224 Éloge •ne put jamais lui perfuader de préférer le Poëte Saint-Profper a Horace Se a Virgile. Cette efpece de cas de confcience ,■ au fond bien peu important, fur 1'ufage de la Fable dans la Poéfie , occafionna un pari dont 1'Académie Francoife fut prife pour juge. Santeuil avoit un frere de beaucoup de mérite, Claude Santeuil , prefque aufïï bon Poëte que lui, & beaucoup plus pieux; Claude reprochoit fans ceife a fon frere 1'ufage profane qu'il faifoit, dans fes vers, des Dietix du Paganifme. >> Ne » peut-on rendre agréable , lui difoit» il, la defcription d'une fontaine ou » d un bois , fi une Naïade ou des » Nymphes n'y font cachées ? Pour» quoi d'ailleurs mettre par-tout des » femmes ? Ne font-elles pas ajje^ dé » mal ou elles Jont naturellement « f La conteftation s'étant éebauffée, Claude fagea de faire , fans le fecours de la able , une Piece fupérieure a cells Ïue fon frere feroit avec ce fecours. ,'Académie , que les deux rivaux choifirent pour arbitre , adjugea le prix a Claude Santeuil , quoique Pierre Corneille eüt fait a la Piece du Vidorin 1'honneur de la traduire en vers frao.  DE BOSSUET. 15 5 I'Orateur la noble eonfiance que fon fujet lui infpire. Je voudrois , dit-il, que toutes les ames éloignées de Dieu fujjent préfentes a cette affemblée. Nous ne parions point des trois autres Oraifons funebres , oü prefque tout efl a retenir. Mais nous oferons dire que , dans 1'Oraifon funebre de la Reine d'Angleterre , le portrait de Cromwel, fi louvent cité par la foule des Rhéteurs ., ne nous ferable pas, a beaucoup pres , la partie la plus diftinguée de ce difcours. Le tableau énergique que tracé I'Orateur de la politique profonde de Cronvwel, eft un morceau digne deTacite , ck bien au deffus du portrait purement or«toire de 1'Ufurpateur; norfs citerons les traits les plus frappans de cette peinture. » II fut donné a celui» ci de trornper les Peuples ck de pré» valoir contre les Rois. Comme il eut y appergu que dans ce mélange infini » de Secf es qui n'avoient plus de regies >>certaines, le plaifir de dogmatifer, » fans être repris ni contraint, étoit » le charme qui polfédoit les efprits , » il fut ft bien les concilier par ia , qu'il » fit un corps redoutable de cet affemj> blage monftrueux, Quand une fois  DE BOSSUET. a la le&ure, plus importante pour lui, '. des Livres faints & des Peres del'Eglife. . Chargé de 1'éducation du Dauphin, il 3 relut de nouveau les grands Ecrivains 1 de 1'Antiquité, & il en marqua les plus i beaux endroits pour les faire goüter a Bon Difciple (i). Ce fut ainfi qu'il fe i prépara a bien remplir une place , que la médiocrité , même la plus décorée ide titres, ne devroit jamais occuper , : & alaquelle peut-être il devroit lui être ; défendu de prétendre. Elle étoit pourI tant ambitionnée par une foule dePré- lats courtifans , qui, bien différens de iBoifuet, avoient plus habité Verfailles avoit rendu la Langue Latine très-familisre. lUn Hommg de Lettres , qui a vu les not:s idont il cliargeoïe fes Livres, nous alTufe qu'elilcs font toutes en latin.  E L O G E NOTE VIII, relative a la page 152, fur VHiJloire UniverfelLe de BosSUET. O N m'accufe , difoit ce grand Prélat , d'avoir » dans cette Hiftoire tout » facrifié au Peuple Juif, & d'avoir » prefque oublié pour David, Ezéchiel » & Baruch , les Alexandre ck les So» crate , les Céfars ck lesCaton. C'eft » qu'il étoit encore plus nécelfaire amcoi y> Eleve d'apprendre a connoitre Dieu, » qu'a connoitre les hommes. La Reli» gion , que la politique humaine croit » li nécelfaire a ceux qui obéilfent, 1'eft » bien plus encore a ceux qui com» mandent «. Auffi avoit-il grand foin , en enfeignant 1'Hiftoire a fon Difciple, de lui faire remarquer & craindre la punition des méchans Princes. II fe plaignoit feulement, fans pourtant accufer la Providence, que cette punition n'eüt pas toujours été, pendant leur vie, auffi terrible qu'elle devoit 1'être pour épouvanter efficacement leurs imitateurs ; qu'ua Phiüppe II , un Henri  DE B O S S U E T. 241 Henri VIII, un Louis XI, n'euiTent pas fini comme les Domirien & les Néron. Les menaces de la vie future , fi terribles contre les tyrans, venoient alors au fecours du fage Inffituteur , pour effrayer utilement fon Eleve. NOTE IX , relative a la page 155 , fur les (Euvres théologiques deBosSUET. X-/E Recueii immenfe de ces (Euvres fait voir au Lecfeur étonne' le profond favoir de 1'Auteur, fa fe'condité inépuifable, & fur-tout fon energie dans les matieres de controverfe. Sans prétendre ni compter ni juger les coups qu'il pone a fes Adverfaires, bornonsnous, pour donner une idee de fon éloquente logique , a rapporter en peu de .mots fon argument le plus vief orieux contre les Proteftans. Nous datons ± leur difoit 1'Evêque de Meaux, du temps des Apótres , fans interruption & juf qua nos jours ; vous êtes de nouveaux venus , arrivés d'hier &fans mijjion; ou réunijfe^-vous tout-d-fail Tomé II, L  •43 Éloge a nous, ou fépare^vous-en tout-d fait, & cejfe^ abfolument d'être Chrétiens , fi vous ne voule^ vous réfoudre d être tout franchement & tout uniment Catholiques. Cette objecftion pre/Tante a beaucoup de rapport avec la réflexion très-fenlée d'un Officier Huguenot , qui, durant nos abominables guerres de Religion, voyant 1'armée Proteftante & Catholique en préfence 1'une de 1'autse , & au moment de charger luimême a la tête de fa troupe , laiiTa écbapper un fourire de dédain. On lui en demanda la caufe : Je ris , dit il, de la fottife que nous faifons, de nous battre contre ces gens-ci pour la préfence réclle , en croyant comme eux la Trinité. Deux cents ans plus tard, ce Militaire éclairé n'auroit pas eu cette contradiclion a reprocber a fa Seéle : car ce que BofTuet avoit prévu eft arrivé ; & c'eft encore un trait de lumiere &. prefque de génie , dont on doit lui faire honneur dans cette difpute. II avoit prédit que les principes des Proteftans pour rejeter 1'autorité de 1'Eglife , les conduiroient tót ou tard au focinianifme, c'eft-a-dire, aux opinions d'une Se#e qui s'obftine a  DE B O S S U E T. 245 s'appeler Chrétienne en rejetant fans exception tous nos myfteres. La prédicfion de Boffuet fe vérifïe de jour en jour, & ne tardera pas a être pleinement accomplie. Deja un très-grand nombre de Miniftres Proteftans n'a plus d'autre croyance qu'un de'ifme tempéré mkigé, qui ne differe du pur de'ifme que par le refperft qu'ils afreétent encore de conferver pour le Cbrift & pour la Bible ; ils ne voient pas que fi 1'incrédule déclaré a le malheur de s'égarer comme eux , il a du moins le mérite de s'égarer plus conféquemment. C'eft 1'obfervation que faifoit, il y a quelques années, un Philofophe Catholique aux Miniftres Sociniens de Geneve : Vous reffemble^, leur difoitil , d un homme qui , après voir ofé jranchir le Rhóne, trouveroit enfuite zin ruifjeau , & craindroit de le paffer. En plaignant, comme nous le devons lesT héologiens Proteftans de fe tromper dans le principe fondamental de leur croyance , lorfqu'ils rejettent toute autorité en matiere de foi , ayons du moins affez bonne opinion de leur logique , pour être perfuadés qu'ils poufferont enfin les conféquences de ce Lij  244 ÉLOGE principe jufqu'oü elles peuvent s'e'tendre, & que le focinianifme , dont la plupart d'entre eux font aujourd'hui profemon ouverte ou cache'e , dégénérera tot ou tard en un déifme franc & fans alliage. C'eft bien la peine en effet de fe faire appeler Socinien, pour n'admettre ni Trinité , ni Incarnation ,^ ni peines éternelles, ni enfin nécejjité d'une révélation , a qui on fait feulèmentla grace de la croire bonne tkutile (t). II ne manque plus a ceux qui ont embraffé une Religion fi dégagée de toute efpece de foi , que d'adopter 1'expreflion fcandaleufement employee par un de leurs Confrères devèmu touta-fait incrédule, les vrais Chrétiens , c'eft-a-dire , les Déifles , expreffion qu'il a appuye'e fur 1'Evangile même , (i) Un des Th'ologiens les plus accrédite's de Geneve a fait un Livre fur la vérité du Chriftianifmc , dont un des Chapittes avoit pour objet , la nécefité de la Révélation ; dans J'édition fuivante , Ie titre fut changé en cette forte, de la grande uthité de la Révélation, U faut efpcrer, dit alors un des Confrères dc I'Autcur , qu'a Ia troifieme édition , la grande iitUité ne feta plus pour lui qu'u/ze grande com~ modité.  de bossuet. 245 en foutenant que lu ReUgion Chrétienne, telle qu'on Venfeigne aujourd'hui , efl bien différente de celle que fon Injlituteur a prêchée ; qu'il n'd été que l'Jpotre de la Loi naturelle , l'ennemi de la fuperjlition & des Prétres , faifant confifler dans l'obfervation de la morale le vrai culte qué Vhomme doit d VEtre fuprême ? & réduifant ce culte a deux mots _, aimez Dieu et votre Prochain. Voila , comme 1'obfervoit très-fenfément 1'Evêque de Meaux , dans quel abime on doitinfailliblement fe précipiter, quand on refufedes'en rapporter, » fur 1'inter» prétation de 1'Ecriture, a une autorité » refpecfable & vifible , qui fixe les » acceptions conteftées des paffages » obfcurs ou équivoques. Dès qu'on fe » permettra d'expliquer la Bible par » fes propres lumieres , il eft prefque » impoflible qu'on ne finiffe pas par » 1'interpréter de la maniere la plus » conforme en apparence a notre foible » & aveugle rftifon , mais fouvent très»'contraire en effet au vrai fens dans » lequel 1'Efprit-Saint 1'a diólée «. L iij       HISTOIRE DES MEMBRES D E L'ACADÉMIE FRANgOISE, Morts depuis 1700 jufquen 1771. TOME DEUXIEME.   HÏSTOIRE DES MEMBRES D E L'ACADÉMIE FRANCOISE, Aforts depuïs i 700 jufquen 177 ï, Pour fervir de fuite aux Eloges impiumés et lus dans les seances publiques de cette Compagnie. Rar M. (TAlemberT, Secrétaire perpétuel de l'Académie francoije, & Memb-e des Academies des Scien es de Fr.mce, d^MgliXerre , iepruffe , de Ruffic , de Suede , de Ponuml, de Bologr.e, de Turin , de Naples, de Cajjel, de Boflon,& de Norwece. TOME DEUX IE ME. A PARTS, Q]~ez Mout ah ö, Imprimeur-Libraire de la. R ivt. , He Madame, 'le Vhchms Onvzffe d Art is, 8i de 1'Académie des V £es, rue r'es Marfruri -.« Hotel de Clurii. M. DCC. LXXXVir. Avec Approbation } & Privilege du Rol,   É P I T R E DÉDICATOIRE A MESSIEURS DE L'ACADÉMIE FRANgOISE, e ssieurs, L'Ouvrage que vous me permette^ de faire paroiwe fous vos aufpices, ejl un monumeht du ^ele aclij'&pur dont M. vAle meert fut conjlamment anime'pour PAcademie. II en firma Ie projet le jour mé me oü vous le cho sites pour votre organe, & depuis il nen a paffe aucun fans s'occuper d'achever ou deperfeclionner ce travail, qu'il regardoit comme la dette facrée de fa reconnoijfance. II n'avoit voulu publier pendant fa vie quunpetit nombre d'Eloges lus dans vos Séances publiques. Toute Hifioire prefque contempo- Tome II. a  mine, n'eut-elle pour oh jet que la Littérature & la Philofophie, peut troubler le repos de quiconque veut Vécrire avec vérité; & M. p'Ale meert étoit parvenu a eet age & a ce degré de réputation oü le repos efl plus cher qu'une gloire nouvelle, & oü le bejoin de parler avec franchife efl plus impe'rieux que celui dyoccuper les autres du fruit dé fes veilles, Charge' par lui de ce depót précieux, héritier de fes feminiens pour V Académie, auprès de laquelle fon amitié pour moi a été mon premier titreffai cru remplir un v&u de fon caur en vous fair fant hommage d'un travail entrepris pour la gloire d'une Compagnie dont vos Ouvrages ontfidigne.ment foutenu ou augmenté l'éciat. Je fuis avec refpecl) Messieurs , Vbtre très-humble, &c, PE CONDOBXET.  N O T E SUR L'ÉLOGE DU PRÉSIDENT ROSE. TOUSSAINT ROSE, Secrétaire du Cabinet du Roi} & PréJldent en la Chambre des Comptes de Paris } né en i (j 11 , recu k la place, de Valentin Conrart, le iz Décembre 167 ƒ , mort le 6 Janvies 1701 (1). No TE I, è. Voccajlon de VlTTORIO SiRi, page 495 du Volume pré* cedent. c V* ? V}ttofio Siri , «jui eüt tant d'obligation a notre Académicien, avoit commencé par être Moine. II paflbit i\)Voyei fon Elogc dans Ic Volume pré, «dent, page 487. Tome II, ^  2 É L O G E por.r vendre fa plume au plus olTrant; ce qui faifoit dire de lui, que fes Ouyrages- Hifioriques étoient No da Iftorico , ma da falario {non <£uh Hiftorien , mat» d'un Auteur poye). Le Cardinal Mazarin , quoiquil lui eut donné une forte penfion , ne 1 aimoit pas , & ne le foudoyoit que pour échapper a fes farcafmes. NoTE II, relative a la page 495 , fur les Lettres icrites au hom de LOUIS XIV , par k Préfident R O S E. O u T R E les Lettres re'elles que Ie Préfident Rofe écrivit au nom de ce Prince, comme Secrétaire du Cabinet, on lui en attribue une , prétendue écrite par Louis XIV au Docreur Arnaud, en 1678 , dans le teraps oü le Monarque faifoit le fiége d'Ypres. On fait que Janfénius avoit été Evèque de cette ville; en fait quel étoit 1'attachement du Docreur Arnaud pour eet Evêque & pour fes opinions. La Lettre dont il s'agit n'étoit qu'un long & trifte  DE TOUSSAINT ROSE. J perfiflage, oü 1'on faifoit parler Ie Roi ïfur le fiége d'Ypres, dans Ie ityle théoJlogique de Jaïsféiiius ; plaifanterie de Séminaire , plus digne d'un Bachelier |de Sorbonne , que d'un homms du Imonde, tel que le Préfident Rofe (i). |Si par malheur pour lui il en fut 1'Aujteur, il n'ofa sürement la montrer a tfon ami Racine, dont le Janfénifme & IIe bon goüt auroient également ré~ Iprouvé cette infipide facétie. Cepenidant les Jéfuites, ennemis jurés de Janfénius & d'Arnaud , répandirent la «Lettre Ie plus qu'ils purent, & la firent Ivaloir de leur mieux^ jufqu'a prétendre jqu'elle étoitfupérieure auxProyinciales; (i) On peut cn juger par le debut de cette Lettre , relatif anx cinq propojitions condamnées dans Janfénius. » Monficur Arnaud , »j'ai cinq propofitions a faire a Meflieur9 d'Ypres. La pTemiere , que je fuis vcnu en » Flandres pour faire du bien a tont le monde. « Li fecondc, que le commandement que je leur » fais de me rendre la ville, n'efi pasi-npojfible. n La troifième, Sec. 11 s'agit donc, Monfieur, »> ée leur faire figner ces cinq propofitions, » qui renferraent tout Ie Traité de ia grace. » que j'ii a leur faire «Sec. Ceux qui voudront s'cnmiycr pbsloag-terops, troaveront Ie refte dans le Diclionnaue de Sayle, au mot Ypres. Aij  + É L O G E mais ils furent les feuls a le croire , ou plutot a le dire ; & les Janféniftes confervererjt lavantage , fi précieux ert France , d'avoir fait rire la Nation aux dépens de leurs ennemis. N O T E III, relative a la lia/fon du Préfident RoSE avec Defpréaux O Racine. C^UELQUE attaché que le Préfident Rofe fut 3 ces deux grands Poëtes , on voit par les Mémoires de 1'Abbé de Choify , qu'il n'avoit pas en eux la plus parfaite confiance ; il ne vouloit point leur faire part des anecdoéles qu'il avoit été a portee de favoir, relativement a l'Hiftoire du feu Roi, öu'ils fitoient,comme 1'on fait, chargés d ecrire , mais qui na jamais paru , & peut-ètre jamais été faite : apparemnient il craignoit de leur part quelque jndifcrétion qui le comprotiut. » L'autre jour, dit 1'Abbé de Choifjr dans fes Mémoires, » M. Rofe me con» toit les particularités de la mort du » Cardinal Mazarin. Ah l me dit-il,  DE ToUSSAINT RoSE. f » M. Racine voudroit biert être ici; il » ni\i mis plufieurs fois fur les voies , » mais je ne lui ai jamais rien voulu » dire. Tai bien affaire qu'il maille i> citer a tort & a travers «. Si le Préfident Rofe fe mettoit quelquefois a fon aife fur le compte de fes deux ami; , ils favoient bien auffi le lui rendre dans 1'occafion ; on le voit par une Lettre de Racine a Boileau : Ce dernier étoit malade ; le Roi s'étoit informé de fon état, & lui avoit confeillé quelques remedes. M. Rofe , lui dit Racine , ma prié de vous mander de fa part , quaprès Dieu , le Roi étoit le plus grand Médecin du monde , & j'ai été méme fort édifié que M. Rofe voulüt bien mettre Dieu avant le Roi:.t Boileau, de fon cóté, dit a Racine dans une autre Lettre : M. Rofe m'a confié les grands dégoüts quil avoit de V Académie , jufqu'a méditer mhne dy fa''re retrancher les jetons, s'il n étoit, ditil , retenu par la charité. Croye^-vous que les jetons durent long-temps, s'il ne tient qu'a la charité ie M. Rofe quils ne foient retranchés ? C'eft ainfiqueces?r0zj<2//zzjs'égayoient innocemment fur le compte les uns des autres. A iij  6 É£l o g e N o t E IV, fur la gatté du Préfident RoSE (pages 500 &, 501), o t r E Acade'micien conferva dans fes derniers momens la gaité qui ne le quittoit jamais, & dont nous avons rapporté difFérens traits dans fon Eloge. Des Piètres qui afïïégeoient fon lit quelques heures avant fa mort , le fatiguoient de leurs exhortations, apparemment peu é.'oquentes , & fur-tout des promelTes qu'ils lui faifoient d'adreiTer au Ciel des prieres ferventes pour fon falut. II appela fa femme y qui pleuroit dans un coin de la thambre : Ma chere amie, lui dit-il , fi ces Meffieurs, quand ils mauront enierré\ vous offrent des Mejfes pour me tirer plus vite du Purgatoire , épargne^vous cette dépenfe-la ,Je prendrai patience. Ce mot n'e'toit pas, comme on pourroit le croire , un trait d'irréligion , ce n'étoitqu'un traitinnocent&plaiiant de malignité, pour fruftrer 1'avidité de ces Prètres du profk qu'ils efpe'roient tirer de fa mort. Le mot a peu prés  DE ToUS SAINT Ro SE. f femblable du bon la Fontaine fur les damnts, A la fin ijs sy aecouturtieront „ n'étoit de rrïème qu'un trait de fa bonhommie , qui croyuit voir une incompatibilité trop frappante entre la bonté de Dieu ck 1'éternité des peines de 1'Enfer. AW  • APOLOGIE,  Ai u J^i u U 1 £« DE F RA Nf O IS D E CLERMQNT-TONNERRE » EvÊQUE DE NOYON, Né en i6iq , & mort le i5 Février ijoi. O N nous clemandera fans doute , par quelle raifon , ayant donné le titre d'Eloge aux articles qui cencernent les autres Acade'miciens, nous préfentons, fous un titre bien moins flatteur, 1'article defiiné aun Prélat, Commandeur de 1'Ordre du Saint-Efprit , Pair de France, & forti d'une des plus grandes Maifons du royaume l Notre réponfe fera courte & modefte. L'opinion publique , a notre grand A v  10 .Aopologie.de Francqis regret, traite avec fi peu de faveup 1'Evêque de Noyon , qu'il a malheureurement beaucoup plus befoin d'une Apologie que d'un Eloge. Mais cette Apologie nous paroit être , pour 1'HiTtorien de 1'Académie , un devoir da bienféance & de juftice, qu'il doit fe prelTer de rendre aux manes de fon Confrère, fur-tout s'ü doit en réïulter, comme il s'en flatte, plus d'un trait honorable a celui qu'il ne vouloit que défendre. Peut-être 1'Evêque de Noyon fera-t-il plus loué que le Public ne s'y attend, par les détails mème qu'entrainera fa julrification. Ce Prélat (il faut d'abord 1'avouer fans détour ) eft prefque uniquement connu par la haute idee qu'on l'accufe d'avoir eue de fa nobleiTe ( dont perfonne ne lui conteftoit 1'éclat), &. de , fon mérite , qu'il croyoit, dit-on , égal a fa noblelle ; on a confervé dans ces Recueils d' Anecdotes, qui ne font que trop fouvent, comme 1'a dit M. de Voltaire, des recueils de menjonges imprimés, lesprétendus monumens de fon vintrépide jacrmce; monumens que nous apprécierons dans la fuite de eet article , mais qui femblent avoir jeté un  de Clermont-Tonnerre. II ridicule fur fa me'moire : on difoit de lui, qu'il étoit jaloux de 1'ancienneté & de la grandeur de fa Maifon , non feulement dans ce monde, mais dans 1'autre , paree qu'il avoit fait compofer fous fes yeux , & donner au Public , 1'Hiftoire de tous les Saints de la Maifon de Clermont-Tonnerre (i) , dontla plupart cependant font moins révérés dans 1'Ëglife , que beaucoup d'autres qui navoient point de pere Centilhomme. Mais des ames plus pieufes que malignes , ne verront dans eet Ouvrage que 1'édiflante émulation du Prélat , pour mériter un jour, a 1'exemple de fes Religieux ancêtres, les honneurs de la canonifation. Une ambition fi louable répond fuffifamment a 1'efpece d'épitaphe fatirique que les Détracleurs de 1'Evêque de Noyon n'ont pas rougi de lui faire. On racontoit dans cette épitaphe , ou plutöt dans cette épigramme funebre , que le Prélat s'étant préfenté après fa mort a la porte du Paradis, & ayant jeté les yeux fur la compagnie qu'il renfermoit, s'étoit retiré avec dé- ( r ) Cet Ouvrage , fait par Je Préfident Coufin, fut imprimé a Paris en 169%, A v j.  «as Apologie de Francais Jer a demander , on a prétendu qu'il' avoit pouiTé la crainte de compromeitrefon rang, jufqu'a héfiter s'il feroit ,. felon 1'ufage , dans fon Difcours de réception (i |, 1'Eloge de fon PrédécelTeur, Barbier Daucourt, qui étoit né d'une familie obfcure , & n'avoit de titre que fon mérite. II eft pourtant certain que M. 1'Evêque de Noyon fe foumit de ji) Il fut recu le 13 Décembre 1654.  i6 Apologie de Fp. ancois très-bonne grace a ce devoir. II traca, en peu de mots a la vérité , mais avec autant de précifion que de juftice , le portrait de celui qu'il yenoit remplacer. » J'avoue , dit-il modeftement, que les » talens de mon PrédécelTeur meferoient » aujourd'hui nécefTaires. Son éloquence » grave & facile dans les Ouvrages de » profe & de poéfie ; fon mérite ac» cueilli pa un Miniftre eftimable (i) ; » fa charité viélorieufe pour la défenfe » d'un innocent prêt a fubir le dei-nier » fupplice (i) ; enfin fon attachement » inviolable aux intéréts de cette Com- du peu de galanterie qu'il avoit marquée dans cette circonftance : Sire, réponditil , vous ne me Vaurie^ jamais pardonné. Une autre réponfe du même Prélat, quoique fans doute peu obligeante pour celui a qui elle s'adrefToit , mérite encore d'ètre rapportée , paree que Ia fierté s'y exprime avec une énergie peu commune. Un Duc & Pair, dont la dignité étoit a peu prés de même date que fa nobleiTe , c'eftt-dire aifez nouvelle , lui témoignoit fon étonnement de ce que les Pairs Eccléfiafliques ( du nombre defquels étoit 1'Evêque de Noyon) précédoient au Parlement les Pairs Laïques; il ajoutoit, que les anciens Pairs du royaume (i) (i) Ces Pairs étoient, comme 1'on fait, is Duc de Bourgogne , le Duc de Normandie , It Duc d'Aouitaine, !e Comte de Touloufe 3 Tome II. B  2.6 Apologie de Francois avoient. autrefois \ fans difficulté , le pas 8c lapréféance fur tous les Evêques'décorés de la Pairie. Ce/a efl vrai, reprit M. de Clermont-Tonnerre; mals vous ne penfe^ pas qu tl étoit alors plus honorable-de Juivre des hommes tels que ceux-la« quil ne teft aujourd'/iui de précéder des hommes tels que vous. A ces differens mots, foit de fierté, foit de' ve'iïtabie grandeur , nous en ajouterons' quelques-autres qui ütppoftnt du tact 8c de la finelTe. Un Prédicateur Jefuite s'étoit imprudemment chargé de l'Oraifon funebre d'un Prélat peu édiriant, dans laquelle il ne trouvoit, difoit-i! , que deux points embarraifans a traiter, la vie 8c"la mort du défunt; cependant, comme il ne vouloit ni fcandaüfer les ames pieufes, en louant a la face des Autels cekii qui les avoit dégradés, ni outrager les manes du Prélat , en jetant des doutes fur fon falut , il allégua une incommodité pour fe difpenfer de faire cette importune Oraifon funebre. Ne dites pas, mon Pere , lui dit 1'Evêque de Noyon , que vous ctes leComte de Flandres, & Ie Comte de Champagne,  de Clermont-Tonnerre. 27 i incommodé, d'ues que la mattere efl I incommodé. Un homme de Ia Cour, I que M. 1'Evêque de Noyon étoit allé | voir , lui ayant demandé d genoux fa 1 bénédiclion , que le Prélat fe défendoit I de lui donner , & le prefTant avec les 1 plus humbles inftancés de lui faire cette I grace ; Monfieur, lui répondit-il en I Je béniffant , je vous donne ma comtpafjlon. On raconte enfin que , durant I une afTemblée du Clergé qui fe tenoit a 1 Saint -Gérmain -en-Laye , quelques I jeunes EccléfiafHques lui ayant propofé 3 de faire les foirs avec lui de longues i promenades , & erifdite de petits Jouipersj Dites, répondit-il, de trés courtes I promenades , & des Jbupers auJJÏ longs \pour vous quil vous plaira , mals non \pas pour mol; car j'ai encore plus d'ar* I Sent (lue ^e temps a perdre. D'après ces traits , dont aiTurément jaucun n'a pu partir d'un homme fans 1 efprit, peut-on fe perfuader que M. de 4Clermont-Tonnerre en air été déopourvu , au point de dicler lui-mémd a fon Secrétaire , comme on Ta prétendu, les deux Mértioïfes pour fervir d Jon Ehge\ que des Compilateurs ont publiés pres de cinqunnte ans sores Bij  z8 Apologie de Francois fa mort ; Mémoires' qui contiennent des louaftges , que 1'amour propre 'e plus exalté oferoit a peine fe cionner en fecret, ck que 1'orguei' le plus frup.de n'oferoit fe donner hauremem l i\ous n'entrerons point ici dans e dé ai: de ces deux Mémoires (i), dont le fecond fur-tout eft une efpece d'Hymne ou de Cantique , aufli étrange pour le fond que pour la forme , ck femblable aux Litanies de quelque Saint, ou a la rofe d'une MeiTe folennelle.' Quant au premier Mémoire ( car il n'eft pas poffible d'ajouter la moindre foi au fecond), il n'eft point de Lecter.r fenfé qui n'y dé-* -mêle ce que 1'Evêque de Noyon peuC avoir en etïet dicté innocemment , ck ce que la rrahifon de fon Secrétaire peut y avoir ajouté. Dépouillés de ce vernis de malice , digne amufement, ou petite vengeance d'un fubalteme , les faits que Ie premier Mémoire contienrpeuventreellement fervir a 1'éioge de 1'Evêque de Noyon, 6k faire connoitre le bien réei dont fon Diocefe lui eft redevable. Ce bien confiftoir en d'abondantes aumónes , en d'utiles éta- (0 Voyez, Ja Note (c);  de Clermont-Tonnerre. 29 blifTemens pour les pauvres, en d'excellentes écoles fondées pour 1'inftruction des jeunes Eccléfiaftiques ; tous ces acles refpeclables de charité & de "vigilance épifcopale , afïïirent a la mémoire du Prélat une eftime, que fa varité réelle ou prétendue ne fauroit lui faire perdre. On peut être furpris que M. de Clermont-Tonnerre , occupé comme il ïetoit de tout faire fleurir dans fa ville épifcopale , & plein d'emhoufiafme pour 1'éloquenee , dont on 1'accufoit de fe croire le modele , n'ait pas imaginé , comme tant d'autres lui en donnoient 1'exemple , de fonder danf cette ville une Académie. Quelqu'iin de fes détracleurs a dit, que s'il avoit eu cette idéé , il auroit fans doute fuivi les traces d un Amateur diftingué par fa naiffance , qui, vers le milieu du fiecle paffe , établit dans une de nos Provinces une Société Littéraire , dont le nrincipal Reglement étoit de n'adinettre pour Membres que des Cent'dshommes (i). Nous répondrons a cette épigramme,que M. 1'Evêque de Noyon (1) Voyez la Note [d). B iij  ?o Apologie de Francois eüt é;é détourné d'un parei! projet, par la jufte crainte qu'une Compagnie fi honorabletnent injlituée, n'eüt a raontrer plus déculTons que d'Ouvrages. Auffi cette Académie Provinciale , fi bien fournie de Gentilshommes , & qui avoit pris le titre de Fïllc de VAcadémie Franpoife, mourut bientót avec tous fes titres de nobieffe ; & pendant le peu de temps qu'elle vécut, fon fier ou modefte filence fit dire a de mauvais plaifans , que nous avions en elle une très-honnête Fille, bien pénétrée de fa naifTance, &. incapable , par 1'élévation de fes fentimens, de faire jamais parür d'elle. M. de Clermont-Tonnerre a bien mieux fait pour le progrès du go ut, que d'établir dans Noyon une Académie de Gentilshommes ou de Roturiers : les Lettres lui ont une obligation plus réelle & plus durable , & c'eft ici .1'objet qui nous intérefle le plus dans fon Eloge. De tous les Académiciens a qui leur rang a ouvert 1'entrée de cette Compagnie , il efl un de ceux qui a le mieux juftifié , ou, fi 1'on veut , le mieux payé 1'honneur qu'elle lui avoit fait. Nous lui devons la fondation da  de Clermont-Tonnerre. 31 Prix de.Poéfie, qui a été pour les jetmes Verfin aateu:rs un ü puufant objct cl'éOHilation. It eft vrai que 1'Académie a cru devoir cbanger, riepuis plufieurs anr.ées, le fujet que le Prélat avoit prefcrit pour étre la mati*:re éternelle des vers préfentés au Concours , & qui étoit 1'Eloge de Louis XIV a perpétuité ; mais par ce changement , la Compagnie n'a rien fait qui puifTe offenfer , ou la mémoire du Fondateur , ou celle du Proteéteur augufte a qui elle eft fi redeva'ole. Lorfque 1'Evêque de Noyon fonda ce Prix , la Na; ion étoit pour fon Roi dans un enthoufiafine univerfel. On croyoit de trèstonne foi que toutes les bouches du fiecle de Louis XIV, & toutes celles de la Poftérité , ne pourroient tarir fur fes louanges. Un Courtifan avoit même pouffé la folie de 1'adu'ation , jufqu'a vouloir fonder une Meflé a perpétuité pour la fan té du Roi (1). Cette idolatrie épidémique étoit pardonnable en quelque maniere aux Sujets de ce Monarque, puifque les Etrangers même s'en rendoient complices; car une Am- (1) Y-oyez li Noot (e). B iv  Apologie de Fkancois bafTadrice d'Efpagne a la Cour de Verfailles, accueillie appareanment paf ce Prince , difoit qu'il falloit fe fouvenir quon étoit Chrétien, pour ne pas adorer le Roi; & un Anglois lui donnoit un éloge moins outré, mais beaucoup plus flatteur, en avouant que , s'il avoit pu ai'mer un Roi il auroit aimé celuila. M. 1'Evêque de Noyon partageoit bien fince'rement rivreiïe de toute la France & prefque de toute 1'Europe, & 1'a même exprimée d'une maniere aufïï affedueufe qu'énergique dans fon Difcours de réception. Sa tendreife pour le Monarque étoit plus forte encore que la vénération qu'il lui avoit vouée ; & un jour qu'il fe trouvoit au coucher du Roi, oü il étoit fort aMlu , quoique feptuagénaire , ce Prince lui ayant repréfenté avec une forte d'intérêt, que fon age le difpenfoit de faire fa cour fi tard : Sire j répondit-il , ie caeur ne vieillit point. II n'étoit donc pas furprenant qu'il cberchat a tranfrnettre & a perpétuer dans tous les Francois , par fa fondation Académique, les tranfports dont il étoit ü vivement animé. Mais enfin la Compagnie , aprèj avoir faüsfait durant prb  DE ClERMQ-NT-ToNNERRE. 3? Et qu'il en forcir par m.'piis, j) N'y crQiryanf que de la canaille. Un Chevalier de Tonnerre, nevett de 1'Evèque de Noyon, s'étant fait M'mime ( on fait que ces Meines mangent tout a 1'huile ) , queiqu'un fit une chanfon , dont le Prélat étoit bien plus 1'objet que fon neveu le Minime , &. qui finilTuit ainfi : 3) Ce cho'x doit du Prélat Noyon 33 Bien échaurljr la hilc ; i> Car pour fon i'luSre Maifon 33 C'cft une tache d'huiie. {b) Volei cette réponfe de M. 1'Abbé de Caumartin a M. lEvêque de Noyon; le Lec/ïeur pourra juger de la malice ou de lafranchiié des Eloges donnés par le Direcleur au Récipiendaire. Monsieur , » Si les places de YAcadémie Frsn» coife n'étoient confidérées que par » les dignités de ceux qui les ont rem» plies, nous n'aurions ofé vous offrir  be Clermont-Tonnerre, ja: » eelle dont vous venez prenrlre pof9 feflion , ck peut-être n'auriez-vous » pas eu vous-même tout l'emprefïe» ment que vous avez témoigne' pour » 1'obtenir. Le Confrère que nous avons» perdu ne devoit rien a la fortune. » Riche dans toutes les parties qui font » un véritable homme de Lettres , il » n'avoit aucun de- ces titres éclatans » qui relevent fon SuccelTeur. . . . ck » notre confolation feroit fojble , fi el'e » n'étoit fondée que fur la difrérence » des conditions, Nous connoiffons , » Monfieur , votre fang illuflre , en » qui toutes les grandeurs de !a terre » fe trouvent raiTemble'es. Nous vous » voyons revêtu de ce titre augufte » ( Pair de France ) qu'un de nos » Rois a dit être le plus glorieux qu'on » put donnera un Fils de France. Nous » refperilons en vous ce facré caraélere, » que le Fils de Dieu a laifTé dans fon » Églife comme le plus grand de tous » fes bienfaits; ck cependant, Mon» fieur , ce n'eft pas a toutes ces qua» lite's e'clatantes que vous devez les » fuffrages de cette Compagnie, c'efl » a un efprit p'us noble encore que » YOtre fang, plus relevé que vos titres.  4« Apologie de Francois » Nous ne craignons point de vous dê» plaire en vous dépouillant, pour aiirfi » dire , de tant -de grandeurs. Eit-ce » d'aujourd hui que vou=; marchez fans » elles ? £c la qualhé d'Académicien » eft-eile la première 011 vous êtes par» venu , comme un autre homme qui » ne feroit pas né ce que vous êtes ? » C'elt un pompeux corte'ge qui vous » accompagne ck qui ne vous ment » pas; vous le prenez 6k vous 'e quittez, » felon qu'il vous convient, ck il eft » de 1'intérêt de votre gloire de vous » en détacher quelquefois, afin que les » honneurs qu'on vous rend ne foient » attribue's qu'a votre feul mérite. La » place que vous occupez vous étoit » due depuis long-temps. Cette élo» quence , dont nous fommes encore » éblouis, 6k dont vous avez créé le » modele , vous accompagne par-tout. » Ce n'eft point dans vos Harangues , » ce n'eft point dans vosSermons qu'elle » fe renferme, on la trouve dans vos » Lettres ck dans vos converfations les jj> plus familieres. Les figures les plus f » hardies ck les mieux marquées, celles » que les plus grands Orareurs n'ems> ploient qu'en tremblant , vous les  de Clermont-Tonnerre. 41 » répandez avec profufion , vous les » faites paffer dans des pays qui juf» qu'ici leur étoient inconnus. Les Or» dunnances & les Inftrudions pafto» rales, deftinées au feul gouvernement » des amës , au Keu d'une fimplicité » négligée qu'elles avoient avant vous, y> font devenues chez vous des chef» d'ceuvres de 1'efprit humain. Pendant » que 1'Eglifevoit avec édification dans j> vos fages régiemens la vérité de fa » doélrine , la pureté de fa morale , » 1'intégrité de fa difcipline , 1'autorité » de fa hiérarchie , établie , foutenue , » & confervée dans le Diocefe de » Noyon depuis 1'heureux temps de » votre épifcopat;nousy voyons encore » les juftes aliufions, le; allégories fou» tenues , & par-tout une méthode » qu'on ne voit point ai'leurs, & fans » laquelle on fuivroit diffieilement .des » idéés anfïï magnifiques que les vótres. » La véritable éloquence doit convenir a » la perfonne'de 1'Orateur. La votre ne » laifle pas ignorer d'oü vous venez & » ce que vous êtes. Si votre^ ftyle eft » noble., il eft encore plus épifcopal ; » par-tout il montre d'heureufes ap» plications de 1'Ecriture, de docles  42 Apologie de Francois » citations des Peres. Vous les poifédez » tous ; & s'il y en a quelqu'un qui f« » prélente a vous plus ordinairemeiU » que les autres, c'eit par la fympatbie v des imaginations fubiimes , que la » Nature n'accorde qu-'.a fes favoris. » Que de pui/lans motifs i 1'Académie » pour vous choifir ! & quel bonheur » pour elle de pouvoir , en vous af» fociant , fatisfaire en même temps a » la juftice, a fon inclination , & a Ia » volonté de fon augufte Protecteur !• » II fait mieux que perfonne ce que » vous va'ez ; il vous connoit a fond , » il aime a vous entretenir, & lorfqu'ii » vous a parlé , une joie fe répand fur » fon vifage , dont tout le monde s'ap» percoit. II a fouhaité que vous fuffiez » de cette Compagnie , & nous avons » répondu a fes déflrs par un confen» tement unanime. Après 1'éloquent » Panégyrique que vous venez de faire » de ce grand Prince , je n obfcurcirai » point par de foibLs traits les idéés » grandes & lumineufes que vous en » avez tracées. Je dirai feulement, que » pendant qu'il foutient feul le droit » des Rois & de la Religion , il veut » bien encore être attenrif a la perte  de Clermont-Tonnerre. .43 » que nous avons faite, & la réparer » dignement , en nous donnant un » Sujet auquel fans lui nous n'aurions » jamais ofé penfer. C'eft a vous, Mon» fieur. a joindre vosefforts aux nötres, ». pour lui en te'moigner notre profonde » reconnoiffance «. ( c) Ces deux Mémoires ont été imprirnés en 1745 , dans un Recueii , .connu fous le nom de Recueii (A), qui eft devenu affez rare. Les voici fidelement copiés. On .jugera, après les avoir lus, s'il eft poftlble que 1'Evêque de Noyon, qui pouvoit être orgueilleux & même vain , mais qui n'étoit pas imbt'cille , ait poufTé la fottife de la vanité jufqu'a faire un tel panégyrique de fa perfonne.  $4 Apologie de Francois MÉMOIRE pour fervir a VEtoge de Monfeigneur FRANCOIS de clerMOiNT - T/onnerre , Evcque & Comte de Noyon , Pair de France y dicié par lui-même a Lucas , Prêtre & Chanoine de la Cathédrale de Noyon , fon Secrétaire (i). » i°. ÏVI, lEveque de Noyon a » été defiiné, ék; pourainfi dire, appelé » a 1 'état EccléfiaAique, dont il a préféré j> la profeflïon a toutes les autres. » 2.°. 11 a éuidié 8c fait fes Humanirés » dans le Collége de Clermont, chez » les PP. Jéiüires, ou il a remporté » des Prix , qui ont été les premières »femences des fruits que VEglife en » devoit efpércr. $°. » II a fait fon cours de Philofoprrie » dans le Collége de Montaigu, ou il y> afait publiquement un acte deAlaitre- (i) Nous avons mis cn italique dans ce Mémoire ce qui a sürement été ajouté par le Secrétaire ou par qudque autre.  t>E CLEPMONf-ToNNÈPiRË 45 » ès-Arts, en préfence du Clergé de » France , & des premières perfonnes » de toutes les conditions. » 40. II a étud'é trois ans en Théo» logie en Sorbonne, oü il a été avancé » de licence , ck.il a fait tous fes acles » & recu le bonnet de Dodeur, avec v autant d'éloquence que d" érudition. » 50. II a fouvent prêché dans les » plus fameufes Chaires de Paris, en » Sorbonne , & même un Ayent au » Louvre , en préfence du Roi , avec » Vapprobation & Vapplaudiffement de » toute La Cour. » 6". En 1'année fuivante 1661 , il » fut bonoréparSaMajeftédel'Evêché » Comté de Noyon , Pairie de France, » & facré en 1'Ëglife de Sorbonne, oü y il a toujours donné des marqués de »fon infigne piété, aujfi bien que de » fa profonde docïr'me. >\7°. Ce Prélat a gouverné 1'Eglife » de Noyon'depuis trente-fix années , » avec une foltfckude & une applica» üon incroyable. II y a d'abord établi » un Séminaire de Prètres, de la Con» grégation de la Mifiion. 11 a fait ens> iuite de fréquentes vifites dans fon » Diocefe, &. tous les ans des Synodes,  Eloge fpécifique & lemarqiU' ble (*). Enarra tot vi&orias, tot pr.-tliapro qui. bus in Chrifto fuperafti. Article iihgulier & re. marcjuable. (*) Les Notes marginales font auffi inférées dansje Mémoire que nous tranfcrivons j & par conféquent attribuées au Prélat, qui n'en efl: pas plus coupable que du rcfte. 46 Apologie de Francais » dont on peut dire que les Ordon» nances jont le plus parfait modele de » la police eccléfiaflique. II a toujours » prèché 'dans chacune des e'glifes qu'il » a vifite'es. II a établi des Conférences » dans rout fon Diocefe , auxquelles il » préfide fouvent par lui-fnême , & » re'/out les difficultés propofées. II » faudroit s'adreffera lui-même, comme » Saint Gre'goire de N-azianze inter» rogea autrefois Saint Bazile, pour » Javoir précifément les grands fuccès » dont la divine Providence a couronné »Jes travaux pour Vétablijfement & la » confervation de Vordre hiérarchique » que Jéj'us-Chrifl a établi dans fon » Fglife , malgré tant d'obftacles, que »fon zele viclorieux a rendus vains & » inutiles. » 8°. On peut dire que ce Diocefe » fert encore de regie d tous les autres, » paree quil ny en a point ou la vórité » de la daclrine , Vintégrité de la dif» cipline, la pure té de la morale'&  de Clermont-Tonnerre, 47 » Vautorité de la Hiérarchiejoient plus » réjulléren-ent objervées ; cè.qui fatt f> ciiL encore a prdjent lejdltes Ordon» nances jont confultées & cxécutées » dans plujleurs Diocejes , & que les » Mande/neus en jont recherchés de » toutes parts. Ces grandes vérités fout. »prouvées autheniiquement par les » Bref's apbjfolrques que nos Saints » Peres les Papes Innocent XI, » Alexandre Vlll & Innocent XII » ont adrejfcs a ce Prélat, en réponfe » aux Lettres Canoniques quil avoit » tu Vhóhneur de leur écrire. » Qui ne fait pas les grandes cha>> rités qüe ce Prélat fait tous les mois » ca Ja ville épifcopale, dans les neuf » Doyennés de Jon Diocefe, oü il a » établi neuf Vice-Gérens, & générale» ment par-tout, dans les calamités » pubüqtiès ? » Qui peut ignorer Vexemple prefque y> fin guller quil donna pour le plus » librc & plus facile exercice de la >> jurifdiulon volontaire & contentieuje, » dont ilfait tous les frais, pour nélre » nulletnent a charge aux Minifires » quil emplole, & quil récompenjé de $ leurs peines, ddns les occafions, par  +8 Apologie de Francois » des établijj'emens confidérabtes, o* » prportionnés a Leurs mérites, fuivant » l'exemple de Saint Paul , neraini » onerofus ? ' » 9p. Ce Prélat a affifté krAHetwblée » générale du Clergé de France , en » 1'année 1675 , oü il fit plufieurs Ha» rangues & Dij cours, jouvent fur le » champ, & remp/is d'une érudltlon jür» prenante; il eut même 1'honneur de » porter la parole k Sa Majeilé , au » nom de 1'Eglife de France; &c depuis » peu encore , avec le même jiiccès , » dans 1'AfTemblée de 1695 , dont.il » fut é!u Préfident par le concours & » le fuffrage de toutes les voix. » io9. ie travall de ce Prélat efl »prefque infini, & le Public attend » avec Impatlence le grand ouvrage de »fon Commenialre myfllque & moral ■i> des deux Tefiamens de Dieu & de » Jéfus-Chrifl; Commentaire myflique, » qui pfouve que chaque figure de » l'Ancien Tejlament efl un myfiere; » Commentaire moral, qui fait voir que » chaque Hlfiolre efl un exemple : Ou» vrage achevé & confommé en telle » forte, qu'il épuife toutes les matleres. » desfaintes-Ecr'uures , depuis le comt> mencetnent.  de' Clermont-Tonnerre, 49 » mencement de la Genefe jufqua la »fin de l' Apocalypfe. » Veflime particuliere dont Sa Md»jefié honore ce Prélat, doit faire une » des principales parties de fon èloge; » & les preuves en font éclatantes & »folides, par la Charge de Conjeiller v d'Etat, oü ce Prélat fe fait adli mirer toutes les fois quil y parle ; 5» par la place de V Académie Fran» foifie , oü il efl fouvent tArbitre & » le Juge , aujji biea que le témoirt » de Véloquence de cette cé/ebre Com* » pagnie ; & nouvellement par VOrdre v du Saint-FJprit , qui fait Vun des » plus beaux omemens de la Prélature » Franpoife «. lome Ut,  5o Apologie de Francois I P. mémoire plus apocryphe encore que le précédent , & qui paroit entiérement fabriqué d'un bout a Vautre, i°. CjE Prélat eft élevé au fouverain degré de la gloire, ainfi que du mérite. 2°. L'Eglife diocéfaine le regarde comme fon pere; La Provinciale comme fon , ornement; La Nationale comme fon organe; L'Univerfelle comme fa lumiere. 3°. Les Séminaires le reconnoifTent pour Inftituteur ; ■ Les Monafteres pour Réformateur ; Les Höpitaux_ pour Bienfaiteur; Le Palais Epifcopal pourReftaura teur. 4°. L'Ecriture le regarde comme fon Interprete; La Religion comme fon Prédi.cateur ; La difcipline comme fonDéfenfeur, Et la Sorbonne comme Doéteur. 5°. Le Clergé fe vante de 1'avoir jpour Préfident j  de Clermont-Tonnerre. 51 La Cour pour Comte ; Le Sénat pour Juge ; La France pour Pair. 6°. L'Etat 1'honore comme Confeiller; L'Ordre comme Commandeur ; L'Acade'mie comme fon Oracle , Et le Monde comme un prodige. On nous allure dans le Recueii d'ou ces deux Mémoires font tirés, qu'ils font copiés fidélement fur 1'original , êcrit de la main du fieur Lucas, Secrétaire de ce Prélat. Cela fe peut; mais il faudroit encore , pour rendre ces Mémoires authentiques, que celui qui les a copiés fur le prétendu original , les eut entendu diéter par 1'Evêque de Noyon a fon Secrétaire. Jufqu'a ce qu'on en ait la preuve , fes Confrères de 1'Académie <5c du Clergéne font ils pas en droit de crier au menfonge \ On peut en dire a peu pres autant de la prétendue réponfe que le Prélat fit a un Cordelier, qui, lui ayant dédié une Thefe , lui demanda fi les titres de Sa. Grandeur étoient tels qu'il le falloit: Vous avez^, lui dit 1'Evêque de Noyon, oublié une choje ejjentielle ; viro ia Scripturis potentijfimo ; homme puifC ij  5* Apologie de Francois famihent verft daas les Ecritures ; & on ajoute qu'il travailloit a un Commentaire fur la Bible , 'dans lequel il fe vantoit d'expliquer des paffages que les Peres, felon lui s n'avoient point entendus. M. de Clermont-Tonnerre , avant d'être nommé a 1'Evèclie' de Noyon, en avoit eu trois ; ayant été yoir un autre Prélat après fa quatrieme nomination ,il fut étonné , tout fier qu'il étoit , des marqués extraordinaires d'honneur 8c de refpecl que lui rendoit fon Confrère ; il ne put s'empêcher d'en témoigner quelque furprife a cet Evêque , qui lui répondit : Cefl s Monfeigneur , que je vous regarde comme V Ajfemblée du Clergéde France. Si 1'Evêque de Noyon pouvoit être, a jufle titre, 1'objet de cette plaifanterie, on conviendra du moins qu'elle ne lui étoit pas particuliere , 8c que plus d'un Prélat Francois pouvoit alors la partager. (d) Quelque bizarre que paroiflè 'avec juftice cette idéé d'une Académie de Gentilshommes, on a voulu , dam je ne fais quelle brochure, donner des  de Clermont-Tonnerre. étages au Fondateur d'une Société Litte'raire , fi nabhment ignorante. On prétend que fon motif dans cet établiffement, étoit de tirer en effet de' 1'ignorance une NoblefTe oifive , & de lui faire aimer les Lettres. L'intention étoit louable fans doute; mais il faut connoitre avant que i'aimer ; & apprendre a lire avant que d'apprend're a écrire. L'Académie de Gentilshommes auroit eu befoin d'un Collége de Gentilshommes , qui lui fervït, pour ainfi dire, de Séminaire, oü fes Membres futurs allaffent prendre de bonne heure le goüt du favoir & de 1'étude. On peut, a toute rigueur , exiger des quartiers pour être admis dans un Chapifrê dé" Chanoines; mais c'eft un plaifant projet que d'en exiger pour une Académie. Si nous en croyons quelques Relations de Voyag^urs , on n'eft point recu en Italië chez les Bénédiclins ck les Théatins , fi 1'on n'eft pas Gentilhomrae. Cette loi feroit encore plus plaifante que le Collége dont nous parions. (e) Cette fon dation d'une MefTe a perpétuitè pour la fanté du Roi , eft fans doute bien étrange j mais ce qui C iij  54 Apologie de Francois Feit encore plus , c'eft que , dans Ie temps oü elle fut faite, elle ne parut pas trop ridicule : & comment auroitelle pu le paroitre a une Nation qui fut te'moin fans étonnement de 1'Apothéofe de Louis XIV, célébrée fi folennellement par le Maréchal de la Feuillade, du vivantmême dece Prince; de la Statue qu'il lui fit e'riger dans Ia Place des Victqires, avec 1'infcription Viro immortali ; de la fomme qu'il laiffa pour faire brüler fans cejfe quatre fanaux autour de ce monument (ce qui, heureufement pourle Fondateur & pour le Prince , n'a pas été exécuté) ; enfin, du projet qu'il avoit de fe faire enterrer immédiatement au deffous de la Statue de ce divïn Maitre , car c'eft le nom qu'il lui donnoit ? II eft vrai qu'il fut bien récompenfé de cette adwktion. Cet homme , qui défiroit que fon cadavre fut foulé aux pieds par le Monarque , en fut en effet foulé aux pieds aprcs fa mort, mais d'une maniere plus ctuelle pour fa mémoire. II mourut en 1691 , la même année oü la ville de Ad ons futprife: les Courtifans parloient ayec enthoufiafme, en préfence du Roi;  de Clermont-Tonnerre. 55"' des grandes chofes que ce Prince , difoient-ils , avoit fait es dans cette campagne ( oü Vauban conduifoit le fie'ge , & oü Luxembourg commandok 1'armée). 11 efl vrai , dit le Roi, que cette annéé me fut d tous égards bie?t favorable ; non feulement jepris Mons, mais la mort me délivra encore de trois hommes que je ne pouvois plüs fouffrir , Seignelai, Louvois, & la Feüil-» lade (i)/Flatteurs des Rots , noubliez jamais ce mot. On fait que le' Marquis de Marivaux, Capitaine au Régiment des Gardes, dont le Maréchal de la Feuillade étoit Colonel , pafTant avec fa Compagnie devant la Statue de Hem i IV , pour fe trouver a 1'inauguration de celle de la Place des Vidoires , dit a fes foldats : Mes amis ,faluons celui-ci, il en vaiit bien un autre. Le Maréchal de la Feuillade rapporta ce mot au Roi , comme un trait fcandaleux d'irrévérence , & le Marmris de Marivaux eut ordre de quitter le fervice. 11 eut été plus grand, (O Seignelai , mort le ; Nofembre 1690; Loavois ."Juillet 16? 1 5 La Feuillade , Sepwmbre ic>pi. . Civ  5* Apologie de Francois plus digne de Louis XIV, de récorrrpenfer cette franchife militaire; & 1'on ofe croire que le Monarque , s'il eut été abandonné aux feuls mouvemens de fon ame, eut eftimé & diftingué celui qui donnoit a fes adulateurs un fi noble exemple. Auffi le Marquis de Marivaux ofa- t-il apprendreace Prince, combien, dans cette occafïon, le grand Roi avoit oublié de 1'être. Privé de fon emploi & de toute efpece de récomperife , malgré fes Iongs fervices, il fe crut payé fuffifamment par le difcours qu'il tint a Louis XIV. Sire, je viens remercier Votre Majejïé de ce qu'après Vavoir fervie quarante ans , Elle nia. difpenfé de la reconnoijjance. La leconfans doute étoit trop dure ; mais c'étoit le contre-poifon , peut être néceffaire , des vilesadulations de la Feuillade(i). (t) Catinat fe vengea bien p!us noblcmenr, forfqüe le Monarque, lui ötant Ie corumanJense-i^de fes armées, pour le clonner au Maréchal de Viilcroi , tant de fois battu , lui offrit le cordon bleu , comme une efpece de confolarion. Catinat le refufa, fous le faux prétexte qu'il n'éroit pas en état de faire les preuvcs j mars en effet pour faire fentir au Prince qu'un Général qui a gagné des batailles,,  de Clermont-Tonnerre. 57 De toutes les louanges dont Louis XIV fut enivré pendant fa vie , les plus chatouilleufes pour fon amour - propre , étoient celles qu'on lui donnoit aux dépens de fes plus habiles Miniftres. ïl fut très-flatté de quelques mauvais vers qu'on fit a la mort de Louvois, 8t qui finiffoient ainfi : U n'eft qu'tm Louis dans le monde , Mais il eft encore des Louvois. & qui fe voit difgracié par des intrigaes, & facrifie a des favoris, ne Ie croit pas dédommagé par une vaine décoration de Coürtifan, & nefc eonfolepas comme un enfant avec des hocliets. Carinat avoit auffi été dans le Régiment des Gardes , dont Louis XIV, qui connoirToit fon mérite , avoit voulu le faire Major. La Feuillade , Colonel de ce Régiment, n'aimoit pas Catinat, Sc ne devoit pas 1'aimer , car ces deux ames n'avoient pas un feul point cammun par oii elles fe touchaffent. Sire , dit la Eeuillade au Roi, Catinat eft propre a être Générald'armee, premier Miniftre, Ckance/iery Contróleur-Général, a tout enfin, excepté a être Major: dt mon Régiment ; Sc le Roi céda a la Feuillade. II vaut mieux plaire que fiervir, a très-bien dit la Motte. La plupart de ces faitsfbntconnus, & paroitront fans doute étrangers a 1'Hiftoire de r Académie ; mais il eft bon de les rappeler a ceux qui les fayenr, & de 1«S' foire-connoïtre-a ceux- qui les ignorenr, C y-  58 Apologie de Francois Nous en avons rapporté nn autre exemple dans 1'Eloge du Préfident Rofe. Mais la plus grofïiere peut-être de toutes les adulations qui ont jamais retenti a fes oreilles , eft celle d'un Coürtifan , qui ne rougifToit pas de dire : Que le Roi étoit fait en tout comme un Roi élu; c'eft-a-dire f car eette abfurde fottife a befoin d'un commentaire) , qu'une Nation éclairée , & libre de fe choifir un Roi, auroit trouvé de préférence en Louis XIV , tous les talens, toutes les lumieres, 8c toutes les ver.tus nécefTaires au tröne. (ƒ) Qu'il nous foit permis de faifir ici 1'occafion de 1'encens tant prodigué a Louis XIV , pour faire aux Gens de Lettres d'utiles remontrances fur les éloges qu'ils accordent fi légérement aux Princes, 8c pre'que toujours avec ïineexagération fi falfidieufe. Non feulement la flatterie répand un nuage fur leur réputation d honnêteté 8c de francRife , elle peut même faire un tort irréparable a leur réputation littéraire. Velleius- Paterculus , cet Ecrivain fi plein d'efprit , ck. qui eft, fi on peut «mployer cette expreffion, h miniatuté.  de Clermont-Tonnerre. 59 de Tacite , comme Florus eft celle de Sallufie , auroit peut-ètre été mis par la Poftérité au rang des premiers Hiftoriens , s'il n'avoit fouillé fon Ouvrage par les plus vils éloges de Séjan & de Tibere. Ces éloges infpirent une' telle indignation contre 1'adulateur , qu'on ne lui fait aucun gré des louanges pleines de force ck de nobleffe qu'il a' données a Cicéron , ck de fon éloquente déclamation contre Marc-Antoine : on fent que ces louanges fit. cette déclamation lui ont été didées par le méprifable motif de faire fa cour a la familie d'Augufte , ck que le monument même qu'il a élevé au défenfeur de la liberté, eft 1'ouvrage de la (ervitude ck. de la bafftife (1). Parmi nous, 1'immortel Quinault , quoiqu il ait célébré un Monarque digne de louanges a bien des titres, quoiqu'il 1'ait loué avec (i) Ec comment Cicéron lui-mcme n'a t-il pas rougi, non feulement der louanges qu'il prodigue a Céfar , le deftrutkur de la li'jercé' Romaine, dans fes Harangucs peur Marce'Ius,. pour Ligorfüs , Sc pour le Roi Deiotarus, maisdes éloges qu'il donna enfuite aux aiT,,fhn-- dvM méme Céfar , dans fa, feconde Philippique-ï: C vj.  6b Apologie de Francois une forte de grandeur, & fouvent ave© fineffe,feroit aujourd'hui prefque ignoré, s'il n'avoit fait que les Prologues, d'ailleurs très-ingénieux, de fes Opéra Prologues , oü 1'EIoge de Louis XIV efl porté jufqu'a 1'excès de la fadeur : aufu* ont-ils difparu du théatre même , qui en a retenti fi long-temps. Ils y feroient aujourd'hui révoltans ou infipides, malgré toute 1'adrefTe & toute 1'invention que 1'Auteur y a mife. Rien , par exemple, n'eft plus ingénieux que 1'idée du Prologue de Cadmus & d Hermione ; e'eft le Soleil qui tue le ferpent Python; allufion au Roi., dont la devife ( bien plus encore dans fes médailles que dans fes aétions ) éroit le Soleil (i) , 6c aux marais de la Hollande , oü ce Prince faifoit alors une guerre brillante ( car nous ne voulons pas 1'appeler glörieufe, paree qu'il n'y a de vraiment glorieux. que ce qui eft jufte, 8c que cetie guerre Kel'étoit pas ). Cependant, quei que puüTe être le mérite poétique de ce Prologue , qui eft-ce qui le connoit {i) Voyez fur cette devife une des Notes 4e 1'article de Charles Perrault,  de Clermont-Tonnerre. 61 aujourd'hui ? qui eft-ce qui connok celui du Malade imaginaire, compofé pour le même objet, &. dans lequël Louis XIV eft comparé a de la neige fondue, dont les jlots écumeux. renverlent Digues , chateaux , villes & bois,. Hommes & troupeaux a la fois ? Quel fujet de louanges pour un Prince, que cette horrible image de deftruétion ? & quel dommage que les vers qui la peignent eufTent eté meilleurs ? Eft-il un feul homme de Lettres qui puiffe lire , fans afmclion , & fans une efpece de honte , dans le Difceurs de Raeine pour la réception de 1'Abbé Colbert a 1'Académie , les propres paroles que nous allons tranferire l » II » nous faut des années entieres pour » écrire dignement une feule des ac- i> tions de notre Augufte Monarque v Cet Ouvrage, qui nous eft commun, » ce Didionnaire , qui de foi-même » femble une occupaticn fi feche & fv » épineufe , nous y travaillons avec » plaifir. Tous les mots de la Langue, » toutes les fyllabes nous paroiïfent » précieufes , paree que nous les re» gardons comme autant d'inftrumens>  Apologie de Francois » qui cloivent fervir a la gloire de notre' >> augufte Protecfteur «. II eft bien étonnant què les Princes foient toujours la dupe des louanges qu'on leur prodigue , lorfqu'ils voient un fi grand nombre de leurs PrédécefTeurs encenfés pendant leur vie , & déchirés après leur mort. Hélas ! Comrnentpeuvent-ils croire a leurs flaneurs, eux qui ne font pas même sürs d'être aimés de leurs Maitreffês ; malheur' qu'ils partagent avec tous les hommes puiffans, . tous les hommes riches, tous les hommes cêlebres; en un mot, avec tous ceux dont 1'attachementpeut intéreffër ou 1'ambition, ou 1'avidité, ou 1'amourpropre d'une femme ? Fontenelle , pour exprimer & pour peindre les coupables mouvemens de vanité , dont 1'ame religieufe de Louis XIV devoit fouvent étre furprife au milieu de 1'encens dont on 1'enivroit, citoit volontiers les deux vers fuivans d'une Piece adreifée a ce Monarque, par un Poëte moins adulateur que les autres : Le démon duellifte, & le blafphémateur, Chcfchent i fe venget par le démon flaneur (i). (t) l'Auteur de ces vers étoit, a ce qti'on-  be Clermont-Tonnerre. 6% La Bruyere avoit été encore plus couïageux ; car , dans la Préface de fora Difcours de réception a 1'Académie Francoife , répondant aux critiques qu'on avoit fakes de ce Difcours , il ofa , du vivant de Louis XIV, s'élever avec /amertume contre les louanges données a ce Prince dans les Prologues de Quinault. Si ma Harangue , dit-il, eut été chargée de louanges fades & outrées, telles qu'on les Ut dans les Prologues d'Opéra , elle auroit moins ennuyé Théobalde-, Louis XIV fut informé de ce trait d'humeur, &. ne s'enoffenfa pas. Cette viéloire fur fa vanité, valoit bien celles dont on lui a fait tant d'honneur , & qui étoient moins a lui.. Orateurs , Poëtes, Hiftoriens, Philofophes même ( car il n'eft pas jufqu'aux Philofophes qui n'aient befoin de cet avis ), foyez en garde fur les objets , fur les motifs & fur la mefure de vos louanges. Un Monarque veut-il ap- croit , Ic même Barbier Danconr , que M. de Clermont-Tonnerre avoit eu , difoit-on , tant de reine a louer , & que fes li.'Üons avec ?ort - Royal ne rendoient pas favorable au Louis XIYV  €4 Apologie de Francois précier les éloges qu'on lui donne * qu'il voie fi les Etrangers les ratifient. Sujets, obéifiez a vos Princes, aimezles quand ils le méritenn louez-les quand 1'Europe joindra fa voix a la votre. Tout Ecrivain qui célebre un Prince vivant , deit avoir devant les yeux les Siecles fwurs afTemblés en fa préfence , fi on peotparler de la forte, pour porter leur jugement fur les éloges que va tracer fa plume; qu'il fe dife a lui-même, en fe voyant devant ce Tribunal redoutable : LaPojlérité ratifiera-t-dle ce que j'écris? Que penfera-t-eUe de VIdole & du Sacrificateur? S'il arrivé , ce qui n'eft pas fans exemple , qu'un Prince qui a commencé par mériter 1'eflime publique ck. 1'amour de fes Peuples, ait fini par s'en rendre indigne ; 1'Ecrivain qui 1'a loué lorfqu'il le méritoit, ck qui a cerTé de le louer quand il a ceffé d'être louable, doit marquer avec foin 1'époque de fes éloges ck celle de fon filence, s'il ne veut pas que ceux qui liront 1'Hiftoire le mettent au rang des ames viles. II doit imiter ce Philofophe ancien, qui publia le Panégyrique d'un Roi avec Ie titre fuivant : Eloge de tel Prince juf%iïen telle année,.  de Clermont-Tonnerjre. €f Nous terminerons ces réflexions par un Apologue qu'on attribueala Motte, & qui n'a jamais été imprimé. II l'adrefTa , dit on , a un jeune Monarque é ranger qui venoit de monter fur le tröne , & qu'on accabloit déjav de louanges pour quelques aéïions d'humanité qu'il avoit fakes. Ce que nous venons de dire aux Flatteurs des Reis, nous Ie difans de LE PERROQUET QUI NE FLATTE POINT. F A B L E. \Jh Enfant, fut Ie trone i dix ans éleve , Annon<;oit des vertus; daute & frêle efpéiance ! Ses Flatteurs en faitoierit un Monarque ach*vé ;, Chacun prónoit fa bieafiifauce. Un Sage , entendant ces propos , Fit a fon Perroquet apprendre quatre mots Et dès qu'il vit le Roi paroitr;,. Vint, 1'Oifeau fur le peing , s'approcher de fon Maltt2.Mille cris tépétoient.: Vivt ce Roi ft ben !: Jour favorable , heureux eugure ! Out ,. dit le Perroquet, pourvu que ceÉi dure ! Jciines Rois, de 1'Oifeau retenez la le^on.  66 Apologie de Francois même aux Flatteurs de tous les genres & de toutes les dalles , a tous ceux qui fléchinent baffement le genoux devant la richefTè, le crédit ou le pouvoir. » On ne peut s'empêcher, dit M. de *> Voltaire , de plaindre Corneille , fon » Siècle,. 8c les Beaux-Arts, quand on » voit ce grand Homme , dans 1'Epitre » dédicatoire de Cinna , comparer a » 1'Empereur Augufte le Financier » A'ontoron. Si cependant la recons> noiffance arraiha ce fingulier hom» mage, il faut encore plus en louer » Corneille que Yen blamer; mais il » faut toujours Ten plaindre. . . On » n'eft pas moins arfligé qu'un homme » tel que Corneille , dans les vers qu'il » a adreffés a M. FouqUet a la tête de » fon (Edipe , n'ofe s'enhardir juf» qua applaudir ce Surintendant, . . » 11 eut mieux valu pour 1'Aüteur de » Cinna, vivre a Rouen avec du pain bis s> & de la gloire , que d'avilir a ce point » fon hommage. . . On ne peut trop » exhorter les hommes de génie , a ne » jamaisproftituerainfi leurs talens. On » n'eft pas toujours le maitre de fa for» tune ; mais on 1'eft toujours de faire » refpeder fa médiocrité 6c fa pau» vreté <<..  be Clermont-Tonnerre. 67 C'eft ce même Corneille qui, en dédiant au Cardinal Mazarin fa Tragédie de Pompée , appelle ce Miniftre le plus grand Homme de Rome moderne, un homme au deffus de Vhomme , & ajoute qu'en voulant peindre Pompte , Augufte & les Horaces, c'eft le Cardinal Mazarin qiiila peint fans y ■penfer. » Je fuis affligé pour les Lettres r » pour v«us & pour moi, difoit un » Philofophe a un célebre Ecrivain , de » vous voir profterné aux pieds de quel» ques hommes orgueilleux & mé» priks, bien indignes de vos hom» mages. Quand on lira leur nom tant » célébré dans vos Ecrits, la Poftérité » demandera a 1'Hiftoire ce qu'ils ont » fait, & 1'Hiftoire répondra : Je nen »fais rienj & la Poftérité en fera un » reprocheauPanégyrifte. Abaodonnez» les donc a 1'oubli qui les attend; &. » fouvenez-vous que , fuivant 1'Oracle » de 1'Ecriture, facrifier fur les hauts » lieux, efl une abomination devant le» Seigneur. Vous croyez avoir befoin de » vous concilier leur chétive faveur , » pour vous ménager un appui contre ïr vos ennemis 5 c'eft-a-dire que , pour  68 Apologie de Francois s» vous garantir de Belzébuth , vous » brulez une chandelle a Lucifer.Croyez » que Belzébuth n'en fera pas moins » déehainé contre vous, Sc que Lucifer » en augmentera d'orgueil «. II feroit utile pour les Lettres, qu'on recueillit dans un grand ou petit volume la plupart des traits de ce genre, & qu'on ajoutat a la fin de chacun , ces deu* mots qui fe trouvent a chaque page d'un vieux Livre de dévotion fur la mort, penfez-y bien. . (g) Nous fera-t-il permis d'ajouter ici, après avoir mis a leur place les vilesadulationsprodiguées a Louis XIV, le portrait également noble & jufte qua tracé de ce Prince un célebre Monarque de notre fiecle , dans un Ecrit plein de fens & de raifon fur lés Satires que la vérité ou la mauvaife humeurfepermettentquelquefois contre les têtes eouronnées ? » Louis XIV, dit » 1'illuftre Frédéric , ne méritoit ni les » louanges outrées, ni les injures atroces » dont fes adulateurs ou fes ennemis » 1'accablerent. Elevé dans 1'ignorance, » fes premiers amufernens fürent de » fervir laMelfe au Cardinal Mazarin:  de Clermont-Tonnerre. 6^ » il étoit né avec un fens droit & une » ame fenfible a 1'honneur ; mais plus » vain encore qu'ambitieux, ce Prince , » qu'on accufa d'afpirer a la Monarchie » univerfelle , étoit plus flatté de la » foumiffion da Doge de Gênes , que » des vióloires de fes Généraux. 11 eut » des foiblefTes , ck 1'on condainnoit » comme un crime dans la^conduite du » Roi, ce qu'on ne défapprouvcit pas » dans celle du moindre de fes Sujets. » Ce n'étoient pas fes amours qu'il falloit » ceefurer avec tant d'aigreur, c'étoient » les cruautés inouies qu'il lahTa exercer » dans le Palatinat , oü fes troupes » firent une guerre d'incendiaires ck de »barbares ; c'étoit la révocation de •> 1'Edit de Nantes , par laquelle il » priva fon royaume d'un grand nombre » de mains induftrieufes, qui porterent ï> dans les lieux de leur afile leurs talens » & la haine de leurs perfécuteurs. Si » j'en excepte ces deux taches qui » obfcurcilïent Ia beauté d'un long » regne , quel reproche peut-on faire a » ce Roi qui entraine des fatires aum* » ameres que celles dont il a été 1'objet ? » Ceux qui gouvernent la terre, mé> ritent plutót d'être plaints que d'être  jo Apologie de Francois » enviés ; fans ceffe obligés de vivre y> dans 1'avenir par leurs réflexions, » de tout prévoir, de tout prévenir , » refponfables des événemens, malgre' » ce hafard funefte qui fe joue de la » prudence humaine , & qui rompt > fouvent leurs mefnres , ils ont bien 5> plutöt befoin d'ètre encouragés dans v leurs travaux , que re'voltés par des Li» belles«. Ainfi a parle' de nos jours un Prince , qui lui - même a e'té plus d'une fois 1'objet de 1'envie, de la calomnie & de la baine, 6c que le fuffrage de 1'Europe en a fi glorieufement de'dommage'. Mais ce qui met le comble a la gloire de Louis XIV , c'eft d'avoir été loué par le fameux Prince d'Orange, fon plus mortel ennemi, dans la Harangue que ce Prince fit a la Haye le 5 Février 1691 , en préfence de tous les Princes ligués alors contre la France , c'eft-a-dire , de prefque toute 1'Europe. II exalta dans cette circonftance le courage 6c la fagefTe du Monarque , 1'appela le plus puiffant des Rois, la terreur 6c le modele de fes ennemis (j). On ne connoit (1) Je ne [als, difoit cncere le Prince  de Clermont-Tonnerre. 71 peut-être pas alTez la réponfe du même Prince a un de fes Courtifans, qui, dans le temps oü Louis XIV s'attacha a Madame de Maintenon , & donna le Miniftere de la guerre a M. de Barhezieux , difoit avec une plaifanterie amere , quon n avoit jamais vu de Monarque avoir une fi vieillc Maurefjè & un fi jeune Minifire. Vous devez_ en conclure^ répondit le Prince , quil nefi gouverné ni par Vune ni par Vautre. De pareils éloges faifoient bien plus d'honneur a Louis XIV, que toutes les baffefTes de la Feuillade & les flatteries de Defpréaux. II auroit paru bien plus grand, s'il n'eüt jamais été loué que par fes ennemis. d'Orange, pourquoi ten me regarde comme un fi grand ennemi du Roi de France ; car perfonne ne lui marqué plus d'eflime que mei; des qu'il tl donné un ordre pour fes troupes , je le fais exécuter dans les miennes , & je i'imite en tout.  ELOGE  E LOG E DE JEAN-RENAUD DE SEGRAÏS, NÉ a Caen le it Aout 1624 , repu d la place de francois le Metel de Boisrobert, le 16 Juin 1662 , mort le 25 Mars 1701. S o 1* talent, ou, ü 1'on veut, fon ardeur pour Ia Poéfie, fe montra de très-bonne heure : a peine agé de dixhuit ans , & n'étant point encore forti de fa Province , il fit une Tragédie de la Mort d'Hyppolile , êt quelques autres Ouvrages en vers, qui furent trèsaccueillis par fes compatriotes. Peutêtre fe propofoit-il fecrétement, fans trop s'avouer a lui-mime cette pré* Tomé LI. D  74 É L O G E tention , de foutenir fur le ParnafTê 1'honneur de la Normandie, a qui la France e'toit alors redevable des deux plus grands Poëtes, ou plutót des deux feuls qu'elle eut encore produits, Malherbe &. Corneille. Mais le jeune Verificateur ne tarda pas a reconnoitre Ia foibleffe de fes premiers effais, lorfqu'il fut venu a Paris , oü quelques-uns des Ecrivains célebres qui ont tant illuftré le Siècle de Louis XIV, annoncoient déja la gloire de ce Siècle a jamais me'morable , & faifoient briller aux yeux de la Nation , encore barbare ,^'la première aurore du bon goüt (i). (i) Pour 1'honneur dc 1'Acadcmie , il nous fera permis d'obferver que , dans cette cnfance de Ia Poéfie Francoife , un des plus anciens Membres de la Compagnie , Phiüppe HaberS ( qu'il ne faut pas .cenfondre avec Germain Habert de Serizy, autre Académicien affez obfcur ), avoir fait un Poëme de la Mort, oü 1'on trouve d'affez bcaux vers pour le temps ; nous ne citerons que les premiers, qui font alles connus. ious ces climats glacés, oü Ie flambeau du monde F.pand avec regret fa lumiete féconde » Dans une ile déferte eft un vallon affreux , Qui jamais n'cut du Ciel un regatd «mourewc»  de Segrais. 75 II entra, en qualité de Gentilhomme, au fervice de Mademoifelle , fille de Gallon , & mérita long-temps , par fon attachement & par fes fervices , l'eftime ck 1'amitié même de cette PrincefTe ; mais après vingt-quatre anne'es de faveur ck de confiance , il eut le malheur de lui déplaire , pour avoir ofé défapprouver le mariage qu'elle vouloit faire avec le Duc de Lauzun. L'événement fit voir , mais trop tard, que Segrais avoit mieux penfé qu'elle ; néan» moins, & peut-être par cette raifoit même , elle ne lui pardonna pas, & le reffentiment qu'elle eut toujours d'un fi fage ck fi inutile confeil, s'eft confervé dans fes Mémoires , oü elle appelle Segrais une maniere de bel-efprit; jugement de Princeüe , & de PrincefTe irrite'e , a qui la médiocrité de fon génie, fi marquée dans les Ouvrages que nous avons d'elle , n'avoit pas acquis le droit d'afligner les places au mérite ck aux talens, C'eft un droit, il eft Li , fur de vieux cyprès dépouillés de verdure , Habitent les oifeaux de malheureux augure ; La ccrre pour toute herbe y protiuit des pclkms , 5; 1'liiver y titnt lieu de toutes les faifons. Dij  76 Éloge vrai, que les Grands ont voulu plus d'une fois ufurper; mais dunt ils n'ont pu , heureufement pour les Lettres, enlever au Public la propriété exclufive. Cette femme dédaigneufe & bornée avoit elle-même réfuté d'avance ce petit trait de fatire , en s'abainant a emprunter la plume de Segrais dans quelques petits Ouvrages de galanterie dont elle s'occupoit, & qu'elle vouloit paroitre avoir faits; mais elle n'eut point recours a lui pour e'crire fes Memoires , & on s'en appercoit affez. Au fortir de chez Mademoifelle , Segrais fut accueilli par une femme plus faite pour 1'appre'cier, par Madame de la Fayette , qui écrivit fous fes yeux les deux Romans célebres de la PrinceJJe de Cleves ck de Zaïde. Elle trouva dans les confeils & dans Ia critiqne de cette maniere de bel-efprit, des fecours qui furent très-utiles a la perfedion de ces deux charmans Ouvrages ] les fecours même furent arTez Frands, pour qu'on ait fouvent attribué _ un ck 1'autre Roman a Segrais; mais il n'a jamais béfité de les rendre a leur vêritable Awteur , & les lui a toujours rendus avec la fincemélaplusfranche,  de Segrais. 77 fans empruntei', domme ont fait tant d'autres en pareil cas , le voile tranfparent de cette modeftie hypocrite , qui a foin de mal jouer la difcrétion, & qui en repoufTant mollement un honneur dont elle n'eft pas digne , dêfire & fe flatte de n'être pas crue fur fa parole. II eft vrai que ces deux Romans parurent d'abord fous le nom de Segrais (i) : il en parloit même dans les premiers temps, comme de fon Ouvrage , par ménagement pour le préjugé barbare qui régnoit alors ( & dont la Nation n'eft peut-être pas encore trop défabufée), qu'une femme de qualité fe dégradoit par le titre d'Auteur , & avilifToit fon nom en le mettant fur la même lifte que celui des (1) » Madame de la Fayetre , dit M. Huet » dans fon Traité de l'origine des Romans , v> négügea il fort la gloite qu'elle miritoit, » qu'elle JaiiTa paroltre fous le nom de Se» grais, fon Roman de Zaïde. Je fuis en écat 33 de prouver qu'elle en éteit 1'Auteur , pat 33 1'original du Manufcrit de ce Roman , 33 dont elle m'envoyoit les feuilles a mtfure 35 qu'elle les eompcfeit. M. de Segrais a mille 33 fois afiuré lui-même que cet Ouvrage étoit 33 uniquement de Madame de la Fayette«. Diij  78 É L O G E Corneille & des Racine. Mais lorfque le fuccès prodigieux des deux Romans eut fait défirer aux Courtifans même de les avoir e'crits , Madame de la Fayette ofa pour lors fe de'clarer, au rifque d'éprouver les traits de 1'envie , au lieu de ceux du ridicule ; 6c Segrais pafTa tout au plus pour 1'avoir aidée de fes avis. Nous fouhaiterions, pour 1'honneurde fon talent, ou plutót pour celui de la fenfibilité de fon ame , qu'il eut fourni 1'ide'e de cet endroit admirable du Roman de Zaïde, oü les drux Amans, qui font forcés de fe féparer pour quelques mois , Sc qui , en fe lépara„t , ne favoient pas la langue 1'un de 1'autre, 1'apprennentchacun de leur cóté durant cette abfence , 6c fe parient chacun, en fe revoyant, la langue qui n'etoir pa< la leur. Un'y a peut-être dans les Au iens, qu'on aime tant a pre'férer aux Modtrnes, aucun trait d un fentiment auffi delicat , 6c d'un inté êt aurTi tendre. L'Ecrivain qui a imagine' cette fituation fi neuve 6c fi touchante , 6c qui n'a pu la trouverque dans fon coeur,a montré qu'il favoit aimer; 8c ceux qui le fauront comme lui , fentiront en lifant dans  de Segrais. 79 Zaïde la fcene charmante* que nous rappelons ici, combien cette expreffion fimple & vraie d'un fentiment doux & profond, eft préférable a la Nature faéïice ou exagérée de tant de Romans modernes. Mais quelque défir que nous ayons de faire honneur de ce trait au cceur de Segrais, ne 1'enlevons pas a. Madame de la Fayette : c'eft dans 1'ame d'une femme qu'il a dü nakre; elles connohTent bien mieux que nous, fi 1'on peut s'exprimer de la forte, ces fineffes de pafhon , peu fakes pour 1'ame violente des hommes , de ceux même qui favent le mieux fentir & exprimer 1'amour. D'ailleurs , fi 1'ame de Segrais avoit eu le degré de fenfibilité qui a fait imaginer cette délicieufe entrevue des deux Amans , on trouveroit au moins quelques traces d'une fenfibilité fi exquife dans quelques autres Romans dont il eft réellement 1' Auteur; mais par malheur, ces Romans, dénués d'intérêt & de vie , &. dont on a oublié jufqu'au titre , décéleroient, fi on les lifoit, le peu de talent qu'il avoit pour ce genre decrire (1). II n'eft pas le (1) Un feul dc ces Romans de Segrais, les D iv  8o É L O G E premier Eq-ivain a qui on a fait honneür des produtfions d'autrui , & qui n'a que trop montré par fes propres Ouvrages, qu'il nétbit pas affez riche de fon propre fonds pour avoir des préfens a faire. Après avoir pane plus de trente années dans k tourbillon du monde ck. de la Cour , il fe retira a Caen , fa patne , pour y cultiver les Lettres en paix & en liberté. II sy maria avantageufement , & s'y forma une fociété agréable & choine ; il raffembloit chez lui les Membres les plus e/ïimables de 1 Academie de Caen , a laquelle il redonna une efpece de vie, après la langueur oü elle étoit tombée par la mort de M. de Matignon , fon Proteéteur. Un traitoit dans ces féances, des matieres Nouvelles Fraitfoifis , peut me-riter quelque cunouré, non par Iui-nrme, mais paree que rAuteur y peint, fous des noms fuppofés quelques femmes de fon temps ; encore ne peut-on guere s'intéreffer a des portrait, trace's par 1'adulation, & dont les originaux n'exiftent plus. Ceux qui feront cutieux de ces portraits, deverws un peu gothiques , peuveiu les voir dans le Journal , qui a pour titre Bibliotheque «.es Romans , Scpterabre i77j.  de Segrais. Si de Littératurt.%, & quelquefois de Sciences exaéïes. Tous les Membres de cette Compagnie , re'unis par i'eftime, ck d'autant plus attachés a leurs travaux, qu'aucune loi ne les y contraignoit , le confultoient & s'éclairoient mutuellement fur leurs Ouvrages. Segrais y écoutoit volontiers, ck parloit auffi avec plaifir quand fes Confrères le défiroient ; ils aimoient fort a 1'eatendre ck difoient de lui, qu'il njr avoit qua le monter & le laijjer aller. Mais cette efpece de pendule favante , pour emprunter leur comparaifon , avoit un doublé mérite , affez rare dans celles de fon efpece, celui de répondre fans verbiage &. fans écarts a ce qu'on ïui demandoit , ck celui de s'arrêter quand on le jugeoit a propos , ou quand elle jugeoit elle-même qu'elle avoit parlé affez long-temps. On voulut tirer Segrais de cette retraite , pour le placer auprès de M. le Duc du Maine , a qui on cherchoit un InfKtuteur digne de cet emploi par fes mceurs ck par fes talens. Le repos ck l indépendance dont jouiffoit notre Littérateur Philofophe , lui parurent préférablesau pénible honneurdeleyerun Dv  M Ê L O G E Prince, & fur-tout a la%mxulté prefque infunnontable de 1'élever avec fuccès ; mais cette excufe, fi excellente pour lui, ne 1'auroit pas été pour les perfonnes pui/Tantes qui le preffoient de ie charger de ce fardeau; elle eut encore moins réufïï auprès du Monarque auquelle Duc du Maine devoit le jour; Prince fi accoutumé , par 1'hommage de fes Courtifans , a regarder fes défirs comme des ordres . & 1'honneur d'approcher de lui comme la félicité fuprême. Segrais fut donc obligé de chercher un prétexte plus admiffible de fon refus : il le trouva dans la furdité dont il commencoit a fentir les atteintes, & 3ui lui parut en ce moment une faveur e la Nature. Oninfifta néanmoins, en lui repréfentant qu'il ne s'agiffoit pas d'écouter fon Eieve, mais de lui parler. Vexpérience , répondit-il , ma appris quil faut avoir a la Cour de bons yeux & de bonnes oreilles. II demeura donc a Caen , au milieu de quelques amis a qui il étoit cher , & dont il préféroit la fociété a la faveur des Rois. Entre autres Ouvnges qui furent Je fruit de cetre retraite , il compofa la Traduclion en vers des  de Segrais. 8j Géorgiques de Virgile. Cette Traduction avoit été précédée long-temps auparavant de celle de 1'Enéide , du même Poëte , qu'il avoit imprimée durant fon féjour a Paris; il avoit préludé a 1'une ck a 1'autre de ces verfïons poétiques, par des Eglogues publiées avant fon Lnéide , ck oü , fan* être Tradudeur de Virgüe , il avoit efTayé d'être fon Imitateur. Mais foit Imitateur , foit Tradudeur, il faut convenir que Segrais eft refté fort inférieur a fon modele. Ses Eglogues , quoique ce*lébrées par Defpréaux , ne font lues maintenant de perfonne , tandis que les Eglogues de fon compatriote Fontenelle , tant décriées par le même Defpréaux , 6k dignes, a beaucoup d'égards, des critiques qu'on en a faites, ont encore confervé quelques Ledeurs. On a dit, il eft vrai, & fans doute avec raifon , qu'elles montrent un peu trop fouvent, fous 1'extérieur d'une Payfanne , la minauderie d'une Coquette; mais elles ont au moins de la fineffe ck de 1'efprit, qu'on pardonne aifément dans les genres même oü la finelTe eft déplace'e, paree qu'il n'eft ni  84 É L O G E facile ni commun d'être fin , même quand on le feroit mal-a-propos. Aufïï Segrais eft-il bien loin de 1'être dans fes Eglogues , qui , écrites d'un ftyle trainant ck foible , n'offrent gciere que la monotonie 6k la langueur prefque inféparables aujourd'hui du genre paftoral. Ce genre efl en effet fi éloigné de nos moeurs, qu'il paroit impoiïïble d'y faire gouter a des Lecteurs Francois la vérité & la fimplicite' de la Nature : Defpréaux , admirateur paffionné des Bergers de The'ocrite ck de Virgile (quelquefois Patres plus qiie Bergers), goütoit peu nos Bergers imaginaires. Ce grand Poëte (i) prétendoit que 1'Eglogue eft un genre oü notre Langue ne peut réufïir qua demi; que prefque tous nos Auteurs y avoient échoué , & 7ï'avoient pas, c etoit fon expreffion , feulement frappé a la porte de VEglogue. II faifoit pourtant a Segrais la grace de 1'excepter de la foule , & citoit même ces deux vers d'une de fes Eglogues, oü il trouvoit du fentiment & du naturel : (i) Yoyez le Bolxana,  de Segrais. 8j Ce Berger , accablé de fon moitcl ennui , Ne fe plaifoit qu'aux lieux aUiTi triftes que lui. Mais ces deux vers ne font pas une Eglogue , & font encore moins un Poëte. Néanmoins cet Ouvrage de Segrais eut un fuccès général ; on peut même ajouter qu'il le méritoit, dans un temps oü il n'y avoit prefque encore aucun bon modele en poéfie : les nouvelles Eglogues parurent des cfief-d'ceuvres, après celles de Marot & de Ronfard; & le progrès que 1'Auteur avoit fait faire au genre paftoral fut loué , comme s'il en eut atteint la perfeétion. Segrais , non feulement dans fes Eglogues , mais dans fes Poéfies fugitives, a fait quelques bons vers , a> la vérité en pe-tit nombre■; il en a même fait d'affez bons, pour que d'autresPoëtes les aientgatésen les empruntant. Tel eft celui oü il peint un coaur , qui des cruels tourmens de 1'amour , eft tombé dans 1'enn.ui plus cruel de 1'indifférence , & regrette les peines de fon premier état : Je n'étois joint aimé , mais j'étois arpoureHx,  86 É L O G E Plus d'un Verfïncateur a exprimé Ie même fentiment, aucun ne Ia rendu d'une maniere 11 narurelle & fi vraie. Mais ni ce vers , ni aucune de fes copies n'approchent de 1'expreffion fublime 6c connue d'une Aétrice célebre , qui, en fe rappelant les chagrins morte!s que lui avoit caufés dans fa jeune/Te un Amant paffionnément aimé, s'e'crioit avec un fentiment profond de plaifir 6c de douleur , Ah ! c étoit le boa temps, j'étois bien malheureufe ! La Traduétion de 1'Ene'ide avoit recu dans fa nouveauté' les mêmes applaudifTemens que les Eglogues, 6c depuis elle a fubi le même fort, celui d'un oubli prefque total. On a reproché a cette TraducLion beaucoup de contrefens] mais le plus facheux de tous, 6c le plus incurable, paree qu'il efl continuel, c'eft que le Tradudeur y eft par-tout trop au deffous de fon original; par-tout il fubftitue a la nobleffe , a Ia douceur , a 1'élégance , a 1'harmonie de Virgile, une verfjfication lache 8& négligêe , le plus fouvent fans vigueur, & quelquefois dure quand elle vent  d e Segrais. §7 avoir de laforce (i). Le principal mérite du Tradudeur , c'eft d'avoir fentl que Virgile perdroit trop a n'être rendu qu'en profe; mais il devoit fentir en même temps, quec'étoitaaxDefpréaux & aux Racine a le faire parler en vers. Heureufement pour Segrais , ces deux grands Hommes , qui avoient éte plus timides que lui, lui pardonnerent 1 audace de fon entreprife , & même Yencouragerent par leur fuffrage ; le Public , auquel ils donnoient alors le ton, mais qui, éclairé depuisfur leurs propres jugemens par la ledure de leurs chefd'ceuvres, neut recu qu'avec froideur la nouvelle Enéide quelques années plustard , la recut alors avec indulgence , & même avec accueil : il crut devoir ce bon procédé aux efforts de 1'Auteur, a fon zele pour Virgile & pour notre Langue , & fur-tout a la fupérionté de fon travail fur toutes les Tradudions en vers Francois, dont la Poéfie ancienne avoit julqu'alors été déshonorée. On peut porter un jugement femhlable de la Tradudion des Géor- (i) Yoyez la Note (a).  88 Ë L O G E giques, qui n'a paru que W-temps apres la mort de Sègrais. Noufdevons meme ajouter a cette critique , mie les reproches de foible/Te & de médiocrité qu on eft en droit de faire a cet Ouvrage, n'ont plus d'excufe dans la difvat j Jamatiere, depuis que M. l Abbe de Lille a eu Ie bonheur & la gloire de Ia furmonter , par la belle l raducfion en vers qu'il nous a donnée de ces memes Géorgiques; Traduc- - t10" leurs vers; ils ne louent perfonne, » & il ne paroit pas un Madrigal qu'ils » ne cenfurent ; mais öter les de la » poéfie , ils font muets j carque » favent-ils autre chofe que de rimer I »M. Perrault , qu'ils méprifent fi » fort , & qui ne lai/Te pas que d'être » un bon Poëte, quoi qu'ils en difent, » fait beaucoup plus qu'eux «. Ils'explique encore ailleurs plus durement fur Defpréaux: nous rapporterons les propres paroles du Segraifianm , en ne changeant rien a la diéfion , quelque befoin qu'elle en puiue avoir. » Madame de la Fayette prérendoit » que celui qui fe met au defïus des » autres, quelque efprit qu'il ait, fe » met au deffous de fon efprit. Def» préaux eft de ces gens-la j il ne fait » autre chofe que parler de lui , 8c » critiquer ce qui n'en eft pas. Pour» quoi parler mal, comme il a fait, de » Mademoifelle de Scudery, dont les » vers font fi naturels & ft tendres ? » Ces vers , qui plaifent a tout le » monde , ne font pas de fon goüt;  de Segrais. 95 » c'eft qu'il ne fauroit y mordre. II a » encore ce de'faut , de fe copier fans » ceffe & de rebattre toujours la même » chofe «. Nous ne ferons aucune re'flexion fur le jugement que porte Segrais des Trage'dies de Racine , encore moins fur fa prédiclion , fi crueüement de'mentie par la Poftérité , qu'on ne lira plus dans trente ou quarante ans les Pieces de ce grand Homme. Nous nous contenterons de rapprocher de ce jugement incroyable celui de Madame de Se'vigne' , que Racine n'ira pas loin (1) , & de gémir fur le triffe pouvoir de la prévention & de la cabale, poar égarerles perfonnes du ta3 É L O G E Segrais fut afflige', dans fes dernieres années, d'une rnaladie delangueur, qui le conduifit au tombeau. II regarda fes longues fouffrances comme un bienfait du Ciel, dont il profita pour réveiller en lui les fentimens de pie'té , qui avoient toujours fait la regie de fa vie. II avoit exprimé ces fentimens jufque fur le cadran folaire de la maiion de campagne. On connoit ces vers de 1'Aminte du Taffe ; E perduto tutto il tempo , che a non amar fi fpende : j Tout le temps quon n'emploie pas d aimer, eft perdu. Segrais prit ces vers pour la devife de fon cadran , en y ajoutantcette reftridion: Anon amarid I)io {quon nemploiepas a aimerDieu); corredion plus édifiante a la vérité que poe'tique , mais bien digne d'un Verificateur Chrétien , & qui doit être le refrein des ames pieufes , comme les vers du TafTe doivent ètre celui des ames tendres. Cependant la piéte' de Segrais, quoique vive & affedueufe , étoit fage & j éclairée. II penfoit, avec raifon, que 1'hommage de la créature eft d'autant plus agréable a la bonté fuprême , qu'il eft plus réfléchi & plus libre , & il j  de Segrais. 99 : regardoit comme un des plus grands fléaux de la Religion & de 1'Etat, la j loi, qui , en permettant a feize ans | les vceux monaftiques, livre aux clokres 1 & au défefpoir de malheureufes vicI times d'une dévotion arden te & préi maturée. Cette loi lui paroifToit d'au- tant plus barbare , qu'il n'avoit, difoit| il , connu perfonne qui, au fortir de | 1'enfance , & dans la première fermenI tation d'une ame neuve & aéïive , i n'eüt eu la fantaifïe de s'enchainer a la piéte' dans quelque Ordre Religieux ; ,l rantaifie qui, de nos jours, grace aux j progrès des lumieres, eft devenue beau* } coup moins commune , & diminue t même affez fenfiblement, pour faire ef| pérer aux Chrétiens e'clairés , que les i vceux feront déformais moins pre'coces J &. plus réfle'chis. Segrais appeloit cet l acces de ferveur paffagere, lapetite vérole : de 1'efprit, en ajoutant qu'il en avoit e'té 1 attaqué comme les autres (i), &. en (1) Bully Rabutin compare a Ia même maladie une autre manie que celle de fe faire Moine, la manie de 1'amour , plus naturelle, plus commune, Sc plus excufable. « Cette paf•> fion, dit-ü , fait faire encore p'us de folies Eij  JOO É L O G E gémilïant fur le fort des infortune's quf rj'avoient pas eu comme lui le bonheur d'échapper a cette funeffe épidémie. On fit a Segrais une épitaphe en vers, dont le fens étoit , que Virgile 1'abordant aux Champs - Elifées , lui paria Francois , en lui difant : C'eft vous qui me Vavez_ appris. Nos Lecteurs font en état d'apprécier cet éloge. Ils ne pourront au moins refufer a Se- trais la juftice d'avoir été un homme e beaucoup d'efprit, de mceurs aimables & honnètes, un excellent Littérateur , &. fur-tout un Philofophe très-eflimable dans fes fentimens & dans fa conduite. S'il n'eut pas les talens d'un grand Poëte , il eut un avantage beaucoup plus défirable , il fut fage & heureux. On a donné cet éloge a quelques Gens de Lettres, & on peut remarqueravec regret, que ce n'eft guere aux plus illuftres. Le bonheur , cet objet de nos defirs , mais qui fint & repoufTe la grandeur & les richeiTes, *> aux pei'onnes agées, qu'aux jeunes g?ns , & »» rc'.remblc eu cc point a la pecitc vérolc , qui •> eft d autant plus dangereufe , qu'elle vienf ^)lus tard «.  DH SéGRAIS. ïo* feroit-il donc obfcurément attaché a Ia médiocrité en tout genre , a celie des talens , comme a celle du rang & dé ja fortune ? Et feroit-il vrai que le Génie , en fecouant fon flambeau fuf le petit nombre d'hommes a qui il prodigue fes dons, femble en même temps les vouer a la douleur & a 1 infortune, dont il leur imprimé , pour ainfi dire , le fceau cruel & durable ? Segrais n'éprouva point rette illuftre & orageufe deflinée ; mais ni fes qualités littéxaires, philofophiques & morales, ni,mêine les éloges de Defpréaux , n'autorifoient un Amateur (i) , qui a fait élever un PamaJJe 'Francois en bronze, avec plus de dépenfe que de goüt, k mettre notre Académicien fur ce ParnafTe , au nombre de nos plus célebres Poëtes, & a lui donner dans ce monument une place qu'il a refufée a Qainault. Ni Segrais , ni Racan, ni Cha- (0 Cet.Amateur eft feu M. Titon da Tilkt il a fait fcnlpter fon Parnafle en broi ze_, par un Artifte très-médiocte , nommé Garmer, tt il en a donné une defcription très-yolumineufe , qu'on croiroit auffi 1'ouvragc du Sculpteur , a cn juger par le ftyle. E iij  io2 Éloge pelle , ni Lulli même, n etoient faits pour fe trouver la, comme il a plu a cet Amateur, entre Corneille , Defpréaux , Molière , Racine & la Fontaine , & pour repréfenter les neuf Mufes avec ces cinq grands Hommes. L'illuftre Poëte Jean-Baptifte Roulfeau, regrettoit qu'un tel monument n'eüt pas été mieux conju (i) , & ne méritat tout au plus d etre loué que par 1'intention. (i) Yoyez Ia Note (g).  de Segrais. 103 NoTES fur Vartick DE SEGRAIS. (a) INf O U S ne citerons pour e'cliantillon de cette Traduétion de 1'Enéïde , que la maniere dont Segrais a rendu les beaux vers oü Virgile a peint Camille Reine des Volfques. lila vel intatt* fegetis ger fumma votaret Gramina , nee teneras curfu Icefifet ariftas , Vel mare per medium, fïuÜu fufpenfa tumer.ti , Ferret her, celeres nee cingeret xquore plantas. .. tÜc amok pu voler fur les jeunes ffilons , Sans courber les épis fous fes vues talons ; Me autoit pu courir des mers la plaine humide , Sans que le hot falé mouillat fon pied tapide. II eft furprenant que 1'Abbé Gedoyn , qui fe piquoit d'être difficile (1) , ait rapporté & adopté de pareils vers dans fa Traduélion de Quintilien. II a feulement mis légers talons, au Keu de vites talons. Si 1'on doit convenir que Segrais (1) Voyez 1'arricle de 1'AbW Gcdcyn. E iv  104 Éloge réuffiffoit mal dans les vers e'piques , & très-médiocrement dans 1 Idylle , nous avons de lui une chanfon qui marqué du talent pour ce petit genre , & a laquelle le tendre & délicat Tibulle n'auroit pas refufé fon fuffrage. Cette chanfon très-connue, & qui commence par ces mots : Timaretre s'en eft allee; finit par ces quatre vers pleins de fentiment & de naturel: Je n'efpérai jamais qu'un jour elle eüt envie De fïnir de mes maux le déplorable cours; Mais je 1'aimois plus que ma vie , Et je la voyois tous les jours. (b) Un de ces Ariftarques fi féveres, & fi peu faits pour 1 'être , voulant montrer a M. 1'Abbé de Lille commen til faut traduire les Poëtes, s'eft hafardé de mettrfe en vers francois , a fa maniere , ces trois beaux vers des Géorgiques : Felix qui potuit rerum cognofcere caufas , Atque metus omnes & inexorabile fatum , Subjectt pedtbus , Jlrepitumque Acherontis avari ! Nous n'avons retenu de ce grand  de Segrais. ioj modele de traduétion , que le dernier vers, qui mérite d'être cité par 1'excès du ridicule: ït 1'avare Achéron , dont on fait tant de bruit. C'eft ainfi que ce grand Critique traduit Virgile. (c) Madame de Sévigné rapporte im trait de Segrais , par ïequel on peut juger du genre d'efprit qu'il portoit dans la converfation. ;> J'ai fait , dit» elle a fa fille ( Lettre du 4 Mars 33 1672), tous vos complimens ; ceux 33 que 1'on vous fait furpafTént le nom33 bre des étoiles. A-propos d'étoiles , j3 la Gouville étoit I'autre jour chez la 33 Saint-Lou , qui a perdu fon vieux 33 Page : la Gouville difcouroit & >■> parloit de fon étoile ; enfin , que 33 c'étoit fon étoile qui avoit fait ceci, 33 qui avoit fait cela. Segrais fe réveilla, r> comme d un fommeil , &. lui dit : » Mais , Madame, penjez^-vous avoir 33 une étoile d vous toute feule ? Je » nentends que des gens qui parient de » leur étoile ; il femble qu ils ne 33 difent rien : javez^vous-bien quil ny 34 e/z a que mille vingt-deux ; voyez^ E v  J06 ÉLOGE » shl peut y en avoir pour tout U «o monde, 11 dit cela fi plaifamment & •> fi férieufement, que 1'affMion eiï »' fut déconcertée «. Quoique venu de très-bonne heure\ Paris, & ayant long-temps habité la Cour, Segrais avoit entie'rement confervé 1'accent de fa Province, & même un peu le jargon Bas-Normand ; ce qui donna lieu a Mademoifelle de dire a quelqu'un qui alloit en Normandie avec Segrais : Vous ave^ la. un fon bon guide , il fait parfaitement la Langue du pays. Segrais fe piquoit d'une Science bien plus profonde que celle de la Langue Normande ; il fe prétendoit fort habile dans 1'Aftrologie judiciaire. Ayant été trouver, de la part de Mademoifelle , un fameux Afirologue ECpagnol, qui lui prédit que cette Prjncelfe ne fèroit jamais mariée ( elle le fut pourtant a M. de Laufun ) , & voulut fonder Ia capacité du Prophete, & lui fit, d'après les regies de J'Art aflrologique , plufieurs objeclions embarraffantes, dont le Devin fe tira parfaitemenE : Segrais demeura perfuade' de la fcxence profonde de ce Noftra-  dé Segrais. 107" damus, & de la vérité de fes prédiélions. (d) Les jugemens même les plus juftes de Madame de Sévigné avoient encore une affez forte teinte du mauvais.goiït dont elle s'eft rendue fi ecupable a 1'égard des chefs-d'ceuvre de Ja fcene Francoife. Dans une Lettre au Comte deBuffy, oü elle donne a notre charmant Fabulifte Francois des éloges bien mérités , & même bien feriïis ; elle les défigure un inftant après par ces malheureufes paroles : » On ne'fait » point entrer certains efprits dürs Sri » farouches dans le charme & la facilité? » des Ballets des Benferades & des » Fables de la Fontaine. ... II n'y y> a qu'aprier Dieu pour eux; car riiillè? » pui/Tance humaine n'eft capable öéf 35 les éclaircr, G'eft le fentiment mxë J3 j'aurai toujours pour un homme Suf 33 condamne le beau feu & tès fieti de' „ Benferade , dont le Roi & toute 13 33 Cour a fait fes délices,, & qui ne 33 connoit pas les charmes des FdbM s? de la Fontaine «. . C'eft ainft que'le Philcfóphe'aiittabïe1,1 mais déteftable PoërJe, Saint-Evremoni, mettoit du Ryer a cóté de! R?a^mè3 E vj  i óS Éloge Nous avons été charmés, dit-il, HCAl- ïïonée & d'Andromaque. Ces jugemens doivent paroitre d'autant plus étranges, que d'autres Auteurs du même temps étóient appréciés par Madame de Sévigné , avec le goiït le plus éclairé & le plus pur. Voici comme elle parle de 1'Auteur de Cléopdtre , alors fi généralement célébré , excepté par le févere Defpréaux, « Le 35 ftyle de la Calprenede eft maudit en 33 mille endroits j de grandes périodes 33 de Romans , de méchans mots ; je 3» fens tout cela. J ecrivis 1'autre jour a 33 mon fils une Lettre de ce ftyle , qui 33 étoit fort plaifante. Je trouvc donc »3 que celui de Ia Calprenede eft détef33 table, & cependant je ne lailTe pas •j de m'y prendre comme a de la glu; 33 la beauté des fentimens, la violence 33 des paffions, Ia grandeur des événe« mens, ék le fuccès miraculeux de »3 leurs redoutables épées , tout cela o> m'entraine comme une petite fille «. Mais ce qui doit le plus étonner , c'eft 'que dans une des Lettres (caril y en « plulïeurs) oü Madame de Sévigné cherche a rabaiiTèr Racine , pour lui préférer fon vieux & üluftre rival, on  de Segrais. tag. ïit ces propres paroles: Vive donc notre ami Corneille ; pardonnons-lui de méchans vers , en faveur des divines faillies dont nous fommes tranfportés ; ce. font des traits de Maitres qui font inimitables. Defpréaux en dit encore plus que moi; en un mot cefl le bon goiït, tenez. vousy (i). Madame de Sévigné étoit-elle mal inftruite de la maniere dont penfoit Defpréaux fur Corneille & fur Racine 1 Ou exagéroit-elle ce qu elle lui avoit entendu dire fur le mérite rare & inconteftable de Corneille l ou enfin ce févere appréciateur des talens & du génie , croyoit-il en effet, tout mis en balance , Corneille plus grand Homme encore que Racine ? II efl: certain que, dans le temps oü Madame de Sévigné écrivoit cette fentence, fous la diólee , pour ainfi dire , de Defpréaux , Racine n'avoit pas fait encore fes trois chefs-d'ceuvre ; Iphigénie > Phédre & Athalie ; mais il avoit fait Andromaquey Britannicus & Bajazet > & les röles admirables i'Hermione, de Roxane > tXAgrippine , de Burrhus & (0 Lettre a Madame de Grignan , du ti Mars 1771.  na Éloge d'Acomat. II eft certain encore, que , dans une des notes fur Longin , Defpréaux fettiblé préférer affez ouverterhent Racine a Corneille. Comment accorder ce jugement avec le paffage de Madame de Sévigné ? Comment le concilier fur-tout "avec 1'anecdote que plufleurs Hommes de Lettres \ encore vivans > ont entendu raconter a feu Boindin , qu'étant allé dans fa jeuneffe avec la Motte rendre homniage k Defpréaux , dans fa maifon d'Auteuil , il 'prit la liberté de demander a ce grand Pcëte , quels avoient été les véritahles Hommes de génie du Siècle de Louis XIV ? Jen en connois que trois , répondit brufquement & naïvement Defpréaux j Corneille, Molière. . . & moi z .... Vous ne comptez_ pas Racine; lui objederent les jeunes Littérateurs 1 Racine, réponditDefpréaux, n'étoit qu''un tres-bel-efprit , d qui j'avois appris d faire des vers diffi.cilement. Des Gens de Lettres qui ont connu la Motte , affurent lui avoir entendu raconter cette même converfanon. Que penfer & que conclure de ces.faits. contradiétoires 1 .Ce que le Leéïeur jugera a propos. Quelque ju-  de Segrais. ns gement qu'il prononce , la querelle interminable fur Corneille & fur Racine n'en fera ni mieux éclaircie ni plus decideer ( e) Dans le paffage que nous avons rapporté du Segraifiana , au fujet des Tragédies de Racine , le jugement feul de Corneille fur Bajazet peut mériter quelque attention , d'abord par le nom refpeétable qu'il porte, & de plus, paree que la critique de ce grand Homme eft appuyée &c motivée même par un autre Juge non moins refpeclable , par M. de Voltaire , qui, dans une Lettre au Comédien la Noue , fait a peu pres les mêmes reproches que Corneille au röle de Bajazet. » Quiaime mieux que moi les Pieces «de 1'illuftre Racine ? Qui les fait » plus par- cceur ? Mais ferois-je faché i5 que Bajazet , par exemple , eut ,3 quelquefois un peu plus d'élévation l Elle veut j Acomat , que je 1'époufe.-— Eh bien 1 Tout cela fmiroit par une perfidie. 3'épouferois ! & qui , 's'il faut que je lc die ? Une efclave atcachée a fes feüls intéréts.— Si yotre cccut étoit moips plein de fon amour ,.  nu Éloge Je vous vefrois fans doute en rougir !a première } Et pour vous épargner une injufte priere , Adieu ; je vais trouver Roxane de ce pas, Ht je vous quitte. . . ; & moi je ne vous quirte pas. Que parle'z-vous, Madame , & d'époux & d'Amant? C Ciel ! de cc difcours quel eft le fondement i Qui peut vous avoir fait ee rédt infidele! Je vois enfin , je vois qu'en ce même moment Tout ce que je vous dis vous touche foiblement : Madame, finilïons mon trou'ble 8c le vötfe ; Ne nous affligeons point vainement Puft & 1'autte. Roxane n'eft pas loin , &c, » Je vous demande , Monfieur , fi, » a ce ftyle, dans lequel tout le röle de » ce Turc eft e'crit, vous reconnoiffez *> autre chofe qu'un Francois qui ap» pelle fa Turque Madame , & qui » s'exprirne avec élégance & avec dou» ceur ? Ne de'firez-vous rien de plus » male , de plus fier , de plus animé » dans les exprefTions de ce jeune Ot» toman , qui fe voit entre Roxane & »> 1'Empire, entre Atalide & la mort l » C'eft a peu prés ce que Pierre Cor» neille difoit a la première repréfen» tation de Bajazet, a un vieillard qui » me Ta raconté : cela eft tendre , » touchant, bien écrit; mais c'eft tou» jours un Francois qui parle. Vous » fentez bien, Monfieur, quecettepetite  de Segrais. iij «réflexion ne derobe rien au refpecl: » que tout homme qui aime la Langue » Francoife doit au nom de Racine. » Ceux qui défirent un peu plus de » coloris a Rapha'él &c au PouJJin, ne 3> les admirent pas moins «. Si ces re'flexions fur le röle de Bazjijet paroiffent affez bien fondées, fi elles peuvent même s'étendre jufqu'au rö^e d' Atalide , elles ne feroient pas applicables aux deux beaux röles d Acomat & de Roxane. Auflt M. de Voltaire ne touche t-il pas a ce= deux röles ; & il feinble que Corneille , en enveloppant dans la fienne tous les Perfonnages de la Piece , n'a pas e'té affez jufte a l egard de fon illuftre rival. On dira peut-être, pour juftifier cette cenfui e générale.qu' Acatnat & Roxaney qrelque'beauxque foient d'ailleursleurs róles , ne font pas eux-mêmes affez Turcs , non plus que Bajazet & Atalide ■ mais Roxane eft Amante & jaloufe , & dans cette fituation , rien ne reffemble plus a une femme Turque,. c|u'une femme Francoife ou Italienne ; la Nation Sc le rang y mettent bien peu de différence : il en eft de même oXAcomat, qui n'eft qu'un vieux Miniftre  ï14 Éloge politique , blanchi fous les armes & dans les affaires • un tel Miniftre eft a peu pres le même dans tous les pays du Monde. (ƒ) Non feulement, difoit Segrais, » Malherbe eft le Chef de nos Poëtes » Lyriques, mais il a fait tous ceux qui » font fuivi «. Eloge vrai, didé par le bon goüt & par la raifon , & fur-tout bien propre a Malherbe , dont le vrai mérite eft d'avoir mis le premier dans les vers Francois de Yharmonie &c de Yélégance , comme Fa dit lui-même , avec tant d'élégance & d'harmonie , le Légidateur Defpréaux. On prétend que ce même Malherbe ; fi fenfible a l'harmonie des vers, & qui en a été ie créateur parmi nous, étoit abfolument dénué- d'oreille pour la mufique. Plus d'un homme de Lettres célebre a été dans ce cas, & même en a fait 1'aveu. Juftelipfe & Ménage étoient de ce nombre , fans parler de beaucoup d'autres. Le fecond de ces deux Savans faifoit pourtant des vers en quatre Langues , en Latin , en Grec, en Italien , & même en Fran§ois, Cette infenfibilité muficale ,  de Segrais. 115 même dans un Poëte , eft peut-être moins furprenante qu'on ne pourroit le croire. La mélodie du chant ck celle des vers, quoiqu'elles aient, pour ainfi dire , quelques points d'attouchement communs, font trop féparées & trop différentes a d'autres égards, pour qu'une oreille vivement affeétée de 1'une , foit néoelfairement emrainée ck fubjugée par 1'autre , fur-toutfi la mélodie muficale eft renforcée, pour ne pas dire troublée , par les effets bruyans de l'harmonie moderne ; elfets que Loreille délicate des Anciens paroit n'avoir pas fentis, ou peut-être qu'elle a réprouvés, (g) Croiroit - on que des hommes qui fe difent Citqyens, ck qui fe prétendent éclairés , ont penfé bien moins fagement que Segrais fur l age propre aux vceux monaftiques l Croiroit-on que , lorfque le feu Roi voulut rendre un Edit, qui rnit ces vceux a vingt-cinqans, fuivant 1'ancienne Loi du royaume, cet Edit éprouva tant de réfiftance , qu'il ne fut poffible de mettre les vceux qu'a vingt-un ans pour les hommes , ck a dix-huit ans pour les femmes y c'eft-  n6 Éloge a-dire, a un age oü la Loi ne permeÉ aucun engagement civil ? Croirok-on que depuis on a fait les plus fortes tentatives, mais heureufement fans fuccès,, pour obtenir de notre jeune & fage Monarque , que les vceux furiënt rétablis a feize ans ? Refpeclables Pafteurs de 1'ancienne Eglife , auriez vous jamais penfé que, par le feul motif d'empècher la dépopulation des cloitres , dont 1'e'norme multiplication efl; déja un fi grand mal, il düt être permis aux Citoyens de prendre cet engagement facré, lorfqkils ne fontpas encore en état d'en prévoir les fuites, & d'envifager Ie danger terrible des vceux précipites ? JYauriez- vous pas e'té perfuadés que les arnes réellement appelées f la yie monaftique , n echapperoient jamais a cette fainte vocation , & qu'il feroit toujours trop tót, même a cinquante ans , pour faire prend,re cette cbaine a d'autres ? & plutót que d'en aggraverle joug en raccélérant, n'auriezvous pas au contraire demandé a tousles Gouvernemens Chrêtiens ( dignes de ce nom ) d'abroger Ia Loi qui déclare les vceux indifTolubles ? Ils n'en eulTent été que plus facrés & plus cliers  de Segrais. 117 pour ceux qu'une Religion vraiment éclaire'e auroit conduits dans ces faints afiles ; & cette abrogation eut produit dans les cloitres ce que produifit dans Rome la Loi qui permettoit le divorce; i il n'y en eut pas un feul durant 1'efpace de cinq fiecles. Peut être feroit-on bien difoit un fage & vertueux Pontife' de n exiger les vocux monafliques que pour un an ; on mettroit les Religieux : d Vabri du repentir & du fcandale. Dans les Ordres rigoureux, ajoutoit un faint Cardinal, ily a toujours un fiers de faints , un tiers de foux , un tiers de mécontens. Cette fantaifie palTagere de fe faire ' Moine, qui efl; ordinairement Ia folie i de la jeunefïe , avoit pris beaucoup plus tard au ce'Iebre Balzac. Sur la fin ! de fes jours, la dévotion s'empara tellement de lui, qu'il entra dans un couvent de Capucins, oü il vouloit prendre 1'balit. Heureufement il n'y refla pas. I! M. de Balzac , diioit a cette occafion un de fes amis , veut apparemment I gouter avant fa mort la 'fatisfaclio 1 II quil a défirêé plus d'une fois , de j pouvoir Ubre;ne-n & impunément folé| cifer avec fes e'gaux , pour Jé Joulagsr  11 8 ÉLOGE des efforts pénibles que lui coutoit lacompofition de fes Ouvrages. Il pourra jouir tout a fon aife de cette douce fatisfaclion dans la fociété de fes nouveaux Confrères. Un fait plus fïngulier encore e'gayera un moment la trifteffe de cette note. Le Chancelier Séguier , dans fa jeu— neffe, avoit pris 1'habit de Chartreux a Paris, moins, il eft vrai, par dévotion , que par un défefpoir amoureux. Le jeune Novice, tourmenté fouvent par fa paffion & par fon age , avoit demandé a fon Supérieur un remede contre les maux qu'il enduroit. Le bon Pere lui ordonna , toutes les fois qu'il fentiroit quelque tentation violente , d'aller auflï-töt fonner la cloche , pour fe recommander en cet inftant aux prieres de toute la Communauté : Séguier obéit ;. mais il eut fi fréquemment recoursa la cloche, qu'enfin toute la Maifon , étourdie 6k fatiguée , pria le Supérieur dt la délivrer de cet ardent Novice, qui , vraifemblablement, ne fe fit pas priw h?aucoup pour laiffer erj repos fes triftes Confrères, Mais ce qui doit bien plus furprendre que le Capucin Bakac ck le Chartreux,  de Segrais. 119 Séguier, c'eft le vceu que le Prince de Conti , frere de la DuchefTe de Longueville , avoit fait en r 65 3 a Bordeaux, d'entrer ck de mourir dans la Compagnie de Jéfus. Voici la copie triftement curieufe de ce vceu, prefque in: croyable $ nous y joindrons la traduction francoife , pour 1'édification ou 1'indignation de ceux d'entre nos Lecleurs qui n'entendent pas le latin. Jesus , Maria , Joseph , Angelus custos , Éeatus Pater Ignatius. Omnipotens fempiterne Deus , ego Armandus de Bourbon, Heet unitcumque divino confpeclu tuo indignifjimus , fretus kamen tud pïetate ac mifericordia infinita, & impulfus tibi ferviendi defiderio , voveo coram fa~ cratifjima Virgine Maria , & curid celejïi universd, divincc Majejlati tua , caftïtatem perpetuum & propono firmiter Societatem Jefu me ingreffurum, in qua vivere & mori ad majorem tuarn gloriam ardentifflmè cupio. A tud ergo - immensd bonitate , & dementia infin'ud, per Jefu-Chrijïi fanguinem peto  120 éloge fuppliciter,ut hoe holocaujlum in odorem fuavitatis admittere digneris, & ut largitus es ad hoe dejiderandum & off'erendum , fic etiam ad explendum gratiam uberem largiaris. Amen. Datum Burdigalct, diefecundd Februarii, Purificationi Beatce Virginis Maria: conjecratd , & fanguine meo fubfignatum , anno Domini 1653 , cetatis mea: 2 3 cum quatuor menfibus. armandu s de Bourbon. Sancla Maria^Mater Dei & Virgo , ego te in Dominam , Patronam & Advocatam eligo , rogoque enixe ut me adjuves ad fervandum votum meum, & ad executioni mandandum propos Jitum meum. Amen. jésus , Marie, Joseph , Ange gardien , Bienheureux Pere Ignace. Dieu éternel & tout - puijfant moi Armand de Bourbon , quoiqud tous égards tres-indigne de vos regards divins , plein de confiance néanmoins en votre bonté & votre miféricorde infinie 3 & pouj/e par le défir de vous fervir,  de Segrais. 121 fervir, je j'ais vceu a votre div'me Ma~ jejlé, eu préfence de la trèsfacrée Vierge Marie , & de toute la Cour célefle , de garder une chafleté perpé~ tueüe , & je me propoje fermement d'entrer dans la Société de Jéfus, dans laquelie je défire trés-ardemment de vivre & de mourir pour votre plus grande gloire. Je fupplie donc , par le fang de Jéfus- Chrifl , votre immenfe bonté & clémence infinie , de daigner recevoir cet holocaufle en odeur de fuavité, & de maccorder Pabondance de votre grace pour remplir mort vaeu, comme vous me Vavez^ donnée pour former ce vaeu & pour tous foffrir. Ainfi foit-il. Donné d Bordeaux, le fecond jour de Février , confacré d la i urification de la Bienheureufe Vierge Marie, & figné de mon sang, Van du Seigneur 1653 , d Page de vingt-trois ans & quatre mois. Signé, Armand de Bourbon. Sainte Marie, Vierge & Mere de Dieu , je vous choifis pour Maitreffe, Patrone & Advocate , & vous conjure de m'aider a garder mon va>u , & d exécuter mon projet, Ainfi joit-il. Tome II, F  ï2i Eloge L'orig'nal de ce vceu , trouve' dans les papiers de Madame de Longueville après fa mort, fut remis par M. Aubert, fon Aumönier, entre les mains d' Amelct de la Houjfaye, qui l'a tranfcrit dans fes Mémoires , t. 2 , p. 143. Heureufement pour 1'honneur de la Maifon de France, ia grace , qui, felon ce foible Prince , lui avoit infpire' !e beau projet de chafleté & de Jèfuitilme, lui manqua pour 1'exe'cuter ; car il époufa 1'année fuivante 1654,1a niece du Cardinal Mazarin. On affure même qu'au grand fcandale de la Socie'te', il oublia fi parfaitement fon vceu, qu'il fe fit Jajfénifle. Auffi a-t-il recu des Ecrivains de ce parti les plus grands éloges pour .fa haute piété, fur-tout pour je ne fais quels Ouvrages de dévotion qu'il avoit compofés dans fes momens de ferveur ; occupation plus digne d un Moine que dun Prince. Mais en revanche, les Jéfuites ont gardé le filence le plus profond fur ces produélions religieufes ; ils ne fe font pas même vantés de 1'ho.nneur incroyable que le Prince de Conri avoit voulu leur faire , & dont ils s'étoient vus fi douloureufement frufirés.  DE S E G R A ï S. 123 On affure que le pere du dernier Prince de la Maifon de Longueville, voyant ou croyant fon fils infenfé , offrit aux Jéfuites 400,000 livres pour le recevoir. II entra en effet dans la Sociéte', mais s'en dégoüta & la quitta bientöt; & en cela du moins ne fe montra ni fou, ni imbécille. (g) On peut voir dans le Tome V des Letttes de Rouffeau , la Lettre de , ce grand Poëte a fon ami 1'Auteur du ParnaJJe, fur le mauvais choix de quelques uns des Perfonnages qui figurenc dans cette compofition. M. Titon , dans fa réponfe , fe juftifle comme il peut , en difarit qu'il ne vouloit placer en pied fur fon monument, que des Poëtes d« Siècle de Louis XIV. Mais pourquoi fe borner a ce Siècle ? Pourquoi même n'y pas admettre des Poëtes vivans l On auroit trouvé Ma 'herbe, Rouffeau & Voltaire, qui avec QuinavJt auroient dignement repréfenté les quatre Mufes ; dont on avoit befoin. Pourquoi d'ailleurs mettre parmi les trois Graces du ; Parnaffe , avec Mefdames Deshoulieres 1 & de la Suze, Madem 'ifelle de Scuk dery , qui étoit un modele de mauvais F ij  124 Éloge goüt ? Pourquoi avoir infcrit fur ce Parnaffe les noms de tant de mauvais Poëtes ? Le Conltruéteur n'auroit pas mieux fait d'y placer Voiture, quoique Rouffeau le lui confeille dans fa Lettre. Mais ce qui doit e'tonner le plus, c'eft le médai Ion qu'il demande a M. Titon d* Tillet pour le très-médiocre Verfificateur Arnaud d'Andilly, » dont les bs helles Poéjïes , dit-il , font autant » d'honneur auxLettres qu'alaReligion; » & qu'on peut regarder comme le »feul qui ait confacré avec fucces les » Mufes a la piété « (i). (i) Un Apologifte de M. Titon du Tillet, a prétendu premières études, 1'avoit fait deftiner  i23 «Éloge » au Barreau par fa familie. Mais quel» que propre qu'il fut a cette profeffion, 551'amour des 1 ettres ne lui.permit pas 53 de s'y engager. II préféra a une vie »3 tumultueufe & agitée, le repos & le y filence du Cabinet , & a 1 etude des •3 Loix , la connoilTance des Langues 33 & des bons Auteurs de 1'antiquité. » M. Colbert , e'tant entre' dans le »3 Miniflere, & ayant congu le deffein 33 de former , a 1'imitation de nos voi» fins , une Compagnie pour le com»3 merce des Indes ürientales, voulut as donner a toute la France une ide'e 33 avantageufe de cet établiifement, par 33 unDifcours qu'il fit publier furcefujet. » II fut tellement fatisfait de M. Char33 pentier , qui avoit cempofé ce Dif33 cours , qu'il le fit entrer dans une 35 Acade'mie , alors nailfante & tres33 peu nombreufe, qu'on appeloitl'Aca5» de'mie dès Médailles, & qui eft de3» venue celle des Infcriptions & Belles3-3 Lettres. Les Langues favantes que 3> M. Charpentier poffe'doit parfaite3> ment , fa profonde connoilfance de 351'antiquite' , & fa critique judicieufe >' & sure , le rendoient très-propre a » concourir aux travaux de cette* So-  DE CHARPENTIER. 129 » ciété Littéraire. . . Le Difcours qu'il js a donné au Public, de Vexcelience » & de Vutilité des exercices acadé3» tniques , montre affez quel étoit fori 33 zele pour ces exercices. Mais fon 33 affiduité aux alfemblées de 1'Aca33 démie le prouve mieux encore. II en 30 a foutenu les travaux par fon exem» ple, & nul autre Académicien n'a 33 parlé plus fouvent a la tète de laCom33 pagnie «. Cette fonrüion , toujours honorable , & quelquefois délicate , de porter la parole au nom de fes Confrères , fonction redoutée du mérite timide , étoit très-recherchée de notre Académicien; il béniffoit le fort, quand il en recevoit cette marqué de faveur : il eut fouvent le bonheur d'être fervi par la fortune comme il le défiroit; ot quand elle trompoit fes vceux, il la corrigeoit autant qu'il étoit en lui, en s'empreffant de remplacer ceux de fes Confrères > que des raifons de maladie , d'affaires , de timidité ou de pareffe, empêchoient de paroitre aux regards du Public , St de s'offrir aux éloges ou a la cenfure. Une figure impofante , une voix forte , &, pour ainfi dire ■, impérieufe , donF y  130 Éloge noient a M. Charpentier toute la confiance néceffaire dans ces circonflances critiques: c'eft a cette voix pe'nétrante & fonore , ainfï qua la furdité d'un autre Académicien , que Benferade avoit fait allufion dans une Piece ou il difoit, Et le ronnant Charpentier Qu'enund l'Abbc d. la Cfeambre (1). Ce fut dans une de ces occafions , ou M. Charpentier étoit fi content de porter la parole , qu'étant chargé, au nom de 1'Académie , du Panégyrique du Roi, dont retentiffoient alors nos aflemblées publiques , il entra tout a coup dans une forte d'enthoufiafme re-» ligieux , & paroilfant oublier tout-afait fes Auditeurs , adreffa une partie de fon Difcours au portrait du Roi qui étoit expofé dans la Salie. Cette efpece d'invocation eut le malheur de prêter au ridicule , quoique faire dans un temps ou 1'adulauon fembloit avoir franchi toutes les bornes. On imagine aifément 1'effet que produiroit aujour- (0 Yoycz la Notc ia).  de Charpentier. ïyt d'hui une telle apoftrophe, ou plutöt onpeut afTurer avec confiance que cette profopopée finguliere ne feroit pas tentée. Elle étoit néanmoins alors plus pardonnable qu'on ne s'imagine. Toute la France , nous ne faurions trop le redire pour 1'apologie de nos anciens Confrères, rendoit a fon Roi une efpece de culte, dont M. Charpentier, fi on peut parler de la'forte , n'étoit en ce moment que le Miniftre ; il faifoit, pour ainfi dire, folennel'ement, & au nom du Peuple , les fonctions auguftes de Prêtre & de Sacrifkateur. • Nous joindrons ici une autre anecdote , encore plus intéreflante pour la Compagnie , au fujet de ces Harangues que notre Académicien aimoit tant a prononcer. Dans un Difcours adrefte quelques années auparavant a M. Colbert , Membre de 1'Académie , & bien digne de 1'être , M. Charpentier avoit débuté de la forte : Monfieur ( car vous nous ave\ ordonné de vous parler ainfi) ; parenthefe d'autant plus remarquable , qu'elle montre le prix que ce Miniftre attachoit a 1'égalité académique. Ce trait de modeftie , ou plutöt d'amour-propre éclairé, qui faF vi  Éloge crifioit un léger titre de vanité pour mériter des honneurs plus réels , ne fut pas imité par un PréLt Académicien ; il trouva bon, ck peut-être il exigea , que dans un Difcours que M. Charpentier ji'gea a propos Ae lui adrefTer un jour d'afTemblée publique , cet Académicien 1'appelat Monfeigneur (i). Le Harangueur n'auroit pas dü ignorer que 1'Académie n'a jamais donné ce titre aux Evêques ; il avoit d'ailleurs ious les yeux 1'exemple récent du Direéleur de la Compagnie , qui, chargé, peu de temps auparavant, de recevoir le même Prélat, nê crut pas devoir rien innover a -fon égard : quelque jaloux que fe montrat le trés - noble Récipiendaire des plus légeres marqués d honneur qu'il croyoit dues a -fon rang ck a fa naifTanre, on lui refufa, a fa réception, une diflinciion qui eut été offenfante pour fes Confrères , ck qu'on n'auroit jamais dü lui accorder dans aucune autre circonflar.ee. Cette obfervation , qui peut fembler petite en elle-même , n'eft pourtant pas indigne d'être rappelée aux (i) Voye?- le Recueii in ix des Harangues de 1'Académie, tome 3 , page 1.6,  de Charpentier. ixx Académiciens de nos jours , quelque perfuadés que nous foyons qu'ils n'auront pas a fe faire violence pour ne pas tomber dans la même faute, dont ils ne feroient d'ailleurs que trop avertis , & par la Compagnie, & par le Public. La Litterature doita M. Charpentier plufieurs Ouvrages, dont 1'enum.ération feroit trop longue 3 & dont plufieurs font eflimables & utiles. II a publié une Traduclion de la Cyropédie de Xénophon y & une autre "des paroles mémorables de Socrate , recueillis par Ie même Auteur. Nous faifons de ces deux Ouvrages une mention particuliere , pour avoir occafion de donner'au Traducreur un éloge que bien peu de fes pareils ont mérité. Quoique très-verfé dans la connoilfance du Grec & dans la leélure des Anciens ; quoiqu'il s'occupat a les traduire , il ne portoit pas fon eftime pour eux jufqu'a 1'adoration fans bornes que leur prodiguoient d'autresHommes de Lettres, auxquels il étoit néanmoins très-inférieur pour les lumieres ék le génie. Cette modération étoit en lui un trait de courage prefquehéroïquetcar n'ayant ni pour la  i}4 Éloge Poéfie ni pour l'Lloquence des taïens diftingués , il pouvoit au moins, par une efpece de dédommagement , fe parer de Vétude profonde qu'il avoir faite de la Langue des Démoühenes ck des Homeres , & s'extafier fur les beautés cachées que la connoiffance de cette Langue lui faifoit découvrir dans les Pkilippiques & dans Ylliade. L'admiration de la plupart des Erudits pour ces grands Hommes , quelque jufte qu'elle foit en elle-même, eft fouvent moins diétée par la perfuafion que par 1'amour-propre; il feroit peu flaneur pour eux d'avoir paffe plufieurs années de leur vie a approfondir une Langue ancienne, pour ne voir dans un grand Ecrivain qui a parlé cette Langue, que les traits frappans de génie qu'il offre aux yeux les plus vulgaires; ils veulen t paroitre entendre fine/Fe a tout, & ref femblent a ce Vayageur , qtii, en racontant toutes les merveilles qu'il avoit vues dans fes courfes , difoit a ceux qui en paroilfoient étonnés : Fous croyez_ donc que faurai fait le tour du Monde , pour ne voir que ce que vous avez^ vu fans fortir de chez^  de Charpentier. 135: vous (1) / M. Charpentier, tout Tradudeur qu'il étoit de Xénophon , & prefque de Socute, fut exempt de la; manie fi commune des Traduéleurs , des Erudits, ck des Voyaget-rs. Ii étoit cependant bien éloigné de méprifer les Anciens; il les avoit trop lu.;, pour ne pas connoitre ék tout ce qu'ils valent & tout ce que nous leur devons • mais fon hommage raifonnable ck tempéré ne plut pas a ceux qui leurjproftituoient un encens aveuglejj; il fut regarde' ck traité comme impie , paree qu'il n'étoit pas fuperftitieux : Deipréaux , le grand Pontife du divin Homere , lanca contre notre Académicien le plus foudroyant anathême , dans une Epigramme , oü le bon ck pailïble M. Charpentier étoit mis a cöté de Caligula 6k de Néron , parmi les monflres qui avoient outragé 1'Iliade. C'étoit ériger en crime énorme une faute au moins bien vénielle, & (1) C'eft a peu pres la réponfe que faif»ie Ie favant & abfurde Jéfuite Hardouin , a ceux qui lui reproclioient 1'extrava^ance de fes affertions érudites. Vws verre% que je me leve tous les jours a trois heures du matin , pour ne faire que répéter ce que les autres ijnt dit ayant moi !  136 Éloge décrier comme un lconocïajle (1) profanateur des fiatues antiques, celui qui, fans leur refufer un refpeét légitime, leur refufoit feulement ce culte de latrie (2) , que les'Chrétiens les plus dévots , envers les images n'ofent rendre qua 1'Etre fuprême. II falloit que Defpréaux regardat M. Charpentier comme une efpece d'apof-. tat, fait,par fa défertion,pour être traité plus rigoureufement que les autres ennèrhis du parti Grec; car la haine du Poëte contre le déferteur fe déploie en fi) Iconoclafte eft un mot grec, qui fignifie Brifeur d'lmages. C'eft le nom qu'on a donné a une feéle nombreufe d'Hérétiques , qui troubla 1'Eglife dans les huitieme Sc neuvieme fiecles. L'averficjn violente que les Iconoclaftes & les Catholiques avoient les uns pour les autres , Phsrreur de ceux-ci pour leurs a-dverfaires Hérétiques , & le mépris de ceaxla pour les Orthodoxes , reiTembloient affez bien aux fentimens mutuels des Adorateurs Sc des Cenfeurs de 1'anriquité. (2.) Le culte de latrie ( adoration ) , difent les Théologiens orthodoxes , n'eft du qu'a Dien ; les Saints & leurs Images ne doivent obtenir que le culte de dulie ( foumiffion ); on y ajoute pour la Vierge le culte d'/iyperdulie. ( foumiffion parfaite).  DE CH ARPENTIER. 157 vingt endroits de fes Lettres (1). On y voit fur tout les reproches amers que Defpréaux fait a Broffette , fon admirateur , d'avoir mêlé fes vers a ceux de M. Charpentier dans la Traduction d'une Epigramme de 1' Anthologie. J'ai trouvé fort étrange , lui dit il , que vous ayez_ voulu me mettre en fociété de fly 'e avec M. Charpentier , un des hommes du monde avec lequel je niaccordois le moins , & qui toute ja vie a eu le fly e le plus écolier. Et dans un autre endroit: Oh ! qiiheureux efl M. Charpentier , qui raillé > & mettons quelquefois baffhué fur fes Ouvrages (nous ne changeons rien a la diélion), fe maintient toujoursparfaitement tranquille, & demeure invinciblement per-* fuadé de Vexcellence de fon efprip ! Defpréaux rapporte enfuite 1'hif» (1) Ces Lettres de Defpréaux , adreifées pour la plupart a fon Gommentatëur Broffette, ont été publiées a Lyon en 1770. Quoiqu'elles foient écrites d'un ftyle fort négligé , la Iecture n'en eft pas indifférente pour faire connoitte Ie caraftere de ce grand Poëte. Nous nurons occafion de les citer plus d'une fois,  I}S ÉLOGE toire , vralfemblablement exagérée , d une m. laile que M. Charpentier avoit imaginée fur quelque e'vénement du regne de Louis XIV , de 1'empreiTement qu'il €11! d'en apporter le pro'et a 1'Académie, de la fatis-faction avec laquelle il fit lui-même 1'éloge de cette produ tion , ck du cri unanime qui rejeta la médaille, comme un chefd'ceuvre de mauvais goüt. Mais, quoi qu'en dife Defpréaux , il efl certain que M. Charpentier contribua beaucoup par fon travail ck par fon zele, a la belle fuite de médailles qui furent frappées fous le regne de Louis XIV. II dirigea les beaux defïïns de la plupart de ces médailles; ce qui fuppofe beaucoup de goüt &. d'intelligence dans les Arts; ck M. 1'Abbé d'Olivet, fi porté d'ailleurs a' foufcrire aux jugemens du célebre ' Satirique , n'a pu s'empêcher de rendre a notre Académicien le tribut de louanges qife cet Ouvrage lui affure. C'eft encore M. Charpentier que Defpréaux avoit en vue dans ces vers d'une de fes Epitres au Roi: L'un en ftyle .pompeux habillant une Ejjlogue, De fes rarcs vernis te fait un long prologue ,  de Charpentier. ij9 Et mê!e , cn fe vantant foi-même a tout propos, Les louanges d'un fat a celles d'un Héros. II eft vrai que notre Académicien avoit fait a la louange du Roi une Eglogue en vers trop pompeux , avec ce titre plus pompeux encore : Iouis , Eglogue royale : le ton & les détails de la Piece pouvoient fans doute être critiqués; mais la lecon de Defpréaux étoit un peu dure, & le Satinque ne s'appercevoit pas que lui~même pouvoit en avoir befoin , étant tombé plus d'une fois dans 1'efpece de facrilége dont il accufoit fon Confrère. M. Charpentier étoit fi peu enthoufiafte des Anciens, qu'il prétend dans un .de fes Ouvrages, qu'en matiere de Littérature , il n'eft point de mauvais exemple que les Grecs ne nous aient donné. // ny a pas, dit-il , jufqu'au jlyle burlejque , regardé par quelquesuns comme une des plus impertinentes inventions de notre age , dont nous ne trouvions le modele chez^ eux. Le P. Vavaffeur n'eüt pas été de cet avis ; car on fait que ce Jéfuite a fait un Ouvrage expres contre le ftyle burlefque, ou il attaque principalement ce ftyle par 1'autorité des Anciens, qui n'ont  140 Éloge jamais , felon lui, donné ce mauvais exemple aux Modernes (1). Mais M. Charpentier apportoit en preuve de 1'a.Tertion contraire , quelques Piece de théatre, oü un Poëte Grec, contemporain des Ptolémées, avoit traité dans le genre burlefque les iujets de Tragédie les plus intérelfans ( x) : cè Poëte avoit dérobé a notre Siècle la miférable invention des Parodies', qui traveftit en farce le genre noble & parhétique, mak que le Public ne dédaigne pas d'accueillir, paree que les Parodies font des Satires , & que les Satires font en polfeffion d'obtenir des lecfeurs & des fpedateurs la plus bénigne indulgence. Notre Académicien donna , dans une autre occafion , des preuves de fon impartialité littéraire , en publiant fon- Livre fur la défenfe & fexcellence de la Langue Franpoife. Tout favant qu'il étoit, & fait, a ce titre , pour préférer fans dïfficulté les Langues mortes aux Langues vivantes , (1) Vbyez la note (5). (1) Vcyez Ia note {c).  "De Charpentier. r4.r il foutint dans cet Ouvrage, que les infcnptions de nos monumens publics devoient être en francois. On croira facilement que pour 1'honneur du latin , il eut plus d'un adverfaire. Nous ne rapporterons pas fes raifons , pour Ie moins auffi plaufibles, & certainement moins fufpectes de préjugés & de fuperftition, que celles dont on avoit pu le combattre. Nous dirons feulement de cette difpute , ce qu'on peut dire de mille autres, oü 1'on n'a prodigué les e'crits & les paroles que faute de vouloir s'expliquer & s'entendre. L'inconvénient prefque infiillible qui éternife toutes les controverfes, eft la fureur des affertions ge'nérales. Les infcnptions doivent-elles être en franpois ou en latin ? Cent voix s'écrient d'un cóte', toujours en j'ranpois; cent voix de 1'autre cóte répondent,r0zz/W.r en Jat in. Un Philofophe qui voudroit mêler a ces afTertions tumultueufes, fes foibles repre'fentations , auroit bien de Ia peine a fe faire e'couter; peutêtre même feroit-il 1'objet de la rifée commune , s'il ofoit dire en peu de mots , avec défiance & modeftie : » Je croü , Meflieurs, que 1'infcrip-  142 Éloge » tion doit être tantót en francois, » tantöt en latin , felon les circonf» tances du temps, de 1'objet Ck du ». liéu, felon les idees qu'on voudra » réveiller de préférence ; enfin, felon » les moyens qu'une des deux Langues » fournira pour exprimer avec plus » de précifion & d'énergie ce qu on » fe propofe de dire. Ces mots : Louis » XII , Pere du Peuple, mis au bas » d'une Statue de ce bon Roi , dans » un Marché public , feroient bien pré» férables , ce me femble , a Ludo» vicus Duodecimus , Pater Populi; » & la belle infcription qu'un de nos » Colonels avoit mife fur les drapeaux »blancs: Victoria tinget (1), n'auroit » pas eu la même beauté en fran» cois «. Defpréaux étoit d'un avis abfolument contraire a M. Cha:pentier, & fe déclaroit hautement pour 1'ufage de la Langue Latine dans les infcnptions. » Cette Langue , dit -il dans une de » fes Lettres , eft extrêmement v propre au ftyle lapidan e , par fes ( 1) La Vicioire as teindra. rVoyez la Mote ( verbes auxiliaires. Elle n'admet point » d'ailleurs la fimplicité majeftueufe » du latin ; & en même temps, pour '» peu qu'on 1'orne , on la rend fade. » Quelle comparaifon , par exemple , » y auroit-il entre ces mots , Regid » Familia urbem invifence & ceux» ci : La Familie Royale étant venue » voir la ville « ? II y a fans doute beaucoup de vérité dans ces réflexions: la feule méprife de Defpréaux-, efl de n'avoir pas vu les exceptions dont elles étoient fufceptibles ; & fi ce grand Poëte eüt été chargé de faire une infcription a la Statue du meilleur de nos Rois, il avoit trop de goüt pour ne pas fentir que Henri IV auroit dit bien plus que Henricus quartus. M. Charpentier eüt un autre Adverfaire bien plus intéreffé que Defpréaux a foutenir la gloire de la Langue Latine ; le Poéte Santeuil , qui avoit fait tant d'infcriptions & tanc d'autres Ouvrages en vers latins , & n'avoit jamais pu faire de vers fran5ois. II accabla fon Antagonifle de  ï44 Éloge Pieces latines,pour prouverque les monumens publics devoient uniquement parler cette Langue ; il adrefla une de ces Pieces a 1'Académie-des Infcnptions , qui fe dégradoit, difoit-il, fi elle ne vengeoit pas 1'honneur des Langues anciennes; il en adrefTa une feconde a Charles Perrault, que M. Colbert avoit confulté fur cette queftion, & qui, indépendamment de la préférence qu'il donnoit aux Modernes fur les Anciens, vouloit que les infcnptions fuffent en francois, par J'excellente, mais fecrete raifon , que le Miniftre & le Roi ne favoient pas d autre Langue. Santeuil, dans fa Piece al'Académie , fe plaignoit amérement du peu de confidération oü les Poëtes Latins font a la Cour , & déploroit en pure perte leur infortune. Enfin ; il langa des vers latins contre M. Charpentier lui même. Ces vers étoient un Plaidoyer ironique en faveur de la Langue Francoife; ironia mm eügans , dit Santeuil avec une grande fatisfaétion , ut Adverjarius ed deceptus fuerit ; ironie fi fine, que mon Adverfaire en fut Ia dupe. 11 compofa de plus , fur la mort récente du P. Coftart, une P±ece qu'il regar- doit  de Charpentier. 145 'doit comme un de les meilieurs Ouvrages , & qu'il envoya agpus fes amis, & même a M. Charpentier avec ce titre : Défefpoir de la Langue Franpoife. C'efl tout au plus ce qu'il auroit pu dire , fi les Defpre'aux Sc les Racines euffent entrepris de louer en vers francois ie Jéfuite défunt, & qu'ils euffent moins réuffi que le Chanoine de SaintViclor, • & dans ce cas même, ni la Piece , ni la jacfance de Santeuil h-au? roient encore rien prouvé pour les infcnptions modernes en*Langue Latine. Mais ce Poëte ne fe piquoit pas d'une meiileure logique , pourvu' qu'elle fut ou qu'elle lui fembiat mife en beaux vers. Le zele avec lequel M. Charpentier avoit défendu les droits de la Langue Francoife , fit penfer a Louis XIV, jaloux de la répandre & de 1'immortalifer , que perfo'nne n'étoit plus propre que cet Académicien a faire un digne ufage de cette Langue dans les inferiptions que le Monarque avoit ordonnées pour la Galerie de Verfailles. Mais M. Charpentier, rernpli pour le Monarque d'une admiration dont il étoit comme oppreffé , & qui ne de- Tomt II. G  146 Éloge mandoit qua s'exhaler au dehors, eut le malheur <$fi croire qu'il ne trouveroit jamais de termes affez énergiques pour 1'exprimer : il oublia que plus les aclions qu'il vouloit céle'brer étoient grandes, plus les infcriptions devoient être fimples ; que 1'enflure refroidit tout, & que , fuivant 1'exprefFion trésfenfe'ment plailante d'un célebre Ecrivain , les adjeclifs afFoiblifFent toujours les fubftantifs , quoiqu'ils s'accordent en genre , en. nombre & en cas, Le Roi , en paiTant dans fa galerie , vit au delTous des belles peintures de le Brun ces infcriptions emphatiques : Vincroyable paffage du Rhin, la prife miraculeufe de Valencïenncs , &c. : il fentit que ces exprefhons fans fafte , le pajjage du Rhin, la prife de V«-* lenciennes , étoient d'un ftyle bien plus noble ; & il fit efFacer les épithetes dt 1'Académicien, a qui il donna, dans cette occafion, une legon utile de bon gout, en écha-nge de fon enthoufiafme & de fas éloges. Nous obferverons ici, pour appuyer ce que nous avons dit il n y a qu'un moment fur la Langue propre aux monumens publics , que les infcriptions dont il s'agit, mifes en  de Charpentier. 147 latin , auroient été déplacées dans la galerie de Verfailles: toute autre Langue que celle de la Nation devoit y paroitre trop étrangere , & prefque barbare ; & le Monarque, fous qui les francois avoient vaincu, ne pouvoit annoncer qu'en francois leurs triomphes & leur gloire. L'Ouvrage de M. Charpentier ,fur VexceLLence de la Langue Franpoife , renferme un article qui , fans avoir beaucoup de rapport au fujet, efl peutêtre plus intérelfant que 1'Ouvrage même ; cet article a pour objet Ftnfortune des Littérateurs. Un homme de Lettres, mécontent de fon état (on fait trop combien cette claffe efl nombreufe), ne manqueroit pas d'affurer que la matiere étoit triftement abondante , & que les Mémoires fur lefquels 1'Auteur avoit travaillé , déja très-multipliés de fon temps, ont prodigieufement grofn* depuis cent années. Mais 1'Ecrivain , plus équitable & plus fage , qui fait apprécier les chagrins , petits ou grands, attachés a toutes les claffes de 1'efpece humaine , ne verra point de raifons de préférer un autre état a celui qu'il a embraffé par goüt Gij  148 Éloge ck par choix ; il oppofera aux orages que fait éprouver 1'ambition , les charmes d'une vie paifiblement occupée , fans défirs 6k fans intrigues; a 1'éclat des grandes places , la fatisfaclion fi douce que 1'étude procure , ck qui fait trouver au Pbilofophe, fans fortir de fa retraite , les reffources que tant d'hommes vont chercher fi inutilement hors d'eux-mêmes; aux clameurs de 1'Envie, fuite néceffaire de la Renommee, 1'eltime des Citoyens honnêtes , récompenfe affuée des lumieres que re'pandent les bons cents ; enfin , en compenfant les petites peines qu'il endure par les adouciffemens qu'il e'prouve, il dit, comme le Perfan Babouc (i) : Si tout n'efl pas bien, tou( efl paffable (2), On apublie'long-temps après la mort dg M. Charpentier , un Recueii de Fragmens Litte'raires, dont on le donne pour Auteur, ék qu'on a intitulé Carpentariana , ou Carpenteriana } car (1) Voyez fe charmant Ouvrage de Voltaire , qui a pour titre Baóouc, ou le Monde comme il va. (1) Voyez Ia Note (e),  de Charpentier. 149 la différence de Ya ou de Ye dans ce titre barbare, a fait une affez grande queflion parmi !es Erudns. Ce Recueii a augmenté le nombre des mauvais Ouvrages de cette efpece dont la Littérature efl infeclée, & dont la plupart, remplis ou de bévues, ou d'inepties , ou de menfonges, pareiffent plus faits pour dégrader que pour honorer les noms qu'ils portent. Heureufement pour la mémoire des tcrivains auxquels on attribue tant de rapfodies poflhumes , le Public a la jufhce de ne pas regarder comme leur onvrage ces rebuts informes de leurs travaux & de leurs idees; il les met uniquenient fur le compte de ces Editeurs méprifables ck faméliques , deflinés a ramaffer les mienes qui torn bent de la table de leurs Maitres. Le Compilateur du Carpencariana, parmi le fatras dont il a grofli cette Colleclion, l a furtout farcie de mauvais vers (qui ne font pas même de M. Charpentier) , £k de beaucoup d'autres lambeaux qui ne meritent que les ténebres ck 1 oubli (1). (1) On prétend que M. Charpentier eft Auteur d'une Cemédie intitulée La RéfoluG iii  150 Éloge Mats fi ce Recueii n'eft pas un monument brillant & durable du génie & du goüt de notre Académicien , il renferme au moins quelques traits honorablas a fon caractere. On y voit que fon ame étoit douce & honnête; qu'ayant été plus d'une fois en butte a la fatrre & même aux outrages, il étoit fans refféntirnent & fans fiel ; qu'il oublioit aüément les injures, & jamais 1'amitié ni les bienfaits ; qn'enfin, s'il n'eut pas des talens rares, il eut des vertus plus rares encore, ck, qu'il mérite d'être propofé comme un modele de fageffe & de conduite a tant d'Hommes de Lettres, que la ha-ine & 1'impétuofité de la vengeance ont "fi fouvent entrainés dans des écarts, plus nuifible; a leur gloire que les vaines attaques de leurs ennemis. twn pcrnicieufe , en cinq Acles , qui ne fut ni repréfentée , ni imprimée. On ajoutc qu'eile étoit, il n'y a pas lon^-temps , en manufcric dans le cabinet d'un Bibliomane. Il y a toute apparence que cette Piece a trés-bien fait de ne fortir de fon obfcurité , ni du vivant de I'Auteur , ni après fa mort.  de Charpentier. 151 kot es fur V article de M. CHARpentier. (a) Cette Piece de Benferade conterioit les portraits , pour la plupart affez peu flatteurs , des quarame Académiciens vivans en 1684 , a la reception de Thomas Corneille; elle fut prononcée ce jour-la par 1'Auteur même en préfence du Public : cette lb> berté, ou plutöt cette licence , paroitroit bien étrarrge aujourd'hui ; la Compagnie Sc 1'Anemblée même feroient blelTées , non feulement du plus léger trait de fatire contre le moindre des Académiciens, mais de tout ce qui pourroit donner lieu a quelque ^pplication maligne, même contre 1'intention de 1'Auteur. On a vu dans ces -derniers temps plus d'un exemple de ces fortes d'applications, que nous ferions bien fichés de rappelerici, même pour repomTer des imputations de malice , dont quelques-uns de nos Confrères ont été tr.ès-injuftemeot chargés. La fatire de Benferade (car on ne G iv  tf* Éloge peut guere lui donner d'autre nom) fut compatée dans Je temps h la Requête des Diaionnalres du favant Ménage , autre Piece non moins fatirique contre 1'Académie en général, & tous fes Membres en particulier, Ij eft vrai que Ménage n'étoit point de 1'Académie , lorfqu'il fe permit cet Ouyage, qui même lui en fvrma pour jamais les portes. Un Académi'cien de fes arms ofa dire alors, qu'au lieu de 1'exclure de Ja Compagnie pour ayoir fait une pareüJe Piece , il faIloit au contraire fe hater de 1'y recevoir , comme on condamne un homme qui a déshonoré une fille a J'époufer. L'Académie fembla pourtant a la fin oubiier fon reiTentiment, & parut vouloir adopter , fur la fin de fes jours, F Auteur de la Requete qui Favo'it tant bieifee. Mais, contre fon aAttente , Ménage , qui vingt ans plus tót eut été touché de cette faveur, fe montra pour lors très-peu empreifé de 1'obtenir. » Ce ne feroit plus, difoit-il , qu'un mariage in extremïs , » qui ne feroit honneur ni a 1'un ni » a i.'autre «.  de Charpf.ntieb. i5J (F) L'Ouvrage du P. Yavaffeur contre le genre burUfque, a pour titre: De ludicra Diclione. Ce mot Ludicra ne répond que très-imparfaitement en latin a ce que nous appelons burlefque en francois \ mais les expreffions impropres font le- partage indifpenfable des Latiniftes modernes. L'Auteur de ce Livjre n'y ayant trouvé qu'une feule faute qui lui parüt mériter d'être corrigée , confulta le P. Sirmond fon Confrère , pour favoir s'il mettroit erratum au lieu & errata. Donnez_ - tnoi votre Livre , lui dit le P. Sirmond , j'y trouverai une feconde faute , & vous mettrez^ errata. Ce P. Vavaffeur , critique févere, fur-tout des vivans, & Poëte Latin très-prefomptueux, s'étoit rendu fi odieux a tout le Parnaffe de fon temps, que Santeuil, qui lui fit une Epitaphe , rut obligé de s'en jufiifier auprès des Jéfuites mêmes. Le célebre Ducange ayant donnê fon favant Gloffaire de tous les mots de la baffe latinité , Ouvrage d'une Littérature peu élégante , mais utile au moins pour 1'Hiftoire du moyen age , le P. Yavaffeur, qui s'étoit toujours piqué de la latinité la plus pure , difoit avec G v  154 . É l O G F. mépris : li y a foixante ans que févite. avec grand Join d'employer aucun des mots que, M. Ducange a recherchés avec bien de la peine .(i). (c) M. Sélis, ProfeiTeur au Collége de Louis-le-Grand , Littérateur aufïï inftruit qu'éclairé , remarque encore avec raifon, dans fon excellente Differtation fur Perfe , qu'on peut regarder comme des exemples du genre burlefque dans les Anciens , » les def- # criptions du Margitès ck. de la Ba» tracomyomacbie , les turlupinades » d'Ariilopnane , Ie fel groffier repro» ché a Plaute, les mauvaifes piaifan- # teries de Pétrone , les facéties peu ï> délicates de l'.ApoIococyntofe «. II ajoute que ce même P. VavafTeur, enhemi fi déclaré du ftyle burlefque, ck fi zélé défenfeur des Anciens a cet égard , n'a pas dédaigné de loner urt (i) Dncarsre diroit Iui-même avee modeftic , en parlant de fi n propre Ouvraee : Dans mes leüures je n'ai pas imité 1'AbeiUe qui tire le fuc des fiews , je n'ai ïmiti que l'Araignée & la Sang- fue, qui tirent des corps queues fucent ce qu'ils ont ik mauvais,.  de Charpentier. 155 morceau de 1'Antiquité , qui a pour titre Marcus Grunnius Corocolta Porcellus , & qui n'eft autre chofe que le teftament d'un pourceau didlé par lui-même; piece du comique Ie p!us bas. [d) La Viüoire les teindra. Ce mot peu harmonieux teindra , l'arttcle les qui ne fe trouve pas dans le latin Victoria tingef, & qui refroidiroit 1'infcription frxncoife; enfin la chute fonpre du demi-vers hexametre , Vicloria tinget, voila ce qui donne la fupériorité a 1 infcription latine. De même, 1'infcription pro Deo & Patria , mife fur d'autres drapeaux , vaut mieux que pour Dieu & la Patrie , paree que les mots pour Dieu réveillent 1'idée peu noble d'une expreffion employee parmi nous dans le langage familier. Au contraire , la belle infeription faite par M. de Vol.taire pour la Statue de 1'Amour, Qui que t'u fois , voici ton M.utre; Il 1'ell, le fut , ou le doit ècre. eft bien préférable a une infeription latine qui auroit dit la même chofe. En voici deux qui en font la tradueG vj  15^ E L O G E tion littérale, fans aucun terme barbare ou impropre, & dont néanmoins Ja première eft déteftable, Ja feconde froide & feche , & toutes deux fans harmonie &. fans grace : Quifquis es,ecce tuus Dominus ; fu.it, auterit, out efl. ou bien Hcrum ecce, quifquis es, munt; Fuit , vel eft , vd mox erit. On peut remarquerici que 1'articJe le, qui feroit languir i'infcription francoife, Ja Victoire les teindra , fait au contraire ici, par fa répétition , une des beautés de I'infcription francoife a I Amour, & manquea I'infcription Jatine ; tant il eft vrai qu'on ne peut établir en cette matiere prefque aucune regie générale de goüt & de ftyle , & que les circonftances changent tout. (e) Vigneul Marville , dans fes Mélanges de Littérature , fait une lifte JamentaUe des Gens de Lettre; qui ont été malheureux. » Urbain VIII , » dit-il , fonda a Rome un Höpital » pour fervir de retraite a de pauvres » Gentilshommes fur la fin de leurs  öe Charpentier. 157 $> jours. II feroit afouhaiter qu'on en fit » un pareil pour les Gens de Lettres » qui meurent de faim. Hom-ere , pau» vre 6c aveugle , alloit par ks car» refours &c les places publiques, ré» citant fes vers pour avoir du pain. » Plaute gagnoit fa vie a tourner Ia » meule. XÜander, favant Grec, ven» doit pour un peu de foupe fes notes » fur Dion Camus. Alde Manuee étoit » fi pauvre , qu'il fe rendit infolvable » pour avoir emprunté feuieinent de r> quoi tranfporter fa Bibliotheque de »Yenife a Rome, oü il étoit appe'é. » Jean Bodin , Lelio Gregorio Giral» di , Louis Caflelvetro , 1'Archevêque » UfTerius,font morts pauvres. Agrippa » mourut a 1'Hópital; 6k on dit que » Michel Cervantes eft mort de faim. » Le TafTe étoit réduit a une ft grande » indigence , qu'il fut contraint d'em» prunter a un ami un écu pour fub» fifier durant une femaine ; & de » prier fa cbatte , par un joli Sonnet , » de lui prêt-ir , durant la nuit, la lu» miere de fes yeux , n'en ayant point » d'autre pour écr'ire fes vers. Le Car» dinal Bentivoslio traina dans la pau» vreté une vieillefTe languiffante, ven-  ï5s Éloge » dit fon Palais pour payer fes dettes , » & mourut enfin , laifTant a peine de » quoi fe faire inhumer. Notre favant » Hiftoriographe , André Duchefne , » étoit obligé , pour vivre , d ecrire a ia » hate de mauvais Ouvrages, auxquels » il fe gardoit bien de mettre fon nom. » Vaugelas , pour éviter la pourfuite » de fes créanciers , fe tenoit caché » dans un petit coin de 1'Hótel de » Saiióïis. Du Ryer faifoit fes Tra» duclions a la hate , pour tirer de fon » Libraire de quoi fubfifler avec fa fa» mille. Bayle prétend que ce Libraire » lui achetoit fes Ouvrages a lafeuille, » les grands vers a cent fols le cent, » les petits a cinquante ; & qu'une des » fiiles de cet Académicien traverfoit » tout Paris a pied , pour aller porter a 5> 1'Imprimeur 1'Ouvrage de fon pere , » ck en recevoir une très-modique ré» tribution «. Vigneul Marville finit ce trifte détail par renvoyer fes L ecteurs au Livre qui a pour titre . De Infortumo Litteratomm, oü 1'on trouve, dit-il, un grand nombre de faits affligeans fur ce fujet. La lifte pourroit en être fort augmentée de nos jours; Dufreny , 1'Abbé Pellegrin , 1'Abbé  de Charpentier. i59 d'Alainval, Delille , Auteur de Timon le Mifanthrope , & cent autres _ font ■ morts dans la mifere , & ont été inhumés aux dépens de leurs amis, ou de la charité de leur ParoifTe. Mais, en offrant aux Gens de Lettres ce tableau affligeant de Finfortune de leurs femblabies, il feroit jufte auffi de leur préfenter le Catalogue rafTurant, quoiquc bien moins étendu , des Ecrivains a qui leurs Ouvrages & leurs talens ont procuré une fortune honnête , quelquefois même 1'opulence. II ne feroit pas moins néceffaire d'examiner ft la plupart de Gens de Lettres malheureux ne Font pas été par leur faute j fi le déréglement de leur conduite, onquelque défaut deleur caraótere n'a pas été la véritable caufe des maux dont ils fe font plaints, & qu'il ne faudroit plus alors attribuer aux Lettres, mais a leur perfonne. La qucfiion intérelfante des avantages & des inconréniens de la profcjfion d'Eomme de Lettres, mériteroit bien d'être propofée par quelqüune de nos Académies,  ELOGE  -bi f\ r* f Fj ju v>> \jr -ü—« D'AR MAND DU CAM3BOUT, DUC DE COISLIN, Pair de France, Chevalier des Ordres du Roi, & Lieutenant-Général de fes Armées , ne' a Paris le premier Septembre 1635 , recu a la place de claude de l'Etoile, le premier Juin 1652, mort le 16 Septembre 1702. Et fon fils Pierre du Cambout , Duc de Coislin, Pair de France, né en 1664, repu d la place de fon pere, le 11 Dccembre jyoi , mort le 7 Mai 1710. JL E Marquis de Coiflin ( car il ne fut Duc & Pair de France que depuis fon entree dans la Compagnie) aveit  i6i Éloge pour aïeul maternel le Chancelier Seguier. ( e Magiftrat , dont la mémoire eft ft chere aux Lettres (i), devenu Protecfteur de 1'Académie après Ia mort du Cardinal de Richelieu , voulut que fon petit-fils le Marquis de Coiflin, qui étoit auffi petit-neveu du Cardinal , füt Membre de la Société Littéraire qui devoit tant a ces deux Miniflres. Lenouvel Académicien étoit digne de cette place par fon amour pour les Lettres , & par la confidération qu'il témoignoit a ceux qui les cultivent. II fe déroboit avec joie k fes autres occupations, pour pouvoir fe Ci) Le Chancelier Seguier aimoit encore plus les Livres que les Lertres. On ne pouvoit mieux lui faire fa couir qu'en lui préfentant un Ouvrage , fur-tout s'il avoit plus d'un volume. Je crois, difoit-il , que le vrai fecret de me corrompre , feroit de me donner des Livres. Bien des hommes en place fercent inacceflïbles a ce moyen de corruption. Un pauvre Abbé, difoit le Pape B-'noit XIV, m'ayant demandé , lorfque j'étois jeune , s'il avoit-fait un grand mal de prendre des Livres doublés che^ des riches qui ne lifoient jamais , je neus pas le courage de dêcider la chofe en bon Cafuijle, tant j'avois alors depjjfion pour les Livres,  du Cambout, i6*3 trouver avec eux : Je noublierai rien, l-dit-il dans fon Difcours de réc^ption, pour faire en foite quau défaut de | mes paroles , mes actions Joient pour vous amant de reinercimens ■ & je fuivrai Vexemple de ceux qui , par une jufle reconnoijjance , couronnoient , les fontaines dans lejquelles ils avoient ' pujé. II a tranfmis ces fentimens a fon i il'ufire Maifon , comme une partie pré: cieufe de fon hérnage. Auffi a-t-il été fucceflivement rerrtplace dans 1'Acade'mie par deux de fes enfans, Pierre du Cambout, DucdeCoifiin, &HenriCharles du Cambout, Evêque deMetz4 qui 1'un ck 1'autre fe font montrés diI gnes de fuccéder parmi nous a leur refpeclable pere. La Compagnie efl: trop édairée fur fes véritables intéréts, pour ne pas fentir combien il feroit dangereux que les places qu'elle accorde devinffent une efpece de furvii vance ou d'héritage ; elle a cru néan• p.ioins pouvoir fans conféquence derogeren quelques occafions a une fi fage maxime ; & 1'exception qu'elle a faite pour MM. de Coillin , doit être regardée par eux comme un titre fionorable de noblelfe académique. Mais en gé-  ïö4 Eloge du Cambout. néral, les Sociétés Littéraires , qui ne doivent ouvrir leurs portes qu'aux ta~ lens, & aux talens les plus dignes , ne fauroient être trop réfervées fur ces fortes d'exceptions , dont la fre'quencè entraineroitinfaüliblementlade'cadence de ces Compagnies: elles ont befoin de motifs puiflans, & fur-tout approuve's par la voix publique , pour donner aux enfans les places des peres ; & tous ceux qui compofent les Académies , devroient penfer fur ce point comme J'un d'entreeux, qu'un Confrère folficitoit vivement pour fon fils : cette folücitation ne 1'empêcba pas de donner fon fuffrage a un candiclat dont les titres lui paroiffoient mieux fondés : J'ai cru , dit-il , devoir la préférence a celui qui a pour pere fes propres Ouvrages.  H, ju \J xjr Xj DE CHARLES PERRAÜLT, NÉ d Paris le 12 Janvier 1628 , recu a la place de Jean de MoNtigny , Evêque de Léon, le 2.3 Novembre i6yi, mort le 16 Mai 1703. PlERRE PERRAULT fon pere, Avocaf.au Parlement, homme vertueux, qui aimoit les Lettres, & qui connoiflbit toute 1'étendus- des devoirs facrés d'un pere, s'occupoit beaucoup de 1'éducation de les enfans, dont Charles Perrault étoit le dernier. On le mit, des 1'age de huit ans , au Collége de Beauvais , ou il brilla dans fes ClafTes. II aimoit paffionnément les vers, & en faifoit quelquefpis de fi bons, au moins  i66" Éloge pour fon Régent , que ce Maltfe lui demandoit , avec un air de connoiffeur, qui les lui avoit donnés. Le Verfificateur novice étoit defiiné a trouver un jour dans Defpréaux un Ariftarque plus févere. II prouva (& cet exemple n'eft pas rare, fur-touc parmi les Poëtes ) que fi lapaffion pour un Art indique fouvent des difpofnions a s'y diftingirer, elle n'en eft pas toujours 1'annonce infaillible ; que 1'efprit peut fe tromper , ainfi que les fens , en prenant une faim imaginaire & factice pour un befoin réel de la Nature ; & que s'il efl quelquefois, comme le prétend un Philofophe moderne, des méprifes de fentiment & de tendrejfe (t) , il en eft aufïï de talent & de génie. La Philofophie , même purement contentieufe , eut encore plus d'attrait pour Charles Perrault que 1'étude des Belles-Lettres; il aimoit tant a difputer , que les jours de congé , fi chers \ la jeuneffe des Colléges, lui patoif- (0 Voyez dans Ie Livre de l'Efprh , ie Cliapitrc des méprifes de fentiment.  D Ê PeRÜAÜLT, 167 foient des jours morts : cette Philofophie qüü chénffoit en étoit pourtant bien indigne ; ce n'étoit en ore que la déteftable fcholaftique , qui a régné fi long temps a la honte de la raifon, & qui de nos jours même ne lui a pas entiérement cédé le terrein, malgré le mépris ou font tombées les fottifes dont elle fe nourrit. Mais cette fcholaftique fourniffoit une forte de pature a 1'efprit du jeune Ecolier, avide de s'exercer , même fur des chimères , &. plus fait pour les chofes de raifonnement que pour celles de goüt. Une querelle qu'il eut avec fon Régent le forca de quitter le Collége , mais ne le fit pas renoncer a fes études 5 elles n'en devinrent au contraire que plus férieufes & plus folides. II s'affocia avec un de fes amis a peu pres du même age ; ils lifoient enfemble les bons Auteurs, ils en faifoient des extraits, & quelquefois même ofoient en rifquer la critique , voulant dès-lors ne rendre aux grands Ecrivains qu'un hommage raifonné , & , s'ils le pouvoient, raifonnable. Charles Perrault a plus d'une fois avoué que cette  168 Éloge feconde éducation qu'il s'étoit donnée, lui avoit été fans comparaifon plus utile que la première. Ce qu'on apprend feul & fans fecours , eft toujours ce qu'on fait le mieux ; & peut-être ne fait-on parfaitement que ce qu'on apprend de la forte. Combien d'Homrnes ifuflres en tout genre n'ont eu d'autre Maitre qu'eux-mêmes , & n'en ont été que plus grands l Le burlefque , fi juftement avili depuis , étoit alors fort a la mode, & prefque en honneur. Nos deux jeunes gens , qui n'avoient pas encore le goüt affez formé pour fentir toute 1'infipidité de ce malheureux genre, s'amuferent a mettre en vers burlefques le fixieme Livre de 1'Enéide. Ils firent encore un autre Ouvrage de cette efpece, qui même fut imprimé; mais qui, pour leur honneur , eil tombé dans 1 oubli, & dont nous apprendrions en pure perte le titre a nos Leef eurs. Charles Perrault avoit trop de lumieres , fur-tout quand les réflexions eurent miïri fes idees , pour attacher le moindre prix a cette bizarre produclion de fa jeuneffe; mais il affuroit, en effayant de jeter un ridicule fur les partifans fanatiques  DE PERRAULT. 169 fanatiques de 1'antiquité , qu'il ne leur manquoit que d'avoir trouvé dans quelque Poëte de deux mille ans la ficlioa qui faifoit Ia bafe de fon Ouvrage , pour la célébrer comme un effort de génie (1). Ses études achevées , il fut recu Avocat, & plaida deux Caufes avec affez de fuccès, pour que les Magiftrats défirafTent de !e voir s'attacber au Barreau. Mais bientót M. Colbert , qui connut ion mérite , 1'enleva a la Jurifpruderice. II le choilit pour tenir Ia plume dans une petite Academie compofée de quatre ou cinq Hommes de Lettres qui s'afTembloient chez lui deux fois la femaine : ce fut le berceau de la favante Compagnie dont nous avons déja parlé dans 1'arcicle de M. Charpentier , 6c qui eft devenue depuis fi célebre fous le nom d'Académie des (O Cette fiélion étoit qu'Apo'lon avoit inventc la grande Poéfie (langage des Dieux ) , comme fils de Jupicer ; la Poéfie pcflorale, comme Berger du Roi Acknette ; & la Poéfie hurlefque (langage au Peuple ), comme Macon du Roi Laomédon. L'idée , comme 1'on voit , n'étoit pas merveilleufe j mais 1'exécution étoit encore au deltous. 'Jome IL, H.  170 Éloge Infcriptions & Belles-Lettres. La petite Académie travailloit aux Médailles &- aux Devifes que M. Colbert lui demandoit au nom du Roi; &. celles que Charles Perrault propofoit, étoient prefque toujours préférées. II avoit finguliérement le talent de ce genre de compofuion , qui demande plus de qualités dans 1'efprit qu'on ne penfe, ck des qualiiés même que la Nature joint, enfemble affez rarement ; une imagination tout a la fois féconde ck fage ; la fimplicité jointe a la nobleffe, ck la précifion a 1'abondance ; une mémoire heureufe , & en même temps un jugement sür, pour appliquer finement & a propos les plus beaux traits des Anciens aux événemens modernes; enfin, la connoifTance réunie des Beauxr Arts, de 1'Antiquité , & des convenances actuelles ou locales. On ne doit donc pas être étonné que parmi tant de Médailles ck. d'Infcriptions, la plupart ou triflement infipides , ou ridiculement faftueufes , il y en ait peu qui méritent d'être citées ; elles font ü rares, qu'on peut les regarder comme une efpece de bonne fortune pour ceux qui les trouvent, encore cette bonne  DE PERRAULU 171 fortune n'arrive-t-elle qüa ceux qui la méritent. Nous pouvons mettre au nombre de ces heureufes Devifes, celle de la Médaille frappée k 1'occafion du logement donné par le Roi a 1'Académie Francoife dansleLouvre même, Cette Devife étoit Apollo Palatinus; aliufion ingénieufe au Temple d'Apollon, bati dans 1'enceinte du Palais d'Augufte (1). II eft d'autanr plus jufte de rappeier ici cette Médaille , que non feulement Charles Perrault en fut 1'Auteur , mais que la Compagnie lui fut redevable du lagement qu'elle obtint. Elle recut cette grace du Monarque dans le même temps oü le Roi voulut bien fe déclarei fon Protecleur. Ce titre , porté jufqu'alors par le Cardinal de Richelieu & le Chancelier Seguier, étoit trop grand , ofons le dire a 1'honneur des Lettres, pour tout autre que pour le Souverain. M. Colbert, éclairé par les fages confeils de Charles Perrault , fit fentir au Roi que la pro'teétion due au génie eft un des plus nobles apanages de 1'autorité fuprême, &. ne doit point lui être enlevée par (1) Voyez la Note (a). Hij  'xyi Éloge un fimple fujet, fuffifamment honoré, quelque grand qu'il puiffe être , d'appuyer les Lettres de fon crédit auprès du Prince , d'en favorifer les progrès, & de connoitre le prix de ceux qui les cultivent. Tel eft fur-tout un des principaux devoirs des hommes en place , que le Monarque honore de fa conÜance ; puiffent-ils ne le jamais oublier! Les Lettres eurent bientót a Charles Perrault une obligation encore plus fignalée que celle d'habiter le Palais des Rois. II procura 1'établiffement de 1'Académie des Sciences , qui d'abord eut la même forme que 1'Académie Francoife , 1'égalité parfaite entre fes Membres, ck qui auroit du conferver cette forme , la feule convenable a une Société Littéraire. Claude Perrault , frere de Charles , homme d'un mérite rare , & que tous les traits de Defpréaux n'ont pn réufïïr a rendre ridicule , eut beaucoup de part a cet établiffement fi utile. II fut un des premiers & des plus dignes Membres de 1'Académie naiffante j il fe donna pour Confrères les Huyghens, les Roemer, les Cafïïni, les Mariottes, les Roberval , & beaucoup d'autres Hommes  de Perrault. 173 illuftres , dont le mérite & la célébrité ont éré dignement foutenus par leurs Succefleurs , lans néanmoins en être effacés (1). * A peine 1'Académie des Sciences futelle établie, que M. Colbert fit un fonds de cent mille livres par an , pour être diftribuëes par ordre du Roi aux Hommes de Lettres célebres, foit de France , foit des pays étrangers. Charles Perrault eut encore beaucoup'de part au projet de ces gratifkations, & a Ja diftribution qui s'en fit. Elle s'étendk par toute 1'Europe & jufqu'au fond du Mord ; des penfions plus ou moins confidérables , accompagnées de lettres encore plus flatteufes , venoient pénétrer la retraite obfcure d'un Savant , quelquefois ignoré dans fa patrie même , & qui s'étpnnoit d'être connu a Verfailles , & encore plus d'y être récompenfé. II eft vrai que ces penfions ne furent ni exaéfement ni long-temps payées ; il eft vrai même que Colbert, tandis qu'il alloit chercher le mérite jufque chez nos ennemis, privoit des bienfaits du Roi, malgré les repréfen- (1) Voyez la Note (5). H üj  i74 Éloge tations de Charles Perrault, le bon La Fontaine dans fon indigence, & 1'en privoit pour le pator d'une aclion honnête, d'avoir déploré en vers touchans, la difgraee du malheureux Fouquetfon bienfaiteur , dont Colbert étoit 1'ennemi. II eft vrai enfin , qu'on aurcit pu mettre , a quelques égards, plus de difcèrnement & de lumieres dans cette répartition de graces, & ne pas confondre avec les talens éminens plufieurs talens médiocres (i). Mais, maJgré ces injnftices de détail , que les Souverains' font fi expofés a commettre dans le bien niême qu'ils font , les penfions ainfi répandties par Colbert ont peut-être plus^ contribué a porier le nom de Louis XIV aux extrémités du Monde,' que tout ce qu'il a fait d'ailleurs de grand & de mémorable. Tant de bienfaits'inattendus , diftribués avec' éclat ck offerts avec grace , interenerent tout a coup dans 1'Europe «nille bouches a célébrer le Monarque ; & ces bbuches étoient celles qui, pour leurs contemporains & pour la pofiérité, font les interpretes de 1'eftime ou de la (i) Voyez Ja Note (e).  de Perrault. 175 cenfure publique : utile lecon pour les Princes qui ne peuvent ni fe montref infenfibles a la gloire fans renoricer aux grandes aclions dont' elle eft le prix, ni être affurés de 1'obtenir qu'en fe rendant favorables ceux qui en font les difpenfateurs. M. Colbert, qui goütoit de plus ert plus 1'efprit & le caracTere de Charles Perrault, le charges bientöt d'un em~ ploi important de confiance. Ce Miniftre , Surintendant des Batimens , lui en donna le Controle général. II fe conduifit dans cette place avec le défintéreffement d'un homme de bien , 1'intelligence d'un homme inftruit & éclairé, & la fageffe d'un homme d'efprit, quiconnoiffoit tout 1'amour-propre des hommes en place. Ilinformoit Colbert de tout, 1'inftruifoit de tout fans paroitre 1'inftruire , ckprelqué fans que Colbert s'en doutat, & état de fe parer auprès du'Roi de toutes les connoiffances qu'il avoit puifées dans ces entretiens fecrets. Charles Perrault fut plus avifé que ce Miniftre dun Roi d'Lfpagne , qui, au fortir d'une converfation oir il eut le malheur de lailfer voir fa fupériorité a fon Maitre , H iv  Éloge dit en confidence a un de fes amis j /er prit humain ; 1'Hiftoire" des autres n'eft fouvent que celle de nos maL» heurs & de nos crimes,  de Perrault. igy NoTES fur Partiele de Perrault. (d) "VolCI l'explication qu'on trouve dans 1'Hiftoire du Roi par Médailles, del'infcrip;ion Apolio Palatmus} mife a la Médaille de 1'Académie. » Apollon tient fa lyre appuyée fur » le trépied d'oü fortoient fes ora» cles. Dans le.fond paroit la prin» cipale face da Louvre. La légende » Apollo Palatinus, fignifie , Apollon » dans le Palais d'AuguJle «. Cette devife, & plufieurs autres, faites par 1'Académie des Infcriptions naiffante, étoit plus heureufe que la fameufe infeription , Nee pluribus impar, qu'un médiocre Antiquaire avoit imaginée pour une Médaille frappée a 1'honneur de Louis XIV. La Médaille repréfentoit un Soleil éclairant le Monde , ck I'infcription fignifioit quil auroit pu en éclairer plufieurs d la fois, allufion (qu'on croyoit bien fine) a 1'étendue des lumieres du Monarque, ck. a la p;ofondeuc de fa fagefTe. Indépendamment du ridicule de cet exces  d'adulation , il n'étoit pas, aifé , en regardant la Médaille, de'deviner fur lc ehamp 1'application de la devife, defaut erfentiel dans ces fortes d'ouvrages. Cependant, lorfqu'elle fut préfentee par 1'Auteur a 1'Académie des inlcripnons pour étre foumife a fon JjJgement, cette Compagnie n'eutgarde de la cenfurer , encore moins d'en propofer tme autre , craignant fans doute Ecrivain nioderne, que Salomon a » dit : Noli v'tderi fapiens co ram Prin» cipe ( gardezr-vous de parohre trop » éclairé en préfence du Prince ). II ne » dit pas , noli effe fapiens , garde^» vous d'être éclairé ; mais noli Vi» deri ( garde^-vous de le parohre) <%. Bien perfuadés de cette maxime , les Miniftres de Louis XIV ne craignoient rien tant que de fe voir afibciés au Monarque dans les hommages que lui I vj  4ö4 Éloge prodiguoient les Poëtes ck les Artiftes.' » Toujours plein du Roi, dit 1'Abbé » de Cboify ,. M. Colbert ne fongeoit s> qua 1'éternifer dans la mémoire des » hommes. II étoit fort innocent des » ferpens & des couleuvres (r) que le » Brun avoit fait mettre fur tous les » volets du Louvre. Le Roi lui en fit » pourtant une raillerie un peu amerej » & le pauvre homme, tout éperdu , » envoya chercher Perrault , Contrö» leur desBatimens, qui lui dit fans hé» fiter, que fous le Soleil vainqueur {2), » il avoit bien fallu mettre le ferpent » Python. Colbert ordonna a Perrault » d'écrire fur le champ une lettre, ou » cette raifon fut bien expliquée : dès » le lendemain il montra la lettre au » Roi, qui le railia d'avoir pris la chofe » fi férieufement; mais enfin les fer» pens furent ötés, ck ne font plus fur » les volets 3 ils font feulement demeu» re's en pierre de taille aux fenêtres » des galeries du Louvre , paree que » pour les öter il eut fallu de furieux (1) C'étoient les armes de Colbert, (t) On a va plus haut, que le Soleil étoit k devife du Roi.  de Perrault. 2.05 » échafauds & de la dépenfe , & que s> le Peuple fe feroit réjoui aux dépens » de qui il appartenoit. M. de Lou» vois, qui f ivoit cette hiiloriette, éiant » allé aux Invalides pendant qu'on y » barbouilloit les mauvaifes peintures » qui y font, fe mit dans une furieufe » colere contre le Peintre , qui vou» lok, en le peignant auprès du Roi, » attraper fa reffemblance : Non, non , » lui dit-.il , défigwe\-moi tous ces viV fages ou vous ave%_ pris tant de » peine., & qu'on ne reconnoïjje que » celui du Mattre «. Je ne me fouviens plus ou j'ai lu , qu'un Souverain , dont le premier in terèt étoit ce'ui de fa vanité, & le fecond celui de fes affaires , apportoit wne fingüliere attention au.choix de fes Miniflres, non pour avoir les meilleürs qu'i! fut poffible, mais pour qu'ils ne montraffem dans cette place, ni une ineptie trop préjudkiable a leur JVlaitre , ni des talens trop capables d'humilier fon amour-propre. J'aime mieux j difoit-il , un bidet qui juffit pour me port er , qu'un bon cheval qui peut me jeter par terre.  (<0 Ce qui donnoit le plus d'humetïf h Defpréaux dans la querelle fur les Anciens, c'eft que Perrault, fon Antagonifte, bien loin de partager fon enthoufiafme , lui nioit impitoyablement cet entboufiafme même. Defpréaux difoit, par exemple, Toutes les fois que je lis Démofthenes, je me repens d'avoir écrit. » Oferois-je vous demander, » lui difoit Perrault, oü vous lifez ce » grand Orateur ? Eftce dans 1'Origi» nal ? Mais M. Dacier , qui fait le » grec aufïï bien qu'un Moderne le » peut favoir, dit tout bas, & diroit » tout haut, fi vous n'aviez employé vos » amis communs a lui fermer la bou» che , que vous favez très-médiocre» ment cette Langue , & que votre » traduclien même de Longin en eft » la preuve. D'ailleurs, fuffiez-vous le » grec au/li bien que M. Dacier , » croyez-vous pouvoir apprécier le mé» rite de Démofthenes dans cette Lan» gue , qu'il parloir avec tant de fupé» riorité ? Les Atbéniens en étoient » tranfportés avec raifon , paree qu'au» cune partie de ce mérite n'étoit » perdue pour cette Nation fpirituelle  de Perrault. 107 »& fenfible, qui, connoiffant a fond » toutes les beautés & toutes les fi» neffes de fa Langue , admiroit dans » Démofthenes la propriété , laforce, » la noblelfe , f élégance des exprellions » & des tours, l'harmonie enchante» relfe des périodes, & jufqu'a la dé» clamation inimitable de 1'Orateur , » célébrée par la bouche même d'Ef» chine fon ennemi. Mais prefque tou» tes ces beautés font perdues pour » nous, qui ne favons ni écrire ni » prononcer le grec , comme vous ne » fauriez vous-même en difconvenir. » Elles n'etoient pas perdues pour Ci» céron , qui avoit été apprendre cette » belle Langue h Athenes , dans un » temps oü elle y étoit encore florif» fante. Auifi je crois fans peine 1'Ora» teur Romain fur les éloges qu'il » donne a fonillufire rival ; mais quant » a vous, M. Defpréaux , permettez» moi de penfer que vous vous récriez » fouvent fur parole , & que Démof» thenes, traduit en francois, la feule » Laneue oü vous puiiliez le juger, » n'eft fait pour défefpérer ni Boffuet » ni vous-même. Je conviens que Ï O» rateur Grec refpire entore plus ou  2o8 Éloge » moins foiblement dans les traducrions » qu'on en peut faire ; mais i! ne vit » que dans fa propre Langue , oü par » malheur il eft prefque "mort pour >> vous aufïi bien que pour moi. Avouez » même que Cicéron , ma'gré la fupé- ' •» rioritéqu'ilfemble accordera Démof» thenes, vous p'ait néinmoins davan» tage , non paree qu'il lui eft réelle» ment fupérieur , car c'eft ce que nous #ignorons 1'un & 1'autre; mais paree » que vous favez le larin beaucoup » moins mal que le grec , quoique , » très-imparfaitement, comme on fait » toutes les Langues mortes. J'en dis » a^ peu pres autant de Pindare, objet » d'enthoufiafme pour vous & quel» quefois de, fcanda'e posr moi. Ho» race, & toute 1'Antiquité Grecque, » avant & après lui, ont admiré ce » Poëte , & certainement Horace & » les Grecs s'y conn.iiffüient; aujour» d hui la plus grande partie des beau» tés de Pindare a difparu pour nous, » paree que ces beautés tenoient, bien » plus encore que dans les Ouvrages » de Démofthenes, a 1'ufage admira» b!e qu'il favoit faire de fa Langue, s> mieux connue du dernier Payfan de  de Perrault. 109 » Ia Béotie, que du. plus fa van t des Mo» dernes. On pourroit donc dire aux en» thoufiaftes de Pindare : Je crois avec » vous , ou plutöt avec Horace , que » Pindare étoit un Poëte incompara» bie; mais en quoi letoit-il l c'eft ce » qu'Horace favoit, ck que ni vous ni » moi ne favons guere. Pourquoi donc » m'accufez-vous de méprifer les An» ciens l Je conviens qu'on trouve chez » eux des beautés du premier ordre, » & en grand nombre, ck dans tous » les genres; mais je ne puis y approu» ver ce que vous n'oferiez imiter vous» même , malgré toute votre admira» tion pour eux. Et fi les Anciens font » fi fort au deffus de nous, pourquoi » Racine n'a t il pas fait fes Tragédies » comme Euripide ck Sophocle , Mo» liere fes Comédies comme Arifto» phane , ck la Fontaine fes Fables » comme Efope ? Mettez donc quel» ques bornes a vos exclamations, & » co.nvenez que fi les Anciens font » grands , les Modernes le font aufTi «. Telle étoit , finon en propres termes, au moins en fubftance , la réponfe de notre Académicien a Defpréaux. II feroit difficile de ne pas foufcrire a la plu-  2IO E L O G E part de ces re'flexions ; mais malgré' fe j ufte éloge qu'on y fait des Anciens, quiconque auroit 1'audace d'approuvercette courageufe philofophie, feroit fjfflé dans tous les Colléges & dans tous les Journaux, comme 1'ennemi de Démofthenes & d'Homere; il feroit même déchiré par plus d'un Cenfeur, qui au fond penferoit comme lui, mais qui faifiroit avec empreffement ce prétexte de le décrier comme le fléau du bon goüt. H paroit que dans toute cette controverfe, auiu" violente & autfi acharnée qu'auroit pu 1'être une guerre de Théologiens, on ne difputoit guere que faute de s'entendre. Sottife des deux pans , eft, comme 1'on fait, la devife ordinaire de toutes les querelles j devife d'autant plus jufte , que fouvent les Antagoniftes les plus oppofés en apparence, feroiept étonnés , en s'expliquant fur ce qui les divife , de fe trouver bien plus prés les uns des autres qu'ils ne croyoient 1'être ; plus d'une fois, un mot d'éciairciffement paifible auroit fini le combat & les injures. II eft vraifemblable que fur les morceaux vraiment admirables des Anciens, les  de Perrault. 2 t co.ntendans étoient d'accord entre eux fans en être rjonvenus. Je ne doute pas que Perrault & fes partifans ne rendnfent la même juflice que Defpréaux aux peintüres vraiment fublimes d'Homere , a ces vers d'une touche originale qui le earaérérifent, & qu'aucun Poëte ne partage avéclüi, a 1'épifode d'Orphée & d'Euridice dans Virgile , au quatrieme Livre de 1'Enéi.de, & a tant d'autres clief-d'ceuvres de 1'Antiquité. Ladifputene rouloit guere que fur ces endroits des Anciens, dont nous ne fommes en état d'apprécier exaélement ni les beautés ni les défauts. Quoi qu'il en foit , il eft réfulté de cette véhémente altercation , ce qui refultera toujours de celles oü la paffion vient fe mêler ; les deux partis y ont prefque également perdu. D'un cöté, on a fait aux Anciens plufieurs reproches très-bien fondés, qui ont un peu affoibli la vénération fans bornes qu'on avoit pour eux; de 1'autre, les défenfeurs de 1'Antiquité ont jeté fur fes Adverfaires des ridicules fouvent mérités. » Quand je vois, dit un Ecri» vain de nos jours, les Gens de Let» tres prendre parti avec tant d'aigreur „  ^2i2 Éloge » ceux-ci pour les Anciens , ceux la » pour les Modernes , il me femble » voir les deux femme* de la Fable , » dont 1'une, un peu vieille, arrache les » cheveux noir^ de la tête de fon mari, » & 1'autre, encore jeune, arrache les » cheveux blancs, de forte que le pau» vre mari finit par être chauve «. Nous citerons encore aux Philofophes & a leurs Adverfaires un Auteur Latin qu'on Kit peu , & qui, fans appartenir a un Siècle fort é iairé, a montré fur la queftion dont il s'agit, plus de modération & de juflice que la plupart de ceux qui lont agitée. Ilfaut> dit Sulpice Sévere , lire les Anciens fans prévention, & les Modernes fans envie ; ve'rite' commune , fi 1'on veut, dans la théorie , mais qui, par cette raifon même , devroit 1'être un peu plus dans la pratique. Perfonne , a notre avis , n'a porté un jugement plus fain fur cette contefiation , que 1'illuftre Auteur du Siècle de Louis XIV. s> On a reproché a » Perrault, dit il, d'avoir trouvé trop v de défauts dans les Anciens ; mais » fa grande faute efl de s'être fait des >> ennemis de ceux même qu'il pouvoit  de Perrault. 213' » oppofex aux Anciens ; cette difpute » a etém. fera long-temps une affaire » de parti, comme elle 1 'étoit du temps » d'Horace. Que de gens encore en » Italië , qui, ne pouvant lire Homere » qu'avec dégoüt, & lifant tous les jours » 1'Arioile & le Taffe avec tranfport, » appellent toujours Homere incom» parable « ! M. de Vokaire a caraclérifé ce grand Poëte de la maniere la plus précife & la plus élégante, dans ces vers dignes d'être cités aux fanatiques des deux partis : P!ein dc beauus & de défaurs Le vieil Homere a mon cftime ; Heft, comme tous fes Héios, Eabillard oucré , mais fublime. On peut voir dans cent autres endroits des Ouvrages de cet Ecrivain célebre , avec quel goüt & quelle équité. il a fu concilier le refpect qu'on doit aux Anciens, & le mépris des préjugés qui encenlent jufqu'a leurs fautes. II de% mêle, avec autant de jufteffe que leurs Cenfeurs, ce qu'ils ont de foible, mais il fent auffi vivemsnt que leurs adorateurs ce qu'ils ont d'admirable; & il ses grands Ecrivains revenoient parmi  214 Éloge nous, nous ne dourons pas mi 'ils ne prononcaffent cette décifion unanime : Viïth le feul homme qui ah dit de nous la véritécomme le Chrift , fi nous en croyons la Légende , difoit a S.Thomas quand il ent écrit faSomme théologique , Bene dixifli de me. Defpréaux , dans une lettre a notre Académicien (i) , paroit convenir luimème qu'ils étoient plus éloignés d'opinion en apparence quen ejfet. II entre la-defTus dans un détail curieux, &. qui pourroit donner matiere a bien des réflexions. 11 préfere aux Modernes, Virgile pour le Poëme épique (ceux qui trouvent plus d'intérêt dans le Poëme du Taflè , & plus d'imagination dans celui de lAriofie, pourroient, a la rigueur, appeler de ce jugement) : il leur préfere Cicéron pour 1'éloquence ; les partifans de Boifuet & de Maffiilon-pounoient encore netre pas de" cet avis : il leur préfere enfin Tite-Live & Sallufte pour 1'Hiftoire; nous n'avions alors ni celle de Charles XII, ni rHifloire Générale du même Auteur: (0 Torae } dc fes (Euvrcs, pages 376 Sc fuiv.  de Perrault. 215 il ne parle point de Tacite, a qui peutêtre les Modernes , & bien certaine* ment les Grecs, n'ont rien a oppofer; il avoue que les Anciens nous ont furpaiïës dans Ia fatire, & fon Commemateur Broflette trouve dans cet aveu bien de la grandeur ; 1'expreffïon eft judicieufe & bien choifie ; mais Defpréaux nous préfere aux Latins pour la Tragédie , & pour la Comédie, aux Auteurs comiques du Siècle d1 Augufte; car il obferve que les Plaute & les Térence étoient du Siècle précédent, comme s'il n'eüt ofé leur coraparer èk même leur préférer Molière. II nous met pour le genre de 1'Ode prefque a cóté d'Horace, quoique Rouffeau n exiftat pas encore : quant a nos Romanciers, a nos Philofophes, a nos Savans, ék a nos Erudits, & a nos Artiftes , il ne balance pas a donner la palme aux Francois fur les Latins ; enfin il termine fon parallele par ces paroles remarquables : Je juis bien für au moins que je ne ferois pas fgrt embarrgjje a montrer que fAu°ujle des Latins ne temport e pas fur ï'Jugujle des Franpois. On s'en doutoit  2x6 E L O G E fans qu'il le dit. Dans ce parallele des .Modernes avec les Anciens, Defpréaux fémble avoir .aiiecta de ne pas nomme.r les Grecs, & cette réticence eft auffi finguliere que remarquable. Etoit^ ce par honnèteté pour Perrault, a qui il reprockoit ta.nt dé ne pas favoir le. grec , & qu'il paroiffoit en ce moment prendre po.ur arbitre de leur querelle ? Etoit-ce plutót pour ne pas chagriner fon ami Racine , en lui préférant Euripide & Sophoclê l car on fait qu'il n'étoit pas éloigné de penler de la forte. Dans l?s vers qu'il fit pour le portrait de ce grand Poëte, il avoit mis d'abord que Racine avoit fu lialancer Euripide & furpaflcr Corneille; il eft vrai que dans Ia fuite il corrigea ce vers ainfi, Surpafler Éurrpi le & balancer Corneille ; mais il ne fit ce changement, dit fon Commentateur Broffette , que pour nér pas trop irriter les partifans de Corneille j & il faifoit des vceux pour qu'on rétablit ce vers tel qu'il 1'avoit fait  de Perrault. 217 fait d'abord.'U ajoutoit, que ni Corneille ni Racine ne devoient ètre mis en parallele avec Euripide & Sophoclê , par cette raifon , qui ne paroitra Êas convaincante a tout le monde, que acine & Corneille n'avoient point encore , comme les deux Poëtes Grecs, le fceau de 1'admiration de tous les Siecles. Ce jugement refTemble a celui de Dacier , qu'Homere étoit plus beau gue Virgile de, deux mille aas. (f) On peut citer encore, aveequeïque éloge, ces deux vers du Poeme de Louis le Grand, oir 1'Auteur parle de la circulation du fang , inconnue 4es Anciens : . lis'ignoroiettt jufqu'aux routes certaincs Du Méaudre vivant qui cqule dans nos veine». Defpréaux , qui auroit pu rendre juftice a ces derniers vers, aima mieux tomber fur la note que Charles Perrault y avoit- mife , en appelant le Méandre , fleuve de la Grece qui re(owne plufieurs fiois fur lui-même ; ar* lieu de dire , fleuve de l' Afie-Mineure. Perrault répondoit que cette critique Tome LI. &  3i§ E L O G E étoit une chicane , puifque fAlie-Mineure eft aufïï nomme'e Grece Afiatique; il pre'tendoit n'avoir pas fait plus de faute en difant que le Méandre étoit un fleuve de Greee , qu'il n'en eüt fait en difant qu'Hérodote, Bias, Efope &. Galien, tous ne's dans VAfie-Mineure , font quatre des plus grands Hommes que la Grece ait produits. Mais Perrault fit encore mieux que de fe juftifier , il corrigea cette note dans une édition fuivante. (g) Defpre'aux , même après fon raccommodement , en agit toujours avec Perrault, & paria toujours de lui comme un ennemi réconcilié : Je ne vous ai point mandé la mort de Perrault , écrivoit-il a un de fes amis, paree qua, vous parler franchenient , je ny ai pris d'autre intérct que celui quon prend d la mort de tous les honnétes gens. Il n avoit pas trop bien repu la Lettre que je lui ai adreffée dans ma derniere édition , & je doute quil en fut content ( Perrault n'avoit-il pas grand tort ?) J'ai pourtant été au fervice que lui a fait CA-  d'e Perrault. 219 1 tadémie ; & M. fon fils ma ajfuré quen mourant M V avoit chargé de \ mille honnetetés pour moi. Sa mort a \fait effuyer un ajjè^ grand dégout d ■ f Académie , qui avoit élu M... de LaI moignon pour lui fuccéder ; mais ce I Magiflrat a nettement refufé cet honI neur, apparemment par la^raintë d'aI voir d louer Vennemi de Cicéron & de I Virgile. On verra , dans 1'article de I M. le Cardinal de Soubife, le de'tail de cette anecdote , 6e la vraie caufe du refus de M. -de Lamoignon ; M. le Cardinal de Rohan ne fe montra pas fi difficile, il ne craignit point de fuccéder a notre Académicien , & de lui rendre \ dans fon Difcours de réception, toute la juflice qu'il méritoit. M. de Tourreil, alors Directeur , dans fa réponfe au Prélat récipiendaire, fit, avec beaucoup d'adreffe, 1'apologie de la préférence que Charles Perrault avoit donnée aux Modernes fur les Anciens. 11 accufa, pour ainfi dire , de cette préférence , les Hommes ïlluflres dont les noms ornoient la lifie de lAcadémie, & dont la plupart , en exaltant les Siecles paifés aux dépens du leur, s'étoient K ij  r 220 Eloge de Perrault. montrés , difoit-il, trop généréax , & peut-être trop modeftes. Ainfi il intérefTa, pour la mémoire de Perrault, 1'amourpropre de fes Auditeurs ; c'étoit le plus für mqyèn de les rendre favorable^au Panégyriïfe , & indulgens pour lelog© qu'il avoit a faira.  JACQUES-BENIGNE BOSSUET, ÉVÊQUE DE MEAUX, NÉ d Dijort le %j Septemhre 162*7 , repu le 8 Juin 1 671, d la place dg Daniël Hav du Chastelet , Abbé de C/hambon, mort le 12 Avril ■ 1704 (0- note I , relative a la page 133, fur Vardeur de bossuet pour Vétude dans fes premières années. I.jE plaifir que le jeune Bofliiet gou-toit a. s'inftruire , lui faifoit oublier (1) Voyez fon Eloge dans le Volume précédent , page 13 3. K Üj N O T E S SUR L'ÉLOGE DE BOSSUET.  %2z Éloge jufqu'aux amufemens fi indifpenfables a 1'enfance ordinaire j fes jeunes camarades de collége , qui ne pouvoient lui faire partager leurs jeux , s'en vengeoient par une plaifanterie digne de leur age , en 1'appelant Bos fuetus aratro fi). C'eft auffi lepithete que les jeunes Peintres , camarades du Dominiquin , dans 1'Ecole des Carraches , donnoient a cet Artifte devenu depuis fi célebre , ck dont fafliduite' au travail e'toit pour eux un exemple & un reproche. Ce Bocufleur répondit Annibal Carrache , rendra un jour bien riche & bien fertile le champ quilcultive. Les Maitres de Bolfuet auroient pu dire la même chofe a fes compagnons d'étude. Un de ces rimailleurs qui ne croient rien de comparable au talent de faire de méchans vers , difoit que Newton étoit un bocuf: Ajoutesr 3 lui répondit quelqu'un , que c'étoit le premier bocuf de fon Siècle. (i) Bocuf accomumé d la charme.  DE B O S S U E T. 22$ NOTE II, relative a la page 136, fur Vufage de la Mythologie ancienne dans la Poéfie , condamné par BosSUET & par quelques Docleurs Rigorifles. 13 ÊSPRÉAUX avoit répondu a Boffuet & a ces Docleurs en tres-beaux vers , feule & vraie réponfe d'un grand Poëte. Le Verfifieateur Latin Santeuil, plus obligé, par fon état, de fe foumettre aux décifions de BofTuet , montra bien plus de docilité que Defpréaux fur 1'eraploi qu'il avoit fait, dans fes vers, des Divinités Païennes : car 1'Evêque de Meaux lui ayant reproché d'avoir introduit Pomone dans une Piece latine fur les Jardins de Verfailles , il adrelfa a fon redoutable Cenfeur une autre Piece , qu'il appeloit Amende honorable , & a la tête de laquelle il fe fit graver la corde au cou, la torche a la main, profterné a la porte d'une églife aux pieds de Bolfuet , qui le recevoit a la pénitence publique. Quant a Defpréaux , il fut impénitent jufqu'a la fin , 6c toute 1'éloquence du Prélat Kiv  DE BOSSUET. 225 cois, qui, a la vérité , ne valoient pas ceux de Defpréaux fur le même fujet (1). NOTE III, relative a la page 139, fur le courage avec lequel BoSSUET ■cfa défendre la Phïlofophie CartcJtenne. BoSSUET, plein de zele pour cette Philofophie naiffante 8t perfécutée , regardoit , difoit-il, les contradiétions qu'éprouve la vérité, comme ces fecoufles qui découvrent un feu précieux, en écartant les cendres dont il eft couvert. La profcription prononcée contre le Cartéfianifme par les Magiftrats , avoit été précédée 8c foutenue par plufieurs lettres de cachet, qui avoient défendu qu'on enfeignat dans l'Univerfité cette pernicieufe Doctrine , depuis généralement adoptée , protégée même , 8c enfin totalement abandonnée. PuifTe cet exemple ( &. tant d'autres) ,* (1) Voyez fon Art Poétique , Chant III t ver* 220 6c fuiv. Z z, * K v  22fS Éloge des efforts fi inutiles & fi fréquens de J'autorité contre le progrès des lumières , fervir a la fois & de lecon aux hommes revètus du pouvoir , & de coniolation a la raifon humaine, en lui donnant la foible efpérance de voir enfin fuccéder des jours paifibles a tant d attaques répérées de fiecle en fiecle pour 1'érouffer ou pour 1'abrutir ! Quelque furannée que foit aujourd'hui cette Philofophie de Defc.artes , que, Bofiuet de'fendit fi vivement, paree quil n'y en avoit pas alors de meilleure, des hommes accrédités, & qui fe croyoient fages, entreprirent, il y a trente ans, de la rëhabilifer fur quelques articles , dont le choix honore leur difcernement. II n'a pas tenu a ces grands Philoibphes que la doctrine des idees innées n'ait été érigée en une efpece d''article defoi, & qu'on n'ait enjoint aux Ecoles de dire anathême a toute opinion contraire. On a vu , dans des lieux qui ne devroient être que le féjour de ia vérité, de graves Orateurs prononcer de longs difcours po*r établir cette chimère comme la bafe de notre croyance. On ne fait pas fi ces Orateurs avoient«des  de bossuet. 22? idéés innées ; mais on peut affurer qu'ils n'en avoient guere i'acquifes. Ce qu'il y avoit de plus étrange dans ce nouveau Catéchifme , c'eft qu'avant Defcartes on auroit prefque regarde' comme hérétique un Philofophe qui auroit admis ces fata! es idéés innées ; de nos jours on a taxé de matérialifme ceux qui les rejettent. Les ennemis de la raifon , qui foutiennent fi indifféremment le pour fit le contre fuivant les circonflances, pourroient , a chaque mutation, dire comme Sganarelle qui met le foie du cóté gauche & le cceur du cöté droit : Nous avons changé tout cela. note III, n°. 2 , relative a lap. 142, fur les Sermons de bossuet. Ces Sermons, tels que I'Auteur les tracoit fur le papier , n'étoient pour 1'ordinaire que des matériaux difperfés, auxquels fon ame entrainée , & , pour ainfi dire , oppreffée par fon fujet, fe chargeoit de donner la vie fit 1'enfemble. L'abondance oratoire étoit en lui fi prodigieufe , qu'ayant entrepris de K vj  22.8 È L O G E prêcher le Panégyrique de Saint Auguflin , il paria prés d'une heure & demie fur .ce fujet , & defcendit de ciiaire fans avoir commencé fon fecond point , laiffant fes Auditeurs plus flupéfaits de fon éloquente fécondité, qu» fatigués d'une attention fi longue. Ce Panégyrique , oü Boffuet trouvoit tant a déployer fon rare talent pour la parole , a été plus d'une fois la pierre d'achoppernent de beaucoup d'autres Orateurs ; nous parions des Orateurs diftingués, & non de ceux qui, apeine appercus dans la chaire même , font oubliés des qu ils en defcerfc; dent. Les matieres épineufes de la grace, dont Saint Auguflin fut le miraT cle & 1'apötre , font tin écueil oü Yéloquence laplus circonfpecfe vient fouvent fe brifer. Un célebre Prédicateuf de nos jours, qui avoit cru fe garantir de cet écueil en le cótoyant de fort loin , a été donner contre un autre en préientant 'e refpeéfabJe Evêque d'Hippone comme le ' enfeur des vieux Monalliques précipités, ck dé la perfécution exercée cont e les Hérétiques, & en i'candalifant, par cette vérité, une partie de foa Auditojre, Tantce molia  DE B O S S U E T. 1%^ NOTE iv, relative a la page 143, fur les fuccès oratoïres de BOSSUET. Il avoit prononcé Les premiers Sermons a Metz , oü il étoit allé réfider comme Chanoine & comme Archidiacre ; les fuccès éclatans qu'il eut dans les chaires de Metz , & ceux qu'il avoit dans les chaires de Paris , lorfque les affaires de fon Chapitre 1'y amenoient , firent défirer a la Cour de 1'entendre; il y prêcha avec tant d'applaudiffemens, que Louis XIV fit eenre a fon pere pour le feliciter fur les talens d'un fi's, defliné , difoit le Monarque , a immortalifer celui dont il tenoit le jour. Ce pere, Doyen du Parlement de Metz , fe volant veuf & libre , étoit entré dansl'Eglife, a 1'exemple de fon fils , qui regardat cette conquête comme la plus belle qu'il eüt faite a Ia Religiën Boffuet étant un jour pret a mon er en chaire , onluiannong que on refpeéiable peré étoit mourant, & défiroh de le voir encore ck. df'expirer dans fes bras; il n'héfita pas a être fils avant que d'être  2j© E l o g e Prêtre ; il quitta fes Auditeurs pour voler auprès de fon pere, & eut le bonheur d'arriver afTez tót pour 1'affifler dans fes derniers mornens &. lui fermer les yeux. NoTE V, relative a la page i+^,fur quelques opinions théologiques de BOSSUET. Parmi les différentes Ecoles théologiques , Bolfuet goütoit fur-tout celle de Saint Thorna»; il embraffa de cette Ecole jufqu'au fyflème de la prémotion phyfique , paree qu'il le jugeoit trèspropre a réfoudre les principales difn*cultés de la matière de la grace, qu'il eüt peut-être mieux valu ne pas chercher a réfoudre. Ceux qui ont lu le Livre d'un Janfénifte moderne,' intitulé : De Caclion de Dieu fur les Créatures, oü cette prémotion , fi chere a Boffuet y. elf développée dans toute fon étendue , & prouvée avec toute la force dont 1'Auteur Théologien pouvoit être capable , font en état d'apfrécier le jugement trop favorable que  DE BOSSUET. I31 Boffuet a porté d'un tel fyftême , & concluront qu'il auroit fait fagement de ne pas montrer, pour 1'e'tude de la Geometrie , 1 indifférence que nous lui avons reproche'e (1). Éclairé par ce flambeau fur les vrais caraéteres de la certitude philofophique, il auroit placé fur la même ligne la prémotion phyJique & la fcience moyenne, non quant aux égards que méritent les Auteurs des deux opinions (car il n'eüt pas mis XAnge de VEcole a eöté de Molina ou de Suare^) , mais quant a 1'idée qu'on doit fe faire de 1'un & de 1'autre fyftême, & au degré de lumiere qu'ils peuvent porter dans les têtes oifives Sc creufes qui s'en occupent. (1) Voyez fon Elogc, pages 137 & 138.  '2,\2 Éloge NOTE VI, relative a la page 145', fur les Oraifons funebres de B O SSUET. D E fix Oraifons funebres que BofTuet a prononcées , quatre eurent le plus grand fuccès ; deux furent moins heureufes, & devoient 1'être, 1'une par la ftérilité, 1'autre par la diffi'culté de la matiere \ celle de la Reine Marie-Thérefe , qui n'avoit été qu'une Princeffe pieufe , a peine appercue fur le tróne roerrie ; & celle du Chancelier le Tellier , Coürtifan hypocrite & perfécuteur. Néanmoins , dans ces deux Ouvrages, affez peu dignes de Boffuet , on trouve encore quelquefois, s'il efl permis de parler de la forte, les membres épars de 1'homme de génie, disjecli membra oratoris. Les famiiiarités puériles qui déparent en quelques endroits 1'Oraifon funebre de la Princeffe Palatine , fucceffivement galante, incrédule, intriganre &. dévote , font effacées par plufieurs morceaux de 1'éloquence la pht' impofante & la plus animée, Le début feul annonce dans  234 Éloge » on a trouvé le moyen de prendre la » multitude par 1'appat de la liberté , » elle Luit enaveugle, pourvu qu'elle » en entendefeulement le nom; ceux» ci, occupés du premier objet qui les » avoit tranfportés , alloient toujours » fans voir qu'ils alloient a la fervi» tude, & leur fubtil conducteur, qui, » en prêchant , en dogrnatifant , en » faifant le Docfeur & le Prophete, i> auffi bien que le Soldat & le Capi» taine , fe vit regarde de toute 1'ar» mée comme un Chef envoye' de Dieu, » commenca a s'appercevoir qu'il pou» voit pouïfer fes fuccès plus loin. Je » ne vous raconterai pas la fuite trop » fortunée de fes entreprifes , ni fés » fameufes vicfoires dont Ja vertu e'toit i> indigne'e, ni cette tranquillité qui a » élonné 1'Univers. C'étoit le confeil » de Dieu d'inftruire lesRois a ne point » quitter fon Eglife .... Je Juis le SeiJ> gneur, dit-il par la bouche de Jéréy> mie , ceft moi qui ai fait la terre, » & je la mets entre les mains dé qui » ü me plan Mais écoutez la fuite » de la Prophétie : Je veux que ces » Peuples lui obéiffent, & quils obéif»fent encore d f»n fils jufqu'd ce que  DE B O S S ü E T. flJJ » le temps des uns & des autres ar» rive. Voyez , Chrétiens , comme les i> temps font marqués, comme les gé» nérations font comptées. Dieu déter» mine jufqu'a quand doit durer 1'af» foupfffement, & quand auffi doit fe » réveifer le monde «. Le tableau qu'il fait, dans cette même Oraifon funebre , du néant des grandeurs humaines dévorees & englouties par la mort, peut être oppofé a celui qu'il a tracé dans un autre difcours, ou , parlant avec tranfport du bonheur célelle , il montre les Saints étonnés de leur gloire , & trouvant d peine Véternité fuffifante pour fe reconnottre. Des Lecleurs délicats trouveront fans doute cette derniere expreffion trop peu noble; qu'üs en fubftituent, s'ils le peuvent , une autre, auffi impofante par fon énergie , & qu'ils obfervent fur-tout avec quel fuccès Boffuet a relevé ce terme vulgaire par la grandeur de 1'idée & de 1'image. Ainfi ce grand Orateur, quoiqu'il femble négliger & dédaigner même 1'art du ftyle, en efl pourtant un modele, au moins par 1'adreffe & le bonheur qu'il a eu d'ennoblir ainfi plus d'une fois la familiarité  £f8 Éloge de fe> expreffions. C'eft par-la fuf-touf qu'il peut être lu avec beaucoup de fruit, & qu'il eft digne par confe'quent, •d'être mis au nombre des grands Ecrivaihs. Car fi dans un Ouvrage defiiné a 1'adion publique , le mérite le plus indifpenfable pour 1'effet & 1'éclat du moment, eftd'émouvoir 6k d'étonner, ce mérite n'a qu'une lueur paffagere, quand le Lecteur, tranquille &. dégagé d'illufion , caffe de fang froid & en filence le jugement que 1'Auditeur a porté dans 1 snthoufiafme (i). Bofluet, tout négligé qu'il paroit , n'a point a redouter cet écueil oü font venus échouer tant d'Orateurs, paree que fa négli-* gence a non feulement de la grandeur, & de la fierté , mais une forte d'art qui ne peut être appercu que par des yeux exercés & clairvoyans , & qui fait fentir aux gens de goüt , comment un Ecrivain fupérieur fait a la fois enhardir & makrifer une Langu* timide & minutieufe. fi) Un Oratcar, que la raulritude croyoit éloquent , paree qu'il avoit 1'éloqucnee du gefte, très-inutile hors de la chaire, faifoit iraprimer fes Sermons. N'oui/ie^ donc pas, lui dit guelqu'ua, de faire imprimer aujjile Prédieaceur.  DE B O S S Ü E T, ' I e premier ufage qu'il avoit fait de fon e'loq. ence , mérite encore plus d'éloge? que cette éloquence mème; il la fit iervir a 1'expreflion de ia reconnoiffance, & prononca au Collége de Navarre 1'Oraifon funebre du fameux Nicolas Cornet , Grand-Maitre de ce Collége , qui avoit dirigé fes premières études \ I'Orateur parle avec fenfibilité de tout ce qu'il croyoit devoir a fon Maitre. Puis-je . dit-il, lui refujèr quelques fruits d'un efprit quil a cultivé avec une bonté vraijnent paternelle , ou lui dénier quelque part dans mes difcours , après qu'il, en a eté fi jouvent le cenfeur & Carbitre.' En rapportant ce traitbonorable a la mémoire de Boffuet, nous avouerons que cette Oraifon funebre efl la plus foible de toutes celles qu'il a prononcées, qu'elle ne paroit pas même annoncer les cbef-d'ceuvres qui 1'ont fuivie, & qu'il eft affez difficile de deviner ou de prévoir dans le Panégyrifte de Nicolas Cornet, celui de Henriette & de Condé. Mais fi ce difcours n'eft pas un monuriient de génie , il en eft un de vertu , & par cela feul jl doit être précieux dans 1'éloge duc  2j8 E L O G E homme dont les vertus ont ére' plus attaquées que les talens. Dans 1'Oraifon funebre du Grand Condé Jon ami, il avoit dit, en s'adreffant aux manes du Prince qu'il venoit de perdre : Agrée^ ces dernïers eff'orts d'une voix qui vous fut connue. II auroit pu dire de même aux manes du Théologien fon Inflituteur : Agrée^ ces premiers accens d'une voix que vous ave^formée. NOTE VII, relative d la page 151 , fur les foins que donna BoSSUET d l'éducation du Dauphin. IL commenca , comme nous 1'avons dit , par fe démettre de fon évêché de Condom , ne voulant pas, difoit-il , que fon troupeau eüt a fe plaindre de fon abfence , ni que 1'Evêque püt rien reprocher au Prêcepteur. 11 jeta fur le papier des obfervations fur les regies les plus fines de la Grammaire , & fur la Langue Latine. II avoit bien lu dans fa jeunelfe les Orateurs & les Poëtes anciens ; mais depuis long-temps il avoit facrifié le plaifir qu'il y trouvoit,  246 Éloge Note X, relative d la page 157, fur V Affemblée du Clergé de 1682. L E Sermon , prononcé par Bolfuet a 1'ouverture de cette Anemble'e ce'lebre, elfuya bien des critiques , & juf. qua des fatires groffieres. II y en eut une oü 1'on ne rougiffoit pas de mettre I'Orateur fort au deffous de lanelfe de Balaam. L'oubli profond oü font tombés ces traits me'prifables, lance's contre un grand Homme, doit confoler ceux qui lui relfemblent , des nuages que 1'envie s'efforce en vain de re'pandre fur leur gloire. Qu'ils aient le courage de s'e'lever au defTus de 1'inftant oü ils vivent, ils verront de loin la Poftérité foulïler fur ces nuages, & condamner a uiï mépris éternel ceux qui ont eu la bonte de les ralfembler. Quelqu'un dit un jour au Pape Benoit XIV , qu'un malkeureux Poëte avoit fait une fatire contre lui; il la .lut, la corrigea de fa main, &. la renvoya a 1'Auteur, lui marquant'^mw/e s'en vendroit mieux, C'elt la réponfe  DÉ BOSSUET. 247 que tous les grands Hommes devroient faire aux Libelles. L'obftination avec laquelle le Pape Innocent XI s'oppofa , dans cette conjonclure, aux juftes droits réclamés paf Louis XIV , & défendus par Boffuet, auroit pu, au grand malheur & au grand fcandale del'Eglife (1), occafionner entre Rome & la France uil fchifme éternel, fi le Monarque eüt penfé comme le Roi d'Angleterre Henri VIII, qui, pour fe marier a fon gré , n'héfita pas a rendre hérétique toute fa Nation ; heureufement le pieux Monarque Frangois, pénétré des fon enfance du plus profond refpecf pour le Saint- , Siége , fe montra dans cette circonftance encore plusChrétien qu'il n'étoit Roi. Ce Prince , tout a la fois vainqueur de Rome &. foumis a 1'Eglife, auroit mis le comble a fa gloire, en forcant le Pape a honorer de la pourpre (1) Un Cardinal, homme d'efprk, app:loit un de fes Confrères, dévot & orgueilleux , le faint orgueil, il fanto orgoglio. On auroit pu aopliquer cette épithete au dévot Sc opiniatre Innocent XI. Liv  248 Éloge le Prélat qui avoit été, dans une fi importante occafion , Ie défenfeur de fa Couronrie, & qui étoit fur lesmatieres de la Foi fon oracle & fon confeil. Quelque ^répugnance que la Cour de Rome eut pu montrer a couronner elle-même fon redoutable Adverfaire , le Monarque, lórfqu'il fit fa paix avec elle, étoit en droit d'en exiger cette marqué de déférence , dont Ia lifte des Cardinaux fe trouveroit aujourd'hui très-honorée. II faut plaindre Louis XIV d'avoir fruftré d'une fi jufle récompenfe le grand Homme a qui il étoit fi redevable. On fait encore a ce «Prince un autre reproche. On affure que Bolfuet ayant demandé 1'Evêché deBeauvais qui étoit vacant, Louis XIV le lui refufa , ne voulant pas donner une Pairie d un homme d'une naijjance bourgeoife. Croira-t-on qu'après la mort de Boffuet, Louis XIV, qui, trente ans auparavant, avoit témoigné tant d'oppofition aux prétentions pontificales, ait eu la foibleffe de changer d'avis fur la fin de fes jours, par fê confeil perfide & punilfable du Jéfuite le Tellier fon  DE BOSSUET. 249 ConfefTeur (1) ? Cf oira-t- on que Benoit XIV avoit entre les mains (2) une lettre de ce Prince a Clément XI, par laquelle il promettoit au Pape de faire rétraéler les Evêques du Royaurne, de la fanclion folennelle qu'ils avoient donnée aux quatre propofitions, c'efta-dire , de la déclaration qu'ils avoient faite , que le Pape n'étoit pas en droit de dépofer leur Souverain ' Croira-t- (1) Ce Jéfuite, tout audacieux & impudenr. qu'il étoit, n'auroit ofé , du vivant de 1'Evêque de Meaux , propofer a Louis XIV la réttadation des quatre articles. L'éloquent & courageux Prélat eüt repréfenté au Monarque la honte dont fon ConfelTeur chcrchoit a le couvrir, en lui perfuadant de facrifier aux prétentions d'un Pontife ambitieux , fait paur trembler devant lui , les prérogatives de fa Couronne, & celles de 1'Eglife de France. Ce fut fur-tout dans cette mémorable Aflemblée de 1681, qu'il déploya fes talens & fon zele pour la défenfe du Clergé de fa Nation , & pour celle de fon Roi. Il rédigea les quatre fameufes propofitions adaptées pat 1'Aflemblée , contte la prétendue infaillibiliré du Pape , & fon pouvoir plus chimérique encore fur le ttöne des Souverains. (i) Voyez les Lettres imprimées du Préfident de Montefquieu. Lettre 49 , Paris, 17^7^ in-n. page 189. L v  250 Éloge on que 1'impofteur, qui dirigeoit fa confcience , 1'avoit déterminé a faire foutenir dans tout fon Royaume 1'infaillibilité du Souverain Pontife (1) l Projet qui auroit eu lieu, fi des hommes fages & clair-voyans n'avoient fait envifager 8c redouter au Jéfuite même les fuites funeftes qui pouvoient en réfulter. Croira-t-on que fous le regne de Louis XV, une Affemblée du Clergé , forcée par des ordres fupérieurs, ait défavoué, a la vérité obfcurément & fans effet, les quatre propofitions de 1682 l Croira-t on enfin que 1'Ouvrage célebre de Boffuet pour la défenfe de ces quatre propofitions, n'a paru qu'en 1730, vingt-fix ans après fa mort , 8c ne put être imprimé qu'en pays étrangers, ceux qui gouvernoient alors n'ayant pas permis qu'il le füt dans le Royaume ? Souverains , ayez après cela des Jéfuites ou ex-Jéfuites pour Confeffeurs, 8c des Miniftres plus Ultramontains que Francois! L'Evêque de Meaux foutint encore les droits de 1'Epifcopat dans une cir- (1) Voyez ïerrata Ju même volume, page »57-  DE BOSSUET. 25i conftance moins grave , il eft vrai, que ,1'affaire de la regale & des quatre articles, mais oü il n'étoit pas aifé de réuffir. II avoit en tête le Chancelier de Pont-Chartrain , honore' de la confi.ince du Roi, & joignant a 1'autorité que lui donnoit fa place .. les lumieres & la probfté qui n'y ont pas toujours été réunies. Ce Chef, refpeélé de la Magiftrature , vouloit que les Ouvrages de doctrine, pubhés par des Evêques, fuffent foumis comme les autres Livres de Religion, a la révifion d'un Cenfeur Théologien. BofTuetn'eut pas de peine a faire fentir combien il étoit indécent que les produclions des Evêques, Juges-nés de la Foi & du Dogme, euffent befoin , pour fe montrer , de 1'approbation d'un fimple Prêtre , fait pour apprendre d'eux ce qu'il devoit croire &. enfeigner. Le Prélat obtint , non fans réfiliance, 1'abolition d'un régiement fi injurieux a la dignité épifcopale. BofTuet appuyoit fortement fa réclamation fur ce qui fe pratique dans les Conciles, oü le plus profond favoir théologique des Êccléfialliques du fecond ordre ne leur donne aucun droit de nxer les articles de Foi , & oü le Lvj  *5a Éloge Saint-Efprit, difoit-il , ne prononce que par la bouche des Evêques , en fuppléant, s'il en eft befoin,par la ple'nitude de fes lumieres , a celles qui pourroient leur manquer. JNoTE XI, relative a la page 161 , fur la querelle de BOSSUET avec Fe'ne'lon. 13 a n s le catalogue, auffi nombreux qu'affligeant, de tant de grands Hommes que 1'envie a opprimés ou calomniés, il en eft peu qu'elle ait décfiire's par un plus grand nombre d'endroits fenfibles, que 1'Evêque de Meaux , & contre qui elle fe foit de'chainée avec plus de violence. On a dit, & mille échos ont répété, qu'il n'avoit montré tant de vigueur dans Ia querelle du Quiétifme , que par un motif de j'aloufie contre fon refpeclable Adverfaire. Les amis de Fenélon , ou plutöt les ennemis de Boffuet , répandoient que 1'Evêque de Meaux, en pourfuivant avec tant de violence Ie Quiétifine de fon Confrère , avoit en vue de fe pro-  DE BOSSUET. Z5J curer, par 1'éclat d'une viétoire qu'il croyoit fure, ou 1'Archevêché de Cam> brai, s'il pouvoit parvenir a faire déclarer Fénélon fumfamment hérétique pour mériter d'être dépofé , ou I'Archevêché de Paris, s'il réufïïfToit a faire au moins renvoyer Fénélon dans fon Diocefe. On difoit encore que Madame deMaintenon, ayant demandé auCuré de Verfailles , le grand Directeur des confciences de la Cour , lequel des deux lui paroifToit le plus propre a remplir le Siége de Paris , ou de 1'Evêque de Meaux , ou de 1'Evêque de ChalonsNoailles, qui étoit auffi fur les rangs, le Curé répondit qu'il falloit choifir celui des deux qui refuferoit , & qu'affurément 1'Evêque de Chalons n'accepteroit pas. Cependant 1'Evêque de Chalons accepta, après avoir fait ( comme beaucoup d'autres en pareille rencontre) affez de réfiflance pour 1'honneur de fa modeflie ; & Boffuet parut le féliciter de très-bonne grace de cette acceptation. Dans cette longue & violente difpute fur le Quiétifme , les faifeurs d'horofcopes ne furent pas toujours heureux a deviner. La vivacité avec laquelle Fénélon défendit fon Livre des  *54 Éloge Maximes des Saints, fit douter qu'il fe rétracfat , & donna lieu a cette Epigramme , oü , en quatre vers, on médifoit de quatre Evêques. Quand le Tellier (i) s'adoucira, Quand liolluet s'humiliera , Quand Noailles gouvernera , Fénélon fe rétraftera. Le Prophete ne fe trompa que dans Ie dernier vers. Les trois Prélats refterent ce qu'ils étoient, & Fénélon fe rétraéta. Amelot de la Houlfaye, Auteur, il eft vrai , très-enclin a la médifance , & par cette raifon aifez peu digne d'être cru, dit, dans fes Mémoires, que Fénélon, exilé par les intrigues de I Evêque de Meaux , auroit pu s'appliquer le mot de Barthelemi Carranla , qui ayant obtenu par fon mérite 1'Archevêché de Tolede , au préjudice d'une foule de prétendans,fut, par leurs calomnies, déféré a 1'Inquifition ; ce Prélat 5 en allant aux prifons du Saint Office , difoit aux fatellites qui 1'y trai- (i) Archevèque de Reims. Voyez les no" tes f«r 1'Eloge de fénélon.  DE BOSSUET. noient : Je marche entre mon melUeur anti , & mon plus grand ennemi ; l ami efl mon innocence 5 Vennemi efl mon archevêché, que mes Adverfaires ambitionnent. Mais , quoi qu'en dife Amelot de la Houffaye, Bolfuet, s'il avoit été jaloux de Fénélon (ce que nous fommesbien loin d'alfurer , 6c même de croire ), 1'auroit été de fa réputation & non de fa fortune; la gloire le touchoit bien plus que 1'argent. II avoit cru la Foi d'autant plus intérelfée a réprimer ce qu'il appeloit la nouvelle héréjïe , que la farneufe Quiétifte Madame Guyon , qui avoit ébranlé 1'Archevêque de Cambrai, avoit féduit & entrainé d'autres perfonnes de la Cour, entre autres le pieux &c aufterè^ Duc de Chevreufe; il avoua un jour a 1'Evêque de Meaux , que quand il étoit prés de cette femme ( qui, pour le dire en palfant, étoit belle 6c bien faite ), il fe fentoit étouffé par les mouvemens intérieurs de la grace ; 6c il ofa demander au Prélat s'il ne fe trouvoit pas dans la même fituation. On peut juger de la réponfe qu'il rejut.  256 Éloge Note XII, relative a la page 163 , fur les dragonnades, & fur la maniere de penfer de bossuet au fujet des erreurs du Calvinifme. Voici ce que dit Madame de Sévigné dans une de fes Lettres, au fujet de cette Miffion dragonne : » Tout eft » Miffionnaire préjentement ; chacun f> croit avoir une Miffion , & fur-tout » les Magifirats & les Gouverneurs » des Provinces, foutenus de quelques » Dragons; c'eft laplus grande & la » plus belle chofe qui ait éte' imaginée >> & executie «. Nous avons trop de f laifir a lire les Lettres de Madame de Sévigné , pour voir dans ce peu de lignes 1'éloge des dragonnades ; nous aimons mieux croire qu'elles y font tournees en ridicule. II eft pourtant trop vrai qu'il n'y avoit pas de quoi rire , mais de quoi frémir & s'indigner en parlant de ces a-trocités exécrables; & la France eft peut-être le feul pays oü 1'on ofe plaifanter de fang froid fur de pareiiles abominations.  de Bossuet. «57 Nous trouvons encore ces mots fur les dragonnades, dans une autre Lettre de Madame de Sévigné a Bulfy-Rabutin. » Le Pere Bourdaloue, dont 1'efpric » eft charmant 6c d'une facilité fort » aimable (telles étoient apparemment, » pour Madame de Sévigné, les quali» tés effentielles d'un Miffionnaire ) , » s'en va, par ordre du Roi, prêcher » a Montpellier, 8c dans cesProvinces » oü tant de gens fe font convertis fans »favoir pourquoi. Le Pere Bourda» loue le leur apprendra , 6c en fera » de bons Catboliques. Les Dragons » ont été de très-bons Miffionnaires » jufqu'ici; les Prédicateurs qu'on en» voie préfentement , rendront 1'ou» vrage parfait. Vous aurez vu fans » doute 1 Edit par lequel le Roi révo» que celui de Nantes. Rien nefl fi » beau que tout ce quil contient, & » jamais aucun Roi na fait & ne »fera rien de plus mémorable «. Cette Lettre, au moins quant a ce qui regarde la Miffion dragonne, paroit écrite dans le même efprtt que la précédente : nous ne pouvons faire a Madame de Sévigné 1'injure de penfer qu'elle app.rouvat férieufement le projet de faire  258 éloge trainer lesProteftans, par des fatellires, a la MelTe & a la Communion, avant que le Pere Bourdaloue leur eüt perfuadé d'y confentir. Les louanges, d'ailleurs très-peu réfléchies , qu'elle donne a la re'vocation de 1'Edit de Nantes, ne fauroient avoir pour objet ces abfurdes & atroces vexations, qui auroient dü faire gémir Madame de Sévigné fur les fuites déplorables de cette re'vocation funefle , fi elle avoit eu dans 1'efprit autant de lumieres que de naturel & de graces. Perfonne n'ignore aujourd'hui que les Jéfuites , appuyés par Louvois, furènt les déteftables auteurs de cette perfécution odieufe : pourquoi la haine a-t-elle chargé 1'Evêque de Meaux d'avoir écé leur complice II avoit trop de lumieres, pour ignorer que la violence , bien loin de faire naitre la Foi, peut révolter contre 1'évidence même des ames irritées par leurs tyrans; & que fi le fang des Martyrs , comme 1'a dit un Pere de 1'Eglife , fut une femence de Chrttiens , le fang des Fanatiques même enfante a 1'erreur des profelytes. Auffi Boffiuet ne fouffrit-il jamais qu'on faccufat d'avoir confeillé,  DE BOSSUET. 359 d'approuver même ces exécutions barbares. Mais il n'ignoroit pas par combien d'imputations fecretes les impitoyables Adverfaires du proteflantifme cberchoient a faire retomber fur lui route la haine des vexations dont ils étoient les promoteurs. On afTure que dans la conférence publique qu'il eut avec le Miniftre Claude , ce dernier ayant parlé avec une force qui fit craindre BolTuet pour la bonne caufe, les adroits ennemis de 1'Evêque de Meaux mirent fourdement tout leur crédit en oeuvre, pour qu'il füt permis au Miniftre de publier cette conférence, tant les intéréts de la Religion leur étoient chers & facrés. Autant 1'Evêque de Meaux fe montroit contraire a la violence des perfécutions , autant il étoit inflexible fur les moyens qu'on propofoit pour rapprocber la doctrine des Proteftans, de celle des Catholiques. En vain un Miniftre qui avoit écrit contre Bofluet, & qui fe croyoit bien für d'avoir eu 1'avantage , exhortoit fon illuftre Adverfaire a montrer du moins en cette occafion quelque condefcendance pour les accommodemens qu'on avoit ima-  i-So Éloge gines: La Foi , répondit 1'inexorable Prélat, eft une & févere, & ne fauroit fe prêter a des palliatifs ni d des fubterfuges. Leibnitz , dans fa correfpondance avec lui pour la réunion des Proteftans a 1'Eglife Romaine , lui propofoit de n'avoir aucun égard , dans ï'accommodement propofé , aux décifions du Concile de Trente. Bolfuet répond avec une forte d'ironie pleine d eloquence & de noblelfe : Sic itaque per proflrata anteriorum Conciliorum cadavera , ad trifte 'Mud & infelix gradiemur Concilium (i). Auffi Leibnitz s ecria-:-il plus d'une fois durant fa négociation avec Bolfuet : 11 nous écrafe par Vexpreffon 1 Le Philofophe ^ qui auroit bien défiré, dans cette controverfe, ne faire parler que la raifon feule , fans éclat & fans appareil, vouloit réduire I'Orateur a répondre a fes queliions de la maniere la plus fimple & la plus courte, a peu pres comme 1'Aréopage interdifoit autrefois 1'élo- (i) Cc [tra donc en foulant aux pieds les cadavres entajfés des anciens Concilcs, que nous irons renverfer ce trifte & malheureux Concile de Trente.  DE BOSSUET. 261 quence aux Avocats. Mais Boffuetpouyoit-ij fe réfoudre, dans une occafion fi intérefTante pour lui, a ri£ pas ufer de tous fes avantages ? II en réfulta que I'Orateur & le Philofophe ne purent convenir de rien. On doit feulement s'étonner qu'un Prélat fermement attaché a tous les principes de 1'Eglife Romaine, & un Savant éclairé tel que Leibnitz, qui devoit connoitre 1'intolérance Catholique en matiere de dogme , pulTent efpérer quelque fuccès réciproque dans la grande affaire qu'ils avoient entrepris de traiter. Peut-ètre ne vouloient-ils que déployer 1'un & 1'autre toutes les reffources de leurs talens & de leur génie; & le fuccès de 1'un & de 1'autre a cet ég.;rd fut tel qu'ils pouvoient le defirer. Boffuet étoit perfuadé qu'on défendroit très-mal-adroitement la Religion Catholique , en entreprenant de dépouiller les dogmes de la Foi de leur enveloppe myltérieufe , ck en fe permettant de vaines tentatives pour éclairer des foibles lumieres de la raifon cette fainte obfcurité. Quedoivent penfer, difoit-il, les Catholiques éclairés, d'une prétendue explication phyfique  262 Éloge qu'on a voulu donner de la préfence réelle l II vouloit parler d'une explication de ce myflere, qu'un dévot Mathématicien avoit pris la malheureufe peine de rédiger en forme géométrique (i) ; (i) On ne fera peut-être pas faché de trouver ici ces étranges théorêmes fur la préfence réelle , düt-on gémir , après les avoir lus, fur la fottife de 1'efprit humain. Ils font 1'ouvrage du Géometre Varignon , qui les a rédigés a peu prés de la maniere fuivante : Théor. i. Pour faire un homme, il faut un corps & une ame. Cor. i. Donc pour faire deux hommes, il faut deux corps & deux ames ; pour faire trois hommes , trois corps & ttois ames , &c. Cor. i. Donc fi une feule ame eft unie a p'ufieurs corps , le rout oe fera qu'un feul homme, fur-tout fi ces corps font femblables, & exécutent les mémes adions & les mêmes mouvemens. Théor. i. Un pygmée , un nain, eft un homme ainfi qu'un gcant. Cor. t. Donc le volume plus ou moins grand du corps humain ne fait rien a 1'eflence dc 1'homme. Cor.t. Donc un corps humain, s'il eft uni a une ame , peut être de telle petiteflé qu'on voudra, & même d'une petitefTe imperceptible, fans que le compofé de cette ame & de ce corps cefTe d'être un homme. Cor. 3. Donc fi une même ame eft réunic aune quantké prodigieule de corps humains,  DE B O S S U E T. 26j entreprife qu'on peut comparer a celle da-favant Caramuel de Lobkovitz, dans fon grand Ouvrage'intitulé ; Mathefis audax, Mathématique audacieujè, oh 1'Auteur, Ge'oraetre intrépide &Tnéologien lumineux , re'fout, par le fecours quelque petïts qu'ils foient , le tout fera un homme, & un feul homme 'Cor.précéd. & Cor. %. du Théor. i). Théor. 3. Un enfant devenu vieux, reftc toujours le même homme, le même moi qu'il 1 étoit, quoiqu'il n'ait peut être confervé aucune particule de fon premier corps , paree ; que la même ame y refte toujours unie. Cor. Donc fi 1'ame de Jérus-Chrift eft unie a un corps humain quelconque , différent dc I celui que le Fils de Dieu avoit fur la terre , on pourra dire que ce compofé de corps Sc d'amc eft Ie même Fils de Dieu qui s'eft fait homme , & qui a habité parmi nous. Cor. général, Donc fi au moment de Ia confécration on fuppofe que toutes les particules du pain , aufii petites qn'on aura befoin dc 1'imaginer, foient transformées chacune en un petit corps humain imperceptible , & que 1'ame de Jéfus-Chrift foit unie a chacun dc ces petits corps, il en réfultera un compofé qui ne fera , par les propofitions précédenten, qu'un feul homme ,1 & Ie même Fils de Ditu qui . s'eft incarné, & qui habite au cicl; en divifant le pain , le Fils de Dieu reftera tout I entier dans chaque partie , & fera recu tout ! entier par ceux qui communient, &c.  204 Éloge feul de la regie & du compas, toutes les queftions théologiques , principalement celles qui cóncernent le libre arbitre & la grace. ■Notre Siècle même, tout éclairé qu'il eft au qu'il croit être, n'eft pas exempt de la pieufe extravagance du Géometre Varignon. Nous avons fous les yeux une petite brochure, compofée, il y a quelques années, par un Jéfuite Métaphylicien & Mathématicien, pour expliquer a fa maniere , &, fi on 1'en croit , fuivant les principes de la faine Phyfique , le grand myflere du trésfaint Sacrement de l Autel. Le principe del'Auteur, eft que les corps phyfïques, comme 1'expérience le prouve , ont beaucoup plus de pores que de parties folides ; mais qu'en refferrant ces parties & détruifant tous ou prefque tous les pores , le corps ne changera point de nature , quoiqu'il devienne beaucoup plus petit, & même d'un volume imperceptible. Notre Jéfuite fuppofe donc que le corps de J. C. , ainfi refferré & prefque fans pores, eft renfermé tout entier dans chaque atome de 1'hoftie confacrée ; par-la le Théologien, foi-difant Philofophe , explique avec  BE B O S S U E T. 265 avec une facilké extreme les principaux points du Myftere euchariftique. L'Evêque de Meaux n'approuvoit pas davantage 1'idée chimériquedecesThé'ologiens , qui, pour expliquer comment le corps d'un Dieu dans 1'Euchariftie eft préfent en plufieurs lieux a la fois, donnent a ce corps une vitefTe infiniment plus grande qu'au courfier le plus rapide ; en forte que durant Ia même feconde i! puiiTe fe trouver dans tous les lieux de 1'Univers oü la confécration exige fa pre'fence ; imagination .qu'on. pourroit appeler ridicule , s'il n'étoit pas plus jufte de la nommer fcandaleufe , puifqu'elle ontrage & avilit la Religion en lui prêtant de fi frivole» appuis : car malheureufement pour ces chimères ph'yfico - the'ologiques , le Concile de Trente a de'cide que le Fils de Dieu eft préfent dan> l'Euchariilie d'une maniere incompréhenfeble. Ce Concile a eu certainement tres grande raifon de le décider ainfi, & il eft tout a la fois abfurde & mal-fonnant de vouloir rendre intelligible ce que la foi nous de'clare être ineffable. On feroit plus excufable d'imiter lapieufe foumiffion de ce Roi de ■ Tomé II. - M  266 Éloge France,, qui, palTant prés d'une églife devillage, oü on 1'anura qu'il verroit clairement la préfence réelle , refufa d'en être témoin , pour ne pas pérdre le mérite de fa foi. Nous avons parlé au commencement de ceue note, de la douceur dont Boffuet vouloit qu'on ufat a 1'égard des Proteftans. On a objeclé plus d'une fois contre cet efpfit de charité qu'il profeffe en plufieurs endroits deYes Ouvrages , ce qu'on lit dans fa politique tirée de VEcriture-Sainte ; que le Roi doit ernployer fon autorité pour dé~ truhe dans fes Etats les fauffes Religions. C'étoit alors la maxime terrible , mais générale,desThéologiens de France ; maxime en effet bien contraire aux protefTations de BofFuet contre la violence employee a 1'égard des Hérétiques. Mais comme ifeft jufte d'expliquer un Auteur par lui-mcme , nous emploierons ces proteftations même de Bolfuet, a expliquer dans quel fehs il croyoit que 1'autorité dut agir pour la converfion des Proteftans 5 il faut, ou fuppofer a la fois ce grand Prélat inconféquent & peufincere, ou croire qu'il ne perraettoit a 1'autorité que les  DE BOSSUET. l6j moyens auffi doux qu'efficaces dont elle peut ufer pour la propagation de la Foi, en facilitant, protégeant'& re'pandant les moyens d'infiruétion , en accordant des diftitfctions ck des récompenlés aux nouveaux convertis, fans infliger de peines aux opiniatres , ck fans iouffrir qu'on exerce aucune vexation contre eux , ce qui efl peutêtre le plus fur moyen de les ramener. Nous devdis a la mémoire de 1 Evêque de Meaux, de croire que tel a été Ie fond de fes fentimens. On peut demander , il eft vrai, pourquoi ce Prélat , accrédité comme il 1'étoit a la Cour ck dans 1'Eglife , n'a pas infpiré une maniere de penfer fi religieufe aux Evêques fes confrères, au Prince & a fes Miniftres l Pou rquoi, s'il avoit en horreur la perfécution , il ne s'eft pas élevé contre elle avec la vigueur ck 1'autorité que lui donnoient fes talens ck fon éloquence ? II eft a préfumer que Boffuet a fait fur ce point les repréfentations que 1'humanité , la juflice ck la religion exigeoient de lui • mais que la déteitable politique des perfécuteurs a empêché 1'effet de fes fages remontrances. M 9  ï.6S Éloge Quoique lescruautés exercées contra les Proteflans , le fufTent au nom de Louis XIV, il paroit que ce Prince , naturellement jufte & droit , ne les approuvoit pas. Voici ce qu'on lit dans un difcours qu'il fit pour l'inftruclion du Dauphin fon fils, & dont 1'original, diclé par le Monarque a Pelif-1 fon , efl de'pofe' a Ia Bibliotheque du Roi. » II me femble , mon fils, que » ceux quivouloient employerdesreme» des extrêmes ck violens, ne connoif» foient pas la nature de ce mal, caufe' » en partie par la chaleur des efprits , » qu'il faut laifTer paffer ck s'e'teindre v infenfiblement, plutöt que-de la rals> lumer de nouveau par une forte con» tradirflian , fur-tout quand la corrup» tion n'eft pas bornée a un petitnom» bre connu, mais répandue dans tou» tes les parties de 1'Etat; & d'ailleurs i> les Réformateurs difoient vrai en plu- » fieurs cbofes Le meilleur moyen » pour re'duire peu a peu les Huguenots v de mon Royaume, étoit de ne les » point preffer du tout par aucune ri» gueur nouvelle contre eux «. On a imprimé ce difcours en 1767, fous le nom de PelifTon , dans un Recueii  BE B O S S U E t. 269 rYOpufcules llttéralres ; mais on a eu grand foin d'en retrancher le paffage précédent, & quelques autres de la même nature ; fuppreffion bien pumffable par 1'injure qu'elle a faite a la mémoire d un Prince fi rempli de bonnes intentions , & fi indignement trompé par fes Diredeurs & par fes Miniftres. NOTE XIII, relative aux pages 165 6- 166 , fur le courage de BOSSUET pour défendre l'honneur & les intéréts de la Religion. JLjA Thefe ridiculement fcandaleufe dont Bolfuet ofa porter fes plaintes au Roi, & dans laquelle ce Prince étoit mis fansfacon a cöté de 1'Etre fuprême , avoit eu ssparemment pour models une Thefe' plus ancienne de cinquante ans, &, s'il eft poffible, plus fcandaleufe encore ; elle étoit dédiée au Cardinal de Richelieu, & avoit pour devife , Quis ut Deus ? Qui eflfemblablt d Dieu ? La réponfe a cette queftion étoit Richellus , dont les neuf lettres formoient le commencement des neuf Müj  27° Éloge pofitions de Ia Thefe. La bafTefTe étoïc peut-etre encore plus grande dans un Coürtifan de Louis XIII , homme de tres-grande naiiTanee , & que nous ne deftgnerons pas autrement, par refpect pour Ion nom. Ce vil adulateur appels ^liJ'°UrS 3e Cardinal de Richelieu JanMaure , & les autres Courtifans le louffroienT (i). Dans uu petit Recueii en deux volumes , intitule' Curiofités hiftoriqïies s on ht un Journal des demiers momens de Louis XIII , écrit par un de fes Valets de chambre, nomrné Dubois y (i) Uu bon ou mauvais plaifant fit un mo»r,ent juftice dc unt de batfes adulations , a Toccafton d'une autre Thefe dé^iée au Cardinal , & affkhée dans Paris. L'cftampc de cette Thefe repréfentoit Richelieu ajfis , & ayant en m.airi un gouvernail, avec lequel il faifoit mouvoir le glt-be dü Monde ] un y avoit joint I'infcription : Hoe agente , cuncia incyentur : Par foa aülon , il fait tout mouvoir Le lendemain de Ia pubücation de cette Thefe , on lut ces mots ajoutts a Ia mam dans; p'uheuis exe-rnplaires ; Rqc erso Cedent* quiefcent : Etant donc affis , il laiffeni tout en repos. Le Cardinal trts-irriré , donna des ordres unie pour qu'on dccouvric 1'Auteur de ceue Epigramme.  de Bossuet. i;t ck. curieux en effet par fa naïveté. II nous apprend que ce Prince étant a Vagonie, & ne parlant plus , avoit les mains croifées fur fa poitrine , & les yeux levés au Ciel, oü s"adreffoient avec firveur fes prieres & fes vaeux ; ce qui marquoit , ajoute-t-il, un grand commerce entre leurs MaJESTÉS DIyiNE ET HUMAINE. On voit que les Valets du Monarque ne le cédoient point en adoration aux efclaves du Miniftre. C'eft dommage que les maladies , la vieilleffe , la mort, avertiffeht les Rois & les Grands qu'ils ne refïèmblent pas plus \ Dieu que les autres hommes, Sans cet avis peu agréable pour eux, mais confolantpour 1'kunianite', ils pourroient quelquefois être lentes de fe méprendre fur la nature de leur être ; 1'abjeclion de la flatterie , 8c la profufion de 1'encens leur feroient oublier ce qu'ils font. Nous avons rapporté , dans 1'Eloge de Boffuet , fa courageufe réponfe a Louis XIV, furie zele que le Prélat avoit montré dans 1'affaire du Quiétifme. II ne fe montra pas moins ferme dans une affemblée du Clergé, tenue vers la fin du dernier fiecle. Cette M iv  %72 Éloge Affemblée le mit a Ia tête des Examina teurs de quelques propofitions qui renfermoient une morale fcandaleufe propofitions dont les Auteurs e'toient bien connus & puiffamment protégés. Louis XIV, féduit par fon Confeffeur Jéfuite, ne confentit a la condamnation de ces propofitions, qua coadition que ces Auteurs ne feroient pas nommés. BofTuetcéda, quoiqu'avec peine ; mais forcé d'épargner les corrupteurs du Chriflianifme , il n'en fut que plus févere a qualifier leurs affertions, & a développer tout le venin qu'elles renfermoient ; les partifans de cette mor-ale , deja peu difpofés en faveur du Prélat qui 1'avoit fait profcrire , pardonnerent moins que jamais a leur intrépide cenfeur; mais il hrava leur crédit & leur haine , & préféra 1'Evangile aux protecleurs des Cafuifles. L'imputation de Janfénifme, faite en cette occafion ,par Je Pere de la Cbaife a 1'Evêque de Meaux, fut d'autant plus maï-adroite, que le Prélat avoit pris le trifle foin de combattre férieufement cette étrange béréfie. II adreffa aux Religieufes de Port-Royal une longue lettre fur ia fignature dn formulaire ,  DE B O S S U E T. 275 oü il tacha , mais inutilement, de leur perfuader qu'elles ne pouvoient , fans danger pöur leur falut , refufer cette fignature. On ne fait ce qui doit le plus étonner , ou les vexations qu'on exercoit contre ces pauvres Religieufes pour les forcer d'avouer que cinq propofitions inintelligibles de Théologie fcholafiique étoient dans un Livre latin qu'elles ne pouvoient lire , ou 1'optniatreté qu'elles montroient a croire la-deffus leurs Directeurs Janféniftel, plutöt que le Pape ck les Evêques, ovt le temps que daignoit perdre le grand BofTuet a écrire a ces filles , fur une matiere fi peu faite pour elles ék fi peu digne de lui. On prétend que ce Prélat, dans une violente maladie , ayant perdu connoiffance durant quelques heures, 6k n'étant encore revenu qu'a peine de ce long évanouhTement , dit a ceux qui Tenvironnoient : Comment un homme tel que moi a-t-il pu être fi longtemps fans penfer ? Nous n'appuierons pas fur le petit pêché de vanité que les détraéteurs de BofTuet pourroient trouver dans cette réponfe. II M ¥  274 Éloge eft arrivé fouvent a plus d'un grand homme d'exprimer naïvement la bonne opiaion qu'il avoit de lui-même , 8c cette naïveté du génie peut mériter quelque indulgence j mais nous dirons que BofTuet , après s'être occupé fi férieufement 8c fi afhdument de Janfénifme, de Molinifme , de Quiétifme , & d'autres matieres femblables, auroit dü s'écrier avec bien plus de raifon : Comment un homme tel que moi a-t-il pu fi long-temps penj'er d tant de chimères ? L'Evêque de Meaux, malgré les coups que la Société luiportoit fburdemenr, étoit lié, au moins d'eftime, avec quelques Jéfuites; mais il ne diffimuloit pas au/li tout le cas qu'il faifoit des Lettres Provinciales, ce chef-d'ceuvre de plaifanterie & d'éloquence qui a préparé la deftruétion de la Société plus de cent ans avant qu'elle arrivat. Les deux partis, en cherchant a gagner Bolfuet fans pouvoir y réunir, rendoient une juflice égale a la pureté de fa dodtrine ; Arnaud , ayant entendu parler d'une conférence qu'il devoit faire fur 1'amour de Dieu,décida, avant de 1'avoir en-  DE BOSSUET. 575 tendue , que ce feroit une belle chofe ; &. 1'Oraifon funebre de Bolfuet a été prononcée par un Jéfuite. On pourra regarder comme une efpece de paradoxe ce que nous venons de dire , que les Lettres Provinciales, publiées en 1656 , ont tué les Jéfuites cent ans après, en 1760. Mais ce prétendu paradoxe deviendra une vérité inconteflable , fi 1'on fait attention que la doctrine révoltante , tant reprochée aux Jéfuites dans cet Ouvrage , a été , finon la caufe réelle , au moins le motif ou le prétexte juridique dont on s'eft fervi pour les détruire ; que les Lettres Provinciales , conftammenr lues &. reïues jufqu'a nos jours, ont entretenu dans la Nation , 1'opinioa , bien ou mal fondée fi 1'on veut , mais invariable , que les Jéfuites étoient les vrais & feuls auteurs d'une fi déteftable doctrine ; que cette opinion a mis un poids terrible contre eux dans la balance oü les Magiftrats les ont pefés , &. qu'elle a difpofé le Public a croire , même fans examen , toutes les horreurs dont on a chargé la Société dans -le Livre des Affertions. Ainfi la voix des Tribunaux qui a profcrit cette So. Mvj  27& Éloge eiété , avoit été précédée de Ia voix publique , dont I'appui en cette occafion étoit peut-être néceiiaire a 1'autorité , & la voix pubüque avoit regu. le ton des Provinciales. 11 ne faut donc pas croire ,^ comme on pourroit Ie penfer d'après d'autres exemples, qu'on ne vienne jamais a bout de nuire par des Livres a des hommes ou même a des corps puiffans. Ecrive^, mais fache^ attendre , peut-on dire aux hommes dont la plume difpofe de 1'opinion; ce que vous ave^_ femè fruclifiera tót ou tard. Bolfuet faifoit un li grand cas des Lettres Provinciales, qu'il difoit, finon avec moderne, du moins avec franchife, que ce Livre étoit celui qu'il auroit le mieux aimé avoir fait, s'il n'avoit pas fait les flens. Ses détracfeurs ajoutoient, qu'il auroit même fait un bon marché en donnant pour les Provinciales toutes fes producfions théologiques. Defpréaux, comme on verra dans les notes fur 1'Eloge de ce grand Poëte , ne faifoit pas moins de cas que Bolfuet des Provinciales ; & ces deux fuffrages font peut-être le plus grand éloge qu elles aient jamais regu,  BE B O S S U E T. ijy » Cet Ouvrage a en effet d'autant plus » de mérite, comme nous 1'avons obfervé » ailleurs (i), que Pa/cal, enlecompo» fant, femble avoir deviné deux chofes » qui ne paroiffent pas faites pour être » devinées, la langue 8c la plaifanterie. » La langue étoit bien loin d'être for» mée ; qu'on en juge par la plupart » des Ouvrages publiés dans ce_même » temps, 8c dont il eft impoffible de » foutenir la lecture. Dans les Pro» vinciales, il n'y a pas un feul mot » qui ait vieilli ; 8c ce Livre , écrit » il y a plus de cent ans, 8c dix ans » avant la première Tragédie de Ra» cine , femble avoir été écrit d'hier. v Une autre entreprife, non moins dif» ficile , étoit de faire rire les gens » d'efprit 8c les honnêtes gens a pro» pos de la grace fujfifante , du pou» voir prochain, 8c des décifions des * Cafuiftes; fujets bien peu favorables » a la plaifanterie , ou , ce qui eft pis » encore , fufceptibles de plaifanteries » froides 8c monotones, capables tout » au plus d'amufer des Prêtres 8c des (O Voyez 1'Ouvrage dc M. d'Alembtrt, fur Ia deftruction des Jéfuites,  Éloge » Moines. II falloit , pour éviter cet » écueil, une fine/Te de tact d'autant » plu? grande, que Pa/cal vivoit fort » retiré, & éloigné du commerce du » nionde ; ij n'a pu démêler que par » la fupériorité 8c la déiicateffe de fon » efprit , le genre de plaifanterie qui » pouvoit feul être goüté des bons Ju» ges dans cette matiere feche & infi» pide. II y a réuffi au dela de toute » expreffiqn ; plufieurs de fes bons » mots ont même fait proverbe dans » la Langue ; & les Lettres Provincia» les feront éternellement regardées » comme un modele de goüt 8c de » ftyle «. BofTuet & Defpréaux avoient donc très-grande raifon d'exaltcr les Provincia'es , fur-tout dans un temps oü nous n'avions encore aucun bon Livre de profe, Sc oü le crédit des Jéfuites 8c la haine qu'on leur portoit rendoient cette fatire intérefTmte. Mais depuis que Ia Littérature Francoife a produit un grand nombre d'écrits , auffi eftimables que les Provinciales par' le ftyle , Sc beaucoup plus utiles par la matiere ; depuis fur-tout que la dangereufe Société, objet de cette ingénieufe fatire , a  DE BOSSUET. 279 difparu du milieu de nous , 1'intérêt qu'on a pris fi long-temps a la leóture des Provinciales s'afFoiblic de jour en jour , &. femble annoncer 1'oubli total de 1'Ouvrage. » Cet oubli, avons-nous » ajouté dans le même Ouvrage , eft le ?> fort auquel doit s'attendre 1'Auteur le » plus éloquent, s'il n'écrit pas descho» lés utiles a toutes lesNations & a tous » les Siecles ; la durée d'un Livre , » quelque mérite qu'il ait d'ailleurs , » eft prefque néceffairement lice a celle » de fon objet. Les Penfées de Pa/cal, » bien inférieures aux Provlacïaies , » vivront peut-être plus long-temps, » paree qu'il y a tout lieu de croire » (quoi qu'en dife 1'humble Société) , ■>> crue le Cbriftianifme durera plus » long-temps qu'elle. Les Provinciales » feroient peut-être plus afTurées de » 1'immórtalité qu'elles méritent a tant ü> degards, fi leur illuftre Auteur, cet » efprit fi élevé, fi univerfel , ék fi peu » fait pour prendre intérêt a des bil» levefées fcholaftiques , eüt tourné » égaleraent les deux partis en ridi» cule. La doctrine révoltante de Jan»fénius & de Saint-Cyran y prêtoit  2§o Éloge » pour le moins autant que Ia doctrine » accommodante de Molina, de Tam» bourïn & de Fafquès, Tout Ouvrage » oü 1'on immole avec fuccès a la rife'e >> publique des Fanatiques qui fe de'» ch'.rent, fubfifte même encore quand » les Fanatiques ne font plus. J'oferois » pre'dire cet avantage au Chapitre fur » le Janfe'nifme , qu'on lit avec tant » de plaifir dans 1'excellent Ejfai fur v VHifloire Générale, par le plus agre'a» ble de nos Ecrivains Philofophes. » L'ironie eft diftribuée dans ce Cha» pitre a droite Sc a gauche avec une » finelfe & une légérete qui doit cou» vrir les uns Se les autres d'un me'» pris ineffacable, Sc les de'goüter de » s'e'gorger pour des fornettes. II me » femble voir Ie Chat de La Fontaine, i> devant qui le Lapin St Ia Belette » vont porter leur proces au fujet d'un » méchant trou qu'ils fe difputent, 6& » qui, pour décifion, Jetant des deux cótcs la griffe en même temps, Mm les Pljideurs d'accoid en croquant 1'un U 1'auuei  D.E BOJSDÏÏ. 2$I NOTE XIV , relative a la page 167 , fur la maniere de penfer de BosSUET au fujet des Speclacles. 0 N fait que Louis XIV , qui, dans fa jeuneffe , danfoit quelquefois aux Speóiacles de la Cour, renonca pour jamais a fe montrer ainfi fur le theatre, lorfqu'il eut entendu ces vers de la Tragédie de Britannicus, ou 1 on tait dire aux Romains, en parlant de Neron, Il excclle i conduite un char dans la carrière, A difputet des prix indignes de fes mams, A fe donnet lui-même en Cjtefedc aux Romai.n,. Ces vers, & ces vers feuls avertirent 1 ouis XIV de 1'indécence du divertinement qu'il fe permettoit Aucu» de fes Courcifans n'avoit ole le hu dire, & peut-être n'y avoit penfé. Voila donc une vérité qua le Prince n apprit qu'authéatre , & que peutetreü rue pouvoit apprendre autrement (1). ■ (O On a fupprimé trcs-rrtal a propos des Kpréfentatiohs de Sémiramis ( nous ignoroas  «Sa È L O '6 I L'exemple de Louis XIV , & 1'avis dont il avoit fi bien pronte' en entendant Britannicus , n'ont point empéche', quatre vingts ans après , le Gouverneur & le Précepteur de Louis XV, de faire danfer le jeune Monarque aux yeux de toute fa Cour, dans les repréfentations du Ballet des Elémens, & de fouffrir même qu'on imprimat les vers de ce Ballet avec ce titre : Les Elémens, Ballet danfe par leRoï fur le grand t heat re des Tuileries, 17 21. Ce qui doit le plus étonner , c'eft quj le Prince Regent, qui vivoit encore, qui ne devoit pas ignorer 1 anecdote de Louis XIV, & qui fe connoiffoit en ndïcules , ait fouffert cet oubli des bienfe'ances. par quel mntif) Iss quatre beaux vers que <}« Grapd-Prêtte a la fin de cette Tragédie , ** qu; font pour les Rois une importante; lecon, exprimée avec autant de farce que dc noblefie. Par ce terrible exemple, apprenez tous du moins Que les crimes fecrets ont les Bieux pour tt'moins; Plus le coupable elt grand, plus grand eil le fupplice ; F.ais, tremblez fut le tióne , & craijncz ltur juflice.  BE B O S S U E T. 1S3 NOTE XV, relative d la page 168 , fur la foibleffe reprochée d BosS U E T par le Docteur Arnaud. 1N[ ou S avons dit que ce Doóleur , qui, a la vérité , n'étoit pas coürtifan , reprochoit uniquement a BofTuet de n'avoir pas montré affez de zele pour la défenfe de la grace efjncace. Ce trait du Doóleur Arnaud, oü fe décelent fi finguliérement les affeclions toutesperfonnelles de 1'efprit de parti, a été plus d'une fois imité par fes Difciples. C'eft, par exemple, en écoutant uniquement ces affeclions, qu'un Ecrivain moderne, qui a fait une Hifloire de 1'Eglife, 8c qui, en parlant du dix-feptieme fiecle, defcend aux détails les olus miniuis'jA fur les affaires de Poit-Royal, ne dit pas un mot de la révocation de E Edit os Nantes, qui ne lui a point para un événement guffi Intéreffant que 1'exil de quelques Sceurs converfes pour la fignature du formulaire. Boffuet n'avoit donné ni au Doóleur Arnaud, ni a fesSeófateurs, l'exemple  2$+ Éloge de cette étrange perfonnalité: car ce Prélat, fi inflexible fur les vrais intéréts de ia Religion , fur les libertés du Uergé de France , fur la pureté de la morale , étoit très-indulgentpour ce qui n'attaquoit que fes opinions particuheres. Une de fes dévotes avoit te'moigné beaucoup de chaleur contre un Ouvrage oü quelques fentimens de 1 Evêque de Meaux, indifférens aux dogmes de la Foi, étoient durement qualifiés. II écrivit a cette femme pour modérer fon intolérance , & pour lui faire fentir que dans tout ce qui ne toucbe pas effentiellement la Religion , les opinions doivent être libres. » S'of» fenfer, lui dit-il, de la contradiélion » fur ces rnatieres , n'eft qu'une peti» teife de ia vanité «. Maxime qui n'eft pas toujours celle des prétendus zélateurs de la faine doctrine , fouvent moins occupés dans leurs querelles théologiques du triomphe de la vérité, que de celui de leur amour-propre.  © E B O S S U E T. 185 No TE XVI , relative a la page 168 , fur quelques autres reproches faits a PEvéque de Meaux. JNIous répondrons encore a mie derniere imputation dont la calomnie a chargé BofTuet, d'avoir ufé de fraude dans fon Ouvrage intitulé : Expojition de la Dccïrine Catholique ; d'y avoir repréfenté peu fidélement la Foi de 1'Eglife Romaine, & d'avoir trompé les Proteflans pour efTayer de les ramener ; les approbations impofantes dont ce Livre eft muni & prefque furchargé , réfutent fuffifamment cette accufation. Qui doit mieux connoitre la Doctrine Catholique, que tant de Papes & d'Evêques qui ont comblé d'éloges cet Ouvrage de Bolfitet ? Et ceux qui ont eu le malheur de fe féparer de 1'Eglife, peuvent-ils fe flatter de favoir mieux qu'elle en quoi confifte fa croyance ? Si les Proteftans furent injuftes dans le reproche qu'ils firent fur ce point t 1'Evêque de Meaux, ils furent ani  aS6 Éloge moins d'autant plus excufables, que des Ecrivains Catholiques , mais, a Ia vérité, plus Catholiques queChrétiens, leur dennerent 1'exemple de 1'injuflice. Témoin le paiTage oü Ie Jéfuite Maimbourg, dans fon Hijloire du Calvtnifme, ofa peindre , fous le nom du Cardinal Contarini , Ia prétendtte mauvaife foi de 1'Evêque de Meaux dans fon expofition de la Doctrine Catholique. » En » traitant, dit-il , de la Foi, de fa Jufj> tification, Sc du mérite des bonnes » ceuvres, le Cardinal Contarini fe fer» vit de certaines expreffions ambïguës, » dont ni 1'un ni 1'autre des deux partis » ne parut fatisfait, paree qu'elles n'ex» primoient pas tout ce que chacun » prétendoit eflèntiel a fa croyance. On » a vu de tout temps que ces préten» dus accommodemens de Religion » qu'on a voulu faire pour réunir les » Fiéréticjues Sc les Catholiques , dans » ces Joi-dijantes exvofitions de foi qui » fuppriment ou dïffimulent , ou n'ex» priment qu'en termes ambigus la » doclrine de 1'Eglife , ne fatisfont » perfonne 5 les uns Sc les autres fe » plaignent de ce qu'on ufe de diffi» mujation dans une chofe auffi délicate  DE B O S S U E T. 1 §7 *>> que la Foi , oü faillir en un point, » c'eft manquer en tout «. On laiffa dire le Jéfuite , que perfonne ne crut; & Vexpofition de BofTuet répondit par fon fuccès k tous les Cenfeurs. On a dit de Maimbourg, qu'il étoit parrni les Hiitoriens ce que Moinus eft a la table des Dieux, pour y faire des contes bons ou mauvais, fans fe mettre en' peine de la vérité. Un Ecrivain fi décrié a pourtant eu (qui le croiroit ! ) des partifans zélés, même parmi les Erudits; & 1'on allure que' le favant Baluze fe faifoit fort de montrer , dans les Auteurs originaux , les preuves de tout ce qui pafToit pour menforge dans les Ouvrages du Jéiuite (i). (i) Ce Pere Malmboèrg , quaique vil inftrument de la haine de fa Société pour 3offuet , n'épargnoit pas fes Confrères , même dans les portraits grofféremcnt fatiriques , dont il ther^-höit a déccrer fes rapfodic-s. fa cenfure aigre & mordanrc qu'il a faire du Grammairien George de Trébifondc dans fon Hijiuire du Schij'me des Grecs , étoir uns fatire indirect: du Pere Bóütïbuts , dont appareinmetit le purifm; févere & fcruptilcux avoit peu menagé récrivaiileur foa Confrère*  s8S Éloge , Les imputations de Maimbourg fur k facilité coupable de BofTuet , & celle des Réforme's fur fa rigueur impitoyable , fervent au moins a fe détruire les unes les autres. Egalement éloigné des deux extrêmes , fi ce Prélat ne pouvoit fe réfoudre a rien relacher a 1'égard du dogme , il cherchoit en même temps tous les moyens de fe rapprocher des Proteftans dans ce qui n'intérefToit pas le fond de la doctrine. II ne s eloignoit pas, comme on le voit par une de fes lettres, d'engager le Pape a leur accorder laComrnunion fous les deux efpeces; mais fon auftérité épifcopale tint ferme fur Partiele du célibat; ce qui fuffiroit pour réfuter la fable de fon mariage , fi elle avoit befoin de réfutation. Le reproche qu'on a fait a BofTuet, d'avoir manqué de fincérité en expofant les dogmes Catholiques , a trouvé un Apologifle d'une efpece finguliere dans le fameux Richard Simon. BofTuet , felon lui , n'avoit fait que reffufciter un vieux Livre de TEvêque du Bellay le Camus, intitulé : Vavoifinement des Proteftans vers VEgUfe Romaiiie. Ainfi, tandis que le Jéluite Maimbourg  DE B O S S U E T.> 2S9 Maimbourg accufoit 1'Evêque de Meaux d'avoir aliéré ou pallié la doctrine de 1'Eglife, 1'ex-Oratorien Simon lui ötoit même le. foiMe mérite de 1'invention fur ce pfJÉnt , ck le réduifoit a n'èrre que le plagiaire de 1'Evêque du Bellay. Mais le Pape ck 1'Eglife de France répondirent a A^aimbourg par les éloges qu'ils prodiguoient au Livre de Bofluet; ók le Public a répondu h Simon en lifant 1'Evêque de Meaux, ck en ne lifant point 1'Evêque du Bellay. NOTE XVII, relative a la page 170, fur le travall Irfatlgable de VEvêque de Meaux. c C51 cet illuftre Prélat fe permettoft quelques délaffemens très-courts ék trés-rares , il cherchoit encore a les rendre utiles a 1'Eglife. II a. laiffé des traduclions en vers francois d'un grand nombre de Pfeaumes; traducfions qu'on allure avoir été admirées autrefois. II ne nous appartient pas d'en apprécier le mérite ; mais quand le Parnaffe jugeroit plus févérement que la SorTome 11. N  zoo Éloge bonne ces Poélies facrées, BofTuet étoit Ti grand comme Orateur , qu'il lui feroit trés - permis de n'avoir été que médiocre comme Poëte. Dans les dernieres éditions de fes Oraifons funebres, on a inféré une de ces Pieces de vers qu'il fe permettoit quelquefois par délaffement. C'eft une Ode fur la Liberté , qui a pour titre ; La Liberté crse'e, perdue, rêparée , couronnce. Le titre eft d'un Orateur , & 1'Ode n'eft pas d'un Poëte. AT0TE XVIII, relative d la page 173 , fur les travaux de BOSSUET dans jon Diocefe. L'Évêque de Me aux , en faifant le catéchifme aux enfans , & fur-tout a ceux des pauvres , fe propofoit, difoit-il , pour modele dans cette oeuvre apoflolique, le Sauveur des hommes , que 1'Evangile nous repréfente aimant 1'innocence de cet age , & raffembiant avec tendreffe de petits enfans autour de lui. Les maximes vrairnent épifcopales  BE B O S S U E T. 291 de ce grand Prélat fur les fecours de toute efpece qu'un Pafleur doit a fon Peuple , ne font pas tout-a-fait oubliées dans notre Siècle , malgré la corruption dont le luxe & la frivolité ont infeclé prefque toutes les ames & tous les Etats, Cornbien Bolfuet n'eut-il pas applaudi 1'inftruéHon fi fage & fi touchante que notre jeune Monarqut adrefTa , en 1775, aux Curés de fon Royaume fur ies malheurs qui nous affligeoient abers , & la lettre vraiment digne d'un Hoi bienfaifant, oü il exhorte les Prélats a faire entendre leur voix 6k a feconder fes foinspaternels! » II n'y auroit , difoit un fage & ver>> tueux Citoyen , qu'une chofe a dé-» firer dans cette lettre ; c'eft qu'elle » eut été tcrite , non par un Roi de » vingt ans, mais-par un Evêque «, Nij  SQ2 Éloge Note XIX, relative a la page 174, fur le nom que BoSSUET aura dans la poflérité. jf\ PRÉS tous les éloges que nous avons fi juflement donnés a cet éloquent Prélat , ofons cependant faire un aveu. La réputation de Bolfuet, très-brillante de fon temps, très-grande encore aujourd'hui dans 1'Eglife de France , dans les Ecoles de Théologie & parmi les Orateurs, paroit un peu affoibüe auprès du refle de la Nation. II faut s'en prendre , ók a Ia dhférence des circonflances , & a celle de 1'efprit des deuxSiecles. Dans le Siècle précédent, la controverfe étoit en honneur; le Public y prenoit part, les Courtifans même s'y intéreffoient ; les Gens de Lettres époufoient un des deux partis, Les difputes théologiques font maintenant négligées ck ignorées, Lesnombre.ux volumes de Bolfuet, tout remplis d'Ouvrages de cette efpece , qu'on a lus ck admirés durant' plus de foiKante ans , fe réduifent aujourd'hui,  DE B Ó S S V E T. ioj pour la très-grande partie des Leéteurs, a fon Bïftoire Univerfelle , a fes Oraifons funebres , & peut-être a quelques Sermons dont on parle encore ; ainli les produélions de ce Prélat éloquent ont beaucoup perdu de leur ancien éclat: au contraire, les Ouvrages de Fénélon , remplis & comme pénétrés a chaque page de ces principes de bienfaifance, de tolérance &. de charité, qui intéreffent tous les hommes , toutes les JNations & tous les ages, ont acquis beaucoup de Lecleurs dans un Siècle qui paroit fentir tout le mérite de ces vertus, qui affiche une grande eflime pour les connoifTances utiles, & un grand mépris pour les querelles fcholaftiquës. Cette différence fi martpiée de gout & de caraclere entre le Siècle de Louis XIV & celui-ci, influe non feulement fur la place qu'on affigne bien ou mal , de nos jours , a plupart de nos Ecrivains , mais fur le jugement qu'on porte des Princes mèmes qui ont gouverné la Nation. Henri IV & Charles V ont acquis des partifans nombreux, tandis que d'autres Monarques , fort exaltés de leur ■yivant , & dignes de 1'être a plufieurs IN iij  294 Éloge de Bossuet. égards , ont fenfiblemtnt baifTé dans J'opinion publique. On a fait un Livre des différentes révolutions de la fortune d'Arijïote ; on pourroit en faire un fecond, très-intéreffant & très-philofophique, des variations dans la renommee des Souverains & des Auteurs. Mais commq le temps eft enfin vSpi, oü la maniere de penfer fur Ariflote a été irrévocablement fixée , il vient de même , tot ou tard, un temps, oü la réputation des Ecrivains ck des Rois eft décidée fans retour , & oü 1'équitable poftérité attaché a leur mémoire un fceau ineffacable d'eftime ou de réprobation. C'eft a cette pollente, auili integre que redoutable , a prononcer en dernier reflort fur ie mérite de BofTuet; a fixer fans appel le rang qu'il doit occuper dans le petit nombre des Hommes celebres qui ont étonné ou éclairé leurs contemporains; a conflater enfin le droit qu'il peut avoir acquis , foit par fes talens , foit par fa conduite , aux éloges de la Nation ck a la reconnoifTance des hommes.  l jü v \j ■c' de charles B O ILEA U, ABBÉ DE BEAULIEU, NÉ d Beauvais en recu a la place de philippe GoiBAUB Dubois , le 19 Jout 1694, mort au mois de Mai 1704. C'e s t a fes prédications qu'il doit la réputation dont il a joui de fon vivant. Llle fut affez grande pour faire défirer de 1'entendre a la Cour 5 il y fut goüté de Louis XIV , qui répandit . fes bienfaits fur I'Orateur. On a de lui deux volumes de Sermons , qui ont été imprimés après fa mort ; on lui a même fait un honneur que peu N iv  2.96 Éloge de Pre'dicafeurs ont obtenu , & dont la plupart en effet feroient bien peu fufceptibles : on 'a recueilii dans un volume a part les penfées de 1'Abbé Boileau, comme on a recueilii celles de Maffillon & de Bourdaloue ; & fi ce Recueii efl aujourd'hui peuconnu, c'eft du moins une efpece d'hommage que nos Peres ont rendu aux fuccès de I'Orateur. Auffi trouve-t-on dans les Sermons de 1'Abbé Boüeau, finon de 1'éloquence , au moins de Yefprit; car Bourdaloue difoit de lui, qu'il en avoit deux fois plus qiïil ne falloit pour bien prêcher : mais fi Tefprit, dans un Ecrivain , ne fupplée jamais au talent , il peut au moins en faire fup» porter la privation ; & on ne fera pas de notre Académicien 1'infipide élcge qu'un Auteur de nos jours faifoit luianême de fes Ouvrages : 11 n'y a point d'efprit la-dedans, difoit-il avec toute 1'affurance d'un homme qui n'avoit ladeffus aucun reproche a effuyer ni k craindre (1). Quoique 1'Abbé Boileau , comme nous venons de le dire , eüt obtenu (i) Y°yez la Note (a),  t> E BOILEAÜ. 297 le fuffrage du Prince , qui devoit lui afiurer celui des courtifans, néanmoins, ti nous en croyons une anecdote qui n'eft peut-être pas plus vraie que beaucoup d'autres , il ne fut pas toujours heureux dans fes flations a Verfailles. On prétend que la Judith de Boyer , qui avoit été applaudie au théatre pendant le carême de 16y 5 , ayant été fiftlée après Paques , un Comédien qui en témoignoit fa furprife aux Speélateurs, recut du parterre cette réponfe: C'eft que pendant le carême les fifflets étoient d la Cour aux Sermons de. VAbbé Boileau. Ce trait, qui n'a pas befoin d'être jufle pour être plaifant, eft attribué a Racine par quelques compilateurs d'anecdotes. Nous fommes obligés d'avouer qu'il n'en étoit pas incapable , tout converti qu'il étoit alors ; les Epigrammes contre cette même, Judith de Boyer ck contre TAfpar de Fontenelle, faites dans le temps de fa plus haute dévotion , prouvent que s'il avoic renonce au théatre, il n'avoit pas renoncé a la fatire. Racine le fils, dans les Mémoires qu'il nous a donnés fur la vie de fon illulire pere; Mémoires oü la piété filiale s'exprime Nv  _.;S Éloge avec fa fimplicité laplusnaïve, avoue que fon pere eft en effet 1'Auteur du trait que nous venons de rapporter & il ajoute : Mon pere efiimoit 1NFJNlM ent lAbbé Boileau ; il ne fit cette réponfe que pour faire remarquer le goüt paffager & bizarre, qui fait qu'un bon Prédicateur n'efi pas goütéT tandis qu'un mauvais Poëte efl applaudi. Mais, quoi qu'en dife Racine le fils , on ne s'exprime pas de la forte pour plaindre le fort injuffe de ceux qu'on efiime, encore moins de ceux qu'on aime ; & le Prédicateur pouvoit répondre a cet ami qui l'eflimoit tant , par la chanfon de Molière: Si vous traitez ainlï , belle Iris, qui vous aime, Hélas 1 fjue poumez-vous faire a vos ennemis ? Quoi qu'il en foit , fi 1'Abbé Boileau ne fut pas un Orateur du premier ordre, il fut au moins un citoyen vertueux & de la plus fage conduite, ure Prêtre bienfiifant (deux mots qui ne font par malheur pas toujours fyno«ymes) , plein d'attachement & de zele pour fes amis , & empreffé même d'obliger les inconnus qui avoient befoiii de fes fecours.  de Boileau. 299 II n'étoit point parent du Poëte célebre dont il portoit le nom , & il ne faut pas le confondre avec 1'Abbé Jacques Boileau , Docfeur de Sorbonne , frere de Defpréaux , ck dont nous parierons plus en tiétail dans une des notes fur Tarnde de ce grand Poëte. Quelques perfonnes ont confondu le Prédicateur & le DocTeur , & n'ont vu dans fun ck dans 1'autre qu'un feul ck même Académicien. On prétend que Jacques Boileau avoit eu quelque défir d'obtenir ce titre , dont fon efprit ck fon érudition peu commune le rendoient alfez digne. Mais les traits un peu cyniques que fe permettoit trop fouvent ce frere de Defpréaux, fuffifent pour ne le pas confondre avec le foi-diiant ami de Racine, & pour juftifter, s'il en eft befoin , 1'Académie d'avoir préféré au Doéteur favant & cauftique le Prédicateur zélé & 1'EccléiLiiique édifiant (1). (1) Voyez la note (.£). N irj  3 oo Éloge Notes fur Tdrticle de VAbbé Boile au. (a) C eux qui ne voiidront pasprendre la peine de lire les Sermons de 1'Abbé Boileau , devenus alTez rares aujourdhui par leurmédiocrité même, pourront au moins trouver dans fes Penfe'es, la preuve deTefprit qu'on n'a jamais refufé a cet Orateur. Plufieurs de ces penfées méritent d'être retenues, celle, par exemple , qn'on lir a la tète du premier Chapitre. la preuve la plus réelle d'un vrai mérite, cefl ie Je connoitre ; cefl par-ld que la Philofophie finit; cefl par-ld que la Foi commence; cefl la lepon que le Sage fait d Vhomme , & la priere que le Chrétien fait d Dieu. Nous pourtions en citer beaucoup d'autres; mals il nous paroit plus utile de remarquer que le défaut général de ces penfées eft 1'ufage trop multiplié de 1'antithefe, & la fymétrie trop fréquente & trop affeéiée des exprelfions; 1'Abbé Boi-  de Boileau. 301 Jeau, dans cet Ouvrage, eft une efpece de Séneque Francois , mais avec une philofophie moins profonde & moins intérefTante que celle du Séneque Romain ; il a les défauts de Fléchier , mais il n'a ni la pureté , ni 1'élégance, ni l'harmonie de'fon ftyle. Auffi on lit encore Fléchier , ck on ne lit plus 1'Abbé Boileau. (h) Après la mort de notre Académicien , la Compagnie élut pour lui fuccéder M. de Tréville , fort attaché a Port-Royal , & dont le priricipal mérite étoit une grande facilité de s'exprimer , une forte d'éloquence qui en impofoit dans la converfation, en un mot le talent , fi féduifant pour la mukitude , ck p.refque toujours fi fattidieux pour les gens de goüt , de parler comme zin Livre. C'étoit de lui que le célebre Mcole difiat : 11 me bat toujours dans la chambre, mais il neft pas plutót au bas de Cefcalier que je Vat terra/jé; ji je vaux mieux que lui , cefl en fon abjence. Louis XIV v a qui Port-Royal avoit le malheur de déplaire , ck qui ne  $8* E L O G E le prouva que trop quelques anne'es après par la deftruófion de cette maiion infortunée , refufa d'approuver 1'élection de M. de Tréville, comme atteint ou fufpect de Janfénifme, quoique les Janféniftes & les querelles dont ils s'occupoiênt n'intéreffalfent guere 1'Academie Francoife , qui fe garde bien de prendre part aux controverfes théologiques, & qui n'a point de violence a fe faire pour s'abllenir de toucher a ce qu'elle n'entend pas. Le Monarque auroit pu donner une meilleure raifon de fon refus : c'eft que M. de Tréville n'étoit ni un Homme de Lettres affez difiingué pour entrer dans 1'Académie a ce titre , ni un perfonnage affez confidérable pour y être recu fans autre paifeport que la réputation dont il jouiffoit dans fon parti. Le Protecleur de 1'Académie lui donna donc dns cette circonftance, finon par raifon , du moins avec raifon 5 une 1-. con trèsutile ; & la Compagnie dut ie confoler aifément de voir fa lifte privée d un nom que le Public n'ira jamais y chercher. On alfure pourtant que  de Boileau. 30? ce Janfénifte Tréville favoit parfaitement le Grec : fl ny a en France, difoit le favant Ménage, que M. Cotel'i'er, M. Bigot & Mi de Tréville, qui fachent lire les Peres Grecs dans leur Langue. Nous en félicitons les Peres Grecs & M. de Tréville ; mais ce rare mérite étoit médiocrement précieux pour 1'Académie Francoife, malgré fon refpecT pour la Langue de Saint Athanafe & de Saint Bafile. On prétend que M. Arnaud d'Andilly , autre Ecrivain Janfénifte, ayant publié fa traduction des Confeffions de Saint Augiiftin , 1'Académie Francoife fut fi enchantée de cet Ouvrage, qu'elle offrit a 1'Auteur de 1'adopter parmi fes Membres ; que M. d'Andilly refufa modeftement cet honneur; qu'en conféquence la Compagnie réfolut de ne plus offrir a perfonne le titre è'Académicien , & d'attendre qu'on ^ demandat. L'anecdote de M. de Tréville fait douter que Louis XIV eüt approuvé le choix de M. d'Artdilly ; & la délibération vraie ou prétendue de 1'Académie , de ne plus offrir a perfonne le fauteuil académique „  304 Éloge de Boileaü. n'a pas toujours été bien rigoureufement obfervée, finon par la Compagnie en corps, au moins par quelques uns de fes Membres. Voyez les articles de Charles Perrault s de Jean Roland Mallet , &. du Cardinal de Soubife.  (i) Voyez fon Éloge dans l'Hiftoire ds 1'Académie des Belles-Lettres. É T I E.N- N E F AVI LL ON, ANCIEN AVOC AT-GÉNÉRAL AU PARLEMENT DE METZ, NÉ d Paris en 1632 , regu d la place le 17 Decembre 16^1 , mort le 1705 (1).  ÉLOGE  JLv JU v> \jr IL DE JEAN TESTU DE MAUROY, ABBÉ DE FONTAINE-JEAN ET DE S. CHERON, NÉ en 1626, repu d la place de Jean-Jacques de Mesmes, Préfident d Mortier, le 8 Mars 1680, mort le 10 Avril 1706. X_/A c a d é mIe , qui poffédoit deux Abbe's Teftu , les perdit en 1706, a deux mois 1'un de 1'autre ; nous ignorons s'ils étoient parens , ou plutöt nous préfumons qu'ils ne 1'étoient pas; car la raifon feule de parente avoit privé la Compagnie de pofTéder a la fois les deux Comeilles (1) , & il n'y li) Thomas Corneil.le ne fut élu qu'après ia icort du grand Corneille fon frere.  3o8 E L O G E a pas d'apparence qu'elle eüt traite' les deux Tefiu plus favorablemenr. L'Abbé Tefiu de Mauroy avoit été Tnffituteur des PrincelTes filles de Mon*fieur, frere de Louis XIV. II s'acquitta fans doute de cet emploi d'une maniere tres agréable' aux PrincelTes & k leur Pere; car une place d'Acade'micien e'tant venue avaquer, ck. (ce qu'il ne faut pas oublier de dire ) une place que Fontenelle follicitoit, Monfieur la demanda & 1'obtint pour 1'Abbé de Mauroy. » Le Prince , dit 1'Abbé Tru» biet dans fes Mémoires fur Fonte» nelle , ne crut pas pouvoir refufer a » un homme de fa maifon une démar» che qui lui paroiffdit fans conféS> quence ; il envoya donc un de fes » Gentilshommes a 1'Académie pour » lui recommander 1'Abbé de Mauroy, » & la Compagnie répondit qu'elle au» roit tous les égards qu'elle devoit » aux défirs de Son Alteffe Royale. Le » Gentilhomme ayant rendu compte » a Monfieur de la réponfe de 1'Aca» démie, Son AltefTe Royale, furprife » d'une déférence qu'elle n'exigeoit & » même qu'elle n'attendojt pas , dit » naïvement; EJl-ce au ils le recevroiu f  de Testu de Mauroy. 509 $> On tient cette anecdote de M. de* P Fontenelle même , & fes amis la » lui ont entendu raconter plus d'une » fois (1) «. • L'indiffe'rence peu flatteufe pour 1'Abbé de Mauroy, que le Prince témo gna fur cette recommandation a laquelle 1'Académie avoit donné tant de poids , eft pour la Compagnie une lecon dont elle fe doit fouvenir , lorfqu'elle fe trouvera dans des circonftances femblables. Les Gens de Lettres qui la compofent , font pour la plupart faifis d'une crainte religieufe au leul nom d'un homme puiffant ou qui croit Létte ; crainte que rend excufable leur peu de commerce avec la Cour , & le bonheur dont peut-être ils ne fentent pas alTez le prix , de ne point connoitre la nation qui habite ce féjour fi ondoyant & fi divers (2). Imbus d'une efpece de fuperftition pour ces fantómes de pouvoir & de grandeur , qu'ils redoutent comme un enfant a peur des ténebres , ils font perluadés que les portes de 1'Académie (1) Voyez ia Note (a). {z) Expteilïon de Montagne dans fes Eiïais,  3io Éloge doivent, ainfi que les murs de Jériciio, tomber a la voix d'un coürtifan accrédité ou même avili) qui follicite , foit pour lui, foit pour Quelque autre , une place d'Académicien ; ils ignorent ce que doit leur apprendre le fait qu'on vient de raconter ; que ces follicitations , fur-tout lorfqu'efes ont pour objet un protégé méprifable , ou un complaifantplus vil encore, font beaucoup moins redoutables qu'elles ne le paroilfent ; qu'elles font d'ordinaire accordées par le Mécene, comme elles le furent dans la circonflance dont il s'agit, ou a 1'importunité du protégé , ou a celle des Jous-Proteileurs dont 1'indifférent Mécene fe voit affailli ; que le Protecfeur apparent, bien loin d'être bleffé du peu d'égards que la Compagnie marqueroit pour ces follicitations mendiées & précaires, lui fauroit gié d'avojr fu démêler fesvraies intentiens , & trouveroit dans cette fermeté éclairée , des motifs d'eftime pour elle & pour les Lettres (i). Pour en revenir a 1'Abbé de Mauroy qui a donné lieu a ces réflexions utiles, (i) Yoyez la Note '&).  de Testu de Mauroy-. 311 les Académiciens qui furent chargés , ou de fa réception dans la Compagnie, ou de fon Eloge funebre quand il eut fait place a un fujet plus digne , ne diffimulerent pas que la proteclion de Monfieur avoit été fon feul titre pour être admis parmi nous. C'eft ce qu'on voit rfans la réponfe de Barbier Dau~ 'court au difcours de 1'Abbé de Mauroy, dans celui de 1'Abbé de Louvois qui lui fuccéda , & fur-tout dans la réponfe de 1'Abbé Tallemant a 1'Abbé de Louvois. » Le Prince (dit Barbier » Daucourt jj 1'Abbé de Mauroy)', qui » vous accorde 1'honneur de fa protec» tion Sc de fon eftime , Sc qui a » bien voulu en faire affurer 1'Acadé» mie lorfq'u'elle étoit affemblée , a » fait pour vous une démarche qui n'a» voit encore été faite pour psrfonne..., 55 11 a rendu de vous un témoignage » fi avantageux , que 1'Académie, s en » croyant comme infipirée, vou'oit y » rcpondre d une maniere extraordiP naire , en vous nommant par accla» mation Sc (ans s alTujettir a la b n» teur du fcrutin ; ce qui fans doute » aurcit été fait, fi qtielqu'urt n'avoit » repréfenté qu'on ne devoit pas avoir  3i2 Éloge » moins d'égard a votre modeflie, qu% » uu fi grand témoignage de votre » mérite «. M. 1'Abbé de Louvois , fucceffeur de 1'Abbé de Mauroy, ne fut pas a fon égard plus prodigue d'éloges. » Je » viens, dit-il, remplacer parmi vous, » Meffieurs, un liomme qui vous étoit » cher, & par fon mérite , & par la » main qui vous 1'avoit préfenté. Vous » 1'aviez recu d un Prince a qui les » cozurs des Franfois ne pouvoient » rien rfiufer Les qualités de fon » cceur , & fon affiduité a proficer de » vos doéles conférences, vous le fe» ront fouvent regretter «. M. 1'Abbé Tallemant, dans fa réponfe a M. de Louvois, apprécia le mérite dont le nouvel Académicien , & avant lui Barbier Daucourt, avoient loué 1'Abbé de Mauroy. » Vous ve» nez , dit-il, occuper la place d'un v homme qui étoit cher a cette Com» pagniepar 1'attachement fincere qu'il » a toujours eu pour elle. Ce ne font » pas les feules lumieres de 1'efprit que » nous eflimons dans les perfonnes dont » nous faifons choix , nous y cherchons » encore les qualités propres a la fo9 ciété j  de Testu de Mauroy. 313 "» ciété ; & nous ne foBimes pas moins » touchés de la bonté du cceur , que » des plus rares talens dans 1'Eloquence » ck dans la Poéfie «. Defpréaux , moins indulgent que 1'Académie , avoit fait a 1'Abbé de Mauroy 1'honneur de le placer dans les premières éditions de fes Satires. 11 avoit dit dans la Satire VII : Faut-il d'un ftoid rimeur dépeindre la manie ? Mes vets comme un tonenc cou'.cnt fut le papfcr; Je rencontre a la fois rerrin & Pelletier, Bardou, Mauroy, Bourfault , Colletct, Titreville (it Ce même Defpréaux devint dans •la fuite ami, autant qu'il pouvoit 1'être, de BourfauU & de Mauroy, &, felon fon ufage, effaga leurs noms pour en mettre a leur place deux autres; ce furent ceux de P radon ck de Bonn, cor fe. Les vers qu'on vient de lire n'étoient pas 1'unique trait que Defpréaux eüt lancé contre notre Académicien; le vers fi connu de Virgile • Qui Bavium non odit, smet tua carmina, Moevi , avoit été traduit de la maniere fuivante de bons titres & peu de fortune , » ck par conféquent avec plus de droit » ck de befoin d'une place a 1'Acadé- j> mie II eft vrai que M. Remond » avoit aaffi auprès de moi une re» commandation bien puilfante, toute » puillante même , fi elle avoit voulu » 1'ètre ; c'étoit celle de M. le Duc » d'Orlcans, depuis Régent du Royau» me. M. Remond étoit fon Introduc» teur des Ambaffadeurs, ck je logeois » alors au Pal ais Royal. Son Alteffe » Royale me paria donc de M. Re» mond, contre lequel, par parenrhefe, » ( 6k vous allez voir qu'elle n'eft point » inutile) on avoit fait depuis peu uné » cbanfon affez plaifante. Le Prince » me demaada ft i'avois quelque enOüj  318 Éloge » gagement : Je lui répondis que je » n'en avois jamais pris avec perfonne , » mais que'quefois avec moi même. » Son AïtefTe Royale infiflant un peu » plus , je lui repre'fentai que je ne » connoifTois a fon recommandé aucim » titre public, aucun Ouvrage imprimé » qui püt juflifier le cboix de 1'Aca» dérnie. Ni moi non plus, reprit-il; » encore s'il avoit fait fa chanfon ! » Le Prince n'infifTa plus, & ne m'or» donna rien. Cependant M. Remond » ayant des amis au Palais Royal, » 1'un d'eux dit a M. le Duc d'Orléans, » qu'il devoit trouver fort mauvais » qu'un homme qu'il logeoit, lui re» fufat fa voix. Bon , répondit le Prin» ce, un homme que je loge dans un » galetas ! Je fus donc pour M. Dan» chet, & i^pfemporta «. Fontenelleconlërvoitpeut être quelque fouvenir de la préférence qu'on avoit donnée fur lui a 1'Abbé de Mauroy, lorfqu'il fe trouva chargé, en 1728 ( c'eft-a-dir^, au bout de quarante années), derecevoir un autre Académicien (1), Inltituteur , ainfi que 1'Abbé (1) M. de Mirabaud.  de Testu de Mauroy. 319 fle Mauroy , de deux Princeffes de la Maifon d'Örléans. Le nouveau candidat avoit été, comme 1'ancien , préfenté & porté par cette refpeclable Maifon j mais on doit & fa mémoire la juflice de dire , qu'il ne regarda pas cette protedion, toute puüTante qu'elle etoir, comme un brevet de mérite dont il dut fe contenter , & que par de bons Ouvrages & beaucoup de favoir, il s'étoit acquis des droits réels a la place que feu M. le Duc d'Orléans avoit demandée pour lui. Après avoir donné de jufles éloges aux travaux & aux talens du récipiendaire , M. de Fontenelle ajoute : » Voila vos titres , Monfieur, & » nous ne comptons pas la proteclion » que vous avez d'un Prince , la fe» conde tête de 1'Etat. Ces grandes » proteclions font une parure pour le » mérite, mais elles n'en font pas un; » 81 quand on veut les employer dans » toute leur force , quand on ne veut » pas qu'elles trouvent de réfiftance , » ofons le dire , elles déshonorent le » mérite lui-même. Tous les fuffrages » auront été unanimes , mais quelle » trifte unaniniité 1 On aura été d'acO iv  5*D E L O G E » cord , non a préférer celui qu'oft » nomnie,. mais a r .douter fon pro» tecleur. Pour vous, Monfieur, vous » avez le bonheur d'appartenir a un » Prince dont la moderation , dont » 1'amour pour 1'ordre & pour 'a re? gle , qua'ités fi rares ck fi héroïques » dans ceux de fon rang, vous ont » fauvé 1'inconvénient d'être protégé » avec trop de hauteur , & appuye » d'un excès d autorité qui fait tort. » Nous^ avons fenti qu'il nepermettoit » pas a fon grand nom d'avoir tout » fon poids naturel; ck le moven d'en » douter après qu'il avoit déclaré ex» preffément qu'il aimoit mieux que » fa recommandation fik fans effet » que de gèner ia liberté de 1'Acadé» mie ? II favoit , j'erj conviens , qu'il » pouvoit fe fier a vos talens & a la » connoiffancj que nous en avions ; » mais un autre en eüt été d'autant ,» plus impérieux, qu'il eüt été armé » de la raifon & de la juflice. Nous » avons droit d'efpéfér, ou plutöt nous » devons abfolument croire , qu'un » exemple parti de fi haut , fera dé» formais une loi ; & votre éleélion $ aura eu cette heurenfe circonflance>  de Testu de Mauroy. 3x1 » d'affermir une liberté qui nous eft fi » nécelfaire ck fi précieuiè «. On peut voir dans 1'i :iftoire de 1'Académie par M. 1'Abbé d'Olivet, plufieurs faits qui prouvent a 1'honneur de Louis XIV , combien ce Prince étoit attentif a conferver la liberté des éleclions, ck, mécontent de tout ce qui pouvoit y porter atteinte. Les fentimens du Monarque a ce fujet font exprimés d'une maniere bien flatteufe pour la Compagnie, dans une lettre qui rut écrite par le Préfident Rofe, Secrétaire duCabinet, au fujet .de 1'élection de M. Dubois , le Traducleur de Cicéron ck de Saint Auguftin. Après avoir dit a fes Confrères que le Roi a fort approuvé un fi bon choix : Je ne dois pas , ajoute le Préfident Rofe , vous laiffer ignorer une circonjlance qui me jemble merker une férieuje ré-^ flexion pour Vavenir. Cefl la joie que le Roi a témoignée dapprendre que no% fuff rages ont été libres , & fans mélange de la moindre cabale ni recommandation étrangere. Le fucceffeur de Louis XIV a fuivi 1'exemple de fon augufte bifaïeul; fi dans quelques oceafions très-rares il a rejeté ou fufpendss O T  }i2 Ê L O G E le choix de 1'Académie , au moins ü ne lui a jamais prefcrit celui qu'elle devoit faire; & la Compagnie efpere avec eonfiance , du fucceffeur de Louis XV , la même faveur , ou , fi elle ofe le dire , la même juflice. (c) On ne fait qui étoit le Bardou, qui difparut auffi a la faveur des quatre fyllabes du nom de Bonneeorfe ; on ne connoit pas davantage Titreville: fans le vers de Defpréaux , ces deux hommes feroient aujourd'hui profondément ignorés, & le font prefque encore malgré fon vers.. C'étoit bien la peine defe moquer de deux mauvais Poëtes, pour conferver leurs noms a la poftérité. Quelqu'un a déja remarqué que Ba~ vius & Mavius. euffent été condamnés a un éternel oubli , fi Virgile ne les eüt pas nommés dans une de fes Eglogues , oü même ils font amenés affez mal a propos II vouloit fe venger d'eux r & n'a fait que les immortalifer. Utile avis aux Ecrivains célebres, qui daignent prendre la peine de répondïe aux faifeurs de fatires! (d) La place accordee a l'Ahbé de  be Testu be Mauroy. 523 Mauroy au préjudice de Fontenelle , fut le premier , mais non pas le leui dégout que cet illuftre 1 crivain éprouva ayant d'entrer a 1'Académie. II vit encore fucceflivement palfer avant lui trois autres concurrens, M. de la Chapelle , M. de Cal'ieres , & M. 1'Abbé Renaudot, qui tous trois enfemble (quoique le dernier fut très-favant) ne pouvoient dédommager la Compagnie de 1'homme vraiment rare a qui elle avoit le malheur de les préférer. Si Fontelle fe fut rebuté , comme il étoit a craindre, de ces refus fi opiniatres & fi révoltans ; s'il n'eüt pas, a force de mérite & de patience , obligé enfin les barrières de 1'Académie a s'ouvrir pour lui, quel reproche amer les Cenfeurs éternels de cette Compagnie ne lui feroient-ils pas d'une injuftice fi monftrueufe ? Ofons cependant 1'aI vouer ; il ne faudroit en accufer que deux hommes qui, par leur genie 8c leur renommée , honorent d'ailleurs infiniment 1'Académie , Defpréaux & Racine , dont la cabale (car pourquoi ne pas 1'appeler par fon nom l ) vint k bout de repouffer , pendant quatre ans, un Ecrivain très-inférieur a eux: O vj  J-|4 É £ O G ï comme Poëte , mais très-fupérieur $ d autres égards , & de faire donner a des fujets beaucoup moins dignes la place fur laquelle il avoit des droits fi bien acquis. II eft vrai que Fontenelle avoit auprès de Defpréaux & de Racine un tort irrémiffible , celui d'être le complice de Charles Perrault dans la querelle fur les Anciens. Auffi Defpréaux , qui accordoit fes bontés a la Motte , mais qui apparemment lui voyoit déja quelques difpofitions aux héréfies littéraires dont il fut depuis Ie promoteur le plus déclaré , difoit de lui avec une douleur trop vive pour s'exprimer noblement , Cefl dommage quil uit été s'eneanailler deFontenelle, Cependant 1'ami de Perrault & le pervertiffeur de la Motte obtint enfin , par fa perfévérance, ce fauteuil académique , que non feulement Defpréaux & Racine lui avoient refuféGonflamment , mais qu'ils eurent bien de la peine a lui pardonner quand ils 1'y virent affis : car on voit par la Lettre de Racine a Defpr. aux , rapportée dans 1'Eloge du Préfident Rofe (i), que la (i.) Voyez cetEIogcdansle.volumegrécédenr,.  de Testu de Mauroy. .325 réception d'un fi ïndigne Confrère les avoit d'abord fort affiigés. Racine le fils, qui , pour 1'honneur de fon pere &. de Defpréaux , auroit pu fe diipenfer d'imprimer cette Lettre, eut,dit-on, la fimplicité d'aller demander a Fontenelle , s'il ne trouveroit pas mauvais qu'elle parut. Le Philofophe lui répondit, comme il auroit dü s'y attendre , qu'iï étoit bien 1& maitre. En ce cas de befoin , Fontenelle auroit dü le prier de la donner. Le grand Corneille , oncle de Fontenelle , avoit, ainfi que fon neveu, effuyé plufieurs dégoüts avant que d'être élu. Salomon qu'on ne connoit plus y &. du Ryer qu'on ne connoit guere , lui furent préférés , fous prétexte que Corneille dcmeuroit a Rouen , mais en effet paree qu'il avoit le tort d'être meilleur Poè'e que le Cardinal de Richelieu , & par la de deplaire a ce grand Miniftre. Peliffon, le premier Hiftorien de 1'Académie, fut fi honteux pour la Compagnie de cette injuftice faite au grand Corneille, qu'après en avoir parlé (apparemment par diflraclion) dans la première édition de fon Hiftoire , il retrancha cet article  120 Éloge dans les éditions fuivantes; maïs M. 1'Abbé d'Olivet a cru devoir le rétadans la derniere édition, comme une lecon falutaire pour les Académiciens futurs. Ce motif eft fi louable, que nous ne pouvons, en ce moment, nous difpenfer de le partager. Le titre d'Académicien , proftitué aux Salomon & aux Mauroy , & accordé fi tard aux Fontendie & aux Corneille , nous fournit une occafion naturelle de terminer cette note par quelques réflexions intérelfantes pour les Lettres & pour la Compagnie. On a vu que 1'Abbé de Mauroy n'avoit été admis que par une méprife de déférence & de relpeét pour fon Protecfeur, & queFontenelle avoit été e'conduit, pendant quatre ans, a force d'intrigues, que le cri public avoit enfin déconcertées. N'héfitons donc point a le dire avec autant de force que de franchife; malgré 1'injuftice naturelle aux hommes a 1'égard des talens diftingués, il ne manque a 1'Académie qu'une liberté abfolue dans fes élec« tions , pour voir enfin, parmi fes Membres, tous ceux qui fontdignes d'yêtre admis. Qu'on la lailfe écouter la voix  de Testu de Mauroy. 3x7 de la Nation , & fe confulter elle-même ; qu'on ne lui demande , qu'on ne lui prefcrive , qu'on ne lui interdife rien que ce qu'elle s'interdiroit toute feule , elle ne fera prefque jamais que des choix convenables & approuve's. Ils le feront a la vérité plus ou moins , fuivant les temps & les circonftances; les Ecrivains diftingués feront élus un peu plus lót ou un peu plus tard, mais ils finiront par être élus ; & la Compagnie , abandonnée a fes propres lumieres, aura très-rarement le malheur ou la mal-adrefTe de fe donner des Membres tout-a-fait indignes d'elle. En un mot, qu'aucune force étrangere ne vienne ni gêner fes vües ni repouffer foq vceu , & qu'on la cenfure enMie , fi le fuffrage public n'eft pas d'accord avec le fien. On lui reproche avec une amertume plus intéreftée que fincere , quelques Ecrivains célebres quVlle n'a pas adoptés, & plufieurs Ecrivains médiocres qu'elle a recus. Mais on ne voit pas , ou 1'on ne vent pas voir, que le fiecle le plus fécond en grands Hommes ne fourniroit pas affez de génies éminens pour remplir toutes les places d'Académiciens j qu'on  jiS Éloge ne fauroit donc exiger de 1'Académie, de n'adopter jamais que des Ecrivains fupérieurs, mais que fon honneur & fon difcernement feront a couvert , comme le dit M. 1'Abbé d'Olivet fon Hiftorien , fi elle choifit dans tous les temps ce que le fiecle produit de meilleur; ajoutons , & ce que les conjonctures (quelquejbis contraires d fes vues ) lui permettent de choifir. Ainfi, pour apprécier équitablement les choix équivoques ou hafardés que la Compagnie a pu faire en quelques occafions, il ne faut pas s'arrêter a ce que la , Pofterité penfera des Académiciens fur Jefquels ces choix font tombés; il faut ■*oir ce qu'en penfoit le Public de leur temps; il faut examiner fi les fuffrages qu'ils ont obtenus n'ont pas été pour lors furfifamment juftifiés , ou par des fuccès éclatans quoiqu'éphémeres, ou par 1'impoifibilité de trouver des fuiets plus éligibles. A 1'égard des Ecrivains ïlluflres dont le nom manque a 1'Académie , il feroit jufie de pefer aulfi dans la balance de l equité les raifons qui n'ont pas permis de les admettre : on trouvtra prefque toujours que ces ïaifons étoient ou malheureufement trop  de Testu de Mauroy. 329 légitimes, ou d'une efpece au moins qui ne laifToir pas a 1'Académie la liberté de les combattre. On vers a que 1'un de ces Auteurs céiebres étoit engagé d:ms une profefïïon, qu'un préjugé , tres injufte fans doute , mais trés - enraciné , a conflamment profcrite ; qu'un autre étoit déorié dans 1'opinion publique , ou par Taviliffement de fa perfonne , ou par la li— cence effrénée de fes opinions 5 qu un troifieme, par fon atachement a un parti réprouvé du Gouvernement, repouffoit des fuffrages que le Monarque auroit rejetés; que celui-ci étoit !ié par des vceux a une Société intrigant? & dangereufe; que celui-la étoit ou flétri pour fes libelles, ou déja expulié de quelque autre Compagnie pour des actions avilifTantes, ou s'étoit ferme, par la dureté de fon caraélerej'entrée d'une Compagnie qui doit chercher des talens avec lefquels on punTe vivre; que d'autres enfin , foit amour de 1'indépendance , foit vraie ou fauffe modeftie , foit peut-être orgueil ridicule, avoient hautement déclaré que la Compagnie effuieroit de leur part un refus, fi elle tournoit fes vues fur eux,  33d Éloge Cette apologie ge'ne'rale deviendra plus fenfible par des exemples. Quelques Ecrivains, prefque tous Auteurs de Comédies que le Public a juge'es , ont remarqué avec une forte d'affectation , qu'un erand nombre d Auteurs Comiques diftingués n'ont point e'té de 1'Académie; ils eitent Molière, Dancourt, Baronie Grand, Regnard, Dufreny, le Sage, Brueys , Palaprat, Piron , Autreau, Joly, Fagan, Delille, fans compter les Auteurs vivans qui n'en font pas encore, ou qui peut être n'en feront jamais. Avec un peu d'équité , ces Ecrivains auroient fenti que des raifons bonnes ou mauvaifes, mais que 1'Académie ne pouvoit braver fans offenfer 1'Eglife, 1'ont forcée a fepriverde Molière; que les mêmes raifons ont exclu Dancourt, Baron & le Grand, fuppofé néanmoins que les mauvaifes Comédies de ce dernier lui donna/Tent des droits réels, & que les Comédies, attribuées a Baron , fuiTent réellement fon ouvrage, ce qui eft au moins très-douteux ; que des ordres fupérieurs fe font oppofés au choix de 1'Auteur de la Métromanie; que le crapuleux Autreau , d'ailleurs fans véritable talent, le dilïïpateur Dufreny, le  de Testü de Mauroy. 331 joueur Palaprat, & le Prêtrefcandaleux Brueys, qui faifoit le matin une fcene de'Comédie , & le foir un chapitre de fon Traité de la McJJ'e, fe font exclus-' eux-mêmes par 1'indécence de leur conduite , que les foibles Pieces de Joly, aujourdhui tout-a-fait oubliées, ne lui méritoient nullement les honneurs littéraires; qua lavérite' Delille & Fagan n'eulTent point été déplacés dans 1'Académie Francoife, mais qu'ils ne doivent pas non plus être regrettés par elle comme des Auteurs du premier ordre, Delille n'ayant laiffé que deux Comédies, Arlequin fauvage & Timon le Mifanthrope, qui font plutöt de bons Ouvrages de morale que de bonnes Pieces ,& Fagan n'ayant réuffi au théatre que dans trois ou quatre petites Comédies, beaucoup moins goutées aujourd'hui qu'elles ne le furent dans leur nouveauté; qu'il feroit a fouhaiter fans doute que les noms de Regnard & de le Sage fe trouvaffent dans la lifte de 1'Académie; mais que la retraite du premier a vingt lieues de Paris, & lafurdité totale de 1'autre fe font oppofées au défir qu'on avoit de les admettre ; & que tous deux , vraifemblablement par ces motifs, n'ont  Éloge jamais paru fonger a une place qu'ils croyoient, finon mieux occupee , au moins plus utilement remplie par d'autres Hommes de Lettres. Ce/1 par la même raifon que Rotrou , Auteur de Vencejlas , ne fut point de 1'Académie, paree que fon féjour étoit a Dreux , oü une Charge de Magiftrature 1'obligeoit d'habiter. La Compagnie, moins attachée rnaintenant a des loix qu'on doit oublier en faveur du mérite rare, iroit lans doute au devant de ces trois hommes s'ils exiftoient encore ; n'accufons pourtant pas nos prédécefTeurs de n'avoir ofé violer ces ioix , dont les circonfiances pouvoient exiger alors 1'obfervation fcrupuleufe ; peut-être a leur place aurions-nous fait comme eux ; mais croyons qua la notre ils feroient comme nous. Après cette difcuffion impartiale des vües qui dirigent 1'Académie dans fes éledions, & des différens choix qu'elle a pu faire , on en trouvera peu qu'elle ait réellement a fe reprocher; il en reftera feulement ce qu'il fera nécelfaire pourprouver ce qu'on nefavoitdéja que trop, que les Corps, auffi peu infaillibles que les particuliers, payent comme eux  de Testu de Mauroy. 33? le tribut a Terreur Sc a la fragilité humaine. Peut-être même demeurera-t-ort convaincu pareet examen , qu'il elt peu de Corps qui , durant Tefpace de cent cinquante anne'es (c'eft le temps depuis lequel la Compagnie fubfifte ) , ne fe foit plus fouvent égaré qu'elle dans le choix de fes Membres. N'efpérons pas néanmoins que des obfervations fi juftes impofent filence a ces détracleurs éternels de TAcadémie, qui, s'en voyant exclus k jamais par la perverfité de leur caraétere ou la nullité de leurs talens, lui reprochent avec une affeclation faftidieufe de n'avoirpas jugé dignes d'elle quelques noms qu'elle auroit dü adopter. Ces inexorables Cenfeurs , toutes les fois qu'ils aurontapar'ler d'un Ecrivain illulf re qui n'a point été affis parmi nous, continueront a remarquer avec complaifance, qu'iZ ne fut point de VAcadémie ; en ajoutant tout bas cet d parte modefte,y'e n'en Jerai pas non plus , & 'feffuierai la. meme injujlice. Laiffons-les fe confoler Sc fe venger obfcurémenf de 1'oubli oü ils fe voient condamnés; laiffons-les fe nourrir paifiblement de leur propre fuffrage , & fe flatter que la Poftérité les  3 34 E L O G E , &C. dédommagera - de 1'inepte mépris de leurs,Con temporains. Ils reffemblent a ce Poëte ! aine^, dont on a imprimé un Recueii de vers que perfonne ne lit, & a qui un Académicien (apparemment peu difficile) demandoit un jour, pourquoi il n 'avoit pas voulu être fon Confrère : Qui vous jugeroit, répondit ce pauvre Poëte? réponfe qui a été citée comme un mot excellent dans plufieurs Ana &. dans plufieurs Journaux. Cette heureufe difpofition des Ecrivains médiocres a s'admirer tout feuls, efl regardée par le judicieux Jéfuite Lemoine, comme un effet de la providence Si de la bon;é divine. Quand un pauvre efprit s'eft mis d la torture pour ne rien. faire qui vaille , & quil ne peut ainfi avoir part aux louanges publiques , Dieu , qui ne veut pas que Jon travail demeure fans récompenjè , lui en donne une JatisfaSion perfonnelle , quon ne peut lui envier fans une injuftice plus que barbare. Cefl ainfi que Dieu qui EST jus TE , donne aux grenouilles de laJatisfailion de leur chant.  Ui sla xJ xjr jl-i DE JACQUES TEST Ui ABBÉ DE BEL VAL, Aumónier & Prédicateur du Roi, repu d la place de GuiLLAUME de Bautru, Confeiller d'Etat , au rnois de Mai 1665 , mort au mois de Juin 1706. Né avec beaucoup d'efprit 5c un caraétere aimable , il montra de bonne heure des talens & des qualités qui lui N firent des amis & des pröneurs. II fut appelé a la Cour pour y prêcher, & s'en acquitta avec fuccès ; mais les applaudiffemens 1'encouragerent fans 1'éblouir; plus jaloux d'acquérir ce qui lui manquoit,qu'aYide de fe faire louer  336" É L O G ï avant le temps, il réfolut, pour donner a fes talens toute 'eur valeur , de les cultiver par une étude affidue; &. pour n être ni troublé ni tiiitrait dansce dedein, il alia s'enferiner dans une folitude profonde avec fon ami 1'Abbé de Rancé , qui dès-lors méditoit cet entier renoncement au monde , dont il donna depuis un fi terrible exemple. Quelques-uns, il eft vrai , de ces Cenfeurs amers , pour qui tout elf matiere de fatire, comparerent alors notre Académicien a ce jeune Eccléfjaftique qui , voulant, difoit-il, acquerir a fond les connoifjances propres d fon état, ajoutoit que pour s'y préparer , il alloit toujours precher en attendant, C'eft en effet ce que 1'Abbé Teftu avoit eu le malheur de faire } mais il eut au moins fur ce jeune homme fi plein de confiance, 1'avantage de reconnoitre bientöt fon imprudente erreur, &. de n'oublier rien pour la réparer. Devenu maitre de fon temps dans la folitude oü il s'étoit condamné , 8c éclairé des confeils de fon ami, il lut & médita les Ouvrages qui doivent faire la fubfiance &l la bafe de 1'Eloquence Chrétienne , 1'Ecriture &. les Peres  DE T E S T U. 337 Peres de 1'Eglife; il fe pénétra fur-tout des grandes verlies que le Prédicateur de 1'Evangile annonce toujours foiblement quand il n'en a pas fait la regie de fa vie. Muni de cette ab'ondante & fainte récolte, il remonta dans la cbaire de vérité , bien plus digne d'y paroitre qu'il ne 1'avoit été dans fes premiers effais. Mais il ne put jouir long- temps de fa gloire & cles fuccès de Ion zele. L'ardeur de 1'étude avoit ruiné fa conftitution, auflifoible que vive , & 1'excès du travail 1'empècha d'en recseillir les fruits. Lorfqu'il fut admis a 1'Académie Francoife , oü fon éloquence 1'avoit fait défirer , il, fe plaignoit déja , dans fon Difcours de réception , du mauvais état de fa fanté, qui 1'avoit , dit-il, rendu tout-d-fait incapable des ernplcis de fon miniftere. II fe confola de fon oifiveté en tachant de la rendre utile a la Religion , a laquelle il ne pouvoit plus faire de profélytes par fon talent pour la parole. II elfaya de tranfporter dans des Poéfies édiflantes la piété qu'il mettoit dans fes Sermons, & traduifit en vers les plus beaux endroits de la Bible, fous le titre de Scances Chrécïennes, Tome II% P  jjS Éloge Ces Stances furent très-accueillies par les ames pieufes a qui elles étoient deftinées ; elles furent même jugées dignes d'être citées dans 1'Académie comme des modeles de fenfibilité & d'onclion ; fi elles y furent plus goütées qu'elles ne le feroient aujourd'hui, il faut toujours fe fouvenir que lesfineffes de 1'art étoient alors un fecret que deux. ou trois grands Poëtes s'étoient réfervé. Comme la fanté de 1'Abbé Teftu ne lui permettoit de donner aux LettresSe a la Poéfie que trés-peu de moïnens, qui ne fuffifoient pas pour lui rendre fupportable le poids de fon inutilité involontaire , il chercha encore des diftracTions & des refiburces dans les liaifons qu'il forma avec les perfgnnes les plus difünguées par 1'efprit & par la nailfance. Admis dans leur fociété , il en fit un des principaux agrémens ; il efl fouvent nommé dans les Lettres de Madame de Sévigné , & ce n'eft pas un dés moindres traits de fon éloge , que 1'intérêt avec lequel s'exprime fur Ion fujet 1'aimable Au* teur de ces Lettres. AufTï 1'Abbé Teftu aYoit-il tout ce c^u'il falloit pour réuffiy  DE T E S T U. 339 dans cette fociété charmante ; beaucoup d'ufage du monde & de connoiffance des hommes , un grand défir de plaire fans emprefTement de le montrer, une vivacité d'autant plus piquante qu'elle réveilloit toujours & n'olfenfoit jamais, une facilité de parler fur toutes fortes de matieres, qui fbrcoit 1'attention fans la commander , & qui, fuivant 1'expreffion de M. le Marquis de Saint-Aulaire fon fucceffeur, lui eut même fait pardonner 1'abus qu'il en auroit pu faire aux dépens des droits naturels de la converfation. Ces derniers mots font affez entendre que 1'Abbé Tefiu 3 dans les fociétés oü il vivoit , cherchoit a jouer un róle diflingué , & a fe rendre 1'objet pfincipal. Ce défaut a été celui de plus d'un homme d'efprit , qui , par cette raifon , aimoit mieux vivre avee des fots qu'avec fes pareils. L'Abbé Teffu dominoit fur-tout a 1'hötel de Richelieu , oü il étoit 1'oracle & 1'ami intime de la Ducheffe de ce nom. Comme il n'aimoit pas a être contredit , mais beaucoup a être écouté, il goütoit peu le commerce des hommes , plus content de killer feul at$ P ij  34# Éloge milieu d'un cercle de femmes a quï il en impofoit , & qu'il flattoic plus ou moins felon qu'elles lui plaifoienr. H favoit même apprécier avec vérité & avec fmeffe le genre d'efprit qui les diftinguoit; témoin le jugement qu'il portoit de Madame de Montefpan & de fes deux fceurs, toutes trois célebres par les agrémens de leur converfation : » Madame de Montefpan , » difoit-il , parle comme une perfonne » qui lit j Adadame deThiangas, comme » une perfonne d'efprit qui rêve ; ck » Madame 1'Abbelfe de Fontevrault , » comme une perfonne qui parle Avec tant de moyens de réuffir, ck tant de qualités pour fe faire aimer, mais en même temps avec une exiftence douloureufe ck languiiTante , r\<& tre Académicien étoit bien loin d'être heureux. D'ailleurs le; fentimens de religion dont il s'étoit pénétré de bonne beure , & fon ancienne retraite avec 1'Abbé de Rancé , oü il avoit puifé des principes féveres , lui donnoient fouvent des fcrupules fur la vie diffipée & prefque mondaine qu'il menoit au milieu des Sociétés oü il fortoit tant d'agrément. II foupiroit alors après h  de Te s ï t*. 34.T folitude , il v rentroit même quelquefois; mais bientót 1'inquiétude de Ion efprit , 1'impoffibilité de rernplir le vide de fa retraite par les charmes de 1 etude , enfin 1'habitude malheureufe de la diffipation , devenue pour lui le premier des befoms , 1'obligeoient • de fortir de ce tombe au , & de fe replonger dans le tourbillon qui 1'entraïnoit lans pouvoir le fixer. 11 ne fe retróuyoit dans le tuniulte du monde que pour y éprouver cette efpece d'ennui, la plus terrible & la plus incurable de toutes, qui confiite a fe dé*plaire mortellemeiu oü Von efl, /ans pouvoir dire oü Von voudroit être. Peu de gens ont fenti d'une maniere plus cruelle que lui cette fluctuation importune de fentimens & d'idées dont fe plaignent la plupart des hommes , qui prefque tous foibles & mal décide's dans leurs goüts, dans leurs paffions, dans leurs vertus, & même dans leurs vices , auroient befoin d'avoir fans cefTe devant les yeux cette precieufe maxime , Sache te que tu veux ; maxime fi utile dans la conduite de la vie, & fi propre a nous procurer toute la niefure- de bonheur  H* Ê L O G Ë dont la nature hümaine eft fufceptible; maxime qu'il eft fiirprenant qu'aucun des fept Sages n'ait choifie pour devife, a moins qu'on ne la regarde comme renfermée dans cette devife de 1'un d'entre eux, Connois-toi. L'Abbé Teftu eut le malheur d'ignorer 1'un & 1'autre de ces fages préceptes , & de les pratiquer encore moins. Ses irréfolutions , fes remords , fes agitations & fes langueurs fucceffives, lui donnoient des vapeurs dont Madame de Sévigné fait la plus trifte peinture , & qui le conduifoient a d'afïïïgeantes réflexions fur la frivolité de nos projets & de nos déftrs 3 il eüt pu dire alors de fon état de mélancolie, ce que difoit en pareille circonftance un autre vaporeux , non pas voué comme lui a fervir Dieu & le monde par femeftre , mais un vaporeux Penfeur & Philofophe, que les vapeurs font une maladie d'autant plus affreufe , qu'elle fait voir tous les objets tels qu'ils font. Ces affecftions mélancoliques & vaporeufes de notre Académicien avoient une autre caufe fecrete, mais qu'il n'avouoit qua 1'oreille d'un petit nombre d'amis ou darmes • c'étoit  de Test ü. _ 343 fambition d'être Evêque, qu'il n'avoit pu fatisfaire, & le chagrin quilconferveit de ce dégoüt fans ofer trop le laiffer parohre. Son affiduité aupres des femmes nuifit beaucoup dans 1 efprit de Louis XIV a fa réputation eo cléfiaftique; & ce Prince ne put jamais fe réfoudre , quelques fojüciw* tions que plufieurs femmes lui en HU fent , 1 honorer 1'Abbé Teftu de 1 Epifcopat. Madame d'Hudicourt ofa un iour parler en fa faveur au Roi, qut répondit que VAbbé Tefiu nétoit pat iiffe^ homme de bien pour conduire les autres ■: Sire, répliqua t-elle , il attend, pour le devenir, que vous Vaye^fait Evêque, 11 n'oub'ioit cependant rien pour fléchir & même pour édifier le Monarque , tant par les Poéfies Chretiennes qu'il compofoit, comme nous ï'avons dit, que par les foms quille donnoit pour les pieux diverttüemens de la Cour. II fit faire pour Saint-Cyr, par un de fes protégés Poëtes, 1 Abbe Boyer , cette malheureufe Tragedie de Judith, qui ne paroit pas même avoir eu 1'honneur d'être jouée au heu de fa deftination , & qui, après avoir ete P IV  344 Éloge quelque temps applaudie fur le théatre de la Comédie Francoife , fut brentöt après fifflée par les mêmes fpeclateurs (i). Le choix que 1'Abbé Teftu avoit fait de 1'Abbé Bover pour être le Poëte de la Cour, femble prouver, dans le Protecleur Académicien , un goüt très-peu févere. Auffi Madame de Cayhrs f'accufer-t-elle dans fes Souvenirs , d'en avoir manqué fouvent, & comme Amateur, & comme Ecriva'in; il paroit, a la maniere dont cette Dame parle de lui en plufieurs endroits, qu'il ne lui étoit pas auifi agréable qu a beaucoup d'autres femmes ; & en effet dans cette cfaffe du genre humain \ compofée de juges délicats & diffici^\ ' ^a!.!t cno,^r > 011 d'être a peu prés indifférent a tous les individus, ou de pl ire beaucoup a quelques-uns pour déplaire beaucoup a tout le refte. On afflue que 1'Abbé Teftu , foit par un véritable zele , foit par Ie défir qu'il avoit de faire fa cour au Roi, en ramenant au bercail religieux quelque brebis importante & égarée, entreprit lur la fin de fes jours la converfion de C^) Voj'ét fardclc de Charles Boileau,  DE T E S T U, 345 la fameufe Nitwit Lenclos , qui, vieille & mourante , témoignoit fcandaleufement bien peu de frayeur de 1'autre monde, malgré la vie très-peu édifiante qu'elle avoit menée dans celui ci. Ninon fouffroit qu'il la prêchat , mais fans lui faire efpérer l'ombre même d'un fuccès. // croit, difoit-ele, que ma converficn lui fera honneur , & que le Roi lui donmra pour le moins uhe Abhaye ; mais s'il ne fait fortune que par mon ame, il court un rifque éminent de mourir fans bénéüce. Lorfque 1'Abbé Teftu fe ïivroit a la folitude , il s'y dévouóit avec tant d>e févérité qu'il y étoit abfolument inacceflible. II étoit retiré a Saint-Virftor, & nous avons une Piece de Santeuil, oü ce Poëte , Chanoine de la même Maifon , fe plaint du malheur qu'il a de ne pouvoir approcher de lui , & s'en plaint de la maniere la plus flatteufe pour le pieux Solitaire. C'étoit la rigueur même de cette folitude abfolue, qui contribuoit a 1'en dégoüter fi fouvent ; 8c il auroit dü apprendre de Séneque , ou plutöt de la raifon , que le moven le plus doux & le plus fur d'adoucir l'infipidité ou 1'amertume . P v  546 E L O G E DE T E S T Ü, de la vie, eft de favoir entremèler af propos la retraite ck la fociété, Ia converfation avec foi - même & avec les autres, 1 etude & les dêlafTemens honnêtes; en un mot, de ne pas tourmenter ck confumer fon exiftence en pure perte, mais , fi on peut parler de la forte, de la dépenfer avec économie. Pour finir moins triftement cet article , nous ajouterons que 1'Abbé Teftu , avant fa retraite a Saint-Viélor, avoit fort connu le Poëte Santeuil dont nous venons de parler; qu'il avoit été un jour lui demander une Epitaphe pour un de fes parens , & qu'ayant eu 1'imprudence de la payer avant qu'elle füt faite , il neput 1'obtenir qu'en la payanf une feconcfe fois, Peut-être ce petit tour du Poëte avoit dégoüté de lui notre Académicien , ck 1'avoit rendu plus inexorable aux efforts de Santeuü pour troubler fa folitude.  Ü L U Ij DE LOUIS C O U SIN, Préfident d la Cour des Monnoies, né d Paris le 12 Aoüt 1627, repu d la place de philippe de Chaümont , Evêque d''Acqs , le 15 Juin 1697 , mort le 26 Février 1707. ï L fe deflina d''abord a 1'état eccléfiafiique , ou plutót il y fut deffiné par fes parens, & fe prèta fans réfift ance aux arrangemens domeftiques qui régloient ainfi fa vocation. II étudia en Théologie, foutint avec fuccès la Thefe qu'on nomme Tentatire, & fut rcxu Bachelier. Mais les circonilances 011 s'étoit trouvée fa familie, & qui en ayoient dirigé les vües dans le parti qu'elle lui avoit fait prendre , étant  34o* E L O G E vernies a changer , fa vocation chattgea de rnêrue , & tofcqours avec une égale docilité de fa part. II ne fongea plus a Ie faire Prètre, ck fe tourna vers une autre profeftïon, celle de Ja Jurifprudence: Affez indifférent fur le choix dun état, ii ne 1'étok pas de même fur le fentiment de fes devcirs, & fur 1'obligation de les remplir dans 1'éta£ qu il ei>..braffcroit \ ii fe livra donc d'aufli bonne grace a 1'étude du Droit,. qu'il s'étoit livre a celle de la Théologie i il fut d'abord Avocat, ck fe diftingua même dans cette carrière j cependanr, au bout de quelques années' lil quirta le Barreau peur devenir Préfident a la Cour des Monnoies. Mais comme les fonilions de fa Charge , -qu'il römpliffoir avec toute I'exacf itude d un h; mme *de bien , lui laiffoient beaucoup de loifir , il confacra fes rnomens libres a 1'étude des Lettres , & fur-tout a celle de 1'Hiftoire Eccléfiaftique , pour Jaquelle fes premiers travaux théalogiques lui avoient laiffé du goüt. I! entreprit Ia leéïure des Hiftoriens Grecs de 1'Eglife , & fe propofa même de les faire paffer dans notre-Langue par des Traduétions.  D E C O U S I N. 349 Son premier effai fut la Traduélion de 1 'Hiftoire d'Eufebe ; dins fa Préface il effaye de jaflifier fon Auteur de 1'Arianifme dont on a voulu le noircir : malgré cette apologie, 1 rfftorien Grec reïiera du moins entaché d héréfie aux yeux de la Poftérité Catholique ; mais heureufement pour lui & pour fon défenfeur , cette accufation , tien cu mal fondée , n'intérelïe plus aujourd'hui perfonne ; ck la plupart même de ceux qui metcent quelque prix a 1'Ouvrage d'Eufebe , en liront la traduclion fans être fort cürieux de la "Préface. M. Coufm donna enfuite en francois 1'Hifioire de Soaate & celle de So^omene , tous deux Ariens comme Eufebe , ou accufés de 1'être comme lui ; il y joignït 1'HifToire de Théodorer, Evêque de Cyr , qu'on a appelé le Vénérable , ck fur la foi duquel il efl pourtant auffi refté que.'ques nuages, paree qu'il avoit eu 1'audace d'écrire contre 1'orthodoxe èk impétueux Saint Cyrille. Mais de toutes les Traclnclions dont la République des Lettres eft redevable au Préfident Coufin, la plus con-  350 ÉLOGE fidérable eft celle de la By^antlne. On appelle ainfi la Colleétion des Hiftoriens Grecs qui ont écrit les Annales du Bas-Empire , depuis la mort de Théodofe ver; la fin du quatrieme fiecle, jufqu'a la prife de Conftantinople par les Turcs au milieu du quinzieme. Cette populace d'Hiftoriens (car, fi onen excepte un trés- petit nombre , elle ne mérite pas d'autre nom) eft abfolument dénuée , non feulement de philofophie ck de critique ( reproclie qu'on peut faire aux Hérodotes même oc aux Tites-Lives), mais de génie , de goüt & de ftyle. II étoit cependant utile de faire connoitre les infipides compilations de ces Ecrivains j 1'Hiftoire Byzantine , toute indigne qu'elle eft d'être nommée après 1'Hiftoire Grecque ók 1'Hiftoire Romaine, n'eft pas fans intérêt quand on 1'envifage fous un point de vue philofophique ; elle offre alors un fpeétacle qui mérite quelque attention , par le eonirafie de fuperflitions 6k de crimes, d'atrocité ck d'ineptie qu'il préfente a chaque page. C'eft une matiere affez curieufe de réflexions pour un Leéteur éclairé , que de voir cette fuite d'E.n-  B E C o v s i n« 35* pereurs, ou plutót de monftres qui ont régné prefque fans interruption durant plus de dix fiecles , aujourd'hui faire égorger leurs femmes , affafliner leurs fils, crever les yeux a leurs freres , Sc demain faire affembler uil Concile pour favoir s'il faut adorer les images comme Dieu , ou fimplement fe proflerner devant elles , ou enfin les abattre Sc les brifér ; s'il y a en Jéfus-Chrift une volonté fimple ou doublé, deux natures Sc une perfonne , ou deux perfonnes Sc une nature ; fi la lumiere du Tabor étoit créée oU incréée , Sc fi les Moines du Mont Athos voyoient réellement a leur nombril , comme ils s'en flattoient, cette lumiere invifible Sc célefte : il n'efl pas indifférent pour un Sage de jeter quelques regards fur céKTyrans imbéciiles, qui, fouillés de fang Sc d'horreurs, s'occupent , s'intéreffent , fe paffionnent mème au rifque d'être-détrónés, pour toutes les rêveries fcholafliques qui tronbloient la tête ardente des Chrétiens Grecs. Ces raifons donnerent fans doute a 1'Hifloire Byzantine quelque prix aux yeux du Tradudeur , Sc contribuerent  $5* Éloge a le foutenir dans un travail ingrat & rebutant. C'étoient vraifemblablement les mêmes motifs qui luifaifoient aimer 1'Hiftoire Eccléfiafiique , fi triftement attachante pour les Lérfreurs fenfe's qui veulent étudier & plaindre I'efpece humaine ; car fi 1'Hiftoire des Arts & des Sciences place 1'homme a cöfé des intelli; ences céleftes par la fagacité & par le génie, 1'Hiftoire des quereiles & des mafTacres théologiques le niet au defious des tigres & des finges par la barbarie & par ie ridicule. Un autre travail , non moins eftimable , quia fong-temps occupé le Préfident Coufin , eft la compofition du ■Journal des Savans , dont il fut le Rédacfteur pendant p'ufieurs années. Ce Journal , le dqyen de tous les Ouvrages de cette efpece , a vu fortir de lui une familie trés-étendue , dans laquelle il ne s'eft trouvé que trop d'enfans indignes de leur pere. Ce n'eft pas que le Journ-l des Savans n'ait conftamment donné bon exemp'e a fa nombreufe poftérité. Rédigé fous les yeux du Chef de la Magiftrature , & en quelque maniere aVöué paria Natiën , il n'a jamais exercé qu'une erfc;  d e C o. u s r n. ?y? tique honnête , exempte de paffion & de fatire. On lui reproche même d'être plus d'une fois tombé dans 1'excès contraire , foit en louant ce qui n'en étoit pas digne , & ce qu'on n'a pu lire malgré fes éloges (car il eft plus aifé de fe faire louer que de fe faire lire ) , foit en fe bornant a des extraits infipides & décharnés , fans vie & fans intérèt : on y défireroit une critique qui>feroit vraiment utile aux Lettres , fi elle joignoit a 1'examen de 1'Ouvrage les égards qu on doit toujours a 1'Auteur , & ft elle montroit autant de juflice en louant avec plaifir les beautés, que de gotV: en indiqurnt modeftement les defauts (i). 11 eft vrai que 1'amour-propre des Gens de Lettres, fi difticile a fatbfaire. feroit plus b-efle des critiques, que flatté deséloges; mais du moins il n oferoit faire éclater fes plaintes; il cacheroit fon chagrin fous le voile prudent du filence ; & le Cenfeur honnéte & éclairé , dont les dé- (i) Les Extraits que M. Gaiüard fait depuis plufieurs anne'es pour ce Journal, nous paioilTent un modele de cette critique honkte & judicieufe qu'on y a li fouvent délir-ée.  354 EloCê erfions feroient ratifiées par Ie Public , finiroit par être , nous ne dirons pas loué &. chéri des Auteurs (car il ne faut pas tant exiger de lafoibleffe hu~ maine ), mais du moins eftime' & peutêtre refpecfté par eux. Malheureufement la raifon & Têquité feront toujours fur ce point des repréfentations infrucf ueufes ; il eft plus court & plus commode a un Journalifte d'être mordant & fatirique, qu impartial & jufte, II veut, avant toutes chofes, être lu , Sc fur-tout de cette clafïe d hommes qui, iocapables d'avoir par eux mêmes un avis fur les Ouvrages nouveaux , font trop heureux d'en trouver un , quel qu'il foit, dans des rapfodies hebdomadaires, Sc d'étaler dans leurs petites focié;és du foir le bon goüt qu'ils croient avoir appris le matin. Dans ce fiecle oü 1'on a mis le nom d'efprit a la tète de tant d'Ouvrages qui fouvent démentent leur titre , la plupart de nos compilatians périodiques pourroient être intitulées , l'Efprit des ignorans & des fois. Le Savant Journaüfte dont nous parlons dedaigna eet avantage éphémere & frivole. Jamais il n'oubiia que daas  de C ó u s i n. 355 fes Extraits il étoit Rapporteur & non Juge. Perfuadé qu'il e*H plus avantageux pour les Lettres de marquer ce •qu'il y a de bon dans un Ouvrage , que de s'appefantir fur ce qu'il contient de mauvais, il éioit plus attentif a déterrer dans le fumier la perle qui s'y cachoit , qu'a remuer faftidieufement un monceau de décombres pour en écrafer le malheureux qui avoit eu la fottife de les raffembler ; genre dequité , ou plutöt de tact & de goüt, bien rare dans les faifeurs d'Êxtraits, & qui a fur-tout été celui de Bayle dans fes Kouvelles de la Républujue des Lettres. Auffi les journaux de Bayle fe lifent encore au bout de cent anHées ; & on peut dire des Journaux comme des vers, qu'il n'y a de bons que ceux qu'on relic. Malgré les précautions du Préfident Coufin pour ne bleffer aucun de ceux dont il analyfoit les Productions, 1'amour-propre de quelques Ecrivains & de leurs amis fut encore plus chatouilleux que le Journaiifte n'étoit modéré. Un homme (i) qui' depuis s'eft fait (i) L'Abbc Fraguier.  35^ Éloge un nom dans les Lettres, ami & ci~ devant Confrère du Pere Bouhours , fut bleffé de ce que le Préfident Coufin n'avoit pas affe^ louéune des derniere» Produclions de ce Jéfuite; ce qui fignifie , pour le petit nombre de ceux qui lifent encore le P. Bouhours, que le Journalifte avoit été jufte. Cependant fami du Jéfuite lan^a contre le Journa.'itie quelques Epigrammes d'autant plus déplacées, que^iobjet n'en étoit rien moins que littéraire : on y déploroit malignement la flérilité du mariage du Préfident Coufin, qui n'avoit pas, difoit on , le doublé talent d'AndréTiraqueau (i), celui de faire tous les ans. un enfant & un Livre. Cette ftérilité ^ étoit un fujet de plaifanterie bien précieux pour des Poëtes mécontens; elle fournit auffi quelques Epigrammes a urs autre Ecrivain , au Compilateur Gilles Ménage, qui, fe croyant offenfépar quelques phrafes tres innocentes du Préfident Coufin , affaiilit > (i) Célebre Jurifconfulte Francois du Cd~ ï.iemc fiecle, qui a hiffc- beaucoup d'Onvrages ) & qUi de plus fut pere d'une nombreufe familie.  de C o u s i n. 357 fon Antagónifte avec toute la vigueur du Vadius de Molière, en vers grecs, latins & francois. Le Journalifte , de fon. cöté , répondit a Gilles Menage ou plutót a fes manes , par 1 eloge ironique qu'il fit de ce Savant morr peu de temps après. C'eft la feu'e occafïon oü le reflentiment ait empêché M. Coufin d'être rigoureufement jufte , mais fes Adverfaires, bien moins juftes encore , 1'avoient cruellement maltraité; & quel eft 1'Ecrivain qui n'ait pas été homme ,une fois en fa vie \ Sans doute il eüt mieux fait d'imiter ce même Pere Bouhours, dont nous vênóns de parler, & qui, attaqué par le même Gil es Ménage avec un torrent d'injures , en recueillit une centaine des plus groffieres avec ce peu de mots qu'il mit au bas : 11 faut aypuer que ce M. Ménage eft un homme bien poli (i). (i) Le Préfioient Coufin & Ménage avoient commencé par être intimemenr. mis; odium ex intima fodaiitdtecceiper.it. LoffijuVn 1684 le Commis des Financès Bergeiet fut préféré par 1'Académie Francoife a Ménage fon concurrent , celui-ci avoua qu'il fe feroit confulé  558 Éloge Tout Auteur qui s'érige un tribunal oü fes Confrères font cités , doit s'attendre , quelque indulgent qu'il fe montre , a être lui-même cité par eux , & rigoureufement jugé fur fes fautes les plus vénielles. Ceux qui croyoient avoir a fe venger du Préfident Coufin , lui reprochoient fur-tout avec confiance les innovations qu'il avoit ofé faire dans 1'ortliographe ; ils fe plaignoient améretuent de ces innovations qui détruifoient , felon eux , 1'étymologie des mots; ils croyoient bien plus effentiel de fe conformer, en écrivant, a cette précieufe étymologie, qu'a la prononciation ; ils oublioient que les Itaüens & les Efpagnols, plus téméraires ou plus fages que nous , ont (uivi un principe tout oppofé, perfuadés que la pre- de cette injuftice, fi on avoit au moins donné la place a fon cher Préfident Coufin , qui avoit, difoit il , [sittt ie mérite & de bonnes qualités. M. Coufin ne fut de 1'Académie que douze ans après ; il vir pafiér encore plus d'un Bergeret avant lui ; & Ménage , qui mourur avant cette époque , brouille fans retour avec fon ancien ami , n'auroit pas vraifemblablenient applaudi pour lors a fon élecj tiua, quoique u ^uflc & lï tardive.  dé C o u s i n. 359 miere loi de 1'orthographe eft de tracer les mots comme on les prononce, lis oublioienrmême que dans un grand nombre de mots, 1'orthographe francoife a fini par braver 1 etymologie , après s'y être long-temps foumife (i), II ne faut pas douter, pour 1'honneur de'la raifon , qu'elle ne falie taire enfin quelque jour les prëjugés érudits ou abfurdes qui nous font écrire d'une maniere & lire d'une autre. Mais il faut ayouer auffi, que la feule autorité du Préfident Coufin (quelque bien fondé qu'il püt être dans les innovations qu'il hafardoit ) ne fuffifoit pas pour renverfer en un moment ce que des autorités & des années fans nombre avoient cimenté , & qui ne peut être détruit que par un nombre au moins égal d'autorités impofantes 6c peut-être de fiecles accumulés (^). (i) Tels font les mots fantóme , colere, &c. & beaucoup d'auties. Survant l'étymo» losie , on devroit écrire phantome , chulere ; &t c'eft ainfi qu'on écrivoit autiefois. (i) Un exemple frappant fuffira pour faire fentir avec quelle ler.teut l'onhographe fe réforme parmi neus. Dans 1'édition du Dicüonnaire de 1'Académie , donnée eji 1740,  360 Éloge A la profeffion épineufe de Journalifte, le Préfident Coufin en joignit ühe autre, qu'il exerca avec la même probité, celle de Cenjeur Rqyal; cette place , comme 1'a dit plaifamment un Auteur célebre , eft proprement un édition qui depuis a été fuivie d'une autre , on a fupprimé quelques lettres doublés, trèsinutiles en effet dans certains mots, comme. appeller, jetter, Sic. qu'on a écrit appeler , jeter ; cette orthographe eft très-raifonnable, la réformc eft très-légere , & Ie Biétionnaire de 1'Académie , nous pouvons le dire far.s préventipn , femble faire une efpece de loi pour la maniere d'écrire les mots. Cepcndant il n'y a jufqu'a prétent qu'un très-petit noinbre d'Ecrivains qui aient adopté cette réforme ; tous y viendront fans doute, mais n'y viendront que peu a peu , a da fuite les uns des autres , & fans y être ou fans s'y croire forcés. La Compagnie avoit formé , ilyaquaiante ans, Ie projet d'un Diétionnaire orthographique , pour fixer l'onhographe francoife ; cc projet fut bientót abandonné , & a du 1 etre pour deux raifons ; paree qne 1'Académie n'ayant ni le pouvoir ni 1c droit de réforroer 1'orthographe , peut feulement dépofer de 1'orthographe aftuelle ; & paree qu'en dépofant de cette orthographe, elle ne peut' fe flatter d'en empêcher les variations futures, & par conféquent de la fixer. Le temps & la raifon ont, a la longue, plus de force que les Compagnies. emploi  de C o u s i fr. 361 emploi de Commis d la Douane des F enfces , & n'eft guere plus agre'able, foit pour ceux qui 1'exercent, foit pour ceux qui en fouffrent, que le métier de Commis d la Douane des Fermes. Un Cenfeur Royal doit fe regarder avec regret comme une efpece eXInquifiteur fubalterne, qui fe trouve a tout moment dans la néceflïté facheufe , ou de fe rendre odieux aux Auteurs qu'il mutile , ou de fe compromettre par fon indulgence. Le Préfident Coufin fut éviter ce doublé écueil ; il trouva le fecret fi difficile de contenter, par fa cenfure , les Auteurs qui vouloient jouir d'une liberté honnête, & de fatisfaire le Gouvernement, toujours fcrupuleufement attentif a empêcher que cette liberté ne dégénéré en licence. Néanmoins la bonté même avec la- ?[uelle il exercoit ce métier rigoureux, ournit encore matiere aux fatires de fes ennemis. On trouve dans un de ces Recueils de menfonges littéraires , publiés fous le nom d'' Ana, qu'il approuva le Télémaque de Fénélon, comme fidélement traduit du grec. Quand on prête des inepties a un homme de mérite , il faudroit au moias les rendre plas lom 11 q  362 'Éloge vraifemblables; il faudroit ne pas imputer une be'vue groffiere ck une ignorance abfurde a celui qui a fait fes preuves d'exaditude ck de favoir; mais, a la. grande fatisfadion des barbouilleurs de papier dont la Litre'rature abonde , il ne s'agit pis de dire la vérité dans cesanecdotes critiques, ramafTées & cómpilées au hafara ; il s'agit de faire rire un moment le Public , qui même ne rit pas toujours. Tradudeur , Journalifte & Cenfeur des Livres, le Préfident Coufin fembloit avoir borné fon travail a s'exercer fur celui des autres. Néanmoihs Ia fidélité de fes Tradudions, & le mérite de fon Journal , le flrent juger digne d'entrer dans 1'Académie. II remplit parfaitement 1'idée qu'on avoit eue de lui, par le favoir qu'il montra dans les affemblées, ck par un caradere de douceur , de politeffe ék de modeflie qui le rendirent cher a fes Confrères. Si 1'Académie efl une Société de Gens de Lettres, c'eft, avant toutes chofes, une Société ; ék fi le mérite feul a droit de frapper aux portes de cette Compagnie, c'eft aux qualités fociales & les faire ouvrir.  D E C O U S I N. 3 63 Le Préfident Coufin avoit prouvé par fes Traduclions , combien il e'toit verfé dans la Langue Grecque. Parvenu a lage de foixante-dix ans , il entreprit d'apprendre 1'Hébreu; c'étoit commencer un peu tard. Mais fon motif au moins étoit louable ; il vouloit lire 1'Ecriture dans les originaux , & fe mettre en état d'apprécier les objeélions des incrédules fur 1'infidéïité des Traduóïeurs & des Copiftes, II ne pouffoit pas a la vérité 1'enthoufiafme pour 1'Hébreu au même degré que ces fublimes Rabbins, qui ont prétendu que Dieu, avant la création du Monde , étoit uniquement occupé d la contemplation des caracleres hébraïques ; mais il regardoit cette Langue comme un idiome précieux & facré, dans lequel font écrites les feules chofes qu'il importe a 1'homme de favoir. II regrettoit beaucoup que fon age ne lui permit pas de joindre a 1 etude de 1'Hébreu celle de la Langue Arabe, qui exige infiniment plus de travail & de temps , mais qui en effet mériteroit bien , fur-tout aujourd'hui , que nos 'Savans la cultivaffent ; la Littérature Grecque &. Latine ,. prefque entiéreQ ij  jfy Élog! ment épuifée par eux, femble n'avohr plus rien d'intérelfant a leur offrir; au contraire les Auteurs Arabes \ encore très-peu connus», leur préfentent une mine fécande , qui ne demande que des mains habiles pour être mife en oeuvre , & qui, par jes trêfors dont elle enrichiroit 1'Hiftoire, les Sciences &, les Arts, payeroit au centuple les frais de 1'exploitation. AL Coufin ne fe contenta pas d'a-» voir été utile aux Lettres pendant fa vie , il voulut 1'être après fa mort. II a fondé a 1'Univerfité plufieurs bour^es , & a contribue', par ce mayen , a lui donner d'excellens fujets; car 1'ex, périence prouve que la clalfe des étu-, dians pauvres eft celle qui fe diftingue le plus dans nos Colléges • le tftent fans fortune , & 1'ardeur qui nait du befoin de s'inftruire , font le gage le plus alfuré d'une excellente éduca-? tion (i). Un autre fervice qUe le Pre% (i) Un homme de qualité , qqi aimoit Ia Peinturc , & qui en faifoit fon piincipal aaiulement , ayant , dit-on , tnontré au célebr? Pourtïn un tableau qu'il venoit de faire , 1'iflullrc Artifte donna quelques éloges a e«  E E C O V S I N. 3% fident Coufin a rendu aux Lettres, & dont elles goütent journellement le* fruits, eft d'avoir légue fa Bibliotheque a celle de Saint-Vicior avec un fonds de vingt mille livres pour l'augmenter. On voit par ces détails de la v.e de notre Académicien , que fa mémoire doit être chere a ceux qui connoifTent le prix du favoir & dis vertus ; s'il? n'eft pas dans la République des Lettres au nombre des Hommes illuftres, il en a du moins été un Membre tresefiimable par fes qualités perlonnelles; éloge que n'ont pas tou;ours merité les Ecrivains célebres par leurgfnie. Dans les Académies comme dans 1'Etat, tous les Citoyens ne peuvent pas être de grands Hommes ; mais rien ne les difpenfe d'être honnêtes & utiles. Ouvrage , & ajoüta : // ne vous manque , Monfieur, peur devenirtrès-habile , qu'un peu de pauvreté.  JE AN  J E A N GALLOIS, ABBÉ DE S. MARTIN DE CORES» NÉ d Paris le 14 Juin 1632 , refti d la place rf'AMABLE DE BoURZEIS , le 12 Janvier 1673 , ffzo/T Zé 19 Jf^V 1707 (i)- (1) Voyez fon Éloge dans l'Hiftoire d« 1'Académie des Sciences, année 1707. Q ii  ÉLOGE  E L O G E DE JACQUES-NICOLAS COLBERT, ARCHEVÈQUE DE ROUEN, NÉ en 1654, refu d la place dt Jacques Esprit, le 30 Oclobre 1678 , mort le 10 De'cembre 1707. Xj'Abbé Colbert n'étoit pas encore élevé a 1'Epifcopat, lorfque 1'Academie le reent parmi fes Membres a lage de vingt-quatre ans. 11 y apportoit le nom le plus cher a cette Compagnie ; car il étoit fils de ce Miniftre * a qui les Lettres font fi redevables, & dont 1'Académie ne doit jamais, fe rappeler le fouvenir fans la plus vive reconnoiffance. Mais le nom de Colbert n'étoit pas le feul droit , ni meme le plus honorable , que le nouvel Académicien put faire parler en fa faveur ;  Ifö E L O G É il avoit montré de bonne heure des talens qui bientót leplacerent a !a tête d'un grand Diocefe, & dont ce Diocefe recueillit le fruit, foit par les difcours pleins d'onciion qu'il faifoit a fon Peuple , foit par les favantes conférences dans lefquelles il éclairoit & inftruifoit les coopérateurs de fon miniftere; car il joignoit le favoir a 1'éloquence , & après avoir obtenu comme Orateur une place dans cette Compagnie , il en avoit obtenu une autre par 1'étendue de fes connoiffances dans 1'Académie, alors naiffante , des Infcriptions & Belles-Lettres. SaBibliotheque très-nombreufe, & fur-tout tréstien choifie , a été célébrée par les vers de Santeuil ; éloge qui n'eüt été qu'une fatire du propriétaire , s'il avoit reffemblé a tant de Bibliomanes, plus foigneux* d'amaffer des Livres que de les lire. IL fut recu a 1'Académie Francoife parl'illuftreEacine, dont le Difcours (i) (O Ce Difcours, qui n'eft point imprimé dans les Recueils de 1'Académie, a paru pour Ja première fois en 1747 , a Ia fin des Mémoires fur la vie de Racine, donnés par Louis Racine fon fils.  de Colbert. 371 «ft 1'éloge le plus complet du Rédpiendaire. » II y a long temps , lui » dit 1 eloquent Diredeur , que 1'Aca» démie a les yeux fur vous.... Nous » avons confidéré avec attention les » progrès que vous avez faits dans les » Sciences Quels applaudiffemens » n'a-t-on pas donnés a cette excel» lente philofophie que vous avez pu» bliquement enfeignée 1 Au lieu de » quelques termes barbares, de quel» ques frivoles queftions qu'on avoit » coutume d'entendre dans les Ecoles , » vous y avez fait entendre de folides » vérités, les plus beaux < fecrets de la » Nature , les plus importans principes » de la Métaphyfique L'oferai-je » dire ? vous avez fait connoitre dans » les Ecoles Ariftote même , dont on v n'y voit fouvent que le fantöme. » Cependant cette favante philofophie » n'a été pour vous qu'un paffage pour » vousélever a une plus noble Science , j» a celle'de la Religion. Quel progrès » n'avez - vous point fat dans cette » étude facrée 1 .... L'Académie a pris » part a tous vos honneurs. Elle ap» plandilfoit a vos briüans fuccès , mais » depuis qu'elle vous a entendu prêQ yj «  372 ■ Éloge » cher les vérités de 1 Evangile avec » toute Ia force de 1 éloquence , alors » elle ne s'eft plus contentée de vous » admirer , elle a jugé que vous lui » étiez néceffarre mort le 16 Février 1710 (1). (1) Voyez fon Eloge dans le Volame pre» «édent „ . R iv  392 'Éloge tienne, profeffa la Rhétorique dans Ie Collége que ces Peres avoient a Narbonne. Sa qualité de Profeflèur , qui 1'obligeoit a écrire beaucoup en latin , ne 1'empêcboit pas de fentir combien il eft difficile a un Moderne d'être fuppórtable , après Cicéron, Virgile & Horace, dans une Langue qui nexifle plus. II a exprimé fa maniere de penler fur ce fujet dans un Poëme latin fur la mauva'ilè Latinité moderne , & fit tout ce qu'il put pour ne pas donner a la fois, dans ce Poëme , Ia critique & 1'exemple. Obligé auffi, par Ie faflidieux devoir de fa place, de compofer des Pieces de théatre latines, il en fit une dont le fujet étoit I/aac, ou le Sacrifice non fanglant, & a laquelle il donna le titre affez impropre de Tragi-Comédie, paree que 1 Ou.vrage ne lui paroiffoit, difoit il, ni comique par le fujet , ni tragique par le dénouement. Le mot de Drame, qui n'étoit pas encore inventé pour ces Pieces d'un genre équivoque ck neutre, fut venu en cette occafion trèsutilement a fon aide. Nou* ne parierons point d'un dif«ours, auffi latin , qui n'étoit qu'un jeu  de- Fléchier. 393 d'efprit , & qui avoit pour objet 1'apologie de 1'Araignée, pro Araned. Le jeune Profeffeur s'imagina que d'autres Auteurs s'étant, avant lui, triflement égayés a faire 1'éloge de Néron & celui de la Fieure, il pouvoit auffi fe permettre de prendre au moins la défenfe d'un infecfe moins mal-faifant que ces deux fléaax de 1'efpece humaine; mais nous n'avons pas befoin d'affurer qu'il faifoit lui-mème de cette plaifanterie le cas qu'elle méritoit. II fe dédommageoit de fes compofitions latines par quelques Ouvrages francois, quand il trouvoit 1'heureufe occafion d'exercer de cette maniere fes talens naiffans. II fit devant les Etats de 'Languedoc 1'Oraifon funebre de Claude de Rebé , Archevèque de Narbonne. Ce difcours , qu'il compofa & qu'il apprit en dix jours , eut un trèsgrand fuccès , & cet heureux coup d'effai lut annoncer a I'Orateur le vrai genre 3e travail & de gloire auquel la Nature 1'avoit deftiné. 4 ■ Ry  354 E l o g e NoTE II, relative d la page 392 , fur un Ouvrage de fléchier , qui efl peu connu. Fléchier fut Pricepteur du fils de M. de CaumarHn , Cenfeiller d'Etat • & ce Magiftrat ayant été nommé par le Roi 1'un des Commilfaires pour la tenue des grands Jours en Auvergne , le Précepteur & le fils 1'y fuivirent. On appelle grands Jours des Commiffions extraordinaires , que le Roi e'tabliifoit autrefois pour aller dans les Provinces e'couter les plaintes des Peuples , & faire juflice ; Commiffions qui par malheur n'exiftent plus, quoiqu'elles n'aient pas ceffé d'être ne'celfaires. Féchier écrivit une relation de ces grands Jours tenus a Riom en 1665. Elle contient une efpece d'Hiftoire galante, qui prouve que toutférere qu'il étoit dans fes mceurs, il.entendoit affez bien le langage frivole propre a ce genre d'écrire, Dans cette relation des grands Jours , ou 1'Auteur femble avoir voulu égayer de fou mieux  de Fléchier. 395 la triftefie du fujet , il parle de quelques harangues faites aux Magiflrats, & dans lefquelles on alfuroit que Saint Auguftin & Saint Ambroife avoient prophétifé ce grand événement : on y comparoit au terrible jugement univerfel les jugemens féveres qui alloient être rendus. Comme la relation n'eft imprimée qua moitié, nous ignorons quelsfurent ces jugemens féveres, dont le récit eüt été plus intéreffant qu'une Hiftoire galante & des harangues ridicules. note III, relative d ld page ytfafit les Oraifons funebres de fléchier. Non feulement 1'Oraffon funebre de Turenne effaca celle que Mafcaron avoit prononcée • la Nation fembla même placer un moment Fléchier a. cóté de Bolfuet , qui cependant avoit déja fait deux de fes Chef-d'ceuvres en ce genre , l'Öraifon funebre de la Reine d' Angleterre, & celle de fa fille. Mais fi les Contemporains de ces deux Orateurs héfiterent quelquesiaftans entre eux ,ils B vj  396 Éloge fe re'unirent bientót pour préfe'rer la fubfimité inégale de 1'Evêque de Meaux a lelégance continue , mais un peu froide , de 1'Evêque de Nimes. L'Oraifon funebre de la Dauphine & celle du Duc de Montaufier furent faites & prononcées a très~peu de temps 1'une de 1'autre. Auffi Fléchier compofoit-il avec une facilité extréme, & par-tout, fur une table de pierre au fond d'un jardin , & au milieu d'un cercle. » On croit , difoit-il, que je y> compofé avec peine & contention» on fe trompe. J'ai beaucoup travaillé » dans ma jeuneflè , & j'ai mis tous J> les momens a profit. Si la compo>> lïtion me coutoit, il y a long-temps 2 que j'y aurois renonce' «. II n'y a pas dans les Oraifons funetres de notVe Académicien une feule expreffion qui ne foit plus ufitée, a 1'exception de Ia fuivante , fans que je le die j pour fans que je le dfe. Le mot de die pour dfe eft auffi dansles Tragédies de Racine, qui écrivoit en même temps que Fléchier ; ce qui prouve que die étoit alors fort en ufage.  DE F L É C » I Ê l. )97 J'époufaois , & qui ? s'il faut que je le die .... Ah ! que vous auriez vu , fans qu; je votis l« die (i)... Fléchier ne fe faifoit aucun fcrupule de prendre dans les vieux Sermonnaires toutes les penfées heureufea qu'il y trouvoit, & dont il ornoit fes difcours ; c'étoient, fi 1'on peut parler (t) Racine, quelque pur qu'il foit, 1'eft encore moins dans fes vets , que Fléchier dans fa profe : car ii y a dans Racine quelques autres expreffions, a la véiité en petit nombre , qui ont vieilli comme la précédente; avant que partir pour avant que iepanir, ou, comme nous-dirions aujourd'liui, avant deparnrj meurtri pour majfacré : Allez , facrés vcngeurs de vos Princes meurttk. '. Of re, mafculin: L'effre de mon hymen 1'eüt-il tant efFrayé ? On trouve encore dans Racine, fais-je pas pour ne fais-je pas, qui fe lit quelques vers auparavant. Il y a apparence que 1'un & 1'autre fe difoient afers, puifque dans ['Impromptu de Verfailles ( écrit en profe) on lit , fave%vous point ? pour ne fave^ vous point ? Cette facon de parler' fe trouve - encore dans deux Comédies peu anciennes , Y Enfant predigue & le Philofophe marié; mais elle paroit aujeurd'hui profcrite , au moins du genre nobk.  .39* Éloge ainfi , quelques morceaux de marbre qu'il tiroit d'un monceau de décombres , ék qu'il favoit mettre en place. II a emprunté d'un de ces Pre'dicateurs, mais exprimé bien mieux que lui, la belle comparaifon , oü , s'adreffant a Dieu , il peint la colere divine allume'e par Tiniquité des hommes, ck retombant fur les plus illuftres têtes. » Comme il s'éleve du fein des vallées » des vapeurs groffieres dont fe forme » la foudre qui tombe fur les monta» gnes, il fort du cceur des Peuples » des iniquités, dont vous déchargez » les chatimens fur la tête de ceux qui „ » les gouyernent ou qui les défendent«. Avant de fouiller jufque dans ces mafures oü 1'éloquence de la chaire s'étoit quelquefois cachée , Fléchier vifita ék parcourut avec foin les antiques ék refpeétables demeures qu'elle habite , les Sermons ék les Homélies des Peres de 1'Eglife. II en avoit fait un extrait fort étendu , qui a difparu a fa mort; peut être füt-il enlevé par quelque Orateur fubalterne, qui n'en aura pas fait un auffi bon ufage que lui. II eflimoit fort Balzac, quant a 1'har-  be Fléchier. 399 monie , mais nullement quant a Tenflure de fon ftyle. II faifoit auffi quelque cas de 1'Evêque du Bellay le Camus . Auteur de tant d'Ouvrages aujourd nui oubliés; mais il lui trouvoit trop d'efprit , ck une facilité dont cet Ecrivain avoit abufé. » C'eft, difoit» il, une fource trop abondante ck » mal ménagée; en la relferrant, en i> la conduifant, on en auroit fait un » canal agréable ck utile; il ne 1'a em» ployée qu'a des jets d'eau , ou 1'a » laiffée fe répandre , 6k n'a fait qu'un » marais bourbeux «. Le ton de cette critique n'étoit pas lui-même exempt de cenfure. Note IV, relative d la page 405 , fur le plat Auteur Richefource, Maüre d'éhquence de fléchier. Cj E malheureux Richefource eft nommé avec Laferre dans une desRéflexions de Defpréaux fur Longin, comme un modele de galimatias- ck de bafiefle de ftyle. Le nom de Laferre , grace auxSawres de Defpréaux, oüil fe trouve  '40o Éloge encore, n'eft pas tout-a-fait oublié. Mais ja profe de ce grand Poëte n'a, pu faire vivre le nom de Richefouri0 Ceux qui font avides d'anecdotgs fur les plus mauvais Ecrivains , en trouveront quelques -unes fur ce dernier dans le Tome V des Mélanges de Littérature de M. 1'Abbé d'Artigny. La principale lecon d'éloquence que donnoit Richefource , confiffoit a enfeigner (comme il pouvoit) le moyen de s'approprier les traits des plus grands Orateurs , fans s'expofer a 1'accufation de vol. II en donnoit des exemples fur les Lettres de Balzac, qu'il imitoit en joignant a l'enflure de 1'Auteur le ridicule propre a 1'Imitateur. Son cours d'éloquence, qu'il faifoit payer trois louis, étoit de trois mois, pendant lefquels il donnoit chaque femaine trois lecons de deux heures chacune. Voila trois mois de fottifes payés bien cher. Quoiqu'il dife dans la Préface d'une de fes rapfodies, qu'il la met au jour a la priere du jeune Fléchier , dont il fait un grand éloge , on efl bien. tenté de penfer que cette prétendue priere & le Madrigal que Fléchier lui adrelfa, étoient autant d'Epigrarnmes que ce  DE F L É C H ï E -R. 40% Rhéteur avoit pris bonnement pour des éloges. Le ton du Madrigal femble le prouver ; car les vers en feroient bien déteftables , s'ils étoient férieux. Nous n'en citerons que les quatre der j niers. Certc éloquenee nompareille Que ton Livre fait voir avec tant d'apparcil, Donne aux Prédicateurs un fecret fans pare'il De gagner les cceurs par 1'oreille. On raconte qu'un très-mauvais Ecrivain, étant allé entendre une des^ lecons de cet éloquent Richefource, s!approcha de lui a la fin de la féance, & lui dit en préfence de tous fes Auditeurs : » Je" flens, Monfieur , voue » rendre la juflice qui vous eft due ; » je croyois ètre le premier £criyain » de mon fiecle pour le galimatias ; » vous venez de me détromper , ék » de m'en faire plus entendre dans » 1'efpace d'une heure, que je n'en ai » imprimé durant toute ma vie «. Un Maitre de Rhétorique tel que Richefource , dont 1'Ecole étoit encore très-fréquentée dans la jeunefïe de Fléchier , prouve ailèz ce que nous avons dit pour excufer les défauts re-  402 Éloge proche's a fes Oraifons funebres, que lorfqu'il entra dans cette carrière, les véritables loix de Véloquence étoient encore bien peu connues. Les BofTuet & les Bourdaloue ne tarderent pas, il eft vrai , a fe faire entendre; mais le fecret de leur art n'étoit encore que pour eux. Un Ecrivain moderne qui a fait 1 'éloge de Fléchier , avoue même , en parlant de fes Panégyriques des Saints, que dans ce genre il ne trouva point de modele d imiter; que la route quil fuivit n'avoit été entrevue de perfonne avant lui, & que réduit a marcher d'après fon propre inftinct (ce font les termes de cet Auteur ) , il créa lui-méme fa méthode : un tel aveu femble fuppofer , quoique ce ne foit pas 1'avis du même Ecrivain , qu'en effet les vrais préceptes de 1'éloquence étoient encore ignorés.  de Fléchier. 403 Note V, relative d la page 405 , fur les prétendus paralleles de Boffuet avec Corneille , & de fléchier avec Racine. SI 1'on vouloit pouffer plus loin encore que nousnel'avonsfait, le parallele ou plutöt 1'oppofition de Boffuet & de Corneille , on diroit que le Poëte raifonne avec plus d'efprit, I'Orateur avec plus d'ame , & que , fi Ton peut parler ainfi , I'Orateur dans fes mouvemens eft plus Poëte , ck le Poëte plus Orateur : on pourroit ajouter que Corneille , fans jamais perdre fon fujet de vue, s'affaiffe & difparoit quand ce fujet ne lui fournit plus que des. idees communes ; & que BofTuet ne tombe dans des écarts que pour vouloir ramener a fon fujet tout ce qu'il faifit. Mais le réfultat de cette comparaifon fera toujours d'avouer que le fublime de Boffuet eft très-différent de celui de Corneille, ék que ces deux grands Hommes n'ont guere plus de reffemblance par leurs défauts que par leurs beaute's.  r04 ÉLOGE M. Thomas obferve dans fon Effai fur fes E loges } que Mafcaron annonfa Boffuet, comme Rotrvu avoit annoncé Corneille. Ce rapprochement eft auffi jufte que bien vu. 'Mais quant au pre'tendu parallele que des fthéteurs de Collége ont fait de Corneille h Boffuet , & de Fléchier avec Racine , il eft pour le moins auffi ridicule que Ia comparaifon tant reprochée a Fontenelle du jour a la beauté blonde, & de la nuit a la beauté brune (i). (O Un grand Ariftarque moderne a pris Ia pene de faire un parallc'e plus ridicu!. encore du Lutrin & de . la Henriade ; car il elt tutfli abfurde de comparer enfenible la Hennade & Ie Lutrin , que 1'lliade & la Batracomyomackic. Cette fottife eft attribuée a MD Académicien, mort depuis peu d'années; nous fouhaicoas, pour 1'honneur de fes maqu'il n'en foit point coupable.  öe .Fléchier. 40? Note V, n°. 2 , relative d la p. 408 , fur la re'ceptlon de Racine avec fléchier d VAcadémie Franpo'fe. fvACmE, qui fut recu en même temps que Fléchier a 1'Académie Francoife, & qui en cette occafïon % écllpfa devant le Prédicateur , fe dédommagea quelques années après du peu de fuo, cès qu'il avoit eu a fa réception. II fut chargé de recevoir Thomas Corneille z la place de fon illuftre frere. L'Auteur de Phédre, alors plus aguerri en préfence du Public, parut en ce moment tout ce qu'il étoit; le Difcours qu'il fit efl un des plus beaux qui aient été prononcés dans 1'Académie; on le lit encore tous les jours , & on ne lit plus celui de Fléchier, qui eft en effet un Ouvrage très-médiocre , peu digne même de Ia réuffite momentaaée qu'il obtint.  40 6 Éloge Note VI, relative a la page 410 , fur les Bifioires de fléchier O N a de Fléchier une excellente Lettre fur 1'utilité de 1'Hifbire, & fur les talens propres a 1'Hiilorien. On pourroit lui reprocher de n'avoir pas fum n'goureufement, dans fon Hiftoire de Théodofe, les regies qu'il a tracées 'lui-même fur 1'impartialité 8c la vérité qui doivent être la première loi de 1'Hiftoire; mais celle de Théodofe étoit un Ouvrage de commande, plutót fait pour inftruire le Dauphin de fes devoirs, que pour lui tracer le vrai portrait du modele offert a fon émulation. C étoit une efpece de Cyropédie écrite fous les yeux de Bolfuet, 8c deftinée fur-tout a faire du Prince un Monarque pieux 6c Chrétien. II faut pardonner les imperfèélions de 1'Ouvrage a La pureté de ces motifs. L'Hiftohe de Ximenès, autre Ouvrage de Fléchier , rendit 1'Auteur fi célebre en Efpagne, que la plupart de fes Ouvrages y furent traduits. Le Cardinal d'Eftrées, que Louis XIV y avoit  be Fléchier. 407 envoyé auprès de Philippe V , dit que Fléchier lui avoit été fort utile en lui donnant fes avis. Nous n'avons pas fait mention de quelques autres produclions moins importantes dont il efl 1'Auteur , ck fur lefquelles un Homme de Lettres, trèsvtrfé dans la Bibliographie , a bien voulu nous communiquer la note fuivante. » Fléchier a non feulement pu» blié le Livre De cajibus Virorum il» luflrium [Des malheurs arrivés aux » Hommes illujlres), d'Antoine-Marie » Gr ATIANI , mais la Vie du Cardinal » Jean FrancoisCommendon,dumême » Auteur , qu'il a depuis traduite en » francois. CetteVie latine deCommen» don , par Gratiani, parut a Paris en » 1661, w-40. avec une Epitre dédif> catoire a Jean-Jacques de Mefmes , » une Préface, ék la Vie de 1'Auteur » tirée de la Pixacotheca de J. N. » Lrythraeus ( RoJJi). J./EpJtre dédica» toire eft fïgnc'e Roger Ahahia , noms » que prit 1'Editeur Fléchier , je ne » fais pour quelles raifons. » Gratiani , Auteur de ces deux' » Ouvrages latins , publiés par Flé» chier , étoit Secrétaire du Cardinal  408 Éloge » Commendon j Clément VIII le fit » Evêque de Camérino ; il mourut en » 161 i. Après fa mort., fon neveu pu» blia (en 1624, a Rome) fon Hiftoire » de la Guerre de Chypre en latin ; » le plus curieux de fes Ouvrages eft » intitulé : De Scriptis irivita Mi» nervd , Libri 10. Le Jéfuite Jéróme s> Lagomarfini 1'a publié avec des notes » a Florence, en 1745 & 1746 , en » 2 volumes i/z-40 x. NoTE VII, relative a la page 411 , fur la mifanthropie du Duc de Mont au fier. T 1 A Poftérité eüt ignoré le faroeux Timon , fi fes Compatriotes n'avoient été ni foigneux de 1'aigrir, ni empreffés de 1'écouter; & des hommes trés fupérieurs a Timon , qui, pour fe faire diftinguer de leurs Contemporains, n'avoient pas befom de jouer une fingularité puérile, n'ont pas dédaigné d'ajouter cette charlatanerie fi peu faite pour eux , a la julie réputation que leurs talens feuls étoient en droit de leur  de Fléchier. 409 leur affurer. Diegene , voyant de jeunes Rhodiens fuperbement vêtus ; Voila du fijle, dit-il; un moment après, il vit des Lacédémoniens qui portoient de mauvaifes tuniques fales j Autre ejpece de fafle, dit le cynique Philofophe , qui auroit mérité lui-même une lèmblable cenfure. Elle pourroit s'appliquer avec autant de juflice a 1'affkhe de la mifanthropie ; ainfi que le mot de Socrate a un autre Cynique , Antifthene , quiaffecloit de laiffer voir en public fon manteau déchiré: Quand cejjere^-vous, lui dit le fage Athénien &. le vrai Philofophe , de nous montter votre vanitéf On trouvera dans 1'Eloge de Defpréaux , & dans une des notes fur ce même Eloge , quelques traits de 1'humeur chagrine , & quelquefois peutêtre un peuaffeclée , du Duc de Montaufier \ mais ce mifanthrope fi févere & fi inflexible , cet homme a qui fes amis appliquoient 1'éloge donné a Vefpafien, Venerabïlïs Jenex , & patientUJltnus veri (1 ) , pourroit fournir (i) V'u'dlard vénérable , & ami de la vérité. Tome II. S  4!o Éloge une preuve remarquable , que Ia franchife Ia plus affichée ne réfilte pas conflamment a I'air de la Cour , a cet air que la vertu même la plus pure ne relpire pas toujours impunément. Qu'on life avec quelque attention la lettre que le Duc de Montaufier écrivit au Dauphin fon Eleve après la prife de Philisbourg , lettre qu'on a célébrée cornme un raodele de vérité & de nobleffe ; on y appercevra , fi je puis parler ainfi , 1''uniforme du Coürtifan fous le manteau'du Philofophe. Monfelgneur, dit le Duc de Montaufier au Dauphin , je ne vous fais point mon compliment fur la prife de Philisbourg , vous avle^ une bonne armee , des bombes , du canon, & Vauban. Je ne vous loue point non plus de ce que vous êtes brave ; cefl une vertu héréditaire dans votre Maifon. Mals je me réjouls de ce que vous êtes humain, affable, généreux, faijant valolr les jervlces d\iutrni , & oubliant les votres. Quand le Duc de Montaufier difoit au fils de Louis XIV, la bravoure efl une vertu héréditaire dans votre Maifon, croyoit-ilde bonne foi que tous les Bourbons, a 1'exemple  DE F L £ C H I E R. 4r t de Henri IV & de Condé , eu/Tent foérité de la valeur de Saint Louis ? II favoit mieux que perfonne que cette plirafe n'étoit qu'une formule d'adulation. On. peut pirdonner a Maffillon d'avoir dit des Bourbons dans une OraiJ'on funebre ; Comme on ne dolt pas les louer d'être nés Princes , on ne doit pas les louer d'être nés vuillaas; mais 1'homme vcridique de la Cour devoit fe piquer de I'être plus qu'une Oraifbn funebre. II y a bien plus de véritable grandeur danV 1'adieu fi connti du Duc de Montaufier au Dauphin, après 1'éducation firiie : Monfiignétir , fi vous êtes honnête homme , vous m'aimere^ j fi vous ne l'êtes pas , vous me kaïre* , & je m'e;i confolerai. Mais un trait ou il a réellement montré du courage , c'eft fè difcours qu'il ofa tenir a Louis XIV au fujet de Madame Dacier , qui avoit auprès du Monarque le crime de n'être pas Catholique. Cette Sa-van te , n'étant encore que Mademoifelle le Ëevre , avoit dédié trn Livre au Roi , qu'elle ne pouvoit lui prefenter , perfonne n'ofant I'introduiré auprès d'un Prince qui ne voyoit ncint lans indi- v ö [!  412 É L O 5 E gnation un fujet affez téméraire psmr être. d'une autre Religion que la fienne. Montaufier feul, lui-même Protefiant converti, brava ce danger ; il préfenta Mademoifelle le Fevre au Roi, qui dit fort féchement au Proteéteur, qu'il faifoit très-mal de fe rendre Tappin' d'une race profcrite; que pour lui, il-alloit défendre a tout Ecrivain Huguenot de lui de'dier fes Ouvrages, 8e qu'il commencercit par faire fupprimer celui de Mademoifelle le Fevre. Sire, répondit le Duc de Montaufier au Roi, avec une liberté a laquelle ce Prince n'étoit pas accoutumé , efl-ce ainji que vous juvorife^ les talens & le mérite ? Et que vous importe que V Auteur foit Catholique' ou Protefiant, pourvu que Jon Livre foit bon ? J'ofe vous le dire avec vérité; une fuperftition fi puérile efl bien indigne d'un Roi, & bien peu faite pour vous. II ajouta, qu'il alloit envoyer a Mademoifelle le Fevre cent pifioles de ,1a part du Roi , 8c qu'il dépendroit de Sa Majeflé de les lui rendre ou non O Montaufier qu'êtes-vous devenu ? Son auftere & brufque véracité fe manifeftoit fouvent contre les Minif-  de Fléchier. 413 tres même les plus accrédités. Voici le fragment d'une lettre qu'il écrivit fur un Ouvrage intitulé , Relation de la conduite préfente de la Cour de France, écrit en italien, & traduit en francois. » II eft aifé de juger que ce livre eft » plutöt fait pour louer M. Colbert, » que pour célébrer les grandes aclions » du Roi H étoit inutile , pour » 1'honneur de la France, d'étaler la » défaite de Gigery (1), & de dire que » cette affaire peut être mife en pa» rallele avec les plus belles aclions de » Sa Majefté. Nous n'avions pas befoin » que 1'Auteur nous confolat, en nous » apprenant que Charles - Quint & » S. Louis avoient été auffi malheureux » que nous en Afrique. Je tiens donc » que cet Ecrivain aété loué de M. Col» bert a jufte prix , pour exalter digne» ment fes fideles économies «. Nous avons dit que cette rigueur ftoïque s'étoit un peu relachée dans fa lettre au Dauphin, après la prife de Philisbourg ; mais un fait que Madame de Motteville rapporte dans fes (1) Expédition que Louis XIV fit faire eu Afrique en 1664-, avec peu de fuccès. S iij  4 r4 É LOGE Mémoires (i) , & que nous voudYions pouvoir révoquer en doute , répandroir 4es nuages bien plus facheux fur la probné inflexible dont le Duc de Montaufier faifoit fi durement profe'ffion. ü en relulteroit de deux chofes 1'une; que s il étoit devenu le plus hennête homme de la Cour, il ne favoir pas toujours été ; ou que le plus honnête fioinrne de Ia Cour n'eft pas toujours Je plus honnête homme du monde deux chofes qui ne fembknt pas incompuibles. Nous ne prétendons pas oWiger nosLecleurs a croire cette anecdote ; nous prions feulement ceux qui cnercneroient , d'après Ie récit affligeant de Madame de Motteville (z) (O Amfterdam, i7%u Tomey,p. 451 W Nous n'en rapporterons que re peu de mors, dansles termes même de Madam; de Motteville » La Reine-mcre , me dit M. de * Montaufier , ert bien plaifante d'avoir trouvë •> mauvais q-.ie Madame de Braucas air eu de » la complaifance pour lc Roi, en tenant com» pagme a Mademoifelle de la Valliere Si la - Reine étoit habile &fage , elle devroit être *> bien atfe que le Roi füt amoureux de Ma" ^o.'f/le de Brancas , fille d'un homme « qui e/t a cüe S car fa femme , fa fi'le & » lui , rendroient a Ia Reine-mere de bons  be Fléchier. 415 a tourner la vertu en ridicule , de le fouvenir qu'il ne fut jamais fur la terré de vertu mtacle & fans reproche ; Sc que la 'plus févere même paye toujours par quelque endroit un léger tribut a la foiblellè humaine, fur-tout quand elle a le malheur d'habiter la Cour. Si la vertu qu'affichoit le Duc de Montaufier s'égara qttelquefois, foyons plus indulgem a 1'égard de cet homme de bien , qu'il ne fa été lui même a 1'égard des autres , & n'oublions jamais le beau vers que dit le Grand-Prêtre dans Ojympie : H las : tous les humain-. ont bjfoin de clémence. » offices auprès d 1 Roi.... La Reinc-nr.'re , „ mc dit auffi Madame de Montaufier , a fait « une aÜion admiralle d'avoir von'u voit la « Vatliere. Voi'a le tour d'une hjb'de femme; » mais e'.'e eft fi foï'ble, que nous ne pouvons w'pas tfpirtr qu'elle foutienne cette adioft 33 comme tllc ie devroit «. Siv  4^ Éloge jnote VIII, relative a la page 413, fur VHifloire des Papes. La plupart de ceux qui ont écrit 1'Hiftoire des Papes, bnt affeclé de les peindre par les cótés les plus odieux &_les plus révoltans ; ils femblent n'avoir voulu montrer dans ces Pontifes que des Prètrts fcandaleux , les uns par leurs mceurs, les autres par une irréligion qu'ils n'ont pas même craint d'afficher, & tous ambirieux , einreprenans, chercbant a foumettre les couronnes a la tiare & 3e fceptre des P.ois aux clefs de Saint Pierre. On leur fait un crime d'avoir abufé de la créduliré , de l'ignorance & de la fuperflition des Peüples, pour fe rendre fouverains & redoutables. Qu'on ne loue pas la délicateffe de leur confcience , a la bonne heure ; mais qu'on rende juflice a leur habileté. Et n'ontik pas fait, en mettant a profit Ja fottife & la foiblefië humaine , ce que tout autre Prince auroit fait a leur place ? Combien de Monarques ont abufé,  de Fléchier. 417 pour le maintien du defpotifme, de la maxime qui a retenti fi Jouvent a leurs oreilles , quils ne tiennent leur autorité que de Dieu feul, & qu'ils font fur la terre les images de la Divinité? Un Philofophe qui écriroit 1'Hifioire des Papes , les préfenteroit fous un jour, finon plus favorable , au moins plus intéreffant &. plus vrai. II les peindroit luttant contre la force & la puiffance avec les feules armes que la Religion leur fourniffoit , faifant trembler a ce feul nom les Empereurs & les Rois, n'ayant jamais perdu de vue, durant prés de fix fiecles, le projet de fe rendre fouverains de Rome, & y étant enfin parvenus. II les feroit voir protégeant les Sciences, les Lettres, les Beaux-Arts , la Philofophie même, autant que leurs prétentions pontificale* pouvoient s'en accommoder ; il montreroit vingt Papes de fuite , conflamment occupés a élever ha magnifiqug églife de Saint Pierre , le plus beau monument de l'Architedure moderne ; bien différens des autres Souverains , qui prefque tous fe font une efpece de gloire de laiffer périr , ou même de renverfer les monumens commencés S v  Éloge par leurs prédéceffëurs. Quel Prince que Sixte-Quim ! Quel Monarque peut ie vanter d'avoir fait durant un long f< gne , ce que le fils d un payfan a fait en cinq années de Pontificar l La grande coupole de Saint Pierre achevée, das obe'hfques immenfesélevés dans Rome, un fuperbe aqueduc congruit pour y porter des eaux , la Bibliotheque du Vatican établie par fes foins , 1'Etat Eccféfiafüque purgé des brigands qui le défoloient, la juflice rendue avec autant d'exaélitude que de févérité • enfin fept millions d'or qu'il laifTa dans Je tréfor d.v 1'Eglife , malgré Jes dépenfes prodigieufes qu'il avoit faites pour embellir la Capttale du Monde Cbréiien ? Quel dommage qu'un tel homme n'aic pas eu jufqua préfent un Hiftorien digne de lui(i) ! » Tl faut favoir, ditun Ecrivain céle» bre , eflimer beaucoup de Papes , » q.iuiqu'on foit né a Gencve ou a Lon» dres ■ il faut fe fouvenir de ce que O) II exifte , dit on , une vie de Sixte V , eenre en jtatua , & dans laquelle 1'Auteur a.'fnre rju: ce Pape étoit GentUhomme. Qu'importe fa naillance a la gloire de fon Pontificat?  de Fléchier. 4t9;» difoit le grand Cöme de Médicis , » qu'dn ne gouverne point des L tats » avec des Patenótres «. note IX , relative d la page 414 & aux fuivantes , fur la vie épifcopale de Fléchier. D ANS le temps oü Fle'chier fut nommé a 1'évêché de Lavaur, la Cour de France étoit brouillée avec le Pape, & le Pape refufoit aux Evêques des Bulles dont ils croyoient ne pouvoir fe paffer. Fléchier ne profitavpas de ce délai, comme beaucoup d'autres auroient pu faire , pour fe difpenfer d'aller réfider dans fon Diocefe j il partit pour Lavaur , & y travailla jufqu'a 1'arrivée de fes Eulles , fous le titre modefle de Vicaire-Cénéral du Chapitre. Transféré de Lavaur a Nimes , il écrivit aux Confuls de cette derniere ville : » La Providence m'envoie fans » doute parmi vous pour être votre » confolaieur & votre pere. Quel bon» heur pour moi, fi je puis adoucir S vj  420 E L O G E » vos peines , éclairer vos efprits, ga> » gner vos cceurs, & porter le calme » & la paix dans des confciences en» core agitées «1 II penfa pe'rir fur le Rhóne en allant a fon diocefe. »On dit, e'crivoit-il a un » defesamis , cpie j'ai couru un grand » danger ; je l ignore. Si I on vous » mande que je fuis noyé , n'en croyez » rien , &c lailfez demander mon e'vê» ché a ceux qui le croiront vacant «. Après avoir polfédé quelque temps I'Evêclié de Nimes, il confèntit que fon diocefe fut démembre', pour en former celui d'Alais dans les Ce'venne.s, afin que les Proteftans euffent plus d inftruclion & de fecours ; car non feulement il n'avoit pas i'ambition qui afpire aux grandes places , il n'avoit pas même I'ambition plus féduifante de faire tout feul le bien , & d'enlever cet honneur a d'autres. Les Proteftans , que la dragonnade avoit rendus furieux , exercoient par repréfailles d'affreufes cruaatés contre les Catholiques. lis maffacroient les Prêtres , mettoient le feu aux e'glifes, & portoient par-tout la dëfolation. Les Pafteurs ëpouvantés abandonnoiens  be Fléchier. 421 leurs troupeaux • les Religieufes même vouloient fuir de leurs cloitres. Fléchier raffura les Religieufes, &. encouragea les Curés; mais en les encourageant, il excufa leurs craintes & compatit a leur foiblefle. Nous ne voulons , leur dit-il dans une Lettre paftorale , ni bldmer votre retraite, ni la. juflifier ; mais en même temps il les allure que le précepte de 1'Evangile, quand on vous perfécutera dans hns ville, fitye^ dans une autre, n'eft point fait pour eux dans les circonftances ou ils fe trouvent; & par les éloges qu'il donne aux Curés qui, dans le péril, n'ont point abandonné leurs égliles, on fent qu'il a befoin de toute la charité épifcopale pour pardonner aux Curés fugitifs. Dans une lettre a 1'Archevèque de Paris , Fléchier développe fes principes fur les moyens les plus emcacespour convertir les Proteftans. » Parmi » eux, dit-il, il en eft qui nous difent, » quand nous les avons convaincus ; » Vous ave%_ raifon , mais il efl fa» cheux de quittcr la tradition de fes » peres. II eft jufte de remuer un peu » vous-ci, pour les faire rentrer dans  422 ÉLOGE » 1'unité. Plufieurs ne font prefque re- » tenus que par des confidér :tions hu- » maines II faut leur donner une » crainte fupe'rieure a celle des ref» pecf. humains : ce devroit être celle » de Dieu, mais du moins celle des » Puiffances ordonnées de Dieu » Nous en avons même trouve' qui * n0Lls ont prié de leur faire donner » quelque amende pécuniaire , n'ofant » fe déclarer qu'a la faveur de quelque » petite violence H faut agir un » peu par perfuafion & par remon» trance, un peu par commandement » & par contrainte. Je parle d'une » contrainte qui foit plutót une cor» redion qu'un chatiment [ qui n'é» loigne ék n'aigriffe pas ceux qui font » méchans , & qui n'inquiete pas » ceux qui font ou qui veulent deve» nir bons , qui les pouffe, mais qui » ne les frappe pas «. Cette lettre nous paroit très-curieufe ; on y voit a chaque ligne le cornbat du caradere contre la robe, ék du Prêtre zélé qui vouloit convertir , contre le fage indulgent qui craignoit de perfécuter. Mais, malgré le fage ék fes remords , la robe fait ici  de Fléchier. 423. fon effet , comme dans la Comédie du Procureur arbitre. \ Fléchier, quand il s'abandonnoit a la douceur de fon naturel , tenoit a fes Curés un langage bien plus indulgent. » Nous vous avons donné , dit■p il dans une de fes Lettres paflora» les , des regies de prudence ck de » charité, pour ménager nos Freres er» rans comme des vaiffeaux fragiles, » pour leur adoucir le joug du Sei» gneur & les réduire a une obéiffance » raifonnable, retranchant toute baf» feffe de vos bontés, toute amerrume » de votre zele, toute paffion & tout » in'érêt de vosfonctions, pour les ra» mener par des avertiffemens pater» nels , non par des reproches & des » menaces Un homme refpectable, juftement attaché au nom de Lamoignon, qu'il honore par fes lumieres & fes vertus , croit 1'Evêque de Nimes plus coupable que 1'Intendant Baviile de 1'intolérance &. de la perfécution tant reprochée a ce Magiftrat. Mais que répondre au cri général ék encore fubfiftant des Proteüans de Languedoc , qui honorent la mémoire de Fléchier, ne ché-  4M ÉLOGE riifent pas celle de Baville ? Le fait fuivant ne lui eft pas plus favorable. » J'ai » demandé au Cardinal de Fleury, dit » M. de Voltaire , ce qui avoit prin» cipalement engagé Louis XIV au » coup violent d'autorité qu'il exerca » par la re'vocation de 1'Edit de Nan» tes. II me répondit que tout venoit » de M. de Baville , qui s'étoit flatté » d'avoir aboli le Calvinifme en Lan» guedoc , oü cependant il reftoit plus » de quatre-vingt mille Huguenots. » Louis XIV crut aifément, que puif» qu'un Intendant avoit détruit Ia » feóle dans fon département, il 1'a» néantiroit dans fon Royaume ^ Ainfi Baville (au moins fi 1'on en croit cette anecdote ) (i) fut 1'inftigateur de cette (i) Cette anecdote n'a rien de für ; & quant aux Proteftans du Languedoc, on concoit que M. de Baville, exe'cuteur nécelTaire des ordres rigourcnx de ia Cour, adü leur laiffcrdes fou. venirs plus facheux que M. Flécnier, dont la foible infiuence fe bornoit a fon petit diocefe. Mais^ M. de Baville e'toit-il 1'inftigateur de la perfécution? C'eft ce que nient ceux qui ont vu les titres qui peuvent feuls de'cider la queftion. N'inculpons pas le'géremenr les Hommes célebres. Quand on veut"parler d'un Intendant digne d'être propofé pour modele , c'eft M. dt  Ti e Fléchier. 4*5 perfécution, dont il devint enfuite un des Miniftres les plus zélés & les plus redoutables. Fléchier , en ne voulant pas qu'orl ufat de violence a 1'égard des Proteftans paifibles , croyoit avec raifon qu'il falloit oppofer la force aux Proteftans fanatiques qui avoient pris les armes. Cavalier, Chef de ces Fanatiques, vint a Nimes après fon accommodement avec le Maréchal de Villars. Mais le Prélat ne voulut jamais voir le deftructeur de fon troupeau. II apprit avec plaifir que Cavalier étoit parti pour 1'Angleterre. Ce vaijfeau périra fans doute , dit-il, étant chargé de tant de crimes. Cet homme, fimple garcon Boulanger , avoit en effet ordonné & exécuté au nom de Dieu les dévaftations dont Fléchier avoit gémi, comme les Catholiques exercoient au nom de Dieu les dragonnades. Le Maréchal de Villars fut envoyé dans les Cévénnes pour faire la guerre k Cavalier ; & ce Général célebre , qui devoit bientêt combattre & vaincre le Prince Eugene, Baville qu'on cite. Voyez ce qu'en dit le Ma.' ïéclul de Villars dans les Mémoires»  426 E L O G E borna fa campagne contre les Proteftans a un traité de paix avec le Boulanger qui les commandoir. La guerre cruelle & malheureufe que Louis XIV avoit alors a foutenir , 1'obligeoit a cette hurniliation ; &, ce qui ne fut guere moinsfacheux, les Proteftans fe plaignirent, non fans raifon , que les conditions du traité avoient été mal obfervées. Le refpeétable Prélat donnoit aux ennemts de 1'Eglife 1'exemple de la foumiffion qu'il leur prêchoit. Quoique Vté d'amitié avec filluftre Fénélon, il pUblia un Mandement d'adhéfion a la Bulle qui condamnoit la doélrine quiétifte de ce vertueux Archevèque ; mais en profcrivant fes erreurs, il paria de fa perfonne avec les égards qu'elle méritoit. ck que d'autres Prélats n'avoient pas eus pour lui. U avoit fait plus que de rendre juflice a la docilité de Fénélon , il 1'avoit prédite. Les ames droites & pures fe connoiffent & fe devinent, &. le vertueux Fénélon fit, en cette circonflance, ce que le vertueux Fléchier auroit fait a fa place. • Obfervateur exacl des Loix eccléfiaftiques, Fléchier ne fayoit ni les outrer  de Fléchier. 427 ni ks affoiblir. II avoit converti Sc baptifé un Juif, qui lui-même , on ignore pir quelle raifon , baptifa enfuite un enfant incognito, &, pour ainfi dire, a petit brüit. Flêcbier déclara 1'enfant bon Chre'tien malgré Yïncognito. Mais plus févere fur le mariage que fur le baptême , il décida que le mariage d'un Protefiant avec une Catholique ne pouvoit être roléré dans 1'Eglife Romaine ; & il expliquoit de fon mieux, en faveur de cette opinioa , le paffage de Saint Paul, qui n'y paroit pas très-favorable, que ie mari infiSele dok être fanfcfié par la femme fidelle. Nous ignorons ce que penfent aujourd'hui fur ce fujet les Prélats Sc les Théologiens modernes. Mais les Magiftrats de nos jours, qui fe piquent plus déqulté que de geologie , ont plus d'une fois déclarés bons Sc valides des mariages de cette efpece. La prétendue croix miraculeufe dont nous avons parlé dans 1'Eloge de Fléchier, Sc contre laquelle il donna une Lettre paflorale , avoit été érigée par un Berger que le Prélat fit fortir de fon diocefe. On ratiffoit le bois de cette croix comme une relique. » Ces  428 éloge » morceaux, dit-il, féparés du tout, » ne" font plus que des morceaux de » bois, qui, ayant perdu le mérite de » la repréfentation des fouffrances de » Jéfus-Chrift, ne font dignes d'aucun » lionneur «. Dans cette même Lettre, il dit que les miracles ne doivent pas être trop fréquens , paree qu'ils feroient inutiles3 ni abfolument nuls , afin que les nouveaux fajjènt croire les anciens. II parle avec beaucoup de fageffe de la dévotiön qu'on doit apporter a cette croix. II défend aux Curés d'attefler les miracles , & aux ftlles d'y-paffer la nuit. L'Evêque de Nirnes invitoit fes Chanoines a une vie laborieufe & réguliere,' en leur rappelant la mauvaife idéé que les gens du monde ont pour 1'ordinaire des Chapitres. » Ils confiderent » les Chanoines, leur dit-il , comme y> des Eccléfiafliques fans emploi. Par» venus a une indelente oifiveté, on » les voit remplir dans un chceur des » chaifes commodes , & joindre a » peine leurs voix aux Prètres inférieurs » qui chantent pour eux les louanges » de Dieu. L'inutilité de leur vie forme » un triffe préjugé centre la régularité » de leur conduite «,  be Fléchier. 429 Un de ces Chanoines, dit-on , lui repréfentojt que fes cliarités étoient immenfes, ék que fa bourfe ne pourroit y fuffire. il lui fit a peu prés la même réponfe qu'a faite de nos jours BenoitXIV a de femblables repréfentations: Si les pauvres vous entendent^ ils nous demanderont nos équipages , nos meubles , nos Valais , comme un. bien qui leur appartient ; & que répondrons-nous ? Fléchier s'oppofa tant qu'il put a rétablifTement d'un Opéra a Nimes. II y en eut d'abord un qui tomba , ék les Acteurs furent réduits a 1'aumöne. La fecoade troupe réuffit mieux; le Prélat tenna contre ce fpecTacle , fans cependant ernployer les cenfures eccléfiafHques, mais feulement la priere : » Vous » aimiez, dit-il , a voir ék a entendre *> ces filles de Babylone qui chantent » les Cantiques de leur pays, ék vous s échauffiez ces ferpens a mefure qu'ils » vous piquoient «. 11 fe plaint de ce que les nouveaux convertis, qui, étant Proteftans, n'alloient point aux fpeétacles, y alloient depuis leur converfïon. » Vous n'avez , leur dit-il, oublié de » vos premières loix que ce qu'elles  43» Ê L O G E » avoient de bon «. Nous. n'examinerons pas fi, relativement aux préceptes & a 1'efprit du Chriftianifme , un Opéra peut être toléré dans une grande vilie, comme un mal nécelfaire, & propre a en empêcher de plus grands; mais il faut convenir que le mal qui peut en réfulter pour les mceurs, devoit être plus fenfible & plus a craindre dans une petite ville , & pouvoit avec quelque raifon alarmer la follicitude épifcopale. NOTE X, relative a la page 426, fur la réponfe de FlÉCHIER d tin Prélat orgueilleux. JLa familie de Fléchier affure que 1'anecdote du Marcband de chandelles, rapportée dans fon Eloge , n'eft pas exacte , & elle la raconte ainfi : Le pere de Fléchier avoit hérité de lés ancêtres une petite terre qu'il cultiroit lui-même, & un moulin qu'il faifoit valoir. L'orgueilleux Prélat dont nous avons parlé , & qui reprochoit fi baffement a Fléchier ia. noble indi-  DE F L É C H T E R. 4}ï' gence de fes ancètres , lui dit un jour: Avoue^ que votre pere auroit été bien furpris de vous voir Jortir dc fon mdtilin pour dévenit Evêque. Je crains bien , lui répondit Fléchier ,. que Ji le vótre avoit travaillé au moiüin , vous neufjie^ toute votre vie tournè la meuley Quoi qu'il en foit , cette réponfe de Fléchier rappelle le rnot d'un autre Prélat a un diftributeur des graces eccléfiafliqites , qui le confultoit puur favoir s'il pouvoit faire Evêque fans ■indécence un Prédicateur qui avoit , comme Fléchier, des talens rares & une naiffance peu' difiinguée. Si je croyois que cela put être mis en queftion, lui répondit celui qu'il confultoit, je jetterois tout d Vheure ma mitrè & ma croix par la fenêtre. Réponfe un peu militaire , mais que la queflion méritoit, & que nous aurions craint d'affoiblir en 1'adouciffant. Un des plus facheux inconvéniens de notre admimftration & de Tefprit qui femble la diriger, c'eft que le mérite éminent, tié dans la fou'e , ait fi peu d'efpérance d'arriver aux grandes places. Quelque peu empreifé qu'il fe montre de cher-  43« Éloge cher les honneurs (car nous parions dii mérite éminent ék par conféquent dn mérite modeite) , quelque porté qu'il foit a préférer la médiocrité a la fortune , ék la liberté aux chaines, au moins feroit-il jufte de lui laiffèr 1'honneur du choix , dont il abufera d'au* tant moins qu'il en fera plus digne. KoTE XI, relative d la page 427 , fur VAcadémie établie d Nimespaf Fléchier. Fléchier fe délaffoit des foins pénibles de 1'épifcopat, en donnant aux Lettres qu'il avoit toujours aimées, le peu de momens que fes devoirs lui laiffoient. II fut le Reftaurateur, ék prefque le fecond Fondateur de 1'Académie qui fubfifte encore a Nimes. Cette Compagnie, après avoir été d'abord , comme la plupart des Sociétés littéraires fi répandues dans nos Provinces, une fimple Académie d'éloquence ék de poéfies, s'eft rendue plus recommandable en fe tournant vers les ScienCe,s exact e§. Comme il n'eft point de Provin ce  de Fléchier. 433 Province dans le Royaume, ou la Phy{ique & 1'Hiftoire Naturelle n'offrent quelques particularités remarquables & qui lui font propres, il n'en efl point oü une Société de Phyfïciens, d'Aftronomes -Sc de. Naturaliftes, nepuifTe être utile, pourvu que cette Société y foit réduite aux feuls hommes vraiment capables de la compofer. Des Académi.ciens médiocres feroient même plus utiles en ce genre , que des Académiciens demi - Beaux - efprits, a qui 1'on ne pourroit trop répéter les vers fi fages de Defpréaux : Soyez plutot Macon , fi c'eft votre ■ talent, OuTiier efömé dans un Art ncccflaire , Qu'Ecrivain du commun, Ec Poëte vu'gaire. Outre les objets d'Hifloire Naturelle que le Langueddc offre aux yeux des Phyfïciens, la ville de Nimes renferme encore plufieurs antiquités dignes d'occuper une Compagnie favante , entre autres , la fameufe maifon carrée. Un des Membres les plus diftingués de 1'Académie de Nimes, M. Séguier, Correfpondant de celle des Belles - Lettres de Paris, a taché de Tome IL T  434 Éloge deviner I'infcription qui étoit a la facade de cette maifon ; il a eükyé de rétablir les lettres d'après la difpofition des clous qui les atrachoient , & qui reftent encore a la frife ; & quoiqu'il ne fut peut-être pas irnpoffible d'imaginer d'autres infcriptions différentes de celle-la, qui nYft indiquée que d'une maniere allez vague par la dilpofition des clous. les recherches de M. Séguier fur ce fujet font très-ingénieufes, ék font honneur a la iagacité de cet Académicien. Fléchier, Membre de 1'Académie Francoife , ék voulanr donner du reliëf a celle de Nimes , obtint de la première de ces deux Compagnies, qu'elle voulut bien s'aifocier la leconde ; la cérémonie s'en fit iolennellement dans une Séance pujjliq-e de 1'Académie Franco fe , le 30 Octobre 1692 , par un Difcours que prononcerent les Députés de 1'Académie de Nimes, ék auquel répondit M. de Toureil , Directeur. Fléchier avoit défiré vivement ce te affociation , dans 1'efpérance des grands avantages qu'il en attendoit pour les Lettres. II feroit a fouhaiter que fes efpérances eufient été accomplies,  de Fléchier. 435 Note générale Sur quelques falts racontés dans VEloge de FlÉCHIER. ]N[ o u s avons avancé , d'après le témoignage de plufieurs Avignonois tres • dignes de foi, que les ancétrés de Fléchier, réduits a une honorable indigence , avoient été contramt; de faire le coaimerce pour fubfifter. La familie , encore exülante de ce vertueux Prélat, convient du peu de fortone de fes aïeux 3 rnais eHe affure qu'ils n'ont jamais fait le comme'rce , ayant toujours pris & porté le titre de Noble homme. C'elt aux Généalogiftes a nous apprendre le fens précis de cette expreffion, fur-tout dans certaines Provinces. Nous nous en rapportons entiérement a eux fur ce fujet, ainfi que fur les titres produits par cette refpeétable familie. 11 eft au moins trés - certain que la mere de Fléchier, fcear du Général des Doetrinaires, Hercule Audifret, étoit lille Tij  436 ÉLOGE d'un Marchand du Comtat; ne feroitil pas poffibie de tout concilier, en fuppofant que fon mari , pere de Fléchier, s'affocia pour le commerce avec fon beau-pere , qui vraifemblablement étóii un Commercant peu ai é , puifqtt'il maria fa fille a un homme fans fortune ? Nous fommes bien éloignés de vouloir difputer a MM. Fléchier le titre de Noble auquel ils prétendent; mais fi nous rapportions en détail tout ce qui nous a été dit a ee fujet (i) , il en réfulteroit au moins qu'on ne peut ( i ) On nous avok affuré , i°. que Ie pere de Fléchier n'a pas pris la qualité de Noble dans 1'extrait baptifiere de tous fes cnfans ; que Ménard en fait la rémarqus dsns fon Eijloire de Nimes ; & que d'ailleurs \e titre de Noble eft fréquemmcnt nfurpé dans le Comtat par des gens qui ne font pas Gentilshommes : in. que Pi'thonCurt, dans fon Nobïüaire du Comtat, oü il eft très-indtilgent fur la Nobleffe, ne parle point des Fléchiers : 30. que fi Fléchier , ( depuis Evêque ) avoit été Gentiihomme , il n auroit pas pris Femploi dérogeant de Secrétaire de M. Talon , aux grands Jours d'Auvergne : 40. que Pierre Fléchier , im des aïeux du Prélat, ne prend aucnne qualifijation. dans fon contrat de manage \ rti  de Fléchier. 437 nous accufer avec juflice d'avoir cru troo légérement les faits que nous avions «i'abord avancés lur la naiffance de 1'Evêque de Nimes. Contens de nous être juftifies du reproche qu'on pourroit nous en faire, nous renvoyons nos I.ecleurs au témoignage des habitans du Comtat fur cette familie, qui d'a Heyrs a fi peu befoin de noblefie pour être illuftre. dans d'autres adas, & qu'il avoit ete dernier Conful de Perne , charge occüpée par k PeupU, C c'eft l'exprf&on dont on s eit ferviV 5°- que Fléchier paffoit, dans ie •»ys, pour nis ou petit-fils d'un Marchand de chandelles , & que ce fait avoit meme été imprimé (ans réclamation. Yoila bien des titres pour notre apologie. Fin du Tome 11.