287 HïSTOIRE DES MEMBRES D E VACADÉMIE FRANgOISE, Morts depuis ijoo jufqiïen ifjiy Pour fervir de fake aux Éloges imprimés & lus dans les Séances publiques de cette Compagnie. Par M. d'AleM3ERT , Secrétaire perpét'iel de 1'Académie Francoife, & Mïtnbre da Académies des Sciences de France , a Angleterre , de Prujfe , de RuJJie , de Snede , de por ugal, de Bologne, de Turin , de Naples, de Cajfel , de Bofton, & de Norwege. TOME TROISIEME. ï=6K A AMSTERDAM; Et fe trouve a Paris , Chez Moutarh , Imprimeur-Libraire de Ia Reine, de «.adame, de Madame Comteffe d'Artois , & ie l'Académie des Sciences, rue des Mathurins, Hotel de Cluni.   N I C O L A S BOILEAU DESPRÉAUX» jv£ le premier Kovembre 1636, recu le 3 Jinliet 1684., a la place de Claude Basin de Bezons, Confeiller dEtat, mort le 11 Mars I7H (1). NOTE I, relative a la page 37 , fur la noblejjè de üespréaux. C^uelque peu intéreffante que nous paroifTe la noblefle ou la roture de Defpréaux , ceux de nos Ledeurs (1) Voyez fon Etage dans le premier Volume. Tomc III. A N O TE S SUR L'ÉLOGE DE DESPRÉAUX.  3 E L O G E qui ne penferont pas comme nous \ ce fujet, pourront canfulter le Recueil des Lettres de Defpréaux & de Broffette. Ils y apprendront que Jean Boi* leau fut anobli avec fon flls en 1371 , par le Roi Charles V , & que ce Prince eut pour ConfefTeur Hugues Boileau de la même familie , &. Tréforier de la Sainte-Chapelle, a qui le Pape ao corda le droit d'officier pontifkalement aux grandes 'Fètes de l'anne'e ; beau privilege , dit Brorfette , dont fes fuc-» cefTeurs ont joui. Ne diffimulons pourtant pas que Ia ïioblefTe de Defpréaux foufFre aujourd'hui des contradicfions. Ce détail pourra amufer un moment ceux mêmes de nas Lecleurs qui ne fe piquent pas de 1'honneur d'ètre Généalogiftes, En 1695, on établit une Commif-* fion pour la recherche des faux Nobles'; on levoit fur eux un droit, dans lequel une Compagnie de Traitans étoit intéreffée. Ces Traitans avoient a leur tête le fameux Bourvalais, dont ja régence fit dans la fuite une jufiice rigonreufe , & (fion en croit lavoixpublique) trèsfcien méritée. La Compagnie Financiers recherchoit ayec tout ïintéxët de  de Boileau Despréaux. £ 1'avidiré les ufurpateurs des ritres de nobleffe , 6c intenta fur ce firjet un proces a la familie de Defpréaux. Celui-ci raconte dans fes Lettres a Broffette , qu'il gagna fon proces avec éloge. » J'enai, dit-il, FArrèt en bonne » forme , qui me déclare Nob'e de » quatre cents ans. M. de Pommereu» » Préfident de l'ArTemblée, fit en ma » préfence, 1'AfTeniblée tenant, une ré» primande a 1'Avocat des Traitans, & j>> lui dit ces propres mots: Le Rqi vent bien que vous pourfuivie^ les faux » Nobles de fon Royaume ; mals il ne x vous a pas pour cela donné permif»fon d'inquiéter des gens d'une no» bleffe aujfi avérée que font ceux dont » nous venons d'examiner les titres. » Que cela ne vous arrivé plus «. Dans une autre Lettre , Defpréaux 9*attaché a prouver qu'il efl de meilleure maifon qu'un certain Lyonnois fort obfcur & fort ignoré , noramé Perrackon , qui fe prétendoit plus ancien GentilhGmme que lui. Notre Poëte , tout le temps que dura fon affaire , fut très-irrité contre Bourvalais, Chef de la Compagnie qui le pourfuivoit. II compofoit alors la Satire fur 1» Aij •  4 t L O G E faux honneur, adreifée a M. de Valincourt; Ouvrage alfez médiocre, qu'il comptoit rendre piquant par la peinture la plus cauftique & la plus plaifante du Financier fon perfécuteur. Mais quand il eut gagné fon proces & fe vit déclaré Noble , il oublia fa vengeance , & le Gentilhomme dédaigna de punir le Financier. Cependant des perfonnes très-inftruites , très-dignes de foi, & qui ont été a portee de connoitre & de juger les titres originaux (i) , neus ont affuré que le Jugement rendu fur la rtoblefle de Defpréaux ne 1'avoit été que par confldéraüon pour le Poëte , honoré de la proteclion du Roi j que les titres préfentés par fa familie étoient 1'ouvrage d'un fauifaire, nommé Eaudiquler; que pluiïeurs années après le Jugement, on avoit trouvé parmi les papiers de ce faurfaire un mémoire de vingt louis, payés par Defpréaux pour fa part des titres que eet F -udiquier avoit fournis. Les amis de L>efpréaux répondront fans doute que le Poëte , en payant Haudiquier , n'avoit pas cru (i) E.iitre auttes feu M, de Fonceiriagne,  BE BoiLEAU DeSPRÉATJX. f payer un importeur , mais récompenfer les recherches dun Généalogifle; les médifans prétendront que le Poëte en cette circonftance aura dit comrne le Praticien Falaife dans la Réconcilialion Normande : Feut-êire a mon profit, dans cette affaire obfcure, Un Juge bien payé yerra plus clair que moi. Quant a nous, nous ne prendrons aucun parti fur cette queftion futile , dont la décifion ne touche en rien la mémoire de Defpréaux ; fut-il auift noble qu'il prétendoit 1'être , ou ne füt-il , comme il 1'a dit de quelque autre dans une de fes Epigrammes , qu'un Gentilhomme fans naiffanct , quelques aïeux ignorés n'ajouteroient rien a la gloire de fon nom; c'efl lui qui honoreroit fes ancêtres , & qui répandroit fur eux 1'éclat que tant d'autres empruntent des leurs ; fes Ouvrages font devenus fon plus beau titre de nobleife. Parmi les Epigrammes de notre Poëte, on trouve, en forme d'Fpitaphe, celle dont nous venons de parler, ck. dont 1'objet efl inconnu : A üj  r Eloge Ci-git, juftement regrett; , Vn honiiue favant fans feience. Va Gentilhonime fans nailunce , Va vrai bon horame fans bonté. Brorfette, dans fon Commentairefur Defpréaux, dit fur cette Epigrammè ou Epitaphe , quelle nefl bonne que pour ceux qui ont connu particuliérement celui dont elle parle, II parolt que Brorfette étoit d, ns le fecret, mais qu'il ne lui étoit pas permis de le révéler, Un Homme de Lettres , inftruit de 1'anecdote fur la noblerfe de Defpréaux, a prétendu que le Poëte fit peut être cette Epigrammè fur luimême , étant en effet favant fans le paroitre, bon homme au fond quoiqu'on le crut méchant, & roturier quoiqu'on le crüt Centilkotnrne. Notre grand Poëte , en faifant ainfi obfeurément fon propre portrait, auroit-il voulu segayer un moment a fes propres dépens , fans dire a perfonne le mot de lenigine '. La chofe n'eft guere vraifemblable ; & en la fuppofant vraie , Defpréaux ne I'auroit fürement pas révélée au Cornmentateur  DE BOILEAU" DESPRÉAUX. $ Bfoflêtte , qu'il avoit fi long-temps entretenu & voulu perfuader de ia no« blefle réelle ou prétendue (i). (i) Un autre Homme de lettres qui fe croit bien mieux inftrwr, Sc qui prétend avoit été a portée de fêtre, nous a écnt que lobjet de cette Epitaphe étoit un tres-grand Prince , qui paiToit pour n'être pas le fis de fon perc nutatif, mais d'un Bourgeois tres-obfcur. En cecas, laréticence du Commentator auroit fon explication bien naturelle. Maïs cette WnuAffic a été faire avant la mort do Prince qu'on nous a nommé , & qui a Qirre« a Defpréaux; ce qui peut faire douter qu il lOK réel'ement Föbjet de I'Epiraphe 5 d'ailleurs elle »e paroit guere convenir a quelque Prince que ce fok, & fur-ro«t au Prince dont .1 s aglt , eomme il feroitïacile de le prouver.fi ion ne croyoit devoir s'mierdire toute difcuflioa a ce fujet. A UT  8 É L O G E NoTE II, relative a la page 38 , fur la patrïe de Defpréaux. R ac ine lefilï, dans fes Mémoires fur la vie de jou pere, allure que Defpréaux étoit né a Cróne , & entre fur cela dans quelques détails, qu'il parok avoir appris de Defpréaux luimême. D'un autre cóté, le Docleur Boiieau , frere de Defpréaux , dans une lettre écrite a Brorfette après Ia mort du Poëte , dit exprefTément qu'il avoit été baptijé dans la Sainte- Chapelle Royale du Palais ; & Brorfette oppofe ce témoi,;nage , comme dëcinf, au récit de Racine le fik. Heureufement ce n'eft pas ici le cas de dire : Interent multum Tkebis nutritus ai Argis. II importe bien peu que Defpréaux foit né fur tel point du globe qu'on voudra lui dunner pour patrie ; mais comme il eft une daflè de Littérateurs fort avide de ces petits détails hiftoriques , nous n'avons pas cru devoir les  DE BOILEAU DeSPRÉAUX. 9 en fevrer. Obfervons feulement que la Nature a difperfé dans tous les climats les grands Hommes dont elle eft fi avarej ék ajoutons , comme 1'a dit quelque part Defpréaux lui-même , que plus d'une fois le génie , quoique déja fi rare dans les Nations qui s'appellent éclairées, fait a cellei qu'on nomme barbares Fhonneur de nakreauffi parmi elles , comme s il vouloit faire difparoitre entre les Peuples la diftance qu'il rend fi grande entre les hommes. Plus d'un perfonnage illuftre de laGrece avoit recu le jour fous 1'airépais de la Béotie, qu'un Athénien n'auroit pas cru pouvoir refpirer fans s'abrutin Fontenelle a dit fur cette contrée de la Grece , un mot plaifant dans fon Hiftoire des Oracles; après avoir obfervé que les pays montueux , & par conféquent les plus pleins d'antres ck. de cavernes , étoient ceux ou les Oracles abondoient le plus , il ajoute : Telle. étoit la. Béotie , qui anciennement en avoit une trés-grande qiuvuué ; remar appefle ie genre htrmain ? Pourrions# nous bien nous figurer quelque chofe » qui eüt des pafïïons fi folies & des » réflexions fi fages ; une darée fi » courte & des vües fi longues ; tarrt » de fciences fur des chofes prefque » inutiles, & tant d'ignorance fur les 5> plus importantes; tant d'ardeur pour y> la liberte', & tant d'inclination a Ia s> fervitude ; une fi forte envie d etre » heureux , & une fi grande incapa» cité de Ietre ? On a été réduit a dire » que les Dieux étoient ivres de nec» tar lorfqu'ils firent 1'homme, & que » quand ils vinrent a regarder leur ou» vrage de fang froid , ils ne purent » s'empêcher de rire «. Rien n'eft plus philofophique &. ingénieux que ces réflexions. Mais parmi les contradiétions inconcevabies dont la nature hurnaine eft compofée , & qui en font une produdion tout è la fois fi admirable & fi étrange , il n'eft point de contrarie plus étonnant que celui qui fe trouve entre cette avidité incroyable de favoir 3 qui voudroit tout faifir & tout  de Boileau Despré aux. embrafltrr , & la connoiffance qui nous eft interdite de tant de chofes, que notre inquiete curioftti de'fire fi ardemment d'approfondir. Que 1 intelhgence d'un être ne paffe pas certaines limites ; que dans une efpece d etres elle foit plus ou moins circonfcrite que dans une autre , rien en cela n'eft furprenant , comme il ne 1'eft pas qu un brin d'herbe foit moins élevé qu un arbrilfeau , & un arbriffeau qu'un chene (ainfi la plupart des animaux , bornés par la Nature a un petit nombre d'idées, paroiflént ne rien voir & ne rien defirer au dela). Mais que le même être foit a la fois arrété par le cercle étroit que la Nature a tracé autour de lui , & avertï néanmoins par elle qu'au dela de cette limite font des objets qu'il ne pourra jamais atteindre; qu'il puüTe raifonner a perte de vue fur 1'exiftence & la nature de ces objets , quoique condamné éternedement a les ignorer ; qu'il ait tout a la fois & trop peu de fagacité pour réfoudre une infinité de queftions , & aifez de fagacité pour fe les faire, en un mot la faculté de s'interroger fans avoir celle de fe re'pondre j que le  T4 ÉtOGE principe qui penfe en nous fe demande en pure perte ce qui conftitue en lui la penfee , & que cette penfée qui voit tant de chofes fi éloignées d'elie, ne puifle fe voir elie-même dont elle eft h pres, en cherchant néanmoins a fe voir & a fe connoitre j voila ce qui dou nous furprendre & nous confonflre. Les contradicfions que nous obïervons dans 1'homme, fe rencontrent meme quelquefois dans certains animaux , iur-tout dans ceux qui femblent approcher Ie plus de lui ; dans l€ iinge , par exemple , eet animal imitateur qui coctrefait 1'homme en tant de chofes , & qui ne peut le contreraire dans fon langage , quoiqu'il ait exteneurement les organes de la parole femblables aux nötres, & quoique d'autres animaux qui ont 1'organe de la voix fi différent de celui de 1'homme, proferent des fons articulés. Mais terminons ici ces réflexions fmgulieres, qui nous meneroient plus loin peutetre que nous ne voulons, & qui nous ont déja mené fi loin de Defpréaux.  DE BoïLEAU DeSPRÉAUX. 15 NoTE IV , relatlve a la page 3 9 , fur le peu a"opinlon que le pere de DeSpréaux avoit de fon fis. X./éloge donné par le pere de Defpréaux a la bonhommie de fon fïls, dont les premières années ne fembloient pas annoncer fa renommee future , eft a peu pres celui qu'on donne a tout homme dépourvu de talent &. d'efprit, mais dont on a réfolu de dire un peu de bien. On lui accorde le mérite peu envié d'être un bon homme , & quarid on veut compléter la louange , d'être un homme de bon fens , uri efprit moins brillant que folide. Ce n'ell pas que. la vraie bonté & le vrat Ion fens foient beaucoup plus communs que Yefprit dont on eft fi jaloux ; mais les hommes , n'attachant qu'un prix trés-médiocre au bon fens & a Ia bonté , ne fe font pas prier pour en gratifier a tort & a travers ceux même qui en font les moins dignes. Un autre éloge affez facheux pour ceux a qui on 1'accorde, fur-tout quand ils  ï6 É L O G E font jeunes, c'eft celui qu'on fait queïquefois de leur figejfe , en n'ajoutant pas un mot de leur ejprit; c'eft une preuve que ce qu'ils ont d'efprit ne fait & ne fera peur a perfonne ; au lieu que la fagerfe, foit réelle , foit apparente , ne coute jamais rien a louer, paree que ceux même qui ne font pas Jages , fe flattent de ne 1'être que trop dès qu'ils le voudront. Un pere , plus clairvoyant & moins indulgent que celui de Defpréaux, difoit dans un moment d'humeur a un fils très-fot qu'il avoit : Vous ne pouve^ manquer de fairefortum; première* ment vous êtes un J'ot, &c. Defpréaux fit fortune aufïï , mais par une voie prefque auffi füre que la fottife, quoique toute oppofée. On auroit pu lui dire , lorfqu'il donna fes premiers Ouvrages : Vons aveir deux grands mqyens de réujfir, le talent de la Satire & celui de fEloge ; vous plaire^ par le premier a tous ceux que vos Satires n'attaqueront pas • & vous gagnere^ par l autre tous ceux qui feront Vobjet de vos louanges.  de Boileau Despré aux. 17 NoTE V , re'ative a la même page 39, fur les freres de DeSPRÉAUX. DeSPRÉAUX eut' trois freres de teancoup d'efprit ; Boileau de Puitnorin , dont nous parierons dans la fuite de cette note ; Gilles Boileau , dont il fera queftion plus bas dans une note particuliere-; & Jacques Boileau , Docdeur de Sorbonne & Chanoine de la Sainte-C hapelle , dont nous avons déja dit un mot dans 1'article de Charles Boileau , Académicien , qui n'étoit : pas leur parent. Jacques Boileau eft fort connu par un grand nombre d Ouvrages finguliers & même quelquefois peu décens, qu'il éci ivoit en latin, de peur , difoit il, que les Evêques ne le condamnaffent. Ce Docleur, ainfi que le Poëte fon frere , n'aimoit pas les Jéfuites; il les définhToit, des gens qui alongent leSymbole & accourcïffent le Vécalogue. Se trouvant un jour avec plufieurs de ces Peres , il les entendoic tourner en ridicule (avec affez de raifon ) les Solitaires de Port-Royal, qui  Ic? É 1 Ó G E s'occupoient, difoient ces Jeïuiteé, & faire de mallvais fouliers par pénitence. Je ne fais pas , répondit 1'Abbé Boi'eau, sftlsfaijbient de mauvais fouliers^ maisjefais quils vous portoient de bonnes boetes. Nous ne donnons pas ce calembour comme un bon mot, • mais comme un trait qui caracdérife le genre de plaifanterie dont 1'Abbé Boileau fe permettoit fouvent 1'ufage; d'ailleurs Ia vérité que renferme ce mauvais jeu de mots , pourra lui fervif de paffe port. C'étoit ce même Doeteur qui , argumentant en Sorbonne contre Ie Préfident d'une Thefe fous je rtom duquel venoit de paroïtre un Ouvrage dont il n'étoit pas 1'Auteur lai dit publiquement : SI vous avie? lu votre dernier Livre , vous ne foutiendne^pasle fentiment que) attaque. Un lui reprochoit la mauvaife compagnie qu'il voyoit quelquefois; il fe juihfioit en difant, que s'il falloit rompre avec tous les réprouvés, on courroit.rijq^e de vivre feul. Comme Doven du Cl a itre de Sens, il fut chargé de baranguer le célebre Prince de Condé qiu parfoit par Ia ville. Ce' grand Capicaine aiinoit a voir les Qra'teurs de-  de Boileau Desphéau*. ,19 concertés en fa pref nee ; plaifii de Prince , mais non pas de Heros. 11 affecla de regarder le Doyen en face, & avec une contenance qui avoit pour but de le t routier j le Dodeur Boileau s'en appercut, feignit d'être interdit , & commenca ainü fon ürfcours: Mvnfeigneur , que Votre Altejjt ne foit pas furpnje de me voir tremhler devant elle a la tcte d'une troupe de Pre tres ; fi fétois d la tcte de trente mille joldats , je tremblerois bien davantage. II avoit prouvé dans un Livre écrit en latin , felon fon ufaee , & d'un ftyle. dur & bizarre , qu'il n'étoit pas moins défendu aux Eccléfiafliques de porter des habits longs que des babits courts; en conféquence il alloit a pied dans les mes, vètu d'un habit eccléfiaftiqüe , qui n'étoit ni long ni court. 11 avoit fait un ai tre Livre, intitulé : De Forma Chnfti De la Figure de Jéjus-Chrifl ; & dikt de eet Ouvrage , II eft plaifant que tant de Vifionnaires qui fe font mêlés de commenter VEcrUure , aient appliqué au Fits de Dieu , ce paj/age de je ne fais que! Prophete 3 fpecioj'as forma pra fliis hominum } le plus beau  *ö É L O O E des enfans des hommes ; je prowt clair comme le jour dans mon Livre i que ce iïétoit qu'un pech homme coml me moi ; plaifanterie trop peu décente en matiere fi grave (i), mais dont nous avons pour garant le fage Abbé d'Olivet, qui nous a appris cette anecdote. Ce même homme, qui aimoit a paroixre finguher en tout, difputant a une 1 hefe de Philofophie que foutenoit au kollege de Beauvais le fils du Mimfire Uaude, donna au pere qui étoit préient , & qui jouiffoit d'une grande reputation dans fa feéïe, le titre d'Illujlnffimus EcclefiaPrinceps, comme 8 il eut parlé d'un Evêque. On en murmura hautement dans l'aiTemblée • & le Docleur fut obligé de donne/par ecnt unerétraclation, que la Sorbonne nt imprinaer. Tel étoit 1'Abbé Boileau , qui n'avoit, comme I on voit , ni le ton nt la decem-e de fon état. Cette efpece de cyniime s'étoit apparemment an- (0 Il employcit mime vm tcrme bkn phs M>rc & plus ïamiliet que celui dc peth homme  de Boileau Despréaux. 21 jioncée de bonne heure ; car fon pere difoit de lui , Jaco ne fera quun lihertin. Mais ce pere fe trompa fur le Dodeur , comme il s'étoit trompéfur le Poëte ; 1'Abbé Boileau fut toujours aufïï régie' dans fes mceurs, qu'il etoit libre dans fes difcours & dans fes écrits. Un troifieme frere de Defpréaux , mais d'un autre lit, étoit Boileau de Puimorin , homme de beaucoup d'efprit comme les deux autres, èk. de plus très-aimable dans la fociété ; mais 1'amour du plaifir 1'enleva aux Lettres, C'étoit lui qui répondit a Chapelain, fur ie reproche amer que lui faifoit celui-ci de ne [avoir pas lire: Je ne fais que trop lire depuis que vous faites imprimer, Boileau tourna ce bon mot en Epigramme : Froid , fee , dur , rude Auteur, digne objet de fatire , De ne favoir pas lire , o(Vs-tu me b'amer ? Hélas! pour mes pt'chés je ne fais que trop lire a Depuis que tu fais imprimer. Racine repréfenta que le premier hémifnehe du fecond vers, rimant avec le vers précédent ck avec le troifieme vers, il Yaioit mieux dire de moti peu,  22 É L O G E de leclure. Molière décida qu'il falloit conferver la première facon; elle efl, dit-il , plus naturelle, & il faut facrifier toute régularité a la jufiejje de Vexprejjion ; cefi Van même qui doit nous apprendre a nous a franc kir des redes de^ Van. Si on en' croit Broffette , c'eft d'après cette déci/lon de Molière, que Defpréaux a dit dans fon Art Poétique ; Quelquefois dans fa courfe un efprit vigour?ux , Trop reflerré- par I'art , fort des regies prefcrites , Et de I'art même apprend a ftanchir les limites. La mort de Puimorin eut une caufe aum" trifie que finguliere. Un jour qu'il étoit avec quelques amis , ils convinrent que le premier qui mourroit viendroic donner aux autres de fes nouvelles. L'un d'eux étant mort quelque temps après , Puimorin crut qu'il lui étoit apparu pendant la nuit, & tomba dans une mélancolie qui h conduifit au tombeau. Nous ne dirons rien d'un autre frere de Defpréaux , Jér&tne Boileau, Greffier du Parlement, grand joueur, & grand blafphémateur quand il perdoir,  be Boileau Despréaux. *f »u jeu ; mari d'une femme* bizarre 8e acariatre, que Defpréaux a peinte en plufieurs endroits de la Satire contre les femmes. Le Poëte alia pourtant demeurer avec elle après la mort de fon mari j mais elle n'étoit pas fa, femme. Defpréaux , dont 1'enfance peu briljante ne promettoit rien a la vanité de fes parens , en fut trés-maltraité dans fa jeuneffe , principalement p!.r fes freres qui ne le craignoient pas encore , & qui même le méprifoient trop pour en ètre jaloux. On li ■ dopnfc pour logement, dans Ia maifo; aternelle , une guérite au deffus du grenier , & quelque temps^près on 1'en fit defcendre pour le loger dans le grerier mème , ce qui lui faifoit dire qu'il avoit commencé fa fortune par defcendre au grenïer. II ajoutoit que fi on lui offroit de renahre aux conditions onéreufes de fa premier. ;euneffe , il srimeroit mieux n'être jamais né. Auffi étoit-il bien éloigné de croire au feu commun fi rebattu , que 1'enfance eft le temps le plus heureux de la m, Peut-on , difoit ce Poëte amou-  'z.4 É I O, G E reux de 1'indépendance, ne pas regardtr comme un grand malheur le chagrin continuel & particulier a eet óge, de ne jamais faire fa volonté ? On avoit beau lui faire valoir les avantages d'une fi lieureufe contrainte , qui épargne au jeune age tant de fottifes ; Quimporte , difoit-il, quon connoijfe le prix de fes chalnes quand on les a fecouées, fi on nen feut que le poids quand on les porte ? C'eft en effet un trifte bonheur que celui dont on ne s'appercoit pas , & c'en eft un plus trifte encore que celui dont on s'afflige comme d'un malheur. Ce n'eft pas que Defpréaux trouvat les autres temps de la#ie plus agréables que 1'enfance ; tous lui paroidoient également pénibles , la jeuneffe par les paffions qui nous tourmentent, 1'age mür par les foucis qui nous dévorent, la vieilleffe par les ihfirmités qui nous accablent; & il ne paroiffoit pns éloigné de penfer comme ce Philofophe , qui, lorfqu'on lui demandoit quel étoit le moment de la vie le plus heureux, répondoit, c'eft le moment oü on la quitte. Lljeroit difficile, difoit encore Defpréaux,  de Boileau Dëspréaux. 25 preaux, de favoir qucl efl le mei/leur temps de La vïe ; on peut feulemant directie ce nejl prejque jamals celui qui s'e'cout'e au moment oü Vonfait cette queflion. La feüle retfource du jeune Defpréaux, fi maltraité d->ns Ia maifeu paternelie, étoitd'allerquelguefoisa legrandfalie du Palais ou déja ü faifoit beaucoi'p rire les Ciercs par its plaifanteries. Si 1'on ne favoit combien la haise eft imbéciüe dans fes vengeancey, on auroit peine a eruit e que les ennemis de rotre Poëte lui aient ferieufemeiit reprorhé ces araufemens très-in.nocens d'une jeuneifc maiheureufe. NoTE \'f, rehuive a la page ^ \ , fur le flyle barbare de nos Loix. ^N"'est-ce pas une abfurdité bien iétrange, comme le penfoit Defpréaux, qu'on ait confervé dans nos Loix mudernes le flyle gothique de nos ancêtres , & que les Edits & Arrtts du dix-huitieme Siècle s'expliquent comTorne 111. B  26. E L O G E me les Ordonnances de nos Rois du quatorzieme ? Pourquoi faire parler a Louis XVI & a fes Magiftrats la langue de Louis Llutin & de fes Baillis ? Pourquoi lui faire dire on nous auro'it repréjenté, pour on nous a repréjenté? Pourquoi dire d un accufé qu'il eft véhémentement jufpecté d'un tel crime, pour dire qu'il en eft violemmeht fufpeci ? J'avoue que condamner 1'accufé fur ce véhément foupcon , comme on 1'a fait quelquefois , eit un crime un peu plus grave que des expreffions ridicules. Mais c'eft bien affez que nos Loix foient quelquefois atroces & abfurdes, fans leur pièter encore un jargon inintelligible , comme fi 1'on vouloit joindre la barbarie de la forrae a celle du fond.  du Boileau Despréaux. 27 NOTE VII , relative a la même page 41 , fur le Greffier Dongois , beaufiere de DESPRÉAUX. Vj'est Ie fils de ce M. Dongois , Greffier du Parlement comme lui , que Defpréaux appelle quelquê part, M. Dongois mon illuflre neveu , quoiqi;e eet illuflre neveu n'ait rien fait de plus mémorable que de dreifer 6c de fjgner des Arrèts comme fon pere. II femble que le Cenfeur fi févere de Corneille & de Quinault auróit du être un peu plus difficile fur le nonj d'illuflre , dont il décoroit fi gratuitement fon neveu le Greffier. Bij  2% e L O G E NOTE VIII , relative a la page 43 , fur Vhumeur que les Satires de ÖESFrjïAUX donnole.it au Duc de. fdontaufier. On pcétend que dans les vers füivans de la Satire ix , Defpréaux n'avoit fait que ïïrner les propus ordinaires du Duc de Montaufier 3 fon fujer. II dit \fon ejprit, en parlant des Ecrtvains fatiriques : J'ai fm !Ü ees Auteurs; mais tout n'iioit que mieux., Quand de e_s médifans i'engearure toute en;iece lioir. la tcte en bas rimcr dans la riviere. Les anus de Defpréaux , pour exprimer Ia rigueur inflexible du Duc de Montaufier a fon égard , appliquoieric a 1'un & a 1'autre ces vers d'Horace: Et cuncla terrarum fukcü.i, Prater atroctm anlmum Catontf* II n'étoit pas trop vrai que toute la terre , excepté le nouveau Caton , fut fubjuguée par les nouvelles Satires;  de Boileau Dëspréaux. 29 mais les amis de Defpréaux comptoient pour rien tous fes autres arnfagoniftes en comparaifon de celui-la, 11 s'exprimoit en effet très-amérement fur le compte du Satirique, & diioit avec une aigreur affez ridicule pour un fi petit objet , qü'H falloit Venvoyer dux galeres ccuronné de laüriers. Telle étoit la punition a laquelle le Courtifan floïcien condamnoit le Poëte téméraire qui avoit eu 1'audace, de maltraiter Chapelain & Cotin , & de ne pas refpecfcr la proteüion dont il les honoroit. Néanmoins le Poëte , même en plaifantant avec raifon fur la mauvaife humeur du Duc de Montaufier, fongea férieufement a J'adoucir , & vérifia par fon fuccès les vers de La Fontaine : Amufez les Grands par des fonges f Flattez-lcs, payez-lcs d'agu'abler, menfonges > Quelque indignaüon dorir leut cocur foir rempü, Ils goberonc i'appat, vous fercz leur ami. II falloit que les difcours du Duc de Montaufier contre le Satirique euflent fait a la Cour des imprefuons affez fortes; car Defpréaux , dans une de fes lettres , fe félicite beaucoup de 1'appui B iij  3° E L O G E qu'il avoit trouvé en cette occafiori dans fon anii Félix, premier Cbirurgien du Rei. !l étoit , difoit-il en regrettant fa perte , un des premiers qui avoit battu des mains a mes naiffantes folies , & qui avoit pris men parti a la Cour co.itre le Duc de Montaufier. Malgré fon averfion fi déclarée pour les fatires , ce Courtifan mifanthrope, dont nous avons parlé plus en détail dans les notes fur 1'Eloge de Fléchier , avoit .fait lui-même des Satires dans fa jeuneflé ; le talent réel ou prétendu qu'il avoit marqué pour ce genre, eft I'objet d'une partie des éloges" que Ménage lui domsa en lui dédiant/le Recueil de fes Poéfies. Le Duc de Montaufier reffembla donc a ces vieilles femmes, qui, devenues dévotes fur le déclin de l age , & ne 1'ayant pas été dans leur jeuneffe , ne peuvent pardonner aux autres les petits péchés qu'ellesmêmes fe font atitrefois permis , & font pénitence par une grande rigueur envers leur procbain de i'indulgence qu'elles ont eue pour leurs propres foibleffes. Cet Ariftarque fi févere en morale, au moins pour les autres, ee Mécene  ce Boileau Despréaux. des Chapelain ck des Cotin en littérature , portoit quelquefdis dans fes jugemens une fineffe affez heureufement exprimée. Louis XIV lui deraandoit un jour ce qu'il penfoit de deux Peintres célebres, Migrtard7&. le Brun. Sire , répondit-il, je riai pas la prétention de me connottre en peinture ; mais il me paroit' que ces deux hommes-la peignent comme leurs noms. KoTF. IX , relative d la page 44 , fur quelques autres Cenfeurs des Satires de Despréaux. TVll A DEMOJ SËiLE de Larrtoignon , fceur du Premier Préfident, & dont la vertu étoit fimple ck. vraie , fans dureté comme fans affiche , ne pardonna jamais a Defpréaux fes Epigrammes ck fes Satires. Quoi, lui diioit le Poëte , vous ne permettrie^ pas même une fatire contre le Grand Turc? A 0/2, répondit-elle , cefi un Souverain, & il faut le refpeiler Mais au moins contre le Diable , ajouta Defpréaux ? Elle fe tut un moment , fa Religion B iv  *z È L O G E héfira , & fon caraéTere reprit Lientór le deflus : Non, répNqua-t-elle , il ne faut jamais: dire du mal de perfonnè. Elle donna dans une autre circonfrance une preuve naïve de fon indulgènte fimplicite'. On fait quelfe morale au fiere & terrible prêchoit dans fes Sermons le fameux Miffionnairé Nicolas Feuiïfet, Chanoine de SaintCloud , le même dont Defpréaux a dit : Et laiffez i Feurller rc'former ltJnivew. le même qui traita la DucbefTe d'Orléans mourante , cette Tlejiriecte d'An~ gkterre R dpuce & fi aimable, avec une barbarie bien contraire au vérita1de efprit du ChrifKimTm'e , & qui infpire une jufie averflon pour eet impifoyable convertineiir (i). Ce Chanoine ayöit beaueoup d'embonpoinr, ck un atr de fanté qui paroilToit démentir I'auflérité' de fa docfrine. Defpréaux fe plaignoit maügnement a Mademoï- {i) Voyez !e re'cir que Madam? de Ia Fayette n6us en a laiffé. II Te trouve dars les deruieres édidcajs des Orairons frm«bres de Bof-  de Boileau Despréaux. n felle de Lamoignon qui aimoit beaucoup ce Prédicateur , du contrarie facheux d un extérieur fi peu mortifié avec la pénitence rigoureufe qu'il exigeoit de fes Auditeurs. Oh ! réponditelle , on dit qu'il comrnence d devenir maigre (i). Defpréaux fe plaifoit avraconter 1'anecdote fuivante fur fon métier de Poëte fatirique. Un bon Prêtre a qui il fe confeifoit, lui demandoit quelle étoit fa profeffion. Je fais Poëte.— Vilain métier , répondit le Prêtre ; & (i) Ce Directeur rigoureus fe perrnettoïr quelqucfois des EpigramTries peu charitabtes contre les Prédicatcurs fes Confrères. On parIoiter. fapréfence d un Miffionnairc plusrecommandable par fon zele que par fes talens, Sc qui p:êchoit , difoit-on , comme les Apótres j djoute^ , répondit le pieux Chanoine , comme les Apótres avant qu'ils eujfent recu le SaintEfprit ; il racootoit a cette occalïon (car il aimoit a lire qnel'qucfois ) , qu'uiï Orateur évjnoxi'que, qui n'avoit pas fa même confiance Olie lui en 1'i ifpiration divine , fe rrouvanr un jour obligé de monter en ehaire fans préBatatjqn , avoit dit a fes Auditeurs :. Pardonnc7 moi, me ; Freres , d'être rcdu.it dans ce. moment imprévu a mabandonner au SaintEfprit; une autre fois j'aur.n le temps de me épéptwep, & de mieux faire. P) V  34 E L O 6 E Pee te dans quel genre ? — Poëte fatirique. — Encore pis. — Et contre qui faitcs-vous des jatires ? — Contre les faijeurs d Opéra & de Romans.-—Oh.' pour cela , dit le Prêtre , a la bonne heure , & 1'abfolution s'enfuivit: La confeffion n'étoit pas fort fincere , ni 1'abfo'ution bien légkimement obte• nue ; mais la confeience du Poëte ne cberchoit pas un abri plus fur; & quand il auroit cru en avoir befoin , il 1'auroit trouvé dans le Docleur Arnaud , qui entreprit expreffément 1'A- i pologie de la fatire la plus violente de Defpréaux , celle qu'il écrivit contre les femmes. II eft vrai qu'Arnaud effuya quelques reprocbes a ce fujet, 6k fe vit enfuite obligé d'être lui-même 1'Apologiite de fon Apologie. Mais Defpréaux avoit beaucoup ïoué ce Docteur, que les éloges donnés a fa perfonne rendoient indulgent, comme le Duc de Montaufier , fur les fatires dont les autres étoient 1'objet & la vicdime. Quoique nous attachions beaucoup moins de prix aux Satires de Defpréaux qua fes autres Ouvrages (fi 1'on en excepte la Satire a fon efprit) , nous devons cependant rendre a ces Satires  ï3E Boileau Despréaux. 35 une jufïice qui ne leur a peut-êrre pas e'te' alTez rendue, même par les amis de 1'Auteur. C'eft que le Poëte n'attaque jamais le mauvais gout & les mauvais Ecrivains qu'avec 1'arme de la plaifanterie , & ne parle jamais du vice & des me'chans qu'avec iridignation. Cette différence qu'il a fu mettre t-ntre deux objets de fatire , fi diffërens en effet aux yeux de 1'homme de bien , eft la preuve de 1'honnêteté de fon ame & de la fincérité de fa,vertu. note x, relative aux pages 46 & 47 , fur le mérite poétique de despréaux. Des Ecrivains très-eftimables ont prétendu que Defpréaux étoit fans verve. Ils auroient dü nous dire ce qu'ils entendoient par ce mot ; car il s'en faut bien que tous ceux qui ont parlé de la verve poétique, & dont plufieurs ontfeulement prouvé qu'ils nel'avoient pas en partage , aient attaché a ce terme la même idéé ; nous citerons en preuve la finguiiere définition qu'en a donnée B Tj  3 6. E L O G E feu 1VT.X'Abbé Batreüx, qui a tant e'crix fur X An Poétique ; cette definition apparrient en propr a I'Auteur, & n ari.en de cömmün avec töutes les autres. » La verve poétique , dit il, con» fifle dans une certaine rnarcbe vi» gottreufe , qui réfulte de la niu'ti» mde ,, de la force , de la vivacité' » & de la liailon intime des idéés , » lefqueH'es enohaflées dans certains » mtervall'es fymétriques , fe poufy fents'attirent les unes les autres a » peu pres comme lés fons dan» le » ciiant mufical; de marilere que 1'ef»• prit, toujours agréablenient oecupé' >? par les images , & 1'oreüle par le » nombre «Sc la mé'odie , fe portent » toujours en a.vant , ck jouiflent fans. » celfe avec, une nouvelle. a.vidi.té de » jouir (i) Le même Académicien , dans Ia Prtface de la Traducliun d Horace , a ïépéié'cette définidon qui lans doutelui a paru donner une idéé nette ck précife de la verve, poétique. Si Def- (i) Lettres fur la conftr.iciion uratoire, par M. l'Abbi Battcui» Paris» 1763 , Lettre VLT., page 178..  de BaiLEAU Despréaux. t? prëaux a de la verve ou n'err a pas, eft-ce dans le lens du paffage qu'on vient de lire l Eft-ce dans le fens de Ia definition moins favante & plus vulgaire que d'autres ont donnée de la verve, en difant » que c'eft dans le » Poëte cette vive émotion qui lui re» préfente avec clialeur 1'obj.ét qu ii » doit peindre , &. qui répand la vié » fur les tableaux « ' Peu capablesde prononcer fur ces queflions , nous les Iaiïïêrons réfoudre a ceux qui ont le bonbeur que nous n'avons pas, de fentir la verre poétique , & le talent que nous n'avons guere de la définir, II n'a peut-être été jamais porté un Jugement plus équitable &. plus tumineux fur li mérite de Defpréaux, que dans ce paffige d'une lettre de M. de Voltaire. a feu M. Helvétius , tant regretté par ceux qui aiment la vertu ,, la Philofoplne & les Lettres •» Je con» viens avec vous, dit I'Auteur de la » Henriade a fon ami ,, que Defpréaux » n'eft pas un Poëte fublime ; mals il » a tres-bien fait ce qu'il vouloit faire.. » II eft clair, facile , Heureux dans » fes expreffions? il ne seleve guere » ». mais il ne tombe pas ; &. d'a.lieurs  3$ É L O G E » fes fujets ne component pas cette » élévation dont ceux que vous traitez » font fufceptibles ... Je vous prêche» rai donc éternellement eet art d'é» crire qu'il a fi bien enfeigné , ce ref» peet pour la langue , cette fuite d'i» de'es, cette liaifon , eet art aife' avec » lequel il conduit fon Lecfeur, ce » naturel qui eft le fruit du génie «. Nous feroit-il permis d'aiouter a ce bel éloge de Defpréaux , fait par un fi excellent Juge en Poéfie , une obfervation qui releve encore le mérite de eet illuflre Ecrivain ? Nous connoiffonspl.ufieursLittérateurs tres-eclairés, qui n'ayant goüté que médiocrement dans leur jeuneffe les Ouvrages de Defpréaux , les eftiment ck les aiment de plus en plus a mefure qu'ils avancent en age. C'eft 1'effet naturel ck infaillible de ce fonds inépuifable de vérité , de raifon , ck de bon goüt, qui caractérife les producdions de'ce grand Poëte , & qui doit plaire davantage a fes Lerdeurs, a mefure que la raifon ck le goüt fe perfeéfionnent en eux. On ne peut pas donner la même louange a d'autres Verfificateurs, même trèscélebres, tels que Jean-Baptifte Rouf-  de Boileau Despréaux. $9 feau , 1'idole d\in grand nombre de jeunes Poëres , qui en vieillifTant fe refroidilfent pour lui, paree que 1'harmonie & 1'ht ureux choix des mots eft fon mérite principal , tres-grand lans doute, mais plus fait pour les oreilles neuves & fenfibles que pour les têtes penfantes. On trouve d ns une autre lettre de M. de Voltaire a M Helvétius, un palfage qui n'a point de rapport direct a Deipréaux , mais que nous ne pouvons réfifter a la tentation de tranferire ici, paree qu'il nous paroit contenir des regies auffi fines que juftes ók bien rendues; on ne peut mieux placer ces regies que dans 1'article du grand Poëte qui les a fi conftamment pratiquées. » Craignez , en voulant atteindre le » grand , de fauter au gigantefque. » N'offrez que des images vraies; fer» vez-vous toujours du mot propre. » Voulez-vous une petite regie infail» lible ; la voici. Quand une penfée » eft jufie ck noble , il faut voir fi la » maniere dont vous 1'exprimez en » vers, feroit belle en profe. Si votre » vers , dépouillé de la rime ck de la » céfure, vous paroit alors chargé d'un.  4<5 É L O G E » mot fuperflu , s'i! y a dans la conf» truclion le moindre dsfaut , fi une x> eonjonclion eft oubliée , enfin fi le y> mot le plus propre n'eft pas a fa y> place conclüez que votre diamant » n'eft pas bien encharfé. Soyez fur que » des vers qui auront un de ces defauts,. » ne fe feront pas relire ; & il n'y a de » bons vei s que ceux qu'on relit «. Un mauvais Critique , qui s'eft mêlé de dire fon avis fur ce paifage , ainfi que fur bien d'autres chofes qu il n'entend pas mieux , s'eft imaginé que, fuivanE M. de Voltaire , il faut , quand on met un vers en profe , y changer les exprefhons pour le bien juger : c'eft précilëment le contraire de ct quepreferit ici 1'illuflre Ecrivain 11 faut laiffer la confirucfion enden- telle qu'elle efl , avec tous les mots tels qu'ils font, & en óter feulement la rime & la mefure. Prenons pour exemple les premiers vers de Rodogune : Enfin ce jourpempewx , c?t heureux jour nous luie, Qui d'un trouble fi long Joic diffiper Ia nuit, Mettez 1'e.ï en profe : » Ce jour pom» peux, eet heureux jour nous luit en» fin ,, qui doit dijjipcr la nuit d'un.  de Boileau Despréaux. 41 » trouble fi long, ce grand jour, oü » 1'hyménée étoufrant la vengean.ce , » remetl'intelligence entre le Partlie & y nous, aff'ranchït fa Princeffe, ókc. «. On fent affez dans ce de'but les expreffions laches ou impropres qu'ont amene'es la mefure ck Ia rirae, 6k qu'un bon profateur ne fe feroit pas permifes. Nous avons ofe' dire quelque part, que ce qui feroit mauvais en profe ne fauroit être bon en vers ; tous les Ecrivains de proje riniée, qui fe croient Poëtes, fe font déchainés contre nous, malgré 1'inte'rêt qu'ils pouvoient avoir a être de notre avis. Qu'ils de'mentent aujourd'hui M. de Voltaire. Mais qu'ils fe gardent fur-tout de conclure (leur logique en eft très-capab!e) que ce qui feroit bon en profe feroit bon en vers; car ici la pierre de touche n'eft pas réciproque : il n'eft pas inutile de les en avertir. II ne 1'eft pas moins de les prévenir encore du fens dans lequel ils doivent entendre le paffage de M. de Voltaire. Si dans une penfée exprif.-ée en vers, ók mife enfuite 'a la ccupelle de Ja profe , il fe trouve des mots inutiles, louches, impropres, un tour lache ck tratnant; fi la pureté  42 É L O G E de la Lan^ue y eft bleffée , foyez für ] que les vers font mauvais. Si aucun de ces dëfauts ne fe rencontre dans les vers ainfi demontés & réduüs en j profe, & que de plus la profe foit har- ] monieufé & ne renferme que des ex- 1 prefTions , des tours qui appartiennent ] également a la profe & aux vers, con- 1 cluez fans balancer que cette profe & j les vers qu'elle repréfente font excel- 1 lens. Mais fi la profe , fans avoir d'ail- j leurs aucun défaut d'impropriété ou I d'incotreclion , eft feche & fans mé- j lodie , s'il s'y trouve des mots & des ] tours qui ne puiffent appartenir qu'aux i vers, dites alors que les vers fon bons , quoique la profe foit mauvaife. Quand ! M. de Voltaire & d'autres après lui , ont dit qu'il n'y a de beau en vers que ce qui feroit beau en profe , ils ont voulu dire feulement que toute j penfée , toute image belle en vers le feroit auffi fans être rimée ; mais ils n'ont pas prétendu que de bons vers fiffent toujours de bonne profe : nous ! infiftons fur cette obfervation , paree que nous avons vu des hommes d'efprit & de goüt fe tromper fur le vrai fens du paffage dont il s'agit j paffage  de Boileau Despréaux. 4? très-c'air néanmoins pour qui voudra en faifir 1'efprit & 1'enfemble. Ces réflexions nous donnent le courage d'en haiarder une sutre. Quoique peu de gens fe connoifïënt en poéfie, il y en a peut-ètre encore moins qui foient capables de fixer d'une maniere nette &-fatisfaifante, les vraies limites de la Poéfie & de la Profe. Nous invitons M. Marmontel, qui , dans fa Poétique Ffianp&ife , nous a donné de fi exceüentes réflexions furies différens objets de eet art, a difcuter dans la nouvelle éditton qu'il prépare de eet Öuvrage , les queftions fuivantes , dignes d'être approfondies par un efprit aiifii juft'e que le fien , & auffi capable de les traiter avec une p'récifiort lumineufe. En quoi confijle précifématl la véritable ejfence de la Poéjce ? , Efl-ce unïquenient dans le talent de peindre? Et qu efl-ce que peindre? UOrateur ne doit-il pas peindre aufli bien que le Poëte ? Quelle efl la dijférence effentielle de la peinture poétique & de la peinture oratoire ? Le Poëte efl-il toujours obligé de  44 Ê L O G E peindre ? Et ne peut-il pas y avoir de très-beaux vérs fans images , tels que ceux qui expriment ou des penfées nobles , ou des fentimens vrais & profonds , ou de grandes vérités ? Quels font les caracleres qui confiituent un tour ou une exprejfion proJaïque ? A Vexceptioh de la mefure & de la c'adence, y a-t-il quelque chofe dans la Poéfie qui ne puiffe en aucun cas appartenir d la profe ? Par exemple , de bons vers de Comédies doivent ils être autre chofe qu'une profe élégante rimée ? N'en efi-il pas d peu prés de même de tous les Ouvrages de Poéfie jamiliere? La Langue de la profe efielle exelue d'une autre Peréfie que de la Poéfie noble , ou même en eft-elle toujours excluef C'eft aux vrais Poëtes, & non a ceux qui en ufurpent le titre -, que nous demandons la folution nette & précife de cesquefiions. Seroit-ce pour ne les avoir pas envifagées & développées fous toutes leurs faces , que les Gens de Lettres font encore partagés fur plufieurs autres queftions qui tiennent aux précédentes ; S'U peuty avoir de  de Boileau Despréaux. 45 Poéfie Jans verfificatïon , & réciproqueinent de boane verfification fans Poéfie? S'ii y a une Langue poétique , au moins . c.he^ la plupart des Peuples modernes ? Si la profe poétique doit ctre admife ou rejetce ? S'il peut y avoir des Poé'mes en profe? S'il faut traduire les Poëees ,en profe ou en veis ? 'note XI, relative a la page 49 & Juivantes , fur Vütilhè dont despréaux fut d Racine. S'iL y a une didance énorme des Freres ennemïs a Britannicus , la diftance eft bien plus grande encore de ia Tragédie des F rei es ennemïs , toute foible qü'elle eft, aux premiers vers que fit Racine a Pprt-Roya.1, .& qu'ori peut voir dans les Mémoires de Racine le fils fpr la vie de (dn pere. On y trcuve , fur les beautés champêtres de cette maifon , des Stances djgnes de Saint -Amand, & un Sonnet digne de Benferade, ck dans lequel on lit entre autres ce vers fur 1'Aurore : fille da Jour, q-ui uzis devanc ton pere.  46 Ê L O G E vers fait pour une Eaigme ou pour un Rébus, mais dont fans doute le jeune Poëte fe favoit'alors trés-bon gré. Quand on aura lu ces vers , oü le bon goüt eft bleffé a chaque ligne , & oü 1'on n'appercoit pas même le plus foible germe de talent , on jugera combien les confeils les plusféveres étoient néceffaires a Racine, pour lui donner cette pureté & cette fineffe de goüt qui ajoute tant de prix a fes Ouvrages. Que de générations, fi 1'on peut parler de la forte , fe font écoulées entre I'Auteur de Phedre & celui de ces Stances & de ce Sonnet l Que le grand Racine étoit loin d'être né ! Si Defpréaux 1'eüt alors connu, vraifemblablement il lui auroit confeiilé, tout Juge éclairé qu'il étoit , de renoncer pour jamais a la Poéfie , a laquelle il paroiffoit fi peu deftiné ; &. quelle perte irréparable la Littérature n'eüt-elle pas faite ? Utile avis aceux = que les jeunes Poëtes conLultent fur leurs premiers eifais, de ne points'oppofer trop fortement a leur ardeur naiffante, même lorfqu'elle ne paroit pas 'juRifïée par leurs premiers erforts; de laiffer faire la Nature j de croire qu'elle  de Boileau Despréaux. 47 en fait plus que nous, qu'elle trouvera bien le fecret de démêler le génie oü il eft , de le tirer des ténebres qui 1'enveloppent, & oü 1'ceil même le plus pénétrant ne le découvre pas toujours. Les grands Poëtes font fi rares, que pour en avoir un bon , il faut fouffrir qu'il s'en éleve vingt mauvais, comme Dieu promettoit autrefois (fil'on peut fe permettre cette comparaifon) de pardonner a toute une ville coupable , s'il s'y trouvoit feulement dix juftes. Defpréaux ne connut Racine que par 1'Ode intitulée : La Renommee aux Mufes, moins mauvaife , a la vérité , que fes vers de Port-Royal , mais oü il feroit encore bien difficile de deviner & de prédire le grand Poëte. II eut befoin de 1'inexorable critique de Defpréaux , pour abjurer les principes de mauvais goüt qui jufqu'a'ors avoient dicdé fes Ouvrages; il eut même d'au-tant plus befoin de ces lecons , que dans le temps oü il faifoit fes plus mauvais vers, il avoit déja lu les modeles admirables de Poéfie que 1'Antiqiüté nous a laiffés • qu'il les avoit goütés jufqu'a les favoir parcceur; que bien loin de les imiter en les goütant,  4S Ë L O G E il avoit en quelque maniere dédionoré, paf fes premiers Ëcrits , ■ ceux qu'il appeloit fes Mirttres; la ledure des Virgde & des 1lorace, qui feule avoit formé Defpréaux , avoit été en pure perte pour fori arm. L'avantage inefiiniable dont les confeiis de Defpréaux ont été pour Racine , doit , ce me femble , quand on comparera ces deux grands Püëtes , finort faire pencher la balance pour De'préaux , du moins y ajouter quelque poids en fa faveur. II efl douteux que Racine , lans Defpréaux , eut été Racine ; il eft cmain que Defpréaux a été par luiniême. On voit dans les Mémoires déja cités fur la vie de Racine, un exemple des fages oonfeüs que Defpréaux donnoit a fon ami fur fes Pieces de théatrej il 1'engagea a fupprimer une icene entre Burrhus & Narciffe , qui ouvroit lewcifieme Acle de la Tragédie de Btitannicus : cette fcene n'étoit point inférieure pour la verfification au refte de la Pieee; mais Defpréaux craignit quelle ne produisit un m .tivais effet fur les fpectateurs. Vous les indifpofere^ , lui dk-il , en leur montrant ces  de Boileau Despréaux. 49 ces deux hommes enfemble. Pleins d'admiratïon pour Tun , & d'horreur pour V autre, ils fouffriront pendant leur entretien. Convient-il au Gouverneur de VEmpereur, a. eet homme fi refpectable par fon rang & fa probité, de s'abaiffer d parler d un miférable Affranchi, le plus fcélérat de tous les hommes l II le doit trop méprifer, pour avoir avec lui quelque éclairciffement. Et {Tailleurs quel fruit ejpere-t-il de fes remontrances ! Efi-il affe\ fimple pour croire quellesferont nattre quelques remords dans le cozur de Narcifjë / Lorfquil lui fait connottre Tintéret qu'il prend d Britannicus , il découvre fon fecret d un trattre ; & au lieu de fervir Britannicus, il en précipite laperte. Ces re'flexions étoient pleines de ïëns & de goüt, &. la fcene fut iupprimée. Non leulement Defpréaux donnoit i & Racine d'excellens confeiis fur fes j;; Tragédies , il 1'encourageoit même , I lorfque le fuccès ne répondoit pas aux |j efpérances du Poëte. Athalie fut peu j goütée, lorfqu'elle parut imprimée pour i la première fois. Racine crut de bonne i foi qu'il avoit manqué fon fujet, §t Tome III, C  $0 Ë L O G E il 1'avouoit fincérement a Defpréaux, qui lui foutenoit au contraire qu'il n'avoit rien fait de mieux qü'Atkalie. Je my connois , difoit-il , & le Public y reviendra. Le Public a jufiifié Defpréaux , mais au bout de foixante années ; & Racine elf mort fans fe douter qu'Athalie étoit fon clief-d'ceuvre , comme Quinault fans fe douterqa'Armide étoit le fien. Defpréaux, entre autres confeiis qu'il s'applaudiffoit d'avoir donnés a Racine, fe vantoit de lui avoir appris a faire toujours le fecond vers avant le pre-, mier; c'étoit, felon lui, un des plus grands fecrets de la Poéfie , pour don-i ner aux vers beaucoup de fens & de force ; ce confeil , excellent en luimême , fe réduit a cette regie fi firn* ple , mais plus connué que pratiquée par les Poëtes, de ne jamais affoiblirle premier vers par le fecond : regie qui n'eft pas même particuliere a la Poéfie ; car le bon lens doit dicler a tous ceux qui écrivent , foit en vers, foit en profe , qu'en affoibliifant ce qu'on vient de dire , on en détruit 1'effet. Si Corneille eüt fuivi cette regie , 11 n'eut pas ga te fon fubiime qu'il mou-  Be Boileau Despréaux. -t rut. Nous ne voudrions pas re'pond, 2 que Racine ait toujours pratique' a ia rigueur Ie pre'cepte de Defpréaux; mais nous croyons que Defpréaux n'y a jamais manqué ; & ce n'ed pas un petit éloge. Après ce détail intéreffant des ofaligations que Racine eut a Defpréaux , il ne faut pas être étonné de I'efpece d'afcendant que ce dernier avoit pris fur fon ami. Racine, en effet, conferva toujours pour Defpréaux, qu'on nous permette cette comparaifon , la dëférence qu'avoit le Prince Eugene pour Milord Marlborough^ qui, fi 1'on en -croit de bons Juges (i), n'étoit pas un auffi grand homme de guerre que le vainqueur de Turin & de Belgrade , & qui néanmoins , quand ils commanderent en commun , parut toujours jouer le premier röle, que fon rival lui abandonna, pour ne pas nuire par la concurrence au bien de la caufe commune. CO Voyez les Mémoires de Pcucjuieres. Cij  52 É L O G E JnqTE XII, relative a la page 50, fur le parallele de Corneille & de Racine. I_ES juftes adrairateurs de Racine , dont le nombre femble augmenter de jour en jour , nous reprocberont fans doute d'avoir été trop peu décififs fur la préférence qu'ils croient due a I'Auteur de Phédre, ck d'avoir mis ou laiffé a cöté de lui I'Auteur de Rodagune. D'autres nous reprocberont au contraire de n'avoir pas donné a Corneille la première place. Nous répondrons a ces reprocbes (fi quelqu'un nous en croit dignes) , qu'il ne s'agit ici, ni de 1'opinion de tel ou tel Ecrivain, quelque célebre qu'il puiife être , ni du lêntiment de telle ou telle clarfe de Littérateurs, ni fur-tout de notre opinion particuliere ; mais du réfultat de 1'opinion générale des Gens de Lettres fur ces deux grands Hommes; ck 1'on ne peut difconvenir qua eet égard les fentimens ne foient encore très-partagés. Heft des Juges qui, fans balancer,  de Boileau Despréaux. 53 dünnerit le fceptre a Corneille; il en eft qui le lui arrachent pour le remet* tre a Racine ; il en eft qui le partagent entre tous deux; il en eft enfin qui leur aftbcient fur le tröne tragique un troifieme Ecrivain , 6V. quelquésuns même qui ne craignent pas de mettre ce troifieme Ecrivain au derfus d'eux , finon pour le génie & le ftyle, au moins pour 1'intérêt des fujets qu'il a traités, pour le mouvement & 1'effet théatral, enfin pour les vérités ncbles & touchantes qu'il a le premier fait entendre fur la fcene. Nous ne déciderons certainement pas des honneurs du rang entre ces trois illuftres Tragiques , nous ne voulons & ne devons être ici qu'Hiftoriens fideles des opinions , & nous n'aurons ni 1'orgueil ni 1'ineptie de nous rendre juges. Nous obferverons feulement, que fi quelque chofe peut balancer les alfertions des partifans de Racine, ce feroit le témoignage de Racine lui-même , qui difoit a fes enfans, non par une fauife modeftie , mais avec le ton fimple & naïf de la vérité : Corneille rcujjït moins a la Cour que moi ; fes vers font cependant plus beaux que les miens. II C üj  54 É L O G E faifoit apprendre par cceur a fon fils ainé des endroits de Cinna , & lorfqu'il lui entendoit réciter ce beau vers: Et nionté fur le faite, il afpire a defcendre, Remarque^ bien cette exprejfion , lui difoit-il, on dit, afpirer a monter, mais il falLoit être un homme de génie pour ofer dire de l\imbitieux, quil afpire a defcendre. Cette remarque de Racine peut fervir de preuve a 1'opinion de ceux qui ont avancé que perfonne peut-être n'a égalé Corneille dans fes beaux vers. 11 femble , en effet , qu'on ne trouve dans aucun autre Poëte,& en particulier dans Racine , des vers du genre de celui que nous venons de rapporter , des vers de cette touche male & fiere , de ce caraclere énergique &. original, qui paroi/fent propres au grand Corneille , & dont on trouve chez lui beaucoup d'autres exemples, tels que ceux-ci : Devine , fitupelix, &choii1s, fitul'ofcs... A qui dévoreroit ce rep ne d'un moment... Puiile naitte de vous un iils qui uie relfemble .. Etj'ai mis au tombrau, pour régner lans elfroi , Tour, ceque j'en ai vu de plus digne que moi. Mais fi Racine n'olfre point de ces  ■ öe Boileau Despréaux. 55 Vers, en récompenfe il eft toujours touchant, toujours vrai., toujours pur i & harmanieux , fouvent même éloi quent , & n'eft pas comme fon ri- val, tantöt Corneille, tantöt Brebeuf, & quelquefois Scuderi. Parmi nos Poëtes modernes-, M. de Voltaire a, comme Corneille, le rare avantage d'offrir fouvent de ces vers ! heureux qui appartiennent au Poëte, ; & qui font comme fa fignature. Mais 1 ces vers font chez lui d'un.-autre genre que ceux qui caracdérifent Corneille.; i ce font des vers d'un lentiment pro' fond & cependant naturel , .ou d'une philofophie'fubiime & touchanto, tels , que ceux- ci ; H-'Ias! que n'ères-vous lepere de Zamore!... ..... Barbare, il re refte une mere , I Je ferois mere encor fans toi.. . . 11 aura donc pourmoi combauu par pitié!... Mon coeur, lalle de rout, demandoit une eireur, ! I Qui put de mes ennuis chaiTer la nnit proronde , I i f.t qui me confoüt fur le tróne du monde ! i.. Généreux . bienfaifanc , jufte , plein de vertus , S'i! éroit né ebrenen, que feroir;il de p!us 1 . .. .zwi^t-yh -xtv. t Les grands Poëtes, aïnfi que les grands Peintres , .ont tous un faire qui [ les caracde'rife., une maniere ,qui leur C iv  5°* É L O G E eft propre; & comme on peut dire T telle figure , tel tableau eft dans la maniere du Carache , du Titien, de Rubens; on peut dire de même, tel morceau de Poéfie , tel vers eft dans la maniere de Defpréaux , de Racine, de La Fontaine , &c. Mais de plus on trouve , dans la plupart au moins des grands Poëtes , des vers d'une touche originale, unique , & qui leur eft tellement propre , que les autres Poëtes ne 1'ont pas même imitée. Tel eft dans Homere ce vers d'une fimplicité énergique & pittorefque , oü il peint la trifteffe de Chrysès, dont Agamemnon a enlevé la fille : B? ittttm uptc S»« Ti-oXvtfMl; fisa S-aXclvtnir. mot a mot en latin : Ibat autem tacitus juxta Littus muhum fonan, tis maris. Sc mot a mot en francois : il s'cn alloit en filence le long du rivage de la mer bruyante. Tel eft encore ce vers de Milton, a Ia fuite d'un difcours ou'Satan a propofé  ■ £>e Boileau Despréaux. 57 a fes fuppöts une entreprife dangereufe. Ainfi paria Satan; tous demeurerent les yeux fixe's en terre : Fundering danger with deepings thougts. mot a mot en mauvais francois : Pefant le danger avec des penfées profondes. II me femble qu'un grand Peintre qui voudroit repréfenter fur la toile le vers d'Homere & celui de Milton , feroit un tableau d'une fimpiicité bien expreifive ; ces repréfentations , fuppofées fur la toile , font peut-être Ia vraie pierre de touche pour juger de la beauté des images poétiques. On trouveroit des vers de ce genre dans La Fontaine. On en trouve plus dans les Poëtes inventeurs & originaux, que dans les Poëtes imitateurs , dans Homere plus que dans Virgile , dans Milton plus que dans Pope , dans Euripide plus que dans Racine, dans Horace plus que dans Defpréaux. On prétend que Molière difoit de I'Auteur de Cinna : II a un lutin qui yient de temps en temps lui fouffler C t  58 É L O G E - d'excellens vers , & qui enfuite le laiffe ld en d.Jant: Voyons comment il s'en tirera quand il /era jeul ; & il ne fait rien qui vaille , & le lutin s'en amufe. Fomenelle, neveu très-zélé du grand Corneille , ck que d ailleur- Racine avoit outragé , nous a laiffë un parallele entre ces deux grands Hommes, oü il met fon oncle fort au deffus de fon ennemi. Quelqu'un lui repréfentoit que danr, ce parallele il n'avoit peut-être pas été affez jufle a 1'égard de Racine : Cela je peut bien, répondit le Fhilofophe , il y a même grande apparence que vous ave^ raifon ; auffi n efl-ce pas moi qui fis imprimer ce parallele ; & tout imprimé qu'il étoit, je nai pas voulu lui donner p'ace dans mes ÜEuvres. On ne 1'a mis dans ce Recueil qu'après fa mort. Cependant ce même Fontenelle, clans fon Difcours de réception a 1'Acadérnie en 1691 , s'étoit exprimé d'une maniere encore plus forte fur la préférence qu'il accordoit a Corneille. » Je » tiens, clit-il , par le bonheur de ma » naiffknce , a un grand nora , qui dans » la plus noble efpece des producdiens » de 1'efprit , efface tous les autres  de Boileau Despréaux. 59 >> noms «. Ce mot efface dut b'effer Racine, & de plus étoit très-injudé. Mais le Philofophe avoit en ce moment fur le cceur la haine dont Racine & Defpréaux lui donnoient alors tant de marqués, & les- effofts qu'ils 'venoient de faire pour traverfer fon é..ec-. tion a 1'Académie. La Bruyere paria bien différemment deux ans après, dans fon üifcours 'de., réception, en 1603. Corneille alors ne-. toit plus , & Racine vivoit encore. » Quelques-uns , dit-il en parlant de » Racine, ne fouffrent pas que Cor» neille lui foit préféré , quelques au» tres même qu'il lui foit e.g.dé. lis » en appclient a 1'autre Siècle ; ils at» tendent la fin de quelques vieillards, » qui, touchés indifféremment de tout » ce qui rappelle leurs premières an» nées, n'aiment peut-être dans (Edipe » que le fouvenir de leur jeuneffe «. Ce paffage bleffa beaucoup les amis de Corneille , & donna Keu a une Epigramme affez amere"& plus médiocre enccve , contre I'Auteur de ce Difcours, Epigramme a laquelle nous ne ferons pas 1'honneur de la rapporter. Cvj  €o É L O G E La Bruyere avoit au/fi maltraité Fontenelle , qu'il a peint dans fes Caracderes fous le nom de Cidïas; mais tant de facons de penfer qui lui étoient communes avec Defpréaux , ne lui avoient pas fait trouver grace devant le févere Satirique. 11 lui reprochoit de s'être épargné dans fon Livre des Caracleres le travail des tranfitions, qui étoient, felon lui, tout ce qu'ily tivoit de plus difftcile dans les Ouvrages d'efprit. Peu de perfonnes foufcriront a ce jugement. II eftimoit aufïï très-peu le Difcours de réception de la Bruyere al'Académie Francoife, un des meilleurs cependant qui aient été pronoocés dans cette Compagnie.  t>e Boileau Despréaux. 6i note XIII, relative a la page 5 3 , fur les louanges que despréaux donnoit au Roi. Despréaux répétoit ftmvent avec complaifance, comme le modele d'une louange fine &. délicate, ces vers adreffés au Roi, qui terminent fa première Epitre : Et comme tes exp'oits, étonnant les Leaeurs, Seront a peine crus fur la foi des Aureurs; Si quelque efprit malin veut les traiter de fables, On dira quelque jour pour les rendre croyabler: Boileau , qui dans ces vers , pleins de fincérité , Jadis a touc fon Siècle a dit la vérité, Qui mit. a tout blamer , fon étude &c fa gloire, A pourtant de ce Roi parlé comme 1'Hifloire. C'efl ainfi qu'il tiroit parti de fa réputation de caufticiré véridique , pour ne laiifer au Monarque aucun fcrupule fur la fincérité de fes louanges. II n'eft ni le feul ni le premier qui ait employé avec fuccès ce moy« n pour flatter des hommes pu ffans , fans leur paroitre adulateur. Ce piége ne fera jamais ufé ; 1'amour-propre des Rois  62 E L O G E & des Grands s'y prendra toujours. L'Auteur comparoit ces derniers, vers avec ceux-ci , tirés d'une autre Epitre qu'il avoit adreffée au Roi: Avant que tes bienfaits coutuffent me chercber, Mon ze'e impatient ne fe pouvoit cacher. Je n'admiróis que toi ; le plaifit de le dire Vinr m'apprendre a louer au fein de la Satire ; Er depuis que tes dons font venus m'accabler, J.oin de fcntir mes vers avec eux redouVer , Qu:lquefois, Ie dirai-je ! un remords légitime Au to:t de mori ardeur'vient renoi lii ma time j II me femble , grand Roi, dans mes nouveaux Ecrirs, Que mon encens pay,é n'eft p'us du même prix. J'ai peur que 1'Univers, qui fait ma récompenfe , N'imptite mes tranfporrs a ma reconnoiflance } Er que par tes préfeus mon vers décrédité N'ait moins de poids pour toi dans la!pollerité. Les amis de Defpre'aux fe partageoient fur celui de ces deux morceaux qui méritoit la p.éférence, L'Auteur paroit en avoir juge' mieux que perfonne : Le premier, difoit il, fait plus d"fionneur au Roi , pufquil y eft loiu , pour aïnfi dire , par La fatire menie ; le fecond fait plus dhonneur au Poëte, paree quü y annonce fes éloges comme entiérement défintérefjës.  de Boileau Despréaux. 6j Note XIV , relative a la page 54 , fur les vers de D E S P i! É A u X en Vhonneur de Louis XIV, & de Monfeur Frere du Roi. On pourroit rema-quer que dans ces vers, dont Defpréaux faiïoit tant de cas , le fecond n'eft peut-ètre pas a 1'abri de la critique : Et dans Valencierme eft entre comme un foudre. II nous femble que 1'expreflïon eft entré comme un foudre , eft a la fois foible & enflée ; mais il ne s'agit point ici dVxaminer ces vers en détail, il s'agit de 1'effet général qui en reiulte; & fous ce point devue, nous croyons que 1'obfervation de Delpréaux & la nötre fur la gradation que le Poëte a obfervée dans ce morceau, font Tune & 1'autre également juftes. Le Peuple, qui n'etoitpas auffi adroit courtifan que Defpréaux , n'obferva pas les mèmes nuances dans les éloges -qu'il donnoit au ptoi Sc a fon Frere. Le Monarque 6k le Prince revinrent  64 É L O G E enfemble de la campagne oü Monfieur avoit été vainqueur a Caffeï; & dans tous les lieux oü ils paffoient, le Peuple crioit: Vive le Roi , & Monfieur qui a gagné la bataüle. Le Roi s'en fouvint , & MonfLur n'en gagna plus. Defpréaux , qui étoit fi content de 1'adrerfe qu il avoit eue de louerle Frere du Roi d'un ton plus bas que le Monarque , avoit été plus fcrupuleux encore fur le compte du Maréchal de Luxembourg. On connoit cette ftance de fon Ode fur Namur, oü il dit aux ennemis de la France : Loin de fermer le paffage A vos nombreux bataillons, Luxembourg a du rivage Reculé fes pavillons. Quoi! leur feul afpeil vous glacé ! &c. » Mandez-moi , dit-il dans une lettre » a Racine , fi vous croyez que je » doive parler de M. de Luxembourg. f> Vous n'ignorez pas combien notre » Malt re efl chatouilleux fur les gens » quon affocie d fes louanges «. Leloge du Maréchal de Luxembourg eft pourtant ici bien modefte ; & c'eft apparemment ce qni donna au Poëte  de Boileau DespréaUx. 65 Je courage de ne pas effacer eet éloge. Ce fut fansdoute 1'avis de Racine, auflï cpürageux que fon ami dans cette circonftance, a leurs yeux fi délicate. II y auroit eu une meilleure raifon de fupprimer la fïance qui mettoit Defpréaux fi fort en peine , c'eft quelle eft foible & peu digne del'Auteur; mais ce motif auroit dü en faire difparoitre beaucoup d'autres , plus mauvaifes encore que celle-ci. Notre Poëte courtifan étoit quelquefois obligé , dans les louanges même qu'il donnoit au Roi, d'ufer de détours, & prefque de palüatifs, Jorfque 1'objet de ces louanges étoit équivoque. Dans ce vers de 1'Epitre fur le paffage du Rhin: Sc plaint tic fa grandeur qui 1'attache au rivage , I'Auteur avoit fauvé très-finement le reproche qu'on faifoit a Louis XIV de ne s'être pas mis, dans cette occafion, a la tête de fon armée, & d'avoir été fimple fpecdateur de ce fameux paffage, dont il pouvoit être le Chef avec beaucoup de gloire & fort peu de péril. • On croit pouvoir citer ici ce qu'on a entendu dire a un grand Roi de nos  66 E L O G E jours, qui commande lui-même fes af-' mees , mais qui les commande en ef* fel : II ne faut pas fe difftmuler, dit-il, que la guerre fe fait pour les Rois, & non pour les Peuples ; ainfi il efi au moins bien 'pufte que les Rois en partagent les fatigues & les dangers. Ne vaudrok-il pas mieux encore que la guerre, s'il étoit podïble , ne fe fit pas pour les Rois , düt-il en couter aux Princes guerriers un peu degloire, dont leurs lujets peuvent fi bien fe paifer ? NOTE XIV, n°. z , relative a la page 56 , fur la première Epitre de DESPRÉAUX au Roi, écrite a la priere de Colbert. C^j E fait affez peu connu eft fi Iionorable a Colbert , & la mémoire de ce Minidre eft fi précieufe aux Lettres , qu'elles doivent recueillir avec loin ce qui peut rendre fon nom refpectable. Louvois, Miniftre de la Guerre, 6c qui croyoit en 1'allumant fe readre  de Boileau Despréaux. 67 néceflaire a fon Majtre , excituit le Roi a lentreprendre , & n'y trouvoit que trop de difpoiitions dans le jeune Monarque, avide de renommee , qu'il prenoit pour la véritable gloire. Colbert oppofoit a cette gloire , trop achetée du fang des Peuples , la gloire bien plus déürable, que le progrès des Sciences , des Lettres & des Arts allure aux Souverains qui les protegent ; il remontroit au Roi que la paix feule pouvoit les faire fleurir, & maintenir en même temps par le coramerce 1'abondance & ia profpérité dans le Royaume. C'eft donc proprement ce Miniftre, qui, en engageant Defpréaux a préfenter au Roi des vérités fi intéreffantes , lui infpira ces beaux vers fi connus : La Tcrre compte peu de ces Rois bienfaifans , Le Ciel a les former fe prepare long-temps; Tel fur eet Empereur , fous qui Roine adorée Vit renaltre les jours de Saturnc & de Rhée , Sec. Vigneul Marvide , plus grand compilateur d'anecdotes, que b n juge en matiere de goüt , pr^fere a ces vers fur Titus, cette efpece d'Epigramme d'Aufone fur ie même Prince :  68 E L O G Ë Felix imperio , fclix brevitate regendi , Expers civilis fanguinis , orbis amof. II fe récrie principalement fur la beauté' de cette penfée , felix brevitate regendi , qu'il trouve fublime. On ne voit pas trop comment ce Prince , fi heureux par le bien qu'il a fait durant fon regne , felix imperio , eft heureux d'avoir régné fi peu , felix brevitate regendi , a moins qu'Aufone ne veuUle faire entendre que la vertu de Titus fe feroit> démentie s'il eüt régné davantagej bel éloge du Prince que le Poëte prétendoit louer ! Quelle différence de ce portrait de Titus au mot de Tacite fur VeCpafien , qui dans fa jeunerfe n'annoncoit pas les vertus qu'il montra depuis: De tous les Princes qui avoient régné avant lui, dit I'Hiftorien Philofophe , ceft le feut que le trone ah rendu meilleur. Solus omnium ante fe Prineipum in melihs mu* tatus efl.  de Boileau Despréaux. 69 note XV, relative a la page 56, fur VHijïoire de Louis XIV, écrite par despréaux & par Racine. ï^. AC INE & Defpréaux, en redoutant 1'un & 1'autre de publier leur fdiftoire du Roi, avoient devanr les yeux 1'exempte très-inftruétif du fade adulateur Peliffon , qui, dans ce qu'il avoit écrit de 1'Hifloire de Louis XIV, avoit exalté le Monarque jufqu'au dégout. s> Cette Hiftoire , diloit Defpréaux , » eft un Panégyrique perpétuel; il loue » le Roi fur un buiifon , fur un arbre , » fur un rien ; &. quand on lui fait » quelques remontrances a ce fujet , » il répond qu'il veut louer le Roi «. En fe moquant avec tant de juftice de Peliffon, Defpréaux paroiffoit oublier qu'il avoit bien aufïi quelque reproche a fe faire , finon du même exces de fadeur & de ridicwle , au moins de 1'exagération & de la fréquence de fes éloges. Mais apparemment il fe croyoit permis comme Poëte, ce  yó E L O C E qu'il fe feroit interd.it comme Hiftorien. On répétoit un jour devant un Philofophe le prétendu apophtegme, qu'uri Hiftorien dolt être Jans rellgion & fans patrie : Dites plutot , réponditil , Jans pajfion & fans pen/ton. Ce mot eüt été digne de Defpréaux : mais il étoit trop bien payé pour le dire. Ce qu'il fit de mieux , quoique trèsbien payé, ou plutöt paree qu'il 1'étoit , ce fut de ne point donner au Public une Hiftoire , qui n'auroit été qu'un monument d'adulation , peu honorable a la mémoire du Roi, &. moins encore a celle des deux Poëtes.  de Boileau Despréaux. 71 Note XVI, relative a la page 58 , fur le dégout que despréaux prit enfin pour le talent de louer. JL o r s Q u e Defpréaux fut tout-afait retiré de la Cour, il s'expliquoit plus librement fur nos triomphes. Les profpérités de la France content cher au Greffe , écrivoit-il a fon ami Broffette ; & fi cela continue , j'ai bien peur que les trois quarts du Foyaume ne s'en aillent a l'hopital couronnés de laurïers ,...]e ne faurois ajfje^ vous admirer, lui dit-il dans une autre lettre , dela liberté d'efprit que vous conferve^, vous & vos Confrères les Académiciens de Lyon 3 au milieu des malheurs de l'Etat ; & je fuis ravi que vous vous pccupie^ plutot a. differter fur les funérailles des Anciens , qua faire les funérailles de la félicité publique , morte en France depuis long - temps. On peut dire cependant 3 ajoute-t-il ( & cette remarque peint bien le caraclere de la Nation) , qu'il n'y a pas fnoins de philojophie a Paris que che%  y\ Ë L O G E vous , puifquil ny a point defemaine oü fon nyjoue trois fois l'Opéra, avec une grande ajfluence de fpeüateurs j & que jamais il ny eut tant de plaifrs , de promenades & de divertijjemens. La gaité Sc la frivolité francoife alloient plus loin encore. On faifoit des Epigrammes & des Chanfons fur le Monarque, fes Généraux 8c fes Miaiftres , & on couroit au théatre du Palais Royal chanter 8c applaudir les vieux Prologues de Quinault , qui devoient paroitre un peu étranges depuis la bataille d'Hochuet. II ne faut donc pas s'étonner qu'après tous ces défaflres, Defpréaux füt dégouté delouer. Cependant la Motte, très-inférieur a Defpréaux comme Poëte , ofa tenter avec fuccès , en pleine Académie , ce qui avoit effrayé 1'intrépide Panégyrifle du Monarque ; il célébra la conflance de Louis XIV dans fes malheurs, & en renferma 1'éloge dans ce trait fi noble &. fi heureux, que pour déployer toute fa grande ame, le Ciel lui devoit des revers (i). (i) Voycz I'Odc de la Motte , intitulée : Lu figejfe du Rui fupérieure a tous les événement. Malgré  de Boileau Despréaux. 73 Malgré la liberté philofopliique avec laquelle Defpréaux s'exprimoit fur nos dé fa lires , il gardoit toujours quelques ménagemens pour les vieux Courtifans dont il avoit eu autrefois a fe louer. De ce nombre étoit le Maréchal de Villeroi, fi malheureux a la guerre. On fait qu'il perdit par fa faute la funefte bataille de RamÜlies. lly a beaucoup de pens , écrivoit Defpréaux , qui ne Vé- 1 pargnent pas fur fa derniere aclion ; I & véritablemtnt elle efl très-malheuI reufe ; mais je in off re pourtant de faire 1 voir quand on voudra 3 que la bataille I de Ramilly efl en tout femblable d la bataille de Pharjale ; & quainji, quand ' M. de Villeroi ne feroit pas un Céfar 3 | il peut fort bien demeurer un Potnpee. '. C'eft dommage que Defpréaux n'ait pas i auffi comparé Villeroi a Céfar, qui s'é\ toit laiiïë furprendre a Djrrachium , » comme eet infortuné Général a CréI mone. Mais 1'ancien Pompée, ou , pour parler comme Defpréaux , 1'ancien Vil— ■ leroi , avoit défait les Pirates, SparraI cus, les Gaulois , les Grecs, MithriI date enfin ; ck le moderne n'avoit ja1 mais été que battu. Tornt lil. D  74 é l o g e note XVII, relative a la page 59/; fur le défaut de fenfibilité dont 011 a accufé despréaux. Plus un Ecrivain eft dépourvu de fenfibilité , moins pour 1'ordinaire il s'appercoit quelle lui manque. On pourroit donc croire que Defpréaux ne fentoit pas cette privation , & que ce n'étoit pas la ce talon d1 Ac kille dont il parloit. Mais fi 1'ame de Defpréaux ne 1'avertiffoit pas du fens dont il étoit privé , les modeles qu'il avoit devant les yeux pouvoient fuppléer a eet avis; Virgile & Racine , dont il lifoit les vers, fuffiioient pour lui faire connoitre qu'aucun des fiens n'étoit parti de fon ame ck ne parloit a celle des autres. La fenfibilité qui manquoit a Defpréaux pour produire , lui manquoit même pour juger; car il a cru appercevoir 1'exprefïion du fentiment dans des Madrigaux aufïi froids que médiocres. II donnoit pour des vers de  de Boileau Despréaux. 75 paffion & de fentirnent , ces vers de 1'Üpéra de Bellerophon : t'amour rrop heureux s'afFoibüt ; Mais l'amour malhcureux s'augmente. On lui a re'pondu avec raifon, qu'il y auroit peut-être plus de fentirnent dans ces vers du même Opéra, oü cependant il n'y en a guere encore : Qu'il efi doux de trouver dans un amant qu'on aime, Un cpoux que 1'on doir aimer! Qu'on joigne è ces jugemens de Defpréaux en matiere de feminiens, quelques vers d'amour qu'il a eu le malheur de faire, entre autres ceux-ci: Moncceur, vous foupirez au nom de 1'infidele ; Avcz-vous oublié que vous ne l'aimez plus ? & on fera furpris qu'il n'ait pas pardonné a I'Auteur de Tïiétis & Peléeles vers fuivans, qui font a peu prés dans le même genre : Mon cceur s'eft engagé fur 1'apparence vaine Des feux que tu fefgnis pour moij It je vcux m'en punir en m'impofaiic la pcine D'en aimer un autre que roi. Sinousremarquons cespetites taches Dij  7$ É L O G E dans les Ouvrages ou dans les juge-» mens de Defpréaux , ce n'eft pas pour affoiblir 1'hommage du a ce grand Poëte, mais pour montrer a quel point les hommes du mérite le plus rare font circonfcrits dans leurs talens , &. quelquefois dans leur goüt. Lui-même d'ailleurs fe rendoit juftice , & convenoit avec la franchife qui lied fi bien aux Ecrivains fupérieurs, qu'il ne réufftffbit pas dans les petits Ouvrages. C'eft en lui un mérite de plus d'avoir fenti & fur-tout avoué , que ce talent lui manquoit; la perfeclion du mérite auroit été de ne point proftituer fon gé-r nie a des producdions faites pour le dégrader ; mais le comble de la fottife dans fes Editeurs, eft d'avoir confervé ces avortons indignes d'un tel pere , §£. que lui-mème ne reconnoidoit pas pour fes enfans légitimes. Nous ne confeillerions pourtant a perfonne de retrancher ces infipides bagatelles dans les éditions qu'on pourra faire a 1'avenir. Le Public , qui fe feroit confolé très-aifément d'en être privé , ne veut plus qu'on les lui enleve des qu'une fois on les lui a abandonnées. II ed raremerit avi4e de ce qu'on r^e lui dorjne  de Boileau Despréaux. 77 :j pas, mais toujours avare de ce qu'il ! a une fois en fa poifeffion. Quoique Defpréaux paffat aifément condamnation fur fes petits Ouvrages, i il en avoit pourtant fait qaelques-uns oü il croyoit s'être furpane , & qui n'étoient pas même, comme la prédilecdion de I'Auteur pourroit le faire croire , des Epigrammes fatiriques. II : étoit fur-tout fort attaché a un Sonnet fur la mort d'une jeune perfonne de fes parentes , qu'on peut lire dans fesQEu^ ' vres , & oü il croyoit avoir mis toute I la tendreffe poffible. On ne ma pas 3 écrit-il a Broftëtte , fort accablé d'éloges fur ce Sonnêt ; cependant ojeraije vous dire que c'ejl une de mes produdions dont je mapplaudis le plus / 11 en cite même quelques vers , en ajoutant qu'il ne crou pas avoir rien fait i de plus gracieux. II prétendoit avoif 1 fait ce Sonnet pour en expier un au- tre , Oüvrage de fa jeuneilê (1). Les vers en font affe^ bien tournes , difoitil en parlant de ce dernier Sonnet , 1 & je ne le dcfavouerois pas même au* (ij Cc fecond Sonnet eft rapporté dans les Lettres de Eroflette, Tonic % , pa». 104. D iij  ■y% É L O G E jourd'hui , n étoit une certaint tendrejfe tirattt d Vamour qui y efl marquée , & qui y coavient d'autant moins , que jamais amitie' ne fut plus pure ni plus innocente que la nótre. Mais quoi ! je croyois alors que la Poéfie ne pouvoit parler que d'amour. C'ejl pour réparer cette faute , & pour montrer quon peut parler en vers de t amitie , même enfantine , que j'ai compojé, il y a quin^e ou fei^e ans , le feul Sonnet qui eft dans mes Ouvrages. C'eft celui dont I'Auteur e'toit fi content. Nous crojons qu'il fera feul de fon avis. Quelquefois anffi indulgent admirateur des vers d'autrui que des fiens , il exaltoit beaucoup ces trois vers, oü Racan peint la gloire d un Héros Chrétien dans le Ciel : II voit, comme fourmis , marcher nos légions Sur ce petir am.is 'e pouffiere 8c de boue , Donr norrc vanité fait tanc de régions. Defpréaux difoit, comme on le voit par une de fes lettres , qu'il auroit donné fes trois meilleurs vers pour avoir fait ceuxda : afTurément il eüt beaucoup pefdti au change. La pem'ëe  de Boileau Despréaux. 79 I de ces vers eft belle & grande 5 mais - elle pouvoit être bien plus heureufement exprime'e. Comme fourmis eft une exprefïïon familiere & peu noble \fait tant de régions (exprefïïon d'ailleurs trés profaïque) n'epréfente qu'une idee Vagwe , & ne caractérife pas avec affez d'énergie & de précifion le prix que ! nous attachons a ce petit amas de boue, théatre de 'notre gloire & de notre ,, vanité. La févérité dont Defpréaux. fe piquoit dans fes vers , ne lui permettoit guere les im-promptus. II en faifoit pourtant quelquefois , & même d'alfez heu- <\ reux. La ville de Mons, qui appartenoit au Roi d'Efpagne, & qui n'avoit jamais : été prife, 1'ayant été par Louis XIV , une femme, chez laquelle fe trouva no- ;! tre Poëte , le pria de faire fur le champ quelques vers pour célebrer cette conquète; il s'en défendit long-temps, St finit par lui dire ces quatre vers : Mons étoit , difoit-on , pucel'e , Qu'un Roi gardöic avec le dernier foin; Louis le Grand én eut befoin , Mons fe rendit ; vous auriez fait comme elle. © D iv  8o Élogè note XViH , relative a la page 60 y fur la comparaifon de la fenfibilité d Vodorat. ï_ A comparaifon que nous avons faite de la fenfibilité a 1'odorat, paroit d'autant plus jude , que la fenfibilité eft, pour ainfi dire , auffi pénétrante que 1'odorat phyfique, pour faifir dans les ©bjets qu'on lui préfente tout ce qui peut l'affecfer d'une maniere agréable ou pénible ; qu'elle eft auffi faciie a émouvoir &. auffi prompte a blefiér que ce même fens de 1'odorat; que les impreffions qu'elle éprouve , ainfï que celles de 1'odorat , ne font jamais indifférentes , mais toujours accompagnées de plaifir ou depeine; qu'enfin la fenfibilité produit, comme 1'odorat,les impreffions les plus douces & les plus délicieufes dans ceux qu'une organifation délicate en a rendus fufceptibles ; mais qu'elle les rend auffi plus fujets aux impreffions douloureufes, qui par malheur font plus fréquentes pour eux que les impreffions agréables , comme un odorat fin & délié trouve plus d'odeurs quileble/Teatque d'odeurs quile flattent.  de Boileau Despréaux. 8i i NOTE XIX , relative a la page 60 , jar la Fable du Bücheron, mife en vers par DESPRÉAUX & par La Fontaine. C^uoiQUE tous nos Leóleurs fachent ou doivent favoir par cceur la Fable admirable du Bücheron dans La ' Fontaine , nous la mettrons ici Tous ; leurs yeux , en même temps que celle \ de Defpréaux ; malheur a qui ne feni tiroit pas 1'énorme diflance de Tune I a 1'autre. Fable de La Fo ntaijve. LJn pauvre Bücheron touj couvert de ramce , Sous le faix du fagor, auffi bien que des ans, GémiiTant 5c courbé, marchoit a pas p.efans , Et tachoit de gagner fa chaumiere cnfumée ; Enfin n'en pouvant plus d'efforrs & dedouleur,, II met bas fon fagot, i! fonge a fon malheur. Quel plaifïï a-t-il eu depuis qu'il efl au monde ? En eft-il un plus pauvre en la machine ronde 3 Foint de pain quelquefois , & jamais de repos; Sa femme , fes enfans, les foldats, les impöts, Le créancier & la corvee, Lui font d'un rrkilheurtux la pcintute actievee. D v  &2 E L O G E U appeUe la Mort ; elle vient. fans tarder , Lui demande ce qu'i! faut faire. C'eft, dit-il, afin de m'aider A recharger ce bois , tu ne tar leras guerc. Le rrépas vient tout gu*rir ; Mais ne bougeons d'oii nous fomraes: Plutot fbufFrir que mourir, C'eit la devife des hommes. Fable de Despréaux, X.E dos ch-irgé de bois, &c te corps tout en eau , Vn pauvre BucheroQ , dans l'extréme vieilUJJ'c * Marciïoit en ha'.eta it de peine & di d'trtffe. £nfin las de foufrir, je'tant li fon fardeair, Plutot que de s'en voir accahU de nouveau , 11 fouhaite la mort , & cent fois il 1'appelle. La Mort vient d la fin, Que veux-tu . cria-t-elle ? Qui moi? dit-il alors, prompt d fe corriger , Que tu m'aides a me charger. A ces deux Fables, nous en ajouterons une troifieme fur le même fujet, par un autre Poste très-célebre, JeanBaptifle RoufTeau , qui, aufli dépourvu de fenfibilité' que l e'toit D«fpréaux,a réuffi tout auffi mal. Le malheur vamement a la mort nous difpofe. On la brave de loin ; de pres c'efl autre chofe. On pauvre Iïucheron , de mal c.\tè':uê , Chargé d'ans 8c d'ennuis , de farces de'nu*  de Boileau Despréaux. ?j Jetant bas fon fardeau , maudiffbit fes foüffrances'. Et mcttoit dans la more toutes fis tfiérances. 11 I'appelle > elle vient. Que veux tu, KilUgtois? Aa .' dit ii , viens m'aider a recbarget mon bois. » Defpréaux , dit Racine le nis , » compofa la Fable du Bücheron dans » fa plus grande force , &, fuivant fes » termes, dans fon bon temps. il trou- : » voit cette Fable languiffante dans » La Fontaine. II voulut effayer s'il » ne pourroit pas mieux faire, fans » imiter le flyle de Marot , défapprou» vant ceux qui écrivoient danr ce s> dyle. Pourquoi, difoit-il, emprunter » une auve langue que celle' de fon » Siècle « ? On ne concoit pas oü eft la tangueur que Defpréaux trouvoit dans la Fable de La Fontaine , encore moins en quel endroit de ce.te Fable La Fontaine a employé le flyle de Marot. Le jugement qu'on prète ici a Defpréaux eft ft étrange , qu;l eft très■vraifemblable que Racine ie fris a été i mal fervi par fa mémoire. A la tète de la Fable de La Fontaine , dont Ie fujet eft pris d Efope , on lit ces mots écrits par I'Auteur même : Nous ne faunons aller plus D vj  €4 É L O G E loin que les Anciens ; ils ne nous ont laiffé pour notre part que la gloire de les bien fuivre. Le bon homme s'exprime avec cette modeftie , ou plutót cette fimplicité , a l'occafion d'une Fable oü il eit bien fupérieur a Efope, comme dans prefque toutes les autres. C'eft encore ce même La Fontaine qui , dans la Préface de fon Livre , eite Quintilien pour e'tablir quelques principes fur la Fable, & ajoute : II ne s'agit pas ici den apporter la rai~ Jon , c'eft affé^ que Quintilien Vait dit. On ne peut guere pourfer plus loin la foi littéraire. Rions un moment de cette fuperdition , mais fachons les Fables par cceur. La Fontaine , a trèsbien dit un Ecrivain moderne , changea le ton de 1'Apologue, quoiquepar refpecd pour l Antiquité , il n'ofat fe 1'avouer. Son génie, moins timide que fes principes , opéra cette révolution \ 1'infcu de I'Auteur. S'il eft vrai, comme cm 1'a reproché a Defpréaux , qu'il ne fentoit pas affez tout le mérite de l a Fontaine, ne pourroit-on pas en accufer 1'inflexible févérité de fon goüt, plus auftere que délicat, & peu fenfible aux graces  £5£ SoTLEAU DESPRÉAUX. négligées & fugitives ? On s etonne , avec raifon , que le nom de La Fontaine ne fe trouve dans aucun de fes vers , lorfqu'on y rencontre ceux de Pacan & de Segrais ; étoit-ce oubli, étoit-ce projet 1 On dit plus; on prétend qu'il avoit La Fontaine en vue dans ces vers de X Art Poétique, qui en effet peuvent le défigner ; C'eft peu d'être agréable & charmant dans un Livre , I 11 faut favoir encore & converfer &c vivre. Mais en fuppofant que ce trait regarde La Fontaine , le premier des deux vers fuffiroit pour montrer combien Defpréaux eftirnoit , au moin-s comme Poëte , eet Ecrivain inimitable. D'ailleurs , s'il na point parlé de La Fontaine dans fes vers, il nous a larlfé , dans fa Differtation fur Joconde , un monument de fon eflime pour lui , puifqu'il ne balance pas même a le préférer a 1'Ariofte. C'eft plus que n'en peuvent demander les juftes admirateurs de notre charmant Fabulifte. Mais Defpréaux , qui, jufqu'a la fin de fa vie , fit des additions & des correcdions a fes Ouvrages dans les diverfes éditions qu'il en publia, ne devoit- I ~  Sfj É L O G F. ïl pas, dans le fecond Chant de fon Art Poétique , oü il parle des différentes efpeces de petits Poè'mes, ajouter fur la Fable ck fur I a Fontaine quelques vers u ls qu'il favoff'les faire ? Ces vers euffem infinirn . nt mieux valu que deux ou trois Fab'es de fa facon , ou il fenible avoir voulu joüter contre le bon homme avec auui peu de fuccès dans fes efforts , que de jufieffe dans les critiquts qu'il a faites de notre divin Eabulifte. En voici un nouvel exemple : Defpréaux & La Fontaine ont tous deux mis en vers, outre la Fable du Bücheron , celie de 1'Huitre ck des Plaideurs; & quoique dans cette derniere Faïde La Fontaine ne laiffs pas Defp n'aux auffi loin derrière lui que dans la première, il y conferve toujours fa fupériorité. Nous renvoyons nos Lecleurs. a ces deux Fables. Celie de La Fontaine a encore été critiquée par Defp réaux. Dans la Fable de ce dernier , qui fe trouve a la fin de fa feconde Lpitre , c'eft la Jufllce qui fe préfente la balance d la main, pour mettre les deux Plaideurs d'accord;& dans celie de La Fontaine , c'eft -Perrirt  de Boileau Despréaux. 87 Dandin oui arrivé pour le même objet. Defpréaux prétendoit que la Fable de La fontaine manquoit de jufteffe , paree qu'au lieu de la Juflice^ il avoit nns un Juge, fous le nom de Perrin Dandin, qui avale 1 Fluitre. Ce ne font pas, djfoit-il, les Juges feuls qui caufent des frais aux Plaideurs ; ce font tous les Officiers de Juflice. Nous laiffons aux gens de goüt a décider fi cette critique n'eft pas une chicane; nous leur demanderons de plus, fi Defpréaux a été lui-même a 1'abri de la cenfure en reprélëntant les Gens de Juftice par la Juflice en perfonne , la ba'afice d la main , & s'il y a rien qui reffemble moins a la Juftice avec fa balance, que les Gens de Juflice avec leurs mains avides. 11 nous femble , duffions-nous être condamnés comme blafphé/nateurs , que la jolie Fable de !a Motte , intitulée , Le Frontage , & qui a le même objet a f,ea pres que celie de 1'Huitre , eft bien préférable a celie de Defpréaux ; car nous n'ofons la comparer a celie de La Fontaine. Defpréaux faifoit une autre critique fur la Fable du Corbtau & du Re-  SS É L O G È rtard. II vouloit que La Fontaine eut fait dire au Corbeau par le Renard, 'mon beau chanteur, au licti de mort bon Monfieur. Nous oforts encore n'être pas de fon avis , & nous croyons que mon bon Monfieur elf une rail— lerie plus dotice & par confe'quent plus fine de la bètife du Corbeau , que mon beau chanteur ne 1'auroit été de fa vanité. II y a apparence que La Fontaine penfoit de même , puifque, malgré la critique de Defpréaux , il ne changea rien a fa Fable. Peut-être Defpréaux , en propofant mon beau chanteur au üeivde mon bon Monfieur, étoit-il déternriné par la rime plus exacde de chanteur avec flaneur qui termine le vers fuivant ; cette correction, ainfi motivée , feroit \ peu pres femblable a celie que Fontenelle vouloit faire dans un Conté de La Fontaine. C'ed dans eet endroit de Y O raifon de Saint Julien , oü le Poëte dit, en parlant des trois voleurs qui furent prrs & pendus : Et Ic trio branché Motinit contiit & fort bien confeffé. Fontenelle, qui faifoit conMer le prin-  ■ de Boileau Df.sprkaux. 89 cipal mérite de la Poéfie dans 1'exao titude de la rime, ck qui , lorfqu'on 1 lui lifoit des vers, ne reprenoit guere j que les rimes qui lui paroifToient maunvaifes, n'étoit pas content de cel'e de confejjé avec branché. II lui paroiffoit plus exacfl, & fur-tout plus fin de dire: Mourut contrlt, c'eft-a-dire faché. Malheur a la rime ck ï la fineffe , fi ; elles produifoiem toujours de femblaI bles correcfions! Si nous oficns hafarder une autre i: critique , mais bien légere , fur un enli droit de cette Fable du Corbeau ck du Renard , elle tomberoit fur les trois vers fuivans : Apprer.cz que tout flaneur Vir aux tlépens de celui qui 1'écoute ; >! Cette lecon vaut bien un f'romage fans doute. ,! Nous croyons que La Fontaine auroit peut-être bien fait de retrancher le dernier vers; d'abord paree qu'on ne fait pas trop fi ce vers efl une réflexion du Fabulide , ou la fuite du difcours du Renard , ce qui caufe au Lecdeur ; un petit embarras qu'il faut toujours lui éviter ; en fecond lieu , paree qu'en  OG E L 0 G Ë fuppofant ce vers dans la bouche du Renard , ce qui ed p'us vraifemblable, il nous paroit de trop de la part d'un animal gourmand & rufé , qui, content du fuccès de fa fourberie , ne doit guere ie foucier de faire remarquerau lot Corbeau 1'utilité de la lecon qu'il lui c'onne. Mais le vers ed plaifant & ortginal, & c'ed apparemment ce qui a déterminé La Fontaine a le lailTer. Dans les Sociétés oü L3 Fontaine & Defpre'aux fe trouvoient enfemble , & oü 1 on agitoit quelque matiere de Littérature, ils n'étoient pas toujours de même avis; un jour ils difputoient fur 1'ufage des a pane dans les Pieces de thëatre. La Fontaine foutenoit qu'ils choquoient la vraifemblance; Defpréaux les défendoit par toutes les raifons bonnes ou mauvaifes qu'il pouvoit imaginer. Voyant que le Fabulifte ne fe rendoit pas & s'échauffoit de plus en plus, le Saiirique lui crioit pour toute réponfe : La Fontaine ne fait ce qu'il dit ; La Fontaine na pas le fens commun : La Fontaine parloit toujours & n'entendoit rien. E/i.' mon ami 3 lui dit enfin^Deipréaux en éclatant de rire, ily a une Juure que je vous accable  de Boileau Despréaux. 91 d'lnjures 'fans que vous vous en appercevie^ ;--dïtes a préfent que Va parte neft pas vraifemblable. L'objecdion pouvoit n'ètre pas tout-a-fait julte , mais elle efl plaifante , & fut au moins affez impré>uepour que La Fontaine ne trouvat rien a répliquer. NoTE XX, relative a la page 61 , fur le peu de juflice que despréaux rendolt a Qulnault. Despréaux, qui joignoit a un I cceur peu fait pour la tendreffe , des ,1 mceurs & des principes aufteres, étoit 1 peut être excufable de ne pas fentir ce I que valoh Quinault; les tnnemis de } Racine ont prétendu qu'on n'en pouI voit dire autant de ce dernier Poëte, I qui, doué par la Nature d'une fenfi[Jbilité exquife & profonde , favoit faire , parler les pafïions avec une vérité fi lëdiiifante , & que les hommes féveres j appeloient dangereufe. ün en conclut que Racine étoit de mauvaife foi dans : le peu de cas qu'il paroiffoit faire de 1 I'Auteur fitendre d'At/iys & d'Armide.  92 E L O G Ê Ce reproche n'eft peut-être pas aufÏÏ fondé qu'on le croiroit. La faclure! molle des vers de Quinault, qui les rendoit plus propres a la Mufique , les faifoit paroitre aux yeux de Racine trop femblables a de la profe; lui 6c Defpre'aux fe confirmoient dans cette opinion en comparant les vers des Ope'ra de Quinault avec les vers de fes Tragédies, qui manquent en efFet abfolument de force & de coloris; ils ne s'appercevoient pas c[ue la liberté que Quinault s'étoit donne'e dans fes Opéra de croifer les rimes & de mêler les vers de différente mefure , en faifoit difparoitre la monotonie , les expreffionsoifeufes, le tonfoible &x lache qu'on pouvoit reproclier aux vers de fes Tragédies , toutes écrites en grands vers 6c a rimes non croifées. Ce défaut difparoiffoit auffi dans les Comédies du même Quinault, quoiqu'écrites en grands vers comme fes Tragédies , paree que les vers de Comédie font pour 1'ordinaire difpenfés de force, 6c ne demandent guere en général que de la facilité & de 1 'élégance. Auffi la Mere coquette de Quinault, donnée a peu prés dans le même temps que  de Boileau Despréaux. dj fEcole des Femmes , c'eft-a-dire , dans Bes premières années de Molière, peut ; être regarde'e comme un chef d'ceuvre J de ftyle , fur- fout par rapport au temps i oü elle a été faite. Ede eft même écrite, finon avec autant de verve , du moins ' avec plus de pureté & de correcdion que les Pieces de Molière ; car c'eft encore la un mérite de Quinauk ; 1 aucun Poëte, fans exception , n'eft plus j correct que lui j &. des remarques grammaticales fur fes Opéra fe rédui1 roient a très-peu de pages &t peutli être a quelques lignes. S'il n'emploie I que rarement le mot énergicjue & pit1 torefque, du moins il ne met jamais le mot impropre. Mais ce mérite ne i fufnt pas pour des vers de Tragédie : or Defpréaux & Racine ne jugeoient dans Quinault que Ie Poëte Tragique; ! ils avoient trouve le coté foible ; mais I jls n'auroient pas dü confondre 1'Au1 leur de Roland avec celui d' Aflrau (1), (1) Pcut-êcre Ie fuccès , non mérité , de plufieurs Tragédies de Quinault , donnoit-il a ces deux grands Potites un peu d'humeur Sc par conféqueHt d'injuftice a ion égard ; car ce Tuccès fut fi grand ? cju'on enteadoit, dit?  04 É L O G E Le plus ce'Lbre Ecrivain de notre Siècle , qui plus d'une fois a reformé les arrêts trop rigoureux ou trop injuftes de Defpréaux, a vengé un peu durement Quinault dans fon Epitre fur la calomnie : O dut Boileau , dont la Mufc févere Au doux Quinault cnvia I'art de plaire , Qu'artive t-il , lorfque fes vers charmans, Par Jeliots embellis fur la fcene , De leur douceur enivrent tous nos fens ? Chacun ma idir ra fatire inhuraaine. N'en endstu pas nos apphudiffeinens Venger Quinault quatre fois par femainc ? on, Ie bruit des applaudilïemens a deux rues de I'hótcl d: Bourgogne. Poë:es Dramatiqucs de nos jours, vantcz-vous après cela de vos bonnes fortunes éphémeres.  de Boileau Despréaux. 95 note XXI, relative a la page 61 , fur la Pref ace du Prologue d'Opéra, fait /^/-despréaux & par Racine. On lit dans cette Préface , que les pqffions ne peuvent être P e 1n tes par la Muf que dans toute 1/éten du e qu'elles demandent ; que d'ailleurs elle ne fauroit fouvent mettre en chant les expressions v rai m ent s ueli mes et courageuses. Qtie prouvent de telles affertions , finon que Defpréaux parloit de ce qu'il n'entendoit pas ? C'eft ainfi que P..fcal a cru que Ia beauté poétique confiftoit a dire fa tal laurier , bel aft're, &, aujtres fottifes femblables. A 1 egard du Prologue même auquel ces étranges affertions fervent de Préface, il prête encore plus a la cenfure , s'il eft poffible , par le fujet que par 1'exécution. C'eft la Poéfie & la Mufique qui le querelient fur la pré'férence de leur Art, & qui font prètes a fe brouiller &. a fe féparer pour  96 É L O G E faire chacune bande a part, lorfgue tout a coup 1' Harmonie vient -les réunir. On ne comprend pas trop comment la Mufique paroit d'abord dans ce Prologue fans 1''Harmonie , qui eft un de fes principaux attributs ; on comprend encore moins comment XHarmonie poétique & Ia mélodie duchant, en les fuppofant brouillés enfemble (on ne fait pas trop pourquoi) , peuvent être fi facilement réconciliées par YHarmonie muficale ; c'eft-a-dire , apparemment par la Mufique a plufieurs parties , qui feroit plutót propre a augmenter la brouillerie, s'il y en avoit déja fans elle, C'eft dommage que, pour la confolatiun de fes ennemis , Defpréaux n'ait pas achevé ce Prologue fuivant le plan qu'il en a tracé luimême ; {'Harmonie devoit y débiter des chofes bien étranges. Elle devoit dire (ce font les propres termes dela Préface) la raifon qui la faifoit verin- fur la terre , qui n'étoit autre que de divertir le Prince de l'Univers le plus digne d'être j'ervi, & a qui elle devoit le plus , puifque c étoit lui qui la maintenoit dans la France, O u ELLE RÉGNOIT EN TOUT ES CflO- SES.  ■ de Boileau Despréaux. 97 szs. Voila exacdement le Maïtre dè Mufique du Bourgeois Getuilhomnte , qui prétend que tous les hommes devroient apprendrela Mufique pour ctre 1 (Taccord entre eux. On peut remari quer e,- paffant, la négligence du ftyle 1 dans le morceau de profe que nous venons de citer , ck dans prefque tous J.ceux que nous avons cités , ou que 1 nous citerons. II s'en falloit bien que | Defpréaux , dans fa profe , füt le >\ Defpréaux du Lutrin & de 1'Art Poé« tique. Mais le Poëte doit faire parI donner les défauts du Profateur, ck fes erreurs en Mufique. Heureufement pour Defpréaux & i pour Racine , Quinault leur rendit, 1 fans le vouloir , un grand fervice, en l einpêchant que ce Prologue nefutjoué. H fe préfenta au Roi les larmes aux i yeux , ck remontrahumblement le tort 'j qu'on lui faifoit, s'il étoit déformais I privé de travailler pour les plaifirs d'un fi grand Monarque; le Roi arrêta le i Prologue , & fit, fans le favoir peut. être , beaucoup moins de grace a Quimault, que ce Poëte modefie ck mal: heureux ne croyoit en recevoir. Tomé III. £  oS E L O G E NOTE XXII, relative a la page 67, fur la févéritê de Di.SPKÉAUX a. iégard de fes propres Ouvrages. » UAND je vous lis mes Ouvra» ges, diibit Defpre'aux a un Mécene » qui, fe croyoit un grand Arifiarque, » ce ne font pas vos critiques que je » crains," ce font celles que je me fais » a moi-mème «. Un Amateur qui avoit envie, comme le Bourgeois Gentilhomme , de fe connoitre aux belles chojes , & a qui la Nature n'avoit pas donne' de merveiileufes difpofïtions pour cette connoiffance , fe plaignoit un jour a notre grand Poëte de ne pas entendre quelques endroits de fes Ouvrages: Ce 11 efl pas ma Jaute , répliqua brufquemertt Defpréaux. Cependant , quelque foin qu'il donnat a fes vers , quoiqu'il ait été , dit— on, plufieurs années a en faire quelques-uns, a chercher mênie une rime, quoiqu'il répetat fouvent, pour jufiifier  de Boileau Despréaux. 99 la lenteur qu'il metroit a publier fes Ouvrages ,' le Putlic ne s'informerk pas du temps que j]y aurdi mis , il n aimoit pas a entendre dire que fes vers lui coutoient. II lanca même un trait de fatire contre un Magidrat qui s'étoit permis cette remarque , & qui ponrtant s'étoit bien gardé de lui en faire expreifement un reprócbé. Defpréaux reconnut bien tót, dans ce trait de fatfe, rinjuiiice d'un amour-propre trop chatouilleux , & il 1'effaca dans les édirions fuivantes fi). Mais en pratiquant le précepte qu'il a donné , fi fiécris quatre mots. jen effacerai trois, il n'a pas imité d'autres Poëtes , qui fouvent ont fait a leurs vers plus de changemens que de correcfions. Ce travail aride d'une révifion févere , travail plus d'une fois mortel a d' autres Ouvrages, héfaifoit qu'ajouter de nouvelles beautés aux fiens; ék on ne pouvoit pas lui faire le même reproche qu'a ces prétendus N4aitres de Littérature , qui abondamment pourvus de roideur ck de féchereffe, acbevent (1) Voyez i'Edition dc 1747, Tonic I, page 365. Eij  IOO É L O G E a force de rabot ( qu'on nous pafle cette exprefïïon moins noble & plus propre ici que celie de Urne), dóter a leurs minces produclions le- peu de fubrtance que le hafard pouvoit y avoir mis ou laifTé. Rien n'ed donc plus injufle que ces deux vers par lefquels les ennemis de Defpréaux croyoient le caracderifer: Boileau polit un vers qu'il croit rendre fublimc , Mais en vain , & fon vers eft plus dur que fa linie. M. Marmontel a dit avec bien plus de vérité &. de jufteffe : Et fon vers.... poli, bien tourné , A force d'art rendu fimple 8c facile , Reffemble au rrait d'un or pur & dudtile Par la fitiere en g'.iffant faconné. C'étoit pour exprimer le foin pénible avec lequel Defpréaux travailloit fes vers, que fon ami Chapelle lui difoit avec plus d'efprit que de vérité : Tu es un bccuf qui fait bien Jan JlLlon. Si Delpréaux ie rendoit fi difficile fur fes propres Ouvrages, on peut juger qu il ' n étoit pas indulgent pour ceux des autres. I! pouffoit même cette féverité jufqu'a un courage incroyable  de Boileau Despréaux. toi dans un Poëte courtifan. Louis XIV lui montroit un jour des vers qu'il s'e'toit avife' de faire on ne fait pourquoi , & lui en demandoit fon avis. Sire,, répondit Defpréaux , rien riejl impoffble a Votre Majeflé ; elle a voulu faire de mauvais vers, elle jy a réiifli. La févérité avec laquelle il jugeoit fes Confrères, peut excufer celie d'un autre Homme de Lettres, qui, après avoir lu dans fa jeuneffe beaucoup de vers , avoit fait une efpece de vceu de n'en plus lire de fa vie , par la raifon , difoit-il, au'ily avoit été attrapé trop fouvent. II ne faifoit grace qua ceux dont la lecfure lui étoit , pour ainfï dire, commandée , foit par Ia réputation bien méritéé de I'Auteur, foit par 1'unanimité de 1'approbation publique. Defpréaux donnoit pour exemple des vers qui lui avoient Ie plus couté, ces quatre vers de la Satire fur l'Homme , qui ne renferment pourtant rien que de très-commun , & dont même le fecond auroit mérité qu'il y eüt pris encore plus de peine. E iij  102 É L O G E tui feul vivanr, dit-ou, dans 1'enceinre des Vnfef, fair voir d'ioanêtej mceurs, des ccattlmct civües , ?* 6h Gouverneurs, des Magiftrats , des Reis, Obfcrve une poüce , obéit a des loix. Nous avons fouvent' en ren du foner comme un chef-dceuvre de difficulté vaincue , ces autres vers de Defpréaux que tous les Proferfeurs de Rhétorique font admirer a leurs Ecoliers : Des veines d'un c.iiHoux qu'il frappe au même inftarit 11 lait jafllir un feu qui p'rille en forcant; ït bientot au bralier d'une meche enflammée, Montie, al'aidc du foufre , une cire alluaiée. Ces vers ont Ie mérite, dit-on, dexprimer élégamment 8c avec une forte de nobl. iTe , une chofe petite & prefque baffe. A la bonne heure. Mais oferons-nous dire que la conftrucdion nous paroit embarralfée dans les deux derniers vers ? On croiroit qu'au brafier efl le régime de montre, ce qui ne fïgnifieroit rien ; il ed le régime d'allumée dont il eft trop loin ,• & dont il eft féparé d'ailleurs mal a propos par le verbe montre. Déja nous entendons nos petits Veriïficateurs s'écrier avec Madame Dacier : Quel fiéau pour la Poéfie  de Boileau Despréaux. 103 quun Géoirietre ! Quelque éloquente que foit leur exclamation , il eft un grand nombre de vers donf ce Géometre fe flatte de fentir tout le mérite ; il leur permet cependant , fans regret comme fans nel, de déplorer le malheur de la Poéfie , fi maulfadement jugée par un homme qui n'eft pas Poëte comme eux , & qui aifurément n'a pas cette ambition. Ce feroit peut-être ici le lieu d'examiner ce que difoit Defpréaux , & ce que plus d'un Poëte a répété après lui, que le grand mérite de la Poéfie eft d'exprimer noblement de petites chofes; mais cetre difcuffion nous meneroit trop loin. Bornons nous a dire , . que quand le Poëte , par la nature de fon fujet, a des chofes communes a exprimer , il cloit fans doute les exprimer noblement ; mais que fon vrai mérite eft d'exprimer noblement des chofes qui en vaillent la peine ; que s'il peut, dans un grand fujet, defcendre quelquefois a des chofes communes , c'eft tout au plus pour donner quelques momens de repos au Lecteur, que pounoit fatlguer une fuite Eiv  104 É L O G E trop continue d'images grandes ou fines , ou touchantes, ou "agréables; mais que la paufe feroit un peu longue , & le lit derepos un peufroicl, fi ces idees communes, même exprimées élégamment , dominoient dans un Ouvrage de Poéfie. Ce feroit bien pis, fi elles en faifoient toute la fubftance , & fi, comme il n'arrive que trop fouvent , la médiocrité du fond n'étoit pas même relevée par l'a?rément de la forme. Ce ne font point les vers que la Philofophie profcrir , comme tant de fots 1'en accufent, cè font les vers qui ne fignifient rien , & qu'on ne fe foucie ni de retenir ni de remarquer.  de Boileau Despréaux. 10$ 1 note XXIII, relative a la page 65 , fur le jugement que despréaux portoit de Molière. 1 C e u x qui font a Defpréaux le re1 procfie très-injufte de n'avoir pas aflez i fenti ce que-valoit Molière , ne fe rap1 pellent pas 1'endroit de fes Ouvrages, oü il fait un fi grand éloge de eet Au1 teur immortel ; nous n'en rappellerons que les derniers vers : Mais fi-tót que d'un trait de fes fatales mains La Parque 1'eur rayé du nombre des huraains, . On reconnut Ie prix de fa Mufe éclipfée. L'aimable Comédie avee lui terraffée , Envain d'un coup fi rude efpéra revenir , Et fur fes brodequins ne put plus fe tenir. ;| Put plus , dit un illuflre Ecrivain qui a 1 déja cité ces vers avant nous, efl un peu 1 rude a Voreille , mais Defpréaux avoit 1 raifon ; & nous ajouterons que ceux ] qui ne feroient pas contens de cette apothéofe de Molière, feroient bien : difficiles en éloges. On cite a la charge de Defpréaux E v  IOS É LOG E 1'endroit d» X Art Poétique oü il cotTdamne le fac de Scapin •, mais le vers qui fuit, Je ne reconnnis plus I'Auteur dn MifantlirópC, fuffiroit pour prouver le cas qu'il faifoit de Molière ; & la critique du fac de Scapin ne prouve que 1 'éloignement naturel de Delpréaux pour la farce , dont Molière ne faifoit lui-même que le cas qu'elle mérite. L'averfion de notre grand Poëte pour le genre ignoble, & fur-tout pourle burlefque, étoit fi grande , qu'elle lui échappoit même a la Cour, dans le temps oü la veuve de Scarron , depuis femme de Louis XIV , y étoit le plus en honneur & en crédit. Votre pere, difoit il a Racine le fils , avoit la foibleffe de Ure quelquefois le Virgile travefll, & de rire ; mals II fe cachoit bien de mol. Defpréaux a manifefté dans mille occafions toute fon eftime pour Molière. Louis XIV lui demandoit quelsAuteurs modernes avoient le mieux réufïï dans la Comédie : Je ne connols que Molière, répondit le Poëte; tous. les autres ricnt fait que des farces* Racine brouille avec Molière , ck  RE Boileau Despréaux. 107 moins jufte a fon égard que Defpréaux, reprochoit a ce dernier d'avoir ri feul a la première repréfentation de X Avare. Je vous ejlime trop , lui répondit Defpréaux , pour ne pas croire que vous y ave^ ri vous-meme , du moins intérieurement. Les Stances qu'il envoya a Molière' fur XEcole des Femmes , quoique médiocres , prouvent le cas qu'il faifo.it de cette Piece , ü violemment frondée par tous les beaux efprits de laville , &par tous les grands connoiffeurs de Ia Cour. Nous ne citerons de ces .Sranrpc nnp rlpii-r vee . Si tu favois un peu moins plaire , Tu ne leur déplairois pas tant. II difoic néanmoins (car il falloit bien que les Anciens euffent quelque avantage fur un Moderne ) que Térence avoit fur Molière celui de s'arrêter toujours oü il le faut, &• de n'avoir point comme lui dériguré fes Pieces : par le jargon des payfans : il faudroit donc , on ne fait pas pourquoi, ban- ; nir les payfans du théarre • car il pa■ roit' difficile , fi on les introduit fur la ] fcene , de ne leur pas fairt parler leur I langue. C'eft ce qui faifoit dire a DefE vj  ro8 É L O 6' E préaux, que Molière, fans ces tache? qui le défigurent, Peut-êcre de fon art eüt emporté le prix. Qui aura donc ce prix, s'écrie M. de Voltaire , fi Molière ne Va pas f Notre févere Aridarque prétendoit encore que le Prologue de ÏAmphitryon de Plaute valoit mieux que celui de Molière , & que 1'ancien e'toit auffi plus ingénieux que le moderne dans la fcene & le jeu du moi. II eft permis de croire que Defpre'aux , plus enthoufiade encore des producdions de FAntiquité, que foumis aux jügemens qu'elle prononcoit, vouloit feulement (al'exemple de Scaliger ck. de plufieurs autres Ervidits ) un peu de maL a Horace d'avoir tant maltraité les vers ék les plaifanteries du Comique latira. On peut eependant fuppofer, fans fuperftition ni prévention même pour les Anciens , qu'Horace étoit a eet égard un peu meilleur juge que toute la troupe réunie des Savans Modernes. Defpréaux foutenoit auffi que ce vers de Rotrou dans les deux Sofies, Xétois chez nous long-temps ayant que d'atilver „  de Boileau Despréaux. 109 étoit plus naturel que les deux ver,s de Molière : Et j'étois venu , je vous jurc , Avant que je fulle arrivé. On nous permettra de ne pas foufcrire a cette décifion, & de croire que le tour des vers de Molière efl: au contraire plus naturel & plus vif que celui du vers de Rotrou. Molière avoit dit dans les Femmes favantes : Quand fur une perfonne on prétend s'ajutter, C'eft par les beaux cótés qu'il la faur imiter. Le premier de ces deux vers offroit une équivoque qui auroit donné beau jeu a tous les mauvais plaifans du parterre de ce temps la , & même du notre. Ils furent tres-heureufement corrigés par Defpréaux de la maniere fuivante : Quand fur une perfonne on pierend fe régler. C'eft par les beaux córés qu'il tui faut reiTembler. Plus il eflimoit Molière , plus on doit s'étonner que dans 1'Epitre adreffée a ce grand Homme , il ne lui parle que de la rime , & non de fes chef-  ho Éloge d'ceuvresdramatiques (car il avoit déja fait YEcole des Mans & ÏEcole des hemmes); que du moins ce Légiflateur du goüt ne dife pas un mot des Précieufes ridicules , oü Molière, en paroilTant ne donner qu'une efpece de farce , eut le courage & Phonneur d ouvnr les yeux aux prétendus gens de_ goüt fur les déteftables producfions qu ils encenfoient , & de mettre la Nation dans la route du naturel & du vrai dont elle étoit fi éloignée. On dit que Molière ayant 1h le Mifanthrope a Defpréaux, & ce dernier ayant donné a eet Ouvrage les éloges qu'il méritoit, I'Auteur lui répondit , Vous verre^ bien autre chofe. Sans doute il vouloit lui parler du Tartuffe, qui desdors étoit commencé , &'qui eft le chef-d'ceuvre de Molière & du Théatre Francois.  de Boileau Despréaux. in note XXIV, relative a la page 68, fur les efquïjfes que despréaux faifoit en profe de fes Ouvrages poéliques ; & a cette occafon, fur les Commentateurs de despréaux. On a imprimé dans les (Euvres de Defpréaux (i), Ja Satire a fon efprit, écrite en profe par I'Auteur , & on a mis au delfous de la Satire en profe la même Satire en vers. Cette comparaifon du tableau avec fon efqüiife peut être très-utile aux jeunes Ecrivain* , ck. c'eft un fervice que les Commentateurs de Defpréaux ont ren du a la Littérature : car plufieurs Ecrivains ont commenté notre Poëte; un dernier Commentateur a eu la malheureufe patience de les recueillir tous, & d'enterrer le petit volume de Defpréaux fous un fatras de notes en cinq gros volumes, qu'on pourroit appeler un Defpréaux variorum. On aramaflé, dans ce monceaa (i) Eilition dc 1747, Tome V.  III É L O G E de décombres, jufqu'a de très-médioere vers latins que Defpréaux avoit faits dans fa jeuneffe. II renonca bientöt a cette futile occupation , & il aima mieux être le rival d'Horace en francois, que fon finge dans une Langue morte (i). II faifoit peu de cas des Latiniftes de nos jours , il avoit même compofé a ce fujet un Dialogue entre Horace & quelques Poëtes Latins modernes; mais il fupprima ce Dialogue de fon vivant, par égard pour deux ou trois hommes de collége qui avoient pris la peine de mettre en vers latins, bons ou mauvais, fon Ode fur Namur, qu'il auroit du faire meilleure en vers francois. Plus d'un Homme de Lettres fe croyant & fe difant Poëte Latin , avoit fait le même honneur a. d'au- (0 Racine, dans fa jeunelTe , faifoit auflï des vers latins, dont fon fils a rapporté quelques-uns ; ils paroilfent bien fupérieurs aur premiers vers francois du même Poe're , dont nous avons parlé plus haut dans la Note IE. Ces vers onr même du feu & de 1'harmonie, autant du moins qu'il eft permis a un Moderne d'en juger; mais peut-êrre Virgile ne les auroit pas trouvés meilleurs que nous ne trouvons les veis francois qui viennent d'être cités.  de Boileau Despréaux. tij tres Pieces de Defpréaux; un Profef■ Peur de 1'Dniverfité , depuis Curé de Saint Come a .Paris, traduifit même en vers latins prefque toutes fes (Euvres; 1'Apprbbateur de cette traduclion (imprimée il y a quarante ans , & aujourd bui prefque oublie'e ! nous affure que Defpréaux 1'avoit honorée de fon fuffrage , nepouvant même difconvenïr. j ajoute eet Approbateur , que les ex, prejfons latïnes donnoient fouvent a \fes penfées une force & une beauté quelles riavoient pas dans Vorïgïnal. Le Dialogue dont nous venons de parler , fait douter avec grande raifon que i ce compliment füt fincere : car on voit ' en plufieurs endreits des lettres de Defi préaux a Broffette , ce qu'il penfoit des 1 Poëtes Latins modernes. » Vousfavez, » lui dit-il, que j'en fais une médio» ere edime, dans la prévention oü je » fuis qu'on ne fauroit bien éerire que fa » propre Langue C'eft une étrange » entreprife que d'écrire dans une Lan» gue étrangere, quand nous n'avons » point fréquenté avec les Naturels du » pays ; & je fuis perfuadé que fi Té» rence & Cicéron revenoieut au mon» de , ils riroient a gorge déployée des  H4 E L O G E » Ouvrages latins des Femels , 'des » Sannazars & des Mureis. Les » vers latins que vous m'avez envoyés » m'ont paru dignes de Vida & de Bu» chanan , mais non pas d'Horace & » de Virgile ; car quel moven d'égaler » ces deux grands Hommes dans une » Langue dont nous ignorons même » la prononciation ? Qui croiroit, fi » nous ne le favions de Cicéron même, » que le mot dividefe eft d'un trop » dangereux ufage, & que ce feroit une » obfcénité de dire, cum nos vidij/è» mus ? Comme nt favoir en qüelles » occafions , dans le latin , le fubftantif » doit paifer devant 1'adjecfif, ou 1'ad» jecdif devant le fubftantif ? Cepen» dant imaginez-vous quelle abfurdité » ce feroit en francois de dire mon » neuf habït, au lieu de dire mon ha» bit neuf, ou mon blanc bonnet, au » lieu de mon bonnet blanc, quoique le » proverbe dife que c'eft la même clio» fe « ? Defpréaux pouvoit ajoOter , que s'il y avoit eu un pareil proverbe dans la Langue Latine , les Latiniftes de nos jours ne manqueroient pas de s'en appuyer pour autorifer leur jargon facfice & précaire, elpece de mo  de Boileau Despréaux. iïf faïqiie compofée de pieces mal choifies &. mal raiiemblées (i). (t) "Je ne doure pas , dit un Ecrivain " moderne, qtie fi les e.rands Orateu:s Latins 33 de nos Colléges euffent parlé devant ks .« Harangeres de Rome , du temps deCicéion, 33 ils n'euffcnt eu !e dé-fagrément de les en33 tenJre secrïer : Quel eft donc ce barbare, qui 33 eftropie ainfi notre Langue? Croyons-eu 53 Muret, qui pafle pour avoir le mieux éciit 53 en latin dans ces derniers temps. Quifom33 mes-nous , dit-il, pour cenfurer le ftyle d'un »3 Ecrivain tel que Tacite ? Nous ririons d'un » Allemand ou d'un Pclonois, qui ne fachant 53 d'italien que ce qu'il en auroit appris dans » deux ou trois Livres , & riayant d'autre 53 Diciionnaire que le Catalogue des mots qu'il 53 en auroit recueiltis , traiterolt de barbare le 53 langnge d'un habile Fiorentint, paree qu'il 33 y remarqueroit des mots qui ne fe trouve33 roie it pas dans eet admirable Vocabulaire. 53 So-nmes-nous moins ridicules , lorfque nous 33 critiquons fur leur propre Langue des hom~ s: mes , dont les Cuifiniers & les P alefreniers >3 favoient mieux le latin que nous ne le fau33 ronS jamais <« ? On a reproché a des Latiniftes modernes, Cicéroniens de profeffion , entre autres a Manuce , d'avoir employé dans leurs compolïtions latines des termes inconnus aux Auteurs da bon Siècle , tels que gratitudo Sc ingratitudo, pour dire reconnoijfance 8i ingratitude ; nouvelle preuve des bévues oti l-'on eft continael-  X T 6 É L O G E Quoique les Commentateurs de Defpréaux aient accablé fes (Euvres d'un lement expoféd.^ns ce genre d'écrire. L'harmonie de la Langue, fi néceifaire a la beauté de la diction, nous eft encore plus inconnue. Cicéron remarcjue dans fon Orator , que cette chute de période fillï temerïtas , compofée de trois breves entre deux Iongues , feroit flafque & fans effet. Cependant le même Orateur a employé avec Ie plus grand fuccès , & peut'trt aJcc une *°rte d'affeftation , la chute efse vïdeatür, qui differe de la précédente par Ie- feul déplacement d'une longue mife après les trois breves : on trouve encore chez le même Orateur 3 fi fenfible & fi exaét a 1'harmonie , les chutes mïnïme vïdent, & altëram mëtttö , qui renferment deux autres combinaifons des trois breves & des deux Iongues : en forte que des différens arrangemens dont ces cinq . fyllabes font fufceptibles , il n'y a de contraire a 1'harmonie que celui de trois breves entre deux Iongues j encore cette regie auroit-elle des exceptions , puifqu'on trouve dans 1'exorde de la Harangue pour Rofcius , cette chute emanarëpotent, que Cicéron n'aurok furement pas employée s'il 1'avoit crue aulli dénuée de nombre que la chute fïiïï temerïtas. Devinez-en , li vous le pouvez , la raifon ; la feule différence qu'on obferve dans ces deux chutes, c'eft que dans ia première les trois breves entre deux Iongues font précédées de deux Iongues erna , & dans la feconde d'une longue & d'une breve fïïï. Mais la  de Boileau Despréaux. 117 fatras de-chofes inütiles, les jeunesLitterareurs peuvent tirer de ce fumier quelques parcelles d'or , en étudiant les variantes des divers endroits que le difricuité n'en eft guere plus éclaircie. On peut obkrvcrquecetteterminaifcn de période', compofée de trois breves & de deux Iongues différemment combinéës entre elles , équivaut a la combfnaifon d'une breve & de trois lon. gues , dont Cicéron fait un ufage prefque continuel a la fin de fes phrafes , & même de leurs différens membres , cëmprobüviï, rctardarct, quatn piwïmös. Dans ces terminaifons, la dernicre eft toujours cenfée longue, quoiqu'eile foit breve ; ainfi on trouve fouvent des phrafes de Cicéron terminées par des mots de la même quantité qu 'upö/tcrë, comme on voit^des vers hexametres qui fe terminent par arma, la derniere étant cenfée longue. C'eft encore un myftere de la profodie latine, oue la liberté fi fouvent prife par les Anciens ,'de regarder & de traitcr comme longue une fyllabe breve finale, foit en vers, foit en profe; & comme breve une fyllabe 'longue , felon le befoin qu'ils en avoient pour le nombre & 1'harmonie. Nous ignorons ( en Juillet 1779 ou nous écrivens cette remarque ) fi jufqu'a préfent aucun Littérateuz 1'a feite. Nouvelle ou non , nous la croyons utile a ceux qui vou ledit de Claves a été admonefié , » ordonne que lefdites Thefes feront » déchirées en fa préfence , ck que » commandement fera fait par un des » Huifïiers de ladite Cour auxdits de » Claves, Villon &. Bitault , en leurs • Fij  124 E L O G.E » domiciles, de fortir dans vingf-qua» tre heures de» cetre vi'le de l-'aris, » avec défenfes de fe retirer dans les » villes ck lieux du reffort de cette » Cour , d'enfeigner la Philofophie en s> aucune des Univerfite's d'icelui, & » a toutes perfonnes de quelque qua» lité ck. condition qu'elles foient, de » mettre en difpute lefdites propofi»,tions contenues efdites Thefes, les » faire publier , vendre ck débiter , 5> a peine de punition corporelle , » foit qu'elles ioient imprimées en » ce Rayaume ou aïlleurs. Fait dé» fenfes a toutes perfonnes , cl peine a de la vie, de tenir ou d'enieigner au» cune maxime contre les anciens Au» teurs & ■approuvés , & de faire au» cune difpute que celles qui feront i) approuvées par les Docdeurs de ladite » Faculté de Théologie. Ordonne que » le préfent Arrèt fera lu en 1'aflem» blée de ladite Faculté de Sorbonne , » mis ck ttanfcrit en leurs regiftres ] » ck en outre , copies coliationnées d'i» celui , baillées au Rer:ieur de 1'Unij> verfité pour être didribuées par les » Colléges , a ce qu'aucun n'en pré-. » tende caufe d'ignorance. Fait en Par*  ■ de Boileau Despréaux. 125 » lement le qüatrierne jour de Septem» bre 1624. Ledit jour, ledit de Cla» ves mandé , leldites Thefes ont été » déclürées en fa préfence «. Ce bel Arrêt avoit peut-être eu pour modele les Lettres - Patentes données prés d'un fiede auparavant contre Ramus par Francois Premier , qu'on a appelé le Protecleur des Letires, nous avons mis toute Ia peine que » poilïble nous a été , de 1'accroitre & » enricbir de toutes bonnes Lettres &. » Sciences, a 1'honneur & gloire de » notre Seigneur & au falut des Fide» les; puis n'aguere averti du trouble » advenu a notre chere & aïmee Unir nj  126 É L O G E » verlïté de Paris , a caufe de deuxLi» vres faits par maitre Pierre Ramus, » intitulés , 1'un Dialectica: injlitutio» nes, & 1'autre A-riflotelicoz Animad» verfiones , & des proces & diiférens » qui étoient pendans en notre Cour » de Parlement audit lieu entre elle & » ledit Ramus... . Les Docdeurs ayant » été d'avis que ledit Ramus avoit été » téméraire , arrogant ck impudent, v d'avoir reprouvé èkcondamné le train » ck art de logique recu de toutes les » Nations que lui-même ignoroit, 6k » que paree qu'en fon lj»vre des Aai» madverfions il reprenoit Ariftote , » étoit évidemment connue ók mani- » fede fon ignorance Nous con- » damnons , fupprimons & aboliffons » lefdits deux Livres ; faifons inhibi» tions & défenfes audit Ramus, fous » peine de punition corporelle , de » plus ufer de telles médifances & » inveclives contre Ariftote, ne autres » anciens Auteurs recus & approuvés, » ne contre notredite file , LUniver» fité & Suppóts d'icelle auffi très-connue. La principale caufe de la haine que Defpréaux & Racine avoient pour Fontenelle, était le prétendu mépris de ce Philofophe pour les Anciens, qu'il étoit pourtant bien loin de méprifer , mais qu'il n'admiroit pas a la vérité avec le même enthoufiafme que ces deux grands Ecrivains. Les partifans zélés de 1'Antiquité ont toujours fait ce reproche a Fontenelle , qui un jour y fit une réponfe auffi plaifante que peremptoire (ï). Dans une de ces difgraces que Fontenelle effuya fouvent aux éleclions académiques, ck dont Defpréaux ck Racine étoient les principaux auteurs (2) , il courut contre le Philofophe une chanfon plaifante , quoique très-injufte,faitepar ces deux grands Poëtes (3).' On affure qu'ils couvrirent la route de (1) Voyez dans I'article de Fontenelle, fon Eloge par Duclos. (il Voyez plus haut I'article de 1'Abbé Teflu ie Maurey. (0 Elle fe trouve dans les Mémoires de 1'Abbé Trublct fur Fontenelle , page np.  Ï4° È L O G E Rouen, oü Fontenelle étoit retourne', ,de chanteurs qui brailloient & vendoient cette chanfon ; & celui de qui nous tenons ce fait, ajoute que c'eft un des procédés que Fontenelle pardonnoit le moins a Defpréaux & a Racine. Mais TEpigramme contre Afpar étoit fans doute le motif qui avoit encore plus ulcéré Fontenelle contre Racine que contre Defpréaux • il prétendoit que le pieux Auteur d'Efther étoit beaucoup plus méchant (c'eft le terme dont il fe fervoit) que I'Auteur de tant d'Epigrammes & de Satires. Defpréaux penfoit a peu prés de même , en employant a la vérité une exprefïïon moins amere. Racine, difoit-il , efl beaucoup plus malin que moi. 11 citoit en preuve du talent fupérieur de fon ami pour la fatire, ces beaux vers de Bajazet , oü 1'exprefïïon du mépris eft en même temps fi éloquente & lï énergique : L'imbécille Ibrahim, fans craindie fa naiffance , Traine , exempt de péril, une éternelle eufance; Indigne égatement de vivre & de mouiir, On 1'abaudoune aux raains qui daignent le nourrir. Une autre preuve moins équivoque du  de Boileau Despréaux. 141 caraclere fatirique de Racine , c'eft 1'Epigramme qu'il fit contre le Séfoftris de Longepierre , quoiqu'il n'ignorat pas que ce Poete , a la vérité tresmédiocre , lui donnoit hautement la préférence fur Corneille; ce qui pouvoit exiger de la part de Racine quelque reconnoiffance , ou du moin* quelque ménagement pour fon Panégyrifte. Ce malheurèux Longepierre., zélépartilan des grands Ecrivains de 1'Antiquité qu'il n'irnitoit guere, avoit le malneur de ne pbire ni a leurs partitans r.i a leurs détracleurs, & d'être en butte aux injures des uns ck des autres, On connoit 1'excellente Epigramme de Rouffeau contre lui, qui vaut bien mieux que celie de Racine. Le penchant de Racine a Ia fatire , "penchant que toute fa dévotion ne réprimoit pas , fit loupconner trés injuftement d'hypocrifie la piété de ce grand Poëte. De Ia le couplet contre lui inféré dans un Noël du iemps, ck qu'on attrjbue a Fontenelle ; Le célebre Racine April eux arriva ; D'une modelcs mine P'abord il s'écria ;  142. E L O G E Seigneur, de ces pécheurs détoume ta co'.ere! Ir fa dcvorion , don don, Chacun édifia , la la , Hors 1'enfant & la mere. Defpréaux , fi nous en croyons Racine le fis , avoit contribué a faire fentir a fon ami le danger des Epigrammes. II auroit donc pu lui dire comme Agamemnon a fa rille : 3e vous do.nne un confeil qu'a peine je re$ois. R ne pouvoit, ajoute Racine le fils, af yê^ admircr comment fon ami, que la Nature portoitaux plus fortes paffions, avoit toujours pu en modérer la violence ; ce qu'il attribuoit aux fentimens de religion dont Racine étoit pénétré. La raifon , difoit Defpréanx, conduit ordinairement les autres hommes d la foi, cefi la foi qui a conduit Racine d la ra/Jon. Elle auroit dü le conduire auffi a la bonté ; mais la médifance efl le pêché que les dévots fe permettent le plus, qu'ils regardent même quelquefois comme une ceuvre méritoire, ck prefque comme une vertu de leur état. » Ils vous prouveront, en cas de » befoin , dit Racine lui-même dans  de Boileau Despréaux. 143 » nne de fes lettres contre Port-Royal, » que la raillerie eft permife , que les » Peres ont ri , que Dieu même a » raillé «. l\oTE XXXI, relative a la page 7,5-, jur les louanges données j)ar DESPRÉAUX d Voiture. IjE goüt fi de'cide' & fi conftant que Defpréaux a marqué pour Voiture , eft une énigme pour ceux qui adoptent d'ailleurs fes autres jugemens , prefque toujours fi équitables. lis tachent de Texcufer en difant que ce fut nne erreur de fa jeunefTé , & que fon a\erfion pour le flyle déclamatoire & bourfouflé de Balzac , Tavoit fait plier en fens contraire en faveur du" gen re r oppofé, Mais fi Defpréaux étoit Tennemi de Tenflure , il ne 1 étoit pas moins de TafFetdation du bel efprit ; & on J'accufe de n'avoir jamais rétracdé les éloges qu'il avoit prodigués a un Auteur fi coupable de cette afteclation. 11 paroit cependant qu'il eut enfin  I 44 E L O G E quelques remords fur eet objet; on en trouve une efpece d'aveu dans le dernier de fes Oüv.rages , oü d dit en parlant de Xequivoque : te Lefteur ne fait plus admirer dans Voiture De ton froid jeu de mots 1'inhpide figure. Defpre'aux regrette en eet endroit les écarts oüd abus des pointes a entrainé ce charmant Auteur , & le tort que ce plat agrément a fait a fes divins Ouvrages ; mais cette demi-rétracdation , exprime'e d'ailleurs en vers afléz foibles , & oü 1 amour perce encore a travers les reproches, n a été publique que depuis la mort de I'Auteur, & n'a paru fuffifante , ni a fes ennemis, ni a fes amis même , pour réparer 1'efpece de fcandale qu'il avoit donné auv partifans du bon goüt par fes éloges outrés de Voiture. Cet Ecrivain , qui a tant cherché 1'efprit aux dépens du goüt , s'étoit déclaré hautement contre le flyle de Pline le jeune, a qui on a fait le même repróche. II femble qu'il auroit dü en être le plus zélé partifan. Quelle pouvoit être la caufe de sette étrange aver- fion l  de Boileau Despréaux. 145 fion ? Apparemment Timpoffibilité mortiiïante oü il fe trouvqit , d'égalej un Ecrivain qui avoit plus d'efprit fans ieffort que Voiture n'en avoit avec beaucoup de peine. C'eft ainfï que feu Réjmond de Saint-Mard , Auteur de quelques Ouvrages affez médiocres , oü il n'a été que le fïnge de Fontenelle , fe déchainoit contre fon modele avec une efpece d'acharnement & dans fa converfation & dans fes Ouvrages. Fontenelle difoit de lui, en riant de 1'amertume de fes cenfures : II efl perfuadé que je fuis venu tout expres de Rouen d Paris par le coche 4 avec le projet bien formè de corrompre le goüt. L'Académie Francoife avoit rendu a Voiture un hommage bien plus étrange que les éloges de Defpréaux, en lui faifant 1'honneur inoui de prendre le deuil a fa mort; honneur que n'ont recu d'elle ni Corneille, ni Racine, ni Boffuet , ni Defpréaux , ni Montefquieu, ni Voltaire, a qui même il ne lui a pas été permis de rendre , fuivant fon ufage, les derniers honneurs funebres. Quelle a pu être la caufe de lome III. G  t^6 E L O G E cette diftinclion fi furprenante , accordée aux manes d'un Ecrivain, aujourd'hni prefque oublié ? Etoit-ce la faveur dont on prétend qu'il jouiifoit a la Cour, & le défir de plaire a la Reine Anne d'Autriche qui 1'honoroit, dit-on, de fes bontés ? Etoit-ce 1'eftime profonde de 1'Académie pour les Ouvrages & les talens de Voiture l La moins mauvaife de ces deux raifonsfait peu d'honrieur a nos anciens Confrères (i). (i) Il eft très-poffible qu'après la mort de Louis XIII, 1'Académie ait eu de julles craintes d'être imaaolée a la bjaine de la Cour Sc de la Nation contre Richelieu , & que Voiture ait plus contribué a fa confervation que leChancelier Seguier, qui avoit alors a craindxe pour lui-même.  de Boïleau Despréaux. 147 note XXXII, relative d la page 77 , fur Vattachement de DESPRÉAUX pour les Ecrivains de Port-Rqyal. C^uELQUE dévoué que füt Defpréaux a ces Ecrivains illuftres, il n'adoptoit pas leurs opinions , même purement littêraires. II faifoit grand cas du célebre Auteur des Effais, qu'ils ont tant maltraité, & dont la philofophie vraie, énergique & profonde , nous a un peu refroidis fur la leur , fouvent corsmune, quelquefois exaltée, toujours verbeufe. Le Marquis de Sévigné, homme de heaucoupd'efprit &. de goüt, jugeoit avec unefévéritéphilofophiquedigne denotre Siècle , ces Ecrivains Janlënifles que tout le monde admiroit alors. » Pour » les Effais de rnorale, dit-il dans une » ïettre a fa mere , je vous demande » tres humblement pardon, fi je vous » dis que le Traité de la connoifjance » de foi-même me paroit diflillé, fo» phiftiqué, galimatias en quelques ea-  I4S É L O G E » droit? , & ïur-tout ennuyeux prefque » d'un bout a 1'autre pouvez-vous » mettre en comparaifon le ftyle de » Port-Royal avec celui de M. Pafcal 2 *> C'eft celui-la qui dégoüte de tous » les autres. M. Nicole met une quana> thé de belles paroles dans le fien ; » cela fatigue 6c fait mal a la fin : c'eft » comme quelqu'un qui mangeroit trop » deblano-manger; voila madécifion «. Et dans une autre lettre écrite a Madame de Grignan fa fceur : » Je vous » foutiens, lui dit il , que le premier » traité des Effais de morale de Ni» cole vous paroitroit tout comme a » moi, fi la Marans 6c 1'Abbé Teftu » ne vous avoient accoutumée aux cho» fes fines 6c diftillées..... De tout ce » qui a parlé de 1'homme 6t de 1'in» térieur de 1'homme, je n'ai rien vu » de moins agréabje ; 6c ce ne font » pas la de ces portraits oü tout le » monde fe reconnoit. M. Pafcal, la » Logique de Port-Royal, 6c Plutar» que 6c Montagne parient bien au» trement; celui-ci parle , paree qu'il i> veut parler , 6c fouvent il n'a pas » grand chofe a dire «. Ce jugement  de Boileau Despréaux. 149 eft fans doute trop rigoureux. Peutêtre même n'y a-t-il pas affez de jufteffe dans les reprocftes que M. de bévigné fait ici a I'Auteur des Effais de morale, chez qui on trouve plus d'ide'es communes , ck ddayées fouvent dans un ftyle un peu lacht, que d'idéesfines & diflillées. Mais le Marquis de Sëvrgné eft au moins louable d'avoir tu le courage de dire franchement ck. fortemem fon avis fur un Auteur 8e:vant lequel toute la France étoit profternée, dans un temps oü Montagna étoit regardé par la multitude avec une forte de mépris. Si tous ceux qui font faits cour juger imitoient ce courage, au rilque même de le tromper quelquefois dans leurs jugemens, la Philofophie 6k la Littérature feroient moins enfevelies fous une malle de préjugés qui les devorent. Le Marquis de Sëvigné n'étoit guere plus favorable aux opinionS théoiogiques des Ecrivains de Port-Royal , qd'admirateur de leur ftyle. V oici ce qu'il mande a Madame de Grignan au fujet du Livre de Saint Auguflin fur la prédeftination } qu'il lifoit a la G iij  150 E L O G E campagne avec fa mere ; Ouvrage ou les Janfénifies .prétendoient trouver leur doclrine. » II s'en faut encore » quelque chofe que nous ne foyons » convertfs ; c'eft que nous trouvons » les raifons des femi-Pélagiens fort » bonnes & fort fenfibles; & celles » de Saint Paul & de Saint Auguflin » fort ftvbtiles & dignes de 1'Abbë » Teflu. Nous ferions très-contens de » la Religion , fi ces deux Saints n'a» voient jamais e'crit •, nous n'avons » que ce petit embarras «. II faut pardonner a un homme du monde , peu Théologien , cette décifion fi légéremeiit hafardée.  de Boileau Despréaux. 152 NoTE XXXIII, relative d lapageyS, fur U rejpeél de notre Poëte pour le Docleur Arnaud, AL exprima fortement ce refpecd pat* fa re'ponfe franche & même un peu dure , au Pere Mallebranche , qui, lui p. riant de fa difpute avec Arnaud fur les idéés , prétendent que ce Docdeur ne 1'avoit jamais entendu. Eh ! man Pere , lui dit Defpréaux, qui donc vou~ le\-vous qui vous entende? Avec un peu plus de lumieres & un peu moins de prévemion pour fon ami , Defpréaux eüt avoué que dans cette difpute fi animée , mais fi vide & fi ténébreufe, les deux intrépides Métaphyficiens ne s'entendoient guere mieux 1'un que l'autte. Quand on pailoit au Docleur Arnaud de la beauté du génie du Pere Mallebranche : 'Tant pis, difoit-il ; deux voyageurs vont d Rome, Vun eft foible & d pied, Vautre vigoureux & bien monté; ils manquent tous deux le ckemm ; lequel croyefrvous qui s'égarera davdntage ? ' Le G iv  152 E L O G E Docdeur , dans fes fpe'culations théologiques & métaphyfiques, n'étoit-il pas auffi lui-mêrne ce voyageur bien monté & bien fourvoyé, qu'il ne voyoit que dans fon Adverfaire ? Le mot de Jurieu , fur le Pere Mallebranche , que le Verbe s'étoit fait Cartéfien fur fes vieux jours , eft rapporté avec éloge. L'a. 78 fur les querelles de despréaux avec les Jéfuües. j\. Foccafïon de XEpitre fur Tamcnir de Dieu, dont ces Peres avoient eiï la fottife de paroitre mécontens , un des Membres de la Société avoit fait une Epigramme , ou 1'on réduifoit aufTi malignement qu'injuflement le mérite de Defpréaux a n'ètre que le copifte' des Anciens L'Epigramme finiflök par ee trait plaifant , que pour Vamour de Defpréaux on voudroit bien qu Horace eüt traité de Vamour de Dieu.Defpréaux avoit répondit a cette Epigramme par une autre, dans laqueUe' il afluroit les Jéfuites qu'il n'avoit trouve fon Epitre für Tqmour de Dieu , ni dansHorace ni dans les Livres de la Societé. Ces attaques réciproques, lepithetede loups dévorans par laquelle Defpréaux avoit défigné affez clairement les Jéfuites dans 1'Epitapbe du Docdeur Arnaud la maniere aigre-douce dont ces Peres s'explicjuoient fur Defpréaux daas? G vjj  156 Ê L O G E leur Journal, 1 'éloge qu'il faifoit des Provinciales en toute occafion , en celebrant eet Ouvrage comme le mieux e'crit que la Langue Francoife eüt pro,duit jufqu'alors ; tous ces coups i;uii-> reeds & dérobés} donne's & recus de part & d'autre , entretenoient entre le Poëte & la Société une zizanie fourde, qui auroit fmi par une guerre déclarée, fi ïa Société n'eüt pas autant redouté les farcafmes du Poëte, que le Poéte pouvoit craindre le crédit de la Société. L'admiration de Defpréaux pour les Provinciales éclata fur-tout dans une difpute que Madame de Se'vigné raconte avec fes graces ordinaires , & que notre Poëte eut chez M. deLamoignon avec un Jéfuite qui accompagnott Bourdaloue. Une circonflance qui nous paroit bien remarquable dans ce récit, quoiqu'elle ait échappé a Madame de Sévigné , c'ell la prudente ck politique taciturnité du célebre Prédicateur, qui, tour intéreffé qu'il étoit, comme Jéfuite, h décrier Pafcal & a foutenir fon Confrère , loua mieux en cette occafion les Provinciales par fon fi'ence , que Defpréaux par fon enthoufiafme.  de Boileau Despréaux. 157 Dans nne autre occafion, le P. Boubours , s'entretenant avec Defpréaux fur la difficulté de bien écrire en francois , lui nomina ceux de nos Ecrivains qu il regardoit comme des modeles. Defpréaux les rejetoit tous. Mals^ quel Ecrivain lirons-nous donc , lui difoit 'e Pere Bouhours ? Mon Pere , répondit Defpréaux, croye^mol, 11jons les Provinciales, & ne llfons pas d autre Livre. Boffuet faifoit a eet Ouvrage le même honneur que Defpréaux. Voyez plus haut les notes fur 1'éloge de Boffuet. Ce grand Poëte , las de querelles fur la fin de fa vie , & ne voulant plus que la paix , la fit fans exception avec les Jéfuites , grands & petits : Vous pourre*, écrivoit-il a Broffette , affurer Mefjienrs les Jéfuites de Lyon „ que je riécrirai plus rien contre perfonne de leur Compagnie , dans laquelle, quoique trés attaché d la mémoire de M. Arnaud , jat toujours tu des arnls Itluftres. Je rial pas eu de peine, difoit-il dans une autre lettre, d donner les mams a mon accommodement avec les Journallftes de Trévoux : Aupurd'hui vieux licn, je fuis doux & traitable.  158 Éloge Les Journalides , Prètres & Reb'gieuxT ne furent pas auffi fideles que le Poëte au traité de paix , & continuerent a ïui lancer quelques traits enveloppé? ck fréquens, qu'il prit enfin le part» d ignorer pour achever en repos ce qui lui reftoit de jours a vivre. Defpréaux n'auroit peut-être jamaisdü faire a ces journaliftes d'autre réponfe que celie du Préfident de Montefq uieu dans une circonflance a peu pres femblable. On a entendu raconter plus d'une fois a ce Philofophe la vengeance plaifante qu'il avoit tirée du Jéfuite Tournemine , qui le harceloit fans ceiTé dans ce même Journal de Trévoux , defliné de tout ternps, comme 1'on voit, a rendre jufiice aux grands Hojnmes. Ce Jéfuite étoit fort vain , &. croyoit toute Ia terre occupée de fon mérite. Le Préfident de Montefquieu alla trouver le Pere Caftel , autre Jéfuite , mais dont il étoit ami. Dites-moi, je vous prie , lui demandat-il, qui efl un Pere Tournemine dont en nia parlé? Je ne le connois pas ; Ti efl il pas Jacobin ? Comment, répondit le Pere Ca/lel, vous ne connoifJe^pas notre Pere Tournemine, qui efl  de BcriEAu Despréaux. 15-9 fi favant, fi célebre, qui a tant écrit contre vous? ... Vous m'apprene^ tout cela , dit le Préfident. II s'attendok bien que cette converfation feroit rendue au Pere Tournemine, qui finit patIe lailfer en repos. Bourdaloue faifoit un jour , en préfence de Defpréaux , quelques plnifanteries un peu triviales , quelques Epigrammes de Moine & de Prêtre fur la prétendue folie qVon reproche aux. Poëtes. Je fais, mon Pere, lui répondit Defpréaux, tout ce qu'on dit d'ingétiieux a ce fujet; mais fi vous voule^ venir avec moi aux Petites-Maifons , je m'ojfre de- vous y fournir dixPrédicateurs contre un Poëte ; & vous ne verrei^ d toutes les loges que des mains qui fortent des fine tres, & qui dtvijent hurs difcours en' trois points. Cette manie dé divifer toujours ainfi les Sermons, & celie de mettre a la tête un texte fur lequel tout le difcours efl corapaffé, étoit regardée par Defpréaux comme un rede de la barbarie des fiecles d'ignorance. Un Tbéologien de nos jours, Ecrivain d'adleurs trés-orthodoxe, & dont le témoignagef ar confëquent ne peut être fulpecl „  i6o Éloge s'eft élevé contre eet ufage gothiqoe dans fes Réflexions fur Vtloquence de la chaire. Cependant, qui croiroit qu'on a fait, il y a quelques années , un grand erime a un Orateur , homme d'efprit , qui prêchoit devant 1'Acadénfe Francoife le Panégyrique deSamt Louis, de n'avoir point mis de texte a ce Panégyrique l 11 eft vrai que plufieurs auditeurs avoient été fort fcandalifés d'une fi terrible inhövation. N'ejlii pas étrange , difoit entre autres un vieux Prêtre avec la plus profonde douleur , de faire un Sermon oü il rfy a pas feulernenc un mot de latm ? Un Jéfuite nornmé Romeville, grand faifeur de miracles dans quelques villages , & bientot oublié comme tant d autres de fes pareils y opéroit des prodiges dans un coin du Dauphiné. Quelques fots diloient, fai ouïdire , & qui que ce fut n'ofoit dire, fai vu. Quoique la renommée de ce Thaumaturge ne pafsat guere deux ou trois lieues, Broffette s'avifa d'en écrire a Defpréaux. » Je ne fais, répondit le Poëte , fi ce » graiid Saint a reffufcité des morts, » ce qui eft a mon avis la vraie pierre » de touche des hommes a miracles ;  DE BoiLEAU DeSPP.ÊAUX. l6t » mais Ie plus grand qu'il püt faire » pour moi, ce ieroit de convenir que » M. Arnaud eft Ie plus grand per» fonnage qui ait paru depuis long» temps dnns l Eglife , &dedéfavouer » les exéerables maximes de tous leurs » nouveaux Cafuiftes; alors je lui crie» rois : tiofanna ' au plus hout des » Cicux i béiti Joh celui qui vient au » nom du Seigneur « / (r) Defpréaux obfervoit avec raifon , que les faux Thaumaturges avoient très-rarement tenté t'opération critique de la réfurreclion des morts. Quelquesuns n^anmoins , difoit-il, en ont eu Ia hardieffe, entre autres Ie fameux Apolionius de Tlryane , qui , fï nous en croyons fes Hiftoriens , reillifcita publiquement aux yeux de toute Ia vilfe de Rome , du temps de Néron , une jeune dl ie qu'on po-teit en terre. Mais les Hiftoriens eccléfir.ftiques, ajoutoit Defpréaux , ont foin de nous avertir (ce qui n'eft pas difficile a croire ) que cette jeune file n'étoit pas morte, ("O Nous tenons les rnecdcwes fuivantes , cjui font horneur i>. Defpréaux , de feu M. Fa£connet qui l'avoit fort coequ.  Éloge qu'elle étoit feulement évanouie; qu'il fortoit encore de fon vifage une légere vapeur, & qu'au moment oü Apollonius la reffufcita , il tomböit une rofée qui fans doute la fit revenir de 1'étaC de pamoifon oü elle étoit. Un proclige plus didïcile encore que la réfurrection , difoit auffi notre Poëte , & par cette raifon plus rare dans 1'Idiftoire des fiux miracles , c'eft celui de remettre les membres coupés. Le peu de goüt de ce grand Poëte pour les Jéfuites s'êtendoit fur tous les Moines , auxquels il n'épargnoit pas les farcafmes dans 1'occafion. Ayant paffe a Citeaux , il y fut très-bien recu par les liabitans de cette riche Abbaye , qui lui firent voir tout leur convent. L'un d eux le pria de leur montrer le lieu oü logeoit la Mollelfe , comme il 1'avoit dit dans fon Lutrin. Montre^-ta moi vous meines, mes Peres , leur répondttil, car cefl vous qui La tene^ cachée avec grand join (t). (i) On raconte que Ic Po'e're Santeuil, bien connu par plufieurs traits d'extravagancè , fc trouvant a Citeaux , pria auffi les Moines de lui montrer eet appartement de laMolkffe , fi bien  de Boileau Despréaux. i6> Note XXXV , relative d la page 83 , fur quelques Ouvrages très-foibles de Despréaux , & trhchéris de leur pere. IL' ennuyeuse & trifte Epitre fur 1' Amour de Dieu , que les feuls Janfénides lifent encore aujourd'hui, & qui par conféquent a bien peu de Lecteurs , e'toit pourtant un des Ouvrages que Defpréaux affecf ionnoit le plus , ainfï que la Satire fur Y Equivoque , enfant foible & chéri de la vieilleffe d'un grand Poëte. II mettoit ces deux fruits informes & languiffans de fa verve au nombre de fes meilleures producdions. Ce n'eft pas Jout- a-fait la place que le Public leur a donnée. 11 chériffoit fur tout fi tendrement la Satire fur YEquivoque , oü la morale des Jéfuites étoit encore indireclement attaquée , qu'ayant recu une défenfe du Hoifollicitée par ces Peres, d'in- décrit par Defpréaux. Vous y êtes , lui répondit un Moir.e , mais la Mollefe ny efl plus ; s'eft en cc moment la Folie qui l'habite.  164 Éloge férer cette Satire dans une ëdition qu'il pre'paroit de fes (Euvres, il aima mieux abanaonner fon édition que de la priver d'un tel ornement. 11 n'affecdionnoit guere moins la Satire fur les Femrnes , que la critique & le goüt font bien éloignés de ranger parmiies chefd'ceuvres de I'Auteur. On prétend que cette Satire contre les femmes fut de la part de Defpre'aux un ouvrage de dépit : un Moufquetaire , dit-on , lui enleva dans fa jeuneffe une maïtrefTê qu'il croyoit aimer , & qu'il vouioit époufer (1). II ne le pardonna jamais aux femmes ; & s'oubiia jufqu'a dire dans !a Satire contre elles, en parlant des femmes bonnêtes & vertueufes : Dans Paris, il eft vrai, & je fais bien compter, II en eft j ifqu'i trois que je pourrois citer. (1) Racine le fils prétend que Defprcjux n'a jam.:is cu de maicrel'e , Sc n'avoit de fa vie fongé aa mariage : en ajoute que les mór'fjirts d'un coq qu'i! eiTuya dans fon eiift.n-.-e 1'avoient mis hors d'état d'y fonger jamais. (Voyez le choix des anciens Mer«ires,Tome LXXXV, p. 69). Cette anecdote , vraie 01 fjufle , fut apparemment ignorée des ennemis achafjnés & nombreux que le Satirique s'étoit faits. Ilsa-voient-laun fujet d'Epigramrue bien précieux pour leur vengeance.  de Boileau Despréaux. 165 a la rigueur , ajoutoit-il , il y en a peut-ét re davantage. Quoi qu'il en foit de la fineffe de cette plaifanterie , il eut grand foin , dans la Satire dont nous parions, de mettre iMadame de Maintenon a la tête de ces trois prodiges de leur fexe. II laiffa a deviner les deux autres. Cependant , malgré les mefures qu'il avoit prifes pour affurer a fon Ouvrage une protecfion fi puidante, le déchainement contre cette Satire fut fi violent & fi général, que tout aguerri qu'il étoit aux critiques ck aux injures , il fut abattu ck prefque découragé des traits qui pleuvoient fur lui de toutes parts. Racine le confoloit de fon mieux. RaJJure^-vous, lui diloitril , vous ave^ attaqué un corps trés nombreux , & qui riejl que langues , forage paffera. L'orage a paifé en eifet; mais le calme qui a iuccédé n'a pas relevé 1'Ouvrage , ck. la Satire contre les femmes efl: reflée marquée (fi nous ofons parler ainfi) des coups violens qu'elle avoit elfuyés dans fa naüTance. Ce même Racine, qui rendoit quelquefois a Defpréaux les confeiis utiles qu'il en recevoit, lui avoit fait öter  ï66 Éloge de la Satire contre les femmes une vingtaine de vers, bien fairs a la vérité , mais dégoütans par la peinture hideufe de la Lieutenante-Criminelle Tardieu, célebre ainfï que fon mari par fon infame avarice. Après la mort de Racine , 1'amour paternel reprit le deffus , & les vers furent rétablis. Mais fi les traits que I'Auteur a lancés dans la Satire contre les femmes ne font pas toujours délicats & de bon goüt, 1'Öuvrage eft au moins la preuve louable, & aflez rare dans un Poëte, de 1'auftérité de fa morale. Un Philofophe fe félicitoit en mourant de n'avoir jamais donné de ridicule a la plus petite vertu ; 8c Defpréaux , de ri avoir jamais ojfenfé les maurs. Heureux j dit Racine le rils, s'il avoit pu ajouter, & de ri avoir jamais ojfenfë perfonne ! Sa louable févérité fur les moeurs, dans fa conduite & dans fes écrits, 1'a fait furnommer le chafle; éloge qu'il partage avec Virgile ; auffi a-t-il dit de lui-mème : Mais pour moi, dont le front rap aifément rougit, II lui étoit pourant échappé, en parlant  de Boileau Despréaux. i67 de Regnier dans fon Art Poétique, deux vers oü fe trouvoit une expreffion malhonnête , & qu'il corrigea parfaitement en cette forte : Heureux, fi fes cïifcours, craints rlu chafte I.cöeur , Ne ie fentoicnt des lieux que fréqueuroit 1'Aureur! On pre'tend que ces deux vers lui farent donnés par le Docdeur Arnaud; que ce font les feuls que ce Théologien aufiere air jamais faits; que Defpréaux vouloit lui en faire honneur dans une note, & que le modefte ou timide Docdeur n'y voulut jamais confentir. Si ce fait eft auffi vrai qu'il paroit difncile a croire, Arnaud auroit eu le mérite, non feulement de faire deux bons vers (i), mérite affez rare quand on n'en a jamais fait d'autres mais d'attrapper dans ces deux vers la maniere de Defpréaux, & de lui avoir comme emprunté fon cachet dont ijs portent 1'empreinte. (i) Un ancien Académicien, Doéteur com«ie Arnaud , & Curé de Sainc-Barthélemi , 1'Abbé de Ia Chambrc , n'avoit, dit-on, fait .qu'un feul vers en toute fa vie ; il fit confidence de ce vers a Defpréaux , qui lui répon» «lit: Ah , que U rime en cjl belle l  ,168 Éloge On peut être étonné que le fe'vere Docdeur n'ait pas fait a fon ami quelques reprefentations fur cl autres vers, oü le Poëte fait une peinture énergique & peu édifiante , des tentations auxquelles un folitaire fainéant eft expofé; peinture qui, en préfentant 1'idée Ia plus balfe & la plus obfcene . femble faite pour infpirer le mépris d un état que la Religiën fancdilïe : Dans ïe calme odieux de fafombre pareffe, Cous les honteux plaifirs, enfans de la MoHeffe , Ufurpant fur fon rme un abfclu pouvoir, De monftrueux délus le viennent émouvoir , ïrritent de fes fens la fureur endormie , Et le font le jouet de leur trifte infamie. L'indulgence un peufurprenante que le Docdeur Janfénide eut pour ces vers, eft peut-être expliquée par un endroit de fa lettre a Perrault, oü défendant d'autres vers de fon ami , alfez femblables a ceux qu'on vient de citer , il prétend que ces fortes de penfe'es, revètiies de termes honnetes, ne préJèntera proprement rien a Vimagination j mais feulement d Vefprit, afin d'infpirer de Caverfon pour la chofe dont on parle ; cequi, bien loin de porter au  de Boileau Despréaux. i69 au vree, efl un puiffani m0jen d'en detcurner. Nous n'avons I'honneur d eP ™ hn{éniÜ€s > ni Docdeurs , ni Cafuides; mais nous croyons au'avec de tels principes , on jüftifieroir des Ouvrages trèsdicencieux; & nousfoupconnons qu'Arnaud auroit été moins complaifant, fi les vers qu'on vient de lire euffênt été d'un Jéfuite. Defpréaux s'applaudiffoit auffi beaucoup de quatre autres vers qui font a peu prés fur ie même fujet; il ne croyoit pas, difoitdl, avoir jamais fait quatre vers plus fonores; il fe favoit bon gré fur-tout d'avoir ofé y faire entrer, fans bleffer Ja décence , le mot un peu libre de lubricité. Ces vers fe trouvoient dans fon Epigramme aux Journaliftes de 1 révoux, furl'extrait fatirique qu'ils avoientfaitde 1'Hiftoire des Flagellant du Docdeur Boileau fon frere. Ü coinbat vivement Ia fauffe pifté Qui fous couleur d'éteindre en nous la volupté, Par 1'auflérité même & par la pénitence, Sait allumer le feu de la lubricité. Le Poëte , quand il fit ces derniers vers ne put les foumettre a la cenfure de Ion oracle Arnaud qui riexiltoit lome IJl. ]-[  17O É jl O G E plus. Mals on ne doute pas que des vers faits contre le Journal de Tré- voux n euffent trouve grace devant ce Poffteur. Note XXXVI, relative a la p. 83 , fur Ventrée de DESPRÉAUX dans VAcadémie Franpoife. "Jij o UiS XIV s'étoit fait une loi bieit digne de lui , & bien pre'cieufe pour la hberté des e'lecdions, de ne jamais indiquer a la Compagnie les Membres gu'elle devoit choifir; il défiroit néanr róoins qu'el.'e jetat les yeux fur' Defpréaux , mais il s'abdenoit de le tér moigner. Defpréaux fe trouva en concurrence avec La Fontaine , dont le rare talent ck la bonhomie obtinrent la pluralité des fuffrages. Le Roi differa d'approuver Téleclion de La Fontaine , en apparence par le fcrupule gue lui donnoient les Contes obfcenes pont ce Poëte étoit coupable , mais en effct paree qu'il eut mieux aimé qu'on eüt choifi Defpréaux. L'Académie , qui devina le vrai motif des jfcru-  de Boileau Despréaux. 171 pules du Monarque , nomma Defpréaux bientöt après ; & le Roi, en approuvant beaucoup fon éltcdion , confentit aufli a celie de La Fontaine. Ce qui doit paroitre fingulier, c'eft que, malgré le redëntiment que devoient avoir contre ce grand Satirique plufieurs Académiciens griévement offenfés dans fes Ecrits, il neut pas une feule boule noire. Ses ennemis craignirent de faire mal leur cour en marquant un deflein formé de 1'exclure; q.uelques-uns d'entre eux fe bornerent a lui refufer leur furfrage dans le fcrutin des billets, ce qui fignifioit feulement qu'ils lui en préféroient d'autres, mais non qu'ils s'oppofoient a fon élection. Ils ne crurent pas devoir poulfer la liberté plus loin ; & .pes mêmes hommes qui donnerent a La Fomaina fept boules d'exclufion pour fes Contes, & pas une feule a Defpréaux pour fes Satires, firent voir par ce trait de prudence , dit un Courtifan amer & cauftique , qu'ils avoient été élevés dans Ia craïnte de Dieu , & fur-tout dans La craïnte du Roi. Un Académicien , pour fe foulager de la violence qu'il s'étoit fiute en Hij  172 Éloge confentant a 1 eleóiion de Defpréaux , fit 1'Epigramme fuivante contre fon Difcours de réception : Boileau nous dit dans fon Ecric Qu'il n'eft pas né pour I'éloquence; II ne dir pas ce qu'il en penfe, Mais je penfe ce qu'il en dit. II eut été plus jufle de compatir k ï'embarras du Récipiendaire pour louer tant d'hommes qu'il avoit maltraités , 6c de fentirque, dans cette circondance épineufe, I'éloquence n'eüt été guere de faifon. L'Orateur en avoit moins befoin que èiajluce, mais a la vérité d'une aduce délicate & légere , pour échapper au défilé oü il fe trouvoit, &l dont il ne fe tira pas fort haureufement. S^n Difcours n'étoit qu'un tidü de farcafrnes mal déguifés, qui déplurent a fes Confrères 6c ne plurenï guere jj fes Auditeurs.  i>e Boileau Despréaux. \yj NOTE XXXVII, relative a la page 84, fur les traits de gênérofité de DesPRÉAUXi AprÈS la mort de Colbert , Ia penfion qu'il avoit fait donner a Corneille fut fupprimée , quoique ce grand Homme fut pauvre, agé , malade & ir;ourant. Defpréaux courut chez le Roi pour 1'engager a rétablir cette penflón ; il offrit le facrifice de celie dont il jouiifoit lui-mème , difant qu'il ne pouvoit fans lionte* recevoir une penfion de Sa Majedé , tandis qu'un bomme tel que Corneille en étoit privé. Le Roi envoya deux cents jouis a Corneille , & ce fut un pan nt de Defpréaux qui lesporta. Les Jéfuites nierent eet acde de bier,fa;fance du Poëte , (Sc 1'attribuerent au Pere de la Cfiaifé ; mais ils font les feuls qui en aient fait honneur a leur Confrère. Le témoignage de Bourfault, qui rapporte Ie fait dans fes lettres , & qui n'aimoit pas Defpréaux, fuffit pour les réfuter. On connoit affez ie trait de définHiij  174 E L O G E téreiTement de ce grand Poëte ril egard dé Patrü, dont il acheta la Bibïiötheque en lui en lanTant fufage jufqua la mort. Ses ennemis lui ont reproché, car des. ennemis ont 1'oeil a tout, d'avoir gaté ce trait de Idenfaifancc par cette efpcce d'Epigiamme : 11 ne m« r«r.f)it jjmals rim i Mais cjuolqp'B nic teut (m\ Men, Saus pei-ie H l. ullï ••. »xi prèfcDCr; O la rare Wca.-ioiifuKc f Cette Epigramme n'eft qu'un trait ge'néral eoiUre lei ingratt, & ne regarde point Patri! , dont Defpréaux refta 1'ami après 1'avoir obligé. Dans une autre occafion, Defpréaux, qu'on accufoit d'être avare, rendittous les revenus d'un bénéfice qu'il avoit poifédé pendant huit ans , & dont il n'avoit pas acquitté les devoirs. Ce lacrifice, il eft vrai, eft autant un trait de fcrupule que de défintéreïTement • raais un avare n'auroit point de pareils fcrupules. Le procédé noble de Defpréaux a 1'égard de Patru, prouvë de plus qu'il étoit capable d'amitié. II mérituit meme  de Boiléaü Despréaux. 175 d'infpirer ce fentirnent par le prix qu'il y mettoit; car 1'amitie' le flattoit encore plus que les louanges. Ne croye^ pas, e'crivoit-il a fon amiBroffette, que je rejfemble a ce Sextus plein de vd~ nité, cï qui Martial écrivoit : Vis te , Sexte , colt; volebam amare (1). II traitoit ne'anmoins affez durement ce Broffette même , fon admirateur ze'lé , & depuis fon Commentateur. Cet enthoufialle de Defpréaux , au mi'ieu des louanges dont il 1'accaLdoit, hafardoit quelquefois de lui faire de légeres critiques qui n'étoient pas dietécS pour 1'ordinaire par un goüt fort éclairé. Le Poëte lui répondoit avec une dureté magiftrale, qui, loin de rebuter cet ami, ne faifoit qu'augmenter fon dévouement & fon culte (2). (1) Vous voulcz tics refpects, je vou'.ois vous aimer. ou fi 1'on vcut applicjucr ici un vers connu : Vous parlez. de refpeft, quand je parle d'amour. (ï) Un trait de ce pauvre Broffette fuffira pour le juger. Il perdit une femme qu'il aimoit beaucoup ; fa douleur lui fuggéra de faire tirer du cerveau de cette perfonne dictie, la Hiv  176 Éloge note XXXVIII, relative a la Page g5 > fur fentimens reügieux de Despréaux. JL E refpecd de Defpréaux pour fa Rehgion I'emportoit , & c'eft beaucoup dire , fur celui qu'il avoit pour les Anciens; car pour judifier le vers contre Socrate , qui avoit mis M. eiMadame Dacier de ft mauvaife humeur (1) , il difoit n'avoir pas trouve' de plus grande victime a immöler au Chriflianifme, que le Héros de la Philofophie païenne. Ses Ecrits retracent par-tout les fentimens pieux dont il étoit animé y il en vouloit fur-tont a ces hommes qui, comme il le difoit, s'imagineat ne pas croire en Dieu , 6» font faits pour croire aux revenans grande qu'on nomrhe pintah , & oü Dcfèartcs s'eft avi!c! de pfeccr te fie^e de fame; f[ fa encbalfer certe glarnk dans Ie ciiatcn d'tinc bague dor qu'il porra depuis toujours a fai dotgt. (i) Voyez Ia Note XXIX.  du Boilf.au Despréaux. \jy & aux Légendes: en un mot, qui s afficbant pour incrédules, bien plus par vanité que par conviclion , méritenc d'être immolés a la rifée même ie ceux qui profefferoient la même incrédulité de bonne foi & par principes. Cependant, en chercliant a tourner en ridicule les efprits forts * prétention , il étoit arrivé a Defpréaux , foit fatalité , foii inattention poétique , de prc'feiUer leurs affertions impies fous une efpece de jour équivoque , .qui fembloit compromettre nos Myfleres , & qui auroit rendu fa bonne foi fufpecle, fi elle avoit pu 1'être. Ceux de tous fes vers qui prêtoient Ie plus au fcandale fur cet article délicat, fe trouvoient dans un endroit de la douzieme Satire, oü, en parlant de l Arianifme, il difoit a YJLquivoque : Tu fis dins une guerre & fï rulle & fi'ongue, 1'éiir tant de Ciircciens , manyrs d'une diplxongue, On fait en effet que- deux mots qui ne différoient que par une diphtongue,mais auxquels la décifion infailllble de 1'Eglife attachoit deux fens très-différertSj faifoient toute la querelle des H v  i78 Éloge Ariens & des Catholiques (ï). Defpréaux fentit que ce trait , martyrs d'une diphtongue, fembloit jet*r un ridicule égal fur Ia bonne & fur la mauvaife caufe; & il fe hata de corriger cette exprefïïon mal-adroitement plaifante. Que de clameurs n'eütelie pas excitées corrtre Defpréaux , s'i! eut vécu dans notre fiecle, oü Dieu, qui fouvent a de fi fots ennemis y canrrme le difoit notre Poëte , a quelquefois aufïi de fots défenjeurs ; dans ce fiecle de fanatifme hypocrite , auffi bien que de fanatifme irréligieux, oü 1'impirta- ^ (O Les Catholiques vouloient q.'ie le Verbc fut komooufws to Patri , confubftantiel au Pere; c'eft-a-dire , de la même fubSa-ticf,; & les Ariens, qu'il fut feulcment hamoictJios, d'ure fubffance femblabie. Les Théofoafens txpliquent la différence de tes deux mors avec toute la clarté do:;t la matierc eft fufceptible. Cette d'vcrfiré d'expreffions qui p.éfentent en apparence te même fens a des hommes peu initruks, n'eft nullement indifférente a ta précifion du langage orthodoxe. Pour en donner encore un autie exemple non moins rem af qu.". bic 3 c'eft une héréfie de dire que Ia grace efïïcace produit nécejfjiremtnt fon efFet , & c'eft une exprelfion trè^ catholique de diic tju'elle le produit infaiilivlement. •  de Boileau Despréaux. 179 tion calomnieufe d'impiéré efl prefque auffi commune que l'impiélé même ; dans ce fiecle enfin oü le terrible nom de Philofophe pénetre cl'effroï tant d'ames timorées , & tranfporte d'une efpece de fureur épidêmique tant de Prédicateurs éloquens? Ces d;ux vers, hafardés de nos jours , auroient fulfi pour perdre celui de tous nos Poëtes qui a rendu au Chridnnifine les hommages les plus courageux & les plus e'clatans. Puiife cette réflexion infpirer quelques fcrupules a ces hommes plus remp'is d'amertume que de zele , qui, fur des expreffions beaucoup moins faites pour les alarmer , accufent fi le'gérement d'irréligion les Ecrivains les plus circonfpecls & les plus fages! Nous ne leur dirons pas : I>.' cet excrnpte-ci refTouvenez-veus bisd ; Et quaud vou-, vetriez tout, ne croyez jamais ri»u. ais nous leur dirons avec Ie plus refpecfable de tous lesMaitres, avec celui dont ils devroient pratiquer Ia morale en affeclant de prècher fa doclrine : Ne jugei point , afin que vous nt foye^ point jugés. H vj  ïSo Éloge Defpréaux avoit dit encore , dans fa première Satire, en parlant d un Incrédule : • • • ■ V.t riant ... da fentirnent commun , trêche que trois font tiois, & ne font jamais un..... & un peu plus bas : Peur moi qui fuis p'.us (ïmple , Sc que I'enfcr étonne;.» & dans la Satire VIII, en parlant des fuperfiitieux , on les voit, difoit-il; De fantömes en l'air combatrre leurs d;5rs» Et de vains argumens cbicaner leurs plaifirs. Son ami & fon oracle Arnaud lui fit ebanger ces derniers vers : Oce^ cela , lui dit-il ; vous plaire^ a quelques lïbertins , 6* vous perdrei? d honnêtes gens qui vous liroient.W étoit en effet difficile pour ceiix qui ne connoiffoienï pas Defpréaux , de reconnortre dans ces manieres de s'exprimer un Chrétien auffi fincere qu'il 1'étoit réellement, & qu'il défiroit de lè paroitre. Ce n'eft pas feulement dans les Ouvrages de ce grand Poëte, que nos Cenfeurs , fi ctiatoürlle*ix au fcandale, trouyeroieat matiere a leursifcrupule*-  de Boileau Despréaux. \9s fes critiques ; le bon La Fontaine, cet Ecrivain fi fimple , 6c, en apparence bien moins philofophe encore que Defpréaux, quoiqu'il le füt peut-être davantage , leur orfriroit de bien plus férieux objets de reprochs. Qu'on life fa Fable intitulée : Les deux Rats^le Renard & LGEuf; on y verra 1'embarras du Poëte pour donner une ame aux bêtes, qui ne foit pourtant pas celie de 1'hemme ; on lira , nous l'ofons dire , avec quelque furprife , les affertions très-peu orthodoxe? par lefquelles il fe ttre de cette difficulté,. bien digne en effet d'être réfolue ; on y trouvera une philofophie bien étrange pour les Philofophes, ck bien mal-fonnante pour les Théologiens, par la forte teinte qu'ils y appercevront de ce matériaüjme fi dangereux , qu'on veut voir aujourd'hui par-tout, & qu'on Jubodore même oü il n'ed pas. Cependant on réimprime tous les jours ces; vers de La Fontaine , ck la Critique. ne dit mot ! Seroit-il pofïible qu'elle. fit moins d'attention. aux choles qu'aux perfonnes , ck aux Auteurs qu'aux Ecrits l Les mêmes hommes qui lailferent en paix Defpréaux & La Foa-  iSa Éloge taine , perfécuterent Molière , paree quils le foupconnoient apparemivu nt d avoir mis plus d'intention a ce qu'il pouvoit y avoir d'équivoque dans fes Ouvrages : auffi n'ofa-t-il laiffier fubMer , dans Ia Comédie du Fejlin de Piene , le mot de Dom Juan d un pauvre qui lui demande 1'aumóne pour l amour de Dieu : Je te la donne , lui dit il , pour Uamour de Vhumaaité. Corneille , qui pourtant n'étoit pas auffi fufpecl que Molière aux hommes fcrupuleux , n'attendit pas non plus leurs clarneurs pour efFacer de la Tragédie de Polyeucle, ce que difoit Sévere a fon confident fur les différentes Religions : P«ut-êrre qu'après tout ces croyancej pnbüques Ne font qu'inventions de fages politiques, Pourco.Kenir un Veaple , ou bien pour 1'émouvoir , £t deffiis fa foiblefTe affirmir leur pouvoit. Un Poëte qui oferoit hafarder aujourd'hui le trait de Molière & les vers de Corneille , n'en feroit pas quitte pour les fupprimer, fur-tout s'il étoit foupconné , bien ou mal a propos, de quelque penchant a la liberté de penfer. Si les ennemis de Defpréaux lui  »E BbïXEAU DeSERÉAUX. ïSj épargnerent le reproche d'impiété , ils faifirent un autre moyen , peut être plus efïïcace , de foulever le Clergé contre lui; ce vers du Lutrin leur doiïnoit beau jeu : Abuvtez tout plutót, c'eiV 1'efprit de llgfife. Mais XEgllfi entendit la plaifanterie & s'épargna le ridicule de la releven. Defp reaux la calma fans peine , en 1 affurant que dans ce vers il ensendoit par l'Fglife , » non ce Corps relpec» table de Pafleurs éc.'airés & ver» tueux , qui conferve & défend le' » pre'cieux dépot de la Foi; mak cette » troupe fubalterne & malheureufe» ment trop nombreufe de Minidres » ignorans ckcalomniateurj, quine font » pas plus 1 Eglife , que le parterre de » la Foire n'eft le Public «. Les hommages que Defpréaux ren>doit a la Religion , quoiqu'ils fufïënt auffi libres que finceres , n'étoient ni aveugles, nioutrés, ni minutieux. Tout perfuadé qu'il étoit de la force des preuves qui fervent de bafe au Chriftianifme , il n'approuvoit pas celles, que le favant Huet en avoit données dans fa Démonjlration éyangélique Je  184 Éloge netrouve, difoit-il naïvernent, rien de deniontre' dans cet Ouvragt, que la grande éruditïon de VAuteur. Ha exprime' de la maniere la plus énergique fa jufte horreur pour le fanatifme religieux , lorfqu'en pre'fentant 1'affreux tableau du fang que ce fanatifme a fait répandre , il peint 1'orthodoxe même : Ayeugle en fa fureur, Croyant, pour venger Dieu de fes fiers ennemis, Tour ce que Dieu défend , légitime Sc permis , Ir fans dilliuaion , dans tout fein hérétique , Plein de joie , enfoncant un poignard carboüqus. Voila encore un poignard eatkolique qui eüt difficilement trouve grace auprès des Déclamateurs de nos jours, Auffi grands Juges en expreflions poêtiques qu'en morale chrétienne , ils euffent relevé avec une fainte aigreur cette épithete malheureufement°trop vraie , en fe monrrant d'ailleurspieufement ïndulgens furle poignard menie,  de Boileau Despréaux. ïff NOTE XXXIX, relative a la page 89 ,fur les Satires de DESPRÉAUX. Ij E S amis de Defpréaux lui ayant repréfenté , dit-on , que le nom de Cotin étoit trop répété dans la neuvieme Satire, I'Auteur leur répondit, il faut voir; je confens d'óter tout ce qui fera de trop,- On s'alfemb'a , on Iut la Satire toute entiere ;' mais ert?' trouva par-tout le nom de Cotin ü bien placé , qu'on opina a le laider par-tout. Ce fait , s'il efl: vrai , prouveroit fetdement q*ue la répétition rï fréquente du nom de Cotin dans cette Satire, pouvoit avoir quelque fel dans un temps oü ce nom é;oit devenu vaudeville , paree que le cbaritable Public , qui voyoit tous les jours Cotin, aimoit a s'en moquer ; mais dans notre Siècle , pour lequel Cotin eft fi bien mort , la répétition eft devenue un peu Taflidieufe. Ceux.qui écrivent des Satires, même avec le plus de talent » en feroient dégoütés bientöt, s'ils pouvoient voir combien elles deviermenï  iSfJ E L O G E indifferentes au PuLlic quand le moment en ed paffé , quand le premier befoin de la ma'ignité ed fatisfait. Racine, Corneille, Molière, &c. ont éte' accablés de leur "temps par des volumes de fatires ; qui eft-ce qui en connoit aujourd'hui une feu'e ? Celles que Defpréaux lui-même a écrites n'auroient plus guere de Lecteurs , fi les farcafmes contre Chapelain & Cotin en faifoient toute la fubffance , & fi I'Auteur n'avoit fu racbeter la monotonie de ces farcafmes, en les faifant fervir comme de cadre a d'excellens principes de goüt, embellis par la plus élégante vernfication. Defp réaux , quefquefois injufle pour ceux qu'il cenfuroit , avoit auffi !e courage & 1'équité de leur rendre fouvertt juflice. II a donné des éïoges a une Ode de Chapelain & a quelques vers de Perrault. 11 accordoit même a fes ennemis une autre confolation; il profitoit de leurs critiques quand elles lui paroiffoient fondées. II a,corrigé plus d'un vers cenfuré par Defmarets & par d'autres; & 1'on peut encore rappeler a cette occafion ces excellens vers de fa belle Epitre a Racine :  de BoilEAU Despréaux. 1S7 Moi qu'urie humeur trop libre, un efprit pc>'. foumi], De bonne foenre a pourvu d'utiles ennemis; Je dois plus a leur haine, i! faut que je 1'avoue , Qu'au foible & vain ralent dont la France me loue. leur Ten in qui fur moi brille de s'épancher, Tous les jours en marchanr m'empccbe de bronchel; Je fonge a chaqne trait que ma pliime hafarde, Que d'un ceil dangereu* leur tronpe me xegardffj Je fais fut leurs avis corriger mes erteurs, It je mets a profit leurs malignes fmcurs. Dans une de fes Satires , il ave-is traduit le paifage d'Horace ; .... Quid tides } Mutato nomine, de tt JFebula narfftfuri par ces deux vers-cï: Vous riez ? Savez-Tous que c'eft votre peintute r £t que c'eft vous par-la que la Fable fïgure ï II retrancha ces deux vers dans Ia fuite, comme peu dignes de l'original, ainfï. que Defmarets ouPradon le lui avoient reproclié. II eüt mieux fait encore d'y fubftituer 1'excellent vers par lequel un de ces deux mauvais Poëtes avok rendu le vers d'Horace :. Tu ris ! Change le nom , la Fable eft to» Hiftoirei  ï 88 E L O G E Ü eft vrai que eet excellent vers étoit précédé d'un vers déteftable i Tanta'.e dans nn fleuve a foif & ne peut boirc , & que peur-êtfe Defpréaux , force de lailftT le premier vers a I'Auteur fe crut obligé de lui laifTer auffi le fecond. Le Pere Oudin, Jéfuite très-favant, qui eiiimoit beaucoup Chapelain , & qui malheureufement 1'e'flimoit affez pour fayoir par coeur beaucoup 'de vers de la l'ucelle, prétendoit être en état de prouver que Defpréaux avoit tirébeaucoup d'hémiftiches, cVmémë des vers entiers, de ce Poëme fi maltraité dans fes Satires. Si 1'accufation eft fondee, ce que nous avons bien de la peine a croire, ce grand Poëte auroit pu faire Ia même réponfe que faifoit Molière a ceux qui lui reprochoient d'avoir pris une fcene entiere a Cyrano de Bergerac : Cette jcene triappartient püifqu'elle eft bonne , 6- je pfends mon bien ou je le trouve. On affure que M. de Voltaire a pris des vers de Cotin & de 1 Abbé du Jarry. II a très-bien fait; cefl une perle qui feroit re^ée dans la fange, & qu'il en a tirée.  »e Boileau Despréaux. 189 Nous venons de dire que Defpréaux ne répondoit a fes Critiques qu'en fe eorrigeant, Iorfqu'ils avcient raifon j u ne dédaigna pourtant pas de leur repondre quelquefois autrement , en ulant de fon crédit pour leur impofer filence. Bourfaulr, qui n'étoit ni fans efprit ni fans mérite, quoiqu'il fut fans Lettres , avoit fait contre Defpréaux une Comédie intitulée : La Satire des Satires; Defpréaux follicita un Arrêt du Parlement, qui.empêcha qu'elle ne füt repréfentée. Mais il s'étoit montré fi indifférent fur toutes les autres Satires faites contre lui, qu'il y a tout lieu de croire que dans celie de Bourfault , fa perfonne étoit encore plus attaquée que fes Ouvrages; en ce cas on ne peut le blamer de s'y être montré fenfible , & d'avoir réclamé le droit acquis a tout Citoyen , de n'être point calomnié fur le théatre. Molière, moins délicat ou moins maltraité , s'étoit laiffé jouer par le même Bourfault, en fe réfervant le droit de le jouer a fon tour, comme il fit en effet dans YImpromptu de J/erfailles. S'il ed un cas oü la Loi du talion doive être exécutée , c'eft dans la repréfaiiie, bonne  ioo Éloge «u mauvaife , envers les Satiriques , pourvu qu'elle ne paffe pas les bornes que le talion lui prefcrit. Delpréaux •en convient lui-même' dans une de fes Prefaces, oü il fait dire a fon Libraire : » J'ai charge d'avertir ceux » qui voudront faire des Satires, de ne » fe point cacber. Je leur réponds que » I'Auteur ne les citera point devant j> d'autre tribunal que celui des Mu.» fes. Si ce font des injures groffieres , » les beurrieres luien feront raifon; & » fi c'eft une raillerie delicate , il n'eft » pas affez ignorant dans les Loix, pour » ne pas favoir qu'il doit porter la » peine du talion. Qu'ils écriventdonc *> librement : comme ils contribueront » fans doute a rendre I'Auteur plus » illuflre , ils feront le pront du Li» braire , & cela me regarde. Quel» que intérêt pourtant que j'y trouve , » je leur confeiile d'attendre quelque » temps , & de laiffermürir leur mau» vaife humeur. On ns fait rien qui » vaille dans la colere «. Bourfault , fans fiel & fans envie , eut a 1'égard de Defpréaux, quelque temps après leur démêlé , un procédé Jionnêce qui défarma le Satirique ;  ! re Boileau Despréaux. rQI I, Defpréaux 1'effaca de fes Satires , & I W y mit a fa place quelque autre nom | .en autj car il avoit toujours fous la l! main, comme nous 1'avons dit dans 1 fon Eloge , quatre ou cinq noms de i deux fyllabes & terminés en aut !| Quinault, Bourfault, Hefnault, Per- i rault, qui prenoient fuccem"vement Ia | place des uns des autres. Defpréaux, I fi on en croit M. de Ia Monnoye, pré- i tendoit qu'Hefnault ( i) étoit un des I hommes qui tournoit Ie mieux unvers; i il difoit, pour s'excufer de 1'avoir mis i dans fes Satires , qu'il y avoit mis da- ! bord Bourfault, enfuite Perrault, avec i lefquels il s'étoit réconcilié ; & que 1 voulant effacer leurs noms pour en I fu.bflituer un autre , il n'avoit trquvé fous fa main que celui de Hefnault, i móTt en 1682 , & hors d'état de fe | plaindre. Voila , pour parler le langage ! des Jurifconfultes, un exempje bien i édifiant de juflice cammutative. Les rimes en aut n'étoient pas les (r) Auteur du Sonnet de I'Avoiton, & de .quelques autres Pieces , entre autres d'une Satire violente cojirre Colbert, i 1'oecafion la difgrace de Fouquet.  rai Éloge feules rimes de rechange qu'il eat en referve pour les faire difparotcre ou renaitre fuivant les occafions. II avoit dit dans les psemieres éditions d'une de fes Satires: Si je penfe parler das galans de notre agc, Ma plume , pour timer., renconcrera Ménage. Eaccommodé dans la fuite avec Ménage, il changea ainfï ces deux vers: Si je reux d'un galant dépeindre la figure. Ma plume , pour rimer, truuve 1'Abbé rle Pure. II en ufa a peu pres de même a I'égard de fon frere GillesBoileau, Payeur des Rentes , Membre de 1'Académie Francoife , & homme de beaucoup d'efprit ; ce frere n'aimoit pas Delpréaux , dont on prétend qu'il é^pit jaloux : ■Qu'eftce que Defpréaux a fait pour lui déplaire 2 Il a fait des vers mieux que lui» difoit Liniere dans une Epigramme. On ajoute que Gilles Boileau favoit snauvais gré a fon frere d'avoir maltraité Chapelain & Cotin , qui avoient l'houneur d'êire de fes amis. Defpréaux eftimoit pourtant beaucoup ce frere ; car  de Boïlëau Despréaux. r9j car il avoit dit en fe plaignant de lui ; En lui je trouve un excellent Auteur. Vn Poëte agréable, un tiès-bon Orateur-, Maiï je u'y trouve point un frere. Las enfin des procédés de Gilles Boileau , il fe permit contre lui une Epigramme afléz piquante & très-inJufte. S'étant depuis réconcüié avec fon frere , non feulement ii mit un autre nom dans TEpigramme , mais il donna une e'dition des QSuvres de Gilles Boileau après fa mort, & y joignit une Préface, dans laquelle il dit, quïL en feroit des Ouvrages de fon frere comme de VEnéide , dont Firgile feul étoit mécontent. C'étoit outrer la louange comme il avoit outré la critique j les Satiriques de profenion font fujets a ces contradicfions un peu faclieufes, qu'il faut pardonner aux Poëtes , ou plutöt a 1'humanité. Tels font les reproches , au fond alTez légers , qu'on ed peut-être en droit de faire a Defpréaux comme Satirique , après lui avoir rendu d'ailleurs, & comme grand Poëte , & comme légiflateur du bon goüt, Thoracnage dont il eft fi digne. Tornt. III, l  to4 Éloge Mais Ie plus grand tort de cet illuflre Ecrivain , a dit un Philofophe , eft d'avoir été par fes Satires le pere d'une vilaine familie , qui s'autorife de fon exemple fans approcher de fes talens. ïl n y a pas un de ces rimailleurs qui ne fe groye un Defpréaux , pour avoir dit a nos bons Ecrivains des injures en mauvais vers. Ils font bien mieux encore que de fe rendre les défenfeurs du bon goüt i ils fe déclarent ceux de ïa Religion , qu'ils prétendent venger par leurs Ecrits , & qu'ils déshonorent par leurs moeurs, En jouant avec impudence cette comédie ridicule 8c fcandaleufe , ils efperent que d'edimables Protecfeurs qu'ils ont fu tronrper, feront la dupe de 'eur baffe hypocrifie; ih feroient bien fichés que d'autres s'y rnépriflent. Un de ces miférables, qui eraignoitapparemment que lesLecdeurs éclairés ne le cruffent de bonne foi, a eu foi.n, dans unemauvailePiece contre Jes Incrédules, de faire les objecdions plus fortes que les réponfes. Mais en, yoila affez & peut-être trop fur cette gngeancg méprifable,  de Boileau Despréaux. 195 NOTE XL, relative d la page 95 , fur la probité de DESPRÉAUX. UAND nous difons que Defpre'aux fut honnête homme , nous parions non feulement de fa probité morale, mais même ds fa probité littéraire. S'il fut quelquefois injufle , ü ne Ie fut que par erreur , par- prévention, par humeur tout au plus", &: jamais par envie ; & il n'eut pas plus de badede a fe reprocher dans fes Ecrits que dans les aclions. S il prodiguatrop les louanges a Ion Roi , ce fut Terreur commune de tous les Gens de Lettres de fon temps, erreur même que bien peu de Gens de Lettres du notre feroient en droit de lui reprocher. Ses Satires peuvent , il eft vrai, faire defuer plus dindulgence & de bonté dans fon caraclere moral; mais qusnd on voudroit j-'ger ce caraclere avec la févérité Ia plus rïgoureufe , obfervons qu'il n'en ed pas des défauts ou des vices d'un Eciivain, comme de ceux d'un Souverain ou d'un Miniftre. Le caraclij  ïVj6 Éloge tere de l'homme^puifTant eft un objet intereiiant a confidérer dans fon Hiftoire, par 1'induence qu'il peut avoir eue fur le bonheur ou le malheur de toute une Nation , fur celui même des générations fuivantes. Au contraire, le caraclere d'unfimple Homme de Lettres, eüt-il mérité les plu? grands reproches , ne laiffe ni fuites ni traces. Dès que 1'Homme de Lettres a ceffé de vivre , il ne refte de lui que fes Ouvrages, qu'on juge en oubliant fes aclions. C'eft alors I'Auteur feul & non fhomma qu'on apprécie : & tandis que l'Ecrivain vertueux & médiocre eft oublié , les manes.de l'Ecrivain fupëVieur , vertueux ou non , recoivent du fuffrage public la récompenfe des lumieres qu'on lui doit, ou du plaifir qu'on épróuve en le lifant. L'Hidoire du vieieux Saliufle eft préférée a celie du pieux Grégoire de Tours, & les vers du libertin Marot aux quatrains' du g.rave Pybrac, Le premier mérite auprès des hommes n'eft pas d'être bon 3 c'eft de leur être utile ou agréab!e; & I'Auteur illuflre qvd n'exifte plus que dans fes Ecrits , a d'autant dJus ce mérite pour lés Lecleurs, qu'ils  be Boileau Despréaux. 197 jouiiTent des fruits de fon génie fans avoir rien a ffcuffrir ou a craindre de fa perfonne. Cfcrdons-nous bien cependant de conclure de ces réflexions, qu'il foit indifférent pour un Ecrivain célebre de joindre la faine morale aux talens, & la conduite honnête aux bons Ouvrages. Sa vertu fait fon bonheur pendant fa vie , en lui affurant le bien le plus précieux pour une ame noble , le refpecd de fes contemporains ; & elle met le comble, quand il n'efl p!us , aux hommages dont la Pcftérité Ihonore. Avec quel plaifir ne iit-on pas dans la vie de Racine , que de la même plume dont il éciivoit Athalie, ce pere fenfibie tracoit a fon rils ainé des lecons dictees par la vertu la plus fimple & la plus tendre ? Et quel charme n'ajoute pas aux Ouvrages de La Fontaine 1'amour que tous fes Lecdeurs ont pour lui '  PAUL  PAUL TALLEMANT, PRIEUR D'AMBIERLE ET DE SAINT-ALBIN, Intendant des Devifes & Infcriptions des Edifices Rqyaux j né a Paris le 18 Juin 1641 , repu a la place de Je ais Ogier de Gombauld, ert 1666 , mort le 30 Juillet 171« (1), (1) Voyez ion Éloge dans 1'Hiftoire d« 1'Académie des Bïlles-Lettres. 1 liv  ELOGE  in tt £ FRANCOIS-SÉRAPHIM REGNIER DESM AR AIS» UÉ a Paris le 13 j 6 31rep* c /^ice MARIN C URE AU DE la CHAMBRE , en 1 67O , élu Secrétaire perpétuel d la place de Fra/ipois-Eudes de Mésrerdi , en: 1684, mort le 6 Scptembre 1713, JS^Lé dec itt , puéris-toi, dit le Proverbe ; on ]put dire auffi au Secrétaire d'une Académie , chargé d'écrire Ia vie de fes Confrères : i'ommcnce^ par écrire la votre, fi elle en raat la peine. C'eft une tache dont 1'Abbé Reghrer s'eft acqnftté fidélement. Secrétaire de 1'Académie durant [rente; années, il n'a pas a la vérité- fait 'I HifIt  203- Éloge toire de la Compagnie , qu'il ne r?garcloit pas fans dóute comme un travail attaché a fa place , mais il a écrit dans un aflez grand détail les Mémoires de fa propre vie. Perfuadés que fon Hiftoire n'a pu être mieux faite que par lui-même, nous nous borne^rons prefque uniquement a un fimpfe extrait de ces Mémoires; nous p;endröns feulement la liberté , pour ternpérer la fécherelfe de 1'original , de joindre a notre extrait quelques réflexions que nous ne nous flattons pas de readre intéreifantes, mais que le fujet nous paroltra permettre , ou plutót exiger.. Cette Jtchereffe de Vorig';nat n'eft point un vice que- nous prétendions reprocher a I'Auteur; la fimplieité naïve & fair de vérité avec lequel il parle de lui-même, nous pandt au contraire très-digne d'éloges , & fur-tout plus digne de^foi que ne leferoit une Hiftoire compofée avec plus de foin & d'artifice. Üne Académieétrangere dont il étoit Membre , &. qui avoit pour lui beaucoup d'eilirne,. le pria,. un. a-n avant fa mort, de lui cnvo.yer quelques détails fur les prinsip.aIeS) eirconiiances de fa; n& i.JJa^  de Regnier Desmarais. 20$. difoit-elle , que torfque fes Confrères vïendroient a le perdre , ils puffent lui faire un éloge qui honorat fa cendre , & qui leur ferint de confolation. L'Abbé Regnier fe rendit a leur priere, bien plus par déférence pour eux , que par un mouvement de vanité' dont fon écrit ne laiiiè pas entrevoir la moindre tracé; les premières lignes fuffiroient pour le dilcülper de tout foupcon d'amour propre. » Puif» qu'wn fotihaite , dit-il, d'être informé » de ce que je fuis, & de ce que j'aï » fait depuis que je fuis au monde ,, >> je vais effayer d'en rendre compte' » en homme qui n'a jamais cherché » ni a fe cacher ni a fe montrer , 6c » qui , e'rant déja trés-avancé dans fai » quatre-vingtieme année, efl bien prés » dader rendre un compte plus- im» portant «. Dans 1'abrégé que nous allons donner de ces Mémoires ,. nous; nous attacheren* a ce qui concerneL'Abbé Regnier, comme Homme de1 Lettres , c'eft-a-dirc , aux feuls arti-cles de fon Hifioire qur inrérelfeiic: véritablement 1'Académie • nous ren-vevan* pouijt le rede- aux Ménwir-ess  *©4 Éloge uièmès (r) , dans lefqrtels il ne faur pas chercher beaucoup d'amufemenc, mais qui doivent infpirer beaucoup d'eMtme pour la franchife ck la modeftie de l'Ecrivain. II fit fes humanire's avec fuccès au Séminaire de Nanterre , chez les Chanoines Réguliers de Sainte-Génevieve-,. dont fon oncle maternel, le Pere Fauré-, étoit Général. II paffa de la en philofophie au Collége de Montaigu ; mars autant il avoit trouvé de charmes dans letude des Belles-Lettres , autant les abfurdes fubtilités de 1'école lui cauferent de dégout; il dédaigna les graves fottifes dont on le forcoit d'infecler fa mémoire , & chercha a fe diftraire dë cet ennui par une traducdion qu il ik en vers francois du combat des Rats & des Grenouïlles, attribué a Homere-; ce combat reffembloit affez bien , par 1'imporiance de fon objet , aux miférables chicanes fcholaftiques dont il avoit tes oreilles rebattues : on peut (O I's lont fmprinics a Ia tcte du Recucit des Poéiies de 1'Abbé Regnier x eu z volume» ï/l - lt.4.  be ReGxtér Desmarais. 20 f neme croire que ces chicanes rappelerenr au jeune étudiantl'idéeduPoëme burlefque qui en. étoit 1'image , & lui inlpirerent 1'envie de le traduire. Au lortir de fes études , il s'attacha. fucceffivement a piufieurs perfonnes pui/Tantes, dont la faveur & 1'apput étoient néreffaires a fa fortune , car il etoit le fixieme de onze .enfans ; il fit, a la fuite de quelques grand,- Seigneurs , différens vöyages" , pendant lefquels il apprit , fans Makre & av£c le feul fecours des Livres, 1'ltali^p & ï'Efpagnol, II fe rendit la première deces deux Langues fi familiere, qu'étant filé a Rome avec M. le Duc de Créqui, dont l'Ambaffade efl devenue célebre par l-affaire des Corjes , il fwt chargé d'écrire les lettres italiennés que TAmbaiiatieur adreffoit aux Cardinauxou aux Frinces voifins avec qui il avoit h traiter; & aucun de ces Errangers ne s'appergut que ces lettres fuffent 1'ouvrage d'un Francois. II eut bientöt dans le même genre un fuccès plus flatteur., qu'il faut lui entendre raconter a lui-mêm--'. S» A » mon retour en France , dit-il , j'en# tretins comraerce de lettres avec  *otS Éloge * diverfes perfonnes en Italië , & par» liculiérement avec 1'Abbé Strozzy,, » Réfïdent pour le Roi a Florence. » Ayant compofé alors une Ode , ou r » comme les 'Italiens 1'appellent, une » chanfon italienne, & 1'ayant envoyée » a 1'Abbé Strozzy , il s'en ferwt pour » tromper quelques Académiciens de » la Crufca de fes amis. Pour cet effet,, » iifuppofa que Leo Allatius , Biblio» thécaire du Vatican , lui avoit écrit,, »»qu'en revoyant le manufcrit de Pé» trarque , confervé dans cette Biblio» theque, il en avoit trouvé deux feuil» Iets collés , & que les ayant féparés » il y avoit découvert la chanfon qu'il » lui envoyoit. La chofe parut d'abord » difficile a croire ; mais bientót la. » conformité du flyle la rendit vrai» fèmblable. Quand elle fut éclaircie, » M. le Prince Léopold , Protefleur » de 1'Académie de ia Crufca , auquel » PA bbé Strozzy faifoit voir toutes mes » lettres, propofa a 1'Académie de m é» lire ; 8c je recus Ia nouvelle de mon »' éleciion au mois d'Aoiït 1667 (i) «.. Les Académiciens de la Crufca ,. ere 0), voyez la. Noce (»,  t>e Regnier Desmaraïs. 207 adoptant ie faux Petrarque, furentplusbonnètes & plus julles que nel'avojc été dans une circonfiance "a peu pres femblable, le fameux Jolepli Scaliger , qui , trompé par des vers de Muret, s'en vengea par une Epigramme fanglante (1) S'orJenfé n'y répandit qu'em la publiant lui-même , comme un aveu mal-adroit que faifoit fon Adverfaire du. ridicule qu'il venoit d'eiluyer. Parvenu a l age de trente-fix ans,. 1'Abbé Regnier entra dans 1'état eccléfiadique , prefque fans en avoir forméle deffein , & comme par une infpira*» tion fubite que les circonftances amenerent fans qu'il s'en doutat. II demandoit utje penfion pour récompenfe defes fervices: Louis XIV ne crut pas: eommettre un facrüége en faifant payer parl'Eglife les dettes de PEtat ; i! donna, au Poilulant un Prieuré; ce Prieuré fut fa vocation , qui auroit pu paroitre equivoque a des Juges rigoureux, mais qu'il juftifia par-la conduite la plus réguliere & la plus conforme a la fainte. aulléri'.é de Thabit qu'il venoit-deprendre. La Providence qui fans doute ii.) Yov.ei h Note  ■ . 2ÓS E L O G E 1'appeloit fecrétement a porter cette robe , montra , darts cette occafion , comme elle a fait dans beaucoup d'autres , les voies imponetrables de fa fage ffe , en dirigeant les vues numamès a 1'accompliffement de fes deffeins. Deux ans après qu'il fut entre dans 1'Eglife, i'Acade' mie Francoife le cboifit pour un de fes Membres ; il n'avoit donné jufqu'alors aucune preuve publique de fon talent pour e'crire en francois ; mais Ja connoiifance qu'il avoit des Langues favantes, fit juger qu'il feroit très-ufÜe a la compofmon du Dicfionnaire dont la Comparrnie étoit alors occupée, & qui demandoit un rapprochernent frequent du genie de la Langue Francoife a celui des idiomes anciens &. moderne?. - Quoique ce travail füt devenu le principa! objët du noüvel Académricien, il s'en dèlaffoit quelquefois par d"autres occupations, ck fes délaflémens étoient ceux d un Prêtre , ck prefque d'un Apötre. » Dans ce temps-la , dit il , je » m'étois appliqiie, a la priere des Ré» vérends Peres Jéfuites, a traduire d'efy pagnel en francois le Traité de las » Perjéêión Chrétienne de Leur pieux  de Regnier Desmarais. iöo' s> Confrère Rodriguès ; je ne'. ' vois » pas encore fait imprimer , lorfqu'il en » parut une traducdion , .qu'on • attris> buoit a MM. de Port-Royal, 6c qui s» m'auroit empêcbé de k'iffer paroitre 5> la mienne , fi la Préface ne m'avoit » fait voir que nos Ouvrages devoient » être très-différens; car on affure dans » cette Préface , que quand on voulut » travaïlkr d cette. traduüion, on eut 3> d'abord de la peine d fe déterminer t> fur le choïx quon devoit faire d'une » des trois éditions efpagnoles quon S> avoit entre les mains, & qui étoient » trës-difftrentes entre elles... J'avoue' » pour moi que les ayant foigneufe» ment conférées, je n y ai pas appercu; » la moindre différence. Je lailfè a ju» ger de Tintention que les Auteurs » de cette traduédion fi vantée peu» vent avoir eue en la donnant. Ce » qui eft certain, c'eft que le texte ef» pagnol y eft entiérement altéré en » plufieurs endroits , &. fur-tout dans J> le Chapitre , oü, en parlant de la » grace , on prête a I'Auteur desexprefJ> fions toutes contraires aux fiennes «. II femble , par le ton qui regne dans ce récit, que TAbbé Regnier n'avoit pa*  £r« Éloge été fiché de trouver MM. de PortRoyal en faute , ck de faire fa cour par cette découverte aux Jéfuites leurs adverfaires ,.avec lefquels il avoit d'affez étroites liaifons. Nous h'exarninerons point fi ie reproche qu'il fait a ces pieux Solitaires elf bien ou mal fontlé ; fuppofons pour un inflant que 1'imputation foit jufte (car c'eft une fuppofition que femble permettre fair o'aiTurance avec lequel I'Auteur s'exprime) , il en faudra conclure que le défir qui animoit ces faints perfonnages de tendre a leurs implacables ennemis un piége innocent, leur fit oublier en cette occafion le rigorifme auftere qu'ils affichoient; ils penferent apparemment, que pour 1'avantage de la bonne caufe , pour Je triomphe de la graca, & dans 1'unique vue de la flus grande gloire de Dieu , ils pouvoient en füreté de confcience fe laiffer aller un moment aux maximes de conduite relachée dont ils faifoientun fi grand crime aux Jéfuites. Ce n'eft pas Ia première fois que des Théologiens , dirigés par un zele plus ardent que fcrupuleux , ont cru pouvoir fe permettre ces fraudes pieufes pour la  de Regnier Desmarais, 213 manifeftation de ce qu'ils croyoient ou qu'ils "appeloient la vérité. Nous laifferons juger le proces des deuxTraducteurs de Rodriguès fur la matiere de la grace, a ceux qui ont Ie courage & le loifir de s'occuper des importantes controverfes qui étoient alors Ie fujet de Ia haine la plus vive & la plus édifïante entre les Anachoretes de Port-Royal & la défunte Compagnie de Jéfus. Nous nous abftiendrons auffi de difcuter laquelle des deux traductions mérite la préférence ; ceux qui prétendent s'y connoitre , regardentla Yerfion de Port-Royal comme ecrite avec plus de force , & celie de 1'Abbé Regnier avec plus cïagrément; Ia dé.cifion de cette quedion délicate appartient exclufivement aux ames pieufes , faites pour fentir tout le prix du Traité de la Perfellion Chrétïenne , & plus exercées que des Juges profanes a démêler ce qui conflitue la force ou IV grément dans un Ouvrage rnyfiïque. L'Abbé Regnier , par les lumieres & le favoir qu'il portoit dans nos féances, &.fur-tout par fon zelepour hater Ia publication du Diclionnaire que le Public attendoit avec emprelfement, répondk  *t2 E L O G E li bien aux efpérances de fes Confrères , que ie Secrétariat de 1'Académie étant venu a vaquer par la mort de Mézerai , il fut jugé plus propre que perfonne a remplir cette place. A peine y fut-ilinflallé, qu'il s'éleva entre 1'Académie & Furetiere le fameux j cès dont toute la Littérature fut alors occupée ; procés qui fervit löng-temps de pature a 1'avide malignité du Public , toujours pres d'applaudir , ou tout au moins de fourire aux traits lancés contre les Compagnies Litteraires , même par des hommes que ce Public ne croit ni n'edime. L'Abbé Eegnier , en qualité de Secrétaire , fut chargé de dreffer tous les Mémoires qui parurent alors au nom de la Compagnie. Ces Mémoires étoient gravel & modérés; ceux de Furetiere étoient violens & fatiriques • auffi eurent-ils beaucoup plus de Lecdeurs ; mais le Gouvernement, qui ne décide pas de la juflice d'une caufe par des Epigrammes, jugea en faveur de 1'Academie, qui en effet étoit bien fondée dans toutes fes demandes , & qui, après les avoir juridiquement obtenues , crue devoir auffi fe faire juflice a fon pro-  de Regnier Desmarais. 213 pre tribunal en retranchant Furetiere du nombre de fes Membres. Le Dicdionnaire de 1'Aca.démie-, après plufieurs anne'es d'un travail afndu , après des plaintes re'itérées ck. très-injuftes de la part du Public fur la longueur du temps que la Compagnie avoit mis a ce travail, fut enfin en érat de paroitre. 11 n'y manquoit que La Préface & 1'Epitre dédicatoire ; cette Epirre devoit être adreifée a Louis XIV, fous les aufpices duquel il étoit jufte de préfenter a la Nation & aux Etrangers la première production d'un Corps littéraire qui avoit le Monarque pour Protecleur. L'Abbé Regnier eompofa , par osdre de 1 Académie , la Préface & 1'Epitre ; mais avant été obligé , avant que le Dictionnaire parut , . de s'abfenter pour des affaires indifpenfables , quelques Académiciens qui avoient fait une autre Epitre dédicatoire , eurent le crédit de la faire préférer a la fienne ; ck M.'Charpontier, qui avoit auffi fait une autre Préface , obtint la même préférence. 11 paroit que cette Epitre dédicatoire , deflinée 3 mettre aux pieds du  ii4 Éloge Roi 1'encens & les hommages de la Compagnie , avoit été pour les Académiciens utr grand objet d'émulation; car fans compter celie de 1'Abbé Regnier qui n'exifte plus , & celie qui ed imprimée a la tète de la première édition , je trouve encore deux autres Epitres qui furent compofées dans ce temps-la , 1'une par Charles Perrault, & 1'autre par ce même M. Charpentier qui avoit déja fait la Préface de 1'Ouvrage. L'Abbé Regnier, piquédu dégout qu'on lui donnoit , fit fur 1'Epïtre de M. Charpentier des remarques critiques, qui exiftent encore écrites de fa main : on ajoute , qu'aidé de Racine , il en avoit fait de femblables fur 1'Epitre de Charles Perrault (i). On ne peut difconvenir que fur plufieurs points la critique de 1'Abbé Regnier ne foit bien fondée ; fur quelques autres, elle pourroit paroïtre ou in jufte ou trop févere ; mais peut-être pardonnera-t-on le reffentiment qui 1'a quelquefois dicdée, en pe»fant au motif de mécontentement qui 1'a fait écrire. Le défagrément qu'il venoit d'effuyer ■CO Voyez. Ia Note {c).  de Regnier Desmarats. 215 dans TAcadémie , femble prouver qu'il n'étoit pas fort aimé de fes Confrères : Segrais 1'accufe en effet d'avoir été trop aigre & trop vétilleux (i); Furetiere nous apprend auffi (2) que les amis même de 1'Abbé Regnier lui avoient donné le nom de 1'Abbé Pertinax, paree qu'il avoit, dit-on , Thabitude de difputer opïriuitrement dans les affemblées, jufiju a ce que fes Adverfaires , fatigués de la difpute , fuffent obligés de fe foumettre a fon avis. Furetiere même ajoute qu'il écrivoit fouvent le contraire de ce qu'on avoit décidé; mais il eft permis , a 1'égard de cette imputation , de n'en pas croire Furetiere fur fa parole. Quant a la manie tout a la fois choquante & puérile de youloir toujours avoir raifon , nous ïgnorons fi c'eft a tort ou avec .juflice qu'on l a reprochée a 1'Abbé Regnier; qu'on nous permette feulement, pour lutiliré des Gens de Lettres , une courte rédexion fur cette manie ou piutót cette petiteffie, dont on a acculé (l) Voyez Ie Segraijiana. (*•) Voyez les kacluais «le Furetiere contre 1'Académie.  JU 6 E L O G F. pluneurs d'entre eux, & qui ne pemt être dans un homme d'efprit que le trpvers d'un amour-propre bien peu éclairé. Si c'eft un fot qu'i! a entrepris d'entrainer par force a fon opinion , qu'importe a un homme d'efprit la gloire fi mince d'obliger un fot a penfer comme lui ? Et fi c'eft un homme d'efprit qu'il fe propofe de convaincre, peut-ii ignorer quede doute, qui efl le corrifnencement de la fngeffe , en eft auffi le fruit 6c le-terme; qua Texception des fciences exacles, la plupart des autres objets , éclairés d'une lumiere incertaine & mobile , peuvent fe préfenter fous différentes faces a des yeux exercés 6c clairvoyans; qu'on fait haïr, dit Montagne , les chofes vraifemblables , quand on les plante pour infaïllibles , 6c qu'enfm la vanité , même convaincue , fe croit intéreffée a ne pas avouer fa défaite l Dans la Société, dans les Corps , même littéraires , le Sage difcute quelquefois, difpute très-rarement , ne propofe ion opinion qu'avec les expreffions réfervées, qui rende nt la contradicdion plus fupportable , 6c finit toujours par permettre a chacun de refter dans fon avis,  ■ de Regnier Desmarais. 217 avis , fous Ia condition modefte & juffe , de jouir de la même liberté pour Ie fien. On demandoit au Philofophe fontenelle.pourquoi il ne difputoitjamais : Par ces deux principes, répondit-il , tout efl poflible , & tout le monde a raifon. Le même Philofophe difoit un jour a 1'Abbé Regnier dans je ne fais quelle difcufïïon académique : Veild une Jifpute qui ne finiroit point fi Von vouloit ; cefl pour cela qu'il faut qu'elle finiffe Tout d rheure. f.t dans une autre occafion oü 1'Abbé Regnier difputoit avec chaleur contre un Homme de Lettres en préfence d'une femme de beaucoup d'efprit : Eh / Mejfieurs, leur dit cette femme, convene^ de quelque chofe , fut-ce d'une fbttife (i). Si 1'Abbé Regnier étoit opiniatre dans la difpute , s'il offenfoit 1'amourpropre des autres par une roideurinflexible dans fes opinions, il fe la faifoit pardonner en la portam dans toutes les bonnes qualités qu'il avoit d'ailleurs , & fur-tout dans un fentirnent oü 1'opiniatreté efl; prefque toujours (1) Voyez Ia Note (d). Tome JU K  ci8 Éloge une vertu; il étoit ferme & inébrrmlable dans 1'amitié. II eft vrai qu'il n'aecordoit la fienne qua ceux qu'il en jugeoit dignes , après les avoir bien connus; mais plus il étoit difficile de faire naitre ce fentirnent dans fon cceur, plus il étoit rare de le perdre quand on 1'avoit obtenu ; le moyen de fe laffurer étoit de fe diftinguer par les mêmes vertus que'les ennemis les plus dé-> clarés de notre Académicien reconnciffoient en lui, une probité a toute épreuve , & un amour du vrai porté jufqu'aufcrupule. II exprima d'une maniere aufïi noble qu'énergique cet amour du vrai dans une occafion délicate ou on le/preffbit de mentir en faveur d'un homme puiffant, fous peine d'encourir fa difgrace. J'aime mieux ,' dit-il, me, brouiller avec Lui quavec mor.. Le Public, qui connoiffoit fes talens, fe vit privé avec regret de la Préface & de 1'Epitre qu'il avoit faites pour le Diétionnaire ; mais la Littérature fut folidement dédommagée de cette perte par un grand nombre d'articles importans & fondamentaux qu'il avoit compofés jsour le même Ouvrage ; articles qui contribuerent beaucoup aux fuccès  de Regnier Desmarais. 219 de Ia première édition , & dom Ie mérite a été fi bien reconnu , qu'on I s a confefvés prefque fans changement dans les éditions fuivantes; car Ie Public remarqua dans ce Diétionnalre, que les Iongs articles qui s'y trouvoient , c* qui devoient avoir couté Ie plus de travail, étoient faits avec plu? de foin que les autres; c'eft que la briéveté des articles peu étendus permettoit qu ils fuffent Poüyrage de la Compagnie entiere ; «Sc qu'une Compagnie en corps, troubiée dans fes décifïons par vingt avis qui fe croifent'& fe detruifent, doit parvenir dlfficilement a fe fatisfairé elle-même & fes Lecteurs; au lieu que les grands articles, confiés prefque indifpenfablement a un feul homme , qui pour Pordinaire étoit IAbbé Regnier, acquéroient en paffant par fes mains toute Ia perfedion que pouvoit y donner 1'amour-propre du Redacteur, animé de plus par toute Ia rerveur académique. Quelque intérêt cependant qu'il dut prendre a ce Dicdionnaire dont il étoit prefque entiérement I'Auteur , il neut girde de renouveler Iapropofition qu'avoit faite autrefois Jean Sirmond, un de Kij  230 Éloge ïïgs premiers Académiciens, d'obliger par ferment tous les Membres de la Compagnie de n'employer dans leurs Ouvrages aucun mot qui n'eut e'té approuvé a la pluralité des voix ; a peu pres comme ces anciens Peuples, qui juroient fur les autels de leurs Dienx , de ne parler & de n'apprendre jamais d'autre Langue que la leur. Cet avis , comme on le peut croire, n'avoit pas été goüté j chacun de nous refla le roaitre d'écrire comme il le voudroit , a fes rifques & périls; & 1'Abbé Regnier, qui fentoit plus que perfonne 1@ befoin & les avantages de cette liberté littéraire , fe garda bien d'y porter atteinte. L'infatigable Secrétaire ne borna pas les fonódions de fa place a la publication du Dicdionnaire qui lui devoit 1'exidence ; 1'Académie , dès les premières années de fon inflitution , avoit formé le projet d'une Grammaire Francoife , qui, en développant les principes dont le Dicdipnnaire n'étoit que 1'application , devoit former avec cet Ouvrage un cours complet de notre Langue. » Mais la Compa,v gnie ne fut pas long-teitvps a s'ap-  Be Regnier DesMaraïs. üï » pereevoir, ditM. 1'Abbé d'Olivet (i)4 * qu'un Ouvrage de fyftême &. de nié» thode , tel qu'une Grammaire , ne i> pouvoit êtr'e conduit que par une per~ » fonne feule, qui, communiquant en» fuite fon travail a fes Confrères, pro» fiteroit de leurs avis, en forte que fon $ Ouvrage put être regardé comme » celui du Corps («) «. On chargea donc de cette Grammaire 1'Abbé Regnier , qui, comme il le dit dans fa Préface, y employa tout ce qu'il avoit pu acquérir de luriiiere par cinquante ans de réjlexion fur notre Langue i par quelque connoijfance des Langues Voifines , & par t ren te - quatre ans d'ajfiduité dans les affemblées de 1'Académie oü il avoit prefque toujours tenu la plume. Cet Ouvrage, quand on le confidere relativement au temps oü il a été compofé, fait honneur a la Littérature Francoife & a 1'Académie. S'il n'eft pas auiïï philofophique & auffi profond fur la métaphyfique générale des Langues que (i) Hiftoire de i'Acadëröie , Tomé ii, inrit. , page é8. (i) Voyez la Note (e). Küj  422 Éloge la Grammairé raifonnée de Port Royal, il coniient au moins, relativement a la Langue Francoife, des difcumons importante? & utiles que cette Grammaire n'offre pas : I'Auteur n'avoit cependant en, ore traité qu'un des objets de la Grammaire , & même ie plus aride de tous, le détail des partus d'öra'ifon ; i' promettoit une fuite dans laquelle il fe propofoit d'embraffer la Syritaxe , les irrégularités réelles ou apparei tes de 1'ufage , & les principes du flyle. La iftaniere dont il s'eft acquitté de la première p rtie de fon travail , doit faire regretter au Public d'avoir été piivé de la feconde. I! y a dans cette Grammaire un article qui mérite de nous arrèter un moment ; I'Auteur s'y é'eve contre les innovations qu'on avoit déja tenté d'introduire dans 1'orthographe francoife ; il en prouve de Ion mieux les incaiïvéniens ; mais fes réc;ama.tions , loin de remettre en honneur 1'orthographe ancienne, n'ont pu même empêcher qu'elle n'ait fouffert encore de nouvelles atteintes. Il infifte, par exemple , fur la necëffité de conferverla lettre s dans un très-grand nombr» de  de Regnier Desmarais. 21 j mots , foit pour indiquer I'étymologie (i) , foit pour marquer la quantitê de la fyllabe (2); mais cette lettre a été fuprimée depuis dans le plus grand nombre des mots oü il défiroit de la conferver; il avoue même que la fuppredion commencoit a le faire dans le " temps oü il écrivoit, & 1'on ne peut difconvenir qu'elle ne foit très-naturelle; nouvelle preuve de ce que nou? avons déja dit ailleurs f3) , que ce qui a réellement beloin d'être corrigé dans rotre orthographe , firma par 1 être en eflet; qu'il faut tout laiffer faire 3 Ja raifon & au temps , & que s'il y a de la pédanterie a révérer avec iüperfution 1 ancien ufage, il y a de Ia puérilité a le braver avec affecdation* Les Jeluites , tout bons amis qu'ils fe diloient de 1'Abbé Regnier, rie virent pas lans quelque cliagrin le fuccès d'un Ouvrage qui ne fortoit pas de chez eux , ou du moins que I'Auteur n'avoit pas entrepris a leur priere, fage (O Comme dans Eftdt, Staten. (1) Comme dans mtfme, (O Voyez Parrfole ck Louis Coafin , & YH'jge dc 1'Abbé de Daageau. K iv  224 Éloge précaution qu'il avoit prife pour Ia traducdion de Rodriguès. Les Antagoniftes amers de cette Société lui ont reproché fouvent d'avoir e'té ïennemie de tout bien ; on peut dire avec moins de del & plus de judice , qu'elle étoit 1'ennemie déclarée ou fecrete de teut le bien qui ne venoit pas d'elle. Le Pere Buffier, qui fut depuis Auteur lui-même d'une Grammaire très-eftimabie , attaqua celie de 1'Abbé Regnier dans le Journal de Trévoiix avec plus de malignité que de bonne foi; I'Auteur fit au Journalifie une réponfe affez vive , rpis folide , & a laquelle il n'y auroit rien a défirer , fi au lieu de j'obfiiner a tout défendre , il fut convenu de bonne foi de la jufteffe de quelques critiques (i). Cette querelle convainquit l'Abbei (i) C'étoit peut-être par repréfailles de cette .cenfure , que 1'Abbé Regnier jugeoit trot) févérement le P. Bouhours, Jéfuite & Grammairieu de profeffion ; il 1'accufoit de ne pas favoir la Langue Francoife ; arrêt injufte , fur-tout eu égard au temps od le P. Bouhours avoit écrit, & ou les finefies de la Langue n'étoient connues tjue d'un petit nombre d'iU luftres Ecrivains.  de Regnier Desmarais. h$ Regnier , que la fécherefïê des difcuffions grammaticales, qui femble laifTer a 1'envie fi peu de prile , n'empêchoit pas d'avoir encore des ennemis; il fut de'goüté par cette affligeante réflexion d'acbever, en complétant fa Grammaire , la tache Académique qu'il s'étoit impofée : pour s'en dedommager , il fe jeta dans THiftoire, & il écrivit celie de 1'affaire des Corfes , dont il avoit été témoin pendant fon féjour a Rome. Le fiyle de cette Hiftoire, quoique pur & correcf , n'a ni le mouvement ni le fel dont le fujet paroiffoit fufceptible. Un plus habile Peintre «üt offert le contrafte piquant de 1'audace & de la gaité francoife dans cette violente querelle, avec latride infolence de la foldatefque papale ; de la noble fermeté de 1'Ambaffadeur de France, avec 1 arrogance timide des Minidres de la Cour de Rome; enfin de la fierté du Roi, avec la hauteur du Pomife; bauteur qui, dégénérant adroitement &. par degrés en néeociations & en foupleffe , obtint enfin a peu pres ce que la fierté offenfée lui avoit reftrfé long-temps. On regreite ce tableau dans Ja narration de 1'Abbé Reenier; mais K v  2 ■ " E L O G È ion Ouvrage , écrit d'après les Pieces originales , eft recommandable par la qualité la plus e/Tentielle a un Hiftorien , par celie qui le fait prefque difpenfer des autres, &alaquelle nulle autre ne peut fuppléer, par 1'exaclitude des faits. Si cette production n'eft ni d'un Vertot ni d'un Saint-Réal, elle eft au moins bien préférable a tant de compilations infipides de menfonges anciens & modernes, qui n'ont ni le mérite du coloris, ni celui de la vérité. L'Hiftorien des Corfes revint a la Poéfie , ou , ft 1'on veut, a la verfification ; il donna , quoiqu'agé de quatre-vingts ans , un Recueil de Pieces francoifes, latines, italiennes & efpagnoles. On prétend que ces dernieres furent plus accueillies a Rome & en Efpagne , que les Poéfies francoifes ne le furent a Paris; & un célebre Ecrivain ajoute que ft 1'Abbé Regnier avoit réufti a faire palier un de fes Sonnets pour être de Pétrarque , il n'eüt pas fait paifer fes vers francois fous Ie nom d'un grand Poëte. Ce n'eft pas le feul de nos Ecrivains qui , ayant fait des vers avec fuccès dans une Langue étrangere , n'a pu réuffir dans la fienne;  de Regnier Desmarais. 227 feroit-ce paree que notre Poéïïe, qui ne fe permet que des licences très-legeres , & qui ajoute a fes entraves naturelles toute la févérité de la profe, prélente plus -de difficuïtés h. vaincre que la Poéfie des autres Peuples anciens & modernes ? Ou ies Francois, fi délicats en matiere de go ut, & fi raffinés fur les plaifirs en tout genre , font-ils plus difnciles en vers que les autres Nations l Mais fi tant de févérité lailTe a nos Poëtes médiocres encore moins d'indulgence a efpérer qu'Horace n'en promettoit a ceux de fon temps , ne devroit-elle pas auffi nous infpirer pour nos grands Poëtes encore plus d'admiration que 1'Antiquité n'en a marqué pour les fiens ? Grammairien favant & profond, & de plus Hiftorien Sc Poëte , 1'Abbé Regnier voulut encore s'effayer dans un aütre genre, celui de la traducdiom R .choifit pour objet de fon travail le Traité de la Divination de Cicéron , 1'Oiivrage de ce grand Homme qui eft le plus piquant par fon objet, & peut-être le plusfinement philofophi■que ; ce catéchilme cXiticrédulitépaienne (fi on peut 1'appeler de la forte) s K vj '  228 Éloge publié par I'Auteur même fous les yeux du Sénat, fans re'clamation de la part des Augures & des Pontifes , eft une preuve finguliere & frappante de la tolérance desRomaim en fait d'opinions religieufes; les Dialogues fur la nature des Dieux , font un autre cate'chifme rYincrédulité Pyrrhonienne fur 1 importante queftion del'exiflenced'un Etre fuprême ; mais ce dernier Traité n'eft guere qu'un vain tiffu de fubtilités fceptiques , au lieu que celui de la Divination eft 1'ouv^age d'une tête auffi éclairée que libre, & auffi décidée que fage. C'eft apparemment ce qui engagea 1'Abbé Regnier a le traduire de préférence aux autres Ouvrages philofophiques de Cicéron. Dans ceux-ci, la Philofophie de 1 Orateur Romain , fouvent un peu commune , & quelquefois ou étrangement bornée, ou puérilement fophulique, a befoin d'être relevée par le charme du dyle de I'Auteur , qu'il eft comme impoffible" de faire paffer dans une autre Langue. Dans le Iraité de la Divination , le Traducdeur , foutenu par 1'agrémenf ck les détails du fujet, couroit moins de rifque de défigurer tout-a fait fon  be Regnier Desmarais. 229 modele & ne pouvant, dans fa copie, conferver a 1'original le mérite du coloris & de 1'harmonie , il lui confervoiï au moins celui du deflein Sc de i'enfemble. La traducdion de 1'Abbé Regnier efd élégante , fidele , &. accompagnée de remarques favantes qui en augmentent le prix. L'Auteur entreprit encore de traduire un autre Ouvrage de Cicéron , plus intéreffant par .fa matiere , mais moins fait pour le commun des Lecteurs, le Traité de Finibus bonorum & mulorum; c'eft-a-dire , De la nature des vrais biens & des vrais maux, Cette verfion n'a paru qu'après la mort de 1'Abbé Regnier ; mais tout eftimable qu'elle efl, elle n'a pas été aufïï accueifie que celie du Traité de la\ Divination ; le Traducdeur du Traité des biens & des maux ne pouvoit avoir pour Juges que des Gens de Lettres Philolopbes, & par conféquent affez peu de Leef eurs ; mais le Traducdeur des Plaif nteries de Cicéron fur les oracles , les augures , & les autres fuperftitions de la vénérable Antiquiré , étoit plus a portée d'amufer la mulümde, R eut même, a foree de  '2)0 Ê L O G E fuccès, un malheur femblable a celui que Fontenelle avoit déja efïüyé pour fon Hilloire des Oracles ; les efprits forfs de ce temps-la appliquerent aux Prophetes & aux miracles de la Religion Chrétienne , ce que dit le Philoiophe ancien des prédicdions & des prodiges d'une Religion abfurde ; les Adverfaires très-zéles ck très-vigilans des efprits forts , voulurent rendre le Traducfeur refponfable de ces applications fi fcandaléufes ; il fe récria hautement contre des imputations qui, a dire vrai, ne méritoient guere, par leur ineptie, d'être réfutées, mais 1'exigeoient par la gravité de 1'objet & par la redoutable importance des accufateurs. L'Abbé Regnier fait mention , dans fes Mémoires , de quelques autres producfions qui font reflées manufcrites, entre autres d'un Poëme francois a Ia louange du Roi : » Le mauvais fuccès » qu'ont toujours eu ces fortes d'Ou» vrages , dit naïvement le Pere Ni» ceron (i ) , a fans doute empêché (i) Memoires pour fervir h l'Hiiioire des Hommes illuftres dans Ia Républicjue des Lc-t-,  de Regnier Desmarats. i)\ » qu'on ne dón nat-, ce Pöëme au Pu» blic «.. Trente ans plus tot il eut été rec» avec avidiré , lorfque tout retentiltbit des louanges ck des vicdoires du Monarque. Mais le temps des louanges &■ des vicdoires n'étoit plus ; ck Ia bataille de Malplaquet , par oü finiffoit ce Poëme , n'étoit pas un moyen de le Lire lire, même a Verfailles ; I'Auteur s'abfiint donc très-prudemment de Ie paettre au jour, & fe contenta d'ofFrir en fecret fon hommage au Monarque vaincu ck malheureux. Ce monument de fon ze-Ie n'étoit par, le feul qu'il eut élevé a Ja gloire du Roi , car il nous apprend qu'il avoit compofé les infcriptions de la Statue de la place des VïcToires , a Texceprion pourtant de 1'infcn'ption fadueufe Viro Immorteli*. dont il paroit défirer que la Poftérité ne Paccufe pas. _ R ne parle point dans fes Mémoires d'un Ouvrage qu'il donna en 1700, ck qui contenoit le premier Livre de 1'Uiade en vers francois, avec une Préface oü il répond aux blafphêmes de tres,_r0m« F, page 365 , crticle de l'Abhi Regnier.  St^a É L O G Ë Charles Perrault contre Homere. Cette Préface eftpleine de raifon & de gout; mais I'Auteur plaide mieux p.our Tïliade par fa profe que par fes vers, qui feroient au divin Homere un tort irréparable , fi on pouvoit-foupconner 1'original de reffembler a Ia copie. Heft vraifemblable que Ie peu de fuccès de cette Traduclion de 1 Iliade empêcha I'Auteur d'en faire mention dans la lifte de fes Ouvrages , comme d'une produclion dont il étoit un peu hünteux & repentant (i). Defpréaux , qui étoit fon ami 3 ou du moins qui prend ce titre dans nne de fes Préfaces, n'avoit pas vu de bon ceil ce fatal travediffement du Poëte Grec , & en avoit fait \ I'Auteur 1'aveu ftncere. II paroit que les vers de 1 Abbé Regnier n'étoient pas en poffeffion de plaire a 1'inexorable Satirique ; car toute fon am'uié ne Pempêcha pas de mettre XEdit d\imour de notre Académicien parmi les mauvais Livres que les Chanoines du Lutrin fe jettent a la tète dans la bataüle qu'ils fe livrent fur les degrés du Palais. Cet Edit d'amour (i) Yoyez la Note (ƒ).  de Regnier Desmarais. *ft étoit une petite producdion obfcure de la jeuneffe de 1'Abbé Regnier , qui eüt bien pu.fe paffer de 1'honneur que lui fit Defpréaux d'en rappeler le fouvenir. Ce grand Poëte , fi 1'on en croit le Bolccana, parloit quelquefois de fon ami avec une liberté peu flatteufe : II fe croit, difoit-il, un grand Homme , paree quil a hérité de la grimace de Chapelain. Nous avons vu dans I'article de 1'Abbé Boileau , avec quelle liberté Racine parloit de ce Prédicateur , qu'il appeloit aufS fon ami ; & nous avons rappelé a ce fujet certaine chanfon de Molière, dont nous avons fait a Racine une application innocente , que fon maitre Defpréaux efl ici en droit de partager. Dans le volume qui contient ce premier Livre de 1'ïliade , on trouve la traducrion francoife de quelques Odes d'Anacréon par le même Auteur. La nature de ces Odes, qui ne font guere que des Madrigaux , 6t la négligence qu'on tolere dans les petits fujets, rendent cette traducdion plus fupportable que celie de 1'Iüade ; cependant elle ne placera jamais I'Auteur au rang des bons Poëtes. Les Académiciens de la  ^34 É L O G Ë Crufca avoient fait beaucoup plus d'hortneur a la tradudion italienne qu'il leur avoit envoye'e des Poéfïes d'Anacréon ; cette Compagnie en accepta la dédica.e , & la fit enfuite réimprimer a Florence avec deux autres tradudions du même Auteur , faites par des Poëtes Italiens, & très-efiimées de la Nation. De toutes les Poéfïes francoifes de 1'Abbé Regnier , celie qui a été le plus accueillié ed fa tradudion de la fameufe fcene du Paftor f.do , dans laquelle fe trouvent les vers fi connus fur la contradidion entre la morale févere quiinterdit 1'amour , & la nature qui femble 1'ordonner. La tradudion trèsfotble de ce morceau a été fouventcélébrée par cette multitude qui ne fe piqué pas d'être fort févere en poéfie 5 & il h'y a pas encore long-temps qu'on la faifoit apprendre aux jeunes fi'les, apparemment comme une excellente lecon de morale (1) : on y joignoitce pieux Sonnet de Desbarreaux^ deteftable d'un bout a 1'autre , mais que nos bons afeux regardoient comme un modele de verfification. Notre Siècle , (1) Voyez la Note (g).  r>v Hfgnter Desmarais. 255 moins dévot & plus difUcile , a penfe que les vers de Racine , de Defpréaux & de La Fontaine étoient plus dignes que ces böuts rimés d'orner la mémoire des enfans ; s'ils ne fentent pas Ècxet age tour le mérite de nos chefd'ceuvres , du moins leur mémoire eft un dépot qui les conferve , une terre oü cette femence précieufe repofe jufqu'a Ta-ge du jugement & du goüt qui doit la faire e'Jore & frudifïer ; ils ne fe voyent plus réduit a la nécefïïté facheufe d'oublier dans un age plus avancé les inepties poétiques dont on a fi long-temps fatigué leur enfance, & qu'ils n'ont fouvent apprifes qu'avec beaucoup de peine , de dégout & de larmes. Le fuccès de Ia fcene francoife du Taftor fido, confola , quoique foiblement, 1'Abbé Regnier du peu de fortune qu'avoient fait fes autres Poéfies francoifes ; mais il étoit condamné a n'être jamais parfaitement heureux comme Poëte ; car 1'accueil général que fa tradudion avoit recu , nuifit aux vues d'avancement qu'il avoit formées: il eüt obtenu les honneurs de 1'épifcopat, fans les fcrupuks que cette  E L O G È tradudion donna au Roi; mais il penis apparemment comme TEvêque Héliodore , qui aima mieux , dit on , renoncer a fon Siége épifcopal , que de fupprimer ou de'favouer fon Roman de Théagene & de Cariclée , préférant la re'pvnation de bon Ecrivain a toutes les dignités de 1'Eglife. II y avoit une autre caufe plus grave du refus de 1'Epifcopat fait a 1'Abbé Regnier. On lui attribaoit une P;ece de vers dont le fujet par malheur étoit très-irnpie , & qui, par un autre malheur , étoit fort répandae, & regardés comme très-fupérieure a toutes celles du même Poëte ; elle avoit pour objet le commerce criminel de Bethfabée avec Davfd , d'oü la Providence fit naitre le Meffie plufieurs fiecles après; la Piece finiffoit par cette plaifanterie, auffi ignoble que fcandaleufe : It faut avouer que Ia grace ïait bien des tours de pafTe-paffe Arant que d'arriyer au but. Nous ne rapportons ces vers fi impiej3 que pour difculper la mémoire de notre Académicien de la tache qu'on a voulu lui imprimer a ce fujet. II rij  ■ de Regnier Desmarais. 237 a d'autre témoignage qu'il en foit I'Auteur , qu'une tradition vague & fans ] preuve. Ceux qui prendront Ia peine j de lire le Recueil de fes Poe'fies, en ! trouveront un fi grand nombre d'e'dii fiantes , qu'ils ne pourront fe perfuader que tant de de'votion & tant de blafphêmes foient fortis de la même plume , ni que 1'Abbe' Regnier ait voulu reffembler au Poëte Rourfeau, qui, tout a la fois traduéleur de David & rival de 1'Aretin , appeloit fes Epigrammes | licencieufes les Gloria Patri de jes Pfeaumes. Si parmi les Pieces dont 1'Abbe' Regnier eftréellement I'Auteur, on vouJoit en citer quelqu'une qui ne fót pas indigne d'éloges, on pourroit rappeler lici celie qui eft connue fous le nom des Pai vu, & qui renferme, quoique trop longue, quelques vers heureux: - 3'ai vu la vanité s'élever jufqu'aux nucs Sur des ai'.es de cire, en un moment fondues... J'ai vu deux paitis difputer De- la vérilé fans 1'eutendre -, Le PuMic j fans y rien comprendr», Pont 1'un & 1'autre s'entétcr... Vii vu d'un peu de vent les hommes fe nourrir* T.t ne s'attacher qu'a pareine ; J'ai vu qu'en chcrchaat i eonnoitrc  23 S Éloge Nous n'appre-ions qu'a difcouiir ; J'ai vu L'éxceifiye pvudence Ne fervir qu'a nous décevoir, Le feul iocérêc rout mouvoir, — Et la profondeur du favoit Différcr peu de 1'ignorance. Nous citerons encore les vers fuivans, tirés d'une Piece fur les grands Seigneurs , que 1'Abbé Regnier avoit fréquemés beaucoup , & qu'il devoit bien connoltre. Après avoir dit que le Sage doit toujours rendre a leur naiffanoe & a leur rang les égards que la fociété & la décence exigent , Ie Poëte ajoute : Les aira?r, CcÜ une autre afF.iire; Qui ne les connoit qu'i demi S'honore d'être leur ami ; Qui les cor.noït bien , ne 1'eft guere. Qu'on nous permette enfin , quoique dans 1'éloge d'un Prêtre, de joindre a ces vers. une chanfon , qui peut-être n'étoit adrefiee qua une Iris en Vair 3 ou n'avoit été faite par 1'Abbé Regnier que pour le fervïce de queique amant malheureux , qui ne l'avoit pas toujours été;  de Regnier Desmarais. 239 Ne ciaigncz ppini que votie humeur legere Dans ma colerq fa (Te rien publier, Heureux , je ne fais que me taire, Trahi, je ne fais qu'oublier. Ces vers font a peu pres les meilleurs que nous ayons de lui. On peut, après les avoir lus , fe difpenfer de jeter les yeux fur prefque tous les autres. II reftera encore a I'Auteur affez de quaHtés académiques , pour qu'il puiffe a toute rigueur fe paffer de celie de Poëte. Tout Prêtre ck tout bel efprit qu'il e'toit , il avoit un courage dont un foldat auroit pu fe faire honneur. Envoyé par la Cour de France a ce'le de Bayjere pour une affaire importante , il fit une telle diligence qu'il fe rumptt une cóte en courant la porie; ce qui ne 1'empècha pas de continuer fon voyage , & de repartir deMunich deux jours après fon arrivés , pour apporter en cinq jours a Verfailles la rêponfe aux propofitions dont i! étoit chargé. 11 ne montra pas moins de courage dans quelques maladies cruelles êk dangefeufès dont il fut attaqué. 11 n'oppofa ^ la douleur ck au danger que le repos  «4o Éloge &. la patience. » Je n'appelai point de » Médecin, dit-il, & ne pris point de » médecine j paree que je fuis perfuadé » qu'il n'y en a point qui ne foit nuij> fible a celui qui en fait ufage. La » Nature toute feule , avec un peu de » temps , furmonta enfin le mal. J'ai i> éprouvé plus d'une fois par moi» même combien il y a de reffource en » elle , quand on ne latosrmente point » mal a propos ea recourant a des » remedes qui 1'accablent au lieu de la » foulager «. On voit par ce paffage , que 1'Abbe' Regnier étoit du nombre de ceux qui n'honorent pas Ia Médecine d'une grande confiance; mais il y avoit cette différence entre lui & les mécréans de fon efpece , que notre Académieien , conféquent dans fes principes, fe contentoit, dans fes maladies, de fouffrir & d'attendre ; tandis que la plupart des autres incrédules , impatiens ou timides , ont recours dans les mêmes circoriflances a 1'idole ou au Dieu qu'ils ont blafphémé , & fe laiffent, comme dit Montagne , tout difcrétement manier aux créances & exemples publïcs. On ne fauroit guere difcönveflir que dans  de Regnier Desmarais. 241 dans plufieurs maladies I'art ne foulage &. ne fauve quelquefois la nature : on conviendra plus volontiers encore , que dans un très-grand nombre d'autres cas il la traverfe & fouvent la détruit en voulant 1'aider; & 1'Abbé Regnier aura la-deffus peu de contradicleurs. La feule maniere füre de décider cet ancien & faflidieux proces, feroit de confrater par 1'expérience , fi des Peuples , dépourvus de médecine, vivroient plus ou moins long temps que ceux qui en ont une. Mais mafheureufement les Peuples fauvages qui n'ont que la Nature pour Médeein , n'ont point de regiftres mortuaires; & les Peuples civiiifés , qui ont fait une fcience de I'art de guérir, ne fe laifferont pas aifément perfuader d'en profcrire ou d'en fufpendre 1'ufage (1). (1) Voyez la Note Tome UI. L  242- E L O G E NoTES fur Tarnde de TAbbé ReGNIER DESMARAIS. (d) T^JoTRE Acadéraicien , qui irnitoit alfez bien les vers de Pétrarque pour tromper les Italiens eux-mêmes, étoit fi parfaitement inftruit des fineffes de cette Langue , que le dode Ménage, qui fe piquoit auffi de la bien favoir , lui apportoit les Pieces italiennes qu'il failbit quelquefois, ck les foumettoit a fa critique ; mais il fe plaignoit qu'a force de purifme ck de févérité , 1'Abbé Regnier les énervoit abfolument par fes corredions. II tutto , lui difoit Ménage , fe ne andato in limatura : Tout Ten eft allé en limure, Ce même Ménage , Auteur d'un Livre fur les origines de la Langue Italienne , oü il prétendoit réfuter, fur quelques fineffes de cette Langue , les Auteurs nationaux eux-mêmes , n'ofoit parler italien , quoiqu'il fut trés exercé a 1 écrire. Il y a une grande différence, difoit-il, entre favoir l italien , & favoir de Titalien; & il ne fe mettoit  de Regnier Desmarats. z4? que dans la feconde clafle. II ajoutoit, avec un courage «Sc une modeftie rare pour un Erudit, qu'il en étoit de même des idiomes anciens ; que les Littérateurs modernes les plus exerce's dans ces deux Langues, pouvoient tout au plus fe flatter de favoir du latin & du grec, & bomer la leurs pre'tentions. C eft de quoi ne conviendront pas bien des Auteurs de mauvais vers & de mauvaifes liarangues, oü ils croient avoir égalé Cicéron & Virgile ; leurs pre'tentions en ce genre font bien plus fortes que leurs titres. Les vers de Muret étoient traduits d'un ancien Poëte Grec , dont il ne refte que des fragmens. H fit croire a Scaliger ( & plufieurs autres Erudits üartagerent cette méprife ) que la Tradudion étoit d'un ancien Poëte Comique Latin , nommé Trabea. L'Epigramme de Scaliger, pour fe venger de cette fupercherie , étoit une ïortie violente contre les mceurs fcandaleufes, dont la calomnie ou la médif mee avoient accufé Muret. Echappé a ces accufations ck a fes ennemis , Muret s'étoit retiré a Rome, oüilfe fitPrêtre,  244 E L O G E pour faire pénitence ; il difoit tous les jpurs la Meffe avec une dévotion exemplaire, en expiation des fcandales qu'il avoit donnés, ou qu'on avoit pris lans qu'il les donnat. (c) Comme la critique dont il s'agit elf devenue rare , & qu'elle peut être de quelque utilité aux jeunes gens & aux étrangers , nous croyons qu'on nous faura gré de la remettre ici fous les yeux de nos Leef eurs; nous y joindrons quelques obfervations , dont la plupart auront pour objet celles des critiques de 1'Abbé Regnier qui nous paroilfent ou injuftes ou trop féveres. Kous rnettrons ces obfervations en lettres italiques, & nous les placerons entre deux patenthefes. M. 1'Abbé d'Olivet, qui, dans la première édition de fes Remarques fur Racine , a publié la cenfure de 1'Abbé Regnier avec une forte de eomplaifance, auroit peut-être dü , pour la rendre plus utile, y joindre des obfervations femblables. Mais il n'avoit garde de défendre Charles Perrault, le détracdeur des Anciens, contre 1'Abbé Regnier leur adorateur. R dit même qu'il a imprimé cette cri-  de Regnier Desmarais. 245 tique pour faire voir aux ennemis de 1'Antiquité , que Perrault leur Patriarche a fait plus de fautes dans trois ou quatre petites pages de profe, qu'il n'y en a dans toute une Tragédie de Racine. Quand cela feroit , s'en fuivroit-il que Charles Perrault eüt bien ou mal raifonné fur les Anciens ? AU ROI. » Sire, » Le Diélionnaire de 1'Académie » Francoife paroit (1) enfin fous les » aufpices (2) de Votre Majeité , & » nous avons (3) ofé mettre a la tête » de notre Ouvrage le nom augufle du » plus grand des Rois. Quelques (4) j3 foins que nous avons pris d'y raffem» bier tous (5) les termes dont 1'Elo35 quence & la Poéfie peuvent former » 1'élogedesplusgrandsHéros, nous(6) » avouons, Sire , que vous nous en jj avez fait fentir plus d'une foi; & le » défaut ck la foibleffe. Lorfque (7) » notre zele ou notre devoir nous ont L iij  «Hf Éloge » engage's a parler (8) du fecret im» pénétrable de vos deffeins , que la » feule exécution découvre aux yeux » des hommes , & toujours dans les » momens marqués par votre fagehe, » les mots de prévqyance , de pru» dence & de fugeffe même ne réy pondoient pas. f q ) a nos idéés, & » nous aurions ofé nous fervïr de celui » de ƒ10, Providcnce, s'il pouvoit ja» mais être permis de donner aux hom» mes ce qui n'appartf nt qua Dieu » feul Ce qui nous (1 j) confole , Sire , » c'eft (12) que fur un pareil fujet les » autres Languesn'auroient aucun avan» tage fur la nötre : celie des Grec» » & celie des Romains feroient dans » Ia même indigence , & tout ce que » nous voyons (13) de briljant & de » fubume dans leurs plus fameux Pa» négyriques, n'auroit ni affez de for» ce , ni affez d'éclat pour fouten-ir le fimple récitde vos vióloires. Que 1'on » remonte de fiet Ie en fiecle jufqu'al'An» ttquité la plus reculée, qu'y trouvera» t-on de comparable au fpecfacle qui » fait aujourd'hui 1'attention de 1'Uni» vers, toute 1'Euroj e armee contre » vous, & toute PEurope trop foible ?  de Regniér Desmarais. 247 » Qu'il nous foit permis, Sire , de 55 détourner un moment les yeux f14) » d'une gloire fi éclatante , & d'oublier, » s'il efl pofuble , le Vainqueur (15) » des Nations, leVengeur des Rois( 1 6), » le Défenfeür des Autels, pour ne reit garder que le Protedeur de 1'Acadé» mie Francoife. Nous fentons com» bien nous honore (17) une protecn tion fi glorieufe; mais quel (1 8) bon» heur pour nous de trouver en même » temps le modele le plus parfait de » leloquence ! Vous (19) êtes , Sire , „ naturellement 6t fans art , ce que » nous tachons de devenir par le tra- * vail ck par 1'étude. II regne dans » tous ( 20) vos difcours une fouve» raine (21) raifon , toujours foutehue „ d'expreffions fortes & précife? , qui „ vous rendent maitre (22) de toute » 1'ame-de ceux qui vous écoutent , ck „ ne leur laiffent d'autre volonté que » la vötre. L'eloquence (23) oü nous » afpirons par nos veilles, ck qui efl * en vous un don du (.iel, cue ne :lo;tm elle point a vos adions héro'iques? » Les (24) graces que vous verlez fans « ceffe fur les Gens de Lettres, peu» vent bien ftire fleurir les Arts 6c les L iv  248 Éloge » Sciences ; rnais ce font les grands » événemens qui font les Poëtes ik les » Orateurs : les merveilles de votre » regne en auroient fait naitre au mi« lieu d'un pays barbare. » Pandis (25' que nous nous appli» quons a 1'embellinement de votre » Langue , vos armes viclorieufes la » font pader chez les Etrangers : nous » leur en facilitonj 1'intelligence par » notre travail , & vous la leur rendez " néceffaire par vos corquêtes : ék li » elle va encore plus loin que vos con» quêtes, fi elle réduit toutes les Lan» gues des pays ou elle ed connue , a » ne fervir prefque plus qu'au cornmun » du Peuple , une fi haute" deftine'e » vient moins de fa beauté naturelle » ék des (26) ornemens que nous avons » tacbé d'y ajouter, que de 1'avantage » d'être la Langue de la Nation qui j> vous a pour Monarque , ék (nous ne * craignons pas de le dire) que vous » avez rendue la Nation dominante. » Vous répandez (27) fur nous un éclat » qui adujettit les Etrangers a nosCou» tumes dans tout ce que leurs Loix » peuvent leur avoir laiifé de libre : ils » fe font honneur de parler comme ce  de Regnier Desmarais. 249 i> Peuple a qui vous avez appris a furw monter tous les obftacles, a ne plus « trouver de places imprenables , a » fbrcer les retrancliemens les plus » inacceffrbles.Quel (28) empredèment, » Sire , la Pollente n'aura-t-elle point *' a rechercber, a recueidir les mémoi» res de votre vie, les criants de yicw toire qu'on aura mêlés a vos triom» phes ? C'eft (29) ce qui nous re'» pond du fuccès de notre Ouvrage; 5' Sx s'il (30) arrivé, comme nous ofons » 1'efpérer , qu'il aitle pouvoir de fixer m la Langue pour toujours, ce ne fera »> pas tant par nos foins , que paree » que les Livres Sc les autres monu55 mens qui parleront du regne de Vo» tre Majefie , feront les délices de » de tous les Peuples, feront 1 etude » de tous les Rois , Sc feront toujours » regardés comme faits dans le temps j> de la pureté du langage Sc dans le « beau Siècle de la France. *> Nous fommes (31), avec une pro» fonde vénération , Sec «.  250 Éloge Critique de VEyitre précédcnte, par Racine & VAbbé Regnier. (1) (Le Diclionnaire de V Académie parou enfin.) Cet mot enfin ne peut ici être dit qu'en deux fens : ou comme par un aveu deJalenteur de 1'Académie a travailler , ou par une efpece de vatne complaifance d'avoir pu venir a bout d'un fi grand Ouvrage. Or dans 1'un & dans 1'autre fens , le mot enfin elf mal , paree qu'il n'eff ici queflion ni de s'accufer ni de fe vanter. (IL fiemble que VAcadémie , fans s'accufer ni fe vanter , apufie fiervir ici du mot enfin ; Hfuffifoit quelle eüt mis beaucoup de temps d la compofition de fon D/lciionnaire , & que ce travail eüt en effet exigé beaucoup de temps, fans quon put accufier la Compagnie den avoir perdu. Or cefl en effet le cas oü elle fe trouvoit.) Voyez 1'Hifloire de 1'Académie , par M. 1'Abbé d'Olivet, Tomé H , pag. 4+ & fuiv. (2) ( Sous les aufpices de Votre Majefié.) On dit bien agir fous les aufpices , entreprendre, achever quelque  de Regnier Desmarais. 251 chofe fous Les aufpices d'un grand Prince , pour marquer que c'eft par fes ordres que tout s'eft fait; que c'eft fon génie , ion bonheur qui ont influé fur tout. Mais , paroit fous les aufpices , ne fe peut dire , a mon fens , que dans une occafion : ce feroit fi un Auteur n'ayant pas voulu, par modeftie, mettre un Ouvrage au jour, venoit .a y étre excité , & comme forcé par les inïtances dun grand Prince; car alors on pourroit dire avec fondement, que cet Ouvrage paroit fous les aufpices du Prince. Mais ici il n'y a rien de femblable. ( On dit aujourdhui, faire paroitre un Ouvrage fous les aufpices de quelqu'un, pour dire , le lui dédier. ylinfi cette critique porte d faux , au moins relativement d Cufage préfent de la Langue , ufage qui vraijémblablement étoit dès-lors établi } puifquon emploie ici cette phrafe.) (3) (Et nous avons ofé mettre d la téte de notre Ouvrage le nom augufle.) Cette phrafe, mettre le nom d'un Prince d la tête d'un Ouvrage, pour dire lui dédier un Ouvrage , me lemble impropre , en ce qu'elle ne fignifie point L vj  252 Éloge en éffet ce qu'on veut lui faire fignifïer. Le mot d'oj'er me femble auffi n'être pas a propos en cet endroit ; car en général , bien loin que ce foit une hardieife a qui que ce foit de dédier un Livre a un grand Prince , c'eft. au contraire une marqué de refpecd , un acde d'hommage; &. pour 1 Académie , c'eft un devoir a 1'égard du Roi qui en eft le Protecleur, c'eft une obligation indifpenfable. (Même obfervation que fur la critique précédente. On dit aujourd hui, 6" fon difoit vraifemblablement dès-lors , mettre le nom de quelqu'un a la tête d'un Ouvrage, pour dire , le lui dédier. Quant a la critique du mot ofer, elle paroit jujle en elle-même j mais nos formules de refpecl (bonnes ou mauvaiks) femblent autorijer cette exprejfion.) (4) ( Quelque foin que nous ayons pris dy rajfemller tous les termes dont VEloquence & la Poéfie peuvent former Véloge des plus grands Héros.) De la maniere dont ceci eft énoncé , on peut croire que 1'Académie , en faifant fon Diclionnaire , n'a eu d'autre chofe en vue que de recueillir les mots dont  de Regnier Desmarais. «55 on peut fe fervir dans un Panégyrique , dans une Ode , dans un Poëme épique • ou que du moins, en raffiembiant auffi tous les autres, elle ne 1'a fait que par maniere d'acquit; mais que pour ceux qui peuvent entrer dans 1'éloge d'un grand Prince , elle y a travaillé avec tout un autre foin ; car c'eft-la ce qui refulte naturellement de la phrafe dont il s'agit. Si on la vent prendre dans un fens plus étendu , & comme faifant une figure qui, dans 1'expreffion de la plus noble partie , comprend le tout, il y aura un autre inconvénient : c'eft que tous lesfaifeurs de Dicfionnaires feront auffi bien fondés que nous , a dire qu'ils ont pris foin de rajjëmbler tous les termes dont on peut farmer 1'éloge des plus grands Héros. [ Si Racine, comme le prétend 1'Abbé d'Olivet, a eu part a plufieurs des critiques de 1'Abbé Regnier 3 il efl difficüe qu il ait eu part a celle-ci; car on peut voir dans les Notes Jur I'article de M. de Clerraont-Tonnerre, Evéque deNoyon, que ce grand Poëte avoit d peu prés la méme adulation d fe reprocher.)  S5+ ÉLOGE II y a (Tailleurs une autre obfervation a faire la-deffus : c'eft que les mots de jurer, blafphétnet•> voler, tucr, ajfafftn, traitre , crime, poifon, incejle , &c. ne font pas moins dans le Dictionnaire de 1'Académie , que ceux de régner , vaincre , triompher, libéral, niagnanime , conquérant, valeur , gloire , fageffe, &c.; qu'ainfi on peut dire avec le même fondement, que nous avons pris foin de rafjembler tous les termes dont on peut fe fervir pour faire les invecdives les plus fanglantes, & pour décrire les acdions les plus abominables. (Cette critique paroit juf e.) (5) ( Tous les termes dont Véloquente ) , phrafe louche par elle-même , & qui lauTe en doute d'abord, ft on ne veut point dire tous les termes Véloquence defquels. ( On pourroit ajouter que la phrafe feroit encore mauvaife dans ce dernier fens ; car on ne dit point Véloquence des termes. D'ailleurs cette exprejfion , tous les termes dont on peut former 1'éloge des Héros, e(lelle bien correcle & bien élégante ? On dit bien les mots dont eft jortné un  de Regnier Df.smarais. 255 mot compofé, mais on ne dit point les termes dont efl formé un éloge , un difcours.) (6) (Nous avouons, Sire, que vous nous en ave^ fait fentir plus d'une fois & le défaut & la foiblejfe.) Ces mots-la , de la maniere dont ils font rangés, font tout un autre fens que celui qu'on a voulu y donner. On a voulu dire que le Roi nous failoit fentir la foibleffe & la pauvreté de la Langue : &. au contraire cette phrafe , telle qu'elle eft, fignine qu'il nous a fait fentir le défaut & la foibleffe des Héros. (Il efl certain que la phrafe pouvoit être écrite plus correclement ; & la remarque quon fait efl jufle dans la rigueur grammaticale ; mais le fens efl clair.) (7) ( Lorfque notre %ele.) Quand of! a avancé une propofition , il faut que la preuve qu'on en donne enfuite , y ait un parfait rapport. Ainfï , après avoir dit que le Roi nous a fait fentir plus d'une fois la foiblejfe de la Langue , il faudroit > pour le bien prouver, faire une efpece d'énumération des  256 Éloge chofes en quoi il nous 1'a fait fentir. Mais on ne parle que d'une feule; & par-la non feulement on manque a prouver fuffifamment ce qu'on avoit avancé , puifqu'une propofition générale ne fauroit être prouvée par un fait particulier; mais on donne de plus lieu de croire que ce n'eft qu'a 1'égard de ce fait particulier qu'on a trouvé la Langue trop foible. ' (8) ( Parler du fecret impénétrable.) Parler d'un fecret , c'eft le révéler, le divulguer : de forte qu'on pourroit dire, que bien loin que lezele & le devoir engagent a parler du fecret impénétrable des delfeins d'un Prince , ils obligent au contraire a n'en dire mot. ( Cette critique paroit bien févere ; le fens efl clair , & par luimême & par ce qui fuit. ) (q) ( Ne répondoient pas d nos idéés.) II faudroit, pour la juftelfe de la conftruction , ont mal répondu , puifqu'auparavant il y a , nous ont engages ; ou bien , ce qui feroit encore plus régulier: Toutes les jois que notre %ele ou notre devoir nous ont engagés.... nous avons  de Regnier Desmarais. 257 trouvé que les muts.... ne répondoient pas d nos idéés. ( Je ne fais fi je me trompe; mais il me femble que ne répondoient pas , efl ici plus exprejfif que n'ont pas répondu, & que d'ailleurs la jufleffe de la conftruclion nt sy oppoje pas. Ne peut-on pas trésbien dire , toutes les fois que j'ai été chez lui , il n'y étoit point \ Voila un imparfait qui Juit un prétérit. Une critique bien plus réelle d faire, c'efl que la louange efl ici exagérét d un degré ridicule , & c'eft le reproehe général quon doit faire d cette Epitre. Cefl auffi ce que le Cenfeur reproche quelquefois au Panégyrifle j mais luimême , comme on le verra , tombe auffi dans Vadulation.) (10) ( Providence.) Reconnoitre que le terme de Providence n'appartient qu a Dieu feul, & qu'il ne peut jamais être permis de donner aux hommes ce qui n'appartient qu'a Dieu, & dire en même temps qu'on le donneroit, s'il étoit permis de le donner , il y a en cela une contradiélion d'idées, & cela fe détruit de foi même. D'ailleurs en difant: & nous aurions  £58 Ê L O G Ê qfé , &c. i'il pouvoit être permis, &c, on marqué une grande difpofition a faire la chofe même , que 1'on reconnoit n'être pas permife. Cet endroit , a ce qu'il me femble , blelfe la bienfe'ance. ( Cette critique me paroit encore trop févere. La phrafe employee ici par Charles Perrault efl un tour oratoire dont on Je fert tous les jours pour faire paffer des louanges qui peuvent paroitre exagérées. Mais la critique eüt été plus jufie , ainfi que la précédente, fi el'e fut tombée fur Vexagération ridicule de Véloge.) (i i) ( Ce qui nous confole.) Voila encore un endroit oü 1'expreflïon fait tort au fens; car fi 1'Académie eft véritablement touchée de ce qui regarde la gloire du FM , ce ne doit pas être un fujet de confolation pour elle , de ce que les autres Langues ne font pas plus capables que la notre de donner une jufle idéé des aclions d'un fi grand Prince. On ne peut avoir raifon de s'exprimer de la forte , que quand on' veut bien laiffer voir qu'on n'agit que par émulation. Mais hors de la il eft mal de dire qu'on fe confole de »e  de Regnier Dismarais. 259 pouvoir pa- bien faire, paree que d'autres ne peuvent pas faire mieux. (( ette critique^ parOtt encore bien févere , en met tant toujours cï part L exagéra tion ridicule de Véloge. L 'Académie Jé conJo'e de ce que les autres Langues ne Jont pas plus rich* s que la Langue Fran^oile , par e quil en réjulte qire ce nejl pas la faute des Académiciens , s ils ne font pas plus éloquens dans les louanges qu'ils donnent au Roi.) (11) (Cefl que fur un pareil fujet les autres Langues riauroient aucun avantage fur la notre.) De ces deux fur, le premier eft peut-être impropre ; car on ne dit pas avoir avantage fur quelqu'un , fur quelque choje, mai< en quelque chofe. De plus, l'exaéHtude & la purete' du flyle ne fouffrent pas qu'on mette dans un petit membre de période , deux fur, qui dépendent tous deux d'un même régime). (13) (De brillant & de fublime dans Leurs plus fameux Panégyriques.) A prendre le mot de Panégyrique dans un lens étroit , cela n'iroit pas  260 Éloge loin. Ainfi je ne doute point que par les plus jameux Panégyriques , on n'ait -eu en vue tout ce que les Anciens , Grecs ck Romains , peuvent avoir fait de plus achevé , en matiere de louanges, dans tous leurs Ouvrages. Mais en même temps auffi je crois que c'eft une exagération , & trop forte en elle-même, & vicieufe outre cela quant au fens & quant a 1'expreffion , que de dire que ce qu'il y a de pms brillant & de plus fublime dans 1'éloquence, ou Grecque ou Romaine , ne puifte pas avoir aj/c^ de force & a([e% d'éclat pour joutenir le fimple récit des vicloires du Roi. D'ailieurs le brillant, le fublime , & 1'éclat ne font point faits pour Joutenir : ck un fimple récit des vicloires du Roi ne doit point être foutenu. ( Onpourroit ajouter que foutenir un récit, fe dit pour l'ordinaire dans un fens trés-différent de celui quon jr donne ici. Je n'ai pu foutenir le récit de vos malheurs, cefl-a-dire , je n'ai pu le fupporter.) (14) ( Qu'il nous foit permis, Sire, de détournerlesyeux d'une gloire fiéclatante.) Je ne blime point cette phrafe;  de Regnier Desmarais. 261 mais pourtant les yeux d'une gloire peuvent trouver de mauvais plaifans. (Ces plaijans auroient bien envie de Vctre.) (15) (Le Vainqueur des Nations.) Pour pouvoir dire qu'un Prince efl le Vainqueur des Nations , il ne fuffit pas qu'il ait été toujours viélorieux dans toutes les guerres qu'il a ou entreprifes ou foütenues contre diverfes Nations; il faut q,u'il ait fubjugué des Nations entieres. Or cela ne fe peut pas dire du Roi; quoique fes vicloires & fes cönquêtes foient plus grandes & plus glorieufes par elles-mêmes que celles des Princes qui ont fubjugué plufieurs Nations. (Pourquoi aj a une critique tres-jufte cette derrière phrafe d\idulation qui la dépare ? ) (16) (Le Vengeur des Rois.) Cette épithete ne convient pas non plus. R faudroit, pour qu'elle fut fo.ndée crue le Roi eüt effeclivement rétabli le Hoi d'Angleterre fur le tróne. Tant qu'il ne 1'y rétablit point , il eft fon protecleur , fon appui, mais il n'eft point fon v en geur; le mot de vengeur fup-  262 Éloge pofant un homme qui non feulement a pris quelqu'un fous fa proteclion , mais qui 1'a effedivement vengé de fes ennemis &. re'tabli dans fon premier état. (17) ( Une proteclion fi glorieufie.') La conftruclion iouffre ici; car il ne fumt pas que fous le terme de Protecleur, celui de proteclion foitenfermé, pour dire enfuite abfolument une pro teHion fi glorieufie : mais il faut néceffairement que celui même de proteclion ait été exprimé : ces mots une fi glorieuje étant ici de même nature que le pronom démonflratif ce, qu'on ne peut jamais employer fans que le terme, auquel il fe rapporte ait été déja employé peu de temps auparavant, ou fans ajouter eniuite quelque chofe qui marqué précifément de quoi il s'agit. Ainfï, après avoir parlé de la protedion dont le Roi honore 1'Académie , on peut bien dire , une fi haute proteclion , Sire. Que fi on ne s'eft point encore fervi du mot proteclion , il faudra dire , une fit haute proteclion que celie dont vous nous honore?^, ou quelque autre chofe de  de Regnier Desmarais. 26"$ femblable ; car fi 1'on n'ajoute rien après une fi haute proteclion , dans un cas oü le même mot n'a pas précêdë; encore une fois, il n'y a point de conftruclion. ( Cette critique paroit malfiondée. II riejl pas néceffaire que le mot de proteclion fe trouve dans la phrafe précédente. Cefl tout au plus ce que Von pourroit exiger, sily avoit ici, cette proteclion au lieu d'une pretection , encore y a-t-il Ieau coup de bons Ecrivains qui ne s'afireindroient pas d cette contrainte. Nous ajouterons que la phrafe propofée par V Abbé Regnier , une fi haute proteclion que celie dont vous nous honorez , riefl point franpoïfe, ilfaut dire , une auffi haute proteclion que celie dont vous nous honorez.) Si glorieufie. En parlant des grandes aclions du Roi, c'eft fort bien dit, des aclïons fi glorieujes , paree que c'eft a lui qu'el'es apportent de la gloire. Mais en parlant de la proteclion que le Roi nous donne , comme ce n'eft pas a lui , mais a nous qu'elle fait honneur, il faut le marquer & dire , une proteclion qui nous efl fi glorieuje. Ce qu'il y a encore a obferver fur  264 Éloge cette plirafe, combien nous honore une proteclion fi glorieufe, c'eft qu'elle roule fur des termes qui ne difent a peu prés que la même chofe , &. qu'ainfi elle tombe dans le vice oü tomberoit celui qui diroit : Je fens combien mefiiiit de plaifir une chofe fi agréable , ou je jens combien tnefl utiie une chofe fi avantageufe; carl'honneur & la gloire ne font pas plus didincds entre eux que 1'agrément & le plaifir , que 1'avantage ck. 1'utilité. (18) (Quel bonheur pour nous de trouver en même temps le rnodele le plus parfait de féloquence ! ) De la facon dont ceci eft énoncé , on ne donne pas affez a entendre oü 1'on a trouvé ce modele ; & puifque c'eft du Roi qu'on veut parler , il me femble qu'il auroit fallu dire , de trouver en vous, ou quelque chofe d'équivalent. Mais fans m'arrêter a ce qui regarde ici 1'expreifion , je paffe a ce qui regarde le fens. Le Roi parle fans doute très-pure* ment , il s'exprime avec une grande jufteffe , avec une grande précifion , & il a 1'efprit fi excellent , il eft fi confommé  de Regnier Desmaraïs-, 365 confommé dam les affaires de fon Etac, que tout ce qu'il penfe & tout ce qu'il dit dans fes Confeiis, eft toujours ce quil y a de meilleur a dire & a penfer. C'eft donc un très-grand Prince, un très-grand génie , qu'on peut propofer aux Rois pourmodele : mais eftce un Orateur éloquent, fur le modele duquel ceux qui afpirent a 1'éloquence, doivent & puiffent feformer l De plus, quand le bon fens , la pureté , & la précifion qui regnent dans tout ce que le Roi dit dans fes Confeiis, feroient cette véritable éloquence , que les Académiciens doivent chercher, comment la pourroient-ils imiter, puifque pour cela il fiudroit être admis dans fes Confeiis , & pouvoir 1'entendre parler fur les affaires de 1 Etat l Car s'ils n'ont 1'honneur de le voir & de 1'entendre que comme la foule des courtifans , ils pourront bien apprendre de lui a fe poflèder toujours, a ne dire jamais rien de dur, rien d'inutüe , rien que de précis & de fage. Mais tout cela regarde bien plus les mceurs que 1'é'oquence. Auffi plus j'approfondis la louange qu'on a voulu donner en cela au Rei, moins je la trouve convenable. Tome Hl.  a66 Éloge (19) ( fous êtes , Sire , naturellement & Jeins art , ce que nous tdchons de devenir par Vétude). Pour juger fi cette propofition renferme un fens jufte , il faut examiner ce que le Roi eft naturellement , & ce que les Académiciens doivent travailler a devenir par 1'étude. Le Roi eft naturellement, c'efl-a dire par fa naiffance, & fans y avoir rien contribué de luimême , Roi de France ; il eft naturellement d'une bonne & heureufe complexion : <3c fi 1'on veut entendre encore davantage le fens de naturellement , il a naturellement de 1'efprit, de la pénétration , de la bonté, de la douceur, de la fermeté , de la grandeur d'ame. Voila a peu pres ce qu'on peut dire que le Roi eft naturellement, & ce qu'il a fans le fecours de I'art. Mais eft-ce la ce qu un Académicien doit, fe propofer de devenir & d'acquérir ? II me femble que comme Académicien, ce qu'il doit fe propofer , c'eft de devenir un excellent Grammairien, un excellent Critique en matiere de Littérature , un excellent Homme de Lettres. Or le Roi n'eft t ien de tout cela naturellement. (Les Académiciens ont  de Regnier Desmahiais. 267 voulu dire que le Roi eft éloquent naturellement & fans art, tandis quïl ont befoin d'ejforts pour le devenir. Le fens efl clair par ce qui précede , & la phrafe paroit fur ce point d Va.bri dela critique yfauf, encore une fois, Vexcès de faduiation). (20) (Il regne dans tous vos difcours). La chofe eft vraie en foi, mais elle me paroit mal énoncée ; car ces mots dans tous vos difcours, ne conviennent nullement au Roi. R fausiroit dire : Il regne dans tout ce que vous dites ; ou bien, vous ne dites rien oit il ne regne. (Il mefemble que, du moins aujourdliui , dans tous vos difcours fignifieroit dans tout ce que vous dites). (11) ( Une fouveraine raifon). Cette fouver.iine raiïon dont il eft ici queftion , &c qui fait les fages Princes & les habiles Politiques, eft-ce la même qui fait les Oratturs ék les Poëtes l Nullement: c'en eft une d'une efpece toute différente , ék qui n'a rien de commun avec 1'éloquence , fi ce n'eft paree qu'il n'y a point de véritable éloquence que celie qui eft fondée fur M ij  26? E L O G E la raifon. (Rn donnant ici la raifon pour bafe ejfeniielle d l'éloquence , on. jii/lifie , au moins jufqua un certain, point , la phrafe de l' Académie, Vadulalion étant toujours mij'e d part). (12) ( Qui vous rendent mattre de toute Vame de ceux qui vous écoutent3 & qui ne leur laifjent d autre volonié que la votre). Tout cela fe peut fort bien dire d'un grand Prédicateur . d'un grand Orateur, &, fi 1'onveut, d'un éloquent Général d'armée , accoutumé a haranguer fes foldats & a 'eur inf* pirer ce qu'il \eut; mais non pas d'un Roi qui donne fes ordres a fes Miniftres , & qui leur prefciït ce qu'ils doivent faire. Voila quant au fens des paroles : je viens maintenant aux pa» roles mèmes. On dit fort bien , en parlant d'un Orateur , ceux qui Vécoutent. Mais en parlant d'un Roi qui agite , qui difcute avec fes Miniflres les affaires de fon Etat, il faut dire ceux qui Tentendent parler. Et dire, en cette occafion , ceux qui 1'écoutent, c'eft une phrafe auffi irnpropre que fi on difoit fes Auditeurs pour dire fes Miniflres. (Je ne crois  de Regnier Desmarais. 269 pas cette critique ju/Ie. Ceux qui 1'écoutent a quelque chofe de plus fiat/eur & de plus noble [puifquenfn on veut ici louer le Roi) que ceux qui 1'entendent parler). II y a , ce me lemble , une autre faute de jufleffe dans cesparoles, qui vous rendent & ne Uur l ai (Jent.... car ce ne font pas les expreffions fortes & pre'cifes qui rendtnt un homme maitre , öcc., c'eft la fouveraine raifon foutenue de ces expreffions. Et par confequent , au lieu que ces mots font mis au pluriel & fe rapportent a expiejfions, ils doivenr être mis au ilngulier , & fe rapporter a Jouveraine raifon. Je crois aufh qu'en cet endroit, exprejfions fortes n'eft pas bien dit, paree que dans la .bouche du Maitre , des expreffions fortes font des expreffions dures & qui tiennent de 1'empire de la menace. (Des exprcfjions fortes , même dans la bouche du Roi, ne Jont point des expreffions dures, mais des expreffions pleines de rigueur & d'énergic). Quant a cette autre facon de parler, maitre de toute Vame , il me lemble M iij  270 Éloge qu'elle a quelque chofe de poétique, ck qu'elle eft ici mal appliquée ; car s'agit-il que le Roi, pour faire entrer fes Miniftres dans fon fentirnent , fe rende maitre de leur efprit , par la force de fes raifons ck de fes paroles ? (Cette critique ne paroit ni bien claire ni bien tufte. Le Roi peut Jans doute obligcr Jes Miniftres d fuivre Jon avis fans les perfuader • mais on a voulu dire ici qiiil ne les y obligé quen les perfuadant. D'ailleurs il ne s'agitpas feulement ici de Vafcendant que Véloquence du Roi lui donne fur jes Miriflres , mais de Vavantagc qu il en tire pour j'ubjuguer tous les ëjprits & gagner tous les cccurs. On peut feulement olferver que cette expreffion maitre ce toute 1'ame , eft bien peu élégante3 Joit en profe, foit en vers). (23) (Ué'oquence oü nous afpirons par nos veilles , & qui eft en vous un don du Cel, que ne doit-elle point a vos aclions hêroïques) ? Si on s'étoit contenté de dire que féloquence oü 1'Academie afpire , doit beaucoup aux aólions hêroïques du Roi, on auroit dit une chofe qu'on pourroit trouver  de Regnier Desmarais. ij\ moven de foutenir. Mais de dire que 1'éloquence qui eft en lui un don du Ciel, doit beaucoup a fes actions hêroïques , c'eft une chofe qui ne fe peut pas défendre ; car c'eft a dire précilement, que le don du Ciel qui eft en lui, doit beaucoup a fes acdions. (Iljy avoit ici une autre critique a faire. VAuteur de VEp'ure a voulu dire que les aclions hêroïques du Roi prêtent beaucoup d Véloquence; & cette phrafe, 1'éloquence doit beaucoup a vos actions , fignifie dans fon fens le plus naturel , l éloquence doit s'occuper beaucoup a célébrer vos grandes actions). (24) (Les graces que vous verfe^ fans ceffe fur les Gens de Lettres, peuvent bien faire fleurir les Arts & les Sciences ; mais ce Jont les grands évenemens qui font les Poëtes & les Orateurs). Si les graces répandues fur les Gens de Lettres font fleurir les Lettres , il s'enfuit nécelTairement qu'elles font auffi des Poëtes & des Orateurs; car les Lettres ne peuvent pas fleurir fans 1'éloquence & la poéfie. Ainfi le fens du fecond membre de cette péM iv  272 Éloge riode étant déja enfermé dans Ie prei mier, il n'y a pas lieu de 1 'énoncer enfutte dans le fecond membre comme par une efpece d'óppofition , & d'en former un axiome. Mais quand il n'y auroit nulle difficulté en cela , je ne vois pas fur quoi on fe fonde pour avancer que ce font les grands événemens qui font les Poëtes & les Orateurs. Tout ce qu'ils font, c efl de leur fournir des fujets propres a les exciter & a les foutenir. Alexandre a été un des plus grands conquéra,ns du monde, & il n'y a peut être jamais eu de plus grand événement dans 1'Univers, que le renverfement de 1'Empire des Perfes , fuivi de 1'ëtabhïfement de celui des Grecs dans une partie confidérable de 1'Europe, dans I'Egvpte & dans l'Afie jufquau Gange. Cependant les grandes chofes qu'il a faites , lui ont-elles fait naitre un excellent Poëte Grec ? Et le Poëte Cherilus qui les a vues , & qu'il Combloit même de bienfajts , en a-t-i] été moins mauvais Poëte ? Les vicdoires d'Annibal, grandes & frgnalées en Efpagne &. en Italië , & celles même de Jules-Céfar , ont-elles fair naitre  de Regnier Desmarais. 273 des Poëtes & des Orateurs ? En a-t-on vu de bien illuftres du temps de Charlemagne , fi célebre par fes grandes acdions , & par 1'Empire Romain partagé avec les Grecs ? Et s'il étoit vrai que les merveilJ.es du regne d'un Prince duffent faire naitre des Orateurs & des Poëtes, au milieu d'un pays barbare; pourquoi les premiers Ottomans n'en ont ils point eu, dont le nom ait mérité de parvenir jufqu'a nous l Je fais bien que 1'éloquence ne doit pas être renfermée dans les bornes d'une vérité rigoureufe : mais il ne faut pas auffi , dans une Epitre, s'emporter comme feroit un Orateur dans la tribune , ou comme un Poëte dans un Ouvrage pindarique. (25) {Tandis que nous nous appliquons). Voici une période d'une extréme longueur , & qui n'a en cela nulle proportion avec les autres , qui font prefque toutes coupées. (Je ne vois pas cii ejl cette période fi longue qui finit proprement au mot Etrangerj. La période un peu longue ne commence qua ces mots : Et fi elle va encore , &c. pour finir aceux-ci, la ISation domiMv  2.74 Éloge nante. Mais la longueiir rien efl pas excefive , & riailleurs les autres phrafes de TEpitre ne font pas aflé\ courtes , pour que celle-ci détonne par fa longueur). 11 me femble , au refle, qu'il y a quelque chofe qui blelfe la bienféance, de repréfenter dans un même tableau , d'un cóté 1'Académie mvaillant a la compofition ou a la révifion du Dictionnaire , ck de 1'autre le Roi a la tête de fes armées. Mafs laiffant cela a part , puifque c'eft du Diélionnaire qu'on parle ck du Diclionnaire achevé , il ne faut pas dire en le préfentant: Tandis que nous nous appliquons .... vos armées viclorieufes Tont fait paf/er , &c, (Cette critique paroit fans fondement; le préfent a ici plus de vivacité & d'exprefflon que le préterit). ('26) ( Des omemens que nous avons taché dy ajouter). Travailler au Dictionnaire d'une Langue, eft-ce y fouter des ornemens ? Tous ceux qui font des Diélionnaires, ne font que descompilateurs plusoumoins exacts. On orne, on embellit une Langue par desOuvra-  de Regnier Desmarais. 275 ges en profe & en vers, ecrits avec un grand fens, un giand goüt:, une grande pureté , une grande exacutude , un grand choix de penfées & d'expreffions. Mais on ne peut pas dire que ce foit y ajouter des ornemens , que d'en recueiilir , d'en définir les mots, & d'en fournir des exemples tire's du bon ufage. (27) [Vous répande^fur nous). Ce nous, ft on en juge par tous les autres qui font dans 1'Epitre, & même par ceux qui font dans la période précédente, doit s'entendre des Académiciens. De forte que dans la rigueur des termes, la pbrafe entiere fignifie que les étrangers font aiTujettis aux coutumes de 1'Académie , dans tout ce que leurs loix leur ont pu laiffer de libre. Mais quand on óreroit 1 equivoque de nous , qui eft très-facile a eter , il ne feroit peutêtre pas aifé de réduire cette penfée a un lens jufle ck faifonnable; car la Langue d'un pays peut elle raifonnablement fe mettre au rang des chofes, que les loix laiffent a la liberté des Peuples de quitter comme il leur plait l M vj  276 . É 1 O G £ (i3) (Quel empreffement). Tout ceci, quant au fens, ne me paroit pas affez lié ni avec ce qui pre'cede , ni avec ce qui fuit. (29) (Cefl ce qui nous répond du fuccès). Qu'efl-ce que le fuccès dun Ouvrage ? EO-ce fimplement de durer long-temps & de pafïèr a la Pofiérité ? Si cela elf , tous les mauvais Ouvrages qui font parvenus jufqu a nous depuis deux mille ans, plus ou moins , ont eu un grand fuccès. Et que prometon au Diclionnaire, quand on ne lui promet autre chofe ? Mais fï , par Ie fuccès d'un Ouvrage, on entend, comme on le doit , le jugement avantageux qu'en fait le Public après favoir exa» miné; comtnent peut-on dire que 1'empreffement que Ia Podérité aura a recueillir les mémoires de la vie du Roi, efl; ce qui répond du fuccès du Diclionnaire ? (30) (S'il arrivé..*, qu'il ait le pouvoir de flxer la Langue pour toujours, ce ne fera pas tant pour nos foïns que paree que...)-s c'eff-a-dire : sïj arrivé qu'il ait le pouvoir de fixer la Langue ,  de Regnier Desmarais. 277 ce ne ('era pas lui qui la lïxera. La bonne logique auroit voulu qu'on eüt dit : S'il arrivé que la Langue Francoife , teile qu'elle eft aujourd'hui, vienne a être fixée pour toujours, ce ne fera pas tant nos foins que paree que, &c. (3 1) (Nous fomtnes). Lorfqu'un particulier écrit a un autre particulier , il peut finir fa lettre par-tout oü il veut. II peut couper tout d'un coup , & dire, je fuis, fans que cela ait aucune liaifon de fens avec ce qui a précédé. Peut-être même qu'il eft mieux d'en ufer de la forte , que de s'amufer a prendre un tour pour finir une ïéttre comme en cadence. Mais il n'en eft pas de même , a mon avis, quand une Compagnie écrit au Roi. II faut que tout foit plus compalfé , plus mefure, plus étudié \ & que du moins les dernieres chofes qu'on a dites ayent quelque rapport de fens avec la proteftation par laquelle on finit; car une fin brufque , &. qui n'eft liée \ rien , marqué de la négligence ou de la laffitude J & 1'un & 1'autre blelfent le refpecd. ( Le refpecl exïgc , du moins aujourd'hui , que la derniere phrafe qui en  2/2 ÉLOGE coatient la formule , foit fénarée des autres , & même mïfe a la ligne, comme elle Vefl ici. Tel efl au moins L'ufage acluel, lorfquon écrit a des perfonnes d'un rang trcs-fupérieur). Voici maintenant les remarques critiques de 1'Abbé Regnier fur 1'Epitre que M. Charpentier avoit faite pour le Diclionnaire de 1'Acarlémie. Chacune de ces remarques nous paroit trèsjufte , fi on en excepte la derniere. Lettre de M. Charpentier au Ro'u «Sire, » Quand 1'Académie Francoife ap» porte fon Diclionnaire a Votre Ma» jedé(i), c'eft un hommage qu'elle » vous rend de votre propre bien. Les » graces continuelles que nous avons » re£ues de votre libéralité & de votre » magnificence (2) , nous ont été fi » néceffaires pour achever cette en» treprife , qu'on peut dire que c'eft » votre ouvrage autant que le notre. » Ce Diclionnaire eft un fidele portrait  de Recnïer Desmarais. 279 » ae 1 'état giorieux ( 5) oü eft enfin »» Oarvenue la Langue Francoife, par » les réflexions de tant de grands Hora» mes qui l ont employee dans leurs " Ouvrages , & principalement par » 1'attention de Votre Majefté , qui la » parle avec une pureté & une poli» telfie qui nous font fentir qu'on n'y » peut plus ajouter de nouvelles-.graces. » Nous avons préparé, Sire, les maté» riaux (4) qui doivent être employés v au temple de votre gloire. Et ceux » qui voudront toucher déformais a r> vos acdions immortelles, trouveront » peut être après nous (5) plus de fa» cilité a s'en expliquer : mais ne nous w flattons point de leur être utiles (6) , >' fi la noblelfe de leur génie ne les » éleve au deffus de nos méditatkms. » Pöurrons-nous leur fuggérer des ter» mes affez forts pour atteindre a ces " idéés hêroïques (7) qui ont porté no5' tre bonheur au dela de notre efpé» rance , & qui ont changé en mieux » la face de lUnivers l La Foi Chré» tienne prêchée jufqu'au fond des In» des (8) par un edet de votre zele; 35 la France purgée de 1'héréfie qui » 1'avoit fi long-temps infectée ; la  sSo Éloge » Religion Cathollique vicdorieule > & » triomphante ; les pernicieufes maxi» mes d'une fauffe valeur abolies; Ia » fainteté des Loix par-tout révérée ; » 1'injuftice réduite a fe contenter de « faire de mauvais fouhaits ; la Ma» jedé Royale foutenue contre les ef>3 forts de la rebellion ck, de la tyrannie; » les ennemis de la France vaincus par» tout; leurs plus fortes places fou» droye'es; les trophées de vos vicdoi3' res par mer & par terre élevés dans 30 toutes les parties de 1'Europe; la Juf33 tice toujours compagne de vos ar» mes ; tout cela , Sire ,' s'olfrira en y> foule a ceux qui entreprendront de >3 parler de Votre Majedé. C'efi a trasi eer de fideles images de ces grands 33 événemens qu'ils s'occuperont. Heu>3 reux s'ils trouvent des coüleurs affez 33 vives pour exprimer tant de lumie33 res (9) , & s'ils en peuvent foutenir >3 1'e'clat fans s'éblouir ! De notre cóté , 33 Sire, nous rendrons de continuelles 33 acdions de graces au Ciel (10' de 33 nous avoir fait vivre en un temps 33 oü nous fommes les fpecfateurs de 3> tant de merveillles ; oü nous voyons » de nos propres yeux cet air plus  de Regnier Desmarais. 281 » qu'bumain (n) imprimé fur votre » front , & oü nous entendons les ora» cles de votre bouche facrée, bonheur n qui nous fera envié de la Pollente. » Cependant, Sire , agre'ez nos pro» fonds refpecfs; jetez un regard fa» vorable fur 1 Ouvrage que nous pre'» fentons a Votre Majelfé , alfure's que >■> fon approbation (12) fera la plus glo>» rieufe récompenfe de nos travaux. » Nous fommes , » Sire, » Vos, &c «. Remarques de M. VAbbé Regnier, (1) Beau paffage pris de Saint Auguftin , Liv. 9 de fes Confefïions, chapitre 13. Quifquis tibi enumerat merita fua, quid tibi enumerat, nijï munera tua l (i) Voila de grands mots pour ne fignifier que des jetons, du bois 6c de la bougie. (3) 11 eft ridicule de dire qu'un Die-  a§z Éloge tionnaire qui n'eft qu'un recueil de termes ck de phrafes , foit un fidele portrait de 1'etat glorieux d'une Langue. II pourroit être tout au plus un fidele portrait de fon abondance : 6k ce qui ed une louange fade ék. puérile , c'eft de dire que la Langue foit farvenue a cet état principalement par attention du Roi. (4) Faire un Diclionnaire , eft-ce prêparer des matériaux? Les matériaux d'une Hiftoire ne font pas les termes. Ce font les mémoires qu'on donne pour une Hiftoire , qui en font uniquement les matériaux. (s) Pourquoi, ék qu'eft-ce que cela veut dire ? (6) Qu'eft-ce que cela veut-dire encore 1 S'agit-il de donner ici des préceptes ? (7) Qu'eft-ce que c'eft que des termes affe\ forts pour atteïndre l Et qu'eft-ce que c'eft que des idees hêroïques , qui portent le bonheur au dela de Uefpérance, & qui changent  de Regnïer Desmarais. i8} en mieux la face de VUnivers l c'eft un galiraatias pompeux, &. de plus fort a contretemps. Dans cette énumération il y a des chofes vraies; mais il y a des chofes vagues, qui ne font que d'un déclamateur, d'un homme qui dérobe des phrafes a Balzac , & d'autres qui font dites d'une maniere impropre & outrée. (9) Autre phrafe de galimatias & de de'clamateur. (10) Voila un plaifant partage pour des Académiciens, de donner aux autres 2 célebrer les grandes acdions du Roi , & de fe réferver le foin de rendre de continuelles actions de graces a . Dieu. R feroit excufable au Clergé de faire ces fortes de diftributions. (11) II a voulu imker ma lettre en cet endroit. Mais Vair flus quhumain ed dit poétiquement & eft outré: le refte eft auflï outré. (iz) Cet endroit eft bien. II n'y a  284 Éloge que le mot a"' approbation qui ne conVient nullement. (Cette remarque efl la feule qu; ne paroiffe pas bien jufle. Le mot ^'approbation femble être ici le plus convenable). Nous ignorons li. 1'Académie eut quelque connoiffance des remarques critiques faites par Ion Secrétaire fur 1'Epltre de Perrault & fur celie de Charpentier ; il paroit au moins que cette derniere Epitre , telle qu'on vient de la lire, fut rejetée paria Compagnie, puifqu'elle ne fe trouve poirif a la tête de 1'édition de 1694. On n'y trouve point non plus celie de Perrault, dont a la vérité on a confervé plufieurs ptrafes ; & comme 1'Abbé Regnier nous alfure dans fes Mémoires que 1'Académie préfera a 1'Epitre qu'il avoit faite , celie dont M. Charpentier étoit I'Auteur, il en faut conclure que M. Charpt-nt'er fut apparemtnent chargé par 1'Académie de compofer une troifieme Rpitre , ou il conferveroit ce qui lui paroïtroit de meilleur dans les deux autres. C'eft fans doute celie qu'on lit a la tête de 'a première édition , & que nous croyons devoir inférer ici, afin qu'on puiffe la juger , foit en elle-  de Regnier Desmarais. 285 njêmé, foit en la comparant avec les deux dont on vient de lire la critique. AU ROI. » Sire, » L'Académie Francoise j» ne peut fe refufer la gloire de pu» blier fon Diclionnaire fous les auf» pices de fon augufte Protecdeur. Cet » Ouvrage eff un recüeil fidele de tous » les termes ck de toutes les phrafes » dont 1'éloquence & la poéfie peu» vent former des éloges; mais nous » avouons, Sire, qu'en voulant tra» vailler au votre , vpus nous avez fait » fentir plus d'une fois la foibleffe de » notre Langue. Lorfque notre zele » ou notre devoir nous ont engagés a » célébrer vos exploits , les mots de » valeur , de courage & d'intrépidiié » nous ont paru trop foibles; & quand v il a fallu parler de la profondeur ék » du fecret impénétrable de vos def» feins , que la feule exécution dé» couvre aux yeux des hommes , les  286 Éloge » mots de prévoyance , de prudenee » ck de fageffe même ne répondoient » qu'imparfaitement a nos ide'es. Ce » qui nous confole, SlRE, c'eft que » fur un pareil fujet les autres Lan» gues n'auroient aucun avantage fur » la notre. Celie des Grecs ck celie » des Romains feroient dans la même » impuiffance , le Ciel n'ayant pas » voulu accorder au langage des hom» mes des expreffions auffi > fublimes » que les vertus qu'il leur accorde » que'quefois pour la gloire de leur » fiecle. Comment exprimer cet air de » grandeur marqué fur votre front, & » répandu lur toute votre perfonne , » cette fermeté d'ame que rkm n'eft » capable d'ébranler , cette tendreffe » pour le Peuple , vertu ft rare fur le » tröne, & ce qui doit toucher par» ticuliérement les Gens de Lettres, » cette éloquence née avec vous, qui » .toujours foutenue d'exprefïïons no» bles & précifes, vous rend maitre » de tous ceux qui vous écoutent, ck ne » leur laiffe d'autre volonté que la vó» tre l Mais oü trouver des termes pour » raconter les merveilles de votre re» gne l Que 1'on remonte de fiecle en  de Regnier Desmarais. 287 » fiecle, on ne trouvera rien de com» parable au fpeclacle qui fait aujour» d'hui 1'attenrion de 1'Univers. Toute » 1 Furope armee contre vous, & toute » 1'Europe trop foible. » C'eft fur de tels fondemens que » s'appuie 1'efpérance de 1'immortalité » oü nous afpirons ; ck quel gage plus » certain pouvons-nous en fouhaiter » que votre gloire , qui, affurée par » elle-même de vivre éternellement » dans la mémoire des hommes, y fera » vivre nos Ouvrages ? L'augufte nom » qui les défendra du temps, en dé.» fendra aulfi la f -angue qui aura fervi » a le célébrer j ék nous ne douions » point que le refpeéf qu'on aura pour » une Langue que vous auréz parlée, » que vous aurez employee a diéter » vos réfolutions dans vos Confeiis, ék. » a donner vos ordres a la tête de vos » armées, ne lafalfe triompher de tous » les fiecles. La fupériorité de votre » puilfa-nce 1'a déja rendue la Langue » dominante de la plus belle partie du » Monde. Tandis que nous nous ap» pliquons a 1'embellir , vos armes vic» torteufes la font palfer chez les Etran» gers; nous leur en facilitons 1'intelli-  i8S Éloge » gence par notre travail , & vous la » leur rendez néceffaire par vos con» quêtes ; & fi elle va encore plus loin » que vos conquêtes , fi elle fe voit » aujourd'hui établie dans la plupart » des Cours de 1'Europe , fi ede ré» duit, pour ainfi dire , les Langues » des pays oü elle efl connue , a ne » fervir prefque plus qu'au comrnun » du Peuple , fi enfin elle tient le pre» mier rang entre les Langues vivanv tes , elle doit moins une fi haute » defline'e a fa beauté naturelle, qu'au » rang que vous tenez entre les Rois » & les Héros. » Que fi 1'on a jamais dü fe pro» mettre'qu'une Lanerue viyante put » parvenir * être fixée , & a ne dé'» pendre plus du caprice & de la » tyrannie de 1'ufage , nous avons lieu » de croire que la notre eft parvenue » de nos jours a ce glorieux point » d'immutabilité , puifque les Livres » & les autres monumens qui parle» ront de Votre MajestÉ, fe» ront toujours regardés comme faits # dans le beau Siècle de la France , » & feront a jamais les délices de » tous les Peuples &. 1'étude de tous » les  de Regnier Desmarais. 189 » les Rois. Nous fommes , avec une » profonde vénération, »Sire, » Vos, &c. Ont éga'.ement attaché, 5) L'un tant de douceur au pêché , » L'autre des pcines fi féveres , y> Sans doute, ou la Nature eft imparfaite en foi , y> Qui nous donne un penchant que condamne la Lol ; ss Ou la Lot doit patTer pour une Loi trop dure , jj Qui coidamne un penchant que donne la \~ature «. Le SavantLittérateur laMonnoye a traduit ces mêmes vers du Paflor fido en vers latins, qui valent un peu mieux que les vers francois de 1'Abbé Regnier, 6c beaucoup moins que les vers italiens: Si plecit* dulce eft adep fuccumbere cu!p>e, Et plae.ix temen ufque adeó pugnare necejfe efi, Traxa vel es Natura nimis , contraria Leg!, Vel tu-, Keuurx contraria, barham Lex es. N iv  196 ÉLOGE A I'occafïon de ces vers de 1'Abbé Regnier, nous avons parlé du Sonnet de Desbarreaux , & nous avons ofé dire qu'il eft déteflable d'un bout a I'autre. R fuffira , pour le prouver, d'en fouligner toutes les expreffions ridicules ; Grand Dien, tes jugemens font remplis d'èquitê. Toujours tu prends plaifir a nous être propice : Ma:s fat tant fat de ma', que jamais ta bonté Ne pent me paidonner fans choquet ta juflice. Oui, Seigneur, la grandeur de mon inirmité Ne laifle a ton pouvoir que le choix du fupplice : Ton intèrét s'oppofe a ma fe'licité , Et ta cle'mence même atttnd que je périjji. Contente ton de'fir, puifq^'i/ t'tfi glqrièux ; Cffcnft-toi des pleurs qui coulent de mes yeux: Tovme, frappe, ilefttemps; rends-moi guerre pour guerre, J'adore en périflant la raifon qui t'aigrit : Mais deffus quel endroit tombera ton tonnerre , Qui ne foit tout couvert du fang de Jéfus-Chrift ? L'Abbé Regnier, comme nous 1'a-. vons dit, réuffiffioit mieux dans la Poéfie italu-nne que dans la francoife. De toutes les Pieces qu'il a faites dins U première de ces deux Langues , nous ne citerons que les vers fuivans fur la mort de !a Ducbeffe de Montbazon ; ils nous parohTent d'une fimplicité fine  de Regnier Desmarais. 297 & élégante , qu'il feroit difficile de rendre en francais avec toutes fes graces ék fa naïveté : Socco quel duro marmo , Di inoitat vclo fciülta La bclla Mcntbjzon giace fepolta ; Feftingiii le donne, piangan gli Amori, Et libeii ogj,i mai vadiuo il cori. \ Nous y joindrons la tradudlion fuivante, purement littérale ék vers par vers, pour faire fentir, quoique trèsimparfaitement , le mérite de «es vers a ceux qui ignorent la Langue Italienne: Sous ce matbre infenfible , Dégagte du voile mortel , La beüe Montbazon eft enfevelie ; Jes femmes fe réjouifTent , les Amours pleurent, Et les caeurs déformais font libics. Les deux vers latins fuivans , qui font de 1'Abbé Regnier , ék qui ont pour objet le paffage du Rhin en 1672 , paffage tant célébré , quoiqu'affez peu digne de 1'ètre , font ce qu'il y a de mieux dans les nombreufes infcriptions latines ék francoifes du même Auteur , pour la Statue de la Place des Vicfoires; Kt  198 E L O G E Granicum Macedo, Rhenum fecai apmir.e Gallus i Quisquis fatla volts conferre , 6> flumir.a ccnfer. L'Auteur difoit peut-être mieux qu'il ne vouloit , & , contre fon intention , louoit plutöt Alexandre que Louis XIV. Le Granique pouvoit n'être pas auffi large que le Rhin , mais il étoit défendu par une armee qui combattit, & le Rhin , par une armee qui tourna le dos. Parmi les Poéfïes de 1'Abbé Regnier , on trouve une Piece remarquable par la mefure des vers. Cefl une Hymne fur la PrédejTination , en vers non rimes , & de même mefure que les vers fapphiques. Le mauvais Poëte Dubartas & d'autres avoient déja erfayé ce genre de Poéfie, auquel nous croyons que notre Langue ne fe prêtera jamais (i). Dans la Piece de 1'Abbé Regnier, la profodie eft eftropiée fouvent; I'Auteur y fait breves des fyllabes Iongues, & Iongues des fyllabes breves. Cefl de quoi on peut s'aifurer aifément , eft chantant cette Hymne fur le même air (i) Voyez dans un des volumes fuivans quelques obfervatio-ns fur cette matiere. (Notes fur l'artiek de l'Allé d'Olivet).  de Regnier Desmarais. 299 que les Hymnes latines de même meiure , comme on s'appercoit facilement des fautes contre la profodie dans une chanfon mal parodiée fur un air connu. On a demandé fi des vers de cette efpece , affranchis de la rime , mais dans lefquels on obferveroit exaclement la quantité des fyllabes, feroient plus difficiles a faire que nos vers ordinaires & rimés. C'eft une queftion que nous n'entreprendrons pas de décider j ck dont la décifion , quand elle feroit facile , nous paroit bien peu importante au progrès de la Littêrature. (h) L'illuftre Pétrarque, cet Auteur fi chéri de 1'Abbé Regnier , ne penfoit pas plus favorablement que lui fur les Médecins ék la Médecine. Al'occafion de cet apboriime d'Hippocrate , ars ionga j vita brevis (I'art eft long ék la vie courte), il difoit : Vitam Medici dunt brevetn dixerunt, brevijjimam effecerunt. Les Médecins 3 en difant que la vie cjl courte, Vont rendue bien plus ■courte encore. N vj  ÉLOGE  Ét mie , comme ils font le fel de la » terre ; vos eflis foi terra: , dit Jéfus» Chrift a fes Apótres, dont les Evê» ques, comme Ton fait, font les fuc» ceffeurs «. Ce froid ck injufle farcafme n'empêchera pas les noms des Boffuet , des Fénelon , des Maflillon , des Fléchier, ck de leurs femblables , d'être auffi néceffaires qu'honorables a notre lifte , oü le Public nous reprocberoit de ne les pas trouver. Quant a d'autres noms du même eenre , refpectables d'ailleurs, mais moins impofans queceux-ci, ils ne doivent y être que le'gérement clair-femés, & c'eft-la le fel que M. 1'Abbé d'Olivet nous avertit de répandre fur la Compagnie avec autant de choix que de moc'ération. Nous ne fiarlons point des Prélats qui fans taens comme fans vertus , fi par mallieur il s'en trouvoit jamais de tels, joindroient a ce doublé titre d'exclófion la haine deè Lettres èk des lumieres, & le fanatifme politique de 1 hypocrifie ambitieufe; de tels Membres (dont le Ciel veuille préferver TAcadémie ék 1'Eglife ) feroient le plus déteftable fléau d'une Société Littéraire,  306 Éloge, &c. & le pre'fage funefle de fa ruine (i). (i) Un des plus nobles róles cjue puilTent jouer dans 1'Académie les Prélats qu'elle compte p:rmi fes Membres , c'eft de fe rendre auprès du Monarque les défenfeurs des Lettres calomniées & perfécutées. C'eft ce qu'a fait en digne Prélat & en digne Académicien M.l'Archevêque de Lyou , "notre illuftre Confrère , dans la belle Iettre qu'il a écrite au Roi fur ce fujet au commencement de 177^ ; lettre que fa modeftie & des motifs plus refpeétables encore ne lui permettent pas dc rendre publique , mais qui mériteroit d'être lue dans le Confeil de tous les Rois. L'Archevêque de Paris , Francois dë Harlai, qu'on accufe d'avoir eu des mceurs peu féveres, mais qui avoit de 1'éloquence , du gout, & fur-tout de 1'élévation , fe trouvant a la tête de 1'Académie dans une dét>utation eii la Compagnie n'avoit pas été recue comme le Prinre J'avoit ordonné , eut le courage de dire au Monarque, que Franpois Premier , lorfqu'on lui préfentoit pour la première fois un Rgmme de Lettres, fiifolc trois pas au devant de lui. C'eft ce même Francois Premier enne les bras duquel mnuiut ié célebre Artifte Léonard de Vinei, 6: qui , voyant fes Courrifans étonnés des marqués d'intér.'t qu'il di'tmoir a cet homme de génie , n'liéfita point a leur dire : Dieu feul peut faire un homme tel que lui ; les Rois peuvent faire des hommes tels que vous. Plus d'un Prélat Académicien a donné aux  DE JULES DE CLEREMBAULT, absé DE saint-taurin d'évreux, Recu a la place de jean de La Fonttaine, le 3 Juin 1695 , mort le 17 Aoüt 1714. I L étoit flls de Philippe de Cleremba'ult, Maréchal de France , diftingué Lettres & a 1'Académie des marqués publiques & diuinguécs de fes fentimens. On peut voir entre autres dans le Difcours de réception de M 1'Arcbcvcque d'Aix , avec quelle dignité & quelle vérité cc Prélat releve les avantages des lettres, leur influcnce fur le bonheur des hommes, fur la perfeétion de Ia morale , & fur les principes d'une fape adminiüration. L'Acadérnie fe fera toujours honneut d'adopter des Evêques qui penleDt fi dignement de fes travaux , & le Public ne s'étonnera jamais de les voir affis au milieu de nous.  308 Éloge par la gloire qu'il avoir aequife a Ia guerre (i). M. 1'Abbé d- Clerembault fuccéda a notre illuflre Fabulifie Francois; & comme il étoit contreiait, cette partie du Public qui ne laiffe jamais écbapper (O On lit dans Ie Méntigiana , que ce Marécb.il de Cleiembault , plus brave ^pparemmcnt qiie rjigieux , ayanr fu de fon Médecin q.i'il lui reftoi: tre>-peu»de fenps a vivre, envoya cherciier un Prêtre , & lui dit pjur toute corjfeflion : Je men vais donner tête baijfée dans i'avenir. A*Oi'-il lu le pauVe ori Montajne parle ain/i de ia mort ? « Je me plonge flupideraent , & tête baijfée , dans »cette proföndeur muetre qui m'engloutic " & m'étouffc en un moment, plein d'in» fipidité & dïndolence «. Le Curé Ra'belais difoit en expirant : Je mei vais chtrther un grand peut-être , exprefïïon p'us digne d'un Philofophe Sceptique , que d'un Piêtre & d'un Chrétien , & trop fcmbüble au mot d'un Epicu ien mourant a fon vr'et: Dans q-ielques minutes , mon ami, j'en faurai beaucoup plus ou beaucoup moins que toi. Ce mêm: Maréchal de Clerembault s'exp'irmit, dir-on, avec beaucoup de peine & d'obfcurité. II fe brouiüa avec la fvneufc Madame Cornu«I , célebre par fes bons mots, & dont il^ avoit été long- temps Tintinne ami'. Je fuis fdckée , difoit-elle , de l'avoir perdu , jt commenfois a 1'entendre.  de Clerembault. 302 1'occafion d'une plaifanterie bonne 011 mauvaife , dit que 1'Académie avoit choifi Efope pour rernplacer La Fontaine. Cet Efope n'étoit pas indigne d'un pareil honneur, par les talens académiquesqu'i' réuniffoit a un degré peu commun , par la vivaciié de fon efprit , fertile en expreffions fortes ék ïïngulieres, par une mémoire prodigieufe , auffi füre qu'étendue , & que ceux qui la confultoient ne trouvoient jamais en défaut. » II n'étoit pas, dit » M. 1'Abbé Maffieu , fon fucceffeur » af'Académie, du nombre de ces hom» mes qui s'imaginent qu'un grand nom » eft un privilége d'ignorance II » réfolut de porter le favoir auffi loin » que fes aïeux avoient porté la va> » leur Philofophe ék Tbéologien , » il fembloit que la Nature ék la Re» ligion n'eufTent pour lui rien d'obfcur » ni de caché. Profond dans THiftoire , » on eut dit qu'il avoit vécu dans tous » les fiecles, ék qu'il avoit vu toutes > les Nations «. M- 1'Abbé Maffieu ajoute que fon prédéceffeur étoit plein d'eftime ék de zele pour 1'Académie : c'eft le fentirnent naturel qu'elle doit infpirer i  jlO E L O G E tous fes Membres, & qu'elle mérite d'en obtenir. Mais ce fentirnent , quoiqu''elle en connoiffe le prix, h'éut pas été pour M. 1'Abbé de Clerembault uil titre fuffifant d'adoptioa dans le Sanóluaire des Mufes , s'il n'y. avoit joint tous ceux dont nous venons de faire honneur a fa mémoire. Diftmgue, il eft vrai, par fa naiifance , mais privé de toute autre décoration , il avoit befoin , pour juftifier le choix de 1'Académie , de lui apporter, comme il fit , tout Ie mérite d'un véritable Homme de Lettres. En effet , ni h naiffance feule , ni même le fimple goüt des Lettres joint a la naiffance , ne doivent être des paffe ports fuffifans pour ouvrir 1'entrée de cette Compagnie. Elle doit renfermer, ft 1'on peut parler de la forte , trois- families différentes d'Académiciens ; la première & la plus importante pour elle , eft celie des Ecrivains célebres deftinés a foutenir aux yeux de la Nation & de 1'Europe la gloire de 1'Académie Francoife ; la feconde , moins brillante , mais non moins néceffaire , eft celie des Gens de Lettres inftruits , éclairés , laborieux, utiles. par leur aftiduité Sc par-  de Clerembault. 311 leurs lumieres au travail journalier dont la Compagnie s'occupe ; la troifieme , plus éclatante qu'indifpenfable , doit être formée d'Académiciens refpecdaBits par leurs places & leurs dignités, pour faire refpecfer la Compagnie ellemême a cette multitude nombreufe , éblouie & fubjuguée par les décorations extérieures, & a qui un cordon en impofe plus qu'un bon Ouvrage : encore ces décorations , fi frappantes pour un certain Public , tenteroient peu f Académie , fi ceux qui en font revêtus n'y joignoient le droit plus réel que donnenta nos fuffrages 1'efprit, le goüt & les lumieres. II feroit difficile de trouver place parmi nous pour une quatrieme familie , pour celie de ces faux amphibies , qui ne tenant a la Cour que par un dl très-foible , & aux Lettres que par un autre ril plus imperceptible encore , voudroient jouir a la fois des avantages du rang & de ceux du mérite , fans avoir ni 1'éclat des dignités, ni celui des talens; efpece de contrebande qu'il feroit très-dangereux d'admettre parmi nous, par la facilité funefte qu'il y auroit a 1'y multiplier. De pareils choix ne pouvant répandre  311 Ê L O G E, &C. furl'Académie aucune efpece delullre, même d'opinion ou de vanité , entraineroient bientót fa dégradation, que des circonftances malheureufes ameneront peut être un jour , mais qu'elle ne doit ni préparer ni accélércr par fa faute. JACQUES  JACQUES BE TOUREIL, NÉ a Touloufe le 18 Novembre i 656, refu a la place de MlCHEL LE CLERC , Avocat au Parlement, le i^Février 1692, mort le 11 Octobre 1714. (1). (1) Voyez fen Eloge dans 1'Hiftoire de VAcadémie des Belles-Lettres. Tome III, O   F A B I O BRULART DE SILLERY» ÉVÊQUE DE SOISSONS, NÉ au chdteau de Prejjlgny en Touraine, le 25 Oclobre 1655 , repu d la place ^'Étienne Pavillon , le 7 Mars 1705 , mort le 20 Novembre 1714 (1). (1) Voyez fon Éloge dans 1'Hiftoire de 1'Académie des Belles-Lettres, O ij   IE ju O E DE CÉSAR, CARDINAL D'ESTREES i Êvcque de Laon t Commandeur des Ordres du Roi , né le 5 Février 1628 , recu a la place de PiERRE du Ryer, le 31 Mars 1658, mort le 18 Décembre 1714. ivf. le Cardinal d'Eftrées fut a la fois homme dEtat & Académicien : mais nous ne parierons de 1'homme dEtat, qu'autant qu'il déploya dans les affaires importantes dont il fut chargé, les talens qui 1'avoient fait adopter paria Compagnie , ék fur-tout I'art de la parole ék de la perfuafion qu'il poffédoit a un degré fupérieur. II fut nommé de bonne heure a 1'Evêché de Laon; ék le premier ufage que fit Louis XIV O iij  3 '8 ÉLOGE des talens du jeune Prélat, fut de Ie nommer pour médiateur entre leNonce du Pape ék quatre Evêques Francois , réfracfaires trés obfiinés a Ia condamriation de Janfénius : la négociation étoit d'autantplus difficile , que la querelle rouloit fur un point de théologie , bien futile a la vérité par luimême , mais auquel les quatre Evêques croyoient fEglife ék leur confcience vivement intéreifées; il s'agiffoit de cette grande queflion : Si VEvêque cTYpres avoit foutenu dans fes Ouvrages la doctrine dont on Vaccufoit, & que les deux partis s'accordoient dailleurs a condanmer; les Sectateurs de Janfénius difoient a fes Adverfaires : Si les cinq propoftions quon lui impute font en eff'et fa doctrine, montre^-les nous dans fon Livre , nous fignerons fa condamnation; ék les AdverfairesdeTEvêque d'Ypres écrivoient de gros volumes pour prouver que fi les cinq propofitions n'étoient pas en nature dans ce terrible Livre , le poifon y étoit au moins en fubflance (i). (i) Les p!aif.;ns du parti Janfc'nifte racontent qu'un Eccléfiaftique acheroit chez un Li-  ©u Cardinal d'ëstrées. 319 Tel étoit 1'objet de cette querelle , k laquelle néanmoins 1'Eglife de Rome , celie de France , & même le grand Boffuet, firent 1'honneur de s'en occuper (1). L'Evêque de Laon , chargé d'une négociation ou d'illuftres Prélats attachoient tant de prix , eut befoin de toute fa modération, de toute fa patience, de toute fon adrelfe, pour amener les efprits a un accommodement qu'on appela la paix de Clément IX, &même,AkM. de Voltaire, la paix deVEglife, quoiqu'il fut queftion d'une difpute ignorée ou méprifée dans le refte du Monde Chrétïen; encore cette paix ne dura-t-elle que peu de temps, psrce que de part & d'autre les contendans vouloient la guerre , dont ils avoient befoin pour faire parler d'eux. La Cour de Rome , de concert avec feraire l'Ouvrage de Janfénius, qu'il trouvoit fort cher (cet Ouvrage doit être aujourd'hui a très-bon marché, fi quelqu'un 1'achcte encore ) : Au moins , dit 1'Eccléfiaftique au Marchand , les cinq propofuions y font-elles ? Si tllts y étoient , répondit le LibVaire , vous n'aurier pas le Livre pour cent écus. (1) Voyez les notes fur I'article de Bofluet. O iv  32° E L O G E celie de France, récompenfa TEvëaue de laon dun chapeau de Cardinal, imon pour la paix perpétuelle qu'il n avoit pu faire, au moins pour la treve jf» il avoit fu obtenir • & bientót après, ie Hoi Je cbargea des affaires de France aupres du Pape. La circonfdance étoit liqal ' JeS, efPrits e'tant alors fort echauffes & ]es deux Cours fort aienes au fujet del'affaife delaReVale f.) Cependam , mi\gré Jes bravades & les iniultes rnême du Souverain Pontife , Louis XIV, alors la terreur de 1'Eu' rope , faifoit a 1'EgliCe Romaine Thon«eur de la ménager ; & ce Prince qui n oppofoit a fes plus redoutables ennemis que Ja fierté & la force, daignoit defcendre aux négociations avec le vieux Prêtre fucceffeur de S. Pierre JNous n'héfitons point a donner a 1'Eveque de Rome ce titre modeffe, que prenoit autrefois Jiumblement un Pape orgueilleux , tout glorieux d'avoir foumisafesvolontés, dans un fiecle d'iVnorance, un puiffant Empereur (2) , en ne (1) Dieu a voulu, difoit Alexandrc III,  du Cardinal d'Estrées. 311 repoulTant les armes du Prince qu'avec les clefs qu'il tenoit dans fes foibles mains. Louis XIV , fidele a fa qualité de Roi très-Chrétien , mais placé dans un fiecle moins timide & plus éclairé, ne vouloit ni brifer ces clefs autrefois fi redoutables , ni laiuer brifer fon fceptre par elles ; & tout irrité qu'il fe montroit contre 1'Evêque de Rome , il étoit bien réfolu de refter toujours le refpecdueux fils du S. Siége. M. le Cardinal d'Eftrées remplit en digne Miniftre du Monarque des vües tout a la fois fi fermés ck fi pieufes. Le zele du Négociateur en cette circonftance démentit hautement une maxime injurieufe a 1'épifcopat ék a la pourpre , avancée dans plus d'une occafion par des politiques foupconneux; il prouva qu'un Prélat Cardinal peut fervir trèsfidélement fon Souverain , ék qu'on peut être Prince de 1'Eglife Romaine qu'un vieux Prêtre triomphdt d'un Empereur puifani & terrible. Cet Emperenr puiflant Sc terrible étoit le fameux Frédéric Barberoufle , dont les armes Sc le courage ne purent réfift'er aux foudres eccléfiaftiques , alors trèsrefpectcs des Peuples Si ttès-redoutés des Souverains. O v  $£2 E L O G £ fans oublier qu'on eft Francois. Chargé de traiter avec une Cour qui , réduite a Ia rufe par fa foibleife même , n'a d'autres reffimrces que de fe couvrir de la peau du Renard dans les momens oir 1'ancienne Rome n'auroit montré que les ongles du Liott, le Prélat Francois fut oppofer Ia prudence a Ia fineffe , la modération aux vains éclats du zele , TacTiviié a la lenteur, ck la vigueur a 1'opiniatreté. R eut a traiter , peu de temps après, avec le même Pape Innocent XI une autre affaire d'autant plus critique, que ce Pape ré'clamoit un droit très-jufte , celui de priver d'aftle dans Rome les brigands & les malfaiteurs ; le Roi, qui auroit fans peine accordé cette demande aux repréfentations & a 1 equité , ne la refufoit qu'a la hauteur & aux menaces. Le Cardinal d'Eftrées réuffit a tout pacifier ] mais il n'en vint a bout (grace aux détours infidieux defaftuceiralienne) qu'après plufieurs années de négociations, auffi Iongues & prefque auffi épineufes que s'il eut éte' queftion du traité de paix le plus important , après la guerre la plus opiniatre, & pour les plus grands intéréts.  du Cardinal d'Estrées. 32} Exercé dans la connoiflance de? hommes & dans I'art de manier les efprits, M. le Cardinal d'Eflrées en fit un ufage heureux dans plufieurs Conclaves, ou fon titre lui donnoit le droit d'affiller pour concourir a leleclion du Chef de 1'Eglife. Le Saint-Efprit, qui, au milieu des intrigues & des cabales , veille toujours fur ces affemble'es (i) , ne dédaigne pas , difent les The'ologiens, quand le bien de la Religion 1'exige , d'employer les moyens humains pour faire réuffir les chofes divines ; il fit fervir dans ces occafions les talens du Cardinal d'Eflrées, a remplir les vües de fa providence & de fa fageffe , en élevant toujours fur le tröne pontifical le fujet que défiroit un Monarque zélé pour la propagation de la Foi, & pour 1'honneur de la Religion Catholique. (1) Je me repens , difoit Saint Charles Borromée a Grégoire xiii , de vous avoir donné ma voix pour la Papauté , depuis que 'fai appris les écarts de votre jeunejfe. Charles, répHqua le Pape fur le ton du pieux Cardinal , foye^ tranquille j le Saint-Efprit le Cavou avant vous. O vj  324 Éloge L'habile ék heureux Négociateur fut envoyé d'Italie en Efpagne , au commencement du regne de PhilippeV, a qui le Roi de France fon aïeul vouioit donner pour Confeil un homme plein de fa ge {Te & de lumieres. L'Ambaffadeur eut a traiter dans cette Cour, non plus avec des Prêtres fouples ék. rufés , mais, ce qui étoit plus dïfhcile, avec une femme ambitieufe, puiuante ék fiere , qui gouvernoit le Monarque ék le Royaume, la fameufe Princeffe des Urfins, dont le crédit fit rappeler Ie Cardinal d'Eflrées au bout de trois ans. Mais Louis XIV, voulant éloigner de ce rappel toute idéé de difgrace ék de dégout, ék d'autant plus fatisfait de fon Minifire que les Courtifans de Phihppe V 1'étoient moins, lui donna pour récompenfe 1'Abbaye de SaintGermain-des-Prés , oü il acheva paifiblement fes jours avec la confidération que méritent les dignités ék la naiffance ,^ quand on y a joint des talens utiles a la patrie. M.^ le Cardinal d'Eflrées étoit entré dans 1'Académie dèsl'age de vingt-huit ans; fon nom étoit déja fi diftingué dans les Lettres , que Chapelain lui  du Cardinal d'Estrées. 325 fit 1'honneur de le placer , avec les Ecrivains les plus célebres qu'il y eüt alors, fur la lide qu'il en fit par ordre de Colbert. Voici ce qu'on lit dans cette lifte au fujet de 1'Evêque de Laon : » II n'a rien imprimé que 1'on fache ; » mais on a vu de lui plufieurs lettres » latines 6k francoifes de la derniere » beauté , & qui font bien voir qu'il » n'eft pas feulement Docdeur en Théo» logie , mais encore au Parnaffe entre i> les premiers «. Cet éloge , dont le ton & la forme pourroient rendre la vérité fufpecde , n'étoit pas auffi exagéré qu'on feroit tenté de le croire. A un grand amour pour les Lettres, M. le Cardinal d'Eftrées joignoit en effet beaucoup de talens pour les Lettres mêmes. II les cultiva , autant que fes autres travaux le lui permirent, avec la même ardeur & le même fuccès que s'il y eüt attaché fafortune (1). Nous voyons p2r les difcours prononcés a 1'Académie le jour de la réception de 1'Abbé d'Eflrées fon neveu , Teftime qu'on avoit dans la Compaenie pour les connoiffances ^i) Voyez la Note (a).  326 E L O G E &. les qualite's acade'miques de Tonele , qui étoit préfent a la féance. » Dans » quels ages , dit M. de Valincourt » ( dont le défaut n'étoit pas la flaty> rie), dans quels fiecles cet illuflre Car» dinal ne parolt-il pas avoir vécu » Grecs, Latins, Phi'ofophes, Poëtes, » Hiftoriens , tous lui font préfens; & » lorfque nous les voyons revivre dans » fa bouche , c'eft toujours avec des » graces nouvelles, dont on peut dire > qu'ils lui font redevables «. Tels étoient les fentimens de TAcadémie pour M. le Cardinal d'Eflrées. Elle eut le bonheur de le polféder prés de foixante ans, & de le voir long;| temps a fa tête en qualité de Doven ; quand elle le perdit, elle le pïeura comme fi elle venoit a peine de Tacquérir. Puiftent tous fes fuccelfeurs dans le Décanat mériter de pareils regrets ! ^M. le Cardinal d'Eflrées mourut a lage de prés de quatre vingt-fept ans. On lui avoit adreifé , quelques mois auparavant, une Piece de vers, oü en Texhortant a conferver la fanté dont il jouiifoit encore , on ajoutoit :  du Cardinal d'Estrées. 317 Et donne 1'excmple a Louis De -vivre un fiecle 8c davantage. I e Monarque ne fuivit pas 1'exemple du fujet, car il mourut quelques mois après lui, ayant dix années de moins, & cependant ayant vécu dix années de trop pour fa gloire , cruellement obfcurcie par la fin de fon regne, au moins fi on en juge par les événemens. On fit a notre Académicien différentes Epitaphes en vers latins, dont le vers le plus remarquable efl celui ci: S.epè vlrum Reges experti ftila mcnentem, qui peut fe traduire en cette forte : Par lui la vérité fi fit entendre aux Rois. éloge qu'on devroit lire plus fouvent fur la tombe des Evêques, mais qu'on ne s'attendroit guere a trouver fur celie d'un Prélat courtifan (1). II avoit fait préfent a Louis XIV de deux grands globes de coronelli , de prés de douze pieds de diametre , ornés d'une infcription a 1 honneur du Monarque. Ils ont été tranfportés depuis (1) Voyei la Note (5).  3 2 8 E L O G E a la Bibliotheque du Roi, dont ils devoient faire un des principaux ornemens , ck dans laquelle on les a longtemps cherchés en vain. On alfure que le malheur des circonflances avoit empèché de faire les dépenfes néceffaires pour placer ces globes dans un lieu oü la Nation 6k les Etrangers défiroient de les voir. Gémiiïbns d'une fi facheufe excufe ; mais refpecdons-la dans notre douleur , au moins fi le malheur des circonflances n'a pas permis des de'penfes plus onéreufes ck plus inutiles. Ces globes font enfin place's aujourd'hui dans le lieu qui leur e'toit deüiné j le Public les y voit avec autant de plaifir que de reconnoiffance pour ceux qui font fait jouir d'un bien auquel il avoit droit depuis fi long-temps.  du Cardinal d'Estrées. 329 n o t e s Jur Partiele du Cardinal d'Eflrées. Ca) On aflure que le Cardinal d'Eftrées cultrva jufqu'a la Poéfie , dans les momens que lui laiffoient des occupations plus importantes; & on lui liattribue les vers fur la violette dans la ^■Guirlande de Julie , Ouvrage de tous les beaux efprits de 1 hotel de Rambouillet, a Thonneur de la célebre Julie d'Angennes , depuis Ducheffe de Montaufier. Chaque fleur de cette guirlande rendoit hommage a Julie, & celui de la violette réunit tous les fuffrages. Simple dans" ma couleur, modefte en mon féjour , Libre d'ambition , je me caclie fons 1'hcrbe-; Mais fi fur votre fein je pms me voir un jour , La plus humble des fleurs fera la plus fuperbe. Dans quelques Ana , on attribue ces vers a Defmarets, qui, en ce cas, n'en auroit pas fait de meilleurs. Voyez, fi vous Ie pouvez , fes Pieces de Théatre, fon Clovis &. fes autres rapfodies poétiques. •  33° Éloge Un Académicien Francois (aujourd'hui oublié), Claude de l'Etoile , fit pour la même guirlande ces vers fur le NarcifTe , adreffés auffi a Julie: Epris de I'amour de moi-même, De Berger que j'étois, je devius une fleur. Ah ! profirez de mon malheur, Vohs que le Ciel orna d'une beauté fuprêm*; Et pour en éviter les coups , Pnifqu'il faut que chacun aime, Aimez un autie que vous. On prétend que le Cardinal d'Eftrées fit auffi des vers galans pour Madame de Maintenon dans le temps de fa plus grande faveur. On ajoute même que ces vers avoient été dief és par un fentirnent plus vif que la fimple galanterie. Que ce fentirnent ait été réel ou fuppofë , Madame de Maintenon n'y répondit pas; elle portoit fes vües bien plus haut, & 1'on fait quel en fut le fuccès. (b) Le Cardinal d'Eflrées s'étoit rnontré digne dans tous les temps de 1'attachement que les Gens de Lettres lui témoignerent. On a vu combien fes Confrères le chériffoient; il avoit fu de bonne heure fe faire aimer des Lit-  du Cardinal d'Estrées. 331 térateurs célebres. Des fa première jeuneffe , long-temps avant Ion élévation , il leur donnoit des marqués flatteufes de fun affecfion & de fon eftime. Menage , qui avoit long-temps vécu avec lui dans la plus intime famiharite, lm applique le mot que Tacite fait dire a un Gér.éral Romain au fujet de 1 Empereur: Cüm privaats ejjet , amici vocabamur: Lorfyuil n'étoit qu'homme privé, on neus üppeloit anus.   FRANCOIS BE SALIGNAC DE LA MOTTE FÉNELON, ili Archevêque de Camhrai , & Précepcepteur des Enfans de France , né au chdteau de Fénelon en Pérïgard 3 le 6 Jout 165 i , repu le | 1 Mars 1693 , d la place de P.4UL PELISSON , mort le 8 Janvier 1715 (1). N O T E S SUR L'ÉLOGE DE FÉNELON. NoTE I, relative d lap. 187>fw Vincendie de la Bibliotheque de Fénelon, Plu Si EUR S Savans qui ont eu „ comme ce vertueux Prélat, le malheur (1) Voyez fon Eloge dans le premier Vol,  334 Eloge de perdre leurs Livres par un accident femblable , n'ont pas fupporté cette perte avec le même courage. Le célebre Bartholin, dont la Bibliotheque fut brüiée avec tous fes papiers & d'autres manufcrits précieux , a fait un Ouvrage intitulé de Bibliotheca incendio y ou il déplore fon infortune. Antonius Urceus , dit Codrus, a qui la même difgrace arriva , penfa , dit-on, en perdre 1'efprit. II faut plaindre , fans les condamner, ces deux Littérateurs; mais il faut louer Fénelon d'avoir montré plus de courage , & de favoir exprimé avec une fenfibilité fi touchante.  DE FÉNELON. 335 NOTE II, relative dia page 20,1 ,fur Vunité de bénéfices que VArchevêque de Reitns le Tellier reprochoit a FÉNELON. On trouve dans une Lettre de Madame de Coulanges a Madame de Sévigné , du 22 Février 1695 , quelques détails intéreffans , relatifs a ce fait, ck a 1'attachement de Fénelon au précepte de la réfidence. » M. 1'Abbé de Fé5» nelon a paru furpris du prélént que » le Roi lui a fait de 1'Archevêché de » Cambrai; en le remerciant, il lui a » repréfenté qu'il ne pouvoit regarder » comme une récompenfe, une grace » qui 1'éloignoit de M. le Duc de Bour» gogne ; le Roi lui a dit qu'il ne pré» tendoit point qu'il füt obligé a une » réfidence entiere; ék en même temps » ce digne Archevêque a fait voir au » Roi, que par le Concile de Trente » il n'étoit permis aux Prélats que trois » mois d'abfence de leurs Diocefes , » encore même pour les affaires qui » pouvoient regarder leur églife. Le  33Ö Éloge » Roi lui a repréfenté 1'importance de r> Téducation des Princes, ék. a coh» fenti qu'il demeurat neuf mois a Cam» brai ék trois a la Cour. II a rendu » fon unique Abbaye. M. de Reims » a dit que M. de Fénelon, penfanc » comme if faifoit, prenoit le bon partij » ék que lui , penfant comme il fait, » il fait bien auffi de garder tous fes s> bénéfices «; réfolution bien digne d'un Prélat qui n'attachoit de prix qu'aux richelfes : auffi le cauftique Defpréaux difoit de lui : 11 fait bien plus de cas de moi depuis que je fuis devenu riche. Ce fucceffeur des Apot res , qui ne 1'étoit pas de leur mépris pour les biens de ce monde , prétendoit qu'on ne pouvoit être honnête homme a moins d'avoir dix mille livres de rente; ék ce fut d'après un tarif fi édifiant ék fi épifcopal, que Defpréaux répondit un jour au même Prélat qui s'informoit de la probité de quelqu'un : Monfeigneur , il s'en faut quatre mille livres de rente qu il ne foit honnête homme. C'eft lui que le Poëte avoit en vue dans les vers fuivans de fa troifieme Epitre, oü il parle de \wmauvaifehonte : L'avare ,  DE FÉNELON. 337 l'avare, des premiers en proie a fes caprices , Dans un infame gain mettanr l'honnêteté , Pour toute honte alors corapta Ia pauvreté. C'étoit encore le même Prélat , qui voyant pafTer dans la galerie de Verfaiiles le malheureux ex-Roi d'Angleterre Jacques II , fuivi de quelques Jéfuites , délaiifé par tous les Courtifans, & baffouq de la plupart d'entre eux , dit aiTez haut pour fcandalifer les ames pieufes : Voila un bon homme ; il a quitté trois Royaumespour une Meffe, Les Janféniftes affitrent pourtant que ce Prélat, fi détaché de la Meife, étoit fort attaché a la faine doctrine : c'eft qu'il n'aimoit pas les Jéfuites, & n'en étoit pas aimé. Peu fcrupuleux fur la pluralité des hénéfices , mais Janfénifte d'ailieurs ou prétendant 1 être , 1'Archevéque de Reims affichoit très-peu de foumi/ïïon a 1'autorité papale. Auffi le Nonce lui difoit-il : Ou croye*_ d Vautorité du Pape , ou ne pojjéde^ quun bénéfice ; car vous ignore^ apparemment que la pluralité des bénéfices 3 interdite par les décifions des Conciles , riefi pertnife ou tolérée en France quen verat 'lome III. p  338 Éloge de quelques Brefs émanés de cette Cour dont vous ave^ tant d'envie de fecouer le joug. Ce mot a beaucoup de rapport avec la réponfe de Bafnage a un Janfénide qui lui avoit envoyé un Ouvrage contre la Bulle Unigenitus. Ou receve^ cette Bulle , lui difoit Bafnage , ou renonce^ d l'Eglife Romaïne. L'amour fi tendre de 1'Archevêque de Reims le Tellier pour la pluralité desbénéfices, nous rappelle auffi la réponfe de Louis XIV a un Evêque de Metz , qui arrivant de fon Séminaire, oü il avoit paffe dix jours , pour revenir promptement habiter Verfailles fon ïejour ordinaire , exaltoit ridiculement en préfence du Roi le défintéreffement de tous fes Eccléfiaftiques : Ils ne font , difoit-il , aucun cas ni de bénéfices, ni de richeges, '& même ils s'en moquent. Vous vous moque^ donc. bien d'eux, répondit Louis XIV.  DE FÉNELON. 339 NoTE II , relative a la page 292 ,fur la Comédie du Tartuffé , très-approuvée par FÉNELON. J-j E reproche ridicule , fait au divin Molière par le pefant Baillet, d'avoir ufurpé les droits de VEglife pour confondre les liypocrites , occafionna un mot du premier lorfqu'il donna fon Tartuffé ; on lui demanda de quoi il s'avifoit de faire des Sermons. On permet bien , réponditdl, au Pere Maimbourg de faire des Comédies en chaire; pourquoi ne me feroit-il pas permis de faire des Sermons fur le théatre : On peut voir dans le Diclionnaire de Bayle , arli'cle Maimbourg , f extrait d'un des Sermons de ce Jéfuite , que Molière avoit bien raifon d'appeler des Comédies , plus ridicules a la vérité que Ïlaifantes. Le mot de Molière fur ce éfuite étoit fuffifant pour exciter fora ge que les charitables Confrères du Pere Maimbourg firent elfiryer au Tartuffe & a fon Auteur ; car malgré le peu d'eltime des Jéfuites pour ce miPij  340 Éloge férable Ecrivain, qu'ils chafferentbientót après de cbez eux , ils ne pouvoient fouffrir qu'on attaquat tout ce qui portoit leur robe ; mais dans ce même temps ils laiffoient jouer a la Comédle ltalienne une Piece très-icandaleufe, qui n'attaquoit que la Religion & ne touchoit point a leur Société. Nous avons parlé, dans 1'Eloge de Fénelon , de la Diatribe de Bourdaloue contre le Tartuffé. On ne fera peut-être pas. facbé de la trouver ici. » Comme la vraie & la fauife dé5» votion ont je ne fais combien d'ac» tions qui leur font communes, coraS> me les dehors de 1'une & de 1'autre s> font prefque tous femblables, il eft » non feulejnent aifé , mais d'une fuite » prefque néccffaire, que la même rail» lerie qui attaque 1'une intéreife 1'au» tre, & que les traits dont on peint » celie-ci , intéreife celle-la ; & voila » ce qui eft arrivé lorfque des efprits » profanes ont entrepris de cenfurer » 1'hypocrifie , en faifant concevoir » d'injuftes foup^ons de la vraie piété » par de malignes interprétations de » la fauife. Voila ce; qu'ils ont prétendu  DE. FÉNELON. 34! y> en expofant fur le the'atre & a la rife'e » publique un hypocrite imaginaire; » en tournant dans fa perfonne les » chofes les plus faintes en ridicule; en » lui faifant blamer les fcandales du » fiecle d'une maniere extravagante ; » en le repréfentant confcientieux juf» qu'a la délicateffe ék au fcrupule fur » des points moins importans, pendant » qu'il fe portoit d'ailleurs aux crimes » les plus énormes ; en le montrant » fous un vifage de penitent, qui ne » fert qu'a couvrir fes infamies; en lui » donnant enfin , felon leurs caprices, » un caraclere de piéte'leplus auftere, » mais dans le fond le plus mercenaire » ék leplus lache «. II réfulte de cette e'trange logique , qu'il ne faut pas mettre les fripons fur le the'atre , en confe'quence du proverbe , que rien. ne rejjemble tant a un honnête homme quun fripon. Nous ne dirons rien du fiyle de ce morceau , ftyle qui doit un peu etonner, fi on le rapproche de la réputation du Prédicateur. On peut juger par ce paifage de Bourdaloue , 1'un des ennemis les plus mode're's du Tartuffé , de tout ce que Molière eftt a effuyer d'imputaP iij  342 Éloge tions & de cabales au fujet de cet immortel ouvrage ; aufïï , quand il rertcontroit par rïafard quelques véritables gens de bien qui le remercioient d'avoir , dans cette Piece, donné a la vraie vertu tout fon éclat en 1'oppofant a la vertu fauife & perfide : Je ne Jais, difoit ce grand homme , fi fai réujji eomme je le voulois d peindre la vraie vertu & d la faire aimer; mais fai éprouvé combien il efl dangereux de prendre Jes intéréts ; car au prix qu'il m'en coute , je me fuis plus d'une fois repend de l'avoir fait. Les de'clamations de Bourdaloue & de fa Compagnie fur la Piece de Molière , ne font pas le feul exemple d'une pareilie injuflice. Croiroit-on que le Docdeur ce'lebre Jean Gerfon , d'ailleurs fi eftimable par fon travail & par fa piété , 1'ame & 1'oracle du fameux Concile de Conffance ait écrit avec amertume contre le Roman de la Rofie , en haine d'un vers de ce Roman, qui malheureufement efl: devenu proverbe, que l'habit ne fait pas le Moine ! Le Chrétien vertueux auroit pu trouver dans cet Ouvrage plein d'obfcénités, des objets bien plus graves de  DE FÉNELON. 343 cenfure , qu'une vérité fi triflement inconteflable; mais le Prêtre n'a vu que la fatire de fon état, ou plutót a cru ia voir oü elle n'eft pas 5 &. 1'intérêt de la Reügion , des mceurs & de la décence , a cédé a 1'intérêt de fa robe. Fénelon, en pareilie circonftance, eüt été plus Chrétien que Prêtre. NoTE III, relative cl la page 298, fur la foumijfon de VArchevêque de Cambrai a la condamnatioti de fon Livre. T T \J N homme d'efprit, a qui on racontoit les traits fi multipliés de cette foumiffion , dit plaifamment qu'en effet 1'Archevêque y avoit mis tvuie la coquetterie de Vhumilité; mot un peu précieux, mais fin & alfez jude : car 1'humilité , différente en cela delamodeftie , eft une vertu qui aime a fe montrer aux yeux des autres, paree qu'en fe montrant elle flatte leur vanité bien loin de 1'offenfer; elle fuppofe pour 1'ordinaire dans celui qui la fait paroitre un fentirnent fecret d'aP iv  344 Éloge mour-propre ou même d'orgueil qu'elle réprime avec effort, en défirant qu'on lui fache gré de fa vicfoire. La Bulle du Pape contre le Livre des Maximes des Saints, n'avoit pas fans dour% convaincu Fénelon , & ne pouvoit même le convaincre, puifqu'elle ne lui donnoit pas de nouvel es lumieres fur fes opinions théologiques ; mais elle 1'avoit fóumis, paree qu'il regardoit cette foumiffion comme un devoir; & après toutes les vexations qu'il avoit fouffertes, il lui étoit permis, pour fermer la bouche a fes adverfaires, de mettre dans fon obéiffanceune forte de raffinement & de recherche qui devoit bien plus les emfcarraffer que n'auroit fait fa réfiflance a la décifioh du Saint Siége. II y a toute apparence que Boffuet, s'il eüt été condamné par le Pape , ne fe feroit pas montré fi docile. Le zele que témoigna Louis XIV pour faire condamner a Rome ce que 1'Evêque de Meaux appeloit la dangereuje héréjie de 1'Archevêque deCambrai, étoit de plus vieille date que le Livre de Fénelon. Vingt ans auparavant, le Doeleur Molinos, Théolosien Efpagnol, & grand Direcleur de fem-  DE FÉNELON. 345" mes , avoit prêché , imprimé, enfeigné a fes dévotes les maximes du Quietifme. Louis XIV, apprenant Texiftence de cette nouvelle fecde , fe montra zélé pour la détruire ; & , quoique Molinos ne füt ni fon fujet, ni dans fon royaume , il fupplia inftamment le Pape Innocent XI de le condamner. Le Pape , qui aimoit Molinos, ck qui peut-être ne voyoit pas, comme le Monarque , tout le danger de cette chimérique dotfrine , eut affez de peine a faire ce que le Roi Très-Chrétien defiroit de lui \ il ne céda qu'aux iollicitations preffantes & réitérées de 1'Ambaffacleur de Franee , a qui fon Maitre recommandoit vivement le fuccès de cette grande affaire, & la néceffité de réprimer dans fa naiffance une erreur qui sinfinuoit, difoit-il, fi agréabletnent dans les efprits. Les extafes des dévotes Quiétiftesjudifioient affez cette exprefTïon du Monarque. Mais Tame pure de Fénelon étoit bien éloignée de donner dans ces écarts. II n'eft pas fortfurprenant que 1'imagination vive & pieufe de 1'Archevêque de Cambrai, & 1'ima^ination impétueufe ck théologique de 1'Evéque P v  E L O G E de Meaux fonrival, aient produit les Ouvrages de ces deux Prélats fur les queftions creufes du Quiétifme. Mais orj peut être étonné qu'un Philofophe tel que Ia Bruyere, ait pris la peine d eenre fur ce fujet des Dialogues qui ont ete irriprimés après fa mort. II eft vrat qL1e dans ces Dialogues le Ouiétilme eft tourné en ridicule ; & c'eft tout ce que peut fe permettre un Philoiophe qui prend la peine d'écrire fur ce futile fujet; mais c'eft faire même bien de 1 honneur a de pareilles difputes, q?.e d'employer la Philofophie a sen moquer. Cet Ouvrage de Ia Bruyere eft pourtant encore moins étrange rrue le Traité de la Perfeaion Chrétienne, compofé tres-ferieüfement par le Cardinal de liicheheu , & imprimé non moins férieufement après fa mort , avec une dedicace k la Vierge , qui peut bien etre auffi de ce Miniftre , puifque 1'Ouyrage eft véritablement de lui, comme Je demontrent les termes du Privilege obtenu pour 1'impreffion par Madame la Duchefle d'Aiguillon fa niece Le Cardinal de Richelieu rival du Jéfuite Itodnguez ! ó pauvre efpece hurnaine l  DE FÉNELON. 347 Cette pieufe fottife du Cardinal rend malheureufement vrailemblables toutes les impertinences capucinales qu'on lit dans le Teftament politique attribue a Richelieu. Mais revenons a 1'Archevêque de Cambrai, plus digne de nous occuper. Un Ouvrage de ce Prélat, bien plus extraordinaire que fes fpéculations myftiques , c'eft fa lettre a 1'Evêque d'Arras fur le danger de faire lire au Peuple 1'Ecriture-Sainte (1). Si cette lettre n'étoit pas fignée Fénelon, on la croiroit dicfée en plufieurs endroits^ par 1'intention la plus maligne , tant I'Auteur y préfente avec force les traits de la Rible les plus propres a fcandalifer les foibles , & a donner aux impies un avantage apparent dans leurs objecdions contre le Texte facré. Ces objecdions fi énergiquement expofées par 1'Archevêque de Cambrai , furprendront dans fa lettre les Incrédules nlêmes, & ne feront que leur montrer avec plus d'évidence la candeur &. la bonne foi du refpecdable Prélat. II eft (i) Voyez lei, (Euvres fpirituelles de ïé- nelon, Tome IV. T. . P VJ  J48 E L O G F. vrai que long-temps avant Fénelon; plufieurs Conciles avoient de'fendu la lecEire de 1'Ecrnure-Sainte en Langue vulgaire, fans doute par Ia même raifon ; ék c'eft auftf par ce motif (plus fage ék plus réfléchi qu'on ne croiroit, difoient les Jéfuites), que Clément XI avoit condamné dans la Bulle Uriigenitus les paifages de Quefnel qui étoient favorables a cette leclure. Les ennemis de cette Bulle ont objeclé qu'il paroit mal-fonnant d'interdire au Peuple la leéïure du Livre fondamental de la Religion qu'on lui enfeigne. Mais ceux des Miniftres de cette Religion qui ont penfé de la forte, ont cru favoir mieux que les autres ce qu'il faut, dans ces matieres , laiffer voir ou cacher a la multitude. De deux inconvéniens , ont-ils dit, on doit choifir le moindre; ék par cette raifon , il vaut mieux expliquer 1'Ecriture au Peuple fans la lui faire lire , que de la lui faire lire , même en 1'expliquant: c'eft aux Théologiens éclairés apefer lafolidité de cette doctrine. Quelques hommes qui avoient Ie malheur de ne pas aimer 1 Archevêque de Cambrai , ék qui jugeoient avec  DE FÉNELON. 349 Faufiérité ftojque ce Juge fi indulgent pour les autres, lui ont alfez durement appliqué, a 1'occafion de fes Ouvrages fur le Quie'tifme , le mot d'un Philofophe moderne , que La porte de La^ confcicnce eft pour bien des gens d cóte' de celie de Vimagination , & qu ils font fujets d sjy méprendre. La conference de Fénelon étoit fi pure , que fon irnagination doit obtenir grace fi elle a été coupable. Madame de Sévigné conrparoit plaifamment les Myftiques aux faux Monnoyeurs. » Ceux-ci, difoit-elle , font » de la fauife monnoie a force de » fouffler ; ék les autres, deshéréfies a » force de s'alambiquer 1'imagination. » Si les uns ék les autres , ajoutoit» elle dans une lettre a fa fille , mé» ritentégalementlapotence, je crains » qu'avec votre vous ne foyez » au pied de celie oü notre ami » Corbinelli fera pendu «. Ce Corbinelli, long temps incrédule , étoit devenu un Myftique du premier ordre, auffi outré dans fa dévotion qu'il 1'avoit été dans fes écarts philolophiques. Mais la myfticité de Fénelon étoit plus fage, paree que fa piété étoitplus éelairée.  35° E L O GE Cette piété affeélueufe & tendre ne le montroit ni pédante ni au/tere II fe pennettoit quelquefois jufq«'a des chanlons, mais ou ]a p]us rigoureufe décence öt Ia plus pure morale dominoient toujours , & ou des lecons utiles étoient Preientees lous une forme aeréable & douce Nous eiterons celie - ci pour exemple. * Iris« vo'Js connoïtrez un jour Que! dl Ie danger bü vous étesj Le mépris fuit de prés I'amour Que faveur donner les coquettes. Cherchez a vous faire e/limer Rien plus qu'A vous montrer aim.iMe ; Le faux honneur de rout charmee Dérruit fouvent le véritable. Mille rrompeurs, par leurs difcours, Rcmplis d'une perfide adreile, Chcz vous s'efforcenr tous les jours De prouver leur feinte tenrfrciïi. Fuyez leur charme fédudteur, Tót ou tard il devient funefte ; L'oreille efl le chemin du ccrur, Et toujours le cceut 1'cfl du telle. Son aimable fenfibilité fe répandoit toute entiere fur les autres, fans aucun retour fur lui-même , car elle ne lempecnoit pas d'être jufte a Tégard  DE FÉNELON. 351 de fesadverfaires. Nous avons dit, dans fon Eloge, avec quelle candeur & quelle vérité il vantoit 1'éloquence & le favoir de Boffuet, dans le temps même oü il croyoit avoir le plus a fe plaindre de lui. NOTE IV, relative a la page 3 00, fur la lettre ^eFÉNELON a Louis XIV. CoMME cette lettre n'a jamais été imprimée , & qu'elle eft très-intéreffante, non feulement par fon objet , mais par la vérité & la vigueur avec laquelle elle eft écrite , nous la donnons ici fidélement tranfcrite fur 1'original, qui eft de la propre main de Fénelon ; on y remarque plufieurs ratures & correcf ions qui prouvent qu'il en étoit I'Auteur. A la tête de la lettre , on lit cette note d'une main inconnue.  353 É L O GE Minute d'une lettre de M. V'Abbé de Fénelon au Roi a qui elle fut remife dans le temps par M. le Duc de Beauvilliers, & qui, loin de s'en indifpofer, choifit au contraire, quelque temps après, cet Abbépour Précepteur des Princes fes petits-enfans (i). » L a perfonne , Sire , qui prend Ia liberté de vous écrire cette lettre , n'a aucun intérèt en ce monde. Elle ne 1'écrit ni par chagrin , ni par ambition , ni par envie de fe mèler des grandes affaires. Elle vous aime fans être con- (i) Cette anecdote ne fauroit être vraie. On voit par la lettre fuivante , qu'elle a été écrire après la m'ort de M. de Louvois, c'efta-dire en 1691 au plus tót ; & Fénelon étoit Précepteur dès 1689. Voyez le Préfident Hénauk- On vojt auflj par la mem- lettre , qu'elle a été écrite en 169; au plus tari , année de la mort de M. de Harlay , Archevêque de Paris. Nous do.utons qu'elle ait été préfentée au Roi , fur-tout par le D. de B. qui n'y eft pas trop bien traité.  DE FÉNELON. 355 nue de vous, elle regarde Dieu en votre perfonne. Avec toute votre puiffance, vous ne pouyez lui donner aucun bien qu'elle défire , & il n'y a aucun mal qu'elle^ ne fouffrit de bon cceur pour vous faire connoitre les vérite's ne'ceflaires a votre falut. Si ede vous parle fortement, n'en foyez pas étonné , c'eft que la vérité eft libre & forte. Vous n'ètes guere accoutumé a 1'entendre. Les gens accoutumés a être flattés prennent aifément pour cbagrin , pour apreté & pour excès ce qui n'eft que la vérité toute pure : c'eft la trahir que de ne vous la montrer pas dans toute fon étendue. Dieu eft témoin que la perfonne qui vous parle le fait avec un cceur plein de zele , de refpecl, de fidélité & d'attendriffement fur tout ce qui regarde votre véritable intérêt. » Vous êtes né , SiRE, avec un cceur droit & équitable ; mais ceux qui vous ont élevé , ne vous ont donné pour fcience de gouverner , que la défiance , la jaloufie, l'é!oignement de la vertu , la crainte de tout mérite éclatant, le goüt des hommes fouples  3 54 ÉLOGE & rampans, la hauteur , & 1'attention a votre feul intérêt. » Depuis environ trente ans , vos principaux Miniflres ont ébranlé & renverfé toutes les anciennes maximes de 1'Etat, pour faire monter jufqu'au comble votre autorite', qui étoit devenue la leur paree qu'elle étoit dans leurs mains. On n'a plus parlé de 1'Etat ni des regies , on n'a parlé que du Roi & de fon bon plaifir. On a pouffé vos revenus & vos dépenfes a 1'infini. On vous a élevé jufqu'au Ciel, pour avoir effacé, difoit-on , la grandeur de tous vos prédéceffeurs enfemble , c'eft-adire , pour avoir appauvri la France endere , afin d'introduire a la Cour un luxe mondrueux & incurable. Ils ont voulu vous élever fur les ruines de toutes les conditions de 1'Etat, comme fi vous pouviez être grand en ruinant tous vos fujets, fur qui votre grandeur eft fondée. II eft vrai que vous avez été jaloux de 1'autorité , peut-être même trop dans les chofes extérieures; mais pour le fond chaque Miniftre a été le maitre dans 1'étendue de fon adminiftration. Vous avez cru gouverner, paree  DE FÉNELON. 355 que vous avez régie leslimites entre ceux qui gouvernoient. Ils ont bien montré au Public leur pniffiance , 6c on ne 1'a que trop fentie. Ils ont été durs , hautains, injufles , violens , de mauvaife foL Ils n'ont cennu d'autre regie , nipourl'adminiftration du dedans de 1'Etat, ni pour les négociations étrangeres , que de menacer , que d'écrafer , que d'anéantir tout ce qui leur réfifloit. lis ne vous ont parlé que pour écarter de vous tout mérite qui pouvoit leur faire ombrage. Ils vous ont accoutumé a recevoirfans celfe des louanges outrées qui vont jufqu'a 1'idolatrie , & que vous auriez du , pour votre honneur , rejeter avec indignation. On a rendu votre nom odieux , &. toute la Nation Francoife infupportable a tous vos voifins. On n'a confervé aucun allié , paree qu'on n'a voulu que des efclaves : on a caufé depuis plus de vingt ans des guerres fanglantes. Par exemple , SlRE, on fit entreprendre a Votre Maiefté, en 1671, la guerre de Hollande pour votre gloire , & pour punir les Hollandois qui avoient fait quelque raillerie dans le chagrin ou 1'on les avoit mis en troublant les re-  35°" Éloge gles du commerce établi par Ie Cardinal de Richelieu : je cite en particulier cette guerre , paree qu'elle a été la fource de toutes les autres. Elle n'a eu pour fondement qu'un motif de gloire & de vengeance, ce qui ne peut jamais rendre une guerre jufte ; d'oü il s'enfuit que toutes les frontieres que vous aurez étendues par cette guerre font injuftement acquifes dans T origine. II eft vrai, Sire, que les trai-" tés de paix fubféquens femblent couvrir & réparer cette injudice, puü'qu'ils vous ont donné les places conquifes : mais une guerre injufte n'en eft pas moins injufte pour être heureufe. Le3 traités de paix fignés par les vaincus ne font point fignés librement; on figne le couteau fous la gorge ; on figne malgré foi, pour éviter de plus grandes pertes ; on figne comme on donne fa bourfe, quand il la faut donner ou mourir. II faut donc, Sire, remonter jufqu'a cette origine de la guerre de Hollande, pour examiner devant Dieu toutes vos conquêtes. » II eft inutile de dire qu'elles étoient néceifaires a votre Etat; le bien d'autrui ne nous eft jamais néeeflaire ;  DE FÉNELON. 357 ce qui nous Teft véritablement, c'eft d'obferver une exaóde juflice. II ne faut pas rnême prétendre que vous foyez en droit 'de retenir toujours certaines places, paree qu'elles fervent a la fürete' de vos frontieres. C'eft a vous a chereber cette füreté par de bonnes alliances , par votre modération , ou par les places que vous pouvez fortifier derrière ; mais enfin le befoin de veiller a notre füreté ne nous donne jamais un titre de prendre la terre de notre voifm. Confultez la-deffus des gens inflruits & droits , ils vous diront que ce que j'avance eft clair comme le jour. » En voila affez , Si RE , pour reconnoitre que vous avez paffe votre vie entiere hors du chemin de la vérité & de la juftice , & par conféquent hors de celui de 1'Evangile. Tant de troubles affreux qui ont défolé toute i'Europe depuis plus de vingt ans , tant de fang répandu , tant de fcandales commis, tant de Provinces ravagées , tant de villes & de villages mis en cendres, font les funeftes fuites de cette guerre de 1 672, entreprife pour votre gloire & pour la confufïon des faifeurs  35? E L O G E de Gazettes & de Médailles de Hollande. Examinez fans vous flatter, avec des gens de bien , fi vous pouvez garder tout ce que vous polfédez en conféquence des traités auxquels vous avez réduit vos ennemis par une guerre fi mal fowdée. » Elle eft encore la vraie fource de tous les maux que la France fouffre. Depuis cette guerre vous avez toujours voulu donner la paix en maitre , & impofer les conditions , au lieu de les régler avec équité & raodération. Voila ee qui fait que la paix n'a pu durer. Vos ennemis, honteufement accablés , n'ont fongé qu'a fe relever & qu'a fe réunir contre vous. Faut-il s'en étonrfer? Vous n'ètes pas même demeuré fidele dans les termes de cette paix que vous aviez donnée avec tant de hauteur. En pleine paix vous avez fait la guerre & des conquêtes prodigfeufes. Vous avez établi une Chambre de réunion , pour être tout enfemble Juge & Partie : c'étoit ajouter 1'infulte ck la dérifion a 1'ufurpation ck a la violence. Vous avez cherché , dans le traité de Weftphalie, des termes équivoques pour furprertdïe Strasbourg.  de Fénelon. 359 Jamais aucun de vos Miniftres n'avoit ofé depuis tant d'années alleguer ces termes dans aucune négociation , pour montrer que vous euffiez la -moindre pre'tention fur cette viile ; une felle conduite a réuni & animé toute 1'Europe contre vous. Ceux même qui n'ont pas ofe'fe déclarer ouvertement, fouhaitent du moins avec impatience votre affoibliffement & votre humiliation , comme la feule reffource pour la liberté & pour le repos de toutes les Nations Chrétiennes. Vous qui pouviez , Sire , acquérir tant de gloire folide & paifïble a étre le pere de vos fujets & 1'arbitre de vos voifins , on vous a rendu 1'ennemi commun de vos voifins, & on vous expofe a paffer pour un iVlakre dur dans votre Royaume. » Le plus étrange effet de ces mauvais confeiis, efl la durée de la ligue formée contre vous; les Alliés aiment mieux faire Ja guerre avec perte , que de conclure la paix avec vous; paree qu'ils font perfuadés fur leur propre expérience, que cette paix ne feroit point une paix véritable , que vous ne 1'obferveriez non plus que les autres, & que vous vous en ferviriez pour ac-  360 E L O G E cabler féparément, fans peine , chacim de vos voifins, dès qu'ils fe feroient défunis : ainfi, plus vous êtes victorieux, plus ils-vous craignent & fe réuniffent pour éviter 1'efclavage dont ils fe croient menacés. Ne pouvant vous vaincre , ils prétendent au moins vous épuifer a la longue. Enfin ils n'efperent plus de füreté avec vous , qu'en vous mettant dans 1'impuiifance de leur nuire. Mettez-vous , SiRE, un moment en leur place , & voyez ce que c'eft que d'avoir préféré fon avantage a la judice & a la bonne foi. » Cependant vos Peuples, que vous devriez aimer comme vos enfans, & aui ont été jufqu'ici fi pamonnés pour vous , meurent de faim. La culture des terres eft prefque abandonnée : les villes &. la campagne fe dépeuplent; tous les métiers languiflent & ne nourrilfent) plus les ouvriers. Tout conimerce eft anéanti ; par conféquent vous avez détruit la moitié des forces réelles du dedans de votre Etat, pour faire & pour défendre de vaines conquètes au dehors. Au lieu de tirer de 1'argent de ce pauvre Peuple , il faudroit lui faire 1'aumöne 6c le nourrir. La  de fénelon. 361 La France entiere n'eft plus qu'un grand höpital défolé ck fans provifions. Les Magiftrats font avilis & épuifés. La Nobleffe, dont tout le bien elf en décret, ne vit que de Lettres d'Etat. Vous êtes importune de la foule des gens qui demandent ck qui murmurent. C'eft vous-même , Sire , qui vous êtes attiré tous ces embarras ; car tout le Royaume ayant été ruiné , vous avez tout entre vos mains, & perfonne ne peut plus vivre que de vos dons. Voila ce grand Royaume ft florhTant fous un Roi qu'on nous dépeint tous les jours comme les délices du Peuple , ck qui le feroit en effet, fi les confeiis flatteurs ne Tavoient point empoifonné. » Le Peuple même (il faut tout dire) qui vous a tant aimé, qui a eu tant de confiance en vous, commence a perdre familie , la confiance , ék même le refpecd. Vos vicloires ék vos conquêtes ne Ie réjouiffent plus; il eft plein d'aigreur ék de défefpoir. La fédition s'allume peu a peu de toutes parts. Ils croyent que vous n'avez aucune pitié de leurs maux ; que vous n'aimez que votre autorité ék votre gloire. Si le Roi, dit-on , avoit un cceur de pere Tome I1U Q  362 Éloge .pour fon Peuple , ne mettroit il pas plutót fa gloire a leur donner du pain ck a les faire refpirer après tant de maux , cju'a garder quelques places de la frontiere qui caufent la guerre l Quelle re'ponfe a cela, Sire ? Les émotions populaires, qui étoient inconnues depuis fi long-temps, deviennent fréquentes. Paris même , fi prés de vous, n'en eft pas exempt. Les Magiftrats (1) font contraints de tolérer 1'infolence des mutins, £k de faire coulerfous main quelque monnoie pour les appaifer. Ainfï, on payeceux qu'il faudroitpunir'. Vous êtes réduit a la honteufe & déplorable extremité , ou de lai/fer la fédition impunie & de 1'accroitre par cette impunité , ou de faire maifacrer avec inhumanité des Peuples que vous mettez au défefpoir, en leur arrachant, par vos impóts pour cette guerre , le pain qu'ils tachent de gagner a la fueur de eurs vifages. » Mais pendant qu'ils manquent de pain, vous manquez vous-même d'ar- (1) II y eut en 1694 des émcutes caufées par la cherté du pain : c'eft vraifemblablement 1'épocjue de cette lettre.  DE FÉNELON. 3.63 gent, & vous ne voulez pas voir Textrémité oü vous ête_s re'duit; paree que vous avez toujours été'heureux, vous; ne pouvez vous imaginer que vous ceffiez jamais de 1 ètre. Vous craignc-z d'ouvrir les yeux ; vous craignez qu'on ne vous les ouvre ; vous craignez dêtre réduit a rabattre quelque chofe de votre gloire : cette gloire , qui enduren: votre cceur, vous eft plus chere que la juftice, que votre propre repos , que la confervation de vos Peuples, qui périffent tous les jours des maladies caufées par la famine , enfin que votre faJut éternel, qui eft ïncompatible avec cette idole de gloire. » Voila, S'ïRE, 1'e'tat oü vous êtes. Vous vivez comme ayant un bandeau fatal fur les yeux : vous vous flattez fur les fuccès journaliers qui ne de'cident rien , & vous n'envifagez point d'une vue générale le gros des affaires qui tombe infenfiblement fans reffource. Pendant que vous prenez dans un rude combat le champ de bataille & le canon de Tennemi (1), pendant que vous (1) Ceci femble indiquer les bataillcs de Steinkerque Sc de Nerwinde en 1691 Sc 1603 , Q ij  364 Éloge forcez les places 3 vous ne fongez pas que vous combattez fur un terrein qui s'enfonce fous vos pieds, & que vous aflez tomber malgré vos vicdoires: tout le monde le voit, & perfonne n'ofe vous le faire voir. Vous le verrez peutêtre trop tard. Le vrai courage confide a ne fe point flatter , ék a prendre un parti ferme fur la néceffité. Vous ne prêtez volontiers 1 oreille , SiRE , qu a ceux qui vous flattent de vaines efpérances. Les gens que vous eflimez les plus folides , font ceux que vous craignez ék que vous e'vitez le plus. 11 faudroit aller au devant de la vérité puifque vous êtes Roi, prelfer les gens de vous la dire fans adouciffement , ék encourager ceux qui font trop timi-, des ; tout au contraire , vous ne cherchez qua ne point approfondir. Mais Dieu faura bien enfin lever le voile qui vous couvre les yeux, ék vous montrer ce que vous évitez de voir. U y a long-temps qu'il tient fon bras levé fur vous ; mais il efl: lent a vous frapper, paree qu'il a piué d'un Prince ou la viétoire fe réduific en effet a prendre le champ de bataillc & un? partie du canon.  DE FÉNELON. 365 qui a été toute fa vie obfédé de flatteurs , & paree que d'ailleurs vos ennemis font auffi les fiens. Mais il faura bien féparer fa cau'fe jufte d'avec la votre qui ne 1'eft pas, & vous humilier pour vous convertir ; car vous ne ferez Chrétien que dans 1'humiliation. Vous n'aimez pas Dieu , vous ne le craignez même que d'une crainte d'efclave : c'eft 1'enfer, & non pas Dieu, que vous craignez. Votre Religion ne confifte qu'en fuperftitions, en petites pratiques fuperficielles. Vous êtes comme les Juifs, dont Dieu dit, Pendant quils mhonorent deslevres, leur ccvur eft bien loin de mol Vous êtes fcrupuleux fur des bagatelles, & endurci fur des maax terribles. Vous n'aimez que votre gloire &. votre commodité. Vous rapportez tout a vous, comme fi vous étiez le Dieu de la terre , & que tout le refte n'eut été créé que pour vous être facrifié. C'eft au contraire vous que Dieu n'a mis au monde que pour votre Peuple ; mais bélas ! vous ne comprenez point ces vérités. Comment les goüteriez-vous ? vous ne connohTez point Dieu , vous ne 1'aimez point , vous Q »i  366" Éloge ne le priez point du cceur , & vous ne faites. rien pour le coanoitre. » Vous avez un Archevêque (t) corrompu,fcandaleux, incorrigible ,'futx, mahn , artificieux ,-ennemi de toute vertu, & qui fait ge'rair tous les gens de bien. Vous vous .en accomrnodeo , paree qu'il ne fonge qu'a vous nlaire par fes flatteries. II y a plus,de' ringt, ans qu'en proftituarjt fon honneur i'f jouit de yotre confiance. Vous lui facnfie? les gens de bien, vous lui laifTéz tyranmfer 1'Eglife, & nul Prélat vertueux n'eft traité auffi bien que lui. » Pour votre Confeffeur (2) il n'eft pas vicieux ; mais il craint la folide vertu, ék'il n:aime que les gens pro-' fanes ék relachés. Il eft jaloüx de fon: autorité, que vous avez pouffee au, dela de toutes les bornes. Jamais ConfdfeurV des Rois n'avoient fait feuls les Evêques ék deck'e de toutes les affaires de confeience. Vous. êtes feul en France , SlRE , a ignorer qu'il ne fait Tien ' que fon efprit eft court ék groflier, (0 De Ha'lay, mort en i6 & aux victorieux comme moi ; mais le défir de voir mon Peuple heureux , me fait trouver tout facile & tout honorable.  376" Éloge Note VIII , fur le Roman de Télémaque. C E Roman , que Fénelon avoit uniquement deftiné pour le Duc de Eourgogne fon Eleve , vit le jour par f infidélite' d'un domeftique qui en avoit pris une copie. Les maximes d'humanité répandues dans cet Ouvrage, ont fait dire a un Philofophe fenfible, qu'en le lifant on fe confole de vivre & de foiuffrir. Mais ces belles maxfmes n'empêcherent pas que le Télémaque ne bleifat profondément Louis XIV , qui crut y voir la cenfure fecrete de fon adminidration defpotique , de fa paffion pour la gloire, de fes guerres lé-i gérement entreprifes , de fa foiblelfe pour les flaneurs , de fa malheureufe confiance pour des hommes qui en abufoient. Fénelon fut bien différent de ces malheureux Précepteurs des Röis, qui, dans des Ecrits audï abfurdes que dangereux, ont tracé aux Maitres du Monde des principes d'intolérance & de defpotifme -} ouvrages moins faits  DE FÉNELON. 377 pour les Princ.es que pour les Inquifiteurs & les Ty/ans. Son Roman aggrava beaucoup fa difgrace, déja commencée par fon Quiétifme. II fe montra bien au deffus de cette difgrace par la conduite auffi épifcopale que patriotique qui le rendit fi cher a fon peuple, ia utile aux arméesFrancoifes, fï refpecdable même a nos ennemis. Sans 1'extrême finvplicité de fa vertu , on auroit cru qu'il avoit pris pour fa devife : Takes rougir ce Roi qui vous a condamné. S'il eft vrai, comme on 1'a dit, que Louis XIV , dans fes dernieres années, ait paru fe rapprocher de Fénelon; & fi les malheurs que ee Prince effiuya fur la fin de fon regne ont produit cet heureux effet; ofons regretter pour le Prince & pour la France, qu'ils n'ayent pas commencé plus tot; ils auroient été plus courts , moins funeftes , moins humüians ; ils auroient fait couler moins de fang & moins de larmes. La France auroit eu moins de gloire, & 1'aureit moins cruellement payée. ■*■ u L DE JEAN D'ESTRÉES, ABBÉ DE SAINT-CLAUDE, Commandeur de VOrdre du S, Efprit; né en 1666; refu a la place de Nlcolas Boileau Despréaux , le 25 Juin 1711 ; mort le 3 Mars 171S. I L fut recu a 1'Académie du vivant du Cardinal d'Eftrées fon oncle, qui éioit alors Doven de la Compagnie; ck ce Cardinal eut pour fucceffeur le Maréchal d'Eflrées, frere de celui qui ed le fujet de cet article. L'amour que cette i ludre*Maifon a toujours montré pour les Lettres , ék dont ces trois Académiciens avoient fi noblement héRiij  É L e G E rité , a été regardé par FAcadémie comme ifn droit qu'ils avoient a fon fufïrage ; titre honorable d'adoption , ék dont il feroit a fouhaiter que beaucoup d'autres Maifons du Royaume connuifent Ie prix, plus encore pour les intéréts'de leur propre gloire , que pour 1 eclat qui en rejailliroit fur les Lettres. Les talen s de M. 1'Abbé d'Eifrées furent mis en oeuvre par le feu Roi dans des emplois importans, ou il répondit au choix du Monarque par fa capacité & par fon zele. En 1692 , il fut Ambaffadeur en Portugal; & le Roi récompenfa fes fervices, en 1704, en le faifant Ghevalier de 1'Ordre (1). Au mois de Janvier 1716 , il fut nommé a 1'Archevêché de Cambrai, ék mourut deux ans après , n'ayant point encore été facré ; la crainte religieufe que les devoirs de cet état lui infpiroient , ék peut-être un fecret prerfeniiment de fa mort procbaine lui avoient fait différer cette fainte ék (■j) Pvdcompenfe d'autant pTus diftinguéc , que jufqu'alors aucun Eccléfialtique no-n Pré: Ut ne i'avoit obtenue.  ©e Jexn d'Estrées. sgt redoutable cérémonie. Peut-être auifï eft-il permis de penfer , & cette conjeclure honoreroit fa mémoire , que fe voyant nommé pour fuccéder immédiatement au refpecfable Fénelon , il redoutoit le moment de fe montrer a un diocefe pénétré de douleur de la perte irréparable qu'il venoit de faire. Eneffet, 1'Abbé d'Eilrées, quoiqu'irréprochable dans fa doctrine & dans fes mceurs, étoit fi fupérieur a Fénelon comme Courtifan , qu'il lui étoit bien difficile de 1'égaler comme Evêque. C'étoit lui qui difoit a Louis XIV, adligé de perdre toutes fes dents 1'une après 1'autre : Sire, qui efl-ce qui a dfes dents ? Réponfe que non feulement Fénelon n'auroit pas faite , mais dont il auroit fu tirer une lecon utile pour le jeune Prince fon éleve (i). L'Abbé dEftrées eut pour fucceffeur dans 1'Académie , M. d'Argenfon , alors Garde des Sceaux & Contróleur-Général, qui avoit , difoitdl , attendu que la fortune Veüt élevé au faite des grandeurs , pour leur ajjfurer^ par cette alliance intime avec les Mu~ (i) Voyez Ia Note (a). R iv  392 Éloge fes j un e'clat fupérieur d la faveur des Princes, & d la vicififitude des chofes humaines (i). Des raifons particulieres, relatives aux circonflances (2) 011 1'Académie fe trouvoit alors , raifons qui feroient d'une conféquence dangereufe fi el les étoient fréquentes , déterminerent la Compagnie a difpenfer le Miniflre Magiffrat du Difcours public que chaque Académicien doit faire pour fa réception ; & le Public, a qui tous les momens de M. d'Argenfon étoient néceffaires pour des intéréts plus effentiels, facrirïa volontiers a ces intéréts le plaifir qu'il auroit eu de 1'entendre (3). Cette* doublé condefcendance , de 1'Académie & du Public , a privé M: 1'Abbé d'Eflrées des honneurs que le Récipiendaire & le Direcleur euffent rendus a fa mémoire. 11 nous fuffira de dire , pour y fuppléer, qu'il foutint dans 1'Académie 1'honneur du nom chéri qu'il y portoit. U n'en falloit pas moins pour confoler (O Voyez le Recueil des Harangucs de 1'Académie , Tomé VI, pa: e ioy. (1) Voyez I'Hiftoire de 1'Académie , t. II, page i7S. (3) Voyez Ia rjotc (£).  DE jean B'EsÏRÈES. 393 la Compagnie du vide immenfe que laiiToit au milieu d'elle la mort de Defpréaux, prédécelfeur de notre Académicien. JNul homme de Lettres n'auroit rempli ce vide; 1'Académie avoit hefoin d'un nom auffi refpecfabie que celui de A'Efirées, pour lui tenir lieu du nom illuflre qu'elle étoit obligée d'effacer de fa lift e. La Fontaine avoit été remplacé de même par un Académicien qui joignoit la naiffance aux talens (1). Racine n'avoit pu 1'être d'une maniere convenable que par fon ami M. de Vajincourt ; & le frere feul du grand Corneille avoit ofé lui fuccéder (2). (1) Voyez plus haut I'article de 1'Abbé 4ê Clerembault. Voyez la note (c). R r  Éloge Note s fur Vuréidi de VAbbi e tout lm monde, foixante ans. II demandoit a un autre quelle heure il étoit: Sire , l'heure quil plaira a Votre Majeflé. On aimera mieux la réponfe de Ltilly a un Duc 6t Pair qui lui reprochoit de ne pas être pret a commencer 1'Opéra , quoique le Roi fut arrivé: Le Roi , dit Lully , efl le maitre ; il feut attendre tant qu'il lui plaira. Une réponfe d'un genre bien différent , paree qu'elle eft en même temps une lecon , une épigramme , & prefque une vérité , c'eft le mot d'un Philofophe a un Financier qui fe plaignoit que les pauvres riches ne fuffent pas heureux malgré leur opulence Bon9  de Jean d' Es trees. ^95 lui dit le Philofophe , qui efl-ce qui 'ejl heureux f des miférables. ■ (bj On cite , avec raifon , comme tin chef - d'ceuvre le tableau ( trèscönnu ) des foncdions du Magiftrat de la Police , dans 1'Eloge de M. d'Argenfon par M. de Fontenelle. La peinture que ce même Académicien fait enfuite de M. d'Argenfon dans fes audiences , quoique moins citée, kous paroit du moins auffi digne d'élogés, par la fineffe , 1'intérêt ék la nobleiTe que I'Auteur y a fu répandre. » Environné & accablé , dans fes au» diences , d'une foule de gens du » menu Peuple pour la plus grande » partie , peu initruits même de ce qui » les amenoit, vivement agités d'in» térêts trèsdégers ék fouvent très-mal s> entendus, accoutumés a mettre a la » place du difcours un bruit infenfé, » il n'avoit ni finattentiön ni le dé» dain qu'auroient pu s'attirer les per» fonnes ou les matieres; il fe donnoit » tout entier aux détails les plus vils , » ennoblis a fes yeux par leur liaifon a> néceffaire avec le bien public ; il fe » eonforrnoit aux facoris de penfer les R vj  ■}(}6 -'Éloge » plus baiTes & les plus groflieres; il » parloit achacun fa Langue, quelque » étrangere qu'elle lui fut ; il accom» modoit la raifon a 1'ufage de ceux qui » la Gonnoiffoient le moins ; il conci» lioit avec bonte des efprits farouches, » ék n'employoit la décifion d'autorité » qu'au défaut de la conciliation. Quel» quefois des conteftations peu fufcep» tibles ou peu dignes d'un jugement » férieux , il les terminoit par un trait » de vivacité plus convenable 6k auffi » efficace. II s'égayoit h lui-même 5 » autant que la Magiftrature le per» mettoit , des foncfions fouverainei> ment ennuyeufes ék défagréables , ék » il leur portoit de fon pr»pre fonds » de quoi le foutenir dans un fi rude » travail «. (c) Le grand Corneille penfa avoir un fucccifeur , finon plus défirable , au moins plus qualifié que fon frere. Comme on étoit fur le point de remplirfa place, Racine , alors Direcdeur, demanda une furféance dequinze jours, paree que M, le Duc du Maine ( agé d'environ quatorze ans ) témoignoit quelque défir du fauteuil académique.  DE JeAN fl'EsTRÉË S. 397 ön imagine bien que le délai fut aecordé par acclamation ; on voulut même charger Racine d'aifurer le Prince , que, quand il n'y auroit point de place vacante , il ny avoit point d' Académicien qui ne fut ravi de mourir pour lui en faire une (i). Nos prédéceffeurs étoient, comme 1'on voit , autant de Décius, prêts a s'immoler pour 1'honneur de la Patrie. Mais le Protecieur de 1'Académie fe montra plus difncile en cette occafion que 1'Académie même ; la grande jeuneffe de M. le Duc du Maine empècha le Roi de donner fon confentement a cette élecfion; & les manes de Corneille furent privés de 1'honneur d'être loués par un Prince. (i) Voyez le choix des anciens Mercurei, Totne XXVII, page 177.   E L O G S DE GASPARD A B E I L L E, Prieur de Notre-Dame de la Mercyi né a Rie^ en Provence, en 1648 ; refu a la place de charles Boileau, le 11 Aoüt 1704 ; mort le Z2 Mai 1718. Etan t venu jeune a Paris, il s'y fit connoitre de bonne heure avantageufement, & fut introduit auprès du célebre Maréchal de Luxembourg, qui fe 1'attacha en qualité de Secrétaire. Non feulement il mérita la confiance & la faveur du Ma*echal par fon attachement & par fa probité ; il obtint auifi dans cette place 1'eftime des perfonnes les plus diftinguées par leur rang, qui, ayant contribué aux vicloires de  4Ó0 Ê L O G Ë ce grand Capitaine & partage' fes laüriers , formoient a la Cour fa fociété intime. L'Abbé Abeille , admis clans cette fociété brillante , s'y fit goüter par les agrémens de fon efprit, par fa gaité naturelle, par des pfaifanteries, auxquélles il favoit donner une forme piquante , & cependant aifez mefurée pour ne fortir jamais des bornes de la circönfpecdion & de la décence. Onne fauroit aifez dire aux gens de Lettres, quelquefois trop flattés de la redeutable familiarité des Grands , que cette familiaritë , s'ils ont 1'imprudence de s'y ïivrer fans réferve , peut devenir un facheux écueil pour eux ; que les démonftrations du refpecd ék de la déférence , conftamment foutenues de leur part j font pour leur vanité même un abri bien plus commode , ék un garant beaucoup plus sur des égards qu'a leur tour ils font en droit d'exiger; qu'en ua mot, dans cette pofition bafardeufe ék critique, ils ne fauroient être trop attentifs a mefurer leurs difcours , ni trop s'obferver dans leur liberté même, pour ne pas dégrader la noble indépendance de leur etat, ék ne pas 1'expofer au mépris de ceux qui ont tant d'intérêt de  D' A B E I L L E. 40Ï 1'honorer. Bien perfuadé de ces maximes , 1'Abbe' Abeille y conforma fa conduite. Obligé de vivre avec des hommes fort fupérieurs a lui par leur rang, & qu'il fentoit apparemment difpofe's a abufer de cette fupériorité, il vit toujours , a travers les careffes qu'il en recevoit, les ongles &. les dents de ces loups bergers, fuivant 1'exprelhon d'un Philofophe (1). En un mot, il fut avec eux être toujours d fa place , non dans le fens humiliant que 1'orgueil de la grandeur attaché trop fouvent a ce mot, mais dans le fens noble que doivent y attacher les talens, pleins d'une jufle confiance fur la confidération qui leur eft due , & que réclame pour eux le rare avantagé d'être a la fois néceffaires & agréables fai trouvé mojyen, difoit 1'Abbé Abeille , par un mélange heureux de liberté & de prudence, de vivre doucement & décemment avec les Grands , fans' avoir jamais d m'en plaindre ; & je n'ai point été réduit d m'écrier comme ce perjbnnage de Molière , défefpéré de s'être alliè d ce qu'il appelle la gentilhommerie : Ah ! (1) Voyez, la Note (a).  40i Éloge George Dandin t oü t'es-tu fourré ? Combien d'hommes de Lettres ont eu les mèmes regrets que George Dandin, pour n'avoir pas tenu , comme celui dont nous parions , la fage conduite qui auroit pu les leur épargner ! Quoiqu'engagé dans letat Eccléfiaflique , 1'Abbé Abeille ne crut pas apoftafier en travaillant pour le Théatre j il penfoit , & avec tres grande raifon, que la*Scene peut être une école de vertu , & qu'a ce titre , jamais un Citoyen ho.nnête ne doit avoir de fcrupule d'y confacrer fes talens. II donna ■ donc un aiTez grand nombre de Tragédies , qui prefque toutes furent accueillies dans leur nouveauté ; mais la févérité de 1'habit qu'il portoit, & le contralfe de cet habit avec le genre de travail auquel il s'étoit livré , lui attirerent les reproches de quelques perfonnes régulieres ou fcrupuleufes, qu'il ne vouloitpas fcandalifer & qu'il avoit intérêt de ménager. 11 prit donc le parti de ne point faire repréfenter & imprimer fous fon nom fes derniers Ouvrages (i). II n'ofa même , par une (i) Voysz la Nocc O).  d'Abeille. 403 fuite de cette déJicateffe , ni faire paroitre fur le the'atre ni mettre au jour : quelques autres Pieces dramatiques, malgré les applaudifTemens qu'elles 1 avoient recus dans les Sociéte's les plus : choifies & les plus faites pour être difficiles. Nous citerons entre autres Ca~ I ton d'Utique , dont un grand Prince :i difoit que , fi cet illuflre Républicain 1 revenoit att monde , il ne feroit pas plus Calon que celui de V Abbé Abeille, II feroit a fouhaiter néanmoins, pour confirmer une décifion fifavorable , que : cette Piece eut été foumife au jugement du Public ; lui feul auroit pu conltater irrévocablement, fi celui qui a porté ce jugement étoit auffi grand connoiffieur que grand Prince : plus \ d'un exemple pouvoit faire craindre : que le fecond Juge ne c: fiat en cette occafion 1'Arrêt du premier , comme I il n'a fait que trop fouvent avec une ',. liberté peu refpecdueufe. Parmi les Tragédies que 1'Abbé 1 Abeille a fait reprefenter , nous citeji rons Coriolan , fujet que tant d'autres 1 Auteurs ont depuis traité fans fuccès; I notre Poëte fut plus heureux , fa Piece | ayant eu pres de vingt repréfentations,  4°4 Éloge Cet Ouvrage , dit-on , donna aux Corneille & même aux Racine de grandes efpérances des talens du jeune Ecrivain. Si ces deux grands Hommes fe font trompés fur fon fujet, il faut pardonner au Public de s'être trompé ua moment comme eux , & peut-être même a 1'Abbé Abeille de n'avoir pas tenu tout ce qu'ils attendoient de lui. Le jugement des deux Maitres de la Icene tragique put lui faire illufion a lui-même , & luiinfpirer plus d'ardeur que la Nature ne lui avoit donné de force. Ces méprifes de talent, nous 1'avons déja dit (i) , ne font que trop communes ; & l'Ecrivain qui a le malheur d'y tomber , n'en eft détrompé pour 1'ordinaire que par le trifte avortement qüi les fuit : heureux celui qui reconnoitfaméprife d'a/fez bonne heure pour n'en pas être la viefime! Une prétendue anecdote , qui s'eft confervée & perpetuée jufqu'a nos jours , a répandu des nuages ficheux fur la réputation dramatique de 1'Abbé Abeille. On a dit , & mille brochures ontrépété, qu'a la première repréfen- (0 Voyez I'article de Charles Perrault.  D' A B E I I. L E. 405 tation d'une de fes Tragédies , ou une PrinceiTe difoit a une autre, Vous fouvient il, ma Sceur , du feu Roi notre pere ï un plaifant du parterre répondit fur le champ , Ma foi, s'il m'en fouvient, il ne m'en fouvient guere. On ajoute que cette faillie fut faifie avidement par les fpecdateurs (il n'en fal'oit pas tant pour faire rire des Francois) , & que la Piece ne put être achevée. Des faifeurs de fatires , que ce conté devoit bien tenter, fe preiferent deletourner en épigramme; ilsenfirent une entre autres ou ils appliquoient fans pitte a tous les Ouvrages de 1'Abbé Abeille , ce vers qui lui avoit été li funefte, Ma foi, s'il m'en fouvient, il ne m'en fouvient guere. Malheureufement pour 1'anecdote qui fervoit de prétexte a ces farcafmes , plufieurs Ecrivains exacds & inftruits en ont prouvé la faulfeté : mais cette fauifeté bien reconnue n'empêchera pas que 1'anecdote ne foit encore répétée plus d'une fois; il ftiffit pour cela qu'elle  4©6 Ë L O G E foit propre a amufer un moment la malignité publique, qui, toujours pre/fee de jouir , recoit avec avidité les alimens qu'on lui offre , de quelque part ck fous quelque forme qu'ils lui foient prêfentés. Quoique 1'Abbe' Abeille (pour parler le langage très-ufité de fon temps, ck beureulèment beaucoup plus rare du notre) püt fe flatter d'avoir des Protecleurs puiffans ; il eut toujours la fageffe ou le courage de ne point s'appuyer de leurs fecours , foit pour faciliter fes fuccès au théatre , foit pour y retarder fes chutes. II refufa conftamment de recourir a cette vile ref» fource , toujours inutile & fouvent fatale a ceux qui ont la baffeffe ck 1'ineptie d'en faire ufage. II ne s'expofa point a la même humiliation qu'un Poëte fon contemporain , dont la Piece fut folennellement fifïïée , quoiqu'un Miniflre , digne Mécene du Poëte, eüt envoyé un corps de troupes pour tenir en refpecd les fpecdateurs, qui ne s'y tinrent pas. Ce même Miniflre ayant laiffé prendre dans le même temps , faute de fecours, une ville que les ennemis nous enleverent 5 eut la fatisfac-  D'A B E I L L E, 407 tïon d'entendre dire qu'il auroit e'te' plus lieureux , s'il avoit feulement envoyé pour défendre cette place autant de fo'dats qu'il en avoit perdus a foutenir 1'Ouvrage de fon malheureux protégé. L'homme puirfant apprit, par cet écueil ou fon pouvoir vint fi mal-adroitement fe brifer, ce que 1'Abbé Abeille favoit trop bien pour compromettre de la même maniere fes propres Mécenes; qu'il eft des objets fur lefquels le defpotifme veut en vain donner la loi ; qu'on éprouve même alors d'autantplus de plaifir a le braver , qu'on fe fent d'ailleurs plus chargé de chaines ck plus maitre de les fecouer un moment fans crainte & fans péril; qu'enfin rien n'eft plus facheux pour 1'autorité, que de fe rendre ridicule en voulant commander au bon goüt. Si les Ouvrages dramatiques de 1'Abbé Abeille ne fontpas d'excellens modelespour les Poëtes, fa maniere de penfer fur la liberté littéraire, & fon attention a n'y point porter atteinte, eft pour eux d un grand exemple ; ék cette lecon de conduite qu'il a donnée a fes Confrères, peut lui tenir lieu de quelques bonnes fcenes de Tragédie,  40S Éloge II ne borna pas au genre tragique fes travauxpour leThéatre ; il fit auffi une efpece de Farce en un arde, intitulée Crijpin bel-efpru , qui fut repréfentée comme fes autres Pieces fous le nom d'un Comédien , & qui depuis a o(é reparoitre quelquefois , paree qu'tlle eft gaie , femée de traits vifs ékplaifans, ék que les Specdateurs, attendris ou ennuyés par une Tragédie, confentent volontiers a s'amufer un moment d'une bagatelle fansprétention ék fans apprèt, deftinée a effuyer leurs larmes ou a dérider leur front. Notre Académicien fit auffi dans le genre lyrique leftai de fes'forcesj il fut Auteur de quelques Opéra qui obtinrent le fuffrage des connoiffeurs aqui il en fit la lecdure : cependant, comme il ne croyoit pas qu'on püt faire de 1'Opéra une école de mceu.rs, ainfi que de la Comédie ; un fcrupule audere , fi 1'on veut , mais toujours louable , le porta a fupprimer ces Ouvrages. Enfin il a publié en différentes occafions desEpitres ék des Odes, dont quelques-unes ont été lues avec fuccès dans les féances publiques de TAcadé- mie;  d'Abeille. 409 mie : il en lut une entre autres fur ia patience & la confiance dans 1'adverfhe', qui fut affez applaudie pour mériter 1'honneur. d'une Epigramme, dont le bon mot n'étoit pas un gmnd efforc d'efprit ; on oppofoit la confiance de 1'Académicien a faire de mauvais vers, a Ja patience que le Public avoit de les entendre. Le motif qui avoit diclé cette Epigramme, auroit fuffi pour Ia décréditer. Elle étoit de 1'Abbé de Chaulieu , qui, mécontent de 1'Académie dont il n'avoit pu obtenir les fuffrages (1) , & mécontent des arais* de 1'Abbé Abeille qui lui en avoient ferme' 1'entrée , cherchoit a fe venger de ce dégoüt par ces petits moyens , peu dignes de fes talens. Si les Poéfïes de 1'Abbé Abeille ne font pis des chef-d'ceuvres de verfification , elles refpirent du moins partout la vertu & les mceurs. Les fentimens'edimables que I'Auteur a exprimés dans fes vers, étoient la peinture de fon ame. Bienfaifant Sc défintéreffé , il n'ufa jamais de fon crédit (1) Voyez i'Hittoire de l'Académie , zn-iz, Tome II, page 40. Tome III, S  410 E L O O E que pour obliger ceux qui avoient recours a lui; tout ce qui fouffroit avoit droit furfoncoeur; & quoique fa pofition tui fournit des occafions fréquentes d augmenter fafortune, il mourut dans cette médiocrité honorable qui donne tant d'éclat a la vertu. II recueillit dans une circonflance flatteufe le prix de 1'honnêteté de fon caracf ere. Un Poëte qui avoit fait contre lui une Epigramme injurieufe , fe trouva quelque temps après a Rouen , oii notre Académicien étoit aufTi a la fuite du Maréchal de Luxembourg , Gouverneur de Normandie. L'Abbé Abeille , qui n'ignoroit ni 1'Epigramme ni I'Auteur , alla chercher le Poëte , le préfenta au Maréchal de Luxembourg en le comblant d'éioges , lui procura tous les agrémens que les Satiriques n'attendent guere de ceux qu'ils ontoffenfés, enfin témoigna tant d'empreffement a le fervir , que le Poëte s'écria dans la violence de fes remords, Ah ! Monfieur 3 quelle vengeance vous exerce^ contre mai , & quelle lepon vous vene^ de me donner ! Me voila, corrigé pour jamais de la fatire. Le faifeur d Epigrammes, qui nous a lui-  d'Abeille. 41 i même aopris cette arrecdote , ajoutoic qu il 1'avoit fouvent racontée a de jeunes Poëtes , dans le deifein très-louable de les dêtourner de ce nialheureux genre d'écrire, pour lequel il leur voyoit de facheufes difpofnions. Mais , diloitdl en foupirant, je fuis jufqu'd prefent le feul que cette aventure ait ■rendu meilleur (i). INOTES furT'article del'AbbéABEILLE. (a) L E Pbilofophe , un peu arner dans fes qualifications, qui donnoit a tous les Grands 1'épithete énergique de Loups bergers, auroit été bien injufte s'il n'y avoit pas reconnu des êxceptions. Plus même ces exceptions feroient rares, plus ceux qui les méritent font dignes du relpecd &. de 1'attacliement des gens de Lettres. L'Académie Francoife fe glorifie d'en compter plufieurs parmi fes Membres. Voyez I'article du Maréchal d'Eflrées. (b) Les Tragédies de 1'Abbé Abeille (1) Voyez Ia Note (e). «ij  4t3 Éloge étoient données fous le norn du Co* médien la Tkuïllerie. Parmi ces Pieees, il y en eut une, nommée Hercule, dont le fuccès fut fi marqué , que les Comédiens, jaloux, dit-on , de la gloire ( peu méritée ) de leur camarade , en interrompirent brufquement les repréfentations au milieu de fon cours. On foupconnoit cependant la Thuillerie de n'en être que le pere adoptif; mais celui-ci, foit par vanité, foit de concert avec le véritable 6k fecret Auteur', s'éleva dans la Préfaee d'Hercule contre ce foupcon injurieux a fes talens c? a fa réputation. » Je crois, dit M. de Voltaire , dans une lettre au Comédien La None, Auteur de la Tragédie de Mafiomet fecond, » que vous s> êtes le premier parmi les Modernes » qui ayez été a la fois Auteur & Ac» teur Tragique : car la Thuillerie, » qui donna fous fon nom les Tragé» dies de 1'Abbé Abeille , n'en éteit » point I'Auteur; & d'ailleurs ces Tra» gédiesfont aujourd'hui comme lï elles » n'avoient point été. Connoid'ez-vous i» 1'Epitaphe de ca la Thuillerie ? i> Ci-"g!c un Fhcre nomméjean, w Qui croyoit avoir fait Hetculc Sc Soliman «i  b' A b e i l l é. 413 les ennemis de 1'Abbé Abeille prétendoienr que, s'il avoit donnéfes dernieres Pieces fous un autre nom que le ften , n'ayant pas eu le même fcrupule pour les premières , ce n'étoit nullement par refpecd pour fa robe, mais paree que la chute de Lyncée , une de fes Tragédies , lui avoit fait craindre d'eifuyer une autre fois trop publiquement la même difgrace, (c) Par ces détails fur notre Académicien , on peut apprécier une autre Epigramme qui fut faite contre lui, 8c que nous ne craignons pas de rapporter, paree qu'elle_eft démentie par tous les jfaits racontés dans cet article. La meilleure réponfe a une Epigramme iniufte , eft de la faire connoiire. Nous en avons d'ailleurs une autre raifon } que nous dirons dans un moment. Abeille , arrivant a Paris, D'abovrl pour vivre vous char.tite» Quelques Molles a julie ptix ; Püis au théatre vous laffates I.es fifflers par vous renchéris} Quelque temps après, fariguaces De Mars 1'un des grands favoris, Ch;z qui pourtant vous engrairTates; S iij  414 É L O G E , &C. Enfin, digne aspirant, entrates Chez les Qjirantï beaux Efprits, Et fur eux-mêmes l'emporrites A forg;r d'ennu/eux Ecrirs. Cette Epigramme ne fauroit être de Racine , a qui des faifeurs de brochures 1'ont attribuêe, puifque ce grand Poëte étoit mort quand 1'Abbé Abeille fut recu de 1'Acade'mie Francoife. Mais on a cru rendre 1 Epigramme meilleure en Ja décorant d'un fi beau nom , fans avoir même le bon fens di voir que Racine , Membre de 1'Académie, n'auroit pa's eu la fottife de fe qualifier lui-même d ennuyeux Ecrivain. Lïlluftre Auteur de Phédre^ avoit affez d'Epigrammes fatiriques a fe reprocher, pour qu'on doive fe faire un fcrupule de lui imputer en ce genre des péchés qu'il n'a pas commis.  C A M I L L E LE TELLIER DE LOUVOIS, EIBLIOTHÉCAIRE DU ROI, 'Abbé de Bourgueil & de Vauluifans ; né a Paris le 11 Avril 1675 ; recu a la place de Jean^TeSTU de Mauroy , le 23 Septembre 17065 mort le 3 Novembre 1718 (1). (1) Voyez fon Etage dans 1'Hiftoire de 1'Académie des Sciences , & dans celie de 1'académie des Belles-Lettres. 0 S iv   EUSEBE EENAUBOT, PRïEUR DE FRESSOY, De VAcadémie della Crufca ; né d Paris le 20 Juillet 1646; repu dia place de Jean'DoUJAT , le 7 Février 1689 j mort le premier Septembre 1720 (1). (1) Voyez fon Éloge dans 1'Hiftoire de 1'Académie des Belles-Lettres. S t   PHILIPPE D E COURCILLON. MARQUIS DE DANGEAU , Chevalier des Ordres du Roi , GrandMattre deVOrdre de Saint-La^arey Confeiller d'Etat , Gouverneur de Touraine; né lezi Septembre 1638; repu d la place de G E O R G E DE SCUDERY, en 1668 j mort le 9 Septembre i-pxo (t). (O Voyez fon Eloge dans 1'Hiftoire de fAcadémis des Sciences.   SL su \J \jr su, DE JACQUES-LOUIS TAL O N. MARQUIS DE MIMEURE, Lieutenant-Général desArmées du Roi; né d Dijon le 19 Novembre 1659 \ refu d la place de Louis CouSlN, le premier Décembre iyoy; mo/tle 3 Mars 1719. SoRTl tres-jeune de fa Province , avec des talens précoces & un earacf ere aimable, il fut produit a h Cour , ck placé auprès du Dauphin , fils de Louis XIV, en qualité de Page, mais de Page diftingué & chéri ; on 1'aflocia , par ordre du Roi, a tous les arnufemens du jeune Prince , & fur-tput a fes études. Louis XIV , qui devoit a la  422 Éloge Na ture feule toutes fes bonnes qualités, & a fa feule éducation tous fes défauts, ne fentoit que trop combien cette éducation avoit été négügée , pour ne rien diré de plus; & comme il ne-pardonnoit pas a fes Ihftituteurs ce crime envers 1'Etat, il ne vouloit pas s'en rendre coupable lui-même a 1'égard de fon fi!s. II n'oublioit donc rien pour donner a 1'éducation de ce dis toute la perfecdion que la Nature exigeoit d'un pere, & la France de fon Souverain ; il défiroit au moins de n'avoir aucun reprocbe a fe faire, li le fuccès de cette inditution fi importante ne répondoit pas a fa follicitude royale & a fes vües paternelles. En placant auprès du Dauphin les plus excellens Maitres en tout genre , il crut devoir joindre aux avantages précieux de leurs Iecons, 1'aiguillon plus puilfant encore de I'émulation & de 1'exemple, & voulut donner dans le jeune Mimeure une efpece de rival a fon fils. Le rival, tout jeune qu'il étoit, eut I'art de fe faire aimer du Prince , en contribuant a animer fes études. La faveur dont 1'honora 1'héritier de la Couronne, ne fe refroidit jamais, paree qu'il ne celfa jamais de  DE V A L O N. 41? Ia mériter ; & le Dauphin s'attacha jufqu'a la fin de fa vie ce Compagnon de fes premiers travaux & de fes premiers plaifirs. M. Ie Marquis de Mimeure , en fup vant avec ardeur la route brillante que hii odroit la fortune , n'oublia pas les Lettres, qui la lui avoient ouverte de fi bonne heure ; il cultiva avec fuccès , non feulement les Mufes francoifes , mais eneore les Mufes latines , qui étoient alors plus accueillies, même a la Cour , qu'elles ne le font aujourd'hui de la plupart des gens de Lettres. II fut a la fois & rival d'Horace en latin ( autant qu'un Moderne peut afpirer a 1'être ) , & Traducleur francois plus digne encore de ce Poëte , fi admirable quelquefois , ék toujours fi aimable. M. de Voltaire nous affure que l'Öd'e d Vénus, imitée d'Horace par M. le Marquis de Mimeure , n'eft pas indigne de 1'tfriginal; la décifion d'un fi grand Juge eft, pour I'Auteur de la Piece, une atteftation de talent poétique. Cette Ode n'ayant paru que dans quelques Recueds , ék. étant aujourd'hui alfez peu connue , nous croyons devoir la mettre ici fous les  444 Ê L O 6 Ë yeux de nos Lecleurs (r), comme Ie principal titre académique de M. Ie Marquis de Mimeure. En voyant de quelle maniere il a imité 1'Ode latine ( car ce n'eft qu'une traduclion tréslibre ) , nos Lecteurs. de'cideront ft M. de Voltaire a e'té rigoureufement jufte dans le jugement -qu'il a porté de 1'Ode francoife, ou s'il n'a été qti'indulgent pour un amateur avec lequel il avoit eté lie dans fa jeuneffe. Ceux qui pourroient être plus féveres que lui, doivent en même temps ne pas oublier -que cette Ode eft 1'ouvrage d'un Poëte courtifan Sc homme de guerre , qui ne faifoit des vers que par délaffement, Sc qu'il eft plus d un faifeur d'Odes de profeffion, qui n'a pas fi bien réuffi. M. le Marquis de Mimeure 'a fait plufieurs autres Pieces de vers, non pas comme celle-ci, a 1'honneur de 1'amour, mais a 1'honneur de Louis XIV & des Princes fes rils ■ elles furent accueillics k Verfailles, comme devoient 1'être des louanges données par un courtifan a fes Maitres. Mais il n'a jamais voulu (1) Voyez la Note (a).'  D E V A L O N. 425 les faire imprimer , prévoyant fans doute en Philofophe le peu d intérêt que la Poftérité prendroit un jour a ces éloges éphémeres. Lorfque les talens & les Ouvrages de M. le Marquis de Mimeure lui obtinrentune place al'Académie, il n'ofa, foit timidité , foit modeflie , compofer lui-même fon Difcours de réception, quoiqu'il en fut très-capable. II fe repofa de ce travail fur la Motte , qui n'étant point encore Membre de Ia Compagnie, fit en cette circonftance un fecret & heureux effiai de fes talens pour ce genre d'écrire , & des applaudiffemens qu'il devoit recevoir dans 1'Académie , lorfqu'il y parleroit pour lui-même. II compofa auffi quelques années après, pour une occafion d'éclat, un autre Difcours de réception , celui du Cardinal du Bois , qu'il n'étoit pas facile de faire parler d'une maniere également décente pour lui & pour le Corps littéraire dont il devenoit Membre. Fontenelle répondita ce Difcours, & ne 1'effaca pas. L'envie , qui n'auroit pas manqué de déchirer des Ouvrages dont la Motte fe feroit nommé I'Auteur, fit au Public 1'honneur d'être  4^6" E L O G E de fon avis en ces deux circonflances; elle applaudit beaucoup , a Ia vérité fans Ie favoir , le fimple Homme de Lettres caché derrière la naiffance ck les dignités (i). M. le Marquis de Mimeure mourut a Auxonne , dont i! étoit Gouverneur. IIƒ111 enterré Jans 1 eglife paroiffiale de cette ville, ou on lit fon Epitaphe,, terminée par ces mots ëdifians ; PSiTarts, priez pour tui, Si fongez k vous (1). (1) Voyez la Njte (6). U) Voyez Ia Note (c).  DE V A L O N. 427 NoTES fur Varticle -précédent. {d) ODE A VÉNUS, IMITÉE D'HORACE (1) Par M. le Marquis de Mimeure. C ?- u t n E mere des Amours (i) , Toi que ('ai fi long-temps fervie , CelTe enfiu d'agiter ma yie , Et laifie en paix mes derniers jours 1 Ta tyrannie Sc tes caprices Font payer trop cher tes helices. C'eft trop gémir dans ta prifon •, Brife les fers qui m'y retiennent, Et permets que mes voeux obtiennent Les fruits tardifs de la raifon. (i) Cette Ode eft la première du quatrieme Livre. Nous metrrons ici les vers latins que M. de Mimeure a imites ou traduirs. Par-Ü on jugera tour a la fois & de 1'imitarion, & de ce qui appartiem en propte au Tradufteur. (i) Interrn-ffa Vernis diu , Rurfum bella moves ; paree precor, precor.... Defme , dulcium Muer faeva cupidinum , Circa lufca decem flattere mollibus jam durum imperiis.  428 Éloge De ja m'échappe Ie bel age (i) Qui convient j tes favoris, Et des ans le fenfible oucrage Me va donnet- des cheveux gris. Si pour moi le delTein de plaire Devient un èïpoir téméraire, Ciue puis-je encore dïiirer ? Quelle erreur de remplir mon ame D'une vive & conftanre flamm* Que je ne faurois infpjrer 1 Qitanu on fair unir & confondrc En deux rceurs mêmes fentimens, Et que les yeux de deux amans Savenr s'entendre & fe répondre; Quand on fe livre tout le jour Aux foins u tui niutueï amour, De quel tranfport 1'jms eft ravic ! Dans ces momcns délicietix Un morrel porte-t-i! euvie A la fék'cité des Dieux } Mats 1'amorce de tes promefTes K'eut que trop I'art de m'éblouir. Réferve toutes tes carefles (1)' A 1'heureux age d'en jouir. " MWw^MMMÉMl (i) Non fum qualis erarn bon.t Sub regno Cynarx, CO Abi Qui blond* juvenum te revocant prtees.  DE V A L O N. 429 Serre de la plus forre chaine L'ardeiK Cléun , la jeune Ifmene ; Vo!e oü t'appe'.lent leurs défirs; F ais-les mourir, fais-les reviyre , Et que ta faveur les eni. re D'un torrent d'amoureux plaiCrs. Pour moi, dans un champêtre afyle, Oü PArou de Tes claires eaux Baigne le pied de aos cöteaux , Je chetche un bonheur plus tranquille ; Sur des fleurs mollemenr couché Aver un efprit détaché Des biens que le courtifan briguc , Sur moi le pere du repos , Le Sommeil, d'une main prodigue, Verfera fes plus doux pavots. Je verrai quelquefois cc'.cre Dans les prés les aimables fleurs , Odoranres fillet des pleurs Que verfe la naiffance Aurore; Je verrai tantot mes guérèft Dorés par la blonde Cerès : Dans leur temps les dons de Pomonc Feronr püer mes efpaliers , £t mes vignobles, en Automnea Rempliront mes vaftes celliers.  43 O E L O G E Maïs quel rrouble & quelles alarmes (tY Viennent me faillr malgié moi!" Pourquoi, Céphife, hélas i pourquoi Ne puis-je rerenir mes larmes ? Dans mon fein je les fens couler. 3e rougis, je ne puis parler; Un cruel ennui me dévore. Ah ! Vénus ! ton fi'.s eft vainqueur: Olii, Céphife, je brüle encore; Tu regncs toujours fur mon cceur. Quelquefois la douceur d'un fonge (t) Tc rend fenlible A mes tlanfports. Cbjarmes fecrets, divius ttéfors, N'êtes-rous alors qu'un menfongeï Une autiefois avec dédain, Tu te dérebes fous ma main : J'embraiTe une ombre fugitive , Et te cherchant a mon reveil, Je hais la clarté qui me privé lies doux fancómes du fommeil. (r) Sed cur keu ! Ligurine , car Manat rara meas lacryma per genas f Cur facunda paruin decoro later verba cadit Ungua füer.tlo { (i) Noclurnis te ego fomniis Jam captum teneo , jam volucrem fequor Te per gramina manii Campi , te per ajuas , dure , volubilet,.  DE V A L O N. 431 (b) Nous pourrions citer plus d'un exemple de pareils difcours, que les Zoiles de la Littérature ont fort exaltés , non feulement par le motif fi digne d'eux de flatter des hommes puiffans , mais pour oppofer, difoient-ils, la fupériorité & les graces de ces difcours a 1'infip'dité & au mauvais goüt de plufieurs autres , qu'avoient prononcés , en leur propre nom, des Académiciens , gens de Lettres; il eft arrivé plus d'une fois que ces Académiciens, outragés avec tant de bonne foi Sc de juflice , étoient les fecrets Auteurs des difcours tant célébrés. Peutêtre cependant ( car il ne faut rien outrer, même en repouffant la fatire) peut-être eft-il arrivé quelquefois qu'un Académicien , homme de Lettres , a mieux fait pour un autre Académicien qu'il n'eüt fait pour luimême , par la raifon feule qu'il ne cherchoit pas a faire auffi bien. L'hcrivain qui na travaille pas pour fon propre compte , qui travaille de plus dans le filence , a 1'abri de 1'envie , Sc fous un nom que la fatire n'ofera déchirer , prend en liberté fon effor , Sc déploie avec confiance fon talent Sc  4j2 Éloge fesforces. Affranchi de cette COntrainte odieufe , qui refroidit & refferre Ie génie, il n'eft point tourmenté ( comme il 1'eft en écrivant pour lui-même ) par les efforts contradicdoires 6k pénibles qu'il feroit obligé de faire , d'un cöté pour s'élever , &. de 1'autre pour contraindre fon vol. ( c ) La familie de cet Académicien a bien voulu nous communiquer un écrit, d'oii nous tirerons les principaux faits qui honorent fa mémoire , &. dont nous n'avons point fait mention dans fon Eloge , p'arce qu'ils font trop etrangers a fes qualités académiques , qui ont dü principalement nous occuper. » Des fa tendre jeuneffe il annonca » un talent fingulier pour la Poéfie ; a » neuf ans, fa réputation naiffante lui » ouvrit le chemin de la Cour. Ce fut » fur les témoignages avantageux du » grand Condé , Gouverneur de Bour» gogne, qu'il fut placé par Louis XIV » auprès du Dauphin. A cette grace , » le Roi joignit une penfion de 300O » livres, deflinéea contribuer a fon édu» cation. » Quelque attaché qu'il fiat au fer» vice  , D F. V A L O N. 43 3 & vice de ce Prince , il fut le concilier » avec celui de la guerre. 'Après avoir >> fervi, fous M. Duquefne , en qualite » de Volontaire, a 1'expédition d'Al» ger , en 1683 , il fut Meflre-de» Camp & Sous-Lieutenant des Gen>> darmes Anglois : fon courage & fa » conduite le firent fucceffivement paf» fer aux emplois de Brigadier, de Ma» rechal-de-Camp, & de Lieutenant» Général : il fe diftingua aux combats » de Steinkerque, de Leufe , aux deux » journe'es de Fleurus, a celles de la » Marfaille , de Ramillj, & de Mal» plaquet ; de même qu'aux fiéges » de Luxembourg , de Philisbourg , » Frankendal, Mons , Landau, & Bri» fac , ou il eut 1 honneur de fervir en 5» qualité d'Aide-de Camp de Monfei» gneur le Duc de Bourgogne, qui le » chargea de porter au Roi les articles » de la capitulation. Ce Prince, après » la mort du Dauphin Ion pere , le re» tint, par ordre du Roi , prés de fa » perfonne , dans les mêmes fonclions » qu'il avoit de'ja remplies : il le traita ,s> toujours avec eftime j ck cette dif» tinction fut, non feulement le fruit » de 1'attachement fidele que M. de Tome III, 1'  434 Éloge » Mimeure avoit fait paroitre dans tou» tes les occafïons pour fon premier » Maitre , mais encore de fon goüt » pour les Lettres. , » 11 eft mort fans avoir eu d'enfans » de dame Magdeleine de Carvoifin » d'Achy, d'une illuftre Maifon de Pi» cardie , qu'il avoit époufée en 1707; » ck laiffa , pour fon héritiere, Anne» Philippine fa fceur, mariée a Mellire » Anfelme-Bernard Fyot de Vaugé» mois , Préfident aux Requêtes du » Palais , a Dijon. » Le nom de Valon eft connu de» puis Regnier Valon , Seigneur de » Capelle, ck Gouverneur d'Arleuxen » Flandre , qui mourut en 1296, ck » laiffa. d'Alix de Rocourt une nom» breufe poftérité ; elle fuivit la pro» feffion des armes jufqu'a la fin d« » quinzieme fiecle ; ék depuis ayant » pris le parti de la robe, elle donna » un grand nombre d'Offkiers diftin» gués au Parlement de Bourgogne , » ék plufieurs Chevaliers a f Ordre de » Malte. Quelques-uns des cadetsqui, ,v dans la fuite , reprirent le métier de » la guerre , y fervirent avec diftinc» tion ; entre autres, le Chevalier Va-  DE V A L O N. 435 i» Ion commandant le bataillon de » Malte , au fiége de Valence , en » 1656 , ck Jacques Valon de Saint» Seine , Capitaine au Régiment des » Gardes-Francoifes, "tué a Ia bataille » de Sénef. Leurs fervices font rap» portés, avec éloge , dans les lettres » d'érecfion en Marquifat de Ia terre » de Mimeure, fituée en Bourgogne, » ck poifédée en franc - aleu noble v dans Ia même familie , depuis Ni» colas Valon , Seigneur de Barain , » Confeiller au Parlement de Dijon, » en 15 54, & qui a paffe a M. Claude » Fyot de Mimeure, petit-neveu du » Marquis de Mimeure , objet de cet » article «. T ij   "57 T /"* Ti ü, Ju \J it affidu aux conférences du célebre Roliauit, qui enfeignok la Philofophie de Defcartes. II n'en avoit pu prendre, dans les entretiens publics, qu'une teinture fuperficielle , mais fuffifante néanmoins pour entrer la-deffus en matiere avec M. Boffuet , qui, comme nous le favons d'ailleurs, étoit grand Cartéfien. D'abord ce favant Maitre s'appercut que les fondemens néceifaires pour batir folidement , n'étoient pas jerés dans 1'efprit de fon difciple • je veux dire , que les regies de la Dialeciique lui étoient inconnues. Aïnfi, les lecons qu'il lui donna commencerent par cette fcien-ce, qui eft la clef du raifonnement. Tous les Mardis , 1'Abbé Geneft fe trouvoit au lever du Prélat , & jouiffoit de fon entretien jui'qu'a 1'beure oü M. le Dauphin entroit a 1'étude. Peu a peu ils attaquerent toutes les parties de la Philofophie , & ce fut-la ce qui donna naiifance a cette efpece de Poëme qu'il ne publia que fur la fin de fes jours, mais dont d s'étoit occupé plus  de Genest. 44? de trente ans : ouvrage auquel le Public n'a fait qu'un froid accueil, pa*ce qu'il elf venu dans un temps oü la faveur du Cartéfianifme étoit déja bien diminuée (1). » Je n'ai pu voir le fameux Caton Decourt , mort en t 694 ; mais généralement tous ceux qui 1'ent vu, difent que c'étoit un homme qu'on auroit mis au delfus.de tous fes contemporains, s'il n'avoit apponté autant de foin a cacher fon mérite, que ceux au contra'ire qui en ont peu étudient les moyens de briller. II con5ut pour M.'1'Abbé Geneft une amitie fans égale. Quand il avoit un moment k prendre fair, il s'enfoncoit avec lui dans un bofquet de Verfaiües, & , le livre a la main , lui expüquoit quelque bel endroit des Poëtes ou des Philofophes anciens. Vous ne croirez pas touta-fait que cela feul ait pu lui tenir lieu de bonnes études , ébauchées dés 1'enfance, & reprifes dans 1'age mür. Mais du moins il n'en falloit guere davantage pour lui former le goüt; & ceux de nos Confrères qui ont été de fon (1) Voyez la Note O).  4?* Éloge temps a 1'Académie, m'ont dit qu'en ettet il opmoit toujours avec un grand lens & que, fi 1'on s'appercevoit quelquefois de fon peu d'étude, ce n'étoit que par un filence également faze & modefie. » Venons a fon troifieme Maitre , M. de Malézieu, dont les mines , fi vous me permettea de parler poétiquenient , doivent être bien glorieux de voir que la place qu'il occupoit parmi les Quarante a été fi dignement rempbe (i). On lui eft redevable de tout ce que 1'Abbé Geneft a fait pour le The'atre : car , non feulement il le forcoit a travailler en ce genre ; mais d l'éclairoit , il le guidoit. Vous connoiifez Zélonide, Pénélope, & Jofeph , tragédies imprimées qui ont été jouées (2) avec un grand fuccès. Une autre de fes Tragédies, Polymneflory etoit de pure invention, & fur un plan romanefque tracé par M. de Malézieu , qui prétendoit que la nouveauté toucheroit les Specdateurs, & que les v (0 Elle Ie fut par M. Ie Préfident Bouhier, a rjm cette lettre eft écrite. (1) Voyez la Note (4).  de Genest. 451 fujets tirés de la Fable ou de 1'Hiftoire étoient fi ufés, qu'on ne s'y intérelfoit plus. Au contraire , M. Decourt foutenoit que , pour nous toucher, il faut des objets réels 6c connus jufqu'a un certain point ; qu'ayant , pour ainfï dire, pafte notre enfance avec les Héros de la Grece 6c de Rome, c'eft-la ce qui nous fait prendre un intérêt a ce qui leur arrivé fur le théatre , & qu'en conféquence de ces principes, Polymneflor échoueroit, quoique d'ailleurs la Piece fut bien verfifiée , bien conduite, pleine de fentimens 6c d'heureufes fituations : 1'événement juftifia M. Decourt. » Un Homme de Lettres ne trouve pas moins a profiter avec les femmes d'une grande condition , lorfqu'elles ont eu une éducation proportionnée a leur rang; & de ce cótéda votre Confrère fut auffi heureux qu'en hommes. Car Madame de Thiange, a qui le Duc de Nevers, fon gendre, le préfenta , ne put lui refuferfon amitié , Sc bientót le mit en liaifon avec fes deux fceurs , Madame de Montefpan , 6c 1'Abbelfe de Fontevrault. Celie-ci joignoit, aux folides vertus de fon état,  452 E L O G E un rare génie , & un favoir encore moins commun. Homere & Platon lui étoient auffi familiers qua vous. Elle goiïta fort 1'Abbé Geneft : il alla pafter plufieurs étés a Fontevrault; ckl'envie de lui plaire 1'engagea, quoiqu'agé de quarante ans , a vouloir apprendre lVat'"' ^ e^ Viai ^ue nt)Cre ami ' M. de la Monnoye , n'étoit guere moins agé lorfqu'il fe mit au grec , oü cependant il fit d'étonnans progrès. Mais 1'Abbé Geneft, avec des efforts mcroyables, ne parvint qua une mé- diocrité qui eft inutile. » Puifque je vous fais ici la lifte des perfonnes illuftres , dont le commerce a le plus contribué a lui orner Tefprit , comment oubiierois je Madame la Ducheife du Maine, qui, pour favoir plus fouvent auprès d'elle, lorfque fes fonctions de Précepteur furent fïnies auprès de Madame la Duchelfe d'Orléans, lui donna un appartement k Sceaux , oü depuis il a toujours pafte' une partie de i'année , & même fon dernier été , les plaifirs órdinaires de cette Cour étant de tout age ? » Vous fouveriez-vous, Monfieur, d'avoir lu dans les Divenijemens de  'd f. G e n e s t. 453 Sceaux, que M. le Duc & Madame la Ducheffe du Maine. faifant 1'honneur a notre Confrère de plaifanter avec lui, & cherchant 1'anagramme de fon nom, Charles Geneft, trouverent ces mots : Eh ! c'eft large nés. II avoit effectivenient un nez qui s'attiroit de 1'attention, & qui fur - tout avoit extrêmement frappé M. le Duc de Bourgogne. Quand ce Prince apprenoit a denïner, il tournoit tous fes deffeins a faire le nez de 1'Abbé Geneft ; qu'il füt en carroffe , & que la glacé vint a fe ternir, auffitót il y tracoit avec fon doigt ce maitre nez. Un jour le Comte de Matignon , celui-la même chez qui vous favez que je paffe fouvent la belle faifon , ayant paru au lever de M. le Duc de Bourgogne , avec un juftaucorps tout blanc de poudre , auffi-töt 1'aimable Prince , avec la dent d'unpeigne, repréfenta fi parfaitement ce fameux nez, qu'il y avoit de quoi rire en même temps, & de quoi admirer , en comparant la copie avec 1'original, qui étoit préfent. J'ai vu entre les mains de 1'Abbé Geneft une grande médaille de carton , oü ce Prince 1'avoit crayonné  454 Éloge divinement bien. Autour de la médaille , il y avoit mis de fa propre main, Carolus Gene/lus Nafo. Afégard du revers , je vous dirai tout a 1'heure ce que c'étoit; mais auparavant il faut que je vous faffe un autre conté fur ce nez fi merveilleux. » Pendant que 1'Abbé Geneft étoit a Rome , il alloit fouvent matiger chez le Cardinal d'Eifrées, qui aimoit fort les Poëtes , & qui lui-même, dans fa jeuneife , avoit fait joliment des vers. Un jour que fon Éminence avoit beaucoup de gens a table, il s'y trouva un homme qui , ayant le nez extrêmeirient grand , donnoit matiere a un bel humore , 1'un des convives , de dire beaucoup de gentilleffes , bonnes ou mauvaifes, fur ce nez monftrueux, dont il faifoit femblant d'être effrayé. Arrivé 1'Abbé Geneft, qui d'abord ne fit que fe montrer a la porte, prêt a difparoitre pour ne rien déranger : mais le Cardinal d'Eflrées 1'appela & lui ordonna de prendre place. Alors le bel humore, ayant confidéré ce fecond nez , dont il parut plus effrayé que du premier, s'écria, en adreffant la pa-  de Genest. 455 Tole au Cardinal : E minentijjimo , per un ïfipuofoffrire, ma per duo ,no(i); & la-deffus, jetant fa ferviette , s'enfuit & court encore \ auffi bien que le loup.de la Fable. » Je vais en venir au revers de la médaille dont je parlois; mais comment me rendre intelligible ? Voyez, je vous prie , dans les nouvelles Lettres de Madame de Sévigné , ce qu'elle raconte du Marquis d'Hoquincourt, qui, a une cérémonie des Cordons bleus, étoit teileinent habillé , que fes chaulfes de Page étant moins commodes que celles qu'il avoit d'ordinaire , fa chemife ne voulut jamais y demeurer , quelque priere qu'il lui en fit. Ainfï en ufoit fouvent la chemife de 1'Abbé Geneft, fans qu'il fe nut en peine de la cornger. Or voici ce qui arriva de plaifant : une de ces Iongues foirées d'hiver , oü 1'ennui cherche a pénétrer dans Verfailles comme ailleurs, le Roi fe divertit a voir un Joueur de gobelets, qui faifoit 1'admiration de Paris, &. dont un des principaux tours étoit de (1) Éminence, un peut fe foufrir , mais deux, non.  456 Éloge prendre entre fes mains un verre, Je plus grand que 1'on püt trouver , 5c de le faire difparoitre avec tant de fouplelfe , que ceux qui le regardoient de plus pres ne favoient ce que le verre étoit devenu. Pour mieux voir fon jeu, 1'Abbé Geneft , pres de la porte , avoit pris une lunette. Tout a coup 1'Opérateur ayant jeté les yeux fur cette phyfionomie frappante , ék fachant que Sa Majeflé ne demandoit qu a rire , dit forthaut, ck comme en colere : Qui efl cet homme-ld qui ofe me regarder avec une lunette l Quon me Vamene. II fallut defcendre du piédedal ; Ia Compagnie s'entre ouvre pour le laiffer paffer ; pendant ce temps da le verre eft efcamoté ;. & 1'Opérateur s'étanx appercu que 1'Abbé Geneft étoit habillé a la maniere du Marquis d'Hoquincourt, il eut 1'infoïence d'y porter la main, en difant : A quoi Jonge^vous, M. VAbké, d'avoir la dedans un verre qui peut vous bleffer? On vit en effet lbrtir de la ce grand verre , ) Ces Tragédies, a 1'exception de Zélonide , eurent dans leur nouveauté peu de fuccès. Elles parurent froides & fans coloris. ïénélope fut la plus Viij  4ó2 Éloge maltraitée ; elle neut que fix repréfentations : on lui a rendu dans la fuite plus de juflice, quoique le flyle en foit négligé. Quoique les deux premiers Actes foient languiffans, lesComédiens ont ofé la remettre fur la fcene il y a plufieurs annéês, & le Public 1'a revue avec plaifir. On a trouvé dansles trois derniers Acfes une marche affez animée ék une forte de cbaleur. On a tenu compte a I'Auteur de I'art peu commun qu'il avoit montré', en fachant mettre dans fa Tragédie jufqua trois reconnaijfimccs, non feulement fans monotonie & fans dégout 9 mais avec une gradation de nuances & d'imérêt qui attaché le Speelateur,. ék qui acheve entiérement fon effet dans la reconnoiffance d'Uiyife ck de Pénélope au einquieme Acle ; reconnoiffance qu'en peut regarder comme une des plus touchantes qui foient au The'atre, &des plusheureufement trainees. Aiouterons-nous a cet éloge celui que Boffuet crut devoir donner a la même Piece? II la trouvoit fi remplie de fentimens de vertu , qu'il auroit, dit-Ü, fort approuvé la Comédie , fi, oa n'y eüt jamais repréfenté que de  Bt Genist. 463 tels Ouvrages. Nous avions néanmoins des lors, & fur-tout nous avons eu depuis , plufieurs pieces de The'atre qui méritent le même éloge , & qui fe montrent fur la fcene plus fouvent que Pénclope ; mais elles n'ont pas récon-> cilié la dévotion avec les fpecdacles, Devens-nous la féliciter ou la plaindre de fe montrer plus dimcile que le grand Boffuet ? La Tragédie de Jofepïi, repréfentée en 1710 au the'atre Francois , avoit eu Je plus grand fuccès a Clagny , otl elle fut jouée d'abord au mois de Février 1706. Madame la Ducheffe dit Maine daigna y prendre un role ; ck. Baron , qui avoit alors quitté le The'atre , eü il rentra depuis, joua le róle de Jqfaph. M. de Malézieu , dans une lettre imprimée ék adreffée a Madame la Ducheffe du Maine , ofa dire que ceux a qui cette Tragédie n'arracheroit point de larmes , lui donneroient bien mauvaife opinion de leur fenfibilité ék de leur goüt. II ajoute que, riorï feulement M. le Duc ék Madame la Ducheffe de Bourgogne , M. le Duc de Berri ék M. le Prince avoient trouvé la piece extrêmement touchante, mais V ir  464 Ê L O G E , &e. queM. le Duc, qui fe vantoit dè n'avoir jamais pleuré a aucune Tragédie eut a peine entendu le premier Acfe de' Jofiph, que toute fa fermeté Tabandonna, & qu il fa auffi foible que les autres Cependant quand-cette piece parut fur la Scène Francoife, Ie Public fa bien plus diffidle a émouvoir que tant de Pnnces nefavoient été. Tous les yeux furent fecs jufqu'a la reconnoifW de Jofeph &de fes freres, la leu e fcene qui produisk quelaue effer & la piece, après quelques repréfenta' tions, dilparut du théatre pour ne SV remontrer jamais. 1  H, ju v> \SF ju DE PIERRE-DANIEL H U E T, ÉVÊQUE D'AVRANCHES, JtVÉ d Ca en le 8 Février 1630; recu a la place de M.4RIN LeROI de GoMBERVILLE , le i 3 Jout mort le 16 Janvier 1721. Xj'artiCLE de ce favant & laborieux Acadéndcien fe trouve dans la pattie de. 1'Hiftoire de 1'Académie, dont M. 1'Abbé d'Olivet eft Auteur, ü^-Quoique cette Hiffoire fe termine a 1'année 1700, ck que M. Huet nefoit mort qu en 1721 , M. 1'Abbé d'Olivet, fon difciple, fon admirateur, & fon ami, a cru devoir payer ce tribut a fa mémoire , ék nous a difpenfés, comme il vient de faire pour 1'Abbé Geneft , V v  $66 Éloge d'un éloge dont il s'eft acquitté mieux que nous. Néanmoins, en rendant avec ce grave Hiftorien toute la juftice poffible au favoir & aux travaux de M. Huet, nous ne le placerons pas comme lui fur la même ligne qüe ces redoutables admirateurs del'Antiquité , qui par leur nom feul ont fi puiflarnment combattti pourelle. Le parrifan de'claré de Chapelain (1) n'étoit pas trop digne d'admirer Homere, &: moins encored'être mis au aombre de fes ilhiftres Panégyriftes. Parmi les portraits qui fe trouvent a Ia fin des Memoires de Mademoifelle , & qui ne font pa; de cette Priraceife, on trouve le portrait fuivant de M. Huet , ad'relfé a lui-même. » Je crains » que la capaeité que vous avez pour » les grandes chofes ne vous donne de » 1'inapplication & même de lïncapa» cité pour les petites, qui font néan» moins de Texacfe bienfênnce du » monde-; ce qui eft un défaut nuifi» We , en ce que la plupart des per» ionnes ne jusreant que fur 1'eatérieur, » cela empèche , quand le vrai mérite (O Voyez la psgé fi dfl R-cueil ihtituW Mueiiana dont nons parïerons p.'us bis.  3 Ë Htl Ê 467 # n'eft pas tout-a-fair poli > qu'il ne pa» roiffe ce qu'il eft. Vous n'êtes pour» tant pas incivil, mais votre civilité 9 manque un peu de politeffe «. Nous ignorons jufqu'a quel point ce' portrait étoit reffemblant ; nous dirons leulement, & on s'en appercevrö bien au ftyle, qu'il étoit fait par une femme , mais par une femme d'efprit, c'eft-a-dire , par un excellent juge des qualités fociales qu'on pouvoit défirer dans 1'Evêque d'Avrancnes. M. 1'Abbé d'Olivet nous affure cependant que dans fa première jeuneffe , M. Huet, tout livré qu'il étoit a 1'étude , cherchoit beaucoup a plaire , &. k porter dans Ia Société tous les agrémens donf il étoit capable. Une aftiduité de plus de foixante ans dans fon cabinet, lui fit perdre fans doute , ou f empêcha d'acquérir cette fleur d'urbanite que le cornrserce feul du monde peut donner aux Gens de Lettres , a laquelle le mérite ne fauroit fuppléer , mais qui en récompenfe a tenu lieu de mérite a quelques-uns d'eux. II ne paroit pas que M. Huet eüt renoncé, même dans fa tieilleffe , a un certain ton de galanterie avec les' Vvj;  4 o"S É L O G JE femmes, dont apparemment il" gVoSt pris dans fa jeuneffe ThaJbitude & le langage. Nous avons vu une tfpece de lettre d'amour (fans doute purernen* intellecTuel & platonique), qu'il ëcrivoit a une femme de qualité , £i qui n'elf ni un chef d'ceuvre de goüt , ni un chef d'ceuvre de fe'vérité chrétienne. Ce qui paroitra plus extraordinaire encore (nous demandons gracepour cette obfervation minutieufe , mais non pas indifférente), c'eft qu'au haut de ce bil kt peu épifcopa!, on volt la petite " croix que les perfonnes pieufes ont coutume de mettre a la tête de leutslettres. M. Huet , quoique lié d'amitié avec les Jéfuites , penfoit-il, contre la doétrine tant reprochée a ces Peres , qu'il étoit indifpenfable de rapporter a Dieu toutes fes aétions de quelque nature qu'elles foient; & avoit-il intention de lui rapporter même cette produclion galante , quoiquelle en füt fi. peu fufceptible (i) ? t On nous a communiqué un volume de iettres manufcri es de notre fav, nt Académicien , qui le font mieux con- (i) Voyez la Nete {a j.  de H v Kt. 469 ïioitre que ne Ie pourroit un long article. L extrait que nous allons en donner fervira de lupplement , & quelquefois peut-être de correcfif a 1'éloge dont M. 1'Abbé d'Olivet a honoré fes manes. I a plupart de ces lettres font adreffées au Pere Martin, Cordelier a Caen, inconnu dans la Littérature , mais eftimé lans doute de 1'Evêque d'Avranches. L'ardeur de M. Huet pour I'étude, ardeur qu'il conferva jufqu'a la fin de fa vie , lé montre dans une de fes lettres qu'il éaivoit a lage de quatrevingts ans. ■» J'ai eu quelque indifpofition (en » 1707 ) qui m'a paru légere, quoi_» qu'elle n'ait pas paru telle a mes » amis. J'ai pris cette attaque pour le » premier fon de Complies. Ce font » des avertüfemens de la milericorde » de Dieu , de tenir mes comptes prêts. » Cela m'a fervi de prétexte pour ne » point fortir , mais nou pour ne point » étudier «. II fe plaint beaucoup de la noire médifance & de Ia lache ingratïtude de fes compatriotes. II s'en confole par  47ö i L O G È" 1'exemple de Cujas & de pïufieafs'aW» tres hommes célebres, que leur Patrite ïi'a pas mieux trake's. » Oneft, dit ilr fort envieux dans; » notre pays : Non eft Propheta fine » konore nifi in Patrio, fua. Ego Dce» monium non kabeo J'ed honoriüco »patrem meum & vos inhonoraftis » me (i), » Pendant les trois derniers jours » que je paifai a Caen , il me reving s> de plufieurs endroits que mon Ou» vrage {des Orio'ines de Caen) avoiï » recu beaucoup de contradicKons » qu'il n'y avoit pas même de Péda» gogue ni de Régent a 1'Univerfité » pas defainéant, de batteur de.pavé , » & de débiteur de fauffes nouvelles » aux carrefours, qui ne fe donnaffent ls » lieence d'y exercer leur iiadoiffe & * maligne critique ; jufqu'a dire que je » n'y parle pas francois , & reprendre » quelques termes dont je me fuis fervr. » J'ai donc bien peu prorhé pendant (ï) Nul Prophete n'eft privé' d'homeur aut dans fa Patrie .. ..Je ne fuis point pojfédj dut Démon , mais j'honore mon pere 6'. vous mé èitkonarex.  dé Huet; 47-# »' quarante ans que j'ai paffes a la fource" » de la purete' de la Langue, & pen» dant trente ans que j'ai fréquente' » 1'Académie, fi j'ai befoin de ve'nir" » 1'apprendre a Caen des nigauds de" » la rue de Giöle , du Vaugueux, & du » Bourg-f Abbé. Ce qui m'a attiré le" » plus de plaintes, c'eft le chapitre des» éloges. La plupart de ceux qui y » ont intérèt ne favent pas fobligatiorv » qu'ils m'ont, & de ce que j'ai dit,, » &. de ce que je n'ai pas dit. Mais » aucun de ces gens-la fait-il ce que" » c'eft qu'un éloge , & ce que c'eftj » qu'Hiftoire l tl eft donc vrai, & »je 1'éprouve, que pro captu lec^ » tori's habent fua fata Libeüï (i),, » & je puis bien m'appliquer fans trop> » de vanité ce paffage d'un Ancien: At mihi quod vivo detraxent invida turba , Poft ab:tum duplici fxr.ore reddet honos (i),- » Je me fais auffi fort bon gré d'avoir 9 dit de moi-même « : _ (i) La deftine'e des Livres dépend de L'inteiligencc du LeHeur. (i) On me rendrg avec ufure , après ma' mort, les honneurs qu'une multitude eavieafim'aura refufés de mon. vivant,-  472 f E L O G I Livor edax in me vanis incurrh hahenis \ Melpomene cedro nomina noftra linet * Mequefuis addet iaudatrix Galiia faftis ; Itlum poft cineres fpondet Apollo diem (i). Quoique mécontent de fa Patrie. il prenoit cependant beaucoup d'intérêt au progrès que les Lettres y auroient pu faire. » J'ai lu avec plaifir 1'agre'able inv vitation aux beaux efprits de Caen, » de retab'ir 1'Académie ; j'en appren» drai volontiers le renouvellement La » leclure de la Gazette fut la première » occup3tion de cette Académie muni» cipale; mais depuis, & la Gazette & » les nouvelles en furent bannies : on » peut compter trois Académies de » Caen ; l ancienne oir 1'on m'avoit » donné une place; la feconde , que » M. de Segrais recueillit chez lui; la » troifieme fera donc celle-ci, a qui je » fouhaite honneur & favoir «. Cette derniere phrafe ed d'un hom- L'envie fe déchaine pour me dévorerƒ Mdpomene gravera mon nom fur le cedre , 6" let Fraice me nommera avec éloge dans fes faftes : cefl te fort qu''Apollon promet a ma cendre.  DE H "U E T. 473 me qui ne paroit pas trop sür que fes vceux foient exauce's. II ne fouffroit guere plus patiemment les attaques des autres Ecrivains s que les fatires de fes compatriotes. » Un Eccléfiailique a fait depuis » deux ans un Ouvrage , par lequel il » interdit a tous les Théologiens , & » prefque a tous les Chre'tiens, 1 etude » des Lettres profanes, ék il nf attaque » perfonnellement avec beaucoup d'in» jures, de ce que, dans mes Queftions » Alnetanes,j'ai avancé que les Païens » ne devoient pas refufer leur créance » au Myftere de 1'Incarnation de No» tre -" Seigneur, ék a 1'enfantement » d'une Vierge, eux qui ont fait un » point de leur Religion de la naiffance » de Perfée , fils de Danaé, 6k de Jui> piter changé en or. I! traite cette » comparaifon d'impiété ck de facrilége » qni fait horreur a penfer. Mais mal» heureufement pour lui, S. Judin , » Martyr , avoit dit en deux endroits » la même chofe avant moi , ék ces » fortes de comparaifóns ék de raifon» nemens font ordinaires aux anciens » Peres de 1'Eglife , lorfqu'ils combat» tent les Païens «.  474 Éloge S'il n'aimoit pas la critique, il n'aimoit guere mieux les éloges en face. » J'avois été invité aux harangues » de 1'ouverture des ClalTes des Jé» fuites. J.'en vois la raifon dans ce » que vous m'écrivez ; fi je 1'avois -» fue , j'aurois encore refufé bien plus » fortement de m'y trouver. J'avois » défendu très-expreffément a Avran» clies aux Prédicateurs de me faire » jamais d'éloges «. M. Huet aimoit les Jéfuites , mais feulement comme Gens. de Lettres ; car il s'occupoit peu ( & avec beaucoup de raifon) de leurs querelles théologiques, qui alors agitoient fi violemment toute 1'Eglife de France. Cependant la liaifon de M. Huet avec eux lui rendoit peu favorables tous les ennemis de la Société. » S'il me 'tombe entre les mains quel» qu'un de ces Ecrits qu'on débite fur » le cas de confcience ( i ) des Doc» teurs, je vous en ferai part volontiers. » Mais ma demeure chez les Jéfuites (i) Ce cas de confcience, propofe a Ia Sorbonne, avoit pour objet la fignature du fonnulaire.  DE H U E T. 475 » me rend fort fufpecd, & empêche > qu'on s'adrelfe a moi. Ces conten» tions m'ont fait perdre le P. Alexan» dre, qui étoit autrefois de mes meil» leurs amis voyoit quelques Miniftres & quelj» ques Huguenots célèbres par leur » favoir, comme qui diroit MM. Bo» chart, du Bofc, ék Grentemefnil , » faifant figure vis-a-vis des Catholi» ques , cela ne manqueroit pas de » choquer les Specfateurs «. Une de ces lettres , ék plus encore une piece de Santeuil, nous apprend le facheux défaftre arrivé a la nombreufe Bibliotheque que le Prélat avoit formée. La maifon qui la renfermoit étoit placée au fauxbourg Saint-Jacques fur des carrières qui s'entr'ouvri-  476 Ê L 6 G E rent ; une partie de la Bibliotheque fut confumée ou perdue. M. Huet en donna les débris aux Jéfuites de la Maifon profeffe , chez lefquels il fe retira pour y paifer le refte de fes jours. Santeuil peint dans fa piece les mauvais auteurs engloutis au fond de 1'abime , fans efpoir d'en fortir jamais, tandis que les bons écrivains, parmi lefquels il a eu foin de placer beaucoup de Jéfuites , fortent au contraire de ce gouffre avec plus d'éclat & de gloire pour augmenter les tréfors littéraires de la Société. M. Huet avoit laiffé fa Bibliotheque aux Jéfuites, afin quelle né fut pas difiperfée. Le pere qui en mourant laiïfa une penfion a fon nis Jéfuite t en cas que la Société fut détruite un jour, fe montra plus prévoyant dans 1'avenir. Dans ces mêmes lettres, M. Huet porte fon jugement fur quelques Ouvrages , foit imprimés , foit manufcrits. » J'ai ouï parler de cette Hifioire » des Flagellans (de 1'Abbé Boileau ). » On m'a fait un fi fale rapport des » faletés qui y font , que je n'ai point » voulu la yoir. On s'étonne qu'un.  de Huet. +77- » Ecclefiaftique ait voulu remuer ces » ordures, ck plus encore qu'il y ait » desDocteurs qui 1'ayent approuvé. >> Vous me mandez que vous faites » 1'apologie de M. de Fontenelle con» tre le P. Baltus. Fontenells & Van» dale (dont Fontenelle n'a fait qu'a» bréger ck orner f Ouvrage fur les » Oracles) font attaqués fi vivement » par le P. Baltus , qu'il leur fera dif» ficile de répondre «. Vivement , cela n'eft que trop vrai , mais non pa's aflurement de maniere que la réponfe eüt été difficile. Fontenelle Paroit faite en deux Iignes, qui couvrent de ridicule tout le pieux verbiage du Pere .Baltus (i). Ce jugement fur les Oracles de Fon, tenelle, prouve que le favant Evêque A Avranches étoit bien plus érudit mie philofophe ; M. 1'Abbé d'Olivet, qui paroit avoir cru aux Oracles'de M Huet en tout genre, plus que Fontei Mie a ceux du Paganifme , a publié après la mort de ce Prélat, un Huètiana qu'il avoit lahfé manufcrit , & (i : Voyez , dans 1c premier volume , 1'Eloge Tom iJJ* X  482. Éloge blable fur ce point au P. Mallebrancfie fon difciple , il n'honoroit pas I'érudition d'une effime bien profonde. Si nous en croyons Madame de Sévigne' , M. Huet ne fe déclara fi ouvertement contre la Philofophie de Defcartes , que pour faire fa cour a M. de Montaufier. Par oü cette philofophie avoit-elle pu déplaire au courtifan mifanthrope ? C'eft ce qu'il eft difficile de deviner , ck très-peu important de favoir. ^ Quoi qu'il en foit, fi ce chétif Euetiana n'infpire pas une grande eftime pour la Philofophie ék pour le goüt de I'Auteur , il en donne beaucoup pour fon ame honnête & reconnoiffante. Dans un article de cet Ouvraee, M. Huet rend a la me'moire de fon. pere , de fa mere, & de fes fceurs, nn hommage dicdê paria tendreffe laplus touchante ck la plus vraie ; ce fentirnent refpecdable ék inte'reffant demande grace (ék doit 1'obtenir) pour quelques raifonnemens foibles ék quelques jugemens hafardés. Ajoutons, pour rendre a M. Huet toute la juflice qui lui eft due , qu'on Ut ala fin de cerecueil quelques piee«s  de Huet. 483 de vers latins compofées par ce Prélat a Tage de quatre-vingts ans, & qui, pour la pureté & 1'élégance du flyle , femblent pouvoir le difputer , nous ne dirons pas aux Tibulles ék aux Horaces , mais aux plus renommés des Poëtes Latins modernes. Si les fragmens de lettres qu'on vient de lire n'ont pas intéreffé beaucoup nos Lecleurs, en voici une qui aura peut être un meilleur effet. Llle prouvera que notre Académicien, pour 1'ordinaire peu philofophe dans fa vafte Littérature , 1'a pourtant été quelquefois. Le docte Samuel Bocfrrt ék quelques autres érudits avoient cru prouver , ou même dérnontrer ( car c'étoit leur exprefïïon) la conformité de ïa Fable avec 1'Hiftoire fainte, paria reffemblance des noms, dont ils cherchoient l étymologie dans les Langues Orientales, M. Huet foutint contre ces redoutabies adverfaires , que la preuve tirée de la prétendue reffemblance des noms étoit bien foible Sc bien précaire. » Le véritable ufage dt la connoif» fance des Langues étant perdu, écrit» il a Bochart , fabus y a fuccédé. On » s'en eft fervi pour étymologifer; ck X ij  484 Éloge » comme fi la Langue Hébraïque e'toit » la feule & unique racine de toutes » les Langues, & .que dans la con» fufion de Babel Dieu n'en eüt pas » produit un très-grand nombre (que » la plupart font monter jufqu'a 70, » toutes diffe'rentes de celle-la), on V veut pourtant trouver dans f Hébreu ü> la fource de tous les mots & de toutes » les Langues, pour barbares 6k étran» ges qu'elles puilfent être. En con» féquence de 1'origine de ces Lan» gues, on y cherche auffi celles des » Nations qui les parient. Se préfente» t-il un ncm de quelque Roi d'Ecoffe «» ou de Norwege ? on fe met aux » cbamps a.ec fes conjecdures; on en 9 va cherchef 1'origine dans la Palef» tine. A-t-on de la peine a 1'y ren» cóntrer ? on paffe en Babylone. Ne » s'y trouve-t-il point? fArabie n'eft » pas loin ; & en un befoin mème y> on pafferoit jufqu'en Ethiopië, pluy tót que de fe trouver court d'étymo» logies : & 1'on bat tant de pays, » qu'if eft inapoffible enfin qu'on ne » trouve un' mot qui ait quelque conü> venance de lettres &. de fon, avec 3> celui dont on cherche 1'origine i  de. Huet. 485 » comme fi le fon des mots n'e'toit pas » comme le fon des cloches , a qui » 1'on fait dire tout ce qu'on veut. Si » dans le mot que 1'on prétend origi» nal , on ne trouve que la moitié des » lettres du dérive', on y trouve 1'au» tre par des exemples de changemens » de lettres; & comme ces permuta» tions font trés - fréquentes , & qu'il » n'y a guere de lettres qui ne foit » changée en quelque autre, on y trouve » a la fin fon compte. » Par cet art, on trouve dans THé» breu ou dans fes dialccles, 1'origine » des noms du Roi Artus & de tous » les Chevaliers de la Table ronde , de ».Charlemagne, & des douze Pairs de » France, & même, en un befoin, de » tous les Incas du Pérou. Par cet art, » un Allemand que j'ai connu, prou» voit que Priam avoit été le même » qu'Abraham , & dineas le même que , » Jonas ; & promettoit de mettre au » jour urj beau Livre,pour montrer que » toutes les Langues qu'on parle depuis » 1'Elpagne jufqu'a la Chine, font for» ties d'une feule & même origine. » II ya quelque temps qu'une inf» cription trouvée en Bourgogne , ou T. 3. * X ii j  4--8tf Éloge » 1'on lifoit le nom d'un Roi du pays, » vous ayant été propofée , vous ne » balancates pas de cherclier ce mot » dans la Langue arabe , ck ne man» quates pas de 1'y trouver «, 11 eft facheux qu'après avoir fi bien raifonné fur les mauvaifes preuves qu'on a tirées de la reffemblance des noms pour établir la conformité de la Fable avec 1'Hiftoire facrée , M. Huet ait cru voir des preuves bien plus folides de cette conformité dans la prétendue reifemblance des événemens ék des ufages , reifemblance oü tant d'autres Savans ont trouve des difticultés infurmontables. Aulfi la Démonftration évangèlique du docde Prélat, fondée en grande partie fur cette reifemblance , n'a pas fait grande fortune ; ék il eft heureux pour la Religion , que tout ce détail d'érudition rabbinique ne foit pas néceflaire a la convicfion d'un Chrétien, comme il eft heureux pour la morale que tout le fatras de la morale fcholaftique ne foit pas nécelfaire pour former un honnête homme. Dieu parle au cceur de fes élus, ék. la Nature a celie de 1'homme de bien. Voila de meilieures lecons pour nous  DE H tl E T. 487 ïennVe croyans & vertueux, que toute lerudition Oriëntale, &. tout le jargon des Ecoles (1). N O T E S jur Varticle de M. HUET. (a) La piece finguliere dont il s'agit, eft écrite toute entiere de la main de FEvêque d'Avranches, ck , ce qui en aiTure encore plus Tauthenticité , date'e de fon Abbaye d'Aulnay , le 9 Septembre 1707. Ceux de nos Lecteurs qui pourroient nous foupconner d'exagération , vosidront bien nouspermettre d'en rapporter quelques paffages. II paroit que le nom du Sorton qui fe trouve dans cette lettre , eft le nom de fociété ou de galanterie qu'avoit pris M. Huet pour la perfonne a laquelle il écrit. ■» Du Sorton n'eft point un ingrat, » chere ame de mon ame \ ck quand il V le feroit, vous ne vous êtes pas mife » en droit par vos faveurs de lui re- (1) Voyez la Note ( c). Xiv  488 Éloge » procher fon ingratitnde. Si vous » comptez pour une grande grace , » une penfée paffagere de lui écrire i » je vois que vous voulez être fervie » a peu de frais; & fi, après avoir re» jeté cette penfée , vous demandez » encore des remercimens, c'eft vou» loir que je me tienne encore trop j? heureux d'avoir été rebuté Vous » voulez que pour cette tendreffe alam» biquée que vous propofez , ne met» tant rien en jeu de votre part, on » vous faffe des facrifices fans réferve.... *> Quel facrifice m'offrez-vous en re» vanche l Vous voulez , dites-vous , » du Sorton entier, en efprit & en » ame, & vous 1'abandonnez en chair » & en os a qui en voudra. Ce par» tage ne me paroit pas aifé....M. le » Cardinal votre oncle , que j'honore 9 plus que quatre Papes &. que j'aime » plus que ma vie , vous dira quand » vous voudrez un rondeau de Marot » qui finit ainfï « : Quant fon cocur, il eft en ma coidelle, St fon mari n'a finon le corps d'elle; Mais toutcfois quand il voudra changer , Premie le coeur , & pour le foulager 3'autai pour moi !• gent corps de la belle.  BE HU E T, 4S9 (b) Ces douze derniers Criants de la Piicelie Tont dépofés , ou , fi 1 on veut, enterrés a la Bibliotheque du Roi , dans un manufcrit eorrigé, nous dit— on , de la propre raain de I'Auteur, On ne nous apprend pas fi les Correcdions y font nombreides \ nous craignons bien qu'elles n'y foient légeres &, clair-femées. Perfonne, que nous fachions, ne prend plus aucun intérèt k ces enfans podhumes & mom-nés, ók nous ne croyons pas qu'aucun Homme de Lettres foit tenté d'aller troublér le repos dont ils jouilfent dans leur tombeau. Le docde Huet n'étoit pas Je feul des Littérateurs de fon temps qui fut pénétré d'admiration pour Ia Pucelle de Chapelain. Le foible & milice Ve** fificateur Godeau , contre qui je ne lais quel Jéfuite avoit fait une Piece intitulée : CodellusutrumPoeta? ( £0deau ejl-il Poëte ? ) aftichoit le même enthoufiafme. Un de fes amis, a qui fes vers flafques & languilfans avoient fans doute le bonheur de plaire , lui ayant cenfeillé de faire un Poëme épique , ïi répondit par un rébus digne du raauvais goüt de ce temps-la , que, pou? X y  490 Éloge emboucher la trompette, VEve'que devoit céder la place au Chapelain. On prétend que Fléchier lui-même n'étoit pas trop éloigné de partager avee ces deux Prélats une fi étrange eftime. II faut croire au moins, pour 1'honneur de fon goüt , que le fuffrage qu'il accordoit a la Pucelle n'étoit pas, a beaucoup prés , fans n-ftricf ion ck. fans bornes. Le paffage fuivant d'une de fes lettres femble en fournir la preuve, & peut être même juftifie touta-fait fa mémoire d'une fi facheufe imputation. Autrtfois , dit-il , nous avons fait enfemble, At. Chapelain & moi , quelques lectures de fon Poéme , les unes trop peu les autres trop réjouiffantes. Cette maniere d'apprécier un Poéme épique a plus le ton de 1'épigramme que de 1'éloge. (c)- En joignant cet article fur M, Huet a 1'éloge qu'on lui a confacré dans 1'Hifloire de 1'Académie , ck en tempérant, pour ainfï dire, 1'un par l'autre, le Lecleur fera en état d'appré:ier le compliment qu'un mauvais Poëte fit a 1'Académie Franccftfe ea f'année 17 ïz , ou Ie decle Prélat  de Huet. 491 penfa lui être enlevé par une maladie dangereufe ; la piece nnilfoit par ce vers : Poui vous rendre un Huet, il vous faut dix illufttes. Nous n'avons pas ouï dire qu'on ait propofe une pareilie relTource a 1'Académie après la mort de Corneille, de Bolfuet , de Defpréaux, & de Racine , quoiqu'alTurément dix infatigables érudits, & de plus poëtes Latins, tels que 1'Ev-êque d'Avranches, ne pulfent pas la dédommager d'un feui de ces grands Horqm.es. X vj   MARG-RENÉ DE VOYER DE PAULMY D'ARGENSON, GARDE DES SCEAUX, Né a Venife le 4 Novembre 1652; repu a la place de Jean d'EstrÉES, Abbé de Saint-Clau.de, en 17183 mort le 8 Mai 1721 (1). (1) Voyez fon Éloge dans 1'Hiftoire ds 1'Académie des Sciences.   A N D R É DACIER, Garde des Livres du Cabinet du Roi; né a Caflres le 6 Avril 1651 ; repu a la place de francois de harlay , Archevêque de Paris , le 9 Décembre 1695; élu Secrétaire de 1'Académie a la place de francois Regnier Desmarais, leg Novembre 1713 ; mort le 18 Septembre 1722 (1), (1) Voyez fon Eloge dans 1'Hift.oire «k FAcadémie des Belles-Lettres»   GUILLAUM E MAS SI E U, Trofeffeur Royal en Langue Grecque; né a Caen, leiy Avril 1665 ; repu a la place de JULES DE CLEREMBAULT , le 29 Décembre 1714 j mort le 26 Septembre 1722 (1). (1) Voyez fon Eloge dans 1'Hiftoire de 1'Académie des Belles-Lettres.   LOUIS DE COURCILLON BE DANGEAU, ABBÉ DE FONTAINE-DANIEL, NÉ en 164.] ; recu a la place de CHARLES Cotin , le 26 Févrïer 1 68a ; mort le premier Janvier 1723 (1). N O T E S SUR L'ÉLOGE DE DANGEAU. Note. I, relative d la page 179, fur les Princes foi-difant amateurs des Lettres. J_' E S Princes qui ont lahTe' approcher de leur ttöne les hommes a talens, (1) Voyez fon Eloge dans le premier Vol.  500 ÉLOGE n'ont pas toujours été pour eux des Louis XIV, des Augufles, & des Frédèrics. On pourroit nommer plus d'un Philofophe qui a paffe fa vie auprès d'un Monarque fans y jouir de la confidération qu'il méritoit. L'Empereur Rodolphe , le feul Prince de la Maifon d'Autriche qui ait montré quelque amour pour les Lettres, & qu'on a tant Ioué de fon goüt pour 1'Aftronomie, n'effimoit cette Science que paree qu'il la regardoit comme la bafe des prédiélions aftrologiques , & n'avoit appelé Kepler a fa Cour , que dans 1'efpérance de trouver en lui un profond Aflrologue. II demanda férieufement a ce grand Homme , quel événement étoit annoncé par une nouvelle étoile qui venoit de paroirre. L'illuhVe Aftronome fut obligé de faire des Almanachs a prédicf ions , pour ne pas perdre la faveur du Prince , & pour toucher fes appointemens qui étoient tres* mal payés , mais fur-tout pour fe procurer quelque fubfiftance par le débit de ces Almanachs. Cette rejjource, difoit-il, efl encore plus honnête que le métier de mendiant; heureux fi je puis fauver 1'honneur de Sa Majeflé lm-  DE DANGEAU. 50f pénale en ne mourant pas de falm a fa Cour & fous fes yeux (i). Nous devons avouer que notre bon Henri IV , Je meilleur de tous nos Hois, mais plus guerrier que favant, n'honoroit pas les gens de Lettres d'un grand accueil. Le favant Jofepb Scaliger, ayant été appelé par les Hollandois pour être Profeffeur cbez eux , alla prendre congé de ce Prince, qui, fans lui témoigner aucun regret de le perdre , fe contenta de lui dire : Eh bien , M. de Lefcale ( c'étoir le vrai nom de Scaliger) , les Hollandois vous défirent & vous font une grojfe penfion , pen fuis bien aife. On fait d'ailleurs que ce Prince détefioit la leéture , & qu'un jour Dupleffis-Mornai eut le courage de lui en faire un reprocbe. Mais il fut bon , il aima fon Peuple, & cette qualité doit faire.excufer un Roi de n'avoir pas aimé les (l) Calendarium cum prognoftico fcripfi, qv.od pauló honeftius eft quam mendicare; nifi e/uód fic honori C&faris parcitur , qui me in folidum deferit , & per ipfius mandata cameratia , quamvis (rebra & recentia, mihi famt gerire liceat.  502 E L O G E Lettres. On pourroit compter biefl d'autres Souverains , dont les gens de j Lettres ont encore eu moins a fe louer. j Témoin (pour ne citer qu'un feul exemple ) le favant & pauvre Theo-dore de Gaza , qui, ayant dédié 'a. Sixte IV fa traducfion du Livre d'Ariftote fur les animaux , en recut pour tout remerciment le prix de la reliure, que ce Pape lui fit rendre. NOTE II, relative a la page 18 3, fur j le'Journal que M. VAbbé de ÖANG E AU ■ préfentoit tous les ans a. Louk XIV. CjE Journal curieux *des graces an-| nuelles accorde'es par le Pioi a fes Courtifans , étoit diflribué en graces eccléA fiaftiques , bienfaits militaires , bienA faits pour la Robe, bienfaits pour la] Marine. L'Auteur y ajoutoit même. les graces accorde'es par le Roi auxj etrangers, avec une courte notice furl ceux qui les avoient obtenues. Ce petifl volume , qu'il donnoit pour étrennesj a Louis XIV , écrit de la meilleurd  DE DANGEAÜ, i 50$ itnaïn qu'il püt trouver, étoit orné de vignettes gravées par Edelinck; il en coutoit a Md'Abbé de Dangeau 300 1. tous les ans , pour fe faire tous les lans plus de cent ennemis. Auffi chercboient-ils a fe venger, même par les plus petits moyeris , en tachant de rendre ridicule le goüt de M. 1'Abbé de Dangeau pour la Grammaire. Ils répétoient avec une cbaritable complaifance cette chanfon faite contre lui. Je fuis les Dangeaux i la pifte, f J'arrange au cortleau chaque mot, Je fens que je deviens purifte , Je pourrois bien n'être qu'un fot. L'injure étoit fi groffiere , & M. 1'Abbé de Dangeau étoit li loin d'être un fot, que nous croyons, en rappor;| tant cette mauvaife épigramme, monj! trer uniquement la fottife de fes dé! tracleurs.  504 f 1 O G 6 NoTE III, relative aux pages 1896*1 fuiv. fur les Effais de Grammaire de M. VAbbé de DANGEAU. E S Effais de Grammaire ont été ralfemblés par M. 1'Abbé d'Olivet dans \ un Recueil qu'il a intitulé, Opufcules fur la Langue Franpoife (1). Aux cinq voyelles connues a, e , i, 0 , u , M. j 1'Abbé de Dangeau ajoute les prétendues dipbtongues ou , eu , au , qua font des véritables voyelles, Ye ouvert, comme dans cyprès, Ye muet, & les i voyelles nazales an , en , in, on, un& ce qui fait en tout quinze voyelles.;, M. Duclos, qui adopte ce catalogue de voyelles dans fes Remarques fur lal Grammaire de Port-Royal, y fait quel-! ques additions &. quelques retranche-| mens. II diftingue Ya en deux , Ya\ long , comme dans mdtin [moloffus), , & Ya bref, comme dans matin (manem (1) Cette rernarque étant purement grammaticale , ceuz qu'elle ennuierpit pourront la fafl-ei. li  de Dangeau. 505 ïl diftingue de plus Ye ouvert long , comme dans tête, ék Ye ouvert bref, comme dans tette ; ék il y ajoute Ye' fermé comme dans bonté: il diftingue auffi deux o , Yo long de cóte; ék Yo bref de cotte; Yen long de jeune, ék Yeu bref de jeune. 11 fupprime la voyelle au qui n'eft que Yo long \ ék retrancbe auffi des voyelles nazales Yin qui n'a réellement que le fon de Yen , in dans in grut ne fe prononcant pas autrement que la derniere de bien. Moyennant ces additions ék ces retranchemens , M. Duclos compte dixfept voyelles au lieu des quinze de M. 1'Abbé de Dangeau. Mais eft-il néceflaire de compter Ya long ék Ya bref, ainfi que Yo long ék Yo bref, pour deux voyelles différentes ? II femble que ce n'eft que la même voyelle différemment modifiée. En ce cas, les dix-fept voyelles de M. Duclos ne feroient plus qu'au nombre de quinze , comme celles de M. 1'Abbé de Dangeau , mais ne feroient pas toutes exactement les mêmes. Ce feroit a, i,o , u, eu long, eu bref, ou , an , en , on , un , e ouvert long , e ouvert bref, e fermé , e niuet. On a diftingue Yeu Tome JU. Y  506 E l o g e long & Yeu bref, paree qu'il femble que ie fon de ces deux eu eft bien plus différent que celui de Yo long & ds Yo bref, ainfi que de Ya long 6c de Ya bref. A I'égard des confonnes, M. 1'Abbé de Dangeau en compte dix-neuf, favoir ; b , d , ƒ, qu'il prononce comme dans la première de gager, y' qu'il prononce comme dans la première de jeu , h , qui n'eft qu'une afpiration , k , £, m , n, p (il retranche q, qui n'a, felon lui, que le fon du A) , r, j, t, v (qu'il prononce comme dans voir) ■ ajoute // mouillée , & n ou gn , fcoitïme dans régner; enfin Iec£, comme dans chant, qu'il repréfente par un c fimple , le fon du c dans ce, étant repréfenté par s, & le fon du c dans £ dent fi fouvent odieux; ils ne refu» fent pas même de vous rendre ce » qui vous eft dü , comme ils n'euifent » pas fait de diftïcuké, dans 1'ahcienne » Grece , de faire a une Idole des ré» vérences qui ne fignifioient rien • » mais ils voudroient que vous n'a» bufaffiez pas de vos places & de » votre crédit, pour commettre des in» juftices & des vexations qu'on puni» roit dans d'autres que vous; ils vou» droient que vous ne protégeadiez >; point les libelles qu'on fait contre » eux , ou qu'en permettant d'iiiipri» mer contre eux des menfonges, vous » vouluffiez bien permettre qu'on im» primat vos vérités ; ils voudroient » qu'on fit judice des grands fripons y> comme des petits, enfin que'toutes » les conditions fuifent également fous » la protecdion 6k fous la févérité des » Loix. Vous favez bien que c'edda » 1'égalité qu'ds demandent, .& qui eft  Éloge s> néceflaire dans tout Etat bien gou» verné ; mais vous leur prètez des » fottifes , paree que vous n'oferiez » combattre les vérite's qu'ils fou» tiennent «. Nous joindrons a cette réponfe le trait fuivant , qui prouve bien 1'efprit dont certains ennemis des Lettres font animés. Une grande Princeffe écrivit de fa main a un de ces hommes, que, foit a tort, foit a droit, foit par honneur, foit par injure, on appelle aujourd'hui Phiiofophes, une lettre pieine de bonté & d'eff ime , dans laquelle elle ie fervoit d'ailleurs de quelques formules de politeffe que 1'on emploie tous les jours, même de fupéricur a inférieur: Permette^-moi de vous dire , pardonnes mon iridijcrétion. Quelques uns de ces hommes qui rampent & calomnient dans les antichambres de Verfailles, appuyerent beaucoup fur Yindécence de ces expreffions employées par une Souveraine écrivant a un particulier. Voila , dirent-ils , de quoi rendre les Phiiofophes bien plus infolens , bien plus perfuadés qu'ils ne letoient de Yégalité des conditions.  de Dangeau. 523 La veriré eft que ces expreffions , qui ne fignifient rien en elles-mêmes , ne bleffoient point ces vils détracfeurs; ce qui les bleffoit, c'étoit de fentir qu'au comble même des richelfes & des honneurs , ou plutót des places , ils n'auroient pu fe flatter de recevoir dans leurs perfonnes Ia même marqué de confideration que recevoit un Citoyen fans ambition & fans fafte , qui n'étoit ni illuftré , ni décoré , & qui alloit k pied dans les rues. Fin du troifieme Volume,