2 § 7 L:>4 HISTOIRE DES MEMBRES D E L'ACADÉMIE FRANgOISE, Morls depuis ijoo jufqtien ijji , ■ - Four fervir de fuite aux Eloges imprimés & lus dans les Séances publiques de cette Compagnie. Par M. d'Alemsert , Secrétaire perpétuel dt l''Académie Francoife , & Membre des Académies des Sciences de France , d' Angleterre,, de Pruffe , de Ruflie, de Suede , de Portugal, ■de Bologne, de Turin, de Naples , de Cajfsl de Boflon , & de Norwege. TOME QUATRIEME. A AMSTERDAM; Et fe trouve a Paris , Chez Moutard, Imprimeur-Libraire de la' Reine , do Madame, de Vladame Comteffe d'Artois, & de 1'Académie des Sciences , me des Mathurins y Hotel d; Cluni. M. DCC. LXXXVlt   jlj ju \J> xjt slL DE BERNARD DE LA MONNOYEi Ancien Correcleur en la Chambre dei Comptes de Bourgogne ; né'aDijon , le 15 Juin 1S41 .• rèfu a la place de SÉRAPHIN ReGNIER DESMARAIS , le 23 'Décembre 1713 ■ mort le 1$ Oclobre 17^8. ÏIeRNARD DF. LA MONNOYE fit fes Humanités a Dijon , dans ce même Collége des Jéfuites qui avoit de'ja eu 1'kdnneur de compter Boffiiet parmi fes éleves. Plein d'ardeiy pour 1'étude , & doué par la Nature de tous les talens néceffaires pour y réuffir , non feulement il fe rendit familieres les Langues grecque & latine , maïs il Tornt 1F. A  2 É L O G E y joignit les Langues italienne & efpagnole , & fur-tout ne négligea pas de cultiver la fienne propre , comme il n'arrive que trop fouvent a ceux qui ont la vanité d'entafTer dans leur tête un grand nombre d'idiomes anciens & modernes. Dilférentes Poéfies latines & francoifes furent 1'amufement de fa jeunelfe , & annoncerent dèslors ce qu'on d^voic attendre de lui. S'il eut e'té le maitre de fuivre fcn geut dans le choix d'un état, il n'en auroit point eu d'autre que celui d'homme de Lettres, regardé apeine comme un état par tous ceux qui ne le font pas j & qui fe piquent néanmoias de n'ètre pas peuple ; comme fi le noble emploi d'éclairer fes femblables n'étoic pas une des occupations les plus dignes d'un Citoyen honnête. Celui dont nous parions ne reflembloit pas a ce jeune homme d'une médiocrité fans efpérance, a qui fon pere avoit acheté une charge , par la raifon , difoit-il, que fon nis n'avoit,pas Vefprit de ne rien faire. Mais la familie de M. de la Monnoye, qui connoiffoit toute 1 etendue de fes talens, & qui vouloit en tirer tout 1'avantage pomble pour lui  DE LA MONNOYE. 3 Sc pour elk , défira qu'i'l embr'afTat une profeffion 011 il put joindre I'honorable a 1'utile ^ il fe livra donc a la plaidoirie, plutót par déférence que par gout, & cependant avec toute la bonne foi & toute 1'affiduité de commande qu'on peut mettre a la place de 1'ardeur naturelle, mais qui n'y fupplée jamais.' Peu natte des appIaudiiTemens qu'il obtenoit au Barreau, il tournoit de temps en temps fes yeux avec douleur fur les Mines qu'il avoit abandonnées; fa mauVaife fan te' vint au fecours de fa répugnance , & lui fournit un prétexte qu'il faifit avidement, derenoncerau labyrinthe de la chicane , pour être enfin ce que la Nature vouloit qu'il fut. L'impreflïon d'ennui & de dégout que lui avoient lainee fes études de üroit, étoit fi forte, qu'il ne pouvoit même s'occuper des affaires litigieufes qui intéreffoient fa propre fortune. Qudque agréables , difoit-il , que Joïent les mots de plaisir & de profit je ne les entends polnt fans fémir \ paree que run commence comme pzaideur, & Vautre comme procés, 011 comme Procureur, II rentra donc, avec autant d'emAij  4 E L O G E prefTement que de joie , dans Ia caf-; riere de la Littérature , & y confacra tous fes momens, ne regrettant que ceux qui avoient jufqu'alars été perdus pour fa paffion favorite. Son' déveuement fut fi entier , qu'il ne fe propofa dans le travail d'autre récompenfe que le travail même , fans y joindre aucune vue de réputation , aucun de'fir d'avoir quelque part a cette fumée qu'on appelle Globe. La vaine ardetir de paroitre & de briller avant le temps, eft peut être le caradere le plus diftinélif des talens médiocres. Tourmentés du fentiment tacite de leur impuiffance , ils femblent chercher a s'étourdir par le fuffrage de la multitude, qui, malgré fon ineptie trop ordinaire, les fait lbuventrepentir, par fesdédains, de leur ambition prématurée ; tandis que les véritables talens, fatisfaits du témi ignage intérieur de leurs forces, dédaignent de courir au devant. des lauriers que le Public leur defline , & attendent que la Renommee, qu'ils ne cherchoient pas, fe trouve fur leur route fans qu'ils' 1'ayent appelée. M. de la Monnoye refta donc plu^ieurs années dans une efpece d'obfcu-  DE LA MoNNOYE. 5 rité phüofophique , connu feuïernent de quelques hommes de Lettres du premier ordre , avec lefquels ii e'toit en commerce de lumieres. Occupé d'études iérieufes & profondes fur toutes les parties de la Littérature, il ne fe déiaflbit de fes études que par une autre efpece de travail : il donnoit a la Poefie les momens ou il avoit befoin de repos ; mais il n'y donnoit que ces momens feuls, & ne parloit cette Langue qu'a 1'oreille de quelques amis dignes de 1'entendre & de lui répondre. Cependant le premier effai qu'il rendit public en ce dernier genre , fut honoré d'un triomphe très-flatteur. II remporta de la maniere Ia plus briljante le premier des prix de Poéfie que propofa 1'Académie Francoife. Le fujet étoit XAbolitïon du duel par. Louis XIV. Nous avons rapporté dans 1'article de Charles Perrault une anecdote qui prouve l'ëftime diftinguée que 1'Aeadémie avoit pour cette Piece ; eftime qu'elle n'a pas toujours accordée aux Ouvrages couronnés , dont la foibleffe n'a fouvent été redevable de Ia vicloire qu'a la médiocrité de leurs rivales. Si la Piece de M. de la Monnoye A iii  6 E L O G E parelt aujourd'hui fort inférieure aux éloges qu'elie recut alors, il faut fe tranfporter au temps ou el!e vit le jour , temps ou les bons vers étoient encore affez rares , & ou Defpréaux , Racine , & La Fontaine , les feuls vrais Juges en Poéfie qu'il y eik alors (i), netant point encore de 1'Acadéinie , ne pouvoient être du nombre des Juges, & dédaignoient de fe mettre au nombre des concurrens. C'eft de ce point & de cette époque qu'on doit partir pour apprécier avec une égale juftice 1'Ouvrage , 1'Auteur , le jugement de 1'Académie , & les éloges même qu'elie donna au Poë'te: ces éloges furent confirmés alors par la voix ptiblique & fi hautement confirmés , que 1'écho , pour ainfi dire , en a retenti jufqu'a nos jours. Des hommes qui ont traité bien plus févérement de bien meilleures Pieces , célebrent encore comme par tradition, 1'excellence de celle-ci, qu'ils aiment mieux louer que de la lire (2). Deux ans après il remporta un fe- (0 Voysz la Note (a). (z) Voycz la Note (è).  DE LA MONNOYE. f cond prix de Poéfie , dont le fujet étoit La gloire des armes & des Lettres fous Louis XIV ; car on fait que ces prix étoient deftinés a célébrer a perpétuité la louange du Roi , & que f Académie n'a ceffê , durant pres d'un fiecle, de payer a la mémoire de fon Protedeur ce tribut annuel d'amour ck d'encens; elle n'a mis fin a fon refpectueux&refpedable hommage, que lorfque le Public lui en a paru rafTafié, & la gloire du Monarque fixée pour jamais. Un nouveau fujet de prix , YEducation de Monfeigneur le Dauphin 3 procura bientót a M. de la Monnoye une troifieme couronne. Cette fuite continue de fuccès faifoit défirer aux amis éclairés que 1'Auteur avoit a Paris , qu'il vlnt s'y établir fans délai , 8c jouir pleinement, fur ce grand théatre, de tous les avantages que devoient lui procurer fes talens , fes travaux, & fa renommée. Mais M. de la Monnoye , qui joignoit a la niodettie la plus fincere 1'amour de la folitude & du repos, & qui venoit d'ailleurs de contrader , au fein de fa Patrie, un manage heureux , préféra la douce tranA iv  8 É L O G E quillité dans laquelle il vivoit, a ïéclat d'une gloire qui pouv&it éveiller 1'envie. » A la bonne heure , difoit-il, » que mes bagatelles ( c'eft le nom » qu'il donnoit a fes Poe'fies ) fe mon-v trent de temps en temps dans la » Capitale; pour leur Auteur , il faut » qu'il refte dans fa Province , & qu'il » fe contente de n'y être confidére' » que comme un fimple CorreSeur des v Comptes «. Car M. de la Monnoye venbit d'acbeter cette charge , qui , en contentant le de'fir que fa familie avoit de le voir quelque chofe 3 lui laiffoit tout le loifir néceffaire pour cultiver les Lettres. » Au contraire , » ajoutoit-il, fi je venois a Paris, on » ne verroit en moi qu'un bel efprit; profemon , a mon avis , auffi dan» gereufe que celle de Danfeur de » corde. Je n'ai d'ailleurs aucune am» bition , même littéraire ; & quant » a ma fortune , toute bornée qu'elie » eft , jen fais content. Je n'ai ja» mais rien demandé au Roi , ck je le » prie feulement de ne me rien de» mander non plus «. Ces derniers mots font voir que notre Poëte , tout défintéretfe qu'il étoit, fouffroit avec  de la Monnoye. 9 peine la dureté de quelques impóts , dont en effet il fe plaignoit d'être accablé. II a exprimé ce dernier fenti-» ment dans quelques vers , ou , füivant 1'ufage , il encenfoit le Monarque , Sc dont voici les derniers : De gra'ce , exempte-moi de gtoiTir ton trcfor, Ec confidere qua le Mage Qui préfenta 1'encens, ne préfenta point I'or. Auffi laifToit-il quelquefois échapper des exprefïions d'humeur contre les hommes chargés alors de la collec.ion des deniers du Prince , & plus chargés encore de la haine publique dans ces temps malheureux. Leur impitoyable avidité venoit , difoit il , le harceler jufque dans fon cabinet, pour faire des breches continuelles a fa très-modique fortune , qu a la vérité il ne défiroitpas de voir plus grande, mais qui i'étoit trop peu pour pouvoir fupporter aucun dommage. Publicanus , ajoutoit-il en parlant des Traitans , qucjï publicus canis. II faut pardonner ce jeu de mots un peu amer au chagrin qui le lui arra..hoit, & auplaifir d'une vengeance innocente qu'il croyoit y trouYer. Av  ÏO É L O G E Les Iauriers remporte's par M. de la Monnoye a 1'Académie Francoife , étoient'd'autant plus glorieux pour lui, qu'il avoit eu dans ce conibat litteraire plus d'un Concurrent illuftre , entre autres M. de Fontenelle: eet Ecrivain célebre n'étoit pas auffi excellent Poëte qu'il a depuis été grand Phüofophe ; mais , quoiqu'a peine agé de 20 ans, il favoit déja fuppléer quelquefois , a force d'efprit, au talent que la Nature ne lui avoit pas donné pour la Poéfie , & il y fuppléa alTez heureufement dans un de ces concours pour balancer les fiuTrages. L Académie Francoife v après avoir décerné tant de prix a M. de la Monnoye , 1'auroit vrailemblablement adopté dès-lors parmi fes Membres, fi fon féjour en Province n'avoit été un obftacle infurmontable au défir qu'elie avoit de 1'acquérir. Cette Compagnie qui n'a déja que trop de places mortes, & comme vacantes par le peu d'affiduité dé ceux qui les occupent , feroit bientöt réduite a rien , fi elle fe permettoit d'ouvrir fes portes a des hommes de Lettres que leur abfence empêcheroit de fatisfaire aux devoirs académiques  de la Monnoye. ft & de remplir les efpérances que la Compagnie a fondées fur leur travail. On crut tlü moins que 1'Académie , lafle & comme ennuyée de couronner toujours la même tête , mettroit le comble , autant qu'il dépendoit d'elle, a la gloire de M. de la Monnoye , en le priant de ne plus entrer en lice : mais c'eft une autre loi que la Compagnie s'eft faite , de ne jamais borner le nombre *des couronnes qu'elie peut diftribuer a un même vainqueur • ces couronnes multipliées confolent le talent des traits de 1'envie , lui lahTent ouvertes toutes les portes de la gloire, qui eft fouvent fa feule récompenfe , lui ofFrent 1'efpoir d'être affis au nombre des Juges après avoir long-temps brille parmi les athletes, & lui font d'avance accorder ce titrè par le Public , dont 1'Académie fait enfin prévaloir le re.fpe£table fuffrage fur les manoeuvres de la cabale & de 1'intrigue. M. de la Monnoye augmenta donc , par de nouveaux triomphes, le regret que la Compagnie reffentoit de ne pouvoir le pofleder ] le prix qu'il recut pour la quatrieme fois, fut encore plus honorable pour lui que les précédens. Avj  13. É L O G E L'Acadérnie avoit propofé pour fujet, Les grandes chofes fakes par le Roi en faveur de la Religioit Catholique : 1'objet e'toit plus fait, a beaucoup d'égards , pour exercer des Poëtes que des Philofophes; car le zele du Roi pour la Religion , en donnant matiere a de jufles éloges , n'en laiffoit guere ivioins a de jufles plaintes fur 1'abus funefle 6c fcandaleux que des perfécuteurs fanatiques avoient fait de la piété du Monarque. Le célebre Santeul avoit compofé , quelque temps auparavant , une Ode latine fur ce même fujet, & M. de la Monnoye 1'avoit traduite en vers francois;. ces vers parurent aflez beaux a Santeul, juge d'ailleurs alTez médiocre en Poéfie non latine , pour lui faire défirer vivement que 1'Ode francoife fut imprimée. M. de la Monnoye fe refufa conflamment a fes follicitations , difant que, tout couvert qu'il e'toit des armes d'Achille , il craignoit d'éprouver le fort de Patrocle. Santeul , a 1'infcu de 1'Auteur, envoya la Piece au concours; elle remporta le prix , quoique le Poëte latin 1'eüt mutilée a fort & a travers, pour la réduire a 1 eten-  de la Monnoye. 13 due que 1'Acade'mie avoit exigée. M. de la Monnoye , fatisfait de 1'honneur inattendu qu'il recevoit , pria Santeul d accepter la médaille , & n'eut pas fur cela beaucotfp de violence a lui faire. Ce Poëte, a qui le grand Corneille avoit fait plus d'une fois 1'honneur de la traduire , étoit plus content des traductions que M. de la Monnoye avoit donnéesde plufieurs de fes Pieces ; il préféroit même ce Traduéleur a tous les autres. 11 eft vrai que les Defpréaux &. les Racine ne prenoient pas la peine de 1'être , & le Poëte latin n'étoit guere mis en francois que par des Verfifkateurs , dont fes produélions laünes n'avoient rien a craindre. Le feul Corneille eüt été redoutable ; mais Corneille étoit rarement lui même lorfqu'il fe trainoit fur les pas des autres. C'étoit alors un» efpece de mode, que les Poëtes latins , qui , par leur état de Prêtre ou de Religieux , fe croyoient les plus faits pour cdébrer 1'extirpation de 1'héréfie , la chantoient dans la même' Langue 011 ils difoierit la MefTe & i'OfHce ; & les Poëtes fran$ois traduifoient, avec emprelTement,  ï+ É L O G E ces produélions de leur veine monaftique ou facerdotale. M. de Fontenelle avoit fait au Pere le Jay le même honneur que M. de la Monnoye k Santeul; il venoit de traduire , en vers francois, je ne fais quels vers latins de ce Jéfuite fur la révocation de 1'Edit de Nantes. Plufieurs anne'es après, quelqu'un, lui parlant de cette traduction , lui avouoit franchement qu'elie n'étoit pas trop bonne. Elk ne méritoit pas d'ëtre meilleure, répondit-il ; rien parions plus ; j'en ai honte au~ jourd'hui (i). Nous foubaitons , pour 1'honneur de M. de la Monnoye, qu'il ait penfé de même de la fienne. JNoüs fommes plus fiirs du parti qu'il auroit pris, fi le malheur de fon étoile 1'eüt fait naitre dans une autre croyance que celle du Monarque. Nous jugeons. de fes difpofitions a eet égard, par la maniere dont il s'exprime dans une de fes lettres, fur la réfiftance décente que montroit la favante Mademoifelle Lefevre, depuis Madame Dacier, a remtrer au girorr de 1'Eglife Catholique. Je métonne , dit .M. de la Mon- (i) Voyez ia Note (e).  DE LA M ON N O Y E. noye , quavec tant d'cfprit elle fok encore Huguenote ; ce nefl plus que la Religion des dupes : aujji je crois qu'elie prétend bien changer , mais qu'elie attend le bon mament, & quelle veut faire fervir ce changement a fa fortune. II eft a croire que celui qui parloit fi légérement fur la converfion trop lente de fon amie, n'auroit pas tardé autant qu'elie a fe montrer docile aux enfeignemens de 1'Eglife & aux -volontés de fon Roi. Ce qu'on peut au moins affurer, c'eft qu'il faifoit grand cas des Ouvrages de B«fTuet contre les Proteftans; il donnoit furtout de grands éloges a fon Hifloire des variations. Je tiens, difoit-il , l he~ réfie ajfommée de ce der nier coup. Le Miniflre Claude en mourroit, s'ilnétoitmort, & Juriettenvamourir. Mais i^intrépide Jurieu n'en mourut pas, & malheureufement 1'héréfie en mourut encore moins. Deux années après , il remporta un cinquieme prix, qui paroit ayoir été le terme de fes combats académiques. Courbé fous fes lauriers , il fe condamna lui-même au fdence , pour laiffer déformais le champ libre a fes rivaux,  *6 E L O G E qui durent fe trouver fort a leur aife de n'avoir plus a lutter contre tm concurrent ü redoutable. 11 nerenoncapourtant pas a la Poe'«e : il traduifit en vers francois un Poëme efpagnol fort célebre dans cette pieufeNation(i), & intitulé la Glofe de Sa'mte Thérefe (2) ; Madame de la (1) Voyez Ia Note (d). (1) *> J'aimois beaucoup Sainte Tliérefe , » dit un Ecrivain moderne , paree qu'elie a » dit, en parlant du Diable , Ce mallieureux, »condamné a ne jamais rien aimer, expref" llon P!e>»e de fentiment; mais j'ai perdu « un peu de I'affeétion cjue j'avois pour elle, » en hfant dans un autre endroit de fes Ecrits, » qu'il ne devoit y avoir que deux prifoni » dans le monde; celle de 1'Inquifition pour » ceux qm ne croient pas; & les Perites-Mai» fons pour ceux qui croien: & qui pechent. » En confequence- de ce rare jugement, tous » les hommes doivent être enfermés ou brü, » les «. L'édifiante tendreffe de cette Sainte pour rrnquifition , n'empécha pas qu'elie ne fut elle-même enfeimée quelque temps dans Jes cachots du Saint-Office a Tolede. Mais, dit un de fes Hiftoriens, elle éleva fon cceur i Dieu du fond de fa piifon, Sc entendit une voix qui lui Jifoit d'avoir recours a fon Souverain, ce qu'elie fit. Philippe II la jugea innocente , & ia mit en überté, avec les'lémoignages les plus flatteurs de k fainteté de fa vie.  de la Monnoye. i*r Valiere , devenue Carmélite & difciple de cette Sainte , refufa par humt* lité la dédicace de la traduclion , & Racine refufa de fon cóté d'en entreprendre une nouvelle , difant, fi nous en croyons un Panégyrifte moderne de M. de la Monnoye , quon nepouvoit mieux faire que lui. Ng feroit-il pas permis de penfer que 1'Auteur d'2phigénie 6c de Phédre, qui ne pouvoit, même avec 1'humilité la plus chrétienne , fe croire inférieur , comme Poëte , a M. de la Monnoye, avoit cherche en vain dans la Glofe de la Religieufe efpagnole quelqu'un de ces traits fubümes que lui avoit fournis 1'Ecriture pour les chceurs A'EJlher 6c & Alhalie , 6c qu'il avoit fi éloquemment rendus? N'y a-t-il pas quelque apparence que rebuté par 1'indigence de 1'original , il jugca a propos de laiffer a d'autres la trifte peine de mettre en rimes un ü médiocre Ouvrage ? Quoique fidele au ParnafTe Francois, notre Poëte n'abandonnoit pas les Müfes latines j mais quelque fuccès qu'il eüt en ce genre auprès de ceux qui s'y croyent connoiffeurs, il avouoit avec franchife que les Poëtes latirjs moder-  ï§ É L O G È nes ne pouvoient acquérir qu'une gloire pre'caire & de convention , une gioire dont ^Virgile & Horace fe feroient peut-être moqués ; il convenoit de bonne foi que les prétendus' Virgiles & Horaces modernes celToient de le paroitre , quand ils vouloient parler en vers leur propre Langue , qu'ils devoient pourtant mieux favoir que la Langue latine; il n'y avoit, felon lui, d'afile pour ce genre de Poéfie, que celui dans lequeï Santeul avoit eu" le bonheur ou 1'efprit de fe refugier, les Hymnes du Bréviaire ; paree que la Langue latine étant reftée , pour ajnfi dire , la Langue naturelle de 1'Eglife Catholique , ne laiffoït plus aux vers latins, fuivant 1'exprefiion même de M. de la Monnoye , que ce feul coin de réferve ou ils puffent fe montrer avec. quelque avantage. II auroit pn ajouter que Santeul s'étoit préparé d'ailleurs un triomphe aiTuré , en fubftituant fes Hymnes aux Cantiques barbares, ridicules , fouvent même indécens, dont les temples avoient retenti jufqu'alors. Nous n'en citerons poiir exemple que 3'Hymne a la Magdeleine , ou 1'on difoit que de chaudroa  de la Monnoye. 19 elle étoit devenue fiole (1) j & celle a Léonard, ou par une plate allufion au nom de ce Saint, o:i lui ' donnoit la force du tióü & la douceur du aard (2). C'eft aidfi que les Saints étoient loués. Un de nos intrépides Poëtes latins & grecs , le favant Gilles Ménage , n'étoit pas auffi modefte que M. de la Monnoye fur fes produtfions en ce eenr*\ Si vous voule\ devenir bon Poe te latin , difoit-il a un jeune homme ' qui le confultoit , üfe^ les vers de Virgile & les mieris; & nous dirons de notre cöté aux jeune's Poëtes : Si vous voule^ apprendre d faire de bons vers franpois , ne life^ pas ceux de Ménage. C'eft pour ce même érudit, que M. de la Monnoye , fon rival en Poéfie ancienne & moderne , fit cette efpece d'Epitaphe : Laiffons en paix Monfieut Ménage ; C'ètoit un nop bon perfonnage (1) Poft fux a carnis fcandala , Fit ex lebete phiala. (i) Leone tu fortior , ffardoque tu fuavior.  20 E L O G E Pour ri'ètrp pas de fes amis: SoufFrons qua fon tour il repofe-j Lui de q^i ies vers & laptofq Nous ont fi fouvent éhdormis. Notre Acade'micien réuffiiïbit queïquefois paflablement dans ces pètites Epigrammes, & beaucoup mieux que dans des Pieces plus longues & plus ferieufes. Un Poëte tres• connu par fa malheureufe facilitë a faire de mauvais vers , ayant fait paroitre une traduclion rirriee des (Euvres d'Horace f & n'ayant pas craint de mettre l'originaf en regard avec fa déteftable vernon, M. de la Monnoye écrivit ces quatre vers a la tête du Livre : On devroit, fóit dit entte nous , A deux divinkés offrir res deux Horaces: Le iatin A Vénus, la DéeiTe des Graces ; Ec le francois a fon époux (ij. En qualité de Poëte , il avoit de'ja mis quatre Langues a contribution (car il faifoit aura de< vers grecs & des vers italiens) ; il entreprit'd'y mettre jufqu'au patois de fon pays ; il compofa les Noëls bourguignons , la meilleure (i) Le Cyclope & boiteux Vulcain.  de la Monnoye. 21 de routes fes produtflions poétiques. Le luccès ënfut fi grand dans fa Province, qu'il s etend t jufqu a la Cour, ou tout le monde voulut apprendre le patois bourguignon & cbanter les Koels. On afTure cependant que lt favant Dumai . compatriote de 1'Auteur, ne trouvoit daas ces Noëls qu'une afTez foibleconnoifTance du patois qui en avoit fait la fortune. Mais on n en (avoit pas tant a Paris & \ Verfaille^, ou ces cbanfons avoient la plus grande vogue. Elle fut fi grande , qu elle fouleva contre 1'Auteur une clafTe d hommes trèsredoutables. La déyotion vraie ou fauffe, excitée par 1'envie , crut trouver dans la naïveté du langage & dans la liberté des exprefTons qui faifoient 1'agrément de ces Noëls, un fujet affrëtfx de fcandale. Ils fureht déférés a la cenfure ; 1'Auteur en fit dans la même Langue une apologie qui rendit les Cenfeurs ridicuies : Quei pitii (i) ■ dit-ü, de vol tant ie fotdne Contre ein ruchó fi fort fi dcmenai ! (i) Quclle pitié do voir tant do foutane Contre un roquet fi fort fe demener ! Roquet cfl: un gros habit de vigneron, & le;  3.2 Ë L O G E II parle, dans un aurre endroit, d'un de fes Cenfeurs les plus acharne's, Janfe'nifte fougueux, qui fut exile' peu de temps après a Beaune , ville dont les liabitans ne pafTent pas pour les plus fpirituels de la Bourgogne ; 1'Auteur dit a fon Critique : C'etoi lai cas de choifir Beaune ft), Pour y logé rei qui ra'é condamnai. * Bientöt, malgré les cris de 1'imbe'cille fuperftition , on réimprima les jNoëls ; 1'Auteur y aiouta même un Gloffaire bourguignon pour les faire mieux entendre , tant le Public e'toit devenu aguerri fur le pre'tendu fcandale. II rendit ce Gloflaire intérefTant par plufieurs remarques piquantes & curieufes : on y trouve entre autres 1'extrait d'un Sernion fort étrange du fameuxMimonnaire Saint Vincent Ferrier , fur ce qu'on appelle le davo'cr bourguignon fotdne eft heureux pour expriaicr la foutane des Cenfeurs. (i) Ccroit Ie cas de choifïr Beaune Tour y loger toi qui m'as condamné.  de la Monnoye. 2j conjugal; ce Sermon , plus ferablable k un Conté de La Fontaine ou de Bocace par la nature du fujet & 1'inde'cence du récic, qu'a une exhortation faite pour édifier les ames pieufes, eft un monument précieux de 1'innocence de 1'Orateur , & de la firnplicité des temps oü cette finguliere déclamation fut prononce'e (i). La perfécution que M. de la Monnoye efTuya au fujet de fes Noëls , occafionna peut être fes recherches fur lés Livres prof rits & condamnés au feu. La matiere étoit digne d^occsper un homme de Lettres philofophe; il eut été intéreffant dans cette efpece de Nécro.loge Littéraire & Criminel 3 de difhng'uer les innocens d'avec les coupables, & d'oppofer k la fageffe de quelques arrêts 1'abfurdité de plufieurs autres. II n'auroit pas été moins intéreffant d'examiner dans quels cas il eut mieux valu abandonner k 1'oubli des produélions plus méprifables que dangereufes, que de leur donner, par 1'éclat de la flétrifl'ure , une célébrité bien fü«* périeure k leur mérite. Ceft doiamage CO Voyez !a Note (e).  -H È L O G E que ces recherches, qui n'ont pas vu le jour , aient e'te' perdues pour les Lettres: n'euiïent-elles été que purement hiftoriques, elles auroient fourni a la Philofophie une matiere abondante de réflexions; & le commentaire dont elle auroit pu orner le texte eut été bien précieux pour elle. A 1'occafion de ces malheureux Livres , lacérés & incendiés dans tous lesfiecles par le concours des deux puiffances, M. de la Monnoye aimoit a raconter un fait édifiant dont il avoit été témoin. Un Pere Honoré de Cannes, Prédicateur Capucin , digne émule des Menot & des Barlette (i)> avoit fait une Miffion a Dijon , .& après avoir converti toute la ville , comme c'eft 1'ufage en pareil.cas, faii'oit bruler folennellement, aux pieds d'une croix cololfale qu'il avoit plahtéè, un monceau de mauvais Livres que les nouveaux Convertis avoient reinis entre fes rnains. Quelques feuillets a demibrulés d'un de ces Ouvnges profcri.s, (i) frclicateurs du cjuirzicme lïeclc , dcYenus fameux par. les excravaganccs & les bouffonneries qu'ils débitoient en chaire. emporte's  de la Monnoye. 25 emportés par le vent^ tomberent aux pieds de M. de la Monnoye qui afliftoit a ce pieux fpedacle ; ils le reconnut pour être de 1'Hiftoire de Jofepk, qu'on brüloitainfi, non paree que 1'Auteur étoit Juif, mais paree queleTradudeur , Arnaud d'Andilly , étoit JanJenijle. C'eft avec ce difcernement que de pareilles exécutions ont trop Jouvent éié faites, foit par des Prétres & des Moines fanatiques , foit même quelquefois par des Juges féculiers, leurs rivaux de ze e & de lumieies. Toutes les Poéfies de M. de la Monnoye , nous le répétons, n'éioient pour lui que le délafTement des études plus férieufes qui occupoient prefque tout fon temps. II étoit devenu par fon fayoir une efpece de phénomene , & 1'oracle de tous ceux qui le confultoient. Son érudition étoit immenfe : Hiftoire civile &. littéraire, ancienne & moderne , connoiffance des Livres & des Auteurs, Critique , Philologie , tout étoit de fon reffort : il n'avoit pas-fimplement effleuré ces difFérens objets, comme ont fait tant de demi-Savans; il avoit tout embraffé , tout approfondi par une ledure prodigieufe, que la plus Tornt IV. B  20 É L O G E vaile mémoire mettoit toute entiere a pront. Bayle , dans une de fes lettres , rend un témoignage public de la reconnoiffance qu'il devoit a M. de la Monnoye pour la compofition de ce fameux Didionnaire, fi déchir-é par les uns, fi célébré par les autres , mais le feul Ouvrage de fon genre qui partage avec 1'Encyclopédie 1'avantage d'avoir vraiment des Ledeurs. On s'entretient avec Bayle , difoit M. de la Monnoye , & on confulte apeine/es femblables; il fcandalife quelquefois , mais il intérefTe; & les autres font édifians, mais infipides. L'eftime fi jufte que faifoit M. de la Monnoye de eet Ecrivain Philofophe , fervit de prétexte aux ennemis de notre Académicien , pour lui attribuer une vie de Bayle , qui venoit de paroïtre en Hollande , & qui apparemment ne plaifoit pas a ce qu'on appelle , quelquefois très-improprement, les gens de bien. L'accuié fe jultifia de ce prétendu crime.; mais la calomnie , fuivantfon ufage , continua toujours a 1'en charger; 6k las de la repouiTer fans 1'abattre , il finit par la laiffer faire. Elie avoit eiTayé , mais pee moins de fuccès, un autre moyen  DE LA M'0 NNOYE, IJ de, lui nuire; c'étoit de faire imprimef un Recueil très-altéré de fes Poe'fies, préce'dé de 1'éloge de 1'Auteur , qu'elie prétendent fait par lui-même. La fimplicité & la modeflie bien reconnue de M. de la Monnoye le mit a 1'abri de cette imputation , trop groffiere d'ailleurs pour en impofer a perfonnej ï& quoique des ennemis qui löiunt, fuivant la réflexion de Tacite , foient ordinairement les plus dangereux , il éprouva dans cette circonuance qu'il peut quelquefois y avoir de 1'avantage a être loué mal-adroitement par des ennemis acharnés. Ainfi M. de la Monnoye, réfugié prefque entiérement dans 1'afiie de l'érudition , le plus fur après les Sciences exaéles pour un homme de Lettres qui veut vivre en paix, ne fortant de eet afile que rarement ck. par des vers qui ne devoient pas exciter 1'envie , en effuya néanmoins !es coups ; tant elle eft attentive a ne rien perdre de tout ce qui peut la faire vivre ! Ses ennemis n'attendirent pas, pour le déclurer, qu'il füt forti de fa Province & placé fur urt théatre plus fait pour bleffer leurs yeux. » Vous connoiffez cette ville que j'liaBij  ?8 É L O G E » bite, dit-il dans une des fes lettres » en parlant de Dijon; de tous les terts » qu'on y peut avoir , le mérite eft » fans contredit le plus grand; une muls> titude d'ennemis efl le fort infaillible » de tous ceux qui paroifTent vouloir » fe diftinguer. Vous avez lu mon » Duel aboli. On a d'abord dit qu'il » ne valoit rien ; & après que 1'Aca# démie 1'a couronné , on a prétendu » qu'il n'étoit pas de moi. Je me fuis » vu noirci par des calomnies deftituées » de toute vraifemblance. On me laif» foit néanmoins, par grace , une petite » portion de fenscommun. J'aivu fans » m'ébranler tous les effbrts que des » hpmmes qui n'ont jamais eu a fe » plaindre de moi , ont faits pour » m'óter un peu de réputation que je » n'ai ni recherchée ni défirée , paree » qu'a dire vrai elle m'a toujours paru » la chafe du monde la plus indif» férente «. Bien des Auteurs ont tenu le même langage fur le mépris de Ia gloire , & ne 1'ont pas tenu aufïï fincérement que M. de la Monnoye ; il difoit vrai en parlant de fon peu d'avidité pour la renommée , fentiment qu'il portoit jufqu'a la modeflie la plus  b È LA M O N N O Y È. 2X) exemplaire. S'il ne fut pas un grand Poëte dans la plupart de fes productions, il le fut encore moins par fon caradere ; il n'aimoit ni les louanges, ni fes vers mêmes. » Ou avez-vous » pris, écrivoit-il a un de fes amis avec » une efpece d'humeur , toutes les fa» deurs que vous me dites ? Vous êtes » bienlieureux de ce que mes vers ne » font pas bons; s'ils 1'étoient, foyez » fur que, dans la coleré ou je fuis con» tre vous , je me garderois bien de » vous les envoyer «. Prefïé de nouveau par les follicitations de fes amis, il vint enfin s'établir a Paris en 1707, & dès ce moment il eüt été de 1'Académie Francoife, fi fa modeflie & fa timidité naturelle lui avoient permis de demander cette place.. 11 prit enfin fur lui , au bout de quelques années , de faire les démarches nécefTaires pour obtenir le titre dont fes Ouvrages, fon favoir , fon caradere le rendoient fi digne & depuis ü long-temps: il fut élu d'une voix unanime ; & le Roi , en approuvant fon éledion , témoigna' combien ce choix lui étoit agréable. Sa réception fut une des plus brillantes & des plus B üj  3 O É 1 O G E nombreufes qu'on eüt vues jufqu'alors, elle fut même remarquable par un événement qui fait époque dans 1'Hiftoire de la Compagnie. Les Cardinaux Académiciens fe difpenfoient depuis long-temps d'affilter aux féances , tant particulieres que publiques, paree qu'ils croyoient des fauteuils indifpenfables ,a leur dignité-, & que les Académiciens n'avoient alors que de fïmples fiéges. Ces Cardinaux défiroient cependant de fe trouver a l'éleclion de M. de la Monnoye, a qui ils vouloient donner par leur fuffrage une marqué diftinguée de leur eflime ; le Roi, pour fatisfaire a la fois leur délicatefTe d'amis & leur délicatefTe de Cardinaux, & pour conferver en même temps 1'égalifé académique dont ce Monarque éclairé fentoit tous les avantages , fit envoyer a 1'AfTemblée quarante fau^ teuils pour les quarante Académiciens: ce font ces mêmes fauteuils que nous occupons encore aujourd'hui ; le motif auquel nous les devons fuffiroit pour rendre la mémoire de Louis XIV précieufe aux Lettres, qui ont d'ailleurs a ce Monarque des obligations bien plus importantes.  de la Monnoye. 31 A peine arrivé a Paris , M. de la Monnoye fit a Defpréaux une galanterie vraiment érudite. II apprit que ce grand Poëte avoit dit : On a tra'duit plujieu'rs de mes Pieces en latin , en itaüen , en efpagnolj en portugais, en anglois, & en allemand ; perfonne ne ma encore fait Vhonneur de me traduire en grec ; M. de la Monnoye voulut lui donner cette fatisfadion , & mit en vers grecs hexametres la fixieme Satire , celle qui eft connue fous le nom des Embarras de Paris. II auroit pu mieux choifir ; mais nouvellement arrivé de fa Province, peu accoutumé au fracas de la Capitale, & en ayant les oreilles étourdies, il crut apparemment que cette difpofition lui fourniroit des termes plus énergiquespour exprimer le tintamarre dont le Poëte fe plaint dans cette Satire. QuoiqueTraduéteur de Defpréaux, il n'étoit pas fon imitateur aveugle dans 1'adoration que le Satirique avoit vouée aux Anciens. Tout verfé qu'étoit M. de la Monnoye dans la ledure des Auteurs latins & grecs , il femble avoir connu leurs défauts, & les avoir B iv  3* E L O G E jugés prefque auffi févérement qu'il auroit pu faire des Ecrivains modernes'. » S'il avoit plu aux Anciens, dit-il , » de ne'gliger unpeu moins 1'ordre dans » leurs difcours, la jufrelTe dans leun » raifonnemens , la clarté dans leurs » exprefïïons, ils nous auroient épar» gné beaucoup de difputes touchant » 1'intelligence de plufieurs endroits » de leurs Ouvrages «. Peut-être cette complainte annonce-t-elle plutöt le chagrin d'un Savant, contrarie de ne pas trouver dans les Anciens de quoi fatisfaire fa curiofité philologique, que Ia délicatefTe d'un homme de goüt, bleiTé des écarts ou les grands Ecrivains de Rome & de la Grece font tombés quelquefois ; mais il faut tenir compte a M. de la Monnoye de cette fincérité naïve , que n'ont pas toujours eue fur le même fujet des hommes très-fupérieurs a lui. Quelque cas qu'il fit des Langues favantes, quelque foin qu'il eut mis a les cultiver, il ne pardonnoit pas aux gens de Lettres qui facrifioient a cette étude celle de leur propre Langue; & il difoit de deux favans Académiciens fes confrères ,  de la Monnoye. 35 qu'ils avoient eu befoin d'entrer a 1'Académie pour y apprendre a parler francois. Comme il ne croyoit pas les Anciens fupérieurs en tout aux Modernes, il ne croyoit pas non plus que parmi les Ouvrages de ces derniers , la priorité du temps fut un titre alTuré du mérite; & quoique YQEdipe de Corneille eüt encore beaucoup de réputation lorfque M. de Voltaire donna le ilen, M. de ia Monnoye eut le courage de célébrer le nouvel GEdipe par deux vers latins (1) , ou il le préféroit a celui de Corneil'e & a celui même de Sophocle. Cet éloge donnéparun vieux rimeur a un jeune Poëte, & par un Savant grec a un Auteur francois, aux dépens des anciens & des morts, eft un trair c.de courage bien remarqüable dans 1'Hifioire des Erudits. (1) Il s'adrefle a (Edips : Aitica te gemuit, gemuit te Neufinca Mufa ; Te Parifina hod.e, major utraque, gemit. » La Mufe d'Athencs , celle de Neuftrie , t'ont » plenré ; celle de Paris, fupéiieure a toutcs » les deux , te pleure aujourd'lmi <*.. B v  34 É L O G E Le premier Ouvrage du nouvel Académicien , fut une édition du Mena-_ gïana , augmentée du doublé , purgée d'uri tres-grand nombre de fautes , & rendue inte'reffante par une infinité de remarques , de difcumons, enfin d'anecdotes de toute efpece , principalement relatives a 1'Hiftoire littéraire , dans laquelle M. de la Monnoye étoit très-verfé. Cette édition ,' recue avec la même avidité que les Noéls bourguignons, efTuya aufïï les mêmes traverfes. La fuperflition , 1'hypocrifïe & 1'envie fonnerent de nouveau 1'alarme, fous prétexte de quelques traits prétendus fcandaleux , que M. de la Monnoye n'avoit rapportés qu'en les condamnant. Les inexorables Cenfeurs demanderent la fuppreffion, ou du moins la correétion févere de 1'Ouvrage; leur fureur alloit jufqu'a exiger le facrifke des articles les plus intérefTans. Feu M. le Cardinal de Rohan, qui aimoit les Lettres 6c méprifoit le zele fanatique 6c perfécuteur , lui impofa ülence en prenant ces articles fous fa proteélion. R fallut cependant , pour appaifer les clameurs , que lAuteur confentit a la mutilation du nouveau  de la Monnoye. 35 Menagiana; mais comme les revifeurs joignoient 1'ineptie au fanatifme , ils eurent la bonté ^ dit M. de la Monnoye lui-même , de lanTer par-cï paria des articles plus licencieux que ceux qu'ils avoient fupprimés. Ce ne fut pourtant qu'avec beaucoup de peine & de de'goüt que 1'Auteur fe foumit a tronquer ainfi fon propre Ouvrage ; il avouoit a fes amis qu'il ne faifoit plus que réparer des ruines, & qu'il en * feroit de" fon Livre , muitte & recrépi de la forte , comme du Pélops de la Fable quand les Dieux eurent mangé fon épaule ; celle qu'ils lui rendirent, difoit-il , quoique blanche , n'e'toit qu'une épaule d'ivoire. Cependant, malgré ces amputations , le Menagiana , tel qu'il eft , mérite d'être diftingué de cette foule de compüations, ou plutót de rapfodies , que le feul uorn d'Ana rend fufpecls, & qui ne font pour la plupart qu'un ramas de menfonges & de fottifes , propres a déshonorer la mémoire de ceux a qui on les attribue. Ce Recueil néanmoins ne trouva point grace devant tous les gens de • Lettres. L'inexorable Burman , a qui B vj  36 É L O G E 1'érudition même ceflbit de plaire, dès qu'elie n'e'toit pas aride & he'riflee , appeloit avec fon urbanité ordinaire , M. de la Monnoye, un grand & infatigable déterreur de bagatelles ; indefejjus & mirandus nugarum indagator : mais Burman fut le feul de fon avis; on laifTa fon e'rudition pefante juger, avec toute la grofïïérete' pedantefque, l'érudition légere de M. de la Monnoye; & 1'Europe littéraire préféra les bagatelles agréables du nouveau Menagiana aux bagatelles ennuyeufes de fon détracteur. La bile acre & groffiere, dontce lourd Commentateur étoit dévoré, aimoit fur-tout a s'exhaler contre la France. » C'eft un » pays , difoit-il, dont aujourd'hui les » habitans, même ceux qui font pro» fefflon de Littérature, relTemblent » a ces animaux qu'en flyle burlefcpe » on appelle des Rojfignols d'Arcadle. » Tels étoient autrefois les Daders. }> Tels font aujourd'hui les Capperon» nier & les la Monnoye «. C'eft avec cette équité & cette fine plaifanterie que le Savant hollandois traitoit nos gens de Lettres. M. de la Monnoye, dont il parloit avec tant de mépris, lui  de la Monnoye. 57 avoit au moins donné. 1'exemple de la juftice 6c de la de'cence avec laquelle un Ecrivain qui fe refpeéle doit parler des autres Nations. Car il avoit hautement blamé le Compilateur Chevreau , qui, après avoir repris avec raifon le P. Bouhours d'avoir mis en queflion, fi un Allemand pouvoit avoir de Vefprit , e'toit tombé dans un écart femblable , 'en difant que le Mofcovite ejl juflement Vhomrne de Platon , un animal d deux pieds, fans plumes , d qui il ne manque rien pour ctre homme , que la raifon, la propreté, & le fentiment de la lïberté naturelle. Notre Académicien étoit d'autant plus louable de relevër cette injure groffiere , qu'il n'a pu être témoin du röle important que ces prétendus êtres d deux pieds fans plumes ont joué depuis dans les affaires de 1'Europe , & de la maniere dont ils ont fepondu aux foins du Czar Pierre & de fes fucceffeurs, pour faire naitre dans fa Nation les Arts & les Sciences êc lui donner des moeurs & des lumieres. M. de la Monnoye i'ouhToit paifihlement de fa renommee , de fa confidération , de fes amis, 6c d'une fortune  3§ É L O G E dont la médiocrire fuffifoit a fes défirs, lorfque lefunefle fyftême , qui a fait le malheur de tant de Citoyens , vint auüïï troubler fon bonheur. Agé de 80 ans, innrme & charge' de familie , il fe vit réduit a une indigence prefque totale. Sa philofophie foutint avec courage une épreuve fi cruelle. II trouva quelque reiTource dans la vente de fa Êibliotheque , & fur-tout dans la générofite' de feu M. le Duc de Villèroi, qui, touche' de fon état, le pria de vouloir bien accepter une penfipn dont le bienfaiteur fut payé avec ufui'e pnr les éloges du Public. Aufli dit-il a M. de la Monnoye , quand ce!ui-ci vint lui témoigner fa reconnoillance : Cefl a moi, Monjtcur, a vous remercier, & a me fouvenir que je fuis votre » débiteur. Peu d'années après ce défaflre , 1'infortuné vieillard perdit fa femme qu'il avoit toujours eftimée & chérie • cette perte 1'affligea bien plus vivement que le renverfement de fa fortune (f). II ne fit plus que trainer une vie languiffante , dont il attendoit lafm avec 1'in- (i) Voyez Ia ncte lf).  de la Monnoye. 39 différence d'un Sage qui n'a plus rien a regretter fur la terre. II avoit efpéré d'avoir pour fuccefleur dam 1'Académie fon compatriote & fon ami M. Ie Préfident Bouhier ; 1'Acade'mie le fit jouir, dès fon vivant, de 1'avantage qu'il ne défiroit que pour fa cendre ; il eut la fatisfaclion, quelques inois avant fa mort, de voir ce fa van t homine aunombre de fes confrères. II n'avoit pas befoin d'une autre Epitaphe f^ue de celle qu'il s'étoit faite lur-même en vers latins la derniere année de fa vie; Epitaphe que la vertu, la fenfibilité, la candeur femblent avoir didée (1). Mais les gens de Lettres ne fe crurent pas difpenfés des honneurs qu'ils devoient aux manes d'un confrère fi efUmable ; fon tombeau fut honoré de Jeurs regrets poe'tiques, & le fut même avec affez de fuccès pour q,ue fon ombre n'ait pas été dans le cas de leur dire le vers de PafTerat : Amis, de mauvais vers ne chargcz point ma tombe. Les plus illuftres amis de M. de Ia Monnoye fe lignalerent dans cette ef- (1) Voyez la Note (g).  40 È L O G E pece de concours; & parmi leurs diffé rentes Pieces on doit diftinguer les vers latins dont le P. Oudin, Jéfuite, fon ancien &. fidele ami, s'emprefTa de célébrer fa me'moire. Pour réfumer en peu de mots 1'Eloge de M. de la Monnoye, nous dirons qu'il joignoit, a la Litte'rature la plus variée & la plus agre'able, une jufteffe de goüt qui n'accompagne pas toujours 1'érudition ; au plus profond favoir , une douceur, une n#deftie & une politefTe rare; a la connoifTance des Langues favantes & e'trangeres, le talent de bien parler la fienne. II eut toutes les qualite's propres a faire un Critique judicieux , un Commentateur éclairé, un excellent Editeur des meilleurs Ouvrages. II fe montra Poëte Iatin & grêc , aufïi bon qu'un Moderne peut fe flatter de" 1'ètre ; & ne pouvant être Racine ni Defpréaux, il fe contenta de fuivre de loin Martial & Catulle. Si fes Poéfies franfoifes nous femblent aujourd'hui beaucoup ■ plus foibles qu'elles ne le parurent a fes contemporains, c'efl que la Na-, tion* ralTafiée de chef-d'ceuvres en ce genre , & ayant fans cefTe deyant les  de la Monnoye. 4t yeuX des modeles redoutables pour qui s'expofe au parallele , connoit beaucoup mieux les fineflés de 1'Art & femble avoir le droit de fe montrer plus difficile. N o t e s fur Vartïch de M. de L A Monnoye. (a) Racine ne fut de 1'Academie qu'en 1675 , deux ans après le jugement du premier prix de Poéfie; Defpréaux & La Fontaine n'en furent qu'en 1684; les Satires de 1'un & les Contes de I'autre avoient empêché les portes du Temple de s'ouvrir plutöt pour eux. Le feul grand Poëte qui fut alors dans la Compagnie , étoit Pierre Corneille, plus capable de faire d'excellens vers que de bien juger ceux des -autres. D'ailleurs ce grand homme faifoit alors Pulchérie & Bérénice , dont les vers prouverit qu'au moins dans fes dernieres années il fe contentoit aifément en matiere de Poéfie. Néanmoins, dans le même temps oü il. fe permettoit cette mauvaife profe rimée,  42 Ë L O G E il faifoit les belles fcenes de Pfyché qu'on peut mettre au nombre de fes chef-d'ceuvres; tant il eft vrai que 1'inftinct feul & non le goüt, lui dicloit fes immortelles produdüons! Les Poëtes que renfermoit alors 1'Académie , & par conféquent les juges de M. de la Monnoye ( le grand Corneille mis a part ), étoient Ckapelain, qui faifoit des vers, comme tout le monde fait, Cot'tn , le Clerc, Perraulc, Caftagnest Bqyer , Defmarets , tous Ecrivains que nous n'ofons prefque -nommer; Gomberville qui avoit plus fait de mauvais Romans que de bons vers; Quinault , Godeau 8c Segrais , Poëtes foibles ( car Quinault n'avoit encore fait que fes Tragédies ) , & encore plus Poëtes que connoiffeurs; Regnier Defmarais , au-deffous de ces trois derniers , & comme coniioiffeur & comme Poëte ; Furetïere enfin, qui ne réuffiiToit & ne fe connoiffoit qu'en vers fatiriques ; ajoutons-y , parmi les Académiciens non Poëtes , Patru , Péliffon , Conrart, Boffuet, bons juges de profe, mais médiocres juges de Poéfie j Mu'ti prxterea, quos fama ohfcura rccondit.  DE LA MONNOÏ E. 4? Ne foyons donc pas furpris qu'avec de tels juges , & il y -a cent ans, la Piece de M. de la Monnoye , ou il fe trouve en effet quelques beaux vers, c-omme nous le verrons dans la note fuivante, ait été non feulement préférée a des rivales très-inférieures, mais couronnée avec éloge ; pardonnons a nos prédécefleurs un jugement que nous aurions alors porti comme eux. (b) On peut juger du mérite de Cette Piece, qui.n'eft que de cent vers, par les vers fuivans, qui la feroient aujourd'hui rejeter du concours a la première leêlure. Grand &fimeux Auteur, dont la plums éloquente Fait céder aujourd'hui le Tibre a la Charentej Toi qui fus la belle ame a:t bd efprit mier , Et \e foia de bien vivre eu foin de bien parler ; lialzac, il eft trop vrai, par un fttas étrange I.a Tcrre fut It Cid ufurpt la louangc .... Certes le gran ! Louis , ce Monerque achevé, Dont plus haut que le rang le ctxur eft éleve, De 1'arbitre du Ciel, du Roi de la Natute , fait reiuire a nos yeux une vive peincure ; Sageffe , efprit, grandeur, courage, majefté , Tout nous monire en leuis une divinttè Combattrc en même remps £- i'hiver & l'Efpagnt, Etonner 1'Univers d'une feule campagne.,,,  44 É L o 6 E Mais du fecours divin le plus puiffant effer, C'eil un charme en nos jours htureufement défait...i Et d'un trjle duel fuyant le fort obfcur , Tombez en arborant nos drapeaux fur un mur Sans ternlr votre feï d'un indigne attentar , La'-ffe\ vivre , Sc vivez pour le bien de 1'Etar.... Que le duel banni va nous fjtuver de vies ! Que ne vous devronr pas nos ncveux d leur tour; Qui peutêtre fans vous nauroient pns vu le jour !.... La gloire in Souverains eft un prix alfe-^ doux ; Oa prife fes faveurs en prifant le mérite.... Les graces du portrait vantent l'original, Et 1'on bènit la fource en louant le canttl. Ii eft vrai qu'au milieu de ces vers, ou durs , ou foibles, ou profaïques, il s'en trouve d'affez heureux , tels ceux - ci : A de honteux objers ( a de foibles mortels Un flatteur idolarre érige des aurels; Et fonvenr 1'intérêr, habüe en Part de feindre , A mis la foudre en main i qui devoir la craindre..., Tels qu'on vit ces Thébains, fiers enfansde la Terre , Se livrer en nailTant une mortelle guerre , Er du fang que leurs troncs vépandoient agrands flors, EngraitTer les fillons donr ils étoient éclos; Tels & plus acharnés a leur perre fatale, Cherchanr dans leurs trépas une gloire brutale , L'Efpagne a vu long temps nos foldats s'égorger \ Er prendre dans nos champs !e foin de la venger; Cent Peuples alarmés du bruit de nos conquêres, Sous les coups qu'ils craignoient voyoieru tomber nouêtes,  be la Monnoye. 45 Siïrs que de deux guerriers en ce choc malheureux, L'un péjiroitpour nous, 1'autre vaincroit pour eux (i). Fortez fur d'autres bords un plus noble eourroux ; Ce bras que vous perdez, Francois j n'eft point a vous; 1'ar un finiftre emploi fa valeur eft flétrie ; Mourez , mais en mourant fervez votre Patrie. On trouve dans cette Piece quelques autres bons vers que nous pourrions citer encore. C'en étoit peut-être affez, en 167 r , pour couronner & même * pour Iouer un Ouvrage de Poéfie ; mais ce n'en eft pas alïez pour le préférer cent ans après a des Ouvrages beaucoup plus eftimables. (c) Fontenelle , éleve des Je'fuites, & leur ami , quoique fur bien des points il ne penfat pas comme eux , leur a fait plus d'une fois la galanterie de tnduire en vers francois leurs vers latins. On trouve dans le Recueil de fes (Euvres, Tome IX, la traduction de deux Pieces du Pere Commire , dont une entre autres a pour objet le rétablifTement de la fanté du Roi en (1) Virirait pour nous , ne fignifie pas./èroir pcrdu pour nous , que le Poëte a voulu dire ; mais la pcnféq e-ft [tailleurs, heureufe Sc bien e*primée.  46 E L O G E 1'année 1686 , ou une fiftule a l'anus penfa enlever le Monarque a 1'fdoration de fes fujets. C'e'toit un ari aprcs la révocation de 1'Edit de Nantes , & il étoit bien jufte qu'un Jéfuite célébrat dans fa Piece un événement fi récent & qui luiparoiffoitfiavantageux a PEglife. Auffi le Poëte, après avoir loué tout ce que le Prince avoit fait de grand , felon la renommee ou felon les Je'fuites, finiiTbit fa Piece par une dixaine de vers Iatins que Fontenelle a rendus en affez mauvais vers, & ce qui eft plus facheux, contraires tout enfemble a 1'humanité, a la raifon , & a fa confcience. Mais de tous ces exploits 5c 1'éclat & le fruit, Er tout ce que Louis a fair par fon tonnerre , Ccdc a 1'ouvrage faint que la paix a produit. Cette hydre, qui fortant de Péternelle nuit , Déclaroit au Ciel même une infolente guerre , Tombe fous le Héros donr le bras la pourfuit, Et fes cent tètcs font par terre. Elles fembloient pounant devoir fe relever ; Dans peu leurs fifflemens poüvóient fe faire entendre ; La- nouvelle furcur qu'ellcs al'oient reprendre. Plus que jamais eüt ofé nous braver. Mais libre du péril que craiguoit votre empire , . Vous vivez , grand Monarque , êc fans que votre bras S'.utache contre 1'hydre a de ncuveaux combats, Elle vous voit, 8c pour jamais expire.  DE LA MO N*tt O Y E. 47 Ce Poëte philofoplie e'toit plus laconique , lorfqu'il célébroit de lui— même 8c pour fon compte (fi nous ofons parler ainfi) , la re'vocation de 1'Edit de Nantes; car dans une Piece qu'il donna en 1687, au concours de 1'Académie,- & dont le fujet étoitYInf titution de Saint Cyr, on ne trouve fur cetre re'vocation qu'un feul vers : Par lui 1'unique roi doirpte 1'hydre a cent tites (i). ïl étoit alors d'étiquette & comme d'obligation parmi les Poëtes. de célébrer la deftruclion du Proteflantifme; (1) Fontenelle racontoit quelquefois, pour s'égayer , la conveifatten plaifar.te qu'il avoi: eue dans le temps de la Re'vocation, avec un Marchand de Roucn , Calvinifte zélé , & fort recalcitrant a fa converfion. Commentveut-on , difoit !c Marchand , que je croye au Pape , a un hotnmt qui vretend difpofer des couronnes ?..., Eh que vous importe , lui dit Fontenelle , pourvu qu'il ne yeuiile pas difpofer des houtiques?.... Et la préfence réelle , ajouta le Marchand, comment me la perfuadere^-vous? J'avoue , réponait lc Pliilofophe , que la chofe peut vous fembler difficile a croire; mais un fujet aujji fidele que vous, dok avoir cette compiaifince-la pour le Roi.1 Le Marchand fut perfuadc , & fe convent  4S E L O G E & c'étoit un tribut que Fontenelle payoit a 1'ufage , comme fa traduólion des vers du P. le Jay & du P. Commire en étoit un qu'il payoit a fa reconnoifTance (aiTez mal entendue) pour fes anciens maitres. Nos Poëtes, même les moins philofbphes , fe garderoient bien aujourd hui de célébrer , même en un feul vers, cette révocat on qui a été fi funefte au Royaume ; & nos Hiftoriens effaceroient, s'il leur étoit pomble , de la vie de Louis XIV un événement fi peu honorable a fa mémoire. II n'en fera pas de même des Hiftoriens d un grand Prince de nos jours , qui-bien plus ennemi de 1'intolérance par fes lumieres que de 1'Eglife Romaine par la Religion de fes aiëux, a permis aux Caiholiques de fes Etats d'élever dans Berlin fa Capitale une Eglife pour y louer Dien 3 dit-ild Uur maniere. Mais, ce qui doit être une belle lecon pour les Princes perfécuteurs, cette Eglife, entreprife d'abord avec afTez de zele , a été enfuite abandonnée, paree que 1'autorité permettoit de la conftruire , & que la piété catholique ne trouvoit point de perfécution qui la foutint &. 1'animat. r On  © e la Monnoye. 49 On doit cependant regretter, pour 1'inftruction de tous les Souverains , que 1'Eglife n'ait pas alors été achevée, ne füt-ce qu'a caufe de 1'infcription qu'on fe propofoit d'y mettre. Du rcgne de Fridéric & du Pontificat de 'Benoü XIV, le Chef de 1'Eglife Romaine mis ainfi en pendant, pour ainfi dire , avec le plus illuflre des Princes Proteflans, auroit donné dans ce peu de mots une belle lecon de tolérance; & le Pape Benoit XIV étoit digne de eet honreur (1). Enfin , en 1774, 1'Eglife dont il s'agit a été mife dans un état décent pour le fervice catholique ; & le Monarque y a fait placer une infeription plus belle encore que celle dont nous venons de parler , ou du moins plus faite pour êtie entendue de la mukitude , a laquelle il faut toujours parler dans les inferiptions publiques. (O Je comparc , difoic Benoït XIV , le Roi de Pruffe d l'Ernpereur Julien ; les rapports en fontfrappans ; même ardeurpour les Sciences , même amour pour les Savans, même pufion pour la gloire , même valeur dans les combats , même fucces a ld guerre. Tome IV. C  JO É L O G E Frédénc III , Roi de PruJJe, « permis aux Cathpliques de fes Etats de bdtir cette églife , pour montrer qu'il ne hait pas ceux qui rendent d la Divinité un autre culte que lui. (d) Quoique nous nous contentions ici de donner 1'épithete de pieuj'e a la Nation Efpagnole , nous ibmmes bien perfuadés qu'elie eft faite pour en mériter de plus flatteufes. Cette Nation, qui n'a guere été jufqu'ici que devote ck timorée , fera , quand les Rois le voudront, éclairée ek philofophe; condamnée depuis long-temps aux ténebres, mais ayant recu de la Nature des yeux pénétrans, elle eft toute prête a recevoir la lumiere , §z n'attend qu'une main qui la lui préfente. Pour juger de ce qu'elie eft capable de faire, qu'on life fes Philofophes & fes Tliéologiens fcholaftiques : on s'affligera, il eft vrai, de la fagacité que ces Auteurs ont prodiguée fur des objets qui le méritoient fi peu; mais en gémhTant de voir tant d'efprit perdu , on verra en même temps qu'il ne manquoit a cette fagacité que des alimens plus folides. Ces aliniens lui avoient été conftam-  de la Monnoye. 51 I ment refufe's depuis Charles - Quint | jufqu'a nos jours, grace aux atrocite's du Saint-Omce, a la fuperftition barj bare de Philippell, 8c a la foibleffe des j Souverains qui ont re'gné depuis en Ef; pagne durant plus de cent cinquante 1 années. C'eft au Monarque qui la gou| verne aujourd'hui , 8c a qui 1'Europe 1 a 1'obligation de la deftruclion totale I des Jéfuites , a délivrer fes malhea) reux fujets des entraves ou les ref)| ferre 1'abominable tyrannie del'Inquil lltion , 8c a favorifer dans ce beau I Royaume le progrès des Sciences 8c 1 des Lettres. 11 a , dit-on , encouragé I ce progrès dans fes propres enfans. Un d'eux , ITnfant Dom Gabriel, a mis au jour , il y a peu d'années , une excellente traduclion efpagnole de Sallufte, j, qu'il a enrichie de notes fupérieures a l la traduclion même. Nous ne craignons | point de 1'aflurer ; les Efpagnols, ani| més 8c conduits par un tel guide, fe | mettront bientöt au niveau des Nations i les plus éclairées de 1'Europe, 8cpeutI être les furpalferont : la vérité, la raii fon, les connoilfances folides ne troui veront point chez eux les obftacles qne Cij  5a E l o s e leur a fouvent oppofés parmi nous Ia haine de plufieurs hommes accrédités; Ja perfe'cution fourde ou déclarée qu'ils ont exercée contre Ie mérite, & furtoutlafrivolitédelaNation.» L'Europe, » écrivoit un Philofophe a un Efpagnol, v eft une galere qui vogue au gré des » Rois & des Miniftres; les bons Ecri» vains Francois font a la chiourme , » ck. rament de toutes leurs forces pour » faire avancer le navire ; on les ac» cable de coups, non pour accélérer, » mais pour retarder ou empêcher la » manceuvre : tandis qu'ils rament & » qu'ils foufTrent, les Efpagnols font » a fond de cale ; mais les Francois » les approchent du port fans qu'ils » s'en appergoivent, ck il pourroit bien » fe faire qu'au moment oü le navire » abordera , les Elpagnols fortent tout » a coup du fond de cale , & fau» tent fur le rivage avant les Francois. » De toutes les A'ations de 1'Europe , » la Nation Angloife eft la feuie qui » ne foit ni dans ce navire , ni fur» tout a la chiourme : il y a long-temps » qu'elie a eu le bonheur d'arriver au f port dans un vaiffeau meilleur voiiier  de la Monnoye. $j » que le nótre ; & tous les autres Peu» pies, deftinés a être encore le jouet » de 1'orage , peuvent leur dire comme » dans 1'Enéide : » Vivite feliccs , quibus eft fortwia peraüa(i) w Jam fua ; nos alia ex aliis in fata vocamur 3 35 J'obis parta quies , nullum maris xquor arandum Le Préfident de Montefquieu difoit que 1'Allemagne e'toit faite potir y voyager , 1'Italie pouryféjourner, 1'Angleterre pour y penfer, & la France pour y vivre. Quelqu'un ajoutoit avec trop d'humeur 5c de dureté , & VEf pagne pour y rnourir, paree que Ie pays & la Nation , difoit-il, font fi trines , que c'eft le fe'jour ou 1'on doit quitter la vie avec Ie moins de regret. Mais fi ce beau Royaume fecouoit enfin le joug de la fuperfiition religieufe, de 1'lnquifition monacale, &c de 1'ignorance qui en eft la fuite , il pourroit alors être fait plus qu'aucun autre pour y vivre & pour y penfer. (i) Vivef heureux, vous dont le repos & le bonheur font affurés, qui n'ave^ plus de mers a courir & d craindre\ pour neus , le deftin nous trainera encore long temps de malheurs en malheurs. C iij  5+ É L O G E (e) Nous rapporterons ici ce fingulier Sermon , & nous y joindrons une traducrion francoife. On y trouve le Conté du Calendrler des Vieillards , qui avoit déja été mis en oeuvre par Bocace , ck qui l a depuis été fi bien par La Fontaine. II y a feulement cette différence entre le Conté & le Sermon , que dans celui-ci c'eft une 'femme qui s'excufe du devoir conjugal, ck que dans le Conté c'eft un vieux mari. Ecoutons a préfent Saint Vincent Ferrier , en fon Sermon de Saint JeanBaptifle : Zacharias ergo veniens de ■ cratione mutus, intravit domum fuam, & non potuil loqui uxori, nee petere debitum verbo , fed fignis. Et admirans Elifabeth , dicebat : Hdi ! hdi ! hdi ! Domine benedictus Deus ! quid habetis ? quid accidit vobis ? Ni/til felens de annunciatione Angeli. Et cep'it eam inter brachia. Cogitate qualiter Elifabeth antiqua mirabatur. Sedfinaliter, videns voluntatem viri fut, confenfit. Nota luC quód ex quo fint in matrimonio , unus debet alteri confentire , five fint juvenes , five fe~ nes ; nee debet alter fe exeufare aliqua field devotione , alias damnat fe } Cf  DE LA M O N N O Y E. 55 alium. Ideó Apoftolus : Uxori vir debiturn reddat , fimiliter & uxor viro. Corinth. 1 7. Nota htc de Ma multere devoid , quce , quando vir exigebat debitum , femper inveniebat ex~ cufationes. Siindominica: Hal! Sancla Mater Dei ; hodie, quce eft dies Refurreclionis Domini, vultis talia fa~ cere. Si die Luncc 3 dicebat : Haï ! hodie debet homo rogare pro mortuis. Sidie Martis : Hodie Ecchfia facit pro - vftgelis-Si ferid quartd : Hodie ChriftJts fuit venditus. Si fcrid quintd : Haï ! Domine, quia hodie Chriftus afcendit in calum. Si ferid fextd : Quia hodie Chriftus fuit pajfus pro nobis. Si fabbatho ; Hodie , quce eft dks Virginis Marice , quia tali die in ipfci fold remanfit fides. Fidens vir quód ipja femper inveniebat excujationes , vocavit ancillam , dicens : De fero venias ad me ut dormias mecurn. Rejpondit : Libenter, mi Domine. Quod videns muiier, voluit fe"ponere in leilo ; & vir noluit : Non , Dornina , oretis pro nobis peccatcribus. Et nunquam ex tune voluit uxorern cognofcere } ita abhorruit eam , fed adamavit capti- \ vam. lpfepeccabat mortaliter, & dam* C iv  5 6 E l o e e nabat fit ex culpd uxorïs. Ideb Sancla Elifabeth , Heet ejjet devóta yfanc7a 6 antiqua , ex quo requirebatur d viro, confenfit, & eoncepit ab eo., TranfacTis tribus menfibus, venter intumuit • & dieebat ipfii.- Aï ! mifera, quid efl hoe l Nunquid ejfim hydropica ? Finaliier cognovit quód erat gravida. De hoe Sancla Elifabeth multüm verecundabatur , in tantum quod dien Lucas , quod occultavit fe menfibus quinqifo Cogito ego quód facit fibi amplas hfy pulandas , five vefies, ut abfeonderet partum , timens ne gentes diceretit : Eece , Heet fit devota , tarnen adhuc vaeat libidini, Pour rendre ce difcours dans toute fa naïveté, il faudroit le traduire en vieux iangage du quatorzieme fiecle , ou le Miffionnaire Saint Vincent Ferri=r a fleuri ; nous le traduirons du moins avec le plus de fimplicité qu'il nous fera poffible : » Zacharie donc arrivant muet de » la pr:ere , entra dans fa maifbn , & » ne put parler a fa femme , ni lui de» mander le devoir conjugal autre» ment que par fignes. Eliiaberli toute » ébahie , difoit : Hé ! hé i hé ! Sei-  de la Monnoye. 57 » gneur ! Dieu béni ! qu'avez - vous l » que vous efVil arrivé : Car elle ne 3' favoit rien de ce que 1'Ange avoit 3> annoncé ; ck Zacharie la prit entre 33 fes bras. Imaginez - voss letonne33 ment de la vïeille Elifabeth. Mais j» finalement, voyant la volonté de fon 33 mari , elle fe laifla faire. Notez ici » que quand deux perfonnes font ma»3 riées, foit jeunes, foit vieilles, cha33 cune doit laiffer faire 1'autre , & 1'au33 tre ne doit pas s'excufer par quelque 33 feinte dévotion , autrement il fe 33 damne , ck 1'autre avec lui, Auffi 33 1'Apótre dit-ii: Que le mari rende d 33 fa femme le dcvoir conjugal, & de j) même la femme a fon mari. Corinth. 33 1 , 7. Ne faites pas comme cette 33 femme dévote, qui, lorfque fon mari r> exigeoit le devoir , trouvoit toujours 33 des excufes. Si c'étoit le Dimanche : 33 Hé ! Sainte Mere de Dieu ; aujour» d'hui qui eft le jour de la Réfurrec33 tion du Seigneur , vous voulez faire 33 cela ? Le Lundi : Hé ! aujourd'hui 33 1'homme doit prier pour les morts; ,3 le Mardi : Aujourd'hui 1'Eglife fait » pour les Anges ; le Mercredi : Au33 iourd'hui le Chrift fut vendu ; le J ' Cv  58 É L O G E » Jeudi: Hé ! Monfieur, aujourd'hui Ie » Chrift eft monté au Ciel; le Ven» dredi : Aujourd'hui le Chrift a fouf» fert pour nous; le Sarnedi : Aujour=» d'hui eft le jour de la Vierge Marie, » le jour ou elle feule conferva la foi. » Le mari voyant qu'elie trouvoit tou» jours des excufes, appela fa fervante , » & lui dit : Vene^ ce foïr coucher k avec moi Volontiers, Monfei- j| gneur, répondit elle. Ce que voyant * la femme , elle voulut fe mettre dans » le lit, & le mari ne voulut pas : » Non, Madame , aüe^ frïer pour d= nous , pauvres pécheurs ; ck jamais 33 depuis il ne voulut toucher a fa » femme , tant il la prit en averfion , » mais il aima fa fervante. Cet homme » péchoit mortellement, ck fe damnoit is par la faute de fa femme. C'eft pour» quoi Elifabeth , quoiqu'elle fut dé33 vóte, fainte ck vieille , du moment 33 qu'elie en fut requife par fon mari, 33 fit tout ce qu'il voulut , & congut » de lui, Au bout de trois mois le 33 vemrs lui groflit , ék elle difoit : 33 Hé! malheureufe .' qu*ejï ceci? EJl33 ce que je ferois hydropique ? Fina» lement elle reconnut qu'elie étoit  de la Monnoye. 59 r> grofTe. De quoi Elifabeth la Sainie » étoit trés honteufe , & a point, » que Saint Luc nous apprend qu'elie » fe cacha durant cinq mois. Je penfe y donc qu'elie fe fit de larges houpe» landes, ck des robes bien amples, »> pour cacher fa grolfeffe , craignant » d'entendre dire aux gens : Vqye^ « donc cette devote qui s'arnufe encore » a la bagatelle «. Voici quelques autres pafTages plaifans d'anciens Sermons , ck differens traits iinguliers qu'on trouve dans les Notes de M. de ia Monnoye , fur fes Noëls Bourguignons. Ces traits amuferont anWnos Lecreurs, pour qu'ils nous pardonnent de les inférer ici ; les Noëls d'ailleurs étant devenus alfez. rares. » i°. Le vieux P. Blandin , Jéfuite, » qui par fon long féjour a Dijon s'y f. étoit comme naturalifé , prêchant a « Saint-Philibert le jour de 1'Annon» ciation , ck y expliquant le nigra „ juin , fed forniofa ( je fuis noire 3 » mais belle ) , du Cantique des Can» tiques. Ce nigra fum , difoit-il, mes » chers Auditeurs , ne doit pas être » pris a la lettre : non, h Sainte Vierge C vj  6o É L O G E 3) n'étoit pas noire ; le verfet fuivant, jj oü elle eft appele'e fufca , fait voir >» qu'elie n'e'toit que brugnette. Bar» lette , dans fon Sermon du cinquieme » Dimanche de Carême, s'en explique >' ainfi : Fuit nigra aliquantuliun , & n hoe triplici ratione ; primo, ratione », eomplexionis , quia Judcvi tendunt 3» in brunedinem quandam , & ïpfafuit s' Judeca ; fecundo, tefifzeationis, quia » Lucas qui tres fecit imagines, unam 33 Roma , aliam Loreto, aliam Bono» nioe , funt bruncc ; tertio , afftmila» tionis; filius matri communiter ajji» milatur, & è converfo ; fed Chrifti s> facies fuit bruna.... Elle fut tant » foit peu noire, & cela par trois rai»»fons ; d'abord, a raifon de fa com3» plexion , paree que les Juifs tirent " fur le brun , & qu'elie e'toit Juive ; »fecondement , a raifon de fes por» traits, paree que Luc quia fait trois >j images, zifze 3 brunes «. ( On conferve ici dans la traduclion jufqu'au de'faut de conftruction du latin ). » Troi/ïe'mement , d x> raifon de reffemblance : le fils refv> femble o/dinairement d fa mere, &  de la Monnoye. 6i « réeiproqnement ; or la face du Chrifl » étoit brune «. 2°. La penfée de eet endroit du Noël quafrieme : » Tu fai bé , quant ein enfan crie» ïï Que pet an époizé !é cti » Ai ne faut qu'éne chaiterci, 3> Vou (ou) qu'un fubló (fifflet) vou qu'un tfébi 3) (Sabot) «. eft tirée du quarante-unieme Sermon de 1'Avent d ülivier Maillard , en ces termes : -> Habetïs Hifioriam de una » muiiere diffolutd qua: difcurrerat per 33 univerfum mundum Jicut canis, 6* 33 immunda erat, qua incepit cogitare 33 fuatn vitara vilem , & volebat Je def33 perare ; tune fubitb incepit cogitare » infantiam Chrijïi, & dicere intra fe : 33 Domine , vos fuiflis parvus filius , 33 fed filii ftatim pacificantur , & conv> tentantur pro caufa parva, ut pro » porno. Vous ave^ l Hifioire d'une p femme débauchée qui avoit couru le >3 monde comme une chienne chaude , j» & qui commenfant a penfer a fa vit 33 infame , vouloit fe défefpérer ; tout » d coup elle commenpa d penfer a Ven-  62 È l O g e » fance d& Jéfus-Chrifl, 6* d'tfoit en » elle-meme : Seigneur , vous avez été » petit enfant, ck les enfans s'appaifent » tout d'un coup , ck fe contentent j> pour rien , pour una pomme «. 30, Menot, dans fon expofiüon des Epitres de Carême, dit a 1'occafion de 1'oreille de Malchus , coupée par Saint Pierre : » Sed quare Dorninus nohdt » quod gladio uteretur Petrus ? Di>3 cunt aliqui quod Dorninus noluit , » quia ipfe non didicerat ludere de » fpata; nam volendo amputare caput, »fcidit auriculam. Mais pourquoi le » Seigneur ne voulut-il pas que Pierre » fe iervit de 1'épée l Quelques - uns j' difent que !e Seigneur ne le voulut »3 pas , paree que Pierre n'avoit pas aps' pris a jouer du Jleuret; car voulant 3> couper la the , il ne coupa que Voj» reille «. Clerée fait a cette occafion parler ainfi Jéfus a Saint Pierre : » Pt» tre , tu es femper fatuus & calidus 3' 3» converte gladium tuum in vaginam. » Pierre , vous etes toujours fot & 33 chaud; mette^ votre épée dans le » fourreau ce. 4°. Jacques de Voragine, dans fa  de la Monnoye. 63 Légende dorée , & après lui, Petrus de Natalibus , rapportent que » Jo» feph , lorfque la Vierge fut prés 53 d'accoucher , fit venir deux Sages» Femmes , Zébel & Salomé ; que » Zébel ayant foigneufement obfervé » Marie , la reconnut vierge après 1'en» fantement, ck cria tout haut, mira» cle; mais que Salomé protefta qu'elie » n'en croiroit rien fans bonne preu»> ve : qu'ayant eu enfuite la témérité 3' de toucher la Vierge pour s'éclaircir 33 de la chofe , la main lui fécha dans 3> le moment, ck qu'elie n'en recsu» vra 1'ufage qu'après que , pleurant >» amérement fa faute , elle eut, par » le commandement d un Ange , porté 33 cette main fur le corps du faint en» fant qui venoit de naitre. Ces fables, »» tirées de 1'Evangile apocryphe de 33 Saint Jacquesle Mineur, furent, vers 33 le milieu du feizieme fiecle, renou93 velées par 1'Arétin dans fa Vie della m Madonna. L'Auteur des Noëls, fans 33 entrer dans ce détail, s'eft, par un 33 petit trait fatirique , contenté de dire 33 que les matrones du voifinage n'a33 voient garde d'aller faire offre de  6+ É L O G E » fervice a une pauvre femme qui n au» roit pas eu de quoi les payer «. 5°. L'endroic du Noël XI, ou il eft dit » qu'EIifée donnoit 1'ouïe aux aveu» gles, & la vue aux fourds, eft un » innocent quipro^uo uniquement af- fetflé pour e'gayer le Cantique. Ces •) fortes de méprifes échappent dans la » cfialeur du difcours, ck fouvent mème 33 ne font pas rernarquées par 1'Auteur. »3 Telle. eft celle de eet officieux im33 portun que le Berni, dans tonCapitolo 3» a Fracaiior , introduit parlant ainfi : Hö d'un vinchc fa vergogna al gieco, Con effo vi dar o frutte e confetti Da fat veder un/ordo, odirc un Ciceo. 33 J'ai d'un vin qui fait honte au vin 33 grec , & je vous donneraiavec ce vinis des fruits ck des confitures a faire 33 voir un fourd & entendre un aveu,3 gle. >■> L'Epigramme fuivante fur un Thau33 maturge de nos jours , eft dans ce s> goüt: Oui, j'ai du fameux Daviane ( c'éroit un Capucin) Touché la robe , .moi profane;  de la Monnoye. 65 €'eft 1111 Saint, je 1'ai vu , c'eft un liomme fans pair. Si-tót qu'il arriva , malades y coururenr; Un aveugle , un boiteux y f jrent : L'aveug'e marcha droir, 8c le boiteux vit clair. » Je m-fouviens , ajoute M. c!e la » Monnoye , que pour furprendre un » de mes amis qui n'avoit pas ouï » parler de ce Capucin, je commen» cai par lui en faire gravement Vélt loge, après quoi je lui récitai cette » Epigramme ; prévenu comme if étoit, » il me demanda férieufement fi la » chofe étoit bien vraie «. Ces vers rappellent ceux de M. de Voltaire fur les miracles qui fe faifoient par milliers a Saint-Médard en 1732, au tombeau de 1'Abbé Paris, que les Janfénifles appeloient le bienheureux Diacre , ck qui ne fait plus de miracles , depuis qu'on a fimplernent fermé la porte du cimetiere oü il eft enterré , c'eft-a-dire , depuis qu'on a muré, fuivant lexpremon d'un Ecrivain moderne , 1'atelier ou fe fabriquoient les lunettes du fatanifme: L'aveug'e y vient pour voir, 6c des deux yeux privé, Retourne aux Quinze-Vingts marmotant fon Ave i Le boiteux fame 8c tombe, Sec.  66 É L O G E On peut oppofer a ces vers fur des miracles ridicules, le beau vers de M. de la Motte fur les miracles que nous fommes obligés de refpecter : Lc muec parle au fourd étonné de 1'entendre. » 6°. Comme Defpréaux , dans fa » dixieme Satire , a dit une Capanée » pour une femme impie , a caufe de » ce Capanée fameux par fon impiété >■> envefs les Dieux , 1'Auteur des Noëls » a dit de même , un Bolvault fèmelle, » pour dire une grande joueufe , a jj caufe du Préiident Boivault de la » Chambre des Comptes de Dijon , » 1'un des plus grands joueurs de fon » temps. On compte de lui, qu'un foir, » veille de Noël, s'étant engage au jeu, » il joua toute la nuit, & même une » partie du lendemain , en forte qu'il » ne rentra chez lui qu'a deux heures » après midi. II avoua fans fafon a fa »» femme, avec laquelle il ne fe con» traignoit pas , qu'il venoit de 1'Aca» démie , oü il avoit palTé la nuit a » jouer jufqu'a l heure qu'il étoit, & b> qu'il avoit perdu quinze cents pif» toles. Comment, lui dit fa femme ,  de la Monnoye. 6*7 » vous avez joué toute la nuit jufqu'a » 1'heure qu'il eft , vous n'avez donc » pas ouï la Meffe ? Non , lui répon» dit-ilfroidement : Ah ! malheureux, » s'écria-t-elle , il ne faut pas s'étonner » fi vous avez perdu. Ma mie, répli» qua-t-il fans s'émouvoir , celui qui » m'a gagné ne 1'a pas ouïe non plus. » 70. Au couplet pénultieme d'un » des Noëls, il eft dit que la Vierge » concut par 1'oreiile ». C'eft ce qu'on lit dans une ancienne profe r - » Gaude, Virgo , Mater Chrifli , yi Qu* per aurem concepifti. » Réjouiflëz-vous, Vierge, Mere du » Chrift, qui avez concu par 1'oreille. » Et Sannazar, 1. 1 : De partu Vir» ginis, fait parler ainfi 1'Ange a la » Vierge : n Imo ifl'S , quod tu minimè jam vere , pef aurei3 5> Exciyit interpres i fcecundam Spiritus alvutn s> Jnfuet, implebitque potenti vifcera portu- (ƒ") M. de Ia Monnoye regardoit comme une de fes mei-lleures produc-  É L O 6 E tions un Sonnet italien qu'il fit fur un . voyage de fa femme. C'eft dornmage , fi cette Piece étoit auffi bonne qu'il le croyoit, qu'il 1'ait terminée par une efpece de jeu de mots affez infipide ; fa femme s'appeloit Henriot , & le Sonnet finit ainfi : Eh torni, eh torni, (hélas i revene^, rêverie^ ). Cet eh torni, dont apparemment I'Auteur fe favoit bon gré , eft I'anagramme ( un peu froide ) du nom de fa femme. Un Poëte qui exprime fa douleur par des anagrammes, n'a pas Pair d'être fort affligé. II fit auffi fur la mort de fa femme qu'il perdit en 1756 , agée de quatrevingt-trois ans, une Piece de vers francois , dont nous citerons quelques uns, non comme d'excellens vers , mais a caufe du fentiment vrai & touchant qu'ils expriment. Ri-'n ne peut adoucir lechagrin qui me ron^e; Je hais la c'.arté du fo'eil, Et fi je cherche le fommei!, Ceft pour te retrouver en foage.... Nous fümes moins époux qu'amans : Dix luftres, avec toi, m'orit piru dix momens; Et dix momens, fans toi, me paroilïent dix luftres»..  de la Monnoye, 69 Que deviendrai-je, hélas ! tu pars, & je demeure. Ton ame , loin de moi , fans doute dans les Cieux Goüte un fcpos délicieux , Et moi, je foupire , je pleure. Pevant te précéder, bientót je re vais fuivre ; Déformais, chere ombre , il eft temps Que la Parque a la Mort me livre. (g) Voici cette Epitaphe de M. de la Monnoye , faite par lui-rnême. Elle eft e'crite avec élégance ck fimplicite'. Nous nous difpenferons de la traduire, paree que le genre de mérite qu'elie peut avoir difparoïtroit dans la traduction , comme celui de beaucoup d'autres productions latines modernes : Bernardus , placidd compojlus pace , Moneta ^ Conditur htc : artes cui placuere bonee j Cui tribuit crebras Academia Gnllica lauros j Qui latias etiam cecropiafque tulit ; Felix ! in fluüus incautum egijjet in altos , Kcxare ingenuum fraus meditata.'caput ! f{xc attrivit opes , fludiorum hxc otia rupit , Forfan & hinc mors eft afpera vifa minus. Communem fenfit conjux dileüa dolorem , Htc propè dileCli qux cubat ojpa viri. Non kis ambitio , non fttdit peUore livor , At fimplex probitas , & fine labe fides. Credihile ejl animas , adeó virtutis amantes ^ Ad quos hitc abiit nunc habitare locos.  70 Ë L O G E On trouvera les autres Pieces latines & grecques de M. de la Monnoye dans le Recueil donné par M. 1'Abbé d'Olivet, des Poefies faites en ces deux Langues par des Académi„ ciens Franjois. L'Editeur n'a pas jugé a propos d'inférer dans ce Recueil la Traduction en vers grecs , dont nous avons parlé , des embarras de Paris, de Defpre'aux , non plus que la traduction en vers latins, faite auffi par-M. de la Monnoye , du comrnencement du Lutrin : on peut voir cette traduction dans le quatrieme volume du Menagiana , avec deux autres du même Auteur ; la première ( en vers francois ), du comrnencement de 1 lliade ; ck la feconde (en vers grecs) , du comrnencement de 1'Ene'ide. Si 1'on jugeoit de ces vers grecs ck latins par les vers francois qui les accompagnent, on devineroit la raifon qui a de'terminé M. 1'Abbé d'Olivet a les fupprimer. Mais il n'y a pas d'apparence qu'ayant précieufement recueilli les autres Pieces grecques 8c latines de M. de la Monnoye , il ait ju gé moins favorablement celles dont il s'agit. Le défavantage  de la Monnoye. 71 que fans doute elles avoient a fes yeux de n etre que des traductions, eft vraifemblablement lemotif qui les a fait exclure; (Sc il faut avouer, pour la confolation des Lecteurs, que la perte eft médiocre.  LOUIS  LOUIS BE SACYj Avocat au Parlement; ne' a Paris ett 16543- repu le 27 Mars 1701 , d la place du Préfident Rosé; mort le 16 Oclobre ijij (1). note I, relative d la page z 13 ,fur les vices de Véloquence du Barreau. Wl\. de Sacy imprima en 17:14. le Recueil de fes Faclums, avec une Préface critique fur la maniere d'ecrire N O T E S SUR L'ÉLOCE DE SACV. (0 Voycz fon Eloge dans le preiuier Vol. Tornt IK D  74 È L O G E qui s'eft introduite au Barreaü. Ce Reeutil, qui eft devenu rare , ne nous étant point tombé entte les mains , nous ignorons quelle efpece de criciqm faifoit M. de Sacy du ftyle 6k de Yéloquence du Palais. Mais nous préfumons qu'il exhortoit fes Confrères a fe permettre moins d'amplifications fatli- I dieufes, moins de déclamations ridi- j cules , moins d'afTeétation & de recherche dans le ftyle, moins d'imitation '■ enfin de la rhétorique des Colléges; en un mot, a être dans leurs Plai- j dovers ck dans leurs Mémoires, plus précis , p'us naturels & de meilleur gout; qualités fans lefquelles on ne j peut être ni grand Orateur , ni grand Ecrivai». On a vu quelquefois des gens de Lettres, qui n'étoient pas même du premier ordre, plaider en perfonne leur propre Caufe ou compofer leurs Mé- J moirés, & obtenir unanimement en ■ ces occafions 1'avantage le plus marqué fur des Avocats renommés au Barreau, qui, auprès deux, paroiffoient des pygmées, quoique leurs Adverfaires ne fufTent pas des géans. Ceft ! qu'en général les gens de Lettres, expofés a des jugemens féveres, fe re^ j  de Sacy. 7j Fufent 'clans leurs e'crits bien des écarts, des longueurs, des incorreélions -3 des negligences, que fe permettent plus aiiément les Avocats, accoutumés a un Auditoire moins difficile, & a des Lecteurs plus indulgens, INoTE II, relaüve d la page 217, fut les Ecrivains du fiecle d'AuguJle, comparés d ceux du fiecle fuivant. Quand nous avons dit que les Ecrivains du fiecle d'Augufte fontpeut•être inferieurs a ceux du fiecle fuivant &u cöté de 1 'efprit, notre intention n'a point été de rab iiTer les premiers, dont fa fupériorité fi bien reconnue eft 3 1'abri de toute conteftation ; nous 1'avons dit au contraire pour faire fentir aux jeunes gens, que, malgré tout le prix, tout 1'agrément, toute la néceffité même de I'efprit dans un Ecrivain , la juftefie & la févérité du goiït lui eft indifpenfable pour obtenir 1'honneur d'êlre placé aux premiers rangs. Ceft par-la que Virgüe 1'emporte fur Oride, Cicéron fur Séneque, Horace D ij  y6 É L O G E fur Perfe & Juvénal. C'eft par cette pureté de goüt que Defpréaux & Racine font des modeles dans 1'art d'écrire. C'eft par elle, & non par cette vraie ou fauffè chaleur dont on parle tant aujourd'hui , qu'un ouvrage eft; vraiment digne de palTer a la poftérité. Oferions-nous ajouter que cette prétendue chaleur n'eft jamais 1'éloge qu'on a donné de préférence aux Ecrivains vraiment célebres des fiecles paffés & du nötre ? Quelques-uns même d'entre eux, comme Defpréaux, font prefque abfolument dépourvus de cette qualité qu'on croit fi nécelTaire, &e n'en font pas moins placés avec juftice au nombre des Auteurs les plus illuftres. La chaleur des autres, lorfqu'ils en ont, eft réglée par la raifon & par le goüt; c'eft la chaleur de la fanté, &. non pas celle de la fievre,  • de Sacy. 7? Note III, retative d la même page, fur les traduclions des Auteurs anciens. ï 1 e s mêmes raifons qui, felon nous, rendent les Ouvrages de Pline plus favorables pour un 'I raduéleur que ceux de Cicéron, font fans doute que nous n'avons point encore de traduction fupportable de Virgile Sc d'Horace (1), tandis que nous en avons de bonnes de Lucain &c de Juvénal. Nous devons néanmoins excepter & diftinguer jci la traduction des Géorgiques, en vers, (O La traduétion de Virgile par 1'Abbé Desfontaines, quoiqu'elle air eu quelques momens une ombre de rcputatifin , paree qu'elie eft éciite avec affez de pureté 8c d'élégance , eft, comme tradutlion , une des plus mauvaifes qu'on puiffe lire. Il femble que 1'Auteur fe foit fait une efpece de loi de re rendre prefque aucune des images qu'on trouve & qu'on admire a chaqtie inftant dans 1'original. Virgile , pour employer 1'expieflïon d,'un de nos Ecrivains les plus diftingués , eft tué a chaqne ligne dans cette froide Sc infipide ferfiou. Düj  7^ É I. O G E par M. 1'Abbé Delille; Ouvrage dairtant plus digne d'éloge, que 1'Auteur avoit a vaincre les plus grandes difficu'tes, & les a furmontées avec le fuccès le plus heureux. Voyez Vartkle da Se gr ais. Le feul des Otivrages de Cicéron, dont la verfien ie life avec plaifir (i), ce font les Lettres a Atticus, paree que cett lOuvrage ou eet illuflre Ecrivain paroit avoir été le moins occupé du ftyle ; le Tradutfeur ( M. 1'Abbé Mongault) n'a fi bien réuffi dans fon travail que par 1'avantage qu'il a eu, & que fans doute il avoit preffenti, de n être point obligé de lutter a cbaque inftant contre l'harmonie & les périodes nombreufes de fon Auteur : eet avantage eft d'autant plus réel & plus fenfible , que le Traducreur des Lettres jamüieres de Qcéron, quoique tres-inférieur a celui des Lettres a Atticus, eft en même temps très-fupérieur a tous ceux des harangues de ce grand Orateur & de fes Ouvrages philofophiques. (0 Ón t?crit ceci en 1780.  de Sacy. 79 NoTE IV, relative d la page 223, fut les Lettres de Pline. (3 N voit affez clairement, par la pre» miere des Lettres de Pline, qu'il n'avoit pas écrit ces Lettres uniquement pour les amis a qui elles étoient adreffées, ck qu'il cédoit fans effort aux prieres qu'on lui faifoit de les mettrs au jour. » Vous m'avez fouvent preffé, » dit il, de raffembler ék de donner » au Public les Lettres que je pouvois » avoir écrites avec quelque applica* » tïon. Je vous en préfente un recueil. » Je fouhaite que nous ne nous repen» tions, ni vous de votre confeil, ni » moi de ma déférence. J'en ferai plus » attentif, ck a recliercher celles qui » m'auront e'chappé, & a conferver » celles que j'aurai a 1'avenir occafiort » d'écrire «*. Montagne , avec la franchife ék la naïvete' philofophique qui lui eft ordinaire, reproché a Pline ce foin de raffembler fes Lettres, ck n'e'pargne pas le même reproche a Cicéron , qui femble néanmoihs ne 1'avoir D W  8o E E O G E pas auffi exprefiement mérité; car fes Lettres paroiflènt n'avoir été écrites que pour les amis a qui il les adreffoit, & n'ont été recueillies qu'après fa mort par Tiron fon affranchi, qui ne vouloit, avec raifon, rien perdre des écrits d'un tel Maïtre. » Ceci, dit » Montagne , furpaffie toute bafTeffie » de cceur en perfonnes de tel rang, » d'avoir voulu tirer quelque princi» pale gloire du caquet & de la parv lerie, jufqu'a y employer les Let» tres privées écrites a retws amis, en » maniere que aucunes ayant failli leur » faifon pour être envoyées, ils les font » ce néanmoins publier, avec cette » digne excufe, qu'ils n'ont pas voulu » perdre leur travail & veiliées. Sied-il » pas bien a deux Confuls Romains, » fouverains Magiflrats de la chofe pu» blique emperiere du Monde, d'em» ployer leur loifir k ordonner & fa» gotter gentiment une belle miffive, » pour en tirer la réputatfon de bien » entendre le langage de leur Nour» rice ? Que feroit de pis un fimple » Maftre d'Ecole qui en gagnat fa » vie «. Montagne avoue pourtant dans un  de Sacy. Si autre endroit (& eet aveu n'eft pas contradictoire a c equ'on vient de lire), » qu'il lit avec grand plaifir les Let» tres de Cicéron, non feulement paree » qu'elles contiennent une très-ample i> inflruólion de 1'hiftoire ck des affai» res de fon temps, mais beaucoup plus » pour y découvrir fes humeurs privées. » Car j'ai, dit-il, une finguliere cu>> riofité de connoitre 1'ame ék les naïfs » jugemens de mes Auteurs. II faut . » bien juger leur fuffifance, mais non » pas leurs mceurs ni eux , par cette » montre de leurs écrits qu'ils étalent » au théatre du Monde «. II n'en dit pas autant des Lettres de Pline, oü fans doute il n'avoit pas trouve rhomme auffi a découvert que dans les Lettres de Cicéron ; &• cela feul prouveroit que Cicéron avoit été moins curieux que Pline de voir fes Lettres publiques; car ce n'eft qu'a fon ami qu'on aime a fe montrer tel que 1'on ett; on ne cherche point a mettre les indifférens dans cette confidence. Dt  ?,2 é l o g e Note V, relative d la page 224, fur Madame la Marquife de Lambert. Fontenelle, dans un ébge qu'il a fait de Madame la Marquife de Lambert, parle ainfi de la maifon de cette Dame. » .Cetoit la feule, a un petk » nombre d'exceptions pres, qui fe füt » préferve'e de la maladie épide'mique » du jeu; la feule ou 1'on fe trouvat » pour fe parler raifonnablement les » uns avec les autres, & même avec » efprit, felon 1'occafion. Auffi ceux » qui avoient leurs raifons pour trou» ver mauvais qu'il y eut encore de » la converfation quelque part, lan» coient-ils, quand ils le pouvoient, » quelques traits malins contre la mai» f^»n de Madame de Lambert; &c » Mad ame de Lambert ejle-même, » très-délicate fur les difcours ck fur » 1'opinion du Pwblic, craignoit quel> quefois de donner trop a fon goüt; » elle avoit foin de fe raffurer, en fai9 fant réflexion que dans cette même » maifon, fi accufée d'efprit, elle j  de Sacy. 83 i> faifoit une de'penfe très-noble, ct y >> recevoit beaucoup plus de gens du » monde, que de gens illultres dans » les Lettres «. Quoique, Madame de Lambert eut mis en M. de Sacy fa principale confiance , elle ne laiffoit pas cependant de lire auffi quelquefois fes Otivrages aux plus e'claire's des gens de Lettres qu'elie rafTembloit chez elle ; car, comme le dit encore Fontenelle, en croyant même nécrire que pour foi, on écrit auffi un peu pour les autres fans s'en douter. Llle foumettoit donc a ces Ariftarques, bénévoles, il efr vrai, mais toujours redoutables, dts produótions qu'elie renr fermoit enfuite pour les condamner a 1'obfcurité. Car fi elle eftimoit affez fes amis pour ofer paroitre a leurs yeux tout ce qu'elie étoit, elle craignoit au Contraire beaucoup d'expofer fes Our vrages au grand jour, ck s'étoitfait, a 1'égard du Public, une regie inviolable de la maxime un peu févere de nos ancêtres, qui condamnoit les femmes a 1'obfcurité. Mais TAréopage refpeérable, quoique peu nombreux, devant lequel fes écrits avoient trouve grace , la preffoit fouyent de les abaaD vj  84 Ê l o g ë donner fans frayeur a ce Public fi redoutable pour elie ; elle re'fifloit conftamment a leurs foliicitations, d'autant plus fe'duifantes, qu'elie ne pouvoit guere les foupconner de flatterie ; elle permettoit feulement a ceux de fes amis qu'elie croyoit les plus intimes ck les plus fideles; de relire févérement en particulier les Ouvrages qu'ils avoient lus ck applaudis en' commun, On ne fait comment ils abuferent de ia confiance; peut-être ne crurent-ils pas, ajoute Fontenelle , qu'une modeflie d'Auteur put être fincere ; mais en dépit du pre'jugé, qui trouve encore faveur parmi nous, qu'un livre eft pour une femme une efpece de ridicule, ils ne craignirent point d'y expofer Madame la Marquife de Lambert, en faifant paroitre, fans fon aveu, XAvis d"une mere a fon fils & k fafille, Malgré le fuccès de eet Ouvrage, Madame de Lambert ne fe confoloit point de 1'avoir laifle e'chapper de fes mains; » & on n'auroit pas la hardiefTe (c'eft ■» toujours Fontenelle qui parle) d'af9 furer ici une chofe n peu vraifem9 blable, fi après le fuccès on ne lui » avoit vh retirer de chez un Libraire,  de Sacy. $5 » & payer au prix qu'il voulut, toute » 1 édition qu'il venoit de faire d'un » autre Ouvrage qu'on lui avoit dé» robe «. Note VI, relative d la page 227 & au chapitre de Montagne fur l'Amitïé; cefl le vingt-feptieme du premier Livre. Il faudroit tranfcrire prefque d'un bout a 1'autre le chapitre de Montagne fur l'Jmitié, pour faire connoitre tout ce qu'il contient de fublime, de touchant, &c en même temps de profond 6k de philofophique. Quoique 1'Ouvrage foit entre les mains de tout le monde, nous ne pouvons nous refufer au plaifir d'en tranfcrire encore quelques traits, outre ceux que nous avons rités dans 1'éloge de M. de Sacy. » L'unique & principale amitié dé» cout toutes autres obligations. Le „ fecret que j'ai juré ne déceler a un » autre', je le puis, fans parjure, com» muniquer a celui qui n'eft pas any tre, c'eft moi. C'eft un affez grand  86 Ê L O G ï » miracle de fe doubler, & n'en con, » noiffent pas la hauteur ceux qui par»» lent de fe tripier. . . . » Nous nous cherchions, dit-il en-. » fuite de la Boe'tie, avant que de nous « être vus.. .. J\7ous nous embraflions » par nos noms. Et a notre première 0 rencontre, nous nous trouvames fi » pris, fi connus, fi obligés entre nous, « que rien dès-lors ne nous fut fi pro« che que 1'un a 1'autre.... Ce n'eft » pas une fpéciale confidération, ni » deux , ni trois, ni quatre, ni mille , » c'eft je ne fais quelle quinteffen.ee » de tout ce mélange , qui ayant faifi « toute fa volonté, 1'amena fe plonger » & fe perdre dans la mienne, d'une » faim, d'une concurrence pareille.... » Nos ames ont charié fi uniment en» femble, ejles fe font confidérées d'une » fi ardente affeéfion, que non feule^ » ment je connoiffois la fienne comme » la mienne, mais je me fuiTe eertai» nement plus volontiers fié a lui de » moi, qua moi.... Si je compare tout » le refie de ma vie, quoiqu'avec la » grace de Dieu je 1'aye paffée douce, » aifée, 8c , fauf la perte d'un tel ami, » exempte d'afflidion poifante, pleine  d ë Sacy. S7 » de tranquillité d'efprit; fi je la com» pare, dis je, toute , aux quatre an» nées qu'il m'a été donné de jouir de 9> la douce compagnie & fociété de ce 55 perfonnage , ce n'eft que fume'e, »> ce n'efi qu'une nuit obfcure &. en53 nuyeufe. Nee fas eft ulld me voluptate kic frui. s> J'étois déja fi fait & fi accoutume 33 a être deuxieme par-tout, qu'il me 3> femble n'être plus qu'a demi «... . O mifero frater adempte mini .' Omnia tecum una pericrunt gaadia noftra , Qux tuus in vitd dulcis alebat amor. C'eft ainfi que Montagne , après avoir en quelque forte épuifé fon propre cceur pour exprimer fa douleur profonde , met encore, pour ainfi dire, a contribution le cceur des autres , &» va chercher dans les expreffions les plus vives & les plus tendres que les Anciens nous ayent laiffées d'une douleur femblable , une nouvelle peinture &. un nouvel aliment de la fienne. Obligés, comme nous le fommes, de convenir que le Traité de VAmiut de M. de Sacy, très-eflimable d'ail-  SS ËLOGI leurs, elt fort inférieur au chapitre de Montagne fur le même fujet, oferionsnous dire encore (s'il eft permis de proférer ce blafphême littéraire) que nous trouvons au/Ti beaucoup a défirer, foit pour la fenfibilité, foit pour la philofophie , dans 1'Ouvrage que nous a donné Cicéron fur ce même fujet de ÏArnitiéi' Ce grand Orateur n'a guere fait autre chofe dans eet Ouvrage , que d'exprimer en phrafes harmonieufes des vérités utiles fans -doute , mais un peu froides & fouvent communes. C'eft en généraï ce que penfoit Montagne des Ouvrages philofopbiques de eet illuftre Ecrivain; & 1'avis d'un fi grand Juge & d'un fi grand modele en ces matieres, ferrira de paffe-port & de fauve-garde a notre humble & timide affertion. >•> Quant a Cicéron, dit-il , les Ou» vrages qui me peuvent fervir chez » lui a mon defTein , ce font ceux qui » traitent de la Philofophie, fpéciale» ment morale. Mais a confeiTer har» diment la vérifé ( car puifqu'on a » franchi les barrières de 1'impudence, » il n'y a plus de bride ), fa fafon d'é» crire me femble ennuyeufe, ck toute  d T. Sacy. S9 ,> aurre pareille facon; car fes préfa» ces, définitions, partitions, étymo» logies, confument la plus grande part „ de fon Ouvragej ce qu'il y a de vif „ & de moëlle eft étouffé par ces » longueries d'apprêt. Si j'ai employé » une heure a le lire , qui eft beau„ coup pour moi, & que je ramen*> toive ce que j'en ai tiré de fuc & „ de fubftance , la plupart du temps je » n'y trouve que du vent 5 car il n eft » pas encore venu aux argumens qui „ fervent a fon propos, & aux rai„ fens qui touchent proprement Ie ,» nceud que je cherche. Pour moi, qui » ne demande qu'a devenir plus fage, » non plus favant ou plus éloquent, » ces ordonnances logiciennes & arif» totéliques ne font pas a propos. Je veux qu'on commence par le der» nier point. J'entends affez ce que n c'eft que mort ou volupté; qu'on ne „ s'amufe pas a les anatomifer. Je cher» che des raifons bonnes & fermes » d'arrivée, qui m'inftruifent a en fou» tenir 1'effort. Ni les fubtilités gram» mairiennes, ni l'ingénieufe contex» ture de paroles & d'argumentation » n'y fervent. Je veux des difcours qui  5<5 É' L O G E » donnent la première charge dans le. » fort du doute j les fiens langui/Tent » autour du pot. Ils font bons pour » 1'Ecole, pour le Barreau & pour le » Sermon ou nous avons le loifir de » fommeiller," 8c fommes encore un » quart d'heure après affez a temps » pour en trouver le fil. II eft befoin » de parler ainfi aux Juges qu'on veut » gagner a tort ou a droit, aux en» fans 6c au vulgaire , a qui il faut » tout dire , Sc voir ce qui portera. » Je ne veux pas qu'on s'employe a » me rendre attentif, & qu'on me »> crie cinquante fois, or qye^, a la » mode de nos Hérauts. Les Romains » difoient en leur Religion, hoe age, » que nous difons en la nötre, fursüm » corda. Ce fontautant de paroles per» dues pour moi. J'y viens tout pre'» paré du logis j il ne me faut point » d'alléchement ni de fauce ; je mange » bien la viande toute crue. Et au lieu » de m'aiguifer 1'appétit par ces pré» parations 6c avant jeux , on me le » laffe 6c affadit «. Ce jugement, qui paroitra bien téméraire aux admirateurs de Cicéron a néanmoins d'autant plus de poids^  15 E S-A C Y. 91 «ue Montagne rend d'ailleurs a l'Orateur Romain toute la juflice due a fon génie. » Quant a fon éloquence, » dit-il, elle eft du tout hors de com„ paraifon ; je crois que jamais homme » ne 1'égalera «. Nous penfons encore comme 1'Auteur des Ejjais fur cette éloquence incomparable , ck nous olons trouver Démofthene même tres-mferieur a Cicéron dans une des grandes parties de 1'Orateur, le fentiment ck fe pathétique. La feule harangue pour Milon, ck. la péroraifon fi noble & ü touchante qui la termine, nous femble au deflus du Difcours pour la Couronne, quoique regardé par Cicéron même comme le chef-d'oeuvre de Ion rival. Dans le temps ou M. de Sacy donna fon Traité de l'Amitié, il devint pere d'une fille, qui rut dans la fuite une très-belle perfonne, ck qui rendit fa beauté inutile en fe faifant Religieufe. Un ami de notre Académicien celébra la naiffance de eet enfant par quelques vers, ou il difoit que 1'Auteur avoit a la fois travaillé pour 1' Amitié &. pour YAmour. Les vers étoient d'aü-  9* Ê L O G E leurs trop foibles, & en quelques ert* droits trop libres, pour merker d'être tranfcrits. NOTE VII, relative a la page 230, furie Traité de la Gloire, que Cicéron avoit écrit, & que nous navonsplus. ^V^oici ce qu'on trouve fur la perte de ce Traité de Cicéron dans les Mémoires de M. 1'Abbé de Sade pour Ia Vie tres. Pétrarque prèta a ce vieillard » deux manufcrits précieux de Cicéron, » ou étoit entre autres le Traité de »> Gloria. Convennole les mit en gage » pour vivre. Pétrarque, qui s'en dou» toit bien, lui demanda,quelque temps » après, oü il les avoit mis, dans le def» fein de les retirer. Le Maitre, hon» teux de ce qu'il avoit fait, ne lui » répondit que par des larmes. Pétrar» que lui offrit de 1'argent pour qu'il » allat les retirer lui-même. Ba, lui n dit Convennole, quel affront vous »9 me faites .' Pétrarque n'ofa pas in» fifter , pour ménagerla délicatefTe du » vieillard. Cet infortuné, chalfé d'A» vignon par fa mifere, alla mourir » aPrato en Tofcane, fa patrie, penv dant que Pétrarque étoit a Yauclufe ; » & les manufcrits furent perdus, mal» gré tous les foins que Pétrarque fe » donna pour les recouvrer «. Varillas dit dans fon Hiftoire de Louis XI, que Philelphe ayant trouve  94 ë l o G E le Traité de Cicéron de Gloria, le fondit dans un Ouvrage qu'il intitula : De contemptu Mundi 3 puis le jeta au feu , afin que fon plagïat ne füt pöint découvert. Philelphe n'a point fait de Livre de contemptu Mundi, 8c par conféquent n'a' pu commettre le plagiat dont on 1'accufe. » Le manufcrit du » Traité de Gloria étoit dans la biblio» theque d'un noble Vénitien, nommé >j 'Bernardo Jujliniano, mort vers la » fin du quinzieme fiecle. Cette biblion theque ayant été léguée a des Re» ligieufes, il arriva depuis, que lorf» qu'on y chercha ce Livre, on ne le » trouva point. Ce qui fit préfumer « que Pietro Alcyonio, leur Médecin, » homme peu fcrupuleux, a qui elles y> permettoient 1'entrée de leur biblio« theque, pouvoit bien avoir fait dif>j paroitre ce manufcrit, après en avoir » tranfporté plufieurs morceaux dans » fon Traité de Exilio, dans lequel » on remarque certains traits qui pas> roifToient fort au deffus de fon gé» nie «. Menag. Tom. III, page i6j. Après cette difcufTïon hiftorique , nous feroit-il permis de faire une ré^exi«n bien naturelle fur les Traités  Be Sacy. 95 du mépris de la Gloire, &c, que tant de Philofophes ont e'crits l Ils n'auroient pas fait tant d'efforts pour nous refroidir fur eet objet, fi la Nature ne nous donnoit a eet égard des impulfions toutes contraires &. très-puiffantes, qui n'ont pas befoin de Livres pour fe faire fentir : on a écrit fur le mépris de la Gloire , paree que la gloire , quoi qu'on en dife , eft pour ceux qui en font dignes, un prix trèsflatteur de leurs travaux ou de leurs vertus, & qu'il eft plus commode de la dédaigner , que facile de 1'obtcnir. Parlez de la gloire, nous dit la faine raifon, comme d'une maitrelTe dont il faut jouir ainfi que de la fortune, fans en être 1'efclave , fans y attacher fi étroitement fon bonheur, qu'on devienne malheureux lorfqu'elle trompe les défirs, mais fans affeéter auffi, comme tant de faux Sages, de préférer (contre leur confeience) 1'obfcurité a la renommee; contentez-vous d'oppofer la douce tranquillité de la première a 1'éclat orageux de la feconde, pour la confolation de ceux qui n'afpirent point a être célebres. Toute autre philofophie efi: plus grande que  $ö é l o g e Nature, &. palfe les bornes de la fk> gefle. Rien n'ell beau que le vrai, le vrai. feul eft aimable. (dit le Bon Goüt par la bouche de Defpréaux ); la Philofophie dit de fon cöté : Rien n'eft bon que le vrai, le vrai feul eft urile. Le vers de Defpréaux eft meilleur; mais la Philofophie &. Defpréaux ont également raifon. note VIII, relative a la page 231, fur rentree de M. de sacy d VAcadé'niie Franpoife. WL. de Sacy, tout Ayocat qu'il étoit, c'eft-a-dire, appartenant a une clalTe de Citoyens quifepiquoit d'une grande hauteur de fentimens, ne crut pas au deffous de lui de faire toutes les démarches nécelTaires pour obtenir une place que les BofTuet & les Corneille n'avoient pas dédaigné de demander. II- ne fut pas imité, quelques années^ après, par un de fes confrères, quf/S plus  de Sacy. ^ plus célebre encore au Barreau , fe priva dos honneurs acadérniques par la vanité qu'il eut de vouloir fe fouflraire a -ces vifites d'ufage & de politeiTe, qua la vérité on n'exige pas des Candidats, mais qu'ils ne doivent pas non plus regarder comme aviliffantes pour eux. Cette anecdote pouvant être intéreffante dans 1'hiftoire de la Compagnie, nous croyons devoir la rapporter ici, telle qu'elie eft racontée dans une lettre peu connue de M. 1'Abbé d'Olivet a M. leJVéfident Bouhier : » Au » comrnencement d'Oétubre 1733, un » fameux Avocat ( feu M. le Nor» mand),.mm% fit dire par M. 1'Evê» que de Lucon . que fi la place va» cante n'étoit"point encore deflinée, » ü défiroit paffionnément qu'on le* J>> nommat pour la remplir.... Quel» ques-uns de fes "dSnfreres, animés » peut être d un peu de jaloufie, aiïec» terent de publier qu'il feroit bien » glorieux a 1'Ordre des Avocats, qu'un » de fes dignes fuppóts aliat de porte » en porte mendier nos fuffra^es. L'a» mertume de "leurs plaiianteries fat »pouflée fi loin, que non feulement Tome III. £  9? É L O G E » il promit de ne voir aucun de nous , » mais qu'il s'impofa même la loi de » le déclarer publiquement; & il tint » parole. Tous les Ordres, vous le fa» vez, ont leur petit orgueil. Autre » chofe eft de ne point rendre de vifi» tes; autre chofe d'afTurer & de pu» blier qu'on n'en veut point rendre. » Une pure civilité, qui n'a bleffé ni » les Chefs du Parlement, ni les Ma» réchaux de France, ni les Prélats, » fulfent-ils Membres du Sacré Collége, » peut- elle blefïer 1'Ordre des Avocats ? » Quoi qu'il en foit, ncure chapitre >> gén.ral ayant été convo^ué dans les » regies, nous fimes un autre choix, » fans qu'il fut dit une parole concer» nant 1'homme de mérite que nous » avions regardé pendant un mois, & » avec un fenfible plaifir, comme un » confrère défigné «. On peut rappröcher ce fait de celui que nous rapporterons dans Tarnde du Maréchal de Belle-We , au fujet des vifites que ce dernier Académicien I vouloit fe difpenfer de faire. Mais puifque 1'occauon s'en préfente , il ne fera peut-être pas inutile d'ajouter ici les réflexions de M. 1'Abbé d'Olivet #  d e' Sacy. 99 fur le refus que fit M. le Normand de demander les fu'ffragés, & fur le refus que 1'Académie fit de fon cóté d'adopter un Candidat qui traitoit fi légérement d'avance ceux qu'il défiroit d'avoir pour confrères. Les réflexions qu'on va lire ont pour objet la nianiere de penfer de 1'Académie au fujet des vifites; quoique détaillées un peu longuement , elles ne peuvent avoir plus de poids que dans la Louche d'un Académicien, que plus de quarante années de zele & d'affiduité avoient mis a portée de bien connoitre 1'efprit & les maximes du Corps. M. 1'Abbé d Olivet continue donc ainfi fa lettre. » Paris a raifonné la-deffus comme » fur toute autre nouvelle, fans exa» miner fi le principe d'ou 1'on part » eft certain. On pofe donc ici pour » principe, que nous exigeons des vi» fites, & que nous avons un ftatut » par lequel il eft dit que nous ne » recevrons perfonne qui n'ait folli» cité. Mais ce font de ces devoirs, » qui n'ont pour tout fondement que » la poffefTïon ou ils font de n'ètre pas » contredits. » Ou prend-on en effet que nous E ij  IQP É L O G E .v ayons un ftatut qui contienne rien » d'approchant ? Tout ce qu'il y a de » prefcrit a eet égard, c'eft qu'il fe » tienne pour chaque éleétion deux » affemblées; la première eft pour dé>» terminer quel fujet on propofera au v Roi notre prote&eur, & la feconde , » pour 1'éüre dans les formes , fi le » Roi a donné fon agrément. ( De ces » deux ajjembl/es, la derniere a été » fuppriniée depuis, comme on le verra » plus bas.) » Mais ce fujet, comment le choifir? » ou la Compagnie jettera d'elle-même y les yeux fur qui eVe voudra ; ou ceux » qui le défirent, fe feront connoitre » a la Compagnie. R n'y a que ces deux » moyens, ck il ne peut y en avoir 2 un troifieme. » On pencheroit fans doute pour le » premier , fi le titre d'Académicien » étoit un fimple titre d'honneur, & » s'il étoit permis a la Compagnie de » le donner au mérite qui lui paroi» troit Je plus éminent. Mais il n'en » eft pas ainfi. Outre 1'honneur qu'on » y attaché, c'eft un titre qui nous » met dans 1'obligation de participer >> aux trav.iux de la Compagnie, avec  de Sacy. ioi » plus ou moins d'amduité , felon que » nos autres devoirs nous le permet» tent. Or, fous prétexte de faire hon» neur a quelqu'un , eft-il jufte qu'a fon » infcu on lui donne un titre onéreux ? » Je doute que M. Peliffon eüt affez » fait réflexion la-deifus, quand il dit » que Mejfieurs de V'Académie, lorf» qu'ils ont d je choifir un Collegue, » devroient toujours nommer le plus » digne,fans meme qu'il sen doutdt. » Car enfin , Monfieur , ne peut-il pas » arriver que celui qu'on aura nommé, » ait des raifons pour ne point accep» ter ? On offrira donc alors cette même » place a un autre; & puis pêut-être » a un autre encore. Qu'y aurort-il » & de moins convenable a la digniré » de la Compagnie, ck de moins flat» teur pour celui a qui la place de» meureroit ? » Perjbnne, dit M. Peliffon, ne re»fuferoit eet honneur. Vous voyez » au'il en parle toujours comme d'un » benefice fans charges. Ou, ajoute-t-il, v ji quelqu'un étoit ji bizarre , toute la » honte & tout le bldme en feroit fur » lui. Oui, s'il refufoit avec mépris & » par caprice; mais non, s'il remerE iij  102. É L O G £ » cioit avec politeffe, avec reconnoh» lsnce & par un principe de probité; » aféguant que fon emploi, ou fes in» firrnités, ne fouffrent pas qu'il vaque » a nos exercices, & ne vouiant point » contracler un engagement qu'il n'eit *> pas le maitre de remplir. * Quand même eet incpnvénient » feroit peu a craindre, ne fetoit-ce » pas pour 1'Académie une difficulte » bien grande, ou p'utót infurmonta» ble , que de choiiir toujours Ie plus » digne ? Je ne fais s'il pourroit lui » arriver, dans tout un fiecle, de faire » deux ou trois choix dont perfonne » abfolument ne murmurat, comme » d'une préférence aveugle. Car la Ré» publique des Lettres, fi 1'on s'en rap» porte a I'idée que fes citoyens ont » d'eux-mêmes, n'efl compofée que de » Patricien'. Tous, depuis le Philofcr » plie jufqu'au Chanfonnier, croyent >' ie valoir les uns les autres. On y » paffe même pour tres modefte, quand » on croit ne valoir pas mieux qu'un » autre. ■» Tout cela, fi je ne me trompe, » fait voir que néceffairement il faut » ufer du fecond moyen dont j'ai parlé»  de Sacy. 103 » c'eft-a dire, que ceux qui fe propo„ fent d'occuper une place dans 1'A» cadémie 4 doivent lui faire connoitre » leur intention. » Mais, dit-on , cela occafionne des » brieues. Je n'en difconviens pas. „ Pourquoi n'eft il pas auffi facile de „ les empêcber, qu'il eft raïfonnable „ de les blamer ? , » Mais, dit-on encore, il s enlui„ vra toujours de la , qu'un homlne „modefte, quelque mérite qu il ait, » prendra le parti de fe temr a 1 ecart, » pendant que la préfomption & la „ hardieffe triompberont. C eft une „ conféquence mal tirée. Quelque mo*» defte que foit un Orateur, un Poëte , „ un Savant, il n'en vient pas a un „ certain degré de mérite , fans être » connu malgré lui : & du moment » que nous le connokrions, en yam „ tacheroit-il d'impofer filence a 1'en„ vie que nous aurions de nous 1 af» focier. II n'y auroit qu'un cri dans „ 1'Académie , pour avoir un Collegue » ft propre a nous faire bonneur, & „ a nous aider dans nos travaux. » Mais enfin les vifkes font-elles „ d'obligation l Je réponds hardiment, E IY  ÏO+ E L O G E " "°? J & en voici la preuve, qui eft "tellequon na rien k répliguer.VouS - ïp3- Affurement nous ne doutons «m vous m moi, que ce ne foit le - ™mdre des Académiciens , quot " funt, qnotque fuere, quotque erunt " aklS'm Or il fut éiu dans " un.temPs,ou, deptiis plus de üx w mois' ? er™ au fond d'une Pro-vince elo^ée. Un homme qui eft ^■Salms, rend-ildes vifites dans Pa»ns?On ne lai/Ta pas de le'lire, fur » ce que les amis qu'd avoit dans la » Compagnie , répendirent qu'il feroit » vivement touché de cetre faveur. » 11 refulte de ces raifonnemens & »de cesexemples, que 1'oblig tion de » ceux qU1 penfent 4 1'Aca 'émie, fe •fflduu a faire favoir, ou par eux»n?emes, ou par quelque Académi»nen, qu ils y penfent. Voila , dis-fe, ». 1 obhganon etroire, qui pourtant n'ex! " ?Iut Pas 4ce q«'' eü diclé par la p0».«tefle. A cela prés, rien de plus - od!eux pour nous que les vifites in» terenees «. On voit bien que lAcadémicien qui fut recu le 25 Novembre 1723 , &  de Sacy. 105 dont 1'Auteur de la lettre parle fi modeftement, eft M. 1'Abbé d'Olivet luimême. II n'eft pas le feul au refte qui ait été recu fans faire de vifites. De nos jours, M. de Buftbn ck. M. de Bréquigny ont été dans le même cas. Le mérite de bun & de 1'autre, quoique bien connu , n'eft pas la raifon qui les a fait difpenfer d'une démarche a laquelle des Académiciens non moins eftimables fe font foumis. Mais des circonftances particulieres ont quelquefois exigé que la Compagnie gardat un fecret profond fur le Sujet qu'elie avoit en vue, 6k que par conféquent le Candidat ne put donner par fa demande aucun foupcon fur le vceu de 1'Académie ; c'eft ce qui eft arrivé dans 1'éleclion des deux Académiciens dont nous venons de parler. Nous avons dit plus haut, que des deux aflèmblées qui fe tenoient autre• fois pour chaque éleclion, ck dont parle M. 1'Abbé d'Olivet, la feconde a été depuis abolie. On a cru avec raifon que des qu'un Sujet eft propofé par 1'Académie au Roi, & que Sa Majefté l a agréé, 1'éleclion doit être regrardée comme faite ck confommée fans E v  106 É L O G E retour; il feroit tout a la fois indecent & ridicule que 1'Académie, après avoir propolé un Sujet au Monarque fon protecfeur, & obtenu fon agrément, lui manquat de refped au point d'exclure celui qu'El'e auroit indiqué e'lle-méme. Aum" la Compagnie, qui n'a jamais fait cette fottife , a t-elle penfé trèsfagement, en s'interdifant même le moyen de la faire. Cependant, le croiroit-on ? lorfqu'on propofa, il y a euviron trente ans, de fupprimer cette feconde aifemblée, la propofition trouva des contradideurs, par cette feule raifon, le grand argument des fots, que la feconde afTemblée avoit toujours eté d'nfage, & que la fuppremon qu'on vouloit en faire étoit une innovation. Voyez dans les notes fur Tarnde de 1'Abbé Regnier, la réponfe qu'on a quelquefois daigné faire a de pareilles objedions, &. la feule en effet qu'elles méritent. , Depuis la lettre de M. TAbbé d'Olivet, ï'Académie a reftreint encore les obiigations qu'elie impofe a ceux fur qui tombe fon clioix. II fuffit qu après l'üaSim faire, un feul Académicien fe rende garant que celui qui- vient  de Sacy. 107 d'être nommé acceptera la place. II n'eft pas même néceflaire, pour être élu, d'être nommé, avant Véleclion, parmi les Candidats. On trouvera dans les articles de Charles Perrault & du Cardinal de Soubife, les raifons de ce reglement. E r  1  LOUIS DE COURCILLON BE DANGEXUi ABBÉ DE FONTAINE-DANIEL, NÉ en Janvier 1 643 ; refu a la place de VAbbé CoTlN , le 26 Février 1682; mort le. 1 Janvier 1723 (1). Note générale pour fervir de fupplément a l'Eloge de M. 1'Abbé de Dangeau. i\l. 1'Abbé Alary, qui avoit a eet efliraable Académicien de grandes obli- (1) Voyez fon Eloge dans k premier Yolurae. NOTE SUR L'ÉLOGE DE DANGEAU.  *Ï0 E L O G E gations, nous a laifTé un Mémoire, dans lequel, outre les faits que nous avons rapportés, on trouve encore ceux qui fuivent : » Peu avant fa converfion, il fut En» voye' extraordinaire en Pologne, & » defcendit dans les mines de fel de 9 Viliez», qui ont prés de fept cents » pieds de profondeur. Ce fut a fon » retour qu'il acheta de la veuve du » Préfident de Perigny la charge de » Lecfeur du Roi; il la revendit en s> 1685 j en confervant les entrees. » En 1680, il fut nomraé par le » Roi a 1'Abbaye de Fontaine-Daniel, » & en 710 a celle de Clermont. » M. 1 Abbé de Lionne lui donna auiïï » le Prieuré de Gournay-fur-Marne, » dont il a joui pendant quarante ans » &c M. le Cardinal de Bouillon celui » de Crefpy en Valois. » Le iNonce Ahieri, qu'il avoit connu » en Pologne, le nomma fon Camé>> ner d'honneur, quand il fut élu Pape » fous le nom de Clément X; & ]e » Cardinal Pignatelli , devenu Pape » lous le nom d'Innocent XII, lui » donna le même titre, quoiqu'ifn'ait » jam iis été en Italië prendre polTef» iion de cette charge.  DE D A N G E A U. Til » L'Académie des FJcovrati de Pa» doue 1'admir, en 1698, au nombre de » fes Membres. » L'afTemblée qui fe tenoit chez lui un 7> jour marqué de chaque femaine , étoit » en même temps politique &.littéraire. » Parmi les perlonnes de tout état qui » s'y raffembloient , les plus afïidus » étoient M. le Cardinal de Polignac, » M. 1'Abbé de Longuerue, M. 1'Abbé » de Choify, M. le Marquis de 1'Ho»"pital, M. 1'Abbé de Saint - Pierre , » M. deMairan, M. 1'Abbé du Bos, » qui lut dans ces féances une partie » de fes Réflexions fur la Poéfie & Jur » la Peinture; M. 1'Abbé Raguenet y » lut auffi fa Vie de M. de Turenne (1). » Le 12 Juillet 1711 , il réfigna fon » Prieuré de Notre-Dame de Gournay» fur Marne, a M. 1'Abbé Alary, ck » au mois de Décembre 17 21, il fit fon » teltament, & il le nomma fon Lé- (1) Cette Vie ne vaut pas les Réflexions du même Auteur fur la Mufique halienne & Francoife. Voyez ce que nous avons dit de ces R' flexions dans un écrit fur la Libené de la Mufique , Tomé IV de nos Mélanges de Littérature.  ï 12 É L O G E , &C. » gataire univerfel. Ses quatre Dialo» gues fur 1'' Immortalicé de Vame ont » été faits a Gournay. II monrut un » Mercredi , le jour même que les af5> femblées -fe tenoient chez lui , ck » il ne voulut pas que 1'on renvoyat » perfonne de ceux qui avoient cou» tume. II y en arriva cinq ou fix » un momeut après qu'il eut expiré. » Pour le Catalogue de fes Ouvra» ges, voyez le premier fupplément i> de Moréry, a 1'article Dangeau/U » Bibliotheque Francoife , Tome I, » pag. 295 , Tome II, pag. 152; Ni» ceron, Mémoires, Tome XV, pag. » 277 ins y ont conflamment échoué ? La raifon cachée de ce malheur opiniatre eft prefque toujours ou le défaut d'inte'rêt inhérent, pour ainfi dire, au fujet, comnae dans Cléopatre ou 1'impofïïbilité prafque abfolue, comme dans  de la Chapelle. 119 Jdomenée, Corlolan, Alcefle, de tirer du fujet plus d'une ou de deux fcenes, très-intéreffantes a la ve'rité, mais par cela même mortelles au reffe de la Piece. Ce font ces fcenes ifolées qui tentent les jeunes Ecrivains, «Sc qui, par une funefle illufion, leur donnent toute la confiance néceiTaire pour fe précipiter dans une chute certaine; ils apprennent par leur trifte expérience, qu'une ou deux fcenes ne font pas une Tragédie. QEdipe & Bérénice font peutêtre les deux feules Pieces de cette nature qui ayent échappé au naufrage général; mais tous les fujets rebelles a la lccne n'ont pas le bonheur de trouver "des Racines ck des Voltaires pour les traiter. M. de la Chapelle, déja Poëte de Théalre, fut encore Auteur d'une efpece de Roman , mêlé de profe ck de vers, qui a pour titre les Amours de Catulle & ceux de Tibulle; Ouvrage dont le fond étoit fourni par ces deux aimables Poëtes. En lifant 1'Auteur Francois, on fe rappelle les vers des deux Auteurs Latins, & ce fouvenir, il faut 1'avouer, nuit a leur Traducteur; nos meilleurs Poëtes auroient  120 Ë L O G E peine a foutenir le parallele avec deux voifins fi redoutables : on doit donc pardonner a M. de la Chapelle de n'avoir pas été heureux dans un fi dangereux *effai de fes forces. Ce fut a foccafion de eet Ouvrage qu'on fit une épigramme, dans iaquelle on avertif* foit le Public de ne pas confonire la ChapelleTradudeur glacé de Tibulle (car c'eft ainfi qu'on le qua!ifioit),avec Chapelle, 1'ami de Molière, ck 1'Auteur du Voyage charmant, fi connu fous le nom du Voyacede Bachaumont. M.iis ce qui paroitra fingu'ier, c'eft que M. de la Chapelle, bien loin de s'offenfer de 1 épigramme, avoit prefque autant de crainte que fes détradeurs, de voir fon nom confondu avec celui de ce Voyageur aimable ; il ne fouffroit point d'éqüivoquë ladeffus, il en reJevoit jufqu'a i'apparence avec une forte d'aÜedation dédaigneufe. Son ombre, fi elle revenoit aujourd'hui, penferoit peut-être autrement que fa perfonne fur la différence de ces deux noms, ck ne feroit pas fachée que la Poftérité voulut bien s'y méprendre. Les fuccès qu'il avoit eus au théa- tre,  de la Chapelle. 121 tre, quoique palTagers, & les fuffra-ges même que fon Roman lui avoit obtenus, paree qu'il y avoit confervé quelques traits de Tibulle & de Catulie, quoique fort affoiblis, lui raériterent une place d'Acade'micien. Ce fut celle que Furetiere lailfa vacante par fa mort : eet Ecrivain, a qui fes Satires donnerent plus de célébrité que d'eftime, avoit été exclus de la Compagnie pour fes Libelles contre fes Confrères; 1'Académie néanmoins , par un refte de ménagement pour lui, 6c fur-tout par refpeél pour elle-même, fe borna, en puniiTant le coupable, a ce que la décence rigoureufe exigeoit d'elle. Si elle crut devoir interdire a Furetiere le droit de féance parmi ceux qu'il avoit fi balfement outragés, elle lui épargna du moins toutes les humiliations qui n'étóient pas indifpenfables, & ne lui donna un fucceffeur que quand il eut ceflé de vivre & de médire. Le fucceiTeur, dans fon difcours de réception , s'exprima fur cette circonflance affligeante avec une noble 6c fage réferve : Nul autre avant moi, dit-il , en prenant fa place parmi vous , n avoit été- réduit d déplorer les éga~ Tome IV. F  122 É L O G E remens de fon prédéceffeur, au lieu de donner des louanges d jon mérite & des pleurs d fa mémoire (j). (i) Santeuil avoit fait ces deus vers latins pour le portrait de Furetiere ; Multüm fcire nocet ; fi non tam docla locuuis * Felix ingenio viveret ii!c fuo, Le Poëte fuppofoit cjue le favoir Sc Ie mérite de Furetiere étoient Ia caufe de fa profcription académique , comme ü beaucoup d'autres de fes confrères , trè;-fupéricurs a lui pour Jcs connoiilances & les talens, mais d'un caraclxre plus honnête & d'une conduite plus décente , avoient efliiyé la même difgrace. II Be dut fon eiclulion qu'a fes méprifables Satires & a fes indignes procédés enyers fa Compagnie ; & il faüoit, en fupprimant Ia moitié du premier vers , mettre dans la feconde tam prava & non pus tam doeja ; avec cette corre&ien, le fecónd vers auroit pu paffer : ce fecond vers relïemble a 1'applicatioii très-déplacéc qu'on avoit faite au Comtc dc BuiTï-Rabutin d'un vers d'Ovidc, a 1'occafion des malheurs oii ce courtifan fut entrainé par fon Ouvrage fatirique, intitulé : Hiftoire amou-reufe des Gctules ; Ingenio perii qui mifer ipfe meo. C'étoit faire beaucoup d'honneur a Buffi , 5; trop peu d'honneur a Ovide, que de rapprocher 1'un de 1'autre, par cette application , deux Ecrivains fi peu faits pour être mis en parallele»  de la Chapelle. iaj M. de la Chapelle remplit plufteurs fois les fontftions de Direéleur dans les féances publiques, Sc s'en acquitta a la fatisfaélion de fes Confrères Sc de fes Auditeurs. II ne parut pas même déplacé dans les occafions les plus brilJantes , ou 1'aifemblée attendoit beaucoup de celui qui étoit chargé de porter la parole; elle rendit a 1'Orateur , dans ces circonftances, toute la juftice qu'ii pouvoit défirer. On applaudit fur-tout la re'ponfe au Maréchal de Vdiars, qui entroit a T Académie couvert des lauriers de Denain : La fortune , lui dit M. de la Chapelle , devoit mettre Cicéron d ma place pour répondre a Céjar. Touché de eet aveu modefte, le Public jugea que Céfar avoit été dignement loué , quoiqu'il ne 1'eüt pas été par Cicéron. Nous ignorons par ou notre Académicien , malgré fon attention louable a ne fe point faire d'ennemis, avoit eu le malheur de deplaire a Defpréaux : ce grand Poëte lui fit le même honneur qu a beaucoup d autres; il compofa contre lui une Épigramme qui n'eft pas afléz bonne pour en excufer le motif , du moins ü ce motif eft tel F ij  124 É L O G E qu'on le prétend dans le Segraifiana. L'Auteur de cette compilation allure que Defpréaux fut mécontent de n'a-' voir pas été loué dans la harangue que M. de la Chapelle prononca pour fa réception ; il faut croire , pour 1'honneur du Poëte , que cette imputation efl fauffe; & il eft d'autant plus permis de le penfer , que le recueil d'oit elle efl: tirée renferme d'autres anecdotes plus que fufpecfes. Le Satirique , en faifant courir cette médiocre Epigramme , eut la difcrétion de garder Yiticognko , & ne la fit point imprimer dans fes (Euvres , oü elle n'a paru qu'après fa mort. II eft vraifemblable que la proteólion dont une Maifon puiifante & refpeclable honoroit M. de la Chapelle, rendit en cette occafion Defpréaux un peu plus circonfpecf qu'il ne 1'étoit pour beaucoup d'autres, & |que fon humeur fatirique , en fe bornant a s'exhaler fecrétement, pnt confeil defaprudence. En effet, comme aotre Académicien joignoit aux qualités de 1'efprit, la douceur du carac^ tere, & 1'hqnnêteté de Ia conduite ck des mceurs , les Princes de Conti fe 1'étoient attaché en qualité de Secré-«  be la Chapelle. 115 taire des commandemens * lui avoient accordé leur confiance, ck le regardoient, fi on 1'ofe dire , comme leur ami. II les fuivit a cette fameufe campagne de Hongrie 011 ils firent tant pour leur gloire a la Cour de Viennë, ck fi peu pour leur faveur a celle de Verfailles ; il fut témoin de la juflice que lts étrangers leur rendirent, comme pour les de'dommager d'avance de celle que Louis XIV mécontent leur refufa , ck que les courtifans n'eurent garde de leur accorder. La Maifon de Conti porta la confiance dont elle lionoroit M. de la Chapelle, jufqu'a 1'envoyer en SuüTe pour des affaires importantes qui la concernoient. II conduifit ces affaires avec tant de zele ck de fageffe, que Louis XIV , informé de fa capacité , crut devoir la mettre en oeuvre pour des négociations intéreffantes qu'il avoit a traiter dans le même pays. Le Monarque eut lieu d'être content de fon choix • èk le Public même a recueilli le fruit des réflexions ck des connoiffances politiques du Négociateur ; il les a développe'es dans un Ouvrage confidérable qu'il publia pendant le cours de la guerre que la fucceffion Fiij  ïi6 E L O G E d'Efpagne avoit allumée ; eet Ouvrage a pour titre : Lettres d'un Suijfe d m Franfois, ou Pon voit les véritahles intéréts des Princes & des Na~ tions de 1'Europe qui font en guerre. L'objet de ces Lettres, digne au moins d un Mmiftre zélë & d'un fujet fidele, étoit de perfuader a 1'Europe liguée contre Louis XIV , qu'elie avoit tort de fe réunir pour accabler ce Prince, fi long-temps heureux & triomphant, fi malheureux ck fi humilié fur la fin de Ion regne ; mais 1'Europe étoit trop acharnée pour changer d'avis: ce n'eft point par des Livres, c'eft par des victoires qu'on peut fe flatter de ramener a des Vues modérées ckpacifiques, des Souverains & des Etats aigris par la vengeance ou animés par 1'ambition. Si quelque chofe pouvoit corriger les gens de Lettres de perdre leur temps a ces fortes d'Ouvrages , c'eft le peu de fuccès dont leurs bénignes remontrances font fuivies , èk prefque toujours le malheur des prédiétions hafardées qu'ils ofent y joindre. Quelques Frondeurs fe fouviennent encore, quoique Ie Public fait déja oublié , d'un Ouvrage périodique publié dans le  d t la Chapelle. ii? cours de la guerre de 17 5 6, & qui parut versla fin de 1757 s 1'Auteur afluroitqutt le Roi de Prune ne remporteroit plus de vidoires, depuis qu'il avoit perdu ie ne fais lequel de fesGénéraux : dans ïe même mois oü ce pamphlet avoii paru , ce Prince gagna deux grandes batailles; le Prophete humilié , mais non corrigé (car ces Prophetes ne fe corrigent guere ) , aitura que ce fuccès n'étoit rien , & que le Monarque victorieux finiroit par fe voir dépomlle de fes Etats, & réduit a n'être tout au plus que le Marquis de Brandebourg. Le Monarque fit la paix au bout defixans, & neperditpas unvillage. De tels évenemens doivent un peu décréditer les faifeurs d'almanachs politiques. Si M. de la Chapelle ne fut pas plus heureux dans fes prédiétions, fi les ennemis de laFrancen'efluyerentaucun des malheurs dont il les menagoir, il eut au moins la confolation de voir terminer par une paix raifonnable & même avantageufe, une guerre que ces ennemis avoient prolongée fi longte mps, pour la rendre funefte au Prince au'ils accufoient de 1'avoir excitée, 4 F iv  »i8 ÉlOGE Notre Academie ie. n nc gagnapa? louta-fait Ia caufe qu'il avoit plaidée avec tant de zele; mais auffi ncut-il pas la douleur de la perdre cnciércmcnt & ti une maniere affiigeante & homeufe. Jil eüt eté rorcé dc choifir entre le Pnnce & Ittat, il neut pas balancé lans doute a facrifier la gloire du Roi au foulagement des Peuples : mais il «eut point de facrifice a faire ; les Peuples refpirerent enfin après'tane de malheurs; & Ia gloire du Monarque , cette gloire qui avoit été longtemps plus chere aux Francois que leur bonheur 6c leurpatrie , fut encore fauvée après les éclipfes qu'elie avoit fouffertes, Sc dans le temps oü la Nation , laffe de fes défaftres, ne prenoit plus le même intérêt a fon Roi. M. de ia Chapelle faifoit fur cette paix fï défirée une réflexion bien fupérieure a toutes fes conjectures politiques: il obferyoit avec raifon , que ü les Alliés qui setoient obflinés a faire durer la guerre, 1'avoient terminée quelquesannéesplus tót, dans le temps oü la fierté de Louis XIV fe foumettoit pour obtenir la paix aux facriüces les plus hu-  de la Chapelle. izq milians , ils n'auroient pas donne' le temps a la fortune d'amener des événemens heureux pour la France; événemens qui les obligerent de fonger eux-mêmes a la paix ck de la propoler a des conditions plus acceptables. JNotre Académicien concluoit de eet exemple , & de mille autres que lui préfentoit 1'Hiftoire ancienne^ & moderne , que toute grande PuhTance qui fait la guerre a une autre , doit avoir pour principe invariable , de ne jamais refufer la paix que les vaincus lui oifrent a des conditions avantageufes , quand même ces conditions ne fatisferoient pas entiérement ou 1'ambition ou 1'animofité des vairiqueurs. Une grande PunTatfce, difoit-il, même abattue, & en apparence écrafée, a toujours des reflources qui n'attendent, pour être mifes en oeuvre, qu'une circonftance favorable ; ck par la feule viciffitude des chofes humaines , cette circonftance arrivé enfin quand on lui donne le temps d'arriver j il faut donc , ajoutoit notre politique Philofophe , que les Etats , ainfi que les particuliers, fachent mettre des bernes a leur avidité F v  130 É L O G E, &C. & a leur vengeance , s'ils ne veulent pas s'expofer a tout perdre en voulant tout envahir (i). (O Un excmple , a Ia vérité très-récent, pourroit contredire les maximes fi fases dé M. de la Chapelle ; c'eft la paix glorieufe que ia Ruffie a conclue en 177* , avec la Porte qui par-tout vaincue & s'étant refufée pendant deux ans aux propolïtions honteufes qu'on s'obftinoit a lui faire , a fini par les accepter, & a juftifié la Ruffie de fa perféverance. II refteroit pourtant a examiner, non fi Ia guerre étoit jufte f peu de Souverains font cette queftion) , mais fi deux années de plus de cette guerre briljante & cruelle n'ont pas été plus funeftes au vainqueur même qse ne 1'eut été la ceffion de quelques-uns des avantages qu'il a obtenus par cette paix , tionorable fi l'en veut, mais Kop chérement acnetee.  DE JEAN-GUALBERT DE CAMPISTRON, Chevalier de VOrdre de Saint-Jacquesf Secrétaire général des Galeres; ne d Touloufe en 1656; recu a la place de Jean-Renaud de Segrais , le 16 Juin 1701 • mort au mois de Mars 1723. Il étoit d'une honnête & ancienne familie que la ville de Touloufe avoit fouvent honorée du Capitoulat. Ses études faites , il fe livra a la Poéfie, pour laquelle il fe fentoit du goüt 6e fe croyoit du talent; mais fes parens, qui(i) faifoient beaucoup plus de cas (1) Voycz la Metromanie,  l}2 E L O G E d'un Capitoul que d'un grand Poëte, contredirent tellement fon incJination, fans pourtant vouloir paroitre la violenter, que, pour fe fouftraire aux vexations qu'il elfuyoit fous le nom de remontrances , il vint a Paris fe jeter entre les bras de Racine. Ce grand homme, que 1'envie, les cabales, & la de'votion qui vint a leur fuite , avoient forcé de renoncer au théatre après fon chef-d'ceuvre de Pfie'dre, c'efl-a-dire , lorfque fon ge'nie étoit dans fa plus grande force, reffembloit, fi Ton peut employer cette comparaifon , a ces amans qui, nés avec un cceur tendre , ont quitté erl gémilfant une maitreffe chérie ; il permettoit aux autres, & favorifoit même «n eux, le fentiment qu'il avoit eu la douleur de s'interdire. 11 accueillit avec bonté le jeune Campifiron , 1'aida de fes confeils, & le mit en état de donner deux Tragédies confécutives , Virginie. & Arminïus; ces deux Pieces, quoique foiblement écrites, & un peu trainantes dans leur marche, furent cependant recues avec indulgence. Virginie jouit même d'un triomphe alfez flatteurj ce fut d'éclipfer une autre  öe Gampistron. 133 Tragédie nouvelle qu'on jouoit dans le même temps, Piece a la vérité fort au delfous du médiocre, mais vivement appuyée par Madame la Ducheife de Bouillon, qui aimoit a protéger les petits talens, qui avoit déja cabalé pour la Phédre de Pradon, & que le dégout de fe voir démentie par le Public n'avoit pas corrigée. Cependant Campiftron , malgré fa vief oire, demeura fi effrayé du danger qu'avoit couru Virgïnie, opiniatrément harcelée par cette femme redoutable, qu'il crut devoir mettre fon Armïnius a 1'abri des mêmes attaques. II follicita auprès de Madame la Ducbeffe de Bouillon la permiffion de lui dédier cette derniere Tragédie. Comme il fuffifoit , pour qu'un Ouvrage fut bon aux yeux de cette orgueilleufe Protecf rice, qu'on lui en fit le refpeclueux hommage, elle prit la Piece fous fa'fauve-garde, & ne fut pas fachée que 1'Auteur parut lui avoir obligation d'un fuccès qu'il auroit peut-être encore obtenu fans elle &. malgré elle. Les amis de Campiftron, un peu honteux pour lui de cette humble 8c timide dédicace, lui reprocherent fon défaut de courage,  »34 E L O G E que fes ennemis appeloient d'un autre nom j il re'pondoit -que les Speclacles étoient en France le tribunal & le domaine que les hommes avoient bien voulu laiffer aux femmes, pour les dédommager des jugemens plus férieux oü elles n'étoient point appelées; & que fi Hercule n'avoit pas rougi de filer auprès d'Omphale qui le rendoit malheureux, un pauvre Poëte pouvoit bien fans honte dédier a une femme qu'il craignoit. une che'tive Tragédie. ■ La petite fortune de Virgïme & d' Arminius, fuffifante pour un talent naiflant, encouragerent 1'Auteur a mériter un fuccès plus complet. II 1'obtint par la Tragedie d' Andronlc, a la vérité foible encore de fiyle, mais animée par un vif intérêt & par des fcenes touchantes. L'affluence des Speétateurs fut fi grande, que les Comédiens , après avoir fait payer le doublé aux vingt premières repréfentations, & avoir enfuite mis la Piece au fimple, furent obligés de la remettre au doublé pour dirain-uer ia foule. Cette Piece efl longtemps reftée au théatre , oü on la jouoiï encom fréquemment il y a peu d'années/Si depuis elle a reparu moins fpu-  de Campistron. t 3 5 vent, c'eft fans doute paree que plufïeurs Tragédies d'un grand efiet, & qui joignent a ce mérite celui du ftyle, ont rendu le Public difftcile fur les Pieces plus recommandables par le fujet & les fituations, que par les détails & le coloris. Le héros de cette Tragédie, fous le nom fuppofé è'Andronic , eft 1'infortuné Dom Carlos , dont 1'Abbé de Saint-Réal nous a laifTé une Hiftoire ft touchante. La cataftrophe de la Piece eft la mort de ce malheureux Prince, affafhné par fon barbare pere Philippe II. Campiftron a mis en oeuvre quelques beaux traits de cette Hiftoire, entre autres la réponfe que fait Dom Carlos a un fatellite qui vient lui dire que fon pere demande a le voir après 1'avoir condamné : Dites mon Rol, & non pas mon pere s'écrie ce malheureux Prince. II feroit a fouhaiter que 1'Aüteur üAndronic eüt enrichf fa Piece de plufieurs autres morceaux de 1'Ouvrage éloquent de f Abbé* de SaintRéal, qu'on appellera d'ailleurs Hiftoire ou Roman, comme on voudra, & qui ne perdra rien ou peu de chofe , quelque titre qu'on Yeuille lui donner.  * 5 ^ É L O G E Campiftron regrettoit fur-tout de n% voir pu faire entendre fur le théatre ce billet admirable, que 1'Hiftorien fuppofe écnt a Dom Carlos par une main inconnue, billet que Tacite eut envie' a lAbbé de Saint-Réal, & dans lequel on exhorte Dom Carlos avec 1'éloquence la plus énergique & en même temps la plus adroite , a fe révolter contre fon pere (i). Le Poëte n'ofia orner fa Pragédie de ce morceau plein delevation & de vigueur, paree qu'il eutfallu, difoit-il, en l'emp!oyant, le donner en profe, ck tel qu'il étoit. Corneille même , ajoutoit-il, fi digne d'ailleurs de 1'écrire, 1'eüt afïbibli en le mettant en vers; & 1'Auteur d'^/zdronic craignoit avec raifon d'énerver ce que Corneille eüt au moins affoibli : mais hafarder dans une Tragédie un billet en profe, 6c manquer ainfi de refpedl a la loi , qui veut que toute Tragédie foit en vers d'un bout a 1'autre ! quels cris les gens de goüt auroient jete contre une innovation de (i) Vojrez Ja Note [a).  de Campistron. ïJ7 fi mauvais exemple ? Cette confidération importante, qu'un Auteur plus téméraire auroit peut-être ofé braver, cffraya Campiftron; & dans la crainte, ou d'anéantir le billet par fes vers, ou de 1'expofer aux fiffiets par fa profe, il eut la foible ou courageufe prudence den priver fa Piece. Ce n'eft pas la feule beauté que la frayeur de choquer les idéés recues ait forcé les Auteurs de facrifier,' ni le feul Ouvrage que cette frayeur ait eu foin de refroidir pour refpecler les regies. Après Andronic vint Alcibiade^, qui eut encore plus de repréfentations ; cette Tragédie, quoique moins intéreflante qu'Andronic, eft auffi reftée quelque temps fur la fcene, paree que le célebre Baron en fit valoir le principal röle; depuis elle a prefque difparu, ck il faut convenir que ceux qui la liront ne regretteront pas beaucoup cette perte. On a prétendu que VAlcibiade étoit une copie du Thémiflocle de du Ryer; ck les amis de Campiflron ont afluré qu'il n'en étoit point coupable; queüion bien indifférente aujourd'hui, qu'on ne lit plus le Thé-  *38 É L O G E miftocle, & qu'on ne lit guere VAL cibiade (i). Après cette doublé ceuronne au théatre tragique , Campiftron entra dans une autre carrière. M'. le Duc de Vendame vouloit donner dans fa maifon d'Anet une fête brillante a M. le Dauphin ; il crut qu'elie ne pouvoit I'être fans un Opéra mis en mufique par JLulIi y mais il falloit un Poëte, & Quinault, dégouté du théatre , & conduk comme Racine, par les dégo fits , s la dévotion , avoit renoncé a la fcene lyrique depuis fon chef-d'ceuvre d Armide , froidement recu par fon fiecle 6k applaudi avec tranfport par Ie notre. M. de Vendóme demanda des vers a Racine , qui, plus fcrupuleux encore que Quinault, & s'étant même privé depuis long-temps d'aller au fpeclacle , refufa de fervir de Poëte a LuIIi, moitié par principe de confcience, moitié peut-être par des raifons encore meilleures, par le peu de talent qu'il fe fentoit pour le genre (i) Voyez Ja jsj0£e  öf. Campistron. 139 Iyrique (1). II propofa Campiftron , qui fit 1'Opéra A'Aeis & Galatée, & qui partagea avec le Muficien k gloire du fuccès, par la maniere ingénieufe dont il avoit difpofé le Poëme , par 1'intérêt qa'il avoit fu y répandre, & par une verfification douce & facile , dont Ia molleffe eut peut-être paru lache dans une Tragédie, mais n'en étoit que plus faite pour fe prêter a la mufique. Le Public confirma par fon fuftrage les applaudifTemens qu'Acis & Galatée avoit obtenus fur le théatre d'Anet. Plein de la confiance que lui donnoit ce fuccès , Campiftron rifqua fur le même théatre un autre Ouvrage, l'Opéra üAchille; mais ce fecond eifai fut très-malheureux : il eft vrai que le Poëte n'avoit plus Lulli pour le feconder; ce Muficien célebre étoit mourant, il ne laiffoit pour fucceifeur que fon gendre Colalfe , a qui il n'avoit pas donné fon talent en lui donnant fa fille , & qui entralna Campiftron dans fa chute, en 1'accufant de 1'avoir caufée. Le Poëte, irrtte peut-être, (1) Voyez PEloge de Defpréaux, ceiui cfe la Motte , & les notes fur ces deux Eloges,  *4° E L O G £ mais non découragé, donna avec d"aütresjMuficiens 1 'Opéra d'Aldde, qui malgré un menuet que nos bons aieux ont Jong-temps danfé & chanté, ne fitguere plus de fortune; eet Opéra fut meme ainfi qxx Achïlk, le fujet de queiques Epigrammes , lieureufement aflez mediocres, fur les deux diferaces fucceffives de FAuteur (i). Campiuron voyant que le malheur le pourftuvou.fur la fcene lyrique , pritle fa?e parti de n y plus braver la fortune ; Ü retourna au théatre Francois, oü il avoit été conftamment heureux: mais cette même fortune qui 1'avoit abandonne a 1'Opéra, eut d'abord quelque fi) Kous ne craiguons point detre coaffedits fur la médiocritd de ces Epigrammes en rapportant pour exemple celle qui f.,t fait4 fur 1 Opera ÜAchilU ,• Ja pointe en eft triviale & les vers aflez mauvais. ' Entre Campiftron & ColafTe , Grand débat au ParnafTe, Sur ce que Pppér» n'a pas im fort heurelix < De fon mauvais fuccès nul ne fe croir coupable i dlc 9"e l*"nnifique eft plate & miférable; l-'autrc , que b conduite & les vers fonr afFreux ■ Mais Je grand Apollon, toujours juge équirable, Trouve qu'ils ont railba tous deux.  DE CAMPISTR-ON. '4* peine a lui rendre les anciennes faveurs qu'elie avoit accordées a fes premières Tragédies. Phocion & Adrien x qu'il donna fucceffivement, ne recurent qu'un accueil médiocre. II ne fe rebuta point, & n'eut pas lieu de fe repentir de fa perfévérance : le iuccès prodigieux de Tiridate le dédommagea des froideurs paflageres que le Public lui avoit fait efluyer. Cette Piece eft d'autant plus eflimable , que ie fujet étoit difficile a mettre au théatre ; c'eft 1'amour d'un fiere pour fa fceur, & "c'étoit, fous un autre nom, 1'Hiftoire d'Aronpn, fils de David, au fecond Livre des Rais. L'Auteur trouva le moyen , non feulement de traiter ce fujet délicat avec toute la décence que la fcene exige, mais de rendre même Tiridate intérefTant: la Piece efl d'ailleurs conftruite ék difpofée avec art • on y trouve des fituations touchantes ck des fentimens nobles ck pathetiques; le ftyle même y a plus de'force & de chaleur que dans les autres Tragédies de Campiftron; auift s'eft-elle foutenue long-temps au théatre avec fuccès. Si elle a celle depuis long-temps d'y parojtre, c'eft par les mimes raifons qu^  '41 É L O G E ont afFoibli le fuccès d'Andronic, 8c de plus, paree que la Tragédie de Pkédre, affez fcmblable pour le fujet a celle de Tiridate, eft écrite avec une éloquence & une fenfibiliré qui doit a la longue éclipfer toutes fes voifines: on ne f< nt que trop, en comparant les deux Pieces, la vérité du mot de M. de Voltaire, que Racine eft un Raphaël qui n'a point fait de Jule-Romain. II ne reftoit plu< a Campiftron qu'une couronne a recevoir au théatre, celje de Poëte comique; il 1'obtint par la Comédie du Jaloux défabufé. Cette Piece , quoiqu'un peu froide par le fond, a mérité par la vérité des C3racferes, par 1'art de la conduite, & par le mérite du ftyle, de fe foutenir jufqua préfent fur la fcene, oü elle eft toujours applaudie, quand le jeu des Acfeurs répond aux fineifes de détail que 1'Auteur a répandues dans fon Ouvrage. Tant de fuccès demandoient pour Campiftron une place a fAcadémie Francoife- il y fut recu enfin, mais dix ans feuliement après Tiridate, c'efta-dire , bien long-temps après avoir mérité le titre d'Académicien; la Con>  DE CAMPISTRON. 143 pagnie répara ce long délai en le nommant fans qu'il i'eut demandé. Elle le diipenfa avec plaifir de ces follicitations & de ces vifites, dont quelques autres Académiciens ont été difpenfés comme lui, mais en trop petit nombre , & dont il feruit a fouhaiter que les Candidats fulfent entierement affranchis • ils ne feroient pas expofés, comme ils 'e font trop fouvent, a déplorer 1'inutilité de leurs demarches , toujours affligeantes pour le vrai mérite , & quelquefois propres a le re*> buter. Débarraffée alors de 1'importunité des protégés ck des proteéleurs, 1'Académie feroit plus libre de n ecouter que la voix publique, ck de ra'ouvrir fes portes qu'aux feuls hommes qu'elie en jugeroit vraiment dignes. bes lauriers dramatiques de Canv piftron , avant de lui procurer les honneurs littéraires, avoient déja alfuré fa fortune. M. le Duc de Vendóme lui avoit envqyé une gratifkation pour 1'Opéra (XAcis & Galatée; 1'Auteur la refufa avec le refpeél le plus noble , allurant qu'il fe trouvoit afTez récompenfé d'avoir contribué aux plaifirs d'un ü grand Prince, &. a ceux de 1'au-  H+ È L O G E gufte héritier du tröne pour qui la fête étoit deftinée. M. de Vendóme, averti par ce refus, & ne. s'en croyarit que plus obligé a la reconnohfance, prit Campiftron chez lui, le fit Secrétaire général des Galeres , lui donna une Terre confidérable , lui procura une Commanderie de 1'Ordre de S. Jacques en Efpagne, & , ce qui flattoit Campiftron infiniment davantage, 1'honora de fon amitié & de fa confiance. II fuivit ce Prince a vingt batailles, & le fuivit de fi prés, que M. de Vendóme ie voyant a fes cótés au terrible combat de Steinkerque, dans le plus fort de la mêlee, lui demanda : Campiftron, que' faitesvous ici t Monfeigneur, répondit le Poëte, voule^-vous vous en aller ! On peut croire que cette réponfe n'affoiblit pas les fentimens du Prince pour un Secrétaire fi digne de lui. Ce brave Secrétaire avoit fait fes preuves de courage des lage de dix-fept ans, ayant été bleifé dangereufement dans un combat fingulier; il auroit cru fe déshonorer en ne partageant pas dans les plus brillantes occafions les périls & la gloire de fon bienfaiteur. Horace, comme 1'on fait, n'avoit pas fi bien payé  DE C A M P I S T R O N. 145 payé de fa perfonne a la bataille, de Philippe; il eut même le courage, fi c'en eft un , de plaifanter fur fa fuite par ce vers d'une de fes Odes, rejectd non betie parmula (1): quelqu'un a fait graver fon bufte & a mis au bas, en retranchant fimplement le non, rejecla. bene parmula (2) : on ne peut faire valoir plus heureufement une fuite qui, d'un mauvais guerrier, a fait un excellent Poëte. Mais il eut encore mieux valu être a la fois 1'un & 1'autre, comme Efcbyle ck. Tirtée; & peut-ètre Horace a-t-il contribué, par 1'aveu naïf de fa poltronnerie , aux foupcons peu obligeans qu'on s'eft plu quelquefois a jeter fur la bravoure des Poëtes (3). Campiftron, fans parler de plufieur$ (1) Ayant jeté peu. Bravement mon houclier. Il fervoit dans Parméc des coniutés , ce qui détruit le mérite de fon aveu, & doic le rendre un peu fufpeét. (i) Ayant jeté fon a propos fort èeuclier. (3) Ménage prétendoit, & c'étoit 1'une des mauvaifes p'laifanteries qu'on nous a confervécs de lui , qu'il ne connoifloit d'autres Poëtes tués a la guerre, que Garciüafib , le reftaurateur de la Poéfie elpagnole. Tome IV, G  146 É L O G I autres de fes confrères, auffi intrépides que lui, a fuffifamment réhabiüté 1'honneur de la profeffion , fuppofé que eet honneur eüt befoin de 1'être; ck. s'il ne s'eft pas fervi de fa plume auffi bien qu'Horace, il lui reftera du moins Ia gloire de s'être mieux fervi de fon épée. II conferva dans fa place de Secrétaire général des Galeres, le défintéreffement qui la lui avoit méritée, négligeant même les émolumens eonfidérables qu'il lui étoit le plus légitimement permis d'en tirer; mais il vérifia bien la maxime, quil vaut mieux plaire que Jervir ; car beaucoup plus occupé de 1'amufement du Prince que de fes affaires , il laiffoit fouvent fans réponfe les lettres qu'il recevoit relativement a fa place; ck un jour que M. de Vendóme lui voyoit brüler un grand tas de ces lettres : Levoild, dit-il, occupé d faire fes réyonfes. On pardonnera aifément a Campiftron cette négligence, quand on fe rappellera le trait d'un Miniftre chargé du gouvernement d'un grand Royaume, & qui, brülant de même fans les ouvrir une multitude immenfe de lettres, d}foit quil fe mettoit au  DE CAMPISTRON. Ï4f courant; on ajoute même ( ce qui complette 1'éloge du Miniftre ) que les affaires n'en alloient pas plus mal. Le Cardinal Alberoni, dont la fortune a e'ie' fi brillante, en êtoit redevable a Campiftron. Celui-ci, dans Ie temps qu'il étoit Secrétaire du Duc de Vendóme, fut attaqué prés de Parme, par des voleurs qui lui enleverent jufqu'a fes tiabits. II gagna prefque nu le village voifin. Alberoni , alors fimple Curé de ce village , lui donna tous les' fecours qu'il pouvoit defirer. Campiftron ne fut pas ingrat. II paria au Duc de Vendóme du Curé fon bienfaiteur, comme d'un homme dont les talens pouvoient lui être utiles. Le Duc de Vendóme fe 1'attacha , & 1'emmena avec lui en Efpagne, oü 1'habile Italien fut gagner la confiance de la Reine, & parvint a gouverner le Royaume. Témoin d'une élévation qui étoit en quelque" maniere fon ouvrage , Campiftron le fut auffi de la chute de ce Miniftre , & des malheurs qu'il effuya pour avoir été trop puiffant (i). Le (i) €e Cardinal, retiré en Italië après fa Gij  I48 É L O G E Poëte, en voyant 1'infortune du Cardinal , fe félicitoit de ne 1'avoir pas imité, & d'avoir préféré la médiocrité de fon état aux orages de la faveur. Peu d'hommes feront des réflexions aufïï fages fur le bonheur, trop peu connu, de 1'obfcurité & du repos; & malgré les exemples fi fréquens des trahifons de la fortune, 1'aveugle multitude répétera fans ceffe avec Phaëton , il efl beau même d'en tomber. Les maL ♦Jieurs de 1'ambition, difoit. a cette occafion notre Académicien philofophe , ne feront jamais plus de converfions que les malheurs de 1'amour , paree que fi 1'amour efl commandé par la Nature , 1'ambition 1'eft par la vanité, auffi forte que la Nature. Quoique Campiftron vécüt a la Cour, il n'en étoit pas plus courtifan, c'efl-adire, moins pret a faire entendre aux Princes les vérités dont ils ont fi grand befoin. JI avoit ofé, dans une de fes chute, vou'oit encore faire de petits projets d'ambition & d'intrigues. Alberoni , difoit Benoit XiV , rejfemble a un gourmand qui, vpres avoir bien diné, auroit envie d'un mar(eau de pain bis,  dè CampiStron. 149 Tragédies, prêier a un de fes perfonnages les quatre beaux vers que Pierre Corneille avoit fait dire a la France, dans le prologue très-peu lu de la Toifart au lieu que les vers d'Alcibiade font » rampans & fans force «. M. de Voltaire pouvoit ajouter, que la foibleffe du fecond vers vient en partie de fa dureté même, & de la peine que fent Foreife a fe repofer fur ce mot grec, peu flatteur pour elle. Quelle difference d'ailleurs entre 1'expremon elegante & noble, qui fait mal farder la vérité, & lexpreffion commune, qui ne fait pas cacher la vérité? Dur & foible, c'eft pour un vers tout ce qu'il y a de pis, fur-tout quand il a le malheur de paroitre imité d'un vers de Racine, que le Poëte n'a fait que gater. » De plus, ajoute M. de Voltaire, on » ne peut fouffrir que le Citoyen d'un i> pays renommé par 1'éloqueaice &,  164 É L O G E » par 1'artifke , donne a ces mérites » Grecs un caraclere qu'ils n'avoient » pas «. On pourroit repondre qu'Alcibiade, nourri dans les principes de la liberté Athénienne, & parlant au defpote de la Perfe , n'entendoit par un Grec qu'un Républicain ; mais cette idee échappe a la plupart des Spedateurs, qui ne font frappés en ce moment que du contrarie entre 1'étalage que fait Alcibiade de fa prétendue franchife, & le foin que les Grecs apportoient a cultiver 1'art de Ia parole, qui elf fi prés de 1'art du menfonge. Nous voudrions pouvoir tranfcrire ici dans fon entier la lettre de M. de Voltaire, dont nous venons de citer quelques lignes; cette lettre renferme les plus excellens préceptes de goüt; & nous ne pouvons réfifter a la tentation den détacher au moins ce qui regarde Campiftron; le jugement que lAuteur en porte fera la plus utile partie de eet article; plut a Dieu que nous pullions citer fouvent de pareils morceaux, & en ufer mieux encore que Campiftron n'a fait des vers de Corneille ! M. de Voltaire avoit dit que XAlci-  BE CAMPISTRON. 165 b'iade étoit une Piece foiblement écrite; un ami de Campiftron lui en avoit fait un crime, & avoit cru embarrafïer le Cenfeur en lui demandant ce qu'il entendoit par un ftyle foible. Vóici ce que M. de Voltaire lui répond, Sc ce que tous les jeunes Poëtes devroient apprendre par cceur. » Le ftyle fort » & vigoureux, tel qu'il convient a la » Tragédie, eft celui qui ne dit trop » ni trop peu, 8c qui fait toujours des » tableaux a 1'efprit fans s'écarter un » moment de la paffion. Ainfi Cléo» patre dans Rodogune s'écrie : Tióne, a t'abandonner je ne puis confentir , Par un coup de tonnerre il faur mieux en fortir. Tombe fur moi !e Ciel, pourvu que je me venge. » Voiia du ftyle très-fort 8c peut-être » trop. Le troifieme vers, Il vaut mieux merker le fort le plus étrange. » eft du ftyle le plus foible. » Le ftyle foible, non feulement en » Tragédie, mais en toute Poéfie, con» fifte encore a laiffer tomber fes vers » deux a deux, fans entremêler de lony> gues périodes 6c de courtes, 6c fans  I66 É L O G E » varier la mefure; a rimer trap ea » épithetes, a prodiguer des expref» fions trop coiumunes, a répéter fou» vent les mêmes mots, a ne pas fe » fervir a propos des conjonclions, qui » paroiffent inutiles aux efprits peu inf» truits, & qui contribucnt ccpimdant » beaucoup a 1'élégance du dilcours. Tantum Jerits jiuüttr^üt pailet ! » Ce font toutes cm finelfi-s impcrcep» tibles, qui font en méme temps Ia » dimculté & la perfecliön de 1'art. Iii tenui ia'r.y? , as uvuil non glorié. » J'ouvre dans cc moment le volume » des Tragédies de Campiftron, ck. je » vois a la première feene de 1'Alci-. » biade, Quelle que foit pour nous la tendrefTe des Rois, Un moment leur fuffit pour faire un autre choix. » Ces vers, fans être abfolument mau» vais, font foibles ck fans beauté. *> Le Grand Corneille ayant la même » chofe a dire, s'exprime ainfi: Et malgré ce pouvoir dont 1'éclat nous féduit, Si-tót qu'il nous reut perdre , un coup-d'reil nous détrui t.  DE CAMPISTRON. fl'67 » ce quelle que foit de X Alcibiade fait » languir le vers : de plus Un moment leur fufifit pour faire un autre choix. » ne fait pas, a beaucoup prés, une » peinture fi vive que ce vers : Si-tót qu'il bous veut perdre, un coup-d'ceil nous détuiit. » Je trouve encore Mille exeirples eonnus de ces fameux revers,.. AiFoiblit notie empire , & dans mille combats... Kous cache mille foins dont il eft agité... Il a mille vernis dijnes du diadtme... te fort le plus cruel, mille tourmens affreux... » Ce mot mille fi fouvent répété, » & fur-tout dans des vers affez la» ches. affoiblit le ftyle au point de le » gater; la Piece eft pleine de ces ■» tenues oififs, qui rempliffent languif» famment 1'hémiftiche des vers; pref» que tous ceux de eet Ouvrage font » énervés par ces petits défauts de dé- » tail Le fameux Acf eur qui re- » préfenta fi long-temps Alcibiade, ca» choit toutes les foibleffes de la die» tion par les charmes de fon récit. En » effet, 1'on peut dire d'une Tragédie  *6S E L O G E » comme d'une Hiftoire : HiJIoria quo» que modo jcrïpta jeinper legitur, & » Tragedia quaque modo jcrïpta femper » reprefentatur; mais les yeux du Lec» teur font des juges plus difTiciles que » les oreilles du Spectateur. » On voit la même langueur de » ftyle dans ces autres vers du même » Poëte : ■ Vous allei attaquer des Peuples indomptables , Sur leurs propres foyers plus qu'ailleuis redourables. » Ces rimes d'épithetes, indompta» bles, redoutables, choquent 1'oreille » délicate du connoiflèur, qui veut des » cliofes, Sc qui ne trouve que des » fons. Sur leurs propres foyers plus » qu'ailleurs , eft trop fimple , même » pour de la profe. » J'ajouterai que c'eft la diction feule » qui abaiffe Campiftron au delfous de » Racine. Les Pieces du premier font » pour Ie moins aufïï réguliérement » conduites que toutes celles de 1'il» ludre Auteur de Phédre ; mais il » n'y a que la poéfie de ftyle qui falTe » la perfeclion des Ouvrages en vers. » Campiftron 1'a toujours trop négli» gée; il n'a imité le coloris de Ra- j? cine  DE CAjMPÏ'STR OK i 69 » cine que d'un pinceau timide; il }> manque a eet Auteur, d'ailleurs judi» cieux & tendre , ces beaurés de de'» tail, ces expreffions heureufes, qui » font 1'ame de la Poéfie, 8c qui font » le mérite des Homere, des Virgile, » des Talie, des Milton , des Pope , » des Corneille, des Racine , des Boi» leau «. Nous n'ajouterons rien a ce jugement, que la voix publique a unanimement coniirmé. (e) Le fuccès des mauvaifes Pieces efl devenu bien commun au théatre, ck par-la bien pen flaneur pour les Ecrivains vraiment dignes du fuffrage public ; eet accueil banal , fait pour les Speclateurs a tant d'avortons dramatiques, accueil caufe apparemment par la difette des bons Ouvrages, a fak dire avec plus de vérité que de nobleife, que le Public relfembfoit a un petit chien qui a perdu fon Maitre, Sc qui va careffant tous ceux qu'il rencontre. Nediffimulons pourtant pas que ces fuccès fi étranges Sc fi fréquens ont une autre caufe, la maghificence prefque royale avec laquelle certains Auteurs acbetent les fuffrages Sc payent Tome 1F. *hi  170 E L O G E les applaudiflemens. Quelaues - uns , mt-öu, ont Lit par leur géneVollté une brechg.-confidersble a leur fortune, & potirrotent dire comme les Hollandois -pres la vicïoire fanglante de Malplaquet : Encore une viüoire pareiLLe, & rious jommes ruines. On raconte qu'a H première repréfentation d'une de ces 1 leces fi difpendieufes, un des Spect.ateurs foudoyés applaudifToit & fiffloit a la fois;_ quelqu'un lui en demanda la radon i J'applaudis, répondit il,pour in acquit ter en vers VAuteur 4 & je jiffle pour tnacquitter envers ma conjcience. C eft a cette magnificence de certains Auteurs qu'il faut attribuer Ia plupart des fucces objenus ou arracbés de nos jours a une feconde repréfentation, après une chute a k première; & comme la plupart des jugemens du tbéatre font faux öu du moins exagérés, foit en bieii, löiten mal, on a compare' ces fuccès, après une chute, au triomphe de ci Plaideur, qui, pour éviter les frais ck les embarras d'une infcription de faux défruit une faufie obligation par une ia une quittance. (f) Cicéron dit que les Poëtes tra» fiques lont plus amoureux de leurs Ou-  DE CaMPISTROW. 171 Vfages que les autres Ecrivains. In hoe genere, dit-il , nefcio quo paflo magis quarn in aliis, fuum cuique pulcrum efl. On peut attribuer aux Poëtes Dramatiques en général ( tragïques & comiques), eet araour fi vif de leurs productions; la raifon qu'on pourroit en donner , & que Cice'ron cherchoit, c'eft que les Ouvrages dramatiques étant plus ouvertement expofés h la cenfure, reifemblent a ces enfans délicats & fujets aux maladies, que leurs parens cbérifTent de préférence. Le fort d'une Piece de théatre, qui ne peut jamais être équivoque, exalte, s'il eft brillant, 1'orgueil de 1'Auteur, & irrite, s'il eft malheureux, fon amour-propre oftenfé. Moins il peut fe faire illunon fur la réuffite ou fur la chute, plus il eft difpofé a penfer trés-bien de lui dans le premier cas, 6k très-mal de fes Juges dans le fecond. Hij   31i SLi \j> vïjt jCi DE CLAUDE FLEU1Y' Vrieur d'Argcnteuil & Confeffeur du Roi; néd Paris le 6 Décembre 1640; repu d la place de JeAn de la bruyere, /e 16 Juillet 1696; mort le 14 Juillet 1723. Claude.Fleury étoit nis d'un Avocat eftimé, èk fuivit alfez longtemps le Barreau. II exifte même des Mémoires imprimés èk fignés de lui; èk dans ces Mémoires, qu'il compofa étant encore jeune, on appercoit déja le germe èk 1'annonce des connoiffances èk de la jufleffe d'efprit qui caraclérifent fes autres Ouvrages. Mais H iij  ÏT4. E l o g e quelque fuccès qu'il püt fe prornettre dans cette carrière, 'un goilt naturel pour la piéïé & pour Ia retraite le fit renoncer a la profeffion de Jurifconfulte .pour embraiTer 1'état ecdéfiaftique. Sa vocation ne fut pas, comme celle de tant d'autres, le défir & 1'efpérance de faire fortune; ck la pureté de fa vie répqndit a celle de fa vocation. II fut admis aux conférences que Ie grand Boffuet tenoit chez lui fur 1'Ecriture fainte, & fur des matieres de Religion, & quelquefois de Littérature. Des Mèmblées qui ayoient un tel chef, n'auroient pas fouffert pour Membres des hommes d'un mérite médiocre; elles demandoient fur-tout un Secrétaire digne du Préfident; 1'Abbé Fleury fut chargé d'y tenir la plume, ck fit dans cette excellente Ecole le premier effai des talens qu'tl devoit employer fi utilement pour le bien de 1'Eglife. Ce fut vers ce temps-la qu'il traduifit en latin 1'Ouvrage célebre de Bofftfet, intitulé Expofition de la Doctrine Catholique, Ouvrage defliné a détromper les Protefians fur les fauf-  t) E F L E Ü R Y. I7J fes idéés qu'ils s etoient faites de plufieurs dogmes de 1'Eglife Romame. -Cetre traduétion , qui fut revue avec foin par Boffuet, eft une des plus folides réponfes qu'on puiffe faire a 1 lm* putation dont les Miniftres Réformés ont fi opiniatrement chargé 1'Evêque de Meaux , d'avoir adouci dans fon Livre le; dogmes qui les révoltoient, & d'avoir voulu, fuivant 1'expreffion dont ils affectoient de fe fervir, hater le triomphe de la foi aux dépens de la bonnefoi. La candeur fi bien connue de 1'Abbé Fleury, eft un garant irifaillible qu'il neut pas voulu, même par Eele pour la meilleure caufe , traduire un Ouvrage 011 la vérité auroit été tant foit peu déguifée. Si 1'extrême aclivité de Boffuet pour faire des Profélytes, aclivité qui pouvoit parokre \ des yeux prévenus une efpece d'ambition, fourniffoit a 1'envie un prétexte d'accufer fon ame ardente & impétueufe; 1'ame fimple & vraie de 1'Abbé Fleury repouffoit jufqu'au foupgon même , & mettoit 1'Auteur i 1'abri derrière fon Traducfeur. La vie de ce refpedable Ecrivam, fans bruit & fans oftentafion, comme H iv  ^76 Éloge fa perfonne, fut toujours fi uniforme & fi peu chargée d'éve'nemens, que fon Hiftoire eft uniquement celle de fes Ouvrages. Le plus confidérable eft YHiftoire Eccléfidflique, a laquelle il travaiila durant trente années, & dont il donna vingt Volumes qui renferment ï'efpace de quatorze fiecles, depuis 1 etabliflèment du Chrifiianifme jufqua ï'ouverture du Concile de Conftance. Jl étoit fatisfait, difoit-il, que fon age & fes infirmités, qui ne lui permettoient pas d'achever fon Hiftoire, lui euffent au moins permis de terminer fon travail a 1 epoque remarquable de cette Aifemblée célebre, qui a mis des feornes fi fages & ft juftes h Ia Monarchie fpirituelle des Papes, ou plutót a leurs pre'tentions pontificales, & qui eft pour 1'Eglife ce que le traité de Weftphalie eft pour 1'Empire Germanique, la fauve-garde de fes droits & de fon indépendance. Néanmoins cette raifon même, le róle important que le Concile de Conftance a joué dans 1'Eglire CathoÜque, doit faire regretter que M. 1'Abbé Fleury n'ait pu écrire J'Hiftoire de ce fameux Concile, & des précieux décrets qu'il a portés contre  be Fleury. tyy Sinfaillibilité prétendue & le defpotifme trop réel des Souverains Pontifes. Ce qu'on doic regretter encore davantage , c'eft 1'aveu édifiant & ftncere que fans doute le fage Hiflorien auroit fait, des malheuremes taches qui obfcurciffent 1 eclat de cette Aflémblée , digne,aplufieurs égards, de nos refpects 8c de nos éloges, mais a qui le célebre Jean Gerfon reprochoit d'avoir eu dans fa doctrine 8c dans fa conduite deux poids & deux mefures. M. 1'Abbé Fleury, pénétré, comme il 1'étoit, du véritable efprit du Chriftianifme, eut certainement déploré, avec autant de force que de douleur, le fupplice horrible de Jean Hus 8c de Jéröme de Prague, fi funefte a la gloire du Concile. II eut condamné hautement la barbarie exercée fans aucune réclamation , contre ces deux infortunés, inébranlables a la vérité dans leurs opinions, mais de rnceurs irréprochables; il fe fut élevé contre ces Miniftres fanguinaires d'un Dieu de paix, qui livroient aux dammes d'autres Miniftres du même Dieu, malgré le cri de 1'humanité 8c celui de la foi publique, fous H v.  17** Ë 1 O G E les yeux d'un Empereur qui eut la Baft fefTe & la cruauté de le fouffrir; tandis* que ce même Concile fe contentoit de priver du Pontificat un Pape fcandaleux (1) &-fouille' de crimes; tandis qu'il ne condamnoit qu'après de longues & honteufes difputes entre fes Membres, 1'exécrable dodrine du Cor. deher Jean Petit, Apologifle du plus lache & du plus odieux des aflaffinats (2) ; tandis enfin qu'il fouffroit une multitude abominable de femmes perdues dans cette même ville , oü ie tenoit le Concile. Qu'il eut été a fouhaiter que le fidele tableau de ce Concile, fi affligeant d'un cöté, fi confoiant de 1'autre, eut été tracé par la plume de notre pieux & fage Auteur, bienpropre, par fa candeurincorruptible , a écrire 1'Hiftoire d'une «ehgmn de paix, d'innocence, & de charité ! L'Ouvrage de M. 1'Abbé Fleury fut recu avec les plus .juffes applaudifTemens. II ne faut pourtant s'attendre a (O Jean XXIII. (*) Ycyej la Note («)»  de Fleury. 179 J trouver, ni cette beauté de ftyle , ni cette chaleur de defcription, ni cette forcéou cette finelTe de pinceau, ni cette profondeur de réflexions qu'on cherc'ne dans le comraun des Hiftoriens, qu'on admire dans quelques-uns , & qui même dans ces derniers ont plus d'une fois le défaut de faire trop penfer aTEcrivain, ck 'oublier ceux dont il parle; 1'Auteur a fuppléé a ces qnalités brillantes par un ton de vérité fcrupuleufe ck naïve, qui lui concilie ck lui atia&he ft>n Lecfeur. On diroit que M. 1'Abbé Fleury s'eft propofé pour modele la fimplicité des Li.vres faints, ck qu'il a tracé la propagation dit Chriftianifme de la même pïume dont les Ecrivains facrés en ont décrit la naifTance. On ajpourtant fait a 1'Auteur deux; rêproches afTez connus, mais dont il s'eft bien difculpé aoprès des Juges équitables. Le premier de ces reproches , efl qu'il fe montre un peu trop crédule fur les miracles ck fur les légendes, fur-tout dans les premiers fiecles. II répondoit qu'il n'avoit pas rapporte" fans raifon cette foule devénemens prefque incroyables, qui ont illuftré cjt H vj  ïSb É L O G E foutenu le berceau foible & chancelami de 1'Eglife; qu'a mefure qu'il avancoit vers les temps de lumiere ck d etabliffement paifible du Chriftianifme, les récits de miracles devenoient moins fréquens dans fon Hifloire, ck que le merveilleux y étoit plus clair femé -y qu'il avoit cru fe conformer en cela aux vues de la Providence divine dans la propagation de la Religion Chrétienne; que cette Religion, envoyée du Ciel aux hommes, mais envoyée a des hommes , avoit befoin , dans fes commencemens, d'être appuyée par des prodiges qui forcaffent au filence 1'incrédulité ck les perfécuteurs; que les prodiges étoient devenus moins néceffaires a mefure que la Religion avoit eu moins d'obftacles a vaincre; & que, dans les temps heureux oü nous vivons & oü elle voit enfin fon regne fi folideraent ëtabli, les miracles ne fe font plus que dans des occafions extraordinaires & très-rares, par cette raifon également chrétienne & philofopbique, que la fageffe éternelle & fuprême ne produit rjen d'inutile. Une feconde ohje«flion qu'on a faite h M, 1'Abbé Fleury, c'eft de n'avoir  de Fleury. iSf f>as parle' avec affez de ménagement de certains fcandales fur lefquels, difoit la critique, il auroit du tirer le rideau, ou du moins jeter la plus forte gaze , pour ne pas donner aux foibles une occafion de doute, 8c aux ennemis de la Religion un prétexte de 1'attaquer. On peut compter parmi ces fcandales les ufurpations des Papes fur la puiffance temporelle, 1'efprit de faclion 8c d'intrigue qui paroit avoir régné dans' plufieurs Conciles, & dont 1'héréfie fait a 1'Eglife des reproches fi fréquens 8c fi amers, la corruption des mceuis dans le Clergé 8c jufque dans les cloltres, la fuperflition la plus abfurde infecrant la faine doctrine , enfin les écarts 8c 1'ambition de certains hommes qui avoient d'ailleurs des vertus que 1'Eglife.révere, 8c qui ont eu befoin de toutes ces vertus pour leur faire pardonner le mal dont ils ont été les auteurs. M. 1'Abbé Fleury répondoit encore , avec une fimplicité également digne de fa piété 8c de fes lumieres, que fi le premier devoir de 1'Hiftorien eft de dire la vérité , ce devoir doit être encore plus facré pour 1'Hiftorien ï'une Religion qui eft la vérité même i  ïii É L O O È qu'il ne faut pas, en flattant Ia beauté* du portrait , fournir aux mal intentionnés un pre'texte d'en charger la laideur; que plus la Religion efl appuyée fur des fondemens folides, moins on doit cacher les moyens de toute efpece dont une Providence impénétrable s'eft fervie pour 1 etablir; que les caü'fes même qui auroient paru devoir la détruire, lost au nombre de ces moyens de propagation, ck les marques les plus eclatantes du pouvoir de celui qui fait tirer Ie bien du mal même, & faire naïtre, comme dit 1'Ecriture, du fein des pierres , des ènfdns d''Abraham ; que la preuve Ia plus triomphante peutêtre de la divinité de la Religion, eft de n'avoir pas été anéantie par les vices & par les crimes de ceux qui 1'ont prechée; & qu'enfm ce même Dieu qui a fu défendre fon ouvrage contre le glaive des perfécuteurs, faura bien le défendre auffi jufqu'a la fin desfiecles, contre le potfon Jent ck plus redoutable des iniquités qui femblent en faire craindre la ruine. Parmi ces iniquités funefles, qui, fu|vant rexpreffion de M. 1'Abbé Fleury, ont tant décrié VEglife, il compte ülxl  de Fleurt*. tSj tout les perfe'cutions violentes, fi fréquemment exercées conrre les Hérétiques. II oppofe aux horribles maximes du fanatifme & de 1'intolérance, la doctrine de 1'Evangile même , la connoiffance des vrais intéréts de ia Föi,. les écrits & la conduite des plus refpectables Evêques, enfin la peinture effrayante des défaftres que la perfécution traine a fa fuite. Les réflexions du vertueux Hiflorien fur cette aflligeante matiere, mériteroient d'être 'lues chaque jour dans toutes les écoles de Théologie, méditées dans tous les Séminaires, & prêchées dans tous les Temples ; elles font d'autant plus dignes d'éloge, que 1'Auteur les écrivoit dans , un temps & dans un Royaume oü le Souverain , foit trompé , foit mal obéi, i donnoit , par la perfécution des ProI teflans , un trifte fpeclacle a 1'Eui rope, & un cruel exemple aux autres ! Monarques (t). Les principes de M. 1'Abbé Fleury fur tous ces objets fi intéreffans , font I expofés de la maniere la plus fatisfaifante pour les LecfeursChrétiens , dans (i) Yoyez Ia Note (£).•  É L O G E fes excellens Difcours fur V Hiftoire EccUfiaftique, fupérieurs a 1'Hiftoire même (i). C'eft la que eet efprit, naturellement fi droit & fi lumineux, fe livre en liberté aux réflexions dont il avoit cru devoir s'abftenir dans fon grand Ouvrage. C'eft la qu'il fait 1'Hiftoire philofophique & raifonnée de la Religion Chrétienne , des fecouffes qu'elie arecues, des confolations quelle a éprouvées, des révolutions qu'elie a fouffertes, non dans la fubftance des dogmes, mais dans la maniere de les enfeigner. Ces hommes fi zélés ou feign*nz de 1'être, qui crient fans ceffe a 1'impiété Jorfqu'on attaque les abus dont la Religion a eu fi fouvent a fe plaindre, font invités a lire fur-tout Cef* dans ,e chapitre 14 du quatricme Dïfcours fur 1'Hiltoire Eccléfïaftique , que M' 'Abbé lleUTY développe fes maximes aufli lumineufes qu'édifuntes, contre la perfécution des Hérétiques j & c'eft dans le chapitre précédent qu'il infifte fur la jwecffité indifpen'able de dire la vérité toute entiert dans 1'Hiftoire de 1'Eglife. Nous invitons les Theo og.ens, fi jamais les Théologiens nous font lhonneur dc nous lire , a méditer ces .deux chapures.  BE FlEURY. ifj 3eux de ces Difcours, celui qui a pour objet les Croifades, & celui qui traite des Ordres Religieux. Ils feront étonne's de la force avec laquelle 1'Auteur s eleve dans le premier Difcours contre ces faints brigandages d'Outremer (car il ne craint point de les qualifier ainfi), qui ont dépeuplé &£ ruiné 1'Europe fans faire au Chriftianifme un feul profélyte digne de lui; entreprifes auffi atroces. qu'abfurdes, par lefquelles la Religion auroit été tout a la fois anéantie & déshonorée, fi elle avoit pu 1'être. On verra dans le fecond Difcours, a quel point 1'Auteur déplore la prodigieufe multiplication des Ordres Monaftiques, qui, après avoir été dans les beaux jours de 1'Eglife 1'afile de 1'humilité & de la pénirence, font devenus fi fouvent depuis le repaire de 1'ignorance & de la fainéantife , & quelquefois même le féjour de 1'orgueil & de 1'intrigue; ce qui a fait dire a un Ecrivain du quinzieme fiecle, témoin des défordres &c du fcandale dont les Monafteres n'offroient alors que trop d'exemples, quefi, dans ces demeures religieufes, la piété avoit d'abord enfanté la richéjje, la fitte avoit  ïS6 É L O G E ƒni par tner la mere. 1YT. 1'Abbé Fleury, plein de refpect pour les cénobites des premiers fiecles , ne craint point de s'expliquer avec franchife fur les Inftituteurs des nouveaux Ordres; il ofe même les accufer aflèz ouvertement de vanité ck d'ambition, tout canonifés qu ils font pour la plupart; car nous nous faifons un devoir de rapporter fes propres paroles j il avoue , ou plutót il aiTure, que fans préjudice de leurfainteié, on peutfe défier de leurs lumieres; il paroït fur-tout hlamer 1'imtitution des Mendians, malgré 1'honneur que leur faifoit Saint Louis, en affiirant au milieu de fa Cour, que s'il pouvoit fe partager en deux, il donneroitla moitié de fa pèrfonne aux Cordeliers, & 1'autre aux Jacobins. Les Philofophes qui ont tant déclamé dans ces derniers temps contre les Croifades & contre la foule pernicieufe des Moines, n'ont peut-être pas porté h ces deux fléaux de 1'humanité ck du Chriftiamfme, des coups auffi redoutables que M. 1'Abbé Fleury dans les deux Difcours dont nous parions; paree qu'aux lumieres que pouvoient avoir les Cenfeurs philofophes, M. 1'Abbé. Fleur/  de Fleury. 187 j'oignoit un amour fincérepour la Religion , que peut-être ils n'avoient pas, & une modération dont ils fe font quelquefois trop écartés. Nous ne parierons point d'un autre Difcours auffi eftimable, oü 1'Auteur fixe les bornes, fi long-temps ignorées & fi fouvènt francbies , qui féparent les deux Puiffances. Ce Difcours peut être regardé comme un excellent Ouvrage élémentaire fur les droits inconteftables de toutes les Eglifes; droits que 1'Eglife de France a confervés avec plus de foin que toutes les autres, & que par cette raifon elle appelle du nom modefte, mais affez impropre, de fes libertés. Dans 1'expofkion de ces droits précieux, 1'Auteur ne fe montre pas moins bon Francois qu'il s'eft montré par-tout ailleurs Hiftorien éclairé ck. Chrétien plein de zele, mais d'un zele pur & jelori la fcience. C'eft peut-être faire tort aux excellens Difcours qui emfclliffent 1'Hiftoire de M. 1'Abbé Fleury, que d'en citer quelqu'un de préférence aux autres. II n'en eft pas un feul qui ne porte i'empreinte de 1'efprit & du caraélere de 1'Auteur, de fes lumieresde foa  *^ E L O G E equité de la bonne foi, & de Ia fageffe avec laquelle il fait diftinguer 1'efprit aVus Sl°" ^ °e gui n'Cn efl ?ue • Nous ne devons pas négliger de ^re, comme un trait qui fait honneur a la modefhe de M. 1'Abbé Fleury qu il héiita long-temps a entreprendre deerne IHiftoire Eccleïiaflique II regardoit ce travail comme trop au defA fe voyant pris fur le fait & convaincu repondit froidement : Je Jais que je fuis unfnpoh, mais je n'aime pas qu'on me le dife'(tfi 1 (0 Voyez la Nor« (/ ).  dé Fleur y. «t NoTES fur Vartich de M. VAbbé Fleury. \d) On peut voir dnns 1'Hiftoire du Concile de Conftance par M. Lenfant, les longs débats qu'exciterent dans ce Synode de la Chrétienté les aflértions feandaleufes du Cordelier Jean Petit, fur 1'affaffinat du Duc d'Orléans par le Duc de Bourgogne ; les obfiacles que plufieurs Peres du Concile , affiftés de plufieurs Meines ck Théologiens, voulurent mettre a cette condamnation, ék combien il fallut au célebre Gerfon , de temps, d'acf ivité, de vigueur ék de patience, pour faire enfin décider par 1'Eglife affemble'e , que tout affaffmat eft un crime. Cette dodrine abominable que le Concile de Conftance héfita fi long-temps a profcrire, eft la même qui produifit depuis les fureurs de la Ligue, ék qui plongea Ie poignard dans le fein du meilleur de nos Rois. Nous avons dit combien ce fameux Concile fe mantra peu favorable a la  212 E L O G E Cour de Rome. Les décifions qu'il prononca fur eet objet font très-connues; mais il en eft une qui 1'eft moins, ck qui mérite que nous la rappellions ici. On propofa aux Peres.de Conftance d'établir quelques annates extraordinaire en faveur de 1'Eglife Romaine, pour 1'entretenir, difoit on, dans l'écat de fplendeur ou elle devolt être ; ils répondirent qu'elie n'avoit qu a mettre en valeur les terres de la campagne de Rome, qui lui fourniroient abondamment de quoi fe foutenir,ft elles étoient cultivées. Ainfi la culture de ces terres. étoit dès-lors trés - négligée dans les Etats du Pape; & malheureufement elle a continué a 1'être jufqu'a nos jours; trifte, mais nécetfaire effet, difent les Proteftans, du gouvernement iacerdotal. Nous croyons, pour 1'honneur des Souverains Pontifes, cette affertion des Proteftans, moins didée par la raifon que par leur humeur contre le Saint-Siége. (3) Quelques juftes reproches que mérite Louis XIV pour la perfécution qu'il a ordonnée ou permife contre les Proteflans, ce Prince, aa  de Fleury. z\y fond, jufte & vertueux, mais trompé par fes Confeffeurs &. fes Miniftres, e'toit plus exculable encore dans fon aveuglement, qu'un pieux ékfaint Evèque du dernier fiecle, que nous nous abftiendrons de nommer par e'gard pour fa mémoire , & que les Journaliftes de Tre'voux n'ont pas rougi de citer avec éloge, pour avoir eu le malheur d'avancer dans un de fes Ouvrages, que cejl charité de décrier tant quon peut les ennemis de Dieu & de VEglife, tels que font les Hére'tiques & les Schifmatïques que le Sauveur traite de faux Prophetes & de loups raviffans ; a quoi les mêmes Journaliftes ajoutent charitablement, que cette conduite eft: conforme a 1'autorité de 1'Ecriture & a 1'exemple des plus faints perfonnages. Voyez les Mémoires de Trévoux, Novembre 1723, page 2089. (c) Le célebre Chriftophe Ranzonius, Proteftant, s'étpit trouvé a Rome pendant le Jubiié de 1650. Après avoir tout obfervé avec les préventions Qrdinaires a ceux de fa communion, il écrivit a un de fes amis, Proteftant comme lui: » Vous avez penfé que je  5i4 Éloge » ferois choqué des lsperflitions, des y> puérilités, des nouveautés frivoles » que Rome ne manqüeroit pas de me » préfenter, 8c le contraire eft arrivé, » contre mon attente, üès lentrée du » Jubilé, que le Pape avoit annoncé » au Monde Chrétien , j'ai trouvé dans » le centre de 1'Eglife Catholique, un » fpetTtacle qui retracoit la piété des » premiers temps. j'ai vu s'avancer vers » la Bafilique du Vatican, une multi» tude d'enfans modeftes comme des » Anges, des effaims de Sol.taires 6c » de Religieux, des Confréries d'hom» mes 6c de femmes, diverfes Collé» giales & ParoifTes, le Pontife fuivant » fon Clergé, environné d'un grand » nombre de Prélats, le peuple Chré» tien marchant en foule après Ion » Chef 6c fon Pafteur, mais avec une » ferveur fi impofante , qu'ils femï> bloient vouloir faire au Ciel une » fainte violence.... J'avoue que cette » nouveauté m'a rappelé la piété des » premiers Fideles «. Nous ne voyons pas qüaprès avoir écrit cette lettre , Ranzonius fe foit fait Catholique. Cefl apparemment paree qu'il avoit encore été plus fcandalifé des défordres de la  de Fleury. ny Cour de Rome, qu'e'difié des cérémonies de 1'Eglife, & que la Signora Olympia, maitrefTe déclarée du Pape Innocent X qui régnoit alors, faifoit un, tprt bien afFiigeant a la fainteté de la Religion, dont ce Ponrife étoit le Chef, (d) Un Citoyen zélé pour le bien public , ayant propofé un prix pour celui qui donneroit le meilleur Ouvrage elementaire de morale a la portee des enfans, M. le Marquis de Condoreet , qui fait porter dans toutes les ma-r tieres qu'il traite la lumiere de la philofophie la plus ïaine, a joint au programme pubiié pour ce prix, des réflexions relatives au plan qu'on peut fuivre dans ce Traité fi utile par fon objet. Ces réflexions n'ayant été im« primées que fur une feuille volante , fujette a fe perdre , & nous paroiffant très-dignes d'être confervées, nous avons cru devoir les inférer dans eet Óuvrage, oü d'ailleurs les produclions des Académiciens, ck fur-tout des Académiciens illuflres, ne feront jamais déplacées. » 1. Les idéés morales naiffent na$ turellement ck de bonne heure d|nj  2l6* E L O G E *» 1'ame des hommes qui vivent en fo35 ciété : mais ces idees font incom» plettes & inexacles ; il faut donc » s'occuper d'abord du foin de les rea» tifier. Une de'flnition des mots qui » les expriment ne fuffiroit pas ; Sc » une analyfe des idees de jufiice, de » devoir, d'honnêteté, de droit, de » tort, &c. analyfe oü 1'on n'emploie2> roit que les notions fimples qu'on » peut fuppofer dans 1'efprit des en» fans & les feminiens dont ils font » fufceptibles , paroit devoir être la » première bafe d'un Traité de mo» rale deftiné a eet age. Les défini» tions n'y doivent être qu'un relultat » précis de cette analyfe. Par ce moyen, » on s'alïurera que les enfans, en re» tenant ces définitions, auront vraii> ment dans 1'efprit les idéés corref» pondantes aux mots qui y font era» ployés. » II. En expofant aux enfans, dans » un ordre méthodique , les principaus » devoirs de 1'homme, il faut leur faire, » fentir a la fois, & par quelle raifon » chaque regie parfkuliere qüon leur » préfente eft au nombre des devoirs, » & les motifs particuliers de fe con» former  de Fleury. 477- » former a cette regie dans la conf> duite de ia vie. » II y a pour les hommes des motif* & généraux de remplir leurs devoirs; » mais fi 1'on s'y bornoit avec des en» fans, on rifqueroit de perdre tout » Ie fruit de 1'inftruclion qu'on leur » donne. Le moyen même le plus fur » de leur faire acque'rir une connoif» fance exacle & réelle de ces motifs » generaux , efl de leur montrer pour » chaque devoir les difTérens motifs » qui doivent les porter a Ie remplir, » ck. de leur apprendre enfuite a faifir » dans ces motifs particuliers les prin» cipes communs qui s'appliquent a » tous les devoirs; fans cela, peut-être » feroit-il impoffible a un enfant d'ac» que'rir une ide'e du principe général » de morale qui prefcrit de faire tout » ce que la raifon juge être un devoir, » d'éviter tout ce qu'elie j*ge être con>> traire a la morale, ck des motifs de ne jamais s'écarter de ce principe » dans fa conduite. Si quelques hom» mes faififTent facilement des vérite's » générales, c'eft qu'ils retrouvent dans » leur mémoire les obfervations parti» culieres dont les vérités font le rc- Tome LV% K  21 8 Ê L O G F. » fultat. II n'en eft pas de même des » enfans; ék fouvent, fi on les examine » avec attention , on trouve qu'une » propofition générale qu'ils énoncent, » n'a pour eux qu'un fens trés-peu » étendu ck borné a très-petit nombre » d'objets, les feuls qu'ils connoiffent >> ck qu'ils ayent pu embraffer dans leur » jugement. Cette partie de 1'Ouvrage » demande beaucoup d'attention , pour » ne pas offrir aux enfans une méta» phyfique trop abftraite, trop feche , » trop générale , ék pour éviter en » même temps 1'éternelle répétition » de motifs qui font !es mêmes pour » un grand nombre de devoirs diffé» rens. 5> III. L'intention du donateur eft: » de n'employer que les motifs natu» reis, c'eft a-dire, ceux que 1'homme » abandonné a lui-même peut trouver >> dans fa raifon ou dans fon cceur. » Comme un des moyens les plus J» fürs de rendre les hommes honnêtes » eft de fortifier en eux les fentimens » naturtls, tels que la pitié, 1'affedtion » générale pour les autres hommes , » 1'affeólion perfonnelle pour leurs pa- rens ou leuts amis, le défir d'être  de Fleurt. 119 » aimés , d'obtenir la confiance, il fe» roit a défirer qu'en prenant dans ces » mêmes feminiens une partie des mo» tifs de remplir nos devoirs, on put » en même temps les développer ék s> les fortifier dans 1'ame des enfans; » mais il feroit nécelfaire alors d éviter » avec foin toute efpece d'exage'ration. » On doit craindre que, s'appercevant » un jour qu'on les a trompés par cette » exagération, les enfans ne prennent » tout ce qu'on leur a enfeigne' pour v 1'efTet d un deffein fecret de les trom» per, ék de leur infpirer les opinions » ék les fentimens qu'on fe croit in-, » téreiT'é a leur donner. » D'ailleurs, il faut bien fe garder » d'imaginer qu'on ait befoin de rien » exagérer pour exciter dans les ames » qui en font fufceptibles, un enthou» fiafme vrai, le feul qui foit utile. » Cet enthoufiafme a dans la nature » un fondement réel; ék 1'homme » n'a pas befoin d'être trompé pour » porter la vertu même jufqu'a 1'he'» roïfme. » IV. II faut, ea expofant aux enfans » le tableau des devoirs de 1'homme, » mettre dans ce tableau un ordre qui K ij  1*0 ÉLOGE » leur en faffe fentir la nature & l?im» portanee. Cette connoiffance de 1'or» dre des devoirs eft e'galement né» ceffaire , & pour la morale, & pour » la conduite de la vie. Le moyen da » n'avoir point d'hommes vertueux, » eft d eriger en vertus des acïions prefi> que indiffe'rentes. Si 1'on attaché trop » d'importance aux petites chofes, on i> finit par faire négliger les grandes. » Et comment jugera-t-on bien les au» tres hommes, comment pourra-t-on » fe conduire avec eux, li, trompe' par » une morale fauffe ou exage'rée, on » confond les acfions ou la foibleffe ék. s> les pafïions entrainent les ames hon» nêtes, avec les acfions qui naiffent » d'un cceur corrompu l » 11 n'eft pas moins néceffaire de » diftinguer les diffe'rentes claffes de » devoirs, ceux qui font prefcrits par » la juffice, par 1'humanité , par la i> bienfaifance , par le refpecf pour » 1'ordre de la focie'té , par 1'amour de » la vertu , par la prudence. Refpecfer » les droits d'autrui, ne point faire de » mal a fes femblables, chercher a leur faire du bien , fe conformer aux Loix j> é tablies dans la fociéte', aux ufage*  de Fleury. 121 » même qui lui font utiles, faire deè *>■> facrifices au bien général ou a celui >> des autres hommes , éviter les ac~ >> tions qui peuvent nous faire perdre » 1'eflime & la confiance, ou qui nous » expofent a commettre des aétions » contraires a ce que nous devons a nos » femblables; toutes ces regies de con» duite peuvent être regardées comme » des devoirs d'une nature différente. » La plupart des aclions que la morale » condamne, font contraires a la fois » a plufieurs de ces principes ,|mais elles » fe rapportent direétement a 1'un » d'eux. Nous ne citons ici cette di» vifion que comme un exemple, fans » prétendre qu'elie foit la meilleure y> 8c qu'il faille s'y conformer, mais » feulement pour faire fentir la ma» niere de diflinguer les différentes » claffes de devoirs. Une telle divifion » eft néceffaire : en favorifant la mé» moiré , en rendant plus faciles a com» prendre les vérités que 1'on expofe , » elle a 1'avantage de rendre plus fim» ple 1'application des principes de la » morale aux aclions particulieres de » la vie. C'eft en même temps un des » meilleurs moyens d'éviter les deux K iij  üi É L O G E » inconvéniens dont nous avons déja » parlé, celui d'offrir aux enfans des » principes ou des motifs de conduite i> trop généraux , ck celui de revenir » trop fouvent fur les mêmes motifs » ék fur les mêmes principes. » Plufieurs Moraliftes ont tenté de » réduire tous nos devoirs a un feul ; » cette idéé efl grande en elle-même. » Tout ce qui mérite le nom de de» voirs peut fe réduire a la jufticepour » des hommes éclairés;, mais cette mé» thode ne peut être adoptie dans un » Ouvrage tel que celui-ci. En effet, » pour rappeler un devoir particulier » a ce principe unique, on auroitfou* vent befoin de diftinólions ék de fub» tilifés trop au delfus de la portée des "» enfans. Ainfi les Auteurs qui tente» roient d'établir un tel fyftême, doiv vent prendre garde a Cet inconvé» nient, que n'ont pas évité des hom» mes très-célebres en ce genre. » Par exemple , Wollaflon effaya de » réduire toute Ia morale a éviter le » menfonge ; ék il trouvoit que 1'af» faffinat étoit un crime , paree que » cette aclion renftrme un menfonge » implicite, ou plutót un menfonge en  de Fleur y. ü) » action , puifqu'on traite alors comme » un agreifeur injufte un homme qui » ne 1'eft pas. » V. Nous n'avons jufqüici parle' » que de 1'Ouvrage en lui-méme , il » nous refle a parler de la forme qui » lui convient. . » On ne doit point perdre de vue » qu'il efl deitiné a des enfans fans » éducation , ck qu'il doit leur être » expiiqué par un Maitre d'Ecole. II » faut donc qu'il ne contienne rien qui » foit au deffus de la portee des Eco» liers ou du Maitre. On fent que le » ftyle doit être fimple, ck que s'il » efl néceffaire d'y faire entrer des ex» prelïïons empruntées du langage pbi» lofophique, chacune d'elles doit être » foigneufement analyfée ck définie. » On a cru quelquefois utile de tranf» porter dans les Ouvrages deitine's aux » enfans, les formes affecfueufes de la » converfation. Cette méthode peut » adoucir la fécherelfe des lecons ; » mais il eft poffible qu'ils n'en voyent » que le cöté ridicule, ck la crainte » du mal qui en réfulteroit doit peut» être 1'emporter fur celle de paroitre » trop dogmatique ou trop fee. On K iv  124 Elogi » pourroit dire que les habitans des » campagnes font graves en général, » ékpeu difpofe's a rire des difcours » qu'on leur adreffe : mais cette ob» fervation n'ell juffe que pour les » hommes faits ; les enfans ont par» tout une grande facilité a faifir Je » ridicule , ck une propenfion naturelle » a s'en amufer. D'aill'eurs, il s'agit ici » deducation publique; & il fuffiroir , » pour de'truire tout le fruit d'un Ou» vrage , que dans chaque Ecole un » feul enfant en eut faifi ék fair re» marquer aux autres le ridicule. » Le donateur a cru devoir exiVer » un Ouvrage qui put être mis- immé» diatement entre les mains des en» fans. Cette condition doit engager *> a faire la plus grande attention pour » n'y rien lailfer que ce qui doit être » lu par eux. Ainfi , dans le cas oü » 1'Auteur jugeroit nécelfaire d'entrer ï> dans des difcuiïions fur la forme qu'il » a cru devoir donner a fon Ouvrage, » fur les motifs qui lui ont fait pré» fe'rer une me'thode a une autre , em» ployer certaines défmitions, paifer » fous filence quelques parties de la » merale, e'tendre fon Traité a des  de Fleury. 225 » objets qui fembleroient étrangers au » premier coup-d'ceil j routes ces dif^> cufbons peuvent être préTente'es au » concours, mais féparément de 1'Ou» vrage même , nour éclairer les Juges, » ék non pour etre 1'objet de leur dé>> cifion. Ces difcuffions ne doivent pas » être regarde'es comme fuperflues. En » effet, il s'agit ici d'une morale gé» nérale, propre a des hommes d'ail» leurs peu inftruits, ck. il eft impor» tant de fixer les bornes oü 1'on doic » fe renfermer : elles font marque'es » d'un cóté par 1'e'tendue de leurs lu» mieres, de 1'autre , par la nature des » circonftances oü le cours ordinaire » de la vie peut les placer, peut-être » même par le danger de leur mon» trer certaines fubtilités , certaines » exceptions dont ils ne fentiroienc » pas les juftes limites. Ainfi 1'on fent » qu'il eft important que tout Auteur » qui s'écartera des routes communes , » metre les Juges a portee de connoi» tre fes raifons ék de les apprecier. » Tout homme qui a réfle'chi fur » l'éducation, connoit la difrKulté de » faire un Ouvrage qu'on puiffe mettre » ent're les mains des enfans. Tout ce K v  Zl6 E L O G E » qui paroit annoncer un myftere, une » précaution , une réticence , un def» lein de leur perfuader une opinion, » peut devenir funefte; alörs ils ne » chercheront plus dans le livre ce qui » -y eft, mais ce qüon a voulu leur » cacher. Ils luivent en cela le mou» vement très-naturel , très-légitime , » de chercher a pénétrsr ce qui peut » les intérefTer. Cette difficulté devient » plus grande dans 1'éducation publi» que , oü 1'on n'a pas feulement a » craindre la fagacité dun feul enfant, » mais oü celle de chacun eft a crain» dre pour tous. La vigilance des Mai» tres dans 1'éducation particuliere, la » confiance qu'ils infpirent a leurs Ele» ves, peut mettre a 1'abri de ce dan» ger ; mais dans 1'éducation publique, » les lumieres de ce genre font com» munes entre tous, ck. il y a une ligue » conftante entre les Difciples pour » n'être pas la dupe de leurs Maitres. » Dans les Colléges bien régies, une » des plus grandes occupations des » Maitres, qui même n'y réuffiffent » pas toujours, eft d'empêcher cette » communication de lumieres, de s'op» pofer a cette confédération : mais on  DE F L E Ü R Y. 117 » fent qu'il n'exifte aucun moyen de » s'y oppofer dans l'éducaïion popu» laire , oü 1'enfant, forti une fois de » 1'e'cole, n'eft plus fous les yeux d'au» cun Maitre. » II eft tres - poflible que 1'Auteur » d'un Traité élémentaire de morale » croye que parmi les objets fur lef» quels il eft néceffaire d'inflruire les » hommes de tous les états, il en exifte » quelques-uns dont la prudence pref» crive d'écarter les yeux des enfans : » dans ce cas, tl peut divifer fon Ou» » vrage en deux parties féparées, 1'une » pour les enfans, 1'autre pour les jeu» nes gens; on pourroit même divifer » le Traité en un plus grand nombre » de parties abfolument diftincles. Si » 1'on peut fuivre cette méthode fans » nuire a 1'ordre fyftématique de 1'Ou» vrage, elle aura 1'avantage de per» mettre aux parens de n'acheter les » différentes parties qu a meiure qu'on » les expliqueroit. a leurs enfans. Ces » Traités féparés, quoique faifant par» tie d'un même enfemble , ieroieat » dt ftinés pour différens degrés d age » & d inftruétion , & on pourroit pro» portionner le ftyle &. la méthode de K vj  2.2% É L O G E » chacun deux a la capaciré cle chaque » claffie d'Eleves. II faut aux enfans du » premier age plus de développemens, » une marche plus lente, un foin plus » fcrupuleux d 'éviter tout ce qui peut » exige'r ou de Ia contention, ou des » combinaifons d'idées un peu com» pliquées. On peut, lorfqüils ont déja » recu quelque inftruétion , avoir plus » de précifion, préfenter des nuances » plus fines & moins faciles a faifir. » Des développemens trop étendus fa2> tigueroient alors 1'attention au lieu V de la foülager, & nuiroient a la clarte' » au lieu de 1'augmenter. On fait qu'il » eft auffi difficile de faifir une fuite » de propofitions, dont chacune a part » n'exige point d'attention , qu'un rai» fonnement oü 1'on a trop fupprimé » les propofitions intermédiaires «. Quoique ce plan contienne des réflexions très-utiles pour ceux qui voudroient compofer un Ouvrage élémentaire de morale , cependant il n'eft pas abfolument nécelfaire de s'affujettir rigoureufement a la marcbe qu'on vient de propofer. Le point effentiel ed de donner au Traité dont il s'agit, toute la clarté, la fimplicité, & la précifion  d e Fleury. 229 pofïible, d'y fonder la morale fiir des principes qui loienr a la portee de tout Je monde, & communs a tous les peuples, c'efba-dire , fur le befoin que les hommes ont les uns des autres, fur la néceffité oü ils font de s'entr'aider ék de fe fupporter pour leur repos ck leur bonheur mutuel, fur le plaifir d'être utile a fes femblables, fur 1'intérêt que nous avons a être vertueux pour notre propre avantage , & pour être bien avec nous-mêmes ck. avec les autres; enfin, fur 1'obligation d'obéir aux Loix de la Seciété , pour jouir en paix èk avec juflice des biens que cette Société nous procure. Peut-être feroit-il bon , pour plus de clarté 6k de fimplicité, de donner a 1'Ouvrage la forme de Cate'chifme, par demande ék par réponfes, courtes, mais précifes. On pourroit (comme nous i'avons dit ) prendre pour modele le petit Catéchifme hifloriftjue de 1'Abbé Fleury. Je crois auffi qu'il faudroit divifer 1'Ouvrage par chapitres, moins relatifs a 1'ordre des matieres, qüaux progrès de 1'intelÜgence dans les enfans qu'on fe propofe d'inftruire. Ainfi le premier chapitre contiendroit  230 Élogï les principes de morale a la portee de la première enfance, en commencant au moment oü les enfans font capables de parler ck de comprendre ; le fecond feroit pour un age un peu plus formé ék capable d'ide'es un peu plus fortes, ék ainfi de fuite jufqu'a lage de quinze ou feize ans. On leur développeroit ainfi peu a peu tous les principes de la morale , depuis les plus fimples jufqu'aux plus relevés. ' > II y a un article de'licat ék difficile, c'eft celui du tien ék du mien , au moins pour les clafTes pauvres de la fociété, qui fe voyent privées de tout, tandis que d'autres regorgent de fuperflu. Peutêtre n'y a-t-il a eet égard , pour les hommes très-indigens ék hors detat de gagner leur vie , d'autre morale que la Loi, ft le Gouvernement ne pourvoit pas a leur fubfifiance. (d) La pajjion de dominer, dit Tacite, eft la plus ardente che^ les hommes. Cupido dominandi cunctis affectibus flagrantior eft. Le plaifir de commander paroit fans doute aux Souverains un dédommagement bien doux de la peine de gouverner; il eft pour-  de Fleury. 231 tant vrai que la plupart des defpotes commandent plutöt qu'ils ne gouvernent. bi le Roi motoit ma charge & mon bien, difoit un premier Préfident de Grenoble, je me ferois Mattre décol' afin de commander du moins aux petits, nepouvant plus commander aux grands. Les mendians même, comme ï'obferve très-bien un Ecrivain Philofophe, ont un chien d leurs ordres, pour avoir un être qui leur foit jbumis. Ce n'eft pas que cette pailion de dominer foit bien développée dans tous les hommes; mais 1'expérience prouve que dans les ames qui en font poffédées, elle impofe ftlence a toutes les pamons, a celles même qui paroiffent faites pour étouffer les autres, a 1'amour &. a 1'avarice; car 1'ambitieux bien décidé n'héfite pas a rifquer fa fortune pour Ion élévation, ék a facrifïer fa maitreife. Deux obfervations prouvent encore combien eft violente en nous la fureur de voir nos femblables dans notre dépendance; la première , c'eft que ceux même qui ont d'abord" refufé de bonne foi lés grandes places qu'on leur a offertes, & qui enfin les ont acceptées, font  Ê L O G H pour la plupart au défefpoir de s'en voir dépouillés, & pour 1'ordinaire ne furvivent pas a cette privation. La feconde , c'eft que de tous les vices auxquels 1'efpece humaine eft fujette, celui dont le germe eft peut-être le plus général dans tous les hommes , eft Ie penchant a abufer de 1'autorité qu'ils peuvent avoir, même lorfqu'ils fentent au fond du cceur 1'injuftice de eet abus. Deux Philofophes voyageofent enfemble pour leur plaifïr; fuivant le drpit que la Pofte leur donnoit, ék qui n'eft affurément que le droit du plus fort, les poftillons faifoient de'tourner les voitures qu'ils rencontroient, celles même qui portoient les denrées les plus utiles: Hélas ! mort ami, dit un de ces Philofophes a 1'autre , nous crions contre la tyrannïe, & voda que nous prêchons d'exemple en fa faveur ; nous avons pour un moment une petite parcelle d'aütorité, & nous en abufons. L'ami en convint, ék les deux Philofophes continuerent de laiffer faire les poftillons. (e) Nous oferons pourtant former quelque doute fur le fuccès de 1'éduca-  de Fleury. 233 tion du Duc de Bourgogne , malgré 1'opinion très-favorable que nous avons des lumieres & de la vertu de fon ïnftituteur. Nous avons vu des vieillards qui avoient connu ce Prince, & qui prétendoient que fon caraélere dur & orgueilleux , contraint & adouci même en apparence par les foins affidus &. éclairés de Fénélon, fe feroit relevé avec force & développé avec liberté , dés que le tröne lui eut permis de fe livrer a fes penchans. Quelques lettres qui font reflées de lui, font craindre que ces vieillards n'ayent dit vrai. On peut voir entre autres, dans les Mémoires de Noailles, une lettre que ce Prince éciïvit a Madame de Maintenon contre le Duc de Vendóme , pendant la campagne de 1708; lettre qui femble porter "tous les caracleres d'une dévotion haineufe & jaloufe II eft bien clair que Fénélon n'auroit pas diclé cette lettre. On craint même,après 1'avoir lue, que fi le Prince, devenu Roi, avoit appelé ce vertueux Prélat au Gouvernement, 1'Eleve ne fe fut bientót laffé des remontrances & des cónfeils du Précepteur. Fénélon n'a pas diclé non plus une Fable trés - affligeanie, compofée par ce Prince, & qu'on n au-  *34 E L O G E roit pas du imprimer pour 1'honneur de fa mémoire (i). La morale de cette Fable, qui a pour titre, Le Fqyageitr & fes chiens, eft exprime'e par 1'Auteur dans les termes fuivans : » Prin» ces, avez-vous trouve des guides ca» pables de vous diriger ck de vous » défendre dans la forêr. de ce monde l » Garde^-vous bien de !es mettre en » état de fe patTer de vous, que lorf» que vous pourrez vous-mêmes vous » pa/Ter de leurs fervices «. Nous abandonnons a nos Leéteurs les triftes réflexions que préfente une fi étrange maxime (i). (f) Defpréaux racontoit volontiers au fujet de cette pluralité de bénéfices, dont on fe fait fi peu de fcrupule, Ia converfation qu'il avoit eue avec un Eccléfiaftique , qui ayant commencé par être auffi indigent que les Apöttes, déclamoit alors avec ce Poëtè févere contre cette violation des Loix de VE- (0 V. !e Journal de Paris, du 4A0ÜC1781. (1) »Ilfaut pourtant convcnir que-les rai« fons al'éguées ici n'infpirent en effetque Je m tres-legers doutes fur Je fuccès attribué par » 1'opinicn pubüque au fuccès de 1'éducation « de M. le Duc de Bourgogne «.  de Fleurt. 235 glife. Le fcrupuleux Abbé alïuroit a Defpréaux, que s'il avoit feulement une Abbaye de mille écus, elle fixeroit fon ambition, & que rien au monde ne lui feroit faire un pas pour devenir plus riche; peu de temps après cette réfolution édifiante, il obtint une Abbaye de fept mille livres; 1'hiver fuivant, il s'en préfenta une de huit mille livres, qu'il demancla & qu'il obtint; pendant qu'il avoit Le vent en poupe ( c'étoit fon expreffion ), un Prieuré de fix mille livres vint encore a vaquer, & fut encore donné a ce Prètre fi défintérejfé , &. fi réfolu de fe bomer a mille écus de rente. Defpréaux ne put s'empêcher de lui en témoigner fa furprife. Ah l dit 1'Abbé, fi vous Javie^ que cela efi bon pour vivre Cela Je peut, dit Defpréaux, mais pour mourir, Monfieur [Abbé, pour tnourir ! Nous ajouterons, pour actiever le tableau , que eet Eccléfiaftique, fi bien revenu de fes fcrupules, n'en étoit pas moins un grand convertifleur d'Hérétiques , & fe piquoit fort de letre (i). (1) Menage parle d'un honnéte Eccléfiaftique de fon temps, qui avoit eu plus de cia-  %16 Ë L O G È Un homme de lettres, plein de bied* faifance & d'humanité, mais qui n'e'toit ni hypocrite ni fanatique , apprit qu'un Prélat diffipateur ck obéré de dettes (quoiqu'il eut en bénéfices cinq a fix cent mille livres de rente), ca- quante bénéfices, a Ia vérité !'un après 1'autre , & qui, a force r!e permuter, étoit parvenu , d'une Chapelle de vingt écu? , a aa Pneuré de fept a huit mille de rente. C'étoic un Prêtre Gafcon ou Provcncal, qu'on appeloit, pour fon favoir-faire, L' Abbé des expédiens. Plus d'un Abbé des expédiens, fans être w Gafcon ni Provencal, a fair, de nos jours, & bien plus prompcement, une bien plus grande fortune. Un Cardinal de Tournon, qui, du tenipsde Francois Premier , jouüfoit de plus de rrente bénéfices, & d'cnviroii 6oo,opo livres de rente avoit pris pour devife ces mots de S. Paul: Nonqudfuper Ter ram : Méprife^ tout ce qui efl fur la Terre. On fait combien ie Cardinal de Lorraine, frere de Claude, Duc de Guife , avoit acctimulé fur fa tête de biens eccléfiaftiqnes; & dans Ie même remps a peu prés, Ie Cardinal Louis de Bourbon , frere du Duc Charles de Vendóme , pofïédoit au(Ti a Ia fois I'Archevêché de Scns , Sc les Evêchés de Meaux , de Laon , de Lucon & de Treguier, fans comprer Une multitude de riches Abbayes entre autres celles de Saint-Denis & de SaintGoraeille de Compiegne.  DE F LEUR Y. t.)f ïomnioit fes fentimens ck. fa perfonne ; Qu'on tne niette un moment d fa place, rëpondit-il, & j'apprendraï a ce fuccejjeur des Apótres, la vie que doit mener un Evêque. Je ne pojféderai qu'un feul Benefice, dont le revenu feta plus aux pauvres qu'a moi. J'irai, comme les Canons Vordonnent, habiter mon Diocefe , & je n'en fortirai point pour venïr jouer ailleurs un róle avilifjant & ridicule; je monterai tous les jours en chaïre , & je prêcherai d pion Peuple l'union, la charité & la paix. Telle étoit la conduite de ce refpeüable Synefius, Evcque de Ptolémaïde , que les fanatiques de jon temps appeloient Philojbphe, paree quil Jé. moquoit de leurs fuperfiitions, rnéprifoit leurs vaines dijputes, détefioit leurs intrigues, & dévoiloit leur hypocrifie. (g) II feroit inutile de diffimuler aujourd'hui que les Jéfuites, chafle's de Verfailles, a leur trés-grand regret, après la mort de Louis XIV , pour leurs cabales & leurs manoeuvres, ék ayant mis tout en oeuvre pour être rapjpelés a la Cour, furent les auteurs de  23* É L O G E 1'intrigue qui priva M. 1'Abbé Fleury de l'emploi dont il s'étoit fi dignement acquitté, celui de dirigerla confcience du jeune Roi. Si cette efpece de difgrace, ou plutot la délivrance d'un fardeau redoutable, n'affligea point le refpeélable ConfefTeur, elle excita 1'indignation publique contre le Jéfuite d'Aubenton, ConfefTeur de Philippe V; il avoit eu le crédit de faire demander par fon Penitent, a la Cour de France, que le jeune Roi choisit comme lui un Jéfuite pour Directeur; il vint même a bout, ce qui efl incroyable , de faire inférer eet article fecret, dans le Traité de paix de 1710, entre la France & 1'Efpagne, comme une condition effentielle du rétabliffement de la bonne intelligence entre les deux Couronnes. Ce fut le même d'Aubenton qui, trois ou quatre ans après, révéla au Régent la confeffion du Roi d'Efpagne; le Monarque montra froidement au Confeffeur la lettre par laquelle le Régent lui en donnoit avis : le Jéfuite tomba évanoui, & mourut deux jours après. On ne peut fe rappeler fans indignation, 1'infolence du Jéfuite Nitard, Confeflèur de la Reine d'Efpagne, mere de  de Fleury. 239 Charles II, ck qui, pendant la régence de cette Reine, gouvernoit defpotiquement le Royaume. Un des plus grands Seigneurs Èlpagnols , que ce Moine avoit traité avec hauteur, fe plaignit de ce qu'il manquoit de refpect a fon rang. C'eft vous, répondit le Jéfuite, qui me deve^ du rejpecl, dmoi qui ai tous Les jours votre Dieu dans mes mains, & votre Reine a mes pieds. W fut enfin obligé de fortir d'Efpagne, chargé de 1'exécration publique; la pauvre Reine, fa Pénitente, lui écrivoit: Padre ConfeJJor, yo confio en la miJericordia di Dios, que manïfejlara la innocentia vueftra , y manfendra. la autoritad mia. Le Roi de Sardaigne, VicTor-Amédée, a raconté fouvent a un Francois très-efhmable, & qui vit encore (1), qu'un Jéfuite très-honnéte homme, a qui il avoit donné fa confiance & fon eftime, le pria en mourant, & par effort de reconnoiffance, de ne jamais prendre un homme de fa robe pour ConfefTeur. Pourroit-on s'affliger après cela de la profcription (1) On, écrir*ceci en Septembre 1781.  H° É L O G E d'une Compagnie qui a fait fervir at fon ambition effrénée la Religion, la politique,& la foibleffe des Souverains ? Un Prélat qui a déploré leur défalire dans 1'Oraifon funebre de Louis XV, les a comparés au Prophete Jonas, jete' dans la mer pour appaifer la tempète. Heureux les Peuples & les Souverains, fi les nouveaux Jonas ne trouvent point de baleine qui les regoive pour les rendre a la vie ! II efl vrai qu'en traitant Ie Corps avec la févérité qu'il méritoit, on auroit dü traiter les Membres avec 1'humanité que tout Citoyen efl en droit de réclamer, & qui eut rendu la févérité a 1'égard du Corps plus jufte & plus refpeclable. C'eft ce qui feroit arrivé aux Jéfuites, comme font avoué quelques-uns d'entre eux, s'ils euffent été détruits par des Philofophes ; mais malheureufement, difentils, nous n avons été détruits que par des Janfénifles. Ils parleroient avec plus de vérité, en difant que la Philofophie a préparé en filence leur deftruclion , que les Janfénifles ont fonné la charge, ék que la Juftice a confpmmé 1'Ouvrage. Célui qui écrit ces  de Fleury. 24* ces réflexions eft d'autant plus impartial, qu'il n'a jamais eu perfonnel-' lement a fe plaindre de cette Société. II penfe qu'elie a été utile aux Lettres , funefle a 1'Eglife, dangereufe pour 1'Etat, févere dans fes mceurs & relachée dans fa doctrine , amie foible & implacable ennemie, animée par un fanatifme qui fubfifte encore dans fes Membres difperfés; ce qui a fait dire a un Philofophe, en envifageant d'une part la facilité avec laquelle la Société a été détruite , & de 1 autre tout le mal dont les cï-dcvant Jéjuïtes font encore les auteurs, quil n avoit jamais vu de Corps ji aifé a tuer, & ji dijfitile a faire mourir ; que la Société rejjembloit d ces vers coupés en mor' ceaux , dont les parties, féparées dit tronc, vivent & s'agitent encore longtemps , en faifant effort pour fe rejoindre. (h) La fureur de perfécuter & de calomnier le mérite éminent, femble être, fi on peut parler ainfi, la maladie endémïque de toutes les Secfes Religieufes. Voici ce que le docte Ie Fevre de Saumur, pere de Madame Tornt IV. L  242 É L O G E. Sec. Dacier, écrivoit a un de fes amis fur les vexations qu'il éprouvoit de H part de 1'Univerfité Proteflante de cette ville, oü il profelfoit avec la plus grande célébrité. » Je fuis aux prifes avec le » faint ck facré Confiftoire de cette » Eglife. On croit m-'effrayer, mais on >> fe trompe. Je pretends mener ces » canailles de belle maniere; ck nous » verrons fi pour des bagatelles on » ameutera tant de gens contre moi, » qui vis plus honnètement que ces » marchands de chofes faintes , qui » ai 1'approbation de tout ce qu'il » y a d'honnêtes gens ici, foit de » ia Religion Catholique , foit de » celle que ces Cafards prêchent de» puis que la huguenoterie efl plan» » tée en cette ville. Quoique je fois » paiiible ck modefte au dela de tout » ce qu'on pouvoit attendre de 1'ame » la plus humble , je fais mal aux yeux; » a ces fortes de gens-la. lis croyent »'que j'en fais trop, 6k que je ne les » eftime pas alfez. C'eft pour cela qu'ils » me pourfuivent «. Combien d'hommes diltingués, dans tous ies temps ék chez tous les peuples, auroient pu & peuvent encore en écrire autantl  ARTïCLEo) Veftïné, dans VEifloire de VAcadémie, d GuiLLAUME DüBüIS , Cardinal, premier Miniftre, Archevcque de Cambrai, & Mernbre de^ cette Compagnie. CjET article fera court fur ce qui concerne le Cardinal Dubois, dont la vie , trèspeu litteraire , fournit a peine aux annales académiques deux ou trois faits ifolés & fugitifs, affez peu propres a les enricliir. Nous joindrons a ces faits, non moins brie'vement, quelques légers acceffoires, pour en remplir le vide & y femer le peu d'in%érh que nous fommes capables d'y répandre. Puiffent les acceflbires ob- (i) Lu a la fcauce publicjue du i; Aout Lij  144 A R T I C L E tenir graces pour le principal, & furtoutpourle ton, quelquefois peu louangeur, que nous obligera de prendre 1'Académicien dont nous avons a parler! Cette raifon nous a déterminés, Meffieurs, a vous rendre juges dans une féance publique de 1'article que vous aliez entendre. Comme il doit être (par la nature du fujet) d'un genre a part &. prefque unique dans notre Hiftoire, il nous importe d'apprendre de vous fi nous avons fu fixer équitablement, fans bleffer ni la fincénté ni les convenances, la place que le Cardinal Dubois doit occuper dans le fouvenir de fes Confrères. Avec quelque rigueur que 1'Hiftoire & la Poftérité ptuffent un jour apprécier ce Miniftre, elles feroient 4 ï'Académie une querelle très-injufle, fi elles lui reprochoient d'avoir admis Ïiarmi fes Membres, un homme que a voix publique, il eft vrai, ne pa« roiffoit pas trop lui indiquer, mais que la puhTance fpirituelle ck la temporelle fembloient toutes deux lui recommander, pour ainfi dire, par le foin qu'elles avoient pi is de le de'coyerf comme a 1'envi, des dignités lei  bu Cardinal Buëots. 24$ plus éminentes & des empldis les plus importans. Pourquoi une fimple Société littéraire, qui n'avoit a lui accorder que les honneurs les plus mo* 'deftes, auroit-elle eu la prétention, ou la mauvaife humeur, d'être plu$ difficile a fon égard que la Cour de Rome & celle de France ? Guillaume Dubois, né en 1656, 'étoit hls ou neveu ( car on n'eft pas d'accord fur fa généalogie) d'un pauVre Apothicaire de Brive-la-Gaillarde en Limofin. II ne put faire fes études que par le moyen d'une bourfe trèsïnodique, qu'il eut même beaucoup de peine a obtenir; tant la fortune le traita d'abord en maratre , & avec une rigueur que peut-être elle a trop bien réparée. On montroit, il n'y a pas encore long-temps, dans un petit Collége de Paris, la chambre très-mefquine que le futur Cardinal y habitoit. Cette chambre n'étoit pas fans doute auffi révérée que 1'a été celle d'Erafme au Collége de Montaigu ; paree qu'Erafme nous a laifte dans fes Ouvrages des monumens durables de fes talens, & qu'il ne refte du Cardinal Dubois que fon nom, qui n'eft pas, L iij  246 Article i} faut 1'avouer, celui de SuIIy ni de 1'Hopital. Cependant Erafme eft mort auffi panvre qu'eftinié, après avoir été outragé & tourmenté durant fa vie par les fanatiques de toutes les Sectes, a qui il avoit Jaifie voir fon mépris ; ck Dubois, après avoir été obligé de fe mettre au fervice du Principal de fon Collége, paree que fa bourfe ne fufhfoit pas pour le nourrir, fortit de la pour être Précepteur du Duc d'Orléans (depuis Régent du Royaume), coïiftdent de fes ïecrets de toute efpece; Archevêque de Cambrai (a qui il ne fit pas oublier Fénélon); enfin premier Minifire & Cardinal, doublé titre auquel il ne paroiffoit défigné ni par la France ni par 1'Eglife. Mais rien eft-il fait en ce genre pour étonner notre Siècle, qui, entre autres phénomenes de cette nature, a vu 1'éléva» tion de Menzikoff, garcon Patiffier, aux premières places de 1'Empire de Ruffie; ck celle de Catherine, maitreffe d'un tambour, fur le tróne de ce même Empire (1) ? - Notre Cardinal, Archevêque ék Mi- (0 Voyez la Notc  dü Cardinal Dubois. 24? •mftre, èut la fantaifié, quoiqu'il né fe fut jamais piqué cl'un vif intérêt pour les Lettres, de joindre aux honneurs fi accumulés ck fi brillans dont il étoit revêtu, la décoration très-peu faftueufe d'Académicien, comme la jeuk, difoit-il, qui manqual a ja fortune. Ce compliment pour nous étoitil ironique ou fincere \ L'amour-propre jious défend de croire le premier, ék, ■ Ja modeftie de füppofer le fecond (1). Quoi qu'il en foit, fon entree dans ïa Compagnie eut une fmgularité remarquable. II eft le premier, ék jufqu'a préfent le feul Académicien a tune. Voila mes fentimens, fur lef- 'j » 'quels 1'Académie peut régler les fiens ».fans aucune contrainte ék fans au- ' » cune condition. Je bornois mon arn- I » bition a être votre ami, Monfieur, » on m'a tenté ; ék je la laiffe aller I » jufqua ne pas rougir d'être votre ] » confrère «. Cette dernïere. phrafe efl e'quivoquc, I nu moins dans Les termes ■ car elle I peut Jignifier, ou que le Cardinal re- I gardoit le titre d"Académicien comme au dejjous de fa dignité, ou quil le eroyoit au defjus de fes talens : mais ce dernier fens efl te feul vraifemblable. Cétoit d coup sur un compliment que le Cardinal vouloit faire d Fontenelle, & non une injure quil prétendoit lui dire. Ce fut le 3 Décembre 1722 que Ie Cardinal Dubois fut recu, a la place d'André Dacier , Secrétaire de 1'Acadéuiie. Fontenelle fe trouva pour lors 1  du Cardinal Dubois. *8j Direcleur , & n'avoit encore été char> gé' d'aucune réception. II tira pam i affez heureufement de cette circonf; tance, dans fa réponfe auRécipiendaire. ■ » Depuis plus de trente ans, lui dit-iï, . » que 1'Académie m'a fait 1'honneur j, » de me recevoir, le fort 1'avoit affez ü » bien fervie, pour ne me charger jaj » mais de parler en fon nom a aucun ;i » de ceux qu'elie a recus après moi ; ü> il me réfervoit a une occafion fin\ » gullere, oü les fentimens de mon I » cceur pulfent fuffire a une fonéhon li » fi noble & fi dangereufe «. * O) A 1'occafion de cette faute d'imj preffion prétendue, nous remarquej rons que les Auteurs en ont fouyent hafardé par malice , & pour fe ména. ger dans Xerrata des plaifanteries , « quelquefois bonnes , quelquefois infi1 pides, quelquefois même indécentes •, , efpece de fineffe qui, dans tous les cas, nous femble petite & njefquine; Tels font les errata fuivans : pêché : onglnal , Hfez originel... Ce Jéfuite attaque dans fes Ouvrages Vhypocrijiey tambitwn , torgueil , vices communs | dans fa Société; lifez dans laJociétey  2S4 Article & plufieurs autres femblables , qu'il feroit inutile de citer ici, paree qu'il y a trop de facilité k les trouver, & trop peu de mérite a fe les permettre (i). Les feu'es fautes d'impreffion vraiment plaifantes , font celles qu'on a faites de bonne foi , & d'oü réfulte dans 1 errata une épigramme d'autant plus piquante, que 1'Auteur n'y avoit point penfé. Nous citerons , pour exemple , Xerrata d'un Gazetier , qui eft encore un Hollandois j car cette Nation eft heureufe en errata, Ce Gazetier ayant mal lu la lettre de fon Correfpondant, qui lui annoncoit un Ouvrage de Af. de Reaumur , annonca que ce Savant venoit de publier lè premier volume de fon. Hiftoire des Jéfuites ; dans 1 Ordinaire fuivant, il eut foin d'avertir (!) On pent mettre dans cette c!a(Te Xerrata épigramrnatiquss la remarque plus Mie que décente dc Richclet, qu'/7 ne faut pas , avec quelques Auteurs, eenre Jéfuifte avec une s comme Cafuifte, Rlgorifte, mais Jelui te fans s' comme folomite, hypocrite, Sec. Ie mauvais PoeteGacon, dars de mauvais vers latins, avoit fait breve au génitif la feconde fyliabe du mot Gaconis; quelqu'un lui dit que cette feconde fyliabe devoit &re longue , comme dans Lenönis , nebulönis.  du Cardinal Dubois. 285 qu'au lieu de Jéfuites, il falloit lire injccies (r). Un Acade'micien encore vivant, vouloit, dans fon difcours de réception, louer le Cardinal de Richelieu d'une xnaniere nouvelle ; entreprife ambitieufe ék dimcile. S'il eut fuivi la première idee qu'il avoit eue pour eet éloge , il eüt, a coup fur, deroutéde même quelques Le'cïeurs auffi avife's que le Journalifte Batave , qui fe favoit fi bon gre' d'avoir lu dans le dilcours de Fontenelle , udle au lieu A'inutile. Cet Académicien fe propofoit de dire que les adulateurs qui auroient a louer des Miniftres , accorderoient toujours a Richelieu Ia feconde place ; tant il (O II eftdéfendu par la fainte Inquifitio» d'employer dans les Livres le mor de fatum (deftin), paree qu'elie croit ce mot injurieux a la Providence. Un Auteur qui avoit befoin de ce mot, imprima par-tout dans fon Ouvrage faÜa au lieu de fata , & fit mettre dans Ia table des corrcflions, facia , lifez fata. Un Inquifiteur , chargé d'examiner un livre que Naude vouloit faire imptimer a Rome , y ayant lu ces mots , Virgo fata eft {la Vierge dit), écrivit a la marge, Propofitio htrettca , nam .non datur facum ( Propofition hérétiaue, (W 41 n'y a point 4e fatum ),  aS6 A r t r c l e etoit sur de la première , a peu prés comme on a e'té iï fouvent chercher Trajan & Titus,pour mettre au deffus d'eux tant de Monarques, qui sürement he les ont pas dépiacés. L'Académicien avoit donc projeté de donner a 1'éloge du Cardinal la tournure fuivante : Ce Miniftre, au deffus duquel on mettra toujours les Minijires qu'on voudra exalter. Quelque l'ériodifte plein d'efprit ( car il en efl plus d'un qui entend a demi-mot) n'auroit pas manqué de dire qiïau deffus étoit une faute d'impreffion, & qu'il falloit lire au deffous. Ce ne fut pourtant pas un motif de charité pour les Journaliftes, qui détermina 1'Académicien a fupprimer cette phrafe ; c'eft qu'en y réflécliiffant, elle lui parut avec raifon trop fubtilement épigrammatique; ceux de fes Auditeurs qui auruient le mieux entendu fineife , auroient jugé , non fans fondement, que cette maniere de s'exprimer, fi curieufement éloignée de la forme ordinaire, renfermoit impliciteme.nt un trait de fatire tropaiguifépour être fentiparla multitude,ckqui par cela même. perdroit une grande partie de 1 fon elfet; trait d'ailleurs trop peu fé-  du Cardinal Dubois. 287 rieux , pour être a fa place dans un Difcours acade'mique , qui doit être froid a force d'être grave. (d) Le Difcours que le Cardinal Dub ois prononca a la première féance de l'AfTemblée du Clergé , a laquelle il préfida en 1723 , étoit, comme nous 1'avons déja dit, 1'ouvrage de Fontenelle , & fon Difcours de réception a 1'Académie fut 1'ouvrage de la Motte. Nous mettrons ici ces deux excellens Difcours, 1'un ék 1'autre peu eonnus; ék nous marquerons en italique, dans Je fecond , les traits qui décelent évbdemment la main de Fontenelle, dont ils font, pour ainfi dire, le cachet ék la fignature. II nous femble que dans le Difcours fait par la Motte , la hnefTe a une expreffion plus naturelle, ék que dans 1'autre elle s'exprime avec une fimplicité plus recherchée , mais toujours avec la décence ék la mefure convenables au lieu, a 1'Auditoire , §5 même a 1'Orateur.  288 A R T I C L E Difcours de réception du Cardinal Dubois a V Académie Fraapoife (i). Messieurs , Je n'avois pas befoin de la reconnoiffance que m'impofe aujourd'hui 1'honneur que vous me faites, pour donner aux inte'rêts de cette illuftre Compagnie, toute 1'attention ck tout le zele qu'elie mérite. Mon amour pour les Lettres a prévenu dès longtemps en moi ce nouveau motif de fervice & d'attachement. Votre établifTement, Meffieurs, eft une partie confidérable de la gloire d un grand Miniflre , dont vous me permettrez de n'entreprendre 1'éloge que par mes efforts pour 1'imiter, quoique foutenus de peu d'efpérance. II p'évit bien fans doute le fuccès de fon Ouvrage ; ék tel en a été le progrès ék 1'éclat, que nos Rois, après lui, fe font réfervé le titre de votre (i) Ouvrage de la Motte, Protecleuü  du Cardinal Dubois. 289 Protecïeur, & que, pour un fucceffeur de celui qui vous a rondes , c'eft déformais un digne objer d'ambition que le titre de votre Confrère. Je le recois aujourd'hui ce titre flatteur , avec un plaifir fenfible. Je remplace parmi vous un homme d'une vafte e'rudition (1), qui a enrichi la Langue des plus pre'cieufes dépouilles de 1'antiquité , & qui , fidele interprete du plus judicieux des Ecrivains, vient d'étaler a nos yeux, dans fes Vies des Hommes ïllufires , les plus grands principes & les plus grands exemples. C'eft a moi, dans la place oü je fuis, d'en faire une étude férieufe, d'y puifer, s'il m'eft pomble , de quoi juftifier le choix du Prince a qui je dois tout , ck. les dignités ck les lumieres mêmes; de quoi feconder avec fuccès les deffeins d'ün jeune Roi, deftiné, par fes inclinations, a remontrer au monde toute la gloire de fora augulte bifaïeul. Je m'eftimerai heureux, MefTieurs , a proportion que je mériterai une (OM. Dader. Tome IV» N  2Q<3 A r t i c l E approbation d'auffi grand prix que la yötre , ck que je fignalerai ma reconnohTance pour vous, non feulement par mes foins pour ce qui vous regarde , mais en procurant de tous mes efForts la félicite' publique, qui vous touche encore plus que vos avantages particuliers, Difcours du Cardinal DusoiS d VAJfemblée du Clergé. Messieurs, j'ai attendu avec impatience le jour eu je pouvois marquer a cette auguffe Affemblée la vive reconnoiffance que je fens de la grace que vous m'avez faite : vous avez bien voulu m'afTocier au Clergé de France, ék je fais a combien de mérite & d quelle gloire vous maffocie\) mais j'ofe dire que ce qui efl ft glorieux pour moi, Veft aujjï pour vo 'us-mêtnes : vous auriez pu craïndre un Miniflre qui, qaoic\\ïkonoré du Jacerdoce, eut pu être difpofé, dans quelques (sccaiions, d le facnfier a VEmpire; la  jou Cardinal Dubois. aar penchant n'eft que trop grand d croire les intéréts de Vun plus importans & pius prefans que ceux de Vautre; mais votre zele pour 1'Etat ne vous a pas permis une crainte qui pouvoit paroitre légitime; & en m'admettant dans 1'intérieur de vos délibérations , vous prouvez, de la maniere la plus authentique, la droiture ck la fincérité de vos intentions pour le fervice du Roi. Je fens , de mon cóté, a quoi m'engage cette confiance ; il faut qu'un. Miniftre a qui le Clergé fait Vhonneur de ne le redouter pas , s'en rende digne en redoublant fes foins pour les avantages du Clergé; tout ce que peut 1'autorité du Miniftre , je le dois a vos intéréts : ainfi,loin que les devoirs dont j'étois chargé , & ceux que vous m'impofez de nouveau , viennent jamais a fe conduittre , la place que j'occupe dans 1'Etat , me fournira les moyens de fatisfaire a celle que vous me donnez dans 1'Eglife. JeJiiisJüryMejfieursf & je vous outragerois par le moindre doute j que vous ne me donnerez a porter au Roi, dans le cours de cette affemblée, que d'anciennes ou plutót d'éternelles preuves de 1'attachemeat N ij  *9* Art.icle des Eglifes du Royaume pour leur Pr9# teéteur, que des gages nouveaux ék certains du de'vouement du Clergé a la Couronne , ck de fa tendreffe refpec-r tueufe pour la perfonne de Sa Majeflé, tandis que je ne vous porterai que les précieufes afTurances de 1'attachement du Roi a la Religion ; que les maximes dont il eft initruit ék pénétré fur le refpeét dü au Sanctuaire; que fes fentimens en faveur de la plus iüuftre portion de 1'Eglife univerfelle; que des témoignages de la préférence qu'il lui donne , au deffus de tous les autres objets de fon affeétion. Je naurai rien. ni de part ni d'autre h dijftmuler, ni d affoiblir, ni d exagérer: je ne dois in'étudier qua être précis , ék a tranfmettre fi fidélement les fentimens du Roi ék de fon Ciergé, quil ne refie aucun doute fur ce que le Souverain doit attendre du zele ék de la fidélité de fes Sujets, ék fur ce que le Clergé peut efpérer de la religion , de la pru-r dence ék de Taffeéiion dü Roi. Le Cardinal Dubois employoit, ditc?n , La Motte ék Fontenellelk des Ouyrages plus férieux que de fimples PifcQurs académiques. On allure cjü eft  DU CARÓINAL DUBOiS'. 2C)5 1718 , lorfque la France déclara h guerre a 1'Efpagnë , le Manifefte fut fair par Fontenelle , fur les Mémoires du Miniftre j & revu par M Motte. Nous rt'avons poirit ce Manifefle fotis les yeux ; mais il feroit curieuX de voir quel ton Fontenelle y avoit pris. Son ftyle ordinaire n'étoit pds celui qui doit caïacférifer de pareiis Ouvrages ; on y demande une fimplicité rtoble , une force qui n'excede point la mefüre , & plus de dignité que de fineifé. L'iiluftre Académicien avoit fans doute bien fenfi ces convenances, & fins doute auflï avoit eu le foin ék 1'efprit de s'y conformer. (e) Nous tenons d'un Evéqiie qui étoit préfent, le Difcours que le Prélat Vintimille fit a Louis XV. La néceffité d'abréger, dans une leef ure publique , le récit d'un fait étranger a Partiele du Cardinal Dubois, nous a obligés d'en fupprimer quelques circonftances, qu'on fera peut-être bien aife de retrouver ici. L'Archevêque avoit en effet préparé ( ou avoit fait compofer par un autre ) le Difcours qu'il devoit prononcer; il apprit ce Difcours comme il N üj  «94 A r t i c l n put, èk tant bien que mal; fa mémoire Ie fervit très-infidelément dès les premiers mots; un fotvfFieur, qu'il avoit chargé de le fuppléer , ies lui fuggéra ; il ne les entendit pas, le fit répéter, continua encore a dire quelques mots , toujours mal fouffiés ou mal entendus , 6k toujours mal redits; en un mot, il joue a peu prés, deyant Ie Monarque èk a la tête du Clergé de France, mais fans fe déconcerter , la fcène que dans la Comédie des Plaideurs, un des Avocats joue avec celui qui lui foume fa harangue : las enfin dece dialogue entre fon fouffleur ék lui, il s'arrêta tout a coup , ék fe tourna vers ce mal-adroit ou malheureux fouffleur : Si nous continuons de la forte , lui dit-il , ni vous ni moi ne nous en tirerons en cent ans; puis fe retournant vers le Roi, il lui fit im-promptu , ék , pour ainfi dire , brufquement, la harangue trés laconiqueék trh-francoife { que nous avons rapportée. (f) Dans la defcription de Paris , par Piganiol de laForce, l'épitaphe du Cardinal Dubois ell attribuée a 1'Abbé Couture ,\ de 1'Académie des Belles.-  bu Cardinal Düböis. if$ Lettres , & Profeffeur cl éloquence au Collége Royal. II fe peut que 1'Abbé Couture 1'ait mife en latin ; mais nous favons de Fontenelle lui-même qu'il en avoit fourni 1'idée ; & c'eft affez pour le regarder comme 1'Auteur de l'épitaphe. L'iclée une fois donnée , le premier Prêtre de paroiffe 1'eüt exécutée comme 1'Abbé Couture. Le beau vers que nous avons rapporté, & qui fe trouvoit placé au milieu d'ufl grand nombre d'épitapbes , Tous ces raorts ont vécu , toi qui vis. tu moufras. fe lifoii autrefois dans le cimetiere d'une eglife de Paris; il ne falloit effacer que le fecond vers, foible &. commun en comparaifon du premier : L'initant fatal approche . Sc tu n'y penfcs pas. Notre Cardinal, Archevêque & Miniftre, mourut le 10 Aoüt 1723 , apeu prés comme Francois Premier , d'une maladie invétérée, caufée par quelques égaremens très-excufabies ^ de fa première jeuneffe, & que tout 1'art de la Médecine n'avoit pu guérir. Quelque N iv  2t)6 A r t i c l e emprefie qu'il füt (au moins nous devons le pré/timer ) de fatisfaire , dans fes derniers momens, aux devoirs que Ia Religion impofe , il fe crut obligé , comme Prince de 1'Eglife, de les concilier avec ce qu'il devoir a cette dignité. fl prétendit qu'il y avoit un cérémonial particulier pour donner le Viatique a un Cardinal. Cette étiquette, qu'il jugeoit fi importante , exigea des informations que la mort n'attendit pas; & par ce fcrupule , un peu déplacé dans une occafioa fi urgente, le Cardinal fut privé , a fes derniers momens , des prieres cSc des fecours de 1'Eglife , qu'il auroit fans doute recus avec 1'édification dont il devoit 1'exemple. On afTure que le Pape Léon X mourut comme le Cardinal Dubois, lans Sacremens, & de plus avec 1'intention de ne les point recevoir. Les Protefians qui fe fouvenoient de 1'hiftoire des Indnlgences vendues par les Jacobins au préjudice des Auguftins, & devenues 1'origine du Luthéranifme firent a ce fujet une Épigramme trèsconnue, dont le fens étoit,que le Pon-  du Cardinal Dubois. 297 tife ayant vendu les Sacremens, n'avoit pu les prendre. Soera fub extremd fi forti recfuiritis hom , Cur Leo non potuil fiimere i Vendiderat.- (g) La place d'Honoraire que Ie Cardinal Dubois avoit eue dans 1'Académie des Sciences ck dans celle des BellesLettres , étoit une fuite de l'ufage_ ou 1'on eft, dans ces deux Compagnies , d'y donner entrée a la plupart des Mrnifires; ufage au fond plus raifonnable que des cenfeurs amers ne pourroient Ie penfer ; car des Sociétés favantes qui fe font foumifes a recevoir des Eonoraires , doivent au moins choifir des Honoraires utiles, ou par les lumieres qu'ils peuvent quelquefois y porter > comme feu M. fe Marquis de 1'Hopital, feu M. le Maréchal de Vauban t feu M. Turgot, ck quelques autres,ou' du moins par les fecours matériels' dont ils peuvent accélérer le. progrès des Sciences ck des Lettres ; & c eft un bien que les hommes en place fontplus que d'autres a portée de leur faire, Le Cardinal Dubois , qui fe piqusir peu de favoir , n'a pu être utile de lm première maniere a ces deux Compa>r N v  298 A R T I C L E gnies; nous ignorons s'il 1'a été de h ieconde : il eft sur au moins qu'elles ne s'en font guere fouvenues ; car on ne trouve point fon Eloge dans leur Hiftoire. Nous avons remarqué qu'un feul homme de Lettres , Fontenelle, appartenoit, comme le Cardinal Dubois, a toutes les Académies de la Capitale , lionneur dont Fontenelle étoit bien digne (1). Nous difons un feul homme de Lettres ; car nous ne rechercherons pas fi ces lauriers académiques ont été aGcumulés fur d'autres têtes que fur celles qui font réeüement faites pour - les recevoir. Ces titres multipliés d'Académicien , qui étoient pour Fontenelle une décoration vraiment flatteufe , en feroient une bien futilepour deshommes en place méprifés ou médiocres; ridicule même , s'ils avoient mis une ambition puérile a la rechercher, en croyant par cette vaine difiinélion ajouter quelque chofe a leur exiftence. Nous fommes tres-éloignés de faire (O M. Bailti a obtcnu de nos jours le même honaeur, & la vuix publique 1'y avoi; appel4  t>u Cardinal Dubois. 299 une application injufie ck indecente de ces réflexions , a quelques perfonnes diflinguées par leur rang, qui ont été Membres des trois Académies. Nous ne parions ici qu'en général de ceux qui afpireroient a cette difhnclion fans la mériter ; mais nous nous faifons un devoir & un plaifir d'avouer ici que plufieurs de ceux qui 1'ont obtenue en étoient très-fufceptibles. (h) Fontenelle, qui fruflra les manes du Cardinal Dubois de 1'Eloge académique qu'il leur devoit, s'étoit permis quelquefois le même filence fur d'autres Académiciens ; par exemple fur le fameux Lav/, que fa qualité de Contróleur-Général avoit auffi fait Honoraire de 1'Académie des Sciences, & dont Ia fortune auroit pu fournir au Secrétaire Philofophe un objet intéreffant de réflexions ; mais les mêmes raifons qui lui avoient fermé Ia bouche fur le Cardinal Dubois, la lui fermerent fans doute fur l'Ex-Miniftre Ecofïbis. II s'étoit auffi difpenfé de 1'Eloge du P. Gouye, Jéfuite, & Membre Honoraire de 1'Académie des Sciences, qui avoit néanmoins rendu, par fon crédit, N vj  300 Article quelques fervices a cette Compagnie, mais dont la mémoire n'y étoit rien moins que révérée, paree qu'il y avoit voulu porter 1'efprit de defpotifme,tant reproché. a la Société dont il étoit Membre. Auffi fit-on, après fa mort, un reglement qui exclut a 1'avenir les Réguliers des places d'Honoraires, ék, ne leur lailfe que celle d'Affocié libre, oü n'ayant point de fuffrage , ils intrigueroient ék cabaleroienten pure perte : Bornés , par cette fage précaution, a 1'avantage fi noble de ne porter dans les Sociétés favantes que leurs;connoiffances ék leurs talens , ils fe voyent dans lheureufe impuiffance d'y être dangereux par leur crédit, &. nuifibles par leurs manoeuvres.. (z ) Cet Eloge du Pere le Tellier, li 1'on doit lui donner ce nom , mérite d'être tranferit ici par fa finguliere Sbriéveté. » Michel le Tellier naquit auy> prés de Vire, en Balfe-Norma idie , >> le 16, Décembre i 64} , & fit fes y études a Caen au Collége des Jéfuites y » qui en jugerent fi favorablernent, y qu'ils le recurent parmi eux dés lage  du Cardinal Dubois. joï' » de dix-fept a dix-huit ans. Après y » avoir régenté avec fuccès la Pbilofo» phie ék les Humanités, fes Supérieurs » parurent le defliner uniqueinent aux » l ettres. 11 fut chargé de travailler » fur Quinte-Citrce , pour 1'ufage de » feu Mönfeignéur ; & ledition qu'il » en donna en 1678, le fit choifïr, avec » quelques autres Peres diftingués par » de femblables travaux , pour établir a » Paris, dans le Collége de Clermont, » une Société de Savans, qui fuccédat » aux Sirmonds ék aux Petaux : mais » ce projet, dont 1'exécution étoit na» turellement affez difficile , fut encore » dérangë par le goüt que le Pere le » Tellier prit pour un genre d'écrire » tout différent, qui le conduifit par » degrés aux premiers emplois de fa » Compagnie. II y fut fucceffivement » Revifeur, Pecfcur, Provincial. Enfin » le Pere de ia Chaize étant mort en » 1709 , le Pere le Tellier fut nommé 3» ConfefTeur du Roi , ék Académicien » Honoraire de cette Académie. II eft » mort a la Fleche ,1e 2 du mois de » Septembre dernier, agé de foixante» feize ans «. On peut regarder ce foi-difant Eloge  }02 A R T T C L E comme une efpece d'Epitaphe a/Tez femblable a celle du Cardinal Dubois, mais d un laconifme plus aride encore & jdus affecfé. Cependant le Jéfuite fï fobrement loué , n'étoit pas, a beaucoup prés, fans mérite, au moins comme homme de Lettres ; fon Quinte-Curce dont il eft parle' dans eet Eloge , paffe pour un des meilleurs Ouvrages de Ia collecfion des Dauphins. Si le Secrétaire de 1'Académie des Belles-Lettres n'eüt pas eu la bouche fermée par des ordres fupérieurs, peur être affez mal entendus, il eut mieux fait de louer, comme il le devoit, les talens du_Pere le Tellier, fans diffimuler le mal qu'il avoit caufé par fon fanatifme & fes intrigues. Un tel éloge eüt été a la fois unelecon, & un acfe de juftice; celui qu'on vient de lire n'eft qu'une fatire déguifée, fans utilité comme fans fel. (k) Un Ecrivain célebre, qui avoit fort connu le Cardinal Dubois, affure qii'un jour on 1'entendit fe difant a lui-même : Tue toi donc, tu noferois. C étoit lans doute dans un de ces momens oü il éprouvoit avec tant de défefpoir les dégoüts attachés a fa iïtuation.  DU'Cardinal Dubois. ■ (/) 11 s'en falloit beaucoup que le poids & les orages du Minidere fiffent regretter au C'ardinal de Fleury, ia petite eglife de Fre'jus , dont il avoit d'abord eté Evèque. Le Cardinal Quirini, dont Ia vanité a raniaflë dans Jif Mémoires toutes les lettres qu'il avoit recues, nous en a laiffe deux très-curieules, que le Cardinal de Fleury lui écrivit, 1'une quand il eut 1 evêché de Fréjus, & 1'autre quand ii fut noinmé Précepteur du Roi. Dans la première, 1'Evèque de Fréjus dit qu'il vient d'arriver dans le triile diocefe qu'en lui avoit donné ; que dès qu'il avoit vu fa femme , 11 avoit été dégoüté de fon mariage ; & il figne fa letire , Fleury, Eveque de Fréjus par Tindïgnation divine. Dans la feconde, il protefle au même Cardinal, quil regrette bien vivement la folitude de Fréjus , dont on vient de Xarracher pour le charger de 1'éducation du jeune héritier de la Couronne. Louis XIV, dit-il, étoit d Vextrémité quand il m'a fait Vhöuheur de me donner cette place. S'il avoit été en état de m'entendre , je Taurois fupplié de me décharger d'un fardeau qui me fait trembler ; mais après fa mort >  '504 A R T I C L E,&C. on na pas voulu mécouter; jen al été nzalade, & je ne me conj'olepoint de la perte de ma liberté. II paroit cependant qu'il fe confola, du moins a Ia longue , & qu'il trouva enfin des forces pour fupporter le malheur de n'être plus confiné au fond de la Provence, & d'avoir a gouverner le Royaume au lieu du diocefe de Fréjus. Le Cardinal de Fleury ne fut malheureux que les deux dernieres années de fa vie , par le mauvais fuccès d'une guerre aufil injuftement entreprife que mal conduite. Ce Miniftre , difoit a cette occafion le Pape Benoit XIV, ejl né a propos pour fa fortune , &■ mort a contre-temps pour Ja gloire.  FRANCOIS TIMOLÉON DE'CHOÏSY, Prieur de Saint-Lo de Konen & de Salnt-Gelais, né a Paris le 16 Aout 1644 ; repu le 25 Aoüt 1687 , d la place de francois de beauvilliers , Duc de Saint - Aignan 1 mort le 2 Oclobre 1724 (1). note I, relative d la page 310, fur les injufiices quefuya le pere de iAbbé de Choisy , Chancelier de Gaflon, Duc dOrléans. » jL-'orsque Monfieur fe retira k » Blois, dit 1'Abbé" de Choify dans fes (1) Voyez fon Eloge dans le premier Vol, NOTES SUR L'ÉLOGE DE CHOISY.  ?Ofj É L O G E » Mémoires , mon pere penfa être » chafTé. Le Cardinal Mazarin 1'accu» foit d'avoir voulu faire révolter ie » Languedoc II avoit pourtant » toujours été dans les intéréts du 7> Roi, préférablement a ceux de Mon» fieur ; mais il n'avoit pas cultivé le » Cardinal. Chargé d'une négociation » qui exigeoit de 1'argent ( ck le Roi » n'en avoit pas) , il alla en Hollande » emprunter deux cent mille écus fur »'fon crédit, ck n'en fut rembourfé que » fix ans après. Cette petite injujïice » (Ji pourtant j'oje parler ainfi (f)), » qu'on a faite a mon pere , révolta ma » mere a 1'excès; &. fon dépit fut poui'i'é j » a bout, lorfqu'a la mort de Monfieui-,, » elle perdit la charge de Chancelier, » qui valoit cent mille écus «. (i) Nous prieriows le Le&eur d'obfervcr la ballelTe de cette parentbefe, fi ce ftyle de valer,' ou plutöt d'efclave, n'ettt été alors le ftyle a la mode.  DE C H O I S V. 507 BNfOTE II, relativa a la page 312, fur les Rois qui nont point de crédit cke^ eux. C/EST ce qu'on a dit en particulier du Roi d'Efpagne, Charles II , gou•verné par les Jéfuites , & par des Miniflres vendus a la Cour de Vienne. C'étoit ce pauvre Roi , qui, apprenant la prife de Mons par Louis XIV , & ignorant que cette ville étoit a lui, difoit en foupirant: Voila une grande pene pour le Roi d' Angleterre ! & ce Prince étoit le maitre d'une grande Monarchie 1 Malheureufe efpece humaine, par quels hommes vous êtes fouvent gouvernée !  3öS É L O G E NOTE III, relative d la page 315, fur les habits de femme que porto'u VAbbé DE CHOISY. Il prit tant de getut pour eet habillement, qu'il ne le quitta prefque pas jufqu'a ^ bn de fes jours; mais ce qui n'efl pas moins afïhgeant, & ce qui prouve la frivole indulgence de la Nation Francoife pour les chofes même les plus ridicuies, c'eft qu'après s'être moqué d'abord d'une fi étrange mafcarade, en peu de temps on s'y accoutuma ft bien, qu'on le recevoit par-tout en habit de femme, fans prefque y faire attention : il ne craignoit pas même de fe montrer \ Verfailles avec ce fingulier traveftiffement; malheureufement il fut un jour rencontré dans eet état au jeu de la Reine , par le févere Duc de Montaufier , qui, oubliant la préfence de cette Princeffe & des femmes de la Cour, dit au jeune hermaphrodite3 avec la rudeffe un peu brutale dont il faifoit profefïion : Monfieur ou Mademoifelle, car je ne fais comment  BE C H O I S Y. 309 vous appeler, vous devric^ mour'ir de honte d'aller de la forte habillé en femme, lorjque Dieu vous a fait la grace de ne le pas être, Alle\_ vous cacher; Monfieur le Dauphin vous trouve trés-mal ainfi, Pardonne^- moi , Monfieur , répondit le jeune Prince, je la trouve belle comme un ïdhge. Cette efpece de démence (car pourquoi ne pas 1'appeler par fon nom ?) neut e'té après tout qu'une folie fans conféquence, fi 1'Abbé de Choify n'en avoit pas abufé dans une circonitance très-grave ; 1'hiftoire n'en eft que trop connue , nous ne la répéterons point, par ménagementpourun Confrère. Les détails de cette aventure , qui n'étoit faite que pour 1'oubli, ont été confervés dans 1'Ouvrage très-peu édifianr, qui a pour titre, Bifioire de la Comtejje des Èarres , efpece de Roman par la fingularité des faits, mais Hiftoire par la vérité j eet Ouvrage fut attribué, lorfqu'il parut, a un ami de 1'Abbé de Clioify, qui a toujours nié d'en être 1'Auteur, & d'avoir rendu un fi maH-» vais femce a fa mémoire,  JïO É L O G E Note IV, relative d la page 3 \ i),fu.rla converfion de l'Abbé DE ChoiSY, On ne fera peut être pas faché de trouver ici en détail les expreffions plus qu'énergiques, par lefquelles 1' Ab- ■ bé de Choify exprirnoit fa frayeur religieufe dans la maladie mortelle dont il fut atteint. » La mort de la Reine, dir il dans » la peinture qu'il nous a confervée de » cette maladie, m'avoit fait faire a » peine quelques réflexions, quand tout » a coup je me fentis accablé par une » fievre violente. Mes forces, au bout » de trois jours, furent perdues, mon » cceur abattu. J'envifageai la mort, » que j'avois cru fi éloignée. Bientöt i> après j'en vis toutl'appareilefn'oyable. » .le me vis dans un lit entouré de » Prêtres, au milieu des cierges fune» bres, mes parens trifles, les Méde» eins étonnés , tous les vifages m'an» noncant 1'inftant fatal de mon éter» nite. Oh ! qui pourroit dire ce que 1 » je penfai dans ce moment terrible l  DE CHOISY. 31* » car fi mon corps étoit abattu , fi je » n'avois quafi plus de fang d.:ns les » veimes, mon efprit en étoit plir libre » & ma tête plus dégagée. Je vis donc , » ou je crus voir les Cieux & les En» fers. Je vis ce Dieu fi redoutab'e fur » un tröne de lumiere environné de » fes Anges. II me femblojt qu'il me » demandoit compte de toutes les ac» tions de ma vie , des graces qu'il » m'avoit faites, & dont j'avois abulé ; » & je n'avois rien a lui répondre, rien » a lui offrir pour fatisfaire a fa juftice. » Je voyois en même temps les abimes » ouverts préts a m'engloutir ; les dé» mons prèts a me dévorer; les feux » éternels deflinés a la punition de mes » crimes. Non, 1'on ne fcauroit s'ima» giner ce que c'eft que tout cela , fi » on n'y a paffe. Car ne croyez pas, ». dans eet état, quand 1'ame efl prête » a fe féparer du corps , ne croyez pas x> qu'on voye les cliofes comme nous » les voyons préfentement. Les myf» teres les plus incomprébenfibles pa» roiifent clairs comme le jour. L'ame, » quafi dégagée de fon corps, a des » clartés nouvelles. Nous vo}7ons la » juftjee de Dieu, qui nous va punir s  3 T 1 Éloge » & nous ne préfumons plus de fa mi» féricorde. Pour moi, je vous avoue » que jëus grand'peur, Je demandai » pardon a Dieu de tout mon cceur. » J'aurois bien voulu avoir le temps de » faire pénitence , mais la mort me v talonnoit de prés. J'avois entendu les » Médecins dire : // ne /'era pas en vie » dans deux heures. Que faire donc ? » quel parti prendre l Je ne fentois » rien , je ne me fouvenois de rien qui » put me donner la moindre efpérance. » Je ne me voyois aucun moyen de » racheter mes péchés par 1'aumöne ; » enfin toutes les portes du Ciel me » paroilfoient fermées. J'avois pourtant » recu tous mes Sacremens, & m'étois » préparé le mieux que j'avois pu a ee » paflage fi terrible. Mais qu'eft-ce » qu'une préparation précipitée ? Et » que peut penfer dans ces derniers mo» mens, au milieu d'une mort prefque s> inévitable , un cceur tout terreflre , » nourri dans les plaifirs du fiecle , & » fi peu accoutumé aux penfées de » 1'autre vie l Je ferois tombé dans le » défefpoir , fi j'étois démeuré plus » long-temps dans un état fi capable j> d'effrayer les plus déterminés. Mon » corps  DE CHOISY. 313 » corps „abattu par la violence de la » maladie , tourmente' par Tagitation » de mon efprit, demandoit du re» pos. Je m'endormis, & me re'veiilai » plus tranquille. J'avois cru, pendant » mon fommeil, me voir a la porte » d'une galerie , toute éclatante de » lumiere, mais d'une lumiere douce, » ck qui, fans m'éblouir, me paroiifbit » plus brillante que toutes les autres » lumieres. Je me fentois bien ferme » dans la réfolution de me convertir » fi je revenois en fanté, & je com» mencai a croire qu'il n'étoit pas im» pofïïble > état de jouir encore une fois de la » vie, que je n'avois fouhaitée que pour » faire pénitence «. Nonobftant des difpofitions li loua-. bles, il avoit befoin, pour être töut-a-fait éclairé , d'une efpece de rechute qui fut encore longue & dangereufe, & qui nchcva heureufement en Lui, difoitil , Vopération de la Grace. Cette converfion néaumoins ne 1'aTome IF O  3 14 ë l O g e yoit guere corrigé. Paifant un jour avee un aini, prés d'une terre confidérable mie le dérangement de fa conduite f avoit obligé de vendre , il pouffoit de profonds foupirs; fon ami, édifié de fa douleur , louoit de fon mieux,} pour la confolation de l'amige, un repentir qui paroiffoit li profond ck fi fincere. Ah I s 'écria 1'Abbé de Choify , que je la mangerpis bien encore ! note V , relative a la page 322, fur le Journal du voyage de Siam, écrit par 1'Abbé DE choisy, Pour donner une idee de ce Journal, nous en rapporterons quelques paflages finguliers ou curieux. lis feront connoitre le genre d'efprit de 1'Abbé de Choify , la maniere de voir , de juger ck d'écrire , & le róle un peil mefquin qu'il a joué dans fa j'ous-ambafjade. Le Journal efl adrelïë a M. 1'Abbé de D.ma;eau , a qui. 1'Auteur rendcompte, pour ainfi cliie, de tous les momens de ion voyage.  DE CHOISY. jij » M. BafTet, 1'un de nos Miffion» naires , a fait eet après-diner une » exbortation aux matelots, ou d'hon» nêtes gens auroient pu prendre leur » part. Ho ! qu'aifémenr tout nous » porte a Dieu, quand on fe voit au » milieu des mers, fur cinq ou fcx » planches, toujours entre la vie & la » mort ! Cette confolation folide ne fe >f peut trouver que dans les penfée» » d'une autre vie , cent fois plus heu» reufe que celle-ci; & il faut bien » que nous les ayons , ces penfées de » 1'éternité, car fans cela nous ferions 2 bien fots d'alier paffer la ligne ; la miféncorde de Dieu. Que je fuis » heureux d'avoir entrepris ce v.oyagey ci! Je lëntois bien que la m?in de O ij  5 r6 é l o g e ■ py Dieu y étoit 5 & j'y étois pouffé avec » trop de violence pour qne cela fut >> naturel. Je n'aurai guere oifenfé Dieu » pendant deux ans. Hélas i ce feront » les deux plus belles années de ma » vie ! Les tentatipns font a trois ou » quatre mille lieues d'ici. Franche» ment nous n'avons pas grand mérite V a vivre dans 1'prdre.... «. » 11 vient de venir un vent fi furieux, >> que nous nous fommes tous regardés 1 i> & cependant, ö la bonne chofe que » la bonne confcience ! nous n'avons ï> pas trop peur. Sur cette mer qui a » un minois fi terrible, ck. ou j'entends > les gens du métier dire, cela ne vaut V rien, il n'en faudrou pas beaucoup y comme celui -la, je fuis tranquille. » D'ou vient cela l je ne joue plus; la » bafTette ne m'eft plus de rien .* je » fonge un peu a 1'autre vie. Je ne » tuois perfonne , mais a grand'peine » difpis-je mon Bréviaire ; & plus d'une )> fois j'ai quitté le jeu pour aller dé» brider Vêpres , & puis retourner » quêter un fonica. Quand on en ufe i> ainfi, on doit craindre les dangers. f En vérité, la mer en colere eft un P Prédicattur oathétique ; & le Per§  b È C h ö r s y. ftf J> Bourdaloüe fe tairoit devantelle.... » Oh le beau Sermon c|ue vient dg » faire le Pere le Gomte ! II fe bour» dalife beaucoup : en voila deux dé » fuite de la même force. 11 eft: élo» cpient, familier, ék touchant j ck je » vois que nos autres: Prédicateurs ne' » font plus fi empreffés. Ils voyent au » moins la plupart, qu'après qu'ils önt » bien crié, bien fué', ön ne leur dit » rien ; on commence Vêpres. Mais ce » Pere le Gomte n'eft pas de même i » ehacun rembrafie , chacun 1'effuie ■ » on ne veut pas qu'il s'enrhume, paree » qu'on veut 1'entendre encore..,. 8> » Le Pere Gerbillon a prêchê fttï » 1'Enfer avec beaucoup d'efprit. 11 dit » de fort belles chofes; mais avec urt » peu trop de véhémence , qu'il fgaura » bien modérer a la Chine : car on n'y » prèche point, on parle de bon fens, » onraifonnejufte;ck quand lesChinois » voyent un Prédicateur tout hors de » lui, qui crie du haut de la tête , ils » fe mettent a rire, ék difent : A qui » en a-t-il t contre qui veut-il fe » battre ? Et croit-il me perfuader ert » me montrant quil fe laijfe aller d O iij  }lS É L O G E »fes paffions y & qUe [a coiere fa » tranfporte «, », A la fin, la grande partie d echecs » vient' d'être décidée. Nous jouions » en vingt parties liées, Ie Chevalier »; de Fourbin & le P. Gerbillon contre » moi. L emulation s'y étoit mife ; un » mauvaifcoïipncjusfaifoitpaiir. L'audi» tofte ou plutót les, fpeclateurs atten» tifs par-defhis 1'épaule , gardoient un » profond filence, qu'ils ne rompoient » de temps en temps que par des cris » d'admiration. Ils ne pouvoient com»prendre comment le Roi ne nous » donnoit pas fes-armées a comman» der, & ne- comptoient pour rien Je » Maréchal de Créqui. Voila qui efl » beau. Mais a Ia fin j'ai perdu, & j'ai » eu befoin des Effais de mande pour » m'empêcher d'être faché. Par bon» heur j'avois lu depuis peu Ie Traité » de Vamour-propre, & j'ai trouve une » belle occafion de m'humilier. Le foir, » en faifant mon petit examen de la » journée , je tombai fur les échecs, » & examinai bien férieufement d'oit » venoit que j'avois fi grande envie de » gagner ; 6c aprës avoir bien retourné  fi| C H O I S Y. ?t$ $ -non cceur , je trouvai que c'étoit ft pure vanité. Mors je demandai a » Dieu la grace de me faire perdre , » fi cela pouvoir. ètre bon imhumi her. » Ou'arHva-t-il ? Nous jöuames te len» demain, & depuis ce moment-ia je >> ne me fuis point défendu. Je fits » affez faché dans le moment 5 mais » depuis la réflexion , j'ai eu beaucoup » de confolaüon de voir ma pnerc » exaucée.... «. . • , » J'ai été ce tnatiri rendre vifite ( a » Siam ) k M. Conftance, Commiffaire » Général. La converfation-a prefque » toujours roulé fur le Roi, dont li » con-oit toutes les grandes quahtes, » comme s'il avoit paffé fa vie a v er» failles. J'olre Roi, m'a-t- il dit, paria » comme la Sainte Ecritun : il dit, & » tout efl fait. Vous mi dttes qu il efl » tous les jours quatre ou cinq heitres' » au Conjeil, & moi je crois qu il y » efl toujours , a voir de quel air d » merie fes voifins.... «. » Avant-hier , un des Siamois nom9 mé Antonio Pintö, foutint dans je » Pa'ais de M. 1'Ambaffadeur des fhefes » en Théologie , decliées au Rol : c eft » au notre. Nos Jéfuites difputerentO iv  ?s É L O G E » Mais il y eut un Diacre Cocbin«chintiis qui fit des merveilles, & » qui ne vouloit point fe taire ; on » avok beau battre des mains. L Ar» chevêque Talapoin.de Siam y vint, » & fe mit vis-a-vis du répondant. II » nous euroit fait grand plaifir de dif» puter, mais fa gravité 1'en empêch». » II efl afiez beau a nos Miflionnaires » de faire des écoliers capables de re» pondre en Sorbonne. Pour moi, je » voudrois qu'ils en envoyaffent quel» qu'un en France , pour faire une » expectative a Paris. Cela feroit grand » plaifir a M Grandin (i), de voir une » face noire parler fi jufie: De Deo uno & trino «„ ■ (O ProfefTeur de Théologie, alors fort celebre.  fi E C II O I S Y. 311 Note VI, relative a la page 324, fur le prétendu projet de converfion du Rol de Siarn, imaginé par les ■ Jéfuites. "CJ"n Jéfuite plus zélé que le Pere Tachard , mais beaucoup moins aü fait des difpofitions du fioi de Siam, voulant convertir un jour ce Prince, lui difoit que , pour entendre tous nos Myfleres , il falloit être éclairé par l'ejp/it de Dieu , & qu'on obtenoit cette grace par la priere. Eh bien ! répondit le Monarque, vous nave^ qua , de votre cóté , invoquer nos Dieux, après quoi vous entendre^ & approuveres^ tout ce qui vous paroh extravagant dans notre Religion & dans notre culte. Un Prince qui raifonnoit de la forte, étoit bien loin des portes de 1'Eglife, que Louis XIV défiroit tant de lui ouvrir. Voici de quelle maniere 1'Abbé de Choify sexprime dans fon Journal fur le prétendu projet de converfion, dont O y  3" E L O G E il fut d'abord la dupe , & bientót après trop de'trompé. » M. TAmbaifadeur (le jour de fon » audience ) a dit au Roi de Siarn' , » que le Roi "fon Maitre , fi fameux »par tant de vicloires , lui a comi> mandé de venir trouver Sa Majefié » aux extrémités de VUnivers , pour » lui prefenter des marqués de Jon. » eftime & Vaffurer de fon amitié. J> Mais que rien n étoit plus capable » d unirces deux grands,Princes, que » de vivre dans les feminiens d'une » méme croyance ; que le Roi le con» juroit, par Vinteret quilprend afit » véritable gloire, de confidérer que » cette fuprcme majefié dont il efl » revêtu fur la terre, ne peut venir » que du vrai Dieu, cefi-d-dire, d'un » Dieu tout-puifjant, éternel, infini3 » tel que les Chrétiens le reconnoi'ffent, » qui feul fait régner les Rois, & regie » la fortune de tous les Peuples ; que » c étoit d ce Dieu du ciel & de la » terre qu'il falloit foumettre toutes fes » grandeurs, & non d ces foibles di» vinités qu'on adore dans l'Orïent,» » & dont Sa Majefié, qui a tant de  DE C H O I S Y. jij J? lumiere & de pénétration , ne peut S> manquer de voir affesr_ Üimpuifjance. » Le Roi de Siam , après avoir lu » la lettre du Roi, dit a M. Conftance: » Je vois bien que le Roi de France » me veut faire Chrétien ; & lui dit » ces paroles d un ton a faire beaucoup » efpérer. Je crois que c'eft pour me » tenir toujours en haleine , afin que » jufqu'au de'part de M. 1'Ambafladeur » je ne fache point ma deftine'e. » M. Conftance eft venu voir M. 9 1'AmbafTadeur , & lui a dit que le » Roi, en plein Confeil, lui avoit dit ces » paroles : Le Roi de France a pour 5> moi une amitié défintéreffée. Il men» voie propofer de me faire Chrétien.' » quel intérêt y a-t-il ? II demande » que je tninflruife de fa Religion » il ne faut pas le mécontenter, il faut » le faire & voir. Grande parole pour » un Roi des Indes qui ne fait point » difTimuler , & qui croit qu'il y va de » fon fionneur de ne dire que ce qu'il » penfe ! La même chofe a été rap9 portée a un Miffionnaire par le Bar» kalon , qui dit que la Religion des » Pagodes étoit prés de fa fin. Nou* O vj  324 Ë L O G E V ne fommes pas affez innocens pour $ croire cela tout droit «. » On dit que le Roi a donné a M. » Vachet une audience de trois heures; » ck qu'après 1'avoir fort remercié, il » a ajouté ces paroles dignes d'un Roi » Chrétien : N'en foye^ pas plus ori> gueilleux , Pere Vachet; ce n'efl pas » vous qui ave%_ fait de fi grandes $> chofes en fi peu de temps : c'efl le » Dieu du ciel & de la terre qui Va. » permis pour fa gloire, & c'efl lui » que nous en devons remercier. » Oh ! M. 1'Abbé de Dangeau, Ia » belle chofe que la Religion Chré» tienne ! Que Timoléon a d'obligai> tions a Théophile de lui avoir ouvert » 1'efprit (ijl Auffi vous puis-je affurer » que, dans la Jérufalem célefte,Timo,» léon s'écriera : Seigneur, fi je chante » vos louanges , fi je vous vois,fi je 2> vous aime , c'efl d Théophile après ï> vous , Dieu de miféricorde , d qui $ j'en ai la première obligation.... «. i) Ce Prince (le Roi de Siam ) ne (1) L'Abbé de Dange.iu avoit fort eontiibui a Ia convaüoft de 1'Abbé de Choify.  de C h o r s r. 31$ J» fera point damné, il connoit a demi » la vérité : Dieu lui donnera la foree j> de la fuivre. II a un Crucifix dans » fa chambre : il lit 1'Evangile ; il parle » de Notre-Seigneur Jéfus-Chrift avec i> grand refpect : tout cela ne fuffit pas S> pour me faire demeurer ici comme *> Miniftre du Roi ; mais cela füffit » pour nous donner une grande con» folation. Prions bien Dieu pour ce » bon Roi de Siam.... » Le Roi me demanda hier s'il étoit » vrai que je connuffe le Pape. Je lui » répondis qu'oui, & que même j'étois » le premier homme du monde qui lui ï> eüt baifé les pieds un peu avant fon V exaltation. Puifque cela efl, me dit» il, je vous piierai de faire a Rome i> quelques commiffions pour moi. II » n'en dit pas davantage ; & ce fera » a 1'audience de congé qu'il me pariera » en forme. Oh 5a , avouons la vérité : » ne fuis-je pas bienheureux ? ck. , ne » pouvant demeurer ici, pouvois-je » retourner en Europe d'une maniere 9 plus agréable ck plus convenable a y un Eccléfiaftique 1 J'ai eu le fervice j> de Dieu en vüe en venant, ck je $ l'aurai encore en retournant. II eft  %ié É t o g e 9 beau pour notre Religion , qu'un Ro! s> idolatre te'moigne du refpeót pour » celui qui en'eft le Chef en terre, & s> lui envoie des préfens des extrémités » du Monde ; ck je crois que le Roi » fera bien aife de voir le Vicaire de » Jéfus-Chrift honoré par le Roi de » Siam , 6k qu'un de fes fujets foit 9 chargé d'une pareille commifïïon «. KoXE VII, relativa d la page 325 ^ fur Vordination précipitée de VAbbi DE ChoiSY. Le nouveau Prêtre étoit auffi novice dans le Sacrement de 1'Ordre , qu'un cerrain Abbé de Cofnac , dont il a écrit très-plaifarnment 1'Hifloire. Cet Abbé, qui venoit d'être nomraé a 1'evêché de Valence, avoit prié uni Archevêque de fes amis de faire la cérémonie de fon facre. L'Archevêque lui ayant demandé quel jour il avoit choifi pour cette cérémonie, 11 efl néceffaire , répondit 1'Abbé, que vous mè fafjie^ Prêtre auparavartt _, car je ne le fuis pas.... Je vous ferai Prêtre,  BE C H O ï s y. fsf répondït le confécrateur.... Mais , dit 1'Abbé, il faudra que vous me fajjie* Diacre.... Diacre , Jou , répondit 1'Archevêque un peu furpris.... Je vous dirai tout bas, reprit 1'Abbé , que je ne fuis menie pas encore Sous-Diacre Oh ! pour le coup, répliqua 1'Archevêque , dépêcher-vous de me dire que vous êtes tonjuré, de peur que dans cette difette de Sacremens , vous ne remontie^ jujquau Bapteme. Voici les réflexions de 1'Abbé de Choify fur les différens Ordres dont il venoit d'être honoré, 7 Déccmbre. » J'ai recu ce mafin les quatre Mi» neurs , & demain , s'il plait a Dieu, » je m'engagerai pour toute ma vie » dans 1'EtatEccléfiaflique. 11 y a deux » ans& demi que j'y fonge. Je me fuis » abandonné a M. de Métellopolis: ainfi » j'ai la confcience en repos, ck crois x> prendre le bon parti.... 8 Décemlre. » Je fuis préfentement Sous-Diacre j •» il n'y a plus moyen de reculer, » Yoila qui eft fait. Je ne fais fa je  É L O G ! » ferai affez malheureux pour me re-» » petltir; mais je n'en crois rien.... 9 Decembrc. » Je Tuis Diacre : c'eft bien marcheir » a pas dè géant, & c{iii plus eft , » demain , s'il plak a Dieu, je ferai » Prêtre. 11 n'y avoit pas moyen de i> faire autrement.,.. io Décembre. » Me voici donc Prêtre. Quel ter5> rible poids je me fuis mis fur le dos l » II faudra le porter; &c je crois que ^> Dieu, qui connoit ma foibleffe, m'en » diminuera la pefanteur, & me con» duira toujours par ce chemin de » rofes que j'ai trouve fi heureufement » chez vous, au fortir des bras de la » mort.... 6 Janvier. » Dieu m'a fait Ia grace de dire » aujourd'hui ma première Meffe I » Oh ! {e bon fe'minaire, la bonne re» traite qu'un navire ! On eft en paix » dans fa petite chambre : perfonne ne » vient vous interrompre.... «.  DE C H O I S Y. 32% 5> Croiriez-vous que je viens de faire 9 un Sermon, & que peut-être je le 9 dirai ? Cela eft un peu téme'raire : » commencer a prècher a quarante9 deux ans ! Nous verrons comment » cela fe paffera : je fentiraibien fi je ne » fais rien qui vaille , ék je me le tien» drai pour dit. J'ai eu toute ma vie la » fantaifie de prècher, dans des temps » oü je prêchois fort peu d'exemple : » maintenant , que Dieu m'a fait la » grace de rentrer en naoi-mème , ék, » que je me vois Prêtre pour toute » 1'éternité , je veux au moins effayer, » ék jamais je ne trouverai une plus 9 belle occafion. Si je pouvois parvenir 9 a faire un bon Pröne a Gournai (1), » ce feroit-la toute mon ambition ; » car je ne crois pas que je me ferve » du cre'dit de M. le Grand-Aumönier » pour prècher a Verfailles.... » J'ai fait aujourd'hui mon coup 9 deftai : j'ai prêché pour la première » fois de ma vie. Ce ne fera pas la » derniere : c'eft vous dire affez nette» ment que je ne fuis pas rebuté de (O C'étoit Is Piicuté dc M. 1'Abbé de Dsngeau.  3?o É l o e 1 $> moi. Je n'ai rien a vous dire fur Ia 5>' compofiriön : comment faire fur un » navire, fans livres & fans fecours ? J> J'ai dit ce que j'ai pu ; ék de bons » matelots iont contens de peu. Mais » ce qui m'a plu, c'eft que je n'ai » point eu peur, ék je n'ai point dit » fervilement mot a mot ce que j'a» vois écrit.... » Je ne prends plus ïa peine de » vous dire quand je prêche ou quand »■ je ne prêclie pas : quand on eft » rompu a un métier, on ne s'en fait plus de fète. Cependant, a dire le » vrai, j'ai penfé manquer aujourd'hui. » J'ai oublié tout-a-fait le commence» 'ment de mon premier point. Qu'ai-je » fait ? j'ai battu la campagne, j'ai » redit en autres termes un peu plus » familiers, ce que je venois de dire » d'un ftyle fublime ; ék ainfi en pe» Iotant, j'ai rattrapé ce que j'avois a » dire. Je crois que le pauvre Pere » Tachard a fué pour moi; mais peu» * de matelots s'en font apperQus....  DE C H O I S Y. 5fjf Nous avons dit que ce Journal étoit écrit avec une gaité dont le fujet ne paroiflbit pas trop fufceptible. En voici un exemple fur cette phrafe : Si j etois que de vous, je ferois telle choje. I II faut, Mefïïeurs, dit le Prefident » Rofe , que je vous falTe a ce propos » une petite htftóriêtte. Au voyage de » la paix des Pyrenees, un jour le » Maréchal de Clerembault, le Duc de » Créqui & M. de Lyonne caufoient, » moi préfent, dans la chambre du » Cardinal Mazarin. Le Duc de Cre» qui, en parlant au Maréchal de Cle» rembault, lui dit dans la chaleur de » la converfation : M. ü Maréchal, »fi j'étois que de vous , prots me » pendre tout i Vheure. Eh blèrt, re» pliqua le Maréchal , fojez^ que de 9 Dans un autre endroit, 1'Abbé de Choify parle d'un Académicien qui Note VIII, relative d la page 329, fur le Journal académique de 1'Abbé de choisy.  "t?4 £ L O 6 E trouvoit alternativement des raifons1 pour des opinions .contraires. » II re'ft » femble, dit 1'Abbé de Choify, a feu » M. de Marca , qui, dans les affem» blees du Clergé, foutenoit tantöt un » avis, tantót un autre, felon les cir» conflances, & avoit toujours a nous » alléguer quelque Canon qui paroiffok » fait exprès pour lui «, NOTE IX, relative a la page 332■ fur le mot de VAbhé DE CflOISY , au fujet de ClJARLES Vf. Ï-j A queflion du Duc de Bourgogne a 1'Abbé de Choify , fur ce malheureux Monarque , prouve que malgré la plus excellente éducation , le caraéfere de Prince efl trop fouvent indélébile. On prétend que le Duc de Montaufier , quand il eut appris la réponfe de 1 Abbé de Choify, & de quelle bouche la vérité étoit partie, secria comme Moltere : Oüva-t-eüe fe nickerfOn dit même qu'il ajouta : Je juis fdchê de ne pouvoir dernander a eet hermafhrodite fon amitie'.  DE C H O I S Y. 333 NoTE X , relative a la page 333, fur VHiftoire de Saint Louis par C Abbé DE CHOISY. CjE Prince, grand dans fes vertus & petit dans fa dévotion , ferme & foible tout a la fois, moitié au deffus, moitié au niveau de fes Contemporains,réfiftant ck cédant tour a tour a la barbarie de fon Siècle \ enfin , qu'on nou? permette cette expreflion , moitié Saint & moitié Roi, réfiftoit au Pape ck trembloit devant fa mere, abandonnoit des fujets qu'il rendoit heureux, pour aller fe faire battre en Afrique dans deux croifades fucceffives, mal-habilemententreprifes& plus malhabilement exécutées , ou périrent avec lui des miïliers de Francois; il joignoit a toute la dureté de 1'intolérance religieufe, la fagefTe ck 1'équité la plus rare dans celles de fes Loix qui n'avo'ient pas 1'héréfie pour objet; a la bienfaifance la plus tendre pour les malheureux,un zele fi peu éclairé & même fi cruel, qifïl ne faifoit, difoit-il;jépojidre au>i  394 É L O G E objeclions des Hérétiques, qnen leur enfonpant Vépée dans le corps jujqiCa la garde : avec les plus rares talens pour gouvemer, il eut la fantaifie, par le confeil d'un Jacobin fon Confelfeur, d'abdiquer la royaute' pour fe faire Moine ; fantaifie qui , pour fon honjieur, ne dura pas, & qui fit dire a Philippe le Hardi fon fils : Que fi Dieu, le faifoit jamais Roi, il fcroit jufiice de tous ces prccheurs. C'eft ce contrafte qu'il faut fur-tout faire fentir dans 1'Hiiloire de Saint Louis; auffi cette Hiftoire , quoique fi fouvent écrite, eft pourtant encore a faire. On dit que 1'Abbé de Choify avoit formé le projet d'écrire Ia vie de deux autres Princes bien différens de Saint Louis, Dioclétien & Théodoric ; mais il auroit fallu un Hiftorien plus exact, &. fur-tout plus éclairé, pour apprécier deux Monarques que leurs actions ont placés au rang des Souverains les plus illuftres, & dont la calomnie a trop long-temps perfécuté la mémoire. Yrais fages fur le tróne, mais décriés par la fuperftition & le fanatifme. é  p E C H O I s y. 33j NOTE XI, relative a la page 335, fur le paffage du Pfeaume 44, appliquépar VAbbé de choisy i Madame de M\aintenon. Lorsqu'Elisabeth de France, fille de Henri II, deftine'e , pour ion. malheur, a époufer Philippe II , Roi d'Eipagne , fut remife entre les mains des CommifTaires Efpagnols envoyés par ce Monarque pour la recevoir , un de ces CommifTaires adreffa gravement a la PrincefTe une partie de ce même paffage : Audi,fiüa, & vide, & inclina aurem tuam, & oblivifcere Domum pairis tui. Ecoutez^, ma fille , & voyeur ; prête-^ Voreille, & oublie^ la maifon .de votre pere. Un autre de ces Commiffaires, TEvêque de Burgos , ajouta plus gravement encore le refte du paffage : Et concupijcet Rex decorem tuum : & votre beauté infpirera des défirs au Roi. La malheureufe Princeffé , qui entendoit le latin, & qui n epoufoit qu'avec répugnance le vieux & odieus Monarque Efpagnol, tojnba évanouif  336 E l o g e entre les bras de la Reine de Navarró qui 1'accompagnoit. note XII, relative d la page 337, fur l'Hiftoire Eccléfiaftique de VAbbé de choisy. Cette Hiftoire fe reilent beaucoup de 1'habit fous lequel 1'Auteur 1'a corapofe'e; car ces ajuflemens de femme, qu'il n'ofoit plus porter dans le monde, par la jufte crainte d'y caufer trop de fcandale, il ne pouvoit fe re'foudre a s'en priver quand il étoit feul, ne fongeant pas aflëz qu'il lui reftoit dans cette folitude même un témoin plus redoutable que les hommes. Peut-être fuffiroit-il , pour apprécier Ia valeur de fes Annales Eccléfiaftiques , de fe repréfenter un moment ce Prêtre feptuagénaire , fous un habit fi peu fait pour fon age ék pour fon état, travaillant a 1'Hiftoire des Martyrs & des Anachoretes, ék fe mettant des ajuftemens profanes de la même main dont il écrivoit les décifions des Con- ciles,  DE C H O I S Y. 337 ciles. Auffi, interrompant quelquefois fon travail pour jeter un moment de triftes regards fur lui-même, il secrioit avec la fincérité la plus naïve : Quel Peintre pour les Antoines & les Pacómes , pour les Augufiins & les Athanafes ! L'Abbé Fleury, qui , comme nous 1'avons dit dans fon Eloge, avoit mis trente ans a compofer fon Hiftoire Eccléfiaftique, en avoit donné les derniers volumes a peu prés dans le même temps que 1'Abbé de Choify fit paroitre la fienne. II étoit bien difftcile que la frivolité francoife fe refufat le jeu de mots que lui offroient les noms de Choify & de Fleury, fur ces deux Hiftoires, 1'une fi légere & 1'autre fi grave. On difoit donc que 1'Abbé Fleury étoit choïfi dans fon Ouvrage, & que 1'Abbé de Choify étoit fleuri dans le lieu. Mais 1'Ouvrage fuperficiel & frivole n'effaca pas en cette occafion 1'Ouvrage exacl &. utile ; & 1'Hiftorien véridique , quoique bien moins philofophe dans fon Hiftoire que dans fes Difcours, fut préféré par le Public a 1'Hiftorien qui n'étoit qu'agréable & nullement philofophe. Tome IV. ï?,  3 j 3 Éloge de Choisy. ( L'Abbé de Choify a imprimé qua c'étoit par le confeii de RofTuet qu'il avoit entrepris d'écrire 1'Hiftoire Eccléfiaflique. II paroit dimcile a croire que Boffuet lui ait donné ce confeii, dans un temps oü 1'on avoit déja celle de Tillemont, & oü Fleury écrivoit la fienne. Peut-être 1'Evêque de Meaux , en confejllant a j'Abbé de Choify d'écrire cette Hiftoire, n'avoit-il d'autre pbjet que de 1'engager a 1'apprendre.  H ju %w juifii til>i nubem , ut non tranfeat » oratio.... En effet, Meffieurs, le mal »devient extréme, ék livre bientöt » Monfeigneur le Dauphin aux der» mers fecours de la Religion. Ce jour >»de pleurs ék d'effroi, dont 1'appareil » etonna 1'ame la plus ferme, attendrit » la plus infenfible , déchira la mieux » preparée, fut le jour de votre ma» jefle , Seigneur ! In illd die exal» tabitur Deus /blus. Oh ! Roi éter» nel, qui voyez tous les Rois s ecouler » devant vous avec le torrent des » ages , que vous étiez grand dans ce » moment terrible ! Tout s'abaiffa fous » vos pieds, tröne , fceptre , dignité » puidance; tous les rangs, tous les  de Roquette. 357 5» degrés difparurent , toute lumiere » s'éclipfa devant ces lugubres flam» beaux, qui n'éclairerent alors que la » foibleffe , 1'humiliation, le néant; Sc » dans ce palais, tout' plein de ia gloire >> humaine , il ne refta que vous Sc la » viclime. In Ma die exaltabitur Deus » folus «. Dans le fecond morceau , oü 1'on retrouve la fenfibiiité, la philoiophie Sc les graces fimples de Maffillon, 1'Orateur s'exprime ainfi : » La vanité ne réclame rien dans ce » trilte Eloge ; on ne vous oflre point » des drapeaux déchirés, des trophées » fanglans , des rivaux humiliés, des » provinces conquifes \ la Vicloire éplo» ree ne gémit point, la Renommee fe » tait, la Vertu pleure ici toute feule ; » elle pleure un Prince de trente-fix s> ans, qui ne connut qu'elie «. A ces deux morceaux , nous joindrons encore le fuivant, tiré de 1'üraifon funebre de la Reine par le même Académicien , Sc dans lequel Boffuet Sc Maffillon nous paroifTènt fe réunir. » La naiffance d'un Prince n'eft aux s> yeux de la Reine qu'un engagement # Sc un devoir de plus.,.. Eüe ne |@  3 5 S É L- O G E » forme pas au grand art de re'gner; » hélas! fi le Ciel le permet, les exem» pies de fon Sang 1'inftruiront affez. » Mais elle lui apprend qu'au pied » du Tróne, & bien plus encore , loin » du^ Tróne même , font fes freres; » qu'il appartient a ce pauvre , a ce » malheureux , dont il nemend pas les » cris5 que les hommages les plus flat» teurs font ceux de la mifere recon» noiffante ; & que les couronnes de » 1'éternité feront le prix des larmes » qu'il aura effuyées fur la terre.... Oh » Prince (i) ! fur qui nos regards s'ar» rêtent avec une efpérance fi tendre, » vous ne recevrez plus ces touchantes' » Iefons. Pere, mere, ai'eule, tout eft » enfeveli dans le fdence de la mort; » mais 1'efprit qui les anima vous parle » du fond de leurs tombes entaffées • » une voix refpecTable & terrible vous » crie : Confole^ la Terre qui a les yeux »fur vous, & regarde^ le Ciel qui » vous attend «. L'Oraifon funebre de Louis XV, prononcée par le même Orateur, offre encore un plus grand nombre de traits (ï) Louis XVI, alors Dauphin.  de Roquette, 35c, d 'éloquence, de fenfibilité , de cette finelTè même qui faittoucher légérement & avec adreflé des cordes deiicates ck, difficiles. Nous en citerons quelques morceaux, avec beaucoup de regret de ne pouvoir en citer un plus grand nombre ; il faudroit tranfcrire prefque en entier ce Difcours , pour en faire connoitre toutes les beautés. » A cette époque , Meffieurs (1'épo» que du miniftere du Cardinal de » Fleury ), on vit fur la terre un » Peuple heureux tout a la fois & » refpecté ; ck ce Peuple étoit celui » que Louis XIV avoit comme enfeveli » dans fes triomphes, Peuple détefté 9 de 1'Europe conjurée , déshonoré a 5> Hochüet, humilié a Gertruidenberg, *> confterné , fuyant des rives du Rhin » jufqua celles de 1'Efcaut, ralTuré a » peine a Denain par 1'heureux génie » de Villars , trainant, après la paix » d'Utrecht, les débris d'une puilTance SJ> que 1'envie ne daignoit plus remar» quer,fans commerce, fans vaüTeaux, » fans crédit Un homme eft choifi 5> pour ranimer ce Peuple abattu. Louis » dit au Cardinal de Fleury, comme p autrefois le Seigneur Dieu au Pro-  v$6o « Éloge * Phete Ezéchiel : Infuffla fuper inter» »Mos ijhs , rcvivifcant. Soufflé? » Jur ces mons, afin 'qu'ils revivent.2 ». 1 out a coup un efprit de vie couie » dans ces oiiemens arides & dene-i » ches ; un mouvement doux , mais » puiiia.it, (e communiqué a tous les » membres de ce grand corps epime ■ » toute s les parties de 1'Etat fe rappro» chent & fe balancent ; Et acceiïè» runt offa ad o/Ja, unum quodquead » juncluram Juam. L'harmonie fe ré» W3üt, la confiance renait, &c « Rien n'eft plus heureux & plus éloquent que 1'apphcation de ce paffage de 1 Ecruure. C'eft ainfl q„a faut la faire parler dans une Oraifon funebre, & non pas y entaffer, fans choix & lans eeme, comme ont fait tant d'autres ürateurs, des mUliers de palfages des Livres faints, les uns applicables a cent autres fujets, les autres appliuués au lujet dune maniere froide & triviale. Dans le morceau fuivant, 1'Orateur ran ientir avec d'autant plus d'adreóe reproches qu'on peut faire au Cardinal de fleury, a eu rm dg donner a ces reproches Ia forme de f éloge,.,.  de Roquette. 36V ï'éloge.... » Miniftre refpecftable , je » n'infulte point a votre repos; je fais » que nous vous dèvons ces jours pai» fibles ck brillans que jeretrace; mais » qu'il me foit permis de le dire, en » confervant dans votre augufle Eleve » eet efprit de modération & de ré» ferve, fi vous aviez excité ces dammes » généreufes, ce noble fentiment de fes » fbrces, qu'il méritoit fi bien de pren» dre; fi vous lui aviez appris a ne pas » fe féparer de fa Nation , a Ja mé» diter , cette Nation , qui fe donne » toutes les chaïnes qu'on ne lui monv tre pas, qui fupplée par le dévoue» ment tout le pouvoir qu'on ne lui ï> fait pas fentir, qu'il feroit honteux: » d'opprimer, paree qu'on eft toujours j> fur de la féduire ; fi en lui peignant » tous les liommes faux ck trompeurs, » vous lui euffiez dit que le feul homme » de fon Empire dont il ne devoit pas y> fe défier étoit lui-même , nous joui» rions encore de Ia fageffe & de la 9 pureté de vos confeils. II vous a mans> qué une ambition dont la France « vous eut fait un mérite , celle de » vous furvivre par 1'impulfion que » vous pouviez donner a 1'ame de fon Tome IV, Q  $62 Ê L O O E » Roi : hélas ! votre miniftere a péri #. avec vous «. Voici un autre morceau , plein d'éloquence & de fmeffe tout a la fois, fur le caracftere, les vertus & les fautes de Louis XV. » Hélas ! Messieurs , par quelle ï>> fatalité Louis XV a-t il exagéréfur » le Tróne, deux vertus ft étrangeres » au Tróne, la modeftie & la défiance » de foi-même ? Etions nous donc ré>> fervés a déplorer dans ce Monarque, >> ce qu'on ne peut trop louer dans les 9 Rois ? Mais c'eft dans le malheur » qu'il fied bien d'être jufte. Diftin» guons les traits de la lumiere au » milieu des ombres qui 1'affoibliffent..., >> Otez ce poids qui 1'entrainoit irré>> fiftibl.ement vers la condef endance, » 1'ame élevée fe montrera par-tout. » A Fontenoy, lorfque tout chancelle, p il obfervera que la redoute d'An» thoin , vainement attaquée , laiflé *> 1'elpoir de la vicloire , & il foutien» dra feul fon arntée par ce eoup-d'eeil >> digne des Condés & des Turennes ; y> voila le Général.... A Bruges, a l'afy j> pecf des maufolées de Charles le $ Hardi, & de Marie de Bourgogne, ij  be Roquette. 3 6"j s» s'écriera; Cefl-la le berceau de toutes » nos guerres ; penfée rapide ck pro» fonde : voila le Phiiofophe. A Vert> failles , la marche tortueufe de la » Politique jettera de 1'incertitude & » de 1'obfcurité fur un traité de paix; » il le réformera feul , & tous les » nuages feront diftipés: voila 1'homme » d'Etat Je ne craindrai pas de le » dire : Louis XV, avec fes principes, » étoit plus pres de la véritable grany deur, que. Louw XIVavec fes talen?. » Celui ci fut le Héros de la Fortune; » celui-la prouve qu'un Roi jufte peet » fe paffer d'elle. L'un ne pouvoit être » arrêté, & la vanité 1'égara ; 1'autie » méritoit d'être foutenu, & fa droi» ture en eut fait un grand Roi: c'eft » a ce titre qu'il mérite nos hom» mages «. On trouvera des beautés du même genre dans eet endrcit de la leconde partie. » Une vertu dont 1'audace & le » crime ont abufé, n'a-t-elle donc plus » de droit a nos éloges ? Quelle voix » s'élevera pour inculper la bonté de » Louis l Sera-ce celle de la Religion, » dont il refpecfa toujours les confeils » ck les priviléges ? Celle de fes Cour- Q ji  ?o*4 Élose 'p tifans, qu'il combla de faveurs, h » qui il ne montra jamais que la tr'if» telle obligeante de ces refus involon» taires , qui valent des graces ? Celle » de fes Soldats, qui le vïrent pleurant » fur les lauriers de Fontenoy, par» courant les höpitaux, confolant les S> bleffés, s'écriant au milieu de ces ,s> triftes viilimes de la vicfoire : An~ » glois, Francois , Ennemis, Sujets , » que tous fioient également traités, ils pfónt tous des hommes ? Sera ce celle » du Peuple ? Non, Monarque bien » aimé & digne de 1 'être , il ne trou» blera point vos manes apguftes.... Géit miffant, il ne vous nommoit point » dans fes larmes, le cri de fa mifere ne » vous accufa jamais; c'étoit pour vous » qu'il avoit inventé ce foupir que » 1'oppreffion lui arra.cha : Ah ! fi le » Roi lefiavoit....\Totre cendre lui fera v auffi pre'cieufe, que votre nom lui a V e'té cher «. Mais le morceau le plus fublime peut-être de cette éloquente Oraifon lunebre, efl celui ou'M. 1'Abbé de Ëoifmont peint la derniere maladie du Poi, & les circonffances dont fa mort JUf accompagnée.  de Roquette. 365 » La vérité eft clonc bien étrangere » au Tróne , puifqw'elle n'en approche » pas dans les momens même ou tout » fuit ., ou il ne refte qu'elie » Telle eft la deftinée de Louis dans » ces cruels inftans. Le myftere 1'en» vironne, rien ne lui débgne le poifon » qui le dévore; la Cour, la Capitale » retentit de 1'accablante nouvelle ; le* » tonnement , la terreur , une multi* » tude de voix la répete ; Sc la vérite » n'en trouve pas une pour porter ce » trifte fecret a 1'oreilie du Prince » Eh ! malheureux Politiques , vous » vous méprenez; ce n'eft pas un tróne, » c'eft un iit de mort que vous afïïéj» gez ; tous vos déguifemens, tous vos » artifices font perdus Mais vous » ctes, dans ce moment, les Miniflres » d'un jugement terrible. Telles font » les juftes rigueurs de la vérité fur les » Rois; méconnue lorfqu'elle eft im» portune, elle fuit quand elle devïent » nécefTaire.... «. 'Plus bas , ^ 1'Orateur , après avöir tracé le tableau touchant du repentir du Roi, Sc de la miféricorde divine qui le confole Sc le raffure , ajoute, avec la fenfibilité la plus profonde ; Q "i  3^6 É 1 O G E » Cependant, gue de rigueiirs ait mf» lieu de tant de graces ? Tremblez, » vous_ que cette indulgence pourroit » prectpiter dans la préfomption ; c'eft » au cceur de ce Prince malheureux » que 1 inflexible juftfce a frappé. Ce » cceur fenfible étoit coupable; ce cceur » fenfible eft la vicfime a laquelle la » vengeance s'attache ; elle lui lailfe » tous les befoins de fa tendreffe, & » ui en ravit prefque tous les objets • » Ie mal qui s'accroit pefe fur tous les » mouvemens de ce cceur déchiré, & » les enchaine fans les détruire. L'amt» tie, la piété filiale, veillent en vain * autourde-lüij ni la piété filiale, ni » lamitié n'auront un foupir Cet af» faiflêment de toutes fes puifTances, » cette préfence de fa raifon , qui lui » fait fentir la douceur dexpirer du » moins dans les embra/femens de fes » petits-fiis, & 1'afFreufe néceffité de » les ecarter ; quelle pénitence ! II 9 mourra , & il n'a point encore ou» vert le fanctuaire de 1'Etat h fon fuc» cefieur; il ïaiffe de grandes plaies & » de jeunes mains pour les fermer ; il » emporte avec lui ces lecons, ces re» grets, ces confeils, que ielóquenc*  de Roquette. fêf $ du dernier moment rend fi pénétrans S> & fi refpeclables; il mourra, & les >> oracles de fa mort feront perdus » comme les derniers exemples de la » vie : quelle pénitence « ! Nous ne craignons point de le dire ; il ne manque ace Difcours que d'être moins moderne, pour être mis par la voix publique a cöté" de ce que nous avons de plus éloquent en Ce genré} & quand le genre même viendreit un jour .a être profcrit par la févérité plnlofophique de nos neveux; quand cette poftérité, devenue inflexible ck auftere, ne voudroit plus entendre dans la chaire de vérité que la vérité toute nue & fans apprêt, elle donnera toujours des éloges a 1'Oateur qui, dans ce fujet épineux & güflant, & dans un temps ou il n'étoit pas permis a la vérité de fe préfenter fans voile , a fu la faire parler avec une délicatelTe fi noble, ck une éloquence fi touchante. M. 1'Abbé de Boifmont a encore ajouté, s'il eft poffible, a fa.réputation, par fon éloquente Oraifon funebre de l'Impératrice Reine de Hongrie, & par le Sermon touchant qu'il a prononcé en 1782 fur 1'établifTeme»« Q «r  36*8 É L O G E d'une maifon de charité en faveur des pauvres Militaires &. des pauvres Eccléftaftiques. Pour ne point donner a. eet article trop d etendue , nous nous contenterons de citer le beau portrait du Roi de PrulTe dans le premier Difcours , & celui du Curé de campagne dans le fecond , fans prétendre néanmoins préférer ces deux morceaux a beaucoup d'autres , qui ne font pas moins dignes deloges. Ceux de nos Lecteurs qui pourroient trouver ici un trop grand nombre de citations étrangeres , felon eux , a 1'Hiftoire de 1'Académie, nous les pardonnerons fansdoute, s'ils penfent comme nous, rue des traits d'une éloquence fi diftirtguée, ouvrage d'un Membre de cette Compagnie , font peut-être le plus bel ornement de cette Hiftoire.  de Roquette. 369 Portrait du Roi de PruJJè. 9 Aü milieu de cette foule d'enne» mis triomphans, confidérez le Hort » du Nord qui s eveille; fes regards » ardens fembient dévorer la proie que » la fortune lui marqué : génie impa9 tient de s'offrir a la Renommee, vafte, » pénétrant, exaké par le malheur & » par ces prefléntimens fecrets qui dé9 vouentimpérieufementala gloire cer» tains êtres privilégiés qu'elie a choifis, » je le -vois ie précipiter fur ce théatre » fanglant, avec une puiifance mürie 9 par de longues combinaifons, & des 9 talens agrandis par la réflexion & la » prévoyance; Soldat & Général, Con» quérant & Politique , Miniftre & 9 Roi, ne connoiffant d'autre fafte que » celui d'une milice nombreufe, feule 9 magnificence digne d'un Tróne fon dé 9 par les armes. Je le vois, auffi rapide » que mefure dans fes mouyemens , 9 unir la force de la difcipline a lai 9 force de 1'exemple, communiquer at 9 tout ce qui 1'approehe cette vigueur-, » cette flamme inconaue au refte des Qv  37° é l o g e » hommes, que Ia Nature avoit cachée » dans fon fein ; marcher a d'utiles » triomphes; diriger lui-même ave: art » tous les coups qu'il porte ; attaquer » ce tronc chancelant fur lequel Ma» RIE-ThÉRESE eft appuyée, en dé» tacher brufquement les rameaux les » plus féconds ; ck s'élevant bientotau >> delTus de 1'art mème par la fermeté » de ce coup d'ceil que rien ne trouble, » montrer déja le fecret de fes ref» fources qui doivent étonner Ia vic» toire même, èk tromper la fortune » lor-fqu'elle lui fera contraire i> » II vit, ce Héros qne 1'art de » vaincre rendit fi redoutable, èk que i> le feul art de régner, qu'il n'a pas » moins connu , pouvoit rendre fi cé» lebre. Je vois par-tout fes lauriers » mêiés aux palmes de Marie-ThÉJ> rese. Mais n'attendez pas, Meffieurs, que je vous raconte cette fuite » de combats dont frémiffpit 1'huma» nité. Ma voix n'eft point deftinée a » ces récits; ce que je dois vous faire 52 obferver, c'eft le nouveau genre de » force ck. de courage que Makie-  de Roquette. 371 » ThÉRESE oppofe a ce nouveau choc. » L'inévitable Frédéric eft par-tout, » prevoit tout, répare tout, trouve le » triomphe ou fes Généraux n'apper» coivent que 1'humiliation & le de'» fefpoir. C'eft la foudre qui fillonne » 1'air d'un pole a 1'autre , ék porte » en tous lieux le ravage ék l'efFroi. » marie - 1'HÉRESE , immobile au » fond de fon Palais, pre'vient, décon» certe , arrète tous les mouvemens » d un ennemi qui femble fe multiplier » ék fe reproduire : c'eft une colonne » majeftueufe, qui foutient feule un » édifice immenfe, dont quelques mor» ceaux détache's par la violence des » fecoulTes , n'ébranlent point la foli» dite'. Le malheur ék la gloire font » partagés «,  7.72 é l o g e Portrait du Curé de Campagne. »Tkansportons-nous dans les » campagnes , voyons la mifere dans » fon domaine ; qu'appercevons-nous y> dans ces hameaux confufëment e'pars? » Une folitude morne , une Nature i> triile & langui/Tante , des toits détail bre's, des maifons de boue , ou la » lumiere femble ne pénétrer qu a re» gret; par-tout la difette & le befoin » fous les formes les plus hideufes & » les plus de'goütantes. » Ah ! du moins dans ces temples » rufliques, décore's par la feule pre'» fence de la Divinité qui les remplit, » ces cceurs défolés trouvent des freres, » des malheureux qui leur refTern» blent !.... Que dis-je ? ils trouvent » plus , ils y trouvent un pere. Ce » Pafteur. fur lequel la Politique peut» être ne daigne pas abaüTer fes re» gards, ce Miniftre relégué "dans la » pouffiere & 1'obfcurite' des campa» gnes, voila 1'homme de Dieu qui les * éclaire , & 1'homme de 1'Etat qui les  de Roquette. 3-7? » calme ;. fïmple comme eux , pauvre x> avec eux, paree que fon ne'ceffaire » même devient leur patrimoine , il les » éleve au deffus de 1'empire du temps, » pour ne leur lailTer ni le dêfir de fes » trompeufes promeiTes, ni le regret » de fes fragiles félicités : a fa voix , » d'autres cieux, d'autres tréfors s'ou» vrent pour eux; a fa voix , ils coii» rent en foule aux pieds de ce Dieu » qui compte leurs larmes, ce Dieu, » leur éternel héritage , qui doit les » venger de cette exhérédation civile » a laquelle une Providence qu'on leur » apprend a bénir les a dévoués. Les » fubfides, lés impóts, les loix fifcales, » les élémens même , fatiguent leur » trifte exiflence ; dociles a cette voix » paternelle qui les rafTemble, qui les » ranime , ils tolerent, ils fupportent, » ils oublient tout : je ne fais quelle » oncfion puiffante s'échappe de^ nos » tabernacles ; le fentiment toujours * acrif de cette autre vie qui les attend, » adoucit toutes les amertumes de la » vie préfente : ah ! la Foi n'a point de » malheureux ! ces mylteres de mifé» ricorde dont on les enveloppe , ces » ombres, ces figures , ce traité de  374 E L O G E » proteclion & de paix qui fe renou» vel e dans la priere publique entre Ie » ciel ék la terre, tout les remue, tout » les attendnt dans nos temples; ils » gémifïent, mais ils efperent, ék ils en » fortent confolés. » Ce n'eft pas tout. Garant des pro» mefles divines, ce Pafteur, eet Ange 9 tutelaire les réalife en quelque forte » des cette vie, par les fecours, par les » ioins les plus généreux, les plus conf» tans. Je dis les foins, ék peut-être, » hommes fuperbes, n'avez-vous jamais » bien compris la force ék 1'étendue de » cette expreffion. Peignez-vous les ra» vages d un mal épidémique, ou plutót » placez-vous dans ces cabanes infecles » habite'es par Ia mort feule , incertainê » iur le choix de fes viëkaes : hélas f » 1 objet le moins aff'reux qui frappe vos * regards, eft le mourant lui-même » epoufe, enfans, tout ce qui fenvi» ronne femble être forti du cercueil » pour y rentrer pêle-mêle avec lui • ft » l horreur du dernier moment eft ft * penetrante au milieu des pompes de » la vamte, fous Ie dais de 1'opulence » qm couvre encore de fon fafte I'or- * gueilleufe proie que la mort lui arra-  de Roquette. 3-7 5 >? che, quelle impreftlon doit-elle pro» duire dans des lieux 011 toutes les » miferes & toutes les horreurs font » raïïémblées ! Voila ce que bravent ls » zele & le courage paftoral. La na» ture , 1'amitie', les reilources de 1'art, » le Miniftre de la Religion remplace » tout; feul au milieu des gémiftemens » & des pleurs, livre' lui-même a 1'ac» tivité du poifon qui dévore tout a » fes yeux , il 1'atToiblit, il le de'tourne; » ce qu'il ne peut fauver,il le confole , » il le porte jufque dans le fein de » Dieu; nuls témoins, nuls fpeclateurs, » rien ne le foutient, ni la gloire , nï » le préjugé, ni 1'amour de la renom» mee , ces grandes foibh :Tes de la » Nature, auxquelles on doit tant de » vertus. Son ame , fes principes, le » Ciel qui 1'obferve, voila fa force & » fa récompenfe. L'Etat , eet ingrat » qu'il faut plaindre & fervir , ne le » connoit pas ; s'occupe-t-il , hélas ! s d'un Citoyen utile qui n'a d'autre » mérite que celui de vivre dans 1'hai> bitude d'un héroïfme ignoré « (1) ? (1) Nous croyons devoir nous permettre ici une obfervation. A la more de Louis XIV a  5/6 Ë L O G Ë ]"AcaJémie ne fit point faire d'Oraifou ffin« bre ; mais Ia Motte prononca,dans une féance publique, i'Etoge du premier Roi prorecteur. Dans d'autr.-s circonftances , i'Académie avoir prerere tantör une Oraifon funebre, tantót urt EIcge, efpece d'hommage qui pCut être plus convenab'e a un Corps pürement Littéraire,qui doit parler plurót au nom de la raifon , qu'au nom de Dieu. D'ailleurs, en fe réfervant Ia Jjberte de clioifir entre ces deus genres, I'Acacemie s'aifure I'avantage d'avoir a choiilr entre un plus grand nombre de talens, & cetui de n etre pascondamne'e a ia monotonie d'un genre nccedairement très-borné, & fouvent expofe'e a donner au Public des tours de force au liea tic bons Ouvrages. Note de 1'Editear.  ü, ju xJ \jr JlL, DE HENRI-JACQUES NOMPAR DE CAUMONT, DUC DE LA FORCE, Pair de France, n é le 5 Mars 1675; re cu d la place de FABIO BRULART DE SlLLKRY , Evéque de Soijfons , le 28 Janvier 1715 ; mort le 10 Juillet 1726. J*NIous ne pouvons confacrer a fa mémoire de eet Académicien , un éloge plus flatteur& apparemment plus vrai , que celui qui en fut fait par M. de Mirabaud , fon fucceffeur dans la Compagnie. » Avec beaucoup d'efprit, M. » le Duc de la Force avoit encore dans » 1'efprit ces agrémens rares, qui font » fi propres a le faire valoir. Sa haute  378 ÉLOGE » naiflance , qui 1'appeloit a d'autres » occupations que celles d'un homme » de Lettres, ne lui avoit pas permis » de fe donner tout "entier a fes talens » poétiques & Jittéraires. II s'y livroit » pourtant quelquefois , & toujours » avec fuccès , mais avec réferve ; il » fembloit ne s'y Hvrer que pour n'être » point taxé d'ingratitude en vers Ia Na» ture.,..X'heureufe facilité qu'il avoit » dans 1'efprit, jointe a une curiofité » naturelle qui le portoit a tout, lui » avoient donne une e'tendue de con» noiilances, qui rendoit plus éclaire', » &. par conféquent plus utile aux » Mufes, le zele dont il étoit animé* » pour la gloire.... C'eft a ce zele qu'nne » des principales villes du Royaume (i) » eft_ redevable d'une Académie des » Sciences, qu'il y a établie fur le mo» dele de celle de Pari?.... II voulut » enrichir d'un tréfor femblable la pro» vince a laquelle fes ancêtres devoient » leur nailTance.... fl a été , a 1'égard » des Académiciens de Bordeaux » cette intelligence qui , felon queL » ques Anciens, fut imprimer aux élë- CO Bordeaux.  DE C A U M ó N T. J79 5» mens Ie mouvement convenable, » lorfque dans les temps marqués pour » la formation du Monde, déja ils ten» doient d'eux-mêmes a fe mouvoir & » a fe débrouiller c. Tels furent les titres de M. le Duc dcla Farce, au iulfrage que lui aucorda 1'A ife, titres dont il ievoir shonorw lui-même dans fon Difcours de réception. » Vous avez » fu , die- il h fes Confrères, combien » j'ai été touché, dès ma jeunefle, de » eet éclat indépendant du hafard, in» féparable de nous-mêmes , de cette » gloire fi flattcufe que vous poffédez, dont ' 's vrais difpenfa- » teurs.... En m'adoptant aujourd'hui > » vous répandez fur la Compagnie Lit» téraire que j'ai formée , un éclat qui » lui manquoit. Eiie me reverra avec » la même joie que les Kations les » plus fages recevoient leurs Princes , » lorfqu'ils revenoient chargés du nom » glorieux d'ami, d'allié , de citoyen » de Rome «. L'Académie de Bordeaux , dont il eft fait une menüon fi honorable & fi jufte dans ces deux Difcours, fut étabiie par M. le Duc de la For^e, en  jSo Ê L O C E 1713. Le Fondateur eut 1'avantag» d avoir pour coopérateur dans eet étsblmement, 1'iliufire Montefquieu ; nous 1 avons dit dans 1'Eloge de ce Philoiophe (1); & nous y avons expofé les vues fages qui le guiderent pour aiïurer a cette Compagnie naifTante une exifi. tence folide & durable. Auffi , dans cette mulntude de Sociétés littéraires dont la France eft fureharge'e , 1'Aca* demie de Bordeaux , fondée fous de fi iieureux aufpiees, a toujours confervé un rang diftingué, par les travaux utiles dont elle s'occupe, & par le mérite de ceux qui la compofent; bien différente de ces Sociétés de pur bel-efprir, fouvent plus propres a entretenir le mauvais goüt dans nos Provinces, qu'a y répandre les lumieres. La Maifon de la Force avoit été engagée dans les erreurs du Calvinifme ■& paya cruellement ces erreurs Un des ancêtres de notre Académicien avoit ete maffacré avec un de fes enfans, h1 cette exécrable journée de la baint Barthéiemi, qui fouillera éternellemcnt notre Hiftoire aux yeux des (O Voyez nos Mélanges de Littérature.  de Caumont. 38r races futüres, Sc rendra a jamais odieux le nom des monftres qui ont confeillé , permis ou exécuté tant d'alTadinats. Un fecond fils de ce pere malheureux, encore dans 1'enfance, n'avoit échappé que par une efpece de miracle au fer des aifaffins (i). Ce fils étoit le trifaïeul de M. le Duc de la Force ; fon bifaïeul Sc fon aïeul conferverent le plus inflexible attachement pour des opinions profcrites, qui avoient été fi funefles a leur Maifon, Sc auxquelles ils auroient peut-être renoncé plus tót, fi la perfécution ne les leur avoit rendues cheres ; mais le pere de notre Académicien avoit enfin renoncé a cette Religion fatale. Son fils fe crut obligé de réparer d'une maniere éclatante 1'efpece de tache que ce pêché origlnel avoit imprimée a fon nom dans 1'efprit de Louis XIV , qui, vraiment jaloux du titre de Roi très-Chrécien 3 (i) On peut voir Ie récit intéreifant de cc fait, dans les notes fur Ie ftcontl cliant de la Henriade. Il eft raconté r.vcc plus de détail cncoie.fc avec ces circonfbnces auffi curieufes que touchantes, dans le Recueil qui a pour titre; JPieus intérejfantes & peu connues, pourfervir k ïHijloire. Paris, 1781, page 377.  5 Gdre Nesmond. le bonheur de pofféder aujourd'hui, & qui, apportant parmi nous les mêcies talens, y a joint 1'amour le plus échiré pour les Lettres, 1'eftime la plus diftinguée pour ceux qui les honorent par leurs talens ék par leurs mceurs, enfin toutes les qualite's aimables ék folides qui le rendent cher a fon Diocefe, a la Sociétéjék a cette Compagnie. permis de batir des églifes, des oratoires même , dans ün endroit oii il y avoit quelqu'un d'enterré. Saint Grégoire Pape , lorfqu'M permettoit d'élever quelque temple a Dieu, avoit io;n d'y mettre certe condition. Depuis longtemps, la Nation fait 'a-defl'us des vceux ur-animes , jufqu'a préf-nt combattus par cette feule claffe d'bommes qui voudroir aulTi, malgré Ie cri général du Royaume , faire rétablir les vceux monaftiques a feize ans ; conduite & animée dans ce doublé projet pat le même motif, 1'indifFérence pour le bien de fes femblables, & 1'attachement a fes intéréts. Depuk que nous avons écrit cette note, Ai. 1'Archevêque de Touloufe a Jonné une nouvelle preuve, & plus éclatante encore, de fa bienfaifance & de les talens, dans les aétes imprimés du Synode qu'ü a tenu a Touloufe en 1781; Cuvrage que la poilériré regardera comme urt des p'us beaux monumons de 1'Hiftoire Eccléfiaftique du dix-hu:tkme fiecle.  17 t ^ xr je* ju W DE CLAUDE-FRANCOIS F HA GUI ER, r 'Né a Paris le 28 ^our 1666; repu a Az place de J.4CQUES - NlCOLAS CoLBERT, Archevêque de Rouen, le 1 Mars 1708; mort le 3 Mai 1728 (1). (1) Voyez fon E'.oge dans 1'Hiftoirc de f Académie des Belles-Lettres.   •fa t \jr jLj de JEAN-BAPTISTE-HENRI Dü TROUSSET DE VAL IN COUR, DE L'ACADÉMÏE DELLA CRUSCA, Secrétaire général de la Marine, né le i Mars 1653 ; repu d la place de Jean Racine, Ze 27 Juin 1699; mort le 4 Janvier 1730 (1). (1) Voyez fon Eloge dans rHiftoire de 1'Académie des Sciences.   tt7 ff rent de lui cette inclinatton ; mais lijn ». Nature fit leurs partages, en fortes » que I ainé eut plus de goüt pour les" » Sciences férieufes, & le cadet pour-: » les Sciences agréables «. Auffi deux Académies partagerentf entre elles les deux freres j 1'aïné futi de 1'Académie des Sciences, & le ca-l det, celui dont nous avons a parler, fut) Membre de 1'Académie Francoife. 111 ne manque aux honneurs littéraires del celui-ci, que d'avoir eu , comme fonj frere, M. de Fontenelle pour Panégyrifte. M. de la Faye avoit mérité fon titre d'Académicien par les agrémens de fon : efprit , la fineffe de fon goüt , fon amour & fes talens pour les Lettres I & fur-tout pour la Poéfie. Quoiqit'il] fe füt principalenient adonné a la poéfie légere, il fit voir néanmoins dans: quelques occafions , que la poéfie la": plus élevée n'étoit pas fupérieure a fes forces. II avoit fait une belle Ode a la louange de celles de la Motte, &: 1'avoit adreffée a eet ingtnieux Aca-1 démicien, dont il étoit 1'ami. Cette! Öde fut imprimée dans plufieurs édi- tions i  DE LA F A Y E. 409 tions des Odes de la Motte; & ce qui eft affez digne de remarque , elle le fut avec une autre Piece a Ia louange des mêmes Odes, par le Poëte Roi, qui de: puis changea bien de langage, & qui, ; après avoir vu ou cru voir dans les mains de la Motte la. Lyre d'Eorace ( 1 ) (c'eft le titre de la Piece qu'il lui adreffa) , lui accorda enfuite a peine la. Lyre de Gacon. Des motifs d'animo: fité particuliere , des liaifons avec quel; ques Litte'rateurs ennemis ou jaloux de la Motte , produifirent ce changement dans le Poëte Roi. Toute fa conduite ij littéraire n'a que trop prouvé qu'il ne fe piquoit ni de fcrupule ni de juftice, quoiqu'il eüt befoin lui-même, pour un grand nombre de fes producf ions poétiques, de 1'indulgence qu'il refufoit fi févérementa celles des autres (2). ivi. de la Faye ne 1'imita pas; il fut, jufqua la fin de fa vie, le partifan zélé des talens (1) On peut voir 1'Ode de M. de la Fayc & relle du Poëte Roi, dans les Mémoires de 1'Abbé Trublet, fur Fontenelle.& la Mottcj p. 361 & 37». (1) Voyez Ia Note (ö), Tom IVt S  4ÏO É L O G E «te la Motte , & avec d'autant plus de franchife , qu'il étoit d'ailleurs bien éloigné d'adopter toutes les opinions Iktéraires de fon ami, Car lorfque ce dangereux Novateur en Littérature avanca fes paradoxes contre la Poéfie, M. de la Faye défendit 1'Art des vers par une autre Ode, fupérieure encore a. celle qu'il avoit faite autrefois pour céiébrer ia Motte. Dans cette nouvelle Ode, M. de la Faye prouve, ou plutót (ce qui eft bien mieux encore) fait fen* tir,en vers narmonieux, combien les entrayes apparentes de la mefure & de la rime produifent de beautés, que le Potte n'eutpas enfantées fans cette contrainte ; il fait un ufage heureux de cette penfée de Montagne : Tout ainfi que la voix , contrainte dans Vétroit canal d'une trompette , fort plus aigue & plus frte\ ainfi me'Jcmb/e-il que lafenienee (la penfée), preffée aux pieds nombreux de la Poéfie, s'élance bien plus brufquement, & me fier t (frappe) d'une plus vive J'ecouffe (i). Cette comparaifon, auffi jufte qu'énergiquement exprimée, a été rendue ainfi par M. de la Faye. £j).Ypycz U Note {b),  de la Faye. 411 De Ia contrainte rigourcufe. Oü 1'efprit femble reffefté, U recoit cette force heureufe 'Qui 1'élcve au plus hau; deer?. Tellc, dans des canaux preifée, Avec plus de force élancée , I-'onde s'éleve dans les airs ; Et la reg'e qui femble auftere, •N'cil qu'un art plus certain de plaire, Inféparable des beaux vers. M. de Voltaire a jugé cette Stance digne d'être citée dans ia réponfe qu'il fit de fon cóte' a la Motte, en faveur des vers; car ce grand Poëte prit auffi les armes en cette occafion; il e'toit bien jufle qu'Achille foutint 1'honneur de fa ïance. Les Lecfeurs, qui compareront la profe de Montagne avec les vers de M. de la Faye, jugeront fi le Poëte a prouvé par fes vers cette fupéïiorite' de force qu'il attribue a ia Poéfie fur la Profe. Mais, duffent-ils dunner 1'avantage au Philofophe profateur fur le Verfificateur fon copifie, ils ne feroient pas fondés a conciure de cette préférence (reconnue ou conteiïée), la prééminence de Ja profe fur les vers; un feul exemple ne pourroit ni appuyer leur affertion, ni S ij  E L O G E ïa détruire. II faudroit, pour Ia bien juger, comparer Ia profe de Cice'ron avec les vers de Virgile , & prononcer enfuite, fi on i'ofoit, pour 1 Orateur ou pour le Poëte (r ). La Motte, bien loin de s'offenfer de 1'attaque fi noble & fi lionnète de M. de Ia Faye, fit a fon Ode le plus grand Jionneur qu'il crut pouvoir lui faire; il Ia mit en profe, & s'imagina ne lui avoir rien fait perdre; a peu pres comme un Muficien qui, pour faire fentir tout Ie charme d'une belle ariette, s'aviferoit de lui óter Ie mérite de la mefure , & de la traduire en récitatif. Cette traducfion, ou plutot ce tra.veftiffement par lequel la Motte croyoit décorer 1'ouvrage de M. de la Faye, prouve au moins que la diverfité d'opinions n'altéra en rien leurs fentimens mutuels: ils conferverent toujours 1'un pour 1'autre une amitié qui les honoroit tous deux. On prétend , on répete fans ceffe, on a imprimé dans cent brochures, que cette équité n'eft pas commune parmi les Gens de Lettres, & que leur wanhé eft une efpece de Sibarite, qui fe ■—— • « '.' j> (/.) Vcjez la Note (c).  El E LA F A Y E. A.ÏJ C'roit LlüiTée a' mort dés qu'on 1'effieure^ Nous ofons croire qu'on la trouveroif moins délicate, fi ceux qui cenfurenÉ les Ouvrages de leurs Confrères , montroient, dans leurs attaques, autanC d'fionnêteté que de juflice; fi, en remarquant les fautes réelles ou prétendues, en combattant les erreurs ou ce qu'iis prennent pour des erreurs, ils ne' mettoientpas lefiel &l injure ala place deséeard^&de l'eftime. L'attachement' conflant & fmcere de la Motte ■pour' Al. de la Faye, qui n'avoit fait que critiquer fes opinions avec décence, & foh éloignement pour le Poëte Rouffeau , qui avoit attaqué durement ces mêmes opinions, prouve que l'amourpropre des Auteurs feroit plus raremenf oflenfé qu'on ne croit, s'il ne fentoil pas qu'on a eu intenrion de 1'ofFenfer j il diffimnleroit au%noins fon chagrirt fecret, dés qu'il ne pourroit fe piaindre fans fe laiiTer voir trop fenfible. Sans doute il leroit encore plus eftimable & plus fage d'oublier jufqu'aux inrjures même; mais ce n'eft pas a ceux' qui fe les permettent a trouver étrange qu'on en foit bieiTë, encore moins af s'étonner que ces iajures renden: leur S iij  4*4 É L O G E critique infruéïueufe, quand eïïe feroit jufte. L'Ecrivain cenfuré auroit peutêtre plus d egard aux lecons qu'on a voulu lui donner, fi, comme dit encore dans fon langage énergique 1'Auteur des EJfais, on n'y avoit procédé d'une trogne trcp impérieufement niagifirale. Non content de fa réponfe honnêt» a M. de la Faye, la Motte faifit avec emprefiement une occafion publique de témoigner a fon antagorrifb?, que deux hommes de Lettres eiiimables peuvent differer de goüt 3c davts fans ce/Ter d'être équitables 1'un a 1'e'gard de 1'autre.^ A la réception de M. de la Faye, il défira de faire les fonclions ce Directeur ; & quoiqu'accablé dès - lors des infirmités qui, peu de temps après, 1'ertleverent aux Lettres, il fe chargea avec plaifir de faire 1'Eloge de fon adverfaire , demeuré fon ami. Le Difcours qu'il prononca dans cette circonflance, eft: un modele fi parfait d'urbanité, d'éle'gance & de fineife, que nous croyons devoir le rapporter ici prefque en entier. En honorant la mémoire de la Motte & de M. de la Faye, il ftippléera dans 1'Eloge de celui-ci, a ce que nous aurions dit beaucoup plus foiblement de-  DE LA FA Y Ê. p j fon mérite académique & perfonnel. » Quelles qualités, dit Ia Motte a M. » de la Faye, ne fuppofe pas en vous le » choix de 1'Académie, après la perte » cle M. de Valincourt"« ? On rcmarquera en pafTant que M. de Valincourt * partifan zélé des Anciens, adorateur de Defpréaux & de Racine , ck , par cela feul, très-peu favorable a Ia Motte, venoit d'être loué par lui dans !e même Difcouri, avec autunt d'équité que va letre M. de la Faye lui-même. La Motte continue, en s'adreffant a fon nouveau Confrère : » II faut, Monfieur, » fubir la loi de 1'ufage ; il a étabii pour' s chaque Académicien deux jours de » louanges, qui ont tous deux leur ia» convcnient : nous fommes trop pré» fens aux premières, & les fecondes » ne nous touchent plus. Tout votre » ami que je fuis, je ne fcauroi; vous »ménager : je fuis chargé des-feminiens» d'une Compagnie qui s'applaudit de >•> fon choix; ck-il ne me conviendroit » pas d en difTimuler les raifons psf » égard pour votre délicateffe Nou* » retrouvons en vous des talens qui ne » vous ont fervi, comme a votre Prédé» cefiêur, que de déi.ffement dans d*ï S iv  4l5 Ë L O G E » foncftions importantes. Mais fur ces » Poéftes mêmes qui vous font échap» pees dans vos momens de loifir, il y » a un témoignage bien flatteur a vous » rendre : vous n'y avez admis qu'un » badinage élégant & des graces mefu» rées.... Ce fen timent fi vif ck fi délicat » du ridicule, ces expreiïïons naïves ék »fortes, fi propres'a le peindre d'un » trait durable , ces avances pour la fa» tire, trop bien accueillie de nos jours, » ne vous ont jamais tenté. Vous avez » fut cette gloire injufle , dont la mali» gnité des hommes eft fi prodigue pour » ceux qui la flattent, & vous n'avez » fait que vous jouer des mêmes armes » dont tant d'autres n'ont cherché qu'a » bleffer.... Le vrai mérite des hommes » eft fouveht le plus inconnu ; il con» fifte, en bien des occafions, plutot » dans les chofes qu'ils fe défendent , » que dans celles qu ils fe permettent.... » Mais je me hate de vous envifager par » un avantage qui vous eft plus propre, » & qui a beaucöup influé dans notre » choix.^ Cette fcience du monde, » qui n'eft pas toujours familiere aux » Gens de Lettres, fi agréable, toute » profonde qu'elie eft, fkns la quelle les  de la Faye 417 y autres Sciences ne feroient que d'un » comnierce fee & rebutant, & qui » feule fe pafteroit de toutes les autres; ce » fentiment prompt des convenances r » qui fait rendre a eftaeun avec grace ce » qui lui eft dü, qui fait mefurerïi jufte » les différens degre's de refpeét , d'ami» tié , d'affabilité, felon les perfonnes » & les circonftances ; tout cela ne pa^ » roit-il pas en vous un don de la Na» ture ? J'ajoute le génie de la cortver» fation , qui femble vous infpirer tou» jours. Vousfavez 1'animer fans vouloir » y briller ; plus content d'avoir mis en ï> mouvement 1'efprit des autres, que » d'avoir fait remarquer le votre mê1-* » me C'eft ceite politefte, ces gra- » ces, cette gaité francoife, qui, pour » ainfi dire, vous ont rendu, chez les » Etrangers', 1'Apologifte de notre Na» tion. Une jeuneffe indifcrete leur » avoit donné quelquefois une faüfTe » idéé de notre caraclère j ils nous accu» foient de légéreté , d'imprudence, & » d'un dédain ridicule pour des manieres>•> éloignées des nötres : vous leur avez » donné , Monfieur, une idéé bien diF» férente. Ils vous ont vu joindre 1'ens> jouement a la raifon, la liberté aux S v  4*8 Ë L O G E » égards, & la prudence a Ia vivacité » même «. On voit, par les dernieres lignes de eet Eloge , que le goüt de M. de la Faye pour les Lettres, & 1'affiduité avec laquelle il les avoit cultivées, ne 1'avoit pas ernpêché de paffer par d'autres états avant de finir par celui d'Académicien. II avoit été fuccefïïvement dans le fervice & dans les négociations : il avoic voyagé, foit pour les affaires de 1'Etat,. foit pour fa propre fatisfaeftion, dans prefque toutes les Cours de 1'Europe,. & par-tout il avoit obtenu lamme' de tous ceux avec qui il avoit a vivre, & la confiance de tous ceux avec qui il avoit a traiter. M. de la Faye, outre les plaifirs qu'il goütoit dans le fein de 1'amitié, & les avantages que lui procuroit la conlïdératioii dont il jouiifoit, avoit encore,. pour fon bonheur, tous les goüts qui peuvent rendre la vie douce & agréable. li aimoit les tableaux & tous les ouvrages de 1'Art; il en forma unecollëcfioiv préciêufe :: mais bien différent de tant de faux Amateurs, qui ne le font que par vanité , & dont les cabinets, moins sic&es que faftueux, ne décelent que.  de t a Faye. 419 leur ignorance & leur ineptie, il ne fe décidoic dans fes choix ni par les noms, ni par la préVention pour une école particuliere. II pre'féroitle chefd'ceuvre d'un Peintre prefque inconnu, au médiocre tableau d un célebre Artifte (1).. C'étoit vraiment un homme de goüt , digne en tout genre & en tout fens de ce nom fi fouvent ufurpé. Jamais convive ne fut plus agréab'e. Doux & animé, modefte fans affeclation ,* docile pour lui-même & indulgent pour lesautres, on difoit de lui qu'il étoit 1'homme que la Nation devoit montrer aux Etrangers, pour leur faireconnoitre un Frangois vraiment aimable. II 1'étoit aus point de facrifier quelquefois les avan-tages qu'il avoit dans la converfa-tion au plaifir d'y voir briller les' autres. If aimoit,-par exémplé, a piquer doucement, par de légeres contradiclions fon ami la Motte, pour lui donner freesfion de déployer , dans fes répohfes toute la fineffe ck toute farftsnïté de forti efprit. Un des amis de M. de Ia Faye ,, excellent Poëte , fi oa en croit le Mer-- (1.) Voyez la Note [a% S> vjj  4-ao Ê L O G E cure, fit a fon Etage les vers fuivanj-, qui ont du moins le mérite de la vérité. la Faye a joie , amis, fanté , pécune : Or déformais > gens a plume ou pinceau, Avifez-y qnaud peindrez la Fortune, Elle y voit clair : peigaez-La fans bandeau. Cependant, le croiroit-on ? eet homme de mceurs fi eftimablës & fi douces, ne put échapper a la fatire. 11 fut outragé dans les fameux couplets qui cauferent les malheurs du Poëte célebre Jean-Baptifte Rouffeau ; mais il ne le vengea de 1'outrage que par le mépris. Son frere, Capitaine aux Gardes, & outragé plus cruellement encore dans les mêmes couplets, ne fe montra pas auffi infenfible. II e'xerca contre celui qu'il encroyoit l'Auteur,toute la rigueur d'une vengeance militaire (i). (i) C'eft avec regret que nous rappelons ici un fait malheureufement trop connu, & configué, pour la honte des Lettres, dar.s les Jaétums imprimés contre Jean-Baptilïe Roulfeau : puilfe au moins cette ttüte Iec;on êtie tltile aux jeunes Poëtes, qui , avec moins de talens que lui, fe permettroient les mêmes e la Faye. 4.5 i II ne fera peut-être pas inufile cfe rapporter a ce fujet une anecdote affez propre a faire connoitre le Poëte, coupable ou innocent, cpi'on accufoit de ces couplets. Comme il fe plaignoit avec amertum.e des mauvais traitemens que cette fatire lui avoit attirés, quelqu'un qui feignoit de compatir a fon fort, lui dit que fa plainte ëtoit d'autant plus juffe, qu'il falloit être bien peu connoiffeur en poéfie, pour lui attribuer des vers fi peu dignes de fes talens : Vous étes bien bon, Monfieur, répondit le Poëte , mais. les vers ne font pas fi mauvais. Trait de naïveté ou de caracfere r qui montre que fi 1'accufé n'étoit pas le përe des enfans dont il prenoit la défenfe , il étoit au moins très-digne Je 1'être. M. de Ia Faye fut vengé des fatires qu'il effuya , par 1'eflime & 1'amitié d'un Ecrivain bien fait pour 1'en confoler, par M. de Voltaire, qui, dans les vers & la profe qu'on va lire, a exprimé fes fentimens pour notre aimable Académicien. » J'ai bien envie de revenir bientot 9 fouper avec vous , &. raifonner de » Belles-Lettres : je commence a beau-  422 Et O 5E » C0UP rn'ennuyer ici. Or il faut mie* * je vous dife ce que een que 1'ennui * Car vous qtri toujours Ie ch.ilfer, Vous pourriez. 1'ignorer peut-être; Trop heureux ff ces vers k la har« tracés r Ne vou? 1'oik déja fait cpimortrc ! C'eft un gios Di.-u , loutd £i pefant „. D'un entretien froid & glacnnr, Qui ne rit jamais ,, toujours baiüe ,■ Et qui depuis cinq ou u"x ans, Duns la foule des Courtifans, Se trouvoit toujours a Verraüle. Xlais on dit que tout de nouveau Vous 1'allez revoir au Tarterre AuCap:icitux de Rousseau y. C'eft la. fa d^meure ordinaire. » Au rei1e_, je fuis charmé que vous »' ne partiez pas fi-töt pour Gênes j » votre ambaifade m'a la mine d être » pour vous un bénéfice fimple. Ne ref» femblez point a ces Politiques errans » qu'on envoie de Panne a Florence, » & de Florence a Holdein, & qui » reviennent enfin ruinés dans leur » pays, pour avoir eu le plaifir de dire r » Le Rol, mon Maitre. 11 me femble » que je vois des Comédiens de campa» gne qui meurent de faim , après avoir * joué leróiVdeCéfar &dePompée «v  be la Fat e. Nous terminerons eet Eloge p?.r les vers fuivans, oü M. de Voltaire peins encore M. de la Faye avec une gracequi n ote rien a la reffemblance.. Tl a téuni le mérite Et d'Horace & de Pollion Tantot protégeant Apollon , Et tantót rnarchaïiE a fa fuite : 11 recut deux preft-ns des Bieux , les ptus charmans qu'ils puiiïint faire 5. L'un étoit Ie talent de plaire ; L'autre, Ie feerct d'être heureux, Qu'il feroit a fouhaiter, pour Ia mémoire de lous les Académiciens dont nous avons a faire 1 eloge , que M. de1 Voltaire s'en füt ainfi chargé pour nous, & que leur portrait eüt été tracé par urn fi grand Peintre I  424 Eloge INoTES fur V art iele de M. de la, Faye. (d) T^" o u S avons du Poëte Roi , cutre fes Opéras, deux volumes in-8°, de Poéfies aufïï inconnues que Geiles de Gacon, Sc fur prés de vingt Opéras qu'il a faits, il n'y en a guere que deux qui méritent d'être cité« avec éloge ; les Elémens, ck Callirhoe'. II eft vrai qu'il y a dans le premier des morceaux & même des fcenes admirables ; celle d' lxion & de Junon , &. celle de Vertumne & Pomone. Nous avouerons auffi que Callirhoé, malheureufement trop'foible pour la mufique■ 3 eft urï des plus beaux ouvrages que la Scène ïyrique ait produits, & que le cinquieme act e ,. en particulier , feroit mêmer au Théatre Francois, un acfe de Tragédie du plus grand effet; 1'intérêt y eft fi touchant ck li vif, que tout divertilfement mis a la fuite de eet acfe, ainfi que du cinquieme acfe a\'Atysy devient d'une froideur & d'une infipidité qui, depuis long-temps, ne per-  be la Faye. 425 raaet plus d'en courir Ie rifque au the'atre. Mais ni les Elémens, ni Callirhoé, n'autorifoient 1'Auteur de tant d'autres mauvais vers, a me'priier fi durement la Motte, dont les fuccès a 1'Ope'ra n etoient pas inférieurs aux fïens, & qusi, tout foible verfificateur qu'il étoit, avoit pourtant encore moins mal réuffi que le Poëte Roi dans plufieurs genres, (E) Montagne devoit cette penfée a Séneque , qui la devoit lui-même au Philofophe Cléanthe, comme on. peut le .voir par le paffage fuivant : Nam ut die eb at Clfianth.es, quemadmodum fpiritus nojler clariorem Jbnum reddit, cüm Mum tuba per longi eanalis angtiftias traclum, patentiore noviffimè exiiu ejfudit; Jie fenfus noftros clariores carminis arcla necejjitas effieit* Seneq_ Epit. 108. Un ancien Poëte , nommé fean-Baptifle Chafftgnet, aujourd'hui tres - peu connu , qui n'a guere fait que des Paraphrafes des Pfeaumes, & des Sonnets fur la Mort, a traduit ce paffage dans la Préface de fes (Euvres, a très-peuprès de la même maniere que Montagne. La fupériorité de 1'Auteur des EJJdis. fur  4'-ö Eloge le très-obfcur Chajjignet, qui psroiC avoir été a peu prés fon centemporain (car on ignore même précifément dans quel temps ce malheureux rimeur a \ écu ) , permet de croire que lilluft re Philofophe efl Auteur de Ta traduéliou onginale, quoiqu'il n'eüt pas 1'honneur d'être Poëte, & qu'il ait même eu le malheur de donnera vingt-fept Sonnets de fon ami la Boëtie, des éloges auffi e'tranges que peu mérités (i). (c) On attribue a M. de la Faye ces (i) Voici fa trarjjiclion dfe ChatTignct : Ni plus ni moins que la voix contrainte dans Fétroit canat d'une trompette, fort plus ai'sa'ê & éclite plus fort; ainfi me femble-t-il que-la feiten ce, prcffce aux pieds nombreux de la Poéfie , s'élance bien plus brufquement, & nv.ts frappe d'une plus vive fecouffe. ( Voyez les Annales Poétiques , Tome VIII.) On peut remarquer dans la vertion de Montagne , deux expreilions vieillies , femble-il & fiert, qui, dans celle Je Cfialïïgnet, ont été rajeuhies en femble-t-il & frappe - au moins ft les Auteurs des Annales Poétiques ont tranferit exadement le paffage de ce Poëte; cc qui feroit une nouvelle preuve d'.i i:ér.:orite pour la traduclion du Pbjjofophe. Voi.a de quoi exercer les Amateurs' tfAnecdotos litteraire, s.  de la Faye. 427 autres vers, qui, malgré la fingularité & la dureté même de la fabrique , expriment avec une forte de vigueur des maximes plus importantes que pratiquées. Cache ta vb ; au lieu de vokr , ranipe , A dit un Grec : j.- tieas qu'il eut raifon; Du coeur humain il coanoillbit la trempe ; Bonheur d'autrui n'eft: pour lui qu'un poifófl :' L'h.mme eft injv.fte , envieux fans relache; II fouffre a voir fon femblab'e eftims. Merite un nom ,-. mais pour vivre heureux, Cache r Avant ca raort,. de n'ècre puint nommé.. C'eft ainfi que notre Académicien a rimé le vceu fi répété & fi peu fincere t que tant de Philofophes avoient exprri»é avant lui, d'être inconnus de leur vivant; mais qu'ils n'ont laifie voir qu'apres avoir fait tout ce qui étoit en eux pour être célebres , & après avoir eu le bonheur ou le malheur d'y réuffir. Si 1'on peut reprocher avec raifon trop d'apreté & de rudeflè dans les vers précédens, ceux que nous allons citer prouveroient que M. de la Faye favoit très-bien , quand il le vouloit, prendre une autre maniere, &. donneir  4*8 , Eloge a fa poéfie la forme la plus douce & U plus facile. Projet flatteur de férluire ime belle * Soins concertes de lui faire fa cour, Tendrcs écrirs , fbrmens d'être fidele , Airs euipreifés, vous n'êtcs point 1'Auionr. Mais fe dortger fans efpoir de retour Par fon défordre annoncer que 1'on aime ) Refpeift tiinid.: .v/ec ardeur extréme , 1'erfévcrance au eomble > bres qu'Apelle ckPrologene;fiChion $ & Pharax n'ont pas eu autant de ré-  430 É L O G E » putation que Polyclete ou Phidias , » cela ne vient point de leur peu de » talent, mais du caprice de la fortune. » Alphonfe de Ferrare Sc Antoine Be» garelli éprouverent le même forc; ils » fürent prefque inconnus. Cependant » 1'un, clans fe? modeles, égale iYIichel» Ange , qui dit de i'autre en voyant » quelqües-uhs de fes Ouvrages : Si » cette terre je changeoït en marbre, » malheur aux flatues antiques. Aley> xandre Minganti étoit ■ appelé par » Auguftin Carache, le Michel-Ange » inconnu. Profper Clément de Mode» ne a vécu dans la même obfcurité; » on voit pourtant dans le foutërrain » de la Cathédrale de Parme , un mau» folée de la Maifon Prati, que ce Sculp» teur a exécuté dans la derniere pery> feéïion. Les deux femmes qui y font » repréfentées, font fi touchantes, leur » attitude elt fi noble, & 1'expreffion fi » tendre, qu'il n'eft perfonne qui ne » veuille pleurer avec elles. Si, par la » noblelTe de fa maniere , Algardi méi> rita le nom du Guïde des Sculpteurs, » Profper Clément , par ces graces » tendres & naïves, par cette deli» cateffe qu'il a fu donner au marbre,  de la Faye. 43 i » ne devroit-il pas en être appelé le » Corre~e ? » 11 arrivé auffi très-communément » que des Maitres ordinaires fe fïir» paiTent quelquefois , & alors ces » Ouvrages 1 emportent fur les pro» duclions médiocres des plus grands i> Artiftes. Nous en avons une preuve » dans le tableau de Ja Nativité de » la Vierge , qui eft a 1'Annonciade » de Pifloie. Cigoli, qui en efl 1'Au» teur , a fi-bien ménagé fes teintes, » fi bien conduit fon pinceau, & fi » bien diftribué fes jours , qu'il eft » fort fupérieur, dans eet Ouvrage , »a de . célebres Peintres Lombards. » 11 y a dans la Cathédrale de Ve» nife un tableau de Belluzzy, qui » produit un fi grand effet de clair» obfeur , & dans le réfecloire des »■ Moines de Saint-Jean de Verdara , » a Padoue , Verotari en a fait un » oü 1'on voit un fi beau mélange de » couleurs, &. un accord fi parfait, » que pour être mis au rang cies mor» ceaux les plus excellens d'Ttalie , il » ne manque a ces deux Ouvrages » que d'être faits par des Artiftes d'un 5> nom plus connu «. Mais ce qui  Eloge eft e'galement commun dans les Arts & dans les Lettres, c'eft que toutes les produclions d'un Ecrivain & d'un Artifte célebre ne font pas égales, 5c que 1'un & 1'autre ont quelquefois laifïe échapper de leurs mains, des Ouvrages peu dignes de leur nom & de leurs chefs - d'ceuvre. Ce mélange de bon & de mauvais dans les grands Ecrivains & les grands Artiftes, eft 1'ecueil du jugement & du gout des prétendus Amateurs. Un mauvais tableau eft admirable pour eux, s'il efl: bien ou mal a propos attribyé a quelque grand Maitre } ils ne regardent pas , & ils n'ont garde de voir ce que 1'Ouvrage eft en lui-même ; ils demandent feulement le nom de 1'Auteur. D'habiles gens même, aveuglés par la prévention, y font quelquefois trompés, comme la Société du Temple le fut au fujet d'une fable de la Motte. Voyez 1'Eloge de eet Académicien dans le Volume précédent. ELOGE  É LO GE D'ANTOINE HOUD ART DE LA MOTTE. Né d Paris le ly Janvier i6j2; recu le 8 Février iyio,d la place deTHO- mas Corneille j mort le 16 Décemlre 173 1 (1). NOTES sur l'éloge de la motte. note I, relative a la page 235, fur le peu de goüt. de la M.otte pour la profefifïon d'Avocat. C^uelque eflime qu'il eut pour une profeffion fi libre & ii noble, il en fut (1) Voyez fon Eloge T. I, page Tome IF. ï  434 É L O G E dégoüté par la même raifon qui a rebuté tant d'autres Gens de Lettres, par 1'aridité des études que cette profeffion exige; il fe fentoit d'ailleurs appelé a une autre gloire que celle de fervir le plus fouvent d'organe a 1'intérêt ou a la méchanceté des hommes, fous prétexte d'être celui de 1'innocence & de 1'équité. 11 ne pouvoit enfin fe diffimuler que la plupart des plaidoyers, dont les voütes du Palais retentiffent, tres-intéreffans pour les Parties, médiocrement pour les Juges, &c très-peu pour tout ce qui n'eft ni 1'un ni 1'autre, ne franchiffent guere le cercle étroit oü on les a débités; a peine s'en échappe-t-il un petit nombre, que 1'éloquence de 1'Orateur arrache, pour ainfi dire, a cette enceinte , & n'y arrache même que pour quelques momens; tandis que 1'Homme de Lettres efl au contraire , fi nous pouvons parler de la forte, un Ecrivain Cofmopolite , fait pour tous les temps & pour tous les lieux. Un ancien Philofophe, peu favorable a la Royauté,prétendoit, fans doute dans un moment de mauvaife humeur, qu'il y avoit loin du meilleur des Rois au meilleur des hommes. La Motte étoit perfuadé ( nous rje  de la Motte. 435 décidons pas fi c 'étoit avec raifon ) qu'il y avoit prefque auffi loin, finon pour Ie mérite, au moins pour la célébrité , du premier des Avocats au premier des Gens de Lettres; il eut fans doute applaudi a ces vers fi connus de la Métromanie. L'Avocat fe peut-i! egaler au Pocte ? De ce dernier la gloire eft durable & parfaite; II vie long-temps après que 1'autre a difparu , Scarron même 1'emporte aujourd'Jsui fur Patru. Une des raifons , difoit encore Ia Motte , qui, parmi beaucoup d'autres , rna dégoüté du Barreau, c'efl la ré~ ponjè qu'un célebre Avocat de mon. temps fit un jour en ma préfence au Premier Préfident de Lamoignon. Ce Magiflrat lui demandoit pourquoi il fe chargeoit fi Jouvent de Caufes déteflables : C'efl, répondit-il, que jen ai trop perdu de bonnes, & trop gagné de mauvaifes. Tij  436 É L O G E NOTE III, relative a la page 237, fur le Muficien. Campra , Auteur de la mufique de 1'Europe galante, O N dit que eet Artifte , étant encore Maitre de Mufique de la Cathédrale de Paris , dans le temps oü il faifoit eet Opéra , s'endormit pendant les Vêpres, ck dans fon fommeil rêva NOTE II, relative d la page 236, fur la chute de la première Piece de la Motte. Ïl la donna en 1693 , a 1'age de vingt-un ans. Elle avoit pour titre les Originaux ou 1' [taliën ; c'étoit une Piece moitié Italienne, moitié Francoife , en trois acTes , avec un Prologue & un DivertifTement. Mais ni cette réunion des deux Théatres , ni la Mufique , ni la danfe , ne purent fauver la 1'iece du naufrage.  de la Motte, de XEurópe galante, dont il étoit fort occupé. Le Sous-Chantre étant venu lui annoncer, fuivant 1'ufage , le verfet d'une Antienne , il fe réveilla en furfaut, ck chanta 1'air du quatrieme adfe : Vivir, vïvir grait Sultanaè NOTE IV, relative d la page 23 8 ^ Jur ïorthographe du mot Opéra au plurieL «F E demanderai grace ici pour une obfervation purement grammaticale ou orthographique , fur la maniere dont j'ai écrit certains mots dans eet Eloge ck dans plufieurs autres. J'écris au plunel Opéras, ck. non pas Opéra, malgré Ia décifion de 1'Acadéinie Francoife dans fon Dictionnaire (1), paree qu'il me femble qu'au pluriel la derniere fyliabe de ce mot efl longue , & non pas breve comme au fingulier. Je crois , par la même raifon , (1) C^te déciiïon fera réformée dans 1'édition procnaine, Tiij  43 3 É L O G E qu'on doit écrire au pluriel numéros, & non pas numéro; ce dernier mot, quoique tout latin , étant devenu francois par 1'ufiige. -On voit dans la huitieme réflexion de Defpréaux fur Longin, qu'il n'étoit pas éloigné de penfer qu'on dut écrire Opéras au pluriel, ainfi que FaSums ck Totons , quoique fon Antagonifle Perrault lui eut reproché cette orthographe comme une faute groffiere. J'écris auffi chefs d'azuvre au pluriel , & non pas chef cFccuvres, quoique 1'Académie 1'écrive de cette derniere maniere, & qu'un de nos meilleurs Poëtes ait dit chef-d'muvres immortels ; j'écrirois de même des arcsen-ciel au pluriel, & non pas , avec le Dictionnaire de 1'Académie , des arc-en-ciels. Je ne fais fi 1'ufage efl auffi conforme qu'on le prétend a 1'ortlaographe de 1'Académie ; mais il me femble que la raifon autorife la mienne. Je défirerois, pour rendre cette remarque plus utile , pouvoir joindre ici la lifle des mots compofés qui doivent fe décliner ou ne pas fe décliner au pluriel. Mais cette difcuffion ^igeroit trop de détails, d'autant qu'il eft plu-  dé i a Motte, 4J9 fieurs de ces mots fur lefquels ni 1'ufagö ni 1'Acade'mie n'ont encore rien décide'. Un feul peut-ê;re , le mot PorteDieu, que Inlage a confacré , quelque fingulier qu'il paroiiTe , eft évidemment indéclinable ; car il feroit ridicule d'écrire ou des Portes-Dieu ou des PorteDieux. Je dirai donc feulement qu'il me paroitroit raifonnable, i°. dansles mots compofés de deux fubftantifs s comme chefs-d'oeuvre , arcs-en-ciel ^ Hotels-Dieu, &c de décliner le premier fubftantif feulement : 20. Dan3 les mots compofés d un fubftantif & d'un adjectif, comme arcs-boutans, de décliner 1'un & 1'autre, ainfi que 1'ufage 1'a établi pour le mot Gentils-Hommes : 30. Dans ceux qui font compofés d'un verbe & d'un fubftantif $ comme porte-mouchettes , de décliner le fubftantif : 40. Enfin dans ceux qui font compofés -d'un adverbe & d'un fubftantif , comme hors-d'auvre , de laiiTer le fubftantif indéclinable. Je fais que fur quelques-uns de ces points je m'écarte de 1'illuftre Compagnie , dont je dois, en qualité de Secrétaire , faire connoitre les décifions T iv  44° É L O G E au Public; mais le Rapporteur qui lïgrre un Arrêt, n'eil pas obligé d'être de 1'avis des Juges. En voila affez fur ce fujet , fur lequel même je crains d'en avoir trop dit ici. NOTE V, relative a la page 2 40, fi* aux réflexions 'que nous avons faites en eet endroit fur la nature de la Poéfie lyrique. -A* f occafion de ces réflexions, qne nous prions de relire, nous tranferirons ici le palfige fuivant des Paralleles de Charles Perrault. » Quand M. Quinault, dit-il, vint » a faire des Opéras , un certain » nombre de perfonnes de beaucoup i> d'efprit ck d'un mérite diftingué , fe i> mirent en tête de les trouver mau» vais, ck de les faire trouver tels » par tout le monde. Un jour qu'ils » foupoient avec M. de Lully , ils n'u» mirent rien pour le dégoüter de la 4> Poéfie de M. Quinault; mais comme  r> e la Motte. 441 '» ils avoient affaire a un homme fin » ék e'claire', leurs ftratagêmes ne firent » que blanchir. » Un des convives m'ayant ren du » compte de cette converfation , je lui » demandai ce que' ces Meflieurs trou» voient tant a reprendre dans les » Opéras ie M. Quinault. Ils trouvent, » me dit-il, que les penjées ne font » pas affe\ récherchées; que les ex~ » prejfions dont il fe jen font trop com» munes & trop ordinaires , & enfin » que fon fiyle ne confifie que dans » un certain nombre de paroles qui » reviennent toujours. Je ne fuis pas » étonné, lui re'pondis-je, que ces Mef» fieurs , qui ne javent ce que cefl que » mufique, parient de la forte; mais » vous , Monfieur, qui la fave^parfai» tement, & qui en connoijfe^ toutes les »fineJJ'es, ne voye^-vous pas que fi » 1'on fe conformoit a ce qu'ils dijenty » on feroit des paroles que les Mufi» ciens ne pourroient clianter , & que y> les Auditeurs ne pourroient enten" » dre ? Quelque naturelles & commu» nes que foient les penfées & les paroles » d'un air, ón en perd toujours,, ou » prefque toujours quelque chofe, fur- T j  44a Eloge » tout au fpeclade. Que feroit' ce fi » ces penfèes étoient bien fubtiles & bien » recherchées, & Ji les mots qui les » expriment étoient des mots peu ufi» tés, & de ceux qui nentrent que dans » la grande & fublime Poéfie ? On n'y 3» entendroit rien du tout. Ainfi on » bldme M. Quinault par l'endroit oü » il mérite le plus d'être loué, qui efl » d'avoir fit faire , avec un certaiw » nombre d'expreffions ordinaires & de » penfées fort naturelles , tant d'ou» vrages fi beaux & fi agréables, 6* » tous fi dijférens des uns des autres. » Auffi voye^vous que M. de Lullf » ne s'en plaint point • perfuadé qu'il » ne trouvera jamais de paroles meil~ » leures a ctre mifes en chant & plus t> propres d faire paroitre la mufique. » La vérité eft qu'en ce temps la j'étois » prefque le feul a Paris qui ofat fe » déclarer pour M. Quinault , tant » la^aloufie de plufieurs Auteurs s'étoit » élevée contre lui, & avoit corrompu » tous les fuffrages &c de la Cour & » de ia ville ; mais enfin j'en ai eu »fatisfaéiion. Tout le monde lüi a » rendu juftice dans les derniers temps; » & ceux qui le blamoienjt le plus „  dé t a Motte. 443 » ont été contraints de 1'admirer après » avoir reconnu qu'il avoit un génie par» ticulier pour ces fortes d'ourrages «. Quoi qu'en dife Perrault a la fin de ce paffage, il ne faut pas croire que Quinault , même dans les derniers temps de fa vie , ait joui fans contradiéleurs de la réputation qu'il méritoit. La maniere dont Defpréaux parle de fon talent pour le genre lyrique , dans une des remarques fur Longin , prouve qu'en rendant a ce talent quelque juftice , il y attachoit affez peu de prix-, &. on fait que le lendemain de la première repréfentation d'Armide , Louis XIV ayant demandé a un vieux Seigneur , homme de goüt (•comme il s'en trouve tant a la Cour), ce qu'il penfoit des paroles: Sire, répondit noblement 1'amateur , toujours la même ture-lure ; c'eft ainfi que ce Juge éclairé apprécioit les fcenes admirables de eet Opéra, & fur tout 1'acfe de la Haine , un des plus beaux qui foient au théatre lyrique. Bourfault affure dans Jes Lettres. f avoir ouï-dire a Defpréaux qu'il nV voit jamais rien vu de plus beau dans T vj  444 É L O G E le genre lyrique, que les quatre vers fuivans :. Doux niiffcaiix. coulez fans violence-;, Itoffigno's , arrêcez votre voix ; Taifez-vous, Zéphirs , faites lrlence r C'eft Iris qui chante dans ces bóii. On ne peut pas douter un moment que Defpréaux ne trouvit ces vers tels qu'ils font, c'eft-a-dire, déteftables ainfi cette plaifanterie (fuppofé que Bourfault ne la lui ait pas prêtée pour le rendre ridicule ) prouve feulement quelle idéé ce grand Poëte avoit du genre lyrique. II eut mieux valu y réuflir que de le méprifer. Les Chceurs d'E/Iher & (YJthalie prouveront aifément a tous ceux qui fe connoiflènt en vers propres a la Mufique , que le plus grand peut-être de nos Poëtes ignoroit 1'art de cette efpece de vers. Ce n'eft pas que la poéfie de ces Chceurs, admirable a la lecture, n'ait beaucoup d'éclat & d'harmonie j c'efl au contraire qu'elie en a trop pour 1'objet auquel elle eft deftinée.' Nous feroit-il permis d en dire autant de$ beaux vers. de. Samfon &  de la Motte. 44,5 de Vandore, deux Ope'ras du plus illuftre Poëte de nos jours ? C'eft du moins 1'imprefTion que nous a laiffée la lecture de ces vers, plus faits, felon nous, pour être déclame's que pour être chante's. Quelques perfonnes, fi 1'on en croit Eacine le fils , prétendent que Lully, chargé de mettre en mufique Yldylle du grand Racine fur la Paix , trouva dans' la force des vers une réfiffance que la poéfie de Quinault ne lui avoit pas fait éprouver; Racine le fils ajoute cependant, mais en cela il pourroit être feul de fon avis, que Lully eft auffi grand Muficien dans cette Idylle que dans fes Opéras; il convient feulement d'un endroit oü la chute muficale ne fatisfait pas 1'oreille ; & il avoue que ce n'étoit pas la faute du Muficien, mais celle du Poëte, qui n avoit pas , dit-il, pour Lully la même at tention que Quinault. Auffi (comme on vient de le voir dans le paffage de Perrault ) , ni le dédain de Defpréaux & de Racine pour 1'Auteur d'A/ys , ni même le jugeinent de Mefdames de Montefpan &  '446 Eloge de Thianges, qus nous avons rapporte dans 1'Eloge de Defpréaux , n'en impoferent a Lully, paree que tout intéreffé qu'il e'toit a fe rendre favorables les femmes ck. les beaux-efprits qui donnoient alors le ton , il s inté■reflbit de préférence a fa mufique ; il foutint toujours que les paroles de Quinault étoient cdles qui lui convenoient le mieux , & il revint a lui, même après avoir mis en mufique Bellerophon , qui n'étoit pas de eet inimitable Poëte lyrique , 6k qui étoit prefque digne d'en être. On peut voir dans les (Euvres de Fontenelle, une lettre curieufe de ce Philofophe fur eet Opéra de Bellerophon , dont il efl 1'Auteur. Avouons-le cependant; quelque cas qu'on doive faire de Quinault, quoiqu'il foit tout a la fois le créateur & le premier de fon genre , quoiqu'il ait même fait quelquefois de très-beaux vers, pleins de force 6k d'harmonie, lorfque la mufique en avoit befoin pour être plus fiere ck. plus expreffive, on ne peut fe refufer une réflexion qui doit fervir a apprécier tout enfemble  de la Motte. 447 le mérite du genre & celui de 1'Auteur. La grande Poéfie veut des images , de 1'énergie, une harmonie ferme Óc foutenue, unfaire male ck prononcé,. qu'on ne trouve que rarement dans Quinault. Auffi dira-t-on de lui avec juftice, que c'eft un Poëte charmant; mais perfonne ne dira que c'eft un grand Poëte , comme on le dira de Defpréaux, de Corneille, de Racine, de Rouffeau , de Voltaire. C'eft a peu prés ainfi que le Maréchal de Villars difoit du Maréchal d'Uxelles: J'ai toujours entendu dire que c étoit une bonne caboche; mais perfonne na jamais ofé dire que ce fut une bonne téte. Mais en mettant Quinault fi rigoureufement a fa place, oferions-nous tirer des principes que nous venonsd'établir & des faits qui les appuient , une conféquence finguliere , que 1'expérience n'eft pas fort éloignée de confirmer I C'eft que le talent de la Poéfie' lyrique , prefque borné a la douceur & a 1'heureufe mollelfe du ftyle , eft; peut-être difficilement compatible avec le talent de la grande Poéfie ; fans doute entre ces deux talens il n'y &  44o* É L O 6 E- pas a balancer pour qui auroit le bonheur d'avoir a choifir ; néanmoins celui du Poëte lyrique , quoique d'un prix beaucoup moindre , demeure encore fort eftimable. note VI, relative a la page 143 , fur Ventree de la Motte dans l'Académie Franpoife. La Motte fut recu a la place de Thomas Corneille le 8 Février 1710. Le Difcours qu'il prononca a fa réceptio,n eft cité encore aujourd'hui comme un modele en ce genre. L'écuerl ge'ne'ral de ces Difcours, ce font les lieux communs de remercimens & d'éloges, dont lé Récipiendaire ne peut fe difpenfer. Cet écueil même étoit alors bien plusdangereuxqu'aujourd'hui, paree que les nouveaux Académiciens ont abrégé ou fupprimé quelques-uns de ces Eloges, & qu'ils ont d'ailleurs pour la plupart traité des fujets intéreffans, au üeu que nos anciens Con-  de la Motte. 440 freres febornoient prefque uniquemerrt a ceslieux communs. Heureux quand ils pouvoient les couvrir & les fauver par quelque trait qui fut propre & perfonnel au Récipiendaire. La Motte étoit dans ce cas, & fort a plaindre mème de s'y trouver. II avoit perdu la vue comme Thomas Corneille, a qui il fuccédoit. II fut, dans fon Difcours, tirer Ie plus heureux parti de cette malheureufe fituation, pourintéreifer toute 1'affemblée, & pour remercier fes Confrères d'une maniere auffi fine que nouvelle. Après avoir apprécié avec beaucoup d'équité & de jufteffe le mérite de fon prédéceffeur : » Vous 1'avez vu , dit-il, fidele a vos .» exercices jufque dans une extréme » vieilleffe , tout infirme qu'il étoit , » ck déja privé de la lumiere Ce » mot me fait fentir 1'état oü je fuis » réduit moi-même : ce que l age avoit » ravi a mon prédéceffeur , je 1'ai perdu » dès ma jeuneffe.... II faut 1'avouer » cependant, cette privation dont je » me plains , ne fera plus pour moi » un prétexte d'ignorance. Vous m'avez » rendu la vue, Meffieurs, vous m'avez » ouvert tous les livres en m'affociant  45ö Eloge » a votre Compagnie.... Et pmfque \s » puis vous entendre, je n'envie plus » le bonheur de ceux qui peuvent lire «. NoTB VII, relative d la page 243 , fur le carailere & les talens du Poëte Roujfeau, Sans avoir connu ce Poëte, on dejneureraperfuadé de ce que nous avons dit de fa perfonne , ft on a la patience de lire 1'ennuyeux Recueil de fes Lettres , publié après fa mort par des amis peu jaloux de 1'honneur de fa mémoire, ou pes éclaire's fur ce qui pouvoit 1'obfcurcir. 11 elt peut-être le feul Ecrivain qui, en parlant de fes malheurs , n'ait pu réufïïr a fe faire plaindre. Son caractere, qui perce a chaque ligne, repoufTe 1'intérêt que femble appeler fa fituation. Faux & rampant avec ceux dont il croit avoir befoin , il s'exprime fur tous les autres avec la caufhcité la plus amere , & fouvent avec la plus criante injufhce. II dénigre le Glorieux & Zaïre, &. comble d'éloges de mi-  de la Motte. 451 férables Rimailleurs qui l'encenfoient. Mais tous ces jugemens , ditfés par la paffion , n'empêchent pas qu'on n'ait été injufte , lorfqu'il fe préfenta pour 1'Académie avec la Motte, en ne reconnoiffant pas la prééminence de fes titres fur ceux de fon rival. On feroit encore plus injufle aujourd'hui de ne lui pas donner fur le Parnaffe Francois, le rang trés diftingué qu'il mérite , a condition pourtant de ne pas pouffer le zele pour fa gloire, jufqu'a partager avec certains grands Ariftarques, le ridicule de le préférer a Voltaire , qui du moins égal a Rouffeau pour 1'harmonie & les images , lui eft fi fupérieur par la fenfibilité , la philofophie , le goüt, 1'efprit & les graces. II eft vrai que Rouffeau , mort quarante ans avant 1'Auteur de Zaïre, a réclamé long-temps en fa faveur un grand avantage, celui que l'envie & la fottife aiment tant a donner aux morts fur les vivans. On peut diftinguer dans Rouffeau deux Poëtes très-différens , celui qui a écrit en France, & celui qui a écrit en SuhTe & en Allemagne, & qu'on.  45* É L Ö G E ne croiroit pas le même, tant il eft au deffous du premier. II femble que ce malheureux Ecrivain ait été profent fur le Parnaffe en même temps que dans fa patrie. A peine 1'eut-il quittée que , privé d'objets d'émulation , d'amis féveres , & fur-tout de la cenfure vigilante & utiiede fes ennemis, fes vers dmnrent durs, fes images forcées ou incohérentes-, fa dicfion ignoble '& tudefque. Ses ouvrages Gertnaniques, fi 1'on en excepte un trèspetit nombre, déshonorent fes anciennes produclions. Al egard de ces dernieres, elles font^ certainement d'un grand Poëte; mais on y trouve plus de correcf ion que de grace , plus d'harmome que de penfées , plus d'énergie que de fentiment; elles font le contraire de celles de da Motte, c'efl-a - dire, fortes de ftyle & foibles de chofes'. Ses Cantates font pleines de grande poéfie , &, par cette raifon même, peu propres a la mufique (i). Ses Comédies, les unes froides, les autres groffieres, n'ont eu aucun fuccès. L'Ode CO Voyez ci-ckflus la Note III.  de la Motte. 455 Sc 1'Epigramme , tant fatirique qw'orduriere , deux genres bien e'loignés 1'un de 1'autre & bien difparates, lont ceux oü il a le mieux réuffi , a peu prés comme eet Acteur qui brilloit a la fois dans les róles de Roi & dans cêux de Païfan. Et voila 1'Auteur que la baiTe Littérature de nos jours ne rougit pas de mettre au deffus de celui de la Henriade, de. vingt Tragédies ou Comédies reftées au Théatre , & dignes rivales de celles de Corneille & de Racine ; de cent Pieces fugitives charmantes, pleines de philofophie, de graces & de gaité; en un mot, dun Poëte clans lequel on trouve toutes les beautés, tous les genres & tous les tons l Kous ne parions point de fa profe j aufïï piquante , aufïï noble , auffi facile que celle de Rouffeau eft dure & pefante. S'il étoit un grand Poëte auquel on put comparer Rouffeau, ce feroit a Defpréaux , comme Voltaire a Racine. Defpréaux, auffi peu fenfible que Rouffeau , auffi lourd dans fa profe ,* efl auffi correct, auffi énergique , auffi harmonieux dans fes vers* jnais lui eft bien fupérieur par la rai-  45+ Ë L O G E fon , la juflelTe , 1'élégance & le gout. Après cela , n'eft-il pas ridicule d'appeler le premier de ces deux Poëtes, Ie grand Rouffeau , lorfqu'on ne dit ni le grand Defpréaux , ni le grand Racine , ni le grand Voltaire l Ce nom de grand Roujfeau , dit très-bien M. de la Harpe, fut donné par Yenvie , fouvent auffi béte. que la vanité.  oe la Motte. 455 NoTE VIII, relative d la page 244 , fur la Tragédie des Macchabées. !SJ[ALGRÉ le fuccès de cette Piece, il y eut quelques momens équivoques a la première repréfentation. Antiochus, en faifant arrêter les deux amans, Antigone &. Mifaël, difoit ces deux vers : Gardes, conduifezlet dans eet appartement, Et qu'ils y foient tous deux gardés fiparement. Ce mot féparément excita un rirö général, qui penfa faire tomber la Piece. Parmi les grands connoifTeurs qui croyoient cette Piece de Racine, les plus exercés Sc les plus fins lui attribuoient feulement les trois premiers acres. II falloit un tact bien délicat, pour trouver, quant au ftyle, les deux derniers acres li différens des trois premiers. La Piece fut jouée d'ailleurs avec une fupériorité qui fans doute contribua beaucoup au fuccès, Sc qui fit illufion \ la plupart des fpecf ateurs  456* é l o g e fur la foibleffe de la verfification. Le röle d'Antigone étoit joué par Mademoifelle Defmares, & celui de la mere, par Mademoifelle Duclós. Danslafcene oü le plus jeune des Macchabées, Mifaël, raconte a fa mere les cruautés exercées fur fes freres, il y a un moment oü , pénétré lui-mème de 1'horreur de ce récit , il s'arrête & n'ofe pourfuivre. Sa mere luirépond : Acheve. L'Actrice pronon9oit ce mot avec le fentiment d'une mere qui fait a Dieu le facrifice de fes enfans, mais qui n'efl pas moins déchirée par ce cruel facrifice, & qui laiife nercer fa douleur profonde en paroiffant 1'étouffer. Note IX, relative a la page 246 ,j~ur le role du jeune Macchabée , joué par le vieux Baron, f VjE grand AcTeur s'obflina toujours a jouer certains róles qui lui plaifoient, quoiquils ne convinffent plus a- fon %e. De ce nombre e'toit celui d'An- tiochus  DE LA M O T T E.. 457 tiochus dans Rodogi^e , qua" garda jufquaquatre-vingts ans. Quand Cléopatre, au fecond acte de cette Piece difoit a ce jeune Prince & a fon frere* Seleucus , Mes enfans , prene\ place , on rioit un mement ; mais on ne rioic plus da ris lé reiïe de la Piece , & furtout au cinquieme aóïe , oü ia fupériorite du* jeu de Baron faifoit oubiier le contraire de fon age & de fon róle II y avoit fur-tout un moment, dans' ce cinquieme aole, oü ce jeu, quoique muet, etoit admirable Dans i'fnftant oü Cléopatre prend la coupe empoifonnée & la boit, Baron ié tournoit avec frémilfement vers Rodogune £°?,mf ^doutant prefque plus que' la Maitrefle ne füt coupable de la mort de Seleucus. NOTE X, relatie d la.page ,fur la Tragédie de Romulus. LoRSQUE la Motte donna cette Tragedie , il ne garda point 1'anonyme comme il avoit fait pour les Macchabées; il étoit devenu plus aguerri, 6c lome IV. y  458 Eloge of» fe montrer a découvert a la Haine, qui n'en fut pas plus heureufe dans fes. attaques. A la première repréfentation de\Romulus, les Comédiens hafarderent une nouveauté. Jufqu'alors on i*e jouoit point de petites Pieces après les"Tragédies nouvelles. On attendoit que l'afHuence des fpecdateurs commencata mminuef, pour les rappeler a la neuvieme ou dixieme repréfentation , par une Comédie qu'on joignoit a Ia grande Piece, Aucun Auteur n'avoit ofé s'écarter de eet ufage , craignant de montrer fur fon fuccès une défiance qui n'eüt été fouvent que trop bien fondée. La xMotte penfa au contraire qu'artendre ainfi quelques repréfentations pour étayer 1'ouvrage nouveau , c'étoit annoncer au Public que eet ouvrage commencoit a tomber. Pour éviter eet inconvénient, il fit jouer une petite Piece après fa Tragédie dès le premier jour , ék depuis ce temps Ion exemple a toujours été fuivi. Mademoifelle le Couvreur pria Ia Motte de lui donner, dans Romulus, le róle de Sakine, qui n'étoit qu'un róle dé Confidente. Elle efpéroit, en  de -la Motte. 459 fe trouvant fur la fcenë avec Mademoifelle Duclos, qui étoit chargée du premier róle , effacer entiérement fa rivale , quoique dans un róle froid & fubalterne. Mademoifelle Duclos fentit le motif de cette demande , & pria la plotte de ne pas 1'accorder. Notre Académicien préféroit Mademoifelle Duclos a Mademoifelle le Couvreur, quoique cette derniere eut beaucoup plus d'intelligence & de rmeife. II trouvoit plus d'ame a la première , & par cette raifon lui donna encore le róle d'Inès , dont èlle s'acquitta avec le plus grand fuccès. note XI, relative d la page 248, fur la Tragédie d'Inès. O N dit que la Motte nt d'abord abfolument d'imagination leplan d'Inès dê Caflro , & qu'enfuite il pria fes amis de lui trouver dans 1'Hifbire un événement auquel cette Tragédie put s'appliquer. Ils ne trouverent que celui d Inès , qui a fourni , comme 1'on fait, Vij  460 Eloge . Ha Camoens un des plus beaux morv ceaux de fa Lujiade. On ajoute que '1'Auteur d'Inès fut redevable de la fcene des deux enfans a un célebre Avocat nommé Fourcroï. Cet Avocat plaidantpour un jeune homme qui s'étoit marié fans le confentement de fon pere, & fe voy%nt pret a perdre fa caufe , fit approcher de lui , en finiffant fon plaidoyer, deux enfans nés de ce marlage, 11 les préfenta au vieillard qui plaidoit contre fon hls , & qui , attendri jufqu'aux larmes par ce fpeétade., déclara fur le champ aux Juges qu'il les reconnoiffoit pour fes enfans. La Motte , indruk de 1'effet que produifitfur toute faffemblée cette fcene touchante, efpéra que la même fituation mife au théatre y exciteroit encore plus d'intérêt. Cependant, a la première repréfentation , le fuccès de la fcëne fut douteux un moment. Le parterre, peu accoutumé a voir de petits enfans dans une fcene tragique., héflta d'abord s'il devoit rire ou pleurer ; mais il finit par les applaudiffemens ck les larmes, ' Les Cenfeurs d'Inès, qui ne pqu-  de la Motte. 46*i voient nier le vif intérêt de cette Piece, prétendoient qu'il étoit alTez mal fondé, & que 1'Auteur avoit eu 1'art, difoient-ils, de faire phurer fans quon fut trop pourquoi. On ne voit pas la raifon de cette critique. L'intérêt qu'on prend a Inès & a Don Pedre, efl; celui ' que la Nature infpire pour deux amans 4>:imonnés &c malheureux. La Motte efl fouverft foible dans fexprefiion; mais dans fa Pirce le feut timent eft toujours vrai. Te n'en excepte pas même ce vf rs que dit Dort Pedre aU Roi, lorfqu'il Voit Inès moürante : .S.oyei encor mon pere , er. me laillant mouiir. Je fais que ce vers feroit très-digne de critique , & même du plus mauvais goüt, fi on 1'entendoit ainfi : Vous ave^ été mon pere en me donnant la vie; foye^-le encore en me laijfant mourir. Mais la fituation me femble préfenter un autre fens beaucoup plus naturel. Don Pedre arrivé fur le théatre pénétré de reconnoiffance pour fon pere , qui lui a fait grace & lui a rendu Inèf. II appercoit en ce moment Inès mourante ; il veut fe tuer, & on V iij  4^2 Eloge le défarme. Ah ! dit-il au Roi , vous vous et es montré mon pere en ine pardonnant & en maccordant ce quej'aintois : fqyeir mon pere encore en me permet tant de mqurir après T avoir perdu. Mais en jufiifianr. dans ce vers le fentiment & Ia penféef nous conviendrons quel expreffion en efl louche, que par-la elle prête au ridicule ; & c'eft un defaut d'autant plus grand * que Ie vers donne un air de pointe a une expr»mon de douleur & de défefpoir. Les critiques * les épigrammes , les fatires de toute efpece qui furent prodtguées a Inès & \ fon Auteur , ne prouvoier.t quele grand fuccès de 1'ou- ■ vrage ; c'étoit comme un léger oflracifme qui imprimoit le fceau le plus folennel au mérite de celui qu'il attaquoitj mais qui, a la vérité , 1'imprimoit d'une maniere un peu douloureufe pour 1'Auteur , & par conféquent confolante pour fes envieux & fes rivaux. On fe doute bien qu'a la foule des Cenfeurs, dont les injures, les feuiiles, les chanfons pleuvoient de toutes parts, fe joignoit une horde de troupes légeres, qui ne combattoit point, mais  DE LA M O ï T' E. 4tt j «qui faifoit beaucoup de bruit, & qui s'expliqttoit fur 1'ouvrage avec 1 'équité & la firiefle dont elle étoit capable, L'Auteur avoit bien prévu eet orage, ce qui'n'étoit pas difficile. La nuit qui précéda la première repréfentation d'/«ej,la Motte, inquiet de fon fort &' ne pouvant dormir , fit fur cette inquiétude un Sonnet , oü . il rempliffoit des* bouts-rimés qu'on avoit propofés dans le Mercure." Ce Sonnet étoit paffable pour un Sonnet en bouts-rimés, & pour, un Auteur qui ne devoit pas -avoir 1'efprit1 bien" calme & bien libre au moment -oü il 1'avoit fait. Ses .Détracfeurs prérendirent qu'il avoit rempli les bouts-rimés après coup , & lorfqu'il fe vit allure du fuccès. Cette chicane étoit de mauvaife grace; il falloit le fupppfer biert avide de glorhle, pour 1'accufer d'avoir voulu en ufurper une fi fuüle. Les bouts-rimés étoient alors fort a la mode. On ert propofoit même dont les. mots réunis faifoient un fens; & je ne fais quel Pfcte fit contre la Motte un Sonnet qui étoit de ce dernier genre. Dufrefhi , dans Ie temps" qu'il faifoit le Mercure , en propofs V iv  4_  DE LA M O T T É. 46/ dont i! prit le fujet dans le Conté fi connu de la Fontaine. Cette'derniere Piecei dont le róle étoit joué fupérieuremerrt par Dufrefne, eut beaucoup de fuccès; & quoique privée de eet Acteur, elle fe joue' encore alTèz fréquemment, paree qu'elie eft écrite avec' efprit & avec fineffe, M. Sedaine a> fait du même fujet un Opéra comique f oü la fcene du Magnifique & de fa Mal» trede, déja très-agreable dans la Piece de la Motte , eft rendue bien plus in-térefTante par la fcene muette & charmante de la Rofe , que la Motte auroit enviée a 1'inventeur. ' Toutes les Comédies de la Motte étoient en profe. Avec fa maniere de penfer fur les vers, & fur leur ufage? déplacé , felon lui , dans la Tragédie' même , il n'avoit garde de ne pas fuivre* 1'exemple que Molière loi avoit donné en ofant écrire en profe un grand nombre de fes Pieces. Plufieurs des fise> cefTeurs de ce grand homme 1'avoient imité fur ce point avec fuccès; & la' Comédie , bien loin d'y perdre , y avoie gagné une infinité de bons Ou-vrage$v •  468 Eloge Note. XIII y relative a la page 253, d l'opinion de la Motte Jur les Tragédies en profe. Ouelqüun Fa dit, & peut-être avec raifon ; ce n'étoient pas des dinertations fubtilement & froidement railonnées , que la Motte devoit faire pour appuyerlopinion qu'il avoit tanta cceur d'etablir;.c'étoit uneTragédie en profe qui forcat le fuccès par 1'intérêt du fujet, par une fuite bien. amenée de fituations touchantes , & par un ftyle plein d'énergie & de chaleur. S'il avoit pu nfquer cette nouveauté fur un fujet de Tragédie,, cetoit fur celui dlnèsi de féveres Critiques ont même prétendu qu'il ne s'en falloit guere que cette derniere Piece ne fut en profe; & de bons ou mauvais plaifans ajoutoient, dans le temps du plus grand fuccès de cetre Piece , que 1' Auteur avoit fut, comme le Bourgeois Gentilhomme , de la profe fans lefavoir. On prétend que la Motte ayant dit a M. de. Vol-  de la Motte. 469 taire, alors tfès-jeune , & Auteur da feul OZdipe qui foit reflé au Théatre, que ce fujet d'CEdipe e'toit fort tragique , & qti'il vouloit effayer de le traiter en profe : Faites cela, lui dit ce grand Poëte , & moi je mettrai Inès en vers. Plus ces critiques paroitront fonde'es, plus elles prouveront que ce ne font pas les vers qui ont fait le fuccès d'Inès ; ck. plus il fera permis d'en conclure que 1'Ouvrage auroit peut-être produit fon effet fans wn fi foible foutien. II s'en faut bien pourtant que je veuille me rendre le Défenfeur des Tragédies en profe, encore moins les préférer aux Tragédies en vers. Qui pourroit balancer un moment entre la belle verfifkation d'lphigénie ou de Zaïre , ck la profe même la plus éloquente ? Mais je ne puis m'empêcKer de remarquer, au fujet de plufieurs Tragédies écrites en-vers , 1'inconféquence du Public dans fes jugemens ck dans fes goüts. On convient q'u'Inès, malgré fon fuccès trés-mérité , elf pour le moins trés - foiblement écrite en vers ; plufieurs autres Tragédies , écrites encore plus mal, n'en ont pas  47^ É LOGE été moins applaudies , & font même reftees au Théatre, La eonféquerice naturelle feroit de conclure que ces Tragédies , beaucoup mieux-écrites, mais en profe, auroient dü,.a plus forte raifon , pbtenir les furfrages du Public ; mals cette coniéquence pourroit bien être précipitée ; il. étoit trés poffible que les mêmes fpeéïateurs qui, attachés par 1'intérêt du fujet, avoient pardonné aux vers d'Inès, euffent fifflé la même Piece en profe , quoiqu'écrite avec beaucoup plus de vigueur & d'éloquence. Celui qui va entendre »ne Tragédie , stattend que 1'Auteur fera parler a fes Kéros le langage convenu , c'eft a-dire , celui des vers. Si la Piece eft touchante & bien conduite , la mauvaife verfification affecfte peu le fpecf ateur, & ne nuit guere a 1 fmpreffron qu'il recoit; mais fi, dés Ia première fcene, il entend les perfonnages parler en profe , le voila d'abord dérouté de fon plaifir ordinaire ;■ cette ihnovation le frappe néceffairement, & peut même le frapper au point d'aneantir 1'effet & 1'intérêt de lacfion. C'eft pourquoi ce que nous difons ici fur la faveur que femble pro-  de la Motte. 473; mettre aux Tragédies en profe 1'induigerjiCe des fpecfateurs pour les mauvais vers de tant de Tragédies anciennes-& moderr.es, n'eft tout au pL*, qu'une conféquence plau£ble , & nullement une conféquence démontrée. A ces réflexions nous en joiudrons quelques-unes fur la peine que la Motte a prile de mettre en profe la première fcene de Mithrïddu , ktns y faire prefque d'autre changement que celui de rompre la mefure des vérs. 11 étoit furpris que cette fcene , décompofée de la forte , ne produiiit plus le même effet fur le commun des fpecfateurs, quoiqu'elle n'eiït, difoit-il , rien perdu réelletnent\ & il en concluoit que le plaifir que nous donnent les vers, efl: un plaifir de préjugé ék d'habitude. C'eft a peu prés (& nous avons déja fait cette remarque) comme fi 1'on mettoit en fimple récitatif, fans mefure ék fans accompagnement, un bel air de Pergolefe ou de Piccini, que même on fupprimat quelques*palfagesde nmdulation pour mieux dépayier 1'oreille , ék qu enfuite on füt tout étonné dü peu de plaifir que 1'Auditeur recevroit de cette mufique bou~  472 Ë L O G Ë leverft'e & difloqïiée , fi même ells méritoit encore le nom de mufique. On nous faifoit , Arbatc , un fidele rapp.jrt ; teme en effet triomphe , & Mithiidate eft mótt. I-es Romains, vctMk'Eurh ate , ont attaqué mon pere , Et tr.nnpé , dans la nuit, fa prudence ordinaire. Voila des vers harmonieux. Arbate , on nous faifoit un rapport fidele ; Rome triomphe en effet, & Mithridate efl mort. Les Romains ont attaqué mon pere vers l'Euphrate, & ont trompé dans la nuit fa (prudence ordinaire. Voila de la profe trèscommune; & cependant il n'y a pas un mot de changé aux vers de Racine ; mais le rythme, mais la cadence, mais la mélodie elf entiérement détruite , & le Poëte eft tout-a-fait tué. Si Racine eut voulu mettre cetté*f*cene en profe , il en eüt, a coup fur , changé les expreffions, pour donner au moins a cette profe toute 1'harmonie dont elle étoit fufceptible; mais cette harmonie auroit - elle valu celle de fes vers ' 11 n'y a que des fourds quipuiffent faire cette queflion (i). (i) I.es parrifaiis o/qlies ; s'il eut fait feulement parler fes Héros comme ils parient dans Homere, fon Tphigénie , le chef-d'ceuvre peut-être du Théatre Francois, n'auroitpas été jufqu'a Ja fin. La Nature, pour nous fntérefter fur la fcene, doit y hre tantót ernbellie, tantót chargee, tantót adoucie , prefque toujours alteree , mais toujours a fon avantage. Le Public, quand il court au Théatre, ne va pas y voir les objets exaclement tels qu'ils fontj il y perdroit fouvent beaucoup : il veut feulement qu'on les lui montre avec un cfegré de vérité capable de 1'attacher quelques momens. Or , fi la Tragédie ne doit pas repréfenter fes Héros tels qu'ils font , pourquoi s'aftreindroit-elle a les faire parler comme ils parient ? Le fpectateur fait bien que le véritable Achille ne parloit point en vers; mais il fair bien auffi que ce n'eft pas le'véritable Achille qu'il entend. Un des poiuts les plus importans de 1'Art dramati- ■ que, le vrai principe peut-être auquel  ce la Motte. 475 tïehnent routes les regies de eet Art , ck peut-être auffi le feul qui n'ait pasencore été difcuté (a peine même at-il été mis en queflion ) , c'eft de fa\oir oü commencent & oü finifïent les limites 'de eet ejpaee lïbre que la Nature laifTe au Poëte, pour être tantot plus pres, tantot plus lom d'elle , fans néanmoins s'en éloigner a une diftance ridicule, ou s'en rapprocher d'une maniere trop revoltante; jufqu'a quel point les Pieces de Théatre doivent ék peuvent porter t'illufion qu'elles produifent ? Quelles font les bornes , les degrés 6c les nuances de cette illufion ■ Si, par exemple , la Comédie , qui' eft la repréfentation de la vie ordinaire , n'exige pas une illufion plus forte que la Tragédie , dont les Héros font prefque toujours hors de la fphere ék de la condition commune l Si, d'un autre cöté , en faifant parler -en profe les Héros de la. Tragédie , mais avec la nobleflë ék k décence qui convien,nent au Théatre ,. on fe Irouveroit trop pres de cette .Nature,, dont il faut éviter, dans la Tragédie,. 1'image trop reffemblante ? S'il ne refteroit pas encore au fpectateur aftV,  4"6 Eloge de moyens de reeonnókre vifiblement Hljufion théatrale, & de fe rappeler 1 a chaque inftant qu'il n'affiite' 'qua un repréfentation • Si jamaides Tragédies en profe font. quelque fortune parmi nous,ce ne pourra être, ce me femble , que par deux moyens. II fimdroit d'abord efTayer la j profe dans un fujet fort tragique , mais i dont les perfbnnages feroient des hommes du commun , tels, par exemple , que le Marchand de Londres ,'une des pieces les plus intéreffantes & en^ même temps les p'us morales 1 qu'on puiffe mettre fur le Théatre. Les fpeclateurs, accoutumés peu a peu a voir des Bourgeois mourans parler en profe, fe trouveroient peut-être infenfiblement préparés a entendre des Princes parler le langage commun ; & le tragique Bourgeois ferviroit de palfe-port a la profe pour s'élever juf- I qu'au tragique héroïque. Mais afin de- I dépayfer ie fpecfateur fur cette nou- j veauté, non feulement il feroit néceffaire que le fujet fik trés-intéreffant; I il faudroit qu'il n'y eüt pas dans 1'ac- ' tion un feul moment vide .d'intêVêt & que le fpecfateur , toujours éinu ,  de la Motte. 477 toujours attendri, n'eüt pas le temps de s'appercevoir fi les perfonnages parient en vers ou en profe. Car il ne faut pas s'y tromper , & fur ce point la Motte avoit raifon, fi 1'obligation d'e'crire en vers donne des entraves au Poëte , fouvent' elle le difpenfe auffi d'être fort difljcile lur ce qu'il fait dire a fes perfonnages ; ce qui en profe feroit trouve froid & commun dans leur botche , efl relevé par la cadence & 1'harmonie de la verfification. Ainfi les Auteurs tragiques , débarraffés, d'un cóté, de la contrainte d'e'crire en vers, fentiroient de 1'autre la néceffité de dibftituer un nouveau plaifir a celui de 1'harmonie poétique, de mettre plus d'aévion dans leurs pieces, plus de chaleur Sc de vérité dans le dialogue. Toutes ces tirades, fouvent de'placées, dont le principal mérite elt d'être en vers, ne feroient, plus oublier le perfonnage pour montrer 1'Auteur , & difparoitroient fans retour. Je ne fais fi eet intérê.t vjf & foutenu , cette action chaude & rapide, cette vérité continue, iï rare dans nos Ouvrages dramatiques , pourroient tenir lieu aux Tragédies de ce qu'elles per-  47^ Eloge droient par le de'faut de verfifkatiom Mais , encore une fois, le fuccès feul peut juftifier ce nouveau genre : on aura beau foutenir dans de longues préfsces , qu'il en réfulteroit pour nous une fource nouvelle de plaifirs , le Public 'efl en droit de rèpondre ; Je n'en Jais rien juf qua ce <0ie j'aje vu. 11 fe peut que la fuperffition' littéraire & le préjugé ayent trop refferré les limites des Beaux-Arts; maft ce n'efl pas non plus par des differtations qu'on pourra étendre ces iimites. Vous demandez fi tel genre nouveau , telle innovation dans un genre connu, auroient le bonheur de réuffir ? Tentezles, & réufliflèz , c'eft la feule maniere d'avoir raifon. II en efl des Poëtes comme des Commercans; il faut les laiffer^ faire; nul inconvénient a cette liberté -r chaque chofe fera mife a fa vraie valeur; 1'induflrie fera encouragée, la licence bientöt reconnue & punie par elle-même: mais auffi on eft en droit de dire a nos Beaux-Efprits differtateurs, la même choTe qua ' tant d'Ecrivains patricttes: Parle^ moins de population, & peuple^. C'eft bien pis quand on parle de population 6a  de la Motte. 479 qu'on ne produit que de; enfans difformes : la Motte nous a donne' de fort beaux Difcours fur 1'Ode, fur le Poërae épique, & fur la Fable ; il a prouvé par les meilleures raifons du monde , qu'on pouvoit faire un Poëme meilleur que 1'Iiiade , de belles Odes après Horace & Pindare, & d'excellentes Fables après la FofTtaine ; il ne lui a manqné , pour le p^ouver efticacement, que de faire #me meilleure Iliade, de meilleures Fables & de meilleures Odes.- On peut s'étonner que 1'Apo'ogiffe des Tragédies en profe n'ait pas hafardé un autre paradoxe qu'il pouvoit appuyer par des raifons en apparence •affez plaufibles;. c'étoit celui d'écrire les Opcras , non pas abfolument en profe, mais en vers.fans rimes. En effet, comme nous 1'avons dit ailleurs, autant la cadence & la mefure font néceffaires aux vers faits pour être chantés , autant la rime 1'eft peu ; la lenteur du chant 1'empêche prefque toujours d'être fenfible , & par conféquent détruit le plaifir qui en réfulte. On ne peut faire a ce raifonnement qu'une feulë réponfe ; c'eft  4?0 Ê L O G E que des vers defiih.es a ètre clïantés, doivenr encore être afTez bons pour être fimplement récités , & qu'ils ne feroient plus propres qu'au chant fi 1'on banniiloit la 'time. Mais cette raifon , excellente pour un Poëte , & même pour nous , qui n'avons pas 1'honneur de 1'être , auroit étê foible pour la Motje , qui, par une fuite de les hérêfies anti - poétiques., regardoit la rime dans les vers fiancois, comme un ornement ae convention , èk prefque une invention barbare. Pourquoi donc eet Académicien , après avoir cherebé a troubler la Tragédie dans la pofTeffion oü elle eft d ètre en vers, y a-t-il laiflë i'Opéra l Nous en avons dit Ja raifon dans fon Eloge. II réuffiffbit mieux dans ce dernier genre de poéfie que dans aucun autre , c'étoit même ie feul pour lequel il eüt' un vrai talent; & apparemment il s'y fentoit borné par la jNature, quoiqu'il n'eüt garde d en convenir. II étoit donc bien éloigné de vouloir profcrire un genre d oü il tiroit la partie la plus réelle ck la moins conteftée de fa gloire. Au contraire , il y avoit pour lui touta gagner que 1'on fit des Tragédies en  DE LA 'M'OT T E. 4?r en profe;"auffi n'oLiblia-t-il rien pour Ie perf jader a fes Confrères les Auteurs dramatiques. Note XIV, relative a la page 256", fur VCEdipe de la MoTTE en profe. ï J_'A Motte efTaya de mettre VCEdipe en profe, paree que ce fujet lui paroiflbit Ie plus touchant que la fcene tragique püt jamais offrir , & par c©nféquent le plus favorable pour faire publier aux fpectateurs Ie plaifir dont ■il vouloit les priver, de n'entendre plus les Héros de la Tragédie déplorer en beaux vers leurs infortunes. On convient que la Motte ne pouvoit clioifir un fujet trop intéreffant, pour hafarder , a 1'abri du mérite du fond, uneV fi dangereufe nouveauté dans la formej on doit même reconnoitre que le fujet A'(Edipe a paru a toute 1'Antiquité le triomphe de 1'intérêt dramatique; mais la difïérence des Nations, des circonftances , des Religions, ék des idéés philofophiques fur ia fatalité} rendent cej  4§# É t o s É fujet d'CEdipe beaucoup moins touchant pour des fpecfateurs modernes. Quelle dirference pour nous entre 1'intérêt d'GEdipe & celui d'Inès de Caftro , de Mahomet, de Zdirel D'ailleurs, 1'aclion d'Qïdipe efl fi courte par la nature même du fujet, qu'elie eft bien éloignée de pouvoir donner matiere a cinq acfes; a peine en fournit-elle deux au génie de 1'Ecrivain & a la fenfibilité du fpecfateur : aufïï tous Jes Modernes qui ont entrepris des Tragédies d'CEdipe, y ont fait entrer des épifodes plus ou mpins heureufement imagipés, mais qui, de 1'aveu des Auteurs mêmes, ralentiffént & refroidiffent néceffairement la marche de la Piece. Corneille a fon Théfée, Voltaire fon P'hiloctete ,1a Motte fon Ete'ocle , &c. Sophocje feul n'a point d'épifodes , & fa Piece n'en eft que meilleure , mais les cinq acf es de fa Tragédie n'en valent pas deux d'une Tragédie moderne. Peut-être a-t-on fait une regie des cinq acles , fans trop favoir pourquoi, & fans faire réflexion que le chceur , toujours préfent fur les théatres anciens , réduifoit proprement ^ Piece a un feul acfe, Malgré la de.%  de la Motte. 48J cliiori d'Horace (1'homirie de 1'antiquité qui auroit dü ie moins être efclave de ce préjugé), on a rifqué des Tragédies en trois acles, & elles ont réuffi ; Métaflafe n'en a même que de cette efpece. On demande fi 1'on pourroit riiquer des Tragédies en un .acte ? Pourquoi non , fi 1'on a un fujet intéreflant qui ne fournifië que deux ou trois fcenes ? Dira-t-on qu'il faut plus d'apprêt & de temps pour nous faire pleurer que pour nous faire rire ? Mais n'avons - nous pas des Romans très-intéreffans & très-courts, témoin le Comte de Comminges, la Lomtejjé de Tende , &c. ? 11 faut du temps , dit-on , pour le développement de 1'action ? Oui, quand 1'aclion efl compliquée; mais quand elle'eft fimple, pourquoi tout ce froid écliafaudage ? Dans Ia Piece du Théatre Itaiien qui a pour titre , la Vie eft un Jonge, ie fils de Sigifmond ouvre la fcene, enchainé dans fa prifon, & demandant au Ciel la liberté dont toutes les autres tréatures jouilfent en naiffant. Y a-til d'expofition & de développement préférable k ce tableau ? Sachez émouvoir le fpedlateur des la levée de la $3  Ê L O G ï toile, entretenez cette émotion pendant un acfe , & ne craignez point qu'il vous reproche de n'avoir pas em? ployé quelques fcenes a le refroidir, & trois ou cinq acres a 1'ennuyer. LXEdipe de la Motte en vers ou plutöt en rirnes , comme Pa qualifié M. de Voltaire , n'eft pas plus lu au-» jourd'hui que fon malheureux (Edipe .en profe. On trouve néanmoins dans .eet (Edipe en rimes, deux vers dignes d'être citês & retenus. L'impitoyable Grand-Prêtre , toujours prêt a juftifier fes Dieux , fur-tout quand ils ont tort, demande a (Edipe pourquoi, après les prédicfions qui lui ont été faites , qu'il tueroit fon pere & épouferoit fa mere, il a rifqué de combattre un inconnu» ,& d'époufer une Princeife qu'il ne 'connoiil'oit pas davantage j (Edipe lui répond : Je trouvai du plailïr a braver le malheur , Et Ie crime parut impoffible a mon cceur. Ces deux vers font un peu plus heureux que Je trait fingulïer d'un autre (Edipe , oü le Héros de la Piece , fe plaignant de 1'injuftice barbare des JiPfeux qui font pre'cipité dans lecrime^  16 e la Motte. 485 ïe Grarid-Prêtre lui répond avec l'airf> tere gravité d'un Miniftre des Autels 5 Vous naye^ aucun reproc'he a faire aux Dieux ; ils vous avoiedt prédit que vous tuerie^ votre pere , il ne falloit tuer perfonne / ils vous avoient prédit que vous époujerie^ votre mere y il ne falloit pas vous marier. Mais ce qui eft vraiment touchant , vraiment admirable, c'eft eet endroit de 1' (Edipe de Sophocle , oü le malheureux Prince revenant fur le the'atrè les yeux crevés, profonde'ment pérjétré' de fes prétendus crimes & de fes malheurs trop réeïs, s'écrie en s'adreïTa'nt a fes enfans :' Approche^ , malr.eu- feüx embrajfez^ votre II n'ofe pro- férer ni le mot d'enfahs, ni celui de pere. Trait fublime , qu'on ne trouve dans aucun des (Edipes* rnoderriés; il eft vrai qu'il ne faut pas en blamer" nos Poëtes ; il faut les en plaindre. Peur offrir aux fpeclateurs cette fituation déchirante , il faudroit qu'(Edipe revint fur le théatre les yeux crevés &, couverts d'un bandeau ; & quel fujet , d'horreur pour les premières loges v & de plaiïariteries pour le parterre ? 11 me femble vohga ce fpeólacle toutes  4§6 É L O G F. les femmes de'rourner les yeux, & Ie refte crier : Colm-MaiUard. Rendons, graces a notre exquife dejuatelTe, de nous pnver d'une des plus éloquente» expreffions de tendreflë & de douleur quon pui/Te jamais entendre au théatre. Cet ingrat fujet $ (Edipe , fi peu fait pour la Tragédie moderne , a tenté bien d'autres Poëtes que Corneille, Voltaire & la Motte, & les a d utant plus rentés, qu'ils en étoient pms mcapables. Un M. de la Tournette, Commiffaire des Guerres, a fait lui feul jufqua douze CEdipes ( i ). La Préface, adrenee au favant Boivin , eft pleine d'une noble confiance. ■ (i) Voyez Te Mercure d'Oaobre jyjrf.  be la Motte, q.t? NofE XV, rélative a la page 357 & aux cpinions de la Motte fur la Poéfie & fur Homerei C^uELQUE hérétique que fik Ia Motte dans fes affcrtions contre la Poéfie il n'en eft pas moins vrai que tout ce qu'on a écrit pour le réfuter , étoit en pure perte contre le Novateur ; car il ya> fur 1'harmonie des vers comme fur la mufique, des incrédules froidement décidés, des efpeces d'Athées , d'autant plus difficiles k convertir, que ïe raifonnement ne peut rien fur leurs organes endurcis. Peut être néapmoins eft-il un remede , mais un feul remede h tenter pour leur guérifön 5 c'eft de les renvoyer, fans autre difcuffion , a la lecfure de Racine : ft cette recette ne leur réuffit pas , il faut les rcgarder comme incurables. La Motte auroit peut-être bien plus fcandaleufement blafphémé les vers, s'il eut pu lire ce qu'écrivoit a un de fes amis le célebre Pope, un des plu» X iv  4%$ hflGÏ illuftres Poëtes modernes.» Vous ferez s>furpris, lui. difoit-il , de ce que fe » compte pour rien ma traduction de 5> Wdyjjéc. Mais toutes les fais que * je me livre a quelque méditation » ferieufe', je ne fcaurois regardcr Ia » Poefie que comme un vain amufe» ment, & même un amufement auffi » vain , que ft une béte de fomme fe i> plaifoit a entendre le bruit de fes i> fonnettes fans porter le moïndre far» deau, ni être d'aucun ufage a fon » Maitre «. Les Détracfeursde la Poéfie (car ils font aujourd'hui en plus grand nombre qu'on ne croit) citeront ce paffage avec complaifance, & ne verront plus, fi nous pouvons parler ainfi, qa'une /onnette au cou de nos verificateurs, Mais Pope a parle avec trop dïnjuftice & d'ingratitude d'un talent qui fait la gloire. Cette /onnette-, qu'il paroit avoir dedaignée, 1'a rendu inv mortel ; elle retentira jufque dans les fiecles futurs. II nen eft pas ainfi de celle de la Motte • n'ayant qu'un fon aigre & foible, ellé s'eft en vain flattëe de faire faire fes rivales, & c'eft a elle ' feule que fa pré tention kloufe a éte' nuifible.  Ut la Motte. ^ty Les mauvais vers de la Mottede Perrault, ék des autres Cenfeurs de FAntiquité, ont d'autant plus niiia leur caufe , qu'ils ©nt donné lieu d'oppofer a leurs attaques contre la Poéfie , contre Homere ék contre FAntiquité, un raifonnement bien fait pour en impofer' a la multitude. Voyez, difent les par-tifans des Anciens, quel efl: Ie fort de leurs Adverfaires 1 y en a-t-il un feul qu'on puilTë regarder comme un modele de bon goüt, un feul dont la réputation lui ait furvécu ? D'abord il eft pent-être permis d'appeler de eet anaihème général'. M. de Voltaire , qui' n'a pas imité Defpréaux ék Racine drms 1'adoration fervile des Anciens, qui * fu diftinguer dansHomere le cénie d'avec lés écarts, n'eft pas moins dei'iiné que Defpréaux ék Racine a pafter aux fiecles futurs. II eft vrai que 1'Iliade de la Motte ne doit pas fe flatter du même' avantage; mais eft-ce une preuv'e que' Ia Motte ait ciïtiqué in'iuftement i'1-liade ? C'en eft une feulement que' Ie talent ék le goüt font déwx clioies tres diftér-ntes. L'Iliade d'Homere ,., pleine c'e beautés ék de défauts , ou-vragê du genie dans 1'enfance du goüt,-,  490 - É L O G E fera toujours l'admiration des fiecïes a venir] 1'Uiade de Ia Motte, pleine de fageffe & de vers foibles, eft 011bliée comme le Clovis de Defmarets; mais les re'flexions de la Motte fur 1'lliade d'Homere, n'en feront ni moins juftes pour la plupart, ni moins dignes d'être lues. Pourquoi la difpute fur les Anciens: &, les Modernes n'a-t-elle jamais e'té bien terminée l C'eft que leurs Adverfaires, Perrault & la Motte ( car je ne parle que des Chefs) , avoient plus d'efprit que de talent : s'agiffoitil de raifonner ' 1'avantage étoit fouvent de leur cöté ; ils le perdoient dés; qu'ils fortoient de la & qu'ils s'avifoient d'écrire, fur-tout en vers. Les. Paralleles de Perrault font un livre, quoi qu'on en dife , très-eftimable a> plufieurs égards. Qu'eft-ce qui a fait lort a eet Ouvrage ?. Ce ne font point, on ofe le dire , les plaifanteries un peu groftieres de Defpréaux , c'eft Perrault lui-même par fon. Poëme de S. Pantin, fon Conté de peau d' Ane, fa Femmeau ne^ de'boudin, &c. &c. Defpréaux,, par la feule lifte de ces Ouvrages, lejendis ridicule j & quand une fois qq  'u ë ia Motte. 491 1'eft devenü , c'eft en pure perte qu'on écrit 6c qu'on faifonne, II en a été 2 peu pres de même de Ia Motte. Il a voulu brifer la ftatue élevée at ï'Auteur de I'Iliade, & il n'a fait que mutiler Ia fïenne de fes propres mains. Croyons cependant que le terrible Defpréaux eut été un peu embarralfé f pour 1'honneur des Anciens, s'il avoit pu lire la diatribe groffiere 6c pédantefque de Madame Daciér contre 1& Motte , quoique cette diatribe eut pour objet de venger, a force è'itt* jures, ce que Defpréaux regardoie comme Ia faine doctrine. II eut rougi pour Ia bonne caufe , en Ia voyant ft mal-adroitement foutenue , 6c il fe fut écrié dans I'amertume de fa douleur; Tu Ia fervfrois mieux en la défendant moins (i), II étoit en elfet trop éclairé pour ne pas convenir que les fuperftitieu.-S (l) Ün Savant Etrangcr étant venn rcnrire vifite a Madame»Dacier , la prrft d'écrire fonfiom avec tine fentenee fur un regiftre qu'il lui préfenta elle y écrivit mtfdeftenKïBt tfns vers grec' de Sopkocle ,• qui fignifie qu'e> te: X VJ  492 Eloge Apologifles de FAntiquité n'avoient pas toujours e'te' dignes ni des Dieux auxquels ils offroient leur encens, ni des Chefs fous lefquels ils combattoient; il fe moquoit Iui-même du fanatifme de Dacier , qui , lorfqu'cn lui demandoit fi Homere étoit plus Èeau que Virgile , répondoit qu'Homere étoit plus beau de deux mille , ans ; & ii n'eüt pas moins ri de eer autre enthoufiafte plus récent, qui , dans le fort de la derniere difpute fur 1'Iliade, avoit faft vceu de lire tous les jours deux mille vers d'Homere , en réparation des outrages qu'il croyoit que ce grand Poëte avoit recus, & comme une efpece d'amende honora*ble pour appaifer fes manes offenfés-. De quelque jufte admiraiion qu'on foit pénétré pour Homere , il eft bien permis de s'écrier ici avec Perrault, qui; n'avoit pas toujours tort : O Collége y fiknee eft L'ornement des Femmes. Elle auroif dü. fc-fouvci ir de ce vers quand elle vouloir dire quelque tbfurdir.^ eu 1'fecnneur des Anciens, & lur-tour quand ellè youtirt faire fa pédancefjue & ridicule repen fe'aux Obfcrvaïioas critiques de la Motie fur riliade.  13 E X A*M O T f !< 49$ Collége ! que ton imprejfton efl. profonde & ineffafable dans certains efl prits ! M. Dacier , en recevant M.de Boze a la place de Fénélon, attaqua viveinent, dans fon Difcours, ceux qui refufoient 1'adoration aux Anciens. La Motte lui répondit dans la même affemblée par fa Fable de YEcrevifle Philojöphe, qui veut confeiller a fes compagnes de rie pas marcher a reculons, afin que les" yeux éclairent & conduifent les jambes, & qui efl: baffouée par toutes les vieilles écrevilfes pour avoir propofé une nouveauté, liabfurde. ta Philofophe efluya'les murmures Du fot Teuple, & les reces dures Firent gloire d'alier toujours a reculons ; Pour les vieilles erreurs point de refpeft bizarre;- E^rninons aufii la nouveauté) Par 'es deux cxcès on s'égare ; Mais la Raifon va droit , marchons de foa cöté. La Motte , réconcilié depuis avec M. Dacier & fa femme ,, fans avoir changé d'opinion fur les Anciens, lut, dans une féance publique de 1'Académie, une Ode fur la mort de Madame-  494 É L Ö^G K Dacier. Les louanges qu'il donne a cette Savante , ne font guere moins ingénieufes que les Epigrammes douces qu'il avoit faites contre elle. Note XVI, relative a la page 258, fur Vlliade d'Homere, crit'iquée par LA Motte , louée & défendue par beaucoup d'autfes. I-jE plus grand e'Ioge peut-être qui ait jamais été fait d'Homere , eft celui que lui a donné, dans fon langage naïf, notre célebre Sculpteur Bouchardon. liy a quelques jours, difoit-il, quil tneji tombé entre les mains un vieux livre Franpois que je ne connoijfois point; cela sappelle Pillade S Ho mere» Depuis que j'ai lu ce Livrela, les hommes ont quin^e pieds pour moi, & je ne dors plus. J'ai entendu tenir précifément le même difcours a un autre excellent Artifte, qui n'avoit jamais connu Bouchardon, Sc qui, ent parlant comme luine parloit pas d'aprés lui.  © e la Motte. 495; Le Pere Buffier , darts une lettre a Madame la Marquife de Lambert v avoit entrepris de juftifier les extravagances des Dieux de 1'Iliade (c'eft ainfi qu'il les quahfioit) , par 1'ide'e générale que les Païens avoient alorsde leurs Dieux; il prétendoit que les plus grandes extravagances, dans ura iyflême recu T tiennent lieu de principes qui ne fe révdquent point era doute , & qui ne fe mettent point era queftion : Je gli(fey lui répondit finenient & avec raifon Madame de Lamhert , fur les conflquences qu'on peut tirer d'un pareil principe ; elles feroient bien fcrieufes. La Motte avoit ofé , du vivant même de Defpréaux , lui confier quelquesuns de fes fcrupules fur Homere. » Je » me fouviens, dit-il, qu'un jour je » demandai raifon a M. Defpréaux de » la bizarrerie & de 1'indécence dei. » Dieux d'Homere; il dédaigna de les ï> juftifier par le fecours trivia! des allé— » gories, & il voulut bien me faire » confidencè* d'un fentiment qui lui » étoit propre, quoique tout perfuardé » qu'il en étoit, il n'ait pas voulu le 9 rendre public y c'eft qu'Hoinere avois  Eloge1 » craint d'ennuyer par Ie tragique corï* tinu de fon fujet; que n' ayant, de » la part des hommes, que des com>> bats & des paffions funeftes -a pein» dre, il avoit voulu égayer le fond » de fa mattere aux dépens des Dieux >> mêmes; & qu'il leur avoit fait jouer" ■>f la Comédie dans les entr'acftes de » foti adlion , pour délaffer le Lecfteur r » que la continuité des combats au» roit rebuté fans ces intermedes «. La Motte reprochoit encore a Homere d'appeler quelquefois vaillant celui dont il rapporte un difcours la? che; & fage, celui don t il rapporte Un difcours imprudent. Defpréaux lui re'pondoit que c'eft comme quand on dit que Saint Paul gardoit les mariteaux de ceux qui lapidoient Saint Etienne. » Paul, difoit-il , n'étoit » pas Saint dans ce m>ment'; mais » il le devint depuis : de même les » braves d'Homere ont des momens » de frayeur , & les Sages des mo» mens d'oubli «. On croir^t fans peine' que la Motte ne fut pas fatisfait de' ces* reponles pour s'en payer , il faut" être bien réfolu d'admirer tout dans fes Anciens. Cependant leur Détrac-»  b e la Motte. 497 teur crut devoir attendre la mort de Defpréaux pour publier & fon Iliade & fa critique d'Homere. II n'y a pas d'apparence que le févere Ariftarque eut vu cette doublé entreprife de bon ceil j il eut retiré au Détracleur & au Singe de 1'Iliade les bontés dont il 1'honoroit. Car la Motte , quoique très-lié avec Fontenelle, que Defpréaux n'aimoit pas , faifoit affidument fa cour au Satirique , qui le recevoit & le traitoit comme un maitre feroit fon éleve, & qui fembloit Lui dire a chaque inftant : Fous êces jeune encore , & ton peut vous ïnjlruire. II n'approuvoit point les Odes de la Motte, malgré le fuccès qu'elles avoient eu. » L'O» de , difoit Defpréaux , eft 1'ouvrage » de notrè Langue qui demande les » plus belles expreftions: on y pardon» neroit plutót un mauvais fens qu'un » mot bas. C'eft ce que n'entend pas » M. de. la Motte ,"qui nous vient faire » des Satires en Odes,'6c qui emploie '» les mots de Quatrain .& de Stro» phes. J'avois un beau champ a mettre » ces mots dans ma Poétique, qui eft » un Ouvrage de préceptes ; je les ai » pourtant évités, quoiqu'a la rigueur  49s É L O G È » on ne dut pas men faire un cnrrié. » M. de la Motte emploie encore des * rimes de bouts-rimés, comme celles 5> de Syrinx & de Sphïnx; d'ailleurs » il affecle fouvent de parler a la ma» mere des Oracles, pour ne point » fe rendre trop commun par un lan» gage clair & intelligible «. On ne peut que foufcrire a ce jugement, fi ce n'eft peut être fur 1'obfcurité du ftyle de la Motte 5 fes vers peuvent n'être pas meilleurs que ceux des Oracles , mais ils font. plus clairs. NoTE xvii, relative a la page 160, fur les Fables de LA MOTTE. On fait par cceur les Fables de Ia Fontaine; on n'en fait aucune de la Motte; dès-lors les deux Poëtes font jugés. Le moderne Fabulifte femble avoir évité de prendre 1'ancien pour modele , & malheureufement n'a que trop bien réuffi a s'en écarter. Avouons pourtant que dans cette carrière ou la Motte fuit la Fonnine de ft loin , il fe montre quelquefois digne d'y pa-  de la Motte, 499 roitre. Quelques-unes de fes Fables mériteroient 1'honneur dêtre citées après la Fontaine , fi, pour leur malheur, elles ne fe trouvoient perdues dans un trop grand nombre d'autres qui ne mentent que la grace dêtre ignorées. Parmi ces Fables trés - eftimables de notre Académicien, nous citerons furtout celle de X Ane j qui commence par ces mots : Sous quelle étoile fuisje né ? Nous pourrions y ajouter celles de la Pie, du Perroquet, du Fromage, des deux Pigeons, des Amis trop d'accord, des Grillons, des Moineaux, du Conquérant & de la pauvre Femme , Sec. II feroit a fouhaiter qu'un homme de gout, appréciateur Sc révifeur éclairé de toutes les Fables de la Motte, fit le triage de celles qui n'auroient befoin, pour être d'excellens Ouvrages, que de changemens légers; il ne faudroit pour cela que retrancher quelques longueurs, fur-tout dans les Prologues, que fupprimer ott changer quelques vers peu naturels ou, de mauvais goüt. On feroit peut-être étonné du peu de travail qu'exigeroit cette réforme, Sc on le feroit encore davantage de trouver un alfez grand  •A '5'ö(5 Eloge nombre de Fables cjui eh vaudroieftt la peine. Ce' ne feroient pas encore les Fables de la Fontaine après cette corre&ion , il s'en faudroit beaucoup; mais ce feroient des Fables pleines d'efprit èk de philofophie, & qui feroient oublier prefque' toutes celles dont les Auteurs ont parle de Ia Motte ave'e un me'pris fi injufte. Les Fables de la Motte furent crttiquées groifiérement dans plufieurs brochures , avec efprit dans quelquesunes, èk fur-tout dans une Comédie de Fufelïer , i.ititulée Momus , Fabiilijle. Elle eut trente repréfentations dans fa nouveauté' ; mais a fa rem'rfe en 1745 , elle en eut très-peu, èk n'a' point e'te' jouée depuis. La-propos n'y étoit plus, èk la malignité publique lie trouvoit point de vicfime vivante a immoler. Cette Comédie elf a fcenes épifodiques èk femées de Fables, qui, alors très-applaüdies, font aujourdhui bien plus oubliées que les Fables dont Momus faifoit la critique. D'ailleurs ces fortes de Pieces fans aétiorf & fans mouvement, oü un Acleur' récite, les unes après les autres, des" Fables ifolées , ne font guere faites  ce la Mot te. 50& $)our avoir une exifience durable ; la ieule Comédie de ce genre qui foit reftée au Théatre, eft celle d'EJ'ope a la Cour, paree qu'il y a du moins dans cette Piece une efpece de fujet .& quelques fcenes intéreftantes. Quand nous avons dit dans 1'Eloge de la Motte , que la voix publique n'a placé encore aucun Fabulifte entre la Fontaine & lui, nous n'ignorions pas que certains Ariftarques, dont la voix n'eft pas la voix publique x ont effayé de placer dans eet immenfe intervalle différens Fabuliftes, fuivant leur goüt ou leurs intéréts. Celui a qui ils ont eftayé ie plus long-temps d'aflürer une place après la Fontaine , a la vérité dans une grande diftance (car ces Ariftarques ie piquent fur-tout de juftice ), eft le Fabulifte Richer, dont les Fables , après avoir eu cinq ou ftx éditions, lont aujourd'hui complétement oubliées. L'Abbé Desfontaines étoit 1'ami de ce Fabulifte & 1'ennemi de la Motte j il célébroit Richer dans toutes fes Feuilles;& comme fes Feuilles étoient fort lues &. fort goütées dans fous les Colléges, tous les Régens fajj»  4>oa * É L O G E foient acheter & apprendre a leurs difciples les Fables de Richer. Enfin Richer fur le talent de la MOTTE pour la ledure. Ctrace a ce talent ïïngulier de Ja Motte , tous les Ouvrages qu'il a récites a 1'Académie, fon Iliade même, & fur-tout fes Fables, fi critiquées depuis, eurent le p'us grand fuccès dans les fociétés ou il les lut , & même dans les Séances publiques de 1'Académie. Ses ennemis lui appliquerènt alors ceue Épigramme de Gombauld contre Saint-Amand , qui lifoit apparemment fes mauvais vers avec le pieftige féduifant dont la Motte paroit la médiocrité des fiens : Tes vers font beaux quand tu les dis i Mais cc n'eft tien quand je les lis : Tu ne peUT pas toujouts en dire , Fgis-en donc que je puifle lire, Peut-être même 6fc indépendamment Yij  50S É L O G E de la foibleiTe des vers de la Motte, le fuccès brillant qu'il obtint dans fes le-ctures académiques , nuifit a celui de 1'impremon ; la partie tres-nom*breufe du Public qui n'a pas affiflé a une leclure , ék qui fait enfuite cette leclure paifiblement, efl ravie de pouvoir dénigrer ce que les Auditeurs ont applaudi; 1'Ouvrage doit avoir , fi 1'on peut parler ainfi, un mérite bien robufle ,• pour conierver , par ce fecond jugement, les honneurs qu'on lui avoit d'abord accordés. Ce leroit donc un confeii très-lage a donner a tous les Gens de Lettres, de ne jamais faire imprimer leurs productions dans le moment du fuccès d'une lecture publique, c'eft-a-dire, dans le moment oii 1'envie efl bien préparée a 1'examen , ék bien réfolue de fe roidir contre 1'approbation ; il faut attendre, pour rifquer au grand jour 1'ouvrage applaudi, qu'on ne parle plus de Ion premier effet, qu'a peine même on s'en fouvienne encore, qu'on puiife enfin, en le lifant, le regarder comme une producf ion nouvelle. Si c'efl d'ailleurs une malice bien innocente que celle de met|re l'erjyie a la gêae , il n'efl guere d'a-  de la Motte. 509mufement plus doux pour celui quelle vou droit dévorer , que de la privér d'un. aliment qu'elie efpere, en la réduifant ou a fe taire fur 1'objet qu'on 'ui dérobe , ou a lancer au hafard des traits mal dinges, & a perdre fes coups contre un fan tome. Outre fon talent pour la leclure ,', .Ia Motte avoit encore une mémoire prodigieufe. Un jeune homme vint lui lire une Tragédie. Après 1'avoif écoutée avec attention, Votre Piece, dit il a 1'Auteur, eft pfèine de beautés ; une. chofe feulement me fait veine, d efl que laplus belle fcene ne foit pas de vous. Le Poëte fort étonné lui en i rJeman da la preuve, & la Motte lui récita .cette fcene toute entiere. Après avoir joui un moment de la furprife du jeune homme : Raffure^ - vous , lui dit-il , votre fcene efl fi belle , que je aai pu m'ernpccher de la retenir. Y ii)  $10 ÊLOGE JNtote XX , relative d la page 266 , fur les connoiffances tfieotogiques de la Motte. •On affure qu'il pouflóit Ia complaifance ou 1'amitié pour les Jéfuite* fes anriens maïtres, jufqu'a fe montrer affez favoralle a leurs opinions fur fa fcience moyenne & fur la grace congrue , autant néanmoins qu'un homme de beaucoup d'efprit, livré aux charmes de la Littérature, pouvoit prendre part a de malheureufes fubtilités, faites pour la pouffiere & les ténefcres des écoles; ou plutót autant qu'un Philofop!:e éclairé , jufle appréciateur des fottifes humaines, peut approuvcr ou défapprouver des opinions de cette efpece. Le grand Newton faifoit auffi a cette fcience moyenne 1'honneur d'y attacher quelque efiime; «Sc fans le Commentaire de ce' grand Géometre fur 1 Anocalypfe, on devroit êtrebienéionnéque fur de pareilles matieres , un homme tel  de la Motte. 5>r que Newton put fe rékmdre a avoir un avis. ' Quelque raai -fonnant qu'il puftie paroitre de meier un? dif uffion théologique a des no:es fur 1'Eloge d'un poëte , nous croyons devoir Êxpliquef a ceux de nos Leef eurs qui n'ont pas eu 1'avantage detudi-r en Sorbonne , en quoi confifte toute la fineffe de cette fcience moyenne & de cetre grage congrue, qui avoient trouve grars devant Newton & la Motte. II ?ft de foi que Dieu , par fa prefcience, conhoit infailllblement tout ■ e que 1 hor, me doit faire ; il eft de foi en raêm< tempS I que l'horrïme eft libre : comment aci corder cette liberté avec cette prefcience de Dieu , qui femble ne pas nous perrnettre d'agir autrement quil ne 1'a prévu ? Le Jéfuite Molina a I trouvé ie moyen de conciliation Les ! hommes, dit-il,dont lïntelligence eft ft bornée , devinent fouvent très-jufte ce qu'un tel homme doif fairé dans telles circonftances , fans que ia liberté de eet homme en foit contrainte"; a plus forte raifon ,.Dieu , qui nA 1 inI telligence infinie , doit deviner tout i ce que fera 1 homme dans chaque cir| - Y iv  512 É L O G E conftance ou il fera piace- > fanq Uiomme en foit o oms libre Dieu apres s être ainfi misl Taffut (i)pour obferver la volonréhumaine, lui donne, pouragir., une grace appelée corlgrue qm n ejl'pas cfficace par elle-même\ mais a laquelie il a prévu que i homme ne refifteron pas, attendu la difpofmon favorahle oii il fe trouveroit pour V reTcerTOir- Voila ce que toute 1'EcoIe des Jefuites a fouten u & oppofê h la grace efficace des Thomiftes , qu'ils accufent de reifembler a la ™« *eceffi-ante de Calvin • & voila fur quoi fNervtou a mieux aimé prendre un parti que d'abandonner également & Calvin, & Molina, & les Tho. mines. f Ia Motte a donné des preuves non equivoques de fes talens theologiques, en compofant jufqu'a des Mandemens d Evêques, affez attachés a la Doctrine qu'ils prêchoient, pour vouloir que ces Mandemens euffent des Lecteurs. Mais en même temps d'autres (0 C'eft l'ejrprcffion dont fe ïervolt Arraiid pour tourneï I, fcience moyenne en riji-  DE LA M O TT E. 513 Prélats, qui apparemment ne tiroient pas de lui les mêmes fecrJurs, 1'accufoient de ne pas croire a cette Religion , dont leurs Confrères lui remettoient en main la défenfe. On a cependant imprimé parmi les (Euvres de ce prétendu Incrédule , un plan de preuves de la Religion. » Ce plan , » a dit un grand Juge en ces ma» tieres, eft le plus bel ordre de ba» taille qu'on'ait jamais drefle contre » les ennemis de la Foi, & le plus » propre a forcer dans fes orgu.eilleux » retranchemensl'Incrédulité opiniatre, » qui femble devenir de ïour en jour » plus entreprenante & plus intrépi» de «. II eft vrai que dans eet Ecnt la P.eligion eft confidérée en grand , dégagée de fuperftiüon & de minuties , telle enfin que la Motte i'avoit toujours con5ue depuis que la Trappe I'avoit rendu aux Lettres, a la raiion , & a la Société. II étoit très-éloigné de fe parer de fes producf ions religieuies; car il garda conftamment le fecret aux Prélats dont il tenoa la plume. 11 avoua poi.rtant a un ami qu il avoit fait le Mandement du l&t dmal Y v  5r4 É L O G E de 1 encin , pour la convocation du Concile dC nbrun, & le Difcours du même Prélat a 1'ouverture de ce trop fameux Concile-, oü le vieux Evêque de Senez , digne , par fa piété, des premiers fiecles de 1 Eglife , mais fans crédit & fans amis a la Cour, fut fi rigoureufement dépofé ; Concile que les partifans de ce Prélat accuferent d'avoir commis une injudice criante & fcandaleufe, tandis que les adverfaires du même Prélat foutenoient avec beaucoup de force, qu'on avoit obfervé, dans cette dépofition, les regies canoniques auffi fcrupuleufement que dans les plus faints Conciles. Toute J'eloquence & 1'adreffe de la Motte n'empêcfterent pas cette malbeureufe controverfe de fournir alor< aux ennemis de la Religion, un rriife fujer de plaifanterie , & de leur faire dire, avec une ironie auffi-amere que déplacée, que la Julli e eccléfiaftique n'étoit pas pius heureufe dans fes décifions, que la Juftice féculiere, a qui il eft arrivé plus d une fois d oppri.ner I'innocence en oblervant toutes les reg es (i). (0 Ce fut dans ce Concile cru'im des Pc-  de la Motte. 515 II exiiie de Ia Motte une lettre a Fénélon , oü il tourne en ridicule , avec autant de folidité que de fineffe, les abfurdites Janféniennes fur le libre arbitre & fur la grace, non moins étranges que les abfurdités Jéfuitiques fur le'même objet, quoique d'un genre tout oppofé. II avoit une fceur Religieufe , fille de beaucoup d efprit, mais trés prévenue en faveur du Janfénifme , qu'elie croyoit ferme ment ètre la foi de 1'Eglife , paree qu'elie s'imaginoit, d'après 1'atfurance de fes Directeurs , lè trouver dam l'. criture it-il, en attaqua:it ceux qui n ont ren a perdre. Des Ecrivains plus céf bres que la Motte, ont eu une conduite bien oppofée , en daignant meme répondre aux pxu» vils Ad-  -20 Eloge' verfaires. On auroit pu leur dire : Achille eft fait pour dédaigaer Therfile , & non pour le combattre. NoTE XXIII, relative a la page 270, fur le caraciere & les principes mo-_ raux de LA MoTTE^ -tV^ALHEUR , difoit quelquefois la Motte, a 1'Homme ie Lettres que tous fes Confrères paroitroient chérir & s'emprefferoient de cé ébrer, ce feroit le foüveau qu'ils choifiroient pour Roi. La plup rt en effet ont bien moins de peine a louer eux-meines ce qu'ils méprifent , qu'a entehdre louer ce qu'ils eftiment; car il n'y a guere de vraie jalouiie que contre les fuccès merites, l es Ephefiens profcrivoient les plus illuflres de leurs concitoyens, par la feule raifon qu'ils avoient une fupériorité tropmarque'e. Que nul d'entre nous , difoit la Loi, nexcelle par-deffus les autres ; & s'il fe trouve quelqu'un de cette efpece, qu'il aille ex-  D F, LA M O T T F. 511 eeller aïlletïrs. Ptnuwuoi faut-i! que les Artiftes en général reflembleht fi fort aux Èpfiènens ? 1 e caraciere doux & fionnête de la Motte lui'avoit pourtant fait beaucoup damis, rhème parmi les Gens de 'Lettres. 11 en étoit d'autarit plus digne , que perfonne ne louoit avec plus de bonne foi & même plus de p'aifir , non feulement les bo-s Ouvrages, mais ce qui pouvoit même fe trouver de bon dans les Ouvrages médiocres. Ses ennemis ont prétendu que cene aménité étoit en lui une vertil» de commande, faite pour déguifer fa vanité & mettre a couvert fon amourpropre , 6c pour remplacer par la foupleffe ce qui lui manqnoit du coté du mérite. 11 faut répondre a ces imputations comme Mont::gne : Donrtesrp moi la plus belle aclion , je vais vous y trouver cent motifs plus odieux & plus méprifables les uns que les autres. Tous ceux qui ont eu avec la Motte le plus d'intimité, lui rendent ce témoignage, que la douceur de fon commerce étoit trop fimple & trop foutenue pour êtrejouée. Mais, ne futelle pas tout-a-fait fiticere, on convien-  5" Ê L O G E dra du moins que rette ame'nite' apparente étoit préferable a la dureté groffiere avec laquelle tant de Gens de Lettres ne rougüTent pas de fe traiter. La politerfe peut n'être cuuin mafque dont il eft bon de fe défier ; mais cette défiance eft encore moins pénible que des querelles acharnées & fcandaleufes. Nous avons rapporté dans 1'EIoge de la Motte , 1'approbation éclatante qu'il donna a {'(Edipe de M. de Voltaire : cependant un homme de beaucoup d'efprit, bien meilleur Poëte même que Ja Motte , & ( ce qu'il n'eft pas indifférent d'ajouter pour 1'honneur de M. de Voltaire) un homme dont il avoit célébré les talens , 1'Abbé de Chaulieu en un mot , fit cette Épigramme , auffi groftiere qu'indécente, contre 1 eloge ft hmnête (Sc fi jufte, donné par la Motte a la Tragédie u (Edipe. O la belle approbation ! Qu'elie nous promet de merveilles \ C'eft la füte piédiÖion De voir Voltaire un jout remplacer les CornciHss". Mais oü diable, la Motte , as-tu rris cetre erreut? Je te connoilTois bien pour aftez pjat Auteur ,  de la Motte. 513 Et fur-tout tiès-méchanc Poëte , Mais non pour un Licbe flatteurj Encor moins pout un faux Prophet*. La Motte , un plat Auteur ! Tels font les jugemens de la haine. L'Abbé de Chaulieu , flatteur & Mécene tout a la fois du Poëte Rouffeau , jaloux de la célébrité, peut-être trop grande, de la Motte , plus jaloux encore de la g'oire naiffante, mais alfurée de M. de Voltaire, feroit un peu furpris aujoutd Lui de voir que le prétendu faux Prophete avoit dit vrai , 8t de compter du moins autant de fpectateurs 6c d'applaudiffemens aux Tragédies de Zaïre, de Mérupe , de Ma hornet 6c de Tancrede, qu'a ' elles de Rodogune , de Cinna . de Phédre 6c d'Iphigénie. Les ennemis de la Motte i'ont encore acrufé d'avoir ambitionné la monarchie univerfelL en Littérature. Peut - être afpiroitil tacitement a cette gloire, fans trop s'en doute r; 1'amour-propre ne s'avoue pas toujours a lui même tout ce qu'il fent & tout ce qu'il ofe. Miis il faut être doué par la Nature d'un talent auffi rare que M. de Voltaire , pour être a la fo;s fupéri-ur dans le Poëme épique, dans la Tragïdie ,  524 É L O G E dans 1 js Pieces fugitives, & dans la profe. Nous avons vu des Ecrivains Bien inférieurs a la Motte, vouloir auffi, comme lui, triller dans tous les genres , & ave; beaucoup moins de fuccès. Le fort d'un Pygmee qui veut faire le Géant, ed de paroitre encore plus Pygmee. Nofce ie irf^rr. Connois-toi toi-même. C'eft une maxime qu'on ne fcauroit trop répéter a ceux qui courent la carrière épineufe des Lettres. Si la Motte n avoit fait d'Ouvrages en vers que lEurope galante & lffé, dix ou douze Fables, fes Odes anacréontiques, & mème Inès de Cajlro, quoique trèsfoiblement e'crite , il auroit, comme Poëte, beaucoup plus de réputation. *I1 a fallu a Fontenelle quarante volumes de 1'Hiftoire de 1'Académie des Sciences, pour faire oublier la petite brochure des Lettres du Chevalier d'Her***, & quelques autres Ouvrages de mauvaif gout; & fi les "Lettres du Chevalier d'Her*** étoient venues après l'Hifloire de 1'Académie, nous ne répondrions pas que la réputation  de la Motte. 525 de Fontenelle n'en eüt beaucoup plus fouffert; car telle efl féquité du Public. Mais ce Public efl notre .hige, il faut étudier fon gout ck fupporter fes injuflices. NoTE XXIV, relative d la page 271, fur la docilité de la MOTTE d la critique. » Les hommes, a écrit la Motte, ;>> ne demandent pas mieux que de dire » la vérité quand ils n'y perdent rien; » ils fe plailent même a dire des cho» les bumilianres a ceux qui les veu» lent bien fouffrir ; e elt un moment » de fupériorité pour eux , & ils ne » manquent pas de le faifir. Mes arnis, » par un motif plus noble , m hono» rent de cette liberté; ils ne me mé» nagent point les expremons, ck non » feulement je le permets, mais je » les en prie. C'eft en moi une adreffe » de 1'amour - propre , qui veut bien » dévorer de petits affronts pour fe v préparer des honneurs plus foiides;  5_i6 Eloge » & les efprits fupérieurs qui font bien » fans cela, feroient encore mieux s'ils » fe fervoient de mon fecret «. Cette libe rté que la Motte accordoit a fes -amis, ou a ceux qui fe donnoient pour 1 'être, eft a fon comble dans une Piece qu'un de ces foi-difans amis lui adreffa au fujet de fon Iliade; Piece oü 1'Auteur femble n'avoir débuté par quelques éloges, que pour les faire fervir depaffe-port a 1'apologue groffiérement injurieux qui Ia termine. La Motte y eft trés - honnêtement comparé a un (ine, & eet ane n'eft pas affurément 1'animal de même nom , qui , felon Madame Dacier, joue dans les comparaifons d'Homere un role fi noble & fi fionorable aux Héros avec qui il eft mis en parallele (i). (O On pent voir cette Satire ma! deguifee dans les Mémoires de M. 1'Abbé Trublet fur M. de Fontenelle, Amfterdam, 175$, page 43f-  de la Motte. 527 Note XXV, relative a la page 273 , fur les derniers rr.omzns de la Motte, I^ans fes dernier; momens, fon Curé exigea de lui ie facnfice d'une Piece de Théatre qu'il avoit commencée. Quoiqu'il n'eüt aucun fcrupule de confcience fur eet Ouvrage , non plus que fur ceux qui avoient fait fa réputation , il n'hefita pas fur la déférence qu'il devoit en ce moment a fon Pafteur ; mais quand ce Palteur fut parti, le Poëte , qui avoit ére ii docile, ne put s'ernpêcher d'apprecier la févérité paftorale avec tout le fang-froid phf-^ lofophique : Vqye^ , dit-il a fon neveu qui étoit auprès ds fon lit, ce que fait pour un pauvre mourant la dijference des Paroiffes : le Curé de Saint- André, qui fort d'ici, Janfenifle rigide & aufte/e, m'a demandé ma Piece pour la brüler ; fi j'avois eu affaire au Cur4 de Saint-Sulpice , il me Pauroit demandée pour la faire jouer au prafit  5 2 S F l o g E de fa Communauté de VEnfant Téfus. Cette >efiexiori fage & paifible de la Motte , eft ion plus pbilofophique que la plaifanterie du Muficien Lully, forcé de livrer a Ion ConfefTeur un Opéra dont il avoit fait deux aéles. Son fils, témoir. de . ette perte, pouftoit des cris lamentables : Tais toi, lui dit tout Las :.e vi.'ux libertin , Colafje en a une copie; ce fürent fes dernieres paroles. Note XXVI, relative d la page 274, Jur la conduite de Fontenelle & de la Motte d Végard des Jéjuites. Fontenelle & la Motte , qui craignoient tant de fe compromettre en refiiiant aux Jéfuites, ont donné aux Gens de Lettres un exemple de pu(illanimité qui n'a pas été imité par d autres. Cette Société , lorlqu'e'le étoit encore puiffante & fiere de Ion crédit, a trouvé, de nos jours, dans plufieurs Ecrivains célebres qu'elie avoit ofé attaquer , des Adveriaires intrépides & redoutables. On peut voir le détail de cette guerre dans 1'Ouvrage qui a pour titre,  de la Motte. 519 titre , De la def ruüión ds Jéfuites en France , par 'un Auteur défintérejjé. 11 s'en falloit cependant beaucoup (& cette circonftance eft en un fens glorieuie , en un auire (ens ptu honorable pour les Gens de Lettres ) que le^r armee fut egale en nombre a 1'armée ennemïe. Quoiquils n'euffent affaire en apparence qua trois ou quatre Ecrivains Jéfuites , c'étoit la Société en corps qui les attaquoit, par ette union ihtime & inaltérable qui faifoit cqricourir tous les Membres a la défenfe de la caufe commune Au contraire , c'étoient feulement quelques E rivains ifolés, fans credit & fans appui , qui repouftbient les traits lancés. par les Jéfuites. Les autres Gens de Lettres , ou fpectateurs ind ff rens de cette querelle, ou ennemis de ceux que ia Société attaquoit, ou même indignement yendus au parti Jéfuitique , paree qu'ils le croy.oient le plus puiffant, ne prenoient aucune part au combat , ou faifoient des vceux fecrets pour voir fu comber leurs Confrères, ou fe mêloient avec 1'ennemi pour efcarmoucher lachement contre eux. Cependant la gloire des armes eft demeurée a c© Tome lVf Z  53© Eloge petit nombre dEcrivains , qui , plus aguerris ou plus braves , ou peut-être plus vivement intérefles que les autres au foutien de la caufe commune, 1'avoient fi courageufement défendue. Attaqués par les Jéfuites de front, pales Janfénifles a dos, & de tous cótés par les fanatiques de 1'un & de 1'autre parti, ils étoient a peu pres (li nous ofons hafarder ce paral Iele ) dans la même fituation oü Je Roi de PruiTe s'eff trouvé durant la guerre de 1756, ayant en tête 1'armée Autrichienne, 1'armée des Ruffes derrière lui, ck fur les flancs 1'armée de Suede èk celle des Cercles. Us ont fait comme ce Prince, ils ont repouffé leurs nombreux ennemis. Quel fuccès n'auroit donc pas contre ces ennemis décbaïnés, une Jigiiè générale de toute la République des Lettres ! Hélas ! quand la yerronsr nous également crainte ck. refpeélée par 1'union de fes Membres, prendre, a eet égard , pour modele les Romains & les Jéfuites ? Exiger des Gens de Lettres qu'ils s'aiment, ce feroit peutêtre leur en dernander trop , a la honte de la Nature humaine , qui permet 'rarement que des rivaux de gloire E fils de notre Académicien, qui n'a trouve que dans • la Compagnie quelque fenfibilité a fes pïirfes , nous a communiqué fur fon refpeólable pere , plufieurs détails irftérefiarts, ék trop honcrables a fa mémoire pour que nous n'en faffions pas ufage. Ses parens, chargés de huit enfans, dont il étoit le dernier , le deftinerent a 1'etat eccléfiaftique , auquel fembloient 1'appeler la fageüè de fes mceurs ék. une maturité d'efprit au delTus de fon age. Les premiers Maitres qu'on lui donna n'eurent bientöt plus rien a lui apprendre , ék le remirent aux Oratoriens de Vendóme, chez qui fes progrès ne furent pas moins rapides. Quoique trés-jeune encore , ils 1'envoyerent a Paris avec une lettre pour le célebre Rollin, qu'ils prioient de vouloir bien le placer. Rollin ayant lu la lettre , demanda oü étoit le fujet que ;es Peres lui recommandoient , ne pouvant' Bbij  5?o É L O G E croire que ce fut 1'enfant qu'il avoit fous les yeux. Ce ft moi, Monfieur, répondit avec modeftie le jeune Adam. Charmé de cette fimplicité, Rollin lui fit plufieurs queftions, & vit bientör, par fes réponfes, combien le jeune homme étoit digne de 1'intérêt qu'on cherchoit \ lui infpirer. Après 1'avoir eifayé dans une première place, il le propofa & le préfenta a Tiftuftre Abbé Fleuri, qui cherchoit un homme irjftruit pour 1'aider dans fes travaux fur 1'Hiltoire Eccléfiaftique. L'Abbé Fleuri , étonné de fa jeuneffe ) car il n'avoit pas quatorze ans, & paroiffoit en avoir moins ) , crut qu'en cette occafion Rollin vouloit plaifanter, quoiquil ne plaifantat guere : Croye^móif lui dit Rollin , attache^-vous ce jeutte homme, Joye^ fur que vous me remercirc^ bhntóc du préfent que je vous fais. Le jeune Adam répondit en effet , par fon travail &. par fes vertus, aux promeffes de Rollin & aux efpérances de 1'Abbé Fleuri, qui ne diftimuloit pas combien fon Hiftoire Eccléfiaftique lui étoit redevable , qui faifoit fans ceffe violence a fa modeftie en le comblant d'éloges 5 6;  dè Jacques Adam. 5?f qui finit par fe 1'affocier dans Tédueation du Prince de Conti, ne croyant pas pouvoir choifir, dans cet emploi difficile , un Coopérateuf plus éclairé. Les taiens qu'il montra dans ce premier eifai d'éducation , engagerent fon Eleve même, comme nous 1'avons dit, a le charger de 1'éducation en chef de fon propre fils. Mais une raifon puiffante y mettoit obfiacle. M. Adant n'étoit pas Gentilhomme , & le Prince n'ofoit, en conféquence de ce beau préjugé , lui donner la qualité de Gouverneur ; car le roturier le plus vertueux , le plus éclairé , le plus refpeclabie enfin , ne paroiffoït pas digne d'une fi grande place. Le Prince , pour accommoder tout, propofa a M. Adam de prendre 1'habit eccléfiaftique, efpece d'état amphibie qui le rendroit fuf-< ceptible de la place qu'on défiröit de lui donner. M. Adam refufa, fans baIancer, de fe prêter a ce traveftiffement: Je ne me fens point, dit-il, appelé a cet état; & je me croirois' coupable d'en prendre le mafque pendant dix années. Enfin , après quelques jours de réflexion, le Prince eut le rare courage de facrifier fes feruB b iij  5^2 Eloge pules , & aima mieux donner pour Gouverneur a fon fils un Sage , qu'un Gentilhomme. Le Gouverneur s'appïiqua fur-tout a infpirer a fon Eleve les vertus qui font aimér 1'humanité , & qui rendent les Princes cliers aux malheureux. II avoit foin , quand il faccompagnoit, de charger toujours fon jeune Eleve de la difhibution des aumónes. Un pauvre vieillard demandoit un jour au Prince quelque amïiance., en a'joutant qu'/7 étoit bien malheureux : Vous êtcsbien malheureux , lui dit le Prince, efl-ce que. vous a>>prene%_ le latïn } Non , Monfeigneur. Vous n'êtes donc pas mijfi malheureux que vous le dites , répondit le Prince en lui donnant 1'aumöne. On voit que le jeune Eleve n'apprenoit le lattn qu'avec de'goüt ; mais ce n'étoit pas le Gouverneur qu'il en falloit acculèr. L'éducation jinie, fon Eleve, qu'il avoit pénétré d'eflime ék. de refpeét pour lui, le fit Secrétaire de fes Commandemens ék Chef de fon ConfeiL JI obtint ék mérita toute fa confiance dans cette nouvelle place. Les villes de Niort ék de Poitiers, toutes deux Htda  fis Jacques Adam. $J dépendantes de la province de Poitou, dont le Prince étoit Gouverneur, avoient un proces , que M. Adam jugea en faveur de la première : elle voulut lui en témoigner fa gratitude psr un prefent confidérable , qu'il refufa conitamment, ck. dont il auroit même oie fe plaindre , fans 1'extrême douceur dé fon caraclere', qui ne lui laiifoit voir dans ce don qu'une marqué de reconnohfance, a la vérité mal entendue, mais touchante pour fon ame fenfible. , Un Négociant de Poitou , décné pour fes mceurs, défira d'être Maire de la ville qu'il habitoit. II fe préfentoit avec confiance , fier de la proteotion du Prince, qu'il avoit obtenue, fuivant 1'ufage , a force d'adulations , de baffelfes & d'intrigues. Cette protecf ion n'eut aucun crédit fur M. Adam, a qui le Prince avoit laiffé le choix du fujet propre a remplir la place' Vacante. II y ncmrna un honnête citoyen de la même ville , qui ne I'avoit pas demandée. Le Négociant, outré de colere , ofa débiter en préfence du: Prince , les inveclives 6k les calomnies Ie plus groffieres & les plus revoltante? contre 1'homme vertueux qui avoit fait Bb iv  5S4 Eloge juftice. Le Prince, fans paroitre ni approuver , ni blamer fes plaintes & fes ïnjures , lui donna une lettre pour ia porter Iui-même a M. Adam Elle commencoit par ces mots : A Vouvenure de cette lettre, vous fere? jeter Le poneur par lesfenétresM. Adam qui ne vouloit point la mort du pé~ cheur, fe contenta de faire lire ce peu de mots au Négociant , & aiouta : Je vous confeUle de retourner chez vous, & jy gtn hoivuru hQmm % vous le pouve<. Le Négociant fe conforma, en murmurant, a la première moitiede ce confeii , en attendant que Dieu lui fit la grace de fe conform er a la feconde. En 1734, M. Ie Prince de Conti W de 17 ans, défira & obtint de faire la campagne que Ie fiége de Philisbourg & jespluies continuelles rendirent fi pénible pour les foldats. II voulut les encourager , par fon exemple , a fouffrir ies incommodités d'un foi humide & marecageux , & prit Ie parti de couener fur des cbariots. M. Adam , qui i accompagnoit, ne crut pas, malgré fon age & fa foible fanté, devoir être mieux couclié que fon Eleve. 11 par-  de Jacques Adam, 585 tsgea avec lui le même lit, Sc, fur la'ftn de la campagne , il fut attaqué d'une colique néphrétique , qui, bientöt après, le conduifn au tombeau , viclime de fon attachement Sc de fort courage. II conferva jufqu'au dernier moment toute la préfence de fon efprit Sc toute la douceur de fon ame. La veille de fa mort, on paria devant lui d'une Traduclion Francoife Sc ancienne d'un Livre Anglois, Traduction qu'il n'avoit pas lue depuis quinze ans. II en cita quelques morceaux comme s'il les avoit lus de la veille. Quelques inftans avant d'expirer , il montra les fcrupules d'uo bon pere fur le peu qu'il avoit fait pour fa familie : Je crains , difoit - il, d'avoir trop facrifié aux occupations de mort état, les foins que je devois a ces infortunés , que ma mort laiffe en haS dge & dans l'indigence. II les recommanda au Prince fon Eleve , que d'autres feins empêcherent fans doute ie fe rappeler une recommandation fi ir*iéreiiante Sc li jufte.   slj KJ \jr 12* DE JEAN-ROLAND MALET, GENTILHOMME ORDINAIRE DU ROI ; Repu' le 29 Décembre 1714 , a fa place de JACQUES DE TouRREIL jï moft i^iiz Avril 1736,- On fie lui voit d'autre titre ièsh démique, qu'un prix de vers qu'il avoit remporté; encore la leclure de fa Piece donne-t-elle lieu de croire qu'il n'eut; pas a vaincre des concurrens tien redoutables : ce fut pourtant cette victoire foible & unique qui lui valut les honneurs littéraires. On doit fuppofer , pour la juflification des Académiciens qui 1'adopterent alors, oüB b vj;  588 Eloge qu'en ce moment les grands talens étoient rares, ck que la Compagnietrouvoit auffi peu de bons Ecrivains a recevoir, que de bons Poëtes. a couronner; ou que des raifons parliculieres erapêchoient les talens diftingués de fe mettre fur les rangs ; eu enfin, que des motifs plus puiflans. encore ne permettoient pas a 1'Aca1démie d'alier au devant du mérite: car pourquoi ne viendroit - elle pas , quand rien ne s'y oppofe s cbercher d'elle même le génie modefte? Quoi qu'il en foit, 1'Ode de M. Malet (car c'étoit une Ode comme beaucoup d'autres) (1) fut envoyée a (O L'Académie nt Te croyoit pas alors obligée d'être fort difEcile fur les Ouvrages qu'on lui envoyoit pour le Pïix té'moin le malheur qu'elie eut-, 1'année même de la receptiën dc M. Makt, de eouronner dc mauvais vers de M. 1'Abbé du Jarry, qui avoit M. de-Voltaire pour concurrent. Voici hs premiers vers. de la Piece , dont Ie fujet ctoit le chceur de: Notre-Dame , commencé par Louis XIII, &> ashevi par Louis XIV .- ïo£«. le jour paioit eu le faim. Takernacle fc  DE M A L E T. 5§f Ia Reine Anne d'Angleterre, qui venoit de donner la paix a la France T & que Ie Poëte avoit décorée du nom de Minerve. La Reine paria, dit-onr avec admiration de cette Ode ; elle s'y crut obligée apparemment pour rendre a M. Malet les louanges dont il I'avoit comblée. Le fuffrage étoit néanmoins plus brillant que fLatteur de la part d'une PrincefTe étrangere , qui fans doute ne fe piquoit pas de fe connoitre parfaitement en vers francois. Mais elle joignit a ce fuffrage une marqué de fatisfaéfion plus réelle : elle envoya au Poëte une médaille E'ornemcns enrichi' nous offVe uit beau fpe&acle. La- mort ravic im Kof plein d'un projet fi beau, Sec II faut avouer au refle que quand on propofe de pareils fujets , on ne dok guere s'attendre a de meilleurs. vers.. Si les Pieces de vers que 1'AcaJ'éraie couronne aujourd'hui, ne font pas tontes d'un égal mérite,. elles font au moins, quoi qu'en) dlfent la haine & 1'env.ie, bien fupérieures aux. anciennes. On peut obfeiver en pafiant, que cet Abbé dn Jarry, fi malheureux & fr décrié comme Poëte , étorrun Prédicateur très-ertimé da. fon temps, &. uès-oublie du. notre..  59® ÊLOGÉ d or , qui dut augmenter beaucoup a fes yeux le prix de celle que 1'Académie lui avoit donnée. Ce préfenfn'étoit pas fi magnifique que celui de Marie Stuart, Reine d'Ecoffe, au Poëte Ronfard , a qui elle donna un bufTet de deux mille écus, furmonté d'un Parnaffe , au haut duquel étoit urt Pégafe avec ce mauvais vers : A Ronfard , l'Apoliori de la fource des Mufes. Mals ce Ronfard, dont le fiecle fuivant a fait juftïce , étoit le Dieu dit fien j & M. Malet , qui n'afpiroit ni a tant de gloire, ni a de fi beaux? dons, fe contenta modeifement de la récompenfe qu'il avoit recue.. Dans ces circonlfances, M. de Tourreil e^anr venu * mourir quelques Académiciens, qui peut-être avoient befoin de fe rendre favorable M. Defmarets , Controleur - Général des; Finances, ailerent lui propofer !a place vacante. Cette démarche femble être' une nouvelle preuve de ce que nous venons d'infinuer, qu'il n'y avoit point alors d'hommes de Lettres fur qui la* Compagnie put décemment jeter les-  d e Male tv <$gi yeux pour 1'adopter parmi fes Memtres. Nous oferons affurer néanmoins,, malgré cette difette réelle ou fuppofée , que les Académiciens dont nous parions firen-t une telle follicitation fans 1'aveu de la Compagnie ; elle apu défirer , il eft vrai, dans des temps de ftérilité , de voir occuper fes fauteuils par des hommes en place au défaut de bons Ecrivains, a condition pourtant que ces hommes en place aimeroient au moins les Lettres, s'ils n'avoient pas le temps ou le talent de les cultiver ; mais nous ne craignons point d'avancer quel'Académie en corps n'a jamais été au devant deux, & que le défir des Candidats les plus diftingués par leur rang, a toujours prévenu fon choix. Quoi qu il en foit, le ControleurGénéral, qui fe connoifloit mieux en détail d'adminiftration qu'en éloquence & en Poéfie, mais qui du moins n'avoit pas 'e ridicule de vouloir paroitre ce qu'il n'étoit pas, remercia ces Académiciens bénévoles, en les affurant qu'il n'étoit pas digne d'être affis au; milieu d'eux. Nous répétons d'après.  5Q2 E L O G E lui, qu'il ne s'en croyoit pas digne ; car nous ne voulons pas fuppofer pour fon honneur , qu'il méprifat une place que les Corneilles , les Racines, les Bolfuets ck tant d'autres grands Génies avoient acceptée comme une faveur , ék dont les premiers hommes de 1'Etat fe font crus honorés dans tous les temps. Cependant le Miniftre, en fe rendant juflke, ne voulut pas renvoyer mécontens ceux qui défiroient fi fort de 1'avoir pour Confrère; ék peut-être dans la vue fecrete de faire ufage du crédit que fa place lui donnoit auprès d eux , il leur propofa de tranfporter leur bonne volonté a M. Malet, qui lui étoit alors attaché en qualité de premier Commts des Finances , ék pour lequel il avoit une edime dont il lui donna des preuves efficaces en cette occafion : J'ai dans mes Bureaux , répondit-ii aux Académiciens qui le follicitoient, un homme qui fait, d ce qu'on m'a dit, d'afie^ bons vers ; vous me fere% plaifir de le prendre d ma place , fi vous nave^ rien de mieux. d choifir, Cette reeommandation i foutenue dis  DE M A L E T. 5.9-5 prix dont nous avons parlé, ouvrirent 1'Académie a M. Malet (1). Le Dfreéteur, en rendant compte de 1'élection au Roi (qui trouvoit apparemment que la Compagnie n'avoit pas été fort difficik ) , ne manqua pas de faire valoir la médaille 8c le nom de la Reine Anne, a qui Louis XIV avoit en ce moment trop d'obligation pour ne pas joindre fon fuffrage a celui de cette Princeffe. La Compagnie apporteroit aujourd'hui plus de rigueur dans fon choix , même après la re- (1) On cita au fujet de cette élection , les vers cpe 1'Abbé de Cliaulieu avoit faits fur un autre Candidat, qui, vingt ans auparavant, étoit cntté de même dans cette Compagnie , par Ta protection d'un autre Contióieur-Général, auquel il étoit attaché : II cn fera, quoi qu'on en die ;. C'eft li.i impót que Tontchartrain Veut mettre fur 1'Académie. Vers peu flaneurs fans doute pour une Société Littéraire, mais qu'il eft peut-être utüe de lui rappeler, pour qu'elie n'en mérite ja.naais de pareils.  5-94 È L O G É commandation d'un Miniftre - Sc M Académiciens qui s'abaineroient de la forte auprès de quelque homme en place que ce püt être , feroient non ieulement défavoués, mais vivement & honteufement reprimandés par ïeurs Confrères. Le temps de ces baffeifes n'eft plus, au moins pour ceux des Gens de Lettres qui favent fe refpecler eux-mêmes, 6c qui ne veulent avilir m la profeffion eftimable qu'ils exercent, ni les Corps dont ils ont' ïnonneur d'être Membres. La Littérature a pris aujourd'liEi , a 1'égard même des hommes accrédités ck puiffans, un ton plus noble Sc plus digne d elle , qu'elie ne I'avoit dans le ftecle dernier. On ne voit plus, ou du moinson ne voit plus guere de ces hommages rampans que.Ia vile adulation & Iintérêtplus vil encore, prodiguoient autrefois a Ia médiocrité & a la faveur; Sc Corneille , s'ilrevenoit parmi nous , ne dédieroit pas a un Financier fon chef - d'ceuvre dramatique. L Auteur de Cinna aux pieds d'un Financier ! O pauvre République des Lettres ! qu'étiez-vous donc alors f  d e Ma let. 595 Elle connoit mieux maintenant & ce qu'elie vaut & ce qu'on lui doit. Cette élévation de fentimens , qui convient fi bien aux talens Supérieurs, leur affiire a la fois deux avantages; d'un cöte , 1'eftime des grands Seigneurs vraiment refpeólables , qui connoiflënt le prix du génie & des vertus ; & de 1'autre, 1'honorable inimitié de quelques vils Courtifans nés pour ramper & pour nuire , dont la haine eft un bien , & dont Ia proteclion feroit une tache. Ces détraéfeurs des talens & des lumieres voudroient voir le mérite fe dégrader par les mêmes baffeffes qui les déshonorent, & défireroient de faire .refluer fur le génie , devenu leur adulateur', le mépris dont ils font couverts. On en a vu quelques-uns qui,, afiichant pour les Gens de Lettres les plus célebres, une animoftté auffi imbécille qu'implacable, n'ont pas rougi de répondre a ceux qui la leur reprochoient, qu'ils étoient offenfés de ce que la lie feule de nos Ecrivains leur rendoit hommage , tandis que les Membres diftingués de la Littérature dédaignoient de groffir la chétive cour  596 é l o ö é dont ils n'ofoient fe glorifjêr i Je con* fois, dit a ce fujet un Ecrivain célebre , quon ait le. malheur de trouver cefentimënt au fond de fon ame; mais qua la baffeffe de Vy nourrir ,on joigne l'ineptie de le dévoiler , c'efl, d man avis, le comble de la fottife humaine. Les Mécenes fubalternes & ridicules, dont nous parions , en s'avilifT'ant euxmêmes par de tels difcours, ne peuvent s'empêcher d'e/limer au fond de leur cceur (fi cependant leur eftime peut ètre coinptée pour quelque chofe) , des hommes qu'ils auroient méprifés a jufle titre, s'ils en avoient pu faire leurs amis ; 6c nous ne croyons pas qu'aucun de ceux qu'ils ont l'ineptie de décrier., daigne balancer un moment entre leur bienveillance 6c leur averfion. On nous demandera ce que fait a la mémoire de M. Malet le portrait de ces êtres méprifables; nous répondrons qu'unelecon utile aux Gens de Lettres dignes de ce nom , 6c aux Prctecleurs indignes de 1'ètre , vaut bien 1 eloge d'un Académicien médiocre , & que c'efl 1'épifode le plus intéreifant qu'on puilfe y joindre pour  de Male t. 597 Ie faire lire avec quelque fruit. Nous terminerons néanmoins cet article par un trait qui honoré plus la mémoire de M. Malet, que n'auroient pu faire de grands talens académiques. 11 fut toute fa vie employé dans les flnances, 8c mourut avec peu de fortune,   'C T ^ -ff? JU/ JU w \3' ü D'ANTOINE F O R T A I L. PREMIER PRÉSIDENT DU PARLEMENT DE FARISj Repu le 2 3 Décembre 1724, d la place de FrancoiS-TimolÉON de Choisi j mort le 3 Mui iy$6. Son éloquence naturelle & fon amour pour les Lettres furent fes titres d'Académicien. Le Difcours noble & modefte qu'il prononca a fa réception , doit être diftingué dans le Recueil de nos Harangues. Quoique revètu de la première dignité du premier Parlement du Royaume , il crut s'honorer en venant s'afTeoir parmi nous a la dernjere place , & en nous afTurant de temt le prix qu'il mettoit a nos fuf-  60O Ê L O G E frages. Son Difcours fit d'autant plus d'impreifion , qu'il en rappela un autre un peu different , prononcé dans une occafion femblable, par un Magiflrat qui étoit venu comme lui prendre féance a 1'Académie. Ce Difcours , qui ne fut point imprimé dans le temps, pourlhonneur de cet Académicien , & qu'on a même oublié aujourd'hui, nous paroit affez remarquable par fon laconifme peu modefte , pour être rapporte dans cet article comme un modele de ridicule; il pourra fervir de lecon aux Récipienciaires , de quelque état qu'ils foient, qui feroient tentés a 1'avcnir de touiber dans de pareils écarts. MESSIEURS, » Je dois a vos illuflres Fondateurs » les premiers fuccès de ma vie. lis » me faciliterent les moyens d'entrer » dans les places que mes aïeux avoient » autrefois occupées. Si vous me com» muniquez vos lumieres, je fcamai les ». faire valoir. Les Atliéniens avoient » bati leur Lycée a cóté de 1'Aréo» page ; la langue d Ulyffe ne contri- » bua  d'Antoine Portail. 6ot » Lua pas moins a la prife de Troies » que les armes d Achille. Je viens » prendre aujourdhui une place parmi » vous. Quand Hercule veut être ci» toyen de Corinthe , perfonne n'en » doit refufer 1'avantage «. On ne fait qui eft 1'Hercule dont le nouvel Académicien vouloit parler. Si c'étoit lui-même , comme on efl: tenté de le croire, le difcours qu'on vient de lire n'eft pas un des plus dignes travaux du nouvel Alcide. Tome IV. Cc   Ju Ju \J \jc H DE MICHELCELSERCGER DE B.ABUTÏN» COMTE DE BUSSI, EVÊQUE DE LU§ON; Recu le 6 Mars 1732 , a la place d'Antoine Houd art de la 'Motte 5 mort le 3 Novembre 1736. CL* E Prélat avoit pour pere le fameux Comte de BufTi , qui fut comme lui de 1'Académie Francoife ; & le contrafte du pere 6t du fils nous oblige C g ij  604 É L O G E ici a dire un mot du premier. Ce foible & infortuné Courtifan , difgracié par Louis XIV pour fon Hiftoire amoureufe des Gaules, paffa le refte de fa vie a expier cette Satire , par les éloges outres dont il fatiguoit le Monarque, fans pouvoir le perfuader de la fincérité de fon hommage. L'adulation, toujours aviliffante pour le malheureux qui la profiitue, eft le comble de fhumiliation lorfqu'elle ne peutréuffir a trornper celui même qu'elie a pris pour fon idole ; & fur-tout lorfqu'ayant d'abord voulu mutiler cette idole redoutable , elle cherche enfuite a 1'appaifer en lui prodiguant a regret 1'adoration ck f encens. Ce Courtifan fi abjeél infpiroit d'autant moins d'intérêt, q je flatteur ck rampant aux pieds de fon Roi, il étoit plein de hauteur & de morgue avec fes égaux ou fes inférieurs; fon orgueilleufe baffeftè croyoit fe dédommager, par cette méprifable relfource , des dégoüts qu'elie éprouvoit en fe profternant.fur les marches dü tróne ; il parloit fans ceife des avantages dont il croyoit jouir, de fes cjualités réelles qu pré-  de, Rabutin. 6"o| tendnes & fur-tout de fa nobleffe , dont il fatiguoit les oreilles de ceux qui avoient ia patience de 1'écouter (i). On voit par ce détail, que le Comte de Buffi juftifie mieux que perfonne la définition du Courtifan , donnée par un Philofophe (définition néanmoins que tous les Courtifans, ou plutot tous les habitans de la Cour, n'ont pas méritée ) : Un glorïeux qui^ paffe fa vie d faire des baffeffes , c'eft-adire , un des êtres dont 1'exiftence dégrade le plus 1'efpece humaine. Cet efclave fi glorieux & fi bas, défefpérant enfin de rentrer en grace, après fes vaines & mortifiantes tentatives, embraffa, comme tant d'autres de fes pareils, 1'obfcure rtfource de la dévotion , & peut-ètre avoit-il 1'efpérance fecrete que fa dévotion lui mériteroit les bontés d'un Prince qui commencoit a fe reprocher férieufement les mêmes foibleffes dont le Comte de Buffi avoit eu 1'imprudence de plaifanter. 11 écrivit un Ouvrage adreflé a fes enfans , fur* la (i) Voyez la Note (a). C c iij  606 ÉlOGE maniere de fupporter chrétiennement la difgrace; il ne leur avoit pas appris a la fupporter noblement. Ma'gre' tant de travers , le Comte de Buffi avoit de 1'efprit; car par malheur 1'efprit n'efl pasincompatible avec la vanité. L'Evêque de Lucon hérita de 1'efprit de fon pere, fans hériter de fes ridieules. II fut même dans la fociêté tout 1'oppofe' du Comte de Buffi ; il s'y montra plein d'amabilité , de douceur & d'agrémens. L'art de plaire , cet art fi néceffaire & fi rare , cet art qui s'apprend fi peu quand le germe n'en elt pas né avec nous , étoit en lui un don de la Nature; il ne mettoit dans la politeflè, ni 1'excès qui la rend fade , ni la hauteur qui la rend humiliante ; fa plaifanterie étoit fine ck. enjouée, fans hel & fans malice ; fa converfation , fmiple ck facile, avoit jufqu'aux graces de la négligence, ck fa fupériorité ne fe montroit que voiiée & comme adoucie par un charme naturel qui la lui faifoit pardonner. Auffi 1'appeloit-on le Dieu de la bonne Compagnie. Si cet éioge n'eif pas le plus grand qu'on puuTe donner a un  DE RABUTIN. 607 Evêque , c'efl: un éloge diflingué pour un Membre de 1'Académie Francoife. Lorfqu'elleeutperdudanslaMotteleplus aimable des Gens de Lettres, elle crut ne pouvoir mieux le remplacer que par le plus aimable des hommes de la Cour. ïl étoit d'ailleurs digne de cette place par une Littérature choifie ck varié&, par une cqnnoiffance approfondie des fineffes de notre Langue, par 1'étude aïïidue qu'il avoit faite des bons Ouvrages anciens ck modernes, & par le goüt délicat avec lequel il favoit les apprécier. M. de Voltaire a célébré l'Evêqu& de Lucon dans une de ces Pieces fugitives charmantes, qui fuffiroient pour faire une réputation immortelle a cet illuflre Ecrivain. Cette Piece a pour objet la tracafferïe , ce fléau de la Société , dont le Poëte fait une peinture auffi odieufe par Ie fujet , qu'agréable par 1'imagination qui 1'a tracee. Le portrait du Prélat, qui forme avec ce tableau le contrafte le plus heureux, eft également digne de l'o^ riginal &. du Peintre ; & après avoir admiré ce portrait féduifant, on ne C c iv  6o8 Éloge fait lequel des deux on doit aimer le plus, ou de celui qui en a fourni le modele , ou de celui qui en a fi bien rendu les traits. M. 1'Evêque de Lucon , devenu vieux & infirme , voulut éviter le chagrin de fe voir furvivre aux qualités brillantes qui avoient répandu tant de charmes fur fa vie. II s'exila avec courage , quoiqu'a regret, de toutes les fociétés dont il avoit fait les déüces : Je ne fpaurois, difoit - il , me réfoudre d d'être plus aimable ; je fens que je ne puis plus Vette quavec effort ; & il vaut mieux renoncer de bonne grace a ce qu'on ne peut faire Jans fatigue. Cependant, lorfque des raifons indifpenfables, ou le défir de fes anciens amis, 1'obligeoient de fortir de la retraite a laquelle il s'étoit condamné , il paroiffoit encore dans ces momens ce qu'il avoit été autrefois; mais il rentroit bie'ntöt dans fa tranquille & douce folitude , ou n'ayant pour confidens qu'un petit nombre de Sage^, il philofophoit avec eux fur le trifte fort de la condition humaine, & fur la futilité de ces agrémens paffagers auxquels on met tant de prix.  DE R A l tl f I ff. 609 Le croiroit-on 1 cet homme fi plein d'aménité , de douceur & d'indul*gence dans la fociété, n'étoit plus le même lorfqu'il avoit a faire aux ennemis de la Rulle Unigenitus \ il ne pouvoit en parler de lang froid , ck c'e'toit feulement pour eux qu'il cedent d'être aimable ; ce n'eft pas qu'au fond il eut un grand zele pour cette Bulie dont il haïlfoit tant les Détracteurs : il étoit trop éclairé pour ne pas attacher a toutes les querelles de 1'Ecole le prix qu'elles méritent ; mais il aimoit 1'ordre & la paix; il regardoit les ennemis de la Conftitution Unlgenitus, comme réfraeïaires a 1'autorité de 1'Eglife, qui n'avoit , felon lui, jamais adhéré plus authentiquement ck. plus univerfellement a aucun de nos dogmes les plus refpedés, qu'a la condamnation du Livre des Réflexions morales. 11 fe croyoit donc obligé , comme citoyen & comme Evêque , de réprimer les fectateurs du P. Quefnel, par 1'autorité que lui donnoit fa place , èk par les écrits que lui dictoit fon zele. Un Incrédule même lui paroiifoit moins dangereux C c v  6ro Éloge dans 1'Etat, qu'un Janfénifte , paree que l'incrédule , difoit-il, eft pouf 1'ordinaire un citoyen paifible , & que le Janfénifte intrigue & cafr i< le (i). Telle étoit au moins l'idée qu'il én avoit; & fans examiner ici jufqu'a quel point elle étoit fondée ïous dirons feulement que les Philofophes qui ont cru 1'athéifme moins inju.ieux a Dieu que la fuperftition , auroienc pu ajouter qu'il eft fur-tout moins nuifible que le fanatifme a la tranquillité des Etats. On ne doit pas s'étonner d'ailleurs que le caradere de 1'Evêque de Lucon, qui le portoit a une morale douce, modérée , peutêtre même accommodante, repoufTat, par antipathie naturelle , des hommes qui joignoient, difoit il, » 1'atrocité » de 1'intolérance a 1'abfurdité de la V dodrine, & qui, a travers leurs » cris redoublés contre la perfécution » qu'ils éprouvoient, ne laiftbient que » trop voir avec quelle violence & quel » plaifir ils fcauroient 1'exercer, fi on (i) Voyez la Note (£).  DE R A B U T I N. 6ri » leur en laifibit les moyens &. le » pouvoir nal de Retz eft ici; il a les généa» logies dans la tête : je ferois ravie » qu'il connüt la notre avec 1'agré- » ment que vous lui donnez Je » n'ai recu que depuis quatre jours le » Livre de notre généalogie , que vous » me faites 1'honneur de me dédier... » En vérité, mon cher eoufin, cela » eft fort beau ; ce font des vérités » qui font plaifir Ce commence- » ment de Maifon me plait fort, on » n'en voit point la fource; la pre» miere perfonne qui fe préfente eft » un fort grand Seigneur, qui étoit, » il y a plus de cinq cents ans, des » plus confidérables de fon pays, & » dont nous trouvons la fuite jufqu'a » nous. II y a peu de gens qui puiftent » trouver une fi belle tète ; tout le » refte eft fort agréable Pour moi, » je vous avoue que j'en fuis charmée » & touchée d'une véritable joie, öcc. «.  DE RaBUTIN. 615 On voit par ces différens traits, que Madame de Sévigné, fi pleine d'ailleurs de graces & d'agre'mens, n'e'toit pas exempte des petiteftes de la vanité. On le voit peut-être mieux encore a 1'extafe oü elle eft, dans quelques autres lettres; devant le cordon bleu du Comte de Grignan fon gendre, prefque auffi fottement glorieux que le Comte de Buffi fon coufin : on le voit fur-tout au tranfport de joie & d'admiration avec lequel elle redit quelques paroles très-communes dont Louis XIV I'avoit honorée a une repréfentation d'Eflher. Vaine & pauvre efpece humaine ! Gardons - nous bien pourtant deffacer de ces lettres les traits que nous venons d'y rapporter; Madame de Sévigné s'y peint au naturel, ck le naturel eft ft précieux , paree qu'il eft ft rare ! Elle nous laifTe voir au moins, avec une naïveté qui même a fes graces , cette vanité puérile que fes graces lui font pardonner , & que tant d'autres montrent avec fottife , ou cachent avec mal-adreffe. Avouons même que c'eft un mouvement bien excufable, furtout dans les femmes, de faire valoir  616 Eloge tous leurs avantages; & comme la naiffance en eft un très-réel, ne foyons pas plus étonnés de voir qu'elles s'en prévalent, que de 1'efprit ou de la beauté. Les hommes font-ils plus philofophes qu'elles ! Les Philofophes même le font-ils fur ce qui flatte & chatouille leur amour-propre ? Le Comte de Buffi , dans fa douloureufe folitude, avoit entrepris de répondre aux Provinciales , pour faire fa cour aux Jéfuites, & obtenir , par leur crédit , fon rappel a Verfailles; mais un peu de réflexion le fit bientöt renoncer a ce projet, malgré 1'avantage qu'il croyoit y entrevoir. II eut 1'efprit de fentir qu'on ne répond jamais avec fuccès a une excellente plaifanterie , fi ce n'eft par une autre ; ce qui n'étoit pas facile vis-a-vis d'un Ecrivain tel que Pafcal. II fe tut donc, & fit bien. II eut encore le chagrin d'éprouver quelque ingratitude de Ia part de fes enfans , pour qui il avoit fait, dans cette même retraite , fon pieux Ouvrage fur la maniere de fupporter chrétiennement les afflicfions. Ces enfans, peu dévots fans doute , trouverent que  DE RABUTIN. 617 eette produélion £|ifoit peu d'honneur aux talens de leW pere. Ils aimerent mieux lire fon Hiftoire amoureuje des Gaules, que 1'édifjante re'paration faite par 1'Auteur, & fugerent que le ftyle de'Pétrone étoit plus le fien que celui du P. Bufée ou du P. Grafiet. (b) Tout le monde fait le mot de cet Athée, qui difoit a un autre : Save^ - vous pourquoi on vous perftécute, tandis qu'on me laiffe en repos ? C'eft que vous êtes un Athée Janfénifte, & moi un Athée iMolinifte. J'ai connu un Homme de Lettres qui , fe faifant un trifle honneur de ne pas croire en Dieu , ne parloit qu'avec indignation de la doclrine des A/'oliniftes, & qu'avec refpeél de celle de Saint Auguflin fur la grace; & j'entendois dans le même temps des Jéfuites tourner trés - indécemment ce Pere de 1'Eglife en ridicule. (c) On peut juger de la valeur de cette Ga^ette Eccléfiaftique, par le rélumé qu'en faifoit un Philofophe. » Ce malheureux Auteur, di'oit-il, » écrit toutes les femaines; il fe per-  618 Éloge, &c. » met tout, & jamais on ne cite un » feul trait de lui Ce filence efl la plus grande humiiiation que puiffe efTuyer un Satirique. Pour être plaifant , & par conféquent lu , il ne fuffit pas d'être amer, il faut être gai, fi 1'on peut; mais hoe opus, hie labor eft; la gaité elt comme la grace des Janféniftes , eile n'eft pas donnée a tous ; &l des injures font plus aifées a trouver que de bonnes plaifanteries-.  Ü U u ^ DE V1CTOR - MARTE BUCD'ESTRÉE$> PAIR , MARÉCHAL , ET VICEAMIRAL DE FRANCE; Né d Paris le 30 Novembre 1660; reen le 2 3 Mars ryi 5 , a fa place