Geschenk Mr. H. J. D. D. Enschedé Haarlem 1930  CEUVRES DE MONSIEUR DE MONTESQUIEU. TOME CINQUIEME, CONTENANT Les Lettres Persanes.   CEUVRES DE MONSIEUR DE MONTESQUIEU. Nouvelle é d iti o n , Revue , corrigée & augmentée de plufieurs Pieces qui navoient pas paru juf qua préfent. TOME CINQUIEMÏL A AMSTERDAM; M. DCC. L X X X W   QUELQUES RÉFLEXÏONS SUR LES LETTRES PERSANES. jR. IE N na plu davantage dans les Lettres Perfanes, que dy trouyer, fans y, penfer, une efpect de Roman. On en volt le commencemint, le proges , la fin ; les divers ptrfonnages font placés duns unc chame qui les lie. A mefure qui Is font un plus long Jcjour en Eitrope , les mecurs de cettt partit du monde prennent dans leur tête un air moins mtrveilleux & moins bizarre ; & ils font plus ou moins frappés de ce bizarre & de ce merveilleux , fuivant la diffénnce de leurs caracleres. D'un autrc cóté , le défordre croit dans le S'erail d' Ajïe , d proportion de la longueur de Vabj'ence dt/sbek , c'efl-a-dire , a mefure que la. fureur augmtnte, & que Vamour diminut» D'ailUurs ces fortes de Romans riufflfJent ordinairement, paree que l'on rend compte foi-méme de fa Jituation actuelle? A  % QüELQUES RÉFLEXIONS ce qui fait plus fcntir les pafjions que tous les récits quon en pourroit faire. Et'c'ejl une des caufes du füccès de quelques ouvrages charmans qui ont paru depuis les Lettres Perfanes. Enfin , dans les Romans ordinaircs , les digreffions ne peuvent être permifes que •lorfqu'elïes forment elles-mêmes un nouveau Roman. On riy fauroit meier de raifonnemens,paree qu aucuns desperfonnages riy ayant etc affemblés pour raijonner, cela choqueroit le deffein & la nature de l'ouvrage. Mais, dans laforme de Lettres, vu les Acteurs ne font pas choifls, & oh kö fujets quon traite ne font dépendans d'aucun defj'ein ou d?aucunplan déjdformé, F Auteur sefl donnè tavantage de pouvoir joindre de la philofophie, de la politique & de la morale a un Roman, & de lier le tout par une chaine fecrete , & en quelque faqon inconnue. Les Lettres Perfanes eurent d'abord un débit fi prodigieux, que les Libraires mirent tont en ufage peur en avoir des fuites. lis alloient tirer par la manche tous geux quils rencontroient : Monfieur , dijoient - ils , fakes - moi des Lettres Perfanes. Mais ce que je vïens de dire fuffa pour  sur les Lettres Persanes. j faire voir quelles ne font fufceptibles cPaucune fuite ; encore moins d'aucun mélange avec des Lettres écrites d'une autre main , quelque ingênieufes quelles puiffent être. II y a quelques traits que bien des gens ont trouvés trop hardis. Mais ils font priés de faire attention a la nature de eet Ouvrage. Les Perfans , qui devoient y jouer un fi grand róle , fe trouvoient tout-acoup tranfplantés en Europe , ce(l-d-dire9 dans un autre univers. IIy avoit un temps cu il falloit nécefj'airement les repréfenter pleins d'ignorance & de préjugés. Ort riétoit attentif qua. faire voir la génération & le progres de leurs idees. Leurs pre* mieres penfees devoient être jingulieres ; il fembloit quon riavoit rien d faire qua. leur donner Pejpece de Jingularité qui peut compatir avec de Vefprit. On ri avoit a peindre que lefentiment quils avoient tic a chaque chofe qui leur avoit paru extraordinaire. Bien loin quon penfdc a irittreffer quelque principe de notre religion , on ne fe foupgonnoit pas mime d'imprudence. Ces traits fe trouvent toujours Hés avec le fentiment de furprife & d'étonnement, & point avec tidée d'examen, & encore moins avec celle de critique. Enparlant de notre Religion , ces Perfans ne doiyent pas A ij  '4 QUELQUES RÉFLEXIONS, &C. paroüre plus infiruits que lorfquils parient de nos coutumes & de nos ufages. Et sils trouvent quelquefois nos dogmes finguliers , cette jingularitè ejl toujours marquée au coin de la parfaite ignorance des liaifons qiiil y a entre ces dogmes & nos autres vérités. On fait cette juflificadon par amour pour ces grandes vérités , indépendamment du refpecl pour le genre humain , que l'on 71 a certainement pas voulu frapper par Vendroit le plus tendre. On prie donc le Lecleur de ne pas ceffer un moment de regarder les traits dont je parle , comme des effets de la furprife de gens qui devoient en a" oir , ou comme des paradox es flits par des hommes qui riétoient pas mêmt en état den faire. 11 efl prié de faire attention que tout Vagrémtnt confifioit dans le con* trajle éternel entre les chofes réelles & la maniere Jinguliere, naïye ou bizarre, dont elles étoient appercues. Certainement la. nature & le deffein des Lettres Perfanes fontJia découvert, quelles ne tromperont jamais que ceux qui voudront fe tromper iiix-mémcs.  1 INTRODUCTION. Je ne fais point ici d'Epitre dédicatoire, & je ne demande point de proteöion pour ce Livre : on le lira, s'il eft bon; & s'il eft mauvais, je ne me foucie pas qu'on le life. J'ai détaché ces premières Lettres, pour effayer le goüt du Public : jen ai un grand nombre d'autres dans mon porte-feuille que je ponrrai lui donner dans la fuite. Mais c'eft a condition que je ne ferai pas connu: car ii 1'on vient a favoir mon nom, dès ce moment je me tais. Je connois une femme qui marche affez bien, mais qui boite dès qu'on la regarde. C'eft: affez des défauts de FOuvrage , fans que je préfente encore. a la critique ceux de ma perfonne. Si 1'on favoit qui je fuis, on diroit: A iij  6 INTRO DUCTION. Son Livre jure avec fon caraólere \ il devroit employer fon temps a quelque chofe de mieux; cela n'eft pas digne d'un homme grave. Les Critiques ne manquent jamais ces fortes de réflexions, paree qu'on les peut faire fans effayer beaucoup fon efprit. Les Persans qui écrivent ici étoient logés avec mei; nous pa£ lions notre vie enlèmble. Comme lis me regardoient comme un homme d'un autre monde , ils ne me cachoient rien. En effet, des gens tranfplantés de li loin ne pouvoient plus avoir de fecret. Ils me communiquoient la plupart de leurs Lettres; je les copiai." Jen furpris même quelques-unes, dont ils fe feroient bien gardés de me faire conndence , tant elles étoient mortifiantes pour la vanité & la jaloufie perfane. Je ne fais donc que 1'office de Tradu&eur : toute ma peine a été  INTRO DUCTIO N. 7 de mettre 1'Ouvrage a nos mceurs. J'ai foulagé le Lecieur du langage afiatique , autant que je 1'ai pu, & 1'ai fauvé d'une infinité d'expreffions fublimes, qui Fauroient ennuyé jufque dans les nues. Mais ce n'eft pas tout ce que j'ai fait pour lui. J'ai retranché les. longs complimens, dont les Orientaux ne font pas moins prodigues que nous & j'ai palTé un nombre infini de ces minuties, qui ont tant de peine a foutenir le grand jour , & qui doivent toujours mourir entre deux amis. Si la plupart de ceux qui nous ont donné des Recueils de Lettres avoient fait de même, ils auroient vu leurs ouvrages s'évanouir. II y a une chofe qui m'a fouvent étonné ; c'eft de voir ces Perfans quelquefois auffi inftruits que moimême des mceurs & des manieres de la nation , jufqu'a en connoitre les plus fines circonftances, & a. A iv  8 INTRO DUCTION. remarquer des chofes qui , je fuis für, ont échappé a. bien dès Aliemands qui ont voyagé en France. J'attribue cela au long féjour qu'rls y ont fait; fans comptcr qu'il eft plus facile a un Afia'tique de s'inf truire des mceurs des Francois dans un an, qu'il ne 1'eft a un Francois de s'inftruire des mceurs des Aftatiques dans quatre; paree que les uns fc livrent autant que les autres fe communiquent peu. L'ufage a permis a tout Traducteur, & même au plus barbare Commentateur, d'orner la tête de fa verfton ou de fa glofe, du panégyrique de 1'original, & d'en relever 1'utilité, le mérite & 1'exccllence. Je ne 1'ai point fait : on en devlnera facilement lesraifons. Une des mcillcures eft que ce feroit une chofe très-ennuyeufe, placée. dans un lieu déja trés-ennuyeux de lui-même; je veux dire, une Préface,  LETTRE PREMIÈRE. USBEK A SON AMI RUSTAN. A Ifpahan. JNfous n'avons féjourné qu'un jour h Com. Lorfque nous eümes fait nos dévotions fur le tombeuU de la vierge qui a mis au monde douze propheres > nous nous remïmes en chemin; & hier, vingr-cinquieme jour de notre départ d'Ifpahan , nous arrivames a Tauris, A y LETTRES PERSANES.  40 Lettres Rica & moi fommes peut-être les premiers parmi les Perfans , que 1'envie de favoir ait fait fortir de leur pays , & qui aient renonce aux douceurs d'une vie tranquille , pour aller chercher laborieufement la fageffe. Nous fommes nés dans un royaume florifTant; mais nous n'avons pas cru que fes bornes fuffent celles de nos connohTances, & que la lumiere oriëntale dut feule nous éclairer. Mande-moi ce que 1'on dit de notre voyage ; ne me flatte point , je ne compte pas fur un grand nombre d'approbateurs. Adreiïe ta lettre a Erzeron oü je fejournerai quelque temps. Adieu mon cher Ruftan. Sois affuré qu'en quelque lieu du monde oü je fois, tu as un ami fldelle. De Tcturis, Ie if de Ia lune dcSaphar, <7»f>  Persanes. ii L E T T R E II. üsbek au premier eunuque noir j d Jon Sérail d'Ifpahan. Tu es le garclien fidelle des plus belles femmes de Perfe : je t'ai confié ce que j'avois dans le monde de plus cher : tu tiens entre tes mains les clefs de ces portes fatales, qui ne s'ouvrent que pour moi. Tandis que tu veilles fur ce dépot précieux de mon coeur , il fe repofe & jouit d'une fécurité entiere, Tu fais la garde dans le filence de la nuit, comme dans le tumulte du jour. Tes foins infatigables foutiennent la vertu , lorfqu'elle chancelle. Si les femmes que tu gardes vouloient fortir de leur devoin, tu leur en ferois perdre 1'efpérance. Tu es le fléau du vice , & la colonne de la fidélité. Tu leur commandes &i leur obéis ; tu exécutes aveuglément toutes leurs volontés , & leur fais exécuter de même les lois du Sérail: tu trouves de la gloire a leur rendre les fervices les plus vils : tu te foumets avec refpedf & avec A vj  i* Lettres crainte a leurs ordres légitimes : tu les fers comme 1'efclave de leurs efclaves. Mais par un retour d'empire , tu cómmahdes en maitre comme moi-même, quand tu crains le relachement des lois de la pudeur & de la modeftie. Souviens-toi toujours du néant d'oïi je t'ai fais fortir, lorfque tu étois le dernier de mes efclaves-, pour te mettre en cette place & te conner les délices de mon.coeur : tiens-toi. dans un profond abaiffement auprès de celles qui partagent mon amour ; mais fais-leur en même temps fentir leur extreme dépendance. Procure-leur tous les plaifirs qui peuvent être innocens: trompe leurs inquiétudes : amufe-les par la mufique, les danfes , les boiflbns délicieufes : perfuade-leur de s'affembler fbuvent. Si elles veulent aller a Ia campagne, tu peux les y mener : mais fais faire mainbafle fur tous les hommes qui fe préfenteront devant elles. Exhorte- les k la propreté qui eft 1'image de la netteté de 1'ame : parle-leur quelquefois de moi. Je voudrois lés revoir dans ce lieu charmant qu'elles embellifTent. Adieu. De Tauris , le iS de ld ia luns dsóaphttr, lyu.  P e r s a n e s. ij LETTRE III. Zachi a Usbek , A Tauris. Nous avons ordonné au chef des Eunuques de nous mener k la campagne; il te dira qu'aucun accident ne nous eft arrivé. Quand il failut traverfer la riviere & quilter nos litieres, nous nous mimes felon la coutume dans des boites ; d?ux efclaves nous porterent fur leurs épaules , & nous échappames a tous les regards. Comment aurois-je pu vivre , cher Usbek , dans ton Sérail d'Ifpahan ? dans ces lieux qui me rappelant fans ceffe mes plaifirs paffes , irritoient tous les jours mes défirs avec une nouvelle violence ? J'errois d'appartemens en appartemens , te cherchant toujours, & ne te trouvant jamais; mais rencontrant par-tout un cruel fouvenir de ma félicité paffée. Tantöt ie me voyois en ce Keil oü pour la première fois de ma vie je te recus dans mes bras : tantöt dans celui oii tu décidas cette fameufe que-  14 Lettres relle entre tes femmes. Chacune de nous fe prétendoit fupérieure aux autres en beauté : nous nous préfentames devant toi , après avoir épuifé tout ce que 1'imagination peut fournir de parures & d'ornemens. Tu vis avec plaifir les miracles de notre art ; tu admiras jufqu'oü nous avoit emporté 1'ardeur de te plaire. Mais tu fis bientöt céder ces charmes empruntés è des graces plus naturelles; tu détruifo tout notre ouvrage : il fallut nous dépouiller de ces ornemens qui t'étoient devenus incommodes : il fallut paroitre a ta vue dans la fimplicité de ia nature. Je comrjtai pour rien la pudeur , je ne penfai qu'a ma gloire. Heureux Usbek ! que de charmes furent étalés a tes yeux ! Nous te vimes long-temps errer d'enchantemens en enchantemens : ton ame incertaine demeura long-temps fans fe fixer : chaque grace nouvelle te demandoit un tribut; nous fümes en un moment toutes couvertesde tésbaifers: tu portas tes curieux regards dans les lieux les plus fecrets : tu nous fis paffer en un inftant dans mille fituations différentes : toujoursde nouveaux commandemens, une obeiflance toujours nouvelle.  Persanes. 15 Je te Taverne , Usbek , une paffion encore plus vive que 1'ambition me fit fouhaiter de te plaire. Je me vis infenfiblement devenir la maitreffe de ton cceur ; tu me pris , tu me quittas ; tu revins a moi, & je fus te retenir : le triomphe fut tout pour moi, & le défefpoir pour mes rivales: il nous fembla que nous fuffions feuls dans le monde; tout ce qui nous entouroit ne fut plus digne de nous occuper. Plüt au ciel que mes rivales euffent eu le courage de refter témoins de toutes les marqués d'amour que je reegis de toi! Si elles avoient bien vu mes tranfports , elles auroient fenti la différence qu'il y a de mon amour au leur ; elles auroient vu que , fi elles pouvoient difputer avec moi de charmes, elles ne pouvoient pas difputer de fenfibilité. Mais oü mis-je? Oü m'emmene ce vain récit ? C'eft un malheur de n'être point aimée ; mais c'eft un affront de ne 1'être plus. Tu nous quittes Uibek, pour aller errer dans des climats barbares. Quoi! tu comptespourrienl'avantage d'être aimé? Hélas! tu ne fais pas même ce que tu perds. Je pouffe des foupirs qui ne font point entendus ; mes larrnes coulent s  i6 Lettres & tu n'en jouis pas; il femble que 1'amour refpire dans le Sérail, & ton infenfibilité t'en éloigue fans ceffe ! Ah! mon cher Usbek, li tu favois être heureux ! Du Sérail de Tatmé , le zi de la lune de Maharram , ijtl. L E T T R E IV. Zéphis a Usbek , A Er^eron. Enfin ce monftre noir a réfolu de me défefpérer. II veut a toute force m'öter mon efclave Zélide; Zélide qui me fert avec tant daffedtion, & dont les adroites mains portent par-tout les ornemens & les graces. II ne lui fuffit pas que cette .féparation foit douloureufe ; il veut encore qu'elle foit déshonorante. Le traïtre veut regarder comme criminels les motifs de ma confïance : &c paree qu'il s'ennuie derrière la porte , oü je le renvoie toujours, i! ofe fuppofer qu'il a entendu ou vu des chofes que je ne fais pas même imaginer. Je fais bien malheureufe ! Ma retraite ni ma vertu  P e r s a n f. s. 17 ne fauroient me mettre a 1'abri de fes foupcons extravagans : Ufl vil efclave vient m'attaquer jufque dans ton coeur, & il faut que je m'y défende. Non, j'ai trop de refpeft pour moi-même, pour defcendre jufqu'è des juftifications: je ne veux d'autre garant de ma conduite cme toi-mSme , que ton amour, que le mien ; & s'il feut te le dire, chez Usbek , que mes larmes. Du Sérail de Fatmé, Uzi dt la lune de Maharram , i-n. L E T T R E V. Rustan a Usbek, A Ergeren. Tv es 1e fijet de toutes les converfation<; d'lfpahan ; on ne parle que de ton départ. Les uns Fattribuent a une légéreté d'efprit , les autres a quelque chagrin : tes amis feuls te défendent , & ils ne. perfuadent perfonne. ün ne peut comprendre que tu puiffes quitter tes femmes , tes-parens, tes amis, ta patrie, pour aller dans desctimats inconnus aux Perfans. La mere de Rica efl inconfo-.  ïS Lettres lable ; elle te demande fon Els, que tu lui as, dit-elle, enlevé. Pour moi, mon cher Usbek, je me fens naturellement porté k approuver tout ce que tu fais: mais je ne faurois te pardonner ton abfence ; & quelques raifons que tu m'en puiffes donner, mon cceur ne les goutera jamais. Adieu. Aime-moi toujours. D'IJpahah , le z8 de la. lune de Rcbiab , i, lyu. L E T T R E VI. Usbek a son ami Nessir, A Ifpahan. -A. une joumée d'Erivan , nous quittames la Perfe, pour entrer dans les terres de l'obéiflance des Turcs. Douze jours après nous arrivames k Erzeron, oü nous féjournerons trois ou quatre mois. II faut que je te 1'avoue, Nefïïr: j'ai fenti une douleur fecrete quand j'ai perdu la Perfe de vue , & que je me fins trouvé au milieu des perfides Ofmanlins. A mefure que j'entrois dans  Persanes. 19 les pays de ces profanes, il me fembloit que je devenois profane moimême. Ma patrie , ma familie , mes amis, fe font préfentés a mon efprit : ma ten» - dreffe s'eft réveillée : une certaine inquiétude a achevé de me troubler, & m'a fait connokre que pour mon repos j'avois trop entrepris. Mais ce qui amige le plus mon cceur, ce font mes femmes. Je ne puis penfer a elles que je ne fois dévoré de chagrins. Ce n'eft pas, Nefïïr, que je les aime: je me trouve a eet égard dans une ïnfenfibilité qui ne me laifïe point de défvrs. Dans le nombreux Sérail ou j'ai vécu , j'ai prévenu 1'amour & 1'ai détruit par lui-même: mais de ma froideur même, il fort une jaloufie fecrete qui me dévore. Je vois une troupe de temmes laiffées prefque a elles-mêmes; je n'ai que des ames laches qui m'en répondent. J'aurois peine a être en fureté fi mes efclaves étoient fidelles : que fera-ce, s'ils ne le font pas? Quelles triftes nouvelles peuvent m'en venir dans les pays éloignés que je vais parcourir ! C'eft un mal oü mes amis ne  io Lettres peuvent porter de remede : c'eft im lieu dont ils doivent ignorer les triftes fecrets ; & qu'y pourroient-ils faire? N'a<.merois-;e pas mille fois mieux une obfcure impunité, qti'une correction éclatante? Je dépo'fé en ton toeur tous mes chagrins , mon cher Neffir : c'eft la feule confolation qui me refte dans letat oü je fuis. iyEr^eron , le 10 de la lunt de Rebiab , jz, lytu LETTRE VII. Fatmé a Usbek , A Er^cron. Il y a deux mois que tu es parti, mon cher Usbek ; & dans Fabattement oü je fuis, je ne puis pas me Ie perfuader encore. Je cours tout le Sérail comme fi tu y étois ; je ne fuis point défabufée. Que veux-tu que devienne une femme qui t'aime, qui étoit accoutumée a te tenir dans fes bras, qui n'étoit occupée que du foin de te donner des preuves de fa tendreffe; libre par  PERSANES. II Favantage de fa naiffance , efclave par la violence de fon amour. Quand je t'époufai, mes yeux n'avoient point encore vu le vifage d'un homqie : tu es le feul encore dont la vuè m'ait été permife (*) : car je ne mets pas au rang des hommes ces Eunuques affreux, dont la moindre imperfection eft de n'être point hommes. Quand je compare la beauté de ton vifage avec la difformité du leur, je ne puis m'empêcher de m'eftimer heureufe. Mon imagination ne me fournit point d'idée plus raviffante , que les charmes enchanteurs de ta perfonne. Je te le jure, Usbek, quand il me feroit permis de fortir de ce lieu oii je fuis enfermée par la néceffité de ma condition; quand je pourrois me dérober k la garde qui m'environne ; quand il me feroit permis de choifir parmi tous les hommes qui vivent dans cette capitale des nations, Usbek , je te le jure, je ne choifirois que toi. II ne peut y avoir que toi dans le monde qui mérite d'être aimé. (* ) Les femmes Perfanes font beaucoup plus ^troitement gardées qus les femmes Turques & le* femmes Indiennes,  li Lettres Ne penfe pas que ton abfence m'arÉ fait négliger une beauté qui t'eft chere. Quoique je ne doive être vue de perfonne, & que les ornemens dont je me pare foient inutiles a ton bonheur, je cherche cependant a m'entretenir dans 1'habitude de plaire : je ne me couche point que je ne me fois parfumée des effences les plus délicieufes. Je me rappelle ces temps heureux, oü tu venois dans mes bras; un fonge flatteur qui me féduit, me montre ce cher objet de mon amour; mon imagination fe perd dans fes défirs , comme elle fe flatte dans fes efpérances. Je penfe quelquefois que dégouté d'un pénible voyage, tu vas revenir a nous : la nuit fe paffe dans des fonges , qui n'appartiennent ni a la veille ni au fommeil : je te cherche a mes cötés, & il me femble que tu me fuis: enfin le feu qui me dévore, diffipe lui-même ces enchantemens Sc rappelle mes efprits. Je me trouve pour lors fi animée.... Tu ne le croirois pas, Usbek, il eft impoffible de vivre dans eet état; le feu coule dans mes veines. Que ne puis-je t'exprimer ce que je fens fi bien! & comment fens-je fi bien ce que je ne te puis t'exprimer ? Dans ces  Persanes. 2,3 momens , Usbek, je donnerois 1'empire du monde pour un feul de tes baifers. Qu'une femme eft malheureufe d'avoir des défirs fi violens, lorfqu'elle eft privée de celui qui peut feul les fatisfaire;que livrée a elle-même, n'ayant rien qui puiffe la diftraire, il faut qu'elle vive dans Phabitude des foupirs & dans la fureur d'une paffion irritée ; que bien loin d'être heureufe , el!e n'a pas même 1'avantage de fervir a la félicité d'un autre; ornement inutile d'un Sérail, gardée pour 1'honneur , & non pas pour le bonheur de fon époux ! Vous ctes bien cruels vous autres hommes! Vous êtes charmés que nous ayons des paffions que nous ne puiffions pas fatisfaire : vous nous traitez comme fi nous étions infenfibles ; & vous feriez bien fachés que nous le fuffions : vous croyez que nos défirs fi long-temps mortifïés, feront irrités a votre vue. II y a de la peine k fe faire aimer; il eft plus court d'obtenir du défefpoir de rios fens, ce que vous n'ofez attendre de votre mérite. Adieu , mon cher Usbek , adieu. Compte que je ne vis que pour t'adorer : mon ame eft toute pieine de toij  a4 Lettres & ton abfence, bien kin de te faire oubiier , animeroit mon amour , s'il pouvoit devenir plus violent. Du Serail d'Ifpahan , le iz -de la lune de Rebiab , i , 17/f. LETTRE VIII. Usbek a son ami Rustan, A Ifpahan. Ta lettre m'a été remife a Erzeron oü je fuis. Je m'étois bien douté que mon départ feroit du bruit; je ne m'en fuis point mis en peine. Que veux - tu que je fuive ? la prudence de mes ennemis , ou la mienne ? Je .parus a la Cour dès ma plus tendre jeuneffe. Je le puis dire , mon cceur ne s'y corrompit point : je formai même un grand deffein, j'ofai y être vertueux. Dès que je connus le vice, je m'en éloignai; mais je m'en approchai enfuite pour le démafquer. Je portai la vérité jufqu'au pied du trone ; j'y parai un langage jufqu'alors inconnu : je déconcertai la flatterie, & j'étonnai en même temps les adorateurs & 1'idole. Mais  Persanes. 2,5 Mais quand je vis que ma fincérité m'avoit fait des ennemis; que je m'étois attiré la jaloufie des Miniftres, fans avoir la faveur du Prince ; que dans une Cour corrompue, je ne me foutenois plus que par une foible vertu; je réfolus de la quitter. Je feignis un grand attachement pour les fciences; & a force de le feindre , il me vint réellement. Je ne me mê'ai plus d'aucunes affaires; & je me retirai dans une maifon de campagne. Mais ce parti même avoit fes inconvéniens ; je reftois toujours expofé a la malice de mes ennemis , & je m'étois prefque öté les moyens de m'en garantir. Quelques avis fecrets me firent penfer a moi férieufement ; je réfolus de m'exiler de ma patrie ; & ma retraite même de la Cour m'en fournit un prétexte plaufible. J'allai au Roi: je lui marquai 1'envie que j'avois de m'inftruire dans les fciences de 1'Occident; je lui infinuai qu'il pourroit tirer de 1'utilité de mes voyages. Je trouvai grace devant fes yeux ; je partis , & je dérobai une viöime a mes ennemis. Voila , Ruftan , le véritable motif de mon voyage. LaifTe parler Ifpahan t ne me défends que devant ceux qui B  2.6 Lettres m'aiment. Laiffe a mes ennemis leurs interprétations malignes : je fuis trop heureux que ce foit le feul mal qu'ils me puiffent faire. On parle de moi a préfent : peutêtre ne lerai-je que trop tót oublié, &c que mes amis Non, Ruftan , je ne veux point me livrer a cette trifte penfée : je leur ferai toujöurs cher ; je compte fur leur fidelité comme fur la tienne, D'Erieron , le zo de la lune de Gemmadi , z , ijlt* LETTRE IX. Le premier Eunuque a Ibbi, A Er^cron. Tu fuis ton ancien maitre dans fes voyages ; tu parcours les Provinces & les Royaumes : les chagrins ne fauroient faire d'impreffion fur toi; chaque inftant te montre des chofes nouvelles ; tout ce que tu vois te récrée , & te fait paffer le temps fans le fentir. II n'en eft pas de même de moi, qui, enfermé dans une arFreufe prifon, fuis  P E R S A N E S. 2,7 toujours environné des mêmes objets , & dévoré des mêmes chagrins. Je gémis , accablé fbus le poids des foins & des inquiétudes de cinquante années , & dans le cours d'une longue vie, je ne puis pas dire avoir eu un jour ferein, & un moment tranquille. Lorfque mon premier maitre eut formé le cruel projet de me confier fes femmes , & m'eut obligé par des féduc-», tions foutenues de mille menaces, de me féparer pour jamais de moi-même ; las de fervir dans les emplois les plus pénibles, je comptai facrifier mes paffions a mon repos & a ma fortune. Malheureux que j'étois ! mon efprit préoccupé me faifoit voir le dédommagement, & non pas la perte : j'efpérois que je ferois délivré des atteintes de 1'amour par 1'impuiffance de le fatisfaire. Hélas ! on éteignit en moi 1'effet des paffions , fans en éteindre la caufe; & bien loin den être foulagé, je me trouvai environné d'objets qui les irrïtoient fans celfe. J'entrai dans le Sérail, oü tout m'infpiroit le regret de ce que j'avois perdu : je me fentois animé al chaque inftant : mille graces naturelles fembloient ne fe découvrir a ma vue B ij  a8 Lettres que pour me défoler : pour comble de malheurs, j'avois toujours devant les yeux un homme heureux. Dans ces temps de trouble , je n'ai jamais conduit une femme dans le lit de mon maïtre , je ne 1'ai jamais déshabillée , que je ne fois rentré chez moi la rage dans le coeur & un affreux défefpoir dans ï'ame. Voila comme j'ai paffe ma miférable jeuneffe. Je n'avois de confident que moi-même. Chargé d'ennuis & de chagrins , il me les falloit dévorer : & ces mêmes femmes , que j'étois tenté de regarder avec des yeux fi tendres, je ne les envifageois qu'avec des regards féveres : j'étois perdu, fi elles m'euffent pénétré ; quel avantage n'en auroientelles pas pris! Je me fouviens qu'un jour que je mettois une femme dans le bain , je me fentis fi tranfporté, que je perdis entiérement la raifon, & que j'ofai porter ma main dans un lieu redoutable. Je crus, a la première réflexion , que ce jour étoit le dernier de mes jours : je fus pourtant affez heureux pour échapper a mille morts ; mais la beauté que jfayois fait confidente de ma foibleffe.  Persanes. 29 me vendit bien cher fon filence. Je perdis entiérement mon autorité fur elle ; & elle m'a obligé depuis k des condefcendances qui m'ont expofé mille fois a perdre la vie. Enfin, les feux de la jeuneffe ont paffé ; je fuis vieux , & je me trouve k eet égard dans un état tranquille : je regarde les femmes avec indifférence; & je leur rends bien tous leurs mépris & tous les tourmens qu'elles m'ont fait fouffrir. Je me fouviens toujours que j'étois né pour les commander ; & il me femble que je redeviens homme dans les occafions oü je leur commande encore. Je les hais depuis que je les envifage de fang froid & que ma raifon me laiffe voir toutes leurs foibleffes. Quoique je les garde pour un autre, le plaifir de me faire obéir me donne une joie fecrete; quand je les privé de tout, il me femble que c'eft pour moi, & il m'en revient toujours une fatisfadtion indirecte : je me trouve dans le Sérail comme dans un petit empire ; & mon ambition , la feule paffion qui me refte , fe fatisfait un peu. Je vois avec plaifir que tout roule fur moi, & qu'a tous les inftans je fuis néceffaire : je me charge volontiers B iij  30 Lettres de Ia haine de toutes ces femmes , qui m'affermit dans Ie pofte oü je fuis. Auffi n'ont-elles pas affaire a un ingrat : elles me trouvent au-devant de tous leurs plaifirs les plus innocens ; je me préïente toujours a elles comme une barrière inébranlable. Elles forment des projets, & je les arrête foudain ; je m'arme de refus; je me hériffe de fcrupules; je n'ai jamais dans la bouche que les mots de devoir, de vertu, de pudeur, de modeftie : je les défefpere, en leur parlant fans ceffe de la foibleffe de leur fe.xe & de 1'autorité du maitre. Je me plains enfuite d'être obligé a tant de févérité; & je femble vouloir leur faire entendre , que je n'ai d'autre motif que leur propre intérêt & un grand attachement pour elles. Ce n'eft pas qu'a mon tour je n'aie un non\bre infïni de défagrémens , 6z que tous les jours ces femmes vindicatives ne cherchent a renchérir fur ceux que je leur donne. Elles ont des revers terribles. "II y a entre nous comme un flux & un reflux d'empire & de foumiffion : elles font toujours tomber fur moi les emplois les plus humilians ; elles affectent un mépris qui n'a point  Persanes.' 31 d'exemple ; & fans égard pourma vieilleffe, elles me font lever la nuit dix fois pour la moindre bagatelle: je fuis accablé fans ceffe d'ordres , de commandemens, d'emplois, de caprices : il femble qu'elles fe relaient pour m'exercer, &c que leurs fantaifies fe fuccedent. Souvent elles fe plaifent k me faire redoubler de foins; elles me font faire de faufles confidences : tantöt on vient me dire qu'il a paru un jeune homme autour de ces murs ; une autre fois, qu'on a entendu du bruit, ou bien qu'on doit rendre une lettre. Tout ceci me trouble , & elles rientde ce trouble : elles font charmées de me voir ainu me tourmenter moi-même. Une autre fois, elles m'attachent derrière leur porte, & m'y enchainent nuit & jour. Elles favent bien feindre des maladies, des défaillances, des frayeurs; elles ne manquent pas de prétextes pour me mener au point oü elles veulent. II faut dans ces occafions une obéilfance aveugle &C une complaifance fans bornes. Un refus dans la bouche d'un homme comme moi, feroit une chofe inouie; & fi je ba!an?ois a leur obéir, elles feroient en droit de me chatier, J'aimerois autant perdre la B iv  32. Lettres vie , mon cher Ibbi, que de defcendre a cette humiliation. a ^e An'e^ Pas tout: ie ne *"l"s ïamais fur d'être un inffant dans la faveur de mon maitre : j'ai autant d'ennemies dans fon cceur qui ne fongent qu'a me perdre : elles ont des quarts-d'heure oü je ne fuis point écouté, des quarts-d'heure oü on ne refiife rien , des quarts-d'heure oü j'ai toujours tort. Je mene dans Ie lit de mon maitre des femmes irritées; crois-tu qu'on y travaille pour moi, & que mon parti foit le plus fort ? J'ai tout a craindre de leurs Iarmes, de leurs foupirs, de leurs embraffemens & de leurs plaifirs même : elles font dans le lieu de leurs triomphes; leurs charmes me deviennent terribles ; leurs fervices préfens effacent dans un moment tous mes fervices paffes; & rien ne peut me répondre d'un maitre qui n'eft plus a lui-même. Combien de fois m'eft-il arrivé de me coucher dans la'faveur , & de me lever dans la difgrace ? Le jour que je fus fouetté fi indignement autour du Sérail, qu'avois-je fait? Je laiffe une femme dans les bras de mon maitre : dès qu'elle le vit enflammé, elle verfa un torren t  Persanes. 33 de larmes; elle fe plaignit, & ménagea fi bien fes plaintes, qu'elles augmentoient k mefure de 1'amour qu'elle faifoit naitre. Comment aurois-je pu me foutenir dans un moment fi critique ? Je fus perdu lorfque je m'y attendois Ie moins; je fus la viétime d'une négociation amoureufe & d'un traité que les foupirs avoient fait. Voila, cher Ibbi, 1'état cruel dans lequel j'ai toujours vécu. Que tu es heureux! tes foins fe bornent uniquement k la perfonne d'Usbek. II t'eft facile de lui plaire, & de te maintenir dans fa faveur jufqu'au dernier de tes jours. v Du Sé-ail d'I/pahan , h AernHr de la lune de Saphar, iju. LETTRE X. MlRZA A son ami usbek, A Erqeron. Tu étois le feul qui put me dédommager de 1'abfence de Rica; & il n'y avoit que Rica qui put me confoler de la tienne. Tu nous manques, Usbek; B y  34 Lettres tu étoïs 1'ame de notre fociété. Qu'il faut de violénce pour rompre les engagemens que le cceur & 1'efprit ont formés! Nous difputons ici beaucoup : nos difputes roulent ordinairement fur la morale. Hier on mit en queftion, fi les hommes étoient heureux par les plaifirs & les fatisfactions des fens, ou par la pratique de la vertu ? Je t'ai fouvenf. ouï dire que les hommes étoient nés pour être vertueux, & que la juftice eft une qualité qui leur eft auffi propre que 1'exiftence. Explique - moi, je te prie, ce que tu veux dire. J'ai parlé a des Mollaks , qui me défefperent avec leurs paflages de 1'Alcoran : car je ne leur parle pas comme vrai croyant , mais comme homme, comme citoyen , comme pere de familie. Adieu. D'I/pahan , le dernier de la lune de Saphar, ijn.  Persanes. 35 LETTRE XI. Usbek a Mirza , A Ifpahan. Tu renonces a ta raifon pour effayer la mienne ; tu defcends jufqu'a me confulter; tu me crois capable de t'inftruire. Mon cher Mirza, il y aune chofe qui me flatte encore plus que la bonne opinion que tu as concue de moi, c'eft ton amitié qui me la procure. Pour remplir ce que tu me prefcris, je n'ai pas cru devoir employer des raifonnemens fort abftraits. II y a de certaines vérités qu'il ne fuffit pas de perfuader, mais qu'il faut encore faire fentir ; telles font les vérités de morale. Peut - être que ce morceau d'hiftoire te touchera plus qu'ung' philofophie fubtile ? II y avoit en Arabie un petit peuple, appelé Troglodite , qui defcendoit de ces anciens Troglodites, qui, fi nous en croyons les Hiftoriens, reffembloient plus a des bêtes qu'a des hommes. Ceuxci n'étoient point fi contrefaits , ils B vj  3 <$ Lettres n'étoient point velus comme des ours', ils ne fiffloient point, ils avöjent deux yeux: mais ils étoient fi méchans & fi féroces, qu'il n'y avoit parmi eux aucun principe d'équité ni de juftice. lis avoient un Roi d'une origine étrangere, qui, voulant corriger la méchanceté de leur naturel, les traitoit févérement: mais ils conjurerent contre lui, le tuerent, & exterminerent toute la familie royale. ■ Le coup étant fait, ils s'aflemblerent pour choifir un Gouvernement; & après bien des diflentions, ils créerent des Magiftrats. Mais k peine les eurentils élus, qu'ils leur devinrent infupportables; &c ils les maffacrerent encore. Ce peuple libre de ce nouveau joug ne confulta plus que fon naturel fauvage. Tous les particuliers convinrent qu'ils n'obéiroient plus k perfonne ; que chacun veilleroit uniquement k fes intéréts , fans confulter ceux des autres. Cette réfolution unanime flattoit extrêmement tous les particuliers. Ils difoient : Qu'ai-je affaire d'aller me tuer a travailler pour des gens dont je ne me foucie point? Je penferai uniquement a moi, Je vivrai heureux j que  Persanës. 37 m'importe que les autres le foient ? Je me procurerai tous mes befoins ; &C pourvu que je les aie , je ne me foucie point que tous les autres Troglodites foient miférables. - On étoit dans le mois oü 1 on enfemence les terres; chacun dit : Je ne labourerai mon champ que pour qu'il me fourniffe le blé qu'il me faut pour me nourrir ; une plus grande quantite me feroit inutile ; je ne prendrai point de la peine pour rien. ># Les terres de ce petit Royautne n etoient pas de même nature ;U y en avoit d'arides & de montagneufes , & d'autres qui dans un terrain bas étoient arrofées de plufieurs ruiffeaux. Cette année la féchereffe fut grande ; de maniere que les terres qui étoient dans les lieux elevés manquerent abfolument, tandis que celles qui purent être arrofées furent très-fertiles. Ainfi les peuples des montages périrent prefque tous de faim, pa°r la dureté des autres qui leur refuferent de partager la récolte. L'année d'enfuite fut très-pluvieufe ; les lieux élevés fe trouverent d'une fertilité extraordinaire, & les terres baffes furent fubmergées. La moitié du peuple  38 Lettres cria une feconde fois famine; mais ces miférab'es trouverent des gens auffi durs qu'ils 1'avoient été eux-mêmes. Un des principaux habitans avoit une femme fort belle; fon voifin en devint amoureux & 1'enleva : il s'émut.une grande querelle ; & après bien des injures & des coups , ils convinrent de s'en remettre a la décifion d'un Troglodite qui , pendant que la répubüque fubfiftoit, avoit eu quelque crédit, ils allerent alui, & voulurent lui dire leurs raifons. Que m'importe, dit eet homme, que cette femme foit a vous, ou a vous ? J'ai mon champ a Iabourer ; je n'irai peut-être pas employer mon temps a terminer vos différens & a travailler a vos affaires , tandis que je négügerai les miennes. Je vous prie de me laiffer Cn repos & de ne m'importuner plus de vos querelles. La-deffus il les quitta, & s'en aüa travailler fa terre. Le raviffeur qui étoit leplus fort, jura qu'il mourroit plutöt que de rendre cette femme; & 1'autre pénétré de 1'injuftice de fon voifin & de la dureté du Juge, s'en retournoit défefpéré, lorfqu'il trouva en fon chemin une femme jeune & belle, qui revenoit de la fontaine : il n'avoit  P E R S A N E S. 39 plus de femme, celle-la Kii plut; & el!e lui plut bien davantage , lorfqu'i! apprit que c'étoit la femme de celui qu'il avoit voulu prendre pour Juge, & qui avoit été fi peu fenfible a fon malheur. 11 1'enleva & 1'emmena dans fa maifon. II y avoit un homme qui poffédoit un champ affez fertile, qu'il cultivoit avec grand foin : deux de fes voifins s'unirent enfemble, le chafferent de fa maifon , occuperent fon champ : ils firent entre eux- une union pour fe défendre contre tous ceux qui voudroient 1'ufurper ; & effeftivement ils fe foutinrent par-la pendant plufieurs mois. Mais un des deux, ennuyé de partager ce qu'il pouvoit avoir tout feul, tua 1'autre, & devint feul maitre du champ. Son empire ne fut pas long : deux autres Troglodites vinrent 1'attaquer ; il fe trouva trop foible pour fe défendre, & il fut maffacré. Un Troglodite prefque tout nu , vit de la laine quiétoit a vendre ; il en demanda le prix. Le marchand dit en luimême : Nanirellement je ne devrois efpérer de ma laine qu'autant d'argent qu'il en faut pour acheter deux mefures de blé i mais je la vais vendre quatre  '40 Lettres fois davantage , afin d'avoir huit mefures. II fallut en paffer par-la , & payer le prix demandé. Je fuis bien aife, dit le marchand , j'aurai du blé a préfent. Que dites - vous , reprit 1'acheteur ? Vous avez befoin de blé ? j'en ai a vendre. II n'y a que le prix qui vous étonnera peut-être ; car vous faurez que le blé eft extrêmement cher , & que la famine regne prefque par - tout. Mais rendez - moi mon argent, & je vous donnerai une mefure de blé ; car je ne veux pas m'en défaire autrement, duffiez-vous crever de faim. Cependant une maladie cruelle ravageoit la contrée. Un Médecin habile y arriva du pays voifin , & donna fes remedes fi a propos, qu'il guérit tous ceux qui fe mirent dans fes mains. Quand la maladie eut ceffé , il alla chez tous ceux qu'il avoit traités demander fon falaire ; mais il ne trouva que des refus. II retourna dans fon pays , Sc il y arriva accablé des fatigues d'un fi long voyage. Mais bientöt après il apprit que la même maladie fe faifoit fentir de nouveau , & affligeoit plus que jamais cette terre ingrate. Ils allerent k lui cette fois, & n'attendirent pas qu'il  Persanes. 41 vïnt chez eux. Allez , leur dit—il, hommes injuftes , vous avez dans 1'ame un poifon plus mortel que celui dont vous voulez guérir; vous ne méritez pas d'occuper une place fur la terre, paree que vous n'avez point d'humanité, & que les regies dè 1'équité vous font inconnues; je croirois offenfer les dieux qui vous punhTent , fi je m'oppofois a la juftice de leur colere. Z>'Ergeren , le 3 de la lune de Gemmadi, 2, tyiu LETTRE XII. Usbek au même, A Ifpahan. Tu as vu, mon cher Mirza, comment les Troglodites périrent par leur méchanceté même , & furent les vicfimes de leurs propres injuftices. De tant de families , il n'en refta que deux , qui échapperent aux malheurs de la Nation. II y avoit dans ce pays deux hommes bien ünguliers : ils avoient de 1'humanité; ils connoiflbient la juftice ; ils aimoient la vertu. Autant Hés par la  4i Lettres drolture de leur coeur , que par la corruption de celui des autres , ils voyoient Ia défolation générale, & ne Ia reffentoient que par la pitié : c'étoit le motif d'une union nouvelle, lis travailloient avec une folficitude commune pour 1'intérêt commun ; ils n'avoient de différens que ceux qu'une douce &: tendre amitié faifoit naïrre : & dans 1'endroit du pays le plus écarté, féparés de leurs compatriotes indignes de leur préfence, ils menoient une vie heureufe & tranquille ; la terre fembloit produire d'elle-même, cultivée par ces vertueufes mains. Ils aimoient leurs femmes, & ils en étoient tendrement chéris. Toute leur attention étoit d'élever leurs enfans a la vertu. Ils leur repréfentoient fans cefle les malheurs de leurs compatriotes , & leur mettoient devant les yeux eet exemple fi trifte : ils leur faiïoient fur-tout fentir que 1'intérêt des particuliers fe trouve toujours dans 1'intérêt commun ; que vouloir s'en féparer, c'eft vouloir fe perdre; que la vertu n'eft point une chofe qui doive nous coüter ; qu'il ne faut point la regarder comme un exercice pénible ;&C  Persanes. 4z que la juftice pour autrui eft une charité pour nous. lis eurent bientöt la confolation des peres vertueux , qui eft d'avoir des enfans qui leur reflemblent. Le jeune peuple qui s'éleva fous leurs yeux, s'accrut par d'heureux mariages : le nombre augmenta, 1'union fut toujours la même; & la vertu, bien loin de s'affoiblir dans la multitude , fut fortifiée au contraire par un plus grand nombre d'exemples. Qui pourroit repréfenter ici le bonheur de ces Troglodites ? Un peuple fi jufte devoit être chéri des dieux. Dès qu'il ouvrit les yeux pour les connoitre, il apprit a les craindre , & la religion vint adoucir dans les mceurs ce que la nature y avoit laiffé de trop rude. Ils inftituerent des fêtes en 1'honneur des dieux. Les jeunes filles ornées de fleurs, & les jeunes garcons, les célébroient par leurs danfes Ik par les accqrds d'une mufique champêtre : on faifoit enfuite des feftins oü la ioie ne régnoit pas moins que la frugalité. C'étoit dans ces affemblées que parloit la nature naïve ; c'eft-la qu'on apprenoit a donner le cceur & a le recevoir; c'eft-la que  44 Lettres la pudeur virginale faifoit, en rougiffant, un aveu furpris, mais bientöt confirmé par le confentement des peres ; & c'eft-la que les tendres meres fe plaifoient a prévoir de loin une union douce & fidelle. On alloit au temple pour demander les faveurs des dieux: ce n'étoieut pas les richeffes & une onéreufe abondance, de pareils fouhaits étoient indignes des heureux Troglodites; ils ne favoient les défirer que pour leurs compatriotes. Ils n'étoient au pied des autels que pour demander la fanté de leurs peres, 1'union de leurs freres , la tendreffe de leurs femmes , 1'amour & 1'obéiffance de leurs enfans. Les filles y venoient apporter le tendre facrifice de leur coeur , & ne leur demandoient d'autre grace , que celle de pouvoir rendre un Troglodite heureux. Le foir lorfque les troupeaux quittoient les prairies , & que les boeufs fatigués avoient ramené la charme, ils s'affembloient; & dans un repas frugal, ils chantoient les injuftices des premiers Troglodites & leurs malheurs, la vertu renaiffante avec un nouveau peuple, &c fa félicité: ils célébroient les grandeurs  Persanes. 4 des dieux, leurs faveurs toujours préfentes aux hommes qui les implorent, &c leur colere inévitable a ceux qui ne les craignent pas : ils décrivoient enfuite les délices de la vie champêtre & le bonheur d'une condition toujours paree de 1'innocence. Bientöt ils s'abandonnoient a un fommeil, que les foins & les chagrins n'interrompoient jamais. La nature ne fourniffoit pas moins k leurs défirs qu'a leurs befoins. Dans ce pays heureux la cupidité étoit étrangere : ils fe faifoient des préfens, oü celui qui donnoit , croyoit toujours avoir 1'avantage. Le peuple Troglodite fe regardoit comme une feule familie ; les troupeaux étoient prefque toujours' confondus ; la feule peine qu'on s'épargnoit ordinairement, c'étoit de les partager. D'Er\fon , le 6 de la lunt de Gemmadi, z , ijiu  46 Lettres LETTRE XIII. Usbek au même. Je ne faurois affez te parler de Ja vertu des Troglodites. Un d'eux difoit un jour: Mon pere doit demain labourer fon champ : je me leverai deux heures avant lui; &C quand il ira a fon champ , il le trouvera labouré. Un autre difoit en lui-même : II me femble que ma fceur a du goüt pour un jeune Troglodite de nos parens; il faut que je parle a mon pere, & que je le détermine a faire ce mariage. On vint dire a un autre, que des voleurs avoient enlevé fon troupeau: J'en fuis bien faché , dit-il; car il y avoit une genifle toute blanche que je youlois offrir aux dieux. On entendoit dire a un autre : II faut que j'aille au temple remercier les dieux ; car mon frere que mon pere aime tant, & que je chéris fi fort, a recouvré la fanté. Ou bien: II y a un champ qui touche celui de mon pere, & ceux qui le cul-  Persanes. Ï7 tivent font tous les jours expofés aux ardeurs du foleil; il faut que j'aille y planter deux arbres , afin que ces pauvres gens puiffent aller quelquefois fe repofer fous leur ombre. Un jour que plufieurs Troglodites étoient affemblés, un vieillard paria d'un jeune homme qu'il foupconnoit d'avoir commis une mauvaife acfion , lui en fit des reproches. Nous ne croyons pas qu'il ait commis ce crime, dirent les jeunes Troglodites ; mais s'il 1'a fait, puiffe-t-il mourir le dernier de fa familie. On vint dire a un Troglodite *■ qüe des étrangers avoient pillé fa maifon , & avoient tout emporté. S'ils n'étoient pas injuftes, répondit-il , je fouhaiterois que les dieux leur en donnaffent un plus long ufage qu'a moi. Tant de profpérités ne furent pas regardées fans envie : les peuples voifins s'affemblerent ; & fous un vain prétexte , ils réfolurent d'enlever leurs troupeaux. Dès que cette réfolution futconnue, les Troglodites envoyerent au-devant d'eux des ambaffadeurs, qui leur parierent ainfi: • Que vous ont fait les Troglodites?  gt Lettres Ont-ils enlevé vos femmes, clérobé vos beftiaux, ravagé vos campagnes ? Non: nous fommes juftes , & nous craignons les dieux. Que demandez-vous donc de nous? Voulez-vous de la laine pour vous faire des habits ? Voulez-vous du laitde nos troupeaux, ou des fruits de nos terres ? Mettezbas lesarmes, venez au milieu de nous, & nous vous donnerons de tout cela. Mais nous jurons par ce qu'il y a de plus facré, que fi vous entrez dans nos terres comme ennemis, 1 nous yous regarderons comme un peuple injufte , & que nous vous traiterons comme des bêtes farouches. Ces paroles furent renvoyées avec mépris ; ces peuples fauvages entrerent armés dans la terre des Troglodites , qu'ils ne croyoient défendus que par leur innocence. • Mais ils étoient bien difpofés a Ia défenfe. lis avoient mis leurs femmes & leurs enfans au milieu d'eux. Ils furent étonnés de 1'injuftice de leurs ennemis, &c non pas de leur nombre. Une ardeur nouvelle s'étoit emparée de leur cceur : 1'un vouloit mourir pour fon pere, un autre pour fa ternine & fes enfans , celui - ci pour fes freres, celui-la  Persanes. 49 celui-la pour fes amis, tous pour le peuple Troglodite.: la place de celui qui expiroit étoit d'abord prife par un autre qui, outre la caufe commune , avoit encore une mort particuliere k venger. Tel fut le combat de 1'injuftice & de la vertu. Ces peuples laches, qui ne cherchoient que le butin, n'eurent pas honte de fuir; & ils céderent k la vertu des Troglodites , même fans en être touchés. D'Er^eron , le p de la lune de Getnmadi , 2 , lyu. LETTRE XIV. Usbek au même. Comme le peuple groffiffoit tous les jours , les Troglodites crurent qu'il étoit k propos de fe choifir un Roi: ils convinrent qu'il falloit déférer la Couronne k celui qui étoit le plus jufte; & ils jeterent tous les yeux fur un vieillard vénérable par fon age &C par une longue vertu. II | n'avoit pas voulu fe trouver k cette affemblée; il s'étoit retiré dans fa maifon, le cceur ferré de trifteffe. C  50 Lettres Lorfqu'on lui envoya des Députés pour lui apprendre le choix qu'on avoit fait de lui : A Dieu ne plaife , dit-il, que je faffe ce tort aux Troglodites, que 1'on puiffe croire qu'il n'y a perfonne parmi eux de plus jufte que moi. Vous me déférez la Couronne; & fi vous le voulez abfolument, il faudra bien que je la prenne : mais comptez que je mourrai de douleur d'avoir vu en naiffant les Troglodites libres , & de les voir aujourd'hui afïujettis. A ces mots, il fe mit a répandre un torrent de larmes. Malheureux jour, difoit - il! & pourquoi ai-je tant vécu ? Puis il s'écria d'une voix févere : Je vois bien ce que c'eft, ö Troglodites ! votre vertu commence a vous pefer. Dansl'état oü vous êtes, n'ayant point de chef, il faut que vous foyez vertueux malgré vous; fans cela vous ne fauriez fubfifter, & vous tomberiez dans le malheur de vos premiers peres. Mais ce joug vous paroit trop dur : vous aimez mieux être foumis una Prince , & obéir a fes lois, moins rigides que vos mceurs. Vous favez que pour lors vous pourrez con^ tenter votre ambition , acquérir des richefies , &c languir dans une lache  Persan es; 51 volupté; & que pourvu que vous évitiez de tomber dans les grands crimes, vous n'aurez pas befoin de la vertu. II s'arrêta un moment, & fes larmes coulerent plus que jamais. Et que prétendez - vous que je faffe ? Comment fe "peut-il que je commande quelque chofe a un Troglodite ? Voulez-vous qu'il faffe une aftion vertueufe, paree que je la lui commande ; lui qui la feroit tout de même fans moi , & par le feul penchant de la nature ? O Troglodites ! je fuis a la fin de mes jours , mon fang eft glacé dans mes veines , je vais bientöt revoir vos facrés aïeux ; pourquoi voulez-vous que je les afflige , & que je fois obligé de leur dire que je vous ai laiffés fous un autre joug que celui de la vertu } D'Er^eron, le 10 de la lune de Gemmadi , 2, ijn, C ï)  5* Lettres LETTRE XV. Le premier Eunuque a Jaron, Eunuque noir , A Er^eron. Je prie le Ciel qu'il te ramene dans ces lieux, & te dérobe a tous les dangers. Quoique je n'aie guere jamais connu eet engagement qu'on appelle amitié, & que je me fois enveloppé tout entier dans moi-même, tu m'as cependant fait fentir que j'avois encore un cceur; & pendant que j'étois de bronze pour tous ces efclaves qui vivoient fous mes lois, je voyois croïtre ton enfance avec plaifir. Le temps vint oü mon maitre jeta fur toi les yeux. II s'en falloit bien que Ia nature eüt encore parlé , lorfque le fer te fépara de la nature. Je ne te dirai point fi je te plaignis , ou fi je fentis du plaifir a te voir élevé jufqu'a moi, J'appaifai tes pleurs & tes cris. Je crus te voir prendre une feconde naiffance, & fortir d'une fervitude oü tu devois toujours obéir , pour entrer dans une fervitude oü tu deyois commander. Je pris foin de ton  P e r s a n e s. 53 éducation. La févérité, toujours inféparable des inftru&ions, te fit long-temps ignorer que tu m etois cher. Tu me 1'étois pourtant : & je te dirai que je t'aimai comme un pere aime fon fils, fi ces noms de pere &• de fils pouvoient convenir a notre defiinée. Tu vas parcourir les pays habités par les Chrétiens , qui n'ont jamais cru. II eft impoffible que tu n'y contracles bien des fouillures. Comment le Prophete pourroit-il te regarder au milieu de tant de millions de fes ennemis ? je voudrois que monmaitre fit, afon retour , le pélérinage de la Mecque : vous vous purifieriez tous dans la terre des Anges. Du Sérail d Ijpahan, faw de la lunsde Gimmadi, tjiu LETTRE XVI. Usbek au Mollak Mehemet Ali, Gardien des trois tombeaux , A Com. Pourquoi vis-tu dans les tombeaux, divin Mollak? Tu es bien plus fait pour le féjour des étoiles. Tu te caches fans doute , de peur d'obfcurcir le foleil: C iij  54 Lettres tu n'as point de taches comme eet aftre; mais, comme lui, tu te couvres de nuages. Ta fcience eft un abyme plus profond quel'Océan : ton efprit eft plus pergant que Zufagar , cette épée d'Hali, qui avoit deux pointes : tu fais ce qui fe paffe dans les neuf Chceurs des Puifïances céleftes : tu lis 1'A'coran fur la poitrine de notre divin Prophete ; &C lorfque tu trouves quelque paffage obrcur, un Ange par fon ordre déploie fes ailes rapides, & defcend du tröne pour t'en révéler Ie fecret. Je pourrois par ton moyen avoir avec les Séraphins une intime correfpondance: car enfin , treizieme Iman , n'es-tu pas le centre oü le ciel & la terre aboutiffent, & Ie point de communication entre 1'abyme & l'empyrée ? Je fuis au milieu d'un peuple profane, permets que je me purifie avec toi: fouffre que je tourne mon vifage vers les lieux facrés que tu habites : diftingue moi des méchans, comme on diftingue au leverde l'aurore le filet blanc d'avec le filet noir : alde-moi de tes confeils : prends foin de mon ame , enivre-!a de 1'efprit des Prop>hetes, nourris-la de la fcience du paradis; öc permets que je  Persanes. 55 mette fes plaies a tes pieds. Adreffe tes lettres facrées a Erzeron oü je refterai quelques mois. ^ ^ D'Erieron , le n de la lunt de Getnmadi, 2 , 77'/. LETTRE XVII. Usbek au même. Je ne puls , divin Mollak , calmer mon impatience ; je ne faurois attendre ta fublime réponfe. J'ai des doutes, il faut les fixer : je fens que ma raifon s'égare, ramene-la dans le droit cbemin : viens m eclairer , fource de lumiere : foudroie avec ta plume divine les difficultés que je vais te propofer ; fais-moi avoir pitié de moi-même , & rougir de la queftion que je vais te faire. D'oü vient que notre Légiflateur nous privé de la chair de pourceau , & de toutes lesviandes qu'il appelle immondes ? D'oü vient qu'il nous défend de toucher un corps mort ; &C que pour purifier notre ame, il nous ordonne de nous laver fans ceffe le corps ? II me femble crue les chofes ne font en ellesmêmes ni pures ni impures : je ne puis C iv  56 Lettres concevoir aucune qualité inhérente au fujet, qui puiffe les rendre telles. La boue ne nous paroït fale que paree qu'elle blefle notre vue, ou quelque autre de nos fens; mais en elle-même elle ne 1'ëft pas plus que 1'or & les diamans. L'idée de fouillure contradtée par 1'attouchement d'un cadavre ne nous eft venue que d'une certaine répugnance naturelle que nous en avons. Si les corps de ceux qui ne fe lavent point ne bleffoient ni 1'odorat ni la vue, comment auroit-on pu s'imaginer qu'ils fuffent impurs ? Les fens , divin Mollak , doivent donc être les feuls juges de la pureté ou de 1'impureté des chofes ? Mais comme les objets n'affectent point les hommes de la même maniere ; que ce qui donne une fenfation agréable aux uns , en produit une dégoutante chez les autres , il füit que le témoignage des fens ne peut fervir ici de regie; a moins qu'on ne dife que chacun peut, a fa fantaifie, décider ce point ,& diftinguer, pour ce qui le concerne, les chofes pures, d'avec celles qui ne le font pas. Mais ceïa même , facré Mollak , ne renverferoit-il pas les diftinflions étabües  Persanes. 57 par notre divin Prophete , & les points fondamentaux de la loi qui a été écnte de la main des Anges ? • D'Er\eron , le zo de la lune de Gemm.idi , z , ijii. LETTRE XVIII. Mehemet Ali, Serviteur des Pro-, phetes , a Usbek , A Er^eron. "Vous nous faites toujours des queftions qu'on a faites mille fois a notre faint Prophete. Que ne lifez-vous les traditions des Docteurs ? Que n'allezo , vous a cette fource pure de toute intelligence ? Vous trouveriez tous vos doutes réfolus. Malheureux ! qui toujours embarraffés des chofes de la terre, n'avez jamais regardé d'un ceil fixe celles du ciel, &C qui révérez la condition des Mollaks , fans ofer ni 1'embraffer ni la fuivre ! Profanes ! qui n'entrez jamais dans les fecrets de 1'Eternel , vos lumieres reffemblent aux ténebres de 1'abyme; & les raifonnemens de votre efprit font C v  58 Lettres comme Ia pouffiere que vos pieds font e'eyer , lorfque Ie foleil eft dans fon midi dans Ie mois ardent de Chahban. Aum" le zénith de votre efprit ne va pas au nadir de celui du moindre des Immaums (*) : votre vaine philofophie eft eet éclair qui annonce 1'orage & 1 obfciinté; vous. êtes au milieu de Ia tempete, & vous errez au gré des vents. vi1 e^ ,bien fac',e de répondre k votre difficulté: il ne faut pour cela que vous raconter ce qui arriva un jour a notre iaint Prophete , lorfque tenté par les Chretiens , éprouvé par lesJuifs,il confondit également les uns & les autres. Le Juif Abdias Ibefalon (-f) lui demanda pourquoi Dieu avoit défendu de manger de la chair de pourceau. Ce n eft pas fans raifon , répondit Mahomet : c'eft un animal immonde ; & je vais vous en convaincre. II fit fur fa main avec de Ja boue la figure d'un homme : il la jeta k terre, & lui cria: Levez-vous. Sur le champ un homme fe leva & dit : Je fuis Japhet fils de Noé. Avois-tu les cheveux auffi blancs quand ,>i* 1 Cl T eft P'us en ufaSe ch" le* Turcs que chez les Peifsns. ^ ( t) Tradition Mahométane,  Persanes. 59 tu es mort, lui dit le faint Prophete? Non, répondit-il : mais quand tu m as réveiUé, j'ai cru que le jour du Jugement étoit venu, & j'ai eu unefi grande frayeur que mes cheveux ont blaicht tout-a-coup. . ,.,.„- Or ca raconte-moi, lui dit 1 Lnvoye de Dieu , toute 1'hiftoire de 1'arche de Noé. Japhet obéit , & détail'a exadement tout ce qui s'étoit paffe les premiers mois; après quo! il paria ainfi : Nous mimes les ordures de tous les animaux dans un cöté de 1'arche : ce qui la fit fifort pencher, que nous en eumes une peur mortelle; fur-tout nos femmes, qui fe lamentoient de la belle mamere. Notre pere Noé ayant été au confeil de Dieu, il lui commanda de prendre lelephant, & de lui faire tourner la teie vers fe cöté qui penchoit. Ce grand animal fit tant d'ordures , qu'il en naquit un cochon. Croyez-vous, Usbek , que depuis ce temps-la nous nous en foyons abftenus , & que nous 1'ayons regarde comme un animal immonde ? Mais comme le cochon remuoit tous les jours ces ordures, il s'éleva une telle puanteur dans 1'arche , qu'il ne put luimême s'empêcher d'éternuer; & ü lortit C vj  60 Lettres de fon nez un rat, qui alloit rongsant tout ce qui fe trouvoit devant lui : ce qui devirtt fi infupportable a Noé, qu'il trui qu'il étoit è propos de confulter Dieu encore. II lui ordonna de donner' au lion un grand coup fur le front, qui éternua auffi, & fit fortir de fon nez tin chat. Croyez-vous que ces animaux foient encore immondes ? Que vous en femble ? Quand donc vous n'appercevez pas la raifon de Pimpureté de certaines chofes , c'eft que vous en ignorez beaucoup d'autres , & que vous n'avez pas la connoifiance de ce qui s'eft paffé entre Dieu , les Anges & les Hommes. Vous ne favez pas PHiftoire de 1'Eternité; vous n'avez point lu les livres qui font écrits^ au del; ce qui vous en a été révélé , n'eft qu'une petite partie de Ia bibüotheque divine: & ceux qui comme nous en approchent de plus prés, tandis qu'ils font en cette vie, font encore dans 1'obfcurité & les ténebres. Adieu. Mahomet foit dans votre cceur. De Com, le dernier de la lune de Chahban , tyn.  Persanes. 6i LETTRE XIX. Usbek a son ami Rustan , A Ifpahan. ÏSfous n'avons féjourné que huit jours a Tocat : après trente-cinq jours dë marche nous fommes arrivés a Smyrne. De Tocat a Smyrne' on ne trouve pas une feule ville qui mérite qu'on la nomme. J'ai vu avec étonnement la foiblefle de 1'Empire des Ofmanlins. Ce corps malade ne fe foutient pas par un régime doux & tempéré, mais par des remedes violens , qui 1'épuifent & le minent fans ceffe. Les Bachas qui n'obtiennent leurs emplois qu'a force d'argent, entrent ruinés dans les Provinces , & les ravagent comme des Pays de conquête. Une milice infolente n'eft foumife qu'a fes caprices. Les places font démantelées, les villes défertes , les campagnes défolées, la culture des terres &t le commerce entiérement abandonnés. L'impunité regne dans ce Gouvernement févere : les Chrétiens qui cultivent  6i Lettres les terres, les Juifs qui levent les tributs , font expofés a mille violences. La propriété des terres eftincertaine; & par confcquent 1'ardeur de les faire valoir , ralentie : il n'y a ni titre ni polfeffion qui vaille contre le caprice de ceux qui gouvernent. Ces Barbares ont tellement abandonné les arts , qu'ils ont négligé jufques k 1'art militaire. Pendant que les nations d'Europe fe raffinent tous les jours , ils reftent dans leur ancienne ignorance; & ils ne s'avifent de prendre leurs nouvelles inventions , qu'après qu'elles s'en font fervi mille fois contre eux. Ils n'ont aucune expérience fur Ia mer, point d'habileté dans la manoeuvre. On dit qu'une poignée de Chrétiens , fortis d'un rocher (*) , font fuer les Ottomans, & fatiguent leur Empire. Incapables de faire le commerce , ils fouffrent prefque avec peine que les Européens, toujours laborieux &entreprenans, viennent le faire : ils croient faire grace k ces étrangers de permettre qu'ils les enrichiffent. Dans toute cette vafte étendue de {*) Ce font apparemment les Cheyaliers de Malte,  Per s a n e s. 6j pays que j'ai traverfée, je n'ai trouvé que Smyrne qu'on puiffe regarder comme une ville riche & puiflante : ce font les Européens qui la rendent telle : & il ne tient pas aux Turcs qu'elle ne reffemble a toutes les autres. Voila , cher Ruftan , une jufte idee de eet Empire , qui avant deux fiecles fera le théatre des triomphes de quelque Conquérant. De Smyrne , le t de la lune de Rahma^an , ïyn. LETTRE XX. Usbek a Zachi, sa femme, Au Sérail d'Ifpahan. Vous m'avez offenfé , Zachi : & je fens dans mon cceur des mouvemens que vous devriez craindre , fi mon éloignement ne vous laiffoit le temps de changer de conduite & d'appaifer la violente jaloufie dont je fuis tourmenté. J'apprends qu'on vous atrouvée feule avec Nadir, Eunuque blanc, qui payera de fa tête fon infidélité & fa perfïdie. Comment vous êtes-vous oubliée jufqu'a ne pas fentir qu'il ne vous eft pas permis de recevoir dans votre chambre  64 Lettres un Eunuque blanc, tandis que vous en avez des noirs deftinés a vous fervir? Vous avez beau me dire que des Eunuques ne font pas des hommes, & que votre vertu vous met au-deffus des penfées que pourroit faire naitre en vous une relfemblanceimparfaite : cela ne fuffit ni pour vous ni pour moi ; pour vous , paree que vous faites une chofe que les lois du Sérail vous défendent; pour moi, en ce que vous m'ötez 1'honneur, en vous expofant a des regards ; que dis-je, a des regards ? peut-être aux entreprifes d'un perfide qui vous aura fouillée par fes crimes, & plus encore par fes regrets 6i le défefpoir de fon impuiffance. Vous me direz peut-être que vous m'avez été toujours fidelle. Eh! pouviez-vous ne 1'être pas? Comment auriez-vous trompé la vigilance des Eunuques noirs , qui font fi furpris de la vie que vous menez? Comment auriez- vous pu brifer ces verroux & ces portes qui vous tiennent ehfermée ? Vous vous vantez d'une vertu qui n'eft pas libre : & peut-être que vos défirs impurs vous. ont óté mille fois le mérite & le prix de cette fidélité que vous vantez tant.  Persanes. 65 Je veux que vous n'ayez point fait tout ce que j'ai lieude foupconner; que ce perfide n'ait point porté fur vous fes mains facrileges; que vous ayez refufé de prodiguer a fa vue les délices de fon maitre; que couverte de vos habits , vous ayez laiffé cette foible barrière entre lui & vous; que frappé lui-même d'un faint refpecf, il ait baiffé les yeux; que, manquant a fa hardieffe , il ait tremblé fur les chatimens qu'il fe prépare : quand tout cela feroit vrai, il ne 1'eft pas moins que vous avez fait une chofe qui eft contre votre devoir. Et, fi vous 1'avez violé gratuitement, fans remplir vos inclinations déréglées , qu'euffiezvous fait pour les fatisfaire! Que feriezvous encore, fi vous pouviez fortir de ce lieu facré , qui eft pour vous une dure prifon , comme il eft pour vos compagnes un afile favorable contre les atteintes du vice, un temple facré oü votre fexe perd fa foibleffe , & fe trouve invincible, malgré tous les défavantages de la nature ? Que feriez-yous, fi, laifiee a vous-même, vous n'aviez pour vous défendre que votre amour pour moi, qui eft fi griévement offenfé, & votre devoir que vous avez fi indi-  66 Lettres gnement trahi ? Que les mceurs du pays oü vous vivez lont faintes , qui vous arrachent aux attentats des plus vils efclaves! Vous devez me rendre grace de la gêne oü je vous fais vivre, puifque ce n'eft que par-la que vous méritez encore de vivre. Vous ne pouvez fouffrir le CHef des Eunuques , paree qu'il a toujours les yeux fur votre conduite , & qu'il vous üonne fes fages confeils. Sa laideur, dites-vous, eft fi grande , que vous ne pouvez le voir fans peine : comme fi dans ces fortes de poftes on mettoit de plus beaux objets. Ce qui vous afflige eft de n'avoir pas a fa place 1'Eunuque blanc qui vous déshonore. Mais que vous a fait votre première efclave ? Elle vous a dit que les familiarirés que vous preniez avec la jeune Zélide étoient contre la bienféance ; voila la raifon de votre haine. Je devrois être , Zachi, un juge févere ; je ne fuis qu'un époux, qui cherche a vous trouver innocente. L'amour que j'ai pour Roxane , ma nouvelle époufe , m'a laiffé toute la tendreffe que je dois avoir pour vous qui n'êtes pas moins belle. Je partage mon amour entre  P e r s a n e s. 67 vous deux; & Roxane n'a d'autre avantage que celui que la vertu peut ajouter a ia beauté. , . . De Smjrnt, le iz de la lune de Z.lcadé , 171 f. LETTRE XXI. Usbek au premier Eunuque blanc. Vous devez trembler a 1'ouverture de cette lèttre; ou plutöt vous le deviez lorfque vous föuffrites la perfidie de Nadir. Vous qui, dans la vieilleffe froide & languiffaiue , ne pouvez fans crime lever les yeux fur les redoutables objets de mon amour: - ous a qui il n'eft jamais permis de mettre un pied facnlege fur la porte du lieu terrible qui les dérobe a tous les regards; vousfoutfrezque ceux dont la conduite vous eft confiée , aient fait ce que vous n'auriez pas la ternerité de faire; & vous n'appercevez pas la foudre toute prête a tomber fur eux & fur vous ? . Et qui êtes vous , que de vils ïnftrumens que je puis brifer a ma fantaifie ; qui nexiftez qu'autar.t que vous favez obéir;qui n'êtes dans le monde que  68 Lettres pour vivre fous mes Iois, ou pour mourir dès que je 1'ordonne; qui ne refpirez qu'autant que mon bonheur, mon amour , ma jaloufie même ont befoin de votre baffefie ; & enfin , qui ne pouvez avoir d'autre partage que la foumiffion, d'autre ame que mes volontés, d'autre efpérance que ma félicité ? Je fais que quelques-unes de mes femmes fourfrent impatiemment les lois aufteres du devoir; que la préfence continueile d'un Eunuque noir les ennuie; qu'elles font fatiguées de ces objets affreux qui leur font donnés pour les ramener a leur époux; je le fais. Mais vous qui vous prêtez a ce défordre, vous ferez puni d'une maniere a faire trembier tous ceux qui abufent de ma confiance. Je jure par tous les Prophetes du ciel, & par Ha'i \e plus grand de tous , que fi vous vous écartez de votre devoir, je regarderai votre vie comme celle des infectes que je trouve fous mes pieds. De Smyrne , le iz de la lune de Zilcadé, lyii.  Persanes. 69 LETTRE XXII. Jaron au premier Eunuque. JSl mefure qu'Usbek s'éloigne du Sérail , il tourne fa tête vers fes femmes facrées : il foupire , il verfe des larmes: fa douleur s'aigrif, fes foupcons fe fortifTent. 11 veut augmenter le nombre -de leurs gard;ens. II va me renvoyer avec tous les Noirs qui 1'accompagnent. II ne craint plus pour lui: il craint pour ce qui lui eft mille fois plus cher que lui-même. Je vais donc vivre fous tes lois , & partager tes foins. Grand Dieu ! qu'il faut de chofes pour rendre un feul homme heureux ! La nature fembloit avoir mis les femmes dans la dépendance, & les en avoir retirées : le défordre naiffoit entre les deux fexes, paree que leurs droits étoient réciproques. Nous fommes entrés dans le plan d'une nouvelle harmonie : nous avons mis entre les femmes & nous, Ia haine; &i entre les hommes & les femmes, fan-jour. Mon front va deyenir févere. Je  70 Lettres laifferaï tomber des regards fombres. La joie fuira de mes levres. Le dehors fera tranquille , & 1'efprit inquiet. Je n'attendrai point les rides de la vieillefle pour en montrer les chagrins. J'aurois eu du plaifir a fuivre mon maitre dans 1'Occident : mais ma volonté eft fon bien. II veut que je garde fes femmes : je les garderai avec fidélité. Je fais comment je dois me conduire avec ce fexe qui, quand on ne lui permet pas d'être vain, comrnence a devenir fuperbe , & qu'il eft moins aifé d'humilier que d'anéantir. Je tombe fous tes regards. De Smyrne, le ïz de la lune de Zilcadé , ijum LETTRE XXIII. Usbek a son ami Ibben, A Smyrne. Nous fommes arrivés a Livourne dans quarante jours de navigation. C'eft une ville nouvelle ; elle eft un témoignage du génie des Ducs de Tofcane, qui ont fait d'un village marécageux la ville d'Italie la plus floriffante.  P E R S A N E S. 71 Les femmes y jouifTent d'une grande liberté : elles peuvent voir les hommes a travers certaines fenêtres , qu'on nomme jaloufies : elles peuvent fortir tous les jours avec quelques vieilles qui les accompagnent: elles n'ont qu'un voile (*). Leurs beaux-freres, leurs oncles, leurs neveux peuvent les voir fans que le mari s'en formalife prefque jamais. C'eft un grand fpedtacle pour un Mahométan , de voir pour la première fois une ville chrétienne. Je ne parle pas des chofes qui frappent d'abord tous les yeux, comme la différence des édifices, des habits, des principales coutumes: i il y a jufque dans les moindres bagaI telles quelque chofe de fingulier que je fens & que je ne fais pas dire. Nous partirons demain pour Mar| feille : notre féjour n'y fera pas long. I Le deffein de Rica & le mien eft de 1 nous rendre inceffamment a Paris, qui eft le fiege de 1'Empire d'Europe. Les voyageurs cherchent toujours les gran; des villes , qui font une efpece de patrie commune a tous les étrangers. {* ) Les Perfanes en on: quatre.  7i LettreS Adieu. Sois perfuadé que je t'aimerai toujours. De Livourni, le 12 de la lune de Saphar , 17.12. LETTRE XXIV. Rica a Ibben, A Smyrne. \ Nous fommes a Paris depuis un mois, & nous avons toujours été dans un mouvement continuel. II faut bien des affaires avant qu'on foit logé , qu'on ait trouvé les gens a qui on eft adreffé , & qu'on fe foit pourvu des chofes néceffaires qui manquent toutes a la fois. Paris eft aufli grand qu'Ifpahan : les maifons y font fi hautes qu'on jugeroit qu'elles ne font habitées que par des Aftrologues. Tu juges bien qu'une ville batie en Pair , qui a fix ou fept maifons les unes fur les autres, eft extrêmement peuplée , &c que quand tout le monde eft defcendu dans la rue il s'y fait un bel embarras. Tu ne le croirois pas peut-être ; depuis un mois que je fuis ici, je n'y ai encore  Persanes. 73 encore vu marcher perfonne. II n'v a point de gens au monde qui tirent miéux parti de leurs machines que les Francois: ils courent, ils volent : les voitures lentes d'Afie, le pas régie de nos chameaux, les feroient tomber en fyncope. Pour moi qui ne fuis pas fait a ce train , & qui vais fouvent a pied fans changer d'allure, j'enrage quelquefois comme un Chrétien : car encore paffe qu'on m'éclabouffe depuis les pieds jufqu'a Ia tête ; mais je ne puis pardonner les coups de coude que je recois réguliérement & périodiquement : un homme qui vient après moi & qui me paffe, me fait faire un demi-tour , & un autre qui me croife de 1'autre cöté , me remet foudain oü le premier m'avoit pris : 6c je n'ai pas fait cent pas, que je fuis plus brifé que fi j'avois fait dix lieues. Ne crois pas que je puiffe quant k préfent te parler a fond des mceurs &c des coutumes Européennes : je n'en aï moi-même qu'une légere idéé , & je n'ai eu a peine que le temps de m'étonner. Le Roi de France eft le plus puiffant Prince de 1'Europe. II n'a point de mines d'or comme le Roi d'Efpagne fon voifin; mais il a plus de richeiles que D  74 Lettres lui, paree qu'il les tire de la vanité de fes fujets , plus inépuifables que les mines. On lui a vu entreprendre ou foutenir de grandes guerres, n'ayant d'autres fonds que des titres d'honneur a vendre ; & par un prodige de 1'orgueil humain, fes troupes fe trouvoient payées , fes places münies, &Z fes flottes équipées. D'ailleurs ce Roi eft un grand magicien : il exerce fon empire fur 1'efprit même de fes fujets; il les fait penfer comme il veut. S'il n'a qu'un million d'écus dans fon tréfor , & qu'il en ait befoin de deux , il n'a qu'a leur perfuader qu'un écu en vaut deux; & ils le croient, S'il a une guerre diflicile a foutenir , &Z qu'il n'ait point d'argent, il n'a qu'a leur mettre dans la tête qu'un morceau de papier eft de 1'argent, &t ils en font aufli-töt convaincus. II va mêrne jufqu'a leur faire croire qu'il les guérit de toutes fortes de maux en les touchant, tant eft grande la force Sc |a puiffance qu'il a fur les efprits. Ce que je dis de ce Prince ne doit pas t'étonner: il y a un autre magicien plus fort que lui , qui n'eft pas moins giaïtre de fon efprit, qu'il 1'eft lui-même  P E R S A N È 5?/ de celui des autres. Ce magicïen s'appelle le Papé: tantöt il lui fait croire que trois ne font qu'un ; que le pain qu'on mange n'eft pas du pain, ou que le vin qu'on boit n'eft pas du vin ; ck mille autres chofes de cette efpece. Et pour le tenir toujours en haleine ' & ne point lui laiffer perdre 1'habitude de croire, il lui donne de temps en temps, pour 1'exercer , de certains articles de croyance. II y a deux ans qu'il lui envoya un grand écrit, qu'il appela Confiituüon , & voulut obliger, fous de grandes peines, ce Prince & fes fiijets de croire tout ce qui y étoit contenu. II reuffit k 1'égard du Prince, qui fe foumit auffi-töt , & donna 1'exemple k fes fujets: mais quelques-uns d'entre eux fe réyolterent, & dirent qu'ils ne vouloient rien croire de tout ce qui étoit dans eet écrit Ce font les femmes qui ont été les motrices de toute cette révolte, qui divife toute la Cour, tout le Royaume & toutes les families. Cette conftitution leur défend de lire un livre que tous les Chrétiens difent avoir été anporté du Ciel : c'eft proprement leur alcoran. Les femmes , indignées de loutragefait a leur fexe, foulevent tout Dij  76 Lettres contre la conttitution : elles ont mis les hommes de leur parti, qui dans cette occafion ne veulent point avoir de privilege. On doit pourtant avouer que ce Mufti ne raifonne pas mal; & , par le grand Hali! il faut qu'il ait été inftruit des principes de notre fainte loi ^ car, puifque les femmes font d'une création inférieure a la notre, & que nos Prophetes nous difent qu'elles n'entreront point dans le paradis , pourquoi faut-il qu'elies fe mêlent de lire un livre qui n'eft fait que pour apprendre le chemin du paradis ? . r J'ai ouï raconter du Roi des choles qui tiennent du prodige, & je ne dqute pas que tu ne balances a les croire. On dit que pendant qu'il faifoit la guerre a fes voifins qui s'étoient tous liöués contre lui, il avoit dans fon Royaume un nombre innombrable d'ennemis invifibles qui 1'entouroient : on ajoute qu'il les a cherchés pendant plus de trente ans; & que malgré les foins infatigables de certains Dervis qui ont fa confiance , il n'en a pu trouver un feul. Ils vivent avec lui; ils font a fa Cour , dans fa capitale, dans fes troupes, dans fes tribunaux ; & cependant  PersaneSi 77 on dit qu'il aura le chagrin de mourir fans les avoir trouvés. On diroit qu'ils exiftent en général, & qu'ils ne font plus rien en particulier: c'eft un corps, mais point de membres. Sans doute que Ie Ciel veut punir ce Prince de n'avoir pas été affez modéré envers les ennemis qu'il a vaincus, puifqu'il lui en donne d'invifibles , & dont le génie &Z le deftin font au-deffus du fien. Je continuerai a t'écrire, & je t'apprendrai des chofes bien éloignées du caraöere & du génie Perfan. C'eft bien la même terre qui nous porte tous deux ; mais les hommes du pays oü je vis , 6c ceux du pays oü tu es , font des hommes bien différens. De Paris , Ie 4 de Ia lune de Rebia'o , X, ijiz. LETTRE XXV. Usbek a Ibben , A Smyrne. J'ai recu une lettre de ton neven Rhédi: il me mande qu'il quitte Smyrne , dans le deffein de voir 1'Italie; que 1'uniquebut de fon voyage eftde s'inftruire, D üj  78 Lettres & de fe rendre par-la plas digne de toi. Je te félicite d'avoir un neveu qui fera quelque jour la confolation de ta vieilleffe. Rica t'écrit une longue lettre , il m'a dit qu'il te parloit beaucoup de ce paysci. La vivacité de fon efprit fait qu'il faifit tout avec promptitude : pour moi qui penfe plus lentement , je ne fuis er» état de te rien dire. Tu es le fujet de 1 nos converfations les plus tendres; nous ne pouvons affez parler du bon accueil que tu nous as fait a Smyrne, & des fervices que ton amitié nous rend tous les jours. Puiffeslii , généreux Ibben, trouver par-tout des amis auffi reconnoiffans 6c auffi. fidelles que nous! Puiffé-je te revoir bientöt, & retrouver avec toi ces jours heureux , qui eoulent fi doucement entre deux amis l Adieu. De Peris , U 4 Ac la. lune de Rebiab, z , '7>z,  Persanes. 79 LETTRE XXVI. Usbek a Roxane, Au Sérail £Ifpahan. C^)ue vous êtes heureufe, Roxane," d'être dans le doux pays de Perfe, &C non pas dans ces climats empoifonnés, Sc oü 1'on ne connoit ni la pudeur ni la vertu ! Que vous êtes heureufe! Vous vivez dans mon Sérail comme dans le féjour de 1'innocence, inacceffible aux attentats de tous leshumains: vous vous trouvez avec joie dans une heureufe impuiffance de faillir : jamais homme ne vous a fouillée de fes regards lafcifs: votre beau-pere même, dans la liberté des feftins, n'a jamais vu votre belle bouche : vous n'avez jamais manqué de vous attacher un bandeau facré pour la couvrir. Heureufe Roxane ! quand vous avez été a la campagne, vous avez toujours eu des Eunuques qui ont marché devant vous, pour donner la mort Éi tous les téméraires qui n'ont pas fui votre vue. Moi-même a qui le Ciel vous a donnée pour faire mon D iv  8o Lettres bonheur, quelle peine n'ai-je pas eue pour me rendre maitre de ce tréfor, que vous défendiez avec tant de conftance ! Quel chagrin pour moi, dans les premiers jours de notre mariage , de ne pas vous voir ! Et quelle impatience quand je vous eus vue ! Vous ne la fatisfaifiez pourtant pas ; vous 1'irritiez au contraire par les refus obftinés d'une pudeur alarmée : vous me confondiez avec tous ces hommes a qui vous vous cachiez fans ceffe. Vous fouvient-il de ce jour oii je vous perdis parmi vos efclaves , qui me trahirent & vous déroberent a mes recherches ? Vous fouvient-il de eet autre, oü voyant vos larmes impuiffantes , vous employates 1'autorité de votre mere pour arrêter ies fureurs de mon amour ? Vous fouvientil , lorfque toutes les reffources vous manquerent, de celles que vous trouvates dans votre courage ? Vous prites un poignard, & menacates d'immoler un époux qui vous aimoit , s'il contiriuoit a exiger de vous ce que vous chériffiez plus que votre époux même. Deux mois fe pafferent dans ce combat de 1'amour & de la vertu. Vous pouffates trop loin vos chaftes fcrupules ; vous  Persanes. Si ne vous rendites pas même après avoir été vaincue : vous défendites jufqu'a la derniere extrémité une virginité mourante : vous me regardates comme un ennemi qui vous avoit fait un outrage, non pas comme un époux qui vous avoit aimée : vous fütes plus de trois mois que vous n'ofiez me regarder fans rougir : votre air confus fembloit me reprocher 1'avantage que j'avois pris. Je n'avois pas même une poffefïion tranquille; vous me dérobiez tout ce que vous pouviez de ces charmes & de ces graces; & j'étois enivré des plus grandes faveurs , fans avoir obtenu les moindres. Si vous aviez été élevée dans ces pays-ci , vous n'auriez pas été fi troublée. Les femmes y ont perdu toute retentie; elles fe préfentent devant les hommes a vifage découvert, comme fi elles vouloient demander leur défaite , * elles les cherchent de leurs regards ; elles les voient dans les Mofquées , les promenades, chez elles-mêmes ; 1'ufage de fe faire fervir par des Eunuques leur eft inconnu. Au lieu de cette noble fimplicité & de cette aimable pudeur qui regne parmi vous , on voit une impuD v  8i Lettres dence brutale , a laquelle il eft impoffible de s'accoutumer. Oui, Roxane , fi vous étiez ici, vous vous fentiriez outragée dans Paffreufe ignominie oü votre fexe eft defcendu ; vous fuiriez ces abominables lieux, Si vous foupireriez pour cette douce retraite, oh vous trouvez 1'innocence, oü vous êtes füre de vous - même, oü nul péril ne vous fait trembler , oü enfin vous pouvez m'aimer, fans craindre de perdre jamais 1'amour que vous me devez. Quand vous relevez 1'éclat de votre teint par les plus belles cou.'eurs ; quand vous vous parfumez tout le corps des effences les plus précieufes; quand vous vous parez de vos plus beaux babits ; quand vous cherchez a vous diftinguer de vos compagnes par les graces de la danfe, Sc par la douceur de votre chant, que vous combattez gracieufement avec elles de charmes, de douceur Sc d'enjouement , je ne puis pas m'imaginer que vous ayez d'autre objet que celui de me plaire; Sc quand je vous vois rougir modeftement, que vos regards cherchent les miens, que vous vous infinuez dans mon cceur par des paroles  Persanes, 8} douces ck flatteufes , je ne faurois, Roxane , clouter de votre amour. Mais que puis-je penfer des femmes d'Europe? L'artde compofer leur teint, les ornemens dont elles fe parent, les foins qu'elles prennent de leur perfonne , le défir continuel de plaire qui les occupe, font autant de taches faites a leur vertu, & d'outrages k leur époux. Ce n'eft pas, Roxane , que je penfe qu'elles pmiffent 1'attentat auffi loirt qu'une pareille conduite devroit le faire croire , Sc qu'elles portent la débauche a eet excès horrible qui fait frémir, de violer abfolument la foi conjugale. II yj a bien peu de femmes affez abandon-, nées pour aller jufque-la : elles por< tent toutes dans leur cceur un certain caraclere de vertu qui y eft gravé , que la naiffance donne Sc que l'éducatiori affoiblit, mais ne détruit pas. Elles peuvent bien fe relacher des devoirs extérieurs que la pudeur exige ; mais quand il s'agit de faire les derniers pas, la nature fe révolte. Auffi, quand nous vous enfermons fi étroitement, que nous vous faifons garder par tant d'efclaves , que nous gênons fi fort vos défirs lorfqu'ils volent trop loin, ce D vj  $4 Lettres n'eft pas que nous craignions la derniere infidélité ; mais c'eft que nous favons que la pureté ne fauroit être trop grande, & que la moindre tache peut la corrompre. Je vous plains, Roxane. Votre chafteté, fi long-temps éprouvée', méritoit un époux qui ne vous eüt jamais quittée , & qui put lui-même réprimer les défirs que votre feule vertu fait foumettre. De Paris , Ie j de la lune de Rcgeb , lyiz. (*) Ifpahan, L E T T R E XX VII. Usbek a Nessir, A Ifpahan. N" o u s fommes h préfent a Paris , cette fuperbe rivale de la Ville du foleil (*>. Lorfque je partis de Smyrne, je chargeai mon ami Ibben de te faire tenir une boite, oü il y avoit quelques préfens pour toi : tu recevras cette lettre par la même voie. Quoique éloigné de lui de cinq ou fix cents lieues, je lui  Persanes. 87 donne de mes nouvelles, & je recois des fiennes , auffi. facilement que s'il étoit è Ifpahan, & moi a Com. J'envoie mes lettres a Marfeille, d'oii il part continuellement des vaiffeaux pour Smyrne : de la il envoie celles qui font pour la Perfe, par les caravanes d'Arméniens qui partent tous les jours pour Ifpahan. Rica jouit d'une fanté parfaite; la force de fa conftitution , fa jeuneffe & fa gaieté naturelle , le mettent au-deffus de toutes les épreuves. _ Mais, pour moi, je ne me porte pas bien ; mon corps & mon efprit font abattus : je me livre a des réflexions qui deviennent tous les jours plus triffes: ma fanté qui s'affoiblit, me tourne vers ma patrie, &C me rend ce pays-ci plus étranger. Mais, cher Neffir, je te conjure, fais en forte que mes femmes ignorent 1'état oü je fuis. Si elles m'aiment, je veux épargner leurs larmes; & fi elles ne m'aiment pas, je ne veux point augmenter leur hardieffe. Si mes Eunuques me croyoient en danger , s'ils pouvoient efpérer Pimpunité d'une lache compiaifance , ils  §6 Lettres cefferoient bientöt d'être fourds a la voix flatteufe de ce fexe qui fe fait entendre aux rochers , &c remue les chofes inanimées. Adieu, Neffir. J'ai du plaifir a te donner des marqués de ma confiance. De Paris , U 5 de U lune de Chahban , fji2. L E T T R E XXVIII. Rica a ***. Je vis hier une chofe affez finguliere J quoiqu'elle fe paffe tous les jours a Paris. Tout le peuple s'afiemble fur la fin de 1'après-dinée, & va jouer une efpece de fcene, que j'ai entendu appeler comédie. Le grand mouvement eft fur une eftrade , qu'on nomme le théatre. Aux deux cötés on voit dans de petits réduits, qu'on nomme loges, des hommes & des femmes qui jouent enfemble des fcenes muettes, a peu prés comme celles qui font en ufage en notre Perfe. Ici, c'eft une amante affligée qui exprime fa langueur ; une autre plus animée dévore des yeux fon amant,  Pers a n e s, 87 qui la regarde de même : toutes les paffions font peintes fur les vifages , & exprimées avec une éloquence qui, pour être muette , n'en eft que plus vive. _ La , les AÉtrices ne paroiflént qu'a demi-corps; &t ont ordinairement un manchon par modeftie pour cacher leurs bras. II y a en bas une troupe de gens debout, qui fe moquent de ceux qui font en haut fur le théatre ; & ces derniers rient a leur tour de ceux qui font en bas. Mais ceux qui prennent le plus de peine , font quelques gens qu'on prend pour eet effet dans un age peu avancé pour foutenir la fatigue. Ils font obligés d'être par-tout; ils paffent par des endroits qu'eux feuls connoiffent, mentent avec une adreffe furprenante d'étage en étage; ils font en haut, en bas, dans toutes les loges ; ils piongent, pour ainfi dire ; on les perd , ils reparoiffent, fouvent ils quittent le lieu de la fcene &c vont jouer dans un autre. On en voit même qui par un prodige qu'on n'auroit ofé efpérer de leurs béquilles, marchent, vont comme les autres. Enfin, on fe rend dans des falies, oü 1'on joue une comédie particuliere:  S§ Lettres on commence par des révérences, ort continue par des embraffades : on dit que la connoiffance la plus légere met un homme en droit d'en étouffer un autre. II femble que le lieu infpire de Ia tendreffe. En effet, on dit que les Princeffes qui y regnent ne font point cruelles ; & fi on en exCepte deux ou trois heures du jour, oü elles font affez fauvages, on peut dire que le refte du temps elles font traitables , & que c'eft une ivreffe qui les quitte aifément. Tout ce que je te dis ici fe paffe k peu prés de même dans un autre endroit, qu'on nomme 1'Opéra: toute la différence eft qu'on parle a 1'un , & que 1'on chante k 1'autre. Un de mes amis me mena 1'autre jour dans la loge oü fe déshabilloit une des principales Actrices. Nous fimes fi bien connoiffance, que le lendemain je recus d'elle cette lettre. Monsieur, Je fuis la plus malheureufe file du monde ; j'ai toujours été la plus vertueufe Actrice de t'Opéra. IIy a fept d huil mois que j'étois dans la loge ou vous me vues  P E R S A N E S. 89 hier: comme je m'habillois en Prêtreffe de Diane, un jeune Abbè vint m'y trouver; & fans refpecl pour mon hdbit blanc , mon voile & mon bandeau , il me ravit mon mnocence. J'ai beau lui exagérer le facrifice que je lui ai fait, il fe met d rire, & me foutient qu'il ma trouvée tres-profane. Cependant je fuis fi grojfe que je riofe plus me prifenter fur le thédtre : car je fuis , fur le chapitre de ihonneur, d'une délicatefje inconcevable ; & je foutiens toujours, qua une fille bien nee il efl plus facile de faire perdre la vertu que la modeflie. Avec cette délicatejfe, vous juge^ bien que ce jeune Abbé neut jamais réufji , s'il ne m''avoit promis de fe marier avec moi : un motif fi légitime me fit pafier fur les petites formal'ités ordinaires , & commencerpar oü faurois du finir. Mais puifque fon infidélité ma déshonorée , je ne veux plus vivre d L Opera , oü , entre vous & moi , 1'on nt me donne guere de quoi vivre : car a prêfent que j'avance en dge , & que je perds du cóté des charmes , ma penjion qui efl toujours la même, femble diminuer tous les jours. J'ai appris par un homme de votre fuite , que ton faifoit un cas infini dans votre pays d'une bonne Danfeufe ; & que fi j'étois d Ifpahan, ma fortune feroit  90 Lettres auffl-tót fake. Si vous vouüe^ m'accordeY votre protulion, & memmener avec vous dans ce pays-ld , vous aurie^ Cavantage de faire du bien d une file qui par fa vertu & fa conduite ne fe rendroit pas indigne de vos bontls. Je fuis. ... De Paris, le z de la lune de Chalval, ijiz. LETTRE XXIX. Rica a Ibben, A Smyrne. Le Pape eft le Chef des Chrétiens. C'eft une vieille idole qu'on encenfe par habitude. II étoit autrefois redoutable aux Princes même ; car il les dépofoit auffi facilement que nos magnifiques Sultans dépofent les Rois dTrimette & de Géorgie. Mais on ne le craint plus. II fe dit fucceffeur d'un des premiers Chrétiens, qu'on appelle Saint Pierre : & c'eft certainement une riche fucceffion; car il a des tréfors immenfes, & un grand pays fous fa domination. Les Evêques font des gens de loi qui lui font fubordonnés, & ont fous fon  Persanes. 91 autorité deux fonótions bien différentes. Quand ils font affemblés, ils font comme lui des articles de foi. Quanu ils font en particulier , ils n'ont guere d'autre fonöion que de difpenfer d'accomplir la loi. Car tu fauras que la religion Chrétienne eft chargée d'une infinité de pratiques très-difficiles : & comme on a ; jugé qu'il eft moins aifé de remplir fes devoirs, que d'avoir des Evêques qui en difpenfent, on a pris ce dernier parti t pour 1'utilité publique : de forte que fi ! on ne veut pas faire le ramazan, fi on ne veut pas s'affujettir aux formalités i des mariages , fi on veut rompre fes ' vceux , fi on veut fe marier contre les défenfes de la loi, quelquefois même fi on veut revenir contre fon ferment, on va a PEvêque ou au Pape, qui donne auffi-töt la difpenfe. Les Evêques ne font pas des articles de foi de leur propre mouvement. II y a un nombre infini de Dofteurs , la plupart Dervis, qui élevent entre eux 1 mille queftions nouvelles fur la religion ; on les laiffe difputer long-temps, & la guerre dure jufqu'a ce qu'une . décifion vienne la terminer. Auffi puis-je t'affurer qu'il n'y a  92 Lettres jamais eu de Royaume oü il y ait eu tant de guerres civiles , que dans celui de Chrift. Ceux qui mettent au jour quelque propofition nouvelle font d'abord appelés Hérétiques. Chaque héréfie a fon nom, qui eft, pour ceux qui y font engagés , comme le mot de ralliement. Mais n'eft Bérétique qui ne veut : il n'y a qu'a partager le différent par la moitié, & donner une diftinction k ceux qui accufent d'héréfie; & quelle que foit la diftin£tion , intelligible ou non , elle rend un homme blanc comme de la neige, ck il peut fe faire appeler orthodoxe. Ce que je te dis eft bon pour la France & 1'Allemagne : car j'ai ouï dire qu'en Efpagne & en Portugal, il y a de certains Dervis qui n'entendent point raillerie , & qui font brüler un homme comme de la paille. Quand on tombe entre les mains de ces gens-la , heureux celui qui a toujours prié Dieu avec de petits grains de bois k la main, qui a porté fur lui deux morceaux de drap attachés k deux rubans , & qui a été quelquefois dans une Province qu'on appelle la Galice! Sans cela, un pauvre diable eft  Persanes. 93 bien embarraffé. Quand il jureroit comme un Païen qu'il eft orthodoxe , on pourroit bien ne pas demeurer d'accord des qualités, & le brüler comme Hérétique; il auroit beau donner fa diftinflion : point de diftin&ion; il feroit en cendres, avant que 1'on eüt feulement penfé a 1'écouter. Les autres Juges préfument qu'un accufé eft innocent; ceux-ci le préfument toujours coupable. Dans le doute, ils tiennent pour regie de fe déterminer du cöté de la rigueur ; apparemment paree qu'ils croient les hommes mauvais : mais, d'un autre cöté, ils en ont fi bonne opinion, qu'ils ne les jugent jamais capables de mentir ; car ils recoivent le témoignage des ennemis capitaux , des femmes de mauvaife vie , de ceux qui exercent une profeffion infame. Ils font dans leur fentence un petit compliment a ceux qui font revêtus d'une chemife de foufre, & leur difent qu'ils font bien fachés de les avoir fi mal habillés, qu'ils font doux, qu'ils abhorrent le fang , &Z font au défefpqir de les avoir condamnés : mais, pour fe confoler , ils confifquent tous les biens de ces malheureux è leur profit.  $4 Lettres Heureufe la terre qui eft habitée par les enfans des Prophetes ! Ces triftes fpeöacles y font inconnus (*). La fainte religion que les Anges y ont apportée, fe défend par fa vérité même; elle n'a point befoin de ces moyens violens pour fe maintenir. De Paris , le 4 de la lune de Chalval, tyi z3 LETTRE XXX. Rica au même, A Smyrne. Les Habitans de Paris font d'une curiofité qui va jufqu'a 1'extravagance. Lorfque j'arrivai, je fus regardé comme fi j'avois étéenvoyé'du ciel: vieillards, hommes, femmes, enfans, tous vouloient me vcir. Si je fortois, tout le monde fe mettoit aux fenêtres; fi j'étois aux Tuileries, je voyois auifi-tot un cercle fe former autour de moi; les femmes même faifoient un arc-enciel nuance de mille couleurs, qui m'en- ( *) Les Perfans (ont les plus toléraps de tem les ^lahométans.  P E R S A N E 9. 9.ois furent renverfés ; Lucifer fut jeté au fond de la mer; & ce ne fut qu'après avoir nagé pendant quarante jours, qu'il fortit de 1'abyme & s'enfuit fur le Mont Cabès , d'oü avec une voix terrible il appela les Anges. Cette nuit, Dieu pofa un terme entre 1'homme & la femme, qu'aucun d'eux ne put paffer. L'art de Magiciens & Nécromans fe trouva fans vertu. On entendit une voix du ciel qui difoit ces paroles : J'ai envoyé au monde mon ami fidelie. Selon le témoignage d'Isben Aben, Hiftorien Arabe , les générations des oifeaux, des nuées, des vents , & tous les efcadrons des Anges, fe réunirent pour élever eet enfant & fe difputerent eet avantage. Les oifeaux difoient dans  Persanes. 119 leurs gazouillemens , qu'il étoit plus commode qu'ils 1'éievaiTent, paree qu'ils pouvoient plus facitement raffembler pkifieurs fruits de divers lieux. Les Vents murmuroient &C difoient : C'eft plutot a nous, paree que nous pouvons lui apporter de tous les endroits les odeurs les plus agréables. Non , non , dilb;ent les nuées ; non, c'eft a nos foins qu'il fera confié , paree que nous lui ferons part k tous les inftans de la fraicheur I des eaux. La-deffus les Anges indignés : s'écrioient : Que nous reftera-t-il donc i a faire ? Mais une voix du ciel fut enteni due , qui termina toutes les difputes. II i rie fera point öté d'entre les mains des ' mortels , paree que heureufes les mal melles qui 1'aüaiteront , & les mains qui le toucheront , & la maifon qu'il habitera , & le lit oü il repofera. Après tant de témoignages fi éclatans, mon cher Jcfué, il faut avoir un cceur de fer pour ne pas croire' fa fainte loi. Que pouvoit faire davantage le ciel pour autorifer fa miflïon divine, k moins de renverfer la nature , & de faire périr les hommes même qu'il vouloit convaincre? De Paris, le io de la lune de Regel, 1713*  '110 Lettres LET T*R E XL. Usbek a Ibben , A Smyrne. s qu'un Grand eft mort, on s'affemble dans une Mofquée, & 1'on fait fon Oraifon funebre, qui eft un difcours a fa louange, avec lequel on feroit bien embarraffé de décider au jufte du mérite du défunt. Je voudrois bannir les pompes funebres. Il faut pleurer les hommes a leur naiffance, & non pas a leur mort. A quoi fervent les cérémonies & tout 1'attirail lugubre qu'on fait paroitre a un mourant , dans ces derniers momens , les larmes même de fa familie & la douleur de fes amis, qu'a lui exagérer la perte qu'il va faire ? Nous fommes fi aveugles , que nous ne favons quand nous devons nous affliger ou nous réjouir : nous n'avons prefque jamais que de fauffes trifteffes ou de fauffes joies. Quand je vois Ie Mogol, qui toutes les années va fottement fe mettre dans une  Persanes. III fane balance & fe faire pefer comme un bceuf; quand je vois les peuples fe réjouir de ce que ce Prince eft devenu plus matériel, c'eft-a-dire, moins capable de les gouverner, j'ai pitié , Ibben , de 1'extravagance humaine. De Paris , le 20 de la lune de Rhe'geb , 1713. LETTRE XLI. Le premier Eunuque noir, a Usbek. Ismael, un de tes Eunuques noirs, vient de mourir, magnifïque Seigneur, & je ne puis m'empêcher de le remplacer. Comme les Eunuques font extrêmement rares a préfent, j'avois penfé de me fervir d'un efclave noir que tu as a la campagne; mais je n'ai pu jufqu'icï le porter a fouffrir qu'on le confacrat a eet emploi. Comme je vois qu au bout du compte c'eft fon avantage, je voulus 1'autre jour ufer a fon égard d'un peu de rigueur ; & de concert avec 1'Intendantde tes jardins, j'ordonnai que, malgré lui, on le mit en état de te rendre; E  "itt Lettres les fervices qui flattent le plus ton cceur, & de vivre comme moi dans ces redoutableslieux, qu'il n'ofe pas mêmeregarder : mais il fe mit a hurler, comme fi on avoit voulu 1'écorcher, & fit tant qu'il échappa de nos mains & évita le fatal couteau. Je viens d'apprendre qu'il veut t'écrire pour te demander grace, foutenant que je n'ai conc:u ce deffein que par un défir infatiable de vengeance fur certaines railleries piquantes qu'il dit avoir faites de moi. Cependant je te le jure par les cent mille Prophetes, que je n'ai agi que pour le bien de ton fervice, la feule chofe qui me foit chere, & hors laquelle je ne regarde rien. Je me profterne a tes pieds. Du Sérail de Fatmé le 7 «f ÏL L i R E L I V. Rica a Usbek, ^ * * * T" ■ J e t o i s ce matin dans ma chambre qui, comme tu fais, n'eft féparée des autres que par une cloifon fort mince, & percée en plufieurs endroits; de forte qu'on entend tout ce qui fé dit dans la chambre voifine. Un homme qui fe promenoit a grands pas , difoit è un autre : Je ne fais ce que c'eft, mais tout (e tourne contre moi. II y a plus de trois jours que je n'ai rien dit qui m'ait fait honneur; & je me fuis trouve confondu pele-mde dans toutes les converfations, fans qu'on ait fait la moindre attention k moi, & qu'on m'ait deux fois adreffé la  P E R S A N E S. 163 parole. J'avois préparé quekjues faiilies pour relever mon dlfcóurs; jamais on n'a vouhi fouffrir que je les fiffe venir : j'avois un conté fort joli a faire ; mais a mefure que j'ai voulu 1'approcher, on 1'a efquivé comme fi on 1'avoit faitexprès: j'ai quelques bons mots, qui depuis quatre jours vieilüffent dans ma tête, fans que j'en aie pu faire le moindre ufage. Si cela continue , je crois qu'a la fin je ferai un fot; il femble que ce foit mon étoile , & que je ne puiffe m'en difpenfer. Hier j'avois efpéré de briller avec trois ou quatre vieilles femmes, qui certainement ne m'en impofent point, Ö£ je devois dire les plus jolies chofes du monde. Je fus plus d'un quart-d'heure a diriger ma converfation; mais elles ne tinrent jamais un propos fuivi, & elles couperent, comme des parques fatales, le fil de tous mes difcours. Veüx-tu que je te dife ? la réputation de bel efprit coüte bien a foutenir. Je ne fais comment tu as fait pour y parvenir. II me vient une penfée , reprit 1'autre : travaillons de concert a nous donner de 1'efprit ; affocions-nous pour cela. Chaque jour nous nous dirons de quoi nous devons patier; & nous nous fecourrons  164 Lettres fi bien, que fi quelqu'un vient nous interrompre au milieu de nos idéés, nous 1'attirerons nous-mêmes; & s'il ne veut pas venir de bon gré, nous lui ferons violence. Nous conviendrons des endroits oii il faudra approuver, de ceux ou il faudra fourire, des autres oü il faudra rire tout-a-fait & a gorge déployée. Tu verras que nous donnerons le ton a toutes les converfations, & qu'on admirera la vivacité de notre efprit & le bonheur de nos reparties. Nous nous protégerons par des fignes de tête mutuels. Tu brilleras aujourd'hui, demain tu feras mon fecond. J'entrerai avec toi dans une maifon, & je m'écrierai en te montrant : II faut que je vous dife une réponfe bien plaifante que Monfieur vient de faire a un homme que nous avons trouvé dans la rue. Et je me tournerai vers toi: II ne s'y attendoit pas, il a été bien étonné. Je réciterai quelques-uns de mes vers , & tu diras : J'y étois quand il les fit ; c'étoit dans un fouper, & il ne rêva pas un moment. Souvent même nous nous raillerons toi & moi, & 1'on dira : Voyez comme ils s'attaquent, comme ils fe dcfendent; ils  Pers a .n e s. 16*5 ne s'épargnent pas; voyons comment il fortïra de la. A merveille; quelle prefence d'efprit! voila une véritable bataille. Mais on ne dira pas que nous nouS étions efcarmouchés la veille. Ij faudra acheter de certains livres , qui font des recueils de bons - mots , compotes a 1'ufage de ceux qui n'ont point d eiprit, & qui en veulent contrefaire ; tout depend d'avoir des modeles. Je veux qu avant fix mois nous foyons en etat de tenir une converfation d'une heure , toute remplie de bons - mots. Mais il faudra avoir une attention; c'eft de ioutenir leur fortune. Ce n'eft pas affez de dire un bon-mot; il faut le répandre &C le femer par-tout; fans cela autant de perdu ; & je t'avoue qu'il n'y a rien de fi défolant que de voir une jolie chole qu'on a dite, mourir dans 1'oreille d un fot qui 1'entend. II eft vrai que fouvent il y a une compenfation, & que nous diions auffi bien des fottifes qui paffent incognito ; & c'eft la feule chofe qui peut nous confbler dans cette occalion. Voila , mon cher , le parti qu'il nous faut prendre. Fais ce que je te dirai, &C je te promets avant fix mois une place k 1'Académie. C'eft pour te dire que le  'ï66 Lettres travail ne fera pas long: car pour lors tu pourras renoncer a ton art; tu feras homme d'efprit, malgré que tu en ayes. On remarque en France, que dès qu'un homme entre dans une Compagnie , il prend d'abord ce qu'on appelle°l'efprit du Corps : tu feras' de même , & je ne crains pour toi que 1'embarras des applaudiffemens. De Paris , le 6 de U lunedeZilcadc', 1714. LETTRE LV. Rica a Ib ben, A Smyrne. V>hez les peuples d'Europe le premier quart-d'heure du mariage aplanit toutes les difficultés; les dernieres faveurs font toujours de même date que Ia bénédidion nuptiale. Les femmes n'y font point comme nos Perfanes, qui difputent le terrain quelquefois des ntois entiers : il n'y a rien de fi plénier; elles ne perdent rien, c'eft qu'elles n ont nen a perdre ; mais on fait toujours , chofe honteufe I le moment de leur defaite; & fansconfulter les aftres,  P E R S A N E S. l6j ©n peut prédire au jufte 1'heure de la naiffance de leurs enfans. Les Frangois ne parient prefque jamais de leurs femmes : c'eft qu'ils ont peur d'en parler devant des gens qui les connoiffent mieux qu'eux. II y a parmi eux des hommes trèsmalheureux que perfonne ne confole, ce font les maris jaloux ; il y en a que tout le monde hait, ce font les maris jaloux ; il y en a que tous les hommes méprifent, ce font encore les maris jaloux. Auffi n'y a-t-il point de pays, oü ils foient en fi petit nombre que chez les Francois. Leur tranquillité n'eft pas fondée iur la confianee qu'ils ont en leurs femmes; c'eft au contraire fur la mauvaife opinion qu'ils en ont. Toutes les fages précautions des Afiatiques, les voiles qui les couvrent, les prifons oü elles font détenues, la vigilance des 'Eunuques, leur paroiffent des moyens plus propres a exercer l'induftrie de ce fexe , qu'a la laffer. Ici les maris pren» nent leur parti de bonne grace , &£ regardent les infidélités comme des coups d'une étoile inévitable. Un mari qui youdroit feul pofféder fa femme, feroi*  V68 Lettres regardé comme un perturbateur de la joie publique, & comme un infenfé qui voudroit jouir de la lumiere du foleil, k 1'exclufion des autres hommes. Ici un mari qui aime fa femme eft un homme qui n'a pas affez de mérite pour fe faire aimer d'une autre; qui abufe de la néceflité de la loi, pour fuppléer aux agrémens qui lui manquent; qui fe fert de tous fes avantages , au préjudice d'une fociété entiere ; qui s'approprie ce qui ne lui avoit été donné qu'en engagement; & qui agit autant qu'il eft en lui, pour renverfer une convention tacite qui fait le bonheur de 1'un & de 1'autre fexe. Ce titre de mari d'une jolie femme , qui fe cache en Afie avec tant de foin, fe porte ici fans inquiétude. On fe fent en état de faire diverfion par-tout. Un Prince fe confole de la perte d'une place, par la prife d'une autre : dans le temps que le Turc nous prenoit Bagdat, n'enlevions-nous pas au Mogol la fortereffe de Candahar ? Un homme qui en général fouffre les infidélités de fa femme, n'eft point défapprouvé; au contraire , on le loue de fa prudence : il n'y a que les cas particuliers qui déshonorent, Ce  Persanes. ió? Ce n'eft pas qu'il n'y ait des Dames vertueufes , & on peut dire qu'elles font diftinguées ; mon conducteur me_l.es faifoit toujours remarquer : mais elles étoient toutes fi laides, qu'il faut être un faint pour ne pas haïr la vertu. Après ce qüe je t'ai dit des mceurs de ce pays-ci, tu t'imagines facilement que les Francois ne s'y piquent guere de conftance. Ils croient qu'il eft auffi ridicule de jurer a une femme qu'on 1'aimera toujours, que de foutenir qu'on fe portera toujours bien, ou qu'on fera toujours heureux. Quand ils promettent k une femme qu'ils 1'aimeront toujours, ils fuppofent qu'elle de fon cöté leur promet d'être toujours aimable ; & fi elle manque k fa parole, ils ne fe croient plus engagés k la leur. De Paris, Ie 7 de la lunt, de Zilcadi, tyn* H  570 Lettres LETTRE LVI. Usbek a Ibben, A Smyrne. 3Le jeu eft trés en ufage en Europe: c'eft un état que d'être joueur ; ce feul titre tient lieu de naiffance , de bien , de probité ; il met tout homme qui le porte , au rang des honnêtes gens, fans examen ; quoiqu'il n'y ait perfonne qui ne fache qu'en jugeant ainfi , il s'eft trcmpé très-fouvent : mais on eft convenu d'être incórrigible. Les femmes y font fur-tout trèsadonnées. II eft vrai qu'elles ne s'y livrent guere dans leur jeuneffe que pour favorifer une paffion plus chere; mais a mefure qu'elles vieilliffent, leur paffion pour le jeu femble rajeunir, & cette paffion remplit tout le vide des autres. Elles veulent ruiner leurs maris; Sc pour y parvenir elles ont des moyens pour tous les ages, depuis la plus tendre jeuneffe jufqu'a la vieilleffe la plus décrépite ; les habits & les équipages cómmencent le dérangement, la coquer.-< fgrje faugmente, le jeu 1'acheye»  Persanës; 171 J'ai vu fouvent neuf ou dix femmes, ou plutöt neuf ou dix fiecles, rangées autour d'une table; je les ai vues dans leurs efpérances, dans leurs craintes, dans leurs joies, fur-tout dans leurs fureurs. Tu aurois dit qu'elles n'auroient jamais le temps de s'appaifer, & que la vie alloit les quitter avant leur défefpoir : tu aurois été en doute fi ceux qu'elles payoient étoient leurs créanciers ou leurs légataires. II femble que notre faint Prophete ait eu principalement en vue de nous priver de tout ce qui peut troubler notre raifon: il nous a interdit 1'ufage du vin , qui la tient enfeveüe ; il nous a, par un précepte exprès, défendu les jeux de 1 fcafard; 8c quand il lui a été impoffible d'öter la caufe des paflions, il les a amorties. L'amour parmi nous ne porte ni trouble ni fureur : c'eft une paffion langulffante qui laiffé notre ame dans le calme : la pluraüté des femmes nous fauve de leur empire ; elle tempere la yiolence de nos défirs. De Paris, le 10 de la hint de Zilkagi, 1714, Hij  i72 Lettres LETTRE LVII. Usbek a Rhédi, A Venife. Les libertins entretiennent ici un nombre infini de filles de joie , & les dévots un nombre innombrable de Dervis. Ces Dervis font trois vceux, d'obéiffance , de pauvreté & de chafteté. On dit que le premier eft le mieux obfervé de tous; quant au fecond , je te réponds qu'il ne 1'eft point ; je te laiffe k juger du troifieme. Mais, quelque riches que foient ces Dervis, ils ne quittent jamais la qualité de pauvres; notre glorieux Sultan reflonceroit plutöt a fes magnifiques & fublimes titres : ils ont railbn, car ce titre de pauvres les empêche de 1'être. . Les Médecins & quelques-uns de ces Dervis qu'on appelle Confeffeurs, font toujours ici ou trop eftimés , ou trop méprifés: cependant on dit que les héritiers s'accommodent mieux des Méde* eins que des Confeffeurs. Je fus 1'autre jour dans un couvent de ces Dervis. Un d'entre eux, vénérable  PERSA NES. 173 par fes cheveux blancs, m'accueillit fort honnêtement : il me fit voir toute la maifon. Nous entrames dans le jardin, & nous nous mimes a difcourir. Mon Pere , lui dis-je, quel emploi avez-vous dans la Communauté ? Monfieur, me répondit-il avec un air très-content de ma queftion , je fuis cafuifte. Cafuifte? repris-je. Depuis que je fuis en France, je n'ai pas om parler de cette charge. Quoi! vous ne favez pas ce que c'eft qu'un cafuifte ? Hé bien, écoutez, je vais vous en donner une idéé qui ne vous laiffera rien a défirer. II y a deux fortes de péchés; de mortels, qui excluent abf> lument du paradis ; & de véniels , qui offenfent Dieu a la vérité, mais ne 1'irritent pas au point de nous priver de la béatitude : Or tout notre art confiftea bien diftinguer ces deux fortes de péchés ; car a la réferve de quelques libertins , tous les Chrétiens veulent gagner le paradis; mais il n'y a guere perfonne qui ne le veuille gagner au meilleur marché qu'il eft poffible. Quand on connoit bien les péchés mortels, on tache de ne pas commettre de ceux-la , & 1'on fait fon affaire. II y a des hommes qui n'afpirent pas k une fi grande perfection ; & H iij  174 Lettres comme ils n'ont point d'ambition , ils ne fe foucient pas des premières places : auffi entrent-ils en paradis Ie plus jutte qu'ils peuvent; pourvüqu'ils y foient, cela leur fuffit : leur but eft de n'en faire ni plus ni moins. Ce font des gens qui raviflent le ciel, plutöt qu'ils ne 1'obtiennent, & qui difent a Dieu : Seigneur , j'ai accompli les conditions a la rigueur ; vous ne pouvez vous empêcher de tenir vos promeffes : comme je n'en ai pas fait plus que vous n'en avez demandé, je vous difpenfe de m'en accorder plus que vous n'en avez promis. Nous fommes donc des gens néceffaires, Monfieur. Ce n'eft pas tout pourfant; vous allez bien voir au^re chofe. 'L'a&ion ne fait pas le crime , c'eft la connoiffance de celui qui la commet : celui qui fait un mal, tandis qu'il peut croire que ce n'en eft pas un, eft en fureté de confcience : & comme il y a un nombre infini d'a&ions équivoques, un cafuifte peut leur donner un degré de bonté qu'elles n'ont point, en les déclarant bonnes ; & pourvu qu'il puiffe perfuader qu'elles n'ont point de venin, il Ie leur öte tout entier. Je vous dis ici le fecret d'un métier  P e r s a n e s. 175 011 j'ai vieilli; je vous en fais voir les raffinemens: il y a un tour a donner a tout, même aux chofes qui en paroiffent le moins fufceptibles. Mon Pere, lui dis-je, cela eft fort bon : mais comment vous accommodez-vous avec le Ciel ? Si le Sophi avoit a fa Cour un homme qui fit a fon égard ce que vous faites contre votre Dieu, qui mit de la différence entre fes ordres , & qui apprit a fes^ fujets dans quel cas ils doivent les exé-' cuter , dans quel autre üs peuvent les violer, il le feroit empaler fur 1'heure. Je faluai mon Dervis , & le quittai fans attendre fa réponfe. De Petris , le 25 ite la lune de Maharram , 1714- LETTRE LVIII. Rica a Rhédi, A Venife. A Paris , mon cher PJiédi, il y a bien des métiers. La, un homme obligeant vient pour un peu d'argent vous offrir le fecret de faire de 1'or. Un autre vous promet de vous faire coucher avec les Efprits aériens, pourvu H iy  fijS Lettres que vous foyez feulement trente ans fans voir de femmes. Vous trouverez encore des devins fi habiles, qu'üs vous diront toute votre vie, pourvu qu'ils ayent feulement eu un quart-d'heure de converfation avec vos domeftiques. Des femmes adroites font de la virginité une fleur , qui périt & renaït tous les jours, & fe cueille la centieme fois plus douloureufement que la première. II y en a d'autres qui, réparant par Ia force de leur art toutes les injures du temps , favent rétablir fur un vifage une beauté qui chancelle, & même rappeler une femme du fommet de la vieilleffe pour la faire redefcendre jufqu'a la jeuneffe la plus tendre. Tous ces gens - la vivent, ou cherchent a vivre, dans une ville qui eft la mere de 1'invention. Les revenus des citoyens ne s'y afTerment point; ils ne confiftent qu'en efprit & en induftrie: chacun a la fienne, qu'il fait valoir de fon mieux. Qui voudroit nombrer tous les gens de loi qui pourfuivent le revenu de quelque Mofquée , auroit auffi-töt compté les fables de la mer Sdes efclaves de notre Monarque.  PeRSANES. 177 Un nombre ïnfini de maitres de lan«ues, d'arts & de fciences, enfeignent ce qu'ils ne favent pas: & ce talent eft bien confidérable ; car il ne faut pas beaucoup d'efprit pour montrer ce qu on fait, mais il en faut infimment pour enfeigner ce qu'on ignore. . On ne peut mourir ici que fubitement ; la mort ne fauroit autrement exercer fon empire: car il y a dans tous les coins des gens qui ont des remedes infaillibles contre toutes les maladies imaginables. Toutes les boutiques font tendues de filets invifibles, oü fe vont prendre tous les acheteurs. L'on en fort pourtant quelquefois a bon marché : une jeune marchande cajole un homme une heure entiere , pour lui faire acheter un paquet de cure-dents. II n'y a perfonne qui ne forte de cette "Ville plus précautionné qu'il n'y eft entré : a force de faire part de fon bien aux autres, on apprend a le conferver; feul avantage des étrangers dans cette Ville enchantereffe. De Paris , le 10 de la lune deSaphar, 1714.  178 Lettres LETTRE LIX. Rica a Usbek, ^ * * * J'étois 1'autre jour dans une maifon ; oü il y avoit un cercle de gens de toute efpece : je trouvai la converfation occupée par deux vieilles femmes, qui avoient en vain travaillé tout le matin k fe rajeunir. II faut avouer, difoit une d'entre elles, que les hommes d'aujourd'hui font bien diiférens de ceux que nous voyions dans notre jeuneffe: ils étoient polis, gracieux, complaifans ; mais a préfent je les trouve d'une brutalité infupportable. Tout eft changé, dit pour lors un homme qui paroiffoit accablé de goutte; le temps n'eft plus comme il étoit: il y a quarante ans tout le monde fe portoit bien ; on marchoit, on étoit gai, on ne demandoit qu'a rire & k danfer : k préfent tout le monde eft d'une trifteffe infupportable. Un moment après la converfation tourna du cöté de la polk ique. Morbleu, dit un vieux Seigneur, 1'Etat n'eft plus gouverné : trouvez-moi a préfent un Miniftre comme Monfieur,  P E R S A N E Si 179 Colbert: je le connoiffois beaucoup ce Monfieur Colbert; il étoit de mes amis; il me faifoit toujours payer de mes penfions avant qui que ce fut. Le bel ordre qu'il y avoit dans les finances! tout le monde étoit a fon aife , mais aujourd'hui je fuis ruiné. Monfieur, dit pour lors un Eccléfiaftique, vous parlez-la dü temps le plus miraculeux de notre invincible Monarque : y a-t-il rien de fi grand que ce qu'il faifoit alors pour détruire 1'héréfie ? Et comptez-vous pour rien 1'abolition des duels, dit d'un air content un autre homme, qui n'avoit point encore parlé ? La remarque eft judicieufe, me dit quelqu'un a 1'oreillé : eet homme eft charmé de 1'édit; & il 1'obferve fi bien, qu'il y a fix mois qu'il recut cent coups de baton pour ne le pas violer. II me femble, Usbek, que nous ne jugeons jamais des chofes que par un retour fecret que nous faifons fur nousmêmes. Je ne fuis pas furpris que les Negres peignent le Diable d'une blancheur éblöuiffante, & leurs Dieux noirs comme du charbon ; que la Vénus de certains peuples ait des mamelies qui lui pendent jufques aux cuiffes; 65 H vj  rjgo L E T TRES qu'enfin tous les Idolatres ayent repréfenté leurs Dieux avec une figure humaine , & leur ayent fait part de toutes leurs inclinations. On a dit fort bien que fi les triangles faifoient un Dieu, ils lui donneroient trois cötés. Mon cher Usbek , quand je vois des hommes qui rampent fur un atome , c'eft-a-dire la terre, qui n'eft qu'un point de 1'univers, fe propofer direótetement pour modeles de la Providence, je ne fais comment accorder tant d'ex.travagance avec tant de petiteffe. De Paris , le 14 de la lune de Saphar, 1714. LETTRE LX. Usbek a Ibben, A Smyrne. Tu me demandes s'il y a des Juifs en France ? Sache que par - tout oü il y a de 1'argent, il y a des Juifs. Tu me demandes ce qu'ils y font ? Précifément ce qu'ils font en Perfe : rien ne reffemble plus a un Juif d'Afie , qu'un Juif Europeen, lis font paroitre, chez les Chrétiens.  Persanes. 181 comme parmi nous, une obftination invincible pour leur religion , qui va jufqu'a la folie. La religion Juive eft un vieux tronc qui a produit deux branches qui ont couvert toute la terre, je veux dire Ie Mahométifme & le Chriftianifme : ou plutöt, c'eft une mere qui a engendré deux rilles, qui 1'ont accablée de mille plaies: car en fait de religion, les plus proches font les plus grandes ennemies. Mais quelques mauvais traitemens qu'elle en ait recus, elle ne lailfe pas de fe glorifier de les avoir mifes au monde : elle fe fert de 1'une & de 1'autre pour embraiTer le monde entier , tandis que d'un autre cöté fa vieillelfe vénérable embratTe tous les temps. Les Juifs fe regardent donc comme Ia fource de toute fainteté, & 1'origine de toute religion : ils nous regardent, au contraire , comme des hérétiques qui ont changé la loi, ou plutöt comme des Juifs rebelles. Si le changement s'étoit fait infenliblement, ils croient qu'ils auroient été facilement féduits : mais comme il s'eff fait tout-a-coup & d'une maniere violente i comme ils peuvent marquer le;  'i$z Lettres jour & 1'heure de 1'une & de 1'autre naiffance , ils fe fcandalifent de trouver en nous des ages, & fe tiennent fermes a une religion que le monde même n'a pas précédée. Ils n'ont jamais eu dans 1'Europe un calme pareil a celui dont ils jouiffent. On commence a fe défaire , parmi les Chrétiens , de eet efprit d'intolérance qui les animoit: on s'eft mal 'trouvé en Efpagne 4e les avoir chaffés, & en France d'avoir fatigué des Chrétiens dont la croyance différoit un peu de celle du Prince. On s'eft appercu que le zele pour les progrès de la religion eft différent de 1'attachement qu'on doit avoir pour elle, & que pour 1'aimer &l 1'obferver , il n'eft pas néceffaire de haïr & de perfécuter ceux qui ne 1'obfervent pas. II feroit a fouhaiter que nos Mufulmans penfaffent aufïi fenfément fur eet article , que les Chrétiens ; que 1'on put une bonne fois faire la paix entre Hali & Abubcker , &c laiffer a Dieu le foin de décider des mérites de ces faints Prophetes. Je voudrois qu'on les honorat par des adtes de vénération & de refpecf, & non par de vaines préférences; ik qu'on chercMt amériter leur faveur^  PERSANES. IoJ quelque place que Dieu leur ait marquée, foit a fa clroite , ou bien fous le marche-pied de fon tröne. De Paris , le 18 de la lune de Saphar , LETTRE LXI. Usbek a Rhédi , A Venife. J'entrai 1'autre jour dans une Eglife fameufe , qu'on appelle Notre-Dame : pendant que j'admirois ce fuperbe édifice, j'eus occafion de m'entretenir avec un Eccléfiaftique que la curiofité y avoit attiré comme moi. La converfation tomba fur la tranquillité de fa profeffion. La plupart des gens , me dit-il, envient Ie bonheur de notre état, & ils ont raifon: cependant il a fes défagrémens: nous ne fommes point fi féparés du monde, que nous n'y foyons appelés en mille occafions : la, nous avonsun röle très-difficile a foutenir. Les gens du monde font étonnant; ils ne peuvent fouffrir notre approbapon ninos cenfures: fi nous les voulon^  Lettres corriger, ils nous trouvent ridicules; fi nous les approuvons, ils nous regardent comme des gens au-deffous de notre caractere. II n'y a rien de fi humiliant que de penfer qu'on a fcandalifé les impies même. Nous fommes donc obligés de tenir une conduite équivoque, & d'en impofer aux libertins , non pas par un cara&ere décidé , mais par 1'incertitude oü nous les meftons de la maniere dont nous recevons leurs difcours. II faut avoir beaucoup d'efprit pour cela; eet état de neutralité eft difficile : les gens du monde, qui hafardent tout, qui fe livrent a toutes leurs faillies , qui felon le fuccès les pouffent ou les abandonnent , réulTiiTent bien mieux. Ce n'eft pas tout. Cet état fi heureux & fi tranquille , que 1'on vante tant, nous ne le confervons pas dans le monde. Dès que nous y paroiftons , on nous fait difputer: on nous fait entreprendre, par exemple, de prouver 1'utilitéde la priere a un homme qui ne croit pas en Dieu; la néceffité du jeune , a un autre qui a nié toute fa vie 1'immortalité de 1'ame : 1'entreprife eft laborieufe, & les rieurs ne font pas pour nous. II y a plus : une certaine envie d'attirer les autres dans  Persanes. 185 hos opïnions nous tourmente fans ceffe, & eft, pour ainfi dire, attachée a notre profeffion. Cela eft auffi ridicule que fi on voyoit les Européens travailler , en faveur de la nature humaine, a blanchir le vifage des Africains. Nous troublons 1'Etat; nous nous tourmentons nousmêmes , pour faire recevoir des points de religion qui ne font point fondamentaux ; & nous reffemblons a ce conquérant de la Chine qui pouffa fes fujets a une révolte générale , pour les" avoir voulu obliger a fe rogner les cheveux ou les ongles. Le zele même que nous avons pour faire remplir k ceux dont nous fommes chargés les devoirs de notre fainte religion , eft fouvent dangereux; & il ne fauroit être accompagné de trop de prudence. Un Empereur nommé Théodofe fit paffer au fil de 1'épée tous les habitans d'une Ville , même les femmes & les enfans: s'étant enfuite préfenté pour entrer dans une Eglife , un Evêque nommé Ambroife lui fit fermer les portes, comme a un meurtrier & un facrilege; & en cela il fit une adtion héroïque. Cet Empereur ayant enfuite fait la pénitence qu'un tel crime exigeoit, étant admis  i.86 Lettres dans 1'Eglife, alla fe placer parmi les Prêtres ,1e même Evêque 1'en fit fortir: & en cela il fit 1'aft ion d'un fanatique; tant il eft vrai que 1'on doit fe dérier de fon zele. Qu'importoit a la Religion ou a 1'Etat, que ce Prince eüt ou n'eüt pas une place parmi les Prêtres ? De Paris , le i de la lune de Rebiab , / , '714. L E T T R E LXII. Zélis a Usbek , A Paris. X a fille ayant atteint fa feptieme année, j'ai cru qu'il étoit temps de la faire paffer dans les appartemens intérieurs du Sérail, & de ne point atrendre qu'elle ait dix ans, pour la confier aux Eunuques noirs. On ne fauroit de trop bonne heure priver une jeune perfonne des libertés de 1'enfance, & lui donner une éducation fainte dans les fecrés murs oü la pudeur liabite. Car je ne puis être de 1'avis de ces meres qui ne renferment leurs filles que lorfqu'elles font fur le point de leur donner un époux; qui les condamnent  P E R S A N E S. 187 au Sérail plutöt qu'elles ne les y confacrent, & leur font embralTerviolemment une maniere de vie qu'elles auroient dü leur infpirer. Faut-il tout attendre de la force de la raifon, & rien de la douceur de 1'habitude ? C'eft en vain que 1'on nous parle de la fubordination ou Ia nature nous a mifes : ce n'eft pas alTez de nous la faire fentir, il faut nous la faire pratiquer, afin qu'elle nous foutienne dans ce temps critique oü les paflions commencent a naitre & k nous encourager a 1'indépendance. Si nous n'étions attachées k vous que par le devoir, nous pourrions quelquefois 1'oublier : fi nous n'y étions entrainées que par le penchant, peut-ëtre un penchant plus fort pourroit 1'affoiblir. Mais quand les lois nous donnent k un homme, elles nous dérobent k tous les autres , & nous mettent auffi loin d'eux que fi nous en étions k cent mille lieues. La nature induftrieufe en faveur des hommes, ne s'eft pas bornée a leur donner des défirs ; elle a voulu que nous en euffions nous-mêmes , & que nous fuffions des inftrumens animés de leur félicité : elle nous a mifes dans le feu des  i88 Lettres paffions, pour les faire vivre tranquilles : s'ils fortent de leur infenfibilité , elles nous a deftinées a les y faire rentrer, fans que nous puiffions jamais goüter eet heureux état oii nous les mettons. Cependant, Usbek, ne t'imagine pas que ta fituation foit plus heureufe que la mienne : j'ai goüté ici mille plaifirs que tu ne connois pas. Mon imagination a travaillé fans ceffe a m'en faire connoitre le prix ; j'ai vécu , öi tu n'as fait que languir. Dans la prifon même oü tu me retiens , je fuis plus libre que toi. Tu ne faurois redoubler tes attentions pour me faire garder, que je ne jouiffe de tes inquiétudes ; & tes foupcons, ta jaloufie, tes chagrins, font autant de marqués de ta dépendance. Continue , cher Usbek : fais veiller fur moi nuit & jour: ne te lie pas même aux précautions ordinaires : augmenre mon bonheur en affurant le tien ; & fache que je ne redoute rien que ton indifférence. Du Sérail d'Ifpchan , le 2 de la lune deRebieb, i, 1714.  P e r s a n e s; 189 LETTRE LXIII. Rica a Usbek , ^ * * * Je crois que tu veux paffer ta vie a Ia campagne. Je ne te perdois au commencement que pour deux ou trois jours , & en voila quinze que je ne t'ai vu. II eft vrai que tu es dans une maifon charmante, que tu y trouves une fociété qui te convient, que tu y raifonnes tout k ton aife : il n'en faut pas davantage pour te faire oublier tout 1'univers. Pour moi, je mene k peu prés la même vie que tu m'as vu mener: je me répands dans le monde, & je cherche a le connoitre : mon efprit perd infenfiblcment tout ce qui lui refte d'afiatique, ók fe püe fans effort aux mceurs européennes. Je ine fuis plus fiétonnéde voir dans une maifon cinq ou fix femmes avec cinq ou fix hommes ; & je trouve que cela n'eft pas mal imaginé. Je le puis dire ; je ne connois les femmes que depuis que je fuis ici: j'en ai plus appris dans un mois, qu§  Tityó Lettres je n'aurois fait en trente ans dans uri Sérail. Chez nous, les caradteres font tous uniformes , paree qu'ils font forcés : on ne voit point les gens tels qu'ils font, mais tels qu'on les oblige d'être: dans cette fervitude du cceur ik de 1'efprit, on n'entend parler que la crainte, qui n'a qu'un langage ; & non pas la nature, qui s'exprime fi différemment & qui paroit fous tant de formes. La diffimu'.ation, eet art parmi nous fi pratiqué & fi néceffaire , eft ici inconnue : tout parle , tout fe voit, tout s'entend : le cceur fe montre comme le vifage : dans les mceurs, dans la vertu, dans le vice même, on appercoit toujours quelque chofe de naïf. II faut, pour plaire aux femmes , un certain talent différent dé celui qui leur plait encore davantage : il confifie dans une efpece de badinage dans 1'efprit , qui les amufe, en ce qu'il femble leur promettre a chaque inftant ce qu'on ne peut tenir que dans de trop longs intervalles. Ce badinage naturellement fait pour les toilettes , femble être parvenu h former le caraclere général de la Nation:  P e r s a n e s. 19 r on bacline au Confeil, on badine k la tête d'une armee , on badine avec un Ambaffadeur. Les profeffions ne paroiffent ridicules qu'a proportion du férieux qu'on y met : un Médecin ne le feroit plus, fi fes habits étoient moins lugubres, & s'il tuoit fes malades en badinant. De Paris , le 10 de Ia lune de K:biab , / , l7'4. LETTRE LXIV. Le Chef des Eunuques noirs , a Usbek, A Paris. J e fuis dans un embarras que je ne faurois t'exprimer, magnifiqué Seigneur : le Sérail eft dans un défordre & une confufion épouvantable : laguerre regne entre tes femmes: tes Eunuques font partagés : on n'entend que plaintes, que murmures, que reproches : mes remontrances font méprifées : tout femble permis dans ce temps de licence, & je n'ai plus qu'un vain titre dans le Sérail. II n'y a aucune de tes femmes qui ne  194 Lettres fe juge au-defliis des autres par fa naiffance,, par fa beauté, par fes richefles, par fon efprit, par ton amour ; & qui ne faffe valoir quelques-uns de ces titres pour avoir toutes les préférences. Je perds a chaque inftant cette longue patience , avec laquelle néanmoins j'ai eu le malheur de les mécontenter toutes: ma prudence , ma complaifance même, vertu li rare & fi étrangere dans le pofte que j'occupe , ont été inutiles. Veux-tu que je te découvre, magnifiqué Seigneur, la caufe de tous ces défordres ? Elle eft toute dans ton cceur, & dans les tendres égards que tu as pour elles. Si tu ne me retenois pas la main-; fi au lieu de la voie des remontrances, tu me laiflbis celle des chatimens ; fi fans te laiiTer attendrir a leurs plaintes & a leurs larmes , tu les envoyois pleurer devant moi, qui ne m'attendris jamais, je les faconnerois bientöt au joug qu'elles doivent porter, & je lafferois leur humeur impérieufe öc indépendante. Enlevé dès 1'age de quinze ans, du fond de 1'Afrique ma patrie, je fus d'abord vendu a un maitre qui avoit plus de vingt femmes ou concubines. Ayant  P E R S A N E S. 195 jugé, a mon air grave Sc taciturae, que j'étois propre au Sérail, il ordonna que 1'on achevat de me rendre tel, Sc me fit faire une opération pénible dans les commencemens , mais qui me fut heureufe dans la fuite , paree qu'elle m'approcha de 1'oreille Sc de la confiance de mes maïtres. J'entrai dans ce Sérail, qui fut pour moi un nouveau monde. Le premier Eunuque , 1'homme le plus févere que j'aie vu de ma vie, y gouvernoit avec un empire abfolu. On n'y entendoit parler ni de divifions , ni de querelles : un filence profond régnoit par-tout : toutes ces femmes étoient couchées a la même heure d'un bout de 1'année a 1'autre, & levées a la même heure : elles entroient dans le bain tour a tour, elles en fortoient au moindre figne que nous leur en faifions :1e refte du temps, elles étoient prefque toujours enfermées dans leurs chambres. II avoit une regie, qui étoit de les faire tenir dans une grande propreté, Sc il avoit pour cela des attentions inexprimables : le moindre refus d'obéir étoit puni fans miféricorde. Je fuis, difoit-il, efclaVe; mais je le fuis d'un homme qui eft votre maitre Sc le mien; Sc j'ufe du I  194 Lettres pouvoir qu'il m'a donné fur vous : c'eft lui qui vous chatie, & non pas moi, qui ne fais que prêter ma main. Ces femmes n'entroient jamais dans la chambre de mon maitre, qu'elles n'y fuffent appelées; elles recevoient cette grace avec joie, &c s'en voyoient privées fans fe plaindre. Enfin moi, qui étois le dernier des Noirs dans ce Sérail tranquille, j'étois mille fois plus refpecfé que je ne le fuis dans le tien , oü je les commande tous. Dès que ce grand Eunuque eut connu mon génie , il tourna les yeux de mon cöté ; il paria de moi a mon maitre, comme d'un homme capable de travailler felon fes vues, & de lui fuccéder dans le pofte qu'il rempliffoit : il ne fut point étonné de ma grande jeuneffe; il crut que mon attention me tiendroit lieij d'expérience. Que te dirai-je? je fis tant de progrès dans fa confiance , qu'il ne faifoit plus difficulté de mettre dans mes mains les clefs des lieux terribles , qu'il gardoit depuis fi long-temps. C'eft fous ce grand maitre que j'appris 1'art difïicile de commander, & que je me formai aux maximes d'un gouvernement inflexible: ï'étudiai fous lui le cceur des femmes j il  Persanes. 195 üi'apprit a profiter de leurs foibleffes, & a ne point m etonner de leurs hauteurs. Souvent il fe plaifoit k me les voir conduire jufqu'au dernier retranchement de l'obéilTance; il les faifoit enfuite revenir infenfiblement, & vouloit que je paruffe pour quelque temps plier moi-même. Mais il falloit le voir dans ces momens oü il les trouvoit tout prés du défefpoir, entre les prieres & les reproches: il foutenoit leurs larmes fans s'émouvoir, & fe fentoit flatté de cette efpece de triomphe. Voila , difoit-il d'un air content, comment il faut gouverner les femmes : leur nombre ne m'embarraffe pas : je conduirois de même toutes celles de notre grand Monarque. Comment un homme peut-il efpérer de captiver leur cceur, fi fes fidelles Eunuques n'ont commencé par foumettre leur efprit? II avoit non-feulement de la fermeté mais auffi de la pénétration. II lifoit leurs penfées & leurs dimmulations; leurs geftes étudiés , leur vifage feint ne lui déroboient rien. II favoir toutes leurs adfions les plus cachées , & leurs paroles les plus fecretes. II fe fervoit des unes pour connpitre les autres, ï ij  Ï9$ L E T T R E S il fe plaifoit a récompenfer Ia moindre confidence. Comme elles n'abordoient leur mari que lorfqu'elles étoient averties, 1'Eunuque y appeloit qui il vouloit, & tournoit les yeux de fon maitre fur celles qu'il avoit en vue ; & cette diftindtion étoit la récompenfe de quelque fecret révélé. II avoit perfuadé a fon maitre qu'il étoit du bon ordre qu'il lui laiffat ce choix, afin de lui donner une autorité plus grande. Voila comme on gouvernoit , magnifiqué Seigneur, clans un Sérail qui étoit, je crois , le mieux réglé qu'il y eüt en Perfe. Laiffe-moi les mains libres: permets que je me faffe obéir : huk jours remettront 1'ordre dans le fein de la confufion : c'eft ce que ta gloire demandej &l ce que ta fureté exige. De ton Sérail d'Ifpahan le j df la lune de Rébiab , i, >J>4i  Persanes. 197 LETTRE LXV. Usbek a ses Femmes, Au Sérail dlfpahait. J'apprends que le Sérail eft dans Ie défordre, & qu'il eft rempli de querelles & de divifions inteftines. Que vous recommandai-je en partant, que la paix &c Ia bonne intelligence ? Vous me le promites; étoit-ce pour me tromper ? C'eft vous qui feriez trompées, fi je voulois fuivre les confeils que me donne le grand EunuqHe ; fi je voulois employer mon autorité, pour vous faire vivre comme mes exhortations le demandoient de vous. Je ne fais me fervir de ces moyens violens, que lorfque j'ai tenté tous les autres. Faites donc, en votre conficlération, ce que vous n'avez pas voulu faire a la mienne. Le premier Eunuque a grand fujet de fe plaindre : il dit que vous n'avez aucun égard pour lui. Comment pouvezvous accorder cette conduite avec la I iij  198 Lettres modeftie de votre état ? N'eft-ce pas k lui que pendant mon abfence votre vertu eft confiée ? C'eft un tréfor facré dont il eft le dépofitaire. Mais ces mépris que vous lui témoignez, font voir que ceux qui font chargés de vous faire vivre dans les lois de 1'honneur, vous font k charge. Changez donc de conduite, je vous prie; &C faites en forte que je puiffe vine autre fois rejeter les propofitions que 1'on me fait contre votre liberté & votre repos. Car je voudrois vous faire oublier que je fuis votre maitre , pour me fouvenir feulement que je fuis votre époux. De Paris , le 5 de lat lune de Chahban , 1714. LETTRE LXVI. Rica a * * *. O n s'attache ici beaucoup aux fciences , mais je ne fais fi on eft fort favant. Celui qui doute de tout comme Philofophe, n'ofe rien nier comme Théologien y eet homme contradictoire eft  Persanes. 199 toujours content de lui, pourvu qu'on convienne des qualités. La fureur de la plupart des Francois, c'eft d'avoir de Fefprit; & la fureur de ceux qui veulent avoir de Fefprit, c'eft de faire des livres. Cependant il n'y a rien de fi mal imaginé : la nature fembloit avoir fagement pourvu a ce que les fottiies des hommes fuffent paffageres, & les livres les immortalifent. Un fot devroit être content d'avoir ennuyé tous ceux qui ont vécu avec lui: il veut encore tourmenter les races futures; il veut que fa fottife triomphe de 1'oubli, dont il auroit pu jouir comme du tombeau; il veut que la poftérité foit informée qu'il a vécu , & qu'elle fache a jamais qu'il a été un fot. De tous les Auteurs, il n'y en a point que je méprife plus que les Compilateurs , qui vont de tous cötés chercher des lambeaux des ouvrages des autres, qu'ils plaquent dans les leurs, comme des pieces de gazon dans un parterre: ils ne font point au-deffus de ces ouvriers d'Imprimerie qui rangent des caraéteres, qui combinés enfemble font un livre oü ils n'ont fourni que la main. Je I iv  aoo Lettres voudrois qu'on refpeöat les livres orïginaux ; & il me femble que c'eft une efpece de profanation, de tirer les pieces qui les compofent,dufandtuaire oü elles font, pour les expofer a un mépris qu'elles ne méritent point. Quand un homme n'a rien a dire de nouveau, que ne fe tait-il ? Qu'a-t-on affaire de ces doublés emplois ? Mais, je veux donner un nouvel ordre. Vous êtes un habile homme ! Vous venez dans ma bibliotheque ; & vous mettez en bas les livres qui font en haut, &c en haut ceux qui font en bas: c'eft un beau chef-d'ceuvre ! Je t'écris fur ce fujet, * * *, paree que je fuis outré d'un livre que je viens de quitter, qui eft fi gros, qu'il fembloit contenir la fcience univerfelle; mais il m'a rompu la têie fans m'avoir rien appris. Adieu. De Paris, le 8 de la lune de Chahhan, ij'4.  P e r s a n e s.' 101 LETTRE LX VII. Ibben a Usbek, A Paris. Trois vaiffeaux font arrivés ici fans m'avoir apporté de tes nouvelles. Es-tu malade ? ou te plais-tu a m'inquiéter ? Si tu ne m'aimes pas dans un pays oü tu n'es lié a rien , que fera-ce au milieu de la Perfe , & dans le fein de ta familie ? Mais peut-être que je me trompe: tu es affez aimable pour trouver par-tout des amis; le cceur eft citoyen de tous les pays : comment une ame bien faite peut-elle s'empêcher de , former des engagemens ? Je te 1'avoue, je refpecfe les anciennes amitiés; mais je ne fuis pas faché d'en faire par-tout de nouvelles. , , •, En quelque pays que j'aie ete, j y ai vécu comme fi j'avois dü y paffer ma vie : j'ai eu le même empreffement pour les gensvertueux ; la même compaffion, ou plutöt la même tendreffe pour les tnalheureux; la même eftime pour ceux, l v;  102 Lettres que la profpérité n'a point aveuelés. G eft mon caraclere , Usbek : par-tout ou je trouverai des hommes , je me choifirai des amis. II y a ici un Guebre qui, après toi , a, je crois, la première place dans mon cceur : c'eft 1'ame de la probitémême. Des raifons particulieres 1'ont obligé de fe retirer dans cette Ville , oü il vit tranquille du produit d'un trafic honnete , avec une femme qu'il aime. Sa vie eft toute marquée d'aftions généreufes : &, quoiqu'il cherche la vie obicure , il y a plus d'héroïfme dans ion cceur que dans celui des plus grands Monarques. Je lui ai parle mille fois de toi, je lui montre toutes tes lettres ; je remarque que cela lui fait plaifir , & je vois déjk que tu as un ami qui t'eft inconnu. Tu trouveras ici fes principales aventures; quelque répugnance qu'il eüt è les eenre , il n'a pu les refufer è mon amme, & je les confie k la tienne.  Persanes. 103 HISTOIRE d'Jsphèridon et d'Astartè. Je fuis né parmi les Guebres , d'une religion qui eft peut - être la plus ancienne qui foit au monde. Je fus fi malheureux, que 1'amour me vint avant la raifon. J'avois a peine fix ans, que je ne pouvois vivre qu'avec ma fceur : mes yeux s'attachoient toujours fur elle , & lorfqu'elle me quittoit un moment, elle les retrouvoit baignés de larmes : chaque jour n'augmentoit pas plus mon age, que mon amour. Mon pere, étonné d'une fi forte fympathie, auroit bien fouhaité de nous marier enfemble, felon l'ancien ufage des Guebres, introduit par Cambyie; mais la crainte des Mahométans , fous le joug defquels nous vivons, empêche ceux de notre nation de penfer a ces alliances faintes , que notre religion ordonne plutöt qu'elle ne les permet, & qui font des images fi na'ives de 1'union déja formée par la nature. Mon pere voyant donc qu'il auroit été dangereux de fuivre mon inclination & la fienne, réfolut d'éteindre une I vj  104 L E.T T R E S flamme qu'il croyoit naiffante, mais quï étoit déja k Ion dernier période : il prétexta un voyage, & m'emmena avec lui, laiffant ma fceur entre les mains d'une de fes parentes; car ma mere étoit morte depuis deux ans. Je ne vous dirai point quel fut le défefpoir de cette féparation: fembraffai m3 fceur toute baignée de larmes, mais je n'en verfai point: car la douleur m'avoit rendu comme infenfible. Nous arrivames a Tefflis ; & mon pere ayant confié mon éducation a un de nos parens, m'y laiffa & s'en retourna chez lui. Quelque temps après j'appris que, par Ie crédit d'un de fes amis, il avoit fait entrer ma fceur dans Ie Beiram du Roi, ©ü elle étoit au fervice d'une Sultane. Si 1'on m'avoit appris fa mort, je n'en aurois pas été plus frappé : car, outre que je n'efpérois plus de la revoir, fon entrée dans le Beiram 1'avoit rendue Mahométane; & elle ne pouvoit plus, fuivant le préjugé de cette religion, me regarder qu'avec horreur. Cependant, ne pouvant plus vivre k Tefflis, las de moi-même & de la vie , je retournai a Ifpahan. Mes premières paroles furent ameres a mon pere; je,  P E R S A N E S. ÏOf lui reprochai d'avoir mis fa fille en un lieu cü 1'on ne peut entrer qu'en changeant de religion. Vous avez attiré fur votre familie, lui dis-je , la colere de Dieu & du Soleil qui vous éclaire : vous avez plus fait que fi vous aviez fouillé les élémens, puifque vous avez fouillé 1'ame de votre fille, qui n'eft pas moins pure. J'en mourrai de douleur &l d'amour : mais puiffe ma mort être la feule peine que Dieu vous faffe fentir ! A ces mots je fortis: & pendant deux ans , je paffai ma vie a aller regarder les murailles du Beiram , & confidérer le lieu oii ma fceur pouvoit être ; m'expofant tous les jours mille fois a être égorgé par les Eunuques qui font la ronde autour de ces redoutables lieux. Enfin mon pere mourut; & la Sultane que ma fceur fervoit, la voyant tous les jours croitre en beauté, en devint jaloufe, & la maria avec un Eunuque qui la fouhaitoit avec paffion. Par ce moyen ma fceur fortit du Sérail, & prit avec fon Eunuque une maifon a Ifpahan. Je fus plus de trois mois fans pouvoir lui parler ; 1'Eunuque , le plus jaloux de tous les hommes, me remettant tou-  '%o6 Lettres jours fous divers prétextes. Enfin, j'entrai dans fon Beiram; & il me lui fit parler au travers d'une jaloufie : des yeux de lynx ne 1'auroient pas pu découvrir, tant elle étoit enveloppée. d'habits & de voiles , & je ne la pus reconnoitre qu'au fon de fa voix. Quelle fut mon émotion, quand je me vis fi prés & fi éloigné d'elle ! Je me contraignis, car j'étois examiné. Quant a elle, il me parut qu'elle verfa quelques larmes. Son mari voulut me faire quelques mauvaifes excufes , mais je le traitai comme le dernier des efclaves. II fut bien embarraffé quand il vit que je parlai a ma fceur une langue qui lui étoit inconnue ; c'étoit Tanden Perfan, qui eft notre langue facrée. Quoi, ma fceur! lui dis-je, eft-il vrai que vous avez quitté la religion de vos peres ? Je fais qu'entrant au Beiram vous avez dü faire profeffionduMahométifme: mais, ditesmoi, votre cceur a-t-il pu confentir, comme votre bouche, a quitter une religion qui me permet de vous aimer ? Et pour qui la quittez-vous , cette religion qui nous dok être fi chere ? pour un miférable encore flétri des fers qu'il a portés; qui, s'il étoit homme, feroit  P E R S A NES. ïö? le dernier de tous. Mon frere , dit-elle , eet homme dont vous parlez eft mon mari: il faut que je 1'honore, tout indigne qu'il vous paroit; Sc je ferois auffi la derniere des femmes , fi.... Ah , ma fceur ! lui dis - je , vous êtes Guebre ; il n'eft ni votre époux, ni ne peut 1'être: fi vous êtes fidelle comme vos peres, vous ne devez le regarder que comme un monftre. Hélas ! dit-elle , que cette religion fe montre a moi de loin ! k peine en favois-je les préceptes , qu'il fallut les oublier. Vous voyez que cette langue, que je vous parle, ne m'eft plus familiere, & que j'ai toutes les peines du monde a m'exprimer ; mais comptez que le fouvenir de notre enfance me charme toujours ; que depuis ce tempsla je n'ai eu que de fauffes joies ; qu'il ne s'eft pas paffé de jour que je n'aye penfé a vous; que vous avez eu plus de part que vous ne croyez k mon mariage , 8c que je n'y ai été déterminée que par 1'efpérance de vous revoir. Mais que ce jour qui m'a tant coüté, va me coüter encore ! Je vous vois tout hors de vous-même; mon mari frémit de rage & de jaloufie : je ne vous verrai plus; je vous parle fans doute pouj;  *08 L É T T R" Ë S la derniere fois de ma vie : fi cela étoit, mon frere , elle ne feroit pas longue. A ces mots elle s'attendrit; & fe voyant hors d'état de tenir la converfation , elle me quitta le plus défblé de tous les hommes. Trois ou quatre jours après, je demandai k voir ma fceur : le barbare Eunuque auroit bien voulu m'en empêcher : mais , outre que ces fortes de maris n'ont pas fur leurs femmes Ia même autorité que les autres , il aimoit fi éperdument ma fceur qu'il ne favoit rien lui refufer. Je la vis encore dans le même lieu & fous les mêmes voiles, accompagnée de deux efclaves; ce qui me fit avoir recours a notre langue particuliere. Ma fceur , lui dis-je, d'oü vient que je ne puis vous voir fans me trouver dans une fituation affreufe ? Les murailles qui vous tiennent enfermée , ces verroux & ces grilles, ces miférables gardiens qui vous obfervent , me mettent en fureur. Comment avez-vous perdu la douce liberté dont jouiffoient vos ancêtres ? Votre mere qui étoit fi chafte, ne donnoit k fon mari pour garant de fa vertu que fa vertu même : ils vivöient heureux l'un& 1'autre dans une confiance.  PeRSANES. 100 rnutuelle; & lafimplicité de leurs mceurs étoit pour eux une richeffe plus precieufe mille fois que le faux éclat dont vous femblez jouir dans cette maüon fomptueufe. En perdant votre religion, vous avez perdu votre liberté, votre bonheur , & cette précieufe égahte qui fait 1'honneur de votre fexe. Mais ce qu'il y a de pis encore , c'eft que vous êtes , non pas la femme, car vous ne pouvez pas 1'être, mais leiclave d'un efclave qui a été dégrade de lhumanité. Ah , mon frere ! dit-elle, reipeaezmon époux , refpeaez la religion que j'ai embraffée : felon cette religion, ie n'ai pu vous entendre, ni vous parler fans crime. Quoi, ma fceur! lui dis-je tout tranfporté, vous la croyez donc véritable , cette religion? Ah ! ditelle , qu'il me feroit avantageux qu elle ne le fut pas ! Je fais pour elle un trop grand facrifice , pour que je puiffe ne la pas croire : &, fi mes doutes.... A ces mots elle fe tut. Oui, vos doutes , ma fceur , font bien fondés, quels qu'ils foient. Qu'attendez-vous d'une religion qui vous rend malheureufe dans _ ce monde-ci, & ne vous laiffé point d'efpérance pour 1'autre} Songez que la  iio Lettres nötre eft Ja plus ancienne qui foit au monde; quelle a toujours fleuri dans laHerie, & na pas d'autre origine que cet fcmpire , dont les commencemens ne lont point connus; que ce n'eft que iehafard qu, y a introduit le Mahométüme; que cette fedte y a été établie non par la yoie de la perfuafion, mais de la conquete. Si nos Princes naturels n avoient pas été foibles , vous v^rriez jegner encore le culte de ces anciens Mages. Tranfportez-vous dans ces fiecjes reculés : tout vous pariera du Magilme, & rien de la fedte Mahométane ' qui, plufieurs milliers d'années après netoit pas même dans fon enfance! Mais, dit-elle, quand ma religion feroit puis moderne que la votre, elle eft au moins plus pure , puifqu'elle n'adore que Dieu ; au lieu que vous adorez encore le foleil, les étoiles, le feu, & même leselemens. Je vois, ma fceur, que vous avez appris parmi les Mufulmans a calommer notre fainte religion. Nous n'adorons m les aftrès, ni les élémens, & nos peres ne les ont jamais adorés • jamais ils ne leur ont élevédes temples jamais ils ne leur ont offert des facrinces. Ils leur ont feulement rendu un  P E R S A N E S. II £ culte religieux, mais inférieur, comme a des ouvrages & des manifeftations de la Divinité. Mais, ma fceur , au nom de Dieu, qui nous éclaire, recevez ce livre facré que je vous porte ; c'eft le hvre de notre légiflateur Zoroaftre : hfez-le fans prévention : recevez dans votre cceur les rayons de lumiere qui vous éclaireront en le lifant : fouvenez-vous de vos peres qui ont fi long-temps honoré le foleil dans la ville fainte de Balk ; & enfin fouvenez- vous de moi , qw n'efpere de repos, de fortune, de vie , que de votre changement. Je la quittai tout tranfporté, & la laiffai feule decider la plus grande affaire que je puüTe avoir de ma vie. y J'y retournai deux jours apres. Je ne lui parlai point; j'attendis dans le filence 1'arrêt de ma vie, ou de ma mort. Vous êtes aimé , mon frere me dit-elle, & par une Guebre. J'ai long-temps combattu : mais, dieux ! que 1'amour leve de difficultés! que je fuis foulagée je ne crains plus de vous trop aimer! je puis ne mettre point de bornes a mon amour : 1'excès même en eft légmme. Ah! que ceci convient bien a 1'état de mon cceur ! Mais vous qui avez fu rom-  ïi2 Lettres pre les chaïnes que mon efprit s'étoit fbrgées, quand romprez-vous celles qui me hent les mains? Dès ce momentje me donne k vous ; faites voir, par la promptitude avec laquelle vous m'accepterez , combien ce préfent vous efi cher. Mon frere, la première fois que je pourrai vous embraffer, je crois que je mqurrai dans vos bras. Je n'exprimerois jamais bien la joie que je fentis a ces paroles ; je me crus & je me vis en effet, en un inftant, le plus heureux de tous les hommes ; je vis prefque accomplir tous les défirs que j'avois formés en vingt-cinq ans de vie, & évanouir tous les chagrins qui me 1'avoient rendue li laborieufe. Mais, quand je rne fus un peu accoutumé a ces douces idéés, je trouvai que je n'étois pas li prés de mon bonheur que je me 1'étois figuré tout a coup, quoique j'euffe furmonté le plus grand de tous les obftacles. II falloit furprendre la vigilance de fes gardiens ; je n'ofois confier k perfonne le fecret de ma vie : je n'avois que ma fceur, elle n'avoit que moi: fi je manquois mon coup , je courois rifque d'être empalé ; mais je ne voyois pas de peine plus cruelle que de Ie man-  Pers a ness 2.1 £ mier. Nous convïnmes qu'elle m'enverroit demander une horloge que Ion pere lui avoit laiffée, & que j y metirois dedans une üme pour fcier les ialoufies d'une fenêtre qui donnoit dans la rue, & une corde nouee pour detcendre ; que je ne la verrois plus dore„avant, mais que j'irois toutes les muts , fous cette fenêtre , attendre qu elle put exécuter fon deffein. Je paffai quinze nuits entieres fans voir perfonne, paree qu'elle n'avoit pas trouve le temps lavorable. Enfin, la feizieme nuit) entendis une fcie qui travailloit: de temps en temps 1'ouvrage étoit interrompu, « dans ces intervalles ma frayeur etoit inexprimable. Après une heure de travail, ie la vis qui attachoit la corde ; elle fe laiffa aller & gliffa dans mes bras. Je ne connus plus le danger, & je rettai long-temps fans bouger de la : je la corduifis hors de la Ville ou j avois un cheval tout prêt : je la mis en croupe derrière moi, & m'éloignai, avec toute la promptitude imaginable, dun. lieu oui pouvoit nous être fi funefte. Nous arrivames avant le jour chez un Uuebre, dans un lieu défert oh il setoit retiré, vivant du traVail de fes mams:  Lettres nous ne jugeSmes pas a propos de refte» . chez lm ; & par fon confei, nous en mes dans une épaiffe forêt, & nous nous mimes dans le creux d'un vieux3 chene , jufqu a ce que le bruit de notre evafion fe fut. diffipé. Nous vivionstous deux dans ce fejour écarté, fans témoins, nous repetant fans ceffe que nous nous aimerions toujours, attendant 1'occafion que quelque Prêtre Guebre put faire la ceremonie du mariage prefcrite par nos bvresfacrés. Ma fceur, lui dis-je , que cette union eft fainte ! Ia nature nous avoit ums , notre fainte loi va nous unir encore. Enfin, un Prêtre vint calmer no»e impatience amoureufe. II fit dans Ia maifon du payfan toutes les cérémonies du manage : il nous bénit, & nous fouftaita mille fois toute la vigueur de Guftafpe, & la fainteté del'Hohorafpe. Bientot apres nous quittames la Perfe oü nous n'étions pas en füreté, & n0lls nous retirames en Géorgie. Nous y vécumes un an, tous les jours plus charmes 1 un de 1'autre. Mais, comme mon argentalloit finir, & que je craignois la mifere pour ma fceur, non pas pour moi, je la quittai pour aller chercher quelque fecours chez nos parens. Jamais  P E R S A N E 5.' 21 ^ i adieu ne fut plus tendre. Mon voyage 1 me fut non-feulement inutile , mais fu- 1 nefte : car ayant trouvé d'un cöté tous 1 nps biens confifqués, de 1'autre mes j parens prefque dans 1'impuiffance de me j fecourir, je ne rapportai d'argent pré- I cifément que ce qu'il falloit pour mon 1 retour. Mais quel fut mon défefpoir! je 1 ne trouvai plus ma fceur. Quelques jours I avant mon arrivée, des Tartares avoient I fait une incurfion dans la Ville oü elle I étoit; &, comme ils la trouverent belle, I ils la prirent &c la vendirent a des Juifs I qui alloient en Turquie, & ne laifferent I qu'une petite fille dont elle étoit accou- 1 chée quelques mois auparavant. Je fui» i vis ces Juifs, & les joignis k trois lieues 1 de la ; mes prieres, mes larmes furent I vaines ; ils me demanderent toujours I trente tomans, & ne fe relacherent ja- | mais d'un feul. Après m'être adreffé a I tout le monde , avoir imploré la pro- I tecfion des Prêtres Turcs &c Chrétiens , [ je m'adreffai k un marchand Arménien ; I je lui vendis ma fille , & me vendis auffi I pour trente - cinq tomans. J'allai aux I Juifs , je leur donnai trente tomans , & I portai les cinq autres k ma fceur que je ■ jfavois pas encore vue. Vous êtes libre,  ïiS Lettres lui dis-je, ma fceur, & je puis vous embraffer; voila cinq tomans que je vous porte; j'ai du regret qu'on ne m'ait pas acheté davantage. Quoi! dit-elle , vous vous êtes vendu ? Oui, lui dis-je. Ah malheureux ! qu'avez-vous fait ? N'étoitje pas affez infortunée, fans que vous travaillaffiez a me Ia rendre davantage ? a Votre liberté me confoloit, & votre efclavage va me mettre au tombeau. Ah! mon frere , que votre amour eft cruel! Et ma fille, je ne la vois point ? Je 1'ai vendue auffi, lui dis-je. Nous fondïmes ■' tous deux en larmes , & n'eümes pas la force de nous rien dire. Enfin, j'allai trouver mon maitre, & ma fceur y arriva prefque aufli-töt que moi; elle fe jeta a fes genoux. Je vous demande, dit-elle, la fervitude, comme les autres vous demandent la liberté: prenez-moi, vous me vendrez plus cher que mon mari. Ce fut alors qu'il fe fit un combat qui arracha les larmes des yeux de mon maitre. Malheureux! dit-elle, as-tu penfé que je puffe accepter ma liberté auxdépens de la tienne? Seigneur, vous voyez deux infortunés qui mourront fi vous nous féparez. Je me donne a yous, payezi-moi; peut-être que eet argent  P E R S A N E S. 217 ergent & mes fervices pourront quelque jour cbtenir de vous ce que je n'ofe vous demander. II eft de votre intéïêt de ne nous point féparer : comptez que je difpofe de fa vie. L'Arménien étoit un homme doux, qui fut touché de nos malheurs. Servez - moi 1'un & 1'autre avec fidélité & avec zele, & je vous promets que dans un an je vous donnerai votre liberté. Je vois que vous ne méritez ni 1'un ni 1'autre les malheurs de votre condition. Si, lorfque vous ferez libres, vous êtes auffi heureux que vous le méritez ; fi la fortune vous rit, je fuis certain que vous me fatisferez de la perte que je fouffrirai. Nous embraffames tous deux fes genoux, & le fuivimes dans fon voyage. Nous nous foulagions 1'un & 1'autre dans les travaux de la fervitude, & j'étois charmé, lorfque j'avois pu faire 1'ouvrage qui étoit tombé a ma fceur. La fin de 1'année arriva; notre maitre tint fa parole, & nous déli /ra. Nous retournames a TV mis: la, je troa~ vai un ancien ami de mon pere qui exercoit avec fuccès la Médecine dans cette Ville ; il me prêta quelque arg3nt, avec lequel je fis quelque négoce, K  Ii8 L et tres Quelques affaires m'appellerent enfuite a Smyrne , oü je m'établis. J'y vis depuis fix ans, &C j'y jouis de la plus aimable & de la plus douce fociété du monde : 1'union regne dans ma familie, cl je ne changerois pas ma condition pour celle de tous les Rois du monde. J'ai été affez heureux pour retrouver le marchand Arménien k qui je dois tout; & je lui ai rendu des fervices fignalés. De Smyrne , le 27 de la luns de Gemmadi , LETTRE LXVIIL Rica a Usbek , A * * * J'allai 1'autre jour diner chez «rS homme de robe, qui m'en avoit priê plufieurs fois. Après avoir parlé de plufieurs chofes, je lui dis : Monfieur, i| me paroït que votre métier eft bien pé* nible. Pas tant que vous vous 1'imaginez , répondit-il: de la maniere don£ nous le faifons , ce n'eft qu'un amufe-i Mais? quoü n'am-vous pas touii  P E R S A N E 5. 219 jours !a tête remplie des affaires d'autrui ? N'êtes-vous pas toujours occupé de chofes qui ne font point intéreffantes? Vous avez raifon , ces chofes ne font point intéreffantes , car nous nous y intéreffons fi peu que rien ; & cela même fait que le métier n'eft pas fi fatigant que vous dites. Quand je vis qu'il prenoit la chofe d'une maniere fi dégagée, je continuai, & lui dis : Monfieur , je n'ai point vu votre cabinet. Je ïe crois , car je n'en ai point. Quand je pris cette charge , j'eus befoin d'argent pour la payer ; je vendis ma bibliotheque; & le Libraire qui la prit, d'un nombre prodigieux de volumes , ne me laiffa que mon livre de raifon. Ce n'eft pas que je les regrette : nous autres Juges, ne nous enflons point d'une vaine fcience. Qu'avons-nous affaire de tous ces volumes de lois ? Prefque tous les cas font hypothétiques , & fortent de la regie générale. Mais ne feroit-ce pas, Monfieur, lui dis-je, paree'que vous les en faites fortir ? Car enfin , pourquoi chez tous les peu pies du monde y auroit-il des lois, fi elles n'avoient pas leur application ? & comment peut - on les appliquer , fi 1'on ïv i\  s,io Lettres ne les fait pas ? Si vous connoifïïez léPalais, reprit le Magifirat, vous ne parleriez pas comme vous faites : nous avons des livres vivans , qui font les Avocats : ils travaillent pour nous, Sc fe chargent de nous inftruire. Et ne fe chargent - ils pas quelquefois de vous tromper , lui repartis-je ? Vous ne feriez donc pas mal de vous garantir de leurs embüches. Ils ont des armes avec lefquelles ils attaquent votre équité; il feroit bon que vous en euffiez auffi pour la défendre , & que vóus n'allaffiez pas vous mettre dans la mêlée, habillés k la légere, parmi des gens cuiraffés juk qu'aux dents. De Paris , le 13 de la lun$ de Chaliban ,  Persanes. m LETTRE L XIX. Usbek a Rhédi, A Venife. Tu ne te ferois jamais imaginé que je faffe devenu plus Métaphyficien que je ne 1'étois ; cela eft pourtant, & tu en feras conv'aincu , quand tu auras effuyé ce débordement de ma philofophie. Les Philofophes les plus fenfés, qui ont réfléchi fur la nature de Dieu , ont dit' qu'il étoit un Etre fouverainement parfait; mais ils ont extrêmement abufë de cette idée. Ils ont fait une énumération de toutes les perfeöions différentes que 1'homme eft capable cl avoir & d'imagir.er, & en ont chargé 1'idée de laDivinité, fans fonger que fouvent ces attributs s'entr'empêchent, & qu'ils ne peuvent fubfifter dans un même fujet fans le détruire. Les Poëtes d'Occident difent qu'un Peintre ayant voulu faire le portrait de la Déeffe de la Beauté, affembla les plus belles Grecques, & prit de chacune ce K üj  2.12 Lettres qu'elle avoit de plus agréable, dont il fit un tout pour reffembler a la plus belle de toutes les déeffes. Si un homme en avoit conclu qu'elle étoit blonde & brune, qu'elle avoit les yeux noirs & bleus , qu'elle étoit douce & fiere, il auroit paffé pour ridicule. Souvent Dieu manque d'une perfection qui pourroit lui donner une grande imperfection : mais il n'eff jamais limité que par lui-même ; il eft lui-même fa nécefiité. Ainfi, quoique Dieu foittoutpuiffant, il ne peut pas violer fes prorneffes ni tromper les hommes. Souvent même 1'impuiiTance n'eft pas dans lui, mais dans les chofes relatives ; & c'eft la raifon pourquoi il ne peut pas changer 1'effence des chofes. Ainfi il n'y a'point fujet de s'étonner que quelques-uns de nos Docteurs ayent ofé nier la prefcience infinie de Dieu ; fur ce fondement qu'elle eft incompatible avec fa juftice. Quelque hardie que foit cette idee, Ia Métaphyfique s'y prête merveilleufement. Selon fes principes, il n'eft pas poffible que Dieu prévoie les chofes qui dépendent de la détermination des caufes libres s paree que ce qui  P E R S A N E S. 21 % n'eft point arrivé, n'eft point, & par conféquent ne peut être connu ; _ car le rien, qui n'a point de propnétes , ne peut être appercu : Dieu ne peut point lire dans une volonté qui neft point, & voir dans 1'ame une chofe qui n'exifte point en elle : car jufqu'a ce qu'elle fe foit déterminéecette adtion qui la détermine n'eft point en elle. L'ame eft 1'ouvriere de fa determination; mais il y a des occafions_ oii elle eft tellement indéterminée , qu'elle ne fait pas même de quel cöté fe déterminer. Souvent même elle ne le fait que pour faire ufage de fa liberté; de maniere que Dieu ne peut voir cette détermination par avance , ni dans 1'action de l'ame , ni dans 1'action que les cbjets font fur elle. Comment Dieu pourroit-il prévojr les chofes qui dépendent de la détermination des caufes libres ? II ne pourroit les voir que de deux manieres : par conjecture, ce qui eft contradiöoire avec la prefcience infinie ; ou bien il les verroit comme des effets néceffaires qui fuivroient infailliblement d'une caufe qui les produiroit de même, ce K iv;  2*4 Lettres qui eft encore plus contradictoire : car l'ame feroit libre. par ia fuppofition; & dans le fait elle ne le feroit pas plus qu'une boule de billard n'eft libre de fe remuer lorfqu'elle eft poulfée par une autre. Ne crois pas pourtant que je veuille borner la fcience de Dieu. Comme il fait agir les créatures a fa fantaifie, il connoït tout ce -qu'il veut connoitre. Mais quoiqu'il puiffe voir tout , il ne fe fert pas toujours de cette faculté : il Iaiffe ordinairement a la créature la faculté d'agir ou de ne pas agir, pour lui Iaiffer celle de mériter ou de démériter: c'eft pour lors qu'il renonce au droit qu'il a d'agir fur elle & de la déferminer. Mais quand il veut favoir quelque chofe, il le fait toujours ; paree qu'il n'a qu'a vouloir qu'elle arrivé comme il la voit, & déterminer les créatures conformément a fa volonté. C'eft ainfi qu'il tire ce qui doit arriver du nombre des chofes purement poffibles, en fixant par fes décrets les déterminations futures des efprits, & les privant de la puiffance qu'il leur a donnée d'agir ou de ne pas agir. Si 1'on peut fe feryir- d'une compa»  Pers a n e s« ii? raifon, dans une chofe qui eft au-deffus descomparaifons : Un Monarque ignore ce que fon Ambaffadeur fera dans une affaire importante : s'il le veut favoir , il n'a qua lui ordonner de fe comporter d'une telle maniere , & il pourra affurer que la chofe arrivera comme il la projette. ' ., L'Alcoran & les Livres des Juifs s elevent fans ceffe contre le dogme^ de la prefcience abfolue : Dieu y paroit partout ignorer la détermination future des efprits; & il femble que ce foit la première vérité que Moyfe ait enleignée aux hommes. Dieu met Adam dans le Paradis terreftre , a condition qu'il ne mangera point d'un certain fruit; précepte abi'urde dans un Etre qui connoitroit les déterminations futures des ames : car enfin un tel Etre peut-il mettre des conditions a fes graces , fans les rendre dérifoires ? C'eft comme fi un homme qui auroit fu la prife de Bagdat, difoit a un autre : Je vous donne cent tomans fi Bagdat n'eft pas pris. Ne v feroit-il pas la une bien mauvaife plaifanterie ? Mon cher Rhédi, pourquoi tant de K. y  n6 Lettres philofophie ? Dieu eft fi haut, que nous ïi'appercevons pas même fes nuages, Nous ne le connoiffons bien que dans fes préceptes. II eft immenfe, fpirituel, ïnfini. Que fa grandeur nous ramene k notre foiblefié. S'humilier toujours , c'eft i'adorer toujours. De Paris, le dernier de la lune de Chahban , 1714. LETTRE LXX. Zéus a Usbek , A Paris. Soliman, que tu aïmes, eft de'fefpéré d'un affront qu'il vient de recevoir. Un jeune étourdi , nommé Suphis, recherchoit depuis trois mois fa fille en mariage : il paroiffoit content de la figure de la fille, fur le rapport & la peinture que lui en avoient fait les femmes qui 1'avoient vue dans fon enfance; on étoit convenu de la dot, & tout s'étoit paffé fans aucun incident. Hier , après les premières cérémonies , la fille fortit a cheyal accompagnée de.  P E R S A N È S. 217 fon Eunuque, & couverte felon la coutume depuis la tête jufqu'aux pieds. Mais , dès qu'elle fut arrivée deyant la maifon de fon mari prétendu , il lui fit fermer la porte , & il jura qu'il ne la recevroit jamais, fi on n'augmentoit la dot. Les parens accoururent de cöté & d'autre , pour accommoder l'affaire; &Z après bien de la réfiftance, Solimau convint de faire un petit préfent k fon gendre. Les cérémonies du manage s'accomplirent, & 1'on conduifit la fille dans le lit avec affez de violence : mais une heure après, eet étourdi fe leva furieux, lui coupa le vifage en plufieurs endroits, foutenant qu'elle n'étoit pas vierge, &l la renvoya k fon pere. Oit ne peut pas être plus frappé qu'il 1'eft de cette injure. 11 y a des perfonnes qui foutiennent que cette fille eft innocente. Les peres font bien malheureux d'être expofés a de tels affronts.' Si ma fille recevoit un pareil traitement, je crois que j'en mourrois de douleur. Adieu. Du Sérail de Fatmé, le i) de la lune de Gemmadi, ;, ijtjt K vj  iz8 Lettres LETTRE LXXI. Usbek a Zélis. Je plaïns Soliman , d'autanr plus que le mal eft fans remede , & que fon gendre n'a fait que fe fervir de la liberté de la loi. Je trouve cette loi bien dure, d'expofer ainfi 1'honneur d'une familie aux caprices d'un fou. On a beau dire que Pon a des indices certains pour connoitre Ia vérité : c'eft une vieille erreur dont on eft aujourd'hui revenu parmi nous; & nos Médecins donnent des raifons invincibles de 1'incertitude de ces preuves. II n'y a pas jufqu'aux Chrétiens qui ne les regardent comme chimériques, quoiqu'elles foient clairement étabües par leurs livres facrés, & que leur ancien Légiflateur en ait fait dépendre 1'innocence ou Ia condamnation de toutes les filles. J'apprends avec plaifir le foin que tu te donnés de 1'éducation de la tienne. Dieu veuille que fon mari Ia trouve auffi belle & auffi pure que Fatima; qu'elle ait dix Eunuques pour la garder$  Persanes. 0.19 'qu'elle foit 1'honneur & 1'ornement du' Sérail oü elle eft deftinée; qu'elle n'ait fur fa tête que des lambris dorés, & ne marche que fur des tapis fuperbes ! Et , pour comble de fouhaits, puiffent mes yeux la voir dans toute fa gloire ! De Paris , le f de la lune de Chalval , 1714. LETTRE LXXII. Rica a Ibben, A ***. Je me trouvai 1'autre jour dans une compagnie oü je vis un homme bien content de lui. Dans un quart-d'heure il décida trois queftions de morale, quatre problêmes hiftoriques , & cinq points de phyfique. Je n'ai jamais vu un décifionnaire fi univerfel ; fon efprit ne fut jamais fufpendu par le moindre doute. On laiffa les fciences; on paria des nouvelles du temps : il décida fur les nouvelles du temps. Je voulus 1'attraper, & je dis en moi- même : 11 faut que je me mette dans mon fort; je vais me refugier dans mon pays. Je lui parlai  ijo Lettres de la Perfe : mais a peine lui eus-je dit quat're mots, qu'il me donna deux démentis, fondés fur 1'autorité de .Meffieurs Tavernier& Chardin. Ah, bon Dieu ! dis-je en mei-même, que! homme eft-ce la ? il conr Jkra tout k 1'heure les nies d'Ifpahan mieux que moi! Mon parti fut bientöt pris : je me tus , je le laiffai parler , & il décide encore. De Paris, le 8 de la lune de Zilcadé, tytf. ' JLETTRE LXXIII. Rica * * * J ai onï parler d'une efpece de Tribunal qu'on appelle 1'Académie Fran§oife. II n'y en a point de moins refpedf é dans le monde; car on dit qu'auffitöt^ qu'il a décidé , le peuple caffe fes arrêts , &C lui impofe des lois qu'il efl obligé de fuivre. II y a quelque temps que, pour fïxer fon autorité, il donna un code de fes jiigemens. Cet enfant de tant de peres étoit prefque vieux quand il naquit; & quciqu'il fut légitime, un batard qui  Persanes. 131' ?vok déja paru, 1'ayoit prefque étouffé dans fa nailfarice. Ceux qui le compofent n'ont d'autres fonöions que de jafer fans ceffe : 1'éloge va fe placer comme de lui-même dans leur babil éterhel; & fi-töt qu'ils font initiés dans fes myfteres, la fureur du panégyrique vient les faifir, &Z ne les quitte plus. Ce corps a quarante têtes , toutes remplies de figures, de métapbores & d'antithefes : tant de bouches ne parient prefque que par exclamation ; fes oreilles veulent toujours être frappées par. la cadence & Fharmonie. Pour les yeux, il n'en eft pas queftion : il femble qu'il foit fait pour parler, & non pas pour voir. .11 n'eft point ferme fur fes pieds ; car le temps , qui eft fon fléau , l'ébranle a tous les inftans, & détruit tout ce qu'il a fait. On a dit autrefois que fes mains étoient avides ; je ne t'en dirai rien, & je laiffé décider cela a ceux qui le favent mieux que moi. Voila des bizarreries, * * *, que 1'on ne voit point dans notre Perfe. Nous n'avons point 1'efprit porté k ces établiffemens ünguliers 6c bizarres; nous.  Ï31 Lettres cherchons, toujours la nature dans nos' coutumes fimples & nos manieres naïves. De Paris, le 27 de la lunt de Ziihagê , '7'/. LETTRE LXXIV. Usbek a Rica, * * * Il y a quelques jours qu'ün homme de ma connoiffance me dit r Je vous ai promis de vous produire dans les bonnes maifons de Paris; je vous mene a préfent chez un grand Seigneur qui eft un des hommes du Royaume qui repréfente le mieux. Que veut dire cela, Monfieur, eftce qu'il eft plus poli, plus affable que les autres ? Non, me dit-il. Ah! j'entends , il fait fentir a tous les inftans la fupériorité qu'il a fur tous ceux qui 1'approchent. Si cela eft, je n'ai que faire d'y aller ; je la lui paffe toute entiere , & je prends condamnation. II fallut pourtant marcher : & je vis >n petit homme fi fier ; il prit une prife,  Persanes. 233 de tabac avec tant de hauteur, il fe moucha fi impitoyablement, il cracba avec tant de flegme, il careffa fes chiens d'une maniere fi offenfante pour les hommes /que je ne pouvois me lafler de 1'admirer. Ah, bon Dieu ! dis-je en moi-même, fi lorfque j'étois a la Cour de Perfe , je repréfentois ainfi, je repréfentois un grand fot! II auroit fallu , Rica , que nous euflions eu un bien mauvais naturel pour aller faire cent petites infultes a des gens qui venoient tous les jours chez nous nous témoigner leur bienveillance. lis favoient bien que nous étions au-deflus d'eux ; & s'ils 1'avoient ignoré, nos bienfaits le leur auroient appris chaque jour. N'ayant rien a faire pour nous faire refpecf er, nous faifions tout pour nous rendre aimables: nous nous communiquionsaux plus petits : au milieu des grandeurs , qui endurcilfent toujours , ils nous trouvoient fenfibles ; ils ne voybient que notre cceur au-deffus d'eux; nous defcendions jufqu'a leurs befoins. Mais , lorfqu'il falloit foutenir la majefté du Prince dans les cérémonies publiques ; lorfqu'il falloit faire refpecter la Nation aux étrangers; lorfqu'enfin dans les  234 Lettres occafions périlleufes il falloit anim Gries foldats , nous remontions cent fois plus haut que nous n'étions defcendus; nous ramenions la iierté fur notre vifage ; & 1'on trouvoit queiquefois que nous repréfentions affez bien. De Paris , le 10 de la lune de Saphar , tjij. LETTRE LXXV. Usbek a Rhédi, A Venife. Il faut que je te 1'avoue : je-n'ai point remarqué chez les Chrétiens cette perfuafion vive de leur religion qui fe trouve parmi les Mufulmans. II y a bien loin chez eux de la profeffion è la croyance, de la croyance a la conviöion , de la conviöion a la pratique. La religion eft moins un fujet de fanctirlcation , qu'un fujet de difputes qui appartient k tout le monde. Les gens de Cour, les gens de guerre, les femmes même, s'élevent contre les Eccléfiaftiques, & leur demandent de leur  Persanes. , 23$ | prouver ce qu'ils font réfolus de ne | pas croire. Ce n'eft pas qu'ils fe foient - ■ déterminés par raifon, & qu'ils aient i pris la peine d'examiner la vérité ou j; la fauffeté de cette religion qu'ils re- jettent : ce font des rebelles qui ont '■■ fenti le joug, & l'ont fecoué avant de ! 1'avoir connu. Auffi ne font-ils pas plus fermes dans leur incrédulité que dans j leur foi : ils vivent dans un flux & I: reflux, qui les porte fans ceffe de 1'un • ja 1'autre. Un d'eux me difoit un jour: Je crois 1'immortalité de l'ame par fej| meftre ; mes opinions dépendent abfoil lument de Ia conftitution de mon corps: jjfelon que j'ai plus ou moins d'efprits II animaux, que mon eftomac digere bien l ou mal, que 1'air que jerefpire eft fubtil i ou groffier , que les viandes dont je i; me nourris font légeres ou folides , je l|fuis Spinofifte, Socinien, Catholique , i impie ou dévot. Quand le Médecin eft ;! auprès de mon lit, ie Confeffeur me ■ : trouve a fon avantage. Je fais bien em): pêcher la religion de m'affliger quand li je me porte bien ; mais je lui permets de me confoler quand je fuis malade : ': lorfque je n'ai plus rien a efpérer d'un ) cöté, la religion fe préfente , Sc me  Lettres gagne par fes promeffes ; je veux bieri m'y livrer, & mourir du cöté de 1'efpérance. II jr a long - temps que les Princes Chrétiens affranchirent tous les efclaves de leurs Etats , paree que , difoient-ils , Ie Chriftianifme rend tous les hommes égaux. II eft vrai que eet a£te de religion leur étoit très-utile : ils abaiffoient par-la les Seigneurs , de la puiffance defquels ils reiiroient Ie bas peuple. Ils ont enfuite fait des conquêtes dans des pays oü ils ont vu qu'il leur étoit avantageux d'avoir des efclaves : ils ont permis d'en acheter tk d'en vendre, oubüant ce principe de religion qui les touchoit tant. Que'veux-tu que je te dife ? Vérité dans un temps, erreur dans un autre. Que ne faifons-nous comme les Chrétiens ? Nous fommes bien firnpies de refufer des établiffemens & des conquêtes faites dans des climats heureux ( *) , paree que 1'eau n'y eft pas affez pure pour nous laver, felon les principes du faint Alcoran. ( * ) Les Mahomé'tans ne fe foucienr point de prendre Venife , paree qu'iis n'y ttouveroient point d'eau peur leurs punfic&tions.  Persanes. a?? Je rends graces au Dieu tout-puiflant qui a envoyé Hali fon grand Prophete , de ce que je profeffe une religion qui fe fait préférer a tous les intéréts humains, & qui eft pure comme le Ciel dont elle eft defcendue. De Paris , le ij de la lune diSaphar , iji;. LETTRE LXXVL Usbek a son ami Ibben, A Smyrne, Les lois font furieufes en Europe contre ceux qui fe tuent eux-mêmes. : On les fait mourir , pour ainfi dire , ! une feconde fois ; ils font trainés indignement par res rues ; on les note d'infamie ; on confifque leurs biens. II me paroit, Ibben , que ces lois ! font bien injuftes. Quand je fuis acca: blé de douleur , de mifere, de mépris , pourquoi veut-on m'empêcher de mettre fin a mes peines , & me priver crueilement d'un remede qui eft en. 3ies mains ?  ï38 Lettres Pourquoi veut-on que je fravaiïfé pour une fociété dont je confens de netre plus? que je tienne , malgré moi, une convention qui s'eft falte fans moi? La fqciété eft fondée fur un avantage mutuel : mais, lorfqu'elle me devient onéreufe, qui m'empêche d'y renoncer ? La vie m'a été donnée comme une faveur : je puis donc Ia rendre lorfqu'elle ne 1'eft plus : lacaufe ceffe, 1'effet doit donc ceffer auffi. Le Prince veut-il que je fois fon fujeti quand je ne retire rien de la fujétion r Mes concitoyens peuvent-ils demander ce partage inique de leur utilité & de mon défefpoir ? Dieu , différent de tous les bienfaicteurs , veut-il me condamner a recevoir des graces qui m'accablent ? Je fuis obligé de fuivre les lois, quand je vis fous les lois; mais, quand je n'y vis plus, peuvent'- elles me lier encore ? Mais , dira-t-on, vous troublez 1'ordre de la Providence. Dieu a uni votre ame avec votre corps , & vous 1'en féparez : vous vous oppofez donc a fes deffeins , & vous lui réfiftez. s Que veut dire cela? Troublé-je l'prdre de la Providence, lorfque ja,  P E R S A N E S. 2J9 change les modifications de la matiere, & que je rends carrée une boule que les premières lois du mouvement, c'eft-k- dire, les lois de la création & de la confervation , avoient fait ronde ? Non , fans doute : je ne fais qu'ufer du droit qui m'a été donné; éc en ce fens, je puis troubler a ma fantaifie toute la nature , fans que 1'on puiffe dire que je m'oppofe a la Providence. Lorfque mon ame fera féparée de mon corps, y aura-t-il moins d'ordre & moins d'arrangement dans 1'univers ? Croyez-vous que cette nouvelle combinaifon foit moins parfaite & moins dépendante des lois générales ? que le monde y ait perdu quelque chofe ? & que les ouvrages de Dieu foient moins grands , ou plutót moins immenfes ? Penfez-vous que mon corps , devenu un épi de blé, un ver , un gazon , foit changé en un ouvrage de la nature moins digne d'elle ? & que mon ame dégagée de tout ce qu'elle avoit de terreftre, foit devenue moins fublime ? Toutes ces idéés, mon cher Ibben , n'ont d'autre fource que notre orgueil^  24° Lettres Nous ne fentons point notre petitelTe ; & malgré qu'on en ait, nous voulons .être comptés dans Funivers , y figurer, & y être un objet important. Nous nous imaginons que l'anéantirTement d'un être auffi parfait que nous , dégraderoit toute la nature : Sc nous ne concevons pas qu'un homme de plus ou de moins dans le monde , que dis - je ! tous les hommes enfemble, cent millions de têtes comme la notre, ne font qu'un atome fubtil Sc délié, que Dieu n'appercoit qu'a caufe de 1'immenfité de fes connoiffances. De Paris, le if de la lune de Saphar, '7'J< LETTRE  Persanesï 141 LETTRE LX XVII. Ibben a Usbek, A Paris. M on cher Usbek, il me femble que pour un vrai Mufulman les malheurs lont moins des chatimêns que des menaces. Ce font des jours bien précieux que ceux qui nous portent a expier les offenfes. C'eft le temps des profpérités qu'il faudroit abréger. Que fervent toutes ces impatiences qu'a faire voir que nous voudrions être heureux , indépendamment de celui qui donne les félicités, paree qu'il eft la félicité même ï Si un être eft compofé de deux êtres , & que la néceffité de conferver 1'union marqué plus la foumiffion aux ordres du Créateur , on en a pu faire une loi religieufe: fi cette néceffité de conferver 1'union eft un meilleur garant des aftions des hommes, on en a pu faire une loi ciyile. De Smyrne, le dernier de le\ lune de Saphar , <7'r«  %ax Lettres LETTRE LXXVIÏÏ. Rica a Usbek, _A. * * * Je t'envoie la copie d'une Lettre qu'un Francois [qui eft en Efpagne , a écrite ici: je crois que tu feras bien aife de la voir. » Je parcours depuis fix rnois 1'Efpa-s gne & le Portugal ; & je vis parmi des peuples qui, méprifant tous les autres , font aux feuls Francois 1'honneur de les baïr. » La gravité eft le caractere brillant des deux Nations ; elle fe manifefte prineipalement de deux manieres; par les iunettes, & par la moufiache. m Les Iunettes font voir démonftrati» vement, que celui qui les porte eft un homme confommé dans les fciences 9 & enfeveli dans de prcföndes lecfures , a un tel point que fa vue en eft affoiblie : & tout nez qui en eft orné ou chargé, peut paffer fans contredit pour Je nez d'un Savant,  Persanes. 243 » Quant a la mouftache, elle eft refpedtable par elle même , & indépendamment des conféquences ; quoiqu'on ne laiffé pas d'en tirer quelquefois de grandes utilités pour le fervice du Prince & 1'honneur de la Nation , comme le fit bien voir un fameux Général Portugais dans les Indes (*): car fe trouvant avoir befoin d'argent, il fe coupa une de fes mouftaches , & envoya demander aux Habitans de Goa vingt mille piftoles fur ce gage : elles lui furent prêtées d'abord ; &£ dans Ia fuite il retira fa mouftache avec honneur. » On concoit aifément que des peuples graves & flegmatiques, comme ceux-la, peuvent avoir de 1'orgueil: auffi en ontils. Ils le fondent ordinairement fur deux chofes bien confidérables. Ceux qui vivent dans le continent de 1'Efpagne &c du Portugal fe fentent le cceur extrêmement élevé, lorfqu'ils font ce qu'ils appellent de vieux Chrétiens; c'eft-adire , qu'ils ne font pas originaires de ceux a qui 1'Inquifition a perfuadé dans ces derniers fiecles d'embraffer la religion Chrétienne. Ceux qui font dans ( *) Jean de Caftro.  a44 Lettres les Indes ne font pas moins flattcs, lotfqu'iis confiderent qu'ils ont le fublime mérite d'être, comme ils difent, hommes de chair blanche. II n'y a jamais eu, dans le Sérail du Grand-Seigneur, de Sultane fi orgueilleufe de fa beauté, que le plus vieux &c le plus vilain matin ne 1'eft de la blancheur olivatre de fon teint, lorfqu'il eft dans une Ville du Mexique, affis fur fa porte les bras croifés. Un homme de cette conféquence, une créature fi parfaite ne travailleroit pas pour tous les tréfors du monde; 8c ne fe réfoudroit jamais , par une vile & mécanique induftrie , de compromettre 1'honneur & la dignité de fa peau. » Car il faut favoir que lorfqu'un homme a un certaïn mérite en Efpagne, comme, par exemple , quand il peut ajouter aux qualités dont je viens de parler, celle d'être le propriétaire d'une grande épée, ou d'avoir appris de fon pere 1'art de faire jurer une difcordante guitare, il ne travaille plus : fon hcnneur s'intéreffe au repos de fes membres. Celui qui refte affis dix heures par jour obtient précifément la moitié pUis de ' confidération qu'un autre '£jui n'en refte que cinq, paree qug!  Persanes. 145 c'eft fur les chaifes que la nobleffe s'acquiert. » Mais, quoique ces invincibles ennemis du travaii faffent parade d'une tranquillité philofophique , ils ne 1'ont pourtant pas dans le cceur; car ils font toujours amoureux. Ils font les premiers hommes du monde pour mourir de langueur fous la fenêtre de leurs maitref{es; &C tout Efpagnol qui n'eft pas enrhümé ne fauroit paffer pour galant. »lis font premiérement dévots , &t fecondement jaloux. lis fe garderont bien d'expofer leurs femmes aux entreprifes d'un foldat criblé de coups, ou d'un Magiftrat décrépit: mais ils les enfermeront avec un Novice fervent qui baiffe les yeux , ou un robufte Francifcain qui les éleve. »Ils permettent a leurs femmes de paroitre avec le fein découvert; mais ils re veulent pas qu'on leur voie le talon, & qu'on les furprenne par le bout des pieds. » On dit par-tout que les rigueurs de 1'amour font cruelles ; elles le font encore plus pour les Efpagnols. Les femmes les guériffent de leurs peines : mais elles ne font que leur en faire changer ; L iij  246 Lettres & il leur refte fouvent un long & fa- cheux fouvenir d'une paffion éteinie. » Ils ont de petites politeffes, qui en France paroitroient mal-placées; par exemple , un Capitaine ne bat jamais fon foldat, fans lui en demander permiffion ; & 1'Inquifition ne fait jamais brüler un Juif, fans lui faire fes excufes. » Les Efpagnols qu'on ne brüle pas , paroiffent fi attachés a 1'Inquifition, qu'il y auroit de la mauvaife humeur de la leur öter. Je voudrois feulement qu'on en établït une autre; non pas contre les Hérétiques, mais contre les Héréfiarques, qui attribuent a de petites pratiques monacales la même efficacité qu'aux fept Sacremens; qui adorent tout ce qu'ils vénerent; & qui font fi dévots , qu'ils font a peine Chrétiens. » Vous pourrez trouver de fefprit & du bon fens chez les Efpagnols; mais n'en cherchez point dans leurs Livres. Voyez une de leurs Bibliotheques, les Romans d'un cöté, & les Scolaftiques de 1'autre : vous diriez qiie les parties en ont été faites , & le tout raffemblé, par quelque ennemi fecret de la raifon humaine.  P E R S A N E S. 2.47 » Le feul de leurs Livres qui foit bon, eft celui qui a fait voir le ridicule de tous les autres. . » Ils ont fait des découvertes immenies dans tout le Nouveau Monde , & ils ne connoiffent pas encore leur propre continent : il y a fur leurs rivieres tel pont qui n'a pas encore été découvert , &C dans leurs montagnes des Nations qui leur font inconnues (*). m Ils difent que le foleil fe leve & ie couche dans leur pays; mais il faut dire auffi qu'en faifant fa courfe, il ne rencontre que des campagnes ruinées &C des contrées défertes *. Je ne ferois pas faché , Usbek, de voir une Lettre écrite 5 Madrid, par un Efpasmol qui voyageroit en France; je crois "qu'il vengeroit bien fa Nation. Quel vafte champ pour un homme flegmatique & penfif ? Je m'imagine qu'il commenceroit ainfi la defcnption de Paris: 11 y a ici une maifon oü 1'on met les fous : on croiroit d'abord qu'elle eft la plus grande de la Ville ; non : le (*) Las Bauecas. L ïv  148 Lettres remede eft bien petit pour !e mal. Sans don te que les Francois extrêmement décriés chez leurs voifins , enferment quelques fous dans une maifon , pour perfuader que ceux qui font dehors ne Je font pas. Je laiffé la mon Efpagnol. Adieu mon cher Usbek. De Paris, le ij de la lune de Saphar , lyi r. LETTRE LXXIX. Le grand Eunuque noir a Usbek, A Paris, H ier des Armémens menerent au Sérail une jeune efclave de Circaffie qu'ils vouloient vendre. Je la fis entrer dans les appartemens fecrets , je la déshabrllai, je 1'examinai avec les regards d'un juge ; & plus je 1'examinai, plus je lui trouvai de graces. Une pudeur yirginale fembloit vouloir les dérober a ma vue; je vis tout ce qui lui en coiitoit pour obéir : elle rougiffoit de fe voir «ue } même devant moi, qui exempt  Persanes. 249 öes paffions qui peuvent alarmer la pudeur 7 fuis inanimé fous 1'empire de ce fexe ; & qui, miniftre de la modefhe, dans les aftions les plus libres ne porte que de chaftes regards , &c ne puis infpirer que 1'innocence, Dès que je 1'eus jugée digne de toi , je baiffai les yeux : je lui jetai un manteau d'écarlate ; je lui mis au doigt un anneau d'or; je me profternai a fes pieds, je 1'adorai comme la reine de ton cceur. Je payai les Arméniens; je la dérobai a tous les yeux. Heureux Usbek! tu polTedes plus de Beautés que n'en renferment tous les Palais d'Orient. Quel plaifir pour toi, de trouver a ton retour tout ce que la Perfe a de plus raviffant; & de voir dans ton Sérail renaitre les graces , a mefure que le temps & la poffeffion travaillent a les détruire. Du Sérail de Fatmé le premier de la lune de Rébiab , 1 , '7'/« L y  i^o Lettres LETTRE LXXX. Usbek a Rhédi, A Venife. Depuis que je fuis en Europe , mon cher Rhédi, j'ai vu bien des Gouvernemens. Ce n'eft pas comme en Afie, oü les regies de la politique fe trouvent par-tout les mêmes. J'ai fouvent recherché quel étoit Ie Gouvernement le plus conforme a la raifon. II m'a femblé que le plus parfait eft celui qui va k fon but k moins de frais ; de forte que celui qui conduit les hommes de la maniere qui con vient le plus a leur penchant & k leur inclination , eft le plus parfait. . Si, dans un Gouvernement doux, Ie peuple eft auffi foumis que dans un Gouvernement févere, le premier eft préférable, puifqu'il eft plus conforme a la raifon , & que la févérité eft un motif étranger. Compte, mon cher Rhédi, que dans un Etat les peines plus ou moins cruelles ne font pas que 1'on obéiffe plus aux  Persanes. 2<[i lois. Dans les pays oü les chatimens font modérés, on les craint comme dans ceux oü ils font tyranniques & affreux. Soit que le Gouvernement foit doux," foit qu'il foit cruel , on punit toujours par degrés ; on inflige un chatiment plus ou moins grand a un crime plus ou moins grand. L'imagination fe plie d'elle-même aux mceurs du pays oü 1'on eft : huit jours de prifon, ou une légere amende, frappent autant fefprit d'un Européen nourri dans un pays de douceur , que la perte d'un'bras intimide un Afiatique. Ils attachent un certain degré de crainte a un certain degré de , peine , & chacun la partage k fa facon : le défefpoir de 1'infamie vient défoler un Francois condamné k une peine qui n'öteroit pas un quart-d'heure de fommeil k un Turc. D'aiileurs je ne vois pas que la police , la juftice & 1'équité foient mieux obfervées en Turquie , en Perfe , chez le Mogol , que dans les Répubüques de Hollande , de Venife & dans 1'Angleterre même : je ne vois pas qu'on y commette moins de crimes; & que les hommes intimidés par la grandeur des L vj  i^i' Lettres cliatirnens, y foient plus foumls aux lois. Je remarque au contraire, une fource d'injuftice & de vexations au milieu de ces mêmes Etats. Je trouve même le Prince , qui eft la loi même , moins maitre que par-tout ailleurs. Je vois que dans. ces momens rigoureux il y a toujours des mouvemens lumultueux oü perfonne n'eft lechef; & que, quand une fois 1'autorité violente eft méprifée, il n'en refte plus affez a perfonne pour la faire re venir : Que le défefpoir même de 1'impunité confirme le défordre, Si le rend plus grand : Que dans cesEtats il ne fe forme point de petite révolte ; & qu'il n'y a jamais d'intervalle entre le murmure & la fédition : Qu'il ne faut point que les grands événemens y foient préparés par de grandes caufes : au contraire, le moindre accident produit une grande révolution , fouvent auffi imprévue de ceux qui la font, que de ceux qui la fouffrent. Lorfque Ofman,Empereur des Turcs,  P e n s X n è s. a.53 fut dépofé, aucun de ceux qui comrnirent eet attentat ne fongeoit a le commettre : ils demandoient feulement, en fupplians , qu'on leur fit juftice fur 'quelque grief : une voix qu'on n'a jamais connue, fortit de la foule par hafard : le nom de Muftapha fut prononcé , ö£ foudain Muftapha fut Empereur. De Paris , le z ie la lune de Rébiab, 1, 1J15. LETTRE LXXXI. Nargum, Envoyé de Perfe en Mofcovie , a Usbek, A Paris. De toutes les Nations du monde, mon cher Usbek , il n'y en a pas qui ait furpaffé celle des Tartares par la gloire , ou par la grandeur des conquêtes. Ce peuple eft le vraidominateur de 1'Univers : tous les autres femblent être faits pour le fervir : il eft également le fondateur & le deftrucfeur des Empires: dans tous les temps, il a donné (ur la terre des marqués de fa puiffance;  M4 ' Lettres dans tous les ages, il a été le fieau des Naiions. Les Tartares ont conquis deux fois la Chine ; & ils la tiennent encore fous leur obéiffance. Ils dominent fur les valles pays qui forment 1'Empire du Mogol. Maitres de la Perfe , ils font affis fur le tröne de Cyrus & de Gulrafpe. I!s ont foumis la Mofcovie. Sous le nom de Turcs , ils ont fait des conquêtes immenfes dans 1'Europe , 1'Afie & 1'Afrique, & i!s dominent fur ces trois parties de 1'Univers. Et pour parler des temps plus reculés, c'eft d'eux que font fortis quelquesuns des peuples qui ont renverfé 1'Empire Romain. Qu'eft-ce que les conquêtes d'Alexandre, en comparaifon de celles de Genghifcan ? t II n'a manqué a cette victorieufe Nation que des Hiftoriens, pour célébrer la mémoire de fes merveilles. Que d'aclions immortelles ont été enfeveües dans 1'oubli! que d'Empires par eux fondés , dont nous ignorons forigine ! Cette belliqueufe Nation , .umquement. occupée de fa gloire pré-  Peb.sa.nes'. 155 fente, füre de vaincre dans tous les temns, ne fongeoit point a fe fignaler dans 1'avenir par la mémoire de fes conquêtes paffées. De Mofcow , le 4 de la lune de Rébiab , >, >7>f- LETTRE LXXXII. Rica a Ibben, A Smyrne. QuoiQUEles Francois parient beaucoup , il y a cependant parmi eux une efpece de Dervis taciturnes , qu'on appelle Chartreux. L'on dit qu'ils fe coupent la langue en entrant dans le Convent : & on fouhaiter.oit fort que tous les autres Dervis fe retranchalfent de même tout ce que leur profemon leur rend inutile. A propos de gens taciturnes , il y en a de bien plus finguliers que ceuxla, & qui ont un talent bien extraordinaire. Ce font ceux qui favent parler fans rien dire, & qui amufent une converfation pendant deux heures de temps, fans qu'il foit poffible de les  256 Lettres dcceler, d'être leur plagiaire , ni de retenir un mot de ce qu'ils ont dit. Ces fortes de gens font adorés des femmes, mais ils ne le font pas tant que d'autres, qui ont recu de la nature 1'aimable talent de fourire a propos , c'eftè-dire , a chaque inftant , & qui portent la grace d'une joyeule approbation fur tout ce qu'elles difent. Mais ils font au comble de l'efprit, lorfqu'ils fa vent entendre fineffe a tout, & trouver mille petits traits ingénieux dans les chofes les plus communes. J'en connois d'autres qui fe font bien trouvés d'introduire dans les converfations des chofes inanimées, & d'y faire parler leur habit brode , leur perruque blonde, leur tabatiere, leur canne & leurs gants. II eft bon de commencer de la rue a fe faire écouter par le bruit du carroffe & du marteau qui frappe rudement la porte : eet avant-propos prévient pour le refte du difcours : & quand 1'exorde eft beau, il rend fupportables toutes les fottifes qui viennent enfuite, mais qui par bonheur arrivent trop tard. Je te promets que ces petits talens , dont on ne fait aucun cas chez nous,  Persanes. 25:7 fervent bien ici ceux qui font affez heureux pour les avoir ; & qu'un homme de bon fens ne brille guere devant eux. De Paris , le 6 de la lune deRébiab , 2 , lyij. LETTRE LXXXIII. Usbek a Rhédi, A Venife. S'il y a un Dieu, mon cher Rhédi, il faut nécelTairement qu'il foit jufte: car, s'il ne 1'étoit pas , il feroit le plus mauvais Sc le plus imparfait de tous les Etres. La juftice efl un rapport de convenance , qui fe trouve réellement entre deux chofes : ce rapport eft toujours le même , quelque Etre qui le confitlere , foit que ce foit Dieu, foit que ce foit un Ange, ou enfin que ce foit un homme. II eft vrai que les hommes ne voient pas toujours ces rapports : fouvent même, lorfqu'ils les voient, ils s'en éloignent, & leur intérêt eft toujours ce qu'ils voient le mieux. La juftice  's.58 Lettres éleve fa voix; mais elle a peine è fe faire entendre dans le tumulte des paf- fions. Les hommes peuvent faire des injuftices, paree qu'ils ont intérêt de les commettre, & qu'ils preferent leur propre fatisfa&ion a celle des autres. C'eft toujours par un retour fur euxmêmes qu'ils agiffent : nul n'eft mauvais gratuitement: il faut qu'il y ait une raifon qui détermine ; & cette raifon eft toujours une raifon d'intérêt. Mais il n'eft pas poffible que Dieu faife jamais rien d'injufte : dès qu'on fuppofe qu'il voit la juftice , il faut néceffairement qu'il la fuive : car , comme il n'a befoin de rien, &l qu'il fe fuffit a lui-même , il feroit le plus méchant de tous les Etres , puifqu'il Ie feroit fans intérêt. Ainfi , quand il n'y auroit pas de Dieu , nous devrions toujours aimer la juftice , c'eft-a-dire , faire nos efforts pour reffembler a eet Etre dont nous avons une fi belle idéé, & qui, s'ilexiftoit, feroit néceffairement jufte. Libres que nous ferions du jong de la religion, nous ne devrions pas 1'être de celui de 1'équité.  Persanes. 2.59 Voila , Rhédi, ce qui m'a fait penfer que la juftice eft éternelle, & ne dépend point des conventions humaines. Et quand elle en dépendroit, ce feroit une vérité terrible, qu'il faudroit fe dérober a foi-même. Nous fommes entourés d'hommes plus forts que nous : ils peuvent nous nuire de mille manieres différentes ; les trois quarts du temps ils peuvent le faire impunément: quel repos pour nous, de favoir qu'il y a dans le cceur de tous ces hommes un principe intérieur qui combat en notre faveur, & nous met a couvert de leurs entreprifes ! Saas cela nous devrions être dans une frayeur continuelle; nous palferions devant les hommes comme devant les lions; & nous ne ferions jamais affurés un moment de notre bien, de notre honneur & de notre vie. Toutes ces penfées m'animent contre ces Dofleurs qui repréientent Dieu comme un Etre qui fait un exercice tyrannique de fa puiffance ; qui le font agir d'une maniere dont nous ne voudrions pas agir nous-mêmes, de peur de l'offenfer ; qui 'e chargent de toutes les imperfections qu'il punit en nous ;  'i6o Lettres & dans leurs opinions contradidtoires s le repréfentent tantöt comme un Etre mauvais, tantöt comme un Etre qui hait le mal & le punit. Quand un homme s'examine, quelle fatisfadtion pour lui de trouver qu'il a le cceur jufte ! Ce plaifir, tout févere qu'il eft , dok le ravir : il voit fon Etre autant au-deflus de ceux qui ne lont pas, qu'il fe voit au-deffus des tigres & des ours. Oui, Rhédi, fi j'étois fur de fuivre toujours inviolablement cette équité que j'ai devant les yeux, je me croirois le premier des hommes. De Paris , le i de la lune de Gemmadi, i , /7/r. LETTRE LXXXIV. Rica a ***. Je fus hier aux Invalides : j'aimerois autant avoir fait eet établitTement, fi j'étois Prince , que d'avoir gagné trois batailles. On y trouve par-tout la main d'un grand Monarque. Je crois que c'eft le lieu le plus refpedtable de la terre. Quel fpc-clacle, de voir affemblées  Per s a n e s. i6i dans un même lieu toutes ces victimes de la patrie, qui ne refpirent que pour la défendre , & qui fe fentant le même cceur , & non pas la même force , ne fe plaignent que de 1'impuiffance oü elles font de fe facrifïer encore pour elle ! Quoi de plus admirable, que de voir ces guerriers- débiles , dans cette re» traite, obferver une difclpline auffi exacte que s'ils y étoient contrahits par la préfence d'un ennemi, chercher leur derniere fatisfaction dans cette image de la guerre, & partager leur cceur &l leur efprit entre les devoirs de la religion &C ceux de 1'art militaire. Je voudrois que les noms de ceux qui meurent pour la patrie fuffent confervés dans les temples, & écrits dans des regiftres qui fuffent comme la fource de la gloire & de la nobleffe. De Paris , le i f de la lune de Gemmadi, ;,17:5»  Lettres LETTRE LXXXV. Usbek a Mirza, A Ifpahan. Tu fais, Mirza , que quelques Miniftres de Cha-Soliman avoient formé 3e delfein d'obliger tous les Arméniens de Perfe de quitter le Royaume, ou de fe faire Mahométans , dans la penfée que notre Empire feroit toujours pollué, tandis qu'il garderoit dans Ion fein ces Iiifidelles. C'étoit fait de la grandeur Perfane , fi dans cette occafton 1'aveugle dévotion avoit été écoutée. On ne fait comment la chofe manqua. Ni ceux qui firent la propofition, ni ceux qui la rejeterent n'en connurent les conféquences : le hafard fit 1'office de la raifon & de la politique , & fauva 1'Empire d'un péril plus grand que celui qu'il auroit pu courir de la perte d'une bataille, & de la prife de deux Villes. En profcrivant les Arméniens, on penfa détruire en un feul jour tous les  PERSANES. itjj Négocians, & prefque tous les Artifans du Royaume. Je fuis fur que le grand Cha-Abas auroit mieux aimé fe faire couper les deux bras , que de figner un ordre pareil ; & qu'en envoyant au Mogol & aux autres Rois des Indes fes fujets les plus induffrieux , il auroit cru leur donner la moitié de fes Etats. Les perfécutions que nos Mahométans zélés ont faites aux Guebres , les ont obügés de paffer en foule dans les Indes , &c ont privé la Perfe de cette Nation , fi appliquée au labourage, & qui feule, par fon travail, étoit en état de vaincre la ftérilité de nos terres. II ne reftoit a la dévotion qu'un fecond coup a faire, c'étoit de ruiner 1'induftrie ; moyennant quoi, I'Empire tomboit de lui - même , & avec lui , par une fuite néceffaire , cette même religion qu'on vouloit rendre fi floriffante. S'il faut raifonner fans prévention, je ne fais , Mirza , s'il n'eft pas bon que que dans un Etat il y ait plufieurs religions. On remarque que ceux qui vivent dans des religions tolérées , fe rendent prdinairement plus utiles a leur patrie  Lettres que ceux qui vivent dans la religion dominante ; paree qu'élo:gnés des honneurs , ne pouvant fe diftinguer que par leur opulence & leurs richeffes, ils font portés a en acquérir par leur travail, & a embraffer les emplois de la fociété les plus pénibles. D'ailleurs, comme toutes les religions contiennent des préceptes utiles a la fociété, il eft bon qu'elles foient obfervées avec zele. Or, qu'y a-t-il de plus capable d'animer ce zele , que leur multiplicité ? Ce font des rivales qui ne fe pardonnent rien. La jaloufie defcend jufqu'aux particuliers : chacun fe tient fur fes gardes , & craint de faire des chofes qui déshonoreroient fon parti, &c 1'expoferoient aux mépris & aux cenfures impardonnables du parti contraire. Auffi a-t-on toujours remarqué qu'une fecte nouvelle, introduite dans un Etat, étoit le moyen le plus fur pour corriger tous les abus de 1'ancienne. On a beau dire qu'il n'eft pas de 1'intérêt du Prince de fouffrir plufieurs religions dans fon Etat. Quand toutes les fedfes du monde viendroient s'y raffembler ,  P ï E S A K E S. 265 fembler , cela ne lui porteroit aucun préjudice ; paree qu'il n'y en a aucune I qui ne prefcrive 1'obéilTance, Sc ne prêche la foumiffion. J'avoue que les hiftoires font remplies de guerres de religion: mais , qu'on y prenne bien garde , ce n'eft point la multipEcké des religions qui a produit ces guerres ; c'eft fefprit d'intolérance qui animoit celle qui fe croyoit la dominante. C'eft eet efprit de profélytifme , que les Juifs ont pris des Egyptiens , &i qui d'eux eft paffé , comme une maladie epidémique & populaire , aux Mahométans Si aux Chrétiens. C'eft enfin eet efprit de vertige dont les progrès ne peuvent être regardés que comme une éclipfe entiere de la raifon humaine. Car enfin , quand il n'y auroit pas de 1'inhumanité k affliger la confeience des autres , quand il n'en réfulteroit aucun des mauvais effets qui en germent k milliers, il faudroit être fou pour s'en avifer. Celui qui veut me faire changer de religion , ne le fait fans doute que paree qu'il ne changeroit pas Ia fienne, quand on voudroit 1'y forcer : il trouve M  266 Lettres donc étrange que je ne faffe pas une chofe qu'il ne feroit pas lui - même , peut-être pour 1'empire du monde. De Paris , le 26 de la lune dt Gemmadi , 1 , LETTRE LX XXVI. Rica a * **. Il femble ici que les families fe gouvernent toutes feules. Le mari n'a qu'une ombre d'autorité fur fa femme , le pere fur fes enfans , le maitre fur fes efclaves. La juffice fe mêle de tous leurs différens , & fois fur qu'elle eft toujours contre le mari jaloux, le pere chagrin , le maitre incommode. J'allai 1'autre jour dans le lieu oii fe rend la juftice. Avant d'y arriver, il faut paffer fous les armes d'un nombre in£ni de jeunes marchandes , qui vous appellent d'une voix trompeufe. Ce fpeclacle d'abord eft affez riant : mais il devient lugubre, lorfqu'on entre dans les grandes falies , oii 1'on ne voit que des gens dont 1'habit eft encore plus grave que la fïgure. Enfin, on ent.re  Persanes. 167 dans Ie lieu facré , oü fe révelent tous ;S les fecrets des families, & oü les actions : i les plus cachées font mifes au grand jour. La , une fille modefte vient avouer :1 les tourmens d'une virginité trop long:: temps gardée, fescombats, & fa dou: loureufe réfiftance : elle eft fi peu fiere de fa vidfoire , qu'elle menace toujours d'une défaite prochaine ; &C pour que ;! fon pere n'ignore plus fesbefoins, elle : les expofe a tout le peuple. Une femme effrontée vient enfuite : expofer les outrages qu'elle a faits k : fon époux, comme une raifon d'en être féparée. Avec une modeftie pareille, une au■<} tre vient dire qu'elle eft laffe de porter ; le titre de femme, fans en jouir : elle ij vient révéler les myfteres cachés dans :i la nuit du mariage : elle veut qu'on la ■| iivre aux regards des experts les plus ;il habiles , & qu'une fentence la rétabliffe dans tous les droits de la virginité. II y ii en a même qui ofent défier lèurs maris, i: & leur demander en public un combat ;| que les témoins rendent fi diflicüe : i ,;\ épreuve aufli flétriffante pour la femme [i qui la foutient, que pour le mari qui y I fuccombe, M ij  i6S Lettres Un nombre infïni de filles, ravies on féduites, font- les hommes beaucoup plus mauvais qu'ils ne font. L'amour fait retentir ce tribunal: on n'y entend parler que de peres irrités , de filles abufées, d'amans infidelles, & de maris chagrins. Par la loi qui y eft obfervée, tout enfant né pendant le mariage , eft cenfé être au mari: il a beau avoir de bonnes raifons pour ne pas le croire, la loi le croit pour lui, & le foulage de 1'examen & des fcrupules. Dans ce tribunal on prend les voix a la majeure : mais on dit qu'on a reconnü, par expérience, qu'il vaudroit mieux les recueillir a la mineure : & cela eft affez naturel, car il y a trèspeu d'efprits juftes ; & tout le monde convient qu'il y en a une infinité de faux. De Paris, le premier de la lunt de Gemmadi, z , >T$*  Persanes. 269 LETTRE L X X X V 11. Rica a * * *. Cy n dit que 1'homme eft un animal fociable. Sur ce pied - la il me paroit qu'un Frangois eft plus homme qu'un autre : c'eft 1'homme par excellence ; car il femble être fait uniquement pour la fociété. Mais j'ai remarqué parmi eux des gens, qui non-feuiement font fociables , mais font eux-mêmes la fociété univerfelle. Ils fe multiplient dans tous les coins ; ils peuplent en un moment les quatre quartiers d'une Ville : cent hommes de cette efpece abondent plus que deux mille citoyens ; ils pourroient réparer, aux yeux des étrangers , les ravages de lapefte,& de la famine. On demande , dans les écoles, fi un corps peut être en un inftant en plufieurs lieux: ils font une preuve de ce que les Philofophes mettent en queftion. Ils font toujours empreffés , paree qu'ils ont 1'affaire importante de demander a tous ceux qu'ils voient, oü ils vont, Sc d'oü ils viennent. M iij  zyo Lettres On ne leur öteroit "jamais de Ia tête qu'il eft de Ia bienféance de vinter chaque jour le public en détail, fans compter les vifites qu'ils font en gros dans les lieux oü 1'on s'alfemble ; mais comme la voie en eft trop abrégée , elles font comptées pour rien dans les regies de leur cérémonial. Ils fatiguent plus les portes des maifons a coups de marteau, que les vents &c les tempêtes. Si 1'on alloit examiner la lifte de tous les portiers, on y trouveroit chaque jour leur nom eltropié de mille manieres en caraöeres Suiffes, Ils paffent leur vie a la fuite d'un enterrement, dans des complimens de condoléance , ou dans des félicitations de mariage. Le Roi ne fait point de gratification a quelqu'un de fes fujets, qu'il ne leur en coute une voiture pour lui en aller témoigner leur joie. Enfin , ils reviennent chez eux, bien fatigués, fe repofer , pour pouvoir reprendre le lendemain leurs pénibles fonftions. Un d'eux mourut 1'autre jour de laffitude , &c on mit cette épitaphe fur fon tombeau : C'eft ici que repofe celui qui ne s'eft jamais repofé. II s'eft promens a cinq cents trente enterremens. II s'eft  Persanes. 171 réjoui de la naiffance de deux mille fix cents quatre-vingts enfans. Les penüons dont il a féiicité fes amis, toujours en des termes différens, montent a deux millions fix cents mille livres ; le chemin qu'il a fait fur ie pavé , a neuf mille fix cents ftades; celui qu'il a fait dans la campagne, atrente-fix. Saconverfation étoit amufante ; il avoit un fonds tout fait de trois cents foixante-cinq contes; il poffédoit d'ailieurs , depuis fon jeune age, cent dix-huit apophthegmes tirés des Anciens, qu'il employoit dans les occafions brillantes. II eft mort enfin a la foixantieme année de fon age. Je me tais, voyageur: car comment pqurroisie schever de te dire ce qu'il a fait & ce qu'il a vu ? De Paris , le 3 de la luns de Gemmadi ,2, '7'f. M iv  IJl Lettres L E T T R E LXXXVIl Usbek a R. h ê d i , A Venife. ' .Al Paris, regne la liberté & 1'égaüté, La naiffance , la vertu , le mérite même de la guerre, quelque bril'ant qu'il foit, ne fauve pas un homme de la foule dans laquelle il eft confondu. La jaloufxe des rangs y eft inconnue. On dit que le premier de Paris eft celui qui a les meilleurs chevaux a fon carroffe. Un grand Seigneur eft un homme qui voit le Roi, qui parle aux Miniftres, qui a des ancêtres, des dettes & des penfions. S'il peut avec cela cacher fon oifiveté par un air empreffé, ou par un feint attachement pour les plaifirs, il croit être le plus heureux de tous les hommes. Eh Perfe, il n'y a de grands que ceux a qui le Monarque donne quelque part au Gouvernement. Ici il y a des gens qui font grands par leur naiffance ; mais ils font fans crédit. Les Rois font comme ces ouvriers habiles, qui peur exécuter  P e r s a n e s. 473 leurs ouvrages, fe fervent toujours des machines les plus fimples. _ ( La faveur eft la grande Divimte des Francois. Le Minifire eft le Grand-Prêtre, qui lui offre bien des viftimes. Ceux qui 1'entourent ne font point habillés de blanc : tantöt facrificateurs , & ^tantöt facrifiés , ils fe dévouent eux-mêmes k leurs idoles avec tout le peuple. De Paris, len ie la lune de Gemmadi , 2 , f7/ƒ• LETTRE LXXXIX. Usbek a Ibben, A Smyrne. Le défir de la gloire n'eft point différent de eet inftincF que toutes _ les créatures ont pour leur confervation. II femble que nous augmentons notre être, lorfque nous pouvons le porter dans la mémoire des autres : c'eft une nouvelle vie que nous acquérons, &C qui nous devient auffi précieufe que celle què nous avons recue du Ciel. Mais comme tous les hommes ne font pas également attachés è la vie, ils M v  274 Lettres ne font pas auffi également fenfibles a la gloire. Cette noble paffion eft bien toujours gravée dans leur cceur; mais 1'imagination Si 1'éducation la modifient de mille manieres. Cette différence qui fe trouve d'homme a homme , fe fait encore plus fentir de peuple a peuple. On peut pofer pour maxime, que , dans chaque Etat, le défir de la gloire croit avec la liberté des fujets, & diminue avec elle : la gloire n'eft jamais compagne de la fervitude. Un homme de bon fens me difoit 1'autre jour : On eft en France , i bien des egards, plus libre qu'en Perfe ; auffi y aime-t-on plus la gloire. Cette heureufe fantaifie fait faire a un Francois, avec plaifir & avec goüt, ce que votre Suitan n'obtient de ies fujets qu'en leur mettant fans ceffe devant les yeux les fupplices Si les récompenfes. Auffi parmi nous le Prince eft - il jaloux de 1'honneur du dernier de fes fujets. II y a, pour le maintenir, des tribunaux refpecfables: c'eft Ie tréfor facré de la Nation, Si le feul dont le Souverain n'eft pas le maitre , paree qu'il'ne peut 1'ctre fans choquer fes intéréts,  Persanês. 175 Ainfi, fi ün fujet fe trouve bleffé dans fon honneur par fon Prince , foit par quelque préférence , foit par la moindre marqué -de mépris , il quitte fur le champ fa Cour , fon emploi, fon fervice, & fe retire chez lui. La difTérence qu'il y a des troupes Frar.coifes aux vötres , c'eft que les unes , compofées d'efclaves naturellement laches , ne furmontent la crainte de la mort que par ceile du chatiment; ce qui produit dans l'ame un nouveau genre de terreur qui la rend comme ltupide : au lieu que les autres fe préfentent aux coups avec délices , & banniffent la crainte par une fatisfadtion quï lui eft fupérieure. Mais le fan&uaire de 1'honneur, de la réputation & de la vertu, femble être établi dans les Républiques, & dans les pays ou 1'on peut prononcer Ie mot de Patrie. A Rome, a Athenes , a Lacédémone , 1'honneur payoit feul les fervices les plus fignalés. Une couronne de chêne ou de laurier, une ftatue, un éloge , étoit une récompenfe immenfe pour une bataille gagnée, ou une Ville prife. La , un homme qui avoit fait une belle action, fe trouvoit fulïfaminenr M vj  17 goüts, les caprices 6c Pinfociabilité des i  Persanes. 35 humeurs : on voulut fixer le cceur,* c'eft-a- cl're , ce qu'il y a de plus variable & de plus inconfiant dans la nature : on attacha, fans retour &c fans efpérance, des gens accablés 1'un de 1'autre , & prefque tou.ours mal affortis ; &C 1'on fit comme ces tyrans qui faifoient lier des hommes vivans k des corps morts. Rien ne contribuoit plus k 1'attachement mutuel, que la faciüté du divorce : un mari & une femme étoient portés a foutenir patiemment les peines domeftiques, fachant qu'ils étoient maitres de les faire finir; & i!s gardoient fouvent ce pouvoir en main toute leur vie, fans en ufer , par cette feule confidération qu'ils étoient libres de le faire. II n'en eft pas de même des Chrétiens, que leurs peines préfentes défefperent pour 1'avenir. lis ne voient dans les déiagrémens du mariage , que leur durée , & pour ainfi dire leur éternité : de la viennent les dégoüts, les difcordes, les mépris ; & c'eft autant de perdu pour la poftérité. A peine a-t-on trois ans de mariage , qu'on en négligé 1'effentiel : on paffe enfemble trente ans de froideur : il fe forme des féparations intef-  354 Lettres tines auffi fortes, & peut-être plus pernicieufes que fi elles étoient publiques : chacun vit & refte de fon cóté ; & tout cela au préjudice des races futures. Bientöt un homme, dégouté d'une femme éternelle , fe livrera aux filles de joie : commerce honteux & fi contraire a la fociété; lequel, fans remplir 1'objet du mariage , n'en repréfente tout au plus que les plaifirs. Si, de deux perfonnes ainfi liées, i! y en a une qui n'eft pas propre au deffein de la nature & a la propagation de 1'efpece, foit par fon tempérament, foit par fon age, elle enfevelit 1'autre avec elle, & la rend auffi inutile qu'elle 1'eft elle-même. II ne faut donc point s'étonner fi 1'on voit chez les l hrétiens tant de mariages fournir un fi petit nombre de citoyens. Le divorce eft aboli : les mariages mal affortis ne fe raccommodent plus : les femmes ne paffent plus, comme chez les Romains, lucceffivement dans les mains de plufieurs maris, qui en tiroient dans le chemin le meilleur parti qu'il étoit poffible. J'ofe le dire : fi, dans une République comme Lacédémone, oü les citoyens  Persanes. 355' étoient fans cefTe gênés par des lois fingulieres & fubtiles , & dans laquelle il n'y avoit qu'une familie, qui étoit la République, il avoit été établique les maris changeaffent de femmes tous les ans , il en feroit né un peuple innombrable. II eft affez difficile de faire bien comprendre la raifon qui a porté les Chrétiens a abolir le divorce. Le mariage, chez toutes les Nations du monde , eft un contrat fufceptible de toutes les conventions; & on n'en a du bannir que celles qui auroient pu en atfoiblir robjer. Mais les Chrétiens ne le regardent pas dans ce point de vue ; auffi ont-ils bien de la peine a dire ce que c'eft. Ils ne le font pas confifter dans le plaifir des fens : au contraire, comme je te 1'ai déja dit, il femble qu'ils veulent 1'en bannir autant qu'ils peuvent : mais c'eft une image , une figure & quelque chofe de myftérieux, que je ne comprends point. De Paris , le 10 de la luna de Chahban, 171$,  356 Lettres LETTRE CXVII. Usbek au même. ÏL a prohibition du divorce n'eft pas la feule caufe de la dépopulation des pays Chrétiens : le grand nombre d'Eunuques qu'ils ont parmi eux n'en eft pas une moins confidérable. Je parle des Prêtres & des Dervis de 1'un & de 1'autre fexe, qui fe vouent k une continence éternelle : c'eft chez les Chrétiens la vertu par excellence ; en quoi je ne les comprends pas , ne fachant ce que c'eft qu'une vertu dont il ne réfulte rien. Je trouve que leurs Dodteurs fecontredilent manifeftement, quand ils difent que le mariage eft faint, & que le célibat, qui lui eft oppofé, 1'eft encore davantage; fans compter qu'en fait de préceptes & de dogmes fondamentaux, le bien eft toujours le mieux. Le nombre de ces gens faifant profeffion de cclibat eft prodigieux. Les peres y condamnoient autrefois les enfans dés le berceau : aujourd'hui ils s'y  P E R S A N E S. 3 57 vouent eux - mêmes dès lage de quatorze ans ; ce qui re vient a peu prés a la même chofe. Ce métier de continence a anéantï plus d hommes, que les petfes & les guerres les plus fang'antes n'ont jamais fait. On voit dans chaque Maifon rek gieufe une familie éternelle , oü il ne nait perfonne , & qui s'entretient aux Ainonc trmfPC lpQ ailtfeS. CeS Maï- I fons font toujours ouvertes , comme I autant de gouffres oü s'enfevelifTent les I races futures. Cette politique eft bien différente de celle des Romains qui étabhffoient des lois pénales contre ceux qui fe refuI foient aux lois du mariage , & vouloient I iouir d'une liberté fi contraire k 1'utilité I publique, I Je ne te parle ici que des pays CaI tholiques. Dans la religion Proteftante , I tout le monde eft en droit de faire des I enfans ; elle ne fouffre ni Prêires ni I Dervis : & fi dans 1'étabüffement de I cette religion , qui ramenoit tout aux I premiers temps, fes fondateurs n'a^ I voient été accufés fans ceffe d'intemI pérance , il ne faut pas douter qu après I avoir rendu. la pratique du mariage  358 Lettres univerfelle , ils n'en euflent encoré adouci le jong , &c achevé d'öter toute la barrière qui fépare en ce point Ie Nazaréen & Mahomet. Mais , quoi qu'il en foit, il eft certain que la religion donne aux Proteftans un avantage infini fur les Catholiques. J'ofe le dire , dans 1'état préfent oü eft 1'Europe , il n'eft pas poffible que Ia religion CathoÜque y fubfifte cinq cents ans. Avant fabaiffement de Ia puiffance d'Efpagne, les Catholiques étoient beaucoup plus forts que les Proteftans. Ces derniers font peu a peu parvenus a un équilibre. Les Proteftans deviendront plus riches & plus puiffans , & les Car tholiques plus foibles. Les pays Proteftans doivent être , & font réellement plus peuplés que les Catholiques : d'ou il tuit, premiérement, que les tributs y font plus confidérables , paree qu'ils augmentent a proportion du nombre de ceux qui les payent : fecondement, que les terres y font mieux cultivées: enfin, que le commerce y fleurit davantage, paree qu'il y a plus de gens qui ont une fortune k faire ; & qu'avec plus de befoins on y  Persanes. 359 a plus de refïburces pour les remplir. Quand il n'y a que le nombre de gens fuffifans pour la culture des terres, il faut que le commerce périffe ; èc lorfqu'il n'y a que celui qui eft néceffaire pour entretenir le commerce, il faut que la culture des terres manque : c'eft- adire, il faut que tous les deux tombent en même temps, paree que 1'on ne s'attache jamais a 1'un, que ce ne foit aux dépens de 1'autre. Quant aux pays Catholiques, nonfeulement la culture des terres y eft abandonnée, mais même l'induftrie y eft pernicieufe : elle ne confifte qu'a apprendre cinq ou fix mots d'une langue morte. Dès qu'un homme a cette provifion par - devers lui , il ne doit plus -s'embarraffer de fa fortune ; il trouve dans le Cloitre une vie tranquille, qui dans le monde lui auroit coüté des fueurs & des peines. Ce n'eft pas tout; les Dervis ont en leurs mains prefque toutes les richeffes de 1'Etat ; c'eft une fociété de gens avares , qui prennent toujours & ne rendent jamais; ils accumulent fans ceffe des revenus, pour acquérir des capitaux. Tant de richeffes tombent pour ainfi  '$6o Lettres dire en paralyfie; plus de circu'ation , plus de commerce, plus d'arts , plus de manufa&ures. II n'y a point de Prince Proteftant qui ne leve fur fes peup'es beaucoup plus d'impöts que le Pape n'en leve fur fes fujets : cependant ces derniers font pauvres , pendant que les autres vivent dans 1'opulence. Le commerce ranime tout chez les uns , & le monachi'me porte la mort par-tout chez les autres. De Paris, le 26 de la. lune de Chahban , 1718, . LETTRE CXVIII. Usbek au même. 3Nfous n'avons plus rien a dire de 1'Afie & de PEurope ; paffons a 1'Afrique. On ne peut guere parler que de fes Cötes, paree qu'on n'en connoit pas fintérieur. Celles de Barbarie oii la religion Mahométane eft établie , ne font plus fi peuplées qu'elles étoient du temps des Romains, par les raifonsque je t'ai déja elites.  Persanes. 36t d*rtes. Quant aux Cötes de !a Guinee , dies doivent être furieufement dégarnies depuis deux cents ans , que les petits Rois ou c hefs des Villages vendent leurs fujets aux Princes de PEurope % pour les porter dans leurs Colonies en Amérique. Ce qu'il y a de fingulier , c'eft que' cette Amérique qui recoit tous les ans tant de nouveaux habitans , eft elle— même déferte, Sc ne profite point des pertes continuelles de 1'Afrique. Ces efclaves qu'on tranfporte dans un autre climat y périffent k milliers ; Sc les travaux des mines oit 1'on occupe fans ceffe & les naturels du pays 6c les étrangers, les exhalaifons malignes quï en fortent, le vif-argent dont il faut faire un continuel ufage, les détruifent fans reffource. II n'y a rien de fi extravagant que de faire périr un nombre innombrable d'hommes , pour tirer du fond de la terre 1'or 6c 1'argent, ces métaux d'euxmêmes abfolument inutiles, 6c qui ne font des richeffes , que paree qu'on les a choifis pour en être les fignes. Pc Paris , le dernier de la pine de Chahban , ijiS,  '$6z Lettres LETTRE CXIX. UbBEK AU MÊME. T,a fécondité d'un peuple dépendquelquefois des plus petites circonftances du monde ; de maniere qu'il ne faut fouvent qu'un nouveau tour dans fon imagination, pour le rendre beaucoup plus nombreux qu'il n'étoit. Les Juifs toujours ex terminés & toujours renaiffans, ont réparé leurs pertes & leurs deftruclions continuelles , par cette feule efpérance qu'ont parmi eux toutes les families, d'y voir naitre un Roi puiffant qui fera le Maitre de la terre. Les anciens Rois de Perfe n*avoient tant de milliers de fujets, qu'a caufe de ce dogme de la religion des Mages, que les actes les plus agréables a Dieu que les hommes puffent faire , c'étoit de faire un enfant, labourer un champ , & planter un arbre. Si la Chine a dans fon fein un peuple fi prodigieux, cela ne vient que d'une certaine maniere de penfer : car comme les enfans regardent leurs peres comme,  Persanes. 365 des dieux ; qu'ils les refpecfent comme tels dès cette vie ; qu'ils les honorent après leur mort par des facrifices, dans lefquels ils croient que leurs ames, anéanties dans le Tyen , reprennent une nouvelle vie ; chacun eft porté a augmenter une familie fi foumife dans cette vie, & li néceffaire dans 1'autre. D'un autre cöté, les pays des Mahométans deviennent tous les jours déferts, a caufe d'une opinion qui, toute fainte qu'elle eft , ne laiffe pas d'avoir des effets trés - pernicieux , lorfqu'elle eft enracinée dans les efprits. Nous nous regardons comme des voyageurs qui ne doivent penfer qu'a une autre patrie; les travaux utiles & durables, les foins pour affurer la fortune de nos enfans , les projets qui tendent au-dela d'une vie courte & paffagere, nous paroiffent quelque chofe d'extravagant.Tranquilles pour le préfent, fans inquiétude pour 1'avenir , nous ne prenons la peine ni de réparer les édifices pubtics , ni de défricher les terres incultes , ni de cultiver celles qui font en état de recevoir nos foins ; nous vivons dans une infenfibilité générale, & nous laiffons tout faire a la Providence. Q ij  364 Lettres C'eft un efprit de vanité qui a établï chez les Européens Pinjufte droit d'aineffe , fi défavorable a la propagation , en ce qu'il porte 1'attention d'un pere fur un feul de fes enfans , & détourne fes yeux de tous les autres; en ce qu'il 1'oblige , pour rendre folide la fortune d'un feul, de s'oppofer a 1'établiiTement de plufieurs ; enfin, en ce qu'il détruit 1'égalité des citoyens , qui en fait toute 1'opulence. De Paris , le 4 de la lunt de Rhama-ian t 1118, LETTRE CXX. Usbek au même. Les pays habités par les SauvageS font ordinairement peu peuplés , par i'éloignement qu'ils ont prefque tous pour le travail & la culture de la terre, Cette malheureufe averfion eft fi forte , que lorfqu'ils font quelque imprécation contre quelqu'un de leurs ennemis, ils ne lui fouhaitent autre chofe que d'être réduit a labourer un champ ; croyant qu'il n'y a que la chaffe & la pêche qui foient un exercice noble Ót digne d'eux»  P E R S A N E K 3^5 Mais, comme il y a fbuvent des années 'oü la onaffe & la pêche rendent trés* peu , ils font défoiés par des famines fréquentes : fans compter qu'il n'y a pas de pays fi abondant en gibier & en poiffon , qu'il puiffe donner la fubfiftance a un grand peuple ; paree que les animaux fuient toujours les èndroits trop habités. D'ailieufs, les Bourgades des Sauvages, au nombre de deuxou trois cents habitans, détachées les unes des autres, ayant des intéréts auffi féparés que ceux de deux Empires, ne peuvent pas fe foutenir , paree qu'elles n'ont pas la reffource des grands Etats, dont toutes les parties fe répondent &c fe fecourent mutuellement. II y a chez les Sauvages une autre coutume, qui n'eft pas moins pernicieufe que la première ; c'eft la cruelle habitude oü font les femmes de fe faire avorter, afin que leur groffeffe ne les rende pas défagréables a leurs maris. II y a ici des lois terribles contre ce défordre; elles vont jufqu'a la fureur. Toute fille qui n'a point été déclarer fa groffeffe au Magiftrat, eft punie de  366 Lettres mort, fi Ton fruit périt: la pudeur & las I honte, les accidens même ne 1'excufent pas. Dt P.iris, le 0 At l" '««■« ] de Rhama^in , 1718. j LETTRE CXXI. Usbek au même. Hi'effet ordinaire des Colonies eft d'affoibür les pays d'oü on les tire , fanspeupler ceux oü on les envoie. II faut que les hommes reftent oü ils font : il y a des maladies qui viennent de ce qu'on change un bon air contre un mauvais; d'autres- qui viennent précifément de ce qu'on en change. L'air fe charge , comme les plantes des particuies de la terre de chaque pays» II agit tellement fur nous , que notre tempérament en eft fixé. Lorfque nous fommes tranfportés dans un autre pays, nous devenons malades. Les liquides étant accoutumés k une certaine confiftance, les folides k une certaine difpofition, tous les deux a un certain degré de mouvement , n'en peuvent plus fouffrir d'autres ; & ils réfifte'nt k un nouveau pli.  Persanês: 367 Quand un pays eft défert, c'eft uri préjugé de quelque vice particulier de la nature du terrain ou du climat : ainit quand on öte les hommes d'un ciel heureux , pour les envoyer dans un tel pays , on fait précifément le contraire de ce qu'on fe prooofe. Les Romains favoient cela par experience : ils reléguoient tous les cnminels en Sardaigne ; & ils y faifoient paffer des Juifs. II fallut fe confoler de leur perte; chofe que le mépris qu ils avoient pour ces miférables rendoit très-facile. A Le grand Cha-Abas, voulant _ oter aux Turcs le moyen d'entretenir de groffes armées fur les frontieres, tranfporta prefque tous les Arméniens hors de leur pays, & en envoya plus de vingt mille families dans la province de ' Guüan , qui périrent prefque toutes en très-peu de temps. Tous les tranfports de peuples faits a Conftantinople n'ont jamais réuffi. Ce nombre prodigieux de Negres , dont nous avons parlé , n'a point rempli 1'Amérique. Depuis la deftruftion des Juifs fous Adrien, la Paleftine eft fans habitans. Q iv  3^8 Lettres II faut donc avouer que les grandes deftruétions font prefque irréparables ; paree qu'un peuple qui manque a un certain point, refte dans le même état : & fi par hafard il fe rétablit, il faut des fiecles pour cela. Que fi , dans un état de défaillance , Ia moindre des circonftances dont je t'ai parlé, vient a concourir; non-feulement il ne fe répare pas , mais il dépérit tous les jours , & tend a fon anéantiffement. L'expulfion des Maures d'Efpagne fe fait encore fentir comme le premier jour : bien loin que ce vide fe rempliffe, il devient tous les jours plus grand. Depuis la dévaftation de 1'Amérique , les Efpagnols qui ont pris la place de fes anciens habitans, n'ont pu la repeupler au contraire, par une fatalité que je ferois mieux de nommer une juftice divine , les deftruöeurs fe détruifent eux-mêmes, & fe confument tous les jours. Les Princes ne doivent donc point fonger a peupler de grands pays par des colonies. Je ne dis pas qu'elles ne réuffiffent quelquefois : il y a des climats fi heureux, que 1'efpece s'y multiplie  PersanesI 3S9 toujours : témoin ces Ifles (*) qui ont été peuplées.par des malades que quelques vaiffeaux y avoient abandonnés , & qui y recouvroient aufïi-töt la fanté. Mais quand ces colonies réuffiroient, au lieu d'augmenter la puiffance, elles ne feroient que la partager ; a moins qu'elles n'euffent trés-peu d'étendue, comme font celles que 1'on envoie pour occuper quelque Place pour le commerce. Les Carthaginois avoient, comme les Efpagnols, découvert 1'Amérique, ou au moins de grandes Ifles clans lefquelles ils faifoient un commerce prodigieux 1 mais, quand ils virent le nombre de leurs habitans diminuer , cette fage République défendit a fes fujets ce commerce & cette navigation. J'ofe le dire : au lieu de faire paffer les Efpagnols dans les Indes , il faudroit faire repaffer les Indiens & les métifs en Efpagne ; il faudroit rendre a cette Monarchie tous fes peuples difperfés: & fi la moitié feulement des grandes colonies fe confervoit, 1'Efpagne deviendroit la Puiffance de PEurope la plus redoutable. (*) L'Auteur parle peut-être de 1'Ifte de Bourbon» Q v  37° Lettres On peut comparer les Empires a üfï arbre, dont les branches trop étenduesótent tout le fuc du tronc , & ne fervent qu'a faire de 1'ombrage. Rien n'eft plus propre a corrïger les Princes de la fureur des conquêtes lointaines , que 1'exemple des Portugais &Z des Efpagnols. Ces deux Nations ayant conquisavec ttne rapidité inconcevable des Royaumes immenfes, plus étonnées de leurs vidfoires, que les peuples vaincus de leur défaite , fongerent aux moyens de les conferver , & prirent chacune pour cela une voie différente. Les Efpagnols, défefpérant de retenir les Nations vaincues dans la fidélité 9. prirent le parti de les exterminer , &C d'y envoyer d'Efpagne des peuples fi~ delles : jamais deffein horrible ne fut plus ponctuellement exécuté. On vit ura peuple auffi. nombreux que tous ceux de 1'Europe enfemble , difparoïtre de la terre a 1'arrivée de ces Barbares, qui femblerent , en découvrant les Indes, n'avoir penfé qu'a découvrir aux hommes quel étoit le dernier période de la cruauté. Par cette barbarie ils conferverent ce,  P E R S A N E S. 371 pays fous leur domination. Juge paria combien les conquêtes font funeftes , puilque les effets en font tels : car enfin , ce remede affreux étoit unique. Comment auroient-ils pu retenir tant de millions d'hommes dans 1'obéiffance ? Comment foutenir une guerre civile de fi loin ? Que feroient - ils devenus, s'ils avoient donné le temps a ces peuples de revenir de 1'admiration oh ils étoient de 1'arrivée de ces nouveaux dieux, & de la crainte de leurs foudres ? Quant aux Portugais, ils prirent une voie toute oppofée ; ils n'employerent pas les cruautés : auffi furent-ils bientöt chaffés de tous les pays qu'ils avoient découverts. Les Hollandois favoriferent la rebellion de ces peuples, & en prcfiterent. Quel Prince envieroit le fort de ces conquérans ? Qui voudroit de ces conquêtes a ces conditions ? Les uns en furent auffi-tot chaffés; les autres en firent des déferts, & rendirent leur pro-, pre pays un défert encore. C'eft le deftin des Héros de fe ruiner a conquérir des pays qu'ils perdent foudain , ou k foumettre les Nations qu'ils Q.vj  Lettres font obligés eux-mêmes de détruïrë ; comme eet infenfé qui fe confumoit h acheter des. ftatues qu'il jetoit dans la mer , & des giaces qu'il brifoit auffitöt. De Paris , h iS de la lun$ de Rhamaytn , tyiS, LETTRE CXXIL Usbek au même, IjA douceur du Gouvernement contribue merveilleufement a Ia propagation de I'efpece. Toutes les Républiques en font une preuve conftante ; & plus que toutes, la Suiffe & la Hollande , qui font les deux plus mauvais pays de 1'Europe, fi 1'on confidere la nature du terrain , & qui cependant font les plus peuples. Rien n'attire plus les étrangers , que la liberté, & 1'opulence qui la fuit toujours : l'une fe fait rechercher par ellemême, & nous fommes conduits par ros befoins dans les pays oü 1'on trouve 1'autre. L'efpece fe multiplie dans un pays oü 1'abondance fournit aux enfans  Persanes. 373 fans rien diminuer de la fubfiftance des peres. Legalité mêirie des citoyens, qui produit ordinairement legalité dans les fortunes, porte 1'abondance & la vie dans toutes les parties du corps politiaue , & la répand par-tout. *I1 n'en eft pas de même des pays foumis au pouvoir arbitraire : le Prince, les courtifans, & quelques particuliers , poffedent toutes les richeffes , pendant que tous les autres gémiffent dans une pauvreté extréme. Si un homme eft mal a fon aife, 8l qu'il fente qu'il fera des enfans plus pauvres que lui, il ne fe mariera pas; ou s'il fe marie, il craindra d'avoir un trop grand nombre d'en'fans , qui pourroient achever de déranger fa fortune, & qui defcendroient de la condition de leur. pere. J'avoue que le ruftique , ou payfan,' étant une fois marié , peuplera indifféy remment, foit qu'il foit riche, foit qu'il foit pauvre; cette confidération ^ ne le touche pas : il a toujours un héritage fur k laiffer k fes enfans, qui eft foia hoyau ; & rien ne 1'empêche de fuivrs aveuglément 1'inftinft de la nature.  374 Lettres Maïs a quoi fert dans un Etat Cé nombre d'enfans , qui languiflent dans la mifere? Ils périffent prefque tous a mefure qu'ils naiffent. Ils ne profperent jamais : foibles & débiles , ils meurent en détail de mille manieres , tandis qu'ils font emportés en gros par les fréquentes maladies populaires , que la mifere Sc la mauvaife nourriture produifent toujours : ceux qui en échappent, atteignent Page viril fans en avoir la force, & languiffent tout le refte de leur vie. Les hommes font comme les planres,' qui ne croiffent jamais heureufement, ft elles ne font bien cultivées. Chez les peuples miférables , 1'efpece perd , Sc même quelquefois dégénéré. La France peut fournir un grand exemple de tout ceci. Dans les guerres paffées , la crainte oü étoient tous les enfans de familie d'être enrölés dans la milice, les obligeoit de fe marier, & cela dans un age trop tendre & dans le fein de la pauvreté. De tant de mariages , il naiffoit bien des enfans que 1'on cherche encore en France, & que la mifere , la famine & les maladies en ont fait difparcïtre*  PersaneSi 375 Que fi dans un ciel auffi heureux , 'dans un Royaume auffi policé que la France , on fait de pareilles remarques , que fera-ce dans les autres Etats? De Paris , le 25 de la luns de Rhamaxan , tyiS. V^/ue nous fervent les jeunes des lmmaums & les cilices des Mollaks ? La main de Dieu s'eft deux fois appefantie fur les enfans de la loi. Le foleil s'obfcurcit , & femble n'éclairer plus que leurs défaites. Leurs armées s'affemblent, & elles font diffipées comme la pouffiere. , L'Empire des Ofmanlins eft ébranle par les deux plus grands échecs qu'il ait jamais recus. Un Mufti Chrétien ne le foutient qu'avec peine : le grand Vifir d'Allemagne eft le fléau de Dieu , envoyé pour chatier les fedtateurs d'Olïiar. 11 porte par - tout la colere dtf LETTRE CXXIII. Usbek au Mollak Mehemet Ali, Gardkn des trois Tombeaux a Com.  376 Lettres Ciel, irrité contre leur rebellion & leur perfidie. Efprit facré des Immaums , tu pleures nuit & jour fur les enfans du Prophete que le déteftable Omar a dévoyés : tes entrailles s'émeuvent a la vue de leurs malheurs : ,tu défires leur converfion, & non pas leur perte : tu voudrois les voir réunis fous 1'étendard d'Hali , par les larmes des Saints; & non pas difperfés dans les montagnes & dans les déferts, par la terreur des Infïdelles. De Paris, lelde la luns de Chalval, iyi8. LETTRE CXXIV. Usbek a Rhédi, A Fenife. (^)uel peut être le motif de ces libéralités immenfes que les Princes verfent fur leurs courtifans ? Veulent-ils fe les attacher ? ils leur font déja acquis autant qu'ils peuvent 1'être. Et d'ailleurs , s'ils s'acquierent quelques-uns de leurs fujets en les aghetant, il faut  P E R S A N E S. 377 bien par la même raifon qu'ils en perdent une infinité d'autres en les appauVrilTant. Quand je penfe k la fituation des Princes, toujours entourés d'hommes avides & infatiables , je ne puis que les plaindre : & je les plains encore davantage , lorfqu'ils n'ont pas la force de réfifter a des demandes toujours onéreufes k ceux qui ne demandent rien. Je n'entends jamais parler de leurs libéralités, des graces & des penfions qu'ils accordent, que je ne me livre a mille réflexions : une foule d'idées fe préfentent k mon efprit; il me femble que j'entends publier cette Ordonnance : » Le courage infatigable de quelques» uns de nos fujets k nous demander » des penfions ayant exercé fans rela» che notre magnificence royale , nous » avons enfin cédé k la multitude des »» requêtes qu'ils nous ont préfentées , »lefquelles ont fait jufqu'ici la plus »> grande follicitude du Tróne. Ils nous » ont repréfenté qu'ils n'ont point man» qué , depuis notre avénement k la » Couronne, de fe trouver k notre »lever; que nous les avons toujours  378 Lettres » vus fur notre paffage immoblles com« » me des bornes; & qu'ils fe font extrê« mement élévés pour regarder, fur les » éoaules les plushautes, notre férénité. »> Nous avons même recu pluiieurs re» quêtes de la part de queiques per» fonnes du beau fexe, qui nous ont » fupplié de faire attention qu'il efi no» toire qu'elles font d'un entretien trés» difficile : quelques-unes même très» furannées nous ont prié , braniant la » tête, de faire attention qu'elles ont w fait 1'ornement de la Cour des Rois » nos prédéceffeurs; & que fi les Géné» raux de leurs arméespnt rendu 1'Etat » redoutable par leurs faits militaires , » elles n'ont point rendu la Cour moins » célebre par leurs intrigues. Ainfi défi» rant traiter les fupplians avec bonté, » & leur accorder toutes leurs prieres, » nous avons ordonné ce qui fuit: » Que tout Laboureur, ayant cinq » enfans , retranchera journellement la » cinquieme partie du pain qu'il leur » donne. Enjoignons aux peres de fa» mille de faire la diminution fur chaw cun d'eux auffi jufte que faire fe » pourra.  Persanes. 379 » Défendons expreffément a tous $ ceux qui s'appliquent a la culture de » leurs héritages, ou qui les ont don.» nés a titre de ferme, d'y faire au» cune réparation , de quelque elpece » qu'elle foit. » Ordonnons que toutes perfonnes m qui s'exercent a des travaux yils & » mécaniques, lefquelles n'ont jamais wété au lever de_ Notre _ Majefte , » n'achetent déformais d'habits k eux » » k leurs femmes &C k leurs enfans , »que de quatre ans en quatre ans_: » leur interdifons en outre trés - étroi» tement ces petites réjouiffances qu'ils » avoient coutume de faire dans leurs » families les principales fêtes de 1'an» née. »Et d'autant que nous demeurons » avertis que la plupart des Bourgeois » de nos bonnes Villes font entiére»ment occupés k pourvoir a 1'éta» bliffement de leurs filles, lefquelles » ne fe font rendues recommandables wdans notre Etat, que par une trifte » & ennuyeufe rnodeftie ; nous orm donnons qu'ils attendront a les ma» rier , jufqu'a ce qu'ayant atteint 1'age » limité par les Ordonnances, elles  3§ö Lettres w viennent a les y contraindre. Défen» dons a nos Magiftrats de pourvoir a w I'education de leurs enfans. De Paris , le i de la lune de Chalval, i-jiB. LETTRE CXXV. Rica a ***. O n erf bien embarrafie dans toutes les reiigions, quand il s'agit de donner une idéé des plaifirs qui font deftinés a ceux qui ont bien vécu. On épouvante facilement les méchans par une longue fiiite de peines dont on les menace : mais pour les gens vertueux, on ne fait que leur promettre. II femble que Ia nature des plaifirs foit d'être d'une courte durée ; 1'imagination a peine k en repréfenter d'autres. J'ai vu des defcriptions du Paradis, capables d'y- faire renoncer tous les gens de bon fens : les uns font jouer fans ceffe de la flüte ces ombres heureufes ; d'autres les condamnent au fupplice de fe promener éternelletnent; d'autres enfin, qui les font rêver  P e r s a n e s. 3S1' la-haut aux maitreffes d'ici-bas, n'ont pas cru que cent millions d'années fuffent un terme affez long pour leur óter le goüt de ces inquiétudes amoureufes. Je me fouviens, a ce propos, d'une hiftoire que j'ai ouï raconter a un homme , qui avoit été dans le pays du Mogol ; elle fait voir que les Prêtres Indiens ne font pas moins ftériles que les autres dans les idéés qu'ils ont des plaifirs du Paradis. Une femme qui venoit de perdre fon mari, vint en cérémonie chez le Gouverneur de la Ville lui demander la permiffion de fe brüler : mais comme dans les pays foumis aux Mahométans , on abolit tant qu'on peut cette cruelle coutume , il la refufa abfolument. Lorfqu'elle vit fes prieres impuiffantes , elle fe jeta dans un furieux emportement. Voyez , difoit - elle , comme on eft gêné ! II ne fera feulement pas permis a une pauvre femme de fe brüler , quand elle en a envie! A-t-on jamais vu rien de pareil ? Ma mere, ma tante, mes foeurs fe font  Lettres bien brülées. Et quand je vais demander permiffion k ce maudit Gouverneur, £1 fe fache, tk fe met k crier comme un enragé. II fe trouva-la par hafard un jeune Bonze : Homme infïdelle, lui dit- le Gouverneur, eft-ce toi qui a mis cette fureur dans l'efprit de cette femme? Non, dit-il, je ne lui ai jamais parlé : mais fi elle m'en croit, elle confomrnera fon facrifice ; elle fera une adfiorï agréable au dieu Brama : auffi en ferat-elle bien récompenfée ; car elle retrouvera dans 1'autre monde fon mari,: & elle recommencera avec lui un fe« cond mariage. Que dites-vöus ? dit la; femme furprife. Je retrouverai mon] mari ? Ah ! je ne me briïle pas. II étoit jaloux, chagrin, & d'ailleurs fi vieux , que fi le dieu Brama n'a point fait fur lui quelque réforme , furement il n'a pas befoin de moi. Me brüler pour lui!... pas feulement le bout du doigt pour le retirer du fond des enfers. Deux vieux Bonzes , qui me féduifoient, & qui favoient de quelle maniere je vivois avec lui, n'avoient garde de me tout dire j mais fi le dieu Brama n'a que ce préfent ame faire, je renonce a cette béatitude.  Persanes. 383 Monfieur le Gouverneur, je me fais Mahométane. Et pour vous , dit-elle en regardant le Bonze , vous pouvez, fi vous voulez, aller dire a mon mari que je me porte fort bien. De Paris , le 2 de la lune de Chalval, i-jiS. LETTRE CXXVI. Rica a Usbek, ^ * * * i'T Je t'attends ici demain : cependant je I t'envoie tes Lettres d'Ifpahan. Les mieni nes portent que l'Ambaffadeur du Moi gol a recu ordre de fortir du Royaume. On ajoute qu'on a fait arrêter le Prince, : oncle du Roi, qui eft chargé de fon ) éducation ; qu'on 1'a fait conduire dans ; un chateau oii il eft trés - étroitement ; gardé , & qu'on 1'a privé de tous fes j honneurs. Je fuis touché du fort de ce j Prince, & je le plains. Je te 1'avoue, Usbek, je n'ai jamais i vu couler les larmes de perfonne , fans ] en être attendri ; je fens de 1'humanité  3§4 Lettres pour les malheureux, comme s'il riy avoit qu'eux qui fuffent hommes : 6c les Grands même, pour lefquels je trouve dans mon cceur de la dureté quand ils font élevés, je les aime fi~ tot qu'ils tombent. En effet , qu'ont-ils affaire dans Ia profpérité d'une inutile tendreffe ? elle approche trop de 1'égalité. Ils aiment bien mieux du refpeft , qui ne demande point de retour. Mais fi-töt qu'ils font déchus de leur grandeur, il n'y a que nos plaintes qui puiffent leur en rappeler 1'idée. Je trouve quelque chofe de bien naïf, & même de bien grand , dans les paroles d'un Prince , qui prés de tomber entre les mains de fes ennemis, voyant fes courtifans autour de lui qui pleuroient : Je fens , leur dit-il, a. vos lar« mes, que je fuis encore votre Roi. De Paris , le j de la lunt, de Chalval, iyiS, LETTRE  Persanes-. 3S5 LETTRE CXXVIII. Rica a Ibben, A Smyrne. Tu as om parler mille fois Une marqué de ma candeur, c'eft que lorfquCvous me les apportdtes il y a quelques jours, je vous en rendis fur le champ la moitié. Le lendemain on tappergut de loin , & on le vit s'infinuer avec une voix douce & fiatteufe: Peuples de Bétique, j'apprends que vous ave%_ une partie de vos tréfors dans les pays étrangers : je vous prie , faitesles moi venir ; vous me fere{ plaifir, &je vous en aurai une reconnoijjance éternelie* Le fils d'Eole parloit d des gens qui ri avoient pas grande enyie de rirej ils net  Lettres purent pourtant s'en empêcher: ce qui fit qiiü s'en retourna bien confius. Mais, reprenant courage , il hafarda encore une petite priere. Je fais que vous ave^des prieres précieufes ; au nom de Jupiter , defaites-vous-en; rien ne vous appauvrit comme ces fortes de chofes; défaites-vousen , vous dis-je. Si vous ne le pouve^ pas par vous-mêmes , je vous donner ai des hommes d'affaire excellens. Que de richeffes vont couler che^ vous fi vous faites ce que je vous confeille! Oui, je vous promets tout ce qu'il y a de pluspur dans mes outres. Enfin, il monta fur un tréteau; &,prenant une voix plus affurée, il dit: Peuples de Bétique , j'ai comparé l'heureux état dans lequel vous êtes, avec celui oii je vous trouvai lorfque j'arrivai ici ; je vous vois leplus riche peuple de la terre : mais, pour achever vatre fortune, fouffrei 1ut /« ™us óte la rnoitié de vos biens. A ces mots d'une aile légere , le fils d'Eole difparut ' & laiffa fes auditeurs dans une conflernation inexprimable ; ce qui fit qu'il revint le lendemain , & paria ainfi : Je m'apperqus hier que mon difcours vous deplut extrêmement. Hé bien, prene7 que le ne vous aye rien dit. II eft vrai; la  P e r s a n e 5. 455 moltiê, ceji trop. II riy a qua prendre d'autres expéditns pour arriver au but que je me fuis propofé. Affemblons nos richeffes dans un même endroit ; nous le pouvons facilement; car elles ne tiennent pas un gros volume. Aufji-tót il en difparut les trois quarts. De Paris , le <) de la luni' de Chahban , ijzo. LETTRE CXLIII. Rica a Nathanael Lévi, Mêdecin Juif d Livourne. Tv me demandes" ce que je penfe de la vertu des Amulettes & de la puiffance des Talifmans. Pourquoi t'adreffes-tu a moi? Tu es Juif, & je fuis Mahométan; c'eft-a-dire , que nous fommes tous deux bien crédules. Je porte toujours fur moi plus de deux mille paffages du faint Acoran; j'attache k mes bras un petit paquet ou font écrits les noras de pk's de deux eents Dervis ; ceux d'H4i ? de Fatmé  454 Lettres & de tous les Pars, font cachés en plus | de vingt endroits de meshabits. Cependant, je ne défapprouve point ceux qui rejettent cette vertu que 1'on attribue a de certaines paroles. II nous eft bien plus difficile de répondre a leurs raifonnemens , qu'k eux de répondre a nos expériences. Je porte tous ces chiffons facrés par une longue habitude, pour me conformer a une pratique uriiverfelle : je crois que, s'ils n'ont pas plus de vertu que les bagues & les autres ornemens dont " on fe pare , ils n'en ont pas moins. Mais toi , tu mets toute ta confiance fur quelques lettres myftérieufes ; & fans cette fauve-garde , tu ferois dans un j effroi continuel. Les hommes font bien malheureux ! Ils flottent fans ceffe entre de fauffes efpérances & des craintes ridicules ; & au lieu de s'appuyer fur la raifon , ils fe font des monftres qui les intimident , ou des fantömes qui les féduifent. Quel effet veux-tu que produife 1'arrangement de certaines lettres ? quel effet veux-tu que leur dérangement" ; puiffe troubler ? Quelle relation ont* 1  P E R S A N E Si 4j| elles avec les vents , pour appaifer les tempêtes; avec la poudreacanon, pour en vaincre 1'efFort; avec ce que les Médecins appellent 1'humeur pécante & la caufe morbifique des maladies, pour les guérir ? Ce qu'il y a d'extraordinaire , c'eft que ceux qui fatiguent leur raifon pour lui faire rapporter de certains événemens a des vertus occultes , n'ont pas tin moindre efFort k faire pour s'empê■cher d'en voir la véritable caufe. Tu me diras que de certains preftiges ont fait gagner une bataille : & moi, je te dirai qu'il faut que tu t'aveugles, pour ne pas trouver dans la fituation du terrain, dans le nombre ou dans le courage des foldats, dans 1'expérience des Capitaines, des caufes fuffifantes pour produire eet effet dont tu veux ignorer la caufe. Je te paffe , pour un moment, qu'il y ait des preftiges : paffe-moi k mon tour, pour un moment, qu'il n'y en ait point; car cela n'eft pas impoffible. Ce que tu m'accordes n'empêche pas que deux armées ne puiffent fe battre : veux-tu que, dans ce cas-la, aucune des deux ne piüfte remporter la viótoire $  '35<5 Lettres Crois-tu que leur fort refïera incertain, jufqu'a ce qu'une puiffance invifible vienne le déterminer? que tous les coups feront perdus, toute la prudence yaine, & tout le courage inutile ? Penfes-tu que la mort dans ces occafions , rendue préfente de mille manieres , ne puifTe pas produire dans les efprits ces terreurs paniques que tu as tant de peine a expliquer ? Veux-tu que dans une armee de cent mille hommes , il ne puiffe pas y avoir un feul homme timide ? Crois-tu que le découragement de celui-ci ne puiffe pas produire le découragement d'un autre ? que le fecond qui quitte un troifieme, ne lui faffe pas bientöt abandonner un quatrieme? II n'en faut pas davantage pour que le défefpoir de vaincre faiïiffe foudain toute une armée, & la faififfe d'autant plus facilement qu'elle fe trouve plus nombreufe. Tout le monde fait, & tout le monde fent que les hommes, comme toutes les créatures qui tendent a conferver leur être, aiment paffionnément la vie ; on fait cela en général: & on cherche pourquoi, dans une certaine occafion particuliere , ils ont craint de la perdre ? Quoique  P e r s a n e s; 457 Quoique les Livres facrés de, toutes les Nations foient remplis de ces terreurs paniques ou furnaturelles, je n'imagine rien de fi frivole ; paree que , pour s'affurer qu'un effet qui peut être produit par cent mille caufes naturelles, efl: furnaturel, il faut avoir auparavant examiné fi aucune des caufes n'a agi; ce qui efl: impoffible. Je ne t'en dirai pas davantage, Nathanaël ; il me femble que la matière ne mérite pas d'être fi férieufement traitée. De Paris , li io de la lune de Chahban , 1720, P. S. Comme je finiflbis , j'ai entendu crier dans ia rue une Lettre d'un Médecin de Province a un Médecin de Paris; ( car ici toutes les bagatelles s'impriment , fe publient & s'achetent. ) J'ai cru que je ferois bien de te 1'envoyer , paree qu'elle a du rapport a notre fujet (*). (*) L'Auteur, dans le manufcrit qu'il avoit confié dc fon vivant aux Libraires , a jugé a propos de faire des retranchemens. On n'a pas cru devoir en priver le Leeteur , qui les trouvera ici en notes. II y a bien des chofes que je n'entends pas : mais toi qui es Médecin , tu dois entendre le langage de tes confrères» V  458 Lettres LETTRE D'un Médecin de Province a un Médecin de Paris. JL y avoit dans notre Ville un malade qui ne dormoit point depuis trente - cinq jours. Son Médecin lui ordonna Popium : mais il ne pouvoit fe réfoudre d le prendre ; & il avoit la coupe d la main , qu il étoit plus indéterminé que jamais. Enfin , il dit d fon Médecin : Monfieur, je vous demande quartier feulement jufqu'a demain : je connois un homme qui riexerce pas la Médecine , mais qui a che^ lui un nombre innombrable de remedes contre finfomnie; foufirei que je l'envoie querir : & fi je ne dors pas cette nuit, je vous promets que je reviendrai a vous. Le Médecin congédié, le malade fit fermer les rideaux , & dit d un petit laquais : Tiens , va-t-en che^ Monfieur Anis , & dis-lui qiiil vienne me parler. Monfieur Anis arrivé. Mon cher Monfieur Anis, je me meurs , je ne puis dormir : riaurie^ - vous point dans votre boutique la C. du G., ou bien quelque Livre de dévotion compofé par un R, P. J. que vOus naye{ pas pu vendie i'  Persanes. 459 tar fouvent les remedes les plus-gardés font les meïlleurs Monfieur, dit le Libraire, j'ai che\ moi la Cour Sainte du Pere Cauffin en fix volumes d votre fervice ;je vais vous lenvoyer , je fouhaite que vous vous en trouvie^ bien. Si vous voule^ les (Euvres du R. P. Rodriguès , Jéfuite Efpagnol, ne vous en faites point faute. Mais croye^moi, tenons nous-en au Pere Cauffin : j'efpere , avec l'aide de Dieu , qu'une période du P. Cauffin vous fera autant deffet qu'un feuillet tout entier de la C. du G. La-deffus Monfieur Anis fortit, & courut chercher le remede d fa boutique. La Cour Sainte arrivé ; on en fecoue la poudre ; lefils du tnalade, jeune écolier, commence d la lire ;. il en fentit le premier l'effet ; d la feconde page, il ne pronongoit plus que d une voix mal articulée , & déjd toute la compagnie fe fcntoit afoiblie ; un infant après , tout ronfia, excepté le malade , qui après avoir été long-temps éprouvé, s'affcupit d la fin. Le Médecin (*) arrivé de grand matin. Hé bien , a-t-on pris mon opium ? On ne lui répond rien ; la femme, la fille, le (*) Le Mcdcin étoit un homme fubtil, rempli des tnjjtzres de la cabale & de la pu:Jfance des parcUs & e!es efpriis ; cela lefrappa; 6- après p'^fieurs réfiexiens , V ij  460 L E T T R E S petit gargon , tous tranfportis de joie , lui montrent le Pere CauJJin. II demande ce que ceji ; on lui dit ; Vive le Pere CauJJin; il réfolut de changer abfolument fa pratique. Voila un fait bien fingulier, difoit-il. Je tiens une expérience; il faut la pouffer plus loin. Hé pourquoi un efprit ne pourroit-il pas tranfmettre a fon ouvrage les mêmes qualités qu'il a lui-mêmc ? ne le voyons-nous pas tous les jours ? Au moins cela vaut-il bien la peine de l'ef, foyer. Je fuis las des Apothicaires ; leurs firops, leurs juleps , & toutes les drogues galéniques ruinent les malades & leur fanté. Changeons de méthode ; éprouvons la vertu des efprits. Sur cette idéé , il dreffa une nouvelle pharmacie , comme vous alle\ voir par la defcription que, je vais vous faire des principaux remedes qu'il mit en pratique, Tifane purgative. J?rent\ trois feuilles de la Logique d'Ariftote en Grec ; deux feuilles d'un Traité de Théologie Scolaflique It plus aigu ; comme , par exemple, du fubtil Scot; quatre de Paraeelfe , une d'Avicenne , fix d'Averroés , trois de Porphyre , autant de Piotin , aiitant de Jamblique. Faites infufer le tout pendant vingt-quatre heures , 6» piene\-en quatre prifes par jour. Purgatif plus violent. Prenei dix A** du C** concernant la B** & laC** dts /** ; faites-les difiiller au bain-marie ; monifie-^ une goutte de l'humeur acre & piquante qui en viendra dans un verre d'eau commune; avale\ le tout avec eonftance. Vomitif. Prenc{ fix Harangues , une dou^aine d'Oraifons fit" fiebres indifféremment , prenant garde pourtant de ne point fe fervir de,celles de M. de N.; un recueil dt pouveau* Opéra, cinquante Romans, trente Mémoires,  P E R S A N E S. y6ï' il faut Venvoyer relier. Qui Veut dit ? qui Veut cru ? Cejl un miracle. Tenei, Monfieur; voye{ donc le Pere Cauffin; cejl nouveaux. Mette\ le tout dans un matras ; laiffie\-le en digejlion pendant deux jours ; puls faites-le diftUler au feu de fobie. Ut fi tout cela ne fuffit pas , Autre plus puiflant, Prene^ une feuille de papier marbré , qui ait fervi a\ eouvrir un reeueil des pieces de J. F.; faites-la infufer Vefpace de trois minutes ; faites chauffer une cuilleréi de cette infufion , & avak\. Remede très-ilmple pour guérir de 1'afrhme. Lifc{ tous les ouvrages du R. P. Maimbourg, ci-devant Jéfuite , prenant garde de ne vous arréter qu'a la fin de chaque période ; & vous fentire^ la faculté de refpirer vous revenir peu d peu , fans quil foit befoin de réitérer le remede. Pour préferver de Ia gale, gratelle, teigne, farcin des chevaux. Prene\ trois cathégories d'Ariftote , deux degrés métaphyfiqucs , une diftinclion , fix vers de Chapelain , une phrafe tirée des. Lettres de M. l'Abbé de Saint-Cyran : Ecrive^ le tout fur un morceau de papier que vous piieTe\, attacheren a un ruban , & portere^ au cou. Miraculum chymicum, de violenta fermentatione.' cum fumo , igne & flamma. Mifce Quefnellianam infufionem , cum infufione Lallemaniana i fiat fermentatio cum magna vi, impetu, & tonitru , acidis pugnantibus , & invicem penetrantibus dcalinos fa'.es : fiet evaporatio ardentium fpirituum. Pone liquorem fermentatum in alembico : nihil inde extrahes, & nihilinvenies nifi caput mortuum, V iij  4re ? le plus grand mai que fait un Miniftre fans probité , n'eft pas de deffervir fon Prince, ck de ruiaex;  47i Lettres fon peuple : il y en a un autre, a mori avis , mille fois plus dangereux c'eft le mauvais exemple qu'il donne. Tu fais que j'ai long-temps voyagé dans les Indes. J'y ai vu une Nation naturel'ement généreufe , pervertie en un inftant , depuis le dernier des fujets jufqu'aux plus grands , par le mauvais exemple d'un Miniftre ; j'ai vu tout un peuple chez qui la générofité , Ia probité , la candeur & la bonne foi ont paffé de tous temps pour les qualités naturelles , devenir tout-a-coup le dernier des peuples ; le mal fe communiquer , & n'épargner pas même les membres les plus fains ; les hommes les plus vertueux faire des chofes indignes, &S violer les premiers principes de la juftice , fur ce vain prétexte qu'on la leur avoit violée. Ils appeloient des lois odieufes en garantie des adtions les plus laches, 8c nommoient néceffité 1'injuftice 8c la perfidie. J'ai vu la foi des contrats bannie , les plus faintes conventions anéanties, toutes les lois des families renverfées. J'ai vu des débiteurs avares, fiers d'une infolente pauvreté, inftrumens indignes  Persanes. 475 de la fureur des lois & de la rigueur des temps , feindre un paiement au lieu de le faire, & porter le couteau dans le fein de leurs bienfaicfeurs. J'en ai vu d'autres , plus indignes encore , acheter prefque pour rien, ou plutöt ramaffer de terre des feuilles de chêne pour les mettre a la place de la fubftance des veuves & des orphelins. J'ai vu naitre foudain dans tous les cceurs une foif infatiable des richeifes. J'ai vu fe former en un moment une déteftable conjuration de s'enrichir , non par un honnête travail & une généreufe induftrie , mais par la ruine du Prince , de 1'Etat & des Concitoyens. J'ai vu un honnête Citoyen , dans ces temps malheureux, ne fe coucher qu'en difant : J'ai ruiné une familie aujourd'hui, j'en ruinerai une autre demain. Je vais , difoit un autre, avec un homme noir qui porte une écritoire a la main & un fer pointu a 1'oreille, alTafïïner tous ceux a qui j'ai de 1'obligation. Un autre difoit: Je vois que j'accommode mes affaires; il eft vrai que lorfque j'allai il y a trois jours faire un  474 Lettres certain paiement, je Iaiffai toute une familie en larmes, que je diffipai la dot de deux honnêtesfilles, que j'ötai 1'éducation a un petit garcon ; le pere en mourra de douleur, la mere périt de trifteffe : mais je n'ai fait que ce qui eft permis par la loi. Quel plus grand crime que celui.que commet un Miniftre, lorfqu'il corrompt les mceurs de toute une nation, dégrade les ames les plus généreufes, termt 1'éclat des dignités , obfcurcit la vertu même, & confond la plus haute naiffance dans le mépris univerfel ? Que dira la poftérité , lorfqu'il lui faudra rougir de la honte de fes peres ? Que dira le peuple naiffant, lorfqu'il comparera le fer de fes aïeux avec l'or de ceux a qui il doit immédiatement le jour ? Je ne doute pas que les Nobles ne retranchent de leurs quartiers un indigne degré de nobleffe qui les déshonore , ne laiffent la génération préfente dans l'affreux néant oii elle s'eft mife. , , De Paris, le z6 de la lune dt Rhamayin , 1728»  Persanes. 475 LETTRE CXLVII. Le grand Eunuque a Usbek, A Paris. Les chofes font venues k un état qui ne fe peut p us foutenir ; tes femmes fe font imaginées que ton départ leur laiffoit une impunité entiere. U fe paffe ici des chofes horribles :' je tremb'e moi-même au cruel récit que je vais te faire. Zélis, allant il y a quelques jours k la Mofquée, laiffa tomber fon voile , &C parut prefcue k vifage découvertdevant tout le peuple. J'ai trouvé Zachi couchée avec une de fes efclaves , chofe fi défendue par les lois du Sérail. J'ai furpris par le plus grand hafard du monde, une Lettre que ie t'envoie: je n'ai jamais pu découvrir k qui elle étoit adreffée. Hier au foir un jeune garcon fut trouvé dans le jardin du Sérail, & il fe fauva par-deilus les murailles. Ajoute k cela ce qui n'eft. pas parvenu  476 Lettres a fna connoiffance ; car furement tu es trahi. J'attends tes ordres : & jufqu'a 1'heureux moment que je les recevrai, je vais être dans une fituation mortelle. Mais fi tu ne mets toutes tes femmes a ma difcrétion, je ne te réponds d'aucune d'eiles, & j'aurai tous les jours des nouvelles auffi trifies a. te mander. JDu Sérail d'Ifpahan , le 1 de la lune de Rhégeb , 1720. LETTRE CXLVIII. Usbek au premier Eunuque , Au Sérail d'Ifpahan, Recevez par cette Lettre un pouvoir fans bornes fur tout le Sérail: commandez avec autant d'autorité que moi-même: que la crainte & la terreur marchent avec vous ; courez d'appartemens en appartemens porter les punjtions & les chatimens ; que tout vive dans la confternation ; que tout fonde en larmes devant vous,: interrogez tout le Sérail; commencez par les efclaves-; n'épargnez pas mon amour : que tout  Persanes: 477 fubiffe votre tribunal redoutable ; mettez au jour les fecrets les plus cachés: purifiez ce lieu infame ; & faites-y rentrer la vertu bannie. Car dès ce moment je mets fur votre tête les moindres fautes qui fe commettront. Je foupconne Zélis d'être celle a qui la Lettre que vous avez furprife s'adreffoit: examinez tout cela avec des yeux de lynx. De*** Je ti de la lune de Zilhagé, 1720. LETTRE CXLIX. Narsit a Usbek, A Paris. I_j e grand Eunuque vient de mourir magnifiqué Seigneur : comme je fuis le plus vieux de tes efclaves , j'ai pris fa place jufqu'a ce que tu ayes fait connoïtre fur qui tu veux jeter les yeux. Deux jours après fa mort on m'apporta une de tes Lettres qui lui étoit adreffée : je me fuis bien gardé de 1'ouvrir ; je 1'ai enveloppée avec refpect, & 1'ai ferrée jufqu'a ce que tu m'ayes fais connokre tes facrées volontés.  47S Lettres Hier un efciave vint au milieu de la nuit me dire qu'il avoit trouvé un jeune homme dans le Sérail : je me levai : j'examinai la chofe , & je trouvai que c'étoit une vifion. Je te baife les pieds, fublime Seigneur; & je te prie de compter fur mon zele , mon expérience & ma vieilleffe. Du Sérail d'Ifpah in , le f de la lune de Gemmadi , I, trlOé LETTRE CL. Usbek a Narsit, Au Sérail d'Ifpahan. IVlALHEUREUX que vous êtes! vous avez dans vos mains des Lettres qui contiennent des ordres prompts & violens : le moindre retardement peut me défefpérer; . Fin, des Letires Perfanes,  T A B L E DES MAT IE RE S CONTENUES DANS LES LETTRES PERSANES. A Abdias IbesalOn , Juif. Queftion qu'il fait £ Mahomet, page 58. ' _ , Académie Franfoife , 165 & /«''"• Le peuple caffefe* Arrêts, 130 iS- fuiv. Son Diftionnaire , iiw. 1 ortrait des Académiciens , 231. Actrices. Leurs mceurs , 87 , SS. . Adam. Sa défobéiflafice , ïlj. Eft-il le premier de tous les hommes ? 344. Afrique. Son intérieur a toujours été inconnu , 340. Ses cótes font beaucoup moins peuplées qu'elles ne 1'étoient fous les Carthaginois &lesRomains, ibid. Pourquoi? 361. Elle a toujours été accablée fous le Defpotifme , 403. Agriculture. Un Etat qui ne fouffriroit que eet art, fe dépeupleroit infailliblement , 314,325. Alnejfe. Ce droit eft contraire a la propagation , 364. Alchimiftes. Leur extravagance plaifamment décrite, 128 & fuiv. Leur charlatanerie, 175 , 176. Alcoran. 11 ne fuffit pas pour expliquer 11 vraie morale, 34. II s'éleve fans ceffe contre le dogme de la pref» cience abfolue , 225. II eft plein de chofes puériles pompeufement exprimées , 297. Le précepte qu'il contient fur les devoirs du mariage , eft contraire k la propagation , 346. ALEXANDR.E~comparé a Gengis-kan , 254. Allemagne. Lapetiteffe de la plupart de fes Etats rend fes Princes martyrs de la fouverair.eté , 30S. Continent eet empire fe maintisnt, 418,  498 T A B L E Alliance. Quand on doit renoncer a celle d'utj Prince, 29,0. Arr.baffadeur de Perfe' fous Louis XIV, 279. Ambaffadeurs. Doit-cn porter la guerre chez les Nations qui ont manqué d'égards pour eux , 288. Ambroise ( Saint). Son zele héroïque dégénéré en fanati/me , iSj , 186. Ame (/') Se détermine-t-elle librement & par ellemême ? 223. Amérique. Ses mines d'or font la caufe de fa dévaftation , 319. Elle ne cortient pas la cinqua-ticme pa. tie des habitans qu'elle contenoit autrifois, 339. Elle ne fe repeuple point , quoiqu'on y envoie fans ceffe de nouveaux habitans, 361-367. Pourquoi? 361. Amour. II fe détruit lui-même dans unSérail, 19,171, Amour propre bien entendu. Ce que c'eft , 152. Amulettes. Fort en ufage chez les Juifs & chez les JVlahométans , 453. Anatomie. Jugement fur les livres qui en traitent, 41J. XniiêZó. de la querelle fur les anciens & les modernes , 108 , 109.. Angleterre. Un des plus puiffans Etats de l'Eürope , 308. Autorité de fes Rois, 315. Portiait abiégé de fon gouvernement, 419. Anglois. Leurs maximes fur le gouvernement ,315 & fuiv. Antiouaires. Leurs extravagances , 445 & fuiv. Aphéridon & Astarté , Guebres. Leur hiftoire* 203 & fuiv. Arméniens. Ne mangent que du poiffon , 134. Tranf- portés dans la Province de Guilan , ils ypérirent prefque tous, 367. Arragon (Etat d') Expérlient dont on s'avifa pouï y terminer une querelle d'étiquette , 332. Arrêt , qui permet a tous les Francois de prononcer la lettre ^ comme ils jugeront a propos ,331, 332. Aits. Sont-ils utiles ou pernicieux? 317 &J'i.iv. In- compatib'es avec la molkffe & 1'oifiveté , 322. Sont tous dans la dépendance les uns des autres , ' 323- . , il Bi. • Afcéttques, Livres moins utiles que ceux de morale, 412. .  DES M A T I E R E S. 499 Afie. Beaucoup moins peuplée qu'autrefois , 339. Elle a touiou.s été accablée tous le Deipctiime, 40*. Afie mineure. Elle n'a plus que deux ou trois de les anciennes Villes , 339- c Aftrologie judiciaire. Méprifée aujourd'hui en Europe , gouvernela Perfe, 415 , 4ltf- , • Ajironomes. Regardent avec pitié les évenemens qui fe pafler-.t fur la terre , 409- ,, , k„. „rfrocL. Les Juges doivent fe défier des embuches qu'ils leurs tendent, 410- , , . 4, yfJL™. La plupart ne font qu'apprendre a la P^"1" qu'ils ont été des fors, 199. La plupart «nelurent leur gloire i la groffeur de leurs volumes , 3*9 & fuiv. La plupart craignent plus la critique que les coups de baton , ibid. B BAbyloniensAh étoienttous foumis aleurs femmes, Wjjjjj;} A* Sémirarriis , l\6. Bachas. Leur tyrannie , leur avance , bi. Balk. Ville fainte oü les Guebres honoro'.ent le lo- leil , au. „ , Barba,es. Pour fe conferver la conquête dun peuple policé, ils ont été obligés de cultiver les arts, Jil. Gouvernement de ceux qui ont détruit 1 Empire Romain , 404. „ ■Bawito. La terreur panique d'un feul foldat peut en décider , 456. . , , £ar«c« (/«)• Nation Efpagnole inconnue dans foa propre pays , 247. tf&i/W.: JwmÜ». Ce dogme mal-er.tendu eft contraire a la propagation , 363. _ Beaux-efprits. Leur porrrait, leur manege , 25 J (yjuiv. Beiram ,204. Voyez Sérail. Bel-efprit C'eft la fureur des Francois , 199. Bibliotheque. Examen des différens livres qui Ia compofent, 409 , 410 & fuiv. Bonibes. Leur invention a fait perdre la liberté a tous les peuples de 1'Europe ,3171 ï1?* Bonie compagnie. Ce que c'eft , 143. Bonr.efoi. Doit être l'ame du miniftere , 471. Bourbon [ IJlt de). Salubrité de fon air , 36S.  ï«ö T A B L E Bourgeois. Depuis quand Ia garde des Villes ne leut' eft plus confiée ,318. Bouffole. A quoi a fervi fon invention , 319. Brachmanes: Admettent Ia métempfycofe , 134. Con- fe'quences qu'ils en tirent, ibid, c r V* ABALISTES , I75 , I76. Café. Defcription des endroits oü 1'on s'affemblepOHI en prendre, ro6. Capucins. Defcription de leur habillement, 148 , 149.' Leur zele pour former des établiffemens dans les pays étrangers , ibid. Carthage. C'eft la feule République qui ait exifté dans TAfrique, 403. La fucceffion de fes Princes depuis Didon, n'eft point connue , ibid. Carthaginois. Avoient découvett 1'Amérique , 369. ^Pourquoi ils en abandonnerent le commerce, ihii, -CüjU.jtii. LsiiiS vaines fubtilités , 174, 175. Dangers que court continueüement leur innocence , 412. Catalogne ( Etats de). Expediënt dont on s'avifa pour y terminer une querelle d'étiquette , 332. Catholicifme. Moins favorable a Ia propagation que Ie Proteftaiitifme , 3 5 S. Célibat. C'eft Ia vertu par excellence dans Ia religion Catholique , 356. Sa fainteté parott contradictoire avec celle que les Chrétiens attribuent au mariage, ibid. Etoit puni a Rome, 357. Cérémonies religieufes. Elles n'ont point un degré de bonté par eiles-mèmes , 132. CÉsar opprime la liberté de Rome , 404. Chambre de jujiice , 299. Chanfons fatiriques. Effet qu'elles font fur les Francais , 335. Chapelets , 92. Charité. C'eft une des principales vertus dans toutes les religions , 1 54. Charlatans de plufieurs efpeces , 176. Charles XII. Sa mort, 385. Chartrcux. Leur filence rigoureux, 255. Chat. Pourquoi immonde, fuivant la tradition Ma- fulmane , 60,  DES MATIERES. joï 'Chlnt. Caufe rfefa de'population , 362. Chimic. Se» ravages , 3 iS. Chimifles. Demeures qui leur fontpropres ,41?. Chrétiens. Cultivent les terres en Turquie, &y font perfécutés par les Bachas , 61. La plupart d'entre eux ne veulent gagner le paradis qu'au meilleur marché qu'il eft poffible. De la 1'origine des Cafuiftes , 174 & fuiv. Commencent a fe défaire de eet efprit d'intolérance, 182. Ne paroiffent pas fi perfuadés de leur religion que les Mufulmans, 234, Leur mariage eft un myfte.-e, 355. Chrijiianifne. Comparé avec le Mahométifme, ioy ; 106. Cette religion eft une filie de la religion Juive, 181. N'eft pas favorable a la population , 354 & fuiv. Christine, Reine de Suede, abdique la Couronne, 427. Circaffie. Royaume prefque défert, 339 , 340. Circaffiennes. Précautioi'.s que piennent les Eunuques en les achetant pour leurs mait:es, 248. Ccchon. Pourquoi immonde fuivant la tradirion Mu- fulmane , 58. Colonies. Ne font point favorables a Ia population 0' 366 & fuiv. Celles que les Romains envoyoient en Sardaigr.e y périfïbient , ibid. N'ont jamais réuffi a Conftar.tinople , ni a Ifpahan , 348. Comédie. Point de vue fous lequel ce fpecïacle s'eft préYente' a Rica, S6 , 87. Commerce. Quand on doit 1'interrompre de Nation k Nation, 2S7. Fleurit a proportion de la pcpulation , 3jS. Commentateurs. Peuvent fe difpenfer d'avoir du boa fens, 414. Compilateurs. Sont, de tous les Auteurs, les plus méprifables : leur occupation , 199. Confeffeurs. Les héritiers les aiment moins qu'ils n'aiment les médecins , 172. Confeff'.ii's des Rois. Leur róle eft difficile a fouteniï fous un jeune Prince , 326 , 3?7Conquêtes. Droir qu'e'.les donnent, 290. Confcience ( Liberté de). 263 6* fuiv. (onfiaminople. Caufes de fa dépopulation , 348. Lss £olonies n'y ont jamais téuffi, 366,  y0ï TABIE Conflitution. Comment rec;ue en France k fon arrivée» 75. Converfation a ce fujet, 306. Conté Perfan, 430-444. Corps (Lesgrands). S'attachent trop aux minuties,33l. Cour. On ne peut pas y être fincere impur.émert, 24. Courouc. Ordre qui fe publie en Perfe poui empêcher qu'aucun homme ne fe trouve fur le paflage des femmes de qualité ,135. Courtifans. Leur avidité, 377' Les penfions qu.ls - ' obtiennent font onéi eufes aux peuples jordonnance plaifar.te a ce fujet, ibid. & fuiv. Coutumes. Celles des différentes provinces de France font tirées en partie du Droit Romain , 304 , 305, Leur mi'.hiplicité, ibid. Crar. II eft defpotique, 153. Voyez Pierre I. D Décrétalzs. Ont pris en France la place des lois du pays , 304. Décilionnaires. Leur portrait, 229 , 230. Dèiuge. Celui de Noé eft-il le feul qui ait depeuplé 1'univers ? 344. Dêpopulation de Vunivers. Ses caufes, 337"37ï- I. Combat des principes du monde phyfique, qu* occafronnelapefte, &c. 341 & fuiv. II. Religion Mahométane, 34J. I.° Polygamie , ibid. 1° Le g:and nombre des Eunuques, 347. 3.° Legtand nombre de filles efclaves qui fervent dans le Sérail, 348. III. Religion Chrétienne ,352 & fuiv. 1.' Proh hition du divorce , ibid. & fuiv. 2.0 Célibat des Prêtres & des Religieux de 1'un & de 1'autre fexe, 356 & fuiv. IV. Les mines de 1'Amérique, 361. V- Les opinions despcuples, ^dz&fuiv. I.° La croyance que cette vie n'eft qu'un paffage, 363. i.Q Le droit d'al-'effe , 364. VI. Maniere de vivreMes Sauvages , 364. i." Leur averlion pour la culture de la terre, ibid. z.° Le défaut de commerce entre les différentes Jjourgades, 365.  DESMATIERES. 505) 3.0 L'avortement volontaire des femmes , 36}. VII. Les Colonies , 366 & fuiv. VIII. La durcté du gouvernement, 372 & fi.iv. Défefpoir. Egale la foibleffe a la force, 290. Dejpote. II eft moins maitre qu'un Mona.que, 2J2. Dangers que fon auto; ité outrée lui fait courir,iA;'rf. Dejpotifme. Eft le tombeau de 1'honneur, 276. Rapproche les Prnces de la condition des fujets ,310. Ses inconve'niens, ibid. II ne préfente aux mécontens qu'une tète a abattre, 3 14. Dcvins. Leur fec.ct, 176. iJict:onnairc de l'Académie , 230. Dieu. Moyens fürs de lui pia'iie, 132. Ne peut violer fes ptomcffes, ni changer I'effe ice des chofes, 222, Ily a des attributs qui paroiffent incompatibles aux yeux de la raifon humaine, ibid. & fuiv. Comment il prévoit les futurs contingens, 223. On ne doit point chercher a en cor.noitre la rature, 224. Eft effer.tiellement jufte, 357. Fauffe idde que quelques Dofleurs en donnent, 259. II n'y a po'.nt de fuccellion en lui, 343 , 344. Dieux. Pourquoi on les a repréfenté's avec une figure humaine, 180. Difgrace. Ne fair perdre en Europe que Ia faveur du Prince: en Afie, elle entraine prelque toujours la perte de la vie, 3 10. Directeurs. Leur poitrait, 141. Divcrce. Favoiable a la population, 34; & fuiv. Sa prohibition donne attcinte a la fin du mariage,ibid. &fuiv. Dom Quichotte. C'eft le feul bor. livie des Efpagncls, 247. Droit public. Plus connu en Europe qi.'en Afie, 28r» On en a corrompu tous les principes , ib d Ce <;ue c'eft : commer.t les peuples doivent 1'exercer e:.tre eux , 2S7. Duels. Leur abolition louée : par qui, 17S. Quel cn efi le principe , 277. Ils font ordonr.és par Ie pcint d'honneur , & punis pat les lois, 278,  So4 TA E LE E Eccl£Siastiq_V£s. Leur avidité pour les Bénéfices , 171. Agrémens & défagrémens de leur profeffion , 183. Hs ont unróle fort difficile a foutenir dans le monde , ibid. Leur efprit du profélytifme eft fouvent dangereux, 1S4. Ecriture fainte. Beaucoup interprétée , & fortpeu éclaircie, 411. Ecrivains mercenaires. Leur lacheté, 469. Eglife. Effet que produit fon Hiftoire dans 1'efprit de ceux qui la lifent, 317. Eglife {'Gens d'). Méprifent les gens de robe & ceux d'épée, & en font méprifés , 126. E*Iogues. Pourquoi elles plaifent, même aux gens de qualité , 421. E°ypte. EUe n'a prefque plus de peuples , 340. Egyptiins. Us étoient foumis aux f;mmes , enlhon- neur d'lfis , 116. Empereur (L'). Ses poffeffions font un despius puif- fans Etats de 1'Europe , 30S. Enfans. Ils appartiennent au man de leur mere , 268; £pée (Les gens d') méprifent les geus de robe & en font méprifés , 126. Epigrammes. C'eft le genre de poene le plus dangereux, 422. Epitaphe d'unphilantrope outré, 270. Efclavage. Raifons pour lefquelles les Princes Chrétiens 1'ont aboli dans un pays & permis dans un autre, 236. , Efclaves. Ceux des Romains étoient fort utiles a Ia propagation , 349. Efpagne (L') eft un des plus grands Etats de 1 Europe, 308 ' A étéorigir.airement peuplée par i'Italie,402. On s'y eft mal trouvé d'en avoir chaffé les Maures , 182. Leur expulfion s'y fait encore fentir comme le premier jour, 368. C'eft un royaume vafte & déierr, ibid. Elle n'aprelqut plus de peupies , 338. Au lieu d'envoyer des Colonies en Amérique , elle devroit avoir recours aux Indiens pour fe repeupler, 369 Elle n'a confervé que 1'orgueil de Ion ancienne puiffance, 419. Sa guerre contre la France , fous larégence, 408. Efpagnols.  DES MATÏERES. yo* Wfpagnols.Ws méprifenttoutes les Nations &haïffene es Francois , 242. La gravité, 1'orgueil & la pareife font leur caraftere dominant, ibid. En quoi ils font confifter leur principal mérite , 244. Comment ils traitent "amour, 245. Leur jaloufie : borr.es qu'y met leur dévotion, ibid. Ils fouffrent que leurs femmes laiffent voir leur gorge, & non pas la bout de leurs pieds, ibid. Leur politeffe infultante, 246. Leur attachement pour 1'Inquifition & pour les petites pratiques fuperftitieufes , ibid. Ils ont du bon fens , mais il n'en faut pas chercher dans leurs livres , ibid. Leurs découvertes dans le nouveau monde , & leur ignorance de leur propre pays , 247. Sontun exemple capable de corriger les Princes de la fureur des conquêtes lointaines ,371. ftloyens affreux dont ils fe font fervis pour conferver les leurs , 370. JEfprit, Ceux qui en ont fe communiquent peu, fe font des ennemis, & ruinent fouvent leurs affaires. Comparés avec les hommes médiocres, 464 , 465. On prend toujours celui du Corps dont on eftmembre, 166. Efprit humain. II fe révolte avec fureur contre le« préceptes , 100. JEtat. Chacun eftime plus le fien , que tous les autres états, 126. Etrangers. Ils apprennent a Paris a conferver leut bien , 177. Evêques. Ont deux fonftions oppofées , 90.Lumieres de quelques-uns , 307. Leur infaillibiüté , ibid. Eunuques. Leur devoir dans le Sérail , 11 & fuiv. Leur moindre imperfeéYion eft de n'être point hommes , 21. On éteint en eux 1'efftt des pafiïons , fans en éteindre la caufe , 27. Leur malheur redouble i la vue d'un homme toujours heureux, 28. Leur é"tat dans leur vieilleffe , 29 & fuiv. Comment regardés par les Orientaux, 67. Places qu'ils tiennent entre les deux fexes, 61. Leur volonté même eft le bien de leur maitre , ibid. Leur portrait, 104. Leurs mariages , 160 & fuiv. Ont moins d'autoiité fur leurs femmes que les autres maris , 20S. Ne peuvent infpirer aux femmes que 1'innocence , 248. Leur grand nombre en Afie eft une des caufes is fa dépopuktion, 347, Y  jo6 TABLE Eunuque blanc ( Lc premier). Soins dont il eft chargéV dangers qu'il court quand il les négligé, 67 , 6S. Eunuques blancs. Punis de mort lorfqu'on les trouve dans le Sérail avec les femmes , 63 , 64. Eunuque noir (Le grand ). Son Hiftoire , 192 & fuiv. Veut obliger un efclave noir a fouffrir la mutiiation , 123 6* fuiv. Sa mort: défordre qu'elle 00 cafionne dans le Sérail, 477 & fuiv. Europe. Paris eft le fiege de fon Empire , 71. Quels en font les plus puiffans Etats , 308. La plupart de ces Etats font Monarchiques , ibid. La fureté de fes Princes vient principalsjnent de ce qu'ils fa communiquent , 312 £>■ fuiv. Les mécontens n'y peuvent exciter que de très-Iégers mouvemens , 314. Elle a gémilong-temps fous le gouvernement militaire , 404. Européens. Ils font tout le commerce des Turcs , éj, Sont auffi punis par 1'infamie, que les Orientausi par la perte d'un membre ,251. F Fat. Son portrait, iji. Faveur. C'eft la grande divinité des Francois , 273. Femmes. Malheur de celles qui font enfermées dan» les Sérails , 22 , 23. Facon de penfer des hommes a leur fujet , ibid. Momens oü leur empire a le plus de force, 32. II eft moins aifé de les humilier que de les anéantir,70. La gêne dans laquelle elles vivent en Italië , paroit un excès de liberté a uit Mahométan, 71. Sont d'une création inférieure k 1'homme, 76. Comparaifon de celles de France avec celles de Perfe, Si , 82 O fuiv. Eft-il plus avantageux de leur óter la liberté que de la leur laiffer i 113. La loi naturelle les foumet-elle aux hommes ? 115. II y en a en France dont la vertu feule eft ungardien auffi févere que les Eunuques qui gardent les Orisntales , 143. Elles voudroient toujours que 1'on les crüt jeunes ,1576' fuiv. Portrait de celles qui font vertueufes, 169. Le jeu n'eft chez elles qu'un prétexte dans la jeuneffe : c'eft une paffion dans un age plus avancé, 170. ftJoyens nu'eües ont, dansles différsjis a|es, pou|  CES MATIERES. 507 turner leurs maris, ibid. Leur pluralité fauve de leur empire, IJl. Elles font 1'inftrumer.t ar.imé de la félicité des hommes , 187. On ne peut les bien connoitre qu'en fréquentant celles de 1'Europe , 189, 190. Quel efi le talent qui leur plait le plus , ibid. C'eft par leurs mains que paffent toutes les graces de la Cour , & a leur follicitation que fe font toutes les injuftices, 327, 328. Impottance & difficulté du röle d'une jolie femme, 333. Sa plus grande peine n'eft pas de fe divertir ; c'eft de ïe paroitre ,334". femmes jannes de Vifapour. Font 1'ornement des Sérails de 1'Afie, 291. Voyez Francoifes, Orientales , Perfanes : Voyez auffi Roxane. Fermiers-généraux. Portrait de 1'un d'entre eux, 140. Filles de joie. IIyen a beaucoup en Europe, 172. Leur commerce ne remplit pasTobjetdu mariage, 354. Finances. Elles font réduites en fyftême dans 1'Europe, 423. "Financiers. Leur portrait, leurs richeffes, 299. Flammel ( Nicolas ). Paffe pour avoir trouvé Ia pierre philofophale , 130. Fondateurs des Empires. Ont prefque tous ignoré les arts , 318. Forme judiciaire. Elle fait autant de ravages que Ia forme de la médecine, 305. Fouet. Eft un des chatimens que 1'on inflige aux fem-; mes Perfanes ,489. France ( Le Roi de) eft un grand magicien , 74. Les peuples qui 1'habitent font partagés en trois états , qui fe méprifent mutuellement, 126, 127. France. On n'y éleve jamais ceux qui ont vieilli dans des emplois fubalternes, 144. On s'y eft mal trouvé d'avoir fatigué les Huguenots, 182.11 y arrivé de fréquentesrévolutions dans lafortune des fujets, 598. C'eft un des plus puiflans Etats de 1'Europe, 308. Depuis quand les Bois y ont pris des gardes , 311. La préfence feule de fes Rois donne la grace aux criminels , ibid. Le nombre de fes habitans n'eft rien en comparaifon de ceux de 1'ancienne Gaule, 338. Sa guerre , avec 1'Efpagne , fous Ia ïégence , 408, RvVolutiojiS de 1'autorité de fss;  5oS TABtE Francois. Vivacité de leur démarche oppofée a fa' giavité oriëntale , 73, Leur vanité eft la lburce des richeffes de leurs Rois , ibid. Ne font pas indignes del'eftime des étrangers , 138, 139. Raifons pour lefquelles ils ne parient prefque jamais de leurs femmes, 167. Sort des maris jaloux parmi eux : il y en a peu : pourquoi , ibid. Leur inconftance en amour , 16S. Le badinage eft leur caraétere effentiel : tout ce qui eft férieux leur paroït ridicule, 190. Ont la fureur du belefprir, 199. Doi.ver.t paroitre foux aux yeux d'un Efpagnol, 247. Leurs lois civiles , 266 6- fuiv. Sembltnt faits uniquement pour la fociété: excès de la philantropïe de quelques-uns d'entre eux: épitaphe d'un de ces philantropes, 269 & fuiv. La faveur eft leur grande divinité , 273. Leur inco:iftai:ce en fait de modes : plaifanterie a ce fujet, 301. Changentde mceurs, fuivant 1'age & le caractere de leurs Rois , 302. Aiment mieux être regardés comme Légiflateurs dans les affaires de mode , que dans les affaires effentielles , 303 , 304. Ont renoncé a leurs pro-""* pres lois, pour en adoptcr d'étrangeres , ibid. Ils ne font pas fi efféminés qu'ils le paroiffent, 323. Efficacité qu'ils attribuent auxridicules qu'ils jettent fur ceux qui déplaifent ala Nation , 33J. En adoptant les lois Romaines , ils en ont rejeté ce qu'il y avoit de plus utile , 394. Le fyftême de Law a , pendant un temps, convetti en vices les vertus qui leur font naturelles, 473. Francoifes. Ne fe piquent pas de conftance en amour, 168. Leurs modes, 301. Furetiere. Son Diftionnaire, 730. G (xardes. Depuis quand les Rois de France en ont pris, JU. Caules (Les ). Étoient beaucoup plus peuplées que ne 1'eft a&uellement Ia France ,338. Elles ont été originairement peuplées par 1'ltaiie , 402. tjénéalog.'ftes , 407. Gcnes. N'eft fuperbe que par fes batimens, 420. Cengis-kan. Plus grandccnquérant qu'Alexandre 2  DES MATIÊRES. fbf 'Senre humain. Révolutions qu'il a effuyées, 337, 374»' Réduit a la dixieme partie de ce qu'il étoit autre- fo's, 338. Voyez Dépopulation. Géometres. Leur portrait, 387 & fuiv. Convainquent avec tirannie , 414. Gloire. Ce que c'eft : pourquoi les peuples du Nori y font plus attachés que ceux du Midi, 274. Glojfateurs. Peuvent fe difpenfer d'avoir du bon fens, 414. Gortz (LeBaron de). Pourquoi condamné en Suede, 38jr. Gouvernement. Quel eft le plus parfait , 150. Sa douceur contribue a la propagation de 1'efpece, Grammairiens. Peuvent fe difpenfer d'avoir du bon fens , 414. Grands. Le refpect leur eft acquis : ils n'ont befoim que de fe rendre aimables ,233. Ce qui leur refte après leur chute , 274. Grands-Seigneurs. Ce que c'eft : différence entre ceux de France & ceux dePerfe , 272. Grece. Elle ne contient pas la centieme partie de ce qu'elle avoit autrefois d'habitans , 388. Elle fut d'abord gouvernée par des Monarques , 401. Comment les républiques s'y établirenr, 402. Guebres. Leur religion eft une des plus anciennes du monde , 203-211. Elle ordonne les mariages entre freres & fceurs , 203. Ils rendent un culte au foleil, 205. Quel culte , 210. Ont confervé Tanden langage Perfan: c'eft leur langue facrée , 206. N'enferment point leurs femmes , 208. Zoroaftre efi leur légiflateur, 211. Cérémonies de leurs mariages , 214. Perfécutés par les Mahométans, paftent en foule dans les Indes , 263. Guerres. Celles qui font juftes ; celles qui font injufk tes , 287 , 2SS & fuiv. Guinee ( Roi de la Cótc de). Croit que fon nom doit être porté d'un pèle a 1'autre, 126 & fuiv. Les efclaves que 1'on en tire ont dü ladépeupler confidérablement, 361. Guriel. Royaume prefque défert, 339 , 340. €vstaspe, Révéré par les Guebres, 214. X »i  jïC T A B L E H Hasit. C'eft a lui qu'on doit Ia plupart des honneurs que 1'on recoit, 95. Hali, gendre de Mahomet, Prophéte des Perfans: étoit le plus beau des hommes , ioy. Son épée Cs nommoit Zufagar , 54. Hérefiartjues. C'eft 1'être que de ne faire conlïfter la religion que dans de petites pratiques , 246. He'réfijs. Comment elles naiffent; comment elles feterminc-.t, 92. Abolies en France, 179. Hibernois. Chaffés de leur pays , viennent difputer en France, 10S. Hohoraspe. ( £'). Révéré par les Guebres, 214. _ Hollands. La douceur de fon Gouvernement en a fait un des pays les plus peuplés de 1'Europe, 372. Sa puiffance, 419. Homere. Difpute fur ce poëte, 108. Hommes. Leur facon de penfer fur le compte des femmes , 23. Ne font heureux que paria pratique de la vertu : h'.ftoire a ce fujet , 33-51. Ne favent quand ils doivent s'affliger ou feréjouir , 120. Rapportent tout a leurs idéés : faits finguliers qui Ie prouvenr,i2Ó, 127. Ne jugent des chofesquepar un retour fecret qu'ils font fur eux-mèmes, 177. Leur jaloufie prouve qu'ils font dans la dépendance des femmes, 188. Se croient un objet important dans 1'univers , 239. Ne voient pas toujours les rapports de la juftice: quand ils les voient, leurs paffions les empêchent fouvent de s'y livrer, 257. Leur propre fureté exige qu'ils pratiquent la juftice : fatisfa&ion qu'ils en retirent, 258. La fauffeté de leurs efpérances Sc de leurs craintes les rend malheureux , 454. Hommes a bonnesfortunes. Leur portrait, 146, 147. Emploi qu'on leur deftineroit en Perfe, s'il y et* avoit, ibid. Monn'etesgens. Portrait de ceux qui méritent ce nom, 139 & fuiv. Honneur. C'eft 1'idole a laquelle les Francois facri- fient tout, 274 , 275. Huguenots. On s'eft mal trouvé eu France de les avoir fatigués, iSi.  DES MATIERES. ft» flutnanltê. C'eft une des principale* vertus dans toutes les leügions, 132. I Jalousie. Singularitë de celles des Orienraux, 19. Celle des hommes prouve combien ils dependent des femmes, 188. Jaloux. Leut fort en France; 11 y en a peu dans ce pays : pourquoi,167. Janfénifies défignés , 76. Japhet raconte , par 1'ördre de Mahomet, ce qut s'eft paffé dans 1'arche de Noé , 58 & fuiv. Idylles. Pourquoi elles plaifent, même aux gens de qualité, 421. , , . Idolicres. Pourquoi ils donnoient a leurs Dieux une figure humaine , 179. , „ Jeu. II eft trés en ufage en Europe, 170. Ce n ere chez les femmes qu'un prétexte dans leur jeuneile , c'eft une paffion dans un age plus ayancé , titd. Jeux de hafard. Pourquoi défendus chez les Muful- mans ,171. ,, , , . Jeuneffe. II y a des femmes qui ont 1'art de la rétabhr fur un vifage décrépit ,176- , ■ Ignorans. Croient fe mettre au niveau des Savans en méprifant les fciences , 470. Imans. Chefs de Mofquées , 54- ^mZZbies'.'il'e.s le genre de bien le plus commode? 406, 407. . JmpcJfi. Rendent Ie vin fort cher a Paris, 99. Imprimerie (Ouvriers d'). Comparés aux Compila- teurs, 199. Indufirie. C'eft le fonds qui rapporte le pais , 31?. Inquifition. Sa facon de procéder, 92. Attachement des Efpagnols & des Portugais pour ce Tribunal , 246. Elle fait excufe a tous ceux qu'elle envoie a la mort, ibid. • Intérêt. C'eft le plus grand monarque de la terre, 323 ^ Interpretes. N'ont fait qu'embrouiller 1'écnture , 411 Intoléiance politique. Malheurs qui la ftuvent; elle eft fjr.efte, même a la religion dominante : par quf introduite dans ie monde, 162, &fi'K~. Y iv.  'ji2 T A B L E Invalides ( Hótel ies), C'eft le lieu Ie plus ïefpêftablf de Ia terre ,261. Joucur. C'eft un e'tat en Europe , 170. Joueufes. Leur portrait, ibid. Journaux. Flattent la parede, 329. Devroient parler des livres anciens, auffi bien que des nouveaux, 330. Sont ordinairement très-ennuyeux : pourquoi , ibid. Jrimette. Royaume prefque défert, 339 & fuiv. Ifpahan. Auffi grand que Paris , 72. Caufes de fa dé- population , 34S. Les Colonies n'y ont jamais réuffi, 366. Itaüe. La gêne dans laquelle les femmes y font retenues paroit un excès de liberté aux Orientaux , 71. La petiteffe de la plupart dc fes Etats rend fes Princes les martyrs de la fouveraineté, 30S. Leurs pays fontouverts au premier venu, ibid. Moderne , 11e préfente que les débris de 1'ancienne, 337. Fut originairement peuplée par la Grece , 402. N'a plus des attributs de la fouveraineté, qu'une vains politique , 419. 'Juges. Leurs occupations; leurs fatigues, 21S & fuiv. Doivent fe défier des embüches que les Avocats leur tendent, ibid. 'Juifs. Levent les rtibuts en Turquie, & y font perfécutés par les Bachas, 62. Seront menés au grand irot en enfer par les Turcs, ioj. Regardent le laphi comme un animal immonde, 133. II y en a partout oü il y a de 1'argent, 1S0. Sont par-tout ufuxiers , & opiniatrément attachés a leur religion : pourquoi, ibid. Calme dont ils jouiffent adtuellejnent en Europe, 182. Regardent les Chrétiens & ïes Mahométans comme des Juifs rebelles , 181. Leurs livres femblent s'élever contre le dogme de laprefcienceabfolue, 225. Pourquoi toujours renaiffans, pourquoi toujours exterminés, 362. N'ont pu fe relever de leur deftruftion fous Adrien , 267. Prêtent une grande vertu aux Amulettes & aux: Talifmans, 453. Leur religion eft Ia mere du Chriftianifme & du Mahométifme; elle embraffe le monde entitr , & tous les temps , 181. Jurifcenfultes. Leur nombre accablant, 305, Ils ont fort peu de jufteffe dans 1'efprit, ibid,  DES MAT1ERES; jij Juftice. Sa définition , 257. Elle eft la même pour tous les êtres , ibid. L'intérêt & les paffions Ia cachent quelquefois aux hommes, ibid. Nous devons 1'aimer indépehdamment de toutes confidérations 8c de toutes conventions : notre intérêt 1'exige, 25S , 259. Celle qui gouverne les nations comparée k celle qui gouverne les particuliers , 287 & fuiv. 'Juftice divine. Paroit incompatible avec la prefcience, 222. L Lacédémone. Cette république ne compofoit qu'une familie, 354. Laquais. Leur corps eft le féminaire des grands Seigneurs, 299. Law. Fauffe opulence que fon fyftême procure a Ia France : bouleverfement qu'il occafionne dans les fortunes , 425. Hiftoire allégorique de fon fyftême, 448 & ƒ-«■»• . JW. Légifiateurs. Regies quils auroient du luivre , 392. Lenitivum, 462. Lefe-Majefté. Ce que les Anglois entendent par ce mot ,316. Liberté. Elle fait naitre 1'opulence, & contribue a Ia population , 372. Libre-arbitre. Paroit incompatible avec la prefcience , 223. Lionne ( AL leComte de ), Prélident des Nouvelliftes, 400. Littérateurs. Peu de cas qu'en font les Philofophes , 46 S. Livourne. Ville la plus floriffante de 1'Italie, 70. Livres. Immortalifent la fottife de leurs Auteurs ,199; Livres originaux. Refpect qu'on doit avoir pour eux, ibid. Lois. Ont-elles leur application a tous les cas? 219. Regies fuivant lefquelles elles auroient du être faites , 392. On doit fe déterminer difficilement k les abroger, 393. Lois Romaines. Ont pris en France la place de celles du pays , 340. fcevis XIV. Sgn portrait, ui & fair. Sa mort: y x  '514 TAUE événemens qui Tont fuivie , i$o& fuiv. Soit gOÖÊ. pour les femmes jufque dans fa vieiUeffe , 327^ Louis XV. Son portrait, 326 & fuiv. Luxe. Fait la puiffance des Princes , 323 Cv fuiv. M M ages. Préceptes de leur religion utiles a la pro- pagation , 362. Voyez Guebres. Mahomet. Comment il prouve que la chair de pourceau eft immonde, 58. Signes qui ont précédé & accompagné fa naiffance , 117 & fuiv. Donne la fupérioiité aux hommes fur les femmes, ibid. Mahométans. Croient que le vciyage de ta Mecque les purifie des fouillures qu'ils coutraftïnt parmi les Chrétiens, 54. En quoi ils font confifter la fouillure, 55. Leur furprife en entrant pour la première fois dans une Ville Chrétienne , 71. Pourquoi ils. ent en horreur la ville de Venife, 96, 97. Leurs Pri ces, malg.é la défenfe , font plus d'excès de vin que les Princes Chréiiens, 99. Ne connoiffent leurs femmes, avant de les époufer, que fur le rapport des femmes qui les ont vues dans leur enfance, 226. Leur loi leur permet de renvoyer une femme qu'ils croient n'avoir pas trouvé vierge, 227. Paroiffent plus perfuadés de leur religion que les Ch.étiens, 234. Pourquoi il y a des pays dont ils ne veulent pas faire la conquête , 236. L'idée qu'ils ont de la vie future nuit chez eux alapropagation & a tout établiffement utile, 363.Prêtent une grande vertu aux Amulettes & auxTalifmans , 453 &fuiv.. Mahoméufme. Comparé au Chriflianifme , 106 , 107. Cette religion eft une fille de la religion Juive.iSi» He donne aux femmes aucune efpérance au-dela decette vie , 209.. N'a été établie que par la voie de. conquête, & non par celle de la petfualïon , 210. Défavorable a la population, 352, Maine ( LeDuc do). Fait prifonnier , 383. Maitres des fciences. La plupart ont le talent d'enfeigner ce qu'ils nefavent point, 177. MaïirejTes des Rois ,327. Maladie ve'nérienne. Danger dans leguel elle a. mis. I§ genie humain, 342.  des matieres. jïj UahU ( Les Chevaliers de). Fatiguent 1'Empire Otto- M^oüets! Sont eftimésa proportion de leurs richeff s • auffi ner.é«l:ge-t-ilsrien pour mériter 1 eftime, ioo. Chambredejuft.ee établie contre eux , iWl{f 2 K £ct fer aux reeards des hemmes, ibidwjuiv. A quei £e o„ 1 sfnferme dans le Sérail,,86 Leur,caracteres fort tous uniform* , pa: ce qu d» fontforeg. iqï. Diffe-tions qui regnent entree!les , 191. B.0 To confifte leur fél cité. »»..Foreééi cedégu.fer ?outes leurs paffions ay.. C'eft un crime pour elles que de paroitre a vifage découvert 473- Le foue« eft un des chatimens qu'on leur ,nfl ge, 488 vTfars. II y en a peu qui voyagent, 9 Leur haine Pl"trele^Turcs!iS. Cachent avec beaucoup d* fo:n le titre de mari d'une johe femme ,168. Leur autonte fur leurs femmes, .«tf-Idé. de leurs con- Per" 'oTytJuiï'e peu les arts, 97. A quel age on y .'„fcrme'les filles dans le Sérail ,86. £«S££ ont faite en perfécutant fes Guebre , 263. Quels. font ceux que 1'on y regar. e comme grands , 175- Perfe [ AmbJffadews de ) auprès de Lou.s XIV , 2,9.. Ce royaume eftïouvemé par deux ou trois femmes ,2,. Elle n'a plus qu'une très-pet.» part£ Tes Ubitans qu'elle avoit du temps des Darm; & As X^ryès 34I6. Önyleve aujourd'hui les tnbuts de !a facon dont on les y a toujours leves, 423. Petits-Maitres. Leur occupation aux fpectacles , 87.' Leur art de parler fans rien dire : ils font parler pour eux leur tabatiere, &c. 256. Petites-Maifons. Ce n'eft pas affez d'un lieu de cette nature en France, 247. Philipped'Orléans,Régent de France. Ilfaitcaffer le teftament de Louis XiV , & releve le Parlement de Paris , 281. II le relegue a Pontoife , 428. PhUofophes. Peu de cas qu'en font les Littérateurs 47°- Philofophie. Elle s'accorde difficilernent avec Ia Théologie, 198. Phyficiens. Rien ne leur paroit fi fimple que la ftruaure de 1'univers ,404. Phyfique. Simplicité de celle des modernes,294&/uiy. Pierre I. Changemens qu'il introduit dans fes Etats • ion caractere, 156. Pierre philofophale. Extravagance de ceux qui la cherchent, plaifamment décrite , 128, 129, 130. Charlatanifme des Alchimiftes , 175. Poemes épiques. Y en a-t-il plus de deux? 421. Poetes. Leur portrait, 142. Leur métier, 421 &'fuiv. Poetes dramatiques. Sont les Poëtes par excellence. ibid. Poëtes lyriques. Peu eftimables , ibid. Point-d'honneur. Ce que c'eft : il étoit autrefois Ij regie de toutes les actions des Francois , 277, 27S. Polygamie. Livre dans lequel il eft prouvé'qu'elle eft ordonnée aux Chrétiens, 106. Défavorable a la population : pourquoi, 346 & fuiv. Pologne.Küe eft prefque déferte, 339. TJfe mal de fa liberté, 420. Pompesfunebres. Sont inutiles , 120. Portugais. Ils méprifent toutes les nations &haïffent les Francois, 242. La gravité, I'orgueil & Ia pareffe font leur caractere , ibid. & fuiv. Leur jaloufie • bornes ndicules qu'y met leur dévotion,245. Leur attachement pour I'Inquifition & pour les pratiques Kueiltmemef, 24ó, Sont na «xsmple capablg d«  DES MATIERES. J** èorrieer les Princes de la fureur des conquêtes lointaines, 370. La douceur de leur domination dans les Indes leur a fait perdre prefque toutes leurs conquêtes, 371. Poudre. Depuis fon invention «1 n'y a plus de places imprenables ,317. Son invention a abrégé les guerres & rendu les batailles moins fanglantes , 322. Pratiques monacales & fuperftitieufes. Sont des heréfies , 90 Cv fuiv. \ Préjugés. Contribuent ou nuifent a la population , Pr\%tnc\?h\e paroit incompatible avec la juftice divine, 222 & fuiv. P«yiï?M.Y en a-t-il? 455. , ,. - . Prints. Sontrefpeftables dans toutes les religions. 2S3. Procédures. Ses ravages, 33?. Proteftantifme. Plus favorable a la propagation que le Catholicifme , 358 & fuiv. PtiCane purtative , 460. . Puiffancepaternelle. C'eft un des étabhffemens les plus PurettlégaUAl femble qu'elle devroit plutót être fixée par les fens que par la religion , 55, 56. Pureatifviolent, 460. Q Qi/erelle de rUnirerfité au fujet de la lettre Qj 331- Quiétiftes. Ce que c'eft, 412. Quin\c-vingt, 98. R Rat. Pourquoi immonde , fuivant Ia traditioH mufulmane , 59. ■„.« Raymond-Luixe. A chercné inut.lement la pierrs philofophale ,130. Recutil de bons mots. Leur ufage , 165. Régence. Ses commencemens , 425. Régent. Voyez Philipfe d'Orxéans. Reliaion. Dieu impute-t-il auxhommes de ne pas pratiqutt celles qui font dans 1'impoiubiUté moiale  ÏM TABLE de connoïtre, 105. La charité&l'humil;téen fonf les prem.eres lois, 131. Dieu re 1'a établie que pour rendre les hommes heureux, 132. II faut diftinguer lezele pour fes progrès d'avec 1'attachement qu'oa lm doit, 182. 11 femble quelle eft, chez les Chrétiens , phuót un fujet de difputes, que de fanflifïcation, 234. Hyena parmi eux, dont la foi dépead des circonftances , 23 y. Religions. Leur grand nombre embarraffe ceux qui cherchentla vraie : priere finguliere fur ce fujet, 131, 132. Leur multiplicité dans un Etat eft-elle utile ? Elles prêchent toutes la foumiffion , 263 &f. Différentes béatitudes qu'elles promettent, 3S0. Religion Chrétienne. Elle n'eft pas favorable a la population , 353. Religion Juive. Eft la mere du Chriftianifme & du Mahométifme, 181. Embraffe le monde entier & tous les temps , ibid, Religion Mahométane. Défavorable a la population , 346 & fuiv, Religion des anciens Romains. Favorable a la population , 34y, Remede pour guérir Tafthme. 461. Pour préferver de la gale , ibid. Autre in chlorofim , 462. Repréfailles. Sont juftes , 288. Repréfenter. Portrait d'un homme qui repréfente bien , 232 ntions qui y regnent, 191. On égorge tous ceux qui en approchent de trop prés, 205. Les fiües qui y fervent ne fe marient prefque jamais, 348. Toutes privautés y font défendues , même er.tre perfonnes de même fexe,475. Défordres arrivés dans celui d'Usbek, pendant fan abfence , 4S0 & fuiv. Solim le remplit de fang , 494. Sévérité. Quand elle eft outrée, elle ne corrige point les caraéteres féroces , 36. Smyrne. Ville riche & puiffante, 62. Siberië, 154. Sicile. Cette ifle eft devenue déferte , 338. Sincérité. Cette vertu eft odieufe a Ia Cour, 24. Société. Scrupule avec lequel quelques Francois en obfervent les devoirs, 265 & fuiv. Ce que c'eft ; quelle en eft 1'origine , 287. Soleil. Les Guebres lui rendent un culte^ 210 : quel , 211. Ils Phonoroient principalemelttdans la villa fainte de Balk , ibid. Solitaires de la Thébaïde. Ce qu'on doit penfer des prodiges qui leur font arrivés , 2S3. Soporifque fineulier, 458. Souillures. Comment elles fe contractent dans la lo; mufulmane, 55, 56. Souverains. Doivent chercher des fujets, &non dei terres , 321. Subordination. Ce n'eft pas affez de Ia faire fentir; il faut la faire pratiquer , 185. Suicide. Lois d'Europe contre ce crime: Apologie du fuicide : Réfutation de cette apologie, 237 & fuiv. Su ffe (La). La douceur de fon Gouvernement en a fait un des pays les plus peuplés de 1'Europe , 372» Elle efirinuge de la,liberté, 420,  DES' MATIERES. "Suptrflition. C'eft une héréfie, 246. Syftime de Law. Ses effets funeftes, 407, 4°S. Coraparéal'aftrologiejudiciaire, 416. Son hiftoire allegorique,44S Cr fuiv. Bouleverfemens qu'il a occafionnés dans les fortunes, dans les families & dans les vertus de la nation Francoife: il 1'adéshonorée, 472 & fuiv, T Ta li sm ans. Les Mahométans y attachent une grande vertu, 473. Tartares. Sont les plus grands conquerans de la terre : leurs conquêtes , 253 & fuiv. Tartarie (Le kan de). Infulte tous les rois du monde deux fois par jour, 127. . Tentations. Elles nous fuivent jufque dans la vie la plus auftere, 2S3. . , pr Terre'.'Elle fe laffe quelquefois de fournir a la iubiii- tance des hommes, 344. Thébaïde. Voyez Solitaires. Théodose. Son crime 8c fa pémtence , 1Sy. Théologie. Elle s'accorde difficilement avec la Phi- lofophie ,198. Théologie (Livres de), Doublement inintelhgibles,4lï. Tolérance, 1S2. Tolérancepolitique. Ses avantages , 262 & fuiv. Tofcane (Ducs de). Ont fait d'un village marécageux, la ville la plus floriffante de 1'ltalie ,71. TraduSLturs. Parient pour les anciens , qui ont penfé pour eux, 390. Traités de paix. II femble qu'ils foient la voix de la nature, 290. Quels font ceux qui font légitimes , ibid. . . , ,. Triangles. Quelle forme ils donneroient a leur dieu, s'ils en avoient un , 180. Tribus. Sont plus forts chez les proteftans que chez les catholiques ,358. Triftzffe. Les Orientaux ont contre cette maladie une recette préfé.able a la nötre ,100. Troglodites. Leur hiftoire prouve qu'on ne peut être heureux que par la pratique de la vertu, 35 & fuiv. Jura, Caufes de ladéeadenee ds leur empire, 61, K.  |31 TABLE y a chez eux des families oü 1'on n'a jamais ri, ioj1, Serviront d'anes aux Juifs pour les meneren enfer, 105. Ne mangent point de viande étouffée, 134. Turquie. Seraconquife avant deux fiecles, 61 & fuiv. On y leve aujourd'hui les tributs comme on les y atoujourslevés, 423. Turquie d''Europe. Eft prefque déferte, 339, Ainfi que celle d'Afie, ibid. Tïen(I«), Divinité des Chinois, 363. V Va ni té. Sert mal ceux qui en ont une dofe trop forte, 463. Venife. Situation finguliere de cette ville : pourquoi elle eft en horreur aux Mufulmans , 96. N'a de ref- fource que dans fon économie, 420. Vénüs. Comment certains peuples larepréfentent; 179. Vérités morales. Elles dépendent des circonftances , 234 & fuiv. Vertu. Sa pratique feule rend les hommes heureux: hiftoire a ce fujet , 36 & fuiv. Elle fait fans ceffe des efïortspour fe cacher, 150. Vieilleffe. Elle juge de tout, fuivant fon étataftuel: hiftoire ace fujet, 17S & fuiv. VMes. Pourquoi les voyageurs cherchent les grandes villes, 71. Depuis quand la garden'en eft plus con-, fiée aux bourgeois , 3 iS. Vin. Les impöts le rendent fort cher a Paris, 99. Funeftes effets de cette liqueur, ibid. Pourquoi défendue chez les Mufulmans , 171. Virginité. Se vend en France plufieurs fois , 176.' II n'y en a point de preuves, 228. Vifipour. II y a dans ce royaume des femmes jaunea qui fervent a orner les Sérails de 1'Afie, 291. Ulrique-Eléonore , reine de Suede , met Ia cou- ronne fur la tête de fon époux ,426. Univerfité. Querelle ridicule qu'elle foutient au fujet de la lettre Q, 331 & fuiv. Vomitif, 460. Autre plus puiffant, 461. Voyages. Sont plus embarraffans pour les femmes qu? pour les hommes, 137.  DES MATIERES. jif Usbek. Part de la Perfe. Route qu'il tier.t,q, 18,61,70. Ce qu'on penfe a Ifpahan defon départ, 17. Sadouleur en quittant la Perfe : fon inquiétude par rapport a fes femmes, 18, 19. Motifs de fon voyage , 24. Paroit a la Cour dès fa plus tendre jeuneffe : fa lincérité lui attire la jaloufie des miniftres, ibidi S'attache aux fciences : quitte la Cour , & voyage pour fuir laperfécution , 25. Ordres qu'il donne au premier eunuque de fon Sérail, 11 , 12. Tout bient examiné, il donne lapréférence a Zachi fur fes autres femmes , 13 , 14, 15 Eft jaloux de Nadir, eunuque blanc, furpris avec fa femme Zachi, 63 &f. Croit Roxane vettueufe, 66. Tourmenté par fa jaloufie , il renvoie un des eunuques , avec tous les noirs qui l'accompagnoient,pour augmenter le nombre des gardiens de fes femmes , 69. Ses inquiétudes touchant Ia conduite de fes femmes, 19. Nouvelles accabiantes qu'il recoit du Sérail, 475, 476, 478, 479 & fuiv. Ordres qu'il envoie au premier eunuque , 476. Après fa mort, a Narfit, fon fucceffeur, 47S. Donne la place de premier eunuque a Solim , & lui remet le foin de fa vengeance , 483. Ecrit une lettre foudroyante a fes femmes, 484. Chagrins qui le dévorent , 485 & fuiv. Lettres da reproches qu'il re$oit de fes femmes , 488 & fuiv. Vfurpateurs. Leurs fuccès leur tiennent lieu de droit» 3ij &fuiv. z Zo ro ast re, légiflateur des Guebres Ou Ma* ges, a fait leurs livres facrés, 211. ZufagciT, épée d'Hali, 54. Fin de la Table des Matieres,