HISTOIRE S E C R E TE DE LA COUR. DE BERLIN.     HISTOIRE S E C RET E DE LA COUR. DE BER.L IN, O u CORRESPONDANCE D'un Voyageur Frangois, depuis le 5 Juillet 1786,, jusqu'au 19 Janvier 1787. OUVRAGE POSTHUME- T O ME SECOND. A ROTTERDAM. 1789.   LETTRE XXXVII. Brunfwkk , 18 Octobre i?86. J E crains qu'il n'y alt des vaeillations dans 1'efprit du Roi , relativement a la Hollande; car après la réception de fon courrier , & la nouvelle du danger du cómte dë Finckeftein , Ie Duc m'en a reparlé avec une inquiét.dé nullement diffimulée. II m'a dit ces propres mots: Cette Hollande fera tirer du canon , fur-tout Ji elle vient d fe compliquer de la mort de VËLclïur de Baviere : prêu^-vous donc a un mezzo termine , qui amortlra ce feu. A'.lons , il faut un conftil au Stathouder, fans lequ&l il nt puiffe run. De qui compojerons-nous ce confeil ? Je lui ai dit que je He connoifïois pas afïez ce théatre pour avoir aucun avis fur cela , mais que j'allois lui faire une propofition qu'il nè devoit regarder que cömme une idee purerrient mienne ^ & cepenclant nullement impraticable. » Maintenant que i> je fais a quoi m'eri tenir fur votre iageffe & vos prin» cipes, ai-je continué , je fuis für que vous voyez , fous » fon véritable jour , les affaires & la conduite Stathouw dériennes; que vous n'imaginez pas que 1'amitié en poü» tique puiffe avoir une autre bafe que 1'intérêt , & que >> nous devions renoncer a notre alliance avec la Hollande ^ *> pour faire paffer des meilleures nuits a midamela prin» cefTe d'Örange ; que vous comprenez combien il eiï w impoffible que rious prenions cónfiance dans M. de Hertz» berg , qui ^ fur cette affaire , en eft au non fens ; & com» bien notre méfiance doit croïtre , Ü 1'unique contrepoids » de ce violent miniftre s'évanouit par la mort du comte n Finch;je m'avancerai donc volontiérs a vous dire qu'il » me paroltroit fort aifé que la France fe pretat a trairer » cette affaire avec vous feul, fi le Röi de Pruffe confeac » que vous en foyez 1'unique chargé pour fon compte » perfonnel, & pour ainfi dire 1'arbitre. Je fens cömbieri » il importe a vous , a nous., a tous, que vous ne vous » comproinettiez pas vis-a vis d j Roi; il n'y a déja qué Tome 11. A ( l )  » uopae caule d eloignement entre vous, & ce pays eft » entierement perdu , fi la force des chofes ne vous atnene » pas au timon. Mais fi vous trouvez la crife aflèz inquié» tante pour redouter des événemens décififs, il me femble » que ce n eft plus le cas de louvoyer ; car fi la deft.née » du ROI de Pruffe eft de faire des fautes irréparables , » il vaut autant, auffi pour tous, qu'il les fafte demain, » afin que plutot que plus tard , on puifïe tirer 1'horofcope » de fon regne , & prendre en conféquence un parti. C'eft » donc a vous a favoir dans quelle mefure vous êtes avec » le Ko! II ne peut pas vous aimer .-jamais homme roible » na.ma homme fort. Il ne peut pas vousdefirer ; jamais » homme obfcur & vaniteux ne defira un homme illuftre » & brillant, maïs ce n'eft ni fon amitié ni fon penchant » qu il^ vous faut, c'eft la chofe. Vous devez avoir fur » lui 1 alcendant qu'un grand caraftere & un efprit vafte » auront toujours fur une tête étroite & une ame vacillante. r> SlVous enavez affez pour lui faire peur de fa pofition, » pour lui montrer qu'on Ta déja compromis, que eet envoi « de Goertz, malgré vous ( ou plutót k votre infu ; car » vous n étiez pomt encore arrivé ) , & cela, fans avoir » le moins du monde des gages de docilité du cöté du » Stathouder , eft une grande bévue ; que les lettres in» confidérées deHertzberg font une très-lourde faute; que » ce miniftre fuit fa ligne perfonnelle, & ne fuit qu'elle , » au hafard d'öter a fon maitre fa confidération politique *> des les premiers momens de fon regne , puifqu'il eft bien » evident que s'il s'opiniatre a fon intervention inconfidé» ree , dans les fuppofitions les plus favorables & prefque » les plus romanefques , il n'aura encore que joué le jeu » des Anglois, jeu que même ils ont gaté ; fi vous pouvez » faire entendre cela, vous viendrez facilement a bout de » perfuader qu'on fera trop heureux d'accepter votre mé» diation; & quoique ce ne foit pas la le mot dont on » pmfte fe fervir, paree que la regie des proportions s'y » oppoie ,^'eftime du cabinet de Verfailles pour vous eft r, telle , qu'une fois cette négociation dans vos mains , tou» tes les difficultés s'applaniront d'elles-mêmes. Or cette r, mefure auroit ce doublé avantage , d'acconunoder 1'afFaire » que vous regardez comme un tifon de diicorde , & de C * }  $y faire fentir au Roi qu il prelume trop s il croit que par >> la feule magie du brufque & tudefque Francois de M. i* de Hertzberg, il confervera a fon cabinet la confidé» »► ration que quarante-fix annéés de grandes chofes , o hé» roïques fuccès , d'une aclivité vigilante & perfévéranre » jufqu'aü prodige lui ont valu ; qu'il a befoirt d'un homme » dont le nom au-dehors & la prépondérance au-dedans ^ n lui attirent de la confiance , & fervent de clef a une n voute peu folide par fes dimenfidns, ou , pour parler » fans figure , a un royautne mal fitué , mal conftitué $ >> mal gouverné, & qui n'a de vraie force que 1'opinion , * puifque fa pofitiori militaire eft déteftable , & fes moyens » précaires; car un tréfor s'enfuit, fï une mairi de fer , >> ck non pas avafe , n'y veille ƒ & quant a une armee , » qui fait mieux que vous que des années entieres fuffilent * a peine póuf la former , tandis que fix mois de réla» chement peuverit la détériorer jufqu'a ne pas la recony> noitre >i ? Ce difcourS j qui a tenu le Duc très-atteritif, & qui étoit für-tdut deftiné a deviner ce qu'il croyoit pouvoir Sc devenir, a paru produire fur lui un grand effet. Auheude commencer, comme il fait toujours, par des phrafes tempérantes & dilatoires , qui peuvent fervir a toutes fins, il eft entré aufii-töt dans mon fens; & après avoir dit avec onftion & d'un ton penetrant,' & fertti que je lui offrois la perfpecYive du plus grand honneur dont il eüt d'idée , & qu'il préféreroit a fix batailles gagnées , il a cherché avec moi le moyën de faire cette ouverture au Roi. » Je ne crois pas , m'a-t-il dit, être en mefure de » 1'entamer fans préparations. Je craindrois plus encore de rt riuire a la chofe qu'a moi-möme ; mais afiurément il faut » lui faire venir cette penfée ; & s'il me donne le plus * léger prétexte , je déroulerai tout. Ne pourriez-vous pas » parler au Comte Finck , s'il en revient ? — Non ; car » il fient ftridrement a fa configne. Ceci n'eft qu'une idéé » mienne , & de peu de valeur diplomatique , puifque ja r> ne fuis point accrédité. — Vous avez peu d'occafions de » parler en particulier a Welner ? — Fort peu ; & pui 5 r> comment eet homme feroit-il des vötres ? Ilveut jouer >i le premier róle ; il travaille pour fon propte compte, fenw ( 1 )  » tant bien qu il a fur vous 1 ïmmenfe avantage de fon obf» curité ; (Tailleurs il eft intime de votre frere , qui ne vous » veut pointaBerlin » (en efFet, celui-ci hait fon frere qui le méprife , & il efpere faveur & crédit du domaine de la vifïon. ) Nous en étions a-peu-ptès la quand toute la Cour fortant de 1'opéra pour fe rendre aufouper, & le duc d'Yorck entrant fans précurfeur , nous a forcés de nous quitter ; il n)'a donné rendez-vous ce matin, jour de mon depart , a neuf heures, & j'y vais. Le Duc étoit ébranlé aujourd'hui, comme je m'y attendois, fur fon aflentiment a fe faire nommer au Roi. Je dis que je m'y attendois , car fon imagination bril* lante & fa verve ambitieufe fe prennent facilement de premier mouvement , quoique les fymprómes extérieurs en foient tranquilles , mais la longue réfrénation de luimême qu'il s'eft étemellement commandée , & dont il a la plus perfévérante habitude , le ramene aux héfitations de Pexpérience & a la circonipeclion , peut-être exceffive , que fa grande méfiance des hommes, & fon foible pour fa réputation , ne ceffent de lui commander. II m'a expofé avec beaucoup de détail les ménagemens qu'il devoit a la petite gloire , & pour trancher le mot , m'at-il dit, a la gloriole du Roi ; puis reprenant la converfation oü nous 1'avions laiffée , il m'a afluré que je me trompois fur Welner; qu'il étoit un des hommes de Berlin fur lefquels ils comptoient, & qui le voudroient plutot qa'un autre ; que je pourrois le voir aifément chez Moulinès ( fon réfident, homme rufé, mais trop oftenftblement; ferviable pour mieux faire fon métier d'efpion , mais s'offrant trop ; appellé dans 1'éducation du Prince de Pruffe , mais s'en titre encore ; déferteur du Prince Henri depuis qu'il eft a-peu-près clair qu'il ne fera rien ; en général porté pour nous, Ö£ trop vifiblement , car on 1'appelle le Confeiller privé de M. d'Eft** , mais uniquement attaché au fond a fa perfonnalité ); qu'il ( Welner ) y va beaucoup ; qu'affurément il ne s'ouvrira pas d'abord; mais qu'au demeurant il répétera tout ce que j'aurai dit au Roi, &c, &c. Duc a beaucoup répété d'aiileurs qu'il croyoit inuti'e & dangéreux de !e nommer ; 6i enfin , mais avec difHcuhé, & pour ainfi dire malgré ( 4 )  (I) II faut convenir qu'ici Is voyageur a été mauvais prophete; il refte a faveir fi c'eft précifément fa faute. A 3 lui, m en a donne la bonne raifon. Dans quinze jours il fera a Berlin , plutöt peut-être ; car ( norez bien ceci ) IL PAROIT que L-'eSPÉRANCE DONNEE PAR. M. Har ris ( Miniftre d'Angleterre a la Have ) d'un seCOURS PUISSANT et EFFlCACE , DANS le CAS OU LE Roi de Prusse veuille arbitrer lks affaik.es de la HoLE an DE a ma IN armee , a donné AU Roi le desir de confér.er AVtC ses servi- teurs. Je vous répète les propres mots du Duc qui me fixoit beaucoup , & que je défie , non-feulement d'avoir obfervé fur mon vifage la plus légere tracé d'émotion , mais encore de n'avoir pas été frappé d'un fourire prefque imperceptible & très-ironique , comme fi j'avois fu & dédaigné la nouvelle. Toute ma réponfe a été , en haufïant les épaules , a la fin de la phrafe : » Monfei» gneur , ce n'eft pas k vous qu'il eft befoin de dire que » ce que Louis XIV, Turenne , Condé , Luxembourg, n Louvois , & deux eens mille Franqois n'ont pas fait » en Hollande , la Pruffe , furveillée de 1'Empereur , ne „ le fera pas dans ce même pays foutenu de la „ France ( i ). Le Duc va donc , on veut nous faire accroire qu'il va k Berlin, oü 1'on délibere fur les propofitions de 1'Angletere Eh bien ! tant mieux ; foyez tranquille ; !e Duc eft plus Allemand que Pruffien , & auffi bon homme d'Etat que grand guerrier. II fera voir qu'une telle propofition eft fi abfurde , qu'elle n'eft probablement que la conception perfonne'le de eet audacieux & rufé Harris , qui veut a tout prix faire fa fortune, & enferrer dans un accès de foug.:e fa nation plus habile que fage. Mais cependant je crois que mon voyage a Brunfw'uk eft un heureux halard ; car bien que j'avoue , & avec un grand plaifir , que j'ai tiouvé le Duc dans les principes les plus modérés, les plus fages & les plus Fran^ois, politiquement parlant, je lui ai fait voir la chofe , ou plutöt 1'enfemble des chofes ( 5 )  ibus des points de vue nouveaux; & ii , comme je per-s fifte a le croire , ou plutöt comme je le crois bien davanpge depuis que je fais que fon intrigue porte fur Welner , qu'il s'eft ménagé de longue main ( car eet homme a été chanoine Halberftadt , oü eft le régiment du Duc ) ; fi la fprce des événemens le porte au timon, j'aurai les plus grands avantages pour traiter avec lui & l'affocier a nos vues. Au refte, il m'a dit de donnera M. d'Eft** ce tresbon confeil , fi le Comte Finck meurt, & même s'il ne jneurt pas , de demander a traiter direöement avec le Roi 1'affaire de la Hollande , & tout ce qui y a trait. C'eft le plus f(ir moven de battre en brêche Hertzberg , qui décidéjnent a été cpntrarié très-ferme par le Roi dans cette affaire ; & d'obtenir ce qu'on n'aura fair d'attendre que de la judiciaire & de la volonté perfonnelle de ce Prince : cela xéuflit avec tous les Rois , même les plus grands. Vanwieften a obtenu de Frédéric II. lui-même par cette marche les choles les plus importantes; & certes elle eft un peu plus lüre, cette marche , comme auffi plus noble que les fouterreins de la flagornerie auprès du Prince H:nri, dont Ja proteclion aftiehee fait plus de mal a la légation franu même avoir de la luite tout unjour. ( 6 )  L E T T R E XXXVIII. Berlin, zi Qctobrc i?86. J E fuis arrivé a cinq heures & demie du matin. Le Roi devoit faire manceuvrer fa cavalerie a fix. Je luis monté a cheval auffi-tót pour voir 1'état de fa fanté , &£ celui de fa phyfionomie , & pour m'acofter de quelqu'un , s'jl étoit poflible. La fanté eft bonne , la phyfionomie foucieufe ; on a long-temps fait attendre lestroupes; on s'eft, après deux charges , très-brufqueinent & ridiculement retiré. Rien de nouveau & d'aflez important ne m'eft parvenu pour ne pas employer le très-peu de momens que j'ai d'ici au courrier, & qui font fort abrégés par vos huit pages de chiffres, a réfumer les conféquences que j'ai tirées de 1'importante converfation dont je vous ai rendu compte dans ma derniere dépêche, & de laqneüe il m'eft d'autant plus impoffible de vous achever les détails, que le Duc m'ayant envoyé, une heure après que je 1'eus quitté , fon miniftre des affaires étrangeres ( M. de Ardenberg, de Reventlau), ils font très-augmentés. II m'a paru quatre chofes. iQ. Que , dans la confidence que m'a fait Ie Duc, il étoit entré une grande complication de fentimens , de mouvemens & d'intentions. II veut que nous le portions au premier miniftere de PrufTe , mais avec mefure. II n'eft pas fur que nous le defirions (j'ai fait tout ce que j'ai pu, pour 1'en convaincre ) ; cependant , abfolument petfuadé que fe mêler des affaires de la Hollande , eft une lourde faute, il defire que Ia PrufTe fe conduile bien , & que nous ayons 1'infiuence du moins en ceci. Il a donc voulu m'avifer', & toüt-a-la-fois découvrir fi je favois quelque chofe , & fi nous étions affez décidés pour foutenir la gageure ; de la les commentaires poftérieurs de Ardenberg , fes fauffes confidences de gazette. Le rappel, non-feulement de M. de Coetloury, mais celui de M. de Veirac ; notre délertion du parti patriotique, &c. &c. ; toutes chofes auxquelles j'ai répondu en riant. A 4 (?)  ü . yue ia tres-grande inquietude du Duc eft de lavoir fi nous fommes ou ne fommes pas Autrichiens, ou feulernent même ü nous fommes a eet égard dans une telle indéoiion que les fautes ou les froideurs du cabinet de Berlin (ufEroient pour nous pouffer, au hafsrd de tout ce qui en peut arriver dans les futurs contingens, a feconder 1'Empereur dans fes projets contre 1'AUemagne. 'Je crois que raffuré fin eet article capital, le Duc feroit Frane^ois car il eft fort Aliemand; & les Anglois ne peuvent que mettre le feu en Aiiemagne; nous feuls pouvons y maintenir la paix. Si ces liaifons avec i'Angleterre paroiffent fe refferrer, c'eft, je penfe uniquement la méfiance du fort de la Pruffe , qui •en eft la caufe : car il fait bien que fes combinaifons Angloifes font plus impofantes que iblides , & que les Prufïiennes , un peu plus fubalternes , peut-étre font bien moins hazardeufes.: '" 1 ' 3°. Lui & fon miniftre m'ont demandé & redemandé tant de fois fur quelle bafe je croirois pouvoir piloter la pacification de la Hollande, qu'il m'eft venu dans 1'efprit que le Duc lbnge , peut-être , que fi nous excluions 1'aU liance Naffau pour ie Prince de Pruffe, on feroit obligé de fe rejetter fur la princeffe Caroline de BrunfVick , fa fille : ce foupcon eft fondé fur des chofes fi fugitives, qu'il eft impoffible del'appuyer par écrit, même de probabilités , & d'autam moins que n'ayant aucune efpece d'inftruöion n eet égard, je n'ai nullement ofé m'avancer ; je ne le donne donc que comme il m'eft' venu. En tout, être peu inftruij iur les affaires de la Hollande , m'a beaucoup nui en cette pecafion.' Si j'euffe pu me hazarder,' j'aurois puifé a eet égard juiqu'a tarn\ La feule chofe bien politive qu'il ait décreté coming propofition , c'eft une efpece de confeil de régence coalitionnaire, fans lequelle Stathouder ne pourroit rien faire ; & oü feroient les Giflaer, Vanberckel, &c. &c. &c. &c. ? mais oü feroient auffi M. de Lyhden , le gouverneur des enfans du Stathouder, &c. &c.? A mon eternelle objeftion , comment foutiendtez-vous les mefures pnies fous votre caution ? Ils ont toujours répondu : s'il contrevient a fesarrangemens, nous 1'abandonnerons. — Jufqak quel point, ai-je repris ? & fi ce n'eft qu'amicalemenr, que lui importera votre abandon ? — En un mot je me' ( * )  tuis toujours tenii avec une obitination un peu mmeneuie , a dire que 1'on n'ameneroit jamais a la.railon le Stathouder , qu'on ne lui eut déclaré que le Roi de Pruffe 1'abandonnoit, fauf a raffurer a 1'oreille la princeffe. 4°. Il m'a paru que le Duc rouloit quelque grand projet dans fa tête pour la reconftrucYion de 1'édifice Germanique ; car ce prince habile fent que pour conferver cette ruine antique il faut 1'ëtayer, & même en reprendre fous osuvres quelques parties. Le feul defir qu'il m'ait clairement manifefté , c'eft la féparation de l'éleétorat de Hanovre de la monarchie Argloife , & la fécularifation de certains Etats qui puiffent contribuer un jour a un équivalent pour la Saxe. II croit que le premier point s'obtiendroit, & même fans de grandes difficultés, fi notre politique devenoit Angloife. Il croit que le fecond peut venir , quoique contraire a la ligue des princes , paree qu'a la mort de 1'Eleéteur de Mayence on aura occafion d'y retoucher , ainfi qu'un prétexte naturel & légitime de faire expliquer les princes ecclefiaftiques , qui, plus intérefïés que tous autres a la liberté Germanique , font toujours les premiers k tergiverfer , &c. ckc. Ceci décele du moins que tout attaché qu'il fe montre a la confédération des princes, il y aura des moyens de lui faire entendre raifon fur des modilications. Ce qu'il faut que je fache maintenant, c'eft : i°, s'il faut le mettre en avant, vrai moyen de 1'écarter, ce qui ne me paroit pas être notre intérêt; car il eft plus fage, plus habile , & moins fufceptible de préjugés & de paffions qu'aucun autre qui puiffe arriver a cette place ; x°. s'il faut échauffer & augmenter fon parti ce qui eft travailler direftement contre le parti du prince Henri , car le plan du Duc eft exclufif & a dire vrai il paroit tacitement fi convaincu que 1'autre nepeut rien être , qu'il a beaucoup ajouté a mon opinion fur ce fujet; 3°* jufqu'a quel degré je dois lui montrer de la confiance; car il eft impoffible d'en obtenir d'un homme avifé fans lui en donner , & je crois qu'il vaut mieux lui dire que lui laiffer deviner. Le comte Finckeftein eft fauvé. Le Roi eft arrivé le 18 a huit h. du matin ; il étoit parti de Breflaw le 17 a fept heures du matin. C'eft une diligence incroyable ; perfonne C 9 )  rj 3 pu le fuivre. Ce jour-Ia même il a été voir la Reine «fcuamere, Stadonné ainfi lieu d'attribuer a mademo.lelle de Voü cette courle rapide & périlleufe. On la dit proffe mais z°; on ne peut pas le (avoir, & 2. je crois que I empreiiement ieroit amorti, fi cela étoit. On allure qu'elle a demande deux eens mille écus; en ce cas fa deftinée n'aura pas une grande latitude. Le Roi a fait une foule de nobles en Siléfie comme ailleurs. Les gazettes vous le diront aflez, fans que je charge de ieurs inutiles noms cette lettre. II va paffer huit jours a Potsdam pour fon travail fur ie militaire. On parle d'un grand changement dans cette partie, lequel (era favorahle aux fubalternes, repreffif pour les capitaines. Les Dantzirkois, qui s'imaginoient apparemment que les Rou etoient des ogres , ont été fi enchantés d'en voir un qui ne mangeoit pas leurs enfans , qu'ils fe font enthoufiafmes jufqu'a vouloir fe foumettre purement & fimplementa Ia dommation Fruffienne. Les magiflrats ont éludé comme üs ont pu , fous le prétexte que Dantzick étoit une dépendance de ia Pologne ; mais le mouvement a été fi violent & fi tumdtuaire, que les courriers Pruffiens & Polonois ont^ marché. Cct événement donnera 1'éveil a l'Empereur ^ a la Ruffie : bonne circonfiance pour nos affaires Hollandoués. Au refte, M. de Hertzberg qui s'eft permis encore plufieurs coup, de tére en Sdelie, Sc nommément dans fon dilcours des hommages, oü il a vraiment bravé l'Empereur d'une mamere fort indécente , comme s'il étoit dans fa nature de ne pouvoir s'accommoder d'un ordre de chofes paifibles , M. de Hertzberg a eu le crédit de retarder la nommation de M. d'Alvenfleben pour la miffxon deFrance, que Ie Roi avoit annoncée a fouper. Devois-je m'attendre k cer-e reculade , quand je vous ai donné la nouvelle , que j'ai regardée comme fi publique que je ne 1'ai pas même chiffrée. ( io )  C « ) LETTRE XXXIX. 24 Ociobre i?86. J E commencerai cette dépêche par une anecdote parfai* tement (ure , qui me paroit la plus décifive que 1'on connoiffe fur le nouveau regne. Qu'on le rippelle que j'écrivois le 2.9 Aoüt : (N° XV) *> Le Roi paroit vouloir » renoncer a toutes (es habitudes; c'eft le prendre bien » haut.... Il fe couche avant dix heures du loir , & il » eft levé a quatre S'il perfévere il fera l'exemple » unique d'une habituele de trente ans vaincue , & c'eft en » ce cas fans doute qu'il a un grand cararüere qui nou$ tf déjouera tous Eh bien! j'en jugeois comme tout le monde fur les apparences. La vérité eft qu'a neuf heures & demie le Roi difparoilToit, & qu'on le croyoit couché , tandis que dans 1'intérieur le plus réculé du Paiais il célébroit les Sardanapales jufques bien avant dans la nuit. II eft aifé de concevoir maimenant pourquoi il a fallu intervertir ies heures du travail. La fanté ne fufnfoit pas au théatre &: a la coul.ffe. . Le prince Henri fe regarde comme écarté par fyftême & par goüt. II eft perfuadé ou croit être perfuadé que la fpule innombrable de fottifes qui réfultera de fon éloignement ( car dans fon opinion fans lui le pays eft perdu ) , fera recourir a fon expérience , a (es taltns , & qu'il refufera fes tardifs fecours qu'alors qn implorera de fon génie. II ne penfe pas que , même en lui accordant tous les rêves de fon amour propre , 1'expreffion unpays perdu n'eft vraie que relativement a un certain laps de temps & a un concours de circonfiances qui n'éclofent que dans une période drmée, & qu'ainfi très-probablement il fera mort avant qi'oii air eu le temps de s'appercevoir qu'on a befoin de lui. II vient paffer quatre mois a Berlin , comme un  £,a,i^x, uu-ii , ann qu on ne puille pas dire qu'il a deferté la chofe pubhque ; en/uite de quoi Rheinsberg, le lac de Gerieve , la France feront fes afyles. II en trouvera facilement par-tcut pour les confolations de fon choix , aujourd'hui.qu'il peut refter des heures entieres ajouer a colinmaillard ou a la main-chaude , chez les plus infipides comédiennes , telles que n'en offriroient point nos plus mauyaifes villes de province. La diftribution du crédit d'ailleurs eft Ia même. Hertzberg viole le Roi, qui probablement eftime davantage le . comte Finckeftein , mais qui, n'en étant pas auffi pourchaiTé , le laiffe dans une fubalternité d'influence qui, d'apparente devient réelle , vu la facilité du maïtre. Les'autres mmiftres font a-peu-près comptés pour rien. Welner augmente tous les jours en jurifdiaion & Bishopfverder en crédit; mais ce crédit il ne paroït 1'exercer ni en oftentateur ni en dupe. Ce ne font ni des titres , ni des cordons, ni des départemens qu'il convoite. Tout au plus fera-t-il des miniftres; il ne le fera jamais. Trois eens mille hvres pour chacune de fes filles , un beau fief pour hl, des grades militaires ( il paffe pour un bon officier), voila ce qu'il veut; voila ce qu'il aura probablement. En atrendant perfonne n'a rien, ni lui , ni Welner, ni Goertz, qui vit d'emprunt. ^ B oxAet : — crédit d'ingénieur-macon & nul autre, il n'en comporte pas. Goltz (le tartare ) fin, rufé, dextre , peut-être même ambitieux ; mais très-perfonnel & cupide : 1'argent eft fa paffion dominante , il aura de 1'argent : c'eft lui qui cependant influera probablement le plus lur le travail militaire , a moins que le duc de Brunfwick ne s'en empare. Les mémoires relatifs au génie lui ont été remis. Le colonel 'Warrenfleben écarté fenfiblement , & probablement vu les liaifons de fa. familie avec le prince Henn, qui par-dela tant d'autres défavantages , a celui que fous les entours du Roi s'accordent a 1'exclure. Les fubalternes : — leur regne n'eft pas venu. II paroït que long-temps trompé par eux, comme prince de Prufie , le Roi Ie fair & s'en fouvient, bien que par refpeft humain il veuille le difiimuler, du moins quelque temps encore. C ti )  Le maitre enfin ; qu'eit-ce ? Je perfifte a croire qu'il feroit téméraire de prononcer aujourd'hui ; mais on feroit bien tenté de répondre, U Roi des foliveaux. Point d'efpnt , point deforce, point de fuite , point de laboriofité , les goüts du porc d'Epicure, & des héros, feulement 1'orgueil, fi pourtant ce n'eft pas plutót encore de la vanité étroite & bourgeoife. Voila jufqu'ici les fympömes. Eh ! dans quelles circonftances? A quel age ? A quel pofte? II me faut rappeller toute ma raifon pour douter ; il me faudroit 1'oublier pour efpérer. Ce qui vraiment eft a craindre , c'eft que le mépris univerfel qu'il encourra bientót ne l'irrite&ne lui öte même 1'efpece de bonté qu'il montre. C'eft une bien redoutable foiblelTe que celle qui réunit a la foif effrénée des plaifirs fans choix & fans délicateffe , le defir du fecret, dans un pofte oü rien ne peut être fecret. Je ne fais pas au refte ici le fecond tome de madame de Sévigné. Je ne dis pas du mal de Frédéric-Guillaume , paree qu'il ne me regarde pas, comme elle difoit du bien de Louis XIV, paree qu'il venoit de danfer un menuet avec elle. Hier a la cour de la Reine il m'a adrefle trois fois la parole, & c'eft la première fois qu'il la fait en public. Vous avez été a Magdebourg & a BrunfVick ? —. Oui, Sire. — Avez-vous été content des manoeuvres? — Sire , j'ai beaucoup admiré. — Mais c'eft la vérité & non pas un compliment que je vous demande. — Sire , la vérité eft felon moi que Votre Majefté feule manquoit a ce fuperbe fpe&acle. — Comment fe porte le Duc ? — Parfaitement bien, Sire.—Viendra-t-il bientót?— Verre Majefté feule le fait a ce que j'imagine II a fouri Voila 1'échantillon. Vous croyez bien que ce'qu'on peut me dire devant toute la cour m'eft infiniment indifférent , mais ce ne 1'étoit pas aux fpe&ateurs , & je note ceci comme ayant paru entrer dans la réparation arrangée pour la France. Or la voici cette réparation. Jugez de 1'efprit a expédiens de la cour de Berlin ! car je fuis convaincu que de la meilleure foi du monde on vouloit plaire a M. d'Eft.** D'abord on a déterminé que la Reine feroit un lotto & non pas une partie privée , afin que plus de monde  iüf admis a fa table. ünluite & apres que toufes les prirïcefles, le prince Henri, le prince Frédéric de Brunfwick , le prince de Holsteinbeck ont été priés & placés, MUe. de de Bishopswerder , dame d'honneur chargée de la partie , a nommé M. d'Eft** : puis la Reine appercevant milord Dalrymple lui a fait figne , & au moment méme dit de fe placer. Le miniftre de France & celui d'Angleterre ont donc été les feuls miniftres étrangers de cette partie ; de forte que le prince Reuss&M. de Romanzow font reftés fur la même hgne d'exclufion , comme ils avoient 'été fur la même ligne de faveur. Il eft difficile d'être plus gauche & plus inconfidérée. C'eft maintenant que s'aggravê mon regret de ce que M. le comte d'Eft** s'eft cru obligé de fe facher le premier jour de cour de la Reine ; car je ne vois plus de réparation poffible qui ne foi't un mauffade replatrage après 1'ineptie d'fuer'. Au refte je fuis fur qu'on n'a pas voulu bleffer, qu'on a voulu même réparer. Pour traiter la chofe moins en petit, je me perfuadé qu'on a tort de dire que le Roi hait les Francjois. Il ne hait rien ; a peine aïme-t-il quelque chofe ; on lui a fait entendre qu'd tallóitêtre Allemand pour fe frayer une carrière perlonnelle & glorieufe , il fe rabaifie au niveau de fa nation , au lieu de s'éfforcer d'élever fa riation , paree que fa vue ne porte pas plus loin. S*il a une vive répugnance pour quelque chofe, c'eft pour les gens d'efprit, paree qu'il croit qu'avec eux il faut abfolument faire & entendre de 1'efprit , or il hait 1'un , paree qu'il défefpere de 1'autre ^ il ne fait pas qu'il n'y a que les gens d'efprit qui fachent n'en point avoir. Quant a la Hollande il paroit avoir prïs Ie parti de tout traiter a 1'amiable , fans hauteur ni menaces. Mais il vient toujours de Berlin au Stathouder deux verfions dont le Prince ne marique pas de choifir celle qui flatte fa paffion dominante. On faitaun mille d'ici des expériences d'artillerie trèsfe'cfetes : elles font confiées au major Tempel-Hoff. Un frès-petit nombre d'officiers-majors y eft admis. Les capitaines en font exclus. L'emplacement eft couvert de tentes, gardée par des fentinelles nuit & jour. Je tacherai de découvrir ce que c'eft. ( 14 )  ( ï5) J'ai oublié de vous dire , de BruniVick, que je tenois de la Ducheffe que le prince de Galles fait confuiter les plus habiles avocats de 1'Eroupe pour favoir , fi épouier une catholique, peut, foit par [es löix pofitives de l'An-< gleterre , foit par celles d'aucune autre nation, foit dans les maximes du droit public de 1'Europe , 1'exclure d'une héridité quelconque , & notafnment de celle de la coüronne. II paroït qu'il y a beaucoup d'imprudence dans cette efpece d'appel préfomptif des opinions britanniques a celles des avocats. Une anecdote moins importante , mais plus piquanfe peut-être , c'eft que le Margrave de Bade-Baden a envoyé ici pour complimenter M.' Edelsheim , le frere de celui de fes miniftres qu'on appelle le Choijeul de Carlsruhe. Or voici 1'hiftoire de ce complimenteur, arrivé beaucoup après tous les autres. Dans le temps qu'on doutoit des talens prolifiques du pere des cinq enfans royaux , on vouloit donner un amant a une dame ( la Reine divorcée & reléguée a Stettin ) qui en auroitbien pris fans cel-u Les freres du duc de Brunfwick furent chargés de ce choix, lis les prenoient dans un étage trop bas ; alors on jetta les yeux fur Edelsheim , qui fut affez publiquement chargé de ce.grand oeuvre. II fut enfuite envoyé a Pans pour une autre commilon , dont il s'acquitta mal ; on le mit a la Bnftille , a ce qu'on m'afïure ; il en fortit, revint , fut difgracié, puis remis en aftivité , envoyé auprès de diver- fes cours d'AIlemagne en 1778 Et c'eft eet homme que dans fa haute fageffe Ie Margrave envoie au Roi de Pruffe , qui s'eft mis lui-même a rire en le voyant. P.S. Hier a onze beures du matin, le Roi, enfoncé dans un caroffe gris , eft allé feul a Mon-Bijoux , oü il eft refté une heure , & d'oü il eft forti couvert de fueur & trèsenflammé. Eft-ce le triomphe de Mademoifelle de Voff? II eft impoffible de le favoir encore ; rien n'a tranfpiré non plus des lettres que M. de Callenberg a apportées du Stathouder. Muller & Lansberg, Secrétaires privés ducabinet ,avoient demandé leur retraite avec affez; d'amertume , leurs fervices n'étant apparemment plus néceffaires difoientils, pujf-  LETTRE XL. Du q3 Octobre 17S6. Tai pafle la foirée, hier, avec le prince Henri : le Roi avoit confacré a ce palais prefque tout fon après-diné la veille ; car de chez le Prince il avoit été chez la PrincelTe , oü il a joué, & pris le thé avec Mlle. de VolT, entr'autres dames d'honneur. Cette efpece de réconciliation avec le Prince, (laquelle pourtant n'eft que de la fimple courtoifie, foit montrée a la vifite chez la PrincelTe, que le Prince regarde comme fa plus cruelle ennemie ) , cette réconciliation ( & c'eft prefque le mot propre , car la froideur étoit très-grande ) paroit être 1'ouvrage de la politique de "Welner, qui.dans fa lutte contre Hertzberg a voulu, fi ce n'eft 1'appui du Prince , du moins fa neutralité ; & la haine de ce foible mortel eft fi aveugle , en effet , que combinée avec les efpérances de fon ambition , qui ne fe défabufera pas aifément , elle lui a fuffi pour fe jetter encore une fois a Ia tête du Roi, & par conféquent pour fe réculer s'il étoit poflible. Au refte , lui-même ne fait pas grand fond fur ce rapprochement fimulé, d'autant plus fufpeft, qu'il fe trouve placé a la veille d'une abfence de quinze jours, après laquelle il ne l'era pas difficile de trouver des prétextes de ne pas fe voir de quelques temps encore, fi le Roi le juge a propos. Mais le Prince croit fon ennemi fort, & il s'en réjouit comme un enfant, fans penfer que c'eft le moven le plus fur de le réffufciter. En qu'on ne daignoit pas même les mfiruirede ce qu'üs avoient a répondre, & qu'on envoyoit au Roi les lettres toutes dreiïées. Ilsreftent, ck c'eft par Bishopswerder que le raccommodément s'eft fait. II paroït qu'il le ligue avec Welner contre Hertzberg, même fans trop s'en cacher. Le Roi ne va plus que le vendredi a Potfdam , on croit que c'elt afin de donner au Duc le temps d'arriver pour le travail militaire, c'eft une étrange manie que de vouioir rendre raifon de tous les caprices des Rois.  Ün eftet , M. de riertzDerg paroit avoir rait ion torr. En Siléfie , il avoit eu des déboires affez vifs; quelques brufqueries , quelques contrariétés, le chagrin de voir rayer de la lifte des comptes, le frere de fon ancienne maitreffe. Dès la Pruffe même il auroit dü s'appercevoir que fes jactances ne plaifoient pas. Lorfqu'aux hommages il lut la lifte des Comtes , il s'arrêta a fon nom afin que le Roi le prononcat lui-même du haut de fon tróne , & le Roi eut la malice de n'en rien faire; de forte que le Comte de Hertzberg n'a été inauguréque le lendemain dans 1'antichambre. Mais ce qui, 1'a probablement perdu, s'il 1'eft en effet, ce font fes manieres hautaines avec "Welner, le moins oublieur des hommes, & qui, dans fes projets d'ambition , Ti'avoit pas befoin de cette rancune pour haïr & deffervir le miniftre. Celui-ci 1'a fait attendre dans fon antichambre des ïieutes entieres, 1'a requ & tenu debout dans fa chambre , ne lui a parlé qu'un petit nombre de minutes , & 1'a congédié avec des 'airs qui ne font bons qu'a 'offenfer. Welner a juré fa perte , & Bishopfwerder le feconde. Elle paroït probable du moins dans toute 1'acception du mot crédit; je 1'aurois deviné aujourd'hui a fa feule politeffe. II avoit un grand diner d'étrangers, dont, pour cette fois , M. d'Eft * * & mot nous étions ; & toutes les prévénances ont été pour nous. Cela eft gauche & bas. Etrange fingularité que ce mélange de roideur & de foibleffe , par lequel les demi cara&eres le perdent. Machiavel a raifon : Tout le mal de ce monde, vient de ce qu'on n'ejl pas a[[e{ bon ou ajfei méchant. Quoï qu'il en foit , il eft certain du moins que M. de Hertzberg a recu une defenfe feche & pofitive de fe mêler dire&ement ni indirectement des affaires de Hollande , d'oü M. de Callenberg , au refte, paroït n'avoir rien apporté de particulier. C'eft tout bonnement du fervice qu'il demande , 6c fes lettres étoient de fimples recommandations. Ce n'eft pas pour Hertzberg que Pon ne rappelle pas Thulemeier •, c'eft pour le comte Finckeftein. La femme de eet envoyé a été liée de tout temps très-tendrement avec ce miniftre , & c'eft même le mari de cette vieille amie qui fit entrer le comte dans le département. Après tout, Is rappel ou non rappel de Thulemeier eft a préfent, ce me femble , un objet de bien peu d'importance. Sa miffion Tomé 11. ' B (-7)  «Ir hnie de fait depuis 1'arrivée du comte de Goerfz &ie ne cro.s pas même qu'on recjoive de fes dépêches. Le fort de Launay eft décidé d'avant hier au foir par une ettre tres-fevere. II eft hors d'aétivité, & pour Ite retraite 0n ]m 0ffreune penfionde deux mille écus, pourvu quil refte dans les Etats du Roi. II faut convenir que fon compte rendu eft un chef-d'ceuvre d'égoïfme & d'imnéritie , & quil pourro.t etre vrcWufement réfuté, quoique le rnemoire des commiffaires oü ils ont entrepris d'y répondre ioit pitoyable Au refte , il a conftaté deux faits, dontl'un bien cuneux & 1'autre décifif contre fa propte geftion ,a iavoir qu il a fait entrer dans les coffres du Roi en dix-neuf ans quarante-deux millions fix eens quatre-vingt neuf mille ecus d Empire, ou plus de cent toixante-dix millions de notre monnoie par déla fes fixations , qui montoient a cinq millions d ecus annuels. Quelle extorfion terrible! L'autre fait eft que la régie coöte plus de quatorze eens mille écus annuels ou pres de fix millions en frais de perception , qui au premier apperqu des affaires & des circonftances locales! peuvent etre réduites au moins des deux tiers. Maisonn'emploie pas en ce moment un feul homme qui paroiffe en être aux elémens ; il eft de fait qu'on n'a pas pu rédiger encore «n tableau général de la recette & de la dépenfe , niclaffer une feule des branches du revenu, en forte qu'il n'eft pas encore un feul objet, pas même le diner du Roi, qui fok nettement affigné. Ceci eft un cahos, mais c'eft le cahos tranquille. Tout eft en ftagnation , finances , militaire , Civil. En general cela vaudroit fürement mieux que trop gouverner dans un pays conftitué , oü la lageffe particuliere 1'emporteroit fur la folie publique. Mais on eft fi accoutumé ici que le Roi travaille , ou plutöt qu'il faffe tout • on a fi peu 1'habitude d'y fuppléer C quoique la chofe une tois ordonnee on fache fort bien le tromper); on eft fi éloigné même de lui propofer, que la ftagnation eft un tletraquement réel de la machine ; & ce détraquement que ne peut-il pas devenir dans un Etat qui a des bafes fi fraf«iles, quoiqu'a la vérité , habité par un peuple fi lent, fi ïourd, fi peu paflïonné , que difficilement une fecouffe' y lera fubite! Quoiqu'il arrivé, le vaiffeau coulera bas plus ou moins mfenfiblement , s'il ne furvient pas de pilote" ïnais il ne chavirera pas. * ( tt \  t *9 O Encore une fois il faut attendre ; il feroit réméraire de vouloir difcerner quelque chofe dans ces ténebres vifibles ; il raut attendre , dis-je, pour favoir du moins fi le Roi aura ou n'aura pas le courage de prendre un miniftre principal. Son avénement feroit une véritable révolution , qui peut tout changer , foit en bien , foit en mal. Ce qu'il faudra beaucoup furveiller quand on pourra pronoftiquer le fort de ce gouvernement-ci, c'eft le duc de Brunfwick, s'il n'y eft point appellé , & qu'il y ait apparence de naufrage. Ce prince n'a que cinquante ans, &C certes il eft ambitieux. Si jamais il peut fe réfoudre a quelque chofe de hazardeux , & qu'il ne compte plus fur la Pruffe , il foufflera furtoutes les combinaifons Germaniques, comme le vent du nord fur de foibles rofeaux. Sa tournure & fes manieres ne font pas compatibles avec 1'Angleterre , qui d'ailleurs ne peut qu'accidentellement agir dans le continent. Mais mon imagination fe figure telle circonftance oü je le crois capable de fe jetter du cöté de l'Empereur qui les recevroit a bras ouverts. Et que ne pourroit pas le duc de BrunfVick a la tête de 1'armée Autrichienne ? Quel danger pour 1'Allemagne ! Quelle exiftence pour lui qui aura peu de frein , s'il lui faut prendre un parti défefpéré ? Car il ne fauroit fouffrir fes fils, fi ce n'eft le cadet qui promet de n'être pas auffi ftupide que les autres. On a manqué la bonne maniere de le lier : c'eüt été de le mettre abfolument a la tête de la confédération des Princes. S'il les déferte ; je crains fort qu'il n'en foit le deftru&eur. Le baron de H * * * eft arrivé , Sr il n'a pas été recu par le Roi , comme on s'y attendoit. Un certain énergumene de mufique, appellé le Baron de Bagge eft auffi a Berlin. Je crois que tous tant qu'ils font ils fe hatent trop. II eft dans la ferveur du fyftême Allemand , & fur-tout avide de faire dire qu'il fuit d'autres erremens. Depuis qu'il eft Roi , le banquier de la Valmour a eu ordre d'envoyer fes comp- B x  tes , pour qu'ils fulTent arrêtés , & de fufpendre tout paiement ultérieur a cette fille qui eut autrefois fur lui tarit d'empire. On dit qu'il revient le 3 de Potsdam , & je crois en derniere analyfe qu'il ne fera qu'y chaffer. Le prince de Deflau y arrivé demain foir : je ne doute pas qu'il n'y ait quelque évocation d'ames. ( ^ L E T T R E XLI. 30 Oclobre 1786. J'ai remis a Struenfée fur fa demande , les notes fuivantes; Tune fur la póffibilité d'un placement dans les effets publics de France ; Pautre fur le traité de commerce. Sur les placemens cPargent dans les effets publics de France. 11 y a deux fortes d'effets publics en France ; ceux dont le revenu ou leur rapport eft fixe & certain , & qui n'ont Tien d'éventuel, & ceux qui preduifent des dividendes ou partages de bénéfices , fujets a des viciffitudes & a des variations en hauffe ou en baifle. Dans cette derniere claffe font principalement les actions des compagnies publiques ou favoriiees, telles que la caiffe d'efcompte , les eaux de Paris , la compagnie des Indes : tous ces effets ont été fucceffivement ou en même temps livrés a tous les excès de 1'agiotage. On a perdu , pour ainfï dire, toute idéé de leur valeur réelle , de leur rapport effecTif, pour fe livrer a toutes les exagérations des joueurs fur des objets que 1'on ne peut pas loumettre a des calculs exafts. On a même été moins oceupé de rapprocher les prix de ces aélions de leur véritable valeur , que de les ballotter d'après de prétendues notions fur 1'impofiibilité de livrer les quantités vendues : on a fait accaparement fur accaparement, afTociation pour la hauffe , affociation pour la baifle. Tout ce que le menfonge, 1'intrigue & 1'aftuce ont pu imaginer, a été mis en oeuvre pour faire hauiïer ou baifler les prix ; ck quoique la vio-  iencedecejeu nedure que depuis environ deuxans, beaucoup de gens s'y font déja ruinés, & beaucoup d'autres s'y font déshonorés , en fe mettant a couvert de la loi , pour éluder leurs engagemens. L'autre genre de placement, le feul peut-être qui mérite ce nom, font les contrats Sr. les effets royaux proprement dits ; les contrats rapportent cinq & demi a fix pour cent au plus. Un feul effet au porteur en rapporte davantage , c'eft 1'emprunt de cent vingt-cinq millions, qui ne fe vend fur la place qu'a deux pour cent de bénéfice, quoiqu'il y ait neuf mois d'intérêts échus , & qu'il offre réellemetit un intérêt de bien prés de fept pour cent par an. II n'eft pas poffible qu'il refte long-temps a ce taux. Soit que 1'on veuille y placer d'une maniere permanente , ou pour une fpéculation de quelques mois feu'ement, eet emprunt mérite une préférence décidée fur tous les autres. - Chaque année le bonifie réellement , puifqu'avec un intérêt toujours égal de cinq pour cent Pan , on marche toujours vers un rembourfement plus avantageux. E.i Janvier 1787 & 1788 ces rembourfemens fe feront fur le pied de quinze pour cent de bénéfice fur le capital ; enfuite ce bénéfice monte a vingt pour cent, & de trois ans en trois ans vingt-cinq, trente , trente-cinq , quarante , quarantecinq, cinquante; & enfin pour la derniere année a cent pour cent, le tout indépendamment de 1'intérêt a cinq pour cent, jufques & compris Pannée du rembourfement, Ia derniere année a cent pour cent de bénéfice feulement exceptée. On peut conferver ce placement fous fa forme originaire d'effet au porteur , ou , fi Pon veut, on peut le faire conftituer en contrat, fans rien changer pour cela a 1'ordre du rembourfement. Ceux qui achetent dans le projet degarder, devroient préférer de le faire conftituer en contrats, paree que fous cette forme il ne peut être volé , brülé ni détruit ; ceux qui achetent par fpéculation pour revendre font mieux de garder les effets au porteur, paree qu'alors la vente n'en éprouve ni retards ni formalités. Les emprunts publics en France doivent êire regardés comme finis , toutes les dettes de la guerre étant payées ; de forte que fi Pon emprunte délormais , ce ne fera pro- B 3 ( 11 ï  (i) On ignoroit alors , & 1'on ne devinoit pas la lublime inyemion dej emprunts graduels & fucceffifs. fcabiement i ) que de petites lommes , pour parer aux rembourfemens annuels dont les finances font chargées pendant cinq ou fix ans encore. Mais ces emprunts ne préfenteront aux prêteurs que de médiocres avantages; le taux de 1'intérêt a une tendance naturelle a baiffer, d'après la profpérité générale du Royaume, & par conféquent 1'emprunt de cent vingt-cinq millions préfente une probabilité de hauffe , qui chaque jour peut fe réalifer, & dont on ne peut s'affurer qu'en y pla^ant promptement. Cette brobabilité peut même s'appeüer certitude , quand onconiïdere d'un cöté la nature ■ de 1'emprunt, qui eft le plus lage, le plus folide , le plus avantageux aux prêteurs, &c Je mieux combiné a tous égards que 1'on ait jamais fait; d'un autre coté le concours de circonftances, qui toutes fe réuniflent a faire préfumer que le crédit de la France & la confiance dans fes effets royaux ne pourra que s'accroitre & s'affermir de plus en plus. Sur le traité de commerce. II paroit que le traité de commerce plait beaucoup aux deux parties : les Anglois y voient un grand débouché pour leur lainage, leurs cotons facjonnés & leur quinquaillerie. Nous comptons fur une très-grande exportation de nos vins , nos toiles , batiftes, &c ; & probablement tous ont raifon, mais avec des modifications que le temps feul peut apprécier. En général, le traité paroït avoir confacré un principe trop fouvent méconnu, que les droits modiques font les ieuls moyens de préferver le revenu, & de prévenir la contrebande , ainfi dix a douze pour cent font les droits que les marchandifes angloifes vont payer. Si dans les premières années Pavantage pouvoit fembler être du cöté des Anglois , il eft clair que chaque année le commerce franCois gagnera du terrein par-la, d'autant que rien ne s'oppofe a ce que nos manufaftures imitentpeu-a-peu les produits C " )  ( *3 ) de Pinduftrie Angloife , tandis que la nature ayant refufé a 1'Angleterre le ibl & le climat, qui feuls peuvent produire nos vins, ils feront toujours dans notre dépendance a eet égard. II eft certain que les vins de Portugal continueront a être confommés en Angleterre , en affez grande quantité. La génération qui s'éleve préférera les vins de France : cela eft prouvé par 1'exemple de Plrlande, oü il fe boit dix fois plus de vin de France , que de celui de Portugal. Les vins de France ne devant déformais payer en Angleterre que les mêmes droits que ceux de Portugal y paient aujourd'hui , c'eft a-dire , quarante livres fterling par tonne , ou environ vingt-quatre fois de France la bouteille , nos vins de Médoc pourront s'y vendre a bon marche , & feront préférés aux vins de Portugal. Les Anglois pourroient , a la vérité, baiffer les droits aótuels fur les vins de Portugal; mais ils craindroient de les diminuer fenfiblement, pour ne pas compromettre le produit de leurs brafleries , qui forment la branche la plus importante de leurs droits d'accife , &' rapportent annuellement plus de dix-huit cents mille livres fterlings. En tout , le traité fera incónteftablement avantageux aux deux pays, il procurera une augmentation de jouiflances a leurs habitans, & de revenus a leurs Souverains refpectifs; il tend a rapprocher les Anglois des Franqois ; en général, il porte fur ces principes libéraux qui convieunent aux grandes nations , & dont la France devoit d'autant plus donner 1'exemple , que c'eft le pays de Punivers , qui, par fes avantages naturels, gagneroit le plus , a ce que de tels principes fuflent univerfellement établis dans le monde commercanf.  Ön a dit auffi ( & c'eft le prince Ferdinand ) que c'&oit moi qui avoit réfuté le compte rendu de Launay. Depuis ce moment j'ai été me faire écrire chez de Launay tous les jours, & j'ai déclaré qu'en pareille matiere tourmenter Jes perfonnes me paroiffoit fi peu néceffaire aux chofes qu'indépendamment de la lacheté de frapper fans miffion un homme dans le malheur, il n'y avoit qu'un fat-qui eüt pui inventer une méchanceté fi bete. Sur une réplique a la réfutation de fon compte rendu , Launay a recu une lettre fi dure , qu'il a démandé fur le champ la permiflïon de fe retirer. Le Roi a répondu que cette permiffion lui feroit accordée quand la commiffion n'auroit plus befoin de lui. On murmure hautement ici, après en avoir long-temds parlé fourdement, qu'il fe machine un traité entre la Ruffie , 1'Autriche & la Pruffe , dont le prétexte eft la pacificalion de la Hollande. Pavoue que je ne vois pas a cela la plus légere apparence pour !e moment. Le Roi , ni aucun de fes miniftres, ne me paroifTent avoir affez d'étendue dans 1'efprit pour une pareille conception. Cependant c'eft le cas affurément d'y faire une attention férieufe Comme je üniftois cette phrafe , je recois avis fur que le Do&eur Rogerfon, médecin favori de la Czarine , celui-la même qu'elle a envoyé a Vienrie , & dont je vous ai parlé dans mes prémières dépêches, vient d'arriver. C'eft le cas , ou jamais, de faire la guerre a 1'ceil; mais ce genre d'efcrime n'appartient qu'aux miniftres; eux feuls en ont les moyens , ne fütce que par la toute puiftance des petits foupers , qui font des tamis pour les fecrets. Au refte , ce Rogerfon revient d'An- LETTRE XLIl. 31 Oclobn 1786". ( M )  gleterre par Amiterdam, ot ta roure natureiie ciuu lmc.i paffer ici. Cependant je répète qu'il faut obferver de prés les cabinets d'Autriche & de Saint-Petersbourg , tout convaincu que je fois, quant a préfent, que l'Empereur ne tend que des pieges a ce pays-ci. Ajoutez a tout ceci que je crois m'appercevoir très-clairement que le Prince Henri fe dégallomanife ; cela ne 1'avancera de rien , car c'eft comme antiHenri qu'on eft anti-Francois, & non pas comme anti-Francois qu'on eft anti-Henri. Mais ce Prince eft turbulent, faux, perfide : autrefois il a réuffi a Saint-Petersbourg. II peut fe flatter que fi 1'on a befoin de ce cabinet on penfera a 1'employer, & jamais on ne reffembla mieux par la morale a feu Eroftrate. Le Duc de Brunfwick eft arrivé famedi foir a Potfdam; c'eft une efpece de fecret a Berlin. Le dimanche on n'avoit encore fait que de la mufique & des revues ; mais il eft certain que du dimanche au mardi il eft parti deux courriers. Je n'en fais pas davantage ; je manque de moyens pécuniaires & autres; mais c'eft une chofe fi incommode que le défordre intérieur ; quelques-uns des favoris font fi intéreffé* a le faire ceffer, du moins dans certaines parties, puifqu'ils n'ont pas le fol, & il eft a un tel excès dansle palais , que je ne puis pas ne point foupqonner qu'il y a quelque grand objet de diftraétion qui abforbe le peu de momens que le Roi confacre au travail. II a eu une fecoulTe inférieure, oü il s'eft fait violence. Un de fes écuyers favoris, Rumpel , fort infolent de fa naïure , & au point qu'a une revue il lui eft arrivé de frapper un gentilhomme , fans qu'il en foit refulté aucune autre fuite, a eu un démêlé de fubordination très-vif avec M. de Lindenau, nouveau premier écuyer, Saxon , amis de Bishopfverder qui 1'a fait placer. Lindenau a envoyé 1'infolent favori aux arrêts, & a rendu compte au Roi ; celui-ci a fait un foubrefaut violent; mais après quelques fecondes de filence , il a non-feulement donné raifon a M. de Lindenau, mais confirmé les arrêts d'une maniere très-feche , & pour un terme indéfini. Cela a rendu quelque énergie aux chefs, 8c tempéré un peu 1'infolence des fous-ordres. D'un autre cöté , la divifion femet dans les favoris. Goltz & Bishopfverder ont eu un différend très-férieux en Siléfie. ( 25 )  »Jlwl j\_ ut, icti» ijucuea iiuuveucs nunimaiiuus , Goltz s'eft tu fi froidement, que le Roi a voulu favoir les motifs de cette improbation tacite : Ceft, -a dit Goltz, que Votre Majefté nous 'monde de Saxons , comme s'il n'y avoit point de fujets che[ elle.—Bishopswerder arrivé peu de momens après, propofe un Saxon ; Sc le Roi lui dit trèsbrufquement ; Eh, facredieu I vous ne me propofe^ jamais que. des Saxons. — Probablement dans Pexplication qui a iuivi cette brufqüerie, le Roi aura été indifcret; toujours efl il vrai que BishopfVerder en a eu une très-vive avec Goltz? Cela eft replatré, mais on peut conclure, avec probabilité, que Goltz le tartare Sc Bishopfwerder le débonnaire , ne font, ni ne feront très-cordialement enfemble. C'eft le dernier qui a fait venir 1'infignifiant Duc de Holflembeck; Sc qu'il le porte au commandementdes gardes, pour écarter de ce pofte 1'ancien favori Wartenfleben. Un cran plus bas , il femble que Chauvier reprend du credit. II a cru dans le commencement du regne, que la morgue de fecrétaire avanceroit fes affaires : elle les a reculées ; ij paroit qu'il fe retourne , qu'il reprend le département du maquerellage, des compjaifances fubalternes , même de 1'efpionnage , St que cela lui réuffit. Le Roi revient mercredi, pour repartir lejeudi, dir-on. Je n'entends rien a cette marche ; mais ne ieroit-ce pas un peu pour écarter le Prince Henri , fans fe brouiller avec lui? Ce Prince fe trouvera étranger aux affaires par la feule topographie du Roi. Le miniftre de Blumental a demandé affez nettement fa démiflion au Roi, fe plaignant que Sa Majefté , qui avoit chamarré de cordons quelques-uns de fes lerviteurs moins anciens que lui, ne lui eüt pas donné cette marqué d'honneur. Sa retraite, qui n'eft pas accordée, eft un objet de peu d'importance ; mais on dit que le Roi ne demande pas mieux, afin d'avoir une place a donner. On annonce , Sc d'un affez bon coin, que cette place , ou plutot une place principale, fera tout-a-l'heure arrangée pour un homme tres-marquant, Sc qui déplaira a tout le monde. Je ne puis m deviner qui c'eft, ni croire que le Roi ait la force de déplaire a tout le monde. Hertzberg eft toujours en baiffe , fi ce n'eft en chüte de ( 2<5 )  crédit, II eft de fait, que , dëpuis le retour de Silene, il n a pas diné avec le Roi. Welner eft a Potsdam. Ne vous laiffez pas perfuader par la légation , qu'il n'y a rien a craindre du cöté de 1'Autriche. Je fuis convaincu que le Roi n'a pas un parti pris ; que l'Empereur le rite , &£ que quelque chofe nous échappe. Rien de moins extraordinaire aflurément, quant a moi. J'avoue que je fuis furpris moi-même de tout ce que je parviens a favoir, quelque peu que ce foit; mais il ne peut y avoir de fecret ici pour le miniftre de France , que faute d'argent ou d'aóbvité. On vient de me conter que le général Rodig avoit appellé en duel le Comte de Goertz; on n'en dit paslefujet, & cela me paroït peu vraifemblable; cependant la nouvelle eft de bon lieu , quoique d'un jeune homme. LET T R E XLIII. 4 Novembre iy86. . 3VÜ. de Launay eft Yufpendu de toutes fonótions par une nouvelle lettre infiniment dure , & paffablement incohérente. J'ai cependant peine a croire qu'on veuille fouiller le commencement du regne par une inutile cruauté. La vidtime eft immolée a la nation , du moment oü 1'homme n'eft plus en place ; le refte ne feroit que 1'explofion d'une haine gratuite , puifque ce malheureux ne peut plus faire ombrage a perfonne. M. de Verder eft a la tête de la régie. Nous verronsce que produira un nouveau régime , ou plutót s'ils fauront 1'établir. En attendant , le renvoi dé quarante Francois eft décrété in petto , & je ne vois pas que ces efpeces de vêpres ficiliennes conquièrent même l'opinion publique. Ici le théatre n'eft pas affez vafte pour que le parterre ne difcerne pas ce qui fe paffe dans les coülilTes. II n'y a guere d'autre illufjon poflïble , que de faire réellement du bien. Au refte , j'effaie de fauver Launay , en faifant dire parle prince Henri , qui du moins a confervé le droit de tout dire , que jufqu'ici le Roi a vraiment été dans cette f 17 }  affaire 1'homme de fa nation; que s'il alloit plus loin , il feroit 1'homme des ennemis de Launay ; qu'on murmure dans le public qu'il a époufé leur haine, &c. II eft certain que les je du compte rendu lui ont donnéde Phumeur & même de 1'emportement. Le Roi eft arrivé hier & reparti ce matin : il paroït que c'eft une épifode du Roman Voff, lequel mürit. On eft en. fufpens fur les trois partis fuivans. Deux eens mille écus pour ia dot (le Roi ne veut point, ou ne veut compter que mille écus par mois; de forte que le paiement ne lëxoit parfait que dans feizeans & huit mois; ce qui le rendroit un peu problématique ) ; un mariage de la main gauche ( le Roi y confent, mais la demoifelle trouve que cela eft trè s-équivoque ) , ou la marier a un homme qui partira le jour même pour la miffion de Suede : ( on n'eft pas fur de trouver un homme affez vil pour cela , dans une claffe qui le mette fur une ligne des miniftres ). La demoifelle avoue que , fans être amoureufe, elle eft fenfïble a une perfécution de trois ans; mais que fera-t-elle ? Que fera fon oncle ? Sa familie ? Quelle fera fa place dans 1'opinio", a la ville, a la cour ? Voila 1'objet de la négociation que conduit Bishopswerder ;■ je ne le crois pas affez jeune pour devenir le fubftitut du Roi; de forte que fa fpéculation ne me paroit pas fure. Quant au Roi , il y a bien un peu de curiofïté , un peu d'obftination , un peu de gloriole ; mais encore plus du befoin d'une fociété oü il puiffe être auffi commere , auffi déboutonné , auffi les pieds fur les chenets que poffible. Ce qui entrave la négociation , c'eft que les Rietz doivent vuider le pays , & que le Roi tient fort a fon fils. Au refte , il faut ajouter a tout ceci cependant que mademoifelle de Voff raconte tous les propos du public , & même des courtifans les plus fecrets, fur fon compte, ce qui peut donner des foupc.ons fur la probabilité des conjeclures. II retourne a Potsdam jufqu'au 8 , dit-on ; il n'y eft pas tellement occupé d'affaires ou de phifïrs fecrets qu'il n'ait quelques fociétés. M. d'Arnim y eft , efpece d'homme du monde manqué, a qui 1'aménité facile de fts mceurs & fa grande fortune ont fait beaucoup d'amis, & dont 1'efprit tout a la fois affez droit & peu brillant, mais indécis ÖC  vacillant, n'offufque ni n'effraie le Roi. En tout pays abfblu, c'eft un grand moyen de fortune que d'être médiocre ; s'il eft vrai qu'en généralavec les princes il nefa-triendetranchant, ck que 1'héfitation en délibérant leur plait toujours, je crois que cela 1'eft principalement pour Frédéric-Guillaume II. Au refte, les états d'affignation font faits, a ce qu'on aflïire, ck c'eft le travail du feul Welner ; auffi tous les miniftres , Schulembourg excepté , peut-être a caufe de fes liaifons avec le comte de Finckeftein , que 1'inauguration de mademoifelle de Vofl doitrendrepuiffant, font-ils inquiets ck confternés. II en eft , ck ceci eft pofitif , qui n'ont pas encore rendu le plus léger compte au Roi. Appréciez par-la 1'état de fituation d'un pays oü tout dépend de cette feule tête. Ne vous étonnez pas de ce que 1'on vous parle de peu d'affaires , car il ne s'en fait point ; celle de de Launay eft la feule que 1'on fuive avec l'a&ivité de la haine. Tout le refte dort. Quelqu'un qui arrivé de Ruffie m'aflure que deja depuis long-temps 1'Impératrice ne va plus au Sénat, ck qu'elle s'énivrehabituellement tous les matins avec du vin de Champagne ck de Hongrie C ce fait eft contraire a toutes les traditions parvenues jufqu'a moi ) ; que Potemkim ^exalte fon ambition jufqu'aux plus grands projets, ck que 1'on dit tout haut qu'il fera Empereur, ou qu'il aura la tête coupée a 1'avénement du grand Duc. Cet homme rufé, tranchant, ck d'une fermeté rare, n'a pas un ami , ck cependant ie nombre de fes créatures ck de fes créanciers , qui perdroient tout avec lui , eft teDement grand dans toutes les claffes de la nation , que fon parti eft extrêmement formidable, II amafle un tréfor immenfe dans un pays oü tout eft vénal. Habitué a ne jamais payer fes dettes, ck difpofant de tout en Ruffie, ii ne lui eft pas difficile d'accumuler des fommes immenies. II a un appartement dont lui feul garde la clef, garni de rayons du haut en bas, ck divifé en un grand nombre de cafés remplies de billets de banque de la Ruffie , du Danemarck , ck fur-tout de la Hollande & de 1'Angleterre. Un de fes gens d'affaires lui propofoit un jour 1'achat de la bibliotheque d'un grand feigneur qui venoit de mounr. Potemkim le mena dans fon appartement a billets, ck pour toute réponfe lui demanda s'il croyoit que cette bibliotheque ( 29 )  valut celle qu il lui propoioit. Avec de tels moyens pécuniaires il n'a pas même befoin d'un autre crédit pour faire a Saint-Pétersboixg tout ce qu'il ofera vouloir. Au refte , je dois dire ici que le doéteur Roggerfon , lequel eft parti aujourd'hui pour retourner a S. Pétersbourg , affure que perfonne en Eutope ne mene une vie plus réglée & plus fobre que Catherine II. Obfervons cependant qu'il eft abfent depuis huit mois. J'ai ramafie quelques détails affez curieux furl'ufurpation de la régaledes poftes de la Courlande, dont je vous ai parlé dans mes dépêches précédentes. C'eft un objet affez important pour ce petit Etat. Indépendamment de l'inquifition qui en réfulte, Sc de l'infra&ion du droit des gens, cette braftche de revenu n'eft pas de moins de cent foixante mille livres de France annuellement. Mais voici une circonflance finguliere qui cara&érife la politique Rulle. Pour ne pas commettre un afte de violence trop marqué , Sc fe difpenfer de faire marcher des troupes, ce qui attire toujours 1'attention des voifins, la Cour de Ruffie a fait propofer , ou plutöt demander une conférence amiable des députés de Courlandeavec lescommifïaires nommés a eet effet, Sc appellés k fiéger a Riga , forterefle RufTe , frontiere de la Courlande , fous Ia préfidence du gouverneur de cette ville. Quatre députés de Courlande s'y font rendus au terme fixé , Sc Ie gouverneur leur a fignifié qu'il avoit ordre de fa Souveraine de les faire arrëter, s'ils ne fignoient pas Pafte qu'il leur montroit tout dreffé , par lequel la regale des poftes de Courlande fe trouvoit conférée a la Ruffie. Les députés qui, dans un refus, n'avoient de perfpeétive que la Sibérie , ont figné purement Sc fimplement; après quoi plufieurs conventions qui alienent des menus droits, ou même des portions de pays limitrophes , ont été préfentés&c fan&ionnésde même. Une des plus aftucieufes, comme des plus importantes, eft celle qui concerne la réclamation des fujets ruffes qui peuvent fe trouver en Courlande , Sc dans laquelle le cabinet de Saint-Pétersbourg enveloppe les defcendans de ceux-la même qui feroient naturalifés depuis des fiecles. II eft évident que cette concefïion prête a des abus illimités Sc des chicanes fans nombre , qui feront plus de mal a la Courlande que le plus onéreux impöt; car rien n'empêche les pré- (30)  pofés Ruffes de feindre quand ils voudront 1'exiftence d'un ou de plufieurs; ou de tels ck tels fujets Rufïes, dans telle ou telle partie de la Courlande qu'il leur plaira , ck de fuppofer gratuitement le refus de les refiituer, pour mettre Ie pays a contribution d'autant de centaines de ducats ( fomme fixée par la convention pour chaque tête Mofcovite qu'on refufera de rendre ) que le file RulTe ou le délégué en auront befoin , ou que le pays en pourra fournir. Encore une fois, ce qui s'exécute plus clairement pour la Courlande, fe pratique un peu plus fourdement, mais fe pratique dans tous les pays qui avoifinent la Ruffie. Uevenons a Berlin. L'écuyer Trumpel , dont je vous ai parlé dans ma précédente , efl renvoyé. Ce coup de forcea beaucoup étonné. II eftcertain que le Roi fait tout ce qui eft en lui pour n'être pas dominé. C'eft jufqu'ici 'la volonté la plus diftincTe que 1'on puiffe difcerner dans ce Prince. II foupa jeudi foir a la table de confidence, oü 1'on eft fervi par des tours ck fans valets. Le foupé fut plus que gai. II étoit compofé de dix perfonnes. On fut voir après toutes les dames d'honneur les unes après les autres. Le prince Henri, qui a donné cette femaine de grands dïners au militaire ck au civil ( chofe qu'il ne faifoit jamais ) , foupa lundi chez la Reine régnante avec toute fa cour ; cela ne prouve rien du tout que la volonté de n'être qu'en mefure de politeffe. J'oubliois de dire qu'il donne demain a diner a tous les bas-officiers du régiment de Braun ; c'eft une affeétation ridicule ck gratuite, qui ne le raccommodera pas avec 1'armée , dont il eft vraiment méprifé. Le baron de Bagge , qui n'a voulu voir perfonne ici, ck pas même faire les vifites de décence, difant qu'après la maniere dont il avoit été avec le prince de Pruffe, c'étoit au Roi a lui faire dire de venir , a 'requ hier invitatation de fe rendre a Potfdam. C'eft tout au moins la preuve que la mufique tient a cceur. Cet infame C** a écrit a Chauvier, qu'il favoit, a n'en pouvoir douter, que c'étoit a lui qu'il avoit 1'obligation de n'avoir pu voir le Roi ; qu'il alloit dans un pays oü il étoit du moins facile denuire,ck qu'il mettroit tout ( 3i )  C 3* ) en oeuvre pour le perdre, indépendamment de tous les möyens que lui Chauvier en avoit déja fournis. Chauvier a pris le bon parti ; il a porté la lettre au Roi. Les courfes nocturnes continuent. J'ignore toujours quel eft 1'objet des grands mouvemens vers 1'Autriche ck réciproqueinent. LETTE XLIV. Du 7 Novembre ly%6. I^E Roi s'eft entremis lui-même , pourraccommoder Bishopswerder ck Goltz le tartare. Auffi la paix eft-elle faite quant a préfent, & d'autant plus pleinement que la guerre ouverte ck avouée eft au plus haut point d'adivité entre le premier favori ck le comte de Goertz. On a eu beaucoup-de peine a empêcherles voies de fait. Que faut-il augurer d'un Roi, que 1'on fe difpute ainfi ? Probablement on donnera un régiment au comte de Goertz pour 1'éloigner ; mais la difficulté eft la liquidation de fes dettes; car il paroït que la chofe .fur laquelle le Roi cede le moins en derniere analyfe , c'eft 1'argent. Le traitement des aides de camp eft fixé enfin. Bishopswerder a deux mille écus ; Goltz le tartare ck Bowlet chacun dix-fept cents. Le premier écuyer de Lindenau , auffi deux mille écus ; huit places de fourrages, que 1'on peut évaluer , année moyenne, a fix cents écus ; chaufTage ck lumie- re Voila comment les fables du Brandebourg, aidés de la Siléfie cependant, peuvent entretenir une armée de deux cents mille hommes. Le thermometre pour les affaires *éft toujours le même. Les lettres ne font point expédiées : il y a une chambre pleine de paquets non ouverts ; le miniftre d'état, Zedlis, n'a pas pu obtenir une réponfe a fes rapports depuis plus de trois femaines : tout s'arriere, tout fe recule ; cependant le genre de vie de Potfdam paroït avoir été paffablement réglé , quoique madame Rietz s'y foit trouvée. Le plus tard que le Roi fe foit le'vé a été a fix heures. Le prince  prince de Deflau ne 1'a jamais vu que fur les midi 5c demi , & peut-être pas une demi-heure par jour, indépendamment du dïner. C'eft au fouper que les femmes paroif-4 fènt, Sc que 1'on fe déride. Welner n'a point quitté Potsdam , Sc deux hommes travaillentcontinuellement dans fa chambre. Jufqu'ici, on peut le regarder comme le Roi de 1'intérieur. Il paroit conftant qu'il n'eft ni fans habileté , ni fans connoiiTances, Sc le défordre éternel des comptes , joint a la méfiance des financiers en adtivité , doit avoir pouffé le Roi a s'abandonner a Welner recommandé par fon oblcurité. Je dis le défordre éternel , paree qu'en effet FrédéricGuillaume I ,a qui 1'on doit prelque tous les établiffemens intérieurs , auxquels fon fils n'a prefque rien changé , n'avoit pas un état général exaót, Sc c'étoit par un fyftême. Comme lui feul connoifToit l'enfëmble de fes affaires, Sc comme il ne vouloit pas qu'aucun de fes miniftres particuliers put le deviner , il faifoit des états incomplcts , furchargés, infideles. Frédéric II. qui n'a jamais rien entendu aux finances , mais qui favoit bien que 1'argent eft la bafe de toute puiffance , ie bornoit a vouloir faire de grolTes épargnes , Sc il étoit fi fur que fes excédens étoient énormes, qu'il fe contenta des comptes partiels ; du moins cette verfion me paroit-elle plus probable , que 1'imputation d'avoir brülé les EtatsGénéraux de recette Sc de dépenfe, par malice, Sc feulement pour embarraffer fon fucceffeur. Celui-ci veut fe mettre en regie , Sc il a railon ; mais ce font les étables d'Augias a nettoyer, Sc jene vois pas oü eft 1'Hercule , au moins , parmi ceux dont il prétend fe fervir. Le comte Finckeftein a écrit au Roi une lettre trèsfbrte , pour lui déclarer que les vivacités de M. de Hertzberg fe muhiplioient au point qu'elles lui deverioient infupportables ; que fon grand age d'ailleurs Sc fa derniere maladie lui faifoient défirtr fincérement fa retraite. Le Roi lui a fait une réponfe douce , très-obligeante Sc pour ainfi dire apologétique, ou il lui demande avec inltance de refter , Sc lui promet que les fujets de plainte cefferont. II s'engage peut-être a plus qu'il ne peut. Les hommes les plus incom- * patibies fervoient enfemble fous Frédéric II , Sc c'eft un des traits caradlériftiques de fon regne ; mais ce ne feroit pas Tome 11. C t 33 )  peu préfumef que de vouloir le recommencer. II faut qu'on ne s'y attende pas; car malgré toute la fervilité du pays, on prend des licences qu'on ne fe fut pas permis fous le feu Roi de qui 1'on parloit très-librement, mais avec qui 1'on ne fe familiarifoit pas. Maintenant il n'y a pas jufqu'a 1'académie qui veut empiéter. Elle a propofé trois nouveaux académiciens Allemands ; un Boden , aftronome ; un Meierotto, refteurdu college ; un Ancillon, miniftre du faint évangile ( merveilleux choix '). Le Roi a marqué avec affez d'amertume fa furprife de cette propofition infolide , hafardée , fans qu'on faehe fe-.;!ement s'il veut augmenter le nombre des académiciens ; ck cette indifcrétion occafionnera probablement un reglement. Au refte , le Roi a mis un gros oui fur la propofition d'un je ne fais quel druite appellé Erman , auteur d'une foule de mauvais fermons , ck d'une hiftoire du refuge , qui a déja quatre volumes que 1'on pourroit mettre en trente pages , ck qui a été propofé par le feul curateur ( M. de Hertzberg ) , fans avoir pafte au fcrutin. Le Boden de Paris paroit tout-a-fait oublié & même pis. On a repréfenté au Roi qu'il y avoit trois lettres de eet homme fans réponfe. Je n'ai rien a lui dire ; c'eft un ƒ. . . un coquin qui eft venu fans ordre Telle a été la déci- fion royale. Il revient demain pour peu de jours. II a ieiiement 1'h^bitude de courir d'un lieu a 1'autre pour des ïnftans , qu'il paroït que c'eft un befoin pour lui. M.de H*** luia écrit depuis trois jours, pour favoir quand il pourroit prendre congé ; il n'a point de réponfe. Le grand diner du _ prince Henri au régiment de Braun a eu lieu hier , comme je l'avois annoncé. Le prince avoit a fa table tous les officiers ckquarante bas-officiers qui avoient encore fervi fous lui a la bataille de Prague. II a donné une médaille de quinze ducats a chaque officier, un ducat a chaque bas-officier, 6k un écu a chaque foldat. II eft d:fficile d'être plus gauchement oftentateur. S'il avoit eu befoin de s'achever auprès du Roi , c'en étoit ie vrai moyen; mais fon fort étoit déja complettement fait , ck il faut qu'on le fache bien ; car Roggerfon qui avoit beaucoup vu le prince Henri dans ces deux voyages de Ruffie , n'eft point venu chez luk Le Roi 1'a vu, mais peu de momens, dit-on. C 34 )  < 35 > Je ne me rappelle pas en ce moment le nom de la peffonne qui vient de Vienne, ck qui au diner du Roi s'eft fort égayée fur le compte de l'Empereur , ce qui a laiffé le Roi froid , ck même foucieux , jufqu'a donner des marqués d'improbation tacites , mais affez fortes. On prépare de nouveaux cordons. II femble que la monnoie morale foit celle qui coüte le moins au Roi, ckjamais le mot de Frédéric II a Pritwitz qui fe plaignoit de ce que Braun avoit le cordon avant lui : mon cordon eft comme la grace efficace ; il fe donne & ne fe mérite pas : jamais ce mot n'a été plus vrai. Le comte d'Arnim a été nommé grand veneur & miniftre d'état, avec voix & féance au grand directoire. Je vous ai parlé de lui avec détails dans une de mes dépêches précédentes» Ce choix eft de pure faveur, d'autant plus marquée que la place de grand veneur , arrachée a Schulembourg , avoit toujours été follicitée par le colonel Stein , efpece de favori, mais faveur fondée , a ce que je crois, fur un fimple goüt de fociété , car Arnim eft irréprochable dans fa morale & dans fes mceurs , ck ce n'eft qu'un incapable de plus dans le miniftere Pourriture avant maturité. J'ai grand peur que telle ne foit la devifede la puiffance Pruffienne. Mais leurs miilions font bons. II feroit donc utile , s'il eft vraiment queftion de la banque , comme tous les bulletins, les gazettes & lettres particulieres le difent de forte que tout le monde en parle , excepté moi, de me charger des propofitions pour y en placer ; car cela eft plus important ce me femble que 1'emprunt de cent vingt-cinq millions , que la banque faura bien apparemment prendre pour fon propre compte. Au refte , Struenfée qui fans doute feroit bien-aife de cette occafion pour fe rendre néceffaire au Roi, m'a demandé nettement. ce qu'il devoit penfer du défarfoi de la caiffe d'efcompte , de la lettre du contröleur-général a fes adminiftrateurs, du projet d'une banque , de la prochaine réalifation , des principes fur lefquels elle fera établie , ck fur-tout du genre d'adminiftrateurs qui fera a la tête ( 1'idée feule lui paroit lumineufe ; mais il eft convaincu que tout dépend des chefs )„ A tout cela , je n'ai fu , comme vous fentez , que répondre; ck il importe que je fache bientót ; car outre qu'un* C i  Du 10 Novcmbrc iy86. J[ E ne faurois malheureufement me dégüifer que chaque jour confirme ici, par quelques traits plus pitoyables les uns que les autres, ropinion que j'héfite depuis auffi longtemps que je puis a prendre de 1'homme & de la chofe. Le Roi vient de donner le cordon de 1'aigle noir a M. d'Anhalt; voici quel eft eet homme. D'Anhalt naquit d'une cuifiniere & d'une foule de peres. II commenca par être palfrenier ; puis il vendit du café de contrebande aux officiers. J'ignore comment il le devint lui-même ; mais je fais que fa fonétion principale fut d'efpionner. On 1'attachaaux pas du Prince de Pruffe ( le Roi d'aujourd'hui ) ; & comme il mêloit des confeils empoifonnés a des rélations odieufes, on lui deftina , dit-on ( ck .ee t on la eft a la vérité le plus cruel ennemi du feu Roi ) , 1'exécution d'une atrocité que 1'on n'eut ni PadrefTe de colorer, ni le courage de confommer. D'Anhalt fe trouva des talens militaires plus que n'en comporte fa folie naturelle. Sa vocation en ce 'genre eft bien marquée , ce me femble , par ce trait cara ctériftique, qu'il n'a jamais de fang-froid qu'a la tête d'une troupe. II eft parvenu , foit ainfi, foit autrement , au grade de lieutenant-général. Comme il étoit fans efprit ( le peu qu'il en avoit a été aliéné depuis par une chüte terrible , pour laquelle il a été trépané ) il fe foutint en faveur. II étoit abhorré a Kcenisberg , oü il commande , & c'étoit bien a un certain point un titre pour lui a Potsdam , oü le royaume éprouva quarante-fix ans de difgrace. Quelques jours avant la mort du Roi, le général d'Anhalt fut mandé a Sans-Souci : le Roi lui dit : vous venez de marier une de vos ülles ? — Oui, Sire , LETTRE XLV. négociation de ce genre , ne peut réuffir ici que par lui , paree que tous les autres, fans en excepter un , n'y entendent rien du teut, il a droit de m'interroger , puifque je Val agacé le premier. C 3* )  Sr je m'en relTens. — Combien lui avez-vous donné ? -— Dix mille écus. — Cela eft beaucoup pour vous qui n'avez rien. Le lendemain le Roi les lui envoie. D'Anhalt re-' tourne en PrufTe. Son bienfaiteur meurt; il découpe la tête de fon portrait , Sc y fubftitue celle du fucceffeur. Le nouveau Roi varecevoir a Koenisberg les hommages , Sc donne a d'Anhalt une lüperbe boite ; mais , a dire vrai , le prépare a quitter le commandement de la Pruffe. Deux mois après, c'eft-a-dire aujourd'hui , d'Anhalt, qui, dans un encan , il y a quelques jours voyant adjuger un portrait du feu Roi pour un prix très-modique , dit froidement : Boni je vous donne Üautre par-dejjus le marche, fe retire avec une penfion de cinq mille écus , le cordon , Sc la promeffe d'être employé a la guerre. On tache d'excufer cette proftitution de bienfaits, apparemment extorqués par lafoibleffe , en alléguant la crainte que eet homme ne paffe au fervice de l'Empereur , comme il en a menacé par ces mots affez nobles : fi vous me refufc^ cette grace, il faudra bien que faille prouver ailleurs que je ne Vai pas déméritée. La raifon ne me paroit pas bonne, les terres qu'il a acquifes, prés de Magdebourg étant un gage fuffifant de fa perfonne. Quoiqu'il en puiffe être , Sc tout fïngulier que foit un tel choix, qui a fait une vive fenfation , il faut convenir qu'Anhalt eft un grand militaire , un militaire a conferver; qu'il lui falloit un dédommagement du gouvernement de la Pruffe ; qu'en fa quaüté de fou , fouvent furieux , on ne pouvoit lui laiffer. Mais on n'a aucune de ces raiforis a donner pour M. de Manftein , fimple capitaine, militaire ordinaire Sc même ignoré , mais dévot vilïonnaire , qu'on vient d'appeller fans prétexte , Sc qu'on deftine , dit-on, a devenir gouverneur des jeuues princes , avec le titre de lieutenant-colonel. Cela eft effrayant pour ceux qui ont la vue longue; toute 1'armée eft indignée. Au refte, cela n'eft probablement pas vrai, mais le foupc^on décele l'opinion. Une fingularité qui n'a pas moins choqué , c'eft que M. de Heinitz , miniftre d'état du département des mines , ait été mis a la tére de k commiflion contre M. de Wartonberg , efpece d'homme déplaifant, chargé depuis long- C 3 . f 37 )  iemps ae inaDUiement des troupes , & friponneau fubalTerne , mais probablement pas plus, & peut-être moins que ceux^ qui 1'ont précédé. Cette maniere d'inquifition , qui paroit être la méthode adoptie , c> a laquelle on ne s'accoutumera pas , ne füt-ce que paree quil eft dirficile de perfuader que le feu Roi fut négligent & mauvais économe ; cette mr.niere d'inquifition femble indiquer des foupqons contre les chefs des corps, puilqu'on en dérobe la direftion aux militaires, dont elle étoit la béfogne naturelle. Les plaintes font vives , mais plus méprifantes encore, & cela fans doute eft un mauvais fymptême , fur-tout au bout de deux mois de regne. D'un autre cöté , 1'inertie & la ftagnation , qui en eft la fuite néceffaire, continuent a fe faire fentir, pour ne s'être point fait fuivre par les lettres comme faifoit Frédéric II. Le lïoi s'eft laiffé prodigieufement arriérer; i! en a trouvé des milliers a fon retour de Siléfïe,, dont 1'expédition fait un contrafte bien frappant avec 1'incroyable aétivité^du feu Roi, qui cependant ne travailloit pas plus, ou plutöt qui travailloit moins qu'un autre a fon métier de Roi. Une heure & demie par jour, voila dans les circonftances ordinaires Je tems qu'il y confacroit ; mais il ne remettoit jamais au lendemain fe fardeau de la veille. II favoit, ce prince qui connoiflbit fi bien les hommes, qu'il vaut mieux mal répondre que de ne point répondre. Une foule de mémoires a projets font fur. la table du Roi actuel ( la plupart ayant pour objet des changemens militaires ) , fahs qu'on y ait jetté les yeux , & qu'ils aient proauit autre chofe que la connoiffance de la véhémente averfion du Roi pour les mémoires. Il les regarde comme attentatoires a fon autorité , & tout confeil comme un aveu de 1'opinion qu'on a de fon incapacité. Au nombre des inutiles écri s qui lui ont été envoyés, il fe trouve, dit-on , un mémoire du baron de Knyphaufen fur la politique extérieure ( quelques indices me font croire qu'il eft favorable a notre fyftême , & celui-ci a plus particuliérement déplu ) ; auffi fon fort a-t-il été fans héfitation d'être mis de cöté comme du radotage : au refte , le baron m'a nié qu'il fut J'auteur de ce mémoire. C'eft apparemment au fentiment qui fait tant abhoner ( ?8 )  lesconfeils, qu'il faut attribuer cette tinguiante, que weiner n'ait eu qu'un traitement de trois mille écus, tiré des penfions accordées autrefois aux chefs des départemens du commerce , ck dont il a eu la plus petife , ce qui 1'affittnlè a de moins influens ck de moins travailleurs que lui. Comme tout ce qui fe prépare ck le peu qui fe fait émane de lui , fon travail doit être trés-grand. Le feul éclairci de 1'état de fituation pécuniaire lui a donné , dit-on , beaucoup de peine. On connoit maintenant l'excédent de la recette fur la dépenfe au moins civile; elle eft plus forte qu'on ne croyoit de prés d'un quart, c'eft-a-dire beaucoup. On imagine qu'on employera la plus grande partie de eet excédenta améhorer le fort des officiers fubalternes. Les foldats ne valent fans doute que 1'honneur de mourir de faun. Mais j'ai peine a croire qu'on ofe heurter le corps des capitaines. „. Si le Roi donne peu a ceux dont il paroit faire le plus de cas , il y a quelques indices pourtant, ou qu'il leur donne en fecret , ou qu'il a des raifons fecrettes de donner a d'autres. Le chambellan Doernberg , homme ïnfigmfiant, ce me femble , qui a quitté avec ingratltucle le iervice de la princeffe Amélie, laquelle avoit payé fes dettes , pour entrer a celui'de la Reine., a ccéaugmenté confidérablement d'appointemens en cinq jours de tems a deux reprifesdifFérentes. II a aujourd'hui deux mille écus comme chambellan , chofe inouie jufqu'ici i Que veut dire cela ? Le parti adopté pour mademoifelle de Voff feroit-il de la marier ? Auroit-on jeté les yeux fur ce fortuné mortel qui reffembïe a un fapajou ? Penferoit-on a lui faire infenfiblementfa fortune'? Un capitaine de gendarmes me difoit hier : Depuis que la royale mumficence s'exerce fur Doernberg , je compte moi fur cinquantz mille écus de gratificaüon annuelle. II y a dans cette affaire vifion , maquerellage , mariage. Mais pourquoi , dans cette derniere fupppfition , un choix fi ridicule ? Quel homme de la cour refuferoit mademoifelle de Voff avec beaucoup d'argent ? Je leur faifois trop d'honneur 1'autre jour en doutant qu'il s'en trouvat dans cette cour Vandale. Ce n'eft pas aux lieux oü 1'on eft fi accoutumé a marcher courbé , que 1'on fait fe redreffer contre de telles tentations : ck puis, que C 4 rC 39)  C 40 ) nepeut 1'argent dans une nation fi pauvre ? J'ai vu fout-a1'heure Bredenc , naguere laquais du prince Henri, devenu une elpece de favori , vu fon art dans les négociations g.toniques, arborer la croix & le ruban de chanoine de Magdebourg C le prince Henri eft prévötde cecbapitre). bept mille ecus prêtés par le prince ont acquis cette prébende, & fon palfrenier tant aimé en porte 1'enfeigne dans un pays oü 1'on pafte pour fi délicat fur Partiele de ia nadianceJ \ propo» de fon patron, il y'a plus de huit jours que ie n ai ent< ndu parler de ce prince mufical, dont les hauts & les bas font le thermometre le plus variable que i'aie CMOtt. Le COmte de la Marche lui a fait demander la perm.MJon de voir la fête qu'il a donnée a la partie du régiment de liraun qui combattit avec Lui è Prague. Le prince la Perm" , & après avoir beaucoup carefïé eet enfant, il luia dit : Monami , il m'eft biendifficile de vous parler ia ; mais demande{ d votre pere la permiffwn de venir cheT mot , bfenferai fort aife. Voila les refforts de fa fine politique ; il en faudroit beaucoup pour réparer 1'école de fes grands diners. Un de fes commenfaux affidés & enthoufiaftes me d.foit ce jour-la ces propres mots : N'eft-il pas bien Jinguher quele prince foit fi peu conftdéré de C armee, après tout ce quil afait pour elle?.... Et c'eft 1'armée qu'il croyoit ïncnminer i Ce mot m'a paru notable. L'anecdote de 1'académie eft plus piquante que je ne 1'ai racontée dans ma derniere dépêche. Le nommé Schutz C academicien ) a éent au Roi une lettre très-violente fur M. de Hertzberg & la maniere arbitraire dont il gouvernoit 1'académie. Le Roi a renvoyé la lettre a M. de Hertzberg, figne très-marqué d'improbation dans ce pays Ce jour-la même Büfching ( le géographe) refufoit une place d academicien, a moins qu'on y voulüt joindre une penfion de mille ecus. Pour toute réponfe aux plaintes dc Schutz , M. de Hertzberg a nommé Erman fans confulter perfonne, & le Roi a mis om fans difficulté a cette nomination JNouvelle lettre de Schutz plus véhémente encore , & dont J ignore les fuites. L'affaire de de Launay n'eft pas aufli civilifée qu'elle ena lair. On dit tout haut qu'on nattend plus pour le laiffer  retirer que la fonrniture du café pour la Siléfie , dont il s'eft très-témérairement chargé , ck qu'il a fous-cédée a des marchands menacés de perdre , ck enhardis par fa cataftrophe a défavouer ou a enfreindre leurs engagemens dans un moment oü tous les canaux obftrués par les glacés laiffent bieri peu de reiTources pour réparerun fi grand vuide. Maïs la vénté eft que la commifiion eft fufpendue , paree qu'on envoie chercher fous main des éclairciffemens dans les différentes parties du royaume ; inquifition vraiment cruelle ck tyrannique ! qui prouve qu'on veut des torts a Launay plus encore qu'on ne defire i'amélioration de la chofe publique. Un nommé Dubofc , autrefois gros négociant de Leipfïck, oü , fi je ne me trompe , il a faiüi , ck très-connu par fes vifions & fon adhérence aux mifticités , a été appellé ck eft en aétivité pour donner , a ce qu'on croit, un plan d'opérations de commerce a fubftituer aux privileges exclufifs. II paroit que 1'on médite une fortie contre les Splittgerber, ck que 1'on cherche les moyens 'de leur öter le monopole du fucre; opération très-jufte ck très-falutaire , mais compliquéa ck délicate. Une nouvelle plus importante encore, mais que je ne garantis pas, quoique venue de bon lieu , ce que le taron de Knyphaufen a eu un entretien fecret avec le R >i. Cela ne m'étonneroit pas a un certain point. Je fais , a n'en pouvoir douter, que le Roi, funeux de ce qu'on 1'a pouffé au choix du comte de Goertz pour la Hollande , aétuellement que la maifon d'Orange même fe plaint de ce miniftre, a voulu , après un torrent d'emportemens & d'injures , rappeller ck Goertz ck Thulemeier , mais qu'il a été arrêté tout court, par 1'impoftibilité de trouver un homme dans un pays oü il n'y en a pas , fur-tovit dans cette partie tant négligée par le feu Roi. Le nouveau en viendra peut-être a favoir que les fots ne font bons a rien. P. S. Rien de nouveau depuis cette longue lettre écrite ; des faits particuliers me confirment que la princeffe Frédérique , fille du Roi , prend beaucoup de crédit, & qu'elle n'éprouve pas de refus : cela lans doute tient a mademoifelle de Vofs.  LETTRE XLVL A Monfieur le Duc de Z***. Berlin , 11 Novembrc 1786". JE m'étois flatté , M. le Duc, que M. de H*** m'apportoit un paquet de vous ; il m'a dit, qu'en effet votre mtention avoit été de lui confier , Sc je fuis très-reconnoiflant du projet, bien que je n'en aie point profité , ce que je n'attribue qu'a des circonftances imprévues , que je maudis en vous béniffant. J'efpere que 1'Abbé de P**** vous aura tenu au courant de ce pays , fur lequel je n'ai pas laiffé que de faire paffer, a fur Sc a mefure, quelques anecdotes affez caraótérifliques du moment. Je fens mieux que perfonne combien ma moiffon eft médiocre ; mais on ne doit pas oublier que je n'ai ni les moyens pécuniaires , ni les moyens miniftériels. II eft impoftlble que rien échappe ici a 1'homme de la France , s'il eft adroit, aftif , libéral, Sc qu'il fache bien compofer fes dïners Sc fes foupers journaüers : car ce font ceux-la qui importent, Sc non les repas de repréfentations. II eft d'ailleurs le bureau d'adreffe naturelle des mécontens, des bavards & des cupides , outre que les rélations avec les fous-ordres lui font naturelles Sc permifes; j'ai au contraire , moi, befoin de beaucoup d'induftrie, pour parler naturellement Sc décemment d'affaires Sc de nouvelles; c'eft rarement aux faifeurs que je puis m'adreffer, ma feule hure les effraie trop ; le Roi ne me regarde pas que leur vifage ne s'allonge Sc ne paliffe Quoiqu'ilen foit,j'ai faitde mon rmeux, & tout ce que je puis, ce me femble, avec des moyens très-mutilés , très-défavorifés , fur-tout très-éparpillés, Sc je ne fais pas fi 1'homme a qui le Roi donne ici foixante mille livres & une grande place , en apprend beaucoup davantage que je ne fais; mais ce que je fais bien, c'eft qu a fon pofte j'aurois percé plufieurs nuages, C 49 )  dont je ne vois au mien que les apparences fourcilleufes , ck que je ne ferois pas dévaloir ici ma nation , comme on en accufe les manieres froides, fon ton aigre-doux , ck fon inertie qui reffemble beaucoup a de 1'ignorance. M. de H*** vous confirmera , je crois, en maffe tout ce que j'ai mandé en détail. II vous dira que notre procés eft perdu ici, jufqu'a ce que le tribunal change ; que le moyen de rétablir nos affaires n'eft pas de fe preffer , puifque ce feroit prolonger les réfiftances chez des hommes au fiegme naturel defquels on peut s'en rapporter pour les empêche d'être long-temps paffionnés; que lui-même s'eft trop hatc de vemr dans un pays aftez inquiet & jaloux , au commencement de ce regne oü chacun yife a quelque chofe , pour croire qu'un officier général , mfpefteür au fervice de France , peut vouloir du fervice Pruffien ; qu'il faut laifler le cahos tranquille, comme j'ai nommé la fituation du moment, prendre fon a plomb par la force des chofes ( fi ce n'eft de perdre tout-a-fait) , fut-Cé par celle d'inertie , avant d'effayer de le démêler; que perfonne n'eft a la place qu'il gardera ; que la grande queftion : Le Roi aura-t-il ou n.tura t-ilpas le courage de pfetidre un miniftre principal ? Eft loin d'être réfolue , même dans ce calcul des probabilités; que dans cette détermination git cependant le fort de ce pays , ck même la connoiffan e ultérieure du Roi, dont fincapacité ne fait rien du tout, s'il eft un remede a fon indécifión; que les fympt)mes font facheux , finiftres même , mais qu'il faut (e garder de prononcer avec trop de précipitation , paree que les informations ne font rien moins que complettes. Ce qui me paroit hors de doute , c'eft que le Prince Henri eft perdu fans retour , & je crains ( pour lui) que le fort n'ait ici, comme en beaucoup d'occafions, mieux arrangé les chofes que notre prévoyance. Quoiqu'il en foit, fon aftuce , fes jaftances , fon infuite , 1'intempérance de fa langue & la vileté de fes entours fecondés du difcrédit le plus univerfel, ont ajouté a 1'antipathie perfonnelle & a la crainte générale, habituelle & forte de paroitre gouverné. Le fort du Duc de Brunfwick eft tout autrement incertain , & je ne crois pas qu'il foit décidé avant la bagarre ; mais U y a cela de particulier pour lui ck pour lui feul, que s'i! C 43 )  tt C 44 ) • laint une fois , il ne defemparera pas; car un meilleur courtilan , un homme plus avifé, plus fouple , & en même temps plus ferme & plus opiniatre , n'exifte pas Vous fentez bien , M. le Duc, que fi je crois les événemens partiels, trop peu nombreux jufqu'ici, pour être redmts en fyflême , & fonder un préjugé fur 1'homme & iur la chofe, je luis bien plus éloigné encore de penfer que I on pujfle devmer, avec quelque apparence de probabilité Jatisrailante pour un efprit fage , quels feront les grands rapports extérieurs & 1'infli-ence politique de la Pruffe fous le regne aétuel. J'ai réfumé mes idéés, a eet égard , dans un mémoire qui ne laifle pas d'être un affez grand ouvrage , & qui, fauf les données qu'offre les pays , & que yous trouverez la réunies & rapprochées plus qu'ailleurs, a ce que je crois , n'eft qu'un tiffu de regies de fauffe pofition. On y trouvera beaucoup de chofes qui peuvent arriver , & peut-être pas une de celles qui arriveront. Heureux fi^ dans les combinaifons de cette arithmétique hafaroeufe j'ai réuffi , du moins , a faire connoitre les chofes telles qu'elles font, & telles qu'elles pourroient être. Ce mémoire , accompagné de trois ou quatre autres fur des parties de 1'Allemagne , que d'heureux hafards m'ont fait connoitre a fond , doit avoir pour cadre Ie plan de la reconflruétion de 1'édifice germanique , qu'il faut reprendre fous ceuvre fi 1'on ne veut pas qu'il croule ; mais j'avoue que c eft ici oü Pindécifion fur les hommes, la complication des chofes, 1'obfcurité des futurs contingens, m'arrêtent a chaque pas , & oü je n'ai qu'une bouflole , votre grand & jioble but, la coalition de la France,& de 1'Angleterre pour le bonheur du monde , & non pour les délices des orateurs & des gazetiers. M. de H*** m'a dit, M. le Duc, que vous comptiez vemr ici au printemps. Affurément ce feroit le feul moyen deerne faire fupporter d'y refter jufques-la; mais j'efpere qu'on ne vous laiffera pas fi long-temps dans une inaftivité  . .. • ( 45 ) fi indigne de vous; & quant a moi , M. le Duc , après avoir payé un tribut de fix mois, auxquels j'ai la confcience d'avoir employé une afliduité Sc une aéVivité rares, en compenfation du peu de talens que m'a donné la na» ture , je crois avoir le droit de fecouer une exiftence équivoque , douteufe, embarralTante fous tous les rapports , dans laquelle il faut une dextérité & une fermeté peu communes pour conferver quelque confidération , Sc qui me fait confumer mon temps Sc mes forces a un genre de travail qui n a rien de piquant pour moi, ou a un ennui d'éuquette 8c de vie fociale pire que ce travail. Je 1'ai écrit en toutes lettres a 1'Abbé de P*** LETTRE XL VII. Du 14 Novembre 1786. Il m'arrive 1'hiftoire la plus extravagante & la plus embarrafTante poflible. Madame de F** , la fameufe Tribade , tombe ici des eaux de Schwalback fous un nom emprunté , avec un train immenfe, Sc pas une lettre de recommandation , fi ce n'eft pour des banquiers. Or favez-vous ce que cette femme profondément audaeieufe Sc même habile s'efl mife dans la tête? deconquérir le Roi. Mais comme pour mes péchés je la connois de longue main Sc a fond, c'eft a moi que la damnable fyrene s'eft adrefiee pour lui donner la carte du pays Sc recevoir en dépot cette haute confidence que j'eufïe fort volontiers déléguée au diable. Cependant comme elle eft un démon de féduftion , comme elle ne demande point d'argent, du moins quant a préfent; comme fous beaucoup de rapports , fon phyfique Sc même fon moral conviennent au Roi; comme fi ce n'eft pas une chance a chercher , ce n'en eft pas une non plus a repouffer; comme enfin 1'équipée eft faite, Sc qu'il vaut mieux la diriger que de s'expofer a un ridicule éclat, je vais avifer aux moyens de lui donner un prétexte fupportable , de refter quinze jours dans cepays, en retirant mon enjeu , ou plutöt en me gardant bien d'en hazarder.  Si M. d'Eft** n'étoit pas tout d'une piece, cela feroit bientót arrangé. Elle iroit a Saint-Petersbourg par "Warfovie , attendroit ici 1'époque des traineaux , qui avec les froids exceffifs ne fauroient tarder , feroit chez lui quelques jolis foupers, infpireroit de la curiofité , &C. &C. Mais il ne faut pas compter fur cette marche ; elle eft trop déliée pour lui. Si le Prince Henri n'étoit pas 1'indifcrétion même , rien ne feroit plus aifé que de jla mettre par lui a la cour; elle lui auroit apportédes lettres; mais une heure après Paide-de camp Tauenfien le fauroit; cinq minutes enfuite Mademoifelle de Knisbeck fa tante en feroit inftruite; or je la foupqonne grandement d'être l'entremetteufe de Mademoifelle de Voff. .... Nous n'avons donc que nos propres forces. Quoiqu'il en foit, je ne me compromettrai pas; mais fa démarche feule me compromet. C'eft une fatalité ; comment aurois-je pu y échapper ? J'ai beaucoup réfléchi fur cette bizarre aventure. La fuite confifie a ne pas abandonner fon but, & non a s'opiniatref aux moyens. Or, le peu que nous en avons eft vraiment impraticable. Si elle conferve fon état, nul móyen de voir le Roi; elle aura contr'elle les enrours myftiques , le parti de Voff, ck en général les Anti-Francois. Si elle diffimule fon état, elle aura contr'elle les Rietz, les fubalternes. Ou je la verrai beaucoup , & dès lors elle fera fufpefte, ou je ne la verrai pas, & elle fera mal conduite. Si cela fent tant foit peu 1'aventure , je me ferai un tort gratuit. Rien ne peut aller vïte avec un Prince Allemand. Si le féjour eft long, c'eft le féjour lui-même qui divulguera 1'aventure. II eft impoflible que dans huit jours on ne fache pas le véritable nom. Alors fa réputation gatera la befogne , dans un pays oü 1'amabilité n'excufe pas les vices , & oü le fexe ne fait pas pardonner a 1'étourderie. En un mot, les feules folies inexcufables font celles qui donnent du ridicule fans compeniation , & celui-ci eft du nombre d'Eft** feroit fes petits contes, Boden fes ( 46)  petites noirceurs. Tauenfien fes petites intrigues. Avant de le montrer il faut lailTer paffer la tourbe qui viendra s'ef- fayer Je l'envoie donc a Warfovie , en lui procurant des lettres; elle en reviendra ici avec d'autres lettres , fi vous n'avifez pas aux moyens de Pempêcher , pour peu que votre intention ne foit pas qu'elle étale; car je puis bien futpendre , mais comment pourrai-je défendre ? Voila ce que j'ai appercu de moins périlleux dans cette bizarre faturnale , a laquelle je donne avec raifon plus d'importance que vous n'en ferez tenté , attendu que Madame de F * * n'eft a Paris prefque qu'une courtifane comme tant d'autres , au lieu qu'ici la niece d'un miniftre , veuve d'un P * * *G * * * Sec., ne paflera jamais pourn'avoir pas été envoyée par le gouvernement, ou du moins pour n'êtie pas venue ious fa tolérance. II ne faut donc pas qu'elle faffe quelque grande fottife. Le Roi vient de terminer un procés qui duroit depuis vingt-trois ans. Le duc de Mecklenbourg Schwerin avoit autrefois emprunté cent mille écus de Frédéric II , pour füreté defquels il donna des bailliages. Auffi-töt Frédéric y mit en quartier un régiment de Huffards. Le régiment recruta comme on croit. Le pays de Mecklenbourg fut révolté de eet acte de defpotifme , &offrit le rembourfement que lefeu Roi trouva lemoyen d'éluder pendant vingt-trois années. Son fuccefleur vient de retirer les troupes. 11 perd a la vérité la facilité d'engager quelques Mecklenbourgeois, mais auffi n'enverra-t-il pas annuellement trente mille écus hors fon pays. C'eft de plus un nouveau membre pour la confédération Germanique , & cela vaut ce que cela valoit. On a célébré dimanche 11 , dans la principale auberge de Berlin , le mariage de la comteffe Matuska avec un officier Pruffien , appellé M. de Stutheren. La comteffe eft une fceur de mademoifelle Hencke ( madame Rietz ) ; elle croyoit avoir époufé un gentilhomme Polonois qui s'eft retiré depuis quelques mois. Une fois détrompée elle a fait choix d'un jeune officier. Le Roi a donné de 1'argent , & même affez. On prélüme que c'eft cher. cette lceur que fe retira mademoifelle Hencke , qu'on dit n'être pas mariée avec Rietz, ck gêner les projets que 1'on ( 47 )  LET T R E XL VIII. 18 Novembre iyS6. - IL paroit tous les jours davantage que Ie Roi n'oublie pas ceux qui lui ont tnontré de 1'attachement avant fon avénement au tröne ; & cette marche qui fe développefucceflïvement, le conftate du moins un honnête homme. Le Comte Alexandre "Wartenfleben , officier aux gardes, & dont je vous ai déja parlé plufieurs fois , avoit été élevé avec lui. De la cette liail'on qui n'admet aucuns fecrets. Le feu Roi fait venir Wartenfleben & lui dit : » Je fuis char» mé de vous voir intimement lié avec mon neveu. Con» tinuez , mais il faut auffi fervir 1'état. Je dois êtreinfiruit » des démarches de mon fucceffeur; vous me raconterez » mein liebes Kind vos parties de plaifir. Je ne les empê»> cherai pas; mais je vous dirai fi elles ont quelque chofe » de dangéreux , Sc vous en avertirez vous-même le Prince n de Pruffe. Repofez-vous fur moi man fchats de votre » ayancement. — r> Wartenfleben qui connoiffoit le vieux renard, repond : » qu'il eft 1'ami de cceur du Prince , Sc » qu'il forme pour vivre paifiblement avec la dame d'honneur, Un fouper très-remarquable Sc très-fecret, oü 1'ona pris la Silhouette de 1'ombre de Céfar, tranfpire un peu. Le nombre des vifionnaires augmente ; auffi dit-on que les adfions de Bishopswerder baiffent ; je n'en crois pas un mot. Nulle opération nouvelle. D'ailleurs les dépofitions pleuvent de toute"s parts contre le pauvre de Launay , Sc vraifemblablement fa fortune rachetera fa liberté. Rien de nouveau ou du moins de bien conftaté quant a la Hollande , fi ce n'eft que le comte de Goertz a trouvé moyen d'y déplaire aux Etats, a la maifon d'Orange, Sr aux principaux chefs du parti , qu'on nomme le parti Francois. Je fais bien ce qu'un philolbphe en concluroit; mais un politique y verra du moins qu'il eft des commiifions dont il ne faut jamais fe charger. C 4S )  » qu'il ne feroit jamais fon efpion ». Alors le Roi prend fon m air furieux : » Herr lïtuunant, puifque vous ne voulez pas n me fervir , je vous apprendrai du moins a obéir r>. Lelendemain il 1'envoie a Spandaw oü il eft demeuré trois mois ; puis il le place dans un régiment en garnifon au fond de la PrufTe. Le nouveau Roi qui 1'a rappellé auffi-töt fon avénement , après un moment d'humeur que lui a donné fon refus d'aller en Suede, ck qu'ont entretenu peut-être les autres favoris, vient de lui accorder une prébende qui vaufdouze mille écus, ck le defiine , felon toutes les apparences , a commander les gardes. Second exemple du même genre. Lorfqu'on fit le procés au miniftre Goern , chef du département du commerce, il fe trouva dans fa caiffe une lettre de change du Prince de Pruffe de trente mille écus. Il falloit les repréfenter dans les vingt-quatre heures. M. d'Arnim va trouver le Prince Roval ck les lui offre. Celui-ci fut trop heureux de les accepter. De la eft venu 1'efpece de faveur dont jouira vraifemblablement le nouveau miniftre : du moins je n'en vois que cette caufe , outre celle tirée de fon caraétere facile ck de fon efprit médiocre ck indécis , mais jufte & clair , comme je 1'aï dit dans mes dépêches précédentes. Autre a^cfion humaine ck généreufe. La princeffe Elifabeth de Brunfwick, première femme du Roi, a recu en augmentation de traitement les revenus du bailliage de Ziganitz , qui fe montent a douze mille écus, avec pleine liberté de fe retirer oü elle voudroit. Bien füre de n'être pas recue dans la familie , elle reftera a Stettin ; mais cette nouvelle 1'a tranfportée de joie ; elle a fait annoncer auffitöt que Ia générale Schwerin fa gouvernante n'avoit plus d'ordres a donner ; ck pour la première fois depuis dixhuit ans , elle a monté a cheval ( avec mademoifelle de Plate ) , afin de jouir auffitöt de la liberté qui lui étoit rendue. Un trait qu'il faut ajouter aux preuves de la moraleperfonnelle du Roi , c'eft d'avoir remis au prince Henri fa correfpondance avec Frédéric. Elle contient cinq eens quatre-vingt-fept lettres fur les affaires de 1'état, depuis 1759 juiqu'en 1786. On avoit mal-a-propos répandu qu'il partageoit fecrétement 1'opinion de fon frere fur leur n'eveu. Tome II. D ( 4Q )  Ces lettres ont prouve que du moins il ne vouloit pas tc laifler voir. 11 lui a même rendu desfervices, & par exemple , lorfque le comte de Wartenfleben, dont je parlois tout a 1'heure , fut enfermé , il lui envoya le brevet d'une penfion de cent louis dont il jouit encore. L'homrne de confiance du feu Roi, le fameux huflard de la chambre Schcening , vient d'être nommé adjoint au caiffier de la caiffe militaire , avec trois mille écus d'appointemens. Affurément il n'y a point a cela de rancune. Ce Schcening , au refte , n'eft pas un homme fans intelligence , ck il eft dépofitaire d'une foule de chofes qui ne doivent pas être rendues publiques aujourd'hui ni peut-être jamais. Oppofons a toutes ces bonnes aótions du Roi, 1'efpece d'inertie oü il refte au fujet de fes dettes perfonnelles. II ne s'empreffe pas de les payer au dehors , ck n'a pas encore épuré un compte confidérable au-dedans. Il eft décidé que le Roi congédiera tout ce qui tient a la régie ck au fyftême financier Franqois , chofe très-louable en elle-même ! car, a fuppoler la néceflïté de prolonger pendant quelques années le régime fifcat , encore les régifleurs Francois doivent-ils avoir depuis vingt-cinq ans formé des fujets Allemands, ou ilsn'en formeront jamais; ck n'eft-ce pas fur des Allemands que le Roi de PrufTe doit regner ? Mais Je paffage d'un ordre de chofes a 1'autre n'en fera pas moins très-délicat, ck je ne vois pas que rien foit pret pour en diminuer la fecouffe. On a annoncé aux adminiftrateurs du tabac qu'a commencer du ier. Juin 1787 leur adminiftratiori cefïeroit. Tout le monde pourra déformais cultiver ( objet très-important, car la feuilie de tabac qui naït dans ces fables inféconds eft une des meilleures de 1'Allemagne , ck elle faifoit autrefois 1'objet d'un grand commerce ) , fabriquer ck vendre du tabac. Dès le ier.de Juillet on donnera des conceflions gratis a qui en voudra ( même liberté promife pour le café ). Depuis 1783 jufqu'en 1786 Tadminiftration du tabac avoit rendu environ feize eens mille livres au-deflus de la fomme fur laquelle le Roi comptoit ; de forte que c'étoit un revenu d'un peu plus d'un million d'écus, ck quelquefois quatorze eens mille ( prés de quatre a fix millions de notre monnoie , ) ck cependant 1'adminiftration n'avoit pas le droit d'acheter la ( ï  fëuitte ; elle etoit obhgee de la prendre dans les magafïns de la fociété maritime qui la lui vendoit a cent pour cent de bénéfice. Cette adminiftration vexoit infiniment les fujets pour avoir les excédens avec lefquels il falloit aborder le Roi, lorfqu'on lui rendoit compte , ck fans lefquels il ne trouvoit ni fagefle dans le travail ni talent dans les employés. Le nouveau Roi laiffe les appointemens aux commis de cette partie , jufqu'a ce qu'ils foient placés, 6k cela eft humain ; car cette révolution ne dérange pas moins de douze cents families : mais oü. trouvera-t-il ces huit millions de revenu ? On parle & certainement on délibere de les remplacer par une capitation répartie en douze claffes de citoyens , payans depuis \ingt-quatre écus pour les gros négocians, douze écus pour les habitans les plus riches , deux écus pour les citadins obfcurs, jufqu'a douze gros pour les payfans. Quelle maniere de commencer un regne , que de taxer les perfonnes avant les propriétés. C'eft a la perception de eet impöt odieux qui met a prix le droit d'être , ( il ne s'agit cependant que d'une capitation par familie , ce qui les rend moins défavorable) , que feroient employés les commis hors d'activité : mais les profélytes ck même les apötres de ce projet ne comptent que fur un produit annuel de deux millions d'écus ( le prix du tabac ck du café réunis ) qui couvriroit a peine le deficit , ck celui qui fait calculer en finance fe garde bien de fupputer arithmétiquement le produit de 1'impöt felon la mefure de 1'impofition. II me femble qu'd falloit connoitre mieux d'avance les remplacemens, ck je m'étonne un peu de ce qu'il débute par les opérations que je lui ai indiquées comme a préparer , ck qu'il laiffe en arriere celles par lefquelles je penfois qu'il devoit débuter. M. de Heinitz , miniftre du département des mines, Sc préfident de la commiffton , chargé d'examiner la geftion du général de Wartenberg , avifé fans doute par la clameur univerfelle , a repréfenté au Roi qu'il faudroit placer dans cette commiftion quelques militaires. En conféquence le Roi a nommé le général MoelLendorf. Pour donner une idéé des malverfations attribuées au juif "Wartenberg, très-furpafie , dit-on , par fes prédéceffeurs , D 2 (51)  on cite le traït que voici : il avoit fait faire des habifs pour un régiment cl'infanterie, fans que le drap eüt paiTé dans Peau, Leshabits étoient fi étroits qu'a peine le foldat pouvoit les véYir. Le premier jour que le régiment les porte , une groiTe pluie furvient. Le quartier-maitre dit que li les foldats fe déshabillent, jamais ils ne pourront remettre leurs habits. On ordonne qu'il palTeront la nuit habillés , & fécheront leurs habits fur leur corps. Exemple d'une autre efpece & caradtériftique de Frédéric II. Un caiffier de M. de "Wartenberg vole quatre-vingt mille écus. Le général le mande au Roi , & attend (es ordres. Frédéric répond, qu'il ne peut ni ne doit fe mêler de cette affaire, paree qu'il eft très-décidé a ne pas perdre cette fomme. "Wartenberg comprend ce jargon ; il fait affembler tous les fourniffeurs, & les invite a fe la repartir, fous peine de perdre a jamais la fourniture. Ils jurent , crient, fe lamentent, & finiiTent par fe cotifer. "Wartenberg écrit au Roi que la fomme eft dans fa caiffe. Frédéric lui répond une lettre très-févere , & qu'il finit en Pavertiffant, que c'efl pour la derniere fois qu'il lui fera grace. Les rélations intérieures font toujours a-peu-près les mêmes. Le bruit général eft que le Roi va époufer Mlle. de Voff de la main gauche , maniere allemande d'ennoblir le concubinage, inventée par les courtif'ans déliés ck les prêtrescomplaifans, pour fauver , difent-ils, les dehors. Cette demoifelle eft toujours un mélange de pruderie ck de cynifme , d'affe&ation 6k d'ingénuité. Elle ne trouve d'efprit qu'aux Anglois , dont elle parle paffablement la langue. Ön foupconne M. de Manftehi d'être 1'auteur de quelques-uns deschangemens projetés dans Parmée , & qui ont pour but d'améliorer 1'état du loldat & de Pofftcier fubalterne aux dépens du capitaine. Je répète que cette derniere cohorte eft bien formidable , & que tout changement de ce genre demande une grande prévoyance & une fer•theté infléxible. Le prince Henri , qui garde en public un. profond filence fur toutes les opérations, prendra trèsvivement le parti de Parmée, fi elle a a fe plaindre , & fe flatte de regagner ainfi ce qu'il a perdu par trop de hauteur. Mais 1'ariftocratie de Parmée le connoit trop bien .pour y prendre confiance. Elle fait qu'auprès de lui les  fiitons ont ete oc qu as leront toujours les armtres ae tout; qu'alors même que les circonftances lui ont impofé la néceffité d'approcher de lui des hommes de mérite , c'a été un fardeau que fes frêles épaules ont fecoué le plus vïte qu'elles ont pu ; qu'enfm c'eft un homme fini pour la guerre, ck a jaajais odieux au cabinet. II paroït que c'eft un comte de Brühl qu'on a choifi pour gouverneur du prince royal , 6k rien ne conftate mieux le crédit de Bishopswerder que cette éternelle préférence pour les Saxons. Le comte de Brühl, fils du faftueux Satrape de ce nom, frere du grand-maïtre de 1'artillerie Saxone, aimable, inftruit, enclin de bonne ou de mauvaife foi aux rêveries des vifionnaires, peu militaire , mais voulant profiter de la circonftance pour entrer dans cette carrière a pas de géant , demande d'être fait lieutenant-général dés fon début, chofe inouie dans Parmée Pruftienne , ck qui fera infiniment des mécontens. On vient d'interdire a la banque le commerce des lettres de change , ck cela eft très-fage en théorie, mais accompagné de grands inconvéniens dans'la pratique locale. La banque oü le Roifaifant 1'intérêt a deux & demi pour cent des dix-fept millions d'écus environ qui s'y trouvent en capitaux, ck de 1'argent qu'on y apporte, dans un pays oü les capitalift.es n'ont nul emploi de leurs fonds , ia banque n'a des moyens de payer ces deux ck demi pour cent, fans être onéreufe au Roi , que par le commerce des lettres de change; & déforrnais elle le pourra d'autant moins , que la fociété maritime , fondée comme je vous le difois fur cette bafe infenfée, qu'elle doit donner au moins dix pour cent de bénéfice a fes actionnaires , du moment oü on lui coupera quelques-uns de fes privileges exclufifs les plus rapportans; celui du bois, par exemple , ne pourra plus procurer k la banque, qui recoit d'elle les cinq pour cent de tout 1'argent que la fociété maritime y prend, les fources de profit qu'elle lui a ouvertes jufqu'ici. Ier. P. S. Le miniftre Schulembourg a donné fa dérniffion. Elle n'eft pas encore acceptée. Le Roi a foupé hier chez fa filie avec mademoifelle ( 53 )  de Vierey int'une amie de mademoifelie de Voff, placée de fa main depuis 1'avénement au tröne , Sc la bien-aimée. Cela , ce me femble , avoifine beaucoup la concluiion du roman. Il eft plus fur que jamais que le Roi ne travaille point, & qu'il eft avide de plaifirs jufqu'a la fureur. Les fecrets de 1'intérieur a eet égard ne fe gardent point du tout , Sc rien ne prouve mieux a mem avis que le maïtre eft foible Sc peu impofant autant que mal entouré. 2e. P. S. Le Roi eft fi effrayé de la clameur univerfelle élevée au fujet de la capitation , qu'il la retire. Des gens de fon intérieur me parloient aujourd'hui des moyens de remplacement. Mais qu'attendre d'un prince avare ck foible que deux jours de clameurs font reculer, Sc a qui 1'on ne peut que dire : impofez les terres nobles ,• Sc facrifiez quelques millions a aller chercher les intéréts que paient les nations emprunteufes. LETTRE XLIX, Z>« 21 Novembre i?86. J L devient 'plus foupqonnable chaque jour qu'il fe trame quelque chofe entre l'Empereur Sc la Pruffe , ou que tout au moins il y a des propolitions , foit de la part du premier , foit réciproques , fur lefquels on délibere. Je n'ai ni 1'argent ni les moyens néceffaires pour découvrir les détails. Un miniftre peut tout en ce genre, Sc tout impunément. Mais quand j'aurois moi le grand reftort de la corruption , que ne rifquerois-je pas a tenter de le mettre erf oeuvre? Je ne fuis avoué ni direétement ni indireftement. Un coup d'autorité peut difpofer de moi Sc de mes papiers en un inftant , & je ferois perdu ici Sc la pour avoir eu un zele inconfidéré. Aiguillonnez donc votre miniftre , ou hatez-vous d'oppofer a cette coalition puiffante a laquelle rien ne réfiftera , du moins jufqu'au Rhin , le : 54)  fyflême d'union avec 1'Angleterre, dont vous venez d'cbaucher les bafes , & qui fera le fauveur du monde. Penfez a la Pólogne , je vous en conjure. Ce qu'ils ont fait la ( s'ils n'ont pas acquis davantage , c'eft en vérité qu'ils ne 1'ont pas voulu ) ils le feront encore , & cela même fans Pintervention de la Ruffie , de ce géant qui dort, ck dont le réveil peut changer la face du globe. A la vérité , c'eft la froideur des deux cours impériales qui confirme le plus les foupcons d'un nouveau fyftême. Tout ce que je puis foupconner de fes bafes , c'eft que le prétexte en eft Péleftion d'un Roi des Romains, ck le but , une alliance intime qui détruiroit la confédération Germanique. Comme cette confédération eft 1'ouvrage du Roi, prince de Pruffe , du moins il veut le croire ck la regarde comme un coup de maitre , il eft douteux que l'Empereur réuffiffe ; mais fi la nouvelle d'hier fe confirme , c'eft un grand acheminement a un fuccès. On mande que l'Eleérrice Palatine eft fans efpérance. Si elle meurt, 1'Electeur fe remarie le lendemain , et fans doute un nouvel ordre de chofes peut ck doit s'ouvrir. II me femble qu'il eft difficile d'y réfléchïr rrop férieufement. Pour moi , tant .qu'on n'étendra pas mes inft.ru et ions, mes moyens , je ne puis qu'obferver de mon mieux Pintérieur du pays ck de la cour. La raifon pour laquelle le comte de Schulembourg , miniftre d'état, a demandé fa retraite , vient en partie de ce qu'on 1'a chargé d'exécuter le projet de la capitation qu'il n'a ni concu ni approuvé, ck qu'il regarde avec raifon comme une commiffion fort défavorable, fi ce n'eft trèsodieufe. Ce miniftre , homme d'efprit, ck qui feroit redevenu maitre des affaires, fi au premier dégout il eüt fu donner fa démiffion, eft infiniment défagréable aux agens intérieurs. Sa longue faveur, fa fortune rapide ck fa perfpicacité lürveitlante ont révolté ou inquiété tous les émules & fes rivaux. II n'eft pas d'ailleur's un de ces inftrumens dociles qu'on peut affouplir a tous les fyftêmes. L'incapacité de la plupart des autres miniftres lui .donne un prétexte de s'opiniatrer dans les fiens. Les ridicules des entpurs du Roi , pour ne pas dire leurs exr.ravigant.es foiblefies, 1'enhardiflent a rendre avec ufure un mépris dor.t la répu- D 4 ( 55 3  rahon de fes tafens émouffe pour lui les traits : car que n eponge pas cette réputation , fur-tout dans les pays oü les hommes font fi rares? Mais fi, comme on le dit ( Je n ai pas encore été a même de le vérifier ) , il y a coalition entre Struenfée & Welner , Schulembourg eft perdu, car on n aura plus befoin de lui. Au refte, comme il avoit donne fa maladie pour prétexte , le Roi , dans une lettre fort aimable, n'a accepté que par interim ck fous la condition que la fignature du miniftre fanftionneroit tout ce qu on feroit pour lui. En attendant, le fyftême aulique , celui des vifions & de la faveur des vffionnaires fe foutient, ou plutöt ne fait que croltre & embellir. Le Duc de Weimar eft arrivé ici hier au foir; il loge au Chateau dans les appartemens du Ouc de Jirunfwick. Ce Prince , grand apötre de la feérea « mr .' 0& d°nt j£ vous ai ParIé dans mes dépêches de tfruniwickck de Magdebourg , n'avoit paffé long-temps que pour un arbiter elegantidrum, prometteur zélé des lettres & des arts, économifte par fyftême ck mauvais économe par paffion. II y a déja quelques mois que je le foupconnois de verve guernere ; le voici qui 1'avoue. II vient pour entrer au fervice Pruffien. Jamais de tels généraux ne recommenceront une guerre de fept ans. ^ Tout va d'ailleurs fcr le même pied. Le Roi a demandé a fouper au prince Henri; il y foupe aujourd'hui. Le Prince qui continue fes gaucheries , tout en étouffant de rage concentree , a fait dire aux miniftres étrangers que fa maifon feroit ouverte tous les lundis , & que s'ils vouloienty venir pourle jeu, il les verroit avec plaifir. Il veut changer i'ufage quia jufqu'ici interdit a tout ce qui tient au corps diplomatique , de manger avec les Princes de la maifon , & infenfiblement les inviter a fouper. Son crédit eft toujours au plus bas ; cependant je crois toujours que s'il perféveroit a fe taire , que s'il s'abftenoit de montrer des prétentions, de 1'impatience, de 1'avidité du pouvoir, il embarrafferoit Ie parti qui veut 1'éloigner, & finiroit par en triompher. On commence a murmurer généralement contre les agens obfcursdu cabinet, ck la nobleffe oubliée pour les Saxons aimera mieux voir un Prince dans les affaires , que des commis qui ne peuvent s'élever a une haute fortune avouée que C 56 )  P. S. Milord Dalrymple , homme d'honneur ck de fens, par de grandes révolutions. Or 1'ariftocratie qui ne tient pas a ce genre fubalterne ne les redoute pas. Le Duc de Courlande arrivé fous peu de jours; comme il faut lui rembourfer des ïo'mmes confidérables, il eft a préfumer qu'a cette époque on payera la totalité des dettes du Prince de Prufte qu'il n'eft pas de la décence d'avoir laiffé iübfifter plufieurs mois fous fon regne. Ce fait combine avec les foupers d'entrémetteufes qui fe multiplient chez la Princeffe Frédérique ck font évidemment 1'unique motif de la maifon qui lui a été accordée, entachent férieufement le caractere moral du Roi. Madame de F** qui n'a pas voulu partir pour "Warfovie, fans tenter 1'aventure , a eu hier une audience du Roi trèsgaie , très-anecdotique , oü il s'eft plaint de fon ennuyeux métier, 1'a fort engagée a venir s'établir ici; lui a reproché de lui avoir volé le portrait de Suck; lui a porté des plaintes des impolitefies ck des étourderies du Prince de P * * qui a trouvé laide ck mauflade jufqu'a fa fille ( la PrincelTe Frédérique ). Cela a duré une heure , ck probablement fi cette femme fut venue avec plus de précautions ck pour plus de temps, elle auroit eu ici quelques fuccès. Mais c'eft un être fi cupide , fi pervers , fi dangéreux, qu'il eft peut-être bon qu'elle aille porter ailleurs fes talens ; chez nous, par exemple, oü elle eft connue, oü elle n'augmentera point la corruption , ck n'aura jamais d'influence importante ; au lieu qu'admife au confeil privé des Rois, elle mettroit en feu 1'Europe , pour gagner de 1'argent, ck même pour fe divertir. J'ai profité du moment oü elle s'eft écartée de la marche que je lui confeillois , pour lui réitérer mon avis, que fes démarches pourroient avoir pour elle des conféquences plus férieufes que celles de 1'amour-propre blefle, ck lui déclarer que je retirois mon enjeu : i°. paree qu'il ne me convient pas de me compromettre dans une partie que je ne conduis pas ; ck 2°. paree que 1'ambition des dames n'a ni ne peut avoir les mêmes motifs , les mêmes principes , la même marche , le même but que celle d'un homme qui fe refpefte. Au refte , fi , par impoflible, elle réuffiffoit , je la tiens par trop de cötés pour ne pas influer fur elle. C 5? )  ennuyeux quelquefois , paree qu'il eft toujours ennuye t mais doué de plus d'efprit que ne fauroit le croire ceux qui ne Tont pas foigneufement obfervé , & même de beaucoup d'efprit, d'une morale füre , généreufe , libérale ; Dalrymple qu'il faut tacher de fe faire donner , fi 1'on adopte jamais fincérement un plan de coalition pacifique, Dalrymple eft rappellé , dit-on, & Ewart refte chargé d'affaires fans miniftre au-deflus de lui. Je crois bien que le cabinet de Saint-James trouve commode d'avoir ici un eipion ami intime d'un miniftre & beau-fils d'un autre ; mais quelles fortes de vues peuvent excufer dans le cabinet de Berlin la tolérance d'une telle inconvenance ? Au refte , ceci n'eft: qu'un bruit public qui m'eft fufpeêt. On prend goüt aux commiflïons. On vient d'en nommer une pour 1'examen du monopole des fucres. Les Hambourgeois offrent de le livrer a quatre gros, il en coüte huit & même neuf. Idem , pour la fabrique des draps. Idem , pour le bois qui va être réduit a la moitié de fon prix aftuel , ( indépendamment de la fuppreffion de la compagnie chargée de le fournir ) ; mais comment &C par oü? Ce n'eft pas que ce changement ne foit affurément un des plus urgens & des plus profitables pour le pays. Mais le retrait de tous ces monopoles (le fucre excepté , qui appartient a un particulier ) , fuppofe la deftruction de la fociété maritime, de cette compagnie bizarre , qui a promis a fes aéiionnaires un gain de dix pour cent , indépendant de toutes circonftances; mais qu'une main trèsadroite peut feule demolir fans rifquer de faire du mal avec Ses décombres. Auffi dans la lettre au miniftre de Schulembourg , Le Roi fe défend-il de ce projet, & ordonne-t-il qu'il foit contredit dans les papiers publics. Quelle fluctua. fkm de plants, d'ordres, de volontés! Quelle difette de force & de moyens 1 ( 58 )  LETTRE L. 24 Novembre 1786". jM« de Hertzberg a fait une nouvelle tentative pour rentrer dans les affaires de Hollande, dont le Roi lui avoit interdit la connoiffance , & il a préfenté un mémoire a^ ce fuict II prétend avoir prouvé dans eet éent, que des tetes couronnées étoient déja plufieurs fois intervenues comme médiatrices entre les Etats & le Stathouder, & que la réponfe infidieui'e de la France mettoit en fait ce qui elt en queftion. Le Prince Henri croit que ce mémoire a fait quelque fenfation; j'ai des raifons de ne pas penfer de meme ; cependant je lui ai dit que s'il pouvoit me le procurer, ce mémoire feroit bientót détruit: je doute, au refte , tp 11 ait même ce pouvoir. Notons a ce propos que nous fommes raccommodés : deux foupers dont j'ai confécutivement retule d'être, lui ayant donné a penfer que je boudois , U ma fait des avances de tout genre , auxquelles il étoit décent que je me prêtaffe. . II eft bien conftant que le voyage du duc de Weimar n'a d'autre but que fon admiffion au fervice Pruffien, qui doit cimenter 1'élévation & la gloire de la confédération Germanique. La vérité eft que ce Prince protégé vivement le fyftême de ceux qui trouvent dans la profondeur de leurs connoiffances myftiques de quoi conduire les affaires d'état. La faveur pour ces fyftêmes va toujours en sechauffant, ou plutöt en fe démafquant, car elle ne s eft jamais refroidie. Le frere du Margrave de Baden , fort imbu des opinions a la mode , a un fils naturel auquel u veut donner un état: c'eft cette grande affaire qu'il eft venu traiter en perfonne , & il a été recu a miracles. Les affaires ne le font pas fi bien : il regne une telle contufion dans 1'intérieur de la maifon du Roi, qu'oh ne donne que des a comptes aux divers officiers. Au refte , ii eft décidé que 1'on paiera toutes les dettes du Prince de ( 59)  Pruffe; que le Prince Royal aura une maifon & une table de dix couverts; que la Princeffe Frédérique aura une maifon comme celle de la Reine ; ck 1'époque oü ces arrangemens fe réaliferont eft fixée après la formation des états de dépenfe. L'armée eft mécontente , i°. paree qu'on ne voit le Roi a la parade qu'une fois en huit jours; a°. paree qu'on multiplie les grades de majors ck de lieutenans-colonels jufqu'a fatiété ( par exemple , tous les capitaines qui ont fait la guerre ont franchi ce pas : c'eft le fecond chapitre des titres ck des ennobüffemens par maffe) , grace qui ne s'accordoit autrefois, pas même a la follicitation des plus grand Princes ; 30 paree qu'on annonce beaucoup, & qu'on ne fait rien ; qu'on punit peu ; qu'on exige peu; qu'en un mot l'armée n'abforbe pas, comme autrefois, 1'attention du fouverain. II paroit que Manftein ne diminue point le crédit de 1'aide-de camp Goltz, devenu comte, & qui, du moins pour la partie militaire, influe évidemment plus que fes rivaux. II a plus de. talents , fans avoir tout celui qui feroit néceffaire a cette place, qui , dans le vrai , équivaut a celle de miniftre de la guerre. Un fujet d'étonnement pour le petit nombre d'obfervateurs attentifs a tout ce qui peut leur faire deviner le caraétere moral du nouveau Roi, c'eft la froideur pour celui de fes aides-de-camp nommé Bowlet, dont je vous ai parlé plufieurs fois. C'eft un refugié Francois , efprit médiocre , honnête homme , peu ambitieux , ingénieur très-ordinaire , mais diftingué ici oü il n'y en a point. Depuis vingt ans il eft attaché a ce prince, & n'a jamais été admis dans les plaifirs fecrets, prefque néceffaires alors pour fupporter la folitude de Potfdam & la haine du feu Roi , il n'augmente ni ne diminue en faveur , & ton inlluence eft prefque nulle. C'eft une énigme que cette efpece de répugnance pour un homme dans fon genre , & qui ne peut ni 1'offufquer ni le dégoüter. Quant au civil, il eft prefque fur que 1'on retirera le projet de la capitation. Cet expédient précipité n'auroit pas pourvu aux befoins de remplacemens. Mais vous fentez combien toutes ces variations diminuent la confiance dans les adminiftrateurs fubalternes ck cachés qui operent a la ( 60 )  place des miniftres, Sr comme tout marche a la néceffité d'un miniftre principal , il paroit qu'il n'y a d'arrêté que 1'envie de changer , mais qu'on n'a ni fyftême , car je ne faurois appeller ainfi le defir vague de foulager le peuple , ni plants déterminés d'après connoiftance méditée des détails. On n'avoit, par exemple , prévu aucune des difScultés qu'entrainoit la fuppreffton de 1'établiftement Sr de 1'adminiftration du tabac qui fourniffoit. un afyle a douze eens invalides bas-officiers Sr même lieutenans. II faut que ces gens-la vivent, Sr ils retombent a la charge du Roi. Ce n eft pas tout , les acTions du tabac coütoient originairement mille écus : elles rapporterent cent dix écus. Dès-lors elles monterent a quatorze eens écus. Le contrat du feU Roi imporroi: jufqu'a 1'année 1793. Si le Roi rembourfe les a&ions. a raifon de mille écus , c'eft une injuftice , puifqu'on les a achetées quatorze eens fur la foi d'un contrat qui ne devoit finir que dans fept ans. Si le Roi tient compte de Pintérêt a raifon de huit pour cent jufqu'en I?93 ■> c'eft une mauvaife opération pour lui. Dés que !e remplacement amiable n'étoit pas prêt, n'auroit-il pas été plus fimple de ne faire de changement qu'a 1'époque oü s'éteignoient les aétions ? La valeur repréfentative du capital confifte en uftenfïles, magafins , maifon , voiture Sec. ore., Sr 1'on ne fe défera de tout cela qu'avec perte : nouvelle charge pour le Roi. Cette partie étoit grévée de pennons pour des perfonnes qui les avoient méritées, ou , fi 1'on veut, obtenue pour cette même affaire qui payoit ces pennons .• il faut aujourd'hui les afligner fur une autre caifle . Src. Src. A Dieu ne plaife que je prétende que des embarras de ce genre doivent arrêter ; on ne feroit jamais de réformes; mais ils doivent être prévus, Sr ils ne l'ont pas été ; de forte que Ie public ne voit dans cette fuppreffion q'u'un mal réel pour un bien qu'on ne demandoit pas. Cette rage de déjouer la contrebande ou de la détruire coütera , fi on n'y prend garde , bien plus cher au peuple que la contrebande ne peut' nuire a 1'Etat. La guerre a la contrebande ne doit jamais être que le fruit d'un fyftême uniforme Sc general; Sc c'eft une yue courte que de vouloir corriger ( 6i )  par partie des abus qui tiennent aux vices généraux de 1 adminiftration..Les raüneries de fucre, les fabriques darmes, de foie , de gaze, de petites étoffes, les manufactures de drap, tout en un mot ce qui tient a 1'induftrie eft'dingé par des régiemens meurtriers du commerce : faut-il que tout cela cifparoifle d'un feul a&e de volonté? Cela ,eft impoffibie fans convulfions, ck c'eft ainfi qu'on décrédite la vérité ck la bienfaifance même, ck qu'on décourage les Rois. Malheur a qui bouleverfe fans piéparations ! Les principes des deux Rois fur leur dignité perfonnelle paroiffent différer a un point qui doit donner a penfer a ce pays. Lorfque Frédéric II. établitle monopole du café, les habitans.de Potsdam oferênt charger une charette de cafttieres ck de moulins a café, la promenerent dans la ville, & finirent par la renverfer dans la riviere. Frédéric , témoin de cette burlefque cérémonie , ouvrit fa fenêtre ck rit aux éclats. Voila pour celui qu'on appellé le Tibere- de la Pruffe; voici pour fon Titus. Avant hier on a fait emprifonner le commis d'un marchand , nommé Olier, ck ce n'eft cue le lendemain matin qu'il apprit que la caufe de fa détention étoit un propos léger tenu fur le compte du Roi, ck qu'en cas de récidive le cachot feroit juftice de lui. Tel eft le premier fruit intérieur de la ténébreufe adminiftration que 1'amour-propre du Roi, combiné avec la parefle , a néceffné. Quel pronoftic de tyrannie , foit royale , foit, ce qui eft pis , fubalterne ! eh ! dans quelles circonftances, dans quel pays? La oü.le maitre , qui a un amour-propre fi irafcible veut pafier pour bon, ck oü fon pouvoir n'a nulle efpec'e de contre poids dans 1'opinion publique qui n'exifte pas. La commiflion fur Launay garde toujours le filence , le traine en longueur, compulfe ou recherche des faits , ck ne décide rien. Du Bofc travaille beaucoup. II eft arrivé deux négocians de chaque province , qui doivent donner leur avis fur la meilleure maniere de faire profpérer le commerce. On ne fait pas encore ici que s'il ne faut jamais confier 1'exécution des détails d'un plan de commerce qu'a des négocians , il ne faut jamais les confulter fur le fyftême général a établir , paree qu'ils n'ont que des vues ck des intéréts partiels. Un d'eux a pourtant ouvert un avis fort fase, du moins dans le mauvais ordre des chofes ac- ( 6i )  tueues : c eft de defendre aux manufaétures de foie , toutes pour le compte du Roi, de faire d'autres étoffes que de 1'ura. Si 1'on prend ce parti, le Roi de Pruffe pourra fournir la Suede , la Pologne ck une partie de la Ruffie. La princefle Elifabeth , femme divorcée du Roi a demandé un chateau a cinq milles de Berlin , avec priere au Roi de nommer les dames ck les cavaliers qui demeureroient auprès d'elle. On croit que les mouvemens que fe donne cette princeffe lui font fuggérés par un officier adroit & intrigant ; mais ce n'eft pas elle , ce me femble , qui peut dêvenir redoutable a la Reine, ck en vérité fe n'oferois pas en dire autant de mademoifelle de Voff. Encore une fois quel fera le fort du pays que vont fe partager les prêtres , les vifionnaires ck les catins? Quelque diligence que j'apporte a tacher de deviner ce qui fe traite avec la cour de Vienne , je fuis réduit aux conje&ures. Cependant, quand je penfe qu'ils ont la bas un homme incapable , le comte Podewils, & que rien n'eft changé a la marche du prince Reuss, le miniftre de l'Empereur ; que le prince Henri , mal inftruit en général (tandis que par la feule force de l'inftruclion , fi lesvingt quarts de volonté dont il eft compofé , ck qui n'en font pas une , lui permettoient d'y mettre de 1'argent ck de la fuite, il prendroit un fort grand afcendant dans le cabinet) , fauroit pourtant quelque chofe de pofitif, s'il y avoit une telle manoeuvre , ck n'a que des foupcons vagues. J'ai peine a croire qu'il s'agiffe d'une révolution bien'importante ou bien probable. Mais ne fe délivrera-t-on donc pas de toute cette comphcation de craintes, en changeant une fois notre fyftême de politique extérieure, ck renverfant la feule ban'ere qui s'y oppofe ; je veux dire en étouffant par des arrangemens refpeftables & des avances finceres, cette jaloufie de commerce , mere de 1'animofité nationale, qui a fait taire le bon fens & prédire avec éclat, a 1'appui des fo« phifmes diétés par la cupidité des négociations , que la ruïne de tout , foit pour la France , foit pour 1'Angleterre, feroit la fuite de la balance défavorable que la liberté du commerce ne manqueroit pas de faire naitre. Eft-il donc ii difficile de démontrer que le commerce de la France C °"3 )  pourroit etre beaucoup plus avantageux a la Grande-Bretagne que celui d'aucun autre pays , & vice vtrfd. Eh ! qui n'en voit la raifon, pour peu qu'il ouvre les yeux ? Elle eft dans la volonté de la nature , qui a rapproché ces mo» narchies plus que tous les autres pays, Les retours du commerce, qui fe feroit entre. la cöte méridionale de 1'Angleterre , ck les cötes feptentrionales du nord-oueft de la France , pourroient avoir lieu cinq ou fix fois 1'an, comme dans le commerce le plus intérieur. Le capital employé a ce commerce pourroit donc , dans 1'un ck 1'autre pays , alimenter cinq ou fix fois la même quantité d'induftrie , 8c procurer de 1'emploi Sc des moyens de fubfiftance a fix fois autant d'habitans , qu'un capital de même valeur pourroit le faire dans la plus grande partie des autres branches du commerce étranger entre les parties de la France 8c de la GrandeBretagne les plus éloignées les unes des autres ; les retours auroient lieu au moins une fois par an , 8c feroient par conféquent trois fois plus avantageux que le commerce autrefois fi vanté avec 1'Amérique feptentrionale, dans lequel les retours n'avoient lieu communément qu'au bout de trois années, 8c ne fe faifoit communément qu'entre quatre ou cinq. » D'ailleurs dit le fage Smith , la France , fi 1'on » confidere fa population, fes befoins, fa richeffe, n'eft» elle pas un marché pour le moins huit fois plus étendu , r> 8c a raifon des retours multipliés, vingt-quatre fois plus »> avantageux que n'a jamais été celui des Colonies Angloin fes de 1'Amérique feptentrionale ? « II n'eft pas moins clair , 8c il 1'eft davantage, que le commerce avec la Grande-Bretagne feroit dans le même degréutile a la France, 8c en proportion de la richeffe , de la population 8c de la proximité des deux pays; il auroit évidemment la même fupériorité fur celui que la France a fait avec fes proptes Colonies. O folie humaine ! que de peine nous nous donnons pour deffécherles bienfaits de la nature.' Quelle prodigieufe différence entre le commerce que la politique des deux nations a cru devoir décourager 8c celui qu'elle a le plus fa- vorifé ! II me femble qu'un livre oü 1'on développeroit ces idéés, qui commencent a ne point paroïtre monftrueufes en Angleterre, feroit très-utile , ck ne fauroit être confié a de trop habiles mains. P. S. e 6a \  LETTRE LI. 28 Novembre l?86. On n'eft pas d'accord fur le genre de fervices que peut rendre au gouvernement le comité des marchands conwoqués des différentes Provinces. Ces bonnes gens font fort étonnés de fe trouver confultés dans les affaires d'état ; car il y a auffi loin d' eux aux Mont Audouin ck aux Prémores , que des miniftres Pruffiens aux Sully ck aux Colbert. La vérité eft que c'eft le fyflême général ck fondamental qu'il s'agiroit de détruire, 6k qu'on ne veut que pallier. Le fang eft infecté : au lieu de 1'épurer, on ne penfe qu'a fermer tel ou tel ulcere; on exaltera les virus & gare la gangrene. On s'agite beaucoup pour les fabriques ; mais, bon Dieu ! eft-ce par la qu'il faudroit commencer ? Et quand on auroit bien nettement déterminé celles qu'il faut conferver ck celles qu'il faut laiffer périr, ne devroit-on pas , avant de réglementailler, prendre pour point de départ , que la place des fabriques n'eft point a Berlin , oü réuniffant la cherté de la main-d'ceuvre a tous les inconvéniens locaux , nationaux &c. &c. , elles deviennent une défaftreufe extravagance : auffi les fabricans eux-mêmes font-ils la contrebande , ck vendent-ils des étoffes francoifes pour des étoffes du pays. Comme ils n'ont pas de concurrens, ils y mettent le prix qu'ils veulent. Quant a la. Tornt II, £ P. S. J'ai preuve topique que le Roi travaille moins que jamais. On répond aux lettres après huit, dix jours, ck d'une maniere plus longue ck plus foignée que fous le feu Roi, ce qui prouve affez qu'il entre plus du fecrétaire en cette affaire. Que dire d'ailleurs d'un cabinet oü le Roi ne travaillant point du tout, il eft impoffible de citer un miniftre dont 1'influence ait fait telle ou telle chofe , même dans le directoire général affemblé deux fois par femaine , ck oü le Roi n'affifte jamais ? Et ce Roi veut changee le régime fffcal ! Ah ! un Hercule feul peut nettoyer les étables d'Augias / C )  contrebande, nen de plus aife ; ils portent aux toires de Francfort une partie de leurs marchandifes; la vendent ou ne la vendent pas , achetent des étoffes de Lyon, les marquent comme. celles de Berlin , ck les font entrer fans autre précaution , ni le moindre rifque , puifque les commis des barrières, qui font de vieux foldats ou de vieux domeftiques de cour ,ne diftingüent pas fi ce qu'ils voyent eft taffetas ou fatin ; a plus forte raifon un ouvrage tiffu a Lyon ou a berlin. II n'y a dans cette ville ni aftivité , ni émulation, ni goüt, ni génie, ni argent pour foudoyer tout cela ; il faut encore un fïecle &jene fais combien de révolufions aux Allemands pour imiter ce luxe dedécoration qu'ils font affez fous pour envier. Les opérations que tentent maintenant des hommes incapables de choifir entre ce qui eft poffible ck convenable, ou chimérique ck nuifible, fans moyens, fans principes, fans fyftême, uniquement preffés de faire paree qu'on veut faire, ck que leur exiftence éphémere tient a faire , leurs opérations, dis-je , n'auront d'effet que de donner a croire au Roi d'abord , aux efprits vulgaires ck routiniers enfuite, que le mal eft irréparable. Une affaire affez importante pour les fuites qu'elle pourroit avoir , du moins en d'autres mains, c'eft fhéritage du MargraviatdeSchwedt. Le Margrave touche a fa fin. Après le partage de la Pologne , le feu Roi écrivit a fon frere le prince Henri, qu'il vouloit lui donner une marqué éclatante de fon amitié ck de fa reconnoiffance pour les fervices qu'il avoit rendus a 1'état. Frédéric croyoit fe tirerd'affaire avec une ftatue ; mais on lui fit dire fous main que 1'on fe repofoit de ce i'oin fur la poftérité , ck que pour le moment on ne vouloit qu'être plus riche. Peu de mois après le Margrave de Schwedt, frere du Margrave aétuel meurt. Alors le feu Roi faifit cette occafion pour dégager fa parole. A un long terme £k dans une patente bien authentique, il donne au prince Henri l'expe&ance duMargraviat, a la condition par lui de remplir les charges dont ce grand fïef eft grévé Frédéric. meurt. Son fuccefleur déclare que toutes furvivances , donnations a futuro ckc. ; font nulles, ck qu'il ne confirme rien. Le prince Henri fe trouve dans le cas de tous ceux qui avoient des expec- ( 66 )  . .. V "/ J tances; il eft peu vraifemblable qu'on lui laiffe lés terrés % Ia queftion eft de favoir s'il recevra ou s'il ne recevra pas de compenfations. Le prince Henri a certainement des prétexfes pour crier a 1'ingratitude j 8c il criera , voila tout. Attaqué aujourd'hui d'un accès de ragemue, la rage bavarde viendra a fon fecours, 8c lui fauvera la vie; car il n'y a que les clouleurs muettes de dangéreufes; mais ceux-la même qui ne font pas fes partifans oblerveront ce procédé, avec d'autant plus d'inquiétude , qu'il commence a fe manifefter que même les piomeffes perfonnelles du Roi font fufceptibles de quelques vacillations. Je vous avois parlé dans une de mes dépêches de la reftitution de quelques bailliages au Duc de Mecklenbourg; elle avoit été promife au miniftre de ce Prince par le Roi même. II a depuis retiré ou du moins fufpendu fa parole. Cette facilité a revenir fur des engagemens recensj combinée avec les clameurs des hommes a contrats exclufifs que 1'on foule aux pieds fans menagemens , a paru d'un augure finiftre. 11 a par exemple, été mis par ordre dans les papiers publics que le Roi déclaroit a tous les fourniffeurs de l'armée, que pour tous les motifs paternels qu'on n'a pas manqué d'énoncer avec emphafe , Sc que vous trouverez dans toutes les gazettes, le Roi annulloit leurs contrats 8c même ceux qui auroient été récemment confïrmés; claufe d'autant plus gratuitement odieufe , d'autant plus abfurde qu'il n'en a confirmé aucun , 8c qu'ainfi ce n'étoit pas Ia peine d'a.vertir folemnellement qu'il pourroit très-bien au befoin man» quer a fa parole. Le Roi me parloit avant hier de la manufafture des draps4 Jetachois de lui faire entendre qu'avant de démolir fa maifon, il falloit favoir oü coucher quand elle feroit découverte; oü pofer les décombres , oü rebatir ; il me repondit en riant : » AhlSchmits efl votre banquier( c'eft 1'entrepreneur de » cette manufacl:ure : ) vraiment oui, lui dis-je ,Sire, mais *» il ne m'a pas encore fait préfent de 1'argent que j'ai touche ii par fes mains * Ceci doit vous montrer quels refforts on fait jouer auprès de lui pour m'éloigner. Voici un fait plus topique a eet égard. J'ai été fix jours malade 8c très-fouffrant fans paroïtre dans le monde, Ck d'autant plus qu'au fond les grandes fo- E 2 C 6 '7 )  ciétés n'apprennent rien. Avant hier le Roi dit a fon lotto: Ou eft donc le Comte de* * * ? 11 y a mille ans que je ne Üai yu. Sire , lui ditquelqu'un de 1'intérieur, cela n'eft pas ètonnant, il paffe fa vie che^ Struenjee avec MM. Biefter & Nicolaï. Vousnoterez que Biefter & Nicolaï font deux favans Allemands, qui ont beaucoup écrit contre Lavater ck les vifionnait es ; qu'ils ne mettent jamais les piedschez Struenfee , & qu'ils ne le connoiffent pas même perfonnelle'ment, a ce que je crois. II ne falloit que réveiller dans 1'idée du Roi que j'étois anti-vifionnaire. La nomination du comte Charles de Brühl a la place du gouverneur du prince royal , a fait triompher plus que jamais leur parti. C'eft au mérite d'appartenir a cette honorable feéte , qu'un comte Leppel, le plus incapable & le plus ridicule des hommes , doit la miftton en Suede ; un baron de Doernberg ,des graces de tout genre ; un prince Frédéric, fon intimité; un duc de Weimar, un frere du Margrave de Baden , un prince de Deffau , leurs fuccès , les entours les plus influens, leur faveur. 11 femble que ce foit une confédération tacite, ck qu'on ne veuille mettre dans 1'adminiftration que des feftaires éprouvés 6c fervens. Perfonne n'ofe les combattre; tout le monde ploie la tête ; les efclaves de cour ck de ville qui n'ont pas pris les devans, murmurent a voix bafle , ck peu a peu ils fe rangeront du parti dominant. Au refte, perfonne n'eft aflez adulateur pour excufer cette proftitution d'ennobliflemens , de titres , de cordons, de places académiques , de grades militaires qui s'aggrave chaque jour. On a fait , par exemple , dix-fept majors; uniquement pour acquitter des paroles vagues , inconfidérées, & paroitre a peu de frais fe fouvenir de ce que 1'on avoit promis quand on avoit befoin de tout le monde. Le Roi fe montre trop , pour ne parler que de billevefees. II ne faut pas, ce me femble, qu'au commencement d'un regne , un Monarque de Pruffe trouvele temps d'avoir tous les jours un trifte concert ou un plus trifte lotto , furtout quand on connoit les riens, fi ce n'eft pis, quirempliffent fa matinée. C'eft au refte tous les jours davantage qu'il fe conftitue le réparateur des torts de fon oncle. Les colonels ou généraux que celui-ci avoit envoyés, rentrent dans ( M )  l'armée avec des grades ou des apointemens qui les dédommagent. Les Confeillers jadis caffés pour 1'affaire du mtünier Arnold , ont été réintégrés dans leurs fonflions ; Sc a dire vrai , le fort qu'ils avoient éprouvé étoit une des plus criantes iniquités de Frédéric II; mais fa principale vicTime le chancelier de Furft , eft oublié jufqu'ici. Son grand age ne lui permet pas fans doute d'occuper une place, mais une marqué folemnelle de bienveillance , une réparation flatteufe & d'étroite juftice , tandis qu'on accorde tant de dédommagemens qui ne font que des faveurs douïeufes Sc même défavorables, étoit-elle donc impoffible ? Les mines dépendoient uniquement fous le dernier regne du miniftre chargé de ce département. On vient de faire un arrangement, par lequel quatre tribunaux diftribués dans les provinces, moderent beaucoup fon autorité , Sc cela peutétre néceffaire dans un endroit oü le droit public des mines eft une tyrannie révoltante. Au refte , cette opération n'annonce pas la difgrace de M. de Heinitz ( il a été au contraire depuis quinze jours chargé de plufieurs nouveaux départemens 8c nommément de quelques démembremens de M. de Schulembourg ) ; elle entre dans le plan de tout remettre , comme Pavoit laifle Frédéric-Guillaume en 1740. Cette critiqué du dernier regne peut deven.ir une vengeance bien chere. Mais au moins faudroit-il être conféquerit, & puifque le grand directoire a été remis fur le pied de fon inftitution , ne pas le laiiTer dans une oifiveté 8c une influence tout-a-fait humiliante. II eft déja queftion' d'éloigner le miniftre de Gaudi, 1'homme de qui le gouvernement retireroit le plus de reffources s'd étoit mis en oeuvre. Cette confpiration contre la capacité , Pintelligence, le talent, alarme a bon droit ceux qui connoiffent les faifeurs de prédileftion. II me femble qu'il y auroit ici en ce moment une ac'quifition digne du Roi de France, 8c que M. de Calonne eft fait pour lui propofer. L'illuftre la Grange, le premier géometre qui ait paru depuis Newton , 8c qui, fous tous -les rapports de 1'efprit 8c du génie, eft 1'homme de 1'Europe qui m'a le plus étonné , la Grange le plus fage , 8c peutêtre le feul philofophe vraiment pratique qui ait jamais exifté, recommandabie par fon imperturbable fageffe, fes mceurs , C 69 )  fa conduite de tout genre , en un mot 1 objet du plus tern drre refpect du pent nombre d'hommes dont il fe laiffe ap, procher, eft depuis vingt ans a Berlin , oü il fut appellé dans fa première jeuneffe par le feu Roi , pour remplacer Euler, qui 1'avoit défigné lui-même comme le feul homme capable de marcher fur fa ligne. II eft très-mécontent; il 1'eft en filence , mais il 1'eft irrémédiablement , paree que c'eft du mépris que font nés ces dégoüts. Les fougues , les brutalités, les folies jacTances de M. de Hertzberg , 1'affociation de tant d'hommes auprès defquels la Grange ne peut avec pudeur refter affis, la crainte très-fage defe trou■ver preffé entre le repos philofophique qu'il regarde comme le premier des biens , ck le jufte fentiment du refpeft de luimême , qu'il ne iaiffera pasbleffer, tout le convie a fe retirer d'un pays oü rien n'abfout du crime d'être étranger , & oü il ne fupportera pas de n'être pour ainfi dire qu'un objet de tolérance. Dans cette conjoncture il n'eft pas douteux qu'il n'échangeat volontiers le foleil ck 1'argent de Pruffe pour le foleil ck 1'argent de France , du feul pays de la ferre oü 1'on fache rendre un culte au génie des iciences ck des arts, ck faire les réputations durables ; du feul pays oü la Grange, petit nis d'un Francois, ck qui (e fouvient avec reconnoiflance que nous l'avons fait connoitre a 1'Europe „ puiffe aimer a vivre , s'il lui faut renoncer a fes habitudes, Le prince Cardito de Leffredo , miniftre de Naples a Copenhague , lui a offert les plus belles conditions de la part de fon Souverain. Le Grand-Duc , le Roi de Sardaigne 1'invitent vivement : mais toutes leurs propofitions feront aifément oubliées pour la nötre. ( Eh ! quel homme d'un mé, rite conftaté en Europe , le Roi de France n'attirera-t il pas de même , a 1'aide d'un bon contröleur-général , le »our oü il voudra exercer eet empire de bienfaits qui ne peut appartenir qu'a lui ? ) La Grange a ici fix mille livres de penfion. LeP oi de France ne peut-il donc pas confacrer cette fomme au premier géometre de 1'Europe & de ce fiesle ? Eft-il au-deffous de Louis XVI de retirer d'une académie miférable, un grand homme qu'on y méconnoit, qu'on y méfallie , ck de tuer ainfi par la plus noble des guerres le feul corps littéraire qui ait lutté contre les fiens i}~ N'eft-ce pas auffi une générofué mieux entendue que ta$\ ( 70 )  LETTRE LIL 2 Décembre i?86. H tER lp , entre une ck deux heures, un homme qui vient de Courlande arrivé chez moi, ck y demande le Baron de N * *. II dit avoir une commiffion fecrette ; lui remet une lettre de M. de Rummel, fon beau-frere , fyndic de Ia nobleffe , ck cinquante Iouis de Ptuffe. La lettre prévientN** d'ajouter foi a ce que lui dira le porteur; lui apprend que Ia régence de la république veut lui conférer la place d'atïeffeur, s'il fe rend en Courlande pour cette nomination qui fe fait au commencement de 1'année. Le porteur de cette lettre dit avoir vu N** enfant, Sc lui a paru être un avocat ou un notaire dont il avoit qmrfqu; E4 d'autres? La France a fi impolitiquement fervi d'afylea tant de Princes , qui ne pouvoient que lui coüter! Pourquoi ne recueilleroit-elle pas un grand homme qui ne peut que lui valoir ? Elle a fi long-temps enrichi les autres de fes pertes; pourquoi ne s'enrichiroit-elle pasdesfautes des autres? Enfin, ck pour parler du miniftre que j'aime , un de Boynes a dönné dix-huit mille livres de rentes, pour une place inutile, a un Bofcowich, méprifé de toute 1'Europe favante, comme un charlatan affez médiocre : pourquoi IV1. de Calonne ne feroit-il pas donner une penfion de deux mille écus au premier homme que 1'Europe ait dansle même genre , ck probablement au dernier génie qu'auront les fciences exaftes , dont la paffion diminue avec les difficultés exceffives , 8c le nombre infiniment petit des places qui reftent a y prendre ? Je fuis très-attaché a cette idéé , paree que je la crois noble, que j'aime tendrement 1'homme qui en eft 1'objet. Je fupplie qu'on me réponde le plutöt poffible, car j'avoue que j'ai fufpendu la délibération de M. de la Grange , fur les propofitions qui lui font faites ( on fent bien que lui qui eft dans 1'antre ne peut en faire d'aucune efpece ) pour attendre les nötres. C 7i '  idee confüfe ; il n'a dit ni fon nom, ni oü il loge , ni comirient il voyage, ni depuis quand il eft a Berlin , ni oü il va. Hambourg , Lubeck, Vienne , Munick , &c, font des points oü il a touché, ou bien oü il touchera. Sa marche a été très-couverte, très-énigmatique , très-miftérieufe : tout ce qu'il a fait entendre , c'eft que les plus grands changemens vont éclore en Courlande ; que M. de Woronzow y jouera un très-grand röle ; ck cela a été dit de maniere a. faire foupconner qu'il pourra devenir Duc. Voila les points capitaux de cette bizarre entrevue. II faut le combiner avec le retour du duc, arrivé depuis trois jours , ck une foule d'indices qui démontre qu'il ^s'agite ou fe prépare une révolution en Courlande. Le Duc eft dans la confternation. On ne fe le dit qu'a 1'oreille; mais il paroit conftant que les états du pays ont arrêté les revenus , paree qu'il ne les dépenfe pas chez eux, ck c'eft la le maindre grief que 1'on ait a Pétersbourg contre eet homme abhorré. II eft certain qu'il envoie a Mittau, oü il n'ofe pas retourner, fa femme très-avancée dans fa groffefle , efpérant qu'elle accouchera d'un garc.on , ck que eet héritier préfomptif le réconciliera avec fon pays. Ajoutez k ceci, que le baron de N * * appartient k une des premières maifons de la Courlande ; que fon oncle le chambellan Howen, tête forte ck intrigante , eft actuellement miniftre fuprême ou land-maréchal; qu'il y fait toutes les affaires, ck jouit du plus grand crédit, ce qui doit fe réduire , a dire vrai, a vendre plus ou moins lachement cette belle ck malheureufe province, laquelle cependant , fi tous ces voifins 1'abandonnent, n'a d'autre parti a choifir que de fe donner, plutöt que de fe laiffer prendre. II eft très-poffible que la familie de N** , qui fait combien ce ftudieux jeune homme auroit toujours préféré la carrière civile a la carrière militaire , n'ait penfé qu'a le placer avantageufement pour lui ( ce pofte d'affeffeur, qui vaut 4 a 5000 L annuelles du pays, mene a tout ) ; mais il eft auffi, ck même , vu les combinaifonsfubfidiaires, il eftprobable qu'on veut s'aider de lui dans une révolution. Le jeune homme a de 1'honneur, de 1'intelligence , des connoiffances, un grand refpect pour les droits des hommes , une grande haine pour lès Ruffes un vif defif de C 7* )  donner fon pays a tout autre Souverain. Balotté par le fort depuis qu'il eft au monde , miné par des malheurs de tout genre qui tous ont une fource honnête, dégouté du trifte fervice d'offïcier fubalterne qui le clérange de 1'étude, modéré dans fes defirs , il accepteroit une place qui lui donneroit otium cum dignitatc; mais il ne veut pas être efclave des Ruffes; il aime la France, il m'eft attaché , il croit me devoir; il voudroit être utile a fon pays, au cabinet de Veriailles, a moi. Son indécifion a dü être cruelle, fur- tout clans une circonftance oü, travaillant depuis fix mois comme un forcat, & fürement d'une maniere plus utile que s'il montoit la garde, vous avez négligé jufqu'a Ja prolongation de fon congé; on feroit perplexe a moins.... J'ai décidé pour lui. Me faifant fort pour cette prolongation qu'il y auroit tant d'iniquité a refufer , & qu'on accorderoit, ne fut-ce que pour moi a qui ce co-opérateur eft néceffaire; penfant qu'il eft toujours le maitre de retourner en Courlande en envoyant fa démiftion , ou même fans Fenvoyer & laiflant nommer a fa place ; convaincu que nul ne peut nous informer plus exa&ement de la fituation du pays oü il a tant de rélations ; perfuadé que cela eft important, pour plufieurs raifons dont j'expoferai toiit-a-i'heure les principales, mais ne croyant pas , indépendamment de la dépenfe d'un voyage de plus de quatre cents lieues, pouvoir m'abfenter fans un ordre expres; sur de 1'honneur de ce fenfible jeune homme , foit a raifon de ceux qui me Pont recommandé & qui le connoiffent .infiniment, foit paree que j'ai vu de fa conduite & de fes principes; plus certain encore qu'on fait tout des gens d'honneur par la confiance , j'ai cru que le plus fage étoit de le faire partir fur le champ, fur fa parole de m'informer de tout, & de revenir fous deux mois a Berlin. II m'a femble que ce parti concilioit fon intérêt tx le notre ; celui-ci, paree que nous ferons parfaitement inftruits de tout ce qu'on peut favoir en Courlande ( & 1'on y peut favoir beaucoup de chofes ) ; qu'a tout événement nous nous faifons un parti dans le pays, & qu'un fimple titre de conful, ou même Ia permiiïion de jporter notre uniforme en Courlande avec une penfion. modique, nous aifure la un homme de mérite, s'il prend le C 73 )  parti d'accepter les offres de la Regerice; celui-la, paree" que M. de N * * s'affurera dans fon voyage du degré de flabilité ■& du bien-être de 1'établiffement qu'on lui propofé , ck que s'il n'eft pas content il fe retrouvera ce qu'il eft chez nous avec les avances d'un nouveau fervice rendu ck d'une forte preuve de zele donnée ; que s'il eft content de la place offerte ck qu'il 1'accepte , nous pouvons améliorer (on fort, ck augmenter la bas fa confidération ck fa süreté par notre uniforme ckc. ckc. Somme tout, ce' jeune homme , qui a fait les fieges de Mahon & de Gibraltar; qui eft eftimé ck aimé de fes chefs; qui depuis fix mois travaille fous ma direéfion avec un zele rare & une affiduité non moins grande mériteroit aflurément une marqué de faveur, quand ce feroit pour fon compte uniquemenr qu'il iroit en Courlande ; ck la vérité eft que je l'y' envoie, paree que la circonftance m'y invite fortement, que je fuis convaincu de ces deux chofes : Ia première c'eft que , fut-ce uniquement pour connoïtre a fond cette partie des projets de la Ruftte, il nous importe de favoir une fois a quoi nous en tenir fur la valeur ck le fort, auffi bien que fur les modifications dont eft fufceptible un pays , vedette naturelle ( indépendamment de toute circonftance inférieure ) de la Pologne ck de la mer Baltique , oü la Suede , notre bras du nord , eft fi férieufement ménacée ; Ja feconde, que le baron de N * * eft 1'homme le plus propre a bien voir a eet égard ck a dire la vérité. Pourquoi ne pas aider, ne pas conferver de tels hommes ? Vous avez dü trouver, mais vous n'avez pas remarqué peut-être, dans Ie trente-deuxieme précis des gazettes, que M. de Spring Porten ci-devant colonel au fervice de Suede , vient d'entrer au fervice de Ruffie, comme majorgénéral; que c'eft 1'homme qui connoit le mieux toute la Finlande ; que 1'Impératrice lui a accordé trois mille roubles pour fon équippement, une terre de fix eens payfans dans Ia Ruffie blanche , ck la clef de chambellan ; qu'il va faire inceffamment un voyage dans la Crimée , ckc. ckc Si c'eft en acquérant de tels hommes, ck les con- noiffances ck les rélations qu'ils apportent avec eux, qu'on fe prépare 1'exécution des plus grands projets , c'eft par la même méthode qu'on les fait avorter. ( 74 )  On n'eut pas le temps de chiffrer la derniere fois le poftfcripturn qui contient un fait curieux , lur lequel P * * * affeiera peut-être une combinaifon. Je vous ai dit, n° XLVIII : » On vient d'interdire a » la banque le commerce des lettres de change tkc. » Ce fait ne s'eft pas véririé; les négocians l'ont demandé a la vérité , mais cela n'eft pas accordé, ck Struenfée s'y oppofe. Paffons aux détails du jour. II y a deux verfions sur MÏle. de Voff : toutes deux de très-bonne fource ; ck probablement la véritable eft celle qu'on peut compofer des deux. Première. II n'y aura point de mariage. La demoifelle partira dans un mois pour je ne fais oü, ck de la le rendra a Potsdam. » Je fens , dit-elle, que je me déshonore. « Toute la compenfation que j'exige , c'eft de ne voir per» fonne. Laiffez-moidans ma folitude profonde, je ne veux » ni fortune ni éctat ». (Et il eft certain que fi elle peut le tenir ainfi, elle le conduira beaucoup plus loin). Deuxieme. Le mercredi, 22. du mois dont nous fortons , fut le jour remarquable oü Mademoifelle de Voff accepta la main du Roi, ck lui promit la fienne. II fut réfolu qu'on feroit agréer a la Reine le plan d'un mariage du cöté gauche , comme une néceftué , li elle s'obftinoit a y montrer trop de répugnance. II eft fingulier qu'on ait attendu le moment oü le Duc de Saxe Weimar , beau-frere de Ia Reine, feroit ici pour confommer cette rare opération. Le Roi fe trouvera ainfi quatre fortes d'enfans. Les prêtres confultés fur la maniere de concilier les droits du ciel avec les plaifirs de la terre, ont décidé qu'il valoit mieux concentrer fes jouiffances dans un mariage extraordinaire, que d'errer fans ceffe de foibleffes en foibleffes. 11 ne tranfpire encore rien de la maniere dont on fera part de eet arrangement aux oncles, du nom que portera la nouvelie Princeffe, de fon état futur, ckc. ckc. Ce qui paroït vraifemblable , c'eft qu'elle n'eft pas éloignée de fe mêler des affaires; ck que fi elle y entre , le crédit de Bishopswerder diminuera: elle n'aime ni lui ni fes fïlles. Son parti d'ailleurs eft tout-afait oppofé a celui des illuminés qui gagne du terrein de la maniere la plus effrayante. Je vais vous révéler , a eet égard, poe anecdote encore récente ( elle eft des derniers mois de C 75 )  II fe répand un bruit fourd qui confterne les honnêtes gens, & qui vrai ou faux eft un terrible indice de 1'opinion publique. On affure que le Prince Henri, le Duc de Brunfwick & le général Moellendorf v'eulent quitter Parmée. Les deux premiers n'y penfent probablement point encore. Quant au dernier, il eft inconteftablement le plus mécontentdes trois; riche par lui-même, loyal , fimple , ferme, & d'une vertu qui feroit honneur a un fol plus fécond en ce genre. II eft certain qu'on ne 1'a traité , ni comme il s'y attendoit, ni comme les honnêtes gens le defiroient. A la vérité on a voulu le faire Comte, mais qu'avoit-il befoin dans la foule ? Auffi eet homme refpecTable a-t-il répondu qu'ai-je fait ? Et ce mot noble & fimple étoit une critique fi amere de la tourbe de nobles & de titres qu'a fait éclore le fouffle de la munificence royale , qu'il n'a pas dü plaire. Son exiftence modefte & chevalerefque eft devenu un reproche pour la cour. Cependant la feulu opération vraiment bienfaifante & unanimement approuvée, qui ait été faite fous ce regne , eft de lui : c'eft la réforme de 1'inique contribution appellée li verd qui mettoit vraiment au pillage le plat pays pendant trois mois de 1'année , fous le prétexte de tenir la cavalerie dans Phabitude du fourrage de campagne. II n'a depuis été coniulté fur rien, du moins il n'a eu aucune influence; je ne ferois point étonné qu'il feretirat tur fes terres, & il eft impofiible de s'exagérer ie tort que cette profeffion de foi tacite feroit au Roi ck a fon gouvernement. Encore trois mois d'un pareil régime & il n'aura plus rien a perdre en fait de confidération du moins intérieure. Tous les fymptómes de la putriditéf fe manifeftent; Rietz Fredenc II ) , qu il eftinfiniment important, du moins, pour ma (ureté, auffi long-temps que je feraiici, de tenir fecrete , de Pauthenticité irrévocable de laquelle vous jugerez vous-même, & qui vous montrera oü mene cette prétendue théorie des vifïonnaires liés,aux francs-macons RofeCroix , que chez nous les uns regardent en pitié , & dont les autres ne font qu'un objet d'amufement. C 76 )  efcroc , cupide , confeiller Bonneau , giton avoué au point que le Roi étant Prince de Pruffe alloit coucher avec lui chez fa femme ( c'eft-a-dire chez fa maitreffe a lui Prince de Pruffe ) ; Rietz en un mot, le plus vil &c le plus corrompu des hommes, conduit la maifon du Roi & a grande part a la faveur aulique ; fur quoi il faut noter qu'il eft trèsfufceptible d'être acheté ; mais il couteroit cher ; car il eft avide & prodigue , & fa fortune eft a faire, fi jamais la France avoit befoin de diriger le cabinet de Berlm ; auffi long-temps que le Roi y fera quelque chofe , Rietz & Je Prince Frédéric de Brunfwick font les deux hommes qui fe laifferont amorcer. Une anecdotedu très-bas genre, mais caraétériftique pour qui connoit le pays, eft celle-ci. On a donné ordre aux danfeurs Italiens & Franqois de danfer deux fois la femaine au théatre Allemand. Le but de cette injonclion bizarre étoit de dégouter cette efpece de gens affez chers , & d'avoir un prétexte pour les renvoyer. Ils ont été bien confeülés, Sc ils danferont. Mais voila 1'efprit d'aftuce qui préfide a 1'adminiftration. Elle .traite les affaires comme le théatre. J'apprends a ce moment que M. de Heinitz , miniftre d'état, homme médiocre, mais laborieux, a écrit au Roi une lettre dont voici a-peu-prês le fens.» Etranger, ne « poffédant point de terres dans vos états, mon zele ne r> peut-être fulp eet a Votre 3V1 ajeflé. En conféquence je » dois lui déclarer que la capitation projettée lui aliénera » le cceur de fes fujets, & prouve que les nouveaux ré» giffeurs de fes finances font encore bien peu verfés dans » la chofe publique ». Le Roi lui a dit deux. jours après , je vous remercie, & n'eft entré dans aucun détail. Les demi volontés n'excluent pas 1'opiniatreté ; mais 1'opiniatreté eft loin d'être la volonté. Je ne ferai pas étonné que 1'on laiffat la compagnie du tabac telle .qu'elle étoit. La confidération du gouvernement deviendra ce qu'elle pourra. C'eft une tentative du même genre que celle de M. de Heinitz, qui a*produit la derniere promotion militaire Sc la défaveur du général Moellendorf. \\ a écrit avec une dignité refpeétueufe , mais ferme , contre la nomination du comte de Brülh, ck a prié le Roi de rnarquer moins d'in- r 77 ")  différence pour l'armée; remerciement vague , accdmpagné de ces mots : J'ai promis cette place depuis un an & demi j ck le furlendemain dix-fept majors. Mais c'eft depuis que la froideurpour le général a pris quelques nuances de plus , & que les égards ont été mis a la place de la confiance. Au refte la lettre n'eft pas approuvée ; on trouve qu'il falloit réferver ce coup de vigueur pour une occafion oü il re parut pas perfonnellement intérefle : or c'eft lui que fembloit regarder la place de gouverneur. Le duc de Weimar va faire une chafle de loup trèsfaftueufe fur les frontieres de la Pologne. On ne concilie pas les préparatifs de cette partie de plaifir avec les projets ck les rites d économie. Dour.e eens payfans font commandés; on a envoyé foixante chevaux , huit voitures ou fourgons, lesmahres des forêts, desgentilshommes, des chaffeurs, des cuifmiers pour cette coutfe qui doit durer fix jjours. < Au refte, je fuis maintenant a-peu-pres fur ck que ma feconde verfion relativement a mademoifelle dë Voff eft la vraie , ck que la Reine s'eft amadouée. Le Roi ne fut jamais mieux avec elle ; il la voit beaucoup depuis buit jours; il paie fes dettes ; il lui a donné un concert ; probablement elle a fait de néceifité vertu. II paroit clair que cette liaifon du Roi dérange beaucoup le plan des adminiftrateurs vifionnaires. La familie de mademoifelle deVo/T veut profiter de fon élévation , ck fes confeils n'ont riert de commun avec les favoris aciuels. Bishopfwerder bien loin de gagner du terrein dans fon efprit, en perd. En tin mot la révolution peut venir de la. La chofe publique y gagneroit-elle ? c'eft ce qu'il eft impoffible de déterminer. On ne peut que tourner de ce coté le télefcope , ou plutöt le microfcope; car en vérité nous fommes dans le regne & le pays des infiniment petits. Po(l fcriptum annoncé dans le corps de la lettre. L'adoption des monnoies en Pologne étoit ci-devant comme il fuit. Le mare, poids de Cologne d'argent fin , fe monnoyoit a 13-3 r. ou 80 fl. de Pologne. Quant aux monnoies d'or il n'y avoit que le dticat ( ?8 .)  Be Hollande qui avoit une valeur dénommée , favoir : Aux caiftes royales ils étoient pris pour 16 |k. Dans le public pour 18 k., Pun ck 1'autre taux ftipulés par décrets des diettes. A ladiettede 1786 , le ducat a généralement été élevé a 18 k. piece. _ Le taux de 1'argent ne peut par conféquent plus fe foufenir, ck 1'on affure qu'il a été réfolu qu'on monnoieroit a Pavenir le mare fin a 14 r. ou 84 fi. Mais ceci ne pourra pas fe foutenir davantage; car fi Berlin monnoie a 14 r. la Pologne fera obligée de fupporter a valeur égale de plus grand frais de tranfport. Dans les conjonclures aétuelles, on pourroit donc tirer avec avantage des ducats a 3 r. de la Pologne , fi le taux de 1'argent eft a 14 r. Mais fi la valeur relative de 1'or baiffoit comparativement a celle de 1'argent, on pourroit y achetér avec bénéfice de 1'argent. En général il me femble que les opérations récentes fur 1'or doivent faire penfer a 1'argent, fur-tout en Efpagne , h" eile perfifte dans la folie qu'elle partage avec prefque toute 1'Europe, de vouloir avoir deux monnoies ck retirer fon or. ie. P. S. Le Roi, fuivi d'un feul laquais, ck très-enveloppé , s'eft rendu au magafïn de bied ck a celui des pailles; il s'eft enquis des foldats qui y travaillent, de ce qu'ils gagnoient. — Cinq gros — Un moment après il fait la même queftion aux prépofés: fix gros. — Trois foldats en confrontation , ck la fraude prouvée , un bas-officier ck trois foldats ont été chargés de conduire ces deux hommes a Spandaw. Prifon civile , eft leur procés ; le fait feroit trèslouable. II fort le foir prefque feul, ck s'adonne a des minuties de commiffaire de quartier. Voila du moins trois fois que cela lui arrivé. Quelques entours croient qu'il veut imiier l'Empereur. Après ce qui s'eft paffé entr'eux , ce feroit peut-être la le fymptöme le plus critique d'mcapacité abfolue.  LETTRE LUI. Du 5 Dêcembre 1786. A nouvelle des intrigues que veut réveiller l'Empereur aux Deux-Ponts , ck que notre cabinet a donné ici , paroit avoir produit un très-bon effet fur le Roi , malgré ceux qui s'écrient : Necre de Teucris , adage devenu le mot de ralliement du parti Anglois, Hollandois , anti-Francois , ckc. ckc..,. Eh ! puiflions-ncus nous conduire toujours de maniere a ce qu'ils n'aient jamais que cette injure k nous dire ! Quoiqu'il en foit, cette decouverte déjouera probablement l'Empereur ici & la. II eft bien mal-adroit k lui de ne pas avoir laiffe aggraver davantage la torpeur qui fera le produit infaillible de 1'ennui du travail , ou du cahos du rien faire. Mais je laiffe ces branches extérieures a vos miniftres qui en ont le fil; comme je n'ai fu cette nouvelle que par la voie qui m'apprend toutes les autres; que M. d'Eft* * ne m'en a pas dit un mot; qu'il eüt été mal adroit ck peu décent de queftionner beaucoup fur ufie chofe que je devois favoir , ck qu'ainfi je me fuis contenté de 1'annotation vague de notre loyauté , je ne la fais, ck je ne la faurai probablement pas dans tous fes détails. Vous fentirez peut-être , k cette occafion , combien il feroit important que je fufte mieux inftruit de chez vous. Mais au moins conviendrez-vous que je donne tout ce que je puis ck dois donner, quand je tracé la carte inférieure du pays , puifque je n'ai pas la clef de la politique extérieure, qu'affurément je ne négligé pas, lorfque le hafard m'offre des chances. Crantz , faifeur de libelles , ck chaffé du pays par Frédéric II , pour avoir volé une caiffe , ck vendu un cheval trois fois, eft rappellé avec huit cents écus de penfion. Le Roi a écrit a M. de Hertzberg pour le placer. Ce miniftre répond que eet homme eft plein de talens, ck fort eftimable ; mais qu'il eft trop peu difcret pour pouvoir être employé ( 80 )  Employé dans les affaires étrangeres. Le Roi le propofé au miniftre de Werder qui répond que eet homme eft trésintelligent , très-capable ; mais que chez lui fe trouvent des caiffes , 6k qu'ainfi Crantz n'y peut entrer. Enfin le Roi place 1'illuftre Crantz , par-tout loué & par-tout refufé , auprès des états du pays, qui lui donnent buit cents écus pour ne rien faire. Le miniftre de Schulembourg, après avoir demandé deux fois fa démiftïon, 1'a enfin obtenue , & fans penfion; cela eft dur ; mais eet ex - miniftre eft adroit. C'eft a la première branche qui a été retranchée de fon département, qu'il a remis tout le fardeau. S'il a un moyen de revenir, c'eft bien celui-la. Vous favez au refte ce que c'eft que eet homme de 1'efprit, de la facilité , de la iagacité pour 3e choix de fes co-opérateurs , indifférent fur les moyens , vain dans la profpérité , hors de lui dans 1'iufortune qui le déjoueafon gré , ièrviable,fufceptible d'affecTion, croyant aux amis , après avoir été quittze ans miniftre de Frédéric ÏI; il s'étoit regardé comme inébranlable , paree qu'il étoit néceflaire ; il efpere que la force des chofes furmontera 1'intrigue qui eft parvenue a 1'écarter. Peut-être fe trompet-il; car enfin on trouve long-temps des faifeurs, quand on n'eft pas difficile fur le choix, 8c que la chofe n'eft: pas de foi-même hors de la portee commune. Si les Rois vouloient un Newton , il faudroit bien qu'ils priffent Newton , ou que la place fut vuide ; mais qui ne fe croit pas capable d'être miniftre , & de qui peut-on démontrer qu'il tn eft incapable ? On m'afture de bon lieu que le comte de Hertzberg regagne de la confiance. II a plié devant les nouveaux agens qui ont eu la foiblefle de réchauffer le Roi, paree qu'enfin mademoifelle de Voff eft la niece du comte Finch, & que fa familie ne pouvant tirer parti de fon élévation , qu'en culbutant ceux qui entourent le Roi , & qui n'ignorent pas que la belle les détefte , il faut bien lui oppofer quelqu'un. Encore une fois, fi la demoifelle a de 1'étoffe , c'eft de la que viendra la révolution que plus ou moins d'adreffe hatera ou reculera. Quoi qu'il en foit, M. de Hertzberg a confeijlé au comte de Gcertz de fe ranger Tornt 11, F  du cote de M. de Renneval, de la prudence duquel il a fait au Roi le plus grand éloge. Nouvelle bévue dans le régime militaire. Tous les premiers lieutenans font faits capitaines, ck les capitaines foit en pied , foit en fecond du régiment des gardes, font nommés majors. Je ne vois que la chancellerie de guerre qui gagnera a eet arrangement. On difoit que le Roi veut payer fes dettes perfonnelles ( dont, par parenthefe , on élude plus que jamais la liquidation ) , avec le produit des patentes d'officiers, ck les diplömes de comtes , de barons , de chambellans , ckc. On avoit préfenté au Roi le projet de la capitation , comme une efpece d'abonnement volontaire, au-devant duquel le peuple iroit de lui-même. Mais, averti de la fenfation qu'avoit occafionné ce projet, ébranlé de la rumeur, échauffé par la lettre de M. de Heinitz , il a dit a M. de Werder : II ne faut pas fe meier de ce qu'on n'entend pas ( notez bien que c'eft a fon miniftre des finances qu'il parle ) ; il falloit confulter Launay ( dans les liens d'une commiflïon); M. de Werder s'eft excufé comme il a pu , en difant que le plan n'étoit pas de lui ( en effet il eft de Beyer ) , comme s'il ne fe 1'étoit pas approprié en 1'approuvant. Le directoire général, cette efpece de confeil d'état, oü le Roi n'aflïfte jamais , a projeté des remontrances fur 1'inaétivité hümiliante dans laquelle on le tient; mais M. de "Welner s'y eft oppofé, laifl'ant entrevoir 1'invincible répugnance de Sa Majefté pour toute efpece d'avis: Elle nait de 1'idée bizarre que ceux qui lui en donnent ont fans doute adopté le fentiment de fon oncle fur fa capacité. II ne fait pas qu'on ne hafarde de confeiller , parmi les giands, que ceux qu'on eflime. En attendant, toujours même faveur aux illuminés , dont la confpiration a été dénoncée par le grand perfonnage que je vous indiquai dans ma derniere au général Moellendorf, intime ami du frere de mademoifelle de Voff C homme eftimé par fon caraétere moral, obfeur d'ailleurs, du moins jufqu'ici, mais qui probablement jouera bientót un róle ), afin qu'il effraie fa fceur, ck par elle le maitie  für les attentats d'une fecte qui facrifiera qui elle ne dominera pas. Biefter , le même qui a recu tout au moins Pinfinuation d'épargner les vifionnaires, a , relativement a eux, un procés qu'il perdra , dit-on. Il a accufé de catholicifine un M. Starck, profeffeur de Jena, perfonnage célebre par le don de periüader autant que par 1'efprit Sc les connoiflances; né Luthérien ; miniftre Luthérien &C profeffant a découvert le catholicifme, il n'en interne' pas moins une aftion criminelle a Biefter pour 1'avoir dit &C le fomme de prouver fa calomnieufe aflertion. Sous Frédéric II on n'auroit jamais entendu parler d'un femblable procés. Au refte , le Starck a publié récemment un livre intitulé Nicaife , dans lequel il attaque Ia franc-rnaconnerie. Elle réplique par un ouvrage intitulé anti-Nicaife ,. oü 1'on* trouve des lettres authentiques de plufieurs princes, entr'autres du prince Charles de Heffe-Caffel & du prince Ferdinandde Brunfwick, qui prpuvent très-bien ce qu'on fauroit quand on a caufé avec lui, ne connüt-on pas d'ailleurs fes faifeurs Bauer & Weftfall, qu'un grand général ou plutöt un général renommé, peut être un bien petit homme. Ses états de dépenfe font enfin drefles. II en réfulte que le Roi pourra augmenter fon tréfor de deux millions d ecus & réferver encore une fomme affez confidérable pour fes plaifirs ou fes affeftions. On fuppofe , au refte , dans ce calcul que la recette rendra comme les années précédentes ce qui eft au moins douteux. Une opération paternelle eftd'avoir déchargé les gens de la campagne du logement gratuit de la cavalerie, & de la néceffité de fournir les fourrages a très-bas prix. Cette opération coüte au Roi deux cents foixante-dix mille écus annuels ; mais elle eft de première néceffité; c'eft une fuite du plan Moellendorf pour 1'abolition du vzrd. Les manufcrits du feu Roi ont pour éditeur un M. Mbubnès, dont je vous ai donné autrefois le fignalement politique, & qui, littérairement parlant, eft fans goüt, fans tact, fans connoiffance approfondie de la langue ; mais il eft ami de Welner, de ce Welner a qui le Roi envoie le matin a fept heures les lettres & requêtes de ia veille , &C qui va en rendre compte , ou plutot en décider avec le F x ( Si ï  Roi a quatre heures; car les mini (tres reqoivent les erdres ck ne donnent pas de confeils; de ce Welner qui a le bon efprit de refufer le titre de miniftre , ck qui ne veut être que directeur des bstimens, mais dont toute la cour leche déja les traces. Ces manufcrits vont être imprimés en dix-huit volumes in 8°. Les deux morceaux les plus curieux font rhiftoire de la guerre de fept ans ck mémoires de mon temps. Dans le premier écrit, Frédéric a plutöt raconté ce qu'il auroit dü faire, que ce qu'il a fait, ck cela même eft un trait de génie ; il loue ou excufe a-peu-près tout le monde, ck ne critique que lui. ^ _ Le marquis de Luchefiniqui avoit été , non 1'ami , non le favori de Frédéric , mais fon écouteur, eft trèspiqué, fans le dire , du choix de Moülinés. II a demandé un congé de fix mois pour voyager chez lui, ck fans doute il ne reviendra pas. Comment n'a-t-il pas fenti que fa confidération perfonnelle devenoit immenfe , s'il eüt quitté la Prulle huit jours après la mort du Roi, avec cette unique réponfe a toutes les offres qui alors lui auroient été faites : » Je n'ai ambitionné qu'une place que tous les Rois » de la terre ne peuvent ni m'öter ni me rendre ; celle » d'ami de Frédéric II! On a donné deux fuccefïeurs au comte de Schulembourg; car le Roi de France a quatre miniftres; il en faut vingt a celui de Pruffe. L'un eft M. de Moschwitz , homme de juftice , dont on ne dit ni bien ni mal; 1'autre eft un comte de Schulembourg de Blumbert, beau-fils du comte Finckeftein. II a des connoiffances, une ambition fombre ck ardente, un caraéf ere moral fufpeft; ftudieux, intelligent , appliqué , c'eft affurément un fujet capable ; mais on le foupconne de manquer d'ordre , d'avoir plus de chaleur de tête que d'aftivité, plus d'idées a lui que de dextérité pour les amalgamer a celles des autres & les faire réuffir : il n'a d'ailleurs* aucun ufage des affaires, ck eft abfolument étranger aux fpéculations de banque ck de commerce , c'eft-a-dire , aux principales branches de fon département. ier. P. S. Le Roi, qui paie les dettes de fon pere , a accordé vingt. mille écus pour 1'entretien ck les menus ( U )  plailirs de les deux hls aïnes ; leur mailon elt dérrayee a part. 2.e. P. S. Je ne croyois pas être fi bon prophete. Le frere de mademoifelle de Voffa la place de préfident de Moschwitz : c'eft le pied a 1'étrier. Le cours fur Amfterdam eft fi extraordinairement haut, que nulle opération de finance ou de commerce n'expliquant cette crife, je ne doute pas que 1'on n'y fafle des remifes pour les dettes perfonnelles du Roi. C'eft 1'avis de Struenfée» qui d'ailleurs ne fait rien de pofitif a eet égard. LETTRE LIV. ' 8 Dêcembn if8G. "VoUS pouvez compter que trois nuances forment le caraftere du Roi : la faufleté , qu'il croit habileté ; un amourpropre irafcible a la plus légere repréfentation ; le culte de 1'or, qui chez lui n'eft pas tant avarice que paflïon de pofleder. Le premier de cesvices lui donne de la dériance, car qui trompe par fyftême croit toujoursêtre trompé. Le fecond lui fait préférer les gens médiocres ou bas. Le dernier contribue a lui faire mener une vie obfeure & foiitaire qui renforce les deux autres. Violent dans fon intérieur ; impénétrable en public ; au fond peu fenfible a la gloire , & la faifant confifter prefque entiere a ne pas pafler pour être gouverné ; rarement occupé de la politique extérieure. Militaire, par raifon & non par goüt ; inclinant pour les vifionnaires, non d'après conviétion , mais paree qu'il croit pénétrer par eux les confeiences & fonder les cceurs Voila 1'efquilTe de 1'homme. Ses dettes feront payées avec les réfidus des caifles. Il y avoit annuellement une fomme aflez confidérable que le feu Roi ne faifoit pas entrer dans le tréfor ; elle étoit deftinée a lever des nouveaux régimens , ou a augmenter i'artillerie , ou aux réparations des fortereffec. Orl'artil- F 3 (8* )  lerie n'étoit pas augmentée, on ne levoit pas de regimens nouveaux , les fortereffes n'étoient pas réparées , & 1'argent s'accumuloit; il eft employé a la liquidation. Les revenus font au-dela de vingt-fept millions d'écus t y compris la régie, ou environ cent huitmillions de notre monnoie. L'armée coüte douze millions ck demi d'écus ; 1'état civil deux millions trois eens mille ; la maifon du Roi, de la Reine ck des Princes, un million deux eens mille ; les penfïons , cent trente mille. Je ne connois pas eh détail toutes les autres dépenfes ; mais quand on fait, par exemple, que la caifle .des légations n'abforbe que foixante-quinze mille écus, ck que les fupplémens ne vont, 1'un portant 1'autre , qu'a vingt-cinq mille écus ( fur quoi je remarquerai que le même objet en Danemark coüte trois millions d'écus ; en Ruffie, ce pays prefque étranger a la plus grande partie de 1'Europe trois eens mille rouJoles j , il eft aifé de comprendre que le réfultat de i'excédent annuel de la recette fur la dépenfe eft d'environ trois millions ck demi d'écus. Les manufafturiers ont préfenté une requête, pour fupplier qu'on les avertit fi 1'on méditoit quelques changemens dans les privileges accordés pat le feu Roi ou fes prédécefleurs , afin qu'ils ne fuffent pas expofés a faire desappro•vifionnemens ou a contracter des marchés qu'ils ne pourroient pas rempiir. Frédéric-Guillaume a répondu par fa parole d'honneur de ne rien changer encore a eet état de chofes. J'ai déja dit que le Roi a voulu faire miniftre M. "Welner. On aflure que celui-ci a refufé. C'eft un coup de maitre fous beaucoup de rapports, ck il n'y perd rien ; caron vient de lui accorder une augmentation de trois mille écus, afin qu'il ait la même penfion que les miniftres d'états. Nonfeulement le Roi eft lans confiance pour ceux-ci , mais il affecte de ne jamais leur parler , fi ce n'eft au comte Finekeftein, oncle de la bien-aimée , ou au comte d'Arnim , mêlé dans les négociations du mariage tant defiré , ck trop étranger encore aux affaires pour être foupconné d'un fyftême. Paffer pour en avoir un , fera du moins pendant quelque temps 1'écueil du nouveau Schulembourg qui ^eft au refte étayé d'un caractere très-fort ck d'une ambition r 86)  fort ardente pour le nouveau prehdent a qui 1 on chercne déja des profondeurs de vue que probablement il n'eut jamais; je le crois peu propre a jouerun grand röle. Le lïeur du Bofc devenu confeiller des finances ck du commerce voudroit bien auffi entrer en fcene. U a demandé d'être attaché a la régie, ck 1'a encore obtenu , mais fans une augmentation d'égards. Des fpéculateurs joignent eet indiee a quelques autres pour en conclure quelques diminutions dans le crédit de Bishopfwerderfon proteeïeur: cependant le parti des vifionnaires ne fait plus que croitre & embellir. A dire vrai la multitude des concurrens pourra nuire aux individus. Un des membres les plus zélés ( Drenthal ) eft arrivé récemment ; on n'a plus trouvé de places pour lui chez le Roi ; mais on 1'a mis en attendant chez la PrincelTe Amélie , en qualité de maréchal de cour, avec la prqmeffe de n'être pas oublié a la mort de cette PrincelTe déja finie. ' Un tableau qui peut avancer la connoiffance du nouveau Souverain eft celui des gens diftingués a fa cour. Un vieux: comte (Lendorf) doux comme Philinthe , ferviable comme Bonneau , flatteur déhonté , rapporteur infidele ck calomniateur au befoin. Un prince écolier ( Holfteinbeck ) fumant fa pipe , buvant de 1'eau-de-vie , ne fachant jamais ce qu'il dit, difant toujours plus qu'il ne fait, inceffamment prêt a courir a 1'exercice , a la chaffe , a 1'églife, au bordel , a fouper chez un lieutenant, un laquais, ou la Bietz. Un autre prince ( Frédéric de Brunfwick ) connu par les foins qu'il prit pour déchonorer fa foeur ck fur-tput fon beau-frere aujourd'hui Roi; liberfm fous celui qu'on difoit Athée ; illum'mé fous celui qu'on croit dévot, ftipendiaire des loges maconniques ( il en recoit annuellement fix rniüe écus), déraifonnant par fyftême , ck rendant pour les fecrets qu'il arrache un amas de demi-confidences , moitié inventées , moitié inutiles. Une efpece de capitaine infenfé (Grothaus) qui a tout vu , tout eu, tour fait, tout connu ; ami mtime du prince de Galles, favori du Roi d'Angleterre, appellé par le congrès pour en être préfident fous la condition de conquérir le Canada , maitre a volonté du Cap de BonneEfpérance , feul en mefure pour arranger les affaires de la Hollande , auteur , danfeur, voltigeur, coureur, agro- ( 87 )  nome, bótanifte , medecin , chimifte , & par état Iieutenant-colonel Pruflien avec fept eens écus d'appointemens. Un miniftre ( le comte d'Arnim } quirêve au lieu dedécider, fourit au lieu de répöndre , difcute au lieu de penfer , regrette le fcir la liberté qu'il a facrifiée le matin , 8c voudroit être tout-a-ia-fois parefleux dans fes terres ck miniftre en réputation. Un prince régnant (le duc de "Weimar ) qui ie croit de 1'efprit , paree qu'il rencontre des rebus; fin , paree qu'il fait femblanr d'étouffer des faillies; philofophe, paree qu'il a trois poëtes a fa cour ; maniere de héros, paree qu'il court a bride abattue contre les loups Sc les fangliers. D'après de pareils favoris, jugez de 1'homme. Voulez-vous apprécier fon goüt par fes divertiflëmens } Jvfardi eft le grand jour oü il a été goüter les plaifirs de 1'efprit au fpecTacle Allemand. II y a recu en grande pompe un compliment dramatique, qui finit par ces mots : <. Que » la bonne providence qui récompenfe tout, les grandes Sc » bonnes aftions, bénifle & conferve notre très-gracieux »> Roi , eet augufte pere du peuple ; bénifle 8c conferve » toute la Maifon Royale; bénifle 8c conferve nous tous. » Amen. » Le Roi a été fi vivement enchanté de cette tournure dramatique , qu'il a ajouté mille écus au cinq mille qu'il donnoit a 1'entrepreneur, 8c lui a fait prélënt de quatre luftres & de douze glacés , pour orner les loges. Des farcafmes fans nombre fur le théatre francais ont accompagné cette générofité. Graces militaires. Trois eens écus de penfion au capitaine Colas, renfermé pendant vingt-huit ans dans la citadelle de Magdebourg. Grade de lieutenant-général a M. de Borck , gouverneur du Roi, agé de quatre-vingt-deux ans. Graces de cour. Clef de chambellan , envoyée a eet extravagant baron de Bagge , qui véritablement a remis cent louis a Bietz, 8c quarante a celui qui lui a prélenté ce don de la munificence royale. On a infinué a Sa Majefté qu'elle avoit mécontenté la bourgeoifiea fon retour de la PrufTe; l'armée , depuis le premierjour de fon regne; Ie direftoire-général, en le rendant nul; fa familie, en étant poli fans confiance; les prétres, par le projet d'un troifieme mariage; les ftipendiés, par la fuppreflion de la régie du tabac; la cour, par la confufionoule retarddesétats. ( 8S )  de dépenfe ; 8c qu'ainfi il feroit peut-être imprudent, quant a prélént , d'accepter la ftatue propofée par la ville de Kcenisberg , dans un moment d'effervefcence. Voulez-vous un indice de ce que devient la confidération extérieure ? Les Polonois ont refufé palTage aux chevaux de remonte , venant de 1'Ulkraine; vou* imaginez bien que ce refus n'a jamais eu lieu fous Frédéric II. M. de Hertzberg a prétendu avoir requ des lettres écrites en France contre lui, par le Prince Henri. 11 les a montrées au Roi qui n'a rien répondu. J'ai de la peine a croire qu'il n'y ait pas la une fraude quelconque. Je fais a quelles perfonnes le Prince écrit en France , 8c , indépendamment de toute bonne foi , M. de Hertzberg ne les intérefie afïurément pas. Quoiqu'il en foit, on murmure que MM. de Hertzberg 8c de Blumenthal vont obtenir leur retraite ; que Ie dernier fera rempiacé par M. de Voff; 8c le premier, qui s'eft cru trop néceffaire pour être pris au mot,^zr un homme qui étonnera tout le monde ( c'eft a ce qu'on affure la phrafe du Roi). Hertzberg a des connoiftances de publ:«fte 8c d'archivifie , paree qu'il aune mémoire prodigieufe ; il fait un peu d'agriculture pratique ; d'ailleurs violent, four gueux , plein de vanité , s'énoncant comme il conc.oit, c'efta-dire , avec peine 8c confufion ; défireux , 8c non capable de faire le bien qui donne de la réputation ; vindicatif, plus que haineux , fujet aux préventions, 8c même alois aux tours d'adrefte pour deffervir; fans dignité , fans féducTion , fans moyens. Blumenthal eft un caiffier fidele , un miniftre ignorant, ambitieux par réminifcence , 8c pour plaire a fa familie , plein de refpeéf. pour le tréfor qu'il met fort au-deffus de 1'Etat, 8c d'indifférence pour le Roi qu'il a plus que négligé, lorfqu'il étoit prince de Pruffe. On a öté un impöt fur la biere qui rendoit cinq eens cinquante mille écus; il fera fuppléé , dit-on, par une augmentation furies vins; mais les vins font déja trop chargés, 8c ne pourroit porter furcroit. Les frais de cette partie de la régie fe moment a vingt mille écus ; foixante-neuf employés font congédiés , 8c gardent leurs appomtemens jufqu'a ce qu'ils foient remplacés. ïer. P.S, Le comte de Tottleben, (Saxon) nommé C 89 -)  major dans le régiment d'Èbben , y a été précédé par une lettre qui porte qu'on 1'y envoie pour apprendn le fervice. L'équivoque eft plus fenfible en allemand qu'en francois. Le régiment a écrit en corps au Roi : fi c'eft pour nous inflruire qu'on nous envoie M. de Tottkben , nous n'avons pas mérite , & nous n'endurerons pas cette humiliation ; ft c'eft pour s'inftruire, Une peut pas fervir comme major. Les uns prétendent que 1'affaire eft déja arrangée; les autres qu'elle aura des fuites. Le capitaine Forcade, qui étoit autrefois un favori du Prince de Pruffe , ayant été rappellé il y a un mois au fouvenir du Roi, celui-ci lui a dit: Qu'il m'écrive ce qu'ildéftre. Forcade a demandé le bonheur d'être a fa fuite ; le Roi a répondu : je n'ai pas befoin d'oftftckrs inudles ; ils ne j'ervent qu'd faire de la poujftere. ie. P. S. Je vous ai envoyé le dernier courrier quelques combinaifons monétaires fur la Pologne ; en voici deplus abfurdes encore relativement au Danemarck. Le Danemarck a adopté , fuivant fa loi , le titre de fes monnoies a 11 i écu pour lé mare fin de Cologne, & paie cependant depuis plufieurs années le mare fin 13 julqu'a 14 écus; dont il n'exifte en Danemarckaucune piece de monnoie d'argent, & toutes les affaires fetraitent en notes de banque, dont la valeur n'eft jamais a réalifer. Lorfque le mal commencaaparoïtre Schimmelmann voulut y remédier; il fit frapper des écus efpeces, dont 9 3 pieces contenoient un mare fin ; &t calcula qu'un écu efpece faifoit autant qu'un écu 9 r|5 fois courans lubs ; le fait eüt été certain fi 1'argent courant avoit exifté a / / i pour mare ; comme il ne s'en trouvoit point, chacun prenoitvolontiers les écus efpeces a un écu 9 fois courans; mais perfonne ne voulant donner un écu efpece , pour 1'écu 9 fois courans, il en ré« fulta que tous cesbeaux écus efpeces furent fondus : Aöuellement que le mal elf très-grand, on veut répéter cette même opération de la maniere fuivante. i°. On frappe des écus efpeces , d'un mare fin 9 \ piece. 2°. Oncrée des notes de banque qui doivent reprélënter les écus efpeces, & qui doivent être réalifées en efpeces. 30. On veut fixer par une ordonnance la valeur de ces .( 90 )  écus efpeces en courant; & comme on n'apufefirer d'afTaire au taux de 1'écu 9 fois, on a 1'intention de haulTer le prix. Si donc le courant acluel du Danemarck , c'eft-a-dire , les notes de banque n'ont point de valeur réelle , mais que leur valeur confiftedans la balancedu paiementde ceroyaume, fuivant qu'elle eft pour ou contre le Danemarck, cette opération eft auffi abfurde que la précédente , car fi la banque donne fes efpeces contre la valeur idéale du courant, . elle 'fe défait de fes écus efpeces , lefquels paffent aucreufet, ck 1'ancienne confufiondemeure telle qu'elle a exifié , ou de- ; vient peut-être encore plus extravagante par la nouvelle créa- | tion des notes de banque en efpeces, qui ne pourront également pas être réalifées en peu de mois. 3e. P. S. Le nouvel établiffement de la banque d'efpeces' paroit encore obfcur. On veut frapper 1,400,000 écus en efpeces pour lefquels 1'argent doit être a Altona. Il y a eu de grands débats dans le confeil d'état entre Ie Prince d'Auguftembourg ck le miniftre d'état, Rofencrantz; Ie premier veut que 1'efpece foit frappée a Altona, ck le dernier endemandelafabrication a Coppenhague. On dit que le Miniftre veut pour ce fujet donner fa démiffion. II doit être créé des notes de banque pour la valeur de ce 1,400,000 écus. Cette banque doit échanger lesvieilles notes de banque Danoife , contre ces nouvelles notes de banque, fuivant un taux déterminé. Si ce taux, comme il eft vraifemblable , fe trouve audeffous du cours de change , ce feroit un joli jeu d'acheter a&uellement des notes de banque pour les convertir enfuite en efpeces. LETTRE LV. Du 12 Décembre 1^86. La véritable raifon pour laquelle le duc de Weimar eft fi fêté , c'eft qu'il s'eft chargé de faire agréer a la Reine le mariage de mademoifelle de Voff. La Reine en rit &£ dit : « On aura mon conlèntement, mais on ne  r 1'aura pas pour rien, Sc même il coötera cher». En tffet on paie fes dettes, qui paffent cent mille écus , Sc je crois qu'elle ne fe bornera pas la. Pendant que le Roi de PrutTe dirige toutes fes penfées vers ce mariage, il me paroït clair que l'Empereur, s'il eft capable d'un plant raifonnable , convoite deux femmes, la Baviere Sc la Siléfie ; oui, la Siléfie! car je ne penfe pas que tous les mouvemens fur le Danube foient autre chofe que le domino de cette mafcarade ; mais ce n'eft pas la oü il commencera. •Tout me démontre (& croyez que je commence a connoitre cette partie de 1'Allemagne ) qu'il fe tiendra fur la défenfive du cöté de la Pruffe , 8c la laiffera s'épuifer en efforts , tandis qu'il pouffera librement du cöté de la Baviere : ce n'eft probablement qu'après cette immenfe acquifition qu'il s'occupera des moyens de ravoir la Siléfie. Je dis qu'il pouffera fa pointe librement; car , de bonne foi , que ferons-nous ? Omettons les cent mille Sc une raifon d'inaction ou d'impuiffance que je pourrois alléguer , & iüppofons-nous agiffans , nous prendrons les Pays-Bas, & lui la Baviere ; le Milanez , 8c lui 1'Etat de Venife , Quoi de tout cela fauvera la Siléfie ? & bientót après la puiffance Pruflienne Les fautes de tous fes voifins la fauvcront. II croulera , ce grand édifice de féerie ; il croulera , ou fon gouvernement fubira une révolution ! Au refte , le Roi paroit fort tranquille fur les futurs contingens II fait batir prés du nouveau Sans-Souci, ou plutöt réparer Sc meubler une jolie maifon qui appartenoit autrefois a milord Maréchal. Elle eft deftinée a mademoifelle de Voff. La princeffe de BrunfVick a demandé une maifon a Potsdam ; le Roi lui donne celle qu'il habitoit comme Prince Royal, Sc la fait meubler a fes frais. II eft clair que cette princeffe moribonde , criblée de la maladie de David , Sc confumée d'ennui, fera la dame d'honneur de mademoifelle de Voff. Dun autre cöté, on a payé les dettes de la Reine douairière, de la Reine régnante , du Prince Royal devenu Roi, de quelques complaifans Sc complaifantes ; Sc fi 1'on ajoute a ces fommes les penfions données, lesmaifons montées, les charges recréées, cela ne laiffe pas que d'aller haut. Voila comme on peut-être prodigue fans fe montrer ( 9* )  Auffi n'ai-je pas prétendu dire qu'il n'y eüt pas quelques officiers braves 6c intelligens au fervice de Saxe. II en eft deux fort diftingués, par exemple, M. Thielcke , capitaine d'artillerie, que Frédéric a voulu ck n'a pas pu attirer en lui offrant une place de lieutenant-colonel, ck deux milie écus d'appointemens ; ck le Comte de Bellegarde qui paffe pour un des plus habiles officiers du monde. Mais ce ne font pas ceux-la qu'on attire : on n'a confulté julqu'ici dans toutes les préférences faxones , que le n'oble mérite du dé- 2;énéreux ! Ajoutez a eet article que le Roi a donné a MM. 'Blumenthal, de Gaudi ck de Heinitz, miniftres d'état , chacun un bailliage. C'eft une maniere de faire un préfent d'un millier de louis. A propos du dernier de ces miniftres, le Roi a répondu a plufieurs employés au département des mines , qui fe font plaints de paffe-droits, que dorénavant il n'y aura plus de rang d'ancienneté. II a terminé i'affaire du Duc de Mecklenbourg , avec quelques légeres modiflcations. II a recu a miracles le général comte de Cakkreuth , celui qui a été l'aide-de-camp ck le principal faifeur du Prince Henri, qui s'eft brouillé avec lui a outrance pour la Princeffe , ck que Frédéric II tenoit éloigné pour ne pas trop rompre en vifiere a fon frere. C'eft un homme de très-grand mérite ck un officier de première ligne; mais l'affeftation avec laquelle le Roi 1'a diftingué me paroït dirigée contre fon oncle. Peut-être y entre-t-il auffi de 1'envie de fe raccommoder avec l'armée. Mais fi M. de Briilh perfifte a. prendre non-feulement fon grade qui lui eft accordé , mais fon rang d'ancienneté qui recule tous les généraux , ck Moellendorf a la tête, je crois que le méeontentement eft irrémédiable. Tout cela eft a-peu-près égal pendant la paix, & peut-être même cela le feroit-il d'ici a un an a ia guerre ; mais dans un plus long efpace de temps, on recueillera ce qu'on a femé. C'eft un étrange calcul que de mécontenter une excellente armée par des faveurs ck des diftincfions militaires pour une race d'hommes toujours fi médiocre a la guerre. C 93 )  vouement a la fecte, ou la recommandation de Bishopfwerder. P. S. J'ai oublié de vous dire que M. d'Efï* * avoit, a ma priere , adreffé a M. de Vergennes la propofition d'appeller M. de la Grange. II fera bien digne de M. de Calonne de lever les difficultés d'argent que ne manquera pas de faire M. de Br**. LETTRE LVI. Du 16 Décembre 1786. L A faveur du Général Comte de Kalkreuth continue. C'eft un objet d'obfervation ; car fi elle eft durable , fi 1'on tire parti de eet homme profondément habile , fi on lui deftine quelque place importante , le Roi n'eft donc pas ennemi de 1'efprit; il n'eft donc pas jaloux de toute réputation ; il ne prétend donc pas éloigner tout homme d'un mérite conftaté. Les vifionnaires n'ont donc pas le privilege exclufifde fa faveur ck de fa confiance. Toutes ces induéfions font , je crois, au moins prématurées, & bien que Kalkreuth ait été jufqu'ici le feul officier de l'armée auffi diftingué , bien que luimême en ait concu des efpérances, bien qu'il foit en prémière ligne, Moellendorf s'étant mis a la tête des frondeurs, ce que ne lui pardonnera pas le Roi; Pritwitz n'étant qu'un foldat brave ck inconfidéré, ridicule écho de Moellendorf; Anhalt un infenfé ; Gaudi a-peu-près impuiffant par fa grofleur, ck terni d'ailleurs par fon défaut de valeur perfonnelle qui avoit fait dire a Frédéric II : Cefl un bon profeffeur ; mais lorfqu'il faut que les enfants rèpètent la legon , il ne s'y trouve jamais , fes autres émules, trop jeunes ck trop peu expérimentés pour être fes rivaux ; malgré tout cela , dis-je , j'ai peine a croire que le principal reftbrt des diftindions du Roi n'ait pas été 1'envie d'humilier le Prince Henri. Du moins je fuis lié avec Kalkreuth que j'aï paflablement conquis aux revues de Magdebourg; j'ai lieu C 94 )  Encore une fois , comment, fi 1'on öte a la fociété maritime fes plus fruétueux monopoles, donnera-t-elle le dix pour cent d'un capital de douze eens mille écus ? Quand ua édifice dont le faïte eft fi fiaüt 8c la bafe fi étroite ie trouve élevé , il faut , avant que d'en démolir une partie, bien avifer aux étais que 1'on s'eft ménagés. Au refte , le Roi a déclaré qu'il rendroit tout le commerce parfaitement libre , de croire que je fais tout ce qui s eft paffe entre le Roi 8c lui , 8c je n'y vois non-feulement rien de concluant, mais rien qui promette beaucoup. Le Roi maintient fa capitation. Elle fera fixée , dit-on , felon le tarif fuivant. Un lieutenant-général ou un miniftre , ou veuve d'iceux , douze écus ou environ , quarante-huit livres de notre monnoie; un Général major, ou un Confeüler privé, dix écus; un Chambellan , ou Colonel, huit; un Gentilhomme , fix; un Payfan poffeffionné dans les bons cantons,trois;undemi-payfan(lepayfanpoffeftionné a trente arpens, le demi-payfan, dix), un écu douze gros; dans les contrées pauvres , un payfan , deux écus; le demi-payfan , un. Le café re payera déformais qu'un gros la livre , 8c le tabac autant. Au refte , le directoire général a recu 'a eet égard un mémoire fi fort de chofes , que , bien qu'anonyme , la lecture légale en a été faite ; après quoi il a été protocolé pour être envoyé a 1'adminiftration du tabac , afin d'en vérifier certains faits. Cette démarche a paru fi hardie , que quatre miniftres feulement ont figné le protocolé, MM. de Hertzberg, Arnim , Heinitz 8c Schulembourg de Blumberg. Les marchands députés de la ville de Koenigsberg ont écrit que fi le fel demeuroit entre les mains de la compagnie maritime, il étoit inutüe qu'ils vinffent a Berlin ; car ils ne pourroient que porter des doléances , fans favoir que propofer : on affure , en conféquence , que la fociété maritime perdra le monopole du fel. Cette nouvelle eft au moins très-prématurée. C'eft un article bien important que celui des fels, 8c Struenfée , qui a employé tout fon talent a fe 1'affurer, y a fi parfaitement réufïï, qu'il débite jufqu'a cinq milliers de lafts de fel ( vingt-huit muids font neuf lafts. ) C 95 )  fi 1'on trouvoit une maniere de ne lui faire perdre aucun fe* venu. Ne voila-t-il pas un plaifant bienfait ? Je crois entendre dire a un homme couvert d'ulceres « je confens » a recouvrer la fanté, pourvu que vous ne m'appliquiez » aucun remede , ck que vous ne m'aftreigniez a aucun n régime ». C'eft une munificence a-peu-près pareille que celle qui rendra la liberté aux marchandifes de France , en leur faifant payer de très-gros droits , dont le produit fera appliqué a 1'encouragement des manufaétures que 1'on croira fiifceptibles de rivalifer avec les étrangers. J'ignore fi le Roi croit accorder par-la un grand bienfait au commerce ; mais je fais que d'un bout de 1'Europe a 1'autre la contrebande eft devenue un fimple commerce d'affurances , k plus ou moins modique prix , felon les circonftances locales, ck qu'ainfi-un gros droit équivaut a une prohibition. Le Roi a ordonné un dénombrement de fes fujets , nonfeulement pour connoïtre leur nombre , mais leur age ck leur fexe. C'eft probablement fur ce dénombrement que porteront les changemens projetés dans le militaire; mais on fait combien dans tous les pays du monde les dénombremens font fautifs. Une opération tout autrement délicate ck qui fuppofe un plan général ck une grande fermeté, c'eft celle d'impofer les terres nobles. On commence a en laifler tranïpirer le projet, & les confeillers provinciaux ont recu ordre de donner des éclairciflemens qui paroiflènt tendre k ce but; je croirai k une telle révolution quand je la verrai. •• Les faits ifolés font moins importans pour vous que la connoiftance intime de celui qui gouverne. Tous les caracieres de foiblefie fe réuniflent a ceux que je vous ai décnts tant de fois. Déja 1'on emploie 1'efpionnage, on accueille les délateurs , on fe courrouce contre les défaprobateurs, on éloigne , on repoufle les hommes vrais. Les femmes feules confèrvent le droit de tout dire. II y avoit derniérement un concert particulier oü aflïftoit dernere un paravant ia Hencke ou Rietz ; ( vous favez que c'eft une feule & même perfonne ). On entend du bruit a la porte; un valet-de-chambre 1'entr'ouvre ; il y trouve la pnn-  teffe Frédérique de Pruffe ; & mademoifelle de Voff. La première fait figne de ne rien dire; le valet-de-chambre dé» fobéit; a l'inftant le Roi fe leve & fait entrer les deux dames. Quelques mirjutes après dn entend affez de bruit derrière le paravent. Le Roi paroit embarrafle. Mlle. de Voff demande ce que c'eft : fon royal amant répond : Ce font mes gens. Cependant les deux dames avoient quitté le jeü de la Reine pour cette belle équipée. Le Roi en plaifaritoit le lendemain devant une dame du palais , qui dit: la chofe efl vraie , Sire ; mais il feroit d défirer quelle ne le fut pas. Une autre lui difoit 1'autre jour a table i mais Sire ^pourquoi . donc ouvre-t-on toutes les lettres d la pojle ? Cela efl trèS' ridicule & très-odieux. On lui difoit encore que la comédie allemande qu'il protégé beaucoup n'étoit pas bonne. » D'accord , a-t-il réi> pondu; mais cela vaut mieux qu'un fpeftacle francjoisquï » rempliroit Berlin de coquines, ckcorromproitlesfnceursw. Vous conclurez de-la fans doute que les comédiennes Alle— mandes font des Lucreces , & fur-tdut vous admirerez' lx morale du prote&eur des mceurs j qui va fouper dans la maifon de fon ancienne maitreffe , avec trois femmes, & fait de fa fille une complaifante. II ne s'occupe pas plus de politique extérieure que s'il ne pouvoit lui furvenir aucun orage. II parle avec éloge de l'Empereur ; des Franeois i toujours en f icanant ; des Anglois $ avec refpecT. Le fait eft que eet homme paroït rien ^ moins que rien , & j'ai peur qu'on ne s'exagere les diverfions qu'ori peut faire en fa faveur. Je noterai a ce propos que Ie Duc des Deux-Ponts nous échappe , mais il fe refferre a la ligué Germanique , qui eft teliement exaltée ^ qu'elle croit en vérité pouvoir fe paffer de nous. Dieu fait fous 1'étendard dé quel chef ils ont acquis cette préfomption ! Une anecdote dont vous ne fentirez pas toute la fdreë , faute de connoitre le pays , eft pour moi vraiment pröphétique. Le prince Ferdmand a touché les cinquante mille écus qui lui revenoient par le teftament du Roi , fur une" fimple ordonnance de Welner, concne ainfi : » Sa ma~ ii jefté m'a donné ördre de bouche de faire compter a vc» tré Alteffe Royale cinquante mille écus qui feront p'ayé£ ü a elle ou k fon ordre , fur telle caiffe , a vue de cê Tome II, G C 97 )  » mancat. w ELNER ». Un acquit cotnptant de cinq;ianté mille écus, figné d'un autre que du Roi, efl; une monftruofité dans 1'ordre politique Pruflien ! Soyez béni fi vous faites la banque, car c'eft la feule reflburce de finances qui ne foit pas horriblement onéreufe; c'eft la feule machine a argent qui fera recevoir , au lieu d'emprunter difficilement ck chérement; c'eft le feul pilotis fur lequel le miniftre des finances , puifle, dans les circonftances aftuelles, bafer fon exiftence. Struenfée , qui eft plus fur fes étriers que jamais; paree qu'il faut bien qu'il foit le profefleur du nouveau miniflre , me charge de vous dire que probablement le Roi acquerra pour plufieurs millions d'actions , fi on veut envoyer a lui Struenlée une note fur 1 organifation de la banque, d'après laquelle il puiffe faire fon rapport & fa propofition. A propos de Struenfée , avec qui je fuis tous les jours plus lié , il me charge de vous dire que le changement a Paris de la commandite pour l'extraftion des piaftres fera vigoureufement baiffer votre change , ck voici fon raifonnement pour le prouver. » Les répréfentations de la bmque de Saint-Charles , » pour conferver les fournitures de la cour , fur le pied » d'une commiffion de dix pour cent, ont échoué entié» rement. Elle n'a pu les conferver que fur le pied d'une w entreprife , & aux conditions propofées par les gremios , r> c'eft-a-dire a un intérêt de fix pour cent pour 1'avance » des fonds. » Cette même banque vient de changer de commandite » a Paris , pour l'extraftion des piaftres ; elle a fubftitué » la maifon le Normand a celle de le Coulteux. Comme » la première ne jouit pas encore d'un crédit auffi étendu » que cette derniere, bien des gens prévoient que la banque » Efpagnole fera dans la néceflité d'y verfer plus de r> fonds. » En attendant, celle-ci s'eft trouvée dans une détreffe » extréme. Voulant liquider fes comptes avec la maifon Ie » Coulteux ck d'autres maifons de France , elle avoit befoin »» d'une fomme de trois millions de livres de France. Pour y .» fatisfaire, elle s'eft adreffée au gouvernement , ck a récla»> mé foixante millions de réaux qui lui étoient dus. Celui- ( 98 )  * c.i ayant decline fous différens pretextes de payer , h r> banque a déclaré qu'elle fe trouvoit infolvable, & qtt'elle » alloit rendre fa fituation publique. Ce moyen a eu fon ef» fet; le gouvernement eft venu a fon fecours, ck il a donné » des affignations pour vingt millions de réaux, payables" » chaque année. » LETTRE L V II. Du /g Décembre iy86. L E fpectacle que le prince Henri avoit promis de donnetIe lundi a été enfin repréfenté hier au foir pour Ia première fois. Le Roi y eft venu , contre 1'attente du Prince , ck s'y eft beaucoup amufé. Je 1'ai fortobfervé , comme vouspouvez le croire. C'eft incontefiablement la coupe de Circé qu'il faut lui préfenter pour le féduire , mais plutöt remplie de hierre que de tokai. Une remarque affez curieufe, c'eft; que le prince Henri s'amufoit pour fon compte perfonnel , ck n'avoit pas la plus légere diftraftion, foit d'attention , foit de politique. Tous les miniftres diplomatiques y ctoient, mais j'y ai foupé feul d'étranger ; ck le Roi qui , en tout, le fpeclacle fini, a été fort guindé, fi ce n'eft lorfque les guculées dü prince Frédéric de Brunfwick lui önt arraché on éclat de rire, m'a fait une mine plus que froide. On 1'échauffe fans ceffe de propos que 1'on me prête , ck mes liaifons les plus fimples lui font préfentées comme offenfives pour lui. Certes j'en fuis tout confolé. Je ne note que pour décrire au jufte ck fans charlatanifme mon état de fouation. II eft vrai que M. de Hertzberg a penfé quitter fa place : fcn voici 1'occafion. II avoit annoncé 1'arrangement promis au duc de Mecklenbourg , ck cependant rien ne s'expédioit. Impatien.té, ck 1'impatience eft chez lui toujours brutale , il dit un jour au directoire général: » Meffieurs , il » faut aller au plus vite; ce n'eft pas ainfi que les affaires s'ex» pédient. Get état ne peut marcher qu'avec de 1'aftivité >>,. G 2 (99 )  On a rendu compte au Roi de cetteapoftrophe vehemenfe ƒ il a vivement gronde Ton miniftre , qui lui a mis le marché a la main. M. de Blumenthal a raccommodé les chofes, dit-on. A propos du duc de Mecklenbourg , le Roi, en recevant fes remerclmens fur la reftitution de fes bailliages, lui a dit: Je ri ai fait que mon devoir; life{ la devife de mon ordre ,fuum cuique. ( Les Pok nois avoient mis au-deflbus, lur le poteau deslimites, rapuit. Je doute que Frédéric Guillaume donne jamais lieu a une pareille épigramme ). Un fait très-remarquable au refte pour 1'hiftoire du cceur humain , c'eft qu'a propos de divers retranchemens faits a ce Duc , fur tout ce qui lui avoit été promis, quelqu'un repréfentanr au Roi qu'il ne feroit pas content, eh bien ! a dit celui-ci, U faut lui donner encore le cordon jaune, Sr en eftët on Ie lui a donné hier. De ce moment le glorieux Duc a trouvé parfaitement bien Parrangement des bailliages, 8* c'eft en conféquence qu'il a remercié. Voulez-vous prendre une idéé affez jufte de la maniere de vivre dans ce noble tripot appellé la Cour de Berlin. Faites quelque attention aux traits fuivans , & fongez que fen pourrois accumüler quatre eens de cette efpece. — La PrincelTe Frédérique de Pruffe a dix-neuf ans ; fon appartement eft ouvert a onze heures du matin. Les Ducs de "Weimar, de Holftein , de Mecklenbourg tous libertins mal élevés , y entrent & en fortent deux ou trois fois dans la matinée. — Le duc de Mecklenbourg, racontoit je ne fais quoi au Roi. Le prince de BrunlVick marche affez gauchement fur le pied a un témoin , pour lui faire appercevoir ce qu'il croyoit ridicule. Le Duc s'intenompt. »> Je crois , Monfieur , que vous vous moquez de moi, — & il continue fon difcours au Roi; puis il s'interrompt encore. -> » Je reconnois , M., depuis long-ten s » votre langue de vipere. Dites devant moi ce que vous » avez a dire de moi, je répondrai » : autres propos in- terrompus; puis * Lorfque je ferai parti , Sire, le Prince » m'habillera joliment. Je prie votre Msjefté defe rappeller » de ce qu'elle vient d'entendre *. Ce même prince Frédéric eft, comme je vous l'ai tant répété , un chef d'illuminés. II en difoit des horreurs au baron de Knyphaufen. » Mais, Monfeigneur, lui répond eclui-ci, vous paffezpour ( »oo )  *> le Pape de cette églife. — Cela eft faux. — J'ai trop » bonne opinion de vptre altefle, pour la croire d'une fedte » qu'elle défavoue: ainfi je lui promets de dire par-tout »> qu'elle méprife trop les illuminés, pour en être, Sc cela » rétablira fa réputation Le Prince bat la campagne & détourne les chiens. — Un courtifan , un grand maréchal d'une cour demande une place promife a cinq afpirans , je lui dis : mais fi ton a des engagemens ? — Cela ntfait rien aujourd'hui, reprend-il gravement ; on commence depuis un mois d ne plus tenir les paroles données. — M. Welner , véritable auteur de la difgrace de M. de Schulembourg, ya le voir, le plaint, Sc lui dit: » vous avez trop de mérite » pour n'avoir pas beaucoup d'ennemis: — moi, Mon« fieur, dit 1'ex-miniftre , je ne m'en connois que trois : » le prince Frédéric, paree que je n'ai pas voulu placer » fon chafleur; M. de BishoptVerder , paree que j'ai ren^ » voyé un de fes protégés; Sc vous, je ne fais pourquoi Welner fe met a pleurer, Sc lui jure que la calomnie s'acharne contre lui de toutes parts. >► Les pleurs, lui dit M. de * Schulembourg, ne conviennent pas entre hommes , & » je ne puis vous en remercier..... » En un mot, tout eft defcendu au petit, comme tout étoit monté au grand. On allure que Pon rend la liberté du commerce du fel & de la cjre aux marchands de PrufTe. Je ne puis pas vérifier ce fait aujourd'hui, Struenfée fera trop occupé pour fon courrier; mais fi cela eft , la fociété maritime qui perd en même temps le café, le tabac , & probablement le boi<, ne peut pas foutenir plus long-temps un fardeau de dix-huit pour cent au moins, qu'aucun commerce fuivi ne donne , & que M. de Schulembourg n'a probablemer* foulevé luimême avec des privileges exclufifs fi frucTusu':, .;a'en brouillant les caifles; de forte que les bénéfices d'ua objet couvroient le déficit de 1'autre. Quant aux manufaciures de foie que Pon parle de jetter a bas, je n'y vois pas le plus léger inconvénient. La gn> tification annuelle de quarante mille rixdalers ( ou eet t cinquante mille livres ) répandue fur les entrepreneurs de Berlin , jointe a la prohibition des marchandifes étrangeres , ne leur fuffira jamais pour foutenir la concurrence ; Sc comme je vous 1'ai expliqué ailleurs, les manufaéturiers eux-mêmes G 3 C ioi )  font la contrebande, laquelle fournit plus d'un tiers des étoffes confommées même dans le pays; car il eft aifé de comprendre qu'on préfere les étoffes plus belles, moins claires ck meilleures, a celles que le monopole veut con7 fraindre d'acheter. Ce n'eft pas que les matieres premières coütent plus chef au Berlinois qu'au Lyonnois. II les tire de la même fource, ck ne paie point le fix pour cent d'entrée auquel le Lyonnois aft affujetti. D'un autre cpté Pouvrier Allemand travaille avec plus d'attention que Pouvrier Francois, ck fa main-d'ceuvre n'eft guere plus chere que celle du Lyonnois : celui-ci recoit feize fois de facon pour une aune de taffetas , ck celui-la dix-fept fois fix deniers pour une pareille longueur de même étoffe, ce qui fait a peine un ck demi poür cent fur le prix de 1'étoffe évaluée a cinq livres 1'aune de France. Le manufacTurier de Berlin a de plus, par une foule de combinaifons locales de commerce que j'ai févérément calculées, un avantage de trente pour cent fur le manufacturier de Lyon, a la foire de Francfort fur 1'Oder; ck cependant il ne peut fputenir la concurrence, foit par la faute du gouvernement, foit par celle de Pouvrier indigene , ou de Pentrepreneur ignorant. A qupi donc fervent ces atteliers ruineux , car enfin il n'y a, pas moins de mille fix eens cinquante métiers , 'tant a Bejlin qu'a Poftdam , Francfort ck Kcepnic. Mais il s'en faut bieii que le produit de ces métiers équivaille au produit d'un même nombre de métiers a' Lyom Un ouvrier Berlinois fait tout au plus anriüellement les deux tiers de 1'ouvrage que fait Pouvrier Lyonnois.' Sur ces 1650 métiers, on peut en compter environ 1200 de taffetas, étoffes brochées , velours ckc. : le refie appartient aux fabriques de gazes, qui produifent annUellement environ 980000 aunes de Berlin (1'aune de France eft un trois quarts de felle de Berlin ). Les 1200 métiers d'étoffes ne produifent environ que 960000 aunes, ce qui fait eri tout 1,940000 aunes. Tous les métiers réunis confomment environ 114000 livres de foie grége ^töonces la livre (vous favez que 76000 livres pefant d'étoffes emportent 114000 livres pefant de foie brute). II fe fabrique encore a Berlin 28000 paires de bas de foie , ce qui confomme environ 5000 liv. de foie giége. C'eft priocipakment a fabriqusr des bas qu'on emploie la foie (102 >  LETTRE LVIII, Du 23 Decembre 1786". Ma demoiselle Hencke ou Madame Rietz, comme on voudra la nommer, a demandë au Roi de vouloir bien enfin fixer fon fort, ck de lui donner une terre oü elle put fe retirer. Le Roi lui a offert une maifon de campagne a quelques lieux de Poftdam : refus décidé de la belle , & le Roi a fon tour ne veut pas entendre parler de la terre. II efl: difncile de dire quel incident produira ce conflit de cupidité ck d'avarice. En attendant, la paftorale continue dans toute fa force , on a donné plufieurs fois lries de Cajiro au théatre allemand ( d'après la piece angloife, ck non d'après la notre ). Au quatrieme afte le Prince répète avec ardeur tous les fermens de fidélité a la dame d'honneur. C'eft a chaque repréfentation le moment qu'a choifi la Reine pour quitter le fpeétacle. Eft-ce 1'effet du hafard ? Eft-ce intenlion marquée ? C'eft ce qu'on ne peut déterminer- d'après le G 4 du pays, qui eft réellement d'une qualité fupérieure a celle du Levant; mais dans les états Pruffiens on connoit fL, peu l'art de la filer , qu'elle ne peut être employée que difftcilement dans les étoffes. Au refte, les fabricans de bas s'en fervent avec d'autant plus d'avantage, qu'étant a bon marché , ck d'une qualité forte, elle forme des bas qui méritent la préférence fur ceux de Nimes ck de Lyon, attendu que dans ces villes on ne fe fert que de foie de rebut pour eet objet. On fait annuellement dans les états Pruffiens des huit a douze mille livres de foie ; ck il s'y trouve affez de müriers pour en faire trente mille livres. II n'y a pas la de quoi établir une concurrence redoutable au Roi de Sardaigne. La commiffion a écrit a de Launay qu'elle n'avoit plus rien a lui demander; en conféquence il s'eft adreffé au Roi pour avoir la permiflion de partir, & le Roi lui a répondu : » Je vous ai dit de demeurer ici jufqu'a la fin de la com» miffion ». II y a la de part ou d'autre aftuce ou tyrannie. r 105)  paraftere turbulent. Si verfatilie, mais non pas très-foihle ' fle cette Princeffe. Lorfque (on beau-frere , le Duc de Weimar, eft arrivé , le Roi lui 3 fait 1'accueil le plus gracieux, ck peu-a-peu il s'eft refroidi jufqu'a la glacé. On conjeclure qu'il a mis de la tiédeur ou de la mal-adreffe dans fa négociation avec la Reine au fujet du mariage, lequel, au refte, n'eft rien moins que décidé. On achete a Potldam deux maifons de particuliers; on les meuble avec toute forte de magmficence. A quoi bon, fi 1'on doit époufer ? Ne peut-on pas loger fa femme dans fon chateau? Notez, a propos de ces arrangemens, que le Roi envoie en France un fleur Paris, fon valet-de-chambre, pour y payer fes dettes, ck y faire les emplettes néceffaires a ces maifons nouvellement acquifes ck confactées a 1'ampur. * Au refte, la familie de Mademoifelle de VofT, qui la preffoit il y a quatre mois de partir , ck d'aller époufer, en Siléfie, un gentilhpmme qui la demandoit, eft aujourd'hui la première a dire que 1'hymen royal projetté feroit ridicule , ck même abfurde. En effet, les fuites peuvent en être fort dangéreufes; car fi le dégout fuccédoit a la jouiffance ^ ce qui s'eft vu quelquefois ), Mademoifelle de Voff parfiroit avec une penfion; au lieu que dans fa qualité de favorite, elle peut faire rapidement fa fortune, celle de fa familie , ck du bien a fes créatures. Quoi qu'il en foit, c'eft a prcjetter des bergeries pour le féjour de Potfdam que fe paffe le temps, ck 1'on pourroit adreffer, finon comme la Hire a Charles VII, ces mots: # Je dis, Sire, qu'il ejl impoflible de perdre un Royaume flus gaument; du moins ceux-ci : il ejl impojjible de le rifquerplus tendrement, Mais quelque tranquillité qu'on af|ec\e, il eft des démarches ck des projets qui, fans alarmer, car le Roi certainement eft valeureux, occupent. Le voyage de l'Empereur a Cherfon , la déclaration très-brufque ck très-formelle de la Ruffie a la Ville de Dantzig, le camp de quatrt=vingt mille hommes projetté en Bohème pour amuler le Roi de Naples, font au moins des objets de dif^raftion , fi ce n'eft d'oblervation : on doute d'ailleurs que l'Isppératrice aille en Crimée, Potemkim ne voulant pas  la rendre rérrioin de 1'incroyable mifere du peuple ck de l'armée , dans ce jardin nouvellement acquis. Le découragement du miniftere de Berlin va toujours en croiflan't. Depuis deux mois le Roi n'a pas travaillé avec Un feul miniftre. Cela augmente leur torpeur Sc leur pufillanimité. La décadence de M. de Hertzberg s'achemine , & celle de M. de "Werder commence. Le Roi s'étourdit fur tout cela ; jamais on ne porta plus loin la manie de régner par foi-même fans rien faire. On parle de fubftituer une taxe fur les maifons, a lacapitation ; je commence a croire que ni 1'un ni 1'autre de ces impöts n'aura lieu. On veut fe rétraéter avec honneur , s'il eft poflible , 8c les avis des préfidens de prpvince en fourniront le prétexte. II eft d'autant plus extraordinaire que 1'on fe foit acharné a cette capitation , que fous le Roi Frédéric-Guillaume Ier. on en fit i'eiTai, ck qu'il fallut y renoncer dès la feconde année. L'armée Pruffienne fait une nouvelle acquifition , dans le genre de celles dont on 1'enrichit depuis quatre mois : c'eft le Prince Eugene de Wirtemberg. Jl a commencé par Un libertinage exceflïf; il s'eft diftingué enfuite dans le métier de caporal fchlag, Sc en pprtant la févérité de la difcipline jufqu'a la férocité. Tout cela ne lui faifoit pas une grande réputation : il fut a Paris, Sc fe précipita dans le baquet de Mefmer , profefla enfuite le fomnambulifme , & continua par une pratique fuivie des accouchemens. Ces différentes mafcarades accompagnoient 8c couvroient le véritable objet de fon ambition &i de fa ferveur , qui eft d'accréditer la feéte des illuminés , dont il eft un des chefs les plus enthoufiaftes. On vient de lui donner ur» régiment qui le rapproche de Berlin. Sa fortune ne lui permet pas d'y vivre tout-a-fait; mais fa pofition lui permettra d'y faire des courfes , & il fera utile aux peres de la nouvelle églife. Ardent, fingulier ? aétif, il parle comme une pythoniffe ; il entraïne par une élocution forte & extatique ; des yeux quelquefois hagards , toujours enflammés , une phyfionomie profondément émue ; c'eft en un mot un de ces hommes que les hypocrites ck les jongleurs mettent en avant avec fuccès. ( ï05 )  ( ioJS ) 23 , d midi. Je viens d'avoir une converfation trés a fond ck prefque fentimentale avec le prince Henri , . . 11 en eft au découragement le plus complet, foit pour lui, foit pour fon pays. II m'a confirmé tout ce que je vous ai mandé , tout ce que je vous mande. Torpeur dans les opérations ; trifteffe a la cour ; ftupéfaction des miniftres ; mécontentement univerfel. On projetté peu ; 1'on exécute moins encore. Quand on dit que les affaires languiffent, on donne gravementj pour raifon que le Roi eft amoureux , ck que la vigueur de 1 adminiftration tient a la foibleffe de mademoifelle de Voff; qu'il eft bien ridicule de fuipendre ainfi les affaires de tout un royaume , ckc. ckc. Le directoire général, qui devroit être un confeil d Etat, n'eft qu'un bureau d'expéditionnaires pour le courant. Si les miniftres font une propofition, on ne leur répond pas ; s'ils repréfentent, on leur donne des dégoüts. Ce qu'ils devroient faire eft fi loin de ce qu'ils font, que 1'aviliffement de leur dignité occafionne des réflexions défagréables. Jamais on ne produifit plus vite une opinion publique que Frédéric-Guillaume , dans un pays oü il paroiffoit n'en pas exifter le germe. Le prince Henri ne voit nul remede aux vices de 1'intérieur ; mais il n'eft pas inquiet pour le dehors, paree que le Roi eft aujourd'hui tout-a-fait décidé pour la France , ck plus encore fans confiance pour les fauteurs du parti Anglois Prenez bien garde que ceci eft la verfion du prince , a laquelle au refte je ne fuis pas éloigné de croire , fi nous ne gatons pas nos propres chances. Au refte , ce que les papiers publics annoncent des voyages du prince Henri eft fans fondement. Quelques velléités pour Spa ck la France ; nul projet arrêté. Une efpérance vague qui ne peut mourir , malgré les coups qu'on lui porte , le retiendra a Rheinsberg, les années fe fuccéderont \ \s moment du repos viendra ; 1'habitude 1'enchainera dans fon glacial chateau , qu'il vient d'augmenter & de rendre plus commode. Joignez a ces différentes caufes un carac-  .tere nul, une volonté inftable comme les nuages , des jncommodités fréquentes , ck une chaleur d'imagination qui 1'épuife. Ce qu'on detire fans fuccès tourmente plus que ce qu'on exécute avec peine. On va nommer un fecond miniftre en Siléfie. Un feul efl; une efpece de Vice-Roi; il eft dangereux , dit-on , de voir par les yeux d'un feul. Diyide & impcra. C'eft encore a cela qu'ils en font en politique. Le prince Frédéric de BrunfVick intrigue prodigieufement contre le prince Henri ck le duc fon frere; on ne fait ce qu'il veut, mais il veut, ck cela lui donne une certaine importance envers cette tourbe fi nombreufe qui ne conqoit pas qu'un prince méprifable 1'eft plus qu'un autre homme. II ne peut-être, ni durablement utile , ni le moins du monde , foit agréable , foit eftimable ; mais dans teüe circonftance donnée il pourroit être un efpion néceflaire. LETTRE LIX. Berlin , 27 Décembrc 1786. O N parle d'une grande promotion dans laquelle feront compris le prince Henri ck le Duc de Brunfvick , comme feld-maréchaux, mais le premier dit qu'il ne veut pas être feld-maréchal. II s'eft toujours oppofé a ce que le duc le fut fous Frédéric II , qui ne vouloit pas conférer ce grade aux princes de fon fang. Cette alternative de hauteur & de vanité, aidée même de fa ridicule comédie, ne le menera pas loin. Ii compte partir au mois de feptembre pour les eaux de Spa ; vifiter enfuite nos provinces méridionales, & de-la fe rendre a Paris oü il paffera 1'hiver. Tels font fes projets actuels, ck c'eft une affez grande probabilité qu'il ne fera rien de tout cela. Le Roi a déclaré qu'il ne placeroit perfonne qui eüt déja des fonctions chez les princes. C'eft la probablement ce qui a fait fortir le comtè Noftitz de chez le prince Henri. Ce comte eft une efpece fort étrange. ( T07 ~)  D'abord envoyé en Suede oü il fe fit le chef de quek ques miniftres du fecond ordre ; mécontent des loix féveres de Pétiquette , il vécut inauffadement dans une place qu',1 exerqa fans talens. A fon retour il fe fit nommer 1'un des g?ntilshommes pour accompagner le Prince Royal en Raffie , & oublia de demander fon agrément. On le regarda comme un furveillant incommode ; on le produifit avec économie; de-la humeur , plaintes, murmures. Le feu Roi 1'envoya en Efpagne oü il acheva de difTiper fon bien. Les négocians d'Embden & de Koenisberg demandent que les Efpagnols diminuent les droits fur je ne fais quelles marchandifes. Le comte Noftitz follicite, négocie, & bientót écrit que le nouveau tarif ejl tout d Cavantage des fujets Pruffiens. Le Roi fait remercier la cour d'Efpagne. Heureufement le comte Finckeftein qui n'avoit pas recu le tarif, fufpend les remercimens. Le tatif arrivé. Les négocians Pruffiens étoient plus chargés qu'auparavant. Fureur du Roi, nppel fubit de Noftitz; il arrivé a Berlin fans fon bien qu'il avoit diffipé , fans fa confidération qu'il avoit perdue , fins efpoir pour 1'avenir. Le prince Henri le recueille dans im palais , afyle ouvert a tous les mécontens; il y refte dix-huit mois, öf s'y montre ce qu'il avoit été par-tout ailleurs : efprit de travers , immoral, plein de difgraces , ne fachant point écrire, ne voulant point lire ; vain comme on fot, colere comme un dindon , étranger a toute efpece de- place , paree qu'il n'a ni principes, ni féducTion, ni 1'imieres. Tel que le voila , eet infipide mortel, véritable héros de la Dunciade, fera nommé dans quelques jours, miiiiftre pour l'éleftorat de Hanovre. Qn dit , pour excufer ce choix bizarre, qu'il n'y a rien a faire dans ce pofte; mais pourquoi envoyer un homme la o\i il n'y a rien a faire ? Madame Rietz , celle des maitreffes qui a réfifté le mieux a 1'inconftance des hommes & aux intrigues de la garderobe , a demandé modeftement au Roi le margraviar de Schvedt pour retraite , & quatre gentilshommes pour faire voyager fon nis, comme un rils de Spuverain. Cette hardieffe n'a pas déplu au Roi qui avoit été bleffé de la demande d'une terre. II a trouvé fans doute qu'on le refpectoit beaucoup , puifqu'on lui faifoit des propofuions fi honorables. j C 108 )  Ses anciens arnis ne peuvent plus obteniruneminure d'audience; les portes font d'airain pour eux. Mais un comédieri appellé Marron, maintenant aubergifte a Verviers, eft venu folliciter fa proteétion. II a choifïle moment oü le Roi menton en voiture. Sa Majefté lui a dit: plus tard , plus tartL II attend, le Roi revient, le fait monter dans fes appartemen% caufe avee lui un quart-d'heure , prend fa requête &- lui promet ce qu'il demande Non jamais , jamais legoüt des petites gens ne s'émouflcra , ck les valets feront tout. AufS donne-t-on publiquement a Welner le fobriquet de Vict~ Roi, ou de peut Roi. Le véritable a écrit au général de la gendarmerie £ de Pritwick)que plufieurs de fes officiers jouoient lesjeux de hazard ; que ces jeux étoient défendus ; qu'il renouvelloit les défenfes, fous peine, la première fois , d'aller a la fortereffe ; Ia feconde , d'être caflés. L'avis & la menace étoient pour le général lui-même , qui a perdu beaucoup d'argent avec le duc de Mecklenbourg. On affiire que le duc de Brunfwick fera ici du 8 au 15 Janvier. Mais Archimede lui-même demandoitun pointd'appui, & je n'en vois a Berlin d'aucune efpece. On y a des Velléités & pas une volonté , & les velléités même y font incohérentes, contradi&oires , précipitées. On n'y fait pas,on n'y faura pas délier un chainon après 1'autre , ni fur-tout mettre la coignée au pied del'arbre parafite ck vorace; car c'eft 1'agriculture qu'il faut encourager, fur-tout dès que Poa renonce a preflurer le commerce , dont 1'oppreflion a jufqu'ici fait venir de 1'or ^ graces a la fituation des états Pruffiens ; ck comment encourager 1'agriculture dans un pays oü la moitié des payfans eft attachée a Ia glebe , comme en Poméranie s en Pruffe ck ailleurs ? Une grande opération feroit de divifer les domaines royaux en petites fermes , comme ont fait en Angleterr? depuis fi long-temps les feigneurs terriërs. Ce font la de ces chofes qui importent beaucoup plus qne tous les régiemens de commerce ; mais il y a t. » t d'intéreffés au contraire ck une fi forte habitude de fervage , qu'il faudrok • des têtes , une énergie & une fuite dont je ne vois pas même le germe ici, pour effayer de ce régime. U y faudroï? auffi plus de luniieres qu'il n'y en aura de long-temps , poaf ( 100 j  croire qu'il n'y a point de ville , point de provihce qu;nê confentït de grand cceur a payer au Roi beaucoup plus que ce qu'il en retire de revenu net , s'il vouloit la laiffer fe cotifer pour eet efFet, en furveillant pourtant toujours la maniere dont fe feroit cette cotifation, pour que les magiftrats & la nobleffe n'opprimaffent pas le peuple, ck qu'alors tous les fujets gagneroient les trois quarts des frais de perception , & l'affranchiffement de toutes les gênes indignes que la légiflation fifcale d'apréfent leur impolë. Encore faut-il bien penfer que Ce n'eft pas ici comme chez nous, oü le fond , la maffe de la richeffe nationale eft fi grande , graces a 1'excellence du fol ck du climat, a la correfpondance des parties, &c. ckc. qu'on peut faucher d'auffi prés que 1'on veut , pourvu que 1'on he faffe pas des fourneaux pour bruler la terre , qu'il ne faut que diminuer les frais de perception ; qu'aucun autre allégement n'eft néceffaire ; que même on peut prodigieufement impofer encore pourvu que 1'on impofebien. . . . Ici, ck fauf deux cu trois provinces au plus , la bafe eft li étroite, le fol fi infécond , fi noyé , fi avarié , que c'eft a 1'autorité tutélaire a faire la plus grande partie de tout ce qui peut réconcilier la nature avec eet enfant difgracié ; il n'y a pas jufqu'a la divifion desdomaines, cette opération fi féconde en reffources de tout genre , qui exigeroit les plus fortes avances; car les atteliers de 1'agriculture font peut-être ceux de tous a qui les bras fuffilënt le moins : indépendamment de ce grand point de vue , la force militaire , qu'il faut coniidérer ici oü i'on n'a pas des Pyrénées , des Alpes , des fleuves, des mers pour remparts, ck oü avec fix millions de fujets on veut ck 1'on doit a un certain point avoir deux eens mille hommes armés. Or il n'y a plus a la guerre que le courage , de 1'obéiffance , ck 1'obéiffance eft une idéé innée chez le payfan ferf; de forte que la plus grande force de cette armée eft peut-être que le lien féodal concourt avec le lien militaire. Indépendamment de cette confidétation vafte que je développerai ailleurs, ce n'eft donc pas le tout que de faire comme tel ou tel feigneur Ruffe ck Polonois, ck de dire: Je vous affranchis ; car les ferfs diroient ici comme la : Grand merci de votre aftranchiflcment , nous nen voulons pas , ou même de ( "0 )  leur diftribuer des terres gratuitement ; car i!s diroïent Que voule^-vous que nous en fajjïcns ? On ne peut étabür des propriétaires & des propriétés que par des avances, & des avances coütent ; & puifqu'il y a fi peu de gouvernement qui fache femer pour recueillir, celui-ci necommencera pas. II ne paroit pas probable que 1'aurore de la faine économie politique luife ici. II eft a-peu-près public maintenant que M. le comte d'Eft** part au mois d'avrilpour la France. Je laiffe a votre délicateffe & a votre juftice a prononcer fi je puis refter ici le furveillant d'un chargé d'affaires. On pourroit m'en donner en fon abfence les fonSions, que je n'accepterois affurément pas fous un miniftre par intérim , & cela n'exigeroit même que la fimple précaution d'accréditer fecrétement ; mais comme on ne le fera pas, vous fentez que c'eft: une nouvelle & très-forte raifon pour partir vers ce ternpsla. lis fe connoiffent mal en hommes , ceux qui voudroient ne faire de moi qu'un nouvellifte, & fur-tout ceux qai efpéreroient m'y faire confentir tacitement ou non. P. S. Le comte de Mafanne, fervent illuminé, eftgrandmaitre de la maifon de la Reine. Welner a foupé avanthier avec elle * a la place d'honneur, c'eft-a-dire, vis-a-vis d'elle. S'il fe livre aux defirs de cette indecente vanité , \\ fera bientót perdu. LETTRE LX. Du 30 Déccmbre 1786. y jA journée d'hier eft mémorable pour un obfervateur. Le comte de Briilh , étranger catholique , prenant fon rang dans l'armée Pruflienne, a été inftallé dans fa place de gouverneur , & la capitation a été intimée. Cette capitation fi hautement refpuée , maintenue avec tant d'opiniatreté , démontrée vicieufe dans le principe, impoflïble dans 1'exécution, ftérile dans Ie produit, annonce tout a la fois la honteufe nullité du direftoire général qui s'y eft ( iü )  bppofé halitement, & le fouverain crédit d'un fubalterné qui a réfiflé a fes chefs. Comment fuppofer que le Roi a été trompé fur 1'opinion publique, dans une opération. fi univeffellement blamée ? Comment 1'excufèr , puifque fes miniftres même Pont averti qu'il alloit éloigrier , peutêtre pour jamais, dès les premiers mois de fon avénement, le titrede Bun-Aimt, qu'il a tant defiré ? Voila tout au moins la douteufe aurofe d'un regne nébuleux / La Reine n'tft pas contente de ce choix de M. de Brülh. Elle ne 1'eft pas davantage de 1'économie de fa maifon ; aufli recommence-t-elle a refaire des dettes. Elle n'a, pour toutes fes dépenfes quelconques, que cinquante-un mille écus. II eft difficilë qu'avec une fomme aufli modique e'.le' concilie fes befoins réels , fes goüts généreux & fes hombreux caprices^ Ses yeux fermés fur les amours du Roi, lont ouverts fur le défordre de fon intérieur. Avant-hier il n'y avoit point de bois pour les cheminées de fes appaftemens. L'intendant de fa maifon pria celui de la maifon du Roi de venir a fon fecours. Le dernier s'excufa fur la petite quantité qui lui en feftöit. D'oü vient eet indécent défordre ? Dé ce que Pétatde cönfommation arrêté par le feu Roi ^ fuppofe la Reine & fes enfans a Potfdam. Depuis fa mort perfonne n'a penfé au fupplétfient néceflaire. Ces anecdotes fi futiles en elles-même proüvent affez bien a quel point eft portee la nonchalance St le défaut de combinaifon. On attendoit le Comte de Brülh , pour monter la maifon des Princes. Comme il eft criblé de dettes, & niiné cn U qualité de noble Saxori * il a fallu que le Roi fit paycr une fomme de vingt mille écus a Drefde , pour fatisfaire f« dettes criafdes. On eft fort partagé fur fon compte. La ten e chofe dont on convienne unanimement, c'eft qu il eft du troupeaii des élüs ( vifionnaifes) , & qu'il jo»« Itfa-ll ej violon. Ceux qui l'ont connu il y a qüinw ans, texiaucnf fur fon amabilité. Ceux qui le connoiffent de ptilS traiche date fe tailent. Ceux qui ne le connoiffent point du tout, difent que c'eft le plus aimable des hommes. Sonéteve 10Urit quand on le vante.... Au refte, c'eft, aflure-t-on, le grand duc de Ruffie qui 1'adonné , & qui compte le prendre auffi-töt qu'il pourra. , Le Prince Royal vaudra bientót la peine d'être obferve* ' Ce ( 112 )  Ce n'eft pas feulement paree que fon grand-onclea tiré rori horofcope dans ces termes : 11 me recommencera ; car il në vouloit peut-être que fignaler fon mépris pour Ie Roi actuel. C'eft par tout ce qu'on annonce en lui du earaéterebeau4 mais diigracieux ; giuche , mais doué de phyfionomie ; impoli, mais vrai ; il demande le pourquoi de tout; il ne fe rend jamais qu'a un pourquoi raifonnable ; il eft dur Sc tenace jufqu'a la férocité ; Sc cependant il n'eft pas incapable d'affeftion Sc de fenfibilité. II fait déja eftimer Scméprifer. Son dédain pour' fon pere tient de la haine , Sc il le diftïmule affez peu. Sa vénération pour le feu Roi tient de 1'idolatrie, Sc il 1'affiche : peut-être ce jeune homme a-t-il de grandes deftinées ; Sc quand il feroit le pivotde quelque révolution mémorable, les hommes qui voient de loin n'en feroient pas furpris. Launay part enfin , Sc je crois, graces uniquement a la peur qu'ont les miniftres, ou plutót Welner, que le Roi, «lans un moment d'ennui ou d'embarras , ne le reprenne. On ne lui a donné fon congé qu'a condition qu'il abandonneroit vingt-cinq mille écus d'arrérages qui lui font dus fur fon traitement. C'eft une efcroquerie honteufe. On exige fon ferment qu'il n'emporte aucuns papiers relatifs a 1'Etat. C'eft la de la pitoyable foibleffe ; car que vaut un tel ferment ? II peut vous donner des notes utiles ou plutöt curieufes; eet homme eft d'ailleurs rien , moins que rien; ilne fe doute pas de^ élémens de fon métier; il a 1'élocutionembrouillée , les idéés confufes; en un mot, il ne pouvoit jouer un röle que dans un pays oü il n'avoit ni juges, ni rivaux. Ce n'eft pas , au refte , un homme méchant , comme on le dit; c'eft un homme très-foible Sc très-vain, voila tout. II a fait le métier de bourreau , fans doute ; quel financier ne le fait pas ? Mais oü eft la juftice de demander compte des tortures que le bourreau a exercées en vertudes arrêts dont il étoit 1'exécuteur ? II vous prédira des déficits dans les revenus , Sc iln'aura' pas tort ; mais ce qu'il ne vous dira pas peut-être , Sc ce que je crois très-vrai, ce que les principes d economie , confervateurs de ce pays , font déja fenfiblement ahérés. Le fervice eft plus cher , les maifons des Princes pius nombreufes, 1'écurie mieux montée , les penfions plus multiphées Tome 11, H ( »3 )  les arrangetnens plus coüteux , les appoinïemens des miniftres étrangers a-peu-près doublés, les mceurs plus élegantes, ckc. La plupart de ces dépenfes étoient néceflaires. Le mal eft qu'on ne longe pas a augmenter en proportion le revenu , par les moyens lents, mais vraiment producïifs, ck qu'on paroit ne pas tabier fur les déficits , ce qui fera en derniere analyfe un mécompte immenfe ; de forte que fans guerre, un long regne qui fuivroit le régime aftuel, pourroit venir a bout du tréfor. Ce n'eft point une prodigalité faftueufe qui exciteroit des murmures, & cpntrafieroit avec 1'avarice perfonnelle du Roi, que 1'on doit craindre.C'eft un écoulement infenfible, mais continuel. Jufqu'ici le mal eft peu confidérable , ck ne frappe perfonneïans doute; mais je commence a avoir 1'enlemble du pays dans la tête, ck je vois cela plus diftincTement que je ne le puis dire. Le feu Roi étoit dans 1'ufage de donner tous les ans, Ie 24 décembre, des préfens a ïes freres cc fceurs; cela formoit en mafte une fomme d'a-peu-près vingt mille écus; le Roi neveu les a fupprimés. Une habitude de quarante ans avoit accoutumé les oncles a confidérer ces dons gratuits comme une rente ; ils ne s'attendoient pas a donner les premiers 1'exemple de 1'économie, ou plutöt a en fervir. Au refte , fidele a fa manierede faire des préfens, le Roi a gratifié du cordon jaune le duc de Courlande. Ileftdifficile de proftituer plus indignement fon ordre. A cette lefinerie du métal, a cette proftitution de la monnoie morale , on peut oppofer des exemples d'une facilité affez prodigue. La maifon du juif Ephra'im avoit fait payer a Conftantinople deux eens mille écus pour le compte du Roi, pendant la guerre de fept ans. Cet argent étoit deftiné a corrompre quelques Turcs, ck le but iut manqué. Frédéric II a toujours remis le paiement de cette fomme. Son fuccefléur 1'a fait rembourter hier aux héritiers d'Ephraïm. Un Sellier, créancier de cinquante ans du feu Roi, qui n'a jamais voulu payer fes dettes de Prince R oyal, démande au Roi acïuel une fomme de trois mille écus. II met au bas de la requête : Payt^a Cinftant a fix pour cent. Le duc de Holfteinbeck va enfin a Koenigsberg commander un bataillon de grenadiers. J'ai peint ailleurs ce C in )  prince infignifiant, qui fera jeune homme a foixante ans 4 & ne fera jamais ni mal aux ennemis de 1'Etat, ni biert a fes amis particuliers. LETTRE L XL Du x Janvier 1787. L E Roi vient de doriner fori ordre k quatre de fes iu?ets. L'un eft le garde de fon tréfor ( M. de Blumenthal ) , miniftre fidele , mais obtus; Pautre de fon grand écuyer ( M. de Schwerin ) plat bouffon fous le feu Roi, homme nul toute fa vie , brouillon , inepte, auquel on a commence * fous le nouveau regne , par öter le foin des écuries; le troifieme eft (on gouverneur agé de quatre-vingt ans, éloigné depuis dix-huit; fans talens, fans fervices , fans dignité , fans eftime pour fon éleve ; Sc c'eft peut-être la première marqué d'un fens droit qu'il ait donné ; le dernier qui n'eft pas encore déclaré, eft le comte de Brühl, récompenfé ainfi par des décorations a la fuite de dons plus effectifs, avant d'être entré en exercice. Quelle proftitution d'honneurs! quelle proftitution , dis-je, car la prodigalité feule eft urte proftitution.' Parmi les autres graces, on diftingue un prêtre vifionnaire, prédicant, effronté, couché fur 1'état des gratifications pour deux mille écus; le baron de Boden, ren'oyé de Gaffel, efpion de police a Paris, connu a Berlin pour voleur , filou , fauffaire , capable de tout, excepté de ce qui eft honnête , & dont le Roi lui-même a dit: c'eft un eoquin , décoré de la clef de Chambellan ; des penfions fans nombre a des êtres obfcurs ou infames ; les académiciens Welner ik Moulinés , nommés directeurs des finances de i'académie. Toutes ces faveurs annoncent^ un prince fans tad , fans délicateffe, fans eftime de lui-même ni de fes dons, fans foin de fa gloire, fans égard pour 1'opinion, auffi propre a décourager ceux qui font quelque chofe, qu'a enhardir ceux quine font rien , ou oi= que non»  Le mépris public eft le digne falaire de toutes ces ceuvrtfsJ II pointe tous les jours davantage. On n'en eft déja plus a cette efpece de ftupeur qui le précède. On étoit d'abord étonné de voir le Roi fidele a la comédie, fidele au concert, fidele a fon ancienne maitreffe, fidele a la nouvelle, trouvant des heures pour voir des eftampes, des meubles, des boutiques de marehands , pour jouer du violoncelle , pour s'inftruire des tracafferies des dames du palais, & cherchant des minutes pour ecouter les miniftres qui agitent fous fes yeux les intéréts de l état. Maintenant on s'étonne fi quelque fottife d'un genre neuf, ou quelque pêché d'habitude n'a pas confumé une de fes journées. Aujourd'hui ont paru les nouveaux uniformes inventés par le Roi. Cet enfantillage militaire, préparé pour le jour oü les hommes ont Ie ridicule ufage de fe donner en fpectacle , confirme 1'opinion que le Souverain qui y attaché tant d'importance , a ce genre d'efprit qui fait croire que les parades font quelque chofe Le cCeur vaut-il mieux que 1'efprit ? On commence a en douter. Le comte Alexandre de Wartenfleben, ancien favori du Roi acluel, mais pour lui a Spanda-w, appellé du fond de la PrufTe a Berlin , pour commander les gardes , vient d'être placé a la tête d'un régiment a Brandebourg , & perd a cet arrangement cent louis de penfion que lui faifoit le Roi étant Prince Royal. Cet officier franc & véridique eft étranger a la fecTe en faveur; & après avoir langui clans une efpece d'oubli, finit ainfi par un traitement qui n'eft ni difgrace , ni récompenfé. On prend affez généralement cela pour une preuve déplorable , que le Roi ne fait du moins ni aimer ni haïr. On a perfuadé a mademoifelle de Voff qu'il étoit plus généreux de défendre une fottife a fon amant que d'en profiter. C'eft ainfi qu'on nommoit publiquement ce mariage qui fut devenu te fujet d'un reproche éternel, lorfque 1'ivreffe de la paffion auroit été amortie. La belle deviendra donc riche , comteffe , fouveraine peut-être des volontés de fon amant, mais non pas fon époufe : fon influence au refte peut amener de grands changemens, &, dans un autre pays rendroit le comte de Schulembourg ( gendre du comte Finckcftein) miniftre principal. II le conduit très-habilement C Hé )  pour s'atracher Struenfée qui lui apprend fon métier avec une fi grande clarté , que le comte croit le favoir. II a d'ailleurs 1'efprit exercé , de 1'aptitude au travail, de 1'ardeur , de la fuite & de 1'énergie : aidé de fon faifeur , il ne trouvera de difficultés, a rien , & c'eft la ce qu'il faut a ce Ko:-ci, dont 1'ame eft foible & lache , comme il le falloit a. 1'autre toujours infpiré par le fentiment de fa fupériorité : on n'en a pas un befoin fi grand pour régner fur des topinamboux. Le mémoire contre la capitation qu'ont figné MM. de Hertzberg, de Heinitz , d'Arnim & de Schulembourg, finit par ces mots : « cette opération qui alarme toutes les clafies y> de vos fujets, efface dans leurs cceurs le furnom de Bienn Aime', & glacé le courage de ceux que vous avez ap» pellés dans votre conleil ». Struenlée a de fon cöté fait parvenir deux pages de chiffres qui démontrent les mécomptes qui fe trouveront infailhblement dans la perception. MM. de Werder , Gaudi, & probablement Welner , s'obftinent, & le Roi qui n'a ni la force de réfifter au grand nombre , ni celle de reculer , n'ofe pas encore prononcer. II part le 15 février pour Potfdam, oü il fe propofé, dit-on , de demeurer le refte de 1'année , excepté le temps des voyages en Siléfie & en PrufTe P. S. Le foir. Le Roi 3 nommé aujourd'hui a 1'ordre Ie duc de Brunfwick feld-maréchal. C'eft aflurément le premier de fes choix qui lui ait fait honneur, & tout le monde a approuvé qu'on eüt fait une promotion pour ce prince feul. 2 Janvier. L'envoyé de Hollande m'a jetté dans un grand embarras, & un étonnement qui n'eft pas rnoittdfe. P m'a demandé nettement fi j'approuverois que 1'on travaillat a me faire accréditer pour traiter avec madame la princeffe d'Orange a Nimègue. Si me tromper pouvoit Ie conduire a quelque chofe , j'aurois pu croire qu'il vouloit me faire parler. Mais cëtte phrafe -a eté accomgagnée de tant de détails, tous vrais & de bonne foi, de tant de confidences de tout genre, d'une férie d'anecdotes fi raifonnées & fi décifives, que j'ai pu être embarraffé a expliquer cette H l ( ii7 )  efpece de lubie , mais non pas douter de Ia candeur^ au miniftre. Après cette première confidération j'ai héfité fi je vous en parlerois , dans la crainte que 1'on ne m'imputat la préfomption d'avoir voulu rivalifer avec M. de R*** i mais outre que mon chiffre paffe fous les yeux de mon fage ami avant de tomber dans les mains du Roi ou de fes miniftres, ck qu'ainfi je fuis für qu'il ne iaifferoit pas ce qui pourroit me compromettre inutilement, je n at pas cru qu'd put être de mon devoir de taire une ouverture d'un genre fi fingulier, (Se que je dois ajouter me réferant d'ailleurs a de plus grands détails après la longue conférence que j'aurai avec lui demain matin , c'eft que fi la France n'a pas d'arriere penfée , ck ne veut qu'affoibür le Stathouder , de maniere a ce que fon influence ne puiffe plus fervir les Anglois , les patriotes ne font pas, a beaucoup prés, auffi fimples dans leurs intentions. J'ai la preuve que de 1784 a la fin de 1785 ils ont été en correfpondance fecrete avec le Baron de Reede , ck qu'ils ont ceffé précifément au moment oü le Baron leur a écrit: Faices vos propofitions ; j'ai (arte blanche de la Princeffe ; d ce prix le Roi de Pruffe vous répondra du Prince. Que M. de R** ne puiffe pas réuffir ; que ce foit une affaire échouée tant qu'on négociera au lieu d'arbitrer ( ce font fes mots, ck ils me paroiffent remarqua, bles); que 1'implacable vengeance du Duc de la V**** vienne de ce qu'il a ofé être amoureux de la Princeffe , 6k en a été éconduit.,. c'eft ce que je laiffe a ceux qui peuvent juger de la vérité de ces allégations; mais je dois répéter mot pour mot cette phrafe du baron de Reede : M. de Ca^ lonne ejl contre nous , & Jon ennemi nous tend les bras ; cependant que veut-il, Af. de Calonne ? être minijlre des affaires étranger es ? Un fuccès de pacifications en Hollande fera mieux pour lui dans ce cas que la contmuatwn des troubles , qui peuvent allumer un grand incendie. Je demande cathégoriquement réponfe a la queflionfuivante : fi 1'on prouve a M. de Calonne que le Stathouder eft revenu de bomie foi d la France, ou, ce qui eft la même chofe, qu'on ly liera de font, nefera-t-il plus contre nous } Ou a-t-il quelque intérêt particulier que nous heurfwtis} Etnepeut-ilpas s'en expliquer? Jjjurément il a quin{e & bifque fur M. de Bre*** , que nous avons toujours ha'ï & tnéprifé, Pourquoi vtut-il gdter Ja partie. ( n3 )  J'ai répondu a tout cela néceffairement un peu dans le vague ; je lui ai dit que M. de Calonne fuivoit certainement dans les affaires étrangeres la ligne de M. de Vergennes; que le premier , bien loin de convoiter la place du fecond, le fouriendroit de toutes fes forces, fi, par impofïible, il en avoit befoin; qu'un controleur général ne pouvoit jamais défirer que la paix ck la politique calme & tranquille ; que j'ignorois fi M. de Calonne avoit en Hollande des faifeurs particuliers, ( c'eft un fait que m'a affuré pofnivement le baron de Reede, ck c'eft probablement la ce qui lui a fait venir 1'idée de me fubftituer a leur place ) , mais qu'il me croiroit fol fi je lui parlois de telle chofe, ck qu'ainfi, dans le cas très-invraifemblable oü madame la Princeffe d'Orange , lür fa parole a lui Reede , feroit fufceptible de prendre en moi quelque confiance, il falloit qu'elle le fit dire par une voie tout-a-fait étrangere a moi, par la Pruffe par exemple; mais qu'il étoit loin de toute probabilité que Ton put vouloir fubftituer un homme inconnu dans cette carrière a ce que nous avions de plus réputé. Le baron de Reede a perfévéré, ajoutant au refte, qu'outre que M. de R**** ne pouvoit pas refter long-temps la, dans tous les cas on s'entendroit mieux quand la Princeffe parleroit avec confiance;que la confiance étoit un fentiment qui ne fe commandoit pas, ck qu'elle n'auroit jamais pour ce négociateur.Enfin,il m'a demandé fous le plus grand fecret une conférence que je n'ai pas dü refufer, ce me femble, ck toute fa converfation m'a démontré bien deux chofes; la première, qu'ils croient M. de Calonne entiérement tourné contr'eux ck le miniftre influant dans cette rixe politique ; la feconde , qu'ils le croient trompé. Je me perfuadé d'autant plus que cet apperqu eft vrai, qu'il a fort infifté pour que, lors même que je ne recevrois pas des ordres pour me rendre en Hollande , je paffaffe par Nimègue en retournantaParis, afin qu'aidédes feuls gages de confiance que je recevrai de lui, je pénètre affez dans celle de la Princeffe pour pouvoir rapporter a M. de Calonne le véritable état de fituation ck des bafes pour une conciliation folide ck fincere. Ce n'eft donc pas tant un autre homme que M. de R** qu'ils veulent, qu'un autre C* * *, ou affidé particulier quelconque de M. de Calonne. Je finirai par deux remarques peut-être importante:,. i°. Mes lentimens ( M9 )  Sc mes principes de liberté lont fi connus , qu'on ne peut pas me regarder comme Stathoudérien ; on veut donc de bonne fbi s'accommoder a Nimegue ; Sc !e fuccès de cet ac» commodement ne vaudra-t-il pas mieux a M. de Calonne cjtie les machinations de M. de Bre* * * ? Pourquoi ne voudioit-il pas avoir le mérite de cette pacification fi elle eft néceflaire , Sc ne 1'eft-elle pas a un certain point dans ia fituation politique de 1'Europe ? 2°. La province de Frife a toujours été anti-ftathoudérienne; elle commence a fe rapprocher du Prince. Ne feroit-ce pas qu'on a eu la mal-adrefle d'attaquer le Stathoudérat fur une ligne hoftile pour les provinces , oü ni la nobleffe ni les régences ne veulent ni ne peuvent vouloir le bouleverlement abfolu de la conftitution ? Sc ne fe laifferoit-on pas entrainer trop loin par la province de Hollande ? Ces deux confidérations, que je pourrois appuyerd'un grand nombre de détails confirmatifs, valent peut-être la peine d'être pefées. Je vous enverrai, le courrier prochain, ïe réfultat de notre conférence; mais fi 1'on a des ordres ou des avis ou des direétions a me donner a cet égard , il eft néceflaire de ne pas me faire languir , car ma pofïiion envers de Reede eft embarraffante , puifque je n'ofe ni rebuter ni accueillir des avances qu'affurément je ne provcquai jamais, Sc que, par la fituation bien conftatée du cabinet de Potfdam , il étoit même impoflible que je provoquaffe , quand même j'en aurois eu la témérité. • N** m'a déja écrit plufieurs lettres de Courlande , 8c m'annonce pour le courrier prochain un chiffre important, Mais le réfultat évident femble qu'il eft trop tard pour fauver la Courlande ; que tout ce qu'il auroit fallu em» pêcher & prévenir eft fait, ou autant que fait , Sc que les meilleurs médecins ne peuvent que perdre leur temps en traitant des incurables. Le porteur' de la lettre qui a fait partir N * * eft un négociam de Liébau, nommé Immermann , qui a été chargé de négocier un emprunt d'argent en Hollande & ailleurs, mais qui, a ce que 1'on dit, n'a eu aucun fuccès. On penfe dans le pays que le Duc y a mis des obfacles. La diete de Courlande va commencer ( no )  en Janvier. II efl a remarquer que depuis deux ans il n'y a pas eu de délégué de Courlande a Warfovie. On croit favoir de bonne part que quarre corps de troupes RuiTesfe mettronten marche, pour fe rapprocher feulement de la Crimée , dans le temps oü 1'Impératrice y fera , ck ce n'eft pas tant pour faire peur aux Turcsquepouréloigner des environs de Pétersbourg & des provinces feptentrionales de la Ruffie ck fur-tout du Grand-Duc , la plus grande ck formidable partie du militaire , afin de ne pas même s'expofer a la poflïbilité de quelques événemens facheux ; car on redoute 1'amour fans hornes du peuple Ruffe pour leur Grand-Duc. (mais fi on a ces terreurs, pourquoi donc ce voyage fi inutile qui coütera fept a huit millions de roubles ? Si inutile, dis-je , dans vos idees; car dans les miennes 1'Impératrice croit aller a Conftantinople, ou elle ne par* tira pas ) Les troupes feront divifées en quatre corps de quarante mille hommes chacun. Les chefs de ces armées feront le feld-maréchalde Potemkim , qui aura le commandement immédiat d'un corps de quarante mille hommes, ck la furveillance des autres , qui fous lui feront commandés, par les généraux d'Elrut, de Michels-Sohn & de Soltikow. Le prince Potemkim a fous 1'on commandement particulier ck indépendant, foixante mille hommes de troupes irrégulieres dans la Crimée. On fe dit a 1'oreille qu'il a le projet de fe faire Roi de ce pays & d'une bonne partie de 1'Ukraine. LETTRE LXII. Du 4 Janvier 1787. J 'ai eu ma conférence avec M. le baron de Reede ; elle a duré trois heures & demie ; & il ne peut pas me refter le plus léger doute fur fes intentions , après les confidences qu'il m'a faites & les pieces qu'il m'a montrées. II paroït un bon citoyen , conflïtutionnel par principes, ami de la liberté par mftinct, loyal ck vrai par caraftere & par habi- ( i^l )  tU'-'e, ferviteur de madame Ia princeffe d'Orpnge par fes pffecltions perionnelles, plus qu'il ne 1'eft de fon mari par état , qui voudroit (inir fes tumultueux & inquiétans débats, paree qu'il verroit dans une pacification le bien de fon pays , &c celui de la Princeffe dont il a la confiance, C'eft auffi un miniftre paffablement adroit, qu'il s'eft abftenu de faire des avances, auffi long-temps qu'il a préfumé que nos ménagemens politiques pour la Cour de Pruffe donneroient un grand poids a 1'intervention de cette cour, &f qu'il parviendroit a la décider a parler ferme. Aujourd'hui qu'il fent bien que la confidération du cabinet de Berlin eft dé» chue , & fur-tout que le Roi eft défintéreffé fur les affaires ftarhoudériennes, paree qu'il 1'eft fur-tout, il frappe direéfement a la porte de la conciliation. Vous pouvez tenir pour probable , i°. que la Princeffe qui en derniere analyfe décidera du dénouement, du moins en trés-grande partie , veut s'accommoder a un certain point, & fe donner a la France, paree qu'elle craint enfin de jouer trop gros jeu pour fa familie; 2°. qu'elle croit M. de Calonne le miniftre influant fur 1'efprit du Roi , & 1'ennemi perfonnel de fa maifon; 30. qu'on a réuflï a lui donner les plus fortes préventions contre fa bonne-foi; 40. qu'elle cherche cependant a s'en rapprocher, & qu'elle defire une correfpondance , foit direcTe, foit indirecte avec lui, & un homme impartial & afffdé , qui dans Ie pays ait la confiance; 50. que non-feulement rien n'eft moins impoftible que de toucher aux réglemens fans les modifjr cations defquels il eft impoftible de réprimer 1'influence ftathoudérienne ; mais qu'ils s'y attendent, en reconnoiffent intérieurementla juftice , politiquement Ia néceffité ; & que le baron de Reede, en fa qualité de citoyen & des premiers au premier rang, feroit fort faché qu'on n'y touchat pas. La raifon du retour fincere de la princeffe d'Orange, qui au refte n'a jamais été entiérement aliéné , c'efl qu'elle défelpere férieufement d'être fervie efheacement a Berlin. Celle de fon opinion fur 1'inimitié de M. de Calonne eft uniquement fondée fur fon étroite liaifon avec le Rhin, gr ive de Salm qu'exagere celui-ci, & les propos incon-  fidérés de M. de C ****, qui véri'ablement paffent 1'imagination , &. que 1'on croit Taffidé particulier de ce miniftre. Ses préventions contre M. de Calonne viennent en trésgrande partie des calomnies d'un certain Vandermey qui avoit fbrmé je ne fais quelle entreprife fur Bergue-Saint Winox ( pendant que ce miniftre étoit intendant de la province) , oüil a échoué de maniere acoüter plus de 160000 florins au Stathouder, prés duquel il a ,.pour s'excufer , tout rejetté fur la défaveur de M. de Calonne. Ajoutez que toutes les caufes de mécontentement, de méfiance & d'animofité font mifes enfermentation par un M. de P***, 1'homme de M. deB***, lequel de P*** blame également M. deVeirac; M. de C****, le Rhingrave de Salm, M. deR****,le comte de Vergen nes.... Sc tout ce qu'on a fait, & tout ce qu'on fait, & tout ce qu'on fera 5 mais furtout M. de Calonne qu'il donne pour 1'incendiaire des fept provinces , qui ne peuvent être fauvées, ainfi que 1'Europe entiere , fans la manfuétude de M. de Br *, le doux, le poli, le pacific3teur. Quant au defir de la Princeffe de fe rapprocher de M. de de Calonne , cela m'eft évident. Le baron de Reede eft trop circonfpecT & trop fin pour avoir fait cette démarche auprès de moi fans être autorifé , & voici probablement la généalogie de fes idéés qui vous expliquera fuffilamment peut être tout cet épifode. Il a aifément fu quej'écrïvois en chiffres; il eft intime ami de Hertzberg. Pour qui chiffrerai-je ? A qui connoit notre terrein & la marche de nos affaires; ce ne peut-être que pourM.de Calonne. Dans quels principes ? Le duc de Brunfwick qui a eu force conférences avec lui , ne lui aura pas laiffé ignorer que mes vues de ce^ cöté étoient toutes pacifïcatrices. Alors tout-a-fait déjoué par 1'ignorance du comte d'Eft** qu'il affure être complette a cet égard, ce qui comme de raifon redouble encore en ceci fa morgue naturelle, par la lourdeur de F*** qui vient péniblement étudier fa lecon chez lui, & ne Va pas toujours la répéter de bonne-foi ; bien convaincu que le crédit de M. de Hertzberg eft nul, 1'affeftion du Roi refroidie , 1'infiuence de fon cabinet médiocre y il aura propofé a 1» Princeffe de tater cette voie, C H3 )  Pour ce qui eft du confentement, foitexprès , foit tacite , mais férieufèment arrêté de roucher aux régiemens, j'en ai vu la preuve dans les lettres de la Princeffe , lues fur le déchiffré brut de la Pi inceffe( car il eft bon de favoir qu'elle eft très-laborieufe , ehiffre ,-déchiffre elle-même , ck fait de fa main des réponfes a tous les écrits du parti contraire ( dans celles de Larrey idem , de Linden idem. Je n'ai pas cru pouvoir négliger de pareilles ouvertures. Après avoir épuifé tout ce que j'ai fu & trouvé de plus raffuranr fur M. de Cdonne, fes vues, fes projets, fes liaifons.... ( & je ne crois pas , je 1'avoue, que mon dévouement m'ait laifïé en ce moment fans adreffe j ; après avoir traité, comme je devois, la perfide duplicité de M. de B *** ck de fes agens; après avoir dit ce que je penfe fur la fageffe de M. de Vergennes , la délicate probité du Roi, la politique non douteufe de notre cabinet , qui eft certainement de fubordonner le Stathouder au bien public ck a 1'indépendance des Provinces-Unies, mais qui ne peut pas être de 1'expulfer , je fuis convenu que j'écrirois après demain , pour demander cathégoriquement fi M. de Calonne veut étabiir une corre « pondance foit direcTe , foit indirecte avec la Princeffe , ck s'il confent qu'on lui propofé des bafes d'accommodement fur lefquelles on recevroit fa parole perfonnelle de travailler de bonne-foi, quand elles feront arrêtées , a une pacification honorable pour le Stathouder, convenable pour le Souverain. De fon cöté le baron de Reede , qui eft fenfé , & qui a voulu paroïtre faire tout cela de fon chef, écrit a la Princeffe pour 1'avifer qu'il a provoqué cette démarche, 6k lui demander fon autorifation prompte ck formelle. Nousdevons nous rencontrer demain a cheval au pare , pour nous montrer réciproquement nos minutes, bien entendu qu'affurément nous ne nous montrerons 1'un 3 1'autre que les minutes oftenfibles que nous aurons préparées, ck tout cela partira famedi, paree que, dit-il, comme il ne lui faut que douze a treize jours pour avoir une réponfe , il 1'aura affez avant la votre pour que nous puiflïons combiner le plan a propofer du moins pour étabiir la confiance. Voila en précis 1'analyfe fideUe de notre converfation. Je n'ai qu'écouté quant aux propofitions; je n'ai qu'apologifé ( 124 1  quant aux réflexions. Si 1'on etoit tente de trouver que je me fuis trop avancé en acceptant d'écrire, je prie que 1'on pefe 1'occurence, ck que 1'on me dife comment il feroit' pofïible , a fix eens lieues de diftance , d'avoir jamais un fuccès, fi 1'on ne prenoit rien fur foi. Eh , après tout , qu'ai-je appris a M. de Reede ? Qui, dans ies affaires diplomatiques peut douter ici que je chiffre ? ck que chiffret-on ? Eft-ce de la philofophie , de la littérature ou de la politique ? Je n'ai au refte nullement parle du genre de mes rélations; ck le jetdchtrai de , je trouverai moyen de ,je prendrai des moyens de faire favoir d M. de Calonne, a toujours été ma formule. Maintenant, donnez-moi bientót des ordres , foit pour m'abftenir , foit pour poufler ma pointe , ck des inftru&ions dans ce dernier cas; car je ne puis jufqu'ici que deviner, ck d'autant plus vaguement qu'ainfi que vous le (entirez aifément, il m'a fallu paroïtre a M. de Reede plus inftruit que je ne fuis , ck par conféquent moins queflionnerque je n'ai^ rois voulu. Demandez-vous a vous-même quels avantages j'aurois fi je n'étois pas obligé de vous tirer de mon pauvre fond. Somme tout, quels gages voülez-vous de la bonne foi de la Princeffe ? Quel témoignage de bienveillance lui donnerez-vous ? Quelle caution vous faut-il de la bonne conduite du Stathouder ? Quel genre de liens lui impoferezvous ? Ne vous départirez-vous en rien de ce qu'a ftatué la commiflion du 27 Février 1766? En quoi la modifierezvous ? La médiation doit-elle néceffairement ck formellement être acceptée ? Ne faut-il pas avant tout que la province de Gueldre ck celle d'Utrecht renvoient leurs troupes dans leurs quartiers refpecTifs ? La province de Hollande retirera-t-elle alors fon cordon ? N'aura-t-on dans cette fuppofition rien a craindre de fes corps francs, ck comment pourra-t-elle en répondre ? Quelle fera la détermination des fondtions conftitutionnelles du Stathouder } Quels feront fes rapports de fubordinatiom ck d'influence envers les confeiU Iers députés ? Enfin lur quoi doit porter la réforme des régiemens ? Tout cela ck mille autres chofes de ce genre m'importent , fi je dois faire quelque chofe en ceci; autrement je n'en ai pas befoin ; mais ce qui m'eft indifpenfabie ( )  c*eft que vous me difiez inceffamment Sc netrement ce que je doi< faire ck dire, jufqu'oü je puis aller, oü je dois m'arrêter. Veuillez bien obferver que 1'on demande fur cette marche le plus grand fecret envers M. le comte d'Eft * * , & que les intentiom&c les procédés du baron de Reede lui mérite nt du moins de n'être pas compromis. Un fait curieux Sc très-remarquable , c'eft que le duc de BrunfVick eft le premier qui ait parlé au baron de Reede d'un mouvement de troupes Pruflïennes , en lui demandant que! effet i' prévoyoit que feroit fur les affaires de Hollande la marche de quelques Régimens de cavalerie, Sc au befoin d'un campdans la principauté de Cleves, que 1'on appelleroit Camp de plaifance ; a quoi le baron de Reede répondit que cette démarche étoit bien délicate, Sc ne pouvoit guere laiffer le cabinet deVerfailles fpectateur indifférent.Le Duc vouloit-il être premier miniftre , a tout prix , & m'a-t-il indignement trompé , ou ne vouloit-il qu'apprendre du baron de Reede des raifons locales qui l'aidaffent a combattre la propofition de M. de Hertzberg? Le miniftre de Hollande a voulu me perfuader la premierede ces chofes; j'imagine qu'il la croit,' Sc , a dire vrai , le public feroit écho avec lui; car le Duc a une grande réputation de fauffeté. Je dois y oppofer le temoignage de M. de Hertzberg lui-même qui convient que cette idéé efl de lui , Sc qui a dit amérement plus d'une fois: Ah! file Duc ne rrfavoit pas déjerté ! Toujours eft-ce un grand avis pour ne fe fier a ce prince ambitieux que fous bonne caution. II faudroit d'ailleurs avoir entendu Sc la chofe Sc 1'accent, pour fe faire a cet égard une opinion arrêtée, que 1'on ofat garantir jufqu'a un certain point. 5 Janvier. J'ai trouvé le baron de Reede au rendez-vous dans les mêmes difpofitions , Sr , s'il fe peut, plus ferventes encore Sc plus zélées ; mais défirant pour toute modification que je n'avertifle pas qu'il écrivoit, afin , dit-il, que fi ces avances échouoient encore , il n'en réfultat pas du moins une plus grande animofité. II m'a raconté en exemple de ce genre le (uccès d'une démarche confidencielle qu'il avoit taite il ( 126 )  y a quelques années a M. de Gaufïïn , chargé d'arTaires ators de France a Berlin , & qui Payant préfentée avec trop d'ardeur , recut une réponfe miniftérielle de M. de Vergennes, remplie de* graces & d'atnénité , qui paffant directement au Stathouder par le cabinet de Berlin , n'en fut paS recue, a beaucoup prés, comme on avoit lieu de s'y attendre , ce qui produifit plus d'éloignement que jamais. II eft vrai que le prince d'Orange n'avoit pas alors autant éprouvé ce qu'on pouvoit connoïtre contre lui; mais ce prince eft fï emporté , ck fon efprit tellement tortu , qu'il faut même a la Princeffe les plus grandes précautions pour lui infinuer quelque chofe. J'ai promis au baron de Reede ce qu'il a voulu a cet égard , ck j'ai cru ne pas moins vous en devoir tout ce détail , bien für qu'il n'y a que les gens de peu d'étendue dans 1'efprit qui fe piquent en politique ; que M. de Calonne ne fauroit de tout cela que ce qu'il en devroit favoir; que dans tous les cas il fembleroit n'avoir regardé cette ouverture que comme la fimple tentative de deux hommes zélés, qui communiquent une idéé a laquelle ils voient la grande probabilité d'être utile a tout; ck en effet, fi le Stathouder a le plus grand intérêt a recouvrer la paix , notre alliance avec la Hollande fera-t-elle jamais mieux cimentée que par 1'adhéfion du Stathouder ? Et quant aux intéréts particuliers de M. de Calonne , qui donc , fi nous devons perdre M. de Vergennes , par 1'age ou les circonftances de fa fanté , pourra lui difputer une place pour laquelle il aura en avances le traité de commerce de la France avec 1'Angleterre, ck la pacification de la Hollande? En voila bien long pour cette commiflion que m'envoie le hazard. Paffons a ce pays-ci. 6 Janvier. Le Lieutenant-colonel de Goltz étoit depuis long-temps en froid ck même en rixe avec M. de Bishopfwerder. Le Roi les avoit raccommodés une fois. II fentoit que le premier, plus habile , plus ferme , plus entreprenant, avoit de grands avantages pour 1'exécution fur 1'autre , plus courtifan , plus docile aux circonftances. Pour éviter ce fcandale de I'intérieur, il a nommé aides-de-camp généraux M. de Hanftein qui a de la repréfentation , ou plutöt de la hauteur , & M» ( 117 %  de Pntveitz , viftime des caprices du feu Roi , ck homme médiocre. Ainfi Bishopfwerder, après avoir fait ce qu'il a pu pour écarter d'auprès du Roi tout ce qui a plus d'efprit que lui , acruellement qu'il en eft venu a bout, ck qu'il a le Roi a lui tout feul, ne fait plus qu'en faire. Le comte de Brühl n'a trouvé ni arrangemens faits , ni appartemens meublés , ni gens de fervice auprès du Prince Royal. Il a pris de 1'humeur; vifire a Welner ; point recu, vifite rendue tard ck par billet; mécontentement naifïant, échauffé par Bishopfwerder qui foupconne Welner d'avoir molli pour la nomination des deux aides-de-camp généraux. Un fait qui paroït trés probable , c'eft que ce Welner furnommé par le peuple, puit Roi, ne fait pas s'occuper de trois chofes a la fois; ck comme il a bêtement cru qu'il pouvoit céder aux empreffemens des fpéculateurs, comme il a eu la petiteffe de fe livrer aux prévenantes baffeffes de ceux qui le traitoient il y a fix mois comme un laquais, les jours fe font confumés dans ces périlleux paffe-temps de vaniré; les affaires fe font accumulées, tout eft arriéré , ck 1'on préfume que lorfqu'il aura été balotté par les intrigues des mécontens , 1'ingratitude de ceux qu'il aura fervi, 1'aftuce des gens de cour, les pieces des travaiileurs fous lui, la tête lui tournera tout-a-fait. La capitation eft enfin décidément retirée ; retirée après avoir été intimée / retirée fans conviéiion „' retirée fans remplacement.' quelle confufion! quelaugure ! en récapitulant un peu cette aurore de regne, que de démarches précipitées! L'envoi d'un miniftre a Londres qui n'a pas encore fait remercier! L'envoi d'un miniftre en Hollande qui n'a rien fait que compromettre le Roi, c'étoit affurément le cas ou de faire jufqu'au bout, ou de s'abftenir entiérement. Commiffion pour Pexamen de la régie qui n'a produit rien qu'mjuftice.s & duretés particulieres , fans le plus léger profit pour la chofe publique. Commiffion contre le général de Wartenberg , nommée avec éclat & iufpendue a petit bruit. Suppreffion de radminiftration du tabac qu'il faut continuer. Projet ( Ti8 )  Projet de capitation qu'il faut retirer au moment oü 1'exécution comm.iice. Convocation des principaux négocians de la Pruffe ck de la Siléfie , qui n'a produit que des difcuffiotts propres a dévoiler 1'ineptie des chefs ck les malheurs du peuple. Tant de faux pas, tant de reculades ne fupporent-iIs pas des adminiftrateurs peu réfléchis qui vont a tatons, ck qui ignorent les élémens du métier d homme d'état ? Au milieu de cette férie d'ineptie, il faut r. marquer cependant une bonne opération ck un vrai bienfait : la liberté illimitée du commerce des grains & urn déch irge annuelie pour cette miférable Pruffe occidentale, dont je ne fais pas encore la quotité. La fermentation inférieure du Pal ais commence a être telle que bientót elle fera publique. L'agent des volontés , ou pour mieux d;re des faritaifies fecrettes, eft en oppofition avec Bishopswerder & Welner , lefquels font en froid avec rnademoife.le de Vofl , laquelle veut qu'on éloigne madame Rietz, qui veut qu'on faffe de Mademoifelle de Voff une maïtreffe riche, mais non pas une femme. Dans cette foule de volontés en contradiftion , oü chacun , excepté le Roi, eft pour fapart , fe trouvent celles de M. de Reufs , chambellan du Roi , confeiller de mademoifelle de Voff; du comte d'Arnim, pacificateur , entrernetteur , confolateur, temporifeur, prédicateur. Le Roi louvoie comme.il peut au milieu de ces révoltes naiffantes. Le jouaillier Botfon s'eft plaint de Rietz & a occafionné une qu.relle qui auroit eu des fuites , fi le Roi ne fe fut fouvenu a propos qu'il faut dix ans pour remplacer un affidé qu'on renvoie dans un moment de fureur. L'anniverfaire du comte de la Marche eft d'ailleurs une circonftance dont les Rietz ont tiré parti; le Roi a fait diner chez lui la mere ; ck la paix eft venue rafféréner les elprits. Le grand écuyer , qu'on difoit fans crédit, paroït être reffufcité. Outre le cordon jaune , dont il fe montra revêtu a la derniere cour , & qui fit éclater de rire tout le monde , même les miniftres, il a demandé que fon neveu füt fait Comte ; ck on lui a répondu par un foit. C'eft un petit mal que de faire un comte , fur-tout quand on en a tant fait ; mais c'eft quelque chole que de n'avoir jamais une volonté. Voulez-vous favoir oü en eft le nerf du gouvernement ck Tornt 11.  LETTRE LXIII. Du 8 Janvier. 1787. "Vo ici lé réfumé des nouvelles de Courlande , les plus aufhentiques aflurément qu'on en puiffe avoir. Le chambellan Howen , homme habile, & la première & la feule tête du pays; (carlechancelierTaubé,qui pourroit le balancer, s'il n'eft pas fans efprit, eft fans caraétere,) ; le chambellan How.eneft de venu Oberbourggrave paria mortfubite du premier miniftre Klopman, & enfuite d'une cafcade de remplacemens & de déplacemens qui ne vous intéreffent pas, & oü il vous fuffit de favoir que les choix du Duc ont été abfolument rejettés & méprifés. C'eft le baron de Meft Machor , miniftre Ruffe ,quia fait tomber ce choix par une recommandation 1 invention des faifeurs, pefez 1'anecdote que voici. Sur plufieurs repréfentations faites au Roi, pourréglerenfin letatde fa dépenfe, & les appointements de fes officiers, il a repondu qu'il prétendoit avoir une cour; mais que, pour regler fa depenfe il vouloit commencer par pofféder 1'état fixe de fes revenus, d'après ce que devoient lui affurer fes nouveaux financiers. En réflechiffant aplufieurs phrafes qui contenoient toutes ce mot ajjurer, les miniftres chargés de 1'accife & de la dépenfe journaliere ont pris de 1'inquiétude. De-la une foule de petits droits , lidicules, odieux & d'un très-petit produit, qui font éclos en une nuit. Les huitres, les cartes, une augmentation fur les lettres, fur le timbre , fur les vins, huit gros par aune de taffetas, trente-trois pour cent fur les péhffes-fourrures : on a éré jufqu'a fupprimer les franchiles aux princes de la maifon. ToUs ces droits font fort gratuitement odieux ; car ils repouffent la chofe , mais ne rapportent rien que la demonftration de la lourde impéritie de ceux qui ne favent ni trouver de 1'argent, ni contenter le public. P. S. Je recois un grand chiffre de Courlande, dont il m'eft impoftible de vous rendre compte. Toujours eft-il que le chambellan Howen , aujourd'hui bourggrave, difpofe du pays, & eft tout Ruffe. Au courrier prochain les détails. C 130 )  formelle ck direfte fur Howen , autrefois violent ennemi des Ruffesqui l'avoientfait enlever a Warfovie, oud étoit miniftre de la Courlande, pour le réléguer en Sibérie , oü il efl refté plufieursannées, devenu Ruffe par la force des chofes , ck que le cabinet de Pétersbourg a mieux aimé gagner ainfi, apparemment paree qu'il préfere de confommer amiablement fes deffeins fur la Courlande. Howen eft au fond Duc de Courlande, puifqu'il en fait les fonóVtons , ck qu'il y entraïne ou domine toutes les opinions. Woronzow,Solnko-w, Belsborotko ck Potemkim, font maitres ablolusen Courlande, puifqu'ils le font en Ruffie, avec cette différence que ce Potemkim, qui a toute une bibliothequed'aflïgnations &de billets de banque, qui ne paie perfonne ck corrompt tout le monde, qui fubjugue tout par 1'énergie de fa volonté & 1'étendue de fes vues, plane fur Belsborotko, qui eft politiquement fon ami, Voronzow qui eft habile , mais timide, ck Solukow tout entier au Grand Duc. Le Duc de Courlande ne retournera probablement pas dans fon pays, paree qu'il a tout gaté en Ruffie, paree qu'il ne peut plus rien changer chez lui a ce qui a été fait en fon abfence , paree qu'il eft chargé de procés ck de griets fans nombre ; paree que la régence, qui s'entend avec les chefs de 1'ordre équeftre , menés par Howen , regne modérément, conformément aux loix du pays, ck fait bénir fon adininiftration ; de forte que le peuple qui alloit fe révolter, paree qu'il étoit menacé ck déja fouffrant de la famine , ne veut pasun autre ordre de chofes. Que le gouvernement foit Ruffe ou ne le foit pas, c'eft ce qui importe très-peu au peuple, pourvu qu'il ne fouffre point. Il n'y a aucune poffibilité de changer un ordre de chofes cimenté a ce degré: une foixantaine de terres confidérables ont été données en fiefs ou a fermes, ainfi que toutesles charges , aux perfonnes les plus influentes, tant dans 1'intérieur que dans 1'extérieur , de forte que le parti du miniftre de Howen ou des Ruftes en Courlande, eft , pour ainfi dire, tout le monde. II faudroit employer plufieurs millions pour contre balancer cette prépondérance; ck quand conirt-balanctr feroit vaincre , la partie même gagnée ne vaudroit pas de telles avances. Un des principaux griefs contre le Duc , c'eft !a détérioration du ficf, opérée par 1'appauvrifiement total des payfans, I 2 ( UI )  Fépuifement des terres , la ruine des forêts , Pexpörtation des revenus ducaux dans les pays étrangers. Mais le grand crime , le crime irrémédiable eft d'avoir déplu a la Ruffie. L'Impératriceeft tellement outrée contre lui de fes procédés anti-Ruffes en Courlande, qu'elle a dit ces propres mots: Le Roi de France ne tn'auroitpas fait ce que le Duc de. Courlande veut ofer.... ( probablement donner la Courlande a la PrufTe ). Je ne vois pas qu'en 1'état nous euffions rien de mieux a faire qu'a attendre ; notre jeune homme aura certainement une place la-bas. Si 1'on veut y joindre le titre gratuit de conful, la permiffion de porter notre uniforme ck un brevet de capitaine, pour lui donner plus de confidération, il ne demande rien autre chofe , ck nous aurons dans ce pays ün vedette intelligent, zélé ck incorruptible, qui peut d'une part affez bien nous inftruire de ce qu'on peut favoir a ce pofte , bon pour les affaires du nord, ck de 1'autre aider a nos relations de commerce. Vous fentez qu'en deux jours il y a rarement de grands changemens. Comptons cependant pour une nouvelle importante comme fymptöme , la confirmation de la fociété maritime , pour laquelle Struenfée s'eft pris d'une maniere plaifante. « Meffieurs, a-t-il dit aux marchands de Koenigsberg » & de la Pruffe , rien de plus beau que la liberté du com» merce ; mais il eft jufte que vous achetiez nos magafins » de fel. — Oui. — Bon; voiia un million deux eens mille n écus qu'il nous faut bailler, ces vingt mille écus annuels r> aux aclionnaires pour le dix pour cent auquel nous fommes » obligés; car on ne peut pas, même pour le bien public, „ bleffer la foi privée. — Oui. — Bon; & par la même » raifon le cinq pour cent décrété aux nouveaux aétionr, naires. ■- Oui. — A merveille, Meffieurs; mais oü eft » votre caution, ou du moins oü font vos moyens ? — » Nous ferons une compagnie. — Ah ! une compagnie !... » Oh bien.' Meffieurs, compagnie pour compagnie, pour» quoi lè Roi ne préféreroit -.il pas celle qui exifte >■>?... Tous les projets d'affranchiflément du commerce s'en iront de même en fumée, & ce qui eft plus fatal encore, s'il eft poflïble , on conclura de 1'impéritie de 1'adminiftration aéhielle contre fimpoflibilité de changer l'ancien régime. Voila ce que font les Rois fans volonté.' 11 eft tel ck mourra  tel. I/autre étoit toute ame ou tout elpnt; ceiui-ci eu tout corps. Les fymptömes de fon incapacité vont en s'aggravant; c'eft a-peu-près ce qu'on peut répéter chaque fois : ajoutez cependant un fait grave, felon moi, c'eft qu'une des caufes de la torpeur oü font plongées les affaires du dedans, c'eft la méfmtelligence qui s'eft introduite dans le mimftere. Quatre miniftres font contre deux, ck ie feptieme eft neutre. MM. de Gaudi ck de Werder, qui balotte le timon des finances, font contrariés par MM. de Heinitz, d'Arniin , de Schulembourg , de Blumenthal. On accufe le premier de ces quatre de vouloir joindre le département des finances a celui des mines. En attendant, 1'expédition des affaires eft toujours a Welner , ck l'impulfion du crédit a Bishopswerder. Celui-ci s'eft affocié de bonneoumauvaife foi a un plan, pour faite rentrer le prince Henri du moins dans les affaires militaires. Depuis plufieuri années il n'affiftoit plus aux manoeuvres. On dit que cette année, non-feulement il y afliftera, mais qu'on lui donnera une efpece dmipedion générale. Cette négociation fe traite avec beaucoup de fecret par le général Moellendorf ck le favori. On reparle du mariage de mademoifelle de Voff. II eft certain du moins que 1'on a acheté toutes fortes de bijoux ; que 1'on fait toutes fortes d'apprêts ; que 1'on feme le bruit d'un voyage La plupart de ces chofes font tenues fort fecrettes; mais j'en luis parfaitement sur, paree que je les tiens du cöté de la Rietz qui eft fort intéreffée a empêcherque cette union foit revêtue de certaines formalités, ck qui, par conféquent, eft auxaguets; mais j'ignore quelle forme on donneraacette exiftence , moitié conjugale, moitié concubinaire. Ce que j'ai vu de mes yeux , hier au loir oü j'ai foupé avec le Roi , c'eft qu'ils ne fe gênent plus pour fe parler en public. A propos de ce fouper , le Roi me dit hier: » Qui eft un M. de Lazeau > — Dufaux peut» être Sire? — Oui, Dufaux. — Un membre de notre » académie des inferiptions. — II m'a envoyé un bien gros » livre fur le jeu. — Hélas / Sire, c'eft a vous aucres maitres » de la terre a détruire le jeu. Nos livres n'y feront pas » grand'chofe. — Mais c'eft qu'il m'embarraffe ; il me fait »> un compliment que je ne mérite point du tout. — II en » eft beaucoup , Sire , que vous êtes trop fage pour vous ( 13? )  LETTRE LXIV. 13 Janvier 1787. Je crois favoir enfin ce que tripotoit l'Empereur ici. il a propofé nettement de laiffer prendre a la Pruffe le refte de la Pologne , pourvu qu'on lui laiflat s'approprier la Baviere. Heureufement le piege étoit trop groflïer. On a fenti qu'il ofFroit de donner un pays qu'd n'étoit pasen fon pouvoir de donner , ck a Pinvafion duquel s'oppofoit la Ruffie 9 pour fe faifir fans obftacle d'un pays qu'on ne lui óteroit pas, » beterde les mériter. — II me félicite de ce que j'ai dérruit ji le lotto : je voudrois bien que cela füt; mais cela n'eft » pas. —Ah! Sire, c'eft beaucoup que Votre Majefté le » veuille. — A ce propos, je vous dois fur cela un pardon , r> car c'eft un des bons confeils de certain manufcrit.... » ( je me fuis profterné ) Maisil faut bien que vous m'ex» cufitz encore un peu; il y a des fonds aflïgnés fur ce »> vilain lotto ; 1'école militaire , par exemple. — Sire, heu» reufement un déficit momentané de cinquante mille écus n'eft pas bien inquiétant pour le Roi de 1'univers le plus » riche en numéraire.—Oui: mais les conventions? — Sire, *> il n'y en a point de violées, la oü 1'on rembourfe ou »» dédommage de gré a gré : eh puis on s'eft tant fervi » du defpotifme pour le mal! quand on s'en ferviroit une » fois pour le bien. — Ah! ah! vous vous réconciliez donc » un peu avec le defpotifme ? — Il le faut bien , Sire , dans » les pays oü une feule tête a quatre eens mille bras...» il a ri un peu niaifement ; on eft venu 1'avertir pour la comédie , ck cela a fini la . . . Vous voyez que , dans cette petite ame, il y a encore quelque defir d'être loué. P. S. Launay eft parti cette nuit incognito. Je crois que vous défobligeriez très-férieufement le cabinet de Berlin, fi vous ne le détourniez pas d'imprimer , comme c'eft fon intention. ( H4 )  yne fois qu ü s en feroit empare, oc 1 on a rètuie. Probablement votre légation a découvert cela long-temps avant moi, & vous favez par elle les détails ; il ne lui aura pas été difficile de vous en inftruire; car en politique on fait aifément confïdence de la propofition qu'on n'a pas acceptée ; d'ailleurs c'eft une avance prodigieufe que d'avoir droit de conférer avec les miniftres, pour deviner même ce qu'on ne leur demande pas. Pour moi je n'ai pu que vous dire; on machine , on intrigue ; au moment oü j'en découvre davantage,je crois devoir vousavertir; mais fans imaginer rien vous apprendte,je n'ai promis que de tenir au courant de 1'intérieur de la cour & du pays, le refte ne me regarde pas; je n'ai aucun des moyens néceflaires pour m'en occuper a fond. Dieu veuille qn'il ne vienne jamais dans la tête de l'Empereur d'allécher le Roi de Pruffe d'une maniere plus adroite, & de lui dire : » laiffez-moi prendre la Baviere, je vous » laifferai prendre la Saxe qui vous donne le plus beau pays »> de PAllemagne, une frontiere formidable , ck prés de » deux millions de fujets; qui en un mot vous étend, vous r> arrondit, vous confolide; ck nous n'aurons pas même de » difficultés graves: il ne nous faut, pour les lever toutes » que faire ï'Eleêteur Roi de Pologne; car cette maifon de » Saxe a la fureur de la Royauté; ck quand nous le ferions » Roi héréditaire, quel inconvénient y auroit-il ? Il eft » bon, ou du moins il fera bientót bon d'avoir une forte r> barrière contre la Ruffie....» S'ils avoient cette idéé, elle feroit bientót exécutée bon gré malgré tout le refte de 1'Europe; mais ils ne 1'auront pas; ils font 1'un trop découfu, 1'autre trop incapable; & après des débats plus ou moins férieux, l'Empereur accrochera encore en Baviere quelque village, & le Roi de Pruffe croupira dans fa nullité. C'eft malheureufement ufer d'indulgence que de le traiter ainfi. Voici un fait parfaitement fecret, parfaitement sur, ck qui mieux que toutes mes dépêches précédentes vous fera juger 1'homme ? II a fait payer depuis quinze jours une dette d'un million d'écus a l'Empereur. Qu'eft-ce que cetie dette ? L'Impératrice Reine avoit prêté au Prince Royal, aujourd'hui Roi de Pruffe, un million de florins, devenu , par Paccumulation des intéréts, un million d'écus. Et quand? I 4 ( 135 )  En 1778, lors de la campagne de Baviere , aux fatigues de laquelle on fe croyoit sur que Frédéric II ne réfifteroit pas. Ainfi Frédéric-Guillaume a éte affez vil pour accepter de 1'argent autnchien, & il eft affez imbéciile pour le rendre ! II ne fait pas dire, mon juccejfiur vous payeral II fanctionne Ie procédé de la Cour impériale prêtant de 1'argent aux Princes Royaux de Pruffe! II croit avoir rempli fes devoirs de Monarque , pourvu qu'il ait la probité de payer fes dettes de particulier Soldées , elles ont monté a neuf millions d'écus; ck quoiqu'a la vérité je fuppofe que les payeurs n'y ont pas perdu, il n'en eft pas moins vrai que les premiers mois de fon regne coütent trente-fix millions a la Pruffe par-dela fes dépenfes ordinaires , fans les dons , gratilïcations, penfio.is L'extraordinaire de la première campagne oü il falloit remonter toute la cavalerie, ne coütoit a Frédéric II que cinq millions ou cinq millions ck demi d'écus , ou vmgt-deux millions de nos livres. Je ne vous ai pas encore peint le Roi comme militaire. Ce métier Pennuie; ces détails le fatiguent, les-généraux lui pèlent; il va a Poftdam , voir la parade , donne le mot , dine 6k part. II eft allé mercredi a la maifon d'exercice de Berlin , a dit un mot, fait marcher les troupes ck eft forti. Voila ce qu'on voit dans cette même maifon oü Frédéric II couvert de gloire ck d'a'nnées paffoit réguliérement deux heures, dans le fort de 1'hiver , a exercer , tempêter , gronder , louer, en un mot a tenir en aéfivité perpétuelle les troupes tourmentées , mais rranfportées de voir a leur tête le vieux, car c'eft ainfi qu'elles le nomtroient. Mais un point plus important, c'eft le nouveau réglevr.em militaire , concu, rédigé , approuvé , & qui, dit— on , va s'imprimer, fans avoir été communiqué ni au prince Henri , ni au duc de Brunlwick. Ce nouveau plan ne tend a rien moins qu'a détruire l'armée. Les lept meilleurs Régimens font convertis en troupes légeres, entr'autres celui de Wunfch. Je ne fais pas encore les détails des changemens; mais 1'avis du général Moellendorf eft que fi Lafcy les avoit confeillés, ils ne feroient pas autrement. Ce digne homme eft défolé , humilié , découragé ; tout fe fait par M. de Goltz, altier s incapable de difcuter, ck dont le ( 136 )  principe eft que l'armée eft trop difpendieufe , trop nombreufe en temps de paix. II eft en rixe perpétuelle avec Bishopfwerder fouvent chargé d'objets qui appartiennent a ce travail , & néceflïté en quelque forte de fe mêler d'un métier oü tout le mende ne le croit pas également verfé. Le duc de Brunfwick ne vient point. Il a répondu a quelqu'un qui 1'avoit complimenté fur ion nouveau grade 4 8c dont la lettre fuppoloit qu'on s'attendoit a le voir bientót a Berlin , qu'il avoit été très-flatté de recevoir une dignité, que d'aüleurs il ne croyoit pas mériter; que jamais il n'étoit venu , & que jamais il ne viendroit a Berlin fans y être mandé , & qu'il ne voyoit aucune apparence de Pêtre de fi tót. Je fais de fcience certaine qu'il eft très-mécontent, & fans doute il le fera plus que jamais fi l'armée eft changée dans fa confti'tution , fans qu'on ait daigné prendre 1'avis du feul feld-maréchal qu'elle ait. Je mets en fait qu'avec mille louis on pourroit au befoin connoitre parfaitement tous les'fecrets du cabinet de Berlin. Les papiers, toujours étalés fur les tables du Roi, peuvent être lus & copiés par deux écrivains, quatre valets de chambre , fix ou huit laquais, '& deux pages, fans compter les femmes-, auffi l'Empereur a-t-il un journal fidele de toutes les démarches du Roi, jour par jour, & fauroit-il tout ce qu'il projetté , s'il projettoit quelque choie. Jamais royaume n'annonqa une plus prompte décadence. On le fappe par tous les endroits a la fois. On diminue les moyens de recette ; on multiplie les dépenfes; on tourne le dos aux principes ; on gafpille 1'opinion ; on affoiblit l'armée ; on décourage le très-petit nombre de gens qu'on pourroit employer; on mécontente ceux-la même pour lefquels on a mécontenté tout le monde ; on éloigne tous les étrangers gens de mérite; on s'entoure de canaille pour avoir 1'air de régner feul; cette funefte manie eft la caufe la plus féconde de tout le mal qui fe fait , & de tout celui qui fe prépare. Je refterois dix ans ici maintenant , que je pourrois vous donner des détails neufs , mais pas un réfuitat nouveau. L'homme eft jugé ; fes entours font jugés ; le fyftême eft jugé ; nul changement , nulle amélioration pofïibie , tant» qu'il n'y aura pas un miniftre principal; quand je dis nul C '37 )  changement, ce n'eft pas que je prétende que perfonne ne fera déplacé. Le fable fuccédera au fable; mais tout ne (era que fable, tant que les pilotis ne feront pas enfoncés pour afteoir une bafe. Que ferais-je donc ici déformais ? Rien d'utile : or 1'utilité , Sc une grande utilké trèsdirecte, très-immédiate, très-prochaine, pourroit feule me faire dévorer 1'extrême indécence dont feroit pour moi 1 exiftence amphibie qu'on m'a conférée, fi elle fe prolongeoit plus long-temps. Encore une fois, ce que je puis, ce que je mérite , ce que je vaux doit être décidé maintenant dans 1'efprit du Roi & de fes miniftres. Si je ne merite & ne puis rien, je coüte beaucoup trop cher; fi Je-merite & puis quelque chole , fi neuf mois , car ils feront écoulés avant que je fois de retour; fi neuf mois d une fubalternité très-pénib!e ck dans laquelle j'ai rencontre mille & mille obftacles & pas un fecours, m'ont mis a meme de développer quelques connoiffances des hommes , quelques lumieres, quelque fagacité, fans compter les choies précieufes que je rapporte dans mon portefeuille, je me dois a moi-même de demander ck d'obtenir une place, ou de rentrer dans mon métier de citoyen du monde, qui (era moins fatigant pour mon corps ck mon efprit, & moins ftérile pour ma gloire. Je le déclare donc nettement, ou plutöt je le répète, je ne puis plus refter ici , Sc je demande a être formellement autorifé a mon retour, foit qu'on ait des defleins ultérieurs fur moi, foit qu'on veuille me rendre a moi-même. Aiïurement je ne récalcitrerai jamais a aucune efpece d'occupation utile. Mon cceur n'eft pas vieilli, 6c fi mon enthoufiafme eft amorti, il n'eft pas éteint. Je 1'ai bien éprouvé aujourd'hui; je regarde comme un des plus beaux jours de ma vie celui oü vous m'apprenez la convocation des notables, qui fans doute précédera de peu celle de 1'affemblée nationale. J'y vois un nouvel ordre de chofes qui peut régénérer la monarchie. Je me croirois mille fois ho. noré d'être le dernier fecrétaire de cette aflemblée, dont j'ai eu le bonheur de donner 1'idée , & qui a grand beioin que vous lui apparteniez, ou plutöt que vous. en deveniez 1'ame... Mais refter ici, condamné au fupplice des bêtes, a fonder 5c remuer les finuofités fangeufes d'une ( 138.)  adminiftration qui fignale chacune de ies journees par ua nouveau trait de pufillanimité ck d'impéritie , c'eft ce dont je n'ai plus la force , paree que cela ne me paroit bon a rien. Faites -moi donc revenir, & dites-moi fi je dois paffer par la Hollande. La , par exemple , j'accepterois une commiflion fecrete , paree qu'une pacification y demande pour préliminaire indifpenfable un agent fecret qui fache voir ck dire la vérité , ck fur-tout capter la confiance. Je ne crois pas qu'il y ait dans la politique extérieure un plus grand fervice a rendre a la France. J'ai peur , s'il faut que je l'avoue , que nous ne faffions trop de fond fur 1'afcendant qu'a pns dans cês derniers temps 1'ariftocratie fur le ftathoudérat. Je crois voir que le fyftême des patriotes n'a encore une fupériorité décidée que dans la province de Hollande qui inquiete fes Co-Etats, au moins autant qu'elle les échauffe ; & la même , a Amfterdam , dans le foyer des fentimens anti-flathoudériens, ce grand confeil, qui a ete le premier a fe foulever contre la conceflion de la brigade Ecofldife a 1'Angleterre , a infifter en faveur des convois militaires, ck a demander 1'éloignement du duc de 33runfwik , n'a-t-il pas été auffi le premier a voter pour une paix particuliere avec 1'Angleterre , pour l'acceptation de la médiation de la Ruffie ? Son amirauté , dont plufieurs membres tiennent a fa régence, n'eft elle pas fortement impliquée dans le complot qui a fait avorter 1'expédition pour Breft? . . Comment en feroit-il autrement ? Le confeil fouverain n'a plus qu'une autorité imaginaire. C'eft des bourguemeftres qui changent tous les ans, ou même du préfident bourguemeftre, cjui change tous les trois mois , ou plutöt enfin de celui des bourguemeftres qui a quelque afcendant de tête ou de caradere fur les autres , que portent les ordres qui dirigent la voix fi importante de ia ville d'Amfterdam , dans 1'affemblée des Etats. Et quand on penfe que le college des échevins anciens ck nouveaux , dont font tirés les bourguemeftres , contient un, grand nombre de partifans des Anglois , ck dépend en partie du Stathouder, qui élit. ces échevins, je ne fais comment onpeut fe raffurer fur le fyftême a venir de cette ville. Je ne faurois donc comprendre comment il fe pourroit ( -39 )  que nous n'euflïons pas d'intérêt a finir, fi nous ne voulons pas brifer le Stathoudérat, qui ne fera point anéanti fans donner lieu a des convulfions intérieures Sc extérieures. Et pouvons-nous vouloir la guerre ? Sans doute nous ne devons pas foufFrir que la maifon Stathouderienne refte maitrefle de la puiflance légiflative dans les trois provinces de Gueldre, d'Ütrecht Sc d'Over-Iflel, paree qu'on appellé les régiemens de la régence ; ce qui, joint a fes prérogatives dans les Provinces de Zélande 8cde Groningue, fait exceffivement pencher la balance en fa faveur. Sans doute le pouvoir du Stathouder doit être foumis a li puiflance légiflative des états; & ce qui n'eft pas moins important pour notre fyftême, ou plutöt pour tout fyftême régulier de politique extérieure , la Puiflance législative des Etats doit être dirigée & foutenue par une influence réguliere du peuple •, car les prétentions Sc les paffions particulieres Sc les intéréts privés des ariftocrates , ont en tout pays été trop fouvent pris pour 1'intérêt public, Sc cela eft plus vrai encore ici, oü ï'union des fept provinces s'étant formée, dans un temps de trouble & par le hafard, puifqu'on ne penfa a ériger un gouvernement républicain qu'après le refus que rend la France & 1'Angleterre d'en accepter la fouveraineté, il en efl réfulté qu'il n'y a jamais eu d'accord entre les régens Sc le peuple, pour fixer les droits & les devoirs réciproques; les régens ont fant ceffe travaillé a fe rendre indépendans du peuple , Sc le peuple fe croyant le maitre , puifqu'il n'a pas tranfporté la fouveraineté a fes régens, Sc n'ayant aucun intérêt a les foutenir, a pris parti contr'eux dans toutes les crifes : de-la le parti Stathoudérien; dela cette fluétuation entre les volontés defpotiques d'un feul, les tergiverfations perfides des colleges d'ariftocrates, vacillans Scfoibles, ck lafougue d'une populace effrénée. S'il exifte jamais un lien d'union entre ia bourgeoifie ck les régens , c'en eft fait du defpotifme ftathoudérien , ck des caprices oligarchiques; tant que cette union n'exiftera pas, auffi long-temps que la maniere dont le peuple doit influer dans le gouvernement ne fera pas déterminée, le fyftême de la France ne fera jamais afluré. Conferver la conftitution fédérative entre les Provinces, & republicaine dans chacune d'entr'elles, ou pour réduire ( 140 )  la queftion a ces termes les plus fimples, fubftituer aux recotnmandations odieufes & illegales du Stathouder ou d'un bourguemeflre les recommandations regulieres & falutaires de la bourgeoifie , tel doit donc être le palladium de cette republique ck le but de notre politique. ' Mais fera-ce , ou par les violences qu'on nous attribue , lors même qu'elles ne font pas les nótres , ou en exaltant toujours la fermentation d'un cöté & la méfiance de 1'autre, que nous parviendrons a cette reconftru&ion qui demande moins de chocs que de cotnbinaiions > N'avons-nous pas affez fait fentir notre influence , notre pouvoir ? Ne feroit-il pas temps de montrer que nous ne voulons que 1'abolition des régiemens ftathoudériens, ck non celle du ftathoudérat ? ck fïnirons-nous fans une cataftrophe dont il n'eft pas donné a la fageflé humaine de calculer toutes les fuites , fi 1'on ne vient pas a bout de perfuader a Nimègue que tel eft réellement notre unique fyftême ? Voila en ébauche ma profeffion de foi fur les affaires de la Hollande. On peut juger fi , dans ces principes , que je développerai fi 1'on veut par un mémoire détaiilé , je puis ou je ne puis pas être utile dans ce pays , en me fuppoiantd'ail- eurs les connoiffances locales que j'y acquerrois facilemenf. LETTRE LXV. Du 16 Janvier 1787. ^ux yeux de qui fait que les révolutions a main armée lont rarement celles qui bouleverfent le plus ksEtats, c'eft une véritable révolution pour la Monarchie Pruffienne , que le premier exemple d'une maïtreffe en titre , qui va iequeftrer le Roi, former une cour a part, fufciter des intrigues qui s'étendront du palais aux légions, & modifier d'une maniere abfolument inconnue dans ces froides & flegmatiques contrées, les affaires , les choix , 1'adminiftralion , les faveurs. Le moment de la chüte & de 1'élévation de mademoifelle de Voff approche : de-la les intrigues, les farcafmes, les opinions, les conjeêtures, ou plutöt les augures... Du milieu de cet amas de propos yraisoufaux, ( -4- )  voici ce qu'on peut recueillir de moins invraifemblable. Ma verfion eft fondée fur les épanchemens de confiance de Mademoifelle de Voff avec une de fes anciennes amies. On a perfuadé a cette nouvelle Jeanne , a qui la dévotion faifoitinvoquerla bénédidion nuptiale , qu'elle devoit, cn y renoncant, s'immoler a la patne d'abord , enfuite a la gloire de Ion amant, enfin a 1'avantage de fa familie. La patney gagnera , lui a-t-on dit, une protedrice qui éloignera les confeilhrs avides ou pervers; la gloire du Monarque ne fera point flétrie par un doublé mariage ; votre familie ne fera point expofée a vous voir appellée un inftant Princeffe , & bientót réléguée dans un vieux chiteau avec une penfion médiocre ; le moment de votre faveur d'autant plusexaltée que 1'hymen n'aura pas fait votre fort, verfera fur vos parens 1'or, les dignités , les graces de toute efpece. On a mêlé les confidérations de la religion même a ces convenances. On a montré qu'il y avoit moins de mal auxcondeicendances de ia foibleffe , qu'a contrader un prétendu mariage , fans que 1'autre fut diftous. Enfin il a été décidé que la vidime de la patrie feroit portée a Poftdam , & immolée aSans-Souci oü 1'on a préparé une maifon fomptueufement meublée , difent les uns, fimplement, difent les autres & tout 1'attirail d'une favorite. Une nouvelle vraiment inconcevable , quidemande con- firmation, & que je répugne a croire encore , c'eft que leRoi proftitue fafille la princefle Frédérique, a être la coinpagne de fa maitreffe. Mademoifelle de Voff a une forte d'efprit naturel, quelque inftrudion , des manies plutöt que des volontés, une gaucherie très-fadlante qu'elle s'efforce de fauver par les apparences de la naïveté ; elle eft laide & même a un haut iegré ; pour toute grace , elle n'a que le teint du pays , encore , le trouvai-je plus blaffart que blanc; une gorge affez belle , qu'aufli couvroit-eiie 1'autre jour au fortir de la comédie du prince Henri , d'un doublé mouchoir pour traverfer les appartemens, en difant a la princeffe Frédérique : Soignons-ks bien, car c'ejl après eux qu'il court. Jugez du ton des Princeffes qu'un tel mot fait nre ; c'eft ce mélange de licence unique ( qu'elle unit aux airs de 1'ignorance innocente ) & de févérité de veftale, qui, dit-on, a féduit le Roi.  Mademoifelle de Voff qui trouve ridicule'd'être Allemande, qui fait paflablement 1'Anglois, joue 1'Anglomane jufqu'a la pamoifon , Sc croit qu'il eft du bon ton de ne pas aimer les Francois. Son amour-propre qui s'eft vu a la gêne avec quelques gens aimables de cette nation , hait ceux qu'elle ne peut imiter, Sc d'autant que fes farcafmes recoivent quelquefois un jufte falaire. Je n'ai pu tenir, par exemple 1'autre jour , a une exclamation faite a cöté de moi: O mon Dieu ! quand verrai-je donc , quandy aura t-il ici un Jpeclacle anglois > Ah !/en mourrois de joie ! Je dejire , mademoifelle, lui> dis-je affez féchement , que vous n'aye^ befoinplutót que vous ne croye{ d'un Jpeclacle frangois !... Et tous ceux que fes grands airs commencent a choquer , de fourire ; Sc le prince Henri, qui avoit feint de ne pas 1'entendre , de rire aux éclats; elie rougit jufqu'au blanc des yeux, 8c ne dit plus mot; mais on punit 8c ne corrige pas. Jufqu'ici elle déclare hautement la guerre aux vifionnaires Sc détefte les filles du premier favori, dames d'honneur de la Reine. Comme elle tranfporte au milieu de fes foibleffes une dévotion même fuperftitieufe, on ne peut parier avec avantage pour 1'avenir. Mais fi Fambition fuccède aux premières fenfations, il eft a préfumer que fa familie gouvernera 1'Etat. A la tête de cette familie eft le comte Finekeftein, dont la chute de 1'Empire n'ébranleroit pas la tranquïllité, mais qui verroit avec une joie inexprimable fes enfans jouer un röle. Vient enfuite le comte Schulembourg , nouvellement porté au miniftere, homme actif, autrefois même trop vif, mais qui paroït fentir que c'eft en fe montrant peu que 1'on fait beaucoup. Cette familie conferve une haine invétérée a Welner , qui jadis enleva ou féduifit une de leurs parentes, aujourd'hui fa femme. Ajoutez aux Finck le préfident de Voff, frere de la belle , qui du moins a cet efprit de calcul Sc cette avidité trés-allemande, avec lefquels on profite de ce que préfente la fortune. Pour peu que mademoifelle de Voff tire parti de cette fituation , elle doit préparer a Poftdam le renvoi de BishopfVerder Sc de Welner, ou du moins leur nulkté ; car en Allemagne on difpenfe, on ne renvoie pas. II eft poffible qu'elle-même foit mal dirigée, qu'elle fe confïe au premier venu, paree qu'elle eft indifcrette; C 143 )  qu'elle compte fur la conftance de fon amant, paree qu elle eft fans expérience fur la reconnoiftance ; paree que n'ayant obligé perfonne , elle n'a point encore fait d'ingrats : alors tout\eftera comme il eft, ou plutót tout s'aggravera; le Roi renfermé a Potsdam , d'oü il fera cependant des courfes très-fréquentes a Berlin, paree qu'il a contrafté J'habitude de courrir, ck que fon férail favori fera toujours aux mauvais lieux ; le Roi ne fera plus rien du tout , tolérera 1'uiage d'une griffe , ck précipitera autant qu'il eft: en lui le royaume a fa ruine , vers laquelle il tend aufli rapidement que le component ck les circonftances ck la force d'inertie prife dans le caraftere allemand , qui ne permet aux fous que des fottifes , ck préferve des délires trop deftrucleurs des paffions. Ajoutez que l'Empereur n'ofe rien, ne fuit rien, n'acheve rien ; qu'il's'éteint, qu'il n'a que des freres pacifiques Je ne ferois pas étonné que le porc d'Epicure, qui du moins n'aime pas le fafte, ck qui par conféquent ne fe ruinera pas de lui-même, n'attrape , graces aux circonftances ck aux intéreflés, une efpece de regne glorieux. On eft revenu fur le reglement militaire; les régimens de ligne ne feront point dénaturés; mais il paroit que 1'on formera un certain nombre de bataillons de chaffeurs; ce qui, avec de bons arrangemens, peut devenir utile, ck eft même une idee de Frédéric II. On ne peut rien dire encore a cet égard , fi ce n'eft qu'il eft fort étrange que Frédéric-Guillaume II croie pouvoir refaire quelque chofe ( la partie économique exceptée ) au fyftême militaire & a l'armée de Frédéric II. Le prince Henri aura probablement quelque activité dans l'armée ; il a été confervé le premier fur les liftes, malgré la nomination d'un feld maréchal; le Roi les aenvoyées chez lui hier par M. de Goltz lui-même, pour 1'en aflurer. C'eft un joujou donné a I'enfant. Les détails de fon exiftence militaire font, au refte, un fecret qui ne fe divulguera qu'a 1'apparition des nouveaux régiemens. Les aides-de-camp généraux yiennent fouvent chez lui. II eft douteux que ce foit a l'infu ^lu Roi ; & fi ce n'eft pas a fon infu , il eft clair que c^eft pour le tromper; ce qui, au refte , eft une peine inutile. II n'a point de plan contraire a la politique du pays ( je ne f 144 )  tic dis pas du cabinet, puifqu'il n'enexifte pas ),ck même il n'en a aucun. Le comte de Goertz eft rappellé, Sc M. de Hertzbers 1 ignoroit encore aujourd'hui ; il n'y a point de meilleures pieuves qu'on ne veut plus fe mêler des affaires de la Hollande , du moins direétement, & que 1'on n'aura pai la bonhomie de s'expofer $ une guerre pour les intéréts du Stathouder. Malheureufement la maifon d'Orange n'eri éft pas perfuadée ; elle 1'eft du contraire , du moins autant que j en puis jugèr par la lettre de la princeffe , arrivée par le courrier de ce matin, Sc dont j'ai lu une partie fur le dechiffre nud. C'eft fur-tout fous cè rapport que mon voyage a Nimegue , fous un nom emprunté , Sc avec une fimple autorifafion fecrette entr'elle 8c moi, pourroit etre utile. J'ai lu dans cette mime lettre que les patriotes cherchent un emprunt de feize millions de fiorins ou de plus de ttente-deüx millions de nos livres a trois pour cent, quoique la province de Hollande n'ait jamais donné que le deux & demi pour cent, ck qu'ils foient fort embarraffes pour les trouver. H; y a ici trois évêques; celui de Warmie , celui de Culm ( qui eft de la maifon Hohenzollern ) , & celui de Paphos Le premier; dont je vous ai parlé en vousrendant compte du voyage du Roi en Pruffe , 6k le même que Frédéric II reduifit a vingtquatre mille de cent mille écus que rapporten fon evêché, avant le.partage de la Pologne. Le Monarque lui d.loit un jour : Je n'ai pas pour mon compte & grand titres du Paradis ; faitts-my entrer, Je vousprie , fous votre manteau. A la bonne heure , lui répondit le prélat , (1 j *Jfe ™ Peh pas tant roSni' Ceft un homme du monde & de plaifir, qui fe connoït uniquement en beaux arts, Sc n'a m vues, ni projets, foit religieux, foit politiques. Lefecond a été au fervice de France; il ala rage de precher, d'être éloquent, Sc le goüt de faire du bien. Mais comme il a auffi la manie de faire des dettes 8c des enfans les fermons font fans fruit Sc fa charité fans effet. Ledernie,eft fuffragant deBrefW , jadis fort libertin& un peu athée' aujourdhui impuiffant Sc radoteur. Ces trois prélats, qui vont etre renforcés par celui de Cujavie, Sc le nouveau coadjuteur, le prince de Hohc-nloe, chanoine de Strasbour*, lom; ƒƒ. K ( '45 )  ne tiendront point de concile, & ne juflifieront pas les crain" les que les Luthériens ortodoxes, la Saxe entiere , qui ■voir, ici la pierre angulaire de la religion proteftante, ont concues fur Ie penchant du Roi au cathclicifme, L'un vouloit 1'aigle noir , qu'il a obtenu ; 1'autre un bénéfice vacant par la mort de 1'abbé Bathiani; le prince de Warmie une fomme ( a deux pc ui cent ) affez confiderable pour appaifer fes créanciers. Le prince Henri , après avoir donné un fpe&acle &c un grand iouper, a terminé le tout par un bal qui a commence aifez trifteirient & continué de même. Pendant qu'on danloit dans une falie, on jonoit au lotto dans un autre. Le Roi n'a ni danfé nijoué. Sa foirée a été pattagée entre mademoitfüe de Vuff & la princeflé de Brunfwick. Ha dit un mot a M. de Grott'naus , 6c rien a aucun autre ; auffi la plupart des acteurs & fpeétateurs lont partis avant lui. L'évêque dq Warmie, le marquis de Lucchefini, n'ont pas même été remarqués. J'aurois défié 1'obfcrvateur le plus pénétrant de deviner qu'il y avoit un Roi dans cette aflemblée. On étoit ennuyé , gêné, mais ni flatté , ni emprefTé. II s'eft retiré a minuit 6c demi, après que mademoifelle de VofTa été parti. On vpit jrpp quelle eft I'ame de fon ame , 6c que cette ame, inveftie d'une fi lourde enveloppe , eft bien peu de chofe. II faut vous attendre ïi cette continuelle répétition ; le lieu de la fcene change , mais jamais la fcene. P. S. La nouvelle du rappel de M. de Goertz eft faufle, & de la maniere dont elle m'eft venue, c'eft M. d'Eft** qui a voulu me tendre un piége, pu on lui en tend un. Je fais même des circonftances qui me feroient croire a la poffibilité d'une reprii'e de négociation. Je n'ai pas le temps d'en dire davantage. Le duc de Brunfsrick eft mandé, 6c il arrivé fous peu de jours. Le ccmte Wartenfleben , oublié pendant cinq mois, a eu hier matin un préfent de cinq a fix eens écus de rente, &c le commandement du régiment de Roemer a Brandebourg, C i46 )  ( M7) LETTRE LXVI. Du /o Janvier, /oar mon départ. Ceci ne partira que demain, mais doit arriver avant moi. Le comte Schmettau , gentilhomme complaifant de la princeffe Ferdinand, pere indubitable de deux de fes enfans, avoit quitté l'armée depuis huit années ; il 1'avoit quittée au milieu de la guerre , aigri par un mot dédaigneux de Frédéric , & dans le grade de capitaine. II vient d'être nommé colonel avec quinze eens écus de traitement. Cette pominition a déplu a l'armée, & finguliérement a 1'aidede-camp général de Goltz qui porte le harnois depuis vingtcinq ans, & n'eft que lieutenant-colonel. Au refte , le comte Schmettau qui a bien fervi, & recu torce bleffures, ne manque pas d'intelügence ; il a fur-tout beaucoup de connoiffances d'ingénieur. II a levé un grand nombre de cartes fort eftimées. On parle auffi avec éloge d'une efpece de manuel militaire oü il enfeigne ce qu'il faut faire depuis la formation d'un recru jufqu'au métier de feld-maréchal; enfin on auroit fupporté ce paffe-droit; mais un autre a mis le cqmble au mécontentemenr. On a antidaté la patente d'un major de Sechenkdorff, gouverneur du fecond fils du Roi, qui fe retire, & on lui a fait gagner trente-fix rangs. Cette dangereufe méthode que Frédéric II n'employa jamais que dans des occafions folemnelles, ck pour des fujets diftingués, & que fon fuccefleur avoit déja pratiquée pour le comte de Wartenfleben, ne tend pas moins qu'a répandre fur 1'exiftence des grades militaires une forte d'incertitude deftruétive de toute émulation : elle eft d'ailleurs infiniment dangereufe fous un prince foible, bien bizarre lorfqu'elle anticipe le regne; & dans tous les cas elle peut finir par öter au Roi même une de fes plus grandes reffources , le point d'honneur. II a dépofé cinq eens mille écus a la caiffe du pays , & en a remis le billet au porteur k mademoifelle de Voff. Ainfi, K 2  F I N. quoiqu il arrivé, elle aura toujours au moins quatre-vinaf mille livres de rente , outre les diamans, la. vaiffelle, les bijoux, les ameublemens, 8c la maifon qu'on lui achéte a Berlin : maifon de retraite , car elle ne 1'habitera pas. Son royal amant a imaginé lui-même route* ces délicatefïes; ck le réfultat eft que la fille Ia plus défintéreffée a mieux arrangée fes affaires, que n'eüt fait Ia plus habife coquette. Le temps nous apprendra fi fon efp'rft fe monteta au rang de fultane favorite. Les nouveaux impöts portent fur les cartes , les vins de France, le taffetas étranger, les huitres, le café le fu- cre. Pitoyables reffourees.' Comme on va a 1'aveugle mr tous ces objets, on les tient dans une efpece d'obfcuxité ; il femble qu'on effraie plutöt qu'on exécute. Aujourd'hui, anniverfaire du prince Henri , le Roi lui a fait préfent d'une fuperbe boïte évaluée douze mille écus ; a étalé la vaiffelle dor 6c fait en un mot tout ce qtie faifoit Frédéric II, fi vous en exceptez un grand concert répété la veille dans fa chambre; car il a du temps pour tout, fi ce n'eft pour les affaires... Des bordels aux alles , &je le battraï faeilement au centre. Gare que ce mot de l'Empereur ne foit une prophétie. Heureufement le prophete n'eft pas redoutable. Je ne ferois pas étonné cependant que tant de torpeur & de vileté ne 1'animaffent; mais s'il n'atfend pas deux années , au défaut de 1'énergie du' Roi, il trouvera celle de l'armée. P. S. Le duc de "Weimar eft a Mayence pour Ia nomination d'un coadjuteur, a ce qu'on prétend ; mais comme il vifite toutes les cours du Haut 8c Bas-Rhin , il me femble qu'il feroit bon de le furveiller. C -48,)