PROSPECTUS, EXPLICATION Succinéfce dn plan auquel Mr. du Mitand travaille depuis pkifieurs années; & dont le but eft de fimplifier, rapprocher, & affimiler le Syftême grammatical, tant des treize Langues vivantes qu'on parle dans 1'Europe Chrétienne, que des deux Langues favantes, le Grec & le Latin; de les batir toutes fur la Langue frangoife, d'oü elles partiront comme d'un point central, pour former enfuite différentes Branches ou Compartimens, dans un ordre analogue a leur affinité ou proximité: Syftème, qui, par la clarté de fes définitions, la fimplicité de fes régies, & 1'uniformité abfolue de toutes fes parties, facilitera 1'étude des Langues au point d'être a la portée de tout le monde, même de ceux qui n'ont pas 1'avantage d'une éducation de college. Rjen ne met plus d'entraves h la fcience, que la multiplicité & la diffonance des fyftêmes fur lesA. O U  (2) quels ï'Art de la Grammaire eft bki. La plupart des Grammairiens, poufles par la vanite', & pour paroitre originaux , dédaignent les chemins frayés, & croyent s'ouvrir une nouvelle route a la fortune ou a la gloire en fondant un nouveau fyftêtne. Par la, les Grammaires dans les diffe'rentes Langues fe font multipliées au point, que, li elles étoient toutes tamaflëes dans un même lieu, & entaflëes les unes fur les autres, elles formeroient une pyramide aflèz haute pour fervir de monument a la pédanterie. Mais, ici la difibnance effraye autant que la multiplicité; chaque auteur s'effjrcant d'établir une nouvelle divifion, de nouvelles défhitions , & de fouiller dans un fatras d'exceptions pour y puifer de nouvelles régies; & hériffer enfin le tout de termes foit-difant tèchniques, mais de fait durs & inintelligibles, tirés de la poufiïère des Ecoles. De cette grande variété de fyftêmes dans 1'art de la grammaire, nait une foule d'inconvéniens : mais celui-ci furtout,qu'un Ecolier fe trouvant, par raifon de fanté ou de convenance, transfére' d'une Penfion ou d'un collége a 1'autre, y paroic comme transplanté dans un nouveau monde, dont le Langage, efientiellement le méme, ne lui eft pourtant plus familier. Car, dans tous les Colléges ou fe'minaires d'Education de 1'Europe , on enfeigce les Langues mortes par des fyftêmes différens, ainfi que par des grammaires differentes; chaque Collége & presque chaque penfion voulant avoir la fienne, & 1'ayant en effet: au point que, dans le  C 3 ) fenl royaume d'Angleterre Cque je connois mieu* que les autres, pour y avoir paffe' prefque toute ma vie) il fe trouve plus de 40 grammaires Latines dedifférens auteurs, toutes pronées, défendues i & fuivies par un grand nombre de feftateurs. Le Latin n'a pourtant pas varië depuis prés de deux mille ans. Chofe rare & e'trange, que le même objet.dontl'unité feroit leprincipalcharme, puifie recevoir tant de formes difierentes, & fe préfenter fous tant d'afpeéts! Mais, Tinconvénient que je viens d'expoferpouf les Langues mortes, fe fait fentir bien plus fortement pour les Langues vivantes. II feroit plus ai» de compter les étoiles attachées au firmament, que de fixer Ie nombre des grammaires francoifes éparfes fur la furface de la terre. Car, pour parler par comparaifon, & a fortiori, dans le feulRoyaume d'Angleterre, oü la Langue francoife fait une pame effentielle de 1'Education, chaque Bourg, chaque Village a un maitre de Francois qu'on y fegarde comme un Oracle. Sa fortune-eft ordinai- '' rement ëtablie fur une grammaire de fa faeon qu'on croit entendre fur les lieUX, & quleft inintelligible partout aillcurs. La plupart de ces Grammaires font fi différentes les unes des autres, qu'elles ne paroiflent par fakes pour enfeigner la méme langue. Un Grammairien, par Exemple, reconnolc quatre Conjugaifons, un autre cn trouve lix, un troifième va jufqu'a dix; mais un quatrième, pouf trancher le mot, en établit douze; de fa?on que ttncertitude & le hazard préüdant aux eonfeils A a  C4 ) C5S Meflieurs, un caprice, dénué de toute raifon i fixe i'étendard de ia Grammaire. Quant a la divifion des Verbes en Tems, c'eft encore le nccud Gordien. Quelques auteurs adoptent 12. Tems, ' d'autres 14; d'autres encore 16. ainfi de fuite, avec des Noms baroques & diffonans, dans le choix desquels on remarque une aufll grande variété, que dans les noms des Héros de 1'antiquité. Le même défordre & la même variété ont Heil pour les autres parties du difcours, chaque nouvel auteur dédaignant d'adopter ou d'améliorer les définitions de quiconque aura fuiyi la même carrière avant lui. Mais, cette diverfité de Dënominations & de Divilions dans le fyftémegrammatical d'une mêmeLangue, s'augmente a 1'infini dans les Grammaires multipliées des différentes Langues de 1'Europe coraparativement; & ceux qui veulent apprendre plufieurs Langues, fe trouvent aufii embarraflës pour comprendre les de'finitions dilfonantes qui groflïlTent les différentes Grammaires des Langues auxquelles ils défirent s'appliquer, pour diftinguer comment les tems des Verbes fe correfpondent d'une Langue a 1'autre; ils font, dis-je, auffi embarraffés pour cela, que pour apprendre les Langues elles-mëmes: Car,ce qu'un GrammairienFrangois place a 1'indicatif & appèle le Conditionnel, un Italien le place au fubjonótif & 1'appèle lTmparfait; un Grammairien d'une autre Nation fe plait a donner a ce même tems un autre Nom particulier. Tel Grammairien admet fix fortes de Pionoms, tel autre fept/  ( s ) celui-ci, huit, celui-la va jufqu'a neuf; defacon, quec'eft s'engagerdans un labyrinthe impénétrable, que de vouloir comprendre ces Grammaires 1'une par 1'autre, ou les comparer enfemble. Les difficultés prefque infurmontables qui naiffent de ce cahos,font caufe, quefi peu de Perfonnes s'appliquent k i'étude des Langues; & que, pour y fupple'er, la Langue francoife a été choifie, paruneefpèce de convention tacite, commeun moyen de communication entre les différentes Nations de 1'Europe: reffource qui, en quelque manière, fauve lapeined'apprendreune douzaine de Langues, quand même cela feroit praticable. La Langue francoife ayant donc ainfi été adoptée comme un canal de communication dans 1'Europe Chrétienne, fa préérni-* nence fur toutes les autres, au moins quant a 1'utilité, s'en fuit néceffairement; & il feroit peut-être plus avantageux de la pofféder feule, que d'en favoir plufieurs autres, & d'ignorer celle - la. C'efli aufli pour cette raifon, que je plante fur la Langus Francoife, comme fur le fol le plus convenable, mon grand Arbre Grammatical, & que j'ente,après cela, fur ce dernier, les douze autres Langues Européennes & les deux Largues favantes, qui for? meront autant de Ramificat;ions fortant de la même fouche en différens Compartimens, & dans une direftion analogue a leurs rapports ou sffinité entre elles, comme il fera expliqué ci-après. Je conviens que dans le choix que je fais de la Langue francoife pour pierre fondamentale de moa Edifice, je m'écarte un peu de la nature des cjior*. A 3,  ( O fes, puifque cette Langue n'eft point radicale, ni, par confëquent, la mère des autres; mais je m'arrête ici, moins k fon origine, qu'a fa grande utilite' r &, puifqu'elle eft 1'ame du commerce, & la clef desfciences, qu'impörte-t-il a la généralité des hommes, fi elle a pris naiflance dans la Tour de Babel, ou dans celle de Monlhéri, & fi on la parloit è Pampelune avant de la parler è Verfailles. Elle peut être batarde, mais puifqu'elle a fupplanté les enf'ans légitimes, elle dok avoir le pas. ï^ous avons de plufieurs auteurs des recherches favantes fur 1'origine & le génie des Langues; pour moi, négligeant ce qui eft de fimple curiofité , & prenant les Langues pour ce qu'elles font, le but de mon travail eft fimplement d'en faciliter 1'étude. Je cherche a me rendre utile, & non pas k me faire admirtr. La Langue Francoife une fois choifie pour pierre fondamentale de mon Edifice, voici comment je m'y prendspour afieoir deflus les 14 autres Langues. Je partage le tout en quacre divifions principales, favoir ■, trois, formées des Langues Vivantes, & la quatrième des deux Langues favantes, autrement appellées Langues mortes. La ière Divifion, ayant pour bafe la Langue Frangoife (qui 1'eft en même tems de toutes les autres) comprend en outre les Langues Itaüenne, Efpagnole, & Portugaife, rangées dans 1'ordre cideflus,comme le plus analogue a leur affinité ou ïelation 1'une avec i'autre. ia aème Divifion, ayant en tête la Langue Al"  (7) lemande, comme mère des autres, embrafle les Langues Hollandoifé, Suédoife, Danoife & Angloife. La 3ème, dont la Langue Ruffe eft la principale, contient de plus, les Langues Pülonoife, Bohémienne, & Hongroife. Enfin, la 4ème eft formée des Langues Latine & Grècque. La répartition ainfi faite, je me forme un fyftème de Grammaire tout-a-fait nouveau, je le dégage de tous les termes difficiles & inintelligibles dont les Grammaires font ordinairement hériffées, & le mets par la a la portee de tout le monde. Ce fyftême eft non feulement extrêraement fimple & concis ; mais, c'eft encore celui que j'ai trouve convenir au plus grand nombre des Langues dont je traite. Son plus grand avantage eft, que, fe répétant régulièrement dans plufieurs Langues, quoique fous une nouvelle forme, fon unité, & 1'uniformité abfolue de toutes fes parties, fait, qu'en pourfuivant 1'étude des Langues, dès qu'on a une fois bien compris mon fyftême, il ne refte pref ceux qui ne feroient pas Grammairiens, pourront aifément le devenir; & ceux qui le feroient déja, n'auronfc qu'a rapprocher leurs idees de mon fyftême, afirt. de pouvoir 1'adapter enfuite a d'autres Langues, & par ce moyen les apprendre avec plus de facilité. Après cela, le développement & 1'expücation |[s Ia Grammaire de chacune des quinze Langues^ A $  formera un petit volume féparé; mais la Langue francoife, comme la Bafe des autres, formera deux parties, favoir la Théorique , & la Pradque: &, comme un fi grand nombre de volumes fépare's deviendroit embarrafiant, le tout fera relie' enfemble, de fscon a ne former que 435 volumes, de même grofieur. Toutes ces Grammaires feront explique'es par la Langue francoife, & feront arrange'es dans 1'ordre fuivant: favoir, lère familie; la Langue Francoife, lTtalienne, 1'Efpagnole, & la Portugaife, 2de familie ; la Langue Allemande, 1'Hollandoife, la Suédoife, la Danoife & 1'Angloife, %ème familie; la Langue Rufie, la Polonoife, la Bohe'mienne, & laHongroife, j^ème familie; les Langues Latine & Grècque: & comme on aura pu s'initier dans la Grammaire en géne'ral, comme art convenant a toutes les Langues, par la Ledture de mon Introdu&ion, chaque Grammaire fépare'c des différentes Langues, ne contiendra abfolument que la manière uniforme de Décliner & de Conjuguer, outre la Syntaxe: ce qui les rendra fort fimples & fort concifes. Car, quand on aura vu, une fois pour toutes, 1'explication , par Exemple, d'un verbe acW, Neutre, Réflêchi &c. dans mon Introduclion, on n'aura pas befoin de voir cette même explication répétée quinze fois de fuite, dans quinze Grammaires différentes, Toutes ces Grammaires fe reflembleront parfaitement dans tous les points. Ce fera partout même fyftême, mém«s définitions, même diftribution. On trouveradans chacune d'elles, lemê-  me nombre d'Articles, dePronoms, &c. Les Verbes furtout feront divifés de la même manière, & auront précifément le même nombre de Tems avec les mêmes noms aux dies Tems, fi non abfolument dans toutes les Langues, au moins dans le plus grand nombre. Car, on fent bien que, quoique 1'uniformité de Syftême foit le grand but de eet ouvrage, cette uniformité abfolue de toutes fes parties doit être plus frappante encore entre les Langues d'une même familie, qu'entre celles qui font plus éloigne'es. Mais, me dira-t-on, lorfqu'une partie effentielle a la Grammaire d'une Langue manquera abfolument dans une autre, que ferez vous alors ?.... Sans doute, que je ne pourrai ni créer, ni retrancher, puifque ce feroit dèfigurer les Langues, au lieu d'en faciliter 1'étude: mais, me fera-t-il bien difficile de faire de petites Obfervations, lorfque cela arrivera? Par Exemple, mon Syftême admet quatre différens Articles, paree qu'ils font indifpenfables dans la Langue francoife, fur laquelle je modèle les autres; & que, d'ailleurs, ils ont des repréfentans immédiats dans plufieurs des Langues dont je traite. Ces Articles fe correfpondent, entr'autres, très-exadtement dans la première familie des Langues;la feconde, pourtant, n'en reconnoit que trois : Or, voicicomment je fupplée a ce défaut, fans déranger mon Plan. Après avoir fait, dans les Langues de la première familie, 1'énumération des quatre Articles, & leur avoir donnéachacunun Chapitre féparé, je paffe a celles  ( 13 ) de la feconde familie, oü. je fuis la même marche 5 & lorfque je viens, dans 1'une ou 1'autre des Langues , au Chapitre particulier de 1'Article qui n'exifte point, je dis: „ Cet Articlen'exifte point dans cette Langue, mais on y fupple'e de telle & telle manière." L'Article auquel je fais ici allufion, eft celui que j'appèle en Frangois VArticle Partitif, paree qu'il dénote, non la totalite' des fubftanccs devant lesquelles il eft placé, mais feulement une partie d'icelles: comme, donnezmoi du pain, de la viande, des pommes, c'eft-adire, un morceau de pain, de viande, quelques pommes; en oppofition a \'Article Défini qui défigne la totalité des fubftances, comme donnezmoi /epain, la viande, les pommes; ce qui fignifie le pain tout entier, toute la pièce de viande, toute la quancité de pommes. Or, \'Article Défini ayant un repréfentant très-exadt è-peu-prés dans toutes les Langues, cela ne fouffre point la moindre difficulté; mais, comme VArticle Partitif n'en a point dans plufieurs, entr'autres par Exemple, dans la Langue Hollandoife, il me furüra de dire, que, „ VArticle Partitif des autres Langues , „ ne pouvant pas fe traduire en Hollandois, ou, „ il manque abfolument, 1'abfence d'un Article v dans cette dernière Langue, exigera néceflaire„ ment la repréfentation de \'Article Partitif „ dans celles oü il eft connu." D'après ce fimple énoncë, la traduclion toute naturelle de ces phrafesfrangoifes: donnez-moi dit pain, de /avian0e, ^«pommes, fe trouvera être en Hollandois.„  £ 13 ) geev my brood, vttefch, appelen, fans aucun Af* ticle: & oelle de celles -ci; donnez-moi le pain, la viande, les pommes, fera, geev my het broodi het vleesch , de appelen, avec 1'Article Défini dans les deux Langues. Pourquoi? paree qu'il exifte identiquement dans les deux Langues. De reelief, 1'Adjeftif eft fujet aux plus grandes difficuhés dans la Langue francoife. II change communément fa terminaifon au féminin, & ce changement varie a 1'infini: témoin les fuivans, blan-c, blan - che ; publi- C, publi - que; neu - ƒ, neuve, ba-s, ba-Je; lon-g, lon-gue; dou-x, douce; ver-d, ver-te; &c. Sa jufte pofition eft auffi très-difficile i connoitre : tantót il pre'cède fon fubftantif •, comme, un beau palais, un gros melon: tantót il le fuit, comme,un tailleur franfois, un ehapeau noir: d'autres fois, il fe place indiftëremment avant ou après lui: Ex. un fidèh ami, ou un ami fidéle. Enfin, il change fouvent entierèment de fignification, fuivant qu'il eft placé avant ou après: car, un honnête homme, n'eft pas la même chofe que, un homme honnête; niun galant homme, la même chofe que, un homme galant. Dans la Langue Allemande, c'eft une difficulté d'une autre efpèce: les Adje&ifs prennent trois terminaifons, comme chez les Latins, & vanent dans la plupart de leurs Cas, tant au Singulier , qu'au Piurier. En Anglois, au contraire, c'eft la chofe du monde la plus fimple & la plus aifée. Tous les Adjeótifs font invajiables, & ont précifément la même terminaifon  c 14 y pour les deux Genres & pour les deux Nombres; en forte que, hand/ome, fignifle, beau, bel, belle, beaux, & belles; old, vieux, vieil, vieille,& vieilles; & good bon, bonne, bons, & bonnes; ainfi des autres. Outre cela, ils précédent conftamment leursfubftantifs ; &, quand les Francais, s'aftreignant k de certaines régies, fondées plus fur le caprice que fur la raifon, font contraints de transpofer continuellemeut leurs Adjettifs, & de dire: mon cher oncle, un repas cher\ une jufle colère, unea&ion jufle; un homme vif, de vives douleurs; les Anglois difent uniformément, my de&runcle, a <&ar repaft; a jufl anger, a jufl action; a sharp man, sharp pnins. Et bien, que s'en fuit il de la? . . . fi non, que les d;:ux Chapitres qui traiteront des Adjecti's dans les Langues francoife & Allemande, contiendront plufieurs pages, tandis q;e quelqaes lignes fuffiront en Anglois. Car. rufliformiuS de fyftême que j'annonce, ne feurok empécher, que les Grammaires parrjculières des Langues qui font fujettes a moins de variations & d'irrégularités, ne foient infiniment plus courtes que les autres : &, d'après ce tarif, on peut naturellement s'attendre, que la Grammaire Angloife fera la plus concife de toutes; puifque, de toutes les Langues connues, 1'Angloife eft,fans contredit, celle dont le Syftême Grammatical eft le plus fimple & le p>us régulier. Mais, les Verbes , qui paroiflent fi ai fes a conjuguer, & qui font pourtant fi difficües a comprendre, faudra-t-il donc auffi augmenter ou  ( 15) diminuer le nombre de leurs Tems, fuivant le génie de chaque Langue? . . Si je n'avois pu enchainer ce nouveau Protée, pour 1'empêcher de changer de forme, mon Projet ne feroit plus qu'une chymère , & il y a longtems que j'aurois brulé tous mes manufcripts: mais, après avoir rangé, fur ce point, le plus grand nombre de Langues fous le même Etendard, la petite différence qui fe trouve dans les autres, aftedtera trés peu 1'enfemble de mon Plan; non plus que les petites nuances que je pourrois me trouver obligï d'introduire ailleurs, ne fauroient deranger 1'harmonie du Tout, puifque c'eft principalement dans 1'Enfemble, & non dans tous les détails, que régnera 1'uniformité. Snppofant donc que j'aye adopté onze tems dans les Verbes en général, paree que cette divifion conviendroit au plus grand nombre de Langues; &, qu'en faifant enfuite un examen plus particulier de chaque langue, jj m'appergoive, que, dans quelques-uces d'entre elles, deux tems peuvent fe réduire a un, comme, par Exemple, en Allemand & en Hollandois, tai le Parfait répond a ï'Imparfait & au Parfait des Langues frangoife, Italienne, Efpagnole & Portugaife; Car, ich liebete, & ik beminde rendent également bien, J'aimois & J'aimai, amavo & amai & ? . . Me faudroit-il pour cela avoir un tems de moins en Allemand & en Hollandois; &, fi je laifibis, ik beminde comme Parfait, comment repréfenterois - je Vimparfait des frangois , & de plufieurs autres Nations? C'eft la la pierre de  (I*) Toüche. Je ne retranche, ni n'augmentc; & j'ai pourtant précifément le même nombre de Tems, avec les mêmes noms aux dits Tems dans les différentes Langues. Les Tems Compofés groffiffent & embrouillent les Grammaires: je donne une régie générale pour les forme r tous dans 1'inftant & trés-exadtement dans neuf Langues , & j'en appèle a ceux qui la connoiffent pour décider li elle eft jufte <5c infaillible. Le futur a un caractèrel bien marqué dans prefque toutes les Langues: Dans la première familie, il fe manifefto par de certaines Terminaifons ; en frangois, c'eft rai, en Italien, ró,.en Efpagnol rê &C. Dans la feconde familie des Langues, ce font des fignes qui précédent Ylnfinitif. En Allemand , c'eft le figne werde, en Hollandois, c'eft zal, en Danois, skal; mais en Anglois il s'en trouve deux, shall ou wilt: & dans cette même Langue , il s'en trouve aumoins trois; favoir, should, would i could pour répondre, dans un autre Tems, au feul figne Allemand mirde, a 1'Hollandois zou, & aux Terminaifons francoife & Italienne rois & rei. Cela ne dérangera pourtant en rien ma marche. De petites remarques, expliqueront les différentes nuances fans multiplier les objetsj fans amplifier d'un cöté, ni tronquer de 1'autre. Les Perfonnes des différentes Nations de 1'Europe, qui voudront apprendre une ou plufieurs des Langues dont je traite; par Exemple, un Allemand qui voudra apprendre 1 Italien, prendra la partie Frangoife & Italienne; &, au moven de  (I?) Ia le&ure qu'il aura déja faite de mon „ Intro„ duetten a Ia Grammaire, " ainfi que de ma „ Grammaire Francoife, " il comprendra mon Syftême qu'il trouvera être précifément le même pour ces deux Langues particulières, (comme il 1'eft pour toutes les autres) ; & il apprendra ainfi 1'Italien de la manière du monde la plus aifée. S'il veut enfuite continuer cette étude, & apprendre d'autres Langues, il prendra, par Exemple, la partie Francoife & Angloife; Francoife & Hollandoife; &c. & il trouvera que la feconde Langue lui fera plus aifée que la première, & la trolfième plus aifée que la feconde; a proportion que mon Syftême lui deviendra plus familier. Le petit inconvenient qui réfultera pour les différentes Nations de 1'Europe, de fe voir obligées d'apprendre les Langues étrangères par le fecours d'une autre Langue, que leur Langue maternelle, ne fauroit balancer les avantages infinis que préfente le choix que j'ai fait d'une feule, pour les communiquer toutes. Car, fans entrer dans de plus grands détails, fi j'eufTe voulu, outre la Langue Francoife, traduire mes quinze Grammaires dans les douze autres Langues vivantes de 1'Europe, il m'auroit fallu 200 Grammaires, au lieu de 15; puifque 12 multiplié par 15 produit iSoj ce qui ajouté encore a 15, fait a-peu-près le nombre ci-deffus. Ce projet, impraticable dans tous les fens, eüt été trop ridicule, pour s'y arrêter un inftant. Mais, qui empêchera les Nations Europee nnes de traduire dans l'Idiöme de leur pays, B  C is) telle partie de mon ouvrage. qu'Etles jugeront & propos. Les Libraires de tous les pays ont des tradudteurs a leur folde; & U« feront les premiers a 1'entreprendre pour augmenter leur gain. Outre les quinze différentes Grammaires, il y aura quinze grandes Tables ou Cartes, imprimées fur de trés-beau papier, dont chacune préfentera, au premier coup d'oeil, toutes les variations & inflexions d'une Langue particulière; dc fagon que les Grammaires feront le développement des Tables, & les Tables le réfumé des Grammaires. On y trouvera, comme dans les dernières, mais plus en abrégé, la manière de décliner tous les Articles, Noms, & Pronoms ; & les Verbes y paroitront, pour ainfi dire, réduitsa une feule Conjugaifon: car les Réguliers, ainfi que les Irréguliers, & jufqu'aux Auxiliaires, y feront foumis aux mêmes loix; & le tout frappera la vue a-la-fois, & fous un même point. Non feulement il exiftera une uniformité abfolue de Syftême entre les Grammaires & les Tables, ces dernières auront encore entre elles une unité & une uniformité relatives; de fagon que, dés qu'on en comprendra une, on les comprendra toutes. Auffi 1'explication partielle de leur méchanisme, qui fervira pourtant de développement général, ne fe trouvera-t-elle qu'a la Table Frangoife. Comme elles feront imprimées de fcgon a pouvoir être coupées en huit parties égales, on fera a même de les colier, ou fur de la toile pour les plier comme les Cartes de Géographie, ou fur du  (lp) carton pour les arranger comme des Tablettes; &; dans les deux cas, elles entreront dans la poche. On pourra auffi les laifler entières, & les colier fur de grandes feuilles de carton , ou fur des planches mincesj & alors, par le moyen de pièces mouvantes, qui agiront, en différens fens, fur la furface des Cartes, fans les défigurer, on s'en ferviroit prefqu'auffi commodément que des Grammaires. De ces trois dernières raanières, on pourroit avoir deux Langues fur les mémes Tablettes, 1'une d'un cftté, 1'autre de 1'autre, & les tourner a volonté. Comme elles font complettes dans la première familie des Langues, & prefque dans la feconde, il me feroit plus aifé encore de les montrer, que de les décrire; vu qu'on ne pourroit avoir qu'une idéé très-imparfaite d'une pièce de méchanique, dont on ne verroit pas 1'effet. J'en donnerai pourtant une trés - légère idée. Je fuppofe donc qu'on voulüt trouver fur la Table Frangoife le Futur du verbe Valoir ( car tous les Verbes s'y trouvent, & dans tous les Tems), en faifant agir deux pièces mouvantes dans une certaine direction, pour les approcher du centre de la table , on auroit le commencement & la fin du mot; de cette fagon, va- -rai; par une autre opération, ces deux pièces viendroient enfermer les deux lettres ud.- cela formeroit avec 1'addition du Pronom, je ya-ud-rai, qui eft le futur de valoir. Précifément par le même procédé, on trouveroit fur la Table Italienne, Ie futur du même verbe , de cete manière: va r-rd, &c. B 2  ( 20 ) qu'il n'y auroit plus qu'a rapprocher ainfi fur le papier, en ótant les tirets: je Vaudrai, Varrb. II y aura ce grand rapport entre les Grammaires Sc les Tables ou Cartes, qu'en diffe'quant les premières, on formeroit les Cartes; & qu'en rapprocbant tous les mots tronqués & les parties e'parfes fur celles-ci, on recompoferoit prefque les Grammaires : ce qui deviendroit un excellent exercice pour fe familiarifer avec les Dêclinaifons & Conjugaifons; & furtout pour apprendre 1'Orthographe. Les Cartes feront en 'particulier très-utiles aux voyageurs, qui pourront aifément en mettre plufieurs dans leurs poches: avantage que ne préfentent pas les Grammaires. II y aura auffi une autre grande Table féparée, öc partagée en feize Colonnes; la première contenant les explications en Francois, & chacune des autres, une des quinze Langues de mon Plan. Le but de cette Table fera de montrer, auffi d'un feul coup d'ceil, comment les parties variables du difcours fe répondent d'une Langue k 1'autre ; qu'elle eft en particulier la correfpondance réciproque qui fe trouve entre les diflerens Articles & Pronoms-. &, furtout, de re'duire les Tems des Verbes au même nombre, avec des Noms généraux pour toutes les Langues; comme auffi la manière de conjuguer les Verbes uniformément, de proche en proche, d'une Langue a 1'autre, tant dans la Voix aclive, que dans la Voix pajjive, dans les Tems fimples ou compoJés. Cette Table fera une efpèce d'écheüe, au  ( 21 ) moyen de quoi on pourra re'duire toutes les Grammaires imprimées a mon Syftême, quant a la ma. nière de Décliner & de Conjuguer. Pour donner une légère idéé de fon utilité , je fuppofe qu'un Italien voulöt favoir quelle efpèce de mot eft dans fa Langue, le mot io; a quelle partie d'Oraifon il appartient; & quels font fes repréfentans immédiats dans les autres Langues. En fuivant, de droite a gauche, la ligne parallèle fur laquelle ce mot eft imprimé, jufqu'a la première Colonne, il apprendroit que c'eft un Pronom perfonnel; &, faifant enfuite attention, dans chaque Colonne, au mot qui a la même Marqué Cara&ériftique que celle dont ce mot eft accompagné fur la Carte, jl verroit que le Pronom perfonnel io des ItsUens, eft je en Francais , yo en Efpagaol, eu en Portugais, ich en Allemand, ik en Hollandois, jag en Suédois, jeg en Danois, J en Anglois, &c. Si, par le même procédé, un Hollandois vouloit trouver dans 1'échelle des Conjugaifons, quel eft le Tems qui répond, dans les différentes Langues, a celui, qui en Hollandois eft toujours accompagné du figne zou; par Exemple, ik zou beminnen; & auffi comment ce Tems s'appèle; en fuivant la même marche, il verroit que ce Tems, que j'appèle le Conditionnel dans toutes les Langues, a pour fes repréfentans, en Francois, j'aimerois; en Italien, amerei; en Efpagnol & en Portugais, amaria; en Allemand, ich würde licben; en Anglois, 1 jhould love, &c. Mais, comment faire pour des Didtionnaires?,., U 3  ( 22 ) Et comment fait-on a-préfent? II feroit fans doute très-incommode & tres - difpendieux d'être obligé d'en acheter pour chaque Langue, afin d'accompagner mes Grammaires & mes Cartes, dans le cas oü 1'on voulüt parler ou écrire plufieurs Langues. J'ai cherché & diminuer eet inconvénient, au moyen d'un feul Didtionnaire auquel je travaille; & qui, a plufieurs égards, remplira le but de tous les autres, & fervira pour les quinze Langues. Voici comment: il fera imprimé fur du papier plus large que long, de fagon a préfenter, a 1'ouverture du livre, dans une aflez grande largeur, quinze compartimens parallèles, en forme de petites Colonnes, qui feront féparées par des lignes droites; favoir, fept, fur le feuillet qui fe repliera a gauche; & huit, fur celui qui tombera a droite, Chaque Colonne aura en tête le ncm de la Langue qu'il contient; & ces noms fuivront 1'ordre des quatre families, tel qu'il eft établi pour les Grammaires ; favoir, le Franpois, l'Italien, l'Efpagnol, le Portugais ; V'Allemand, le Hollandois &c. de fagon que, en cherchant, par exemple, le mot aimer dans la première Colonne, on trouvera, en promenant fa vue, fur toute la longueur de la ligne, dans les deux pages oppofées, les mots qui lui répondent dans les 14 autres Langues, placés dans différens compartimens; & cela fournira une occafion de remarquer la grande analogie que les mots ont entre eux, dans les Langues d'une même familie: comme on peut le voir ci-deffous dans quelques mots de la première; puifque la même  ( =3 ) affinité fubfi.te entre ceux des autres families; Exemple, Franpois, Italien, Efpagnot, Portugais. Chafteté, caftita, caftitad, caftitade. Honnêteté, onefta, honeftitad, honeftitade. Emulation, emulazione, emulacion, emulagaó. Afflidtion, afflizione, afiliccion, afflicgaó. Honneur, onore, honor, honra. Erreur, errore, error, erro. II me refte encore h faire mention d'une autre partie de mon Plan: celle au moyen de quoi je communiqué la pratique des Langues. Ce font des jeux aiféts & amufans, & 1'aide de Cartes, Fiches, & autres Marqués diftindtives fur différens Bois & Métaux, propres a peindre les penfe'es, & a farmer a 1'inftant, par une continuelle rotation, toutes fortes de combinaifons grammaticales 8c de phrafes régulières, avec leur tradudtion dans une ou plufieurs Langues. Par cette invention, fruit de mes recherches, je monte Sc démonte les Langues, pour ainfi dire, comme on fait les lits Sc les armoires; & voici comment. J'ai pour une Langue autant de jeux qu'il y a de Chapitres dans la Grammaire de cette même Langue. Chaque jeu eft dans une boëte fépare'e, fur le couvercle de laquelle eft écrit le Titre du Chapitre auquel il doit fervir d'exercice, avec le numéro de la page oü il fe trouve dans la Grammaire. Je fuppofe donc qu'on voulüt s'exercer fur les Articles Franfois , & exécuter toutes les régies que la Grammaire Franfoife enfeigne au Chapitre qui en traite: on n'au> 0 i  C 34 ) roit qu'è prendre la boete qui y re'pond, on y trouveroit, outre un trés-grand nombre de fiches & autres marqués, de petites Tablettes qui contiennent, mais plus en abre'gé, les mêmes régies & obfervations que celles de la Grammaire. En arrangeant le tout fur une grande table, d'après de certaines directions, on auroit d'une manière trés? inftrudtive, & fort au large, tout ce qui concerne cette partie de la Grammaire: Et, c'eft précifément paree qu'elle fait tableau, que cette méthode eft amufante: fi, d'un cóté, elle récrée 1'imagination, de 1'autre, elle exerce le jugement; & fert encore de culture au vafte champ de la mémoire. En fuivant le même procédé , on s'exerceroit ainfi foi-même fur telle ou telle partie de la Grammaire de 1'une ou 1'autre Langue, Enfin, fi on veut comparer les Langues les unes avec les autres, foit par curiofité, foit pour les apprendre, on prendra les boëtes qui correfpondent h. celle des Articles Franfois, dans d'autres Langues; par exemple, dans les Langues Allemande, & Hollandoife, & en les arrangeant a cóté du Francois, on verra dans 1'inftant la refiemblance, ou la différence que préfente cette partie de la Grammaire dans ces trois Langues. Les régies & obfervations fur les Tablettes y feront en Frareois, ainfi que la traduction des phrafes & des mots Allemands & Hollandois propres a les exe'cuter; puifque c'eft la feule Langue dont je me ferve dans mon Plan pour définir, expliquer, ou traduire. A» refte, il y a encore dans .les Langues, deux  ( *5 ) parties effentielles: favoir, „ la Prononciation," & „ la Science des mots;" & ceci regarde principalement les Langues vivantes qu'on apprend ordinairement pour les parler. Car, pour ce qui concerne les Langues mortes, il fuffit qu'on puiffe les lire fuivant la prononciation établic dans le Pays oü 1'on a pris naiffance; il fuffit qu'on les coroprenne en les lifant, & qu'on les traduife : raremenc eft-on obligé de les e'crire ; & lorfqu'on le fait, c'eft toujours a loifir & avec réflexion. Mais les Langues vivantes requièrent que le Sens de l'Ouie & les Organes de la Voix prêtent leur mmiftère : le premier, pour recevoir & diftinguer les fons; les derniers, pour les imiter & les bien articulerj ou, au moins, auffi jufte que 1'Accent national du Pays qui nous a vu naitre, & la conformation particulière de nos organes, le permettent: & c'eft ce qui conftitue „ la Prononciation." La mémoire, defoncöté, ouvrant fes vaftes réfervoirs, pouiiè vers les lèvres les mots qu'on y a tbéfaurilés, avec la même force, que les vents impétueux pouffent les flots de la mer. Et c'eft la le plus curieux de tous les Méchanismes. Car, les mots, au lieu de fortir en foule, ce qui force-roit a balbutier ou a de'raifonner, femblent attendre leur tour , pour vcnir a la file s'arranger artiftement fur les èvres, chacun pre'cifément a la place qu'il doit avoir, & tout cela avec la vkeffe de 1'e'clair; tandis que, ós leur cóté, les lèvres, les dents, la langue, & tout ce qui compofe les organes de la voix, leur imprimant la modulation des Sors, avec les temB 5  ( 25) péramens de la profodie, travaillent, s'agitent, & fe remuent comme fait la navette dans les mains du Tifferan. Or cette faculte' d'avoir les mots a fes ordrcs, pour les combiner fur le champ, fuivant les régies de 1'art, eft ce que j'appèle „ la Science des mots." Je parlerai de ces deux parties des Langues, en commengant par „ la Prononciation. " C'eft une vérité reconnue, que les fons ne peuvent pas fe peindre exadtement. C'eft pourquoi les fecours qu'on pourroit ofFrir a ce fujet, laifferoient toujours beaucoup a défirer. En effet, files fons e'toient fimples, uniformes, & en petit nombre, on pourroit peut-être trouver des com^ binaifons de lettres pour les repréfenter; mais, comment peindre a 1'ceil toutes les différentes nuances des fons , avec les modifications qu'ils recoivent encore de la profodie. Je n'en donnerai qu'un feul exemple : le fon eu pourroit aifément fe peindre, s'il reftoit toujours le même; mais, oü trouver des couleurs pour rendre la différence de nuance, que préfente le même fon dans les mots Dieu & lieu. La fcu'.e afljftancc que je puiffe donc donner fur eet article, eft dc peindre la prononciation des différentes Langues avec des caraftères & par des fons francois, le plus cxaiïcment qu'il m'eft poflible; & comme toutes les Grammaires imprimées ne préfentent rtcn de meüleur fur cette matièrc, elle n'aura pes périclité dans mes mains. Je ferai pourtant plus que les Grammaires: je dirai ce qu'elles n'ont pas dit; & la rcmarqae que je  C 27 ) vais faire, en tenant lieu de toutes les régies, conduira infailliblement a acque'rir une bonne prononciation dans 1'une ou 1'autre Langue. Elle eft tirée de la nature. C'eft la nature elle-même qui nous apprend, que les „ Organes de la Voix" dépendant abfolument du „ Sens de 1'Ouie;" puifque parler n'eft autre chofe qu'imiter ce qu'on entend; le meilleur moyen d'acquérir une bonne prononciation, eft d'écouter beaucoup, & de ne former aucun fon que par imitation de la vo;x. Car, dès que 1'oreille a acquis ce dégré de perfedtion, de pouvoir diftinguer les uns des autres les fons dont elle eft frappe'e; elle commence a conduire ces fons au jugement, qui s'en forme fur-le-champ des idéés qui y correfpondent; la voix produifant fur le tympan de 1'oreille, 1'effet de la baguette fur le tambour. Et après que 1'oreille a été plufieurs fois frappe'e par chacun des différcns fons qui compofent une Langue, elle acquiert la faculté de les diftinguer pour toujours les uns des autres; & de la, non feulement les fons, mais encore les idees qu'ils font naitre, fe gravent dans la mémoire d'une manière ineffagable. Si les enfans diftinguent auffi aifément qu'ils font, les difterens fons qu'ils entendent, & apprennent les Langues avec autant de facilité i'une que 1'autre; c'eft que chez eux la faculté de diftinguer les fons qui frappent leurs oreilles, & de deviner les idéés équipollentes, eft toujours parfaite avant celle de les exprimer: car on fait que les enfans pomprennent tout ce qu'on leur dit, long-tems  ( *S ) avant qu'ils puiflent parler, & cela auffi fans effort ni peine. Un travail opiniatre n'eft pas ce qui facilite le plus 1'e'tude des Langues; car, fi cela e'toit ainfi , les enfans ne les apprendroient pas fi vite: cette acquifition doit fe faire mfenfiblement, & fans effort de genie, a-peu-près comme on apprend fa Langue maternelle. Le moyen le plus fur eft d'écouter beaucoup; de fe faire lire tout haut des morceaux qu'on ait lu auparavant, d'abord trèsdoucement & très-diftinftement, &, par dégré, auffi vite que la parole; enfin de ne jamais prononcer aucun mot qu'après 1'avoir fouvent entendu : de cette fagon, il fe forme, comme a notre infgu , dans les organes de la voix, une habitude méchanique de prononcer des fons, & de formcr des mots, qui conduit infenfiblement a parler bien & couramment. On peut ici remarquer, que, par la manière ordinaire d'enfeigner les Langues, les maitres font fi peu d'attention è former 1'oreille de leurs élèves, qu'on voit journellement des perfonnes, qyi, après avoir appris le Frangois pendant plufieurs années, ne peuvent rien comprendre dans la converfation, quoiqu'ils entendent tous les livres. Ce défaut provient de ce que les maitres, fuivant pour les Langues vivantes, la même méthode que pour les Langues mortes, n'enfeignent qu'aux yeux; de fagon que leurs élèves, après beaucoup de travail, ne peuvent tirer aucun parti d'une Langue, fans avoir les yeux fixés fur les mots. L'oreille e,ft  ( 29 ) pourtant le grand re'ceptacle de cette forte de fcience; & la préeminence qu'elle doit avoir fur ,t les organes de la voix" peut fe prouver par un autre argument, auffi tiré de la nature: favoir, que quand nous fommes une fois parvenus a comprendre une Langue e'trangère par 1'Ouie, & a la parler, nous perdons bientót, faute de pratique, la faculté de parler; mais prefque jamais, ou au moins beaucoup plus tard , celle de comprendre : & cette faculté de nous exprimer, dépend de 1'autre au point, que nous pouvons Ia recouvrer prefque k volonté, par la converfation. Mais, fi on demande, pourquoi un mot qui frappe notre oreille, excite dans notre IntelkcT; une certaine idéé, au lieu de produire un iimple fon; & comment les fons peuvent agir fur 1'ame, & y faire naitre tant de différentes notions ? . . . Nous devons, a eet égard, avouer notre ignorance abfolue; & admirer dans le filence ces rapports merveilleux établis par le Créateur, & a la compréhenfion defquels 1'efprit humain ne fauroit atteindre. Quant a „ la fcience des mots", elle eft de Ia plus grande conféquence pour acquérir 1'Art des parler: puifque les mots font aux Langues, ce que les pierres font aux maifons. En vain 1'Architedte 8e le Macon connoitroient-ils les régies de leur art; s'ils n'avoient point les matériaux, ce ne feroit plus qu'une théorie vaine & inutile. En vain connoitroit-on a fond le Syftême des Langues, & fauroit-on toutes les rèeles & les obfer-  ( 3° ) vations des Grammaires; fi, d'un autre cóté, on n'avoit meublé fa mémoire des mots qui repréfentent les idéés; cette fcience, purement théorique, ne conduiroit point au but principal qu'on doit fe propofer. On fe pafferoit même plutót des régies, en poffe'dant les mots, qu'on ne fe pafferoit des mots, fachant toutes les régies. Par une attention fcrupuleufe a la manière dont s'expriment les Perfonnes qui parient bien, on devineroit aifément celles-ci; rien. ne pourroit fuppléer au défeut des mots, fi on ne les avoit a fes ordres pour les produire au befoin: C'eft encore ici que la pratique eft indifpenfable; & elle 1'eft pour toutes les Langues, au point que, même les fameux Profefleurs, qui depuis plufieurs années font dans 1'habitude d'enfeigner le Grec & le Latïn dans les Colléges, ne pourroient pas, dans le commerce ordinaire de la vie, s'expliquer courammcnt & avec aifance dans ces Langues-la, faute d'en avoir contradté 1'habitude. II s'en fuit de la, que la plus utile de toutes les méthodes pour communiquer les Langues vivantes, fera celle, qui combinant artiftement la pratique avec la théorie, fournira un exercice continuel, au Jugement, pour difcerner avec jufteffe; a l'OreilU , pour faifir la précifion des fons; & aux Organes de la voix, pour exécuter en fous ordre, & en uniffon avec YOreille. J'efpère que la méthode que j'adopte préfentera ces trois avantages. Mais c'eft , en particulier , des deux dernicrs que j'entends ici parler. J'ai dit plus haut, que ma Gram-  maire Francoife auroit deux parties; la Théorie, & Ia Pratique. J'ai déja fait connoitre la première. Quant a la feconde, je i'ai compoféeexprès, tant pour communiquer „ la Science des mots ", que pour former „ 1'Oreille ", & w les Organes „ de la parole ": Et, quoi qu'elle ne paroiffe d'abord faite que pour la Langue Francoife, elle n'en fervira pas moins pour les douze autres Langues vivantes; & cela, par un procédé d'autant plus utile, qu'il eft fimple & naturel. La defcription de toutes les parties de cette Grammaire pratique, me jetteroit dans de t:èslongs détails , quand même il feroit tems de les rendre publics. Je me contenterai donc d'en donner une légère Efquiffe. D'uncóté, j'ai fait une lifte exadte de tous les mots de la Langue Frangoife, n'exceptant que ceux qui font peu ufités; & je les ai arrangés en différentes Clasfes, fuivant les différentes parties d'Oraifon auxquelles ils appartiennent; & auffi, a raifon de certains rapports avec ma Grammaire. De 1'autre cóté, j'ai receuilü cinq ou fix mille des plus belles Penfées, la plupart morales, des meilleurs Ecrivains; foit celles, qui écrites origirairementen Francois, font de nature a perdre le moins dans la Tradudtion; ou celles, qui écrites en d'autres Langues , outre 1'avantage ci - dcffus, s'accommodent auffi mieux au Génie de la Langue Francoife: mais, & des unes & des autres , celles furtout qui admettent la tradudtion la plus littérale.  ( 32 ) Je combine enfuite les mots avec les phrafes, de fagon k enchaffer les uns dans les autres. Par Exemple, je vois que les neuf mots fuivans: crime, honte, échafaud, hypocrifie , hommage, vict, vertu, faire, rendre, entrent dans la compofition de ces deux belles fentences détachées: „ Le crime fait la Honte, & non pas 1'écha„ faud. " „ L'hypocrifie eft un hommage que le vice „ rend k la vertu. " Je les confacre donc dans ces fentences, & les efface de ma lifte , comme des mots qui ont fait fortune & fe trouvent bien place's. Par le même procédé, je fais entrer tous les mots Frangois dans un certain nombre de belles Penfées: ce qui produit eet effet, qu'en les parcourant des yeux, on paffe en revue tous les mots de la Langue, comme on feroit un Régiment, en parcourant les rangs. Ces phrafes traduites dans les 12. autres Langues Européennes, doivent naturellement repréfenter a-peu-près tous les mots dans ces Langues-la. Je les traduis donc; & les plagant a la fin de chacune des Grammaires , mais fans tradudtion, je fais qu'elles fe répondent d'une Langue a 1'autre, en les imprimant page pour page , & les numérotant toutes dans la marge, depuis le Nombre 1. & audeffus; de fagon que la même fentence ait le même chiffre dans chaque Langue. Au refte ces fentences auront un doublé emploi: oUtre la fonction que je viens de dire, elles ferviront encore d'exemples aux  (33 ) régies & obfervations des Grammaires, par le moyen d'autres chiffres ou indications qui fe trouve* ront a la fin de chacune d'elles. Et comme ces Sentences feront des penfées dé* tachées & fans aucune liaifon entr'elles, je terminerai la Grammaire Francoife pratique par des Dialogues aifés dont la tradudtion littérale fe trouvera a la fin de la Grammaire de chaque autre Langue, avec la même précaution des chiffres, comme pour les Sentences. La manière dont on pourra fe fervir tant des Sentences que des Dialogues pour former „ l'O„ reille, " & „ les Organes de la voix, " fera la fuivante: Tandis que les Élèves auront les yeux fixés fur les phrafes, les Maitres les leur liront doucement, clairernent, & diftindtement; règlant leur prononciation, plus par fons que par fyllabes, & faifant une paufe imperceptible après chaque émiffion de la voix, èpeu-près comme pour la mufique. Ils auront foin que les Élèves répètent, le plus exadlement pofiible, les mêmes phrafes immédiatement après eux: &, après leur avoir laifle' le tems d'en étudier la fignification, ils prendront le livre dans leurs mains, fans le laiffer voir k leurs Difciples, liront de nouveau les phrafes, & les leur feront répéter, en les obligeant d'y ajouter la tradudtion* L'efièt de cette méthode, pour atteindre le but défiré, eft trop évident pour avoir befoin de commentairc. On feut pourtant qu'elle ne réuffira pas égale- C  (34) ment dans tous les cas. Car, comme les Perfonnes qui n'ont point d'Oreille , ne peuvent jamais, ni bien danfer, ni jouer des inftrumens; de même, Celles-la n'imiteroient jamais bien ce qu'elles auroient mal entendu, qui, a raifon du fusdit défaut, ne faifiroient pas la précifion des Sons dans les Langues; puifque ces dernières font elles-mêmes une efpèee de Muflque. Ou, fi avec une bonne oreille, il exiftoit quelque défaut de conformation dans les Organes de la bouche; il en feroit alors de la Parole comme du Chant: faute de pouvoir tenir la Voix d'accord avec fOreille, 1'Exécution fproit ne'ceffairement imparfaite & défeétive. La mauvaife prononciation tire fon origine de plufieurs caufes: quand elle provient de quelque difformité dans les Organes, la difficulte' eft alors prefque infurmontable; mais cela eft rarement le cas. Les empêchemens de 1'articulation font plus fouvent habituels que naturels; & font occafionnés par 1'inattention qu'ont les Pères & Mères , & les Maitres de faire prononcer a leurs enfans, oua leurs Difciples des fons juftes & diftincts dans les premières années de leur vie: ce qui dégénéré en la défagréable habitude de bégayer, d'héfker en parlant, ou de parler gras, Ces derniers défauts peuvent fe corriger, en étudiant fcrupuleufement la formation des difie'rens fons fimples ou compofés, & en pliant les Organes de la voix pour leur prêterb même foupleffe & la même addreffe, dans leurs divers mouvemens, que les doigts doivent avoir fut l'jnftrument, Pe toutes les prononciations, la plus  ( 35) mauvaife eft celle qui eft épaiffe, vite, & oü les fons fe trouvent fi fort confondus ,que 1'oreille la plus délicate peut a-peine les diftinguer les uns des autres. II faut aulfi bien diftinguer la prononciation, de VJetent. VAccent National n'eft autre chofe qu'un fon de voix, & une manière d'articuler qu'ont en commun toutes les perfonnes d'une même Nation. Car 9 comme chaque homme a un fon de voix qui lui eft particulier, & par lequel on peut le recornoicre, même dans les ténèbres; de même chaque Nation a-t-elle une manière particulière d'articuler les fons, par laquelle on diftingue dans 1'inftant les hommes qui la compofent; & cette articulation particulière , ou Accent National ne peut, après 1'age de puberté, ni s'acquérir ni fe perdre, non plus qu'aucun homme ne peut changer fa voix naturelle. Car c'eft la 1'époque, oü la voix humaine prenant de la confiftance, la Nature femble imprimer fur les lèvres des diflérens Peuples, une marqué diftinctive. Comme c'eft en général moins aux Grammaires que j'en veux, qu'a la variété des Syftêmes fur lefquels eües font établies, a Dieu ne plaife que j'aye voulu, par 1'expofition de mon Pian, attaquer celles qui jouüTent depuis long-tems d'une réputation bien méritée. Elles feront toujours trés - utiles, après qu'on aura fait le premier pas , tant pour approfondir les difficultés, que pour communiquer toutes les délicateffes des Langues; d'autant que les miennes feront plus élémentaires que favantes. Car ce n'eft pas pour les Savans que j'écris: „ Ceux „ qui fi? portent bien, n'ont pas befoin de Méde- C 2  ( 35 ) „ eins." Loin même de vouloir faire parade d'érudition, je m'attache a fimplifier 1'Arc dont je traite, pour me rendre intelligible a toutes les Claffes d'hommes. Et c'eft pour y parvenir que j'ai plus travaillé fur la Théorie des Langues, que fur la Pratique ; afin d'être mieux en état de les décompofer, de lesfondre, &, pour ainfi dire, de les amalgamerenfemble, pour les rendre, en quelque forte, potables. Mon Plan s'étend a un trop grand nombre, pour qu'il m'cnt été poffible de les parler tou* tes couramment, comme j'en parle quelques-unes; &, d'ailleurs cela me feroit devenu inutile. A peine ai-je aflez de loifir pour en approfondir la Théorie. Je n'ai même encore qu'ébauché mon travail dans la troifième familie des Langues, quoiqu'il foit prefque fini dans les autres; en partie faute de tems, & aufli faute d'tvoir pu trouver jufqu'ici tous les livres dont j'aurois befoin pour 1'avancer. Mais le tems & la place me manquent. J'ajouterai feulement, que, quelqu'immenfe que foit la tache que je me fuis impofée, les difficultes ne m'arrêtcront pas; je facrifierai mon repos, mes veilles, & mes foins pour laremplir: trop heureux, fi mon travail, ouvrant une route plus aifée aux Sciences & aux Arts, & facilitant le Commerce entre les Nations, pouvoit un jour frudtifier dans toute 1'Europe; &, par la, rendre un fervicc effentiel a 1'humanité! Mr. du Mitand, qui demeure fur le Pleyn au coin du korte Pooten, a la Haye, donne dts legons dans les Langues Franpoife, Italienne, Angloife, & autres.  A LA H A Y E, Chez G. BACKHUYSEN, Libraixe dans le Hoogftraat.