892 B 18   HISTOIRE SECRETTE DE LA COUR t> E B E R JL I N.   CORRJESJPOmDJLJSTCE POUR SERVIR DE SUITE A L'HISTOIRE SECRETTE DE LA COUR 33) JE i E R l I Ni' POSTDAM 1789?   AVIS DE L'ÉDITEUR. publie ces Leitres pour dênoncer d l'Europe un amas de gcns pervers, qui d la faveur d'une feCle, odieufe d la jois 6? ridicule, ont furpris les intentïons d'un I*iïnce qui vouloit être un honncic homme. J'y ai mis des notes qui dêmasquent les coupables; & je leur dédare que dêformais chacune de leurs aclions fera examinêe (f divulguée. UAllemagne ver ra comment ils opèrent la dêcadence d'un royaume, qui fous deux rêgnes, êtoit dcvenu fi florif fant. Les Primes apprendront combien il ejl dangereux de livrer leur conjiance d des êtrangers, qui riont d'autre but que leur fortune particuliere, de défefpêrer leurs fujets, qui ont la conjlan- tefottife de verf er leur fang pour des in* grats, A  2 Le Roi lui-même, apprendrapeut* ttre par cette correfpondance, d cormoitre ces coquins qui dêshonorem fon règne. Nous empkirons toutes les lan* guesy tousles moyens, pour faire parvenir la vêrité jufqu'd lui. Ce tfejl pas une ligue impuiffante qtfune conjuration de pbibfopfres, armês pour la vêrité.  C 3 1 LETTRE PREMIÈRE. (^!e que nous avlons prévu depuïs longtcms, ce que nous avions même craint vlent d'arriver. Frédéric II. a terminé une vie aftive, glorieufe. II eft mort avec cette fermeté qu'il porta dans les entreprifes les plus épineufes, & s'eft montré le mêtne jufqu'au dernier foupir. Malgré les fortes douleurs qui tourmenterent fes derniers jours, il ne fe plaignit jamais, & fut, au moment de fa mort, ce qu'il avoit été pendant tout fon regne, un Roi que 1'hiftoire comptera entre les plus grands & les plus parfaits légiflateurs. La nouvelle de fa mort devanea 1'aurore a Berlin, & la confternation fut générale? même ceux qui fe croient intéreffés a un changement quelconque & qui fatA 2  t 4 1 tendent avec une ambitleufe impatïence, gardèrent un filence politique, & étoient indécis fur 1'avenir qu'ils devoient fe promettre. Les régimens. fe ralfemblerent fur la placé d'armes, & prêterent au nouveau roi le ferment de fidélité. Le peuple avoit les yeux fixés fur lui, & le bénnToit d'avance. On voyoit des mllliers d'habitants dans les rues & dans les cours du chateau lorfqu'il arrïva de Potsdam; tous le reeurent avec des acclamadons de joie, en criant vive le Roi, U n befoin intérieur les forcoit, pour ainfi dire, a ces dénionftratiors, qui ne difent rien, fi non vive notre roi, s'il peut être le pere de fon peuple -, car, malgré les grandes qualités de Frédêric, les impóts & les monopoles s'étoient ü fort accrus pendant les dernieres années de fon règne, que le peuple devoit naturellement defirer un foulagement que ce grand Roi lui auroic auffi fans doute accordé, fi quelques particuliers n'avoient trouvé leur intérêc k  [ 5 I lui repréfenter les chofes fous un faux jour. La fuite du tems, Peffet montrera fl Fré« déric-Guillaüme répond a 1'efpérance de fes fujets. La ville entiere eft remplie des bienfaits qu'il accorda a tous ceux qui 1'approcherent. II ne renvoya perfonne fans 1'avoir écouté & recut lui-même les placets qu'on lui préfenta. * * Cette heureufe habitude fe perdit biewöt. D'abord on attendit les réponfes pendant quina'e jours; enfuite on mit aes difficultés a la marche des lettres; enfuite on défendit tout-a-fait de lui écrire. Un Rol n'a pas le droit de faire pareille défetlfe , & s'il l'avoit, il feroit bien dur d'en ufer. A 3  f 6 J SECONDE LETTRE. I-je bonheur ou le malheur des peuples dépend du choix que le Monarque fait de fes confeillers; c'eft pour eet efFet qu'on eft fort aife de voir le Roi donner une entiere confiance au Miniflre de Herzberg, car la plus grande partie du public le refpette comme un homme éclairé, qui connok notre conflitution & qui a de 1'expérience. * Tout ce que Ton peut, jufqu'icï dire du nouveau Miniftre d'Etat, Monfieur * Ce miniftre g3te de bonnes qualités par des préjugés ridicules. Comme iL a plus de connoiflance que d'efprit, fes déduftions valent micux que ces vues. II ne fait pas le francois, & il écrit en francois; il ne connoitrien a la littérature, & il s'elt placé a la tête d'une académie; il eft pefant dans fon élocution , & il a la manie de pérorer. La nature 1'avoit fait pour |tre un excellent archivifte, ^ il a voulu, £tre un £olbert.  £ 7 ] ÉüArnim de Boizenbourg * fe rédult & affirmer qu'il efl: un des plus riches gentilshomraes du Royaume. On le dit fort haut, & on lui reproche dê traiter avec arrogance les fubalternes dans fes départemens. II faut efpérer cependant qu'il fe corrigera de ce défaut quand il réfléchira qu'il eft comme eux ferviteur du Roi & du pays; que le dernier des fecrétaires a droit k fon eftime, s'il fe montre infatigable pour fes devoirs, & s'il les remplit avec intégrité, quoiqu'avec de modrques appointemens. * M. Ie Baron A^irnim , fait Comte par le nouveau Roi, ctoit du petitnombre d'élus a qui la nature donne cent cincjuantc mille livres de rente, un efprit médiocre, une jolie femme & le goüt de la campagne. L'ambition a tout dérangé, ellé 1'a élevé a un pofte oü il a perdu la tranquillité intérieure, la confidération au dehors, fes jardins, fes amis, fa gaieté. II ne lui reftequ'une faveur équivoque , &i'honneur ftérile du miniftere, dans un pays oü il efl: humilié, & ne pourroit pas même faire briller de grands talens, fi on les polfédoit. Le feu roi 1'avoit bien jugé, auflï valoit-ilmieuxalors, paree q[u'U étoit condamné a une modeflie qui convenoit a fes médiocres talents. A 4  [ ? 3 O N s'attend a voir dans peu encore plufieurs nouveaux miniflres. DéjA les aft'res du fecond ordre brillent fur 1'horifon pruffien; Dieu veuille qu'ils aient une heureufe influence fur 1'enfemble, car ils parohTent foudain comme s'ils fortoient d'un nuage épais. Le Lieutenant - Colonel de Bifchofsnxerder *, aide de camp, eft toujours autour de la perfonne du Roi, qui lui a donné toute fa confiance. Le Roi défunt, a la vérité, 1'avoit déja pris a fa fuite; * La fortune a quelquefois empioy6 Ue* hommes fins grande capacité dans l'adminiftration des Etatsniais rarement elle a choifi un fi trifte fujer que cè Bifcbofsneerder; naiflancs ordinaire, figure tiifte phyftonomie perfide, élocution embarrafTée; ne connoHTant ui le pays qu'il a quitté, ui celui qui l'a recueilli , ni ceux qui intéreffent la Pruffe. N'étant ni militaire, ni financier, ni politique, ni écono'mifie. Un de ces hommes enfin qtie Ia nature a condamné a 1'obfcurité & k végéter dans Ja foule. Voilk 1'homme qui regne en Prufie, qui nomme aux emplols, & qui a fait la belle opération d'Hollande.  t O 1 maïs fans aatrement le diftinguèr, 5c il trouva pour lors 1'occallon de faire connoïtre fes talens au Prince de Prulfe. II étoit au fervice de Saxe pendant la guerre de Baviere, & jouiffoit des bontés & de la protettion du Duc de Courlande, quï, comme on afTure , s'en eft fervi fouvent dans fes affaires particulieres. On n'a jamais parlé de fes connoiffances militaires, maïs bien de fon amirié intime pour le fameux Schropfer, jadis caffetier a Leipfik, & de 1'effervefcence avec laquelle il a toujours fuivi le fyftéme de Rofe-croix. Un autre homme encore fort remarquable, favori du Roi & de cette même trempe, c'eft le Confeiller-Privé des finances, M. de JVilner ( i). II eft fils d'un curé * M. Wollner, bourgeois anriobli, ne manque ni d'efprit, ni d'aftuce; il n'eft pas même fans quelques connoiffances. Mals qu'il eft loin d'être un homme d'Etat! D'ailleurs poflede-t il les lumieres nécefiaires pour adminiftrer un pays ? II a deux dcfauts qui doiveat rexcltire des premières places. i°. U ne travahle point. A 5  de village. D'abord il commen^a par éradier la Théologie, 5c au fortir de l'Univerfité il entra comme Précepteur au fervice d'une Dame de condidon qui vivoit a la campagne. Tout en donnant les lecons de Théologie a fes enfans, il feut fi bien s'infinuer auprès d'elle qu'elle lui donna une Cure, fans qu'il eüt befoin pour cela de quitter fa demeure au chateau. La fille de cette Dame étoit une riche héritïere, 6c les chofes en vinrent au point qu'il fe fit entr'elle 6c M. de Wollner une promelTe de mariage, que la mere approuva. Entse les plus proches parens de la Demoifelle il y en eut qui voulurent empé- Le fommeil, la pipe, le caffé, le Wisk prennent les trois quartsdefon exiftence. 2°. II ne peut jamais s'occuper qued'une chofe k la fois. Malgré cela il co regne avec Bichofswerder. Pourquoi? paree que c'eft le plus Intrépide flateur qui jamais ait déshonoré une cour, ou aviliunroi; il pleure , il tombe a genoux, il prêche, il invoqi»e le ciel. Iljoue unróle toutes les fois qu'il travaille un peu longuement avec le Roi. A la vcrité eela efl trés - rare,  £ « I Cher ce mariage, mals elle fit faire un Mémoire, & 1'adrelTant au Roi, elle y proteftoit qu'elle ne feroit jamais a un autre qu'a fon amant. Le Roi lui accorda fa demande, paree qu'il avoit pour principe de ne jamais gêner la volonté des femmes fur ce point. , M. Wollner, qui, moyennant ce mariage, fe vit tout-a-coup maitre d'un gros bien, quitta fa cure, renonea au fervice divin, fous le prétexte fpécieux que fa poitrine étoit attaquée. II vint a Berlin, acheta une prébende & s'adonna a la maeonnerie, & a 1'économie politique. Quelques brochures qu'il fit imprimer & d'autres bonnes recommendations lui procurerent une place de confeiller de la chambre des domaines du Prince Henri dePrulfe. La maeonnerie, 1'amitié du P. F. de B. & celle de M. de Bifchofswerder, le recommanderent au fucceffeur qui prit une trés-haute opinion de lui, & qui le confulta dans des affaires de la plus grande conféquence. On ignore encore dans quel département ce favpri  F »3 I trouvera une place, car jufqu'a préfent ïi n'y en a poinc d'affignée pour lui au grand dire&oire, quoiqu'on aic cependant déja fongé a lui donner de gros appointemens. II va feguliérement a, des certaines heures chez le Roi , qui le confulte fur les affaires d'Etac les plus importantes & les plus fecrettes. Les trols freres Beyer * jouent un des premiers röles après M. de Bifchofswerder & M. Wollner. L'aïné fut déja placé ici il y a vingt ans par le miniftre Lagen de Halberftadt. II commenca par étre fecrétaire, puis on le fit Confeiller de la cham- * Les trois freres Beyer ont fait une coalitiorj pour occuper les marches du tr&ne & appelier leur nombreufe & obfcure familie aux places de confiance. On les foupconne de penfer férieufement k renverfer Wollner, moins capable, quoique plus en faveur. Ils ont confpiré avec fuccès contre le minlftere qu'ils ont rendu taifant, & contre la nobleffe qui languit dans unoubli, voifin du mépris. Ces plébéïens, tranfportés dans 1'ordre Equeftre, ontfaifiles rênes du gouvernement, quant h la partie des finances, & ne les dirigent pas mal. Ils ont tous les défauts des parvenus & fortpeu des qualitcs qui font parvenlr. Les circoHftances ont tout fait.  t 13 3 bre, & finalement on le placa au grand dïreftolre comme Confeillier-privé des nuances. Perfonne n'ignore qu'il ne dut fon élévation fubite qu'au mariage fubit aulïï qu'il contrafta avec la fille du Direfteur de la chambre de Halberfladt, nommé Diedrkb. On ne fauroit d'ailleurs lui contefter Ja connoilTance des affaires. Son adreife principale confifta cependant toujours a étudier & a faire fon pront des foiblefles des miniftres auxquels il avoit affaire; de cette facon il réuffilToit ordinairement a fe rendre fi nécelfaire prés d'eux, qu'ils ne pouvoient plu3 fe palTer de lui; & c'ell alnfi qu'il a trouvé le moyen de remplir prefque toutes les charges de la principauté de Halberfladt, par des perfonnes de fa trés - nombreufe familie, oa par d'autres fujets qui lui font entiéremenc vendus. Son infiuence s'étendit méme fur la Weftphalie; en un mot fur toutes les provinces du reifort du troifieme départe- _ ment du grand Direftoire. II augmenta encore, lorfque fon ami & fon coropatriote,  [ 14 1 feu M. Steker, eut obtenu 1'importante place de Confeiller - privé du Cabïnet. EJï modus in rebus. Quoique Frédéric fut forc éclairé, on trouvoit pourtant le moyen de le prévenir pour ou contre de certaines perfonnes. L'élévation du défunt Miniftre d'Etat, Micba'èlis, qui étoit 1'ami intime de Madame Beyer, en fournit une preuve évidente. Enfin tout ce qui n'étoit point de la familie des Beyer, ou de Steker, de» voit renoncer a faire fortune dans le département des finances. Si Ton n'avoit point épuifé tous les moyens pofïïbles pour cacher aux yeux du Roi les machinations qu'on tramoit; fi ce grand Prince avoit eu le moïndre foupcon que des femmes du calibre de Madame Steker, de baffe extraction comme fon mari, qui avoit été laquais, fe mêloient des affaires du pays; qu'elles étoient en relations pécuniaires avec les monopoleurs & ceux qui faifoient les livraifons; qu'elles rempliffoient méme les charges vacantes; on auroit vu détruire bien vïte leurs plans & chalfer cette gent  E 15 3 ïndigne. Cétoit un malheur pour le pays, mais qui fouloit principalement les perfonnes qui avoient des emplois publics, & qui penfant trop bien d'une part pour fe faire délateurs, craignoient peut-étre encore de 1'autre d'être facrifiees pour ce prix de leur patriotifme. Il n'eft donc point étonnant que le parti des Beyer devïnt de jour en jour plus puiffant, Le fecond frere avoit percé, par la recommandation de fon aïné, jufques dans le cabinet du Monarque. II fuccéda a Steker, quï mourut inopinément, & que le Roi voulut voir remplacer de fa main. Le troifieme frere avoit été jufqu'a préfent Confeiller-privé a la chambre des comptes. Peut-être doit-il la confiance, dont Ie Roi 1'honore aujourd'hui, h. la recommandation de fon frere le Confeiller-privé du cabinet; car jufqu'a préfent on n'a pas encore ouï parler des fervices effentiels qu'il a rendus a 1'Etat. Quoi qu'il ea foit, il  E 16" J efl: a defirer que lui & fes freres rempliffent avec droiture & fans reproch.es les intentions du Roi, qui font toujours de faire le bonheur de fon peuple. Le Comte de Lindenau * vient d'arriver ici. II étoit antérieurement au fervice de Saxe. Depuis il s'étoit établi pendant un certaln tems a Delfau , oü le Roi le vit étant encore Prince de Pruffe. A préfent il vient de le nommer major dans 1'armée & écuyer de voyage. On loue fes connoiffances dans la partie des haras. Elles pourroient nous être fort utiles fi Pon penfoit enfin férieufement a ètablir un haras de chevaux du pays. II faudra voir fi le Comte de * Le Comte de Lirvdenau a montré de la fermeté , de Pamour de 1'ordre, & ïi pcu-près les qualités nécefl'aires pour être un excellent piqueur. Qu'on ne premie p.is ceci pour une épigramme: c'eft un excelïent piqueur qu'il faut être pour remplir la faflueufe place de grand Ecuyer. De tous les choix qui font tombés fur les étrangers, celui du Comte de Lindenau a été le plus généralement approuvé. Depuis quelques mois on le foupconne d'un pea do complaifaaoe ....  [ 17 1 de Lindenau eft exaftement 1'homme qiï'en devoic choifir pour mettre a la tête d'une entreprife aufïï importante. Rien de plus aifó que d'acheter des chevaux, quand on a une caifTe dans laquelle on peut pnifer; mais il faut des connoiiTances fort étendues pour former un haras qui puhTe fournir a la nombreufe cavalerie pruffienne de bons chevaux du pays. On doit louer le Comte d'avoïr eu foin de faire augmenter les appointemens des officiers de 1'écurie, mais aufii il n'eft pas difficile de porter un monarque comme Frédéric - Guillaume a des générofités, lui qui met fon bonheur a faire des heureux. Une autre perfonne qui jouit aufïï de la faveur particuliere du Roi, c'eft le tréforier privé Rietz, le mari de la demoifelle Enke, qui a donné au Roi, comme Pr'nce de Pruffe, quelques enfans qui donnoïent les plus belles efpérances. On prétend que le manage avec M. Rietz n'a jamais été confommc. II fuffit que la demoifelle Enke porte fon nom. On lui reproche de paroi1  . t 18 j tre brufque 6c haut II fera bieri de tie point oublier le néant duquel le Roi 1'a tiré étant Prince de PrulTe, 6c alors il efh inconteftable que perfonne ne lui enyiers le bonheur d'être le premier .... domefiique de fon maitre. Une de fes bonnes qualités eft ne ne fe point méler des affaires du pays, ni de 1'Etatj au moins on n'en a riea entendu dire.  I i? 3 TROISIEME LETTRE jL%_ fon retour de la Pruffe, le Rol s'efi; rendu pour guelques jours a Charlottenbourg. Les marchands, les bourgeois & les bouchers de Berlin vouloient lui témot» gner la fatisfaétion qu'ils avoient de le revoir; mais étant fatigué du voyage , il prit une autre route, & palfant par le pare, il alla diner a Charlottenbourg. Les Berlinois, qui defiroient le voir, furent mécontens, & furent prompts a foupeonner que lè Roi ne les aimoit pas alfez. Ceci n'étoit certainement pas fondé, car la fincérité & la vérité font la bafe de fon cara&ere, & il a témoigné plus d'une fois qu'il n'avcit rien tant a cceur que le bonheur de fes fujets* Faifons donc des vceux pour qu'il trouve toujours a fes cötés des confeiilers qui le fervent également avec fincérité & véritó. B 3  £ zo ] O n vient de nommer une commiflion pour examiner 1'adminiftration de la régie. Le chef de cette commiflion eft le Miniftre de Werder * , qui eft recommandé au Roi par M. de Bifchofswerder, & par d'autres perfonnages de beaucoup de poids. Malheureufement cette branche effentielle du commerce n'a jamais été de fon reffort. Malheureufement encore fes ccnfeillers, entre lefquels fe trouve M. de Beyer, Confeiller-privé des finances, le même qui fut jadis employé dans la chambre du timbre & des cartes; malheureufement, dis-je, que lui, qui eft a leur téte, & les autres qui * M de Werder eft un homme fans talents , fans vues, fans expérienca., incapable du potte qu'il cccupe, fans le remp'.ir, & qu'il eüt déja quitté fans la néceffiié de pourvoir \ une nombreufe familie. ^11 aimeroit mieux faire le bien que le mal; mais 1'ignorance le jette dans de fauffes démarches qu'il faut foutenir fous peine de confirmer authe. tiquement 1'opinion du public fur fon compte. C'efi un homme borué, & non pas méchant; laborieux, mais lent \ faiür. C'e'ft le Duc de Brunswick qui 1'a recommandé, fon fuffrage fera d'un grand poids toutes les fois qu'il s*agira de guerres.  E 21 J font fous lui, n'ont jamais travaillé dans le département de 1'accife. Malgré cela, on dit que le Miniftre tache toujours de lire dans fes yeux s'il eft du même avis que lui. Un autre confeiller qu'on a mis dans cetCe commiffion, eft le Confeiller-privé des finances Kcepké, un ami intime des Bcyers; un autre encore eft le Confeiller de guerre Diederick leur proche parent, qu'on dit être recommandé comme Confeiller - privé. On verra li ces Mefïïeurs rempliffent les intentions du Roi, qui font d'alléger les impöts. Rien ne paroït plus certaïn que 1'abolition totale de la régie francoife. M. De Launai *, premier Régiffeur, doit déja avoir obtenu préalablement fon congé. Cependant on lui a enjoint de fe tenïr a. * M. De Launai n'étoit pas un grand financier, ui giand homme, un génie diftinguc; mais il avoit une expérience de vingt ans. Il falloit en profiter & fairs exécuter fes projets, avec les moditïcations convenables, par ceux mèmes qu'on emploie aujourd'hui. Rien n'efl fi facile que de détruire; c'euV une manie qu'ont tous les ncuveaux Roïs , tous les nouveaug Ba  r 22 i Berlin jufqu'a la fin des recherches de la commiflion. Je fuis très-éloigné d'apprpuver les arrangemens de la régie frantjoife dans les états du Roi, particuliérement pour 1'accife & pour les péages. Je trouve que 1'on peut très-bien fe palfer d'eux; on trouvera toujours dans les états du Roi des perfonnes capables de remplir cette befögne. Mais fi l\on ne propofe au Roi que des fujets qui fixént leur point de vue principal feulement fur les appointemens. attachés a ces précieux emplois, & qui n'aient point de connonTances pratiques de tout ce qui entre dans les parties de 1'accife & des péages; alors le pays doit en fouffVir , & les bonnes intentions du Roi ne peuvent être remplies. Malheur au pays oü 1'on repréfente les chofes fous un faux miniflres. I! femble""que toutle mérite confifle \ renverfer 1'édifice de fes prédéceiTeurs. C'eft ce qui exige le mcirs de talent. Ii en faut bien davantage pour perfeft onner que pour abattre, on rifqus d$ ke pss resonliru-re avec plus d'^rt, ,  t 23. ]• jour au Monarque, & oü des gens Intéreffés 1'entourent, pour ainfi dire, d'un mur, pour empêcher que la vérité n'arrive jufqu'a lui. On dok rendre juftice a M. De Launai; il avoit de grandes connoiffances en fait d'accife & de péages ; il fait par une expérience de vingt ans ce que le pays peuc donner, & fi on 1'avoit engagé a faire un nouveau plan d'après la volonté du Roi , il auroit certainement rempli cette commhTion avec plus de connoiffance de caufe que tous ces JMeffieurs qui fe pavannent, qu'on a mis au timon des affaires & qui s'y connoiffent peu , ou point du tout. On voit arrlver ioi journellement de tous cötés une foule d'étrangers qui viennent affifler a la cérémonie de Fhommage", & d'autres qui veulent chercher fortune fous le nouveau règne. Entre ces derniers, il y a beaucoup de Saxpns, qui font attirés par les fuccès éclatans que quelques-uns cVentr'eux ont obtenus fi rapidement. II efl a fuppofer que la majeure partie de ces B 4  [ 24 1 Meffieurs s'en ira peu-a peu comme elle eft venue. M. de Bifchofswerder ne femble s'intéreffer que pour ceux qui appartiennent a fa confrérie, fa porte eft fermée pour tous les autres. Tous lesmonopoles doivent étre abolis & le lotto doit finir. Quelle belle perfpec tive ! Le doigt d'un Monarque qui s'occupe fans celfe a faire du bien, peut feul nous la montrer. II étoit dur, fans contredit, pour les fujets pauvres , qui travaillent a la fueur de leur front, de voir le riche traitant, le mónopoleur, le fainéant partager entr'eux feuls des pronts qui auroient fuffi pour faire exifter avec une forte d'aifance nombre de families aflives & laborieufes, tandis que ceux même, qui tenoient d'eux leurs richeffes, les regardoient du haut en bas & comme des miférables exa&eurs, faits pour vivre de leurs faveurs. Bientót ces dernïers verront la fin de leurs maux, & des jours plus fereins luiront pour eux, paree qu'on ne mettra plus d'entra-* ves a leurs juftes profits.  Le magafin royal oü 1'on brülok le café fera endérement aboli, & les marchands peuvent a préfent vendre cette boiflbn. La même chofe doit arriver a la régie du tabac, & le Roi veut remplacer la diminution de fes revenus par de légers impöts, qui ne fouleront pas fon peuple, & qui feront percus fur quelques objets de luxe. J'aurai certainement occafion de parler dans ma première lettre de ces nouvelleg opérations de finances. B 5  Q.UATRIEME LETTRE. JLE Rolarecu, avec la pompe ufitée, le ferment de fidélké de la part de fes fujets de Berlin; c'étoit un afpeft fuperbe de le voir fous fon dais & des milliers d'hommes devant lui qui juroient folemnellement (ayant la main droite élevée vers lè cièl) de le refpedïer comme leur maïtre & de lui obéir. Tous les yeux étoienc fixés fur lui. L'artifan laborieux, le jeune homme', & le vieillard courbé fous le poids des années, tous montroient le même zèle pour bénir leur nouveau Monarque. Quel lpedable intérelfant! Le cceur du Roi en fut, dit-on, fenfiblement aifedé; il ne defire que le bonheur de fon peüple. Malheur a ceux qui empêcheroient ce cceur de battre avec autant de chaleur pour lui . . . Malheur a ceux qui pourroient doniier aux fujets du Roi des raifons lé-  t 27 f gmmes de doüter de fon amour : mai's non, ils n'en douteront jamais, ils rendront toujours juftice a fa douceur & a f©n urbanïté. Je pourrois vous infonmer de beaucoup de chofes relatives a la cérémonie du jour... mais mon intention étant de vous narrer des faits qui ont de 1'influence fur la conflitution. de 1'Etat, je vous renvoie aux papiers publics pour les autres defcrip^ tjons. -Le Roi témoigne beaucoup d'eftime & d'amitié a fon oncle le Prince Henri *, mals on foupconne avec raifon que de certaines perfonne's qui 1'entourent, 1'em-* pêcheront toujours de le confulter fur des * Le coup le plus adroit a été de refroidir ie Roi pour fon oncle , qui lui eüt toujours de Ia vérüé , fans même examiner ce qui pouvoit en réfiriterpour fa perfonne. Je ne connois pas les qualités de ce prince en. détail, non plus que fes défauts; mais quiconque lui refuferales grandes vues politiques & le courage d'une ame forte, ne connoït a coup für bi leschofjs , ni les hommes. On a perfuadé au Roi qu'il foroitgouverné. 11  r 23 i affaires d'Etat, lui qui mérite, fous tatit de rapports, le nom de Grand. 11 n'ea eft pas moins certain que dans le cas oppofé on arracheroit le mafque a plus d'un favori que la fortune careffe aujourd'hui L a confrérie des mapons-7éfuites montre plus que jamais une tranquillité fort a£tive & fait venir de 1'étranger un renfort de nouveaux membres. Entre ces derniers on voit figurer M. Dubofc *, négociant de Leipfik, jadis fort eftimé; il y fit une faillite & fe retira a valoit mieux 1'être par unc perfonne de la trcmpe du Prince Henki que par des Bifchofswerder, des Beyer , des Wollner. Au moins y-a t-ïl quelque gl01re a ceder au génie; au lleu que d'être le jouet d une valetaille obfcure, eft le dernier dégré de 1'humihauon. * Dubofc eft un de ces hommes qu'on ne devroit jamais citer, ils n'ont rien pour occuper un inftant les regards du public. II y a mille marchands a Hambounr, \ Berlia &a Leipfik qui valent mieux que M. Dubofc, & dont il ne faut pas faire des confeülers laumei*  r «9 i Dresde. II fut fait maïtre en chalre, ou vénérable de la Loge; il étoit 1'intime araï de 1'immortel Scrhopfer, qui vivroit encore, s'il n'avoit jugé a propos de fe frayer fubitement le chemin de 1'autre monde par un coup de piftolet. C'eft en vérité bien dommage , car il jouer»it a&uellement un bien beau röle. O n ignore quelles feront les affaires dans lefquelles M. Dubofc montrera particuliérement fon favoir-faire. II efl: fur qu'il ne manquera jamais de pofte lucratif & honorable, puifqu'il jouit de l'amitié de M. de Bifchofswerder, de M. Wollner & de Meffieurs de Beyer. Ces derniers viennencd'être annoblis. On a aifément des talens Comment un pays peut-il s'abalffer & s'humilier au pomt de recevoir indiftinfitement toute eipece d'adminiftrateurs étrangers ? N'eft-ce pas convenir tacitemeot qu'il manque de lumieres, de talens, d'expérience ? Alors il doit faire des recrues a Londres, k Amfterdam, h Bofton, & n'alier pas chercher k Dresde des commercans.  quand on a le bonheur d'avcir de tels arms} qui nous font valoir, & qui même ne fe font pas fcrupule de méfufer de la confiance du Monarque pour parvenir a leurs fins. On s'étonne fur-tout, & avec raifon, que Meffieurs de Bifchofswerder & de Wollner, qui refufent la moindre petite audience auX fujets du Roi, trouvent cependant, malgré leurs grandes occupations, le moment de voir plufieurs fois dans la journée M. Dubofc & de chuchoter avec lui. M. de Bifchofswerder jouit de la fatisfaftion de voir deux de fes filles , comme filles d'honneur *, ou Dames d'atours chez * Les Demoifelles Bifchofswerder font deux petites filles mal élevées. L'ainée a dans fes yeux le flambeau de 1'hymen. Ou les dit Intrlgantes. Propos jaloux Qu'ont-elles befoin d'intriguer, puifque leur pere'regne. Ce qui fait vraiment honneur h la Nobleffe pruffienne, c'eft que perfonne n'ait encore effayé d'arriver a la fortune par cette voie. Au refie il faut diftinguer les ridicules des vices, & dire que jufqu'ici la conduite de ces Demoifelles eft intade. Elles ont une coquetterie mal adroite; mais dans la réalité, des moyens & de la fageffe.  t 3i J la Reine régnante; toutes les deux appar-J tiennent, dit-on, a eet ordre & font fon plus bel ornement. Mais elles trouveront peu de fecrets a révéler ou k garder a la cour de la Reine, oü tout fe traite ouvertement, avec franchife & loyauté. Il y a quelques jours que nous vïmes arriver ici, fous un nom fuppofé, le Lieutenant-Général Saxon, Comte de Bruhl. II retournera en Saxe, &en amenera fa femme. II doït remplir enfuite a fon retour le pofte de gouverneur du Prince royal. Le gêné-; ral Pockhof qui s'étoit acquitté jufqu'ici de cette foneïion avec toute l'exaftitude poffible, a rejoint fon régiment. Tout Ie monde rend juftïce au mérite, comme aux talens du Comte de Bruhl, mais on remarqué avec étonnement qu'on falfe venïr un étranger pour remplir une des premières dignités du pays. DéjA le pofte dé grand Ecuyer ettrempli par M. le Comte de Lindenau, qui efl  t 32 1 Saxon *, & non content de cela on donne encore une des plus éminentes dignités du Toyaume a un autre Saxon. Ce n'eft pas que le public porte envie a ces étrangers; mais on jnge Impartialement qu'il n'eft pas décent que les favoris du Roi, dans la vue d'augmenter leur parti, lui propofent des étrangers pour des emploïs de cette efpece. Ceci doit néceffairement déplaire a la noblefle du pays, qui, fe voyant exclue, refte pour ainfi dire immobile d'étonnement, & s'abandonne a un découragement prefque total. En effet comment ne pas être ftupé- fait * Ce qu'on appelle les grandes charges de cour en Allemagne appartiennent a des families du pays, & font mérirées par des fervices connus. Faire un jeune homme grand Ecuyer, c'eft en France faire d'un Capitaine un Marcchal. 11 falloit occuper Ie Comte de Lindenau, lui donner vingt, trente mille écus de traitement, mais non pas lui confier un titre qui renverfe les ufages, & fait preffeniir un bouleverfement général dans les idéés. Pour fe mettre au-deffus des ufages recus il faut de grands talents, & fur-tout avoir obtenu de grands fuccès. Jufqu'a cette époque, il faut obéir aux convenances.  I 33 3 fait de voir confier le fucceffeur au tróne; au fils d'un homme * qui fe montra a la face du monde entier 1'ennemi irréconciliable de la maifon de Brandebourg & qui ne deliroit que fa perte. Et c'eft eet homme3a qui doit diriger fes fentimens du Prince * M. le Comte de Bruhl eft em'mable h bien des égards, mais peut-être ne falloit-il pas le chuifir, non paree qu'il étoit Saxon, ou catholique, ou fiis de 1'ennemi de la PrufTe ; mais paree qu'il n'a pas la fupériorité de talents & 1'étendue de connoifTances nécefTaires a ce pofte, le plus important de 1'Etat. Luimêmedevoit fe juger au-deffous, fur-tout pour élever un prince, qui promet une partie de ce que fon grand oncle a tenu. II ne fuffit pas d'avoir une converfation facile, un efprit agréable , il faut réunir en foi les grandes qualités qui ibiment 1'homme d'Etat & reculenr les bornes de 1'efprir. On a biamé le Roi d'avoir appelle un étranger. Jj voudrois bien connsïtre ceiui que ces critiques auroient choifi dans tous le^ pays qui compofent la monarchie pruffienne? On a défigné M. d'Hertsberg: oui, pour faire un bon. fecrétaire de légation. Encore lui auroit-il infpiré tous les préjugés étroits qui le dorninent. Nous prions M. le Comte de Bruhl de ne pas s'affliger de nos re» marques. On peut beaucoup eflimer un homme, & ne pas !ui accorder les grandes qualités qui paroifTeiH ane ou deax fois dans un fiecle. c  r 34 i Royal vers le bien public? On dit le cara&ere du Comte de Bruhl grand &noble, mais il refte toujours homme. N'auroit-il pas recu quelques mauvaifes impreffions dans fa jeuneffe? N'auroit-il pas confervé dans fon ame une petite teinte de cette haine que le parti des Bruhl eut toujours pour la Pruffe & pour les opérations de Frédèric le grand? Ou 1'auroit-il peutêtre étouffé dans fon cceur? N'auroit-il pas des principes oppofés au bien de notre Etat & a fon intérêt? Enfin n'auroit-on pu trouver dans les Etats du Roi un feul homme capable de remplir les idéés du Monarque, relativement a 1'éducation de fonfuccelfeur? Cette idéé feroit deshonorante pour la noblelfe du pays & pour la nation entiere. Le Prince Royal montre d'heureufes difpofitïons, & promet de réunïr en lui les grandes qualités de fes prédécelfeurs; il paroit déja. avoir du caraclere & vouloir fe former d'après les héros. II efl: compatiffant envers les malheureux) il tache  t 35 ] de s'applïquer & de fe donner des connolk fances utiles. S'il continue ainfi*, s'il réfifle a la première féduftion, fi dangereufe pour la jeunelfe , s'il ne s'abandonne point a la molleiTe, Ie fiecle futur le placera parmi les grands Rois. La régie francoife eft entiérement abolie. M. De Launai & plufieurs officiers de fon département, qui ne favoient point 1'allemand, ont eu leurs congés. On ne fauroic nier qu'il feroit plus convenable de placer dans les poftes de 1'accife des indigenes, qui, fachant la langue du pays, rempliroient mieux le but propofé. Eh! qui a des droits plus inconteftable» qu'eux a de pareils emplois ? Le Roi a déclaré qu'il ne vouloit point entendre pariet d'augmentation de charges & d'impóts, & qu'il tacheroit même de les alléger autant que poffible. Le Miniftre d'Etat, M. Werder, a êtê nommé chef du nouveau département d« C 2  L 36 1 raccife & des péages. II a prïs, outre 'les confeillers déja en place, les conteUlersprivés des finances, MM. de Beyer & Kopk. Les ar rangemens intérieurs reftent encore les mêmes. 'Une autre preuve des bonnes "intentïons du Roi eft 1'abolitïon de la ferme du tabac; commencée au premier du mois de Juin 1787. Le Roi défunt inftitua cette ferme 1'année 1765. II avoit en vue d'encourager par-la fes fujets a la culture du tabac du pays, & d'empêcher en même temps, autant que poffible, 1'exportation du numéraire. Mais comme dans le fait tout monopole foulele pays, il enfutainfi de celuici , & tant par les prbc exorbitans, que par le peu d'attention qu'avoic 1'adminiftration a ce que la qualité fut bonne, il fuffifok que les fujets fuffent obligés de fe fournir a fes magafins. Mais comme les mauvaifes efpeces de tabac a fumer, dont le petit peuple & le foldat font ufage, avolent encore des prix alTez fupportables, les plaintes ne furent point fi générales que  r 37 ] celles que 1'on forma contre le tabac rapé, qui, par le fréquent ufage qu'on en fait univerfellement, eft prefque devenu un befoin de première nécefiké * L'idée du Roi eft d'ouvrïr par cette abolitlon une nouvelle branche de commerce , comme on a déja fait en parfaitement le débit du. caffé.. Jusqu'atj premier de Juin on vendra encore du tabac qui fe trouve dans les magafins du Roi, aux prix accoutumés, & dés que les nouveaux arrangemens commenceront, le prix tombera d'abord de moitié. CowtME cependant beaucoup de perfonnes perdent a ce changement & font mis hors d'a&ivité, le Roi a eu la bonté de leur laiffer a tous leurs appointemens, jufqu'a ce que 1'on ait pu les placer conve- * Cela efl vrai en Angleterre , en Efpagne & en ÏYance; mais non dans cette portlon de l'AIIemagne oü 1'on confomme beaucoup plus de tabac a fanier» que de tabac rapé-. C 3  I 38 } nablement dans d'autres affaires, ou dans le département de 1'accife. Les fommes néceUaires pour cela doivent fe percevoir, dit-on, par un impöt trés-léger & dont le peuple s'appercevra a pelne. Malheureufement 1'on vient de propofer pour cela au Roi une capitation. . . . Certainement de tous les impóts c'efl: lé plus odieux dans notre pays, & c'efl: par cette raifon que 1'on a toujours opiné contre. Le bourgeois , 1'artifan fume & prend du tabac lorfqu'il a épargné une couple de grosj mais il y renonce aifément lorfqu'il n'a point d'argent ou qu'il veut employer fes économies a des objets plus nécelfaires. Plufiéurs d'entr'eux ne prennent ni ne fument du tabac, il feroit donc fort onéreux pour ceux-ci de payer au bout du moïs ou du quartier huit gros, oü même un écu. On ne fait déja que trop la difficulté qu'ont la plupart d'entr'eux de payer un loyer de 'quelques écus , lorfque le terme en eft échu; fouvent ils ne peuvent s'acquitter qii'en mettant en gage leurs  r 59 3 aablts ou méme une partle de leurs meubles & de leurs uftenfiles les plus néceffairés. Qu'on jette feulement un coup-d'ceil au Lombard vers le tems oü le terme des loyers eft échu, & il ne reftera aucun doute fur cette alfertion. Quelqu'économique que fok la vie de Ia plupart de nos artifans, quelque laborieufe, quelque pénible qu'elle foit, ils ne réuififfent pourtant que bien difficilement a fe procurer les premiers befoins de la vie, & malgré tous leurs foins & leurs travaux, trois mois s'écoulent comme un jour, avant qu'ils aient eu le tems d'y fonger. Or, il eft clair que celui qui a propofé au Roi un tel moyen ne connoït ni les. premiers élémens de 1'économie polkique, ni les facultés d'un peuple qu'on veut fouler. Qu'on ïntroduife cette efpèce d'impöt en France & dans d'autres pays; ici il eft & reftera toujours ïmpraticable: au moins caufera-t-il certainement un mécontentement général, & méme le défefpoir du petït peuple. II eii donc a defirer qu'on falfe encore a tems  ■t 40 ] des repréientations au Rol; il les écourera, oui, il les écoutera, car fes intentions font bonnes, & il détefte tous les moyens qui pourroient fouler fon peuple. . On fera beaucoup de changemer.s dans 1'armée quant aux üniformes. Le fold t fera ^mieux vétu, & 1'officier avec plus de goüt. On affure auffi que les officiers fubalternes auront une augmentation, & que les capitaines perdront quelque chofe, puifqu'on reftreindra le nombre de leurs fémeftriers. La rapacité de ceux-ci étoit inouie depuis quelque tems. II étoit inconcevable que des hommes qui parloient d'honneur *, d'équité, & qui en donnoient des preuves dans plus d'une occafion; il eft inconcevable, dis-je, que ces hommes aïent pu fe * II efl vrai qu'il y a dans 1'armée pruffienne un efprit de rapacité qui paroït au premier coup-d'ceil s'accorder bien mal avec la nobleffe du métier des armes. Les foMats répandus dans la viile de Berlin volent tout ce qu'ils peuvent, fous prétexie de commercer. Les offiicers travailknt une compagnie, comme les financiers francois travaillertt une provir.ce. Croiroit-ori qu'un eapitaine donne affez ordinairement quatre écus  li v ?i laüTer aller aux pWbafles ïntrigues & aux plus fourdes menées; qu'ils encourageafTenc même les moyens les plus inlques pour fournir a 1'exiftence du foldat; qu'ils devinffent inhumains, crueis & féroces; enfin, qu'ils aurorifaffent tout, tout en un mot, dès qu'il s'agiffoit de fe procurer quelque bénéfice fur la folde. II eft vrai que les fergens d'affaires contribuoient beaucoup k ces abus, ils y trouvoient aulfi leur profit, & fe tenoient toujours k 1'afiut, comme des chiens d'arrêt pour favoir s'il n'y avoit pas quelques gros a gagner. C'eft ainfi que nous vimes paroïtre cette foule de boutiques a friperie de toute efpèce, dans lefquelles on formoit de bonne heure la jeunelfe au vol. Car fi la chofe éclatoit, on n'étoit, pour aïnfi dire, foumis qu'a des ju- par mois a un Heutenant, qui a Ia baflefle de les prendre; & ce qui prouve encore plus le peu de délicateffe, c'efl que ce n'efl pas un accord général, car les capltaines avares s'eo difpenfent. II y a cent officiers qui travaillent a tant par jour, parfernaine, par mois. Frédénc qui ne vouloit que des machines, & qui nou du point d'honneur, trouvoit cela fort a propos C j  L 4* 3 ges partlaux & fufpeds. De cette faeofi encore 1'on vit naïtre infenfiblement cette fourmilliere de revendeurs, qui en achetant avant tout autre les denrées, les faifoient enfuite payer auflt cher qu'ils le voulolent aux bourgeois, leurs compatriotes. De eet-; te fa9on enfin 1'on vit germer de toute part 1'ufure, & les juifs pouvoient prendre des lecons des cïtoyens. Sans doute il feroit difEcile de changef tous ces abus dans un premier moment. II eft pourtant confölant d'apprendre que le Roi s'occupe de la police, & qu'il fonge a mettre le bourgeois dans une honnéte aifanee.  | 43 1 CINQUIEME LETTRE. L a cérémonie de 1'hommage s'eft faïte en Siléfie avec la même pompe qu'a Berlin, & le Roi eft déja de retour dans fon chateau de Charlottenbourg *. II paroït beaucoup aimer ce féjour, que fans doute il embellira dans la fuite. Quoique fkué dans une contrée fabloneufe, il a 1'agrément d'être prés de Berlin oü 1'on peut au be- ** Les jardins de Charlottenbourg, témpins autrefois des favantes converfations entre la Prii.ct.-fle Cbarlotte & Leibnïts, n'entendent plus aujourd'hui que lesrêveries des illuminés; les Pagnotertes des Bifchofswerder; les fottifes de Madame Rietz. Beaux-Artsl qu'êtes-vous devenus! fi 1'on excepte 1'inutile & agréible talent de la muiiquc, quels font ceux qui font protégés? Une académie baffsment flatteufe, qui fe précipite dans la fange du mépris; la philofopkie repoufTée; un vil tas d'ignorans parlant un langage inintelligible, ayant a leur tête un p.tu bavard fatigant, dont on commence déjh a oublier le rang que fa p'erfonne dégrade. Eh ! teut cela Touvfage d'un an.  t 44 3 foin fe recueillir dans la folitude. Le chemin qui y mene eft fort agréable, on pafle les plus belles allées du pare, & tous ces avantages réunis doivent rendre Charlottenbourg trés-intéreffant. Le Roi emploie, dit-on, ordinairement les matinées k travailler dans fon cabinet; il y lit lui-roême, ou s'y fait lire & rapporter tout ce qui lui eft adreffé. On diné a midi; quelques Généraux, ou des Miniftres ont 1'honneur d'être du diné du Monarque, & ordinairement on fe leve a deux heures & chacun fe retire chez foi. Madame Rietz; qui demeure dans une maifon contigue au jardin, jouit encore de 1'eftime toute particulïère du Roi. Son marï 1'accompagne quand il fe promene dans les jardins, & pour lors ils font la plupart du temps feuls eafemble. Quoiqu'on alfure que Fbédéric-Güil; laume s'occupe infiniment dans fon cabinet, on remarque cependant qu'on trompe déja fouvent fes bonnes intentions. Quoir  T 45 1 :que chaque changement de règne augmente confidérablement les affaires, il n'en eft pas moins vrai que les confëillers intimes dans ce département devroient s'appliquer a remettre aux gens les placets préfentés. Quand le Roi a jugé d'après fes lumieres & fa fagelfe qu'il faut refufer Ja prière du fuppliant, il eft du devoir du fecrétaire de lui renvoyer les documents & les autres papiers qui y étoient joints, Mais on entend gémir de tous cörés & fe plaindre de la néglïgence qui règne dans cette partie. Non-feulement on ne remet point les papiers, mais fouvent on les égare , ce qui eft une facon d'agir affurément toute nouvelle. Si 1'on me demande des exemples, fi 1'on doute de ce que je dis , qu'on entre dans Berlin, & le cri géneral attêftera ce que j'avance. Peu de perfonnes ofent revenir a la charge, & craignent de faire des repréfentations. D'autres attendent des journées , des femaines , des mois entiers, & plus long- tems encore, ils fe flattent au moins de recevoir une ré?  I 4'ingt-deux millions. FrcJéric, charmé d'en être quitte h fi bon marché, prit une poignée de billets de banque, &]es donna en récompenfe au miniftre. Celui-ci, trop fage pour ne pas prévenir 1'avenir, configna ce fait dans des papiers dépofés a la chancellerie fous les armes du Roi. Ce fait étonna, mais ne fit que ranimer 1'efprit de vengeance. On chercha de nouveaux torts au miniftre difgracié. Ce fut encore fans fuccès. On affure aujourd'hui que le Roi, convaincu de fa trop grande févérité, veut réparer les erreurs dans lefquellc« on 1'a jetté.  [ 49 3 principauté d'Oftfrife , lë Comté de Ia Marche ; le Duché de Cleves , la principauté de Meurs, le Duché de Gueldre, les forêts de tout le royaume; la banque royale, la compagnie maritime & la régie du tabac. Le Roi défunt le diftingua tou*> jours comme un homme a grands talens & fort utile a 1'Etat, & ce fut fous fon règne qu'il parvint, dit-on , a. amaffer un bien confidérable. II a été attrifté de fe voir contrarie dans bien des chofes qu'il propofoit comme falutaires au pays, & peut-être même a-t-il été noirci dans 1'efprit du Roi par des perfonnes qui craignoient fon mérite. On raconte qu'au moment oü il demanda fon congé , il fit venir un des Mrs. Beyer & lui montra un papier qui lui fcrviroit de talifman, s'il le vouloit. Le congé que le miniftre prit de lui ne fut pas tendre.. La place de M. Ie Comte de Schulenbourg vient d'être remplie par deux miniftres. L'un eft M. de Schulenbourg de Bkimberg, homme eftimé univerfellement par fon cara&ère, fes connoiffances & fon acD  [ 50 ] tivité *. II avoit été jufqu'a préfent confeiller provincial. II a le département de Magdebourg, de Halberftadt, & celui de la banque royale. Le fecond miniftre, M. de Maufchwitz,** ci-devant préfidenr de la chambre des domaincs de la marche éle&orale, réunit encore aujourd'hui fous fon département la principauté d'Oftfrile. Ce dernier ne doit fon élévation qu'a la familie des Beyers; car la femme de 1'ainé, confeiller-privé des finances, fe montre toujours extrêmement * L j Comte de Schulenbourg-Blimberg eft un homme d'efprit; a du caractere , du feu, de. 1'activité. L'habitude de traiter avec les hommes, & de s'occuper k la fois de piufieurs affaires d'Etat, eft tout ce qui lui manque pour être un homme auffi utile dans un pays oü un miniftre n'eft jamais qu'un premier commis, & qui a befoin de cacher la moitié de ces talents pour employer avec fuccès 1'autre moitié. ** M. de Maufchwïtz eft un de ces miniftres expéditionnaires dont les préiécelfcurs ont fait labefogne. Celu-ci eft borrié au point qu'on n'en dit pas même du mal.  [ 5i j aétive dans fon eerde, quoiqu'il ne fok plus queftion depuis long-tems de jenneiTe ni de beauté. Voila pourtant déja le fecond miniftre qui fait fortune par fon canal, & 1'on peut juger par ce perk échantillon ju(qu'oü elle porte la reconnoiffance pour fes amis. On doit même rendre a Monfïeur fon époux la juftice qu'il fe conduit admirablement bien dans de telles occafions; qu'il fe montre une fois dans fa vie bon-homme , & qu'il donne & prêche d'exemple a tous les maris complaifants. Le département de la principauté de Minden , du Comté de Lingen , Teklenbourg & de la Marche , comme celui de Cleves, de la principauté de Meurs, du Duché de Gueldre & des falines, a été donriè a M. de Heinitz, qui eft déja. directeur en chef des mines du royaume, & que Ie Roi défunt avoit attiré dans le pays a caufe de fon mérite & de fon intégrité. Le département de la compagnie . maritime a été conféré a M. le Comte d'Arnin D 2  [ 52 ] "de Bokzenbourg. On ne fauroit douter quê ce gentilhomme, fi haut Sc fi riche, n'acquiere les connoiffances néceffaires a Ik pUce, s'il prend le partl de confulter fouvent le confeiller-privé de Struenfée * frere du malheureux Comte. Mais les gens de cette trempe aiment-ils les confeils? Dans le cas ou il perfifteroit toujours a fuivre fa tête, qui paroit être finguliérement organifée, on a lieu de craindre qu'il en réfultera des événemens préjudiciables a ce bel établiffement. Le Roi a ordonné fagement que toutes les affaires paffen! au grand direftoire; 1'on ne pourra plus a 1'avenir former des décifions arbitraires & tout dok y être rapporté devant les miniftres en corps. On verra * Le confeiller Struenfée eft véritablemcnt 1'homme qu'ü falloit élever au miniftere , fi les grandes vues & la capneité font des titres pour y parvenir. Grand financier, grand calculateur, grand commercant, laborieux & eftimé. On m'a affuré que le Roi ne lui avoit pas encore parlé. Eh puis, paffez les nuits & ies jours a iravailler pour la profpénté d'un pays.'  [ 53 1 beaucoup d'abus difparoitre par-Fa, C'en étoit certainement déja un que le Comte de Schulenbourg de Kennert entretint chez lui une grande chancellerie; qu'il y décidat feul, d'après fa volonté & felon fon bon plaifir, la majeure partie des affaires de fes départemens, même les plus éloignés. Peut-on s'étonner qu'il y ait eu par fois des brigues , des cabales ? Doit-on imaginer que dans de telles occafions il n'y aura pas eu de népotifme ? Des coufins, des beaux-freres, des amis peuvent alors anéantir d'un feul mot les meilleurs arrangemens, renverfer comme d'un coup de baguette le honnêtes officiers qui fongent au bien du Roi & de la chofe publique, & qui n'ont d'autre tort que de n'avoir point de parens dans le college. Le mecostentement étoit déja univerfel au fujet de la capitation qu'on vouloit introduire. Des miniftres honnêtes & impartiaux ont déja prévenu le Roi des fuites d'un tel arrangement. Le miniftre de Süéfie, M.« E> 3'  r 54 i de Hoym *, Sc ML de Heinitz*' d'icï, tfont pas craint de dire au rnonarque quelles en feroient les funeftes fuites ; leurs raifons étoient valables Sc furent trouvées telles. Ce qui fit, dit-on, le meilleur efFet Sc porta les derniers coups, fut 1'affertiou pofitive de M, de Hoym qui difok qu'en ces cas il ne pouvok répondre d'une très-forte émigralion, ou même d'une émeute» Le miniftre Werder a reeu les ordres du Roi pdur tacher de remplir d'une autre fa- * Eft Ie vice-Roi de Ia Siléfie, ou plutfit il y regne , comme M. de Wollner a Berün pour le pouvoir, mais tout différemment pour la fageffe & pour leb^nheur des. fujets. Les alarmes que caufent fes fréquentes maladies atteftent mieux fon mérite que nos plus belles phrafes. On n'a jamais un fuffrage univerfel, ou la haine générale fans les avoir mérité. ** M. de Heinitz eft un homme de fens droit , quoique tant foit peu ami des fyftêmes. II eft veistueux & animé d'un noble courage. Quoique fon miniftre ait pour objet princlpal les mines , il eft auffi très-capable de plufieurs autres détails. L'homme vraiment honnête, qui a un bon efprit, des lumierej; & de 1'expérience, eft un inftrumsnt bon a tout.  [ 55 ] con le déficit que rabolition de la ferme du tabac occaflonne dans le tréfor, & 1'on prétend que cela fe fera d'une maniere moins onéreufe pour les fujets & le pays. Ceci eft encore une nouvelle marqué de la pureté des intentions du Roi: mais que dire de ceux qui ofent lui faire des propofitions fi peu convenables a la fituation des affaires *. Avant de finir celle-ci je dois encore vous parler d'un procés & d'une fentence que le Roi fit publier dans le tems. * Un riche Juif, nommé Moïfe Ifaac * *, avoit fait un tefcameut, par lequel il privoit * Lors de la conquête de la Siléfie par Frédéric Ie grand il promit, entr'autres privüéges, de ne jamais etablir de capita^on dans fa uouvelle domination. Il rint parede catte fois -flj & peiu-être même pourroit-ort sn inférer qu'il failoit être Siléilöii pour recevoir eet nonneur. , * * L?s juifs, ileftvrai, fonttout-puiffants a Berlin. lis prètent de i'a ger.t aux jeunes gens un peu déran. gés, & leurs femmes 8c leurs fiüe.s achevent ce qu» ■ ' n'a pu faire. La galanterie y eft portée jud qu'au débordeto»nr, Auffi r>a-t-on nas lieu de fb D 4  E 56 1 d'une grande partie de fon bien ceux de 'fes enfans qui embrafferoient le Chriftianifme. Comme il eft notoire qu'a Berlin., comme par-tout ailleurs, on trouve toujours des gens de bonne volonté quand il s'agit de gagner de 1'argent, on né fera donc point étonné d'entendre que le premier bourguemeftre de la ville, M. Ranskben., prêta fon miniftere & fa fignature pour faire & pour figner juridiquement ce teftament. Après la mort du Juif, deux de fes filles fe firenc baptlfer, 1'une époüfa un Officier, 1'autre un Gentilhomme de 1'état civil. Le teftament fut & devoit même être attaqué & plaindre des infjmes ufures que cette ville canaille exerce par- tout ailleurs; & fi a Berlin quelques perfonnes fréquentent les Juifs, ils faut d'abord obferver que ce ne font pas les gens délicats, & puis on peut les excufer, paree que les Ifraélites Berlinois ne font pas fales, corrompus, enfin la lie du genre humain comme dans la Pologne, la Lorraine & prefquetoute 1'AUemagne. Au' refte le teftament qui donne lieu a ces réflexions, devoit être cafië, & il ne 1'a pas été. Trois perfonnes k Berlin en favent la raifon, mais rnalheureufement de ces trois perfonnes le Roi n'en efl pas une.  [• 57 J annullé peut-être dans tont Etat oü 1'on ■auroit.profeffé la Religion Chrétienne. 11 y eut donc un procés entre les héritiers Juifs & les héritiers Chrétiens; il fut jugé a la Chambre de Juftice, oü les derniers obtinrent une fentence favorable & convenable aux droits de 1'humanité. La partie qui fe croyoic léfée en appella au Tribunal, & eut 1'avantage d'y recevoir une autre fentence, qui le mettoit juridiquement en poffeiïïon du capital en queftion. On a la dans les papiers publics la lettre que le Rol étriyft a ce fujct a fon grand Chancelier, M. de Carmer, & que M. de Zedlitz avofc ordre d'ouvrir en fon abfence. Le Monarque y difoit qu'il s'étoit fuffifamment ïnförmé de cette caufe, qu'il trouvoit les fix argumens qui avoient décidé le Tribunal trop yalides, pour pouvoir fe refufer a la confirmation de- fon arrêt. Volei la fm de fa Lettre. „ Mais pour qu'on ne faffe plus de „- tels teftamens au détriment de la Religioa „ Chrétienne, voulons £c ordonnons par „ celle ci qu'a compter d'auiourd'hui i'oo '" . D 5  i 53 J „ faffe une loï qui défende diftinftement a „ la nation juive de faire a 1'avenir de tels „ teftamens". Ceci fut publié fur le cbamp a toutes les Cours de juftice & a la nation juive. . Pourquoi voulut - on avoir la confirmatlon du Roi? Ordinairement cela ne fe fait point. Qui d'aïlleurs peut fe refufer a Pidée que la nation juive fe foit fervie de fon crédit & de fes puilfans prote&eurs, qui ont plus de pouvoir a eux feuls que tous les Chrétiens réunis duroyaume, pour fe procurer cette petite faveur ? Pourquoi les héritiers Juifs étoient-ils informés du gain de leur caufe avant la publication de la fentence? N'auroit-on pas furpris la religion du Roi ? enfin n'auroit-on pas furpris la fentence même ? Si le cas étoit douteux, comme on doit le croire par la lettre du Roir puifqu'il dit „ voulons & ordonnons qu'a „ compter d'aujourd'hui on faffe une loi"r II n'y avoit donc point de loi antérieurement? ou étoit -elle peut- être trop obfcure ? Si cela étoit, pourquoi ne pas partager plu-  I 59 3 tt: Ie capvtal entre les deux pattres ? Q_al auroit pu fe plaindre, ou ofé le faire ? Pourquoi falloit-il que les Chrétiens perduTent leur caufe? Jamais, je crois',''une Cour de juftice ne s'eft fans celTe montrée fi jufte Sc ü impartiale que la Chambre de juftice de Berlin. Pourquoi donc réformer fes arréts? Les meilleurs Rois peuvent fouvent être' égarés par des gens intéreffés, malgré leur amour pour la juftice, malgré leur cquké; ils font leur jouet, quand ceux-ci lear clonnent des raifons fpécieufes pour des argumens. Helas! nous voyons cela tous les jours .... On ne fauroit imaginer finfluence qu'or.t maintenant les Juifs dans toutes les affaires du pays. Leurs connexions depuis les premiers de 1'Etat jufqu'au moindre éerivaia font inconcevables : tout eft éleftrifé par eux, tout leur eft redevable; teut, tout ieur eft connu! ils épient dans chique procés d'abord le rapporteur , & alors il faut être honnéte homme & méme plus que riche pour réfifier a leurs machinations. Qal  [ sa ] ©feroit même douter de leur mérite & dé leur grande influence, lorfqu'on voit des Miniftres de la juftice fe promener avec un M. . . . Warburg & lui donner publiquement le bras. Quelle efpérance peut-on concevoir lorfqu'on efl; en procés avec des hommes pareils? Quel efpoir a-t-on, lorfqu'on fait que cette homme ofe entrer chez votre rapporteur; qu'il lui parle des'heures entieres; que peut-être même il le menace de le faire arrêter pour lettre de change. On devroit permettre que de tels procés vhTent le jour pour ïnftruire le public impartial, qui n'eft pas au coyjant de toute la procédure.  f <5i I LETTRE SIXIEME. J'at oublié de vous dire dans ma précédente que M. de Wollner a été nommé chef du département des batimens *. Le Roi, d'après la confiance illimitée qu'il a en lui, 1'ayant laiffé le maiïtre de fe choifir un pofte; on imagine qu'il a modelle- * Ce qui prouve que M. Wollner n'eft pas même un homme d'efprit du troifieme ordre, c'eft 1'empresfement-puérile d'aller a la cour, oü il ne devoit jamais paroitre, e'elt la rage de diner chez les Princes, qu'il falloit fa^oir refufer. II ne devoit habiter que deux endroits, le cabinet du Roi & le fien, & pour diftraction il pouvoit avoir tous les jours quatre acino, amis 'a fouper. Ces foupers aurolent inrenfiblement formé fa cour. II eüt vu des Princes, ou du moina un Prince, mendier le bonheur d'y être admis. Mais au licu de cette charlatanerie néceffaire a quiconque veut gouverner les hommes, il s'en va brouillant de tous cötés, ayant toujours du tems pour jouer, faifant le gros dos chez le Bourgeois & lebas valetchez Jes grands Seigneurs. II eft heureux qu'il n'en factie pas davantage, autrement il feroit déjk, non miniftre principal, mais grand vifir.  C 62 ] ment jetté les yeux fur celui-cl, feulement pour n'être pas foumis a l'infpeftion du grand direftoire, oü 1'on juge févérement les talens & 1'application, & oü même les miniftrés entendent fouvent ce que 1'on dit & ce que 1'on penfe de leurs arrangemens; il ne feroit même que trop aifé a M. de Wollner de briller dans eet aréopage. On trouve cependant plus de flagornéurs qui vous préconifent lorfque vous avez le pouvoir de placer & de déplacer qui bon vous femble. La modeftïe de ce favori dont j'ai déja parlé ci-deffus, ou peut-être même fa très-bonne politique, lui ont defendu jufqu'a préfent de prendre trop vite fon effor; d'ailleurs il eft plus au fait des affaires qu'aucun Miniftre, & fon influeuce dans ce qui fe fait n'eft déja que trop fenfible. On a vu des Miniftrés d'Etat s'emprefier autour de lui, lui faire fervilement la cour, 1'affurer de leur eftime, de leur amitié inaltérable, & finalement tomber dans fes bras en rembraffant. J'oubliois cependant de  t 63 3 vous dire que tout cela fe palToit immédiatement après fon élévation. II eft vral que fi 1'on eut attendu quelque tems , on auroit pu en tirer des conféquences 3 mais a préfent rien ne parut mieux mérité, plus innocent 6c moins fufpecl: H eft of- fenfant cependant pour un homme qui a écé eccléfiaftique, qui par fa qualité de prêtre doit ayoir étudié les replis du cceur humain, de fe voir affailli de tout cóté par des proteftations 6c par un enthoufiafme, dont il doit deviner aifément la fource 6c le but. Après que M. Vollner eut été nommé chef d'un département, il en fit affembler les membres , leur déclara la volonté du Roi, & leur donna des affurances d'amitié, leur difant qu'il s'appliqueroit a faire le bien de 1'enfemble 6c de 1'individu dans toutes les occurrences, qua eet effet il regarderoit comme fon ami celui d'entr'eux qui lui parleroit ouvertement 6c avec confiance.  [ 64 ] II n'y a que 1'hypocrifie la plus maladroite qui puiffe faire parler ainfi, quand immêdiatement après on ne s'occupe qu'a, favorifer les premiers officiers au détriment des fubalternes. Qu'on déplace un honnête homme qui a toujours bien fervi le Roi, qu'on donne fon emploi au gendre d'un Confeiller-privé des batimens; qu'enfin, pour pallier cela on vous dife que eet homme a du mérite , & que , 1'examinant de prés, tout ce mérite eft d'avoir époufé la fille d'un Confeiller-privé. Le Roi embellit Berlin. On conftrüit un mur autour d'une partie de la ville. On craignoit d'abord qu'il. n'y eut point de fonds pour cela; mais on fe trompoit, les fonds affignés pour les batimens font beaucoup plus confidérables que fous le Rol défunt. On reconftruit les portes de Hambourg & d'Orangebourg dans un goüt plus moderne; le chateau & la falie de 1'opéra doivent aufïï être embellis; on y fait de grands cbangemens. On parle d'un confeil de guerre; il aura divers dépar- cemens,  temens, dans chacun defquels préfidera un Lieutenant-général. Tout ceci n'eft poinc öncore décidé; mais aaffi 1'année ne fait que commencer, & il faut du tems pour digérer dans tous fes rapports un plan ü vatte, qui doit tout embraffër. M. de Bifchofswerder a eu une vive difpute avec 1'aide - de - camp Comte de Go/rz. * Ce dernier doit lui avoir poliment offert des piftoles pour vider le débat. On alfure que le fond de cette querelle a pour bafe des reprocbes que lui a faits le Miniftre, & qui, pour être mar- * Rien n'eft plus vrai que cette difpute , & M. de Goltz, furnommé le tartare , ne vifcir a rien moins qu'a débarraffer la cour de Berlin de la race Saxonne. Pour peu qu'il eüt été fecondé, 1'affaire étoit baclée. Que de malheurs cette falutaire opération eüt prêvenus! Ce militaire, brave & non illuminé,■ gace par trop de-vivacité des qualités excellentes. L'ambition 1'a égaré. II a voulu concevoir a lui feul un plan fur lequül il devoit fe contenter de .prendre 1'avis des généraux ies plus eïpérimetftés. II a été mis ii 1'écart par le rufé Bifchofswerder, qui écartera toujours ce-lui *[ui dira ta véjicé. E  S 6-6- j qués au coin de la chaleur & de 1'ïndignation, n'en font pas moins fondés fur la vérité. Ils doivent s'être raccommodés depuis, car on ne parle plus de cette affaire* Après tout on ne fauroit accufer M. de Bifchofswerder d'avoir recommandé au Roi des Saxons, pour remplir des poftes confidérables, fi ce n'eft M. le Comte de Bruhl. * Le Roi connoiffoit déja M. de Lindenau, & fa perfonne ne laiffe pas que de promettre beaucoup. II eft vrai que depuis M. de Bifchofswerder eft devenu 1'intime de la bette Comtejfe ; mais cela n'a rien de commun avec les affaires d'Etat, fi ce n'eft que ce digne ami appuye a&uellement de tout fon pöuvoir le. plan du Comte, qui veut former un harras de chevaux du pays. On a tort de croire que M. de Bifchofswerder s'intéreffe particulierement pour fes compatriotes , au contraire il a fer- * M. le Comte de Brubl a été appuyé par le grand Duc de Ruilie & le Prince de Deffaii.  mé fa porte a plufleurs d'entr'eux quï ëtoient fürement des gens fort eftimables & propres a tout. En général, il ne favbrïfe que ceux de fa feéfce. Quand on èn eft, on fe trouve d'abord fon eompatriote; voiia comme lui & M. de J^bikier ont fait venir M. Dubofc, Sc voila encore ce qui les portt a s'intéreffer vivement a 1'arrivée de quelqües étrangers que 1'on attend encore. Tc ut cela êntre dans le plan dé cette maeonnerie- jefuitique qu'ils favorifent tous les deux. II ne tend a rien moins qu'a faire avec le fecours divin , dé fa patience & 1'a fandtion de la puilfance légiflative, qu'a faire, dis-je, quelques petits établüTemens, tels que ceux du Paraguai. On vient de former une chambre de commerce; M. Dubofc y eft entré comme Confeiller-privé des finances, & un autre Monfieur, nommé Simfon, auffi vifion-J naire, y eft entré dans les mêmes qualitési Ê 3  I TJ ^O» vient .aufli de faire un nonvél arrangement pour les recrues. Elles ie feront a 1'avenir avec plus de juftice. Le Roi toujours enclin a la modération., k 1'équité,, a la juftice., veut qu'elles fe faflent avec plus de liberté. On ne doit .plus abufer du droit qu'a toujours la farce ., lorfqu'elle veut opprimer 1'innocent privé d'appui. On tiendra fcrupuleufement les capitulations aux foldats, & le Roi a déclaré qu'il puniroit griévement ceux qui fe rendront coupables de fraude a eet égard. Le Lieutenantgénéral de Lengerfeld eft chef de cette commiflion. H eft reconnu pour un parfait honnéte homme., & 1'on doit tout efpérer de lui dans cette partie.  I 69 J LETTRE SE PT IE ME. (^EUX qui ont 1'honneur d'approcher dé Sa Majefté, femblent contrarier fes inclinations, qui fe portent toujours au bien. Le Monarque ayant ordonné a quelquesuns de fes Miniftrés, vraiment zélés pour Ia patrie, de lui expofer fidelement fes ïhconvéniens de la capitation, exigea en même tems une relTource équivalente; qui remplit le vide fans fouler fes fujets. Aujourd'hui, le croira-t-on, il s'eft trouvé des hommes qui lui ont confeillé un impöt fur le bied * , fous le fpécieux prétexte que, vu 3a grande confommation, eet ifflr. * Ce fut un des Beyer qui propofa eet impflt fur le bied, tout aufli mal organifé que la capitation. II ne faut cependant pss perdre de vue que les gens qui ont quelque efprit dans leurpays , font effentiellementtoutk - fait médiocres , & ne feroient que les fous-fécretaires d'un miniftre dans un autre Etat, & même fous un autre re?ne. Cet imp&t fur le bied a été retiré, & 1'expérience vient toujours détruire ce que 1'inexpéE 3  [C 70 j pöt ne feroit pas onéreux k fes fujets. ij y a une efpèce de contradiftion entre une charge qui porte fur les premiers befoins de la vie, & la facilité de fatisfaire un goüt palfager, comme celui de prendre du tabac. L'artifan obligé de nourrir une familie nombreufe peuvoit a la rigueur employer fon fuperflu a fe procurer du tabac; mais le befoin de première nécelfité eft le pain. En revenant de fon pénible travail, des enfans affamés lui demandent du pain, Sc perionne ne penfe a Pinutile préfent venu de PAmérique. Si le Roi a prétendu favorifer le commerce, pourquoi n'avoir pas recouru a un impót qui ne portat que fur les affaires de luxe? 11 eft vraifemblable que. les confeillers de rience avoit établi pour un moment- Ces gens font auffi peu capables d'affeoir un fyftême de finance que M. de Bifchofswerder 1'eft de commander une armée& celui-ci de commander, que Wolner eft en état de faire une dépêche politique. Auffi tant quils feront en place, il feroit plus jutte de les récompenfer des fottifes qu'ils ne feront pas, que-de les blSmer de celles qu'ils feront.  t 7i 3 ï'accife manquent des ccnnolflances néces» faires pour affeoir 1'impót, ou qu'ils n'onc pas voulu chercher, a forcë de méditations, une taxe qui remplït les vues du fouverain, fans faire gémir la nation. Peut - être méme s'ils eulfent ofé porter leur fpéculation financiere fur la confommation du fel, cette matiere de première néceffité leur eüt fourni une relfouree. L'étrange maniere de baisfer le prix du tabac pour enchérir le pain a donné occafion a une brochure intitulée: Qu'y a~t-il a dire pour contre le tabac ? * Cette brochure, marquée du fceau de la vérité, a paru a certaines perfonnes un attentat a la majefté royale, qu'ils eulfent punl * Le Baron de Borefc, qui cemme Trublet a Paris a la rage D'être a Berlin un petit perfonnage, voudroit fort faire le miniftre. II ne man que certainement pas d'efprit; mais malheureufement ie bon fens manque. Ses ennemis affurent que ce n'eftpas la encore fon plus grand déficit. Nous qui ne le connoiflbns que par fa brochure, dirons qu'il ne méritoitpasJ'excèsd'honneur qu'on lui a fait. II eft le premier ccrivain que les loix ayent juridiquement déclaré miférable brochurier. Ordinairement 1'oubli & le mépris fous les organes des E 4  t 72 3 du dernier fupplice, fi leur opïnion cruelle eüt été confultée. Long-tems les prêcres imaginerent que leur caufe étoit celle de Dieu rnême, & ils tacherent de confondre leurs droits & ceux de 1'EterneI. Ces tems ne font plus, pour le bonheur du monde. Les perfonnes chargées du recouvrement de 1'accife font venues a bout d'amalgamer cette partie des finances avec les droits de la royauté, & ont fortement prévenu le monarque contre 1'auteur zélé d'un opufcule, plein de vérités utiles. Elles ont vu le fuccès couronner leurs tentatives; fuccès du a la bonté du Roi & k fa confiance aveugle dans quelques confeillers perfides ou ignorants que nous avons déja nommés. Si Feédéric-Guillaume eft trempé, quel eft le monarque, quel eft le fouverain a 1'abri de telles erreurs ? Les gazettes de Berlin RoJs ou du public, mals ilya dans Ie parti pris contre M. deBork qoeSque chofe d'it ufité qui lui fait infiniinent plus d'honneur que les lettres bannales qui courent les gazettes & qui ne perfuadent que celui a. qui on les adreffe.  I 73 1 ©nt publié un ordre au fifcal. M. D'asmerei, qui contenoit a-peu-près ce qui luk: Le „ Roi étant jaloux de Pamour de fes peu„ pies, amour que 3a brochure efL\yok d'af„ foiblir, il ordonne au fifcal de fupprimer „ le pamphlec, de pcurfuivre fon auteur „ & de la noter de miférabk écrivaitteur." Cet auteur n'avoit pas imaginé qu'un ouvrage compofé dans des vues falutaires, püt lui attirer Ia difgrace de fon maïtre. C'étoit le Baron de Borck, fils du miniftre d'Etat de ce nom , Envoyé dans difFérentes cours. Ceux qui ont voulu le noircir dans 1'efprit du fouverain, Pont déclaré Pauteur de Pouvrage difgracié. L'occafion de montrer lés chofes fous un faux jour, ne leur manque pas: mais lorfque le monarque eft décidé fur un point, il ne convient pas au fecrétaire interprête de fes volontés de le faire parler en termes peu dignes de la majefté royale, & qui décelent Panimofité particulière du fcribe. Sans doute le Roi eft maïtre, mais fur-tout il eft le père de fes fujets: le pouroir légiflatif examine & punk; mais la diE 5  f 74 ï gnfcé de fouveraïn lui Interdit les injures. Il réfulte de tout ceci qu'on abufe cruellement de la confiance du Roi, fi le fecrétaire a pris fur lui d'employer 1'indécente expreffion d'écrivain miférable pour fatisfaire fon animofité perfonnelle. Ce fait, & d'autres circonflances donnent a croire que cec ordre a été furpris au Prince * lei nous pafferons une falHdïeufe & mal-adroite apologie de M. de Borck. Luimême s'avoua 1'auteur de la brochure qui déplut, fur-tout paree qu'elle appuyoit fur 1'utilité de 1'établiflement d'une régie fran?oife. Peut-étre devoit-il fupprimer des réfiexions apologétiques fur une opération ? Les Rois devroient s'accoutumer h fe faire lire ce qu'ils fignenr. Ne fe perfuaderont - ils jamais que la royaute eft un emploi qui a fes peines comme les autres? Tis femblent croire que le peuple fait des rois pour chalfer, aimer les jolies filles, batir des paJais avoir les mets d'Apicius. On permet tout cela mais * condition que le matin méryera les plaifirs d'u foir S'ils ne veulentpas abfolument lire, qu'ils aient donc des fecretaires qui penfent & qui connoiffent la laague des rois.  t 75 3 profcrite ouvertement par le Roi; quoique dans le vrai il devoit être permis a tout homme inftruic & honnête de publier fes fentimens fur un point d'adminiftration qui intéreffe tous les fujets. Le défendre, n'eft« ce pas convenir hautement qu'on prétend dérober au public la connohTance de tout ce qui fe fera dans toute cette partie, & fe rcferver la reffource des manoeuvres illicltes. Si 1'on ferme la bouche a la vérité éclairée, nous retomberons fous le fer du defpotifme des confeillers iniques, ou des miniftrés aveuglés, fléau pire cent fois que tous les autres, mais que la fageffe du Rol détournera vraifemblablement de deffus nos ^êtes innocentes.  i[ 76" j LETTRE HUITIEME. jPaumi les amngemens faits en faveur de eommerce, on compte l'établiffement d'un magafin privilégié pour fournir 1'habillemenc de 1'armée. Fkédéric II, malgré fa vigilance, avoit été trompé fur eet objet. Le produit de eet établiflement étoit deftiné a 1'entretien des maifons des orphelins de Berlin & de Potsdam. M. Schmidts, d'Aix-la-chapelle, avoit été recommandé comme un homme riche Sc très-entendu dans cette partie. II étoit facïle d'augurer les idéés de Frédéric fur eet objet, quand on connoiffoit fa patnon, fouvent peu raifonnée, pour faire fleurir les manufattures de fon pays. Le confeiller-privé UJJinus, chargé de dreffer les articles du contrat p2iTé avec M. Schmidts, y mit des conditions onéreufes a 1'Etat, mais très-favorables a "entrepreneur. Les fonds deftinés a 1'établiffement, provenans de la maifon des.  f 77. 3 orphelms, fe montoient a quatre eens mille écus;; mais on avoit négligé de demander une caution du capkal & des intéréts, fixés a cinq & demi .pour cent. Avant 1'entre:prife de M. Schmidts, on examinok fcrupuleufement la qualité des draps. Cette vériïïcation fut fupprimée, & M. Schmidts jouit paifiblement des avantages que lui préfentoit un privilége aufïï lucratif. Ce qui accufe la délicateffé du confeiller Uffinus, c'efl: fon oubli volontaire de mettre fous les yeux du Roi les propofkions de Ia maifon juive Ephraïm, déja chargée de la fournkure des galons. Elle offroit de livrer les draps de même,qualité, & de donner fept pour cent a la maifon des orphelins; mais jamais elle ne recut de réponfe; preuve inconteftable , fous le dernier' règne , que fes ofTres n'avoient jamais été mifes fous les yeux du monarque. 4*5' -.•{> - '* 'firn :v V' ^ '"«H. tb lz\ . ï M. Schmidts, a la tête de 1'établiffemënt depuis plulleurs années , ne cache a perfonne qu'il lui en coüte vingt-quatre mille écus par an pour défrayer fa maifon. Eft-II  I 7% i difficile de juger combien il a été favorifé dans le bail & combien les intentions de Frédéric ont été mal fuivies; lui qui prétendoit que plufieurs families trouvaffens leur fubfifiance dans cette manufa&ure, "•♦-v S3J3vJ .tosti: : . üUecr -•• •■ "v'aa Le Général-major de Schutembóurg a été envoyé en Pologne pour approvifionner de bied les magafins du Roi. II a follicité cette commiflion qui deviendra onéreufé au Roij, i°. par les frais journaliers du voyageur qu'il rembourfera; 20. paree qu'il efl: dou« teux que les marchands de Pologne donnent leur marchandife a un Général pour le même prix qu'a un Négociant. On a aufli porté des vues économiques fur les livraifons faites a 1'armée; elles font réglées par une commiflion préfidée par le général de Mottendorf & le miniftre de Heinitz. Jufqu'ici ce livraifons n'enrichiffoient xapidement que quelques particuliers; le Roi veut qu'elles tournent au profit du public, & difperfer ainfi peu-a-peu les avides monopoleurs.  r 79 i Avant que M. le Comte de Lindenau eüt donné fon projet d'établir des haras, une compagnie avoit offert d'en former, qui, dans 1'efpace de douze ans, fourniroient de chevaux la cavalerie pruffienne, & met> troient même dans 1'heureufe pofition d'en, vendre a 1'étranger. Le Comte de Lindenau reeut 1'ordre d'examiner cette propoli tion & d'en faire le rapport. Les fupplians confierent les détails du plan au Comte, qui, au bout de quelque tems , les renvoya fans: xéponfe ; & 1'on ne tarda pas a favoir que le plan perdu pour ceux qui 1'avoient concn, revivoit pour Monfieur le Comte. S'il eft dur de renvoyer des fujets zélés fans un moe de réponfe, il eft inique & cruel de les dégpuiller de leurs travaux, & de les fruftrer d'un profit mé>ité par des -recherches coüteufes & des peines innombrablesr Cette manoeuvre , malheureufement- er-op ordinaire* aux gens en place, étouffe t$t génie-, & óte|u Roi le pouvoir de le récompenfer. Abus  F-so ] terrible fous un rji auffi mal entouré que FrÉDERIC - GüILLAUME. Les miniftrés même paroilfent indifférens aux demandes des citoyens, foit qu'ils craignent de compromettre leur fuffrage , foit qu'ils ne puiffent defcendre a folliciter des gens fort au deffous d'eux, &qui cependant font les dépofitaires de la faveur. De cette facon les petits & les foibles abandonnés font fans appui &fans fecours, &, pour toutes les claffes de citoyens, les cabales, les machinations fecrettes font les feules voies qui menent au fuccès dans quelque genre que ce foit. Pour ne citer qu'un exemple je remarquerai que les viftimes de la fuppreffion de la ferme du tabac devoient pak fer aux emplois fubalternes de 1'accife j elle les voit donner, non-feulement a de nouveaux protégés, mais même a des laquais. Ces malheureux, chargés d'une familie nombreufe, s'adreffent au Roi. II renvoie leurs requêtes a des miniftrés infenfibles qui difent non. Ils reviennent aux pieds du mo- narque;  t S I narque: leur requête revient encore auü£ fatrapes, qui, pour fe défaire de leur importunüé, difent qu'ils feront placés qtfand cent autres le feront. Si fous de certains regnes on n'accorde rien qu'aux droits, quï en a de plus facrés que celui dont 1'exiftence entiere tient a ce qu'il follicite? II ne s'agit pas d'une aumöne paffagere pour des perfonnes qui ont fervi long-temps & avec approbation. On devroit en former des liftes & leur rendre fuccelfivement, pour récompenfe au moins, le droit de travailler encore pour 1'Etat. Berlin fourmilJe de gens capables dans un certain ordre d'affaires, qui languilfent dans une oifivité forcée. Leur nombre pullulera bien davantage, fi les grands continuent a placer dans les dicafteres leurs cuifiniers, leurs fommeliers, leur livrée, des garcons marcliands échappés du comptoir avant le terme de leur apprentiffage: & pour achever le tableau, s'ils métamorphofent en Secrétaires, en Confeillers ceux qui n'avoient pa-ru que fiir les bancs de 1'écoie, F  i 82 3 LETTRE NEUVIEME. Il y a quelques jours que le Roi paffa en revue la garnifon de Berlin en même tems que quelques autres régimens qui viennent ici pour ce but. Le Prince royal alk fouvent au camp trouver fon ancien gouverneur le général Pachof & le combla de bontés. II paroït aimer infiniment le militaire & les manoeuvres. En quittant la derniere fois le camp, il dit a un officier qui lui demandoit, s'il reviendroit encore une fois, qu'il defiroit infiniment de revenir , mais qu'un bal, dont il fe foucioit trés-peu, & auquel néanmoins il devoit affilter, 1'en empêcheroit. Ce Prince témoJgne le plus tendre refpetl: a la reine fa mere, qui n'a de vral bonheur que lorfqu'elle fe voit entourée de fes enfans. Cette Reine vertueufe qui mêle des qualités auguftes a la dignité de fon rang, de vient tous les jours plus chère  [ 83 ] au public ; le Roi lui a donné la maifon de plaifance appellée Montbijou , & a en même tems ordonné de payer tout ce qu'elle y fait batir. Madame de Keith, fa grand'-maitreffe fut, il y a peu de tems, aux portos de la mort, 1'adroit Bifchofsverder faific cette occafion pour faire de fa femme une Dame d'honneur, & 1'indiqua pour fuccéder a Madame de Keitb. Enfin , le tarif de 1'accife a vu'Je jour. Malgré les promeffes royales de ne point augmenter les charges publiques , les contributions font plus fortes, & le peuple eft grévé de deux millions d'écus de plus que par le paffé. Le tarif devoit être le chef-d'ceuvre d'un des Confeillers-privés des finances, & on fait qu'un certain perfonnage a fait tout ce qui étoit en fon pouvoir pour le faire approuver. II 1'a revêtu des foimes apparentes de 1'équité, & on lui rend la juftice qu'il poffede parfaitement 1'art d'envelopper de voiles ténébreux ces fortes d'iniquités miniftérielles. F 2  C s4 3 C'kst avec eet art perfide qu'il écrafe 1'entrepreneur d'une fabrique de papier, nommé Dubois. II tralne encore fon exiftence humiliée dans les prifons oü il a été jetté depuis cinq années. Ce fut fous le mafque de 1'honnêteté que M. de V donna cette méme fabrique k un homme dont le métier étoit de relier des Hvres & non de diriger une papeterie. Ce fuc encore fous le même mafque qu'il abufa Frêdèric, en lui perfuadant que Ie relieur avoit pour aflbcié un riche hollandois & emplcyoit dans fes atteliers quarante 00vriërs de la méme nation. Ce prétendu hollandois étoit né en Weftphalie, & ne pouvant réfifter a la décadence inévitable de cette entreprife, il partit. Ce fut enfin fous les dehors de 1'honnêteté & avec la plus audacieufe elfronterie qu'on mentit au Roi, en lui difant que cette fabrique mettoit dans le commerce d'excellent papier qu'on écouloit par Stettin. Menfonge impudent qui fut enfeveli dans la tombe de Frédérïc & que fa mort pouvois  [ 85 ) lailfer ignorer, puifque tam de gens pouvoient le divulguer. Cette entreprife, créée pour prévenir Pexportation du pays étranger, languit maintenant dans une oifiveté forcée. Exige-t-on encore quelques preuves de 1'honnêteté du Miniftre * que nous ont fourni les traits fufdits, il faut jetter un coup-d'ceil fur la dénonciation raifonnée de la caiffe des villes; il faut lire les aftes du grand dire&oire. J'aurois üipprimé ces détails, & je me ferois bien gardé de les convertir en accufation, s'ils n'étoient confignés dans des a&es revêtus de la notoriété publique. Quel efpoir refte-t-il a ceux qui fe voient expofés journellement a ces monflrueufes injuftices ? Combien d'exac- * II efl vraifemblable que 1'opinion générale que finit toujours par avoir raifon, mettra M. de Worder a fa place. Comme il efl aimable, homme de cour, on pourroit en faire un Grand-maïtre; ou comme il efl un littérateur fécond, il feroit un excellent Préfident d'académie. Enfin il eft bon k tout, ex^ cepté au minifiere. F 3  C 85 3 tions fecrettcs ne pourroit-on pas lui prouver! mais qui ofera lever le voile qui couvre fes infamies ■ puifque leurs auteurs ont des protefteurs jufques dans le cabinet da Roi, & qu'il eft aifé de prévolr que les gens de leur trempe font feuls deftinés a gouverner 1'Etat, & feront appellés aux détails de la confiance.  t 3? ] LETTRE DIXIE ME. Ije départ du Roi pour la Poméranie auroit lailTé Berlin vuide, & les nouvelliftes oififs, fi le nouveau tarif ne fut venu au fecours de la difette dans les entretiens. Les changemens efpérés dans eet ouvrage précipité, & faits fans intelligence, redoublent encore le defir de fon retour. Quelle bifarre idéé de gréver d'un impöt les pharmacies? N'eft-il pas clair que les apothicaires vont plus que jamais enfler leurs mémoires hiérogliphiques ? M. Hoinehelin, confeiller-privé des finances & régiffeur de 1'accife, a quitté la vie , & une place dont les Beyer fe font emparés pour leur neveu Dietrich, qui n'étoit dans le département que deux mois auparavant. Et pour concentrer dans la familie des Worder & des Beyer toute efpèce de poft.es veF4  fians a vaquer, on a préfentéan Roi le confeiller Barandon & un certain Froabeck, créatures des favoris, pour occuper deux places encore vacantes par ]a m0rt de ce M. Hoinchetin; & féloquence de M. de Beyer dgns le cabinet ne laiffe aucun doute fur le fuccès de telles propofitions. M. de Wollner accablé fous les affaires d'Etat, & qui ne peut donner de fon tems précieux qu'a des banquiers juifs, a cependant trouvé le moyen de décorer dans fa maifon une falie myftérieufe pour évoquer 3es efprits & faire les cérémonies du culte iecu dans le Jéfuitifme. Cette maifon magonnique a été vendue au Roi, qui dok en faire préfent a Dubofc, 1'un des grands prétres de cette religion. Dés 1'avénement du Roi au tróne, ce Jieu fuc confacré aux opérations magiques. Mais comment réunir Jéfus & Bélial? Cette qnellion n'embarrafTe pas des apótres qui favent faire des profélites a leur religion par une douceur jbypocrite. La forme de eet appartement encbanté eft quarrée; Fan d« cötés eft  [ 89 ] garni de petïts fourneaux, dans lesquels fe qonfomme le myftere de la fumigation. Au milieu de ce temple eft une petite élévation, fur laquelle paroit YEfprit fous un voile blanc, voile tifiu eu France, & qu'on fait venir de ce royaume, oü 1'on trouve feulement les qualités qu'on lui attribue. Ce voile dérobe aux yeux des fpeétateurs aveuglés un homme qui s'introduit fur le montlcule, lorfque 1'heure des charlataneries approche. L'impofteur qui fe prête a cette tromperie grolïïere, eft ventriloque & imite alfez bien le langage que la crédulité aprêté aux efprits. Non content de cette innocente lupercherie, les coins du temple font garnis de miroirs magiques, dans lefquels fe repréfentent ceux que 1'on conjure. Un grand Seigneur affifte fouvent a cette cabale d'un nouveau genre; mais 1'impreifion eft fi forte fur lui qu'il ne peut y réfifter qu'avec le fecours de gouttes reftaurantes. Elles font de la compofition du ventriloque Steitiert, qui reeoit cinq cents écus de penfion de eet augufte profélite pour 1'art de diftiller F 5  C So ] ce philtre xnyftique & confortatif. ïïeftfonientendu qu'on donne a cette jonglerie tous les déhors d'une fête religieufe; qu'on met dans la bouche muette & éloquente du ventriloque des expreffions acétiques, & qu'on prend toutes les précautions pour envelopper le tout des nuages du myftere. Que penfer mair.tenant d'un Etat oü les chefs de cette impcfture combinée tiennent le premier rang, foit dans les affaires civiles, foït dans les militaires. Que dire quand on voic que c'eft par ce cabinet d'épreuves que doivent paffer les fujets que placent les Bifchofswerder & les Wollner? Ces Meffieurs ont un art perfide pour féduire les efprits tendans k la crédulité & a les conquérir au Jéfuitifme. Ils font un mélange adroit de leurs connoiffances occultes & de leur crédit connu; ils promettent la fortune ou des diftinöions, s'emparent des premiers de 1'Etat, & aflurent ainfi un certain nombre de fuffrages h leurs coupables opérations. Enfin ils cachent leur ambirion effrénée fous une apparente modération & confondent  [ 9i 3 la. maeonnerie, ^es illuminés & les martiniftes; ils emploient les erreurs populaires a leur fyftéme , & s'élevant au - deffas, fe nomment citoyens du monde. Hs graduent les confidences, les préparations avec beaucoup d'art, «Sc même redoublent de prudence , depuis que des adeptes ont été transfugfes de leur ordre, ne pouvant appaifer leur confeience révoltée a la vue des horreurs qui font naturalifées dans cette fefte. Mais ces vertueux apoftats n'ont pu révéler les myfteres, foit paree qu'ils avoient proféré des fermens, foit paree que leurs jours étoient menacés; c'efl: ce qu'on a vu dans la maniere dont ils ont mafqué leurs vrais fentimens. L'exemple de Cagliq/Jro, des Lavater prouve que les Rois , les Ducs, les Grands de ce monde ont un invinclble penchant pour ce qui eft furnaturel, mais fans en devenir plus fages ou plus humains. Quel peut donc être le motif qui fait defcendre 1'orgueil des Rois a ces viles confréries, oü malgré les dehors du refpe