2 trtH- HISTOIRE DES MEMBRES D E L'ACADÉMIE FRANgOISE, Morts depuis ijoo jufquen tjjtt Poür fervlr de fuite aux Exoges imprimés & lus dans les Séances publiques de cette Compagnie, VarM. d*Al emrert , Secrétaire perpétuel ds tAcadémie Francoïfe, & Membre des Académies des Sciences de Erance , d'Angleterre de Pruffë , de Ruffie, de Suede , de Portugal, de Bologne. de Turin , de Naples , de Cajfel, de Bo/lon, & de Norwege. . •* TOME CINQU 1EME. M. DCC. LXXXVIL A AMSTERDAM;, Et fe trpuve a Paris , Chez Moutarb , Impriineur- Libraire de*,las Reine , de Madame, de Madame Comteffe ' dArtoxs , & de 1 Académie des Sciences 9 tv.e des Mathurins Hotel de Cluni.   JL-f JU v> \jr H DE MELCHIOR BE POUGNAC. Cardinal & Archevêque d'Auch , Commandeur de VOrdre du SaintEfprit, de ï'Académie des Sciences & de celle des Belles - Lettres ■ nê au Piiy en Velay le f , oLbre. \66i; repu le 2 Aoüt 1704, a l& place de Jacques-Bemgne BosSVET,monlezoNbvembre 1741 (1). Voyez fon Eloge «fans 1'Hiftoire des Académies des Sciences & des Belles-Lettres. lome p*. A   jlj ju \J \jt jil, < D E JEAN - BAPTISTE DÜEOS, A B B É DE RESSONS; . Né a Beauvais en Dècembre 1670; recu le 3 Février 1720 , d la place de Charles-Claude Genest; élu Secrétaire perpétuel d la place <£'André Dacier , Fe 19 Novem'bre 17zz ; mo't le 23 Mars 17+2. IVf ONSIEÜR 1'Abbé Dubos eft im de ces hommes de Lettres qui ont eu plus de mérite que de réputation. Les Ecrivains de la clarTe oppofe'e font en plus grand nombre ; ceux-ci, avec peu de talens, en ont un qui ]es remplace , celui de fe faire valoir ; Aij  + É L O G E cèux-la ignorent ou dédaignent 1'art de mettre leurs talens en oeuvre , & de les produire au grand jour. On ne fcauroit pourtant dire que eet art ait été entiérement ne'gligé par M. 1'Abbé Dubos.11 ne fut point a la vérité fuppléer au mérite par le manége & par 1'intrigue , il n'avoit pas befoin de cette niéprifable refTource ; mais il ne fut pas non plus du nombre des Littérateurs timides , qui ont gardé pour euxmêmes , & corame enfoui leurs richeffes; il a dans plus dun genre donné des preuves remarquables de la variété de letendue de fes connoilTances•, érudition , Hiftoire , matieres de goüt, jl a publié fur ces différens objets, des Ouvrages bien regm par le Public. Néanmoins,dans aucun des fujets qu'il a traités, il n'a montré cette fupériorité de génie qui tire un Ecrivain , je *ne dis pas de la foule ( car M. 1'Abbé Dubos ne dok pas y ètre mis), mais des Auteurs eftimables affis au fecond rang. *>'il eut le mérite de joindre la philofophje au favoir , d'autres ont été ou des Savans plus profonds, ou des Philofophes diftingués; s'il fut Hidorien judicieux & fidele, d'autres ont écrit 1'Hif.  DE L'ABBÉ DÜB0 5, f toire avec plus de ehaleur & d'intérêt; fi dans les Beaux-Arts il s'eft montré un excellent Juge , d'autres en ont expofé les principes avec moins de fa* gacite' peut-être , mais avec plus d'éloquence ou d'agrément. Enfin , il eft un exemple que pour faire ouvrir en fa faveur les cent bouches de la Renommee , il vaut mieux me'riter la première place dans un feul genre , que d'en ambitionnèr une dans plufieurs genres a la fois ; qu'il n'y a tout au plus d'exceptés de cette regie que les Pafcals , les Leibnitz , les Voltaires , & quelques hommes privilégiés qui leur refTemblent. La. vie de M. 1'Abbé Dubos a , pour ainfi dire , été doublé; elle fut d'abord prefque uniquement politique & aclive , enfuite purement littéraire & paifible. Jeune encore , il eflaya de la Théologie ; mais il fe dégouta bientót des puérilités fcolaftiques pour une étude plus intcreflante & plus utile , celle du Droit Public & des intéréts de 1'Europe : les progrès qu'il y fit , lui valurent 1'avantage d'être connu & gouté de M. de Torci , Mifiiflre des affaires élrangeres dans les dernieres anA üj  6 E L O S E rees du regne de Louis XIV , c'eft-a- dire, dans desttemps malheureux& diffkiles, oii cette partie exigeoit plus de talens & de vertus que jamais. Ce Minifire, qui joignoit au mérite propre a fa place , la modefiie & la probiié, cherclioit les mêmes qualités dms ceux qu'il deftinoit a travailler fous fes ordres; il s'atracha M. 1'Abbé Dubos, & 1'employa utüement dans plufieurs affaires fecretes.'Le Duc d'Orléans Régent, & le Cardinal Dubois, firent de fes talens le même ufage , & avec lemême fuccès. L'Etat récompenfa comme il le devoit un Citoyen qui 1'avoit fi bien fervi. 11 obtint, ou plurót il eut , fans avoir Hen demande, des penfions & des bénéfkes, qui furent le prix flat— teur de fes travaux & de fon zele , & qui fuffifoient aux défirs dun Philofophe. II avoit été chargé , vers le commencement de la guerre de 1701 , de différentes négociationsen Angleterre & en Hollande pour engager a la paix , s'il étoit poffible , ces deux Puiflances redoutables, que la vengeance & la haine animoient alorscontre la France, bien plus encore que l'ambition & ia  ÖÈ l'Abbé ÜUBói f politique. Pendant !e cours de ces négociations, il publia un Ouvrage qui avoitpour titre, Les intéréts dé C Angleterre mal entendus dans la guerre pré* fente. Cette produétion , fort applaudié , comme elle ^devoit letre , par le Mi-» niftere de France , ne fit changèr le* Miniftere Britannique ni de conduite, ni de fyftème. L'Auteur faifoit a cö Miniüere & a la Natidn Angloife des prédirftions funeftes, que par malheur [événement ne juitifia pas ; les ennemis de Louis XIV furent par tout heureux & vainqueurs; & un plaifant dit k ce fujet, que pour réponfe a 1 Ecrivain Prophete & a fes confeils charitables, il ne falloit que le titre même de fon Ouvrage , Les intéréts de ï' Angleterre mal entendus , par Af. VAbbé Dubos (i). Cet EfTai, plus politique que littéraire , n'étoit pas le premier fruit de fa plume ; il avoit donné, pres de dis ans auparavant, VHiflolre desquatreGor* diens, contre 1'opinion commune qui n'en admettoit que trcis. Les preuves dontilappuyoitl'exiftence du quatrieme (0 Voyez la Note («). A iv  '8 É L O 6 E Gordïen,fnrent attaquées par plufieürt fcavans; & niaigré toute 1'éruditiort dont il fortifia ces preuves , lopinioir ancienne fembie avoir prévalu. Heu~ reufementjl imporce aflèz peu'au genre humain qu'il y ait eu trois Gordiens ou davantage. Si les Princes de ce nom «went quejques quaiités eflimables, sils mentent de netre pas confondus ■avec cette foule de defpotes irabécilles ou feroces, qui ont avili & opprimé lefpece humaine, leurs bonnes quahtes furent peu utües au bien des Peupies; ]e vrai bonheur des hommes euc eté d'avoir quatre Titus, quatre Irajans & quatre Marc-Aureles • mais les Titus, les Marc-Aureles & les Irajans font plus rares que les Gordiens. Critiqué comme Antiquaire, & malheureux dans fes prédiclions comme Politique , M. 1'Abbé Duhos fe jeta dans une autre carrière; il crut devoir ehoifir un objet ce travail, qui, fans skyoir 1'obfcurité de 1'Hifloire ancienne n'eut pas auffi 1'inconvénient de toucher a des événemens trop proches de »os jours. II écrivit YHifloire de la Ligue de Cambrai, ou il développe  DE L'A, BB É D U B O S;' 9 avec beaucoup de détail & de netteté les motifs, les progrès & la diiTolutioa rapi.de de cette fameufe ailiance; ij» y fait voir par qaelle fuite d'événemens & d interêts les Puiffances les plus formidables, réunies d'abord pour écrafer la fiere & foible République de Venife , la laifTerent bientöt renaitre & refpirer , en fe divifant pour le partage de fa dépouille. C'eft la, comme le remarque judicieufement 1'Hiftorien , le fort & la fin ordinaire des traités faits par de grands Etats pour en dévorer un autre, II n'y a peutêtre eu qu'un exemple unique d'une ligue entre plufieurs grandes Puiffances, qui ait fubfifté long- temps fans fe rompre , & eet exemple eft trop récent pour avoir été connu de M. 1'Abbé Dubos ; c'eft la ligue de la France , de 1'Empire , de la Ruftie & de la Suede , contre un feul Prince , qui, attaqué durant flx ans par cette ligue, a fait d'aum heureux efforts pour la braver, que de vaines tentatives pour la diffoudre. Seroit-ce paree qu'elle avoit pour chefs des femmes animées par la vengeance , & qui fe croyoient outragées par le Prince qu'el'es vouA v  IO É L O G E loient anéantir ? Et faut-il en conclure que les femmes, de'ja plus conftantes que les hommes dans leurs pamons domeftiques & privées , le ïbnt aum dans leurs paffions royales &. politiques ? M. 1'Abbé Dubos, après avoir fait fes preuves comme Négociateur, comme Erudit & comme Hiftorien , ambitionna une gloire d'un autre genre, 6c qui lui parut encore plus flatteufe , celle de connoifTeur éclairé fur les objets les plus intéreffans de Ia Littérature & des Beaux-Arts. II obtint cette gloire par fes Réflexions critzques fur la Poéjie & fur la Peinture, ou, fans aucune prétention pour lui-même aux Talens des Raphaëls & des Virgiles, ïl s'eft montré digne d'apprécier & de célébrer leurs produélions. Cet Ouvrage , plein de fagacité, de favoir Sc de goüt, eft celui qui a le plus contribué a la réputation de l'Auteur. M. 1'Abbé Dubos femble avoir démenti 1'afTertion tant répétée, & comme Ia plupart des afTertions générales T moitié vraie , moitié fauffe , qu'il faut être Poëte pour bien parler de Poéfie, & Peintre pour bien parler de Peinture,  öe l'Abbé Dubos. i t ïl n'avoit jamais fait de vers , & n'avoit pas un tableau; mais il avoit, dit un illufire Ecrivain , beaucoup lu, beaucoup vu, ck beaucoup médité. Ses voyages dans les diffe'rentes parties de 1 Europe , la connoiffance qu'il avoit des Langues étrangeres, fes converfations avec les Artiites & les Ecrivains célebres de chaque Nation , les nambreux Ouvrages de 1'Art qu'il avoic eus fous les yeux , tous ces fecours ajoutoient a fes lumieres naturelles beaucoup de lumieres acquifes; & fes Réjlexions font comme le dépot des richefTes abondantes qu'il puifoit ou dans fon propre fonds , ou dans le commerce des hommes inflruits qu'il avoit fréquentés. On peut parler de la Poéfie & des Beaux-Arts avec plus de feu , de grace & d'élégance; mais on ne peut rendre fes idé,es avec plus de netteté , de précifion & de jufleffe. Ses Lecteurs peuvent quelquefois n'être pas de fon avis dans les difcufïïons fïnes & délicates oü fon fujet 1'engage ; mais il a le mérite rare de faire beaucoup penfer , &. on ne peut le combattre qu'en lui accordant fon eftime. II a d'ailleurs eu 1'art de temA vj  12 É L O G E pérer la féchereffe, prefque inévitable dans les matieres didacliques , par un grand nombte de traits piquans & d'anecdotes intérelfantes, qui fouFgent &. foutiennent 1'attention en joignant 1'agi'ément a 1'utilité; par-la il ménage a 1'efprit des efpeces de repos , que tout Ecrivain qui veut être lu & goüté doit avoir foin de placer de diftance en diflance , fur - tout s'il écrit pour des Francois , dont la légéreté , incapable de fe fixer- 'ong-temps fur le même objet, a befoin detre foulagée & ranimée par d-es momens de diftraclion & de relache. Enfin , eet excellent' Ouvrage porte par-tout 1'empreinte d un Amateur vraiment digne de ce nom, d'un Bel-efprit /Philofophfi , & d'un Savant qui a connu les Graces. L'Auteur difcute plufieursqueftions intéreffantes, ck les difcute en Ecrivain capable de les traiter; les principales ont pour objet cette imitation de la Nature, qui eft le fondement de tous les Beaux-Arts j imitation que les Anciens ont tant prefcrite & fur tout tant pratiquée, & que de grands ConnoifTeurs modernes ont cru ou voulu nous donner comme  d e l' A*b bé Dubos. 13 Un principe nouveau. M. 1'Abbe Dubos examine ie genre de plaifir que cette imitation nous procure, en nous remettant fous les yeux,non la Nature, brute & informe , mais la Nature choifie , embellie même, en un mot , la belle Fature , plus aifée peut être a diftinguer, qua définir ; il détermine les bornes que le Peintre & le Poëte doivent fe prefcrire en 1'imitant, afin que le fentiment agre'able qu'elle doit exciter par ce tableau , ne devienne pas un fentiment pe'nible ; les caracteres du génie , dont tant d'Ecrivains ont parlé, comme tant d'hommes parient des terres auflrales, & qui confifte dans Ie talent de 1'invention joint a letendue & a la profondeur ; les avantages que le goüt peut tirer de 1'obfervation éclairée des regies; & les entraves oü 1'obfervation trop fcrupuleufe de ces mêmes regies peut refferrer & étouffer le génie ; les caufes qui ont rendu quelques fiecles fi féconds, Sc quelques autres fi ftériles en Artifles célebres ; celles qui font que les grands hommes en tout genre paroiifent ordinairement tous a la fois, comme 1 effet d'une fermentation gé-  *4 Ê L O G E nérale de la Nature, excite'e tout \ coup dans une Nation par 1'aclion & 1 energie des circonflances; I'incertitude & 1'efpece de fluétuation que les caufes morales produifent quelquefois dans les jugemens du Public , qui ne prennent une confiftance affurée que dans les momens de calme oü reparoiffent enfin la lumiere & la juftice ; 1'influence fouvent fi puiffante de ces mêmes caufes fur les jugemens des Artiftes , & le tort, au moins pafTager , qu'elles peuvent faire a ces jugemens; enfin , 1'avantage dont jouiffent les grands Poëtes detre lus & admire's dans tous les ages , tandis que les Pbilofophes les plus célébrés de leurs temps, font enfin oubliés avec leurs opinions; ce qui ne doit pourtanf. s'entendre que des Philofopries qui ont plus fongé a établir des fyftèmes , que des verités. M. 1'Abbé Dubos paroit fur-tout s'être occupé avec foin de la queftion philofophique , Si la difcuffion ejl préférable au fentiment pour juger les Ouvrages de goüt; queftion fi fouvent agitée , & a laquelle peut-être il ne faut répondre que ces deux mots : Sente^ d'abord,  d e l'A bbé Dubos. 15 & difcute^ enfuite; car fï le fentiment a bien jugë, la difcuffion confirmera 1'arrêt qu'il a rendu. Quelque efümable cependant que foit eet Ouvrage , on ne doit pas tout-a-fait le ju£;er relativement a 1'état préfent de notre Littérature, & aux idees lumineufes que nous avons acquifes fur les différens objets du gout. II faut fe fouvenir que ces idees , approfondies Sc analyfe'es de nos jours par plufieurs excellens efprits, étoient alors ou ignorées ou peu connues; & tenir compte a M. 1'Abbé Dubos d'avoir fu le premier en entrevoir plufieurs, en développer quelques-unes , & répandre , pour ainfï dire , la femence qui en a fait naitre de nouvelles. En un mot, cette produétion faine & féconde de notre Académicien, offrant par-tout des principes fürs & folides en matiere de goüt, & tracant aux Eerivains & aux Artiftes la voie dont ils ne doivent jamais s'écarter , reffémble a ces colonnes milliaires qui, chez les Romains, indiquoient les grandes routes , Sc éloignoient les voyageurs des chemins détournés. Auffi le fuccès que 1'Ouvrage obtint > produifit tout 1'effet  I 6 E L O G E que 1'Auteur pouvok en attendre j il lui ouvrit les portes de cette Compagnie , dont le fuffrage fut confirmé & même prévenu par celui du Public. Le zele avec lequel il remplit les devoirs attachés a ce titre , fon afïïduité, fes connoiffances, fon caradiere doux & modefie , déterminerent 1'Académie , après la mort de M. Dader , a 1'élire pour Secrétaire d'une voix unanime, Avant d'obtenir cette derniere place, il avoit mis le fceau, pour ainfi dire, au choix de cette Compagnie , par plufieurs éditions de fes Réflexions fur la Poéfie & la P.einx ture , ou il ajoutoit des vües nouvelles a celles qui avoient déja donné tant de prix a fon Ouvrage. II étoit néanmoins occupé, dans le même temps, d'un objet tres - différent & prefque oppofé , mais très-intéreffant pour notre Hiftoire , des caufes & des circonftances de Vétablijjanent de la Monarchie Franpoife. dans les Gaules. II donna au Public, dans le plus grand détail , le fruit de fes recherches fur cette matiere importante; il fe propofe de prouver que les Francs font entrés dan s les Gaules non en Con-  de l'Ab e é Dubos. \j cfuérans, mais \ la priere' de la Nation , qui les ajfpeloit pour la gouverner. Cette opinion , expofée par M. 1'Abbe' Di;bos, avec beaucoup d'art & de favoir , eut d'abord de zélés partifans j elle a eu depuis' beaucoup de contradiéteurs , a la tête defquels il en eft un qui feul tiendroit lieu de beaucoup d'autres , 1'Auteur de YEfprit des Loix. Cet Ecrivain célebre a employé le dernier Livre de fon immortel Ouvrage a réfutër ce fyftème, qu'il appelle un Colojje im~ menfe, dont les pieds font d'argile. Nous n'entreprendrons point de juger ce Coloife ; c'eft pour lui un afiez grand bonneur que l iliuftfe Montefquieu 1'ait cru digne de fes coups; & M. 1'Abbé Dubos, quand il auroit fuccombé fous ce redoutable Adverfaire , auroit pu fe regarder comme un autre Heclor, vaincu par un autre Achille. Mais nous ignorons ce qu'il auroit penfé de cette Réfutation, qui n'a paru que lorfqu'il ne pouvoit plus ou «s'y foumettre , ou la combatrre» Les Lettres & 1'Académie 1'avoient perdu quelque's années aupa'avant. Averti par la vieillefTe qui s'approchuit  i8 Êlogë & grands pas , & par les infirmite's qui la lui anrion^oieét, il penfoit a le retirer dans fa patrie, pour y achever paifiblement & übfcure'ment fa carrière , lorfqu'une maladie longue & douloureufe vintl'enlever a fes Confrères & a fes amis. II vit approcher' Ia mort, non feulement avec la plus grande tfanquillite , mais avec une forte de fe'renité philofopliique, comme 1'heureüfe fin des maux qu'il enduroit, comme le tribut que tout homme doit a la Nature , & comme un bienfait qu'elle accorde a ceux qui fouffrent. -II re'pétoit en mourant, ce mot d uri Ancien : Que le trépas ejl une loi , & non pas une peine ( i ); &. il y joignoit cette re'flexion bien digne d'un Sage , que trois chofes doivent nous confoler de la perte de la vie , les amis que nous avons perdus, le peu de gens dignes d'être aime's que nous laiffons après nous, & enfin le fouvenir de nos fottifes & 1'afTurance de n'en plus faire. Ses derniers momens • lui parurent fi doux, qu'on a ofé cüre qu'il en avoit haté le terme. C'eft une (i) Lex efl, non pcena perire.  de l'Aebé Dubos. -19 calomnie que fa mérnoire partage avec celle de plufieurs grands Hommes, & dont elle ne fera pas plus flétrie. MV 1'Abbé Dubos, qui favoit que la douleur eft la condition de vivre , fe foumettoit fans murmurer a eet arrêt irrévocable du fort ; & s'il eut été capable d'oublier un moment fon caractere de Chrétien & de Prètre ( i ) , pour fouhaiter, a l'exemple d'un ancien Philofop'he , que la Nature , qui nous a fait n malheureux , eut ren du le fuicide moins pénible a notre foiblefTe , il auroit fait un tel voeu, non pour ufer de cette coupable reMource, mais pour fupporter plus aifément fes maux par la faciliré mème qu'il auroit eue de les finir. (0 II n'étoit encore cjuc Diacre lorfqu'il niourut; mais'il étoit au moment de fe faire I>rêcre, pour s'acquitter plus compléternent a Beauvais de tous les devoirs dc Chanome.  zo Él o g e •N o t e pour Vartick de VAbbé Dubos. (<;) » Les deffeins de ]a Reine Anne » pour le rappel du Pre'tendant «, dit un Auteur moderne, » furent rom» pus par la Nation Angloife , dans » la crainte que le Prétendant arrhé » au tröne n'anéantit la dette na» tionale , comme 1'ouvrage d'une au» törite illégitime «. L'Abbé Dubos 1'avoit mal-adroitement annoncé dans fes Intéréts de l' Angleterre mal entendus. II fervit auffi mal le Prétendant, en prouvant que le chemin au tróne'lui iêroit fermé fans retour, fi, a la mort de la Reine Anne , 1'union de 1'Ecoffe & de 1'Angleterre étoit confommée. L'écrit de 1'Abbé Dubos, répandu avec profufion dans les troisfRoyau'mes par le parti Jacobite, y excit: des alarmes d'autant plus réelles, qu'elle^ étoient fondées fur les intentionsqu'onfuppofoit au Prétendant pour la fupprefTïon de la detre nationale; ck ces alarmes détermmerent 1'union de l'Anjrl eterre & de 1'E.cofIe. L/innocente  de l'Abbé Dubos. 21 imprudence de notre Acade'mitien , prouve le danger de tout e'crit polérnique entre Puiifances ennemies. Mais voici un trait plus remarquable & plus réfléchi du même Ouvrage. » Lorfque tout le continent de 1'A» me'rique feptentrionale appartiendra » a TAngleterre , lorfq'u'aux de'pens » de fa propre population elle fera par» venue a le peupler, comment en » ufera-t-elle avec ce nouvel Etat ? En » permettra-t-elle le commerce aux >> Etrangers l Laiffera t-ellefes Améri» cains, libres des impots qu'elle paye, » fe gouverner fuivant les Loix qu'ils » fe donneront, au me'pris- des acles » du Parlement de Weflminfter ? Leur » permettra-t-elle le.s manufaólures 8c ï> le commerce avec l Etranger l En » prenant ce parti , elle tirera peu » d'avantages de ces Colonies, ils fe» ront tous pour lEtranger, & I on » ne s'appercevra chez elle de fa nou» veile conquête, que par la de'popu» lation & par la foiitude qu'elle y laif» fera. Pour tirer de cette conquête des » avantage? qui puifTent indemnifer de » ce qu'elle coutera , il faudroit la » goiwerner fur le plan & fur les.  li Ê L O G E » principes qü'a laifies Philippe II pour » le gouvernement de 1'Amérique Ef» pagnole. Mais vouloir impofer un » joug auffi pefant a un pays'fi florif-. » fant , éloigné de deux mille lieues » de fes Maïtres, & peuplé de tètes » angloifes , ce feroit le mettre dans » la néceffité de le fecouer ; le pou» voir ne lui manqueroit pas , il en » auroit bientöt la volonté «. L'Abbé Dubos finit en ne donnant que dix ans de dure'e au regne de 1'Anglererre fur fa conquête. 11 a prédit ce que nous avons vu arriver.  ï? ï ^ ^ r l l U Ij Ë DE JEAN BAPTISTE massillon. EVÊQUE DE CLERMONT; Né d Hieres en Provence en 1663 ; repu le ij Février 1719 , d la place de CAMILLE LETELLIER , Abbé de Louvoïs; mortis 28 Septembre 1742 (1). (0 Yoyez fon Eloge dans le premier Yol, NO TE S SUR L'ÉLOGE DE 'iVlASSILLON. No TE i, relatlve d la page 9, fur les Prédicateurs qui cherchent les applaudijfemens, J-^Jo U S yoyons par un parage de Sr. Jéróme, que les applaudiïfemens de 1'Auditoire flattoient autrefois, comme au-  24 è L O G E jourd'huiv, les Prédicateurs les plus révérés par h fainteté de leur vie &. de leur doclrine. St. Jéröme dit , qu'un jour propofant une dimculté a S. Grégoire de Nazianze fon maitre , il en reeut cette finguliere réponfe : Je vous appliquerai cela dans Véglife, ou les applaudïjfemens que le peuple me donnera vous feront avouer que vous ■entende^ ce que vous n entende^ pas ; ou bien, fi vous ne joigne^ pas vos acclamations d celles des autres , vous paff'ere^ pour un imbécille. St. Jéröme n'approuvoit fans doute ni cette répon-. fe , ni ce petit mouvement de vanité du faint Evèque , car c'eft a cette occafion même qu'il donne le précepte fuivant a un jeune Orateur : Quand vous parlere^ dans l'égli/e, ne Jonge^ pas d excicer les acclamations, mais les gé~ mijfemens; que les larmes des Auditeurs foientvatre éloge (i). Ce précepte ( i ) 11 piroic que Saint Grégoire dc Nazianze fut fujct, en plus d'une occafion, a ces légers retours d'amour-propre , dont les Saints les plus refpeétabies n'ont pas toujours été cxempts; c'eft le fort de la vaine Sc foible Nature hurqaine. }&.• 4e Pompignan , dans la rappelle  de MASSïLLON. 2$ rappelle ce que dit un autre Pere de retraite a laquelle i! s'eft condamné , ayant employé quelques momens de fon loifïr a tra-duire deux ou trois Ouvrages de cc Pere dc 1'Eglife, nous apprènd , d'après Saint Grégoire meme, la douleur dont il fut aft dé après avou- renoncs volontairemenr au fiége de Conftandnople. Dans cette renonciacion , il avoit eu la jüfte confi.u:ce d'obtenir & d'exciter des regrets. ^Son attente fut trc-mpée ; & ce peuple ingrat , fi long-temps Sc ü éloquemment preclié par Con Evêque , confeutit lans peinc a etre privé de ces Sermons qu'il avoit tant applaudis. Le faint Pré!at fut fur-tout trèsleniïble a la facilité avec laquelle les Evéques aflemb'és dans cette ville acceprerent fa Jémifiion lorfquil la leur offnt , & a 1'efpece de troideur que monna 1'Empereur Théodofe én la lui accordant. => Cc qui m'eft bien connu, » dit-il , & ce que je voudrois peut-être » ignorer , c'eft que ma démiffion fut ree c » avec le confentement le plus prompt & Ie >» plus unanime. VoiLï comme la Pa-ric ré» compenfc Jes Citoyens qu'elle aime «. Nous croyons qu'il falloit dire, d'après cette déar le P, Papou, de 1'Oratpire,  deMassillon. 27 aufli de la perfonne qui en a été témuin, Ia peinture touchante que nous avons faite de la douleur vive qu'ua des Grands-Vicaires de Mafiillon, plufieurs années après fa mort , témoignoit encore de 1'avoir perdu. Note II, relative a la mime page *3 > fur Fufage que massillon auroit pu faire de ce même Exorde dans le tetnps des malheurs de Louis xir. O N nous a objeelé que ü I'Orateur avoit eu eet Exorde a prononcer après les défaftres qui accablerent la vieillefTe du Prince, il auroit dü prendre un autre tour, & ne pas lui dire : Heureux ce Roi qui na jamais combattu que pour vaincre, &c. Cette remarque eft très-jufte : il eft certaia que Maffillon eut été obligé de faire quelques changemens a la tournure de eet Exorde. Mais quel fublime parallele il auroit pu faire de la gloire pafTée de Louis XIV avec fes malheurs Bij  »8 ÉLOGE préfens ! & quelle conclufion tonchante il en auroit pu tirer , en appliquant a 1'infortuné Monarque ces paroles confolantes : Bienheureux ceux qui pleurent ! Le fujet étoit fi beau, qu'il femble qu'un Orateur même aflez médiocre auroit fait couler des larmes. Madame de Coulanges, dans une lettre a Madame de Se'vigné , fait une réflexion tres-judicipufe fur le genre de fuccès que Maffillon avoit a la Cour. » II réufïit, dit-elle, a Very failles comme il a réufïï a Paris ; » mais on feme fouvent dans une terre S> ingrate quand on feme a la Cour; » c'eft a djre, que les perfonnes qui » font fort touchées de Sermons font V déja converties, & les autres atten» dent la grace fouvent fans impa»tience; 1'impatience feroit déja une s> grande grace «.  öeMassillon. 49 ii—mi—fiin 111 mn/i< ihiiiiimi'i inuii.wj iwi NoTE III, relativa a la page \\,fur la Jdgejfe du %ele de Majjillon dans les Sermons qu'il prêchok d Vef* failles. O N fait l'excellefite féponfe de Louis XIV a un Prédicateur qui 4 dans un Sermon fait en fa préfence , 1'avoit grofTiéremerit défigné: Jeprmds volontiers ma part du Sermon , mais je naime pas quon me la fajje. On a prétendu que Bourdatoue même avoit fur ce point paffe les bornes , & que dans le temps des amours du Roi avec Madame de Montefpan , il ofa en chaire rappeler au Monarque 1'adultere de David a^ec Betfabée , en adreffant a Louis XIV ces paroles du Prophete Nathan a David : Tu es Uit vir : Vous êtes eet homme. Nous avons peine a croire que Bourdaloue ait pouffé jufque la 1 audace apoilolique , & plus encore , que les 'Jéfuites fes Confrères 1'eufTent trouvé bon. IIs ne fe piquoient pas de prècher fi durement 1 Evangile, B iij  }0 E L O G E fur-tout a la Cour. On n'a fans doute imaginé cette prétendue anecdote , que pour faire honneur a Louis XIV du mot qu'on lui attribue en cette occafion : II a fait fon devoir, faifons le notre. Au moins eft - il bien fur que s'il le dit, il n'en fit rien , car il garda fa MaitrefTe. Le Duc d'Orle'ans , dans le temps de la Régence, c'eft-a-dire , lorfqu'il étoit tout puiffant , traita avec une plus noble indifférence un Curé d'Amiens, Janfénifte Fanatique qui avoit prêcliécontre lui dans fon village i De quoi fe mêle eet homme , dit - il ? Je ne fuis pas de fa paroiffe. C'étoit a ce même Curé d'Amiens que le Cardkial de Noailles faifoit des remontrances fur Ia violence de fon zele. Un peu de prudencey M. le Curé, lui difoit le Prélat : Monfeigneur , lui répondit le Pafteur de village , mon Latéchifme ma appris ily a long-temps , que la prudence efl une des vertus cardinales.  B t M A S S I L L O N. ft NoTE IV, relative a la page 17 ^ fur le Petit-Carcme de MASSILLON. Parmi tous les traits d'e'loquence $ de fentiment, de courage même , dont brillent ces admirables difcours , nouS ne citerons que les deux paffages fuivans. lis pourroient être, fur tout auj jourd'hui, la matiere d'un grand nombre de rêflexions que nous abandonnerons fagement a nos Lecleurs S » La liberté , Sire , que les Princes » doivent a leurs Peuples , c'eft la li- » berté des Loix Vous ne connoif- » fez que Dieu feul au defïus de vous, S> il eft vrai ; mais les Loix doivent » avoir plus d'autorité que vous-même, 5> Vous ne commandez pas a des ef» claves; vous commandez a une Na» tion libre & belliqueufe , aufïï ja» loufe de fa liberté que de fa fidélité, v & dont la foumimon eft d'autant » plus füre, qu'elle eft fondée fur 1'a» mour qu'elle a pour fes Maïtres. J» Les Rois peuvent tout fur elle, Biv  32 É L O G E » paree que fa tendreflê & fa fide'» hté ne mettent point de bornes a » ion obéiffance j mais il faut que les » Kois en mettent eux-mêmes a leur » autorité... , & n'exigent de fa fou» miffion que ce que les Loix leur » permettent d'en exiger • autre- » ment ils ne regnent pas fur leurs fu» jets, ils les fubjuguent...Cen'eft donc » pas Ie Souverain , c'eft la Loi, Sire, » qui doit régner fur les Peuples: vous » n'en ëtes que le Miniftre & le pre- » mier dépofitaire Les SÖuverains » devïennent moins puiiTans dès qu'ils » veulent 1'être plus que ks Loix. » Ils perdent en croyant gagner. Tout v ce qui rend 1'autorité odieufe, 1 enerve » êc Ia diminue (i) «. > Dans un autre Sermon , 1'Orateur s'exprime ainfi : » Le Souverain n'efl » pas une idole que les Peuples ont » voulu fe faire pour 1'adorer ; c'eft » un furveiliant qu'ils ont mis a leur (i) Ceft ce cjue M. de Vo.'taire a fi forterne nt exprimé par ce beau vers dans la Tïagéd.e de Tancrede : L'injuilice a la fin produit rindépendance.  D E M A S S I L L O N. 33 S> tête pour les prote'ger &c pour les » défendre. Ce n'eft pas de ces Divii> nités inutiles qui ont des yeux &c » ne voyent point, une langue & ne » parient point , des mains & n'a» giffent point; ce font, comme dit » ï'Ecriture , de ces Dieux qui pre'» cedent les Peuples pour les con» duire. Ce font les Peuples qui , par » ordre de Dieu , les ont fait tout ce » qu'ils font; c'eft a eux a n'être ce » qu'ils font que pour les Peuples. » Oui, Sire , c'eft le choix de la Na» tion qui mit d'abord le fceptre entre » les mains de vos Ancêtres ; c'eft » elle qui les éleva fur le bouclier y> militaire , & les proclama Souverains. » Le Royaume devint enfuite 1'héri» tage de leurs fucceffeurs ; mais ils » le durent originairement au con» fentement libre de leurs fujets. Leur » naiiTance feule les mit enfuite en » poiTeffion du tröne ; mais ce furent » les fuffrages publics qui attacherent » d'abord ce droit ék cette pre'roga» tive a leur naifTance. En un mot, » comme la première fource de leur » autorité vient de nous, les Rois n'en » doiveat faire ufage que pour nous B v  34 Ë L O G E Voila ce que la raifon 8c la Religion difent aux Monarques. L'autorité rcya-. le, dit un Ecrivain moderne, vient de Dieu fans difficulté, puifque Saint Paul nous Vafjure ; mais c'efl le confentement des Peuples qui efl fur ce point le figne vifible de la volonté divine. NOTE V, relative aux pages 19 & 20, fur l'entrèe de MASSILLON a 1 Académie. M ASSILLON eut Ie même prédécefltur dans cette Compagnie 8c dans rEvêché de Clermont; c'étoit 1'Abbé de Louvois, Camille le Tellier, qui avoit encore avec lui d'autres rapports T ayant été privé comme lui, pendant la vie de Louis XIV, des honneurs de 1'épifcopat, non paree que ia calomnie attaquoit fes mceurs, comme celles de Maffillon , mais paree qu'il déplaifoit aux Jéfuites , étant neveu de 1'Archevêque de Reims le Tellier, qu'ils n'aimoient pas. Ils peignirent a Louis XIV 1'Abbé de Louvois comme Jjuifénifle ; 8c le Monarque , qui fai-  B E MASSILLON. ^ foit au Janfénifme 1'honneur de ]e haïr & de le perfécuter , refufa conftamment de faire Evêque celui que les Jéfuites accufoient. II ne put 1'être qua la mort du Roi : le Régent le nomina a 1'évêché de Clermont ; mais 1'Abbé de Louvois ne put jouir de cette grace, étant mort peu de temps après. Le Duc d'Orléans lui donna Maffillon pour fucceffeur , comme s'il eut voulu braver les préventions injuffes du feu Roi, en nommant Evêque a la fuite les uns des autres tous ceux que ce Prince avoit rejetés. Maffillon fut facré dans Ia chapelle des Tuiieries, en préfence du jeune Roi Louis XV, par le Cardinal de Fleury, alors Evêque de Fréjus, a qui pourtant il ne plaifoit ni comme Orateur diftingué , ni comme Oratorien ; mais 1'Evêque de Fréjus voulu't en cette occafion faire fa cour au Régent, & même au Roi fon Eleve; car ce jeune Prince avoit fort goüté le Petit- Carême , & il en parloit fouvent avtc plaifir a fon Précepteur, toujours peu empreffé d'applaudir aux éloges que Mamllon recevoit. Bvj  36 É L O G E Lorfque Maffillon , récemment Evêque , entra dans 1'Académie , 1'Abbé, Fkury, alors Direcleur, lui adrefTa, comme nous 1'avons dit, uneexhortation énergique fur la réfidence; & perfonne alors n'en fut offenfé. II fe paifa , il y a environ trente années, une fcene un peu différente a la réception de 1 Académicien qui fuccéda, en 1754, a l Evêque de Vence. Le Direéïeur ( M. GrefTet) , après avoir loué beaucoup 1 exactitude lévere du Prélat a réfider dans fon diocefe, crut pouvoir ajouter ces mots : » II » ne reflembla point a ces Pontifes » agréables 6k profanes , crayonnés » autrefois par Defpréaux, & qui re» gardant leur devoir comme un en» nui, 1'oifïveté comme un droit, leur » réfidence naturelle comme un exil, » venoient promener leur inutilité » parmi les écueils , le luxe & la » mollerTe de la Capitale , ou venoient » ramper a la Cour, & y tramer de » 1'ambition fans talens, de lintrigue » fans affaires, & de 1'importince lans )> crédit «.Les Prélats Académiciens, préfens a ce difcours, furent trés-  DE MASSILLON. fl éloignés de s'en plaindre j ils fentoieiM avec raifon que ce trait ne pouvoit| les regarder , & qu'ils ne devoient pas même en fuppofer 1 intention a leur Confrère, dont la piété, d'ail'eurs trèsconnue , fe fut reproché le plus le'ger manque de refpect pour les Chefs de 1'Eghfe ; mais quelques hommes pleins de zele , & fur-tout de bonne-foi , quife trouvoientdansl'Auditoire, jeterent les plus grands cris contre un homme qui avoit 1'audace de precher la réfidence aux Evêques ; ils firent fur-tout grand bruit a Verfail'es; & quand le pieux Directeur y alla préfenter fon Ouvrage , les hypocrites nombreux que ce féjour renferme, lui tournerent le dos, comme a un Ph'dojophe ennemi de 1'Eglife ck de fes Pafteurs.  é* l O g E Note VI, relative d la page 21 , fur les Conférences que massillon faifoit d fes Curés. XJne circonftance fïnguliere donna occafion a ces Conférences. Quoique Ie Roi Louis XV n'eüt que neuf a dix ans quand Ma/Iillon partit pour fon diocefe , le Cardinal Dubois, alors tout-puiifant , & qui n'avoit pas peu contribué a lui faire donner 1'évèché de Clermont, avoit fait efpérer a eet éloquent Prélat, qu'il feroit nomraé Précepteur du Dauphin , qui pourtant n'étoit pas encore né, ni pres de naitre. On n'auroir pu fans doute faire un meilleur choix, & qui eüt été plus approuvé par la voix publique. Maffiilon , pénétré des devoirs que devoit lui impofer ce refpeétable emploi, jaloux de les remplir & de répondre a 1'idée qu'on avoit de lui, tourna , dit-on , toutes fes études vers eet objet. 11 négligea les Sermons qu'il avoit prêchés avec tant de fuccès a Paris,  b E M A S 5 I L L Ö If. re monta plus en chaire, même dans fa Cathédrale , & fe contenta de faire au peuple de fon diocefe, prefque fans préparation, des exhortations familieres & finiples, qui n'e'toient que pour les pauvres, & que toute la ville néanmoins venoit entendre. Le Cardinal de Ia Rochefoucauld, fon Métropolitain , e'tant venu le vifiter a Clermont, lui marqua fa furprife de ce qu'il privoit fon troupeau de ces difcours éloquens qui lui avoient fait lant de re'putation. Maflïllon lui en avoua la caufe, fe confefTa , comme le Berger de la Fable , du peut gram d'ambition qu'il avoit eu , & que Ie motif d'un grand bien a faire lui paroifToit excufer ; il ajouta , que détrompé au bout de quelques anne'es de fes efpérances, il avoit voulu rentrer dans la carrière oratoire; mais qu'en perdant 1'habitude de prêcher, il avoit prefque entie'rement perdu la mémoire, & s'étoit mis hors d'état de rapprendre tant de Sermons qu'il avoit oubliés. Le Cardinal 1'exhorta a revoir du moins ces* Sermons, h les mett're en état de paroitre ou de fon vivant, ou après fa mort, 6c a  40 É L O G E compofer en même temps, pour I'inftruétion de fes Curés, de petits Difcours qui lui couteroient peu a faire & a retenir , ce qui ajauteroit a fa renommee fans fatiguer fa mémoire. Maflillon fuivit ce confeil : depuis cette epoque , il prêcha tous les ans a fes Synodes ces Conférences fi bien écrites & fï pleines de fentiment & d'onclion , qui fuffiroient pour 1'immortalifer. Autrefois, a dit un Auteur fatirique , il falloit être Evêque pour prêchcr ; depuis, & durant plufieurs fiedes, il a fallu prêcher pour devenir Evêque : aujourd'hui, il fuffit de ïêtre devenu, pour cejfer prefque abfolument de prêcher. L'exemple de Maffillon, de BofTuet, de Fléchier, & même de plufieurs Prélats de nos jours, prouve que cette Epigramme mérite au moins quelques reftriétions. II eft ordonné , dit-on , dans les Statuts de 1'Eglife de Rouen , que lEvêque prêchera certains jours de l'année , par exemple , le premier Dijnanche de Garême. Un Archevêque de cette ville voulut, dans lè dernier fiecle, obliger fon Cbapitre a biffer  deMassillon. 41 ce Statut , comme étant déja aboli par 1'ufage. Le Chapitre le refufa, voulant du moins, difoit-il, conferver aux Prélats le charitable avis de re inpik le devoir dont ils fe difpenfoient. Un ancien Statut de 1'Ordre de Gteaux ordonnoit aux Abbés de prêclier tous les Dimanches, excepté celui de la Trinité , attendu , dit prudemment le Statut , la dïfflcuhé de la mattere : Propter maieriae dijjl-cidtatem. Si on avoit égard a cette raifon, il y auroit pour nos Prédicateurs une pareille difpenfe dans la plupart de nos Fêtes fo'ennelles. On vient de voir tout ce que Ie Cardinal Dubois avoit faic pour Maffïllon , & tout ce 'qu'il avoit voulu faire. Les ennemis de Mafïïlion lui ont reproché les complaifances qu'il eut pour ce Miniftre, en confentant a ëtre un des Evêques afTiflans de fon facre , & en fignant l atteftation de vie & de mceurs dont il eut befoin pour être promu au cardinalat. La reconnoiffance lui fit faire cette faute. II devoit fa fortune a Dubois , qui avoit du moins eu le mérite de récompenfer fes rares talens , négligés  4* É L O G È par Louis XiV. La bonté naturelle de Maffillon dégénéroit quelquefois en une foibleffe qu'il fe reprochoit luimême , &. a laquelle il cédoit malgré lui. 11 faut pardonner a fa foibleffe ert faveur de fes motifs, & fe fouvenif que le Pape Saint Grégoire , Pere de 1'Eglife , & qu'on a nommé le Grand, eut aufïï le malheur de flatter la Reine Brunehault & leTyran Phocas, meur-> trier de 1'Empereur Maurice. NoTB VII, reht'ive d la page 22 , Jur lts Jéfuites & les Oratoriens de Clermont. J-/ES Jéfuites de Clermont dénortcerent a Maffillon , peut-être pour épier fes feminiens & pour lui tendre un piége , un Oratorien qu'ils accufoient de prêcher le Janfénifme. Le Prélat voulut donner a ces délateurs fl zélés & 11 clairvoyans, une preuve de fon orthodoxie; il fit venir le Prédicateur, & lui dit . en préfence de deux Jéfuites ; Mon Pere, on maffure que  BE MaSSILL@N. 4? Vous prêche\ une Doctrine Qui , Monfeigneur, lui dit rOratorien fans lui donner le temps d'achever yje préche des vérhés qui vous ont fait Evêque. Maffillon fe tut, renvoya 1'Oratorien prêcher, & les Jéfuites chercher d'autres viétimes. NoTE VIII, relative a la tneme page 22 , fur ïefprit conciliateur de MASSILLON dans Vaff'aire du Janfénifne. I^E Cardinal de Fleury pria Maffillon de travaillera la converfïon de 1'Evêque de Senez Soanen , qui, pour fon appel de la Bulle Unigenitus , avoit été dépofé par une afTemblée de dix a douze Evêques , qu'on a appelee le Concile d'Embrun, & exilé enfuite a la Chaife-Dieu en Auvergne. Maffillon écrivit a ce Prélat, & en recut une réponfe fï décidée , fi ferme, fl repouffante , qu'il n'ofa pourfuivre fa riégociation. Cette réponfe eft imprimee dans la Vie que les Janféniftes  44 E L O G E ont écrite de 1'Evêque de Senez. Le Prélat s'y plaint avec amertume de fes ancirns Confrères de 1'Oratoire^qui étoientdevenus hvêques, ckquil'avoient abandonné. Mais Mamllon n'attachoit pas la même imporrance que lui aux opinions qui avoiënt caufé les malheurs de ce refpeótable vieillard. II croyoit qu'on pouvoitêtre bon Chrétien & bon Evêque fans déclamer contre la Bulle; que c étoit peut- être faire trop d'honneur a cette produótion, moins Pontificale , difoit-il , que Jejuitique, de s'en occuper férieufement, & que le moyen le plus fur de la faire tomber dans 1'oubii , étoit de garder a fon égard un filence profond, refpedueu* en apparence, & dédaigneux en effet. II le difoit quelquefois, mais fans éclat & fans bruit, a ceux de fes Confrères qu'il voyou les plus zélés pour cette Bulle, mais qui ne 1'écoutoient guere , qui 1'imitoient encore moins, & qui n'en étoient pas plus fages. . Maffillon, dans Ja lettre qu'il écrivit a 1'Eêque de Senez, parle, il eft vrai , avec aifez de ménagement de Ia Bulle Unigehitus , dont on le  de Massillon. 45 prioit d'être le Défenfeur. Mais il croyoit en ce moment devoir tenir un autre langage plus conforme a celui des Evêques foumis a cette Bulle. » Dépouillons-nous , lui dit-il, de » toutes les complaifances inféparables » de la fingularité; regardons comme » des piéges que nous tend 1'orgueil, » le défir, caché fouvent a nous-mê»mes, de nous donner en fpeclacle. » II eft terrible d'être feul de fon » cöté, & d'avoir contre foi tout ce » qui porte un nom d'autorité dans » 1'Eglife. II faut, pour être tranquille » dans eet e'tat, penfer, comme le » Pharifien, qu'on n'eft pas fait comme » le refte des hommes «. Et dans une autre lettre au même Prélat: » Je crains, Monfeigneur, qu'il » ne me foit échappé quelque terme » dans ma derniere lettre, qui ait pu » vous déplaire. Dieu m'eft témoin » que loin d'ajouter une nouvelle dou» leur a vos chaines, je fouhaiterois » pouvoir les partager avec vous pour >> vous en foulager , fans partager néan>> moins le motif qui vous les fait fouf- frir,,.,., Je ne youdrojs, pour me  4$' É L O G E » défier de la bonté de votre caufe s> que les écrits odieux que vos Apo» logiflesrépandent tousles jours dans » le Public. Je vienS de lire un Livre » intitulé , Jéfus-Chrijl fous Vanathé» me ; 1'Auteur y 'décide nettement , » que , comme la Synagogue prévale riqua en condamnant Jéfus-Chrift, » 1'Eglife a prévariqué en condamnant » le Pere Quefnel; que les Pharifïens » Sc les Saducéens font encore parmi » nous les maitres de la Doélrine; » c'eft-a-dire , les Jéfuites déflgnés V par les premiers, qui n'ont qu'une » écorce de religion , & les Evêques » marqués par les Saducéens, qui n'en » ont point du tout. Une bonne caufe » feroit elle défendue par de tels ex» ces ? Ne laiffez pas féduire , mon » très-refpeclable Seigneur , votre zele » Sc votre bonne-foi par les louanges » de ceux qui vous applaudiffent. S'ils » vouloieat s'en tenir précifément au » dogme , nous ferions bientöt d'ac» cord ; mais ils outrent tout, & c'efl » ce que la fageffe de 1'Eglife ne » fouffiïra jamais. Les Jéfuites ont leurs y opinions que 1'Eglife tolere ; mais  DE IvIASSILLON. 47 » croyez-vous que la plupart des Evê» ques penlent & enfeignent comme » eux ? Au lieu de vous unir a nous, $ pour nous aider a foutenir 1'ancienne ï> Doflrine & la faine Morale, vous j> nous affoibliffez en vous féparant » de nous; vous donnez de nouvelles » armes au Molinilme ; vous ajdez fes » Seérateurs a perfuader au monde » qu'on ne peut combattre leur Doc» trine fans tomber dans des excès y oppofés «. Voici ce que Maffillon e'crivoit en-» core a 1'Evêque de Rhodez (Tourou-. vre ) , qui, dans une lettre écrite au Roi, & fignée par quelques Evêques, avoit pris la défenfe de celui de Se* nez » Les remedes qui aigriffent » le mal, font de nouvelles plaies qu'on » fait a 1'Eglife. Ceux qui font a la » tête du Janfénifme , & qui écrivent » pour fa défenfe, font des efprits ou» trés, qui paffent le but fur toutes » les matieres qu'ils. traitent. II eft ?>.vrai que de 1'autre cóté on ne s'erj » eft pas toujours tenu aux juftes bor» nes , & qu'on a défendu 1'Eglife >_avec des armes qui afroibljffoient fa  4? E L O G E » caufe. Quel parti donc refie-t-il a » prendre pour des Evêques qui ai» ment la paix & la vérité ? il faut » prendre le parti qui n'eft point parti, » c'eft- a-dire , précife'ment celui de » 1'Eglife , qui défavoue 6c ceux qui » la défendent mal , 8c ceux qui 1'at» taquent. Je connois , comme vous » favez , le caraclere des Appelans , » 8c c'eft paree que je les connois, » que dans aucun temps il ne m a » été pomble de les goüter; orgueil, » amour de la ftngularité, mépris pour » tout ce qui ne penfe pas comme » eux, quelque rang qu'on puiffe tenir » dans 1'Eglife, partis extrêmes, har» dieffe a décider fur tout ce qu'il y » a de mieux établi; nulle regie, nul » amour de la paix , une intrigue 8c » une cabale éternelle 8c puérile , les » ignorans , les femmes , les dévotes, »les mondains, tout leur eft bon ; » pour peu qu'on paroiflè les favorifer, » ils vous affocient a eux , ils groffiffent » leur lifte de votre nom, 8c prennent » une condefcendance charitable pour » une adhéfion totale a leur entète>> tement Et  te E M A 5 S I L L O N. 4.91 Et plus bas.... » Je plaignois, comme vous, M. » 1'Evèque de Senez; je refpeéïois fon » age, fon caraéfere, fes mceurs épif» copalesj mais je voyoisavec douleur » qu'il nous avoit öté lui-même tous » les moyens de le défendre. Je re» cois quelquefois de fes nouveiles; » il ne ceiï'e de me dire qu'il ne fourfre v> que pour défendre Ia grace efiïcace » & la liberté de FEglife de France. » J'ai beau lui répondre que fur ce pied* » h , de cent vingt Evêques que nou* » fommes, il y en auroit 'au moins (1) » cent d'exilés : Ie bon vieillard n'en» tend rien ; il ne perd pas de vue » fon fantöme ; fes Correfpondans » abufent de fa fimplicité, & Ie lui » groffiflènt fans celfe avec des élöges » fi pompeux fur fa fermeté , qu'il » eft furpris que nous ne donnions » pas tous dans un piége aufli ufé; 2„au molns eft rcmarquable. Eft-ce que Maffillon connoifïbit alors quelques Evêques ennenns de nos libertés ; Soyons dii moms perfuadés que de nos jours il n'en eft aucun. ' Tome Jrt f  ^ E L O G E »il efpere que Dieu aura égard a fe3 » bonnes intentio.ns ; mais je crains ^> fort qu'il n'entre dans fa conduite » un peu de complaifance fur les ap* i> plaudiffemens du parti , & fur le i> trifte fpetfacle qu'il donne a ÏE-> » glife «.' Maffillon s'exprime avec la même fincérité dans une autre lettre adreffée au Pere Mercier , Cordelier. de Reims, » .....Une des plus grandes plaies que 5> le Janfénifme ait faites au Chriftia» nifme, c'eft d'avoir mis dans la, » bouche des femmes & des fimples » laïcs, les points les plus relevés & »les plus incompréhenfibles de nos » Myfteres, &. d'en avoir fait un fujet 9 de conteftation & de difpute. C'eft }> ce qui a répandu 1'irréiigion; & il i> n'y a pas loin pour les laïcs de la, » difpute au doute , & du doute ft S 1'incrédulité <<....,  be Mas ü r @t o jt. 5* NoTE IX^relative a la page 25 ,y«/" • les charïtés que Massu.LON ob- teno'u de la Cour pour les pauvres de fon Diocefe. Ce netoit pas feulement a leloquence de Maffillon, & a la confide'ration qu'il setoit attirée par fa vertu, que le Gouvernement accor-. doit les fecours réclamés par ce Prélat en faveur des malheureux ; c'étoit auffi par le 'défir de le ménager, & par la crainte , affiurément bien mal foridée, de lui donner des mécontentemens qui Ie déterminaflènt a fe faire Janfénifre. On ne vouioit pas que. ce parti pilt fe glorifier d'un fi iliuflre Défenfeur, & on appréhendoit que le refpeét de la plupart des Evèques pour ce digne Confrère, n'en entrainjit plufieurs a fuivre fon exemple. Le Cardinal de Fieury, par ce motif, ménageoit beaucoup Maffillon , que cependant il n'aimoit pas. Maffillon, de fon cóté, ménageoit auffi le Miniftre, mais. par un motif plus noCij  5* É L Ö G £ ble, & pour en obtenir les fecour* qu'il demandoit en faveur des pauvres. II difoit quelquefois, en plaifastant fur cette politique timide & réciproque du Cardinal & de lui : Nous nous craignons mutuellcment) & nous Jommes ravis tous deux d'avoir rencontré un poltron. II pouffa cette poltronnerie , dont il convenoit fi naï» vement , jufqu'a n'ofer confier fon Sérninaire aux Oratoriens , fes anciens Confrères, paree que le Cardinal demanda la préférence pour d'autres. Maffillon crut avoir a fe repentir de cette foibleffe : J'ai, difoit-il, ouvert la porte d ïignorance, pour avoir la paix laurois dü penfer que dans les Prêtres comme dans les Peuples, fignorance c(l bien plus a craindri que les lumieres. Ce même Cardinal de Fieury, peil empreffé de faire valoir Ie mérite , craignoit 1'éclat que Maffillon auroit eu a Paris, s'il s'y étoit montré. Le MrrttffVe éloignoit avec foin toutes les eccafions qui auroient pu amener dans cette ville 1'Evêque de Clermont, & cette nouvelle raifon ne contribuoit pas peu a faire obtenir a Maffillon  dèMassillon. 53 routes les graces qu'il demandoit par fes lettres. On doit regretrer beaucoup que les Editeurs de fes (Euvres n'ayent pas publié des lettres ü intéreffantes , qui formeroient, dit-on , un volume confidérable , 6c qui , jufqu'a préfent, font refte'es manufcrites. Ceux entre les mains de qui elles font tombées, ne devroient pas priver le Public , 1'Etat 6c 1'Eglife , de ce monument précieux déloquence 6c de cbarite'. Un Prélat très-refpeéfable , qui vit encore au moment oü nous écrivons cette Note, 6c que fon mérite feul a fait Evêque , ainfï que Maffillon , affiure que 1'Evêque de Clermont ne fe contentoit pas, dans fes lettres au Cardinal, de folliciter des fecours pour les pauvres de fon Diocefe , mais qu'il ofoit même lui faire quelquefois des reprocbes. Ce Prélat dit avoir lu une lettre très-éioquente 6c trés forte , que 1'Evêque écrivoit au Miniffre fur 1'injufiice de la guerre de 1741, ék même un Mandement qu'il avoit préparé en conféquence , Sc envoyé au Cardinal. Ce Mandement n a point été imprimé &Uis le Recueil des (Euvres de MafC iij  54 É L O G E fillon. II y a apparence que Ie Miniftre engagea 1'Evêque a le fupprimer : c'eft grand dommage. II eut êté curieux de voir de quelle maniere le fage Maffillon auroit concilie' , dans eet écrit paftoral , fon refpect pour 1'autorité Monarcfiique , avec les feminiens que lui infpiroit en 'ce moment 1'Adminiftration , & fon amour pour fon Roi , avec fon amour plus grand encore pour 1'humanité & la juftice , qui lui paroiffioient, difoit-il, également outragés dans cette guerre. C'eft aux Politiques vertueux Sc Philofophes a décider s'il avoit raifon. Nous" ïie fommès ici qu'Kiftoriens, Sc nous ne prenons pas Ia liberté de juger les Maitres du Monde fur leurs querelles & fur leurs Traités. Au défaut de ce précieux Mandement , nous inférerons ici une lettre touchante de 1'Evêque 'de Clermont au Cardinal de Fieury, pour obtenir la diminution des impöts fur la Province d'Auvergne. s> Monfeigneur, je fupplie très-fuim» blement Votre Éminence de ne pas .» trouver mauvais que je follicite une » fois fon cceur paternel pour les pau-  DÉ MASSILLOK. $f 5» vres Peuples de cette Province : je >> fens tbute 1'importunité de pareilles » remohtrancés; mais, Monfeigneur, » files miferes du troupeau ne viennent » pas jufqu'a vous par la voix du Paf» teur, par ou pourroient-elles jamais » y arriver ? II y a long temps que tous >-> les Etats & toutes les Compagnies j> de cette Province me follicitent » de repréfenter a Vofre Éminence » leur trifte fituatiort. Ce ne font point » des plaintes & des murmüres de » leur part , vous me'ritez trop de » régner fur tous les cceurs; c'eft uni» quement leur confiance en votre J> amour pour les Peuples, qui em» prunté ma voix. Ils vous regardent » tous comme leur pere & 1'Ange » tutélaire de 1'Etat , & font trop^ » perfuadés que fi , après avoir été » informé de leurs befoins, vous ne » les foulagez pas , c'eft que le fecours » auroit peut-être des inconvéniens » plus dartgereux que le befoin mê5> me , & que le bien public, qui eft » le grand objet du Génie fage & » univerfel qui nous gouverne, rend » certains maux particuliers inévita>> bles. C iv  5^ É l O G E » II eft d'abord de notonére' pu» bligue , Monfeigneur , que 1'Auver» gnè , Province fans commerce & » prefque fans dcbouché , eft pourtant, » de touces les Provinces du Royau» me , la plus chargée, a proportion, » de fubfides. Le Confeil ne' 1'ignore » pas; ils font pouiles a plus de fix » mi lions , que le Roi ne retireroit » pas de toutes les terres d'Auvergne » s'il en étoit 1'unique poffeffeur ; » auffi , Monfeigneur , les Peuples de' » nos campagnes vivent dans une mi» fere affreufe , fans lit, fans meubles; » Ia plupart même , la moitié de 1'an» nee, manquent de pain d'orge ou » d'avoine , qui fait leur unique nour» i-iture , & qu'ils font obligés de s'ar» racber de la boucbe & de celle de » leurs enfans pour payer leurs im» pofltions. » J'ai la douleur d'avoir, cbaque 3> année , Monfeigneur , ce trifte fpec» tacle devant les yeux dans mes vt» fites. Non , Monfeigneur, c'eft un » fait certain, que dans tout le refte » de la France, il n'y a pas de Peuple > plus pauvre & plus miférable que » celui:Ci; il 1'efi au point, que les Ne*  de Massillon. 57* 9 gres de nos ifles font infiniment plus heureux ; car en travaillant, ils » font nourris & habillés , eux, leurs }> femmes & leurs enfans ; au lieu » que nos Payfans, les plus laborieux y> du Royaume, ne peuvent , avec » le travail le plus opiniatre , avoir 5> du pain pour eux & pour leur fa» mille , &. payer leurs fubfides; s'it » s'eft trouvé , dans cette Province , _» des Intendans qui ayent pu parler 5> un autre langage , ils ont facririé » la vérité & leur confeience a une » miférable fortune. » Mais, Monfeigneur, a cette in» digence générale & ordinaire de » cette Province , fe font jointes, ces » trois dernieres années , des grêles » Sc des ftériJités qui ont achevé d'ac» cabler les pauvres Peuples. L'fiiver' i> dernier fur-tout a été ü affreux, » que fi nous avons é.happé a la fa» mine, Sc a une mortalité générale, » qui paroidoit inévitable , nous n'ers » avons été redevables qu'k un exces » & a un empreifement de charité , » que des perfonnes de tous les états » ont fait paroïtre pour prévenir tous ï> les malheurs. Tautes les campagnes C v  58 É L O G E » étoient 'défertes, & nos villes pou» voient a peine fuffire a contenir la » multitude innombrable de ces in» fortunés qui y venoient chercher » du pain; la Bourgeoifie , la Robe » 6c le Clergé, tout eft venu a notre » fecours; vous-même, Monfeigneur, » avez déterminé la bonté du Roi a » nous avancer foixante mille livres. » C'eft uniquement a la faveur de ce » fecours, que la moitié de nos terres, a> qui alloient toutes refter en friche » par la rareté 6c la cherté exceffive » des grains, ont été enfemencées : » le prix des grains a diminué de » plus de moitié ; mais le pauvre Peiï» ple, qui, pour enfemencer fes terres, » a été obligé d'emprunter du Roi » 6c des particuliers, 6c d'acheter des » grains d'un prix alors exorbitant, » va être obligé , par la vileté du prix » ou ils font maintenant, d'en vendre >) trois fois autant qu'il en a recu pour V rembourfer les'avances qu'on lui a j> faites; de forte qu'il va retomber » dans le même gouffre de mifere, ü » Votre Éminence n'a pas la charité » de faire accorder cette année quels> que remife confidérable fur les im>  deMassillon. 59 » pofitions que le Confeil va re'gler » inceffamment. Au refte, Monfei» gneur , je fupplie inftamment Votre » Éminence de ne pas regarder ce que » je prends la liberté de lui écrire , v comme un exces de zele épifcopal. » Outre tout ce que je vous dois déja, » je vous dois encore plus la vérité; » ainfi,'loin d'exagérer, je vous pro» tefte , Monfeigneur , que j'ai mé» nagé les expreffions, afin de ne pas » affliger votre cceur. Je ne doute pas » que notre Intendant, quoiqu'il craigne » beaucoup de déplaire, n'en dife en» core plus que moi; que Votre Emi» nence ait la bonté de s'en faire rendre » compte : je fens bien que dans une » première place on ne peut' ni tout » écouter , ni remédier a tout; cette » maxime pouvoit être admife fous les » Minifteres précédens; mais fous Ie » votre , tout eff écouté; les grandes » affaires qui décident du fort de FEu» rope, ne vous font pas perdre de vue » les plus petits détails. Kien ne vous » échappe de cette immenfité de foins, » & rien prefque ne paroit non feu» lement vous accabler, mais même » vous occuper. C'eft dans cette conCvj  6o É L O G E » fïance que j'ai hafardé cetre lettrej » avec un vrai pere , on ofe tout, & » quand on lui parle pour fes enfans, » on peut bien 1'importuner , mais ort s> elf bien fur qu'on n'a pas le raai* » heur de lui déplaire «. NoTE X, relative a la page 30, fur le mélange du genre de Massillop* & de celui de Bourdaloue dans uit mc'me Sermon, C'ÉTOIT I'ingénieux ïa Motte qui difoit ce que nous avons rapporté,-. qiw//z Sermon excellent d tous égardsferoit celui dont le raijcnneur Bourdaloue auroit fait le premier Point r & le touchant Maffillon le fecond. Urï Critique plein de gout, & qui mérite qu'on lui réponde (tant d'autres ne méritent pas même qu'on les life ) , M. de la Harpe ne penfe pas comme la Motte , ék. croit qu'un Sermons de ce genre ferozi une étrange b'igarrure. Üui, fans doute, fi dans Ie prejaier Point licurdaioue étoit raifonjieur  ÜEMASSlLLOïSr. fjf fvec froideur 8c féchereffe, comme il ne 1'eft que trop fouvent dans fes Sermons; mais non, pas s-'it e'toit raifonneur avec éloquence , comme il lui arrivé auffi quelquefois de 1'être. Alors les deux genres pourroient s'allier enfemble, comme a fait Cicéron dans fes belles Harangues , ou il eft doux 8c infinuant dans fon exorde vif & prelfant dans fes moyens, touehant 6c pafhétique dans la péroraifon. C'eft ainfi, 6c a cette feule condition , que Bourdaloue & Maffillon pourroient paroitre 1'un après 1'autre dans le même difcours. Mak fans' doute, un difcours plus parfait encore,, comme nous 1'avons dit, feroit celui 011 les talens des deux Orateurs feroient fondus enfemble , 8c ou le Pré^dicateur fauroit joindre la raifon a Is fenfibilité ; car, quoi qu'en difent le* ames froides, il ne faut pas faire a \& raifon 6c a la fenfibilité 1'injure de croire qu'elfes ne puiffent être réunies 1'une avec 1'autre. 11 faut co-nvenir que ce genre de difcours, tuk Ken- trouveroit a la fois Bourdaloue &c Maffillon , ne feroitpas fait pour toutes les efpeces d'au-  'êi é l o g e ditoires, 6c qu'au contraire un Sermon oü 1'on ne verroit que Maffillon tout feul , feroit également gouté a la Cour 6c dans les villages. Un Curé de campagne difoit de fes Paroiffiens: Ils m'écoutent toujours avec plaifir quand je leur prêche Maffillon. On peut obferver a cette occafion, que dans tous les genres d'écrire, les Ecrivains qui vont au cceur, font venus après ceux dont la force fait le caraéfere ; Racine après Corneille, Maffillon après Bourdaloue, Euripide après Sophocle, Cicéron après Démofthene. Seroit-il donc plus aifé d'être énergique, que d'être fenfible, & d'exagérer la Nature, que de s'y abandonner ? Nous oferions peut- être dire qu'il eft plus difficiïe a un Ecrivain d'être fimple, que d'être grand , fi 1'on pouvoit être grand fans être fimple. note XI, fur le teflament de massillon. Dans 1'Eloge de ce refperjfable Prélat , nous avons parlé de ce teflament, & du legs qu'il fait aux pauvres. En  deMassillon. ? qui agitent 1'Eglife de France , & » qu'il diigne y rétablir la paix que » nous avons taché de conferver dans » ce grand Diocefe «.... Er plus bas » Je déclare que je n'ai jamais rien » retiré des biens de ma familie de» puis la mort de mon pere; mais fi »j'ai confervé quelque droit dans » ces biens , foit pour ma légitime, » foit pour mon titre facerdotal, je » veux que le tout foit délaiffé a ceux » de mes parens qui devroient de droit » y fuccéder (1) «. (1) Charlemagne , apprenant ia mort d'un Evêque, demanda combien il avoit légué aus pauvres en mourant : 011 répondit, deux livres d'argent. Un jeune Clerc s'écria : C'efl un bien petitviatique pour un fi longvoyage. Le Prince , très-conrent de cette réflexion , dit au Clerc ; Soye^fon fuccejfeur ■ mais n oublie^ jamais ce mot. (Hifi. de Charlemagne, Tome III. )   tT? v ± (o tt? £, L li u L D E CLAUDE - FRANCOIS HOUTTEVILLE, ABBÉ DE SAINT-VINCENT DU BOURG ; JtVe a Pa/ir e/z 1688 ; refw le 25 Février 1723 , « GuiLlaume massieu ; élu Secrétaire perpétuel le 5 Avril 1742,  de Houtteville. 75 plus fréquente, les Charlatans qui ont voulu la guérir au préjudice des vrais Médecins , fe font étrangement multipliés; on a appliqué de faux remedes, on a voulu mème faire regarder comrne peftiférés des hommes qui n'étoient point malades ; on a appelé ennemis de la Religion plufmirs Ecrivains illuflres qui ne 1'attaqi oient pas, qui mème ne penfoient point a. la -combattre, & qui regardoient le filence fur eet objet refpeélable, non feulement comme le plus petit facrifice qu'ils puffent faire fa la raifon ck aux Loix, mais comme un devoir de bienféance qu'ils aimoient a remplir. II faut avouer,' dit très-fenfément un Auteur célebre , qu'on a rendu un fervice bien important 8c bien adroit au Chriffianilme, en imprimant i'ufqu'a l'indécence , 8c en répétant jufqu'au dégoüt, qu'Ü eft outragé d'un bout de 1'Europe a 1'autre par tous les hommes qui paffent pour éclairés. M. 1'Abbé Houtteville n'a eu garde de tomber dans ces écarts; il n'a combattu que les véritables Adverfaires de la Religion, fans lui en chercher d'imaginaires, dont le nom feul eut été une objeftion impofante Dij  'yd • Éloge pour cette multitude, qui ne fe rend qu'aux' autorités, & qui ne met pas plus de logique dans fon impiété que dans fa croyance. 11 penfoit qu'au lieu de fe déchainer avec tant de fureur contre des Philofophes paifibles, Sc de frapper a tort Sc a travers dans les ténebres , il faudroit que les vrais Chrétiens fuffent bien convaincus , d'après la parole de Dieu même, que les portes de 1'Enfer ne fcauroient prévaloir contre 1'Eglife ; ajoutons que peut-être au lieu d'écrire tant d'injures en pure perte, ils feroient bien de montrer une confiance plus froide dans •la bonté de leur caufe, Sc d'appliquer aux vains efforts de 1'Incrédulité ce$ dgux vers fi connus ; fout dctruire tous ces gens-la , Nous n 'avons qu'a les laiirer faire, » En efFet , difoit avec beaucoup » de fens M. 1'Abbé Houtteville , qu'a» t-on a craindre des abfurdités oü la » fougue de firréligion peut emporter » quelques Ecrivains ? Ceux qui ont S» étudié le Chriftianifme , & qui font j» décidés fur la vérité de fes dogmé^  DEHÖUTTÈVïLLÊ. 77" » avec ttiüté la fermeté qu'elle infpire, » ne font-ils pas bien allures que ces >> dogmes font auffi démontrés que la » Geometrie ? Pourquoi donc nepaS » leur faire le même horineür qu'autf i> vérités «géométriques ? Pourquoi pa-1 >> roitre dóuter d'une Religion démon» trée, en paroiffant redouter 1'effet » des coups perdüs que lui portent » quelques mains téméraires ? Prend% on la peine de s'irriter contre les Quddrdteurs du cercle, les Trifec* *> teurs de 1'angle , les Chercheurs du » mouvement perpétuel, lorfquils dé» bitent leurs inêpties; & ces inepties j> ont-elles jamais retardé d'un mo» ment les progrès des Sciences Ma» thématiques 1 Pourquoi donc, fous » prétexte de mettre a couvert une » Relieion qui eft fi bien en füreté „ » fe récrier avec tant de violence fur » 1'audace de quelques étourdis, qui » ofent jeter contre cette tour une » poignée de fable « ? Ainfi penfoit notre fa.ee Académicien , comme hous 1'avoiis fu d'un ami a qui il s'ouvroit en pleine liberté fur ces matieres délicates ; ainfi penferoienï d üj  7S É L O G E les Apologiftes modernes du Chriftianifme , fi , a 1'exemple de M. 1'Abbé Houtteville, ils e'toient, comme ils le doivent, bien perfuadés des vérités qu'ils défendent, & fi 1'ambition , la vanité , 1'hypocrifie, , ne leur mettoient fouvent a la main les armes facre'es, dont ils font pour 1'ordinaire un fi foible & fi trifte ufage. Voué a la défenfe de la Religion, notre Académicien fe diflingua encore dans cette refpectable lice, par un Effai fur la Providence, qui parut quelques années après fon grand Ouvrage. Cette nouvelle production effuya encore des critiques; la caufe de la i'oi étoit malheureufe entre les mains de M. 1'Abbé Houtteville. II eft vrai que la matiere qu'il traitoit dans ce Livre , envifagée du cóté purement pbilofopbjque, offre des difficultés inlurmontables fans les lumieres de la révélation; il paroit impoilible , quand on eft privé de ces lumieres, de juftifier les voies de la Providence par rapport h 1'homme ; & , comme 1'a très-bien dit Pafcal, Dieu refte une énigme pour qui n'eft pas éclairé par  de Houtteville, 79 <\e flambeau du Chriftianifme (1). Cellui que ce flambeau indifpenfable ne j conduit pas, fe voit, dans cette mal| lieureufe privation , tiré avec violence 1 en fens contraires, d'un cóté , par les I Antagoniftes, de 1'autre , par les Déj fenfeurs purement Philofophes de la 1 Providence 3 il reffemble a un malheu| reux qui, privé du jour dans un caI: chot impénétrable aux rayons du fo| kil , ou n'y recevant de lumiere , i fuivant 1'expreffion d'un grand Poëte , I que ce qu'il en faut pour voir 1'obf- eurité , feroit affailli par deux autres : prifonniers , fes compagnons d'infor- tune, dont 1'un lui crieroit : Avoue-^ 1 que vous jouiffe^ d'une lumiere pari faite ; & 1'autre , je vous avertis que i le cachot que vous habite^ efl vide, ! & que fans craïndre de vous heurter \ & de vous blejfer , vous poupe^ har\ diment & librement faire ufage de vos I membres Mes amis, leur diroit le 1 prifonnier, je ne vois goutte ni vous i non plus ; ily a feulement cette dif\ férence entre nous, que j'appelle la on ne  88 höGE Volt pas comment la Religion fe coflfervera mieux chez un Peuple qui pariera de Dieu a tort & a travers, que chez un Peuple qui n'en pariera pas. Bien loin que le filence fur la Religion foit un moyen de la détruire, c'eft peut-être un des moyens les plus fürs de la conferver.-- Si peu de perfonnes favent en parler dignement, qu'il vaut mieux laiffer ce foin a ceux qui, par e'tat & par devoir , font obligés de s'en charger. Le droit qu'ont ceux-ci d'enfeigner, ne peut leur être ni enlevé, hj contefté. Tout ce qu'on a dit plus haut, ne concerne que les gens fans miffion & lans caraclere , & ne s'applique qu'aux converfations le'geres de la Sociéte' ; on peut dire que fi Dieu a lïvré le Monde d leurs d'ifputes , il n'y a pas livré de même la 'Religion & fes chofes faintes. Cependant 1'opinion du Pere Malebranche peut me'riter confide'ration; on parle volontiers de ce qu'on aime , & le filence peut en effet ou annoncer l'indifférence, ou la produire. (e) Un Philofophe célebre, qui avoit  de Houtteville. 89 : le malheur d'être Incrédule , a pluij fieurs fois raconté que le Pere Tour1 nemine, Jéfuite , grand convertiffeur, avoit fouvent fait des efforts pour le" i ramener dans la bonne voie. TJn peü I fatigué de fes remontrances, le Phi| lofophe lui dit un jour avec une naïJ vete apparente : Tout ce que vous me \ dites ine parott mériter de férieufes \ réf.exions : je connois un Pere de '■ POratoire fort habile, avec qui jeveux > en confére'r Vous ire^voir un Pere \ de VOratoire , répondit le Jéfuite j '< pour le coup je defefpere de votre con' verjion ; vous fere^ mieux de refter • comme vous ctes. Cette anecdote aifez connue, a peut-être occafionné la réJ flexion d'un Auteur moderne , fur I 1'embarras ou fe trouveroient un JanI fénifle & un Molinifte , chargés de I convertir un Incrédule a frais comI muns. » Je fuppofe , dit eet Auteur, qu'un 1 » de ces hommes qui, de nos jours , '( » ont eu le malheur d'attaquer la Rei » ligion dans leurs écrits , & contre J » lefquels les Jéfuites Sc leurs Adver1 » faires fe font également élevés, s'a1 » dreffe en même temps aux deux plus  §•5 Élog k »intrépides Théologiens de chaqué' » parti , & leur tienne ce difcours : » Vous ave$ raifon , Mejfieurs , de » ener au jcandale contre moi , & » mpn intention eft de le réparet. Dic» te^-moi donc de concert une pro»fiffion de fi propre d eet objet, » & qui me réconcilie d'abord avec » Dieu , enfuite avec chacun de vous » Des le premier article du Symbole, » Je crois en Dieu, le Pere Tout» t uijjant, il mettroit infailliblement » aux pnfes fes deux Catécbiftes, en » leur demandant fi Dieu eft égale* » ment tout-puifTant fur les cceurs & » fur les corps 1 Sons doute , affure» roit le Janfenifle : Non , pas tout» d fait, dïroit le Jéfuite entre fes » dents. Vous êtes un blafphémateur, » secneroit le prémier; & vous, ré» phqueroit le fecond , un deflruc» teur de la liberté & du mérite des » bonnes ceuvfes. S'adrerTant enfuite » 1 un & 1'autre a leur profélyte : Ah 1 }> Monfieur , lui diroient-ils , Vlncré» dulité vaut encore mieux que Vabo» minable théologie de mon Adver»faire ; garde^-vous de confier votre » ame d de fi mauvaifes mains. Si  de Houtteville. 9* | un aveugle, dit 1'Evangile , en cort» duit un autre , ils tomberont tous » deux dans la foffe. 11 faut convenir » que 1'aveugle incrédule doit fe trou>> ver un peu embarraffé entre deux I hommes qui s'ofTrent chacun de lui » fervir de guide , & qui s'accufent » réciproqueraent d'être plus aveugles » que lui. Mefjieurs , leur dfröit-il fans » doute , je vous remercie Vun & » Vautre de vos ojfres charitables; | Dien ma don né i pour me ^conduire » dans les ténebres, un baton, qui $ eft la raifon, & qui doit , dites» vous, me rnener d la foï; hé bien , »je ferai ufage de ce baton Jalu» taire , 'firai droit oü il me conduira, » & j'efpere en tmr Plus d'utiltté que » de vous deux «. En effet, la raifon ne tarderoit pas a remphr une de fes plus nobies fondions, celle d'appercevoir elle mème fes bornes , & d'avouer le befoin qu'elle a fouvent du fecours de 1'autorité; elle admettroit nos myfteres les plus fublimes", non comme des objets dont elle étoit 1'arbitre > mais comme des objets de foi décidés par une autorité divine. Quant a ces hommes , tout a la fois fi zélés  §2 E L O G Ê Contre 1'impiété, mais bien plus achar->' nés encore les Uns contre les autres, on pourroitleur appliquer Ce que S. Jéröme difoit de Laélance : Plüt d Dieu qu'ileut auffi biendefendu notre Religion, qu'il a attaqué nos ennemis ! CO Quand nous mettons ici les Encyelopédifies au nombre des ennemis de la Religion , c'eft pour parler un moment le lot langage de la muliitude , & nullement pour 1'approuver. Nous avons juftifié ailleurs TEn-> cyclope'die, des imputations qu'on lui a faites a ce fujët. Nous dirons en particulier de 1'article Ame, un de ceux contre lefquels on s eft le plu$ déchainé , que fi on a un reproche a faire a eet article, ce n'eft pas de favorifer les Incrédules, mais de n'être, comme 1'a dit uh homme d'efprit, que platement orthodoxe dans une matiere oü Ie zele feul devoitrendre 1'Auteur éloquent. Combien de pre'tendus hérétiqües ont plus d'une fois embarraffé leurs Adverfaires en leur demartdant quelle étoit Terreur dont ils les accufoient ? Les Encyclopédiftes pourroient de même embarraffer les leurs,  de Houtteville. 91 en les priant d'articuler les opinions dangereufes qu'on leur impute , &c de. montrer en quel endroit de 1 Ency-? clopédie elles fe trouvent. Mais rien n'eft plus commode qu'un nom de fecte , donne k tort Sc a travers, pour | perdre ceux a qui 1'on veut nuire. j C'étoit autrefois du oom de Janfé' ni/le que la méchanceté gratifioit les i objets de fa haine ; ce fobriquet a 1 vieilli ; celui A'Encyclopédifte y a I fuccédé , Sc ne tardera pas a vieillir de même; il faudra que la calomnie .& 1'envie en cherchent bientöt un autre. Dans les temps même de 1 ignorance la plus barbare , la perverfité humaine a fu mettre en ufage avec fuccès ce moyen de perfécution. On nous a confervé de vieux vers fur les Vaudais ou Albigeois , écrjts en francois gothique du douzieme fiecle, 6x dont le fens eft : » Qui ne veut ni mé» dire , ni jurer, ni mentir, ni tuert » ni prendre le bien d'autrui, ni être » adultere , ni fe venger de fon enne» mi, on dit quil eft Vaudois , €f » on le fait maurir <£. (g) Pafcal étqit: avec raifon fi per-  94 È L O G E fuadé de la nécemté de la révélation pour nous éclairer pleinement lur les vérités les plus importantes de la Religion & de la Morale , que eet Ecri- ] vain fi éloquent, fi pieux , & même fi philofophe, auroit peut-être poufle le fepticifme métaphyfique jufqu'a douter de 1'exiilence de Dieu, s'il n'avoit trouvé dans le Chriïiiarlifme les lumieres néceffaires pour diiïïper tous les nuages que fa raifon lui avoit laiffés fur ce fujet. 11 croyoit avoir befoin d'être Chrétien , pour fe préferver d'être Athée. Ceux qui douteroient de ce que nous avancons ici, j peuvent jeter les yeux fur les paffages fuivans , fidélement extraits de fes Penjées. (i) » En regardant tout 1'Univers » muet, 8c rhomme fans lumieres, » abandonné a lui-même , 8c coirtme » égaré dans ce recoin de 1 Univers , » fans favoir qui 1'y a- mis, ce qu'il » y eft venu faire, ce qu'il deviendra » en mourant; j'entre en effroi comme » un homme qu'on auroit porté en- (i) Penfécs, ch, VIII, n. i.  de Houtteville. 95 » dormidansune ifle déferte & effroya>> We, & qui seyeilleroit fans connoitre » oü il eft, Sc lans avoir aucun moyen » d'en fortir : Sc fur cela j'adinire » comment on n'entre pas en de'fef» poir d un fi miférable état. Je vois » d'autres perfonnes auprès de moi, » d'une femblable nature; je leur de» mande s'ils font mieux inftruits que » moi, Sc ils me difent que non ï> J'ai recherché -fi ce Dieu dont toüt » le monde parle , n'auroit point iailfé » quelques marqués de lui. Je regardede » toutes parts , & ne vois par-tout » qu'obfcurité. La Nature ne m'offre }> rien qui ne foit matiere de doute » Sc d'inquiétude. Si je n'y voyois » rien qui marquat une Divinité , je >> me déterminerois a n'en rien croire. » Si je voyois par-tout -les marqués 5» d'un Créateur, je repoferois en paix » dans la foi. Mais voyant trop pour » nier , 8c trop peu pour m'alfurer , » je fuis dans un état a plaindre... (1) » Selon les lumieres naturelles, » s'il y a un Dieu , il eft infiniment (1) Mém. de Litt? tome V, p? 310.  96 É L O G E » incompre'henfible , puifque n'ayant » ni parties ni bornes, il n'a nul r3p» port a nous. Nous fommes donc » incapables de connoitre ni ce qu'il » eft , ni s'il eft. Cela e'tant ainfi , qui » ofera entreprendre de re'foudre cette » queftion ? Ce n'eft pas nous, qui » n'avons aucun rapport a lui. (1) » Je n'entreprendrai pas de prou» ver par des raifons naturelles, ou » 1'exiftence de Dieu , ou 1'immorta» lité de 1'ame , paree que je ne me » fentirois pas afTez fort pour trouver » dans la Nature de quoi convaincre » des Athe'es endurcis. (2) » La plupart de ceux qui en» treprennent de prouver la Divinité » aux Impies , commencent d'ordi» naire par les Ouvrages de la Na» ture , & ils y réufïiffent rarement. » Je n'attaque pas la folidite' de ces » preuves, confacre'es par 1'Ecriture » Sainte ; elles font conformes a la » raifon ; mais fouvent elles ne font » pas alfez conformes & alfez propor- (1) Ibid. p. j15. (i).Peafées, ch, XX, n. l, » tionnées  de Houtteville. 97 | 9 tionnées a la difpofition de 1'efprit j » de ceux pour qui elles font deftine'es; car il faut remar ,uer qu'on | » n'adreffe pa« ce difcours a ceux qui j » ont la foi vive dans le cceur, & » qui voyent incontinent que tout l» ce qui eft , n'eft autre chofe que » 1'ouvrage du Dieu qu'ils adorent; I » c'eft a eux que toute la Nature parle » pour fon Auteur , 8c que les Cieux | » annoncent la gloire de Dieu. Mais » pour ceux en qui cette lumiere eft 1 » éteinte , & dans lefquels on a def- » fein de la faire revivre v. ces per- » fonnes detlitue'es de foi 8c de chaJi » rité, qui ne trouvent que ténebres I » 8c obfcurité dans toute la Nature , J y> il femble que ce ne foit pas le moyen I» de les ramener que de ne leur don■» ner pour preuves de ce grand 8e » important fujet, que le cours de la J» lune ou des planetes, ou des raifonj » neiuens communs, 8c contre lefquels » ils fe font continuellement roidis. j » L'endurcuTement de leur efprit les J» a rendus fourds a cette voix de la , » Nature, qui a retenti continue'le: » ment a leurs oreilles; 8c 1'expéI » rience fait yoir que bien loin qu'on 'Tomé V. E  9? E L O G e »les emporte par ce moyen , rien » n'eft plus capable au contraire dV » les rebuter, & de leur öter 1'efpé» rance de trouver la vérite' , que de » prétendre les en convaincre feule» ment par ces fortes de raifonne» mens , & de leur dire qu'ils y » doivent voir la vérité a découvert. » Ce n'eft pas de cette forte que 1'Ecri» ture, qui connoit mieux que nous » les cbofes qui font de Dieu , en » parle. Elle nous dit bien que la » beauté des créatures fait connoitre » celui qui en eft 1'Auteur; mais elle; » ne nous dit pas qu'elles faffent eet] » effet dans tout le monde. Elle Hom » avertit au contraire , que quand elles" 5> le font, ce n'eft pas par elles-mêmes,] v mais par la lumiere que Dieu ré-i » pand en même temps dans 1'efpril » de ceux a qui il fe découvre par » ce moyen : Quod noturn eft Dei ,i » manïfeftum eft in 'Mis, Deus enim\ » Mis manifejlivit. Elle nous dit geJ » néralement que Dieu eft un Dieuj » caché : Verè tu es Deus abfcon dans un aveuglement dont ils ne]  de Houtteville. 99 » peuvent fortir que par Jéfus-Chrift, » hors duquel toute communication » avec Dieu nous eft öte'e : Nemo j » novit Patrem nijï Fiüus, aut ad » voliierit fiLuis revelare. » C'eft encore ce que 1'Ecriture nous » marqué, lorfqu'elle nous dit en tarit » d'endroits, que ceux qui cherchent » Dieu le trouvent; car on ne parle » point ainfi d'une lumiere claire & I » évidente : on ne la cherche point, : » elle fe découvre , & fefait voir d'ells» même. » Les preuves.métaphyfiques de Dieu » font ft éloignées du raifonnement » des hommes,8c fi impliquées,qu'elles » frappent peu j 8c quand cela fer» yhoit a quelques-uns, ce ne feroit » que pendant 1'inftant qu'ils voyent i » cette démonftration ; mais une » heure après , ils craignent de s'être » trompés : Quod curiojitate cogno- I » vcrint, fuperbid amiferunt. (1) » Si Dieu eut voulu furmonter ! y> 1'obflination des plus endurcis, il 1'eüt » pu en fe découvrant fi manifeftement (1) Penfées, ch, XIII, n. i. Ei)  100 É L O G E » a eux , qu'ils n'euffient pu douter » de la vérité de fon exifience. (1) » II ne faut pas que l'homrne » ne voye rien du tout. II ne faut pas » auffi qu'il en voye affiez pour » croire qu'il poffiede Dieu; mais qu'il » en voye affiez pour connoitre qu'il 1'a » perdu. Car pour connoitre qu'on a » perdu, il faut voir ; & ne pas voir, » c'eft précifément 1'état oü eft la Na» ture. N. B. Cette Penfée riejl peut-étre pas exprimée aujji clairement quon auroit pu le défirer : mais elle s'explique fuffïfamment par les précédentes & par les fuivantes. (2) » Les Impies prennent lieu de » blafphémer la Religion Chre'tienne , » paree qu'ils la connoiffent mal. Ils » s'imaginent qu'elle confïfte fïmple» ment en 1'adoration d'un Dieu con» fidéré comme grand , puiffant & » éternel ; ce qui eft proprement le » De'ifme , prefque auffi éloigné de la » Religion Chre'tienne que 1'Athéifme , (1) Mém. de Liet. tome Y, p. 314. (z) Pcufées, et. II, n. 14,  de Houtteville. joi » qui y eft tout-a-fait contraire. Et » de la ils concluent que cette Reli» gion n'eft pas véritable , paree que » fi elle 1'étoit, il faudroit que Dieu » fe manifeftat aux hommes par des » preuves fi fenfibles, qu'il füt im» pomLle que perfonne le méconnut. » Mais quils en concluent ce qu'ils » voudront contre le De'ifme , ils n'en » conclueront rien contre la Religion *> Chre'tienne , qui reconnok que de» puis le pêché, Dieu ne fe montre » point aux hommes avec toute l évi— » dence quil pourroit faire. (i) » Le deftèin de Dieu eft plus » de perfeilionner la volonté, que Tef» prit. Or , la clarté parfaite ne ler» viroit qua 1'efprit, &. nuiroit a la » volonté. (i) » Si la Religion fe vantoit *> d'avoir une vue claire de Dieu » & de le pofTéder a découvert &. » fans voile , ce feroit la combattre » que de dire qu'on ne voit rie,n » dans le monde qui le montre li) Penfc'es, cfc. XVIvI, n. f. (i) Penfées } dl. I. E iij  102 Ë L O G E » avec cette évidence. Maïs elle dit i> au contraire, que>4£s;hommes font » dans les ténebres' •& dans 1'éloigne» ment de Dieu ; qu'il s'eft caché a » leur connonTance , & que c'eft même » le nom qu'il fe donne dans les Ecri» tures. (1) » Dieu e'tant caché , toute Relif> gion qui ne dit pas que Dieu eft » caché, n'eft pas véritable; & toute » Religion qui n'en rend pas la raij> füa^s^'.eft pas inftruifante : la nótre » fait ' tout cela. (2) » On n'entend rien aux ou» vrages de Dieu, ft on ne prend » pour principe qu'il aveugle les uns » & éclaire les autres. (3) » S'il n'y avoit qu'une Religion, » Dieu feroit trop manifefte; s'il n'y » avoit de martyrs qu'en notre Reli» gion, de même. (4) » Si le monde fubfiftoit pour » inftruire 1'homme de 1'exiftence de (O Penfées, ch. II, n. 7. (1) Penfées, ch. XVLTI, n. 14. (3) Ibid. n. 10. (4) Ibid. d. 3-  de Houtteville. ioj Dieu , fa Divinité y luiroit de tou> tes parts d'une maniere incontefta» ble. Mais comme il ne fubfifie que » par Jéfus-Chrift & pour Jéfus Chriiï , » & pour inftruire les hommes & de » leur corrupiion & de la rédemp» tion , tout y éclate des preuves de » ces deux. ve'rite's. » (i) » Comme Jéfus-Chrift eft venu » in fanclificationem & in Jcandalum , » comme dit Ifaïe , nous ne pouvons » convaincre 1'obftination des Infide»les; mais cela ne fait rien contre », nous, puifque nous diions qu'il n'y » a point de conviclion dans toute la » conduite de Dieu pour les efprits » opinirtres & qui ne recherchent » pas fincérement la vérité. (2 ) » Tous cenx qui cherchent 9» Dieu fans Jéfus-Chrift , ne trouvent » aucune lumiere qui les fa'isfaffe, ou » qui leur foit véritablement utile ; » car ou ils n'arrivent pas jufqu'a con» noitre qu'il y a un Dieu j ou s'i's (0 Ibid. n. i r. (r) Paifiis, cl). XX. E iv  104 £ L O G E » y arrivent , c'eft irmtilement pour » eux , paree qu'ils fe forment un » moyen de communiquer fans mé» diateur avec ce Dieu qu'ils ont » connu fans médiateur : de forte » qu'ils tombent ou dans 1'Athe'ifme, » ou dans le Déifme, qui font deux » cfiofes que la Religion Chrétienne » abhorre prefque également. (i) » Qui blamera les Chre'tiens » de ne pouvoir rendre raifon de » leur créance , eux qui profeffent une » Religion dont ils ne peuvent rendre » raifon ? Ils de'clarent au contraire , » en 1'exprtfant aux Gentils , que c'eft » une folie : Stulthiam, &c. Et puis » vous vous plaignez de ce qu'ils ne » la prouvent pas ? S'ils la prouvoient, » ils ne tiendroient pas parole. C'eft » en manquant de preuves, qu'ils ne » manquent pas de fens. Oui, mais »encore que cela excufe ceux qui » 1'offrent telle qu'elle eft, & que » cela les affranchiffe du blame de s> la produire fans raifon, cela n'ex- (i) Mém. de Lite, tomc V, p. 31e.  de Houtteville. 105 » cufe pas ceux qui, fur 1'expofkion i »qu'ils en font , refufent de la » croire «. N. B. M. Pafcal auroit fans doute développé cette Penfée , qui préfente quelque chofe de trés-paradoxe. On i feroit tenté dy appliquer ce pajfage \ (i connu, échappé a un Docteur ■ Hoe dictum eft, non ut aliquid dice\ retur , fed ne taceretur : On a dit icela, non pour dire quelque choje, \ mais pour ne pas fe taire. On fera peu étonné de ces afferj tions de Pafcal , fi 1'on veut chercher 1 par quelle fuite de raifonnemens ,il 1 peut y avoir été conduit. Ce génie ; rare , ayant recu de la Nature un corps \ foible, & d'ailleurs épuifé par 1'auftérité i de fa vie, joignoit a une ame timorée une i tête géométrique &. profonde; il avoit s fans doute pefé dans la balance de la raifon , mais de la raifon privée du, I flambeau de la Foi, d'un cöté , les 1 preuves de 1'exiftence de Dieu, de \ 1'autre, les objeólions des Athées; il avoit vu que ft les merveilles de la > Nature décelent une Intelligence fou1 veraine dont elles font 1'ouvrage, il : eft en même temps difficile de conE v  IOÓ É L O G E cevoir comment cette Intelligence peut avoir donne' 1'être a ce qui n'exiftoit pas; comment, e'tant diftinguée de la matiere , & n'ayant avec e!le aucune analogie , elle peut en mouvoir 6c en difpofer les différentes parties par le feul acte de- fa volonté ; 6c fur-tout comment 1'Etre infiniment bon 8c infiniment fage , qui a produit cetÜhiyèrs, y laifife fubfifter tant de malheurs 8c tant de crimes. Pafcal avoit vu que la révélation feule pouvoit difïïper fans réplique ces objections, 8c qu'il étoit fur-tout impoffible de concilier avec 1'exiftence de Dieu 1'exiftence du mal phyfique 8c moral, fans avoir recours au dogme indifpenfable du pêché originel. Voila fans doute ce qui lui faifoit dire , qixil ne fe fen(oit pas affe%_ fort par les feules armes de la raifon , pour convaincre des At hees endurcis. Et c'eft aurïï ce qui faifoit dhe au Pere Malebranche , lorfqu'on lui fbutenoit que les bètes n'étoient pas de pures machines privées de fentimens : Vous verre^r, d tout ce que fouffrent les chevaux de pofle, quili ont mangé du foin défendu.  de Houtteville. 107 Après avoir rapporté tous ces paffages , dont nos Ledteurs jugeront fuivant leurs lumieres , nous ne pouvons nous refufer a une obfervation bien naturelle. Le Jéfuite Hardouin a , comme 1'on fait , accufé Palcal d'Athéifme. N'ayant point de temps a perdre dans des leétures faftidieufes, nous ignorons fur quelles .raifons ce Jéfuite a fondé une imputation fi grave ^mais il eft certain qu'il pouvoit en trouver d'affez fpécieufes pour la calomnie dans les morceaux qu'on vient de lire. 11 eft pourtant encore plus certain que celui qui accuferoit Pafcal fur de teiles preuves, feroit un déteilable impofteur. Que penfer donc de ces hommes qui , fur les foupcons les plus légers , crient a 1'Athéifme contre les Ecrivains les plus célebres de nos jours ï On ne fcauroit trop répéter a ces Mifhonnaires impétueux , le confeil que le Souriceati de la Fabie recoit de fa mere ï Gardc-toi , tant que tu vivra», De jujer des gens (ut la mine, Êvj   É .Li O O ju* DE FRAN^OIS-JOSEPH DE BEAUPOIL, MARQUIS DE SAINT-AULAIRE, Xieutenant-Général au Gouvernement de Limojïn; né en 1643 ; regu en 1706 , a la place de 1'Abbé TESTU DE BELVAL i mort en 1743 (1). L A Nature , en deflinant M. de Saint-Aulaire a vivre cent ans, le fit naitre avec ce beau flecle qui devoit retracer celui dAugufte. Auffi parloitil fouvent avec tranfport de ce fiede (1) Cet Elogc a été lu a la réception dc M. le Marquis de Condorcet, Ie il Février 1781. M. 1'Abbé de Lille venoit de lire des ■vers très-applaudis; 1'Autenr de eet Eloge k fit précéder du Difcours fuivaut:  ÏÏÖ É L O G E mémorable , qui, a la vérite', difoitil., lai/fe au notre la fupe'riorité des connoilTances & des lumieres, effet indifpenfable de la marche des efprits durant cent anne'es, mais qui, dans tout le rede , a brille d'un fi grand éclat par cette multitude de talens éminens , prefque défefpe'rante pour leurs fucceffeurs. Du moins, ajoutoit MESSIEURS. » II y a bien peu de vers, encore moins » de profe, & a plus Forte raifon la mienne,» qui puifle voos plaire , après les vers que » vous venez d'entendre. Permettez cepen» dant a l'amitié qui m'unit depuis !ong-temps » au Récipiendaire, de vous lire 1'Eloge d'un » Académicien avec lequel i! a quelque rap" port, & qui, comme lui, d'une naiilance y> diftinguée , cultiva , comne lu'r, la I'hilo» fophie & les Lettres, mais avec un fuccès 11 moins éclatant Sc moins flattcur. Cette Iec« ture vous rappellera fans doute, a mon pré» judice, les éloges bien plus in'téreffans que 11 vous avez tant de fois applaudis dans la y> bouche de notre nouveau Confrère; mats » mon fentiment pour lui profitcra , quoiqu'aux >i dépens de mon amour-propre , de tout ce » que la cortiparaifon pouna me faitc perdre™.  de Saint-Aulaire. nr M. de Saint-Aulaire , nous pouvons > aux grands Ecrivains de ce beau re| me, oppofer un homme , VAuteur immortel de la Eenriade & de Zaïre ; génie qui eut en effet été rare dans les plus beaux fiecles, & qui feul fuffiroit au notre pour en foutenir la gloire par la foule & la variété de lés chef-d'ceuvres; femblablea ce guerrier fameux , qui foutint feul contre une armée , 1'honneur des armes Romaines (i). M. de S. Aulaire connut, fréquenta même les perfonnages célebres en tout genre, qui, pendant fa longi:e vie, rendirent la Nation Francoife fi illuftre & fi refpectable. 11 fe félicitoit quelquefois d'être celui de tous fes contemporains qui, fans quitter fon pays, avoit vu le plus de grands Hommes, & n'auroit changé fon fort , difoit-il en plaifantant , ni contre ce pélerin Efpagnol , tout glorieux d'avoir plus vifité de reliques qu'aucun de fes pareils, ni contre eet Anglois, ennuyé de fes voyages , & dont la prétention modefte fe bornoit (i) Voyez h Kote. [a).  112 É L O G E a être 1'homme du monde qui avoit vu le plus de poftillons &. le plus de Rois. Cependant, la jufle admiration de M. de Saint-Aulaire pour le mérite & pour le génie, n'étoit pas, a beaucoup pres , un fentiment qu'on lui eüt infpiré dès fon enfance ; car il traina languüTamment fes premières années dans le fond de fa province, environné de fainéans orgueilleux , qui, regardant 1'ignorance oifive comme 1'apanage & prefque le titre de leur nobleife , s'étonnoient, avec I'im* bécillité la plus naïve , que la fottife humaine put attacher aux talens quelque prix &. quelque avantage. Peut être ne feroit-il pas impoffible de rencontrer aujourd'hui , dans la Capitale même , quelques exemples , heureufement a/fez rares, de ce ridicule mépris pour les Lettres ; mépris dont elles fe trouvent fi peu blelfées, de quelque part qu'il vienne , qu'elles plaignent charitablement & fans humeur ceux qui peuvent en être coupables. M. de Saint-Aulaire , malgré 1'ineptie dédaigneufe de fes compatriotes , ofa cultiver fon efprit fans  ce Saint-Aulaire. hj ; craindre de de'roger a fa naiffance (r), i Réduit a converfer avec les morts , ; car il n'avoit rien a dire aux vivans i qui végétoient autour de lui, il lifoit, l il méditoit les grands modeles de lArt decrire, 6c fe dédommageoit , aittfï , dans une retraite inftruclive 8c confolante , de la folitude bien plus re'elle oii il fe trouvoit en la quittant. Par cette ledure affidue , il acquit ou plutöt perfeclionna le talent qu'il avoit recu de la Nature, de faire des - vers avec beaucoup de grace 8c de facilité. Mais ce qui fuppofe en lui un fond de courage prefque héroïque dans un Yerfificateur, il fit long-temps myftere de ce talent , lors mème qu'arrivé a Paris , & vivant avec des hommes dignes de Fentendre, il auroit pu leur dévoiler fon fecret; il ne ; 1'ofa que fort tard , bien différent de cette troupe légere de Poëtes, qui ne 1'ont été que de trop bonne heure , 6c fur-tout trop long-temps. Auffi, quoique fes premiers vers connus datent de fa foixantieme année, quoiqu'il (1) Yoyea la Note (£).  H4 É L O G E ait attendu , pour prendre fa place parmi les Poëtes, le moment dangereux ou tant d'autres feroient bien de quitter la leur, fon coup d'effai, hafardé fous le voile de 1'anonyme, eut affez de fuccès pour être attribué a 1'aimable rival de Chaulieu, au Marquis de la Fare. Bientöt le véritable Auteur fut connu, jonclure. Elle 1'ob igea de renfermer, dans les expremons les plus modeftes, 1'éloge du Prince , autrefois tant célebre , & depuis fi malheureux. La Compagnie fe fouvenoit encore, avec un peu de confufion, de 1'éloquence indifcrete d'un autre Académicien (i), qui , prononcant fon Difcours de réception quelques jours avant la nouvelle imprévue de La funefie bataille d'Hochfiet, adrelfoit a nos ennemis ces imprudentes paroles : Vous menacie^ nos frontieres, & vous nen ave^ déja plus. L'Académie avoit perdu 1'habitude de ce langage, que fans doute elle n'aureit jamais du prendre, au milieu même des plus brillantes viéfoires. Des difgraces multipliées rendoient fes Orateurs, fes Hidoriens , & jufqu'a fes Poëtes plus tempérés da'ns leurs éloges. Aux Prologues triomphans de Quinault, avoient fuccédé les humbles Prologues de la (O Le Cardinal de Polignac. Voyez fon" Difcours de receptiën, prononcé le % Aout 1704.  de Saint-Aulaire. Motte, oü 1'on fe bornoit a fouhaiter au vieux & infortuné Monarque les fuccès qu'il n'avoit plus ; on croyoit 1'avoir aiïez loué en chantant avec douleur ." C'cfl le plus grand Roi qui refpire } Qu'il foit eucor le plus heureux. M. de Saint-Aulaire , aveni par les événemens & par le Public , prit le ton que lui impofoient les circonflances; il fe borna prefque uniquement a louer le courage du Prince dans les revers qui accabloient fa vieillefïè; & cette louange eut du moins le mérite que n'avoient pas eu tant d'autres 3 elle appartenoit en propre au Monarque, & n'étoit ni baffe ni exagérée. Le Récipiendaire avoit , clans ce même Difcours , un autre écueil a éviter. II fuccédoit a un Académicien, que Madame de Sévigné nomme fouvent dans fes Lettres., 1'Abbé Teftu de Belval, amf, ou fi 1'on veut, complaifant de cette femme illuftre, mais aujourd'hui plus connu par cette amitié que par fes talens. L'ufage obligecric M. de Saint-Aulaire a louer ce préF ij  124 E L O G Ë décefleur fi peu brillant, Sc dont le portrait ofFroit d'ailleurs quelques difparates embarraffantes, ayant e'te' fucceffivement Compagnon de 1'Abbé de Rancé a la Trappe , puis Prédicateur k la mode , Sc faifant pour la Cour des Cantiques facrés, puis homme du monde plus a la mode encore , St Auteur de Poéfies galantes; enfin , Mifanthrope folitaire , dévot Sc vaporeux. M. de Saint-Aulaire rendit avec toute la décence académique, ce qu'il devoit a la mémoire de celui qu'il remplacoit; fans priver Ion ombre du léger tribut de louanges qu'elle étoit en droit de réclamer , il fit fentir avec mefure & avec délicatefie ce que pouvoit lui reprocher une jufte cenfure. L'Académie n'exige pas que dans nos Difcours la vérite foit offenfée, pour fatisfaire ou pour confoler les manes de ceux que nous perdons. El'e n'exige pas même que la confraternité jette un voile épais fur leurs défauts; elle demande feulement que ce voile foit légérement fouievé d'une main amie, Sc jamais arraché ou déchiré par la fatire. Ce ne fut pas la feule occafion ou  DF. SAINT-AULAIRE. 12$ 1'Académie eut lieu d'éprcuver les talens de M. de Saint-Aulaire. II remplit les foriclións de Direcleur dans plufieurs Affemblées publiques , & toujours avec autant d'éloquence que de dignité. Nous rappellerons fur-tout cette Séance attendruTante , ou il fe trouva chargé , a quatre-vingt-quinze ans, de recevoir M. le Duc de la Tremouille, qui entroit parmi nous a la fleur de fon age. Le contrafte, de la jeuneffe brülante dü Récipiendaire, & de la vieillelfe vénérable du Directeur , pféfentoit au Public un fpeclacle intéreffant; & 1'Académicien prefque centenaire , fut tirer de ce contrafte le parti le plus heureüx s fon Difcours toucha toute 1'afTemblée ; on croyoit voir Neflor (fi cette comparaifon n'eft pas trop faftueufe ) recevant un jeune Guerrier au camp des Grecs , & lui remettant entre les mains des armes qu'il avoit portées lui-même avec gloire , mais que lage le forcoit d'abandonner. » Je fens , » dit-il a M. le Duc de la Tremouille, » toute la reconnouTance que je vous » dois. L'hommage que vous venez ï> de rendre a M. le Maréchal d'E£F iij  É L O G E * trees , votre prédéceffeur, en ne me » aiuant plus rien a dire, me fou» lage & me confole. Et comment » une voix fi affoiblie par les années, > auroit die pu célébrer dignement » tam de vertin & tant de gloire ? »He!as 1'illuftre nom qu'il portoit » went de s'éteindre dans la nuit du » tombeau. Je fens que je mattend™ » a cette tnfte reflexioa II ne me refte » qua baigner de larmes la refpec» table cendre que vous venez de cou» vnr de fienn. La différente des » hommages que nous lui rendons eft » affonie a celle de nos ages «. M. tie 5aint-Aulaire vit pirir trois ans apres le jeune Confrère auquel il efperoit fi peu de furvivre , & il en pleura la perte comme s'il eüt été du meme age j fenfibilité affez rare chez les vieillards, qui, devenus , par leurs mfirmites & par leurs befoins, plus perlonnels & plus con?entrés dans ce qui les touche, éprouvent quelquefois en perdant leurs amis même, la conl folation fecrete de jouir encore de la vie, & de fubir quelques mom «is plus tard la loi commune de la Nature. ~  de Saint-Aulaire. 127 Notre Académicien avoit un fils, qui époufa la fille de Madame la Marquiie de Lambert. Cette femme, célebre par fon efprit, réuniüoit chez elle la fociété la plus choifie de Gens de Lettres & de Gens du Monde. Les uns y portoient le favoir 82 les lumieres, les autres cette polireffe & cette urbanité que ie mérite même a befoin d'acquérir, s'il veut obtenir laffecmon en formant a l'eftime. Les Gens du Monde fortoient de chez elle plus éclairés, les Gens de Lettres plus aimables. M. de Saint-Aulaire etoit dans cette fociété le Hen mutuel de ces deux clafTes d'hommes, affez peu faites pour traiter enfemble , fi tlles ne trouvent un interprete com-rmm qui les rapproche. Celui qu'elles avoient chez Madame de Lambert parloit également bien leur langage , & il eüt été difficile de dire a laquelle des deux clalfes il appartenoit le plus. Son talent pour la Poéfie , jufque-la muet & timide j fut mis en aéKon , 8c, pour ainfi dire , en valeur par les talens qui fenvironnoient. 11 ofoit lire a ces Juges éclairés, des vers qui lui coutoient moins que les leurs-, fans en F iv  laS E L O G E être plus negligés, & dont le tour élégant & noble obtenoit tous les fuffrages. II paffa dans cette maifon fi aimable plus de trente années , jufqu'a la mort de Ma'ame de Lambert, qui, dansun age tres avancé,futenlevée au monde & aux Lettres, & pleurée de tous fes amis, comme s'ils n'avoient pas dü s'attendre a la perdre. M. de Saint-Aulaire ne s'en confola jamais; il lui reftoit néanmoins pour reffource' une autre fociété , dont il jouiffoit déja quelque-temps avant cette perte, & qui n' toit guere moins affortie a fes talens & a fon goüt. Madame la Duclieffe du Maine , quoique femme & Princeffe (i), aimoit, non par fantaifie ou par vanité , mais fincérement & prefque avec pafïïon , les Sciences, les Lettres & les Beaux-Arts; elle raffembloit a Sceaux ce qu'il y avoit de plus illuffre par la naiffance & de plus diftinguépar 1'efprit. M. de SaintAulaire devint 1'arae de cette fociété, dont fl étoit déja, par fon age, le Doyen & comme le Patriarche. II préfidoit (0 Voyez la Note (ƒ).  de Saint-Aulaire, 129 k toutes les fètes, il les animoit, il en augmentoit 1'agrément par les vers pleins de graces & de galanterie qu'il faifoit pour la Princeflè. Ces vers montroient a la fois & 1'efprit aimable du Poëte , & le talent avec Iequel il favoit 1'ajufter aux circonflances, & le goiit qui en faifnToit 1'a-propos. Car 11 le propre du génie eft de créer en grand , celui de 1'efprit dans les petits Ouvrajjes eft d'imaginer , celui-du talent , de mettre en oeuvre, & celui du goüt, de mettre en place. Madame la Ducheflé du Maine appeloit M. de Saint-Aulaire fon vieux Berger ; il fut Poëte pour elle jufqu'a cent ans, comme Anacréon 1'avoit été jufqu'a eet age. On a même retenu quelquesuns de ces vers dont la Princeife étoit 1'objet , honneur peu ordinaire aux Poéfies de fociété , deftinées prefque toujours a périr dans le cercle étroit ou elles ont été applaudies. Quoique ces vers charmans foient très-connus, qu'on nous permette de les rappeler ici pour ceux qui pourroient les ignorer. II foupoit avec elle a Sceaux; elle 1'appeloit fon Apollon, & vouloit favoir de lui je ne fais quel fecret > F v  tie ÊL.OGÊ fur lequel elle le preffoit avec 1'inïpatience de fun fexe 8c 1'autorité de fon rang. M. de Saint-Aulaire lui jépondit : La Divinité qui s'amufe A me demander mon feeree, Si j'étois Apollon , ne feroit point maMufe; Elle feroit Tbécis, & le jour finirok. M. de Voltaire a cité avec de jufles éloges , dans un de fes Ouvrages, .ces jolis vers, ou la galanterie s'exprime a la fois avec tant de liberté & de décence , de familiarité & de niefure. Ce fuffrage du plus célebre Ecrivain de nos jours ( i ) doir confoler 1'ombre du Marquis de SaintAulaire des rigueurs de Defpréaux. Si l humcur 1'a cond.imné par la bouche d un grand Poëte , les graces 1'ont abföus par celle d'un autre. Ces mêmes graces ne défavoueroient pas une petite Piece que M. de SaintAulaire adr.lfa , dans fa quatre-vingtdixieme année , au Cardinal de Fieury, (1) Voyez dans le fïecle de Louis XIV, par M. de Voltaire, le Catalogue des AureurSt  de Saint-Aulaire. t5 i Ge Miniftre -, en lui envoyant 1'ordonnance de fes penfions, lui mandoit que le Roi ne pre'tendoit pas les lui payer au dela de fix vingts ans. L'aimable vieillard répondit par un rondeau , oü il faifoit en même temps 1'éioge de la Cour de Sceaux qu'il habitoit, & celui du vieux rViniftre, qui foutenoit alors la guerre conti'e 1'Empire Sc la Ruffie. A lïx vingts ans vouloir que je limite De mon hiver la courfc décrépite , C'eft ignorer que par enchantemens A notre Cour (t) les jours paflTent fi vïte, Que les plus longs ne font que des momeais. Quand vous aurez chaiTc le Mofcovite , Et rabaiffe 1'orgueil des Allemands, On voudra vo r quelle en fera la fuite A fix vingts ans. Nos Paltouieaux enchantcs Sc dormans Sous les beiceaux que notre Fée habite , Atcendront la ces grands événemeas, ^ Et Ie comptant de leurs appointemens; Car, Monfeigneur, vous n'en ferez pas quitte A fix vingts ans. Quand M. de Saint-Aulaire fit le rondeau qu'on vient d'entendre, ce A la Cour de Scea.ix. F vj  i}t È L O G Ë genre de Poéfie n etoit plus a Ia mode ; mais il eut affez de goüt pour fentir combien fa naïvete' le rerrdoit propre a fervir de paiTe-port aux louanges qu'un vieillard Philofophe vouloit donder fans fadeur a un vieillard toutpuiffant ; & le rondeau fut fi a propos rajeuni pour cette circonffance , confens, mais non pas a Vétre (i )• ,, , M de Saint-Aulaire n etoit pas teiiement borné a la Poene légere, quil ne lui écnappat quelquefois des vers plus férieux, & même auffi bons que s'il n'en avoit jamais fait d autres. Nous en citerons quelques-uns , tires dune affiez longue Piece, auffi intereffiante parle fujet, que par le fentiment honkte qui la didée. Cette Piece eft une réponfe a VOde de la Motte , ou eet Auteur prétend que l'amour-propre eft le mobile de toutes nos adwns, (■i) Yoyez Ia Note (.£).  *4 É L O G E M. le Marquis de Saint-Aulaire erut trouver au fond de fon cceur un principe plus noble des vertus humaines. II peint tous les Héros des Cfiamps Elyfées, alarmés & indignés de ce qu'on prête a leur grande ame un motif fi peu digne d'elle : Pline , de fon Héros, de ce Trajan modefte, Ne peut voir avilir les ilnceres vertus, Je vois gronde* Caton , je vois frémir Brutus, Et Pilade embraifer Orelle (>). Et quelques vers aprés : Rafïurea-vous, manes illuftres; En vain on vous difpute un rang Accjuis par vos travaux, payé par votre fang, Révéré depuis tant de luftres. Quand les foibles mortels entendent raconceï De vos faits 1'étonnante Hiftoire, ia peine qu'ils ont & la croirc , Vient de leur peine a fimirer; Et le comble de vetre gloire E/l qu'ils en paroiiTent douter. ^ II ne nous appartient pas de de'-* cider la queffion philofophique qui partageoit le Marquis de Saint - Au- (i) Voyez la Netc (Ji).  de Saint-Aulaire: 141 laire & la Motte ; il feroit facheux pour la Nature humaine que la Motte reut trop bien apprécie'e, & que eet amour-propre, la fource de toffs nos vices, le fut auifi de toutes nos vertus. Peut-être ne'anmoins pourroit-on montrer ce principe fous une face qui, en lui lauTant ce qu'il a de vrai , lui óteroit ce qu'il parolt avoir de revoltant. Peut- être feroit-il permis de dire, que pour rendre a nos femblables ce que nous leur devons, il nous fuffit d'être e'claire's par un amour bien entendu de nous - mêmes, 6c par une connoifTance rêfléchie du véritable int^rêt que nous avons a être vertueux; mais quand on fuppoferoit que M. de Saint Aulaire a cherebé dans une métaphyfique trop épurée la fource de nos bonnes acvHons, on devroit le louer d'une erreur fi refpeéiable. En pareil cas, 1'homme vertueux doit fe confoler quand il fe trompe , 6c s'affliger quand , il a. raifon. Notre Académicien mourut le 17 Décembre 1742 , agé de cent ans moins quelques mois ( 1 ). Son aml CO Voyca la Note (i).  f4* ÊtOOI Fontenelle eft mort quinze ans après au même age , ék tous deux ont du leur longue vie a la même caufe, k cette philofophie douce ék paifible , qui ne prend aux êvênemens que 1'interêt néceffaire pour remuer doucement notre ame , ék jamais pour la troubler ; trnnquillité vraiment dcfirable, dont 1'effêt eft de procurer une ■vie exempte de douleur , une vieillelfe longue & faine , ék de nous mener en paix ék fans trouble au tenue de notre carrière. Cette difpofition, accordée par la Nature a trop peu d'individus, conftitue peut-être Ie vrai bonbeur de 1'homme, ft le bonheur confifte moins dans les émotions violentes & palfageres, que dans la jouiffance calm? ék durable de notre exiftence, de nos fens , de nos plaifirs même ; femblable en quelque forte a la refpiration dont nous jouiiTons fans délices, mais dont nous ne'pouvons être privés fans éprouver une fituation pénible ck malheureufe (i). M. de Saint-Aulaire conferva juf- (i) Voyez la notc  ■7 de Saint-AutAiRE. 143 qua fon dernier moment la tranquillité qui le rendoit fi heureux, & la politeffe qui le rendoit fï aimable. Un Prêtre le preparoit a la mort par des exhortations dont il avoit très-peu de befoin , étant depuis long-temps prépare' de lui-même a fa fin, & par fon age & par fa raifon. II laiffa ce Prêtre lui parler long-temps ■ & quand il jugea que fon miniftere étoit fuffifamment rempli : Monfieur , lui ditil avec douceur ,je vous fuistrès obligé; ne vous fuis-je plus bon a rien ? II fe croyoit prefque auffi néceffaire a 1 la fatisfaéfion du Miniftre zélé qui 1'exhortoit, que ce Miniftre croyoit 1'être au falut de fon ame. Cependant, quoique M. de SaintAulaire ait poffédé toujours fon ame en paix, même au bord du tombeau , quoiqu'il fut profiter des reffources que fes dernieres années lui laiffoient encore , la fociété &. 1'amitié , il convenoit avec franchife, mais avec tout le fang froid d'un vrai Philofophe , que les privations auxquelles 1'age nous condamne, font la facheufe condition attachée par la Nature a une longue exiftence. Un de fes amis, auffi agé  "144 Ê L O G E que lui, mais plus chagrin de 1'êtrei appliquoit un jour en fa préfence a la vieilleffe , & a Ia trifte indifférence qu'elle nous donne pour les plaifirs, le mot fi profondément douloureux qu'un hypocondre difoit des vapeurs: Que c'eft un état d'autant plus cruel, quil fait voir les chofes comme elles font ; & eet ami ajoutoit avec plus d'humeur encore , Que le feul avantage de la vieillejje étoit de finir Vennuyeufe comédie que la deflinée nous force d jouer ici bas. Nous nous fdcherions en pure perte , lui dit M. de Saint-Aulaire, contre la deflinée; jouiffons plutót fans nous plaindre du peu. de biens qui nous reflent; avouons feulement que Cicéton a beau plaider en faveur des vieillards , & que fi on étoit le mattre du choix, on préféreroit de refter jeune ; il auroit pu ajouter , en fage qui apprécie les biens & les maux fans les exagérer ni les affoiblir, que la Philofophies'eftdonné bien de la peine pour faire des Traités de la vieilleffe ck de 1'amitié, paree que la Nature fait toute feule ceux de la ieuneïïe & de 1'amour (i). (?) Voyez la Noce (/). NOTES  f de Saint-Aulaire. 145 NöTES fur VEloge de M. de saintAulaire. (a)C^uand notre Acade'micien parloit ainfï de 1'honneur que Voltaire faifoit a fonSiecle,ce grand horame n'avoit encore donné ni Mérope , ni Mahomet, ni Sémiramis, ni Rome fauve'e , ni 1'Orphelin de la Chine , ni Tancrede, ni cette Hifloire générale, écrite par les Graces fous la dicle'e de la Philofophie , ni ces Romans , dont la ledure eft ft piquante , ni cent Pieces fugitives en vers & en profe, dignes de celles qui les avoient précéde'es. Ainfi M. de Saint-Aulaire avoit encore plus de raifon qu'il ne croyoit, quand il difoit avec douleur , plus de trente ans avant la mort de eet Ecrivain immortel, que fa perte laiiferoit dans notre Littérature un grand deuil (Sc un grand vide. De quels fentimens oppofés n'auroit pas été afFeéfé M. de Saint Aulaire , s'il avoit vu, a trente jours de diftance, 1'Apothéofe de \oU Torna F. G  ïj.<5 É L o g E taire au théatre , ék les honneurs fu- nebres refufés a fes manes l (!>) Notre Acade'micien fe rappeloit encore avec plaifir dans fes dernieres . années, les reffources que lui avoit procurées 1'étude dans le trifte chateau de fes peres. » J'avois befoin, difoit» il a un ami, de eet objet d'intérêï » dans 1'efpece de défert oü fe trou» voit mon ame, au centre de la fo» ciété vide ék importune a la fois, » que j'étois forcé de voir ék de fouf9 frir. L'e'tude étoit pour moi un fou» lagement indifpenfable a 1'ennui qui, » fans elle , m'auroit lentement con» fumé ; encore falloit il dérober ce » plaifir fecret a mes imbécilles comy patriotes; ils m'auroient regardé 6t » traité comme une efpece de fau» vage, qui ne parloit ni n'entendoit V la Langue des hommes » Une leule chofe, ajoutoit-il, m'aS> mufolt dans le fpeclacle , d'ailleurs # fi faftidieux pour moi, des automates y> dont j'étois invefii 5 c'étoit de les » voir dédaigner le g^nie ék les taü> lens d'auffi bonne foi que s'il o'a-  be Saint-Aulaire. 147 ffc voit tenu qua eux de les pofféder «. On ne trouveroit peut-ètre pas la même bonne foi dans le mépris dont certains hommes faftueufement décorés ont quelquefois gratifié les Lettres. Ce mépris pouvoit bien n'être en eux que le mafque de la haine ; car la vanité pufillanime feint de jméprifer ce qu'eile craint , ck ceux des Gens de Lettres qui fentent la «oblefle & la dignité de leur état,font redoutables a la fottife importante ; elle n'a pas befoin d .in difcernement bien raffiné, pour fe douter du profond dédain oü elle eft auprès des hommes éclairés , même lorfqu'ils lui en gardent le fecret; & le mépris , de la part de ceux qu'on fe voit forcés d'eftimer, eft de toutes les offenfes celle qui fe pardonne le moins. {c) Defpréaux fe trouva un jour en tiers avec Molière Sc un ami de Chapelain. Cet ami fe crut charitablement obligé de défendre , tant bien que mal, contre le Satirique , je ne fais quel endroit de la Pucelle. Defpréaux lui avoit répondu a peu pres lequiva,-< Gij  I48 È L O G E lent de ces vers, que Molière fit dire depuis au Miianthrope : Hors qu'un commandemenr expres (du Roi) ne viennei De trouver bons les vers dont on fe mer en peine , Je foutiendrai toujours, morb!en, qu'ils font mauvais. Et qu'un homme eftpendable après les avoir faits. II n'y a point, ajoutoit-il, de police au Parnaffe , fi je ne vois ce Pocteld quelque jour attaché au montfourchu. Malherbe avoit dit avant lui a un jeune Magiftrat qui venoit le confulter fur de mauvais vers : Ave^-vous eu , Monfieur, Valternative de faire ces vers ou d'être pendu ? C'eft peutêtre ce qui a fourni encore a Molière 1'idée des vers fuivans, qu'il met dans la bouche du Mifanthrope : Mais pour louer fes vers, je fuis fon ferviteur; Er lorfque d'en mieux faire on n'a pas le bonheur', On ne doit de timer avoir aucune envie Qu'on n'y foit condamné fur peine de la vie. Le eauftique Defpre'aux auroit pu trouver dans cette mème Piece la latire jufte ou injufte du Marquis Poëte & Académicien , contre lequel ij étoit de fi mauvaife humeur. Le trait iuivani; $u_ Duc de Montaufier lui auroit fourni  de Saint-Aulaire. 149 cette fatire. Un Courtifan bel - efprit plaifantoit un jour ce rigide homme de bien fur le perfonnage du Muantbrope , dont on prétendoit qu'il étoi t le modele. Eli ! ne voye^-vous pas , Monfieur , lui répondit le Duc de Montaufier , que le ridicule du Po'éte de qualité vous défigne encore plus clairement ? (d) Pour abréger le récit de 1'oppofuion que témoigna Defpréaux a 1 eleéfion du Marquis de Saint-Aulaire, nous avons omis plufieurs circonftances, que nos Leéteurs ne feront peut ètre pas fichés de retrouver ici. 1 oWque notre Académicien fe mit fur les rangs pour la place vacante, le„grand Poëte fe tenoit depuis long-temps renferme dans fa retraite d'Auteuil, ne paroiifant plus ni a la Cour ni a 1'Académie. Revenu de cette fureur de divinifer fon Roi, qui, durant les beaux jours de Louis XIV, c'eft - a - dire , durant pres d'un demi - fiecle , avoit été la maladie épidémique de la Nation, & fur-tout la fienne , il avoit oublié par défuétude fon ancien me< G üj  1$0 ° É L O G E tier de Courtifan , qu'il n'exercoit jamaf , difoit-il , qu'a regret , mais quappa rem ment il vouloït paroitre exercer avec plaifir , tant 1'excès & l'opiniatreté de (es louanges laiffoient toir peu de marqués de cette prétendue contrainte. Devenu plus indifferent a tout dans les dernieres années de fa vie , il ne fe permettoit plus guere d'Epigr rnmes ni de Satires, mais il n'en étoit que plus avare d'éloges. Souvent même il prononcoit, fans beaucoup d'examen , & comme de premier mouvemmt , des arrêts féveres & fans appel, dont il ne revenoit jamais. Ce fut avec cette févérité inflexible qu'il condamna la Piece du Marquis de Saint - Aulaire , qui d'ailleurs étoit une Piece galante, & qui, a ce feul titre, quoique la décence y fut refpeéfée . bieffoit 1'auftérité religieufe dont le Satiriqt.e fe piquoit dans fes mceurs , & fur-tout a la fin de fes jours. II refufa donc a 1'.Auteur de eet Ouvrage (qu'on nous paffe le parallele, car toutes proportions doivent être ici gardées ) la même juftice qu'il avoit refufée ü  de Saint-Aulaire. t$ t lon^-temps a Quinault, en 1'appelant unVoëte fade"& doucereux , & que depuis il refufa bien plus durement encore a 1'Auteur de Rbadamifte , ea le mettant au deflbus des Eoyers & des Pradons; L'inexorable Afiftarque , pénetré fans doute de cette maxime, Qui n'a plus au un moment a vivre > na plus rien d dijfimaler, avoit hautement déclaré que le jour de leledion il viendroit expres d'Auteuil a 1'Académie , ou il ne paróhToit plus depuis long-temps, pour réclamer contre un fi mauvais choix. Un de ces Ecrivains , dont la médiocrité taaie de fe faire diftinguer dans la foule, en fe couvrant, pour ainfi dire , de la livrée des hommes célebres , Sc en recueillant les miettes qui tombent de leur table , 1'Auteur du Bolaeana, qui a compilé , fans beaucoup de difcernement pour la mémoire de Defpréaux, tout ce qui peut être pour lui un fujet d'éloges ou de reproches, eft le garant qui nous allure (Sc qui le favoit de Defpréaux lui-mème ) , que le Poëte irrité tint parole, Sc vint donner au Poëte de qualité cette mal" G iv  ï$i É L O G E Wte fcoule noire, que des Academieiens, Gens de Lettres, ont eu ie genere»T procédé de réferver, en cette occafioii pour leurs femblables. Celui de fes Confrères dont les modeftes remontrances ne pRrent adoucir fon fiel, etoit 1'Abbé de Lavau (V), gui lui-meme de très-bonne Alaifon & auteur de quelques vers médiocres fe croyoit plus intéreiTé que perfonné a pretendre que les vers d'un Poëte de qualue ne devoient pas être iugés ave la meme rigueur que ceux d'un Poete de profemon. Y\L "ï? un Cr°y0ns ]e B^ana , l Abbe Abei le autre Poëte médiocre fe ,oigmt a 1'Abbé de Lavau pour flecmrlmexorable Rhadamante de Ia Litterature & partagea avec fon obligeant Confrère la brufquerie des réponfes du Satirique. Defpréaux avoit pourtant emne des follicitations aiTez Tives en faveur de M. de Saiw-Au! iaire, & a la tête des folliciteurs fe . CO Voy« fon article dans I'Hift. de 1'Acad.  de Satnt-Aulaire. 153 trouvoit M. le Préfident de Lamoignon, a qui, dans toute autre circonftance , il n'auroit rien refufé. Mais les mauvais vers , ou ceux qu'il croyoit tels, ne pouvoient trouver auprès de lui ni paffe-port ni fauve-garde. M. de Voltaire a raconté a plufieurs perfonnes une anecdote affez plaifante , & qu'il affuroit tenir de bonne part , fur la querel'e de Defpréaux avec 1'Abbé de Lavau. Selon M. de Voltaire , la Piece pour laquelle Defpréaux venoit de donner fa boule noire au Poffulant, ne fut point citée a 1'Académie par le Satirique le jour de leleéfion ; il fe déchaina feulement en général contre les mauvais vers du Candidat, 8c 1'Abbé de Lavau offrit, pour le confondre, d'apporter a 1'Affemblée fuivante des vers du même Auteur , qui prouveroient combien Defpréaux étoit injufté. Celuici, de fon cöté, promit d'en apporter d'autres qui lui donneroient gain de caufe. Les deux Académiciens vinrent en effet, munis chacun de fa Piece juftifkative , ék cette Piece fe trouva la même. La fingularité du fait nous Gv  154 ÉLOGE feroit defirer qu'il füt vrai ; mais il paroit difficile de concilier le récit de M. de Voltaire avec celui du Bolceana , & même avec 1'article ou eet iliuflre Ecrivain parle de M. de Saint-Aulaire dans fon Catalogue des Auteurs connus du dernier fiecle. II femble réfulter de- ces deux derniers ré.its , que la Piece de M. de SaintAulaire fut cite'e a 1'Académie par Djfpréaux dans la féance de 1'éiection ; car il 1'accufoit d'être non feulement mauvaife, mais contraire aux bonnes maurs. Une pareille impufation exigeoit des preuves, 6t les Académiciens étoient en droit de forcer leur Confrère a les produire fur le champ , bonnes ou mauvaifes : car la conjonélure étoit inflantè; & ils ne pouvoient , fans violer les Régiemens , & s'expofer a un refus de la part du Roi , donner leurs voix a M. de Saint-Aulaire, fi 1'imputation dont le chargeoit Defpréaux avoit été fondée. Mai« la Piece, comme nous 1'avons dit, étoit trèsmefurée dans fes expremons, quoique galante; 6c il paroit que les Confre-  de Saint-Aulaire. * 5 3 res du Satirique ne fe crurent pas obligés d'être, en cette occafion , aufli rigoriftes que lui. (e) La Piece du Marquis de SaintAulaire oü le grand Poëte fe croyoit attaqué, étoit une Epitre a la louange du Roi, dans laquelle fe trouvoient les vers fuivans : J'aime a le voit bannir la piqnante Satire, Qui brie;uoit prés de lui la liberté de rire. Et plus bas : Ia Satire dès-lors, honteufe , confternée, De fes rians attraits patut abandonaée. Defpréaux n'avoit que trop de raifon de foupeonner qu'il étoit 1'objet de ces vers ; c'en étoit bien alfez pour le rendre peu favorable au Candidat, & pour lui faire juger le Poete Courtifan avec la même rigueur qu'il avoit exercée contre les Chapelains &. les Cotins (ƒ) On nous a dit que ces mots, quoique femme & Princefe , avoient offenfé quelques-unes des ferarnes qui étoient préfentes a la leclure de ces G vj  J5Ó E L O G É Eloge. Cependant, quelque éloigne's que nous fuyons de vouloir leur déplaire , nous avons cru devoir laiffër iubfifter cecce phrafe , par.e que nous ne croyons offenfer ni les femmes ni les Princefes , en difant que i'amour > des Sciences, des Lettres & des Arts, n'eft pas leur goüt ordinaire & dominant , encore moins leur goüt de faffion , comme il 1 'étoit pour Madame la Ducheife du Maine. Ce n'eft donc point ici un reproche , mais un limple fait, qui ne doit bleifer en aucune maniere leur amour-propre. Si nous diftons d'ur^Roi , qu'il n'aima, quoique jeune & Monarque , ni les plaifirs, ni le fafte, ni les flatteurs , eet éloge feroit-il une fatire des jeunes Monarques ? II fignifieroit feulement qu'il leur eft difïïcile d'éviter I'amour des plaifirs, du falie & de 1'adulation. (g) Cette réponfe fine & laconique du Cardinal de Fieury, étoit a la fois un fouhait pour lui-même , qui ne pouvoit devenir Doyen fans vivre long-temps , & pour le Philofophe Fontenelle, qui ne pouvoit ceffer de  de Saint-Aulaire. iff vivre qu'au moment oü le Cardinal feroit üoyen a fa place. D'ailleurs, 1'Académicien qui a 1'honneur peu défirable d'être Doyen de la Compagnie , ne doit, pour 1'ordinaire , > eet honneur qua fon grand age , c'efta-dire, a la trifte efpérance de mourir bientöt; &. c'eft de quoi le Cardinal n'étoit point preffé. Nous prions les Lecfeurs intelligens de nous pardonner ce long commentaire ; car nous ferions un peu humiliés qu'on nous appüquat le mot d'un Ecrivain ce'lebre : Tout Commentateur de bóns mots eft un fot ; mais on affure que dans la Séance publique oü nous avons lu eet Eloge, quelques-uns de nos Auditeurs demanderent ce que le mot du Cardinal vouloit dire. C'eft par charité pour eux que nous eu donnons ici 1'explication ; & ce feroit mal récompenfer notre charité, que de nous 1'imputer a Jottife. i (h) A la fuite de ces vers d'un intérêt ft touchant, oü M. de Saint-Aulaire exprime avec tant de fenfibilité & d'énergie tout a la fois, 1'indignation des ombres illuftres contre leur  »5;8 E L O G E Détracleur , il ajoute une comparaifon ingemeufe , elégamment exprimée mais qui neft peut-étre pas affez nol ile pour les Héros dont il vient de peindre le foulevement ou fi on neft pas en kat ie donnetde bons avis a un Pilote ignorant; mais au moins fera-t^il permis au pauvre paffager, que ce Pilote nécoute pas, & quil rifque de nqyer avec toute fa barque, de trailer le Patron comme il le mérite. II étoit perfuadé que tout homme vertueux Sc éclairé , qui fe foumet a vivre fous un Gouvernement, de quelque efpece qu'il foit, populaire, monarchique , deC-  *o8 È L O G E potique même, doit a fes compagnons1 de liberté ou d'efclavage , le fecours au moins de fes lumieres, s'il ne peut leur en donner de plus efficaces , & qu'il eft redevable a fa Patrie, fok naturelle , foit adoptive , de tout le bien qu'il peur lui faire. L'Abbé de S. Pierre n'auroit pas traité ce Phiiofophe, trop injufte ennemi de ia Monarchie, qui, chargé, dans un Dictionnaire de Morale, de 1'article Qioyen, vouloit le réduire a ces deux mots : Cjtoyen, voyeur RépubLique. Rien éloigné d'approuver les trors maximes dont les vieux Moines prétendent fe trouver fi bien pour leur bonheur & pour leur repos, il n'avoit point comme eux pour principe, difoit-il , ni de laffer aller h monde mème de fe bomer a la faire en- lij  ,3oó É l 0 G E » tendre , en énoncant foiblement Sc » avec reftriiflion 1 enfin* contraire J » lis ont employé a cacher ou a dé# guiler leur penfée, tout ce qu'ils auj> roient dü mettre de génie & de ta» lens a 1'énoncer avec force Sc avec v cpurage. Comment démèler la vé» rité fous ce mafque de ménagefc> mens & de fubterfuges ? » Ces Phiiofophes, prudens ou timir » des, ont fait de leur art lache Sc trom» peur, une Science qu'ils ont appelée s> Rhéiorique , Sc qu'ils ont cultivée s> avec foin comme la Science la plus » efiimable Sc la plus utile. Ils ont » reffemblé aux Bateliers qui tournent i> le dos ou. ils veulent aller, avec » cette différence qce les Bateliers » abordent, Sc que les Phiiofophes ont » prefque toujours été repoulfés du x port par la violence des vents Sc » de 1'orage. Si qiielqu'un d'entre eux, ** bien perfuadé d'une vérité', prend » la liberté de la préfenter avec vi>> gueur , fans tout 1'attirail de mo5) dirications, qt|i ne fert qu'a la dé» fïgurer ou a 1'auoiblir : Vous preae^, » lui dit-on , avec le Marphurius de J» Molière, un ton trop affirmatif;  de l'Aepé de S. Piek re. 197 » vous ne devriez pas dire , cela ejl y> airfi , mais il me femble que cela » ejl ainfi. Le Philofoplie poürroit » répondre comme Sganarelle a Mar» phurius: 11 faut bien quil me femble, » puifque cela ejl. Doit-on s'étonner » qu'il faille tant de fiecles pour élever » 1 edifice de la raifon, puifqu'il y a » d'un cöté tant de rifque a ajouter >> une pierre a 1'édifice , & de 1'autre » fi peu de mains capables da 1'y » ajouter (1) « ? Notre Académicien , pour confirmer par des exemples 1'utilité de cette francliife philofophique qu'il défiroif. tant de voir établie , prétendoit que le cynique Dingene , fi méprifable 4'ailieurs dans fes maximes &. dans fa conduite , e'toit peut-ètre le Philofoplie de 1'Antiqufté qui avoit dit le plus de mots excellens, paree que la liberté, ou , fi 1'on veut, la licence (1) Cette même maniere de penfer faifoit dire a 1'iihiltre Montefquieu , en pai'lanr a que'ques Sages dignes de 1'entendre : Heurcux le Pays oii le Prince ne fait nul cas de neus, & nous cenfidere a(f([ peu pour nous laifftrfaire ! I 113  IOc? É L O G E qu'il s'étoit arrogée de tout dire , donnoit a fon peu de génie tout 1'effor dont il étoit fufceptible : il étoit femblable a ces infecxes lumineux , dont on appercoit quelquefois ieclat au milieu de la fange. L'Abbé de SaintPierre concluoit, non a 1'établifTement d'une pareille licence, mais a celui d'une liberté décente & honnête , toujours fufHfante aux véritables génies pour déployer ce qu'ils font, & mettre en aclion toutes leurs fcrces. C'eft a peu prés ainfi qu'il exprimoit la douleur du malheureux filence que la Philofopbie s'eft impofé fi fouvent fur plufieurs matieres oü il lui croyoit permis de s'exercer, & qui, felonlui, étoient plus nombreufes qu'ort ne penfoit. II feroit a fouhaiter "qu'il en eut fixé d une maniere plus crécife les yuftes limites , trop refïèrrées peut-être par les rins; & trop franchies par les autres. Nous ne nous flattons pas d'avoir rapporté fes propres paroles ; mais nous fommes fürs au moins d'avoir exprimé fidélement fa penfée , telle que nous 1'avons recueillie plufieurs fois de la bouche d'un de fes amis, feu M. de Mirabeau , de 1'Académie Franjoife, pour  de l'Abbé de S. Pierre. 199 lequel il n'avoit rien de cacbé. L'Abbé de S. Pierre étoit même perfuadé , comme nousl'avóns dit dans fon Eloge, que la pufillanimité des hommes dans leurs jugemens, s'étendoit, a la honte de la raifon , jufqu'aux objets purement lhtéraires. La fuperfiition aveugle que tant d'Ecrivains ont témoignée pour l'Antiquité , n'avoit, felon lui, d'autre fource , dans la plupart de ces Ecrivains , que la crainte de choquer les opinions recues, en refufant., non pas d honorer, comme elles le mentent , les produéhons immortelles de Rome & d'Athenes, mais de fe proflerner aveuglément devant eues. C'eft bien ici le'cas d'apphquer la réflexion de M. de Voltaire dans fa lettre au Marquis Mafféi, qu'il a mife a la tête 'de fa belle Tragédie de Mérope. Après avoir fait une jufte. critique de plufieurs endroits de Corneille , que perfonne avant lui n'avöit ofé cenfurer , par refpeét pour 1'Auteur , il ajoute : » Je vous dis ici , » Monfieur , ce que tous les connoif» feurs , les véritables gens de goüt fe » difent tous les jours en converfation, » ce crue vous avez entendu plufieurs H Iiv  300 É L O G E »fois chez moi, enfin ce qu'on pénf* & ce que perfonne n'ofe encore > impnmer. Car vous favez comment » Jes hommes font faits ■ ils écrivent » prefque tous contre leur propre fenv timent, de peur de choquer le pré» J«ge regu. Pour moi, qui n'ai jav mais mis dans la Littérature aucune » politique je vous dis hardiment la l V" r' & &'oute V* je refpefo »pl* Corneille, & que e connois »iineux le grand mérite de ce Pere >> du j heatre que ceux qui le louent » au hafard de fes deïauts *. Ainfi devroient parler tous les Ecritains éclairés & courageux , qui ofent n etre pas de 1'avis de la populace litteraire fur fadoration fuperftitieufe des Auteurs célebres de l'Antiquité , qui ofent cmiquer leurs fautes en admirant leur genie , & croire que les Modernes les ont quelquefois égalés ou L'Abbé de S. Pierre , pour juffifier les aflertions fur le culte idolatre que tant d hommes ont voué aux Anciens, racontoit I'hifloire d'un Pemtre \ qui en prefence de plufieurs Maitres de 1 Art, cntiquoit lévérement un tableau  de l'Abbé de S. Pierre. ioi de Raphaël, devant lequel ces Makres s'extafioient , 8c faifoit contre ce tableau des objerfHons beaucoup plus fortes que leurs réponfes ; un babiie Artifie qui étoit préfent, & qui avoit gardé le filence, ne put s'empêcber de leur dire avec la bonne foi la p'>us naïvementexprimée: Voulez_-vous, Meffietirs, que je Vavoue l Tout ce que dit Monfteur eft vra'i ; mais c'eft qu'on, na pas coutume de dire cela. On pourroit en dire autant, ajoutoit l'Abbé de S. Pierre , de tant d'erreurs flupidement embraffées par les uns, 6e, poütiquement admifes par les autres. II comparoit ces erreurs (la comparaifon étoit plus jufie que noble) aux pihiles qüon rejoit fans les macher, paree qu'autrement on ne les avaleroit jamais; 6c ii alfuroit, en fuivant cette comp.iraifon , qu'il y a bien peu de nos jugemens oü il n'entre autant de préjugés quil entre de drogues dans la thériaque. C'eft pour cela, difoitil encore , quil nefaut prefque jamais foutenir qu'on a raijon, mais dire avec modeftie : Je fuis de cette opinion quant a préfent, 1 v  202 E L O G E (i) II approuvoit fort, & i! auroit fait adopter par-tout , s'il avoit pu , 1'ancieu Corle reügienx , rnoral & civil des 1% Bale'ares, leduit a ce peu de mots : Adore^ & c'rai- NoTE XI, relative d la page 121 , fur les projets de l'Abbe DE S. PlERRE pour futiluédes Sermons. ïh croyoit rendre ce genre d'inftrudion plus profitable en le rendant medleur; & le moyen qu'il propofoit pour y réuffir, é'oit d'obliger les Orateurs a ne prêcher que cette bienfaifance , fa vertu favorite & bien digne de 1'être En ge'néral, il penfoit que les établiffemens les plus utiles aVoient fcefoin de réforme- il les comparoit a des horloges, qu'il faut de temps en temps nettoyer & remonter On peut voir encore dans fes (Euvres, fes projets pour réduire* la Religion a ce qu'il appeloit Xejfentiel , c'eft a-dire , a la Morale (i)- pour  de l'Abbé de S. Pierre. 203 fupprimer prefque toutes les Fêtes , dont la quantité , felon lui , étoit , pour le Peuple , 1'aliment de la fainéantile & du vice; pour laiffer a ce même Peuple la liberté de travailler même le Dimanche, après avoir rendu a l'Ltre Juprême le culte particulier quil a jugé a propos de fe réferver en ce Jaint jour; enfin , pour élever les Dauphins dans une elpece de Collége , par la néceffité , difoit-il, d apprendre de bonne heure a ces enfansla, ce qu'on ne leur apprend point affez, a regarder les autres hommes comme leurs femblables. L'Abbé de S. Pierre ajoutoit, que tant d'ïnffituteurs Loupable- , qui, chargés de i honorable emploi delever un i'rince , s'en étoient mal acquittés, foit par négligence , foit par des vues plus crimineiles encore , mérkoient une gne% Dieu ; feconre^ les pauvres ; honore^ les •vieillards ; obéiffei au Prince ligivme , è> rè■prime{ les Tyrans ; repouffez l'ennemi; fequeftre^ ae la Sociétê les tn.dhiteurs; ne la (fez. pas trop voyaficr les jcunes pens ; i car ils ne rappo-teroient des Pays êtraneers que les mauvaifes mceurs , ■& non les bonnes. . t I vj. ■  ->«>4 É L O G E punition flétritrante , fur-tout hrfqué le Prince montroit des vertus & des talens qu'une heureufe culture auroit développés. Cette punition , difoit-il, feroit a la fois ék la jufte récompenfe de ces déteflables ennemis de 1'Etat, & un exemple utile a leurs fuccefleurs. II propofe auffi des réformes pour léducatitn des Colléges, ék détaille les avanrages de eette éducation; mais il oublie 1'article important des mceurs, beaucoup plus dimciles a conferver dans 1'éducation pubüque que dans 1'éducation privée. Son projet contre Ie duel eft aufS cliimérique que tous ceux qu'on a imaginés fur cet objet, paree que les Loix ieront toujours plus foibles que 1'opimon. II obferve au moins que cette fureur, par quelque caufe que ce pui/Te être, fembloit déja saffoiblir ék devemr moins violente parmi nous, qu'elle ne 1'étoit au commencement du dernier fiecle. Nous ne voudrions pourtant pas adopter la réponfe que fit un Courtifan a Louis XIV, qui fe félicitoit d'avoir enfin aboli les duels : Sire, vousaurie^ aujourdhui bien plus de feme d les rétablin  - de l'Abbé de S. Pierre. 205 On ne peut qüapplaudir a tout ce que dit l'Abbé de S. Pierre contre les vceux monaftiques précipités , & contre 1'abus qui permettoit alors de les faire a feize ans , abus un peu corrigé de nos jours, mais qui devroit 1'être encore davantage (1). Segrais , comme nous 1'avons dit dans 1'article de cet Académicien , appeloit la manie de fe faire Moine , la petite vérole de Vefprit. L'Abbé de SaintPierre goütoit fort cette expreffion , d'autant plus, difoit-il, que cette manie étoit, dans ma jeunejfe, la ntaladie de prefque tous les enfans au fortir du Collége. » Je fus attaqué, at dix-fept ans, de » cette petite vérole religieufe. J'allat » me prélenter au Pere Prieur des » Prémontres Réformés d'Ardennes, » auprès de Caen ; mais par bankeur $ pour ceux qui profteront de mes » Ouvrages , il douta que j'euffe affez » de fanté pour chanter long-temps au » choeur , & m'envoya eonfulter uo (0 Yoyez les Notes Aw Tarnde de. Se* grais.  io6 E L O G E » \ieux Médecin du chateau deCaen, » qui me die que j'étois d'une com» plexion trop délicate. J'ai donc eu » cette maladie, mais ce n'a été qu'une » petite vérole volante «. II raconte a cette occafion 1 hiftoire affreule de l'Abbé de Vateville, qui, ayant eu le malhe.ir de fe faire, a dix fept ans, Capucin, puis Chartreux, s'ennuya du cloiire , s'enfuit, tua trois hommes, époufa une Religieufe , fe fit Mahométan , & , pour rentrer en grace avec 1'Eglife Catholique, trahit le Sultan fon bienfaiteur, en livrant aux Autrichiens un déta hement qu'il commandoit dans une guerre de 1'Empereur Léopold avec les Turcs. Cette ferveur monafiique , fi paiïagere & fi fnnefte par fes fuires, s'empara de l'Abbé de Vateville au fortir d'un Sermon fur 1 Ënfer , dont le rédic.'teur avoit f-.it [a . pouvantable peinture; autre m.nici e de réÜe.xions fur 1 'eSet terrible que certains, objets rehgieux peuvent produire fur des ames foibles 6c ardentes (i). ••'3(i}.Cd,£iit,'IuneVa»fe 'femblab'e 'qui/d:-terrmna le maüieureux Jean Chacel a l-ailaf-  de l'Abbé de 5. Pierre. 207 Ce morceau fur l'Abbé de Vateville eft peut-être Ie plus intereffant qu'on puiffe lire dans les Ouvrages de notre Académicien Pbilofophe. L'Abbé de S. Pierre, qui vouloit que les Minifires de la Religion fe bornaflenta prècberla Morale, ignoroit vrailemülablement 1'anecdote fuivante, que nous ne garantiffons pas, & même dont nous défirons la vérité plus que nous ne la croyons. On prétend que les premiers Voyageurs qui découvrirent les Moluques , trouverent que dans Pille de I ernate , qui eft une de ces ifies, la pratique de la Religion étoit rigoureufement bornée a ce que nous allons dire. Le Peuple , un certain finat d'Henri IV. Les Jéfuite?, fes Majrress, pour JVffr.;.yer fur les fuitcs des dcforAres od Pentrainjit fa jeuneife , l'enf.-nnoient dans une chaml'rc .noire, cii il étoit cntouré de figarcs de Diables; vivement troubié par 1'affreufe image des peinev de 1'Enrer, dont on le mënaceit, il voulut ra heter les fippüces de 1'aütre monde par quelque horrible fupplice dans ceu'.-ci'; pour obtenir ex fuppliöe», il comrnit le parricids qui.l'y conduifit, St (fl-uf .1'ailL'iiis le fanarifniè Gathpliïjuc rcgar3oit alors comrae une aclion méntoire.  aoS é l o g e- jour de Ia feinaine , s'affembloit dans" un Temple fans autel, fans images, fans aucune marqué extérieure de culte. II y avoit feulement au milieu du Temple une colonne, fur laquelle étoient gravés les préceptes de la Loi naturelle : Aimez\- vous les uns les autres; exercez\ mutueüement la bienfaifance , &c. Un Prêtre ams au pied de cette colonne , n'avoit d'autre fonction que de monuer ces préceptes au Peuple avec une baguette, fans qu'il lui fut permis de prononcer un feul mot. Les Légiflateurs de cette INation , apparemment grands Phiiofophes, mais inconnus , avoient fenti que n'ayant pas le bonheur d'avoir une Religion révéiée, pour peu qu'on permit aux Prêires d'ouvrir un moment la bouche pour prêcher a la Nation xine Morale pure &. raifonnable , ils 1'ouvriroient bientót pour prêcher un culte fuperftitieux. Si cette anecdote eft vraie, il eft très-furprenant que chez un Peuple d'ailleurs ü peu eclairé , ceux qui lui ont donné des Loix aient eu fur la Religion la plus heureufe idéé que puiifent avoir des hommes privés ties lumieres d'une révélation  de l'Abbé de S. Pierre. 109 vraie ; idéé qui avoit échappé aux Sölon , aux Licurgue , aux Numa & aux Platon, & qui , pour le bonheur &. le repos du genre humain, devroit être fiiivie dans tous les pays oü cette re'vélation n'eft pas connue. Elle feule en effet doit avoir des Miniftres qui parient au Peuple; car puifqüelle eft révélée, & que 1'Etre fuprême ne parle point direétement aux hommes, il doit néceffairement avoir auprès d'eux des Organes & des Interpretes. Mais en ce cas, la grande attention fdes Gouvernemens doit être d'empêcher que ces Interpretes n'abufent de leurs privile'ges pour prêcher des erreurs , & pour infpirer le fanatifme. L'Hiftoire Eccléfiaflique prouve a chaque page, que ce malheur n'eft que trop fouvent arrivé. Dans les projets de l'Abbé de SaintPierre pour la réformation ft néceffaire del'éducation nationale, nous croyons qu'il auroit du mettre pourbafe, d'infpirer aux enfans le mépris de la mort & celui des richelfes. C'eft paree qu'on infpiroit de bonne heure a la jeunefle Romaine ce doublé mépris , que les Romains ont été pendant fix cents  210 É L O G E ans le premier Peuple de la Terre; c'eft avec ces deux principes que les hommes fauront braver les deux plus redoutables fle'aux du genre humain, la fuperftition & la tyrannie. Ce changement feul dans 1'éducation , renouvelleroit en vingt ans un Peuple entier , & feroit d'une Nation efclave & frivole , une Nation libre &. courageufe. Et ne croyons pas qu'il foit impoffibïe , même dans nos. Gouvernemens modernes , d'apprendre aux enfans a méprifer la mort & les richeffes mème, plus difficiles a méprifer. L'enfance reeoit fans peine & conferve avec force toutes les imprefïïons qu'on veut lui donner; & , encore une fois, 1'éducation des Romains eft la preuve la plus inconteflable & la plus frappante de la poffibilité & des avantages ineftimables du projet que nous propofons. II eft ft important & fi utile aux Peuples , 1'effet en feroit fi für & fi puiffant , que nous craignons fort qu'il ne foit jamais mis en exécution. Trop de gens font intéreffés a 1'empècher.  de l'Abbé de S. Pierre. 211 NOTE XII , relative d la paffe 121, fur les projets Je ï'Abbé DE SainTPlERREv pour rendre utile 1'Académie Franfoife. Il n'approuvoit nullement le plan d'inflitution de cette Compagnie , dont le Cardinal de Richelieu avoit fait, felon lui, un inflrumeht de flatterïe & d'efclavage ; il vouloit que nous évitamons jufqu'au prétexte du reproche dont nous avons été chargés avec tant d'amertume par quelques Ecrivains atrabilaires, d'avoir inficlé toute l'Europe de tencens que nous avons fait brüler devant nos idoles (i). 11 vouloit que nos Harangues académie ques ceffaffent d'être des répertoires de complimens , & de fades recueils de formules; qüelles ne reffemblaffent pas, fuivant la comparaifon de Def- (i) Ce font les termes de le Vajfor, dans fon Hift. de Louis XIII.  iI2 É I. O G E préaiix , a ces Méflès folennelles, ou le C élébrant, après avoir encenfé toute laffiftance, finjt par être encenfé a ion tour j que Ces Difcours fuffent des morceaux intéreffans de Litte'rature raifonnêe,^& fur-tout philofophiques • qu'on fut y attaquer habilement ék a Ia dérobée, s'il y avoit trop de Hfque^ a les he.urter de front, les préfugés de toute efpece qui s'oppofent au progrès des lumieres; que par cette attaque fourde ék continue, on préparat mfenficlement les efprits a feeërie joug de ces préjugés- que les fujets de nos prix d'éloquence fufTent confacrés a 1'éloge des hommes célebres de Ia Nation ; que les Affemblées flefünées a diftribuer ces prix, fuffent des efpeces d'Etats- Généraux de ]a Littérature , oü les hommes les plus diflingués en tout genre fuffent invités, ék que le Monarque même daignat bonorer de fa préfence. En un mot, 1 Abbe de S. Pierre défiroit que 1'Académie Francoife prit pour devife ce pa%e de Pline : Si nous ne pouvons faire des ckofes dignes d'être écrites, écrivons- en du moins qui /biene dtgnes d'être lues. Telles étoient fes  de l'Abbé de S. Pierre. 2ij vues patriotiques fur Ia première des 1 Compagnies littéraires du Royaume \ nous avons eu Ie bonheur d'en réalifpr quelques-unes. Puiffent nos futurs Confrères, en rempliffant le refle de :: ces vües fi louables, fatisfaire au voeu ;; général des Gens de Lettres &; des Citoyens éclaire's ! L'Ouvrage de 1'Abbe' de S. Pierre fur la re'forrnation de 1'Acade'mie Francoife , Sc fur 1'utilité qu'il vouloit donner a nos travaux, rappejle un autre I Ecrit du rnême Auteur , qui avoit 1 pour titre ; Projet. pour rendre les Ducs & Pairs utiles; titre qui auroit e'té une fatire dans la bouche de tout autre Ecrivain , mais qui , dans la : lïenne , n'étoit que 1'expremon naïve : Sc fimple de fes fentimens Sc de fes i vceux. Un de ces hommes qui fe croient fort plaifans ( ce qui n'eft pas le moyen de 1'ètre ), s'eft imaginé que le titre de 1'Ouvrage feroit bien plus piquant fous cette iorme : Projet pour rendre I utiles les Ducs & Pairs & les toiles 4'araignées. II n'a pas vu que ce deri nier titre n'étoit qu'une injure grof. fiere, & le premier un trait d'autant plus fin, que dans fintention de 1'Au-  214 E L O G E teur ce n'étoit pas même une plaifante; ie. INous ne ferons qu'indiquer fans réflexions les autres projets de notre Académicien , pour rendre utiles les remontrances d<.s Pariemens, les mauvais Livres, les Romans & les Catéchifmes : Projets évanouis aufïï-tót que formés. Jamais peut-être ce vers n'eut une plus jufte & plus facheufe application. Quelque défïr cependant que témoignat lAbbé de S. Pierre de voir un jour la Société & 1'Adminiftration remplir fes vues patriotiques & bienfaifantes, il s'attendoit fi peu a jouir de ce rare bonheur , qu'il témoignoit quelque fatisfaéfion lorfqu'on lui faifoit entrevoir que dans cinq ou fix fiedes quelqu'un de fes projets pourroit être exécuté. II oppofoit a cette plaifanterie le proverbe trivial, mais devenu intéreffant dans fa bouche par le fentiment qui 1'animoit : // vaut mieux tard que jamais.  de l'Abbé de S. ierre. 215 NoTE XIII, reladve a la page 123, fur Vaverfion de V'Abbé DE S.A.INTPlERRE pour la Religion. Muf uimane, L E Traité le plus fingulier qu'on trouve dans fes ©uvrages , dit 1'Auteur de 1'Elfai fur Ie Siècle de Louis XIV , » eft celui de X anéantiffement »futur du Makométifme. II affure » qu'un temps viendra oü la raifon » 1'emportera fur la fuperflition. Les » hommes comprendront enfin qu'il » fufHt de la charité & de la hien» faifance pour plaire a Dieu. Dans » cinq cents ans , tous les efprits , '» jufqu'aux plus groffiers, feront éclai» rés ; le Muphti même & les Cadis » verront qu'il eft: de leur intérêt de » détromper la multitude, & de fe ren» dre plus néceffaires & plus refpecfés » en rendant la Religion fimple & » pure «. II avoit fort a cceur d'accélérer cet  ii6 É L O G E anéantiffement du Mahométifme, qu'il prévoyoit de fi loin. Ses vceux fur ce 1'ujet font expriniés dans un Manufcrit que nous avons vu, ék que feu M. Duclos nous a autrefois communiqué. Ce n'étoit pas feulement a caufe de fon abfurdité qu'il en vouloit a cette Religion, car il convenoit que la furface de la terre eft en proie a d'autres Religions beaucoup plus abfurdes; mais 1'étendue immenfe des contrées abruties par le Mahométifme, le lui faifoit regarder comme un des plus grands fléaux de 1'efpece bumaine. L'Abbé de Saint - Pierre , dans Ie Manufcrit dont nous parions, expofe , avec toute la fimplicité de fon ftyle & toute la candpur de fon ame , les moyens qui lui paroiffent les plus fürs pour acceiérer la chute de cette Religion fatale. II prétend qu'un Philofopbe qui fe trouveroit dans les Etats du GrandSeigneur, ék qui voudroit éclairer le Prince ék les Peuples fur le ridicule de leur croyance , devroit bien fe garder de heurter de front ék brufquement les dogmes abfurdes auxquels ils  de l'Abbé de S. Pierre. 217 i ils font attachés; qu'une pareille temerité-, funelle peur le Novateur, 1 feroit en pure perte pour le fuccès , : puifqu'elle ne ferviroit qu'a re'veiller i & qua irriter tant de Prédicateurs I de 1' Alcoran, toujours en fentinelle contre 1'ennemi , & payés pour crier, Qui I vive, dès que la raifon paroitroit dans 1'obfcurité fa lanterne a la main; que Ie Sage qui voudroit fe cliarger de porter cette lanterne , devroit fe bor1 ner a expofer d'abord les principes généraux qui, par une vérité frap1 pante & une clarté palpable , pour1 roient fervir a faire connoitre, fans application exprefiè de fa part, 1'extravagance des degmes mufulmans ; qu'il n'oferoit combattre ; qu'il devroit s'appliquer fur-tout a établir dans fes Ouvrages une morale pure , raifonnable, intéreffante , & appuyée fur une bafe plus folide que-celle du Mahométifme -j que fi i on veut , fans danger pour foi-nume, faire déferter une méchante maifon a ceux qui 1'habitent, il faut bien fe garder d'y mettre ; lc feu; qu'il faut feulemeht, auprèa de cette niaifón , en batir une autre, Torne V. K  21 8 É L O G E plus commode & plus faine , qui invite a s'y e'tablir -y & que pour lors les habitans de la première maifon, qui 1'auroient défendue avec fureur contre une attaque violente , viendront d'euxmêmes & fans bruit habiter celle qu'on leur a pre'parée ( i ) • que parmi les abus fans nombre fous lefquels le Mahoméiifmé fait gémir 1'humanité, on doit relever avec foin ceux que les Minifires de cette Religion n'oferont défendre a force ouverte ; qu il ne faut fur tout négliger aucune occafion de faire fentir au Sultan que le Muphti & fes fuppóts le tiennent comme en tutelle, par 1'autorité qu'ils prennent fur lui , & par celle dont ils s'emparent auprès des Peuples ; qu'il faut fans ceffe mettre en oppofition leur conduite avec leur doctrine, leur luxe (i) Madame GeofF.in , que nous aimons a citer dans 1'Eloge d'un Sage qu'elle aimoit, avoit retenn cette maxime de M. l'Abbé de S. Piene ; & c'eft d'aprés lui qu'elle la répétoit fouvent, comme 1'a rapporté M. 1'Abba Morcllet dans 1'exccllent portrait qu'il a tracé d'elle.  de l'Abbé de S. Pierre. 219 avec le detachement dont ils font I prufeffion , leur'fanatifme avec la chi! rité qu'ils prèchent &. qu'ils annoncent. j L'Abbé de S. Pierre citoit a ce fujet , pe que rapporte Diodore de Sicile , j d'un certain Er^amenes 'qui ré^noit j a Meroë en Ethiopië , du temp; de I Ptolémée Philadelphe. Ce Prince, inftruit de la Philofophie des Grecs, & J éclairé par les lumieres qu'il y avoit puifees, s'affranchit du joug ék de Ia f tyrannie de fes Prêtres, les fit mourir comme des impofteurs qui trompoient fes Peuples , ék inilitua un nouveau j culte. ne falloit pourtant pas, difoit notre indulgent Académic^n, faire mourir ces Charlatans , mais jeule1 ment les empê^her de vendre leur marchandifc 6' de décrier celle des Sagcs, C'eft aux Miffionnaires du Levant qu'il appartient de juger ék d'apprécier ce projet de l'Abbé de S. Pierre pour 1'extirpation du Mahométifme ; projet d'autant plus utile , qu'il eft applicable a tous les faux cultes qui déshonorent a Ia fois la Divinité ék : la raifon humaine. Dans le Manufcrit dont nous parKij  120 * L O G S lons , il faifoit encore fur cette importante matiere les re'flexions fuivantes. » 11 y a des Médecins qui ne croient }> pas a la Médecine , qui le difent » même affez hautemertt , & a qui » cette fraiachife ne réuffit pas mal : i> on caufe avec eux , on a le plaifir » de leur parler de fes maux, car » c'en eft un de parler de foi ; ils i> vous e'coutent, ils n'ordonnent point » de remedes, tout au plus un régime » fort fimple & quelques privations » qui coutent peu; ils ne Iaiffent pas » de guérir comme les autres; ils font » fortune , & peut - être leur fuccès i> mettra-t-il leur franchife plus a la ï> mode. Dans les fauffes Religions, » les Prêtres qui ne croient pas aux » abfurdités qu'ils enfeignent, n'ont » garde, pour ('ordinaire, de 1'avouer; » ils ne tireroient pas de leur fran» chife le même avantage que les Mé» decins de bonne foi; un MéJecin V qui avoue que le; remedes font une i> charlatanerie , eft encore bon a quel» que chofe ; un Prêtre qui avoueroit » que la Religion qu'il prêche eft une ? impertinence , feroit baffoué comme  Be l'Abbé dE S. Pierre. sn » un afïronteur public. Je ne fais pour? » tantfiun Imanou un Dei vis, qui diroit » au Peuple Mufuiman : Mes en» fans , toute la Religion qu'on vous » preehe dolt Je rédulre d alrner vos »J'emblables ; le refle iieft que vljions » indignes de Dieu & de Pons ; je » ne iais , dis-je , 11 cet homme ne »narviendroit pas a la longue a fe » faire écoüter , & s'il ne finiroit pas » par être 1'objet de la vénération » des Peuples, comme il feroit crlni » de la haine de fes Confrères. II » feroit un faux frere a leurs yeux : » Ia Patrie le nommeroit fon Pere ; » elle lui devroit des autcls , & peut* » être finiroit p:ir lui cn élever «. II eft vrai que dins les vues fi faines de notre Académicien pour la deftruction de la Religion iMufulmane , on ne voit rien de ce que 1'Auteur y auroit pu ajouterpourfubfiituer la Religion Chrétienne a cette Religion abfurde & barbare. Sans cloute l'Abbé de S. Pierre penfoit a cet égird comme le pieux Sc f3ge Abbé Fieury, qui, a la fin de fon excellent Difcours fur les Croifades, propofe une méthode a peu prés femblable pour ramener K iij  2^2 E L O G E les Mahornétans au ' Chi iftianifme. » Je voudrois , dit-il, que nos Mif» fionnaires commencaffént h s'infinuer ».dans 1'efprit des Mufulmans par les » vérités dont ils conviennent avec » nous ; 1'unité de Dieu , fa puitTarice , » fa fagcffe, fa bonté, & fes autres » attributs , les principes de morale » qui nous font commims, comme la » mflice & I'amour. du prochain. II » raudroH bien fe garder de leur parler » trop tót des m -fleres contre lekjuels » ils font prévenus. ü feroit bon encore » de relever les vices des Chefs de » la Religion, leurs débauches, leurs » cruautés, leurs perfidies. Je voudrois » enfin que pour ce s. ccnverfions on » imitat Ia fage Amiquitéi, qui faifoit » durer fi long-temps' 1'inflrudion des » Catéchumenes, tant fur la doclrine » que fur les mceurs «. On voit oue les d eux methodes de converfion expofées par l'Abbé de Saint-Pierre & par 1'ALi-é Fieury, font a peu prés les mémes , avec cette différènce que le fecond a,déve!oppé fa methode plus en détail, & que le premier n'a fait qü'efquhTer Ia fienne dans un Ecrit court & imparfait, qu'il auroit fans  de l'Abbé dé S. Pierre. h% doute complété en le mettant au jour. La pureté bien connue des iritentions du Théologien éclairé, doi£ répondre , en cette occafion , de celles du vertueux Philofophe. NOTE XIV, relativa a la page 124, fur le filence que L'JbbéUE SainTPlERR-E recommandolt en matiere de Religion, IL y auroit peut-être un moyen plus für encore que la loi du fi'ence , pour faire ceder blentöt les miférahles controverfes dont TEelife & 1'Etat ont e'te' fi fouvent déchirés; ce feroit de laiffer a ces inepries un libre cours, en n'y mettant pas même 1'ombre de 1'inte'rèt ni de 1'importance , en les laiïfjnt pêrir de leur mort naturelle dans la poumere des écoles , & für-toutv en permettant aux Ecrivains éclairés de couvrir toutes les querelles de cette efpece , du' ridicule qu'elles méritent. L'Abbé de S. Pierre fentoit K ir  2^4 £ L O G E lui même toute 1'utilité de ce moven, pour óter aux controverfes théologiques leur abfurde importance. » Lorf* qu'il y a , difoit-il , dans une Re» hgion deuxgrandes Seétesqui s'abhor» rent & fe déchirent, comme parmi » nou^ celle des Moliniffes & des » JanfénWes, celui qui entreprendra » de les tourner en ridicule, aura i> dautant plus davantage , que dans » tout ce qu'il dira pour fe moquer » de 1'une des deux, il fera für detre » appuyé par 1'autre , toujours prête » a applaudir aux traits qu'on lancera » contre fa rivale «. En vain lui repréfentoit- t- on qu'il étoit a craindre pour 1 Eglife , fi triflement divifée par ces deux partis, que du ridicule donné aux deux moitiés , il n'en réfultat celui du tout ; il répondoit avec autant de fang fróid que de vérité , que dans les huite* Reiigions le ridicule du tout, réfukant de celui des deux moitlés , ne feroit qu'un bien de plus pour 1'humanité & pour Ja rsifon, & un bien d'autant plus précieux , qu'il s'opéroit fans effort & fan; viole„ce; mais que ce ridicule du tout n'étoit  de l'Abbé de S. Pierre. 225 nullement a redouter pour une Religion véritable. Entre plufieurs griefs que l'Abbé de S. Pierre reprochoit au Cardinal de Richelieu, il lui faifoit fur-tout un grand crime du cas qu'il avoic paru faire de la Théo'ogie Scolaftique, ék des difputes qu'elle entraine: dans fon Difcours de réi^ption , il avoit loué le Cardinal de Richelieu comme il avoit fait Louis XIV, par bienféance & par devoir d'Académicien ; mais il n'aimoit pas plus le Miniftre que Ie Prince. Il ne lui pardonnoit ni fa politique , ni fa dur«té, ni fon defpotifme , ni enfin la reftauration de la Sorbonne , pe'piniere, ü on 1'en cro}roit , de fophifmes , de baines , de troubles, ék que le Cardinal eut bien fait, felon lui, d'anéantir de fond en comble , au lieu de la rebatir. Notre Académicien penfoit a ce fu;et comme le célebre Cafaubon, a qui 1'on montroft une Ecole de Théologie, en lui d int : Voila une falie oü fon difpute depuis quatre fiecles, Qua-t-on aécidé, répondit Cafaubon ? Le même Stvant aifiita un jour a une Thefe Théoiogique, ecrite ék foutenue K v  Z2& E L O G E en latin barbare (i). Je n ai jamais, dit— il , tant la & tant e'ccuté de latin. fans y r en eniendre. L'Abbé de S. Pierre, qui n'aimoit ni le Cardinal de Piichelieu refiaurate.r de la Sorbonne, ni par conféquent fon Pupille couronné , Louis XÜI , fe plaifoit a raconter une réponle que 1'Evêque da Belley le Camus fit a ce Cardinal. Que penfez-vous , lui demanda Ricbelieu , du Prince de Balzac & du Miniftre de Silhon ? (c'étoient deux Ouvrages qui venoient de paroitre») Le Prince, répondit 1'Evêque, ne vaut guere , & le Miuijlie ne vaut rien. (i) Si nous en croyons un Ecrivain moderne , on faifoit gloire autrefois de ne jamais citer t'Ecriturc dans les difputes de fcoJaftique; & le mème Auteur nous allure q j'on trouve ces propres mots dans les Reiilhes d'une Faculté At Théol ><ïie : Solidd die {fexta Julii ), cib aurora ai vejpef im, fait difputatum , 6* quiJem tam fulniliter, ut ne verbum quidem de totd Scripturd fuerit allegatum. Le 6 Juillet , on a difpute tout le jour, depuis le matin jufqu'au /oir, 6' avec tant de fubtiliü, qu'on n'a pas mime cué un Jeul mot de VEcriture,  de l'Abbé de S. Pierre. 227 NoTE XV, reldtive d la page 126, fur t exclufion que f'Académie Franfolfie prononpa contre l'Abbé de S. Pierre. T i L ne s'e'roit pas contenté de configner fecrétement dans les Annales politiques ( qui n'ont paru qu'après fa mort), 1'opinion peu avantageufe qu'il avoit de Louis XIV, opiniö'ri affez femblable a celle que le vertueux Fénélon avoit laiffé voir dans fon Télémaque \ l'Abbé de S. Pierre crut pouvoir fe donner carrière fur ce fujet-, dans un Difcours qu'il imprima fur la Polyfynodie. Le Duc d'Orléar.s, a qui ia familie étoit attacbée, fe trouvoit alors, en qüalité de Régent, :i la tête du Royaume. 11 avoit établi plufieurs Confeils, oü les affaires de 1'Etat fe traitoient feparément; un Confeil de Guerre , un Confeil d'Etat , un Confeil des Finmees , un Confeil pour les matieres eccléfiafii,ques. Notre Académicien , bien éloigné K vj  4l8 É L O G E d'être Courtifan , & incapable de louer ce qu'il ne croyoit bas digne d'éloges,•mais incapable auffi de fe taire fur les •vérités qu'il croyoit importantes, fit 1'Ouvrage dont nous parions, pour relever les avantage? de cette ptnralitê de Confeils ; car c'eft ce que fignifie ce titre de P olyfy nod'ie , trop favant peut-être pour un Ouvrage dont 1'objet, bien ou mal traité , étoit fi intéreffant pour la Nation. II oppofoit cette maniere de gouverner a celle de Louis XIV, & s'expli rruoit a cette occafion t-ès librement fur ce Monarque. II fut accufé dé lefe - Majeilé Académique par le Cardinal de Polignac, qui , ayant paffé plufieurs années dans un exil oü Louis XIV 1'avoit affe^ injuftement condamné pour le malheureux fuccès de fes négociations en Pologne , n'avoit pas dü nourrir au fond de fon cceur d?s fentimens bien tendres pour ce Prince , mais confervoit appareniment pour les manes du Monarque la vénération religieufe fi longtemps prodiguée a fa perfonne. L'Ëvêque de Fréjus, depuis Cardinal de Fieury , fe joignit au Cardinal de Pulignac • ils demanderent une Adem-  de l'Abbé de S. Pjerre. 229 blée générale, pour faire en même temps juftice & a 1'augufte Protecteur de lAcadémie , 8c a fon téméraire Détraéreur. Les Difcours qu'ils prononcerent 1'un & 1'autre a cette occafion , ont été imprimés dans quelques Recueils, & nous en remettrons ici les principaux traits fous les yeux du Public, comme un doublé monument de l'éloquen'.e de ces deux y^cadémiciens, & de leur zele pour la mémoire de Louis XIV. Cétoit dans lAfTemblée dn Jeudi 28 Avril 1718, que le Cardinal de P offenfe pas a la vérité impunément, » mais que nous fommes peu touchés » des offenfes faites a notre Protec» teur , de qui nous ne pouvons rien » efpérer après fa mort. » Suopofons pour un moment , » Meifieurs, que le Roi foit parvenu » a 1'age de fa ma;oriré , aitendriez» vous un ordre de fa part pour venger » I'injure falce a fon bifafeul ? & ce » que vous fenez al »'s , qui peut vous » empèchf de le faire a jou-dhui ? y> J'ofe donc vous dire . (Vfelfieurs , » que le i'^blic arrend de vous une S> puniri >n proportionnée a 1 orfenfe. (x) Furer.ere.  de l'Abbé de S. Pierre. 233 » Pourroit-il être content d'une répa» ration , fi forte qu'elle fut, renfer» mee dans ces murailles ? On ne peut » que vous louer de 1'indulgence que » vous eütes pour la première faute » de notre Confrère ; mais fi vous e » trairiez de mème la feconde, ce » ne feroit plus une compaflïon pour » le coupabie , mais une indifférence » trop marque'e pour la gloire du Roi, j> & plus encore pour 1'honneur de j> Ja Compagnie. » J'ofe même avancer qu'il feroit » honteux a nous de délibérer la-def» fus, & que la maniere la plus con» venable 6c la plus noble de mon» trer notre zele , feroit de rayer, par » une acclamation unanime , ce Con» frere du Cataiogue des Academi» cier.s. » Monfeigneur le Re'gent a déja » marqué fon indignation en fuppri» mant tous les exemplaires de ce Li» belle , & en faifant arrêter 1'Im» primeur. II louera notre réfolution, » 6c certainement il aura la bonté de » la confirmer. II a voulu laiifer agir » Jibrement la Compagnie, & ne pas » contraindre lesfuifrages.. pour ne pas  234 Ë L O G E » lui öter Ie mérite du parti qu'elle » prendra. M. le Uur du Maine, & » M. le Maréchal de Viileroi , qui » ont eu 1'honneur de lui en parler, » m'ont p;rmis , Meffieurs , de vous » alTurer de fes intentions «. Ce fut après ce Dilcours que M. de Sacy, ami de l'Abbé de S. Pierre, lut Ia Lettre que ce dernier écrivoit a 1'Académie , pour demander a être emendu ; & ce fut après la leéfure de cette Lettre, que le Cardinal de Polignac fit 1 eloquente Catilinaire que nous allons' rapporter. » Si l'Abbé de S. Pierre, dit-il, » etoit tombé pour la première fois » dans la faute énorme dont toute » 1 Académie eft fi judement indi»gnée, on pourroit écouter de fa » pan, non des iuftifications, mais des » témoi-mages fmceres de fon --eoentir. » Ce qu'on vient de lire, Memeurs, » eft plutót une apologie de fa con» duite, qu'un aveu de fon égarement: » il perfide a foutenir qu'il n'eft point » coupable ; & certe opiniatreté a » pourfuivre en toute occafion la mé» moiré du feu Roi , lui paroit fi peu » criminclle; qu'il n'en laiffe pas feu-  de l'Abbé de S. Pierre. 235 » lement efpérer la correéh'on. (.. om» ment nous en flatterions-nous, puif» que c'eft une ree hu re , au mépris » de la réprimande qu'on lui fit, tie » Pindulgeuce que 1'Académie vonkt » bien avoir pour lui, & de fes pro» pres engagemens l Vbjis vous en fou» venez, Meffieurs , il nous avoit pro» mi's, d'une maniere trés pofitive, qu'il » en profiteren a 1'avenir. Au lieu de » fe rétracler, comme il étoit de fon » devoir , & comme il en avoit donné » I'efpéVance, au lieu de réparer dans » quelque Ouvrage le tort qu'il s'étoit » fait a lui mème auffi bien qua noss, » fon a.harnement le porie a publier » de n; welles calomnies contre ce » grand Hoi, que nous avons toujours » fait profeffion d'admirer & de cé» lébrer par nos éloges. M. l'Abbé de » S. Pierre fe fépare .aujourd'hui de Vtous fes Confrères, comme pour leur » donner la - deffiiS un démenti > coupable , ék dont la jufiice eft » halancée par 1'amitié perfonnelle » qu'ils ont pour lui. Mais enfin nous » avons nos regies; elles difent qu'un » Académicien qui ofFenfera 1'honneur » de fes Confrères, perdra fa place » irrémifïïblement. Le feu Roi n'eft» il pas plus que tous nos Confrères » enfemble ? En un mot, il eft d'une » néceffité abfolue que cette aventure » faffe un vide dans 1'Académie. Qui » de nous pourroit fe croire permis » de s'affeoir dans ce lieu avec celui » qui n'a pas craint de calomnier in» dignement notre Procecfeur, notre » Bienfaiteur ék notie Roi « ? Ce fut en conféquence de ce Difcours, quel'Académierefufa d'entendrel'Abbé de 3. Pierre. D'autres raifons contribuerent encore a faire rejeter fa demande. II avoit écrit au Régent pour fe juftifier; ék fa juftification fe bornoit a dire qu'il n'avoit pas cru pouvoir parler de Louis XIV autrement qu'il n'a. oit fait. L'Académfe précendit que cette Lettre  238 É L O G E au Régent aggravoit Ia faure au lieu de la diminuer j que fi 1 Accufé mavoit pas cliangé d'avis depuiï qu'il avoit écrit cecte Lettre, il ne falloit pas lui fournir 1'occafion de venir enpleine Séance ajoiuer de nouvelles ïofufrès a celles dont il avoit déja flécri. le nom. révéré de Louis le Grand ; qu'enfin 1'Ouvrage de l'Abbé de S. Pierre étoit un corps de délit exifiant &. fumfant,, qui difpenfoit d'entendre 1'Auteuravant de le juger. Nous rroyons, avec tout le refpecf que nous devons a Ia mémoire de nos prédéceffeurs, que les Académiciens d'aujourd'hui auroient été plus équitables ou plus indulgens, &. qu'ils euffent accordé a leur Confrère , d'une voix prefque unanime , la permiffion qu'il demandoit de s'expliquer, au riique méme de le trouver pks coupable après fa défenfe. Quoi qu'ü en foit. on opir.a d'abord de vive voix fur la punition du criminel, & toutes les voix, fans en excepter une feule , furént pour le priver de fa place. Mais il étoit a craindre, pour l honneur de cette délibération , que plufieurs Académiciens  de l'Abbé de S. Piebbe. 239 n'euffent opiné de la forte pnr politique , &.pour ne pa; contredire trop ouvertement les plus animés & les plus puiflans de leurs Confrères. L'Académie voulant donc laifTer aux opiitians toute la liberté. du moins apparente, qu'ils pouvoient défjrer, jugea a propos de joindre a cette défbération unanime , le fcrutin des boules, qui iaiffoit a 1'équité ou a 1'ami'ié timide un moyen plus für de s'expliquer fans fe compromettre ; & toutes les bou'es, a ïexcept'ion d'une feule , furent pour 1'exclufion, quoique TAccufé crüt avoir plus d'un ami parmi fes Confrères (1), (1) Le fameux Fureticre , beaucoup plus digne de 1'exclufion qu'on prononga cortre lui, avoit eu de même une feule boule en fa faveur ; la Fontaine , que fa bonhomie fit foupconntr de 1'avoir donnce, quoiqu'il eut été fort ourragé par le coupable , avoua qu'il avoit donné une boule noire , mais que c'éroirpar dijlraQion. II eiTuya fur cette faute, afïez pardonnable, les reproches de Defpiéaux, qui auroit mieux fait de ne pas s'abfenter , comme il fit, de 1'AiTemblée , & de venir réclan'er en faveur de Furetiere fon ami , puifqu'il trouvoit fa deftitution injufte. II y  *4° E L O G E M. !e Régent, quoiqu'ü aimat beaucoup l'Abbé de S. Pierre , quoiqu'on 1'aceufat même de- penfer comme lui für Louis XIV, ne crut pas devoir annuller la délibération de 1'Académie. II donna donc les mains, quoiqu'a regret , a 1'acle de févérité que la Compagnie venoit d'exercer a 1'égard d'un Membre.fi eftimable; il fe contenta de repréfenter, que comme on n'avoit point nommé de fuccelïéur a Furetiere après fon exclufion , quoique Furetiere fut en èffet très-coupable , il lui paroilfoit jufte de ne pas trailer plus mal celui qu'on vertoit d'exclure, &. d'attendre fa mort pour 'remplir fa place. L'Abbé de S. Pierre étoit fi attaché a 1'Académie , fi perfuadé qu'elle 1'avoit jugé avec une précipitation dont elle fe repentoit, que dix-b»it moi* après fa deftitution , il crut pouvoir lui écrire de nouveau, pour la prier a apparence que- la boule favorable étoit de Racinc,qui,aini de Furetiere cojïime Defpréaux, fc trouva a 1'a Séance, & qui n'elTuya pas.romme Ia Fontaine, des reproches de fa laclicté. de  de l'Abeé de S. Pierre. 241 de revenir fur fon affaire. Le Directeur ék le Chancelier étoient alors deux Hommes de Lettres , MM. de Boze ék de la Motte ; il efpéroit les trouver plus f^avorables a fa demande , que les Académiciens de la Cour qui préfidoient 1'Académie dans le temps de fon exclufion. Voici la Lettre qu'il écrivit a la Compagnie , 6c dont la leclure fut faite par M. de Boze, Direcleur. M E S S I E U R S, y Tout le monde convient que les » Jiiges les plus éclairés ék les plus » équitables font quelquefois trompés. » Auffi y a-t-il des cas oü ils répa» rent, par des révifions ék par des » feconds jugemens, le tort que par » erreur ils auroient pu faire aux Par» ties fur leurs premiers jugemens ; » ék pe'rfonne n'ignore que la révi» fion eft de droit quand le jugement » n'a pas été contradiéloire , c eft-a» dire, lorfque la Partie accufée ou » citée n'a pas été entendue. Je fais Tomé V. L  241 É L O G E j» bien , Memeurs, que pour juger avec . » fuffifante connoifï'ance de caufe , que » dans tel oü Livre il y a des propofi» tions fauffés & des exprcffions ré» préhenfibles, &. qu'iKmérite d'être » fupprimé, il n'eft pas ne'ceffaire d'en» tendre 1'Auteur ; mais quand il s'agit » de de'cider fi 1'Auteur lui-même mé» rite punition, perfonne ne doute 'v qu'il eft abfolument néceffaire de » 1'entendre, pour avoir des preuves » fufftfantes de ce qu'il y a de criminel » & de punilfable dans fes intentions; ï> car enfin , Memeurs, comme il n'y v a point de crime puniffable oü il » n'y a eu effeéf i vemen t aucune ini> tention tant foit peu criminelle, il » ne doit pas y avoir de punition » déshonorante oü il n'y a point de > preuves fufEfantes d'intention crimi» nelle -3 &. jufqu'ici tout le monde s> a cru qu'il ne peut y avoir de preuve » fuffifante pour ordonner une puni» tion exemplaire, fi 1'Accufé n'a point » été entendu lui-même fur fes in» tentions; c'eft qu'elles peuvent avoir » été innocentes & même loüables, fclorfqu'au premier coup d'oeil elles  de l'Abbé de S. Pierre. 343 » paroiffent maüvaifes & blamables. » Cette coutume qu'ont les Jtiges d'en» tendre toujours 1'Accufé pour favoir » ce qu'il peut dire pour éxcufer fes » intentions, eft obferve'e parmi toutes » les Nations. Elle eft oblervée parmi » nous dans tous les Tribunaux , &. » 1'on n'a jamais refufé de revoir même » une affaire civile , quelque claire » qu'elle ait paru lors du jugement; » quand la Partie condamnée pent » prouver qu'elle n'a étê ni cite'e ni » entendue. Cette coutume eft fondée » non feulement fur 1'équité naturelle, j> mais encore fur 1'intérêt commun v de tous ceux qui compofent la $0» ciété civile. Quel feroit 1'homme de » bien , Memeurs, quel feroit le bon » citoyen , qui, avec les plus louables » intentions du monde, ne fe trouvat » pas dans des alarmes continuelles » d'être bientöt accablé par la calom» nie, s'il n'étoit pas für qu'il lui fut » permis en tout temps de la repouffer, » en rendant lui-même compte des » intentions qu'il a eues dans fes ac» tions ? II me femble, Memeurs , que » 1'application de ces principes gênéL ij  m Ê L O G E » raux fe fait naturellement dans mon » affaire particuliere. Vous favez que » le jugement que vous avez fait de » certains endroits de mon Livre, s'eft » étendu fur ma perfohne par une in>> terdiétion déshonorante , qui m'a » privé , fans avoir été entendu., de » fhonneur ck du plaifir d'affifter a » vos conférences, cü j'étois des plus .» aftvdus; vous favez, d'un autre cöté, » que ce jugement n'a pas été conï> tradictoire. Je n'ai point eu la li# berté de me défendre; il ne m'a point » été permis de répondre a chaque V article de mon accufation ; il ne )> m'a point été permis d'excufer de » vant vous fur mes bonnes intentions, }> ce qu'il pouvoit y avoir d'imprudent » dans mes expreffions. J'efpere donc » que vous vaudrez bien ftatuer que « mon affaire fera revue ; que je ferai » entendu par les Commiffaires que » vous nommerez ; qu'ils me cqramu$> niqueront les endroits de mon Livre » qu'on me reprocbe , & oü 1'on avqit >> cru voir des intentions puniffables , j> & qu'après qu'ils en auront rendu y compte a la Compagnie en pleine  DE l'Abbë de S. Pierre. 245 5) Afierhblée , elle voüdra bien ftatuer v fur la dure'e de mon interdicftion. » II me femble , Meffieurs, que non » feulement vous devez cette révifion » a la juftice que vous aimez , mais » que vous la devez encore a la peine » d'un ancien Confrère qui fe plaifoit » tant a vos conférences, & qui fouffre » d'en être fi long-temps privé «. » Je fuis , Sec. <<. Après la lecfure de cette Lettre , on alla aux voix, & il fut arrèté qu'on ne pourroit accorder a M. l'Abbé de S. Pierre la révifion qu'il demandoit, fans avoir pris fur cela les ordres de M. le Duc d'Orléans. On députa donc vers le Prince les trois Officiers, qui rapporterent qu'ils en avoient été recus avec beaucoup de féc/ierefe ; que Son Alteffe Royale avoit paru méconteme de ce qu'on avoit en:ore employé fon nom dans cette affaire, Aórit il ne vouloit plus , difoit-il , cpion lui parldt, & dont il vouloit encore moins Je meier. 11 n'eft pas défendu de croire que M. le Régent, qui aimoit & qui efL iij  £46 É L O G E timoit l'Abbé de S. Pierre, n'auroit pas éte'fiché que la révifion da jugement eut été faite fans fon aveu , & qu'il fe feroit rendu peu difftcile fur la grace du profent. Sa réponfe lia te* mains a TAcadémie, qui défiroit autant que le Suppliant la révifion qu il demandoit.Satis.fake d'avoir vengé, clans fon premier mouvement, 1'ombre de fon augufte Bienfaiteur , elle n'avoit plus a laiffer agir. que fes fentimens pour un Confrcre très-eftimable; mais voyant fes vceux inutües , & condamnée a laiffer fubfifter 1'Arrêt qu'elle avou rendu , elle fe contenta de donner fceauconp dVloge«. a l«i .prudence de So;> Alie.'ie P.oyale^ ;& d'arrêter que tour ce qui s'étoit paffe a Toccafion dc 1'Abbé de S. Pierre , feroit tnfet© dans fes Regiftres pour être confufé a 1'avenir dans les cas femblables, dont le Ciel veuille préferver cette Compagnie. Nous ne devons pas omettre, au moins pour 1'apologie de nos devanciers , le témoignage que ces Regiftres leur rendentj c'eft que la même Salie qui, pendant cinquante années, avoit fi conftamment re tenti des louanges  de l'Abbé de S. Pierre. 24? du Monarque vivant, en retentit encore davantage en cette occafion quatre ans apiès fa mort; nouvelle preuve de ce que nous avons déja dit tant de fois, que 1'encens prodigué a Louis XIV durant fon regne , étoit bien moins donné par 1'adulation que par l'enthoufiafme. Ce fentiment étoit fans doute exagéré a beaucoup d egards ; mais il avoit été fans ceffe entretenu dans la Compagnie par la jufte re* connóiffance qu'elle devoit a ce Monarque. II ne manquoit a l'expreffi^n de cette recönnoiflance , dont 1 Abbe de S. Pierre fut la viótime , que d'avoir été accompagmée de plus de modération a 1'égard du Prince mort, & de jufiice a 1'égard du Sujet vivant. L'Abbé de S. Pierre , exempt de haine & de rancune , continija de bien vivre avec ceux qui 1'avoient exclu ; il ne ceffa pas même d'envoyer fes Produdions a 1'Academie , comme s'il en eüt toujours été Membre, & comme s'il eüt mis encore quelque prix a fon fuffrage. L iv*  H*5 ê l o g e KoTE XVI, relative a la page 129, fur la mort & les obféques de l'Abbé de S. Pierre. de Voltaire rapporte, que lui ayant demande', a l'Abbé de S. Pierre , quelques jours avant fa mort, de quelle maniere il envifageoit fa fin procbaine, il répondit : Comme un vqyage a la campagne. L'Académie k traita après fa mort avec un peu plus d'indulgenee que l'Abbé Furetiere, fon compagnon d'infortune. II avoit été décidé au fujet de ce dernier , que la Compagnie ne lui feroit point de fervice, comme elle en fait a tous les Académiciens qu'elle a perdus. Ce fut 3e réfultat d'une longue délibération , oü Defpréaux, qui étoit pour le fervice , avoit fait a fes Confrères un Sermon digne de Bourdaloue, fur le pardon des injures. » Memeurs, leur dit-ii, » il y a trois chofes a conlidérer ici;  de l'Abbé de S. Pierre. 249 » Dieu, le Public, & Y Académie. A » 1 egard de Dieu, il vous faura fans » doute trés bon gré de lui facrifier » votre reffentiment , & de lui offrir » des prieres pour un mort qui en » auroit befoin plus qu'un autre , quand » il ne feroit coupable que de 1'ani» mofité qu'il a montrée contre vous. » Devant le Public, il vous fera tresï> glorieux de ne pas pourfuivre votre » ennemi par-dela le tombeau ; & pour » ce qui regarde 1' Acadéthie, fa mo» dération fera tres - effimable quand » elle répondra a des injures par des » prieres, & qu'elle n'enviera pas i » un'Chrétien les reffources qu'offre » 1'Eglife pour appaifer la colere de » Dieu; d'autant mieux quoutre 1'obli» gation indifpenfable de prier Dieu, » pour vos ennemis, vous yous êtes » fait une loi particuliere de prier »,pour vos Confrères «. L'Académie ne fuivit point le confeil de Defpréaux ; mais il fut arrêïé en même temps, que.chaque Académicien prieroit Dieu en fon particulier pour l'Abbé Furetiere. Ceux qu'il avoit le plus offenfés s'y engagerenc- exprefTé"  250 É L O G E ment , & fans douie ils tinrent parede. On ne crut pas devoir ufe'r de la même rigueur envers les manes de l'Abbé de Saint Pierre. II fut décidé qu'on lui feroit un fervice, foit pour réparer une defiitution que 1'Académie moderne n'approuvoit pas, foit paree que les torts du défunt, plus qu'effacés par vingt ans de profcription , n'avoient eu pour objet aucun de fes Confrères; foit enfin , car nous. voulons croire qu'on n'oublia pas la meiileure raifon , paree qu'un Citoyen fi vertueux ne devoit pas être fruftré des honneurs funéra res qu'on accorde a tant d'hommes indignes de les obtenir. Mais s'il recut devant Dieu 8c les Autels les honneurs qui lui étoient fi bien dus, il n'en fut pas de même de ceux qu'il auroit dü recevoir en préfence de 1'Académie 8t du Public. L'Evêque de Mirepoix , Précepteur des Enfans de France , 8c qui, depuis la mort récente du Cardinal de Fieury, avoit le plus grand crédit a la Cour, obtint par ce crédit ( en ce moment affez mal employé) la défenfe qui fut f»it£ a M. de Maupertuis , fu:-  de l'Abbé de S. Pierre. 251 cefleur de l'Abbé de S. Pierre, de jeter fur la tombe de 1'Académicien défunt, ces vaines fleurs, qui , a la vérité, n'ajoutent rien a la renommée, mais qui ne doivent fe refufer qu'au vice , & qu'on lui a néanmoins prodiguées dans cent Oraifons funebres, L vj   TT1 V /\ j7 KJ DE CHARLES D'ORIÉANS DE ROTHELIN, ABBÉ DE CORMEILLE; De vAcadémie des Belles -Lettres ; a Paris le 5 yiori/ 1691 J «p« /e 28 .Tift'n 1728 , a /<* ƒ>/«•■*« de Claüde-Francois Fracuier s mort le ij Juillet 1744 (1). (O Voyez fon Eloge dans I'Hifteirc 1% 1'Académie des Belles-Lettres.   f T a a I? L li v \J Ji-i DE NICOLAS G E D O Y N . CHANOINE DE LA STE. CHAPELLE DE PARIS, Baugency, > ne pouvons plus juger de la beauté » des Odes de Pindare (i) ; propofi>> tion qui ne plaira pas aux admira» teurs outrés des Anciens, mais qui » n'en eft pas moins vraie: car toute » Poéfie qui eft faite pour le chant, » 6c qui ne s'y peut plus mettre , a » dès-la perdu la moitié de fon prix. » Je fuis perfuadé que Pindare étojt » un grand Poëte ; mais e'eft fur la » foi des Ecrivains de l'Antiquité qui » nous 1'ont donné pour tel, 6c qui s'y >> connoiffoient bien. Ceux qui 1'ad» miren.t aujourd'hui, ne font que 1'é» cbo des Anciens. Leur admiration >> n'a d'autre fondement que le pré» jugé. II faut toujours être de boniie » foi avec foi-même, 6c ne pas s'ima» giner favoir parfaitement ce que Ton >> ne peut favoir qu'a demi «. » II faut convenir, ajoute-t-il dans {i)lbid. p. tilt  2Öi Ê L O G E » un autre endroit (i), que la Poe'fie s> lyrique des Anciens , foit grecque, » foit latine , fait peu d'impreffion fur » nous : cela vient fans doute de ce » qu etant jeunes, nous avons pris du » goüt pour leurs vers hexainetres, » & point du tout pour leurs vers » lyriques, dont Ia mefure & les re» gles nous font peu familieres, bien S> moins encore les fineffes. Par cette V raifon , 1 harmonie des beaux vers » d'Homere ék de Virgile nous plak V infiniment, pendant que ces dithy»rambes libres &c hardis de Pindare, » qu'Horace admicoit tant; ne frapJ> pent feulement pas notre oreille , » ék que nous ne tenons aucun compte » a Horace lui-même, de ce que fes » Odes ont de plus lyrique. II n'y a » perfonne qui ne fente qu'en plufieurs » de fes Odes il a voulu imker Pin> dare, mème par des digreffions ék » des écarts que Quintillien traite » d'heureufes hardieffes; ék qu'au con» traire en d'autres il ne perd point (i) Ibid. p. 144 & i4j.  de GeDOYJX. 263 » de vue fon fujet ; il eft plus jufte » & moins pindarique : mais au mi» lieu de cette différence , la beauté » des vers nous échappe «. » Je ne confeillerois a perfonne , » dit-il ailleurs, de traduire des Pieces » du Théatre Grec. Ces Pieces ont » de beaux endroits ; mais a tout » prendre , notre goüt ne peut s'en » accommoder , non pas même de » ÏCEdipe de Sophocie, que tout 1'ef» prit & le favoir de M. Boivin n'ont » pas rendu fort fupportaLle , & qui » 1'eft encore moins dans M. Da» cier (1) «. Le pafTage qu'on va lire n'eft pas moins remarquable (2). » Traduire, » c'eft mettre en Langue vulgaire un » Auteur ancien , foit Grec, foit La» tin... 11 femble donc qu'un Traduc*> teur doive avoir une connoifTance (1) M. de Ia Harpe a traduit avec fuccès pour notre Théatre, ie Philoclete de Sophocie ; mais il avoue dans fa Prcface, que c'ell la fenlc Piece Grecque qui foit fufceprible dc ce fuccès ; & il n'oioit même lc lui promettrc fans héfiter. (a) Ibid. p. 322 & fdr.  l64 É L O G E y> pleine ck entiere de la Langue en » laquelle a écrjt fon original. boyons :» de bonne foi; qu'en eft-il ? Je ne » parle ni de la maniere de prononcer » cette Langue , en quoi il eft cer» tain que nous fommes fujets^ a nous » tromper , ni des termes d'art qui » nous font ft peu connus en grec & en >> latin, que nous les ignorons pour » la plupart dans notre propre Langue; » je parle des mots de 1'ufage com» mun & ordinaire , & je dis qu'il » y en a dont les différentes accep» tions nous jettent dans des raéprifes » inévitables «. M. l'Abbé Gedoyn en ci.te pour preuve quelques exemples (j); & ü ajoute : » J'en pourrois » apportei- cent autres pareils; mais » ceux-la fufHfent pour .montrer que » 1'on n'apprend pas une Langue morte » comme une Langue yivante. Dans » celle-ci, on s'affure aifément de la » ftgnification ck des différens ufages » de chaque mot; fi 1'on a des dou» tes , on peut les éclaircir Si fes » réfoudre: dans celle-la , on ne peut (i) Voyes la Notc (è),  DE G E D O Y N\ 265 » ni 1'un ni 1'autre. N'ayant donc , » malgré toutes nos Ieélures 6c notre » application , qu'une connoiflance im» parfaite du grec 6c du latin , il » s'enfuit que tout Ouvrage écrit en. » 1'une de ces deux Langues, ne fau» roit être rendu qu'imparfaitement » dans une autre «. Nous invitons les adorateurs aveugles des Anciens , 8c les défenfeurs de la latinité moderne , a me'diter tous ces paflages, qui pourroient, a la vérité, être écrits plus éle'gamment, mais qui nous paroiffent en ge'ne'ral pleins de fens 8c de ve'rité ; paflages tire's d'un Ecrivain qui ne doit pas leur être fiupect, 8c qu'ils n'accuferont pas fur-tout d'avoir ignore' le grec 8c le latin. Nous n'oibns prefque rapporter, tant nous craignons qu'on ne nou* foupconne de conniver a fes blafphémes , ce qu'il dit de quelques illuftres Ecrivains de 1'ancienne Grece. » De» pouillons-nous de tout préjugé. Pla-» ton n'eft-il pas trop diicoureur ? N* » va-t il pas a fon faut par des circuits » trop longs ? Son e'pineufe Dialecfi» que ne fait-elle point de peine aft. i> Lecleur ? Et fa maniere de pm-edef Tomé V. M  3.66 É L O G E p par demandes ók par réponfes, n'eft» elle point un peu trop uniforme , >> un peu ennuyeufe ? A 1'égard de » fa morale 3 en vérité eft-elle com>> parable a celle du Télémaque de 5> ï'illuftre Archevêque de Cambrai , » M. de Fénélon ? Si cet Ouvrage étoit >> en grec , &. qu'il eüt deux mille }> ans , nous le regarderions comme ï> un chef-d'oeuvre de l'Antiquité. Pouri> quoi tranfporter a un Philofophe fi >> éloigné de nous, une admiratior» » qui eft due avec plus de juftice au j> grand Homme que j'ai déja nommé, » & que nous avons vu de nos jours ? » Jamais aucun autre Ecrivain n'a penfé » fi noblement; fon Télémaque, dont » les principes font liés a une Reli» gion purement naturelle , eft par-la >> même propre a tout Leéfeur, ék v fera toujours du goüt de quiconque » en aura pour la vertu. Cicéron , il » eft vrai, admiroit Caton, Sc le qua^> lifioit d'Homme divin : c'étoit avec V raifon; il ne connoiffoit rien de niéiïp> Jeur. Les Romains, jufqu'au temps i> de Cicéron , n'avoient rien produit > que de médiocre; & lui-même il V pe favoit pas qu'en travaillant a imiter  DE G E D O Y N. 267 » le clivin Platon , il parviendroit a » 1'égaler , fi ce n'eft a le furpaffer «. Le févere Ariftarque ofe même trouver quelque chofe a défirer dans Démofthene. II eft vrai qu'il lui alfocie Bourdaloue dans la critique qu'il en fait. » De tous les talens, dit-il, le » plus rare eft celui de toucher ; il a » manqué au plus grand Orateur de » la Grece «. Plutarque eft le plus maltraité de tous. » II étoit, felon M. l'Abbé Ge» doyn , plus fa van t qu'agréable ; il » écrivoit pefamment & fans graces. » Ses Hommes illuftres font de tous » fes Ouvrages le plus eftimé ; pour » fes Traités de Morale , ils ont tou» jours été peu lus , & la fagejjé de » Charon eft beaucoup au deffus, pour » qui n'eft point préoccupé, & fait » rendre juftice a qui il appartient «. On eft étonné que M. l'Abbé Gedoyn ne nomme pas ici Montagne au lieu de Charon, qui lui eft trés-inférieur, &c dont on a dit que c'étoit Montagne attrifté; mais peut-être notre Académicien auroit cru faire trop d'honneur a Plutarque , en le comparant a un Ecrivain tel que Mon* Mij  $6% - £ L Q. G E tagne , fur lequel Charon n'a d'autre ayantage que d'avoir été perfécuté de fon vivant, au lieu que Montagne n'a été calomnié qu'après fa mort. II eft vrai (car il ne faut rien diffirnuler) que cet homme fi févere a fégard des Anciens, traite encore plus durement les Modernes.... » On fent, » dit-il , en lifant Defpréaux , qu'il » n'étoit que Poëte, & nullement !>> Homme du Monde <<. Aufli M. 1'Abbé Gedoyn met-il Defpréaux infiniment au deffous d'Horace , & , ce qui paroitra fort étrange , au deffous de Voiture même ; mais il eft plus queftion ici de rapporter fes jugemens , que de les approuver ou même de les difcuter. » Je ne m'accoutume point, dit-il » ailleurs, a entendre répéter fi fouf vent que Defcartes nous a appris a » penfer , comme ft tout ce qui 1'a ï> précédé avoit raifonné de travers. Mais voici la plus violente cenfure des Ecrivains de nos jours. » N'eft^ il pas furprenant que dans Cicéron , oü il eft traité de tant de matieres >> différentes, on ne trouve rien que i> de beau , que de fenfé , que de  DE G E D' Ö Y ft. i6g >> bien exprimé , qua peine il y ait » lieu de faire une feule bonne cn>> tique ; ck que de 1'autre , dans des p Difcours prononcés a 1'Académitl » Francoïfe , Difcours d'apparat, Dip » cours d'un demi-quart-d'heure, ck » 1'ouvrage d'un mois , il fe tröiive! » tant de penfées fauffes , tant d'ex» preffions vicieufes, tant de chofes » communes , triviales , & juftement >> répréhenfibles « \ M. 1'Abbe 1 rubiet penfott bien plus avantageufement des Harangues Académiques; car il a dit quelque part, que le Reeueü de ees Difcours eft petit-ètré ce qtitl ? a de mieux écrit en notre Langue. L'Académie , qui fait parfaitement jf quoi s'èri tenir fur ce Recueil, pourroit répondre a fon CenfeUr ck a foa Panégyrifte : , . . . . . du'elle n'a mérité Ni Cit excc-s d'honneai, ni cette indiguité. M. l'Abbé Gedoyn, qui peut-être avoit effayé de faire des vers francois, mais qui du moins avoit la prudence de les teuir cacbés , paroit avoir été de fort mauYaife humeur contre M iij  2fO E L O G E la Time. » Ce refle, dit-il, d'un go&t. » gothique qui nous plak tant , eft » de la nature du miel , qui, a force »■ d'être doux , bientót nous dégoüte, » nous affadit. Comme elle confifte a » faire que deux vers fe rëpondent » par une chute , une terminaifon » femblable , elle tourne en un défaut » de variété , en une efpece d'unifor»mité ou de monotonie , ou d'écho, » qui , par un mouvement machinal » fat igue 1 oreille, nous ennuie & nous » rebute «. » Je fuis perfuadé, dit-il encore, * que toute Piece de Théatre doit » s'écrire en vers ; mais en quelle » forte de vers l Ce ne devroit être » ni en vers alexandrins, vers pefaas Qc » nullement faits pour 1'aclion , ni en » vers rimés, qui font contre toute » vraifemblance * car les pe/fonnages » que le Poëte met fur la fcerïe,. » ne parloient point en rimes.... On' » dira qu'ils ne parloient pas plus en » vers, & que par la même raifon les » Anciens ne devoient pas les faire » parler de la forre toette objec- » tion , toute fpécietefe qu'elle éft , * ne peut faire iilufion qua c.eux qu*  D È G E t> O Y Si 2ft » n'approfondiffent rien. En effet » 1'Art qui imite la Nature , peut » lembellir , & 1'embellit toujours » fans la changer; c'eft précifemenc » ce que faifoient les Grecs dans le » tragique Sc le comique , en fe fer» vant du vers ïambe , dont la me» fure, extrêmement propre pourl'ac» tion , ne faifoit que donner un peu »plus de poids 8c plus de foutien a » la converfation des perfonnages qu'ds » introduifoient fur la fcene Mais » il y a bien loin du vers ïambe a u » fotte affecftation de rïmer, qui change » la Nature fans 1'embellir.... Cepen» dant notre Langue , dénuée de Ion» gues Sc de brevesf, • ftous force de » recourir a cette puérilité , qui de» vient par-la d'un grand mérite. li » faut donc la fouffrir; mais je you■» drois du moins que nos Comédies » fuffent écrites en vers libres, eljes » en auroient, je crois, un air plus » aifé 8c plus naturel «. H J a toute apparence que par vers libres, 1 Auteur entend ici non feulement des vers de toutes mefures, tels, par exemple, que ceux cY Atnphhryon 8c de quelques autres Pieces, mais des vers fans ri* M n  ÉtoGi me, que nous appelons vers Btarics} car il paroit bien décidé, dans le paflage précédent, contre 1'ufage des vers nmés dans les Pieces dramatiques. Amirément il faut être Fimpfeeabie ennemi de la rime , pour y préférer, fur le Théatre, 1'ufage des vers blancs , dont 1'effet, au moins dans notre Langue, eft beaucoup moins agréable que celui d'une profe Ijbre & facile, mais elegante & barmonieufe. Ce même Académicien déplore avec amertume Ja décadence des Lettres; parmi nous j mais on n'imagineroit jamais une des principales caufes auxquelles il 1'attribue, & qui eft peutêtre plus réelle qu'on ne feroit d'abord tenté de le croire. » II ne faut » que comparer 1'état préfent de Ia » ville de Paris avec ce qu'elle étoit » au commencement du regne de » Louis XIII, pour comprendre qu'il » de voit y avoir alors plus de gens » appliqués aux Lettres qu'il n'y en » a de nos jours. Paris alors mal po» licé , bati a 1'antique , moins grand »■& moins peuplé de moitié qu'il 3> n'eft aujourd'hui , n'avoit rien de » fort féduifant. Les mes mal pavées,  DE G £ D O Y N. 27> 5> fales a 1'excès , jamais éclairées, » nulle füreté Ia nuk ; le jour, pour » tout fpeclacle , quelques mauvaifes » Comédies courues du peuple &. mé9 prifées des honnêtes gens ; les ta» bles, frugales comme elles letoient » ck fans délicateffe , attiroient peu de » convives , outre que chaque partfc » culier, n'ayant qu'une fortune très» bornée, étoit obligé de mettre fa richeffe dans fon économie. De car» roffes, il y en avoit fort peu; 1'in» vention en étoit trop récente \ on » alloit a pied avec des galoches oa » avec des bottines, qu'on laiffok dans » 1'antichambre quand on rendoit quel» que^vifite. J'ai vu , moi enfant, » un refie de cet anciea ufage, L'hom» me de robe alloit au Palais, m'onté » fur une mule , ck en revenoit de » même. Rentré chez lui, il uëtoit » guere tenté d'en fortir pour aller » fe crotter ; il fe renfermoit donc » dans fort cabinet, oü fes livres fai» foient toute fa compagnie. 11 avoit' » fait de bonnes études au Collége, » paree qu'il y avoit été mis dans un » age plus milr Ec plus railbnnaöle ; » il y avoit pris du goüt pour las  2'7*4' Ê L O G E » Belles-Lettres; ce goüt, il Te cultl» voit dans toute la fuite de fa vie , j> foit pour le plaifir qu'il y prenoit, » foit pour faire , comme on dit, de » néceffité vertu. C'eft a cette ancienne > févérité de mceurs que nous avons i> été redevables d'un Chancelier de > 1'Hópital, d'un Pre'fident de Thou, » d'un Briffon , d'un MorviUiers, d un » Pafquier, d un Loifel , de ces deux » illuflres freres H Mefïïeurs Pithou., y> ék d'une infinité d'autres favans pery fonnages ; car il ne faut que lire y> les Poéfies du Chancelier de 1'Höy> pital , pour voir que le Parlement » étoit alors plein de Magiftrats fort i> verfés dans les Lettres. Ce temps » n'eft plus , ck la raifon en eft, que » préfentement a Paris la dimpation » eft extréme. A peine un jeune homme » a-t il atteint lage de dix huit a vingt. » ans, qu'on le met en charge & qu'on » lui donne un équipage. Avec cette » facilité d'aller ck de venir, comment. 5> peut-on efpérer qu'il réfifle 3 1'envie » de courir 11 n'eft pas imaginable, » ajoute M. l'Abbé• Gedoyn , a quel » point la Mufiqui? feule , dont le $ goüt s'elï fi. fort répandu ék ce.  de Gedovk. 275 5) fpeétac'e enchanteur, que nous ap» pelons du nom d'Opéra , ont tournet » 1'efprit de la Nation au frivole, & » lui ont entiérement öté le goüt du » férieux , & de tout ce qui eft fo» lidement bon. Malorum re rum in» dujlria ïnvajit animos , difoit Sé» neque , cantandi faltandique nunc » objcena fludia cjfeminatos ttnent. » II eut beau dire , il ne corrigea pas » fon Siècle «. Et nous pouvons ajouter, que les plaintes de M. l'Abbé Gedoyn ne corrigeront pas le notre, M v]  iy6 Ê l o G e N o t e s fur Partiele de M. t Abb't Gedoyn. (a) ^^uelques calomnies que nous ayons peut-être lieu de craindre , en infiftant ici fur Ia vérité & fur 1'irnportance des aifertions morales & religieufes de M. l'Abbé Gedoyn , nous ne pouvons nous empêeher de faire des vceux pour qu'elles foient me'dite'es &. approfondies comme elles méritent de 1'être. Arrêtons-nous donc quelques momens fur ce grand objet It£auvons les BLomains, duflcnt-ils être ingrats. Nous ne dirons ici qu'un mot dis fecond des deux paffages que nous avons cirés , de celui oü 1'Auteur fait fi bien fentir la ne'cefüté de larévélation, pour diffiper les nuages dons la Religion naturelle même eft fi triftement envelöppée.. L'on peut voir dans les Penfées de Pafcal, & ci-deffus dans 1'article de l'Abbé Houtteville, a quel point ce Philofophe religieux étoit perfuadé  de Gedoyn. ijf que, fans la lumiere de la Foi, 1'exiftence même de Dieu feroit fujette a des difficuhés infurmontables. Nous nous étendrons davantage fur les inconvéniens facheux qui réfultent du mélange intime , & , fi 1'on peut parler ainfi , de 1'efpece d'amalgame que nos inflituteurs publics & privés ont toujours fait de la Religion avec la Morale. Un enfant apprend en. même temps fages qui rendent fon fentiment au' » moins probable. Suppofons que eek s> foit vrai ■ tout ce qu'il y a eu de Tras> dudeurs ék d'Interpretes y auront s> éte' trompe's «t  L li y £U DE JEAN PRÉSIDENT A MORTIER AU PARLEMENT DE BOURGOGNE; JVe' a Dljon le 18 Afaw 1673 ; rep* Zqüe de Véte'ndre.. Nous nous bornerons donc a envifager M. le Préfïdent Bouhier Tous le point de vue qui inte'rêiïe principalement 1'Académie Franc-oife : fa réputation, fon favoir ék fes talens 1'ont fans doute rendu digne de toutes les Sociétés litte'raires, & lui avoient acquis en particulier des droits légitiines fur cette Compagnie ; mais la vafte e'rudition, qui étoit fa partie dominante ék comme fon élément naturel , n'eft pas notre objet principal, quoique nous ayons pour elle tout le refpect ék toute la reconnoiffance qu'un enfant bien né doit a fa nourrice. Ce Savant illuftre , ék fans dimculté tres - bien placé parmi nous, 1'eüt été mieux encore dans 1'Académie des BellesLettres , qui cependant n'a pas eu J'avantage de le compter au nombre de fes Membres. L'Académie Fran-  D E B O U H I E R. 2.87 "Coife a cru devoir acquitter autant qu'il étoit en elle , cette efpece de dette de la Compagnie la plus érudite du Royaume ; elle a rendu , par fon fuffrage , d'autant plus de jufiice a M. le Préfident Bouhier, que cet illuftre Savant a eu le mérite rare d'orner Ie favoir par le goüt? ck. de joindre a la Littérature profonde la Littérature agréable. Defiiné par fa familie a une charge i de Préfident a Mortier, il fe livra i d'abord a 1'étude de la Jurifprudence, & devint, en affez peu de temps , un des plus grands Jurifconfultes du Royaume. II exerca les fonélions de fa charge avec autant de zele & d'affiduité , que d'intégrité & de favoir ; & les Ouvrages qui lui ont acquis une fi grande réputation , n'étoient que le délaffement des occupations refpeótables qui abforboient prefque tous fes momens. II prouva par fon exemple , que celui qui fait mettre le temps a profit, en trouve tout a la fois, & pour fes devoirs & pour fes goüts ; Jurifprudence , Philolegie , Critique , Langues favantes & étrangeres, Hif|pire ancienne St. moderne, Hiftoire  iU ElOG! littéraire , Traducrions, Eloquence & Poéfi , il remua tout, il embrafia lout; il fit fes preuves-dans tous ces genres, & dans la plupart il fit des preuves diftinguées & dignes de lui. Quand fes amis luitémoignoient leur furprife de ï'effrayante multiplicité de fes travaux , il les renvoyoit au Traité de Séneque , de la briéveté de la vie, » Pourquoi les hommes , difoit - il, » fe plaignent-ils de vivre fi peu ? » Notre vie eft affez longue, mais » la diffipation & la frivolité 1'abre» gent; 1'Homme de Lettres qui peut » dire , Amici, diem non perdidi (i), » & qui confacre tous fes inftans a » des travaux utiles , a trouvé 1'art j> de multiplier le temps, dont la durée » paroit fi pénible au commun des is> hommes, dans le même temps que » leur exiftence leur femble fi courte «. les grands plaifirs , dit un célebre Philofophe , changent les heures en momens ; mais Van des Sages fait ckanger les momens en heures. La Nature refufe, pour ainfi dire, le temps (j) Mes amis t je fiat pas perdu un jour.  DE B O U H r E R. aSrj aux hommes, qui ne faventpas mème profiter du peu qu'elle leur er.jlaiiTe. De quoi 1'intelligence humaine ne feroit-elle pas venue a bout, elle qui a fait de fi grandes chofes, quoiqu'elle ait perdu tant de Siecles, fi les Barbares en tout genre n'avoient rendu tant de Génies inutiles en les tenant dans les te'nebres & dans les fers; fi la féve des talens preffés d'éclore, n'eüt été fi fouvent étouffée par la fuperfiition, par la tyrannie, par 1'indigence ; enfin , fi cbaque homme eüt rempli 1'objet auquel la Nature 1'avoit deftiné, &. s'il y eüt cortfacré tous les momens que cette même Nature avoit accordés a fa fragile exiftence l Un des premiers effais littéraires de M. le Préfident Bouhier, fut laTraduéfion de quelques morceaux d'Horace & d'Ovide, accompagnée de remarques telles qu'il les favoit faire, c'eft-a-dire, pleines d'érudition & de goüt . Ces produélions , imprimées dans des Journaux a fon infgu, le firent connoitre tout a la fois comme Savant & comme Poëte ; bientöt plufieurs Gens de Lettres diftingués rechercherent 1'amitié du jeune Magif. Torne Vt N  «90 É L O G E trat, perfuadésde tout 1'avantage qu'ils tireroient de fon commerce 6c de fes lumieres. Parmi ces Gens de Lettres > nous devons fur-tout compter M. l'Abbé d'Olivet, dont le nom a été depuis fi connu: il avoit entrepris de traduire les Entretiens de Cicéron fur la nature des JDieux , travail qui deBiandoit une connoiffance exacte & approfondie de la Philofophie ancienne; il trouva dans 1'érudition immenfe de M. le Préfident Bouhier, tous les fecours dont il avoit befoin pour fe guider 8c s'éclairer dans ce ténébreux labyrinthe; & biemót il publia fa Traduófion avec un volume de Remarques favantes, dont fon illuftre ami étoit le feul Auteur. Le Traducleur de cet Ouvrage étoit entré depuis quelques années a 1'Académie Francoife ; il y paria fi fouvent 6c avec tant de force, du mérite de M. le Préfident Bouhier, des fecours que la Compagnie pouvoit trouver dans fa litterature immenfe, du plaifir qu'il avoit a communiquer fes richerTes , enfin de 1'aménite de fes mceurs 6c de fes qualités perfonnelles, 'fjuii décermina 1'Académie a 1'adopter.  de Bouhier. 291 II y eut pourtant quelques difficulcés a vaincre pour fon éleólion; nos Régiemens exigent que les Membres de 1'Académie Francoife réfident dans Ia Capitale ; les Evêques feuis font difpenfés de cette Loi, paree qu'on fuppofe qu'ils viendront au raoins quelquefois fe montrer parmi nous, arraches un moment a leur Eglife par les affaires de leurs Diocefes. II étoit néceffaire, pour fatisfaire a ce Reglement , que M. le Préfident Bouhier vint s'établir a Paris. II s'y engagea, 8c fut élu, fur fa parole , d'une voix unanime. Des circonftances dont il ne fut pas le maitre, ne lui permirent pas d'éxécuter la promeffe qu'il avoit donnée folennellement, & pour laquelle M. l'Abbé d'Olivet, rigide obfervateur des Loix Académiques, avoit été fa caution. L'Académie ne fe plaignit point, elle refpecda les raifons de M. le Préfident Bouhier; & ne pouvant le pofféder dans fes Séances, elle fe contenta de voir fa lifte décorée d un nom fi cher aux Lettres, bien affurée d'ailleurs que pour un Membre de cette réputation & de ce mérite, les difpenfes ck le* Nij  /?92 E L O G E exceptions ne tireroient pas a confë- quence. Privé de Ia fatisfaction de fe trou-r ver au milieu de fes Confrères, Ie nouvel Académicien s'en dédommagea autant qu'il lui fut poffible , en refferrant les liens qui 1'unifToient déja a que!ques-uns d'entre eux, & furtout a M. l'Abbé d'Olivet, fon ardent Sc fidele Panégyrifte. Jufqu'alors M. le Préfident Bouhier avoit aidé cet ami dans fes Traduéfions comme fimple Commentateur , il voulut entrer avec lui en communauté de travail plus étroite St plus intime, Sc partager la traduction des Tufculanes,. que M. l'Abbé d'Olivet avoit entreprile. M. le Préfident Bouhier traduifit la troifieme 8c la cinquieme. De prétendus connoiffeurs ont avancé que la verfion des trois autres , publiée en même temps par M. l'Abbé d'Olivet, étoit fort fupérieure a celle de M. le Préfident Bouhier; ce jugement ne paroit dicTé ni par 1'équité ni par le goüt; les deux Traductions, également exaóles pour Ja fidclité du fens Sc pour la pureté de la Langue, £Osn.tent 1'une Sc 1'autre, a ces deus  DE BOÜHIEK. Sjf égards, l'eftime & la reconnoiffance des Gens de Lettres. Mais peut-être auffi pouïroit-on défirer, dans^ 1'une & dans 1'autre , cette douce élégance de ftyle j cette faciüté , cette rondeur4 cette harmon'e , en un mot , cette dicftion pleine de graces, de nobleffe &. d'intérêt, qui caraftérife 1'original 3 peut être auffi la grande diftance entre les deux copies & le modele , eftelle moins la faute des Traduéfeurs, que 1'effet naturel de la différence des deux idiomes, ék des reffources que 1'abondance & la liberté de la Langue latine fourniffoit au génie de 1'Orateur Romain; tandis que la nótre, _ aride, pauvre & contrainte, ne préfentoit que des entraves ék des épines aux deux Savans qui avoient peut être trop légérement entrepris de faire parler Cicéron en francois. M. le Préfident Bouhier, après avoir été Traducteur en profe avec fon ami , voulut être Traducfeur en vers pour lui - même. 11 publia une verfion ou plutöt une imitation poétique du Pointe de Pe'trone fur la, guerre civile , ék de 1'Hymne a Vernis , fi connue fous le nom de Per-, N iij  2?+ É L O G E vigilium Ventris., A Ia tête de cet Ouvrage il mit une Preïace radon nee , eü il foutient que la feule maniere de traduire les Poëtes, c'eft de les traduire en vers. Cette queftion, plus d une ƒ as agitée , & fur laquelle nous nous fommes expliqués ailleurs (i ), feroit bientót décidée , fi 1'on pouvoit donner aux Traducleurs Poëtes le fecret fi difficile de s'amq'ettir en même temps a la contrainte de la refJémblance & k celle de Ia mefure & de Ja rime, fans renoncer aux autres qualités indi penfaLles qu'exige un bon Ouvrage en vers, 1 'élégance, Jafacilité, les images, & ï'harnionie, Telle étoit la tache redoutable que M. le Préfident Bouhier avoit a remplir, & ce n'étoit guere qu'en la rempiiifa'nt qu'il pouvoit établir fon apinion d une maniere yiétorieufe ; mais malheureufement il a prouvé par fes vers , que fi les Poëtes Latins & Grecs doivent défirer un Poëte Francois pour Tradutfeur, ce n'étoit pas celui de 1'Ou- ( i) Mclang#s de Littératurc, torac III. f>age I}.  D E B O U ft I Ê R. 295 Vrage de Pétrone , ni de V Hymne d Vénus. Ses vers font foibles ék lans > coloris, ék leur peu de fuccès apprit au favant Tradudeur qu'il devoit le contenter d'être un Varron , fans alpirer encore k être un Catulle. Urt prétend que Madame la Préfidente Bouhier , qui avoit autant de finelle ék d'agréraent dans 1'efprit, que Ion mari avoit de ledure ék de favoir , lui donnoit quelquefois fur fon ftyfe des confeils dont peut-être il auroit dü quelquefois profiter : Chargez^-voiu de penjer, lui difoit-elle, & laifè^mot écrïre. La variété ék 1'étendue des connoifl'ances de notre célebre Académicien , fon empreffement \ en faire part aux Savans qui le confultoienr, 1'intérêt avec lequel il les animoit dans leurs travaux , ék fur-tout fon zele a leur prêcher d'exemple , lui firent trouver parmi eux non feulement des partifans déclarés , mais des amis recennoiifans. Plufieurs Littérateurs efiimables, tant en France que dans es Pays étrangers, tui témoignerent les feminiens dont ils étoient penétres pour lui, en le priant d'accepter la r N ir  29Ö Ê t O G E dédicace de leurs Ouvrages. II facit préferaiTent de tels Patrons a tant d autres Mecenes fi ma] choifis dontl mdifference orgueilleufe femble rccevoir comme une dette 1'hommage fcafte/Te fi ordina.re aux Dédicaces , f -tout dans le fiecle paflë , faifoi dire a Furetiere, que leur premier inventeur etoit un mendiant ( i ) ■ & quand on voit tant d'Ecrivains illuftres, lencenfoir l h main aux «oux des plus méprifables idoles, on peut s empêcher de rougir & de gemir pour eux. La plus noble de toutes les Epitres dédicatoires, la plus a>gne peutêtre de paiTer a la Pofte'. öc malheureufement la plus ignoree, eft celle que le favant Lefebvre Pere de Madame Dacier, adreffa i iVn n"„' anS Je temP5 ou i] «oit a ja tfaftille, pour avoir défendu le mal«eureux Fouquet fon bienfaiteur. Voila de ces traits que 1'Hiftoire littéraire (i) Voyez Ja Note (a).  de Bouhier. 297 devroit précieufement recueillir, & qu'elle lahTe trop fouvent tomber dans 1'oubli. Les hommages que M. le Préfident Bouhier recevoit de tous les Savans de 1 Europe , étoient non feulement la jufle récompenfe de fon mérite, mais le fruit de la correfpondance réguliere qu'il entretenoit avec un grand nombre d'entre eux. Rien n'eft plus propre a nourrir , fi 1'on peut parler ainfi, la réputation d'un Homme de Lettres, & quelquefois même a la fonder, au moins pour un temps , qu'un grand commerce épiftolaire; c'eft un moyen de célébrité que Leibrtitz lui-mème ne négligeoit pas; le plus mince Littérateur qui lui écrivoit, étoit fur d'être hónoré d'une réponfe. D'autres grands hommes, moins avides d'encens, ou plus délicats fur les louanges, ont'dédaigné d'employer comme lui ce pétit artifice.pour hater le vol de la Renommée : leur gloire n'y a cependant rien perdu; car fi le nom d un Ecrivain peut fe foutenir quelques années a force de lettres , ce n'eft que par de bsns Ouvrages qu'il acquiert uue confifiance afiurée, H Nv  ao8 Éloge La Poftérité juge les Auteurs, qu'on nous permette cette expreffion, fur ce qu'ils ont écrit au Public, & non fur ce qu'ils ont écrit a leurs amis. Mais le jugem-nr que ce'te Poftérité févere portera de M. le Préfident Bouhier, confirmera leséloges quel'amitié lui a donnés de fon vivant ; fes Produétions favantes lui affurent pour toujours 1'eftime de 1'Europe littéraire ; ék. il fera célebre, ainfi que Leibnitz, quand il n'auroit jamais écrit a perfonne. Parmi les Epitres dédicaroires qui lui ont été adreffées , il en eft une qui , par fa noble fimplicité , peut être propofée pour modele; elle n'eft pourtant pas d'un Homme de Lettres, mai' d'une Compagnie de Libraires, qui donnerent a Paris , en 1715 , une magnifique édition de Montaigne, La dédicace ne confifte que dans cette infcript'on : A M. le Préfident Bouhier , avec ces trois mots latins : Saplenti jat ejl ( Cen eft ajfiez^ pour le Sage). Ces Libraires regarderent le nom feul de leur Mécene comme Ie plus bel éloge qu'ils puffent lui donner; ils fentirent que cette maniere de louer  de Bouhier. 299 un homme célebre eft la plus digne de lui j paree qu'elle eft la feule qui lui foit propre, &. qu'on n'oferoit louer avec ce laconifme un homme médiocre , fous peine de fe rendre ridicule. Pour abréger de la fone un éloge , il faut être bien für qu£ J? refte fera fuppiéé par la voix publique. Plufieurs Ecrivains, même de nos jours, peuvent apprendre dans cette dédicace , faite par de ftmples Libraires , a quels hommes ils doivent offrir leur encensf & de quelle maniere ils don ent 1'offrir. Un tel éloge eft plus noble & plus vrai que celui qui a été donné a notre Académicien dans une autre Epiire, ou on lui dit avec empha'e , que fa nombreufe bibliotheque neft pas plus favante que lui ; compliment qu'on croiroit emprunté de cette Comédie, dans laquelle .un Pédant, a qui 1 on montre une vafte colleclion de Livres, dit gravement 5c fans s'effraver : Ten ai bien d autres dans ma tcte. Cette bibliotheque ft riche & fi bien choifie en tour genre, que M. le Piéfident Bouhier avoit formée avec autant de foin que de lumieres , étoit ouN vj  300 Éloge verte a tous ceux qui avoient befoin d'y puifer des fecours ; & comme ii fe flattoit avec raifon d'avoir pour amis tous ceux qui cuhivoient les Lettres, il auroit pu mettre fur la porte du lieu qui renfermoit fes livres, 1'infcription fi noble qu'un autre Savant non moins eflimabfe , avoit déja fait fervir au même objet : Pour 'moi & pour mes amis (i) • bien diffërens 1'un & 1'autre de ce riche égoïfte & avare, qui , ayant ramaffé , par une vanité faffueufe , beaucoup de volumes, dont il faifoit po»r lui-même très-pen d'ufage, vouloit qu'ils fuffent auffi manies aux autres qu a lui, & avoit écrit au deif'us de fa vafte bibliotheque, ces mots dignes du poffeffeur : Ite ad vendeates : Atlesr d ceux qui en vendeur. M. le Préfident Bouhier avoit été fujet de bonne heure a des attaques de goutte, qui ne 1'empêcherent pas de « remplir long-temps avec exactitude les devoirs de fa charge; ii calmoit fes douleurs par les charmes de la lec- (i) Voyez la Note (6j.  de Bouhier. 301 ture 8c de 1 etude , par le plaifir de converfer avec quelques Savans diftingués 'qui fe raffembloient chez lui, enfin par quelques vers qu'il laiffoit échapper, 8c qu'il eüt été bien cruel de lui interdire. II écrivit, pendant fes acces de goutte, 1'Hiffoire des Gens de Lettres qui avoient été tourmente's de la même maladie , foit pour adoucir fes fouffrances par le fpectacle des Hommes célebres qui les avoient partagées , foit pour trouver en eux des modeles de courage & de patience, don: cependant il auroit pu lui-même leur donner des lecons. Au bout de quelques années, l afflduité du travail, & ia funefte uniformité de fa vie fédentatrc , rendirent les attaques de goutte fi fréquentes Sc fi longues, qu'il fut obligé de renoncer aux pénibles fonclions de la Magtftrature ; les Lettres furent alors 1'unique diftraclion de fes maux: il ufa de cette reffource ineflimable en homme qui en connoiifoit le prix j 8c renfermé dans fon cabinet , dont il ne fortit plus, il attendit paifiblement la mort., que de fréquentes infirmués lui annoiï-  302 Éloge coient depuis long-temps. II expira entre les bras du (avant Pere Oudin, Jéfuite , avec les fentimens de religion qui avoient fait la regie de fa vie. On a remarqué , a la louange des Lrudus, que cette clalTe de Gens de Lettres eft celle oü il fe trouve le moins d'Incrédules; la raifon peu décente qu'en a donnée un Moderne, c'eft que la Bibk eft un vieux Livre\ unLivre de deux a trois mille ans, qui , a ce titre jeul, doit avoir pour tout érudit une grande autorité. II nous paroit bien plus convenable de dire , que le prix attaché par les Savans a 1 étude de l'Antiquité , & le défir fi naturel de mettre a profit lïmmenfité de leurs lectures , les difpofe facilement a connoitre & a fentir toute la force des preuves hiftoriques qui fervent au Chriftianifme de fondement & d'appui. La Religion trouve en eux , ü ion peut parler de la forte, la rerre toute préparee ; & pour peu qu'elle vienne joindre fes lumiere, aux difpofitions favorables oü le genre de Jeurs études les. a déja mis , elle n'a pas befoin de beaucoup défforts pour faire  de Bouhier. 303 de ces Savans profonds, des Chréciens perfuaclés (i). . i Les feminiens de religion que M. le Préfident Bouhier fit paroitre dans fa longue maladie, ne I'empêcherenl pas de conferver jufqu'a la fin toute la tranquillilé & même la férénite philofophique , & contribuerent peutêtre a conferver en lui cette difpofition fi heureufe 8c fi rare. Un ami s'étant approché de lui a fa derniere heure , lui trouva 1'air d'un homme qui médite profondément; le moribond lui fit figne de ne le point troubler : Tépie la mort, dit - il en faifant un effort pour prononcer ce peu de paroles. C'eft a peu pres le mot d'un ancien Philofophe mourant , qui étoit attentif, difoit il., a ce qui fe paiieroit en lui au moment oü fon ame fe fépareroit de fon corps M. le Préfident Bouhier n'a peut-être fait que fe fuuvenir de ce mot , & le renou- (i i Nok du ( cnfeur. D'ailleuis l'ëruditioa même peut leur fournir des rr.otifs particuhers de crédibilité, qui échappent a des gens moins iuftruits.  304 E l o g E veler dans la même fituation; mais il faut avoir bien du courage & de la force, pour conferver, dans cette fituation , jufqu'a fa mémoire, & pour en faire un tel ufage. NoTES fur Partiele de M. le Préfident Bouhier. 0)Ce fut pour faire une Satire fanglante des Epitres dédicatoires, que le même Furetiere dédia fon Roman bourgeois au Bourreau: plaifanterie dégoutante , & faite pour être mife a cóté de ÏEloge de Néron ou de celui de la Fievre.Le même Ecrivain, pour tourner en ridicule ceux qui adreifent a des hommes riches ou puidans, une Dédicace intéreffée , taxe le prix de chaque livre felon fon mérite , & prétend que le Mécene ne doit donner qu'un habit retourné, quand on ne lui dédie qu'une feconde édition. II y a du moins plus de gaité, s'il n'y a pas beaucoup plus de finelfe , dans la plaifanterie d'un Auteur moderne , qui a  D E B O V H I E R. 305 dedié fon Livre au cheval de bronze, perfuadé, dit il dans fon Epitre, que le Mécene quil a choifi reflera longtemps en place. Ce qui peut excufer cette plaifanterie, c'eft qu'elle fut faite dans un temps ou les Miniftres changeoient tous les trois mois. Montaufier ne laifloit jamais lire au Dauphin fon Eleve , les Epitres dédicatoires qu'on adreffoit a ce jeune Prince. 11 le furprit cependant un jour lifant a la dérobée une de ces Epitres ; mais il fit bien mieux que de la lui arracher , il lui dit de la lire tout haut, & 1'arrêtant a chaque phrafe : Ne voye^-vous pas , Monfeigneur, lui difoit-il, qu'on fe moque impunément de vous ? Croye^-vous de bontie foi popder toutes les qualités qu'on vous attribue, & dont on ne peut vous louer fi grojftérement fans avoir pour vous un mépris qui doit bien plus vous offenj'er que ces plats éloges ne doivent vous plalre ? A combien de Rois on pourroit en dire autant ? Mais la vanite & l'ihëptie feront toujours la dupe de 1'adulation & de la baffefie.  3oó" Éloge ip) Ce Littérateur fi honnète &. obligeant, étoit Jean Grojlier, Secrétaire de Francois premier. II exifte encore , dans des Bibliotheques - de cuneux, quelques-uns de fes Livres, avec cette infcription bonorable a fa mémoire. Quand on lui objectoit qu'en prêtant trop facilement fes Livres , il couroit rifque den perdre plufieurs : faime mieux, répondoit-il , perdre un Livre quun ami.. On ne devineroit pas aifément quel a été le trifte fort de la belle 6c nombréufe Bibliotheque que M. le Préfident Bouhier avoit rafTemblée avec tant de foins 8c de dépenfe. » Cette Bibliotheque , nous écrivoit, » en Juillet 1782 , un Homme de » Lettres connu \ qui étoit fur les » lieux, vient de fe faire enterrer a Clair» vaux : Sero fapiunt Phryses ( 1 ). » On la met en tas a mefure qu'elle » arrivé , 6c on Ia logera , dit - on , » dans quinze ou vingt ans, dans uti ( i ) Les PArygiens tardent bien a ctre fages.  de Bouhier. 3°7 » batiment de quarante mille écus, » dont le; fondemens ne font pas » encore jetés Peut-être , dans cet »intervalle, fe formera-t-ilun öiv bliothécaire. Comment les Etats de , Bourgogne nont-ils pas ete jaloux de » fixer cheat eux un pared trefor «I   £ L O G E D' E D M E M O N G I N ; É V ê.QUf DE BAZAS; Né a Baroville, dans le Diocefe de Langres , en 1668 ; repu le premier Mars 1708 , ti la place de JlAN GalLOI? j /Kprr /e 6 iWai 1746* Dès 1'aga de dix-neuf ans il donna des preuves de fon talent pour la Chaire; les applaudifl'emens qu'il recut e'toient d'autant plus flatteurs, que dans cette carrière difficile , & jufqu'alors peu frayée , le jeune Orateur ne trouvoit guere de modeles, ou n'en avoit que d'eifrayans pour lui, BofTuet & Bour-  $ie> Ê L O G E daloue. L'Académie Francoife mit Ie fceau a fa réputation oratoire, en lui décernant fucceflivement trois Prix d'éloquence. La fortune de ces couronnes académiques eft remarquable par fes vicifïïtudes ck par fes effets. Dans les premiers temps oü la Compagnie propofa des Prix a 1'émulation des Gens de Lettres ( ék ces temps font ceux oü M. l'Abbé Mongin entreprit de les difputer ) , la nouveauté de 1'objet , Ie goüt renauTant de la Nation pour 1'Eloquence ék la Poéfie, 1'attention flatteufe que le Monarque donnoit aux progrès ék aux fuccès en tout genre, toutes ces railons faifoient entrer dans la lice les Athletes les plus dignes d'y combattre; ék les lauriers qu'ils y obtenoient étoient fouvent le gage de la place qui les attendoit dans 1'Académie. Les fujets du Prix d'éloquence , qui étoient alors des queftions de Morale , trop fouvent communes ék rebattues (i), fe trouvant enfin comme épuifés, 1'objet (i) Yoyez Ja Note (a).  DE M O N G I W. JI t de ce Prix devint par-la moins intéreiTant; & la Nation Francoife , qui fe laffe fi promptement, même de ce qui eft bon , n'attacha plus autant de me'rite a ces triomphes litte'raires; ils parurent, durant quelque temps, abandonne's a des Auteurs médiocres; &. tel qui fortoit de la Séance des Prix tout glorieux de fa médaille, étoit a peine regardé du Public. Enfin les Prix d'éloquence font redevenHS un objet digne d'exercer la plume de nos meilleurs Ecrivains, & auprès du Public même, un des plus précieux titres académiques , depuis que la Compagnie, renoncant aux queftions ufées de Morale qu'el'e avoit prop#fées durant pres d'un fiecJe, a réveille les talens par des fujets plus faits pour les occuper, par 1'Eloge des grands Hommes de la Nation. Un Ecrivain qui s'eft rendu célebre dans cette carrière par cinq vicfoires éclatantes 8c confécutives , 6c qui, par fon éloquence 8c par fes vertus, s'eft montre digne dg célébrer les Héros de la Patrie, a mérité d'avoir des fuccelfeurs dignes de lui, 6c leur a montré dV  3i2 Éloge vance le prix de leur fuccès dans la place qu'il occupe aujourd hui fi dignement parmi nous (i). M. l'Abbé Mongin , vainqueur dans trois Concours , fit encore , avec 1'applaudifTement de la Compagnie , un autre effai de fon éloquence; il prononca , en préfence de 1'Académie Francoife , Ie Panégyrique de SaintLouis, dont la Chapelle du Louvre retentit tous les ans fans avoir jufqu'ici raffafié nos oreilles; & quoique de grands Orateurs euffent déja brille avant lui dans cette Chaire, il eut le mérite de fe faire écouter après eux; fujet heureux & abondant, peutêtre inépuifable , quelque rebattu qu'il paroiffe, & qu'on trouyera d'autant plus fécond ( a ), que le génie de ï'Eloquence fera plus éclairé par les lumieres de la Philofophie. Dans un fiecle oü les talens trouvoient de 1'encouragement & de 1'ef- (i) Voyez la note (£). (O Voyez 1'article de M. J'Abbé Segui, & Icó Notes fur cet article, time,  DEMoNGIN. 3 r 3 time, les fuccès re'itére's de M. l'Abbé Mongin recurent la récompenfe qu'ils méritoient. La Maifon de Condé le choifit pour 1'éducation de deux Princes, fa plus cliere efpérance; bientöt après , il obtint une récompenfe encore plus flatteufe pour lui , paree qu'elle lui étoit donnée par fes Pairs Sc par fes Juges naturels , le titre d'Académicien. Ce fut en cette qualité qu'il prononca encore dans la Chapelle du Louvre, en préfence de la Compagnie, 1'Oraifon funebre de Louis .XIV, notre Protecleur, de ce Prince, a qui 1'Académie Sc les Lettres avoient tant d'obligation , & qui , dans les temps même de fa vie oü il fut le plus févérement jugé par fon Peuple, ne ceffa jamais de nous être dher & refpeclable. Cette • Oraifon funebre , quoique fort goütée de la Compagnie, qui s'y intéreffoit particuliérement, 8e qui étoit faite pour en apprécier le mérite , eut le fort de tous les autres Eloges que 1'Eloquence a confacrés a la mémoire de ce Prince ; elle fut recue froidement dü Public : la Nation , malheureufe Sc gémiffante ctaj>uis vingt années, accufant fon Roi, Tornt F, O  3*4 ÉLOGE avec amertume, des maux qu'elle enduroit, ne pouvoit plus entendre avec intérèt 1'hiftoire d'un regne qui, après lui avoir paru fi glorieux , avoit fini par lui paroitre trop long. C'eft une lecon trifte fans doute , mais peutêtre utile pour les Rois , d'obferver ici que ce Monarque, tant exalté pendant fa vie , 1'idole de fes fujets durant plus d'un demi-fiecle , a été célébré après fa mort par les Orateurs & les Ecrivains les plus diftingués, fans qu'aucun de ces Panégyriques funebres ait mérité d'échapper a 1'oubli, Aucun Prince n'a vérifie d'une maniere plus ficheufe la fageffe profonde de cette maxime de 1'Ecriture ; Ne vous prejje2r pas de louerperfonne avant fa mort. Louis XIV au tombeau eüt' été mieux loué par la vérité, s'il avoit été , durant fa vie , moins encenfé par 1'adulation. Cjuoi qu'il en foit, le peu de fouyenir qu'on a confervé de 1'Oraifon funebre de Louis XIV, prononcée par M. l'Abbé Mongin , étant un malheur qu'elle partage avec cent autres du même Monarque, ne doit lahfer picuae impreffion peu favorable contre  DE MONGIN. 315 Féloquence de 1'Orateur, qui , depuis long-temps, en avoit donne tant ce preuves. Ii continua de les fortifitr par un grand nombre d'autres Difcours, qui, prefque tous, avoient la Religion pour objet, & dont il a lui-même donné le Recueil une anne'e avant fa mort. On trouvera dans ces Difcours plus de goüt que de cbaleur, plus de penfées que de mouvemens, plus de fageffe que de coloris; mais on y trouvera par-tout un ton noble & fimple, une fenfibilité douce , une diclion élégante 6c pure, un ftyle, en un mot, qui a la première qualité d'un bon ftyle, celui de laiffer a 1'Auditeur ou au Lecleur toute fon attention pour la matiere traitée; on y trouvera furtout cette folidité d'inftruclion qui doit faire la bafe de 1'Eloquence Chrétienne, 8c qu'on cherche en vain dans un fi grand nombre de Sermons, oü Ie Prédicateur, a force de chercber les mots, n'a pas trouvé les chofes, 8t oü 1'avide piété, fruftrée des alimens qu'elle défire 8c qu'elle etpere, eft forcée, fi Ion ofe parler ainfi, de fe nourrir de fumée. C'eft ce vide d'idées', 6c ce yain bruit de paroles, fi ordiO ij  316* Éloge naire dans les Ouvrages de cette efpece , qui faifoit dire a Fontenelle , Que dans Jon en fance même , lorfquoji le menoit au Sermon , il commenpoit déja d n]y tien entendre, M. l'Abbé Mongin n'emploie pas , comme ont fait d'autres Orateurs, toutes les finelfes de la logique & de leloquence , pour démontrer la Religion a des hommes qu'on doit en fuppofer convaincus; mais il combat avec avantage les paffions qui les enapêchent de s'y foumettre. Perfuadé que 1'Ecriture & les Peres de 1'Eglife doivent former toute la fubfiance d'un Difcours Chrétien , deffiné principalement a des Auditeurs qui connoiffent le prix de cette nourriture facrée, il emprunte prefque partout leur langage, & fe le rend propre par 1'ufage heureux qu'il fait en faire; mais il daigne auffi quelquefois , en ayant recours aux feules armes que lui fourniffent les lumieres naturelles, lendre a 1'incrédulité un brasfecourable; digne Miniflre de la Providence, qui, lelon 1'expreffion des Livres Saints, fouffle oü elle veut & quand elle le veut, & qui /aura bien , difoit notre Qrateur , quand Vheure de la grace  DE MONGIN. 3 if fera vetiue, conduire rIncrédule par le feut flambeau de la ra fon , d ld fa'inte obfcuiité de nos myfleres. Enfin, fi M. l'Abbé Mohgin écliauffe rarëment fon Leéfeur, il 1'occupe & I'éclaire toujours ; il le renvoie finon troublé, du moins perfuadé , & finon rempli d'admiration pour 1'Orateur , au moins plein de refpeéf pour le Miniftre de 1'Evangile. 11 eüt été mis fans doute au rang des plus grands Prédicateurs , par cet homme d'efprit & de goüt, qui difoit, en appréciant la véritable éloquence de la Chaire (1) : Le premier Prédicateur pour moi, ejl celui par lequel je fens que je Jerois converti, fi favois a Vêtre. Auffi fon éloquence , déja couronnée par 1'Académie , le fut encore par le Gouvernement même , & employee au plus digne ufage que 1'Orateur püt en faire. II fut nommé a 1'Evêché de Bazas, &. dès-lors il confacra entiérement fon talent pour la (i) Voyez 1'Eloge de Bofluct dans le" premier Volume, page 133. O iij  318 E L O G E parole , a 1'inftruction du troupeau confié a fes foins. Encie'rement livré aux devoirs de fon état,, il fut comme perdu pour 1'Académie; mais il faima & s'en fouvint touj-mrs; & la Compagnie , dont le premier défir eft que fes Membres foient utiles , fit céder avec joie fes intéréts littéraires a des intéréts plus grands & plus refpedablts. M. 1'Evêque de Bazas ne fe contenta pas de prêcher a fes Diocéfains 1'union & la charité, ce précepte fondarnental & prefque unique de 1'Evangile ; il 1'enfeigna par fon exemple : il entretint Ia paix entre fes coopérateut-s, divifés d'opinions fur les malheureufes querelles qui ont fi longtemps troublé 1'Eglife de France ; il donnoit mème fur cet objet important, des confeils auffi édifians que raifonnables ck utiles, a fes Confrères dans 1'épifcopat, confeils dont fa conduite juftifioit toute la fageffe; ce fut lui qui dit a un Prélat fort zélé , pret a publier un Mandement fur ces matieres délicates : Croyez-moi, Monfeigneur , parions beaucoup , & écrivons  DE MoNGIN. 319 peu : maxime qu'il feroit a fouhaiter que tant d'autres euffent fuivie pour la tranquillité de 1'Eglife, & pour 1'avantage de cette Reügion de paix & de charité, dont ils n'ont pas toujours connu les véritables intéréts. N O T E S fur Varticle de M, VAbbè MOKGI N. (ü)On ne liroit point ajfjourd'hui fans étonnement la lifte des fujets de dévotion ou de Morale que 1'Academie apropoféspourle Prix d'Eloquen. e depuis lannée 1671 julqua las,nee 1758 , oü ces fujets ont celle. Un y trouve la J-cience du falut ; le mérite & la dignué du martyre; la pureté de l'efpr/t & du corps; 8c jufqu'a la paraphrafe de VAve-Maria. On peut mème remarquer que ce fut M. de Tourreil, Ecrivain d'ailleurs peu afcérique , qui réuffit le plus heureufement dans cette paraphrafe , 8c qui , comme le dit alors un Ecrivaia fatirique , enleva ce Prix aux Capucins. On auroit tort cependant de vouO iv  3*o E L O G E loir jeter aujourd'hui un ridicule fur Jes matieres édifiantes que 1'Académie a ii long-temp, propofées a l'éioquence des jeunes Littérateurs. Baizac, Fondateur du Prix d'Eloquence, avoit indique lui-même ces fujets, & jufqu'a ia cour te Priere a Jéfus-Chrift, 6k difconviennent tous fur 1'idée qu'ils s> s'en forment. Tout ce qui tombe » fous nos fens, & tout ce que 1'ef» prit feul peut fe repréfenter, tout » ce qui eft le plus brillant, le plus » élevé au deffus de nous, & tout ce » qui paroit le plus vil, tout ce qu'il y » a de redoutable & de funefte, tout » enfin a été une divinité pour quel» que Peuple, tout a eu fon encens, » fes autels & fes viétimes. ï a diver» fité des Religions a répondu a celle » des Divinités. Ici, 1'on veut avoir des » Dieux toujours vifibles , toujours  DE M O N G I N. ja? » préfens par leurs ftatues ; la, c eft » un crime de repréfenter ce qu'on » adore: ici, coule le fang ou des ani» maux ou des hommes ; la , fume » un fimple encens : ici, 1'on emploie » des jeux & des fpecftacles pour ap» paifer le Gel irrité; la , on tache » de le fléchir par de rigoureufes » fouffrances que 1 on s'impofe : ce qui » honore les Divinités d'un Pays, ou» trageroit celles d'un autre ; & les » plus faintes cérémonies d'un Peuple » font fouvent les facriléges d'un Peu» ple voifin. » Cependant il n'y a qu'un Dieu, » & qu un Dieu jaloux : malheureu» fes, 6k plus malheureufes cent fois » qu'on ne le peut comprendre , les »Nations qui portent a d'autres Di» vinités les hommages qui n'appar» tiennent qu'a lui ! Leurs Diéux ne » peuvent rien pour elles , & celui » qui peut tout n'eft pas leur Dieu. » Les'honneurs quVlles rendent a qui » ne fcaun,it les en récompenfer, font » autant d'injures qu'elles font a i re » qui peut les en punir Et quelle pro» digieufe , q'iell? irroombrablé mul» titude eft'enveloppée dans une erreur O vj  324 ' Eloge ;•.' » fi fatale ! Entre tous les diffëre»s » Peuples que forme la diffe'rence des » cultes, trois Peuples feuls adreffent » leurs vceux 8c leurs adorationsa celui » qui eft. » II ne fumt pas mème de le re» connoitre , cet unique Souverain » de 1'Univers ; trois grands Peuples » le reconnoiffent , 8c il en rejette » deux ; ils ne vont point a lui par » fon Fils , par cet adorable Fils » qui a daigne' acheter de tout fon » fang le droit de lui faire recevoir » les vceux du genre humain , & d'ef» facer la maiheureufe tache qui rend, » pour ainfi dire, notre naiffance même » criminelle. » Et ce Fils, qui feul peut conduire » a fon pere, ce n'eft pas encore affez » d'invoquer fon nom 8c d'implorer » fon fecours. Du Levant au Couchant, » de nombreufes Eglifes fe flattent » d'une e'ternelle alliance avec lui; ,v une feule eff fon époufe, toutes les » autres n'ont point de part a fon » amour ni a fes faveurs. » Parmi tant de diverfes Religions, » parmi tant de voies différentes, » toutes funefies , hormis une feule,  D E M O N G I N. 3 2.5 » qui nous marquera 1'unique voie qu'il » eft fi important de connoitre ' Hélat! » celle oü 1 on eft je té par le hafard » de la naiffance, eft prefque toujours » celle que 1'on prend pour la voie » falutaire : tous les Peuples de la » terre marchent dans les divers che» mins avec une égale confiance. » Que ne peut point fur les hom» me' une première opinion qui s'em» pare des efprits encore jeunes, oü » e'le ne trouve ni la raifon a com» battre , ni d'autres opinions a dé» truire, qui fe fait de jour en jour, » par la force des habitudes, une au» torité plus inébranlable, qui eft fou» tenue par les exemple? de crédulité » que 1'on fe donne mutuellernent, qui » eft appuyée par les noms les plus » illuftres ck les plus révérés, qui a » eu des fiecles entiers d'un regne paix> fible , qui tire des preuves de fa x longue durée , & qui enfin ne peut » être attaquée qu'aux dépens de 1'hon» neur de toute une Nation ? Combien » de vaftes climats , piongés encore » a'ujöurd'hui dans les ténebres de » 1'idolatrie, ignorent jufqu'au nom v du Ghriftianifnae, ou n'en ont que  ?20" Éloge » la foible connoiffance qui leur eri » peut venir au travers des mers qui » les féparent de nous ? ou enfin , fi » notre zele fait aller des lumieres plus » vives jufqu'a ces Peuples, peuvent» elles aifément difiïoer cette foule de » préjugés fi établis & fi puiffans , » qui sélevent fans ceffe contre elles » &^ les obfcurciffent ? La vérité pa» rok, mais nouvelle, ëtrangere, dan» gereufe en apparence, enneraie de » tout; & ce fera un affez grand triom» pfie pour elle, fi, fous une forme » fi delavantageufe, elle obtient feuieV ment la plus légere attention. » Au milieu du Chriftianifme mê» me , d'autres Peuples font dans une » difpofition encore plus déplorable. » Ils naiffent, pour ainfi dire, enne» mis de la vérité connue : comme » elle doit les frapper de toutes parts, » on les arme contre elle dés leur en» fance; on leur apprend avec foin » Pari funefie de ne fe pas laiffer » vaihcré par elle. Leurs yeux ne fe» ront pokit deffiliés par un nouvel » éclat quj les furprenne ; ils font ac» coutumés a le fomenir • ils ne fe» ront point touchés .des cris de ceux  öeMongin. 317 » qui les appellent dans la bonne voie; » ils les appellent a leur tour dans » cette voie d- perdition 011 ils lont » engagés; & la jufle compadion que y> 1'on a de leur égarement, ils la ren» dent a ceux qui marchent dans le » droit cr.emin. » O celelte vérité ! eft-ce toi qui » e'claires trop peu les hommes ' Sont» ce les hommes qui ne favent pas » recevoir tes lumieres ? Pourquoi ces » ténebres prefque univerft-lles répan» dues fur toute la terre ? Pourquoi » cette multitude prodigieufe de Na» tions, qui courent, fans le favoir, » a leur perte certaine ? Une fimple » erreur les rend-eue dJgnes d'une fi » malbeureufe deflinée ? » N entreprenons point de fon der » plus qu'il ne nous eft permis, les » abimcs de la fageffe éternelle ; fou» mettons nous a fes Loix : Dieu eft » jufte , il ne punit qu; der coupa» bics ; & lors même que les rig ïeurs » de fa juftice nou- paroiffent excef» fives , foyons perfuadés que fi elles » étoient moindres la fouveraine rai» fon en feroit blelTée. Tous les hom» mes font fortis d'une tige crimineile,  328 Éloge » ils naiiTent tous enfans de Ia colere: » malheur a ceux a qui Dieu n accorde » pas ce qu'il ne leur doit point! En» core une fois , foumettons-nous; & » fi notre foible raifon nous donnoit » des vues différentes, préférons a ces » vues dangereufes une falutaire igno» rance «. Le relfe du Difcours, quoiqu'infe'rieur a ce morceau, eft pourtant encore trés - digne d'être lu". II ié trouve dans les Recueils de 1'Académie , année 1695. Nous abandonnons ce qu'on vient de lire aux réflexions des hommes qui favent penfer; ils fentiront combien Ie füjet propofé étoit intéreffant & digne de la plume qui fa traité. Nous foupconnon qu'il fut indiqué a 1'Académie par 1 Auteur mème , par M. de Fontenelle , qui ne put réfifter a une fi heureufe occafion d'exercer fon talent pour ce genre de queftions fines & délicates. Celle - ci eft prefque Ja feule de cette efpece que 1'Académie ait propofée pendant foixante ans ; nou; devons remarquer néanmoins qu'k niefure que le Siècle s'eft éclairé, les ^ fujets font devenus un peu plus intéreffans qu'ils n'avoient été d'abord,  DE M O N G I N. 329 ont moins prêté aux déclamations triviales ou ampoulées, ont même été qu è! qu efois fufceptibles d' u n e éloq ue n ce folide & lumineufe ; il fuffiroit d'en parcourir la lifte depuis 1'origine jufqu'a nous , pour y trouver une des preuves les plus fenfi' les du progrès des lumieres dans la Nation, & furtout chez les Gens de Lettres. Parmi les fuiers des dernieres années , on trouvera ceux-ci , dont la plupart méritoient bien d'être traités par 'des Phiiofophes. Quil ejl avantageux de nêtre ni pauvre ni riche. Quil ejl dü aux malheureux une forte de refpecl. La fa ge ff e de Dieu dans la dijlri'lution inégale des ■richejjes. Jufqu'a quel point il ejl permis de rechercher ou de fuir les honneurs ? La crainte du ridicule étoujfe plus de talens & de vertus, qu'elle ne corrige de vices & de défauts. En quot confifle Vefprit philofo-, phique ?  33° E L O s É Ce derm'er fujet, qui a produit uiv tres-bon Difcours du Pere Guenard, a prefque imme'diatement précédé les éloges j il e'toit bien propre, par fa nature , a fervir comme de paffage, des fujets ufe's de prédication , a des objets plus fairs pour exercer de véritables Orateurs. (b) II s'eft pafTé, a 1'occafion des eloges qui font maintenant le fujet de nos Prix , quelques faits académiques dont il eft bon que le Public foit inftruit. Tant que la Compagnie tl avoit propofé que des fujets faits pour des Sermons, elle avoit cru devoir exiger 1'approbation de deux Docteurs en Théologie , afin de mettre fon orthodoxie & fon jugement en fureté. Lorfqu'elle commenca a propofer les éloges, elle crut , par excès de prudence , devoir toujours exiger la même approbation, quelque fingulier qu'il put paroitre de foumettre a 1'examen de deux Prètres & de deux Théologiens, 1'éloge d'un grand Capitaine (i), celui d'un grand Homme (i) Marcchal de S«e.  DE M O N '6 I Tf. 3 31 de mer (1), & celui d'un grand Miniftre des Finances (z). II étoit cependant arrivé que dans 1'annonce qu'on avoit faire a une Aflemblée publique d'un . de ces fujets d'éloges, & de Ia conditi» n d'être aoprouvé par deux DoéteufS en Théologie , les Auditeurs avoient témoigné, par uri léger murmure , qu'ils n'approuvcient pas nos fcn pnles; ce peiit dégout n'empêcha pas la Compagnie de demeurer fidele a un ufa::e dont le Public fembloit la difperifer. Enfin 1'Académie, ayant pris le parti, en 1768, de propofer 1'éloge de Molière, elle fentit qu'il feroit trop mal fonnant d'exiger, pour un pareil fujet, 1'approbation des deux Docïeurs ,s a qui même la feule auftérité de leur robe devoit interdire la lecHure de pareils Ouvrages. Elle fupprima donc alors cette condition , qui étoit devenue tous les ans un fujet bien ou mal fon.ïé de plaifanterie & crut même pouvoir s'en affrancbir touta-fait pour 1'avenir ; elle ne 1'exigea point pour lelcge de Fénélon, qu'elle (1) Du Gué-Trouin. (i) Sully.  332 Éloge propofa 1'année fuivante. Elle avoit imaginé d'aiileurs , & avec affez de raifön, qu'ayant, parmi fes Membres, beaucoup de Prélats , Membres du premier Ordre de 1'Eglife , elle pouvoit fe difpenfer d'avo'ir recours a des Doóïeurs du fecond Ordre s pour réformer tout ce qui pourroit effrayer la Foi dans les Ouvrages préfentés au Concours. Elle s'efi trompée; & 1'éloge de Fénélon , par M. de la Harpe, qui a remporté le Prix en i/7i , qU01que jugé par des Académiciens trèsorthodoxes , & dont quelques - uns même étoient des Evêques , quoique revu avant 1'imprefTion par des Académiciens attentifs & fcrupuleux , a néanmoins été jugé digne de blame par des revifeurs plus fcrupuleux encore, & dont nous devons refpecler la délicate/Te , ne fut - ce que par la Loi qui en a réiulté ; car le feu Roi Louis AV, toujours attentif a ce qui pouvoit offenfer, mais même tant foit peu alarmer la Religion, nous a ordonné, par un Arrêt de fon Confeil, qui a été rendu public , de faire rel vivre, pour tous les DiLours que nous recevrons a 1'ayenir , la cond'ition de  DE M O N G I N. 333 1'approbation des deux Docleurs. Ainfi, quelque fujet que nou? propofions dans la fuite , ne füt-ce que \'éloge de Buyle ou de Rabelais, le Public ne doit trouver ni mauvais ni étrange que nous demandions 1'attacbe des The'ologiens, que peut-être, avec raifon, 1'on a juge'e ft néceffaire; nous inviterons feulement les Approbateurs a fe contenir dans les bornes qui leur font prefcrites , a ne rayer , dans ces Difcours, que ce qui peut réellement bieder la Foi & les bonnes mceurs , & non ce qui peut contredire leurs opinions , leurs préjugés, & jufqu'a leurs chimères ; c'eft ce qui leur eft arrivé plus d'une fois, & en particulier dans les éloges de Charles V, Roi de France (i), ou a 1'occafion des plaintes du Clergé fur deux Prêtres aiTaffins que la Juftice auroit fait pendre, ils ont impitoyablement effacé tout ce qui étoit contraire aux prétentions des Eccléfiaftiques, pour fe fouftraire a la jurifdiéfion des Magiftrats. Cette liberté (pour ne pas employer d'autre exprefïïon ) mériteroit affurément, fi les (i) Sujet propofé en 17*7.  534 Éloge Cenfeurs s'y abandonnoient a Pavenir, les plaintes de 1'Académie ck 1'animaa /erfion du Gouvernement. Je ne fais fi la Compagnie propofera encore long-temps pour fujet de fes Prix d'éloquence . 1 éloge des Hommes illuftres; ii paroit difficile que ces éloges ne tariffent pas, d'autant que la plupart des autres Académies s'enfont auffi emparées; ce qui doit épuifer plus promptement la mine. En cas que 1'Académie revienne a d'autres fujets, Ie choix en deviendra difficile, fur-tout fi elle veut éviter les lieux communs, qui feroient aujourd'hui plus infipides que jamais. II eft cependant plus d'un fujet intérelfant que la Compagnie pourroit propofer: en voici quelquesuns. Le parallele du Siècle précédent & de celui-ci, quant aux talens & quant aux lumieres. S'il peut étre utile de tromper le Peuple (i) / (O L'Acadcmie de Berlin a déja propofc ce fujet j nuis il mériteroit de 1'êtrc de nouveau.  DE MONGIft. 335 Si la fuperftuion ejl plus injurieuje a Dieu que V Athéifme f Si Virréligion peut avoir Jon Janat'tfrne comme la Juperflition ? Si ce riejl pas nuire mortellement a la Religion , que de regarder & de traiter les Philojophes comme fes ennemis l Mais ces fujets demanderoient a être traite's par une main tout a la fois fure & délicate , dont la touche profonde & légere en même temps, fut concilier ce qu'on peut penfer avec ce qu'on doit croire, & fatisfaire a la fois les Phiiofophes féveres & les Théplogiens éclairés.  ELOGE  tc1 t /rf apprenom par ce même Difcours, que les premières démarches de M. l'Abbé Girard furent infruclueufes. La fenfibilité vraie ék fimple avec laquelle il s'exprime fur fon peu de fuccès , eft auffi noble qn'intéreffante; il ne diffimule point le chagrin qu'il en eut; il n'affeéie point de dédaigner ce qu'il avoit défiré ék ce qu'il venoit enfin ö'obtenir ; mais il fait lui-même léloge des concurrens. qu'on lui avoit préférés , ék il effaye de juflifier, avec Ja bonne fin la plus eflimable, les motifs que 1'Acadr'mie avoit eus de les adopter. » M etant flatté , dit-il, d'un » bonheur trbp prochain,il étoit diffiv cile que 1'illufion, en fe diffipant,  de Girard. 347 » ne fufaftituat pas dans mon ame » 1'amerrume a la joie qu'elle y avoit » d'abord répandue Tel eft , dans » le paiTage de !a faveur a la difgrace , » un Courdfan trop attaché a la forj> tune : tel je fus , lorfqu'il ne me » reffa que luonmur de la concur- » rence Cependant ma fenfibilité » ne m'aveugla point; elle me la.(fa » voir 1'intérêt de votre gloire dans » le choix que vous fites de ces ülu.'tres » Savans, qui foutiennent le goüt djs » Science? par celui qüih mettent dans » la maniere de les traiter (1) Le » plaifir que j'avois déja goü;é a la » leclure de leurs Ouvrages, prévalut » fur ma propre fatisfaclion; je donnai » a vos fttffrages de finceres applau» diilêmens ; je ne défappróuyai qwe » ma témérité , Sc je me replacai au » rang des fpeclateurs « L'Académie étoit trop jufte pour 1'y iaiffer longtemps , Sc le Public applaudit beaucoup au choix qui le tira de la foule oü il étoit fi modeflement rentré. M. l'Abbé Girard a peut être ignoré, (0 Voyez la Note (c). P vj  3 4§ Éloge ou du moins a prudemment & fionriêtelhent paffe fous filence, dans fon Difcours, la principale raifon qui avoit tant retarde' fon entre'e dans la Compagnie. Quelques Acade'miciens, prefque uniquement occupés de 1'étude de la Langue, & paria très-utiles a notre travail , craignoient de voir ce mérite s'évanouir aux yeux de leurs Confrères, s'il étoit partagé par quelques facheux nouveaux venus. Ils regardoient la Grammaire comme leur domaine , qui , déja petit & peu brillant par lui-même , ne leur paroiffoit plus rien , s'il ceffbit de leur appartenir en propre. lis employerent donc ( ce qu'il faut peut être pardonner a la foibleffe humaine ) tous les petits moyens dont ils purent s'avifer pour é!oigner 1'Adjoint ou le Rival qu'ils redoutoientj mais le cri public 1'emporta enfin fur leurs intrigues fourdes & ténébreufes. Admis dans cette Compagnie, M. l'Abbé Girard fe crut obligé , non de jufiifier fon titre , fes Synonymes 1'en difpenfoient, mais d'y en ajouter d'autres, de fe rendre plus utile encore, s'il étoit poflible, a la Langue Fran-  de Girard. 34? 501 fe , qui déja lui devoit tant, &■ de couronner, par de nouveaux fuccès , ceux qu'il avoit obtenus. II fe propofa de donner une édition fort augmentée de ces mêmes Synonymes , ék de perfeclionner d'ailleurs a plufieurs égards, fon travail fur cet objet. Ce travail en étoit trés-fufceptible ; car outre un grand nombre de fynonymes qui manquoient a la premieré édition , il étoit néceffaire que 1'Auteur donnat , a différens articles de fon Ouvrage, encore plus de jufteffe ék de précifion qu'il n'y en avoit mis. 11 eft rare , ék peut-être fans exemple , que,, dans quelque genre que ce puiffe être , 1'Inventeur crée ék perfectionne tout a la fois; ék il eft d'autant moins étonnant que M. l'Abbé Girard eut laiffe quelque chofe a défirer en divers endroits de fon Livre , que ces endroits étoient en affez petit nombre par rapport a ceux oü il avoit pleinement fatisfait les Leéleurs les plus difffiles. D'ailleurs, il auroit vraifemblablement donné , dans cette nouvelle édition, une forme un peu differente a fon Ouvrage. II eut fans doute expofé'd'abord a la tête de chaque ar-  35° Éloge ticle. comme ill'a fait dans quelquesuns, le fens gin ral commun a tous les mots qui paroiffent fynonymes, & qu'il eff affez diffbile de bien fixer ; il eut enfuite déterminé avec exaciitude 1 idee que cbaque fynonyme ajoute au fens général; enfin" il eut rendu fenfibles ces différentes idees, en les réun.flant, autant qu'il auroit éié pofïible, ckns une même pbrafe , oü la diveriné desacceptionsde chaque terme eüt été plus marquêe par le rapprocfiement même de ces termes. 11 eüt dmingué, dans les fynonymes , les • différences , quelquefois bizarres , qui font d'ufage 6c de caprice d'avec celles qui font conftantes & fondées en principes ; 8c il eüt auffi diftingué ks différences purement arbitraires , au moins par des exemples oü le Lecfeur les auroit obfervées. 11 eüt remarqué de plus , ce qui n'eft guere moins efïèntiel, qu'un article dc fynonymes n'eft pas quelquefois moins exacff, q'ioiqu'on puiffe, dansles exemples, fubftituer un mot a la place de J'aulre , 8c qu'il faut feulement que cette fubflitution ne puiffe être reciproque ; obfervation qui mériteroit  DE (jr I R A R I). 351 d'être approfondie , ék de laquelle il réfulteroit peut - être qu'il y a dans notre Langue , quoiqu'en tres - peilt nombre, des demi-fynonymesfi on peut les appeler de la forte , c'eft-adire , des mots dont on peut employer toujours le premier a la place du fecorrd , fans qu'on puiffe employer toujours le fecond a la place du premier (1). Enfin M. l'Abbé Girard eüt démêlé les divers emplois des fynonymes , non feulement en fixant , par une déftnition exacte , 1'idee pré* cite attaehée a chaque mot , ék les cas oü il doit ê|pe employé préferablement a tout autre; mais encore en marquant la différente acception des fynonymes employés au fens propre ou au fens figuré; les differens mots auxquels ils peuvent fe joindre, quelques-uns étant, pour ainfi dire, attirés par une exprellion ék repouffés par une autre; enfin les divers genres de ftyle oü 1'on doit en faire ufage , quelques-uns n'étant que du'ftyle poétique , quelques-uns que du ftyle fou- (1) Voyez la Noce (d).  3 52 Éloge tenu, quelques autres que ck ftyle familier. On voit par ce détail , que la nouvelle édition des Synonymes, projetée par M. l'Abbé Girard, demandoit un long travail pour être digne de la première , & pour 1'être auffi de 1'Académie & de 1'Auteur. Sa mort, arrivée trois ans après fon entrée dans cette Compagnie, 1'empêcha d'exécuter un projet fi utile : on n'a trouve dans fes papiersqu'environ quatre vingts fynonymes nouveaux, & la table alphabétique d'un grand nombre d'autres qu'il fe propofoit de traiter. Ces nouveaux fynonymes cette table ont été inférés dans la nouvelle édition tres-aitgmentée , qui , après la mort de ï'Auteiy , a été mife .au jour par M. Beauzfée. Cet Académicien a effayé de remplir quelques pierres d'attente parmi le grand nombre de celles que M. l'Abbé Girard avoit Iaiffees en fufpens. Mais ce qu'il en refte a remplir attend encore une main patiënte & habile : qtii, en achevant ce grand & utile édifice , rendra a la Langue Francoife un fervice immortel. Occupé lèrieufement de cet objet dans les demieres années de fa vie ,  de Girard. 353 M. 1'Abbé Girard étoit bien éloigné d'être oifif, & pour 1'Académie , & pour les Gens de Lettres qui le con- ' noiffoient; cependant, comme fon travail fur les fynonymes exigeoit encore plufieurs années pour' être mis d ns 1'etat oü il le défiroit, il craignit d'être regardé , durant cet intervalle , comme un Académicien inutile par ce Public févere, qui, fi inutile luimême dans une grande partie des individus dont il eft compofé, exige 'que les Gens de Lettres qu'il eitime offrent fans celfe quelque parure nouvelle a fon oifiveté , toujours pret k les accufer de pareffe, lorfqu'ils ont ceffé, durant quelque temps, de rien exoufer a fa critique. M. l'Abbé Girard crut devoir prévenir cet arrêt , tout injufte qu'il pouvoit être; 6k durant le peu de temps qu il a été parmi nous, le Public a recuetlli un nouveau fruit de fes veilles. II publia , en 1747, deux volt mes z/z-12, fous ce titre : Les vrais principes de la Langue Franfoife , ou la parole réduite en méthode , conformément aux loix de tufage. II y avoit long-temps qu'on le preffoit de travailler k une Gram-  3 54 E L O G E maire générale de notre Langue. C'en eft une que le Livre dont nous par■ torn ■ 8c ce Livre mème, ft 1'on en croit de tres - habües Grammairiens contiènt en effet les vrais principes de la Langue Francoife, c'eft-a-dire non feulement ceux qui font fondés fur la Metaphyfique générale commune a toutes les Langues, mais ceux même qui font propres a notre Langue particuliere, a ion génie, a fa mandie, aux regrës de fa conftrucfion 8c dè la .yntaxe; en/in aux bizarreries, fouvent pms apparentes que réelies, par lelquelles elle paroit secarter de la route naturelle 8c générale. Tel eft le plan de I'Ouvrage de M. l'Abbé Girard , Sc tel eft ie mérite que d'excelltns Juges y ont reconnu.-il fut cependam beaucoup moins accueilli .que L Uuvrage furies Synonymes. Celuici, ecntavec précifion , avec clarté, f n,,Te 3VeC nne lorte ^grément & d elegance , avoit été univerfellement applaudi , paree que tout le monde avoit pu le' lire, & ]'aVoit lu non feulement fans dégout 8c fans contention , mais avec plaifir 8c avec fruit, li n en fut pas de mème du Livre  de G i r a r' d. 355 des Principes. On y critiqua deux peints effentiels, le fond & le ftyle. On trouva j quant au .fo d, que 1'expofi.lion des principes marjquwt de clarte'; que les idees étoient trop abftraites , trop métaphyfiques, & trop peu a la poriée des Lecleurs. En Géométrie , en Chiniie, & dans la plupart des Sciences exactes, un Auteur peut n'être pas entendu de ce qu'on appelle le Public , fans que ce Public ait drok de s'en plaihdre, paree que ces Sciences ont une I angue a part, un Dictionnairé propre qu'il faut favoir pour entendre les Livres oü 1'on fait un ufage indifpenfabie de ce Diéfionnaire & de cette Langue ; mais en Grammaire , en Métaphyfique, en Logique, & dans toutes les autres Sciences qui n'ont ou ne doivent avoir d'autre Langue que la Langue commune , c'eft toujours la faute de 1'Ecrivam que de n'avoir pas 1'art de fe fa re entendre. 11 faut faiiler aux Jean Scor, aux Dulian_, & a ceux qui leur reffemblent , le trifte avantage de fe trainer 6k ce fe battre a tatons dans les ténebres de la Philofophie lcholaltique , qui ne méritent pas qu'on cher-  356 Éloge che a les dilfiper. Dans tous les genres d'Ouvrages qui peuvent iniéreffer les bons etprits , la maxime ft vraie, ce que 1'on coupon bien s'énonce clairement, eft la- pierre de touche la plus fure pour apprécier & juger 1'Auteur. Malheur donc a tout Grammairien dont les producftions auront befoin de glofe & de commentaire ; d'autant plus B'bltgé a la élarté qu'il doit 1'enfeigner aux autres, il eft: auffi coupable de fe rendre obfcur, que le feroit un Poëte qui manqueroit a la me fure & h la rime. C'eft le reproche qu'on fit a M. l'Abbé Girard 5 & nous fommes forcés de convenir , d'après 1'avis unanime des connoiiTeurs, que le reproche n'étoit pas fans fondement. A 1'égard du ftyle , on jugea qu'il n'étoit pas afforti a ia matiere ; que 1'Auteur y avoit prodigué des ornemens peu convenabïes, des tours figurés ék recherchés , qui contraftoient d'une maniere choquante a* ec la févérité ék la firnplicité du fujet , ék qui , par cela même , augmenfoient encore 1'obfcurité dont on accufoit 1'Quvrage. M. l'Abbé Girard avoit été fur ce point dat ? une erreur finguliere, pour un Philofophe  de Girard. 357 tel que lui. II s'étoit imaginé que ets pre'tendus agre'mens de ftyle lui procureroient plus de Lecleurs'; &. quand on lui en faifoit appercevoir la difcordance avec fon fujet , il répondoit avec une fimplicité na'ive : Fai mis cela pour les femmes. Vivant, comme il faifoit, dans la retraite, & n'ayant nulle connoilfance de ce qu'on appelle le ton des Gens du monde , il avoit cru emprunter leur langage en parlant \\n jargon fi étranger a ion objet. Auffi fon Livre fut-il peu goüté de 'cette partie du Public , malheureufement très-nombreufe , qui ne lit que par délceuvrement, & qui, lorjqu'elle confent a s'inftruire ,-veut au moins que ce foit fans- fatigue & fans ennui. Mais les Philotbphes & les Maitres de 1'Art, qui ne jugent pas fur 1'écorce, connurent le prix de fon travail. 11 ont creuie & nettoye' la mine que 1'Auteur avoit ouverte ; ils ont développé les principes vrais Sc lumineux , mais mal préfentés , dont la multitude n'avoit pu fentir la folidité & 1'étendue 3 il ont transformé en langage vulgaire les e'nigmes & la rhétorïque de 1'Auteur , qui par - la.  358 Éloge devenu plus clair & plus fimple , ne s'eft plus alors montre qu'avec toutes les yraies richeffes. L'Ouvrage de M. l'Abbé Girard a obtenu le mème honneur que les Synonymes, celui d'être contrelv.it dans toute 1'Europe. M. Duclos 1'avoit prévti , lorfqu'il difoit en parlant de cette Grammaire : C'ejï un Livre qui fera la fonune d'un autre. La clarté & la fimp1iciré de ftyle qu'on d< fireroit dans la Grammaire de -M. l'Abbé Girard, pour dépioyer & mettre dans tout fon jour 1'efprit philofoplüque qui 1'a diótée, eft au contraire un des principaux mérites d'un autre Grammairien Philofophe , feu M. du Marfais, dont les Ecrits ont fait de Ia Grammaire & de 1'étude des Langues une fcience lumineufe , nouvelle ck fimple. Des imitateurs plus ou moins ferviles ont adopté les idees faines & utiles dont il eft 1'A.uteur , quelques-uns en les gatant, quelquesautres en y faifant des changemens légers, moins pour perfeclionner fes vues, que pour n'avoir pas fair de fe trainer abfolument fur fes traces; mais la plupart de ces Difciples ou  de Girard. 359 de ces Cöpifles ne lui ont pas rendu la jufiice qu'ils lui devoient, & dont nous croyons de voir nous acquiiterpour eux, fans qu'ils nous en aient chargés (1). L'Académie auroit bien dcfiré que le Public eüt pu voir ces deux hommes , qui ont fi bien mérité de la Langue Francoife , affis 1'un auprès de 1'autre dans nos Affemblées. Mais feu M. du Marfais , fans ètre auffi modefle que M. l'Abbé Girard , ignoroit encore plus que lui les moyens de fe procurer les bjMaeurs littéraires : non feulement il étoit fans intrigue, fans manége, fa'n^rrt pour fe faire des pröneurs & des amis, mais il avoit eu le malheur ou la mal-adreffe-de fe faire des ennemis dans une Société alors très-puiffante , en voulant défendre , contre les attaques ridicules du Jéfuite fialtus, 1'Ouvrage de M. de Fontenelle fur les Oracles , Ouvrage que 1'Auteur lui-même avoir eu la prudence de ne pas juftifier, par cette fage raifon, qu'il auroit eu trop d'avantage pour terraffer fon adverfaire. > rif, Sc refpedables par leurs mceurs, ne méïitoient pas cc que d'injuftes Saciriques oferent ^lors dire, & meme imprimer', que les dé-  de Langue f. 3S9 été tres injufte, puifqu'elle n'avoit d'autre motif que des opinions, hafardées fi 1'on veut, mais au moins très-libres, & des controverfes ténébreufes j pour lefquelles il eft bien honteux a des Phiiofophes de fe paffionner. Ce qui met d'ailleurs entiérement a couvert la mémoire de M. 1'Evêque de Soiffbns, c'eft que la même injuftice a été exercée plus d'une fois fur des hommes que 1'envie vouloit exclure de cette Compagnie, & qui lui ont fait honneitr par leurs vertus & par leurs Ouvrages. Auffi a-t-on plufieurs fois agité dans 1'Académie , fi on ne demanderoit pas au Roi la iuppreifion du fcrutin des boules, comme indécent & odieux. Mais ce mal, fi c'en eff un , eft un mal néceffaire , qu'il faut bien fe garder de détruire, de peur d'en faire naitre de plus grands. Le fcrutin des boules eft la fauve-garde de notre liberté ; c'elt une arme, il vots de 1'Académie étoient d'autant plus fcandalifés des Gontes de leur Confrère , qu'ils les avoient beaucoup lus : mais peut-être eüt-il été jufte de pardonncr aux Contes en faveur des Fabks. Riij  39° E L O G E eft vrai, dont la méchanceté peut abufer quelquefois , mais dont le patriotifme académique peut auffi fefervir avec avantape, pour repouffer ou la médiocriré infolente & prorégée, ou le talent dégradé par les mceurs, ou enfin le crédit impérieux qui voudroit envafiir avec orgueil & violence des honneurs defiines a la réunion du mérite & des vertus. M. 1'Evêque de Soiffons, admis dans 1'Académie avec une forte de répugnance, la défabufa bientöt de 1'opinion peu favorable qu'elle avoit eue de lui , & fe concilia fans peine ceux même qui lui avoient été le plus oppofés II fe montra digne du titre d'Académicien par fon amour pour la Compagnie , par fes procédés honnêtes envers tous ceux qui la compofoient, enfin par 1'attention qu'il avoit d'affifter aux Affemblées le plus fouvent qu'il lui étoit poffible ; il eft vrai que la proximité des deux villes dont il fut fuccefïivement Evêque , lui permettoit prefque d'être affidu a 1'Académie , fans fortir , en quelque maniere , de fon Diocefe ] c'eft une liberté ddflit fe Yoient privés ayec regret  de Langue t. 391 la plupart des autres Prélats nos Confrères , que nous avons rarement la fatisfaélion de voir au milieu de nous, paree que dans les temps mêrne oü leur fe'jour a Paris pourroit nous faire jouir de leur pre'fence , ils nous font enlevés par- des affaires ou par des foins qui , a leur grand regret, les écartent prefque autant de 1'Académie que de leur troupeau. Quoi qu'il en foit, M. Languet fut Académicien zélé , & il en remplit avec exacfitude tous les devoirs qui ne prenoient rien fur d'autres plus incliipenfables: 11 fe trouva chargé de plufieurs réceptions; mais Ia mème deflinée malheureufe qui avoit troublé fon entrée a 1'Académie , fembla le pourfuivre encore dans deux de ces occafions, oü il devoit, comme Directeur, parler au nom de la Compagnie. Dans ia première , il avoit a recevoir a la fois landen Evêque de Mirepoix , Jean - Franpois Bpyer^ qui n'avoit fait que des Sermons , & 1'Auteur du Prèjugé a la po Je, Nivelle de la Chaufjée , qui1 n'avoit fait que des Comédies. La circonflance étoit délicate pour un Evêque, obligé , Rit  3Q2 E L O G E d'un cóté, par les bienfe'ances de fon état, de s'élever contre les Speétacles, & obligé , de 1'autre , comme Chef de 1'Académie , de donner au Récipiendaire , qui n'étoit connu que par des Ouvrages de Théatre , les juftes éloges que ces Ouvrages méritoient. Nous ofons dire que M. 1'Archevêque de Sens fe tira de ce pas difficile avec autant d'équité que de fageffe ; & fürs de n'ètre pas contredits par tout Lecteur impartial , nous ne craindrons pas de rapporter ici, pour juftifier le Prélat, prefque tout 1'endroit de fon Difcours quiregarde M. de la Chauifée. » Je devrois peut-être , dit-il, en » qualité de Directeur d'une Acadé» mie a qui la Poéfie eft chere, m'é>> tendre davantage fur le mérite de » vos Comédies ; mais 1'auftere dignité dont je luis revêtu , m'oblige a être y réfervé. N'aurois-je pas même a » craindre qu'on ne me fit un repro» che, fi ie louois également c3c l'O» rateur Chrétien , & le Poëte proyfane, & fi je diftribuois a la fois » des éloges & a celui qui a préparé » des feenes au Théatre , & a celui » qui a compté le Théatre au nombre  de Langue t. 393 » desfcandales qui excitoient fon zele?... » Non , Monfieur , le reproche feroit » injufte. Je puis, fans bleffer mon ca» raéfere, donner ici, non pas aux » Speclacles, que je ne puis approuver, » mais a des Pieces auffi fages que ju les vötres , & dont la ledlure peut » être utile , une certaine mefure de » louange, tandis que 1'Académie , en », vous adoptant, donne a la beauté » de votre génie la couronne qu'elle » mérite a fes yeux. Celui-la en effet » mérite quelque éloge , même de » notre part, qui a banni de la fcene x> les paffions criminelles qui corrom» pent nos fpeéfacles, &. qui a fu » faire fervir les ftcrions' pbétiques a » donner aux hommes d'utiles lecons. » Ainfi, en rendant jufiice a la fageffe » de vos vues, on pourra convenir » fans peine qu'il y a quelque rap» port entre celui qui condamne nos » Théatres, & celui qui effaye de les » corriger..., Continuez , Monfieur, a » fournir a nos jeunes gens, je ne dis » pas des fpeéfacles , mais des leélures » utiles , qui, en amufant leur curio» fité, les rappellent a la vertu, a » la jufiice , aux fentimens d'honneur R v  394 ÉLOGE » & de droiture que la Nature a grave's » dans le cceur de tous les hommes; » continuez a re'pandre un ridicule fa» lutaire fur les goüts bizarres de la » jeunerfe de notre Siècle. Les Ora» teurs Chre'tiens trouveroient moins » d'obftacles au fruit qu ils défirent, » fi les efprits e'toient pre'parés aux » vérités chrétiennes par les vertus » morales, & par les fentimens que » la raifon infpire. Qu'il eft diffïcile » en effet de faire de vrais Chrériens » de ceux qirf n'ont pas encore com» mencé d'être des hommes raifon» nables « 1 Quelque, jufte , quelque fage , quelque décent même que fut cet éloge, le parti nombreux dont M. 1'Archevêque de Sens s'étoit attiré la haine par fes Ecrits , ne manqua pas de dire qu'il n'avoit pas moins loué dans fon difcours le talent de faire des Comédies, que celui de faire des Sermons, & qu'il propofoit aux Chrétiens de fe difpofer a entendre le Sermon en allant a la Comédie. Une Gazette fatirique que ce parti imprimoit depuis plufieurs années, & dont 1'Auteur avoit alors quelquefois de 1'efprit, qu'il n'a pas  DE L A N G U E T. 3 9 {" laifTé a fes fucce/feurs, faifit avec une fainte aviclite' cet édifiant moyen de tourner Ie Préht en ridicule; & le Public oifif, toujours emprerfé d'applaudir a Ia fatire , & fatisfait furtout de s'immoler , quand il le peut, de grandes viéfimes, re'péta avec complaiiance les pieux farcafmes dont les ennemis de la Bulle Unigenïtus accabloient leur Adverfaire. M. 1'Archevêque de Sens fut fi bien corrige' par ces Epigrammes injurieufes, du tort qu'on lui imputuit d'avoir loué des Come'dies , qu'il fe réforma fur ce point jufqu'a 1'excès Chargé , quelques années après , de la réception de M. de IvLarivaux, Auteur de plufieurs Romans ck d'un grand nombre de Pieces de Théatre, il donna au Récipiendaire beauccum moins d'éloges que de Iecons ; iijjpn fit ( avec toute Ia modéraaon néanmoins que • le lieu & la circonflance pouvoient exiger) une efpece de. ••eprimande épifcopale fur fes Ouvrages, qu'il n'ofoit pourtant convenir d'avoir lus, ck pouffa le zele évangélique jufqu'au point de mécontenter prefque également & le Récipiendaire & 1'Académie. 11 auroit Rvj  396 Éloge pu oppofer a ces plaintes la Fable fi connue du Meunier Sc de fon fils; un Directeur plus avifé , qui eüt mieux connu la malignité du Public ék la vigilance de la haine, fe feroit peutêtre difpenfé des deux réceptions, dont 1'une avoit valu des fatires, ék 1'autre des reproches k M. Languet ; tout autre que lui n'eüt pas manqué de motifs pour repréfenter a la Compagnie , qu'un Evêque ne pouvoit ni louer un Auteur de Comédies fans cornpromettre le Prélat, ni le prêcher fans cornpromettre 1'Académicien. Mais M. 1'A.rchevêque de Sens , homme fimple , vrai, ék pénétré du fentiment de fes devoirs, crut qu'il pouvoit, en cette doublé occafion, les remplir tous également, quelque oppofés qu'ils paruffent, ék s'appercut trop tard qu'il s'étoit troftipé. En lui reprochant fes réprimandes, on lui reprocha auffi fes éloges; on rappela avec .malignité un autre Difcours académique, prononcé par le même Prélat plufieurs années auparavant , ék dans lequel, voulant louer le Cardinal de Fleuri de toutes les manieres poffibles, il n'avoit pas dé-  . » e Lang u e t. 397 daigné de faire partager fes éloges a 1'antichambre du Miniftre , en célébrant 1'honnêteté des Domeftiques qui 1'habitoient. On ne fentit pas que ces éloges, qui reromboient fur le Maitre, étoient une leeon indirecte & tresutile donnée a tant d'hommes puiffans, trop fujets a faire fentir le poids de leur grandeur, par 1'infoJence même des efclaves qui font a leurs ordres. Devenu févere & rigorifle, non par caraclere , mais par une efpece d'émulation , & pour ne pas donner prife a des ennemis qui fe piquoient furtout d'une grande aufiérité de principes, M. 1'Archevèque de Sens fe montroit difficile & fcrupuleux , a 1'égard mème des plus illuftres &. des plus irréprocbables de fes Confrères. L'immortel Ouvrage de l'Efprit des Loix fut un de fes fujets de fcrupule; le Prélat crut y voir la Religion attaquée , & s'en expliqua alfez cl-irement pour offenfer 1'Auteur. Ce fut un malheur pour l'éloge funebre académique de M. 1'Archevêque de Sens ■ car le Préfident de Montefquieu , étant Directeur a la mort de M. Languet, pria Ia Compagnie de  39§ E L O G E le difpenfer de faire eer éloge, clant il fe trouvoit chargé par le devoir de fa place : il eut été plus grand d'oublier, en cette occafion , le tort excufable d'un pieux Evêque, qui, en fe déclarant contre une des plus belles produdions de notre siècle , mettoit au moins de la bonne foi dans des reproches ou tant d'autres n'avoient porté que 1'intolérance hypocrite ck la baffe envie ; 1'iiluflre Ecrivain qui fe croyoit offenfé , fe feroit vengé bien noblement en donnant a fon détracteur les juftes louanges qu'il mëritoit a beaucoup d'égards. L'Auteur de l'Efprk des Loix , dans plufieurs endroits de fon Ouvrage, s'étoit tiré avec fuccès de plus d'un fentier tout autrement gliffant; celui qui avoit fi bien défendu les droits de 1'humanité, ck parlé de la Religion avec tant de dignité ék de déetnee, auroit pu louer , fans ie cornpromettre, les vertus de M. 1'Archevêque de Sens, 1'auftérité de fes mceurs, fa charité pour les malheureux , h fimplicité de fon caractere; il auroit pu parler de fon zele même pour la Religion , quelque peu éclairé qu'il dut lui paroitre; il auroit  I> E L A N G V E T. 390 pu faifir cette occallon pour donner des lecons utiles a ceux qui, comme M. Languet, pourroient abutér d un zeis ii iouable , oc nuiroient a la bonne caufe en croyant la fervir. M. de Montefquieu ne penfa pas ainfi , & nous en fommes un peu fichés pour fa mémoire. Pour confoler, autant qu'il eff en nous, les manes du Prélat, des honneurs qu'un grand Homme a refufés a fa cendre , nous tacherons de la dédom mager de ce refus par le fuffrage .d'un autre grand Homme , plus fait, a la vérité , pour louer M. 1'Archevèque de Sens. 11 avoit été connu , dans fa jeuneffe , du grand Borfuet; il s'étoit fait aimer «Sc efümer de cet Oracle de 1'Eglife de France : ék ce fut a fa follicitation que M. Languet entra dans la maifon de Navarre , dont Boffuet étoit un des principaux ornemens. L'efiime d'un tel homme peut être oppofée a ia cenfure de beaucoup d'autres , ók même a 1'humeur jufie ou injufte d'un Philofophe. On ne doit pas s'attendre que nous parlions ici des Ouvrages de M. Languet , prefque tous fort étrangers a  4co Éloge 1'Académie Francoife. II en eft un pourtant donc nous croyons devoir juftifier ou du moins excufer fa mémoire : c'eft la Vie de la vénérable Mere Marguerite - Marie Alacoque , Religieufe de la Vifuation, & morte en odeur de fainteté en l6qo. L'Auteur rapporte dans un grand détail les vifions de cette Religieufe , fes révélations , fes extafes , fes converfations tendres Sc pafïionnées avec Jéfus-Chrift , qui pouffoit la galanterie jufqu'a faire des vers pour elle. L'attention des charitabks Janféniftes a faifir tout ce qui pouvoit leur donner quelque avantage fur le Prélat, leur ennemi , la facilité de tourner en ridicule des révélations Sc des extafes, le nom mème de la Béate , qui prêtoit a la plaifanterie , & qui fournit, diton , quelques facéties au Théatre de' la Foire ; toutes ces circonftances donnerent beau jeu a la fatire. On ne voulut pas voir que ce Livre , dont les Gens du monde fe moquoient, n'étoit nullement fait pour eux, qu'il étoit uniquement deftiné a charmer 1 oifiveté de quelques pauvres Religieufes, a qui 1'on ne deyoit pas  de Langue t. 401 envier cet innocent & futile paifetemps, & qui, renferme'es dans leur folitude , 1'ame exaltée par 1'idée des biens céleffes , & portant a Dieu tous les fentimens qu'elles refufcient aux hommes, pouvoient dire comme autrefois une d'entre elles: Quand il ny aura plus d'amour , il ny aura plus de Carmélites. On fe garda bien d'envifager 1 Ouvrage de M. Languet fous ce point de vue fi naturel & fi équitable ; on n'y vit qu'un grave Prélat qui débitoit férieufement des chimères; & Marie Alaceque , qui , dan; Un autre (lede & dans d'autres circonftances , eüt peut-être été regardée comme une Sainte Thérefe , ou au moins comme une Sainte Brigitte , ne palfa que pour une illuminée , dont 1'Evèque , fon Hiflorien , partageoit les folies. On ne rendit aucune jufiice a la Préface très-fage Sc très-judicieufe que M. Languet avoit mife a la tête de ce Livre, Sc dans laquelle il établit les principes les plus exacls Sc les plus faints fur les révélations Sc les miracles ; Préface fi différente du refie de 1'Ouvrage, qu'il y a lieu de croire que cette Hiftoire fi baffouée n'a pas  4&i E L O G E été écrite par M. Languet, & qu'il n'a fait que prêter fon nom , peutêtre un peu trop facilement , pour en décorer le travail de quelque Moine ou de quelque Prêtre, Auteur de cette Vie (i). En vain les amis du Prélat difoient pour le jufliner, que fi 1'on vouloit lire quelques Ecrivains trèsaccrédités dans 1'Eglife , avec la même malice que le Public lifoit Marie Alacoque , on trouveroit auffi dans ces Ecrivains des indécences & des écarts, en apparence très-condamnables, mais que 1'innocence de 1'intention devoit excufer. Le défir qu'on avoit de s'égayer aux dépens de M. Languet, ferma toutes les oreilles aux raifons de fes (i) Croiroit-on qu'un Pere Fromage , Jéfuite très-verfé dans la Langue Arabe , a pris fa ridicule peine de traduire en cette Langue la Vie de Marie Aiacoque , & de la faire imprimer a Antura , ville de 1'Antiliban , pour 1'inftruftion des Chrétiens Orientaux? Pauvres Chrétiens, vous voila bien inftruits 1 Et voas , pauvres Auteurs, croycz a préfent vos Ouvrages merveilleux, paree qu'ils ont obtenu les honneurs d'une Traduftion Angloife ou Allemande 1 Qu'oppoferez-vous a la Traduction Arabe de Marie Aiacoque 5  de Languet. 4oj défenfeurs; & il apprit, par les mortifïcations que cet Ouvrage lui fit effuyer ?f?ez injuflement , que lorfqu'ort a le malheur d'avoir un grand parti contre foi, on ne fcauroit trop fe tenir fur fes gardes, pour ne pas offrir de pature a la vigilante activité de la haine & de la fatire. M. l'Archevêque de Sens a eu dans fa familie deux hommes qui méritent qu'on en faife mention dans cet article. L'un étoi' Hubert Languet } Auteur du Livre qui a pour titre : Vindicix contra lyrannos, five de Princïpis in Populum , i'opulique in Principem legitimd poteftate ( i ) ; Ouvrage écrit avec la liberté la plus républicaine , oü 1'Auteur, en peignant les Tyrans & les Defpotes comme des ennemis pub'ics , contre qui la Société eft en état de guerre, aifure &. fixe les droits des Princes légitimes, & fur tout les droits des Peuples, iï oubliés par tant de Rois &. même par (i) C'eft - a-rlire , Réclamations contre les Tyrans , ou Traité du pouvoir légitime du Prince fur le Peuple , & du Peuple fur le Prince.  404 Éloge tant d'Ecrivains. C'eft de Hubert Lartgüet que Dupleffis-Mornai, fon ami, a fait ce bel éloge : F uit quales multi videti voluut ; vixit qualiter optimi rnuri cupïunt. Il a été ce que tant a"au' tres veulent parottre , & il eft mort comme les plus vertueux voudroient avoir vécu. Le fecond Languet dont nous voulons parler, étoit Curé de Saint-Sulpice . & frere de notre Académicien. 11 j'oignit a la plus grande fimplicité de mceurs, les plus grands talens pour le gouvernement de la vafie parohTe confiée a fes loins. Plein de défintéreflement pour lui-mème , & fe refufant jufqu'au néceffaire, il ne demandoit jamais rien que pour fon égiife ou pour les pauvres. On lui doit des établiffemens tres-utiles , & qui ont fait regretter aux bons citoyens que ce digne Paffeur n'ait pas été a portee d'exereer , dans de plus grandes places, fa bienfaifante aclivité. Ennemi de 1'intolérance & du fanatifme, il ne perfécuta jamais perfonne; il méprifoit même toutes ces vaines difputes, malbeureux objet d un zele fouvent odieux & toujours ridicule. Une dé-  de Languet. 405 vote Janfénifte mourante, qu'il adminiftroit , crut devoir 1'aiTurer , fans qu'il 1'interrogéat, qu'elle ne recevoit point la Bulle Ujügenitus : Madame, répondit le Curé, elle s'en pajjera ; réponfe qu'on auroit dü toujours faire a tant d'ennemis de cette Bulle, qui, en déclarant a la mort leur horreur pour elle, confentoient ou plutöt cherchoient a fe faire refufer le viatique, pour goüter , en expirant, la fatisfactton fi douce de faire un moment parler d'eux , & pour rendre leur mort plus remarquable que leur vie,   ÉLOGE D E PIERRE-CLAUDE N I V . E L L E DE LA CHAUSSÉE; Né a Paris en i6yz; repu le Juin 1736, d la place d'Antoine PoRTAIL, Premier Préfident : mok le 14 Mai 1754. iN" e V E u d'un Fermier - Général, Sc. iflu d'une familie honnête Sc ancienne , qui lui ouvroit plus d'un chemin a la fortune , il y renonca pour fe livrer entiérement aux Letcres. ïl s'y livra avec une paffion fi vraie, qu'il fe contenta long- temps du plaifir  40S Éloge fi doux & fi pur qu'elles font goüter h ceux qui les cultivent pour ellesmêmes ck dans lé filence, lans aucun motif de gloire ck d'amour-propre; tout au plus fe permettoit-il de montrer a quelques amis les produéhons poétiques qui lui échappoient; car c'étoit principalement a la Poéfie qu'il avoit voué fon ardeur & confacré fon loifir. II fut connu & eftimé de bonne heure de la Motte, qui, entre autres qualités eftimables, avoit celle d'encourager ck de faire valoir les talens nailTans. Cependant M. de la Chauffée, quelque fenfible qu'il fut a 1'amitié de cet ingénieux Ecrivain , ne crut pas que fa reconnoiffance düt s'étendre jufqu'a trahir les intéréts du bon goüt, loi-fqu'ilsluifembloientmenacés. Quand les Fables de la Motte parurent, il en fit une critique, qui rut fon premier eflai littéraire. Ces Fables caufoient alors une efpece de fchifme parmi les. Gens de Lettres; M. de la ChamTée fut du nombre des oppofans. II craignit néanmoins fi peu d'oilenfer, par cette attaque, celui qui en étoit 1'objet, qu'il n'héfita pas a mettre fa critique fous le nom d'une femme de beaucoup  ï) E N I V E L L E. 4O9 beaucoup d'efprit, très-liée dès-lors avec 1'Auteur des Fables nouvelles, mais, en dépit de 1'amitié , fidele au bon la Fontaine , qu'elle favoit par cceur. M. de la Chaufree , quelques aone'es après, fe déclara avec encore plus de force & de franchife contre les Paradoxes de la Motte fur la Poéfie ; YEpiire de Clio d M. de Bercy, qui avoit pour objet de combattre ces Paradoxes , fut le premier Ouvrage en vers qu'il donna au Public. Cette Epitre fut trés accueilüe. Le nom de 1'Adverfaire que M. de la Chauffée attaquoit , la révolte du baut & bas Parnaffe contre les béréfies anti-poétiques de la Motte, le grand nombre d'adverfaires & d'ennemis que fa réputation lui avoit faits; enfin le merite même de Ia nouvelle Epitre, ou la Poéfie étoit vengée comme elle devoic 1'être, c'eff-a- dire , en vers élégans & harmonieux; tout contribua aux fuffrages qu'elle obtint. Les amis de la Motte fe plaignirent feulement qu'il n'étoit pas affez ménagé dans cette Piece , & peut-être leurs piaintes n etoient-elles pas fans fondement; mais Tomé V. S  4*0 E l b g e M. de Ia Chaufiee avoit la de^us d'autant moins de fcrupule , que dans cette feconde attaque, beaucoup plus vive & plus brillante que la première, H combattoit encore fous les étendnrds d'un ami de Ia Motte , & d'un ami des plus iritimes ; cet ami étoit M. de la Faye, qui ayant lui-même beaucoup de talent pour la Poéfie , la foutenoit contre fon ingénieux Détracteur. Forcé a ce combat pour la défenfe de fes propres foyers , il eut Ie bonheur de trouver, dans M. de la Cbauffe'e, un fecond, bien digne de lui, & bien capable de foutenir fa querelle. Ils fe faifoient d'ailleurs 1'un & 1 autre d autant moins de peine d'entrer en lice, qu'ils n'avoientpoint a craindre de voir fe transformer en ennemi un Adverfaire don tl'amitiéleur étoit précieufe. Car, nous I'avons déja dit dans 1'Eloge de la Motte , la douceur & la modération de fon caraéfere , la liberté qu'il donnoit a fes amis, ou a ceux qui fe paroient de ce nom , de le critiquer ou de le combattre fans Ie ménaeer ; Ja priere même qu'il leur en faifoit quelquefois, les mettóit dans une efpece de polTeflïon d'u.'er a fon égard  DE NfVELLE. 41 r d'une franchife dont ils favoient bien qu'il ne s'offenfoit jamais, & qu'ils lui prodiguoient en conféquence avec toutle zele, vrai ou fimulé,de finrérët le plus frncere pour la perfeclion de fes Ouvrages. Les connoiffèurs crurent voir dans cette première production poétique de M. de Ia Chauffée, le germe d'un talent plus grand & plus rare que celui de la fimple critique , le talent précieux du Théatre 5 ils 1'exhorterent a entrer dans cette carrière, & Ie premier fruit de, leurs confeils fut une Cornédie en trois aéfes, qu'il donna avec un Prologue, fous le titre de la Faujjé Antipathie. Quoique le fujet fut peu vraifemblable,& 1'intrigue peu naturelle cependant quelques fituations fingu' lieres , quelques fcenes comiques, «Sc une forte de mouvement dans la marche de la Piece , mériterent a 1'Auteur un nombre de repréfentations firffifant pour 1'encourager a de nouvèaux tfforts (1). Averti de fon talent par cette première réuffite , il 0fa (1) Voyez la Nok ( :l barras pour payer fes créanciers : j ' Ne vas pas en payant do'js giter ces gem-ü i UEcole des Amis fut fuivie , au | bout de quelques années, de Méla~ Anide, que 1'Auteur regardoit comme :|fon chef-d'ceuvre dramatique; Piece i qu'on peut mettre au nombre des plus Siij  4M É L O G JE inte'reflantes du Théatre Francois, & qui joint au mérite de la vérité, de' la fenfibilité & de la vertu, celui des détails ék du ftyle : 1'applaudiffement fut général ; mais M. de la Chaufiee , pour 1'obtenir plus furexnent, avoit cru devoir ufer d'une précaution innocente, que plus d'un célebre Auteur dramatique n'a pas dédaigné d'employer, comme lui, dans des circonftances pareiïles. La continmité non interrompue de quatre fuccès au Théatre (car aux trois premiers dont nous venons de parler , il en avoit joint un quatrieme , celui d'une Tragédie dont nous ferons mention dans la fuite) , avoit éveillé ©u plutót déchainé 1'envie, a qui il n'en falloit pas tant pour être réfolue a troubler de fon mieux les nouveaiix triomphes que pouvoit efpérer 1'Auteur. Elle fattendoit avec impatience au premier combat , bien réfolue de lui arracher fi elle le pouvoit, la viéfoire , ék de* lui faire éprouver les caprices de cette fortune fi infidele a tant d'autres Ecrivains , mais qui jufqu'alors ne 1'avoit pas encore abandonné. M. de la Chauffée, pour donner le change a la mé-  Ö E N I V E L L E. 415 chanceté vigilante de (es ennemis , pric le lage parti de faire jouer fa Piece fans être anrtoncée ; elle fut recüe avec tranfport, comme 1'Ouvrage d'un jeune inconnu qu'il étoit julie d'accueiliir avec bonté ; ck quand le véritable pere fe déclara , cette même envie , qui avoit déja pris 1'enfant fous fa protcclion , voyant bien qu'il étoit trop tard pour 1'etouffer , ie détermina généreufement a le laiffer vivre, L'illuflre Auteur de Méropeuh, quelques années après , de cette innocente rufe , & avec le même fuccès ( 1 ). Ainfi nous devons peut-être a cette beureufe circonfpeciion , deux des rmilleurs Ouvrages quifoient anThéatre,& qu'unecabaleacharnée auroii pu opprimer dans leur naiffance; la ca-» baie étoit même d'autant plus a cratn'dre, que les Cbmédiens n'attendoienï rien de ces deux Pieces ; preuve remarquable , entre beaucoup d'autres, du peu de difcernement qu'ils ont montre plus d'une fois dans leurs décifions prématurées, ii) Voyez la Notie (4). S iv  4*6 É L O C E Après Mélanide , vint YEeole des Mercs, qui ne fut guere moins accueilfie, & qui le méritoit d'autant plus, que le comique dont 1'Auteur avoit égayé fon fujet , n'y contraftoit pas d'une maniere trop tranchante aVec 1'intérêt du fujet mème, comme on 1'avoit reproché a quelques - unes de fes autres Pieces. On efi feulement faché que dans un vers de cette Coraédie , les Gens de Lettres fe trouvent indécemment mêlés avec les chevauxy les chiens & les Pagodes (i), dont le Marquis a rempli la maifon de fon pere. La plaifanterie qui réfulte de cet affemblage, avoit apparemment tenté 1'Auteur; mais ellen'étoit ni affez noble ni affez piquante , pour que le facrifice dut lui en couter beaucoup. M. de la Chauffée oublia dans ce moment ce qu'iiidevoit a la noblefle d'un état qu'il auroir dü chérir & confidérer plus que perfonne , puifqu'il avoit eu le courage dè faire a cet état le facrifice de ia (i) Je ne m'attenclois pas a trouver mon !ogis Weiu rfe chevaux, de cbiens, 4'Auteun Jc d« Pagodes.  DE N I V E L L E. 4T7 fortune. Eh ! qui fera refpecler ies j Lettres, fi ceux qui doivent y avoir j le plus d'intérêt lont ies premiers a lies avi'ir ? Trop d'Ecrivains , il eft vrai, dégradent par leurs mceurs la dignité d'une profeffion qu'ils ne relevent guere d'ailleurs par leurs talens; mais un grand nombre d'Hommes de Lettres , qui ont joint les vertus au | génie, réclamentl'eftimepublique pouj cette claffè de Citoyens , plus eftimable peut être que toutes les autres , pourvu qu'on 1'envifage dans' la tötalite de fes Membres , ék que les parities nobles, s'il eft permis de s'expri1 mer de la forte , faffent oublier les 1 parties honteufes. C'eft par les Scipions, les PauLEmiles ék leurs femblables , qu'il faut juger la Républi(que Romaine, ék non par la vile mulititude qui rempliffoit ék infeétoit la icapitale du Monde. M. de la Cbauf:fée étoit d'autant plus digne de penfer ainfi , qu'il a lui-même toujours fait honneur aux Lettres par la conduite da plus eftimable. Content d'une trèa1 médiocre fortune, il ne cfiercba point j, a 1'augmenter ; il n'eut a fe reprocher li ni manége , ni balfelTe, ni adulation ; S v  4iS Éloge horné a la fociété peu nombreufe de fes amis, & par conféquent de fes égaux, il n'effuya ni la hauteur des hommes puiffans, ni le trifte honneur d'en être protégé : quoique jaloux du fuccès de fes Ouvrages , il ne voulut devoir ce fuccès qu'aux fuffrages du Public, laiffant a la médiocrité intrigante fhumiliant fecret de réuflïr par d'autres moyens ; rnais plus il méritoit de confidération par" des qualités performelles , plus il en devoit lui même a ceux qui lui reffembloient (i). Peut-être oferions nousfaire Je même reproche a Molière, fur le mot injurieux (.2) dont il s'eft fsrvi dans les Femmes javantes, pour oualifier des Ecrivains qu'il vouloit tourner en ridicule , & qu'il pouvoit jnettre a leur place , fans dégrader fa propre efpece par 1'épithete la plus cruelle &. la plus injufte. II eft vrai (1) Yoyez Ia Note (O- (1) il femble a trois Gredins , dans leur petit eer v eau, Que pour être imprimés & reUés eu veau , Les voila dans li'etatd'imjoiiaates peifonnés, &s.  .D E N I V E L L E. que cette iniulte eft précédée , dans la même fcene , de quelques fadeurs a la louange de la Cour , fur le bon fens qu'elle a pour fe connoitre a tout' fadeurs qui doivent confoler les Gens de Lettres, & qui ne reffemblent pas au portrait qu'un autré Ecrivain célebre , peu fèté a Verfailles , fe permettoit den faire pour fe confoler, en 1'appelant avec humeur , une petite ville a quatre lieues de Paris & d cent lieues du bon gout. A tous les laüriers que M. de la Chauffée avoit déja cueillis fans interruption , & que les contradiclionsn'avoient fervi qua affermir fur fa tête , il en joignit un nouveau. Ce fut 1'exceüente Comédie de la Gouvernante , qui, ainfi que Mélanide , s'eft foutenue jufqu'a préfent au Théatre avec plus de fuccès encore qu'elle n'en eut dans fa nouveauté. Plus d'un connoiffeur même préferg la Gouvernante a Mélanide , dont 1'aétion, trèsintérelTante dans les derniers aótes , eft un peu lente dans les premiers. Mais ce qu'on ne doit pas oublier, comme une anecdote remarquable dans i'hiftoire des jugemens du Public, c'eft Svj  42o Éloge que le fucrès de la Gouvernante a été long-temps balancé & mème prefque effacé par celui de Cénie, Piece qui avoit a peu prés le mème fujet , ck qui , tres - inférieure a celle de M. de la Chauffée , a long - temps obtenu la préférence au Théatre , foit par 1'intrigue ék les cabales de 1'envie , foit par un effet de la galanterie francoife j car 1'Auteur de Cénie étoit une femme , & même une femme de beaucoup d'efprit, déja connue par 1'eftimable Roman des Lettres Péruviennes, M. de la CliaufTée fut toute fa vie très-fenfible a ce dégout, ék s'en expliquqit affez librement avec fes amis. 11 fe feroit peut-être confolé, s'il eüt pu prévoir la jufiice, a la vérité un peu tardive , qui attendoit les deux Ouvrages. Car depuis la mort des deux Auteurs, Cénie a difparu prefque abfolument de deffus la Scène, ék la Gouvernante s'eft remife en pofTeflion de la place qu'elle auroit dü toujours y occuper. Mais tant que M. de la Chauffée a vécu, il a eu le déplaifir ft décourageant d'entendre nommer Cénie avant la Gouvernante, en partie paree qu'il avoit le démérite d'être vivant, en partie paree que les foi-  D E N I V E L L E. 431 i; difant connoifïeurs n'ofent brifer du |] jour au lendemain 1'idole qu'ils ont t long temps offerte aux hommages du i Peuple, & long-temps encenfée eux1 mêmes. Peu a peu les offrandes ont i diminué , 1'idole eft reflée feule dans fa niche fans adorateurs, & la mort des deux Auteurs 6c de leurs premiers Juge» a fait tout rentrer dans 1'ordre. Les diffe'rentes Pieces de M. de la Chauffée , que nous avons nommées jufqu'a préfent , ont fur-tout le mérite propre ék diflinéiif d'être une école de mceurs ék. de principes honnêtes; elles refpirent la vertu ék la .font aimer. Ce fentiment eft fi profondément gravé dans le cceur des hommes , de ceux même qui nun moment des Epigrammes, Sc on retournoit pleurer au Préjugé d La mode & d Mélanide. C'étoient cependant ces pleurs mêmes que les Gens de goüê trouvoient ridicules, indécens, Sc prefque fcandaleux. lis foutenoient, par les raifons les plus folides, qu'on ne pouvoit, fans fe dégrader , aller pleurer au Théatre que fur les infortunes des Monarques. » Les calamités royales, dijt) foient ces judicieux Cenfeurs, font » les feules dignes de nous toucher; » celles des autres dalles de 1'efpece » humaine, c'eft a dire , de nos fem» blables , n'ont aucu» droit a nos » larmes, attendu que fur la furface » de la terre, tout ce qui n'eft pas  D S N I V E L L E. 4?5 » Souverain ne doit pas s'étonner d^ètre » malheureux «. La critique ajoutoit, que les Anciens n'avoient pas connu cette efpece de Drame , oü 1'on avoit 1'imbécifle prétemion de vouloir intéreffer le fpeclateur a des aventures bourgeoifes ; 6c que fi quelques Pieces anciennes, comme V Hécyre deTérence, paroiflbient tenir a ce mauvais genre, leur pe-u de fuccès , avoué par les Auteurs mêmes, en avoit prouvé Ie vice interne & radical, 6c dëvoilé la foibleffe incurable d'un pareil relfort : d'oü 1'on concluoit que , comme l'Antiquité nous avoit évidemment tout. appris, les Modernes ne devoient pas fe hafarder dans une carrière que nos Maitres Sc nos modeles n'avoient pas connue , ou dans laquelle ils avoient échoué. Ces raifonnemens rellembloient a ceux du fayant Curé Tbiers, dans fon Traité contre les perruques des Eccléfiafliques , qu'il regardoit comme un grand fcandale , 6c auxquelles, dans 1'ardeur de fon zele, il refufoit même, par un fyllogifme fans réplique, le nom de couverture de tête. » Nous ne connoiffons jufqu'a » préfent, difoit-il, de couvertures de  426 ÉloGE » tête, que les bonnets, les chapeaux, » les coiffes , les cafques, les tiares, >> les mitres & les turbans : or, Ia » perruque n'eft ni bonnet, ni cha» peau, ni cafque , ni. coifFe , ni tiare, » ni turban , ni mitre ; donc elle n'eft » pas faite pour couvrir la tête : d'ail» leurs ,-ajoutoft ce fubiil Dialecticien, » cette innovatiort n'a parit dans 1'E» glife qu'au dix-feptieme liecle; & » ce que 1'Eglife a ignoré jufque la, » ne peut être qu'une indécence très» condamnable «. Tel étoit 1 argument du Curé Thiers, & celui des Adverfaires du nouveau genre de Comédies; mais le fcandale eccléfiaftique ,& le fcandale dramatique , contre lef-^ quels ils s'élevoient avec tant de logique & d'éloquence , ont fubfifté 1'un 6c 1'autre, au grand regret des Argumenfatem's. M. de la Chauffée répondoit a fes Critiques, avec une ironie , a la vérité trop amere : » Que 1'Humanité étoit » en effet fi redevable a la plupart » des Princes pour le Jjonheur dont » ils 1'avoient fait jouir , qu'il étoit » bien jutte qu'elle,vint leur donner » au Théatre une preuve diftinguée  BE N I V E L L E. 427 » de la reconnoilfance , en parrageant » exclufivetnent leurs chagrins ék leurs » malheurs;'qu'il éroir d'ailleurs trop » ridicule ék trop ignoble de s'attendrir » fur des fituations qui, pour être » véritablement touchantes, devoient » avoir le mérite de ne pas reffem» bier du tout a celles de la vie ordi» naire ék des conditions communes; » qu'il étoit jufte enfin que fur le » Théatre comme dans la Société ci» vile, le genre humain füt facrifié a » quelques hommes «. II faut pardonner le fiel de cette réponfe au talent révolté par la fatire , ék irrité des obftacles qu'on vouloit mettre a fes fuccès. Auffi éclairés ék plus tranquilles, les véritables Gens de goüt , fans intérêt ék lans paffion , répondoient plus folidement ék plus férieufement , que tous les genres font bons, hors le genre enmiyeux; que lorfqu'une Comédie, outre le mérite qui lui elf propre , a encore celui dintére/fer, il faut être de bien mauvaife humeur pour fe facher qu'on donne au Public un plaifir de plus; ék qu'il n'avoit peutêtre manqué que cet intérêt au MiJ'anthrope , pour être auffi fuivi qu'il  4*8 Éloge eft eflimé. Ils convenoient que Ia véritable Comédie, qui confifte dans le tableau piquant de nos ridicules, exige plus de connoifTance de l'homme , plus de fine/Te, de tacft & de goüt, plus d'invention & de refïburces, que le genre de M. de la Chauffée; ils convenoient que la Trage'die proprement dite exige auffi, fans comparaifon , plus de force dans les mouve.r ens, de grandeur dans les ide'es, d elévation dans le ftyle ; que par con* fe'quent la Comédie & la Tragédie ordinaires avoient, furie nouveau genre, une fupériorité de mérite inconteftable , proportionnée a Ia grandeur de la difficulté qu'il falloit vaincre. Ils ne difïimuloient pas que cette efpece mtpartie , 8c, pour ainfi dire, mulatre, avoit rinconvénient d'èntr'cüvrir la fcene a beaucoup d'Auteurs médiocres, qui, incapables de la fineffe comique & de Ia fublimiré tragique , pourroient effayer, comme dit Montagne , de vivoter dans la moyenne régian \ mais ils ajoutoient, qu'il falloit laiffer au Public le rriage du bon , du mauvais & du médiocre ; que tot ou tard juftice feroit faite, & qu'il ne refteroit au  BE N t V E L L E. 4.49 Théatre que les Pieces vraiment dignes d'y fubfiiter. II eft vraifeniblable d'ailleurs que la carrière oü M. de la Chauffée s'engagea, lui fut indiquée par les fages 8c utiles réflexions qu'il avoit faites fur letat préfent de notre Théatre comique, fur les chef-d'ceuvres qu'il a produits, fur le défefpoir de les égaler; enfin, fur le goüt aduel du fpecf ateur inconféquent 6c frivole, fi 1'on veitt, mais qu'un Poëtedramatique eft obligé, fous peine de chute, d'étudier 8c de fatisfaire. II avoit fenti que la Comédie proprement dite , celle qui nous fait rire de nos fottifes 8c de nos travers , devenoit de jour en jour plus dangereufe a traiter, 8c par la difette des fujets, 8c par les diffkultés de 1'exécution; que les caracferes qui font fufceptibles de ridicule en grand, 8t qui prêtent d'ailleurs au mouvement 8c a 1'intrigue, font prefque emiérement épuifés; qu'il ne nous rede guere a peindre que des ridicules fugitifs , des ridicules de fociété 6c de mode, plus faits pour les Sages que pour le Parterre, & pour les Gens du monde que pour le Puhlia ; des ridicules enfin,  430 Éloge qui , pour la plupart, fourniflênt tout au plus un acïe , rarement trois, 8c jamais cinq ; que la Scène exige de grandes mades , des defieins heurtés, des traits fermes 8c vigoureux , deftine's a être vus dans 1 eloignement ; 8c que nous ne pouvons prefque plus y expofer que des miniatures légeres, peu propres a la perfpeólive du Théatre j que d'ailleurs, grace a notre délicateffe , le rire éclatant nous paroit aujourd'hui bourgeois 8c ignoble; que fi nous confentons a rire , c eft tout au plus du bout des levres, 8c a la pointe de 1'efprit; qu'en nous foumettant, comme par indulgence, a ce r'ire fi fin , fi noble 8c fi foible , nous voulons en même temps qu'un Auteur coraique nous réveille 8c nous occupe par une aélion foutenue , vive 8c animée , peu compatible avec ce plaifir frofllement ingénieux ; qu'il y avoit par conféquent beaucoup plus de reffource , pour ceux qui ne ié fentoient pas le génie de Molière , a traiter des fujets, toujours fournis a Ia vérité par la claffe moyenne des citoyens, mais dans lefquels on put joindre la vdvacité de 1'arjtion a celle  deNivelle. 43 ï de imtérêt. Telles furent fans doute Jes reflexions qiu déterminerent M. de( la Chauffée a embraffer J8 genre' auon lui reprochpjt : elles étoient rortifiees par Je talent qu'il fe fentoit pour le traiter ; car ij avoit pour maxime dans fa conduite littéraire comme dans tout le reffe de fa vie ' que 1 homme fage eff celui dont les defirs & les efforts font en proportion avec fes moyens. Cependant, pour conferver a fes Pieces, finon 1'effence au moins la couleur de Comédies, il crut devoir jeter dans quelques détails & dans quelques perfonnages Jubalternes toute la gaité dont.il étoit capab e. Mais foit que la Nature 1'eyt bit plus ferieux que plaifant, ou qu'ii foitauffi difficde au Théatre que dans Ja Societe de faire rire & pleurer tost a la fois, ii eüt mieux fait de ne point altérer , par cette difcordancè de tons , 1 unité & J'effet de fes Ouvrages; & quoiqu'appuyé d'aütorités tres-refpedables, ij femble avoir prouvé ce que nous avons dit ailleurs , que ie plaifir troubje & mal décidé, qui refulte de ce mélange bizane des ris & des larmes, eft bien inférieur au  4; 2 ÉLOGE plaifir feul de s'attendrir & de pkurer , même fur des hommes qui n'ost pas lnonneur d'être Princes. II étoit bien jufle , pour confoler enfin 1'envie , que M. de la ChaufTée, après tant de triomphes dramatiques, eüt le fort prefque infaillible de tous ceux qui courent cette carrière orageufe ; il eflüya quelques difgraces, mais en très-petit nombre. La plus marquée fut celle de la Comédie de Paméla , qui tomba dès la première repréfentation. L'Auteur étoit bien excufable de s'être mépris fur le fort de fon Ouvrage; non feulement il avoit été recu avec acclamation par les Comédiens, Juges a la vérité trèsfufpeéls, mais il avoit fait verfer des 'larmes dans les Sociétés brillantes 8c choifies oü il avoit éié lu. Par malheur, le Public alfemblé caffa d'une, voix unanime le jugement de la bonne Compagnie , qui a plus d'une fois efluyé ces peiits dégout; : 1'Auteur n'appe.'aj point de cet Arrêt; il fe condamna Li'-même, & fe hiita de retirer fa Piece. C'eft ce même fujet que M.j de Voltaire a depuis fi heureufementi traité dans la charmante Comédie del Nanine ,  DE N I V E L L E. 433 A anine, qui penfa néanmoins, dans fa nouveauté, être auffi m dheureufe que Pameia , mais qui triompha de' la fatire & de la cabale , & que le Public applaudit aujourd'hui avec tant de plaifir , en s'étonnant de la froideur avec laquelle il 1'avoit d'abord recue. M. de la ChaufTée, qui avoit fu répandre dans fes Pieces tant de chaleur ck d'intérêt fur des fujets tirés de la vie commune , crut pouvoir effiiyer fur de plus grands objets le talent qu'il avoit de faire couler les larmes; il s'éleva jufqu'au tragique , ck donna, en 1738, la Tragédie de Maximien ; les applaudiffemens juflifierent fa confiance. On trouva de 1'intelligence dans la conduite, de Ia marche dans faéfion , de 1'erfet dans les fituations théatrales. Si fa Piece n'a pas reparu fur la Scène, i; ne faut en accufer que la foibleife des détails & du coloris. -Le pi.nceau de M. de la Chauffée, élégant as a im degré fuffifant la fierté & a hardieffe de touche néceffaire aux grandes peintures ; il le fentoit; §c malgré le fuccès de Maximitn , qui auroit ébloui tout autre Poëte, il fe contenta d'être Ie Racine de la Comédie , fans prétendie être encore celui de Br'uaniricus & de Phédre^ & renonca a la gloire de le Brun , pour fe borner a celle de Greuze (i). II afpira néanmoins un moment a une autre gloire, a celle de Boucher, & ce fut avec le bonheur qui accompagnoit prefque toutes fes tentatives. II fprtit une feconde fois fur la Scène Francoife de fon genre naturel & chéri, par uqe efpece de Féerie paftorale, qu'il donna fous le titre d'Amour pour Amour, & qu'il eut la fatisfaduon de vpir réuffir : on ppuvpjt blamer le fond de Ja Piece , paree qu'elle n'avoit pour objet qu'une nature idéale ck faclice; mais Ie Poëte fut rejever,parle mérite des détails & pari'agréènent des tableaux , la froideur & (i) Voyez la notc (e).  d e N i v e4 l e. 435 li lïndigence de fon fujet. S'il étoit quel1 ques Ouvrages qu'on dut bannir de la Scène , ce feroient peut-être ces fujets imaginaires qui , n'ayant de :i modele exülant que dans une tête oifive : ou exaltée, ne peuvent attacher un mo| ment que par 1'efprit 6c les reffources de 1 Auteur. Mais faifons mieux , ne prof;; crivons rien, laiffons la Scène ouverte a >: tous les fujets & a tous lestalens,e%ons i tout, ck confervons ce qui le mérite. ' Nous ne devons pourtant pas diffimu; Ier qu'Amour pour Amour fut en grande j partie redevable de fon fuccès au jeu 4 de la célebre Mademoifelle Gauffin , J 6c aux graces naïves que cette charjmante Acflrice mit dans fon röle; ce ' n'eft pas la feule Piece, fur-tout dans i le genre paftoral, fi froid 6c fi moi notone fur le Tbéatre, qui lui ait eu jla même obligation. M. de la Chaufi fée témoigna fa reconnoiffance a Maidemoifelle GaulTm , en lui dédiant JfOuvrage dont elle avoit fait la fortune ; mais les vers qu'il fit pour elle |ne valent pas ceux que lui avoit adreffés Ijl'Auteur de Zaïre, a la tête de cette i'Tragédie, dont elle avoit joué le prinTij ■  I 43 6 € L O G K cipal róle avec les plus grands applau-* I ' diïTemens. Couronne' tant de fois fur le Théatre I de la Nation , M. de la Chauffée ne 1 dédaigna pas de defcendre jufqu'au j Théatre Italien ; il y recut auffi des | applaudiffemens, mais bien inférieurs j a ceux qu'il avoit obtenus fur la Scène ! Francoife. II n'étoit point la dans fon i élément naturel j il ne s'agiffoit plus dé toucher, en faveur de la vertu mal- 1 heureufe , les fpectateurs fenfibles; 1'Auteur reffembloit a ces grands Ca- | pitaines , plus faits pour les aclions I o'éclat que pour les efcarmouches peuJ décifives , ék. moins propres a la petite guerre qu'aux batailles rangées. On aura peine a croire que celui I r qui nous devons tant de Pieces pleines de fentiment & d'intérêt, ait pu defcendre encore fort au defTous de la Comédie Italienne , & qu'il ait rabaiffé fon génie jufqu'au dernier des genres dramatiques ( fi même il mé- | rite le nora de genre) , celui de laf Foire & des Parades: il eut pourtant le bonheur ou le malheur del xéufïïr auffi dans ce genre même ; mais I  DÉ Ni V Ë L* L E. 437-, on doit dire pour fon excufe , qu il re traitoit ces viles facéties que felon leur mérite; il auroit été prefque honteux des applaudiifemens que lui doiiI noient a cet égard les Sociétés oü il i vivoit y s'il n'avoit cru devoir répondre par ces facéties paffageres a ceux qui ï'accufoient de n'avoir qu'un génie froid : ck fee , mefquinement concentré dans* : des fujets obfeurs ék triiles, incapable du vrai comique , ék antipode de la gaité. Pour confondre ces Cenfeurs,. M. de la Chauffée alla jufqu'a I'excès de la gaité même : les Cenfeurs pré■ I tendirent que c'étoit le cas du Proverbe , Qui prouve trop ne prouve rien. L'Auteur fe flatioit de favoir ■ démenti : 1'objet de la querelle ne I mérite guere qu'on juge ce différent. II fit plus encore pour s'nflurer cette réputation de gaité , dont il n'étoit fi jaloiix que pirce qu'on la lui con! tefloit; ii euc part a ce Recueil de baffes plaifanteries, connu fous le nom :i d'Errennes de ia Saini-Jean , efpece j de débauche ou plutot de crapule d'efprit, oü 1 Art d'écrire eft dégradé jufqu'a préfenter a des Leéleurs ce qu'ils ne daigneroient pas écouter dans des Tiij  43* Elog! marchés publics. M. de Ia Chauffée avoit trop de goüt, pour ne pas fentir combien ces viles rapfodies étoient degoutantes; mais ü s'y prêtoit compianance pour les rnêmes Societés Wi avoient déja fait naitre Sc gomé gefle de fe retirer promptement de ia range ou il avoit mis Ie pied par diftradion , & ne reifembla pas a quelques-uns de fes affociés, qui , pendant qumze années de fuite , ont conftamment mondé le Public de ces ordur*es (i), Sc font morts en lui en préparant de nouvelles. Notre Siècle fertile en mventionsheureufes, atrouvé moyen d'encbérir encore fur ce beau genre, en inventant le genre appelé -tozjjard, qui immortalifera Je nom de Vadé, fon créateur, tant que Ia plus baife populace en fournira le mocele , & que cette bonne Compagnie qui fe croit fidele garde du bon goüt, Jui fera lhonneur de s'en amufer. Peu de temps après Ie fuccès du Préjugé d la mode, M. de la Chauffée (0 Veyez Ja note (ƒ).  DE N I V E L L E. 439 flvoit été recu a 1'Académie , &, pour ainfi dire , couronné fur la breche. II fit, al'exemple deM. de Crébillon , fon remerciment fen vers , croyant , difoitil, qu'il ne pouvoit mieux employer le langage des Dieux que dans le fanctuaire des Mufes. L'Archevêque de Sens, Languet de Gergy, qui le recut en qualité de Directeur, Prélat févere dans fes mceurs St dans fes principes, ne put refufer des éloges aux feminiens de vertu, de fagelfe Sc de décence que le nouvel Académicien avoit mis fur le Théatre ; mais quoique le Prélat fe fut exprimé avec toute 1'équité Sc tous les ménagemens poffibles fur ce fujet, fi délicat pour un Evêque, il effuya a cette occafion des fatires très-injuffes, dont fon Difcours même eft la meilleure réfutation M. de la Chauffée, paroiffant jouir d'une fanté qui faifoit efpérër a fes Confrères de le pofféder long-temps, fut attaqué d'une fluxiön de poitrine qui 1'enleva en peu de jours aux Lettres , au Théatre, St a 1'Académie. II (i) Voyez 1'artiele ic M. Lang\iet de Gercry, Tiv  440 E L O GE mourut avec ja tranquillité d'un Sage, qui n'avoit jamais fait de fes talens qu'un ufage efiimable. Le fang froid qu'il mantra dans fes derniers momens , lui permit jufqu'a des plaifanteries fur le fucceffeur qu'il croyoit lui être defliné. 11 s'e'toit fort oppofé a la réception d'un Homme de Lettres, a qui fes Ouvrages donnoient des titres' r), mais qui, dans fes démarches pour parvenir a 1'Académie, avoit, difoient fes ennemis, employé des moyens dontM. de la Chauffée avoit été bleffé. Notre Académicien , Républicain févere , & jaloux de la liberté de la Compagnie, avoit réuffi plus d'une fois a écarter ce Candidat fi ardent Sc fi protégé ; il prévit en mourant, que le Candidat alloit être delivré d'une grande peine: 11 feroit plaifant, difoit-il, que ma place lui fut donnée ; elle le fut en effet : mais ce qui fait beaucoup dhonneur au fucceffeur de M. de la Chauffée, c'eft que dans fon Difcours de réception , il célébrales Ouvrages de fon prédéceffeur avec autant de zele Sc pref- (i) Feu M. de Bougainville,  DE N I V E L L E. 441 mie d'enthoufiafme , que s'il eut eu a prononcer 1'Oraifon funebre de fon ami le plus cher; il eut la générofïté, a la ve'rite' bien entendue pour fa propre gloire, mais cependant très-rare en pareille occafion , de faire parler 1'eftime ék, la vérité feule ; de tenir, fans reftriérion , fans réferve, ék , ce qui étoit plus iouable encore, fans affectation , le langage le plus hono;v.ble a la mémoire de fon ennemi, ék tel que 1'auroit pu diéler la reconnoiifance la plus vive. Le devoir du Récipiendaire 1'obligeoit fans doute a louer celui dont il prenoit la place ; mais fous la plume d'un Orateur moins honnête ék moins jufte, la paffion ék le reffentiment auroient fait 1'éloge très-court ék peut-être très-équivoque. C'eft uné foibleffe dont le bon la Fontaine luimème ne put fe défendre. II avoit été négligé, ék en quelque forte opprimé par Colbert, le bienfaiteur de tous les autres Gens de Lettres. Choilï par 1'Académie Francoife pour fuccéder a ce Miniftre , il ne lui donna , dans fon Difcours de réception, que des louanges foibles ék fuccincles 5 il oublia tout ce que Colbert avoit fait pour tantd'HomT v  44* E L O G,t mes illuffres , paree qu'il n avoit riea fait pour lui. M. de la Chauffée fut traité par fon fucceffeur avee plus de noblelfe & de juftice. Tout ce qui honore les Lettres , fur-tout de la part de nos Confrères, mérite d'avoir une place diftinguée dans cet Ouvrage ; St c'eft pour cette raifon que nous n'avons pas cru devoir paffer fous filence ce trait de courage 8c d'éqiüté philofophique. On prétend que Ie fuccefleur de M. de la Chauffée ne fut pas Ie feul dont il traverfa 1'éleéfion avec vivacité. II fut accufé, quoique fans preuve, d'avoir contribué a faire exclure un Ecrivain très-eftimable , Sc que 1'Académie défiroit d'acquérir, 1'Auteur de la Metromanie ( i ). 11 eft vrai que cet Auteur plein d'efprit , mais qui s'étoit permis plus d'une Epigramme , en avoit fait une trés - piquante Sc très-connue contre M. de (i) Voyez dans les notes fur 1'Eloge de M. Ie Marquis de Sainr-Aulaire , Ie noni de 1'Académicien donc on prétend que M. de la Chaudee employa le crédit pour faire donnei cette exclufion.  DE Ni V ELLE. 44J la ChaufTée; il eft encore vrai que ce même Auteur , par quelques Ouvrages libres de fa jeuneffe, avoit préparé les voies a fon exclufion, & foumi mal-adroitement a fes ennemis un de ces moyens de nuire , dont la haine fait ft bien profiter. Nous ignorons ft M. de la Chauffée exerca en eiTec cette vengeance de 1'injure qu'il avoit recue : il eut fans doute été plus noble & plus digne de lui de la pardonner: mais tel qui affecTera de lui imputer a très-grand crime un reffentiment ft naturel, fe trouyeroit peut-être bien plus coupable, s'il interrogeoitfa confcience &. en faifoit le juge de fes acfions. Déja quelques - uns de ces hommes, qui ne font connus que par 1'amertume grofïiere de leurs fatires, 1'onr comparé a ce traitre la Rancune du Roman comique , dont Scarron a peint fi plaifamment la jaloufie haineufe & malfaifante. L'honnêteté que M. de la Chauffée fit toujours paroltre dans fes fentimens & dans fa conduite , répond fufhTamment a toute la malice de ce parallele, & réparnd au moins beaucoup de doute fur 1'action qu'on lui a reprochée. Ceux qui, Tv,  444 E l o g e a fa place, auroient oublié 1'Epigramme dont il avoit a fe plaindre , excuferont y dans un Auteur outragé , ce mouvement de foibleffe liumaine '3 quant aux Satiriques, fes détraéfeurs, nous leur dirons pour toute réponfe : Que celui de vous qui ejl J'ans pêche' , lui jette la prem iere pierre. N o t e s fur VEloge de M. del a Chaussée. (<2)]VÏ. de la ChaufTée mit un Prologue a la tête de la faiiJJ'e Antipathie. Le Génie y demande au Public le moyen de lui plaire, après tant de bons Ouvrages qui font rendu fi diffi— cile , 6c tant de mauvais qui lui ont donné de 1'humeur. Ce Public , divifé par le Bon fens 6c par la Folie , 6t repréfenté par différensperfonnages, ne fait ni ce qu'il veut, ni ce qu'il demande. Enfin tous les Aéleurs s'en vont , 6c le Génie dit a Thalie , qui a recu la Piece nouvelle, 6c qui en eff embarraffée : Alicz , rrcntz toujouri, les temps feut malheureux.  9 E N I V E L L T. (b) On afTure que M. de Voltaire ayant fait préfenter aux Comédiens fa Tragédie de Mérope , fans leur apprendre qu'il en étoit 1 Auteur, elle fut refufée , paree qu'il n'y avoit point dans cette Piece d'autre amour que la tendreffe maternelle, ék qu'en conféquence les Aéteurs n'en attendoient aucun fuccès. M. de Voltaire apprit en riant cette décifion a un de fes amis, qui révéla le fecret aux Comédiens , ék demanda une feconde lecture. Ils n'oferent alors refufer de repréfenter la Piece;, mais toujours incertains de la réuflïte , ils demanderent a 1'Auteur , ék. en obtinrent la permiffión de la jouer fans favoir afficfiée. Ils n'eurent pas lieu de fe repentir de cette réticence , fans laquelle peutetre , grace aux ennemis de M. de Voltaire, ék au préjugé public fur la néceffité de Yamour dans les Tragédies , la première repréfentation auroit été pour le moins fort orageufe. ' (c) Nous obferverons , foit pour excufer, foit pour aggraver le tort de notre Académicien en cette occafion, que la comparailbn fi peu décente dei  446 E L O G E Auteurs avec les animaux, avoit déjk été employée par un Monarque , bien peu digne a tous égards d'être pris pour modele, par Charles IX , qui difoit , en parlant des Poëtes , quil falloit les traiter comme les chevaux , les nourrir fans les engraijfer, & qui a palfé néanmoins pour amateur des Lettres; tant ceux qui les cultivent font peu dimciles pour accorder ce titre aux Princes même qui le méritent le moins I (d) La fama , difent les Italiens, e viva a i vivi, e morta a i morti ; La gloire ejl vivante pour les vivans, & morte pour les morts , paree qu'on n'en jouit, ajoutent-ils, que pendant fa vie, & qu'après la mort on y eft infenfible. Mais on peut dire auffi dans un fens tout oppofé : La fama e morta a i vivi, e viva a i morti; & ce qui eft encore plus vrai, la invidia e viva a i vivi, e morta a i morti. L'abfence fait apeu pres pour 1'envie le même effet que la mort: elle l ap-» Êaife en écartant fon objet. Un illuftre crivain , retiré de Franee depuis longtemps , demandoit «e que fes chers  DE N I V E L L E. 447 Compatriotes difoient de lui : Beaucoup de bien, lui répondit un ami, & vous avex dü vous y attendre j ne voye^-vous pas que vous êtes mort, & qu'ils vous en tiennent compte ? Mais gardeir-vous de reparoitre d leurs yeux ; vous êtes perdu ji vous fakes La folie de reffufciter. (e) Voyez ce que dit M. de Voltaire dans une lettre fur le Maximien de M. de la Chauffée. » Les démêlés » de Conftantin avec Maximien , & » fon extreme ingratitude envers lui, y ont déja fourni une Tragédie-a Thov mas Corneille, qui a traité a fa » maniere la prétendue confpiration » de Maximien. Faufia fe trouve dans » cette Piece entre fon mari & fon » pere ; ce qui produit des ficuations» fort touchantes. Le complot eft très» intrigué, & c'eft une de ces Pieces » dans le goüt de Camma & de Ti» mocrate. Elle eut beaucoup de fuccès » dans fon temps • mais elle eft tombée » dans 1'oubli avec prefque toutes les » Pieces de. Thomas Corneille, paree » que 1'intrigue, trop compliquée, ne 2» laiife pas aux' paffions le temps de  448 . E L O G E » paro'tre; paree que les vers en font •> foibles; en un mot , paree qu'elle » manque de cette éloquence qui feule » fait paffer a la Pofférité les Ouvrages » de profe ck les vers. Je ne doute » pas que M. de la Chauffée n'ait mis » dans fa Piece tout ce qui manque » a celle de Thomas Corneille. Per», fonne n'entend mi aux que lui 1'art 9 des vers ; il a 1'efprit cultivé par 9 de longues études, ék plein de £oüt » ék de reffources. Je crois qu'il fe » pliera aifément a tout ce qu'il voudra » entreprendre. Je 1'ai toujours regardé » comme un homme fort efiimable, » ék je fuis bien aife qu'il continue » a confondre le miférable Auteur des » Aïeux chimériques (1) ék de; trois » Epltres Tudcfques, oü ce cynique 9 hypocrite prétendoit donner dqs re» gles de Théatre , qu'il n'a jamais (1) Cet Auteur eft Ie Poëte ce'Iebre JejrtBaptifte Rouffeau, très-malheureux en effet dans fes Ouvrages dramatiques, & très-jaloux dj fuccès des autres en ce genre. Voyez les articles dc Deftouehes & de BoilTy.  DE NlVEtLE. 44.9 »- mieux entendues que celles de la » pro bi té «. Peut-être y a-t il quelque chofe a rabattre des louanges données ici p'ar M. de Voltaire a la verfification de M. de la CliaufTée , fur-tout dans le genre tragique. Mais ces louanges prouvent au moins 1'injuflice des reproches qu'on a fi fouvent faits a ce grand Homme , de dénigrer tout ce qui n'étoit pas lui; injufiice dont M. de la Chaufféelui-mêmen'étoit pasexempt. Nous 1'avons fouvent entendu attaquer M. de Voltaire fur ce point, & , par une repréfaille que fans doute il croyoit méritée , fe montrer lui-même fort injufte a 1'égard de cet illuftre Ecrivain. (ƒ") Les Ecoffeufes ou les (Sufs de Pdques; les Feces roulantes; les Averttures des Bals de bots ; le Recueil de ces Mejjleurs; le Recusl de ces Dames ; les Manteaux , &c. &c., & autres fottifes de la même efpece , dont on a oublié jufqu'aux titres. Feu M. le Comte de Caylus , fi long-temps célebre dans tous les Journaux comme Tonele du bon goüt, étoit a la tête  45° Éloge, &c. de ces charmantes produclións. II eut mieux fait, au lieu de dégrader de la forte Ie peu de talent que Ia Nature pouvoit lui avoir donné, de mettre plus de foin a fes Ouvrages férieux, entre autres aux Differtations qu'il a écrites pour 1'Académie des BellesLettres , & dont le ftyle ignoble Ól incorrect permet a peine d'en foutenir la lecluré.  jUi ju \J vjr slL* DE PHILIPPE NÉRICAULT DESTOUCHES; Né a Tours en 1680; repu le 25 Aoüt 1723 , d la place de JEAN GuALBERT CAMPISTRON ; mort le 4 Julliet 1754 (1}. N O T E S sur L'éloge de destouches. NoTE I, relative a la page 345, fur ^Vétat de Comtdïen. JVXalgr é Ie préjugé' barbare qui flétrit parmi nous I'état de Comédien, (1) Voyez fon Eloge dans le premier Yol»  452 Eloge difoit M. Deftouches ( ou plutot felon nous, a caufe de ce préjugé même ) , un Comédien qui fe diftingue par 1'honnêteté de fa conduite , eft digne , a doublé titre , de la cónfidération des hommes vertueux. Car il a le doublé courage , 6t de réfifler aux exemples de dépravation qu'il ne trouve que trop parmi fes femblables, & de lutter contre 1'aviliffement que 1'opinion lui imprime , fans qu'il puiffe. même fe flatter d'adoucir fur ce point 1'inexorable cruauté du Public , qui met a peu prés fur la mème ligne un Comédien honnête 6c un Comédien qui ne 1'eft pas, 6c qui même dédaigne encore plus le premier, s il a moins de talent que le fecond. Ceux des Comédiens qui ne peuvent fe venger de cette injuftice par la décence de leurs mceurs, s'en vengent , dit on , par le defpotifme 6c la dureté qu'ils exercent impunémenc contre les Gens de Lettres,ffui font forcés d'avoir recours a eux pour la repréfen tation de leurs Ouvrages. Irrités 6c humiliés , dit M. de Voltaire , de la flétriffure qu'ils éprouvent , ils s'en dédommageru de leur mieux en pro-  de Destouches. 45$ diguanc a un pauvre Auteur dramatique tout le mépris dont ils font couverts. Avilis comme nous le fommes, difoit 1'un d eux , auprès de tous ceux qui nont rien d craindre de nous , que ferions- nous fans la reffource & la confolation d'être infolens avec ceux qui ont befoin de notre fecours ? On leur a quelquefois reproché leur richelfe ; ils pourroient re'pondre de même : Que ferions - nous , fi nous étions d la fois pauvres & méprifés l Un Militaire qui avoit peu de fortune, difoit a un Comédien célebre ék opulent : N'efl-il pas honteux qu'un homme tel que vous ait cet avantage fur un homme tel que moi ! Et compte^-vous pour rien, Monfieur, lui répondit le Comédien, le privilége que vous donne votre état de me tenir ce difcours f  454 Eloge Note 11, relative a la page 3 47 Jur la lettre de Defpréaux d M. Destouches. aux, dans cette lettre , joint pourtant a fes critiques quelques formules de politeffe; mais les critiques font bien re'elles, ék. la politeffe ne paroit que pour la forme. » Sans » ma mauvaife fan té , dit-il, vous » n'auriez pas de moi , Monfieur , » une courte réplique ; mais lage ék. y les infirmités ne permettent plus » ces excès a ma plume. j'ai pour» tant fenti , comme je dois , vos » bonnêtetés , ék j'ai lu avec un fort » grand plaifir 1'Ouvrage que vous » m'avez fait 1'bonneur de m'envojer. » J'y ai trouve en effet beaucoup de » génie ék de feu, ék fur-tout de » Religion. (Voila un fur-tout qui » affoiblit bien les autres éloges.) Ce» pendant, je ne vous cacberai point » que j'ai remarqué dans votre Ou-  de Destouches. 455 i » yragp de petites négligences, dont L> il y a apparence que vous vous êtes ' » appercu autfi bien que moi, mais ■ » que vous n'avez pas jugé a propos • v de reformer, & que cependant je < » ne fcaurois vous pafTer. Mes criti- < » ques au rede font peut-être très' » mauyaifes «. H étoit bien fur du contraire , & jje pouvoit foupconner ] Je jeune Auteur d'avoir laiffé avec < connoitfan.ee de caufe, des fautes d'EcoJier dans un Ouvrage qu'il envoyoit a un Juge fi redoutable. Un de nos plus grands Poëtes n'eft i pas du même avis que Defpréaux fur . h nme de terre avec colere, que ce ! dernier reproche a M. Deftoucbes. : » Nous avons befojn de hardieffe, dit V Voltaire dans une lettre au Comé» dien la Noue; & nous ne devrions » runer que pour les oreilles. IJ y 3 »vingt ans que j'ofe le dire. Si un » yers finit par Je mot terre, vous » etes für de voir Ja guerre a Ja fin • »de J autre : cependant prononce-t» on terre autrement que pere & mere ? » Prononce-t-on fang autrement que F camP ? Pourquoi donc craindre de  456 Eloge » faire rimer aux yeux ce qui rune » aux oreilles ? On doit fonger , ce » me femble, que 1'oreille n'eft juge » que des fons, & non de la figure » des caraderes. II ne faut point mulii» plier les obftacles fans néceftite' j car » alors c'eft diminuer les beautés. II » faut des loix féveres, ck non un » vil efclavage «. Quelque juftes que paroilfent ces remarques, la rime de terre avec pere ék colere, ainfi que celle de fang ék de camp, ék plufieurs autres, ne paroiffent pas avoir encore fait fortune, quoique nos meilleurs Poëtes aient fait rimer des mots qui riment peut être encore moins; faïme avec mème, traces avec graces, ék, ce qui eft plus étrange, cher avec arracher. La rime , nous en convenons, eft un ornement indifpenfable aux vers francois , qui , fans cela , différeroit trop peu de la profe; mais cet ornement ne doit pas être une charge,encore moins un tour de force, comme dans quelques Verfifièateurf modernes , qui riment richement ék s'expriment pauvrement. NO TE  deDestouches. 457 note III, relative a la page 3 5 r ^fur les Auteurs fatiriques qui dcchlrent ceux qu'ils ejliment le plus. TT ^ N de ces Anthropophages littéraires, qui vivent de leurs fatires, outrageoit depuis long-temps le plus célebre Ecrivain de fon fiecle, qui s'en vengea de la maniere la plus publi'oue , la plus eclatante & la plus terrible'. Un honnête homme, touché de 1'état du Satirique ainfi puni, intercéda en fa faveur 1'Ecrivain célebre par une lettre qui a été puMique , ék dont voici quelques traits. » 11 vous a donné fans doute bien » des raifons de le haïr ; cependant » il ne vous hait point; perfonne n'a » plus lu yo? Ouvrages, ék n'en fait » davanrage. Ces jours dernie^s. dans » la etaleur de la convgrfarion , il » trahlffoit fon fecret , ék difoit du I ^on> 1'avez déshonore' dans la Poftérite': » tous vos Ecrits reflerqnt ; penfez» vous, Monfieur, que dans le fecret 9 il n'ait point a ge'mir des röles que »vous lui faites jouer ? J'ai fouy veut de'fire', pour ma fatisfaclion » particuliere , & pour fa tranquillité, » de voir la fin de ces qaerelles ; mais » comment parler de paix dans une » guerre continuelle l II faudroit au » mofns une treve de deux mois; & » fi vous daigniez prendre confiance ï> en moi, vous verriez , Monfieur , » que celui que vous regardez comme >> votre plus cruel ennemi, & que » vous avez traité ainfi , deviendroit, » de votre admirateur fecret, votre » admirateur public. » Je fuis, &c. «. Voici ce que 1'Etrivain célebre répondu au Médiateur : p Vous ipe propofez la paix avec....  de Destouches. 459 » "\ ous ajoutez qu'il m'a toujours » eftimé ék qu'il m'a toujoars ou-1 » trage. Vraiment , voila un bon » petit caraclere ; c'eft-a-dire, que » quand il dira du bien de quelqu'un, » on peutcompter qu'il le méprife. » Vous voyez bien qu'il n'a pu faire » de moi qu'un ingrat, ék qu'il n'eft » guere poftible que j'aye pour lui les » fentimens dont vous dites qu'il m'ho» nore. » Paix en terre aux hommes de » bonne volonté! mais vous m'apprenez » que a toujours e'té de volonté » tres - maligne : je n'ai jamais lu » fes Satyres ; je vous en crois feule» ment fur votre parole , ék je fuis » perfuadé qu'il n'a imprimé rien » contre moi que de fort plaifant pour » réjouir la Cour. » Ainfi, je fuis très-pacifiquement, » Monfieur, votre, ékc. «. Voila un exemple frappant de la baffefte.avec laquelle les Satiriques de profemon outragent fouvent ce qu'ils eftiment le plus, ék déchirent même fans pudeur les Ouvrages ék les Auteurs qu'ils ont le plus loués. Nous pourrions  460 Eloge «en citer:,d'autres exemples encore plus récens & plus me'prifables. Mais les noms des coupables font trop oubliés pour les faire renaitre , ék trop vüs pour en falir cet Ouvrage. MoTE IV, relqtive d la page 356, fur le temps oü M. DESTOUCHES fu( chargé en Angleterre des affaires de France. Cet honnête ék vertueux Réfident gut une finguliere négociation a traiter pour le Cardinal Dubois, auquel , k Ia vérité , il étoit redevable de fa place. Ce Miniftre lui écrivit d'engager le Roi Georges 1 a demander pour lui au Régent rarclievêché de Cambrai. Le Roi, qui traitoit alors avec le Régent óf plus grandes affaires, ék que par conféquent le Duc d'Orléans avoit intérêt d'obliger, ne put s'empêcher néan;uoinsdetourner d'abord cettedenjande en ridicule : Comment vou(cz-vous, ditil a M. DefLwlies , quini Prince 'Proteflant fe mele de faire tin Archèi'éj  BE Destouchés. que en Franse ? Le Regent en rira, & jurement n en fera rien. PaMonnez* moi, Sire, répondit M' TJeftóuches j il en rira , mais il fera ce qiie vous voudrez^ ; ék tout de fuite il préfenté au Roi une lettre tres - preffante , ék toute prêtë a figner : Je le veux donó bien, dit Georgës; ék il figna la lettre $ ék Dubois fut Archevêque de Cambrah NOTE V, relativè d la page j 5 5 , fur quelques Ouvrages dramatïques de M. DeSïOUCHES. Outhè fes Ouvrages dramatïques en cinq acles, il donnoit auffi quel-» quefois de petites Pieces, qui nefurent pas moins applaudies , & dont quelques-unes même font reffées' au Théatre. Nous ne citerons que le triple Mariage , Comédie plaifante ék gaie , qu'on repréfente encore tous les jours : elle avoit pour fujet une aventure réelle, alors récente. Un pere veuf ék fur le déclin de lage, ayant pris de l'amouf Y iij  461 Éloge pour une jeune perfonne d'un état fort inférieur au fien, i'époufa d'abord fecrétement , & prit enfin le parti d'avouer a fon fils ék a fa fille Tengagement qu'il venoit de contraéfer a leur infcu ; il apprit de fes deux enfans, qu'ils avoient pris pour eux la même liberté, ék. avoient fait, chaaun. de leur cóté, un choix conforme a leur inclination. M. Deftouches crut t rouver dans cette aventure la matiere d'une Comédie , ék le fuccès répondit a fon efpérance (i). (i) Notre Académicien avoit fait lui-mêrne un manage fecret da»s Ie temps ou il étoit chargé a Londres des affaires de Frances 11 devint éperdtlKient amoureux d'une Angioife Cachclicjuo & diftihguee par fa naiffan e, & I'époufa, avec la pcrmillïon du Pvoi de Frahce", dans la chapelle qu'il avoit conim: Miniftre étranger. Son mariage ne fut déclaré qu'après gu'il eut quitté 1'Angkterre.  de Destouches. 463 NoTE VI, relativa a la page -159, fur le projet qu]avoit eu le Gou^ vernement d'envoyer M> DESTOUCHES en Ruftte. NoTRE Philofophe difoit quelquefois qu'en émondant & en taillant fes arbres dans la campagne ou il s'étoit retiré , il y trouvoit I image affez fidele de cette Nation Ruffe chez laquelle on avoit voulu 1'envoyer • Nation foumife &. doei ie, gouvernée par fes Souverains, a peu prés comme le font les plantes par un cultivateur févere, & qui montrent a 1'Europe tour ce que peuvent devenirles hommes par une femblable culture : mais , ajoutoit-il, arbres pour arbres $ j'aime encore mieux les miens. Viv  464 ÉLOGE NoTE VII, relative a la page 3 68 , fur le Glorieux, IVf. Deftouches, qui, par une longue expérience, connoiffoitles loix& J'effet de 1'illufion théatrale , avoit jugé fans doute que Ia doublé charge du Glorieux & de YHomme mode/Ie , étoit néceffaire pour faire fortir darantage les deux röles, & que réduits a Ia vérité de la Nature , ils aurojent paru moins agréables au fpeélateur. II femble en effet que le perfonnage de l'Homme modefte, étant refferré par 1 Auteur dans (es bornes naturelles , eüt été un peu froid au Théatre ; & peut-être ce froid eüt-il reflué fur le röle du Glorieux , qui doit y contrafler. Mais Ia doublé charge n'a-telle pas été trop forte ? C'eft ce que nous laiffons a décider a de meilleurs Juges que nous. Peut-être n'appartientil qu'a un génie tel que Molière, d avoir fuj fans rien exagérer , oppof?f au röle odleux , mais admirable, du Tartuffe, le röle non moins ad-  de Destouches, 465. mirable , mais auffi plein de vérité que d'intérêt , d'un homme fincérement vertueux, fans rigorifme &, fans foibleffe. Peut-être auffi Molière luimême a-t-il été moins heureux dans le Mifanthrope, en dégradant, par un peu defadeur,le caraciere de 1 homme raifonnable , qu'il a mis en oppofition avec Alcejle, & en croyant donner, par ceite fadeur, un contrafte plus théatral a 1'inflexible aufiérité du principal perfonnage. NoTE VIII, relative a la page. 3 68, & aux deux vers du Glorieux qiiort y a cités. ï-> E pere du Glorieux dit a fon fils; J'entends; Ia vanité me déclare a genoux , Qu'im pere infortuné a'eft pas ctigne de voui. La réponfe du fils a ces deux beaux vers, elf d'autant plus noble, qu ede étoit plus difficile a faire : Et compatiflez donc A la nob!e fiertc Dont ce 8£Eur4 il eÜ yiai.. n'a rrue trop hcrité, V v  466 Éloge jN'OTE IX, relative a la page 371 , fur les Aclturs qui jouerent la Comédie du Glorieux dans fa nouveauté. ij'ACTEUR chargé du principal pe*fonnage, étoit Quihauk Dufrefne , fur lequel même on prétend que M. Deftouches avoit fait le róle du Glorieux, tant il 1'étoit , non feulement avec fes carnarades, mais dans tous les momens de fa vie. C'étoit lui qui difoit a fon Valet, en parlant des Comédiens : » Allez dire a ces "gens» la que je ne jouerai pas aujourd'hui. » On me croit heureux, difoit-il en» core ] cependant je préférerois a » mon état celui d'un Gentilhomme » retiré dans fon chateau avec douze » mille livres de rente «. Dans la Préface du Glorieux, 1'Auteur fit avec raifon 1'éloge des Comédiens qui avoient joué fa Piece avec tant de perfect ion; la confiance avec laquelle il parloit de fon fuccès,  de Destouches. 46^ fit faire a quelqu'tin cette Epigramme : Deftouches , dans fa Comédie, A cru peindre Ie Glorieux; Er moi je trouve , qnoi qu'on die r Que fa Préface le peint mieux. M. de Voltaire fut plus honnête dans quelques vers qu'il adreffoit a notre Académicien , Sc. dont void les deux derniers : Vous qui fïtes Ie Glorieux, II ne tiendroit qu'a vous de 1'êrre, NoTE X, relative a la page. 376 & aux fuivantes, fur les Ouvrages Théologiques de M. Df.STOUCHES en faveur de la Religion , & fur les Epigrammes contre les lncrédules. Notre pieux Académicien, en oppofant a 1'impiété les raifons les plus terraffantes que fon zele pouvoit lui fournir, ofoit même la pourfuivre atl milieu des retranshemens qu'elle croir. • V vf *  ♦468 Éloge les plus redoutables; il expliquoit de fon mieux, dans fes Differtasions , des prcphéries auffi refpeclables qu'obfcures, fur lefquelles les Grotius, les Calmet ck les Hardouin ont différé d'avis ; il ne voyoit pas, dans la ferveur qui l'animojt, que 1'analyfe claire & précife de c^s oracles divins , n'eft pas effènrieile aux fondemens facrés du culte fublime que 1'Etre Suprème exige de fes créatures. II n'avoit pas affez médité la judicieufe réflexion' d'un fage Théologien, qui défiroit ardemment que les Dèfenfeurs de la Religion s'auachaffent au gros de 1 arbre , » fi bien affuré , di» foit-il, de fe foutenir par fon poids » ék par fa vétufle' refpeclable; qu'ils :p négligeaffent les petites branches qui » ne font que le défigurer, ék qu'ils » euffent même la fageffe de retranj> cher courageufement ces b-anches. » Lorfqu'une place, ajoutoit fagement » ce Théologien , eft auffi bien fcrtis> fiée que cel'e dont nous gardons les » remparts, on laiffe brüler les faux» bourgs a 1'ennemi, & on les brüie » foi-même, pour concentrer toute fa » défenfe dans le corps de la place «,.  DE D E S T O U C II E S. 469 C'eft fans doute ce que M. Deftouches auroit du faire j mais la délicateifë même de fes pieufes intentions s'y opp»foit. Affuré de la bonté de fa caufe , il vouloit chalfer 1'incrédulité des défilés même oü elle fe ratranche , paree qu'elle n'ofe pas, difoit-il , fe battre contre Dieu en rafe campagne. II prétend, dans une de fes Differtations, que plus une Religion eft obfeure, plus elle a le caracfere de la vérité , paree que plus d'obfcurité exige des Fideles plus de facrifices. Un homme d'efprit , feu M. l'Abbé de Gamaches, de 1'Académie des Sciences, a fondé fur le même principe une des preuves qu'il a données de la Religion Catholique, dans un petit Livre qui a pour titre : Syfltme du Philofophe Lhrétien. » La Religion » Catholique , dit-il, eft laplus par■p faite de toutes, paree qu'elle eft la » feule qui nous ordonne tous les fa» crifices poftibles ; car elle exige juf» qu'a celui de nos fens dans le myftere » de la préfence réelle j Sc nulle autre » Religion n'a 1'avantage de donner » ainfi le démenti anospropresyeux «c.  470 È L O G E M. de Voltaire, dans fes charmans confeils d Racinele fils, fur Jon Poe me de la Religion, Ouvrage plein de gaite', de bonne plaifanterie, Sr. d'excellens principes de goüt, ayant marqué fon étonnement fur la transformation du Poëte comique Deftouches en profond Théologien, le Théologien Poëte répondit (toujours dans le Mercure ) , a 1'Auteur de cea confeils , qu'il appelle M. le Confeuler. II prouve, par une foule d'exemples tirés de Claudien , d'Aufone , de Boëce , de Tertullien & d'autres Auteurs, que les matieres de Religion peuvent fort bien être traitées par des Poëtes , &. même par des Poëtes obfeenes; pour le démontrer , il rapporte des obfcénités d'Aufone a cóté de fes vers édifïans. II nous femble qu'un Chrétien encore plus zélé que M. Deftouches , auroit plaint la Religion d'être en fi mauvaifes mains. Les Epigrammes de notre Académicien contre les Incrédules , Epigrammes dont il n'a imprimé qu'un très-petit nombre,étoientledélaffement de fes travaux théologiques, & 1'amufement philofophique de fes prome-  . de Destouches. 471 nades folitaires. II rendoit ainfi fes vers & fa profe également mémoires pour 1'Eglife & pour le Ciel. La plupart de ces Epigrammes font inférées dans des lettres qu'il adreffoit, par le moyen du Mercure, a un vieux Gommis des Finances , nommé Tannevot, tres-bon Chrétien comme lui, ék qui le fecondoit de fon mieux par fes dévotes réponfes. Hh amor unus erat, parittrqut in bella ruebant. Quelques-unes des Lettres édifiantes imprimées dans le Mercure par M. Deltouches , font écrites a un jeune homme de condition, qü'il avoit réfolu de convertir. Nous en ignorons le fuccès. II nous apprend , dans une de ces Lettres, qu'il avoit fait une Comédie , intitulée 1''Efpritfort; mais que s'étant appercu qu'elle étoit peu théatrale, il ne jugea pas prudent de la rifquer fur la Scène. II craignoit , difoit-il, que les fifflets, en attaquant la Piece, ne paruifent attaquer le fujet. II répond auffi dans ces Lettres , mi-parties de profe ék de vers, a un Poëte nommé Frigot , ék a un autre,  472 Éloge qui lui avoient adrefle des éloges rimés, 6c qui fe joignirent k lui pour faire en rime la petite guerre aux Mécréans. Non feulement M. Deftouches attaque dans fes vers les Incrédules, mais auffi les Hérétiques ; il envoie a fon ami Tannevot des Epigrammes fa'.iriques contre Luther, Calvin, Bayie & des Barreaux. II mèle a toutes ces Pieces des éloges du Roi en vers, & même quelques Epigrammes galantes (6c prefque licencieufes), qui ne parciffent pas faites pour fe trouver en fi grave compagnie ; celle - ci, par exemple, qu'il adrelfe a une Capricieufe : Vos yeux font doux & carelTans , Puis dédaigneu* te menacans; Avec vous je ne puis na'entendre; Votre cceur, quand je crois le prendre , M'échappe aux moindres incidens; Morbleu ! faires-moi donc comprendie Si je fuis dehors ou dedans. Par le confeil de fon ami , il ne voulut pas joindre a une édition de fes Ouvrages, qu'il préparoit alors , fes Lettres édifiantes, & fes Lucubra~  de Destouches. 47-3 t'ions tbéologiques contre Jes Impies. II craignit avec raifon que ces pro1 duclions pieufes ne formaffent, avec I fe? Comédies, une bigarrüre choquante. I II eüt été en effet prefque auffi malI fonnant de trouver a cóté du Tam\ bour nocturne ou de la 'faujfè Agnès, ! les Differtations Chrétiennes & les Epigrammes pieufes de M. Deftouches , : qu'il le feioit de trouver dans les (Eu, vres de l'Abbé de Brueys , fon Traité de la MejJ'e a cöté de VAvocat Pa, telui ou du Gronden/: Nous croyons pouvoir certifler ici un fait fingulierque nous favons par une 1 voie trés fure (1); c'eft que ce même Ecrivain , fi zélé dans les dernieres 1 années de fa vie contre les Incredui| les, parut rrès-refroidi fur cet objet : quelque temps avant fa mort. Sans 1 afficher ni incrédulité ni indifférence fur 1'avenir ( car nous n'avons garde de charger fa mémoire de cette imputation), il n'étoit occupé que de finir fes jours en paix dans les bras (1) Nou du Ccnfeur. On fait quelle eft .'a valeur de ces témoigmges fans nom.  474 Éloge de. fa familie, loin des exhörtations importunes ( c'étoit fon expreffion ) , dont il n'avoit aucun befoin, & perfuadé qu'il lui fufïïfoit de fe pre'fenter au Tribunal de 1'Etre Suprème avec cette confcience droite ck pure qui avoit fait la regie de fa vie. • Quoique très-chatouilleuxfur fes Ouvrages , qu'il défendoit avec amertume concre-ceux qui--les attaquoient, M. Deftouches ne fe piquoit pas, comme il le difoit lui-même, de mettre dans fes vers cet efprit qu'on aime tant.; mais il avoit de grandes prétentions a la fenfibilité , ck croyoit en avoir beaucoup mis dans une Ode a la Pat/ie , qu'il avoit faite étant jeune. II ne pouvoit, difoit - il , relire cette Piece fans pleurer, & fes ennemis lui répoiïdoient groffiéremen^qu'i/^' pleuroit tout feul. II fe montre, en toute occafion., ennemi déclaré de cet efprit d la mode , qui, felon lui, a corrompu le. goüt. II 1'accable de tout fon mépris dans une Epigramme contre d'Orivaux , dont le vrai nom eft facüe a deviner, ck dans une autre contre  de Destouches. 475 ■! Moron , qui paroit être Fontenelle. II oppofe a 1'efprit qui lui déplait i tant, 1'Epigramme de Catule: Coenahis btne , mi Fabe!U , apud m: , &c. Et il prodigue a cette Piece, qui eff i affez libre , & qu'il rapporte toute éntiefe, des éloges dont on doit être ün peu étonné. 'Un Poëte auffi reli. gieux que lui , auroit pu choifir pour exemple du naturel qu'il recommande iaux Poëtes, un Ouvrage ou le na~ \ turel fut plus décent. Quoi qu'il en foit, il définit le véritable efprit d'une I maniere affez précife & affez juffe : ' C'efl , dit-il, la don & la facilité dv ':dire d propos tout ce qui convient a {Vccafion & au fujet. II accüfoit non feulement Dufrefny (comme nous 1'avons dit dans fon Eloge ) , mais Dancourt même, de : refufer 1'efprit a Molière. La première de ces deux accufations peut avoir ; quelque fondement ; car il eff für que i 1'efprit de Molière n'efl pas celui de i Dufrefny, quoique 1'efprit de ce dernier, trés - inférieur a celui de Mo-  47°" É L O G È liere, ait bien fon me'rite ; mais Ié comique de Dancourt, quoiqu'il foit auffi trés inférieur au comique de Molière , eft cependant du même genre. On ne concoit donc pas pourquoi Dancourt auroit porté de Molière un jugement fi ridicule , a moins que ce ne füt par un motif de rivalité. Mais Dancourt pouvoit il férieufement fe croire rival de Molière ? L'Auteur des vendanges de Surene & du Moulïti de Javelle avoit-il quelque cbofe de commun avec celui du Tartuffe ? NoTE Xl,relative d la page 3 81 fjag Védition des (Euvres de Af. Des-^ TOUCHES , faite au Louvré. c VLETTE édition , faite avec beaucoup de foins, & magnifiquement' imprimée, mérite d'être recberchée des* curieux & des Gens de Lettres. Outre les Pieces compofées pour ie Théatre Francois, on y trouve quelques divertiifemens deftinés a être mis en  de Destouches. 477 mufique , & que 1'Auteur avoit faits pour Madame la Duchelfe du Maine; nous citerons entre autres le Ballet des Amours deRagonde, qu'on repréfentoit encore, il y a quelques années , fur la Scène lyrique , dans ces jours defimés a la joie , oü il eff permis aux fpecfateurs d'oublier un moment la gravité , fouvent faffidieufe , de ce Théatre. Les applaudiffemens j que les Amours de Ragonde y onf recus, euffent encore été plus marqués & plus durables, fi la mufique, faite par Mouret, joignoit au mérite affez mince d'être facile a chanter, celui d'avoir plus de verve & plus i de caraélere. note XII, relacive d la page 3 85 , fur le fuccès des Pieces locales. JL E fuccès de ces Pieces tient encore a d'autres caufes qu'a la natuie du fujet; par exemple, a 1'üfage heu* xeux, mais fingulier & purement na-  478 Éloge tional, que fa vent faire de notre Langue. quelques-uns de leurs Auteurs, entre autres celui du Méchant , qui a fi' bieii fu tirer parti du langage & du ton de ce' qu'on appelle parmi nous la bonne Compagnie. Quant aux applaudiffemens accordés a Mélanide & au Préjugé a la mode, ils ont été dónnés a la nouveauté 8c a 1'intérêt réel de ce genre, moitié tragique, moitié comique , que les Anciens paro/iffent avoir peu connu, qu'aujourd'fiui même plufieurs Nations femblent encore ignorer , que peut être quelques autres ont défiguré en y forcant le colöris, & auquel nos Dramatiquès Francois croient avoir mieux confervé la véritable teinte qui lui eft propre. Mais les excellentes Pieces en ce genre font d'autant plus rares, que les médiocres font bien faciles &. bien communes.- Si 'M. Deftouches ne doit paroitre fur la Scène que tres-loin après Molière , & peut:être même qu'a la fuite de Reejnard , plus comique & plus animé que lui , il a du moins le mérite d'avoir fait fes bonnes Pieces de  de Destouche.s. 479 The'atres pour d'autres Nations que pour la flenne. II en a de plus un autre, que ni Regnard ni Molière même n'ont pas toujours eu, c'eft la.de'cence qu'il a fide'lement obfervée fur la Scène, décenee faite pour réconcilier avec les .Speólacles ceux des gens de bien qui les condamnent.  4§o Eloge PIECES Relatives a I'Eloge de M. Destouches. Lettre au Rédacteur du Mercure; imprimée dans celui du 5 Avril *779- T'ai dit, Monfieur, dans l'EIogé de M. Deftouches,que, très-jeune encore, il avoit été quelque temps Comédien. Je 1'ai avancé , rion feulement d'après une tradition fort répandue parmi les Gens de Lettres, mais d'après des garans que j'ai eu lieu de croire bien informés. La familie de cet Académicien célebre s'infcrit en faux contre mon récit. Elle y oppofe des faits dont elle garantit la certitude , & d'oü il réfulte que ceux qui ont cru comme moi jufqu'a préfent le fait dont il sagit, ont ajouté foi a des relations peu fideles. Cette familie refpeéfable , défire  de Destouches. 481 de'fïre que jSnftfuife le Public de fa réclamation , & de la réfolution que j'ai prife en confe'quence , de fupprimer , dans une autre édition, cet endroit de 1'Eloge de M. Deftouches. Je fuis , &c. d'Alembert. A Paris, ce 27 Mars ij-iy. Je n'ai pas cru devoir refufer cette déclaration a la familie de feu M. Deftouches, 6k fur-tout s un fils qu'il a lai/fé , & qui jouit a jufie titre & a tous égards , de 1'eftime de tous ceux quile connoiftènt (1). Mais après avoir fatisfait a ce que fhonnêteté exigeoit de moi , je dois, pour ma propre apologie, expofer les raifons qui m'avoient déterrniné a donner pour certain le fait dont il s'agit. Lorfque j'eus 1'hon'neur d'entrer , en 1754, dans 1'Académie Francoife, je trouvai cette Compagnie perfuadée ( 1) On écnVoit cette note en 1779, M. Deftouches le fis étarit en?ors vivant'; II eft mort depuis, au ftiois de Janvier 1780. Terne F. X  482 Éloge que M. Deftouches avoit éte' Comédien'.. Plufieurs Académiciens, M. Duclos, Crébillon , Mirabeau , de Boiffy, & beaucoup d'autres, n'en doutoient nullement; & fi je ne puis pas attefter que tout le refte en fut convaincu comme eux , au moins je n'ai jamais entendu , fur ce point, aticune réclamation dan? 1'intérieur de 1'Académie. La chofe palfbit pour fi conftante , que lorfqu'il fut queftion , en 1771 , de 1'éleéjion de M de Belloy, qui, cömme tout le monde fait, avoit été Comédien , quelqu'un denos Confrères, dont je tairai ie nom pour fon honneur, eut 1'ineptie de mettre en queftion , ft ce n'étoit pas un motif pour lui refufer nos iüffrages. Les Académiciens plus feufés, fe contenterent de lever les épaules a cette objection; les plus ri^oriftes fe bornerent a répondre , Deftouches ta bien été. En un moe, je n'ai jamais vu d'opinion fi généralement & fi inconteftablement établie parmi tous les Gens de Lettres que j'ai connus. Auffi M. Gaillard, dans 1'Eloge hiftorique de M. de Belloy , qu'il a mis a la tête des (Euvres de cet Académicien , fon iiitime ami,  DE DESTOUCHES, 4.S3 nbus apprend que 1'exemple de M. Deftouches ne contribua pas peu a. déterminer M. .de Belloy au parti qu'il prit de fe faire Comédien; profemon qui n'avoit privé ni de confidération ni de gloire 1'illuftre Auteur dont il fuivoit 1'exemple. Dans une Satire contre 1'Académie, intitulée le Coche, que le Poëte Roi publia en 1718, on trouve ces vers fur M. Deftouches : Certain farceur voulut faire 1'ingambe ; Les brodequins lui blefli-rent la jambe ; C'eft cet A£teur chez les SuüTes pröné, Et de la farce encore enfatiné. Et dans le mauvais brevet de calotte dont j'ai parlé , que le même Poëte avoit fait contre M. Deftouches, on lit encore les vers fuivans ; Ce Netitault, le Dramatique, 'Qui fit fon cours de politique Dans le röle de Gouverneur, De Confident, d'Ambairadetlr , Qu'ii jouoit a la Comédie. Je fuis , m'a 'écrit a cê fujet un homme très-refpecfable , quune Satire nejl pas une autorité; mais c'ejl Xij  4?4 É LOGE d cette occajio/i que j'avois out rap* porter te. fait , fans fiivoir jamais entendu révoquer en doute. Lorfque la Comédie du Glorieux fut donnée au Théatre il courut contre cette Piece & contre 1'Auteur, des couplets qui eurent alors toute la vogue pafTagere aflurée aux Satires; & dans un de ces couplets, non feuLmient .on reprochoit a M. DeRouches fon ancien métier de Comédien , mais on défignoit mème la ville de Chambery comme un des lieux oü il 1'avoit exercé. Ces couplets étoient Fouvrarje de Romagnefi & Lelio le fils, mécontens de ce que M. Deftouches, dans une Préface du Glorieux, qu'il fupprima depuis, avoit parlé peu obligeamment des Comédiens ftaiiens. Voici le jcouplet dont nous parions. De ce fublime Auteur, Autrefois grand ASeur, La Mufc excelle ; Jaiis 4 Chambery Les Savoyards ont ri De fa loqueUc ; Le voyant Empereur, Soldat, Crifpin , Docieut, Polichiaelle.  de Destouches. 48? Celui de qui nous tenons ce couplet , ajoute, il eft vrai, dans la note qu'il nous a donnée, que M. Deftquches ne joua la Comédie a Chambery , que dans la fociété de M. le Marquis de Puifieux , qui pour lors étoit Ambaffadeur, & "dont il étoit le Secrétaire. Mais il nous femble que M. le Marquis de Puifieux n'a été Ambaffadeur qu'en Suifle , jamais au* pres du Duc de Savoie ; & dans ce cas-l"a même, il eüt réfidé a.Turin, & non pas a Chambery. Air.fi il refte encore de .1'obfcurité dans cette anecdote, de la Comédie jouée par M. Deftouches a Chambery. Encore une fois, nous ne fommes ici qu'Hiftoriens, fans prétendre donner aux faits publiés fur ce fujet plus de réalité qu'ils n'en ont, mais uniquement occupés a conftater 1'opinion publique fur ce fujet, peut-être très-mal fondée , quoique très-répandue. II paroit furprenant que notre Académicien , très-fenfible a tout ce qui pouvoit bleffer fa réputation de Citoyen ck d'Auteur, comme, on le peut voir par plufieurs de fes Préfaces- & de fes Lettres, n'ait jamais daigné X üj  4^6 E L O Gï repouffer une imputation qui devoit êrre ft grave a fes yeux , & qu'il ne pouvoit ignorer. Lorfque je lus fon Eloge dans Ia Séance publique du 25 Aoüt 1776, aucun de ceux qui étoient préfens ( & parmi lefquels on m'affure qu'il y avoit quelques-uns de fes anciens amis), ne réciama contre ce fait, Sf. je n'entendis pas dire alors qu'il eüt été démenti par perfonne. Mais depuisl'imprefTion de cet Eloge la familie de M. Deftouches s'eft inf, crite en faux contre fa prétendue profeffiqn comique , & même contre ce que j'ai raconté des premières années ce cet Ecrivain célebre. Voici ce que M. fon fils m'a fait 1'honneur de m'écrire a ce'fujet. » 11 a fait fes premières études juf» qu'en feconde a Tours; il eft venu » les finir au Collége des Quatre Na»tions a Paris, le tout du parfait » confentement de fon pere. II fe » diftingua dès le College, en rem» portant les quatre premiers Prix de » Rhétorique. Son goüt pour la Poéfie » fe manifefta dès ce temps-la. II » débuta , comme tous les jeunes gens,  DE DE5TOUCHES. 48/ » par faire une Tragédie , intitulèe les » Macchabées. Je lui ai entendu plus » d'une fois regretter la perte de ce » premier jet de fon génie. Je ne lui ai » jamais oüi parler de 1'anecdote de » Defpréaux, encore moins de la lettre » que vous citez, & que j'aurois trou» vée dans fes papiers. II n'en a ja» mais jeté une , & perfonne ne met» toit plus d'ordre dans fes corrdpon» dances. Jen puis fournir des preu» ves , notamment par celles de ƒ0 n y> refpectable perequi, dans ce mème » temps, ne lui écrivoit jamais que » dans ces termes : Mon fils , mon » cher Benjamin , &c ; puis fuivoient » les confeils d'un pere a fon fils , » tant fur fes mceurs que- fur ■ fa Re» lirion j ce qui dément entiérement » fa°prétendue efcapade de la maifon f> paternelle. 11 fïnit fes études a dix» neuf ans ; a vingt, un de fes com:> patriotes, Capitaine dans un Régt>> ment d'infanterie, nommé M. de » Frü~lar^ le détermina a venir avec » lui faire quelques campagnes en qua» lité de Volontaire. Ii eu fit deux, » en 1.701 & 1702. Je lui ai entendu » fouvent répéter qu'il fe trouva dans X iv  488 E L Ö G E » cette derniere , « famei;x flé ds > Landau , foutemi avec tant de vl- j. ue jueiac. La Compagnie oü i .^fervottfutdetruiteala défenfe dun » ouvrage avancé, oü il fin enterré iuf>>quaJa ceinture par le jeu d'une mine » des ennemis. Le Capitaine en revint » lui cinqiueme. De Ia ]e Régiment »JW rejoindredarmée. II fe trouva »*la batailie de Friddmghcn. que "-mt^^ VÜhïS- Mon pereq ; >> fut Wefle légérement. Le Régiment J vmt er, quartier d'biver i » Ce fut Ja le terme de fes ex» p oitsmilitaires. Comme il employoit » les intervalles de fon fervice a fa» tisfaire une pa/ïion toujours domi* name , celle de faire des vers il » trouva dans la ledure de Don Quivciotte,un fujetqui luiplur, & qui » developpa fon talent pour Ia Comé» die. La nouvelle du Curieux im» pertinent lui fournit la matiere d'un » Ouvrage de ce genre. Après favoir » faire, il la lut dan. quelques So» cietes de la ville. Cela fit du bruit »& parvmt jufqu'a Madame la MarMmfe de Tibergean, fceur de M  de Destouches. 489 » le Marquis de Puifieux, alors notre » Ambaffadeur en Suiffe , femme d'un » efprit rare & d'un goüt für. Elle » accueillit le jeune Auteur, 1'encoif» ragea , lui donna de bons confeils, » d'après lefquels il refondit prefque » tout fon Ouvrage. Qu,and il fut au » point ■ qu'elle défiroit , elle voulut » en amufer M. i'Ambaffadeur dans » une fète. Elle fit diflribuer ck ap» prendre les röles dans la maifon , » fe cliargea elle-même du róle prin» cipal, ck mon pere joua le Curieux » impertinent. Cela eut le plus grand » fuccès vis-a-vis de m. I'Ambaffadeur » & de toute la ville. Un petit Pro# logue , prononcé par 1'Auteur avant » la repréfentation, plut beaucoup par » la fineffe de 1'encens qui y étoit » diftribué. Voila , Monfieur, la feule » troupe de Comédiens dont mon pere » ait été le Direéfeur «. Mon intention n'eft pas de contredire ce récit fur aucun d*fes points. Mais pour expofer avec franchife 6k naïveté tout ce que j'ai appris fur M. Defiouches depuis 1 impreffion de fon Eloge , je joindrai ici les anecdotes que m'a apprifes a fon fujet Mad«— X- Y  49P Éloge moifeïïe " Quinault Ja cadette , qui avoit vécu dans Ja fociété intime de cet Académicien , & qui m'a plufieurs fois altelié la vérité des faits que j'avois entendu raconter d'après elle. M. Deflouches avoit un pere beaucoup plus vertueux qu'opulent, qui re penfant point d'abord a Je faire étudier, s'y détermina fur les affurances que plufieurs perfonnes éc'airées lui donnerent des grandes difpofitions de fon fils. II 1'envoya a Paris pour y achever- fes études; le jeune homme demeuroit chez un Libraire, dont il a parle jufqu'a Ja fin de fa vie avecJa plus tendre reconnoiffance. Pour s'acquitter de fon mieux en vers fon bienfaiteur, il corrigeoit les épreuves des livres qu'on imprimoit cliez lui. A 1'age de feize ans, il prit pour une jeune perfonne , parente du Libraire, & qui demeuroit dans la même maifon, un goüt très-vif, auquel fa maitreffe «ut le malheur de répondre, & dont les fuites devinrent bientót embarraffantes pour 1'un & pour 1'autre. Le jeune homme effrayé quitta, fans en rien dire , Ia maifon du Liiraire , & ne fachant que devenir,  de Destouches. 49r il prit le même parti 'que beaucoup de jeunes gens, devenus depuis trèscélebres, avoient pris en pareil cas; il s'engagea en qualité de fimple foldat (1) dans un Régiment qui alloit pariir pour 1'Efpagne (car on étoit alors en guerre), fe trouva au fiége de Barcelone en 1697, &. refta feul ( lui & fon Sergent ) de toutê fa Compagnie, enterrée fous une mine que firent jouer les affiégés. 11 racontoit même a cette occafion une plaifanterie militaire de fon Sergent, qui le voyant reffé feul, lui cria : Marche a moi la Compagnie-. Mademoifelle Quinault m'a plufieurs fois affuré que c'étoit au fiége de Barcelone , Sc non de Lanclau , que cette aventure étoit arrivée a M. Deftouches, & qu'elle fe (1) On peut voir dans I'E'oge de M. de la Faye 1'afné (Hifi. de 1'Académie .des Sciences de 1718 ) , que cet Académicien, né d'une très-honnêtc familie , & qui fut dans la fuite Capitaine aux GarJes, impatient d'er.trer dans le fervice contre le gré de fes p.irens , avoit commencé pat s'engager comme fimple foldat dans un Régiment de cavalerie , & fe trouva. en cette qualité a la bataille de Fleurus. X Tj  492- Eloge reffcmvenok parfaitement de le lui avoir plus d'une fois entendu raconter. Elle ajbutoit , car je dois être ici de la vérité la plus exacte , qu'elle ne lui avoit jamais ouï dire qu'il eüt été Comédien , quoiqu'U ne fe fit pas un fcrupule de raconter, & même affez gaiment, les petits écarts de fa. jeuneffë ; mais "je dois ajouter auffi que d'autres Comédiens, aujourd'hui retires. regardent, a tort ou a droit, ce fait comme indubitable, & qu'en général tous les Gens de Lettres encore exiftans, qui ont'connu ou pu connoitre M. Deftouches, en font fermement perfuadés. Ont-ils raifon ? c'eft ce que je ne décide pas. Si M. Deftouches a été Comédien, 1'epoque en paroit diffkile afixer. Dans 1'Epitre dédicatoire de la Force du naturel, il dit qu'il avoit d peine atteint fa dix-neuvieme année, lorfquè M. le Marquis de Puifieux le prk auprès de lui; c'étoit donc vers 1699, puifque M. Deftouches étoit né en 1680; ck.'dans 1'Epitre dédicatoire du Curieux impertinent, Epitre adreffée a M. le Marquis de Puifieux , fon bienfaiteur : Vous avez^ eu, lui dit-il,  d e De stouches. 493 la générofité de m attacher d vous il y a plus de dix'ans. Ces deux dates, comme Ton voit , font parfaitement d'accord; mais d'un autre cóté, fui.va.ftt ]a lettre de M. Deffouches le fils, rapportée ci-deffus, notre Académicien ne feroit entré chez M. le Marquis de Puifieux qu'en 1703 au plus tot, c'eft-a-dire , après la campagne de 1702. S'il y eft entré en 1699 ( comme il réftilte de fon propre témoignage) , il ne pourroit avoir été Comédien que dans 1'intervalle de 1699 ^ 1^97 ■> -année du fiége de Barcelone & de la paix de Ryfwick. Si c'eft immédiatement en quittant le fervice qu'il s'eft attaché a M. le Marquis de Puifieux , en ce cas, il n'auroit renonce a la profemon des armes qu'en 1699, fuivant les deux Epitres dédicatoires que nous venons de citer; & dans ce piême cas , il ne fe feroit trouvé ni a la bataille de Fridlinghen , ni au fiége de Landau en 1701, mais feulement a celui de Barcelone en 1697. D'après ces dates contradidloires , nous fommes au moins en droit d'e conclure qu'il refte encore beaucoup  49+ Éloge d'obfcurité fur les premières anne'es de la jeüneffë de M. Deftouches. On trouve dans fes (Euvres un compliment en vers a M. le Marquis de Puifieux, & qui fervoit de Prologue a une Piece qu'il repréfenta , avec d'autres perfonnes, en préfence de fon bienfaitëur. Ai ais ce compliment ne peut être celui dont il eft queftion dans la lettre. de M. Deflouches le fils; car il paroit paT une lettre de 1'Auteur, imprimée dans fes (Euvres a la tête de ce Prologue , que la Piece fut jouêe non a Soleure, mais dans la maifon de campagne de M. le Marquis de Puifieux, d vinot lieues de Paris, & vraifemblablement longtemps après que M. de Puifieux eut quitté la Suiffe. On voit d'ailleurs par la même lettre , que , ■ dan; cette repréfentation , M. Deftouches joua le róle de YOlive; & fuivant la lettre de M. fon fils , il joua, dans la repréfentation de Soleure , le róle du Curieux impertinent. Voila, dans la plus exaéle vérité, les différentes anecdotes qui m'ont été racontées fur M. Deftouches, par  de Destouches. 495 des perfonnes également dignes de 'foi. C'eft au Ledeur a Jes concilier. La lettre de Defpréaux, dont M. Deftouches le fils attaque Lv vérité , eft datée du 26 Décembfe "707, &• imprimée dans le Recueii des Leitres de B roffel te & de Defpréaux, qui a para a Lyon en 1770, tome 3 , page 124. . L'anecdote fur la faute- que fit M. Deftouches dans fa première jeuneffe, en s'échappant de la* maifon pat&rnelle , m'a été racontée par feu M. Crebillon , qui vraifemblablement étoit mal iaftruit fur ce point; car il paroit certain-, par les informations que. j'ai prifes , que le pere de M. Deftouches 1'envoya achever fes études a Paris, & que ce fut de la maifon du Libraire , chez lequel il demeuroit , qu'il s'échappa pour entrer dans le fervice. 11 y a donc tout lieu de croire que cet endroit de 1'Eloge n'eft pas exacf. Quant au refte des faits que j'ai racontés, & que je ne veux ni foutenir ni garantir , contre 1'afhV rance pofitive d'une très-honnête familie , c'eft au Public qu'il appartient  4S6 Eloge den décider d'après le récit qu'il viei* de lire. Quelqu'un m'a objeclé qu'il n'y avoit jamais eu de troupe de Comé- • diens a Soleure, ni dans aucune ville de Suiffe. Je ne puis ni attefter ni dementir ce fait j mais en fuppofant que M. Deftouches eüt été Comédien, il eff poffible ou que fa troupe füt uniquement au fervice de M. le Marquis de Puifieux, comme Amban7»deur de France', ou que cette troupe, en pafiant a Soleure , eüt défiré & obtenu de jouer en fa préfence. Je vois d'ailleurs par les Lettres de lean- • Baptifte Rouffeau , que dans le temps 011 ce grand Poëte étoit a Soleure , c'efl-a-dire , peu d'années après le féjour de M. de Puifieux en cette ville, en y donnoit, pendant le Carnaval-, des bals mafqués , oü toute la jeunefie de la ville fe trouvoit • 6c il feroit furprenant qu'en permettant le bal & les mafcarades, on eüt profcrit la Comé.iie. J'ai cru devoir ce long éclaireiifëment au Public , pour kn apprendre d'après quels garans j'avois écrit 1'£~  de Destouches. 497 loge de M. Deftouches. Si ces garans m'ont trornpé, comme je ne refufe point de le croire , tout autre, j'ofe le dire , eüt été trornpé comme moi. J.es anecdotes de la vie privée des Gens de Lettres font quelquefois ce qu'il y a de plus difftcile a vérifier & a conftater dans leur Hiftoire, par 1 oppofition des témoignages, & quelquefois par les récits differens qu'euxmêmes en ont faits dans 1'occafion. Pour n'en citer qu'un exemple , on peut voir dans 1'Eloge de M. l'Abbé Couture (Mémoires de VAcadémie des Belles-Lettres, année tjzg}} la contrariété finguliere des faits qu'il racontoit fur fa naiffance, avec des pieces authentiqires für cet objet, pieces qu'il avoit lui-mème écrites & fignées. Que M. Deftouches ait été, fi 1'on veut, quelques années Comédien par un écart de jeuneffe , rien n'eft plus indifférent a 1'honneur de fa mémoire; ce qui importe a fes Confrères & a fa familie, c'eft que les perfonnes mêmes qui, bien ou mal inftruites, ont cru & répandu cette anecdote , lui ont en même temps rendu cette jufiice, que dans cet'état même, fi  49§ Eloge dtangereux pour tant d'autres, il s'étoit toujours coridait avec les femirnens d'honneur & de probité qüi, dans tous les temps , ont etc la regie de fa vie. Ce genre fi rare d'illtiffratioa en vaut bien Un autre. M. Deffouclies le fils, dans la lettre mentionrje'e ci-deffus, fe p'aignoit encore de ce .que je n'avois pas rendu, felon lui, affez de jufiice a M. fon pere fur fes talens dramatiques; de ce que j'avois paffe fous filence plufieurs de fes Ouvrages, comme V Ambitieux , ïHomme fmgulier , les Phiiofophes amoureux , le Dijfipateur , la Force du naturel; enfin, de ce que j'avois parle avec trop peu d'eftime de la fauffe Agnès ék du Tambour nocturne. Je m'en rapporte fur ce point a la décifion- des Gens de Letttres,. qui ne m'ont pas , ce me femble, reproche' d'avoir e'té injuffe a 1'égard de M. Deflou hes. Les Pieces qu'on m'accufe d'avoir paffe fous filence, ou.n'ont eu que très-peu de fuccés, ou fi elles font reflées au Théatre, comme la Force du naturel ék 1''Homme fingulier, me paroiffent affez .peu dignes de 1'Auteur du Philofophe marié ék  de Destouches. 499 du Glorieux. Le Difjlpateur , qnoique trés-inférieur a ces deux dernieres Pieces , mérite, je 1'avoue , d'être diflingué; mais il n'a été mis au théatre que depuis la mort de M: Deftouches, ék j'ai cru ^après les deux chefd'ceuvres de^U.teur, je ne devois plus- qu'indiquer Iégérement fes autres Ouvrages. Je dirai cependant ici, que le Dïflipateur, quoique le fond de la Piece loit très-fufceptible de critique, renferme quelques fcenes vraiment plaifantes, ék que le dénouement a beaucoup d'intérèt. Quant a X Ambitieux, il neut qu'un fuccès médiocre. Mais les Comédiens en attendoient beaucoup ; dans' cette efpérance , ils fe prefferent de jouer la Piece, qui cecendant éprouva d'abord quelques diftkuhés , ék même quelque retardement , paree que le Cenfeur trouvoit dans le röle de ïAmbitieux des allufioiis trop marquées a M. Chauvelin , alors Garde desSceaux, ck Miniftre des Affaires étrangeres. II fut difgracié peu de temps après, ék on permit alors de jouer ï Ambitieux , av"ec quelques légers changemens. Les Comédiens avoient annoncé qu'ils joue-  5°o Éloge roient cette Comédie fans i'afficher', ce qui -leur aldra , pendant quelque temps, un grand nombre de fpeóTateurs. Elle parut enfin , & bientót la - foule difparut. L'Ouvrage mème feroit tombé , ftlon. toutes les apparences , des la première repréWntation , fans une fcene du cinquieme arde, que Mademoifelle Dangeville'rendit fuPérieurement, & qu'elle s'obffina a jouer malgrè M, Deftouches, qui, craignanr pour cette fcene , vouloit la fupsnmer. Ce cinquieme aéle, quoique médiocre d'ailleurs, foutint pendant quelque temps la Piece, dont les quatre premiers aéles avoient été très-froide^ ment recus.  T7 TT <0> «TV TT? JL-i Ij \J» \JT JU, ' D E JE A-N-B APTISTE S U R I A N> EVÊQUE DE VENCE; Né & Saint-Chamas en Provence, le 20 Sepiembre 1670 ; recu le iz Mars 1733 , ü /rt /^/tfce <2"e HENRïChARLES du CaMBOUT-, Duc de Coijlin, Evêque de Metz_; mort le 3 Aoüt, 1754. J"'lGNORE ( 1 ) les principales circonftances de fa vie , que fa modeffie ( 1 ) J'écrivois ceci en 1775. Voycï la note a la fi» de cet Eloge,  502 • Éloge nous a cacliées; mais ayant eu 1'honneur de Ie rempla'cer , ou plutöt de lui fuccéder dans 1'Académie , je prie le Lecleur de trouver bon que je remet te ici fous fes yeux 1'Eloge que j'ai confacré a la mémoire de ce refpeéfable Prélat, dans mon Difcours de réception. Quelque foible que cet Eloge puiffe paroitre , je ferois peutêtre encore plus mal aujourd'hur, & je ne puis que plaindre la mémoire de M. 1'Evêque de Vence, d'avoir été réduite , & dans fon fucceffeur ék dans fon Hiftorien, a un fi médiocre Panégyriffe. Voici 1'endrqjt de mon Difcours qui regarde ce digne prédéceffeur. » L'Académicien que vous pleurez, ». Memeurs , ne fut redevable qua » lui-même de la réputation ck des s> honneurs dont il a joui; il ignora » la foupleffe du manége , la baifeffe » de 1'intrigue, ék tous les moyens » méprifables d'aller aux dignités par » 1'aviÜffement;. il fut éloquent ék ver» tueux, ék ces deux qualités lui mé» riterent 1'épifcopat ék vos fuffrages... » Permettez-moi, Meflïeurs, de com» meneer 1'homrnage que je dois a  D E S U r#I A N. 50J 5> fa mémoire, par quelques reflex ions » fur le genre dans lequel il s'eff dif» tingué; j'ai puifé ces réflexions dans •»vos Ouvrages, ék je les foumets k » vos lumieres c<.... Je tracé enfuite , autant que mon peu de talent a_ pu me le permettre, les vrais caraéferes qui me paroiffent propres a 1'éloquence de la chaire ; &. j'ajoute : » Telle fut, Memeurs, 1'éloquence » de 1'Orateur qui eif .aujourd hui » 1'objet de vos regretsj elle fut tou» cbante ék fans art, comme ia Re» ligion ék la.vérité; il fembloit favoir » formée fur le modele de ces Dif» cours nobles ék fimples par lefquels » un de vos plus illuffres Confrères » infpiroit au cceur tendre ék fenfifale » de nofre Monarque encore enfant , . » les vertus dont' nous goütons aui> jourdhui les fruits (1). » Qu'il feroit a foubaiter que 1'Eglife » ék ia~Nation, après avoir joui fi O) Pitit Carcme èa Pere MaflTilIon, prèché cn 1719, dcvant le Roi, agé de neuf aas. "Voyez. 1'Eloge d? cc Prélat Académicien. '  504 E » O G E » long - temps de 1'e'loquence de » mon prédeceffeur , p.uffent en re» cueillir les refies après fa mort ! » La leclure de fes Ouvrages en »eut fans doute affuré Ie 'fuccès. » Mais M. 1'Evêque de Yence ,. par » un fentiment que nous oferions bla» mer, fi nous n'en refpeclions le prin» cipe , fe défia, conime il le difoit » lui-même, de fa jeuneffe & de fes » partifans : il fut trop e'clairé pour » n'être pas modefte. Son ame reffem» bloit a fon éloquence ; elle étoit » fimple & élevée. La fimplicité eft » la fuite ordinaire de 1 elévation des » feminiens, paree que la fimplické » confifte a fe montrer tel que 1'on » eft, & que les ames nobles gagnent » toujours a être connues. » Ce qui honore fur-tout, Me/fieurt, » la mémoire de M. fjEvèque de » Vence , c'eft fon attachement e'clairé » pour la Religion : il la refpecloit a> affez pour vouloir la faire aimer aux » autres; il favoit que les opinions des » hommes leur font du moins auffi » cheres que leurs paffions, mais font » encore moins durables quand on les 3> abandonne a elles - mêmes; que 1'erreur  Ö E SURIAN. 505 & 1'erreur ne re'fifte que trop a 1'éi> preuve des remedes violens ; que Ia » modération, la douceur & le temps t> de'truifent tout, excepte' la ve'rité. » II fut fur-tout bien éloigné de ce » zele aveugle & barbare, malheu» reufement fi commun de nos jours, » qui cherche 1'impie'té oü elle n'eft » pas, & qui, moins ami de la Re» ligion qu'ennemi des Sciences & » des Lettres, outrage & noircit des » hommes irréprochables dans leur y> conduite & dans leurs écrits. Oü » pourrois-je, Meffieurs, re'clamer avec » plus de force & de fuccès contre » cette injuftice cruelle, qu'au milieu » d'une Compagnie qui renferme ce » que la Religion a de plus refpec» table , 1'Etat de plus grand , les » Lettres de plus célebre l La Reli» gion doit aux Lettres & a la Phi» lofophie 1'affermiflèment de fes prin» cipes; les Souverains, 1'afFermiffë» ment de leurs droits , combattus & » violés dans des fiecles d'ignorancej » les Peuples, cette lumiere générale, » qui rend 1'autorité plus douce, 6c » 1'obéiffance plus fidele «. C'eft ainfï que nous tracions,, il y Tomé F, Y  506 È L O G E a plus de vingt-cinq ans , le portrait de M. 1'Evèque de Vence , d'après la leclure de quelques-uns de fes Sermons , qu'on nous avoit communiqués, & d'après 1'idée que le feu Pere de la Valette , aiors Général de l'Oratoire , nous avoit donnée de fon caraétere & de fa perfonne. Ce Général , qui avoit fort connu le Pere Surian , regrettoit beaucoup que , par le malheur des circonffances , les fujets de ce mérite fuffent devenus plus rares dans la Société qu il gouvernoit avec tant de fageffè. En nous montrant la maifon qu'il habitoit, ék dont une partie étoit alors abattue : Voila , nous difoit-il avecdouleur, la trifle image de Vétat acluel de notre Congregatlon ! Puiffent les circonffances plus fa.vorables oü elle fe trouve aujourd'hui, rendre cet état plus heureux ! Puiffe cette Société d'hommes honnètes ék paifibles, qui., dans des temps de trouble ék de perfécution , a donné tant d'exemphs de modération ék de fageffe , en donner de plus efficaces encore dans les temps de calme ék de lumiere oü nous vivons, ék condamner également, par fes principes  de Sur. i a n. 507 & par fa conduite , cet abfurde fanatifme de Religion , fi nuifible aux progrès de la Religion même ! Les Janfénifies ont fait, dit-on , a 1'Evêque de Vence les reproches les plus amers d'avoir coopére a la condamnation de 1'Evêque de Senez Soanen , & d'avoir e'té , comme ils le difent, un des Peres du Concile d'Embrun , qui dépofa ce pieux Evêque. Mais celui de Vence étoit fuffragant d'Embrun; il ne pouvoit guere fe difpenfer d'amfter a cette Affemblée , oü il étoit appelé par fon Métropolitain ; il ne penfoit pas d'ailleurs fur le Janfénifme, tout Oratorien qu'il avoit été , comme 1'Evêque de Senez, fon ancien Confrère dans cette Congrégation. Perfuadé que 1'Eglife avoit accepté la Bulle , a laquelle ce Prélat étoit fi hautement réfraclaire , il crut pouvoir fe joindre , fans bleffer fa confcience , aux autres Evêques qui prononcerent cette condamnation. Mais auffi rempli de charité que de bonne foi, il ofa blamer avec courage la rigueur barbare qu'on exerca contre ce vieillard vertueux & refpeclable, en 1'exilant dans un défert au fond y ij  508 Ë L O G E de 1'Auvergne. La Philofophie , fï indulgente pour les opinions des liommes , fur-tout en matiere de Religion, ,ou la confcience feule doit être leur .guide , foit aveugle, foit éclairé, ne ■i'eauroit défapprouver dansaucuneSecfe J'intolérance eccléfiafiique , puifqu'elle eff la fuite néceffaire de la liberté de confcience autorifée aujourd'ui par plufieurs Gouvernemens ; mais ce que le Sage léprouve , ou plutót ce qu'il a en horreur, c'efl la perfécution atroce & abfurde qui arrache un citoyen a la Sociéte , 1 émprifonne , le profcrit, J'exile , le privé même quelquefois de la vie, paree qu'il honore a fa maniere cet Etre fuprême , fi juite & fi bon, qui voit avec tant de piété, mais avec tant de clémence , les opinions , les difputes <3c les fuperffitions iwmaiaes.  DE S U R I A N. 509 NOTEƒ«/■ Vartich de M. VEvéque de Vence. P ^ ■ Jt LUSIEUR3 annees apres que j euS écrit cet article , M. Guerin , Avocat au Parlement d'Aix , a publié un Eloge de M. 1'Evêque de Vence , dont je vais tirer-quelques faits intéreffans p. 363 Sc fuiv,  DE MONTESQUIEU. 519 J» fcus ce pinceau male & énergique. » Les Critiques ne reprocherent a M. » de Montefquieu que de n'avoir pas » écrit en vers , comme fi la profe » poétique prouvoit le talent de la » Poéfie. Mais bientöt les connoiffeurs, » qui fouvent ne fe font pas entendre » les premiers, firent d'autres repro» ches au Temple de Gnide. » On s'appercut que le fond n'en » étoit pas affez attachant ; que la » fable en étoit petite , & noyée dans » trop de defcriptions; que les per» fonnages n'étoient.«ni affez caraclé» rifés, ni aifez variés; qu'enfin il y » avoit de la recherche Sc de 1'affec» tation dans le ftyle ; beaucoup plus » de galanterie & d'efprit, que de » fentiment & d'imagination, & qu'en » général I'Ouvrage n'étoit guere qu'un » lieu commun, parfemé de traits heu» reux. On fe fouvint alors que M. » de Montefquieu, dans les Lettres Per» fanes, avoit parlé des Poëtes avec s> affez de mépris, en exceptant ce» pendant les Poëtes dramatiques; & »1'on crut voir dans le Temple de » Gnide la prétention d'être Poëte  5*Q Ë L O G E » fans écrire en vers. On favoit quê » 1'Auteur avoit inutilement effayé » d'en faire; ék c'eft une foibleffë v dont plus d'un grand homme a été » fufceptible, de déprécier ce qu'on » ne peut atteindre. IL ejl coupable s> de Lefe-Poéjie, écrivoit M. de VolV taire. » C'eft a chacun de nos Lecleurs a » fe demander fi le Temple de Gnide » eft du nombre des Ouvrages qu'il » voudroit relire le plus fouvent. Le » mérite de cette Produétion eft affez » indifférent a 1% gloire d'un homme » auffi grand que M. de Montefquieu; » ék c eft par cette raifon qu'on s'eft » permis d'en parler avec cette liberté. » Je ne fais ft 1'Auteur de 1'Efprit » des Loix attachoit quelque impor» tance au Temple de Gnide, comme 5> les poffeffeurs des plus beaux palais » fe plaifent quelquefois dans une peis» tite maifon d'un goüt médiocre; 5> mais ce qui eft certain , c'eft que » la Poftérité ne i'a recu que comme 9 une bagatelle ingénieufe , décorée » du nom d'un homme de génie admirable (3); il m'a expliqué tout CO II parloit fans douts de l'Abbé de Rothelin, Editeur de ce Poëme après la mort du Cardinal. (2.) Vouloir-il déligner par-la M. Ie Beau, chargé par l'Abbé de Rothelin de la réftlïon de l'Antilucrece J (3) 11 y a apparence qu'il parle ici de M. de Mairan, grand Panégyrifte de 1'Antilucrece. Voyez fon éloge du Cardinal de PoJignac , dans i'Hifbire de l'Acadé:nie des Sciences de 1741.  524 Eloge » 1'Antilucrece , ck je men trouve fort » bien «. » La douceur de fon caracrere (dis feu Madame la Duchelfe d'Aiguillon , dans une lettre oü elle fait le détail de la maladie qui enleva M. de Montefquieu ) » s'eft foutenue » jufqu'au dernier moment. Comment » ejl Cejpérance d la crainte, difoit» il aux Médecins ? II a parlé conve» nablement a ceux qui font afïïfté » a la mort. Tal toujours refpeclé la » Religion ; la morale de VEvangile » ejl une excellente choje, & le plus » beau préfent que Dieu put faire J> aux hommes. Les Jéfuites qui étoient » auprès de lui, le preftbient de leur » remettre les correcfions qu'il avoit » faites aux Lettres Perfanes; il me » remit fon Manufcrit, en me difant : » Je veux tout facrifier a la raifon » & d la Religion , mais rien d la » Söciété; confultez^ avec mes amis, » & jugez^ fi ceci doit paroitre. l\ » prenoit part a la converfation, dans » les intervalles oü fa tête étoit libre. » L'état oü je fuis ejl cruel, me di» foic-ilj mais il y a bien des conjo-  DE MONTESQUIEU. 525». 5> lations ■ tant il étoit fenfible a 1'in» térêt que le Public y prenoit, & » a 1'affeétion de lés amis «. Nous avons dit que M. de Montefquieu n'accorda qu'avec peine au célebre Graveur Dacier , la perrniifion 1de faire fa médaille. M. Riftaut, NéJgociant de Bordeaux, & Direéteur |de la Compagnie des Indes, intime ami du Philofophe, allure , dans une lettre jadreffée a M. de Rulhiere , que ce |faitn'-eft.pas exaéf, quoiquenous 1'ayons Irapporré d'après un mémoire que la «familie nous avoit fourni. Voici 1'exStrait de cette lettre de M. Riffaut, Item om oculaire de ce qu'il raconte. » Je me trouvai a Paris en 1'année p 1752 ; j'y rencontra-i M. Dacier, » qui venoit de Londres, 6k qui alloit » faire un tour a Geneve. Je lui fis » quelques queftions fur le but de fon & voyage: il m'avoua qu'étant occupé V a faire une fuite de médailles des » grands hommes du Siècle , & ayant » appris que M. de Montefquieu étoit ; » actuellement a Paris, il y étoit venu ; 2 expres, & qu'il cherchoit quelqu'un » qui put fintroduire auprès de lui,  526 Ê L O G E y pour lui demander la permimon j> de prendre fon profil ék de faire fa » médaille. Je lui répondis que je me » chargerois volontiers de la commif» fion , fans ofer me flatter de réuffir. » J'écrivis a M. de Montefquieu pour V lui faire connoitre le défir qu'a» voit M. Dacier de Le voir, ék lui » demander le moment qui lui feroit » le plus commode. Mon Domefiique » revint avec cette réponfe de M. de » Montefquieu : Demain matin d huit » heures. Le lendemain , nous nous » rendimes chez lui , M. Dacier 6c » moi : nous le trouvames occupé a » déjeuner avec une'croüte de pain, » de 1'eau ék. du vin (1). Après toutes » les politeffes de part ék d'autre , » M. de Montefquieu demanda a Da» cier s'il avoit apporté avec lui queL » ques médaf les; celui-ci lui en montra » plufieurs. M. de Montefquieu s'écria » en les examinant : Ah ! voila mon. 5> ami Milord Cheftcrfield, je le re- (1) Cette circonftance , comme 011 le verra dans un monicm, n'efl: pas inutile.  deMontesquieu. 527 S> connois bien Mais M. Dacier, »puifque vous êtes Graveur de la » Monnoie de Londres, vous avez\ »fans doute fait la médaille du Roi » d' Angleterre Oui, Af. le Préfi- » dent; mais comme ce nefl qu'une » médaille de Roi, je nai pas voulu » Vapporter..... A votre fanté pour le » bon mot, dit M. de Montefquieu. » La converfation s'anima, & devint » d'autant plus intéreffante , que Da» cier avoit beaucoup d'efprit; auffi » au bout d'un quart - d'heure fat — il » venir très-adroitement cSc très-a pro»pos la demande qu'il fe de'termina » enfin de faire a M. de Montefquieu, » de lui permettre de prendre fon » profil & de faire fa médaille ; il » fit fur-tout beaucoup valoir la peine 9 qu'il avoit prife de faire le voyage » de Londres a Paris tout expres, » dans 1'efpérance qu'il ne lui refufe» roit pas cette grace, ficc. Après un » moment de réflexion, M. de Mon» tefquieu lui dit : M. Dacier , je f> n ai jamais voulu laiffer faire mon » portrait d perfonne ; la Tour & plu» fieurs autres Peintres célebres (qu'il ï> nomma ) inont perfécuté pour cela  ■518 Éloge, tkc. »pendant long-temps; mais ce que .»je n'ai pas fait pour eux, je le »ferai pour vous. Je fens, dit-il en » fouriant, qu'on ne réfifle point au » burin de Dacier, & qu'il y auroit » peut-être plus d'orgueil d refufer votre » propofition, quil ny en a d l'acy> cepter. Dacier remercia M. de Mon» tefquieu avec des tranfports de joie y> qu'il avoit beaucoup de peine a » modérer; il lui demanda enfin fon » jour : Tout a llieure,A\A répondit » M. de Montefquieu, carjenepourrai » peut-être difpofer que de ce moment; »je vous confeille d'en profiter. Dav> cier tira fes cra)Tons de la poche , » ck j'amffai une demi - beure a fon » travail. Je partis le furlendemain , » ck ne revis plus Dacier , qui, lorfy> que Ia médaille fut frappée, m'en » envoya fix : je n'en voulus accepter » qu'une , ék diflribuai a fon profit » les cinq autres, qui me furent bien» tot enlevées «. ELOGE  ELOGE D E . JE AN-FRANCOIS E O Y E R , ^ ÉVÈQUE DE MIREPOIX, Précepteur de Monfeigneur le Dauphin y fils de Louis XV; né d Paris le 12 Mars 1675 ; requ le 25 Juin 17)6 j dia place de jeanRoland MALET ; mort le 26 Juin *755 (0- (1) Voyez fon Eloge dans 1'Hiftoire de rAcadémie des Sciences , & dans celle de 1'Academie des Belles-Lettres. z Tornt V,   su ju KJ \jr su D'ARM AND, CARDINAL DE SOUBISE, G RAND - AUMONIER DE FRANCE , Evêque & Prince de Strasbourg y Commandeur de f Ordre du SaintEfprh ; né d Paris le premier Dé~ cembre xjXfl recu Ze 3 o Décembre 1741,0 la place de ChARLESArmand-RenédelaTremoille,Pair de France ƒ mort de 28 Juin. I756- U NE conftitution foible , qui nous a trop tót privés de cet eftimable Prélat, ck les places importantes qu'il eut a remplir , ne lui permirent pas de cultiver les talens de 1 efprit avec Zij  532 Éloge autant d'affiduité & de fuccès que d'autres Académiciens d'un rang diftingué, qui ont contribué ou qui contribuant encore a la gloire de 1'Académie, par des O.uvrages pleins de fraces , de philofcphie & de.gour. lais fi M. le Cardinal de Soubife ne put donner que des momens aux Lettres, il les aima du moins; il hoïiora ceux qui les cultivent, & qui joignent au don du génie Ia conduite & les mceurs ; il a entretenu dans nos cceurs, par fon attachement pour ja Compagnie, la reconnoiifance que nous devons a la Maifon de Rohan, dont le nom, fi refpeéfable a tant d'égards, doit nous être a jamais précieux comme celui des plus .illuftres & des plus conftans de nos Bienfaiteurs. On (peut voir dans 1'Hiffoire de 1'Académie , par M. l'Abbé d'Olivet, i'obligation fignalée que nous eiimes, vers le commencement du lïecle , a feu M. le Cardinal de Rohan , dont 1'acquifition flatteufe dédommagea la Compagnie de 1'efpece de dégout que lui avoit caufé le refus auquel un grand Magiffrat paroit avoir été forcé  du Cardinal de Söubise. 53 j' par des conjondures fingulieres (1). Ce n'eft pas la feule preuve que M. le Cardinal de Rohan ait donnée a 1'Académie , des fentimens qu'il avoit pour elle ; dans toutes les circonffances qui 1'exigerent, ou même qui le permirent ( 2 ) , il fut auprès du Roi Louis XIV & de fon Succtffeur, quï 1'honoroient tous deux de leur bienvei'lance , 1'interprete , & , pour ainfl dire, 1'agent de la Compagnie j elle avoit en lui a la Cour une efpece de Réfident zélé , qnoique lans titre , aufft ardent qu'éclairé, & toujours prêt a foutenir & a faire valoir nos intéréts, même fans avoir été chargé de rien. lüenfaiteur , en quelque forte , perpétuel de fes Confrères, a qui il étoit cher encore par les graces de. fon efprit, par la politeffe la plus fra/iche & la plus noble, par la confidération dont il jouilfoit, & qu'il faifoit, (O Voyez la note a Ia fin de cet Eloge. (1) Voyez dans 1'article de M. de la Mon* noye le zele & Ie fuccès avec lequel M. le Cardinal de Rohan défendit cet Académicien, attaqué & calomnié par des fanatiques. Z iij  534 Eloge en quelque maniere , reiaillir fur eux, il préféra 1'honneur de fe montrer 1'ami des Lettres, a Ia vanité de n'en être que le protecleur. ' L'Académie ne crut pouvoir lui témoigner d'une maniere plus flatteufe les fentimens dont elle étoit pénétrée pour lui, qu'en adoptant , de fon vivant même, M. l'Abbé de Ventadour fon neveu , depuis Cardinal de Soubife. Par cette adoption, elle dérogeoit a 1'efpece de loi qu'elle s'eft impofée, de ne pofféder que très-rarement enfemble deux Académiciens de même nom ; la Compagnie, qui, en conféquence de cet ufage , ne s'eft pas même permis d'avoir a la fois les deux Corneilles , crut pouvoir , fans inconvénjent, pofféder deux Robans, dont.elle connoiffoit le dévouement pour fes intéréts. M. le Cardinal de Soubife, quoiqu'enlevé a la fleur de fon age, avoit mérité , par fes talens & par fes vertus , toutes les places dont fa naiffance le rendoit fufceptible , & les remplit en homme qui avoit fu les mériter. 11 fut même reyêtu d'une dignité qui  du Cardinal de Soubise. 53? n'étoit nullement néceffaire pour illuffrer fa perfonne , mais a laquelle fa perfonne étoit néceffaire dans les circonffances oü il fe vit forcé de 1'accepter. il s'agiffoit de faire rétraéfer a 1'Univerfité de Paris fon appel de la Bulk Vnigenitus. Feu M. le Cardinal de Fieury, dont la foliicitude miniftérielle s 'étendoit jufqu'aux plus petits objets, & peut être y mettok quelquefois une importance qu'ils n'avoient pas, en attachoit beaucoup k cette rétrailation j il la regardoit comme devant être une époque difiinguée dans fon Miniftere , & comme un événement glorieux a la fageffe^ d'un Homme d'Etat. Dans cette vüe , il défira que M. l'Abbé de Ventadourfut élu Reéfeur de 1'Univerfité. Jamais tant d'honneur n'avoit illuffré le Rectprat, réfervé jufqu'alors a de fimples Régens de Colléges, honoré quelquefois par le mérite de plufieurs d'entre eux , mais auffi avili, comme il pourra 1'être encore , par 1'indignité de beau-i coup d'autres. M. le Cardinal de Fieury efpéroit, & ne fe trompoit pas, que le noni de Roban d'un' cöté , & de 1'autre 1'efprit de conciliation du jeune} Z iv  53°" Éloge Reéfeur, ferviroient a contenir ou a ramener les efpi its, & par ce moyen, produiroient tout a la fois avec éclat & fans trouble , la grande ope'ration qu'il avoit fi fort a cceur. L'appel fut en effet rétraéfé, non pas, a la vérité , fans re'fiff ance , mais avec beaucoup moins d'obffacles que n'en eüt rencontré quelque Reéïeur obfcur ék fanatique , que 1'Univerfité eüt aifément trouvé parmi'fes Membres. M. l'Abbé de Ventadour n'oppofa aux climcultés qu'il éprouvoit, ék. dont la Religion étoit le motif ou le prétexte, que les principes de foumifÏÏon a la Religion même j & fur-tout la modération , 1'honnêteté , la fage ék paifible fermeté de fon caraélere ; il vint a bout, ék même affez promptement, de cette rétraéfation tarit défirée, dont la confiance du Gouvernement s'étoit repofée fur fes foins. Enfin , lorfque le Miniffere irrité , quoique fatisfait, voulut févir contre les oppofans, M. l'Abbé de Ventadour en préferva plufieurs des coups dont 1'autorité les menacoit, ék il obtint, pour les plus coupables ou les plus opiniatres, des peines plus légeres ou plus douces que celles  du Cardinal de Soubïse. 537 t dont la févérité du pouvoir abfolu I vouloit les accabler. Non feulement M. le Cardinal de I Soubife a fervi ék refpeéfé les Lettres, I il les a même défendues publiquement 1 contre des imputations abfurdes ék calomnieufes. Le fujet de fon Difcours I pour la clóture des ' Sorbonlques en ï 173 9 j étoit : Quantum Regi & ReiI gublica prodejl fcïentia in fubditis ; I Combien il ejl avantageux aux Rois i & aux Gouvernemens que les Peuples | Joient éclairés; vérité fi frappante ék I fi elTentielle au bonheur des Nations y I qu'on s'étonneroit qu'elle püt trouver I des contradiéfeurs, fi le defpotifme I d'une part, ék la fuperftition de 1'autre, 1 ces deux fléaux du genre humain , J n'avoient pas un intérêt preifant de 1 la combattre ék de 1'étouffer ; vérité I qu'un Ecrivain de nos jours , plus 1 éloquent que Philofophe , a tache d'éI branler ou d'obfcürcir, par une bizar| rerie auffi étrange qu'affligeante , ék Ipar un amour effréné du paradoxe. 1 Ignorant ou feignant d'ignorer que le I premier principe de la morale ék de I la politique, celui qui eft le plus propre  53? Éloge a affurer la paix entre les Sociétés, & 1'union entre leurs Membres, eft fondé fur la connoiffance réfléchie de nos plus chers & de nos plus folides intéréts , & que plus les hommes auront de lumieres , plus ils verront qu'ils n'ont rien de mieux a faire pour leur avantage , que d'être juftes, vertueux, ftdeles aux Loix, a la Patrie dont elles font la fauve-garde , & au Prince chargé de les maintenir : Les jcélérats, a dit un Sage , craïgnenc la Jufiice, & les honnêtes gens craignent les Juges.  eu Cardinal de Soubise. 579 NoTEfurVartich de M/êCardinAL de Soubise. 'V'oici les circonffances de 1'entrée de M. le Cardinal de Rohan dans 1'Académie, telles a peu pres que M. l'Abbé d'Olivet les raconte. L'Abbé de Chaulieu , recommandé par feu M. le Duc, St plus encore par fes Ouvrages , fe préfenta pour fuccéder a Charles Perrault. Plufieurs Académiciens , entre autres M. de Toureil, alors Direéleur , étoient fort oppofés au choix de l'Abbé de Chaulieu , Sc craignoient d'ailleurs que la vie un peu épicurienne de ce Poëte aimable Sc Philofophe, ne lui attirat 1 exclufion du Roi. En conféquence , le jour même de 1'élecdion , M. de Toureil, pour écarter le Candidat , qui avoit en fa faveur un parti confidérable , déclara que M. le Préfident de Lamoignon fe mettoit fur les rangs; Sc a ce feul nom, dit M. 1'Abbé d'Olivet , toutes les voix fe réunirent. (Nous ne voyons pas trop par que] Z vj  54° É L O G É motif les aniis de l'Abbé de Chaulieu 1'abandonnerent en cette circonftance , ni pourquoi le nom d'un excellent Poëte devoit céder a celui de Lamoignon , tout refpeélable qu'il eft. Quoi qu'il en foit , M. le Duc , pour faire reparoitre l'Abbé de Chaulieu fur les rangs, pria M. de Lamoignon de refufer , 6c n'eut pas de peine a 1'obtenir. Louis XIV, qui ne vouloit point de l'Abbé de Chaulieu , auroit fouhaité pourtant , par égard pour fes Protedeurs, de n'être pas forcé de 1'exclure avant ou après ïe choix de 1'Académie ; il défiroit fur-tout de voir la Compagnie dédommagée , au moins par un grand nom, du petit dégout que le refus de M. de Lamoignon venoit de lui faire effuyer. Ce Prince ordonna donc au Cardinal de Rohan , qui alloit partir pour Strasbourg, de retarder fon départ de quelques jours, & de fe mettre fur les rangs. L'Académie fut encore plus emprelfée a 1'admettre, qu'elle ne 1'avoit été a nommer M. de Lamoignon ; 6c en même temps elle arrêta, pour fe mettre déformais a 1'abri des refus, que perfonoe ne pourroit do-  öu Cardinal de Soubise. 541 rénavant être propofé au Roi, ft quelque Académicien ne répondoit que le fujet élu accepteroit la place. II femble pourtant affez avéré, par des lettres qu'écrivirent alors a M. de Lamoignon quelques Académiciens , & qui ont été confervées par la familie (1), que M. de Toureil , en propofant ce Magiftrat, avoit répondu de fon acceptation , conjointement avec l'Abbé Boileau & Regnier Defmarais , alors Secrétaire de la Compagnie. S'étoient-ils impriidemment avancés , ou avoient-ils en effet tiré de ce Magiftrat une promeffe qu'il n'ofa tenir enfuite, pour ne pas défobliger deux Princes du Sang ( car M. le Prince de Conty étoit Ie fecond), qui s'intérelfoient vivement au fuccès de l'Abbé de Chaulieu ? C'eft ce que nous ignorons , & qu'il eft au- 1) Voyez Ia Viede M. le Premier Préfident de Lamoignon, par M. Gaillard , de 1'Académie Francoife & de celle des Belles-Lettres, page 46 & fuiv. Cette Vie, intéreffante & bien ccrite, a été imprimée d'abord a Ia tête d'une édition nouvelle, & publiée en 17S1, du Recueil de Jurifprudence connu fous le nom d'Arrétés de Lamoignon , & depuis, a Ia fuite de l'Hift. de Charlemagne, du même Auteur.  f4* É L O G E , &C. jourd'hui affez peu important d eclaircir. Nous favons feulement que l'Abbé Teftu de Belval (i) , un des Académiciens qui intriguerent le plus vivement dans cette affaire, défiroit, quoiqu'attaché a M. de Lamoignon , de voir entrer dans la Compagnie l'Abbé de Chaulieu , & qu'il exbortoit, par fes lettres, le Magiftrat a perfévérer dans fon refus. Toureil, pour s'en venger, fit une Epigramme, dans laquelle, après avoir peint l'Abbé Teftu fous des couleurs peu favorables, on fuppofoit que M. de Lamoignon difoit a cet Abbé : ........ . Tirez-moi de fouci; Oe cette Académie, en êces-vous auffi? Si j'en fuis, moi ? fans doute . & j'y régente en Maltre. Suffit, dit Lamoignon, je n'en veux donc plus être. (i) Mort en 1706. Voyez fon arricle.  Ju ju u u ÏL, DE BERNARD DE FONTENELLE,- Secrétaire de VAcadémie des Sciences, & Membre de celle des Belles-Lettres^ nédRouen le 1i Février i 6^y ; repu le 5 Mal 1691 , d la plac* de Jean-Jacques de Villayer ; mort le 9 Janvier 1757 (1). c Vjelui qu on va lire eft de feu M. Duclos j nous en avons parlé dans la Préface de nos Eloges, & nous eroyons i.a^\.V°yez {on E1°ge dans FHifloire de lAcademie des Sciences, & dans celle ds 1 Académie des Belles-Lettres,  e'efl le gras bagage que fenvaie d avance. La longue vie de M. de Fontenelle paroit encore entrer dans fon éloge , puifqu'il la dut en partie a fa fag-ffe, fans rien retrancher fur les plaifirs, du moins fur les vrais , A a iv  560 Éloge qui ne lont fondés que fur les beioins, & annoncés par les défirs. II ge s'en eft interdit aucun de ceuxla. II écouta toujours la Nature, fans lui commander des efforts : on ne foblige jamais a des avances, qu'elle n'en falTe payer les intéréts très-cher. Né avec un tempérament fain , mais déücat & foible, puifque, dans fon enfance, on ne croyoit pas qu'il püt vivre , il a rempli un fiecle par fa conduite, & non par un régime fuperftitieux, peut-être auffi contraire a la Nature que des exces. II fembloit que Dieu , en lui donnant une raifon fupérieure, 1'eüt laiffé le difpenfateur de fes jours. Auffi difoitii dans fes derniers momens , quand on 1'interrogeoit fur fon état, qu'il ne fentoit autre chofe qy\'unemgranda dlfficulté d'ccre. 11 mourut le 9 Janvier 1757; mais fon nom ne mourra jamais. L'EIoge de plufieurs Hommes illuflres n'eft qu'un hommage glorieux a leur mémoire, fans aucun fruit pour la Poftérité. M. de Fontenelle a iaiffé un exemple de ce que 1'efprit juffe  de Fontenelle. 561 & fage peut procurer de bonheur; mais on pourra peut-être lui appfiquer ce qu'il a dit de fon oncle Pierre Corneille , qu'il n'a laiffé fon fecret qu'a celui qui fauroit l'employer.   DE LOUIS BE BOïSSY, Né a Vic cn Auvergne le 26 Nc~ rembre 1694 ; repu le 25 Jout 1754, a la place de PJHILIPPE Néricault Destouches 5 mom le 19 Avrll 1758, AyaNT fait en Province fes premières e'tudes, il vint a Paris a 1 age de vingt ans , fans fortune, Sc preué de vivre. Le befoin impérieux de fubfifter, 6c la relfource , malheureufernent unique , que fa plume lui offroit pour fatisfaire a ce beloin , lui fit embraffer le genre d'écrire qui 'pouvoit Je plus aifément lui procurer des LecA a v]  5^4 Éloge teurs, mais qui devoit plus fürement encore lui attirer beaucoup d'ennemis. II fe fit a la fois connoitre & haïY par quelques Satires imprime'es, oü il attaquoit fans ménagement & fans diffincfion, tout ce que la Littérature avoit alors de plus célebre ; il portoit fes coups jufqu'a 1'Académie prife en corps , & fut en cela moins avifé que ne favoit été Defpréaux lui-même , malgré fon talent 6c fon goüt pour Ia Satire. Cet illuffre Ecrivain , n etant pas encore Membre de la Compagnie , avoit eu deffein de finir le premier Chant de fon Art poétique par ces deux vers, qui devorent terminer le portrait d'un mauvais Poëte : Et dans 1'Académie , orné d'un nouveau hiftre, II fournira bicntót un quarautieme illuftre. Mais il eut Ia prudence de les retrancber a 1'impreffion , pour ne pas déplaire a un Corps oü il avoit la fecrete envie d'entrer tót ou tard; car en 1'attaquant même , il étoit bien loin de le méprifer , & défiroit encore plus d'être le Confrère de Boffuet, de Corneille 6c de Racine, qu'il  de B o i s s y. 5.65 ne cralgnoit d'être celui de Chapelain, de Cotin & de Caffagne. M. de Boiffy ne fut pas auffi fage , & s'alie'na , par fon imprudence , tous ceux qu'il avoit befoin de ménager. C'eft ainfi qu'ont debuté plufieurs Ecrivains , qui, par ce fatal effai de leurs talens, fe font perdus a 1'entre'e de leur courfe. Celui dont nous parions en fit long-temps la triffe épreuve. II a fa'lu qu'il vieillit dans le repentir, & qu'il expiat, par de longs chagrins, les torts de fa jeuneffè, pour parvenir a les faire oublier, & pour recueillir de fes travaux quelques fruits tardifs, dont il n'auroit tenu qua lui de jouir beaucoup plus tot. On ne fcauroit trop répéter aux jeunes gens qui , nés avec quelques difpofïïions , entrent dans la carrière des Lettres , que fouvent le bonheur de leur vie tient encore moins au fuccès de leurs premiers Ouvrages, qu'a la nature de ces Ouvrages mêmes; & que la Satire fur-tout eft le genre le plus facheux par lequel ils puiffent s'annoncer. B eft vrai qu'un Auteur qui déchire fes Confrères , eft a peu prés afïuré, quelque groffiérement qu'il  566 Eloge les déchïre, d'être lu & quelquefois goüte' pour un moment , paree que la fatisfaclion de voir le mérite outragé, eft ie premier befoin de la méchanceté oifive & jaloufe ; mais 1'imprudent Ecrivain qui fe charge d'apprêter les poifons dont elle fe nourrit , eft encore plus für d'être promptement oublié , qu'il ne 1 étoit d'être applaudi quelques inflans; on ne peut échapper a cet oubli, qu'en joignant a la rage fi commune de medire, le talent très-rare de médire avec grace 6c avec fineffe. D'ailleurs, fi cette trifte 6c vile occupation fournit quelques fecours palfagers a la miférable exiftence de ceux qui s'y livrent, elle ne leur fait pas un ami parmi ceux qui les lifent , 8c même qui les encouragent: en vain le jeune 8c ardent Satirique fe pare de la proteciion feurde de quelques ennemis des Lettres, dont le nom lui paroit fait pour en impofer, mais qui, fans crédit comme fans honneur, font encore plus dégradés que lui-même dans 1'opinion publique; il ne devroit pas fe méprendre fur les motifs cachés de ces Protecfeurs bumihans, bien plus occupés de nuire„  » e B o r s s y. 567 s'ils Ie peuvent, aux talens connus, que d'appuyer la médiocrité qu'ils méprifent &. qu'ils immolent, en la faifant fervir a leur haine impuifTante & ténébreufe. Plus d'un Zoïle de nos jours mourroit de confufion & de douleur, s'il pouvoit entendre avec quel dédain profond & cruel fes prétendus Mécenes s'expliquent fur fes Produéfions & fur fa perfonne, s'il pouvoit être témoin de la baffeffe punime dont ils défavouent 1'indigne appui qu'ils lui prêtent, & qu'ils voudroient pouvoir cacher, comme ridicule & aviliffant pour eux. Un autre malheur attaché a ce métier déplorable, plus digne de pitié que de courroux , c'eft qu'après favoir d'abord embraffé par baifeffe, on eft réduit a la néceffité flétriffante de n'en point avoir d'autre, & de continuer a 1'exercer en frémiffant contre foi-même, paree qu'on fe voit avec remords privé pour jamais, & par fa faute, de cetteconlïdération perfonnelle, le plus précieux bien d'un Homme de Lettres: on éprouve le fort de ces Génies malfaifans de 1'Ecriture, qui, condamné» a des tourmens éternels, cherchenï  5 mais on ne les verrok plus avec le même plaifir, paree'que c'étoient comme des Vaudevilles faits pour le moment, & deftinés a pajfer avec lui. Notre parterre d'aujourd'hui n'entendroit plus fineffe a ce qui fut accueilli par le parterre de ces tempsla , trés au fait des fottifes , bientót oubliées , qui occupoient alors la Nation Francoife , & qui depuis ont fait place a d'autres, oubliées comme elles. M. de Boiffy a travaillé plus folidement pour un Théatre plus févere.; il a fait, pour la Scène Francoife , un grand nombre de Comédies, dont plufieurs fe voient encore tous les jours : on doit fur-tout citer avec diffinaion les Dehors tronipeurs , Piece de caraótere & d'intrigue tout  572 Eloge a la fois, pleine de fuuations contiques, écrite avec élégance ék facilité. On peut ia. mettre , finon a cöté de Ia Métromanie ék du Méchant, au moins dans le trés - petit nombre de vraies Comédies, devenues fi rares au Théatre Francois depuis trente années, & dont le moule femble être hrifé de nos jours. La ftériiité ou la pareffe des Auteurs trouve un fuccès, moins flatteur a la vérité , mais plus für ék plus -facile , da»s ce qu'on appelle le Tragique Bourgeois ; ils confentent a recueillir moins de gloire en s'expofant a rrfbins de dangers. M. de Boiffy, quelque befoin qu'il s eüt de réumr ék d'en faifir tous les moyens } femble avoir dédaigné derecourir a cette reffource. S'il "n'a pas toujours fait rire fur la Scène comique , il fe félicitoit au moins de n'y avoir jamais fait pleurer; tant il étoit convaincu que la Comédie doit êt?e la peinture gaie ék non pas affligeante de la Nature ék de la vie humaine. Mais ayant trop peu vécu dans le monde pour le connoitre , ék trop peu étudié les hommes pour les avoir bien vus, il a peint les hommes d'une  de Boissy. 57J touche plus légere que male, & plus taaie que vigoureufe. Auffi trouvet on dans fes Pieces plus de détails que de grands effets , plus de tirades que de icenes, & plus de portraits que de caracleres. La feule Comédie oes Dehors trompeurs annonce un Femtre plus obfervateur & plus prorund- elle parut même fi fupérieure a ies autres Pieces, que 1'Envie voulut la lui ravir , & prétendit que le fujet & le plan lui en avoient été donnés. Mais ce fujet & ce plan n'ayant été reclames par perfonne, il eft jufte de lui en laiffer fhonneur; & paree qu'il lui eft arrivé de faire, en cette feule occafion , plus de dépenfe que la podicité de fon fonds ne fembloit le lui permettre, on ne doit pas 1'accufer pour cela de s'être approprié le bien des autres. Ce n'eft pas la première fois qu'on a taché d'enlever a des Ecrivains eftimables, des produclions, dont les Auteurs prétendus fe feroient bientöt montrés, s'ils en euffent été les véritables peres. II eft bien rare & bien difficile que la Vanité foit affez généreufe pour renoncer gratuitement a la jouiffance perfonnelle de fes pro-  J74 É l O 6 E ducliorij, & pour en faire le facrifice a 1'Amitié même , qui ne recoit guere de fa part que des préfens très-modiques. Cependant cette Comédie des Dehors trompeurs, malgré fon fuccès & fon mérite , eut un Adverfaire dont le nom étoit fait pour en impoler a la multitude; c'étoit le Poëte Jean - Baptifle Pouffeau , que nous avons déja vu fi déclaré contre ]e Glorieux (i). Exilé depuis longtemps de fa patrie, méconient de lui-même & des autres, jaloux des fuccès qu'il ne partageoit pas , il ne louoit guere que ce qu'il avoit intérêt de louer , & déchiroit tout le reffe. Cet Auteur , 'conffamment réprouvé au Théatre, qu'il avoit d'ailleurs perdu de vue depuis long - temps, & dont il ne pouvoit plus connoitre le goüt, le ton & la maniere , s'expliqua , fur la Comédie des Dehors trompeurs, avec plus de fiel que d equité; il eüt mieux fait d'fn donner-une meilleure j 6c 1'on auroit pu lui appliquer ce (j) Yoytü 1'üloge de Deftouches.  de Boïssy, 575 vers d'une Tragédie connue , inutile iecon des Ecrivains difficiies & mé~ diocres : Vous fures maïheureux, flc vous hes «ruel ? M. de Boiffy, que fa-Piece des x^/ïorj trompeurs mettoit au ran^ des vra!S Poëtes comiques, avoit, dit on , Jorme le projet de faire «ne feconde y.omedie du mèm? titre, mais toute differente & prefque oppofée par le caraélere qu il vouloit y peindre. La première avoit offert fur la Scène un Jiornme ^ aimable & recherché dans ie* Societes paffageres & frjvoles, inlupportable dans j'intérieur de fa maiion, un homme tout au plus fait p0ur Itre une connaijfanct agréable , quoiqu indifferente, & ne fachant être ni amant, ni époux, ni ami. Jl vouloit tracer dans !3 feconde Piece wn ta* bleau moins commun , celui d'u« homme peu aimable dans la Société, infupportable même \ ceux- qui ne te vown qu'en paffant, & fccije pour tous ceux qui dépendem de lui 0li qui en ont befbin, Ce tablean, quolïMe le Monde en offre quelques mo-  576 Eloge deles, étoit plus difficile a tracer que 1'autre , non feulement paree que les originaux en font plus rares , mais paree que ce genre de contrafte de la bonté domeftique avec la durete extérieure, feroit peut-être moins piquant fur la Scène , que le contrafte oppofé de la bonté extérieure St de la dureté domeftique. Ce fut peutêtre la raifon qui fit renoncer M. de Boiffy a fon projet. II étoit d'ailleurs bien plus commode pour lui de compofer des Pieces ou il n'avoit a foigner que les détails, fans s'occuper beaucoup de 1'enfemble ; le fond lui étoit fi indifférent, qu'embarraffé quelquefois du titre qu'il donneroit a l Ouvrage , il prenoit le parti de laiffer ce titre en blanc, St de s'en remettre la-deffus aux Spetfateurs. Deux je fes Comédies ont pour titre la ***, & le Je ne faïs quoï; Sc le Public même, en les accueillant, les a trouvées dignes de ces titres, qu'il n'a pas cru devoir changer. Souvent même 1'Auteur ne cbercboic pas a traiter des fujets oü il put coudre une intrigue quelconque , & lier, bien ou mal, les fcenes en- ire  DE B O I S S Y. 577 tre elles. Un grand nombre de fes Pieces, fur-tout parmi celles que nous avons appele'es Vaudevilles du temps, font a fcenes de'tache'es, qu'on nomme autrement fcenes épijodiques; ce mot ne veut pas dire qu'on s'eft permis dans la Piece quelques épifodes, liherté qui eft un défaut; mais ( ce qui en eft un bien plus grand ) que dans la Piece tout eft épijbde, & rien n'eft fujet. Un nom plus pre'cis & plus jufte, qu'on donne encore a ces Comédies , eft celui de Pieces d tiroirs; expreflion d'autant mieux choifie , qu'elle eft en même temps & la qualification la plus propre , 8c la plus excellente critique de ce foible genre, affez femblable a ces lanternes magiques , dont les enfans s'amufent un inftant pour ne les plus revoir. Ces fortes de Pieces ont été, pendant quelque temps, plus a la mode ou plus to'érées qiTelles ne le feroient aujourd'hui : le Public en paroit enfin rafiafié; & les raifons de fon dégoüt font fi bonnes, qu'on doit fe flatter qu'il n'en reviendra pas. Privées de jeu , de marche 6c d'effet, 6c par conféquent froides Sc infipides par elles'lom V. Bb  578 Eloge mêmes, ces Comédies, fi toutefois elles méritent ce nom, ne peuvent couvrir leur nudité qu'a force d'efprit; & 1'efprit, qui , déja fi peu commun , vient rarement quand on 1'appelle, vit a peine un moment fur la Scène quand ii s'y montre feul; il a befoin d'aótion & d'intérèt pour obtenir au Théatre un fuccès durable ; fans ce principe de mouvement & de chaleur, il reffémble a ce cheval de l'Ariofle, le plus bel animal du monde , a qui il ne manque que la vie. M. de Boiffy auroit cependant pu trouver un moyen de prolonger 1'exiftence des Pieces a tiroirs qu'il a données j & les mettre en état de fe remontrer au moins quelquefois. Pour peu qu'on porte dans la Société, je 'ne dis pas un ceil philofophe, mais feulement un ceil attentif, tous les états , & prefque tous les jours, offrent une foule de traits précieux & originaux, foit de ridicule , foit de ca-1 raéfere, feit de paflion , foit de gaité J bien faits pour réuffir au Théatre, & par conféquent pour être faifis & employés par ceux qui courent cette briljante & dangereufe carrière. Quelques-  DE B O I S S Y.' 5f<) uns de ces traits peuvent fournir des fcenes complettes; la plupart peuvent au moins faire la fortune d'une fcene oü 1'on fcauroit les placer a propos. Nos Poëtes comiques, qui fe plaignent tant aujourd'hui de la difette des fujets , ne fe plaindront pas au moins, s'ils favent voir 8t obferver, de la difette des traits dont nous parions; 8t lnalheur a ceux qui n'enriJüffent pas chaque jour leurs tablette» de 1'abondante moiffon qu'ils peuvent faire a cet égard ! Voila les ve'ritables roatériaux des Pieces a tiroirs, les feuls qui puilfent vivifier & animer cette efpece chétive 5c informe. C'eft paria que Molière a fu donner quelque intérêt a fa Comédie des Fackeux, le modele des Pieces de ce genre, & prefque la feule qui reparoiife encore de temps en temps fur la Scène. Mais pour découvrir & raffembler ces précieux détails de la vie commune, il faut vivre beaucoup avec les hommes, & avec les hommes de toutes les conditions; 8c M. de Boilfjr vivoit dans la retraite ou dans des Sociétés obfcures 8c peu nombreufes. II n'eft donc pas furprenant, mais en Bbij  580 Eloge même temps il eft faeheux que cette mine fi feconde lui ait prefque entiérement échappé. Déja il avoit fait quelques progrès dans la carrière dramatique, 8c recu, difoit-ilj de la main de Thalie plufieurs couronnes, lorfqu'il ambitionna d'en recevoir auffi quelqu'une de la main de Melpomcne. II donna une Tragédie d' Alcejle , qui ne fut pas heureufe, 8t qui, malgré 1'honneur qu'elle eut d'être profcrite par le Gouvernement , fe vit encore peu rechercfiée. L'Auteur fentit que fa Mufe , agréable & riante, n'avoit pas la force & la chaleur néceffaire pour les grands tableaux 8c les grandes p/iffions ; il quitta donc bien vite, comme il le difoit encore, le poignard 8c le cothurne tragique, pour reprendre le mafque 8c le brodéquin comique, qu'il n'auroit pas du quitter; 8c des fuccès réitérés le dédommagerent avec ufure de ce petit moment de difgrace. Ses Comédies, quoiqu'en très-grand nombre , font prefque toutes en vers. II avoit, pour ce genre d'écrire, une facilité prodigieufe ; la Poéfie étoit comme fa Langue maternelle : d'ail-  deBoïsst, 5 S i leurs les détails dont fes Pieces font remp'ies, & qui en font Ie principal mérite , devenoient plus piquans ék. plus agréables par le coloris que Ia verfification leur prètoit, ék par une harmonie facile qui fervoit a les imprimer plus aifément dans la mémoire. Ajoutons (car pourquoi le diffimuler 1 ) que cette gaze brillante peut fouvent donner de 1'éclat a des idees qui , exprimées en langage ordinaire , paroitroient ufées ék communes. On eff obligé d'avoir plus d'efprit en profe; ék les Speéfateurs, fans en former expreffément le projet, exigent tacitement que celui qui les ralfenible au Théatre , pour ne leur parler que leur Langue naturelle, les dédommage , a force de chof'es, du plaifir que la Poéfie leur faifoit efpérer. L'Autenr du Philofophe marie & du Glorieux penfoit ainfi. La verfification , dit - il dans une lettre a un jeune Auteur, donne Jouvent du reliëf d de purcs fadaifes. Nous ne changeons rien a fes e.vpreffions; ék fon témoignage eft d'autant moins fufpeéf, que la plupart de fes Comédies , ék fur-tout les Bbiij  3S2 Éloge meilleures, font écrites en vers fi). Celles de M. de Boiffy, qu'on nous permette cette comparaifon, font des efpeces d'Opér.is , qui auroient perdu la moitié de leur mérite , fans cette forte de mufique vocale que la Poéfie leur prêtoit; mufique néceffaire pour produire tout 1'effét dont ces Ouvrages étoient fufceptibles: mais la gloire de 3'Auteur n'a rien perdu a fe procurer cet avantage , puifqu'il a fait dans fes Pieces, fi 1'on peut parler ainfi, la mufique &. les paroles. On a dit avec trop de févérité, des vers efiimables de M. de Boiffy , ce qu'on a dit avec trop d'indulgence des mauvais vers de plufieurs autres Comédies, qu'ils ont 1'effet de 1'accent gafcon, qui fait fouvent tout le fel des mots gafcons. Ce jugement feroit injufle a 1'égard de notre Académicien; fes vers ont un autre mérite que celui de n'être pas en profe; ils font femés de traits heureux , & qu'on défire de retenir; ils ©nt fur-tout un avantage dont on doit (i) Voyez Ia Notc (£).  DE B O. I S S Y. y$j aujöurd'hüi leur favoir gré plus que jamais; 1'efprit y eft toujours naturel, & exempt de ce jargon ridicule, a la fois puéril & barbare, dont plufieurs de nos Pieces modernes font ft erueilement in'fecTées; efpece de ramasje fatigant quoiqu'infipide, que la plupart des Speclateurs ont le bonheur de ne pas entendre, que les autres voudroient oublier , &. qui font demander aux gens de gout en quelle Langue ces Pieces font écrites. Son talent pour la verfification, & fur-tout pour celle de la Comédie , qui demande moins d'élévation que d'élégance , fut utile , non feulementau fuccès de fes propres Pieces, mais même a celui de quelques autres. Plus d'un Auteur comique, qui ne fe fentoit pas Poëte , & qui n'ofoit rifquer fur la Scène fes foibles Produóiions , revêtues d'une prole auffi foible qu'elles,. trouvoit, dans M. de Boiffy, un fecours prompt & für pour les élever a la dignité de Pieces en vers. Son peu de fortune lui permettoit de chercher dans ce travail une modique reffource j &. cet Ecrivain pauvre a fait, fur le Théatre. la petite fortune de quelques Bbiv  5&f Éloge pauvres Ecrivains. ]1 a même réum* quelquefois pour d'autres beaucoup mieux que pour lui-même; & il auroit pu s'appliquêr, a certains égards, ce vers de Philoéfete : j'ai fait des Souverains, & n'ai pai voula 1'ètre. Un de ces geais littéraires qui fe paroient fi fouvent de fes plumes , avoit trouve moyen de s'approprier une Comédie manufcrite , dont le plan & 1'exécution lui avoient paru promettre le fuccès; mais Ia Piece étoit en prole, & le plagiaire , pour avoir au moins quelque part légitime & réelle a la gloire qu'il efpéroit, avoit entrepris de verluier cette Comédie. II porta fon travail a M. de Boiffy, qui trouva qu'il n'avoit fait que mettre en mauvaifes rimes la profe élégante du premier Auteur, & qui lui offrit de la décorer d'une parure plus poétique. II eut bientót rempli fes engagemens; la Piece fut très-applaudie, & de plus elle eff reftée au Théatre fous le nom de 1'Auteur adoptif & fuppofé , qui n'en étoit ni le premier pere, ni même le fecond, & qui  DE B O f S S Y. 585 recueillit tout 1'honneur du fuccès, fans avoir fait ni le plan de 1'Ouvrage, ni la profe, ni les vers. Cette Comédie étoit celle de Zénéïde , une des plus agréables féeries qu'on ait mifes fur la Scène. M. Wateiet , qui en eff le véritable Auteur, témoin raodefle des applaudiffemens qu'elle recoit tous les jours, jouit ainfi paifiblement & fans bruit d'un honneur qu'il n'a jamais réclamé (r). M. de Boiffy eut, dans fa carrière dramatique , une aventure finguliere, quoiqu'eüe n'ait pas été unique. II avoit donné au Théatre Italien une Piece intitulée le Comte de Neuilly 7 qui n'eut point de fuccès; il Ia redonna , quelques années après , act Théatre Francois , fcus le titre du Duc de Surrej ; & la Piece , repréfentée par de meilleurs Acleurs , eut le bonheur de réufïir. Les Comédiens Italienscrierent au vol ; ils trouyerent mauvais que 1'Auteur füt parvenu a débi- (r) M. Watclet a depuis fait irapn'mer dansfes (Euvres, la Comédie de Zénéiie, telle qu'il i'avoit faite. Bby  5?6 Éloge ter, fous un autre nom, Ia marchandife qu'ils n'avoient pu faire palfer ; ils voulurent lui intenter un proces, pour avoir été plus adroit ou plusfieureux en changeant de maifon & d'enfeigne. M. de Boiffy , content de fa gloire , légitimement , quoique furtivement acquife , offfit, ou de leur abandonner la rétribution du Duc de Surrey, ou de leur donner une autre Piece , qu'ils auroientapparemment 1'art ou le bonheur de mieux faire valoir. Ils refuferent 1'un & 1'autre, & fe vengerent par une Parodie du Duc de Surrey , intitule'e le Prince de Surene, qui eut le fort de la plupart des Parodies , celui d'être fuivie quelques momens, & d'être enfuite oubliée pour jamais. L'accueil fi contradictoire &• fi difparate fait au Comte de Neuilfy & au Duc de Surrey, n'eft pas la feule occafion oü notre adroit parterre ait eu a fe reprocher 1'inconféquence facheufe d'applaudir dans un temps ce qu'il avoit fifflé dans un autre. On fait que Ia Tragédie fi intéreifante (XAdéldide du Guefcfin fut très-mal recue dans fa nouveauté , & qu'on daigna lecouter a peine; des raifon?  d e B o i s § y: 587 particulieres d'animofité avoient foulevé contre 1'Auteur une cabale puifTante, c}ui eut la force d'entrainer alors les Speétateurs ; trente ans après , les haines & les faétions s'étant calmées, la Piece ofa reparoitre, & fut même remife au Théatre fans aucun changement; elle recut alors les applaudiffemens qu'elle méritoit, & qu'elle continue de recevoir tous les jours fur la Scène Francoife. L'illuflre Auteur d'/^Je/fliV/eatémoignéfareconnoifTance 3 fes Juges d'une maniere auffi.* douce que fine, dans 1'efpece de Préface qu'il a mife a la tête de cette Tragédie , & que M. de Boifty auroit pu mettrede mème a la tête de fa Piece. On ne fcauroit fe moquer avec plus de grace & de légéreté de cette multitude orgueilleufe & moutonniere y qu'il faut traiter comme ces fots importans, qu'on méprife tout bas Sc qu'on careffe tout haut; car c'eft le fort des Auteurs dramatiques, d'avoir a compter avec cette populace imbécille , dont les déciöons bruyantes étouifent quelquefois long-t«mps la voix des vrais connoiffèurs, qui finiffent a la vérité par lui prefcrire ce qu'elle B b vj  5«8 Eloge doit penfer, ék lui diéter ce qu'elle doit dire. L'Auteur d'Adélaïde applique a cet Aréopage, fi ridiculement tumultueux, & fi plaifamment variable dans fes Arrêts, ie mot d'un Avocat Vénitien a des Juges qui avoient rendu, en deux mois , deux Arrêts contradiétoires fur deux affaires femblables : Vous venez^ , Mejfienrs , leur dit-il avec refpeéf, de me faire gagner ma caufe; vous inen ave^ fait perdre une toute femblable le mois dernier, & fempre ben 3 & toujours bien ; ék les Juges rirent tout bas de leur fottife, ék 1'auditoire rit un peu des Juges, & tout le monde fortit content. Cet lieureux fempre ben, peu connu en France avant la charmante Préface d'Adélaïde, eft devenu depuis, fuivant le génie de la Nation , 1'excufe gaie ék proverbiale des fottifes contradictoires de toute efpece , dont nous avons fi fouvent le plaifir d'être les témoins. M. de Boiffy , pour jouir pleinement de fon fuccès, auroit eu befoin de flatter, par un compliment femblable, ceux qui 1'ayant de même profcrit & abfous tour a tour, s'en prenoient a lui d^avoir été dupes;  DE B O I S S Y. 589 car en même temps qu'il avoit a combattre 1'humeur des Comédiens Italiens, il eut a effuyer auffi celle de quelques-uns de fes Speéfateurs, lorfqu'ils s'appercurent du piége , très-innocent en lui même , mais, felon eux, trés perfide , qu'il avoit tendu a leur goüt. Plufieurs d'entre eux fe déchainoient contre 1'infolence de 1'Auteur, d'avoir , difoient-ils , manqué de refpecl au Public ( 1 ) , dont il auroit dü voir en eux les repréfentans : De quoi vous plaignez-vous , leur dit ürt Speélateur Philofophe , qui rioit tout bas de leur méprife & de leur indignation? j'ai l'honneur d'être, comme vous, Membre du Public, & je ne me fens point ojfenjé de la 'petite ma~ lice que t'Auteur nous a faite ; pourquoi le feriez-vous plus que moi ? Je la lui pardonne de toute mon ame, & je vous conjkille d'en faire autant, de crainte que votre petite bévue & votre grande colere ne lui fournijjé le fujet d'une nouvelle Comédie , dont vous commencerez^aujjipar vousfacher^ (1) Yoyez la Note (c)»  $.9© Éloge1 pour finir, comme moi, par en rire1. Nous avons dit que M. de Boiffy étoit fans fortune; il avoit de plus fait un mariage, oü il avoit moins confulté les convenances que 1'inclination , & qui ne contribuoit pas a mettre plus d'aifance dans fa vie. Bientot il fe vit réduit a un degre' d'indigence , dont nous craignons d'autant moins d'expofer ici le tableau, qu'il fupporta ce malheur avec beaucoup de noble/fe & de courage. Gornme il connoiffoitl humiliante dureté des hommes, ck le mépris qui fuit la pauvreté, il ne parloit jamais de fa triffe fituation; il évitoit de paroïtre dans le monde avec 1'extérieur de la mifere, & il alloit mème quelquefois jufqu'a montrer aux yeux du Public, une efpece de fuperflu, au rifque de fe priver du néceffaire ddns fon intérieur domeftique. Cette privation fut au point, que, manquant un jour, fa femme ck lui, des alimens les plus indifpenfables, ils s'enfermerent dans leur obfcure retraite, réfolus de Iaüfer terminer par la faim leur vie-fit leurs fourfrances : la Providence 6c 1'Humanité viarent a leurs fecours, Vu  DE B O I S S Y. 59Ï tel état, qui donnoit fans ceffe a M. de Boiffy de preffans befoins a foulager, devoit le rendre affez indifférent fur le vain éclat des honneurs littéraires, peu ardent pour les obtenir, & peu habile a fe les procurer. D'ailleurs, naturellement timide, & d'un extérieur peu agréable, il ignoroit 1'art de fe produire , & il paroiffoit dans la Soeiété fort inférieur a fes Ouvrages: enfin , quoique fouvent couronné au Théatre, il y avoit été plus d'une fois malheureux; & le Public, fi in-' duigent pour certains Auteurs, &. fi impitoyable pour d'autres , paroiffoit fe fouvenir de fes chutes encore plus que de fes lauriers, Mais fur-tout fes premières Satires avoient allumé contre lui la haine, qui ne meurt point , même en feignant d'être endormie, Toutes ces raifons lui fermerent longtemps les portes de 1'Académie Francoife , fur laquelle il avoit pourtant des droits légitimes par fes talens & fes travaux ; il y fut enfin recu a lage de foixante ans; &. pendant prés de quatre années qu'il vécut avec fes Confrères, il leur fit regretter, par la douceur de.fon commerce, de luiayoij  592 • ÉLOGE fait attendre plus de vingt années Ia juftice qu'ils lui avoient enfin rendue. S'il n'avoit pas a leur égard fon innocence originelle Sc primitive , c'étoit au moins un pécheur bien corrigé, dont la converfion fincere & folidement affermie, étoit plus précieufe que 1'innocence même, par la perfévérance qu'elle promettoit, & par les fruits qu'on avoit droit d'en attendre. A peu pres dans Ie même temps ou il fut admis parmi nous, il avoit été chargé de la compofition de la Gazette de France & de celle du Mercure; car la fortune, laffe enfin de le perfécuter , fembla vouloir, par des faveurs accumulées, le confoler, fur Ia fin de fa vie, des rigueurs qu'elle avoit fi long-temps exercées a fon égard. M. de Boiffy ne garda pas long-temps la direéfion de la Gazette, qu'il avoit acceptée d'abord par néceffité plus que par goüt; il s'étoit acquitté de cet emploi comme on s'acquitte d'un travail de commande , & auquel on n'eff pas propre ; il ne tarda pas a fentir qu'avec de 1'efprit, de la facilité pour écrire , & des fuccès dans une carrière plus orageufe, on  de Boissy. 591 peut échoaer dans un genre moins brillant a la vérite' , mais qui • exige des connoiffances de de'tail, & une exaclitude minutieufe, peu faites pour ceux qui ont goüté les charmes de la Littérature agre'able. 11 fe renferma donc dans la compofition du Mercure, beaucoup plus aifortie aux objets dont il s'étoit' occupé toute fa vie. Auffi rendit-il ce Journal intéreffant par la variété qu'il fut y répandre, & qui doit faire fon principal mérite. Ün lui rcprocba néanmoins de n'avoir pas mis dans fes extraits., 6k fur-tout dans ceux qu'il donnoit des Pieces de Théatre , la critique éclairée qu'on devoit attendre de fon expérience & de fes lumieres, & qui pouvoit être de quelque utilité pour le progrès de 1'Art dramatique ; mais le Journaiifle , trop réformé peut-être par les malheurs que lui avoient attirés fes premières Satires , fembloit s'être condamné aux éloges pour faire pénitence ; il aimoit mieux vivre en bonne intelligence avec fes Confrères les Gens de Lettres, que de fatisfaire, aux dépens de fon repos, la ma'ignité du Public. Peu lui importoit que fes Lee-  594 Éloge teurs fuffent un peu moins amufés j pourvu que les Auteurs fuffent con- tens , ou honteux de ne pas 1'ètre, & pourvu fur-tout qu'il achsvat fa carrière en paix , fans ennemis 6c fans querelles. Cette carrière fut terminée d'afTez bonne heure par une maladie longue & douloureufe , qui fit périr notre Académicien lorfqu'a peine il commencoit a goüter les douceurs de la vie. 11 fe plaignoit en mourant, que la fienne n'eüt pas été ou plus courte oU plus longue , ck que la deflinée n'eüt pas abrégé fes malheurs en le privant plus tot du jour, ou ne lui eüt pas permis de jouir de fon bonbeur plus long-temps. II fembloit prévoir le peu de momens que cette deflinée lui a cordoit pour être heureux ; car, femblable a ces homme* affamés, qui furchargent un eflomae long temps privé de nourriture , il ufoit de fa fortune en homme qui 1'auroit cru prête a lui échapper ; fa dépenfe alloit jufqu'au luxe, & prefque jufqu'au faffe; mais il avoit fi long-temps attendu 1'opulence , elle lui avoit couté fi cher, qu'on lui par-  de Boissy. 595 donnera fans doute de n'en avoir pas fait un ufage plus modéré. Pourroiton lui envier quelques inftans de profufion & d'ivrefiè, achetés par foixante ans d'infortune & de larmes ? 11 a laiffé un fils , qui s'eft, comme lui, Hvré aux Lettres, mais dans un genre bien différent, & même oppofé. Le pere n'avoit aimé êc cultivé que la Poéfie agréable & légere; le fils s'eft enfoncé dans les épines de 1'érudition la plus effrayante Sc la plus aride. II a donné des preuves de fimnienfité de fon favoir dans une Hiftoire de Simonide, qu'il a plus chercbé a rendre recommandable par la profondeur des recherches, que par les agrémens du ftyle. On pretend que le pere Sc le fils ne faifoient pas grand cas de leurs talens réciproques, Sc il étoit difficile que 1'indifférencemutuelle qu'ils avoient 1'un pour 1'autre comme Auteurs, ne répandit pas un peu de froid dans 1'intérieur domeftique; auffi les a-t on entendus fe plaindre quelquefois 1'un de 1'autre; mais comme en en favoit la raifon fecrete , on s'emprelfoit peu de chercher quel étoit le coupable. Heureufes les fa-  596 Eloge milles , fi elles n'e'toient jamais divifées par des querelles plus férieufes ! notes fur Partiele de M. de B o i s s .y. de Voltaire , dans une Lettre a M. de la Harpe , qui avoit daigné répondre a quelqu'un de ces Satiriques, .s'exprime avec encore plus denergie fur cette vile profeffion. » Lorfque Ia » raifon, dit-il, les talens, les mceurs de » ce jeune homme auront acquis quel» que maturité , il fentira 1'extrème » obligation qu'il vous aura de favoir » corrigé. II apprendra qu'un Satiri» que , qui ne couvre pas par des talens » éminens ce vice né de 1'orgueil & » de Ia balfeffe , croupit toute fa vie » dans 1'opprobre- qu'on le bait fans » le craindre, qu'on le me'prifê fans » qu'il faffe pitie' ; que toutes les » portes de la fortune ék de la con» fidération lui font ferme'es ; que » ceux qui font encourage' dans ce » métier infame, font les premiers a  de B o i s s y. 597 r> 1'abandonner ; & que les hommes » méchans qui inftruifent un chien » a mordre, ne fe chargent jamais de i> le nourrir «. » Si 1'on peut fe permettre un peu » de fatire , ce n'eft, ce me femble, » que quand on eft attaqué. Corneille, i> vilipendé par Scuderi, daigna faire » ua mauvais Sonnet contre le Gou» verneur de Notre-Dame de la Garde. » Fontenelle , honni par Racine & » par Boileau, leur décocha quelques » Epigrammes médiocres (i). II faut » bien quelquefois faire la guerre dé» fenfive. II y a eu des Rois qui ne » s'en font pas tenus a cette guerre » de néceffité «. (b) Quoique la plupart des Comédies données a» Théatre par M. de Voltaire , ou fimplement irnprimées, foient écrites en vers , & que ce grand Poëte ait plus d'intérêt que perfonne a faire valoir le charme d'une verfi- (i') Il en faur cxxcpter rEp:grammc de FonIcnelle fur la Sutire de Boikau contre les pcrames.  598 Éloge fication élégante & facile , cependant il avoue , dans fes Remarques fur Molière , a 1'occafion de VA vare t qu il peut y avoir de très-bonnes Co~> tnédies en profe ; il ajoute même , comme nous venons de 1'obferver d'après Deftouches, » qu'il y a peut» être plus de diftkuité a réuffir dans » ce ftyle ordinaire, ou 1'efprit feul » foutient 1'Auteur, que dans la ver» fification , qui , par la rime, la ca»^lence & la mefure, prête des or» nemens a des idees fimples, que » la profe n'embelliroit pas C'eft fans doute pour prouver cette aflertion par un nouveau & brillantfuccès, que ce grand homme a écrit en profe la Comédie de YEcoffoife, dont les traits charmans, & les fcenes, tantöt intéreffantes , tantót plaifantes , ne lailïent point a défirer qu'elle foit en vers. On peut en dire autant d un autre Drame, qui vraifemblablement ne réuffiroit pas moins au Théatre que 1'Ecoffoife, ft elle étoit d'un genre qui put en faire tolérer la repréfentation. ( c) Quelqu'un a remarqué avec  DE BoiSSY. 590 raifon , qu'au lieu du mot de Public, tant prodigue' a tort & a travers dans les converfations & dans les Ecrits, on feroit fouvent très-bien d'employer celui de vulgaire , que la Langue Francoife nous fournit fi heureufement pour exprimer cette multitude, qui a rant de langues & fi peu de tètes, tant d'oreiiles & fi peu d'ye-ux.  ELOGE  Au JU \j> \jr jgj D E PIERRE-LOÜIS M.O R E A U DE MAUPERTUIS, De V'Académie des Sciences ■ né d Saint-Malo, ie 28 Septembre 1698; repu le 19 /«i/i 1743 , d la place de Charles-Irenée Castel de St. - Pierre ; mon le 27 Juillet . (O- (1) Voyez dans 1'Hifcoire de 1'Académie des Sciences. 2W ^. Ce   JU JU \J \jr JU D E L O U I S-G U I BE GUJERAPIN DE VAURÉAL, ËVÈQUE DE RENNES, Grand d'Efpagne de la première Clajjè ; né en 1687,' repu le 25 Septenibre 1749 , d la place ^'AjlMANB GASTON, Cardinal de Rohan; mort le 19 /«in 1760. 1.VJL» de la Condamine, fuccefieur de M. 1'Evêque de Hennes dans 1'AC c ij  6o4 Éloge cadérnie , a fait , dans fon Difcours de réception , un Eloge hiflorique de ce Prélat, a peu pres femblable a ceux .qu'on prononce dans la plupart des autres Sociétés littéraires ; nous ne ferons prefque ici qu'abréger cet Eloge. 11 feroit peut-être a fouhaiter que- tous nos Récipiendaires en euffènt ufé de même a fégard de leurs prédéceffeurs L'Hifloire des Académiciens fe trouveroit toute faite dans les Difcours de réception; & ce genre d'utilité dans nos Difcours , vaudroit bien ces éloges d'étiquette fi fouvent répétés , dont il feroit temps de nous afFranchir. M. l'Abbé de Vauréal fut attaché dès fa jeuneffe , en qualité de GrandVicaire, a 1'Evêque de Meaux, non pas Jaques-Bénigne Boffuet, mais Ffenri de Thiard, Cardinal de Biffy, qui par fon zele ardent pour faire accepter la Bulle Unigemtus par le Clergé de France , donna lieu aux Janfénifles fes ennemis, de publier qu'il n'étoit dans cette affaire que 1'Agent du Jéfuite le Tellier. On ne doit pourtant pas douter que le zele de ce  DE V A U R É A L. 60$ Prélat ne füt pur & fincere, p»*ifqu'il crut pouvoir calmer les fcrupules de Louis XIV mourant, en fe chargeant de répondre a Dieu pour le Monarque , de la perfécution exercée contre les ennemis de la Bulle. M. l'Abbé de Vauréal, bien moins par déférence que par principes , étoit aura perfuadé que M. le Cardinal de Biffy, de la néceifité de feNfcut* mettre a cette décifion du S. Siége; il penfoit, a 1'exemple de 1'Evèque de Lugon, Buffy Rabutin ( i ) , que ceux qui, comme les Janféniff es, veulent être a toute force enfans de 1'Eglife Romaine , doivent être réunis avec elle dans la même croyance, & qu'il faut renoncer a la qualité de Catholique , fi 1'on fe permet de rejeter , par quelque raifon que ce puiffe être, ce que les Juges nés du Catholicifme, le Pape Se les Evêques, ont évidemment décidé ; mais plus il croyoit la foumiflion néceffaire , plus il étoit convaincu que la violence n'étoit pas (i) Voyez 1'Article de 1'Evêque de Lucou. C c iij  £o6 Eloge le moyen de 1'obtenir. II fe condui/ÏE d'après cette fage maxime, dès qu'il fut nomme' a 1'évêché de Rennes ; car tandis que cette Bulle , qu'il acceptoit ék protégeoit, mettoit le feu dans vingt autres diocefes, il fut maintenir le fien en paix , ék conferver le dépot de la Doéfrine fans perfécuter ceux qui vonloient 1'altérer; il fut ferme fans intolérance , vigilant fans rigorifme, ék détruifit plus de Janféniffes en paroiffant ignorer leur exiftence , que fes zéiés Confrères n'en convertiffoient par les lettres, de cachet les plus libéralement muitipliées. Mais ce qui nous intérelfë birn davantage ,. c'eft qu'il eut au plus haut degré la première des vertus d'un Evêque, celle qui le feroit prefque difpenfer de toutes les autres, ou lui feroit au moins pardonner de ne les pas avoir, la bienfaifance ék la charité. II verfa les plus abondantes aumönes dans le fein des pauvres de fon diocefe; il leur prodigua les fecours dans les temps de calamité ék de difette; ék ce qui refte aujourd'hui  de Vauréal. €of de ces infortunés, verfe encore dea larmes en prononcant fon nom. Les plus refpeérables qualités des hommes, font celles que célebre la bouche de3 malheureux ; & il n'y eut peut-être jamais d'éloge funebre comparable a celui que firent de Louis XII les Crieurs publics , en allant le long des rues , & en répétant a chaque pas : Le bon Roi Louis , pere du Peuple, ejl mort. M. 1'Evêque de Rennes joignoit a fes bonnes ceuvres le mérite de les cacher , mais de les cacher fincérement & de bonne foi. II ne reffembloit pas a ces bienfaiteurs hypocrites, qui voulant avoir a la fois le mérite de la charité & celui de la modeffie, n'affeéient de taire leurs aumónes de projet 8c de commande , que pour fe procurer plus de moyens de les divulguer a petit bruit; non feulement M. 1'Evêque de Rennes taifoit les fiennes, il favoit très-mauvais gré a ceux qui trahiffoient fon refpeclable fecret; 8c fa charité dédaignoit toute autre récompenfe que celle qu'il trouvoit dans. fon coeur. C c iy  6°8 Éloge II lainoit pourtant voir fes acles de bienfaifance lorfqu'il croyoit que I exemple en feroit utile aux Prélats les Confrères, fl leur donnoit fur-touf cet exemple dans fes vifites diocéfai*e%£ie" différent de quelq"es Princes de i fcghfe , dont Ie paifage dans les campagnes, ainfi que celui des Princes temporels, les déiole comme un torrent, au lieu de les fertilifer comme une rolee falutaire , M. 1'Evêque de Rennes^, lorfqu'il vifüoit fon diocefe , fe faifoit fuivre d'un fourgon chargé de vivres, afin que fon féjour ne fut pas onéreux a fes Curés. II a plus fait encore pour fa Province que pour Ion troupeau. C'eft a lui que la Bretagne eft redevable de la fage Admimftration, établie depuis quarante ans, pour Ja répartition & la perceptiort des impóts, Adminiftration vraiment paternelle , & telle que la diéïoit la Nature , «vant que la fatale théorie des finances en eüt obfcurci les principes. Son attachement pour fon diocefe ne lui permit pas de le perdre de vue, lors même qu'il eut été nommé  DE VAURÉAL. 609 a rAmbaflade d'Efpagne. Qüoiqu'éloigné de trois cents lieues du troupeau dont il e'toit che'ri, il veilla toujours k fes befoins; mais les devoirs de 1'Evêque ne prirent rien fur ceux de 1'Homme d'Etat. II remplit avec diftinétion 1'ernploi important dont il étoit chargé; non feulement il fut fe faire effimer de Philippe V & de fes Miniftres , il gagna même 1'amitié de Ja Nation; il effaca les traces qui reftoient encore de cette antipathie que 1'Efpagne avoit eue fi long-temps pour la France, & qu'elle paroiffoit n'avoir pas tout-a-fait perdue, quoique la France eüt depuis long-temps oublié la fienne. M. 1'Evêque de Rennes s'exprimoit avec grace & facilité dans fa converfation & dans fes Ecrits. Ses Dé-n pêches paffent pour des modeles, & fon Difcours de réception dans cette Compagnie , eft d'une éloquence noble & fimple , digne d un Prélat Académicien. II préfida vingt-fix ans aux Etats de Bretagne, oü il fit ufage plus d'une fois , pour le bien de la Province , de fon talent pour la paC c v  éio Eloge role, &. de fon efprit de conciliation, Son zele patriotique , quelquefois oppofe' aux vües de la Cour, lui attira des difgraces; mais ces difgraces n'eurent de durée que ce qu'ii en falloit pour faire connoitre la droiture de fa conduite, & pour donner du prix & de 1'e'clat a fes vertus. Nous ne craitrnans point de dire a fes vertus, malgré tout ce que la haine de fes ennemis a pu faire peur les ternir, d'autant plus fure d'être crue ou du moins écoutée , qu'elle trouve toujours la malice humaine prête a la feconder & a 1'applaudir. M. 1'Evêque de Rennes eut des dêfauts fans doute il étoit homme : mais ces dêfauts tenoient a la franchife ék a la fimplicité de fon caraclere. jl put être accufé de quelques écarts paffagers; mais ces écarts étoient 1'effet de Ia fenfibilité de fon ame. Enfin, a tous les reproches juftes ou injuffes qu'on pourra lui faire, nous répoHdrons par ces feuls mots, faits pour impofer filence a la calomnie ék a la médifance même: II fut humain ék généreux , il airna & foulagea fes femblables \ s'il eut  deVauréal. 6*11 quelquefois, comme on 1'a pre'tendu, un ton plus militaire que paftoral, il eut une indulgence , une bonté plus paflorale que militaire ; s'il y eut quelques taches dans fa vie, fa charité, fuivant 1'expreffion de Dieu même , les a abondamment effacées. Peu de Prélats ont aulïï bien connu que lui la force & letendue de la maxime la plus confolante de 1'Evangile ; maxime qu'on ne répete pas affez, & qu'on pratique moins encore : Celui qui aitne fon frere, a accompli la Lo'u CC Vj:  612 Éloge No te Jur VEloge de M. t Abbé DE VAURÉAL. On prétend qu'après fa mort, quelques Cfianoines de Rennes voulurent engager le Chapitre a demander une indemnite' aux héritiers. Ces Cfianoines, dit-on, drefferent une liffe exacte des feffins e'pifcopaux auxquels le Chapitre doit affifter tous les ans. Ils foutinrent que 1'abfence du Prélat, même pendant fon ambalfade a Madrid , n'avoit pas dü priver le Chapitre de cette redevance, & qu'il falloit exiger de la fucceifion une fomme confidérable par forme de dommages & intéréts. Le Chapitre de Rennes, trop fage pour écoüter cette propofition , en eüt été détourné d'ailleurs par une plaifanterie qui eut un grand fuccès; c'étoit une Requête des Apothicaires , qui demandoient a être recus partie intervenante , & a partager avec les Chanoines la fomme demandée, pour dedommagement des purgatifs que  DE VAURÉAL 6iJ les Chanoines auroient e'té obligés de prendre, a raifon des nombreufes indigeflions dont les fefiins épifcopaux étoient conffamment fuivis. Tous nos Lecleurs peut-être ne goüteront pas cette anecdote; aufli ne la rapportonsnous, que paree qu'étant arrivée au dix-buitieme fiecle, elle paroitra digne du douzieme , ck faite pour ies Chanoines du Lutrin , ou pour les Moines de Rabelais. Defpréaux ou le Curé de Meudon eh euffent bien fait leur profit, s'ils avoient pu ou la favoir ©u fimaginer.   Ju ju \J \jr ju D E JEAN-BAPTISTF; MllABAUBj Secrétaire des Commandemens de Son Alteffe Royale Madame la Duchejfe d'Orléans } né d Paris en 1675 ; repu le 28 Septembre 1726 , d la place de HlNRI - LiCQUES nompar de caumont , Duc de la Force ; élu Secrétaire perpétuel le 19 Novembre 17^2 , d la place de Claude-Franc;ois Houtteyille; mort le 24 Juin 1760. So n premier état fut très-différent de celui d'Homme de Leitres. II entra  6i6* Éloge dans Ie fervice, & fe trouva a plufieurs batailles, entre autres a celle de Steinkerque, oü il fe comporta'comme s'il avoit attendu de la profeflion des armes fa re'putation & fa fortune. Mais le goüt de la retraite & de f étude, que la Nature lui avoit donné, 1'emporta bientót fur toute autre paffion ; cp goüt fe fortifia encore en lui par 1'avantage qu'il eut de connoitre dans fa jeuneffe le célebre la Fontaine, dont le génie 6c la fimplicité étoient bien propres a faire aimer 8c refpeéler les Lettres. M. de Mirabaud conferva toujours pour Ia mémoire de cet homme incomparable, la plus touchante 8c la plus tendre vénération. II en parloit encore les larmes aux yeux dans les derniers temps de fa vie • ii ne pouvoit cacher fon indignation contre les hommes, plus cruels, difoitil, que religieux , qui avoient troublé 8c tourmenté fes derniers momens. U ne pouvoit concevoir que des Miniftres du Dieu de clémence euifent traité cet homme, de mceurs fi douces, avec une dureté fi peu conforme au véritable efprit du Chriftianifme , *n le forcant d'expier, comme le plus  DE MlRABAUD. 6rjr atroce de tous les crimes , quelques Poéfies, condamnables fans doute , mais qui étoient plutót le fruit de la molle négligence de fa plume » que de la dépravation de fon cceurr, faute commife prefque fans deffein ck. a peine volontaire , dont le repentir feul du bon homme ( car jamais ce nom ne fut mieux mérité) eüt été Une réparation fuffifante aux yeux de la bonté fuprême. M. de Mirabaud aima tellement les Lettres, qu'il les cultiva trés-longtemps pour elles- mêmes, fans fe preffer de faire part au Public des richelfes qu'il avoit recueillies par 1'étude la plus affidue ck la plus éclairée. II avoit beaucoup lu, 5c encore plus médité; il avoit fait des extraits raifonnés de fes leéfures j il avoit corapofé différens Ovrages fur des objets intéreffans de Littérature , d'Hiftoire, de Philofopbie , 6c même , dit-on , fur les matieres les plus délicates 6c les plus importantes. Mais ce travail étoit pour lui feul, ou tout au plus pour quelques amis, a qui même il n'en faifoit part qu'avec une forte de  6i8 —É LOGE regret, & uniquement pour fe préter a leurs inflances. On' prétend qu'un ou deux de fes amis ( fi ppurtant on doit leur donner ce nom ) abuferenl de fa confiance , ék qu'il vk paroitre de fon vivant quelques - uns de ces Ouvrages , condamnés par lui-mème a 1'obfcurité philofophique. M. de Mirabaud défavoua conffamment ces enfans cachés , dont il n'avoit point, difoit-il, a fe reprocher 1'exiftence; foit que réellement il n'en fut point ïe pere, car fon fecret n'a jamais été pltinement connu, foit qu'il fe crüt en devoir de ne pas reconnoitre pour fiennes des produéfions qu'il n'avoit pas deftinées a voir le jour. Ses talens ne furent pas entiérement perdus dans le temps même oü il cherchoit a les cacher. Attaché de bonne heure a la Maifon d'Orléans , il a contribué, par fa conduite & par fes lumieres, a conferver, dans cette augafie Maifon , le goüt qu'elle a de tout temps marqué pour les Lettres, ék 1'effime dont elle honore les Ecrivains diffingués & vertueux. Notre digne & refpectable Confrère, M. de  BE MlRABAUD. 6ig Foncemagne , eft un exemple nvant (i) de cette eftime, que Ia voix publique av prévenue , & qu'elle luiafïure depuis fi long - temps. M. de Mirabaud fut chargé de 1'éducation de deux jeunes Princeffes, auxquelles il fut fe rendre aufli agréable qu'utile ; ii cultiva, par fes lecons , les graces de 1'efprit qu'elles avoient recues de la Nature , & recueillit la récompenfe la plus ftatteufe de fon attachernent & de fes foins; car ces deux aimables Eleves n'ontjamais ceffé, jufqu'a la fin de leur vie, de témoigner a leur digne Inflituteur, familie", • Ia confiance , ék, fi on I'ofe dire , le. refpeél qu'il leur avoit infpirés. Ce fut 'dans le cours de cette éducation , ék par une fuite des travaux 'qu'elle exigeoit de lui, que M. de Mirabaud prit enfin le parti de fe montrer au Public ; il donna une Traduclion francoife de la Jérufalem dé* _ (r) Cet efVmaWe & vertueux Académicien vivoit encore lorfcju'on écrivoit cet avticle dè M. de Mirabaud , au rnois de Septembre 1774-  620 Éloge livrée du Taffe. II falloit tout Ie mérite & de 1'Ouvrage & du Traducleur pour^faire gouter cette Produclion. L'arrêt , plus dur que jufte , lancé contre le Taffe par Defpréaux , avoit prévenu contre ce Poëte la plus grande partie de Ia Nation Frangoife, & même Ja plupart des Gens de Lettres, qui, ainfi que le févere Satirique, ne fachant que très-imparfaitement la Langue italienne, ne jugeoient Ie Chantrei d'Armide qae fur de mauvaifes Traduéfions , uniquement propres a le; défigurer & a 1'avilir. La préventioni étoit au point, que Michel le Clerc,, Académicien trop connu par une Epi- ■ gramme de IVine (i), ayant public! une Traduélion du Taffe en vers fran«. f ois, & ayant vu tomber cette Traduélion, profita de 1'injuffice du Public a 1'égard de fon Auteur , pour mettre a couvert fon amour propre., II n'eut garde de s'en prendre a fes; rers de fon peu de fuccès, & n'accufa , que fon modele. II ne fe reprocba pas I d'avoir mal traduit le Taffe, mais de (0 l'Epigramme fur Ipliigénie.  de Mirabaud. 6ir Favoir traduit; perluadé que Ja cenfure de Defpréaux, en profcrivant le Poëte Italien , avoit fait partager trèsinjufiement le même anatlième au Traduéleur. M. de Mirabaud rétablit le Taffe dans fes droits, en le montrant a Ia Nation Francoife dans un état au moins décent, oü il pouvoit être lu & même apprécié. On jugea avec raifon que ce Poëme , inférieur fans doute pour les détails , aux Poëmes épiques anciens , confacrés par 1'admiration de tous les Siecles , avoit peut-être aufïï plus de marcfie, de mouvement & d'intérêt; qu'il avoit fur-tout 1'avantage de pouvoir être lu de fuite dans une traduclion , non feulement fans dégout, mais avec un plaifir & une curiofité foutenue, tandis qu'Homere & \irgile ont tant de peine a fe faire lire dans toutes les verfions qu'on en a faites j paree que ces verfions, en faifant dilparoitre les beautés inimitables du deffein 6k du coloris', ne laiffent voir que les irrégularités de la compofition & de fenfemble. On rendit encore au Talfe une autre juftice j on reconnut, ce que Defpréaux  6^2 Éloge avoit enfin avoué lui-même (i), que cet Auteur étoit un génie rare, fublime , étentiu , né pour être Poëte & grand Poëte; qu'il joint a 1'imagination la plus brillante , la plus touchante fenfibilité ; qu'il fait , fuivant les fujets qu'il traite , employer également, & de la maniere la plus heureufe , la force, la nobleffe & les graces de 1'expreffion ; & qua 1'égard des dêfauts qu'on peut lui imputer, ces dêfauts étoient moins lesfiens, que ceux d'un Siècle oü la faine Littérature & le bon goüt commencoient a peine a renaitre. D'ailleurs la plupart de ces dêfauts avoient difparu dans la Tradudfion de M. de Mirabaud; il retrancboit, ou du moins voiloit avec adreffe, les faux brillans tant reprochés a 1'original; il réduifoit au degré de parure convenable, les ornemens trop recherchés; il fupprimoit enfin quelques longueurs qui rendoient 1 action froide & trainante. Auffi cette Traduclion fut-elle lue avec avidité ; (i) Voyez 1'Hiftoire dc rAcadénaie, in-n, tome II, page 166.  DE MlRABAÜD. 6ïf elle obtint le fuccès dont auroit pu fe flatter le Roman le plus agréable. Ceux qui ne pouvoient juger la Jérufakm ék YEnéïde que dans les copies informes de ces deux Poëmes, commirentune in jufiice oppofée a celle de Defpréaux; ils préférerent le Poëte Italien au Poëte Latin , paree que la copie eflimable du premier effacoit a leurs yeux les déteffables copies du fecond. Cependant, malgré le fuffrage public , ou plutöt a caufe de ce fuffrage même , 1'Auteur elfuya plufieurs critiques , & obtint jufqu'aux honneurs de la fatire. Les Italiens fe plaignirent comme d'un attentat, des retranchemens que M. de Mirabaud avoit faits a fon Auteur; ils auroient eu bien plus réelleraent a fe plaindre, s'il fe fut piqué d'une exaclitude fcrupuleufe; car il croyoit avoir, comme on vient de le dire , de très-bonnes raifons pour ne pas marcher fervilement fur les pas de fon original; ék la liberté qu'il s'étoit donnée, avoit pour but les intéréts de 1'original même. On fit au Traduéfeur d'autres chicanes fur 1'infidéÜté avec laquefle on 1'accufoit d'avok  ■52+ Eloge rendu quelques exprefïions qu'on ne pouvoit le foupeonner d'avoir voulu déguifer ou affoiblir. C'étoit une femme d'efprit, ltalienne de naiffance , & Auteur de profeffion , feue Madame Riccoboni (i) , qui attaquoit ainfi M. de Mirabaud , &. qui 1'attaquoit avec toute 1'aigreiiT des Scaligers & des Saumaifes. M. de Mirabaud, incapable de prendre le même ton avec elle , fe contenta de lui répondre , a h tête de la feconde édition de fon Ouvrage , le peu de mots qu'on va lire, vrai modele d'honnêteté & de modération pbilofoplvique, & qui, pour fhonneur des Lettres, devroit avoir plus d'imitateurs. » Une femme » d'efprit , dit- il , s'eft crue en droit » de faire 1'apologie du gout de fa Na» tion : elle m'a attaqué avec une cha» leur a laquelle je n'avois pas danné » lieu; elle a emprunté , pour écrire (i) Il nc faut pas la confondre avec Madame Riccoboni encore vivante, Auteur dc plufieurs Romans pleins de fentiment & d'intérèt, & qui, fans attacj'.'er perfonne , s'eft fait, par fes talens & fes Ouvrages, la réputation la plus jufle & la plus dillinguée. » contre  de Mirabaud. 625 » contre^ moi, la même plume dont s> Roffi s'étoit fervi en écrivant contre » le Taffe. Lorfque fon Ouvrage pa» rut, je le lus avec furprife, mais » ayec attention, & il m'a été utile. » J'ai corrigé , dans ma Traduéfion , » toutes les fautes qu'elle y a rele» vees, quand elles m'ont paru être » effectivement des fautes. Mon Ou»vrage en doit être meilleur : c'eft » un fervice qu'elle a rendu au Pu» blic aufïï bien qua moi. II feroit » feulement a fouhaiter que la maniere » dont elle m'a obligé lui eüt mérité » de ma part un peu plus de recon» noilfance. Elle alfüre que fi cetti » Traduclion , toute défeciueuje qu'elle » eft, n'a pas laifie d'avoir beaucoup » de fuccès, il cn faut conclure en » faveur de l'excellence de l'original. » On n'ignore pas cependant qüe cet » excellent original avoit été déja tra» duit plufieurs fois, fans qu'on rendit » aucune juftice a fon mérite : le Lec» teur en conclura peut-être que j'ai » eu le bonheur de faire ceder la » prévention oü 1'on étoit contre le » Taffe «. Tome V. Dd  526 Eloge La perfonne qui avoit critique' M. de Mirabaud avec tant d'amertume, avoit cru apparemment que fon nel ne fuffiroit pas pour le bleffer ; car elle s'étoit aidée de celui d'un Ecrivain plus exercé k la fatire, du fa-j meux Abbé Desfontaines , qui joignit des notes injurieufes k un texte déja très-offenfant. Cet homme , condamné a vivre , comme il 1'avouoit lui - même (i), du mal qu'il faifoit ou qu'il tachoit de faire, attaqua laTraduclion du Taffe avec les armes pefantes ék groffieres dont il étoit fi fujet a faire ufage. M. de Mirabaud , qui avoit cru devoir a Madame Riccoboni un mot de réponfe, fit a l'Abbé Desfontaines celje qu'on devroit touiour-s faire aux Satiriques de profeffion , le filence ék le mépris. On avoit reproché au Traducteur du Taffe de n'avoir pas mis dans fa profe affez d'expreffions poétiques. II s'étoit juftifié d'avance de ce repro- .' (i) Voyez dans 1'article de M. l'Abbé d'OJjvet quelques détails fur ce Satirique.  de Mirabaud. 617 che , en obfervant dans fa Préface , que les expreffions poétiques faifoient un mauvais effet dans la profe, & avoient befoin d'être foutenues de la cadence & de 1'harmonie des vers. Sa réflexion n'étoit pas fans fonde-ment; les expreffions poétiques étant hors du langage ordinaire , femblent avoir befoin, pour être placées a leur avantage , d'être liées a une forte de rythme & de mélodie réguliere , qui leur foit uniquement deflinée , 6c qui leur ferve comme de paffeport, en annoncant que 1'Ecrivain va parler une Langue peu commune. Le mélange de ces expreffions avec la profe, forme, comme 1'a dit M. de Voltaire, une' efpece batarde , dont M. de Mirabaud avoit fenti la bigarrure choquante. II eft pourtant vrai qu'on ne fcauroitfe flatter de traduire un Poëte en s'interdifant le ftyle poétique; le feiil moyen de tout conciüer , feroit de ne traduire les Poëtes qu'en vers ; mais c'eft un moyen de conciliation dont le fecret 6c 1'ufage ne font réfervés qua un petit nombre d'adeptes. Ddij  •6"i8 Éloge La Traduólion de la Jérufalem ouvrit 1'Académie a M. de Mirabaud; la Compagnie crut devoir préférer le Traduéleur élégant , qui enrichiffoit notre Langue du génie d'un Poëte étranger, a des Poëtes indigenes 8c indigens, qui n'auroient jamais 1'hcjnneur d'être traduits. Us murmurerent néanmoins beaucoup de cette préférence , Sc prétendirent que la Maifon d'Orléans avoit plus contribué que le Talie au choix du nouvel Académicien. Le Public leur a répondu en lifant tous les jours M. de Mirabaud, 8c en ne les lifant pas. Cependant une autre verfion du même Poëte , qui a paru tout récemment, & dont un Ecrivain très-célebre a palfé fauifement pour Être le pere, femble avoir un peu refroidi ce même Public a 1'égard de fon ainée. La nouvelle Traduéf ion femble avoir plus d'exaéfitude,de précifion, 8c fur-toutde chaleur Sc de mouvement, que 1'ancienne; mais celle de M. de Mirabaud n'a pas perdu tous fes partifans y nous pourrions citer des connouTeurs éclairés 8c féveres, qui la préferent encore a fa rivale , Sc qiii  de Mirabaud. 629 trouvent dans le premier Trad acteur plus de pureté , de naturel 8c de Flatté de 1'efpece de vie qu'il avoit redonnée au Taffe, M. de Mirabaud fe crut digne de lutter contre fon illuffre rival, 1'immortel Arioffe , 8c donna , quelques anne'es après, la Traduéiion de XOrlando Furiojo. Le Public d'ailleurs la lui demandoit , ck 1'attendoit même avec une forte d'impatience. Auffi fut-elle très-bien re911e , mais pourtant moins accueillie que celle du Taffe. L'intêrêt qui regne daas la Jérufalem dtlivrée, avoit fait lire la Jérufalem Frangoife avec autant d'empreffement que de plaifir. Ce même intérêt ne fe faifoit pas fentir dans YAriofte , dont 1'ouvraga libre , découfu, Sc , pour ainfï dire , toujours bondiffant, n'a pas, comme le Taffe, le mérite d'attacher par la marcbe Sc 1'unité du fujet. L'Ariofteeft cependant, fi 1'on en croit les Italiens, très-fupérieur au Taffe comme Poëte ; les Juges les plus éclairés de fa Nation , Sc qui, par la connoiffance fine de fa Langue, font en effet fes Dd rij  £30 Éloge Juges naturels, affurent qu'il réunit au plus haut degré le mérite & les charmes de tous les ftyles, imagination, harmonie, pureté, graces, force, nobleffe, élégance, fentiment, gaité; mais c'eft dans 1'original mème qu'il faut chercher & fentir ces beautés précieufes , dont les principales fineffes doivent prefque néceffairement difparoitre dans une Traduétion, &fur-tout dans une Traduétiqn en profe. L etude particuliere que M. de Mirabaud avoit faite , non feulement des Poëtes Italiens, mais des autres Ecrivains de cette Nation , lui avoit infpiré pour elle la plus grande eftime. On n'en fera point furpris, quand on obfervera qu'en effet les Italiens ont été , prefque en tout genre , les deyanciers & les Maitres des autres Peuples ; qu'ils avoient eu le Dante, Pétrarque & Bocace plus de cent ans avant que le refte de 1'Europe fecouat le jong de la barbarie; qu'ils ont cent Artiftes célebres, Peintres, Scutpteurs, Architeéfes & Muficiens , a oppofer au très-petit nombre dont les autres Nations, prifes enfemble , peuvent fe  DE MïRABAUD. f331 glorifier ; que dans la Philoiophie mé me , oü la fuperfiition les a, pour ainfi dire , garrottés des pieds a la tête, ils oieront encore nommer des génies inventeurs , un Tartaglia , uri Galilée, un Torricelli; quenfin , uri Génie bienfaifant venoit un jour briler' leurs cnaines , ils redeviendroient fans doute ce qu'ils ont été fi long temps, la première Nation de 1'Lmivers; &. qu'ils font un exemple de ce' qu'un Peuple peut devoir aux feuls bienfaits de la .Nature , comme les Anglois , de ce qu'il peut devoir aux feuls bienfaits d'une bonne Conftitution.- M. de Mirabaud , devenu Académicien, fe rendit cher a la Compagnie par 1'honnêteté de fes mceurs , comme il F étoit déja par fes talens; la place de Secrétaire étant venu a vaquer en 1741, tous fes Confrères fe réunirent pour le prier de 1'accepter : il y confentit , mais a une cortdition qui lui fait encore plus d'honneur que Ia place même; il déclara qu'il ne fe cbargeoit de cet emploi, qu'en renoncant au doublé droit de préfénce dont avoient joui fes trois D d iv  *>3 3 ÉLOGE prédéeefieurs iramédiats , & il s'expliqua fi netrement la-deffus, que 1'Académie fut obligée de donner les mains a un défintéiefTement fi digne d éloges. II n'avoit voulu que faire une aéïion honnête , & n'en attendoit rien que le plaifir de favoir faite; cependant il en fut récompenfe' bien au dela de fes défirs, par les démarches que fit la Compagnie pour lui ohtenir un. logement au L'ouvre, & une penfion , qui furent attachés a la place de Secrétaire. Ses fucceffeurs , en fe rappelant ,qu'ils lui font redevables de cette grace, fe rappelleront avec bien plus d'imérêt Ie procédé noble qui Ia lui a méritée. Après avoir , durant quelques années, exercé cette place, fon age & fes infirmités I'obligerent a s'en démettre. M. Duclos, qu'il avoit défiré pour iucceffeur, & que 1'Académie lui accorda , digne imitateur du défintércffement de fon ami, ne voulut a fon tour accepter le fecrétariat qu'en confervant a M. de Mirabaud le logement & la penfion dont il jouifioit a fi jufle titre. L'Académie vit avec  de Mirabaud. 633 attendriffement ce combat de généroüté entre deux de fes Membres ; ils donnerent, en cette oc afion, aux Gens de Lettres, un exemple qui fera peut-être plusloué que fuivi. Après plufieurs jours d'une conteffation fi refpeèf able , M. Duclos eut 1'honneur de 1'emporter, & M.' de Mirabaud celui de ne faire céder fa déücateffe qu'aux inffances de fes Confrères. C'eft dans ce logement que notre Académicien a fini fes jours avec la tranquillité d'un homme de bien ék d'un Sage ; il conferva jufqu'au dernier moment la ferénité de fon ame ék la netteté de fes lumieres. Quelques momens avant d'expirer , il envoya faire fes adieux a 1'Académie , qui recut avec douleur ces dernieres ëxprefiions des featimens qu il avoit toujours eus pour elle. Nous n'ajouterons plus qu'un trait a fon éloge. A un caraCTere naturellement doux, a une ame auffi d-oite 'que fenfible , il joignoit une franchife peu commune , ck une philofophie pratique d'autant plus vraie , qu'elle étoit fans éclat ék fans oftentation ; Dd v  634 Éloge les noms , les dignirés, le cre'dit, 1'opinion , rien ne lui impofoit filence fur ce qu'il croyoit raifonnable &. jufle. II avoit beaucoup connu & prefque élevé un Miniflre (1), auquel il eut quelque grace a demander fur la fin de fes jours, grace qu'il n'appeloit pas même ainfi , croyant avoir les droits les plus légitimes pour la réclamer. ■ Le Miniftre la faifant un peu trop attendre, M. de Mirabaud alla le trouver a fon audience, & avec cette liberté naïve, que fon age , fa vertu &. fa confidération perfonnelle lui permettoient : Monfieur, lui ditil , je viens vous dire publiquemeru que je fuis tres - mécontent de vous. Les protégés & les cliens du Miniflre, préfens a cette audience, & peu accoutumés, non 'feulement a tenir, mais a entendre un pareil langage , frémiffoient de crainte pour celui qui tenoit ce difcours. Le Miniflre, homme, de heaucoup d'efprit, & qui aimoit M. de Mirabaud & les Lettres, convint (t) M. le Comte d'Argen&n.  D E M 1 R A B' A U D. 635 de fes torts , embraffa le refpeclabïe Philofophe , &. lui accorda fans delai ce qu'il venoit demander. II avoit e'té quelque temps dans la Congrégation de 1'Oratoire ; mais nous n'avons pu en favdir précifément 1'époque. Ce fut vraifemblablement pendant quelques-unes des anne'es qui s'écoulerent entre fa fortie du fervice & fon entree au Palais Royal. II fut attaché toute fa vie , par reconnoiffance & par eftime , a cette Congrégation, quoique très-éloigné de prendre aucune part aux querelles théologiques dont elle a été fi long-temps la malheureufe viéfime. On a prétendu même , quoique fans preuves , qu'il pouffoit plus loin fon indifférence ; mais quand cette imputation auroit plus de fondement qu'elle ne paroit en avoir , les fentimens de M. de Mirabaud. pour fes anciens & eftimables Confrères, feroient un nouveau témoignage de ce que nous avons dit tant de fois, que cette P hilofophis , fi calomniée de nos jours , n'eft pas auffi ennemie de la vraie piété, qu'on affecf e de le croire ou de le dire 3 qu'elle refpeéfe la fertu Ddvj  636 Eloge dans tous les Etats & clans tous les Corps, & qu'elle ne fait'la guerre qua ï'hypocrifie intrigante Sc au fanatiime perfécuteur. On a mis le nom de M. de Mirabaud a la tête de 1'Ouvrage trop fameux , imprimé long-temps après fa mort, fous le titre de Syfteme de la Nature, & juffement écrafépar tous les foudres de 1'Eglife. Quelle apparence qu'un Philofophe citoyen comme lui, ait voulu enlever au genre humain la croyance de la Divinité, fi néceffaire pour confoler ceux qui fouffrent, & pour effrayer ceux qui oppriment ï Quelle apparence même qu'un Philofophe incrédule , mais éclairé Sc conféquent, n'eüt pas fenti que le véritable interet des Ecrivains qui veulent enlever la Religion aux hommes, eft d'armer, s'il leur eft poffible , la puiffance temporelle contre la puiffance eccltTiafiique , dont elle a eu fi fouvent a fe plaindre, & non pas, comme 1'Auteiir du Syfteme de La Nature , de perfuader aux Rois que les Prêtres font le plus ferme appui de leur autorité, &. par ia d'expofer tout a la  d t' Mirabaud. 657 fois finc-édüU'é a 1'anatfième ■ & a l'échafaud l M. de Mirab.md n'avoit pas fans doute le malheur d être Athée; mais s'il eüt été irréligieux ^ s'il eüt porté le zele de 1'impiété jufqu'a écrire en fa faveur , il auroit mis dans fes Ouvrages plus de circonfpeéfion & de fagelfê, 8c n'eüt pas fait de gaité de coeur, a 1'incrédulité, des ennemis puiffans 8c implacables.   É Ij O Ij" ^* DE CLAüDE S A L L I E R ; PROFESSEUR ROYAL EN HÉBREU, Garde de la Bibliotheque du Roi; ué d Saulieu en Bourgogne le 4 Avril 1 685 ; tepu le 30 Juin 1719 , d la place de SiMON DE LA LouBERE ; mort le 10 Janvier 1761 (1). (0 Voyez fon Eloge dans 1'Hiftoire de f Académie des Belles-Lettres.   V preuve , qui fait le plus grand hon| neur a la me'moire de feu M. le Dau\ phin. II avoit été dangereufemenc malade; un autre Prince du Sang 1'étoit i en mème temps que lui. Le pere de I ce Prince félicitoit M. le Dauphin I fur fon rétabliffèment , & ajoutoit : I J'aurois Jacrijzé la vie même de mon \fils pour fauver la votre.,.. Je le \ prots bien, répondit M. le Dauphin, j Dans les dernieres années de fa vie, 1 il rapportoit lui-même cette réponfe I en frémilfant ( c'étoient fes propres i termes) , de la déteflable éducation ;| qu'on lui avoit donnée. ( b ) Si 1'Humanité n'eft pas afTez ï heureufe pour que tous les Princes I regoivent aujourd'hui ces falutaires leI cons , il en eft au moins quelques-uns I qui ont eu le bonheur de les enten! dre, & qui fans doute auront celui  °4$ ÉLOGE de les iuivre. Elles forment Ia fubftance de 1'excellent Cours d'éducation, que feu M. l'Abbé de Condillac, notre illuff re & digne Confrère, a compofé pour 1'Infant Duc de Parme fon Eleve. Croira-t on qu'une ligue d'intrigans hypocrites & de fanatiques ignorans, ait manceuvré avec fuccès, foit a Parme, foit de plus loin , pour obtenir qu'un Ouvrage fi néceffaire aux Princes, imprimé par ordre exprès de i 1'Infant & dans fon palais, fut fupprimé avec la févérité Ia plus fcrupuleufe l Heureufement il a paru ailleurs; & ceux que la Providence appelle a gouverner les hommes, peuvent maintenant s'inffruire & s'éclairer. Tout Philofophe chargé d'élever un Prince, fait trés-bien de mettre fes lecons fous les yeux du Public. C'eft d'abord un moyen d'en rendre 1'utilité plus générale , & c'eft enfuite une apologie qu'il fe prépare auprès des Sages, ; fi fon Eleve ne répondoit pas a fes foins. ELOGE  il JU %J \jr Ju» D E JEAN-FRANCOIS DU RESNEL, ABBÉ DE SEPT- FONTAINES , .De V Académie des Belles- Lettres ; /zé d Rouen le 20. Juin 1692 ; /-epz /e 30 /kz« 1742, d la place deJEANBaptiste Dubos; mort le 25 Févr'ter 1761 (1). (1) Voyez fon Eloge dans I'Hiftoire de 1'Académie des Belles-Lettres." Tome V. E e   DE JOSEPH S E 6 U ï> PRÉDICATEUR DU ROI, Abbé de Genlis , Chanoine de Meaux; né d Rnodei en i 689 ; repu le 15 Mars 1736, dia place de jacques Adam ; mort au mois de Mars 1761. ï L fe confacra de bonne héuré a 1'Eloquence & a la Poéfie , & donna nes preuves du talent qu'il avoit pour 1'une & pour 1'autre. II fut choifi, en 1729, pour prononcer, dans la cbapelle du Louvre , en préfence de E e ij  6^2 É L O G R 1'Académie Francoife , le Panégyrique de Saint Louis; & 1'Académie fut fi fatisfaiee de fon Difcours, qu'elle demanda & obtint pour lui 1'abbaye de Genlis. Feu M. le Cardinal de Fieury, quoique protecleur peu zélé des Lettres , crut devoir donner a la Compagnie dont il étoit Membre , une marqué d'attachement & d'effime , en récompenfant, a fa priere , un Orateur qui annoncoit des talens & qui avoit peu de fortune. Quelques graces ainfi accordées avec économie ck furtout avec jufiice , donneroient a la chaire des fujets diflingués , dont elle a plus befoin que jamais depuis la mort des Boffuets & des Maffillons. La Religion ( on doit d'autant moins le diflimuler, qu'on a plus d'attacliement pour elle), eff en butte de toutes parts a des Adverfaires dangereux, les uns par leur dialeéliqae infidieufe , les autres par leur éloquence perfide. Si 1'ufage malheureux qu'ils font de leurs talens, n'eft pas capable d'éblouir les hommes éclairés, jl eft affez propre a féduire 1'aveugle multitude, pour faire défirer aux ames  DE S E G U Y. 65 J pieufes que Ia cawfe de Dieu foit Vengéepar des défe«feurs dign-is d'elle. te'Difcours de M. 1'Abbé Seguy méritoit la diftinelioa qu il obtint , fur-tout eu égard au temps oü il fut prononcé ; car il faut comenir que ['Académie a entendu , depuis quelques années, plufieurs autres Panegyriques, fupérieurs a celui dont nous parions ; mais 1'efprit philofophique, qui s'acc'orde fi parfaitement , quni qu'on e'n dife , avec Ia fte%ioh' bien pntendue, n'ofoit, il y a quanme ans , fe montrer encore cuins ce g nr« d'ouvrages, oü il a para depuis a\ ec tant d'éclat 8c de fuccès. Nous ne pouvons nous refufer ici a une réflextört frappante, bien propre a humilier ck a confondre les enriemis de la Pm> lofophie , fi quelque cbofe peut les confondre ck les humilier. C'eft que Saint Louis n'a jamais été célébré plus dignement que depuis que cette Pbilofopbie , ft décriée & pourtant ft bonne a tout, a eu le courage ou 1'adreife de s'introduire dans les Panégyriques de ce Saint Roi , & de s'y" maintenir, malgré les clameurs . E e iij  <55-4 Éloge de. 1'hypocrifie & de 1'envfe. Nous ofons ajouter que notre Siècle , a mefure qu'il s'eft éclairé , a rendu plus de juftice a ce Monarque , & a mieux connu le^ptix des vertus & des lumieres même qu'il oppoia a la barbarie de les contemporains. Cette réfiexion , qui paroit avoir échappé jufqu'ici a nos^ Orateurs, pourroit répandre un mtêrêt piquant & nouveau dans un Panégyrique de. Saint Louis, qui par-la feroit tout a la fois & 1'êloge de ce Monarque, & celui du progrès de la raifon. Un pareil tableau feroit plus ufilequed'infipidesdéclama;ionscon;re les Incrédules (i). Le Difcours de M. l'Abbé Seguy, applaudi par un audiroire fait pour le juger , & récompenfe' par un Miniftre Académicien , fut très-goüté du Public , qui ne ratifie pas toujours le fuffrage des hommes en place , ni même celui des Sociéiés littéraires. Le fuccès fut ft général, que 1'envie effaya , felon fon ufage, d'en dérober (i) Voyez la Note (<:).  de Seguy. 65? la gloire a 1'Auteur i on prétendit que ce Panégyrique étoit 1'ouvrage de la Motte ; mais qu'on compare le Diicours de M. l'Abbé Seguy a ceux de cet ingénieux Académicien , entre autres au bel éloge funebre du feu Roi , qu'il avoit prononcé dans 1'Académie quatorze ans auparavant, & 1'on trouvera le Panégyrifte de Louis XIV ft peu femblable a celui de Saint Louis, qu'on ne fera jamais tenté de les confondre. D'ailleurs , '1'Oraifon funebre du Maréchal de Villars, que M. l'Abbé Seguy prononca cinq ans après, & qui fut a la vérité fort critiquée, mats que 1'on voulut bien laiffer a 1'Orateur, n'eft point inférieure au Panégyrique qu'on avoit tache de lui enlever. L'Ecrivain cé:ebre auquel on attribuoit le Panégyrique de Saint Louis, ck qui n'avoit pas befoin d'un tel honneu/, étoit le même dont les infeéfes de la Littérature déchiroient les Ouvrages lorfqu'ils paroiffoient fous fon nom. Critiqué avec fureur quand il fe montroit en perfonne , la Motte ne recevoit plus que des louanges dès qu'on le foupconnoit , bien ou mal E e iv  656 E L Ö G E a propos , de s'ctre caché derrière tt!i autre; d etoit , comme nous l'avons déja drt dans une autre occafion fr): 1 Auteur défigné , * tout hafard , de prefque toutes ies'Produclions a-woutees , dont les Auteurs, ou gar'doient janonyme, ou fe nommoient fans que le FujJic voulür les en croire. Contradirijion piaifante, mais très-ordinaire a .a haine, & dont elle fe corrigera d autant moins , qu'elle n'a pas 1'efprit ee s en appercevoir. t'Orafferf funebre du Maréchal de villars, appuyée dun Prix de Poéfie, que W. l'Abbé Sêguy avoit fémporte* quelques années auparavant , lui ouvra en dépit de la critique , les portes dé 1 Académie Francoife. II y remplit flffez long-temps avec exaclitude les devoirs d'Académicien ; mais enfin degoüté du monde, & prefque dè h Société, il fe retira, quelques années frt-arij fa mort, dans la vüle de Meaux, dont ii etoit Chahlflné; il y  DE S E G Ü Y. 657 mourut en Philofophe Chrétien , qui avoit honoré les Lettres par fa fage conduite, & qui, fouvent vexé par des Satyres injuftes, n'y avoit jamais op~ pofé que le filence. Ce filence, dit très-bien M. le Duc de Nivernois (1), » n'étoit pas celui de la Philofophie, » c'étoit le filence de 1'humilité » Embarralfé de fa gloire, M. l'Abbé » Seguy fembloit, par une connivence » bien rare , fe concerter avec fes dé- » traéfeurs Ainfï il parvint a triom- » pher en partie de fa réputation ; » mais tandis même qu'il fe flattoit d'en » avoir arrêté les progrès, elle recevoit » malgré lui de nouveaux accroiffe» mens. Si quelque fonófion folennelle » demandoit un Orateur confommé » dans 1'art des Boflbets ck des Flé» chiers, tous les yeux fe tournoient » vers M. l'Abbé Seruy, & on le » forgoit a cueillir de nouveaux lau.» riers. Bientót las de ' corabattre fa ( 1 ) Difcours prononci dans VAcre knie Francoife a Li reception de M. le Prince I ouïs de Rohan, [uccejfeur de M. l'Abbé Seguy, Eer  65S • 'E L O G E » célébrité,-qu'il.'regardoit comme tin » écueil pour fa vertu , cet homme » rare prit le parti de fe fouftraire a » toute occafion de fuccès. N'ayant » pu fe faire méconnoïtre , il voulut » fe faire öublier , & il alla cacher » pour jamais fa vie & ia gloire dans » une retraite, oü fermant tout accès » a la vanité, il ne porta pas même » le/ouvenir de fes talens. Nos regrets » 1'y fuivirent, nos Arfernblëes le ré» clamerent plus d'une fois , mais en » vain , & nous refpeclames le mofif . » de fes refus «. Nous avons dit il n'y a qu'un moment , que M. l'Abbé Seguy avoit remporté un Prix de Poéfie a 1'Académie Francoife] il ne fut pas auffi heureux pour le Prix d'Eloquence, quoiqu'il eüt plufieurs fois concouru' & que 1'Eloquence parut être fon genre • plus que la Poéfie. II eut , tant a Paris qua Touloufe & ailleurs, plufieurs Prix de vers, & n'obtint jamais que des Accejfu pour Ie Prix de Difcours ; ce qui fit dire a un Géomerre Académicien (i), que l'Abbé Seguy O) M. de Mairan..  de Seguy. 6^9 étoit Xafymptote (1) du Prix d'Eloquence. On a rc-marqué a cette occafion , que plufieurs Prédicateurs diltingués avoient été couronnés a 1'Académie comme Poëtes, & rarement comme 1 Orateurs j que beaucoup de Poëtes trés-médiocres , pour ne rien dire de plus, entre autres le malheureux Gacon , ont remporté des Prix de Poéfie , & qu'en général la profe des Recueils atadémiques eft fupérieure aux vers qu'on y trouve. Quelle peut être la raifon de ces fingularirés, foit réelles , foit apparentes ? Seroitce que ces Prédi ateurs célebres , beureux dans la ehaire , & sialheureux dans 1'arene , avoient plus le talent d'entraintr les fuffrages par leur aélion que par leurs écrits ? Seroit-ce qu'en voulant selever au deffus d'emtmèmes pour atteindre a la couranne académique , ils étoient tombés au (O On aprelle en Géonitrie ttfymptott , une ligue d.oitc qui s'approchc courinüellement d'une ligne courbe , faas jainuis la ten-, contrer.  660 Éloge deffous de leur va'eur par les efforts même qu'ils avoient faits pour la furpaffer.? Seroit - ce que 1'Orateur , qui eft en même temps Poëte, doit avoir, quand il verfjfie , un grand avantage fur le Poëte qui n'eft pas Orateur (i) ? (i) Voyez la note 'b).  de Seguy. 66e NoTES fur Partiele, de M. VAlbé Seguy. (d) C^uciQUE la Pbilofopbie air ofé fe montrer de nos jours dans les PaÉégyriqüés de Saint Louis, quoiqu'ellé art: feulé-fait le fuccès de quelquesuns de ces Pafne'gyrfq^és . elle ne s'y eff pourtant'encore larlfé Voir qu'avec Une lof te de réferve , qui 'jufqu ici a été de la prudence , m'9is qui feroit enfin de la pufi!hnimité , ft elle crai"gnoit de lever la rète a mefufe.qué le Siècle cbem'ne & s'éclaire. Le feul moyen de rendre a 1'avenir le Panégyrique de Sairft Louis vraiment intéreffartt 6c vraiment utile , ce feroit de'ne pas fe bomer a faire I'élogë de ce Prince , qui fans doute étoit un grand homme , mais un grand homme ayant le malheur d'être Roi dans un temps d'igriorance; il feroit digne d'un Orateur Chrétien , éloquent 6c érlairé , d'avouer les fautes & les foibleifes du Saint Monarque en cé-  66a Éloge ïébrant fes vertus ck fes grandes ac- tions (i). Que de rérlexions piquantes, que d'inftruéfions précieufes pour les Peuples & pour les Rois pourroient réfulter de ce parallel e ? Un des Orateurs qui ont le mieux réufïï dans ce Panégyrique , le fit imprimer, il y a quelques années, avec des notes, a la tête defquelles il avoit mis les Loix pénales de Saint Louis contre les Hérétiques. Qwelqu'un dit alors que ces notes étoient Xerrata du Difcours. On n'auroit dü fe permettre de les imprimer, qu'en appréciant, comme elles le méritoient, les Loix dont il s'agiffoit, & en les oppcfant néanmoins aux Loix bien plus cruelles encore de Francois I & deHenrill, pour le même objet, quoique faites dans un fiecle plus e'clairé que le fiecle de S. Louis. C'eft fur-tout un grand écueil pour les Panégyrifles de ce Prince, que le« deux fuueftes croifades qu'il eut le (O Voyez Ia nete X fur 1'Eloge de M. l'Abbé de Choify.  de Seguy. malheur d'entreprendre. Prefque tous youdroient bien dire ce qu'ils en penfent , & les condamner hautement ; mais'ils craignent d'être denoncés & perfécute's comme ennemis du Chriltianifme Sc de fes défenfeurs. La plupart de nos Zélateurs modernes de la Religion , de ces hommes qui la voient par-tout outragée ou combattue , font fi éclairés & fi inftruits, qu'ils igncn rent que l'Abbé Fieury ( dont ils n oferoient accufer ni la foi, ni les lumieres, ni même le zele) a fait, comme nous 1'avons dit dans fon Eloge , un très-beau Difcours, oii il condamne fans détour les croifades, nommément celles de Saint Louis, Sc oü il parle de ces prétendues guerres du Seigneur avec plus d'horreur & dé mépris que ne pourroit faire le Philofophe le moins ardent pour la propagation de la Fói. Je ne vois, pour les Prédicateurs qui voudroient excufer les croifades de Saint Louis, qu'une feule reffource, encore eft-elle plus oratoire que fohde ; j'avois indiqué cette idéé a plufieurs Panégyriftes de ce Monarque , je 1'avois même développée fort en  664 E L O G É détail a quelques-uns deux : un feul, dont le Difcours n'eft pas imprimé, en a tiré" parti avec la plus grande éloquence. Ii condamne d'abord fans fnénagement les croifades comme elles le m-rirent. II avone avec franchife & mème avec indignation , que ces faims brigandages ont déshonoré la Religion Chrétienne , par les crimes atroces auxquels les Croifés fe font livrés fous les yeux mêmes de ces Inrldeles qu'ils prétendoient convertirj mais il ajoute .que plus les premières croifades- avoient nui a l'honnéur da 1'Evangde , flus celle de Saint Louis étoit devenue nécelfaire pour Je réparêr , pour détromper les Infideles fur cette Religion qu'ils calomnioient, pour leur en montrer 1'efprit &. le triomphe , non dans un Roi viétorieux & conquérant , mais dans un Roi vraiment Cmétien , fouffrant, humilié, toujours foumis au Dieu qui 1'envoie & qui 1'éprouve. L'Orateur montre , dans un tableau intéreffant des malheurs de Saint Louis , comment ce Prince , par le fpeótacle édifiant de fes vertus, de fon courage, de fa  de Seguy. 665 foi, de fa patience , & de fa mort, rempiit les vues de la Providence pour effacer 1'efpece ' d'opprobre dont le Chriftianifme étoit couvert; il termine cette grande-peinture en di'ant que la Religion, une fois vengée, fit enfin ceiTer ces guerres odieufes, & qu'il n'y eut plus de croifades après Saint Louis. Comme ce moyen de juflifjer bien ou mal les croifades, a été employé de la maniere la plus beureufe par 1'Orateur dont on vient de parler, & que cei\x qui emplederoient encore le même moyen ne pourroient que s'expofer a des redites, on leur con"feille , ou de palier déformais cet objet fous filence, ou d'ofer, en dépit de la calomnie & de 1'envie , profcrire courageufement ce que le plus refpeéfable des Hifforiens de 1 Eglife a fi francbement condamné. Si on -a 1'imbécillité de les accufer de PhiloJophie , qu'ils oppofent a cette accufation le Difcours de l'Abbé Fieury pour toute réponfe ; tant pis pour les Supérieurs Eccléfiaffiques qui ne feroient pas fatisfaits de cette juflifica-  666 Eloge tion , ou même qui auroient befoin qu'on s'en fervit auprès deux. Croiroit-on qu'il s'en eft trouve de nos jours, & des plus conftitués en dignité, a qui cet excellent Difcours n'étoit pas connu , & qui ont paru étonnés quand on leur en a appris 1'exiftence ! Leur furprife eft Ai même genre que les clameurs dont tous les couvens de Religieufes retentirent, il y a peu d'années, contre un Ecrivain célebre , qui , dans fon EjJ'aï fur VHiJloïre générale , avoit rapporté , quoique trés - briévement, les crimes fcandaleux de plufieurs Souverains Pontifes. On crioit a la calomnie & a 1'impiété ; le fanatifme ignorant n'en favoit pas d.ivantage , & peut-être n'eft pas encore détrompé. .Revenons encore un moment au Panégyrique de Saint Louis, & aux difficultés que doit y rencontrer 1'Orateur, reiativement aux lumieres ou aux idéés de notre Siècle. Si 1'on vouloit , par exemple, louer ou jufiifier du moins ce pieux Monarque des auftérités qu'il pratiquoit par 1'avis de  de Seguy. 667 fon Confeifeur , le Panégyrifte pourroit faire une affez heureufe application a Saint Louis , de ce que M. Thomas a fi bien obfervé fur la vie dure que menoit 1'Empereur Jnlien , fi différent d'ailleurs de Saint Louis a tous égards. » On dira peut-être (i) » que cette rigide auftérité eft pltttöt » la vertu d'un Cénobite que d'un » Prince. On fe trompe. On ne penfe » point affez combien , dans celui » qui gouverne, une vie auftere re» tranche de paffions , de befoins; » combien elle ajoute au temps, com» bien elle laiffé au Peuple , combien » elle diminue les moyens de corrup» tion & de foibleife , combien, par » 1'habitude de fe vaincre , elle éleve » Tame «. Cette réflexion augmenteroit encore de prix, fi 1'Orateur oppofoit en même temps la bienfaifance du Monarque pour fes Peuples, a fa fevérité pour lui-même , 6c embelliffoit ce contrafte de tous les ornemens ( i ) ElTai fur las Eloges, tonic I, page »