r i   RECHERCHES HIS, TORIQUES SUR LA C0NN01SSANCE QJIE LES ANCIENS AVOIENT DE L'INDE, Et fur les progrès du commerce avec cette partie du monde avant k découverte dm paflage par le Cap de Boune-Eipérance; Suivies eTuu Appendix contenant des Obfervtfitions fur ï'État Civil, les Loix & les Forma*lités judiciaires, les Arts, lts Sciences, les Inflitutiem religieufes d,s Indiens. Traduit de 1'Anglois de W.ROBERTSON;, Doéteur en Théologie , Membre de iaSociété Roy„:e d'Ëdimbourjj, Principal de l'Univcrfité, & Hiftoriographe de Sa Majcfté Britannique pour l'£cofie. Ayec deux grandet Cartes pour l'inle!!ige,ice de eet Quyragfr- A A M S T E R D A M:, Csiez D. J. C H A N G U I O 'SSM D c e X, C I X.   P R É F A C E L'A U T E U R. La le&ure du Mémoire que le Major Kennel a publié peur ïexplication de la Carte de Clndoftan, a donné naijfance è ïouvrage quon va lire. Ce Mémoire efl tin des plus précieux traités de géographie qiion ait compofés dans aucun pays & dans aucun fiécle. II m"a fuggêré VidéeiTexammer plus complettement que je ne Vavois fait dans mon Hifloire de VAmérique , !a- connoijfance que les anciens avoient de Phde, c? de dómêler ce qu\Uy a de eer tuin, d^obfeur &> de fabuleus dans les détails fur cepays, qui mits ontété tranfmis ju/quki. En emreprenant ce- * 2 ' '  ïv Pref ace de l'Auteur. travail, je rfai eu d'abord d'autre obfet que mon amufement & mon inftruclion; mais en continuant mes recherches, & en comparant avec foin les différens auteur* de Tanüqüité J'ai découvert quelquesfaits, dont les uns n'avoient pas été obfervés, & les autres n'avoient pas encore été exa* minés avec affez d''attention. De nouveU Ies vues fe font ouvertes; mes idéés fe font étendues par degrés & font devenues plus intérejfantes; jufqrfït ce qu enfin fat penfé que le réfuliat dè mes recherches pourroit devenir agréable & infiruilif, en faifant connoitre les différentes manières dont s'étoient établies les Communications avec rinde dans les tems les plus anciens r Ê? combien cette grande branche de com* merce avoit contrib'ué, dans tousles fièclesY a augmenter la richeffe & la pwjfance des nations qui en avoient joui..  PlvÉTACE de l'Al'te ir, y Ccft au public a juger du degré de tr.érite que peuvent cscoir ces recherches. La t econnoifarice que fat confervée peur la bienveillance avec laquelle il a accueilli mes autres ouvrages , ne fait quaugmenter la Jollickude avec laquelle fattendrai fo/i jugement fur celui que ja lui ofie aujourd''hui. Lor/que fai pour la première fois dirigé mes penfées vers ce Jujet, fai tellement ftnti le désavamage quonéprouveenentreprenant de décrire des pays dont on n"a aücune connoiffance locale, que fai pris Pcutes les peines pojfibles pour me garantir des erreurs oü je pouvois tomber. J'ai cot> fulié, avec autant de foin que de perfévérance, tous les ouvrages que fai pu me procurer des auteurs qui ont êcrit fur rinde. Je nai jamais adopté d'opinion pofitive, qui ne jut appuyée de quelque autorité *3.  PnÉFACE DE l'AuTEUR. fefpeclable; & comme fai le bonheur de cotnpter au nombre de mes amis quelques perfonnes qui ont vifité dijjérentes parties de flnde, & qui y ont niême exercé des emplois importans, tant civils que militaires, fai eit fouvent recours a leurs lumièr res, & fai appris dans leur convcrfation des chofes que je naurois pu trouver dans les livre?. S'il métoït permis de les nommer, le'public convlendroit que ces perfonnes méritent bien, par leur difcernement & leurs ta'ens, teute la confance que fai mife dans Uur. autorité. Dans le cours de mon travail,fai fenti mon infufftfance fur un autre polnt. Pour donner une idéé exa&e de fimperfe&ion cü étoit chez les anciens la théorie <5? la pratique de la navigation, & pour expliquer avec iine préclfion phUcfophique la wanière dqnt ils. fxokm la pofuion des  Préface de l'Autedr. vu lieux &> dont ils en calculoient la kngitude & la latitude ,faurois eu befoin tfune plus grande portion de connoifance mathématique que mes autres études ne mont permis d'en acquérir ;mais ce qui me manquoit a eet égard, a été fuppléépar Vamitié &> les foins de mon ingénieux & refpettable collegue, M. Playfair, Profejfeur de mathématique; il m'a 7nis en ét at d?éclair cir tous lespoints quefaieus cttraiter, d'unemanière qui, fefpére, ne laijfera rien a deftrer a meslecJeurs. Cefl a lui que je dois aujft la con/lruclion de deux cartes nécejfaires pour Véclairciffementdemes Recherches, & que fans fin fecours je n'aurois pas entreprife. Je me fuiS conformè, dans eet ouvrage, è une méthode que fai fuivie dans mes premières compofttions, & a laquelle le public fefl accomumé. Jai féparê enttére*.  vi» Préface de l'Auteur. ment la narration hïjlorique des difcusfions fcientifiques & critiques, en réfervant celles-ei pour les notes éclaircijfemens. Je crois pouvoir, fans préfomption, réclamer du moins le mérite d'avoir examiné avec une grande attention ce que je foumets au jugement public, & d'avoir cité avec une fcrupuleufe exa&itude les aur uur-s, dont fai tirè les détails quefexpofe. Au collége d'Edimbourg, le 10 Mai \79u R E*.  RECHERCHES HISTORIQues s u a V INDE ANCIE NNE. Section première. Relations avec VInde, en remontant vers les tempt les plut anciens jusqu'd la conquite de l'Egypte par les Romains. Lorsqu'on veut fuivre les opérations des hommes dans les temps anciens & compter les pas fucceffifs qu'i]s ont faits ^ns les divers objets de leurs travaux, on s'appercoit bientór, avec douleur, que le champ de^l'hiftoire elt extrêmement borné dans ce qu'elle peut avoir de certain. II n'y a guère plus de trois mille ans que les livres de Moïfe onc été compofés ; ces livres qu'on peut regarler comme le monument le plus ancien & le feul authemique de ce qui s'eft paffé dans les premiers Üges du monde. Hérodote, I. Part. &  e UeceistxChes hisïoriques le plus ancien des historiens profanes dont jes ouvrages nous foient parvenus, fleurit mille ans plus tard. Si nous pouflbns nos recherches fur quelqüe point au-dela de 1'e'poque oü 1'histoire écrite commence ,nous entrons dans la région des conjedtures , des fables & des incertitudes: je ne veux ni me h-azarder dans ces terres inconnues , ni m'efforcer d'y entrainer mes lecleurs. Dans mes recherches fur les relations établies entre les pays de 1'Orient & de 1'Occident, & fur les piogrès de cette grande branche de coinmerce, qui, dans 'tous les fiècles , a fi évideminent contribu'é a accroltre la richefi'e & la puuTance des nations qui s'y font livrées, je me renfermerai dans les bornes que je me fuis ^refciites. Par-tout oü lesécrivains facrés, qui avoient en vue des objets plus relevés, rappeileront quelque circonftance propre 4 Bitéclairer dans mes recherches , je m'y tienÖrai avec refpecl. Ce que je trouverai dans les autres écrivains , je 1'examinerai librem^nt, & je tacherai de marquer le degré de confiaïiee auquel ils peuvent prétendre. Ce fut dans les douces & feniks régions <3e '1'Qrient que la première demeure de FhoaiEie fut affigEée par le Créateur. C'efl>  SUR l'Inbs an.CIENNC. g tó que I'efpèce humaine commenca a s'élever aux connoiflances ; & tant par les restes des fciences qui furent anciennement cultivées dans 1'Inde, que par les débris des arts qui y furent pratiqtiés , 1'on peut conjeclurer que c'eft un des premiers pays oü les hommes ayent fait quelque progrès confidérable dans cette carrière. On vanta de bonne heure la fageffe de 1'Orient (0> & fes productions furent trés-anciennement recherchées par les nations éloignées O): cependant les Communications d'un pays ft 1'autre n'eurent d'abord lieu que par terre. Comme il piroit que les Orientaux commencèrent de bonne tieure a afiüjettir les animaux utiles C'3)> ils ^ vireilt bientót en état d'entrepreii. dre las longs & ennuyeiix voyages néceiTaiTes au foutien d'un tel commcrce; & la bonté prévoyante du Ciel leur prépara le fecours d'ime béte de fomme, fans 1'aide de laquelle il leur eüt été impolTible de les achever» Le chameau, par fa force foutenue , par le peu de nourriture qui lui e tl néceflliire , & par la fingularité de fa conRruclion intérieu- CO 1C1'. lKre des RoiSjiv, 50. C-.' Gen. i.xvvii. (3) ibid. kil. 16. xxiv. ic, 11. A 2  4 Recherches iiistouiques re, au moyen de laquelle il fe fait une provifion d'eau pour plufieurs jours, les mit k mêffiï de tranfporter las plus pefantes marchandifes a travers ces déferts qui fe trouvent inévitablement fur la route de ceux qui, des contrées a POueft de PEuphrate, veufefit aller dans flnde. C'eft de cette manière que fe fit le comrnerce , furtout par les nations voifines du golfe arabique , depuis les temps les plus reculés oü 1'hiftoire porie fon fiambeau. Cependant les longs voyages ne furent d'abord entrepris qu'accidentellement & par un petit nombre d'aventuriers. Mais peu a peu, confultant tout a la fois & leur fureté ek leur commodité , de nombreux corps de marchands s'affemblèrent a certains temps , ,& formant une alïociation momentanée (connue depuis fous le nom de caravanes), gouvernés par des chefs de leur propre^choix, & foumis a des règlemens dont 1'expérience leur avoit appris Putilité , firent des voyages dont la longueur & la durée étonnèrent les nations qui n'étoient pas accoututnées a cette manière de commercer. Mais quelque perfection que Pon püt metlr.e dans cette manière de voiiurer par terre  sub. l' In de ancienne. 5 les produdiions d'un pays a 1'autre, les ineomémens qui 1'accompagnoient éJent trop évxdens & trop mévitables. Le danser qui Wfots, ladépeVe^anui, ia S iTen r°UrS k fUitC' 0a teha * Si?^7ü,un^on plus aire&P,us ^ tardfDa inVemeur de es S? ï 11 S apercevo^ qae les rivières, de h l n)er&1'0c^^-n>êa1eécoien d fcnés aouvnr&ficiliter les rapports des ™ des barnères infurmontables. Cependant C ommeje rarobfervédans un autre ouvra- SianS °üï S am fi déJicats &ficom&Tey 'qüÜS ***** div^ talensréunis «< xpér^ce de p]ufieura fiècles pour être Ponés a quelque degré de perfedtion. Depuis 1 ■ 0U rilunib]e ca,10t oü le fauvage «e vn dabord qu'un moyen de franchir 12 rü\ rarrêtdt d3ns le cours de ^ cao h,:i '3 COöflru^n d'un vaiffeau c pable de tranfporter un nombreux équipage une cargaifon confidérable a une cóte COlMoirederAme'riqucvoI. i,p. t. A 3  $ Recherches historkjues- éloignée, le progrès de Tart cft immenft. Que d'tlFort» ! que d'épreuves n'a-t-il pas fallu faire! Quel traval! & quelle foree d'in» vention n'a-t- il pas fallu avant que cette pénible & importante entreprife püt être pfc tée a fon comble! Même après qu'on eut fait qüelques progrès dans 1'art de conftruire les vahTeaux, il s'en failut bien que le commerce des nations enti'elles s'étendit beaucoup fur mer. Si Ton en croit les plus anciens hiftoriens, c'eit fur la Méditerranée & dans le golfe arabique que fe firent les premiers elforts de Ia navigation & que le commerce déploya ft première aétivité. D'après la pofition & la forme de ces deux grandes mers intérkures, il n'elt pas difficile d'ajouter foi h de téls faits. Par elles nous font ouverts les contincns de 1'Europe, de 1'Afie & de 1'Affique , & s'étendant fort au loin le long des contréés les plus fertiles & les premières civilifées de chacune de ces parties du monde j elles femblent avoir été deilinées par la nature h faciliter la communication de 1'une a 1'autre. Auffi vcit - on que les premiers voyages des Egyptiens & des Phénieiens , les. premiers navigateurs donï Fhiftoire falTe meii'  SUR L'I'WDE ANCIENNE. £ tion, fe flrent fur la Méditerranée. Us n9 bornèrenepourtant pas long-temps i£UT Cün^ merce aam pays fitués fur ces cótes. Ea fe. reiKlaot maitres de bonne heure des ports femés dans 1'enceinte du golfe arabique , ita étendirent la fphère de leur commerce , & Ion en puk comme des premiers peupJes occidemaux qui s'ouvrirent par mer une communicatiqn avec 1'Inde. Dans le conpte que j'ai rendu des progrès de la navigatie* & de la découverte de TA, inénque a la tóte de mon hiftoire de ce pays j'ai confidéré avec attentjon les opération» mammies des Egyptiens & des Phéniciens ; « q«e j'en ai dit, fi on 1'envifage fous b cóté qui les lie au commerce de ces deux peuples avec 1'Inde, jettera un jour fuffifant furies nauvelles recherches que j'en treprends. Quant aux Egyptfens, ce que 1'hiftoire nous m dit fe borne a trés-peu de chofe, & n'eft pas trés-certain. La fertilité du fol & la douceur du climat leur procuroit fi abondamment tous les agrémens & tous les befoins de la vie, & les rendoit par conféquent n mdépendans des autres nations , qu'uae des premières maximes fondamentales de leur pohtique fut de renoncer a mt com. A 4  8 Recherches historiqites merce avec les étrangers ; en conféquence ils avoient en horreur toutes perfonnes adonnées a la mer, & les regardoient comme des impies & des profanes ; & ils fortifièrent leurs ports de manière a en écarter tous les étrangers (i). L'ambition inquiète de Séfoftris rejetant avec dédain les diflicultés que lui oppofoient les idéés étroites de fes fujets, lui perfuada de faire des Egyptiens un peuple commercant; & dans le cours de fon règne, il ac* complit fi bien fon projet, qu'au rapport de quelques hiftoriens, il fe vit en état d'équipper fur le golfe arabique une flotte de quatre cents vailfeaux qui foumit tous les pays qui s'étendent le long de la mer Érythrée jusqu'a 1'lnde. En mème temps fon armée , qu'il conduifoit lui-même, s'avanca a travers L'Afie qu'il conquit toute entière, jufqu'aux bords du Gange, & traverfant cette rivière , ne trouva de bornes que 1'Oeéan orientaL (2); mais ces efforts ne produifirent rien de. per- CO Uiod. de Sic. liv. 1 s p. 78, édit. de Weifeling*. Amft. 1746. Strab. Geog. liv. xvn, p.. 1142. A. édir. Cafaub. Amft. 1707. t^z) Diod. de Sic. liv. I, p. 64.  SLR L* f N Ö E A3CIENWS, 9 permanent, & il par, i que le génie & les habitudes des Egyptiens s'en tröuvèrent tellementcontrariés, qu'a la mort de Séfoftris ils reprirent leurs anciennes maximes; & plufieurs fiècles s'écoulèrent avant que' les rapports cornmerciaux de 1'Egypte avec i'Inde euflènt affez d'importance pour mériter une place dans cette differtation (1). L'hiftoire des premières opérations- maritimes de Phénicie n'efl: pas enveloppée des mêmcs voiles que celie de 1'Egypte. II n'y avoit rien dans le caraftère & dans la fitua.tion des Phéniciens , qui ne favorifac 1'incl» nation comtnercante. Le territoire dom ils étoient en poOèffion n'avoit ni étendue ni fenilité: le commerce feul pouvoit les rendre fiches & puiffans; en conféquence le commerce que faifoient les Phéniciens de Tyr & de Sidon, s'étendoit fort Jein & préfentoit des dangers. De tous les peuples de- l\tntiquité, c'eft celui qui dans fes mceurs & fa manière de fe gouvemer, fe rapprochcit le plus des grands états cotumércans de nos jours. Dans leurs differefates. branches de commerce, celje de 1'Inde peut être regar- CO Voyez la note 1. A 5  io Recherches historiques dée comme la plus confidérable & la plus lticrative. Comme leur fituation fur la méditerranée & Pétat imparfait de la navigatiou ne leur permettoic pas d'ouvrir par mer une communication direfte avec 1'Inde, ils s'avifèrent bientóc d'enlever aux Iduméens quelque port commode vers le golfe arabique. De leurs nouveaux emplacemens ils entretinrent un commerce fuivi avec 1'Inde d'une part, & de 1'autre avec les cótes oriëntale^ & méridionales de PAfrique. Cependant la diftance confidérable qui fe trouvoit entre Tyr & le golfe arabique , y rendoit le tranfport des marcbandifes par terre fii difpendieux & fi désagréable, que ce fut une néceflité pour eux de s'emparer de Rhinocolure, le port de la Méditerranée le plus voifin du golfe arabique. C'efi>la que toutes les rnarchandifes venues de 1'Inde fe voiturerent par un chemin beaucoup plus court & beaucoup plus praticable que celui pac lequel les produéYtons de 1'Orient furent dans la fuite tranfportées du rivage oppofé du golfe ara> bique au Nil. A Rhinocolure elles étoient crbirquées de nouveau, & portées, par une aavigation aifée, jufqu'a Tyr, & de la distiibuées daas totit 1'univers. Cette route „.  suil l'Ïa'de Afvcre^WE; n Is première qu'on fe foic ouverte du cót.6 de 1'Inde, &dont il nous refte une defcription authentique, avoit tant d'avaiuages fur toutes celles dont 1'ufage a précédé ia ddcouverte récemmeiu faite d'une nouvelle route par mer a 1'Orient, qu'il n'dtoit pas difficile aux Pbéniciens de fournir aux autres nations les produétions de 1'Inde, en beaucoup plus grande abondance & è beaueoup meiUeijr marché qu'aucun peuple de 1'antiquité. Ce ft a cette circonftance qui, pendant un Japs de temps confidérable» leur affura ie monooole de ce commerce, qu'étoit due non-feulement la richeflê extraordinaire des individus qui, „ des roarchands de Tyr faifoit des ö Pnnces, & de fes trafiqmns, les honora„ bles de la terre mais auffi la gran- deur de 1'état lui^méme, dont la fplendeur donna au genre humaio la première idéé des valles reflburces que peut fe faire ui peuple commercant, & des grandes entreprifes dont il peut étonner 1'uaivers (2). Les fuift étoient trop voifins de Tyr , pour ne pas regarder d'un ceil d'émuladon' CO iraie, xxiii, 8. Ca) Voyez note 2. A 6  ï2 Recherches historiq.ltes les immenfes ricbelTes que le commerce lu« cratif des Phéniciens y faifoit couler du fein de leurs établilTemens fur le golfe arabique. Ils prirent part a ce commerce , fous les règnes fortunés de David & de Salomon, tant par la conquête qu'ils firent d'un petit district dans la terre d'Edom, par lequel ils fe virent maltres des ports d'Elath & d'Efion* geber fur la mer rouge, que par 1'amitié d'Hiram, roi de Tyr, lequel mit Salomon en état d'équiper des flottes qui, fous la direction de pilotes phéniciens, firent voile pour Tarshish & Ophir (i). Les favans- fe font long-temps occupés de la lituation de ces fameux ports ou les vailTeaux de Salomon alloient charger toutes ces marchandifts di, verfes, dont les écrivains facrés ont fait nn fi pompeux étalage; mais le lieu de leur exiftence eft encore au nombre des chofesmconnues-. On les crut trés - anciennement fitués dansquelque partie de 1'Inde, avec laquelle lesJuifs palToient auffi pour avoir des relations. Mais 1'opinion la plus commune eft que les flottes de Salomon, après avoir paffé le dé- CO Rois, jx, a6; x, 22, .  sur lTnde ANCIEN Nb. ^ troit de Eabelmandel, alloient Jelon.de la cöceSud -Ouestd'Afnque,jusqu5au°4eaa me de Sofala; ce pays célèbre par ft, Jcbes reSd:°r&d'argent' lui valuren de 3a part des écrivains facrés O) ]e " ' f ment fourni de tous les autres articles Zi *™<*nt la cargaifon des vaiffea ^ Cette opinion , devenue déja trés omC? gr les recherches exaébes de ^^f femble aujourd'hui avoir été mife tont- a fti de.ne qu,, par la connoilTance des motuTons SSé :têd?Larabiqi,e' ~-ect! q e le 11 j rV'Sat,°n tanI flIrce"e mer icuiement a expliquer la Jongueur ex, salomon, mais a prouvé par des circon(1 P:;Turdekurvoyage' Se f T° endr0it d* que es T mf ^ P°ÜV°nS d°nC COncI^ q«e les Juifs nont aucun droit d'ëire comn- ^ aunombre des nations eBtrerpin°lP CO Notice des „fc^ dp Roi ^) Voyages de Bruce f liv> mJ cb'!»»- » , P. 40. A7  14 Recherches historiques avec 1'Inde un commerce maritime; & ür par déférence pour 1'opinion de quelques écrivains refpe&ables, leur prétention étoit reconnue, nous favons du moins avec certi* tude que ce mouvement des Juifs vers le commerce, fous le fègne de Salomon, ne fut que momentané, & qu'ils retombèreut bientót dans leur ancien état de féparation avec le reöe du genre ■ bumain. Après avoir raffemblé les foibles jours que jette 1'biftoire fur les premiers pas du comaierce du cóté de 1'Inde, je vais maintenant-, avec plus de certitude & de conflance , fuivre les progrès de communication avec cette pnrtie du monde, guidé par des auteurs qui ont rappellé des événemcns plus voifins de leur fiècle, & fur lefquels ils ont recu des détails plus pofitifs & plus circonftanciés. Le premier établiffement d'un pouvoir étranger dans 1'Inde, qui foit prouvé avec quelque degré de certitude , eft celui des Perfes; & encore n'avons-nous fur eet établiffement que des données tres-générales & très-öouteufes. Darius , fils d'Hyftape, quoique élevé au tróne par la rufe ou par le hazard , avoit une acYivité, un goüt pour les .grandes chofes, qui le rendoit vraiment  SUR L'lNDE ANCIENN3. ,5 digne de ce premier de tous les pofres r, jeta fur les différente* provinces 1 r de fes prédécefleurs & ft . q" a"cun foneUa de^Ve^^« M*. peil connues avant lui (l) I Jl foumis 4 fon pouvoir plufieurs des m / ^tendent au Sud - Elf deput 2'c? P-enne ^ vers Je ^ 0x JJW C£ Pour hu une occafion de chercher a connof Pa»t«e de li„de qui leur fert de frontière drC' Chefd unee^dreéquipéeaCafm ley; , vers le haut de la partie naW ' * de llndus, avec ordre d'en fuivre le Sn ' rempht cette deflination, quoique non £ difficulté en apparence , & en dénïi- * 8»nd nombre d'oblhcks; ca il nfmj' ? «om-de deuXans & demU ^ i C*;. Ce quil rapporta de Ja CO Bdrodote, lh. iv, cb. 44 COiteodo:e iv 3 ch. 4a,  ïG Recherches historiques' population, de la fertilité & du haut état de culture de cette région de 1'Inde qu'il avoit traverfée, rendit Darius impatient de la conquête d'un fi riche pays. Son impatience fut bientót fatisfaite, & quoique fes conquêtes dans 1'Inde ne paroifient pas s'être étendues au dela. du diftricTt arrofé par 1'Indus, on ne peut que fe former la plus haute idéé de fon opulence & du nombre de fes habitans dans ces temps reculés, quand on fonge que le tribut qu'il en retiroit, formoit prefque le liers du revenu entier de la monarchie perfienne (i">. Mais ni le voyage de Scylax, ni les conquêtes de Darius , qui en furent la fuite, ne donnèrent aucune connoiflance générale de 1'Inde. Les Grecs qui, dans ces temps , étoient la feule nation éclairée de fEurope,ne faifoient que peud'attention aux démarches des peuples qu'ils regardoient comme barbares , fur-tout dans des pays trés-éloignés du leur; & Scylax avoit embelli le récit de fon voyage de tant de circonfiances évidement fabuleufes , qu'il femble avoir été frappé de la jufle punition qui s'attache aux perfonnes dont le goüt pour le CO HéiOflüte liv. III, c. 99- 9 portemeut féroce , par des cxcès indécens dmtempérance, & par ks pompeux étalages de la vanité , dont la vie de eet hornme extraordinaire n'eft que trop remplie,a presque toujours empêché jufqu'ici d'apprécier avec juftefle le rang diftingué qui luidt dü, comme conquérant, comme politique & comme légiflateur. Le fujet acluel de mes recherches ne me laifle apercevoir fes opérations que d'un feul cóté, mais j'aurai occalion de préfenter fous un point de vue frappant la grandeur & Pétendue de fes plans. Peu de temps après fes premiers fuccès en, Aüe, il parolt avoir fongé k établir une monarchie univexfelle, & ne s?êtré pas moins propofé 1'empire de la mer que ceiui de ia terre. La longue & étonnante réfiftance des lynens, fans alliés, fans fecours , lui don» nèrent une haute idéé des reffources de k Euiflance navale.öt des grandes richeffes qu*  r8 Recherches historiq.ues pouvoit fournir le commerce, fur-tour. le commerce de 1'Inde , dont il vit que les citoyens de Tyr s'étoient exclufivement eraparés. Réfolu de leur enlever ce commerce , & pour lui affigner un pofte préférable a plufieurs, égards a celui de Tyr, il n'eut pas plutót acbevé la conquête de 1'Egypte qu'il fon da une vilie prés de 1'uue des bouches du NU, qu'il lionora de fon propre nom; & il en choifit 1'emplacement avec un li merveilleux difcernement, qu'Alexan» drie devint la plus confidérable ville de commerce de Tanden monde, & que malgré ks changemens continuels. de domination, elle ne cefla point d'être pendant dix-buit fièeles le principal fiége du commerce de 1'Inde (1). Malgré les opératioms militaires. qui fixèrent bientót 1'attention d'Alexandre il ne renonca point au défir de s'attirer le commerce lucratif que les Tyriens avoient fait avec 1'Inde. II arriva bientót des évé. nemens qui, non-feulement le fortifièrent dans fon deflein, mais qui rcême lui laisfèrent appercevoir la poflibilité d'acquérir la fouveraineté de ces régions, d'ou arrivoient. CO Hidoire de rAmérique, vol. i. p. s, qui avoit été long-temps 1'objet de fes penfées & de fes vceux (y) , plufieurs ehofes qui ne firent qu'augmenter le d.fir qu'il avoit de s'en rendre malrre. Prompt & tranchant dans lom* tes fes réfolutions, il partit de Baclre, &, CO Arnen Hf. c. 30. (2) Strab. XV. p. 1021. A. Ca) Atrien IVV, c. 15^  2o Recherches historiqües traverfa cette chafne de montagnes qui, fous différentes dénominations, forrne ce que les géographes orientaux appellent une ccinture de pierre, qui renferme 1'Afie , & ferc de barrière a 1'Inde du cóié du Nord. ©n concoit aife'ment que 1'entrée la plus facile de chaque pays doit être déterminée par des circonfiances de fa fituation naturelle, tels que les défilés des montagnes , le cours des rivières & leurs endroits ks plus guéabks. II n'eft point de lieu fur la teire , oü cette tracé d'invafion foit mieux marquée, & d'une manière plus diflïncle, que fur la frontière feptentrionale de 1'Inde; tellement que ks trois grands ufurpateurs de ce pays, Alexandre, Tamerlan & Nadir-Shah, a trois époques trés-éloignées & avec des vues & des talens extrêmement divers, fe font avancés par la même route & prefque fur les mêmes pas. Alexandre eut la gloire de 1'avoir le premier découverte. Au fortir des montagnes, il campa a Alexandrie -Paropsmifana, fur le même fire que la moderne cité Gandahar; & après avoir foumis ou gagné ks nations qui habitent Ia rive Nord-Ouelt de 1'Indus , il traverfa ce ikuve a Taxile ,. aujourd'hui Atioclc, le léul endroit oü ton  sur L'INI)E ANCIENNE< 2j cours eft affez tranquille pour v jeter un pont (i), P 'y POUvo* Après avoir pafTé 1'Indus, Alexandr, • 1'Hydafpe, conn dfp ^ fo„ CT b°rdSde Bétah ou ChéJum iif le nom de PJ^ dune nombreufe arrnée. La !' * *- & les «* trouva fuccelnVement emra^ „ , 11 fe * A : -«*»~ contrées le, »i, , re traverfa I'une des óTvZV ?M rJChes&IesP^peupIées de Unde, qu'on appelle aujourd'hui Pan^ b des c,nq grandes rivières qui 1'arrofen S' marche exécmA» a„ V rr01enr' Cette- U) Rennel]. mj,,,. p< sj<  .22 RECHERCHES HISTORIQUES dr,ts de ces temps, les tflets réunis de 1'exercice gymnaftique & de la difcipline militaire. Alexandre rencontroit a cbaque pas des objets non moins frappans que nouveaux. Quoiqu'il ettt ddja vu le Nil, 1'Enphrate & le Tigre, la grandeur de lTndus dut 1'étonner encore 11 n'avoit point encore vu de pays fnpeuplé, fi bien cultivé, fi riche de toutes ks plus belles produdions de 1'art & de la nature , que cette partie de 1'Inde a «Miers laquelle il avoit coiiduit fon armée. Mais lorfqu'il eut appris prefque par-tout, & •próbablement par des peintures exagérées, coiiibien le Cange Temportok fur 1'Indus, & combien tout ce qu'il avoit vu jufqu'alors étoit inférieur aux régions fortunées que ce grand ikuve arrofe, eft -il étonnant que le vif defir de los voir & de s'en rendre Ia maltre , lui ait fait ïaiLmbler fes foldats pour kur propofer de reprendre leur marclie vers un pays oü ks attendoit la richesfe , la gloire & la puiflance. Mais ils avoient uéja exécuté tant de chofes, ils avoient'fi cméllement'fouffert, fur-tout des pluics continuelles & des inondations qui les CO Sttab. liv. XV. p. 10:7. C. & r.ote 5. Caiifab,  sur. lTnde ancienne. 2» avoient enveloppés, que leur patience, aufK bien que leur force, étoit épuifée (ij; & d'une voix unanime, ils refufèrent de faire Wi pas de plus. Ils fe montrèrent fi fermes dans cette réfolution, qu'Alexandre, quoique pofTédant au plus haut degré toutes les qualités qui donnent de 1'afeendant fur des efprits militaires, fut obligé de céder & de donner des ordres "pour retourner en Perfe (2). Cette fcène mémorabie fe palla fur les' bords de 1'Hyphafis , aujourd'hui Beyah, qui fut le terme de la marche d'Alexandre dans 1'Inde. 11 eft évident par-la, qu'il ne traverfa -point le Panjab dans toute fon éten* due. Ses limites fe forment au Sud - Oueft par une rivière anciennement connue fous le nom d'Hyfudrus, & maintenant fous celui de Setlège , dont Alexandre n'approcha jamais plus prés que la rive méridionale de 1'Hyphafis, oü il éleva douze eoloftiles autels, qui, felon 1'auteur de la vie d'Apollonius de Tyane , fubfiftoient encore avec leurs infcriptions trés - diftinéïes , quand ce •fophifte bizarre vifita 1'Inde, trois cent foi- CO Voyeznotc K. (z) Arrien V. c. 24, sS,  !>4 Recherches historiqües xaute - treize ans après Fexpédition d'Alexandre (i). De Ludhana fur le Setlège a Attock fur 1'Indus, on donne en largeur au Panjab, deux cent cinquante neuf milles géographiques en droite ligne; la marche d'Alexandre., •d'après la même mefure , ne s'élevoit pas au deflus de deux cent milles-; mais en allant, comme en revenant, fes troupes fe répandoient tellement fur lepays, elles agiffoient fouvent en tant de divifions dilFérentes , enfin tous fes mouvemens étoient tellement réglés & mefurés par des favans qu'il avoit exprès amenés avec lui, qu'il acquit une connoisfance très-érendue & très-exa&e de cette partie de 1'Inde (2). 1 Arrivé fur les bords. de 1'Hydafpe h fon retour, il vit que fes officiers, 4 qui il avoit donné le foin de confiruire & de réunir autant de vaüfeaux qu'ils le pourroient, s'en étoient acquitté avec tant d'acTtvité & de bonheur, qu'ils avoient raflemblé une fiotte Bombreufe. Comme il n'avoit point perdu de vue, au milieu des embarras de la guerre & (O Pbiioürate vie d'Apollon. liv. II. c. 43. édit. Otéarius Lipf. i7°9» (O Plin. bilt. nat. liv. VI, c. 1?.  SUR L*lNDE ANCIENNE. ^ & de la fureur des conquêtes, ft, pro:ets LPÏL ,r • TmerCe' * *ffin«K cette flotte étoit de defcendre Wnd,™ • r ,f s~°n avec rinde & ie ~ née a Néarque , 0fficier digne de cette irnportantf C0'mmiCn Mais comme Alexandre étoit ambitieux de outes les gloires, & qu,, aimoit a * trer dans t0lUes ,£s entreprifes" qui avoient de la nouveauté & de 1'éclat, /] defteTdi luLmême le fleuve avec Néarque. fat gnincence, 1 armement étoit digne d'être commandé par le conqilérant de * d ét» éten eompofé d'une armée de cent vingt hommes deux cents éléphants & u/e ^ d* Prés de deux mille vailftaux différen, I port & deformeert qui avoient a,Xrd un tters des foldats ; tandis que le refe », tagé en deux divifions, rUne fua CO Voyez note 5. "7 '  a6 PvECiiercb.es historietjes dans leur marche. A mefiire qu'ils avaricoient, les peuples riverains fe foumettoient ou par force ou par perfuafion. Retardé par les diverfts opérations oü 1'engageoit cette grande entreprife, autant que par la lente navigation d'une pareille flotte, Alexandre mit plus de neuf mois 4 gagner 1'Océan (i). La marche d'Alexandre dans 1'Inde , fur cette ligne étoit bien plus confidérable que celle qu'il fit par la route dont nous avons déja donné la defcription; & quand on confidère les divers mouvemens de fes troupes, le nombre de» villes qu'elles prirent, & les différens états qu'elles foumirent, on peut dire qu'il n'a pas feulement vu les pays qu'il a traverfés, mais auffi qu'il les a bien obfervés. €ette partie de 1'lnde a été fi peu fré^uentée des Européens de nos jours, qu'on ne peut marquer ni la fituation des lieux, ni leur diftance, avec la même exaétitude que dans les provinces intérieures, ou même dans le Panjab. Mais d'après les recherches du major Rennell, fakes avec autant de discernement que d'habileté , la diftance il 1'Océan de eet endroit de 1'Hydaspe oü Alexandre {O Stiabon, Uv. XV. p. 1014.  SÜR L'lNDE ANCIENNE. &? équippa fa flotte, ne peut pas fi dre que de trois cent trente V mow" vafle contrée, la partie flJ ?We de cette qua Patala, actuellement Tatta T' 3 quable pour fa ferti]ité ™ " > i Bientöt après avoir ga^^ïï C°" dre content d'être venuf b fictie entreprife,ramena fts Ut de Ce"e par terre • U io,vr., 7 ir°upes en Perfe. confidérable," Sq" * tr°UpCS conduifit neureu^l X^S'* fique dans 1'Euphrate (V). duS°IfeP<*- C'eft ainfi qu'Alexaudre'préoara !<• 1 ■ linde, & „ en atmi »"« "e i-agus, Anllobule ivw™ . CO Mém., de Rennell. p. ff, &c . CO PJin. hilt, E Jj 3  ■28 R.EC1IERCUES HISTORIQUES tinrent des regiftrcs iidelles de toutes fes opéritions militakes , & de tout ce qu'il pouvoit y avoir de curieux dans les pays qui en furent le théatre. II eft vrai que rien ne nous eft parvenu des deux premiers; mais il eft probable que les faits les plus importans qu'ils rapportent fe font confervés , puisqu'Arrien déclare les avoir pris pour guides dans fon hiftoire de 1'expédition d'Alexandre; ouvrage qui, quoique compofé long-temps après que la Grèce eut perdu fa liberté , & dans un fiècle oü le goüt & le génie étoient fur leur déclin,n'elt pas indigne des plus beaux jours de la littérature greeque. h Quant k la fuuation générale de 1'Inde , ces .écrivains nous apprennent qu'au temps d'Alexandre, quoiqu'il n'y eüt dans fon fein aucun empire puiffant, tel que celui qui, dans des temps modernes, étendoit fes lois depuis 1'Indus prefque jufqu'au cap Comoxin, même alors elle étoit partagée en monarchies d'une étendue confidérable. Le roi de Prafy fe préparoit a recevoir les Macédoniens fur les bords du Gange, avec une armée de vingt mille cbevaux, deux mille chariots jirmés, & un grand nombre d'éléphans (ij. (O Iiiodore de Sicite, liv. XVII. p. agï.  sur cTnde ancienne. 29 On dit que le territoire dont Alexandre conftuua Porus fouverain , ne comenoit pas moins de deux mille villes (1). En rédui fant même a leur plus juite valeur, ces dénommations vagues de nations & de villes on ne peut s'empêcher de concevoir 1'idée d'une population très-confidérable. Du haut de h Hotte qui defcendoit la rivière, on voyoit des deux cótés un pays- qui ne paroiiToit le céder en nen a celui dont le gouvernement fut confié k Porus. GW également dans les mémoires de ces officiers, que 1'fiurope a puifé pour la pre- nuèrefois des connoiflances certaines fur le 2raS? ?',kS produ<5h'ons & ^s habitans de linde; & dans un pays 0u Ies m les coutumes & même 1'habillement font auffi ^rmanens&auffiinvariables que la nature même , il eft étonHam avec les pemtures des officiers d'Alexandre fe rapportent J ee que nous voyons aujourd'nui dans linde après un efpaee de deux mille ans. Les changemens réglés des temns connus fous le nom de moujfons; les pluieS pénodiques, le gonfiement des rivières , les CO Arrien, liv. V-I, c. 2. B 3  30 Recherches historiques inondations qui en font la fuite, 1'afpecl que préfente le pays pendant leur durée ; toutes ces circonltances y font détaillées avec la plus grande exactitude. On trouve la même exactitude dans les defcriptions qu'ils nous ont laiifées des habitans, de leur complexion frêle & délicate , de leur teint bafané , de leurs cheveux noirs & pendans , de leurs vêtemens de coton, de leur nourriture qui ne confifte qu'en végétaux, de leur divifion en tribus ouca/ïefféparées, dont les membres ne fe mêlent jamais par le mariage,de i'ufage des veuves qui fe brülent k la mort de leurs maris , & de plufieurs autres particularités dans lesquelles ils reflemblent abfolument aux modernes Ilindoos. Ce feroit précipiter la marche de eet écrit, que d'entrer actuellement dans aucun de ces détails; mais comme ce fujet, quoique curieux & intérelTant par lui-même , nous jettera néceflairement dans des difculfions mal aflorties k la nature d'un ouvrage fur 1'hiiloire, je renverrai mes idéés fur ce fujet, dans un appendix que je me propofe d'ajouter k cette dilTertation; & i.j'elpère qu'elles pourront jeter quelque nouvelle lumière fur Torigine & la nature descommunications avec 1'Inde..  sur l'Inde angienne. 3r Quoique les peuples de 1'Oueft doivent beaucoup a Alexandre pour la connoiflance de linde, fon expédition fe borna cependant a une très-petite portion de ce vafte continent. II „e pénétra pas au - dela de la moderne province de Lahor & des pay* fituea fur les bords- de 1'Indus, depuis Moultan jufqu'a la mer. Mais il vifita ces par. «es avec ce degré d'exaftitude dont j'ai déja pnrlé; & c'eft une circonftance aflcz remarquable, que ce diftricl de 1'Inde, le premier ou les Européens mirent le pied , & qU'üs connoillbient le mieux autrefois, eft aujourd hut la partie la plus ignorée de ce conti«ent CO; le commerce ou la guerre, qui dans tous les fiècles contribuent Ie plus a lavancement de la géographie, n'ayant fourni a aucun peuple de 1'Europe 1'occafion d'v voyager ou d'y faire des recherches. Si une mort prématurée n'eüt arrêté le héros macédonien au milieu de fa carrière fl eft a croire que 1'Inde auroit été beaucoup mieux connue des anciens, & que ks Euro. Péens s y feroient établis deux mille ans plutot. L invauon d'Alexandre dans l'Inde cou- CO Méiriofa de Reimell. 13*  ja Recherches historiques vroit un projet plus étendu que celui d'une irjcurfion pafiagère. II fe propofoit d'ajouter a fon empire cette riche & vafte contrée, & quoique Poppofition de fon armée 1'eüt empêché pour le moment de pourfuivre fon plan, il étoit loin d'y avoir renoncé. Ce ne fèra pas s'écarter du but de ces recherches, que de préfenter 1'apperfu général des mefuresqu'il avoit adoptées pour eet elfet, & d'en examiner la jufteife,ainfi que le degré de probabilité du fuccès; nous ferons k portée par la de nous faire une idéé plus jufte que celle qu'on a communément du génie indépendant & de la grandeur des vues politiques qui caractérifoient eet homme illuftre. Devenu maltre de 1'empire de Perfe , Alexandre ne tarda pas a s'appercevoir que la force des états dont il héritoit, foutenue même du nombre de troupes qu'il pouvoit. efpérer de lever dans la Gièce, par 1'afcendant qu'il avoit gagné fur 1'efprit de fes diverfes républiques, étoit infuffifante pour tenir. fous fa domination des territoires fi vaftes & fi.peuplés; que pour rendre fon autorité füre & permanente, elle devoit être fondée fur l'afFecYion des peuples qu'il avoit fou mis, & défèndue avec leurs propres armes j que youc eet;  sür l'Inde ancienne. 33 eet effet , il falioit bannir toute efpèce de diltmétion entre les vainqueurs & les vaincus, & ne faire de fes fujets d'Europe & d'Afie qu'un feul & même corps de nation, foumis aux mêmes löis, ne connoiflant que' les mêmes ufages, les mêmes inffitutions, la même difcipline. Qüelque noble cjue föt une telle politique, quelque propre qu'elle fut a 1'accompliUement de fes vues, il n'en pouvoit pas imaginer de plus contraire aux idéés & aux préju. gés de fa nation. Les Grecs avoient une fi haute idéé de Ia prééminence que leur donnoit la civilifation & la connoilTance des arts, qu'è peine ont-ils regardé le refle du genre' humain comme faitant partie de leur efpèce. Us donnoieut i tous les autres peuples le' nam humiliant de barbares ; & en conféquence de cette fupériorité, dont ils étoient fi fiers, ils fe prétendoient leurs maftres de droit, k peu prés comme 1'ame rêgne fur le corps, & 1'homme fur les animaux. Quelque extravagante que nous paroiffe aujourd'hui une telle prétention, a la honte del'ancienne philofophie, elie étoit reconnue & enfeignéé dans toutes les écoles. Ariftuïe , plein de cette opinion qu'il cherche a prouver par dtr n 5  34 Recherches historiques raifonnemens plus fubtils que folides (i), confeilloit a Alexandre de gouverner les Grecs comme des fujets, les barbares comme des efclaves; de regarder les uns comme des égaux,. les autres comme des créatures d'une efpèce inférieure (a). Mais les fentimens de 1'élève s'ëtoient plus agrandis que ceux du maltre , & 1'habitude de gouverner les hommes avoit découvert au monarque ce qui étoit refté caché aux yeux du philofophe dans les plis de la théorie. Peu de temps après la viftoire d'Arbelle , Alexandre luimême, &, a fon exemple, plufieurs de fes officiers, prit 1'habit des Perfes, & imita plu-, fieurs de leurs ufages. En même temps il encouragea les nobles Perfes a fuivre les mceurs macédoniennes,a s'inflruire de la langue grecque, a goüter les beautés fi admiiées,fi recherchées des écrivains de ce temp?.. Pour donner plus d'étendue k cette union, il époufa lui-même une fille de Darius, & choilit des femmes pour cent de fes principaux. officiers , dans les families les plus diftinguées des Perfes. Ou célèbra leurs noces CO Aritlcte, Polit. ju c. 3-7. (2) Plur. de fortuna Alexandr. orat. i. p, 302, vol. vn, ««Jit. Reisk. Strab. liv. 1. p» n<5, a.  sur l'Inde anciennt. 35 avec beaucoup de pompe & de rdfouiiTanee, & a la grande fatisfaclion du peuple conqnjs»; è leur exemple , plus de dix mille-Macédoniens prirent des femmes perfes, & Alexandre, pour leur témoigner fon contentement è eet égard , leur fit a chacun des préfens de noces. Mais quelque foin qu'eüt pris Alexandre pour unir fes fujets d'Êurope ccd'Afie par les liens les plus indiflbluWes, il ne fonda pas entièrement la confervation de fes nouvelles conquêtes fur le fuccès de cette mefure. H choifilToit dans chaque province qu'il venoit de foumettre, des poftes convcnables pour y barir & y fortifier des villes, oü il placoit des garnifons compofées de ceux des natifs qui s'étoient foumis- aux mceurs & a la difcipline grecques, & de ceux de fes fujers d'Êurope qui, épuifés de fatigue & de fervice, défiroient le repos & un établiflernent fixe.' Ges villes étoient nombreufes, & ne fer[ voient pas feulement de lieux de communication entre les différentes provinces de fes' étatsj.mais auffi de places fones, pour tenir en refpeft & réprimer les peuples conquis Trente mille de fes nouveaux fujets, qui avoient été exercés dans ces villes, & armésB 6  36' Recherches historiqües & 1'européenne, parurent devant Alexandre a Suze; & il en avoit fait un de ces corps d'infanterie profonds & ferrés, connus fous le nom de Phalanges, & qui conftituoient la force d'une armée macédonienne. Mais, pour s'aflurer de la fidélité de ce nouveau corps, & pour qu'il eut tout fon effet , il. avoit réglé que tout officier chargé de quelque partie du commandement, fupérieur ou. fubalterne, feroit Européen. Comme 1'induftrie des hommes, dans la même pofition fe crée naturellement les mêmes relTources,. les puiffances del'Europe, qui, dans leurspofleffions de l'Inde, employent a leur fervice des corps nombreux de natifs, ont fuivb des maximes toutes femblables dans la formation de ces troupes, & probablement,fanss'en douter, ont modelé leurs bataillons de Sipabys, fur les mêmes principes qu'Alexandre. avoit fait fa phalange de Perfes. A mefure qu'Alexandre, dans le cours d& fes conquêtes s'éloignoit de 1'Euphrate ^ qu'on pouvoit regarder comme le centre de fes états, il étoit obligé de batir & de fortifier un plus grand nombre de villes. Les anciens auteurs en citent plufieurs a 1'Eft & au.Sud.de la.mer Cafpienne ; & dans 1'Inde.  sur l'Inde ancienne. j7 même, il fonda deux cités fur les bords de. 1'Hydafpe, & une troifième fur 1'Acéfine tont» .deux navigables, & qui, après avoi; mêlé eurseaux, fe jettent dans 1'Indus CO: II eft évident par Ie choix qu'il fit de ren,placementde ces villes, qUe fon i„temion £oil d eutretenir une communication avec l'Inde par mer auffi bien que par terre. C'étoit fur.' tout dans des vues maritimes qu'il avoit exa. miné avec tant de foin la navigation de 1'Indus, comme je Fai déja dit. C'étoit dans les mêmes vues, qu'a fon retour i Suze, il examina lui-même en perfonne Je cours de 1'Eu. phrate & du Tigre, & donna ordre d'enlever les éclufes que les anciens monarques de Perfe, d après un piécepte formel de leur relig.on, qui leur enjoignoic d'avoir le plus grand foin de ne jamais fouiller aucun des élémens,avoient fait conftruire prés de 1'em* bouchure de ces rivières, pour óter a ]eurs fujets tout accès a 1'Océan (&). En ouvrant un tel plan de navigation , du golfe Perfique il fe propofoit de faire arriver les marchandifes précieufes de l'Inde dans 1'intérieur dé Ci) Voyez note 8. B7  s'8 Recherches historiques fes états d'Afie, tandïs que par le golfe ara*, bique elles feroient conduites jufqu'a Alexandrie , & dela difiribuées dans le refte de 1'univers. Quelque grands, quelque étendus que fusfent fes projets, ks mefures & les précautions qu'il avoit prifes pour leur exécution étoient fi variées, fi convenables ,.qu'Akxandre avoit tout lieu de compter fur leur plein & emkr fuccès. A 1'époque oü le mécontentement de fes foldats 1'obligea de fufpendre fes opératiors dans l'Inde, il n'avoit pa» encore trente ans accomplis. A eet age de la vie, ou le génie entreprenant de i'homme rreoit tout fon eflbr , un prince aufii aflif, aufli confiant, auffi infatigable, auroit bien' tót fait renaltre 1'occaficn de reprendre un defiein favori auquel il avoit été fi long-ternps attaché. S'il eüt fait une ftconde invafion dans l'Inde, il n'auroit pas été obligé, comme la première fois, de fe frayer difficilement une route a travers des pays ennemis & inconnus, arrêté h chaque pas par des nations & des tribus de barbares , dont ks noms n'étoient jamais parvenus jufqu'en Grèce. Toute l'Aijie , depuis les bords de la mer lonienne, jufqu'aux rives de 1'Hyphafis, le  sur l'Inde ancienne. 3^ féroit rangée fous fon empire; & 4 travers eette valte étendue de pays, il auroit établi une telle fucceffion de villes & de places fortes (Y), que fes armées auroient pu contirmer leur route en fureté, & trouver régulièrement des magafins pourvus de toutes les chofes néceflaires a leur fubfiltance ; & ce n'auroit pas été pour lui une chofe difficile que de mettre en campagne des forces fuffifantes pour achever la conquête d'un pays auffi vatte & auffi peuplé que l'Inde. Une fois armés & difciplinés k la manière Européenne, fes fujets orientaux fe feroient montrés jaloux d'imiter & d'égaler leur maitre,& Alexandre auroit pu tirer des recrues, non de fes fiériles domaines de Grèce & de Macédoine, mais des valtes régions del'AGe, qui dans tous les fiècles a couvert la terre & étonné le genre humain de fes nombreufeg armées. Parvenu jufqu'aux frontières de 1'Inde, k la tête d'un auffi formidable poi> voir, il auroit pu y entrer dans des circonIranees bien différentes que lors de fa pre. mière expédition. II s'y étoit afftiré une exiftence folide , tant par les garnifons qu'il CO Voyez la note i*.  40 Recherches historiqües avoit laiiTées dans les trois villes qu'il avoit bi* lies & fortifiées, que par fa doublé alliance avec Taxile & Porus. Ces deux princes indiens, gagnés par la bienfaifance & 1'humanité d'Alexandre (vertos qui excitoient une re» connoiflance & une adrniration d'autant plus grandes, qu'elles étoient plus rares dans 1'ancienne manière de faire la guerre), ne fe feroient jamais démentis dans leur attachement aux Macédoniens. Soutenu de leurs troupes, aidé de leurs lum'ères, & de 1'expérience qu'il avoit acquife dans fes premières campagnes , Alexandre n'auroit pu manquer de faire des progrès rapides dans un pays oü les invafions, depuis fon temps jufqu'au nótre , ont toujours été fuivies du fuccès. Mais tous ces fuperbes projets vinrent s'évanouir dans une mort prématurée. Cette mort elle«même fut fuivie d'événemens qui prouvent la jufteiïe de nos fpéculations & de nos conjeclures, de la manière la plus frap» pante & la plus viciorieufe. Lorfque eet empire,.que le génie fupérieur d'Alexandre avoit maintenu dans 1'union & dans 1'obéiffance, ne fentit plus la force puiflante qui le contenoit, il tomba, pour ainfi dire, en éclats, & fes principaux officiers fe faifiijent,  sur l'Inde a.ncienne. 41 de fes différentes provinces, qu'ils fe morcelerent entr'eux. Divifés par 1'ambition, la rivalité, les reflentimens perfonnels, ils tournèrent bientót leurs armes Pun contre 1'autre; & comme la plupart des chefs étoient également habiles en politique & dans 1'art de faire la guerre, la difpute fut longue, & le fuccès fouvenc douteux. Au milieu des fecoufies & des révolutions amenées par ce3 ïivabtés, on s'appercut que les mefures prifes par Alexandre pour la confervation de fes conquêtes , avoient été habilement combinées, qu'a la fin des troubles & au rétabliffement de la paix, 1'empire macédonien ne s'étoit ébranlé dans aucune partie de 1'Afie, & pas une feule province n'avoit entrepris de fecouer le joug. L'Inde méme , la plus éloignée des conquêtes d'Alexandre, s'étoit tranquillement foumife ii Python, fils d'Agénor, & enfuite t Séleucus , qui s'étoient fucceffivenunt rendus les maitres de cette partie de 1'Afie. Porus & Taxile, malgré la mort de leur bienfaiteur, ne fe dérobèrent point a 1'autorité des Macédoniens , & ne cherchèrent point k recouvrer leur indépendance. Au milieu de tous ces débats de pouvoir  42 Recherches historiqües & de prééminence entre les fucceiTeurs d'Alexandre, Séleucus, qui ne le cédoit a aucun d'eux dans tous les projets de 1'arnbition, s'étart rendu maltre de toutes les provinces de 1'empire perfe, comprifes fous le nom de haute Afie, penfa que toutes les contrées de l'Inde, foumifes par Alexandre, appanenoient naturelkment a cette partie de 1'empire macédonien, dont il étoit actuellement le fouverain. Séleucus, comme tous les auties officiers formés par Alexandre, s'étoit fait de fi bautes idéés des avantages qui réfulteroient d'une liaifon de commerce avec l'Inde , qu'il réfolut enfin de fe tranfporter dans ce pays, dans le doublé delTein d'y établir fa propre autorité, & de foumettre Sandiacotte , qui s'étant depuis peu acquis la fouveraineté du Prafy, nation puiffante fur les bords du Gange , menacoit d'attaquer les Macédonièns, dont les poffefiions dans l'Inde avoifinoient fes états. Malheureufement il ne nous efi: parvenu aucun détail de cette expédition , qui n'a manqué ni d'éclat ni de fuccès. Tout ce que nous en fa vors , c'eft qu'il alla beaucoup au-dela • du teime qu'Alexandre s'étoit marqué dans  sur l'Inde ancienne. 43 fon expédiiion (1); il auroit pouffé fa marche beaucoup plus loin encore ,s'il n'eüc été obligéde s'arrêter tout court dans la carrière v pour aller au-devant d'Antigonus, qui fe difpofoit a entrer dans fes états k la tête d'une puifTante armée. Avant de fe mettre ea marche du cóté de 1'Euphrate, il conclut un traité avec Sandracotte, en vertu duquel ce monarque demeuroit tranquille potfèiTeur du royaume qu'il avoit acquis. Mais le pouvoir & les polTeffions des Macédoniens paroiffent s'être confervés intacls pendant tout le règne de Séleucus , qui finit quarante - deux ans après la mort d'Alexandre. Pour entretenir un commerce d'amitié avec Sandracotte, Séleucus fit choix de Mégas» tbène, officier qui, ayant accompagné Alexandre dans fon expédition dans l'Inde , connoiflbit pafiablement la fituation du pays & les mceurs de fes habitans, & il 1'envoya en qualité de fon ambafiadeur a Palibothra (2). Mégasthène fit une réfidence de plufieurs années dans cette fameulè capitale des Prafii, (O Vojez note n. Strabon 3 liv. IJ. p. ISIj Arric Hift. Ind.. paflun.  44 Recherches historiques fituée fur les bords du Gange, & il fut probablement le premier Européen qui jouit du fpeclacle de cette fameufe rivière inlinirnent fupérieure a toutes celles de Tanden continent par fon étendue (i) , & non moins remarquable par la ferulité des pays qu'elle arrofe. Ce voyage de Mégastbène è Palibothra, donna aux Luropéens la connoiffance d'une vaste étendue de pays, dont ils n'avoient eu jufqu'alors aucune idéé ; car Alexandre, du cóté du Sud-Eil, n'avoit pas été plus loin que cette partie de la rivière Hydraotes ou Ravei, oü a été batie la moderne cité de Lahore, & Palibothra, dont j'ai examiné. remplacement avec le plus grand foin, comme un point elTentiel de la géographie de l'Inde ancienne, me paroit être le même que celui de la nouvelle ville d'Allahabad, au confluent des deux grandes rivières de Jumna & du Gange (a). Comme le chemin de Lahore k Allahabad s'étend k travers 1'une des provinces de l'Inde les plus riches & les mieux cultivdes , k mefure qu'on c-onnoiiToit mieux le pays, on fe faifoit une plus haute idéé de fa valeur. En conféquence, O) Voyez note 12. OJ.Voyez note 13..  sus. l'Inde ancienne. 4.5 ce que Mégasthène obferva fur le chemin de Palibothra , & dans le féjour même de cette ville, fit une telle imprefïïon fur fon efprit qu'il fe hata de publier une relation de Tlnde fort étendue, pour en mieux faire connoitre a fes concitoyens toute 1'importance. C'eft de ce fond, que les anciens paroilfent avoir tiré a peu prés tout ce qu'ils favoient de la fituation intérieure de l'Inde; & en comparant les trois plus grandes relations qui nous en reftent, de Diodore de Sicile, de Strabon & d'Arrien, on ne peut s'empêcher de reconnoitre, par leur exaéte relTem» blance, qu'elles font des copies de fes propres paroles. Mais malheureufement Mégasthène avoit une telle pallion pour le merveilleux , qu'aux vérités qu'il rapportoic il mêla plufieurs fictions extravagantes; & on peut le regarder comme le premier auteur de ces contes fabuleux d'hommes dont les oreilles étoient fi larges qu'ils pouvoient s'en envelopper comme d'un manteau ; d'autres qui n'avoient qu'un eeil fans boucbe, fans nez, avec de longs pieds & des orteils tournés en dedans; d'une troifième efpèce qui n'avoit que trois empans de haut; d'hommes fauvages avec des têtes en forme de coins;  4 Diod. de Sic. liv. xvu. p. 232. Q. Curt. liv. n. c. s.  sur. l'Inbe ancienne. 47 &Mégasthène rapporte qu'il euc une audience avec Sandracotte dans un lieu oü il étoit campé i la tête d'une armée de quatre cent mille hommes (O- Les énormes dimenfions qu'il donne a Palibothra , qu'il fuppofe avoir dix milles de long fur deux de large, avec des murailles flanquées de cinq cent foixantedix tours, avec foixance-quatre portes, ai*, roient probablement été rangées par les Européens au nombre des merveilles qu'il aimoit a raconter, s'ils ne voyoient maintenant de leurs propres yeux que les villes de l'Inde font bdties lans aucun plan, & s'ils ne favoient avec certitude que, dans les temps anciens, aufli bien que dans les temps modernes, elle pouvoit fe vanter d'avoir dans fon fein des villes d'une étendue bien plus grande encore. Cette ambalfade de Mégasthène 4 Sandracotte , & une autre de Daimachus a Allitrochidas, fon fils & fon fuccefleur, font les dernières transaéHons des monarques fyriens dont il nous foit parvenu quelque détail (2). II ne nous eft pas non plus poffible de dire (O Strab. liv. xv. p. 1035. C. 00 Hém, de Reiiucll, 491 5°>  48 Recherches historïques avec précifion de quelle manière ils perdrrent leurs pofleibons dans l'Inde , ni k quelle époque. II eft probable que la mort de Séleucus les forca bientót de renoncer k ce pays (i). Mais, quoique les iuperbes monarques de Syrië perdirent, k peu prés a cette époque, celles des provinces indiennes, qui avoient été foumifes a leur empire, les Grecs, dans un moindre royaume, compofé des débris de 1'empire d'Alexandre , furent conferver des liait'ons avec l'Inde, & y acquirent même des territoires confidérables. T el étoit le royaume de Baclriane, d'abord fujet k Séleucus, puis enlevé a fon fils ou petit-fils, & devenu indépendant environ foixante- neuf ans apiès la mort d'Alexandre. Nous n'avons , fur les événemens de ce royaume qu'un petit nombre d'indices épars dans les anciens auteurs. Nous favons par eux que fon commerce avec l'Inde fut confidérable; que les conquêtes des rois baéhiens dans ce pays furent plus étendues que celles même d'Alexandre, & fur-tout qu'ils fe remirent en (O Voyez note 14. Justin, liv. xy. c. 4.  sur l'Inde ancienne. 4p en poflefliófl de ce difirift, prés de 1'embouchure de 1'Indus qui avoit été foumis par hn CO. Chacun des fix monarques de k Bactriane eurent des fuccès militaires fi confidérables dans 1'Inde, qu'ils pénétrèren^ fort avant dans 1'intérieur de ce pays • & fiers des conquêtes qu'ils avoient faites' & des vastes contrées foumifes a leur empi're, quelques-uns d'eux prirent le titre fuperbe de grand roi , dont les monarques perfans ne s étoient parés que dans les Jours de leur Plus grande gloire. Mais nous „Wiens connu m la durée de ce royaume de Bac tnalie ni la manière dont il a fini, fi M de Gagnés ne fe füt aidé des historicus de Uune , au défaut des écrivains grecs & Z mams.Nousyvoyons qu'enviroi/cen vt™ fix ans avant 1'ère chrétienne, une horde coniidérable de Tartares, poufféS des ,Tul de leur naiffance fur les confïns de Ja Chine & obhgés de remonter du cóté de 1'Oueff par la prefljon d'un corps plus nombreux encore qui fe précipitoit a leur fuite, paffi* renMe jaxartes , & fe Jetant tér Baélre, /. Part. *»»-t. Kegui ffoecor. Bactriaifl, pitfliai.  So Recherches historiques comme un torrent irréfiftible, écrafèrent ce royaume, & mirent fin 4 1'empire des Grecs (t) dans ces contrées, qui y étoit établi depuis environ cent trente ans (2). Depuis cette époque jufqu'a la fin du quinzième-fiócle, qne les Portugais , en doublant le Cap-de-Bonne-Efpérance , ouvrirent une nouvelle communication vers 1'Elt, & portèrent leurs armes victorieufes dans toutel'étendue de l'Inde; aucune puiflance européenne n'y avoit établi fon empire, ni fait des acquifitions territoriales. Pendant ce long efpace de plus de feize cents ans , tout projet de conquête dans l'Inde parolt avoir été entièrement abandonné, & chaque peuple n'a cherr cbé qu'4 s'alTurer un commerce avec cette riche contrée. C'eft en Egypte que le fiége de ce commerce fut établi; & Fon ne peut que s'étonner de la promptitude & de la régulariié avec laquelle le commerce avec 1'Oiient s'eft. fait paree canal, que lui avoit tracé la fagacité d'Alexandre. Ptolomée, fils de Lagus, auflitót qu'il eut pris pofleflion de 1'Egypte , fit Cl) Mém. de littérau.tome sxv. p. 17, &.c. £y Voyez note 15,  sur l'Inde ancienne. sl d'AIexandrie le fiège du gouvernement Quelques coups d'autorité, plufieurs acïes de libéralité, mais fur-tout la douceur & la juftice vantée de fon adiruniflration, attirèrent un fi grand nombre d'habitans autour de fa nouveile réfidence, que cette ville étonna bientót par fa richeile & fa population. Comme de tous les officiers d'Alexandre, Ptolomée étoit celui qui avoit le plus mérité & obtenu fa confiance, il favoit trés-bien que fon but Principal en fondant Alexandrie, avoit été de s'alfurer les avantages qui réfultoient du commerce avec l'Inde. II fanoitj pour rexécution de ce delfein,un règne long & heureux& quoique les auteurs anciens ne nous aient pas mis a portee d'apprécier les démarches de Ptolomée 4 ce fujet, il nQus a lailTé une i preuve frappante du grand intérêt qu'il attachoit aux affaires maritimes , dans le fanal \ de 1'ifle de Pharos , bid 4 1'embouchure du port d'AIexandrie (i) ; ouvrage qui, par fa i magnificence, a mérité d'être mis au nombre !• des fept merveilles du monde. Quant aux : arrangemens de commerce de fon Sis Ptolo imée-Philadelphe, ils nous font beaucoup CO Scrab. liv. xvil. p. n4o. c. C a  5'a Recherches histoiuoues mieux connus. four faire d'AIexandrie le centre du commerce de l'Inde, qui commerir cjoit iferanimerüTyr, fon ancien féjour(0, il imagina de conftruire un canal de cent coudées de large, & de trente de profondeur, entre Arfinoë fur la mer rouge, non loin de Remplacement de la nouvelle Suez , & la branche pélufienne ou oriëntale du Nil, par le moyen duquel on auroit pu conduire les marchandifes de l'Inde dans cette capitale, entièrement par eau. Mais , foit qu'on ait v-ü quelque danger dans fa confection, foit que la navigation lente & dangereufe de l'ex. trêmité feptentrionale de la mer rouge l'ait rendu abfolument inutile , eet ouvrage n'a jamais été achevés pour faciliter la commu» nication avec l'Inde, il fit batir fur la cóte occidentale de cette uier, & prefque fous le tropique, une ville & laquelle il donna le nom de Bérénice (a> Cette nouvelle ville devint bientót 1'entrepót du commerce avec l'Inde (3). De Bérénice, les marchandifes étoient tranfportées par terre jufqu'S Copte , ville a (1) Sttab. liv. xvi. 1089. A. C2) Sirab. liv. xvn. 1156. D. Plin. liili. nat. liv. e, 29. C3) Voyea note iö,  Stfa t'lND'2 AN/IENNI. 53 frois milles de diftance du Nil, mais qui s'y joignoit par un canal navïgable dont on fróuve encore les reftes (1) j de la elles étoient couduites par eau a Alexandrie. 11 y avoit eutre Bérénice & Copte , felon Piine, une diftance de deux cent cinquante-huit milles romains, & le chemin étoit coupé a travers Je déiert, prefque fans eau, de la TbébDÏle. Mais la vigilance d'un monarque puiiTant fut bientót ftippléer a ce défaut, en faifant cher«lier des fourees , &• par-tout oü 1'on en trouvoit, batir des auberges, ou plutót, a fa manière oriëntale, des Caravanferais, pour la commodité des marchands (2). C'cft par cette voie que le commerce de 1'Orient & de 1'Occident continua de fe faire pendant deux ■cent cinquante ans 4. tant que le royaume d'Egypte conferva fon indépendance. ; Les vailTeaux deftinés pour l'Inde partoient de Bérénice, & cótoyant le golfe Arabique jufqu'au promontoire de Syagre, au rer la poflefliott, Mais, tandis que les monarques d'Egypte & de Syrië travailloient a 1'envi les uus des autres a affurer h kurs fujets les avantages du commerce de 1'Inde, il s'éleva dans l'Oo cident une puiflance également fatale aux' uns * aux auties. Les Rumains, par la' vkneur de leurs inftitutions militaires & la fagefie dt leur conduite politique , s'étant rendus multres de toute 1'Itaiie & de la Sicile, renverfèrent bientót la république rivale de Carthage, foumirent li Macédoiue & la Gièce, étendirent leur empire Juïqü'en Syrië , & enfin tournèrent leurs armes victorkufes contre 1'Egypte, le feul royaume qui refidt de ceux qu'avoient établis ks fuccefleurs d'Alexandre-le-Grand. Ap;ès une fuite d'événemens qui n'entrent pas dans le cours de cette diflertation, 1'Egypte fut annexéc a 1'cmpire romain , & réd ui te en provincc romaine par Augufle. Comme il en connoiflbit toute 1'imporuncc, non. feulement il la xangea au C 6  6o Recherches bistorxj-ues nombre des provinces immédiatement fuurnifes a 1'autorité impériale , par une fuite de cette prévoyante fagacité qui étoit le point eflentiel de fon caraclère ; mais auffi il employa différentes précamions, bien connues des favans, pour s'en alTurer la pofltffion» Cette extreme follicitude venoit probablement de ce qu'il regardoit 1'Egypte , nonfeulement comme un des principaux greniers d'ou. dépendoit la fubfiltance de la capitale, mais comme le fiége de ce commerce lucrar tif qui avoit accumulé, dans les mains de fes anciens monarques, ces richeffes énormes, qui excitoient 1'admiraüon & Fenvie des autres princes, & qui , verfées dans le tréfor de 1'empire , produifirent a Rome un dérangement vifible dans la vakur des propriétés & dans les mceurs de cette républiqu*.  sur. lTnoe ancienne. S E C T I O N II. Commerce avec l'Inde, depuis VêtabliJJement de la domination romaine en Egypte , jufqu,d la conqutt* de ce pays par les Mahométans. Lors de Ia conquêre de 1'Egypte par les Romains, & la réduclion de ce royaume en province de leur empire, le commerce avec l'Inde continua de fuivre la même marche, fous leur puiffante proteclion: Rome, enrichie des dépcuilles & des tributs de prefque tout le monde connu, avoit pris le goüt de toutes les jouilTances du luxe. C'eft furtout par les nations oii ce geilt a pris faveur qi:e ïes productions de l'Inde ont toujours été le plus tltimées. La capitale du plus grand empire qui ait jamais été établi en Europe^ rempli de citoyens dont 1'unique occupation déformais étoit de goüter & de difliper les richelfts acetimulées par leurs ancêtres, avoit befoin, pour foutenir fon éclat & varier fes plaifirs, de tout ce que cette région éloignée pouvoit fournir de plus exquis,de plus rare, de plus coüteux. Pour répondre & ces beC7  62 Recherches historiqües folns, il fallut de nouveaux eflbrts & des eflbrts extraordinaires; & le commerce de rinde augmenta a un point qui (comme je 1'ai obfervé ailleurs (i)) paroitra furprenant, même k ce fiècle, oü cette branche de com« merce a été portée a. un degré oü n'ont jamais atteint les fiècles précédens, pas même par la penfée. Outre les marchandifes de l'Inde qui arrivoient a la capiiale de 1'empire par 1'Egypte, les Romains en recevoient une feconde provifion par un autre canal. Dés les temps les plus reculés, il paroit y avoir eu quelque communication entre la Méfopotamie & ks autres provinces le Jong de 1'Ëuphrate, & ks parties de la Syrië & de la Paküine qui avoifinoknt la Méditerranée. Le départ d'Abraham du pays d'Ur, & celui des Chaldéens pour Sichem dans la terre de Canaan, en font la preuve (2;. Le voyage k travers le défert qui féparoit ces pays, étoit adouci par la quantité d'eau qu'on y trouvoit dans un lieu fufceptible de culture. A mefure que le commerce s'accrut, la poflcliion de ce CO tfiffj de TAmér. vol, I , p. 33, CO Genèfe xi & xu.  sur l'Jnoe akcienn& ^ non orfqufl s'occupades myms d'étendre le tralie parmi fcs fujets , y fit bSmi une fynen de 7«^0r dans ]e déf & de Palmyre qui iui venoit deg ™noncent tous les deux fa fituation dans' 2 £" P,a»té * P^iers. Ce lieu eft abondamment pourvu d'eau & environré «une portion de terre fertile qui, quoique peu confidérable, en fait un i'ft tl ? ? défeU fab,°nneüX & illhabit ble Son heureufe pofition , a un peu Plu- de foixante milks de rEupbrateffc d 1 MédT troiSd;la ^^P^Proche de L Médkerranée, fit embraffer avec ardeur a fes habnans la commiffion de voiturer 1 rnarchandtfesdel'un de ces endroits a 1'autre. Comme ks plus précieufes produclions de Hnde qui du golfe perfique, remonterjt l Euphrate, font d'un volume a fupporter la dépenfe d'un long cbarroi, cette par,ie de commerce devint bientót fi corfidérable que Palmyre s'ékva rapidement a la puis! fance & aux rick/Tes. Son «niven»!». (O Rois'xi, ia. 2 chron. vm. 4.  64 Recherches hi-sïoriq-weS avoit la forme qui convient le mieux a uné' ville commercante, la forme républicaine; & quoique environnée de voiiins puiiïans & ambitieux , elle conferva long- temps fon kidépendance ,. qu'elle dut aux avantages particuliers de fa fituation & a 1'activiré de fes habitans. Sous les monarques fyriens, defcendus de Séleucus, elle s'ékva au plushaut degré de gloire &• de richeffe, qu'elle parok fur - tout avoir acquife en approvifionnant leurs fujets des- marchanditès de l'Inde, Lorsque la Syrië ent plié fous les armes invin» cibks des llornains , Palmyre fe conferva libre pendant plus de deux cents ans encore,, & fon amitié étok recbercbée avec emprifleinent & avec follicitude par ees fiers con* quérans & par ks Partlns qui leur difpu* toient 1'empire. C'eft Appkn, auteur clTez digne de foi, qui. nous apprend qu'elle fut en relation de commerce avec ces deux puhTances , & que Rome & fes provinces lecevoitnt d'elle les produ&ions de l'Inde. (i). Mais en rendant corapte des progrès du commerce dts anciens avec 1'Orient , je m'aurois pas hafardé , fur fon feul térooi-- CO Appian. de bello civil. iib, v. p. io(-6. édif. Tuliii, . . .•-•.:J .. , -  sur l'Inse ancienne. 05 gnage, d'indiquer cette route comme une des principales qu'il fuivit, fi une découverte fingulière, que nous devons a la noble curiofité & au caractèrs enlreprenant de nos concitoyens, ne venoit pas a 1'appui de ce qu'il rapporte. Vers la fin du dernier fiècle, quelques Anglois de notre fadorerie k Alep, exciiés par tout ce qu'ils entendoienr racon» ter dans 1'Orient des ruines magnifiques de Palmyre , concurent le defiein , malgré Ia fatigue & les dangers d'un voyage a travers le deTert, de les aller examiner eux-mêmes. lis furent très-étonnés de voir une étendue de terre de quelques milles, d'un afpeét fécond, qui s'élevoit, comme une ile, du fein d'une vaile plaine de fables, couverte de débris de terrples,de portiques, d'aque* ducs ^ d'autres ouvrages publics, qui, eri éclat & en magnificence , & quelques-uns même en élégance , nouvoiént aller de pair avec Atbènes ou avec Rome, dans les jours de leur plus grande gloire. Attirés par la defcription qu'ils en avoient donné, envi* ron foixante ans après , une compagnie de voyageuis plus éclairés, ayant examiné de nriuveau les ruines de Palmyre d'un ceiL plus atientif, c\ avec des procédés plus.  66 Recherches histori ques favans , déclarèrent que ce qu'ils avoient vu, furpaflmt les plus hautes idéés qu'ils avoient pu s'en faire (i). D'après ce doublé récit, & en fe rappelant le degré extraordinaire de puiflance auquel Palmyre s'étoit élevée, 4 1'époque oü 1'Egypte, la Syrië, la Méfopotamie & une partie confidérable de 1'Afie mineure furent foumifes a fes armes; oü Odénate, fon premier magiflrat, fut décoré de la pourpre impériale, & Zénobie difputa 1'empire de 1'Orient a Rome fous un de fes plus belliqikux empereurs; il eft évident qu'un étai qui n'éioit prefque rien par fon propre tenlvin:, n'a pu deyojr fon agrandiffement qu'aux avamages d'un commerce étend». Le trafic de l'Inde en étoit incomeftablement la branche ia plus confidérable & la plus lucrative. Mais il eft bien mortifiant, en cherchant des lumières dans 1'iiiftoire des temps paflés, de voir que les exploits des conquérans qui ont ravagé la terre, & les caprices des tyrans qui ont fait le malheur des nations, y font rappelés avec laplus minutieufe & fouvent la plus dégoütante exacti- CO Ruines de Palmyre, par Wood, p. 37.  sur l'Inde ancienne. è> tüde; tandis que la découverte des arts utiles & 1'avancement des branches les plus pro' fitables du commerce , y font paffés fous filence, & abandonnés a 1'oubii des temps. Après la conquête de Palmyre par Aurélien, le commerce ne s'y releva jamais. Aujourd'hui quelques chétives cabanes de pauvres Arabes font éparfes dans les cours'de fes temples fuperbes , öu déligurent 1'élégance de fes portiques, & préfentent le plus humiliant contrafte avec fon ancienne grandeur. Mais tandis que les marchands d'Egypte & de Syrië redoubloient d'aétivité & d'émulation pour fournir aux demandes que Rome ne celfoit de faire des marcbandifes de l'Inde, 1'avidité du gain (comme 1'obferve Pline) rapprocha l'Inde elle-mêmedureltedumonde. Dans le cours des voyages qu'ils y faifoient, les pilotes grecs & égyptiens ne purent s'empêcher de remarquer les changemens réguliers des vents périodiques ou mouflbns, & avec quelle conltance ils fouffloient de 1'Orient une partie de 1'annèe, & 1'autre de 1'Occidenr. Encouragé par cette obfervation, Hyppale, commandant d'un vaill'eau employé au commerce de 1'Inde , environ quatrovingts ans après la réunion de 1'Egypte,  6È Recherchés historujues* a 1'empire romain , ofa fortir du cercfo ennuyeux de navigation dont j'ai parlé; &, s'clancant hardiment de 1'entrée du goli'e arabique ï travers POcéan ,. fut pouffé par les mouffuns d'Outft, jufqu'4 Mufiris, qui étoit un port de cette partie de l'Inde aujourd'hui connue fous le noni de cöte de Malabar. On regarda cette route vers l'Inde comme une découverte fi précieufe, que, pour éternifer la mémoire de 1'mventeur, on donna k nom d'Hyppaie au vent dont il s'étoit fervi pour la faire (O. Comme c'étoit-14 un des plus grauds efforts de navigation des anciens, & que pendant quatorze cents ans on n'a point connu de meilleure communication par mer enrre le levant & le coucbant, nous en donnerons une defcription particulière. Pline beureuftment nous a mis ea état de Ia préfenter avec un degré d'exactitude qu'il eft rare de pouvoir fe procurer en rendant compte des opéraüons navales ou commerciales des anciens. D'AIexandrie a Juliopolis, il y a, felon lui,deux milles; c'eft-la que s'embarque fur le Nil, la cargaifcn CO-Perip; mar. rc,-chr. p; 33,,  suu. l'Inde ancienne. ^9 deftiiiée pour l'Inde; en douze jours ordinairement elle arrivé a Copte, qui en eft éloignée de trois eent trois milles. De Copte les marchandifes font tranfportéesa Bérénice fur le golfe arabique , s'arrêtant a differens enkoits de la route, fuivant le befoin 011 Ia facilité de s'approvifionner d'eau. La diftance entre ces deux villes eft de deux cent cinquante-huit milles. Pour évker la chaleur ïa caravane ne marche que Ia nuk, & k voyage finit Ie douztèrne jour. De Bérénice , les vaiflbaux partent vers le milieu del'été, & mettent trente jours jufqu'a Océlis (Gella), k 1'eutrée du golfe arabique, ou a Cane (le' Cap-Fartaque),furla cóte de 1'Arabie heureure; de la ils fe rendent en quarante jours a Mnfiris, le premier entrepót de l'Inde. Ils fe difpofent k retourner chez eux dès le commencement du mois égyptien Thibi , qui tépond k notre mois de décembre; ils psu;tent par un vent de Nord-Eft, auquel fiiccè le a leur entrée dans le golfe arabique un vent de Sud ou Sud-Oueft, & finiffenc ainfi kur voyage en moins d'une année (i\ • Ce que Pline nous dit de Mufiris & de CO PUne, Hift, nat. liv. yi. c. 35. Voyez note ij.  70 Reciiercres historiques Barace, autre port peu éloigné, que fréquentoient auffi les vaiffeaux venus de Bérénice , qu'ils étoient tous deux trés-incommodes pour le commerce, a raifon du peu d'élévation de leurs eaux, qui obligeoit a fe fervir de petits canots pour charger & décharger les vaiffeaux, nous empêcbe de pouvoir fixer avec précifion 1'endroit oü ils étoient fitués. Ce récit convient a plufieurs ports de la cóte de Malabar; il n'en diffère que par deux circonfiances , favoir: que ces deux ports ne font pas trés-éloignés de Cottonora, pays très-.fertile.en poivre; & que le cbemin qui y conduit laiffe voir de prés Nitrias, rendezvous des pirates: je penfe, comme le major Rennell , qu'ils étoient fitués quelque part entre Goa & Tellicherry, & que, probablement , la moderne Meerzaw ou Merjéé répond k la Mufiris des anciens, & Bar,celore -i leur Barace (i;. Comme ces deux ports étoient le principal entrepót du commerce entre 1'Égypte & 1'Inde aux jours de fon plus grand éclat, c'eft-la, je crois, qu'il convient de faire des recherches fur Ia nature du commerce que les anciens, &fur- (0 Imroduft, p. 37.  sur l'Inde ancienne. ?t tout les Romains, faifoient avec ce pays, & fur le nombre des marchandifes les plus eftïméés qu'ils en rapportoient. Mais comme les opérations du commerce, & la manière de Ie faire étoient des objets trés-peu fuivis dans les états de 1'antiquité fur les tranfaétions defquels nous ayons quelque connoilTance poutive; leurs hiltoriens daignent k peine effleurer un fujet qui entroit pour fi peu de chofe dans leur fyftême politique, & ce n'elï que par des indices trés - abrégés, des faits détacbés, des obfervations incidentes, que nous pouvons nous en faire quelque idéé (i) Dans tous les fiècles, c'eft plutót le luxe que le befoin qui a été 1'objet du commerce entre 1'Europe & 1'Inde. Ses élégantes manufaclures, fes épices, fes pierres précieufes ne font rien aux yeux d'un peuple fimple, & feroient même trop chères pour lui. Mais au temps oü les Romains s'emparèrent du commerce de l'Inde, non-feulement,comme je 1'ai déji obferyé, ils étoient arrivés k ce degré de civilifuion oü les hommes faifiOent avec avidité tout ce qui peut ajouter aux plaiars ou au luxe de Ia vie ; fflais auffi ils CO Voyez note io.  fi Recherches hist"oriq«es avoient pris tous les goüts fantalliques uês du caprice & de 1'extravagance des richefles. lis ne pouvoient donc qu'être extrêmementflattes de tous ces nouveaux ohjets de jouis-< fance que l'Inde leur fourniÜ'oit en fi grande, abondance. 11 parott que les produftions dei te pays, tant naturelles que faétices, étoient a tiès-peu prés les mêmes qu'aujourd'hui.; Mais, a beaucoup d'égards , les goüts des Romains ne reflembloient pas a ceux de nos jours , & par coniequent leurs demandes devoient différer des nótres dans la même propqrtion. Pour donner de ces demandes 1'idée la plus complette qu'il foit poflible d'en avoir, je ferai d'abord quelques remarques fur les trois grands objets d'importation générale de l'Inde. i. Les épices & les aromates; 2. les pierres précieufes & les perlesj 3. Is foie. Je préfenterai enfuite un état auffi circonftancié que les autorités dont je m'appuye pourront le permettre, de 1'affortiment des cargaifons , tant pour le debors que pour le dedans , chargés fur les vailfeaux expé • diés a Béiénice pour les dilïérens ports de l'Inde. I. Epices & aromates. D'après le mode de culte  sur l'Inde ancienne. 7$ «ulte religieux de Panelen paganifme ,e nom re mcroyable de fe, divinités & d temples qui leur étoient confacrés, Ia con fomrnation de Pencens & des autres aromates" employés dans toutes les fondlions fac™s a du ê^très^conlidérable. Mais Ia van té d hommes, eneore p,us que ]ei"ƒ occafionnou une grande COJJfommation *' ces fobfrances odoriféranres. C'étm> i, J-e des Romains de brül, £ ^ ^ leurs morts, & pour le ftire avec J ^ -ce ü fa!loit COüv,r des éplJ " ^ co^eufe^npnfeulemÊnne corps, m"sll bucher "funèbre fur lequel il Aux fuuéraiUes de SVlfd KÜ ,■< ƒ büc er deux cent dix charges d^orn tes! Oa du que Néron, -S[lx obfèl]ues dc £g£ bmui plus de canelle&de caffi: aJ Jg pro^lent dans une année Us pa£ a^ p£ nreces aroma.es. Nous confum.^s av e , " corps des morts Cdit P;-„eJ) des mni)cüa ! ; C?)" . Le " dt0,t P»s de 1'fnde, fe préfume.mais de IvWbie, qUe ,es «4 CO Uia. nat. liv. sif, c. l3>  74 Recherches historiques furent d'abord apportés en Europc; quelques- uns même , & fur-tout 1'encens étoient des producYtons de ce dernier pays. Mais, outre les épices de leur cru, les Arabes étoient en polTeilion d'en fournir aux marchands étrangers de plus préckufes, qu'ils alloient chercher eux-mêmes dans l'Inde & dans les pays au-dela. Les relations de commerce des Arabes avec les parties orientales de 1'Afie, furent non - feulement trés-anciennes (comme nous 1'avons déja dir) , mais encore trés-confidérables. Au moven de leurs caravanes commercantes, ils faifoient entrer dans leur propre pays toutes ks produftions précieufes de 1'Orient, parmi ksquelles ks épices tenoient un des premiers rangs. Dans tous les états anciens qui nous font parvenus des marchandifes de l'Inde, les épices & les aromates de tous les genres forment un des principaux articks (i_). II y a des auteurs qui foutiennent que la plus grande partk des marchandifes de cette efpèce qu'on achetoit en Arabie, n'étoient pas des produclions de ce pays, mais qu'tlks y (O Pétipl- m". Eryth. p. 22. 28. Sttab. liv. ui p. I5fi. A. tib. xv. p. ioiS. A.  sur l'Inde ancienne. ?s amvoient de 1'Inde (t). Les obfg * fotesdans des temps modernes, viennent a 1 appm de cette affertion. L'encens d'Arabie quoique reconnu comme Fune des plus précieufesproductions particulières a cepavs eft cependant d'une qualité trés - inférieure l celui qu'on y apporte de 1'Orient: c'eft de ce dernier fur-tout que font formds les en. vo.s confidérables que les Arabes font dl cette marchandife dans les différentes provin c«-de 1'Afi«W. Ce n'eft donc pasC; nufon que j'ai cué 1'imponation des épices comme 1 une des branches les plus confidéra! bles de 1 ancien commerce avec l'Inde II. Les pierres précieufes avec lesquelles nous pouvons comprendre en même temns les perles.femblent être Ie fecond en valeur des objets précieux que les Romains tiroient del Oriënt. Comme ces articles ne peuvent être d'aucune utilité réelle, leur valeur eftabfolument proportionnée 4 IeUr beauté & * leur rareté, & monte toujours très-haur quelque modérée que foit l'eftirriation en peut faire. Mais, parmi ks nat CO Strab. liv. xvn. p. Ügp, c C<Ö Niebubr, Defcript. de TArabie, t. i. p. l2& D 2  76 Recherches historiques le luxe a fait de grands progrès, lorsqu'on »e ks regarde pas feulement comme un orntraent, mais auffi comme marqués de difinijCtion, lopuknce & la vanité fe les disputent avec tant d'acharnement, qu'il n'y a plus de bornts 4 leur valeur. Quoique 1'art de tailkr ks diamans füt affez peu avancé cbez les anciens, ils en faifoient auffi bien que nous un trés-grand cas. La valeur relative des autres pkires précieufes varioit fuivant la diverfité des goüts & le caprice de la mode. La lifte immenfe que Pline nous en préfente, & 1'attention fcrupuleufe avec laquelle il peint leurs nuances & leur affigue un rang (i), étounera, je crois, le lapidaire ou le bijoutier le plus habile de nos jours, & prouve avec quel empreffement ks Romains cberchoient 4 fe ks procurer. Mais de tous ks objets de luxe, les Romains fembient avoir preféré ks perles (2). Les perfonnes de tous les rangs s'emprefloient de les acheter; iln'y avoit pas une partie du ve.i-ment qui n'en füt ornée, & il y a dans les perles une li grande duTérence pour le volume & peur k prix, que tandis que les (O Kift' nat. Mv- wkv.u. (2? Voyee note zu  sur l'Inde ancienn"e, 77 riches & les grands fe paroient des plus grosfes & des plus fiaes, il y e,i avoit d'un mo.ndre volume & d'une qualité inférieure pour fatisfaire la vanité des perfonnes d'un rang moins élevé. Jules-Céfar fit préfent f Serwhe, mère de Brutus, d'une perle qui lui avoit coüté quarante-huic mille quatre cent cinquante-fept livres fterling. Les fa. meufes perle3 qui ^ Cléopatre coütoient cent foixante-un mille quatre cent cinquante-huit livres fterlingCO IJ eft vrai que ce „'étoit pas feulement clans' linde, mais auffi dans beaucoup d'autres pays que 1'on trouvoit & les pierres précieu- fes & les perles, mais il n'y en eut jamais aflez pour 1'orgueil de Rome. L'Inde cepen- dant en fourniiToit la plus grande partie, & de laveu général, rien n'étoit au-delfts de fes productions,pourl'abondance, la variété & le prix. III. Une autre produétion de 1'Inde fort recherchée k Rome,c'étoit Ia foie; & quand on fe rappelle è combien d'étoffes élégantes elle peut être employee , & combien ces éto:,es ont ajouté a 1'étac de la n,r„r» *r CO Pline, Hifi. nat. iiv, «. c, 35. Voyez m?, «. D 3  78 Recherches historiques de ('ameublement, peut.on s'étonner du grand cas qu'en faifoit un peuple abandonné au luxe? Le prix de la foie étoit exorbitant; auffi fut-elle regardée comme un vêtement trop coüteux & trop délicat pour les hommes (i), & 1'ufage en fut borné aux femmes d'un rang & d'une opulence diftinguée. Cependant oli n'en fut pas moins emprelTé k fe la procurerfur-tout lorsqu'a 1'exemple du dilfolu Héliogabale , qui en introduifit 1'ufage parmi 1'autre fexe, les hommes s'endurcirent k la honte (car c'en étoit une dans la févérite des anciens raceurs.) de porter ce vêtement efféminé. Le tralie de la foie chez ks Romains préfente deux circonftances d'être obfervées. Contre 1'ordinaire de ce qui arrivé dans les opérations du commerce, 1'ufage plus fréquent de cette marchandife ne paroit pas en avoir augmenté 1'importation dans une proportion égale au nombre toujours croilTant des demandes, & le prix de la foie demeura conllammeut le même pendant 1'tfpace de deux cent cinquante ans, c'cft-^-dire, depuis Pinltant oü 1'ufage en fut connu a Rome. Sous le règne d'Aurélien, ille con- £0 Titit. Anual, liv. u, c. 33.  SUR L'lNDt ANCIhNXE, 79 t-inua toujours d'être évaluée au poids de Por. La cherté de cecte marchandife venok probablement de la manière dont les négocians d'AIexandrie la faifoienc parvenir. lis n'avoient point de communication directe arec la Cfn'ne , le feul pays oü le ver a foie étoit élevé, & oü Pon faifoit de fon travail une branclie de commerce. Toute la foie qu'ils achetoient dans les dilférens ports de l'Inde oü ils fe rendoient, y étoit apportée par des vaiffeaux du pays; &, foit que Part de foigner le ver a foie füt mal comiu, le produit de fon admirable indullrie étoit trésfoible chez les Chinois, oü ceux qui 1'acheroient de la feconde main trouvoient plus d'avantage a le porter au marché d'AIexandrie en petite quantité, mais a un fort haut prix, que d'en faire bailï'er la valeur en le ren dan t plus commun. L'autre circonftance dont je voulois parler, eft plus extraordinaire encore, & prouve d'une manière frappante combien les Communications avec lés nations éloignées étoient alors mal établies, & quelle mince counonTance ils avoient de leurs arts & de leurs produétions naturebis. Quelque cas que Pon flc tics ouvrages en foie, cc quoique les auteurs grecs & romains en parü 4  go Recherches historiques lent beaucoup, il y avoit déjk plufieurs fiècles que 1'ufage en étoit devenu très-commun, & 1'on ne connoiffoit avec certitude ni les pays auxquels on devoit une branche de luxe fi recherchée» ni la manière dont elle étoit projiiite. Quelques-uns fuppofoient que la foie n'étoit qu'un duvet trés ■ fin, attaché aux feuiiks de ccrtains arbres eu de cercaines fleurs; d'autres s'imaginoknt que c'étoit une efpèce de laine ou de coton plus piéckufe; enfin,ceux qui favoient qu'elle étoit 1'ouvrage d'un inftcte, font voir, par leurs defcriptions , qu'ils n'avoientauer.ne idéé nette de la manière dont elle fe formoit (i). Ce ne fut qu'a la fuite d'un événement arrivé au fixième fiècle de 1'ère chréaenne, & dont j'aurai occafion de parler, que la véritable nature de la foie fut conuue en Europe. Les autres m.-rcbandifes qu'on tiroit communément de l'Inde, trouveront leur place dans le compte que je vais renrire des cargaifons qui partoient & qui arrivoient fur les vaiffeaux employés a ce commerce. Nous. devons ces détails k un ouvrage fur la navigation de la mer Eiythrée,attribué k Arrien:. traité. (-1). Voyez hoes 33.  sur l'Ihbe ancienne. Si traité curieux, quoique peu étendu , & qui domie fur ie commerce des lumières que t'on efi bien loin de trouver dans aucun auteur ancien. Le premier endroit de l'Inde oü les vaiffeaux d'Egypte, tant qu'ils reftèrent fidelles a Pancien plan de navigation , alloient ordinairement faire leur commerce , étoit Patale , fur le fleuve Indus. Ils y portoient du drap léger, du linge ouvré, quelques pierres précieufes, & des aromates inconnus dans l'Inde; du coraii, du ftorax, des vaiffeaux de verre de difléfentes efj èces, de 1'orfévrerie, de 1'argent & du vin. Ils prenoient en retour des épices de plufieurs fortes, des faphirs & d'autres pierrts précieufes , des étoffes de foie, de la foie fiiée, des draps de coton (1), & du poivre noir. Mais un marché bien plus confidérable fur ia même cóte, c'étoit Barygaza ; auffi 1'auteur que je copie ici entre-t-il dans les détails les p'lus circonftanciés & ks .plus exacts fur la fituation & fur la manière d'y arriver. Sa fituation répond exaéïeinent acelkdeBaroach fur la grande rivière Nerbuddah, par laquelie toutes les productions de 1'intérieur du pays (O Voyez note 24. D 5  82 Recherches historiques arrivoient, ou bien par terre,depuis la grande ville de ïagara, en traverlanc de hautes montagnes (i). Les objets d'importation & d'exportation dans ce fameux marché n'étoient pas moins divers que multipliés. a la Me des premiers notre auteur ajoute des vins d'italie, deG-rèce, d'Arabie, ducuivre, de 1'étaim, du plomb, des ceintures d'un tiflu curieux , 1'herbe appelée Mélilot, du verre blanc , de 1'arfenic rouge, du plomb noir, des pièces d'or & d'argent. ii compte parmi les feconds, 1'onix & d'autres pierres précieufes, 1'ivoire, Ja myrrhe, diverfes étofFes de coton tant fimples qu'ornées de fleurs; enfin du poivre long _). a Mufiris , Is fecond marché confidérable fur cette cóte , les objets d'importation étoient prefque abfolument les mêmes qu'a Barygaza; mais comme elle fe rapprochoit davantage des panies oiientales de l'Inde,avec lesquelles elle parolt avoir eu de très-grands rapports, les marchandifes qu'on en exportoit étoient en beaucoup plus grand nombre, & beaucoup plus précieufes. ii cite entre autres des perles en grande abondance. & d' (O Voyez note 25. (2; P6ipl. war. Eiydir. p. 28.  sur 1'Inde a:. c/enke. R3 nfe multitude d'étolFes de foie, de riches parfums, des écailks de tortues , plufieurs cfpêces de pierres tranfparemes, des diamans fur-tous &dupoivre en trés-grande abondance & de la meilleure qualité (i). Tout ce que eet auteur dit ici des objets exportds de l'Inde, eft confirmé par une loi romaine,oü fe trouve 1'énumération des marchandifes de l'Inde fujettes au payement des droits (2). En comparant ces deux états, nous pouvons nous f,mv une Uóe aifez txafte de la nature & d.e I'étcndue de l'and.n commerce avec 1'Indj. Comme 1'éut de fa civiiifjtiori & des mcxMts eft prtffque encore nujóurd'mii chez les Iiidretis au même point oü il étoit lors de nos prem-è-es tWshfoöS avec eux, leurs befonjs & leurs demandes font auffi , è trèspeu de chofe prés, les mêmes, Ils trouvoient 4 eet égard tant de relWes dans 1'babileté de leurs propres ouvritrs , qvftts avoient peu befoin des produétions & des manufcétures de 1'étranger, fi ce n'cft tfs qdelques métaux unies qu'ils ne trouvoient pias elfez élix en CO Ibïd. 31, 3a. C2)Uigefte "liv. xxxiv. « iv. l6. Dc, fermieis cv lies iippórs. D 6  §4 Recherches historiques affez grande abondance; & alors, cotnma aujourd'hui, c'étoit fur-tout avec de 1'or & de Pargent que 1'on achetoit les puiflances de 1'Orient. II eft- cependant deux points oü, nous différens beaucoup des anciens quant aux objets que nous tirons de l'Inde en écbange. L'habilleraent des Grecs & des, Romains confiftoit presqu'entièrement en. laine, & vu leur ufage fréquent du bain,, c'étoit le vêtement le plus agréable qu'ils pus? fent avoir. Leur conlbmmaüon de toile &. de coton étoit beaucoup moindre que ctlle qu'ils en font aujourd'hui, que ces objets. font devenus parmi eux d'un ufage général. En conféquence , une branche confidérable. d'exportation de cette partie de l'Inde avec. laquelle les anciens étoient en relution, confille k préfent tn ce qu'cn appcile marchandifes d la pièce»coniprenant fous cette dénommation mercantile ce nombre infini d'étoffes de coton créées par 1'induftrie des Indiens^ Mais , autant que j'ai pu m'eu siTurer par. rooi même , il n'exifie point d'autorité qui, ' nous fonde a croire que ce genre d'importation ait jamais été tiès - confidérable chez. les anciens. Quoique notre commerce avsc l'Inde foit  suu l'Inde ancienne. 35 encore aujourd'hui en grande partie un commerce de luxe;- cependant, aux objets qui le compolënt, nous joignons un grand nombre de dilFérentes marchandifes que 1'on ne doit regarder que comme les matériaux de nos manufadures domeftiques. Tels font le coton -laine de 1'Indoitan, la foie de Chine, & le falpêtre du Bengale. Mais parmi les marchandifes qu'on tiroit anciennement de l'Inde, je n'en vois point, excepté la foie crue & la foie filée, qui puiflent fervir de matériaux a .nos manufaftures nationales. La navigation des anciens ne s'étant jamais étendue jufqu'it la Chine, il parolt que la quautité de foie non apprêtée , dont ils é-ioient pourvus par les trafiquans indiens , étoit fi médiocre que 1'emploi qu'ils pouvoient en faire ne devoit entrer que pour trèspeu de chofe dans leur induftrie domefiique. Après eet expofé fuccinct du commerce des anciens dans l'Inde, je vais examiner quelle connoiflance ils pouvoient avoir des pays fitués au -ddh des ports de Mufiris & de Barace, dernier terme jufqu'oü j'ai fait connoitre leurs progrès du cóté de 1'Orient. L'auteur de la navigation autour de la mer Erythrée, qui, par pexaftimde de fes desD7  S'6 Recherches histoiuques criptions, julrifie Ja confiance avec laquelle je 1'ai fuivi dans eet endroit de mon ouvrage, parolt n'avoir connu que trés-peu cette partie de la cóte qui s'étend depuis Barace jufquesversleSud. Ucitebien, en paflam, deux ou trois ports difrèrens, mais il ne laillê pns même emrevoir qu'aucun d'eux fervit d'entrepót au commerce de 1'Egypte 11 fe hate d'auiver a Comar ou Cap Comorin, le point le plus méridional de la pdninfule de linde; & la d.fcripuon qu>,i en d par fa jultefle & ft conformité parfaite avec létat aftuel de cette terre, prouve que la connoiffince qu'il en avoit étoit des mieux fonJéesO). I'/ès de eet endroit il place la Pêche aux petfefi de Colcbos, auiourd'hui Ivilkare , probablement la même que ceUe que font è-préfent les Ilollandois dans le -détroit qui fépare 1'ile de Ceylan du continent. II fait mention ó fon voifinagc de trois culTérens ports qui paroifient avoir été fitués fur le cóté orienial de Ja péninfule acluellcment status fous le nom de cóte de Coromandtl. II 1« cite comme des mnrebés ou des emrtró» de commerce mais en 10 P»pT. p. 33. D'Anville, Mx, deHnde, aS.&c. i$ Krip!, p. 34.  sua l'Inde ancienne. £7 examinant bien quelques circonlhnces mêlées a la defcription qu'il en donne, il y a des raifons de croire que les vaiffeaux de Bérénice rne fréquentoient aucun de ces ports, quoique, felon lui, on y portdt des marchandifes venues de 1'Egypte & les produftions de Ja cóte oppofée de la péninfule; mais il pjToït que c'étoient des vaiffeaux du pays qui venoient les prendre. C'étoit auffi dans" leurs propres vaiffeaux, de conflruétion & de ports dhftrens, & diffingués par des noms qu'il cite en partie, qu'ils commercoient avec la Cherfonèfe d'or, ou le royaume de Malaca, & les contrées w/fines du Gange. Non loin de 1'embouchure de ci fljuve, il place une lle qu'il dit être expofée aux rayons du foleil levant, & qu'il cite comme la dernière région babitée de rOrient (1). U paroit que notre auteur n'avoit de toutes ces parties de l'Inde qu'une très-légère connoiffance, Pöh en juge par ce qu'il raconte de cette ï!e imaginaire, par 1'ignorarice oü il nous laiffe i leur égard, & fur-tout par cette crédulité & cetamourdu merveilleux, caracière inféparable de 1'ignorance, avec lequel il rap- (0 Püipl. s>. 36.  88 Recherches historiques porte que ces régions lointnines étoient peuplées de canibales & d'hommes d'une figure diffbrme & efFrayante (i). Je n'ai mis tant d'attention a fuivre le plan décrit dans la navigation de la mer Erythrée, que paree que 1'auteur de eet ouvrage eft le premier écrivain de 1'antiquité qui nous ait fourni quelques détails fur la cóte oriëntale de Ia grande péninfule de l'Inde, ou fur les pays iitués au-dela. Strabon, qui compofa fon grand ouvrage de géographie fousle lègne d'Augufre, ne connoilfoit prefque point l'Inde, fur-tout dans fes parties les plus orientales. Dès les premières lignes de la defcriplion qu'il en donne, il fe recommande a 1'indulgence de fes lecteurs , vu le peu de rf fifeignemens qu'il avoit pu obtenir fur un pays fi éioigné, oü les Européens n!avoient été que très-rarement, & que pjufieurs d'entrs eux n'avoient fait qu'entrevoir dans le cours de leurs expéditions militaires. II obferve que le commerce même n'avoit pas beaucoup contribué a la connoifl'ance exacte du pays, en ce qu'il n'y avoit eu qu'un trés - petit nombre de marchands d'Egypte ou du golfe Ci) Péripl.. p. 35.  sc-a l'Inde ancienne. 89 arabique qui eufient pouffé leur navigation jufqu'aux bords du Gange, & quM n'y avoit preique point de fond a faire fur les récits de gens fi peu lettrés. Scs defcriptfotts de I inde, & lur- tout des pro vinces intérieures font empruntées prefque toutes entières des mémoires des officiers d'Alexandre; avec queiques légères additions de relations plus récentes, mais en fi petit nombre, & „uelquefois fi inexacles, que 1'on n'a pas befoin d'aurres preuves du peu de prögrès que les anciens avoient faits dans la connoiffance de ce pays depuis le temps d'Alexandre. Lorsqu'un auteur, qui avoit autant de difcerne. ment & de pénétration que Strabon, après avoir vifité lui-même plufieurs pays éioignés pour en donner une defcription plus exsfte, vient nous dire que le Gange 11'entre dans 1'Océan que par une feule embouchure O)» nous pouvons hardiment eamclure que de fon temps les marchnRds du golfe arabique ne pouflbient pas direftement leur navigation jusqu a ce grand fleuve, ou qua re voyage fe faifoit fi rarement que la fcience n'en avok encore tiré qUe peu de lumières. ' O) Strabon, li\vjsv. ion. C.  po Recherches historiques Le fecond auteur eu date dont il nous refte quelques détails fur l'Inde , eft Pline 1'ancien , qui fleurit environ cinquante ai s plus tard que Strabon. Mais couime ces détails, coiifi.i.nés dans fon biftoire naturelle, font uès-abrégés, & qU'a eet égard il fe fonde abfolument fur les mêmes autorités que Strabon , cc qu'il paröft n'avoir tu fur 1'intérieur ciu pays d'autres renfeignemens que ceux qu'ont laiffés les officiers d'Alexandre, ou de fes ft cctfieurs immédiats, il eft inutile de beaucoup nous appéfantir fur fa defciiption. Elle eft cependant enrichie de deux articles eflentiels qu'il devoit a des découvertes plus récentes. L'un eft Pcxpofé du nouveau plan de navigation du golle arabique a la cóte de Malabar, dont j'ai déja développé la nature & Pimportance. L'autre tft la dtfeription de 1'ile de Taprobane, dont je ferai un examen particulier, après avoir montré en quoi Ptolomée a pu contribuer k rous faire connoitre Paucien état de Pinde. Quoique Ptolomée, qui a publié fes ouvrages environ quatre vingt ans apiès Pline, paroiffe s'être diftingué beaucoup plus par fon efprit d'ordre & d'application, que par Pinvention de fon génie, c'eft a lui, plus qu'a aucun autre philofopbe, que la gc'ogta-  sur l'Inde ancienne. 91 phie doit fes progrès. Heureufiment pour cette fcience, dans Ia formation de fon fystême général de géogiaphie il a adopté les idéés & fuivi la méthode d'Hipparque, qui vivoit prés de quatre cents ans avant lui. Ce grand philofophe eft le premier qui eutreprit de rédiger un catalo^ue des étoiles. Pour marquer avec exaétituie leur pofition dans les cieux, il mefura leur diftance par des cercles de la fphère, la calculant par degrés de 1'Orient a FOccident, ou du Nord au Sud. L'une s'appelle longitude, & Pautre latitude de Petoile. Cette méthode lui fut d'un fi grand fecours dans fes recherches aftronomiques, qu'il 1'appliqua avec non moins de fuccès a la géographie; & c'eft une circonftance digne d'être remarquée, que ce fut en obfervant & en décrivant les cieux, que les hommes apprirent pour la première fois ii mefurer & a décrire la terre avec exaftitude. Cette manière de fixer la pofition des lieux, inventée par Hipparque, quoique connue des géographes qui ont vécu entre lui & Ptolomée, & citée par Strabon (O & par Pline (2), ne fut em- CO Liv. u« (O Hifi. nat. liv. c. 12,26, ;o.  $2 Recherches historiques ployée par aucun d'eux. La raifon ]a pit» probable que 1'on puifle donner de cette négligence, cVft que, n'étant point aftronomes, ces auteurs n'ont pns bien faifi tousles avantages que la géographie pouvoit retirer de cette invention (i). lis furent parfakement concus de Ptolomée, qui avoit confacré une longue vie a 1'avancement de 1'aftronomie théorique & pratiquej & comme dans ces deux études Hipparque fut fon guide, il eut foin, dans fon faraeux traité de géographie , de marquer les diöëientcs parties de la terre par leur longitude & leur latitude. Ainfi s la géographie fut établie fur fes véritables:bafes, & intiaiement liée aux obfervations aftronomiques & aux cakuls mathématiques. Les anciens firent bientót de eet ouvrage de Ptolomée tout lecas qu'ils devoient en faire(2). Au moyen age ,en Arabie comme enEurope, les décifions de Ptolomée fur tous les points relatifs a la géographie étoient recues avec cette confiance aveugle que Ton accordoit k celles d'Ariftote dans toutes les autres parties des fciences. Lorsqu'au feizième fiècle 1'esprit de recherche s'agrandit & s'éclaira, 1'on CO Vcjez note 26. (,2)lVoye2ïtiote42?.  ■SttBL l'In»e ancienne. 93 examina & 1'on reconnut le mérite des découvertes géographiques de Ptolomée; on continue de fe fervir de ce langage fcientifique, dont il répandit le premier 1'ufage, & cette manière claire & abrégée de marquer la pofition des lieux, en tpécifiant leur longitude & leur latitude, exifte toujours. Non content d'adopter les principes gênéraux d'Hipparque , Ptolomée fe montra fon rivaldans 1'application qu'il en rit; & comme ce philofophe avoit marqué le rang de chaque conftellation , il forma une entreprife non moins difficïle , celle de décrire toutes les régions de la terre alors connuos, & de fixer avec nou moiris de préciiion que de hardiefTe, la longitude & la latitude des endroits les plus remarquables. Cependant toutes fes déterminations ne doivent pas être regardées comme le réfultat d'une obfervation effeclive; & ce ne fut pas avec cette prétention que Ptolomée les publia. Les opérations de l'aurouomie ne s'étendoient alors qu'a un petit nombre de pays. II y avoit une partie confidérable du globe auffi mal repréfentée qu'elle étoit peu fréquentée. II n'y avoit qu'un petit nombre de lieux, dont la pofition eut été fixée avec quelque degré d'exac-  94 Recherches historiques titude. Ptolomée fut donc obligé de confulter les itinéraires & les defcriptions générales de 1'empire romain, & le fage politique de ce grand état avoit complété ce travail avec des foins & des frais immenfes CO- Mais, patTé les limites de Pempire, il n'avoit plus pour guides que les journaux & les relations des voyageurs. C'eft de ce fonds qu'il tiroit toutes fes conclufions; & comme il habitoit Alexandrie dans un temps oü le commerce de cette ville avec l'Inde étoit porté a fon plus haut période , il femble que cette circonftance eüt dü le roettre a même d'obtenir les plus amples renfeignemens fur ce pays. Mais foit qu'on n'y eüt jeté qu'un coupd'ccil fuperficiel , foit qu'il eüt mis trop de confiance dans les rapports des perfonnes qui 1'avoient vifité fans attention & fans difcernement (a), fon deffin général de la forme du continent de l'Inde eft le plus défectueux qui nous foit venu des anciens. Par 1'effet d'une rr.éprife inconcevable , il a étendu la prefqu'ile de Pinde du golfe Barygazène ou deCambaye, de 1'Oueft a 1'Eft, au lieu de 1'étendre, fuivant fa direétion naturelle , du (O Voyez note & CO Gtogr. liv. j, esp. 17.  sur. f/Inde ancienne. <)% Nor.1 au SuJ (c). Catte erretir pirotm d'autant plus inconeevable, que Mjfaftiièae avoit publié une mefure de la péninfule de Pinde, qui fe rapprochoit beaucoup de fes véritables dirnenfions ; mefure qui avoit été adoptée avec quelque variation pir Eratofthène, Strabon , Diodore de Sicile & Pline, qui écrivirent avant le fièele de Ptolomée (2). Quoique Ptolomée füt tombé dans une erreur auffi groffièri fur les dimaniions générales du continent de Pinde, le pays en détail lui étoit beaucoup mieux contra , & il ne s'étoit guère trompé fur la pofition particu* tóffe des lieux; & il eft le premier auteur que fes connoiffances aient mis a même de tracer la cóte de la mer, de faire le dénombrement des principaux endroits qu'elle renferme, & de fpécifier la longitude & la latitude de chacun d'eux,depuis le Cap Comorin,en tirant a 1'Eft, jufqu'au dernier terme de la navigation des anciens. Quant a quelques diftrifts, furtout le long de la cóte oriëntale de la •péninfule jufqu'a 1'embouchure du Gange, les fji) Voyez note 29. C2) Strabon, liv. xv. p. 1010. B. Arriên , Hifi. ind. c. 3. 4- Diodore de Sic. liv. 11. p. 148. Pline , Hifi:, nat. liv. vi. c. ai. Voyez note 30.  •6 Recherches historiquks renfiignemens qu'il avoit recus paroiffentr avoir éce fi killes, que de toutes hs defcriptious qu'ii a données des diverfes parties de l'Inde, il n'y en a point qui s'accorde davantage avec Ia fituation actuelle du pays. M. d'Anvüle, avec fon application & fon difcernement ordinaire, a examiné la pofition des principales places telle qu'elle a été fixée par ce géograpiie, & il trouve qu'elles répondeut en effet a Kilkare, Négapatan , 1'em. bouchure de la rivière Caveri, Mafulipatan, Ja pointe Gordware, &c. II feroit étranger a 1'objet de cette difcuffion d'entrer dans des détails trop nfinu ieux ; mais en beaucoup d'occafions, nous pouvons remarquer qu'il y a entre les noms anciens & modernes une refferablance qui n'tft pas moins frappante que celle qui fe trouve dans leur pofition. Le grand ikuve Caveri eft nommé Chaberis par Fioiomée ; Arcate , dans 1'inténcur du psys, repréiente Arcati,Rtth; & probablernent Ia có.e entière a reen fon nom actuel de Coromaudel de Sor Mandulam ou le royaume de Sora, fitué fur cette ligne (i). Dans CO Ptolom. Céogr. liv. VH. Ch. t, D'Anville Amiquit. de lliide, 127, &c.  sua l'Inde anciennb. 07 Dans le cours de cent trente-fix ans, qui s'écoulèrent depuis la mort de Strabon jufqu'a ceile de Ptolomée , le commerce de l'Inde s'augmenta confiJérabiement ; le dernier de ces géograplies avoit obtenu tant de nouveaux renfeignemens fur Ie Gange, qu'il cite les noms de fix différentes embouchures de ce fleuve avec leur poficion. Cepeudanc fon plan général de la partie de 1'Inde qui eft fituée au-del* du Gange , n'eft pas moins. erroné que celui qu'il avoit déjè donné de cette péninfule, & ne reffemble pas davantage a la pofition aétuelle de ces pays. Cependant il ofe en faire une defcription fernblable a celle qu'il avoit faite de 1'autre grande divifion de 1'Inde, dont j'ai déjè fait i'examen. II parle des places remarquables qui fe trouvent le long de la cóte, & il en cite quelques-uues fous le nom d'emporia (marchésj, mais il ne dit point fi ce nom leur étoit donné paree qu'elles fervoient d'entrepóts aux naturels dans Ie commerce qu'ils faifoient entre eux d'un difirict de 1'Inde i 1'autre, ou paree que c'étoit des ports oü les vaiffeaux du golfe arabique fe rendoient di. reüement. Je croirois que cette dernière idéé eft celle que Ptolomée femble avo-r Pn 1 n~..+ „ i urn ft  98 Recherches historiques vue ; mais ces régions de l'Inde étoient fi éloignées , & d'après la marcbe timide & lente de 1'ancienne navigation, elles étoient probablement fi peu fréquentées , que ce qu'il en dit fe borne a trés - peu de cbofe; & fes defcriptions font plus obfcures , plus inexaites & moins conformes & la véritable fituation du pays, qu'en aucun autre endroit de fa géographie. 11 repréfente la péninfule, qu'il nomme Cherfonèfe d'or, comme s'étendant direftement du Septeutrion au Midi, & fixe la latitude de Sabana-Emporium , qui eh eft 1'extrémité méridionale, k trois degrés aU-dela de la ligne. A 1'Eft de cette péninfule , il place ce qu'il appelle la grande Baie, & a fa partie la plus éloignée , Catigara , dernier terme de la navigation des anciens; a laquelle place il ne donne pas moins de huit degrés & demi de latitude Sud. Au-dela de ce terme il annonce que la terre eft touta-fait inconnue , affurant qu'a ce point le pays tourne a 1'Oueft & continue dans la même direftion jutqu'a fa jonétion au promontoire de Praflum en Ethiopië, qui, felon 1'Mée qu'il en a , terminoit le continent de 1'Afrique au Sud (i) ; en coniéguence de O) PCotoffl. c;!ogr. liv vu. c. 3, 5« D'Anville Antiq. de nnde - 187.  sur l'Inde ancienne. 99 cette erreur, non moins énorme qu'inconce» vable, il devoit croire que la mer Erythrée, dans toute fon étendue depuis la cóte d'AfrÜ que jufqu'a celle de Camboge, n'étoit qu'un vafte baffin fans aucune communication avec 1'Océan (i). M. d'Anville a téché de mettre quelque ordre dans eet amas confus de notions extravagantes , dont 1'ignorance ou la mauvaife foi des voyageurs a enveloppé la géographie de Ptolomée; & avec beaucoup de fagacité d a établi fur quelques pofitions importantes des opinions qui paroilTent bien fondées. La péninfule de Malacca eft, felon lui, la Cherfonèfe d'or de Ptolomée; mais au lieu de la direction qu'il lui a donnée, on fait qu'elle s'incline de quelques degrés vers 1'Eft ,& que leCapde Romiane, fon extrémité méridionale, i eft plus d'un degré au Nord de la ligne. II regarde le golfe de Siam comme la grande baie de Ptolomée , mais Ia pofition fur Ie cóté oriental de cette baie , qui répond è :Catigara,eftactuellement au Nord de 1'équa:teur d'autant de degrés qu'il la fuppofoit au Sud. Au-dela, il parle d'une ville intérieure, CO Voyez note 3r, E z  Ï«D RcCIiERCUES IIIS T0R.IQUE8- a laquelle il donne le nom de métropole de Thina ou Sina. La longitude qu'il lui donne eft de cent huk degrés depuis fon premier niéridkn dans 1'tle Fortunée, & c'eft la partie la plus oriëntale oü les anciens s'étoient avancés par mer. Sa latitude, d'après fes calculs, eft de trois degrés au Sud de la ligne. Si nous décidons avec M. d'Auville que la fituation de Sin-Hoa, a I'Oueft du royaume de Cochinchiue, eft la même que la métropole de Sina, Ptolomée, dans la pofition qu'il lui donne, a feulement fait une erreur de cinquante degrés de longitude, & de vingt de Jatitude fji). Ce qui a rendu plus frappantes ces erreurs •de Ptolomée furies parties lointaines de 1'Afie, c'eft une faufie opinion des modernes , a Jaquelle elles avoient fervi de fondement. Sina, la place la plus éloignée dont il foit queftion dans fa géographie, a pour le fon une tellereffemblance avec China (la Chine), nom fous lequel 1'empire le plus grand & le plus civilifé de 1'Orient eft connu aux Euro- CO Ptolom. Géogr. liv. Vu. c. 3. D'Anville, Limit, du Uiond. con. dis anc. au - dela du Gang. Mém. de littérat. xxxu- 604 ,&c. Anc. de 1'Inde Suppl, 1. 161. &c Voye£  sür l'Inde ancienne* ibt péens, qu'en 1'entendant prononcer, ils conclurent précipitamment que c'étoit le même pays; en conféquence, on fuppofa que la Chine étoit connue des anciens, quoiqu'il paroiffe incontefiablement prouvé qu'ils ne paffèrent point dans leurs voyages maritimes la limite que j'ai marquée a leur navigation. Après avoir fuivi les anciens dans les découvertes qu'ils firent de 1'Inde par mer, je vais examiner quelles connoiflances ils peuvent avoir acquifes fur le même pays par leurs voyages de terre. II paroit (comme je 1'ai déja rapporté) qu'il fe fit de bonne heure • un commerce avec l'Inde, par les provinces • qui bordent fa frotkière du Nord. Ses diver'fes produétions & fes manufaclures étoient tranfportées par terre dans les parties intérieures de la domination perft,ou r,rrivoient, par les fleuves navigables qui traverfent le haut de 1'Afie, jufqu'a la mer Cafpienne, & dela au Pont-Euxin. Tant que les fuccesfèurs de Séleucus dominèrent en Oriënt, tel fut pour leurs fujets Je mode conftant d'approvifionnement des produétions de 1'Jnde. Lorfque les Romains eurent étendu leurs conquêtes en Orienr, jufqu'a 1'Euphrate, ils retrouvèrent cette même marche; & E 3  ïoa Recherchés historiques comme elle leur ouvroit une nouvelle communication avec 1'Eft, & que par-la ils re. cevoient en plus grande abondance tous ces objets de luxe qui leur étoient devenus de plus en plus agréables, ils fe firent un point de politique de protéger & d'encourager un tel commerce. Comme la marche des caravanes ou compagnies de marchands qui voyageoient vers les pays d'oü leur arrivoient les plus riches manufaclures, celles de foie fur- tout, étoit fouvent interrompue & environnée de dangers par les Parthes qui s'étoient rendus maitres de toutes les provinces qui s'éterident depuis la mer Caspienne jufqu'a cette partie de la Scythie ou Tartarie qui borde la Chine , les Romains s'eiforcèrent de rendre ce commerce plus fur par une négociation avec un des monarques de ce grand empire. A la vérité , on ne trouve dans les hiftoriens grecs ou romains aucune tracé de cette ilngulière transaction; nous la devons toute entière aux hiftoriens chinois qui nous apprennent qu'An-Toun (i'empereur Mare-Antonin^, roi du peuple de 1'ücéan occidental , envoya dans cette intention des ambalfadeurs k Oun-Ti, qui léguoit fur la Chine 1'an cent foixante-ux  sur l'Inde ancienne. 103 de 1'ère chrétienne (1). On ne dit rien du fuccès de cette entreprife 3 nous ignorons également fi elle faciiita entre ces deux nations éloignées, des liaiföns qui les mirent a même de fuppléer réciproquement k leurs befoins. La démarche n'étoit certainement pas indigne des grandes vues de 1'empereur romain a qui on 1'attnbue. II eft. évident cependant que dans Ja continuation de ce commerce avec la Cliine, on a da traverfer une partie confidérable des vastes conrrées k 1'Efi de la mer Caspienne; & quoique 1'amour du gain füt le principal motif de ces grands voyagts, cependant dans la fuite de: liècies, il doit s'être trouvé parmi ks uventuriers des hommes de guüt & de talent, capabks de porter leur attention fur des objets d'un intérêt plus général que ceux du commerce. Ce font ces perlónnes qui do:.i,èrent des relations qui, après avoir été foamifes a une dücuflion réglée, mirent Ptolomée a même de faire de ces régions éloignées & intérieures de 1'Afie, des defcrip. CO Mimoire fur les liaiföns & le commerce des Romains avec lesTartares  1114 Recherches historique-s donne a cette 11e le nom de Siélédiba (i), oü fe retrouve celui de Sélendil ou Sérendil, fous lequel elle eft encore aujourd'hui ccnnue dans tout 1'Orient. C'eft auffi Cofmas qui, le premier, nous parle d'un nouveau rival du commerce des Romains, qui fe montra fur les mers de Pinde. Les Perfes, après avoir renverfé 1'empire des Parthes & rétabli la race de leurs premiers rois fur le tróne , paroiffent avoir entièrement furmonté cette averfion de leurs ancêues pour une exiftence maritime, & firent de bonne heure de vigoureux effens pour avoir part au commerce lucratif de Pinde. Tous fes plus grands ports étoient fréquentés par des négocians perfts, qui, pour quelques produétions de leur propre pays, recherchées parmi les Indiens, recevoient en échange les marchandifes précieufes qu'ils conduifoient le long du golfe peilique pour être diftribuées au moyen des grands fleuves de 1'Euphrate & du Tigre, dans toutes les provinces de leur empire. Comme le voyage de la Perfe a Pinde étoit beaucoup plus court en par-  sur l'Inde ancienne. 123 tant d'Egypte, & fuivi de moins de dépenfe & de danger, les relations entre les deux pays augmentèrent rapidement. Coftnas rapporte une circonftance qui en eft une preuve frappante. Dans la plupart des villes un peu remarquables de l'Inde , il trouva établies des églifes chrétiennes 'leffervies par des prêtres que 1'archevêque de Séleucie , capitale de 1'empire Perfe, avoit ordonnés, & qui continuoient d'ötre foumis a fa jurisdi6  13a Recherches histcriques' de ce grand commerce avec Pinde & avec le> pays fnué k POrient de cette péninfule ,. dont j'ai déja développé le commencement & les progrès dans la Perfe ; ils furent fr frappés des grands avantages qui en réfultoient j qu'ils défirèrent d'y avoir part.: Comme 1'inftant oü Pon réveille.puiffammentles facultés aétives de 1'efprit humain dans nn genre , eft celui oü elles font capablesd'agir avec Ie plus de force dans un autre genre, de guerriers impétueux les Arabes devinrent bientót des marchands entreprenans. Ils continuèrent le commerce avec l'Inde, en lui laifiant fuivre fa première direc-tion du golfe perfique , mais ce fut avec cette ardeur qui caraftérife tous les premiers efforts des feétateurs de Mahomet. En peu de temps ils s'avancèrent bien au-delè desbornes de 1'ancienne navigation , & apportèrent direftement des pays qui les produifoient, plufieurs des marchandifes les plus précieufes de POrient. Pour s'aflurer exclufivement tout le profit de la vente, le Calife Omar, quelques années après la conquête de la Perfe, fonda la ville de Baflbra fur la rive occidentale du grand confluent de 1'Euphrate & du Tigre, du feiu de laquelle il devoit  sur l'Inde ancienne. 133 dominer ces deux fleuves par lesquelles les produétions arrivées de l'Inde fe répandoient dans toutes les parties de 1'Afie. Le choix qu'il avoir fait- de eet emplacement étoit fi bien entendu , qu'en peu de temps Baflbra devint une place de commerce qui le cédoit & peine a Alexandrie. Ces connoiflances générales fur le commerce des Arabes avec l'Inde, les feules que nous ayent laiffé les écrivains de ce temps, fe- confirment & s'étendent par le récit d'un voyage du golfe perfique vers les contrées de 1'Orient, écrit par un marchand arabe 1'an huit cent cinquante- un de 1'ère cbré* tienne, environ deux fiècles après que Ia Perfe eut été foumife aux Califes, & expliqué par le commenlaire d'un autre Arabe qui avoit auffi vifité les parties orientales de 1'Afie Ci). Cette relation curieufe, qui fup. plée a ce qui nous manque dans 1'hiftoire des rapports commerciaux avec l'Inde, nous met k même de décrire plus en détail 1'étendue des découvertes des Arabes dans 1'Orient, & la manière dont elles furent faites. Quoique certaines perfonnes aient imaginé CO Vfeyez note 3$.  134 Recherches historiques que 1'étonnante propriété de 1'aiman , dont le frottement communiqué h une aiguille ou a une légère verge de fer la faculté de tourner vers les póles de la terre, füt connue dans 1'Orient long-temps avant qu'on i'eüt obfervée en Europe , il eft évident par la relation de ce marchand mahométan & par le concours de plufieurs preuves, que ce guide fidelle manquoit non-feukment aux Arabes, mais encore aux Cbinois, & qne le mode de kur navigation n'avoit rien de plus hardi que celui des Grecs & des Romains (i). fis s'attachoient fervüement a la cóte qu'ils n'ofoient prefque jamais perdre de vue, & dans cette marche timide & tortueufe, leurs eftimatïons ne pouvoient être que fautives & fujettes aux mêmes erreurs que j'ai déja obfervées dans celles des Grecs & des Romains. Malgré ces désavantages, ks progiès des Arabes du cóté de 1'Orient s'étendirent bien :au-dela du goife de Siam, terme de la navigation européenne. lis eurent des liaiföns avec Sumatra& les autres iles du pand archipel de 1'Inde, & s'avancèrent jufqu'a la ville de Quang-Tong en Chine; & ces décou- CO Relation , p..2, 8, fc,  sur l'Inde ancienne. jjj vertes ne doivent point être regardées cnrnme 1'effet de 1'inquète curiofité des individus, on ies devoit au commerce régulier qui fe faifoit du golfe perfique avec la Chine & les pays intertnédiaires. Plufieurs Mahométans, 3 l'exemple des Pérfes cités par Cosmas Indicopleuftes , s'établirent dans 1'Inde & dans les pays au-dela. Ils étoient en fi grand nombrê dans la ville de Quang-Tong, que 1'empereur f fuivant les auteurs arabes) leur permit d'avo:r un grand Cadi ou juge de leur ftcte*, pour décider les querelles qui s'élevoient entre fes doncitoyens d'après leurs propres lcix , & pour préfider a toutes les fonélions de la religion CO- Dans d'autres endroits on gagna des profélytes a la foi mahométane,. & la langue arabe fut entendue & parlée dans prefque tous les ports de quelque conféquerce. Des vaifliaux de la Chine & autres endroits de 1'Inde alloient trafiquer dans le golfe perfique (2), & a force de fréquenter les nations de 1'Orient, parvinrent a mieux fe connoïtre ("3). On en voit une preuve frappante dans les O) Relation, p. 7 Remarques, p, $ Rechéêh»  136 Recherches historiques demiers détails fur la Chine & fur l'Inde , qui fe trouvent dans les deux auteurs que j'ai cités. Ils indiquent la fituation deQuang' Tong, aujourd'hui fi bien connue des Euro* péens, avec un degré d'exaélitude extréme. Ils parient du grand ufage qu'on faifoit de la fuie en Chine. Perfonne n'avoit rien dit avant eux de leur fameufe manufacture de porcelaine, qu'ils comparent au verre a caufe de fa délicatefie & de fa tranfparence. Ils décrivent l'arbriiTeau qui porte le thé, & la manière d'employer fes feuilles; & ce qu'ils nous rapportent du grand revenu fondé fur fa confommation, feroit croire que le thé au neuvième fiècle n'étoit pas moins qu'aujourd'hui la boiflbn favorite des Chinnis (1). Les parties mêmes de l'Inde, qui étoient connues des Grecs & des Romains, 1'avoient été beaucoup mieux par les Arabes. Ils parient d'un grand empire établi fur la cóte de JVlalabar, gouverné par des monarques dont relevoient tous les autres fouverains de l'Inde» Ces monarques portoient le nom de Balthara, que 1'on connolt encore aujourd'hui dans l'Inde (a) ; & il eft probable que le (X) Relation, p, ai, 25. OO Heibelot, ait, tieti & Mar.  sur l'Inde ancienne. 137 Samorin, ou empereur de Calicut dont on parle fi fouvent dans les relations des premiers voyages des Portugais dans l'Inde , polTédoit une portion de leurs états. Ils vantent les progrès extraordinaires que les Indiens avoient faits dans la connoilTance des aftres, circonflance qui paroït n'avoir pas été connue des Grecs & d«s Romains ; & ils aflurent que, dans cette partie des fciences, ils étoient de beaucoup fupérieurs aux nations les plus éclairées-de 1'Orient, ce qui faifoit donner k leur fouverain le titre de rei de la fageffe (1). Des particularités dans les inflitutions politiques, la manière de rendre la juftice , les jeux & les fuperftitions des Indiens, les auflérités exccffives & la vie pénitente des Fakirs, tous ces faits pourroienr, être cités comme autant de preuves de la connoilTance fupérieure que les Arabes avoient acquife des mceurs de ce peuple. Le même amour du commerce, ou le même zèle religieux qui engagea les mahométans de Perfe k vifirer les régions les pluséloignées de 1'Orient,. s'empara des chrétiens de ce royaume. Les églifes neftoriennes éta- (0 Relation, p. 37, 53.  138 Recherches historiques blies en Perfe, d'abord fous la protcction de fes fouverains naturels, & enfuite fous celle des Califes fes conquérans, étoient nombreufes & gouvernées par des eccléfialtiques refpc diables. Ils avoient de très-bonne heure envoyé des milTionnaires dans l'Inde, & furtout, comme je 1'ai déja dit, dans 1'ile de Ceylan. Lorfque les Arabes étendirent leur navigation jufqu'en Gbiue, un champ plus vafte pour leur commerce & pour leur zèle s'ouvrit a leurs yeux. Si 1'on peut s'en rapporter au témoignage unanime des auteurs chrétiens de 1'Orient & de 1'Occident, confirmé par celui des deux voyageurs mahométans, leurs pieux travaux furent fuivis d'un tel fuccès, qu'au neuvième & dixième fiècle, le nombre des chrétiens dans l'Inde & dans la Chine étoit déja confidérable (i). Comme les églifes dans ces deux pays recevoitnt tous leurs prêtres de Perfe , cïi ils étoient ordonnés par le Catl.olicos ou primat neftorien, dont ils reconnoiiïcient la fuprématie; ce fut une voie toujours ouverte de communication & de rapports; & c'eft a 1'eiTet com» biné de toutes ces circonftances que nous (O Voycz r.ote.38..  sur l'Inde ancienne. 139 devons les détails que les deux écrivains arabes nous ont laiiTés (~i) fur ces régions de 1'Afie, que les Grecs & les Romains n'ont jamais vifitées. Mais tandis que les fujets mabométans & cbrétiens des califes continuoient d'acquérir de nouvelles connoilfances dans 1'Orient, les peuples de 1'Europe s'en voyoient prefque entièrement exclus. On leur avoit même fermé 1'entrée du grand port d'AIexandrie ; & les nouveaux maitres du golfe perfique, contens de fatisfaire les nombreufes demandes de leurs valles états, ne fongeoient point a envoyer, par aucun des débouchés ordinaires , les marchandifes de l'Inde aux villes commercantes de la Méditerranée. Les riches habitans deConfhntinople & des autres grandes villes de 1'Europe , fupportoient cette privation d'un luxe qui avoit Iong-temps fait leurs délices , avec une telle impatience, que le commerce déploya toute fon adivité pöut trouver quelque remède a un mal qui leur paroifioit intolérable. Les difficultés qu'il falloit furmonter a eet efTet, font la preuve la plus frappante du grand cas qué 1'on fai- 0) Relation, p. 39.  140 Recherches historiques foit alors des marchandifes de 1'Orient. On achetoit la foie de la Chine dans le Chenfi, la province la plus occidentale de eet empire, & de la une caravane la tranfportoit par une marche de quatre-vingts ou cent jours, jufqu'aux bords de 1'Oxus , d'oü elle s'achcnnnoit, en fuivant le cours de cette rivière, jufques vers la mer Cafpienne. Après un dangereux voyage a travers cette mer, & remontant le Kur jufqu'è. fon dernier- endroit navigable, on la conduifoit par un court trajet de terre de cinq jours jufqu'au Phafe, qui fe jette dans 1'Euxin ou la mer Noire, oü, par une route tiès-connue, elle arrivoit a Conftantinople. Le tranfport des marchandifes de cette région de^ 1'Orient, aujourd'hui connue fous le nom d''Indostan, avoit quelque chofe de moins ennuyeux & de. moins pénible. Elles étoient pertées. des bords de 1'Indus, par un chemin dès long-temps connu & dont j'ai déja donné la defcription, jufqu'au fleuve Oxus, ou bien en droite ligne jufqu'a la mer Cafpienne, d'oü elles fuivoient la méme route jufqu'a Conftantinople. II eft évident qu'il n'y avoit que les marchandifes d'un petit volume & d'un grand prix qui puilent fupporter la dépenfe d'un  sur l'Inde ancienne. 141 pareil tranfport ; & 1'on devoit faire entrer dans le taux de ces marchandifes, non feulement les frais , mais auffi les rifques & les dangers de la route. En traverfant la vafte plaine qui s'étend de Samarcande aux frontières de la Chine , les caravanes étoient expofées aux attaques & aux déprédations des Tartares, des Huns, des Turcs & d«s autres hordes ambulantes qui infeéïent le Nord-Elt de 1'Afie, & qui ont toujours regardé le marchand & le voyageur comme leur proie légitime; ils n'étoient pas moins expofés aux infultes & au pillage dans leur paflage du Kur au Phafe, a travers le royaume de Colchide, pays noté & des anciens & des modernes pour les inclinations'rapaces de fes habitans. Malgré tant de désavantages, le commerce avec 1'Orient fe fuivoit avec ardeur. Conftantinople devint un marché confidérable des produétions de l'Inde & de la Chine, & les richefles qui en-furent le fruit, n'ajoutèrent pas feulement a la fplendeur de cette grande ville; elles paroiflent avoir retardé de quelque temps la cbüte de 1'empire , dont elle étoit la capitale. Autant qu'il eft permis de le conjecturer d'aptès les renfeignemens imjparfaits des hif-  142 Recherches historiques toriens de ce temps, ce fut par le canal que j'ai déja indiqué, avec beaucoup de dangers & de fatigue, que 1'Europe s'approvilionna des marchandifes de 1'Orient pendant plus de deux cents ans. Pendant prefque tout ce temps, les Chrétiens & les Mahométans furent engagés dans des hoftilités oü éclatoit cette animofué que la rivalité du pouvoir , ftjglig par 1'efprit de fanatifme , ne manque jamais de produire. Dans des circonfiances fi propres a eutretenir la divificn,les relations du commerce fe foutenoient & peine; les marchands des royaumes chrétiens ou ne fréquentoient plus Akxandrie & les ports de Syrië, qui étoient anciennement les entrepots des marchandifes de 1'Oiient, depuis que les Mahométans s'en étoient rendus les maitres; ou fi 1'am.our du gain, plus fort que leur averlion pour les infidèles , ks ramenoit a ces marchés qui leur étoient depuis longtemps familiers , c'étoit avec beaucoup de précaution & de défiance. L'empreflemcnt des peuples de 1'Europe pour les produétions de 1'Orient augmenta avec la diflkiilté de fe les procurer. A-peuprës dans le même temps , quelques villes dltalie, Amalphi fur-tout & Venife, ayant  sur. l'Inde ancienne. 143 acquis un degré d'indépendance qui leur avoit manqué jufqu'alors, fe mirent a cultiver les branches de l'indudrie domeftique avec une ardeur & une intelligence peu communes dans le moyen age. Cette énergie nationale augmenta les richelfes, de manière a faire naitre de nouveaux befoins & de nouveaux défirs; & le goüt du luxe & des jouiffances fe fortifiant tous les jours, alla chercher des alimens dans les pays étrangers. Les fociétés parveijues a ce degré de maturité, ont toujours fait le plus grand ets des produétions de l'Inde ; dès ce moment on en fit en Italië une importation plus confidérable, & 1'ufage en devint plus généra1.. Le judicieux Muratori a fait le raflemblement de plufieurs circonlhnees qui indiquent cette renaiiïance du commerce , & depuis la fin du feptième fiècle , un obfervateur attentif pourra , avec quelque attention , y reconnoitre les traces de fes progrès (1). Même dans les fiècles éclairés, ou 1'on obferve & oü 1'on recueille avec le plus de foin tout ce qui fe paffe parmi les nations, & oü Cl) Antiquit. Ital. Medii iEvi n. 400, 403 , 410, 83^ » 885, 894. Rer. Ital. fciipt. 11. 487.  I44 Recherches historkjues le répertoire de Thiftoire parok le plus abon* dammènt fourni, on a fait fi peu d'attention aux opérations du commerce, que 1'on a toujours trouvé les plus grandes difficultés a pouvoir les préfenter dans leur ordre naturel. Néanmoins le terme jufqu'oü j'ai conduit ces recherches, eft 1'une des époques dans les annales du genre humain fur lefquelles 1'histoire répande le moins de lumières. Comme c'étoit fur-tout dans 1'empire grec & dans certaines villes d'Italie, que Ton fit quelques tentatives pour fe procurer les marchandilés de l'Inde ■& des autres régions de TOrient; ce n'eft que dans les hiftoriens de ces pays que nous pouvons efpérer de trouver des renfeignemens fur ce commerce. Mais depuis le fiècle de Mahomet, jufqu'au temps oü les Comnene montèrent fur le tröae de Conftantinople, ce qui fait une période de plus de quatre fiècles & demi, Tbiftoire de Byzance fe borne a d'arides chroniques , dont les compilateurs ont rarement porté leurs vues au-dela des intrigues du galais, des faétions du théatre & des difputes des théologiens. Encore leur mérite eft-il, s'il eft poffible, de beaucoup fupérieur a celui des moines, auteurs des annaks de dilférens états & des dif- fé-  sur l'Inde ancienne. 14? férentes cités de l'Italie pendant Ia même période; & c'eft prefque fans fruit que, dans les plus anciennes hiltoires de ces villes, qui fe font rendues les plus fameufes par leur goüt pour Ie trafic , nous cherchons 1'origine ou la nature du commerce a 1'aide duquel elles fe font élevées les premières a un rang diltingué CO- H eft cependant évident, pour peu que 1'on fuive les événemens qui ont rempli le feptième & le huitième fiècle, que les états d'Italie, dont les cótes étoient continuellement infeétées par les Mahométans qui s'y étoient établis en quelques endroits, & qui avoient prefque entièremenc foumis la Sicile i leur empire,ne pouvoient commercer avec 1'Egypte & h Syrië, ni en grande füreté ni avec beaucoup de confian- ce. On fait quelle étoit la haine implaca- ble des Chrétiens pour les Mahométans, qui n'étoient a leurs yeux que les difciples d'un impofleur; & comme toutes les nations qui profefToient la foi chrétienne, foit dans 1'Orient, foit dans 1'Occident, avoient mêlé a 1'adoration de 1'Être-Suprème celle des anges & des faints, & avoient orné Cl) Voyez note 39. /. Pari.  146 :Rec her cués histoüique^ leurs églifes de tableaux & de ftatues, lei •vrais IXlufulmans fe regardoient comme les feuls défenfeurs de 1'unité de Dieu, & regardoient les Chrétiens de tous les empires avec horreur & comme des idol&tres. II a fallu beaucoup de temps pour adoucir cette animofité mutuelle au point de faire entrer quelque cordialité dans les liaiföns de ceux qui cn étoient imbus. 7 Cependant le goüt des produétions agréa» ,bles de 1'Orient ne continua pas feulement de fe répandre en Italië; mais, k Pimitation ,des Italiens, ou par quelque changement avantageux dans leur propre fituation , les habitans de Marfeille & des autres villes de France fur la Méditerranée, les recherchèrent avec un égal emprelTement. Mais les marchands de Venife ou d'Amalphi, de qui on recevoit ces marchandifes précieufes,mettoient fi peu de mefure a leurs profits, que les Francois fongèrent férieufement a faire des efforts pour fe les procurer eux-mêmes. Dans cette intention, non contens d'uuvrir un commerce avec Conftantinople, ils viiitèrent eux-mêmes quelquefois les ports d'Egypte & de Syrië (i). Cette ayidité des ! fj) tyim, de littérat, toty> sxsvh. p. Afy &c« 48>  sur l'Inde ancienne. 147 Européens pour les produétions de l'Inde d'une part, & de 1'autre, les énormes profits qui réfultoient de leur vente pour les Califes & leurs fujets, engagèrent les deux partis k contenir leur haine rautuelle au point d'entamer enfemble un mfic qui faifoit évideminent le profit de 1'un & de 1'autre. Le peu de détails que fburniiTent les écrivains contemporains, ne nous mettent pas en érat de fuivre avec exactitude 1'étendue de ce trafic & la manière dont il fut concu & exécuté par ces nouveaux aventuriers. II eft probable cependant que ces liaiföns auroient infenüblement produit I'effet qu'elles ont ordinairement,de familiarifer & de réconcilier entr'eux des hommes de principes & de mceurs oppofés; & il auroit pu s'établir par degré, entre les Chrétiens & les Mahométans, un commerce fuivi & fondé fur des bafes fi égales que les nations de 1'Europe auroient pu recevoir tous les objets de luxe de 1'Orient, par Ia même route qu'ils fuivoient autrefois, d'abord des Tyriens, puis des Grecs d'AIexandrie, enfuite des Romains, enfin des fujets de 1'empire de Conftantinople. Mais quelle que düt être 1'influence de fes liaifoas en fe fortifunt-, elles ne purent avoir G a  14*$ Recherches historiques leur plein effÖt a caufe des croifades ou expéditions pour le recouvrement de la TerreSainte, qui pendant deux fiècles occupèrent les feétateurs des deux religions rivales, & contribuèrent • a les aliéner plus que jamais entr'eux. Dans un autre ouvrage (1), j'ai montré le genre humain en proie a cette freV néfie la plus extraordinaire & la plus durab'e de toutes celles dont parle l'hiltoire de notre efpèce; j'ai développé les effets qu'elle pro» duifit fur le gouvernement, fur la propriété, fur le goüt & fur les mceurs, effets qui par leur nature rentroient dans 1'objet que je me propofois alors en écrivant. Acïutilement je me bornerai i 1'infiucnce des croifades fur le commerce , & a examiner jufqu'a quel point elles ont contribué a retarder ou & favorifer le tranfport des marchandifes de l'Inde en Europe. II entre fi bien dans la nature & dans Pes» prit de 1'homme d'attacher une idéé particulière de fainteté au pays que 1'auteur de notre religkm a choifi pour le lieu de fon habitation terrefire & oü il a accompli la rédemption du genre humain, que depuis le premier éta- (0 IRft.  Sur l'Inde ancienne* 149 bliffement du chrifbanifme on a toujours regardé la vifite des lieux faints de la Judée comme un ufage trés • propre a réveilkr & a. entretenir puilfamment 1'efprit de dévotion: aux fiècles fuivans 1'ufage s'en confïrma & s'accrut dans toutes les parties dela cbrétienté. Lorfque Jérufalem fut foumife a la domination mahométane, & que le danger fe . joignit a ia dépenfe d'uii pélerinage lointain, 1'entreprife n'en parut que plus méritoire. C'étoit quelquefois la pénitence que 1'on infligeoit pour les fautes capitales; plus fouvent encore c'étoit un acte volontaire dicté par le zèle: dans les deux cas, 011 le regardoit comme 1'eXpiation de toutes les fautes palfées. Par différentes caufes dont j'ai fait ailleurs 1'énumération (1), ces pieux voyages a la terre fainte fe multiplièrent étonnamment au dix'ème & onzième fiècles. On voyo'it partir pour Jérufalem, non-feulement des individus des claffes moyennes & inférieures de la fociété , mais même des perfonnes d'un rang diilingué, avec une fuite brillante & de nombreufes caravanes de riches pélerins. Dans toutes kurs opérations cependant ks %~) llift, de Charles V, vol. 1. p. 37. 2B5. G 3  i^o Recherches HisTORiQtTEs hommes favent avee une merveilkufe adrefie mêler quelque fpéculation d'intérét aux ?étesqui par leur fpiritualité en paroiffent le moins fufceptibles. Les caravanes mahométanes qui, iuivant le précepte de leur religion, vifilent le faint temple de la Mecque, ne font pas feulement compofées, comme je le dirai plus au long-, de dévots pélerins, mais auffi *le marchands, qui, en allant & en revenant» fe pourvoient a'un tel alfortiment de mar» chandifes, que c'eft pour eux 1'occafzon d'un commerce confidérable (i). Les Fakirs même de l'Inde, que leur fbl enthoufiafme femble élever au-delfus de tous les foins de la terre, font de leurs fréquens pékrinages un inftrument de 1'intérêt, en trafiquant dans tous les pays qu'ils iraverfent (a> üe même ce n'étoit pas la feule dëvotion qui faifoit entreprendre le voyage de Jérufalem k ces troupes fi nombreufes de pélerins chrétiens. Le principal motil pour plufieurs, c'étoit le commerce , & en échangeaut les produétions de 1'Europe pour les marchandifes bien plus pré»cieufes de 1'Afie & fur-tout de l'Inde, qui 'CU Viaggi di Ramufio, vol. I, p. 151,. 152^ 00 Voyez uote 40»  sur. l'Inde ancienne. 151 alors- étoient répandues dans toutes les parties de la domination des Califes, ils s'enrichiflbient & faifoient parvenir a leurs con-' citoyens, par uti nouveau canal, les jouis* fances de 1'Orient, dont ils ne devenoient encore que plus avides (1). Mais quelques foibles que foient Iês indices qui, avant les croifades, marqueut 1'iufluence dés fréquens pékrinages en Oriënt, fur le commerce, ils deviennent fi frappans après le commencement de ces expéditions, qu'ils fe préfentent d'eux-mêmes aux yeux de 1'obfervateur. Ce fut la 1'effet du concours de plufieurs circonfiancès, dont 1'énumération fera voir qu'un examen attentif des progrès & des fuites des croifades jette la plus grande lumière fur le fujet de mes recherches. De grandes armées, couduites par ks plus illufires feigneurs de 1'Europe , & compofées de tout ce qu'il y avoit de plus aótif dans fes divers royaumes, marchoient vers la Palefiine, a travers des pays qui fu:-J paflbient de beaucoup ceux qu'ils venoiei.f de quiuer, dans tous les genres d'induurk. CO Gul. Tyr. lib. xvn. c, 4. p. 933. ap. Ce^a Dei pet l'iai.ws, G 4  '152 Recherches historiqjjes I!s virent 1'annonce de la profpérité dans les républiques d'Itaiie qui avoient commencê* a fe difputer le lucccs dans les arts qui liennent i Finduftrie, & dans les mennes qui avoient pour objet de concentrer chez elles le commerce lucrauf de 1'Orient. Ils admiièrent un plus grand développement encore dans 1'opulence & Ia fplcndeur de Conflantinople, éminemment élevée au-desfus de toutes les villes alors connues , par Pétendue de fon commerce, & fur-tout de celui qu'elle faifoit avec l'Inde & les régions ultérieures. Ils fervirent enfuite dans les provinces de 1'Afie oü paflbient ordinairement les marchandifes de 1'Orient, & fe rendirent maltres de plufieurs villes qui avoient été des entrepóts de ce commerce. Us fondèrent le royaume de Jérufalem, qui fubfifta piés de deux cents ans. Ils s'emparèrent du tióne de 1'empire grec, qu'ils gouvernèrent plus d'un demi-fiècle. Parmd nne fcène d'événemens & d'opéraiions auffi variée, les idéés des fiers guerriers de 1'Europe s'ouvrirent & s'étendirent infenfiblement; ils s'inidèrent dans les arts & dans le gouvernement des peuples qu'ils avoient foumis: ils obfervèrent les fources de leur ri-  SUR l'Inde ancienne. 153 fiebeffe, & fe préparèrent a profirer de toutes ces connoiflances. An'.ioGhe & Tyr , au moment que les Croifés s'eu rendirent maitres , étoient des villes floriffantes, habitées par de ricbes marchands qui fourniffoient a tous ks peuples eommercans de la Méditerranée ks produétions de 1'Orient (1); autant qu'il eft pofllble de Ie conjeéturer d'après des circonstances indireétes rapportées par les hiftoriens de la guerre facrée, qui étant pour la plupart prêtres ou moines, portoient leur attention fur des objets bkn différens de tout ce qui peut avoir rapport au commerce, il y a lieu de croire que le trafic, depuis fi longtemps établi avec 1'Orient, Gontinua d'être protégé & encouragé, non - kulement a Constantinople, tant que les Francs y régnérent, mais même dans les ports de Syrië dont ksChrétiens s'étoient mis en poiïclfion. Mais quoique k commerce n'ait été peut* être qiTmi objet fecondaire pour les chefs belliq,ueux des croifades , engagés dans des hoftilités continuellesavec ks Turcs d'un cóLé, & de 1'autre avec les foudans d'Egypte; c'étoit CO Gul. Tyr. hb. im. c. 5. Alb. Aquens. Hift. Hiero. ap. Gcfta Dei, vol.-1. p. P47. G 5  J54 Recherches historique. au moins le premier objet de ceux dont ils v fervoient dans leurs opérations. Qnelquï nombreufes que fuffent les armées qui avoient arboré la croix, & quelque entreprenant que füt le zèle fanatique qui les animoit, elles ne feroient jamais venues a bout de leur projet, elles ne fe feroient même jamais rendues jufqu'au lieu de la guerre, 11 elles ne fe fusfent alïuré 1'sffiftance des érats d'Italie. Aucune autre puiflance de 1'Europe ne pouvoit leur procurer un nombre fuilfant de vaifieaux de tranfport pour conduire les armées des croifés fur la cóte de Dalmatie, d'oü elles s'avancoient vers Condantinople, lieu du rendez-vous généraljon auroit été en état de leur fournir des provifions & munitions de guerre dans la quantité requife pour 1'invafion d'un pays éloigné. Dans toutes les expéditions fuivantes, les flottes- des Génois, desPifans ou des Vénitiens, fe tenoient le long de la cóte, a mefure que les armées s'avancoient par terre, & leur fourniflant par intervalles tout ce qui pouvoit leur manquer, concentroient dans leurs mains tout le profit d'une branche de commerce trés-lucrative dans tous les tems. C'étoir avec toutes les vues intérelTées de marchands , que les ïta-  s'üa l'Ïnde ancienne. 155 liéns apportoient leurs fecours. Si 1'on prexïoit une place , & qu'ils trouvafllnt leur intérêt k s'y fixer, ils obtenoient des croifés' toutes fortes de priviléges avantageux ; la liberté du commerce;la diminution ou même 1'exemptïon totale des droits levésfur Pentrée & fur la furtie des marchandifes; des fauxbourgs entiers dans certaines villes, & dans d'autres de longues rues en leur pofleffion; le privilége pour quiconque réfidoit dans leur enceinte ou commercoit fous leur proteétion , d'être jugés fuivant leurs lois , & par des jüges de leur propre choix (1). D'un fi grand nombre d'avantages il réfuha nécefiairement pendant la durée des croifades, une augmentation rapide de richefl'e & de puiflance po:u" tous les états commercans d'Italie. Tous les: ports ouvtrts au commerce étoient fréqtien-»tés par'leurs marchands, qui, après s'Ötre-' entièrement emparés du commerce de 1'Orient ^ fe donnèrent de tels mouvemens pour trou-ver des nouveaux débouchés aux marchandifes qui en provenoient, qu'ils en répan»dirent le goüt dans plufieurs endroits de 1'Europe , oü elles avoient été jufqu'alors^ étrangères. (O Hifi. de Chfliles V, vol. 1. p, 34. - G 6  156 Recherches historiques 11 arriva deux événemens avant la fin de la guerre fainte, qui, en faifant pafier aux Génois & aux Vénitiens plufieurs provinces de 1'empire grec, les mirent en état de fournir h 1'Europe toutes les produétions de 1'Orient en plus grande abondance. Le premier fut la conquête de Conftantinople, Tan douze cent quatre,par les Vénitiens & par les chefs de la quatrième croifade. II n'entre pas dans le plan de eet ouvrage de rendre compte des intéréts politiques & des intrigues qui form rent cette alliance, & tournèrent contre un monarque chrétien les armes bénites deftinées a délivrer la ville fainte de la domination des infidelles. Conftantinople fut prife d'aflaint & pillée par les confédérés. Un comte de Flandres fut mis fur le tróne impérial. Les états qui étoient encore au pouvoir des fuccefieurs de Conftantin , furent divifés en quatre parties, dont une fut aifignée au nouvel empereur pour foutenir la dignité & les frais du gouvernement; il fe fit une répartition égale des trois autres entre les Vénitiens \ & les chefs de la croifade. Les premiers qui, dans la formation & dans Pexécution de cette entreprife, u'avoient pas un feul inftant perdu de vue ce qui pouvoit être le plus utile  sur l'Inöe ancienne. 157 a leur commerce, s'afTurèrent les territoires les plus avantageux pour un peuple traf> quant. Ils obtinrent une partie du Pélopanèfe , oü fleuriflbient alors les plus riches manufactures & fur-tout celles de foie. Ils eurent en leur pofleiïion plufieurs des lies les plus grandes & les mieux cultivées de i'Arcbipel, & formèrent une chaïne d'établiffemens tant militaires que commerciaux , qui s'étendoit depuis la mer Adriatique jufqu'au Bosphore (1). Un grand nombre de Vénitiens s'établirent a Conftantinople , & fans la moindre oppofition de la part de leurs belliqueux aflbciés peu atteiuifs aux progrès de rinduftrie, ils réunirent dans leurs mains les différentes branches de commerce qui avoient fi longtemps enrichi cette capitale. Mais ils s'attachèrent particulièrement au commerce de Ia foie & a celui de l'Inde. Depuis le règne de Juftinien , ce fut fur-tout en Gièce & dans quelques - unes des lies adjacentes, que les vers-i. foie, qu'il avoit Je premier introduits en turope, furent élevés & CO Danduli , Chronic. ap. Murat. Script. Rer. Ital. vol. xri. p. 328. Mar. Sanuto, Vite 'de duchi dl Vcucz. Murat. vol. xxii. p. 532. G7  158 REC HERCHES HÏSTGRIQifEg foignés. Le produit de leurs travaux fut ern-ployé a des fabriquesd'étoffes de différentes efpèces dïns plufieurs villes de 1'empire. Mais c'étoit a Conltantinople,-féjour du luxe & de 1'opulence,. que fe faifoit Ie pfus' grand débit de cette marchandife fi eftimée , & ce fut par conféouent dans f« „„„ . - — uuio 4UC COU- centra le commerce de la foie. U y avoit déjè quelque temps que les Vénitiens, en envoyant des cargaifons dans les dlfférens ports oti ils trafiquoient, s'étoient appêrcus que la foie, dont il fe faifoit tous les jours de nou-velles demandes dans toutes les parties de 1'Europe, étoit un article de Ia première importance. Iis avoient ft Conftantinople un fi grand nombre de leurs concitoyens, on leur y accordoit de fi grandes exemptiors, que non-feulement le prix & ]a quantité de Ja foie qu'ils envoyoient étendirent de beaucoup les bornes cc les profits de ce commerce pour eux; ils s'inftruifirent encore fi a fond de tout ce qui eft relatif a la fabrique de Ia foie, qu'ils eflayèrent de 1'établir dans leurspropres états. Les mefures prifes ft eet effcr Par les individus, & les règlemens faits par' le gouvernement, furent concertes avec tant de prudence^exécutés avec un telfuccès,  SÜR L'InOE ANCIEN ne. ïgjf, qu'en peu de temps les manufaéhires de foie de Venife le difputèrent a celles de la Grèce & de la Sicile, & ne contribuèrent pas moins ii enrichir la république , qu'a étendre Ia fphère de fon commerce. En méme remps les Vénitiens profitèrent de 1'afcendant qu'ils avoient pris dans Conftantinople, pour augmcnter leur commerce avec l'Inde. Outre ks moyens communs a toutes les autres villes commercantes de 1'Europe, par kfquels les produétions de 1'Orient arrivoient è Ja capitale de 1'empire grec , elle en recevoit encore une grande quantité par une voie qui lui étoit particulière. Quelques - mies des plus précieufes marchandifes de l'Inde & de la Chine étoient tranfportéespar des chemins que j'ai déja indiqués, jufqu'a la mer Noire, & de la a Conftantinople, après une courte navigation. Les Vénitiens avoient un accès facik a ce marché , le mieux fourni après Akxandrie, & ks marchandifes qu'ils yachetoient faifoient une addition confidérable ace qu'ils avoient coutume de prendre dans les ports d'Egypte & de Syrië. Ainfi , tant que 1'empire latin fe foutint aConftantinople, les Vénitiens eurent de fi grands avantaees fiw leurs rivaux que leur commerce s'étendit  j6q Recherches histori^tje# confidérablement; & c'étoit d'eux principalement que toute 1'Europe recevoit les marchandifes de 1'Oriem. L'autre événement dont je voulois parler , fut le renverfement de la domination des Latins i Conftantinople & le rétabliflément de la familie impériale fur le tróne. Cette révolution fe confomma apiès une période de ciuquante-fept ars, & ne fut pas moins 1'eflét de la puiflante afiiltance que les Grecs rtcurent de la république de Génes, que du courage dont ils fe fentirent animés un inftant a la vue d'un joug étranger. Les Génois fen* toient fi bien lis avantages que lts Vénitiens, leurs rivaux dans le commerce, retiroient de leur union avec les empereurs latins de Conftantinople, qae, pour les en priver5 ils furmontèrent bs préjugés les plus enracinés du fiècle, & fe joignirent aux Grecs fchifmatiques pour détróner un monarque protégé par 1'autorité papale , fans s'inquiéter des foudns du Vatican, qui a cette époque faifoient trembler les plus grands- princes. Cette entreprife,. toute hardie & toute impie qu'on la fupposat alors , fut couronnée du fuccès. Pour récomptnfer des fervices fi figualés, la reconnoiftance ou la foibleffe de-  sur. l'Inde ancienne. 161 1'cmpereur grec , entr'autres libéralités, donna aux Géuois, comme fief de 1'empire, Péra le principal faubourg de Conftantinople , avec une telle diminution des droits levés fur 1'importation & 1'exportation des marchandifes, que bientót ils n'eurent plus de rivaux dans le commerce. Les Génoïs, en marchands attentifs, ne laifierent échapper aucun des avantages que pouvoit leur donner cette fituation favorable. Ils environnèrent de fortifkations leur établifiement nouveau dans Péra ; & ils firent de leurs comptoirs fur les cótes adjacentes autant de places fortes (i). Ils étoient plus maicres que les Grecs mêmes du .'port de Conftantinopk. Tout Ie commerce de la mer Noire leur tomboit dans les mains; & non contens de cela, ils s'emparèrent d'une partie de la Cherfpnèfe taurtque, aujourd'hui la Crimée, & firent de Caffa , fa principale ville, la première place de leur commerce avec 1'Orient, & le port dans lequel venoient fe décharger toutes les marchandifes qui fe rendoient i la (O Nicepb. Gtegoc. ib. si. c. i. paragraphe 6. xvii. c. i. paragrnplie i.  if52 Recherches his'torkJues- mer Noire par les différentes routes que j'ai déja décrites CO- En conféquence de cette révolution , Gênes devint la première puiflance commercante de 1'Europe; & fi i'active induflrie & 1'intrépide courage de fes citoyens euffent été fecondés par la fageffe du gouvernement, elle auroit joui long-temps de fa fupériorité. Mais il n'y eut jamais de contrafle plus frappant que ceiui que préftnte 1'adminiftration inté-rieure des deux républiques rivales de Venife & de Gênes. Dans la première, le gouver-^ nement marcboit avec la fermeté d'une pru-dence rtïrlécbie; dans 1'autre, il n'avoit d'au-tre bafe que 1'amour de la nouveauté & le défir du changement.- L'une jouiflbit d'un calme perpétuel; 1'autre étoit livrée a tousles orages & & toutes les vicifbtudes des fac-tions. L'accroiflement des richefles que l'in« dultrie de fes marcnands faifoit couler dansGênes, ne contrebalancoit pas les défauts defon organifation politique; & même a traversfa plus brillante pofition, on voit percer des- O) Folida, Hift. Genuers. ap. Giïev. Thes. Antiq.Ital. i. 38-. De Marinis , de Genucns. Dignit. ib. ïtf ó, Niceph. Greg. lib. xiu. c. 12. Murat. Annal, d'Jtsl. lib.va. c. 351. Voyez note-41.  süR l'Inde ancienne. ICT3 fympiótiKs qui annoncoient chez elle une dhninution de force & d'bpulence. Néanmoins, tant que les Génois confervèrent leur premier afcendant dans 1'empire grec, les Vénitiens, dans ie commerce qu'ils y faifbient , fe fentirent écrafés de tant de désavantages , que leurs marchands n'allèrent plus que raremeut a Conftantinople, & toujours avec répugnance ; pour répondre aux demandes des différentes parties de 1'Europe, oü ils avoient coutume d'envoyer les marchandifes de l'Inde, ils furent obligés d'avolr recours aux anciens entrepóts de ce commerce. Le principal & le mieux fourni de tous étoit Alexandrie, en ce qu'il devenoit fouvent impoffible de tranfporter les marchandifes de l'Inde a travers 1'Afie dans aucun port de la Méditerranée, a caufe des incurfions des Turcs, des Tartares & des autres hordes qui ravageoient fucceflivement ce beau pays, ou qui s'en difputoient la poffel"fion. Mais fous le gouvernement vigoureux & tout militaire des foudans Mamelucks, 1'ordre & la fureté régnoient iraperturbablement dans 1'Egypte, & le commerce, quoique furchargé de droits, étoit ouvert a tout le monde. A mefure que le commerce de  164 Recherches historiques Conftantinople & de la merNoire fe refferrolt dans les mains des Génois, les Vénitiens fen« tirent de plus en plus la néctfïïté d'étendre leurs rapports avec Alexandrie (i). Mais les Chrétiens de ee fiècle, fe croyant fouillés par des liaiföns auffi marquées avec les infidèies, le fénat de Venife, pour impefer filence a fes propres fcrupules & ft ceux de fes fujets, eut recours ft 1'infaillible auto» rité du pape, que 1'on croyoit revêtu du droit de difpenfer de Pobfervation rigoureufe des loix les plus facrées; & il en obtint la permiflion d'équiper tous les ans un nombre marqué de vaiffeaux pour les ports d'Egypte & de Syrië (2). Munie de cette autorifation, la république conclut un traité de commerce avec les foudans d'Egypte, fur des bafes équitables; en conféquence, elle nomina un conful pour réfider ft Alexandrie, & un autre ft Damns, revétus d'un caraclère public, & qui devoient exercer une juriïdiction mercantile , fous 1'autorifation des foudans. Des marchands & artifans Vénitiens s'établirent daBsces deux villes ft, 1'ombre de leur proteflion. CO Voyez note 4a. (1) Voyez note 43,  soa l'Inde ancienne. 163 Les vieux préjugés, les vieilles autipathies furent oubliés; & de la réuniun de leurs in» térêfs réfulta pour la première fois un commerce franc & ouvert entre des Chrétiens Sc des Mahométans (1). Tandis que les Vénitiens & les Génois fe traverfoient dans leurs efforts , & n'épargnoient rien pour approvifionner exclufivement 1'Europe des produétions de 1'Orient, la république de Florence, pays originairement démocratique & commercant, fe livra au commerce avec tant de chaleur & de perfévérance, & le génie de la nation, autant que la nature de fes inflitutions, étoit fi fayorable a fes progiès, que 1'état s'avanca rapidement 4 la puhTance, & les citoyens 4 la richtfle. Mais comme les Fiorentins n'avoient aucun port de mer commode,i!s dirigèrent lur-tout leurs foins & leur attention vers 1'amélioration de f urs manufacturcs, & vers des objets d'induflrie domeltique. D'après le compte qu'en reud nn hiftorien très-bien instant, il paroic que les différentes efpéces de manufactures des Fiorentins, celles de foie & (O S.iudi, Stori» civile Vcnczisna, lib. v. c, 15. p.  i6<5 Recherches ins t or i q b e s de drap fur-tout, étoient trés• florkTantes au «luatorzième fiè'dë (iLes liaiföns qu'ils contraétèrent en dilférens endroits de 1'Europe, oü ils envoyoient le produit de leur propre induftrie , les conduifirent naturellement a une autre branche de commerce, la banque. Ils acquirent bientót une telle fupériorité dans ce genre, que le commerce d'argent de prefque tous les royaumes de 1'Europe leur pafloit entre les mains; & méme dans plufieurs états on leur confioit la perception & 1'adminiltration des revenus publics. En conféquence de 1'acTivité & du fuccès avec lequel ils conduifoient leurs manufaétures & leurs fpéculations d'argent, les unes toujours accompagnées d'un profit modique, mais certain ; les autres lucratives au plus baut degré, dans un temps oü 1'on n'avoit fixé avec précifion ni Pintérêt de 1'argent ni la prime fur les lettres -de -change, Florence devint 1'une des premières villes de la chrétienté, & plufieurs de fes citoyens amaflerent des fortunes énormes. Cóme de Médicis, chef d'une familie obfcure qui s'éleva par fes fuccès dans le commerce, paflbit pour le plus Ci) Giov. Villani , Hift. Florent. ap. Murat. Script. Rer. ItfJ. vol. xui, p, 823.  .sur. l'Inde ancienne. 1C7 fiche marchand que 1'on eüt jamais connu dans 1'Europe ("i); & dans beaucoup d'actes de mun'ficence publique & de générofité par» ticulière, foit pour la proteciion accordée aux fciences, foit pour 1'encouragement donné aux arts utiles & agréables, aucun monarque de fon fiècle ne pouvoit aller de pair avec lui. JI ne m'a pas été poffible de favoir fi les Médicis , dans leurs premières opérations mercantiles, firent aucun tralie en Oriënt (a)« II eft plus probable, felon moi, qu'ils bornèrent leur commerce aux mêmes objets que leurs concitoyens. Mais dè-s que la république, par la conquête de Pife , fe fut ouvert un débouché fur i'Océan, Córae de Médicis, qui avoit la principale direction des affaires, s'efforea de donner afon pays une part dans ce commerce hieratif, qui avoit élevé Gênes & Venife fi fort aiir-deljus des autres états de PItalie. Eti conféquence, on envoya des ambafladeurs a Akxandrie, pour obtenir du fou.ian que ce port & les autres de fa dominanon fulTent ouverts aux fujets de la république, & qu'il CO Fr Midi. Ctutus, Hift. Fior. p. 37. 62. Curon. Euguhinuin apud Murat. Script. Rei', ital. vol. xiv. p. 1007. Denim, Ré\o'uuons d'Italie, tom. vi. p. 263, &c. (jij Voyez uote 44.  i68 Recherches historiques les admit ft la participation des privileges commerciaux dont jouilloient les Vénitiens. La négociaiion fut fuivie d'un tel fuccès que les Florentins paroilfent même avoir eu part au commerce de l'Inde ;& peu de temps après cette époque, nous trouvons les épices au nombre des marchandifes importées par les Florentins en Angleterre (a). Dans quelques endroits de cette differtation , relatifs a la nature & aux progrès du commerce avec 1'Orient, j'ai été obligé d'a!ler ft tatons, & fouvent ft la lueur d'une trèsfoible lumière. Mais comme nous approchons d'une époque oü les idéés des modernes fur 1'importance du commerce commencèrent ft fe développer, & oü fes progrès & fes effets devinrent pour les gouvernemens 1'objet d'une attention plus particulière, nous pouvons es» pérer de mettre plus de précifion, & de marcher avec plus de certitude dans les recherches qui nous reuent encore ft faire. C'eft 4 cette augmentation d'intérêt que nous devons les détails que Marino • Sanuto, noble Véni» tien, nous a laiffés fur le commerce de l'Inde, CO Voyezlr,note 45^ C2) Hailuyt, vol. I. p. 193, j  sur l'Inde ancienne. io> Pinde, & Ia manière dont il fe faifoit dans fon pays au commencement du quatörzième itè'clè. Ils recevoient les marchandifes de 1'Orient, è ce qu'il nous dit, de deux manié, res düférentes. Celles d'un volume moindre & d'un grand prix, telles que les clous de gérofle, la mufcade, le macis, les pierres précieufes, les perles, &c. arrivoient par le golfe perfique, & le long du Tigre jufqu'a Baffora, & de la a Bagdad, d'oü on les transportoit dans quelque port de la Méditerranée. Celles d'un volume plus confidérable, telles que le poivre, le gingembre , la cannelle , &c. & une certaine quantité des articles plus précieux, étoient conduites par 1'ancienne route jufqu'a la mer Rouge, & de la en traverfant le défert & le long du Nil jufqu'a Alexandrie. Les produétions qui fuivoient la première route étoient, comme Pobferve Sanuto, d'une qualité fupérieure; mais fouvent on n'en recevoit que trés-peu a caufe de 1'ennui & de la dépenfe d'un long tranfport par terre & i il ne peut s'empêcher d'avouer (quoique' Ie fait ne füt pas favorable a un projet favori 1 qu'il avoit en vue en écrivant Ie traité que Ëk cite) que, par 1'état abandonné des pjy3 ipar oü paflbient les caravanes, ce mode de /. Part. H  j7o Recherches historiques tranfport étoit fouvent précaire, & accorapagné de danger (i). C'étoit feulement h Alexandrie que les VéV «kiens étoient toujours fürs de trouver une provifion abondante des marchandifes de l'Inde; & comme c'étoit furtout par eau qu'elles y arrivoient, ils les auroient eues a un prix raifonnable, fi les foudans ne les avoient pas grévées de droits qui montoient au tiers de toute leur valeur. Cependant, malgré ce défavantage & beaucoup d'autres, il falloit en faire 1'achat; car par un concouis de circonftances, k la tête deibuelles on doit compter 1'augmentation des rapports des différentes nations de 1'Europe entr'elles, les demandes qui s'en faifoient alloient toujours croiffant pendant le quatcrzième f'ècle. Par 1'irruption de toutes ces tribus ennemies de barbares, qui s'emparèrent de la plus grande partie de 1'Europe, ce lieu puiflant, par lequel les Romains avoient uni tous les peuples de leur vafte empire, fut entiérement diffous; & les embarras qu'éprouvèrent les nations pour communiquer entre elles, furent CO Mu. Secretö fideliura Ccncis, p. w.&c. tp.fi o?  sun l'Inde ancienne. jji Ü décourageans, qu'on refuferoit abfolutneiit d'y ajouterfoi, fi la preuve a'eo repofoit qua fur le témoignage des hifioriens, & n'étoit pas confirmée par quelque chofe de plus authentique encore, la formation & 1'enre-istrement exprès des loix. J'ai expofé &fc£a même temps expliqué, dans un autre ouvrage (i) , plufieurs fiatuts de ce genre, qui font la honte de la jurifprudence de prefque toutes les nations de 1'Europe. Mais quand les befoins & les défirs des hommes fe multiplièrent, & qu'ils virent que les autres na. tions pouvoient leur procurer les moyens de les fatisfaire, les feminiens d'inimirJé qui les ifoloient entre elles s'affoiblirent, & furent infenfiblement remplacés par les liens d'une affiftance réciproque. Depuis le temps des croifades qui raflemblèrent pour Ia première fois des peuples qui fe connoiflbient a peine & qui, pendant deux fiècles, les firent agir de concert pour Ie même objet, plufieurs circonftances concoururent 4 accélérer cette communication générale. Les peuples deS bords de la mer Baltique , redoutés jufqu'a. lors, & détefiés du refie de 1'Europe comme UJ««t.de Charles V, vol. i. p. 92. 22I, &c • H a  I?i PvECHEUCIIES HISTORIQHES des pirates & des ufurpateurs, prirent enfin des mceurs plus donets & commencèrent a yifiter leurs voifins en qualité de marchandsDes circonftances étrangéres au fujet aétuel de ces recherches, les unirent enfemble dans la puiflante confédération de commerce fi fameufe au njoyen age, fous le nom de ligue anféatique, .& les ergagèrent k éiablir Peiir irepót de leur commerce avec les parties méridionales de 1'Europe a Bruges. C'eft ia que fe rendoient les marchands d'ltalie, & fur-tout de Vtnife; & en écbange des produétions de POrient & ces manufaétures de leur propre pays, ils recevoient outre les articles d'armement & les autres marchandifes de 1'Europe, une quantité confidérable d'or & d'argent des mines de différentes proyinces d'AIUmague ,les plus riches& les plus sbondantes que Pon connüt aiors en Europe (i> Bruges-continua d'être le graiid marché ou mugafin de 1'Europe pendant tout l'es? pace de temps oü s'étendent mes recherches, C'étoit lft que s'entretenoit une correfpon? dance régulière, autrefois inconnue entre tous ■ (O Examen jpolitjque de 1'Europe de Zinynennaiui,  sor l'Inde ancienne. fes royaumes qui divifent notre continent; & Fon n'eft plus étonné de Pétat de fplendeuf & de puitfance auquel s'ékvèrent fi rapidement les répuMiques d'Italie, quand on fonge Combien leur commerce, d'oü ils tenoient tous ces avantages, a dü s'e'tendre parlaconfommation èohfidérabieniêut au^men'ée des produétions de 1'Afie, dès que les vaftes contrées du Nord-Eft de 1'Europe furent ouver* tes pour les recevoir. • Pendant cttte profpérité & ces progrès du commerce de l'Inde, Venire.recut d'un de fes citoyens, fur les pays qui produifoient ks précieufes marchandifes qui formoient laplus importante branche de fon commerce, des détails qui donnèrent de leur opuknee, de leur population & de leur étendue une idéé bien fupérieure a toutes celles que s'en étohnt déja faites les Européens. Comme depuis Pépoque oü ks Mahométans fe rendirent mal* tres de l'E°ypte, il ne fut permis a aucun Chrétkn ct'aller en Oriënt a travers leurs états (ij, la communication directe des Européens avec Pinde cefla entièrement. Les détails fur Pinde de Cofmas Indicopkuftes fcO Saruto j p. 2;. II 3  374 Recherches msTORiotfEs au fixième fiécle, font, je crois, les demiera que les peuples d'Occident recurent de perfonnes qui euifent vifité ce pays. Mais vers le milieu du ireizième fiècle, 1'efprit de commerce , devenu alors plus entreprcnant & plus avide de nouveaux moyens de s'eurichir, engagea Mare Paul,noble Vénitien qui avoit commercé quelque temps dans les grandes wiiks de 1'Afie mineure, a pénétrer plus avant dans les parties orientales de ce continent, jufqu'ft la cour du grand Khan fur la frontière de la Chine. Pendant 1'efpace de vingt-fix ans, dont il employa une partie è. des opératiocs mercantiles, & 1'auire a conduire les négociations que lui confioit le grand Khan, il examina plufieurs régions de 1'Orient oü n'étoit jamais entré aucun Européen. II donne la defcription du grand royaume de Cathay, nom fous lequel on connoit encore la Chine dans plufieurs parties de 1'Orient (i), & la traverfa depuis Chambalu ou Pekin, placé fur la fronüère du Nord , (i) Herbelot, Eibl. oriënt, artic. Khatay. Stewart, Account of Thibet. Phil. Tranf. xvn. 474. Voyage de A. Jeukiulön, Hakluyc 1. 333.  sart l'Inde Anctennb. 17$ jufqu'a fe3 provinces les plus méridionale?. II vtfita ditfe'rentes parties de 1'Indoftan, & 51 eft le premier qui parle du Bengale & de Guzzerat , d'après leurs noms modernes, comme de royaumes riches & puiffants. Oatre fes découvertes par terre, il fit pius d'un voyage dans 1'Océan indien, & apprit quelques détails fur une ite qu'il appelle Zipangri ou Cipango, probablement le Japon. H vifita en perfoune Java & plufieurs des lies qui 1'environnent, l'ile de Ceylan & la cóte de Malabar jufqu'au golfe de Cambay, &• donna k tous ces li:.-ux le nom qu'ils portent aujourd'hui. On n'avoit jamais fait un & vafte tour de 1'Orient, & c'eft la defcription la plus compléte qu'aucun Européen en ait jamais préfenté; & dans un fiècle oü 1'on ne connoifibit guère de ces régions que ce qu'en apprenoit la géographie de Ptolomée, uon-feulement les Vénitiens, mais tous lespeuples de 1'Europe furent étonnés de voir eievant eux de fi vaftes pays au-dela des litnites qu'on avoit cru être jufqu'alors les plus reculées de la terre dans ces parages Mais-, tandis que les fpéculateurs & les fi-j Voy«z note 46. H4.  i?6 Recherches histórkjues oififs s'occupoient a examiner les découvertes de Mare Paul, qhi„donnèrent lieu a des eonjeélures & a des théories d'oü iiaquirent les plus importantes conféquences, il arriva un événement qui attira 1'attention de toute 1'Europe, & eut la plus grande iufluente fur la marche de ce commerce , dont je m'efforce de fuivre les progrès. L'événement que j'annonce eft la conquéte définitive de 1'empire grec par Mahometll, «k 1'établiiTemem du iiége du gouvernement turc dans Conftantinople. L'efFet immédiat de cette grande révolmion fut, que les Génois qui réfidoient h Péra, envtloppés dans la calamité générale, furent obligés d'abandonner non-feulement eet établiflement, maïs méme tous ceux qu'ils avoient formés fur la cóte voifine de la mer, apiès en avoir été en pofleflion pendant prés de deux fiècles. Peu de temps après , les armes victorieufes du 1'ultan les chafl'èrent de Cafa & de toutes les autres places qu'ils occupoient dans la Ciimee (i;. Conftantinople ne fut plus un marché CO 'Folictca. Hiit. gcr.u. 002. 616, Mun.t, Ammli d'Itai. ix. 451,  san l'Inde ancienne. 177 thé ouvert aux peuplrs de POccident pour les marchandifes de l'Inde,- & Pon ne pouvoit s'en procurer qu'en Egypte & dans ies ports de Syrië foumis aux foudans desMameluks. Li s Vénitiens , par une fuite de la proteétion & des priviléges qu'ils s'étoient alïurés par leur traité de commerce avec ces puiilans princes, trafiquèrent dans toutes les parties de leur empire avec un fi grand avantage, qu'iis 1'emportèrent facikment fur tous leurs concurrens. Gênes , qui avoit été longtemps leur plus formidable rivale, humiiiée par la perte de fes poflefiions en Oriënt, & afibiblie par ks diflentions domeftiques-, eléclina fi rapidement qu'elle fut réduite & mendier ks fecours étrangers, & fe foumk alternativeroent a la domination des ducs de Müan & des rois de France. Cette diroiru:tion de la puiflance poJitique des Géno;s affoibüt kur commerce & en borna les fpécuktions. Un dernier effort qu'ils firent pour reprendre la part qu'ils avoient eue autrefois dans le commerce de Pinde, en ofFrant aux foudans d'Egypte de traiter avec eux aux mêmes conditions qui avoient été accordecs» aux Vénitiens, ne fut fuivi d'aucun fuccèsj & ptn'dant le refte du quinzièine fiècle , H 5  J73 Recherches historiques Venife fournit ft Ja plus grande partie de' 1'Europe les produétions de 1'Orient, & donna ft fon commerce une étendue qur n'avoit point encore eu d'exemple dans cestemps. L'état des autres nations de 1'Europe étoir extrêmement favorable ft 1'avancement du commerce des Vénitiens. L'Angleterre délblée par les guerres civiles dont Ia malheureufe querelle des maifons d'York & de Lancaltre étoit la fource , avoit ft peine tourné fon attention fur quelques-uns des objets de commerce qui font aujourd'hui fa richelTe & fa puiflance. En France^ on fentoit encore les funrftes effets des armes & des eonquéres> de 1'Angleterre ; le monarque n'avoit pas encore repris autz de foree, & ]e goüt du peuple n'étoit pas aflez décidé, pour diriger le génie & l'aélivité nationale vers les arts de la paix. La réunion des différens royaumes d'Efpagne n'étoit pas encore effécttiée; quelques ■ unes de fes plus belles provinces étoient toujours fous Ia domination des Maures , avec qui les rois efpagnols étoient dans une guerre continuellej &, ft Fexception des Catalans, 1'on ne s'y occupoit guère du comiBerce écranger. Le Pyr»  SÜ'R. r/lNDE ANCIENNE. I79 fagal , quoi qu'il füt déja entré dans cettecarrière de découvertes qui fe termina par lesplus brillans fuccès , n'y avoit pas encore fait affez de progrès pour mériter un rang diflingué parmi les états commercans de 1'Europe. Airrii les Vénitiens , fans rivaux,, fans concurrens , fi ce n'eft de la part de quelques-uns des plus petits états d'Italie,. pouvoient concerter & exécuter leurs plansde commerce comme bon leur fembloit 5 & le trafk avec les villes anféatiques, qui unisfoit le Nord & le Sud de 1'Europe, & qui avoit été jufque-la commun a tous les Itabens, étoit alors prefque tout entier concen»fré dans leurs mains. Tandis qu'il fe formoitde toutes parts des5 demandes pour les produétions de 1'Afie y & que tous les peuples de 1'Europe s'empros" foient de former des liaiföns avec les Vénitiens , jufqu'a les attirer dans leurs ports paproutes fortes d'exemptions y nous pouvons* remarquer dans leur manière de faire le com-ffierce avec 1'Orient, une fingularité qui ne fe retrouve chtz aucun peuple ni dansaucune; page de 1'hiltoire. Autrefois ks Tyriens, le» Grecs, maltres de 1'Egypte, & ks Romains> alloient chereber par mer dans 1'fude k* B 6  iSo Recherches historiques marchandifes qu'Js fourniffoient aux peuple? de 1'Occident. Aujourd'hui la même marche tft fuivie par les Portugais, les Hollandois, &, ft leur exemple, par les autres nations européennes. Dans les deux époques, on s'ell plaint que le commerce ne pouvoit fe faire fans épuifer les différens états de métaux précieux qui, dans le cours de fes opérations , palTent fans ceffe d'Occident en Oriënt, pour ne plus reparoitre. Quelle que püt être cette perte, occalionnée par la dtminution fucceffive ,mais inévitable, de Tor & de 1'argent (& ce n'eft pas ici pour moi le lieu d'examiner ou de décider ce que cette perte peut avoir de réel ou d'imagiuaire), les Vénitiens ne la fentirent prefque point; ils ft'avoient point de communication direéte avec l'Inde. lis trouvoient en Egypte ou en Syrië des magafins remplis de marchandifes de 1'Orient , qu'y avoient apportées les Mahométans; & d'après les détails les plus exacts de la nature de leur commerce,il parolt qu'ils fe les procuroient plus fouvent par la vo;e de 1'échange que par celle de 1'argent. L'Ügypte qui eft le principal marché des produétions de l'Inde, quoiqu'un des pius fertiles pays du monde, eft dépourvue de beaucoup cl'ob-  sur l'Inde ancienne. i8ï jets de commerce néceflaires, foit pour lacorrrmodité , foit pour le luxe. Trop bornée dans fon étendue & trop bien cultivée pourlaiffer de 1'efpace aux forêrs, trop unie a fa furface pour receler dans fon fein les métaux utües, elle ne peut le procurer le bois de charpente, le fer, le plomb, 1'étaim & le cuivre, que par 1'importation qui s'en fait des autres pays. II ne parolt pas que ks Egyptiens eux-mêmes, tant qu'ils furent fous la domination des Mameluks, aknt commercé dans aïkuh port chrétien; & c'étoit fur - tout des Vénitiens qu'ils recevoient tous ks objets dont nous venons de parler. Outre ces articks, il fértöit des maks induftrkuQs des Vénitiens toute s fortes de draps, d'étóffcs dé foie, des camelo's, dtsmiroirs, desarmrs, des ornemens d'or & d'ar^ent, du verre & une foule d'autres objets qu'ils étoient toujoiirs ffirs de vendre en Egypte & en Syrië. En éehange , ils recevoient des marchands d'AIexandrie , des épices de toute efpèce, dis 'Jrogufs , des pkrrcs précieufes , des perles, de Pivoire, du coton & de la foie tant apprêtés que manufaéturés fous toutes les formes, & autres produélions de 1'Orient, avec plulieurs articks précieux de fabricauou II 7  118 2' Recherches hts* t or' i cv u'g s! ou .de pioduéb'on égyptienne. Dans Akp,,. Baruth, & autres villts, outre les marchandifes mêmes de l'Inde, qu'on y tranfportoit par terre, i!s ajoutoicsnt & leurs cargaifonsles tapis de Perfe, les riches foies écrues de Damas, que 1'on conn< k encore fous lc nom qui leur vient de cette ville, & dtverfes produétions de 1'art & de la nature particuiieres il la Syrië, ü la Pakftiue & il 1'Ara-bie. Si quelquefois leur débit des marchandifes de 1'Orient s'étendoit au-dela de ce' qu'ils recevoient en éehange de leurs pro-pres manufaétures , le commerce avec lesvilks de la ligue anféatique, dont j'ai parlé, leur foumiffoit une quantité réglée d'or & d'argent des mines d'Alkmsgne, dont ils fe défaifoient avec avantage dans les marchésd'Egypte & de Syrië. Par une fuite de ce penchant qui s'efir manifellé dans tous les états commergans ,& qui confilte a foumettre ks opérations du commerce a des règkmens & a des modifications politiques, il paruk que le gouverne-ment de Venife s'éfl fervi de fa force pour dirigt-r l'iniportation des marchandifes de 1'Afie, & kur mode de circulacion parroi ksdifférens peuples de 1'Europe. Un certain  sür l'Inde ancienne. 183. nombre de gros vaiffeaux » connus fous li no;u de Galions ou Caruques, étoient envoyés aux dépens du tréfor public dans tous les entrepóis les plus confidérables de la Mé Jirerranée, & revenoient chargés des plus ricbes marchandifes (1} dont la vente ne devoit pas peu groffir le revenu de la république. Cependant on encourageoit les citoyens de toutes les claffes, & fur - tout les perfonnes de familie noble, a prendre part au commerce dudehors; & ceux qui , en conféquence , expédioienr. un vaiffeau d'un certain port, recevoient du gouvernement des gratifications confidérables (2j C'étoit de cette manière, partie fur des vaiffeaux de Tétat & partie fur les va ffeaux particuliers des marchands, que les Véniden-s faifoient circu'er des marchandifes qui leur venoient de l'Orient, & celles qui étoient le produit de leur propre pays & de leurs manufaétures. Nous avons deux moyens de connoltre^ au moics en partie, 1'importance de ces branches de commerce dont les Vénitiens étoient les maitres. D'abord en confielérant CO Salie'licus, riift. Rer. Venec. Dec. iv. lib. ui, p Denina, Revo', d'ltaüe, tom. vi. 340. t2J Saad, Scor. Cm. Vensz lib. vtu, 8^r>  184 Recherches ihstoriq-ues' Ja haut prix & lt grande diveifité des ma*ehandifes importées ft Bruges , le magafm d'oü s'approvifionnoient les autres nations de 1'Europe, on en trouve dans un auteur trèsbien infbuit une lifle des plus étendues , oh lont compris tous les arrides qui, dans ce fiècle, étoient jugés indifpenfables pour 1'éiégance ou pour la 0 mrnodité (i_). Enfuite en examinant les effets du commerce des Vénitiens fur les villes qui participoient ft fes? avantages, jamais les richeffes ne parurent d'une manière plus éclatante ft la fu:te du commerce. Les citoyeus de Bruges qui s'y étoient enrichis 'étaloient dans leurs habits, leurs batimens- & leur manière de vivre, une magnificence qui pouvoit aller jufqu'a mortiiu-r 1'orgueil & exciter 1'envie même de te loyauté Ca). Anvers , lorfqu'elle devint entrepot ft fon tour, le düputa bientót ft Bruges en grandeur & en opulence. Dans quelques villes d'Aikmagne, & fur-tout ft Augfbourg , le granc) marcljé des marchandifes de l'lntle, dsi s 1'intérieur de ce vafle .psys.on inuve (ès les premiers temps, des - O) Luri. Gvicciardir.i Dcsciipt, dei Pni.fi En:fi p 17,;. (2} Voyez note 47.  sur l'Inde ancienne. 185 exemples de ces grandes fortunes accumulées par les fpéculations du commerce, qui en ont élevé le» poffeiTeurs a un rang tliltingué & & une grande confidération dans 1'empire. En voyant les richeflis fe multiplier ainll dans tous ,ks lieux oü les Vénitiens avoient un commerce établi, il eft naturel de conclure que le profit qu'ils retiroient eux-mêmes de fes elifférentes branches, & du tralie de l'Orient fur-tout, devoit être bien plus confidérable encore. II eft cependant impoflible , k moir.s d'avoir des renfeignemens beaucoup plus précis que ceux qui nousreftent, de faire une telle eltimation avec exactitude, mais différentes circonftances fe préfentent pour établir, en général, la jufteffe de cette coi> clufion. Dès Fin (tant oü le goüt du commerce commeuca a fe reproduire en Europe, les Vénitiens eurent une trés-grande part nu commerce de l'Orient. Cette part augmenia de plus en plus, & pendant une grande partie du quinzièaie fiècle on peut dire qu'ils le faifoient presque feuls. Ce monopole eut les fttiies qu'il ne mauque jamais d'avoir partout oü il n'y a pas dc concurrence, & oü le marchand peut faire la loi aux atheteuts & régie  iS6 Recherches historiques lui-même leprix des marchandifes qu'il Jivre,fes profits furent exorbitans. On peut fe faire quelque idéé de leur étendue pendant plufieurs fiècles, en fuivant le taux de 1'nné*iét de Pargent. C'eft-la fans contredit la régie k plus infaillible a laquelle onpuilfe s'attacher' dans Feftimation du profit que rendent lesprincipaux fonds employés dans le commerce car fuivant que 1'intérêt de Pargent haufle ou> bailfe, le gain réfulrant de fon ufage doit né«eefiairement varier & devenir excefiif ou modéré. Depuis ia fin du onzième fiècle jus* qu'au commcncement du feizième, période pendant laquelle les Jtaliens déployèrent tout leur génie pour le commerce, le taux de Fin* térêt fut extrêmement élevé. II étoit ordinaiiement de vingt pour cent, quelquefoisau-defius ; & jui'qu'a Pan mil cinq cent, iln'avoit jamais été au-defibus de dix ou douze pour cent,dans aucun endroit de 1'Europe(i)». Si les profits d'un commerce auffi étendu que celui des Vénitiens répondoient a ce haut prix de Pargent,il ne pouvoit manquer d'êtfe pour eux une fource abondante de richelfes, pour Pétac auffi bien que pour les particiK O) Hift. ds Ctarles V, vo!. i. p. 401  SÜR L'IftöE ANCIENNE. 187 liers (1). Les hiftoriens de ce temps parient donc de la fituation de Venife au période que : nous avons fous les yeux , en termes qui ne peuvent convenir ft celie d'aucun autre pays de 1'Europe. Les reveuus de la république & ks tréfors amaffés par les particuliers, furpafibient tout ce que 1'on favoit a eet égard des autres pays. Dans la magnificence de leurs mailbns, la richefie de leur ameublement, la quantité de leur vaiffelle en or & en argent, & dans tout ce qui pouvoit contribuer ft 1'élégance ou ft 1'éclat dans leur ! manière de vivre, ks nobles de Venife eff*. ,j coient le luxe des plus grands monarques au1 delft des Alpes; & toute cette pompe n'étoit j point 1'effet d'une prodigalité auffi vaine qu'in| confidérée, c'étoit la fuite naturelle d'une i heureufe induftrie, qui après avoir accumulé a les richeflés avec facilité, avoit le droit d'en 1, jouir avec écht (2). Les Vénitiens n'avoient jamais cru leur i pouvoir plus folidement établi, ils n'avoient I jamais corapté avec plus de confiance fur la i continuation & raccroifTement de leurs r» :' cheffes que vers la fin du quinzième fiècle (O Voyez note 48. CO Voyez note 49.  I8S Recherches hist'orio.ïje^ lorfqu'il arriva deux événemens qu'ils ne pou-' voient ni- prévoir ni empêcher, & dont ks fuites furent fataks & pour 1'un & pour Fautre. Le premier fut la découverte de FAmérique; le fecond ,. 1'ouverture d'un pasfage direct: dans les Indts orientales par le Gap de Bonne-Efpéranee. De tous les événemens que préfente 1'hiftoire du genre humain, il n'en eft certainement pas de plus intéreflans; & comme ils occafionnèrent un changement confidérable dans le fyftême de comtnunication entre ks dhTérentes paniesdu globe, & finirtnt par faire adopter ces idéés & ces arrangemens de commerce qui tracent la ligne de démarcation entre les mceurs & la politique des temps anciens & des temps modernes, leur récit fe lie intimement au fujet de ces recherches, & leseonduira au période qui, dans mon plan, doit leur fervir de terme. Mais comme dans un antre ouvrage (i), j'ai expofé fort au long 1'origine & les progrès de ces découvertesjil fuffira d'en préfenter iei un appcreu rapide. Le fentiment d'admiration ou d'envie avec CO Iüftohe de l'An&ique, livre i, c, 11.  SÜR L'irfDE ANCIENNE. j8f lequel les autres nations de 1'Europe regar* dèrent la richefle & la puiflance de Venife, les porta naturellement k rechercher les caufes de cette prééminence; la plus puiflante de toutes parut être fon cotHinerce lucratif avec l'Orient. Plufiiurs pays mortifiés de fe voir exclus d'une fource de richefles, qui avoit été fi abondaute pour les Vénitiens, avoient tenté de fe procurer une part dans le commerce de Pinde. Quelques uns des états de 1'ltalie (comme je 1'ai déja fait entendre}, s'étoient elForcés d'obtenir Pentrée des ports d'Egypte & de Syrië, aux mêmes condi» tions que les Vénitiens; mais les négo» ciations qu'ils entamêrent a ce fujet, furent déconcertées par la prépondérance des Vénitiens k la cour des foudans, ou par les avantrages confidérabks que des négocians depuis long-temps en pofleffion d'une branche de commerce quelconque, ne manquent jamais d'avoir fur les nouveaux concurrens: tous leurs effbrts n'aboutirent qu'a très-peu de chofe (i}. Les mênes vues enfantèrent dilférens projets dans d'autres pays. Lés 1'année mil quatre cent quarre-ving ts, le génie CO yoyez note 50,  190 Recherches historietjes inventif & entreprenant de Colornb lui fit concevoir I'idée d'ouvrir une communication plus prompte & plus füre avec l'Inde en fuivant un cours direcl: a 1'Occident , vers ces régions qui, fuivant Mare Paul & les autres voyageurs, s'étendirent a l'Orient bien au-dela des limites que les Grecs & les Romains s'étoient tracées dans 1'Afie. Ce fut d'abord aux Génois fes compatriotes, & enfuite au roi de Portugal, au fervice duquel il étoit entré , qu'il propofa 1'exécution de ce plan, foutenu par des argumens tirés de la connoilTance exacte de la cosmographie, par 1'expérience qu'il avoit lui-même acquife dans la navigation , par les rapports des babiles pilotes, & par les théories & les conjeétures des anciens. II fut rejeté des premiers par ignorance, & du fecond avec les circonfiances les plus humiliantes pour une grande ame. Cependant a force de perfévérance & d'adrefle , il engagea enfin la cour la plus foupconneufe & la moins pénétrante de 1'Europe, a fe charger de 1'exécution de fon plan; & 1'Efpagne, pour avoir dérogé un moment a fes régies ordinaires de circonfpeéiion, obtint en récompenfe la gloire de découvrir un nouveau monde, qui,  sur l'Inde ancienne. 191 cen étenJue ne fait gueres moins que le tiers du globe habitable. Quelque étonnant que fut le fuccès de Colomb, il ne rempliifoit pas emièrement fes vues, & le tenoït encore loin de ces régions de 1'Orient, oü 1'efpoir d'arriver avoit été le premier objet de fon voyage. Cepenlant les effets de fes découvertes furent grands & étendus. En rendaut 1'Efpagne maitreife de territoires immenfes, fertiles en mines précieufes & en riches produétions de la nature , dont plufieurs avoient été crues; jufqu'alors particuh'ères a l'Inde, les richefles qui coulèrent en abon* dance dans ee royaume & dela fe répandirent dans toute 1'Europe, furent le fignal d'une induflrie univerfelle & de mille entre* prifes , qui feules auroient été capables de détourner le cours du commerce dans des routes nouvelles. Mais c'tfl ce qui fe fit bien plus promp. tement & d'une manière bien plus compléte par 1'autre grand événement dont j'ai parlé, la découverte d'une nouvelle route a l'Orient, par le Cap de Bonne - Efpérance , lorfque les Portugais, a qui les nations doivent 1'ouverture de cette communication entre les" parties les plus éloignées du globe habitable,  192 Recherches historiqoes entreprirent leur premier voyige de découverte ; il eft probable qu'ils n'avoient rien autre chofe en vue que de reconnoltre les parties de la cóte d'Afrique les plus voifines de leur pays.- Mais dès qu'on a une fois réveillé & mis en aétion le goüt des entreprifes, on ne doit plus s'attendre qu'a des progrès; & quoique ce goüt, chez les Portugais, ait été timide & lent dans fes premières opérations, il fe fortilia par degrés, & les poufla dans leur couife le long du rivage cjccidental du continent africain, bien au-dela du dtrnier terme de 1'anckune navigation fur la même ligne. Encouragé par le fuccès , il s'accéléra davantage encore, méprifa lés dangers qui jadis 1'avoient iuterdit , & furmonta les difficultés ?qu'il avoit d'abord jtigées infurmontables. Lorfque les Portugais trouvèrent fous la zone Torride, que les anciens avoient prononcé être inhabitable, des pays fertiles, occupés par des peuples nombreux , & qu'ils s'appercurent que le continent de i'Afnque , au lieu de s'étendre en largeur vers i'Occident, fuivant 1'opinion de Ptolomée , paroilfoit au contraire fe refferrer & décliner du cóié de l'Orient, ils concureut de plus valles projets,  sur l'Inde ancienne, 193 jets, & fe flattèrent de gagtier l'Inde , en continuant dans la même direétion qu'ils avoient fuivie fi long-temps. Après plufieurs tentatives inutiles pour arriver k ce but, il partit des bords du Tage une petite efcadre, fous les ordres de Vafco de Gama, officier de rang, que fon courage & fes talens rendoient digne de conduire les entreprifes les plus difficilesét les plus élevées. Cependant, faute de connoitre la faifon convenable & la route qu'il devoit tenir dans ce vafte Océan, a travers lequel il lui falloit s'avancer, fon voyage fut long & périlleux. Enfin ii doubla ce promontoire qui, pendant plufieurs années, avoit fait 1'objet de la terreur & de Pefpérance de fes concitoyens. De la, après une heureule navigation le long du Sud-lift de 1'Afrique, il arriva a la ville de Mélinde, oü il eut le plaifir de rencontrer, ainfi qu'en beaucoup d'autres endroits oü il aborda, une race d'hommes bien différens des habitans groffiers du rivage occidental de ce continent, qui n'avoit été vifité jufqu'alors que des feuls Portugais. II les trouva fi avancés dans les différens arts de la vie & de I* fociété, qu'ils faifoient un grand commerce, non feulement avec les peuples de leur propre /. Part. t  -i04 Re cner. ciies instori ques cöte, mais même avec les pays ébignés dt 1'Afie. Sous la conduite de leurs pilotes qui fuivirent une direétion que Fexpérience leur avoit rendue familière, il fit voile & travers rOcéau Indien & débarqua a Calicut, fur la cöte de Malabar, le vingt-deux de mai de Fannée mille quatre cent quatre-vingt-huit, öix mois & deux jours après fon départ du port de Lisbonne. Le famorin ou monarque du pays, fur•pris de cette vifite inattendue de la part d'un peuple inconnu, dont fair, les armes, les •manières, ne relfembloient en rien a ce qu'il voyoit dans les nations accoutumées a fréquenter fes ports, & qui arrivoit dans fes iétats par une route jugée impraticable jusqu'alors, les recut au premier abord avec eet enthoufiafme d'admiration qu'excite föüVent la nouveauté. Mais bientót après, comme s'il eüt eu le rapide preflentiment de tous les maux que cette fatale communicatïon ouverte avec les habitans de 1'Europe, alloit faire fondre fur l'Inde, il s'avifa de plufieurs flratagêmes pour couper la retraite a Gama & a fes compagnons. Mais 1'amiral portugais fe retira avec prudence & uneinurépidité merveilteufö de tous les dangers  sur l'Inde ancienne. r**8 Recherches his tori que s pks étoient bien fondées. Les Portugais entrèrent dans la nouvelle carrière, pleins d'ardeur & d'aétivité, & firent dans leur état militaire & commercant, des efförts bien fiipérieurs a ce qu'on pouvoit attendre d'un royaume auffi peu étendu. Ils étoient dirigés par un monar-que intelligent, capable de farmer les plans les plus vaftes avec le calme de la fagefie réfléchie, & capable de les conduire avec une infatigable perfévérance. Cependant la prudence & la fermeté de fes mefures ne lui auroient que peu fervi fans les inflrumens convenables pour les mettre a. exécution. Heureufement pour le Portugal, 1'ceil pénétrant d'Emmanuel füt diftinguer un nombre d'offickrs chargés du commandement fuprême dans l'Inde, qui par leur courageentreprenant, leur fcience militaire & leur habile politique, jointe au plus pur défintéreffement, au zèle de la gloire & a 1'amour de leur pays, méritent d'être comptés au nombre des perfonnages les plus dilïingués par leurs vertus & par leurs talens, dont parle 1'hiftoire de tous les temps & de toutes ks nations. Ils opérèrent peut-être deplus grandes chofes qu'il ne s'en fit jamais en fi peu de temps. Avant la fin du règne d'Em-  $ur l'Inde anctennb. ipgt manuel, vingt-quatre ans f;ulement après le voyage de Gama, les Portugais s'écoient ren-, dus maitres de la ville de Malacca, oü étoit alors établi le grand dépót du commerce qui fe faifoit entre les habitans de toutes ces régions de 1'Afie, que les européens ont cpmprifes dans la dénomination générale d'Indes orientales. C'étoit k ce port fitué k une distance k~ peu -prés égale des extrémités orientales & occidentales de ces pays, & dominant le détroit qui leur fert de communication réciproque, que les marchands de la Chine, du Japon & de chaque royaume du continent, des Moluques & de toutes les iles de 1'Archipel, fe rendoient de l'Orient; & ceux du Walabar, de Ceylan, de Coromandel & du Bengale, du có:é de 1'Occident (ij. Cette conquéte donna aux Portugais une grande influence fur le commerce intérieur de l'Inde, tandis que par les établilfemens qu'ils avoient auffi a Goa &aDion, ils pouvoient fe rendre maitres du commerce de la cóte de Malabar, & mettre de grands obftacles aux liaiföns depuis long-temps établies de 1'Egypte avec Ci) Ddcad. de Barros, déc. i. liv. via. c» i. Ofbr.-d* reb. Eman. Jib. vu. 213. &c. I 4  2eo Recherches historiques Pinde par Ia mer rouge. Leurs vaiffeaux fréquentoient tous les ports de l'Orient oü fe trouvoient des marchandifes de prix, depuis Je Cap de Bonne -Efpérance, jusqu'a la rivière de Quang-Tong;& Ie long de cette immenfe étendue de cótes, qui étoit de plus de quatre mille lieues (i), ils avoient établi, tant pour Ja commodité que pour la füreté du commerce, une chalne de forts ou de comptoirs. Ils s'étoient aufli emparés de plufieurs potles favorables au commerce, le long de la cóte méridionale d'Afrique, & dans plufieurs des iles fituées entre Madagafcar & les Moluques. Par-tout dans Pinde ils étoient recus avec refpeft, & dans beaucoup d'endroits ils jouifioient de 1'autorité fuprême. Ils y faifoient le commerce lans rivaux ou lans gêne; ils dictoient aux naturels les conditions des échanges; ils mettoient fouvent aux marchandifes qu'ils achetoient le prix qui leur convenoit, & pouvoient ainfi faire venir de Phidoftan & des pays au-dela, tout ce qu'il y a d'utile, de rare ou d'agréable , eu plus grande abondance & de plus de dilfé- ren» (i) Hiftoire góiérale des Voyages, tom, i.  sür L'Inive ancienne. ' 201 rentes efpèces qu'il ne s'étoit encore vu en Europe. Non contens de 1'afcendant qu'ils avoient acquis dans l'Inde, les Portugais formèrent de bonne heure le projet, non moins hardi qu'intéreffé, d'exclure toutes les autres nations du commerce avantageux de l'Orient. Pour y réuffir, il falloit avoir fur les golfes arabique & perfique des pofies d'oü ils auroient pu fe rendre maitres de Ia navigation de ces deux mers intérieures, &.qui les auroient mis en état d'arrêter 1'ancienne com' munication de 1'Egypte avec 1'InJe, & de dominer 1'entrée des grandes rivières qui facilitoient le tranfport des marchandifes de l'Inde, non-feulement dans les provinces intérieures de 1'Afie, mais encore jufqu'aConstantinople. La conduite des mefures qui devoient mener a ce but, fut conliée a AIphonfe Albuquerque, le plus grand des généraux portugais qui fe diltinguèrent dans l'Inde. Après les plus grands eflbrts du génie & de la valeur, il ne pat remplir qu?a demi le plan que s'étoit tracé l'ambition de fes concitoyens. En chaflant de ï'iïe d'Ormus, qui commandoit 1'entrée du golfe perfique, les petits. princes qui.y avoient établi 15  402 Recherches historiques leur domination Tous la dépendance des rois de Perfe, il mit le Portugal en pofleflion de ce commerce étendu avec l'Orient, qui, fuiant Pexpofé que j'en ai déjft fait, avoit été pendant plufieurs fiècles entre les mains des Perfes.. Ormus, fous la domination portugaife, devint bientót le grand marché oü 1'empire de Perfe & toutes ks provinces d'Afie, qui en font k 1'Occident, s'approvifionnèrent des produétions de Pinde; & une ville qu'rls baurent dans cette lie dé« ferte & deltituée d'éau devint Pün des principaux féjours de 1'opuknce, de la fplendeur & du luxe, dans POrient (i). II s'en faut bien que les opérations d'Albuquerque dans la mer Rouge ayent été fuivies du même fuccès; en partie par la vigoureufe réfiftance des princes arabes dont il attaqua les ports, en partie par le dommage qu'esfuya fa Hotte fur une mer dont la navigation eft extrêmement difficile & dangereufe, il fut obligé de fe retirer, fans avoir pu former aucun établiflement important (a). L'an« CO Oibrius.de Reb. Cefh Eman., Lib. s. p. 274. &C Voyages de Tavernier, Liv. v> c. 23. Ca} Oforius , Lib.w', p. 248. ê»C  oienn* route de coffionmicaiion avec 1'Inde par la mer Rouge, demeura toujours ouverte aux Egyptiensj mais les opérations de leur commerce dans ce pays furent trés- reilen rées, & fouffrirent beaucoup de 1'influence que les Portugais avoient acquife dans tous^ les ports qu'ils avo^jt coutume de fréquenter. En conféquence, les Vénitiens ne tardèrent pas ft fentir eux-mêmes dans leur commerce de l'Inde, cette diminution qu'ils avoient prévue avec un fentiment de terreur. Pour arrêter le mal dans fes progrès, ils perfuadèrent au foudan des Mameluks, alarmé comme eux des fuccès rapides des Pomig:.:3 dans l'Orient , & non moins intéreffé ft prévenir dans leurs majns le mpnopole de ce commerce qui avoit fait fi long- runps la principale nchelTe des monarques & des peuples d'Egypte , d'entrcr en négociation avec le pape & le roi de Portugal. Le ton que prit le foudan dans cette négociation, fut ceiuj' qui convenoit au chef arrogant d'un gouvernement militaire. Après avoir expofé le drpit exclufif qu'il avoit au commerce de l'Inde, il annonca ft Jules II & ft Emmanuel que fi, les Portugais n'abandonnoient pas la nouvelle route qu'ils s'étoient ouverte dans fÖtifai 14  204.- Recherchés historiques indien , & ne ceffoient d'empiéter fur ce commerce qui, de temps immémorial, s'étoit fait entre 1'Elt de 1'Afie & fes Etats, il feroit mettre k' mort tous les Chrétiens d'Egypte, de Syrië & de Paleftine, btüleroit leurs églifes & démoliroit le Saint-Sépulchre lui-même Cette formidable menace qui, quelques fiècles auparavant, auroit fait trembler toute la. chrétienté, parolt avoir fait fi peu d'irr> prefflon que les Vénitiens , en dernier resfort, eurent recours ft-une mefure qui, dans ce fiècle, ne fut pas feulement jugée répréhenfible, mais impie. Ils engagèrent le foudan k équiper une flotte fur la mer Rouge, & a attaquer 'ces ufurpateurs inattendus d'un monopole lucratif, dont lui & fes prédécesfeurs avoient joui long • temps en paix. Comme 1'Egypte ne produifoit pas le bois propre a la confiruétion des gros vaiffeaux-, les Vénitiens permirent- au foudan d'en couper dans leurs forêts de Dalmatie, d'oü il fut transporté k Alexandrie, & delft ft Suez, en partie par eau, en partie par terre. Lftj on confttuifit douze vaiffeaux de guerre-, ft bord (O Oforius,. de rebus Eman., lib. iv, p. ito, édit, jjSo. ASa de Bardos, dticad. i, lib. vm, c. 4ï  sur l'Inde ancienne. 20^ tfefqnels un corps de Mameluks recut ordre de fervir fous le commandement d'un officier de mérite. Ces nouveaux ennemis, bien plus formidables que les naturels de l'Inde, a qui * ils avoient eu affaire jufqu'alors, ils les recurent avec un courage intrépide , & après quelques chocs très-rudes, ils ruinèrent ent'èrement Pefcadre & reftèrent maitres de 1'Océan indien (ij. Bientót après ce défaftre, la domination des Mameluks fut renverfée, & 1'Egypte, la Syrië & la Paleftine furent foumifes a 1'empire turc par les armes viftorieufes de Sélim I. L'tntérêt mutuel des Turcs & des Vénitiens leur fit bientót oublier leurs anciennes animofités, pour travailler de concert a la ruine du commerce des Portugais dans l'Inde. D'après ces difpofitions, Sélim confirma aux Vénitiens les grands priviléges dont ils avoient joui dans leur commerce, fous le gouvernement des Mameluks, & publia un édit qui déchargeoit de tout droit d'entrée les produétions de l'Orient venant directement d'AIexandrie, dans toute 1'étendue de fes Etats, . CO Alra de Barros, de!c. n , !ib, n. c. 6. Lnfitau , Hifi, 'des découvertcs des Portugais, i, 292, &c. Olimus,, lib.. iv • p. 120. I 7  206 Recherches histörique3 & qui en mettoit de confidérables fur celles qui arrivoient de Lisbonne (1). Mais toutes ces petites mefures vinrent echouer contre les avantages fupérieurs qu'affüroit aux Portugais dans 1'approvifionnement de 1'Europe la nouvelle route de communication qu'ils avoient ouverte avec l'Orient. Vers le même temps, les Vénitiens, mis h deux doigts de leur perte par la fatale ligue de Cambray, qui humilia 1'orgueil de Ia république & anéantk fa puiflance , ne furent plus en état de faire pour Ia confervation de leur commerce les eflbns dont ils auroient été capables aux beaux jours de leur gouvernement, & furent réduits aux foibles expédiens d'un Etat qui fuccombe. Ils en donnèrent une preuve remarquable dans 1'ofTre qu'ils firent au roi de Portugal 1'an mil cinq cent vingt-un, d'acheter è un prix convenu toutes les épiceries qui entroient dans Lisbonne, après en avoir prékvé la quantité néceffaire a Ia confommation de fes fujets. Si Emmanuel avoit été aflez inconfidéré pour accepter une pareille propofition, Venife CO Sandi, Stor. civ. Vsnez,, part. 11, 501,, pait.  sur l'Inde ancienne. 207 recouvroit tsut le pront du monopole qu'elle avoit perdu. Mais 1'offre fut accueillie comme elle le méritoit, c'elt-a>dire, rejetée fans héfitation CO* Les Portugais continuèrent, prefque fins obftacle, leurs progrès dans l'Orient, & finirent par y établir un ét at commer?ant auquel il n'y avoit encore eu rien de comparable dans 1'biftoire des Nations, foit que nous en confidérions 1'étendue & 1'opulence, le foible pouvoir qui le fonda, ou 1'éclat avec lequel il fut gouverné. Emmanuel, qui jeta les fondemens de eet étonnant édifice , eut la fatisfaétion de le voir prefque achevé. Partout dans 1'Europe on recevoit des mains des Portugais les produétions de l'Orient; & fi nous en exceptons quelques foibles portions qui arrivoient encore aux Vénitiens par les routes anciennes, la partie du globe que nous habitons n'eut plus de rapports de commerce avec l'Inde & les régions ultérieures de 1'Afie, que par le Cap de Bonne - Efpérance. Quoique depuis cette époque les peuples de 1'Europe n'ayent point ceffé de faire par mer leur commerce avec l'Inde , cependant CO Ofor. de reU. Eman. lib. xn. a6j.  208 REC HERCHES HISTORIQÜES c'eft encore par terre que les autres parties du monde rccoivent une très-grande quantité des plus précieufes produétions de l'Orient. En fuivant les progrès du commerce avec l'Inde, cette branche qui en eft une des plus étendues, n'a point été examinée avec une attention fuffifante. Quand on fe rappelle 1'état imparfait de la navigation chez les auciens, on n'eft pas étonné qu'ils ayent eu fbuvent recours a la voie longue & difpeudieufe du tranfport des marchandifes par terre; mais que ce mode de tranfport fe foit non-feulement confervé, mais möme étendu *chez les modernes; c'eft ce qui demande quelque explication. En jetant 1'ceil fur une carte d'Afie, on ne peut s'empêcher de remarquer que la communication avec tous les pays de ce vafte continent jufqu'a 1'Oueft de 1'Indoftan & de la Chine, quoique ouverte, en quelque forte, du cóté du Sud par les fleuves navigablcs de 1'Euphrate & du Tigre, & du cóté du Nord, par deux mers intérieures, 1'Euxin & la mer Caspienne, doit nécefl'aireroent fe faire en« tièrement par terre dans plufieurs grandes -provinces. Ce fut la, comme je 1'ai obfervé, le premier moyen de comraunicaüon entre  sdr l'Inde ancienne. 209 différens pays, &, pendant 1'enfance de la navigation, il n'y en eut point d'autre. Même après que eet art eut acquis quelque degré de perfeétion, le tranfport des marchandifes par les lleuves dont j'ai parlé, pénétroit fi peu avant dans Pintérieur du pays, & le commerce du Pont-Euxin & de la mer Caspienne étoit fi fouvent infeété par les nations bartares difperfées fur leurs cótes , que foit pour cette raifon, foit par Pattachement des hommes ft d'anciennes habitudes , le commerce des difTérentes contrées de 1'Afie, celui de Pinde fur-tout & des régions au-delft , continua de fe faire par terre. Les mêmes circonftances qui portèrent les habitans de 1'Afie ft faire une fi. grande partie de leur commerce réciproque de cette manière, opérèrent avec plus de force encore en Afrique. Ce vafte continent, qui reffemble peu aux autres divifions de la terre, n'eft pas, comme 1'Europe &PAfie, pénétré par des mers. intérieures,. ou par une chaine de lacs comme le Nord de PAmérique, ni ouvert par des. fleuves (fi Pon en excepte le Nil) d'une navigation fort étendue. II préfente une même furface continue, entre les différentesparties de laquelle il n'a pu, dés  aio Recherches historiques les commeneemens , exifter de rapports que par terre. Quelque grofliers que foient les peuples de 1'Afrique, & quelque peu de progrès qu'ils ayent fait dans les arts fociaux, il paroit que 1'on n'a point celTé d'entretenir de pareilies liaiföns. Je ne puis, faute de renfeignemens, déterminer avec précifion quelle en a été Pétendue & la marche, dans les temps plus anciens oü j'ai porté mes recherches. H eft exrrêmement probable que, de temps immémorial , 1'or , 1'ivoire & les parfums du Nord & du Sud de 1'Afrique furent tranfportés au golfe arabique ou en Egypte i & échangés contre les épices & les autres produétions de POrient. La reiigion mahométane qui fe répandit avec une étonnante rapidité par toute 1'Afie , & dans une partie confidérable de 1'Afrique , contribua beaucoup a Paugmentation du commerce par terre dans ces deux partie" du monde, & lui donna une nouvelle vigueur, en y mêlant un nouveau principe d'activité, & en le dirigeant vers un centre commun. Mahomet enjoignit a tous fes feétateurs de vifuer une fois dans leur vie le Caaba ou batiment carré dans le temple de la Mecque, objet de véaération pour fes compatriotes,  sur l'Inde ancienne., au dont Pépoque fe perd dans la nuit des temps-; - fuivant leur tradition, c'eft le premier lieu fur ce globe oü la divinité commenca d'être ado* rée: pour leur rappeler continuellement Pobligation de remplir ce devoir, il établit pour règle que les vrais crojams, dans les scles de dévotion multipliés que prefcrir la religion, auroient toujours le vifage tourné vers celieu faint (i). Pour fe conformer a ce précepte folemnel, inculqué avec le plus grand foin, de nombreiifes caravanes des Pélerins s'aflemblent tous les ans, dans tous les lieux oü. la foi mahométane eft établie. Des rivages de 1'Atlantique d'un cóté; de 1'autre des régions les plus éloignées de POrient, les fi.ielles difciples du Prophètes'avancent vers la Mecque. Aux idéés & aux objets de dévutiön fe mêlent les idéés & les objets du commerce. Les nombreux chameaux (Y) de chaque caravane font chargés des marchandifes de Pun & de Faqtpe pays, du tranfport le plus facile & du plus prompt débit. La ville facrée regorge non-feulement de zélés de5vots y mais de riches marchands. Pendant le peu de jours qu'ils y refter,, il n'y a peut- CO Herbelot, Biblioth. onent. attic. Caaba & Keblah, 00 Voyez note 51.  2i2 Recherches historicvues être point fur la terre de foire plus confidérable que celle de la Mecque. II s'y fait les plus riches affaires ; 1'expédition, le filence1, la confiance mutuelle & la bonne foi qui y préfident, en font la preuve la moins équivoque. Les produétions & les manufaétures de l'Inde forment le principal article de ce grand trafic, & les caravanes, k leur retour, les répandent dans toutes les parties de 1'Afie &de 1'Afrique. Parmi ces objets, il en eft que 1'on juge néceflaires, non-feulement aux commodités de la vie, mais k fa confervation; les autres en font 1'éléganee & 1'agré* ment. 11 y a, dans leur immenfe variété, de quoi fatisfaire les goüts de tous les clima's k tous ies degrés de civilifation ; ils font recherchés avec le même empreffement des naturels groffkrs de 1'Afrique & des habitans plus rafinés de 1'Afie. Pour répondre k leurs différentes demandes , les caravane3 reviennent chargées des mouffelines & des indiennes du Bengale & du Decan , des Schawls de Cachemire, du poivre du Malabar, des diamans de Golconde, des perles de Kilkare, de la canelle de Ceylan , de la mufcade , des clous de girofle & du macis des Moluques, & une infinité d'autres marchandifes de 1'Ijide,  sur. l'Inde ancienne. ai* Outre ces grandes caravanes que forment tout k la fois le refpeét pour un précepte religieux, & le rféfiy d'étendre une branche de commerce lucrative, il en eft d'autres qui ne laifient pas d'être confidérables, entièrement compofées de marchands dont 1'unique objet eft le commerce. Celles-la partent a des époques fixes des différens points de 1'empire turc & perfan; elles vont dans 1'Indoftan & même jufqu'en Chine , par des routes qui étoient connues autrefois, & font parvenu les plus précieufes marchandifes "de ces pays parterre, aux pro vinces éloignées des deux empires. Ce n'eft qu'en confi lérant la diftance k laquelle fe tranfportent une grande quantité de ces marchandifes, & fouvent a travers de vaftes déferts qui, fans le fecours des chameaux , auroient été impraticables, que 1'on peut fe former quelque idéé de 1'étendue de commerce par terre avec l'Inde, &. que 1'on eft a même de juger combien , dans une diflertation fur les différentes manières de faire ce trafic, celle- lk étoit digne de 1'attention que nous avons mife a la décrire (1). CO Voyez note 52.  214 Recherches historiques S E C T I O N IV. Obfervations générales. Je me fuis efforcé jufqu'ici de rendre compte des progrès du commerce avec l'Inde par terre & par mer , dans les temps les plus reculés oü 1'hiftoire donne quelques renfeignemens certains Fur eet objet , jufqu'a la révolution totale qu'opéra dans fa nature & dans fa marche la grande découverte que favois d'abord prife pour dernier terme de mes recherches. J'aurois donc pu terminer ici cette diflertation; mais comme j'ai conduit mes lecteurs jufqu'au moment oü de nouvelles idéés & de nouveaux arrangemens poliriques commencèrent a s'introduire en Europe d'après les lumières répandues.fur le commerce , dont la valeur & 1'importance étoient fi bien connues , que prefque partout fon encouragement devint un des prin» cipaux objets de 1'attention publique; com« me nous voila arrivés au point d'oü 1'on peut tirer la principale ligne de démarcation entre les mceurs & les inftitutions politiques des temps anciens & modernes, j'ai cru rendre  sur x'Inde ancienne. ais eet ouvrage plus utilê & plus inftruétif, en y ijoutant quelques obfervations générales que préfentent naturellement les deux examens & la comparaifon des uns & des autres. Je me flatte que ces obfervations ne paroïtront pas feulement inumemenc liées au fujet de mes recherches , & propres ft les éclairer d'un nouveau jour; mais qu'en même temps elles ferviront ft expliquer plufieurs détails dans Phiftoire générale du commerce, & ft développer les effets ou les conféquences de différens événemens qui n'ont pas été confi. dérés dans leur enfemble ou avec 1'attention fuivie qui leur étoit due. I. A la vue des grands avantages qui font réfultés de la connoiffance d'une nouvelle route dans l'Inde par le Cap de Bonne-Espérance, 1'obfervateur moderne s'étonnera qu'une découverte de cette importance n'ait été faite ou tentée par aucun des états commercans chez les anciens. Mais dans les jugemens que nous formons fur la conduite des nations dans les temps éloignés, nous "ne nous trompons jamais plus groffièrement que lorfque nous prenons pour régie de nos décifions, non pas les idéés & les vues de leur fiècle, mais celles du fiècle oü nous  216 Recherches histo riques vivons. Un des exemples les plus frappansde ces méprifes eft , peut • être celui que nous avous fous les yeux. Ce fut d'abord des Tyriens & des Grecs, maitres alors de 1'Egypte, que les différens peuples de 1'Europe recurent les produétions de l'Orient. Par le compte que nous avons rendu de la manière dont fe faifoit eet approvifionnement, il eft clair qu'ils n'avoient ni les mêmes motifs que les modernes de défirer une nouvelle communieation avec l'Inde, ni les mêmts moyens de 1'eiTeétuer. Toutes les opérations du commerce des anciens avec l'Orient fe bornoient aux ports établis fur la cóte de Malabar, & s'étendoient tout au plus jufqu'a l'ile de Ceylan. C'étoit k ces entrepóts que les naturels des différentes régions des parties orientales de 1'Afie, apportoient fur leurs propres vaiffeaux les marchandifes qui étoient le produit de leurs pays refpeétifs, ou le fruit de leur induftrie; des vaiffeaux de Tyr & d'Egypte qui s'y joignoient, achevoient de compléter leurs provifions. Tant que les opérations de leur commerce de l'Inde furent refferrées dans une fphère auffi étroite, le tranfport d'une cargaifon par le golfe arabique, malgré les frais de la  sur l'Inde ancienne. 217 la route depuis Elath jufqu'a Rhinocolure, ou par le défert jufqu'au Nd, étoit fi fur & fi commode, que les marchands de Tyr & d'AIexandrie avoient trés-peu de raifon de défirer qu'on en découvrit un autre. La fituation de ces deux villes & des autres grands états commercans de 1'antiquité étoit bien différente de celle des pays oü, dans les temps mo^ernes, les hommes ont été affez heureux pour pouvoir entretenir des liaiföns avec les parties éloignées du globe. Le Ponusal, 1'Efpagne, 1'Anglererre, la Hollande, ceux de tous les royaumes qui ont été les plus 2cTifs & les plus heureux dans ce genre d'indtifhie, font tous fitués fur 1'Océan atlantique Coü doivent néceffairement fe faire les premiers pas de toutes les découvertes européenres),ou n'en font que peuéloignés.Mais Tyr étoit iituée a 1'extrémité oriëntale de la Méditerranée ; Alexandrie a peu prés a la même diftance; Rhodes, Athènes , Corinthe, qui par la fuite furent rangées au nombre des villes commercantes les plus aélives de 1'antiquité, étoient enfoncées dans les mêmes parages. Le commerce de tous ces érats fut long- temps borné a 1'enceinte de la Méditerranéej & dans quelques -uns il ne /. Part, k  2iS Reciiehches iiistoriques s'éteridit jamais au-dela. Les Colonnes d'Hcrcule, ou le Détroit de Gibraltar fut longtemps regardé comme le terroe le plus éioigvé de la navigation. C'étoit fe montrer favant marin que de pouvoir y atteindre; & avant qu'aucun de ces états püt former le deflein d'aller examiner le vafie océan inconnu qui s'étendoit au-delft, il leur falloit faire un voyage, felon eux, trés-long & trèsdangereux. C'étoit affez pour les dégoüier d'une entreprife difficik, dont leur fituation rie leur permettoit pas d'efpérer de grands avantages, quand même elle eüt été accompagnée du fuccès (i). Mais quand on fuppoferoit que la découverte d'une nouvelle route dans l'Inde püt intéreffer ces états au point de la kur faire entreprendre, la théorie & la pratique de la navigation étoit fi imparfaite qu'il leur eüt été prefque impoflible ct'y parvenir. Les vaiffeaux dont fe fervoient ks anciens pour le commerce, étoient fi petits qu'il n'auroit pas été poffible d'y arrimer la quantité de vivres fuffifante pour faire fubfrfter un équipage pendant un long voyage. Leur conf- CO Voyez note 53.»  sur l'Inde ancienne. aicj traction étoit telle qu'ils ne pouvoient que rarement s'éloigner de la terre; & leur manière de s'attacher a la cóte (que j'ai fouvent été obligé de rappeler) étoit fi lente & fi pkine de détours , que, d'après ces circonftances & d'autres que j'aurois pu fpécifier (i), nous fornmes autorifés k pro non. eer qu'un voyage de la Méditerranée dans 1'Iüde par le Cap de Bonne ■ Efpérance eüt été pour eux une chofe impoifible a exécuter, s'ils euffent prétendu en tirer quelque avantage pour le commerce; & 1'on ne peut guère regarder comme contraire" a cette décifion le récit que nous a confervé Hérodote d'un voyage entrepris par quelques vaiffeaux phéniciens au fervice d'un roi d'Egypte; lefquels étant partis du golfe arabique, doublèrent le promontoire méridional de 1'Afrique, & arrtvèrent, au bout de trois ans, par le détroit de Cadiz ou de Gibraltar, k 1'embouchure du Nil (2) ; car plufieurs écrivains :feffion de leurs nouvelles conquêtes, reflè« rent attachés ft la fimplicité première de leurs rr.ceurs paftorales. Cependant de eet état gruffier ils s'avancèrent vers la civilifaiion avec cette gradation de mouvement que fuivent ordinairement les nations: de nouyéaux bvfoins cc de nouveaux défirs exigearit de nouveaux objets pour les fatisfaire, ils commcrreèrent ft prendre du goüt pour quelqms articles du luxe oriental. Entre autres, ils marquèrent une prédikdtion fingulière pour les épiceries & les aromates que ce paysfourhit en fi grande abondance & avec une fi grande variété. II eft ft peu piés inutitó de rechercher ks caufes d'une telle préférence. Mais en lifant ks écrivains du moyen ftge, on rencontre une foule de détails qui vtennent ft 1'appui de cette obfervation. Toutes les fois qu'ils psrlent des marchandifes de Pinde, ils cicent toujours les épiceries comme K 7  S3o Recherches historiqces Partiele le plus confidérable & le plus précieux (i). Tous leurs mets en étoient aflaifonnés. II n'y avoit point de fêtes brrllarites oü il ne s'en confommat une grande profi> fion. Elles tenoient la première place danstoutes les ordonnances des médec-ins C*> Mais quelque confidérable que füt devenu le débit des épiceries, c'étoit d'après un mode d'approvifionnement trés-défavorable que les nations de 1'Europe en avoient été fournies. jnfqu'alors. Les vaiffeaux employés par les marchands d'AIexandrie ne fe hafsrdoient jamais dans les pay? élo'g.-és oü croiffent ks meüleures épiceries; & avant qu'elles pufllnt fe répanire en F.urope, elles étoient chargées des profits accumuiés dans quatre ou cinq différentes mains, par lefquelks ellesavoient paffé. Mais les Portugais, plus hardis dans leur navigation, nyant pénétré dans touts les parties de 1'Afie , faifbjent leur provifion d'épiceries fir Ks lieux irémes oü elles croifibient; par-la ils furent en état de les Uvrer a un prix qui, d'un objet ccü- (ii Jac. de Vitriac. Ilift. Hiéros, ap. Bongsrs, i, p. ifgs. Wilh. Tyr. lib. xn. c. 23. C=) Ducarge, Glofiir. veib. aromata, fpecies, Hcnry, Hifi. de la Gr. Biet. vol.. ïv. p. vjj tjg.  stjr. l'Inde ancicnne. ïji teux, en fit un objet fi comoiun que le débit s'en augmenta confidérablement» Le débit des autres machandifes venues de l'Inde fuivit la même proportion, lorfque les Portugais en eurent bailTé le prix. De ce momeii!: date dans toute PEurope un goüt de plus enplus général pour les objets de luxe de l'Alie, & le nombre des vaiffeaux, éqtiipés a Lisbonne pour ce trafic, continua d'augmenter tous les ans (i). V. H eft étonnant qu'on ait laiffé aux Portinais, pendant prés d'un fiècle, la pafRsion tranquille & exclufive du commerce de Pinde, qui étoit & que Pon favoit être fi lucratif chci les anciens, quoiqu'Akxandrie,. par fon beureufe fituation, füt en état d'eutretenir un commerce par mer avec l'Orient, & d'en répandre ks produétions par toute PEurope avec des avantages qui ne lui laisfoient aucun rival. Cependant 011 fk de temps en temps diverfes tentaüves ("que j'ai rapportées en leur lieu^ pour avoir quelque part a un commerce qui paro:ffbit fi avantageux. D'après le goüt général du commerce au feizième fiècle & i'activité qu'on (i.) Voyez nute 55-  232 Recherches historiques y porta; d'après la vive follicitude avec laquelle on avoit vu les Véaitieus & les Génois chercher a s'exclure mutuelkment du commerce de 1'Inde, on devoit natureliement peuter qu'il s'élèverok quelque concurrent pour disputer aux Portugais leur prétention exclufive au tralie de l'Orient, & leur en arracher quelque portioii. II y avoit cependant alors dans Ia lituation politique dis nations de 1'Europe dont ks Portugais auroient pu craiudre la rivalité, quelques circonfiauces pankul;res qui leur asfuièrent pendant un li long période la tranquille jouiffance de ce monopole du commerce de l'Inde. Depuis Pavénement de Charles V au trötie, PEfpagne fut telkroenc abforbée par la multitude des opérations ou 1'engagea 1'ambition de ce monaique & celle de fon fiis Philippe II, ou fi acharuée a pourfuivre fes propres découvenes & fes conquêtes dans ie nouveau monde, que quoique, par 1'heureux fuccès de Magellan, fes Holles fe virent tout -è-coup tranlpo.ties par une route nouvelle vers cette région éioignée de 1'Afie qui étoit k liége de la branche la plus lucrative & la plus aitrayantè du commerce des rprtu^ais, elle ue  sur l'Inde ancienne. 233 put prendre aucune meiure efficace pour profker des avantages qu'elle pouvoit tirer de eet événement pour fon commerce. Par 1'acquifnion de la couronne de Portugal, 1'an mil ciuq cent quatre-vingts, les rois d'Ëfpagne, au lieu d'ötre les rivaux, devinrent les proteéteuis du commerce portugais & les gardiens de fes iaimenfes prérogatives. Pendant tout le fcizième fiècle, la force & les rtflburces de la France furent tellement épuifées par les inutiles expéditions de fes rois en Italië, par une lutte inégale comre le pouvoir & la polhique de Charles V, & par les malheurs des guerres civiles qui défolèrent ce royaume pendant plus de quarante ans, qu'elle ne pouvoit gière s'occuper des objets du commerce, ni fe jeter dans des entreprifes trop éloignées d'elle. Les Vénitiens, quelque fenfibles qu'ils fuffent au revers afliigeant qui ks exciuoit prefque entièrement du commeice de l'Inde, dont Jeur capitak avoit été autrefois le fiége principal, étoient fi alfoiblis & fi humilies par la ligue de Cambray, qu\ls étoient hors d'état de foimer aucune grande einreprife. L'Angleterre (comme je 1'ai déja üh) par la longue querelk eutre les rnaifons  334 Recherches historiques d'York & de Lancaffre, & commenca ,É k Peine a recouvrer fa vigueur naturelle', fut «tenue dans ör*a* pendant une partie du fek-éme fiècle par la timide poMqm üHemi VIIj & pendant 1'autre partie, elle confuma fes forces dans les guerrts entre lts pnnces du continent, oü elie s'engagea inconfidérémenr. La natïon , quoique delta 4 occuper dans l'Inde des territoires plu» étendue & d'un plus grand prix qu'aucune autre puiflance de 1'Europe, n'avoit pa, Ie pnfftutiment de la fupérionté qu'elle devoit y exercer , au point de prendre part de bonne heure au commerce & aux opérations de cepajs; & il s'écoma une grande partie dU. fiècle, avant qu'elle fongedt k tourner Ion attention du cóté de l'Orient. Tandis que les nations h s plus confidérables de 1'Europe fe voyoient obiigées, par les circonilances que je viens de détailler, de ieder tranquilles fpeétatrices de ce qu'i fe pafibk en Oriënt, les lept Provinces-Unies des Pays-Bas, nouvellement formées en un petit état, dont 1'exifience polhique n'éioic pas encore -„fkrée, & qw v>étolt qu'al'aurore de la puiflance, olèrent fé monuer dans FOcéan kcütn conme rivales des f 'oriugaisj  sur l'Inde ancienne. 235 & dédaignant leurs préientïons au droit exclufif du commerce avec les valles contrées a FËft du Cap de Bonne-Efpérance, entrè rent en partage du raonopole qu'ils avoient couvé jufqu'alors d'un ceil fi inquiet. Les Anglois Tuivirent bientót 1'exemple des Hollandois ; & les deux peuples, d'abord par 1'induftrie de quelques aventuriers hardis, " enfuite par les efforts concertés des compagnies qui commercèrent fous la protection du gouvernement, s'avancèrent avec une ardeur & avec un fuccès étonnant dans cette nouvelle carrière ouverte a leur ambicion. Lé vatte édifice de puilïance, érigé par les Portugais dans l'Orient (édifice beaucoup trop étendu pour la baie qui devoit le foutenir), fut prefque entièrement renverfé en auffi peu de tems & avec auffi peu de peine qu'il s'étoit élevé. L'Angleterre & la liollan.ier en les chaflant de leurs plus beaux établiflemens, & en s'emparant des branches les plus luctativts de leur commerce, s'ék\èrent k cette fupériorité de force maritime & de richefle commerciale, qui les diftingue parmi les nations de i'Ëurope. VI. L'ideiriié de temps des découvertcs de Colomb dans 1'Occident, & de celles de C-ama dans l'Orient, eft une circonllance  936 Recherches hjstoriques fingulière qui mérite d'être obfervée, a caufe de la grande influence de ces évéuemens fur la fonration ou 1'exterfion des rappens coramerciaux entre Jes diiférentes psrties du globe. Dars tous les fiècles 1'or & 1'argent, ce dernier fur-tout, ont été les marchandifes dont 1'exportation dans l'Inde a été la plus avantageufe. II n'y a point de pays au monde qui ah fi peu befoin des autres que celui-ei, pour les chofes nécefiaires ou agréables de la vie. Les avantages d'un climat favorable & d'un fol fertile, augmentés par les foins de 1'induftrie, ne leur laiflent abfolument rien a défirer. En conféquence , le commerce s'eft toujours fait avec eux de la même manière, & on a leur donné les métaux précieux en éehange des produétions de 1'art ou de la nature qui leur font propres. Mais lorfque la communication avec 1'Inde, devenue beaucoup plus facile, pona le débit de fes marcbaudifis a un point qui ne s'étoit encore jamais vu, fi 1'Europe n'avoit pas trouvé la quantité d'or & d'argent néeeflaire aux matchés de l'Orient, dans des fources plus riches & plus abond^ntes que fis mines ingrates & épui'ées, elle auroit été obli£ée de renoncer entiè.'emtat su c.nmerce de 1'Inde, ou de  sur. l'Inde ancienne. 237 le contiuuer a fon grand défavantnge. L'éeoukmenc continuel de Tor & de 1'argent, & les penei inévirables de 1'un & de 1'autre dans la circulation & dans les tn.inufaóbires, auroient nécelTairernent diminué la quantiré de ces métaux, & en auroient tellement rehaulTé la valeur, qu'ils n'auroient pas pu long-temps être de la même utilité dans les opérations du commerce entre les deux piys. Mais avant que l'eff.-t de cette diminutinn püt être fenfible ft un certain point, 1'Amérique ouvrit fes mines, & verfa fur 1'Europe une abondance de richeflj qui étonna 1'avidité des hommes. Ce tréfor, malgré les infinies, les inquiètes précautions qui furent prifes pour en empêcher la fortie, fe répandit dans les marchés oü fe trouvoient les mirehandifes devenues nécffaires aux be« foins & au luxe des Efpagnols; & depuis cette époque jufqu'a préfent les Anglois & les Hollaudois ont acheté les produétions de la Ciiine & de 1'lndoftan avec 1'argent venu des mines du Mexique & du Pérou, L'exiportation immenfe de 1'argent en Oriënt, pendant 1'efpace de deux fiècles, n'a pas füulemjnt été remplacée par le vcrfement cüiuiuuel qui s'en faifoit de 1'Amérique j  23? Recherches historiques mais fa quantité confidérablement augmentée , & en mêrnè temps le taux proportionne! de fa valeur en Europe & dans l'Inde a fi peu varié, que c'eft fur-tout avec de 1'argtnt que s'achettent encore les principaux articlés tirds de l'Orient. Tandis que 1'Amérique contribuoit ainfi ft fdciüter & ft étendre le commerce de 1'Europe & de 1'Afie , elle donna lieu ft un tralie avec 1'Afrique , qui , de foibié qu'il étoit d'abord , eft devenu fi confidérable qu'il forme le principal nceud des rapports commerciaux avec ce continent. Bientót après que les Portugais eurent étendu leurs découvertes fur la cóte d'Afrique au-dela du fleu ve Sénégal , ils s'efforcèrent de tirer quelqu.s profits des établiflemens qu'ils y avoient, par la vente des efclaves. Différentcs circonfianccs contribuèrent a faire renaltre ce trafic odieux. Dans toutes les parties de 1'Amérique dont les Efpagnols s'emparèrent, ils s'appercurent que les naturels, par la foiblefi'e de leur conflitution , par leur indo» lence, ou paria manière peu judicieufe avec laquelle on les traitoit , étoient incapables des travaux néceflaires ft Pexploitation des mines, ou ft la culture de la terre. Impa-  sur l'Inde ancienne. 239 flens de trotiver des bras indufhïeux & plus fons, les Efpagnols s'adreffèrcnt aux Portugais leurs voiïïiïs , qui leur vendireut des efclayd nègres; L'expérience fu bientót voir que c'étoient des hommes d'une efpèce plus robafte, & bien plus capables que les Américains de fupporter la fatigue. Le travail d'un feul Nègre étoit égal a celui de quatre de ces dertiiers (1) ; & depuis ce temps 1'emploi qu'on en a fait dans le nouveau monde, a toujours été en augmentant, & de la manière la plus raptde. Cet ufage non moins oHeiifant pour Phumanité que pour la religion, eft malheureufement palfé des Efpagnols a toutes ies nations de Pfiurope qui ont acquis des territoires dans les climats les plus chauds du nouveau monde. Actudlemem le nombre des efclaves nègres des établilfemens de la Grande-Bretagne & de la France dans les Indes occidentales, excède un million; & comme le règne de la fervitude chez les anciens & chez les modernes a toujours été trés peu favorable a la population, il faut pour entretenir le fonds, faire venir d'Afrique tous les ans au moins cin- (0 Hiftoii e de 1'Ainenqu.e, vol. i, p. 320.  240 Recherches histoeiqtjes quante-huit mille efclaves (O- S'il étoit pofïible de s'affurer, avec \.\ même exactitude , du nombre des efclaves dans les poffeffiors efpagnoles & dans le Nord de 1'Amérique, le nombre total des efclaves nègres pourroit être évalué au doublé. Ainfi le génie commeigant de 1'Europe, qui lui a donné un afcendant marqué fur les trois autres divifions de la terre, en appréciant Lurs befoins & leurs reffources respectives, & en les rendant utiles les unes aux autres , a établi entr'elles une union dont eft réfulrée pour fes habitans uue augmenta* tion confidérable de richefle, de pouvoir, & de jouilTance. VIL Quoique la découverte d'un nouveau monde dan? 1'Occident, & 1'ouverture d'une communication plus facile & plus directe avec les régions éloignées de l'Orient, ait contribué a étendre le commerce & augmenter les iouiffances de 1'Europe, on peut obferver une différence remarquable, quant au temps & k la manière dont ces effets ont été produits. Quand les Portugais vifitèrent pour la première fois les différentes contrées QiJ Rapport des Loids du Coiifeil privé s A- D. i;S8.  sur l'Inde ancienne. 241 contrees de 1'Afie, qui s'étendent depuis la cóte de Malabar jufqu'a la Chine, ils les trouvèrent peuplées de nations très-civilifées, qui avoient fait des progrès confidérables dans les arts utiles & agréables, & accoutumées a entretenir des rapports avec les étrangers, & parfaitement au fait des avantages du com» merce. Mais quand les Efpagnols commencèrent a parcourir le nouveau monde qu'ils avoient découvert, il leur préfenta un afpeér. bien différent. Les iles étoient habitées par des fauvages nuds, fi étrangers aux arts les plus fimples & les plus néceffaires de la vie, qu'ils fubfiftoient principalement des produétions fpontanées d'un fol fertile & d'un climat heureux. Le continent parut être une forêt d'une étendue immenfe, le long de laquelle erroient quelques foibles tribus, dont 1'industrie n'étoit guère fupérieure a celle des infulaires. Ses deux grandes monarchies mêmes, que 1'on avoit honorées du nom d'états civili* fés, n'avoient guère plus de titres que leurs compatriotes k cette dénomination. Les habitans du Mexique & du Pérou, a qui les mé taux utiles étoient inconnus, & qui manquoient de cette adreffe qui fait faire des animaux inférieurs les compagnons de nos iravaux, avoient £ Part, L  242 Recherches historiques fait fi peu de progiès dans 1'agriculture, le premier de tous les arts, que 1'une des plus grandes diflicultés contre lefquelles eurent k lutter le petit nombre d'Bfpagnols qui renverfèrent ces empires tant vantés, fut de favoir comment ils s'y procureroient les chofes néCeffaires k leur fubfiftauce. Ce fut doiic dans un efprit bien différent que le commerce forma & fuivit fes liaiföns avec deux pays dont Pétat de fociété fe resfembloit fi peu. Les Portugais, fürs de trou* ver dans l'Orient, non - feulement les produétions dont la main libérale de la nature a enikhi cette partie du globe, mais les différentes manufaclures qui étoient depuis long-temps connues & admirées dans 1'Europe, fe livrèrent a ce commerce attrayant avec la plus grande ardeur. Leurs monarques en regardèrent 1'encouragement comme un des principaux objets du gouvernement g ils dirigèreut vers ce-but toutes les refTources du royaume, & éveillèrent dans leurs fujets cette puhTante émulation qui fut couronnée de fuccès fi brilmm & fi rapides. La vive attente qui conduifit les Efpagnols a travers les pays qu'iis venoient de découvrir, ne fut pas. fecondéedu même bonheur. L'induflrie des groffiers.ha.  sur l'Inde ancienne. 243 bitans du nouveau monde ne leur fournit pas un feul objet de commerce. Les produétions naturelles même du fol & du cliinat, quand' elles n'étoient pas entretenues & multipliées par la main nourricière & aéiive de 1'homme , ne doivent être comptées que pour trés - peu. L'efpérance plus que le fuccès les engagec it a étendre leurs Techerches & leurs conquêtes ; & comme Pétat n'en tiroit prefqu'aucun avan» tage direct, il en abandonna Ie principal foin & des particuliers dont 1'induftrie, bien plus que les efforls du gouvernement, acquit 3 ; 1'Efpagne fes plus belles poiTelTions dans FAméj rique. Au lieu des grands & rapides avanta| ges que les Portugais recueillirent de leurs découvertes, il s'écoula plus d'un demi-fiècle j avant que les Efpagnols eulfent commencé a t tirer quelque parti de leurs conquêtes , fi ce n'efi le peu d'or qu'ils obligeoient les infulaires de leur ramaffer, & le pillage de Por & 1 de Pargent dont les Mexicains & lesPéruviens I fe fervoient pour orner leurs perfonnes & leurs temples, & dont étoient compofés lés vafes confacrés a des ufages religieux ou domelbiques. Ce ne fut que lors de la découverte des mines de Potofi dans le Pérou, Pan mil cinq cent quarante-cinq, & de celles de Sacotécas dans L a  34{ Recherches historiques le Mexique peu de temps après, que les terrb toires efpagnols dans le nouveau monde augmentèrent conltamment & d'une manière fenfible les richeffes & les revenus de la métropole.. II n'y eut pas plus de dillérence entre le commerce de l'Inde & celui de 1'Amérique, quant a la circonftanceparticulièrequeje viens de développer, que par rapport a la manière de le conduire, lorfqu'il fut devenu un des principaux objets des foins du gouvernement. Le trafic de l'Orient étoit une fimpleopération mercantile qui fe bornoit a 1'achat, foit des produétions naturelles du pays, telles que les épiceries , les pierres précieufes, les perles, &c., foit des manufaétures qui abondoient chez une race d'hommes induftrieux, comme ks étoifes de foie & de coton, la porcelaine, &c.' II ne falloit rien de plus pour la direétion de ce commerce, que de favoir placer a propos un petit nombre d'agens iutelligens pour préparer FafTortiment convenable des marchandifes deftinées a compléter les cargaifons des vaiffeaux au moment qu'ils arrivoientd'Ëurope, ou tout au plus de fe mettre en poffeffion d'un certain nombre de poftes fortifiés, pour s'asfurer 1'entrée des ports propres k radouber en fjireté les vaiffeaux, ou fe mettre a 1'abri des  sur l'Inde ancienne. 245, infultes d'un pouvoir ennemi. II n'y avoit aucune néceffité de chercher a établir des coionies, foit pour la culture du lol ou la conduite des manufactures. Ces deux objets re»» tèrent cornme auparavant entre les mains des naturels. Mais auiïiiót que l'exiravagant efpritd'aventure dont avoient été animés les Efpagnols-, qui les premiers allèrent k la recherche & il la conquête du nouveau monde, commenca k fe rallentir, &lorfqu'au lieu de courir deprovince; en province comme des aventuriers k la pour:fuite de 1'or & de 1'argent,ils fongèrentférieufement a rendre leurs conquêtes utiles par la culture & rinduftrie, ils fentirent la néceffité d'établir des colonits dans tous les pays dont ils vouloient tirer pani. D'autres nations imitérent leur exemple dans les établhTemens qu'ils formèrent enfuite dans quelques-unes desiles & fur le continent du Nord de 1'Amérique. L'Europe, après avoir dévaflé le nouveau monde, commenca a lerepcuplerj&fesenfans,al'ombre d'un fyfiême de colonies (dont il n'entre pas dans mon fujet d'expliquer refprit & la marche), y multipfèrent d'une manière étonnante tous les objets de tralie venus du nouveau .monde, fi nous en exceptonslesfourrures L 3  Recherches historiques & les peaux achetées des peuples de chalTeurs du Nord de 1'Amérique, & d'un petit nombre de tribus qui vivent aufii de la chafle fur le continent méridional, font le produit de 1'induftrie des Européens qui y font établis. C'eft a leurs elforts ou a ceux des hommes qu'ils ont inftruits ou forcés au travail, que nous lbmmes redevables du fucre, du rhum, du coton, du tabac , de 1'indigo, du riz, & même de 1'or & de 1'argent tirés des entrailles de la terre. Fortement occupés de ces branches d'induftrie lucratives, les habitans du nouveau monde ne font que peu d'attentionauxtravaux qui employent unfi grand nombre de membres des aulres fociétés, & ils font k la merci de Tanden continent pour une partie de leur fub* fiftance & pour tous les objets qui conftituent le luxe & 1'élégance. Ainfi les Européens ont formé des manufaétures dont l'Amérique eft l'objet,& leur induftrie s'eft infinimentaccrue du vafte débit des marchandifes deftinées a fatisfaire les befoins de contrécsimmenfesdont la population augmente continuellement; 1'influence de ce débit ne fe borne pas feulement -aux nations qui fe trouvent dans des rapports plus intimes avec les colonies américaines; elle fe fait fentir dans toutes les parties de  sur* l'Inde ancienne. 2.;-/ 1'Europe qui fourniflent quelques-Uns des articles qui leur font envoye's, & met également en adion les bras de 1'artifan dans les provinces intérieure.s d'AUemagne, dan» la Grande - Bretagne & dans les autres pays qui ont un commerce direct avec le nouveau monde. Mais en même temps que 1'on convient que la découverte & la conquête de 1'Amérique elt une des principales caufes de cette rapide augmentation d'induftrie & de richefle qui fe fait remarquer en Europe depuis les deux derniers fiècles, des fpéculateurs tremblans ont foutenu que 1'Europe , 'pendant tout ce néme période, s'eft appauvrie jnfenfibkment par la perte de fon or employé a fouttnir fon commerce avec l'Inde. Mais cette erreur n'eft venue que du peu ü'attention que 1'on a faira la nature &a 1'ufage des métaux précieux. On doit les envifager fous deux points de vue différents ; ou comme des fignes que toutes les nations civilifées font convenues d'employcr pour appréeier ou pour repréfenter la valeur & du travail & des autres marchandifes , & par ce moyen faciliter 1'achat du preroier & fe traiifport des autres des maibs c'un proprjétaiie dans celles d'un autre-,ou 1'on peut conL 4  248 Recherches historici ue s fidérer Por & Pargent comme étant en eux-mêmes des marchandifes ou des objets de commerce que Pon ne peut acquérir que par d'autres objets équivalens. C'eft fous ce point de vue que Pon devroit envifager 1'txportation des-métaux précieux en Oriënt; car comme la nation qui les txporte ne peut les obtenir qua par le produit de fon propre travail & de fon induftrie,ce commerce dok, quoique non pas d'une manière auffi vifible & auffi directe que celuid'Amérique,contribueri augmenter 1'induftrie générale & 1'opulence de 1'Europe. Si, pour prix des rixdales nécelTaires au foutien de fon commerce avec Pinde ,1'Angleterre eft obligée de donner une certaine quantité de fes étoffes de drap ou de coton,ou de fa clincaillerie, alors les bras d'un plus grand nombre c'ouvriers font mis en mouvement, & ils'éxéeute une portion d'ouvrage qui, fans ce commerce, n'auroit pas eu lieu. La nation recuei le tout le bénéfice qui vient de Paugmentation de 1'induftrie. Avec Por & Pargent que fes manufaétures ont achetés dans 1'Occidem , elle peut fe montrer dans les marchés de l'Orient, & 1'i.xportation tant redoutée de ces métaux dans Pinde, eft ce qui enrichic le royaume. au lieu de Pappauvrir.  sur l'Inde ancienne. 249 VIII. Si 1'Europe n'a pas été déshonorée par la fervitude Ia plus bumiliante qui puifle accabler des nations poücées, elle le doit a la découverte du paffiige dans l'Inde par le Cap de Bonne-Ëfpérance , & a la vigueur & au fuccès avec lequel les Portugais y ontpourfuivi leurs conquêtes & établi leur domination. Je dois cette obfervation a un auteur qui a éclairé par fes talens, & embelli par fon éloquence 1'nifr toire des établuTemens & du commerce des nations modernes dans les deux Iudes (1); & elle me parolc afléz bien fondée pour mériter un plus ample examen. Peu d'années après que les Portugais fe furent montrés.dans l'Inde,la domination des Mameluks fut renverfée par 1'irréfiltible puiflance des armes turques; & 1'Egypte & Ia Syrië furent réunies a leur empire comme provinces. Si après eet événement le commerce avec l'Inde eüt continué de fuivre fon ancienne direction, les fultans tures, comme maitres de 1'Egypte & de la Syrië,ne pouvoient manquerde 1'avoira leurentière difpofition, foit que les produétions de l'Orient fuffent tranfportées par la mer Rouge a Alexan- (0 M- l'abbé Rayus!.  25° Recherches historiques drie , ou, par terre, du golfe perfique a Conftantinople } & dans les ports de la Méditerranée. Les monarques qui étoient alors a la tête de ce grand empire, ne manquoient ni d'habileté pour fentir a quelle puiffance ils s'éleveroient par ce moyen, ni d'ambition pour y afpirer. Sélim, le vainqueur des JMameluks, en confirmant les anciens privileges des Vénitiens en Egypte & en Syrië, & par 1'ordre qu'il mit dans les droits que payoient les-marcban* difes de l'Inde, & dont j'ai déja parlé, laifla de bonne beure appercevoir le défir inquiet qu'il avoit d'aflurer a fes propres états tous les avantages du commerce avec l'Orient. Soliman le Magnifique, fon fuccefleur, parolt avoir auffi dirigé fon attention vers le même objet. Plus éclairé qu'aucun monarque de la ruce ottomane, aucune des démarches des puiflances de 1'Europe ne lui étöit échappée; & il avoit remarqué k quel degré de pouvoir & d'opulence la république de Venife étoit arrivée, en concentrant dans fes mains le commerce de l'Orient. II voyoit alors le Portugal s'élever k la même prééminence par des moyens femblablej. Impatitnt de les imiter & de les fupplanter,ilformaunplan digne de la haute rtnommée politique & du nom üHnftituteur de loix, par  sur l'Inde ancienne. 251 lequel les hiftoriens turcs Pont diftingué, & il établit dans fes états,dès Ie commencement de fon règne, un fyftême de loix commerciales,par lequel il efpéroit faire encore deConftaiuinople ce qu'elle avoit été dans les fiècles brillans de Pempire grec, le grand eutrepót du commerce de Pinde (1). Pour 1'accompliffement de ce deflein, il ne s'en rapporta pas feulement a Paction des loix; il équipa, vers le même temps, une flotte redoutable dans la mer Rouge, fous la conduite d'un officier de confiance, avec uti nombre de Janill'aires fuffifant,felon lui, non-feulement pour chafier les Portugais de tous leurs établi'dbmens dans Pinde , mais encore pour s'emparer de quelque pofte avantageux dans ce pays & y arborerfon pavillon. Les Portugais, par des tlTorts de valeur & de conftance qui leur méritèrent les brillans fuccès dont ils furent couronnés, re« pouffèrent ce puifTant arraement dans tous fes projets d'attaque , & obligèrent les triftes débris de la Hotte & de Parmée turque a retourner avec ignominie dans les ports d'011 ils étoient partis , avec les efpérances les plus CO Paruta, Hift. Venet. lib. vu. p. 585. Saniii, Stor. CM. Venez, part. 11. p. 901.  252 Récherches histortcjoes certaines de terminer cette expédition d'une manière bien différente CO- Soliman, quoique Wèle au projet de chaffer les Portugais de l'Inde & d'y former quelque établiffcrnent, fut fi occupé, pendant le refte de fon règne, de cette multitude d'opérations difficiles oü k Plongea fon infatiable ambition, qu'il n'eüt jamais le loifir d'en reprendre la fuite avec réfolution. Si les mefures de Sélim eulTent produit 1'eff« qu'il en attendok, ou fi k plan plus hardi & plus étendu de Soliman eüt été mis i exécution , Ia difpofition des richefles de 1'Inde, jointe ala formidable marine que toutes les puiffances maltreffi-s de ce monopole ont toujours été en état de créer & ct'entretenir, auroit néceflaircment ajouté a un empire óéjk redouté des nations un degré deforce qui ?A9f roit par - tout rendu vidorieux. L'üurope, a cette époque, n'étoit pas capable de réfiller k cette doublé puiflance navale & militaire,foutenue des richefles du commerce, & fous la conduite d'un monarque dont le vafle génie favoit tirer de cbaque objet fes avantages particuhers, & ks employer tous avec le plus CO Ad de Barros, déc. iv. lib. x, c i. &c.  sur l'Inde ancienne. 253 grand effet. Heureufement pour 1'efpèce humaine, le fyftême defpotique du gouvernement turc, qui avoit pour bafe ce fanatifrne abfurde qui étouffa les fciences dans 1'Egyp. te, dans 1'Alfyrie & dans la Grèce, féjours qu'elles habitèrent jadis avec tant de délices, fut arrêté lorfqu'il alloit étendre fa domination fur 1'Europe & en bannir la liberté , 1'étude & le gotit, au moment qu'ils faifoient d'heureux elforts pour reparoltre & bénir de nouveau, éclairer & policer le genre humain. Fin de la Première Partie.   RECHERCHES HISTORIQUES SUR LA CONNOISSANCE QJJE LES ANCIENS AVOIENT DÉ L' I N D E, Et fur les progrès du commerce avec cette partie du monde avant la découverte du palfage par le Cap de Bonne-Efpérance; Suivies d'un Appendix contenant des Obfervations fur rÉtat Civil, les Loix es? les Formalités judiciaires, les Arts, les Sciences, £? les Inftitutions religieufcs des Indiens. Traduit de l'Anglois de W.R OB ERTS ON , Docïaur en Théologie , Membre de Ia Société Royale d'Edimbourg , Principal de 1'Univerfité , & Hiftoriographe de Sa Majefté Britannique pour l'EcolTe. Avec deux graades Cartes pour Vintelligenct de cel Ouvrage, Seconde Partje. a AMSTERDAM, Chez D. J. CHANGUIQN. mdccxcii»   RECHERCHES HISTORIETJES SUR L'INDE JNCIENNB. SECONDE PARTIE* NOTES ET ECLAIRCISSEMENS.   N O T E S E T ECLAIRCISSEMENS. NOTE I. Sict. i. p. 9. Le fcepticifme & h crédulité font les deux ext.êmes contraires oü fe perdent ceux qui exa. Binent les événemens attribués aux premiers fiècles de 1'antiquité. II peut m'être permis, fans e:re foupconné de pencher vers le premier de ces partis , de conferver des doutes fur 1'expéJition de Séfoftris dans l'Inde & la conquêre qu'il fit de ce pays. — j. U eft peu de faits mieux établi. dans 1'hiftoire ancienne gue le dégoüt que es Egyptiens rémoignèrent de bonne bcure pour la vie maritime. Le defpotifme lui-mème, avec toute fa puiflance, ne fauroit changer en un inftant les idéés & les mceurs d'une nation fHr. tout lorfqu'ellts or.t été confirrriées par une Iongue habitué. & que Ja rellgïon les a confacrées. 11 me paroit extrêmement peu probable que Sé ; foftris, dans le cours d'un li petit nombre d'anmées, aitpu fe rendre maitre des préjugés d'un I peuple fuperftitieux, au point d'équiper quatre : cents vaiffeaux de guerre dans le golfe arabique, : outre une autre flotte qu'il avoit dans la Méditerf ranée. Des armemens auffi confidérables ne pourA 2  4 KOT ES TT ECL Al RCISS JEMEN S. roient fe faire qu'avec les plus grands effor!s de la part de la puiffance maritime la plus floriffante & la plus ancienne. — 2. 11 eft fingulier qu'Héjrodote qui fijt les recherches les plus exaftes & les plus foutenues dans 1'hiftoire ancienne de 1'Egypte, qui regut des prêtres de Mempbis, d'Hélio> polis & de Tbèbes tous fes renfeignemens qu'ils pouvoient lui donner fur eet cbjet (HéroJot. édit. ■WetTeUngii, lib. n. c. 3.) & qui rapporte Ptft* ■ toire de Séfoftris un peu au long, ne fafle pas la moindre mention de fa conquète de l'Inde (UW. ai. c. IC2, &c.) Il eft probable que cette fable fut inventéc dans le période qui s'écoula entre le fiècle d'Hérodote & celui de Diodore de Sicile, qui racon'e en détail cette exrédhlon de Séfoftris dans l'Inde. Son récit n'a d'autre fondement que 1'autorité des prêtres égyptiens; & ce n'eft pas feulement comme fon opinion générale que Diodore de Sicile lui-même avance que dans la plupart des chofes qu'ils racontoient, ils confultoient plutót la gloire de leur pays quö le refpeft pour la vérité, (lib. j. p. 34. édit. Weffelingii, Amft. 1746;) mais il cite comme un fait particulier, que les prêtres égyptiens, auflï bien que les autres grecs, different étonnamment Van de 1'autre dans ce qu'üs rapportent des aftions de Séfoftris (!ib. j. p. 62.) —- 3. Quoique Diodore allure que dans la compofition de 1'hiftoire de Séfoftris, il avoit écarté avec foin tout £c qui lui avoit paru improbable & peu conforme  NOT ES ET ECLAIRCISSEMENS. J aux monumens de ce monarque qui exiftoient encore en Egypte, il a mêlé a fon récit plufieurs circonftances merveilleufes qui rendent le tout extrêmement fufpect. Le père de Séfoftris, a ce qu'il raconte, fit ialTembler tous les enfans males qui étoient nés en Egypte le même jour que fon fils , pour les faire élever avec lui d'apiès un même plan d'éducation & les préparer a 1'exécu. tion des grands defleins auxquels il deftinoit Séfoftris. En conféquence, lorfque Séfoftris partit pour 1'expédition de l'Inde qui, d'après ces circonftances rapportées par Diodore, doit avoir eu lieu la quarantième année de fa vie, on dit qu'il exiftoit encore mille fept cents des compagnons de fa jeunelTe a qui il confia les premiers grades de fon armée. Mais fi nous appliquons a 1'examen de cette hiftoire les principes invariables d'arithniétique politique, il eft évident que s'il exiftoit mille fept cents des enfans males nés Is même jour que Séfoftris, i 1'époque oü commengi fa grande expédition , le nombre des enfans qui naiffoient en Egypte chique jour de 1'année devoit être au moins de dix mille, & Ia population du royaume excéder foixante millions (Goguet, Origine des loix, des arts, &c. tom. n. p. 12 , &c.) proportion qui s'étend fort au-dela des termes de la vraifemblance, dans un royaume qui, d'après les exceüens calculs de M. d'Anville (Mémoire fur 1'Egypte ancienne & moderre, p. 23, &c.) r.e eontient pas plus de onze c^nts lieuas A 3  €■ WOTES ET ECL AJB C1SSEMENS. carréas de pajs habitable. Une autre circonitance merveilleufe, cd la defoription d'un vailTeau de cèdre qui avoit quatre cents quatre-vingt-dix pieds de long, couvert d'or a 1'extérieur & d'argent en dedans, que Séfoftris confacra a la civinité qui étoit le premier objet du culte a Thèbes (lib. i. p. 67.) i telle eft encore la defcription qu'il donne de 1'armée égyptienne, qui, outre ftx cent mille hommes d'infanterie & vin^t-quatre mille cavaliers, conteno't vingt-fept mille charrots armés (Ibid. p. 64.) — 4. Ces détails & quelques autres répugnoient fi fort au bon feiis de Strabon 1= géograpbe, qu'il n'héfita nullement arejeter ce que 1'on racootoit de 1'expédition de Séfoftris dans 1'Inde; & non-feulemcnt il allure dans les termes les plus pofitifs que ce monarque ne mit jamais le pied dans l'Inde (lib. xv. p. 1007. C. édit. Cafaub. Amft. 1707,) mais il range au rang des exploits fabuleux de Bacchns & d'IIercule, tout ce qui s'eft dit de fes opérations dans ce pays (p. 1007. D. ioco. B.) L'hiftorien philofophe d'Alexandre-le-Grand parolt avoir eu la même opinion fur les exploits de Séfoftrisdans l'Inde (Hift. ind. c. 5. Arrian, exped. Alex. edit. Gronov. L. Bat. 1704.) —- Le peu de renfeignemens qu'Hérodote avoit eus fur l'Inde & fes habitans, il parolt les avoir tirés non pas des Égyptiens, mais des Perfes (lib. ilï. 0.105.) circonftance qui feroit croire que de fon temps il y avoit peu de rapports entre 1'Egypte & l'Inde.  k o te 3 1T éclair ciss zmïns. 1 NOTE II. Sect. t. p. ii. Quand on confïdère 1'étendue & les effets du commerce des Phéniciens, on dolt s'étonner, au premier coup-d'ceil, des foibles éclaircifiemens que 1'on trouve dans les anciens écrivains fur ces commerce. Mais fi 1'on fe rappel le que tous les hiftoriens grecs (excepté Hérodote.) qui parient des Phéniciens, publièrent leurs ouvrages longtemps après la deftruction de Tyr par Alexandrele-Grand, on ne s'étonnera plus qu'ils nous aient laiffé ignorer prefque tous les détails d'un commerce qui avoit porté ailleurs fa fplendeur, & qui ne fuivoit plus la même direclion. Mais la puilTance & la richeffe de Tyr dans les jours brillans de fon commerce, doivent avoir attiré fur elle tous les regards. II n'eft point d'auteur an. cien oii 1'on trouve un compte plus détaillé de la variété des opérations de fon commerce, que Hans les prophédes d'E^échiel qui fleuritdeuxcentfoixante ans avant la cbüte de Tyr, & rien ne donne en même temps une plus bauie idéé de rirumunfe puilTance de eet état. Ch. xxvi, xxvn, xxvni. NOTE III. Sect. i. p. 16. L 'état qui nous eft donné par Hérodote du revenu de la monarchie perfe eft curieux, & parolt avoir été copié fur quelque regiftre public qui 'ui avoit été communiqué. D'après cetétat, 1'empire per fe étoit divifé envingt fatrapies ou gouvernemens. A 4  8 NOTES ET ECr-.URCISSEMENS Le tribut levé fur cbacun de ces gouverneraens eft ffécifié, & la totalité en monte a 14,560 talens d'Eubée, ce qui fait, fuivant le dofteut Arbuthnot.une fomme égale a celle de 2,fo7.,437 livres fterling; fomme très-petite pour le revenu du grand roi, & qui ne s'accorde guère avec toutce que lés anciens hiftoriens racontent des richeffes, de la magnificence & du luxe de l'Orient. NOTE IV. Sect. 1. p. 23. Tl eft étonnant qu'Alexandre n'ait rien appris des pluies périodiqües de l'Inde, dans les provinces iimitrophes de cette péninfule; cette connoilTance auroit pu 1'aider a mieux y choifir le temps de fes opérations militaire?. Son expédiiion dais HbÓe commenca vers la fin du printems (Arrian. lib. iv, c 22j) lorfque les pluies étoient déja comJtiencées dans les montagnes, d'cii toutes les rivières partent qui arrofent le Panjab; & dont les esux par conféquent devoie'nt être confidérable^ ment accrues, avant qu'il arm at fur leurs bords (Rennëli , pag. 268) II palTa 1'Hydafpe è la mi - été, a peu prè* dans le fort de la faifon pluvieufs. Dans un pays que traverfeDt tant de grands fieuves, une armée en campagne a cefe époque de 1'année doit avoir beaucoup fouffert. Arrien (lib. v, c. 0.) donne une defcription exafte de la nature des pluies & des inondations dans cette partie de l'Inde; on en trou e une plus étendue encore dans Strabon (lib, xv, 1013 ) C'étoit  «QTIiS UT iCLUHtlSSSUliMS. — C'étoit de ce que leur faifoient fouffrir ces pluies, que fe plaignoient les foldats d'Alexandre (S;rabo, I. xv, 1021, D.) ; & ce n'étoit pas fans raifon, car il n'avoit ceu~é de pleuvoir pendant foixar.te-dix jours (Diod. Sicul. xvir, 94-) — Une circonftance qui fait voir avee quelle exactitude les officièrs d'Alexandre obfervoient tout ce qui fe paffoit dans cette partie de l'Inde, mérite d'être remarquée. Ariftobule, dans fon joiuxal dont j'ai fait mention, remarque que , quoiqu'il eut abondamment p'u dans les montagnes & dans Ie pays qui les avoifice, les plaines qui s'étendent au-de a te ncurent pas la plus petite onrlée. (Strabo, lib. xv, 1013 , B. 1015, B.) Le major Rennell apprit d'ur.e peffonne digne de foi, qui avoit réddé dans ce diftricl de l'Inde , oü les Européens ne vont guère aujourd'hui , que pendant une grande partie du Mouf • fon du S. O., ou au moins dans les mois de juillet, aoüt & partie de feptembre, qui f jnt les toms de pluie pour la plupart des auties endroits ds l'Inde, 1'atmofp'jère dans le Delta ind.en eft chargé de nuagts en général, mais fans aucune pluie, fi ce n'tö. d ès prés dela mer. II tombe même a peine quelques ondées pendant tout le cours de la faifon. Le capitaine Hamilton rapporte que, quand il fe ïendit a Tatta, il y avoit trois ans qu'il n'avoit plu du tout (Mémoires , -p. 3.88).—. Xamerl-an, dont la capitale n'étoit pas éloi^née do I'inde, avoit été a même de connoi.re la nature A 5  iö notes et ECLAIRdSSEMENS. du pays; il évita la faute d'Alexandre, & fit fa campagne de l'Inde pendant la belle faifon; comme Nadir Shah, qui, Jors de fon invafiön de l'Inde 1'an de J. C. 1738, & a fon retour 1'année fuivante , traverfa les mêmes pays qu'Alexandre , & marcha prefque fur la même ligne. Rien ne peut donnerune plus forte idéé de I'invincibleconftance du conquérant macédonien, que Ia defcription des embarras que le Nadir Shah eut k furmonter , & des fatigues qu'elTuya fon armee. Quoique poifédant un pouvoir fans bornes & des richeffes immenfes, & non moins diftingué par fes grands talens que par une longue expérience dans la conduite de la guerre, il eut la douleur de perdre une grande partie de fes troupes en traverfant les rivières du Panjab, en s'ouvrant un chemin a travers les montagnes du Nord de Pinde, & dans les chocs qu'il eut a eiTuyer de la part des belliqueux babitans des pays qui s'étendent depuis les bards de 1'Oxus jufqu'aux frontières de Perfe. il fe trouve dans les mémoires de Khojeh Abdulkurretm, Casrimirien de diftinction qui fervoit dans fon armée, une defcription intéreffante de fa retraite & de fes malheurs. NOTE V. Sect, 1. p. 25. Il paroitroit d'abord incroyable qu'on eüt pu raffembler en fi peu de remps une Hotte auffi nombseufe. Cependact Arrien nous allure qu'il n'in-  motes et ïcla iscisse mi kj, ri dique ce nombre que d'après Ptolomée fils de Lagus, dont il regarde le témoignage comme étant du plus grand poids (lib. vi, c 3 ) Mais comme le Panjab eft rempli de rivières navigables fur Jefquelles fe faifoit fout le commerce entreles naturels, il s'y trouvoit de tous les có. tés des vaiffeaux tout prêts è la difpofition du conquérant, qui ne doit pas avoir eu de peine a en raffembler un fi grand nombre. Si 1'on pouvoit ajouter foi au récit de lTnvafion de Pinde par Sémiramis, il n'y avoit pas moins de quatre mille vaiffeaux réunis dans 1'Indus, pour barrer le paffage a fa flotte. (Diod. Sicul. lib. „, ch. 74.) — 11 eft fingulier que Iors de I'invafion de l'Inde par Mahmoud de Gaznab, on ait raffemb.'é contre lui dans 1'Indus une fio'.te compofée du même nombre de vaiffeaux. Nous apprenons de Ayeen A\bery, que les habitans de cette partie de l'Inde commercent encore aujourd'hui entt'eux par eau,- les habitans du Circar. de Tmh, i poffèdent pas moins de quarante mille vaiffeaux uirrerentes comtruótions. (Vol. 11, p. I43,) NOTE VI. Sect. 1, p. 27 Ton s ces détail font tirés de rhiftoire de Plnde, d'Arrien, ouvrage différent de celui dont j'ai déja parlé, & Pon des traités les plus CDriétrA qui nous foient venus de 1'antiquité. Des ëxtr&r* de la defcription que donne Néarque da ciimat & du fol de l'Inde & des mceurs ées natortJ A 6  Jl hot ï.s it eglaircissemens» rempliflort la première parüe. La feconde conlient le journal oü eet officier rend compte de fon voyage depuis 1'embouchure de 1'Indus jufqu'au fond du golfe perfique. Cette leclure donne lieu a plufieurs obfervations. —— i. 11 eft rttnarquable que ni Néarque, ni Ptolomée, ni Ariftobule, ni même Arrien, ne faflent pas la moindre mention du voyage de Scylax; ce filence ne pouvoit pas venir de leur ignorance; car Hérodote étoit 1'auteur favori de tout Grec qui avoit quelque prétention littéraire. I! avoit probablement pour caufe les raifons qu'ils avoient de fe défier de la véracité de Scylax, & dont j'ai déja fa't 1'eypofé. En conféquence, Arrien mst djns la bouche d'Alexandre un difcours oü il affirmequ'ii efl: le premier après Baccbus qui ait pafle 1'Indus ; ce qui fuppofe qu'il n'ajoutoit pas foi a ce que 1'on rapporte de Scylax, & qu'il n'avoit pas ontendu parler de ce que 1'on dit que Darius .Uy-lafpe avoit fait pour foumetire cette pan ie de l'Inde a la couro.me de Perfe (Arrian. vu, c. ïo.) Cette opinion eft confirmée par Mégafthène, qui avoit fait une trés longue réfidenc^ dans l'Inde. II allure qu'a 1'exceptiön de Bacchus & d'Hercule (aux exploits fabuleux defquels Strabon Vétonne qu'il ait pu accorder quelque confiance {lib. xv, p. 1007, D.) Alexandre étoit le premier qui fs füt emparé de l'Inde. (Arrian, Hifi. indic. c. 5.) Arrien nous apprend que les Aflaucs & d'iuues peuples qui polfédoient Ie pays  KOTES ET ECLAIRCISSEMENS. 13 *ju'on appelle aujourd'hui Ie royaume de CandaIvar, payèrent tribut d'abord aux Aflyriens & t-nfuite sux iMèdes & sux Perfes. (Hift. indic. c. i.) Comme toutes les belles provinces au Nord-Oueft de 1'Indus étoient cenfées anciennement faire partie de l'Inde, il eft probable que ce qu'elles payoient en impöt eft la fomme portée fur le róle qu'IIérodote avoit confulté dans le compte qu'il rend du revenu annuel de 1'empire Perfe , &qu'auounes des provinces au Sud de 1'Indus ne furent jamais foumifes aux rois do Perfe. — 2. Ce voyage de Néarque fournit plufieurs preuves frappantes du peu de lumières des anciens fur toute autre navigation que celle a laquelle ils étoient accoutumés dans la Méjiterranée. Quoique Ie génie entreprenant d'Alexandre & la grandeur de fes vues lui euiTent infpiré le defl'ein d'établir un commerce par mer entre 1'Inde & fes états de Perfe,- cependant Néarque & lui avoient fi peu d'idée de 1'Océan qu'ils defiroient de parcourir, qu'ils craignoientque leur navigation n'y füt arrêtée par des détroits impraticables & d'autres obftacles femblables (Hift. indic. c. 20, Q. Curt- lib. ix. c. 9.) Lorfque la flo te arriva a 1'embouchure de 1'Indus , 1'étonnement que produifit le flux & le reflux de Ia marée de 1'Océan Indien, phénomène (felon Arrien) jufqu'alors inconnu a Alexandre & a fes folda's, eft une autre preuve de leur igcorar.ce dans 1'ar.t de Ia navigation (lib. vi ,c. 19.) ; & il n'y z nullement lieu d'être furpris de leur A 7  1+ NOTES ET ECLAIRCISSEMENS. étonnement.les marées étant a peine feufibles dans la Méditerranée oü fe renfermoit toute la fcience des Grecs & des Macédoniens. C'eft pour cette raifon que Iorfque les Romains portèrenc leurs armes viftorieufes dans les pays fitués fur 1'Océan Atlantique, ou furies mers qui y communiquent, ce phénomène nouveau des marées fut pour eux un objet de furprife & de terreur Céfar décrit 1'étonnement de fes foldats au fujet d'une maline qui endommagea beaucoup fa flutte quand il fit fa defcente en Angleterre, & avoue que c'étoit pour eux un fpectacle nouveau (Bell. Gallic. lib. vi, c. 29.). Les marées fur Ia cöte' voifine de 1'embouchure de 1'lndus font extré. mement hautes & fuivies de grands effets, furtout cette précipitation foudaine de la marée dans la bouche des fleuves & des bras de mer é roifs qui eft connue dans l'Inde , fous le nom du C lïré, & dont Ie major Rennel donne une defcrip. tion exafte, (introd. Xxiv, mém. 278.): dans Ie Ptriplus Maris Erythrzi p. 26, il eft queftion de ces hautes marées, & ladefcription qu'on en donne reffemble beaucoup a celle du calibré. Piine rend un compte fort exagéré des marées dans 1'Océan Indien. (Nat. hift. lib. xrrr, c. 25.) Le major Rennel femble croire qu'Alexandre & ies compagnons ne devoient pas être il abfolument éuangers au phénomène des marées, puifqu'Hérodote avoit appris aux Grecs, „ qu'il y avoit rous les jours un flux & rtflux régulier de la ma-  NOTES ET ECLAI RCISSEMENS. JJ rée dans la Mer Rouge; " (lib. n, c. n.) C'eft la toute 1'explication que donne Hérodote de cé phénomène. Mais il y a chez les anciens des exemples du peu de cas que 1'on faifoit des faits rapportés par des auteurs refpe&ables, qui ont de quoi furprendre dans les temps modernes. Quoiqu'Hérodote, comme je viens de le rernarquer, eüt raconté fort au long le voyage exécuié par Scylax, Alexandre & fes hiftoriens ne font pas la moindre mention de eet événement. J'aurai dans la fuite occafion de citer un exemple encore plus remarquable du peu d'attention qu'ont fait des écrivains venus après Hérodote, a la defcription exacte qu'il denne de la Mer Cafpienne. D'après ces exemples & d'autres femblables, qu'il eüt été facile de produire, nous pouvons conclure que le peu que dit Hérodote du flux & du reflux régulier de la marée dans la Mer Rouge, n'eft pas une rai fon fufHfante pour rejetter, comme indigne de foï, ce qu'Arrien raconte de la furprife des foldats d'Alexandre a la vue des effets extraordinaires de la marée a 1'embouchure de 1'Indus. — 3. Le cours entier du voyage de Néarque, les promontoires, les anfes, les rivières, les villes, les montagnes, qui fe préfentèrent fuccefllvement a fes regards, font décrits avec tant d'ordre, & les diftances des lieux les plus remarquables, tracées avec tant de précifion, que M. d'Anville, en les comparant avec la pofition actuelle du pays,d'après les rapportsanciens  IÖ KCISS ETUCLAIttCTSSEMfiNS. & modernes les mieux faits a ce fujet, s'eft vu en état d'indiquer la plupart des lieux dont paris Néarque, avec un dégré de certitude qui ne fait pas moins d'honneur a la véracité du navigateur grec, qu'au talent, au favoir & a la pénéiration du géographe francois. (Mém. de littérat. tom. xxx, p. 132, &c.) Dans les temps modernes, le nom de Mer Rouge eft particulier au golfe arabique; mais les anciens appliquoient a la mer qui s'étend depuis ce golfe jufqu'a l'Inde, la dénomination de Mer Eiytbrée d'un roi Erytras, dont on ne connoit rien de plus que le nom, qui en grec fignj; fie rouge. D'après la fignification accidentelle de. ce mot, on s'eft imaginé que cette mer étoit d'une couleur différente des autres, & par confequent d'une navigation plus dangereufe. NOTE VII. Süct. 1. p. 33. exanoee s'occupoit tellement de cin.enter de plus en plus cette union de fes fujets, qu'après fa mort on trouva dans fes tablettes, (entr'auties magnifiques projets qu'il méditoit) plufieurs indices qui annoncoient le projet de hatir plufieurs vilks nouvelles, les unes en Afie & les autres en Europe, & de peupler celles d'Afie d'Européens, & celles d'Europe d'Afiatiques, », afin (dit 1'hiftorien) qu'en mê.'aat les mariages ± •en fe rendant des fervices mutjels, les babiians«te ces deux grands continens parvinflent infenR*  WOTES ii ECLAIRClSSBMENE. 17 blement i n'avoir qu'une même ame, & a refttr attachés les uns aux autres par les Hens d'une affection récipoque." (Diod. Sicul. lib. xvin, c. 4). Il paroit que c'eft une opinion généralement regue. qu'Alexaudie ne bêtit que deux villes dans l'Inde, Nicée & Bucéphalic fur les bords de 1'Hydafpe, aujourd'hui le Chaul, & que c'eft Craière qui fut chargé de ce doublé foin. Mais il eft évident, d'après Arrien, (lib. v, c. uit.)qu'il fit batir une troifième ville fur 1'Acéfir ès, aujoura'hui le Jénaub, fous I'infpeétion d'Epheftion; & 11 fon deflein étoit de tenir ce pays en refpect, il parolt qu'il ne pouvoit Ie faire queparlemoyen d'une place forte fur 1'une des rivières qui font au Sud de 1'Hydafpe. Cette partie de l'Inde a été fi peu fréquentée des modernes, qu'il eft impoilible de marquer avec précifion h fituation de ces villes. Si le Pere Tieffenthaler, qui penfe que la rivière qu'on appelle aujourd'hui Rave eft 1'Afcéfinès d'Arrien (Bernouilli, vol. I, pag. 39.), tft bien fondé dans fa conjecture, il eft probable que cette ville fut batie quelque part prés de Lahor, 1'un des poftes les plus importans de cette partie de l'Inde, & regardée dans 1'Ayéen Akbery comme une ville de la plus haute antiquité. Mais le major Rennell eft, felon moi, trés bien fondé dans fon opinion que le Jénaub doit être rAcéfir.ès des anciens. NOTE VIII. Sect. 1. p. 37.  18 moties et ecl aiecissemens. NOTE IX. Sect. i. p. 37. L e t fcrupules de religion qui empècholent les Perfes d'entreprendre aucun voyage par mer, étoient connus des anciens. Pline rapporte de 1 un des mages que Tindate avoit envoyé en ambaffade a 1'empereur Néron, „ qu'il n'avoit pas voulu venir par mer, paree qu'il ne penfoit pas qu'il fiit permis de falir eet élément de tous les immondices qu'y occafionneroit le féjour des hommes; " (Nat. hift. lib. xxx. c. 2.) ils portoient fi loin cette averfion pour la mer que, fuivant 1'obfervation d'un hiftorien très-bien inftruit, il n'y avoit pas dans leur empire une feule ville un peu importante batie fur les cótes de la mer; ('Ammian. Marcel, lib. xxni. c. 6,). Le dofteur HyJe nous apprend combien ces'idéés étoient intimément liées avec les principes da Zoroastre (Rel. vet. Pers. cap. vi.); dans toutes les guetres des Per fes avec la Grèce, les flottes du grand roi n'étoient compofées que de vaiöeaux fournis par les Phéniciens, les Synens, les provinces conquifes de 1'Afie mineure, & les lies adjacentes. Hérodote & Diodore de Srcile parient de Ia propettion dans laquelle chaque pajs contribua, pour former la flotte de douze cent vaiffeaux avec laquelle Xerxès entra dans la Grèce; & parmi ces vaiffeaux il n'y en a pas un feu! qui appanlnt a la p,;rfe. II eft bon dobferver en même temps que, fuivant Héroio-  notes et eclaircissem ens. 10 te, dont 1'autorité eft inconteftafole a eet égard, Ia Hotte étoit commandée par Ariabigines, rils de Darius, qui avoit plufieurs fatrapes diftingués fous fes ordres, & que les Perfes & les Mèrfes fervoient a bord en qualité de foldats, (Eïérod. lib. vu. c. 96, 97). Je ne puis dire par que Is motifs ou par quelle autorité on les engagea dans un tel fervice. Par une fuite des mêmes fcrupu'es religieux, plufieurs naturels de 1'Indoftan refu-" fett encore aujourd'hui de s'embarquer & de fervir fur mer; & cependant, dans certains cas, les Sypabis au fervice des puiflances européennes ont furmonté ces fortes de fcrupules. NOTE X. Sect. 1. p. 39. M. le baron de Sainte-Croix, dans fon ingénieufe & favante critique des hiftoriens d'AIcxandre-le-Grand, (p. 90.) parolt conferver des doutes fur le nombre de villes qu'on dit qu'Alexandre a baties, Plutarque (de forr. Alex.) allure qu'il n'en fonda pas moins de foixante-dix. II parolt par pïtrfiturs patTages des anciens auteurs, que le moyen dont Alexandre & fes fucceficursfaifoient ufage pour confer .-er leur autorité fur les peuples conquis, étoit de batir des villes, ou ce qui revient au même, des places fortes. Séleucus & Antiochus fous 1'empire defquels tomba la plus grande partie de la Perfe, ne furent pas moins remarquab'es qu'Alexandre pour batir de nouvelles villes, & il parolt que ces villes rempliflbient parfaitement Ie but du fon-  20 KOTJtS J£T eclairc issemens. dateur , & qu'elles empèchèrent effeaivement (comme j'aurai occallon de 1'obferver) la révolte des provinces coisquifes. Quoique les Grecs, anifflés de 1'ainour de la liberté & de leur patrie, euflent refufé de s'établir en Perfe tatt que eet empire fut fous la domination de fes propres me narques, malgré tous les grands avantages qu'on leur promettoit, comme le remarque M. deSair.te-Croix, le cas devint tout différent, lorfque le pays fut foumis a leur propre domination , & qu'ils s'y écablirent non pas comme fujets, mais comme maitres. Alexandre & fes fucceffeurs montrèrent un égal difcernement dans le choix qu'ils firent de 1'emplacement des villes qu'ils fondèrenf. Séleucie, que batit Séleucus, ne le cédoit qua Alexandrie pour le nombre des babitans, pour la ricbeffe & 1'importance. (M. Gibbon, vol. i, p. 250.— M. d'Anville, Mém. de littéiat.xxx.) NOTE XI. Sect. 1, p. 43. C'est dans Juftin que fe trouve le peu de détail que nous avons fur les progrès de Séleucus dans 1'Inde, (lib. xv, c. 4,; mais nous ne pouvons compter fur fon témoignage que lorfqu'il eft appuyé de celui des autres auteurs. Plutatque femble affirmer que Séleucus avoit pénéiré foit avant dans 1'Inde; mais ce refpeélable écrivain brille davantage dans 1'art de tracer les caractères & par 1'heureux choix des circonftances qui les déveïoppent & les diftingueu.que par l'exaöituc'e  notes et ecl aihcissemens. 21 des recherches hifloriques. Pline, dont 1'autorité tft d'un plus grand poids, femble regarder comme une chofe certaine que Séleucus avoit porté fes armes dans les diftrifts de l'Inde oïi Alexandre n'étoit jamais entré, (Plin. Nat. hift. lib. vi, c. 17.). Le paffage oü il en eft queftion n'eft pas très-clair, mais il femble intimer que la marche de Séleucus avoit été de l'Hyphafe a 1'Hyfudre, dela è Palybotra, & de ce dernier endroit a 1'embouchure du Gange. Les diftances des principaux endroits oü il s'arrêta font marquées, & font un total de deux mille deux cent quarante-quatre milles romains. Telle eft 1'interprétation que donne a ce paffage de Pline M. Bayer (Hiftor. regni Grsecorum Bactriani, p. 37); quant 4 moi il me paroit extrêmement peu probable que 1'expédition de Séleucus dans l'Inde ait pu durer afièz longtemps pour confommer des opérations auffi éten-, dues. Si Séleucus eut pénétré dans l'Inde jufqu'a 1'embouchure du Gange, les anciens auroient beau. ccup mieux connu cette partie du pays qu'ils ne paroilTent 1'avoir jamais fait. NOTE XII. Sïct. 1. p. 44. T j v. major Rennell nous donne une grande idéé de eet efFet, en nous difant que le Gange , après s'être ,, échappé du lit montagneux oü il avoit erré dans un efpace de plus de huit cents miles" (Mém. p. 233), recoit dans fon cours a travers les plaines onze rivières dont les unes font auffi  2ï notes ET éclair cissemens. grandes que le Rhin, & pas une moindre que la Tamife,fans compter celles qui font rnoins remarquables & dont le nombre tft égal," (p. 257) NOTE XIII. Sect. 1. p. 44. Je me fuis écarté du major Rennell, en fixant Ia pofition de Palybotra, & ce n'eft qu'avec défiance que je le fais. Suivant Strabon, Falybotra étoit fituée au confluent du Gange & d'une autre rivière (lib. xv, p. 1028, A.); Arrien eft plus pofitif encore. II place Palybotra au confluent du Gange & de 1'Erranaboas, qu'il repréfents comme moins grand que le Gange ou 1'Indus, mais comme iupérieur a toutes les autres rivières connues (Hift. ind. c. 10.). Cette pofition répond exactement a celle d'Allahabal. Le P. Boudier, aux obfervations duquel la géographie de l'Inde doit beaucoup, dit que le Jumna, a 1'endroit oh il fe joint au Gange, lui a pa>u tout auffi conlidérab/'e que ce fl-juve (d'Anville, antiq. de l'Inde, p. 37>). Allahabsd eft le nom que donna a cette ville 1'Empertur Akbar, qui y éleva une puiffiwte fortereiTe; M. Hodges en a publié un élégant deffein.n0. iv de fes Sileiï Views in India. Son nom ancien, fous lequel elle eft encore connue des Indous, eft Praeg ou Piyag, & le peuple de ce diftriót s'appelle Praegi, dénomination qui fe rapproche beaucoup de celle de Prafii, ancien nom du royaume, dont Palybotra étoit la capitale (P. Tieffenthaler chez Bernouilli, tom. 1, 223. — d'Anville, p. 56).  NOTES ET ÉCLAIR CISSEMENS. 23 Allahabad eft un lieu de dévotion fi fameux parmi les Indous, qu'elle porte le nom de Reine des lieux adorés (Ayeen Akbéry, vol. n, p. 35.) „ Son territoire qui forme un efpace de quarante miles, eft réputé faint. Les Indous croient que 1'homme qui y meurc, eft fur d'obtenir tout ce qu'il defire a la feconde naiflance. Quoiqu'ils enfeignent que le fuicide en général fera fuivi de tourmens dans 1'autre vie, cependant ils penfent qu'il y a du mérite a fe tuer a Allahabad." (Ayeen Akbéry, in, 255.). LeP. TiefFenthaler décrit les différens cbjets de vénération a Allahabad, vers lefquels fe rendent encore un trés-grand nombre de pélerins (Bernouilli, tom. 1, 224.); de toutes ces circontances.on peut conclure que c'eft un endroit d'une très-haute antiquité, & dont la fituation eft la même que celle de la Palybotra des anciens. C'eft par deux confidérations principales que Ie major Rennell s'eft déterroiné a placer Palybotra au même lieu que Patna.— 1. D'abord paree qu'il avoit appri6 que fur le fol de Patna ou très-près, il exiftoit anciennement une trés-grande ville mommée Patelpooi-Inr ou Pataiipputra, ce qui s'ap. proche beaucoup de Panden nom de Palybotra. Quoiqu'il n'y ait point aujourd'hui a Patna deux rivières qui fe joignent, il a fu que le confluent de la Soanne & du Gange, aujourd'hui a vingtdeux miles au-delTus de Patna, étoit autrefois fous les murs de cette ville. Les rivières de Pinde «iangent quelquefois leur cours d'une manière fin-  24 NOTES ET ECLAIRCISSEMENS, gulière, & il en cite quelques exemples remarquables. Mais quand on convieniroit que ce que racontent les naturels de ce changement de cours de la Soanne eft parfaitement exact, je doute que ce que dit Arrien de la grandeur de 1'Erranaboas, puille s'appliquer a cette rivière auffi juftement qu'au Jumna. — a. U parolt que 1'itinéraire de Pline en fa table des diftances de Taxile (la moderne Actock) a 1'embouchure du Gange , a eu quelque part a fa décifion, (Nat. hift. lib. vi, c 17.); mais dans cette table les diftances font marquées d'une manière 11 peu exacte & quelquefois fi éWdemment erronée, qu'il n'eft pas poffible de s'y fier jufqu'a un certain point. D'après cette table, Palybotra eft fituée a quatre eens vingtcinq miles au-delTous du confluent du Gange & du Jumna. Cependant aujourd'hui il n'y a pas plus de deux eens milles d'Angleterre de diftance entre Allahab & Patna. Une difFérence fi confidérable ne peut s'expliquer qu'en fuppofant quelque erreur extraordinaire dans la table, ou un changement arrivé dans le point de johétion du Gange & du Jumna. II n'y a pour la première de ces fuppofitions, que je fache, aucun manufcrit, & pour Ia feconde aucune tradition dont on puifle s'étayer. Le major Rennell a expofé les raifons quil'avoienc engagé a fuppofer que la fituation de Palybotra étoit la même que celle de Patna; (Mémoires, p. 49-54.). II a prévu quelques-unes des objections qui pourroient êtte faites a cette fuppofition, &  NOTES ET ECLAIItCISSEMENS. zj & i! s'eft efforcé de les prévenir;& apiès tout c» que je viens d'y ajouter, je ne ferois point du tout furpris que dans une difcuffion géograpbique mes iefteurs fuffent difpofés a préférer fadéciiio» a la mienne. NOTE XIV. Sect. r. P. 4g. Je ne parle point d'une légère incurfion d'Antiochus-le-Grand dans l'Inde, environ cent qua. tre-vingt-dix-fept ans après 1'invafion de fon ancótre Séleucu«. Tout ce que neus favons de eet événement.c'eftquele monarque Syrien,aptès avoir terminé la guerre qu'il faifoit aux deux provinces révoltées de Partne & de Baéïrianne, entra dans l'Inde, & recut un certain nombre d'éléphans & de Pargent de Soppagafénus, roi du pays, avec qui il avoit condu un traité depaix(Polyb. lib. x, p. 597 , &c. Lib. xr, p. 651, édit. Cafaub. Juftin. lib. xv. c. 4; Bayer, Hift. Regn. Grecor. Bact. p. 60 ) &c> NOTE XV. Sect. i. p. So. Uw fait, que Strabon fapporte en palTant & qof eit échappe au génie inveftigateur de M. de Guignes, s'accorde parfaitement avec le récitdes écri. vains cbinois. &!»f„nCm» t—.«„^ ,. .. - —......i.m urecs , ait-n . furent depouillés de Ja B.ftriane, par des tribus ou d'AfJf D r ' C°nnUS '0US leS nom* d Afli, Pafiani, Tachari & Sacarauü (Strab. lib. zi. Part, g  20 NOTES ET ECLAIItCISSEMENS. p. 779, A.). LesNomades des anciens étoient des peuples qui, comme les Tartares, ne fubiïftoient que par leurs troupeaux, fans lefecoursde 1'agriculture. NOTE XVI. Sect. i. p. 52. Comme la diftance d'Arfinoë (Suez) au Nil, eft infiniment moindre que de Bérénice a Copte, c'étoit Ia voie la plus prompte & Ia moins difpendieufe, par laquelle on püt recevoir en Egypte toutes les marchandifes qui entroient dans le golfe Arabique. Mais Ia navigation du golfe Arabique qui, malgré toutes les lumières acquifes, eft encore aujourd'hui lente & difficile, étoit regardée autrefois par les peuples des environs comme extrêrnement dangereufe; & la crainte qu'ils en avoient congue, leur avoir fait donner a plufieurs de fes promontoires, de fes baies & de fes ports, des noms qui exprimoient d'une manière frappante 1'impreffion de ce fentimcnt. Ils appellèrent lVntrée du golfe, Btbelmondeb, porte ou port d'affli&ion. A un port qui n'en eft pas bien éloigné, ils donnèrent Ie nom de Mete, c'eft-è-dire mort. Ils ap. pellèrent une pointe adjacente, Girdefan, cap des funérailleï. L'auteur a qui je dois ces détails, cite d'autres dénominations qui devoient leur origine au même fentirnent. (Voyages de Bruce, vol. 1, p. 442, &c.). II n'étoit donc pas étonnant que I'entrepöi: du commerce de 1'Inde eüt été tranfporté do 1'extrémité feptentrionale du golfe Arabique a Bérénice, puifque psr a changement on ab.égeoit de beaucoup une navigation dangereufe.  KOTES ET ECLAIItCISSEMENS. 2? II parol- que ce fut la principale raifon qui détermina Ptolomée a établir le port de communication avec linde a Bérénice, quoiqu'il y eüt fur Ie golfe Arabique d'autres ports infiniment plus prés du Ml que celui-la. A une époque poftérieure après Ia ruine de Copte par 1'empereur Dioclétien, Albufeda nous apprend, (Defcript. Egypt. édit.' Michaëlis, p. 77), que ies marchandifes del'Inde furent tranfportées de la Mer Rouge au Nil, par le chemin le plus court, c'eft-a-dire, de Coffeir (probablement Ie Philoteras Portus de Ptolomée) a Coüs, le Vicus Apollinis, trajet de quatre jours. Cette diftance fut confirrnée au doéteur Pococke par Ie rapport des naturels, (Voyages, vol. i, pag. 87.); en conféquence, Coüs, de petit villagé qu'il étoit, devint, après Foftat ou Ie vieux Caire la ville la plus confidérable de Ia haute Egypte! Dans la fuite, par des caufes que je nepuis expli! quer, le commerce de la Mer Rouge par Cofleir paffe a Kène, PlUs bas que Coüs, en fuivant Ia rivière, (Abulf. p. 13, 77, d'Anville, Egypte, 196-200.) Aujourd'hui toutes les marchand-Teg de l'Inde deftinées pour 1'Egypte, ou vont par rner de Gedda k Suez, & de-Ia fontportées par des chameaux Jufqu'au Caire, ou elles font amenées par terre par caravane qui revient du pélerinage de Ia Mecque, (Voyage de Niebuhr, torn. 1, p. 224, Volney 1, l88, &c.)# Te, eft Je tableau complet, autant que mes recherches ort I etre, des diiTérentes routes par lefquelles les B 2  2$ notes et ecl a ircissemeni. produétions de l'Inde ont été tranfportées jufqu'au Nil, depuis la première ouverture de cette communication. II eft fingulier que le P. Sicard, (Mém. des miffions dans le Levant, torn. n, p. 157.) & quelques autres écrivains refpeflablesfuppofent que Coffeir eft la Bérénice fondée parPtolomés, quoique Ptolomée en ait fixé la latitude a 23° 50', & que Strabon l'ait placée prefque fous le même parallèle que Syène, (lib. n, p. 195, DO- Par une fuite de cette méprife, on a regardé comme erroné le calcul de Pline, qui met entre Bérénice & Copte une diftance de deux cent cinquante-buit milles, (Pococke, p. 87.). Mais comme Pline ne fe borne pas a indiquer la diftance totale, qu'il nomme les différens endroits oii 1'on s'arrêtoit fur la rou'e, & marqué le nombre des milles qui les féparent; qu'enfin 1'itinéraire d'Antonin fe rapporte exactement a fa mefure (d'Anville, Egypt. p. 21.) il n'y a pas de raifon de «fouter de fon exactitude. NOTE XVII. Sect. i. p. 55- T . e major Rennell eft d'avis, „ que fous les Ptolomées, les Égyptiens étendirent leur navigation jufqu'a la dernière extrémité du continent indien, & remontèrent le Gange jufqu'a Polybotra, ,, aujourd'hui Patna, (Introd. p. 36.)- Mais s'il eut été ordinaire deremonter Ie Gange jufqu'a Patna, les parties ir.térieures de l'Inde auroient dü. .être mieux connues des anciens qu'elles ne 1'ont  KOTES ET ECLAIItCISSEMENS. 2j) •jamais été, & ils auroient cherché des renfeignemens ailleurs que dans Mégafthène. Strabon commence fa defcription de l'Inde d'une manière trèsremarquable. II demande 1'indulgence de fes lecteurs, paree que, dit-il, c'étoit un pays très-éloi.gné & que peu de perfonnes avoient viiité; & qu'alors même, ces perfonnes n'ayant vu qu'une petite partie du pays, ne rapportoient que ce qu'elles avoient ouï-dire, ou tout au plus ce qu'elles avoient remarqué a la hate dans le cours de leur fervice militaire, ou dans Jafuited'un voyage(Stra» bo, lib. xv, p. 1005, B). 11 obftrve qu'un trés. petit nombre de commercans du golfe Arabique avoient été jufqu'au Gange, (ibid. ioofi, C). II affure que le Gange fe jette dans la mer par une feule embouchure (ibid. ion, C.); erreur d3ns laquelle il ne feroit certainement pas tombé, li Ia navigation de ce fleuve eut été plus commune de fon temps. Il parle bien de remonter le Gange (ibid. 1010), mais c'eft en paftant & dans une feule phrafe; au lieu que fi un voyage intérieur auflï confidérable, un voyage de plus de quatre eens milles, a travers un pays riche & peuplé, eut été ordinaire, ou même s'il eut jamais été exécuté par aucun des marchands Romains, Grecs ou Égyptiens , on n'auroit pu s'empêcher d'en faire une defcription particuliere; & Pline & les autres en auroient néctflairement parlé comme d'une chofe extraordinaire dans la navigation des anciens. Arrien, (ou 1'auteur quelconque du reriplus Mms B 3  SO NOTES ET ECLAtRCISSEMENS. Erlthrcei), obferve qu'avant la découverte d'ur.e nouvelle route dans l'Inde, dont nous parleroas dans la fuite, le commerce avec ce pays, fe faifoit dans de petits vaiffeaux qui fuivoient les détours de chaque baie, (p. 32. ap. Huds. Geogr. min.); des vaiffeaux d'une conftruition il légère & affervis a un tel mode de navigation n'étoient guèreï propres è un voyage auflï éloigné que 1'étoit celui autour du cap Comorin, & dans toute la longueur du golfe de Bengale jufqu'a Patna. II n'eft pas invraifemblable que les marchands qui, fuivan» Strabon, ont été jufqu'au Gange, s'y foient rendus par terre, ou des pays a 1'embouchure de 1'Indus , ou de quelque endroit de Ia cóte de Malabar; ét que la navigation du Gange , dont il ne parle qu'aceidentellement, fe faifoit par les naturels dans des vaiffeaux du pays. Ce qui donne quelque poids a cette opinion, ce font fes remarques fur la mauvaife conftruftion des vaiffeaux qui fréquentoient cette partie de 1'Océan Indien. D'après ce qu'il en dit, il eft évident que ce ne pouvoit êtte que des vaiffeaux du pays (p. ioiï, C). NOTE XVIII. S£CT. 1. p. 57. L es idéés erronées de plufieurs écrivainsdiftingués de 1'antiquité fur la mer Cafpienne, quoique parfaitement connues de tout homme de lettres, font fi étonnantes, & fourniffent un exemple fi frappant de 1'imperfeétion de leurs connoiffances géographiques, qu'un expofé plus complet de ces  NOTES ET ECLAIRCIS SEMENS. 31 erreurs, pourra non-feulement faire plaifir a queU ques-uns de mes lefteuis; mais en chercbant a tracsr les difFérentes routes par lefquelles les marcbandifes de l'Orient arrivoient aux nations de 1'Europe, il devient même indifpenfable d'entrer dans quelques détails fur la diverfité de leurs fentimens a eet égard. i. Selon Strabon, la Mer Cafpienne eft une baie qui communiqué avec le grand Océan Septentrional, d'oü. elle fort par un bras étroit, puis forme une mer qui s'étend dans une longueur ce cinq eens ftades, (lib. xi, p. 773 , A.). Pomponius-Mela eft du même avis, & il repréfente le détroit par lequel la Mer Cafpienne tient a 1'Océan comme un détroit extrêmement lorg,-mais fi retTerré, qu'on le prendroit pour une rivière, (Ibid. m, c. 5, édit.). Pline lui-même en fait une femblable defcription. (Nat. hift. iib,VIi c. 73-)- Au fiècle de Juftinien, cette opinion fur la communication de la Mer Cafpienne avec 1'Océan, prévaloit encore; (Göfm. indicoph Topog, Chrift lib. 11, p. 138, C). Q-ielques écri«vains des premiers ages, par ur.e méprife plus fingulière encore, ont fuppofé que la Mer Cafpienne communiquoit avec Ia Mer No:re. Quinte-Curce, dont I'ignorance en géographie eft notoire, a adopté Ia même erreur, (lib. vu, c. 7, edit.). 3. Arrien, écrivain beaucoup plus judicieux, qu'un féjour ailez long dans la province romaine de Capadoce, dont il étoit gorerneur, auroit dü met-stre è même d'obtenir des lenfdintitiens plus eer-B 4  32 NOTEÏ ET ECLAIRCI-SSEMEKs. Ulm, déc'are dans un endroit que 1'origine de la Mer Cafpienne eft encore inconnue, & il ne fa:t fi elle fe joignoit è la Mer Noire ou au grand 'Océan Oriental qui environne l'Inde; (lib. vn, c. iö".). Dans un autre endroit, il allure qu'il y avoit une communication entre Ia Mer Cafpienne & 1'Océan Oriental; (hb. v,c.26). Ces erreurs paroiifent d'autant plus extraordinaires qu'Hérodote avoit donné une defcription exa&e de la Mer Cafpienne, prés de cinq eens ans avant le fiècle de Strabon. „ La Mer Cafpienne, dit-il, eft une Mer indépendante & qui ne tient a aucune autre. Elle a en longueur ce qu'un vaifTeau armé de rames peut parcourir en quinze jours, & dans fa plus grande largeur, ce qu'il peut faire en huit jours" (lib. i, c. 203 ). Ariftote en donne la même defcription, & foutient avec fa précifion ordinaire, que c'eft un grtind lac & non pas une Mer (Meteorolog. lib. n ). Diodore de Steile joint fon opinion a la leur, (vol. 2, lib. xvm, p. 261.;. Aucun de ces auteurs ne détermine il c'étoit du Nord auSud,ou de 1'Eft a 1'Oueft, que la Mer Cafpienne s'étendoit dans fa plus grande longueur. Dans les anciennes cartes qui fervent d'édairciiTement è la géographie de Ptolomée, elle eft repréfentée comme s'étendant de l'Orient a 1'Occident dans fa plus grande longusur. De nos jours, ce fut un marchand anglois, Antoine Jenkinfon , qui donna aux peuples de 1'Europe les premiers renfeignemens fur la vraie forme de la  NOTES ET ECLAIECIS:SEMENS. 33 la Mer Cafpienne; il avoit fuivi une partie confidérable de fa cóte, avec une caravane de Ruiiie, 1'an 1558; (Hakluyt, Colleft. vol. i, p. 334 > L'exa&itude de la defcription de Jenkinfon fuc confirmée par une reconnoiifance de cette uier, exécutée par ordre de Pierre-le-Grand, en 1718; & il eft maintenant hors de doute, que non-feulement la mer Cafpienne n'eft jointe è aucune autre mer, mais qu'elle s'étend infiniment plus en longueur du Nord au Sud, que de 1'Eft a 1'OueS dans fa plus grande largeur. Nous apprenons cependant par ees détails, a combien de mauvais plans pour le tranfport des marchandifes de l'Inde en Europe , les faulTes idéés qu'on s'en éroic généralement faites, avoient donné lieu, par la fuppofition ou 1'on étoit qu'elle communiquoit avec la Mer Noire ou avec 1'Océan Septentriona!, C'eft une preuve de plus de 1'attention d'Alexaadre-le-Grand pour tout ce qui pouvoit contribuer a 1'avancement du comrcercs, que 1'ordre qu'il donna peu de temps avant fa mort d'équiper pour la Mer Cafpienne une efcadre deftinée a la reconnoitre, & a s'aflurer fi c'étoit avec la Mer Noir© ou avec 1'Océan Indien qu'elle communiquoit (Arrien, lib. vu, c. 16.). NOTE XIX. Sect. i. p. 69. Ce détail curieux rous apprend combien Ianavt» gaüon des anciens étoit imparfaite, même a fc* a 5  34 NOTES ET üCl.AltCISSEAfEKS. plus haut point de perfeétion, On n'auroit jamais employé trente jours a faire le voyage de Bérénice a Océüs, fi on tüt connu une autre méthode qu« celle de fuivre fervilement tous les détours des cóte'. Le voyage d'Océüs è Mufiris feroit (tuivant le major Rennell) , de quinze jours pour un vaiffeau européen , d'après la nouvelle manière de naviger, n'y ayant que fept eens cinquante milles marins fur une ligne droite (Introd. p. xxxvn), II eft fingulier qua, quoique Ie Pitiplus MtrU Ery~ tlrcsi ait été écrit après le voyage d'Hippale, fon auteur fe foit fur-tout attaché a décrire l'ancifn^e rnarcha le long des cótes d'Arabie & de Perfe jufqu'a 1'embouchure de i'Indu?, & de-!a en defeendant Ie rivage cccidental du continent jufqu'a Mufiris. Je ne puis expliquer cette fingularité qu'en fuppofant que par une fuite de cette diffieulté qu'éprouvei t les hommes k renoncer a d'aneiennes habitudes, Ia plus grande partie des eomaiercars de Bérénice continuèrent de fuivre cette" route a laquelle ils étoient accoutumés. H faut ibivant Pline, quatre-vingt• quatorze jours pour aller d'AIexandrie a Mufiris. L'an 1788,1e Roddam, vaiffeau de Ia compagnie angloife des Inde», de milie tonneaux de port, ne mit que quatorze jours de plus a faire fon voyage de Porstmouth 4 Madras. Telle eft la mefure des progrès qu'on a. Saits- dsns-Ia navigation»  hotes et eclaircissemens* 3$ NOTE XX. Sect. rt. p. 71. Platon pcnfoit que, dans une république bien' gouvernée, les citoyens ne devoien: point fe livrer au commerce, ni Pétac chercher è fe rendrepuiffant fur la mer. II prétend que le commercecorromproit la pureté de leurs mceurs, & que.le* fervice de la mer les accoutumeroit a trouver deg; l prétextes pour juftifier une conduite, dort Top» pofition a tout ce qu'il y a de noble & de convenable, tendroit a relacher infenfiblement les liens: de ia difcipline militaire. II affure qu'il auroif été moins funefte pour les Athéniens de continuer d'envo} er tous les ans les fiis de fept de leurs principaux citoyens pour être dévorés par le Minotaure, que d'avoir renoncé a leurs mceurs pri—mitives & d'être devenus une puiflance maritime,. Dans cette république parfaite, dont il tracé ie plan , il veut que la capitale foit fituée au moins a dix milles de la mer, (De Legibus, lib. iv, ab initio.). Ces idéés de Platon furent embnffées par d'autres phüofophe». Ariflota entre dans la difcuilion fornielle de in queftion de favoir, ff un état bien organifé doit ou ne doit pas é re commercant; & quoique extiêmement difpofé a foutenir une opinion contraire a celle de Platon, il n'ofe s'expliquer ouveitement a ce fujet, (D« Repub. lib. vn, c. ör> D*ns des fiècles oü d« | telles opinions dominent, en ne deie pas s'attenodie a de grands renfeignemens fur le eemiasiit,. S §  36 notes et eclaikcisshm.ens. NOTE XXI. Sect. ii. p. 76. ÖPline dit, (lib. ix, c. 35.): PHr.cipium ergs culmen que otm.ium return prceiii Margaritce tenera.(In !ib. xxxvii, c. 4.) II affirme, maximum ïi rebus ImmarAs pratium f,01 folum iniir g'm'nas, halet aiamas. Ces deux paffages font tellement oppoféi 1'un a 1'autre, qu'il eft impoflible de les concilier, ou de déterminer lequel eft le plus Conforme a la vérité. Je me fuis attaché au premier, paree que nous avons plufieurs exemples da prix exorbitant des perles, mais pas un feul de ee«e cherté extréme des diamans. Un autre paffage de Pline me confirme dans celte opinion (lib. x'x, c. 1.): après avoir parlé du prix exorbitant de Vojbefce, il dit: ,, Mqiut ptcetia excellettium Margaritannn ";ce qui implique qu'il regardoit les perles comme la plus chère de toutes les marchandifes. NOTE XXII. Sect. ii. p. 77/ 3?UKe a confacré deux livres entiers de fon êfftoire naturelle, (lib. xn & xni.), a 1'énufflération & è la defcription des épices & des aromates, des onguents & des parfums, dont le luxe avoit introduit 1'ufage parmi fes concitoyens, Comme la plupart de ces produétions venoient de l'Inde, ou des paysau-dela, & que le commerce avec 1'Oïient étoit confidérable du tems de Pline, «ei», pouvoirs nous former une idéé du grand dé-  K.OTES ET ECL AIRCIS S IliE NS. 37 feit qui s'en faifoit, parl'extrême cherté dont elles continuèrent d'être a Rome. La comparaifon des prix des mêmes marchandifes a Rome autrefois, & aujourd'hui dans notre propre pays, n'eft pas un pur objet de curioiité, mais peut fervir de régie pour apprécier la différence du fuccès avec lequel le commerce de l'Inde s'eft fait dans les temps anciens & modernes. Meurfius (de luxu Rimar-orum cap. 5.), & Stanislas Robierzyckius , dans fon traité fur le même fujet (lib. 11, c. i.), ont fait des recueils de plufieurs paffages remarquables des anciens auteurs fur le prix extravagant des pierres précieufes & des perles chez les Romains & fur 1'ufage général qui s'en faifoit parmi les perfonnes de tous les rangs. Le lecteur anglois peut fe contenter des excellentes tables des monnoies, des poids & des mefures des anciens par le Doéteur Arbuthnot (p. 172 , &c). NOTE XXIII. Sect. 12. p. 80. M. Mahudel, dans un mémoire Iu a I'aca. démie des infcriptions & belles-lettres 1'an 1719, a préfer.té le tableau des différentes opinions des anciens fur Ia nature & 1'origine de la foie, qui toutes tendent a prou^er leur ignorance a ce fujet. Depuis la publication du mémoire de M. Mahudel , le P. du Halde a fait la defcription d'une efpèce de foie, dont je crois qu'il a Ie premier donné connoilTance aux modernes. ,, Elle eft pro-, duite par de petits infeétes qui reffemblent beauB 3  35 NOTES ST ECLAIUCISSEME NS. coup.aux limagons ffl ne forment cq les vers a fo,e des cocons de forme ronde ou ovale mars font de très-Iongs fi!s qui s'attachent aux arbres & aux buiffons, Mon que Ie vent Ie pouffe on les ramaffe & on en fabrique d«ét f fes de foie plus groiTes que celles qui vieunent des vers a foie domeftiques. Les infecies qu pS Juifent eette grofle foie, ne font pas prLs" '' (Defcription de 1'empire de Ia Chine, torn n fo;. p. at,?.) Ceci reffemble beaucoup 4 la'defcription deVirgile: Vafoaju* ut föliis de.eftant tenuia feres GliOR G. II, 121. II ne feut qQe lire attentivement Virgile pour aappercevoir, qu'0utre toutes les autres qualités d'un grand poete qui Peint, il avoit une connoilTance tres - étendue de J'hiitoire naturelle. La nature & les produftions des vers 4 fo.c fauvages font traitées d'une manière plu, «létaihee dans Ia vatte colleftion des mémoires concernant 1'biftoire, les fdences & les arts &c des Chinois, tome II, p. 575) &c. & par ,e' pere de Maiila, dans fon hiftoire volumineufede Ia Chine, torn. xm, P. 434, C'eft une circonftance finguhere dans 1'hiitoire de la foie, que les Mahométans la regardent comme une étoffe immonde, paree qu'elle eft Ie produit d'un ver* tous Ieurs do£leu", d'un confentement unaniotv ont décidé que toute perfonne revêtue d'un k*u uniqusmenc compofé de foie, ne peut i(t  40 NOTES ET ECLAIItCISSEMENS. NOTE XXVI. Sect. ii. p. 92. Strabon avoue qu'il s'eil très-peu fervi des nou velles lumières que les obfervations aftronomiques d'Hipparque avoient répandues fur la géographie , & il juftifie fa hégligence par une de ces fubtilités fcholaftiques que les anciens mêloient trop fouvent dans leurs écrits.',, Un géographe, ditil, (c'eft-a-dire, celui qui décrit Ia terre ) „ ne doit faire aucune attention a ce qui „ eft hors de la terre; & les hommes occupés de ., la conduite des affaires dans les parties habi„ tées de la terre, ne s'inqoiéteront nullement „ des diftinétions & des divifions d'Hipparque. " (Lib. 11, p. 194, c). NOTE XXVII. Sect. ii. p. 92. AcA themère, qui fleurit affez prés de Ptolomée, nous apprend quelle haute idéé les anciens avoient de lui. „ Ptolomée, dit-il, qui a „ réduit Ia géographie en un fyftême régulier, „ traite de tout ce qui y a rapport, non pas d'une „ manière indifférente, ou feulement d'après „ fes propres idéés; mais recueillant avec foin „ tout cequ'avoient écrit des auteurs plus anciens, ,, il en a pris tout ce qui lui a paru conforme k Ia , vérité, " (Epitome Geogr. lib. 1, c. 6, edit. Hudfon.). Agatt.odcemon , artifte d'AIexandrie, non moins épris de fon ouvrage, y joignit une fuite de cartes propres 4 en fasiliter 1'intelligence,  h0tes et ecl aiscissimehs. 4I cu la pofition de tous les lieux dont parle Ptolomée , avec leur longitude & leur latitude, fe trouvoit marquée d'une manière abfolument conforme a fes idéés. (Fabric. Biblioth. graec. III, 412.) NOTE XXVIII, Sect. 2. p. 94. dy 0 m m e c'étoit dans ces itinéraires ou dans des plans que les anciens géographes puifoient ks renfeignemens les plus certains fur la pofition & les diftances de beaucoup d'endroits, il peut n'être pas inutile de faire volr de quelle manière ils furent exécutés par les Romains. Jules- Céfar concut le premier 1'idée de faire lever un plan général de 1'empire; il le commenca fous 1'autorifaion d'un décret du fénat, & Augufte 1'ache. va. Comme Rome étoit encore bien inférieure i la Grèce dans les fciences, 1'exécution de cetta grande entreprife fut confiée a trois Grecs, hommes de grands talens, & verfés dans toutes les branches de la philofophie. Le plan de la partie oriëntale de 1'empire fut achevé par Zénodoxe en quatorze ans, quinze mois & neuf jours; celui de la partie feptentrionale par Théodote, en vingt ans, huit mois & dix jours. La partie méridionale fut achevée en vingt-cinq ans, un mois & dix jours. (Mthici Cofmographia apnd G ographos edüos a H=n. Stiphano, 1577, p. 107). Ce fut la une entreprife digne de ces perfonnages illuftres, & dignes de la magnificence d'un grand peuple. Outre ce plan général, chaque nouvelle  a'2 notes et eclaircissemetïï. guerre oecaïionnoit de nouvelles mefures & une nouvelle defcription des pays qui en étoient le fiege. Nous pouvons conciure , d'après Végéce (I'Jlit. rei müitaris, lib. III, c. 6.) que cha. que gouverneur d'une province romaine étoit muni d'un plan de fa province, oü étoit fpécifié la diftance des lieux en milles, la nature des grandes routes, les chemins de cóté, ceux de traverfe, les montagnes, les rivières, &c. Tous ces objets, dit-il, n'étoient pas feulement repréfentés par des mots, mais deflinés fur des cartes, afinqu'en concertant fes mouvemens militaires, 1'ceil du général püt feconder lesréflUutions de fonefprit. NOTE XXIX, Sect. 2. p. 95. La fuite de cette méprife eft remarquable. Ptolomée (lib. Vir, c. 1.) calcule Ia longitude de Barygaza ou Baroche, a 170 20'; & celle de Cory ou cap Cornorin, a 13° 20'; ce qui fait précifément une différence de quatre degrés; au Beu que la différence réelle entre ces deux' endroits eft de prés de quatorze degré?, NOTE XXX, Sect. 2. p. 05. amusio, éditeur de Ia plus ancienne & peutêtre de Ia meilleure colleétion de voyages qui exifte, eft le premier que je fache, qui ait remarqué cette fingulière erreur de Ptolomée. (Viaggi. vol. 1, p. IgI.) II obferve avec raifon que 1'auteur de Ia navigation autour de la mer Erythrée  kotss et eclaircis s emens. 43 s'étoit montré plus exact dans la defcription de l'Inde, qu'il avoit repréfentée comme s'étendant du Nord au Sud (Péripl. p. 24, 29-> NOTE XXXI. Sect. ii. p. 99- Cette erreur de Ptolomée mérite juftement Ie nom d'enorme que je lui ai donné ; & elle paroltra plus furprenante encore, quand on fe nppellera qu'il n'a pu ignorer ni ce qu'Hérodote rapporte du voyage autour de 1'Afrique, exécuté par ordre d'un des rois d'Egypte (lib. iv, c. 4.), ni 1'opinion d'Eratofthène, qui foutenoit que la grande étendue de 1'Océan Atlantique étoit Ia feule chofe qui s'oppofat a la communication par mer entre 1'Europe & l'Inde (Strab. Geogr. lib. 1, p. 113 , a.). Cependant cette erreur ne doit pas être imputée toute ectière a Ptolomée. Hipparque, que nous pouvons regarder comme fon guide, avoit enfeigné que la terre n'étoit pas environnée de toutes parts par 1'océan, mais qu'elle étoit coupée par différens ifthmes qui Ia partagent en plufieurs grands baffins, (S'rab. lib. 1, p. 11, b.). Ptolomée ayant adopté cette opinion, foutint, pour être conféquent, qu'il y avoit un pays inconnu qui s'étendoit de Cattigara k Praffum, au SudEft de la cóte d'Afrique, (Geogr. lib. vn, c. 3 & 5.;. Comme le fyftême géographique de Ptolomée étoit généralement recu, cette erreur fe propagea par le même canal. Pour s'y conformer Ie géographe arabe Edriffi, qui écrivoit au dou-  44 hotes et ECLAISCIS SElIENï. zième fiècle, enfeigna qu'une fuite de terres non interrompue s'étendoit de Sofala du cóté de l'Orient, en fuivant la cóte d'Afrique, jufqu'a fa jonftion avec une partie du continent indien. (D'Anville, Antiq. p. 187). Au premier volume des Gefta Dei per Francos, eft j'ointe une ancienne carte très-groflière du monde habitable, deffinée d'après cette idéé de Ptolomée. M. Gofielin, dans fa carte intitulée Pulomcei fyftema geograpki'. «"»♦ a repréfenté cette étendue de terre imaginaire par laquelle Ptolomée fuppofe que 1'Afrique eft jointe a 1'Afie. (Géographie des Grecs analyfée). NOTE XXXII, Sect. ii. p. 100. D a N s cette partie de la diflertation, auffi bien que dans la carte qui doit 1'accompagner, on a généralement fuivi les opinions géograpbiques de M. d'Anville.auxquelles Ie major Rennell a donné Ia fandion de fon approbation (Introd. p. 31;); mais M. Goflelin a dernièrement publlé „ la „ géographie des Grecs analyfée, ou les fyftê» mes d'Eratofthène, de Strabon & de Ptolo„ mée, comparés 1'un a 1'autre & tous enfemble » aux nouvelles connoiifances des modernes ", ouvrage favant & ingénieux oü il différe de fon compatriote dans plufieurs de ces décifions. Suivant M. GoiTelin , le Magnum Promontorium, que M. d'An ville prétend être le Cap Romania, a 1'extrémité méridionale de Ia péninfule de Ma-  HOTES ET ECLAIRCISSEME NS. 45 lacca, eft la pointe de Eragu, a 1'embouchure dela grande rivière d'Ava, prés de laquelle il place Zaba, que M- d'Anville & Barros (Décad. u, liv. vi, c. i), fuppofent être fituée fur le détroit de Sincapura ou Malacca. II foutient que le Magrus Sinus de Ptolomée eft le même que le golfe de Martaban, & non point le golfe de Siam, fuivant la décifion de M. d'Anville. La pofition de Cattigara, comme il s'efForcj de le prouver, répond a celle de Mergui, port confidérable fur la cóte occidentale du royaume de Siam; & Thina ou Sin as-Métropolis, que M. d'Anville recule jufqu'a SinHoa, au royaume dc Cochinchine, eft ftituée fur Ia même rivière que Mer^ui, & porte aujourd'hui le nom de Tana.Serim. L'Ibadii Infula de Ptolomée, que M. d'Anville reconnoit dans Sumatra, fait partie, fuivant lui, de ce groupe de petites iles qui font a la hauteur de cette partie de Ia cóte de Siam (p. 137 — 148). Selon Ie fyftême de M. Goffelin, les anciens ne portèrent jamais leurs voiles dans Ie détroit de Malacca, ne connoiflbient point 1'ile de Sumatra, & 1'Océan oriental leur étoit abfolument inconnu. S'il eft quelqu'un de mes lecteurs a qui ces opinions paroiflent bien fondées, la navigation & Ie commerce des anciens dans l'Inde auront des hornes encore plus étroites que celles que je leur ai aflignées. Ayeen Akbéry (vol. 11. p. 7.), nous apprend que Cheen étoit Pancien nom du ioyaume  46 rroTis et ECLAirtcrs'EMïNs. de Pégu; comme ce pays eft lim:tropbe d'Avo oü M. Goflelin place le grand promontoire cette grande reflemblance de noros paroltra peut-être confirmer fon opinion que Sina.-Métropo!is étoit fitués fur cette -cóte, & non pas auffi loin vers l'Orient que M. d'Anville 1'a placée. Comme la defcription que Ptolomée a faite de cette partie orienta e de 1'Aficj, eft plus erronée, plus obfcure & plus contradictoire qu'aucune autre partie de fon ouvrage, & comme tous les manufcrits grecs & latins font extrêmement incorrects dans les deux chapitres qui contiennent la defcription des pays au.dela du Gange, M. d'Anville, dans fon mémoire fur les limites du monde connu des anciens audela du Gange, s'y est plus livré aux conjectures qu'on ne le voit dans les autres recherches de ce ju^icleux géograpbe. II fe fonde auffi plus qu'a Pordinaire fur les relTemblances entre les noms anciens & modernes des endroits, quoique par-tout il décou^re un penchant peut-être trop grand a fuivre leur étymologie & a s'y fier. II eft vrai que fouvent ces reflemblances font frappantes, & Pont conduit a plu* d'une heureufe découverte. Mais en lifant fes ouvrages, il eft impoffible, a mon avis, de ne pas s'appercevoir que quelques unes de celles qu'il cite font peu naturelles & fouvent imaginaires. Toutes les fois que je 1'ai fuivi, je n'ai embrafTé de fes décifions que celles qui m'ontparu fondées fat fon exactitude ordinaire.  notes et eclaircissemenï-. 47 NOTE XXXIII, Sect. ii. p.. 112. T /auteur de la navigation autour de la Mer Erythrée a marqué lei diftances de plufieurs endroits qu'il cite, avec une exactitude qui doit faire regarder fon ouvrage comme la defcription la plus complette qu'il foit pofiible de trouver dans aucun auteur ancien, de la cöte depuis Myos-Hormus, fur Ia cóte occidentale du golfe Arabique, le long des rivages de 1'Ethiopie, de 1'Arabie, de la Perfe & de Ia Caramanie, jufqu'a 1'embouchure de 1'Indus, & de-Ia en defcendant la cóte occidentale de la péninfule de l'Inde, jufqu'è Mufiris & Barace. C'eft un mérite de plus dans ce court traité qui en a déja beaucoup a biens des égards. On peut regarder comme une preuve remarquable de 1'étendue & de 1'exac titude des connoiiTances de eet auteur fur l'Inde, qu'il eft le feul écrivain de 1'antiquité qui paroiiTe avoir eu quelque idéé de la grande divifion qui fubfifte encore de ce pays; favoir: 1'lndoftan propre, comprenanc les provinces feptentrïonales de la Péninfule, & Ie Décan qui renferme les provinces méridionales. „ De Barygafa (dit-il) „ le continent s'étend vers le Sud; d'oü vient „ que ce diftrict s'appelle Dachinabades, car dans la langue du pays, le Sud s'appelle Da„ chanos; " Peripl. p. 29. Comme les Grecs & les Romains, lorfqu'ils adóptoient une dénomination étrangère, avoient tou;ours foind'y joindre  48 t^OTES ET ECUraCISSEMEt'S. une terminaifon particuliere a leur propre langue, & que la ftructure graniaiaticale des deux langues' rendoit en quelque forte néceffaire; il eft évi. dent que Dachanos eft le même que Décan, mot qui n'a point changé de fignification, & qui eft encore le nom de cette divifion de la péninfule. La rivière Nerbuddah fen aftuellement de borne" au Décan, du cóté du Nord, & c'eft auffi Ia que l*a pofée notre auteur. Péripl. ibid. NOTE XXXIV. Sect. ir. p. n7. Quoique les anciens aftronomes, en fixant les latitudes des lieux d'après des obfervations faites fur Ie foleil & fur les étoiles, aient négligé plufieurs procédés qu'il auroit fallu employer, il ne manquoit quelqusfbis qu'un petit nombre de minutes a I'exaftitude de leurs réfultats, mais d'autrefois la difFérence alloit jufqu'a deux & même trois degrés; & 1'on peut calculer que 1'un dans 'autre, ces réfultats approchoient de moitié de Ia vérité. Ainfi cette partie de la géographie ancienne auroit été palTablement exafte, s'il y eüt eu un nombre fuffifant de déterminations faites d'après ces principe*. II s'en faut de beaucoup au contra-re qu'elles foient nombreufes, & il parolt qu'elles ne furent appliquées qu'aux endroits les plus remarquables des pays qui environnent la Méditerrannée. Lorfque, faute d'obfervations plus exaftes, Ia latitude fe déterrainoit d'après la mefure du jour, le  NOTES ET ECLAIRCISSEMENS. Aj, le plus long ou Ie plus court, on ne pouvoit', thns aucun cas, compter fur un grand degré de préciilon, furtout dins Ie voifinage de 1'équateur. Une feule erreur d'un quart d'heure (& il étoit tifé d'y tomber, d'après la manière peu exacte dont les ianciens mefuroient le temps), pauvoit, dans de telles pofitions, en caufer une de quatre degrés dans la détermination de Ia latitude. Quant aux lieux fitués dans la zone torride, il y avoit pour la fixation de la latitude , une relTource qui manquoit ailleurs. C'étoit d'obferver le temps de 1'année oü Ie foleil étoit vertical è un endroit, ou, dans d'autres termes, quand les corps perpendiculaires a 1'horifon n'avoient point d'ombre a midi; Ia diftance du foleil de 1'équateur en ce temps, qui étoit connue par les principes de l'aftronomie, étoit égale a la latitude du lieu. Nous avons des exemples de 1'appHcation de cette méthode dans la détermination des parallèles de Syène & de Méroé. L'exaftitude dont cette méthode étoit fufceptible, femble être limitée & prés d'un demi dégré; & encore faut-il iuppofer que 1'obfervateur reftoit a la même place; car s'il voyageoit d'un lieu i 1'autre, fans avoir occafion de corriger 1'obfervation d'un jour par celle du jour fuivant, il rifquoit de s'écarter beaucoup pius encore de Ia vérité. Quant i la longitude des lieux, comme les éclipfes de 1'une ne font pas fréquentes & ne pouvoient que rareaicnt fervir a Ia déterminer //. Tart. C  50 HOTES ET ECLAIRCISSEMEN5. & fjulement lorfqu'il fa trouvoit des aftronomes capables de les obferver avec exactitude; on peut n'en tenir aucun compte dans 1'examen de la géographie des pays éloignés. C'étoit donc nniquement par les diftances & par les hauteurs d'un lieu a 1'autre, que s'affignoient aneiennement les différences des méridiens des divers endroits, & par conféquent c'étoit principalement fur la longitude que tomboient toutes les erreursd'eftimations, de plans & de defcriptions , de même qu'il arrivé fur un vaiffeau qui n'a d'autre moyen de déterminer fa longitude qu'en comparant 1'ef. time avec les obfervations de la latitude; quoiqu'il y ait cette différence., que les erreurs auxqueiles le plus habile des anciens navigatems füt fujet, étoient bien plus grandes que celles oü le patron le plus ignorant, muni d'une bouifole, pourroit tomber aujourd'hui. La longueur de la Méditerjranée prife en degrés de longitude, depuis les colonnes d'Hircule jufqu'a la baie d'IiTus , ne porte pas quarante degrés: mais dansles cartes de Ptolomée, elle en a plus de foixante, & en général fes longitude*, a partir du méridien d'AIexandrie, Barkóut du cóté de l'Orient, font déftftueufes a peu prés dans la même proportion. II parolt, k la vérité, que dans les mers éloignées, on décrivoit fouvent les cótes d'après le relevé itnpaifait des diftances qu'avoit parcourues le vailTeau, fans la moiodre connoilTance de la érreétion de fa marche ou des giflëuiens. II eft  UOTES ET ECLAIfidSSEM E N«. vtai que Ptolomée avoit coutuaie de déduire ua , tiers pour les détoursque fuivoit un vaiffeau dans fon cours (geogr. lib. «, c. 12) j mais il eft clair que Papplication de cette régie générale pouvoit rarement conduire a un jufte réfultat. Nous en avons un exemple frappant dans la forme qBe ce géographe a donnée i la péninfule de Pinde De -Barygazenum Promontcnium , h 1'endroit dé! figné, L"cus undè foivunt in Ciryfen navigantes' Ceit-a-dire de Surate, fur la cöte de Malaba/ a Narfapour fur celle de Coromandel, la diftance* Fife le long du rivage de la mer eft i peu près Ia même que ce qu'elle eft réellement; c'eft-i. dire, d'environ cinq eens ringt Iieues. Mais la mepnfe dans la direétion eft étonnante; car 1« ' có;es de Malabar & de Coromandel, au lieu de ! s'allogger vers Ie Sud , & de s'entrecouper au . cap Comonn, par un angle très-aigu, font raprefentées par Ptolomée commme s'étendant Git • une même ligne droite d'Occident en Oriënt avec une légère inflexion vers le Sud. II y a en même temps plufieurs baies & promontoires repréfentés fur cette cóte qui reffemblent beaucoup dans leur pofition , a ceux qui y exiften{ a„.' :jpurd'hu!. On voit clairement, par Ia réunion de toutes ces circonftances, quels étoient les élémen» qui entrèrent dans la compofition de 1'ancienn p 4.37 , &c  HOTES ET ICLAtüchSISISMï, JJt p. S2i, &c, ;& par M. Kenauiot, dans deux disfertations qu'il a jointes aux anciennes relations ;. enfin par M. dè la Croze, Hiftoire du chriftianifme des Indes. Aujourd'hui cependant nousfavons que le nombre des profélytes dans les deuï religions eft infiniment petit, furtout dans 1'Inde» Un Gentóu regarde toutes les diftinctions & toujf les privileges de fa cafte, comme lui appartenanï par un droit exclufif & incommunicable, Convertir ou être con'.'erti, fout des idéés qui répugnene éaalsment aux principes les plus profondémenfc enracinés dans fon ame; & il n'y a pas un feul mifllonnaire cathoüque ou proteftant dans 1'Inde,. qui puiffe fe vanter d'avoir furmonté ces préjugésr fi ce n'eft dans un petit nombre d'individus qui appartiennent aux caftes les plus baflês, ou qui n'en ont pas du tour. Cette dernière cirtonftance eft un grand o'oftacle aux progrès du chriftianifme dans 1'Irjde. Comme les Européens marjgent I.ï chair dc eet aniraal facré pour les Indisns, & boivent des liqueurs enivrantss, exemples que fuivent les nouveaux convtrtis au chriftianifme, cette conduite les fait defcendre an niveau des Parias , 1'efpèce d'hommes la plus aiéprifable & la plus: olieufe. Quelques mifilonnaires catholiques en fer>tirent fi bien Ia conféquence , qu'ils affecTèrent d'imiter 1'mbiliement & la manière de vivre oes Bramines, & refufèient de fréquenter les Parias, ou de les admettrea la participatie des facremens. Mais & sa furent plAmés par le Légat apoflyKque ï0sj^ € 4  40 HOTES ET ECt i IR O I S f KStE.NJ. non, comn.e d'une chofe-contraire a l'efprit & aux maximes de la religion chrétienne (Voyage aux indes Orientales,. par M.Sonnerat, tom. i-,p. 58, notes.). Malgré les travaux des miffionnaires pendant plus de deux cents ans, dit un écrivain moderne diftinfeué , & les établilTemens de cifférentes nations cbrétiennes qui les entretiennent & qui lés protègent parmi ,. peut-être, cent millions d'Indiens, il n'y en a pas douze mille chrétiens, & encore ce petit nombre n'eft-ii compofé que de Chor.calas, ou profcrils (EfquiiTes fur 1'hiftoire, la. \ neligion,. la littérature & les mceurs des Indiens,, p- 48.)- On fait monter a prés de dix millions ie nombre des Mahométans ou des Maures qui for t i aujourd'hui dans 1'Indoftan; mais ils ne font point originaires du pays; ce ne font que les defcendans I des avamuriers qui n'ont ceiTé de s'y répandre de I la. Tartarie,. de !a Perfe & del'Arabie, depuis. Uinvafion de Mahmoud de Gazna, 1'an de J. C., IC02,, premier conquérant de l'Inde, parmi les. Mahométans. Orme., Hift. of military tranfaclions, in Indoftan,. vol. 1, p. 24. Herbelot, Biblior.. Grient, artic. Casnaviah. Comme il parolt que lesmceurs des Indiens d'aujourd'hui font abfolumenti les mêines. qu'autrefois , il eft probable que les. Chrétiens &. les. Mahométans, qu'on dit avoir été: en fi.grand nombre dans l'Inde &.dans la Chine,. étoient furtout des étrangers qu'y, avoit attirés Pappas d'un commerce lucratif, ou bien leurs defcen*. dies., Le nombre des Mahométans dans la Chine  hotes ET ECLAIRCïSSEMENS. 6t s'eft confidérablement augmenté par 1'ufage établi ehez eux d'acheter daos les années de familie des enfans qu'ils élèvent dans Ia religion mahométane. Kift. génér. des Voyages, torn. vi, p. 357. NOTE XXXIX. Slct. nr. p. 145. La chronique d'André Dandulo, Dogede Venife , qui fut élevé è cette dignité dans un temps oü fes compatriotes avoient établi un commerce régulier avec Alexandrie , & en tiroient toutes les produétions de l'Orient, faifoit naturellement efpéres qwelques éclairciffemens fur leurs premières relations avec ce pays; mais, excepté je ne fais quelle hiftoire de quelques vailTeaux Vénitiens qui étoient allés a Alexandrie, vers 1'an 828) en dépit d'un décret de la république, & qui en avoient enlevé Is corps de fairst Mare (Murat. Script, rer. ital» vol. xii, lib. 8, c. 2 , p. 170); je ne trouve aucun autre indice fur la communication entre les. deux pays« II fe préfècte au contraire des circonftances qui font voir que les relations des Européens en Egypte avoient prefque entièrement ceiTé potc un temps. Antérieurement aux feptième & huitième fiècles, la plus grande partie des acles public?,, en Italië & dans les autres pays de 1'Europe, s'écrivoient fur du papier fait d'un arbriÏÏeau d'Egypte: mais après cette époque, comme les Européens ne. cherchoient plus a commercer avec Alexandrie, prefque toutes les chartres & autres acles font écrits* üir du parchemin. Murat, Antiq. ital. medii a/vi G Z  «2 n 072s ei ECLAlReiSSEMEKg, vo'. p3g. 83 j, jG. nc me Ms u fortapp^ fanti, & dans le t&xte & dans cette note, fur ce9 détails qüi prouvent l'inter-uption du commerce entre les Cuétiens & les Mahométans, que pour détruire une erreur dans laquelle font tombés plufieurs auteurs modernes, en fuppofant que bientót après les premières conquêtes des Cihfes, Ie commerce avec l'Inde avoit repris fon ancienne marche, Ö les négocians d'Eu^ope fréquentoient avec Ia même liberté qu'auparavant les ports d'Egypte & de Syrië. NOTE XL. Sect. m. p. IJa Jl eft bon de remarqner, dit M, Sfcrart, quo IeS Indiens ont nn s-rt admirable pour rendre leur religion lucrative. Les Fakirs, dans leurs pélerirages des cótes de ia mer dans i'i'ntérieurdes te'rres fe chargent ordinairement da perles, de corail' d'épiceries, & d'autres objets précieux, d'un petit Tolume, ru'iis échangent, è leur retour, cortre" de Ia poudre d'or, du mufc, & autres articles fem. blables, rju-'H leur eft facile de cacher dans tiê'j Cheveux & d;.ns leun ceintures; faifant par ce moven un trarlt affez confidérable en 'proportion de leur nombre. (Relation du royaume de Thibet. — Tranfaft. phüof. vo'. lxvh, part. n p. 483.) NOTE XLI. Sect. in. p. r(52. Citta e l U place de commerce. Ia mieux 'Sóxéë  tfCrTES Et rCLATECISSEKJEN!. ("3 de la mer Noire. Dafis lts mams des Génois, qui en avoient eu la pofleffion pendant plus de deux fiècles, elle étoit dever.ue le centre d'un commerce étendu & floriffait. Malgré tous les défavantages d'un gouvernement te! que celui des Turcs, elle eft encore aujourd'hui renomméeparfon commerce. Le cbevaüer Chardin.qui y fut 1'an de J, C 1672, dit que dans un féjour de quarante jours qu'il y fit, il vit a CafFa arriver ou panir plus de quatre cents vaiffeaux (Voyages tome 1, 48).11 y remarqua beaucoup de reftes de la magnificence des Génois. Le nombre de fes habitans, felon M, Peyfonnel, eft ev.core de quatre-virgts mille. (Commerce dela mer Noire , tome 1, p. 15). U parle de fon commerce comme d'un commerce très-confidérable. NOTE XLII. Sect. nr. p. 163. L'tNêOLENCE & la rapacité des Génois étabüs a Conftantinople, font repréfentées par NicéphoreGrégoras, témoin oculairs de leur conduite, fous les coureurs les plus frappantes: „ Les Gésais", dit-il, „ a-préfent", c'eft-3-dire vers 1'an 1340, « s'imaginent avoir acquis 1'empire de la mer, & ,, s'arrogent un droit exclufif au commerce de la= „ mer Noire, tmpêcbant les va (T-aux grecs „ d'approcher du Méotide, de la Cherfonèfe & „ de toute autre partie de la cóte fupéïieure i „ 1'embouchure du Danube, fans ur.e permiffion„ expretTe de leur part. Ils étendent cette exclu-. » San isfquss fur les Véai::ens, & ils ont potui?  «54 HOTES et ecl AIRCISSEMEHS „ le óélire jufqu'a s'occuper du projet de lever une „ taxe fur tous les vailïèaux qui palTeroient le „ Bofphore." (lib. xvm, c. 2. paragraphe 1.) NOTE XLIII. Sect. nr. p. 163. O h croyoit qu'il étoit fi r.éceflaire de s'autorifer d'une permiilion du Pape pour conimercer avec les infide'lcs, que longtemps après cette époque, 1'an J454,Nicolas V, dans fafameufe bulle en faveur du prince Henri de Portugal, entre autres privilé. ges lui aceorde la permiilion de trafiquer avec les Mahométans, s'appuyant de fcmblables permiffions accordées aux rois de Portugal par les papes Martin V. &Eugène. Leibnitz, Codex Jur. Gent. Diplomat. pars 1, p. 489. NOTE XL1V. Sect. mi, p. 167. Nr Paul Jove, panégyrifle zélé des Médicis, ni Jo. M. Brutus leur détraéteur, quoiqu'ils parient tous deux de 1'exoibitante richeiTe de cel te familie, ne s'expliquent point fur la nature du commerce par lequel ils s'étoient enrichis. Michiavel lui-même-, dont le génie fe plaifoit a rechercher toutes les circonftances qui avoient contribué a 1'agrandiiTemgnt ou a la décadence des nations, ne parolt pas avoir envifagé le commerce de fon pays comme un fujet qui mériiat le moindre éclaircifiement. Dénina qui a intiiulé le premier chapitre de fon dix-huitième livre ,, Origine des Médicis, & „. commencement de leur pouvoir & de leur grai-  hotes 17 iclaibc ISSElaEKS. o'S „ deur", ne donne que peu de renfeignernens fur le commerce qu'ils ont fait. Ce filence de tant d'auteurs eft une preuve que les hiftoriens n'avoient pas encore commencé a confidérer le comaierce comme un objet affez important dans les rapport? politiques des nations, pour en fuivre la nature & les effets. D'après les renvois de divers écrivains a Scipio-Ammirato (lftorie Fiorentine), a PagnirJ, (Della Decima ed altri gravezie della mercatura di Fioreniini), & a Balducci (Pratica della niercatura) , je aoiiois qu'il feroit poflible de trouver quelque chofe de plus fathfaifant fur le trafic tant de la république que de la maifon de Médicis; mais je ne trouverois ces livres ni a Edimbourg ni a Londres. NOTE XLV. Sect. Ïiï. p- 168. Leibnitz a confervé une pièce précieufe qui contient les inftruótions de la république de Florence aux deux ambaffadeurs envoyés au foudan d'Egypte pour négocier ce traité avec lui, avec la réponfe de ces ambaffadeurs a leur retour. Le grand objet de la république étoit d'obtenir la Iiberté de commeretr dans toute Pétendue des états du foudan, fur le même pied que les Vénitiens. Les principaux priviléges qu'ils follicitèrent étoient, 1. Libre entrée dans tous les ports du loudan, proteétion tant qu'ils y refteroient, & Iiberté d'en fortir quand ils voudroient. 2. Permiffioa d'avoir un conful revêtu des mêmes droits  66 hotes et ecl, aiiïcissemshs. & de la même jurisdiction que ceux des Vénitiens; & Iiberté de faire batir une égüfe, un magafU &un bain dans tous les lieux de leurs établiffemens. 3. Qu'ils ne payeroient point fur les objets d'inportation ou d'exportation des droits plus forts que n'en payoient les Vénitiens. 4. Que les effets de tout Florentin qui mourroit dans les états du foudan , feroient remis entre les mains du conful. 5. Que la monnoie d'or & d'argent de Florence feroit recue en payement. Tous ces priviléges (qui font voir fur quel piel généreux & équitable les Chrétiens & les Mahométans traitorent^ alors enfemble) , les Florentins les obtinrent; mais a caufe des raifons motivées dans Ie texte, ii parcit qu'ils n'ont jamais eu une grande part aa commerce de I'fnde. Leibnitz, Mantiffa. Cod. Jur. Geat. Diplom. Pars altera, p. 1Ö3. NOTE XLVI. Sect. rii, p. Les parties orientales de 1'Afie font aujou-dhuï fi parfaitement connues, que le compte inexaft qa'en a rendu Ie premier Mare Paul n'attira quepeu de cette attention qu'excita d'abord Ia pubifcation de fes voyages; & fPm mêié 3 fes récfts des circouftances qui ont pouffé quelques auteurs * juftifier cette défaveur, en révoquant en doute ö vétitë de ce qu'il rapporte, & même a foutenir qnil n'avoit jamais vu le pays dont il préten .1 donner Ja defcription. Il n'établit. difent-i!s Ia pofition d'auctn lieu, en fpécifiant fa longitude'ou  NOTES ET ECLAIfteiSSfiMENS. 67 fa latitude. II donne aux provinces & aux villes, fur-tout dans fa defcription du Catay, des noms modemei. If faut cependant obferver que Mare Paul n'étant point du tout un favant, on n'a pas dn s'attendre qu'il fixeroit la pofition des lieux avec l'ex^aitude d'un géographe. Comme les voyages qu'il faifoit dans Ia Chine étoient ou pour accompagner le grand Khan, ou pour faire exécuter fes ordres, il eft probable que les noms qu'il donne aux différentes provinces &aux d'fférentes villes, font ceux que leur faifoient porter les' Tartares au fervice de qui il étoit, & non point les noms originaires chinois. Une circonftarcö expüque les inexactitudes qui fe ttouvenf dins fa relation de fes voyages, c'eft qu'elle na fut paine publiée d'après un journal régulier que les charigtïmens continuels de fa fituation, pendant une fi longue fuite d'aventures, ne lui permirent pas dé tenir ou de conferver. 11 Ia compofa de retour dans fon pays natal, & principa!ement de mémoire. Mais malgré ce défavantage, Ie compte qu'il rend des contréesde l'Orient qui ont été 1'objetde mes recherches, renferme des éclaircifiemens fur beaucoup de points que 1'Europe ne connoiflbit pas alors, & dont 1'exactitude eft aujourd'hui parfaitement démontrée. J'en rapporterai quelques - üns cjui, quoiqu'ils ne foient pas relatifs a des objetS de grande importance, prouvent inconteftablement, qu'il a vifité ces pays,& qu'ilaobfervéavecattentlon les mceurs & les ufages du peuple. II rend  63 notes et xclaircxssemens. ud compte particulier de Ia nature & de Ia prépa. ration du fagou, premier article de fubfiftance chez toutes les nations de Ia race malaife, & il apporta le premier échantillon de cette production fingulière k Venife, (lib. n. c. 16.). II parle auffi de 1'ufage oü 1'on étoit généralement de macher Ie bétel, & la manière de le préparer eft encore aujourd'hui Ia même que celle qu'il a décrite. Ramus. Viaggi i. p. 55. D. 56. B. II va même jufqu'a parler de la manière particulière dont on nourriflbit les chevaux, & qui exifte encore. Ramus. p. 53. f. Mais ce qui eft bien plus important, il nous apprend que le commerce avec Alexandrie, lors de fon voyage dans l'Inde, fe faifoit encore de Ia même manière que j'avois préfumé qu'il fe faifoit anciennement. C'étoient encore des vaiffeaux du pays qui portoient les marchandifes de l'Orient a la cóte de Malabar, d'oü elles étoient enlevées avec Ie poivre & d'autres produétions particulières a cette partie de l'Inde par des vaiffeaux qui venoient de Ia mer Rouge. Lib. m. c. 27. On peut rendre compte par-la peut-être de cette qualité fupérieure que Sanudo attribue aux marchandifes appoitées a la cóte de Syrië, du golfe perfique, fur celles qui arrivoient en Egypte par la mer Rouge. Celles-la étoier.t choifies & achetées dans les lieux qui les avoient produites ou manufaóturées, par des marchands per fans qui continuoient leurs voyages dans toutes les parties de'l'Orient,- tandis que les marchands égyp-  motis et eclai rcissemens. 69 tiens.dans la formation de leurs cargaifons, étoient bot nés, pour tout affortiment, aux marchandifes apportées a la cóte de Malabar par les naturels. Ce que Mare Paul raconta a quelques perfonnes de fon temps des nornbreufes armées & des revenus immenfes des princes orientaux, leur parut fi extravagant (quoique abfolument conforme a ce que nous favons aujourd'hui de la population de la Cbine & de la richetTe de 1'Indoftan), qu'ils lui donr.èrent lenom de Mejfer MarcoMiUioni. Préfat. de Ramus. p. 4. Mais il fut bien différemment écouté des perfonnes mieux inilruites. Colomb, ainfi que les favans avec qui il étoit en relation, mettoient une fi grande confiance dans la véracité de fes rapports, qu'ils fervirent de bafe principale aux fpéculations & aux théories qui menèrent a la découverte du nouveau monde. Vie de Colomb par fon fils, c. 7 & 8. NOTE XLVII. Sect. in. p. 184. Xj'ak 1301, Jeanne de Navarre, femme de Philippe-le-Bel, roi de France, ayant paffé quelques jours è Bruges, fut tellement frappée de la grandeur & de la richeffe de cette ville & fur-tout de la magnificence des femmes des bourgeois, que par un mouvement de cette envie naturelle a fon fexe (dit Gulcciardin) elle s'écria avec indignation: „ Je croyois être ici la feule reine, mais je vois ,, qu'il y en a des centaines encore." Defcrit. dei' Paefi Bafil, p. 408.  79 NOTES FT ECLAIRCISStMENS. NOTE XLVJII. Sect. iu. p. Ig7. J'ai remarqué dans I'Hiftoire du règne de Charles V, vol. i,p. 163, que,durant la guerre excitée par la fameufe ligue de Cambray, tandis que Charles VIII de France ne pouvoit fe procurer de 1'argent qu'avec une prime de quarantedeux pour cent, les Vénitiens trouvoient les fommes qu'ils vouloient a cinq pour cent. Mais je penfe bitn que ce prix ne doit pas être regardé comme le taux ordinaire de 1'intérêt i cette époque, mais comme un efFort volontaire & patriotique des citoyens, pour venir au fecours de leur pavs dans une crife dangereufe. II y a dans 1'hiftoire de la république des exemples frappans de ces générfiux dévouemens. L'an 1370, lorfque les Génois, après avoir remporté une grande viétoire navale' fur les Vénitiens, fe difpofotent a attaquer leur capitale, les citoyens, par une contribution volontaire, mirent le fénat a même de faire un armeinefct qui fauva leur pays. Sabellicus, Hift. Rer. Vener. dec. 111, lib. iv, p. 385, 390. Dans la' guerre avec Ferrare, qui commenca l'an 1472, fénat, für de 1'attachement des citoyens a leur pays, ordonna que chacun apportat au tréfor public toute fa vaiffdlle d'or & d'argent & fes bijoux, s'engageant d'en payer la valeur a Ia fin de la guerre, avec cinq pour cent d'intérêt; & eet ordre fut exécuté avec allégrefTe. Petr. Cyrna3us de Bello Ferrar. ap. Murat. Script. Rer. ital. vol. xn, b. 1016.  notes et eclairci SSEMEHf. 7t NOTE XLIX. Sect. iii. p. 187. On peut citer deus faits comme preuves dc Pétendue extraordinaire du commerce des VénitieDs a cette époque. ~~ 1. On trouve dans Ia grande collection de Rymer une fuite d'aftes par lefquels les rois d'Angleterre conféroient différens privileges & différentes immunités aux marchands Vénitiens qui commercoient en Angleterre, ainfi que divers traités de commerce avec la république, qui montrent clairement a quel point leurs rapportss'étoientmultipliés dans ce pays. M. Anderfon cite chacun de ces traités dans leur ordre; & quiconque eft engagé dans des recherches fur le commerce ,a dü fentir en plus d;une occafion combien il devoit au travail infatigable & a 1'excellent jugement de eet écrivain. — 2. L'établifTement d'une banque par Pautorité publique, dont Ie crédit étoit fondé fur celui del'état, dans un fiècle & chez une nation oü Pon connoit fi bien les avantages que le commerce retire de 1'inftitution des banques, il eft inutile d'en faire 1'énumération. Les tranfaóiions mercantiles . doivent avoir été nombreufes & étendues, avant que 1'on appercut pleinement 1'utilité d'une telle inftitution, ou que les principes du commerce fuflent fi bien connus qu'ils formaffent des régiemens propres a fa diriger avec fuccès. Venife peut fe vanter d'avoir donné a 1'Europe le premier exemple d'un établuTement entièrement inconnu aux anciens &  7 2 "n0ïe3 et eclaircissemens. dont s'enorgueillit le fyftéme moderne commercial. La conftitution de la banque de Venife fu: originairement établie fur des principes fi juftes, qu'elle a fervi de,modèle a l'établiffement des banques dans les autres pays, & 1'adminiftration de fes affaires a été conduite avec tant d'intégrité, que fon crédit n'a jamais été ébranlé. Je ne peux pas fpécifier l'année précife dans laquelle la banque de Venife fut établie par une loi de I'état. Anderfon préfume qu'elle 1'a été l'an de J. C. 1157. Chron. vol. ï'. p. 84. Sandi, Hift. civil. de Ven. part. 11. vol. 2. p. 768.part. ni. vol. 2. p. 892. NOTE L. Sect. iii, p. 189. X_Jn auteur italien aiTez eftimé, & qui a fait des recherches exaftes fur 1'hiftoire ancienne de fes différens gouvernemens, allure que fi tous les états qui commercoient dans la Méditerranée s'étoient réunis , Venife feule auroit été fupérieure a tous par fes forces navales, & 1'étendue de fon com • merce, (Denina, Révol. d'Italie, traduites par 1'abbé Dujardin, lib. 18. c. 6 torn. vi p. 339.). Vers l'an 420, le doge Mocenigo donna un plan de la force navale de la république, lequel confirme cette décifion de Denina. Elle confiftoit alors en trois mille vaiffeaux marcbands de difFérentes grandeurs, a bord defquels il y avoit dixfept mille matelots; en trois cents vaiffeaux de plus grande force, montés par huit mille mne- lots;  notes et eclaiïcissemeni. 73 lots; & en quarante-cinq larges gaieres ou caraques, conduites par onze mille matelots. Su mille charpentiers étoient employés aux arfenaux publics & particulier.». Mare Sanuto, Vies des ducs de Ven. Ap. Murat. Hift. de 1'Ital. vol. xxu. p. 959, NOTE li. Sect. ui. p. 2ir. S1 nous remarquons la forme & la pofition des parties babitables de 1'Afie & de 1'Afrique, nous aurons de bonnes raifons pour confidérer le cbameau comme le plus uiile de tous les animaux que les habitans de ces grands continens aient domptés. Dans ces deux continens, quslquts-uns des plus fertiles diftricts font féparés 1'un de 1'aufepar des trajets fi étendus de fables arides, féjour de la défolation & de Ia fécberefle, qu'ils paroiflent exclure la poffibilité de toute communrcation entre ces deux parties du monde. Mats comme 1'Océan, qui femble d'abord étre placé comme une barrière infurmontable entre les difféientes régions de Ia terre, eft devenu par la navigation utile a leur commerce réciproque, ainfi par Ie moyen du chameau, que les Arabes nomment avec emphafe Ie vaiffeau du défert, on trauerfe les déferts les plus fauvages, & les nations qu'ils féparent font en état de commercer entr'elles. Ces voyages pénibles, impraticables pour tout autre animal, le chameau les exécute avec une étonnante promptitu e. Chargé de fix, fept a huit cent pefant, il peut continuer fa marche durant un long efpace de temps avec //. Part. D  f4 HOTES ET ÉCLAIR C1SSEMGNS.. peu de nourriture ou de repos, & quelqitefois fans boire pendant huit ou neuf jours. Par la fdgeéconomie de la providence, le chameau parolt formé expres pour être la béte de charge des régionsoü il eft placé, & oii fon fervice eft Irès nécelTaire. Dans tous les diftricts de 1'Afie ou de 1'Afrique, oh les déferts font multipliés ét trè:-étendus, le chameau abonde; ces pays lui font propres & Ia fphère de fon aclivité ne peut s'étendre plus loin. II redoute également les excès de Ia chaleur & du froid,& ne peut fe faire même au doux climat de notre zóne tempérée. Comme le premier commerce des marchandifes de l'Inde dont nous ayons quelque détail authentique fut fait par Ie moyen des chameaux, Gen. xxxvir. v. 5.; & comme c'eft en les employant que le tranfport de ces marchandifes a été d'une fi grande étendue dans 1'Afie & dans 1'Afrique, les particularités dont j'ai fait mention re'ativement a ce fingulier animal m'ont paru néceffaires a 1'éclairciffement de cette partie de mon fujet. Si quslques-uns de mes lecteurs défirent une plus ample information & fouhaitent de connoltre comment 1'induftrie & l'art de 1'homme avoient fecondé les intentior.s de la nature en dreffant le chameau dès fa naiffar.ee k cette vie aclive & laborieufe a laquelle il eft destiné, il peut confulter 1'biftoire naturelle de M. le comte de Buffon, art. chameau & dromadaire, une des plus éloquantes defcriptons, & autant que je peux juger d'apiès 1'examen des autorités qu'il  NOTIS et ECt AiaCISSEMENs. a citées, une des plus exaftes qu'ait données ca fameux écrivain. M. Volney, dont 1'eJafthude eft bien connue, donne auffi uns defcription de la manière dont Ie chameau voyage. Elle peut être agréable a quelques-uns de mes lecleurs. Oa „ employé fur - tout les chameaux en voyageant è „ travers les déferts, paree qu'ils confomment peu „ & portent de gros fardeaux. Leur charge ordi. „ naire eft d'environ fept cent cinquante iivres, „ leur nourriture eft tout ce qu'on leur donne, I„ paille, chardons, les noyaux de dates, fè es, „ orge, Sec. Ai/ec une livre de nourriture par „ jour, & autant d'eau, le chameau voyagera pen„ dant des femaines. Dans la journée du Caire ,, a Suez, qui eft de cinquante ou de cinquante„ fix heures, ils ne mangent ni ne boivent, mais „ ces longs jeünes fi fouvent répétés les épui„ fent. Leur marche ordinaire eft très-Iente, ils „ font a peine au. dela de deux milles par heure; ,, il eft inutile de les preffer.ils ne précipiteront ,, pas leurs pas, mais fi on leur accorde quelque „ repos, ils marcheront quinze & dix-buit heures par jour. Voyage, torn. n. p. 383," NOTE LH. Sect. in. p. 213. "Pour donner une idéé complete de Ia circulation étendue des marchandifes indiennes parterre, il feroit nécelfaire de tracer Ia route & d'évaluer le rombre des difFérentes caravanes qui les tranfpor.eat. Si ceci étoit exécuté avec exaftitudej D a  76 NOTES ET ECLAIRCISSEMENS. ce feroit un objet curieux de recherchegéographique, auffi bien qu'une addition précieufe a l'hifloire du commerce. Quoique je ne puffe entrer dans un ii long détail fans contredire la briéveté 1 laquelle je me fuis a'taché dans cette recherche , cependant il eft peut-être néceffaire ici d'éclaircir cette partie de mon fujet en parlant des deux caravanes qui vifitent la Mecque, afin que mes lefteurs puiffent mieux apprécier 1'importance de leurs tranfaciions commerciales. La première eft la caravane qui va du Caire en Egypte, & 1'autre de Damas en Syrië. Je choifis celles-ci, & paree qu'elles font les plus confidérab'es & paree qu'elles font décrites par des auteurs non fufpecïs, qui ont eu les meilleures occafions d'être pleinement informés de tout ce qui avoit rapport a ce fujet. La première eft compofée non - feulemei t de pelerkis de chaque partie de 1'Egypte, mai» cucore de ceux qui arrivent de tous les petits états mahométans fur les cótes d'Afrique dans la Méditerranée, de 1'empire de Marcc & mêtr.e des royaumes Maures dans la mer atlantique. Lorfque la caravane s'affemble, elle eft compofée >au moins de cinquante mille perfonnes, & le nombre des cbameaux employés a potter de 1'eau, des .provifions & des marchandifes , eft encore plus grand. Ce voyage, qui en partant du Caire & en y revenant ne s'achève pas en moins de cent jours, fe fait entierement par terre, & comme Ja route eft ordinairement a travers les déferts  WOTES ET ECt AI RCISSEMENf. 7? fabloneux, ftériles, intiabités & fauvages, quï rarement ofFrent quelque fubfiftance, & oü fouvent on ne peut trouvet des fources d'eau, les pélerins eiTuyent toujours beaucoup de fatigue, & quel* quefois doivent fupporter des peines incroyables! Hakluit a publié anciennement une bonne defcription de cette caravane (vo!. n. p. 202. &c.). Maillet eft eniré k ce fujet dans un détail curieux & minutieux (Defcript. de 1'Egypte, part. n. p. 112. &c.) Pocock a donné la route avec la longueur de la marche de chaque jour; il la tenoit d'une perfonne qui aroit été quatorze jours k la Mecqoe (vol. 1. p. 138. 261. &c). La caravane deDamas, compofée de pélerins de prefque teutes les provinces de 1'empire turc, eft peu inférieur» en nombre k la première, & fon commerce n'eft pas moins important (Voyage de Volney, torn. n. p. 251. &c). Ce pélérinage fut formé dansl'année 1741 par Khireh-Ab^ulkurreem, dont j'ai déja parlé note iv. p. 270. Il donne la route ordinaire de Damas a la Mecque évaluée par heures, manière commune d'apprécier une journée dans l'Orient k travers les contrées peu fréquentées» Selon 1'évaluation la plus modérée, la diftance entre les deux villes, par fon calcül, doit être' de plus d'un millier de milles. Une grande partie du voyage fe fait au travers d'un défert, & les' pslerins eiTuyent non-feulement beaucoup de fatigue , mais courent fouvent de grands dangers de la part de6 Arabes vagabonds (Mémoires, p. 114,D 3  78 K0TES ET ECLAIRCirf EMÏKS, &c). C'eft une fingulière preuve de 1'efprit de lapine des Arabes, que, quoique toutes leurs tribus indépendantes foient mahométanes zélées, cependant ils ne fe font pas de fcrupule de piller ks caravanes des pélerins, qui ne font que remplir un des plus indifpenfables devoirs de leur religion: quelque uombreufes que foient ces cara. vanes, nous ne pouvons pas fuppofer que tous Icj pélerins qui vifitenc la Mecque leur appartiennent. 11 y a des renforts confidérables des vaftes domaines de la Perfe, de chaque province de 1'J.ndoflan & des contrées a 1'Elt, de I'Abyflinie, des d.fFéiens états fur la cóte meridionale d'Afrique & de "toutes les parties de 1'Arabie, qui tous raflemblés ont été eftimés monter a deux cents mille. En quelques années le nombre eft encore atigmetste par de petites bandes de pélerms de plufieurs provinces intérieures de 1'Afrique, dont les noms & les pofitions commencent niaintenam a être connus en Europe. Nous fommes redevables de ce dernier fait a 1'afibciation pour favortl« la découverte des parties intérieures de 1'Afrique, formée par quelques Anglois fur des principes fi généreux & des vues de bien public qui les honorent autant que leur propte pays. Dans le rapport du comité du confeil privé fur Ja traite des Nègres, il y a d'autres particularités, & il paroit que le commerce des caravanes dans les parties intérieures de 1'Afrique eft nonfeulement très-étendu, mais d'un bénéfice conti-  KOTES ET ECL AIKCISSEMEKS. fï> dérable. Outre la grande caravane qui va au Caire & eft jointe par des pélerins mahométans de chaque partie de 1'Afrique, il y a des caravanes qui n'ont d'autre objet que le commerce; elles partent de Fez, Alger, Tunis, Tripoli & des autres états fur la cóte maritime, & pénétrent dans 1'intérieur de la contrée. Quelques -unes d'elles ne mettent pas moins de cinquante jours pour atteindre le lieu de leur deftination ; & comme leur marche peut étre eftimée è environ dix-huit milles paf jour, on peut aifément calculer 1'étendue de leur voyage. Comme le temps de leur départ & leuf route font er.tièrement connus, elles font rencontrées par le peuple de toutes les contrées qu'elles traverfent & qui commercent avec elles. Les marchandifes indiennes de toute efpèce, forment un' article confidérable de ce trafic:la denrée principale qu'elles peuvent donner én éehange coniifte en efclaves. (part. vi.). Comme les voyages des caravanes qui font pure. ment commerc/mtes ne commencent pas dans de* faifons fixes, & que leur routes varient felon la convenance ou la fantaifie des marchands qui les compofent, on ne peut les décrite avec le même degré d'exactitude. En confidérant les détails de' quelques auteurs & les notions des autres, on peut tirer une connoilTance fuffifante pour nous fatisfalre, que la circulation des marchandifes1 d'Orient par ces caravanes eft trés-étendue. Le même commerce qui fe faifoit anciennement par D 4  80 HOTES ET ECI. AIECISSIMEHS. Jes provinces au Nord-Eft de 1'Afie avec 1'Indoffan & la Chine, & que j'ai décrit au commencement» fubfille encore. Parmi loutes les nombreufes tribus de Tartares, même de celles qui confervent leurs mceurs pafiorales dans la plus grande pureté, la demande pour les produétions de ces deux contrées eft trés-confidérable (Voyage de Paljas, tom. i. p. 357. &c. tom. ir. p. 421,). pour faire des échinges des marchandifes les unes avec les autres, les caravanes partent annuellement de Boghave (Hackluyt, vol. i. p. 332.), de Samareand , du Thibet, & de pl^fiears autres piaces, fc retournent avec d'amples cargaifons de marchandifes indiennes & cbinoifes. Mais Ie commerce entie la Ruftie & ia Chine, en cette partie de 1 Alle, eft bien plus étendu & mieux connu. II eft probable que quelque relation de cette efpèce exiftoit entre elles; mais elle a augmenté confidérablement lorf. que les parties antérieures de la Ruffie furent devenues plus acceffibles par les conquêtes de GtngisKan & de Tamerlan. Les Nations commercantes de 1'Europe étoient fi au fait de la manière de faire ce commerce , qu'auffi.dt après que les Portugais eurent ouvert Ia communication avec l'Orient par le Cap de Bonne-Efpérance , on effaya de diminuer les avantages qu'ils retiroient de cette découverte, de 1'emporter fur les Ruffcs pour tranfporter les 'mat. tóandifes indiennes & chinoifes a travers toute Pétendue de leur empire, partie par Ie moyen des rivières navigables, dans quelque port de Ia Bal-  HOTES ET ECIiAlRCISSEMENgi Jï' Baltique , d'oü elles puffent être diftiibuées dans* chaque partie de 1'Europe (Ramulio, Recueil des* voyages. vol. I. p. 37+- Ce plan trop vaste pour que le monarque, alors"' fur le tröne de Ia RuiTie.püt le mettre a exécution^ devint pratieable par les conquêtes de Bafilotfitiv & le génie de Pierre-le-Grand. Quoique les capi-' tales des deux empires fuiTent fituées a l'immenfe: diftance de fix mille trois eens foixante dix-huitmiles 1'ime de 1'autre, & que Ia route, a* travers un5 défert inhabité, parcouroit un efpace de plus de' quatre eens mihts (Voyage de Heil. vol. li, p.i'ó7)'> les caravanes voyageoient de Petersbourg aTékin.11 avoit été ftipulé.Iorfque cette communication fut* établie, que le nombre des perfonnes dans chaque caravane n'excéderoit pas deuxcens. Tous reïtèreiitrenfermés dans les murs d'un Caravanferai pendan! le peu de temps qu'ils paffèrent a Pékin, & il ne leur fut permis de traiter qu'avec un petit nombre de-' marchands a qui on avoit accordé le monopole de" ce commerce; mais, malgré ces entraves & ces précautioos, la vigilance jaloufe avec laquelle le* gouvernement chinois interdit aux-étrangers, tout commercelibreavec fes fujets, prit PaJIarme ,-& 1'ad-' miffion des caravanes ruffes fut auffitót défendue. Après différentes négociations on employa a la fin' un expédient qui aflura les avantages d'un commerce réciproque, (ans-enfreindre les régleiiiens circonfpefts de Ia poüce chinoife. Sur les limites dé* deux empires, on bidt deux peutervilks' D 5  ÏS NOTES ÏT ICL AIJlCISSEMEKS. prefque contigues, 1'une habitée par les Ruft»; & 1'autre par les Chinois. Les fujets de chaque empire portent dans ces villes les prod.u&ions commertables de leur p3ys. Les fourrures, lestoiles, les draps de Iaine,. le cuir & les glacés de la Ruffie font cchangés contre la foie, le coton, le thé, le riz & Jies bijous de la Chine. Quelques régiemens fagesde ir fouveraine placée aujourd'hui fur le tróne de la RufTTe , dont Ie génie eft fupérieur aux maximes étroites de quelques. uns de fes prédéceiTeurs, ont Whdü ce commerce fi floriffsnt, que le produit monte tous les ans au moins è huit eens mille livres fterHngs', & que c'eft Ie feul traric avec Ia Chine qui fefafle prefqu'entièrement par éehange. M. Coxe, dans fes rechetehts fur la Ruffie, a recueilli avec l'atteution& Ie difcernement qui lui font ordinahes, rtout ce qui eft relatif è cette branche de commerce dont la nature & I'étendue étoient peu connues en Europe (CW. 2, 3 Q> 4>). Ce n'eft pas Je feul endroit oü la Ruffie recoive des marchandifes cbinoifes & indiennes. Un fupplément confidérable des une9 & des autres eft apporté par des caravanes de Tartarcs indépendans, a Orembourg fur la rivière du Jaik (Voyage de Palias, tom. I, p. 355)» & i Troizkaia fur Ia rivière d'Obui , & a d'autresplaecs dont je ne fais pas mention. Je fuis entré dans ce long détail relativement a la manière dont ï'es produftions de l'Inde & de Ia Chine font introduites en Ruffie, paree qu'il offre la preuvela plus Jpapjsante qu'il eft poiïbie de tranfporffr par terrs  nö ïes ET e C L i I e C I S S e M E if Sr 8'J des marchandifes cor.fidérables a une trés - giaiidedjftance. NOTE LIII. Sect. iv. p. 218. L,e feul voyage des découvertes dans I Océan A'r> lantique, vers le Sud, qui ait été entrepris par sw cun des peuples commercans des cötes de la Médt-tenanée, ■ eft celui d'Hannon, ordonné par la république de Carthage. La pofition de cette ville,. beaucoup plus voifine du détroit de Gibraltar que' Tyr, Alexandrie & les autres places de commercedont j'ai fait mention, lui donnoit plus defaeilité' pour entier dans 1'Océan, Cettecirconftance réunie aux divers établiffemens que les Carthaginois avoient faits en différentes provinces d'Efpagne, leur fuggéra natureliement cette entreprife, & leur' préfehta dans le fuccès des avantagts confidéiables. Le voyage d'Hannon , loin de détruire f parolt confirmer ia jufteffe des raifons qui j'ai données & pour lefquelles de femblables tentatives n'ont pas été faites par d'autres peuples commeisanï lians la Méditerranée. NOTE LIV. Sect. iv. p. «20. (Quoique les auteurs éclairés que j'ai cités aierif regardé comme fabuleux ce voyage des Phéniciens', Hérodote en rappone une circonftance qui. femble prouver qu'il a été réeflement entrepris. ,, Les „ Phéniciens, dit-ii, affirinoient qu'en navrant' „ autour de 1'Afrique, ils avoient Ie foleil & leur „ droite,. ce qui ne parolt pas croyabie, tjuoiqus  84 NOTES ET ECLAIRCISSEMEN3. „ d'autres aient paru le croire." (lib. iv, c. 41.5 II eft certain que cela doit être arrivé , s'ils ont réellement fait un tel voycge. La fcience de 1'aflronomie cependant étoit fi imparfaite dans ces premiers temps que 1'expérience feule pouvoit avoir donné aux Phéniciens la connoilTance de ce fait ; ils n'auroient pas ofé fans cela affirmer ce qui au* noit paru une fiétion dénuée de vraifemblance; même après leur rapport,. Hérodote en doutoiti, NOTE LV. Sect. iv. p. 231. fy\ algré les demandes multipliées pour ks pro* duetions de l'Inde, on remarque qne pendant Ie feizième fiècle quelques marchandifes-, qui font aujourd'hui les principaux articles d'importation de 1'Oiicnt, étoient ou entièrement inconnues, oude peu de valeur; Lethé, dontPimpo.rtation excède de beaucoup celle de toutes les autres produétions de POrient, n'a été d'un ufage général pendant tout un fiècle, dans aucun pays de 1'Europe; même pendant c-e court efpace, par quelque caprice fingulier du goüt, ou par 1'empire de la mode, Pinfufion d'une feuille apportée des extrémités les plus élofgnées de Ia. terre, & dont 1'éloge le plus grand peutêtre qu'on puiffe en faire, eft de dire qu'elle n'eft pas malfaifante, eft devenue prefque une néceffité de Ia vie dans plufieurs parties de 1'Europe, & cette paffion a pafTé.dans toutes les claffes de Ia fociété , dèpuis les plus hauts ïan^s jufqu'aux derniers. En 17,85' „ on calcula que. toute la quantité dé. thé  SÜOTES II ECLAIRCISSEM2NS. franfp'brtée de Chine en Europe, étoit de dix-neuf millions de livres, dont on conjecture que douze mfllions furent confomrnés dans fa Grande • Breta'gne & dans les pofTefiïons qui en dépendent. QAnnmi Begifter deDoisley peut 1784. éjf 1785,?. 156). La porcelaine de la Chine, qai eft maintenantaufiicoirw rnane dans plufieurs parties de 1'Europe, que fi eller étoit le produit de leurs propres manufaclures, n'étoit pas connue des anciens. Mare • Paul eft 1c premier parmi les modernes qui en faiTe inentten* Les Portugais commencèrent a 1'importer peu ds temps après leur premier voyage a la Chine (A. Dv 151?..)} mais un temps confidérable s'écoula avanfr que 1'ufage en devint commun.  APPEND I X. ■CO Voyez I, Partie, p, 2, J'essayerai maintenant de remplir 1'en. g^gement que j'ai pris (1), de faire quelques obfcrvations fur le génie, les mceurs «Sc les ioftitutions du peuple de 1'Inde, autant qu'on peut les décrire depuis les temps les plus anciens auxquels s'étend Ia connoilTance que nous en avons. Si j'entrois dans cette vafte carrière avec l'intention d'en parcourir toute J'cfpace, fi je confldérois fous fes différens afpedls chaque objet qui s'offre è I'cci! curi* eux du philofophe, il faudroit m'enfoDcer dans un examen & des fpéculations non - feulement d'une étendue immenfe, mais encore étrangers a mon fujet. Je boinerai donc mes recherches & mes réflexions è ce qui eft int", mément lié au deflein de eet ouvrage. Je recueillerai les fairs que* les anciens nous ont tranfmis concernant les inflitutions pardculières aux peuples de l'Inde, & en les comparant avec ce que nous connoiflbns de cette contrée, j'en tirerai des concluflons propres è faire refibrtir les circonftacces qui ont irarté Ie refte du genre humain dans tous les  APPENDIX. 87 temps a y établir des relations d'une li grande étendue. L'hiftoire nous fournït des preuves frappantes de ce commerce dës les périodes les plus recuiés. Non-feulement les peuples voifins de l'Inde, mais les nations éloignées paroiffent avoir été inftruits des avantagcsdu commerce, & les avoir tellement appréciés, que pour fe les procurer ils entreprirent des \oysges fatigaas, coüteux & dangereux. Lorfque les hommes donnent une préférence décidée aux marchandifes de quelque contrée, on doit 1'attribuer, foit a des productions naturelles de grand prix propres au fol & au climat, foit a des progrès fupérieurs que fes habitans ont faits dans 1'induftrie, les arts & Je luxe. Ce c'eft pas è une excellence particuliere aux produétions naturelles de l'Inde, que 1'on doit attribuer eotièrement Ja prédileétion des nations anciennes pour fes marchandifes; car, excepté le poivre, objet affez important, elles différent peu de celles des autres concrées du Tropique ; & 1'Ethio» pie & 1'Arabie ont amplementfourni aux Phéniciens & aux autres peuples de 1'antiquité, les parfums, les pierres précieufes, 1'or & 5'argent qui faifoient les principaux anicles. de leur commerce.  33 k P P E N D I X. Ainfi ,■ qurcontjue défire de fuivre le comJnerce avecllade jusqu'è fa fource, doic cor> fulter pour cela, non pas tant toutes les particularités naturelles des produclions dece pays, que les grands progrès de fes habitans vers la perfedtion civile, Plufieurs faits nous ont été tranfmis, qui,examinésfcrupuleufement, démontrent clairement que les peuples de l'Inde furent non feulement très-anciennement Givilifés, mais qu'ils ont fait dans la civilifation de plus grands progrès qu'aucun autre peuple. J'effayerai de raconter ces faits en dé* tail, & de les placer dans un tel point de vue qu'üs puilTenï fervir également è répandre du jour fur les inflitutions, les mceurs & lesarts des Indiens, & a favorifer rempreffement de toutes les nations è s'emparer des produétions de leur ingénieufe induftrie. Les anciens écrivains payens placoient les Indiens parmi ces races d'hommes qu'ils nomrïioient Autochtones ou Aborigènes, qu'ils regardoient comme eafans du fol, & dont on ne pouvoit découvrir 1'origine CO* Les écrivains facrés célèbrent avant tout la fageffe de l'Orient, expreffion qui annonce les progrès extraordinaires des peuples de cette par- Diod» Sicil, lib. u, p. iji,-  Appendix. tic du monde dans les fciences & dans les arts (i). Pour éclaircir & confirmer ces témoigna* gés forme/s concernant 1'aDcienne & grande civiJifation des habitans de 1'Inde, j'exami. Derai leur rang & leur corjdition comme individus, leur politique civile, leurs loix & leur procédure judiciaire, leurs arts utiles éi agréables, leurs fciences & leurs inftitutions religieufes, autant qu'il eft poiïilsle de s'en mftruire par les écrits des Grecs & des Ro. mains, comparés avec ce qui refte encore de leurs anciennes inftitutions. I. D'après les plus anciennes defcriptioni de l'Inde, nous favons que la diftinction des rangs & la féparation des profeflions y étoient particulièrement établies. C'eft une des preuves convaincantes d'une fociété confidérablement avancée dans fes progrès. Les arts dans les premières fcènes de la vie fociale font en fi petit nombre & fi fimples, que chaque homme les poffède tous affez pour fatisfaire a toutes les demandes de fes défirs limités. Un fauvage peut faconner fon are, aiguifer fes fiêches, élever fa hutte ék creufer fon cacot fans recourir h Paide d'aucune main plus C'J liv. d.s Rois , ïv, 31.  PO APPENDIX. habile que la ilenne (i); mais lorfque le temps a multiplié les befoins des hommes, les productions de 1'art fe compliquent tellement dans leur forme, ou deviennent fi recherchées dans leur fabrique , qu'un cours particulier d'éducation eftnéceflaire pour former-Panilte a 1'eiprit de 1'invention & a l'habileté de 1'exécution. A proportion que le rafinemcnt s'étend, la diftinction des profeflions s'accroit, & fepartage en des iubdivifions plus nombreufes & plus petites. Avant les monumens de l'hiftoire authentique, & même avant 1'ère la plus reculée è laquelle leurs propres traditions puiflent atteindre, cette féparation des profeffions a non-feulemenc eu lieu parmi les peuples de l'Inde,mais fa durée a dté affurée par une inftitution que 1'on doit confidérer comme 1'article fondamental dans le fyflême de leur poiitique, Le corps entier du peuple étoit divifé en quatre ordres ou caftes. Les membres de la première, regardée comme facrée, avoient ea partage 1'érude de fes fonótions & la culture des fciences. Ils étoient les prêtres, les inftituteurs & les phiiofophes de la nation. Les membres du fecond ordre étoient chargés du (i) Hiü. <ïe l'Améf. vol. in» p. 1^5.  APPENDIX. gouvernement & de la défeofe de 1'étar. En temps de paix, ils étoient fes condu&eurs & fes magiftrats; en temps de guerre, ils étoientles foldatsquilivroientles batallles. La troifième cafte étoit compofée d'agricukeurs & de marchands; & la quatrième d'artifans, de labouieurs & de domeftiques. Aucun iadividu ne pouvoic jamais qultter fa cafte ni être admis dans une autre CiX L'état de chaque individu eft fixé d'une manière inaltérable; fa deftinée eft irrévocable, & pendant fa vie il doit parcourir la route qui lui eft. marquée, fans pouvoir jamais s'en écarter. Cette ligne de féparation eft non • feulement tracée par autorité civile, mais confirméeiSc fanctionnée par la religion. On dit que cha» . que ordre ou cafte tient fon origine de la divioité d'une manière 11 differente que 1'on regarderoit comme un acte de la plus monftrueufe impiété , de les mêler oa de les confondre (2). Ce n'eft pas feulement entre ces quatre tribus que ces barrières infurmontables ont été placées; les membres de chaque cafte font encore invariablement atta- CO Aywn Ackbery, fti, 81, &c. Effais relatifs » 1'liiftoiie, &c. . E4  104. A P P E N D XX. tendcnt que Je gouvernement des nations devroit être conduit, comme un des plus grands efforts de la fagefTe humaice. Sous Une forme de gouvernement qui donne tant d'attention a tous les différens ordres de la fociété & particulièrement aux laboureurs, il n'efl pas étonnant que les anciens aient repréfenté les Indiens comme J'efpèce Ia plus heureufe des hommes , & que les obfervateurs modernes les plus éclairés aient célébré 1'équité , I'humanité & la douceur de la police indienne. Un Rajah Indien, comme m'en ont informé des perfonnes bien au fait de 1'état de l'Inde, refTemble plus è un fère, chef d'une nombreufe familie compofée de fes propres enfans, qu'è un fouverain commandant a des inférieurs foumis a fon empire. II tache d'afTurer leur bonheur par fa vigi. lante follicitude: ils lui font attachés avec Ia plus tendre tffection & la plus inviolable fidéüté. Nous pouvons difficilement concevoir que des hommes foient placés dans un état plus favorable a leur procurer tous les avantages d'une union fociale. C'eft. feulement lorfque 1'efprit eft parfaitement è fon aife & n'éprouve ni ne redoute l'oppreffion, qu'il employé fes facultés actives a formtr de nombreox règlemens de police, pour aiTu*  & P P Ë N D' ï XV ïo^ alTurer fes jouiffances & les'augrnentef.- Les5 Grecs,quoiqu'accoutumés a leurs inftitutions tf alors les plus parfaites de 1'Europe, obfervoient & admiroient plufieurs règlemensfem-' blabes des Indiens, & les citoient comme des1 preuves d'une grande perfection dans lacivilifation. Ii y avoit chez les Indiens trois claffesï diftinctes d^officiers, dont 1'une étoit chargée' d'infpecter 1'agriculture & toute efpèce de" travail rural. Ils mefuroient les portions de: terre Iouées è chaque fermier; ils avoient la; garde des tanks ou réfervoirs publics d'eau qui, fans une diftribution réglée, n'auroic pu fertilifer les campagnes fous un climat brülanr. Ils tracoient la route des grands cbemins, Ie long defquels, è certaine diftance, ils élevoient des bornes pourmefurerl'étendue & diriger les voyageurs (i> L'infpection de la police dans les villes étoit confiée aux officiers de la feconde claffe, dont les fonc> tions étoient ordiuairement multipliées & variées: je n'eji détaiilerai que quelques. unes.lis préparoient les maifons pour les étrangers t protégoient ceux-ci, pourvoyoieht a leur" fubfiftance;& s'ils éprouvoient quelque indifpofition, on leur donnoit des médecins pouf (ï) ^oyez note 5.. Ê5  106 APPENDIX. les foigner. S'ils mouroient, non ■ feulement ils étoient enfevelis avec décence, mais.on fe chargeoit de leurs effets qu'on rendoit a leurs parens. Les mêines officiers tcnoiepc des regiftfes exacts des naiffances &des morts. Ils viötoient les marchés publics & villtoienc les poids & les mefures. La troifième claffe d'officiers avoit l'infpection du département militaire, mais comme les objets qui les occupoient font étrangers a mes recherches, il eft inutile que j'entre dans aucun détail CO- Comme les mceurs & coutumes de l'Inde fe fuccèient prefque fans interruption d'age en age, plufieurs des inftitutions particulières dont j'ai fait 1'énumération fubfiftent encore. lis donnent encore la même attention è la conftrudlion ou confervation des réfervoirs, a la diftribution de leurs eaux. La direclion des chemins, 1'emplacement des fcornes eft toujours un objet de police. Les shouliries ou maifons baties pour la commodité des voyageurs, font fréquentes dans toute la contrée, & font les monumens utiles autant que nobles de la munificence & de 1'humanité des Indiens. C'eft feulement chez Ci) Strab. lib. xy. p. 1034. A. &e. Dtocl. Sic. iib.ïJ. 1».  APPENDIX. 2CJ les nations Jes plus policées, & fous les mei!» leures formes de gouvernement que nous découvrons des inftitutions femblables è celles que j'ai décrites, & plufieurs peuples ont fait de grands progrès, fans avoir des établiffemens de police auffi parfaits. III. En appréciantles progrès qu'une Dation a faits dans la civilifation, 1'objet qui mérite le plus grand degré d'at ten tion après fa confiitution politique, eff I'efprit de fes loix tS la nature des formes par lefqueiles les procédures judiciaires y lont régiée?. Dans les Éges ümples & g"ofï]ers d'une fociété naiffante, les débats fur ia propriété font peu fréquens & terminés par 1'interpofition des vieillards ou per 1'autorité des chefs dar» chaque petite tribu ou communauté. Leurs décifions font dictées feulement par leur fagelTe, & fondées fur les maximes claires & évidentes de Ia juftice. Mais lorfquè Jes démêlés fe multiplient , Jes cas femblables è ceux qui ont été décidés d'abord, peu vent revenir, & les jugemens qui y ont rapport, deviennent infenfiblement des exemples qui fervent a régler les décifions ultérieures. : Ainfi, -long temps avant que la nature de la propriété fut définie par les loix pofitive», ou que quelques régies faflent prefexites pour E 6  1©8 A P P E N O I x. l'acquérir ou la tranfporter è un autre, ils'eft formé fucc*ffivernent dans chaque étac un corps de coutumes ou de loix communes pour diriger la procédure judiciaire, & chaque déciüon s'y conforme avec refpedt, comme nn réfulrat de Ja fagefle & de Texpérience accumulées des &ges. Telle paroït avoir été I'adminiflration de Ja juftice dans linde, lorfque Jes Européens y arrivèrent pour la première fois, Quoique les Indiens, felon leur reJation, n'aient pas éctk de loix , mais qu'ils aient déterminé chaque point litigieux en recueillant les décifions antérieures CO,ils afllirentque la juftice (étoit rendue parmi eux avec la plus grande tExaflitude , & que les crimes étoient trè» févêrement punis C2> Cette obfervation générale renferme tous Jes éclairciffernecs que les anciens nous donnent de la nature & de Ia forme de la procédure judiciaire dans l'Inde, Du temps de Mégafthène on n'a aucune obfervation qui prouve que les Grecs & les Romains aient réfidé aflez Jong-temps dans Ie pays, ou aient été aflez inftruits des mceurs ëes. Indiens, pour être a même d'entrer dans CO Strab. lib. xv. 1035. D. CO Diod. Sic lib 11. p. 154.  APPENDIX. 105 aucun détail relatif è ce point il important de leur police. Heureufement les recherches exaétes & étendues des modernes fuppléent amplement au défaut de leurs obfervations. Dans 1'efrace prefque de trois fiècles, le nombre des émigrans européens dans 1'Iüde a été confidérable. Plufieurs de ceux qui y font refiés long-temps, & qui joignoient da génie a une éducation foignée, ont vécu dans tne familiarité fi grande avec les naturels, & ont acquis une connoilTance fi étendue de leur langue, qu'ils fe font rendus capables d'obferver leurs inftitutions avec attention, & de les décrke avec fidéliré. Quelque refpeclable que foit leur autorité, dans les remarques qui ferviront k éclaircir la procédure judiciaire des Indiens, je ne m'y arrêterai pas uniquement, mais je tirerai mes obfervations de fources plus certaines & plus pures. Vers le milieu du feizième fiècle, Mber VI, defcendant de Tamerlan, monta fur le tróne de 1'lndoftan. C'eft un des petits fouverains qui fut décoré du titre & de grand & de bon, le feul de la race mahométane dont 1'ame parolt s*être tellcmeat élevée au-deftus des faux préjugés de la religion fanatique dans laquelle il étoit nourri, qu'il fut capable de former un plan digce d'un monarque aimant fon peaE* 7  IfO APPENDIX-. pie & jaloux de ie rendre heureux. Comme dans chaque province de fes vaftes domaines, les Indiens formoient le corps prfhcipal de fes fujets, il travailla è acquérir une parfaite connoilTance de leur religion, de leurs fciences.de leurs loix & de leurs inftitutions, afin de pouvoir conduire chaque partie de fon gouvernement de Ia manière Ia plus conforme è leurs idéés (i). Cette entreprife hardie fut fecondée avec zèle par fon vizir Abul Fazel, miniftre dont 1'intelligence n'étoit pas moins éclairée que celle de fon maïcre. Par leurs recherches affiducs & la confultation des hommes favans ( 2 ) , une inftruótion fuffifante mit Abül-jFa^l en état de publier un abrégé faccinci de la jurifprudencedes Indiens dans 1'Ayeen-Akbéry C3), qui peut être regardë comme ]a première communication fidelle qui ait été faite de fes principes è des perfonnes d'une religion différente. Environ deux cents ans après, J'exemple d'Akber fut imité & furpaftë parM. Haftings, gouverneur général des établifTemens anglois dans l'Inde. Par fon autorité & fous fon infpeólion, les Ci) Voyez no-e 6. (2j Ayeen-Altoery. A. vol. in. p. r,5. :CSJ Vol. UI. p.  APPEKUIX. III Pundits les plus confidérables , les Bramices les pius favans dans les loix des provinces qu'il gouvernoit, fuicnt affemblésè Calcucta, & dans le cours de deus ans compilèrenc d'après leurs auteurs les meilieurs & les plus anciens, fentence par fentence, fans rien ajouter ni retrancher, un code encier des loix des Indiens (0> qui eft indubitablement 1'explication de la police & des mceurs indiennes la plus importante & la plus authentique qui jufqu'ici ait été publiée en Europe. Selon les Pundits, quelques écrivains, fur 1'autorité defquels ils fondent les décrets qu'ils onc inférés dans le code, vivoicnt plufieurs millions d'années avant leur temps (2)j & ils fe vantent d'avoir une fucceffion d'interprètes de leurs loix , depuis cette période jufqu'è préfent. Sans entrer dans 1'examen d'une telle extravaganee, nous pouvons tonclure que les Indiens ont en leur pojfiffion des traits concernant les loix & lajurifprudence de leur pays, d'une plus haute antiquité que 1'on n'en trouve dans toute autre nation. Cela efi prouvé, non par leur témoignage feulement, mais il 1'eft Air * tout (i} l'réface du codf, p. X. CO It>id. p. 38.  1IÜ APPENDIX, par une circonftance, que tous ces traités font écrits dans Ia langue Sanskrit, qui n'a été parlée pendant pluöeurs fiècles dans aucune partie de 1'Indoftan, & n'eft maintenant entenduede perfonne, flnon des plus favans Bramines. Que les Indiens fulTent un peuple très civilifé lorfque leurs loix furent compofées, cela eft très-clairement établi par 1'évidence qui frappe dans Ie code lui-même. Chez les nations qui commencent è fortir de la barbarie, les loix réglémentaires font extrêmement fimples, & appliquables feulement a un petit nombre de cas ordinaires & d'un ufage journalier. II faut que les hommes aient été long-tems réunis en état focial: leurs tranfaélions doivent avoir été nombreufes & volumineufes; il faut que les juges ayent fixé une immenfe variété de différends auxquels elles donnent lieu , avant que le fyftême des loix foit aflez étendu & aflez complet pour diriger les formes judiciaires d'une nation fi avancée dans Ia civilifation. Dans le premier fiècle de la république romaine, lorfque les loix des douze tables furent promulguées, rien n'étoit plus néceflaire que les injonctions laconiques qu'elles contiencent pour régler les décifions des cours de' Juftice, mais dans une période de temps plu»  APPENDIX. 113 rapprochée, le corps de loix civiles auffi ample que les articles qu'il renferme, étoic. a peine fuffifant pour JedelTein que 1'on s'étoit propofé. Le code indien ne refiemble pas a la concifion févère des douze tables; mais en confidérant le nombre & la variété des objets qu'il embraiTe, il peut foutenir une comparaifon avec le célébre digefte de Juftinien, ou avec lesfyftêmes ce jurifprudence des nations les plus civrifées. Les articles qui compofent le code indien font arrangés dans un ordre naturel & lumineux. lis font nombreux & étendus, & analyfés avec cette attention & ce difcernement de détail naturels è un peuple diftingué pour la fagacité & Ia fubtilité de 1'intelligence, longtemps habitué a rexadtrtude des formes judiciaires & exercé è tous les rafinemens de la pratique légale. Les décifions fur chaque point è peu d'exceptions prés, occafionnées par les préjugés locaux & les coutumes particulières, font fondées fur les grands & immuables principes de juftice que les hommes reconnoiffent & refpedtent dans tous les ages & dans toutes les parties de la terre. Quiconque examine le travail en entier, ne peut douter qu'il ne renferme la jurifprudence d'un peuple commergant & éclairé. Quiconque cor>  U4 appendix. fidère chaque titre particulier fera furpris de la petitefle des détails , de l'exadïitude des diftindtions, qui, dans plufleurs exemples, paroiflent aller au-dela de 1'attention de la légiflation européenne. C'eft même une chofe remarquable que la plupart des regiemens qui indiquent le plus grand degré de perfeclion civile, aient été établis dans les périodes de la plus haute antiquité. „ Dans le „ premier traité de Ia loi facrée (comme Va „ obfervé une perfonne è qui la littérature », oriëntale dans toutes fes branches a .'eu da „ grandes obligations), les Indiens fuppofenc „ que Ménu leur a révélé, il y a quelques j, millions d'années, un paffage curieux fur „ 1'intérêt légal de-1'argent & fur fon taux j, ümité en différens cas, avec une excep„ tion relative aux entreprifes maricimes, „ exception que Ie jugement de toutes les „ nations approuve, & que le commerce „ exige abfolument, qaoique ce ne fut que „ fous le règne de Charles I que notre jurif„ prudence anglaife 1'ait admis en entier par „ rapport aux eonventions maritimes (i). " Quoique les habitans de l'Inde aient écé re- Ci) Troifième difconrs , Reoherclies afiariqties de Gulllamne Jones« p. 448.  APPINDIX. II5 nommés dans tous'les temps pour la douceur & rhumanité de leur caractère, il eft bien remarquable que les peïnes qu'ils inrligent aux crïminels (conformément a une obfervation des anciens dont on a déja fait men tion) , foient extrêmement rigoureufes. „ Le chaj, timent perfonnifié d'uue manière frappante ,, dans le code indien , eft le magiftrdt-,. „ l'mfpirateur de la terreur , le prorecteur ,, centre la calamité, le gardien de ceux qui 5, dorment; cbarin-enr. a l'afpect noir, è 1'ceil rouge, époavante Ie coupable (1)." IV. Comme la condition des anciens h";bi~ tans de l'Inde, löic qu'on lesconüdère comme individus ou comme membres en fociété , parolt, d'après la remarque précédente, avoir extrêmement favorifé la culture des arts agréables & utiles, nous fommes portés naturellement a examiner fi les progrès qu'ils y ont faits étoient tels qu'on devoit 1'attendre d'un peuple dans cette fituation. En elTayant de fuivre ces progrès, nous n'avons pas 1'avantage d'un guide égal è celui qui cdnduifoit nos recherches concernant les premiers articles. Les anciens, par leur peu de ralation avec 1'intérieur de l'Inde, n'ont pu commu- (z) Cotte, ch, xxi, paragraphQ S.  116 APPENDir. niquerque quelques inftruöions relativement aux arts qu'on y cultivoie. Quoique les modernes, lorfqu'ils continuèrent leur commerce avec 1'Inde pendant trois cent ans aient eu les moyens de J'obferver avec plus d attentie*, c'eft feulement depuis peu, qu'en étudiant les Janguesque 1'on parle aujourd'hui & que Ion parloit autrefois dans l'Inde, en confultant& traduifant leurs auteurs les plus célébres, ils ont commencé è faire les recherches qui conduifent avec certitude è la connoilTance de 1'état des arts cultivés da» cette contrée. Un des premiers arts que 1'induftrie humaine sefforca de perfedtionner, au-dela de ce quexige la ftricle néceffité, fut celui de 1'arcbiteéture. Les produöions de 1'art, formées pour les befoins communs de la vie fe détrui. fent &périlTent par 1'ufage; mais les ouvrages deflinés è 1'avantage de la poftérité fub. uitent pendant des fiècles; & c'eft d'après la manière dont ils font exécutés, que nous jugeons du degré de puiflance, d'habileté & deperfeétion qu'avoient atteint les peuples qui les ont exécutés. Dans chaque partie de linde on trouve des monumens d'une haute antiquité. Ils font de deux efpèces: ceux qui étoient. confacrés aux offices de Ia religioa  A P 9 E N D I X. & les forterefles bSties pour la füreré du pays. Dans les premières de ces conftructions, auxquelles les Européens , quelleque foit leur forme, donnent le nom général de pagodes, on remarque une diverfité de ftyle qui annonce & la.marche graduelle de J'arcbitecture, & jete du jour fur 1'état général des arts & des mceurs en différentes périodes. Les pagodes les plus anciennes paroifTent n'avoir été que des excavations dans les parties montagneufes du pays, formées probablement è 1'imitation des cavernes naturelles oü les premiers habitaos de la terre fe retiroient en füreté durant la nuit, & 0& ils trouvoient un abri contre la rigueur des faifons. La plus célébre, & comme il eft raifonnable de le croire, la plus ancienne de toutes celles-ci eft la pagode de 1'fle Eléphanta, a peu de diftance de Bombay. Elle a été taillée è mains d'homme, dans un rocher maffif 4 moitié chemin d'une haute montagne, & for. mée dans une aire fpacieufe de prés'de cent vingt pieds carrés. Pour fupporter le toft & le poids de la montagne, on a tiré du même roe un nombre de piliers maffifs d'une forme aflez élégante, è des diftances fi régulières que la première entrëe offre è 1'ceil du fpec. tateur une apparence ie beauté & de folidité*  Il8 APPENDIX. Une grande partie de i'intérieur eft remplie de figures humsines en reliëf, d'une taille i gigantefque, de formes flngulières & ornéc d'une variété de fymboles , repréfentant, probablement, les attributs des divinités que ks Indiens adoroient , ou les aclions des I héros qu'ils admiroient. Dans J'ile de Salfette, encore plus prés de Bombay, il y a des excavatiors femblables, peu inférieures en magnificence, Sc deftinées aux mêmes vues religieufes. Ces ouvrages étonnans font d'une fi haute gntiquité, que les naturels nepeuvent, foit par 1'hiftoire, foit par la tradition, donner i aucun renfeigneraent fh-t le temps auquel ris furent exécutés; ils en attribuent la conftruc- f tion généralement è des êtres fupérieurs. Par 1'étendue & la grandeur de ces demeures fouterraines, que les voyageurs éclairés comparent aux plus célébres monumens de la puiffance & de 1'induflrie humaine , dans aucune partie de la terre, il eft manifefte qu'ils ne pouvoient avoir été faits dans cette fcéne de la vie fociale , oh les hommes, toujours partagés en petites tribus , n'étoient point accoutumés aux efforts de 1'induflrie perfévérante. C'eft feulement dans les états d'une étendue confidérable, & chez des peu-  APPENDIX. HO pies habitués è Ia fubordination & a agir de concert, que 1'on ccncoit 1'idée d'ouvrages auffi magnifiques & que 1'on trouve la faculte i de les ex écu ter. Que des états auffi puiffans aient été éta- blis iors de ces excavations dans les iies d'EI léphanta & de la Salfette, ce n'eft pas Ia feule conféquence que 1'on doive tirer de leur 'I infpection ; le ftyle des fculptures qui les j ome , annonce un progrès confidérable de | Part dans cette première période. La fculpture i eft Part imitatif dans lequel 1'homme paroit avoir fait le premier effai de fes talens. Mais, i même dans ces contrées oü elle a acteint le plus haut degré de perfeélion, fes progrès ont été extrêmement lents. Quiconque a fait i attention a 1'hifioire de eet art dans la Grèce, fait combien les premiers eflais pour repréI fenter la figure humaine étoient loin d'en re- tracer tous les traits; mais les différens grou: pes de figures qui font reftés entiers dans Ia ] pagode d'Eléphanta, quelque peu de cas i qu'on en faffe, fi on Jes compare avec les oui vrages les plus élégants des artiftes grecs ou i même étrufques, font exécutés dans un ftyle très-fupérieur è Ja manière Jourde & fans ex- preffion des Egypciens, ou des figures du fa. meux palais de Perfépolis. C'eft ainfi qu'en  320 APPENDIX. ont jugé des perfonnes fuffifamment inftruires pour apprécier leur mérite, & d'après différens deffins, paniculièrement ceux de Niebuhr, voyageur auffi exact dans fes obfervations que fidelle dans fes defcriptions, nous pouvons former une opinion favorable de 1'état des arts dans l'Inde a cette période. C'eft une remarque digne d'attention, que la plupart des figures qu'on voit dans les cavernes d'Elephanta font fi différentes de celles qui font aujourd'hui expofées dans les pagodes comme objet de vénération, que quelques favans Européens ont imaginé qu'elles repréfentoient les rites d'une religion plus ancienne que celle qui eft maintenant établie dans PIndoftan; cependant les Indiens euxmêmes confidèrent ces cavernes comme des places deftinées è leur culte, & s'y retirent encore pour accompl;r leurs dévotions; ils y honorent les figures qui y font, de la même manière que celles de leurs pagodes. Pour confirmer ceci, une peTfonne éclairée qui vifitoit ce fanctuaire fouterrain en 1782, m'a dit qu'il étoit accompagné par un Bramine intelligent, natif de Benarès, qui, quoiqu'il n'y füt jamais venu auparavant, connoiffoit très-bien la parenté, 3'éducation & la vie de chaque divinité ou figure humaine qui y étoit  APPENDIX. 121 reprcTentée&expIiquoit couramment la fignificaticn des divers fymboles par lefquels les images étoient diftinguées. On doit confidércr ce témoignage comme une preuvè que le fyftême de mythologie mainterjanc en vigueur è Benarès ne différe pas de celui qui eiï figuré dans les cavernes d'Eléphanta. M. Hunter qui vifita Eléphanta en 1784, paroic confidérer les figures comme repréfentant les divinités qui font encore des objets de culte chez les Indiens (1) Une circonftance fert h confirmer la juftefle de cette opinion. La plupart des perfonnages les plus confidérables dans les groupes d'Eléphanta, font décorés du Zennar, ou cordon facré, particulier a 1'ordre des Bramines, témoignage authentique que la diftincTion des caftes étoit établie dans l'Inde, lorfque ces ouvrages furent achevés. 2. Au lieu de cavernes, places primitives du cuke, qui ne pouvoient être conftruites que dans des endroits particuliers, la dé vatton du peuple commenga bientót è élever des temples è 1'hanneur de leurs divinités dans des autres parties de l'Inde. Leur ftructure fut d'abord extrêmement fimple. Cé- CO Archajötogia, vol. vu. p. a86, &c. II. Part. F  Ï22 APPENDIX. toient des pyramides d'une large dimenfion, qui n'avoient de jour que celui qui venoit d'une petite porte. Les Indiens habitués depuis longtemps a accomplir tous Jes rites reügieux dans 1'obfcurité des cavernes, étoient naturellement portés a regarder les ténèbres profondes de ces demeures comme facrées. II y a encore dans 1'Indoftan quelques pagodes dans ce premier ftyle d'architecture. M. Hod»es Ci) a Publié les deffins de deUX dC celles-ci prés de Diogur, & dlune troifième, voifinedu Taojaour dans le Carnate, édifices d'une grande antiquité, fi vaües, quoique d'une conftruttion grofiière, qu'il a fallu la puilTance d'un état confidérable pour les Élever. 3. A mefure que les différentes contrées de linde s'enrichirent & fe perfedtionnèrent, ■la ftrucTure de leurs temples s'améliora graduellement. De batimens fimples, ils devinrent des édifices très-ornés, & ils font, tant par leur étendue que par leur magnificence, des monumens du goüt & de la puilTance du peuple qui les a érigés. II y a en différentes parties de 1'Indoftan des pagodes d'une grande antiquité & dans un ftyle trés-fini, li) No. vii  APPENDIX. 123 particuliérement dans Jes provinces da Sud qui n'étoient point expofées è Ja viojence deftrucTive du zèle mahométan Pour aider mes lecteurs a fe former une idéé de ces édifices qui les mette en état de juger du premier état des arts dans l'Inde, j'en décrirai fuccintement deux, dont nous avons les détails les plus exacts. La pagode de Chillambrum prés de Porto Novo fur la cóte de Coromandel, en grande vénération par fon antiquité , a une porte magnifique fur une piramide de cent vingt-deux pieds de haut, bitie avec de larges pierres de plus de qua. rante pieds de long, & au-dela de cinq pieds do-tour, le tout couvert de Iames de cuivre, & orné d'une imrnenfe variété de figures habilement exécutées. L'édifice entier a neuf cent trente.deux pieds d'un cóté, & neuf cent trente-fix de 1'autre: plufieurs parties décorées d'ornemens font aclievées avec une élégance qui fait 1'admiration des artiftes les plus habiles Q2). La pagodede Seringham, fupérieure en fainteté è celle de Chiliarnbrum, la furpafle encore de beaucoup en grandeur ; & je puis heureufement en donner une idéé 'i) Voyez Note 7. (2) Mémoires de littérature, torn. xxxi. p. 4i, j puiflent les zéphirs propices parfunier les  Ij8 APPENDIX. „ airs fur fon paffage de la pouiïïère odori„ férante des fleurs! puiffenc les réfervoirs „ d'une eau limpide, verdoyant des feuilles „ du lotos, la rafraichir dans fa marche; & puiflent les branches des arbres, par leur „ ombrage, Ia défendre des rayons brülans „ du foleil!" Sacontala è peine fortie du bocage fe tourne vers Cana: „ permets-moi, ó pèrevénérable, „ de confacrer ce mad'havi, dont les fleurs „ rouges femblenc embrafer ce bocage." — Cana. „ Mon enfant, je connois ton ,, affeclion pour eet arbriffeau." — Sacontala. ,, O la plus radieufe des „ plantes, recDis mes embraffemens, & rends„ les moi avec tes bras flexibles! quoiqu'éloi„ gnée de toi,je te ferai toujours dévouée. — „ Opère cbérijconfidère cette plante comme moi-même!" A mefure qu'elle s'avance, elle s'adreffe encore a Cana: ,, ö mon père! „ lorfque cette gazelle, qui maintenant mar„ che lentement, è caufe du poids des petits „ dont elle eft pleine, aura mis bas, envoie„ moi, je t'en fupplie , un doux meffage „ avec des nou vel les de fa fanté. — Ne Tou- blie pa*." — Cana. „ Ma bien aimée! je t, ne l'oublie»ai pas." Sacontala (VarrêtanrJ Ah! Qu'eft-ce qui s'attache aux pansdema  APPENDIX. 139 „ robe & me retient ? " — Cana. „ C'eft ton ,, enfant adoptif, ]e petit Faon, dont la „ bouche bleffée en broutant les pointes „ aiguës du cufa, a été il fouvent frottée „ par toi de 1'huile falutaire d'Ingudi; que „ tu as nourri tant de fois d'une poignée „ de graines de Sumac, & qui maintenant ,, ne veut pas abandoener les traces de fa „ protectrice." — Sacont. ,, Pourquoi gérais-tu, tendre „ Faon, è caufe de moi qui dois quitter notre ?■ commune demeure? Je t'élevai, lorfque tu n e"s perdu ta mère, qui mourut auffi-tót „ après tanaiffance; mon père nourricier te ,, fervira de même & avec des foins auffi „ tendres quand nous ferons féparés. — Re„ tourne, pauvre petit, retourne! — Nous ,, allons partir." (Elle fond en larmes). Cana. „ Tes lermes, mon enfant, font déplacées dans cette occaflon. Aies du „ courage; vois la route droite devant toi, „ & fuis - Ia. Quand Ia groffe Jarme fe cache ,, au-deflbus de tes beaux yeux abattus, que „ ta réfolution réprime fes premiers effbrts ,, pour fe dégager. Dans ton paffage fur „ cette terre, oü les fentiers font tanfdc „ hauts, tantót bas, & oü le vrai fentier eft ,i rarement diftingué, les traces de tes pieds  14° APPENDIX. „.doivent être inégales,mais la vertu te diri„ gera daas le vrai chemin (i)." Tout Lecleur de borj goüc doit être, ce me femble, fatisfait de eet échantillon du drame indien. Ce ne peut être que chez un peuple qui a des mceurs policées & des fentimens déiicars, qu'une compofition fi fimple & fi correcte a pu être produite & goütée. J'obferve dans ce drame une preuve de 1'abfurde extravagance fi fréquente dans la poéfieorientale. Le monarque, en replacant un bracelet qui étoit tombé du bras de Sacontala, lui parle ainfi: „ Regarde, ma bien aimée, c'eft „ la nouvelle lune qui a quitté Ie firmament 5, pour honorer une beauté fupérieure; elle „ eft defcendue fur fon bras enchanteur, & a „ réuni des croiffans è 1'entour pour former ,, un bracelet (2):" voila le difcours d'un jeune homme tranfporté pour fa maftrelle;& a tout age, & chez toutes les nations, on doit attendre un éloge exagéré de Ia bouche de tous les amans. Les repréfentationsdramatiques paroifient avoir été 1'amufement favori des Indiens, aufii bien que des autres nations civilifées. „ Les tragédies, les comédies, les CO Ati. iv, p. 47, &c. (23 A«a, in, p. 36.  APPENDIX. 14.Ï „ farces «Sc les pièces de mufique du thékue „ indien rempliroient tout autant de volumes „ que celles d'aucun peuple de 1'Europe an„ cien ou moderne. Elles font toutes en „ vers lorfque le dialogue eft élevé, & en „ profe quand il eft familier;les grands & les „ favans fonr repréfentés parlant Ie pur fanf„ crit & les femmesle pracrit.qui n'eft guère ,, que Ie langage des Bramines adouciparune „ articulation délicate jufqu'a la douceur de „ PI taliën ; les perfonnages inférieurs du drame emploient les dialeótes vulgaires des „ différentes provinces qu'ils font fuppofés „ habiter (1)." V. Les progrès des Indiens dans les fciences, fourniffent de nouvelles preuves de leur antique civüifarjon. Tous ceux qui ont vifité Pinde dans les temps anciens & modernes, penfent que fes habitans, foit dans les affaires domefliques, foit dans la conduite des affaires politiques, n'ost été inférieurs è aucun autre peuple en fagacité, en pénétration d'efprït, ou en induftrie. De 1'application de ces talens a la culture des fciences, on pouvoit attendre un degré extraordinaire d'avancement. Auffi (ij Préface de Sacontala, par M. Guillaume Jones, pag. jx, Voyez note ixe.  142 APPENDIX. les Indiens ont-ils été autrefois célèbres par leurs connoiiTances; & quelques-uns des plus éminens philofophes de la Grèce, qui avoient voyagé dans l'Inde, y avoient puifé une partie des lumières qui ont fait leur réputation (i). Les détails, cependant, que les Grecs & les Romains nous ont laiUés fur les fciences qui fixoient particulièrement 1'attention des philofophes Indiens & des découvertes qu'ils y avoient faites , font trés imparfaits. Nous fommes redevables d'une connoilTance plus ample & plus authenn'que aux recherches d'un petit nombre de perfonnes éclairées, qui ont vifité l'Inde durant le cours des trois deruiers fiècles. Mais attendu la répugnance avec laquelle les Bramines communiquent leurs connoiiTances aux étrangers, & le peu de moyens qu'avoient les Européens pour s'en infiruire plus a fond, puifque,femblables aux myltères de leur religion, elles font cachées aux yeux du vulgaire, dans une langue inconnue, cette connoilTance ne s'acquit que lentement & avec grande difficulté. Cependant la même obfervation que j'ai faite fur nos lumières relativement a 1'état des beaux-arts chez les Indiens, efi applicable è celle de leurs (i) Brucker, hift. philofoph., vol. i, pag. 190*  APPENDIX. 143 progrès dans la philofophie; & notre fiècle eft le premier qui ait eu des lumières fufflfantes pour établir un jugement décillf fur 1'état de 1'un & 1'autre objet. La philofophie , en 1'envifageant comme féparée de la religion, que je me réfervc de confidérer ailleurs, eft employée a contenv pier foit les opérations de 1'entendement, foit 1'exercicè de nos facultés morales, foit la nature & les qualités des objets extérieurs. La première claffe eft a pelée logique , Ia feconde morale, Ia tro fième phyfique ou connoilTance de la nature: pour juger des plus anciens progrès des Indiens dans la culture de chacune de ces fciences, nous poflëdons des faits qui font dignes d'attention. Mais avant de les confidérer, il convient d'examiner les idéés des Bramines par rapport a 1'efprit en lui-même,car II celles-ci n'étoient pas juftes, toutes leurs théories concernant fes opérations feroient erronées'& illufoires. La diflincTion entre la matière & 1'efprit paroit avoir été anciennement connue des philofophesde 1'Inde,- ils attribuoient k 1'efprit plufieurs facultés, dont ils jugeoient que la matièrerétoit incapable; & lorfque nous nous lappellons combien fur chaque objet qui ne tombe pas fous nos fens, nos conceptions  144 APPENBIX. font imparfaites, nous pouvons affirmer (en ayant égard a une notion particuliere des Indiens, que nous expliquerons par la fuite) qu'aucune defcription de 1'ame humaine n'eft plus conforme a !a digoité de la nature que celle qu'en a donnée 1'autêur du Mahabarat. Quelques-uns (dit-il) regardent 1'ame comme une merveille; d'autres en entendent parler avec étonnement; mais perfonne ne la connofr. L'épée ne la divife pas, le feu ne la brüle pas, 1'eau ne la corrompt pas; Ie vent ne la delTèche pas; car elle eft indivjfible, indeftrucr.ible, incorruptible, éternelle, univerfeüe, permanente, immuable, invifible, inconcevable & inaltérable (i) Après eet examen des fentimens des Bramines touchant 1'ame eHe-même, nous pouvons paffer è la comVóration de leurs idéés par rapport è chacure des fciences dont j'ai faitmention, felon cette triple divifion. i°. Logique & métaphyfique. II n'y a point de fujet qui ait plus exercé 1'intelligenee humaine que 1'ónalyfe de fes opérations. Les diflïrentes facultés de 1'efprit ont été examinées & définies. L'on a fuivi 1'origine & les \ pro- £.1) BJghvat geéla, pag. 37.  APPENDIX". prcgTès de cos idéés, & Ton a prefcric des fèg'.es convenables pour procéder de 1'obfervacion des faits a rétabliiTement des principes, ou de la connoilTance des principes aux moyens de former des fyltêraes de fcience. Les pbilofophes de Tancienne Grèce furent trés • célèbres par leurs progrès dans ces fpéculations abftraites; & dans leurs difcuflions & leurs fyftêmes, ils découvrirenc une li graade profondeur de penfée, tant de fagacité & de pénétration, que leurs fyflêmes de logique, furtout celui de 1'école péripatéticienne, ont été regardés comme lesefforts les plus frappans de la raifon humaine. Depuis que nous fommes inftruits a quelques égards de la littérature & de Ia fcience des Indiens, nous favons qu'auffitót que les hommes arrivent a ce période de la vie fociale oh ils peuvent tourner leur attention vers les recherches fpéculatives, 1'efprit humain dans chaque" région de la terre déploie è-peu prés les mêmes facultés, & procédé dans fes recherches & fes découvertes prefque par la même marche. D'après 1'abrégé de Ia philofophie (i) des Indiens qu'Abulfazel compofa, comme il nous Papprend, en s'affociant intimément avec les plus favans hom* (i; Ayeeu Akbéry, vol, nu p. 95, &c. //. Part. G  I4<5 APPENDIX. mes de Ia Dation; d'après l'effai de difcuffions logiques, rcnfermé dans cette portion du Shalter, publié par le colonel Dow (i), & d'après pluüeurs paflages dans le BaghvatGeeta, il paroit que les mêmes fpéculations qui occupèrent les philofophes de la Gièce, avoient fixé 1'attention des Bramines indiens, & que les théories des premiers, concernaot les qualités des objets extérieurs oü la nature de nos propres idéés n'étoient pas plus ingénieufes que cclks des derniers. Les uns & les autres fe diftingjent par l'exactkude des définitions, lafagaeité des d ftmcTions & la fubtilitédu raifonnement; dans tous le même excès de rafinement qui fit enrreprendre d'analyfer ces opérations de 1'efprit au deffus des forces de 1'intelligeDce humaine, conduiflt quelquefois a des conclufions fauffes & dangereufes. Cette philofophie fceptique qui nie 1'exiüence du monde matériel , & affirme qu'il n'y a de réel que nos propres idéés, paroit avoir été connue dans l'Inde comme en Europe (2); & les fages de l'Orient, en même temps qu'ils furent redevables a Ia philofophie de la connoilTance de pluüeurs CO DhTertation, p. S9, &c. "(■') Aysen-Akbery, vol. in. p. 12?.  APPENDIX. tyjg \ vérités importantes, De furent pas plus : exempts que ceux de 1'Occident de fes illu» ; fions & de fes erreurs. 2". Morale. Cette fcience, qui apoar obi jet d'établir ce qui diftingue la vertu du vice, de découvrir quels motifs portent 1'homme a agir, & de prefcrire des régies pour Ia conduite de la vie, étant de toutes les fciences la plus intéreffante, paroit avoir profondément occupé I'attention des Bramines. Leurs fentimens étoient trés divers fur les différentes queftions; &, comme les pbilofophes de Ia Grèce, les Bramines furent divifés en i fectes diftinguées par des maximes & des opii nions fouvent diamétralemenn oppofées. La. I fecle, dont heureufement nous connoilTons i mieux les opinions, a établi un fyftême de morale, fondé fur des principes les plus généreux, & élevé è tout ce que Ia raifon toute ! feule eft capable de découvrir Ils enfeignèrent que 1'homme n'étoit pas formé pour la fpéculation ou 1'indolence, mais pour 1'ac| tion. II n'eft pas né pour lui feul, mais pour 8 fes femblables. Le bonheur de la fociété dont lil eft membre, & Pavanrage du genre- hu«|main font fes plus importans objets. Cboifir ce qu'il faut préféter ou rejeter, Ia juöeüe p la convenance de fon choix font les feules G z  148 APPENDIX. eonfidérations auxquelles il devroit faire attention. Les événemens qui peuvent réfulter de fes aftions ne font pas en fon pouvoir, & foit qu'ils foient heureux ou malheureux, dès qu'il eft fatisfait de la pureté des motifs j qui déterminèrent h agir, il peut jouir de cette approbation de fon ame, qui conftitue 1 le vrai bonheur, indépendant du pouvoir de ia fortune ou des opinions. „ L'homme (dit j ■ 1'auteur du Mahabarat) nejouit pas de la iiberté d'adtion. Tout homme eft involon- 1 " tairement preffé d'agir par des principes i, qui font inhérents a fa nature. Celui qui | " reftreint fes facultés adtives, &fixe Patten- ■ ' tion de fon ame aux objets de fes fens, peut être appelé une ame qui fe détourne du vrai chemin. L'homme louable eft celui j \ qui , ayant fubjugué toutes fes paffions, 1 ! iemplit avec fes facultés adtives toutes j " les fondlions de la vie fans s'embarraffer i ]l de 1'événement (i). Que le motif foit dans *' 1'adte & non dans. 1'événement. Que ton' ** aQion n'ait point pour motif 1'efpoir de la " récompenfe. Que ta vie ne fe pafte pas l „ dans rinaétion. Sois appliqué, remplis ton ; " devoir, abandonne toute penfée des fuites, I fO B»ghv«-Geet*, p. 44-  APPKÏfD'IX* 140 „ & ne t'embarrafle pas de 1'événement, foie „ qu'il fe termine en bien ou en mal; car „ une telle égalité eft. appelée yog, c'eft. a* „ dire, attention a ce qui eft fpirituel. Cher* j, che donc un afyle dans la fagefle feule; „ car le miférable & le malheureux dépen' „ dent des événemens des chofes. Les hom* „ mes qui font doués de la vraie fagefle font „ indifFérens au bien ou au mal dans ce mon,, de. Etudie-toi donc è obtenir cette appli* ,, cation de ton intelligence; car une telle „ application en affaire eft un art précieux. Les hommes fages, qui ont abandonné „ toute vue de 1'utilité produite par leurs ,, actions, font libres des chaïnes de la vie, & vont aux régions du bonheur éter» „ nel (!) ". Par ces paffages Sc d'autres que j'aurois pu citer, nous favons que les doctrines particulières de 1'école ftoïcienne étoient enfeignées dans l'Inde plufieurs fiècles avant Ia naiflance de Zénon, & inculquées avec un foin per. fuafif prefque ferablable a celle d'Epiclète t cc ce n'eft pas fans étonnement que nous voyonsles opinions de cette philofophie mêle & aélive qui paroic être formée feulement (t) Ibid, p. 4c.  IJO A P P E N O I X, pour des hommes de 1'efprit Ie plus fort, prefcrite comme régie de conduite a une race de peuple plus diftinguée par la douceur de fon caraclère que par 1'élevation de fon ame. 3°. Phyfique. Dans toutes les fciences qui contribuent è étendre notre connoilTance de la nature, dans les mathématiques, dans la mécanique & l'aftronomie, 1'arithmétique eft d'un ufage élémentaire. Dans quelque contrée donc que ce foit, fi nous trouvons que Ton a denné aux progrès de Tariihmétique une attention aflez grande pour rendre fes opérations plus aifées & plus correétes, nous pouvons préfumer que les fciences qui en dépendent ont atteint un degré fupérieur de perfeclion. Nous voyons dans Tin de les progrès de cette fcience, lorfque cliez les Grecs & les Romains, le feul moyen employé pour la nota tion des nombres étoit les lettres de 1'alphabet, ce qui néceflairement rendoit le calcul arithmétique extrêmement ennuyeux & Iaborieux. Les Indiens avoient de tems imméraorial employé dans la même vue les dix chiffres, ou figures aujourd'hui connus univerfellement, & par leur moyen formoient chaque opération d'arithmétique avec la plus gtaDde facilité & Ia plus grande promptjrude. Par Theureufe invention de doneer une diffé-  APPENDIX. 151 rente valeur k chaque figure,fe!on leur changement de place, on n'a befoin que de dix figures dans les calculs les plus compliqués & de la plus grande étendue, & 1'arithmétique eft laplus parfaite de toutes les fcience?. Les Arabes , peu de tems après leur établiffement enEfpagne, introduifirent cette mode de notation en Europe, & eurent la franchife d'avouer qu'ils en avoient tiré la connoilTance des Indien?. Quoique les avantages de cette forme de notation foient grands & frappans, cependant le genre hamain adopte fi lentementrles iDventions nouvelles, que Tufage en fut pour quelque tems réfervé aux favans; par degrés, cependant, les hommes d'affaires abandonrèrent la première méthode embarrafiame de calculer par lettres , & Ta< rithmétique indienne devint d'un ufage général dans toute 1'Europe CO- Ll!e eft maintenant fi familière & fi fimple, que Tinduftrie du peuple a qui nous devons cette inventiou eft moins confidérée & moins célébrée qu'elle ne le mérite. L'aflronomie des Indiens eft une autre preuve de leurs progrès extraordinaires dans la fcieBce. L'attention & le fuccès avec lef- Ci) Montucla, Hift. des Matham.. tom. 1. p. 3C0, &c. G4  i5r2 appendix. quels ils étudièrent les mouvemens des corps céleftes, furent fi peu connus des Grecs & des Romains, qu'ils n'en font mention qu'a peine, & très-légèrement (i). Mais auffitót que les Mahométans établirent un commerce avec les naturels de l'Inde, ils obfervèrent & célébrèreDt leur fupériorité dans la fcience aftronomique. Parmi les Européens qui vifirèrent l'Inde après que la communication avee elle par le cap de Bonne • Efpérance fut découverte, M- Bernier, voyageur philofophe & curieux, fut un des premiers qui enfeigna que les Indiens s'étoient long-temps appliqués a 1'étude de 1'aftronomie, &y avoient fait des progrès confidérables (2). Cette inftruction, cependant, parolt avoir été trés-générale & trcs-imparfaite. Nous fommes redevables des premières preuves fcientifiques du grand progrès des IndieDs dans la fcience aftronomique, a M. de la Loubère, qui, è fon retour de fon ambaffade a Siam, apporta avec lui un extrait d'un MS. Siamois, qui renferrr.oit des tables & des régies pour calculer les tables du foleil & de la lune. La ma- (.1) Strabon, lib.xv.p. ie.47. x. A. Dim. Perieg. V. 1173. O) Voyages, tom. 11, p. 145, &c.  APPENDIX» J55f man'ère dont ces tables étoient conftruites, rendoient les principes fur lefquels ellesétoienff fonrlées extrêmement obfcurs, & il falloit m commentateur auffi verfé dans le ealcul aftronomique que le célèbre Caffini pour exp^ quer le fens de ce fragment curieux, L'épo* que des tables fiamoifes correfpond au 2f cto mars l'an de N. S. 638. Une autre colleftioff des tables fut apportóe de Chrisnabourarrr, dans le Carnatique, & 1'époque réponcf as IO de mars, l'an de J. C. 1491. Un troifièaw MS. des tables vint de Narfapour&fon épr> que ne s'étendoit pas au dela de l'an deN. Sv 1569. Le quatrième & le plus complee 3 été publié par M. le Gentil, a qui elles furent commuaiquées par un Bramine éclairé de Tirvalour, petite ville fur la cóte de Cöw romandcl, deux milles environ a 1'Oueft de? Négapatam. L'époque de ces tables eft de Iaplus haute antiquité & coïncide avec le eommencement de 1'ère célèbre de Caliougha'flï eu Colly-Jogue, qui commenca, felon ïe ealcul indien, trois mil cent deux ans avant la naiflaocede J. C. (1) Ces quatre recueils de tables ont été exs minés & comparés- par M, Bailly, qui paf Cj) Voyez Note X, Os  154 APPENDIX", un bc-Dheur ilngulier de génie, fait unir è un dégré d'éloquence peu commun ]es recherches patientes de i'aftronome & Jes profondes idéés d'un géomècre. Ses calculs ont été vérifiés, & fes raifonnemens ont été éclaircis & développés par M. Playfair dans une diflertation trés-favante, publiée dans le fecond volume des Tranfactions de la iociété royale d'Edirabourg. Au lieu d'entreprendre de les fuivre dans des raifonnemens & des calculs qui, de leur nature, font fouvent abllraits & difficiles, je me contcnterai d'en donner un appercu général tel qu'il convient a un ouvrage populaire. Ceci, j'ef; ère, peut donDer une idéé fuffifacte de ce qui a été publié concernant raftronomie de l'Inde, fujet trop curieux & trop important pour être omis'dans un expofé de 1'état des fciences dans ce pays; & fgns prononcer aucun jugement, je laifferai Chacun de mes LecTeurs former fa propre opinion. On peut corfidérer comme un réfultat général de toutes les recherches, les raifonnemens & les calculs fur 1'aftronomie indisnne, qui aient été publiés jufqu'ici, que le mouvement des corps céleftes, & plus particu^èrement lesr fituation au cornmencemenc  APPENDIX. I55 des différentes époques auxquelles les quatre recueils de tables fe rapporcent, font établis „ avec une grande exactitude, & que plu„ fieurs des élémens de leurs Calculs , parti5, cu'ièrement pour les fiècles très-éloignés, font vérifiés par une étonnante conformité „ avec les tables de i'EiVonomie moderne d2 „ 1'Europe , perfcaionnées par les plus ré- centes & les plus délicates dédudtions de ,, la théorie de la gravitadon ". Ces conclufions deviennent fur tout intérclfantes par la preuve qu'elles fournilTent d'un progrès dm3 la fcience, fans exemple dans l'hiftoire d's nstions ignorantes. Les Bramines indiens qui diftribuent annuellement une efpèce d'almanach, contenant les prédiétions aftronomiques de quelques-uns des phénoménes les plus reaiarquables dans les cieux , tels que les lunes, pleines & nouvelles, les éclipfes du foleil & de la lune, font en poiTefiion de certaines méthodes de ealcul qui, d'après l'examen, pféfentent un fjüême trés étendu de fcience aftronomique. M. le Gentil, aftronome francois, a eu 3'occafion d'obferver dans Finale deux éclipfes de lune qui avoient été calcu'.ées par un Eramine, & il trouva que 1'erreur dans chicane é:oit très-peu confidérable. G 6  IJÖ APPENDIX. L'exaflitude de ces réfultats eft moins furprenante que Ja juftcfle & la préciflon phjlq. fophique des principes fur Iefquels font conftruites les tables dont ils fe fervent dans leurs calculs; c3r la méthode de prédire les éclipfes, fuivie par les Bramines, eft d'une nature tout è fait différente de celles que les nations ignorantes ont empioyées dans Penfance de raftronomie. En Cbaldée, & même en Grèce, dans les premiers ages, Ia méthode de calculer les éclipfes étoit fundée fur 1'obfervan'on d'une certaine période ou d'un cycle, après, lequel les éclipfes du foleil & de la lune reviennent prefque dans Ie même ordre ; mais on n'avoit pas entrepris d'analyfer les différentes circonftances dont 1'éclipfe dépend, ou de déduire les phénomènes d'une corroiffance précifedes mouvemens du foleil & de Ia lune. Cette dernière connoiflance étoit réfervée è une période plus reculée , lorfque la géométrie, auffi bien que I'arithmétique, furent appelées au fecours de 1'aftronomie;& fi on 1'a efiayée,il paroït qu'elle ne I'a pas été avec fuccès avant 1'êge d'Hipparque. C'eft une méthode de genre fupérieur, fondée fur les principes & fur une analyfe des mouvemens du foleil & de la lune, qui guide les calculs des Bramines, & jamais  APPENDIX. 157 ils c'emploient aucune de ces eftimations groflièrcs, qui furent cependant la gloire des premiers aftroncmes en Egypte & dans la Chaldée. Les Bramines acTuels font guidés dans leurs calculs par ces principes, quoiqu'jls ne les entendent plus aujourd'hui, ils connoiflent feulement 1'ufage des tables qui font en leur polfeffion ; mais ils ignorent la méthode de leur conftrucTion. Le Bramine qui vifita M. le Gentil a Pondichéri, & qui 1'inftruifit dans 1'ufage des tables indiennes, n'avoit pas Ja connoilTance des prircipes de fon art, & ne montra aucune curiofité fur la nature des obfervations que faifoit M. le Gentil, ou des inftrumens qu'il employoit. II étoit également ignorant fur Jes auteurs de ces tables; & i! faut tirer des tables elles mémes tout ce qu'on doit apprendre du tems & du lieu de leur conftrucTioD. Le recueil qu'on a de ces tables (comme 0n 1'a obfervé d'abord) annonce qu'il eft auffi ancien que le commeccement du Caliougham, ou qu'il remonte a 1'année 3102 avant l'ère chrétienne ; mais comme rien (on peut du moins Ie fuppofer) n'eft plus aifé pour un aftronome que de donner è ces tables la date qui lui plait, & par des calculs rétrogrades d'établir une époque G 7  ïjg APPENDIX. fixe d'. nti: aité, les prétentions de Faftronotnïe inaienne k une origine fi reculée ne doivent pas être admiles fan? examen. M. Bailly a Jr.nc fait eet examen; & il réfulte de fes recherches, que l'aftronomie de Pinde eft fondée fur des obfervations qui ne remontent pas au-delè de- ia période dont je -viens de parler. Car les tables indiennes repréfentent 1'état des cieux è cecre période avec une étonnante exactitude ; & entr'elles & les calculs de notre aftronomie moderne, il y a une telle conformité, par rapport: k ces Sges, que Pon ne pourroit en rien conclure,finon que les auteurs de ces tables oat exactement copié d'après nature, & qu'ils ont tracé véritablement la figure des cieux au fiècle oh ils vivoient. Afin de donner quelqu'idée du fingulier degré d'exactitude des tables indiennes , j'en choifirai quelques exemples parmi un grand nombre que jc pourrois rapporter. Le lieu du foleil pour Pépoque aftronomique au commencement du Caliougham, tel qu'il eft marqué dans les tables de Tirvalour, n'eft que de 47 minutes plus grand que d'après les tables de M. de la Caille, corrigées par les calculs de M. de la G range. Le lieu de la lune, dans les mêmes tables, pour la même époque, diffèrc feulement de  A r t i n d i x. j59 37 minutes des tables de Mayer. Les tables de Ptoiémce, pour cette époque, ne s'écartent pas de moins de dix dc-rés, par rapport au lieu du foleil & de onze degrés par rapport a celui de la lune. L'accélération du mouvement de la lune, en comptant du commencement du Caliougham jufqu'au tems préfent, s'accorde, dans les tables indiennes avec celles de Mayerk uneminute prés. L'iné' galhé du mouvement du foleil &J'obliquité de 1'écliptique, qui étoient 1'une & 1'autre plus grandes dans les premiers fiècles qu'atrjourd'hui, telles qu'elles font repréfentées dans les tables de Trivalour, font prefque de la quantité précife que la théorie de la gravitation leur affigne, favoir.de trois mille ans avant 1'ère chrétienne. C'eft donc pour ces fiècles trés reculés, è cinq mille ans de diftance environ du nötre, que leur aftronomie eft trés-exacte; & plus nous approchons de nos tems, plusla conformité de leurs réfultats avec les nótres diminue. ff par0fc raifonnable de fuppofer, que je tems oü leurs régies font ie plus exaftes, eft Je tems oü furent faites les obfervations fur JefqueJIes ces régies font fondées. A 1'appui de cette conclufion, M. BailJy foutient qu'aucun de tous les fyftêmes aftro-  J<5o APPENDIX. nomiques de la Grèce, de la Perje & de Ia Tartavie, de quelques-uns defquels on pourroit foupgonner que les tables indiennes ont été copiées, ne peut s'accorder avec elles, particulièremeDt lorfque nous portons nos calculs dans des fiècles trés ■ éloignés. La grande perfeQion des tables indiennes devient toujours plus frappante a mefure que nous remontons dans 1'antiquité. Ceci montre auffi combien il eft difficilede conftruire des tables aftronomiques , qui s'accordent avec 1'état des cieux pour une période fiéloignée du tems oü ces tables furent conftruites, comme de quatre ou cinq mille ans. C'eft feulement de 1'aftronomie dans fon état plus perfecTionné, tel qu'on y eft parvenu daDs 1'Europe moderne, que 1'on doitattendre une telle exactitude. Quand on eflaye d'apprécier 1'habileté géométrique nécefiaire a Ia conftruction des tables & des régies indiennes, on voit qu'elle eft trés-confidérable; outre la connoilTance de Ia géométrie élémentaire , on a été obligé de recourir è la trigonométrie fphérique & recTiligne, ou a quelque chofe d'équivalenr, avec certaines métbodes d'approximation pour les quantités des grandeurs géométriques, qui paroifient s'élever bien au-delèdes élémens de cbacune de ces fciences. Quel-  APPEKDIX. I6i ques-unes de ces dernières méthodes marquent aufli trés - clairement (obfervation qui a échappé k M. Bailly), que les lieux auxquelles ces tables font adaptées, doivent être fitués entre les tropiques, paree qu'elles font sbfolument inapplicables a une plus grande diftance de 1'équateur. La conclufion qui femble réfulter d'abord de cette longue induclion, eft que 1'aftronomie indienne eft fondée fur Jes obfervations qui ont été faites dans un tems trés • ancien . & quand nous confidérons 1'exadte conformité des lieux qu'ils afïïgnent au foleil & a Ia lune & aux autres corps céleftes, h cette époque, avec celles qui réfultent des tables de MM. de Ia Caille& Mayer, elle confirme d'une manière frappante la vérité de la thèfe que j'ai entrepris d'établir, concernant 1'antiquité & la perfedtion de la civilifation dans Pinde. Avant que je quitte ce fujet, il y a unecirconftance qui mérite une attention particulière. Toute la connoilTance que nous avons acquife jufqu'a ce jour des principes & des réfultats de Faftronomie indienne, vient de la partie méridionale du Carnatique, & les tables font adaptées aux lieux fitués entre Je méridien du cap Comorin, & celui qui tra-  162 APPENDIX. verfela partie oriëntale da Ceylan (i). Les Bramines, dans le Carfiatiguë, reconn'oiiïent que leur fcience de 1'aftrocomie venoit' da Nord, & que leur méthode de ealcul eft appelée Fakiam, ou nouvelle, pour la diftia* guer du Sidddntam , ou de i'ancienne méthode établie è Bénarès, qu'ils avouent être beaucoup plus parfaire ; & nous app enons d'Abul - Fazel, que tous les aftronomes de 1'Indoftan fe repofent entièrerrient fur les préceptes renfermés dans un livre appelé Soorei Sudhant, compöfé a une époque trésreculée (2). C'eft: manifeftement de ce livre qu'eft prife la mé;hode a :laquelle les Bramines du Sud ont donné le nom de Siddantam. Bénarès a été de tems immémorial 1'Athènes de l'Inde, 'la réfldence des Bramines les plus éclairés, Cc en même tems je féjour de la fcience & de la littérature. II eft trés. probable qu'on y retrouveroit encore tout ce qui rede de 1'aDcienne fcience aftronomique & des découvertes des Bramines (3) dans un Cl) Bsilly, Difc. prélim. p. xvn. f2) Aveen Akbéry, p. 8. C3) M. Bernicr. dans 1'année if>58, vit a Bénarès Ont g nde fallerempliedelivres despliilofophes indiens-, des phyficieus & des poëtes. Vol. II, p, 148.  mm APPENDIX. I63 fiècle & chez une nattoa éclairée & duran: un règne diftingué par imv fucceffion d'entreprifes ks plus éclatante? & les plus heureufes pour étendre Sa connoffiknce de la nature; c'eft un objet digne de Patténtion publique que de prendre- des mefirres pour obtenir Ia pofieffion de tout ce q;re le tems a refpedté de la philofophie & des inventions des peuples de l'Orient les plus anciennement & les mieux civilifés. C'eft avec des avantages paniculiers que la Grande- Bretagne peut s'engager dans cette louable entre* prife. Bénarès eft fous fa domination; lacon* fiance des Bramines a été obtehue au point de les rendre communicatifs ; quelques-uns de nos concitoyens font familiers avec cette langue facrée, dans laquelle font écrits les myftères & de la religion & de Ia fcience; le mouvement & Padtivité ont été donnés è Fefpric de recherche dans tous lesétabüfiemens anglois dans l'Inde. Ceux qui ont vifité cette contrée avec d'autres vues, quoiqu'engagés dans des occupations d'une efpèce-trés différente, poürfuivent maintenant avec ardeur & avec fuccès les recherches littéraires &fcientifiques. L'adminiftration de 1'empire anglois n'auroit donc plus qu'a charger de ce t-ravail quelqu'un ca; pable par fes calens & fon zèle de recherche?  164 AFPENDIX» avec foin & d'expliquer les parties les plus abftraites de la philofophie indienne, en dévouant tout fon tems è eet important objet. Ainfi , 1'Angleterre pourroit fe procurer la gloire d'examiner pleinement ce vafle champ de fcience inconnue, que les académiciens francois ont eu le mérite d'ouvrir les premiers aux peuples de 1'Europe (i). VI. La derniere preuve évidente que je rap. porterai de 1'ancienne & grande civilifation des Indiens, eft déduite de la confidération de leurs opinions & de leurs pratiques religieufes. Les inftitutions religieufes, publiquement établies dans toutes ces vaftes contrées qui s'étendent depuis les rives de l'lndus jufqu'au cap Comorin, offrent è Ia vue un afpect prefque femblable. Elles formeat un fyftême complet & régulier de fuperftitions, fortifié & foutenu de tout ce qui peut exciter le refpecT & aflarer 1'attachement du peuple. Les temples , confacrés a leurs divinités, font magnifiques & ornés non-feulement de riches oftrandes, mais des ouvrages les plus exquis en peinture & en fculpture que les artiftes les plus eftimés parmi eux étoient capables d'exécuter. Les cérémonies de leur culte font pompeufes & (i) Voyez note XI.  APPENDIX. 165 briilantes; & on ne les employé pas feulement daDS toutes les tranfatTions de la vie commune, mais elles en conltituent encore une partie effentielle. Les Bramines, qui comme miniftres de la religion préfident k toutes fes fonótions, font élevés au-delfus de tous les autres ordres de citoyens par une origine , eftimée non-feulement la plus noble , mais reconnue comme facrée. Ils ont établi parmi eux une hiérarchie régulière & une gradation de rangs, qui en alfurant la prééminence è leur ordre, ajoute du poids a leur autorité, & leur donne un empire abfolu fur 1'efprit du peuple. Cet empire, ils le foutiennent par Padminiftration des immenfes revcnus , dont la libéralité des princes & le zèle des pélerins & des dévots ont enrichi leurs pagodes (O* Je fuis loin de vouloir entrer dans tous les détails de ce fyftéme compliqué de fuperftition. Pour dénombrer la multitude des divinités qui font des objets d'adoration dans l'Inde; pour décrire la fplendeur du culte dans les pagodes & 1'immenfe variété de rites & de cérémonies ; pour raconter les attributs divers & les fonótions que 1'adrefle des prêtres, ou la crédulité du peuple, ont donnés k leurs di- (0 Roger, Porte ouverte, p, 39, 4.09, &c.  1(56 APPENDIX'. vinités, fur • tout s'il falioit accompagner tout cela de 1'exameu des fpéculations nombreufes & fouvent faDtaftiques & des théories des lettres fur ce fujet , il faudroit un ouvrage d'une grande étendue. Je me bornerai doDC fur ceei, comme fur quelques-uns des premiers chapitres, au point précis que j'ai eu conitamment en vue; & en confidérant 1'état de la religion dans l'Inde, je n'entreprertdrai pas feulement de jeter un nouveau jour fur 1'état de civilifation oü étoit ce pays; mais je me flatte qu'en même tems je ferai en état de donner ce que 1'on peut confidérer comme une efquiiTe & un précis de l'hilloire & des progrès de la fuperftition & de la faufie religion dans chaque région de ia terre. I. Nous pouvons obferver que, dans chaque contrée, la mythologie recue, ou le fyftême de croyance fuperftitieufe, avec tous les rites & les cérémonies qu'elle prefcrit, eft toujours formée dans Penfance des fociétés, dans des tems gfofiiers & baibares. La religion diffèrede la fuperftition autant par fon origine que par fa nature. La première eft le produit de la raifon perfeclionnée par la fcience; c'eft dacs les fiècles de lumières qu'elle atteint è la perfection. L'ignorance & la crainte donnent naiffince a la feconde; & c'eft toujours dans  APPENDIX. 167 les tems d'ignorance qu'elle acquiert fa plus grande vigueur. Cette bombreufe portion de 1'efpèce humaine, donc le cravail eft le partage, dont la principale, & prefque la feule cccupation eft de fe procurer fa fubfiftance, n'a ni le loifir ni les moyens d'entrer dans ces routes de fpéculations abftraites & fubtiles qui conduifent è la cocnoiflance dg ia rel'gion rationnelle. Quand les pouvoirs, intellecTuels commencetit feulement a fe développer , & que leurs premiers & folies efForts font dirigés vers un petit nombre d'otjecs de première néceffité ; quand les facultés de 1'efprit font encore trop limitées pour pouvoir former des idéés générales & abftraites; quand Ie lang ge eft encore fi pauvre qu'ii manque de termes pour défigner tout ce qui ne tombe pas fous les fens, il feroit étrange d'attendre des hommes qu'ils fuffent en état de démêler les relations entre les effets & leurs caufes, ou de fuppofer qu'ils pourroient s'élever de la contemplation des effets a la découverte des eaufes, & fe former de juftes conceptions d'un Etre fuprême, comme Créateur & Gouverneur de 1'ünivers. L'idée de Créateur eft devenue fi famiüère, partout 1'efprit s'eft étendu par la fcience & éclairé par Ia révélation, que nous concevons difficilement combien  IfJ8 AFPENBir. cette idéé eft profocde & abftraite, & que nous confidérons peu quels progrès l'homme doit avoir faits dans 1'obfervation, avant d'arriver a une connoilTance diftincTe de ce principe élémentaire de la religion. Mais même dans ce premier état d'ignorance, 1'efprit humain , formé pour la religion, eft difpofé a recevoir des idéés qui, lorfqu'elles font enfuite réformées & rafinées , deviennent une grande fource de confolation dans les calamités de la vie. Ces notions cependant font d'abord peu diftindles & embarraifées, & femblent plutót fuggérées par la crainte du mal qu'on redoute , que par la reconnoiflance des biens qu'on a recus. Tandis que la nature fuitfon cours avec une conftante & uniforme régularité, les hommes jouilTent des bienfaits qui en réfultent, fans s'embarrafler d'en rechercher la caufe; mais la moindre déviation de eet ordre régulier ex« cite leur attention & leur étonnement. Lorsqu'il furvient des événemens auxquels ils ne font point accoutumés, ils en cherchent les caufes avec une aétive curioftté. Leur efprit eft fouvent incapable de les découvrir; mais Pimagination, qui tft une facultéplus ardente & plus préfomptueufe, décide alors fans héfiter. Elle attribue a 1'influence d'Etres invi- fi-  APPENDIX, irj£ fibles les phénomènes extraordinaires de Ia nature, & fuppofe que Ie tonnerre, les ouragans, les tremblemens de terre, font 1'efFet immédiat de cette infiuence. Alarmés de ces fléaux, txpofés en même tems k des malheurs & h des dangers inévitables dans un état de fociété ron encore civilifé, les hommes vont chercher une procecTion dans un pouvoir au - deiTus de 1'humain. II eft certain que les premières pratiques ou cérémonies qui ont quelque rapport avec desaélesde religion, ont eu pour objet de détourner des maux qu'ils fouffroient ou qu'ils redoutoient • II. Comme dans tous les pays, la fuperftition & la faufle religion ont leur fource apeu-près dans les mêmes fentimens & les mêmes craintes, ces êtres invifibles, qui font les premiers objets de Ia vénération des hommes, ont par-tout une grande reftemblance. La conception d'une intelligence fupérieure, capable de difpofer & de diriger les diverfes opérations de la nature, femble être fort aadelTus des facultés de l'homme dans les premiers degrés de fes progrès. Ses théories, (i) Dans le fecond volume del'Hiftoire de 1'Amétique, j'ai expofé a-peu-près les mêmes idéés fur Torigine des iaufl'es religions. JL Paru - H  1-0 APPENDIX. plus conformes a la fphère borcée de fon obfervation , ne font pas fi rafinées. Il fuppofe que chaque effet remarquable a une caufe difticcte, & il attribue a une puilTance féparée chaque événement qui attire fon at tenrion ou excite fa terreur. II imagine qu'il y a une divicicé, dont Temploi eft de diriger le tonnerre, & de faire tornber avec un bruit effrayant la foudre irréfltiible fur la tête du coupable ; qu'uce autre divinité, portée fur un tourbülon, élèvè ou calme è fon gré les tempêtes; qu'uce troifième règne fur Tocéan; qu'une quatriene préftde aux .bataiües ; que tandis que des efprits naalfaifans répandent U férnencede la difcorde & de Tanimoftré, & allument dans le fein des hommes ces paflions violentes qui donnent naiffance h. la gueTre èc fe terminent par la deftrudtion, d'autres, d'une flature plus bénigne, infpirent au genre humain la bienveillance & Tamour , refierrenc les noeuds de 1'union fociale, en augmentent le bonheur , & multiplieat le nombre des hommes. Sans entrer dans de plus grands détails, fans effayer de rappeler la mukitude infinie de ces divinités auxquellesTimagination oulacrainte ont ïffigné la diredtion des divers départemens de la riatuie, il eft aifé de reconnoitre uce  APPENDIX. 171 frappante conformité de traits dans les fyftêmes de fuperftition, étabüs fur toutes les parties de la terre. Moins les hommes fe fonc éloigoés de 1'état fauvage, moins ils ont eu de connoilTance des opérations de la nature, moins la lifte de leurs divinités a éré nombreufe «Sc plus leur fymbole théologique a été reflerré. Mais leur efprit s'étant ouvert par degrés, «Sc leurs connoiiTances continuant k s'étendre, Jes objets de leur vénération fefont multipliés & les articles de leur foi font deve. nus plus nombreux. Ce progrès a été remarquable parmi les Grecs en Europe & les Iadiens en Afie ; ces deux peuples qui, dans ces grandes divifions du globe, ont été le plus anciennement civilifés , & fur lefquels, pour ce motif, je bornerai mes obfervations. Ils croyoientqu'unedivinité particulière préfidoit a tous les mouvemens du monde phyfique, <5c a toutes les fonótions de Ia vie domeftique «Sc civile des hammes, même aux plus indifferenites «Sc aux plus triviales. La manière dont i!s 1 diftribuoienc les départemens de ces puiflances : furveillantes «Sc les fonótions qu'ils aftignoienc ii chacune, étoient h beaucoup d'égards les I mêm<ïs chez ces deux peuples. Ce qui étoit } fuppofé, dans la mythologieoccidentale, exéi cuté par le pouvoir de Jupiter, de Neptune,  Ï72 APPENDIX. d'Eole, de Mars, de Vénus, eft attribué dans l'Orient a 1'influence d'Agnée, le dieu du feu; de Varoun, le dieu des mers; de Vayou, le dieu du vent (i); de Cama, le dieu de 1'amour, & de plufieurs autres divinités. L'ignorance & la crédulité humaine ayant ainG peuplé les cieux d'êtres imaginaires, on leur attribua les qualités & les sctions qui paloiffoient conformes è leur caraöère & a leuis fondtions. C'eft un des bienfaics de la vraie religion , qu'en préfentant aux hommes un modèle d'excellence parfaite, qu'ils devoient avoir continuellement fous les yeux & s'ef. forcer d'imiter: on peut dire qu'elle a fait defcendre du Ciel la vertu fur la terre, pour former 1'ame humaine fur un modèle divitv Dans la compofiuon des fyftêmes de fauftè religion, le procédé a été précifément le cortraire. L'homme attribué a ces êtres qu'il a déifiés, les aftiens qu'il admire & loue lu> même. Les qualités de ces dieux, qui font 1'objct du culte, font copiées fur celles de leurs adoiateurs; ainfi 1'on a introduit dans le Ciel les imperfections particulières ó 1'efpèce humaine. En connoiflant les attributs & les aventures d'une faulfe divinité, on peut pre¬ tij Baghvat-Gcera, p. 94»  APPENDIX. 173 I noncer avec quelque certitude quel étoit 1'étac j des mceurs & de Ia civilifaüon des hommes qui l'ont élevée è cette digoité. La mytho: logie des GrecsiDdique clairement lecaractère du fiècle 011 elle s'eft formée. Ce n'a pu être I que dans des rems de licence, d'anarchie, de 1 férocité , qu'on a pu fuppofer des divinités de Ia plus haute clafie, capables de fe livrer è des paffions, ou de fe permettredes actions, qui, dans des tems plus éclairés, auroient été regardées comme déshonorcmes pour Ia nature humaine; lorsque la terre étoit encore irfeftée de monftres deftrudteurs , lorsque les fociétés, fous des formes de gouvernemet £ trop foibles pour leur accorder protccticn , étoient expofées aux déprédations des bri» gands, c'efi alors feulement que les célèbres exploits d'Hercuie, qui l'ont fait élever de la terre au ciel , ont pu être néceffaires, cc obtenir un fi haut degré de gloire. La même obfervation s'applique a Tancienne mythologie de i'Inde. Plufieurs des aventures & des ex» ploits des divinités indiennes ne convienneac qu'a des temsgrofiïers devio'ence & derapine. Ce fut pour réfJnmer le défordre , pour redreller les torts, pour délivrer la terre d'opprelleurs puiffans , q'Je Wbhm 3U , divinité ..du premier rang, s'eft., d«c on, incarné pluH 3  174 APPENDIX. fieuis fois, & a paru fur la terre fous difFirentes formes (i). UI. Le caradtère & les fonótions de ces divinités que la fuperftition fe créa pour en faire les objets de fa vénération , ayant partout beaucoup de conformité, les rites du culte fe reffemb'èrent auffi partout. Seloa que ces divinités étoient diflirrguées ou par la férocité de leur caraélère, ou la licence de leurs mceurs, on juge de Ia nature des fervices qui doivent leur être les plus agréab'es. Pour fe concilier ia faveur ou appaifer la colère des premièreson imagina les jefines, les mortificacions, les pénitences les plus rigoureufes; leurs autels étoient toujours baignés de farg; les viftirnea les plus précieufes étoient immolées; les facrifices humains ne furent pas inconnus; ils étoient même regardés comme les plus puisfantes expiations. Pour obtenir la bienveillance des divinités de la feconde clafie , on eut recours a des inftitutions d'urt autre genre» è des cérémonies pompeufes, è des fêtesbriilantes & gaies, relevées par tous les charmes de Ia poéfie, de la mufique & de la danfe, mais termtnées fouvent par des fcènes d'une licence trop indécente pour en permettre la \i) Voyage de Sonntrat, tom. i, p. jg.8, &c.  APPEND IX. defcription. Les rites des religions grecque & romaitie, orTrent une mulritude d'exemples de ces diverfes pratiques, que je n'ai pas befoin de rappeler aux lccteurs inftruits (1). Le cétémonial de la fuperftition fut a-pcuptès ie même dans 1'örient. Les mceurs des Indiens, quoiqu'eües fulTent, depuis Ie tems ou elles furent connues des peuples de l'Oo cident, diflinguées pour leur douceur, fem'. blent avoir été, dans des tems plus reculés, femblables a celles des autres nations. Pluüeurs de leurs divinités étoient fuppofécs d'un naturel févère &farouche, & étoient repréfentées dans leurs temples fous des formes redoutabies. Si nous ne connoifiions pas 1'empire de la fuperftition fur 1'efprit humain , nous aurions de Ia peine a croire qu'un culte, approprié au caradtère de femblables divinités, eüt jamais pu s'établir chez un peuple de mceurs douces. Tous les adtesde religion, par lefquels ils honoroient leurs dieux, fem* blent avoir été prefcrits par la crainte: ils s'impofèrent des pénitences multipliées, fi rigoureufes, G cruelles & fi prolongécs, qu'on n'en peut lire les détails fans étonnement & fans horreur. Que'que répugnance que mon- (j) Strabo, L. viu, p. 581, A. L, xii, p. 837, C. H 4  1]6 APPENDIX. tfalTerit les Indiens h répandre le fang d'aucure créature vivante , plufieurs animaux , ra'ême les plus utiles, te]s que le cheval & la vache, étoient offerts en facrifice fur les aute's de quelques • unes de leurs" divinités (i) ; «& ce qui eft encore plus écrange-, les pagodes de l'Orient furent fouiüées de facrifices humains (2), comme les temples de 1'Occidcot. Cependant des inftitutions religieufes & des cérémonies d'un genre moins févère, étoient mieux adaptées au génie d'un peuple, que fon extréme fer5 & il eft difficile de dire fi elles outrageoienc plus la décence par leurs géftes ou par les vers qu'elles récitoient. Les murs des psgo» dts étoient couverts de peintures; (O non moins licentieures; & dans 1'intérieur du temple, qu'il y auroit de la profanation a appelcr le farcTuaire, étoit placé le lingam, emblöme de lapuifTance producTive, trop grofTier poöï être fufceptible d'explication (2}. . IV. Quelque abfurdes que pufTent être les dogmes étahlis par la fuperftition , quelque indécens que fufTent les rites qu'eüe prefcrivoit , les premiers furent . adoptés. fcinSiObj<'cTion dans tous les ages & dans tous les pays, par les peuples en maffe; & les ftconds CO Voyez Le Gentil , vol., i , p. ,244. > iöOijf» Pré face du Code des Loix des Genloux, p. 57. (i) Rogcr , Porie ouyerle, p. 157.-*— Sonnerat v vol, 1, 1 p.4is 175. Sketches , p. 1Ö8., Voyage d'.HamiUon,vol.J 1 I v»g- 3/9» ïHj.T  Ijö APPENDIX, furent obfervés avec la plus fcrupuleufe exactitude. En raifonnant fur des opinions & des pratiques religieufes, qui différent beaucoup des rótres, nous fommes expofés a tomber dan» de grandes erreurs. Elevés,. comme nous le Fommes , dans les principes d'une religion» digne en tout de la divine fageffe dont elle eft 1'ouvrage, nous nous étonnons de 1'aveuglement des nations livrées a une croyance qui répugne è la faine raifon;. & nous les foupgocnons quelquefois de ne pas révérer en fe» il lui eft même expreffétnent défendu d'étendre fes connoiiTances. Si un Indien de la Cafte^ de Souder, la plus nombreufe , fans contre-die , des quatre grandes Caftes qui forment" la nation, eft foupconné de lire quelque partie des livres facrés, on toute la fcience dcl'Inde fe trouve renferm.ee, on Ten punit fé^vèrement; & s'il en retient quelque cbofe de mémoire, on lui dotme la mort (i> Le défir" d'en apprendre plus que les Bramines nejugent a propos d'enfeigner , eft taxé d'orgueil y même d'impiété. Lés Caftes les pius relevées" n'ont pas a eet égard des privüéges plus étendus: il faut qu'elles fe bornent a Tinftruc~tion! que les Bramines daignent leur communrquer.Auffi une vénération profónde eft univerfelie-ment accordéc par les Indiens a des inftitutions qu'ils regarctent comme facrées; &<- (1) Code des Cenroux, clmp. 21, paragr. 7,  180 APPENDIX. quoique les Mahométans (i) » ^ 'es °"t conqu's , aient fouvent effayé de leur faire abandonfier leur antique relgion , ils n'oat jjamais pu y réuffir. V. Nous devons remarquer que dans tous les pays, oü les fciences & la philofophie font des progrès, la fuperftition eft bientót attaquée , & perd infenfiblement de fon influenée. Un examen libre eft toujours favorable a Ja vérité, & funefte a I'erreur. Ce qui avoic été adopté avec refpect dans des tems d'ignorance,excite le roéprs & J'indigmtion, quand les efprits font éclairés. Cette vérité nous eft ' confirmée par ce qu'a éprouvé 1'ancienne religion de la G èce & de 1'ltalie, les feules 'contrées de 1'Europe oh les fciences aient .jadis été cultivées. Dès que les progiès de ces fciences rendirent les Grecs capables de connoitre qu'une fageffe bieijfaifante & toute - puiffdnte avoit • créé le monde, le confervoit & le gouver'noit, ils durent fentir que le caradtère im' moral des divinités, offertes è leur vénération dans les temples, ne permettoit pas de regarder ces divinités comme les puiffances (O Fragment d'Oriue, pag.-1:2.- — Sonnerat. vol. i, ; pag. I94«  A ? ? ï tf D l X. Jgl qm régiflbient la nature. Un poëte pouvoit ■chanter Jupiter, comme le père des dieux & des hommes; mais un philofophe devoit avoir en horreur le fiis de Saturne, dont 1'hifloire n'üfrroit, qu'un tiffu d'ECtions licentieufes & crimineiles-, capables de déshonorer ledernier des moreels. Le culce célébré dans les temples étoit auffi révokant pour les Grecs é-claiiés que les vices des dieux auxquels ce culte étoit rendu. Au lieu de pratiques refpectables pour fortirler 1'ame dans l'amour de la vertu, & lui faire fennr toure la dignicé, on n'ocupoit le peuple que de cérémonies fuperftitieufes, de vceix frivoles, de rites licentieux, propres a enflamrner les pasfions & corrompre le cceur. Ce n'eft, cependant, qu'avec précaution, avec crainte même, que les hommes fe hazardent a attaquer la religion de leur pays, & des opinions con facrées par le tems. D'abord les philofophes eflayèrentde démontrer que Ia my t hologie vulgaire n'étoit qu'un ernblêraedes ■ puiffances de la nature & des révoiutions opérées dans le fyftéme du monde matériel; éi par la ils excufoienc un peu 1'abfurdité de cette mythologie.'Enfuite une théorie plus h-irdie pénétra dans les éco!es. Des fages, dont. les : idéés étoientgrandes & élevées, s'rndig^èrent n7  3r>2 &: 2 ? E K D I X. de l'impiété des fuperftitions populaire?, & fe montrèrent pénétrés de Ia perfedtion de 1'Etre fuprême qui a créé 1'univers, autant qu'il foit poffible k 1'efprit humain de fentir par Iui-même cette perfedtion. Si nous paffons d'Europe en AGe, nous verrons que tout ce que j'ai remarqué fur 1'hilloire de la religion d'une de ces contrées, peut s'appliquer k 1'autre. Dans l'Inde, comme dans la Grèce, 1'étude des fciences a nui è la fuperftition; & quand nous confidérons J'extrême difFérence qui fe trouve entre la eonfliturion eccléfiaftique, fi j'ofe me fenir de cette expreffion, de 1'une de ces contrées & cel!e de 1'autre, nous fommes portés k eroire que la dernière a offert un plus vafle ehamp k 1'examen que la première. Les Grecs n'avoient pas pour minifïres de leur religion, gardiens deTeurs rites Tacrés, une feule race d'hommes, une cafte partieu-lière. Mais parmi les Indiens, les Bramines ont feuls le droit de préüder au culte des dieux , & de rendre le Ciel propice, ou de détourner fa colère. Ce privilège leur donne un afcendant prodigieux fur le peuple: aufïï leur intérêt , leur honneur ,. Pambition de maintenir le pouvoir de leur ordre, tout ce qui peut eDfin émouvoir le cceur humaia,  APPIHDIS. ï3g leur fait un devoir de conferver leurs in- flituticns, Cependant les principaux Brames ayant confacré leur vie a. 1'écude, firent, ainö queje 1'ai déja rapporté, d'afTez grands progrès dans les fciences, pour fe former une jufle idéé du vrai fyftême du monde & de la fageffe toute-puiffante qui le gouverne.. Eievés dèslors au-deffus des fuperftitions vulgaires, ils reconnurent & adorèrent un être fuprêmeg, qu'ils appe'èrent,, le Créareur de toutes cho„ fes, & dont toutes chofes dépendent (\) "„. Telle eft, au moins, 1'idée que nous donne des Bramines, Abul-fazel, qui a long-tems étudié leur théologie. „ Tous les Bramines,, ,, dit-ü, croient a un feul Dieu, & s'ils ré„ vèrent des images dans leurs temples, ce „ n'éft que paree que ces images repréfentent ,, des êtres céleftes, & qu'elles font propres a captiver leurs idéé? (2) ".Les Européens les- plus fages, qui ont voyagé dans 1'Inde,, font d'aceord avec Abul-fazel. C'eft è cela feulement que fe borne ce que Bernier apprit des Bramines du collége de Bénarès ("3). M. Baghvat Geeta, p»g. S4. (ai) Ayeen»Aibeny, vol. in-, pag. 3. (3) Voyage,. tom. u, P«Jv'5ï«-  ü84 A p p E N D 1 * \Wdkins, plus capable peut être de portcr un jugement fur cela que tous les autres obfervateurs, repréfente les principaux Brami;nes de nos jours, comme des Théïltes, c|eftè-dire, des adorateurs d'un feul Dieu (i); & enfin, M. Sonnerat, qui a paffé fept ans i dans l'Inde pour étudier les mceurs, les fcien. ces & la rèlig;on des Indiens, nous dit (2): }) Que les Bramines, qui ont traduit le code .,, desGentous,déclarant qu'un Etre fuprême ,,, a, par'fa'feule puiflance, formé tous les „ êtres du monde matérie!, foit animaux, foie vëgétaux, '& les a tirés des quatre ,, élémens, le feu, 1'eau,Tair & la terre, pour fervir d'ornement au grand magafin dela création; qu'en même-tems fon extréme bienfaifance a fait de 1'homme le „ centre de toutes connoiiTances, & lui a „ donné Pautorité fur les autres créatures, , „ & un empire abfolu fur toute 1'étendue da „ la terre (3) ". Qu'on ne croie point que ces idéés font un rafinement de nos tems modernes. Les Bramines font trop loin de pouvoir faire aujour» . (1) Préface du Baghvat'Geeta ,■ pag. 14. CO Voyage, tom. 1, p. ipS. [ Ca) Difc, prélinwiu rnêiue, p» 73.  A PPENDIJT. 18 ï u'hui quelques pas dans les fciences. Les vainqueurs mahométans, qui les ont foumis, les regardant comme les feuls dépofitaires de la religion indienne, fe font attachés a les opprimer. Cette cafte infortunée n'a pas moins perdu en talensqu'en pouvoir. Tout ce qu'elle fait è préfent, elle le puife dans les écriis de fes ancêtres; & la' fageiTe, qui la rend èncore célèbre, lui eft tranfmife de la plus haute antiquité. Nous pouvons affirmer tout ce que nous venons de dire fur les myftères de la théologie indienne. Ces myftères dérebés avec foin aux yeux du peuple, ont enfin été dévoilés, quand on les a traduits de la langue fanferic, & qu'on en a pubfié récemment la traduttion. Le Baghvat-Geeta n'eft qu'un épifode du Mahabarat, poëme rès-ancien & très-refpeclé dans route l'Inde; & ce BaghvatGeeta femb!e avoir été compofé dans le feul delTeind'établir la doctrine de 1'unhé de Dieu, d'étuJier fa nature, & de donner une idéé du culte qui convient è eet Er re parfait. Parmi des difcuffions d'une métaphvfique obfeure, on trouve dans eet ouvrage, que'ques traics d'imagination étrangers è notre goüc, ét quelques penfées d'une Tublimité bien au-deffus de tout ce que nous fommes dans l'habitudc  186 a r r % n © % x. dé concevoir (i). Nous y voyons des defcriptions de 1'être fuprême, aufïi belles, auffi pompcufes que celles des pbilofophes Grecs les plus vantés. Je vais en tranfcrire une, dont j'ai déja fait mention; & je prie mes ledteurs de voir les autres dans Pouvrage même. — ,, Etre éternel & tout.puiffant, „ dit Arjoon, tu es le Créateur de tout, le „ Dieu des dieux , le confervateur du monde. „ Ton Etre eft incorruptible & diftinct de „ toutes les chofes paffagères. Tu es avant „ tous les autres dieux; tu es Tanden Pou„ roush (2), & lefublime appui de Punivers. „ Tu es Ia fource fuprême, & c'eft par toi, „ Etre infïni, que le monde eft forti du néanr. j, Qü'or: s'iscline devant toi; qu'on s'iccüne ,, derrière toi ; qu'on te revère de toutes „ parts , 6 toj, qui es tout en tout. Ta „ puilTance & ta gloire font infinies. — Tu „ es le père de tous les êtres qui onc vie, „ ainfi que des chofes inanimées. Sage inftructeur du monde, tu es digne de nos adora„ tions. II n'eft aucun être femblable a toi. „ Y en a-t-il dans les trois mondes un feul „ au deflus de toi ? Je te falue donc & m'hu» Ci) Lettre de M. Hsltings, imprimée dans la Préfaee c> &c. Diod. de Sic. liv. n. p. 153. &c. Arrien Ind. c. 10). 11 eft probable qu'ils furent ectrainés dans cette erreur en confidérant quelques unes des fubdivifions des caftes, coajme fi elles avoient forroé des ordres diftinfts & indépendants. Mais il n'y avoit pas plus de quatre eaftes primuives: c'eft ce que nous apprenons par le témoignage uniforme des voyageurs modernes les mieux inftrults. Nous en arons 1'état le plus exact dans „ La Poite ouverte, ou la vraie repréfertation de la vie, desmoeurs, ce Ia re'igion & du fervice des Bramines qui demeureiit fur les cötes de Coromandel &c. " Cet ouvrage fut compilé avant le milieu du dernier fiècle. par Abraham Roger, chape'ain de Ia fc&orerie hollandoife a Pullicate. Engagnartla eQa&ance d'un Bramine éclairé, il acquit les con-  KOTES DE L' APPENDIX. SO? connoiflances plus authentiques & plus é endü'es* que n'en avoient eu les Européens avant les det>nières tradcctions du fanskiit. Je fais mentiorï de? ce livre, paree qu'il paroit être moins conntf? qu'il ne mérite de 1'être. II ne refte mainfenarïf point de doute, quant au nombre & aux fonéïióhï des caftes, puifqua cela eft afluré d'après les 1Ï-Vres indiens les plus anciens & les plus facrés & confirmé par les relations de leurs propres iri(ti> tutions données par des Bramines éminents póüsT leur favoir. Sel'on eux, les différentes- cafteS5 tiroient leur origine de Brama , 1'ageof iülrrié^ diat de la créafion fur le pouvoir fuprême, de Ia' manière fuivante, qui établie & le rang qu'elle^ devoient tenir & les fonótions qu'elles avoient a* remplir. Le Bramine, du nom de la bouche (fagefle)V doitprier, lire, inftruire. Le C ekèry, du nom dès bras (forcë)\ dólt? tirer de 1'arc-, combattre, gouvernev Le Bice, du notn du ventre ou des cuiffës(nourricure), doit pourvoir aux néceilkés de la» vie par 1'agriculture & le commerce. Le Sder, du nom'des pieds (foumiffion)V doit travailler & fervir.- Les occupations prefcfites a toutes- ces' dallet font effentielles dans un état' bien réglë.- Culle-' qui eft fubordonnéè a cèlle-ci eft la cinquiètridy ou la c'afle étrangère, appeléé' Bhfïun SünkeKOn la fuppofö defcendue' de' 1'uniori illcgitibi^  t02 NOTES DE L* APPENDIX. entre des perfonnes de cifférentes castes. Elles font ordinairement marchandes en petits articles de commerce de détail. (Préface du code des loix des Gentoux, p. 46 & 99). Aucun auteur 6uropéen ne fait mention de cette clafie comme je ta décris; cette diftinftion étoit trop difficile pour qu'ils 1'obfervafTent, & ils paroifient confidérer les membres de cette cafte comme appartenants au Soder. Outre ces caftes reconnues, il y a ime race d'tommes malheureux, nommée fur Ia c&te de Coromandel, Pariars, & dans 1'autre partie de linde, Chandalus. Ce font des reCjuts de leur ordre primitif, qui, par leur mauvaife conduite, en ont perdu tous les privüéges. Leur condition eft indubitablement la plus baiTe éêgradation de la nature humaine. Perfonne d'auctme cafte ne doit avoir la moindre communicatie»! avec eux (Sonnerat, tom. 1. p. 55, 5$.). Sc un Pariar approche un Nayr, c'eft-a-dire un gaerrier d'une haute cafte fur Ia cóte du Malabar, il peut être mis a mort avec impunité. I/ean & le Iait font confidérés comme fouillés, snême par leur ombre qui paffe fur eux, & ne peuvent être employés jufqu'a ce qu'ils foient prrnfiés (Ayeen Akbéry, vol. m, p. 243.). II eft prefqa'impofllble d'cxprimer par des mots Ie féntiment de bafleffe qua Ie nom de Pariar infpire 3 1'ame d'un Indien. Tout Indien qui viole les régies ou les inftitucions de fa cafte , tombe dans witte CtBation dégradée, C'eft ce <]ui ïend Iss  notes db l' A i' p e 8 d i X. 20^ Indiens (i fortement attachés aux inftitutions de leur tribu, paree que la perte de la cafte f}1 pour eux la perte de tout appui & de toute conHdératioii humaine, & qu'elle eft un chatiment, fans comparaifon plus févère que 1'excommunication dans le période le plus triomphant de la puilTance du Pape. Les quatre caftes primitives font nommées & leurs fon&ions décrites dans le Mahabarat, le plus ancien livre des Indiens, & d'une autorité plus haute qu'aucun de ceux dent les Européens aient eu connoilTance jufqu'alors (liaghvat-Geeta, p. 130). La même diftinclion des caftes étoit CDfinue a 1'auteur du Hecto-pades , autre ouvrage d'une grande antiquité, traduit du fanskrit, p. 251. On a omis dans le texte de faire inenttom d'une circonftance. Quoique la ligne de féparation foit tellement tracée qu'elle rende abfolutnent impoflible 1'élévation d'une cafte inférieure è une plus élevée, ét que Pon regardat comme une trésénorme imp'été, qu'un bomme d'un ordre inférieur prétendit rempiir quelque fgn&ion app?rter.ante a celle d'une cafte ïupérieure; c?pendant, en ceitains cas, les pundits déclarent qu'il eft permis aux perfonnes d'une elaffe fupérieure d'exercer quelques-unes des occupations attribuées s une elaffe au deffous de la leur, fans perdre leur cafte par cette aftion (Préface des Pondits ;,b code des loix des Gentoux, p. 100). Auffi sous trouvons des Bramines employ>;« au fcrvii? H  2 breux des dévors indiens, auxquels les écrivains européens donnent généraieirent le nom de Faquirs, nom par lequel les Mahométans diftinguent les moines fanatiques de leui religion. Le jour fous lequel j'ai coniidé-é les inftitutions religieufes des Indiens me difpenfe d'raaminer les Faquirs indiens en particulier. Leur nombre, la rigueur de leurs mortifications, les pénitences horribles qu'ils fubitTent \olontairement, & la haute opinion que le peuple concoit de leur fainteté, ont frappé tous les voyageurs qui ont vifité l'Inde, & leurs defcriptions font bien connues. La puiiTante influence de I'enthoufiasme , 1'amour de la diftinftion & Ie défir d'obtenir quelque portion de ce refpeéf, & de ces horneurs a. lajouiffance defquels les Bramts fontdeftinés, peuvent fervir a expliquer les chofes erraordinaires que les Faquirs font: il y a une remarque: importante a ce fujet. Get crdre de dévots paroit avoir été trés ancien dans l'Inde. La defcription des Germains que Strabon emprunte de Mégafthènes , s'applique prefqu'en entier aux Fa» quiri modernes (lib. xv. p. 1040 B.), NOTE II. p. 9S. (^,e que j'ai affuré dans Ie texte, tft en génenéral bien fondé. C'eft l'opinion cependant dij. ceux qui ont parcouru 1'Inde dans toute fon étendus & qui ont bien obfervé tout ce qu'ils onr 1 2?  206 NOTES DE -L' APPENDIX, vu, que les conquêtes & des Mahométans & des Européens ont produit quelques effets fur les mceurs & fur les coutumes des peuples. L'ancien habillement des Indiens, comme Ie décrit Arrien (Hift. ind. c. 16.), étoit une toile de mouffeline jetée nonchalamment fui leurs épaules, une chemife de mouffeline defcendant au milieu de la jambe , & leurs barbes étoient teintes de diverfes couleurs; cette mode eft toute différente de celle qu'ils fuivc-nt actuellement. On fuppofe auffi que les Mahométans ont introduit dar.s l'Inde la coutume de féparer les femaaes, & la rigueur avec laquelle elles font renfermées. Cette fuppofition eft en quelque facon eonfirmée par le drame de Sacontala , traduit du famkiit. Dans cette pièce, on introduit plufieurs femmes, qui fe inê'ent dans la fociété, & converfent auffi librement avec les hommes, que les femmes ont coutume de Ie faire en Europe. Nous pouvons préfumer que 1'auteur décrit les mceurs & Te conforme aux coutumes de fon fiècle. Mais lorfque je fais rnention de cette remarque, il faut obferver auffi qu i! y a lieu de co'iclure d'un paffage de Strabon qu'au temps d'AIexandre-IeGrand, les femmes dans l'Inde étoient gardées avec la même attention jaloufe qu'elles le font auiourd'hui. ., Quand les princes, dit-il en copiant Mégafthènes, partent pour une chaffe publique , ils font accompagnés par un grand nomtes de leurs fsiames, njais le long de la rouoe  notes f)E L'JIPPÏSMJ, 207 ©u ils doivent paffer, de; cordes font tendues de chaque cóté, & fi quelque homme en approche, il eft dans i'inftanc mis è mort (lib. xv. p. 1037. A.). On comttiencë è s'appercevoir de 1'influence des mceurs européenncs parmi les Indiens qui réfident dans la ville de Calcutta. Plufleurs d'entr'eux fe font trainer dans des carofies anglois, s'aüoient fur des chaifes, & garnifTent leurs maifons de miroirs. Ce feroit ici le lieu de faire mention de plufieurs circonftances, qui, probabkment, contribueront au progrès de ce: efprit d'imitation. NOTE III. p. 95. C'£st une chofe curieufe d'obferver avec quelle exactitude les idéés d'un aliatique ingénieux fe rencontrent avec celles des Européens fur ce f";et. „En réfléchiffant, dit-il, fur Ia pauvreté -de Turan (contrée au dela de 1'Oxus) & ds 1'Arabie, je fus d'abord embarraffé d'afiïgner une raifon pourquoi ces contrées n'ont jamais pu conferver da Tichelles, tandis qu'au contraire elles augmentent journellement dans 1'Indoftan. Timur apporta dans le Turan les richefles de la Turquie, de ia Perfe & de 1'Indoftan, mais elles font toutes diffipées; durant les règnes des quatre premiers califes, Ia Turquie, la Perfe, une partie de 1'Arabie, 1'Ethiopie, 1'Egypte & 1'Efpagne étoient lenrs tributaires, & cependant le pays n'étoit pas riche. II eft donc évident que cette  S03 hotes de l'AIP esdix, dilïïpation des Tichelles d'un état ne peut arriver que par des épuifemens extraordinaires, ou par quelque vice de gouvernement. L'Indoftan a été fréquemmer.t ra.-agé par des ufurpateurs étrangers; & aucun de fes rois ne forma jamais de tréfor. Le pays n'a aucune mine d'or & d'argent; & cependant 1'Indoftan abonde eu monnoie & en toute efpèce de richefles. L'abondance de numéraire eft indubitablement düe a 1'ample importation d'or & d'argent dans les vaifleaux européens & ceux des autres nations , dont plufieurs apportent de 1'argent comptant en éehange des manufaclures & des produétions naturelles de la contrée. Si ceci n'eft pas la caufe de 1'état floriflant de 1'Indoftan, il faut 1'attribuer a la béné.:iftion parti» culiére de Dieu (Mém. de Rhojeh-Abdul-Korr. eem, Cachemirien de diftiaftion. p. 4.2). NOTE IV. p. 103. e s monarques de l'Inde étoient les feuls pro priétaires de la terre; cela eft affirmé en- termes pofitifs par les anciens. Le peuple, difent-ils, paya un impót territorial a leurs rois, paree que le royaume eft une propriété royale (Strab. liv. 1. p„ ic.38. Diod. de Sic. lib. 11. p. 153.)- Ceci n'eft pas particulier a l'Inde. Dans toutes les granies monarchies de l'Orient , le fou.erain feul paroit être invefti de la propriété de la tsrre, comme feigneur fuzerain. Selon Chariin, tei eft IE état de propriété en Perfe, & les terres étoient  HOTES BI L'AHJXDII, 200 louées par le monarque aux fermiers qui les cultivoient aux conditions prefque femblables a celles accordées aux Ryots indiens (Voyages, tom. ni. P- 33<5, &c. in-4°.). M. Volney donne un état femblable do fermage des terres dans une des grandes provinces de 1'empire turc (Voyage en Syrië, &c. tom. n. P. 279, &c). Le mode précis cependant, dont les Ryots de 1'lndouflan tenoient leurs poüeffions, eft une circonftance de fon ancienne conftitution politique, fur laquelle des hommes d'un difcernement fupérieur, qui ont réfidé long-tems dans ce pays & y ont occupé les premières places du gouvernement, ont eu des opinions très-différentes. Quelques - uns ont imaginé que les conceffions de terrain étoient faites par le fouverain aux villages ou aux petites communautés, & que les habitans, fous Ia conduite de leurs chefs, Ie cultLoient en commun; & en partageoient le produit entr'eux felon eertaines proportions. (Desctipt. de l'Inde, par M. Bernouilli. tom. n , 223, &c) D'autres prétendent que la propriété du fonds a été transférée de la couronne a des ofïiciers héréditaires d'un rang diftingué, & d'une grande autorité, appelés Zémindars, qui recueülent les revenus des mains des Ryots, & leur partagent les terres. D'autres foutiennent que 1'office des .Zémindars eft temporaire & miniftériel; qu'ils font purement des collecteurs du revenu, amovibles a volocté, & que le bail, en vertu duquel les Rjots  SIO SOTIS BE JL'AFfENDIX. tiennent leurs poffefilons, dérive immédiatement du fouverain. Cette dernière opinion eft foutenue frès habilement par M. Grant, dans fes Recherches fur la Nature des tenures des Zémindars dans la propriété des tems du Bengal, &c. On continue encore d'agiter cette queftion au Bengal, & 1'on a produit des argumens plaufibles en faveur de ces différente» opinions; quoique ce foit un point très-intéreffant, puifque le fyftême futur des fifiances angloifes dans l'Inde parolt en dépendre effentiellement, cependant des perfonnes bien inftruites de 1'état de l'Inde ne fe font pas cru en état de décider Ia queftion. (Voyez 1'Introduftion du eapitaine Kirkpatrick, aux inftituts de Gha2an-tan, dans les nou7eaux mélanges aüatiques, no. ii, p. 130.) Quoique 1'opinion du comité de finance compofé de perfonnes très-habiles, penche a conclure contre le droit héréditaire des Zémindars fur la propriété du fol, cependant le confeil fuprême, en 1786, refufa pour de bonnes raifons de donner aucun jugement définitif fur un fujet fi important, Cette note étoit envoyée a 1'impreffioti avant que je puffe lire Ia differtation ingénieufe & inftruftive de M. Roufe fur Ia propriété foncière du Benga'. 11 y adopte une opinion contraire a celle de M. Grant, & foutient, avec cette candeur & cette élévation de fentiment qui frappent tou:ouri quand on n'a d'autre objet en vue que Ia découverte de Ia vérité, que les Zémindars du  HOTES DE L'APUKBII. £11 Bengal poffédent leurs propriérés foncières par droit héréditaire. Quand j'aurois une connoisfance aflez exafte, foit de 1'état de l'Inde, foit du fyflême d'adminiftration qui y eft établie, pour comparer ces différentes théories & déterminer laquelle d'entr'elles mérite Ia préférence; le fujet de mes recherches n'exlgeroit pas que j'entraflij dans une telle difcuffion. J'iraagine cependant que 1'état de Ia propriété fonciertr dans l'Inde feroit beaucoup éclairci par la comparaifon qu'on en pourroit faire avec Ia nature des tenures féodales; & je concois qu'on pourroit y reconnoltre une fucceilion de changemens, è-peuprès dans le même ordre qu'on a obfervé en Europe; d'oü il paroitroit que la pofleffion du fol fut accordée d'abord d volonté, puis a vie, & enfin qu'elle devint une propriété héréditaire & perpé'uelle. Même fous cette dernière forme; lorfque le fond eft acquis par achat ou par héritage, la manière dont on a confirmé & completté le droit de propriété, en Europe par une charte, dans l'Inde par un funnui du fouverain, femble annoncer quel étoit fon état primitif. Selon chacune des théories dont j'ai fait mention, Ia tenure & la condition des Ryots reffemble a Ia defcription que j'en ai donnée. Leur état, d'après les détails des obfervateurs éclairés, eft auffi heureux & auffi indépendant qu'il puiffe être pour les hommes employés a la culture de la terre. Les anciens écrivains grecs & romains, qui n'a.  212 notes de L'APPïHDIX. voient qu'une connoilTance imparfaite des parties intérieures de l'Inde,repréfentoient Ia quatrième partie du produit annuel de la terre comme l'éva-v luation générale de la redevance payée au fouve-* rain. Sur 1'autorité d'un auteur populaire qui fleu-rifibit dans l'Inde avant 1'ère chrétienne, nous pouyons conclure qu'une fixième partie du revenu public étoit, de fon tems, la portion ordinaire du fouverain. (Sacontala, act. v., p. 53.) On fait maintenant que Ie revenu que le fou/erain tire de la terre, varie beaucoup dans les différentes parties du pays, fuivant la fertilité ou Ia ftérilité du fol, la nature du climat, 1'abondance ou la rareté de 1'eau, & plufieurs autres circoaftances de ce genre. D'après les détails que nous avons, je croirois que dans quelques diftri&s il a été porté au dela de fa jufte proportion. Une circonflance relative a I'adminiitration du revenu dans le Bengal, mérite d'être remarquée, comme trés honorable pour la mémoire de 1'empereur Akber. J'ai fouvent eu occafion de célébrer Ia fagefle de fon gouvernement. On forma fous fon règne une carte générale & régulière du revenu du Bengal; toutes les terres furent alors évaluées, & la taxe de chaque habitant de chaque village fut fixée. On établit une gradation régulière d'évaluations. Les taxes des différens habitans qui vivoient dans un certain canton, étant réunies, formoient Ie róle d'un village; ks taxes de différens villages étant enfufte rap-  notes i)e l' appendix. 213 prochées fous un même point de vue, offroient le róle d'un plus grand territoire. L'aiTemblage de ces röles préfentoit Ia taxe d'un diftrift & Ia fomme totale des taxes de tous les diftrifls dans le Bengal donnoit le tableau du revenu de toute Ia province, Depuis le règne d'Akber jufqu'au gouvernement de Jaffer Alikan, en 1757, Ia maffe annuelle du revenu & Ie mode de le lever continua avec peu de changement; mais pour porter a fon taux la fomme que 1'on s'étoit engagé de payer, on fe départit des arrangemens fages d'Akber; plufieurs modes de cottifation furent introduits, & les exaftions fe multiplièrent. NOTE V. p. 105. J e ne ferai mention ici que d'un exemple de leur refpect pour eet utile réglement de police. Laho-e, dans le Panjab, eit diftant d'Agra, 1'ancienne capitale de 1'Indoftan, de cinq milles. Le long de chaque có:é de la route, entreces deux grandes villes, on a planté un rang continu d'arbres touffus, formant une longue avenue, a laquelle, fi nous confidérons fon étendue, fa beauté & fon utilité dans un climat chaud , il n'y a rien de comparable dans aucune contrée (Mémoires de Rennel, p. 69). NOTE VI. p. ito. ]^ous ne pouvons placer le gouvernement doux & équitable d'Akber dans un point de vue plus avantageux, qu'en le mettant en oppolition avec  214 NOTIS DE L' APPENDIX. Ia conduite des autres princes mahométsns. Ce contrafte ne parut jamais plus frappant dans au. cun pays que dans l'Inde. L'an mil de 1'ère chrétienne, Mahmoud de Ghazna, au domaine duquel étoient foumifes les mêmes contrées qui formoient l'ancien royaume de Baetriane, s'empara de cette contrée. A mefure qu'il s'avancoit, fes pas étoient marqués par Ie fang & Ia défolation. Les pagodes les plus célèbres, les anciens mor.umens de la dévotion & de la magnificence des Indiens, furent détruits, les miijiftres de la religion inasfacrés, la contrée xaragée, avec une férocité fans exemple, & les villes furent pillées & brulées. Environ quatre eens ans après Mahmoud, le fameux Timur ou Tamerlan tourna fes armes irréfiftibles contre 1'Indoftan; & quoique né dans un fiècle plus policé, non - feulement il égala, mais fouvent il furpafla de fi loin les aftes cruels de Mahmoud, qu'il fut juftement flétri du nom odieux de prince deftrufteur", que lui donnerent les Indiens, vicTimes innocentes de fa rage. On trouvera une defcription rapide, mais élégante, de leurs dévaftations dans une diflert?tion de M. Orme, fur les étaWifTemens faits P« les conquérans mahométans dans 1'Indoftan. M. Gibbon en a donné une relation plus étendue, (vol. v, p. 64ö, vol. vr, p. 336, &c). Le mépris arrogant avec lequel les mahométans fuperftitieux regardent toutes les nations qui n'ont pas embraffé la religion du prophéte, expliquera  NOTES DE L'AffJNBir. 815 ht rigueur ir.flexibla de Mahmoud & de Timur 3 1'égard des Indiërs, & rehaufijcra beaucoup Ie méüte de 1'efprit tolerant & de la modération avec laquelle Akbsr gouverna fes fujetf. Nous connoiflbns par une belle Iettre de Jeffwant-Sing, Rajah de Joudpore a Aurengzeb, fon (uccclTenr fanatique & perfécuteur, quelle impreflion la douce adminiftration d'Akber avoit faite fur les Indiens. „ Votre ancêtre royal, Akber, dont „ Ie tróne eft maintenant dans le ciel, gouverna ,, les affaires de 1'empire avec équité & fermeté ,, pendant 1'efpace de cinquante-deux ans, main„ tenant chaque tribu dans Paifance & le bon,, beur; foit que les fujets fuffent difciples de „ Moyfe, de David, ou de Mahomet; foit ,, qu'ils fuffent Bramines; foit de la fefte des „ Dariens qui nient 1'éternité de la madè e , ou „ de celle qui attribue I'exiftence du monde au „ hafard, ils jouiffoient tous de fa protedion & „ de fa faveur; auffi fon peuple, en reconnoif„ fance de la proteilion impartiale qu'il leur „ accordoit, lui donna le titre honorab'e de » Jug&ut Grow, CoTifervateur du genre humain. tl — Si votre Majefté a quelque confiance dans ces livres, honorés du nom de divins, ils „ vous apprendront que Dieu eft re Dieu de tout „ le genre humain, & non le Dieu des Maho„ métans feulement. Le Payen & le Mufulman „ font également en fa préfence. Les diftinftions ., de couleur font de fa volonté. C'eft lui qui  2IÓ NOTES DE L' APPENDIX. „ donne 1'exiftence. Dans vos temples a fon nom „ Ia voix s'éléve en prière; dans la maiibn des images, oü 1'on fonne la cloche, il eft en„ core I'objet de 1'adoration. Dégrader Ia reli„ gion & les coutumes des autres hommes, „ c'eft mal interprêter la volon'é du Tout„ PuiiTant. Quand nous effjcons un tableau, ,, nous encourons naturellement le reiTentiment „ du peintre, & c'eft avec raifon que le poëte „ a dit: ne préfume pas de critiquer ou de fon„ der les ceuvres infinies de la puilTance divine." Nous fommes redevables de ce morceau important a M. Orme: Fragmens, nous, p. xcvn. Que'qu'un qui a lu ceite lettre dans 1'original, m'a afluré que la tradL£üon angloife en eft non» feulement fïdelle, mais élégante. NOTE VII. p. 123. J s n'ai entrepris la defcription d'aucune des excavations fouterraines, llnon de celles d'Ele. phanta, paree qu'aucune d'elles D'a été fi fouvent vifitée ou fi foigneufement examinée; dans plufieurs parties de 1'lBde il y a cependant des ouvrages étonnans de la même nature. L'étendue & Ia magnficence de 1'ile de Falfeue eft telle que les artiftes, employés par le gouverneur Boon pour en faire les delTins, aflurèrent qu'elle avoit exigé le travail de quarante mille hommes pendant quarante ans pour les achever. (Archéologia, vol. vu. p. 336). Tout exagéré que ce mode  NOTES DE LAPÏSNDIX. 2tJ raode d'eftimation puiffe être, il donne une idéff de I'impreffion que leur vue peut faire fur 1'efpn't. Les Pagodes d'Ellore è dix-huit milles de Aurungabad, font auffi taillées dans le roe; & fi elles n'égalent pas celles d'Eléphanta & de Salfette en gran'deur, elles les furpaffent de beaucoup par leur étendue &Ieur nombre. M. Thevenot, qui donna le premier une defcription de ces habitations finguhèies, allure que pendant environ deux lieues tout autour de la montagne on ne voit rien que des pagodes. (Voyez part. m, ch. 44.) Elles furent examinées plus long - tems & avec plus d'attention par M. Anquetil du Perron, mais comm© la longue defcription qu'il en a faite n'eft aecontpagnée d'aucun plan ou deffein, je ne puis donner du total une idéé diftir.óte.Tl eft évident cependant que ce font les ouvrages d'un peuple puiffant,. & parmi les figures innombrables en fculpture done les murs font couverts, on peut diftinguer tous les objets aftuels du culte indien. (Zend-Avefta, difc, prélim. p. 233). II y a des excavations remarquables dans «ne montagne a Mavaliporam, proche de Sadras. Cette montagne eft bien connué fur la cóte de Coromandel par le nom des fept pagodes. Nous avons une bonne défcription deces ouvrages d'one haute & préeiemfe antiquité. (Recherches afiatiques, vol. 1. p. 145), On po:rroit produire plufieurs exemples d'ouvrages femblables, s'il étoit néceffaire. Ce que j'ai fou'. tenu concernant 1'éIégUnee de quelques .^jjs &f IJ. Part, x  ?is hotes ds l'aPPKNDIX. ornemens dans les édifices indiens, eft ccnlirmé par le colonel Call, ingénieur en chef a Madras, qui appuye fur ceci comme fur une preuve de l'ancienne & haute civilifation des Indiens. „ On „ peut aflürer, dit-il, qu'aucune partie du monde „ n'a plus de marqués d'artiquité, pour les arts, les fciences & la civilifation, que la Péninfule . „. de l'Inde , depuis le Gange jufqu'au Cap Go„. morin. Je crois que les fcu'ptures de quelques „ pagodes & choultries, aufli bien que la gran„. deur de 1'ouvrage , furpaffent tout ce qui a „, été exécuté de nos jours, non - feulement pour „, la délicatefle du cifeau, mais auffi pour les frais> de conftrudtion, en confidérant fouvent a quel„ les diftances les matériaux ont été tranfportés, „ & a quelle hauteur ils ont été élevés." Z>an« faS: phiiofopb, vol, LXII. p. 3.54» NOTE VIII. p.. 128. IL'Inde, dit Strabon, produit une variété de fubftances qui donnent dei teintures dans les plus admirables, couleuts,. L'Iiidicum, qui produit la belle couleur bleue, paroit être lMndigo des modernes; nous pouvons le conclurre non-feulement dcla reffemblance du nom & de 1'identité des effets,. mais encore de la defcription donnée par Pline, dans le palTage que j'ai cotté dans le texte. 11 favoit que c'étoit une préparation d'une fubflance végétale, quoiqu'il füt maMnformé & rela» tlvemeui - Utplante elle - même, & fur le procédé  WOTES DE L'A ( ? E B D T X» par lequel on Ia préparoit pour 1'ufage; ce qui ne: paroltra pas furprenant quand nous nous rappelle-rons 1'ignorance étrange des anciens par rapport è't 1'origine & a 1'apprêt de la foie. Quelques auteur* nomment 1'indigo, a caufe de fa couleur dans Ia' forme qu'il étoit importé , atrcmtntum indicmi ,, encre indienne, & indicum nigrum, noir indien* (Salmas. exerc. p. 180) & on en parle, fous ces; derniers noms, parmi les articles d'importatiorii de l'Inde. (Péripl, Mar. Erythr. p. 22). %» couleur de 1'indigo modtrna fans être délayé, res-femble a celle de I'indicum ancien, fi fortement: coleré qu'il parolt noir. (Delaval. expér. Reehert che fur la caufe & les changemens des couleurs, préf. p. xxin). La gomme laqué, employée dansla teinture rouge, étoit auffi connue des anciens & fous le même nom qu'elle porte aujourd'hui.(Salmas. Exerc. p.. 810). Gette fubftance précieufe, d'une utilité fi étendue pdur la peinture, Ia teinture, le vernis du japon , pour les vernis & dans la manufafture de cire è cacheter, eft' Ie produit d'un trés-petit infecre, Ces infectes fe fixent aux extrémités fucculentes des branches de certains arbres, & font auffitót collés a la place ou ils s'attachent , par une liqueur épaifle tranfparente qui tranfude de leurs corps; i'accutnu'ation grzduslle de cette liqueur forme pour chaque infefte une celluie complette qui feit de tombcau ala mère & de berceau a fa poftetité. Cette fubftance gliictneufe, dönt les branches d'arbtei föttt  B20 NOTES DE I»-A F F E N DIX. entiêrement couveites, eft la gomme laqué. On a donné d'une manière concife, exacte & fatrsfaifante, le détail de fa formation, de fa nature & de fon ufage dans les tranfaftions philofoph. vol. ini, part. n, p. 374- Ciefias paroit avoir re?u une défcription aflez claire de 1'infefte qui produit la gomme laqué, & il célèbre la beauté de Ia couleur que fa teinture fournit. (Excerpta ex Indic. ad calc. Herodot. édit. Weifeling, p. 840). Teinturiers indiens étoit Tanden nom de ceux qui teignoient, foit en beau bleu, foit en beau rouge; ce qui rndfque la contrée d'oü les matières qu'ils empioyoient étoient apportées. (Salmas. ib.p. 810.) Leurs étoffes de Coton , teintes de différentes couleurs, prouvent que les anciens Indiens doivent avoir fait des progrès confidérables dans la fcierce de la ehymie. Pline, lib. xxxv, e. u. paTagraphe 42 , donne une relation de eet art tel qu'il étoit connu anciennement. C'eft précifément le même que celui que 1'on employé maintenant pour les toiles peintes. NOTE IX. p. 141. Xj a littérature Sanscrite eft tme acquifiïion toute récente en Europe, le Baghvat - geta, qui eft la première tradu&ion dans cette langue, n'ayant été publiée qu'en 1785: après avoir revu dans le texts avec un plus grand dégré d'attention critique les deux ouvrages du Sanscrit les plus dignes d'étre eonnus, ü -pparttent effentiellement au fujet da  NOTES DE L'APPENDIX. ZUl mes recherches, & quelques ■ uns de mes lefteurs m'en fauront gré, de donner ici un extrait fuccint d'autres compofiticros dans cette langue, qu'on nous a fait connoitre. L'ufage étendu du Sanscrit eft une circonftance qui mérite une attention par» ticulière. „ La grande fource de la litiérature indienne, dit M. Halhei, (le premier Anglois qui ait acquis la connoilTance de cette langue), Ia rsère de prefque toutes les Dialectes depuis le Golfe perfique, jufqu'aux mars de la Chine. C'eft le Sanscrit, langage de Ia plus haute & de Ia plus refpeftable antiquité, qui è préfent, quoique renfermé dans la b.bliotheque des Bramines, & ap. proprié feulement aux aftes de leur religion, paroit avoir été répandu fur Ia plus grande partie du monde oriental, & Ton peut découvrir encore les traces de fon étendue primitive dans prefqua tous les diftricts d'Afie. J'ai fouvent été étonné. de Ia fimilitude des mots Sanscrits avec ceux de3 langues perfe & arabe, & même ceux du grec & du latin, & cela non - feulement dans les termes techniques & métaphoriques , que le changement des arts rafinés & des mceurs cultivées peut avoir accidentellement introduits, mais même dans le langage de 1'agriculture , dans les monofyllabes, dans les noms des nombres, & les dénominations de certains objets qui ont du être diftingués d'abord a Taurore de la civilifation. La re'iTemblance que 1'on peut obferver dans les caraftères des lettres, fur les médailles & les cachets de différens diftriétsj K 3  228 NOTES- DE t'itHHDlt .de 1'Afie, la lumière qu'ils refiécMffent réciproquement les unsfur les autres, & 1'analogie générale qu'ils ont tous avec le même grand prototype, offre un autre champ a la curiofité. Les monnoyes d'Afiam, ueNapaul, de Cachemire , & de plufieurs autres royaumes, font tous frappées avec des caraftères Sanscrits, & le plus fouvent renferment des allufions a 1'ancienne mythologie Sanscrite. J'ai obfervé Ia même conformité dans la gravure des fceaux de Boutan & du Thibet. On peut auffi tirer une conclufion parallels de 1'arrangement pariiculier de 1'alphabet Sanscrit, trés - différent de ceux des autres parties du monde. Ce mode extraordinaire de combinaifon exifte encore dans la plus grande partie de l'Orient, de 1'Indus jufqu'au Pégu, dans desdialeSes fans liaifon apparente & entièrement différens par les lettres; c'eft un puisfant argument qu'ils font tous dérivés de la même fource. Un autre objet de fpéculation fe préfente dans les noms des perfonnes, des lieux, des titres & des dignités & dans Iefquels , jufqu'aux Ilmites les plus reculées de 1'Afie, on trouve des traces manifeftes du Sanscrit. (Préface a la grammaire de Ia langue du Bengal, p. 3)- Après ce curieux tableau de la langue Sanscrite, je continue de faire 1'énumération des ouvrages qui ont é|é traduits de eet Idiome, outre les deux mentionnés dans le texte. — i°. Nous fommes redevables a M. Wilkins de YHestopade, ou inftruftion amicale , en une fuite de fables , entremêlées èe  HOTES BE L'APriNDIX, aig maximes morales, civiles & politiques. Cet ouvrage eft dans une 11 haute eftime dans tout 1'Orient, qu'il a été traduit dans toutes les langues que 1'on 7 parle. II n'échappa pas aux foins de 1'Empereur Akber, attentif a tout ce qui pouvoit contribuer a étendre Ia fcience utile. Il ordonni a fon vifir Abul Fazel de mettre eet ouvrage dans un ftyle a Ia portée de tout le monde; ce qu'il fit, & il lui donna Ie titre d'Epreuve de la Jag'ffe. Enfin ces fables ferépandirent en Europe & y ont ciiculé avec des additions & des changemens fous les noms de Pilpay & d'Efope. Plufieurs apologues du Sanfcrit font iogénieux & beaux, & ont été copiés ou imités par les fabuliftes des autres nations. Mais dans quelques «uns les caraétères des animaux fur Ia fcène font tres mal foutenus. La défcription d'un tigre extrêmement dévot & pratiquant la charité & les autres devoirs religieux, p. 16, & une vieille fouris qui a beaucoup lu dans Ie Neete Satras, ou fyftême de morale & de politique, p. 24, un chat qui lit les livres religieux, p. 35, découvrent un grand défaut de goüt & de convenance. Plufieurs des fentences morales, fi on les confidère comme maximes détachées, font fondées fur une connoilTance parfaite de la vie & des mreurs & offrent 1'inflruétion avec une élégante fimplicité. Mais Ie* ■eftbrts de 1'auteur pour faire de fon ouvrage ums fuite de fables liées, & fa manière de les entrettiêler d'un nombre égal de réflexions morales en K 4  224 notes de l'a p p e n d i x. profe & en vers, rend la conipofition totale fi recherchée que la ledture en devient fouvent désagréable. Akber y fut fi fenfible que parmi d'au j tres inftrudtions, il avertit fon vifir d'abréger les longues digreffions de eet ouvrage. Je fuis loin de vouloir ici déprimer le moins du monde le mérite de M. Wilkins. Son pays lui eft trés - redevable de ce qu'il a ouvert une fource nouvelle de fcience & de goüt. La célébrité de 1'Heetopades & fon propre mérite, malgré les défauts dont j'ai parlé, juftifie le choix qu'il en a fait comme d'un ouvrage digne d'être conr.u en Europe dans fa forme originale. En lifant cette traduction & lei autres du même auteur, perfonne ne lui refufera 1'éloge auquel il borne modeftement fes prétentions, ,, d'avoir defliné un portrait que nous fup„ pofons être trés-relTemblant, quoique nous ne connoiflions pas 1'original." (Préf. p. xiv). — a°. Dans le premier N°. des nouveaux mélanges afiatiques, nous avons une tradudtion d'un ouvrage fameux dans l'Orient, connu fous le titre des cinq pierres précieufes. 11 eft compofé de Stances faites par cinq poëtes qui fuivoient la cour d'Abisfure, roi de Bengal. Plufieurs de ces Stances font fimples & élégantes. —- 30. Une ode traduite de Wulli oü n'abonde que trop cette extravagance d'imagination, ces penfées recherchées & afltctéis qui dégoütent fi fouvent les Européens des compofuions poëtiques de l'Orient. L'éditeur ne jjous a pas appris è quelle perfonne, verfée dans  HOTES D E L'a T P E ij D i X, 225 la connoiffar.ce du Sanscrit, nous devons ces deux traduótions. — 4°. Quelques baux de terre originaux, de dates trés-anciennes, traduits par M. WilKt'ns. II doit paroltre fingulier qu'une charte de ceffion légale de propriété foit rangée parmi les cömpofi.ions littéraires d'une nation. Mais les mceurs des Indiens différent il fort de celles de 1'Europe, que comme-nos avocats multiplient les mots & les claufes afin de completter un afte & de prévenir tout ce qui pourroit 1'annuller, les Pundits paroiffent expédier avec brièveté la partie légale d'un afte, mais dans un long préambule & a la conclufion, ils font un étalage extraordinaire de leur favoir, de leur éloquence & des reffources de la compofition, foit en vers, foit en profe. Le préambule d'un de ces contrats eft un éloge du Monarqua qui accorde la terre, écrit avec toute 1'exagération oriëntale : „ quand fon armée in,, nombrable marchoit, les cieux étoient 11 remplis „ dela pouffière de leurs pieds, que lesoifeauxda „ 1'airpouvoients'y fixer."--, Seséléphanss'avangoient comme des montagnes, & Ia terre, oppresfée de leur pefanteur, fe brifoit en poudre." L'au. teur termine ce préambule, en vouant a la vengeance ceux qui fe bafarderoient a rompre ce contrat : „ Les richefles & Ia vie de l'homme font auffi „ paffagères que les gouttes d'eau fur la feuille „ du Lotus allifier. Apprends cette vérité, ó „ homme! de ne point entreprendre de priver N autrui de fa propriété ". (Recherches afiati& S  226 N O T 9 S DE L' APPENDIX. ques, vol. i. p. 123 &c.) L'autre afte de cefiion, qui paroi' encore plus ancien, n'eft pas moins remarquable. Ils étoient gravés 1'un & i'amre fur des plancbes de cuivre. (ibid. p. 357 &c.) — 50. La traduftion d'une partie du Snaster, publiée par le colonel Dow en 1768, devroit peut-être avoir été citée la prem'ère. Mais comme il ne 1'a pas faite du Sanfcrit, mais regue de la bouche d'un Bramine qui expliquoitle Shafter en perfan, ou dans la langue vulgaire du Bengal , il fera plus convenable d'en faire mention, lorfque nous en viendrons è rechercher 1'état des fciences chsz les Indiens, qu'ici oü nous eiTayons de donntr quelqu'idée de leur goüt dans la compofition, NOTE X. p. 153. orMms plufieurs de mes lefteurs peuvent ne pas connoitre la longueur extravagante des quatrt Eres ou périodes de la chronologie indienne, il convient d'en donner un extrait tiré de M. Halbed, préface du code des loix des gentoux p. XXVI. 1. Le Suttyjogut (ou 1'age de pureté) a, million fept cent vingt-huit mille années; le Tirtah«jogue eft d'un million deux eens quatre-vingt. feize mille ans; le Dwapaar jogue eft de huit eens foixante-quatre mille ans. 11 ne fpécirie pas la durée du Colly-jogue. (Porte ouverte, p. i7y). Le fuivant eft de M. Bernier, qui Ieregut des Bramines de Benarès. Selon lui la durée duSutty-jogue fut de deux millions cinq eens mille ans, celle du Tirtah-jogue d'un million deux eens mille, & celle du Dwapaar-jogue de huit eens foixante-quatre mille ans. Quant a la période du Colly-jogue il garde auffi le.filence. (Voyages, tom. n, p. ioo> Lc troifième ealcul eft du colonel Dow; feloa  NOTES DE L'APPEK Ju, 2ig lequel le Sutty-jogue eft une période de quatorze millions d'années, le Tirtah-jogue d'un million quatre-vingt mille ans; le D wadaar-jogue de foixante-douze mille ans, &leCoIly .jogue de trente-fix mille ans. (Hiftoire de 1'Indoftan, vol. i, p. 2). Le quatrième ealcul eft celui de M. le Gentil, qui le recut des Bramines de ia cóte de Coromandel , & comme il a acquis fes connoiiTances dans la même partie de l'Inde, & a la même fource d'oü M. Roger a tiré les fiennes, leurs calculs s'accordent en bien des points. (Mém. de 1'Académ. des fciences pour 1772, tom. n, part. 1, p. 176), Le cinquième eft le ealcul de M. Halhed que j'ai déja donné. De cette contrariété non - feulement dans tous les nombres, mais même dans plufieurs détails des différens calculs, il réfulte que ce que nous connoiffons de la chronologie indienne, eft jufqu'apréfent auffi incertain que tout le fyftême en eft abfurde & fabuleux. Quant a moi, il me paroit très-probable, que fi nous entendions mieux les principes, fur lefquels les Eres faétices, ou les jogues des Indiens ont été formées, nous ferions plus en état de réconcilier leur chronologie avec le vrai mode de calculer le tems, fondé fur 1'autorité de l'ancien teftament j & nous aurions auffi lieu de conclure que 1'expofé, donné par les Aftronomes, de la fituation des corps céleftes au eommencement du Colly-jogue, n'eft pas établi wr une obfervation préfente, mais qu'il eft Ia  130 kous de t'M ppekdi x. ré (uitat d'un ealcul antérieur, Quiconque voudra approfoüdir da«antage la chronologie des Indiens, tirera ur grand ï'ecours d'un mémoire de M. Marsden fur cette matière, oh il a expliqué la nature de leur année & les différentes ères employées parmi eux, avec beauGoupd'efprit & de précifion. (Philof. tranfaéh vol. lxxx, part. u, p. 560). NOTE XI. p. 164. D ans les édifices publics de l'Inde nous trouvons des preuves & des monumens du progrès des Bramines dans les fciences, particulièrement de leur application a 1'aftronomie. Leur religion enjoint que les quatre cótés d'une Pagode regardent les quatre points cardinaux. Pour le faire avec exaftitude ils employent une méthode, déerite par M. le Gentil, & qui annonce un dégré confidérable de fcience. II examina foigneufement la pofition d'une de leurs pagodes, & il la trouva parfaitement exafte. (Voy. tom. 1 , p. 133). Gomme plufieurs de leurs pagodes font fort anciennes, ils doivent avoir atteint de bonne heure la portion de connoiffance néceffaire pour les dif. pofer convenablement. Les douze fignes du zo. diaque font fouvent deffinés fur les plafonds des choultries & des autres édifices anciens, & il eft très-probable, par la relfemblance de ces deffins avec ceux que 1'on employé généralement aujourd'hui , que la connoilTance de ces fymboles arbi«nires vencit de l'Orient. Le colonel Call a pubiié  notes de t,'a p p e n d i X. 231 un deflln des fignes du Zodiaque, trouvé fur Ie plafond d'une choultrie è Verdapettah, dans la contrée de Madura. (Phil. tranfaét. vol. lxii , P- 353)- J'ai en ma poffcffion un deffin différent du fien en quelques-unes des figures, mais Je ne puisdireen quel lieu particulier on 1'atrou/é. M. Robert Barker décrit un obfervatoire a Benarès qu'il vifica en 1772. II y trouva des inftrumens aftronomiques de dimenfions très-grandes & conftruits avec beaucoup d'induftrie & d'habileté. II en a publié tous les deflïns. (Phil. tranfaft. vol. lxvii , p. 598). Selon la tradition eet obfervatoire fut bati par 1'Empereur Akber. L'examen de M. Robert fut fait a la bate. Cet obfervatoire mérité une infpeclion plus attentive pour déterminer s'il fut conftruit par Akber , ou élevé dans quelque période plus éioigné. M. Robert infinue que les Bramines feuls, qui entendoient Ie Sanfcrit, & qui pouvoient confulter les tables aftronomiques écrites dans cette langue, étoient capables de calculer les éclipfes. Le Pere Tiefftnthaler décrit très-légerement deux obfervatoires munis d'inftrumens d'une grandeur extraordinaire, è Jepour & a Ougein.dans la contrée de Mal va. (Bernouiili, tom. 1 , p. 3I6 ) 347-js mais CQ font dê$ édi_ fices modernes.