées, auffi rien n'at-il pu priVer la Hollande d'excellens auteurs fleuris dans fon fein. Des poëtes Hollandais, envifageant fans crainte 3a carrière de 1'Epopée , en ont furmonté les nom"breufes difficultés & paraisfent prés des modeles antiques. La poéfie dramatique est heureufement cultivée. Plufieurs poëtes chausfent le cothurne avec noblesffe, tandis que d'autres font applaudis dans la comédie. Les pieces érotiques & légercs, que le naturel férieux de la nation femblait devoir baunir , exiilent en aflez grand nombre; elles réunisfent légéreté, grace, & facilité. Trop fouvent en Hollande on éprouve le fincere regret de voir d'eftimables talens négligés par ceux qui les posfédent. De graves occupatious empéchent de toucher la Lyre poëtique. Langue Esfagnole. Langue Espagnole, dans laquelle nos plus grands poëtes, nos meilleurs Romanciers ont cherché & trouvé de précieux fecours, parait maintenant asfez peu répandue. Sa noblesfe, fa pompe méritent de grands éloges; elle préfente d'ailleurs peu de difficultés. Par malheur diflérentes caufes ont concouru a fuspendre les progrès d'un peu-  LANGUE ALLEMANDE. 217 ple diftingué par un esprit vif & par un imagination briljante. Les efforts de Pignorance, de Pintérêt & du fanatisme ont répandu des ténèbres asfez épaisfes pour juftifier du moins en partie le mot de Montesquieu : „ Le meilleur livre des Espagnols est celui qui fe moque de tous les autres." Mais la feule jouisfance des beautés de eet inimitable Cervantes devient un dédomagement avantageux de travaux asfez courts. CINQUANTIEME LECTÜRE. Langue Allemande. Ia ongtems lesAllemands confervèrent dans leur caraétere, comme dans leur langue, Pempreinte de la rudesfe des Germains. Des fons durs, des articulations fortes conyenaient a des hommes pasfionnés pour Ia guerre, ne trouvant de plaifirs que dans les violens exercices de la chasfe , ou dans des j'eux presque toujours enfanglantés. Le repos extrémement pénible a leurs yeux, les livrait aux excès de la table. Dans ces tems ils ne fe formaient pas même d'idée ni de la littérature, ni de la galanterie qui feules perfeclionnent les langues. Quand le goüt des lettres diflipa les ténèbres répandues fur PEurope, les Allemands ne fe livrèrent d'abord avec ardeur qu'a la feule érudition dans O 5  2i8 ESSAI de LlTTÉRATURE. laquelle un esprit réfléchi, „n caracïere conftant, leur asfurèrent de grands fuccès. Un voyageur difait avec raifon : „ L'on trouve dans chaque uni„ verhté Allemande deux ou trois bibliotheques Par„ lantes." Depuis quelques années le goüt, pénétrant enfin en Allemagne, y a fait des progrès rapides qui ont excité 1'étonnement & 1'admiration. Plufieurs auteurs célebres placent 3a littérature Allemande au plus liaut rang : Ne fe bornant pas i rèunir connaisfances, imagination, goüt, ils ont de plus introduit dans leur langue une harmonie auffi belle que douce. Peut-étre n'est-il jamais forti d'entte les mains des hommes un monument ausfi extraordinaire , ausfi hardi, ausfi neuf que Ja Mesfiade. Klopftok a déployé dans ce poème une force d'esprit, une richesfe d'imagination , une pompe de ftyle, qui portent fon génie jusqu'a la hauteur des régions célestcs & des érres furuaturels qu'il chante. De grandes beautés devenaient nécesfaires pour rendre interesfant un fujet éloigné de I'esprit & du goüt de notre fiecle. Depuis plufieurs années la raifon prétend exclufivement gouverner, & elle s'efforce d'étouffer toute énergie ; mais le cceur fortement pasfioné; mais 1'ame trés émue dédaignent & rejettent les froides discusfibns qui glaceraient le feu qu'allume le fublime: 1'Homere aUemand entraïne lübjugue & ravit. Telle est la magie de fon coloris, que chez lui fe font admirer des penfées & des images qui partout ailleurs choqueraient comme ridicules, ou gigantesques.  LANGUE ALLEMANDE. 219 Je regrettais de ne vous préfenter fur la Mesfiade que de vains éloges, qui ne pouvaient en donner aucune idee , lorsque j'ai fu qu'un littérateur Francais s'occupait de cette magnifique conrpofition : Son amitié a bien voulu me donner deux morceaux Fris dans les deux premiers livres & d'après lesquels vous apprecierez fans peine les talens du poëte. Le desfein de tranfporter dans une langue correcte & froide les brulantes expresfions d'une langue ausfi riche que nombreufe, préfente des difficultés qui ne feront furmontées que par de longs & pénibles travaux. Les pasfages fuivans montreront la posfibilité de cette entreprife. „cependant Jelus commence a éprouver les fouffrances de la rédemption. Gabriel, frappé d'une mfpiration foudaine, repofait incliné dans un éloignement refpedueux. Depuis les fiecles qu'il exiite, (1'éternité n'erl pas plus longue aux yeux de 1'ame qui la mefure , lorsque planant fur 1'aüe rapide de la penfée, elle fe dégage de fon enveloppe mortelle) depuis ces fiecles innombrables, il n'a pas encore éprouvé de fenfation ausfi fublime. La divinité, 1'nomme réconcilié, Pamour éternel du médiateur célefte, tout s'offre a fes regards. Rempli des bienfaits qu'il va verfer fur les êtres créés, Dieu imprima dans 1'ame du Sérapliin ces fublimes penfées. Étonné, Gabriel fe leve, il prie, une joye inexprimable frisfonne dans fon cceur, un éclat éblouisfcnt & des rayons de lumiere jaillisfent de fon corps.  22o ESSAI de LlTTÉRATURE. Autour de lui la terre s'embellit des ondulations de cette douce clarté. Le médiateur céleste appercoit le Sérapliin , lorsqu'il couvrait de fon éclat le fommet de la Montagne. „ Gabriel, lui dit-il, „ monte fur ton nuage , hate toi de porter ma prie„ re aux pieds du tróne - paternel: Que le petit „ nombre d'Elus parmi les hommes, les faints prophé„ tes, & les cieux rasfemblés 'apprenent que ces „ tems, objets de leurs défirs, font enfin accomplis." A ces mots, comme envoyé du réconcilateur divin, 1'Ange brille d'une douce lumiere. Silencieux, il s'éleve majeftueufement dans les airs. Jefus le fuit de 1'oeil, déja il Pappercoit aux pieds du tróne de la magnificence de Dieu, lorsque le Sérapliin ailé n'a pas méme encore atteint les frontieres du Ciel. Alors s'élevent entre le Meffie & fon pere des entretiens profonds, fublimes, myflérieux , entretiens qui doivent déployer un jour aux regards des ïiommes rachetés la magnificence de la redemption. Brillant comme 1'aube du jour, le Sérapliin cependant fe hate vers les dernieres limites du Ciel. Des Soleils en embrasfent les contours : femblables k des rideaux acriens tisfus de lumiere, leur éclat fe déploye autour de fa riche étendue. Aucun globe n'ofe approcher du ciel dont les feux le dévoreraient. Enveloppée d'un voile nebuleux , la Terre fuit de loin & fe perd dans 1'espace: A fon aspeél disparaisfent les autres mondes, atomes imperceptibles. Ainfi fermente & s'affaisfe fous Ie pied du voyageur , une vile pouffiere, réceptacle des vers. Autour  LANGUE ALLEMANDE. 221 du ciel s'ouvrent mille chemins, immenfes, magnifiques, environnés de foleils. A travers la voie étincelante qui conduit a la terre, un torrent aërien, jaillisfant d'une fource divine , defcendait vers Eden. Jadis, fur fes bords heureux , 1'éternel & les anges venaient, enveloppés de nuages, converfer familiérement avec les mortels; mais bientót ce torrent fut rappelé vers fa fource, lorsque l'homme fe fut déclaré 1'ennemi de Dieu par le pcché. Alors les esprits céleftes ne voulu.rentplus vifiter fous une forme vifible des contrées que défiguraient les ravages de la mort. Ces montagnes filencieufes, empreintes encore des traces de 1'éter»el, ces boccages harmonieux, que vivifiait autrefois le foufle de la divinité préfente, ces vallées bienheureufes & paifibles que vifitait jadis avec plaifir la jeunesfe du ciel, ces berceaux ombragés fous lesquels les hommes ennivrés de fenfations délicieufes, pleuraient de joye fur leur. création éternelle, la terre entiere, vaste fépulcre de fes enfants jadis immortels, repofait fous la malédiétion. Mais un jour lorsque 1'édifice des mondes fe rajeunira,& fortira triomphant de la pousfiere dc la grande juftice, lorsque Dieu par fa toute puisfance réunira tous les cercles du monde au ciel qu'il habite ; alors plus brillant, le torrent aé'rien defcendra de nouveau de fa fource céleste vers un nouvel Eden; alors fes rivages fe trouveront encore peuple's d'Auguftes voyageurs, qui viendront fur la terre vifiter de nouveaux immortels.  222 ES5AI de LlTTÉRATURE. Tel eft le chemin radieux a travers lequel le Sérapliin s'approche de loin du tróne de la magnificence de Dieu. Au milieu des foleils s'éleve le ciel, rond, immenfurable, le modele des mondes, le chef- d'oeuvres de ces beautés vifibles, qui femblables k des ruisfeaux fugitifs, épanchent dans 1'espace leurs formes imitatrices. Lorsqu'il tourne fur fon axe, les douces harmonies qui s'échapent de fa Sphere, vont. portées fur les ailes des Zéphirs, retentir fur les rivages des foleils. Sous les doigts des anges, les harpes célefles font entendre une mélodie vivifiante. Leurs fublimes accords vont porter aux pieds de Pauditeur immortel, les cantiques d'aétions de graces. Comme -fon regard fatisfait fe réjouit a la vue de fes ouvrages, ainfi fon oreille divine est flattée de 1'harmonie des Spheres Pendant le cantique que les cieux chantent toujours après les mots confacrés de trois fois Saint, Penvoyé fublime du médiateur avait déja pénétré dans un de ces foleils qui brillent aux portes des Cieux. Soudain les Séraphins fe taifent, & folemnifent le regard de bonté dont Péternel récompenfe toujours leurs cantiques. Alors fortaut du globe lumineux, le Sérapliin avance dans le ciel. Dieu & fes anges Pappercoivent; Gabriel s'incline & prie. Deux fois Pespace qu'un Chérubin prononce le nom de Jehova, & la formule confacrée du trois fois faint, Pange fut honoré d'un regard de la divinité. Soudain le  LANGUE ALLEMANDE. ö*j premier né des trönts descend vers Gabriel pour lë conduire folemnellement vers Dieu. L'éternel le nomme Z'é/a, & le ciel, Eloa. Plus parfait que tous les êtres créés, il occupe la première place auprès de Pêtre infini. Une de fes penfées eft plus belle que 1'ame, que 1'ame entiere de l'homme, lorsque digne de fon immortalité , elle réflechit fur la grandeur de fon esfence. Son regard est plus doux que le matin d'un printems, plus radieux que les étoiles, lorsque "brillantes dc jeunesfe & clarté, elles fe balancent dans leurs cours prés du tróne célefte. Dieu le créa le premier, il puifa dans une Aurore les couleurs dont il nuanea fon corps aerien. Lorsqu'il naquit, un groupe de nuages flottait autour de lui: Dieu lui-même le fouleva dans fes bras, & hu dit en le bénisfant: „ Me voici, ange nouveau né." Tout k coup le Sérapliin Eloa voit l'éternel devant lui, il le contemple plein de ravisfement, s'arrête , le contemple encore , faifi d'une fainte infpiration, & s'incline, perdu dans la contemplation de Dieu. II parle enfin & découvre a l'éternel les penfées nouvelles & les fenfations fublimes qui jaillisfent dans fon cceur. Les mondes disparaftront, &, renouvellés, s'élanceront de leur pousfiere , tous les fiecles s'engloutiront dans Pocéan de Péternité , avant que le chrétien le plus fublime éprouve de fi grandes fenfations." Cependant enveloppé de vapeurs & de nuages, fatan s'élance k travers la valide de Jofaphat, fur la mer de la mort; dela il vole au fommet du  424 ESS Al de LlTTÉRATURE. mc-nt Carmel, & du mont Carmel vers les cieux. La d'un ceil courroucé, il parcourt 1'édifice célefle. Son ame s'indigne , de ce qu'il brille encore après tant de fiecles dans la même magnificence dont 1'embellit 3e maitre d u tonnerre. Dans fon délire ü veut imiter, l'éternel, il rèvet fon corps d'un éclat aèrien: Trompées par ces formes brillantes, les étoiles du matin n'appercurent pas fa face ténèbreufe. Mais bientót ce vétement de lumiere 1'jmportune, il s'élance hors de 1'enceinte formidable de la création, & vole vers 1'Enfer. Déja, rapide comme 1'ouragan, il s'est abaisfé vers les dernieres limites du monde. Sous fes pas s'entrouvrent des espaces immenfurables. Satan nomme ces gouffres, les avenues des Royaumes plus étendus fur lesquels il domine. La,il voit fe prolongcr une clarté iügitive, ausfi loin que les dernieres étoiles de la création répandent un faible crépuscule dans ce vuide immenfe; il n'appergoit pas encore 1'Enfer. Loin de fon féjour & des esprits bienheureux, la Divinité 1'avait enféveli au fein d'une éternelle nuit, dans des abymes plus profonds. Car dans le monde, théatre de fes miféricordes, aucun espace ne fut defiiné aux foufirances. L'Eternel imprima a ces voütes fombres une redoutable & magnifique perfe&ion pour 1'accomplisfement de fes vengeances; il confacra trois épouvantables nuits a leur création , & pour jamais en détourna ces mémes regards qu'il laisfe tomber avec bienveillance fur fes créatures. Deux des Anges les plus belliqueux veillent a la garde de 1'Enfer. En les bénisfant Dieu les revêtit d'une armure guerriere.  LANGUE ALLEMANDE. ÜS guerriere. Ils doivent , (tel est 1'ordte divin) contenir éternellemeht dans leurs bornes ces lièux d'éteraelle fouffranee , pour que Satan nè puisre asfaillir la création de ibn pied ténébreux , & défigurer par le ravage les formes de la belle nature. £>u pied de la hauteur oü dominent les deux gardiens céleftes, s'ouvre ell ligne direéte vers le ctel & les mondes de Dieu, un chemin rayonnant, fembiable au fleuve limpide , qui jaillit d'une doublé fource. Ainfi même dans leur éloignement, ils participent aux faintes joyes qu'épanche le fpeétacle diverfifié des beautés de la création. Prés de ce chemin brillant, Satan' pénetfe dans 1'enfer; furieux il s'élance a travers la porte ; déja d'un pas rapide' il est monté fur fon formidable tróne. Un brouillard épais le dérobe aux yeux de cette horde hideufe, flétrie paria nuit & le défespor. Sophiel, un des hérauts d'armes des èhförs, découvre feul le voile nébuleux qui fe déploye fur les marehes elevees du tr3ne. „ N'eit-ce point Satan, dit-il , qui rei-drajt clans ion emnirp • ™ r„,^..„ , „ r~*~ , luiuuic urOUU- „ lard n'annonce-t-il pas un retour , après lequel les „ Dieux loupirent depuis fi lomitems ?'» Pendant qu'ü parle encore, le nuage ténébreux seclipfe: Terrible, déja Satan est affis fur fon tróne avec un ceil courroucé. Soudain Sophiel niiniitre fervile & zèlé, vole vers les Montagnes de feu qui toujours annoncent avec des torrens & des flammes Parrivee de Satan a toutes les contrées de Pabyme Porté fur les ailes d'un orage, il fe rfcnd a travers" Tom. ii. p 3  225 ESSAI de LlTTÉRATURE. les cavités de la Montagne, vers fon embouchürS fulphureufe. Soudain les foudres & les éclairs découvrent 1'imnienfe enceinte des ténèbres. Chacun contemple de loin 1'épouvantable Roi dans ces gouffres fillonnés de feux. Tous les habitants de 1'abyme paraisfent; leurs chefs courent fe placer prés de Satan fur les marches du tröne. Toi, qui pleine de ravisfement & de majefté, portes tes regards dans les enfers, en même tems que tu contemples la clarté divine fur le front de l'éternel , fille de Sion , montre moi ces ténébreux abymes, & fais retentir ma voix puisfante , comme la tempéte ou les ouragans de Dieu. Adramelec vient le premier, esprit plus pervers & plus diffimulé que le Roi méme des enfers. Son cceur bröle encore de Rage contre Satan, de ce que le premier il hazarda la grande Scifilon , qu'il avait depuis longtems lui-même projetté. S'il prêta le fecours de fon bras, ce fut moins pour protéger les Royaumes de Satan , que pour fon intérêt perfonnel. Déja depuis des fiecles incalculables, il avait réfleclü comment il s'cleverait a la fuprematie, comment il exciterait de nouveau Satan a combattre Dieu , comment il 1'éloignerait a jamais dans 1'espace infi* ni, comment enfin, fi tous ces p'ans reftaient infruftueux, il 1'y contraindrait par la force des armes. II roulait ces projets, alors même que les anges vaincus fuyaient devant l'éternel. L'Enfer les avait déja rasfemblés: Adramelec arrivé le dernier, il porte devant fon armure guerriere une ta-  LANGUE ALLEMANDE. 227 biette brillante cï'or, & s'écrië : „ Des Rois fuir i, ainfi lachement! guerriers vous devriez plutót „ célèbrer votre liberté conquife , & pénétrer en 3, triomphe dans ces nouvelles demeures de mag„ nificence & d'immortalité. Lorsque l'éternel & „ fon fils forgerent leurs nouveaux foudres, & qu'au „ milieu de la mêlée, ils vous pourfuivaient avec „ un regard formidable, je montai dans le fan&uai,» re de Dieu ; la je trouvai cette tablette, oü re„ pofent écrites les deftinées de votre future granj, deur ; rasfemblés-vous , lifez 1'écrit celefte , voici „ comme s'énonce le Deftin : — „ Un de ceux fur „ qui maintenant Jehova commande comme a des „ esclaves, reconnaitra qu'il est Dieu; il abandon„ nera le ciel, & dans un espace folitaire il trou„ vera des retraites avec fes compagnons déifiés. „ A la vérité il les habitera d'abord avec dégout, „ comme fon ennemi méme habita le chaos, avant „ que j'eusfe bati pour lui fédifice du monde. Mais „ qu'il féjoume avec courage dans les Royaumes „ des enfers; un jour des empires glorieux forti„ ront de leur fein. Satan doit les fonder, il en „ recevra de moi-même le plan célefte, du pied de „ mon tróne fublime. Ainfi je 1'ordonne moi Dieu des Dieux , qui feul embrasfe dans mon infinité „ Ie cercle immenfe de 1'espace avec fes mondes &; „ fes Dieux." Mais 1'enfer ne crut point a cette prédiétion. L'Eternel entendit la voix de 1'impofture, & il dit: Je fuis Jehova , étenieilement femblable a P 2  228 ESSAI de LITTÉRATURÉi s, moi-même ; !e pècheur même épouvanté est la preuve de ma grandeur.'' Soudain la févere juftice s'écliappe du fein de Dieu. Dans le creux des Enfers s'élance fans cesfe hors de 1'océan des flammes, un tourbillon de feux , qui court fe perdre dans la mer de la mort. Tout a coup franchisfant fes bornes, entouré d'un groupe de tonnerres, il enveloppe Adramelec & le précipite dans les vagues ténèbreufes. Sept nuits confecutives s'abaisfèrent fur ces fombres rivages. Pendant eet intervalle Adramelec repofa dans I'abyme. Longtems après il éleva au deftin un temp'e, oü comme grand prêtre de cette Divinité fupérieure , il dépofa cette tablette d'or. A la vérité nul ne croit ces fabuleux récits; mais des hipecrites, vüs adulateurs d'Adramelec , fe courbent en fa préfence devant eet être chimérique, dont ils fe jouent, quand le grand prêtre eft éloigné. Adramelec fort de ce temple, & plein d'une fureur concentrée, il court fe placer fur le tröne auprès de Satan. Après lui Moloch, esprit Guerrier, arrivé du haut de fes monts caverneux. La fans cesfe, pour fa défenfe, il entasfe Montagnes fur Montagnes, dans le cas que le guerrier tonnant, c'est ainfi qu'il nomme Jehova, descendit dans les plaines de 1'Enfer pour s'enemparer. La quand le jour s'éleve trifte & nébuleux fur les bords enflammés de Pocéan, les habitans de 1'Enfer le contemplent , lorsque , haletant fous le poids des rochers qui retentisfent comme Pairain, il gravit péniblement jusqu'au fommet de la Mon-  LANGUE ALLEMANDE. aio tagne. Quand de cette hauteur il a précipité ces nouvelles masfes vers lesvoütes de 1'Enfer, & que. les roes brifés réfonnent encore dans la profondeur , il s'éleve dans des nuages, & s'imagine que fon bras lance le tonnerre. Saifis d'admiration, les esprits infernaux le regardent d'en bas. Moloch fait retentit fur leurs têtes le fracas des Montagnes; foudain, ils fuyent devant le guerrier dans une terreur refpeétueufe. II marche, fon arraure guerriere retentit comme le tonnerre enveloppé de fombres nuages; devant lui les Montagnes frémisfent, & les rochers tremblants s'affaisfent fur ces traces. C'est ainfi qu'il approche du tróne de Satan. Belielel le fuit, il arrivé dans un morne filence des foréts & des plaines, oü jaillisfant d'une fource nébuleufe, les ruisfeaux de la mort roulent vers le tróne de Satan. La Belielel habite, en vaïn, éternellement en vain il s'efForce de faconner a Pimage des mondes du créateur les contrées de la malédiéiion. Eternel, tu le contemples avec un fourirefublime, lorsque d'un bras impuisfant, il fiche fur ces rives ténèbreufes, de transformer en Zéphirs rafraichisfants les formidables tempêtes. Soins inutiles! Lesouragans grondent fans cesfe, & les terreurs de Dieu fe déployent fur leurs ailes dévastatrices. La folititude & le ravage repofent indeltruftibles dans 1'abyme ébranlé. Plein de rage, Belielel fonge a ce priutems immortel, qui fouriait, comm; ua jeune Sérapliin, autour des plaines céle.tes. Comme ? 3  *3o ESSAI de LlTTÉRATURE. il défirerait tranfporter leur parure dans les fombres vaüées de 1'Enfer. Dans fon impuisfance il. foupire de rage. Eternellement deferts, éternellement informes, ces triftes vallons, féjours de douleur, languisfent devant lui dans une affreufe obfcurité. L'ceil morne, Belielel s'approche de Satan. Son cceur refpire encore la vengeance contre celui, qui dv> baut des plaines céleftes le précipita dans les Enfers, dont le fejour lui parait de fiecle en fiecle plus horrible. Tu vis auffi dans tes gouffres le retour de Satan, toi Magog, habitant de la mer de la mort. Soudain tu t'élances hors de tes tourbülons mugisfants. Les mers fe partagent en deux hautes Montagnes, lorsque fon pied rapide fend les ondes ténèbreulés. H maudit 1'Eternel depuis fa profeription, ia bouche exhale fans cesfe le blaspheme & 1'outrage, Dans fes projets de vengeance , il veut anéantir les enfers, dut-il y confacrer des Eternités. A peine at-il quitté les flots, que d'un bras deftruéteur il lance dans 1'abyme & des montagnes & des rivages. ; Ainfl fe réunisfent auprès de Satan les princesde 1'Enfer, leur bruit confus resfemble a ceui des Hes de la mer arrachées de leurs fondemens. Au milieu d'eux, la foule des esprits fubalternes s'ague innombrable autour du tróne de Satan : Ainfi les vagues de la mer fe brifent contre les rochers. Déja tous les esprits iufernaux font rasfemblés; ils marchent, & chantent leurs propres exploits condamnés a la honte & a la Bétrisfure immortelle, au  LANGUE ALLEMANDE. 231 bruit de harpes lugubres, facrileges, félées par le tonnerre, & désaccordées au ton de la mort. Tels, dans les heures les plus fombres de la nuit, retentisfent des cédres, lorsque roulant fur fon char d'airain, le vent du nord fe promene fur leur cime , que le Liban tremble, & que Phermon frémit. Satan voit fes fujets & les entend approcher. Plein d'une joye fauvage, il fe léve avec impetuofité, & les parcourt de Pceil. De loin, parmi la clasfe la plus abjecte, il appergoit dans une attitude dérifoire, la horde vile des Athées. Gog eft a leur téte, il les furpasfe par fa ftature & fa demence. Dans leur delire, ils s'excitent, ils fe tourmentent mutuellement pour fe perfuader, que Pexiftence de Jehova d'abord pere, enfuite juge, n'est qu'un fonge, un jeu d'une imagination egarée. Satan les contemple avec dérifion , car au milieu de fon aveuglement, il ne fent que trop qu'il exifte un Eternel. Tantót il fe leve plongé dans une profonde rêverie, tantót il promene lentement fes regards autour de lui, tantót il s'asfeoit de nouveau. Ainfi des orages menacants fe divifent & s'étendent fur des montagnes inhabitées. Bientót fa bouche s'ouvre avec impetuofité, il parle: Mille tonnerres s'échappent de fon fein. Les pasfages, que je viens de citer , outre Pavantage de vous donner une jufte idéé de la magnificence & de la fublimité du poéme, feront un P.4  232 ESSAI de LlTTÉRATURE. exemple de la maniere dont les poëtes doivent étre traduits en profe. La nature elle-même femble infpirer les aimables ouvrages de Gesfner. Quelques anciens avaient apl proché de cette attachante fimplicité, que les modernes & furtout les Francais ont fans beaucoup de fuccès tenté d'imiter. Les beautés pastorales intéresient les hommes, quelques foient leur patrie,leur rang , & leur état ; a moins qu'ils n'aient en partage une ame entierement desféchée. Wieland, fouvent fublime & grand, fe montre toujours élégant, toujours correct: Son miroir d'or , fon Agathon fuffiraient feuls pour lui asfurer 1'im' mortalité;.... mais je m'arréte, car ü ferait trop préfomptueux a moi de prétendre vous faire con•naitre tous les écrivains qui fleurisfent en Allemagne • Quand même je posféderais les connaisfances qui me manquent pour remplir cette belle, mais difficile tache, il fuffirait, pour que j'y renongasfe, qu'elle prescrivit la néceffité d'un ouvrage beaucoup pllIS étendu que celui-ci. Cependant je ne te laisferai pas dans 1'oubli, O toi, qui, d'un pinceau fi vrai, fi fombre, fi hardi, nous peignis les pafilons du jeune Werther. O Goe' the ! comment as-tu pénétré auffi profondément dans ïes abymes d'un caur enflammé! le génie ne fuffifait pas : Ton ame de feu fut fans doute enproie aux fougueux orages de 1'amour. L'être fenfible que la paffion n'a pas encore fubjugué verfera des pleurs fur le fort du jeune Werther & recevra par  LANGUE ALLEMANDE. 233 eet exemple d'utiles lecons; mais fi Charlotte a paru, fi elle ést adorée, fi elle eft enlevée, s'il faut y renoneer pour toujours Que le voile le plus impénétrable dérobe aux yeux de 1'amant défespéré un tableau déchirant qui 1'égarerait, qui lui ferait chercher avec avidité dans le fuicide la fin de fes maux. La fagesfe, la vertu de Goethe font trop connues pour ne pas rendre eclatante la pureté de fes intentions. Cependant plus d'un malheureux, après avoir dévoré cette terrible & fublime compofition , s'est frappé. Que tout homme, en proye a une grande paffion, redoute 1'effet de ce. tableau fi vrai: S'il ofe le fixer, 1'enchainement, la force, la vérité des fituations, étoufféront la voix de fa raifon. En effet, quand l'amour... Infenfé, qu'allais-je faire ? M'appartient-il de parler encore de l'amour ? puis-je oublier qu'il est des circonftances dans lesquelles l'homme doit effacer de fa mémoire jusqu'au nom du fentiment, dont les plus cruelles peines font mille fois préférables a 1'accablante ftupeur de 1'in différence. Quelle affreufe pofition! puisqu'il n'est que trop vrai. QiL'on meun deux fois dans ce bas monde, La première en perdant les faveurs de Vénus, Peum'importe la feconde, C'eft un bien quand on n'aime plus (hh). <») Le., p!„s cdlebres auteurs ne préfentent fouvent pour fruit <* leur wwgiMtioa que de (imples reminiscences. Ils iiaitem P5  234 ESSAI de LlTTÉRATURE. même des écrivains fort au desfous d'eux; alors la copie conferve du prix pendant que I'original refte dans 1'oubli; les vers que je rapporte de La Mocre font peu connus, tandis que tous let gens de goüt favent par cceur 1'imitation qu'en a donné Voltaire: On meurt deux fois, je le vois Hen ; Ces/er d'aimer & d'être aimable, Ce/I une mort inj'ttpportable, Cesfer de y'me, ce n'at rien. CINQUANTE ET UNIE VIE LECTURE. Suisse. 31/ e Suisfe généreux, Iibre & pauvre conferve dans fon caradere, un courage, une franchife, une fenfibilité qui ne fe rencontrent chez aucun autre peuple. Les mceurs pures ne lui caufent point de furprife, & ne font jamais Pobjet de fes railleries; cherchez donc parmi ces vertueux Républicains les Traits de l'homme primitif, avant que la nature eut corrompu toutes nos affections, ou du moins les eut dirigées vers des réfuitats 0} pofës a leurs principes. C'eft fous les toits rustiques des cantons intérieurs qu'habitent les fentimens honnêtes, les vertus fimples; leur réunion préfente un enfemble bien attachant : La paix & Paifance répandent un joie douce, une propreté riante , dans ces retraites enchantées, a Papproche des quelles tout cceur fenfible  SUISSE. 235 s'épanouit. Des vallons fertiles, des paturages abondans font couverts de troupeaux immenfes, les vaches trainent avec peine leurs mamelies bienfaifantes ; les brebis plient fous le poids de riclres toifons; des payfannes grandes, fraiches & jolies font retentir les Bois de chanfons ausfi naïves que mélodieufes. L'habitant de ces contrées, asfez peu fage pour les quitter, en conferve toujours le plus tendre fouvenir. Les illufions dont 1'entourent la vanité,le luxe & la grandeur, remplacent mal les jouisfances de fa jeunesfe : Leur fouvenir le plonge dans Ia mélancolie & remplit fouvent fes yeux de larmes. Les mêmes lieux , dans lesquels la fenfibilité fe nourrit d'affe&ions touchantes, élévent 1'ame par de fortes images. Nulle part 1'effet heureux des contrastes ne fut mieux prononcé, la nature déployant fes facultés avec énergie, prit plaifir k renfermer fes attraits les plus aimables dans le fein des plus farouches beautés, tout dans cette région parait tracé ; avec de grands traits ; chaque pas offre d'impofans fpeétacles. D'immenfes lacs, de hautes mon tagnes, de bruyantes cataraöes, d'énormes glaciers, pénétrent d'un réligieux refpeft ; les cimes des monts, tels que des temples habités par 1'esprit divin, transportent les mortels hors d'eux mêmes. La le 'fein fe dilate, le cceur palpite, 1'ame fe purifie, les idéés fe dévéloppent, le génie centuple fes forces, toutes les qualités morales & phyiiques atteignent une majeftueufe grandeur. Les peuples de 1'antiquité celebrêrent leurs cultcs fur les hauts  335 ESSAI de LlTTÉRATURE. Lieux, qui toujours facrés étaient quelques fois des divimtés, Atlas , Etna , Caucafe offraient a la vérité des exemples d'une févere julïice, mais Cythéron & mille autres fubfiftaient, éternels monumens des récompenfes accordées aux actions vertueufes. Les Romains adoraient au Capitole ce Dieu trés grand (*) maitre des autres dieux , feul asfez puisfant pour asfurer Pempire de la Terre. C'est fur le Sinaï, retentisfant des éclats de la foudre, embrafé du feu des éclairs, que Moyfe regut la lai des Hébreux. Jeune homme qui portes en toi l'amour de 1'humanité & la foif de la gloire , la Suisfe t'appelle coUi'S y fructifler des germes inapréciables : Dans ces parties fertiles, tu t'accoutumeras a praiquer les vertus : Parmi nous, tu n'apprendrais qu'a les louer. De même que les Athèniens corompus, nous connolsfons ce qui est bien, mais nous le laisfons exécuter a d'autres. Parvenu au fommet desAlpes, tu verras les orages fe former fous tes pieds , la Terre devenir un feul point, les monumens de Pinduftrie , les mobiles de 1'intérêt, les jouisfances de Porgueil disparaitront de devant tes yeux : Qui fe dépouille du voile épais des préjugés iburit, de pitié, a 1'aspecl des objets les plus frappans, lorsque 1'imagination les revctit de fes preftiges. Le feul rep-ioclie qu'un être fenfible adresfe aux Suisfes, porte fur la coutume de vendre leur fang {*) Dsut mcximuu  S U I S S Ei 23? a tous les états de 3'Europe, avec une indifférence & une cupidité qui blèsfent. Cette erreur parait moins coupable , quand on penfe que c'est pour fe maintenir en état de réfifter a la puisfance des Rois, que ces Républicains les fervent : Le plus fouvent après avoir confumé de longues années dans le tumulte des cours , au milieu du luxe des grandes villes, ils regagnent leurs foyers empresfés d'y vivre avec une franche & modefte bonhomie» Plufieurs auteurs ont peint, une terre intérésfan» te par elle même & par les hommes qui 1'habitent, Les tableaux fortis d'entre les mains de J. Jacques font fuperbes, achevés, ravisfans, ils parient a 1'imagination , a 1'esprit & au cceur. Un Anglais a donné une esquisfe agréable de li Suisfe , Ramond s'en eft faifi : Un modele de peu d'étendue a produit une copie pleine d'intérêt, riche de favantes recherches, ornée de descriptions fentimentales. Buffon loua le jeune auteur j qui décrivait il bien les phénomenes des Alpes, depuis il 1'admira quand parurent les obfervatlons fur les Pyrénées : Ce grand homme, pousfa la générofité jusqu'au point de dire que le ftyle de Phiftoire naturelle était égalé par celui de Ramond: Si la modeftie diéia eet arrêt,la juftice du moins prescrit de reconnaitre que peu d'imitations approchèrent jamais autant des beautés-originales. Les vertus des Suisfes, fi dignes d'éloges, favorifent peu la culture des lettres & des beaux arts. Cependant parmi eux, ont paru des écrivains, des  238 ESSAI ï>e LlTTÉRATURE. favans, des haturalistes, même des poëtes : Nous n'en indiquerons qu'un petit nombre, mais nous remarquerons que presque tous ont écrit leurs ouvrages dans les langues Latines, Francaifes & Allemandes. Euller, philofophe infatigable, a porté fes regards fur les fciences abftraites, & jusque fur les chimères de 1'ignorance. Les progrès du nord dè l'Europe, font dus en grande partie aux travaux de eet illuftre favant: Pétersbourg le pleura comme un bienfaiteur, fon bufte placé fous les regards des Académiciens leur rappelle fans cesfe, celui dont ils doivent fuivre les exemples. Bonnet méthaphificien profond & lumineux réclame un rang parmi les écrivains véritablement utiles: On ne faurait attacher trop de prix a fes recherches , foit dans le monde intelleétuel, foit parmi les êtres animés. Sausfure interroge la nature, découvre fes fecrets les plus cachés, & les dévoile aux yeux de fes contemporains reconnaisfans : L/immortalité devient le feul prix digne d'un zèle conftant, d'un courage inébranlable, d'une philantropie éclairée. Weisfe rend fes ouvrages d'autant plus recomandables, que rien de ce qui intéresfe les hommes n'y parait négligé : Les principes fimples & vrais, font préfentés avec autant de force que de grace. Weisfe honoré de la jufte confiance de fes citoyens fe diftingué encore plus par fon caraétere moral, que par fon talent fupérieur. Vous le verrez avec plaifir,  LANGUE ITALIENNE* 239 élever les fujets minutieux, & fe mettre a la hauteur des plus impofans. Haller a donné des poéfies, naturelles, aiffiables & riantes; eet homme refpectable cultivait a la fois , les lettres, les fciences, la plülofophié : Par un fentiment trés rare , peut-être même deit.ruct.eur de Pénergie qui feule infpire les bons ouvrages, Haller, mettait le repos au desfus de la gloire, la religion lui infpirait du respect, Phumanité de Pattachement, la vertu de Pamour : Sa patrie, le vit, médecin par piété , auteur par bienfaifance > magiftrat par devoir. CINQÜ ANTE DEÜXIEMELECTÜRE. Langue Italienne. $Si les graces étaient encore fuppofées habiter la Terre , & quelles dusfent employer une des langues connues parmi les mortels, la Langue Italienne fixerait leur choix: Douce, fiexible, harmonieufe, abondante , elle femble crée pour étaler les richesfes de Pimagination, pour peindre les tranfports des cceurs épris. Poëtes, amans paffionés vous ne rendrez jamais bien 1'ardeur qui vous embrafe qu'avec les accens qui fervirent a Pétrarque pour immortalifer fon génie & fa flamme. Une langue, li riche, parlée dans le plus heu-  aic È S S A I de LlTTÉRATURE. reux climat de l'Europe, au milieu des beautés ènchanteresies de la nature, des chef-d'ceuvres des arts, a formé des écnvains dignes d'elle. Quoique plufieurs profiteurs aient déployé un mérite réel , ils font presque tous éclipfés par les poëtes. Le Dante prenant le plus grand esfort, furpasfa fes contemporains, plana dans des régions que 1'ceil de 1'imitateur n'ofe pas fixer; mais il ne put malgré toute la force de fon génie répandre fur fes ouvrages une lumiere asfez éclatante; ce poëte fublime , ferré, obfcur, inégal refte trop fouvent incompréhenfible. D^enthóufiastes Italiens élévent des autels a la divine Comédie, d'injufles étrangers outragent la Comédie de 1'Enfer, da Purgatoire & da Paradis. Tous obéisfent a des paffions d'autant plus blamables, qu'elles font aveugles : Ils pcuvent étre comparés a des juges odieux qui pour prononcer fur les accufés, ne demanderaient que leurs noms,très indifférens d'ailleurs fur la nature des plaintes ,• ou des réclamations. Le désordre du plan, la grosfiereté des mceurs , la disparate des cara&eres, 1'oubli des regies* font 1'effet de 1'abfence totale du bon goüt, dans le fiecle oü vivait le Dante : Ce fut a lui feul, qu'il dut, les penfées profondes, les peintures aimables, les defcriptions brillantes, les traits ingénieux, les mouvemens pathétiques, qui donnent tant de prix a fa bizarre compofition. Ügolin  LANGUE ITALIENNE. 241 Ugolin rongeaot le crime de fon ennemi prérente un tableau qui fait frisfonner: Jamais la terreur ne fut plus profondément maniée : Cette fituation de génie fuffirait pour asfurer 1'immortalité. Le discours du fpeclre fe retrouve dans la belle fcene de Romeo & Juliette, de Ducis : Qui pourrait 1'envifager fans effroi, quand Larive tranfporte le fpedateur dansl'affreux cachot: On voit le vieux Montaigue, on entend la porte fe changer en mur : On partage le dechirement de ce pere infortuné: Onreceuille avec lui les derniers foupirs de fes fils expirans de faim: On partage fa foif de vengeance; on s'offenfe du peu d'indignation que fait naitre 1'horrible récitjon s'écrie en partageant fon tranfport. „ La raifon, Romeo, vient vite a ton fecours. Ce n'est pas dans ton fang, qu'ils ont puifé leurs jours, » Ton cceur donne è leur pene, une pitié légere, » Tu nefens pas pour eux, les entrailles de pere" Rivarol marche 1'égal des meilleurs écrivains dans fa tradudion du Dante, dont le ftyle est brillant pur & nerveux. Le Tasfe , PAriofle, placés prés d'Homere & de Virgile, ont élevé deux monumens auxquels font dus de trés grands éloges, fans que d'après Pextrêroe difference de leur genre, Pon fok dans le cas d'établir entr'eux aucune comparaifon, Le premier, exécuté fur un Plan vaste & noble, offre la plus belle machine épique, qui foit connue. L'eclat de fes beautés ne faurait être terni, ni par Tom. IL q  »4a ESSAI de LlTTÉRATURE. quelques faux brillans, ni par un merveiïïeux dans lèquel font confondues les aufteres vérités de la religion & les riantes allégories de la mythologie : Malgré ces défauts bien reconnus, l'homme fenfible pardonne difficilement a PAriftarque Francais de s'ëtre appefanti avec une efpece d'acharnement fur te clinquant de la Jerufalem dèlivrée. Qui fe trouve privé du plaifir , du bonheur de lire dans fa langue le Roland furieux , ne faura jamais jusqu'oü peuvent atteindre Pimagination & le génie; d'inappréciables tréfors y font répandus avec prodigalité. La froide fymétrie, entierement négligée, fait place a de nombreux & fuperbes écarts toujours furs de plaire. Ce fera , je penfe , asfez inagnifiquement louer le prince des poëtes Itaiiens de dire que Voltaire fut, pendant vingt années & dans la force de fon talent, occupé de ce poëme unique: Qu'il en a donné une imitation reconnue pour le plus beau poëme Francais, qui néanmoins eft bien loin d'égaler fon modele. 11 ne faut pas que vous ignoriez une circonftance, qui ajoute beaucoup aux difficultés de la Langue Italienne. Cette langue fe divife en deux branches bien diftinétes, 1'une employée par la poéfie , Pautre par la profe. La première, fans regies précifes, dépend entierement du caprice des poëtes. Dés qu'un d'entr'eux de quelque réputation, s'eft fervi d'un mot, il refte comme fondé fur une autorité infailUblè. Le plus fouvent, d'anciens tours, que la profe a perdue, fe retrouvent dans la poéfie,  LANGUE ITALlENNÈ. 243 donron pourrait presqu'appeller la langue uhe langue morte. Plufieurs poëtes font inintelligibles pour ceux qui n'ont Pas fait une étude particuliere des licences poëtiques ? On doit attribuer leur origine a la divifion de Pltalie en plufieurs états Comme il n'exifte pas de capitale qui puisfe fervi* d'école univerfelle, de réfervoir commun de conl naisfances, chaque ville confidérable adopte des préceptes différens. Les licences, devenues beaucoup trop communes , loin de contribuer k la perfeétion de Part poetique, y nuifent au contraire d'après la facilité qu'elles donnent, aux verfificateurs médiocres, de fuppleer par des tournures fingulieres au manque d'idees. Les Italiens ont donc trés grand tort de fe glonfier d'une prétendue richesfe, que fera fans doute tomber en défuétude 1'exemple donné par Metaftafe. Ce poëte, le plus élégant qu'ait produit Pltahe, a renonce au langage poëtique : Fort de fort génie, il a fui toute affeétation. La noble fimplicité de fon ftyle donne k fes immortels ouvrages uit naturel bien préferable aux Concettis, dont les plus recherchés plaifent un inftant, mais ne tardent pas a fatiguer. 92  a44 ESSAI de LlTTÉRATURE. CINQUANTETROISIEMELECTURE LlTTÉRATURE ANGLAISE. X^'Angleterue , de tout tems fierè rivale de la France en richesfe , en induftrie , en puisfance, ne 1'ui céde ni dans la perfection des beaux arts, ni dans la culture des lettres. Sur les bords de la Tamife oht brille autant d'hommes célebres que fur ceux de la Seine. Ces deux nations fe font plues a tous les genres, mais chacune d'elles en a rencontré dans lesquels fes fuccès paraisfent plus marqués. L'eftimation des différens dégrés de fupériorité , ou d'infériorité déplairait aux deux parties intéresfées. Les peuples, ainfi que les individus, d'après une vanité indéfinisfable, attachent d'autant plus' de prix aux qualités qu'ils ont moins de certitude de les posféder. D'Alembert eut appris fans courroux que le titre de grand mathématicien lui était refufé ; mais il n'eut jamais pardonné a qui fe ferait permis de jetter quelques doutes fur fes prétentions littéraires: Tandis que Voltaire fe ferait fenti bien plus agréablement ému par le flatteur , qui 1'aurait comparé a Newton , que par l'homme jutte admirant en lui le chantre de Henri IV, riüflorien de Charles XII, & le pere d'Alzire. Oferais-je prononcer fur Milton qui tantöt me tranfporte , tantöt me choque , mais que toujours  LlTTÉRATURE ANGLAISE. a45 je respedte en voyant les Adisfon («), les Steel lui accorder une admiration trop éclairée pour que» perfonne la combatte. „ Ceux , difent-ils dans le „ fpectateur, qui ne veulent pas donner le titre de „ poëme épique au Paradis perdu de Milton , peu„ vent, s'il leur plait, Pappeller un poëme divin. „ L'on ne faurait méconnaitre fes perfections, du „ moment oü Pon voit qu'il réunit toutes les beau„ tés des plus hauts genres de poéfie. Une lecture „ réflécliie fuffit pour convaincre que le Paradis. „ perdu, confidéré par rapport aux quatre grandes „ parties de PEpopée, la fable, les caraéteres, „ les fentimens, la poéfie , excelle dans cbacune „ d'elles; mais le premier talent de Milton, celui „ qui marqué une fupériorité bien diitinde, c'eft, „ la fublimité de fes penfées. Parmi les modernes „ on rencontre fouvent des rivaux dignes fous plu, „ fieurs points de vue d'être oppofés a eet homme „ étonnant, tandis qu'en grandeur de fentimens il » tnomphe de tous, les, poëtes foit anciens, foit „ modernes, excepté du feul Homere." L'éloge que je mets fous vos yeux, fusceptible de quelques modifications, ne doit étre retouché oue C«) Les discours du fpeétateur fur Milton fe resfentent un pen de la prévention nationale, plus forte peut-étre chez les Anglais que chez tout autre peuple. Cependant ces discours peuvent érre reSardds comme des modeles de discuffion & de critique ' Te confeille donc aux jeunes perfonnes qui apprennent 1'An -lafs non ieulement de les lire avec atrention, mais de les traduite." Spsü No. 267. i79. &c. v ,  »46~ ESSAI de LlTTÉRATURE. par des mains trés habiles: Celle d'un francais bouleverferait ce qui doit fimplement fe corriger. Le feul reproche que j'adresfe a Milton , est la fublime grandeur de 1'Ange des ténèbres. On admire celui qu'on devrait abhorrer: De 1'admiration a. 1'interët, 1'intervalle reste trop court, pour ne pas être promptement franchi. L'idée d'ajouter a la gloire d'un héros, par le mérite de fes adverfaires est lans doute trés noble ; mais d'après les bornes prescrites a nos fentimens, a notre imagination, celui qui tracé le grand , échoue dans 1'entreprife de placer au desfus d'une maniere deftindte le trés grand. Heéïor balance au moins Achille : Turnu; intéresfe d'avantage qu'Enée : Tancrede fait oublier, Renaud; ces deux derniers héros font fouvent etfacés par Argan. J'ai vu mon ami fe paflionner pour le farouche , le terrible mais intrépide Circaffien. Les grandes images font a mes yeux le vrai triomphe de Milton. „ Satan léve fa tête au desfus des flots enflam„ més, roule fur 1'abyme des yeux étincelans ; le „ reste de fon corps immenfe flotte au loin 1'espace „ de plufieurs milles : 11 voit fes compagnons abat„ tus, enchainés, femblables a ces iles mouvantes „ que le Maure fixe fur la furface de la Mer : II voit fon féjour d'horreur entouré de terres qui „ brülent d'un feu folide comme le lac brüle d'un „ feu liquide* Toute main qui après avoir placé dans une balance Corneille & Shakespear , la fait peucher en fa-  LlTTÉRATURE ANGLAISE. 247 reur d'un de ces grands hommes, me parait bien téméraire. Quelque foit celui des deux Eschyles modernes que le goüt condamne , je resterai pénétré d'une égale & refpectueufe admiration : On ne me vera pas, comme 1'imprudent Houza, foutenir 1'Arche. chancelante. Shakespear entrarné par un génie vigoureux • mais rude , peint la nature avec des traits hardis , pleins de vérité, en un mot admirables,fi quelques fois ils ne blesfaient pas faute d'asfez de poli. Chez ce poëte précurfeur de la renaisfance du goüt, l'homme fe montre tout entier: Aucun art n'est mis eii ufage pour former des caraéteres appropriés au tbéatre, & dans lesquels les foins pris, pour donner une noblesfe trop foutenue, étouffent jusques aux moindre traces de naturel; la tandis que des aétes de courage , des vues profondes, des vertus magnanimes, des fentimens généreux rempüsfent 1'ame d'un brülant enthoufiasme : Les vices bas, les paffions honteufes, les crimes atroces,les cruautés dégoutantes , font frifonner d'horreur. Cette fcrupuleufe exaétitude met fous nos regards, 1'image hélas ! trop fidelle, des faiblesfes, des grandeurs dont notre être fe compofe. L'Anglais 1'admire , le Francais la repousfe : Le poëte que 1'un encenfe comme presque divin, parait a l'autre, diffus, dur & presque Barbare. Voltaire le premier nous donna une idéé de Shakespear , fes éloges firent naitre un goüt, aux trop grands progrès duquel, il voulut depuis s'oppofer Q4  a48 ESSAI DB LlTTÉRATURE. mais en vain. Quiconque donne aux chofes une trop forte impulfion , perd bien vite le pouvoir de les diriger, ou de les retenir. Nous avons été témoins d'indëcéns débats, furvenus entre les partifans & les détraéteurs du tragique Anglais: Le juge impartial prononce que fes beautés n'effacent pas fes défaut, que fes défauts n'éclipfent pas fes beautés. Si l'artifte dont le génie enfanta le groupe de Laocoon , eut laisfé quelques morceaux de marbra entierement bruts, malgré de vifsregrets, en ferions nous moins frappés de 1'ordonnance de ce fublime Monument? N'entendrions nous plus retentir jusque dans nos cceurs les cris déchirans de la nature ? Ne nous fentirions-nous plus tranfportés par ce combat terrible, ou le marbre animé exprime a la fois le courage, le dévouement, la tendresfe. ,, Les monstres brillans du St. Cristhophe des tra„ giques, plaifent aux Anglais, mille fois plus que „ la fagesfe moderne/' Cet arrêt de Voltaire est caufe que plufieurs perfonnes réfolues de donner des éloges, mais incapables de les fonder fur leur propre expérience , pcnfent que les mouvemens impétueux , fe font feuls admirer dans Shakespear. Ce grand-homme né trés fenfible, qui ne défira qu'une feule fois des ricliesfes pour gouter les plaifns de la bienfaifance , a peint avec fuccès les fentimens les plus doux. Des morceaux pleins d'ame, attachent par leur pathétique & rappèllent, par leur fimplicité, le vrai beau des anciens. Je vais  LlTTÉRATURE ANGLAISE. 349 tacher de vous en offirir un tiré de la tragédie d'Othello. Le héros de cette belle piece , fuperbe dans fon irrégularité, est un Maure accufé d'avoir mis en ufage des philtres & des resfources magiques, pour féduire la fdle du fénateur Brabante : II demande qu'elle foit appellée devant le tribunal & dit enfuite. O T H E L L O. „ Jusqu'a ce que Desdémone paraisfe , le ciel m'est » témoin qu'avec la méme franchife qui diéte 1'aveu j, des vices de mon fang, je vous apprendrai comment „ 1'amour m'enfiamma pour cette beauté & elle pour „ moi. „ Son pere m'aimait, m'appellait fouvent, m'inter„ rogeait fans cesfe fur les événemens orageux de „ ma vie, fur les fieges, les batailles, les hazards : Par „ fes ordres je remontais de Pheure oü il m'écoutait „ aux jours de ma plus tendre enfance. Tantöt je rap„ pellais d'affreux désastres: De cruels accidens fur „ les flots & fur la Terre : D'inperceptibles resfources „ dans les dangers prêts a fondre fur ma tets: Un „ ennemi audacieux me rangeant parmi fes captifs: „ Mes mains chargées des fers de 1'esclavage: Ma li- berté reconquife: Des combats foutenus avec intré„ pidité & conftance: Des viéloires éclatantes: Des „ revers qui coütaient des larmes aux vainqueurs. D'au3, tres fois je décrivais un fiége, pendant le cours du„ quel, la fortune m'avait réduit a braver la peste & „la famine, a maitrifer des foldats fans folde, fans Q5  250 ESSAI db LlTTÉRATURE. „ discipline, auffi laches contre leurs ennemis qu'info„ folens envers leurs chefs." ,, Désdémone eut ardamment défiré ne rien per„ dre de nos entretiens. Cependant quelques foins „domeftiques 1'arrachaient fouvent d'auprès de „ nous: Se hatant de les terminer elle accourait & «d'un air paffionné dévorait mes discours. Cette „ attention me frappa, je faifis une heure favorable, ,>j'obtins que fon cceur épancha une presfante „priere de raconter mes avantures: Presque toutes „lui étaient connues; mais fans ordre & fans fuite. „ Jaloux de la fatisfaire, j'appercus fouvent des lar« mes, que la pudeur prétendait cacher, mais que »la fenfibilité verfait fur les maux auxquels ma „jeunesfe fut fouvent en butc. v Le récit terminé , mille & mille foupirs furent s, ma récompenfe. Désdémone s'écria, En vérité c'eft „ merveilleux, au desfus du merveilleux, digne d'in- }, térét, du plus vif intérêt Elle voudrait ne „ 1'avoir pas entendu Elle voudrait pourtant que „ les cieux 1'eusfent formée femblable a un tel hom- »' me Elle ajoute, fi un de vos arms était ,> paffionné pour moi , apprenez lui a narrer votre ,> histoire, il plaira : D'après eet aveu tendre „& flatteur, je parlai..... Elle m'aima pour les „ dangers que j'avais courü, je 1'aimai, paree qu'el», le leur accordait de la pitié. „ Tel est 1'enchantement dont j'ai fait ufage, Dés„démone s'avance, qu'elle attefte la vérité."  LlTTÉRATURE ANGLAISE, 251 Brabant e. M Approche ma fille , devant cette noble asfem„ blée reconnais a qui tu dois le plus d'obéis„ fance." DÉSDÉMONE. „ ó Mon illuftre pere, j'obferve qu'ici mon devo'r „ fe trouve partage. C'est de vous que j'ai recu „ la vie & 1'éducation , ces deux bienfaits, me rap- pellent fans cesfe combien il faut vous respeéter. „ Comptez donc fur ma foumiffion , toujours vous trouverez en moi une fille tendre, empresfée; mais „ voila mon époux. Ma mere vous préférant a fon „ pere, fe montra digne d'éloges: A fon exemple, „ je réclame en ce jour qu'il me foit permis de reconnaitre hautement les droits du Maure, mon „ feigneur." Pénétré d'une forte eftime pour Addisfon, & m'aveuglant fur mes forces, je tentai, il y a quelques années, de transporter dans notre langue la belle Tragédie de Caton. Ce ne ferait donc que payer tribut a la faiblesfe ordinaire des traduéteurs, d'élever ce poëte au desfus de tous ceux qui ont exiité j mais un fentiment, plus fort que toute prédileétion, la juftice m'arrête , a l'inftant oü je voudrais 1'égaler aux grands poëtes tragiques Francais. Moins fublime que Corneille, tres loin de la défésperante perlection de Racine , il approche de Voltaire , fans pourtant 1'égaler. Comme lui Addi-  252 ESSAI de LlTTÉRATURE. fon offi-e de fuperbes détails de poéfie , de belles, & trop nombreufes maximes poëtiques & philofophigues, enfin il puife de 1'intérêt dans la pompe du fpeétacle ; mais le poëte Francais, du moins lors de fes jours de triomphe , n'aurait pas introduit dans un fujet auffi noble , auffi grave, d'auffi froides amours; ü eüt furtout évité d'ourdir avec beaucoup de foins une conjuration , qui ne fert a rien dans la marche de la piece. Outre les auteurs , qui, chez les deux nations, peuvent réciproquement trouver des objets de comparaifon , chacune en posféde quelques-uns qui lui font propres, & qui n'ont nul trait de resfemblance chez les étrangers. Young, par fa touche fombre & hardie, jette 1'ame dans un état de mélancolie, d'admiration , de terreur, que perfonne avant lui n'avait infpiré. La grandeur des images , la rapidité des idéés , la pompe du ftyle, la vérité des peintures, forment du poëme des nuits, malgré fes grands défauts, un enfemble fublime qui tranfporte, qui déchire & dont on ne peut s'arracher. C'est un fentiment nouveau qui nous pénétre k la fois de notre faiblesfe, de notre force, de notre mifere , de notre noblesfe. L'homme, au comble du bonheur, apprend avec effroi que les plaifirs pasfagers font fuivis de longs regretsrLe malheureux fent fes peines allégées par 1'espoir magnifiquement annoncé que ce théatre de douleur n'est qu'une épreuve de peu de durée ,  LlTTÉRATURE ANGLAISE. aS3 fuivie de biens fahs nombre , & fans fin. L'ambitieux s'étonne de voir les objets de fes défirs les plus ardens, devenus a fes yeux vils & méprifables. Sterne, auteur original dans toutes fes productions, inimitable dans quelques-unes, n'infpire pas des fentimens modérés. Ses partifans le louent avec tranfport, fes ennemis le déchirent avec acharnement. J'avoue que les opinions de Tristam Shandi ne m'ont procuré que peu de plaifir. Le fens des allégories, qui, dit on , y fourmillent , m'est échappé ; le fel des plaifanteries nfa paru beaucoup trop acre ; le feul épifode de Le Fevre fe retrace fouvent a ma mémoire fous les plus touchantes formes. Quels cceurs asfez indifférens pour que le voyage fentimental ne les pénétre pas des émotions les plus délicieufes. Par un charme impoffiblè a définir, dans le même inftant, le cceur palpite , les yeux font remplis de larmes, le fourire nait fur les levres. Z'Humour, expreffion dont approchent, fans la rendre parfaitement, les mots de gaieté & de badinage, procure aux Anglais des jouisfances peu goütées par les étrangers. Les charmes applaudis & recherchés a Londre paraisfent ailleurs un peu forcés. Cette différence de goüt fe retrouve, chez toutes les nations, par rapport aux objets de plaifirs: Ils tiennent a trop de caufes locales pour obtenir un aveu unanime , comme ce qui est le réfultat de Pexpèrience ou du raifonnement ; les plaifanteries légeres, que les fran?ais mettent a un fi haut prix, ne font qu'effleurer les autres hommes, pres-  254 ESSAI r>B LlTTÉRATURE. que tous leur reprochent d'être .froides & formées de traits, plutöt alambiqués qu'ingénieux. Ne penfez pas que Sterne parle ironiquement, quand il fe plaint de trouver les francais trop férieux. J'ai moi-méme éprouvé , combien il est difficile de fatisfaire un Anglais qui demande un livre gai dans notre langue. „ Le véritable humour (*) réfide dans la penfée , réfulte de Part avec lequel on préfente les „ objets dans des fituations piquantes & fous des as„ peéts neufs. Une penfée plaifante frappe par fa beauté naturelle : Ses agrémens font bien plutót „ flétris que réhausfés par ce ftyle ridicule que s'er„ forcent de mettre en vogue , les gens a préten„ tions dViumour. Cette clasfe de gens rappelle les ,, charlatans, qui pour faire un homme d'esprit le „ revêtisfent de quelques costumes fantasques: Que „ nos écrivains, qui dans leurs frivoles compofi„ tions mettent de la caqueterie au lieu d'esprit, x, apprennent que Phumour a deux extrêmeségalement „ blamables: Le faux brillant & le pédantisme; „ 1'un fent la toilette, l'autre les bancs. Sans vous arrêter parmi les auteurs obfcurs qui n'ont été que bas, quand [ils fe croyaient plaifans, & dont les ris font des grimaces , remontez au Rabelais de 1'Angleterre, a Swift: Dans ces ouvrages l'humour.fe rencontre au plus haut dégré de perfection, auffi fes corapatriotes lui prodiguèrent-ils des (*) Tiré du Spcclateur,  LlTTÉRATURE ANGLAISE. 255 hommages que l'on rend encore k fa mémoire. Cet homme célébre plein d'esprit, de feu, d'énergie , pasfe presque toujours , les bornes : Chez lui les plaifanteries font fouvent grofiieres, les allufions troides, les contes puérils; de révoltantes indécences déparent un ftyle ausfi pur qu'élégant: L'ironie prodiguée fans mefure devient d'une pénible froideur; mais une érudition trés vaste & trés faine étonne ; une morale parfaite mérite les plus grands éloges: En un mot, fi le goüt eüt maitrifé la riche imagination de Svaft, nous applaudirions a 1'honneur que lui fit Voltaire de le placer au desfus de Rabelais: Peut-être même perfonne n3accuferait Orreri d'une coupable prévention , pour avoir établi un parallele entre Swift & Horace. Pope , dont les talens poëtiques font fi connus, fi admirés, avait un penchant irréfiftible vers la caufticité : Les fatyres en vers, les critiques en profe, fe trouvent en grand nombre dans fes eenvres. Vous diftinguerez Martin Scriblerus, compofition trés ingénieufe & trés gaie , pour laquelle il fe joignit k Swift: Ces deux grands maitres y couvrirent de ridicules Pamour exceifif de quelques pédans pour Pantiquité; mais ils attaquèrent en même tems avec beaucoup de finesfe, quoique d'une maniere indirecte, les préjugés de leur tems. „ Cornelius Scriblerus gros & grave allemand 3> habitait a Munster: Les anciens lui avaient in-  *56 ESSAI de LlTTÉRATURE. „fipiré une paffion fans bornes. Indifférent pour „ tous fes contemporains, il ne voulut porterlejoug „ du mariage que quand la fortune propice lui of„ fiat une jeune perfonne , enrichie d'avantages „ auffi rares que précieux : Elle comptait au rang „ de fes ancëtres du chef de fon pere , Cardan , „ de celui de fa mere, Aldovandre. Cette dame „ fi bien choifie après quelques expériences, tirées „ de chez les grecs, met au jour un fils. „ A peine quelques faibles cris fe font-ils entendre „ Scriblerus accourt, prend 1'enfant, le confidere avec „ attention: Quel pinceau pourra peindre Ia joie „ de ce bon pere a la vue des tréfors posfedés par „ fon fils : II reconnait, en pïeurant de tendresfe , „ la verrue de Cicéron, le cou plié d'Alexandre, les „ varisfes des jambes de Marius: une de celle du „ nouveau né, plus courte que 1'autre, rappelait Age„ filas, quelques fignes du bégaiement de Démosthè„ nes paraisfaient le pronostic d'une égale éloquen„ ce. Tel est le cceur de Phomme, toujours ouvert „ aux défirs ambitieux. Scriblerus fe flatta qu'avec „ le tems, fon trop heureux rejeton posféderait „ tous les défauts des hommes illustres chez les an~ ,, ciens. „ Livré a de fi doux penfers, il ne fe lasfait „ pas de regarder 1'enfant, lorsque la fage femme „ impatiantée le lui arrache des bras afin de 1'Em„mailloter: Vemmailloter ! s'écrie-t'il, loin, loin de „ moi cette abfurde coutume. Mon fils n'est-il pas un homme ? un homme n'est-il pas le roi de Pu- „ nivers.  LlTTÉRATURE ANGLAISES. 257 » nivers. Eft-ce donc ainfi que vous recevez ce mo„ narque entrant pour la première fois dans fes états? *» Lui lier les Pieds & les mains? Direz vous en„ core qu'il eft libre ? Si vous ne rcfpeiïez pas fa. „ liberté naturelle , mznagez au moins fes facultés. „ Admirez fon adres fe, remarquez avec quelle aifan„ ce, il remue indiféremment, les doits de fes pieds „ & ceux de fes mains: Dans peu d'années l'un de » ces deux avantages lui fera ravi , par les cruelles » gênes des bas & des fouliers. Ses oreilles que les „ autres animaux tournent avec tant de profit du cóté „ des objets fonores, reftcront d jamais, graces aux „foins mal entendus d'une nourrice, plates & immo„ biles. Les anciens bien différens les remuaient d „ volonté c'eft pour cela que les poëtes , nous re» préfentent fi fouvent leurs auditeurs, Arre&is auri.» bus (klc). Que diable cela veut-il dire? voudriez-vous que votre „ filsremudt fis oreilles comme un gros finge? fans doute. " Pr°UrqU0i **** d <* f»*/ ait la perfeUionïungros i, Jinge ou de tout autre animal ?" Dans les imitateurs de Swift vous retrouverez beaucoup des défauts & peu des beautés de eet homme juftement celebre fous bien des rapports Dne branehe de littérature dans laquelle les Anglaxs confervent jusqu'è ce jour la plus incontefta*Ie preemznenee fixera partieulierement mes *egafds. Heureux , fi je parviens a vous infpirer le défir de C**) Les oreilles dresfees-, Tom. ii.  £58 ESSAI de LlTTÉRATURE. la connaitre > puisque dans mon opinioh le goüt des Romans Anglais, en procurant d'agréables jouisfances, contribue beaucoup a former 1'efprit & le cceur. Quelle fuite de tableaux pris dans la ibciété ; quel concours de fituations neuves, vraies & intéresfantes; quel naturel, quelle connaisfance des hommes , fe rencontrent dans les Romans du premier mérite? Ce ne font point de ces portraits qui, fans ordre, fans correction, & dépourvus de vérité , n'ont pour eux qu'un coloris brillant, dont 1'ceil d'abord ébloui, bientót lasfé, fe détourne avec dégoüt, pour ne jamais y revenir. On vit au milieu d'êtres animés qui attachent, qui font partager leurs plaifirs, leurs peines & leurs paffions. L'auteur reste entierement caché ; il ne fe trahit jamais par des traits d'esprit, par des réflexions morales, par des maximes exagérées, enfin il ne cherche point a briller aux dépens de la vraifemblance. Diderot a dit avec autant d'esprit que de justesfe : Je connais la maifon des Harlove, comme la „ mienne. Je me fuis fait une image des perfon„ nages que 1'auteur a mis en fcene ; leurs phifio„ nomies font la; je les reconnais dans les rues, dans les places publiques, dans les maifons; elles „ m'infpirent du penchant, de 1'averfion." Le nom d'Harlove rappelle le fouvenir d'une des plus fuperbes compofitions dont 1'esprit humain puisfe s'honorer. La vertu , qui combat, avec autant de peine que de gloire, contre le vice profondément  LlTTÉRATURE ANGLAISË. 259 calculé, offre un fpeflacle bien iinpofant, bieïi di-ne diütérét. Clarisfe, abandonnée de toute la terre jettée dans un repaire infame de corruption, étonne, fubjugue le génie entreprenant & fécond de Lovelace; elle triomphe même a 1'inftant ou. elle regoit le dernier outrage ; eet outrage , dont la bonte rejaillit fur les monftres capables de le méditer de 1'exécuter, porte la mort dans le fein de Ia victime innocente. Cataftrophe déchirante, mais lecon terrible, qui nous apprend les fuites affreufes qu'entraïne une feule imprudence. Si la plus belle la plus fpirituelle, la plus vertueufe des créatures ne peut éviter de tomber dans l'abyme.pout avoir hazardé de le confiderer ; de quelle falutaire circon* fpeclion toute jeune perfonne ne doit-elle pas étre pénétrée ? Le noble enthouilasme, dont fe fentit animé Oi, derot, quand il célébra un fi bel ouvrage, 1'élevant au desfus de lui-même, il ne fut plus ajors cet au_ teur connu par une obfeure & presqu'inintelligible metaphyfique, mais un écrivain éloquent, fenfible ; en un mot, on retrouva pour cette fois le philofophe' dont la converfation entrainante & fublime fe faifait rechercher avec empresfement, tandis que fes écrits trouvaient peu de lecleurs. Après un éloge qu'on peut presqu'appeller un hymne en profe, Ie mien resterait bien ftoid, je le iupprime donc, mais k regtet. Qu'il m'en coüte furtout de ne pas rendre hommage k Ja plus aimable des femmes, k la plus tendre des amies, « i8 R 9  a6b ESSAI de LlTTÉRATURE. charmante Misf Howe. Un homtoe de génie a pré* tendu tranfporter ce caraöere dans notre langue > fon fuccès a eet égard n'a pas été complet. Claire, a la vérité, préfente plufieurs traits admirables, mais el)e reste trés loin de fon heureux modele. L'admiration, resfentie pour les chefs-d'ceuvres de Richardfon , ferait outrée, fi elle rendait infenfible au mérite de Fielding. Malheureux qui ne connait pas Tom Jones! bien plus malheureux qui le connait & ne 1'aime pas. Ce délicieux ouvrage inftruit, amufe , attaché. En le lifant on devient meilleur, on apprend a connaitre les hommes, on fent la néceflité de pardonner des faiblesfes qui presque toujours fe rencontrent dans les plus riches naturels. L'intérêt fe foutient avec la même chaleur depuis la naisfance de Tom, jusqu'a 1'époque de fon mariage. Les caraéteres ne fe démentent jamais & font tous achevés. Vous admirerez le vertueux Alworthy, 1'impétueux Western, la belle, 1'aimable, la fenfible Sophie chérisfant fon pere, fupportant avec réfignation une tante vieille, prude & pédante. Jones fpirituel, bon, généreux , franc, incapable de haine, pétulant, étourdi, entrainé par un irréfiftible penchant vers les plaifirs, fe nuifant a lui-mëme , ne faifant de mal a qui ce foit au monde : Blifil en proie au vice le plus hideux dont 1'humanité foit affligée. Ce Blifil, qui fait horreur, par les traits de grand maïtre avec lesquels est déployée 1'infernale noirceur de fon ame, doit être médité par les  LlTTÉRATURE ANGLAISE. aSi peres de familie. Ne demandons jamais aux hommes un caractere contraftant avec leur age. L'enfant raifonnable , le jeune homme grave , l'homme fait oifif, le vieillard coquet, blesfant également 1'ordre de la nature font peu dignes d^estime & de confiance. O vous, parfaite image de la reconnaisfance, bonne dame Miller, combien je vous chéris, que de douces larmes vous me faites repandre, quand je vous entends défendre avec chaleur votre jeune ami indignement calomnié; Je vois la bouillioire prëte a voler, pour infliger un prompt chatiment a 1'infame neveu, mais retenue par la préfen:e de 1'oncle vénérable. Que j'aime a vous fuivre lorsque par un dernier effort, furmontant toute répugnance, vous portez une lettre a Sophie, qui ne peut cacher fa furpnfe: „ Votre phyfionomie, madame, n'annonce „ pas le röle que vous jouez." Ce reproche, peu mérité, tourne a votre honneur, en vous infpirant une réponfe pleine de noblesfe, d'éloquence & de fenfibilité. Non feulement ces premiers carafteres font admirables, mais ceux d'un ordre inférieur méritent d'être remarqués. Quiconque parcourt cette noinbreufe & riche galerie, resfent une agréable furprife en voyant que tous les portraits, qui la compofent, offrent des traits frappans (//). (//) Je réclame pour Ie miniftre Supple une attention particulie-' re. Ce perfonnage parate tellement fecondaire que Ja plupart des R s  3Ó"a ESSAI de LlTTÉRATURE. Enfin aucun detail ne reste negligé. Si j'entre dans une' auberge, 1'hotesfe fixe mes regards; je retrouye fur le champ la main qui avec tant de finesfe , tant d'habileté, tant de connaisfances de la fociété, a peint le cercle, & les mceurs de Lady Alton, Tout éloge exclufif annonce , ou 1'aveuglement , ou le manque de fincérité : Avouons donc que Tom Jones voit fes belles qualités ternies par quelques défauts, dont un m'a plus particulierement frappé. Fielding point asfez fatisfait des richesfes de fon propre fonds, prétendit les augmenter par des imitations tirées des modeles les plus célebres. Je penfe qu'en cela il tomba dans 1'erreur : L'auteur d'un Roman ou d'une Comédie a raifon de s'emparer des fituatiops heureufes dont on n'aura pas tiré tout le parti qu'elles promettaient; mais il ne doit pas comme Fielding hafarder des copies de trés grands maitres. Partridge & Pauberge d'üpton font d'après Cervantes. Aucun des cara&eres de Tom Jones ne laisfe autant appercevoir le travail que celui du Barbier. Cependant les efforts de Pauteur Anglais n'ont pu le rendre a beaucoup prés auffi aimable que Sancho. Le Latin de Benjamin remplace mal les excel- Jccleurs le remarquent k peine, & que trés peu s'appercoivent qu'il eft excellent; pour 1'apprécier il faut avoir vécu chez quelques riches gentilhommes campagnards, avoir vu leurs euro's bons & coaiplaifans commenfaux, a moins que i'ardeur de la chicane ne rompit toute liaifon entre le feigneur Cf le pafteur.  LlTTÉRATURE ANGLAISE. 265 lens proverbes. D'ailleurs Partiïdge mal-adroit, gourmand , indiscret, poltron , ne rachette pas comme le prototype des écuyers, fes défauts par cette naïveté , cette fimplicité qu'accompagne toujours une finesfe auffi gaie qu'agréable. La feconde imitation est bien meilleure. Les aventures de 1'auberge d'Upton, resteront a jamais célèbres par leur variété, par leur vivacité. On revient a ce morceau avec d'autant plus d'empresfement que les rencontres nombreufes & fingulieres ne blesfent pas la vraifemblance. Cependant ce même morceau parait dépourvu de chaleur, quand on le place pres de la mémorable matinee oü le Barbier réclame 1'armet de Mambrin. Dans le tumulte pittoresque de 1'hotellerie les incidens naisfent en foule, ils fe presfent, ils entrainent. La multiplicité des perfonnes employées, la rapidité des mouvemens, laisfent a peine refpirer le leéteur. Les hazards, les acteurs, s'accumulent fans qu'il en réfulte d'obfcurité, on peut les regarder comme des fils trés déliés, qui fe mêleraient enfemble fans fe brouiller. Certes c'est avec raifon que Don Quichotte au fort de la tempête fe rappelle la discorde troublant le camp d'Agramant & compare les objets qui 1'entourent a cette fituation, fans contredit la plus belle qui fe rencontre dans aucun poëme épique , foit ancien, foit moderne. Si je parais m'être trop étendu fur un feul ouvrage , ne 1'attribuez qu'au prix infini que je mets R4  1Ó4 ESSAI de LlTTÉRATURE. mets a ce cue vous le lifiez. Puisfe mon excufe faire pardonner ma prolixité. • Malgré quelques longueurs, quelques peintures un peu communes, vous admirerez une foule de traits heureux dans les ouvrages de Sraolett. Les effets de J'amour propre font rendus avec autant de force que de vérité, dans le caraétere de Peregrine Pilde. Trugnon est a la fois plaifant & bon: Pyple intéresfe par un franc & courageux dévouement. Mais rien de plus parfait dans fon genre qu'Hatchaway. Dévorez dans le même ouvrage les mémoires d'une dame de qualité. Ah ! Milady..... Combien malgré vos erreurs vous intéresfez. Votre exemple inftruit toutes les perfonnes de votre fexe. Les femmes réfervées apprennent que fans la vertu, les dons de la beauté , de 1'esprit, du cceur ne conduifent qu'a des regrets. Les femmes égarées voyent, que des aétions bienfaifantes font oublier leurs fautes. .Le Vicaire de Wakefield est un chef-d'oe.uvre qui regoit le feul reproche de trop de briéveté. Jamais compofition ne parut omée de plus d'esprit, de graces & de naturel. Une teinte fentimentale, une tournure philofopiiique 1'embelhsfent d'autant plus, que le goüt empêche la première d'être trop fombre, & la feconde de tomber par fon excès dans le ridicule. Le Vicaire de Wakefield n'est pas le feul titre de célébrité que posféde Goldfmith: Ses hiftoires de Rome & d'Angleterre font d'estimables abrégés. Ia  LlTTÉRATURE ANGLAIS E. 265 voyageur fe fait rechercher par Pélégance de fa poéfie , par la juftesfe des idéés. Les graces, douces naives & fenfibles habitent le villagc défert. „ Pai„ fible folitude, amie du déclin de nos jours, afile „ étranger aux foucis que je n'eusfe jamais du con„ naitre : Combien est heureux celui qui fous des „ ombrages auffi frais que les tiens, couronne par une „ viellesfe aifée , une vie orageufe; qui s'éloigne. „ d'un monde dans lequel les paffions s'agitent fans „ cesfe, & qui fait fuir après de violens combats. „ Pour lui aucun infortuné, ne iüpporte la peine, ?, ne verfe de pleurs, ne fouille de mines, ne bra„ ve le courroux des mers. Quand fa derniere heu„ re approche, des esprits célestes empresfés autour „ de Pami des vertus bienfaifantes, le conduifent ,, par une pente douce, imperceptible. La réfignation „ applanit la route, fes regards appercoivent au ,, terme de brillantes perfpectives, les cieux s'on„ vrent devant lui avant que la terre 1'abandonne. P^rmiles esfais de Goldfmith plufieurs font agréables, quelques uns préfentent d'utiles confeils. Je me plais a mettre fous vos yeux, un morceau qui a fait fur moi beaucoup d'impresfion : II devient une lecon frappante , pour tous les infortunés, qu'a cette heure le fort cruel perfécute; Le but du philofophe Anglais est de prouver, que 1'humiliante pitié fe lasfë bien vite : Les imprudens, les infenfés accordent feuls leur confiance a ce faible fupport. „ La pitié donne par fois des fecours, mais cette „ paffion de trés courte durée , ne fait qu'un bien  atfff ESSAI de LlTTÉRATURE. „ pasfager : Chez plufieurs hommes le premier irité„ rét fe foutient, jusqu'a ce que la main foit for„ tie de la poche : Chez d'autres il fe prolonge, une « ou deux fois plus longtems: Enfin chez des êtres j, d'une merveilleufe fenfibilité , je 1'ai vu ne s'é- * teindre qu'après une heure & demie : Mais quelv que durée que nous accordions a la pitié, elle # produit toujours des aumónes : Le même motif « porte a donner tantöt cinq fois, tantöt une gui„ nee. Le malheur qui vous intéresfe le plus , au „ premier asped , émeut moins chaque fois qu'on le n préfente de nouveau. De même que la répéti« tion d'un écho dirninue, a force de le frapper, j, nos fentimens a la longue perdent toute teinte „ d'intérét, & fe changent en véritable mépris. Cet„ te réflexion rappelle a ma mémoire le fort de „ Jammingam , garcon d'un trés bon naturel, qui „ maintenant n'exifte plus: 11 avait été élevé avec „ asfez de rigueur dans une maifon de commerce: „ Son pere mourant a 1'époque de fa majorité, lui „ laisfa une belle fortune, & nombre d'amis. „ La contrainte dans laquelle Jammingam avait „ pasfé fes premières années, répandait fur fon ca„ tadere un fombre, que plufieurs perfonnes », prenaient pour de la prudence. Sa réputation » fe répandit avec rapidité , & lui valut de ft toute part des marqués d'intérét , des témoi„ gnages d'eftime. Les riches le presfaient de puifer „ dans leur bourfe , les peres qui avaient des filles, „ 1'invitaient d'une maniere affedueufe a fe marier.  LlTTÉRATURE ANGLAISE. 267 -,, Comme il fe trouvait dans une pofitionagréable, bien „ traité par la fortune, par 1'amitié, par l'amour, ,, toutes ces avances honnêtes furent réfufées avec n modeftie. „ Des erreurs dans la conduite de fes affaires, des „ pertes dans fon commerce, conduifirent Jammingam „ a une différente facon de penfer ; II crut que le „ moment était arrivé, d'avoir recours a fes amis, en leur annoncant que des oftres longtems refu„ fees , feraient fort bien reques. Sa première dé„ marche fut prés d'un notaire , qui fouvent 1'a„ vait prié d'accepter fon amitié, de dispofer de „ fa fortune, dans des circonftances a la vérité ou ,, des refus paraisfaient certains. „ Plein de confiance il demanda cent guinées qui „ lui étaient nécesfaires pour peu de jours. Eh „ Monfieur , dit le notaire, feriez-vous fans cette „ fomme? — Oai, autrement vous la demanderais-je? — „ J'en fuis faché, qui n'a pas d'argent quand il em,, prunte, en manque toujours d l'époque de Véchéan„ cc ; En vérité dans ces tems-ci, Monfieur, Par gent ,, eft de Purgent. Pour mon compte je le crois tout au „ fond de la mer. Celui qui en a gagnè quelque peu „ eft bien fou, s'il ne le garde pas foigneufement. „ Notre homme un peu déconcerté s'adresfe au „ meüieur ami qu'il eüt dans le monde. Ce nouveau „ perfonnage parfaitement bien élevé, accueillit ia „ demande avec une politesfe, telle qu'on devait „ 1'attendre de fon grand ufage du monde, & de „ fes fentimens généreux." Qpe je vous fais gré  258 ESSAI db LlTTÉRATURE. ,, Mon cher James , de me donner la préférence dans „ cette occafwn. Laiffez-moi réflêchir un infiant, vous „ défirez cent guinées; est-ce que cinquante ne fuffira„ tent pas d vos befoins ? - Jl le faudra bien, fi vous „ n'en avez que cinquante d me prêter - Cinquante d „ vous prêter ! je ne dis pas cela, puisque tout au „ plus vingt refient a ma dispofition. - Et bien je „ prendrai les trente chez un autre ami. - Parbleu „ nt ferait-il pas plus Jimple d'emprunter la fomme „ entiere, de eet autre ami, il ne faudrait qu'un bil„ let. Vous favez. que depuis longtems les complimens „ font bamis entre nous; je fuis, jeferai toujours votre » compagnon fidelle.... Mais voyez fur le champ ce », monfieur, enfuite ne manquez pas de nous rejoindre „ pour l'heure du diner. yJdieu, je fuis tout d vous. y, Jamniiiigam, trahi par la fortune , par 1'amitié „ fut affligé mais point abattu: L'amour paraisfait „ a fes yeux un fupport certain. Molly jeune veuv ve , maitresfe de fa fortune , lui avait fouvent „ prodigué toutes les avances, qui ne blesfaient pas „ la modeltie de fon fexe: II courut chez elle plein „ de douces espérances. Bientót hélas! 1'expérience „ lui apprit qu'un amant dans la mifere, trouve „ peu de beautés favorables. Molly n'était plus „ maitresfe de fon cceur, devenu le partage d'un „ homme trés riche, de plus, difait-elle , également „ honnête & fenfible : Tous les voifins prévoyaient v déja fon mariage, „Cependant chaque jour dépoullait monpauvre ami „ de quelqu'effet: Ses habits coururent piece par pie-  LlTTÉRATURE ANGLAISES. a59 ce chez 1'ufurier : Enfin on le vit revêtu des triftes livrées de 1'indigence; mais fe croyant encore a I'abri d'une urgente nécefiité , d'après „ de nombreufes invitations dont quelques unes „ faites, même depuis fa ruine: II prit la réfolu- tion d'accepter des diners, paree qu'il en manquait. „ Une femaine fe pasfa dans ce nouveau genre de „ vie , fans qu'il recüt d'affront, d'aucun de fes „ amis; mais bientót leur patience fe lasfa. „ La derniere fois que je Vis Jammingam , ce „ fut chez un vénérable eccléfiaftiqiie. Sa vifite me pa„ rut bien calculée avec 1'heure du diner puisqu'on 5, mettait la table : Je le vis s'asfeoir fans invitati tioh ; parler fans qu'on répondit, apprendre a la „ .fociété, qu'il n'était pas de meilleur moyen pour 4, gagner de 1'appétit, qu'une promenade comme cel„ le qu'il venait de faire dans le Pare: La beau„ té du linge recut fes éloges : Nous eumes la de„ fcription d'une féte donnée la veille* danslaquel.„ le le gibier avait manqué. Tous fes efforts fu„ rent vains, ils n'arrachèrent pas une politesfe. En- fin Pinfortune , trouvant le maïtre du logis fourd „ k tous fes petits artifices, alla domter fon appé„ tit par une feconde promenade du Pare. ,, Vous donc, 6 Pauvres, mes connaisfances, mes „ amis , mes compagnons, a quelqu'état que le „ fort vous réduife, dans quelque lieu oü le fort „ vous jette, qu'il me foit permis de vous offrir „ un confeil fondé, hélas! fur une facheufe expérienv ce : ]?our obtenir une chofe ne paraisfez pas eü  fi;o ESSAI de LlTTÉRATURE. 6 avoir befoin: Adresfez vous de préférence a tout „ autre fentiment qu'a la pitié. Vous pourrez ti„ rer des fecours folides de 3a vanité, de lamour ,, propre, même de 1'avarice , jamais, jamais de la „ compaifion. L'éloquence du pauvre fepousfe ; fa „ bouche fut-elle ouverte par le génie & par la „ fagesfe choquerait, tant on craindrait qu'elle ne „ fe fermat qu'après une désagréable demande." Malgré mon estime pour les Romans Anglais ce ne fera pas par un d'eux que vous commencerez votre étude de la langue. La préférence appartient nu Speclateur, cours pratique de morale , modele de bonne critique , école de vertu, en un mot colleétion tmique, dans le genre de laquelle, rien ne fe rencontre chez les autres peuples. L'éducation, 1'objet le plus important aux yeux d'une femme honnête & fenfible, parait on ne peut mieux discutée chez les autres Anglais. Le fpectateur, a fes autres belles qualités, joint celle de préfenter aux peres de familie, aux inftituteurs, des vues faines & neuves. Ce ne ferait pas, je' penfe, fans en tirer des avantages, que vous réuniriez , ce qui disperfé dans plufieurs (jnm) volume» refte de peu d'effet. {mm) J'ai traduit du fpecT-ateur tous les morceaux relattfs a ]'éducationJ Quoiqu'ils foient trés bien faits, j'y trouve plufieurs pomts fur Jesquels il m'est impoffible de ne pas différer, ce qui m'a fourni le fujet de quelques remarques. Mon projet était de fi.re parattre ce travail a la fuite de I'eiTai de Littérature, mais 3 en al été détourm1 paree qu'il y a déja une tiaduftion francais  LlTTÉRATURE ANGLAISE. 971 La langue Anglaife, dont la prononciation préfente aüx étrangers des difficultés infurmontables, est entendue fans beaucoup de peine : Les terminailbns tirées du latin, celles en grand ncmbre , qui font les mêmes que dans le francais, font autant de fecours. Les auteurs modernes ont encore applani la route: Depuis plufieurs années les Anglais ont adopté la conitruétion direcle ; notre grammaire étant devenue la leur, ils écrivent réellement en francais avec des mots Anglais. Vous ne rencontrerez donc dans les ouvrages nouveaux aucuns de ces anglicismes qui arrêtent quelques fois, dans les auteurs anciens, même dans ceux du dernier fiecle. Une trés grande différence fe trouve entre la langue employée par le philofophe Stéel, & celle dont depuis peü a fait ufage Gibbon : Gibbon hiftorien profond , lumineux, éloquent, que PEurope en eet inftant honore de fes regrets, malgré 1'espece de froideur répandue fur tout ce qui tient a 1'esprit & aux arts. Plufieurs Anglais regrettent des expreffions, des tournures , auxquelles leur langue devait un caraélere trés prononcé. En la foumettant trop aux coups d'une fcrupuleufe lime , on efface fa phyfionomie , on lui dérobe cette chaleur ferme & foutenue, qui femblait imprimée par 1'esprit public. Les poëtes confervent plus de tours caraftériftiques, du fpectateur. Si cependant mes lecleurs penfent que ce recueil peut-être de quelqu'utilité, je les prie de vouloir bien nTen in* ftruire , je le livrerai volop tiers a rimpreffion.  *7* ESSAI de LITTERATUREN. le langage du fublime Pope, celui de Paimable Prior font encore adoptés par les poëtes, qui aspirent & la gloire de marcher fur leurs traces. Vous ne les lirez qu'après d'asfez longues études. A ma Patri e. «A.MOUR de la patrie, tu n'es point une vaine chimère : Sans cesfe tu retentis au fond de notre cceur : Tu ne peux , il est vrai, lors des jours d'orage , déployer dans toute fa force ta voix étouffée , par Pambition , la cupidité, la licence ; mais tu reprens tes droits imprescriptibles en quelque contrée, en quelque rang oü la fortune nous place Les froideurs, les railleries, les injuftices fi poignantes, quand on les éprouve, perdent leur amertume dans Péloignement. L'impreffion des défauts de nos concitoyens s'affaiblit, celle de leurs bonnes qualités s'accroit, jusqu'a ce que cette derniere furvive feule. Tout vieillard fent le fouris naitre fur feslêvres, quand il reconnait les vestiges des jeux de fon enfance: Son fang glacé reprend quelque chaleur prés du théatre de fes plaifirs innocens : Son ceil fe mouille encore d'une larme a la vue du lieu dans lequel, pour la première fois, fon caur palpita, Lorsque les pas- fions CINQUANTE QUATRIEME LECTURE.  A MA PATRI E. a73 iions faétices font étouffées, les facultés réeïles fórtent de leur engourdisfement, l'homme parvenu a ce terme renonce aux trompeufes illufions, pour goüter les touchantes jouisfances- a'ors il foule avec attendrisfement la tombe de fes peres. Ses cendres fe confondront bientót dans le même' efpace : Cette idéé dépouille la mort de fes horreurs, fi 1'esprit jouit du réveil des fentimens religieux , fi 1'ame presfent la félicité de rejoindre pour toujours les objets de fa tendresfe. Les peuples rapprochés de la nature, jouisfent le plus des charmes entrainans de ld véritable fenlibilité. Chez ces hommes fimples, les monumens qui renferment les dépouilles de leurs ancétres, deviennent des objets d'un culte tendre & refpeciueux. L'Américain follicité d'abandonner fon habitation, s'écrie: „ Dirai-je aux osfemens de mes,peres, levez„ vous, & fuivez-moi." Le Lapon pleui-e, languit, bientót expire de regrets, lorsqu'une main cruelle 1'arrache a fes foyers. L'étre fuprême dans fa munificence fit a ce peuple, des dons dignes d'envie; fon cceur aimant s'épanche fur tous les objets qui 1'entourent : Par lui d'horribles retiaites font ornécs, de rigoureufes faifons adoucies, des disgraces phyfiqués oubliées. Uzés ne fleurit pas au milieu d'une riche campagne ; ne voit pas fes muts baignés par un fleuve; ne domine point fur de vastes contrées; n'ouvre pas fes portes a d'immenfes avenues; n'étale point de magnifiques palais; n'est pas vivifiée par le commerTOM. II. S  274 ESSAI de LlTTÉRATURE. ce ; n'est riche ni des tréfors de Pinde, ni des chefs-d'ceuvres des beaux arts. Des mönts aridef annoncent fon approche ; des rochers énormes Pentourent; de triftes oliviers les prêtent leurs faibleè ombrages. Des maifons baties fans faste, disperfées fans ordre remplisfent fon humble enceinte; des tours, antiques, noires, élevées portent au loin une méiancolie dont on ne peut fe défendre: Cependant au milieu de 1'éclat de( la plus fuperbe cité , mes regards fe retournent fans cefse vers eet afile. Son image gravée dans ma mémoire, flétrit les beautés qui m'entourent. Je ne foulage mes ennuis que par Pespérance Avec quel' empresfement, je fui- vrais les finuofités de ce fentier pierreux, qui conduit a un vallon resferré, mais charmant. De fon fein jaillit Peau que les Romains tranfportèrent a fi grands frais, dans les murs de la voluptueufe Nismes. Afiis pres de fon basfin, plongé dans de douces rêveries, je réflechirais fur la naisfance, les progrès, la chüte des ouvrages] des humains. Cet aquéduc modefte dans fon principe s'éleve rapidement jusqu'au comble de la magnificence: Plus Ponde s'éloigne de fa fource, plus elle perd de fa limpidité, plus elle est furchargée d'ornemens; mais en vain les maitres de la terre ont-ils foulevé des bloes effrayans, ont - ils entasfé des carrières, Ia faux du tems a déjoué leurs efforts. Des ruines feules nous rappellent leurs gigantesques entrepifes. Quelques débris, tels que le Pont du Gard, déployant une entiert majefté, femblent confervés, comme d'éternels  A MA PATRI E. 275 monumens de Pinitabilité des empires. La race des mortels capables d'exécuter de fi importans trava ux, est efface'e d'entre les puisjances. Le vertueux fils de Caton , Porcius pénétré des derniers conieils de fon pere, évita les honneurs, courut chercher un féjoüf tranquille : Satisfait de vivre bon, jufte , généreux ; fe répéiant fans cesfe. „ Quand le vice triomphe, quand 1'autorité s, est entre les mains d'hommes impies, le poste de „ Phobneur fe trouve dans une noble retraite." II fut frappé d'une folitude des Gaules, y jetta les fondemens d'une ville. L'amour de la liberté, transmis avec le fang de Caton, donna a cette ville naisfante le nom d'Utetia, en mémoire d'Uiica, dont une feule aftion perpétuera la renommée de fiecles en fiecles. , ' Les circonftances d'après lesquelles , le fondateur fixa fon choix, font devenues des obftacles a 1'aggrandisfëment d'üzés: Sa prospérité n'est pas parvenue au point que promettait, l'a&ivité, & Pintelligence de fes habitans. Cette colonie conferve plufieurs traits caraclériftiquea, qui fe transmettent avec peu d'altération. Les hommes fpirituels, vifs, légers, font malins fans méchanceté, impatiens fans haine , hardis fans confiance : ün défir inquiet, porte leurs regards fur tous les genres d'étude ; mais bientót lasfés ils quittent les objets avant de les posféder parfaite-, ment: Quiconque préterid éblouir par un faux favoir, par une apparence de talens, doit chercher un S 2  276" ESSAI de LlTTÉRATURE. autre théatre : Sur celui-ci il fe verrait bientót dé* masqué, rien n'y étant inconnu. Les femmes plus jolies que belles , plus coquettes que fenfibles, plus enjouées que galantes, femblent dans le fecret des graces, fur les moyens de plaire. Des teints vifs & animés ne paraisfent légerement rembrunis que pour mieux contraster avec 1'émail de fuperbes dents: Des voix harmonieufes & juiles rendent certains, d'lieureux fuccès en mufique : Des formes élégantes & Sveltes invitent a la danfe: Des pieds mignons & fugitifs rappellent Camille; cette Camille plus vite que les vents (*): „ Elle eüt „ volé fur des grains préts a être moisfonnés, fans „ courber leur fommet onduleux, fans que fa cour„ fe brifat un feul épi. Si elle fe füt faite une „ route au milieu des mers, les flots 'foulevés 1'eus„ fent portée, 1'onde n'aurait pas fouillé la plante de „ fes pieds." Des mains délicates & adroites couvrent de rofes, des chafnes, dont les années ne fauraient diminuer la force. LTJzétien fi jaloux de fa liberté, la perd fans retour prés de 1'objet qu'il aime. Jamais il ne tente, il ne défire de rompre fes engagemens. A moins que 1'abfence Hélas! il en éprouve toutes les fuites dangereufes. Ce lieu peu connu , s'honore d'avoir produit & posfédé plufieurs hommes célebres. Mercier fleurit avant la renaisfance des lettres; ( *) Virgüe.  A MA PATRI E. 177 D'abord livré a 1'étude des loix , il y fit des progrès , qui furprirent fes contemporains, fans fiatter fon amour propre. La jurisprudence fur laquelle, d'illuftres magiftrats ont depuis répandu de la clarté, préfentait dans ces tems reeulés un cahos incohérent. Tout esprit lage ne pouvait que resfentir un infurmontable dégout, pour de grosfieres pratiques, d'abfurdes chicanes, de fuperftitieufes préventions. Mercier renonca promptement au barreau ; mais incapable de vivre dans 1'oifiveté , il ne fit que changer 1'objet de fes études. Les langues favantes étaient trés en vogue dans le feizieme fiecle : On les mettait a une valeur excefiive , on éprouvait pour elles, une paftion qu'il eüt été fage de niodérer, fans vouloir comme les beaux esprits de nos jours, 1'éteindre. La coupe Hébraïque, Grecque, Oriëntale est d'une majeftueufe fimplicité , qui fe fait regretter dans les plus beaux ouvrages de notre fiecle. Mercier partit de Touloufe , pour occuper a Paris la chaire d'hébreu que le favant Valade laisfait vacquante. Ce poste honorable & lucratif femblait le fixer ; mais les troubles religieux rendirent fon élcugnement nécesfaire. Venife Pappella, & le recut avec diftintfdon. Admis prés des grands , comblé de faveurs , 011 le croyait heureux , il 1'aurait été fans le fouvenir de fa patrie. Dès'que la permiflion lui en fut accordée, Mercier quitta les canaux bruyans de Venife, pour couler fes vieux jours, fous les arcades paifibles d'Lzés. Les grands travaux desféS 3  s78 ESSAI de LlTTÉRATURE. chèrent fon corps; mais n'eurent' aucune influence fur fon efprit, dont le feu brilla jusqu'au dernier moment de fa trés longue vie. Jofias Mercier joignit a la vaste érudition de fon pere , une critique bien plus faine. Parmi plufieurs de fes ouvrages, encore utiles,fe diftinguent d'excellentes notes fur Tacite. Mercier parvint au bonheur glorieus, de contribuer a Pélévation d'un écrivain, reconnu pour le plus favant homme de fon fiecle: II fut 1'iniütuteur, Pami, le beau pere de Claude Saumaife. Nous ne confervons de Croy que quelques livres de theologie. Ils font femés de traits d'esprit, d'éclairs d'imagination, d'épanchemens de cceur, qualités qui femblent étrangeres a ce genre d'ouvrage : Elles caufent peu de furprife, lorsque Pon connait la vie de Pauteur. Croy naquit dans le fein d'une familie illuftre; la nature joignit fes dons aux faveurs de la fortune. Tout concourait a lui préparer une briilante carrière. L'ambition détruifit fes espérances, & creufa fous fes pieds un abyme afireux. Ses parens jaloux de foutenir Pofiencation d'un fils ainé, uniquement chéri, forcèrent leurs autres enfans a embrasfer Pctat eccléfiaftique. Croy fe jette aux pieds des auteurs de fes jours, demande la révocation de eet ordre cruel. ,, O mon pere! O ma mere ! fouf„ frez que j'évite des liens odieux : Laisfez-moi „ fuivre Je parti des armes. Je ne demande qu'u„ ne épée. Que mon frere garde des biens méprifa-  A MA PATRI E. 279 „ bles a mes yeux : L'homme de courage n'a bet „ foin d'aucun fecours. Vos regards fe détournent, „ mes prieres ne fauraient vous toucher Eh bien „ frémisfez 1'engagement qu'on me pre- ,, fcrit ferait un facrilege. Mon corps, mon es„ prit, mon cceur, ma vie ne m'appartiennent pas. „ L'amour a fait Emilie fouveraine abfolue de tout „ mon être. Le Ciel pris a témoin"..... L'indignation du pere ne connait plus de bornes, il s'écrie : „ J'ai pu par excès d'indulgence , ne pas in* „ terrompre vos prieres, mais je ne faurais fuppor„ ter 1'idée d'un auffi fanglant outrage; comment a „ mon infcu vous avez eu 1'audace de donner „ votre foi. Une prompte foumisfion peut feule „ appaifer mon jufte courroux : Sans nul retard, re,, cevez les ordres, ou le plus févere ch&timent tom„ bera fur votre tête." Le trait frappant avec violence fur un marbre tres dur, loin de pénétrer , réjaillit & blesfe la main affez imprudente pour le lancer ; de même, 1'aveu par lequel Croy penfait désarmer fes parens , hata fa ruine, entraina celle de fa bien aimée. Le fecret d'Emilie parut au jour, fa familie voulut en effacer jusqu'a la moindre tracé. Un cloitre enfevelit cette infortunée. Le même jour les deux amans furent traïnés aux pieds des autels: Leurs bouches prononcèrent le vceu de vivre pour 1'Eternel ; leurs creurs répétèrent le ferment de s'idolatrer jusqu'au dernier foupir. Croy puife dans la perfécution, une inébranlable S4  a8o ESSAI de LlTTÉRATURE. fermere, brave les dangers, brife les fers d'Emilie: Déja ils ont franchi 1'enceinte cruelle ; ils font a Geneve ; ils tombent a genpux devant le confiitoire; ils tendent des mains fuppliantes, ils atteJlent la Divinité. „ Pasteurs vénérables, bienfaifans, „ éclairés; au nom i de la religion, de Phumanité , „ de Ja juftice , deux vidimes d'une affreufe barba„ rie implorent vos fecours; leur reconnaisfance.. Les miniftres, Jes relévent , les acceuillent, les unisfent. Ces époux parfaits vinrent donner a üzés Pexemple dume tendresfe mutuelle. Tous deux s'y montrèrent partifans, défenfeurs, apótres de la religion dont leör bonheur était 1'ouvrage : Ce fentiment est bien naturel, qui pourrait ne pas s'attacher a la fource d'oü découle notre félicité ? On défire , on espere la retrouver dans d'autres féjours: Douce illufion des ames fenfibles, qui leur fan entrevoir le bonheur fuprême, au milieu des objets qu'elles chérisfent, Nos citoycns font encore émus a 1'approche du fimple réduit dans lequel la Thébaide fut compofée. L'asped de? lieux inilue beaucoup fur la marche de 1'esprit, fur le feu de 1'imagination , fur les mouvemens du cceur; Racine vis-a-vis d'une Montagne , fur laquelle s'élevent de loin en loin quelques arbuftes tortueux, & dont la cime n'est jamais foulée par aucun être vivant , ne put fe livrer a cette inépuifable feniibilité qui pare de charmes fi entrainans, fes divins écrits: II répandit le fang a granis  A MA P A T R 1 E, *8l flots | Un coinbat pénible, caufé par le contraste de fes penchans naturels a^ec fa pofition du moment, produifit le mélange d'horreurs, & de faiblesfes, qui rejette les freres ennemis, fi loin des chefs-d'ceuvres du prince des poëtes francais. Ce premier élan d'un génie dans fon aurore, reste au desfus du vol de ilufieurs.écrivains asfez orgueilleux pour n'en parler qu'avec mépris. Molière y reconnut le germe de Pbédre. Corneille ne pliant pas fon génie aux foins nécesfaires a Pobfervateur; crut que la France, n'ah lait ajouter a fes richesfes littéraires, qu'un poëte comique asfez médiocre. Marfolier préféra le calme d'Uzés, au tumulte de la capitale : Nous devons a la retraite , des hifloires' qui font lues avec plaifir. Un ftyle léger, vif & coulant, fait pardonner quelques oublis, quelques mconféquences, quelques affeétations. L'esprit encraine par fois eet écfivain : II prédit, alors, les événemens que peu après on var»; de cette conduite réfulte une géne aflez pénible. La vie de Xiróenès porté les empreintes d'un vif défir de faire connaitre Pimpqrtanee du röle qu'a joué eet ambitieux & fier prélat. Revêtu d'un froc, les pieds dans des fandales, Ximenès futminiftre, conquérant, despote. Sou cordon fit longtems trembier PEurope, Les Castfllaris frémirent de porter le joug d'un moine; mais leur indignation s'exhala en piaintes vaines, en liumilians murmures. Cette autorité fans exemple , acquife avec la fagesfe, foutenue par le courage deyint de jour en jour plus reS5  28a ESSAI de LlTTÉRATURE. fpecïable. Ferdinand jaloux de l'homme qu'il avait forti d'un cloitre, chercha fa perte dans des moyens bas & honteux: Tous échouèrent. Ce prince, le plus habile politique de fon fiecle, dépouillant au lit de la mort toute crainte, remit fes états entre les mains de 1'objet de fa haïne. Le grand homme force tót ou tard fes plus implacables ennemis a fléchir devant lui. L'Hiftoire de Henri VII, peut-être le chef-d'ceuvre de Marfolier, fait les délices des leéteurs attachés h eet intéresfant genre d'ouvrages. Les hommes fages, admirent non fans quelque furprife, 1'impartialité , la critique, la fagesfe , le courage déployés dans 1'hiftoire de 1'inquifition & de fon origine. Nos modernes efprits-forts, dans leurs discours empoulés, n'ont rien dit deplusjuste, de plus fort, de plus précis, contre ce funeste tribunal que toujours la France abhorra. Un fentiment trés tendre unisfait entr'eux Rancé & Marfollier. La vie du célebre réformateur parut remplie d'un feu refpeétable, qui la rendit plutöt un panégyrique, qu'une hiftoire. Est-ce donc le fujet d'un reproche févere ? Je le demande a tout homme fenfible, parlera-t'il jamais fans émotion de fon ami ? Erasme réunisfait fous fes éiendarts, des difciples, des admirateurs, des enthoufiastes. Dans cette foule érudite,dont notre gotit aétuel ne permet guéres de concevoir 1'exiftence, Marfolier fut distingué: Ne fe bornant pas a une apologie également propre, a lui  A MA PATRI E. 283 faire des ennemis, & a honorer fon caractere, il imita 1'auteur qu'il célébrait. Sés entretiens tracés dans le genre des Colloques familiers, contiennent üe fages confeils fur les devoirs de la vie civile , plufieurs bonnes maximes de morale, quelques principes trés chatiés pour les mceurs; mais ces titres estimables font noyés dans des lougueurs: On regrette furtout , 1'enjouemcnt, la vivacité , la hardiesfe du philofophe Ho'landais. O trop fortuné Erasme, tu honoras une patrie digne de toi: Ta ftatue immortalife la reconnoisfance de citoyens affez éclairés, asfez justes pour refpecter le mérite. Ce monument confacré au génie verfe fur Rotterdam des rayons d'une brillante gloire. L'ame élevée qui le fixe, fent la chaleur d'un feu éleftrifant. On parcourt a regret nos fuperbes cités, fans rencontrer les images de ceux qui furent leurs ornemens, leurs bienfaiteurs. Combien ces images, paraitraient plus nobles, plus intéresfantes, que les faftueufes décorations du luxe, ou de l"orgueil. Si les recherches auffi favantes que curieufes de Marfolier, fur 1'origine des dixmes, eusfent été plus répandues, elles auraient pu prévenir une foule d'erreurs. Firmin Abaufi fut dans fa première jeunesfe [arraché d'Üzés, par fon zéle pour le calvinisme. Geneva le compta parmi les plus fermes foutiens; de fes dogmes, parmi les plus habiles champions de controverfe. Si fes nombreux ouvrages de théolo*  384 ESSAI de LlTTÉRATURE. gie confervent peu d'intérét, il rven esc pas de méme d'une fuperbe édition de Phiftoire de Geneve, par Spon : Ce travail fera dans tous les tems, mis a une trés grande valeur,- Abauii,doux, modefte, & pieux fut encore plus refpedé par fes vertus, que célebre par fes taleas. Cofte rempli du défir d'être utile , a rendu des fervices bien au desfus de Pestime qu'ils obtiennent. La tradudion de 1'esfai fur 1'entendement humain , compte au nombre des principales caufes du progrès' de la philofophie en France. Quand Loke fit l fa patrie 1'inapréciable préfent que j'ai déja réclamé comme une proprieté commune au monde entier, la langue Anglaife était peu répandue. Cette circonftance, je 1'avoue , augmenta le fuccès de 1'entreprife du favant TJzétien ; mais ce ferait une erreur de penfer qu'elle a perdu toute utilité. Non feulement les perfonnes qui favent la langue Anglaife ne font pas en aufii grand nombre qu'on lc penfc, mais plufieurs d'entr'elles échoueraient en entreprenant la ledure de Loke. Les faits hiftoriques fe lient entr'eux , les fituations romanesques s'entrainent mutuellement, les peintures poëtiques tiennent, foit a des penchans univerfels, foit a des allégories connues : Peu d'efforts bien dirigés conduifent a la jouisfance de ces diTerfes parties: Des raifonnemens profonds, des découvertes fubtiles, des obfervations ingénieufes, des objets neufs, font difficilement faifis: Aucun guide  AMAPATRÏE, 285 pour conduire, aucun appui pour foutenir, aucun point póur fe reconnaitre: Perfonne qui ne puisfe fe rendre certain de la diffcrence de lire dans une langue étrangere , un ouvrage de littérature , oü d'étudier dans cette même langue, un traité dé métaphy» fique. Coste , érudit, exaét & fage, a döhhé plufieurs éditions devenues claffiques pour la jeunesfe. Les fuccès en ce genre, touchent plus le cceur, qu'ils ne flattent 1'orgueil. Les notes fur Montaigne font traitées comme minutieufes & fuperflües pai' plufieurs Francais : Les feuls étrangers me paraisfent k eet égard des juges compétens: Pour eux Coste a travaillé. Plufieurs parient avec éloge de ces notes mifes par nous a fi peu d'estime. La vie du grand Condé puremeht édi-ite ^ trés exaéte & bien penfée, reste froide fans que néanmoins aucun reproche puisfe a bon droit retomber fur Coste. Le nom feul du héros dei Rocroi embrafe 1'imagination. Tout leéteur, trés ému d'avance, s'attend k des mouvemens, qui ne naisfent que dans la poéfie, ou dans 1'éloquence. La voix de Bosfuet atteignit le faite du fublime en célébrant ce grand homme, dont il avait avec PEurope admiréles éclatantes qualités, dont il avait chéri de prés les aimables vertus. Ce ion impofant contrasterait avec celui de Phiftoire. Manes que nous aimons, que nous refpeétons! Si ma voix est trop faible, pour faire entendre au loin de* éloges dignes de vous, je me glorifierai du moins  a86 ESSAI de LlTTÉRATURE. de 1'avoir tenté. Puisfent mes efifarts ne pas refter infruclueux : L'esquisfe que j'ai crayonnée, fournira peut-être a quelques-uns de mes concitoyens, le plan d'un vasie tableau. Plufieurs posfédent des talens asfez diftingués pour lui donner une fuperbe ordonnance, pour le revêtir d'un coloris délicieux. J'ai déja jetté quelques fleurs aux pieds de 1'intéresfante JVP. Verdier. Prés d'elle vit un frere empresfé de Pimiter, le favant, le modefte, le vertueux Allut: L'encyclopédie le reconnaït peur un de fes plus utiles coopérateurs. La modeftie, Pamour du repos, la févérité du goüt impofent filence a quelques hommes fupérieurs. Un magiftrat refpedable fut longtems Pornement, la lumiere d'un des plus illustres tribunaux du royaume : Organe de fon corps il porta la vérité jusqu'au pied du tróne. Les ministres étonnés reconnurent hautement le pouvoir d'une éloquence fondée fur la juftice. Ses beaux jours confacrés au fervice de la patrie, lui asfurent une viellesfe honorable dans le fein d'un ftudieux loifir .* 11 n'a quitté le temple de Thémis, que pour rendre un culte empresfé dans celui des Mufes. Les premiers érudits de PEurope fe plaifeut a lui oflrir un rang parmi eux. Un mortel favori de la nature posfède au fuprême dégré les talens, les vertus. Son génie s'est d'un vol aufii foutenu que rapide, élancé dans les hautes régions du monde intelleétuel: L'antiquité n'a plus de fecret a fes yeux. Son ame, Sanétuaire de bienfai-  A MA PATRI Ë. $|| faöce, fubjugue par un attrait Angelipe: En Pécoutant les cceurs les plus durs font amollis: Prés da lui on fe plait, on s'édaire, on est touché, bien* tót on fe fent meilleur. Je ne vous laisferai pas dans Poubli, le Francais poëte facile, philofophe enjoué, ami conftant. La fortune vous a perfécuté , les chagrins vous font trop connus ; la calomnie vous a déchiré. Ces obftaclél fans étouffer vos grands moyens, ont fuspendu ïeur entier développement. Je place ici quelques pasfages dJune épitre, fruit de votre loifir pendant de bien beaux jours. Ces jours étaient filés par Pamour, par Pamitië J Des plaifirs tranquilles, des études modérées embellisfaient tous leurs momens: Ils commencaientj ils S'écoulaient, ils fe terminaient dans une paix parfaite. Quelques tendres défirs, quelques foins empresfés prévenaient la triste monotonie, Paccablante indifférence. L'ambition Pintérêt, Porgueil ne répandaient pas ce venin, qui flétrit tous les biens, Pouvions-nous penfer qu'ils pasferaient avec tant de rapidité, & fans laisfer d'espoir de retour. Sombres idéés, inutiles regrets, fatigante prévoyance , éloignez-vous: Que je puisfe donner quelques in* ftans a d'aimables images, & répéter fans nul trouble des fons qui m'ont jadis parü. fi doux.  m ESSAI de LlTTÉRATURE, Tandis qu'en ce moment plus d'une belle enrage, De vous voir prêtdfuir eet aimable féjour, Un ami qui chez vous n'a vu que votre page, Vmak vous y fouhaker , bon & trés court voyage; Surtout grade nouveau , mais non nouvel amour. Quand l'objet qu'on adore est auffi beau que fage, Ah! c'eft un crime affreux de fe montrer volage. Pdrtez bien amoureux, revenez bien conftaht , h'abftnce a des écueils dont Ufautfe défendre , Au plaifir de changer gardez vous de vous rendre , Le vérkable amour n'est jamais conquèrant. Le changement n'est fait que pour l'homme de cour : Ld le cceur le plus faux a droit de tout prétendre, Mais fouvent pris lui-même, au piege qu'il veut tendre, L'homme le plus heureux n'est pas l'homme du jour. Foici des vérités faciles d comprendre: Le bonheur est le lot d'un cceur fidelle £? tendre j II s'enfuk au plus loin de tout être inconftant. Quoiqu'on doive d mon age en favoir plus qu'au Votre, A regret avec vous je fais ici l'apbtre, Car fi c'est un travers d'être volage amant, V~>us êtes ***fi jeune & fi charmant. Qjie ce ton, quel qu'il foit, vous fied mieux qu'a tout autre. CIN-  A MES ENFANS. 289 A Mes Enfans. IMCes peines fe font troavées un peu fuspendues, tant que j'ai trayaillé. Cependant un poids terrible oppresfe mon cceur : Un nuage épais couvre fans cesfe mes yeux.... La nature n'a plus d'attraits pour moi.... Mes jours font affreux.... Mes enfans! je les appelle a toute heure. Tancrede, Fanni... Loin de vous, point de paix : Pour vous feuls j'exifce , Pefpoir de vous prouver ma tendresle, prolonge feul une vie inutile a la fociété, a charge a moi-même. Lorsque je buvais a longs traits dans le calice de Pinfortune, votre fouvenir foutenaic mon courage: En penfant a vous j'ai bravé fatigues, injuftiecs, perfécutions, calomnies. Toute chaleur s'éceindrait dans mon fein, fans Pefpérance de travailler un jour a votre bonheur. Si le ciel me condamne a ne pas fatisfaire le befoin le plus presfant de mon cceur, a ne plus vous donner mes foins, a ne pas tourner a votre avantage une expérience fi ehérement achetée , puisfe bientót fe terminer une pénible carrière : Recevez mes adieux & ce peu de confeils. Reconnaisfez & refpeétcz avant tout le pouvoir de Ia religion, fans elle on ne peut marcher d'un pas ferme dans le chemin de la vertu. Tom. II. T CINQUANTE CINQUIEME LECTURE.  spa ÊSSAI üb LITTÉR.ATÜ R.Ë» Préférez les qualités du cceur a celles de 1'efprit EtoufFez dans fa naisfance la vanité; fi ce dé* faut vous fubjugue, vos ettbrtspour 1'étoufFer échöüe* ront: C'est Phydre de la fable dont les tétes abattues rënaisfaient fur le champ. Qui cherche des admirateurs, ne rencontre le plus fouvent que des ennetnis (II). Couvrez-vous donc du manteau de la médiocrité , fous lui feul vous jouirez de la paix: Soyez fertnes dans vos réfolütiohs; celui qui h'a point de caractere , devient tót ou tard jouet des circonftances & dupe des intrigans. „ Rien de plus „ certain, que les carafteres faibles ont le doublé inconvénient de ne pas pouvoir'fe répondre de leurs „ vertus, & de fervir dJinftrument aux vices de „ ceux qui les gouvernent (*)." Oppofez un front ferein a 1'infortuhe : Dés lors elle vous honorera, peut-étre même elle deviendra falutaire. Souvent la peine qui déchire notre coeur, est un creufet dans lequel Ia vertu s'épure. Jouisfez du bonheur , mais fans en étre ébloui: Le plus envié cache fous fes brillantes parures de cruelles inquiétudes: Le plus folidement fondé s'écroule d'un inftant a 1'autre. Tel triomphe au lever de Paurore, qui gémit avant que le foleil ait terminé fon cours: Les biens, les grandeurs, la volupté fe font évanouis, comme une fumée légere fe diffipe au moindre fouile de vent. Le navigateur impru- (*) Duclos.  a Mes enfans. fl01 dent & préfomptueux, fe berce, s'endort, dans une aveugle fécurité tant que fon vaisfeau vogue fur la furface unie des flots; il ne prévoit pas les violens asfauts que lui prépare ce point noir, presqu'imperceptible fur 1'horizon. Le nuage groffit, approche, s'entrouvre; de fes flancs fortent, la pluye, la foudre , les éclairs: Les resfources de 1'art, les efforts du courage, mis trop tard en ufage, échouent: Cette tempéte dont la prévoyance, eüt diminué les dangers, rompt, brife , fubmerge. Le calme dans la prospérité , la réfignation dans Pinfortune diftinguent le fage : ,, Si Punivers brifé, s'écroulait, fes ruines le frapperaient fans PetTrayer." (*) Portez vis-a-vis de vos femblables, cette douce, cette attachante indulgence, qui fi fouvent vous fera nécesfaire. Les moralistes rigides , rendent nos vices plus funestes. Pourquoi refufer tout pardon , condamner toute faiblesfe : Cet exeès de févérité nous pousfe dans Pabyme, a Pinftant oü une main compatisfante nous en fortirait. Menagez la fusceptibilité, commune chez tantd'étres honnêtes: Les hommes froids la regard ent comme une chimère: Les hommes durs Pappellent démence: Tous Péyitent, comme non moins a charge pour qui en est témoin,-que pour quiPéprouve. Comment blame-t-onles plaintes de Pinfortuné , lui feul connait le dégré de fes fouffrances. Les plus cruelles injures font quelques fois celles qui paraisfent les plus légeres aux (*) Horace.  aca ESSAI de LlTTÉRATURE. témoins indifférens. St. Réal dit avec raifon s Pénétrez le dégré de fenfibilité de vos amis, car c'est elle qui mettra le taux a vos bienfaits comme a vos torts vis-a-vis d'eux. Cultivez le talent de la converfation (III) qui confifte a plaire aux autres, en les rendant contens d'eux-mêmès. Ne parlez jamais de vous paree que ,, fe louer „ est d'un orgueilleux, fe déprécier est d'un in- „ fenfé (*). Préférez la folitude des champs a 1'éclat trompeur des cités. Habitant des campagnes, tu ferais trop fortune fi tu favais apprécier ton bonheur : Loin du luxe, a 1'abri de la flatterie, étranger aux défirs dévorans, tu trouves la fanté, Paifance , la paix, dans nn travail, fain, agréable & modéré : Tu répands 1'abondance; tu contribues au foutien de 1'état; tu encourages 1'industrie ; tu fecouresle pauvre. „ Ren„ tré dans tes foyers , d'aimables enfans attachés a „ ton cou te prodiguent leurs innocentes caresfes. „ Ton toit rustique est le vrai temple de la pu,, deur : Une époufe tendre & vertueufe comble tes „ vceux. De fes mains pures, elle verfe les dons „ de Bacehus, le pere de la joie franche (t).J> Dédaignez les fociétés frivoles, formées par 1'ennui, entretenues par 1'orgueil, oü des jours précieux fe confument parmi des êtres indifférens qui ne s'ai- S * ) Socrate, ( f ) Virgile.  A MES ENFANS. 293 ment, ni ne s'estiment, mais qui cherchent a s'étourdir fur le fardeau pénible d'une oilive exi» ftence. Ecudiez les hommes: L'expérience, la méditation font les plus grands maitres en ce genre. Néanmoins d'utiles legons fe rencontrent dans ce refpecTable Helvetien , ce Lavater dont la fagesfe & le génie marchent a la clartd d'un flambeau qu'al„ lume Pamour de Phumanité. Redoutez le goüt des voyages, après bien des courfes fatigantes , on finit toujours par dire en foupirant : L'esprit peut aimer les voyages, Mais le cceur aime le Jejour. Soyez jaloux de votre propre estime, elle vous asfurera celle des gens de bien: Le mépris de Popinion publique annonce le comble de la dépravation: La crainte des traits du méchant, des épigrammes de Pohlf devient le dernier excès de faiblesfe. L'homme, qui ne rcfpeéte pas la vérité,tombe dans Pavilisfement : Le prodigue ne faurait être généreux : L'avare est inhumain. L'ordre , 1'esprit de juftice , 1'obéisfance aux loix, Pamour de fon fouverain, 1'inaltérable bonté, voila les biens les plus précieu'x que l'homme puisfe posféder ; s'ils vous font aceordés, votre partage fera digne d'envie. Gardez-vous de regretter les faveurs de la fortune; quelques richesfes, quelques places qu'obtiennent 1'ambition aidée des talens, foutenue pir la T 3  394 ESSAI de LlTTÉRATURE. patience, fecondée par d'heureux hazards, les revers prouvent bientót la vérité de cette fublime maxime : „ Les ceuvres des humains fontfragiles comme eux (*)." Prés des cendres de mon bienfaiteur, arrofez-Ies fouvent de vos larmes; priez fa fille, votre bonne, votre refpeétable ayeule , de vous répéter les legons dont il voulut éclairer ma jeunesfe, legons pour mon malheur trop peu fuivies: Hélas! le ciel me Pa ravi au moment oü fes fecours m'eusfent été les plus nécesfaires. Ce mortel fut fimple, aimable, («») complaifant, généreux. Le fourire de la bonté rendait fes traits touchans: Des connaisfances variées ornaient fon efprit naturel: Une douce bonhomie laisfait éebapper les nombreux élans de fa riche imagination.- Une inépuifable philantropie animait fon ceeur: Un courage élevé embrafait fon ame. Son feizieme lustre s'ouvrait, quand ü pardonna la plus noire ingratitude , quand il courut a cent lieues venger une injure. La fenfibilité le fit descendre dans la tombe. Des ncEuds formés par Pamour , resferrés par Pamitié , Pestime, Phabitude furent rompus : Les regrets de furvivre a celle qui pendant quarante années avait été une partie de lui-méme le confumèrent. Nos foins vifs, tendres, & continus ne purent (') Voltaire. C»«) J. P. Venant Marquis D'ivergni ni J Arras en 1711, mort s L'zés au mois d'Aoflt 1785.  A MES ENFANS. 295 arracher une larme de fes yeux. Son cosur était brifé, tout efpoir nous fut ravi. La nature encore pleine de force , repousfa 1'anéantisfement par des efforts qui rendirent afFreux fes derniers momens. Des maux cruels ne fervirent qu'a déployer 1'inébranlable fermeté de fon caractere. Sans fe livrer aux regrets, aux murmures, aux craintes, mouvemens fi faibles, fi communs, fi pardonnables , il ne prononca que ce peu de paroles : „ Pourquoi „ ne mourrons - nous pas comme nous naisibns, a notre inscu." Je puis comme Tacite, m'écrier: „ Sa fin fi cruel„ ]e pour nous, affligea fes amis, ne fut pas irtdif„ férente aux étrangers : Perfonne qui fe réjouit „ de fa mort. Notre douleur recoit quelqu'adou„ cisfement de 1'idée , que le deftin Pa fouftraie „ aux violens orages de fa patrie : II n'a pas vu „ la cour , Pobjet des outrages, les magiilrats asfail„ lis par des Satellites, 1'état entierement changé: „ II n'a par gémi fur la chute de tant de têtes il„ luftres, fur la fuite de tant de perfonnages re„ fpeélables, de tant de femmes intéresfantes. D „ a donc été heureux pour le calme de fa vie , „ pour le tems convenable de fa mort." O mon bienfaiteur, la plus nohle partie de ton être, cette ame image facrée du Tout puisfant n'est pas anéantie : Elle regoit la juste récompenfe due aux hommes de bien. J'aime a penfer que les objets qui te furent chers excitent encore ton intérêt. Tel est Pempire d'une imagination profondément T 4  396 ESSAI de LlTTÉR ATURE. émue: Mes yeux fans cesfe te voyent. Mon coem -tresfaille aux fons touchans de ta voix s Mes études je t'en confacre le fruit: Mes fautes, je les pleure a tes pieds: Mes adtions louables, je t'en rends hommage : La vertu , je 1'apprécie a fa haute valeur; je 1'encenfe d'une main tremelante; je 1'invoque avec tranfport, paree que toujours a mes regards, tu la chéris, tu la pratiquas , tu la montrasparée des charmes les plus eiitrainans. Ta préfence m'éleve au desfus de .moi-métnfc, m'affermit contre les rigueurs du fort, me rend infenfible aux traits de la haine. II m'approuve.... fort de cette feule idéé je brave, les froideurs, les injuftices, les perfécutions. 1  CONCLUSION. 297 CONCLUSION. P .aie. arvenu prés du but vers lequel fe font dirigés mes pas, un mouvement mêlé de crainte, d'espérance & de plaifir agite mon cceur : Je redoute les arrêts d'une févere critique ; j'attends des jouisfances de votre indulgente amitié; je me plais a la vue du motif qui m'infpira. Mon défir fut de contribuer a la perfection des agrémens du fexe le plus aimable, de faire éclore des vertus dont le germe fe trouve presque toujours au fond de fon cceur: Aucun travail ne peut conduire a de plus intéresfans réfultats. Mortel ! jaloux de remporter cette palme , fi la fenfibilité te fut refufée , de quelques talens que la nature t'ait doué, il ne fappartient pas de parler a des êtres qui puifent tout leur esprit, toutes leurs vertus dans les facultés de leur ame , non dans 1'trganifation de leur téte. Des fuccès en ce genre asfureraient des droits a' la reconnaisfange univerfelle, puisque les mceurs publiques, ainfi que les mceurs privées, font 1'ouvrage des femmes: Entre leurs mains fe trouvent le bonbeur des états & celui des particuliers; vérité fentie par les pbilofophes de 1'antiquité la plus reculée. Simonide a dit: „ L'bomme ne peut posféder au-  298 ESSAIde LlTTÉRATURE, „ cune chofe qui foit meilleure qu'une bonne femme, „ ni aucune chofe qui fait pire qu'une méchants femme." La reconnoisfance a jetté les fondemens de ce faible ouvrage, c'est le titre qui m'a valtr plufieurs fecours, fans lesquels mon entreprife resterait pri. vée de fes plus précieux ornemens: 11 me ferait bien doux de rendre hommage a ceux qui ont enrichi ce recueil; mais un engagement précis me défend tout éloge, Je fens combien il est diflïcile de parler des perfonnes, a qui l'on a des obligations, fans qu'il échappe des traifs propres a blesfer la modeftie. Vous acquitterez ma dette par vos applaudisfemens; lis ne feront que précéder, ceux dont le public comblera dans peu le nouveau traducfteur de Théocrite, Kous verrons un agréable poëte bucolique ajouté au petit nombre de ce genre , que notre littérature compte. Plufieurs morceaux de eet esfai font fortis d'entre fes mains; la fable de la rcfe , la charade fur le mot volage, & le dernier impromptu. Ce ferait une privation trop dure , que de ne pas préfenter a vos regards, les vers ingénieux & légers que eet aimable littérateur m'adresfa après avoir recu Tin exemplaire de Phiftoire de la Rivalité de Cartbage & de Rome. Votre rivalité de Rome & de Carthage, Croyez moi, pour mon cceur, eft un préfent bien doux. De vos heureux talens bien loin d'être jaloux, Ceft unplaijïr pour moi, que de vous rendre hommage,  CONCLUSION. 299 Et tous les fentimens que féprouve pour vous , Sont la certitude 6? le gage, Que la rivalité , qui brille dans Pouvragc , Ne peut jamais exijler entre nous. C'est MademoifeJle , du feul fentiment qu'une ame blesfee tire des remedes; j'ai donc cherché & rencontré des resfources dans les preuves du dévouement entier, empresfé & refpeétueux, dont mon coeür est rempli pour vous: Si mes foins vous deviennent utiles ou agréables, ils feront trop payés. FIN.  goo ESS A 1 de LlTTÉRATURE. (• y Le fonnet & le logogryphe. N 0 T E S. (I) Segrais fut asfez hardi, pour traduire en yers 1'Enéide ; mais il échoua dans une entreprife trop au desfus de fes forces. Sa poéfie faible dans Péglogue , n'approche jamais du ton épique: Toujours elle languit, devient même basfe , quand fon auteur la croit naturelle. Le jeune poëte dont je vous ai déja préfenté quelques morceaux (*), a bien voulu, cédant a mes défirs, tenterla cópie de Pépifode de Cacus. D'abord furpris de Pimpofante & majeftueufe beauté de ce fuperbe tableau , il ne s'en est approché qu'avec refpect, qu'avec crainte : II y renoncait même fans les prieres de 1'amitié toujours facrées pour lui: Puisfent les applaudisfemens du public , devenir le prix de fa complaifauce , & la fource d'une vive émulation. EPISODE DE CACUS. Traduit de Virgile du VIII Livre de PEnéide Voyez de ces vieux monts les débris disperfés, Sur d'énormes rockers ces rochers entajfés, Ces amas monjlrueux , ces immenfes décombres : Ld, parmi les détours de ces cavernes fombres, Cacus avait fixé fon horrible fejour; ' A ce monftre Vulcain avait donné le jour :  N O T E S. Sa bouche de carnage & de fang affamée Vvniffait des torrents de flamme & defumée; Son fouterrain, jonché de cadavres fanglants , Offrait des malheureux les membres palpitants; Son bras toujours fumait du fang de fes viclimes, Et fur les mürs du rot ,feul témoin. de fes crimes^ Demeuraient fuspendus des fquelettes hideux. Enfin les immortels exaucèrent nos vceux' Le Dieu, dont en ce jour nous célébrons lafêtef Vünqueur de Gérion & fier de fa défaite, Alcide, le fléau de tous les ftélèrats, Alcide triomphant, vifita ces climats. Jl trainait après lui, pour prix de fon Courage , Des troupeaux qui couvraiem la plaine <$? le rivage A cefuperbe afpetl, tranfporté de fureur, Cacusfent bouillonner fa criminelle ardeur; Jl choifitfix taureaux & fix belles gèniffes ; Et ce monftre enfantdnt les plus noirs artifices , Les détourne avec foin, & vers fes foutenains, Les traint a reculons par différens chemins, Afin que de leurs pas Vempreinte dangereufe, Ne tracé le fentier de fa caverm affreufe. Alcide cependant, rasfemblant fes troupeaux, Se préparait bientót d quitter ces cotz.iux; ' Mais , avant defortir de leurs gra:, puturages, Les taureaux de leurs voix fom gétnir nos parages: Soudain une géniffe, d kurs mugisfements , Répond du fond du roe par fes gèmisfements, Et trompe de Cacus -Pefpoir trop téméraire. Le héros de Tyrinthe, enfiammé de cokre,  Soa ESSAI de LlTTÉRATURE. Prendfes omes; d'un pas guidé par la vakur, Ils'élance: Cacus eft faifi de terreur, Efetrouble, ilpalit, ilprévoit fa iéfaite, ■Et plus prompt que Péclair ilfuit vers fa retraite. Un rocker, foutcnu par des chaines de fer , stux bords dufouterrainfe balancait dans Pair: Cacus veut de fon antre obftruer le pasfage, Et d'un bras que pousfaient la frayeur & la rage E brife tous ces fers fabriqués par Fulcain, ' Et le roe abattu ferme fon foutenain. Le valeureux Alcide, armé de fa majfuc, E>e Pantre de Cacus en vain cherche une ijfue: Trois fois , en frémijfant de rage & de fureur , i Eparcourt PAventin; trois fois avec douleur, Jlébranh le roe, & trois fois hors d'haleine, Le héros fatigué redescent dans la plaine. Sur la croupe du mont un rocker fourcilleux, Desfmiftres oifeaux refuge ténébreux, Couvrait du vil Cacus les demeures profondes ; Inclinévers le Tibre il menacait fes ondes : Alcide avec vigueur lepous/e vers fes bords, E Pagite, il U rompt; cédant dfes efforts, Ee roe déraciné roule vers le rivage, Sous fn. énorme poids il fait trembler laplage , De Phorrible fracas tOlimpe au loin mugit , Le Tibre épouvanté recule hors de fon lit. Pour la première fois dansfafombre taaiere, Le monftrueux Cacus voit entrer la lumiere. Si par unefecousfe, ou de longs tremblements.  N O T E s. 303 L'utïivers, ébranïé jusqden fis fondements, Decouvrak d nos yeux fes plus profonds abymes , Nous verrions de la mort les tremblantès vi&imes, Ctt empire odieux , eet infernalfêjour, Et les mdnes tröublés par la clarté du jour} Nous entendrions du Styx le ténébreux murmure, Vhorreur des immortels , Peffroi de la nature, fnterdit, slagkant au fond du foüierrain , * Etfaifant de fes cris retentir VAventin, Cacus ne peut cacher fes mortelles allarmeSi L e héros a retours d toutes fortes d'armes ; BieMdt du haut du montfur lui de toutes parts , E faitpleuvoir des troncs , des rochers & des dards* Cacus , ne pouvant fuir, de fa bouche enfiammée, O prodige ƒ vomit une épaiffe fumée f Et de fes tourbillons enveloppant ces Heuse Dans lefond de fon fort fe dérobe d nos yeux. Mais Alcide, malgré les vains feux quHl lui lance% Furieuxfur le monftre au même inftant s'élance, Et bfavant fa fureur, parmi les flots de feux t E lefaifit, lepreffe, & dans fis bras nèrveilx, ƒ/ Pétouffe: Soudain, jailliffant de fa tête, Lefang d gros bouillons inonde fa retrahe: Laporte eft renverfée &c. Le Chevalier de Floriaw, (III) Le talent de la converfation me parait il avantageux, que je crois rendre un fervice réel aux jeunes gens, en leur donnant ici 1'extrait d'un esfai, dont le fameux Fielding est auteur 1 ,j Tout homme bien élevé, dëvaht fe propofef ,* dans fes aétions comme dans fes discours de con>, tribuer au plaifir, même s'il peut au bonheur de j, ceux avec- qui il vit, fon premier foin fera touj, jours de rendre fes défauts les moins importans Tom. II. V  3o6 ESSAI de LlTTÉRATURE. „ poffible, & de travailler k fe mettre aü niveau des „ fociétés dans laquelle il fe trouvera; foit en élé„ vant ceux au desfous de li, foit en évitant d'être importun a ceux au desfous." „ Combien donc parait abfurde la conduite de „ Cinedoxe qui, ayant aifez profité de 1'avantage w d'une bonne education pour faire des progrès „ dans différens genres de connaisfance, mêles con„ tinuellement , aux converfations famiiieres des „ fujets relevés : 11 parle d'auteurs claffiques devant des femmes, & de critiques Grecques parmi des „ jeunes gens rasfemblés pour s'amufer, n'infulte-t-il „ pas aux fociétés fur lesquelles il atTecte de la fu„ périorité, & dont il facrifie impitoyablement le „ tems au défir de fatisfaire fa vanité ? „ Combien est différente 1'aimable conduite de „ Sophone qui, quoiqu'il furpasfe de beaucoup Ci„ nedoxe en habileté , fe foumet a parler des ma„ tieres les plus futiles, plutöt que d'en introduire }, d'étrangers aux perfonnes avec lesquelles il s'en„ tretient : II fait avec les dames juger des mo„ des, inventer des amufements: Parmi les gentil„ hommes campagnards il s'occupe de chevaux, „ de chiens, de chasfe ; eet homme qui discute , „ qui développe les questions les plus importantes „ & les plus profondes, s'étend agréablement fur „ une parure, fur une courfe de chevaux. Aucun, „ de ceux avec qui il vit, ne foupgonnerait fes vaftes ,, connoisfances fans la juftice que s'empresfent i if lui rendre les gens inftruits.  N O T E S. So? U Coffiparons enfemble ces deux hommes: Cine„ doxe fe propofe de fatisfaire fon orgueil , au ris„ que d'offenfer ceux qui 1'écoutent. Sophone au „ contraire ne penfe qu'a leur plaifir. Dans la fo„ ciété de Cinedoxe , chacün devient triste de fon. „ ignorance, & foupire après' la fin d'un entretien niausfade: Avec Sophone tout le monde fe mon„ tre content; fait cas de fes propres connaisfan„ ces; Lorsqu'on traite des fujets graves qui de„ marident beaucoup de fuite & d'habileté, 1'admi„ ration fe voit quelques fois contrainte pour le pre„ mier, mais s'accorde toujours avec empresfement, „ avec joye an dernier; autant celui la est évité, „ autant celui-ei eft recherché. „ La conduite de Cinedoxe peut donner en par- tie lieu a une öbfervation que vous aurez fou„ vent occafion de renouveller ; c'eft que la canver„ fation des hommes d'une fagacité ordinaire , est „ fouvent préférée d celle des hommes fupérieurs." „ Le monde en cela agit plus fagement qu'il ne „ parait au premier afpeél, car contre 1'espece de „ répugnance commune a tous les hommes pour donner leur admiration, peuvent-ils tencontrer „ rien de plus ennuyeux, de plus désagréable que „ des discours au desfus de leur portée : Autant „ vaudrait enteudre les fons d'une langue entiere„ ment inconnue. Si quelques fois nous paraisfons 9, défirer une fociété fupérieure a nous en habiletéj, „ ou en fciences, c'est un facrifice fait a notre vanité qui nous perfuade que par la nous donneV 3  3b8 ESSAI de LlTTÉRATURE. „ rons une haute opinioti de notre mérite. Pour' „ une chimère, nous renoncons a goüter les plaifirs „ fuites naturelles des converfations agréables. „ II exiile en outre une autre- faute trés com„ mune , également deftructice du plaifir, quoiqu'é„ loignée de devoir fon origine a aucune fupério„ rité réelle d'esprit ou d'inftruétion. C'est quand „ quelqu'un discourt, fur les détails d'une profeffion „ tout a fait étrangere a la fociété,fi Pon en excep- te un ou deux individus. Les militaires, les „ gens de robe, méritent fouvent des reproches en „ ce genre d'après 1'habitude de vivre asfez géné„ ralement entr'eux. „Celui qui parle trop, déplait nécesfairement, „ quelques foient fes moyens, a moins qu'il ne fe „ laisfe aller a de miférables bouffonneries, paree „ que le mépris qu'elles attirent devient une espe„ ce de compenfation des applaudisfemens arrachés dans d'autres genres. „ Un homme bien élevé ne prend la parole que „ lorsque fon tour vient: Loin de fe livrer a 1'im„ pétuofité de fon caraétere, il ne parle pas méme „ avec trop de chaleur en discutant. II s'efforce „ furtout de cacher toute fupériorité , certain que „ laisiér appercevoir au public des pre'tentions n'est .„ pas moins imprudent que de préfenter fon fein „ découvert & fans défence, au fer d'un ennemi: „ Chaque homme tient dans fa main un poignard », prêt a frapper la vanité des autres, partout oü „ elle perce.''  N O T E S. 309 „ Les principeaux moyens de rendre la converfation M agréable font, que les discours foient mis a la „ portee de tout le monde, & roulent fur des fu„ jets qui intéresfent également tous les affiftans -r „ que chacun fe voye admis a parler, enfin que „ toute dispute, tout emportement, toute violence „ foient evités avec foin. „ Je ne faurais pasfer fons filence la plaifante„ rie fi difficile a bien manier, & qui trop fou„ vent me rappelle la fable du petit chien & de „ l'dne. Telle chofe parait agréable & légere en„ tre des mains habiles , qui devient dans d'autres „ lourde & facheufe. Quiconque veut employer „ 1'art fi dangereux de railier, doit ne jamais per„ dre de vue que le bonheur , ou le plaifir des „ hommes eft le but de la converfation. C'est „ entierement s'en écarter que d'affliger, que de „ mortifier quelqu'un en 1'expofant au mépris des „ autres. La raillerie ne doit donc porter que fur „ quelques faibles, asfez légers, pour que celui „ qui la recoit, puisfe en rire lui méme. Tout „ malheur , toute faute grave, tout vice ne faurait „ en devenir 1'objet, puisque leur feul fouvenir „ devient un affront. „ Quelques gens de beaucoup d'esprit parvien„ nent a faire de la raillerie des éloges trés flat„ teurs, en paraisfant accufer de ce dont on est ,, le plus éloigné. „ Deux remarques importantes termineront eet „ esfai. V3  3.10 ESSAI de LlTTÉRATURE. „ Tout homme , qui fatisfait fon mauvais natu9, rel & fa vanité aux dépens des autres en les in„ fultant, en les contrariant, ou même en leur „ caufant de la confufion , mérite d'être rejetté. Celui, qui par fa complaifance , par fa dou„ ceur s'efForce de contribuer au bonheur, è la „ fatisfaftion des autres, a droit de fe faire re5, chercher dans le monde, dans quelque place que „ la fortune 1'ait relegué, & quelques médiocres „ que foient les dons qu'il a recus de la nature."  TABLE GÉNÉRALE. T O ME PREMIER. pages Envoi j Première Lecture ^ Religion g Seconde Lecture g Etude de la Langue Francaife .... p Rhétorique It Mythologie T£ Troisieme Lecture jg Livres propres d former le goüt . . . ip Quatrieme Lecture 2^ Livres d'agrément 28 Cinquieme. Lecture %j Du beau ^ 'Exemple du beau gg Ouvrages qui approchent du beau fans Vatteindre 41 Sixieme Lecture Eloquence ^8 Eloquente de la chaire Oraifons funebres §g Septieme Lecture 60 Eloquence du barreau 60 V4 I  $12 T A B L E GÉNÉRALE. pages Haute Magifirature , , 60 Avocats \ 64 Eloquence guerriere 67 Huitieme Lecture 70 Eloquence des Académies 70 Eloquence d'adminiftration 75 Neuvieme Lecture ...... 78 Poéfie ........... 78 Dixieme Lecture . 87 Poéfie épique 87 Poëmes de différens genres 93 Onzieme Lecture pp Ode 102 Sonnet . . 10.5 'Fable ............ 106" Conté . . 112 Douzieme Lecture np Epitre 119 Satyre . . . . 123 Epigramme 128 Treïzieme Lecture ..... • iap Jdyle 131 Eglogue 132 Elégie 133 quatorzieme lecture .... 141 Poéfie légere ......... 141 Quinzieme Lecture 151 Ckanfon , . . 1.51 Impromptu ......... 155  TABLE GÉNÉRALE. 313 pages Infcription Epitaphe . ..... 157 Madrigal 159 Enigme 160 Epithalame 163 Seizieme Lecture 166 Tragédie . , , 166 Dix Septieme Lecture .... 180 Suite de la Tragédie 180 Tragi-Comédie , jpo Dix Huitieme Lecture .... 192 Comédie ip2 Dix Neuvieme Lecture , . . . ai6 Suite de la Comédie , . , .... 21Ö Farce 221 Parodie 223 Vingtieme Lecture ..... 223 Opéra 223 Opéra Comiquz^ 232 Opéra Bouffon 233 Vingt et Unieme Lecture . . 234 Logique 234 Métaphyfique 236 Métaphyfique du fentiment 338 Vingt Deuxieme Lecture . . . 239 Morale . , . . 339 Morale Univerfelle 339 Morale Locale ... s ... . 247 Vingt Troisieme Lecture . . 252 Voyages 252 V 5  3'4 TABLE GÉNÉRALE, pages royages gênéraux 256 Vryages particulier* z^ Vingt Quatrieme Lecture ' 2cg vLéê^on 8 Vingt Cinquieme Lecture . . 20-4 Hiftaire Naturelle ; a(J Vingt Sixieme. lecture . 20-8 MarThe de V'esprit humaia .... 25g Encyclopédie . . . Vingt Septieme Lecture .' ' . ^ 2?4 Education . . Vingt H-uitiemi Lecture ; ' ^ 24ï , ..." 384 Essai sur l'étude de l'Histqire' . 287 Envai a Hyppolite- .... 2o7 Esfai ... ' 390 VINGT NeUVIEME-LeCTURE . . . 3,5 Romans . . ^ 330 Trentieme Lecture 34i Suite des Romans ^ Trente et Unieme Lecture . . 34s Suite des Romans ,4g constance imitée DE l'anglais * 355 ' Envoi d Cécile ^ Confiance ....... ,. . 3^3  TABLE GÉNÉRALE. 3x5 TOMÉ S E C O N D. pages Trente Dêuxieme Lecture . . 1 Ouvrages de Gaieté 1 Trente Troisieme Lecture ... 6 Critiques 7 Journaux 1° Ditlionnaires . . 15 Trente Quatrieme Lecture . . T-S Ouvrage qu'il eft dangereux de lire trop tot i$ Livres dangereux pour le cceur ... 1$ Livres dangereux pour 1'esprit ... 17 Trente Cinquieme Lecture . . 20 Livres licentieux prohibés 20 Livres contre la religion 21 Essai sur les Femmes 26 Envoi a ma vertueufe amie T. . . . . 25 Femmes auteurs 34 Style épistolaire appartient aux femmes . 35 Succes des femmes dans Vantiquité . ; 40 Succes des femmes en Francs .... 41 Lettres 43 Romans 45 Ouvrages Utiles 51- Ouvrages agréables 52 Ouvrages de fentiment 58 Poéfie ........... 62 Vers de Société . - 76 Succes en Vers & en Profe 78  Siö TABLE GÉNÉRALE. pages Thêatre gQ Tradudion -? Eloquence g^ Erudition & Sciences 86 Prétention d Vesprit 5I jDévotion ^ Ambition Femmes appellées au gouvernement . , 100 Talent pour reconnaitre le mérite , . 100 Proteilrices des talens IOg Jnfiuence des femmes dans la fociété . . 107 Pouvoir de l'tfprh au desfus de celui de la beauté l IQ Pouvoir du cceur au desfus de celui de Jjp* 112 Conclufwn . IT„ Trente Sixisme Lecture . . r „5 Science, érudition IT6 Philofophie moderne Politique I30 Trente Septieme Lecture . . 122 Littérature Ancienne I22 TraduUions Trente Huitieme Lecture . . i2? Littérature Grecque & Latine ... 127 Trente Neuvieme Lecture . , 131 Poéfie des Anciens ng! Quarantieme Lecture «... 164 Tragédie des Anciens ...... 164  TABLE GÉNÉRALE, %ï? pages QüARANTE ET ÜNIEME LECTURE 167 Comédie des Anciens 4 \ . é . , 167 TraduBions enVers . * . , , , . 171 Quarante Deuxieme Lecture . 172 Eloquence des Anciens . 4 . . , , 172 Qüarante Troisieme Lecture 180 Livres clajjiques des Anciens i . . 180 Quarante Quatrieme Lecture 183 Sciences des Anciens 183 Quarante Cinquieme Lecture 188 Morale des Anciens t 188 Quarante Sixieme Lecture . . 198 Morale locale des Anciens . . . . 198 Quarante Septieme Lecture 201 Moralistes de la plus haute antiquité . . 201 Quarante Huitieme Lecture . 209 Supériorité des anciens fur les modernes 209 Quarante Neuvieme Lecture . 213 Langues modernes ....... 213 Langue Hollandaife 215 Langue Efpagnole . , 2i5 ClNQUANTIEME lecture .... 217 Langue Allemande 217 Cinquante et Unieme Lecture 234 SuiJfe 234 Cinquante Deuxieme Lecture 239 Langue Jtalienne 239 Cinquante Troisieme Lecture 244 Lhtèrature Anglaife 244 V  313 TABLE GÉNÉRALE. pages Cinquante Quatrieme Lecture 272 A ma Patric - -- -- ~_„ 2^2 Cinquante Cinquieme Lecture 289 A mes Enfans 2g^ C0NCLUSI0& No tes _ . m 3qo Epifode de Cacus traduit en vers var M.A.G. ƒ_ soo Lettre de M. de Florian - - - - _ Extrait d'un effai fur la converfation par Fiedling - GRAVURES. Vue du Bosquet de Lacq d'après la Jïtuation , de la page 2. du premier Volume. Perfpective d'O.... lieu dans lequel s'eft pasfé févénement de la page 32. du fecond Volume.  Lis te dbs Noms cïtès dans VEffai de Littérature : Ils font rangés par ordre alphabeti^ue. A. Abndie. Abaufl* Abel. Ablancourt* (D') Abraham. AchiUe. Aüé. Adam- (Pere) Adele. AdiiTon- Agricola. Agrippa. Agrippine* Agueflèau. (D') Albane. Alcibiade. Alembert. (D') Alexandre Ie grand* AHut- Améric Vespuce» Amyot. Anacréon. Anaxagore. Anaximene. A- Ancoürt* (D') André* Angell. Anne de Ruflïe* Anniba! Ie grand. AnquetiL Anfon. Are- (D') Archélaus» Archer. (L') Archimede. Argens- (D') Argonne. (D') Arhetée. Ariofte* Ariftide, Ariftophane» Ariftote. Arnauld. Arnauld de Baculard* Aflbuci. (D') Atticus, Aubert. Aubigné.  S2o B Auger. (D') AugufteAulaire- (S*-) Aunoy (MadAurele- (Mare) Aiiteroche (D') Ayrault, B. Bachaumont. Bacon. BailletBanier» Barbier. (Mad.) Bar boa; Bartbe- BartheletnI. Baflbmpiere. Baftlen. Batteux. (Le) Bayle. Beau. (Le) Beauharnois (Mad ) Beaumarchais. B. (Prince) Beaumelle. (La) Beaumont- (Elie de) Beaumont. (Elie de Mad ) Beauregard. Beauzée* Bébé. Beddemart; Belloi (Du) » Benoit (Mad.) Benferade- Bergier. Bernard. Bernard- (Mad-) Bernier. Bernis- Berquin. Bertauld. Bertin. Bespias. Biesvre (de) Bion» Birron. (Marechal) Bitaubé- Blancbet (Panden) Blancbet (Moderne) Bletterie (La) Boccage (Mad. du) Boileau- Boilet. Boismorand.' Boiffy Bolingbroke' Bomard- Bonnard' Bonnet. Bontems. (Mad.) Boftu. Boffuet. Bouflers. (Mad.de) Bouflers- (Chev. de) Bon  c Bougainville' (De) Bougainville. (Jean P.) Bouhours. Eoulainvilliers. Bourdaloue. Bourdic. (Mad.) Bourignon. (Mad ) Bourfaulo Boyer. Brantome. Brebosuf. Bregi. (Mad. de) Briuon* (Mad- de) BriiTac. Brofielsrd* Brueys. Brumoy. Brun- (Le) Bruffe. Brutus. (M-) Bruyere. (La) BufFon. Burrhus. Bufli Rabutin. Bufli. (Mad.) C. Gidmus de Milct. Cailhava- Cain. Calas. Caligula. Tom. II. C m Calonne. Calprenede< (La) Campiftron. Canaye. Cafaubon. Cafotte, Caffandre. Catherine II, Impératrice ie toutes les Ruflies. Catinat. Caton d'Utique. Catulle. Caylus. (Mad.) Cecile Henriette. Cervantes- Céfar. (Jules) Chabanon. Chamillard. Champfort. Chapelain, Cbapelle; Charlemagne. Charles-Quint- Charles VII. Charles XII. Charleval. Charpentier. Charron, Chatelard. Chatelet. (Mad.) Chaulieu' Chauffée. (La) X  D Cheminais. Chcnicr. Cheron. (Mad.) Chevrert. Chevrier- Choifi. Chompré, Chriftinc* Cicéron* Cimon* Cincinnatus* Claude. Clément de Geneve* Clément* Clerc- (Le) Clodius* Coger* Colardeau* Colin d'Harteviile* Collet. Colletet. Colomfa. Commines. Comtat* (Mad.) Condamine. (La) Condé. (Le grand) Condillac. Condorceti Confucius, Conti. (Prince de) Corinne* Corneille. (Picrre) Corneille. (Thomas) Cofte* Coulange. (Mad. de) Courtin* Crébillon* Crebillon. (Fils) Créqui* Crevier. Cromwel; Croy. Cynéas- Cyrano de Bergerac* Cyrus- D. Dacier. Dacier. (Mad.) Damours* Dampmartin de Col/ogue. Dampmartin de CoIIogne(Mlle, Danchet* Daniël. Dante. (Le) Dardenne. Darius. p*. (Frédéric) Demétrius. Démocrite. Démofthénes. Denis. (Mad.) De Nelle. (Mad*) Descartes. Des Fontaines»  E Des Houlieres- (Mad.) Des Houliétes' (Mlle-) Desmahis- Desportes- Deftouches. Diderot. Diodes. Dixmerie. (La) Domitien. Dorat- (L'ancien) Dorat- Dracon. Dryden» Dubos.: Ducisi Duclos. Dupaty. Dupleix. Dupuis. Durfé. Duffieux. E. Elifée- Elizabeth. Epi&ete. Epicure. Erasme- Eschine. Eschyle. Efope. Eftiffac. (Duc d') F 323 Eubolide. Evremont. (St-) EuIIer. Euripide> F- Fabricius- Fagan. Favart. Fayette- (Mad- de Ja) Faye- (La) Fenélon. Ferdinand. Fergusfon- Ferrieres' Fielding' Filotaya. Flécbier. Fleuri. Florian' Folard. Fontaine- (La) Fontange, (Mad. de) Fontenelle. Force- (Mad. de Ia) Fort. Fortiguera. Franc (Le) Francois I. Francois- (Le) Frédéric. (Le grand) Freron. X 2  224 Ö II Fresny. (Du) Frouquet- Fufelier- G. Gaillard. Garnier. Gaflendi. Gédoin. Gelais. (St.j) Genlis. (Mad. de) Geoffrin. (Mad. de) Germanicus. Gesfner, Gerbier- Gibbon. Gien.' G. (Achille de) Girard. Givri. (Mad de) Goethe. Goidfmith. Gomes. (Mad. de) Gourville. Gournai (Mad- de) Graccbus" (Caius) Grace us. (Tiberius) Graffigny. (Mad- de) Grammont, Grange (La) Gnsfin. Greffec Guebriant. (Mad. de) Guercbeville. (Mad. de) Guerin. Guibert.' Guimont de Ia Touche. Guife. Guitave, (Adolphe) H- Haller. Hamilton. Harley. Harpe- (La) Héliodore. Hdvetius. Helvidius' Hénault- Henri I' Henri III. Henri IV- HLnri VlU Hérodote. Héfiode. Hocke- Hocquincourt. Homere« Hopital. (L') Horace. Hortalus- Hortenfius- Hume. Hyparchie-  L L 325 Hyppolice, I. Innocent III* Ifocrate J- Jacob. Jefus Chrift. Jethro- Joinville- Joucoux- (Mad-) Jofephe. (Tavien) Julie. Juftin. Juvenal. K» Kain- (Le) Klopftok- Konismark. (Mad. de) L. LabouteurJ Laclos. Lafare. Lafofle- Lagrange Chancel. Laiffac. Lalemand* Lambert. (Mad.) Lambert. (S'.) Lamoignon. Langlet du Fresnoy. La Rive. Larivée. Latourdaigue. (Mad) Lavater- Lavau. Laures, Lauris» (Guillaume) Laufan. Lelius. Le Mi'ere. Lenclos. (Ninon de) Leon X. Léonard. Licinins- Lille. (De) Linguet. Locke- Loncbamps. Longepiere. Longris. Longueville. (Mad. de) Louis IX* Louis XI. Louis XIV. Louis XV- Louis XVI. Lucain- Lucicn. Lucrece. Lulli- X 3  326 M M Luffan. (Mad-) Luther. (Martin) Luxcmbourg. (Mr- de) Lycophron. Lycurgqe. Lytteleton. M. Mably. Mabomet. Maillard- Maine. (Duc du) Maine- (Mad la Duchefle duj Mainbourg. 3Maintenon- (Mad. de) Malherbes- JMallsbranche» Malville. Marivault. Marlborough. Marmontel' Marolles- Marot- (Clément) MarCollier- Martial- Marfin. Mascaron. Maffillon. Maucroy. Maupertius. Mauri. i Hazarelli- (Mad.) I [Mazarïn. (Hortence) Meard. (Sl) Mécene. Medicis. (Laurent) Meillan. Menage- Ménandre- Menot. Mercier- (Jean) Mercier- (Jonas) MercierVleffaline.Vletaftafe. Weude de Monpas, (Chev. de) Heun (Jean de) dit Clopinel. vlezerai, iliddleton. 4ilon. .Jiltiades- Wilton. Mirabeau. lolé- (Matthku Io!é.' 'oliere. tonclar' [oncrif. 'onet. (Mad.) longault. onsma. ontaigne- ontaigne. (Mad ) ontaufier.  p 327 Montespan. (Mad. de) Montesquieu. Montfleuri. Montfort. (Simon de) Montpanfier- (Mad- de) MoratMofchus- Mothe- Le Vayer (La) Motte Houdart- (La) Motte ville. Mourier- (Du) Mouftier. Moyfe- Muralt- Murat. (Mad. de) Mufée. N. Necker. Nemours- (Mr. de) Nemours- Néron. Newton- Nicole- Nivernois- (Duc de) Noue- (La) Numa, O. Octavius. Olivet- .Orléans. (Duc d') Orlcans. Orphée- Orreri. Otowai. Otteville, Ovide- P- Pages. Palaprat» Palisfot. Parny- Pafchal. Pafchal. (Mad.) Paftoret. Pasquier. Patin. (Mad-) Patin. 1 Patrix. Patru, Paul (St-) Pavillon. Paufanias. PelisfonPelegrin»Peréfixe. Péricles. Perrier. (Du) Perrault. Perron. (Du) Perfe. Pefay. Peyroufe. (La) Phaon. X 4  323 P a Phédres,. Phérecide de Scyros, Phiüppe de Macedoine* Pierre le Grand. PieyrePiis. Pilacre du Rofier, Pindare, Piron. Place- (La) Plafon. Plaute. Pline Tanden. Pline le jeune* Pluche. Plurarcque» Poinfinet, Poinfinet de Sivry. Polignac. PolIioD. Poiype. Pompadour, (Mad. de) Pompée. Pcmpignan. (Le Franc de) Pope- Poppée* Porcius. Poule* Poulli. Pradom Piesfot Prior, Properce. Puifieux- (Mad. de) Pythagore. Quinaulo Quince-Curce. Quintilien. R. Rabelais. Racine. (Jean) Racine fils ainé. Racine. (Louis) Ramond. RamfauRamfey.Rancé. Rspiin. Rapin Thirras. Raynal Réal. (St.) Regnard. Regin.er* Renauid. Reny. Refulieres. Richardfon. Ricbelieu. Richer» Ricoboni- (Mad.) Rivarob  s. Riviere. (La) Riviere. (Mad. de La) Robertfon. Rochefoucault (La) Rollin. Ronfurd-. Rouche. (Mad. & MUe. < Rotrou- Roubaut- Roucber- Rousfeau. Qean Baptiste) Rousfeau. (Jean Jacques) Roy. S. Sabliere. (Mad- de La) Sacy. Sage. (Le) Salto. Sallufte. Sapho. Sauvary. Saumaife (Glaude) Sausfure Saxe. Mad. de) Scarron, Scham- Scipion. Scuderi. Scuderi. (Mad.) S*** (Pauline de) Segrais. T 329 Seguirer. Sejan. Semiiamis Seneque. ServanSévigné.) Shakespear. Simonide. Smolette. SocrateSolon. I Sophocle. Spon. Staal. (Mad.) IStael. (Mad.) SteelSterne. Stuart- (Marie) Suze. (Mad- de la) Swift« Sylla. T. Tacite; Talon. Tasfe. (Le) Temiftocle- Tencin- (Mad. de) Terasfon- Térence. Thales. Thargelie.  S30 V. X Themana; Théocrite. Theophrafte- Thomas- Thompfon. Thoot- Thou. (Criftophe) Thoux- Thucidide. Thullier- Tibere. Tibulle. Tite - Live. T * * *• Totte. Touloufe. (C3rd, de) Toureil. Tournefort- Tournemine» Tourneur. Tousfaint. Trajan. Trafea. Treffan- Turenne. (Marc!. de) V- Vadé- Vaillant. Valade» Valiere- (Mlle. de Ia) Valiere (Mad- de la) Valois (Marguerite de) Valincourt. Van Dycfe. Varron. Vaugelas» Vauvenarques Velli. Venant. (M