HISTOIRE SECRETE DE LA COUR DE BERLIN. T O M E III.   E S S A I SUR LA SECTE DES ILLUMINÊS» A PARIS, 1789.   AVERTISS EMENT. Soit en Allemand , foit en Francois, on a beaiicoup écrit depuis quelque-temps fur la Prune & contre la Pruflè. Le nouveau Gouvernement a été jugé avec une févérité extreme. Dans tous ces ouvrages , il eft queftion des illuminés. C'eft a cette Secle ténébreufe qu'on rapporte prefque tous les maux qui défolent Phéritage de 1'immortel Frédéric. Dans de telles circonftances , il nous a paru convenable d'appaifer la curiofité du Public , & de donner eet Enai, que la Vérité avoue-^ ra. Les tableaux font effrayans , les principes font pervers, les confe'quences font tërribles , & c'eft pourquoi nous avons écrit. S'il eft dangereux de parler, il feroit perfide de fe taire. Quoique 1'Allemagne foit le foyer de ces erreurs funeftes, quoiqu'elles y jouiflènt d'une haute proteétion ; elles ne font pas tout-a-fait étrangères aux autres Nations. La France n'eft pas entièrement pure; & fi dans la crife qui nous tourmente, les Martiniftes n'ofent, ou peut-être ne peuvent fe faire entendre , ils reparoïtront avec plus de danger lorfque le calme fera revenu. O mes Concitoyens ! croyez que nous ne répandons pas de faufTes allarmes. Nous avons écrit avec un aflèz grand courage , & hous fommes loin d'avoir tout dit; pourquoi ? c'eft que chez les hommes la vérité nue eft la plus violente des fatyres. L'ctonnante fcène racontée au chapitre neuvième , les incroyables myftères révelés dans les notes 3 font de valtes fujets de méditation. II y a a  cependant des impoftures ourdies avec plus dadreflè ; mais on ne peut encore les dévoiler fans indiquer le lieu de la fcène, & dès-lors c'eft livrer au ridicule des hommes que 1'Ordre Social a intérêt de faire rerpecler.  INTRODUCTION. Lorsque j'ai écrit eet Ouvrage , je ne me fuis pas flatté d'être cru , & conféquemment je ne me fuis pas flatté de convaincre. Quand on vient révéler des chofes fi. extraordinaires, il faut fe ré^ figner, & s'attendre a paflër pour un Déclamateur. Des qu'un Ecrivain eft déclaré tel, on fe difpenfe d'examiner fon Ouvrage. Mais fi la force du fujet avoit feule exaké 1'imagination , fi la connoiflance du mal avoit aigri le jugement, fi le noble defir de fauver les humains avoit armé 1'éloquence de ces traits foudroyans qui accablent Terreur , fi 1'on n'étoit forti de fon caraétère que preffé par 1'imminence du danger , tout Leéteur impartial devroit du moins obéir a cette crainte falutaire , qui trouble une fécurité perfide , & juger par lui-même fi les malheurs prévus font chimériques, ou fi la prudence ordonne de s'en occuper. Les gens honnêtes s'allarment , les gens tièdes doutent, les coupables nient, les fages examinent, & c'eft eux que j'invoque en ce jour, & dont je voudrois éguillonner le zèle. On feroit alièz porté a détefter cette machination myftique ; mais on ne croit pas encore a fon exiftence. II faudroit pouvoir articuler les faits ^ mettre a même de les vérifier , nommer les agens, accufer les impofteurs, produire les témoins, publier les écrits, commencer un prccès en règle, fuivre une informatioa Tout cela feroit poffiüle, a ij  Civ) fi les ^Coriphées de la feéte n'étouffoient pas la première voix qui s'élève dans les pays oü le Souverain eft le Pape de cette nouvelle Eglife. Je ne fais par quel enchanlement les Princes, ordir.airement partagés entre les plaifirs 6c ia foif d'un nom brillant, ont été les premiers a adopter une confédération oü ils ne peuvent que perdre. On en compte trente en Europe, régnans ou non-régnans , tellement imbus de ces abfurdités, qu'ils font inabordables a la raifon la plus tolérante. Veut-on compofer avec eux, & procéder par la logique la plus fimple, ils commencent par fe défier & finillënt par s'éloigner. On en voit qui feroient le rebut de 1'humanité, s'ils ne traïnoient pas un nom refpeclé, fe 'faire Prédicans & répandre dogme des Illuminés dans un infipide bavardage. D'autres, fe conftituer Protecteurs Fanatiques d'une Religion qu'ils ne comprennent pas, ouvrir leurs terres, qu'ils nommentdes Etats, a tous les Avanturiers que difperlè la Secle pour 'parvenir a fes fins. La plupart accueillent avec un empreflèment fanatique , tout ce qui porte la livree des Swedemborg, des SchroepÖèr. . En France , la Cour efi étrangère aux élémens de la Théofophie. Le mouvement rapide qui agite les -efprits , ne donne a aucun fyftème religieux le temps de fe développer. Les Corps Littéraires s'en moquent; la Bourgeoifie laborieulè, & heureufement peu inftruite, eft encore inacceflible a cette efpèce de féducftion. Mais il exifte une foule de petits partis anti-pbilofophiques, compofés de Femmes Savantes , d'Abbés Théologiens, & de quelques Prétendus Sages. Chaque parti a fa croyance, fes prodiges , fon Hiérophante, fes Miflion-  ( v ) ' naires , fes Adeptes, fes Détracïeurs. Ainfi Paris, Ie centre de toutes les charlataneries comme de toutes les lumières, offre des Vifionnairès de tous genres. Chacun tend a expliquer la Bible en faveur de fon fyftême, a fonder fa Religlon, a remplir fon temple, a multiplier fes cathécumènes. Ici Jefus-Chrift joue un grand róle; la c'eft le Diable- ailleurs c'eft la Nature; plus loin c'eft la Foi. Partout la raifon eft nulle , la fcfence inutile , L'expérience une chymère. Barbarin fomnarnbulife , Caglioftro guérit, Lavater confole, Saint- Martin inftruit, d'E**** (i) resfacra mi/er. Tous empioyent Terreur pour arriver a une répuration utile; & fi Ton excepte Lavater , cui', par un mélange d'efprit & de bonhomie, fait de bonne foi des dupes , les vifions font dans la main des autres un refiort dont ils. combiöent les mouvemens avec adreflè. En Allemagne , les Cours donnent une impuifion k tous les efprits. Ils font plus folides que rafinés, dès-lors on le convaine avec des menfonges mis en fillogifinés. Dès quon a tourné leur bonhomie naturelle vers leur idole, qu'ils nomment philantropie , il y a peu de travers qu'on ne püifie leur faire adopter. Les petits Princes, qui ont ia manie d'être loués , & dont les noms s'oublieroient aifément dans les grands intéréts qui agitent conti ■ nueilement TEurope, fe laifient aller au doux encens dont les enyvrent les Prêtres des Illuminés , prodigues d'éloges juf'qu'a la fatiété dans des livres que perfonne n'achève , mais que beaucoup de ( O I! fubiflbit alors les horreurs de 1'exiJ aux ifie* Sainte Marguerne. a 'lij  ( vj ) gens commencent. Les femmes fe jettent auffi dans cette myfticité , & s'imaginent par-la renufciter les beaux jours de leur innocence; la claftè des Courtifans embraflè la nouvelle Seéte , paree qu'entre les Protéóteürs & les Adeptes, il y a un commerce de penfions, de préfens , de titres , dirigés contre des initiations, des myftères révélés , des prédieftions confolantes ; il en réfulte une grande fidélité a des dogmes rémunérateurs. En Pologne & en Ruffie, i!s font des Profélites , en Ruffie fur-tout, oü la Religion fe prête aux fyftêmes myftiques & a tout ce qui tient a Pentoufiafme. U y a • de grands Perfonnages qui apoftolifent ; & quoique l lmpératrice rejette tout ce qui tient aux foiblefles de 1'efprit humain , ilfe trouve des Théofophes , même fous fes yeux , qui les évitent ou les bravent. Puifle fon Succeffeur hériter de la même Philofophie! Puiffe cette vafte contrée ne connoitre d'autre efclavage , que celui auquel la condamnerent fes premiers maïü-es! Croiroit-on que 1'Angleterre, ce pays oü Pon penfe, n'eft pas tout-a-fait afR-anchi de ces honteufes croyances ? Ce n'eft pas un fyftême complet, k Pinftar de 1'AlIemagne, mais il y a des efpèces de confréries oü Pon dogmatife , oü Pon foutient, par des fecrets , le zèie des Initiés. Les progrès feulement font moins rapides que par-tout ailleurs , paree que les Anglois voyagent beaucoup ; & quoique la plupart voyagent très-mal, ils apprennent cependant a connoitre la maflè des hommes & du moins s'appergoivent que par-tout c'eft Pefpèce la plus vile & la plus méprifable qui fè dévoue au métier de tromper & d'abrutir la condition humaine.  Nous avons long-temps balancé a publier eet écrit. C'eft fonner Palarme , dira-t'on , c'eft donner plus de confiftance encore a une Seéte naiflante, qui renferme cent fois plus de Dupes que d'impofteurs. Jufqu'icicesgrands Corps, dépofitaires de lafcience, n'ont pas embraflé ces dogmes nouveaux; & n'y eutil qu'un jufte , il faut faire grace , en fa faveur ,k tant d'hommes dont tout le crime eft de n'avoir pas recu de la nature cette heureufe & rare perfpicacité qui met a 1'abri de la féduétion. Loin de nous de tels principes. C'eft la pufillanimité qui prend le mafque de la commifération. Quoi! nous devrions nous taire , paree qu'on criera a la caiomnie! au libelle , a la méchanceté ? La calomnie! Mais il eft des hommes que Pon ne peut pas calomnier. La noirceur de leurs projets eft un abime méphytique , dans lequel le vulgaire des mortels n'eft pas capable de defcendre , & qui feroit encore inconnu fans les exhalaifons perfides qui fe répandent au loin pour le malheur du monde..... Un libelle! Eh oui, fans doute , eet Ouvrage , oü Pon pariera d'eux , en fera un ; car Pon n'aura que des vices a préfenter , que des crimes a révéler, que Phypocrifie a peindre.... La méchanceté ! Eh qui en eft le plus coupable ? celui qui laifïè froidement égorger fes Concitoyens, ou celui qui place des fentinelles fur la route du précipice ? II s'agit bien d'égards, de ménagemens , de politeflès, avec des hommes de ter , qui, le poignard a la main , marquent leurs viclimes. Suivez , fuivez ces laches principes; vous , dont le métier eft d'aduler les Rois , d'excufer leurs méprifes , d'exalter les moindres élans de bienfai- a iv  ( viii) lance , & de divifer quelques qualités douteufes. Achetez a ce prix , je ne dis pas même les honneurs , tous vains qu'ils font, mais un peu d'or , digne préfent de votre ame, & ne venez pas nous parler de votre amour pour la vérité ,. de votre philantropie , de vos engagemëns avec la vertu; reprene? votre infolente eflïme pour ces Filles du Ciel, &. réfervez-la pour les Dieux de votre Secle. Quand on leur tient de fenjblables difcours , ils ne peuvent répondre; moins encore réfuter. Ahvs ils pepfécutent & fubftituent 1'ufage tyrannique de 1'autorité , dont ils font dépofitaires , a 1'ufage du raifonnement qui les ferviroit mal. Pour échapper a 1'odieufe réputation attachée aux Perfécuteurs, ils détournent le cours des graces, de la juftice même; car employer le talent modefte, eft une dettequ'on acquitte. Ils détournent, dis-je, le cours des graces de leurs Adverfaires , & les laifient végéter dans eet oubli humiliant, qui équivaut a une perfécution, la feule peut-être qui tourmente le génie. Méprifé, il va chercher des climats- moins injuftes ; ou s'il demeure inflexiblement attaché a fes pénates, c'eft pour combattre , & arborer 1'étendard de la raifon. Alors les' Partis fe forment, les querelles naiflènt , les plans de défenfe fe combinent, le mécontentement devient général ; les voifms ambitieux en profiterit, les guerres s'allument, on place des Généraux Vifionnarres a la tête d'une armée négligée, phis inquiette de 1'argent qui la foudoira, qu'empreflée a défendre un pays qui lui eft devenu étranger. On met aux premières places des hommes lans nerfs , fans génie, ou quelques hommes capables, mais qu'on a bien  (ix) foin d'afTujettir & de fubordonner a la médiocrité en faveur. On anéantit la penfée par une furveillance inquifitoriale ; on enchaine les preiflès, qui retiennent toute efpèce de vérités , ou afflige la Religion fagitive & for'cée de céder fes chaires 6c fes autels a des Dieux fantaftiques; on fait des Lycées de vaftes folitudes, puifque la, oü toutes les carrières font remplies par des Uluminés. ce font les Loges, & non les Univerfités qu'il faut fréquenter. Ce n'eft donc pas 1'odieux plaifir de me'dire , quoiqu'il fut doux de venger 1'honnêteté, qui nous a mis la plume a la main. L'efpoir , foible il eft vrai , oui , 1'efpoir d'enlever quelques hommes vertueux a la fafcination des illumine's , m'a foutenu dans cette carrière. Depuis quelques années, je me fuis pre'fènte' dans 1'arène fous des formes diverfes. Tantöt enveloppé fous le voile de la fktion , quelquefois dans le champ clos d'une Académie , plus fouvent dans des difcuffions approfondies , j'ai révélé d'étranges fecrets. Je viens aujourd'hui envifager la matière fous des points de tue plus importans, & préfenter une fuite d'idées qui, par degrès, mènent a la convicftion. Cherchant la fource du mal dans le penchant funefte qu'ont tous les hommes au merveilleux , un coup-d'oeil rapide fur les fiècles de notre Ere , montre que tous ont a rougir d'incroyables erreurs ; dans aucun temps, elles n'ont laiffé refpirer la terre, elles fe font relevées , mais n'ont jamais- difj^aru. L'homme leur fourit, & femble fe fauver dans leur fein des auftères legons de la vérité. Quelques pays privilégiés les naturalifent , 6c s'aban-  (O donnent a leur influence menfongère, tous Paccueillent du moins , s'ils ne fe livrent pas. Avec quelle chaleur PEurope n'a-t'elle pas défendu les Jéfuites , qui ont prêté tant de reflburces au fyftèine théofophique. Ils exiftoient fous le diad^me & fous la thiare, fous le cafque & fous la mitre, fous le mortier comme fous le bonnet doctoral. Le même fanatifme qui les confervoit a reffufcité depuis trente ans POrdre des Francs-Macons languiflant, & gardant fans peine un fecret que perfonne ne s'empreflbit de favoir. L'examen philofophique du régime des FrancsMacons, nous a conduit a l'examen plus réfléchi encore de la Seéte des Uluminés. N'étoit-il pas indifpenfable de féparer les idéés vulgaires ou précipitées, de celles qu'on doit fe former d'une aflbciation ténébreufe , dont les myftères fe dérobent foigneufement a tout rjeil profane. II falloit parcourir ces Cercles fameux, le vrai fecret de POrdre , le grand inftrument des fourberies, ces laboratoires de Piniquité , oü Pon forge des fers pour les Rois, & oü Pon diftille le poifon pour les humains • raconter enfuite ces épreuves terribles qui précédent les fermens, dont les fcelérats' même n'ont peut-être pas la formule , & n'olèroient du moins Padopter pour Hen de leurs complots-, fermens qui réalifent la fanglante fable d'Atrée , ck couvriroient la furface de la terre d'une nation d'aflaffins. Si ces allarmes- font exagérées , bien eft-il vrai qu'on peut & qu'on doit croire que la Seéte des Uluminés détruira néceffairement le Royaume oü elle fera protégée , & ne refpeétera pas même la fociété. Cette doublé vérité eft auffi clairement  C *i) prouvée que celle qui la luit; c'eft-a-dire , que les Rois eux-mêmes font les plus intérefiés a couper le pied de eet arbre empoifonné , dont les racines touchent aux enfers, &. dont la tête ombrage leur tröne. Après le trifte rpeétacle mr lequel nos yeux ont repofé trop long-temps , nous avons cherché quelque douce illulion dans les moyens d'enacer ces fatales impreffions, & pefé fur ce que Fon en a penfé dans les ages qui ont précédés le nótre. Cette idee feule, développée par une plume plus habile , laiflèroit dans 1'elprit une réflexion profonde & bien défavorable aux Seétaires , réflexion qu'il faut fortifier par le portrait fidele de leur Fondateur , &. un coup-d'oeil impartial (ur la fituation oü fe trouvent les Nations réputées proteclrices des erreurs a la mode. Cette dernière partie de 1'Ouvrage efi terminée par 1'offre de quelques moyens propres a affbiblir leur crédit. Nous avons rejetté a la fin des Notes Hiftoriques. II y a des morceaux traduits de 1'Allemand , entièrement inconnus en France & en Italië. La plupart des autres n'ont jamais paru. Ils pouvoient être bien plus nombreux. Nous en avons dit aflèz pour quiconque cherche a s'inftruire. Nous ne pouvons nous difiimuler c ue prefque toutes nos idéés ne foient dirigées contre 1'Allemagne , & nos portraits d'après 1'original. Cela même ne prouve-t'il pas combien ce Livre eft nécefiaire ? S'il exifie des hommes tels que nous les avons peints, un danger imminent nous menace. Si nous n'avons oflert que des Etres imaginaires, ces feuilles voleront bientót fur la furface du fleuve d'Oubli, & n'exciteront pas même cette  ( xi) ) curiofité momentanée , qui eft encore loin du fiiccès. Mais le même aéte de fincérité qui livre au Public nos intentions, fera auffi garant de notre facon de penfer fur un nombre confidérable d'excellens Efprits , toujours animés , comme nous, d'une Sainte horreur contre les Vifionnaires. Öui, 1'Allemagne recéla dans prefque tous les Ordres de la Société des cceurs honnêtes , qui gémifïènt fur les projets de ces Novateurs myftiques. Ils s'étonnent qu'un pays, dont le caraétère national repofe fur la franchife, puifïe être dénaturé au point de s'ouvrir a des Apötres dont le refibrt principal eft 1'impofture. Ils gémifïènt de ce qu'un Peuple , dont 1'idole chérie eft la Raifon, fe mette a la fuite de quelques infenfés , qui profeflènt la folie & enfèignent des chymères. Ils employent les deux reflburces que le Ciel a mis aux mains du Sage , le mépris & la retraite. Ils pref fent , ils animent ceux qui defcendent dans ï'arène. Ils fèntent, comme nous, que le remède efficace feroit peut-être une de ces grandes convulfions qui naiflènt de la chaine des évènemens, fans quTi foit au pouvoir des Rois de les éviter. Entrainé dans une de ces querelles fanglantes qui agitent 1'Europe entière , une nation n'invoque plus des efprits ; Phabileté "& 1'expérience deviennent alors les Divinités Tutélaires du monde; les préceptes fe régénèrent , le courage exerce fon empire, chacun prend fa place , les Üfurpateurs de renomméesfont démafqués,lesamesfortess'emparent d'une contrée , & devant eile on voit fuir & dirparoitre des hommes que le fort avoit deitinés a vieiiïir.  ( xiij ) Dans les honneurs obfcurs de quelque légiorl, Ou dans les travaux fubalternes de quelques chancelleries. Quelle deffint formé le monde & les hommes. Les Anges , créa» teurs par impuiffance ou par méchanceté , enfer» moient 1'ame humaine dans des organes oü elle » éprouvoit une alternative continuelle de biens & » de maux, qui finiflbient par la mort. Ména'n- 31 drealïuroit qu'il étoit envoyé par les Génies bien» faifans, pour apprendre le moyen de triompher » des Anges créateurs. Ce fecret confiftoit dans un y> bain magique, qu'on appeloit lavraieréfurreftion.w Cette doctrine dura plus de cent cinquante ans, & vient de reparoitre a Paris fous le nom de Bons & Mauvais Efprits. Dans le fecond fiècle Judas , le traitre Judas, trouva des adorateurs qui commencèrent par vénérer Caïn. » lis engageoient les hommes a détruire les * ouvrages de Dieu, & a commettre toutes fortes » d'mfamies, perfuadés que les aftions les plus cri» minelles conduifoient au falut. » Les Hdcéfaïtes répandoient dans la Palcfiine même, que Ie Chrift n'étoit qu'une vertu célefte, qui, dès le commenccmcnt du monde, avoit paru de temps en temps fous divers corps. Les difciples de Maricon jeünoient le famedi par averfion pour le Cféateur, profcrivoient le manage, & pouilbient'la- A 2 ■  ( A \ hame de la chair jufqü'au fuicide j nè péut-ón pas ainfi nommer la férocité de violei; la palme du martvre ? Le troifièrae fiècle nous raontre les Valëiiens , qui faifoient frémir la nature, & dont un des rits étoit cette honteufe mutilation , dont Origène donna 1'exemple barbare ( Note/I'ere )• Un Banquier met Melcbiièdech au-deflus de Jélüs-Chrifi , nie la Divinité de celui-ci & trouve des Se&ateurs; tandis qu'a la même époque Paul de Samofate fait du titre de iils de Dieu une récompenfe , & non une effence divine. Les Circoncdïwns s'avifent de donner la liberté aux EfeteuiS-daes le quatrième iiècle; ils déchargeoient les Debiteurs de leurs engagemens . le tout paree qu'ils étoient les Chefs des Saints , & dans cette qualité menacoient de la mort les Créanciers. Tandis qu'a la même époque Pothin , Rvêque de Sitmifch , nioit la divinité du R édempteur , & que les Frifcjlüanipi en Efpagne tenoient la nuk des alfemblées de proilitution , ou les hommes & les 1'emmes nuds prioient & avoient pour maximes de fe parjurer plutöt que de violer le fecret de ets myftères de débauche. C'eft au cinquième que Palogi, moine Anglois» foutint que 1'homme peut s'élever a un tel degré de perfèaion, qu'alois il n'eft plus fufceptible de pafiion , ni fujet au moindre pêché. Erreur commode & chérie, renouvelée de nos jours fous d'autres noms. C'ellaufixième que les Ifocrifics cherchèrent a avilir les miracles des Apotres, & que Gaien , évêque dAlexandrie, foutenoit que Jéfus-Chrift avoit un corps qui n'en n'étoit pas un. Dans Page fuivant, les Eidtes fe mettent a danfer & a fauter, difant que c'étoit la grande manière de louer Dieu. Le huitième ne fut occupé qu'a retenir la crédu. lité humaine, qui tranfportoit aux images le culte dü a la feule Divinité. Et cinq conciles s'enbrcèrent en vain d'ëclairer la fuperftitieufe piété de fidèles. Les Bulgares parurent dans le neuvième Iiècle,  Cs) pourprofcrire 1'ancien teftament, & annoncerque 1 enfer étoit la digne récompenfe de tout mari qui donnoit des enfans a la patrie. De fon cóté, le bénédiftin Gotefcale prêchoit que Dieu néeeffite tous les hommes a fe fauver ou a fe perdre ; & fouetté publiquement devant Charles-le-Chauve, il offroit pour preuve de fa doctrine, de paffer quatre fois par des tonneaux pleins de poix bouillante. Une femme Italienne fe met a dogmatifer en fecret dans les environs d'Orléans ; fa doctrine perce & féduit même des Prêtres , qui, pour leur fiècle , n'étoient pas fans réputation. Ils deviennent les échos de cette Dame, & foutiennent fes erreurs dans un concile contre des Evêques , qui, au lieu de les convertir, vouloient les convaincre. Ils perliftèrent, & pour dernière réponfe on les condamna au feu. L'archidiacre Bérenger, qui vivoit en 1050, perfuade a beaucoup de Prélats que le pain & le vin , après la comëcration , n'étoient pas le corps & le fang né de la Vierge , & qui avoit été attaché a la croix; mais que le verbe s'uniffoit au pain. Ces incroyables queftions étoient prêtes d'armer Henri Ier, roi de trance, contre les Sèétateurs de Bérenger, lorfque divers conciles fubftituèrent les foudres de 1'Eglife aux lances & aux arbalètres du brave & malhcureux Henri. A Ja fin du douzième fiècle , des fanatiques abjurent la fociété, & pour iignal prennent un capuchon blanc, au bout duquel pendoit une petite lame de plomb. D'après des aci.es de folie & de cruauté, ils fe croyoient en droit de s'emparer de tout ce qui leur étoit néceffaire. Cartouche avoit fait le même plan que ces ichifmatiques de la vie civile , qu'on nommoit Caputus. Le pape Innocent III anathématila , dans ce temps-la , les Orbibariens, iniiniment plus coupables, puifqu'ils ne faifoient que nier le jugement dernier. Vers le milieu du treizième, les hommes commencèrent a fe fouetter. Ün moine Dominicain croit défarmer le bras de Dieu a Ebree de difcipline , & 1'ort voyoit das Prêtres , allant de ville en ville , les épaulès Af,  . (6) *nues& Ic fouet a lamain,(e fuftiger de paufe en paufe, Ceux qui ne donnoient pas dans ces manies étoient ■a la iuite d'Amaury de Chartres , qui difoit que la matière première étoit Dieu , & que les hommes étoient les membres de Jêfus-Chrift , en groffitfbient la fecte des Albigeois , auteurs des contes de Lucifer banni du ciel & produiiant le monde vifible. Après eux les Beguanfc vinrent en Allemagne apprendre aux mortels que la fornication n'étoit point un pêché, mais que c'en étoit un très-grave d'embrafTer limplement une femme; & Dulcin fe donna pour fucceifeur de Jéfus-Chrift , fous le nom de Chef du troifième règne. Peut-être faut-il avoir plus d'indulgence pour fanglois Wiclef, qui articuloit que Ia ConlMïion extérieure eft inutile a un homme.... qu'on ne trouve point dans 1'évangile que Jéfus ait ordonné la meffe qu'il eft contraire a 1'écriture-fainte que les Eccléiiaftiques aient des biens temporels. C'eft peut-être ce qui donna lieu aux opinioniftes hérétiques du quinzieme iiècle , qui refulbient de reconnoitre le Pape , paree qu'il ne praüquoit pas la pauvreté. Jean Hus fut au-dela , & prëtendit que Saint-Pierre n'avoit jamais été Chef de 1'Eglife de Rome, & expia, dans le feu , une affertion que depuis M. Frcret n'a pas laiffé problématique. Le fejzième vit aufil Tinquihtion rillumer fes flammes a Cordoue contre les ïlluminés, difciples de Villelpando, de 1'iiïe de Té•nérifte, & d'une Carmélite , appelée Catherine de Jéfus. Us fe déclaroient être dans un état li parfait qu'ils ne pouvoient pas pécher, même en commettant les aclions les plus infames. Les Oints, plus adroits , avancoient qu'on ne pouvoit faire d'autres péchés que dê ne pas embralfer leur doctrine. Un Jëfuite vint dans le iiècle fuivant feconder les efForts de la Carmélite , & dire qu'on pouvoit fe ïiyrer a toute efpèce de volupté , pourvu que la partje fupérieure demeurat attacheé a Dieu par 1'oraifon de quiêtude. Les folies du Janfenifme , & fes auf-  térités, font trop préfenfef^nos efprits, pour qu'il foit befoin de les retracer. 1 Enfin 1'Jge oü nous vivons, a vu les Héernhutes, chez lefquels Jéfus eft 1'époux de toutes les fceurs & leurs mans lont, a proprement parler, fes procureurs. Les falies fe dévouent au Sauveur , non pour ne jamais ie marier, mais pour ne fe marier qu'a celui que Dieu aura fait connoitre pour être réaé&c &c" dG nmp0rtance de l'état ConjUgS , Nous avons omis les Secïaires ,qui admettoient les iemmesa la prëtrife ,& attribuoient a Eve toutes les connoiiiances , paree qu'elle avoit mangé du fruit de larbre de la Science du bien & du mal... Les Antlnahltes, qui regardoient le travail comme un crime ... Les Libres , qui avoient les femmes en comnuw , & préféroient les mariages contraftes entre ireres & iceurs ( i). Telle eftl'hiftoire de 1'efprithumain relativement aux idees religieufes. Les promoteurs de ces idéés lont oubliés, ou, ce qui eft plus cruel, ne font cités que pour etre dévoué au mépris des nations. Par quel incroyable aveuglement prodiguons-nous notre refpett & notre conliance a leurs héritiers , dont les uns ne lont que renouveller leurs anciennes extravagances , & dont les autres ne favent que les empoilonner? Qu'eft-ce donc que notre fcience 2 A quoi fervent nos Univerlités , nos Bibliothèques , nos Academies nos progrès en Philofophie, nos voyages, li nous relfufcitons les mémes erreurs qui ont valu aux faècles précédens lejuftes flétriffures de la poftéritë. Pels ont été les hommes, tels ils font. Un penchant mvincible les entraine vers 1'abfurde, vers le merveilleux. Le fimple les trouve froids, la raifon (* 1) Cette fuite de ritations paroltra peut-être un peu longue a quelques Letteurs; mais ü nous femWe £e ^ dgs » 4 nes n'eft pas fans intérêt.  ( 8 ) les ennuie, le bon les dégoüte, le vrai les fatigue, & la paix les afloupit , le bizarre les excite, la folie les amufe, le mauvais les tente, le faux les^aiguife , le trouble leur donne de nouvelfes forces. C'eft; dans les grandes querelles que les efprits fe dé-, ployent, "c'eft dans les guerres civiles que 1'énergie du caraètère fe développe; c'eft mr-tout le merveilleuxqui entraïne la multitude a tous les excès de la cré'dulité ; & lorfque certaines erreurs fe font emparées de 1'opinion générale , elles ne 1'abandönnent plus. On croit encore que 1'éléphant n'a point de jointures , que 1'autruche digère lefer, qu'il yaung année climatérique, & cent autres idéés abfurdes qui furvivrontbien long-temps aux lumières de ceux qui nous en ont démontré la fauffeté. Dans pküieurs pays cependant on accueille avec emprtffement les lumières prophanes ; mais la même il refte dans la plupart des hommes une diipolition toujours prête a failir un nouveau fyftême religieux, & tout homme né avec de 1'éloquence, les dons extérieurs, & 1'infenübilité aux plaiiirs , eft a-peu-près fur de faire une fecte , s'il a le courage de paffer les dix premières années de fon apoftolat dans 1'obfcurité dont il ne doit fortir que par un preftige , ou a la voix de la curiofité publique. Après avoir eonfidéré 1'état & les penchans de 1'efprit humain , examinons la diipoiition attuelle des diff'érentes nations de 1'Europe. CHAPITRE LI Difpofitions morales des Nations Européerines* LoiLSQUBi'on canfidère les établiiTemens nouvelle-ment fi'its en Ruffie, en Efpagne, a Naples, lorf-. qu'on litles ouvrages qui fortent des preffes angloiies & francoifes, lorfqu'on repaffe cette quantité de noms.  C 9) celèbres qui dominent au-delfus de leurs contempO' rains, on eft porté a croire qu'il s'eft fait une révolution générale dans la penfée , & que les hommes d'aujourd'hui ont laiffé bien loin derrière eux ceuxqui les ont précédés. Mais lorfqu'on veut s'affurer a foi-mêmela vérité de cette obi'ervation , pour en devenir caution auprès de fes lecteurs , on eft tout étonné de voir que les Grands &le peuple font étrangers a ces inftitutions , & que dans la clalfe intermédiaire, les befoins journaliers de la fociété occupent une li grande portion d'humains, qu'il neleur refte pas un quart d'heure dans lajournée pour s'occuper de cequi mène a lareétihcation des idéés. De-la vient que la raifon ne fait pas fe défendre du joug que lui impofenr. les nouveautés , lorfqu'elles 1'allarment fur 1'avenir , ou qu'clles 1'invitent a des découvertes dont le fruit elt une jouiifance inconnue. II eft affez dans la marche de 1'efprit humain de paffer d'une extrémité a 1'autre. II exifte depuis environ foixante & dix ans une facon de s'inftruire qui mène a la vérité, s'il eft au pouvoir de i'homme de la faiür. Cette manière confifte a remonter par 1'analogie , de la connoiffance des objets foumis a nos fens, a ceux qui leur échappent; 4 fixer le degré de certitude que nous devons a ces connoiiTances , & a commencer par le fcepticifme défolant, pour parvenir au petit nombre de principes établis fur des faits, principes qui deviennentles loix de notre raifon. Cette facon de procéder a banni les errcurs groffières, a dévoilé les fourberies dont les intéréts puiffans fe faifoient des reflbrts pour conduire les hommes. Ceux qui 1'employoient, ne fe font pas renfermés dans de j uit es hornes, & n'ont quitté les ténebres de la fuperftinon , que pour fe jetter dans le vague del'incrédulité. Ils ont fourni des armes a leurs adverfaires, & ne les ont combattus qu'avec la fupérjorité de la lumière fur 1'ignorance. Ceux-ci , vaincus, jnt cédé 1'empire de 1'opinion a la Philofophie, i\' fe lont contentés d'avertir la foule de la hauteur defpoüque avec laquelle elle étoit traitée. Ona  ( io ) dëtefté ces nouveaux Prccepteurs du genre humain. lls'eft trouvé alcrs des Docteurs humbles dans leur doctrine , avouant qu'ils n'étoient rien par eux-mêmes, & qu'on ne devoit les confidérer que comme des vafes dans lefquels Dieu daignoit verfer fes révélations. Cette adroite modeftie a confolé les efprits, jufques-la méprifés; & 1'on a prêté une oreille coraplaifante a des hommes qu'on trcru pouvoir égaler, & qui nous bercoient de l'efpoir enchanteur de connoitre 1'avenir. En France, oü tout eft tributaire de la mode, oü chaque événement, oü chaque opinion, oü chaque nouveauté font sürs d'obtenir tour-a-tour un moment d'enthouhafme, on ne peut pas dire que le fyftême vilionnaireaye remplacéla Philofophie;ll exifte encore trop de bons efprits , gardiens des bon§" principes : mais on ne peut pas nier cependant que ce ridicule refpede des aifoeiations naifTantes, & que beaucoup de gens ne commencent a doutcr, ce qui fuppofe une demicroyance. Cette multitude de livres fur la religion, faits par des perfonnes qu'on fait ne pas croire a la dominante, ces fociétês harmoniques , cette adoption d'un fyftême raagnétique, dont le fuccès tient a 1'union avec Dieu, comme fi de foibles créatures pouvoient fe pcrmettre de croire qu'elles font les hitermédiaires entre Dieu & les créatures. Cette quantité de mëdecins fpirituels, qui fubftituent des prièrcs a la rhubarbe, & de l'cau bénite a la faignée, font des nouveautés qu'on ne profcrit point aifez. Des Corps refpeftables confervent dans leur fein des hommes dont il faut au moins foupconner le bon 1'ens, fi on n'accufe pas leur hncérité. Des maifons ne s'ouvrent qu'aux partifans d'une certaine doctrine. Parmi ceux même qui ne font pas profeflion de croire aux dogmes nouveaux, il y a un certain éloignement pour tout ce qui tient au progrès de la raifon. Ce qui vient de fe paffer a 1'occaiion de l'Editqui rend a la fociétélesnon-Catholiques , n'en eft il pas une preuve ? Depuis cinquante aas on vouloit effacer cette tache a la mémoire de  ( ir ) Louis XIV. On a formé les vceux les plus ardens pour faire accorder une tolérance qui fait partie du droit des fujets ; & lodqu'un Roi biehfjiifant eft fur le point d'exaucer tant de voeux , les difticultés fortent de toutes parts , on le force a reftrcindre fes dons , & a peine eft-il promulgué , eet Edit,que des Prélats fanatiques élévent leurs voix contre, & confignent dans des Cents imprudens, des opinions rebelles & des exprellïons injurieufes au Monarque , a la loi & a fes organes. La Cour, il eft vrai, repoulTe ces idéés fanatiques, & nous ne puifons nos allarmes que dans la facilité avec laquelle s'opèrentquelquefoisles plusétonnantes revolutions. En Allemagne, le caradère national feprête davanaux idées myftiques. La fervitude y frappe tous les efprits ; il y a tant de connedion entre la liberté de penfer & la liberté civiie! Le culte religietra confifte en fennons. Dans cette foule de Prédicateurs , .il en eft , qui, pour fe diftinguer , prêchent une doctrine extraordinaire. II en réfulte un mélange de catholicifme, de luthéranifme, de dogmes réformés, qui ne donne jamais de notions claires fur ces grands objets. En général, les Allemands ftudieux , appliqués, trouvent dans leurs Univerlités toutes les reffources poffibles pour l'inflrudion. Mais peut-être v fait-on mieux ce qu'ont fu ceux qui nous ont précédés, que ce qu'on devroit favoir pour le moment pré/ent. Cc: plus dangereufes chezunpeuple opiniatre, qui fe eroit dépoiïtaire excluiif de ia raifon , & qui compte pour peu de chofe les dons de 1'efprit , de l'éloquence , & ï'art de faire desconquêtes. La multitude des Cours favorife néce/Tairement 1'ignorance. Par-tout elles font 1'aiile de la frivolité , deïintrigue, des tracafferies, &c. &c. : en Allemagne , elles font Gelui du défoeuvrement. On cabale pour .une clef, comme ailleurs pour un gouvernement. On fait tout ce qu'il faut favoirpour ces grandes.fonctions', c'eft-a-dire , rien 5 & comme la fefte des llluminés eft la feule au monde oü 1'ignorance foit une qualité précieufe , il n'eft pas étonnant que des gens qui ne font rien, & ne peuvent pas être différemmcnt, ' faiiiffent une occaiion de devenir quelque chofe.Qnpeut hardiment faire remonter cette oblêrvation jufqu'a des rangs fupérieurs. Car enfin, qu'eft-ce que la naiffance iiolée de toute efpèce de taiens , ou des grandes qualités du cceur ? Vu la multitude de religions re-nes en Allemagne, une nouvelle croyance ne fait pas autant de fentation qu'en France , oü 1'on n'entend prêcher qu'un feul dogme , oül'on ne voit que lè même culte. II eft des villes , des pays oü 1'on eft plus occupé des fciences utiles que dans d'aut'res » mais on n en pourroit pas citer un oü le parti de la raifon domme avec empire. A Vienne même , théatre de tant de petites révolutións , les fciences oceulteS' ont - dej protecleurs dans les premiers rangs de la fociété ; & s'ils fe cachent un pcu mieux que dans o-tames villes ils n'en font pas moins connus de ceux qui ont quelque intérêt a fuivre les progrès de ces chimères. La Pologne a recu auflï les nouveaux principes auxquels du moins la nóblefleöbéit, & fes a fait pafier en R uflie, oü ils règnent encore fur im peut nombre ue profelytes, rlmpératrice ayant hautement proient ces types de l'humaine imbécillitë. Sans être inconnue en Suédc , ils y fontfoiblement protégés. Un des pnncipaux chefs avoit voulu les naturalifer en Danemarck, mais 1'on a ftgement éloigné fa politique & famyftiute.  (ïl) il femblé que 1'Italie s 'eit fauvé de parëille illufion ; & ü Naples conrerve encore quelques Adeptes nés du fang des Martyrs, on n'appercoit leur inüuence , ni fur 1'adminiftration , ni fur les lciences. Le Prophéte de Zurich a pris 1'Allemagne pour le théatre de fes conquêtes, & a fenti que ce c'eft ni a Berrie , ni a Lauzanne , ni a Genève qu'il faut prêcher fa doctrine, deiflo pane non vivit homo. La Hollande ne tardera pas a faire un traité d'alliance avec le fyftême théofophique , c'eft un pays fait pour lui. Les PaysBas Autrichiens feront peu de réiiftance ; mais il ne paffera pas les Pvrénées, 1'Efpagne voulant ferégir par de tout autres principes, & fe trouvant dans la convalefcence de la fievre oü 1'avoit jetté ie monachifme. D'après eet appereu, il eft aifé de conclure que !'Allemagne fera le théatre du théofophifme ; d'oü ïl fe répandra dans le N.ord , & fera quelques excuriionsen France. Une des opinions des plus accréditées c'eft que le jéfuitifme eft reffufcité. Queftion imporo tante & faite pour être examinée, GHAPITBE I IL Du Jéfuitifme , comme fource première du fyflême théojuphique. (^trEM/i?. analogie y a-t-il entre un Ordre favant, livié aux études profanes , & une fecfe failant profefiion d'ignor^ncé&fuyatit toute efpèce de lumières? Entre un Inftitut ambitieux , qui fè faifoit gloire de voler d'un pöle a 1'autre , & de remplir 1'univers de fes conquêtes; & un régime obfeur qui fe traine dans les ténèbres, rougit de fon nom comme de fes fonftions ? Entre un Corps défenfeur de la Foi , & une confédération deftrudrive de tout principe religieux ? II y a cependant des points de contact : les Jéfuites , comme les Illumi-  < '4 ) nés, fontaccufés d'avoir des fecrets , ainfi que Tarnbidon de goitverner les Rois, d'envahirla Monarchie univerfelle, & de tenir des loix oppofées au bonheur général. Tous ont des prote&eurs fanatiques & des cnnemis acharnés. Jettons un coup d'oeil fur eet Ordrecélèbre, dont on a li fouvent analyfé les principes , foit dans les Compus rendus , foit dans un amas d'ouvrages de toute efpèce, dont on fonueroit une bibliothèque. Les Jéfuites, niMoines , ni Religieus , ni Prêtres Séculiers , formoient une affociation d'hommes dont les engagemens n'étoient indiffolubles qu'a 1'age de trente trois ans. Pour s'affurcr de la fidélité de fes membres, POrdre les élevoit lui-même , & les impregnoit de fes maximes. Cette éducation mettoit a même de connoitre les moyens des individus; & ii 1'on pouvoit répéter 4'expréflion de Vokaire, on élevoit a la brochette, des poëtes , des aftronomes , des orateurs , des apötres , des courtifans , des profeffeurs; des hiftoriens: tous les talens divers trouvoient leurs places. Pendant que le P. Parennin tiroit partie des Mathématiques a la Cour de Pékin , le P. Lachaife jouoit un grand róle a Verfailles, & les beaux efprits Bougeant & Porée entroient dans les vues de 1'Ordre comme les Miffionnaires de Maduré. La bafe de 1'inftitut des Jéfuites étoit l'étude. On y confacroit lesquinze premières années.Deux étoient deftinées a la reltgion, quatre aux humanités, quatre a la théologie, quatre a la philofophie; & ces quinze annéesavoientété précédées de cinqpaffées dansles Colléges que tenoient les Jéfuites eux-mêmes. Ainii , un enfant de dix ans développoit fa mémoire , fon intelligence, fa douceur ou fon mauvais caradère dans fes premières claffes.D'après fes fucces, il étoit admis dans FOrdre , oü après deux ans de noviciat, employés a l'étude de la religion & aplier fon naturel a Pobéiffanee aveugle, ilalloit, en qualité de ProFeffeur , recoiiimencer ces études. On voit qu'a moins d'être né avec un efprit tout-a-fait obtus, il falloit abfolument dévenirunhomme capable dans un genre quelconque=  rr , , . ( *5 ) 1 ous les emplois de 1'Ordre n'exigeoient pas le même degré d'inftruétion. Ceux qui étoient chargés de Padminiftration des biens temporels , ceux qui gouvernoient les maifons, les iimples Pénitenciers n avoient befoin ni de fciences ni de génie. Le temps étoit tellement diftribué , que dans toute lajournée on n'avoitqu'une heure & demie a foi par tagée en deux converfations publiques. On pouvoitsV cntretemr fur toute efpèce de fujets , excepté des Rois des affaires politiques ,& de la théologie. ' Lafévérité des mceurs n'avoit jamais a s'allarmer d un propos libre, & la calomnieuié imputation de Pamour Socratique ne fe foutient ni par des faits devenus publics, ni par ces honteux procés qui révèlent les turpitudes les plus fcandaleufes. II feroit bien difficile de définir la religion des Jéfuites. le feul moment qui les réuniffoit pour prier étoit huit heures du foir , oü ils récitoient les litanies. Quelques perfonnesontcru que dans aucun corps il n'v ent autantdeDéïfles. F y Répandus furie globe entier, depuis les extrémit'% de la Cochinchine jufques dans les forêts du Canada ils étoient gouvernés par un feul homme, plus defpotiquementque par le Monarquele plus abfblu./Les ricliebes étoient affez abondantes pour que Pon re fut jamais dans le cas defavoir qu'il exifloit des befoins ctans Ia vie. La plus parfaite égalité rendoit toute cfpece dambition infrudueufe. Même logement meme vêtement ,méme fubüfiance Supérieurs , inférieurs , jeunes , vieux , tous rentroient dans cette même obéiffance devant le Général, réiident ft Rome euzies Jéfuites. On étoit orgueilleux de ion état • les B.oines étoient tenus pour mauvaife compagnie,'les Pretres Séculiers pour des ignorans. Ceux qui Vétoient entierement livrés, dévoués a POrdre, paffoient pour des amis folides; &les liens de P^tié étoient ü peu rcfferrés entre les membres de la Compagnie de Jéfus , qu'il efi föuvent arrivé a tel Jéfuite nabitant la même marton, de n'avoir pas parlé a tel  ( i6 ) tiutre deüx fois dans le cours d'une artnée. Etoit-on inalade ? Falloit-il prendre des eaux ? Se trouvoiton avoir un père , une mère dans rindigence? l'argent fe trouvoit prêt; & 1'on avoit tellemênt accoutumé les efprits a méprifer ce vil métal, qu'on ne le mettoit jamais au nombre des jouiffances. L'efprit jéfuitique inveftiifoit I'enfemble de la Société : 1'enfance dans les Colleges , I'age mür dans les Congrégations, la vieilleife par le Sacrement de Pénitence. lis rempliifoient tout-ada-fois les chaires profanes & les chaires iaintes ; les Académies & les Bibliothèques ; les livres des uns achevoient ce que 1'éloquence des autres avoit ébauché. Ils faifoient des Mandemens pour les Evêques , des Réquiütoires pour des Avocats-Géftéraux, des Difeours pöurles Préfidcns , des Extraits pour des Miniftres-, c'étoit une pépinière univerfelle, une efpèce de manufacliure fénérale oü fe fabriquoit tout ce qui tient a 1'efptit. 'aris en étoit le iiège pour la France. Les Provinces y contribuoient en y faifant paifer les meilleurs efprits. Même marche en Efpagne , en Italië , en Allemagne , en Pologne. La plus grande faute en politique que Rome put faire, c'eft la fuppreflionde 1'Ordre, qui feul pouvoit foutenir Rome. Ce qui le difiinguoit, étoit le zèle & l'efprit de conquête; les deux grands refforts de toute Religioil. Ce ne font nï les fchifmes, ni les perfécutions qui defoleront Rome ; mais finfouciance & l'habitude de prendre la Religion pour un reffort politique, capable d'être employé avec fuccès par tout Souverain fage. Quand on a dit que les Jéfuites méditoienr la conquête du monde , on a peut-être rencontré affez jufte ; mais on a mal faifi leurs vues. Ils n'afpiroient 'pas a renverfer les Trönes , a ufurper les Couronnes; mais ils vouloient devenir les Hiérophantes de toutes les Religions , le premier Corps enfeignant. Sans doute qu'après quelques fiècles, ce n'auroit plus été Fhumble Religion de Jéfus; mais celle qui 1'auroit remolacée fous le même nom auroit obtenu 1 des  ( V ) des Peuples le même refpecl: que le Chriftianifme dans la primitive ferveur. II n'eft pas furprenant qu'un Ordre auffi fécond erï reffources fe fut ouvert 1'entrée du eabinet des Pv ois , & ne jouat un grand rule fur le théatre du monde \ qu'il fut jaloufé , haï , profcrit; mais auffi defendu avec fanatifme, & fauvé même des foudres de Rome en en confervant du moins les débris. Ce n'eft pas ici le moment d'examiner fi la France fur-tout devoic jamais céder a 1'impulfion parlementaire , détruire un Corps qui ne fera jamais remplacé, & dont le vuide s'aggrandira de génération en génération. Mais il s'agit d'examiner quel parti la Sexe des Uluminés a pu tirer du Jéfuithme. D'abord fe préfente a l'efprit ce régime famcux avec lequel le Cardinal de Rïchelieu vouloit gouverner le monde; mais eft-il applicable a une Société aulii informe ? Comment des hommes dont la phyfique , la raifon & la bonne foi décompoferoient en un jour tout le fyftême, peuvent-ils être comparés; a ceux qui avoient fondé leur manière d'exifter fur toutes les fciences, fur la plus profonde fagelfe, &: lur 1'utilité la plus réelle pour toutes les branches de la Société. Les uns employoient leur vie laborieufe a enfeigner, a répandre les germes des connoiffances : les autres font jouer leur coupable manoeuvre pour éteindre le flambeau des fciences , & a épaiffir 1'atmofphère daps lequel s'exécutent leurs triftes machinatiens. Les Jéfuites avoient renoncé a. toute dignité ; ils ne pouvoient devenir ni Evêques, ni Cardinaux ; ils ne pouvoient accepter ni bénéfices, ni tréfors. Les Uluminés dévorent tout, places , honneurs , fortune , gouvernement, & excluent des graces quiconque n'eft pas dans leur fyftême. Les Jéfuites annoncoient a 1'Univers les qualités, la gloire de leurs Protecteurs ; Louis XIV leur doit, en partie, fa haute renommée ; c'eft chez eux que Boileau apprit a compofer fes ouvrages, qu'il corrigeoit avec eux. Les Uluminés tiennent leur Chef B  ( i3 ) dans un oubli anticipé, & s'cnveloppem de ces tinèbres qui accuient l'innocence & la capacité. 11 y a cependant auffi des traits de reiTemblance.Les deuxOrdres veulent diipoler de la voloutédesSouverains Tous deux ont une R eligion adoptée aleurs vues, tous deux lbumettent les Candidats a de nombreufes & longues épreuves; tous deux font difféminés dans les difterens Ordres de la Société ; car ii y avoit des Jéfuites fous fhabit militaire, comme fous la iimmare d'un Prélident. Tous deux ont des Apötres voyageurs, & dès-lors efpions. Si l'un a fes fermens effroyables, 1'autre avoit fes vceux auftères. Dans les deux affociations, on voit des fecrets réfervés a 1'expérience ou a la grande capacité. II eft apparent que les Uluminés ont trouvé dans ïe régime des Jéfuites des bafes & de quoi infpire-r une ibrte de confiance foit aux Partifans del'Ordre, foit a fes ernemis, convaincus que ii on 1'avoit épuré c'étoit toujours une grande Inftitution. Mais julqu'a quel point ont-ils abufé des idéés d'Ignace de Loyola? C'eft ce que le temps nous apprendra. Le fyitême des Uluminés n'eft point d'embraffer les dogmes d'une Secte, mais de tirer parti de toutes les erreurs, & de concentrer dans elle-même tout ce que les hommes ont inventé de foürberies & d'impoftures, puifqu'ils font fervir la penfée a 1'intérêt, & les dons de fcfprit a 1'aliment de leurs paffions. II n'eft pas moins important d'examiner 1'influence d'un Ordre plus ancien que celui des Jéfuites, & qui, fans avoir été a 1'abri des perfécutions , n'a cependant jamais effuyé de ces difgraces qui attentent a I'exiflence. Je veux parler de 1'Ordre des FrancsMacons. F.  { 19) CHAPITRE IV. De la Franche - Maconnerie , conjidérée comme. Cétabliffement le plus utile aux Uluminés. ^Oette Inüitution,refpecl;ableparfonantiquité &par les deux bafes premières, 1'égalité & la cbarité,atour-atour effuyé des profcriptions &l'appui le plus déclaré; mais loujonrs les refpeéts de la multitude , Indifférente du lage , & la tolérance des Gouvernemens raifonnables. Rienne peut exifter fans des formes. V raifemblablement ce fecret tant,recherché , & jamais trahi, n'eft autre chofe que ces formes quidonnent un corps ii cette affociation , dont Phumanité n'a jufqu'a oos jours recueilli que des bienfaits. Je parle de la Maconnerie Angloife , Francoife , non-eccle£tique , non-réformée, compófée d'hommes étrangers a la Chymie comme aux Sciences occultes , a 1'adminiftration des Etats comme a 1'évocation des efprits , aux unions myftiques comme aux enchantemens. Cet Ordre fournit ie moyen de faire des épreuves fur les hommes \ point effentiel pour une fefte qui nè peut employerque desinttrumens perfeètionnés dans Part de tromper le vulgaire.Tous les mortels ne font pas propres , même a porter les vices au plus haut dógré. Quels que foient les travaux des Macons , ils donnent lieu a une affociation \ cette affociation entraine des affemblées; ces affemblées font remplies par des difcours éloquens; de 1 'éloquence religieufe au fanatii'me il n'y a pas loin; ces difcours excitent le défit de connoitre. Les connoiffances font attachées aux grades; les grades font le prix du zèle ; le zèle conduit a des engagemens ;les engagemens aux fermens; les fermens a tout. Ces travaux font entremêlés de fêtes , de cérémonies , de repas. L'homme vu dans ces momens de lili a  ( 20 ) berté, laiffe fouvent échapper fa penfée.L'obfervateur, qui jamais nc pcrd fon objer de vue, faifit les nuances ducaractère , a travers ces différentes impreffions; & fe trouvant a même de répéter fouvent fes obfervations , elles acquièrent un dégfé de vérité qui raffure contre le danger de coniier des iècrets. Un Ordre qui ne reconnoit pas les diftinftions fans lefquelles lafociétéa crune pouvoirfe foutenir, eft bien lflr d'enimpofer a la multitude. Les Grands trouvent une certaine vanité a defcendre aux dernières claffes, & celles-ci éprouvent une certainefatisfaclion a traiter les Princes & les Grands avec une entière familiarité. Ces fignes extérieurs qui doivent exprimer la tendreffe, font en ufage chez les Macpns plus que dans aucune autre confrérie. 11 n'y a nul point de rapprochement entre les Macons & les Jéfuites. Autant de froideur chez ceux-ci, que de cordialité chez les autres ; jamais derepas , de familiarités, d'embraffemens chez les uns , toujours des banquets , des attouchemens chez les premiers. Les Uluminés tirent des deux un égal parti; & fi 1'on reffufcitoit les Initiés de 1'antiquité & les Templiers du douzième fiècle , ils maintiendroient les quatre inftitutions & les plieroient a leurs befoins. Si les Jambliques, les Plotins, les Porphires, que M. de Paw appelle avec raifon les trois plus grands vilionnaires qui ayent exifté, revenoient prêcher leur doctrine parmi nous, ces mêmes Uluminés les accueilleroient & leur procureroient les Souverains pour proteclieurs & leursfujets pour difcipies. La difFérence qui fe trouve, c'eft que les vifionnaires des iiécles paffés menoient ii Terreur & a des extravagances quelquefois fublimes , & que ceux du notre mènent a 1'imbécillité, a la dégradation de 1'efpèce humaine. Je ne fais qui a dit que la franc-maconnerie n'étoit qu'un jeu d'enfans joué par des adultes. Jamais iln'eft permis de plaifanter fur une inflitution dont les réfultats font en faveur de 1'humanité. Mais quelles que foient les myftérieufes pratiques des Macons, elles exiftent, & c'eft tout ce qui intéreffe les Uluminés. Le  ( 21 ) bien ou le mal, le vrai oule faux , le jutte ou 1'iniuite,, rien de tout cela ne les occupe. lis tireroient également parti de la bande de Cartouche & dé 1'Ordre des Chartreux. Je fuis forcé de répéter jufqu'a la fatiété que rien de pareil n'a encore parufur la terre; qu'un grand nombre de ceux qui compofent l'Ordre , ne font pas capablës de faiiir les conféquences de leurs coupables erreurs , & de pefer la force du coup qu'ils portent au genre humain. ïls ont perfuadé aux Princes, que 1'on gouverneroit diflicilement les Peuples s'ils étoient éclairés ; que loin de protéger efficacement les fciences , il falloit infeniiblement ramener les temps de barbarie , & replonger leurs nations dansles tënèbres ; que 1'ignorance étoit letat naturel de 1'homme ; que ce n'étoit qu'avec des hommes inftruits que 1'on faifoit la guerre & des conquêtes. Les Princes, étrangers a 1'art de méditer, avides de puilïance , ont embrafle ce perfide confeil, & livré leur confiance, leur fceptre,leur gloire,,leurpays, leur peuple, a cette fecte ambitieufe, qui acommencé par les dépouiller de ce qu'ils craignoient de perdre. Avant d'aller plus loin, il s'agit de dénoncer aux nations le malheur qui les menace. CHAPITRE V. Ce que ceft que la Secte des Uluminés. Peupi.es féduits , ou qui pouvez 1'être, apprencz qu'il exifte une conjuration en faveur du defpotifme contre la liberté , de 1'incapacité contre le talent, du vice contre la vertu, de 1'ignorance contre la lur mière ! II s'eft formé au fein des plus épaiffes ténèbres , une fociété d'êtres nouveaux qui fe connoiffent fans s'être vus, qui s'entendent fans s'être expliqués, qui fe fervent fans amitié. Cette fociété a le bul de gouverner le monde, de s'appropricr 1'autorité des  («) Souverains, d'ufürper leur place en ne leur laifTant que le ftérile honncur de porter la Couronnc. Elle ïidopte du régime jéfuitique , l'obéiffance aveugle & les principes régicides du dix-feptième iiècle; de la franc-maconnerie , les épreuves & les cérémonies extérieures; des Templjers , les évocations fouterraines, & 1'incroyable audace. Elle cmploie les découvertcs de la phyftque pour en impofer a la mukitude peu inftruite ; les fables a la mode, pour éveiller la curioiité & infpirer la vocation; les opinions de l'antiquité, pour familiarifer les hommes avec le commerce des efprits intermëdiaires. Toute efpèce d'erreur qui affiige la terre, tout effai , toute invention fervent aux vues des Uluminés. Ainfi, les baquets du magnétiime , la déforganif'ation des fomnambules , les vilions des foibles , la dévotion outrée , le dérangement de l'efprit, les obfcurités métaphyiiques du tableau de la nature , la maconnerie eccleclique , la flricre ol> ièrvance, la myfticité du Docleur de Zurich, le catholicifme aecommodé aux principes des Réforraés, le jéfuitifme reffufcité , tout fert également a leurs vues, tout devieut caufe & inftrument; ils ne rejettent rien de ce que le commun des hommes proi'crit : & fans Fadmettre par conviftion , ils lc laiflent fubiifter comme moyen de multiplier les opinions , les épreuves, bafe fur laquelle repofe la nouvelle confédération. Son but eft la domination univerfelle. Pour y appeler , fans imprudence , des Coopérateurs , il faut les bien connoitre. Pour les connoïtre, il faut les avoir eiTayé au fecret, au fanatifme, a 1'ambition, aux coups hardis ( Voyez notes V & VI J, aux actions dangereufes. Pour cela, les féances de la rue Platrière , le conventicule de Willemsbad , les nocrurnales de Bcrlin , font également propres , puifqu'il ne s'agit que de s'alfurer du courage de 1'ame chez ceux qu'on appelle a 1'exécution des plus périlleux projets. 11 n'ett pas néceffaire que ces nombreufes Aifemblées , autorifées par les Gouvcrnemens, fe doutent feulement de ce que méditent les Uluminés. Deux d'entr'eux fuffifent dans une  C *3 ) Loge de quatre a cinq cents perfonnes, pour juger, apprécier, pénétrer le caractère moral de ceux que la Secte compte s'approprier. Le refte de la Loge, qui n'entend parler que de grades , de repas, de chanfons , de cérémonies , d'ceuvres de charité , tient pour calomnieux tout ce qu'on débite y & défend avec une contiance tout-a-la-fois rilible Öcfanatique, eeux qu'elle croit martyrs de Piniquité ou de la prévention. Les Uluminés ont auffi Padrefle de corabler d'honneurs de iimples Ma?ons , dont la probité eft reconnue. Le Vulgaire , & par ce mot ce n'eft pas le Peuple que je veux défigner , mais les hommes qui réiléchiffent peu, le Vulgaire, dis-je, confond les objets , &fe rend caution de la probité d'Oronu & de Cl'êoTi. Eh ! fans doute Oroate & Cléon font des hommes vrais , des Citoyens zélés, des amis brülans; mais dupes eux-mêmes de leurs Chefs, ils font les premiers refforts d'une machinatioo dont ils ignorent lebut, & des gens adroits montrent au monde la probité d'Oronte & de Cléon , comme une caution de la pureté de leurs myftères, & donnent par elle un démenti impofant a quiconque élève des doutes fur 1'innocence de ces féances ténébreufes. Il y a donc un certain nombre d'êtres parvenu au plus haut degré d'impoftures. Ils ont congu le projet de regner fur les opinions , & de conquérir non des Royaumes, non des Provinces, mais l'efprit humain. Ce projet a quelque chofe d'infenfé , de gigantefque , qui ne caufe niallarmes, ni inquiétudes; mais loriqu'on defcend aux détails, lorfqu'on rapproche ce quife paffe fous nos yeux des principes caehés, lorfqu'on appercoit une révolution prompte en faveur de 1'ignorance & de 1'incapacité , il feut en chercher ki caufe ; & fi 1'on trouve qu'un fyftême révélé & connu explique tous' les phénomènes qui fe fuccèdent avec une effrayante rapidité, comment ne pas y croire? ISous comprenons, dira-t'on , peut-être que quelques hommes audacieux conjurent contre leur Patrie, dans 1'cfpoir téméraire de réunir fur eux B 4  pouvoir , la Fortune, la Couronne même ; mais corrr ment fe figurer plulieurs milliers de conjurés ? Comment Ie fecret, Fharmonie fe maintiendront-ils au milieu de tant d'intérêts li différens ? Aux yeux de quiconque connoit les hommes , une femblable union ne devient-elle pas chimérique, extraordinaire, incro\ able , unique ? Oui : mais non pas chimérique. N'ai-je pas annoncé que nulle calamité pareille n'avoit encore aiBigé la terre. Obfervez que les Membres de la Confédération Myfiique font affez nombreux en eux-mêmes^; mais non pas relativement aux hommes qu'ils doivent tromper. Jufqu'ïci la proportion eft peut-êire d'un a mille, & cela fuffit pour replónger la terre dans les ténèbres. Pour bien faifir cette proportion ^ il faut fe faire une idéé jufte de la force de 1'homme coalitioné. Un iil ne peut pas élever un poids d'une livre , mille fils enlèvent 1'ancre d'un vaiffeau. La fource d'un fleuve eft prefque toujours un ruiffeau inutile; groffi d'une quantité d'autres, il devient un canal vafte & profond qui voiture les plus grands batimens fur fes ondes, d'oü il les livre a la mer. Ainii 1'homme eft un ètre foible, imparfait; éloquent il touche a Fenthoufiafme , adroit il fixe la fauffeté, raifonnable il approche de la timidité. Sa gaïté eft voifine de la diffipation , fa philofophie. eft infouciance , fon a&ivité ronfuhon. Mais li plulieurs hommes méfent enfemble ces demi-qualités , ils fe tempèrent, fe fortifient fles uns les autres ;Péloquence devient une perfualion irréfiftiWe, 1'adreffe eft prudence confommée , la raifon eft la règle du vrai, Fordre préiide a tout, le foible cède au plus fort. Le plus habile tire d'un chacun ce qu'il peut fournir. Les uns veillent tandis que les autres agiflënt; & eet enfemble formidable arrivé au hut quel qu'il foit. Cela fe voit dans les armées , dans les Corps de Magiftrature , dans les grandes Sociétés de Commerce. C'eft une Compagnie de Marchands qui a conquis le Bengale , & cc n'eft que pour le conIcrver qu'il lui a fallu des troupes,  ( M ) C'eft d'après ce principe que s'eft formé la Seéïe des Uluminés. On ne peut, il eft vrai, ni nommer fes Fondatcurs, ni circonftancier les époques de fon exiftence, ni marquer les gradations de fes accroiflemens , paree que fon effence eft le fecret; les aftes fe paffent dans les ténèbres, fes Grands-Prêtres, honteux, fe perdent dans la multitude. Cependant il a percé affez de chofes pour étonner & attacher des Obfervateurs , amis de 1'humanité , fur les pas myftérieux des Seitaires. Quelques Transfuges ont cru devoir expier les fautes de leur jeuneffe crédule, en révélant ce qui leur infpira une falutaire horreur dans 1'age d'une raifon plus exercée , & telle eft la voie par oü nous eft venu infenliblement cette vérité funefte que nous livrons aux yeux des mortel*. CHAPITRE VI. Des Cercles. Les Cercles font des Comités adminiftrateurs de la Secte. II y en a autant qu'on juge en avoir befoin. lis fontrépartis dans différentes Provinces , & compoiës chacun deneuf perfonnes.Initiées aux mêmesfecrets , eonnues par les mêmes épreuves, liées par les mêmes fermens , impregnées des mêmes principes, correfpondant entr'elles avec des hiérogliphes inconnus au refte du monde ; & malgré ce langage ténébreux , elles ne confientpas leurs dépêches, Dépofitaires des complots, au fervice public, & employent des voies decommunicarion auffi myfterieufes que leurs chilfres. Ces Cercles ont des voyageurs anonymes. Ce font ordinairement des hommes d'un extérieur fimple, eipèce de Gens de Lettres , affe&ant la philantropie. Ils vont épier lèsfecrets des Cours, des Colléges, des Tribunaux , des Chancelleries , des Confiftoires , des Families, & reviennent enrichir les Cercles d'un  C 16 ) amas de déiations , de notes fur le caraclère des Gens en place, fur les foiblefles des Princes; ils révèlent les occupations & les défauts des Philofopbes > qu'ils appellent les ennemis; les munnures imprudens , mais inévitablcs, de ceux qui le voyent conftamment oubliés , les plaifanteries déplacées , lans doute , mais nullement féditieufes, dont aucun Gouvernement n'eft al'abri; les projets d'avancement des pères pour les lils , ou de chaque individu pour arriver a un meilleur fort; les plans politiques d"aggrandiffemens ou d'alfociation. Tout eft mis fous les yeux du Cercle, qui, profitant des odieux réfultats de cette ténébreufe inquilition , apprend ainii a connoitre lesobjets de fes prédiiccïions ou de fes vengeances ; qui doit être deffervi ou préconifé , qui 1'on doit éleverouperdre, ou du moins ceux dont il faut fe délier ou cultiver les fanatiques difpofitipns. Cette periidie ne s'exerce pas dans une "Ville , dans une Province , mais dans tout un Royaume , mais dans les Etats les plus reculés , de forte qu'il eft pofiible que l'Empereur aie le doublé des dépêches duCabinet de Vcrfailles, & que celui de Potsdam connoiffe les projets de la Ruilie comme les. liens propres. Ces connoiffances, ainfi dérobées aux Rois comme aux Particuliers , eirculent, comme par un fil éleclrique , d'un lieu a un autre, & forment la bafe de cette adminiftration feerctte, dont nous n'appercevons pas les eirets. De-la vient que nous paffons de furprife en furprife, lorfque nous voyons paroitre certains Perfonnages dans les alFairesdu Gouvernement, comme arrivé un Dieu de 1'Olympc a 1'Opéra , excepté que celui-ci defcend'du fëjour de la gloire , & quel'autre niontefouvent du fein de lafange. Dés que 1'on eft aufli complettemcnt inftruit, on peut tout prévoir ; & dcs-lors tout empêcher, tout préparer, & faire tout réudir. Comment s'eft opéré cette efpcce de prodige poUtique? Rapidement, puifque la fuperfti'tion a commencé par s'emparer des Princes; ceux-ci ont ou-  vert leurs tréfors; & avec un fanatifme & untréfor, on peut changer la face du globe. Par quel enchantement les Princes ont-ils étéamenés Ji cette croyance ? Le voici. Il ne refte a délirer a ceux qui pofsèdent tout, que la certitude oul'efpoir dejouir long-temps; il importe a ceux quijouiifent de tout, de jouir lans remords. Or, on promet aux Rois une vie prolongée au-dela des bornes ordinaires par des élixirs, & la paix avec eux-mêmes par des interprétations favorables a leurs penchans. En général, ce fyflème de perveriité ouvre lechamp le plus vafte a toutes les paflions des hommes ; le Chrétien véritable , & des lors un peu enthouüafte, y appercoit une reifource süre pour réchaulFer tels efprits en faveur de fon culte un peu délaiffé, & pour reffufciter 1'antique confiance dans les Prêtrestrop abandonnés & prefqu'avilis depuis qu'une raifon curieufe a démafqué leurs artifices. L'amant frénétique dc!a liberté y entrevoitunmoyen d'abaifferles Rois devenus a fes yeux des defpotes altiers , qui péfent fur le globe, & abufent de 1'empire que nos ayeux faciles leur laifsèrent prendre. Le fauteur de refclavage , au contraire , croit déja voir les peuples garrotés, ne connoiffant plus, ni leurs droits imprefcriptibles , ni leurs moyens formidables , ni le beloin dont ils font ; & redevenus plus que jamais des inftrumens ferviles dans la main-de-fer qui les conduit a la mort ou. a la charrue , 1'impofteur fe félicite d'une époque propice a lés vues , oü fon langi'ge , fon aftuce font des refforts devenus néceffaires, & s'exercent avec opiniatreté a fhypocrifie , a la dénonciation , a tous les vices de fon exécrable métier: dans une fphere plus élevëe,les Catilina,les Cromwel, les Machiavel , les Richeüeu, voyent arriver leur moment; ces ètres meurent, mais ne difparoiffent pas de la terre, & jamais le fyftéme de la Métempfyeofe ne s'eft ii bien réalifé. Les uns préparent leur perfide éloquence, les autres desouvrages empoifonnés; ceux ci la chambre des avortcmens , ceux-la le fallon des oubliettes ( Note VII.). Ce tableau ,  ( *8 ) tout effrayant qu'il eft, ne paroitra pas exagéré, (i 1'oti a toujours fous les yeux qu'il s'agit d'une fefte oü La bonne-foi eft une duperie, le génie un obftacle invincible, le menfonge un talent précieux, & 1'ignorance une qualité requife ; d'une feite qui a concu le projet de faire des folies humaines autant de fpéculations de fortune, qui, ayant befoin de talens inégaux , s'eft alfujettie toutes les claffes de la fociété , & a attaché Ia chaine au plus bas étage de la vie civilejufqu'au plus élevé, pour circonfcrire les Rois, depuis le moment oü ils voient le jour, jufqu'a celui qui les rend au fommeil éternel. La Maconnerieprêta , fans le favoir , fes myftères, fon langage énigmatique, fes iignes, fes chiffres, la conüdération que bien des iiècles lui avoient value, a ce détefiable projet, & fcrvit a éprouver les Candidats. Les tabliers , les rubans , les figurcs, tantöt fépulerales , tantot paftorales , devinrent touta-la-fois des piègcs & des récompenfes. Sous prétexte de réforme ou de perfeclionnement, il fe forma d'autres lèctes dont on rctira Ie même avantage. Tels furentd.es Frères Initiés de 1'Afie, & d'autres dont nous ferons obligés de rappeller la ridicule & funefte hiftoire. Pourquoi tant de préparatifs ? Le voici. II falloit lier tellement la Refjgion a la politique, que la première fe changeat en un relfort pour conduire 1'autre ; établir un efpionnage li fecret, ii foutenu , li vigilant, ü inviüble; qu'il ne réftat rien d'inconnu aux chefs de I'audacieufe entreprife; puifer les moyens cffentiels dans les grandes paüions , de maniere que les Grands abandonnaffent leurs volontés a quifauroit carelTer leurs goüts; aifoiblir du moins ceux dont on ne pourroit dompter 1'opiniatreté ; gouverner la penfée & maïtrifer les vues de ceux que la nature avoit organifés pour penfer, pour voir par eux-mêmes. Des projets ii téméraires ne pouvoient être conhés fans imprudence. De-la les initiations apparentes : je dis apparentes, car on n'en tenoit pas moins les cathécümènes a une difrance incommenfurable du fanctuairc des perfidies Ojh tacha d'cn impofer par des noms-  C *9 ) illuftres; on acheta lelilencedesmécontens; mendiala protc&ion despoiffans ; on taxa la multitude crédule , qai devöit payer , nondeulement le plaiiir de (atisfaire une curioiité puérile , mais iè foumettre a une cotifation arbitraire, avec laquelle des mains plus habiles élevèrent l'édifice. On paroiflbit ouvrir le temple avec trop de facilité, mais on n'obfervoit pas que la fbule demcuroit dans le parvis , & fe contentoit de demiconiidences , de iïgnes extérieurs, de mots myfiérieux que 1'on fe laiffoit arracher un a un, de repas oü 1'on ménageoit une fobriété extréme, un filence adroit, pour rendre plus piquante Ui récréation qui le fuivoit. Ces préludes néceffaires furent fuivis de reformes faftueufes", fous prétexte detendreaune plus grande perfeclion, on diminua les grades , on fimplifia les cérémonies , on fupprima des coutumes antiques; les feftins devinrent plus rares & moins fomptueux ; on imagina des comités , première atteinte portee a ce principe bienfaifant, 1'égalité parfaite. Les Anglois , réputés fondateurs de 1'Ordre , furent accufés de le laiffer dégénérer , les Francois de le traveftir ea fcènes d'amufemens. Sur les débris des régimes anciens s'élevèrent plulieurs fyftêmes fous le nom de Stricle objïrvanct, des Loges ecclecliqu.es. Les Orateurs fe montrèrent plus obfeurs & plus pathétiques. Des exclamations, des fons de.voix prolongés , de grands geftes , des pleurs font bien plus d'impreflïon que des raifons déduitcs avecclarté & même avec chaleur. Les changemens occaüónnèrent des querelles ; les imaginations s'échauftent, le zèle fe rallume, lefanatifme 1'embrafe; au milieu de ces convuliions 1'on ap* prend a connoitreles têtes fougueufes, capables de tout braver, les ames pulillanimes, prêtes a tout abandonner; les hommes adroits , trouvant, a travers les troubles inteftins, une route vers lafortune ; les hommes indécis , flottant fans ceffe entre leurs fentimens intérieurs & les impulüons étrangères. Quelques Princes fe jettèrent au milieu de ces extravagances reKgieufes. Les uns prêtèrent un nom illuftre , je nefais  ( 30 ) pourquoi, Ü eft vrai, mais enf n il 1'étoit; ies autres des fccrets prétcndus, qui pouvoient rendre inutiles les dons périudiqucs du Perou & du Chily. Ceux ci une éloquence qui auroit féduit, ii elle eüt moins fatiguë ; ceuxla des fecours pécuniaires , genre d'argumens bien plus efficaces que les reifources de l'efprit; ici des afilcs oü 1'impofture, ailleürs démafquée , venoit fe faire oublier de la multitude , pour agir encore fur quelques amis del'erreur ; la des proteöions contre la vérité qui s'arme quelquefois des foudres de 1'éloquence , & livre au mépris public des aveugles volontaires. Parut alors une efpèce de cathéchifme manufcrit, auquel on fuppofoit la plus haute antiquité ; les plus habiles ,ouplutöt les plus charlatans , fe mirettt al'interprêter. On communiqüa , furlafoi du ferment, les veriions tronquées. Le vulgaire des Macons ignore jufqu'a fon exifience; mais quelques hommes demceurs auftcres d'une phiiyonomie béate &d'un Caraéterë intolérant , furent reconnus pour des commentateurs profonds. Ils hrentcönnokredes parcelles de leurs ouvrages a quelques Frcns Voyageurs ; ceux-ci , dans leurs rapports, exagérèrent la beauté du texte, fuppoferent un génie extraordinaire a ceux qui s'en occupoient, hatèrcnt leur célébrité en leur prêtant des prodiges qui jamais n'exiftèrent. C'eft ainli que, degrés par degrés, on mürit l'efprit humain pour le ianatifme, & que 1'on établit les fameux cercles , mouvement principal de toute la machine. L'homme deftiné alesformer, doitavoir une de ces phyiionomies qui ne fe décompofent jamais , foit qu'on lui annonce le malheur qui abat, ou le fuccès qui enivre;la contrariété qui défefpère , oula condefcendance qui léve tous les obftacles. La trempe de fon efprit doit être d'obferver, plutót que de briller, de convaincre, plutöt que deplaire. 11 lui faut un caraclère impênëtrable , peu feniiblë au blame public, ou aux phrafes de la renommëe ; une ame de glacé pour les plaiürs , de feu pour la fórtüne; un coeur indifférent aux doux feminiens de l'amiüé , mais non auxconfeils al«  ( 30 üers de la vengeance; des dehors modcftes, maïs non négligés ; plus de politeffe que de franehife , plus de penchanta 1'économic qu'a 1'oftentation , plus de raéditation que d'ëmde ; des moeurs affez pures , un mépris réfléchi pour 1'efpèee humaine , l'aclivité de 1'intrigue , une extreme modération dans 1'ufage des fentimens paternels ou filiaux, & de ceux qu'infpirc la nature : il doit fe croire capable de recevoir tous les dons duCiel, fufceptiblcliir-toutde lagraceinvincible, & pour cela afficher hautement qiiela icience des hommes n'eft qu'erreur , que la lumière eft ténèbres , & & fur-tout abjurcr entre les mains des Chefs Uluminés tout principe quelconque recudans 1'enfance, adopté par I'agë qui la fuit, confacré par 1'habitude , de manière qu'il ne demeure aucune tracé réelle du cathoiicifme pur ou réformé. L'homme que je viens de peindre, n'eft ni 1'homme de Ia fociété , ni 1'homme de la nature ; c'eft un compofé peu eftimable, mais rare , & la oü il exiftera, il fera effentiel'lement dangereux. Chaque membre d'un cercle appartient également a tous les autres, de forte qu'un Vénitien arrivant pour la première fois a Breflaw, introduit dans le cercle de cette ville, eft admis aux mêmes fecrets que ceux qui le compofent depuis dix ans , & fe trouve auffi intimément lié que s'il avoit la même patrie & les habitudes nées dans 1'age heureux de 1'innocence. Ces cercles font donc les points de correfpondance, les fanaux pofés iur cette mer d'iniquités; & pour faire mieux lailir cette chaine invilible,j'entrerai dans' un détail plus circonftancié. Francfort fur le Mein, par exemple ,inftruit Mayence,Darmftad, Neuwied, Cologne, Weimar.Weimar éclaire Caffel, Gottingen, Wetzlar , Brunfwick, Gotha. Gotha porte fa lumière a Erfort, a Leiplick , a Hallc , a Drefde, a Deffau , Deffau fe charge de Torgau, de Vittemberg , de Mecklembourg, de Berlin. Berlin communiqué avec Stettin, Breilau, Francfort fur l'Oder. Francfort prend foin de Kffinigsberg & des villes de la Pruffe.En lüivant cette échelle, on voit clairement qu'il y a  des liens affez refferrés entre Mayence &ia PologneJ & que tout un pays eft bientöt connu dans fes parties les plus cachées. Que le Ledteur rnaintenant étende cette communication de Royaume a Royaume , & qu'il fuppofe un eentre oü aboutiroient les plans de ceux qui adminiftrcnt 1'Europe , on voit alors quels font les véritables maitres de chaque pays. Cet appercu ne fuffit pas cependant pour faire appercevoir la profondeur du précipice oü la Secte entraine les humains ; il fautpénétrer plus avant dans ce labyrinthe d'horreurs. CHAPITRE VII. Des épreuves ufitées pour conjlituer un lltutnini Membre d'un Cercle. Par quel régime peut-on enchainer la volonté des hommes , & les rendre fidèles a ï'exécution d'un projet auffi neuf? Telle eft l'objeftion laplus puilfante aux yeux de la plupart des hommes II feroit aifé de 1'affoiblir en rappelant ce qu'a produit le fanatifme dans tous les temps. Cela nous jetteroit dans une trop longue digreflion, & je paffe tout de fuite aux faits. Je tiens ces détails effrayans de deux hommes d'abords féduits par 1'apparence des vérités, devenus Macons de bonne foi; paree qu'un Ordre qui a la charité & 1'égalité pour bafe en impofera aux cceurs fenfibles , comme aux efprits bien faits. Sur le point de vendre leur opinion , d'enchainer leur liberté, de proftituer leur confeience, ils reculèrent glacés d'une jufte horreur a 1'afpecl des loix qu'on alloit leur impofer; tous deux, a différentes époques, m'ayantraconté les mêmes faits , fans être convenus de m'en inftruire , dans des villes éloignées , fans pouvoir devinerque les évènemens nous réuniroient plutieurs années  (33} annëes après. Leur récit eft devenu pour moi une efpèce de preuve nutthématique. II eft des chofes que Pon n'invente pas; le caraftère tóoral ajoute aux raifbhs de crédibilité; & mes Auteurs ont le fuftrage même de ceux dont ils n'ont pu ni dü embraffer les principes funeftes. Lorfqu'un homme bien zélé , bien crédule, a paffé par tous les degrés qui, d'illufions en illuiions , de promeffes en promeffes , mènent a croire que des mots font des chofes , que des chimères font des réalités, que des corps font des efprits, ou plutöt lorfqu'ön s'eft aifuré qu'un hömme a les funeftes qualités dont on a befoin , on lui propofe de fe donner a POrdre & de conlacrer fa réfolution, réputée chancelarite , par des fermens. On ne lui én communiqué pas la formule , dans la crainte bien fondée qu'il reculeroit d'effroi; il eft averti feulement qu'il va faire un pacle avec le Ciel, le Ciel! qui a remis aux hommes fon glaive vengeur , pour le tourner contre ceux qui enfreindroient leurs paroles. Si Ié Récipiendaire mal iriftruit, accepte, fur Ia foi de , celui qui le prépare Èi 1'initiation , il eft conduit au travers d'un fentier ténébreux dans une falie immenfe , dont la voute , le parquet & les murs font couverts d'un drap noir,parfemé de Hammes rouges &de couleuvres menacantes. Troislampes fépulchrales jettent de temps entemps une mourante lueur, & laiffenta peine diftinguer, dans cette lugubreenceinte» les débris des morts foutenus par des crêpes funèbres 5 un mdneeau de fquelettes'forme, dans le milieu , une eipèce d'autel; a cöté s'élèvent des livres , les uns renterment des menaces contre les parjures, &les autres Phiftoire funefte des vengeances de l'efprit invilible & desinvocations infernales , qu'on prononce long-temps en vain. Huk heures s'éconlent ; alors des Fantómes trainant des voiles mortuaires tra'verfent lentement la falie & s'abymentdans des fouterreins , fans qu'on entende le bruit des trapes ou celui de leur chute. Qn ne s'enappercoit que par 1'odeurfétide qu'ils exh.ilent. C  C 34 ) Ainfi 1'Initié demeure vingt-quatre heures dans ce ténébreux afyle, au milieu d'un filence glacant. Un jeune févère a déja affoibli fa penfée. Des liqueurs préparées ont déja commencé par fatiguer & finiffent par exténuer fes fens. A fes pieds iönt placées trois coupes,remplies d'une boiffonverdatre.Lebefoin les approche des lèvres, &lacrainte involontaire les enrepouffe. Enfin , paroiffent deux hommes qu'on prend pour des Miniftres de la Mort. lis ceignent le front pale du Récipiendaire avec un ruban aurore, teint de fang, & chargé de caraétères argentés , entre-mèlés de la figure de Notre-Dame de Lorette. Ilrecoitun crucifix de cuivre de la longueur de deux pouces, ( obfervez que ce font des Luthériens & des Réformés qui font nfage de ces images & reliques , fi fëVèrement profcrites dans leur culte ). On fuipend a leur col des efpèces d'amulettes , revêtues d'un drap violet. II eft dépouillé de fes habits , que deux Frères Servans dépofent fur un bücher,élevé a 1'autre extrémité de la falie. On tracé fur fon corps nud des croix avec du fang ; & un efprit vêtu en blanc lui vient lier les tefticules avec un cordon rofe & ponceau. Dans eet état de fouffrance 6c d'humiliation, il voit s'approcher de lui a grands pas cinq fantömes armés d'un glaive , couverts de draps dëgoütans de fang. Leur vifage eft voilé; ils étendent un tapis fur le plancher , s'y agenouillent, prient Dieu, & y demeurent les mains étendues en croix fur la poitrine, & puis profternés la face contre terre dans un profond filence. Une heure fe paffe dans cette pénible attitude. Après cette fatigante' épreuve, des accens plaintifs fe font entendre ; le bücher s'allume, mais ne jette qu'une lueur pale; les vêtemens y lont conlumés ; une figure colloffale & prefque tranfparente fort du fein même du bücher. A fon afpecl:, les cinq hommes profternés entrentdans desconvuliions infupportables a voir; images trop fidelles de ces luttes écumantes oü un mortel aux prifes avec un mal fubit, tinit pu- en être terraffé. Alors une voix tremblante perce la voute , & ar-  C 35 ) tücuie la formule des exécrables fermens qu'il faut prononcer : ma plume hétite, & je ine crois prefque coupable de les retracer. » Au nom du Fils crucifié , jurez de brifer les liens » charnels qui vous attachent encore a Père , Mère, » Frères, Sceurs , Epoüx , Parens , Amis 5 Maitfef» fes , Rois , Chefs , Bienfaiteurs , & tout Etre qüel-* » conque a qui vous aurez promis , foi , obéiiTance, » gratitude ou fervice. >> Nommez le lieu qui vous vit naitre , pour exiftér » dans une autre fphère, oü vous n'arriverez qu'a- * prés avoir abjuré ce globe empelté , vil rebut des » Cieux. >> De ce moment vous êtes affranchi du prétendu » ferment fait a la Patrie tk aux Loix; jurez de ré» véler au nouveau Chef que vous reconnoiffez ce x que vous aurez vu ou fait, pris, lu du entendu, * appris ou deviné , & même de rechercher, épier ce » qui ne s'oftiiroit pas a vos yeux. *> Honorez & refpeclez 1'Aqua Toffana, comme » un moyen sur, prompt & néceffaire de purger le ft globe par la mort ou par fhébétation de ceux qui » cherchent a avilir la vérité ou a 1'arracher de noS r> mains. >> Fuyez TEfpagne , fuyez Naples , fuyez toute « terre maudite. Fuyez enriri la tentatiön de révéler » ce que vöus entendez; car le tonnerre n'eft pas plus » prompt que le couteau qui vous atteindra en quel» que lieu que vous foyez. » Vivez au nom du Père,du Fils, & Saint-Ëfprit.» Si le patiënt fe foumet a prononcer devant lui les mêmes paroles,on place exactement un candelabre garni de fept cierges noirs; a fes pieds eft un vafe plein de fang humain , oü on lave fon corps; il en boit la moitié d'un verre, & il prononce les paroles fatales. Ün lui délie enfufte les tefticules. Une fueur froide découle de fes joues livides. A peine il fe foutient fur fes jambes défaillantes. Les Frères fe profternent; & lui tfemblant, déchiré de remords , jetté dans une eftxce de délire, attend fa deüinée. Tels C %  < 3 murmures conduiiènt au déibrdre , le défordre enfante le difcrédit, du difcrédit naït le défaut de conüdération. Dans cette lituation hurailiante, on eft; attaqué, blamé de toutes parts; les allarmes s'emparent de celui qui a contre lui la voix publique , Pinqutétude perce, les Flatteurs, pour la diffiper, redoublent  r 46) d'encens & de menfonges, font compofer des éloges, gagnent des Poëtes, bercent 1'Idole d'une réputation qu'elle n'eut jamais , 1'endorment dans fes vices , lui prélëntènt la volupté pour le diftraire & 1'amènent inièniiblement 3 eet état de dégradation oü 1'on ne penfë plus que par autrui. Si quelques Snjets fidèles tentent un dernier effort pour rappetef la gloire fugitive, ou le Mona;que abufé les écoute fans les entendre , ou les prévient avec hauteur, ou les humilie avec acharnemenr, ou les exïle avec dureté , ou s'en détail avec de feintes careffes. Les grandes' routes ibnt couvertes d'Emigrans ; le fuccès continuel de la bêtife ufe 1'ame de 1'homme de mérite. L'un va fe donner a une autre terre ; l'autre ne pouvant emporter fes pénates , ie fauve de 1'ennui cruel par des abfences répétées , & le Monarque infenfiblement ne voit autour de lui que des efclaves chèrement achetés. Speftacle penible, rappelant fans celfe que 1'on ne doit rien a foi f & que fans un t'réfof on,feroit iiölé ou a charge aux humains ! Ce tableau, fans doute, paroitra chargé; c'eft ainli qu'ont parus ceux qui ont annoncé des malheurs femblables. Les Pauliciens qui en vinrent au point de batir des villes , & prendre les armes contre leurprince, netoient, dans Forigine , que quelques perturbateurs du repos public ; & pendant un Iiècle & demi ils délblèrent les Empereurs de leurs temps. Ce fut la marche de l'efprit humain. Les hommes commencent par féduire, ils iiniflènt par enchainer; les Chefs brifent leurs liens , füiiffent un moment propice, & font égorgerles ülurpateurs de leur autorité. C'eft ce qui arriva aces mêmes Pauliciens (Note IX. ) dont l'Impératrice Théodore fit égorger cent mille ; le refte f» t fe jetter dans les bras des Sarrahns qui les menèrent a la boucherie dans leurs guerres contre les Grecs. Si les Rois, au lieu de conferver des nuubles riches & précieux , faifoient décorer leur P I lis des tableaux de Fhiftoire, leurs fegards fe iixeroient quelquefois fur d'étranges fcenes Peut-être troubleroient-elles cette fécurité, un des grands prodiges qui occupent Ia penfée du Philofophe.  ( 47 ) ïl eft vrai, cependant, que cette fecte eft entierement dirigée contre cette autorité dont les hommes, en tous les temps, fe font montrés ii jaloux. Elle n'attaque pas une croyance , paree que toutes lui lont indifférentes ; elle n'en veut ni a Dieu ni a ion culte, mais aux Rois & i leur fceptre. Ce n'eft pas un corps Holé, qui veuille détourner tbr lui le cours des graces, c'eft une inftitution, a la faveur de laquelle les ambitieux s'éleveront au-deifus de tout ce qui les entoure , fans même fe charger du poids d'une reconnoiffance apparente, dont les autres erreurs accréditées en fe failant un nom & des partifans par fes talens , fon eloquence &l'éclat de fa faveur. Ici la réputation eit dangereulê, la faveur inutile; on fait fa fortune par fon filence. Au lieu de partifans , il faut des ennemis qui aient Fair de vous perfécuter, arin que cette haine apparente fufcite des vengeurs. L'autoritéanéantitautrefoisles Templiers , elle a prefqu'éteint le régime des Jéfuites ( iNote X). Ici elle eft nulle, puifqu'elle même feroit renverfée , ii elle confpiroit contre la fecte qui lui commande , en paroiffant la fervir , & de temps en temps l'effraie, pour affurer fon pouvoir. Dans les querellesnées deshéréiies qui fucceflïvement ont paru iur le globe , c'étoit fociété contre fociété , ville contre ville, les Catholiques contre les Huguenots , les Atménienscontreles Gomoriftes , les Guelfes & les Gibelins , &c ; mais chez les Uluminés , c'eft le vice contre la vertu , la perfidie contre la fmcérité , 1'ignorance contre les lumières , 1'audace contre 1'autorité. Elle mine le corps focial, affaffine lentement fes victimes , & frappe a la fois ,mais fans bruit, toute la claffe de la fociété. Les nations rivales , qui afliftent a la décadence de celles qui fuccombent fous les coups de la fecle , les laiffent avancer leurs malheurs ; & prenant confeil de cequ'on appelle la politique,c'eft-a-dire,rartd'écrafer le plus foible, elles faiüflènt le moment propice pour confommer leur ruine.Un Chef eft comptable a fes iujets de leur pays , de leur honneur , de leur süreté. Onl'accufe des'maux de la patrie. Ceux même qui  C 48 ) 1'ont jetté dans Ie précipice, lui reprochent leur fiumiliation. Ou 1'on rétra&e fes fermens, ou 1'onporte le joug avec horreur. Si 1'ame duMonarque infortuné a perdu tous fes refforts, ileft trop heurcux qu'on lui permette de trainer fon fceptre. S'il reffulcite un refte de courage, il devient un tyran d'autant plus difiicile a appaifer , qu'il a des raifons apparentes de trapper, & que la juftice femble quelquefois 1'avoir armé de fon glaive: & dans 1'un & 1'autre cas , il entre dans la poftérité , chargé du mépris ou de 1'horreur du genre humain. Ce feroit tromper les Rois que de leur cacher une vérité nouvelle; les hommes leur rendent aujourd'hui des refpefts plus éclairés. On ne courbe plus fon front dans la pouflière devant une tête couronnée , mais on bail'e les traces d'un Prince bienfaifant, laborieux & jufie; on examine les adminiftrations, paree que 1'on eft convaincu que c'eft de fon affaire dont on s'occupe, quand on fe mêle de celles des Rois. On excufe lesdéfauts , on pardonne les fuibleffes ; on les retire des dangers oü les a jetté leur imprudence ; onleur rend les lërvices qu'exige leur trifte condition; mais on n'a pas fait ferment d'être conftamment le jouetdeleur caprice , les martyrs de leur opiniatreté, & les viftimes de leurs erreurs volontaires; ou du moins, fi 1'on eft forcé de 1'être, on protefte contre la tyrannie, & 1'on dévoue dans la poftérité, a I'indignation des fiècles futurs, ceux qui ont avili leur. nation. ^ue celui donc qui a Ie vertueux defir d'être aimé & la noble ambition de laiffer un nom glorieux, apprennequ'il manquera ce doublébut,s'il refufe de s'éclairer. Si les peuples qui emploient toute efpèce de moyen pour troubler la dangereufe tranquillité, qui neménagent niïes avis publiés , ni le filenceexpreliif du fage inécontent, niles murmures imprudens, fans doute , mais quelquefois néceflaires , la fatyre , moven violent mais efficace fi le malade cönferve encore quelques relforts , finiront enfin par ne plus voir dans leurs Chefs que des-automates couronnés , ou des administrateurs étfangers a la chofe publique & ii leurs intéréts :  ( 49 ) rêts: alors il fe répand dans les efprits une efpèce de confternation; on ne concourt plus a la profpérité de Ua Patrie; la nation entière fe repofe; on laiffe paifer un moment funefte, 1'induftrie perd fon aftivité, 1'agriculture languit; on exifte, mais on ne vit pas : tous les projets font pour 1'avenir. Or, celui a qui il ne refte que 1'inutile reifource d'ordonner,éprouvebientötque 1'autorité eft compofée de deux refforts ; 1'un qui commande aux efprits , & fautre qui les difpofe. Le grand art des Rois eft de difpofer en leur faveur la volonté générale , la force n'y ïupplée point. Or, Ia fecte des Uluminés donne des principes entièrement oppofés ; elle perfuade que Ie peuple docile bénit fon joug. Ce n'eft pas dans la nature des chofes, dans 1'expérience du paffé qu'elle puife des régies de conduite, c'eft dans un fyftême tout nouveau, accommodé tout entier a 1'égoifme de quelques Chefs qui n'ont ni patrie , ni intéréts a la félicité des étrangers qu'ils gouvernent, ni a la gloire du Monarque dont ils portent la livrée en public , a condition que lui-même, en fecret, portera leurs fers. Cette expreffion eft-elle tropforte, du moment qu'il eft prouvé qu'un homme abjure fa penfée, fa volonté,& ne fe meut qu'a la voix d'une puiffance fantaftique ? CHAPITRE X. Que la Secle des Uluminés détruiroit la Société elle-même , Jl elle pouvoit être détruite. La Société ne s'eft épurée qu'après bien des fiècles ; mais enfin 1'homme eft parvenu a un degré de civilifation , dont il eft aifé de prévoir la décadenre que la perfeaibilité. Non-feulement les animaux féroces refpeaent nos demeures ; les inondations , antrcfois dévaftatrices , ne font plus qu'une incommo- D  C 5° ) ditê paffagère; des hordes de barbares ne viennent plus a 1'improvifte défoler des cantons pailibles, mais la terre le raflure fur fa fubüftance; la famine eft devenue un fléau prefque chimérique; les maux font adoucis , s'ils ne font pas tout-a-fait extirpés ; les beaux arts dépuplent les années & les conlblent. L'ho mme a prefque glacé la foudre dans la main de Jupiter; du moins il éteint fa colère & fait expirer fa vengeance a 1'endroit qu'il a marqué; s'il ne peut prévenir ces effrayantcs convuliions qui agitent inopinément les entrailles du globe ( Note X-ff) , il en devine 1'exploiion & trouve dans un éloignement falutaire un abri contre le danger : le vaiffeau du hardi navigateur enchaine les venfs , les aflujettit a fes projets, franchit les immenfes plaines des mers, & vole enrichir les deux hémifphères. La main de 1'induftrie file les métaux comme la foie, crée tout ce que 1'homme delire ; & , par une continuelle réprodu&ion , fait, du lin que 1'agronome a femé, Fafyle immortel de la penlée du philofophe, & des beautés d'Homère. Des connoiffances d'un plus haut prix fourniffent a 1'homme les mets dont il fe laffe le moins , les ornemens dont il fe pare, les liqueurs qui le fortifient ou le rafraïchiffent. Tout cela n'eft encore que Pébauche des bicnfaits de la Société ; 1'homme nait, des maitress'emparent fucceiïivement de fa mémoire, de fon efprit, de fa volonté, de fa raifon. lis ornent, ils forment, ils dirigent, ils éclairent ces brillantes facultés ; & dés 1'inftant qu'elles peuvent agir, leur premier mouvement eft un femiment de rceonnoiffance vers l'Etre immortel. Tout en cultivant fa penlée aciive, ils donnent aux membres de ion corps de 1'aplomb, de 1'élaüicité , & lui apprennent a fe défendre contre laforce, &a défendre iür-tout 1'honneur & les droits de 1'amitié. lis lui enlëignent Part de commander a ce courlier fougueux qui doit le porter au chemin de la gloire, Part plus doux de s approprier ces fons enchanteurs qui raffurent l'e:prit & ealmcnt les pallior.s. Après que 1'homme a  C 51 ) prêté quelques inftans de fajeuneffe aces utiles ex^rcices, les maitres lui propofent de choiiir entre le cafque de Eellone, la balance de Thémis, le caducée de Mercure, le foc de Triptolême , le trident de Neptune. Dès qu'il a nommé fa Carrière, mille fecours arrivent pour la rendre brillante. II la fourmt; ii c'eft avec éclat, la 11 enommée publie fes exploits , la Gloireles couronne. Pour un temps plus cahne, combien de jouiifances la Société ne lui a-t-elle pas préparées? La fcülpture a fouillé dans les ruines de l'antiquité, & puis égalé les modcles qu'elle a reffnfcités ; la peinture , privée des mêmes fecours , n'a pas moins furpaffé Zeuxis. La plus belle des inventions , l'imprimerie, a multiplié les produclions du génie, & naturalifé fur la terre Platon , Virgile, Tacite , Horace. L'aimant nous a conduit au fein du globe, oü nous avons faili un nouvea u règne. Chaque an* née enfante une découverte, ou reflufcite une idéé perdue; l'efprit humain fe dégage des préjugés. La guerre même met des bornes a fes fureurs; & jufques fur les lieux qui en font le théatre, 1'humanité en diminue la barbarie. Si quelque tyran appéfantit fon joug fur la portion d'êtres que les Dieux vengeuis ont dévoué aux malheurs, du moins a t'on la douceur confolante d'entendre les Nations voilines le dévouer a la publique exécration ; les Rois, fes égaux , le défavouer; 1'hiftoire implacable le dénoncer aux iiècles futurs. On volt enürt la jurifprudence devenue plus avare de fang , la charité deycnuc pref qu'indifcrète , prodiguer fes fecours aux infortunés, & même a ceux qui abufent: le théatre corriger le ridicule en épurant les meeurs. Sans doute nous n'eti fommes pas a 1'age d'or ; mais au moins Ia civilifation eft portée au point oü la naiffance eft un bienfait & la mort un chagrin. Et c'eft a ce moment précieux que s'élève une feéte qui attente a ce bel ordre, & travaüle lentement ii d:truire 1'ouvrage de dix Iiècles. Pour rendre la terre aux préjugés, aux vitionnaires , aux nécromantïens, La fociété eft une vafte familie qui fe foutient. par L> 2  C 52 ) 1'accompliffcmcnt de devoirs réciproques. Les peuples vivent dans Ia flatteufe certitude d'être protégés; le Souverain cede au doux befoin d'être aimé. Cet heüreux concert eft: troublé , puifque toute 1'afFeclion dont un Souverain peut être fufceptible, fe trouve concentrée dans un petit nombre d'hommes qui ont des intéréts oppofés a la félicité générale. Pour s'en convaincre, parcourons tous les Etats; le magiftrat qui n'obéit qu'a la voix de la loi, fe défie des infpirations arbitraires. Le guerrier franc fircourageux, ne connoit que la gloire &lbn épée, combat & meurt fans penfer s'il fe furvivra a lui-même. Le miniftre des autels, indigné du traveftiffement de fa bible Sc de fes rites, détefte une erreur qui lui enlève fon culte & la conlidération. Le favant infiruit de la coupable facilité avec iaquelle tous les Iiècles ont produit les mêmes impoftures, voudroit fauvcr les humains des maux qu'elles laiifent a leur fuite. Le comroercant, dont 1'art & les fuccès repofent fur la bonne foi, redoute moins les mers inconftantes quele danger de hafarder fa confiance; le citoyen s'afflige en contcmplant les ruines de fa partie, & afiifte en idéé a fon entière décadence. L'llluminé , feul contre tous, devient 1'ennemi de fes femblables , appefantit fur eux le joug de 1'adminiftration, sème cette déiiance qui engendre les haines. Chacun fe craint, 1'amitié paroït une imprudence ; les faillies de la gaité font converties en crimes d'Etat, l'allarmc devient générale Sr frappe tous les Or- , drcs. Leriche , a même de voyagcr, porte ailleursfes 1'ennuis; Ie pauvre concentre fes murmures dans le fein de fa familie; f homme de lettres expofe fa liberté & fatisfait au befoin preüfant d'exhaler fon déielpoir. Ainli fe brifent les Hens fociaux; ainii .1,'hpmme s'ifole & finit par invoquer la mort. SjP Alors les arts dégénèrent, languiffent, demeurent fans honncur. La jeuneffe qui ne calcule jamais 1'avenir , obéit au penchant inné de voir ce qui fe paife fur le globe, & fe fait une patrie la oü font en-  C 5° ) corel'émulation & la Hoert^ fommations dimïnuent, le commerce perd fon aui iS?la populadon des villes baiffe ; les unstournent les yeux vers 1'Amérique, tenant des champs tou jours prèts pour quiconque veut.les cultivei, es autres dirigent leurs pas vers la Suiflc , ou Ia Na ture & le "Gouvernement font tout pour quiconque veut jouir d'un beau ciel & de la iberte. La plupart refoulent vers les Capitales devorantes , LonSrcs, Paris, oü 1'induftrie entaffe les humams de ^anscepalrdéfolé par tant d'émigrations, la Sodétl neïonferve plus, 1'équilibre la fource de tous fes biens. LorfquJeHe éprouve des vmdes dans certainesparties,c'eft toujours aux depens de 1 enfemble On dira, ces inconvéniens n attaquent pas la daffe di" peuple , ni même celle des Amfans. Le Peuple n'eft pa teleur, mais ii eft vicW. Son intêrêtP exigel'accroiffement perpétuel de 1'mduftne Plus elle agira, moins le lol payera : fon interet veut 1'accroiffement de la populauon car plus i y a de bras pour porter un fardeau, pms il elt leger. Scroiffcnfent des lumières fera que le travail fera plus lacile, la répartition des charges plus énnitahle les euerres plus rares. éT ^nouSgappelloPns la profpérité des empires n'eft autre chofe ^ue le meilleur état pothble de la fociété Cette harmonie que nous admirons dans les corp céleftes, cette lage diftribution dans les dons de la nature, le bel ordre dans lequel ils fe fucceden eft e grand model*, que fintelligence-fupreme a donné A hümaïns- Tout ce qui s'eloigne de cett■ mlrche noble & füre,tend a la deftruÉben. Or, que peut-il réfuker de ce mélange d'etres m-coVpoU & cfêtres humains d'une legiflation qu anéantit 1'cxpérience, les dogmes religieux & les pnn rines de la raifon ? t Ces maux s'accompliffent infenüblement; les uns les P évoient fins s'en embarrafler, les autres s en occSpent lans pouvoir les prévenir. Ceux dont Os  lont 1 ouvrage , les confomment avec d'autant plus ö opiniatreté, qu'ils en moiffonnent tous les'coupables iruits. r CHAPIT^E XI. Ouels feroient les moyens de détruire la Secle des Uluminés. -Le tableau des malheurs devient plus noir encore foriqu'on n'entrevoit pas dans 1'avenir le terme oü "s difparoitront. II feroit effentiel d'en anéantir la tracé dés leur origine; mais comme dans 1'origine tout eft zèle, commé tous les efprits lbnt pleins de feu, les efforts de la raifon échouent contre la chalcur de 1'enthoiiliafme. Autre difficulté : les fectes qui ont divifé le monde, répandoient publiquement leur doélrine ; on connoiffoit leurs organes ,on combattoit des adverfaires qui defcendoicnt dans 1'arêne. Ici perfonne n'ofe fe montrer , les erreurs ne lont pas dépofées dans un livre avoué , les rèveries de Swedemborg, les obfcuritës mvftiques & calculées des erreurs de la nature, font des émanations de Ia bétte des Uluminés, mais n'en forment pas les codes , es principes, de forte qu'on paroït aux veux de ja multitude combattre des chimères, femer des ulufions, fe nourrir de craintes exagérées. On pourroit bien fe juftiiier aux yeux des Nations trop iftcrédules; mais alors on révéleroit des crimes fecrets, qui feroient une calomnie fitns preuves , ou on fouleveroit les Peuples , li on les adminiftroit. Peu de perfonnes ont le courage de publier ce qu'elles ont furpns dans ces ténébreufes iniquités. Tot ou tard les Uluminés égorgent leurs viftimes ; malheurenfement plus d'un Chef de Kation eft imbu de ces principes funeftes: & depuis que les Rois ont mis au rang des crimes de lèze-majefté Ia franchife avec  ( 55 ) iaquelle onleurparle de leurs erreurs, on eft rêpute fédkieux, rebelle , criminel, fi on leur découvre la profondeur de labyme oü la leduftion les entraine. Enfin , comme cette Sefte «nbrafle toutes les erreurs polfibles nées & a tialtre , d faudron réfu er., expliquer, commenter tout ce qm s ecnt de relatit aux opinions nouvelles ; car nous vivons a une époque ou nul Ecrivain quelconque ne peut fe flatter de faire lire de volumineus ouvrages fur cette matierc fi trifte , ü fatiguante , fi péniblement ablurde D adieu Ton réfutedes chofes , des axiomes, de faux Snnemens , mais non des mots , des ^PPOfiuons des fyftêmes vagues; peut-être meme cc combat laifferok-1 foupconncr une efpèce de parite entre les partis; & leVllluminés, déja hypocntes pareffence, fe donneroient pour des objets de perfecution. Maleré les obftaclesqui fcmblent favonferla Secle nerfide il ne faut pas moins chercher les moyens Te la détr n?e. Le premier qui fe prêfente feroit une UEue en"e tous les hommes qui exercentleursplumes Sefmatières pmlofophiques. Elleauro.t pour but d'aimrendre a la Société entière ce qm fe macmne conre elle Rien de douteux, rien d'exagéré;nomt dCedüves point d'injures, m us une expohuon la fortnne, ni aux fervices pafiés, ni aux uite>. De même qu'il y a une coalition pour derober tous les fecr^ de même qu'il y a une armée d Ëlptons vulguerlesmvltères & pour detourner le, mjxdjj les Peuples font menacés. Les principes des Uluminés feffiiSSitao., contriftent tellement la nature, k^nire^nK  C 56 ) mes, que les gibets & les büchers revendiquent, les autres ne le font que paree qu'ils fe croyent des raiartyrs , ou appelés a jouer un role extraordinaire ; & fur-töut paree qu'ils marchenta la lueur des flambeaux des Uluminés au Temple de la Fortune. 11 faut fur-tout attacher un «il obfervateur fur te pays qui fera réputé le berceau de la Secïe, ou du moins fon principal théatre. S'il en exiftoit un , par exemple , oü tout ce qui eft place de confiance ne fut donné qu'a des Se£taires,oütout homme devint nul ou profcrit dés qu'il n'adopteroit pas le nouveau dogme, oü les enfans de la Patrie fe verroient a chaque inftant fupplantéspar des Ufurpateurs dont le mérite unique eft une apparente ou une aveugle crédulité. Si 1'age , 1'expérience, les plus importans fervices, la fidélité éprouvée , le talent le plus univerfellement reconnu, s'anéantiffoient devant un intrus tiré d'une loge. Si, dis-je , il exiftoit un pays tel que celui que vient de repréfenter une inragination en délire, ce feroit celui auquel il faudroit appliquer fes pinceaux , dans 1'efpoir que les images réfléehiroient au loin le jour de la vérité. On a crié contre le régime de la Compagnie de Jélus ; elle a été fupprimée. On s'eft élevé contre 1'abus du Monachifme, les couvens ont été diminués. On a plaidé la caufe des Protettans, ils ont été rétablis dans les droits de Citovcns. On demande la profcription des lettres de cachet, 1'autorité ne tardera pas a en faire le facrifice. On a pris en main la caufe de l'humanité dans la perfonne des Nègres , nos neveux verront tomber leurs chaines. II n'eft pas d'abus capables de réiiftera laforce, a la raifon , a 1'éloquence combinées. Voyez les Agioteurs honnis & difperfés, voyez les monopoles détruits, vovez les Turcaret les Mondor bannis du Syftéme" Financier; & puis ofez vous défier de vos forces , vous a qui le ciel a remis le pouvoir de la raifon & I'cmpire de 1'éloquence ! Mais loin de nous des ménagemens timides , cette politeffe qui s'introduit dans nos écrits aux dépends de la vérité. On doit des égards a Terreur, lorfcm'élle n'eft pas volontaire, mais non a des  ( 57 ) confpirateurs. A-t'on accufé Démofthène d'avoirmanqué d'urbanité envers Philippe ? Ciceron pour Catuina' Et Philippe cependant n'avoit fait que ce que font les Conquérans. II avoit détruit Olynthe; il avoit gagné les villes voiünes par fes largelles, c eit ce que nous avons vu&ce que nous venons de yoir en Hollande. Sa politique fut cruelle, & fes moyens barbares 'Note XII) Les Athéniens éleverent une ltatue a Démofthène pour avoir montré le rare courage qui brile les volontés des tyrans. Nous rendons encore hommage a la vertu de Cicéron, pour avoir decouvert la confpiration de Catilina, pret a rougir les mains du fang de fes concitoyens; on tui. en lalt d'autant plus honneur, que Céfar favonfoit fecre tement ce complot. Y a-Vil moins de gloire aujourd hm a démafquer des perfidies cent fois plus dangereuies que celle de Catilina, &protégées par plus dun Célar. La Gloire un jour ouvrira fon temple a quiconque aura eu le bonheur d'étouffer la Sefte dans fon berceau. II ne faut ni armées , ni verfer le fang , ni periecutions fourdes; il föffit de publier ce que I on s etforce de tenir fous le voile épais des fecrets les plus iniportans. _ , . , ■ II s'agit de revêtir de tous les caraftères de la vérité un fait effentiel, de le mettre fous les yeux de la multitude intéreffée a le vérifier & de lui dire. Accipe nunc Danaum infidias & crimineabuno DlfceomneSViRG.Eneïd.1. II. CHAPITRE XII. Cc que Von a penfé des Uluminés , & ce que 1'on en penfe aujourd hui. Un des moyens le plus digne de l'efprit humain feroit de fe reporter dans-les Iiècles ecoulés, & de ie  ( 58 ) convainere par Ie témoigrage augufte de 1'hiftoire, que ce qui occupe aujourd'hui avec tant de fuccès les vifionnaires, a deja paru dans la doftrine de leurs prédéceffeurs. Après s'être convaincu de cette vérité, ii feroit jufte d'examiner comrnent ils ont lmi> & la réputation qu'ils ont laiffée après eux. Ceux qui les imitent, ou qui les furpaffent, firoient, dans ce quis'cft paffé, les decretsdela pofténte, ce que deja penfent leurs contemporains. Si la name des nations pourfuit depuis dix-fept fiècles les pmbres des Néron, des Tibère, des Domitien; « le ridicule accompagng encore les noms du diacre Paris , de Gallener , de Schroepfer , ils pourfuivront avec Ie même acharnement leurs fucceffeurs. Agapie, vers la fin du quatrième Iiècle, forma une fociété dont un des dogmes étoit qu'il n'y avoit rien d'impur pour des confeiences pures, qu'il valoit mieux jurer & fe parjurer que de découvrir les myftères de leur fociété. On nous raconte aujourd'hui que le corps n'eft rien qu'une chétive enveloppe , qu'il peut faire tout ce qui lui plait, fans que 1'ame prenne part a toutes fes fottifes. Agapie mourut folie, & la feète eft anéantie. Gabriéli, Prélat Romain, fe laiffa féduire par les fortilèges d'un Doaeur myftique nommé Oliva. Ils tënpient des affemblées noclurnes, dans lefquelles ils offroient au Démon du fang humain. Dans les royflères modernes nous avors vu qu'on le fait boire, & que ii le Démon n'eft pas 1 idole du temple , du moins fe fait-il repréfenter par de grands fantömes noirs. Le Pape Alexandre VIII déclara Gabriéli & Oliva incapables de pofféder des bénéiices, ik les fit enfermer dans un Chateau. Le Comte de Saint-Germain, fi hautcment protégé , a-t-il fait autre chofe que d'imiter Guillaume Pofiel, dont la manie étoit de fe faire plus vieux qu'il n'étoit. Pour en impofer a ceux qui 1 'avoient connu, il fe fardoit, fe noirciffoit les cheveux , & s'appelojt en conféquence Pojldlus reflitutus. Comme les lucceffeurs, il affuroit que PAnge Refiel lui avoit  (59; révétó des fecrets divins. Qu'en difent aujourd'b.iri les biographes les plus modérés. » II eüt faic beaucoup » d'Uonneur aux lettres, li a force de lire les Rabbios v> & de contempler les adres il n'avoit pas perdu « la tête. » Jean Ruremonde ne fut que le précurfeur d'Emmanuel Swedemborg, infpiré de Dieu, comme lui, pour rétablir la pure doclrine, prêchant que dans peu le royaume de la nouvelle Jérufidem feroit fondé. L'Apótre Suédois ne 1'imite pas dans fes autres fbbes , paree qu'il vivoit a une époque oü 1'on ne fa=t paS impunément une diftribution égale de tous les biens, quoiqu'on ait rec.u l'épée de Gédéon. Mais le fond de la doclrine conduifoit aux mêmes conféquences. Ruremonde fut brülé. • Cardan révedla , dans les derniers fiècles , la philofophie fecrette de la Cabale & des Cabaliftes. Dèslors elle peuploit notre globe d'efprits invilibles, auxquels on pouvoit reffembler en fe puritiant. Onnous dit aujourd'hui qu'il y a des êtres intermédiaires entre nous & la divinité, & que les mauvais Efprits font les agens fecrets de tous les maux qui nous tourmentent. Sous quelle forme les hiftoriens nous ont ils tranfmis ce prototype des folies modernes? Le voici : » II avoit la démarche & les propos d'un « infenfé, & il fignala fa folie , autant que fon fa» voir, dans la Médecine êz dans les Mathéma» tiques. » Cr.ibrino crée des Chevaliers de 1'Apocalipfc. II fe faitappeller le Prince du nombre fepténaire. Lesarmes de fa feóle font un fabre & une étojle flamboyante, Plulieurs de ces Chevaliers étoient de liraples artifms qui travailloient toujours l'épée au cöté. Quoique très-dangereux, ils étoient très-charitables. Tout ce qu'a fait Gabrino , qui fe nomrhoit ainli le Monarque de la Sainte-Trinité , fe pratique encore fidellement de nos jours, & même avec pius de fanatifme, Le digne Chef fe trouvant dans 1'Eglife le jour des Rameaux de 1'année 1691, pendant qu'on chantok 1'antienne, Qui eft ce Roi de gloire, courut, l'épée a  C 60 ) la main, au milieu des Eccléfiaftiques, & s'écrïe que c'étqit lui. II mourut cinq ans après aux Petites-Maifons. On arrêta une trentaine de fes difciples ; le rede fe difperfa. Le Médecin Pierre Apono , qui devoit fes connoiffances myftiques a fept lutins tenant leurs féances académiques dans une bouteille , par une magie dont le fecret s'eft perdu , faifoit revenir le foir 1'argent qu'il avoit perdu lematin. Cetheureux fou trouva un Duc d'Urbin qui pla^a fa ftatue parmi celles des hommes illuftres. Le Sénat de Padoue la fit élcver a cöté de celle de Tité-Live. Ne voyons-nous pas tous les jours fes fucceffeurs trouver des protecteurs aufü fanatiques ? S'ils n'obtiennent pas des flatues, au moins ont-ils des médailles, & ils n'ont pas même befoin de faire revenir le foir 1'argent qu'ils prodiguent pendant le jour. Lifez 1'hiftoire de Valentin Greatrik, Irlandois , qui vivoit en 1665. » C'étoit un homme d'une affez „ bonne maifon, qui avoit été Lieutenant d'une „ Compagnie pendant la guerre d'Irlande, & qui „ avoit enfuite exercé quelques charges dans le ,, Comté de Corck. II avoit une grande apparence de limplicité dans fes mceurs. II fembloit avoir „ le don de guérir.... Cet Impofteur, moitié Pro„ phète, moitié Médecin , attribuoit toutes les ma„ ladies aux Efprits ; toutes les infirmités étoient „ pour lui des poffeflions démoniaques— Le Roi ,, lui fit ordonner de fe rendre a\Vhitehall, oü la „ Cour ne fut pas trop perfuadée de fon don des 3, miracles.... 11 ne put perfuader les Philofophe3, on écrivit contre lui avec force ; mais il eut auffi ,, fes défenfeurs. II publia une lettre dans laquelle ,, il fait une hiftoire abrégée de fa vie. „ Son crédit diminua a mefure qu'on le connut. Eientót fans adeptes, fans fecours & fans eftime, il fut obligé de difparoïtre. Qu'on joigne a ces exemples 1'avanture tragique de mademoifelle de la Palus , Initiée par le Curé Gaufredi Sans doute c'eft affreux de brüler un  C 61 ) fou; mais voila les effets de cette fefte Ie proiet ridicule du Bibliothécaire deRichelieu, Jacques Gatfarel, voulant donner l'hiftoire du monde iouterrain, c'eft-a-dire, des Efprits habitans 1'enfer & les limbes.... 1'infortuné Martin Gonzalves , brü\e par rinquilition,pour lui apprendre a fe dire 1'Ange Michel. O déteftables erreurs \ 6 folie de 1 efpnt humam Ces exemples viendroient vous attefter, ü cette nomcnclature ne devenoit a la tin monotone & faftidieufe, Grands hommes du jour! Vantez-vous de votre origine, glorifiez-vous de vos fondateurs & de vos modèles. Etrange aveuglement ! nous n'ofons dénoncer, profcrire , anathématifer les mêmes fcandaleufes turpitudes que les Iiècles paffés ont couvert d'ignominie. Nousfommes avertis par l'hiftoire , foutenus par le confeil des gens fenfés, nous forames guidés par 1'expérience , & nous ne favons pas abbattre les idoles modernes, ou le faire expirer fous les fouets du ridicule. Commitant eadem diverfo crimïna fato llle crucem fceleris pretium tulit, hic dladema, On diroit peut-être que paree que des infenfés ont abufé de ia doftrine, il n'en faut pas conclure contre elle, & que la chymie , la poéiie, ont fait t^erdre la tête a bien des gens. Pour répondre a cette objeftion, il fuffit d'expofer ce que dans tous les temps on a penfé des fciences occultes. On peut remonter jufqu'aux myftères de Cérès, qui préfeiitent plufiêurs points de rapprochement avec les 11luminés. Dans les deux affociations il y a des lmtiés , des fecrets , des affemblées no£turnes , des fermens , & on pent appliquer a toutes deux ce vers de Lucrèce : Claudicat mgenium, dellrat linguaque, menfque. Comme (Note XIII) de nos jours les hommes les plus vertueux étoient profcrits s'ils n'avoient pas  C 62 ) » été Initiés; tel fut Epaminondas, uh des plus grands II és os de la Gréce. Comme de nos jours les Hiércphantes vendoient a des hommes crédules la puift litece d\in monde qui n'étoit pas a eux : Voyons ce qu'on penfoit en Grèce des Initiés. Depuis leur éiabliflement, « le mépris pour les fer«*, mens & les contrats les plus facrés fut toujours <* en augmentant, au point que Polibe avoue lans « détour qu'il n'y avoit plus dans la Grèce 1'oni« bre de tabonne foi. On y voyoit des malheureux « fê parjurer cent fois en un jour, fous prétexte « que le ciel leur avoit été aflbré par les Hiéro«* phantes.. II eft abfurde , leur difoit-on , de célé« brer pendant la nüit des myftères qui feroient en« core fort dangereux quand on les célébreroit en <« plein jour. II eft abfurde d'exiger le iilence le « plus abfolu touchant une Doctrine qüi ne fau« roït être trop publique, ii elle eft vraie; & ii elle « n'eft pas \raie, vous êtes les plus coupables » des mortels en la préchant. n NVft ce pas ce qu'on pourroit dire aux Uluminés? n II talloit bien , ajoutoit on , protéger par une grande foieedes chofes ii foibles d'elles-mémes , & qui c'auroicnt pu fe foutenir s'il eüt été permis de les difcuter felun les régies ordinaires & les notions communes; mais comme il étoit défendu aux Inidés, fous peine de mort, (ainfi que de nos jours de parler des myftères ) ceux qui avoient été victimes des Kiérophantes , n'olbient s'en plaindre , ni arrêter ceux qui alloient être entrainés dans le méme abyme; & c'eft par des moyens ii extraordinairesque la fuperftition confe. va fi long-temps fon énergie , éf perpétua li long-temps ion empire ( i ). Dans tous les temps , dans tous les pays. les Magiciens, Devins. Sorciers , Alchymiftes, Viiïonnaires,Etres queleonques commercant avec le diable (i) Recherches Fhüofophiques fur les Grecs , tome II,partie lfl, page 217 & fuivatites.  (6*> , ont été réputés malfaifans, fous, fnppons, dupes : ert parlant de Jamblique, de Plotin , de Porphire, un •auteur célèbre dit : c'eft de leurs cendres qu'on a vu naitre au milieu du dix-huitième iiècle, « les » Uluminés, les Myftiques , les Phytionomiftes ,les » Adeptes, les Jongleurs , les Preftigiateur» , & » tout ce qu'on peut imaginer d'hommes infames & » dangereux chez un Peuple civilifé. Quelques con» trées de 1'Ëurope paroiffent menacées de tomber « non-feulement dans les abiurdités de latheurgie, » mais dans un état complet de démence & d'im» bécillité. C'eft de la bouche même des Setlaires , que je voudrois entendre ce qulls penfent les uns des autres; tous s'égarent, mais ce n'eft pas dans les mémes erreurs. Or, avec quel acharnement ne s'entre-détruii'ent-üs pas ? Ecoutez les Vilionnaires couvrir de ridicules les Magnétifeurs Spirituals, c'eft a-dire ceux qui font un alliage fuperftitieux de 1'influence immédiate de Dieu & d'une caufe purement phyiique. Voyez les Uluminés proprement dits , profcrire avec une fanatique audace, les difciples crédules de Swedemborg. Avec quelle dureté le pieux Lavater eft-il traité par fes Antagoniftes ? Je ne parle pas des vrais Philofophes, qui ont dü le confondre néceftairement avec tous ceux qui attentent a la raifon, je ne parle que des SecTtaires ennemis de leur croyance. Tous confidèrent le monde entier comme leur domaine , dont leurs riyaux font les ufurpateurs. Tous fe croyent appelés a opérer une révolution ; tous la préparent. Tous réufliffent plus ou moins; tous font replougés dans le néant. Mais tant que dure le paroxiime , la terre fouii're, un nouveau fléau la tourmente, le fang coule, la nature gémit, la Société fe décompofe , & la calamité frappe tout ce qui exilte a ce période. Telle eft l'hiftoire de toutes les Sectes. Ainfi finira celle des Uluminés. Que de maux préviendroit celui qui l'étouttéroit au berceau , & qui juftirieroit un moment de violenCe par les loix que la lifipofe  ( 64 ) le paiTé, dépofitaires infruclueux de toutes les 1ccons falutaires. A quoi fervent donc notre littérature, nos hifioriographes, nos Académies , fi ce n'eft pour conferver les reflouvenirs utiles. Nous nous louons a plaiiir; vous vantons fans ceffe nos progrès; nous élevons notre fiècle au-deffus des autres ; que fignifient ces vaines apologies ? Nous redonnons les mêmes fcènes que nos prédéceffeurs, & de plus ridicules encore. Je ne fais quel Ecrivain nous a dit que les fottifes des pères étoient perdues pour les enfans. Jamais cette vérité n'a été mieux fentie que dans le moment préfent. A lire nos brochures modernes, a écouter les Dofteurs du jour, ilsHfemblent parler de découvertes, tandis que ce ne font que de faftidieuies répétitions. Un Profeffeur Allemand nous a prouvé même que le Magnétifme étoit renouvellé des Grecs. Je ne prétends pas mettre cette branche curieufe de la Phyfique au rang des rêveries des Uluminés; mais prouver feulement que ce que nous croyons le moins connu a déja occupé ceux qui nous ont précédé fur ce globe, qui ne fait que reproduire les mêmes idéés dans des cerveaux diflerens. C H A P I T R E XIII. Ce que Von penfe des Fondateurs de la Secle . moderne. Toutes les affociations, fous quelque nom qu'ellcs ayent exiftées, fe font glorifiées de leurs Chefs. Les Ordres Religieux fe font vantés d'avoir donné des Papes a 1'Eglife & obtenu 1'apothéofe de leurs Fondateurs. Les honneurs de la canonifation n'entrainent pas le culte des hommes raifonnables; mais du moins n'ont-ils jamais été prodigués a des hommes  ■<65) mes immoraux, & le fulfrage de Ia Nation avoi: précédé les décrets de Rome. Dans la fecte des Rluminés, oü tout eft bizarre; les Chefs de la fedte ont laiffé le nom le plus équivoqüe , pour ne pas dire ,tout-a-fait profcrit. Arius, père d'une des erreurs qui a régné avec le plus d'empire dans les premiers fièclcs du Chnftianifme» & qui depuis eft dégénérée en Socianifme , Arius, dis-je, étoit doué d'une grande éloquence , & refpeclable par 1'auftérité de fes mceurs. Quefnel avoit un cceur » au-deffus de fa naiffance & de fa fortur> ne, un talent fingulier pour écrire facilement, » avec onction & élégance.» II n'étoit pas extraordinaire de céder a la douce perfuaiion de Fénélori qui fe trompoit de fi bonne foi. Luther avoit une imagination forti , fecondée par L'ejprit^ nounie par F étude. Calvin fe fit des partifans par fon efprit, & fe les conferva par fon zèle, fon aftivité & fon adrcffe. Mais quels hommes que ceux dont je vais rappeller pour la derniere fois la méprifab'le exiitence ! ou plutöt, pourquoi donner une efpèce d'exiftence a des, hommes qui auroient plutot mérité Panimadveriion des loix, que de la confiance; avanturiers fans naiffance , fans éducation,fans efprit naturel, fans talens acquis; fortis de la lie , errans fous des noms fuppofés, n'ayant pour protecteursque des imbécilles, pour adeptes que des fana'tiques, pour foutiens que des dupes. Quel bizarre & monftrueux affemblage de principes! Se perdre dans les hautes régions de la fpiritualité, relever la condition humaine, jufqu'a la mettre en rapport avec ces puifïances dépouillées de toute enveloppe matérielle , & lui donner pour tout travail, toute récompenfe, le vil métier d'épurer, de tranfmuter les métaux; affocier, pour ainfi dire , les dons de la Divinité, tels que la penfée , la connoiffance des chofes céleftes , avec les préfens de la terre; comme ii, aux yeux du fimple riaturalifte, il y avoit quelque différence entre les diamans & la terre, entre Por & le cuivre. E  ( & ) Ce Saint-Germain, après avoir fcandaïifé trente villes & dupé deux cents apprentis chimiftes, rencontre un Grand, né libéral & fenlible : il fe réfout de terminer par lui le cours de fes jongleries. Void le difcours qu'il lui tint i « Depuis prés de qua,, tre-Vingt ans, (il en avoit alors foixante-dix- fept ) je cherche un homme, un homme dont je puiiTe faire un vafe d'élecfion , & remplir de la ,, célehV rofée que j'ai ramaffée dans la terre pro„ mife. II doit ne rien favoir, & être propre ü ,, tout. D'autres connoiffances tiendfoient dans la „ mémoire la place de celles que je dois y jntrö„ duire; & la lumière & les ténèbres, le pui- & ,, 1'impur, Dieu & 1'homme ne s'allient pas enfem,, ble. Je vous connois peu par moi-même, & „ beaucoup par ceux que vous ne connoiffez pas, „ mais que vous connoitrez un jour. Le Ciel mit „ dans votre ame pure les germes de toutes les qualités; lailfez-moi les développer ; dcvenez le „ recipiënt célefte dans lèqiiel découleront les vé- rités furnaturelles. Vous êtes invité , ou du moins vous le ferez, a gouverner dés royaumes ; pré„ tez vos foins & votre génie aux humains , mais ,, donnez votre temps & votre étude au Maitre Su,, prême. A 1'age de vïngt-fept ans , vous vous trou- vcrez, dans peu de iriois, en avoir quatre-vingt,, dix. J'aurai excité , travaillé, réalifé pour vous; devenu un prodige pour le refte des humains < vous ne ferez riert aux yeux de Dieu, ii vous vous „ contentez d'être la lumière d'une planète.Dépofitaire ., des plus étonnans fecrets , vous pourrez arrêter „ la marche des étoiles, & tiendrcz dans vos mains „ Ie deftin des empires; mais la fcience n'eft un ,, tréfor qu'autant que celui qui Ia donne en diri„ ge 1'ufage. „ Le Grand, étonné d'être un génie, enchanté dé devenir un prodige, hors de lui en penfant qu'd alloit régenter 1'Europe, baifle les yeux, fe profterne, & ne fe relève que pour aller faire préparer un chatcau digne du Thaumaturge. Quand il  C 6> 5 fut bien établi, les préparanons commencerent, *c le grand jour fut fixé, Quels font les fecrets que 1'on vit éclore ? L'art de donner au cuivre plus d'éclat & de dufiüité, la manière d'épurer les pierres iines , deux merveilles que trois Chimiftes Allemands ont enfeignés dans leurs favantes lecons. Que vit-on encore ? Un purgatif que chaque Pharinacopole compofe & vend au peuple : une foule de liqueurs, doht plus d'un Diftillateur avoit déja payé le fecret en France & en Italië. D'ailleurs les étoiles roulèrent comme a 1'ordinaire , 1'Europe n'éprouva aucune révolution, pas même une très-pctite partie qui s'obftina a refufer la médecine politique qu'on lui préparoit. On vécut de promeffes pendant plulieurs' années , rien ne s'eireétua; on furprït même le Dieu dans fes fonftions très-humaines. Jainais les yeux ne fe délillèrent, & tout en ehterrant le Prophéte» on crut a fon afceniion miracüleufe. Qu'étoit ce que ceSchropfer (Note XIV), le Dieu des Uluminés de nos jours ? Un Joueur de gobelets , dix fois moins adroit que Jonas & Pinetti. Charlatan puniifable, qui, pour furprendre votre coniiance , commencoit par attaquer votre raifon. Comment un homme qui a fait boire au punch, n'eft il pas démafqué? Et n'eft-il pas cent fois plus apparent qu'on eft plutót fon complice que Ja dupe? 11 étoit li facile de fe convaincre que fes miracles étoient dus a féleétricité; nvus au lieu de ne voir en lui qu'un Précurfeur de Comus, on s'aeharna a y trouver un Réibrmatéur infpiré. Qu'eft-ce que 1'Ordre des Chevaliers & Frères Initiés de PAhe ( Note XV), dans lequel 1'Harmonica a publiquement favorii'é les fupercheries , & oü un efprit appelé Gablydone joue un des roles principaux. 11 femble que 1'on aie voulu imiter les derniers eiforts du délire, & déshonorer tout-a-fait la raifon humaine. Parmi ceux qui ont époufé hautement les pianêipes d'inflitutions , partageant leurs loiiirs entre des tours d'efcroc & des tours de Viiionnaires, v a-t-il un feal E z  ' <68 > homme que les Sciences avouent, que les Univerfités reconnoiffent, dont 1'Allemagne ait conlenti la réputation , dont les ouvrages , marqués au fceau du génie & de la raifon profonde, faifent admirer un grand Ecrivain ou plaindre un grand Homme égaré? Eft-ce donc fur la foi d'efprits vulgaires, abjects par leur ignorance, ridicules par leurs prétentions , inconnus a tout ce qui penfe qu'il faudra adopter un nouvel ordre de chofes ? Un iiècle fuffit a peine pour nous familiarifer avec les idéés fublimes de Newton, pour tirer parti des découvertes de Franklin, pour convertir la Chyrïiie en un art utile , pour apprendre a penfer dans Bayle , dans Shafftbury , dans Locke , & nous deviendrons les .Difciples de qui ? Sup. pléez, Lecteurs, & rapprochez les noms célèbres que je cite, des noms mépriiables que jetais. Vous voyez, comme moi, dans quelle effrayante galerie je pourrois vous conduire. Peut-être devrois-je réunir en un lieu les portraits des Charlatans modernes , leur arracher le mafque ? Ce n'eft pas le courage qui me man . quei mais aux yeux des Lecleurs timides, les periönnalités affoibliroient ce que j'ai dit; & pour quelques victimes qu'il feroit jufte d'immoler, il en eft qu'il faut encore plaindre & tacher déclairer. Une feule réilexion produiroit eet heureux effet, fi la réflexion n'étoit pas devenue la chofe la plus rare, parmi la plupart des hommes. Même parmi les Sectaires, le nom d'Illuminé eft devenu une injure. On veut bien être connu pour Hêrnhute , pour un Anabaptifte , pour un Quaker, pour Juif même. Mais on veut voir des efprits & n'en être pas foupconné. Sur cent Scclaires il n'en eft pas deux qui olaffent foutenir publiquement qu'ils ont vu des êtres immatériels, comme ils 1'aftirment entr'eux. II n'en eft pas un fur mille qui voulüt raconter en public ce qu'il fait dans les féances nocturnes. Or, qu'eft-ce qu'une Doctrine dont on rougit? qu'eft-ce qu'un culte qu'on défavoue* Enfin ,je connois tel Uluminéque la Société rejette de fon fein , auquel on rcfufe le plus petit erapioi; qui s'eft attiré le mépris univerfel, & qui, dans  ( °9 ) l'adminiftration de 1'Ordre, eft revêtu de charges haportantes, & 1'auteur avoué d'une vafte correfpondanCe. Comment foupe-t-on avec un homme que 1'on n'oferoit aborder a la promenade-, le crime n'eft donc pas un fujet d'exclufion dans cette abominable confrérie ? C H A P I T R E XIV. De Pétat oü fe trouvent les contrées réputées proteclrices de la Secle. J^E déhr de connoitre 1'atóme de boue fur lequel nous nous agitons, fait que nous promenons , lans cefle , nos regards fur les Nations qui nous environnent; alliées ou ennemies, dans la féCürité de la paix, ou dans les horreurs de la guerre; dans une langueür léthargique , ou dans une activité profpère. Ce moment nous oft're la France donnant au monde^ le fpectacle d'une rcvolution dont il faut bien connoitre les raotifs avant d'en juger les moyens ; 1'Angleterre méditant quelques grands projets , invoquant, en fecret, bien moins la vidoire que la paix ; la Pologne femblant vouloir fecouer le joug de 1'oppreflion ; la Hollande , oü 1'on voit la tranquillité de fi.mpuilfance , mais oü 1'on entend les fourds murmures du défefpoir. Au milieu d'intérêts li étrangers au fujèt que nous traitons , on feroit tenté de croire que le iyftéme des Uluminés eft un point a peine vifible. Nos craintes paroiffent des chimères, nos tableaus paffent pour des exagérations. Ah ! fi les incrédules habitoient certaines contrées, ils verroient combien nos pinceaux, trop prudents peut-être , font foibles de couleur. Oui, il eft des contrées oü il e^xifte cent Cagiioftro, élevés en grades , favorifés des dons de la fortune , qui n'ont qu'a parler pour être crus. On révèle leurs coupables iniquités; 1'impofture d'un ventviloque peniionné , la fumigation frauduleufe a travers defquelks E 3  C 7° ) Jes corps paroiffent des ombres; 1'incroyab'e bêtife d'un fexagénaire amoureux, certjfiant a fa maitreffe inlidèle, qu'un efprit lui révèle, par le tuvaii dé la cheminée, l'hiftoire de fes nombreufes perfidies. On divulgue dans vingt livres divers 1'horreur de leurs initiations', le crime de leurs fermens , 1'infamie de 1'efpionnage. Les Journaux , les Gazcttes font remplies des folies d'un Peuple égaré. Perfonne ne contredit ces affertions; les Curieux en font témoins , beaucpup en font les viflimes, les ames honnétes en font déchirées. Eh bien' les auteurs de ces calamités défaftreufes jouiiTent paifiblement de la confiance de leurs Maitres,ou plutót de leur autorité» ïl fe trouve des hommes affez foibles, des plumes affez vénales, des lecYeurs aflèz bêtes,pour prendre leur défenfe. Sans doute ils né porteront pas le fer & lc- feu dansles Royaumes. Nous ne fommes plus au temps des guerres civiïes. D'ailleurs , ce ne font pas les guerres civiles qui détruifent les Empires: c'efl la eontuhon des bons & des mauvais principes , c'eft le défordre intérieur dans toutes les parties de 1'Adminiftration ; c'eft t'extinftioh de tout fehtiment patriotique; c'eft 1'infame commerce da fang humain qui dépeuple le fol, qui importe fans enrichir les pays oü les machines ftipendiées font tranfplantées; c'eft la ftagnation des cónnoiflahces , des arts , de tout ce qui compofe la Société éclairée. II cd des contrées oü le commerce , diftributeur de toutes les puiffances , eft fuf'pcndu dans fa marche adtive On affaftine 1'induftrie nationale, on profcrit ce qu'il faut permetfre, on tolère ce qu'il faut défendre, on a 1'air de rendre la liberté, & on confomme la géne. D'oüviennent ccs 'étranges mépriiés ? De 1'ignorance profonde des Chefs. On n'a pu choifir que parmi des êtres incapables, & pour avoir pris les moins ineptes, onna pas eu des hommes inflruits. C'eft un point fur lequel on ne peut trop pefer. Quels font les difciples de cette rcligion nouvelle ? Des hommes imbécilles, bavards ouintriguans. L'un  ( 7i ) écrit des lettres myftiques , ou du moins les figne; 1'autre pérore & va toujours vantant les iecrets quil n'a pas , ou dérobant ceux dont il abufe : celui-ci, toujours 'en Vair, vole de Cours en Cours, epïe, catéchife, & fcelle fa milfion divine, par des promeffes qui tiennent lieu de miracles; celui-la laif de fon pays le rendez-vous de tous les fous de 1 Lurope , qui encore paroiffent fages a cöté de lui. Paufeas, fous un air benin , avec des cheveux plats, le regard hypocrite, un ton mielleux, fes pochcs plcines de topiques contre la goutte , infulte aux Philoiophes, met un père de familie incrédule a la mendicjte , colporte des libelles myftiques, & tache de conyertit les fermons des Prêtres en difcours féditieux. Mc^non fe promet bien d'étonner 1'Europe par une revo ution complette , & fe familiarife tous les jours avec les etprits divins qui doiventun jour fe rendre fes co op ér yateurs. Quels font les dignes inftrumens qm tont agir les féréniffimes machines? Des fnppons chamarrés de rubans, des officiers qui vendent des blies, des chanoines qui jouent la comédie, des muliciens f ttérateurs, des financiers qui lingent le defintéreffement, des prédicateurs energumenes, des théologiens tour-a-tour athées & déiltes , un liutrion philofophe , un abbé impur, palfant le jour au banquet & la nuit chez Meffahne. Voila les grands hommes du jour , les préceptcurs des nations , les lumières, du nouvel Evangf e. Ciel! a quels plats Tyrans as-tu livré le monde? Quel choix faire parmi eet amas dégoutant de yices^ de foibleffe , d'imbécillité ? Auffi, dans tous les genres, les contrées font frappées de ftérilité! A peine compte-t-on quelques ames énergiques, & telles que ces plantes qui croiffent fur un fol étranger , on voit qu'elles étoient nies pour des jets vigoureux , mais chaque année elles dégénèrent. Les extrémités lont telles que la calamité eft a fon dernier période, puüque 1'on rougit de fa Patrie. Ah! pourquoi en rou-  (r 2) git-on ? Paree quon calcale tous les degrés de fa dev cadence. Souffrireft beaucoup, mais décheoir eft tout. L'homroe habitué a fe gloriher de fon pays, éprpuve unchagrin profond quand il voit une dégradation précoce, & 1'ouvrage d'un iiècle renverfé en unjour. Les maux ne font pas confommés , fans doute , dans un fi court efpace , & cela même eft un mal. Dès que la machine eft ébranlée, on eft certain de fa chüte, & 1'on a la douleur de voir chaque jour fe détacher une partie de 1'édifice. Si tous les malheurs font déja fi fenfibles, a une époque oü la fecfe ne fait que de fe montrer avec fuccès,que fera-ce quand le temps aura familiarifé les hommes avec les abfurdités > Car tel eft l'efprit humain ; le temps 1'accoutume aux objets les plus bizarres. Les myftères fe célèbrent aujourd'hui dans des lieux retirés & prefque inconnus ; dans vingt ans ils fe célebreront dans des temples. Pour quiconque obferye , le changement eft rapide. Nous voyons aujourd'hui des hommes parvenir, qui s'étoient volontairement piongés dans une utile obfeurité ; des panégytifies effrontés, s'attacher au char de ceux qui s'eitimoient heurcux quand ils obtenoient de 1'indulgence; des militaires , jufqu'ici placés au temple de la gloire, aller brüler leurs lauriers aux pieds de gens qui les careffent pour les avilir, ne pouvant fe déguifer que leurs louanges entachent quiconque les accueille. Nous voyons encore des hommes qui, dans les commencemens d'une époque nouvelle , fe déclaroient généreufement pour le parti de la vérité, le déferter peu a peu , trouver poifible ce qui leur avoit paru abfurde , fe lier , fous prétexte de fe faire inftruire, devenir un aputre zélé, en crovant n'êtré qu'un défenfeur équitable.  C 73 ) CHAPITRE XV. Moyens divers d'affoiblir le crédit de la Secle. O'est vous que la terre implore , vous , dépofitaires des fciences & du génie / Loin de vous les ménagemens calculés fur les orages de 1'avenir. Ce n'eft ni par des vérités générales , ni par des allufions dont Famoür proprë détourne le fens , ni par des allégories au deffus de la fagacité du vulgaire des lecleurs, qu'il faut combattre un fléau menacant les Rois, les nations, la fociété; c'eil en démafquant les feclaires , c'eft en les dénoncant. Que cette guerre exigera peu de courage , ii les gens de lettres réfiéchiffent que les Rois ont bien plus befoin de leurs lumières créatrices , qu'eux n'ont befoin de leurs chéüves penfions. Que feroit un pays fans Jurifconfultes, fans Prêtres , fans Médeeins , fans Ingénieurs , fans Architeótes , fans Arithméticiens , fans Artiftes, fans Gardiens de 1'Hiftoire. Le Peuple immenfe que les fciences forment, poliffent, exifteroit fans Rois; mais les Rois n'exifteroient pas fans lui, ou ils régneroient fur des brutes, fur des champs agrefies, fur la terre de feu. Que 1'homme honnête, iincère & vraiment inftruit apprenne donc a s'eftimer, non pour fe livrer a un lol orgueil, qui obfeurciroit fes talens & aifoibliroit fes moyens ; mais pour nourrir ce courage de 1'ame , qui eft la première des vertus , ou plutót le foyer oü toutes s'épurent & fe renforcent. PREMIER MOYEN. Ecrits des Gens de Lettres. Quels moyens employera-t'il ? D'abord il faut malheureufement employer la génération préfente : les  f 74 ) fpins doivent fe porter fur celle qui Ja fuit. C'eft eri faifant adorer & refpe&er la vérké, c'eft en représentant la Religjon fous les traits de la Sageffe , c'eft en fubftituantfjrt de raifonner jufte aux puéril tés des premières ccoles, aux fictiqns poériques , & aax tigures del'éloquencc trop prifées. C'eft en faifant des hommes, & non des Rhéteurs, des Jurifconfultes , des Natunuifies, que l'efprit prendra une forme rebelle aux erreurs qui s'en emparent avec tant de facilité. SECOND MOYEN. Infpirer le gom de la leclure. Pourquoi les abfurdités les plus révoltantes trouvent-elles un ii facile accès ? C'eft, il faut 1'avouer, paree que perfonne ne lit. Jefoufirais tout-a-fait les pcunlcs femés dans les campagnes; & j'ofe" avouer qu'il n'y a pas dix perfonnes fur mille qui cultivent leur efprit. II n'y en a pas cinq qui foient éclairées, il n'y en a pas un fur mille qui foit profondément infiruit (Note XVI ). Ce calcul eifrayant n'eft malheureufement que trop jufte. La première caufe de cette indifférence pour la leclure , c'eft qu'il y a trop peu d'avantage a dévouer la jeuncffe a l'étude. 1 es places qui rapportent vulgaircment de 1'honneur , fo' t auffi les plus lucratives , & prefque toutes téfervées pour 1'ignorance titrée. La feconde caufe, c'eft que rien n'eft plus rare que des Profelfeurs qui fachent communiquer leurs lumières. Le talent d'enfeigner eft le dernier période de la clarté de l'efprit. Peu dé Maitres connoiffent 1'art difticile d'éveillerle delir de favoir-Dans les éducations privées, les Précepteurs font pédans ou ils ne font rien. Et de toutes les conditions de laf vie, peut-être n'en eft il pas une oü il foit auifi rare de trouver u» homme au niveau de fa place.  ( 75 ) TROISIEME MOYEN. Nouvelle Education, Une éducation foignée qonduiroita un remède bien efficace. C'eft un voyage fagement dirigé , i.our ceux a qui la fortune le penner, & il en eft a qui leur poiition 1'ordonne. Les idéés s'aggrandiffent dans les efpaces qu'on parcourt. On apprend en Angleterre a rougir de la créduüté; & quoique cette Ifle célèbre renferme des efpèces de Sectes , toutes auffi hurmliantes pour la raifon que le Janlénifme , les Moraves, les Hernhutes, du moins tient-elle les Saint-Germain, les Cagïioftro a une grande diftance. Elle renfern.e au befoin , les Gordons. Dars d'autres pays 1'application au commerce, en Suüfe fagriculture, le plaiiir en France, les beaux arts en Italië, fhiftoire naturelle dans quelques contrées de 1'Allemagne, lë fanatifme de la liberté en Amérique; diftraifent de ces pcnfées fombres & fanatiques , qui exercent leur empire avec trop de fuccès dans quelques parties du Nord. QUATRIEME MOYEN, Réforme dans POrdre des Francs-Macons. Je ne balancerai pas a préfenter pour remè le une grande réforme dans la Maconnerie. Mais eet article délicat eft fufceptible d'une explication bien détaillée ; & je prie le Lecleur de pefer fcrupuleufement mes paroles. L'Ordre des Francs-Macons peut être moins ancien qu'on ne croit ( Note XVII), mais répandu fur toute la terre, a pour objet la charité , 1'égalité des conditions , & la parfaite harmonie. L'Angleterre eft fon berceau , quoique les obfervations de  l'Hiftoricn d'Alface ayent cependant répandu quef<. ies dout.es-. Leur régime a été tour a tour gaté, épuré , réforme , per^eftionné. L'Anglois plus conftant öbéit aux mêmes loix depuis des iiècles; le Francois, toujours avide de plaiiir , mêle un peu de gaité'aux chofes les plus faintes. Le Germain , plus folide, a voulu porter 1'inftitutiön a un degré plus fublime. Les affemblées ont un but eftimable. Un feul individu plein de zèle eft fouvent réduit a des vpeux ftériles; car que peut un feul homme contre le malheur général * Mais le grand nombre qui contribue a telle & telle opération peut beaucoup; & c'eft au point que deux Loges dans une ville en ont fait quelquefois difparoïtre la mendicité. Après cette profeftion de refpecf bien fincère, je me permettrai d'obièrver que des abus s'y font gliffés. Quelquefois il a fervi de prétexte a la diflipation outrée, comme d'afyle au fanatifme, & plus fouvent prèté fon régime, fes temples, fes orateurs, a la fecte des illuminés, ainii que nous 1'avons plus amplerocnt établi. II s'agiroit donc de confervcr cette fociété bienfaifiinte , & de prévénir les abus ( Note XVIII), & d'imiter plutöt 1'hmpercur qui la garde avec des. modiiications, que Naples qui la chaffe avec ignominie. J\e feroit-il pas poflible de dirigerlcs Francs-Macons même contre les Uluminés , en démontrant que pendant qu'ils travaillent a conferver 1'harmonie dans la fociété , ceux ei jettent par tout les femences de la difcorde, & preparent la deftrucbion des Francs-Macons dans tout pays oü la fucceflion des règnes'aménera feulement une fois un fouverain philofophc (Note XIX). Si dans les beaux joui's de Frédéric on eüt mis fous fes yeux le tableau du mal, il eüt porté la coignée a la racine, & renverfé 1'arbre, au lieu de coupcr les branches paraiites. Les Francs-Macons remédieroient donc a de grands maux s'ils détruifoient, i°. les chapfires, les affemblées myftérieufes des hauts grades; i°. s'ils fupprimoient les contributions extraordinaires, & fe bornoient aux modiques  dépenfes de 1'entrctien d'une Loge; 30. fi les Loges Ecoffoifes obtcnoient des Gouverneurs la fuppreflïon des Loges Eccle&iques, Sinzendorftiennes, réformées; 40. s'ils ne choififfoient pour orateurs que des perfonnes connues pour avoir un peu de philofophie dans les principes, & de vraies lumières , pour démafquer au befoin les vues hypocrites des lilumiués. L'effet de ces moyens ne fera ni rapide, ni complet; mais il commencera une révolution. Si les Francs Macons ne peuvent exifter avec les modifications, je le dis a regret, alors il vaudroit mieux qu'ils n'exiftaflent pas. Le bien qu'ils font ne peut-être comparé au mal qu'ils occaiionnent. CINQUIEME MOYEN. Le Ridiculéi C'eft au Théatre qu'il faudroit confier 1'anéantif'feuicnt de cette Sefte ténébreufe. Les Souverains prote&eurs ne permettroient pas fans doute qu'elle fut jouée fous les yeux. Mais il exifte encore des contrées d'oü les Uluminés font profcrks. Si deux ou trois Théatres en faifoient jufticé, les plaifanteries circuleroient, on feroit par-tout Fapplication des traits heureux ; on citeroit le nouvel Ariftophanc. Le ridicule entache , la confidération baiffe, & bientöt 1'on déferte un Parti devenu le fujet' des farcafmes univerfels. Ce n'eft pas un paradoxe de dire que l'Etat a befoin d'un Molière, peut-être plus que d'un Bourdaloue. Nous jouiffons tous les jours des bienfaits du premier, & nous ne voyons plus de tracé de l eloquence du fecond. Je n'infifte pas fur une Doftr'me dont il eft fi facile d'abufer & fi difficile de démontrer ferreur. Si jamais les hommes ont fourni un beau fujet a la verve comique, c'eft dans la bizarre affociation des Vifionnaires. La foibleife de la crédulité , le tra-  r- ( 7S ) vers des efprits faux , ce que nous appelons bètifc. e'eft-a-dire rimpüiffance de mettre deux chofes èniémbte , les détours de I'hyprocrifie, la mal adreife des menteurs, lès frayeurs ridicules deviendroient une foürce féconde de plaifanteries fous les pinceaux de quelque Plaute moderne. Et tandis que l'honnêteté, la délicateffe, nous reprochent quelquefois les ris que nous arrache 1'image de nos défauts préfentée avec une fpirituelle malignité, ici la yertu , la prdbité, devröient fe réjouir d'entendre crier les yidÜmes fous le ftylet de fépigramme ou foüs la verge de la fatyrè. La commifération alors deviendroit une efpèce de crime; & cèux a qui la nature a dpnné le talent d'aigüifer une épigramme, dolvéht s'en dédommager par la publicité de leurs fuffragès, & 1'yvrèffe de leurs applaudiffemèns. La nation qui a le plus befoin de remèdes eft peu fenfible au fel de 1'ironie, & fa langue eft peu propre a le répandre. On voit naitre cependant l'aürore d'un gout plus épuré; &.quatre ou cinq Pièccs depuis quelques années, font préfumer que le Théatre pourroit employer le langage de la raifon foignée & de l'efprit délicat. En vain 1'on s'efforce de rabaiffer les Ouvrages périodiques, ce font ceux cependant qu'on iit; c'eft l'hiftoire du moment , des découvertes, des belles aftions. Les Témoins exiftent; les Perfonnages font en fcènes. lis confirment ou démentent les prélages , sis entretiennent 1'efpérance. Lés journaux font les annales des Nations; c'eft ce dépot hiftorique tant vanté chez les Chinois , & moins réalifé peut-être que parmi nous. 11 y en a de confacrés a 1'art Militaire, a 1'Agriculture, au Commerce, a la Phyli-'. que , a la Religion; pourquoi n'y en auroit il pas un qui enregiftreroit les erreurs de l'efprit humain ? & fpécialement celles qui tendent a la deftruftion de la Société. Les Ephémérides du Citoyen en France ont infpiré le goüt de 1'économie rurale. Cette fcience s'eft étendue fur didérentes branches du Gouvernement; on a étudié fa marche myfténeufe,  (.. 79 ) , .. - , vérifié lés abus iöupcönnés , pféfenté les rcmèdes. De-la les ouvrages fur la Théorie de Fimpót, fur les Droits du Peuple, fur la Pcrception. MM. Queinay \ de Mirabeau , Beaudeau , le Tnröne, Dupont, Turgot , & tant d'autres , önt rendu des lèrvdces répétés a leur Patrie. Pourquoi ne pas efpérer le même fuccès' d'un ouvrage dirigé par des plumes réfléchies, contre des ennemis li foibles , quoique ii dangereux , qui ,'femblabies a ces oifeaux nodtürr.es, perdent leur exiftence a Pafpeét du foleil. II ,ne faut pas lés combattré, mais les faire connoitre. Rien né peut mieux fervir un tel projet., qu'un ouvrage qui,, par fa nature , eft 1'ouvrage de tout le monde, oü chacun eft appe'é a déduire fes preuves; oüvrage qui, fans être approuvé dü Gouvernement, a cependant une efpèce de fanétion , & diftribue promptèment les vérités dont on le rend dépoiitaire. Cés moyens font foibles, incertains ; qui plus que moi eft pénétré de leur infuffifance 1 lis feront augm'entés par des Citoyens qui ne défefpèrent pas encore de la Patrie. Quant a moi, que les CirconfU:nces ont mis dans la néceffité cruelle d'approfondir la pefveriité de la Secfe & de connoitre 1'étendue de fes ravages, j'avoue que mon efpoir chancèle & que mon Courage eft prefque abattu ; je vois toutes les pafiïons intéreffées a foutenir le fyftême des Uluminés; je vóis les Chefs des Nations précipiter leurs Peuples dans Pabime; & le mal eft d'autant plus irrémédiable, qu'ils croyent verfer fur eux des torrens de lumière & rehauifer leurs conditions; je vois que les Chefs de la Se£te, devenus auili les dominateurs des Rois, devroient abdiquer Pautorké qu'ils ont ufurpée & renoncer aux tréfors dont i!a difpofent. Je vois qvte tous les grands relforts dont la Société fait un 'ufage précieux pour retenir les penchans des hommes , tels que la R eligion , la Loi, lont fans force pour rompre une affociation qui stelt faite un cuke, & fe met au-deffus de toute légifiation humaine. Je vois enfin un enchainement de calamités dont le terme fe perddans la nuitdes ages ,  ( 8o ) femblables a ces feux fouterrains doht 1'infatiaHë aftivicé dévore les entrailles du globe & s'échappent dans les airs par une exploiion violente &: dévaftatrice. Eh / pourquoi, s,écriera-t1ön , nóus infpirer votre découragernent ? Vous, repondricz-vous que vos craintes ne font pas exagérées? que nous rèftët'il a tenter ; fi le mal eft fans remède ? La plupart des hommes font li loin de pouvoir répéter cette objeftión , qu'a peirte croj'ent-ils a 1'exiftence' du fleau qui les acCablera. Dés 1'inftant qu'on en fera convaincu, le coup effentiel eft porté a la Sefte. Les hommes vrais , voués a la Patrie, amis de la vertu, feront une ligue contre tout ce qui fera fufpe<£t. Je fonne Pallarme, non pour que Pon époufe mes craintes & que 1'on fuive ma banière, mais pour qu'une inquiétüde falutaire defcende dans tous les crjeurs. Pour fe délivrer de ce trouble fecret , chacun interrogcra fes oracles ; de cette multitude de réponfes naitra un accord d'opinions qui foulagera les efprits. Le mal même eft pire que le vague défolant de 1'incertitude. Uri des hommes les plus favans de ce iiècle, répondit a un de fes amis qui lui difoit: Eft-ce donc un ii grand mal que cette affociation des Théofophes ; " ce n'eft pas un mal, " c'eft 1'affemblage de tous les maux. „ xSi 1'on pouvoit dire tout ce que Pon fait, en ne difant cependant que le vrai, quel elfrayant tabl.au on oifriroit! Mais cela même, qu'on eft öbligé de fe taire , qu'annonce-t'il ? Au refte ,fi dansle cours de eet Effai, oü je n'ai pas du penfer au ftyle, je m'étois éloigné de cette fao-e modération, qui eft prefque toujours aux dépens de Putilité générale , peut-être ferois-je excufable, ü Pon rétléchit que je fuis a chaque inrtant interrompu par une calamité nouvelle. Tantót c'eft un Etre retiré de la boue , du mépris, pour être remis en lumière, & pour enle/er une place a ceux qui avoient le droit d'y prétendre ; tantót c'eft le conieil de 1'ignorance illuminée, qui précipite une  ( 81 ) urie Nation dans des démarches dont un fiècte psiüfêtre n'effacera pas i'imprudence. C'eft toujours un nouveau pas vers la décadence, fpeétacle d'autant plus défolant, qu'il ne laifte pas même 1'efpoir d'un meilleur fort. O toi qui templis la terre des hauts faits & des grandes vertus , llenommée! porte ailleurs ta trompette harmonieufe , & plains la deftinée de 1'Autrichien & dü Hongrois, qui vont, pour une caufe étrangère, braver le feu du canon, les horreurs de la pefte, & la cruauté de l'efciavage; dis le courage magnanime de ces Magiftrats, qiii emportèrent 1'honneur des Loix dans les langueurs de 1'exil , & aimèrent mieux fauver les débris de la .Magiftrature pour les raifembler dans des temps plus heureux, que de légitimer le coup qui les frappöit en reconnoiffant l'autorité; raconte aux nations amies de la liberté, que les Patriotes fe préparent a renaitre de leurs cendres, & amaffent la vengeance pour la faire éclater dans des temps plus profpères ; apprends a 1'Èurope timide, par fexemple d'un Pontife raifonnable, 1'ufage qu'elle doit faire de ces tréfors, inutiles a la gloire des Saints, qui, s'ils exiftent, méprifent les puérilités de la terre. Mais enfevelis dans un hlence (alutaire, les honteufes opérations de 1'incapacité orgueilleufe, les barbaries & les pillages des brigands ftipendiés ; les outrages multipliés faits aux manes des Grands Hommes. Ne publies jamais qu'un Capitaine, encore plus emporté que valeureux, compte pour rien les victimes immolées a fon ambition, pourvu que leur fang faffe croitre les lauriers ; laiffe dans un officieux oubli des noms indignes d'être connus, & le plus grand de tes bienfaits fera de leur épargner la honte de paroitre dans l'Hiftoire; étends un voile épais fur les odieufes intrigues filées par des hommes qui ont confpiré la honte des Souverains, manoeuvres indignes qui laiffent les fervices fans récompenfes, la vertu fans honneur, le talent fans proteiTtion, F  ('8a ) la vérité fans hommage, la Patrie fans gloire, le Tróne fans appui, le génie fans emploi, la Société fans harmonie, les coeurs fans amitiè, l'efprit fans reffort, la raifon fans exercice , le malheureux fans afyle, le fage lans efpoir, & les Rois mêmes fans füreté. f i n. notes;  ï O T E §s NOT E PREMIÈRE. Et vingt autres Théofophes, dont les noms devroient avoir le fort de leurs talens, c'ejl-a-dire demeurer a jamais inconnus. Page 2. Jls font répandus dans toute 1'Allemagne & connus paf des livres myftiques , ou des correfpondances hiéroglyphi- ques. II exifte a Weimar un M. B Pontife révéré de cette nouvelle Eglife, honnête-homme d'ailleurs, mais tourmenté du defif de jouer un role; a SchlefVick, deux frères qui jugent de la validité des miraclet & canonifent les Saints de la Franc-Maqonnerie ËccleCtique; a Breflau,un Militaire fanatique , plein de vertus & de courage, mais tellement aveug'é par les Coryphées de la Se£te , qu'il le battroit pour eux comme il s'eft battu pour la Patrie\ a Hambourg, une Société ignorée de la multitude , mais faiiant des Profélytes qu'elle difperfedans la Pruflè Sedans la Suède. Peu de villes en un mot oü il n'y ait des chaires d'erreur. NOTE IL Un Banquier met Melchifedech au-deffus de Jefus-* Chrijl. Page 4. (3S n'erl pas ici le lieu de faire une diflertation corrïplette; mais le Banquier n'eft pas le premier qui ait rifqué une pareille opinion. Il eft vrai que fes pirtifaris difent qua  (g4) * Melchift'dech eft un perfonnage allégorique, qu'ils reverent de caraclères proprcs a la divinité. On peut, fur ce fujet, appaifer fa curiofité dans la diflertation fur Enoch, dont Voltaire a fait ufage dans fes queftions fur 1'Encyclopédie. NOTE III. On ne peut pas dire que le Syflême Vifionnaire ais remplacé la Philofophie. Page. io. Il eft vrai que des femmes, jadis aimables, au lieu de donner dans la dévotion, fe jettent dans la Théofophie ; que les gens du monde fe mettent a faire les théologiens, & qu'il y a une difpofition a la crédulité , inconnue même fous la fin du règne de Louis XIV. II fernble que les hommes ne puiffent jamais que changer d'erreur, & qu'ils (oient condamnés a être deminés par des philofophes audacieux ou par des raifonneurs crédules. NOTE IV. Ils étoient gouvernés par un feul homme plus defpotiquement que par le Monarque le plus abjolu. Page i<$ IVÏalheureüSEMENT il faut convenir que c'eft ainfi qu'on doit gouverner les hommes, quand on veut les employer avec utilité. La Juftice doit être févère; en matière de gouvernement, 1'extrême févérité n'eft guère que le defpotifme. Les royaumes, les armées, les grands corps ne peuvent fubfifter que lorfqu'ils font tenus par une volonté ferme. Je fais bien que ce raifonnement admet beaucoup de nuances, mais je fais tnieux encore que dans la pratique elles s'effacent.  ( 85 ) NOTE V. Ou les féances de la rue Platrière. Page 22. Il y a eu dans cette rue une efpèce de Temple dont le Grand-Sacrificateur étoit M. d'E****, celui qui vient de s'oppofer a 1'enrégiftrement de 1'Edit en faveur des Proteftans. Le Magnétifme étoit le prétexte, mais le but étoit une exhortation a remonter aux fources cachées de toute lumière , renfermées dans la Théofophie. On diftribuoit un petit imprimé, fur lequel étoit auffi un amas de gravures hiérogliphiques. On fe rhoqua du billet, du Prédicateur , de 1'Inftitution; & elle eft tombée, du moins pour le moment. M. d'E**** dreflera fes trétatix quelqu'autre part. II faut qu'il prêche ou qu'il remontre. On commence cependant a lui rendre la juftice qui lui eft düe; fi les vifionnaires s'approchent, les gens fenfés le retirent. Cet homme a diminué de beaucoup le bienfait que le Gouvernement deftinoit aux non-Catholiques. A force d'ameuter, de crier au fcandale, il a formé un parti; pour appaifer un corps toujours pret a prendre feu, on a cherché des tempéramens & aflbibli une grace qui reflembloit a une juftice. Si des plumes courageufes avoientmis M. d'E**** a fa place, on lui eüt öté le pouvoir de nuire : mais tout eft libelle aux yeux de certaines gens.'Les méchans & les imbécilles ont tant de proteéteurs, qu'ils jouiffent de la liberté qu'ils enlèvent aux autres. NOTE VI. Ou les nocturaales de Berlin. Page 32. r> ]\^ONSi£UR de.... accablé fous les affaires d'Ftit, » & qui ne peut donner de fon lemps précieux qu'a des F 3  f 86 > »> Banquiers Juifs y a cependant trouvé le moyen de déco» rer dans ia maifon une falie myftérieuie , pour évoquer » les Efprits, & faire les cérémonies du culte requ dans j> le Jéluitjfme. Cette maifon a été vendue au Roi, qui doit r> en\ faire préfent a M. Dubofc, 1'un des Grands-Prëtres >• de cette R eligion. Dès 1'avénement du Roi au Tróne , » ce lieu fut confacré aux opérations magiques. Mais com» ment réunir Jéfus fk Bélial ? Cette queftion n'embaraffe »•> pas des Apótres qui favent faire des prolélytes a leur Rer> ligion par une douceur hypocrite. La forme de cette ap» partement enchanté eft quarrée ; 1'un des cötés eft gami » de petits fourneaux, dans lefquels fe confomine le myf- tére de. la fumigation. Au milieu de ce temple eft une >> petite élévation , fur laquclle paroit l'efprit fous un voile » blanc, voile tiflu en France, & qu'on fait venir de ce >> royaume oü 1'on trouve feulement les qualités qu'on lui » attnbue. Ce voile dérobe aux yeux des fpectateursaveu?i gles, un homme qui s'introduit fur la monticule, lorfque >> 1'heure des charlataneries approche : Pimpofleur qui fe y, prête a cette tromperie groflière, eft ventriloque, & » irnite aflez bien le langage que la crédulité a prêté aux >> efprits. Mon content de cette innocente fupercherie, les r> coins du temple font garnis de rnjroiis magiques, dans V lefquels fe repréfentent ceux que 1'on conjure. Un Grand Seigneur aflifte fouvent a cette cabale d'un nouveau genre; » mais l'impreflion eft fi forte fur lui, qu'il ne peut y ré?> fifter qu'avec le fecours de gouttes reftaurantes. Elles » font de la comppfuion du ventriloque Steinert, qui rer> coit cinq cents écusde- penfion de eet augufte profélyte, » pour l'art de diftiller ce philphiltre magique & confor» tatif. II eft fous-entendu qu'on donne a cette jonglerie » tous les dehors d'une fête religieufe, qu'on met dans la si bouche muette & éloquente du ventriloque des exprefii fions afcétiques, & qu'on prend toutes les précautions n pour envelopper le tout des nuages du myftère. Que » penfer maintenant d'un étatoü les Chefs de gette im« « pofture combinée tiennent le premier rang, foit dans les *v affaires civiles, foit dans les militaires? Que dire, quand on voit que c'eft par ce cabinet d'épreuves que doiyent „ paffer les fujets que placent les B.... & W Ces mef- fieurs ont un art perfide pour féduire les efprits tendans  ( 87 ) „ a la crédulité, & a les conquérir au Jéfuitifme. Ils font „ un mélange adroit de leurs connoiffances occultes &C de „ leur crédit connu; ils promettent la fortune ou des dif„ tin&ions, s'emparent des premiers de 1'Etat, & affurent „ ainfi un certain nombre de fuffrages a leurs coupables „ opérations. Enfin, ils cachent leur ambition effrénée „ fous une apparente modération, & confondent la Ma„ connerie , les Uluminés & les Martiniftes : ils emploient „ les erreurs populaires a leur fyftême , & s'élevant au„ deffus, fe nomment citoyens du monde ; ils graduent „ les confidences, les préparations avec beaucoap d'art, „ & même redoublent de prudence, depuis que des adep„ tes ont été transfuges de leur ordre , ne pouvant appai„ fer leur confcience révoltée a la vue des horreurs qui font „ naturalifées dans cette fefte. Mais ces vertueux apoftats „ n'ont pu révéler les myftères foit paree qu'ils ayoient „ proféré des fermens, foit paree que leurs jours étoient „ menacés; c'eft ce qu'on a vu dans la mamère dont ils „ ont maiqué leurs vrais fentimens. „ L'exemple des Caglioftro, des Lavater, prouve que „ les Rois, lesDucs, les Grands de ce monde ont un ïn^, vincible penchant pour ce qui eft furnaturel, mais fans „ en devenir plus fages ou plus humains. Quel peut donc „ êtrele motifqui faffe defcendre 1'orgueil des Rois a ces „ viles confréries , oü , malgré les dehors du refpe& , on „ ne fait que baffouer leur ignorance & leur créduhte. S il „ y avoit un fecret dans eet ordre, ce feroit précifément „ les Grands qui ne l'apprendroient pas. Comment peu„ vent-its être fafcinés par des gens qui jamais ne peuveni „ fervir un Etat, puifque leur correfpondance, leurs ma„ chinations, leur apoftolat doivent prendre un temps que „ les affaires réclament: ils veulent faire revivre les ma1 giciens d'Egypte ; mais le fiècle des Pharaons eft pafte , „ & malgré leurs efforts, il ne s'en trouvera pas un fecond. Dès qu'ils apprennent que, dans quelques parties du ' monde que ce foit, il y a un homme inftruit, ou reputé tel, ils s'appeilent >, & ce nouveau fardeau pour 1 Etat, lui pèfe en raifon de fa naiffance & de fon habilete " ( Lettres fecrettes, ou Correfpondance fur les premiers temps du règne de FrédéricGuillaume. )  NOTE VIL Ccux-la le fa/Ion 'des oufcliettes. Page 27. J\/f AISOK de plsifance du Cardinal de li., Chateau fitué a Kuelles, boutg a deux lieues de Paris. Un Financier, depuis, en eft devenu poffeffeur. II iinagina qu'un tréfor y éfoit enfoui; ordonna des recherches, & trouva un puits ferme , au fond duquel étoient les oflemens d'environ quarante cadavres. C'étoient autant de viftimes immolées a la süreté du tyran. C Correfp. Litt. Secrette. ) NOTE VUL Et que Is Journal de Berlin a fait connoitre. Page 36. d^Jous voulpns parjer du Monatfckriffi, fort fupérieur & tcus les J.ourriaux de Berlin, & a ïa" plupart de ceux de PEuropè. On lui a reproche dé trop s'appefantir fur les affaires des Illuminës. Y a-t il aujourd'hui un fujet plus important pour 1'Allemagne ? Quand eet ouvrage périodique y feroit confacré tout entier, ce feroit un grand bien pour la raifon & pour 1'humanité.' Affe? d'autres nous apprendront queDamis a fait üné comédié', que Cléon a' donnè un joli roman : qu'il y ait aü 'moins un homme d'efprït, vrai philofophe, a la pourfuite de Terreur. C'eft ce Journal qui nous a confervé Panecdpte füivante : ' LetTRE fur une aneciote de Swedemborg. Dans le N°. de janvier 17SS , il eft queflipn de Swedemborg, de fes fentimens myfiiques , de fes'prétendues apparitions, & de 1'imbécille fanatiftne qui, de nos jours, C 83 )  C 89 > accrédite pareilles extravagances. Je n'appartiens pas a la ie&e des vifionnaires, je n'ai pas pris ouvertement parti contre eux , quoique je regarde leurs chimères comme nuifibles, & que je mette au rang des devoirs, d'empêcher , autant qu'on le peut, les progrès de Terreur. C'eft dans cette -'ue que je vous communiqué Tanecdote luivante. En 17^1, une perfonne que je ne puis nommer , apres m'avoir vanté les opinïons de Swedemborg, me prêta un extrait de fes ceuvres. Dans la préface fe trouvoit un de fes miracles très-avéré : c'étoit celui-ci, " Feué la Reine de Suède Louife Ütrique avoit chargé j, Swedemborg de favoir de fon frère, mort depuis quel„ ques années (i)?la raifon pour laquelle'il n'avoit pas „ répondu a une certaine lettre qu'elle lui avoit écrite. „ Vingt-quatre heures' aprés, Swedemborg apprit a la „ Reine le contenu de fa lettre, que perfonne , excepté „ fon frère & elle, rie pouvoit favoir. Confternée, elle „ fut forcée de' reconnoitre dans ce grand homme une fcience miraculeufe „. Que répondre aux faits, fur-tout quand ceux qui les rapportent, appellent en témoignage des perfonnes encore vivantes? Peu de temps après je rus a Stockolm ; j'entendis parler rarement de Swedemborg : fes chimères y avoient peu de partifans, & Ton ne racontoit fes merveilles que comme des folies. Malgré cela, j'ai des raifons de croire que dés-lors la fociété qui fe no'mme philantropique , exiftoit, tk travailloit a illuminer les efprits; mais jetté dans le tourbillon de la Cour & du grand monde , je m'occupois fort peu des affemblées' myftiques. J'eus cependant occafion dè pariera la Reine-mère'de Swedemborg; elle me raconta avec une forte perfuafion, Tanecdote de la lettre, & quiconque a connu cette fceur éclairée du grand Frédéric, lait qu'elle n'étoit rien moins qqe fanatique, ccque la trempe de fon efprit étoit toute oppofée a pareilles chimères. Cependant elle parut fi convaincue des connoiffances furnaturelles de Swedemborg, qu'a peine avois-je le courage de jazarder quelques doutes, ou des foupc.ons fur une intrU (i) Le feu Prince de Pruffe, mort en i7j8, frere de Frédéric II, & pèré du Roi d'iujour d'hui.  gue fecrète d ailleurs ; un je nt fuis pas facilement 'dupe , termina toute contradiébon. II fallut me taire, & attendre un moment plus favorable. Le .lendemain, j'allai voir le vertueux chevalier Beylon , chez lequel je trouvai un des Suédois les plus éclairés, le comte F. La converfation tombe fur Swedemborg. Je raconte ce que la Reine m'avoit dit. Le vieux chevalier regarde le comte: tous deux fourient., comme s'ils connoifïoient les refforts fecrets de cette hiftoire ; je montrai de la curioficé, & voici comment M. Beylon éclaircit le myftère. « On regardoit la Reine comme le mobile principal de »> cette révolution furvenae en Suède, Tan 1756, & qui » coüta la vie a MM. de Brahé tk de Horn. Peu s'en fallut » que le parti qui triomphoit alors, ne lui demandat compte " critique , elle écrivit au Prince de PrufTe fon frère , pour » lui demander le fecours de fes confeils. La Reine ne reM c_ut point de réponfe. Le Prince étant mort peu après, » elle n'apprit jamais la caufe de fon filence. Lorfqu'elle » chargea Swedemborg, devant les Sénateurs Comte de T. w & de H., d'aller le demander aux efprits. Le Comte >■> de H., qui avoit intercepté la lettre, favoit, auffi bien >' que le comte de T., pourquoi Sa Majefté n'avoit pas ♦> rec^u réponfe. Tous deux réiblurent de profiter de cette * fingulière circonfiance , pour faire parvenir avis a la » Heine, fur différens objets qu'ils efpéroient lui rendre >> palpables. Ils vont, en conféquerfce, trouver le vifion» naire pendant la nuit, & lui diétent fa réponfe. Swer> demborg , au défaut d'infpiration furnaturelle , faifit cette n révélation, court le lendemain chez la Reine, & dans *> le filence de fon cabinet, il lui dit que 1'ame du Prince » fon frere lui eft apparue , & 1'avoit chargé de lui an» noncer, qu'il n'avoit pas répondu, paree qu'il avoit » défapprouvé fa conduite ; que fa politique imprudente » & fon ambition étoient caufe du fang répandu ; qu'il lui *> ordonnoit de fa part de ne plus fe mêler des affaires » d'Etat, & fur-tout de ne plus exciter des troubles dont » tót ou tard elle feroit la viébme. » la Reine , jettée dans la plus grande furprife , de ce » moment crut aux Efprits, a leur interprete Swedemborg, » fans cependant entrer dans aucuns détails qui puffent » confirmer ce qu'il avanr^oit. Les Seigneurs Suédois qui  (s»1 \ »> venoient d'adminiftrer a la Reine cette médecine morale » & politique . fe garderent bien d'en parler, puifqu'elie >> ne leur eüt jamais paidonné , même après la révolution » de 1772. » Tant que la Reine a vécu, peu de perfonnes, en Suède, » ont fu cette anecdote, & voici comment elle s'eft dé« couverte. Le vieux chevalier Beylon , qui par hazard paffa a „ trois heures du matin par le Sudcrrnann , oü Swedemborg demt-uroit, vit les deux fénateurs fortir furtivement de fa maifon. II avoit été préient lorique la Reine donna la „ commiffion a Swedemborg : d'après cela il devina facilement le plan , fe tut, content de ce que la Reine ,, avoit rec_ • cette leqon. „ Voila la clef d'une hiftoire , qui vraifemblablement a ,, valu plus d'un adepte il la fecfe théofophique. J'attefte „ la vérité de cette hiftoire qui, depuis, m'a 'été con,, firmée par une perfonne d'un rang fupérieur. ,, Le chevalier Beylon m'a raconté beaucoup d'autres „ traits de Swedemborg qu'il avoit connu. Les uns font „ effacés de ma mémoire, les autres font publics; le ,, plus grand nombre ne font pas fort importans. ,, II dépend de vous, Monfieur , de me nommer, fi qudqu'un élève des doutes fur la vérité de ce récit; fi 'perionne ne le contredit , je demeurerai fous le voile ,, de Pincogr.ito. Dans la folitude que )e me fuis faife , il „ ne me convient guère de rompre des lances avec les habitans de la nouvelle Jérulatem : avant de faire corps ,, avec eux , j'attends qu'on ait trouvé la belle ville aux „ murs dejafpe, & qu'on ait donné une partie du pavé .,, d'or pour caution. ,, Je fuis, 6kc. O février 1788. L'Hiftoire de la reine Ulrique a été fi fouvent racontée, qu'une explication étoit fort defirable , dans un moment furtout oü Ie Thaumaturge trouve tant de Secfateurs. L'dUteur anonyme avoue dis faits fi clairs, & les appuie de circonftances fi particulières, que peu de perfonnes éleveront des doutes fur 1'autheaticité de ion récit. Cependant, pour ctre tout-a-  ... . ( 9? ) rast impartiaux, r.ous devons ici publier qu'une autre perfonne^, également digne de foi, nous a éclairci le même fait d'une manière différente , c'eft-a-dire en niant fon exift nee d'après ce qu'il tenoit de la bouche même de la Reine. Telle eft donc la feconde veriion : » Je ir.iuvai a Stockolm ce bruit généralerrient accré» dité. Swedemborg avoit'donné a la Reine Douairière » des nouvelies de feu le Prince de Pruffe. On affure qu'elle -* n avoit donnée cette commiftion que pour éprouver la *» vérité de fes vifions; mais quel fut fon étonnement, »> lorfque le Prophéte, admis publiquement a une con>> verfation , lui apprit tout ce qu'elle avoit demandé. *> Ayant un libre accès auprès de la Reine , je faifis » un jour Poccafion de lui demander la védté des faits »> énoncés. Elle me répondit, en fourian:, qu'elle n'igno- roit aucuns des écrits qui fe répandoient, ni les motifs „ des perfonnes qui les accréditoient contre leur propre „ convi&iom „ Swedemborg s'étoit offert de prouver a la Reine la vérité des vifions fur Iefquelles fa croyance chanceloit étrangsment. Elle paria des plans fecrets d'après lefquels on avoit eu dans des temps de trpuble des intentions bien profanes a propos du don célefte de faire des miracles. Ceci fe rapporte a la première verfion , qui fuppofe le Thaumaturge devenu 1'organe d'un parti fecret. Ne fe pouvoit-il pas que dans le premier moment la Reine eüt cru fincèrement au pouvoir célefte de Swedemborg ; mais que la réflexion 1'amène a chercher une explication plus naturelle & pour cacher fes foupcons, peutêtre parut-elle croire toujours a la voie miraculeufe qui avoit tout révélé. Qui fait fi Swedemborg ne lui a pas avoué toute 1'intrigue (i). L'Abbé Pernetti, éditeur des (Euvres de Swedemborg, raconte que la Reine de Suède demanda au Théofophe, pour éprouver fes connoiffances , le contenu d'une lettre (l) C'eft ce qui n'eft pas a fuppqfer. Jamais Illuminé ne s'eft confeflë coupable de menfonge. L'aveu d'une feule irapofture décréditeroit fa vie entière. II eft eflenciel de pafter pour infaillible. II n'y a pas de milieu entre le ró!e d'homme divin & eelui d'impofteur,  C 93 ) qu'elle avoit éaite a fon frère, & que Swedemborg l'avo:t pleinement fatisfaite ( que dans fon dernier voyage de Berlin , elle avoit admis quelques Académiciens a fa table: ceux-ci lui demandèrent la vérité de l'hiftoire de la lettre révélée , elle répondit: Öh .' pour ce qui regarde l'hiftoire de la Comteffe de Mansfeld , celle-la eft véritable. On lui redemanda une fomme qu'elle avoit déja payée; maïs dont elle avoit égaré la quittance. Elle s'en pla.gmt a Swedemborg , qui, vingt-quatre heures après, lui dit que feu fon mari lui avoit apparu pour lui apprendre ou etoit la quittance. Elle fe trouva en effet au lieu qu'il defigna. La vérité eft que le papier avoit par hazard lervi de marqué a un livre myftique , que le Comte avoit prêté a Swedemborg ; & comme cette efpècede livre le tenoit renferme dans une armoire uniquement deftinée a eet ufage , le Prophéte n'eut pas de peiné a défigner le lieu dépofitaire de la quittance. . Cette manière de répondre prouve aftez que la Reine ne croyoit point aux prophétiesde Swedemborg. Elle l appeloit fou,vifionnaire , ce qui eft affezfynonime;quoiqu*el!e lui reconnüt des qualités , des lumières , ce n'étoit pas un homme qu'elle eftimoit. Si 1'on réfume ce que conta M. Beylon , & ce que la Reine a dit depuis, il n'eft pas difricile de conclure qu'elle auroit découvert ou fortement foupconné la fraude. Cela ne fait pas une démonftration; mais toute autre opinion eft infimment moins yraiiemblable,' & malheureufement c'eft a quoi fe réduifent nos connoiffances hiftorique.». II fuffit de prouver que les faits les plus généralement répandus chez les Uluminés ne foutiennent pas un moment le flambeau de la critique , & qu'on ne doit que le plus profond mépris a ces maladroites impoftures ou a ces contes abfurdes.  C 94 ) NOTE IX. CeJI ce qui arrivaa ces mêmes Pauliciens, dont VImpératrice Théodora fa égarger cent mille Page 46. Théodora fe réiblut de procurer efficacement Ia converfion de ces Pauliciens , ou d'en délivrer l'Empire s'ils soppofoient opimatrement a leur véritable bonheur II eft vrai que ceux a qui elle en donna Ia commiffion , & des forces pour y travailler, en ufèrent avec trop de rigueur & de cruaute ,• paree qu'au lieu de s'appliquer dabord a les ramener doucement & avec charité a la connoiffance de la vérité , ils fe fa.firent de ces miférables, qui étoient épars dans les villes & dans les bourgades, & 1'on dit qu'ils en firent mourir prés de cent mdle hommes dans toute 1'Afie, par toutes fortes de fupphces ; ce qui obligea tout le refte a s'aller rendre aux Sarrafins , qui furent bien s'en fervir quelque temps aprés contre les Grecs. Mais l'Impératrice, qui n'eut pas de part a cette inhumanité de fes Lieutenans , ne laiila pas d'en tirer eet avantage que l'Empire du moins fut nétoye de cette vermine durant fon règne de quatorze ans...... La Reine n'eut pas de part, quelle infipids flatterie ! ( Mainbourg, Hiftoire des Iconoclaftes, livre VI \ page 263 , édition de Holtande.) NOTE X. Elle a prefqWéteint le régime des Jéfuites. Page 47 Bien des gens imaginent qu'ils exiftent encore fous des noms différens; que la Ruffie en conferve la femence ; & que dans chaque pays il y a des hommes dépofitaires  ( 95 ) des loix, des principes , des fecrets de la Société de Jéfus. Qu'eft-ce qu'une Religion fans culte? Comment des hommes ambitieux demeureroient-ils depuis vingt ans fous 1'ombre, en attendant le moment incertain de la réfurreétion, & puis les temps de la vengeance? II eft imprudent de tout nier; mais auffi n'eft-il pas injufte de tout croire ? Si les Jéfuites fubfiftent encore du moins n'eftce pas d'une manière propre a allarmer les Souverains. Sans la bulle deftru&ive de Ganganelli, peut-être les armerions-nous contre les Uluminés, comme Louis XIV & Madame de Maintenon les lancèrent contre les Janféniftes. NOTE XI. S'il ne peut prévenir les effrayantes convulfons qui agitent les entrailles du globe, Hen devine PexploJion. Page 50. IVtoNSlEUR Dominique Salfano Horloger & Méchanicien de la ville de Naples , a inventé un fifmomètre. C'eft un pendule dont la verge eft longue de huit pieds & demi de roi, depuis le centre d'ofcillation a celui de la lentille, qui eft en forme de poids. II eft: foutenu par une forte barre de fer enfoncée dans un mur principal. Le poids eft de trente-fix livres de plomb fous le laiton qui le couvre. Au bout du poids eft attaché un pinceau de miniature; qui teint de telle liqueur que ce foit, par exemple d'encre de la Chine marqué la direétion des impulfions terreftres fur un papier pofé fur la bouffole placée honzontalement & réglé par 1'aiguille. Quatre ou cinq pouces au-deflus du poids eft fufpendue une cloche du diamètre de quatre pouces, & d e la figure de celles des pendules horaires. Aux quatre poids cardinaux de la périphérie , reftent pendans, a égales diftances, quatre battans attachés par  L • (. 9<5 ) des fils a la barre qui foutient le pendule. Ces bartans frappans fur la cloche , fervent a avertir 1'Obfervateur au moment des fecouffes. Le premier eftai de cette machine fut très-imparfait ; le feeond acquit de la perfection; le troifieme , que nous venons de décrire , fut achevé dix jours après les premières r.ouvelles de la fecoufle du 5 février k midi & demi. Le pendule, juiqu'a préfent j eft reflé immobile a tout autre ébranlement que ce foit, particuüereirient a celui caufé par le paffage des voitures dans la rue trésfréquentée de Maddalone au Jéfus , & au coin de celle de la Ciftèma d'ell'olio , oü le refpeétable & modefte auteur travaille. C'eft lui qui a ajufté dernierement des pendules de Ramfderi & y a ajouté du fien. Le dernier tremblement qui renverfa la Calabre, a Ia réferve de peu de jours, cette machine a été dans un mouvement continuel, tantot plus, tantot moins, & quelquefois dans une direétion & quelquefois dans une autre. Ce qui a été remarquable plus particulierement, eft que les coups les plus forts revenoient depuis dix heures Sc demie, environ jufqu'a une heure tk demie après midi. Mais les plus violents venoient a midi. Ils recommen^oienf ordinairement depuis cinq jufqu'a huit heures , & depuis dix heures & demie du foir jufqu'a une heure & demie ' après minuit, toujours avec la même gradation. (Journal des Gens du Monde , tome 7 , 1784.) NOTE XII. Et c'eft cc que nous venons de voir en Hollands. Page 57. (^/est fans doute pour verfer moins de fang que dans le dernier pillage de la Hollande; les Pruftiens avoient gagné , acheté , corrompu, comme on voudra , des régimens au fervice de ceux qui tenoient encore pour la Patrie  11" Patrie. « Qui n'ont tourné leurs armes que contre ie; ia« ches Stipendialres du Stathouder. » Ils ont réfifts aux Prufliens entrés dans leurs pays contre la foi des traites, contre le droit des gens ... .Ce lont eux qui ont ruine , pillé & faccagé des maifons; qui ont fait verfer des larmes de fang a des époufes défolées ; qui ont fait des veuves , lailTé des mères éplorées en emmenant leurs enfans , en violant leurs filles. ( Précis Hiftorique fur la révolution qui vient de s'opé- rer en Hollande, page 16.) NOTE XIII. Tel Epaminondas, un des plus grands Héros de Ia Grèce. Page 62. "Voici maintenant a quoi fe réduifoit le prétendu fecret qu'on révéloit aux dévots. Le Hiérophante leur art* noncjoit que ceux qui avoient d'abord été lavés dans les eaux de 1'Ilifle & conduits enfin en proceffion au fanéluaire de Cérès habiteroient, après cette vie mortelle , des Bofquets fortunés au fond des Champs-Elifées , & y jouiroient des plaifirs ineffables qui ne devoient plus avoir de fin; tandis que les autres humains, c'eft-a-dire ceux qui n'avoient pas été initiés, feroient piongés dans les bourbiers du Ténare,& tourmentés a jamais par les fupplices toujours 'renaifTans de 1'enfer poétique. On n'exceptoit pas même du nombre de ces profcrits^ le plus grand héros & 1'homme le plus vertueux que la terrede la Grèce eüt vu naitre , c'eft-a-dire Epaminondas qui n'avoit jamais été initié &£ qui ne pouvoit 1'être fe* Ion les loix de fon pays; car les Thébains avoient, par un édit perpétuel &C irrévocable , interdit tous les myftères nocturnes; & toutes les initiations nocturnes, quel* que nom qu'on put leur donner, & fous quelque prétexte qu'on cherchat a les introduire. ( Recherches fur les Grecs, par M. de Pa-w, page zn , torne 11.) G  ( 9* ) ( I ) Cette lettre , dont nous ne pouvons nommer 1'Auteur Philofophe, eft une pièce qui acquerroit un grand degré d'intérêt, s'il étoit permis de dire de quelle plume elle eft forrie. NOTE XIV- Quétoit-ce que Schroepffer, le Dieu des Uluminés ? Page 67- JVI O N S I E U R. ( I ). Je me flatte qu'un vieillard accablé de maladies & d'afflictions , paroitra excufable a vos yeux , s'il répond un peu. tard k la lettre dont vous 1'avez honoré, il y a prés de trois mois. En réfléchiflant fur la matière dont vous me parlez, & qui mérite , fans contredit, Pattention la plus férieufe , j'ai cru devoir jetter un coup d'ceil fur la facon dont on penfe aujourd'hui. Le Pyrronifme , fuivant lequel d'anciens philofophes ont cru que , pour trouver la vérité , il falloit commencer par douter, ce principe que la pareffe ou la crainte lembloient avoir endormi dans les fiècles paffés, s'eft réveille de nos jours , & encouragé par la liberté de penfer & de dire tout ce que Pon penfe , eft, pour ainfi dire devenu un principe général, au moyen duquel on fe flatte de n'être plus comme autrefois, la dupe des opinions vulgaires. Mais comme il arrivé fouvent que le remède qu'on emploie pour guérir un mal, en produit un autre, ce même principe , qui doit fervir a éloigner d'anciens préjugés , expofe a en adopter de nouveaux. Le Sceptique , qui doute de tout, admet néceflairement la poflibilité du vrai, auffi bien que du non-vrai, & pendant qu'il doute de 1'exiftence d'une chofe , il doute auffi de fa non-exiftence ; de manière qu'il eft également difpofé a ne rien croire, & a croire trop.  (99) C'eft alors que ttncrédulité devient la mère de la fuperftition, & que le ridicule trouve des défenfeurs , ou du moins des adhérens. On voit des efprits forts fe lever de table paree qu'ils s'y trouvent treize. J'ai vu le marquis d'Argens fort inquiet, a caufe d'une faüère renverfée , croyant que cela lui portoit malheur. Enfin, on a vu des hommes fupérieurs, des grands génies, des Philofophes profonds, régler leurs démarches fur les prédictions d'un vifionnaire, affifter trés-dévotement aux affemblées d'un magicien , & fe prêter aux arrifices les plus groflïers d'un impofteur; le tout, paree que celui qui dit , peut-être que .cela n'eft pas , dit aufli , il fe pourroit que cela fut. II ne faut donc pas s'étonner que , dans un fiècle qni pafte pour éclairé , on croie encore aux fpeétres & aux revenans. C'eft avec raifon que le fage doute , mais il ne s'en tient pas la : il examine, il pefe , il tache de découvrir la vérité. Convaincu des bornes de fon efprit , il n'entreprend jamais d'approfondir les myfteres de la divinité, il refpecte la vérité de 1'évangile , ^dont la doctrine pure & fimple eft fi raifonnable , li confolante pour fon cceur , fi propre a le rendre meilleur, qu'il n'a garde de révoquer en doute cette fource de fa félicité; & il s'abftient d'en former fur des dogmes peu effentiels , dont 1'explication téméraire ne ferviroit qu'a troubler fon repos & celui d'autrui. II ne foumet a fes recherches que les fujets qui en font fufceptibles , & dont le réfultat peut être de quelque utilité. De ce nombre eft , ce me femble , 1'apparition des fpectres , ou 1'opinion qu'il arrivé par fois que des efprits fe font voir, revêtus, fans doute, d'un corps matériel« fans lequel ils ne feroient pas vifibles. Je n'en contefte pas la poflibilité , puifque je ne connpis pas affez les propriétés de ces êtres incorporels , pour pouvoir juger s'ils ont ou s'ils n'ont pas la faculté de prendre un corps, foit aérien ou autre , qui les rende perceptibles a nos yeux : je me contente d'examiner les faits qu'on rapporte, & les témoins qui en dépofent. II n'eft que trop probable que plufieurs de ces faits nous paroltroient moin# miraculeux , fi nous connoiffions mieux la nature , 1'étendue dë fes loix, & le fecret de fes refforts. Vous avez G 2  ( 100 ) enfendu parler du fameux Schroepffer, qui, dans nos contrées & prefque dans toute 1'Allemagne , a tant fait de bruit. Ce caffetier, prétendu réformateur de 1'Ordre des Francs-Macons, vient a Drefde , oü, au moven de cerrains phénomènes, il h't tourner la tête a des Princes, a des minidres & a bien des perfonnes dont il avoit Pa' dreffe de fafciner les yeux, & qui lui attribuoient des dons extraordmaires de la divinité, pendant que le docteur Crufius, plus heureux dans 1'explication de la métaphjfique que dans celle de l'apocalypfe, le prit pour un émiffaire du Diable , qui, par fa magie, confondok leipnt des humains. Il n'étoit cependant que bon phyficien tk trompeur hardi, qui, dans lés affemblées nocturnes, pour lelquelles il faifoit de longs préparatifs, oü d nadmettoit que des élus & raffembloit force miroirs & lumières , fut produne de certaines formes que Pimagmationdes aftiftans, échauffée par le punch qu'on y buvoit & par toutes fortes de fimagrées religieufes, prirent pour des ames évoquées de Pautre monde , dont il foutenoit que tous les habitans étoient a fes ordres. J'ai parlé a quelqu'un qui, y éiam préfent, a eu le courage de paffer le doigt par une de ces figures ou ombres. II m'a dit qu il fentit d'abordun grand coup éleftrique , mais 1'ayant , quelque temps après, lorfqu'il fuoit & que fa main étoit humide, paffe une fecondefois, le coup étoit bien moins fort; ce qui femble prouver que Péleétricité entroit dans ces opérations, & que ce n'étoit qu'une magie fort naturelle. Le dit Schroepffer , après avoir excroqué bien de largenta lesftöateurs, alia a Leipfick, &s'y tua d'un coup de piflolet. Ce fuicide, que les amis regardoient comme une luite malheureufe de Pabus qu'il avoit fait des dons que Ditu lui avoit oclroyés, fut, avec plus de raiion, explique par d'autres comme Ptffet du défefpoir oü Pavoit m;s la craime que fes ïmpoflures ne fuffent découvertes, attendu que les fommes immenfes qui affuroit que les efpns apporteroient incelTamment, n'arrivoient pas, & que clans un coffre qui, ièlon lui, devoit renfermer de grandstrefors, & qu'un curieux avoit eu 1'audace d'outfrir*, il ne s'étoit trouvé que de vieilles oaperaffes. Les hom-nes font tiaturellement portés a croire au merveilleux & ii le déb'iter ,  ( 101 ) ce qui eft la fource du nombre d'exagéntions & de menibnges. Par la même raifon, on faifit avec emprefiement les circonftances qui frappent, fans faire attention a celles qui rendent la chofe explicable. Les moins crédules ont rarement l'occafion de faire les recherches néceffaires ; quelquefois ils en font même empêchés par des ordres fupérieurs qui fuppriment tout ce qui a rapport a une apparition qui ponrroit allarmer les perfonnes dont on croit qu'elle menace les jours. La Reine de Pruffe vient de donner un pareil ordre , a l'occafion de la femme blanche , qu'elle , auffi bien que fes dames, croyent avoir vue, & qui paroit , dit-on , toutes les fois que quelqu'un de la familie royale doit mourir. Tout s'occupc a&ueüement de cette femme blanche , dont on n'a julqu'ici pu parvenir a découvrir la chauffure , ce qui eft trèsimportant , vu qu'elle fe préfer.te en bottes pour annoncer la mort d'un Prince, Sc en pantoufles pour celle d'une princefte. On a tiré fon portrait du temps de Frédéric premier, &£ on trouve que fa phyfionomie n'eft pas changée du tout, ce qui prouve que les femmes de la h-iut fe confervent plus long-temps que celles d'ici bas. Je n'ai jamais vu de fpeéfre , & j'avoue que tous ceux qui prétendent en avoir vu , ne m'ont pas parus des témoins irrécufa- bles, fans compter qu'ils n'ont pas eu la hardiefte de toucher & de bien examiner 1'objet qui fe préfentoit a leurs yeux. On ne connoit que trop les effets de 1'imagination qui, quand elle s'échaurre , tranl'porte pour ainfi dire aux fens extérieurs les objets qu'elle conqoit intérieurement, de manière que 1'homme fait illufion a fes propres fens. Je foupc^onne que le bon vieux Gleditlëh , a Berlin, a été dans ce cas, lorfqu'il a cru s'appercevoir a Tacadémie de la figure du défunt préfident. Il s'y trouva feul, pafta dans une chambre attenante; & rentrant dans la falie, il n'y vit plus rien. Lorfqu'il revint au logis , il avoua a fa femme qu'il avoit été faifi de frayeur, & par conféquent hors d'état de s'approcher du prétendu fpeftre, & de le bien examiner. Les enthoufiaftes , fur-tout, dans l'efprit delquels il y a plus de chaleur que de lumière, font fujets a de pareilles vifions. II faudroit donc, pour conftater la vérité d'une apparition , le téinoignage de plufieurs per- G 3  ( ioz ) Tonnes courageufes, bien organifées fck véridiques, qui reu/Tent toutes vu a la fois, & examinée de fang froid ; & j'avoue que jufqu'ici je ne fache aucun fait qui ait été prouvé de cette manière. Qu'il me foit donc permis, fans que je veuille, comme je Pai dit, nier la poffibilité de la chofé, que j'ofe douter de la vérité des hiftoires qu'on débite , jufqu'a ce que j'en fois convaincu par des preuves telles que je crois pouvoir les exiger, par les railons cideiïus alléguées. Je m'appercois, trop tard, a la vérité, qu'au lieu d'une lettre j'ai fait une diflertation. Pardonnez , Monfieur , fi ma prolixité vous a ennuyé; la richeffe de la matiere m'a entrainé. Mes yeux font fi foibles , que je fuis^ obligé de diéter ; je ne puis pas même relire ce qui a été écrit; votre indulgence excufera les fautes. J'ai 1'honneur d'être avec une confidération ïnfinie, Monfieur, &c. NOTE XV. L Ordre des Chevaliers & Frères Initie's de VAfie. Page 67. Cet Ordre vient d'être connu tout nouvellement par deux petits ouvrages (1) : fon origine paroit trés-moderne. Le premier qui en fit la découverte , fuppofé qu'il prit naiffance a Vienne. Leur langage eft hiéroglyphique thefialonique. Ce nouvel Ordre, fi peu connu d'abord, s'eft cependant déja étendu depuis 1'Italie jufqu'en Ruflie. Les hiéroglyphiques paroiffent tous être pris de 1'hébreu. La direéfion fupérieure s'appelle le petït & conjlant Synidricn de 1'Europe. Les noms des Employés, par lefquels ils fe (1) I. Nouvelles authentiques des Chevaliers & Frères Initiés de 1'Afie, pour l'examen des Francs-Macons. II. Re9oit-on, peut-on recevoir des Juifs parmi les Francs-Macons? Occafionnés par 1'ouvrage d'un Anonyme, pour l'examen des FiancsMacons. Nouvelles authentiques de 1'Alie , par Frédéric de Bafcamp, nomnié La\apolüki. >i  C i°3 ) dérobent a leurs inférieurs (2) ; font hebreux. Les marqués du troifième grade principal font Lurim Sr Thumin, qu'il faut porter attachées a la poitrine , defquelles 1'aneien Sr véritable type original fe conferve a Vienne. Cette dernière notion eft fur-tout agréable dans ce moment oü 1'on a de nouveau difputé fur la véiitable forme de ces orn.mens facerdotaux. Voici encore quelques détails du premier livre , qui contient les loix, les ftatuts , Src. Deja 1'Ordre envoie voyager fes apótres. L'habit confifte dans des haut-de-chaufles & veftes a 1'efpagnole; le manteau eft, d'après les différens degrés , noir, noir Sc blancpourpre. Le triangle Sr la croix différent également. On reqoit fans égard a la naiffance & a la religion, chaque honnête homme qui croit en Dieu Sr le confeffe publiquement. On exige feulement qu'il ait pafte les trois premiers grades de la FrancMaqonnerie dans une Loge de S. Jean ou de Melchifédech. II eft connu que les Loges de S. Jean ne font que pour les Chrétiens: celles de Melchifédech, toutes auffi bonnes Sc conformes a la loi , exiftent ,en grande quantité, en Italië, en Hollande, en Angleterre, en Portugal, en Efpagne, 8r recoivent des Juifs, des Turcs, des Perfes Sr des^ ArWéniens. Cet Ordre eft pour-toute 1'Europe deftmée au grand but de Tunion. Les infirmes de nature , boiteux, borgnes ne peuvent, fans difpenfe, parvenir aux grades élevés ( comme la prêtrife). L'Ordre a les véritables fecrets Sc les éclairciffemens moraux Sr phyfiques des hiéroglyphes du très-vénéiable Ordre de la Franc-Ma^onnerie. II y a cinq degrés de 1'Ordre, fous les noms fuivans: les Chercheurs, les Souffraris, ceux-ci ne font que des degrés d'épreuves; après viennent les trois principaux, les Chevaliers & Frères Initiés de TAfie en Europe , les Uaitres des fages , les Frétres royaux, ou véritables Frères Roiecroax, ou le grade de Melchifédech. (z) Au furplus, il eft ordonné que les mêmes noms reftent dans 1'Ordre » fi un ïiere meurt, (on nom 8e fa place reftent a celui qui lé remplHce ; ceci augmentë 1'impoffibilité de connoitre 1'individu qm «t caché fan* telle dénomination. y G 4  ( 104 ) Quand 1'on eft parvenu au degré principal , on eft obhgé, par fon ferment, de refter & de vivre darts tOrdre, daprès les loix. Le Synédrion confifte enfoixante & douze membres. Le nombre du troifieme degré principal eft auffi fixé a foixante & douze. Mais le Synédrion a auffi des détachemens, 1'un de trois, Ta ut re de cinq , un de fept & un autre de neuf. On paye a la réception deux ducats & unecontribution d'un florin par mois.La lettre de confiitution pour la maïtrife coüte fept ducats. Pour une Maitrifë fupéneure , douze ducats. Pour un chapitre provincial, vingtcinq; & p0ur un chapitre général, cinquante ducats. Le plus effentiel , ce font les points de foumiffion qu'un Frere Initié doit figner envers le Synédrion. Les titres de ce dernier font: Les Supérieurs en dignité, mérite & fageffe, Peres & Freres des fept Eglifes inconnues de l'Afie , pourvu que les Peres méme ne foient pas inconnus. L'Initié promet une parfaite foumiffion Sc une véritable Sc inaliénable obéiffance aux loix de 1'Ordre. Comme tous les myftcres de 1'Ordre font une véritable lumière , ft promet de les fuivre fidelement, a eux qui ne lui font pas encore connus , jufqu'a la fin de fa vie, fans jamais demander qui les lui a donnés ( i ), d'oü ils font yenus, d'oü ils viennent effi&ivement, d'oii ils viendront a 1'avemr; car quiconque voit la clarté de la lumière , ne doit pas s'inquiéter d'oü elle tire fon principe. II promet de ne perfécuter aucune des différentes branches de la Franc-Maconnerie , mais d'aimer Sc d'honorer tous les Freres des differens fyftêmes, & de leur faire du bien a tous , qtielque differens qu'ils foient. Ceci marqué Ie grand but de 1'union. On doit tolérer auffi les différentes fe&es, qui pourranr entre elles fe traitent dhérétiques, Sc pourroient êire d.ffamées Sc perfécutées. Ct) Qm a donné a 1'Ordre ces ( foi-difans) fecrets? Voila Ia grande & captieufe.qüeftion pour les Sociérés fecrettes. Mais auffi I'Initié qui refte & qui doit refter éternellement clans 1'Ordre ne 1'apprend jamais. II nofe pas feulemem le demander; ,1 faut qu'il promette de ne le ;amais demander. De cette maniere, ceux qui font participer aux fecrets «S 1 Urdre demeuiene maitres.  C 105 ) [ ïl décbre plus loin que de toutes fes forces il protegera , & travaillera avec autant d'a&ivité que d'honnêteté, k raggrandiffcment du très-vénérab!e Crdre des Chevaliers & Freres Initiés de l'Afie, d'en foutenir les membres érudiés. II promet encore d'inftruire fans délai, avec vérité & honnêteté, le vénérable Ordre, le très-refpeétable petit conftant Synédrion, le Chapitre général de 1'Ordre, le Chapitre de fa province. Les Grands-Maitres deflinés au grand but de Punion , reftent maitres & font fürs de leurs fecrets , qui ont diteélement rapport a leur Ordre. Ceci eft un point remarquable. A1r.f1, il exifte pourtant encore des fecrets dont lei chefs qui poffedent tous les véritables myfteres ( comme il eft dit plus haut ), ne favent rien , & que chaque Frere qui en apprend quelque chofe , eft forcé de leur rapporter. De cette maniere, ils pourront peut-être foutenir avtc commodité leurs titres de prépofés les plus hauts &. fupérieurs en fagejje, car ils apprendront bien a-peu-près tout ce qui parviendra k leur connoiffance. Comment un bon Frere fcrupuleux ne préférera-t-il pas de faire trop pluiöt que trop peu ? II a donc été obligé de promettre de dénoncer tout ce qui pourroit avoir rapport avec 1'Ordre, mais qui', dans 1'enchainement des chofes, peut toujours prévoir fi un événement un peu remarquable n'aura pas d'influence fur une autre chofe remarquable & facrée. Pour cela, il faut que les notions foient données fans délai; êc comme il n'y a pas affez de temps pour rëfléchir, on prend le parti le plus fur, & 1'on demande au fage profeffeur des véritables myfteres tout ce qui peut y avoir le rapport le plus éloigné. Oh , que de jóngleries! Outre ce premier ouvrage que nous venons de citer , qui, comme 1'on voit, contient des dépofitions & des faits, de même qu'une préface remarquable , il en paroit un fecond , écrit avec beaucoup de véhémence, oü Ion ne nie pas 1'authenticité des acïes rapportés, mais feulement on fe moque de la publicité , qui pourtant eft fi utile; & a la page 14 , on donne, d'après des fuppofttions, un plan du fyftême dts Initiés, ce qui , fans doute, comme Paffirme eet auteur, doit faire que ce fyftême eft plus approuvé que blamé. Cet écrit ne ccn-  ( 106 ) tient que deux points remarquables. Sans doute les Juifs peuvent être recjus parmi les Francs-Macons, ( ce que nie 1'autre Anonyme en citant les Loges de Melchifédech) pour preuve , on dit que le Juif de Hambourg, DavidMoyfe Hertz , a été recu a la Loge de Calcédonie 4 Londres; ce que 1'on a prouvé par un témoignage de la grande loge Angloife, du 26 Juillet 1787. II dit aufii qu'il n'y a que le premier article de 1'ancien livre de conftitution, compote par ordre du Frere Duc de Montague, par le Frere Jacob Anderfon, Sr imprimé a Londres en > ?22 , qui demande qu'un Franc-Macon ne connoiffe les trois grands articles de Noé, a quoi on ajoute expreflement qu'il n'eft pas néceflaire de profefler la Religion Chrétienne. Cet auteur dit encore , que ce ne font pas feulemenc les Loges conftituées de PAngleterre qui foient. conformes a la loi. L'autre Anonime avoit trouvé parmi les papiers qui concernent l'Ordre des Initiés de 1'Afie , 1'adrefle de M. le baron Ecker de Eckof a Schlefwig. Son adverfaire allure très-bien connoitre M. le Baron , Sc ion frere ne nie point fes relations avec l'Ordre des Initiés; mais donne feulement, en faifant beaucoup d'éloges, quelques nouvelles d'eux aux deux freres. L'ainé de ces Meflieurs s'appelle Jean-Henry, Baron Ecker de Eckofen ; il eft Confeiller-Privé de Hohenlohe Weldburg; il a vecu long-temps a Vienne; il vit depuis peu a Schlefvig. Le cadet, Jean -Charles , Baron Ecker de Eckofen, eft de la même Cour Confeiller-Intime de Légation Sc chargé d'affaires. Depuis dix ans, il vit a Hambourg. L'Auteur les défend vaguement contre certains traits qui doivent avoir couru parmi les Francs-Mardons, principalement contre l'ainé. Certaines liaifons dans lefquelles ils font entrés paroiffent en être le fujet. Dans la juftification , ce trait me paroit remarquable ( page 64) ; jamais on ne fit un crime au Maqon de chercher la vérité oü il crut la trouver & quand il fit agir la vérité reconnue oü il put. Les deux Meflieurs font Grand-Croix, ( le cadet auffi Chancelier) de l'Ordre temporel de la Fondation des Chevaliers de la plus haute ou divine Providence; comme depuis peu on a parlé de cet Ordre dans plufieufs écrits, j'en citerai quelques points.  ( io7 ) Cet Ordre s'appelle depuis quelques années (du moins depuis 178^) VOrdre de Saint-]oachim. II n'y a peutêtre que quelques Leéfeurs qui connoiflent une relation imprimée de cet Ordre , des extraits de fes ftatuts confienés dans le Journal Eccle&ique ( Lubek gr. 8) fecond cahier 1785, a la page 1 & fuivante. Selon ces notices, l'Ordre a été établi a Leutmeris en Bohème en 1756. A la page , on trouve les cérémonies de la réceprion. La proceflion va a la chapelle de l'Ordre, le Candidat refte a la facriftie; les Chevaliers entrent dans la chapelle, oü 1'Eccléfiaftique tient un difcours. Après cela on introduit le Candidat, & on lui demande fi c'eft encore fa libre volonté, & fi il veut férieufement entrer dans l'Ordre; après 1'avoir affirmé, on 1'exhorte a réfléchir mürement, & on le reconduit. Ramené après cela , queftionné encore & recju après, il fait ferment & recoit 1'habit de l'Ordre ; a la fin on chante ie Te Deum. Page 10 on dit: » Les Membres Proteftans de l'Ordre doivent fortir de la chapelle jufqu'a ce qu'on commence le Te Deum. >► Ainfi , a juger d'après ces paroles, ils n'ofent pas fe trouver préfens pendant que le Grand-Maitre exhorte le Candidat, ni quand celui-ci fait fes proteftations 5c fes fermens fur fes obügations a remplir. Cette différence forte pour un Ordre qui confifie dans des membres des deux Religions. Un Ordre fans nom ou cérémonies , duquel on paroit fe fervir de 1'Harmonica. La chofe eft finguliere , & les détails fi intéreflans, que mes Leéleurs les verront avec plaifir extraits d'une petite brochure. M. Rollig ( 1 ) yient de faire imprimer a Berlin un fragment fur 1'Harmonica , dans lequel aufli fe trouvent des lettres antérieures écrites depuis plufieurs années. Les deux premières font datées de Vienne. En voici une très-remarquable. « Vous m'avez procuré, par votre recommandation a M. N. Z. une connoiflance très-intéreffante•, il parut dé- [1] Que 1'on voie une defcription préférable de fon Harmonica dans le Journal, 17S7 Février , page 175.  .... . (IOS) ja etre sverti de mon arrivée ou par vous ou par un autre. L'Harmonica eut toute fon approbation. II me paria de éertains Effais particuliers, dont je ne compris rien. Ce n'eft que depuis hier que bien des chofes me font devenues comprehenfibles; & je ne doute plus de la raifon qui me fit ii bien recevoir. Hier vers le foir, it me mena ii fa campagne, dont 1'arrangement, iurtout celui du jardin, eft extrêmement beau. Des temples, des grottes , des cafcades, des labyrinthes, des fourerrains , procurent a 1'ceil tant de diverfités , qu'on €''i eft enchanté. Un mur très-élevé qui entoure tout ceci, me déplut uniquement. II dérobe a 1'ceil une vue enchantereffe. J'avois été obügé de prendre 1'Harmonica avec moi, & de promettre a M. N. Z. de jouer feulement quelques minutes dans un endroit marqué dés qu'il me feroit figne. Pour attendre cet inftant, il me mena, après m'avoir tout montré , dans une chambre fur Ie devant de la maifon; il me quittoit me difant que les arrangemens d'un bal & d'une illumination exigent néceftairement fa préfence. II étoit déja tard , & le fommeil paroiflbit vouloir me furprendre, quand je fus inrerrompu par I'arrivée de quelques caroffes. Pouvris la fenêtre , je ne diftinguai rien ; mais jê compris moins encore le chuchotage bas & myftérieux des arrivés. Peu après le fommeil s'empara effccfivement de moi; & après avoir dormi n-peuprès une heure, un Domeftique vint m'éveiller, qui s'offrit de porter mon inftrument, ck me pria de le fuivre. Comme le Domeftique courut beaucoup & qqe je marcbois lentement, il s'enfuivit que j'eus le temps (la culiofité me preffant) de fuivre les fons fourds des troinr pettes, qui me parurent fortir de Ja profondeur d'une cave. Repré(enrez-vous ma furprile ? quand ayant defcendu Ia moitié de 1'eicalier , je visun caveau dans lequel on mit, pendant qu'on faifoit une raufique de deuil , un cadavre dans un cercueü; a cóté il y avoit un homme tout habilé de blanc , mais tout rempli de fang , auquel on ferma une veine au bras ; excepté les perfonnes qui prêterent du fecours, les autres étoient toufes enveloppées de longs manteaux noirs & avec l'épée nue. A 1'entrée du caveau, je vis des monceaux de fquelettes d'hommes entafles, les uns  C 109 ) fur les autres, & 1'illumination fe fit par des lumières dont la flamme refiemble a 1'efprit-de-vin biölant, ce qui augmente 1'horreur de cet endroit effrayant. Pour ne pas perdre mon Conducteur, je me hatai de retourner. Je le • trouvai qui précifément rentra par Ia porte du jardin, quand j'y arrivai. II me prit précipitamment par Ia main , 61 m'entraina avec lui. Jamais je ne vis rien qui me rappelat les fables d'un monde chimérique, comme mon eiurée au jardin. Par-tout fe répandit une clarté, des lampions lans nombre , le murmure des cafcades éloignées, le chant desroffignols artificiels , l'air embaumé que je refpirois, quels prefliges! & que falloit-il de plus pour me croire tranfporté dans ces régions enchantées / On m'a{figna une place derrière un cabinet de verdure , dont 1'intérieur étoit divir nement paré, dans lequel on tranfporta peu après quelqu'un évanoui (1), & toute de fuite on me fit figne de jouer. Comme j'étois alors plus occupé de penfer a moi qu'aux autres, beaucoup de chofes fe perdirent pour moi» je pus cependant oblërver que 1'homme évanoui revint a lui, après que j'eus jcué environ une miuute, & qu'il dema nda, avec une extréme furprife, oü fuis-je ? Queüe voix entends-je ? des jubilations d'allégreffe , accompagriéesde trompettes & de tymbales, étoient Ia réponfe .} on courut aux armes, & 1'on s'enfontja dans 1'inténeur du jardin, oü tout le monde fut perdu pour moi. Je vous éens Ceci après un fommeil court & interrompu. Si je n'avois pas pris Ia précaulion de noter cette fcène dans mes tablettes hier avant de me coucher, je prendrois ie tour pour un fonge aujourd'hui. Adieu.,, Oü eft 1'homme ferme & inébranlable, qui, après de lengs préparatifs, une longue attente, une iinagination exaitée, puiffe refter de lang froid devant de telles fcènes, & qui ne vit point dans un moment oü la réflexion doit néceftairement le quitter, tout ce que fes maittes, en 1'initiant, voudront lui faire voir ck entendre , que ce foient les génies du ciel ou de Penfer. 0) Vraifemblablement celui qu'on avoit faigné dans le caveau, je "e püis cependant pai 1'aiïurer. Les habülemens étoient fuperbes Sc a^reables, pour la tbime & la couleur. Je ue pus riea reconnottre.  ( HO ) Sans m'étendre davantage la-deffus, je citerai encore tin Ordre ou une (Euvre magique ik citation d'efprit, oü 1'on fe fervit de l'Harmonica comme a Vienne. Quand on fit, il y a trois ans, dans le Journal de Berlin, mention de la force que cet inftrumënt enchanteur avoit fur 1'imagination a l'occafion d'e Mefmer qui s'en fervoit pour agir plus fortement lur fes Convulfionnaires, on a parle de cela fuperfïciellement (i). Car depuis long-temps le protocole de Lavater & Peflampe étoient connus ici, Mais quoique Lavater penfe affez mal des Berlinois , ils n'ont pasvoulu publier ces papiers; ïlsne lui faifoient aucunement honneur ; lui feul & fes fidèles amis les ont fait circuler. Ils font imprimés maintertant pour être connus, jugés par un chacun; mais non a Berlin. Je ferai feulement encore mention de quelques paroles de JYl.Roellig, prifesde 1'ouvrage que nous avons cité , page 17. » Ce que 1'Harmonica peut devenir entre les mains de la fourberie tk du fanatifme, je n'ai pas befoin de le dire. On a déja commencé a en faire ufage ? L'AUemagne le fait. Cette, gravure, remplie de caraólères myftiques, de chiffres, de barbarifmes, avoit le nom d'une chimère fanraftique , 1'Harmonica. En veut-on d'autres preuves , qu'on demande l'hiftoire de notre temps; elle parle bien haut de chofes que je trouve prudent de taire. L'hiftoire eft telle qu'elle fuit. Le Comte F. de Th. a V. connu comme un des plus aimables Seigneurs, du plusnoble & dumeilleur caraclère, qui n'a contre lui que trop de penchant aux chofes myftiques & l'ecrettes, parut a certaines perfonnes aftives, tant a caufe de fa naiffance que de fa fac^on de penfer & de fes liaifons, un fujet d'affez grande conféquerice pour s'empreffer autour de lui & mettre a pront fon penchant a la myfticité. On employa pour cet effet, comme on a coutume de le faire en pareil cas, un Avanturier trèsordinaire. Jadis il avoit été Joueur de gobelets; alors il (1^ 17S5 , Janvier, page 21, oü 1'on dit dans la note : Plulieurs Leöeurs fe rappelleront peut-être a cette occafion d'avoir eu une fameufe eflampe magique de 1'Allemagne méridionale , fur laquelle fe trouve 1'Harmonica. Protocole de Lavateriur le Spiritus Familinris Gobliiont, avec des pièces ajoutées & une eftampe. Francfort & Leipfick, I7S7 , fix feuilles, grand in-80. *  portoit fur lui un talifman d'étain. Le Comte ir.eme Ie reconnut pour un ignorant & un mauvais fujet. On le fit paffer pour 1'organe d'un efprit; il fut très-eftimé malgré fon incapacité & fa bafiefie. II entendit l'efprit Gablidone, qui paria par lui & lui diétoit ce qu'il devoit répondre. II étoit depuis longues années dans d'étroites connexions avec lui, II avoit ( depuis fon Arca ) une efpece de connoiffance intuitive de fes formes, & pouvoit en outre s'appercevoir quand l'efprit baifoit 1'écrifure magique du nom de Jéfus. ( Comme il fit fouvent. ) Cet Importeur, qui parloit toujours de chiffres , fut appelé le Calculateur. Gablidone étoit 1'ame d'un Cabalifie Juif, mort encore avant la naiffance de Jéfus-Chrift , qui avoit été perfécuté de fon père, a caufe de fes occupations magiques & qui , dans un tranfport de colère , avoit levé le glaive mag*que (i) fur lui. C'eft pour expier ce crime que le pauvre Gablidone ( comme il fe nomme lui-même ) eft obligé d'être au fervice de huit calculateurs , pendant beaucoup de fiècles , & de répondre ii toutes leurs queftions. Il exifte fept de ces efprits farviables. L'un a fervi Mahomet, fous la figure d'une Colombe ; 1'autre eft attaché a 1'oracle dé Delphes. Le Roi de Pruflè, Frédéric II, doit auffi av • . ... moiré, ( on aurolt dü croire qu'elle feroit plutót forrifiee ) ; il recut des confeffions, des liftes de . péchés, chacunes étoient écrites fur un papier différent; des prieres, des pfeaumes devoient précéder. A la fin parut une boule creufe, faite d'os , dans laquelle fe trouverent les marqués de l'Ordre , qu'on étoit obligé de porter fur la poitrine nue. Les voila donc arrivés au plus haut degré de la magie ; ils n'étoient plus étrangers ou témoins, mais des citoyens. Le Calculateur étoit obligé de céder au Comte , fon talifman d'étain. Hélas! tout n'étoit cependant pas fait. Ordinairement dans ces chofes-la, quand on croit être tout pret, le dernier point important vous manque. II ne falloit plus qu'une initruétion de magie pour parvenir a la dignité de maïtre , ou de calculateur. Le Jongleur étoit mort depuis douze ans feulement, mais pourtant trop tót; a préfent il faut obtenir les léc^ons qui manquent , d'un autre Mage appelé Maffon ; mais hélas 1 depuis long-temps on cherche ce Maffon fans pouvoir le trouver. Ne croit-on pas lire une fable du Ccmte de Gabalis. Eh bien ! voila les chofes qu'on adopte , avec avidité , de nos jours, qu'on traite de faintes. Quiconque n'étouffe pas ces folies dans leur principe, fera indubitablement entrainé jufqu'a la fin. Auffi n'eft-ce que la première réfiftar.ce d'une raifon faine , qu'on fe propofe d'avancer, enéclairant ce monde. Tandis qu'une philofophie, auffi paradoxale que la moderne, fecachefousi'enthoufiafme, pour induire l'efprit a chercher les grands génies fous le charlatanifme, & la profonde fageffe dans des abfurdités. C'eft de cette maniere que SchoefFer & Lavater font un tort infini. Quand le bon , 1'aimable Comte de Th. demande au dernier, des éclairciffemens fur la fainte cabale, ou véritable magie , bien loin de fe donner la peine de lui démontrer la folie de telles fciences , la fourberie des Inftituteurs, & ie danger de fe mettre en liaifon avec eux ; il écoute avec avidité les abfurdités qu'on veut lui raconter de Gablidone & de Maffon, en fait un protocole & 1'envoie a fes Partifans (i) , fans ajouter un mot d'exhortation ( i) Peut-être fi c'eft Pfeuniger qui Pa copié & fait circuler , onvoit bien que cela revient au même. Lavater l'éerivit en ï 7S1. H  . C "4 ) contre cette fuperftition magique. II contemple & dépcing la petite image qu'on lui a porté a Zurich , que le foidifanc efprit devoit avoir peint; il dit dans fon protocole ( page 5 i ) que le deffin en eft tout autre que ne 1'auroit fait un homme ordinaire qui eüt été Peintre. Pour montrer toute la folie que cette magie enfeigne, je copierai quelques morceaux des papiers que l'efprit a dief é. » Page 66, au fecond degré font les hommes qui n'orrenlént jamais leur créateur ni dans fa majefté, ni dans fa divmité. Pour que tu fois informé de ces mots principaux, faches que la majefté, c'eft quand les trois fources parfaitement magiques, fans commencement & fans fin , font réunies dans un être, & ne font plus qu'uii corps de la vifible & invifible fubftance. Si un humain offenlè avec deftein le père, avec fa volonté le fils, & par 1'exécution le faint efprit , alors il pêche contre la majefté réunie; il eft perdu , paree qu'aucune partie ne refte inviolée. Vous nommez de pareilles infraétions des péchés mortels; a parler vulgairement, cela peut pafter. Quiconque voit ce que veut dire un pêché mortel, dira qu'il a pêché contre la majefté; mais il n'y a que ceux qui font initiés dans les études fecrettes, & qui jamais ne donnent a aucun fouverain du monde , le titre de majefté, car le nom vient d'une parole divine de Mage. Mon Roi Frédéric le fait bien , lui qui n'eft guéri que par ces hommes adonnés aux chofes furnaturelles. Recpit-il une fupplique avec fes autres titres, fans celui de majefté? Le fuppliant eft d'abord introduit; car il appercoit par-la qu'il a recu des inftruöions magiques. En fecond lieu, ce que vous appelez un pêché véniel, je le nomme une violation de la divinité. Alors chaque fource eft ifolée & n'a de communication que par de très-minces veines, de manière que quand on jette un pêché dans la fource du père , la fource du faint efprit ne s'en reftent pas. La fource du fils eft du fang, & elle foulage tout. L'homme rer^oit la grace & fecours , le rédempteur a fait ce qu'il devoit. Cet abrégé peut 1'inftruire a mettre la différence entre ces deux mots principaux dans la néceffité. v> Peut-être que M. Schlofler , d'après fa nouvelle manière , découvrira auflï un tréfor de fagelfe , comme il Pa trouvé dans les CEuvres de Schvedemborg. Le Leéteur peut en  ( ng ) • thercher la prèuvë dans le Journal de Berlin. Jan. p. 33^ il ajoute encore, Schwedemborg ne paroit fans döute qu'un grofiier vifionnairë (1) , fi 1'ön éxpliqve fes ouvrages litteralerherit. II me paroit encore digne d'être remarqué. Que Gablidone , tout comme Schwedemborg, prédit une ré olution religieufe Sr p hifi que, pag. 57 dans 1'année 1800 , « il fe fera , fur notre globe > une révolution trèsretharquable , Sr il n'y aura plus d'autre religion que celle des patriarchts. *> 2°. Qu'il parle ( page 64) d'une majefté , Tétra grammatique a la contemplation de laquelle parviendra 1'être élevé au premier degré de béatitude ; qu'il expliqua a Caglioftro , Hagion , Meiion , Tctra grammatön , comme trois paroles (aintes Sr arabes. 30. Qu'il fait la defcription de 1'apparition du Seigneur fur la quatriême marche de j'autel, pag. 34. Son corps eft ceint au milieu d'un tfiangle ; fon éclat eft d'une beauté inexprimable. L'angle conferve fa rougeur, fa fentënce eft; courte , èlle dit: Vtniu ad patrts Ofphal. Ainfi encore des pères auxquels le Seigneur invite Mais qui font donc ces pères ? Ofphal ? N. B. II a fallu traduire cet article lïttéralement. Sans cela le Lefteur n'auroit pas bien faili cet excès dê déraifon. (1) Dans le Müféam AlkJtnnd, janvier 178?, p.. 57- H i NOTE XVI. Il n'y en a pas un fur mille qui foit ihflruii. Page 74,, SuppoSonS une ville habitée par cent mille perfonnes * il n'y en a feulement pas mille qui lifent, moins encorë y en a-t'il cinq cents qui aiënt l'efprit cultivé. Allez aux Académies , aux Bibliothéques, voyez le petit nombre d'Amateurs. Examinez combien peu de gens aux Théa- . sm  C n6 ) tres favent ce qu'on y dit. Les Savans fe comptent fans peine; il n'y en a pas fix cents a Londres ou a Paris; k plus forte raifon cent dans Ja ville priië pour exemple. NOTE XVII. Peut-être encore moins qu'on ne croit. Page 75. 'Extrait d'une Lettre de M. VAbbè Graudidier, a Madame de.. . .fur £ Origine des Francs-Macons. "Vous connoifTez , fans doute, Madame, cette fociété célebre que 1'Angleterre nous a tranfmife , & qui porte le nom de Francs - Maqons. Ses membres, répandus dans toute 1'Europe, s'y font rriultipliés, & beaucoup plus peut-être que ne le demandoient 1'honneur, 1'intérêt de cette fociété. Je n'en ferai ici, Madame , ni 1'éloge, ni la fatyre. Je ne rechercherai pas même les motifs du fecret inviolable qu'elle exige , & du ferment particulier qu'elle y attaché .- je ne fuis pns initié dans fes myfteres, & je me trouve indigne de voir la lumière; j'ignore fi tout eft tranquille , comme dans la vallée de Jqfaphat, ou jamais femme n'a babillé : le beau fexe doit fe plaindre des loix rigoureufes qui 1'excluent de voir le foleil, la lune & le Grand Mattre de la Loge; c'eft une nouvelle injure que les hommes lui ont faite, en le croyant peu capable de conferver un fecret, mais ils ont plus perdu que les femmes; ils fe font privés de ces plaifirs ïnnocens, qui font 1'agrément des fociétés par la douceur ck les talens d'un fexe aimable. C'eft chez vous, Madame , qu'on en devoit chercher le modele. J'avouerai encore que 1'inftituteur de la fociété francmaconne n'a pas été un Francois; elle devoit répugner a fon cceur & k fon caraftere. Je n'en chercherai pas non plus 1'origine dans la conftruction de l'arche de Noé , qui fut, dit-on , un Macon tres-vénérable; ou dans cel-  (»*?) Ie du temple de Salomon, qui paffe pour le plus excellent Magon. Je me garderai bien de fouiller dans l'hiftoire des croifades, pour y découvrir les premiers Macons dans ces Barons croifés, qu'on fuppofe s'être dévoués a Part divin , a F art royal de la reédification ^du temple, ou dans ces anciens militaires de la Judée, qu'on prétend avoir été nommés Chevaliers de 1'aurore & de la Paleftine ( i ). Ces ridicules opinions, que les FrancsMacons n'ofent même préfenter que fous le voile de 1'allégorié , ne méritent pas d'être révélées par un profane. J'ole me flatter , Madame , de vous préfenter une origine bien plus vraifemblable; elle ne fe trouve, ni a Voriënt, ni a Voccident. \a Loge ejlbien couverte , ainfi ce n'eft pas elle qui m'en fournira les preuves. Je n'ai pas eu le bonheur de travailler du lundi au maan jufqu'au famedi au foir ; mais j'ai entre mes mains profanes des pieces authentiques, des aéles véritables, qui datent de plus de trois fiecles, q :i font voir que cette fociété tant vantée des Francs-Macons, n'eft qu'une imitadon fervile d'une ancienne & utile confrérie de vrais Macons, dont le chef-lieu fut autrefois Strasbourg. La plupart des perfonnes de cette ville ignore cette anecdote; nos Loges Strasbourgeoifes ne feront pas fachées de la connoitre. L'Eglife Cathédrale de Strasbourg, & fur-tout fa tour commencée en 1277, par l'Architeéte Ervin de Steinbaeh , eft un des chef-d'ceuvres de l'archite&ure gothique. Cet édifice , dans fon total & dans ies parties, eft un ouvrage parfait & digne d'admiration, qui ne trouve pas même fon pareil dans 1'univers. Ses fondemens ont été fi (olidement jettés,que, quoique percé a jour, il a réfifté jafqu'ici aux orages & aux tremblemens de terre. Ce travail prodigieux porta au loin la réputation des Macons de Strasbourg. Le Duc de Milan écrivit , en 1479, une lettre au Magiftrat de cette ville, par laquelle il lui demandoit une perfonne capable de dinger la conftruction de 1'Eglife fuperbe qu'il defiroit éle- L'Auteur d'un livre imprimé en 1766, & intitulé 1'Etoile Flanv boyance, tom. 3 , pag. 41 . 53 1 Par0lt *doPter ce dernier fentiment. H 3  ( n8 ) ver dans fa Capitale ( i ). Vienne, Cologne , Zuricli % Fribourg firent conftruire des tours a 1'imitation de celle. ide Strasbourg , qui ne fut achevée quau mois de juin 1439 ; mais elles nel'égalerent ni en hauteur, ni en beauté, r,i en délicateffe. Les Maqons de ces d.fferentes fabriques, &£ leurs éleves qui fe répandirent dans toute 1'Allernagne, formerent, pour fe diftinguer du commun de la gente ma^onne, des afTociations auxqueües ils donnerent le nom allemand de hutten , quj en francais fignifie loges ; mais elles s'accorrierent toutes a reconnoitre la' fupériorité de celle de Sirasbourg , qui fut nommée haupfhütte, ou giande Loge ( 1 ). On concut dès-lors le projet de former de ces différentes alToci3tioii5 une feule fociété pour toute 1'Allemagne; mais elle ne prit une confiftance folide que vingt ans aprè? 1'entiere confirucfion de la tour de Strasbourg. Les differens Maitres des Loges particuliéres s'afieniblèrent a Ratisbonne, oü ÜS dref,èrent, le 25 avril 1459, l'„cte de confraternité, qui établiffoit le Chef de la Cathéclrale de Strasbourg, &' fes fucceffeurs, pour Grand Miitre unique & perpétuel de ia confrérie générale des Macons libres de l'Ailemagne. L'Empereur Maximilien confirma cet établiffement par fon diplome denné a Strasbourg en 1498 ; Charles-Quint „ Ferdinand , Sc leurs fucceffeurs , le renouvellèrent. Cette fociété ,compofée de maitres, compagnons & apprentis , fqrmoit une jurifdiélion panicufère : la fociétéde Strasbourg embrafTpit toutes celles de 1'Allemagne.Elle tenoit fon tnbunal dans la Loge, & jugeoit fans appel toutes les caufes qui lui étoient 'portées, felon les régies & les ftatuts de la confrérie. Ces liatuts furent renouvellés 6c imprimés en 1563. Les Loges des Macons de Souabe , de H-ffe, de Bavière , de Franconie , de Saxe , de Turinge , &i des pays ütués le long de la Mofelle, reconnoiffoient 1'autorité de la grande Loge de Strasbourg. Dns !e fiècle niême oü nous vivons , les maitres de la fabnque de Strasbourg condamnèrent a une amende les Loges de Drefde Ci) Je pofsède Ia copie de cette Lettre en Italien. ( ï) Vieux regiflrs de la toba des Macons de Strasbourg.  c n9; & de Nuremberg; & cette amende fut payée. La grande Loge de Vienne , dont relevoient les Loges de la Hongtie & de la Styrie, la grande Loge de Zurich; qui avoit dans fon reflbrt toutes celles de la SuilTe , avoient recours a la Loge mère de Strasbourg , dans les cas graves & doureux. Tous les membres de cette fociété n'avoient aucune communication avec les autres Maqons, qui ne favoient employer que le mortier & la truelle. Us adoptèrent pour marqués caracltérifticjués tout ce qui pouvoit fe rapporter a leur métier, qu'ils regardoient comme un art bien fupérieur a celui des fimples Macons. L'équerre, le niveau Sc le compas devinrent leurs attributs. Réiblus de faire un corps a part dans la foule des ouvriers , ils imaginèrent entre eux des mots de ralliement, des attouchemens pour fe reconnoitre , & des lignes pour fe diflinguer ; ils nommoient cela le figne des mots, das vort{eichen, le j'alut dergrufs. Les apprentis, les compagnons & les maitres étoient recps avec d;s cérémonies auxquelles ils faifoient préfider le fecret. Us prirent pour devife la liberté, & erj abuserent même quelquefois pour fe refufer a 1'autorité légitime des Magillrats. Vous croiriez reconnoitre, Madame, a ces traits,les Francs-Maqons modernes. En effet, 1'analogie eft ferifible : le même nom de Loges, pour fignifier les lieux d'affemblée ; le même ordre dans leur diftnbution ; la même divifion en maitres, compagnons & apprentis: les uns & les autres font préfidés par un GrandMaitre. Us ont également des fignes particuliers, des loix fecrettes, des ftatuts contre les profanes : enfin, ils pourroient dire les uns aux autres : mes frères & mes compagnons me reconnoiffent pour Magon. Mus nos Macons de Strasbourg, malgré 1'obfcurité de leur travail , prouvent par des titres anciens & authentiques, leur état & leur origine ; & nos Francs-Macons Franqois , Auglois , AUemands, Napolitains, même malgré Hiram & le temple de Salomon , ne peuvent en prouver autant. Je crois même que la tour de Strasbourg eft un monument plus fenfible que les fameufes colonnes d'airain de Jakim& deBoo{. Je pourrois cependant me tromper ,car H4  \ ( I20 ) car je fuis dans les tènhhes , &je vals chercherlalumlhe au feptentrion. J^outerai encore, Madame , que ce tribunal de la Loge des Macons exifte aujourd'hui a Strasbourg ; & quoique ia jurifdiélion foit bien diminuée, elle eft encore regardée comme la grande Loge d'Allemagne. Les habitans de notre ville y avoient recours pour tous les cas litigieux, relatifs aux batimens; le Magiftrat lui en remit même entièrement Ia connoiffance , en 1461 , enlui prefcrivant la même année, les formes & les loix qu'elle obferveroit; ce qui futrenouvellé en 1490. Les jugemens qu'elle rendoit, portoient le nom .de huttenbrlef, ou lettre de Loge. Les ürchives de la ville font remplies de ces forfes de lettres, ck il y a peu d'anciennes families a Strasbourg, qui n'en confervent dans leurs papiers. Mais ie Magiftrat óta , en 162.0, a la Loge de Strasbourg, la Jurifdiélion qu'il lui avoit confiée fur les batimens; Fa bus qu'elle avoit de fon autorité , néceftita cette fuppreflion. Je fuis, txc. A Strasbourg, ce 24 Novembre 177S. NOTE XVIII. Qui la conferve avec des modifications. Page 76. Traducllon d'un billet de la main propre de la Majeflé Impériale & Royale CEmpereur, zoncernant POrdre des FrancsMaqons. LA Franc-Macpnnerie s'eft tellement répandue dans mes Etats , qu'il n'y a prefqu'aucune petite ville de province oü on ne trouve des Loges, Sr il eft de Ja plus grande néceflité y étabhr un certain ordre. Je ne connois pas leurs myfteres, & je n'ai jamais eu affez de curiofité pour les pénétrer; il me fuffit de favoir que la Franc-Mar^onnerie fait toujours quelques biens , qu'elle foutient les pauvres , cultive 6k protégé les lettres, pour faire pour elle quelque chofe de plus que dans tout autre pays. Mais comme la  (111) raifon d'Etat Sc Ie bon ordre demandent de ne pas Iaifler ces gens entierement a eux-mêmes 8c fans une infpecYion particuliere , je penfe de les prendre fous ma protecfion , 8c de leur accorder ma grace fpéciale, s'ils fe conduifent bien , fous les conditions fuivantes : i °. II n'y aura dans la Capitale qu'une ou deux Loges , & s'il eft impoflible d'y récevoir tous les frères , tout au plus trois. Dans des villes oü il y a des régences , on permettra aufli une, deux ou trois Loges. Toutes les Loges dans les villes de province oü il n'y a pas de régence , font rigoureufement défendues, Sc 1'höte qui fouffre des affemblées dans fa maifon , fera puni comme un criminel qui permet des jeux défendus. 2°. Les liftes de toutes les Loges Sc de leurs membres feront envoyées au Gouvernement, les jours de 1'aflemblée toujours marqués; Sc tous les trois mois on enverra un détail exaét. des membres qui ont été requs a la Loge , ou qui font quitté, mais lans annoncer les titres , dignités Sc grades qu'ils ont dans la Loge. 3°. Chaque année on indiquera au Gouvernement le Direéteur de la Loge. En revanche de tout cela , le Gouvernement accorde aHX Francs-Maqons réception, proteétion Sc liberté ; laiffe entierement a leur direéfion 1'intérieur des Loges Sc leur conftitution , Sc ne fera jamais quelques recherches curieufes. De cette fac^on , l'Ordre des Francs-Macons, qui eft compofé d'un grand nombre d'honnêtes-gens qui me font connus , peut devenir utile a 1'Etat; Sc on communiquera cette ordonnance aux Gouvernemens de Province. J O S E P H. P. S. L'exécution de cette ordonnance commence dès le premier janvier.  NOTE XIX. Si dans les heaux jours de Frédéric IL Page 76. Des gens inftruits ont prétendu que ce grand Roi n'étoit pas fi incrédule fur la magie & les vifions que la Renommée l'a publié. Quelle que tut fa facon de penfer , bien eft il vrai qu'il eüt profcrit cette Seéte dangereufe. Ce ne feroit pas la feule occafion oü il auroit défobéi a fa propre impulfion , Sc oü fa raifon lui eüt fait faire le contraire de ce a quoi il inclinoit. Du moment qu'il auroit vu le prétexte a un abus , fans autre examen , il eüt anéanti la Sefte. NOTE XX. Les hommes amis de la vertu feroient une ligue. Page 77. Je voudrois fur-tout,je voudrois armer la raifon, Sc, s'il le faut, 1'amour-propre de ceux d'entre les Princes que les Lavater Sc autres adeptes trompeurs ou trompés, fanatiques ou fripons, font parvenus a féduire, contre les extiavagances honteufes Sc les fafcinations groflieres qui les ont infatués. Eh ! que gagneront ils donc a cette pitoyable facilité, a ces déplorables foiblefles ? La perte d'un temps plus précieux pour eux que pour les autres mortels, le vide du repentir Sc des regrets , 8c la chüte de leur confidération perfonnelle. Quoi donc ! 1'accumulation des fourberies de tous ces Jongleurs, copiftes plus ou moins adroits , mais toujours copiftes les uns des autres , Sc leur éternel non-fuccès , ne difent-ils donc pas affez que leurs promeffes font menteufes? que pour les Princes, il n'y a de tréfors que dans une  lm} fage économie , & la bienfall3nce éclaïrée qui multiplie au fein de leurs Etats les riches ck les heureux; de bonheur que dans la paix d'une bonne confcience ck 1'acquit de leurs intéreftans deyo;rs , feule jouilTance fur laquelle il eft im~ poflible qu'ils le blafent; de divination que dans la prévoyance & dans la connoiftance des hommes; de magie que dans le grand art d'infpirer la confiance ck de fe faire aimer. Et fi ces miférables Charlatans, toujours poufles par la foif de 1'or ou celle de 1'intrigue, éloignoient des Cours qu'ils obsèdent, les fages ck les bons citoyens, toujours peu curieux de fe compromettre avec des Avanturiers ck des Charlatans ? Si diftrayant 1'attention des Princes, des véritablesfourcesde la profpérité publique, ils parvenoient par la force prefqu'irréfiftible de 1'habitude , ou par les féduéhons de 1'amour-propre qui ne veut pas avoir été trom= pé? s'ils parvenoient a les circonfcrire, a les enchainer , a les hébêter dans le cercle hideux ck ftérile de leurs déceptions & de leurs preftiges; fi la haïne pour la réfiftance, ceite maladie contagieufe ck mortelle de tous les Princes abfolus, alloient changer ces rêveries ténébreufes en un fyftême d'intolérance ck de perfécution. Ah ! que deviendriez-vous? les jouets ck les vicrimes, les Prédicants & les Satellites des fuperftitions les plus honteufes qui aient jamais infedé la terie. (Lettres fur Caglioftro ck fur Lavater ^ par M. le Comte de Mirabeau. ) NOTE XXI. Sur la croyance aux Efprits. JjA raifon ne contpit pas qu'il puiffe y avoir des Efprit? capables d'opérations corporelles ^ mais elle voit que ceux qui les ont imaginés , ont été d'erreurs en erreurs. Croyans a 1'exiftence d'un premier être gouvernant les mondes , que, ia puiftance avoit créés, les hommes oot fuppofé qu'il ne  ( *M ) pouvoit les régir qu'en ayant fous fes ordres des Mmiftres, des êtres fpirituels, prêts a porter par-tout fes volontés fuprêmes. lis ont affimilé Dieu a un Roi; mais ils n'ont pas vu qu'un Efprit ne pouvoit ni occuper ni parcourir un efpace. On ne peut pas concevoir un efprit allant a gauche, a droite; notre ame agir au dedans de nous fans ce mouvement. Suppofons un homme qui foit tout-a-la-fois Naturalifte & Aftronome, lorfqu'il examine un ciron, fon ame eft dans un ciron ; lorfqu'il examine k foleil, fon ame eft a un million de lieues ; mais elle n'a parcouru aucun efpace (i). Appliquons ce raifonnement aux Efprits. S'il en exifte, ils ne peuvent ni defcendre, ni monter , ni paroïtre, ni difparoïtre, ni parler, ni faire du bruit. Ces opérations corporelles détruifent 1'idée que nous pouvons nous faire d'un efprit; il eft également inutile de leur afligner un féjour. Cent millions de milliards d'efprits peuvent habiter enfemble fur la pointe d'une épingle, comme dans ces vaftes déferts que notre imagination fuppofe entre le fejour des aftres de l'Empire. Le raifonnement détruifant ainfi les premiers principes de cette opinion , il ne refteroit que 1'expérience. Or ^les faits n'ont jamais prouvé d'une manière fatisfaifante 1 apparition des Efprits ; fi une hiftoire étoit une preuve , il faudroit admettre toutes les hiftoires* du moins les Afiatiques s'en rapporteroient aux leurs; les Africains feroient de même ; il réfulteroit dela des contradi&ions multipliées. ^ Un Anglois, Glamvill, a écrit qu'il exiftoit des êtres qui pofledoient un corps plus fubtil & une ame plus parfaite que la nötre. Oü exiftent ces créatures aériennes ? Qui fait leur hiftoire ? Mais quand même on les fuppoleroit exifter , cela ne fait pas plus k la queftion préfente , que fi un Ecrivain venoit nous affurer que Mars eft habité par desJhommes qui ont trente pieds dehauteur. L'unique réponfe a faire a des fuppofitions , eft de fuppofer a ion tour que cela n'eft pas; alors la difpute eft fime. C'eft donc ici oü s'arrête la raifon ; mais dira-t'on, cela ne prouve rien. La, oü la raifon s'arrête , la religion com- (0 On pourroit répsadre a cela'que c'efl confondre Urne & Ugenfét.  C "5 ) mence a nous éclairer; or, elle confirme abfolument 1 apparition des Efprits bons & mauvais, & nous parle de leurs différentes opérations. Nous répondons que la Religion elle-même ne peut guère exifter avec cette doéfrine. Si par fes Mimftres , fes Prophètes, fes Apótres, il a plu a Dieu d'interrompre les loix de la nature , & de faire des chofes qui ne pouvoient étre faites fans 1'aide de fa Toute-puiffance ; comment arrive-t-il qu'il y ait une autre puiffance qui faffe faire les mêmes miracles ? La première fe trouveroit alors infiniment affoiblie , & la croyance eft déconcertée. C'eft pourtant le réfultat de la doctrine des mauvais Efprits. Ou ils feroient foumis a Dieu , & alors il feroit 1'auteur du mal, en le permettant, ce qui paroit un blalphême , ou ils ieroient égaux ; alors Dieu n'eft plus Tout-puiffant , ce qui feroit un autre blafphême. La Religion eft donc, par !a fainteté de fes dogmes, contraire k cette doéirine ( i ). Quel feroit donc enfin le moyen d'appaifer , fur ce point , 1'inquiète curiofité des hommes.^ II en eft peu; mais on pourroit dire a un petit nombre , pour juger une femblable queftion , il faut être très-inftruit II eft tant de manières de tromper les fens avec les fecrets de la nature. Le fiècle dernier avoit' les mêmes prodiges que celui-ci. Ils ont été expliqués par des moyens fort naturels; n'eftce pas une forte préfomption, que ceux qui nous étonnent dans ce moment trouveront pareillement des interprêtes. Si 1'on remonte a 1'origine de ces erreurs, nous les trouverons dans ie caracfère de l'homme. Etre préiomptueux , il eft tourmenté du defir de lire dans 1'avenir; foible, il redoute les premiers pas qu'il fera dans des régions inconnues. II voudroit voler fur les ailes des fciences (i) Ici 1'Auteur va trop loin. Qui connoit le plan de Dieu ? Qui a été de fon confeil ? Comment fait-on que les contrariétés apparentes qui agitent le monde ne fervent point au but de fon Auteur, en produil'ani par ce mouvement, une félicité générale , qu'une létargique monotonie de la Nature ne fauroit jamais effe£hier ? II y a tant de genres de félicité , & il doit y avoir une variété fi infinie de toute chofes dans cet Univers, que l'efprit borné de 1'homme ne devroit jamais prononcer fur les vues de fon auteur, quand i! permet ce qui nous femble être ua mai,  f ii6 } . , v-rs Pauteur de tout, & perdant fans cefie fa nature de vue , il s'épuife en efforts inutiles , qui ne fervent qua conftater fon impuiffance. II eft tout a-la-fois éclairé & ignorant, grand & mépriiable , trop remph de connoiffances pour s'armer de la vertu ftoïque , il flotte fans ceffe entre 1'acYion & le repos. Incertain s'il eft Dieu ou brute , s'il doit préférer fon ame ou fon corps. II nait pour mourir , il raifonne pour errer. Sa raifon même n'eft pour lui qu'une efpèce de délire- S'il rte 1'écoute pas, tout pour lui eft obfcur; s'il la confulte trop, tout lui paroit incertain. Cahos de raifonnemens & de paflions , continuellement abufé & défabufé paf lui même , il tombe , fe relève & retombe fans ceffe. 11 eft créé fnaitre de tout, & de tout il eft la proie. Seul juge de la vérité, il fe précipite d'erreurs en erreurs , il eft enfin la gloire & 1'énigme de la création. Tel eft l'homme; perionne n'a appellé de 1'opinion de Pope , &. c'eft un pareil être au témoignage duquel cn s'en rapporteroit, lorfqu'il fe vante de bouleverfer, a fon gré, les loix de la nature > de citer a fon petit tribunat des 'êtres qui ^ s'ils exiftoient, feroient d'une nature bien fupérieure a la fienne ? d'établir une correfpondance entre le ciel & lui, fur les fombres profondeurs de 1'avenir ? Non , non , laiflons périr dans 1'oubli cet amas menfongef de vilions, d'impoflures , de contes, que la bêtife , 1'intérêt, 1'orgueil , 1'opiniètreté, ont enfanté tour-a-tour. II eft des hommes avides de célébnté fans talent pour 1'acqucrir, fans art pour faire illufion. lis ont recours % cette icience occulte , & a la faveur de quelques apparences de fuccès; ils font des profélites , le temps détruit leurs frêles édifices; ils n'emportent que le mépris de leurs contemporains. ïl en eft d'autres dont lafoibleffe des nerfs eft telle qu elle les rend timides fur 1'avenir , crédules fur le préfent , troublés fur le paffé ; ils ont, fans ceffe, devant les yeux, l'image de ces Efprits , miniftres vengeurs des crimes de la terre. Fiottans entre les remords & 1'inquiétude, ds croyent tout paree qu'ils n'examinent rien. Quelques-uns cherchent des dupes, taxent laiacihtédes riche. , furprennent la crédulité des efprits foibles , bra-  , ( l2r ) vent les farcafmes des Philofophes, & trouvent, parrni des tentatives de toutes efpèces, quelques dédommagemenS momentanés, aux humiliations inféparables de ce dangereux métier. D'autres encore, trompés par leurs organes, font fujets a une efpece de maladie qui les rend vifionnaires; ils voyent des chofes qui n'exiftent pas ( i ) , & entendent des fous imaginaires. Un homme qui devint fourd entendoit, une année auparavant, une mulique continuelle, qui lui fembloit même très-harmonieufe. Une derniere claffe enfin , &t c'eft la plus nombreufe , a été dupe de quelques Charlatans adroits: le temps a effacé les traces de la fourberie , & n'a laifle, dans leurs imaginations féduite , que les réfultats qui les ont frappés. Souvent forcés de défendre leur propre jugement, foupconnés d'avoir été trompés, ils fe font rendus les faits perfonnels, & font devenus les Apötres d'une erreur dont ils n'avoient été que les inftrumens. ( Mélanges Littéraires, par M. De Luchet. ) Fin des Notes. ( I ) Voyez dans VEJfai Analytique des Facultés de l'Ame, par M. Bonnet, l'hiftoire des vifions d'un grand pere de cet ïlluftre Philol'ophe ; comme il voyoit, en plein jour fa chambre remplie de gens qui n'y ctoient pas, fa maifon démeublée, les portes gardées par des hommes armés. Z'habitude feule put lui apprendre a diftinguer 1'apparence de 1* réalité ; encore s'y trompa-t'il fouvent. Toutes ces illufions ne vinrent que du dérangement de fa prunelle.