OEUVRES DIVERSES DE J. J. BARTHÉLEMY. PREMIÈRE PARTIE.  Cel ouvrage se trouve chez les libraires suivans. A Amsterdam, chez 1'Héritier C. N. Guérin: A Basle , chez J. Decker. A Berlin, chez Metra. A Breslaw , chez G. Th. Korn; A Francfort sur le Mein, chez Eslinger. A Genève, chez Paschoud. A Hambourg, chez Fauche et compagnie. A la Haye, chez J. Van Cleef. A Konigsberg en Prusse, chez F. Nicolovius. A Lausanne , chez Durand 1'alné et compagnie: A Manheim, chez Fontaine. A Milan , chez Barelle, nis. A Moscow, chez Riss et Saucet. A Naples , chez Marotta. A Strasbourg, chez Treutell et Wurtz; A Vienne, chez J. V. Degen.  OE U V R E S DIVERSES DE J. J. BARTHËLEMY. PREMIÈRE PARTIE. A PARIS, CHEZ H. J. JANSEN, IMPRIMEUR-LIBRAIRE, RUE DES PÈRES, N°. n95, F. G, lï A N 6me.;   PRÉFACE DE L'ÉDITEUR. J-jA réputation dun écrivain pendant sa vie, ne nuit que trop souvent a sa mémoire par lempressement quon a de publier après sa mort ses oeuvres inédites. A peine est-il expiré qu'on ouvre tous ses porte-feuilles j quon fouille les endroits de son cabinet les plus cachés, etc. Rien n'échappe k Toeil scrutateur de ses éditeurs, qui se Latent U vider le sac, suivant F expression de Fontetenelle, sans s'embarrasser guère de ce qui s'y trouve. De la cette quantité d'écrits » condamnés a 1'oubli par leurs propres aur teurs, qui n'ont cessé de paroxtre, au mépris a iij  VJ PRÉFACE quelquefois de leur dernière volonté. On a plus fait encore au commencement de ce siècle ; les moindres remarques, les anecdotes futiles , des bons ou mauvais mots , échappës aux gens de lettres plus ou moins connus , tout a été recueilli sous le titre èüAna, ouvrages dont le succès passager annoncoit déja la lassitude des esprits, le dégout du véritable savoir et la décadence des lettres. Le goüt des choses frivoles est pire que 1'ignorance , et précède toujours les tems de barbarie. Vint ensuite une foule d'ouvrages, les uns dérobés aux héritiers des auteurs ou publiés sans leur consentement, les autres altérés ou même supposés , plusieurs simplement ébauchés ou informes; enfin , presque tous jugés avectrop d'indulgence et adoptésavec peu de discernement. Jamais le triomphe «Je la licence ne fut plus complet : et Yimmoralité de notre siècle se manifestoit dans  DEl/ÉDïTETJR. Dij les actions qui en paroissoient le moins susceptibles. De ce nombre est sans doute celle qui fait outrager, par avidité , les manes respectables d'un homme célèbre, en mettant au jour des écrits posthumes qui peuvent obscurcirsa gloire. J'espère quon n'aura aucun de ces reproches a me faire dans fédition des OEuvres diverses deJ.J. Barthèlemy, Tillustre auteur du Voyage du. jeune Anacharsis. Quoiqu'elles ne soient composées que d'opuscules, de fragmens, de lettres, etc. , elles noffrent pourtant que des pièces qui font honneur ou a son esprit, ou a son coeur; dans lesquelles on retrouve son goüt, sa sagacité et son érudition. Toutes donnent de lui une idee avantageuse, et quelques-unes ajoutent encore a celle quon en avoit déja. D'aiüeurs, il avoit lui-même fait, en quelque sorte, le choix de ces pièces , puisqu'il en brüla, peu de tems avant sa mort; un grand nombre , vraisemblable-; a iv  Vii) V R 'i F A C E ment toutès celles dont il ne vouloit pag qu'après sa mort on fit Ie moindre usage. On n'entre ici dans aucun détail sur chacune des mêmes pièces, paree qu onle trouvera dans les avertissemens qui précédent les six sections , dans Iesquelles on les a classées. La première renferme un traité de morale; la seconde , un roman ; la troisième, unpoëme; Ia quatrièrne, des analyses httéraires; la cinquième , des mémoires sur Tantiquité, les arts , les fragmens d'un voyage en Italië; et la sixième ? quelques chapitres précieux dun traité de science numismatique , un mémoire ou compte rendu sur le cabinet des médailles , des lettres diverses etc. On na point osé mettre dans ce recueil les écrits de Barthélemy, qui font partie des mémoires de Facadémie des ins-: criptions et belles-lettres; ils y sont h Fabri des injures du tems et hors des atteintes .sacrilèges de Fignorance. D;ailleurs, le citoyen  DE l'^DITEÜR.1 ÏX Barthélemy de Courgai, neveu du savant académicien et zélateur e'clairé de sa gloire, se propose d'en former une collection particuliere , d'après les vues de son oncle, lorsquil aura publié la nouvelle édition du Voyage dAnacharsis, qui est actuellement sous presse. Trois éloges de Barthélemy ont paru peu de tems après sa mort. La première a pour titre Essai sur la vle de J. J. Barthélemy , par Louis Jules-Barbon Mancini Nivernois. II ne manque ni d'intérêt, ni d'agrément; cependant presque tout le succes en est du au nom de Tauteur ; il n'y donne qu'une idéé très-imparfaite du caractère et des ouvrages de Barthélemy, et les détails qu'il s'y permet sont quelquefois insignifians et souvent trop minutieux. Le second éloge se trouve dans un journal appelé la Décade Philosophkjue. On en est redevable au fameux astronome Lalande. Peu  X PRÉFACE versé dans les matières dont Barthélemy faisoit 1'objet principal de ses études, il ne sait pas les apprécier ; il connoït encore moins la vie privée de eet homme célèbre.i Au reste, ce qu'il rapporte sur le Voyage du jeune Anacharsis est tiré dun extrait de eet ouvrage, inséré dans Journal des Savans. Le troisième éloge a été publié dans le Magasin Encyclopèdique , et imprimé séparement; il est d'un ami intime de Barthélemy, son confrère a. facadémie des belles-lettres, appliqué au même genre d'érudition que lui. Quoiqu'on y lise des détails exacts, ils ne sont pas néanmoins complets, Tauteur ayant été obligé de se circonscrire dans des bornes étroites ; ce qui Ta engagé a le refaire entièrement, et a nen laisser subsister qu'une très-petite partie. En conséquence on a cru devoir préférer ce dernier écrit, presque neuf, aux deux autres , en le placant a la tête des OEuvres diverses  DE LÉDITEÜK. XJ de Barthélemy. II est suivi de quelques quelques pièces justificatives qui méritoient d'être conservées. « Si quelquun demande encore k quoi « servent les éloges; ils servent, dironscc nous • a faire connoitre de grands noms cc qui seroient demeurés dans foubli, a décc signer les véritables sources de Tinstruc-. cc tion et du savoir; peut-être aussi que le cc spectacle dune assemblée nombreuse atcc tentive k la lecture dun éloge, a quelquö cc chose de consolant pour rhurnanité. Ces cc lectures sont, dit-on, vouées a findulcc gence. Pourquoi ne laisseroit-on pas encc trevoir aux hommes quil suffit d'avoir cc rendu des services réels aux sciences , aux cc lettres, a la patrie, pour obtenir , s'ils en cc ont besoin unjour, quelque grace devant « elles ? Yit-on jamais la satire , la critique cc même se renfermer dans de justes bornes? te De quel droit condamneroit-on la louange  'Xlj PRf!fACE DE l'^DITEUR.- « seule k n'en point sortir?» Telles étoient les réflexions d'un écrivain célèbre dans Téïoge dun homme de génie (i). Une sur tout est applicable a celui de Barthélemy. Eneffet, nous regrettons quil n'ait pas été prononcé dans une des séances publiques de cette académie dont il fut si long-tem s la ïumière, et a laquelle il a survecu avec tant de douleur. Nous navons pas moins de regret que ce même éloge nait pu sortir de la bouche de son secrétaire , le citoyen Dacier, capable par ses talens de rendre a Bar^ thélemy, son ami, un hommage digne de lm et de la compagnie qu'il avoit illustrée.] (i) Vicq-d'Azyr, éloge de Scheele, pag. g3 et 943  ÉLOGE HISTORIQUE D E J. J. BARTHÉLEMY. D ans ces parties méridionales de la France , oü jadis florissoient des colonies grecques , naquit un homme qui devoit un jour retracer a nos yeux le tableau fidéle et animéderhistoire, desopinions, des mceurs, des sciences et arts de leur métropole. En faisant Y éloge de eet homme illustre et vertueux , famitié s'applaudit de ne pouvoir être ni soupconnée de partialité, ni accusée cTexagération; le langage de la vérité lui suffit pour se satisfaire et s'acquitter des devoirs de la reconaoissance..  xiv é l O g e La familie de Jean-Jacques Barthélemy étoit établie depuis long-tems a Aubagne , en Provence f et y jouissoit d'une considération méritée, non par des titres illusoires ou inensongers, mais par des vertus héréditaires (I). II vint au monde le 20 janvier H716 , dans un voyage que Madeleine Rastit avoit fait a Cassis, petite ville et port peu éloignés de Marseille. Cette femme recornmandable par les qualités du coeur et de 1'esprit mourut, laissant quatre enfans en bas age. Celui dont nous parions n'étoit alors que dans sa quatrième année. Son père , Joseph Barthélemy, se chargea seul des soins de sa première éducation et eut pour lui une tendresse maternelle. II Texerca de bonne heure a la sensibilité. «Tous les jours, « écrivoit eet heureux fils, mon père incon« solable me prenoit par la main, me me* u noit dans un endroit solitaire; il me fai« soit asseoir auprës de lui, fondoit en lar«< mes, et m'exhortoit a pleurer la plus ten« dre des mères. Je pleurois et soulageois « sa douleur. Ces scènes attendrissantes et « pendant long-tems renouvellées, firent une  DE BARTHÉLEMY. XV « profonde impression sur mon coeur (i).» Sur les bords du tombeau, elles se présentoient encore a son esprit, et venoient adoucir toutes les amertumes de son arae. Ces premières affections ne périssent donc jamais; elles seules préparent et assurent le succès de féducation. Celle du jeune Barthélemy réussit sans peine, et répondit bientót aux espérances qu1 on avoit congues de lui. A lage de douze ans, il entra, a Marseille, au collége de TOratoire , et y fit des progrès rapides sous le père Raynaud, connu depuis par son éloquence dans les chaires de la capitale. Ce maitre habile étoit fort lié avec Chalamont de la Visclède, qui, surchargé de couronnes académiques, neut de célébrité quen province, théatre obscur de sa gloire éphémère. II prit beaucoup d'intérêt a 1'élève de son ami, et concourut a ses progrès. Barthélemy s'en souvenoit encore lorsque tout le monde 1'avoit oublié. Ainsi, la reconnoissance seule prolonge et (i) Notes manuscrites de Barthélemy.  perpétue quelquefois 1'existence d'un homme de lettres. Barthélemy quitta ses premiers maitres et alla faire, chez les Jésuites, ses cours de philosophie et de théologie. Ils ne 1'occupèrent pas assez pour le priver d'un tems qu'il employa utilement a 1'étude du grec et des langues orientales. II s'y livra même avec tant d'ardeur qu'étant tombé dangereusement malade , il ne recouvra ses forces quau moment de son entrée au séminaire. Dans cette retraite, il étudia plus particulièrement la langue arabe, avec le secours d'un jeune Maronite, qui lui en donna des notions, sinon complètes, du moins assez étendues. II fut bientót en état de la parler, et sur les instances de son maitre, il apprit par coeur un sermon arabe, et le prononca dans une salie du séminaire, a la grande satisfaction d'un auditoire composé de quelques chrétiens orientaux. Cela fit du bruit, et lui attira une visite singulière et a laquelle il ne sattendoit pas ; c'étoit celle d'un prétendu rabbin de Syrië, qui se disoit fort instruit dans les langues de 1'Orient. Ce Juif indigent  DE BARTHÉLEMY. XVÏj iüdigent se plaignoit amèrement de lindifférence quon affectoit de lui témoigner; il ajoutoit quun homme de son savoir n'auroit pas du. s'attendre a un pareil traiternent, sur-tout en France qui passoit pour un pays très-éclairé? Des négocians, fatigués de ses importunités , Femmenèrent au jeune Barthélemy , agé seulement de vingt-un ans , et le pressèrent d'entrer en lice avec eet étranger. Pendant que Fabbé s'en défendoit, alléguant que Fhébreu n etoit pas une langue usuelle, facile a parler sans préparation , le rabbin se hate de préluder par le récit du cent neuvième pseaume. Après le premier verset , Barthélemy Finterrompt, et riposte par une ou deux phrases des dialo-gues arabes de la grammaire d'Erpenius. Le Juif réplique avee assurance et débite le second verset; son adversaire continue son dialogue; Faction s'échauffe de part et d'autre, et ne finit qu'avec le pseaume. Barthélemy voyant alors que toute 1 erudition du rabbin étoit épuisée , prononce quelques mots de plus que lui, pour ne laisser aucun doute sur sa propre victoire. Elle est recon- 6  xviii ÉLOGE nue par 6on antagoniste, qui avoue n'avoir rencontré nulle part dans tous ses voyages en Asie , en Afrique , etc. , un aussi habile homme que notre jeune séminariste. Celuici, ne voulant pas être surpassé en générosité, dit aux négocians étonnés que eet inconnu lui paroissoit digne d'intéresser leur bienfaisance. Une pareille aventure devoit nécessairement mettre le comble a. la réputation de Barthélemy; eest ce qui arriva , malgré tous ses efforts pour détromper le public. II se plaisoit a raconter cette scène, y trouvant un nouvel exemple de !effronterie des charlatans et du pront qu'ils man-, quent rarement d'en retirer. Barthélemy sortit du séminaire pénétré y assuroit-il , des grandes vérités de la religion, mais sans avoir la moindre vocation pour 1'exercice du ministère évangélique II n'avoit du penchant que pour Fétude, et d'autre goüt que celui des lettres. II se retira toutefois a Aubagne dans le sein de sa familie. Sa vie se seroit passée dans une tran- (j) Notes inanuscrites.  DE BARTHÉLEMY. XIX quille obscurité , et rien peur-être n'y auroit troublé son bonheur , si Finstinct du talent ne Favoitpas commandé. Ilfalloit nécessairement quil s'attacMt au genre que la na* ture lui destinoit. En conséquence Barthélemy fit de fréquens voyages a Marseille, pour s'instruire auprès de Cary, savant antiquaire, qui Finitia dans les secrets de la science numismatique. II alloit également h Aix s'enfermer dans la bibliothèque du président de Mazaugues, enrichie des manuscrits de Fillustre Peiresc et des plus précieuses éditions des anciens auteurs. C etoit une espèce de temple, oü , presque seul, il évoquoit les ames des morts ; elles lui inspirèrent bientöt le dessein de quitter sa patrie, pour leur rendre un culte plus éclatant. II tourna donc ses regards vers la capitale , sentant bien quil ne pouvoit rester davantage en province, oü Fon a du tems sans moyens, des contradictions sans encouragemens; oü les idéés se rétrécissent et les objets se boursoufflent. En arrivant a Paris, Barthélemy y trouva des maitres et des amis. Ce ne fut bientót b ij  XX li L O G E qua ce dernier titre quil vit Gros de boze , ancien secrétaire d'une académie célèbre, celle des inscriptions et belles-lettres, qui lui devoit presque son existence, commissaire de la librairie quil surveilla avec autant de sagesse que d'activité, et garde du cabinet des médailles dont les principales richesses étoient dues a ses soins éclairés. II destinoit cette dernière place a Bimard-la-Bastie, lorsquune mort précoce vint enlever aux lettres ce savant recommandable. De Boze jeta les yeux , pour le remplacer, sur Barthélemy, et lui fit accorder fadjonction en 1745, cest-a-dire, dix-huit mois seulement après son arrivée dans la capitale. II s'y lia encore d'une étroite amitié avec Bougainville , écrivain élégant, littérateur aimable qui chérissoit la gloire , ne cessant d'avoir pour guides la vertu et la religion. L'académie dont il avoit été Forgane le perdit de bonne heure. En mourant il ne crut pouvoir donner une plus grande marqué d'estime a Barthélemy que de lui léguer le reste des manuscrits du docte Freret, a la mémoire duquel il avoit consacré  'de barthélemy. 'xxi une partie considerable de sa propre vie; en mettant au jour plusieurs de ses écrits posthumes. Barthélemy comptoit également parmi ses premiers et ses plus fidèles amis , ce respectable Foncemagne , si zélé pour la gloire de Tacadémie et Tintérêt de ses membres , qui eut si long-tems dans ce corps une influence que la vertu et le mérite peuvent seuls donner. La réputation de Barthélemy Tappeloit U une place d'associé a Tacadémie, Iorsque Burette, savant judicieux , connu par ses mémoires sur les jeux gymniques et la mu« sique des anciens , en laissa une vacante par sa mort, arrivée en 1747- Un célèbre professeur de Tuniversité , quon appeloit déja le dernier des Romains, a cause de son habileté dans la langue de ces maitres du monde qu'on commencoit tl négliger, Charles Le-Beau, avoit pour lui la plupart des voix. Quoiqu il eut déja cédé le pas a Bougainville, son propre disciple et même sön traducteur (1), il sabstint encore cette fois (1) Plus de deux mille vers du poè'me de YJnii* b tij  XXI) EIOGE de toute démarche qui auroit pu lui fairë avoir la préférence. Barthélemy fut donc élu ^ et peu de tems après , son compétiteur. Ce n1 étoit-la que le prélude d'un combat de générosité. Bougainville s'étant démis du se-; crétariat de 1'académie, a cause de ses infirmités, proposa au comte d'Argenson de lui donner pour successeur Barthélemy. Le ministre 1'agréa avec empressement; mais Barthélemy refusa, et se fit préférer Le-Beau. Celui-ci quittant dans la suite cette place , après 1'avoir remplie d'une manière distinguée et avec beaucoup de zèle, voulut a son tour la céder a Barthélemy , en lui disant: — Je vous devois le secrétariat, et je vous le rend. — Je le cède a un autre (ï), lui ré- 'Lucrèce, traduit par Bougainville , sont Fouvrage de Le-Beau. II en avoit suppléé ou corrigé plus de six mille de ce même poëme, dont il fut Yéditeur. (i) Le savant Dupuy, qui le conserva jusqu'en 1781, oü le citoyen Daci*er ie remplaca, non comme auparavant par le choix du ministre , mais par ] election de 1'académie.  DE BARTHÉLEMY. XXÜj pondit aussitöt eet homme plein de loyauté, mais je ne cède a personne le droit et le plaisir de publier qu'on ne sauroit vous vaincre en bons procédés. — Ainsi finit cette lutte digne de Tancienne école de Pythagore, oü un effet ordinaire de Testime étoit la générosité, qui devenoit plus ou moins magnanime suivant les circonstances. Ce dernier sentiment anima Barthélemy, dans sa conduite , a la mort du savant de Boze, en 1753 , dont la place devoit lui appartenir, étant son adjoint depuis huit ans. Cependant un autre eut la bassesse de la soliiciterpour lui-mème. Barthélemy, qui en fut informé, ne voulut pas savoir le nom de eet intrigant subalterne. La vengeance étoit étrangère a son cceur; il cherchoit encore a s'épargner Tidée facheuse du mépris. II s'interdit toute sollicitation, laissant a ses amis le plaisir de parler eux seuls en sa faveur au roi. Effectivement ce prince se lmta de rendre justice a Barthélemy , et lui donna cette marqué de confiance, avant que d'Argenson en eut fait la propositiom Ce ministre se connoissoit en hommes de h iv  xxiv koGE lettres, et son suffrage valoit bïen celui dri monarrjue. Le nouveau garde, non content de mettre en ordre le précieux dépot qui venoit d'être confié a ses soins, profita du crédit quil. avoit auprès du comte d'Argenso-n , pour faire approuver par Ie roi le projet d'un voyage en Italië. Son but étoit d'y completter les suites des médailles , au moyen des échanges. La comrnission lui en fut donnée le s5 aout 1754 , et accompagnée d'une gratification de 6000 livres. II ne partit néanmoins que 1'année suivante , après s'être associé son fidéle et respectable ami, le président de Cotte. II parcoururent ensemble une partie de nos provinces méridionales , et arrivèrent a Rome après avoir passé par Gênes, Parme, Bologne et Florence. Edifices, inscriptions,manuscrits,tableaux, etc, rien n'échappa a ses yeux savans et observa-: teurs : sa sagacité lui faisoit tont pénétrer, et sa sensibilké tout saisir. Le génie de Fan-* tiquité lui révéla plus d'une fois ses secrets j et celui des arts, toutes ses ressources, eoms me le montre assez 1'explication de plusieurs  DE BARTHÉLEMY/1 XXV foonümens et Ia description de quelques morceaux de peinture et de sculpture quil nous a laissées (1). Arrivé dans Ia capitale du monde chrétien, Barthélemy fut présenté a Benoit XIV; fillustre pontife le recut avec cette affabililité, cette gaieté, et cette bonhommie qui le caractérisoient (2). Spinelli , Passionei et Aïbani qui honoroient alors la pourpre romaine par leur savoir et leur amour pour les arts , 1'accueillirent avec distinction, et n'ont cessé pendant sa vie d'applaudir aux succès de ses travaux. Dans toutes les villes de Tltalie oü Barthélemy s'arrêta, précédé par sa réputation et en paroissant digne, il fut reeu de la même manière. Paciaudi, Gori, Passeri, Olivieri, etc., savans antiquaires , recherchèrent son amitié. Edouard Corsini, chronologiste profond et lumineux; Le Sueur et Boscowi.ts , mathématiciens ha- (1) Fragment d un voyage en Italië, dans ses OEuvres diverses, part. II , pag. 78. (a) Mancini-Nivernois, Essai sur la vie de Bari ihèhmy, pag. 17,  XXVi ëtOGB biles; Joseph-Simon Assemanni, restaura^ teur de la littérature syriaque ; plusieurs autres non moins distingués lui donnèrent des témoignages flatteurs d'estime. Le célèbre architecte Piranèse s'empressa de 1'accompagner dans la visite des monumens de Rome; et le père Jacquier, un des premiers commentateurs de Newton, 1'aida de ses Iumières dans Fexamen du pied romain, des mesures creuses, etc. Les plus riches cabinets lui furent ouverts , et il remplit 1'objet essentiel de son voyage, en faisant 1'acquisition de trois cents médailles dont quelquesunes étoient uniques, et presque toutes précieuses par leur rareté. Le spectacle de Rome, si souvent dévastée, riche encore de ses propres ruines , ne fixa pas tellement les regards de Barthélemy, qu il ne les tourndt vers cette ville que Téruption d'un volcan avoit mis k couvert des ravages du tems et de la Barbarie. Elle n'offroit pourtant plus qu une mine d'antiquités, quon avoit exploitée avec moins d'intelligence que d'avidité. Après 1'avoir visitée , il en sortit pour se rendre a Porticij  ÖE E ARTHEEEMY.1 XXVij óü Se trouvoient déposées les richesses souterraines d'Herculanum. La plus précieuse de toutes auroit été sans doute la possession de quelques anciens manuscrits, si Fon avoit pu les lire ; mais pour y parvenir, il auroit fallu les dérouler; c'est ce quon n'a fait jusqu'aujourdhui que d'une manière fautive et très-lente, a 1'égard seulement de deux ou trois. Le morceau d'un, coupé mème de haut en bas , ayant vingt-trois lignes , étoit mystérieusement conservé. Barthélemy n'eut la permission de le voir que par une faveur signalée. II 1'examina avec une attention si forte qu'il le retint tout entier. Ensuite descendant sous quelque prétexte dans la cour du chateau , il traca sur un papier ce fragment qu'il venoit de se graver dans la mémoire. 11 conjenoit quelques traits de Ia révolution démocratique qui forca les philosophes de 1'école pythagoricienne, zélés partisans de 1'aristocratie, de quitter les villes de la grande Grèce, dans le cinquième siècle avant 1'ère vulgaire. Barthélemy envoya le mème jour a 1'académie ce précieux fragment , cn recommandant toutefois le secret,  'xxviij Ê E Ö G E pour ne pas compromettre Paterno, garde! du cabinet de Portici, et Mazochi, qui 1'avoit secondé. Ce dernier devint son ami et eut toujours pour lui la plus haute estime.Barthélemy ne cessoit d'admirer sa piété, sa modestie et sa grande érudition. II forma aussi des liaisons avec ,1e prélat Bayardi, homme d'une poljmathie fatigante , mais recommandable par les qualités du cceur. II e'toit chargé d'expliquer toutes les antiquités découvertes a Herculanum, a Pompeia et a Pcestum. Ayant parcouru ces villes qui venoient de reparoitre après tant de siècles , Barthélemy retourna a Rome, et y trouva son bonheur dans la connoissance de madame de Stainville, depuis duchesse de Choiseul, et de son mari, ambassadeur de France. Quarante ans d'un attachement aussi pur que la vertu n'avoientpu affoiblirrimprcssion que firent alors sur lui les qualités rares et touchantes de cette respectable amie. II en tracoit luimème, quelques mois avant sa mort, ce portrait : « Madame la comtesse de Stain<< ville , h peine agée de dix sept ans, jouis-  DE BARTHÉLEMY. Xxix « soit de cette profonde vénération qu'on « n'accorde conimunement qu'a un long « exercice de vertu. Tout en elle inspiroic « de fintérét; son age, sa figure , la délica« tesse de sa santé, la vivacité qui animoit « sa parole et ses actions, le désir de plaire « qu'il lui étoit si facile de satisfaire et dont « elle rapportoit les succès a un époux, « digne objet de sa tendresse et de son culte; « cette extréme sensibilité qui la rendoit « heureuse ou malheureuse du bonheur ou « malheur des autres , enfin , cette pureté « dame qui ne lui permettoit pas de soup« gonner le mal (1) , etc. » Personne noublia moins ses amisdansla faveur que le duc de Choiseul; aussi personne n'en constrva plus dans la disgrace; ce qui pourtant seroit un phénomène dans 1'histoire du cocur humain , si cela ne tenoit pas a des circonstances qu'on nous dispenpensera de rappeler. Au retour de ses ambassades , appelé au ministère , et jouissant d'un grand crédit, eet homme célèbre pré- (i) Notes manuscrites de Barthélemy.  XXX ^LOGE vint toujours par ses bienfaits Barthélemy et Ten accabla , comme celui-ci se plaisoit a le répéter; il obtint pour lui des pensions sur des bénéfices et des journaux, la trésorerie de Saint-Martin de Tours; enfin , il Ie nomma a la place de secrétaire-géuéral des Suisses et Grisons (1). Une pareille fortune ne put Féblouir; il fut empressé de Ia communiquer aux gens de lettres quil aimoit et dont les besoins lui étoient connus. Quelquefois il refusoit pour qu'on leur donnat, et plus souvent il se dépouilloit en leur faveur. C'est ainsi qu'il partagea a deux de ses (i) En 1759, on lui donna 4000 livres sur 1'archevêché d'AIbi; en 1760, 5ooo livres sur le Mercure; en 1765, la trésorerie de Saint-Martin, valant net 7000 livres : en 1768, la place de secrétaire des Suisses, elle produisoit 20,000 livres , et avoit été créée par le duc du Maine en faveur de Malézieu de 1'académie des sciences. Barthélemy perdit, en 1772 , k Ia retraite du duc de Choiseul, cette place, sur laquelle il conserva une pension de j 0,000 livres. II avoit encore un traitement annuel de 3ooo livres en qualité de garde des médailles, et un de 2000, comme pensionnaire de l'académie des belles-lettres.  DE BARTHÉLEMY.' XXX) amis une pension assez considérable dont ii jouissoit sur le Mercure, et leur en remit les brevéts qu'il avoit fait expédier en leur nom, sans même les en informer. II aban-; donna e'galement a un autre homme de lettres le privilege lucratif de eet ouvrage périodique. Le tiers de son revenu fut de cette manière sacrifié, ou plutót, passant en d'au-, tres mains, il ne cessa d'ètre pour lui un objet de puissance. Cependant Barthélemy se trouvoit encore assez riche , et pouvoit se procurer toutes les commodités du luxe. Sa modération 1'en préserva; il se permit seu-] lement dedire : — J'aurois pris une voiture, si jen'avois pas craint de rougir, en trouvant sur mon chemin des gens de lettres a pied qui valoient mieux que moi. — Nonobstant cela, quelques-uns d'entre eux , trop ambitieus pour n'étre pas jaloux , n'épargnèrent pas le modeste Barthélemy, qui ne repoussa leurs traits et ne déconcerta leurs intrigues que par le bon usage de sa fortune. II éleva trois de ses neveux , dota ses nièces, aida le reste de sa nombreuse familie, et vint au se«cours des infortunés ? sur-tout quand ils lui  xxxij éloge paroissoient avoir un goüt décidé pour les lettres : c'ëtoit a ses yeux une puissante recommandation; des étrangers méme en ressentirent les effets : mais la bienfaisance et la générosité ont leurs mystères auxquels Famitié peut être initiée , sans avoir le droit de les révéler. Passons donc a ses travaux particuliers , et voyons ce que la littérature doit a ses longues veilles. Avant de partir pour Fltalie, il avoit lu huit mémoires a Facadémie des belles - lettres. Le sujet du premier est peu important; mais les autres méritent, de la part des savans , beaucoup d'attention. Une médaille, sur laquelle on lisoit le nom de Xerxès fournit a Barthélemy la matière d'une dissertation , dans laquelle il prouve que ce Xerxès étoit prince d'Arsamosate, en Arménie, et vivoit sous Antiochus III, dit le Grand. De ce fait transmis par le seul Polybe, Barthélemy conclut que les anciens rois de Syrië ne possédèrent pas F Arménie en entier, et que , tandis que la plus grande partie de cette contrée étoit soumise aux gouverneurs qu'ils y envpyoient, le reste obéissoit a des princes ou  de bakthélemy. xxxiij ou dynastes particuliers. Ce mémoire annon« coit ce qu'on devoit attendre de Barthélemy; aussi montra-t-il bientöt après que sa sagacité égaloit son érudition. Dans un excellent essai sur la paléographie numismatique , il fait voir quon peut établir des régies assez sures pour discerner 1'age de la plupart des anciennes médailles. Par exemple, il sa proposoit de faire voir que toutes celles qui ont des aires en creux sont commune ment antérieures a fan 400 de 1'ère vulgaire. Cet essai ne renferme que des vues sur la fabrique des médailles; mais elles sont presque toutes neuves et dignes de 1'approbation des plus habiles antiquaires. Son explication d'une des plus anciennes inscriptionsquinoussoientcorj-, nues, méritèrent encore les suffrages des savans. II s'appercut d'abord que le monument dont la copie étoit due a Fabbé Fourmont, avoit une partie refaite et 1'autre originale. Toutes les deux contiennent une suite des prètresses d'Apollon et marquent les années de leur sacerdoce a Amyclée, ville de Laconie. La plus grande difficulté étoit d'en déterminer 1'époque; Barthélemy y parvinj- c  xxxiv éloge en distinguant celles qua eues la langue grec-1 que dans ce pays. La première est avant qu'on y eut recu des colonies étrangères; la seconde , lorsque les habitans eurent pris le nom d'Achéens , et la troisième , après que les Héraclides se furent emparés du Péloponèse. Ceux-ci y apportèrent le dialecte dorique, qui est évidemment celui de la seconde partie de Tinscription , remontant néanmoins au dixième siècle avant JésusChrist. La première, qui offre quelque différence dans les terminaisons des mots , ne peut avoir été dressée par les Doriens ; conséquemment elle est antérieure a la conquête des Héraclides , et remonte a deux ou trois siècles auparavant. Barthélemy revint ensuite aux discussions numismatiques , et lut a f académie trois mémoires. Dans le premier il développa de nouvelles connoissances, en donnant 1'explication des médailles d'Antigonus , roi de Judée, il démontra que, frappées sous les princes asmonéens, elles ferment une chaine de témoignages pour prouver que Talphabet samaritain a été encore usité chez les Juifs,  DE BARTHÉLEMY. XXXV long-tems après la captivité de Babylone , et que eet usage a subsisté mème jusqu'a la quarantième armee avant Jésus - Christ. Le deuxiéme roule entièrement sur quelques médailles qui avoient été mal lues, mal décrites, et plus mal expliquées encore. Barthélemy y relève les erreurs des plus célèbres antiquaires, Goltzius , Vaillant, Hardouin, Spanheim, Galland, Labastie , Froelich, etc. Enfin , il résulte du troisième sur les médailles arabes, que toutes les fois quon en trouve chargées de figures , on peut étre assuré qu elles n'ont été frappées nipour les Califes, ni pour des Musulmans rigides. Quoiqu'on voit sur ces monnoies la téte d'un roi ou d'un empereur romain , on ne doit pas cependant croire que les Arabes aient connu ces princes. Barthélemy explique d'une manière très-plausible cette singularité. Mais hatons-nous de parler de ses réflexions sur 1'alphabet de Palmyre, qui Ie conduisit a une véritable découverte, celle den fixer les élémens. Un passage de Saint-Epiphane nous apprend que les Palmyréniens avoient unalpha- c ij  XXXV) M L O G Ë bet composé de vingt deux lettres , et qtrïls parloient la langue syriaque. Barthélemy trouva toutes ces lettres sur les inscriptions que Robert Wood venoit de publier. Cellesci étoient au nombre de treize, et se trouvoient accompagnées dautres correspondantes, en grec , au moyen desquelles Barthélemy vint a bout d'expliquer les monumens de Palmyre. A la vérité, ils ne répandent pas un grand jour sur Fhistoire de cette ville; mais ils font du moins mention des honneurs rendus a ceux qui favorisoient son commerce, auquel elle devoit son état florissant, et son existence mème au milieu des déserts de TAsie. Le mémoire qui renferme ces observations est un vrai chef-d'oeuvre de discussion ; jamais on na mis plus de critique, de savoir et d'agrément a traiter une matière si épineuse et si peu susceptible d'intérêt. Barthélemy en fait pourtant sentir toute Futilité, et il montre en cela tellement Fesprit qui Fanimoit dans ses études , que pour le bien faire connoitre il me parolt indispensable de rapporter ici ses réllexions. « On ne sauroit prévoir les avantages que  DE BARTHÉLEMY.' XXXVlJ « 1'alphabet palmyrénien procurera dans la « suite. Comme une chaine insensible unit « tous les objets de la littérature, ne pour« roit-il pas conduire a quelque découverte « plus essentielle ? Mais quand mème il se« roit a jamais borné a 1'éclaircissement de « quelque inscription ou de quelque mé« daille, auroit-il fallu le négliger? Au mi« lieu de ces ténèbres répandues sur Fante cienne littérature oriëntale, n'avons-nous « pas un rayon de lumière de plus, et un « mystère de moins ? C'est se tromper égacc lement que de mettre un trop grand prix cc ou de n'en pas mettre assez a des découcc vertes isolées en apparence. Ce grand tout cc historique, objet de nos travaux, ne sera cc jamais que le résultat d'une infinité de recc cherches et d'observations particulièrfs.: « Le temple de la vérité s'élève avec lencc teur. Des hommes infatigables y travailcc lent sans cesse; et s'ils se croisent quelcc quefois par des opérations contraires, c'est cc qu'ils sont indépendans et qu'ils n'ont pas cc tous des lumières égales. Les uns( entraïcc nés par une imagination impétueuse, cons'? c iij  xxxviij éloge « truisent a part des batimens irréguliers « qui tombent presqu'aussitöt en ruines ; « d'autres, avec un petit mérite usurpé et « de grandes prétentions , remuent conti« nuellement ces ruines, les transportent en « différens endroits , ou les jettent au-de« vant des travailleurs attentifs a la perfec« tion de 1'ouvrage. Parmi ces derniers, les « hommes de génie ont des succès propor« tionnés k leurs efforts; les autres doivent « s'estimer heureux quand , après bien des « veilles, ils ont taillé une pierre pour 1'é« difice (1). » Si dans ces réflexions, exprimées avec tant de grdces et d'élégance, on n'appercoit pas le véritable esprit philosophique ; je ne le trouve nulle part, ou j'ignore en quoi il consiste. De retour en France, Barthélemy s'empressa de rendre compte a 1'académie des observations qu'il avoit faites en Italië, surtout k Rome. Loin d'examinerjes monumens de cette ville en eux-mêmes, il les considéra (1) Académ. des inscript., tome XXVI, pag. 596, 597.  DE BAHTHÉLEMÏ. xxxix d'abord dans les causes qui les ont produits, et dans 1'liistoire des arts et des mceurs. Ce tableau, oü Ton reconnoit une main savante et habile, estsuivi de beaucoup de remarques neuves et pieines de sagacité sur les obélisques , le colisée, la colonne trajane , sur différens bas-reliëfs , les statues , les tombeaux , les arcs de triomphe, etc. Elles forment la seconde partie de eet excellent mémoire, dans lequel se trouve corrigé ou suppléé Ie texte de plusieurs inscriptions. Celle de Faro de Sévère y est rétablie en son pré= mier état, au moyen de la tracé des crampons, ce qui navoit pas été encore exécuté. Mais rien ne parut occuper davantage Barthélemy que Texplication de la mosaïque de Palestrine. Elle avoit exercé les plus habiles antiquaires ; et chacun d eux avoit iraaginé un systême particulier, en lappuyant des conjectures plus ou moins vraisemblables. Après les avoir réfutées , il exposé sa propre opinion , qui consiste a regarder ce précieux monument comme un tableau allégorique , représentant 1'arrivée de Tempereur Hadrien en Egypte. Du sujet, Barthélemy c iv  passé aux détails qui 1'indiquent, et il explique très-bieii les figures , les édilices , les barques, les animaux et les plantes qu'on voit sur la mosaïque. Lacadémie fut si satisfaite de cette explication , qu'elle perrait de 1'imprimer tout de suite, sans en attendre la publication dans le recueil de ses mémoires (1); espèce de faveur qu'elle accordoit rarement, et dont Barthélemy a joui deux fois. Malgré ce succes, il ne redoubla pas moins d'efforts pour justifier et accroitre 1'idée que 1'Europe avoit de lui. Son goüt pour la littérature oriëntale sè réveilla , et il ne désespéra pas d'y faire de nouvelles décóuvertes. ,Celle de 1'alphabet phénicien lui parut avec raison d'une grande importance. En viron quarante inscriptions (2) , toutes assez courtes , et quelques mots gravés sur des médailles peu communes, voila ce qui nous reste (1) Approbation, signée Le-Beau, du 22 juillefi ,1761. (2.) Trente-trois ont été publiées par Richard Poeocke, dans saDescription deïOriënt, t. II, p. 2j34  DE BARTHÉLEMY. xlj He la langue (1) d'un peuple le plus commercant de Fantiquité, fondateur de nombreuses colonies, et qui communiqua Fart d'écrire aux nations les plus éclairées de Funivers. Ces raonumens n'étoient encore que des énigmes , et quelques savans ne les avoient examinés que pour s'y perdre en vaines conjectures. Leurs travaux n avoient abouti encore qua jeter de la confusion dans Farrangement des lettres de eet alphabet, presque toutes déplacées. Barthélemy s'en appercut, et ne se dissimula point quil alloit entrer dans une route entourée de pièges et couverte de vestiges trompeurs. II chercha d'abord a fixer la valeur des lettres phéniciennes, quon distingue avec peine des samaritaines , étant absolument les mémes dans Forigine , mais ayant éprouvé sucessivement plusieurs variations. De la il conclut qu'un alphabet phénicien ne doit pas être uniquement fondé sur le rapport de ses élémens avec ceux des alphabets connus; il (1) A 1'exception peut-être d'une douzaine de yers du cinquième acte du Posnulus de Plaute»  XÏij ÉLOGE faut encore le tirer du sein mème des monumens. Le seul qui eut une interprétation grecque e'toit celui qu'on conservoit a Malthe , et dont le grand-maitre fit ensuite présent a 1'académie. Barthélemy se servit trèsbien de cette interprétation pour analyser et expliquer les mots phéniciens ; mais n'ayant pas le mème secours pour les médailles et les autres inscriptions, il n'eut pas un résultat aussi satisfaisant et ne marcha qu'avec beaucoup de tatonnement. II a publié jusqu'a cinq alphabets de Phénicie (II) ; aucun ne s'est trouvé complet, et tous ont des différences plus ou moins sensibles. Cependant il ne perdit jamais 1'espoir d'arriver a son but, en déchiffrant de nouvelles inscriptions , qui ne se trouvoient pas, comme celle de Malthe , accompagnées de versions littérales et correspondantes. Quoique la tentative eut été déja faite (1), il n'y avoit pas moins un peu de hardiesse a la renouveller, sur-tout pour un homme qui ne veut ni se faire illusion, ni en imposer aux autres. Bar- (ij Par le docteur Swinton , Inscript. Citice. iy5o<,  DE BARTHÉLEMY. OCÏÜ) thélemy Fit pourtant cette tentative sur le monument de Carpentras; bas-relief égyptien, au bas duquel on voit quatre lignes d'écrfeüre. L'explication qu'il donne du bas-relief est très-vraisemblable , et on ne peut quadmirer ses efforts pour deviner le sens des mots quil suppose phéniciens (1). Mais ne pouvoit-on pas les rapporter a la langue égyptienne, qui, selonlui, avoit beaucoup d'affinité avec celle de Phénicie, peu différente de Tanden syriaque ? S'élevant dans la suite a des idees générales, il considéra les rapport s que ces mêmeslangues, et celle quon parloit le plus anciennement en Grèce , avoient entre elles , et ne craignit pas d'en conclure que toutes avoient une source com- (i) Cette inscription présente des formes de lettres qui ne se trouvent pas sur les autres monumens phéniciens. Elle n'est pas , comme celle de Malthe, accompagnée d'une inscription grecque correspondante. Je crois avoir bien interprêté les trois premières lignes. Les cinq mots de la dernière sont au-dessus de ma portée. (JYote manuscrite de Barthélemy).  xlïv éloge mune. «Et cette source, dit-il, présentée' « sous un autre image , est comme une « grande machine dont les parties détachées « sont éparses parmi les différens peuples « d'Asie, d'Afrique et d'Europe; et comme « avec le tems elles s'y sont usées, il sera « quelquefois impossible de les reconnoitre « et de les réunir a leur tout (1). » On ne peut faire qu'un reproche a Barthélemy , dans ce dernier mémoire, c'est d'y paroitre trop prévenu en faveur du système bien moins vrai qu'ingénieux de son ami, le savant Deguignes, sur 1'origine égyptienne des Chinois. Quand il falloit juger les opinions d'autrui , Barthélemy consultoit trop son cqeur, et quelquefois mème elles lui inspiroient une sorte d'enthousiasme qu'il n'avoit pas pour les siennes, et dont le tems et la réflexion ne le guérissoient pas sans effort. L'envie seule peut refuser de 1'absoudrej elle ne pardonne qu'a la satireEn exposant les idéés dont je viens de parler, Barthélemy réclamoit pour elles de 1'in- (0 Acad. des inscript., tom. XXXII, p. a33.  DE BARTHÉLEMY. xfo 'dulgence. Mais Famour propre n'accorde rien ou revendique tout; et celui des savans nest pas ordinairement le plus traitable. Si cette vérité avoit besoin de preuves , on en trou-; veroit une assez remarquable dans les procédés qu'il éprouva de Ia part du docteur Swinton , membre de la société royale de Londres. Ce savant , après avoir prorité des premiers travaux de racadémicien francois (1), sattribua ses découvertes, et le critiqua sans nul ménagement. II prétendit avoir pour lui iantériorité de date , au mépris des témoignages les moins douteux et sans s'embarrasser de Fusage que suivoit Facadémie des belles-lettres dans la publication de ses mémoires. II accusa son rival de prendre le change sur la valeur de plusieurs lettres hébraïques , cornme si leur aftinité n'exposoit pas quelquefois Fliornme le plus habile a une pareille méprise, sur-tout dans la lecture des inscriptions dont les copies manquent sans cesse de plus ou moins (j) Dans 1'ouvrage qui a pour titre : De num. quib. samar. et phen. litt. i'j^o.  xlvj éloge d'exactitude. Barthélemy répondit k toutes ces chicanes (i) avec beaucoup de raison , de patience et de politesse, et dans cette trop longue dispute , qui dura dix ans , il ne se départit jamais de cette modération , seule capable de lui concilier tous les suffrages. Aussi le docteur Maty , compatriote et confrère de son adversaire, ne cragnoitil pas de lui écrire : « Je sais bien, après « la lecture des pièces, que j'aimerois mieux « me tromper avec vous qu'avoir raison avec u lui (III). » L'attrait que Barthélemy avoit pour ces discussions ne 1'empêcha cependant point de s'occuper toujours de 1'étude des médailles. II commenca un traité élémentaire sur ce sujet, dont il n'a laissé que quatre chapitres (2), écrits avec autant de clarté que d'agrément. Ce fragment, digne a la fois d'un excellent littérateur et d'un véri- (1) Voyez sa lettre au marquis Olivieri etc. deux lettres adressées aux auteurs du Journal des Sacans, aout 1760 et novembre 17P3, etc. (2) OEwres diverses, seconde partie, pag. 247.  BE BARTHÉLEMY. xlvij table philosophe, nous fait vivement regretter que tout Fouvrage nait pas été achevé. Sans doute il ne 1'abandonna que pour se livrer entièrement a la composition de son Voyage du jeune Anacharsis, et a celle des mémoires particuliers qu'il lisoit a Facadémie. Un des plus remarquables est celui oü, réfutant les opinions de Pétau , d'Usserius et de Longuerue , sur Tere des Parthes quils placoient trop haut, il la fixe irrévocablement, par une médaille de Vologèses III, au 11 octobre de 1'année 3n avant Jésus - Christ, concourant avec celle des Chaldéens. C'étoit le sentiment du père Hardouin; mais ce savant Jésuite étoit si décrié par ses étranges et nombreux paradoxes, que Fréret, en Fadoptant, avoit montré quelque courage. Néanmoins cette dernière opinion nétoit encore quune simple conjecture ; et a Barlhélemy seul appartient Favantage d'en avoir démontré la vérité. Dans un autre mémoire relatif aux médailles frappées en Egypte , la huitième année du règne d'Antonin le Pieux, il prouve qu on a exprimé quelquefois sur ces sortes  'odvlij ÉLOGE de monumens le culte rendu aux astres } considérés comme les dispensateurs des biens et des maux. II ajoute qu'on ne peut pourtant en conclure que toutes les figures de la sphère céleste , retracées sur les médailles , doivent être prises pour des planètes ou des constellations. Les mémoires que Barthélemy lut, pendant quarante - cinq ans d'assiduité, aux séances de 1'académie, présentent tous des recherches neuves et précieuses, des vues utiles ou des appercus pleins de finesse et de sagacité , quelquefois des découvertes heureuses. On n'y trouve ni charlatanisme, ni discussions oiseuses; jamais des assertions trop prononcées , des décisions trop tranchantes n'y indisposent le lecteur. Au contraire, soüvent les opinions les mieux fondées ou les plus vraisemblables y sont proposées avec une sage méfiance ou en forme de doutes. Par-tout on remarque un choix admirable de preuves et une exaclitude rare dans ses citations. Une critique judicieuse y est toujours réunie a la clarté et a 1'élégance du style; et si 1'art de con-; jecturer  DE BARTHÉLEMY. xllX jecturer fait une partie essentielle de la logique , comme il n'est pas permis d'en douter , on ne peut en trouver de meilleurs mo^ dèles que dans les écrits de Barthélemy; il ne s'y laisse jamais égarer par de fausses lumières, et n'y prend point 1'étendue de son esprit pour Ia mesure de toutes choses. Ce qui n'arrive que trop fréquemment aux savans peu éclairés par leur érudition : ils ressemblent en quelque sorte a ces hommes grossiers qui, voyant le soleil disparoitre a 1'horizon , s'imaginent qu'il s'éteint le soir pour se rallumer le matin. Au milieu des études les plus sérieuses, le laborieux Barthélemy se procura un délassement, en satisfaisant aux devoirs de 1'amitié. La familie de Lamoignon avoit toujours aimé les lettres et favorisé ceux qui les cultivoient. Malesherbes , un de ses plus illustres rejettons , se livroit lui-même avec beaucoup d'ardeur a cette étude. II connut de bonne heure Barthélemy et sut i'apprécier. II devint son ami et 1'introduisit chez sa sceur , épouse de Castanier d'Auriac. Celle ci avoit un fils unique, digne de tous d  / ÉLOGE ses soins. Elle voulut mettre entre ses mains quelques écrits propres a formér le coeur et 1'esprit. Barthélemy proposa d'en composer d'abord un avec lui, et en fournit le canevas. Le jeune d'Auriac le remplit avec moins de succès que d'empressement. Tout fut refait par Barthélemy, qui laissa a d'Auriac le plaisir de le présenter imprimé a sa mère comme son propre ouvrage. Ce livre est le roman de Carite et Polydore : 1'intérét en est foible ; mais il se ranime vers Ja fin. Le style ne manque ni de graces ni d'élégance, et on y appercoit sans peine le goüt et la connoissance que 1'auteur avoit de 1'antiquité. En abandonnant la fiction, Barthélemy crut encore mieux réussir, et il ne se trompa point. Une ancienne loi des Perses servit de texte h ses réflexions, et il y trouva la matière d'un petit traité de morale qui est le développement de cette vérité indubitable: — Tout Fhomme réside dans le coeur , et c'est-la uniquement qu'il doit chercher sa gloire et sa félicité. — Dans le discours que Philoclès prononce sur le bonheur, en pré*  CE BARTHÉLEMY. Ij sence du jeune Anacharsis (i), on retrouve la même vérité, et quelques-unes des réflexions qui y conduisent. Barthélemy en ajoute mème quelques autres tirées des écrits des anciens. Mais le traité dont je parle n'en est pas moins précieux; il renferme les idéés premières de 1'auteur, celles qui lui ont servi de jalon pendant sa vie, et qu'il na jamais perdu de vue. D'ailleurs , ce traité , ayant laforme didactique, peut être regardé comme un excellent livre élémentaire. II seroit d'autant plus a désirer qu'on en fit usage dans Téducation, que le sentiment y rend la vertu aimable, et nosdevoirs, faciles a pratiquer. Enfin, tout y porte 1'empreinte vraie et originale de 1'ame expansive de Barthélemy. Aussi ne trouvoit-il de véritable jouissance que dansles ouvragcs remplisde traits d'éloquence senlimentale. Euripide et Racine étoient les poëtes qu'il lisoit le plus assiduement. De même il se plaisoit beaucoup dans la lecture des confessions de Sr.Augustin, et y admiroitles expressions éner- (i) Chap. 78, torn. VI, pag. 460. d ij  lij éloge giques et brulantes que le coeur dictoit a ceP., au mépris souvent des froides regies du goiit. Dans un des derniers jours de la vie de Barthélemy , je le trouvai fort accablé et couché sur le lit de douleur. II fut questiou par hasard de ce livre; après 1'avoir beaucóup loué , il en cita un long passage (i) avec tant d'onction et de force quil me fit une impression dont rien na pu depuis effacer le souvenir. Non-seulement 1'amitié obtenoit tout de Barthélemy, mais encore elle lui suggéroit les moyens de rendre les autres heureux, et quelquefois de leur procurer une célébrité qu'il dédaignoit pour lui-même : celle du comte de Caylus fournit la preuve de ce que j'avance. Cet homme illustre étoit né avec de 1'esprit et du goüt pour les arts, sans avoir de 1'érudition; il ne savoit ni grec ni (i) Ubi verè a fundo arcano, cdta consideratio contraxit, et congessit totam miseriam meam in conspectum cordis mei, oborta est procella ingens, ferens ingentem imbrem lacrymarum, etc., lib. VIII, cap. ia.  DE BARTHÉLEMY. Hij latin. Adonné aux plaisirs, et ayant passé une partie de sa vie dans la société spirituelle de Finsouciant Maurepas, il se trouva totalement désceuvré lorsque celui-ci eut été exilé par Louis XV. Heureusement il étoit ami de Barthélemy, qui résolut de le délivrer des agitations de son oisiveté. II lui rappela le souvenir de son voyage dans 1'Asie mineure , et tacha de rechauffer son ancien amour pour les arts. II Fexcita par 1'espoir d'une réputation durable (1), et lui indiqua les moyens de Facquérir, en publiant un nouveau recueil d'antiquités. Caylus, frappé de cette idéé, ne tarda pas a en proïiter ; et peu de tems après, il mit au jour le premier volume de ce recueil, a Faide de Barthélemy, qui lui fournit des remarques intéressantes. D'autres se snccédèrent assez rapidement, et se seroient peut-êtreencore multipliés, si ce critique judicieux n'eut pas averti Fauteur qu'il falloit mettre un ter- (i) II ne pouvoit 1'attendre de quelques romans échappés a sa plume et auxquels plusieurs personnes ont eu beaucoup de part. d iij  liv éloge me a son enrreprise, au succes de laquelle plusieurs savans dislingués, Le-Beau, Bel- ley , Paciaudi, etc. , concoururent égale* ment» La socïété de gens de lettres , chargée de la rédaction du Journal des Savans , neut pas moins a. s'applaudir d'avoir Barthélemy dans son sein : c'est sur-tout a Malesherbes, qui la présidoit alors, qu'elle fut redevable de eet avantage. II engagea son ami k faire part a cette société de ses lumières : elles étoient süres et dirigées vers le bien des lettres , qu'il aimoit avec passion. Mais Barthélemy sut toujours ménager Famour propre des auteurs. Rien ne pouvoit les blesser dans le trop pelit nombre d'extraits dont il a enrichi eet ancien journal. Quelquesuns sont des modèles de goüt et de critique (1), et on les lit souvent avec plus de fruit et d'intérét que les ouvrages mêmes (i) Voyez ses exiraits des ouvrages de Wood, sur les ruines de Palmyre et de Balbec, dans les ÜEuvres diverses, première partie, pages 207 et 329.  DE BARTHÉLEMY. Iv dont ils rendent néanmoins un compte fidèle. Ce genre de travail, moins brillant qu'utile, fut suspendu par la retraite du duc de Choiseul a Chanteloup. Barthélemy 1'y acaccompagna, et n'oublia rien pour lui en rendre le séjour agréable. Son envie de plaire tenoit aux sentimens de son coeur; aussi les moyens de la contenter lui coutèreut-ils peu. d'efforts, et jamais son imagination ne le servit mieux. Elle lui dicta des parodies heureuses et les badinages de divers genres , qui faisoient les délices d'une société charmante et nombreuse. II rendoit avec usure a tout ce qui 1'environnoit, les plaisirs qu'il en recevoit. Parmi les écrits dont le mérite dépend beaucoup de 1'a propos , des circonstances et du caractère des personnes qu'ils peuvent intéresser, il en est un digne de la plume de Gresset. Je veux parler de la Chanteloupée (i) , petit poëme héroïco-burlesque, en trois chants, plein de grace et de légëreté; écrit avec autant de facilité que d'élé- (i) OEuvres dwerses, prem. parf., pag. 1G7. d iv  Ivj 'ÉLOGE gance. Barthélemy y a su ermoblir son sujet, animer 1'action , répandre de Fintérét, et ramener tout a son héroïne , qu'il loue avec beaucoup de vérité et la délicatesse du sentiment. Quelques années après , une chüte vint troubler ces innocens plaisirs ; il se cassa la clavicule , et ne guérit que pour se livrer avec plus d'ardeur et de suite a ses occupa= tions ordinaires. On étoit étonné de le voir passer des objets les moins sérieux aux choses les plus importantes. Son Voyage dAnacharsis étoit déja commencé, et il en lut des chapitres assez longs, entre autres , celui sur les fêtes de Délos, qui lui attira de justes applaudissemens. Ils Fencouragèrent a continuer eet ouvrage , qui doit fixer ici toute mon attention. Loin d'imiter ces auteurs présomptueux dont notre siècle abonde , qui dédaignent d'étudier avant que d'écrire, Barthélemy employa bien des années a rassembler des matériaux et a les combiner. Etudiant avec soin les textes originaux , il consultoit pourtant les gens les plus versés dans les langues  DE BARTHÉLEMY. Ivij anciennes , sur le sens des passages obscurs ou difficiles. II réunissoit ses amis pour leur lire des morceaux de son ouvrage; ensuite il demandoit a chacun, suivant Tobjet particulier de ses études, ce qu'il pensoit des endroits qui y avoient quelque rapport. II exposoit les difficultés et proposoit ses dou-_ tes avec autant de politesse et de grace que de précision et de cïarté. Dans la discussion ce savant aimable mettoit souvent de Ia chaleur, et presque tonjours il en faisoit jaillir des traits de lumière. Jamais il ne combattoit avec les armes de la prétention et de lorgueil; quelquefois il paroissoit défendre le sentiment opposé au sien, soit pour mieux s'éclairer lui-même , soit pour ménager davantage 1'amour propre de son contradicteur qui croyoit vaincre en perdant sa cause. Quoique depuis dix ans toutes ces consultations eussent été favorables a Barthélemy, et quon les eut pour Tordinaire terminées en Fexhortant a publier le résultat de tant de travaux et le fruit de tant de veilles, il voulut encore pressentir le goüt du public. En conséquence , il fit impri-  ivüj Éloge mer deux fragmens assez Iongs du Voyage du jeune Anacharsis, le premier sur Ia musique , et le second concernant les fétes de Délos. Malgré le succès qu'eurent I'un et 1'autre , il ne se seroit pas déterminé a mettre au jour 1'ouvrage tout entier sans la mort du duc de Choiseul. Dans une paxeille crise, Je cceur avoit besoin du secours de 1'esprit, eest a dire , d'une forte distraction ; et rien n'étoit plus capable de produire un eïïet si salutaire que cette publication. Au reste, dans le Voyage dAnai charsis, le sensible Barthélemy s'étoit ménagé la consolation de faire revivre son bienfaiteur, sous le nom d'Arsame, et d'y parIer de Tépouse qui n'a cessé de le pleurer, sous celui de Phédime. 11 revient plus d'une fois a eet homme célèbre (1) , en fait un éloge très-brillant et y rappelle les principaux événemens de son ministère, au moyen del'allé gorie. Barthélemy avoue mème que ces noms d'Arsame et de Phédime ont été fré- (i)Chap. 61 , tom. V, pag. 106; chap. 8i,tom. VII, pag. 74 , etc.  DE BARTHÉLEMY. llX. quemment sur le point de se mêler a ces récits; il finit par y témoigner le désir qu'après sa mort, sur la pierre qui couvrira sa cendre, on grave profondément ces mots : 11 obtint les bontès d'Arsame et de Phédime. Sans doute quon pardonnera a la reconnoissance de mettre ce langage dans la bouche d'un philosophe scythe. La résolution étant prise, Barthélemy travailla d'abord a revoir son manuscrit. II s'appergut de plusieurs lacunes qu'il remplit sans efforrs; et les nouveaux articles, tels que ceux de Pindare , d'Aristippe, etc , ne portent certainement pas 1'empreinte de la main d'un septuagénaire (i).Non-seulement il y fit des corrections et des additions essentielies , mais encore il eut le courage d'y faire de grands retranchemens ; espèce de sacrifice quicoute tant a la jeunesse , et que la vieillesse se perruet rarement. Triomphant des années et des infirrnités, il oublioit encore la perte d'un ceil. Mais son arnour propre, aussi actif qu'éclairé , avoit (i) Celui d'Aristippe a été fait en 1784,  lx. ÉLOGE des inquiétudes facheuses. A peine le premier volume eut été imprimé, quil fut tenté de le supprimer. II fallut lui arracher, en quelque sorte, tous les. autres : par fois il ne couchoit pas dans sa maison et alloit se cacher dans celle de ses amis pour éviter de fournir de la copie aux ouvriers. Enfin, au bout de trois ans, il vit terminer, presque malgré lui, une impression quon auroit pu actiever en peu de mois. Alors sa crainte redoubla ; et il disoit a ses amis que la chüte de sa triste cornpilation, c'est ainsi qu'il appeloit son ouvrage, ne lui seroit pas supportable, et qu'il la préviendroit en allant s'ensevelir au fond de sa province. Les éloges du public vinrent bientót mettre un terme a ces angoisses, ou du moins a. ces vives agitations de 1'amour propre, d'ailleurs justement alarmé des circonstances. Tous les esprits étoient alors préoccupés et peu disposés a s'éclairer: on ne vouloit plus lire que pour se confirmer dans son opinion; fhistoire étoit devenue une espèce d'arsenal oü chacun alloit chercher des armes pernicieuses ou destructives; les hommes les plus  DE BARTHÉLEMY. Ixj civilisés ressembloient a ces barbares qui trempent leurs flèches dans le poison sans penser aux maux qu'elles leur causeront un jour en les maniant. Toutes les passions sortoient tumultueusement de Fantre de la discorde pour bouleverser la surface de FEurope, Fabreuver de sang et y entasser des ruines. Eh bien ! a eet instant parut un ouvrage dicté par Fhumanité et la saine philosophie, composé en grande partie dans une paisible retraite , et médité, pendant trente ans, sans même prévoir la révolution francoise. Quel succès pouvoit en attendre Fauteur? tout paroissoit le contrarier; il fut néanmoins complet, et surpassa de beaucoup ses espérances : Barthélemy ne cessoit de le répéter (IV) , et toujours avec la surprise d*une modestie sincère. Son premier soin , celui dont le coeur se hata de Favertir, fut de présenter un exemplaire de eet ouvrage au père Raynaud, qui vivoit encore , en y ajoutant de sa main Fépigraphe suivante : Quod spiro el placeo (si placeo) tuum est.:  Ixij ÉLOGE Rien de plus heureux : Ce vers d'Horace (1) exprimoit dune manière touchante les sentimens de Barthélemy a Fégard de son premier maitre. Ce respectable vieillard sembloit n'avoir attendu pour mourir que de jouir de toute la réputation de son élève , placé lui-mème au couchant de sa vie. Elle fut assez prolongée pour quil vit trois éditions du Voyage du jeune Anacharsis, et les traductions qu'on s'empressa d'en faire dans les principales langues de 1'Europe (V ). Tout y retentit des éloges de eet ouvrage. Le droit de les apprécier appartient en dernier ressort a la postérité. Ce que j'en vais dire n'est quune pièce de plus soumise a son tribunal. Afin de le rendre favorable a la mémoire d'un homme dont Famitié m'honnora et ne cessa de m'être utile; je ferai violence k mon coeur en ne parlant que le langage sévère de Fimpartialité. Elevé dans la Scythie par une mère grecque, Anacharsis, du sang royal, vient trou« ver a Athénes Solon, se lie avec lui, en est {i) Carm.} lib. IV, od. III,, vers. 24.,  DE EARTHÈLEMY. Ixiij admiré, et retourne dans sa patrie. Mais ayant voulu y introduire les mceurs et les usages des Grecs, il est tué par son propre frère (j). Cette tradition a fait naitre a Bar-; thélemy 1'idée de supposer un Anacharsis plus jeune et moins malheureux, qui arrivé en Grèce a une époque encore plus brillante , celle oü florissoient Eparninondas, Xénophon, Platon, Ari&tote, Démosthéne, etc.$ tems oü s'étoient passés les grands événernens qui ont illustré les annales decepays. Après y avoir tout observé, ce second Anacharsis revient en Scythie , et y met en ordre ses voyages, qui ont duré vingt - six ans (2). Pour n'être pas forcé d'interrompre son récit, il rassemble dans une introducé tion tous les faits mémorables de 1'histoire des Grecs , depuis Torigine de ce peuple (1) Diogen. Lacrt. , lib. I, cap. 8. Ce récit est en contradiction avec la lettre rapportée par Ci-; céron , Tusc., lib. V j cap. 27. Mais il suffisoit d'adopter 1'opinion commune. (2) Son départ est en ayril 363, et son retour ea 337 ayant Jésus;Cbrist.  Ixbv Éloge jusqu'a la prise d'Athènes par les Lacédémoniens (1), qui précéda immédiatemeni son arrivée. Cette introduction , qui lie le siècle de Périclès a celui d'Alexandre , est un abrégé hislorique d'un nouveau genre : elle offre un tableau fidéle , toujours animé , souvent brillant, quelquefois magnifique, digne du Titien et du Corrège. Sans être sublime , comme Bossuet, et sans avoir d'aussi importans résultats , Barthélemy ne manque jamais d'élévation et donne a son sujet tout 1'intérêt dont il est susceptible, soit par la manière de le présenter , soit par les réflexions qu il en tire. Le portrait qu'il y fait d'Homère, quoique dictë par 1'enthousiasme, aura toujours 1'approbation des hommes qui voudront juger ce grand poëte , non par une froide discussion, mais par sentiment et d'après les régies immuables de la nature. Que de chaieur ne met pas Barthélemy dans sa narration en parlant de la guerre des Perses, et en décrivant les (1) La première année de la quatre-vingt-quatorzième olympiade, 404 avant 1'ère chétienne. célèbres  DE EARTÉHLEMY. IxV célèbres journées de Marathon, des Thermopyles, de Salaraine et de Platée. Cent fois on a lu la plupart de ces détails, et on les relit encore avec le plaisir de la nouveauté et de la surprise ; ils deviennent clairs et intelligibles sous la plurne de notre auteur.i Si, en racontant le combat naval de Salaraine , il n'a pas 1'énergie pittoresque d'AEschyle (1) , du moins a-t-il une partie de Télocution enchanteresse d'Hérodote. Le jeune Anacharsis traverse le PontEuxin et la Propontide, relache aux iles de f Archipel, arrivé en Béotie , passé a Thèbes, et se rend a Athènes , ville dont il fait son séjour ordinaire. II entreprend différens voyages dans les autres pays de la Grèce.i Par-tout il observe les mceurs et les usages, converse avec les hommes célèbres , assiste aux jeux publics et a toutes les fêtes religieuses, s'instruit de la forme et de la nature des gouvernemens, consacre ses loisirs a fétude de lesprit humain , et en suit les progrès , soit a fécole des philosophes, soit dans les (i) la Pers. , vers. Zqz — 43o. e  IxV] ÉLOGE bibliothèques, soit aux représentations théa* trales. Ainsi eet ouvrage nous présente sous une forme dramatique et pittoresque, 1'histoire religieuse, civile , littéraire et philosophique de la nation la plus éclairée de 1'antiquité. Anacharsis part ensuite pour 1'Egypte et la Perse; et pendant son voyage, on lui écrit, de même qua Philotas son ami, des lettres sur les affaires générales de la Grè.ce. C'est un nouveau moyen d'éviter la monotonie, et jamais on ne fit plus d'efforts pour exciter la curiosité, réveiller 1'attention, la soutenir, et reconcilier en quelque sorte 1'érudition avec ceux que le bel esprit et le philosophisme en avoient aliénés. Non content de plaire aux personnes du monde, Barthélemy voulut aussi mériter le suffrage des gens de lettres. C'est a quoi il réussit par la manière savante et lumineuse avec laquelle il discute et approfondit différens objets d'érudition; et quelquefois 1'homme le plusinstruit y apprend ce qu'il croyoit déja savoir. Malgré cela , on ne rencontre nulle part des épines ; 1'auteur cueille par-tout des fleurs, et ne les fane jamais.  DE BARTHÉLEMY. Ixv'lj Nourri de Ia lecture d'Homère , il imite ce poëte, tantót comme Platon , par les graces et 1'harmonie ; tantöt comme Hérodote, par la magie du coloris et le charme de la narration. II a souvent 1'élévation du premier qui n'a pas de meilleur interpréte. Le discours que Barthélemy lui met dans la bouche, au cap Sunium, en est une preuve sensible. On y trouve un exposé très-clair de la doctrine du Timée, un des écrits de ce philosophe qui a le plus exercé ses anciens diSciples , ou ceux qui se vantoient de 1'être; je veux parler des Eclectiques qui ont prété a Platon des idéés quil n'a jamais eues. C'est avec le même succes qu'il fait expliquer par le grand-prêtre de Cérès les divers sentimens des anciens philosophes sur les causes premières , abyme oü vient se perdre 1'esprit humain élancé hors de sa sphère et n'ayant plus de sauve garde. Peut étre valoit-il mieux qu'un autre eüt été chargé d'exposer ces idéés philosophiques ; certainement a cette époque elles n'entroient pas dans la tére d'un hiérophante (i). Une disconvenance (i) Barthélemy pensoitle contraire, mais d'après e * i i  IxVÜj £ L O G E plus forte encore est dans les trois èlégles que Barthélemy fait réciter a Comon , sur le sort des Messéniens. Pourquoi y prend il le ton des prophètes hébreux ? les Grecs ne le connoissoient pas, et on en trouve seulement quelques traits dans les Eumènides d'AEschyle; mais cette pièce est une tragédie et non une élégie. L'auteur suit une méthode plus naturelle dans le beau chapitre concernant les opinions religieuses; et y renferme avec beaucoup d'art et de clarté tout ce que les anciens ont imaginé de plus sublime et de plus consolant sur la Divinité.; II s'élève a la hauteur de son sujet, s'exprime comme Platon et conclut de même, « La religion, dit - il, n'est pas plus exi« geante que la philosophie : loin de preset crire a 1'honnéte homme aucun sacrifice « quil puisseregretter, ellerépand unchar« me secret sur ses devoirs, et lui procure « deux avantages inestimables , une paix « profonde pendant la vie, une douce es« pérance au moment de la mort. » le systême de Warburtoa ment des sommes que fournirent a Aihènes les trésoriers d'une caisse particulière, sous 1'archontat de Glaucippe, la troisième année de la quatre-vingtdouzième olympiade (2). Mais les remarques dont Barthélemy accompagne son explication sont trè.-instructives et pleines de sagacité. Dans 1'une, il réfute fort bien l'opinion de Petau, Dodwell et Corsini, sur 1'ordre des quatrièrne et cinquième mois de 1'année attique, et établit la sienne avec beaucoupdeprobabilité; iléclaircit, dans uneautre , quelques difficultés sur les fétes de Bacchus, le prix des denrées au quatrièrne siècle (1) Arrivée k Nimes le premier septembre 1784. (2) C'est-a-dire, depuis Ie 14 j'uillet de 1'année 410 avant Jésus-Christ j'usqu'au 2 j'uillet de 1'an 406, Ia vingt-deuxième année de la guerre du Péloponèse.  IxXXij ÉLOGE avant Tere vulgaire. II fait de judicieuses observations relatives a plusieurs points essentiels de la paléographie grecque, sur-tout a 1'époque de 1'introduction des voyelles longues sur les monumens publics (1); et son i sentiment k eet égard doit désormais servir de régie. Avant de mettre au jour cette dissertation sur le marbre de Choiseul, Barthélemy, revenant sur ses pas, avoit examiné de nouveau un des premiers objets de ses études , concernant quelques médailles en caractères samaritains. II justifia le sentiment d'Henrion (2), qui prétendit que les médailles avec les années 1, 2 , 3,4, avoient été frappées sous 1'empereur Hadrien, par le fameux Barchochebas, eet ambitieux fanatique qui précipita les Juifs dans les plus affreuses calamités, dont les crimes d'un peuple aient jamais été punis. Loin d'imiter ces savans féconds en hypotheses et si prodigues d'éru- (1) Sous Euclide Archonte, k Athènes, Ia seconde année de la quatre-vingt-quatrième olympiade, -*H ayant 1'ère chrétienne. (2) Acad. des inscr. , tom. III, pag. 198.  DB BARTHÉLEMY. Ixxxiij tion quand il s'agit de défendre leurs anciennes erreurs , Barthélemy révéla les siennes avec une rare franchise. «La médaille, dit« il, que je produis prouve que je me suis « trompé. » Et sans vouloir décider: — « J'ai« merois mieux propos er des questions qu'en« treprendre de les résoudre; et je ne hasarde « les rélïexions suivantes que pour en solli« citer de plus propres a répandre quelque « jour sur cette matière (1).» Tel étoit le langage de modestie que ce savant, éclairé par une instruction profonde, n'avoit jamais cessé de tenir. II écrivoit encore : « Je ne « mets pas beaucoup de prix a mes produc« tions, persuadé qu'avec les mêmes peines « et la mème constance , un autre auroit été cc beaucoup plus loin (2).» Voila certainement la vraie philosophie du savoir, bien opposé a cette misérable vanité d'une foule d antiquaires qui, se livrant aux plus frivo- (1) Lettre aux auteurs du Journal des Savans, du 20 avril 1790. (2) Lettre a Perez-Bayer, 29 aout 1780. ad ealc. de JSfumts Hebreo Samar,, pag. 2.  ÏXXXiV ÉLOGE les conjectures , et les appuyant de recherches puériles, s'imaginent faire des ouvrages durables. On peut les comparer a des hommes oisifs qui seroient péniblement oscupés a attacher des toiles d'araignée aux ailes d'un moulin a vent. Si personne n'a eu des connoissances numismatiques plus étendues que Barthélemy, il faüt aussi favouer, personne n'eut autant que lui de moyens pour les acquérir et les perfectionner. Prés de quatre cents mille médailles avoient passé sous ses yeux. II doubla le nombre de celles des villes et des rois dans le cabinet dont la garde lui étoit con-? fiée , et tout le reste a proportion ; de sorto qua sa mort cette collection s'élevoit a plus de soixante mille médailles, monnoies et jettons, sans y comprendre les doublés. La première acquisition qu'il fit pour ce dépot fut celle du médailler de Clèves; et une des dernières , mais la plus importante de toutes, celle de la superbe collection de Pellerin (1). (i) Voyez le Mèmoire sur le cabinet des médailles daas les OEuvres diverses de J. /. de Barthélemy.  DE BARTHÉLEMY. ÏXXXV Elle conslstoit en trente-trois mille pièces , dont vingt mille ont été incorporées dans les différentes suites du cabinet. Rien ne manquoit plus aux désirs de Barthélemy que de communiquer aux savans de 1'Europe un pareil trésor; en conséquence il forma le projet d en donner un état exact et circonstancié , qui devoit être accompagné d'une description raisonnée. Malheureusement 1'aveu duministre, Breteuil, ami des lettres, qu'il obtint en 1781, devint infructueux par le défaut de secours pécuniaires qu'exigeoit de sa part une si grande entreprise. Pendant Ia durée de 1'assemblée constituante, de nouvelles; tentatives furent faites, mais avec aussi peu de succes, et ne laissèrent même aucun es^ poir de réussite. Comme un enfant qui va se consoler dans sa familie des contradictions qu'il éprouve, Barthélemy vint alléger sa peine au sein de 1'académie des belles-lettres. II n'avoit jamais oublié qu'il s'étoit formé a son école, et qu'il lui devoit sa propre existence dans le monde littéraire. En 1'illustrant a son tour par ses travaux et ses découvertes, il crut a la fois ƒ »>"  Ixxxvj ÉLOGE s'acquitter d'une dette sacrée et accroitre la considération dont il jouissoit lui-raèrae. A cette compagnie principalement se rappor toient töutes ses études, et a elle seule son coeur faisoit 1'hommage le plus libre etle plus pur de ses succès. La gloire de eet illustre corps étoit la première de ses pensees et dirigeoit toutes ses démarches. Dans les élecr tions, oü ce sentiment régénérateur fut quelquefois oublié, Barthélemy évitoit 1'intrigue , résistoit au crédit, ne se laissoit pas éblouir par de vains titres , enfin , n'écoutoit que sa conscience. «Ma voix, disoit-il avec sincé« rité, appartient a 1'académie, et il est de « mon devoir de la donner a celui qui peut le « mieux la consoler de ses pertes (VIII).» Le bonheur de ses confrères ne 1'intéressoit pas moins , c'étoit le plus ardent de ses vceux; souvent il sollicitoit pour eux le ministre et en obtenoitdes placesou des pensions. Lorsqu'a la révolution les uns eurent été réduits a la pauvreté et les autres a 1'indigence, il parut plus occupé de leur sort que du sien, et répétoit sans cesse : — Manquent-ils de quelque chose? Ah! ils souffrent; pour-  DE BARTHÉLEMY. IxXXVi] quoi ne viennent-ils. pas me voir? — Et il gémissoit. Devenu le doyen de 1'académie, qu'üne destruction prochaine ménaqoit, Barthélemy exprimoit assez le chagrin qu'elle lui causoit, soit par ses paroles, soit par son maintien. Dans les dernières assemblées , oü se rendoit encore un petit nombre de ses confrères, ils 1'accueilloient avec joie; ensuite, se pressoient tristement autour de lui, comme des nautonniers a la vue du naufrage , auprès d'un vieux pilote dont ils attendent quelque mot de consolation. On l'obligeoit a présider; enfin , on 1'écoutoit avec cette déférence et ce respect que 1'age et le mérite n'obtiennent pas toujours. Peut-être que dans une adversité commune les hommes sont plus justes ou moins susceptibles d'envie. Ce qu'on prévoyoit avec anxiété arrivabientót; les académies , qui offroientde* puis long-tems 1'idée importune d'anciennes corporations , furent toutes supprimées par le même décret (1). Elles ont sans doute une (ij Celui de la convention nationale du 8 aout 1793.  IxXXVlij ÉLOGE part assurée a la reconnoissance de Ia postérïté ; celle des inscriptions et belles-lettres se 1'est évidemment acquise par des services moins éclatans qu'utiles ; elle recueilloit les connoissances de tous les ages , en formoit un vaste dépot, veilloit sur ce précieux héritage et travailloit a 1'augmenter. Cette société, essentiellement conservatrice, a porté le flambeau de la critique dans les ténèbres de 1'hisloire, a raffermi parmi nous les bases du gout , et a gardé comme le feu sacré de Vesta la dernière étincelle de 1'érudition; et si jamais elle se rallume en France , on le devra sans doute au legs inappréciable de cette savante académie, celui du plus considérable recueil de littérature qui ait existé jusqu'aujourd'hui. Lorsque, dans une tempéte , les arbres qu ombrage un chène antique sont arrachés et dispersés , celui-ci reste isolé et presque déraciné. Tel fut le sort de Barthélemy après la suppression de facadémie. Néanmoins il voulut encore résister et tenir a la vie par de nouveaox travaux. Ce qu'il avoit écrit autrefois sur lapaléographie uumismatique n'é-  E E BARTHÉLEMY. IxXxix toit quun essai; il prit la résölution de le conlinuer, et même de 1'augmenter au point d'en faire un traité complet. Ce projet étoit seul capable de le clistraire; il consistoit a classer les plus anciens monumens de Tart, a établir sur ce sujet des principes de critique d'après Icsquels il comptoit examiner les marqués générales qui servent a reconnoitre Je tems précis ou approxirnatif d'une médaille. Ensuite il devoit discuter tout ce qui a rapport a la fabrique , au métal, au poids et a la grandeur, a la forme des lettres et a. la nature des types. Pour exécuter un pareil dessein , il falloit soumettre a un nouvel examen des suites nombreuses de médailles des villes et des rois , les comparer, soit entre elles, soit avec les autres monumens de 1'antiquité, saisir, combiner mille rapports souvent légers et presque imperceptibles , remonter a 1'origine de la gravure des médailles, et, malgré le silence des histo* riens , suivre eet art dans ses opérations , dans ses progrès et dans les révolutions qu'il a éprouvées en différens pays; se faire pour chacun de ces pays des systémes particul'iers  X6 ÉLOGE qui se rapportassent tous a un plus grand, et qui fut lui-mérne concilie avec Thistoire des arts en général, et avec celle du comrnerce , qui influe toujours sur le nombre , le poids et la valeur des espèces (1). Aucun homme de lettres n'avoit eu autant de ressources que Barthélemy pour réussir dans une entreprise de cette nature. II s'étoit ouvert lui-même la carrière , en avoit mesuré toute fétendue, et étoit presque assuré d'y étre couronné par des juges non moins instruits qu'équitables. II auroit donc du la parcourir depuis long-tems avec confiance. S'il n eut mème achevé dans sa vie que ce seul ouvrage , sans doute que sa gloire auroit été moins brillante; mais peut être auroit-elle gagné du cóté de la solidité. II ne se dissimuloit pas quelquefois fespèce de reproche que ses plus sincères admirateurs ne craU gnirent pas de lui faire la-dessus (,2). Cependant leur sentiment n'entra pour rien dans (1) Acad. des inscr. , tom. XX!V. pag. 3i. (•2) Vid. E-ckhet Doririn. numor. veter, proleg., cap. 20, tom.I, pag. i32. et alibi.  DE BARTHÉLEMY. XCj les motifs qui fengagèrent a reprendre ses premiers travaux sur les anciennes médailles. Fatigué par les années, il désiroit moins s'élancer de nouveau dans la lice que d'en sortir tout k fait. II cherchoit seulement k se faire des illusions. «II en est une pour moi « de continuer ma paléographie , m'écrivoit« il; c'est une diversion pour mes infirmités « et pour mes peines... La seule chose que « je regretterai en mourant, c'est de ne pas « terminer mes travaux sur les médailles ; « car la carrière est immense, et bien peu « de gens auroient la patience de m'y suivre. «c Néanmoins je continue, ayant besoin de « remplir les longues et éternelles heures de « la journée. Autrefois elles me paroissoient « courtes , avec de la jeunesse et de la santé; « maintenant elles ont le poids d'une journée « ou même d'un siècle (1), etc...» La partie de la grande Grèce et la Sicile a été achevée, ainsi que les deux ou trois autres chapitres concernant la Grèce proprement dite. Les matériaux de tout le reste étoient ras- (i) Lettre du 26 prairial, 1'an II.  xc'j eloge semblés et préts d'étre mis en oeuvre. Peutétre que eet important ouvrage eüt été plus avancé sans le dessein quil concut de donner une nouvelle édition du Voyage cTAnacharsis , et un recueil de ses différens mémoires , lus a 1'académie, avec des additions. Mais 1'idée de ces projets étoit souvent troublée par les réflexions que Barthélemy faisoit sur 1'état déplorable des Iettres. II s'appercevoit depuis long-tems de leur décadence en France , et présageoit que leur chüte totale étoit prochaine et inévitable. On lui avoit dü en grande partie la création d'une seconde classe d'associés libres, a 1'académie des belles-lettres,, et un réglement nouveau (i) pour ranimer le goüt du travail, qui commencoit a s'y perdre. La suppression de ce corps ne lui laissa aucun espoir, et lorsqu'on lui parloit de ses ouvrages, ou des objets qui avoient un rapport direct avec ses études les plus ché-; nes , il disoit, en soupirant: — A quoi bon désormais cela ? on ne s'en occupera plus ; ils détruiront tout. — Le néant du savoir et (i) Celui du 22 décembre 1786.  DE BARTHÉLEMY. XCÜj rillusion de la renommee se pre'sentèrent alors a son esprit, et auroient suffi pour le dégoüter de la vie , s'il neut pas éprouvé des sensations d'un autre genre, qui la lui rendirent presque insupportable. Son ame étoit profondement afïectée des calamités publiques, au point même qu'il devint indifférent sur la perte de sa fortune, et ne pensa bientöt plus au danger éminent qu'il venoit de courir. La révolution francoise, après avoir privé Barthélemy de vingt - cinq mille livres de rentes et réduit au plus étroit nécessaire, 1'exposa encore a. périr sur un échaffaud. Sa réputation auroit du Fy conduire promptement dans cette affreuse crise,oü le mérite connu étoitd'abordun motif desuspicion; ensuite un arrêt de mort, oü 1'on sembloit vouloir abolir la conscience du genre humain, en ne laissant pas exister un seul homme de bien (1). Cependant cette même réputation sauva Barthélemy. Dénoncé , avec rolusieurs (i) Tacit.f Vit. Agrie,, cap. 2.  XCiv ÉLOGE membres de la bibliothèque (1), parun vil et lache calomniateur, il est conduit aux Madelonettes (2). Les prisonniers qui s'y trouvoient, apprenant son arrivée, descendent tous au bas de 1'escalier, et 1'y recoivent avec une sorte d'attendrissement mélé de respect. Dans eet intervalle , deux députés, Danton et Courtois, avertis de sa détention , font révoquer 1'ordre qu'on avoit surpris au comité de süreté générale, et a finstant Barthélemy recouvre sa liberlé, seize heures seulement après Favoir perdue. L'Europe littéraire lui devoit trop pour ne prendre aucun intérêt a son sort. A la première nouvelle de sa détention, Valarme fut universelle; et lorsqu'elle fut dissipée, la joie éclata de toute part, et les gazettes étrangères Texprimèrent d'une manière non équivoque. La France y fut encore sensible, quoi- (1) Chamfort, Désaulnais , Capperonnier , Barthélemy-Courcai, Van-Praet et Barbié du Bocage, noms qui ne doivent pas être oubliés dans les fastes honorables de la persécution. (2) Le 3 aeplembre 1790.  DE BARTHÉLEMY. CCCV que tous les sentimens y fussent comprimés et que la douleur seule errat en silence» On voulut méme réparer, en quelque sorte, 1'outrage fait a 1'auteur $ Anacharsis. Le ministre Paré vint lui offrir la place de bibliothécaire. «< Sa démarche, dit Barthélemy , les « graces dont il 1'accompagna, tout étoit fait « pour m'attendrir , je résistai a mon senti« ment, et malgré les marqués touchantes tt de son tendre intérét, j'eus la force de re« fuser cette place (1).» En vain le ministre insista soit de vive voix , soit par écrit, Bar* thélemy tint ferme, et répondit modestement que son inaptitude pour les affaires étoit si forte qu'il aimoit mieux recevoir des ordres que d'en donner. II finissoit sa lettre par 1'assurer que son age, de prés de 80 ans, accompagné d'inhrmités , ne lui laissoit d'autre ambition que de passer tranquillement le reste de ses jours (2). La Providence ne permit pas que ce vceu (1) Notes manuscrites de Barthélemy. (2) Lettre au citoyen Paré, ministre de i'intérieu"-, du 24 vendémiaire, 1'an II.  OCCVj ÉLOGE fut accompli • elle lui préparoit de plus vives tribulations. Si je ne puis rendre ici toutes les expressions de sa douleur, au moins ne la voilerai-je pas; elle fut sans mesure , comme sans remède. L'horrible catastrophe de ses meilleurs amis portoit successivement et sans interruption des coups mortels a son coeur. L'unique personne qui pouvoit verser du baume lui fut enlevée; et il ne put plus avoir cette consolation si nécessaire dans 1'adversité, la vue d'un être bienveillant, suivant la pensée d'Euripide (i). Du moins cette amie ne périt pas et n'eut point le sort de Bailly, de Lepeletier de Rosanbo, de Boutin, de Lefebvre d'Ormesson , de Lamoignon de Malesherbes, etc.,., innocentes victimes de la tyrannie, auxquelles Barthélemy étoit attaché par d'anciennes et étroites liaisons. Alors se fit en lui un changement remarquable. Désenivré de la gloire, son amour pour elle, s'affoiblit chaque jour; bientöt il ne s'embarrassa plus de 1'avenir pour lequel il avoit tant vécu ; le désir de plaire ne le do- (i) Ion, vers 723. mina  DE BARTHÉLEMY. OCÓvtf mma plus, et son caractère parut s'exaspérer. II s'indignoit contre le genre humain, et lui prodiguoit des épithètes, inspirées par une misantliropie que malheureusement il est si facile d'absoudre au tribunal de la philosophie. II disoit dans ses acces d'humeur que la révolution étoit malnommée , et quil falloit 1'appeler une révkxation. Trop accoutumé de juger les Hommes d'après Iui-même, Barthélemy n'a voit jamais cru sincèrement a leur mechanceté : les voyant atroces , il confessoit son erreur et exprimoit son profond dépit par ce mot énergique. Le coeur a besoin d'illusions ; quand les plus douces et les plus anciennes s'évanouissent entièrement, sa douleur est une crise plus ou moins prolongée de mort. A la vé* rité, 1'action de cette Made de maux qu/ affligeoit la France s'étoit ralentie; mais elle avoit déja ébranlé les frêles organes de Barthélemy : le poids de ses infirmités s'aggrava de jour en jour. Des accidens assez fréquens annoncoient depuis quelque tems 1'ap; pauvrissement de son sang; la peine d'étre lui devint peu supportable, les sources de S  xcviif ÉLOGE la vie étant taries. II sentit alors que sa dernière heure approchoit, et nen parut pas moins occupé des autres. Son ancien confrère Bréquigny touchoit également a sa fin et éprouvoit encore de vives souffrances : Barthélemy , trés - affecté de son état, ne cessoit den demander des nouvelles. De son cóté, Bréquigny avoit les mêmes inquiétudes sur le sort de son ami, quoiqu il nespérat pas de lui survivre. Ainsi un intérêt réciproque soutenoit ces deux illustres vieillards, marchant dun pas presqueégal vers le tombeau. Cependant Phédime, latendre et vertueuse Phédime étoit toujours dans la pensée de Barthélemy. — Qüon ne lui apprenne pas mon état, disoit-il, elle en seroit trop émue. — Quelle précaution ! famitié seule peut 1'inspirer dans de pareils momens : cétoient les derniers de Barthélemy; eet homme sensible mourut, le 3o avril 1795, entre les bras du neveu (Barthélemy-Courcai) quilchérissoit le plus, auquel il avoit servi de père, et qui le soignoit avec une piété filiale, devoir inconnu déja parmi nous , sentiment presque effacé de nos cceurs.  DE BARTHÉLEMY. XCÏx La mort J. J. Barthélemy fut accompagnée d'une circonstance remarquable, mais qui n'est pas difficile a expliquer , nos habitudes ayant quelquefois sur nous une action spontanée, a Finstant méme qu'on va les quitter pour toujours. Après avoir parcouru des yeux une gazette , il demanda les OEuvres dHorace ; les ouvrit en Fendroit de la quatrièrne épitre du premier livre; parut s'y arréter un instant; fit signe qu'on lui en apportat la traduction par Dacier. Mais ses mains déja froides ne purent tenir ce volume; il le laissa tomber , entra dans une douce agonie, et expira bientót après (IX). Quelques-uns de ses amis ne 1'abandonnèrent point et lui donnèrent tous les secours qui dépendoient d'eux, entre autres , un des plus anciens, Poissonnier, son médecin. Hélas ! je me présentai encore chez lui lorsqu'il n'étoit plus, et mes yeux errans autour de son cercueil Ie suivirent de loin, jusqu'au lieu de sa sépulture. II y fut transporté dans un morne silence et sans le moindre appareil; Fhomme mort ayant cessé d'avoir pour cortège, la com misération et la piété. Maitre suprème de C 71 Ö V  C ÉLOGE DE BARTHÉLEMY. la vie ! veux - tu donc que, privé des premiers objets de ma tendresse, je survive de plus k tous mes amis, dans un terns oü Ton ne peut les plaindre. Quelle consolation ! Serace perpétuellement la mienne dans ce peu de jours, la nüit de mon coeur, que je me vois condamné k passer, couvert des voiles lugubres de la tristesse. 'JSfunc et amara dies, et noctis amarior umbra est; Omniet jam tristi tempora felle madent. Tibüll., lib. II, eleg. IV, vers. 11 et 12. s. c.  PIECES JUSTIFICATIVES. I. « Madeleine Rastit Barthélemy laissa deux Els et deux « filles qui ne démentirent jamais leur honorable naissance, nï « les lecons et les exemples d'un père si universellement estimé « de ses conciroyens, que le jour de sa mort fut un jour de deuil « pour toute la ville d'Aubagne. La mort du frère de celui dont « j'écris la vie fit dans la suite le même effet; et c'est ainsi qu'una « succession de vernis non interrompue a honoré cette respecta« ble familie, bien plus que n'auroient pu faire les titres et les « décorations dont la vanité fait tant de cas : précieux héritage « que les neveux de Jean-Jacques Barthélemy étoiem bien dignes « de recueilli'r , et qui ne dépérira pas entre leurs mains.» Essai sur la -vie de J. J. Barthélemy , pag. 6 et 7. Ce passage supplée k ce quej'ai rapporté sur la familie de eet homme célèbie. Les paroles en sont remarquables dans la bouche de 1'auteur , qui avoit puisé la plus grande partie de son Essai dam des notes manuscrites rassemblées par Barthélemy sur ce qui le eoncernoi't. Je I'y avois engagé; et le lui ayant rappelé peu de tems avant sa mort, il me répondit : « J'ai jeté surle papier quelques légères réflexions sur ce « que j'ai fait, mais trés-supeificiellemeut; car je m'appergus « bientót que je ne méritois pas de m'occtiper de moi. Je ne sais « pas mème si je n'ai pas brülé ce foible essai. » II m'a été communiqué, jeu ai fait usage et cité mème des fragmens. On ne doit donc pas être étonné si je rapporte , en trois ou quatre endroits , des détails peu différens de ceux dans lesquels M. de Nivernois est entré. Du reste, dans eet éloge, je n'ai parJéi du P'ojnge du jeune Anacharsis, du moins en grande partie , g üi  cij V I È C E s que d'après ce que j'en avois dis moi-même dans les numéros 43 et 44 du Juurnal génèral de France, 1789. Ces articles étoient le fruit d'une lecture suivie et réfléchie de eet ouvrage ; j'y ai ajouté seulement quelques réflexions que j'ai faites depuis , ou entendu faire par des hommes éclairés. II. Le premier alphabet phénicien que Barthélemy a publié est tiré do 1'inscription de Malthe et des médailles de Phénicie; le secoud , des médailles de Sicile ; le troisième, des inscriptipns da Chypre, rapportées par Pococke; le quatrièrne, du monument de Carpentras ; et le cinquième d'une nouvelle inscription trouvée a Malthe. I.es quatre premiers se trouvent dans les volumes XXX et XXXII du Recueil de Vacadémie des belles-lettres , et le dernier dans Ie Journal des savans , décembre 1761. Barthélemy parle de celui-ci, dans une note manuscrite, en ces termes : cc Vers le ce mois d'aoüt 1761 , on découvrit a Malthe uns petite caverne , cc oü se trouvoit un cadavre et une inscription grossièrement tail« lée dans le roe, en un espace de sept pouces de hauteur et de I È C E S " plus grand poëte de la Grèce, eet homme dont vous avez si « dignëment parlé , passoit pour le premier de ses historiens , k et son nouvel historiën auroit, comme Platon , passé pour un tc de ses plus grands poëtes, si une action dramatique , des cak ractères bien soutenus, des images brillantes sont de la poésie. « Les villes de la Grèce regardoient comme un titre de gloire tc d'être nommées dans les poëmes de celui dont elles se dispuet tqient le berceau. Jugez, monsieur , si moi, qui occupe dans cc 1'empire des lettres un si petit coin, je dois être fier de troucc ver mon nom dans votre magnifique ouvrage. II est intéressant cc pour toutes les classes de lecteurs; mais il acquiert un nouveau cc degré d'intérêt pour ceux qui ont vu les scènes des grands évé« nemens que vous décrivez. Vous avez vu les lieux mêmes aussi « bien que les voyageurs les plus attentifs. lin revenant d'Athè« nes , je m'étois flatté un instant d'être consulté par vous; je fuS cc agréablement surpris d'être instruit par vous-même de tout ce « que j'avois vu. On dit que 1'académie d'Athènes va être associée cc a celle de Paris. Je rends grace a celui par qui va s'opérer cette cc confraternité. II sak combien je me tiendrai honoré de la siencc ne , et 1'inviolable attSchement que je lui ai voué. » VII. On ne peut dissimuler que Barthélemy n'ait eu quelques censeurs; mais, 4 1'exception d'un, ils n'ont publié, en notre langue , aucune critique du Voyage d'Anacharsis. Je n'en aurois pas mème parlé si celui-ci n'étoit pas un homme de mérite, et qui fait honneur k 1'université de Paris , dont il étoit membre. Peut être s'est-il laissé séduire ou circonvenir par les envieux de Barthélemy, du moins il en tient le langage. Ecoutons-le quelques instans: cc L'auteur du Voyage d'Anacharsis , dit M. G..., « est depuis long-tems répandu dans le grand monde; sa fortune, cc très-rare pour un homme de lettres, lui donne une existence cc considérable dans la «ociété. II a des protectrices zélées qui, cc par leur sexe , leur naissance et leurs qualités personnelles, ont « la plus grande inlluence sur 1'opinion publique. Borné k un  JUSTIP ICATIYES. CVÏJ « genre d'étude plus paisible que brillant et qui donne peu de ee rivaux, il ne s'est fait aucun ennemi; une honnèteté toujours « soutenue, des mceuvs douces et aimables , une conduiteisans « reproche lui ont concilie une bienveillance universelle ; il est « 1'ame et le conseil d'une illustre compagnie de savans , dont la k plupart lui sont attachés par les liens de 1'estime et de Ia reet connoissance. Son age ajoute encore a 1'intérèt qu'il mspire. ■e En effet, les disgraces littéraires sont plus douloureuses dans la « vieillesse, paree qu'on ne peut plus les réparer ; les jouissanceS « de 1'amour propre sont aussi plus vives et plus sensibles , paree cc qu'elles sont alors les seules et, en quelque sorte, les dernières cc auxquelles le coeur puisse s'ouvrir. L'auteur du Voyage d'Anacc charsis semble avoir attaché au sort de son ouvrage , fruit de cc trente ans de travaux, le bonheur du reste de sa vie. N'est-Ü cc pas naturel que 6es nombreux amis s'empressent d'y contribuer cc par leurs éloges , et qu'ils se montrent jaloux de répandre des cc fleurs sur la fin de sa carrière. J'ose assurer que si le Voyage cc d' Anacharsis , tout estimable qu'il est en lui-mème , eut éte cc lancé dans le public par un auteur inconnu, auquel personne cc ne s'intéressat, et qui n'eut aucune existence dans le monde, cc il n'eüt fait qu'une sensation médiocre, précisement paree qu'il cc est sage, judicieux et raisonnable , etc.» Année littéraire 1789 , n". 7 , pages 293 — 94. Si le succès du Voyage d'Anacharsis avoit tenu aux considérations dont parle ici le critique , il auroit été bien passager , ou du moins n'auroit-il pas survécu a son auteur. Au contraire, eet ouvrage s'est parfaitement soutenu, et a été accueilli avec empressement des nations étrangères, dont Ia voix est pour 1'ordinaire celle de la postérité , et sur lesquelles ces mêmes considérations ne peuvent avoir la moindre influence. Quelques unes font honneur a Barthélemy ; mais une envie seciète paroït les avoir dictêes sous le masqué de la bienveillance. ce Cette forme de voyage , qui a 1'air de répandre , dit encore Ie ce censeur, sur 1'onvrage une agréable variété , ne sert absoluce ment qn'h y mettre le désordre et la confusion. Le jeune voya-  CVUJ PIÈCIS « geur, aprês avoir effleuré un objet, passé a un autre; 1'esprit « se faligue a Ie suivre dans sa marclie vogabonde, et de cette « foule de détails isolés et saus liaison , il ne résulte, pour le lec« teur aucune instruction nette et précise ; p ne connois que 1'ark ticle de Lacédémone qui soit traité de suite et qui offie un ta« bleau fixe et déterminé , etc... » II propose ensuite un plan , cjui n'étoit pas difficile a imaginer : j'ai déja répondu au reproche fait a Barthélemy sur le sien; mais ce qui doit trés - étonner , c'est la préférence que M. G... donne a. VHistoire de la Grèce par CousinDespréaux, soit pour 1'ordonnance, soit pourl'exécution. En vérité, rien nest moins soutenable ou plus ridicule. Cet écrivain n'a aucun des talens qu'on exige d'un historiën. Son ouvrage n'est qu'une triste compilation, oü , sans consulter les originaux , il a copié les différentes traductions que nous en avons; ainsi que je 1'ai démontré dans un rapport que je fis, en 1785 , a 1'académie des belles-lettres. Comrnent notre ciitique ose-t-il avancer qu'il ne résulte de la lecture du Voyage d'Anacharsis aucune instruction. nelte et précise , en avouant dans un autre endroit que les extraits et les analyses de Barthélemy sont une des parties de son ouvrage oü 1'on trouve le plus de soin et d'exactitude, Année littér/ire , u°- '9 > Pag- *94- Mais c'est trop s'arrèter aux observations d'un censeur qui auroit besoin lui-même d'indulgence sur beaucoup de choses qu'il hasarde dans sa critique trop longue, trop partiale , etc... VIII. Donnons une preuve du courage que Barthélemy montra dans ses sollicitations relatives aux places de 1'académie. Le duc de Caylus en désiroit une avec ardeur. ÜN'ayantpu réussir lui-même a se rendre Barthélemy favorable , il eut recours au baron de Bezenval, ancien ami du duc de Choiseul, et qu'il espéroit a ce titre avoir du crédit sur 1'esprit de Barthélemy. Mais cette démarche fut encore inutile, et 1'académicien ïépondit sans hébiter : « J ai dit k M. Ie duc de Caylus , qu'il seroit k souhaiter pour lui « et pour 1'académie qu'il se proposat pour honoraire, plutót qua  J U S TI FI C AT I VE S. CIX k pour associé ; que nous avions besoin de travailleurs , que nos « séances languissoient, qu'il nous falloit des savans assidus eten cc état de nous donner de bons mémoires ; enfin, que sa démarche, « si elle réussissoit, alloit exclure pour jamais un homme de lette tres (1) qui a déja eu deux f'ois les secondes voix , et qui vrai« semblablement auroit eu cette fois-ci les premières. Jugez vous« même , monsieur le baron , si dans eet état de choses j il ne « seroit pas a désirer que M. le duc de Caylus eut préféré le titre ce d'académicien honoraire a tout autre. Je voudrois de tout mon « coeur pouvoir disposer de ma voix , elle seroit pour lui, au« tant par déférence pour vous, que par 1'honneur qu'il veut faire « a la classe des associés. Mais j'ai toujours été persuadé que ma te voix u'étoit pas a moi , elle est a 1'académie, et il est de mon « devoir de la donner a celui qui peut le mieux la consoler de ses ce pertes. 11 n'est pas dans mon caractère d'intriguer, je ne cher-, ce cherai point k prévenir personne. Je crois cependant qu'il me « sera permis de dire mon avis k celui qui me le demandera. Je ce serois facbé que cette conduite püt déplaire a M. le duc, de Caycc lus , mais je suis bien assuré qu'elle auroit été souverainement cc approuvée de M. le comte de Caylus. Au roste, s'il réussit, cc il ne trouvera pas de serviteur plus sincère parmi ses confrères cc que je le serai. » IX. Dans la première édition de eet éloge , ou plutot dans Ia premier essai sur Barthélemy, je rapportai 1'anecdote qu'on vient de lire, en ces termes : « Une heure avant sa mort, il se fit aptc porter Horace ; et après avoir lu avec aUer.tion la quatrièrne cc épitre du premier livre , il demanda la traduction de ce poëte cc par Dacier , sans doute pour en consulter quelque note.» On m'a fait sur cette phrase des reproches qui sont fondés. J'ai pris des (i) Vauvilliers, fort liabile dans la langue grecque, et connu alors pur «a traduction de Pindare.  CX PIÈCES JUSTIFICATIVES. informntions plus exactes , et j'ai tout rectifié. Certainement j'avois tort de prêter a une action purement machinale, une réflexion qu'elle n'avoit pas. Elle n'étoit que la suite d'une grande habitude, et Ia maniére dont Barthélemy est mort ressemble k celle de Leibnitz. Ce grand homme, un moment avant que d'expirer, demanda de 1'encre et du papier ; il écrivit; mais ayant voulu lire ce qu'il avoit écrit, sa vue s'obscurcit, et il cessa de vivre.  VERS A l'auteur des Voyages du jeune Anacharsis dans la Grèce (1). D'athènes et de Paris la bonne compagnie A formé dès long-tems votre goüt et vos moeurs; Toute 1'antiquité par vos soins rajeunie Reparolt k nos yeux sous ses propres couleurs; Et vous nous rendez son génie. Au milieu de la Grèce Anacharsis errant Sait plaire k tous les goüts dans ses doctes voyages; Etonne 1'érudit, et charme 1'ingnorant; Aux soupers d'Aspasie, au banquet dessept Sages, Vous auriez eu le premier rang. Le style a du sujet égalé la richesse , Et sa parure et sa clarté. (i) Ces vers sont d'un poëte aimable, vertueux et plein de talens , Fontanes, auquel 1'académie francoise adjugea le prix de poésie, dans la séance publique oü Barthélemy fut ree, u. On a cru qu'ils méritoient d'être conservés, et qu'ils ne seroient pas ici déplacés. D'ailleurs, 1'auteur est proscrit et malheureux ; raison bien forte pour ne pas oublier ses écrits.  cccij VïllS II joint tous les trésors de 1'antique sagesse A la moderne urbanité. Quels tableaux différens! Dans 1'Elide emporté, Quelquefois a travers la poussière olympique Je suis Ie vainqueur indompfé Qui voit déja Pindare entonnant son cantique. Prés des sages farneux plus souvent arrêté, Je viens trouver Terreur sous le grave portique En y cherchant la vérité. C'est en vain que Zénon défend la volupté, ■ Des beaux arts la foule immortelle L'inspire a chaque pas sous un ciel enchanté ; Phryné sort de la mer, et soudain sa beauté Montre Vénus a Praxiièle. Jupifer m'apparolt , oui, du maitre des dieux L'artiste a reproduit T au guste caractère. Phidias 1'a vu dans Homère Comme il existe dans les cieux. Mais des plus beaux des arts que sont les vains prodiges Auprès de ceux de la vertu? D'Aristide exilé je cherche les vestiges , Le plus grand des Thébains ici meurt abattu. La, des loix de Lycurgue embrassanr la défense, Vous opposez son peuple a celui de Solon, Et 1'ceil observateur aux graces de 1'enfance Croit voir de 1'age mür succéder la raison. De Socrate, plus lom, 1'éloquent interprète Xénophon vient m'ouvrir sa modeste retraite ; Ecriyain doux et pur, philosophe et soldat, II  BE IOKTAKES. CXl'lj 11 semble a Fénélon réunir Catinat. Pythagore en secret m'explique son systême, De Cérès, d'Eleusis les temples sont ouverts, La vérité pour moi s'y montre sans emblême. Platon assis aux bords des mers Dans un style divin m'annonce un Dieu suprème, Aristote m'appelle aux j'ardins d'Acadóme. Des sciences, des arts qui s'y doanent la main, Toutes les voix se font entendre; Révélant leurs secrets le maitre d'Alexandre Devient celui du genre humain. Hélas ! 1'homme est trop tót fatigué de s'instruire, Et qui veut 1'éclairer doit sur-tout le séduire. A Délos, a Tempé guidez-moi tour k tour ! Des fêtes de 1'hymen montrez-moi le retour! Et que parant de fleurs la couche.nuptiale, Les fi'les de Corinthe , au déclin d'un beau jodr, Chr ntent ces doux combats, cette lutte inégale De la pudeur et de 1'amour! Soit que vous rappeliez les jugemens coupables Oü la haine envieuse immola des héros; Soit que vous m'attiriez dans ces cercles aimables Ou les Grecs au bon sens préféroient les bons mots; Je retrouve Paris , et vos crayons sincères Dans les Athéniens me peignent les Francois, Chez nous les Anitus, comme au tems de nos pères, Calomnieroient encor avec quelque succès ; Et la jeune Phryné , chez nos juges austères, Gagneroit toujours son procés. h  CXIV VERS DE FONTANES. LesGrecs nous ont transmis leurs divers caractèresT Peignez-vous leur audace et leurs grdces légères? Je crois lire flamikon , je crois voir Richelieu. De leurs savans écrits percez-vous les mystères? J'enïends Button ou Montesquieu. Tandis que le trouprau des écrivains vulgaire* Se fatigue a. chtrcher des succès éphénières; Et dans sa folie ambition, Prète une oreiile avide a lous les vents contraires De 1'inconstante opinion; Legrand homme, puisant auxsources étrangères, Trente ans médite en paix ses travaux solitaires (i) Au pled du monument qu'il fut lent a finir, Il se repose enfin sans voir ses adversaires, Et foeil fixé sur 1'avenir. (i) Les voyages d'Anacharsis ont été corameacés en ^7^7.  CATALOGUE DES OUVRAGES DE J. J. BARTHÉLEMY. Ouvrages imprimés séparement. jo. Les Amours de Carite et de Polydore, roman traduit du grec, 1760, in- 12; réimprimé plusieurs fois, mais plus correctement dans la première partie des OEuvres diverses de Barthélemy. Voyez d'ailleurs son éloge sur eet ouvrage, pag. i. a°. Lettre au marquis Olivieri, au sujet de quelques monumens phéniciens, pour servir de réponse a deux lettres insérées (par le docteur Swinton), dans le cinquante-quatrième volume des Transactions philosophiques. Paris 1766, chez Latour, h ij  CXVJ CATAXOGTJE DES OÜVnAGES 3°. Entretien sur ïétat de la musique grecque, vers le milieu du quatrièrne siècle avant 1'ère vulgaire. Paris 1777, in-8°.; réimprimé avec des change■ mens dans le Voyage cl'Anacharsis, chap. 27; torn. III, pag. 68. 4°. Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, vers Ie milieu du quatrièrne siècle avant 1'ère vulgaire. Paris 1788, chezDebure, 4 vol. //1-40., ou 7 vol. i«-8°., avec un atlas (dressé par Barbié du Bocage). Seconde édition, en 7 vol. in-8°., 1789 ; troisième édition, idem, 1790. L'édition in-t\°. est véritablement 1'originale, et mérite par-la d'être recherchée. L'auteur 1'a revue avec un soin particulier , ety a fait des changemens et des additions qui ne se trouvent pas dans celle in-8°. de la même date. 5°. Discours prononcé a ïacadémie francoise , Ie mardi z5 aoüt 1789, in-/f. , réimprimé dans la seconde partie des OEuvres diverses. 6°. Dissertation sur une ancienne inscription grecque, relative aux iinances des Athéniens, contenant 1'état des sommes que fournirent, pendant une année, les trésoriers d'une caisse particulière. Paris 1792, m-4°. Ouvrages imprimés dans les OEuvres diverses. 70 Traité de morale, ou observations sur une loi des anciens Perses. Part. I des OEuvres diverses.  ï)E 3. 3. BARTHÉLEMY. CXVl] 8°. La Chanteloupée, ou la guerre des puces contra Mme. L. D. de C., poëme héroïco - burlesque. Part. I des OEuvres diverses. 9°. Mémoire sur le partage du butin chez les anciens , et extrait dun second mémoire sur ce sujet. Part. II des OEuvres diverses. io°. Fragmens d'un voyage littéraire en Italië, en quatorze articles. Part. II des OEuvres diverses. Réflexions sur quelques peintures mexicaines. Part. II des OEuvres diverses. tz°. Instruction pour M. Dombey sur son voyage au Pérou , relativement aux recherches d'antiquités dans ce pays. Part. II des OEuvres diverses. i3°. Mémoire lu a la commission des monumens > sur les moyens de conserver ceux de la France. Part. II des OEuvres diverses. j4°« Essai d'une nouvelle histoire romaine. Part. II des OEuvres diverses. i5°. Fragment d'un traité de la science des médailles , en quatre chapitres. Part. II des OEuvres diverses. i6°. Instruction pour M. Houel, sur son voyage de Naples et de Sicile, relativement a des recherches numismatiques. Part. II des OEuvres diverses. h iij  CXVlij CATALOGUE DES OUVRAGES 17°. Mémoiresurle cabinetdes médailles, ou compté rendu de son administration. Part. II des OEuvres diverses. 18°. Lettres diverses, au nombre de vingt, sur diffé, rens suj'ets de littérature ancienne, auxquelles on a joint des remarques sur les droits des Métropoles. Part. II de OEuvres diverses. Ouvrages imprimés dans le recueil de l'académie des inscriptions. 19°. Recherches sur le Pactole, lues en 1745, imprimées par extrait dans la partie historique. Tom. XXI, pag. 19. 20°. Réflexions sur une médaille de Xerxès, roi d'Arsamosate , lues en 1747. Tom. XXI, pag. 404» 21 °. Remarques sur une inscription d' Amyclée, lues en 1749 et i75o. Tom. XXIII, pag. 3g4- 2~ïn. Essai de paléographie numismatique, lu en i75o. Tom. XXIV, pag. 3o. 33°. Dissertation sur deux médailles samaritaines d"Aniigonus, roi de Judée, lue en J749' Tom. XXIV, pag. 49. Observations sur des armes de cuivre, découvertes a Gensac ; par extrait dans la partie historique. Tom. XXV, pag. 117.  BE J. J. BARTHÉLEMY. CXIX 25o. Remarques sur quelques médailles puWes par différens auteurs, lues ea 1760. Tom. XXVI, pag. 532. a6». Dissertation sur les médailles arabes, lue en 2753. Tom. XXVI , pag. 557. 27». Réflexions sur ïalphabet et sur la langue dont on se servoit aulrefoïs a Pain.yre, lues en 1754Tom. XXVI, pag. 577. Imprimées séparement lV4°, et in-folio. Paris i754, chez Guerin et Latour; traduites en anglois par Robert Wood, et imprimées la même année a Londres. 28°. Mémoire sur les anciens monumens de Rome, lu en 1757; en deux parties. Tom. XXVlil, pag. 579. 290. Réflexions sur quelques monumens phéniciens et les alphabets qui en résultent, lues en 1768. Tom. XXX, pag. 4o5. L'extrait en fut imprimé a la tête du mémoire de M. Deguignes, surlorigine égyptienne des Chinois, en 1769. 3o°. Explication de la mosaïque de Palestrine, lue en 1760. Tom. XXX, pag. 5o3. Imprimée avec vin avertlssement du comte de Caylus, dans son édition des peintures antiques de Pietro Santo- ' Barloli, et séparement avec une épitre dédicatoire de Barthélemy au cardinal Spinelli, m-4°., chez Guerin et Latour. La planche de l'édition de h iv  CXX CATAIOGUE DES OUVB.AGES Caylus est seule enluminée. Quelque belle qu'elle soit, elle est inférieure è la gravure de ce monument en plusieurs feuilles qu'avoit fait exécuter le savant Bianchini, et que ni Barthélemy ni Caylus n'ont connues. 31». Réflexions générales sur les rapports des langues égyptienne, phénicienne et grecque, lues en 1763, divisées en trois arricles; j . sur ]a langue cophte; 2°. des rapports de la langue égyptienne avec la phénicienne j 3°. rapports de la langue égyptienne avec la grecque. Tom. XXXII, pag. 212. 52°. Remarques sur les médailles des roisparthes, publiées par différens auteurs, lues en 1761. Tom. XXXII, pag. 671, 33°. Explication d'un bas reliëf êgyptien et d'une inscription phénicienne qui l accompagne , lue en 1761. Tom. XXXII, pag. 725. 34°. Remarques surle nombre despièces qu'on reprèsentoit dans le même jour sur le thédtre d'Athènes, lues en 1770. Tom. XXXIX, pag. 172; réimprimées en partie dans le soixante-dixième chapitre du Foyage d'Anacharsis, tom. VI, pag, 70, etc, 35°. Remarques sur les médailles d'Antonin, frap„ pées en Egypte, lues en i775. Tom. XLI, pag. 5oi. 36". Mémoire sur quelques médailles samaritaines,  BE J. 3. BARTHÉLEMY.' CXXJ lu en 1790; réimprimé dans le Journal des Savans de cette année, seulement par extrait, lequel se trouve réimprimé, avec une lettre de Barthélemy de six pages sur ce même sujet, a la fin de 1'ouvrage de Perez-Bayer , intitulé : Numorum hebreo-samaritanorum vindiciae. Dans le recueil d'Antiquitéspar Caylus. 37". Explication des inscriptions de cinq autels grecs. Tom. I, pag. 61. 38°. Conjectures sur une feuille d'or, trouvée dans les bandelettes d'une momie. Tom. II, pag. 18. 3g°. Explication d'une médaille de Chio. Tom. II, pag. 145. . 4o°. Réflexions sur quelques caractères persépohtains, gravées sur un vase. Tom. V, pag. 82. IV. B. Barthélemy a fourni encore diverses remarques au comte de Caylus pour ce recueil, et 1'a aidé beaucoup dans la rédaction du premier volume. 4i°. Lettres aux auteurs du Journal des Savans ; elles sont au nombre de trois; la première est dans le journal d'aoüt 1760 ; la seconde, dans celui de décembre 1761 ; et la troisième , en novembre 1763. On a lire séparement plusieurs exemplaires de la première et de la dernière. Elles roulent tou-  CXxij CA.T. DES OUV. DE J. J. BART. tes sur les lettres et inscriptions phéniciennes. II faut y joindre 1'extrait que Barthélemy a fait de 1'ouvrage de 1'abbé Bayer : Del alphabeto y lengua de los Fenices, mars 1774 , et celui de 1'explication de M. Dutens, de quelques médailles de M. Duane, rédigé sur les notes de Barthélemy, par Ie savant Deguignes , acmt de la méme année. 4a°. Lettre a l'abbè Audibert sur quelques médailles, k la page 14 d'une dissertation de eet abbé sur les origines de Toulouse. 43. Descripdon des fêtes de Dêlos, dans le voyage pittoresque de la Grèce , par M. de ChoiseulGouffier. Tom. I, chap. 4, pag. 5o ; réimprimée dans le Voyage du jeune Anacharsis, chap. 76, torn. VI, pag. 352.  TABLE DES OEUVRES DIVERSES. PREMIÈRE PARTIE. Pab f a c b l'êditeur , page » Eloge historique de J. J. Barthélemy , xiij^ Pièces justificatives , CJ Catalogue des ouvrages de Barthélemy 3 cxv TRAITÉ DE MORALE. 3 Jvertissement, Epitre a madame d'Aauriac , $ Loi des anciens Perses 3 Delareligion, 10  CXXIV t a b 1 j5 Desparens, page & De la patrie 3 2q Des amis , ^3 Eclaircissement sur la religion 3 58 ROMAN. 'Avertissement, 53 Carite et Polydore , 65 P O É S I E. Avertissemen t, ! 53 ia Chanteloupée 10p Enigme3 1()6 C R I T I Q U E. Avertissement, j <^ o% Médailles de Marc-Antoine, 334 Rapport sur les cemres de Winkelmann 3 35o  Ï)ES OEUVRES DIVERSES.' CXXP SECONDE PARTIE. LITTÉRATURE ANCIENNE ET BEAUX-ARTS. Avertissement, page 7 Recherches sur le partage du butin chez les anciens, i5 Extrait d'un mémoire sur l'usage des Romains a l'égard du partage du butin 3 55 Fragmens d'un voyage littéraire en Italië 3 78 I. Observations sur les antiquités de la France méridionale 3 ibid. II. Découverte de Tauro3ntum 3 87 III. Sur quelques ouvrages du Puget 3 90 IV. Explication des bas-reliefs d'un tombeau antique 3 93 V. Voyage de Plaisance a Bologne, 96 VI. Description abrégée de la galerie de Florence 3 120 VII. Second voyage de Florence a Rome, i36 VIII. Remarques sur le Panthéon, 143 IX. Observations sur les Thermes de Titus 3 X. Notes sur quelques monumens de Rome, *49 XI. Voyagea Tusculum et Palestrine3 i56  CXXVJ TABIE XII. Besfouilles d'Herculanum , page 16 8 XIII. Du cabinet de Portici , 172 XIV. Remarques sur Pare de Suze 3 180 Réflexions sur quelques peintures mexicai- nes, ^3 Instruction pour M. Dombey sur son voyage auPérouy 2oi Mémoire lu a la commission des monumens sur leur conservation } ^oj Essai d'une nouvelle histoire romaine , 217 SCIENCE NUMISMATIQUE, LETTRES, etc. Avertissement, z3g Fragment d'un traité de la science des médailles , z/ff Chapitre Ie"\ Idéé générale des médailles des rois grecs, ibid. Chap. II. Dans quel mé talon a frappéles médailles de rois , 258 Chai'. III. Des dijjérentes langues qu'on a employees sur les médailles de rois , 161 Chap .IV. Des légendes des médailles de rois, 268 Instruction pour M. Houelsur son voyage de Naples et de Sicile , 299 Mémoire sur le cabinet des médailles 3 31 cj  DES OEUVE.ES DIVERSES. CXXVIJ S-Ire. Médailles anciennes , page3ao $. II. Médailles modernes , 3s4 S- III. Moyens de perfectionner les sidtes par des acquisitions , 32Ö §. IV. Moyens de conservation , 334 §. V. Des pierres gravées , 343 $. VI. Des antiques3 344 §. VII. Diverses remarques , 348 Note I. Sur la bibliothèque nationale, 354 Note II. Sur le cabinet des médailles , 356 Discours de Barthélemy a 1'académie francoise, 35(j Réponse du chevalier de Boufflers a ce discours , 37'2 I. Lettre sur l'usage des caractères samaritains, 389 II. Idem sur l'explication de M. Needham , relative a une inscription égyptienne , 'óyj III. Idem de l'origine égyptienne des Chinois, 4°7 IV. Idem explication d'une ancienne inscription grecque , 412 V. Idem sur le même sujet, 417 VI. Idem de l'emploi des voyelles chez les Egyptiens, 42° VII. Idem sur le même sujet, /126  CXXVUJ TABLE DES OLTJV. DIVERSES. VIII. Lettre , remarques surun recueil d^ins* criptions , Page 42^ IX. Idem de la manière de porter l'épée chez. anciens, 433 X. Idem sur des médailles achetées a Rome t 437 XI. Idem sur une médaille de Cléopatre , 442 XII. Idem des médailles de Julien 3 447 XIII. Idem sur un talisman, 449 XIV. Idem sur deuxpierres gravées , 4$x XV. Idem des médailles d'or gravées a Marseille, 455 XVI. Idem sur la découverte d'anciennes ar~ mes de pierre , XVII. Idem surun tombeau antique d'Aix , 458 XVIII. Idem de Vouvrage anglois intitulé Lettres athéniennes, XIX. Idem sur quelques recherches en Grè-. ce, 465 XX. Idem d'une prétendue loi de Solon sur le célibat, 47° Remarques concernant les droits des anciennes métropoles sur leurs colonies , Qj'S TRAITÉ  TRAITÉ DE MORALE.   AVERTISSEMENT. .Lies réflexions qu'on va lire sont un véritable traité de morale, divisé en quarre articles : 1°. de la Religion , 2°. de laPatrie , 5°. des Parens, 4°. des Amis. L'auteur y parle le langage du cosur et ramène tout au sentiment. C'est une ancienne loi des Perses rapportée par Xénophon , dans le premier livre de sa Cyropèdie, qui sert de texte a Barthélemy, et dont il fait une heureuse application a son principe. Ce traité , éciit avec autant de grace que de clarté , est dédié a Marie Louise de L-*moignon , digne so3ur de 1'illustre Mal&hnrbes, et femme de Guillaume Castanier d'Auriac, premier président du grand-conseil, magistratvertueuxetéclairë.Éllen'eut qu'un fils, Francois Guillaume, avocat-général au même tribunal. Ce fut pour lui que Barthélemy composa, en 1705, ces réflexions et le A2  4 AVERTISSEMENT. roman de Carite et Polydore II ne travailla pas en vain, el ja mais personne ne donna plus d'espérances que le jeune d'Auriac; mais une mort prérnaturée 1'enleva , en 1769 , k sa pa* trie, a ses parens et a ses amis , dont il faisoit les délices. II avoit beaucoup de connoissances et une grande justesse d'esprit, comme le prouvent quelques ouvrages manuscrits qu'il a laissés. La candeur de son ame, la douceur de ses moeurs, sa modestie et une rare décence formoient en lui un assemblage de qualités, devenues chaque jour moins communes. Barthélemy tracé ainsi son cloge dans une inscription latine qui devoit ètre mise sur la tombe des deux Castanier d'Auriac , ou les restes du fiis vinrent se mêler aux cendres du père , qui y avoit été inhumé quatre ans auparavant. •  A MME. D'AURIAC. Madame, Je nepuis vous offrlr rien deplus beau que l'image de vos sentimens. Je vous dois lesréJlexions contenues dans ce petit ouvrage , et c'est sous vos auspices que je les consacre è. l'utilité d'un fds que vous aimez , qui vous aime s et qui en se rendant digne de vous 3 la A3  6 ÊPITRE rJÉDIC ATOIIIE. sera de vos illustres ancêtres. J'exposé h ses yeux la vérité s'imple et sansfard, mais malheureusement dépourvue de cette chaleur qui l'^ntretient dans votre cceur et de ces grdces qui l'embellissent dans votre bouche. J'allois entamer votre éloge , Madame , mais a quoi bon serviroient tous mes efforts: vous me reprocheriez d'en avoir trop dit, et j'aurois a me reprocher, avec plus de raison, de n'en. avoir pas dit assez. Je suis avec lep lus inviolable attachement, et le plus profond respect, M A D A M E , Votre très-humble et trèsobéissant servlteur, * * *  TRAITÉ DE MORALE. LOI DES ANCIENS PERSES. Xékophon, parlant de Vinstitution des jeunesPerses, dit, « que pour leur procurer « de bonne heure la connoissance des loix et « des formalités de la justice , on avoit établi « dans les écoles publiques un tribunal oü ils «venoient s'accuser mutuellement de leurs «fautes ; et qu'cntre autres crimes on y pu«cnissoitringratitude avec beaucoup de sévé«rité. II ajoute que sous le nom d'ingrats les «Perses comprenoient tous ceux qui se ren- A 4  TRAITÉ «doient coupables envers les dleux, les pa«rens, la patrie et les amis. » Cette loi admirable non-seulement ordonnoit la pratique de tous les devoirs , mais elle remontoit jusqu'a leur origine , et les rendoit aimables. En effet, si 1'on „e peut manquer a ses devoirs sans ingratitude, il s'ensuit qu'il faut lesremplir par un motif de reconnoissance ; et dela résulte ce principe sublime et lumineux, qu'on ne doit agir que par sentiment. II seroit k souhaiter qu'un liomrne de beaucoup d'esprit employat beaucoup de tems k developper cette grande vérité : elle est la base de la morale et du bonlieur, car lorsqu'on agit par amour, on agit sans peine, et lorsque 1'aniour est bien réglé, on est heureux. Quand j'ai voulu hasarder quelques réflexions sur cette matière, j'ai été efïrayé" de la majesté du sujet et de la médiocreté de mes talons : mais Ja pureté de mes intentions m'a rassurécontre des crainteslégitimes. J'ai voulu prouver mon zèle k des personnes dont les bontés me touchent autant qu'elles m'honorent. Je leur sacrifïe ici mon amour-propre prêt a leur faire des sacrifices plus considérables encore ; et j'ose me flatter que si ce petit ouvrage ne respire paslareconnoissance et les  DHM0RA1E. 9 sentlmens qui me pénètrent, elles s'en prendront moins a mon coeur qu'a mon esprit. Relativement au passage de Xénophon, ces réflexions auront pour objet la Religion, les Parens , la Patrie et les Amis.  ÏO traité Les rlisputrs scandaleuses des théologiens 1'ignorance du clergé, suite de la décadence générale des études , 1'ignorance plus grande encore des gens du monde, Painour de la singularité , une fausse philosophie introduite k la place d'une raison éclairée ; telles sont k peu pres les causes du mépris ouvert que 1'on témoigne pour la religion. Ce mépris éclate dans les conversations , et sur-tout dans les ouvrages qu'on publie a chaque instant; il est bon que vous en soyez prévenu. Jene chcrcherai pas k vous prouver la vérité de la religion chrétienne; j'aime mieux vous renvoyer aux ouvrages de Pascal, d'Abbadie, de Bossuet, de Fénélon, et de tant d'autres écrivains célèbres. Je yous prie néan- DE LA RELIGION.  DEM ORALE. 11 moins de vous arrêter un moment sur la réflexion suivante. Ceux qui attaquent la religion conviennent tous que sa morale est excellente , mais qu'on ne sauroit admettre ses mystères. Ils disent: Ces mystères sont incompréhensibles , donc il f'aut les rejeter. Cependantn'y a-t-il pas dans la physique et dans la géométrie même des vérites qui sont incompréhensibles et qu'on est force d'adopter f S'il n'étoit pas démontré que deux lignes peuvent se rapprocher éternellement sans se rencontrer jamais, le croiroit-on possible? et en admettant cette vérité, la concoiton ? L'incompréhensibilité d'un mystère n'est donc pas une raison suffisante pour le rejeter. Ceux qui croient disent: Ce n'est pas paree que nos mystères sont au-dessus de notre raison que nous nous y soumettons , c'est paree que Dieu a parlé , et qu'il nous a ordonné de les croire. Dieu a parlé par les prophéties, par les miracles , par le témoignage des premiers martyrs , par la manière dont la religion s'est établie, etc. Voila. les titres de notre foi. Lorsqu'au lieu de les attaquer, vous verrez quelqu'un jeter une sorte de ridicule sur les mystères , dites qu'il n'est pas seulement au fait de la question; et pour 1'en convaincre , de-  12 T Tv A I T é manfez-lui ce qu'il feroit, si 1'Etre que nous adorons, daignoit se dévoiler k ses yeux, et lui ordonner d'une rnanière claire et précise de croire les mystères de la religion chrétienne ? Ulepromettroit sans doute. Nous le promettons aussi, paree que nous sommes persuadés que Dieu a parlé autrefois de la même rnanière; et si nous sommes dans l'erreur, ce n'est pas paree que nous croyons des points de doctrine incompréhensibles, mais paree que nous croyons que ces points ont été révélés , quand ils ne 1'ont pas été. Ainsi, pour nous attaquer suivant les régies d'une saine logique, les incrédules ne devroient pas se borner aux objets de la fbi, ils devroient en examiner lés principes et les motifs, et voila ce qu'ils ne font presque jamais: i». paree que eet examen suppose des connoissances qu'ils n'ont pas ordinairement, et un travail auquel iis ne veulentpasse soumettre; 2o. parce f{Ue s>i!s en_ treprenoient eet examen, ils verroient bientót que nous avons des raisons suffisantes pour recevoir nos mystères, tout incompréhensibles qu'ils sont. Je vais plus loin , et je suppose que lespreuves de la religion sonï balancées par des difficultés aussi fbrtes; dan s ce cas on seroit dans  J)E MÓRAIE. 13 le doute, et il faudroit pratiquer ce que pres•crit la religion, suivant eet axiome dicté par la raison même, et confirmé par 1'usage: Dans le doute il f'aut choisir le parti le plus sur (i). Allons plus loin encore , et supposons qu'après un long examen quelqu'un eüt cru appercevoir un caractère de fausseté dans les motifs de notre fbi. Devroit-il publier cette prétendue découverte ? Non , sans doute; et le parti le plus raisonnable seroit de s'iinposer un silence profond sur ces matières. On Fa dit mille ibis, et on le dira toujours : il faut une religion aux hommes ; le plus beau présent dont on pouvoit les gratilier , c'étoit de les obliger a. ne faire tort a personne , k excuser les défauts , k pardonner les injures, a souf'frir avec fermeté, a s'aimer entre eux, a être heureux dans cette vie , dans 1'espérance de 1'être encore plus dans une autre. Or, voila. ce que la religion prescrit, et si on ne veut pas qu'elle soit divine , il faut au moins la regarder comme la plus belle de toutes les institutions politiques. II est vrai qu'elle a occasionné des divisions et des guerres ; mais ce n'est pas sa faute, c'est celle des hommes qui en on t abusé, (i) Voyez YEclaircissement, h. la fin de ce Traité,.  14 TRAITÉ comme ils abusent de la raison et des vertus. Je dirois donc volontiers a tout homme : Croyez. Si vous avez le malheur de ne pas croire, doutezj si vous ne pouvez pas dou■ ter, condamnez - vous au silence. Et quel fruit espère-t-on de ces propos légers qu'on se permet sur des matières si respectables ? On y sourit quelquefois par une mauvaise habitude, ou par une lache complaisance • mais, en général, ils affligent les gens sensés, et ne sont applaudis que par les esprits superficiels. Quel malheur s'ils parviennent jusqu'a ce petit peuple que le besoin , une mauvaise éducation , et de pires exemples entraïnent sans cesse vers le crime. Les contiendrez-vous par Ie seul appareil de la justice des hommes, et vous croirez-vous en sureté au milieu d'une foule de domestiques, qui tous également intéressés k vous öter les biens ou la vie, n'auront plus qu'a réfléchir au moyen de le faire impunément. Les loix des hommes sont dèstlnées a retenir la main 5 celles de la religion k retenir le coeur. Doit-on se flatter que les premiers inspireront 1'amour de la vertu, tandis que, jointes aux secondes, elles peuvent a peine' produire eet effet. Les déclamations indécentes contre la reli-  DE M ORALE. l5* gion ne se bornent pas a. troubler 1'ordre de la société, elles peuvent jeter encore une sorte de désespoir dans le coeur des malheureux. Dans tous les états il est des ames vertueuses qui gémissent en secret et demeurent en proie aux outrages de la fbrtune , a. 1'injustice des méchans , aux chagrins les plus amers. Eh ! pourquoi leur arracher 1'unique consolation qui leur reste, celle de penser que tout se fait par les ordres d'un Dieu témoin des larmes qu'ils répandent, et que ce Dieu, plein de tendresse pour eux , leur ménage , k la fin de leur carrière, des biens propres a les dédommager des maux qu'ils auront souffert. Si ce systême est une illusion, elle est mille fois préférable k ces funestes lumières qu'on voudroit lui substituer. Je ne parle ici ni comme tliéologien , ni comme dévot; mais j'en appele aux cceurs sensibles, aux cceurs capables de compassion et d'humanité , et je leur demande si ce n'est pas une barbarie atroce que de vouloir persuader aux malheureux qu'ils étoient destinés, en naissant, k être gratuitement les victimes de la douleur, et que, n'ayant plus aucune ressource du cóté de la terre , ils ne doi■yent pas même en attendre du ciel.  16 TRAITÉ Ne croyez pas néanmoins que tous ceux qu! parient ou qui écriven'c contre la religion , aient pré vu ces conséquences. Les uns agissent par légéreté , ou par attachement k de faux principes; les autres cherchent des partisans qui les soutiennent contre leurs doutes ou leurs remords. II en est enfin en qui tous les sentimens paroissent éteints, et dont 1'ame a contracté, dans Pexcès des plaisirs, une sorte de dureté et d'anéantissement. Tous affichent une vertu qu'il ne laut pas toujours examiner avec scrupule. En effet, est-on essentiellement vertueux, désire-t on que les autres le soient, lorsqu'ons'acharne avec tant defureur contre une religion qui ne reconnoit, ne respire, ne récompense que la vertu; lorsqu'on n'admet qu'un e probité appuyée sur des principes humains qu'on nous permet aussi de regarder comme des préjugés de 1'éducation ? Je n'ose pas proposer ce problême. Si les religions étoient 1'ouvrage des hommes , le premier qui a voulu établir un commerce d'amour entre un être infini et une fbible créature, auroit formé le plus touchant de tous les projets. La religion chrétienne, dépouillée de toutes les petitesses que les hommes y ont ajou- tées ,  BE MOKAIÏ, tées, est le plus beau systême de morale et de bonlieur. Elle enrichit 1'ame de toutes les vertus; elle 1'élargit; elle la fait ai ner autant qu'il est possible d'airaer, et lui procure paria cette paix douce , profonde, inaltérable ; cette paix que le monde ne peut ni donner ni öter, qu'il ne connoït même pas; cette paix enfin, qui nous rend amis des autres et de nous-mêmes. B  i8 t ii a I t é DES PAREN S. Je sais jusqu'è. quel point vous portez Ia tendresse et le respect pour des parens dignes a tous égards de vous inspirer ces deux sentimens : je ne viens donc pas ici vous rappeler a votre devoir, mais vous féliciter de votre bonlieur, et 1'augmenter, s'il est possible, en vous en retracant 1'image. Vous vous entretiendrez avec plaisir de ce que vous aimez; et vous pardonnerez a la f'oiblesse de mes expressions en faveur du motif qui m'anime. La nature a fortement imprimé dans le coeur de tous les hommes, un amour vif pour ceux qui leur doivent le jour, et ce sentiment survit a tous les autres. Son principal caractère est la tendrcsse, c'est a-dire, ce qu'il y a de plus consolant et de plus délicat dans un attachement. Aussi lorsque le Dieu que nous adorons a voulu exciter notre conhance, il s'est  DE M O H At Ei 1 de lui indiquer une retraite pour se mettre a 1'abri du courroux de ses maïtres qu'elle f uyoit, disoit-elle, et qui la poursuivoient encore. Carite émue de pitié la rassure et 1'embrasse; elle lui promet de la garder dans la maison pendant la nuit, et de demander le lendemain pour elle quelques secours aux habitans du hameau. A peine avoit-elle achevé ces paroles,qu'elle se voit assaillie d'une troupe de satellites quï 1'entourent et qui la chargent de fers : elle demande quel est son crime; on ne lui répond pas; on 1'entraine avec fureur, et après avoir marché 1'espace de plusieurs stades, on la précipite enfin dans une étroite prison. «O destin! « s'écrioit-elle, ne te lasses-tu point de m'ac« cabler de tes coups ! est-ce ainsi qu'on récom« pense la vertu et 1'humanité ! » Trois jours entiers Carite fut livrée a 1'horreur de ses réflexions, et trois jours entiers son corps languit sans nourriture ; ses yeux même ne se fermoient que par intervalles , G  OÖ CARITE lorsque baïgnés de larmes, ils étoient Iassés de s'ouvrir. Au milieu de ces maux, Pimage de Polydore venoit cependant en adoucir 1'horreur. Elle avoit encore ce voile jaune que les nouvelles inariées portent pendant les fëtes de 1'hymen, et que son amant lui avoit donné le jour même qui vit commencer leurs malheurs. Carite détacha cet ornement précieux, et depuis ce moment elle écrivoit sur son voile, avec un peu de craie, le nom de Polydore ; elle 1'ef'fagoit ensuite pour y substituer le sien, et quelquefois elle les entrelacoit ensemble. Le quatrièrne jour les barbares qui Pavoient arrachée de sa retraite paisible , vinrent encore Penlever de cette prison. On Pentraine devantles juges. Cléonidas, écuyer d'Agenor, élève la voix contre elle, et se déclare son accusateur ; il lui reproche d'avoir favorisé Pévasion d'une de ses esclaves , et il demande en conséquence que Carite demeure dans les fers. Un murmure conf'us s'élève alors dans Passemblée; chacun applaudit a la demande de Cléonidas : des juges, corrompus par ses présens et vendns au jeune prince qui le protégé, condamnent 1'aimable Carite , sans entendre  ETTOLYDORE. 99 sa défénse ; on la déclare esclave , et déja son nouveau maïtre 1'oblige de le suivre. Cléonidas n'agissoit que par les ordres d'Agenor : cc jeune prince plus épris que jamais des charmes de Carite , avoit employé cemoyen barbare pour la tirer d'une retraite qu'il avoit eu bien de la peine a découvrir. La renommee pxrblia bientót que le prince de Naxe étoit amoureux d'une des esclaves de son favori. Ce bruit qui parvint j usqu'a. la princesse, l'enflamma de colère contre le malheureux objet de cette passion : bientót elle fait venir Cléonidas , et lui demande Pétrangore pour la mettre elle-même au nombre de ses femmes. Cléonidas cherche en vain aéluder; Cydippe le men ace de son courroux s'il ne lui envoie pas k Pinstant la jeune Carite. II failut obéir. Carite n'avoit été que deux jours dans la maison de Cléonidas, et penuant cet intervallè elle n'avoit pas cessé d'éprouver les persecutions d'Agenor : 1'espérance de la liberté étoit le moindre des biens que le jeune prince faisoit briller a. ses yeux, pour lui inspirer de 1'amour; mais Carite unie a Polydore par des chaines eterneiles , n'avoit pas même besoin d'un souvenir si tendre pour se refuser aux vceux du prince de Naxe ; elle 1'avoit ai- G a  ICO CARITE sément recormu pour 1'auteur du complot inhumain dont elle étoit la victime. Cydippe rougit a. 1'aspect de sa nouvelle esclave; la beauté de Carite ranimoit sa jalousie; elle lui jura dans le fond de son cceur une baine invincible, et ne s'occupa plus que du soin cruel de la tourmenter. Tout ce que 1'amour en courroux peut inventer de plus rïgoureux fut bientót mis en usage; le mépris, 1'outrage, les travaux les plus pénibles, les traitemens les plus barbares, rien ne fut épargné : Cydippe n'imaginoit point de supplice assez fort pour punir sa rivale. Carite, au milieu de Popprobre et de 1'humiliation , préféroit encore cet état affreux a. 1'horreur de se voir 1'esclave de Cléonidas ; le nom de la princesse la mettoit du moins a 1'abri des entreprises d'Agenor , qu'elle avoit tant de raisons de redouter désormais, et dont elle n'auroit pas pu se défendre loin des yeux de Cydippe. Le palais de cette princesse ne fut cependant pas pour elle unasyle assuré. Agenor avoittrouvé inoyen de s'y introduire seci ètement, et c'en étoit fait de Carite s'il avoit pu venir a. bout de son dessein;mais Cydippe le découvrit et rendit inutileslesprécautionsqu'Agenora voitprises.  ET POLYDORE. lol Dès le lendemain , pour öter tout espoir au prince de Naxe, elle envoya Carite au loin dans 1'étendue de i'ïle ; en même tems elle lui donna des gardes pour la délendre de toute insulte , et pour Pobliger cependant de se soumettre aux travaux les plus durs. Carite passa plus de deux mois dans cette solitude : on ne la délïvroit de ses chaïnes que pour la faire travailler a. la terre ; et lorsqu'on lui permettoit de prendre quelque repos, on la remettoit de nouveau dans les fers. Si la clialeur du jour ou 1'excès de la fatigue 1'obligeoient k suspendre un si pénible exercice , sans égard a 1'épuisement de ses forces , on la maltraitoit avec violence, jusqu'a ce qu'elle eut repris son travail. C'est ainsi que la nymphe Io, persécutée par Junon, et livrée aux soins du détestable Argus, éprouvoit sans relache les tourmens les plus cruels. Agenor découvrit enfin la retraite de Carite , et bientöt, soit passion , soit pitié peutêtre, il résolut de 1'en arracher. Aidé des soins de Cléonidas, il rassembla en peu de tems un nombre considérable d'amis et d'esclaves, et se rendit a. la tête de ce parti dans 1'endroit oü la malheureuse Carite suivoit le cours de sa destinée. G 3  1°2 CARITE II étoit nuit: Carite habitoit avec ses bourreaux dans une maison écartee. On enfonce les portes : Agenor s'avance; les gardes saisissent leurs arrncs et s'opposent a. son passage. Le jeune prince redouble ses efforts; le combat s'anime et devient furieux : au milieu du tumulte, a la faveur de 1'obscurité, Carite détache ses fers et s'echappe a la hate , tandis que 1'on combat d'un autre cöté. Effrayée , tremblante , elle fuyoit sans oser regarder derrière elle , et se contentoit d'appeler a son secours ces mêrnes dieux qu'elle avoit tant de fois invoqués, et tant de fois inutilement. L'Aurore ouvroit déja les portes du ciel lorsque cette jeune infbrtunée atteignit une ibrêt qu'elle avoit appercue de loin a travers les ombres ; elle cspéroit de s'y cacher : mais k peine eut-elle erré quelque tems dans les buissons et les halliers, qu'elle reconr.ut ce lieu sinistre ou le prince de Naxe 1'avoit vue pour la première fois : elle avoit retenu jusques-la ses pleurs, cet aspect les fit verser en abondance: « O rnalheureuf,e ! s'éoria-t-elle , a qui pour«rai -je avoir recours ; irai-je retrouver les cc patres que je servois , et qui m'ont trahie ? « Pourrois-je m'offrir a Cydippe qui me hait, « au prince de Naxe dont 1'amour est mille Ibis  ET POIYDORE. lo3 « plus aff'reux? Non Eh! sous quel astre « ai-je recu la naissance , puisque après avoir « perdu mon amant, le destin me f'orce k récc pandre des larmes qui ne sont pas pour lui!» A ces mots elle s'avance vers le rivage; Pexcès de son malheur égare ses esprits : elle alloit se précipiter dans les flots ; mais 1'abattement de ses force ne lui permit pas de se trainer jusqu'au bord de la mer. Elle tombe accablée de fatigue et de douleur ; Ia nature épuisée se refuse k ce dernier efïort qui devoit terminer a la fois ses maux et sa vie. Elle passa le reste du jour dans cet état; les idéés les plus accablantes venoient s'offrir sans cesse k son esprit; elle ne dormoit point, et cependant c'étoient comme autant de songes funestes qui la tourmentoient k Penvi : tantöt elle se représentoit le malheureux Polydore livré au monstre de la Crète, étendu sur Parêne et prêt k finir ses jours : elle voyoit ses membres sanglans , dévorés par le Minotaure : tantöt elle avoit devant les yeux le prince de Naxe abusant de Pétat malheureux oü elle étoit ellemême. Elle frémit; cette idéé la retire de Passoupissement qui 1'accable ; elle veut se relever: malheureuse! elle se trouve entre les bras d'un homme qui la serre avec tendresse : « Ah G 4  1o4 CARITE «barbare ! ab monstre ! s'écria-t-elle ,» mais 6 ciel! 6 surprise ! elle se sent tout k coup mouillée des larmes de cet inconnu : c'est Po- h^ore La voix lui manque; elle s'éva- nouit, et Polydore éperdu accusoit les dieux qui ne lui rendoient son amante que pour la lui ravir encore. II embrasse sa malheureuse épouse, il la réchauffe dans ses bras , il la ranime par ses soupirs. L'amour rappelle Carite des portes de la mort; elle entr'ouvre les yeux , elle revoit le jour qu'elle étoit prête k perdre , et Pamant qu'elle avoit perdu. Elle demande k Polydore le récit de ses aventures, et Polydore les commence a. peine qu'elle 1'interrompt pour lui conter les siennes. Polydore I'écoutoit avec attention ; chaque circonstance excitoit sa curiosité, chaque événement 1'intéressoit davantage. Le récit de Polydore fut simple : il avoit abordé en Crète peu de tems après avoir été séparé de Carite : on avoit employé quarante jours a purifïer les victimes; et lorsqu'au bout de ce terme on les eut exposées a la rage du monstre, Thésée, hls du roi d'Athènes, qui se trouvoit enveloppé dans le malheur des autres , tua le Miuotaure, et sortit du labyrinthe par le moyen d'un fil qu'Ariane lui avoit  et pol y oor e. 1o4 donné. Ariane, fille de Minos, n'osant pas s'exposer au courroux de son père qu'elle avoit trahi, prit la fiiite avecThésée; mais ce prince ingrat venoit débarquer a Naxe dans le dessein d'y abandonner ensuite sa généreuse amante. Polydore s'étoit attaché au sort de Thésée ; il 1'avoit suivi dans ces climats, et le premier objet qui 1'avoit frappé en abordant au rivage, c'étoit sa malheureuse épouse qu'il avoit cru d'abord privée de sentiment. La fin de ce récit fut interrompue par les larmes des deux amans; le sort qui les avoit poursuivis , les réunissoit après tant de traverses : les dieux sembloieut n'avoir appésanti leurs bras sur eux que pour leur faire sentir plus viveinent le bonheur d'aimer et de se rcvoir. Etroitement serrés Pun contre Pautre, ils auroient demeuré toujours dans cette situation délicieuse , si Polydore , qui craignoit pour Carite , ne lui eut pas rappelé son état, et ne Peut pas fait consentir a chercher dans le hameau voisin les secours qui lui étoient nécessaires. Carite ne s'y déterminoit qu'avec peine , toujours persuadée que les patres 1'avoient trahie; elle faisoit part a Polydore de sa craïnte, lorsqu'ils appercurent deux batimens qui abor-  lQ6 CARITE doient au rivage : «Saisissons cette occasion, «dit Carite; approchons-nous de ces vais« seaux ; leur route s'adresse peut - être aux «lieux de notre naissance. Allons rendre a «nos malheureux parens la tranquillité dont «notre absence les privé; ils pleurent notre « trépas, j'ai pleuré le tien ; je juge de leurs «tourmens ; c'est a nous k les faire finir : ne «jouissons pas seuls de la tranquillité que le « sort nous a rendue.» Ils s'avangoient en disant ces paroles; déja les batimens s'étoient mis k 1'ancre,^ et déja les matelots descendoient sur le rivage ; une troupe de guerriers les suit. Polydore s'adresse k leur chef. «Nous «sommes Athéniens, dit-il, et notre vaisseau « a péri sur ces cötes ; daignez nous prendre «Pun et Pautre sur votre bord, et nous ren« dre a notre patrie. Le commandant lui répondit, avec un souris arner, que ses vceux seroient exaucés bientót, et qu'ils s'embarqueroient a 1'instant. Les deux vaisseaux étoient montés par des corsaires de Phénicie qui voguoient.le long de ces cótes pour enlever des esclaves. Polydore s'appergut trop tard de son imprudence; il n'étoit plus tems de la réparer : on 1'oblige d'entrer dans un des batimens; il demande en vain de  ET POLYDORE. 107 n'être point séparé de son épouse; on entraïne loin de lui la malheureuse Carite , on la force de monter sur 1'autre bord. A 1'instant on détache les ancres, et les vaisseaux, poussés par un vent f'avorable, s'éloignent en peu de tems du rivage de Naxe.  lQ8 CARITE L I V R E III. peine les deux vaïsseaux avoient fait voile pendant quelques heures, que la nature entière se soulève contre eux. La mer s'enfle, et les flots entr'ouverts découvrent le fond des abimes. « O Vénus , s'écrioit Carite, commande a « ces ondes qui t'ont vu naitre de respecter les «jours de 1'amant le plus tendre! O Amour , « maïtre de 1'univers , viens sauver ton plus « bel ouvrage!» Ces veeux sont interrompus par les cris des matelots : le tonnerre gronde; les vents se déchainent; le nautonnier palit; le pilote effrayé ne trouve plus de ressources dans son art; la nuit vient; 1'horreur redouble ; 1'image de la mort s'offre par-tout a. leurs yeux. La tempête dura jusqu'au jour; et dès que  ET POLYDORE. 10f) les Heures eurent attelé le cliar du Soleil, Eole rappela du fond de ses antres les aquilons mutinés , et bientót il les enchaïna de sa main puissante : mais quoique renfermés dans ces prisons obscures, on les entendoit encore gronder dans le lointain et frémir d'impatience de voir leur courroux arrêté. Dés que les ombres eurent fait place k la Iumière , Polydore avoit cherché des yeux le vaisseau de Carite; mais c'est en vain qu'il promenoit ses regards sur la surface desflots; les vents 1'avoient encore éloigné de son amante. Cependant les pirates qui enlevoientce jeune infortuné, voulant se défaire de leurs esclaves, résolurent d'aller a. Sestos pendant les fêtes d'Adonis que Pon célébroit alors; le concours d'étrangers qu'attire la cérémonie, leur faisoit regarder ce moment comme favorable a. leurs desseins. La ville de Sestos est située dans la Chersonèse , k la pointe d'un promontoire qui porte le même nom : la mer qui baigne ses murs est appelée Hellespont, du nom d'Hellé, sceur de Phryxus, qui se noya jadis dans ce détroit en le traversant sur le fameux bélier dont la toison étoit d'or. C'est par un usage antique et consacré dans  ÏIO CARITE ce lieu qu'on y célèbre tous les ans les fêtes d'Adonis et de Vénus , et c'est, dit-on, pendant le cours de cette cérémonie que 1'amoureux Léandre vit pour la première fois la jeune Héro. Ces fêtes sont célèbres dans toutes les contrées voisines : on y accourt également de la Grèce et de 1'Asie. Ceux d'Abidos, de Colo- phon, d'Ephèse , etc vnnnent en foule a. Sestos offrir des vceux a Vénus. Les habitans de Lemnos , ceux de Tempé, tous les peuples qui sont entre la mer et le mont Cytberon , se rendent aussi dans ce temple pour adorer la déesse, et pleurer avec elle la mort de son malheureux amant. Pendant le cours de ces fêtes on célèbre en même tems celle de 1'Amour , et Pon emploie un jour entier a. cette cérémonie particulière ; ce fut dans ce moment que les pirates abordèrent au rivage. Polydore est exposé dans la place publique avec les autres esclaves. A son aspect, la fête est interrompue; on s'empresse, on accourt, on jette des fleurs sous ses pas ; les peuples croyoient voir 1'Amour , qui, touché de leurs hommages , venoit se mêler a. ieurs jeux 5 mais Polydore, les yeux baissés, adressok lui-même des vceux secrets au fils dg Vé-  et roiYDom. 111 nus : cette fête, oü régnoit Pallégresse , n'offroit a. ses yeux qu'un souvenir plein de douleur. Cependant les choeurs commencèrent bientót a paroitre : les jeunes gargons et les jeunes fdles qui les composoient, vêtus d'une robe blanche, s'avancoient k pas lents, etrécitoient alternativement 1'bymne sacré. « Recois notre hommage, disoient-ils d'acc bord tous ensemble, dieu puissant qui cornet mande a 1'universj toi qui donnas le feu cécc leste k Prométhée; toi qui scus rég'er les élécc mens et débrouiller le cahos ; ame de la nacc ture, viens régner parmi nous ; quitte le séccjour de Cythère pour habiter dans ce sécc jour. » cc Loin de nous, reprenoient ensuite les jeucc nes garcons,cette divinité malfaisante que les cc désirs précédent, et que suivent les repencctirsjle bonheur n'accompagne jamais ses cc pas : la jalousie, 1'aigreur et le désespoir cc sortirent avec elle de la boite de Pandore : 6 cc vous qui nous écoutez, gardez-vous dela cc suivre; c'est un phantöme dangereux , et les cc plaisirs qui composent sa cour sont une ima« ge aussi trompeuse des vrais plaisirs. » «II est un autre Amour, repondoient les jeu-  112 carite « nes fïlles, dieu favorable qui jadisliabita sur «la terre pendant le siècle de Cybèle, et que « les vceux des mortels ont quelquefois appelé « des cieux : 1'innocence et la vertu 1'élevèrent « dans leur tempre pour le bonheur des hom« mes : auteur des vrais biens, il les répand « sur ses adorateurs fidèles. C'est lui qui squ« tient 1'espoir au milieu des travcrses, et qui «ranime la persévérance au comble du mal« heur. O vous qui nous écoutez, hatez-vous « de reconnoïtre son pouvoir, et croyez qu'il « est seul digne de votre culte. » « Chère Carite , s'écria tout k coup Polydo«re, voila le dieu que mon cceur veut pour « maitre» et c'est pour vous que je 1'implore. » Ces paroles attirèrent de nouveau sur lui les regards du peuple : on le considéroit avec une surprise mêlee d'intérêt, lorsqu'un vieillard, pergant la fbule, accourut a lui pour Pembrasser : «Hélas ! disoit-il, voila le fils que les Par«ques m'avoient ravi, et que les Destins me «renvoient touchés de mes malheurs... Mais, « que dis-je ? quelle illusion, peuples de Ses« tos, pardonnez, j'ai vu , j'ai cru revoir mon « fils dans cet esclave; ses traits m'ont frappé, « mais cette ressemblance estun jeu'du hasard « qui ne fait qu'irriter ma douleur. » Nausicratès  ET ÏOLTDOal. ' ll3 Nausicratès en pro-fërant ces mots émbrassoit Polydore; et cet infortuné, touché luimême de compassion, oublioit ses maux en voyant ceux que sa présence venoit d'irriter. Dans cet instan t, ie chef des pirates voulut les séparer Pun et Pautre ; mais la vue de Polydore étoit trop précieuse pour Nausicratès: ce généreux vieillard paya sa rangon, et Pemmena surle-champ avec lui. Cependant le peuple, que la suite de cette aventure avoit intéressé , bénissoit Nausicratès, et lui recommandoit son jeune esclave. Dès qu'ils furent arrivés sur le rivage, le vieillard monta'dans sa'barque avec Polydore. La ville d'Abydos, oü demeuroit Nausicratès , est celle qui vit donner le jour au jeune Léandre; elle est batie en face de Sestos, de Pautre cöté de 1'Hellespont. Pendant le trajet NausicratèsconsidéroitPolydore, et prévoyoit avec douleur la surprise de sa malheureuse épouse a la vue de cet esclave. Elle étoit sur le rivage ; elle attendoit son époux avec impatience, et déja même elle accusoit sa lenteur, lorsque la barque arriva. Nausicratès descend, sa vertueuse femme couroit au-devant de ses pas; mais k peine eut-elle appercu Polydore, quel'excès de son étonne- H  'll4 CARITE ment fit craindre pour ses jours : « Quel ob« jet! s'écria-t-elle; que vois-je !» — «Rassu«rez-vous, ma cbère Tbémisto , lui dit le « vieillard, le sort vous avoit privé de votre « fils, et le ciel veut vous donner un adoucis« sement a vos maux. » — «Non, disoit-ehe , «d'une voix tremblante; non, ce n'est point « mon fils, ce matin encore j'arrosois ses cen« dres avec des libations de lait : ce n'est pas «lui, vous dis-je; ses manes ont traversé le « Styx, et n'entendent pas mes cris. » Dès que Thémisto put écouter le récit de cette aventure, Polydore lui devint aussi cber qu'a son époux; ils ne pouvoient se lasser Pun et Pautre de le voir et de 1'embrasser; quelquefois même ils le prenoient pour une divinité secourable qui venoit soulager leur infortuné. Polydore , ému de ce spectacle , partageoit leurs sentimens; il essuyoit leurs larmes; il en répandoit avec eux, moins k plaindre luimême puisqu'au milieu de ses maux il jouissoit du bonheur de faire des heureux. Cependant il fallut gagner la maison ; elle étoit placée aux portes de la ville. Polydore en entrant dans cette cabane se sentit pénétrer d'un saint respect; 1'ordre et la simplicité qui y régnoient retracèrent a ses yeux ce que Pon  ET POLYDORE. u5 raconte de ces deux vieillards quirecurent autrefbis les dieux dans leur humble séjc-ur. Toute la richesse de ces deux époux consistoit en un petit nombre d'arpens de terre qu'ils faisoient valoir de leurs mains, et en quelques troupeaux dont ils alloient tous les ans vendre une partie, pendant les fêtes de Sestos. On confia tout a Polydore le lendemain de son arrivée, non comme a un esclave dont on exigeoit des soins , mais comme a un fds aimé que Pon vouloit combler de biens. La vigilance de Polydore et ses attentions continuelles augmentèrent le revenu de ses maïtres : il passoit tout le jour au travail ; le matin dans les campagnes , il prevenoit 1'aurore , et le soir il rarnenoit les troupeaux a Ia maison ; ensuite il en portoit le lait aux deux vieiilards , et sa vue leur rendoit bientót cette volupte pure que la tendresse fait naïtre , et dont son absence les privoit Pun et Pautre. Polydore trouvoit ainsi dans Abydos cette vie pleine d'innocence, dont Phabitude et 1'éducation lui avoient fait connokre le prix : il aimoit ses nouveaux maitres presque autant qu'il en étoit aimé; il faisoit leur bonheur; ils auroient fait le sien si Polydore éloigné de Carite avoit pu goüter des plaisirs. H a  CAKITÏ L'Amour a dans le voisinage de la ville un temple assez connu par route la Grèce : il est bati sur le baut d'une montagne oü 1'on prétend que le dieu se retira jadis en fuyant les cceurs perfides qui déshonorent son culte. Polydore s'y rendoit tous les soirs k la fin de son travail; et tous les soirs il imploroit la protection du dieu dont il n'avoit encore éprouvé que les rigueurs. Nausicratès avoit k la suite de sa maison un jardin aussi simple qu'elle ; on avoit planté dans le fond un bosquet de myrthe , et la statue de 1'Hyinen étoit placée au milieu. Nausicratès alloit souvent la visiter, et remercier ce dieu tutélaire des bienfaits dont il 1'avoit comblé; mais il y avoit un jour de 1'année destiné particulièrement k lui rendre des actions de grace ; c'étoit le jour qui avoit vu commencer Punion des deux époux ; ils invitoient leurs amis k venir célébrer avec eux 1'anniversaire de leur mariage; ils se couronnoient de fleurs, ils offroient des libations de vin, et quelquefois même ils sacrifioient une genisse ou un cbevreau. Le jour de la fête , lorsque la cérémonie fut acbevée , les convives se retirèrent, et Polydore resta seul au pied de la statue : la nuit  ET POLYDORE. II7 vint, et Ie sorameil le surprit. A peine eut~il cédé a cette impression bienlaisante,qu'un songe funeste vintallarmer ses esprits. II crutvoir la statue elle-même s'animer touta coup, et le dieu de 1'hymenée, un flambeau k la main, lui montrer sa jeune épouse entre les bras d'un rival. II frérnit k cette vue ; il se réveille avec fureur : « Sort injuste, s'écria-t-il, vous me per« sécutez jusques dans les bras du sommeil; le « repos que la nature accorde aux plus vils de «tous les animaux, n'est pas même un bien « pour moi! Non , ma chère Carite, je connois « votre cceur ; si vous vivez, vous m'êtes fidel- « le Mais quoi, reprenoit-il un moment « après, ce songe n'est-il pas un avertissement « des dieux ? Ah ! Carite, Carite, tu me tra« his ! un autre a touché ton cceur. Oü trouver « ce téméraire ? j'irai le punir de son audace. « Quittons ces lieux ; volons Mais quoi ! «Nausicratès, Thémisto , pourrois-je vous « abandonner ? malheureux que je suis ! pour« quoi faut-il que I'honneur et la reconnois« sance me retiennent, quand 1'amour et 1'hy« menée me rappellent!» Cependant un pouvoir secret le fit encore céder au sommeil, et le songe qui 1'avoit tourmenté lui présenta de nouveau, son image ac- H 3  Il8 CARITE cablante : « C'en est fait pour cette fois, s'é« cria-t il, je n'en dois plus douter, Carite est « infïdelle : 1'hymen lui-même a révélé ce mys*cc tére afïreux : j'irai, j'irai lui reprocher sa cc perfidie jusques dans les bras de son amant, cc Je ne balance plus : 1'amour le veut; 1'amour cc 1'emporte. Dieux qui voyez mes combats , ,cc rendez justice a mon innocence, et comblez cc a jamais de biens le vertueux Nausicratès et cc la malheurcuse Tbémisto. » Dès que le jour parut, Polydore chercha le long du rivage un vaisseau qui fit voile pour la Grèce. II ne fut pas long-tems a le trouver : la ville d'Abydosenvoie tous les ans au dieud'Epidaure des présens considérables , et le vaisseau qui devoit les porter alloit se mettre en mer. Polydore saisit cette occasion de retour ner en Grèce ; il se flattoit de retrouver Carite auprès de la tendre Sterope j et si ses espérances étoient trompées, après avoir embrassé Pisistrate , il devoit se remettre en mer, et chercher Carite dans toutes les Cyclades. II partit dans ce dessein , et il ne s'éloigna pas sans regret du rivage : le souvenir de Nausicratès et de son épouse le tourmentoit sans cesse ; il imploroit les dieux en leur faveur , et il leur souhaitoit une meillenre destinée.  ET POLYDORE. 119 Les approches de la Grèce changèrent bientöt Pétat de son ame; dès que le vaisseau eut abordé au rivage, Polydore , sans attendre le jour oü Pon devoit porter les présens au temple , descendit seul pour chercher les moyens de traverser en peu de tems le Péloponnèse, et de se rendre a. Corintbe. Environ k un demi mille d'Epidaure, un vieillard qui conduisoit des troupeaux 1'arrêta : « Jeune étranger, lui dit-il, si vous sou« baitez d'entrer dans la ville, je vous con« seille d'attendre jusqu'a demain j il faut tra« verser cette forêt qui n'est pas longue k la « vérité , mais dont les dé tours sont obscurs et cc difficiles : attendez jusqu'a demain, vous discc je ; déja 1'ombre descend des montagnes , et « déja la fumée s'élève du toït des hameaux « voisins : restez avec moi; je vous offre du « lait pour votre repas et des feuilles fraiches « pour passer la nuit.» — « J'accepte votre of«Ire, lui dit Polydore ; puisse Jupiter hospicc talier vous en donner la récompense. » Ils s'avancent k ces mots : une nombreuse familie vient au- devant du vieillard; on reqoit Polydore avec joie : chacun s'empressoit autour de lui, lorsque le vieillard élevant la voix, lui dit: « Etran ger, Ia pai x dont vous nous voyez H 4  CARITE « jouir n'a pas toujours régné dans ces climatsj « ce n'est que depuis peu de mois et par la va« leur d'un seul homme , que nous avons ac~ « quis Ia sécurité dans laquelle nous vivons. «II n'y a paslong-tems qu'il habitoit dans ces « lieux un géant féroce connu sous le nom de « Sinnis : ce brigand faisoit périr tous les voyacc geurs par le supplice le plus cruel; sa f'orce cc étoit si prodigieuse qu'il plioit jusqu'a terre cc deux pins énormes, et après avoir attaché ses cc victimes a chacun de ces arbres , il les laiscc soit aller a. la fois Pun et Pautre, afin que le cc mouvement qu'ils faisoient en se relevant décc chirat les membres de ces malheureux. Je fus cc moi-même le témoin du dernier de ses cricc mes j et je le vis recevoir le juste chatiment cc qu'il méritoit : ce souvenir me glacé encore cc d'effroi. J'allois k la ville, et je traversois la cc fbrêt aussi vïte que mon age et mes forces cc pouvoient le permettre , lorsque je renconcc trai un jeune homme qui accompagnoit une cc femme de même age que lui; ils me demandècc rent le chemin , et m'apprirent qu'ils étoient cc Crétois : je m'éloignai d'eux en leur souhai« tant toutes sortes de prospérités. Mais a peine cc eus-je fait quelques pas, que je les entendis cc 1'un et Pautre pousser de grands cris : je ma  ET POLYDORE. 121 « retournai; le géant avoit saisi le jeune hom« me, et le traïnoit par les cheveux. Son épouse «le suivoit en implorant ce barbare ; mais loin « de toucher son cceur, elle ne faisoit que 1'ircc riter davantage. cc A peine le Crétois avoit perdu la vie, que cc Thésée arriva dans ce lieu : il n'est pas pos« sible, continua le vieillard, que vousn'ayez cc entendu parler de ce héros qui fait aujourcc d'hui Padmiration de la Grèce, et qui marcc che sur les traces d'Alcide : depuis la défaite cc du Minotaure , il a fait mordre la poussière cc a plusieurs brigands qui désoloient 1'Achaïe, « et quoique Egée son père soit mort depuis cc un an , il préfère les combats et la gloire des cc armes a 1'éclat tranquille du tröne. cc Thésée arriva, comme je vous Pai dit, dans cc le moment que le jeune Crétois venoit d'excc pirer : il attaqua le monstre ; et après 1'avoir cc désarroé , il le fit périr par le supplice qu'il cc avoit lui - même inventé. Ce héros , après cc avoir tué le géant, déracina lui seul les deux cc arbres qui avoient servi d'instrument a. sa cc cruauté, afin d'effacer jusqu'aux traces de cc cette afïreuse barbarie. cc J'étois resté a quelque distance, pénétré « de douleur et d'effroi, lorsque je vis la jeune  122 CARITE cc Crétoise qui rassembloit en pleurant les memte bres épars de son époux : j'allai moi-même «e la soulager dans ce pieux office , et je la race menai dans ma maison. Quelques jours après cc elle fit élever un tombeau dans le lieu oü cet cc infortuné a perdu la vie ; et tout auprès de cc ce monument elle en a fait construire un auce tre pour un de ses frères qui étoit mort, dicc soit-elle, auparavant. cc Dès que ces deux ouvrages ont été finis, ce on a bati dans le même endroit une cabane «e pour elle; et depuis ce tems elle y demeure «e sans cesse entre les manes errans de son frère « et de son époux. II faut passer dans cet en»e droit pour aller a la ville; nous nous y arrêcc terons demain ensemble. Jeune homme, de cc tels exemples sont faits pour votre age : si cc vous aimez la vertu et la piété, celui-ci route chera votre cceur : présentement allez vous te reposer; j'aurai soin de vous avertir moi■> cc Rassure-toi, lui disoit son époux, lesfilles « de 1'Erêbe tourmentoient mon coeur ; elles cc versoient dans mon ame le poison de la ja«lousie ; mais j'ai cru voir, j'ai vu tous les «c dieux ensemble dans un de tes regards; les « Euménides cèdent k leur puissance; je t'aicc me , je t'adore, chère Carite : mais, que discc je ? ton amant n'est plus digne de la lumière- cc J'ai pu te soupgonner! j'ai pu ! Non, ne cc le penses pas ; mon cceur ni ma raison n'ont cc point de part a cet affreux délire..... » — cc Ecoute-moi, interrompit Carite, et permets cc k ton épouse de se justifier : » — cc Toi, lui dit-il, oh mes enfans chéris , Illustres chefs! chacun de vous possède Un attribut dont il s'enorgueillit; L'un , le pouvoir auquel tout obéit; L'autre, la force k laquelle tout cède. Pourquoi faut-il que ces distinctions Soient de nos maux la funeste origine? Ignorez-vous que vos divisions De cet état vont hater Ia ruine ?  la chanteloupee. iy5 Galmez plutót cette aveugle fureur, Et désormais, a mes avis dociles , Exécutez des projets plus faciles Dont Tennemi soit saisi de terreur Dans ce recoin, tout au haut de ce poéle, Une araignée a déployé sa toile. Conseillons-lui de changer ce séfour Pour les beaux lieux oü Philis tient sa cour. Que tous les soirs , sur les lambris errante , Elle paroisse en comète effrayante ; Que d'autres fois, se glissant sur un fil. Au sein des airs elle soit suspendue , Comme une épée. A l'aspect du péril, NoTe ennemiu, inteidite, éperdue, S éloignera de ce lieu fortunó. Mais pour ourdir une pareille intrigue II faut de Part. Peut-être quArachné Refusera d'entrer dans cette bgue, Et choisira, sans la moindre pudeur, Pour son diner monsieur 1'ambassadeur. Dans ce danger, il faut un grand exemple.' Oh ! vous, amis que dans ce j'our d'effroi L'état implore et 1'univers contemple, Qui de vous tous acceptera l'emploi De ménager cette alliance?.... Moi, Dit un héros, plein d'esprit et d'audace, Jeune et tralnant tous les cceurs après soi.  lj6 i, a chanteioupIe. On applaudit. Le roi saute et 1'embrasse,Lui fait présent d'un riche baudrier, Et Salisson, c'est le nom du guerrier , Ivre d'encens , mais exempt de surprise, Fait les apprêts de la noble entreprise. /'•TT A VITl  Ï.A CHANTElOUrÈE. L77 C H A N T I I. TRisTEsmortels, qui, pour vous rendre heureux, Employez Part, épuisez la nature, Tous vos plaisirs ne sont qu'une imposture Qui vous dérobe a 1'objet de vos vceux. Si le bonheur est Ia santé de Pame, II doit régner dans le calme des sens, Dans le concert des désirs innocens, Dans les douceurs d'une paisible vie, Oü sans apprêt, sans crainte, sans envie, Sans y penser , on j'ouit sans dégout, On rit d'un rien, on s'amuse de tout. Repos charmant, délicieuse ivresse, Oü du passé Pon perd le souvenir, Oü rarement on pense k Pavenir, Oü le présent n'a rien qui n'intéresse. O Chanteloup ! ó séj'our plein d'attraits, Vous nous faisiez goüter Pheureuse paix M  J78 Z A CHANTEXOTJPSE. Dont j'ai taché de crayonner l'image, Quand tout a coup , ce serpent qui, jadis. D'Adam et d'Eve altera le ménage, Yint se glisser dans notre paradis. Mais revenons a notre Alcibiade, A Salisson, qui d'un esprit rassis N'est occupé que de son ambassade. II prend un brin de feuille de laurier Qui lui tient lieu de rameau d'oliyier, Puis il saisit une aile détachée De papillon , et 1'ayant dépécée II en construit un joli caducée. 11 part soudain, sans être retenu Ni par les cris d'une épouse en furie, Ni par les pleurs d'une amante chérie. En quelques sauts Ie voila parvenu Tout prés des lieux oü la triste araignée Des moucherons filoit la destinée. La, quels objets s'offrent k ses regards ! II appercoit sur des toiles branlantes De mille morts les dépouilles sanglantes, Des corps flétris et des membres épars ; Plus loin encor des victimes tremblantes, Et s'agitant en vain de toutes parts Pour sécouer leurs chaines accablantes* Dans le moment qu'immobile, interdit,  TL A CHATTTEEOUPEE. lyO Notre guerrier et s'arrête et balance, Le monstre noir se cache , et se blotit, Le suit des yeux, et respire en silence ; Puis comme un trait sur la toile s'avance, Mais étonné des symboles de paix Que Salisson a pris pour sa défense, II sent calmer ses mouvemens secrets, Et sur son dos ayant pris l'exeellence II la transporte au fond de son palais. La, dépouillant son naturel farouche, Fidéle aux loix de l'hospitalité, Dans un festin par ses mains apprété, li lui présente une tête de mouche. Et cependant le négociateur De 1'araignée intrepide flatteur , Paroit surpris de sa giace touchante, Exalte fort sa beauté ravissante , Ses bras si longs et son corps si petit; Entend finesse a tour ce qu'elle dit, Et par degrés fait couler dans son ame D'un sot orgueil le dangereux poison. Pardonnez, reine, au zèle qui m'enflamme, Ajoute-t-il; mais vous, votre maison, Devez périr par un complot inf&me. Philis , qu'entoure un peuple d'assassins, Hier au soir étouffa de ses mains De notre roi la malheureuse femme. Ce sort cruel, cet horrible tourment, M 2  18o IA CHAHTïlOüriï", N'en doulez pas , Philis vous le prépare. Sa voix est douce, et son cceur est barbare. Dans ses fureurs elle a fait un serment Qui de vos maux va devenir 1'époque. Elle disoit : Je veux que loup me croque, Si désormais 1'araignée en ces lieux Ose montrer son aspect odieux. Cherchez par-tout le noir et vil insecte ; Contre le mur bri«ez sa race infocte. Elle parloit de vous en ce moment, Illustre reine , et sa jalouse rage Associoit le mépris a 1'outrage. II faut ou fuir, ou venir piomptement Par votre aspect eonjurer cet orage. Qu'ai-je entendu ? replique fièrement Sa majeste. Moi, reine des corniches, Des modillons , lainbris, alcoves, niches, Abandonner lachement le séjour Oü je commande, oü j'ai recu le jour ! Moi, qui, placant mon tióne sur les faltes, Bravai cent fois les éclairs , les tempêtes, Qui tous les jours , sans trembler, sans palir, Reste tranquille au milieu des abimes ! Non , ce n'est point dans des rangs si sublimes Qu'une grande ame apprend a s'avilir. C'est a Philis de ramper sur la terre, Et c'est k moi de régner dans les cieux. J'irai demain lui déclarer la guerre;  LA CHASTBLOOPEï, l8l Demain j'irai me montrer k ses yeux , Et mes regards , au défaut du tonnerre , La forceront d'abandonner ces lieux. Allez, aüez, dites a votre maitre Que j'aurai soin de venger son honneur, Et que Philis va bientót me counoitre. A ce discours 1'adroit ambassadeur Prend congé, part, revient en ddigence , De ses travaux recoit la récompense Et reste affab'e au sein de la faveur. Digne rival de Dossat, de Destrade , Charmant Boufflers , après votre ambassade, Tel on vous vit, modeste en vos succès, Vous dépouiller du titre d'excellence , Et recevoir cent vingt écus de France Des mains d'un roi généreux a 1'excès , Sans que 1'éclat d'une telle opulence Vous eut rendu d'un difticile accès. Le lendemain étoit un jour funeste, Un vendredi, jour que Philis déteste ; Car il influe et jette un sort maudit Sur ce qu'on fait. Chareau-Renaud I'a dit j Elle Pa su par sa bonne nourrica , Qui le tenoit d'une excellente actrice, Qui le tenoit d'un jeune cavalier, Qui le tenoit d'une religieuse, M 3  1Ö2 LA CHANTEIOÜPÉEi Qui le tenoit d'un père cordellier. Qui 1'avoit su par une ravaudeuse. Le fil heureux de cette vérité Se prolongeant par ces routes obliques, Monte fort haut dans les fastes antiques, Ira fort loin dans la postérité. Si 1'araignée avoit été savante Comme Philis, elle auroit attendu Qu'un jour plus pur de sa clarté brillante Eüt éclairé son projet suspendu. Mais elle part sous les plus noirs auspices, Sans consulter les dames de la cour. Sur le penchant de mille précipices , Par monts , par vaux , par maint et maint détour Elle va, vient, descend , remonte, grimpe . Arrivé enfin au sommet de 1'Olympe , Précisément au-dessus du fauteuil Oü, tous les soirs, Philis se tient assise. Or Sulisson , qui la suivoit de Toeil, Voutut savoir la fin de 1'entreprise. Dans le salon il entre a petits pas , Marche sans bruit sur 'e bout de la patte, Y voir Thétis (1), qui sur la molle ouette Fait reposer ses innocens appas. Cédant alors a 1'espoir qui ie flatte, (1) Petiie chienne.  LA C H A N T E L O U 1> É E. l83 Dans cet asyle a ses regards offert II va chercher le vivre et le couvert. L'astre brillant finissoit sa carrière ; A la faveur de la beauté du jour, Philis erroit dans les champs d'alentour ; Dans les hameaux, dans une humble chaumière, Elle portoit sans faste des secours. Elle y portoit ces bienfaits, ces discours Qui dans les coeurs flétris par 1'indigence Font luire encore un reste d'espérance. Elle revient avec Gatti (1) , Pabbé (a), Et son cher oncle (3). On soupe, on a soupé. Dans le salon on rentre, on se promène ; Et puis chacun raisonne comme il peut, Et puis chacun joue k tout ce qu'il veut, Et puis Philis tout doucement ramène De son époux les graces, et 1'esprit, Et les talens, et sa bonté profonde ; Elle en disoit ce que chacun en dit, Et le disoit mieux que personne au monde: Mais dans Pinstant, ó prodige ! ó malheur ! Comme un éclair part un cri de douleur; (1) Médecin italien. (2) L'abbé B (3) Le B. de Tbiers.  1^4 XA CHASTBIOÏÏPÉE. C'est elle-meme. A peine elle respire. Sa foible voix sur ses lèvres expire. Le cri redouble et répand la terreur; L'oncle frémit, Gatti fait la culbute, Hors de lui-mème, entrainant dans sa chüte Le trésorier de Saint-Martin de Tours (i). Chacun s'écrie : Au voleur , au secours , Aurevenant. Non, non, a 1'araignée, Disoit Philis, elle tombe sur moi. De ses guerriers la troupe consternée Sent en secret augmenter son effroi. Le tocsin sonne. A ce signal d'alarme Confusément se rangent sous les armes Valets-de-chambre, officiers, cuisiniers; Laquais, frotteurs, cochers, palefréniers. Raquette en mains, Gatti marche a leur tete. Au milieu d'eux il fulmine , il tempête. Trois fois il lance un volant dans les airs. Le monstre rit de ses efforts divers. Mais le héros, qu'un tel outrage anime, Presse les rangs , et donne le signal Avant-coureur d'un assaut général. Pour seconder sa fureur légitime On voit soudain voler coussins, chapeaux, Livres, papiers, mitaines et manteaux. Vers les lambris les broches se hérissent, (i) L'auteur.  X A C H A-N T E X Ö U P É E. l8J L'air s'obscurcit, les lurnières palissen!.1 De tous cótés 1'image de la mort Vient assaillir Paraignée interdite. Son coeur ne peut se soumettre a Ia fuite Et sait braver les outrages du sort. Elle s'élance aussitót de la voute, Et dans les rangs de 1'ennemi troublé Tombe en fureur. L'armée est en déroute. Gatti lui seul n'en est point ébranlé, Et soutenu par 1'ardeur qui 1'embrase , II court au monstre, et sous ses pieds 1'écrase.; De sa valeur tous les soldats surpris, Pendant trois jours chantèrent sa victoire, Mais le rayon le plus beau sa gloire Fut un regard qu'il obtint de Philis.  l86 XA CHANTEXOUPÉE. C H A N T III. V ) v i, la nature a posé des limites Pour contenir en des bornes prescrites Des passions 1'essor impétueux. L'homme pervers et 1'homme vertueux Doivent tous deux, par divers sacrifices, Assujetir leurs penchans combattus. II faut que 1'un soit maitre de ses vices, L'autre Ie doit être de ses vertus. Si dans le mal 1'excès est effroyable, Cet excès même en prévient le danger. Mais dans le bien comment se corriger De cet abus que tout rend excusable, Et qui pourtant f par un sort déplorable , Produit 1'effet d'un dangereux poison? Un rien déchire une ame trop sensible. La bonté même est très-souvent nuisible. On déraisonne a force de raison. Trop de vertu rend un homme sauyage,  LA C H A NT EL O U P É E. 187 Et 1'on se perd a force de courage. Tel fut le sort du pauyre Salissou. Par son récit sa cour infortunée Avoit appris la mort de 1'araignée. Cette nouvelle avoit dans un clin-d'oeil Semé par-tout 1'épouvante et le deuil. L'un court au temple, invoque Proserpine, L'autre humblement se frappe la poitrine. Les généraux, tous au conseil d'état Viennent en foule, excepté Goliath , Qui sans respect, et d'une dent profane Dans ce moment fourageoit Mariane. La peur ayant glacé tous les esprits On voit déja la cruelle Philis Par son exemple ordonner le carnage, Et n'épargner ni ie sexe ni 1'age, Piller, brüler , et de ses propres mains De Grand-Glouton ravager le royaume, C'est Annibal qui marche droit a Rome, C'est Attila le fiéau des Romains. Un orateur, de sa patte étendue Tracant en Paf» des gestes élégans, Marchons, dit-il, contre les intrigans ; Mais marchons tous. La patrie est perdue; Si Scoeyola, Brutus, Harmodius  Jo8 ï. A CHANTEiOUPÉE. IN'enflamment point nos esprits abattus." C'est en son nom que ma voix vous appelle • Rien de si beau que de mourir pour elie. Vivre pour soi me semble encor plus beau, Répond un autre. II a bien fait ses classes L'illustre membre, et je n'ai ni ses graces, Ni son savoir; mais son bouillant cerveau De Ia raison n'atteint pas Ie niveau. On a grille" de Grand-Glouton 1'épouse; Qu'importe k moi que Philis trop jalouse Ait fait le coup ? un pareil attentat Ne fut jamais une affaire d'état. Sauve qui veut I'honneur de la couronne, Je suis d'avis de ne forcer personne. II faut, dit-on, nombre de combattans Pour assurer de si hautes vengeances. Je répondrai qu'il est encore tems De réunir les plus grandes puissances. Punaises, pous , puces et pucerons, Rats et souris, teignes, mites , cirons, Si c'est trop peu de ceux de la Touraine Faites venir ceux du Perche et du Maine, Et vous aurez cinq k six millions De dents, de traits, de griffes, d'aiguillons. Tant de soldats garans de la victoire, Vous suffiront sans 1'appui de mon bras. Je suis né libre; aux honneurs du trépas, Je vous le dis, et vous pouyez m'ea croire,  XA CHAlfTEIOüPÉE, l8(j Je ne suis pas empressé de courir, Et je veux vivre avant que de mourir. Comme les flots s'élèvent et se brisent, Tous les pro/ets s'enfantent, se détruisent.1 On parle , on crie, et Ie seul désespoir Semble éclairer 1'intérêt, le devoir. Dans cet instant Grosse-T éte s'avance. A son aspect tout le monde, en silence, Sent dans son coeur renaitre quelque espoir. Voici, dit-il, ce que 1'expérience Depuis long-tems m'a fait appercevoir : L'homme a la force, et nous avons 1'adresse.' Je connois bien son pouvoir, sa foiblesse. Est-il tranquille, il faut qu'a tout propos De son voisin il troubïe le repos. Si 1'un d'entre eux a la puce a I'oreille, Plus de bonheur; soit qu'il dorme ou qu'il veille Des soins cuisans, une secrète horreur, Glacent d'effroi son esprit et son coeur; Et dans 1'accès d'un funeste délire II porte au loin Ie trait qui le déchire. Oh! si mes sens, par le tems affoiblis, Pouvoient m'offrir encore leurs services De quelle ardeur, avec quelles délices, J'attaquerois I'oreille de Philis.'  1QO Ï.A CHANTEEOTJPEE. Non , non , moi seul dois remplir votre attente, Dit Salisson ; j'ai brave le courroux De 1'araignée, il me sera plus doux De caresser une oreille charmante. De tous cótés un murmure ilatteur D'un tel succès lui décerne 1'honneur. Suivi des vceux de toute i'assemblée II disparolt. Son amante accablée L'apprend , et court au-devant de ses pas. Elle 1'arrête , et d'une voix mourante Elle s'écrie : Ah ! vous ne fuirez pas. Plutót me voir k vos pieds expirante, Que d'endurer le noir pressentiment Qui ne me montre, en ce cruel moment, Autour de vous qu'un affreux précipice. O j'uste ciel! je n'ai qu'un sentiment, Pourquoi faut-il qu'il fasse mon supplice ? J'ai trop souffert de vos premiers exploits , Je ne saurois rappeler ma constance Et supporter une seconde fois Votre danger , mes frayeurs, votre absence. A quelle horreur mes jours sont condamnés ! Quoi! vous m'aimez, et vous m'abandonnez! Daignez calmer, charmante Sauterelle, Cette douleur , cet aimable transport, Dit Salisson. Le devoir me rappelle , Et la patrie exige de mon zêle ,  IA CHASTEIOÜIEE. igl Pour la sauver, un généreux effort. Oui, je la sens 5 mais ce n'est pas pour elle. Je veux vous plaire k force de vertus, Vous mériter pour mieux vous plaire encore. Ah! soutenez mes esprits abattus. Ne craignez rien. A la troisième aurore, Je reviendrai me ranger sous vos loix. Je reviendrai brillant de mes exploits, Vous adorer, dissiper vos alarmes, Auprès de vous gouter un doux loisir. Jugez combien cette gloire a de charmes, Puisqu'elle est j'ointe a 1'espoir du plaisir. Eh ! que me font ta gloire et ta patrie? Je ne vois plus que tes jours en danger, Que tes sermens, que ma flamme trahie , Et qu'un ingrat dont je dois me venger. C'est trop souffrir ma honte et tes injures; Et si les dieux punissent les parjures , Témoins des maux que tu me fais souffrir, Puissent-ils... Non , j'e ne puis te haïr. Non, j'e ne puis me condamner a vivre. Je puis mourir. Permets-moi de te suivre; Je combattrai pour tes jours précieux, Tu combattras avec moi, sous mes yeux. Les feux brülans dont j'e suis pénétrée Seconderont 1'effort de ta valeur , Et sur tes pas ton amante éplorée Partagera ta gloire ou ton malheur.  IQ3 IA CHANTÏLOÜÏÉÏ, Un tel dessein alarme la tendresse De Salisson. Mais déja le tems presse, Le jour paroit. Comment dissuader L'amour en pleurs ? il faut enfin céder.- En implorant le dieu qui les anime: Les deux amans se mettent en chemin, Dans les dangers se tiennent par la main j Risquant cent fois de tomber dans 1'ablme, Jurent cent fois de ne se point quitter. Et cependant k force de trotter Ils ont atteint, par une noble audace, Le ciel du lit, et puis la bonne grace, Puis 1'oreiller , puis le front de Philis. Dans le sommeil ses sens enseveiis Goutoient la paix qui règne dans son ame j Et dans la chambre une larnpe de nuit Eclaircissoit k peine par sa flamrne L'ombre épaissie aux environs du lit. Le couple heureux, dans ces lieux introduit, Est agité d'un trouble qu'il igaure, Croit respirer la fraicheur de 1'aurore , Et 1'air brülant qu'on respire a Paphos. Puis Salisson laisse tomber ces mots En soupirant : Pendant qu'elle sommeille Emparons-nous de 1'une et 1'autre oreille. Prenez Ia droite, et je vais de ce pas Saisir la gauche. A ces mots, Sauterelle, Par  Ï.A CHAHTIilOlJïÉB, lf)3 Par un sentier qu'elle ne connolt pas Descend vers 1'oeiJ, et par malheur pour elle, Va s'égarer dans des tail.lis touffus, Dans la paupière... Elle hésite et chancelle. Elle s'épuise en efforts superflus, Et simple, hélas ! comme une villageoisa Elle se croit dans la forêt d'Amboise. En vain ses cris appellent son amant. H approchoit dé/a de 1'édifice Qu'il a choisi pour son département. II én admire avec étonnemeut Les beaux contours, 1'élégant artiflce. II y pénètre, et plein dün saint respect II Ie parcourt, il va de salie en salie, Avec plaisir se perd dans ce dédale. Mais le plaisir rend toujours indiscret Sur la peau fine il croit pouvoir sans crainte De ses baisers laisser la douce empreinte. II se trahit j son aiguillon tranchant Croit 1'effleurer et la mord j'usqu'au sang. Philis s'éveille, et du brülant caustique Sent redoubler la vive impression. Sa voix appelle avec émotion Tintin , Mimi, Mariane , Angélique. Aux cris percans la sonnette répond. On vient, on court eu chemise , en j'upon; Flambeaux en main, ces ombres fortunées, N  Jp4 1 A CHAN'TELOUPÉE. Prés de Philis par 1'amour entralnées, Jettent sur elle un avideiregard, Poussent au loin draps ^rideaux , couverture, Cherchent par-tout, mais ieherchent au hasard. Un beau désordre est un effet de Part; II est plus beau s'il vient de la nature. A la faveur du nouveau jonr qui luit Daus la forèt la puce prisonnière Veut s'échapper, et Mimi la poursuit Les doigts levés : cette jeune guerrière , Le jour la nuit, plus de cent et cent fois S'est signalée en de pareils exploits. Au premier choc elle prend Sauterelle, Et sur-le-champ la biülea la chandelle. Triste témoin de ce spectacle affreux, Le héros saute hors de la citadelle , Bondit, voltige, escarmouche, étincelle, Saute a travers et les bras et les feux, Mord en courant la belle Mariane , Pince Angélique , égratigne Tintin ; Mimi Pattaque et déja sur son sein Elle a recu la piqüre profane. Cinquante doigts levés contre ses jours N'arrêtent point de ses fureurs le cours9 Et tous ces doigts qui s'avancent, reculent, Qui tour k tour se pincent ou se brülent, De Salisson animent le transport. Mais k la fin, par un dernier effort,  E A CHANTEI. OUPEE. 1 <}5 Philis riant k gorge déployée , D'un tour de main le prend a la volée, Et sans pil ié le condamne k la mort. Notre héros pret a subir son sort La regardoit, plus touché de ses charmes Que des tourmens qu'il va bientót souffrir, Et lui disoit, en répendant des larmes : Eh quoi! c'est vous qui me faites mourir ! FIN DE IA C II A NT EL OU PEE. N i  E N I G M E (i). Je suisun mot sans origine,. Sans dérivés et sans racine. Je ne suis ni verbe ni nom , Point un adverbe , et pas même un pronom. Je brille par mon énergie. De routes voyelles privé , Banni du style relevé, On m'admet dans la comédie Et jamais dans la tragédie. Mon ton est brusque, il interdit; Dès que j"ordonne, on m'obéit. Le mot est st. (i) C'est la seule énigme qu'on ait trouvée dans les manuscritf de Barthélemy.  CRITIQUE.   AVERTISSEMENT. Plus le nombre des livres angmente, plus il est nécessaire d'en faire et den conserver des extraits , qui ne dispensent pas , k la vérité, de les lire, mais qui indiquent 1'utilité dont ils peuvent êrre. Cette considération le cède néanmoins a une autre bien importante , et sur laquelle je m'arrêterai un instant. Si la fureur d'écrire continue, il sera bientót impossibled'approfondir aucune matière, sans avoir passé plusieurs années a une étude pénibledela bibliograpbie. De ^abondance naitra alors la stérilité; de la science , fignorance , et de la lumière, les ténèbres; enfin, nous serons replongés dans la barbane, par les mêmes moyens qui nous en ont tiré; et avant que den sortir de nouveau, peut-ètre faudra-t-il que nos prétendues richesses aient été dévorées par le tems, que les momunens de notre orgueil , ou les hocbets de notre vanité aient été détruits , et que le fruit des travaux de tant de siècles ait presque èntiè-ement disparu. Le délire de Vopinion exé-utera ce qae la rage aveugle des conquérans N 4  ZOO AVERTISSEMENT. avoit déja fait; tour a tour on se débarrassera de ce qu 'on aura appris a mépriser, et on réalisera la fable d'Omar, en y croyant et la citant même comme un trait de démence. La légéreté, rirréflexion, 1'esprit de parti, la manie des gouts exclusifs , le fanatisme philosophique, etc, 1'action et la réaction d'une foule d'autres causes, tout concourra a étendre 1'empire du néant, jusqu'a ce que la Providence y niette des bornes et sauve encore une fois 1'esprit humain des suites funestes de son égarement. Dans cette conjoncture, on recherchera avec empressement les livres qui auront échappé a la destruction, et ceux qui renfermeront les extraits d'un grand nombre d'ouvrages seront indubitablement préférés. Un pareil avantage appartient sans contredit aux journaux ; ils deviendront alors aussi précieux que la bibliotbèque de Photius, qui en a fourni 1'idée. Sallo, conseiller au parlement de Paris en profita le premier; il commenca, le 5 janvier i665, a publier le Journal des Savans, et eut bientót de nombreux imitateurs. D'abord ceux-ci ne donnèrent qu'une courte analyse ou 1'esprit des livres , et on ne peut refuser a Bayle la justice  AVERTISSEMENT. 2.01 de dire qu'il a excellé en ce genre. Basnage étendit davantage ces extraits, et Jean le Clerc fit encore les siens moins abrégés ou plus complets. Son exemple fut bientót suivi par tous les journalistes qui se multiplièrent a Finfmi et se succédèrent rapidement en Hollande et dans tous les pays étrangers. On peut leur reprocher, engénéral, dene s'ètre pas renfermés dans de justes bornes et de n'avoir pas su prendre la rnanière de Fontenelle. Cet écrivain célèbre a donné dans 1'histoire de 1'académie des sciences le vrai modèle de 1'analyse littéraire; jamais on n'a mis plus d'ordre, de précision et de clarté , dans Fanalyse des écrits souvent abstraits , et quelquefois très-obscurs; jamais on n'a donné des résultats plus lumineux et plus satisfaisans. Quelquefois il rendoit intelligible ce que les auteurs n'avoient pas entendu eux-mêmes et par-la leur fournissoit le moyen de s'éclaircir et de se perfectionner. Mais un si rare talent pour 1'analyse n'est réservé qu'a un petit nombre d'hommes , et ceux qui Font,dédaignent trop fréquemment de s'en servir. D'ailleurs cela demande beaucoup de tems et de réflexions; et le public  202 AVERTISSEMENT. étoit devenu impatient. L'amour de 1 etude, s'affbiblissant chaque jour, avoit été rernplacé par cette passion de tout lire et de juger de tout, qui engage les gens de lettres a prostituer la science, multiplie les auteurs au grand préjudice de la société, et doit tot ou tard ramener les siècles de barbarie, après avoir causé bien des maux au genre humain. Les journalistes n'oublièrent rien pour alimenter une passion qui les nourrissoit euxmêmes; et leurs écrits n'ont pas peu contribué a former parmi nous un peuple dangereux de liseurs. Une semblable contagion fit changer tout de face ; et au milieu de ce siècle, la république des lettres n'étoit déja plus reconnoissable. Son sein fut déchiré par la haine des partis , et la fureur du prosély thisme ou celui de la renommee. On jugeoit les ouvrages avant que de les lire. La-plupart des journaux n'en offroit pour 1'ordinaire que des extraits mutik's ou des analyses infidelles ; et leurs décisions étoient quelquefois aussi ineptes que partiales. Souvent on n'y voyoit pas même les premières notions des sciences , de la littérature et des arts; rarement on y trouvoit  AVEKTIS'EEMENT, 2o3 des jugemens éolairés par 1'expérience et prononcés par la justice. Cependant on distingua encore quelques écrits périodiques oü le gout et bi saine critique régnoient; et d'oü fimpartialité n'étoit pas entièrement bannie. On peut mettre surtout dans ce nombre le JournalEtranger, rédigé par Arnaud et Suard; le JournalBritannique , parMaty; celui de Berlin , par Castiihon et autres académiciens de cette ville ; les Gazettes Littèraires de Gottingue et dTena; le Monthly Review, en Angleterre, etc... Aucun toutefois ne mérite plus d'éloges que le Journal des Savans. On s'y écarta peu des régies, et la passion ne dirigea point la plume des auteurs. Cela fut du a la rnanière dont il étoit rédigé. Une société de gens de lettres, présidée par le chancellier, ou le magistrat chargé de la librairie, s'assembloit tous les quinze jours : dans ces séances on lisoit les extraits qui étoient soumis k 1'examen de toute la société. Barthélemy en fut long-tems membre; et sans étre obligé k un travail régulier, il ne coopéra pas moins a cet ouvrage périodique , non-seulement par des observations verbales, mais encore en  £04 AVERTISSEMENT. rendant compte lui-méme des livres dont le sujet avoit rapport a ses études particulières. Son amour ardent et sincèrepour leslettres s étendoit aux personnes qui les cultivoient. II chercha toujours a les encourager et jamais k les déprimer. II ne lisoit ordinairement un écnt qu'avec un sentiment de bienveillance pour 1'auteur. Son cceur en imposoit d'abord a son esprit, et la force seule d'une raison exercée pouvoit le ramener aux principes de critjque , d'après lesquels il jugeoit avec autant d'honnêteté que de justice. Sa censure n'étoit pas capable d'affliger 1'amour-propre; il cherchoit moins k montrer en quoi on avoit mal fait, qu'a insinuer comme on auroit pu faire. Dans ses extraits on s'appercoit sans peine qu'il estparfaitement instruitde la matièrede 1'ouvrage qu'il analyse; et il les accompagne de remarques judicieuses. De pareils articles m'ont donc paru dignes de fixer 1'attention des lecteurs et devoir entrer dans les ceuvres diverses de Barthélemy. Ils sont tous imprimés sans nom d'auteur ; mais je me suis assuré qu'ils étoient de lui, par des doublés exemplaires insérés dans les livres mêmes dont il avoit rendu  AVERTISSEMENT. 2o5 compte, ou qui se trouvoient dans ses portefeuilles. Du reste, il en a avoué plusieurs, et se proposoit aussi den insérer, dans le recueil de ses dissertations, quelques-uns , entr'autres, ceux qui concernent les ruines de Palmyre et celles de Balbec. L'une etFautre se trouvent ici, et sont suivies par trois articles concernant les antiquités d'Herculanum , vaste collection plus reeomroandable par la beauté des dessins que par la justesse des explications , pleine d'érudition, mais dépourvue de critique. Barthélemy n'a parlé que des deux premiers volumes; il parolt avoir un peu ménagé les auteurs. Peut-être auroiton désiré qu'il y eut mis plus de sévérité et continué de rendre compte desautres volumes,que les ministres du roi de Naples lui faisoient passer,conformément aux ordres de ce prince. Les Tables d'Héraclée sont un des monumens les plus précieux que le hasard ait fait découvrir; Ie savant Mazochi les a interprété avec beaucoup moins d'ordre que de savoir , et il seroit assez difficile de saisir le résultat de son long commentaire sans les deux extraits qu'en a donné JJarthélemy. A ces sept articles on en auroit pu join-  2.o6 AVERTISSEMENT. dre d'autres; mais Ia plupart regardant la dispute que Barthélemy eut avec le docteur Svvinton , relativement aux lettres pheniciennes, ils seront mieux placés dans ses ceuvres savantes. J'en ai seulement choisi un sur les médailles du triumvir Mare-Antoine , paree qüil renferme des observations qui méritent d etre tirées de 1'oubli. Barthélemy avoit suggéré au comte de Caylus le dessein de faire un nouveau recueil d'antiquités égyptiennes , grecques , rornaines et gauloises ; il Favoit beaucoup aidé de son savoir et de ses lumières, dans les explications du premier volume, et lui avoit fourni plusieurs articles soit pour celui-la , soit pour les suivans. II paroit qu'il est F auteur de deux ou trois extraits de cet ouvrage qu'on lit dans le Journal des Savans; mais séparés des autres, ils n'offriroient aucun intérêt. D'ailleurs ce recueil est entre les mains de tout le monde, avantage que nont pas les ouvrages dont je viens de parler. En conséemence je me suis borné a en faire réimprimer les extraits. Ils doivent donner une idéé suffisante des talens de Barthélemy pour la critique et Fanalyse littéraire.  LES RUINES DE PALMYRE (i). N ous recucillons les premiers fruits d'une expédition littéraire , f'aite par une société libre, éclairée, dont les opérations asservies a. un plan régulier, ne pouvoient être , ni précipitées , ni retardées par des ordres supérieurs ou par des vues d'intérêt, et qui ne doit qu'a elle-même Ta gloire d'avoir exécuté une grande entreprise. Deux Anglois, MM. Dawkins et Rouveric , qui voyageoient en Italië, il y a quelques années, et qui joignoient a 1'amour des lettres et des arts, les moyens les plus propres a le satisfaire, formèrent le projet d'aller visiter en Oriënt les lieux les plus remarqua- (i) Autrement dite Tadmor au désert. A Londrps iy53. in-fol. Journal des Savans , aviil 1754 , page 240 , édition i/1-40.  208 IIS RUINES bles de 1'antiquité. Dans cette vue ils s'associèrent M. Robert Wood, éditeur de cet ouvrage , et un architecte dont 1'babileté leur étoit connue, et dont le travail a justifié leur choix : un vaisseau équippé k leurs frais vint les prendre a Naples. II apportoit de Londres des présens considérables pour les bacbas et autres officiers de distinction dont ils auroient a. se ménager le crédit, des instrumens de mathématique propres aux observations qu'ils se proposoient de faire, et une bibliothéque choisie , composée des meilleurs écrivains de la Grèce , soit historiens , soit poëtes, auxquels étoient jointes les relations des voyageurs modernes les plus estimés. Ce lüt avec de pareils secours qu'ils parcoururent la plupart des iles de PArchipel, une partie de la Grèce en Europe, les cötes de PHélespont, de la Propondite et du Bosphore de Thrace , et qu'ils pénétrèrent dans 1'Asie mineure , dans la Syrië , laPhénicie, la Palestine et 1'Egypte. Dans ces lieux , autrefois le théatre de tant de faits héroïques, nos voyageurs se laissoient conduire paisiblement par les récits des historiens et les descriptions des poëtes. Ils se rappeloient k chaque pas les actions mémorables qui s'y étoient passées , et ce  BE PAEMYR.E. 200 ce souvenir sembloit prêter une sorte de vie et de mouvement aux objets qui les environnoient. Et cet effet, c'est dans les plaines de Marathon , c'est aux détroits des Thermopyles, qu'on lit avec plus de plaisir les vies de Miltiade et de Léonidas. C'est sur les bords du Scamandre que 1'Iliade brille de nou velles beautés, et jamais POdyssée n'eut tant de charmes que dans les lieux qu'Homère a fait retentir de ses chants, ou que les malheurs d'Ulisse ont rendus célèbres. On jugera sans peine de 1'impression que tant de tableanx variés, tant de scènes brillantes, devoient produire sur des voyageurs animés d'un même esprit et d'un même gout : de la chaleur que répandoient sur leurs plaisirs et leurs travaux coinmuns des découvertes qui se succédoient sans interruption ; enfin, du courage que leur inspiroient des succès qui en plus d'une occasion ont surpassé leur attente. Pénétrés de ces sentimens, ils n'ont pas cru devoir s'y borner. Lorsque la connoissance du local leur a paru nécessaire pour 1'intelligence d'un auteur ancien, ils en ont levé le plan. Ils ont fait des cartes de géographie pour la plupart des poëtes , et celle de la plaine du Scamandre qu'ils ont tracée, tenant Hpmère O  210 JLES RUÏNES k fa main , leur a couté quinze jours de travail. Loin de négliger les inscriptions qui se présentoient sur leur route, ils ont rapporté les marbres mêmes sur lesquels on les avoit gravées, toutes les fois qu'ils ont pu triompher de 1'avarice ou de la superstition des possesseurs; et 1'a.cquisition de plusieurs manuscrits dont la langue ne leur étoit point familière , est une preuve qu'ils sacrifioient tout.a. 1'espoir d'être utiles, quelqu'incertain que put être cet espoir. Cf pendant un autre objet fixoit principalernent leurs regards. Instruits des avantages que 1'on a retirés du livre de M. Desgodets sur les édifices de 1'ancienne Rome , ils dirigeoient souvent leur attention vers ces monumens qui embellissoient autrefois la plupart des villes de 1'Orient, et dont, en plusieurs endroits, il ne reste que des débris informes , qu'il falloit quelquefois arracber des entrailles de la terre. Dans ces ruines qui, rnalgré les ravages du tems et des hommes, conservent encore 1'empreinte du goüt particulier a chaque siècle , ils étudioient Porigine et les progrès de 1'architecture j et c'est sur des pièces si justificatives qu'ils se trouvent en état de donner riristoire de ce bel art, et sur tout des change-  DE PAZ SI YB. E. 211 gemens qu'il a éprouvés depuis le siècle de Périclès jusqu'a celui de Dioclétien. Rien n'auroit troublé le cours de tant de découvertes, nous pourrions dire de tant de conquêtes, sans la mort de M. Bouveric , que des vertus solides , un goüt éclairé et des connoissances profondes , ornoient a. 1'envi. Heureusement les mêmes qualités se trouvoient reünies dans son ami, M, Dawkins. Son zèle et son activité firent que la petite société s'appergut moins de la perte qu'elle venoit d'éprouver. Enfin , après avoir terminé leurs recherches , nos voyageurs sont revenus en Europe chargés de richesses plus précieuses a. nos yeux que celles dont Lucullus et Pompée avoient dépouillé 1'Orient. Leur dessein est de les communiquer successivement au public , et c'est pour consulter son goüt qu'ils lui présentent 1'ouvrage que nous annongons ; iis Pont d'abord fait imprimer en anglois, et pour le rendre d'un usage plus général, ils en ont donné, a Londres même , une édition en francois; le plan , la conduite et le succès de 1'entreprise sont développés dans une préface écrite avec autant de précision que de simplicité. Nous en avons emprunté les principaux traits, mais nous les , O 2,  213 ZES RUINES avons exposés sous un jour plus favorable que ne 1'a fait 1'auteur lui-même , qui, ayant partage les travaux et la gloire de ce voyage, s'est exprimé avec une modestie convenable a ceux qui exécutent de grandes clioses. Le même ton règne dans un morceau trèsbien fait qui est a la suite de la préface; ce sont des recherches sur Tanden état de Palmyre. Cette ville dont on rapporte 1'origine a Salomon, et que les auteurs orientaux paroissent avoir toujours connue sous le nom dé Tadmor, étoit éloignée d'environ vingt lieues de 1'Eupbrate, et cinquante de la Méditerranée. Situéeau pied d'une chaine demontagnes qui la couvroient a 1'occident, elle s'élevoit par degrés au-dessus d'une plaine fertile , en tout tems arrosée par des ruisseaux, dont les sources placées sur les hauteurs voisines prenoient au gré du laboureur toutes sortes de directions , et devenoient plus abondantes en été qu'en hiver. Cet heureux canton, oü la nature étaloit ses richesses, étoit environné de tous cótés par de vastes déserts, oü le voyageur, incertain de sa route, ne trouvoit souvent qu'un sable aride et brülé par les ardeurs du soleil. A la faveur d'une pareille situation, la ville de Palmyre séparée du reste  DE 1'ALMYRE. 2l3 du monde , ne prenoit aucune part aux guerres qui, pendant plusieurs siècles , ravagèrent les contrées de 1'Orient, et jetoiten silence les fondemens de sa grandeur future. Du moins ne lui voit-on jouer aucun röle , ni lors de 1'expédition du jeune Cyrus ou d'Alexandre legrand , ni dans 1'histoire des rois de Syrië , ni pendant les premières conquêtes que les Romains firent dans ces pays éloignés ; et lorsqüil en est fait ensuite mention dans les auteurs anciens, il en est parlé comme d'une ville libre , riche , commergante , en état de résister a Marc-Antoine, qui , dans la vue de dépouiller ses habitans, résolut de les poursuivre au-dela de 1'Euphrate , oü ils s'étoient retirés avec leurs trésors , mais qui tenta vainement de passer ce fleuve en leur présence. II les accusoit de n'avoir pas gardé une exacte neutralité entre les Partlies et les Romains. Cette accusation,' qui au fond n'étoit qu'un prqtexte a. son avarice , pouvoit en apparence justifier son expédition. La ville de Palmyre étoit alors, et fut long-tems après , une des frontières communes de 1'empire romain et de celui des Parthes. Elle conservoit sa liberté au milieu de ces deux puissances attentives 1'une et Pautre a la mettre dans leurs inté- O 3  214 ' ieshuixïs rêts ; et devenpe pendant la paix un des entrepots clc leur commerce respectif, elle étoit pendant la guerre Pobjet de leurs craintcs mutuelles. Ilparoitque dans la suite elle regutune colonie romaine, mais on ignore 1'occasion et la date précise de cet établissement; on ignore de même si la f'orme de Pancien gouvernement en fut altérée j ce qu'on sait de plus certain , c'est qu'au tems de 1'empereur Gallien, la ville de Palmyre devint, en quelque fagon, la rivale de Rome par les exploits et les vertus d'un de ses citoyens. A ces traits on doit reconnoïtre Odenat, ce brave officier qui rétablit les affaires des Romains en Oriënt, qui battit plusieurs fois les Perses , et fit trembler leur souverain dans sa capitale; qui, par la terreur de son nom , obligea les Goths a quitter brusquement 1'Asie mineure ; qui, en daignant accepter le titre d'auguste, et 1'association k 1'empire que lui offrit Gallien , fit plus d'bonneur a. ce prince qu'il n'en regut lui-même d'un pareil choix j enfin , qui mérita d'avoir Longin pour panégyriste , et Zénobie pour épouse; car, malgré le témoignage de Trébellius Pollio, nous aimons a nous persuader avec 1'auteur anglois qu'elle ne trempa point dans la conspiration qui fit périr Odenat. Des  DE PALM YB. E. 2.1.5 soupgons vagues, recueillis par un écrivain do peu d'autorité, sulfiront-ils pour ternir Ia vie d'une reine qui a'ma la gloire , et qui ne s'éloigna jamais des routes qui y conduisent? M. Robert Wood rapporte ici tout ce que les anciens auteurs ont dit au sujet de Zénobie, et met dans leurs récits 1'ordre et 1'encliainement dont ils sont susceptibies. On y voit une jeune princesse unir dans un dcgré supérieur les graces aux talens, la valeur et 1'expérience aux autres qualités qui f'orment les héros, remplacer dignement sur le tröne un des plus grands hommes qu'ait produit 1'Orient, dédaigner Palliance des Romains et les mettre en fuite de tous cötés , s'emparer de la Mésopotamie , de la Syrië , de PEgypte et de presque'toute 1'Asie mineure, et après des conquêtes si rapicles tomber entre les mains de 1'empereur Aurélien , qui la conduit a. Rome oü elle passé le reste de ses jours dans une condition privée. Sa chüte entraïna celle de 1'empire qu'eile avoit formé. La ville de Palmyre subit le joug des Romains qui la détruisirent; et malgré les soins d'Aurélien, qui y fit rebatir le temple du Soleil, malgré les efforts de quelques empereurs qui tachèrent de la rétablir en différens tems, elle ne jouitplus o 4  316 LES RUINES de son ancienne splendeur. II n'en est point parlé dans 1'histoire romaine après le siècle de Jnstinien ; les auteurs orientaux n'en onteu qu'une idéé superficielle; et la plupart des géographes du dernier siècle qui en ont fait mention, ne connoissent point son état actuel. Mais en ïóyti , des négocians d'Alep, Anglois de nation , résolurent de s'y rendre sur le récit qu'ils avoient entendu faire des ruines qu'on y voit. Les avanies qu'ils éprouvèrent de la part des Arabes ayant rendu cette première tentative infructueuse , ils y retournèrent en 1691 , et y passèrent quatre jours a copier des inscriptions et a lever des plans. Ce voyage fit beaucoup de bruit en Europe , Ia relation en fut imprimce dans fes Transactions philosophiqu.es. M. Halley 1'accompagna d'une histoire succinte de Tanden état de Paimyre , et d'autres critiques se sont exercés sur ce même sujet; mais il n'en est traité nulle part avec plus d'exactitude et de lumières que dans Touvrage que nous abrégeons. Paimyre est babitée aujourd'hui par un petit nombre de families arabes, dont les buttes construites sans goüt et sans ornement, sont dispersées au milieu d'un amas confus de colonnes et de fragmens de marbre et de granit j  de PAiaraï. 217 contraste singulier, oü 1'on voit d'un cöté ce que 1'ignorance et la pauvreté peuvent ofï'rir de plus humiliant, et de 1'autre ce que 1'opulence et 1'art ont jamais produit de plus magnifique. Ces ruines, que nos voyageurs visitèrent en 1751 , et qu'ils étudièrent pendant quinze jours, sont les restes des temples et des autres édifices qui ornoient autrefois cette ville, et dont M. Robert Wood a taché de fixer le tems. II remarque a cet ef'fet que les divers monumens de Paimyre n'offrent point dans leur architecture ces diffërences qui caractérisent des ages fort éloignés Pun de Pautre ; que Pordre Corinthien qui y règne presque par-tout ne permet pas de les rapporter a. des tems fort éloignés : enfin, que les inscriptions qu'on y lit en plusieurs endroits semblent prouver qu'ils ont été construits dans les trois siècles écoulés depuis la naissance de J. C. jusqu'a Dioclétien. L'auteur est persuadé aussi que la plupart de ces édifices ont été élevés par des Palmyréniens eux-mêmes , et que la situation de Paimyre suffit pour rendre raison du degré d'opulence oü elle étoit parvenue, et de la somptuosité de ses batimens. Le désert étoit, a. son égard , ce qu'est la mer par rapport a laGrande-Bretagne. II faisoit ses riches-  2l8 IIS RUINES ses et sa sureté. Ses habitans f'urent heureux tantqu'ils s'appliquèrent uniquement au commerce, et que les arts, introduits chez eux a la suite des trésors de 1'Orient et de 1'Occident, se bornèrent a. 1'embellissement de leur ville. Mais lorsque la perte de la liberté eut entraïné celle du commerce, Paimyre cessa, pour ainsi dire , d'èxister, et si les débris de sa magnificence subsistent encore aujourd'hui, ' ils doivent leur conservation k la séchéresse du climat qui n'a pu les dégrader, a la fbiblesse des habitans qui n'ont pu les détruire , k 1'éloignement des autres peuples qui n'ont pu les transporter. Les Palmyréniens honoroient le soleil et la lune d'un culte particulier. Ils étoient soumis au gouvernement républicain , et paroissent avoir aimé les lettres ; si Longin n'est pas né chez eux , ils ont la gloire de 1'avoir protégé. Les auteurs anciens parient de leur adresse k tirer de 1'arc, et Pon voit encore dans leurs sépulchres des momies préparées de la même rnanière que celles des Egyptiens, soit par rapport a la composition du beaume destiné k les conserver, soit par rapport aux réplis des bandelettes qui les couvrent. De toutes ces réflexions, notre auteur conclut que les Palmyréniens  T) E P A L M Y R E. ïmitoient de grands modèles dans leurs manières , dans leurs vices et dans lenrs vertus , et que les coutumes qu'ils observoient dans leurs funérailles venoient d'Egypte, leur luxe de Perse , et leurs arts de Grèce. Parmi les témoignages dont M. Robert "Wood s'est servi pour éclaircir 1'histoire de Paimyre, il a cité une médaille de 1'empereur Caracalla oü cette ville prend le titre de colcnie. Nous ignorons si cette médaille se trouve ailleurs que dans les ouvrages de ceux qui Pont rapportée d'après Goltzius , auteur respectable , mais souvent f'autif. Quoiqu'il en soit, nous profitons de cette occasion pour en publier une qui ne Pa pas encore été, et qui peut exercer avec fruit la sagacité des antiquaires. Cette médaille , qui est de petit bronze , est conservée dans le riche cabinet de M. Pellerin , et représented'un cöté la tête de Serapis au milieu de celles du Soleil et de la Lune , divinités tutélaires des Palmyréniens. On voit au revers , avec le nom de Paimyre exprimé en grec, une Victoire qui tient une balance en équilibre au-dessus d'une borne. Ce type singulier et inusité signifieroit-il que ce peuple, dont 1'alliance étoit également recbcrchée des Parthes et des Romains , avoit remporté des  Z2.0 LES RUINES avantages capables de conserver 1'équilibre du pouvoir entre ces deux grands empires , et de les contenir dans leurs bornes respectives ? Nous n'insistons point sur cette conjecture , et nous passons a un autre article de 1'ouvrage de M. Robert Wood. II a pour objet les inscriptions que nos voyageurs ont copiées a Paimyre. Elles sont gravées en trois planches , et peuvent être divisées en deux classes principales. Les unes sont en grec, et les autres dans Fancienne langue du pays. La plupart des grecques avoient déja été publiées par les Anglois qui sur la fin du dernier siècle se rendirent a Paimyre, et plusieurs savans critiques , tels que MM, Halley, Edouard Bernard et Thomas Smith , avoient taché de les éclaircir. Nos voyageurs lès ont vérifiées sur les lieux , et voici les difïërences qu'on peut observer entre leur copie et les précédentes. i°. Ils se sont attachés servilement a dessiner la forme des lettres, précaution trés - nécessaire et souvent négligée par ceux qui rccueillent des inscriptions ; 2°. Ils ont corrigé quelques fautes qui s'étoient glissées dans les premières copies ; 3°. Ils ont rapporté plusieurs inscriptions qui avoient échappées aux premières recherches. Outreces  DE PAZMYR.E. 221 avantages, M. Robert Woocl a joint a ces monumens des notes courtes et judicieuses. Les inscriptions palmyréniennes ont dü couter plus de travail, mais nous osons dire qu'elles fourniront encore plus de lumières que les inscriptions grecques. Pour justifier cette assertion, nous sommes obligés de développer un point important de la littérature oriëntale; Les premiers Anglois qui fürent a Paimyre s'appercurent d'abord que presque toutes les inscriptions grecques qu'on trouvoit parmi ses ruines étoient accompagnées d'autant d'inscriptions en une langue dont 1'alpbabet ne leur étoit pas connu , et qu'ils prirent pour 1'ancienne langue des Palmyréniens. Ils rapportèrent en Europe trois ou quatre de ces inscriptions, toutes copiées avtc si peu d'exactitude que non-seulement la forme des caractères s'y trouve notablement altérée, mais qu'il y manque presque par-tout des lettres radicales et des mots entiers ; et ce qui devoit augmenter 1'embarras, c'est que ces omissions n'étoient pas même indiquées. De plus , il s'étoit répandu des copies différentes de ces inscriptions , et fes fautes y avoient tellement été multipüées qu'il ne restoit souvent d'autre ressource pour fixer la legon d'un  222 LES RUÏNES mot, que 1'intérêt et la convenance du systême qu'on avoit embrassé. Aussi parmi les savans qui voulurent débrouiller ce cahos, les uns avouèrent qu'ils avoient inutilement épuisé leurs conjéctures , et les autres en proposèrent qui n'étoient établies sur aucun fondement. On soupgonna que la langue palmyrénierme devoit approcher de la syriaque ; les caractères de cette langue f'urent tour a tour regardés comme arabes , syriaques et phéniciens. Ils restèrent inqonnus , et les incriptions dont on les avoit tirés devinrent un de ces écueils redoutables que la littérature cautie dans son sein, et que des naufrages réitérés, n'ont rendu que trop farneux. C'est pour en faciliter les approches que nos voyageurs se sont fait un devoir de rassembler le plus d'inscriptions inconnues qu'ils ont pu trouver. Ils en ont rapporté treize dont la plupart sont jointcs sur les marbres avec des inscriptions grecques correspondantes , et les ont proposées comme un problême a résoudre. Nous avcns averti dans nos nou velles littéraires du mois dernier qu'il 1'a déja été par M. 1'abbé Barthélemy de 1'académie des inscriptions et belles lettres. Nous ajoutons que son alphabet sulfit pour expliquer toutes les inscriptions  DE FAEMYRE. 2a3 palmyréniennes (i), et qu'il en résulte deux conséquences certainesjla première, que les caractères dont on se servoit anciennement a Paimyre avoient beaucoup de rapport avec ceux des Chaldéens , adoptés ensuite par les Juifs; la seconde, que 1'ancienne langue de Paimyre étoit effectivement la syriaque. Nousne pouvons détailier ici les avantages de cette découverte ; mais nous observerons que 1'auteur en faitrejaillir la gloire sur nos illustres voyageurs, dont la scrupuleuse exactitude ne lui a présenté que des matériaux aisés a. mettre en ordre, et disposés k se réunir d'eux-mêmes. Ces inscriptions palmyréniennes , ainsi que les grecques dont elles sont les traductions , se trouvent tracés sur des autels , des colonnes et des sépulchres. Elles contiennent des formules de vceux adressés aux dieux, les noms des parens ou des amis dont on regrettoit la perte , et des éloges simples accordés a des citoyens qui avoient rendu des services signalés a. leur patrie. 11 ne s'en trouve point en Phonneur de Zénobie , soit que la courte (i) Cet extrait étant anonyme , Barthélemy se nomme iri luimème ; mais il n'y rappelle ses propres découvertes cru'avec beaucoup de modestie.  224 1 - S RSIKES durée de son règne n'eut pas permis de lui élever des monumens , soit que les Romains eussent détruit tous ceux qu'on lui avoit consacrés. Nous passons la relation abrégée que nos auteurs nous donnent de leur voyage k travers le désert, pour en venir aux planches qui terminent cet ouvrage et aux explications qui les accompagnent. La première contient en trois feuilles la vue des ruines de Paimyre. Le dessinateur placé au nord-est avoit a sa gauche les restes superbes d'un temple du Soleil, et promenant de la ses regards vers la droite, il voyoit comme une f'orêt de colonnes de marbre semées conf'usément dans une plaine couverte de fragmens, les unes isolées et sans chapiteaux , les autres groupées et conservant encore leur entablement j celles-ci disp'osées en rnanière de demi-ovale , ou de carré , celles-la servant de péristyle k des temples, ou faisant partie d'un portique; toutes ensemble laissant voir par intervalles des mausolées , des obélisques et des édifices que la barbarie des vainqueurs a ravages. Ces objets divers sont représentes dans la plancbe dont nous parions. Nous 1'avons comparée avec une vue de Paimyre qui n'a  BE P A E M Y R E. 225 n'a jamais été publiée , .et qui fut prise sur les lieux par deux Francois, nommés Giraud et Sautel, qui y passèrent trois jours , en 1705. M. le comte de Pontchartrain, a. qui le sieur Poullard , consul de Tripoli en Syrië , 1'avoit adressée , la fit communiquer a 1'académie des inscriptions et belles-lettres, qui 1'inséra dans ses registres oü elle se trouve encore. Nous y avons reconnu, en général, la même distribution de colonnes et de fragmens que nous avions remarquée dans la précédente, et s'il se trouve quelques variétés dans les détails, il nous a paru qu'on pouvoit les attribuer aux différens postes qu'avoient occupés les dessinateurs. Du reste , nous faisons cette observation moins pour montrer que 1 esFrangois n'ont pas négligé les ruines de Paimyre, que pour ajouter un témoignage de plus a la fidélité des voyageurs anglois. La seconde planche contient le plan géométrique des ruines de Paimyre ; et dans les suivantes jusqu'a la cinquante-septième et dernière , sont successivement développées toutes les parties d'un temple du Soleil et de son enceinte, celles d'un autre temple, celles d'un are , de divers mausolées et de plusieurs édifices dont la destination n'est pas connue, Ils en P  22,6 Ï.ES RUINES donnent les mesures, les proportions, Jes différens aspects ; et, abandonnant au lecteur éclairé le soin de faire ses remarques sur 1'architecture, ils se contentent bien souvent d'indiquer, par cles notes sommaires , le sujet de chaque planche. Dans 1'examen de ces monumens , on est étonné de la forme singulière que les Palmyréniens donnoient quelquefois a leurs mausolées. C'étoient de grandes tours carrées , et divisées en quatre ou cinq étages propres a renfermer plusieurs corps. Les unes étoient toutes de marbre , les autres en étoient incrustrées au-dedans. Le dehors en imposoit par sa majestueuse simplicité , et Pintérieur étoit décoré par des bustes et des ornemens de toute espèce. Ces tours, placées dans des endroits élevés , sur les bords d'une vallée qui conduit du désert a Paimyre , attirent encore les premiers regards des voyageurs. En continuant le même examen, on n'est pas moins frappé du grand nombre de statues qu'on voyoit autrefois a Paimyre, et dont il ne reste a. présent aucun vestige. II y en avoit presque a chaque colonne '} les temples , les édifices publiés en étoient ornés ; jamais Rome et la Grèce ne furent plus attentives a im-  DE PAXMYR.E. 227 mortaliser les grands hommes. Le trait suivant épuise a. cet égard toute notre admiration. Vers le milieu de la ville s'élevoit un are superbe que la sculpture et Parchitecture avoient em'belli de concert. II conduisoit a un portique soutenu par des colonnes de marbre qui occupoient en longueur une étendue de quatre mille pieds. Sur la plupart de ces colonnes étoient des statues et des inscriptions pour ceux qui avoient rendu des services a leur patrie, et sur-tout ceux qui avoient favorisé son commerce. Quel motif d'émulation pour les citoyens ! quel spectacle pour les étrangers ! Rapprochons les tems et les circonstances , et snpposons pour un moment que la ville de Paimyre eüt accordé de pareilles distinctions a. tous les genres de mérite , quelle place auroit-elle destiné a des hommes qui, sacriliant leur loisir , leurs richesses et leur santé , auroient été dans des pays éloignés chercher des principes et des modèles du bon goüt pour les communiquer a ses artistes, et établir dans son sein 1'empire des beaux arts ? Nous osons assurer que la mémoire de M. Bouveric auroit été consacrée par un de ces mausolées dont nous avons parlé, et celle de M. Dawkins sur une des principales colonnes du grand portique. P 2  228 Ï.ES RUIWES DE PAIMYRE. Après les détails oü nous sommes entrés, il est inutile d'avertir qu'en publiant ce livre , on n'a rien oublié pour que la beauté du papier et 1'élégauce des gravures répondissent a la grandeur d'une entreprise qui honore la nation angloise, et qui doit intéresser toutes les autres.  LES RUINES DE BALBEC (1). Dans notre journal du mois d'avril de 1'année 1754 , nous avons rendu compte du voyage que MM. Dawkins, Bouveric et Robert Wood avoient fait en Grèce, en Egypte et dans 1'Asie ; nous avons observé qu'au retour de cette expédition, M. Wood s'étant proposé de publier les dessins de tous les monumens anciens qui s'étoient offerts a leurs regards , avoit commencé par ceux de Paimyre, comme pour justifier son entreprise et pressentir le goüt du public. Les suf'frages éclatans accordés a ce premier ouvrage ont produit celui qui va nous occuper aujourd'hui, et ce que (1) Autrement dite Héliopolis dans la Ccelesyrie. A Londres S757. in-fol. Journal des Savans, juin 1760, page 3o3. P 3  23o I IS RUINES des circonstances particulières ne nous ont pas permis de faire connoïtre plutöt. II est fbrmé sur le même plan que celui des ruines de Paimyre, et le discours préliminaire est divisé en trois parties. Dans la première, on trouve la description de la route que nos voyageurs avoient suivie pour aller de Paimyre a Balbec; la seconde comprend Pétat ancien de cette dernière ville, et la troisième, Pexplication détailiée des planches qui en représentent les monumens. Nos voyageurs quittèrent Paimyre le 27 mars 175l> prirent leur route versl'ouest, nevirent pendant plusieurs jours que des sables arides, des campagnes dévastées, des villages k demiruinés , et des habitans sans cesse exposés aux incursions des brigands et a. Pavarice des gouverneurs. Le souvenir de ces tableaux odieux fut bientót effacé par Paspect riant de la plaine de Bocat, dans laquelle ils entrèrent le premier avrÏL Cette plaine, plus fertile encore que la fameuse va'llée de Damas , a sa 'direction du nord-nord-est au sud-sud-ouest; sa longueur est d'environ vingt lieues, et sa largeur de quatre ou de deux lieues, suivant que les montagnes du Liban et de PAnti-Liban se rapprochent plus ou moins. Elle est arrosée  DE BA1BEC, 2.3t par Ia Litane et le Bardouni, dont les eaux, considérablement augmentées par celles d'une belle fontaine qui coule sous les ruines de Balbec, et par divers ruisseaux que forment en se fondant les neiges des montagnes voisines, s'unissent ensuite et vont se jeter dans la mer prés des rivages oü étoit 1'ancienne ville de Tyr. La proximité des lieux rendoit cette vallée utile au commerce des Tyriens; mais sous le gouvernement des Turcs, elle est presque totalement négligée, et Part n'y ajoute rien a la nature. La ville de Balbec, connue autrefois sous le nom d'Héliopolis, est située vers 1'extrémité de la plaine , sur une hauteur, au pied de PAnti-Liban, aune distance d'environ seize lieues de Damas , dans un éloignement a peu prés pareil de Tripoli en Syrië. Ses habitans, dont le nombre peut être fixé a cinq mille, sont pauvres, ne connoissent ni commerce, ni manufactures, et vivent dans 1'obscurité au milieu des monumens qui rappellent leur ancienne grandeur; ils en ignorent eux-mêmes 1'origine. Quelques auteurs orientaux les attribuent a S'alomon ; et, comme ces ouvrages leur paroissent au - dessus des forces humaines, ils ajoutent que ce prince eut recours P4  IBS RUINES pour 1'exécution k 1'assistance de quelques esprits empressés k seconder ses vues. Des voyageurs modernes ont rapporto" sérieusement ces f'ables; M. Wood les cite en passant et leur substitue bientót des idees plus saines. Nous en rendrons compte après avoir présenté au lecteur la description des monumens qui en sont 1'objet. Ce sont trois temples qui par le goüt du travail paroissent avoir été construits dans le même siècle. Le premier et le plus petit de tous se trouve placé au milieu de la ville j le plan en est circulaire , et il est du genre des temples ronds auxqueis Vitruve donne le nom de périptère. Les murs qui en forment I'enceinte sont décorés extérieurement par des pilastres entremêlés de niches , qui, suivant les apparences, contenoient autrefois des statues. II règne dans tout le pourtour un péristyle , si 1'on peut caractériser ainsi huit colonnes isolées d'ordre corinthien, qui d'un cóté accompagnent 1'entrée du temple et le perron par oü 1'on y arrivoit, et qui dans les autres parties font face k chaque pilastre et sont posées sur un stylobate continu. Ce stylobate, qui rentre en dedans dans tous les entre-colonnemens, y forme autant de tours creuses, dont 1'entablement ser-  de balbec. s33 vant de couronnement a tout 1'édmce , est obligé de se replier et de suivre le même contour ; exemple unique dans Farcbitecture ancienne et qui mérite d'être remarqué. Lorsque ce temple étoit entier, il étoit couvert d'une voute en calotte, dont on voit encore des arrachemens , et qu'on ne peut mieux comparer qu'a celle de la Rotonde de Rome. Des colonnes ioniques appliquées contre les murs a des distances égales, en ornoient et en ornent encore 1'intérieur au rez - de - chaussée , et audessus étoit un second rang de colonnes corinthiennes, formant des manières de tabernacles. Cette décoration intérieure étoit terminée par un grand et magnifique entablement, semblable k celui de 1'intérieur. C'étoit sur cet entablement que la voute prenoit naissance. Ce temple, aujourd'hui fort dégradé, sert d'église aux chrétiens grecs. Les deux autres temples placés dans la partie occidentale de la ville, et voisins i'un de 1'autre, sont dirigés tous deux sur la même ligne vers Porient. Nous commencerons par celui que le tems a le plus épargné. II a la fbrme d'un carré long. On y montoit par un escalier qui ne subsiste plus. Un péristyle de buit colonnes de front et de quinze sur les cö-  2M LES RUINES tés, en comptant deux fois celles des encoignures, forme tout au tour une galerie d'environ neuf pieds et demi de large (i), et dont le plafond , enrichi d'un compartiment d'ornemens de sculpture, offre dans les renfoncemens de diverses caisses Ia représentation de quantité de têtes et de figures en bas-relief que leur extrême élévation, jointe k Ia poussière dont elles sont couvertes, permet a peine de discerner. Les colonnes du péristyle sont d'ordre connthien , ainsi que toutes celles qu'on voit dans ce temple et dans le temple suivant. Elles ont soixante pieds de haut, y compris la base et le chapiteau , etsont composées de plusieurs bloes de pierre si étroitement lies pardescrampons de fèr, qu'ils se brisent plutöt que de se désunir. La Cella, ou le temple proprement dit, étoit précédé par un vestibule dont les colonnes devoient être cannelées, sans doute afin qu'elles se pussent mieux distinguer de celles du péristyle qui sont lisses: on en juge ainsi par quelques-unes de ces colonnes sur lesquelles on avoit commencé d'appliquer cet orne- (i) On a réduit les mesmes angloises au pied de roi, en évaluant le pied anglois a onze pouces quatre lignes et demie, qui esï la naesure donnée par Davila.  IJ E B A L B £ G. ment, et ce qui ne mérite pas moins d'attention , c'est qu'eiles sont d'une moindre proportion que celles du péristyle ; singularité qu'on ne remarque dans aucun autre édilice ancien, et que nous croyons devoir relcver, paree que ces diverses colonnes étant posées sur le meme plein pied et en face les unes les autres, il a fallu de la part de 1'arcliitecte bien des ressources et du génie pour en raccorder les corniches. La porte , qui se distingue par la justesse et 1'élégance de ses proportions , a environ vingt pieds d'ouverture de bayes , et quarante pieds et demi de haut, ce qui est le doublé de sa largeur. Le chambranle en est extrêmement orné et chargé de feuillages travaiilés dans le marbre avec la plus grande délicatesse; jusqu'au soffite sous le linteau , est appliqué un bas-relief oü 1'on voit exprimé un aigle tenant dans ses serres un caducée, et dans son bec les extrémités de deux guirlandes soutenues par deux Génies placés a ses cötés. Du tems de la Roque , voyageur francois , qui nous a donné une description de Balbec dans son voyage en Syrië et du mont Liban, imprimé a Paris en 1722,1'intérieur du temple étoit partagé en trois nefs par deux rangs de colonnes, qui, suivant M. Wood, avoient été ajou-  236* IES RUINES tées lorsque les chrétiens convertirent ce temple en une église. 11 prétend qu'elles sont tombées depuis , et que leur chüte a mis a découvert 1'ancienne et belle ordonnance de cet édifice, qui étoit voüté en plein ceintre. On voit encore des vestiges de cette voute qui prenoit naissance au-dessus de Tentablement que soutiennent des colonnes corinthiennes cannelées et engagées de la moitié de leur diamètre dans le misr, Dans les entre-colonnemens sont de grandes arcades ou niches surmontées par des niches plus petites, carrées et couronnées d'un fronton triangulaire. Les unes et les autres paroissent avoir été destinées a des statues. Le sanctuaire, séparé du reste du temple, en occupe le fond. On y montoit par un degré de plusieurs marches qui ne subsistent plus ; mais au milieu de leurs ruines on distingue a. droite et a gauche deux autres escaliers qui conduisent k des voütes souterraines pratiquées sous le sanctuaire. La voüte, Tentablement, les niches, les arcades, la porte, toutes les parties qui au-dedans et au-dehors se sont trouvées susceptibles d'ornemens, en ont été enrichies avec autant de profusion que de variété. Ajoutons que tout Tédifice porte, ainsi que le précédent, sur un soubassement dont  DE BALBIC. les pierres sont taillées et appareiilées avec soin ; que sa longueur totale est d'environ deux cent dix-neuf pieds anglois, et sa largeur de cent seize ; enfin , que suivant la Roque , dans un des escaliers qui mène au comble de Tédifïce, on compte vingt-neuf marches taillées dans une seule et mêmepierre. Cependant ces traits de grandeur et de beauté cessent d'étonner le voyageur, lorsqu'il jette les yeux sur les restes d'un temple voisin, que les habitans ont nommé le chateau de Balbec, depuis les ouvrages qui ont été ajoutés en diffërens tems pour en faire un lieu de défense. II est assis sur une terrasse qui domine le temple dont nous venons de parler ; et pour y arriver, Ton montoit du cöté de Torient par un grand degré, dont les marches ont été arrachées, et dont il ne reste aucun vestige. On trouvoit d'abord un porcbe ou portique ouvert sur le devant, formé par douzc colonnes de front et terminé a droite et k gauche par deux pavillons carrés , contenant chacun une chambre dont les murs sont décorés a. Textérieur de pilastres correspondans aux colonnes du portique. Trois portes, dont celle du milieu est fort élevée, communiquent du portique a. une cour irréguliere-  2.38 ris Ru is ïs ment hexagone : sa plus grande largeur depuis un angle jusqu'a 1'angle opposé est d'environ cent quatre-vingt-dix pieds de roi. De cette cour on entre dans une seconde , beaucoup plus spacieuse , qui n'a guère moins de trois cent soixante pieds en carré. Elles étoient 1'une et 1'autre entourées de batimens semblables, pour le goüt et la disposition , k ceux qui environnoient les cours des Thermes de Dioclétien k Rome. M. Wood est persuadé qu'ils étoient destinés , soit a des écoles publiques , soit au logement des ministres du temple. L'architecture et la sculpture avoient travaillé de concert k les embellir. La plupart des colonnes qu'on y voyoit étoient d'un seul bloc de granit, les murs étoient couverts de statues, et 1'attique au-dessus de 1'entablement paroït en avoir été couronné. Le temple se présentoit au fond de la cour. II étoit du genre de ceux que les Grecs appeloient périptères et dicastyles. 11. occupoit un espace de deux cents soixante-seize pieds de long sur cent cinquante-deux de large, et son enceinte étoit formée par un rang de colonnes immenses, dix sur chaque front et vingt-un sur les cötés, en comptant deux fois celles des encoignures. II n'en est demeuré que neuf sur  BE EA1BEC. 289 pied, qui depuis plus de quinze siècles soutiennent encore leur entablement. Toutes les autres se trouvent renversées, ainsi que les murs qui servent de clöture a Ia partie du temple dans laquelle on révéroitle dieu. Mais comme presque toutes les bases des colonnes, dans ce boulversement presque général, sont demeurées a leur place , on peut juger aisément de la forme qu'avoit l'édifice lorsqu'il subsistoit en son entier ; comme on peut connoitre la grandeur des colonnes et en apprécier la hauteur k soixante-trois pieds environ, en établissant le calcul sur leur diamètre qui est d'un peu plus de six pieds et demi. Au-dessous du portique et des batimens qui environnent les cours du temple sont des souterrains tellement remplis de décombres qu'il est impossible d'y pénétrer. Enfin, tout l'édifice porte sur un soubassement revêtu dans les deux faces qui regardent Touest et le nord, de trois rangs ou assises de pierres énormes. Celles de la couche inférieure ont douze pieds et demi de hauteur , prés de dix pieds de largeur, non compris la saillie des moulures d'un socle ménagé dans la même pierre et depuis vingt-neuf' pieds et demi jusqu'a trente-trois pieds et demi de longueur. Sur cette première  24o IBS RUINES assise on en yoit une seconde, qui, dans le cöté de 1'ouest, présente 1'objet du plus grand étonnement: ce sont trois pierres, qui, prises ensemble, portent cent quatre-vingt-un pieds de longueur. La face qui regarde le midi n'a point de revêtement; dans les deux autres faces il est fort dégradé : M. Wood en infère que le soubassement n'a jamais été fini, et que pour Tachever on avoit taillé dans une carrière voisine des bloes de pïerre qu'on y voit encore, et qui sont d'une grandeur excessive. On en peut juger par 1'exemple suivant : un de ces bloes a soixante-six pieds de long sur environ treize pieds tant en hauteur qu'en largeur. Ce récit ne sauroit être soupgonné d'exagération; il est confirmé par le témoignage de tous les voyageurs, et sur-tout par celui des sieurs Giraud et Sautel, deux Frangois, qui visitèrent, en 170Ó, les ruines de Balbec. Dans leur relation manuscrite que nous avons sous les yeux , ils parient non-seulement des trois grandes pierres qui sont dans la partie occidentale du soubassement, mais ils ajoutent encore une singularité que nous rapportons sans oser Ia garantir ; c'est que la pierre qui fait un des angles dans cette partie du soubassement  DE BALBECi 2^1 bassement a vingt-deux pas de longueur sur un des cötés et autant sur le retour. Les trois édifices que nous venons de décrire ne sont pas entiers, mais il en reste d'assez grandes parties pour qu'on soit en état d'en f'ormer les plans et les élévations, pour qu'on désire d'en connoitre 1'époque et les auteurs j et, en effet, a l'aspect de ces travaux prodigieux il n'est personne qui ne se dise a soimêrae : «Quel est donc le peuple qui, dans un. « canton obscur de la Phénicie , osa élever des « monumens comparables a ceux de 1'Egypte ? « sont-ce les Phéniciens ? sont-ce les Grecs ?» ■— cc Non, répond M. Wood; 1'histoire des dercc niers garde un profond silence a cet égard , « et celle des premiers nous apprend seulement cc que dans les tems les plus anciens le culte du « Soleil ou de Jupiter d'Héliopolitain ( car ces «c deux divinités n'étoient pas distinguées ) étoit cc établi dans la ville d'Héliopolis, que sa sta« tue y avoit été transportée d'une ville de mê« me nom en Egypte ; enfin , que le temple étoit cc célèbre par un oracle que Trajan consultasur cc son expédition contre les Parthes». Ces détails , empruntés de Macrobe , prouvent 1'ancienneté du culte que les Héliopolitains rendoient a Jupiter, mais ne fournissent aucunes Q  242 LES RUINES lumières sur les édifices dont nous reclierchons 1'origine j c'est a 1'histoire romaine qu'il faut avoir recours pour la démêler: 1'auteur en parcourt les diverses époques et produit un passage qui sert a résoudre le problême ; il est de Jean d'Antioche , surnommé Malala. «Après « la mort d'Adrien , dit ce chroniqueur (Hist. cc chron. , lib. n.), Antonin le Pieux monta « sur le tröne, et batit dans la ville d'Héliopo«lis, prés du mont Liban en Phénicie, un «temple qui passoit pour une des merveilles « du monde , et qui étoit consacré k Jupiter. » Ce témoignage acquiert de nouvelles f'orces par les réflexions suivantes : i°. Les édifices de Balbec sont d'un goüt d'architecture qui annonce le siècle des Antonin. 2°. Les écrivains antérieurs a ce prince , ces écrivains qui parient avec tant d'admiration de plusieurs édifices moins considérables ; qui se sont recriés sur le temple d'Ephèse, et sur la grande partie de 1'architrave qui alloit d'un entre - colonnement a Pautre dans le milieu de la f'acade, n'ont point fait la moindre mention des monumens d'Héliopolis, qui néanmoins contiennent des merveilles si supérieures k celles qui les étonnoient. 3°. Ce silence profond de 1'histoire cesse d'abor d après  DE BAEBEC. 2,f3 les règnes des Antonin, et le temple de Balbec , qu'on ne voit jamais sur les médailles des premiers empereurs, commence a. se montrer sur celles de Septime Sévère, et de quelquesuns de ses successeurs. Nous ignorons a. quelle occasion Antonin fit élever le temple de Balbec. Nous savons seulement que dans la suite 1'empereur Théodose le convertit en une église. Ce fait est attesté par la Chronique Vaschale , dans nu passage oü se trouve deux expressions qui ont embarrassé les critiques. Elle dit que cet édifice étoit consacré a. Balanius , et parmi les épitbètes dont elle le désigne , elle lui donne celle de rfUi^s. A 1'égard de la première de ces expressions , M. Wood pense , avec Holstenius , qu'elle désigne Baal, qui parmi les Orientaux signifioit souvent la mème chose que Jupiter; quant a. la seconde, il Ia regarde comme une indication des trois pierres irnmenses du soubassenient. «II n'est nullement surprenant , « ajoute t-il, que dans la décadence du goüt, « oü le grand fut plus admiré que le beau , ce «temple ait principalement attiré 1'attention « par les trois plus énormes pierres qui jamais « aient été mises en oeuvre dans quelque bate timent que ce soit. » Q 2  244 I. E S RUINES Mais auquel des deux grands édifices dont on trouve les ruines a. Balbec, faut il appliquer les témoignages qu'a recueillis M. Wood, et qui ne font mention que d'un seul temple ? C'est une question qu'il propose; et pour mettre sur la voie ceux qui voudroient 1'éclaircir, il observe qu'on ne peut tirer aucun avantage des médailles qui représentent le temple de Jupiter Héliopolitain , paree que leurs types offrent trop de variétés. II remarque aussi que son explication du mot tfUito; prouveroit que le temple dont Théodose fit une église chrétienne, est le plus grand des édifices que nous venons de décrire. II ajoute enfin que ces deux édifices ont été, suivant les apparences, construits vers le même tems , et que 1'un paroït être une imitation de 1'autre. C'est pour entrer dans les vues de 1'auteur que nous hasarderons ici quelques légères observations. Sur les piédestaux de deux colonnes qui soutenoient autrefois le portique du plus grand des temples sont deux inscriptions fort dégradées, et que M. Wood a trouvé le moyen de lire en grande partie ; elles exprimoient toutes deux la même chose , et commencoient 1'une et Tautre par cette formule de consécration :  DE BA1BEC. M. DUS HELIVPOL. que 1'auteur explique de cette rnanière : Magnis diis Heliupolitanis. Plusieurs voyageurs ont rapporté ces mots avec quelques différences, et la Roque, entre autres , les a fait précéder dans sa copie par deux lettres initiales, de facon qu'il lit: M. V. M. DIIS HELIVPOL. Son autorité ne nous arrêteroit pas, si nousne trouvions la même legon dans la relation manuscrite des deux Frangois qui visitèrent, en 1705 , les ruines de Balbec. Si ces lettres ont jamais existé, elles ont pu désigner les noms des divinités adorées dans ce temple, ou le nom du particulier pour qui 1'on avoit fait ces inscriptions. Quoiqu'il en soit, ces deux mots DIIS HELIVPOLITANIS suffisent, ainsi que Pa pensé Pococke, pour prouver que le grand temple de Balbec étoit consacré aux anciennes divinités du pays, c'est-a-dire, au Soleil et a la Lune. L'autre temple étoit sans doute destiné au culte de Jupiter. Nous ne citerons pas 1'aigle qu'on voit au soffite de la porte, paree qu'il pourroit désigner la puissance des Romains } mais les figures de Diane, de Ganymède, de Q 3  246 LES RUINES Léda, représentées dans le plafond de la galerie qui environne 1'édifice, peuvent être prises pour des attributs propres a caractériser cette divinité. Ajoutons qu'on célébroit dans la ville d'Héiiopolis des jeux nommés, sur les médailles, capitolins, et qu'ils étoient institués en 1'honneur de Jupiter Capitolin. Ce n'est pas que les Syriens eussent de ce dieu la même idee que les Romains. Les premiers le confondoient avec le Soleil, qu'ils regardoient comme le premier des dieux. Les seconds , du tems des Antonin , favorisoient d'autant plus cette opi nion, qu'on étoit alors fort attentif a concilier les divers systêmes de mythologie; car de cette conciliation naissoient des divinités panthées, dont les symboles désignoient tous les genres de pouvoir qu'elles exergoient sur chaque peuple en particulier, et dont le culte s'exprimoit en divers pays par diffé rentes cérémonies, quoiqu'il fut le même par - tout quant au fond du dogme. On voyoit donc a Héliopolis deux temples superbes, Pun consacré au Soleil et a. la Lune; Pautre construit en 1'honneur de Jupiter, adoré sous des traits qui lui étoient comrnuns avec le Soleil. Le premier servoit aux habitans du pays j et le second aux Romains éta-  D E BALBEC. blis en Syrië : les anciens auteurs les ont conf'ondus, paree que 1'un et Tautre avoient, en quelque fagon , le même objet. Mais en les distinguant, on répandra peut-être quelque clarté sur les textes de ces écrivains. Le culte du dieu d'Héiiopolis étoit, suivant Macrobe, d'origine égyptienne , et voila pourquoi on voit dans le plus grand temple , ainsi que dans ceux d'Egypte , de si vastes logemens pour les prêtres ; tan dis que le second , semblable a. la plupart des temples des Grecs et des Romains, n'avoit point de batimens dans son enceinte. Macrobe dit encore que la statue du dieu d'Héiiopolis représentoit une figure qui d'une main tenoit un fouet, et de l'autre la foudre et des épis pour désigner a. la fois Jupiter et le Soleil. Voila une figure pantbée , voila un mélange de culte ; en conséquence nous placerons cette statue dans le temple le plus entier. La ChroniqueTaschale citée par M. Wood, rapporte que le temple d'Héiiopolis fut changé en une église cbrétienne par 1'empereur Théodose , et comme elle donne k ce temple i'épithète de rphiêos , qui, suivant M. Wood , fait allusion aux trois grandes pierres du soubassement du grand temple, il semble qu'il est Q4  248 I E S HUI NES d'abord question dans ce passage de cet immense édifice. Cependant nous soupgonnons une lègère méprise dans 1'auteur de la Chronique j et nous rapportons le fait qu'il nous a conservé au temple le plus entier. En effet, M. Wood observe que les deux rangs de colonnes qu'on y voyoit autrefois au milieu de la nef, avoient été ajoutées après coup, et 1'on a des exemples de semblables additions dans les temples que les clirétiens convertissoient a, leur usage ; enfin , suivant le témoignage d'un écrivain syrien , dont la Chronique se trouve traduite en partie dans le second volume de la Bibliothèque Oriëntale de M. Assemani, environ cent cinquanle ans après la mort de Tliéodose , la foudre étant tombée sur le temple d'Héiiopolis, le consuma, ainsi que la statue du Soleil; et quelques années après, plusieurs tremblemens de terre se firent sentir dans toute la Pliénicie , oü ils détruisirent plusieurs villes. Voila, suivant nous, 1'époque de la destruction du grand temple ; voila les accidens terribles qui seuls pouvoient renverser un édifice qu'on avoit construit pour 1'éternité. Si ces réflexions ont quelques mérites, nous avouerons avec plaisir que nous en avons trou-  DE B- A L B E C. 2 .f 9 vé le germe dans 1'ouvxage de M. Wood; si elles ne sont pas goütées, nous n'en serons que plus disposés a. louer la sage retenue de cet auteur, dont les doutes sont toujours éclairés , et qui dans la discussion des faits ne cherche point k étaler le faste de Pérudition , n'épuise jamais 1'art frivole et fastidieux des conjectures, et se contente de montrer une supériorité de connoissances et de raison ; aussi nous n'hésitons pas a regarder le discours qu'il a placé a la tête des Ruines de Paimyre , et celui dont nous rendons compte aujourd'hui, comme deux modèles en inatière de critique. Nous regrettons en même tems de ne pouvoir emprunter de ce dernier, et faire passer dans notre extrait une fbule de réflexions qui serviroient a 1'embellir , et qui caractérisent k la fois le savant et 1'homme d'esprit. Nos regrets s'étendent principalement sur un morceau qui termine ce discours, et qui concerne 1'ancienne idolatrie. L'auteur est persuadé que les circonstances du climat et des lieux jettèrent beaucoup de variété dans les divers systêmes de mythologie; il le prouve par des détails agréables auxquels nous sommes contraints de nous refuser. Avant que de passer aux planches qui sont  2.5o IES RUINES a la fin de ce volume, nous observerons que notre auteur ne parle pas d'une inscription citée par d'autres voyageurs, et qui vraisemblablement ne subsistoit plus quand il a vu ces ruines. II en est fait mention dans une lettre manuscrite du sieur Granger, écrite le 28 janvier 1786, a. M. le comte de Maurepas. Après avoir parlé fort au long des monumens de Balbec qu'il venoit de visiter, il s'exprime ainsi : «Lorsqu'on parcourt les dehors de ce cha«teau, on remarque, dans la facade qui est « a 1'ouest, une pierre d'environ quatre pieds « de long sur deux de large , sur laquelle est cc gravée une longue inscription en des caraccc tères qui me sont inconnus, et que des prêcc tres maronites disent être du chaldéen, etc.» Pococke, tome II, page 107 , parle aussi d'une inscription en ancienne langue syriaque; mais il semble ne la pas placer dans le même endroit que Granger. II seroit a désirer que ces deux voyageurs nous eussent apporté une copie de ce monument, ou plutöt qu'il se fut offert aux regards de M. Wood. En le comparant avec les inscriptions de Paimyre, on en auroit peutêtre tiré de nouvelles lumières pour la littérature oriëntale. Les planches dont il nous reste a parler sont  BE BALBEC. 3,5l au nombre de quarante-six ; les deux premières contiennent un plan et une vue de la ville de Balbec : les autres représentent les monumens qu'elle renferme. Leurs plans, leurs élévations , le développement de leurs parties , les détails de leurs ornemens y sont retracés avec autant d'élégance que de précision. Nous pouvons juger a présent de leur magnificence et des vains efforts qu'avoient faits diffërens voyageurs pour la mettre sous nos yeux. Cependant il en est un dont les travaux, quoique fort inférieurs a ceux de nos Anglois, méritent une attention particuliere ; c'est un Frangois que nous croyons être M. de Monceaux (1), et qui se rendit a Balbec dans le siècle dernier. II dessina leplan, les élévations et les coupes du temple le plus entier , il découvrit même les deux grandes cours qui précédent le grand temple ; mais comme il n'avoit point assez arrêté ses dessins, et qu'il ne les (i) M. de Monceaux avoit été envoyé dans le Levant, en 1667 , pour y rechercher>des médailles. II en avoit rapporté les dessins de plusieurs anciens monumens qu'il avoit vus; il les communiqua a M. Perrault, qui en a fait usage dans son excellente traduction de Vitruve , et qui en parle dans 1111e de ses notes, page i34- Seconde édition.  202. ZES RUINES avoit pas désignés tous par des dénominations particulières , le sieur Marot, architecte, qui se chargea de les publier en quinze planches , en dénatura quelques-uns en les rapportant k un temple de la Grèce, et les déligura tous par des additions et des corrections sans nombre : le père de Montf'aucon inséra quelques-unes de ces gravures dans. le second volume de son Antiquité eocpliquée ; et, trop rempli des idees qu'il en a\oit recues, il ne reconnut pas le temple de Balbec dans un dessin qu'il avoit trouve sans étiquette parmi les mémoires manuscrits de M. de Monceaux, et qu'il a fait représenter dans la trente-deuxième planche de ce volume. De pareilles méprises ne sont plus a craindre. Les monumens de Balbec seront désormais connus dans tous les tems et dans tous les pays. L'ouvrage qui les contient fera une époque mémorable dans l'histoire des arts , et sera distingué parmi ceux que notre siècle consacre a leur gloire et k celle des anciens ; car nous devons nous rendre cette justice. II me semble que depuis environ vingt ans, un nouvel esprit agite de toutes parts les ruines de> 1'antiquité. Nous avons vu 1'entreprise sur Paimyre, sur Balbec, et sur tant d'autres en-  de balbec: 253 droits fameux , s'exécuter avec le succès le plus éclatant; nous avons vu Pinf'atigable Ricliard Pococke parcourir PEgypte , 1'Asie , la Grèce , PItalie , dcssiner tous les monumens qui s'offroient a ses yeux, et les exposer a ceux de 1'Europe. Nous avons vu M. Norden partir de Dannemarck, pénétrer dans la haute Egypte, s'établir au milieu des débris de 1'ancienne Thèbes , nous en of'frir k son retour le spectacle intéressant et rappeler dans ses dessins tout ce qui reste de la magnificence des Egyptiens. Nous avons vu un jeune architecte francois ( M. le Roi) , se transporter en Grèce , recueillir de toutes parts les principes du goüt qui respire encore dans les ruines de ce pays , et ressusciter dans ses plans les anciens édifices d'Athènes ; tandis que des Anglois, attirés par le même objet dans ces beaux climats , y faisoient une moisson abondante , dont ils vont bientót enrichir le public. Dans les intervalles de ces dif'férentes expéditions, la ville d'Herculanum a reparu , et des gravures fidelles nous ont de ja transmis une partie des trésors qu'elle renfermoit dans son sein . Un architecte italien (M. Piranèse ) , entraïné par la fbugue de son génie, a travaillé de nouveau sur les monumens de  254 XES IiUINïS 1'ancienne Rome, a découvert ce qui avoit échappé aux autres, a créé ce qu'il n'étoit pas possible de découvrir. Avec le même zèle , quoiqu'avec moins de gloire , un religieux théatin a publié les antiquités de Sicile ; celles de la ville Peestum, dans le royaume de Naples , vont recevoir , par les soins éclairés de M, le comte de Gazoles , la célébrité qu'elles méritent : on prépare a Vénise le recueil des monumens de la ville de Pola en Istrie ; et a Londres celui des monumens de Spalatro, dessinés par un arcbitecte frangois ( le sieur Clérisseau), que des Anglois avoient envoyé en Dalmatie. Le même artiste est sur son départ pour les iles de PArchipel ; il visitera peut-être les conlrées du Péloponèse, oü Pon n'a fait jusqu'ici aucune recherche ; il verra ,peut-être cette Elide, autrefois couverte de temples, d'autels, de statues et d'inscriptions; cette Elide o,ü les traités de paix entre les na• tions, gravés sur le marbre et sur 1'airain , étoient déposés dans des asyles sacrés; cette Elide enfin, qui, suivant les apparences, conserve encore dans ses ruines une partie des annales de la Grèce. A ce tableau de dévouemens inspirés de nos jours par 1'amour des lettres et des arts, il manque un trait, et nous  DE BALBEC. 2.55 railons ajouter. Nous avons vu un Frangois, k peine sorti de 1'enfance (M. Anquetil), former le dessein d'aller apprendre sur les lieux 1'ancienne langue des Indiens et celle des anciens Perses ; et, tourmenté bientót par son projet, employer des voies extraordinaires pour Pexécuter, passer dans 1'Inde , s'enfbncer tout seul dans des régions désertcs, parcourir des pays immenses, étudier les antiquités des nations qui les habitent, leur arracher des connoissanCes dont ils ignorent le prix, et s'initier dans leurs mystères sacrés , traduire leurs manuscrits , et au milieu d'une fbule d'obstacles, de travaux et de dangers, ne ressentir d'autres peines que de n'avoir pas encore rempli toute 1'étendue d'une si surprenante vocation. Nous avons cru devoir rassembler ces divers exemples sous un même point de vue; c'est un hommage que nous rendons k ceux qui nous les ont laissés , et nous en réservons un semblable a ceux qui auront le courage de les suivre. Puissent de pareilles entreprises se multiplier de jour en jour ; puissionsnous voir enfin , les monumens qui subsistent dans nos provinces méridionales, copiés avec la fidélité, gravés avec 1'intelligence et  2,56 LES RUINES DE BALBEC. le goüt que nous admif ons dans Pouvrage dont nous venons de rendre compte (1). (i) M. Robert Wood en a publié un troisième , sur le génie d'Homère et la Troade , dans lequel on tfouve de la sagacité, des idees ingénieuses, des paradoxes et quelques erreurs. II fit connoissance k son passage , en France , avec Barthélemy, qui en tira différens renseignemens relatifs a la Grèce et aux autres contrées de 1'Orient, visitées par cet habile voyageur. M. Wood a laissé plusieurs manuscrits ; entre autres, un recueil d'inScriptions, qu'k sa mort, arrivée en 1773, Barthélemy tenta vainement d'acquérir. LE S  LES ANTIQUITÉS D'HERCULANUM (i> PREMIER EXTRAIT: T J-l y a environ onze ans que sa majesté Ie roi des deux Siciles, ayant résolu de passer quelque tems a Portici, apprlt qu'autrefois, en fouillant dans ce lieu , on avoit découvert quelques antiques. II ordonna de reprendre ce travail, dont le succes surpassa Pespérance qu'on en avoit concue; car entre Portici et Ré- (i) Catologo degli antichi monumenti, etc. Catalogue des monumens antiques de la ville d'Herculanum, publié, sous les ordres de sa majesté roi des deux Siciles, par M. Bayardi, protonolaire apostolique, etc. Naples 1754. Grand in-folio de 447 pag., sans la préface de 22 pages. Le pitture antichi d'Ercolano , etc. Les anciennes pcintmes et dessins d'Herculanum, gravés avec quelques explications. Naples l757< Grand in-folio de 279pag., sansl'épitre dédicatoire, Ia tabla M la préface. Journal des $avantt avril i75o,, page 2I8.  258 XES ANTIQÜITÉS sina, on retrouva un temple, un théatre, des statues, des peintures, des inscriptions, des monnoies, des meubles de toute espèce , ce qui ne permit pas de douter que ce ne fut le lieu oü avoit subsisté autrefois 1'ancienne ville d'Herculanum , k laquelle le voisinage du Vésuve fut f'atal, et qui périt sous le règne de Titus. Enhardi par ces succès, on s'avisa de faire creuser dans un autre endroit, oü 1'on croit qu'étoit située 1'an'ienne ville de Pompeïa, et ce second travail ne fut pas infructueux. Tous les monumens trouvés dans cesdifférentes fouilles sont conservés dans le palais royal de Portici, oü ilsforment un des plus curieux cabinets de 1'Europe, enrichi même de jour en jour par de nouvelles découvertes. Chargé de satisfaire k 1'empressement du public, en lui donnant une connoissance détail! ée d'un trésor si précieux, M. Bayardi publia, en 1754, un catalogue qui comprend tous les monumens déterrés jusqu'alors; la. il nous apprend qu'on remarque dans ce nombre plus de six eens morceaux de peintures, qu'on a eu soin de couper et de détacher des murs qui en étoient décorés. Ils ne sont pas tous du même age, ni du même pinceau, ni par conséquent du même goüt; on en voit qui sont exécutés avec une  n'iiEneuLANUM.' 2^9 seuïe couleur, d'autres avec deux, trois, quatre, et enfin avec plusieurs couleurs mêlées. ïls représentent des sujets tlrés de 1'histoire et de la fable : des bacchanales, des divinités, des sacrifices, des édifices publics et particuliers, des anitnaux de toute espèce , des pay-; sages, des bosquets , des vues, des perspectives, des batailles , des mers , des fleuves , des ports, des métiers, des vêtemens, des uslcr-; ciles de toutes sortes, des armes, des chars de guerre, des festons, des ornemens, et, en général, tout ce qu'on peut imaginer avoir été connu des anciens. Ils nous montrent, au jugement de M. Bayardi, 1'architecture des tems divers , en font connoïtre les principes, le progrès, et prouvent que les anciens étoient mieux instruits des régies de 1'optique, qu'on ne le croit ordinairement. M. Bayardi s'extasie a Ia vue de tant de vases d'argent, d'airain , de pierre , de terre et de verre, de toute espèce et de toute grandeur, d'un usage tant sacré que profane. Encensoirs, navettes, préféricules, simpules, haches, couteaux, patères , marmites , trompettes , clochettes, aspersoirs, crotaies , trépiés, etc. On en voit qui sont tout unis, d'autres chargés de bas-reliefs. Urnes , pots , cantines , coupes, R 2  SfjO XES ANTIQUITÉS tasses, plats, assiettes , congés, demi-congés, ampliores , demisétiers , flaccons , caraffes , bassins, chaudières , seaux, cuillières a. pot, mortiers, grilles, broches, en un mot tous les ustensiles usités parmi nous, de sorte qu'il paroït a M. Bayardi, que dans 1'essentiel il y a peu de différence entre notre cuisine et celle des anciens. Quelle différence , ajoute-t-il, entre les cueillières d'alors et celles dont nous nous sommes servis avant les rafinemens du goüt? Ne diroit-on pas que les plats ont été travaillés a. Paris ou a Londres ? Un grand nombre de statues attire d'un autre cöté 1'admiration de 1'auteur. II voit une Pallas avec son égide, des sénateurs, des consuls , des prêtres, des ministres sacrés, des rois , des princes, des philosophes , des pasteurs, des nymphes, des faunes, des satyres, des pénates, des bacchantes , de jeunes enfans, et des groupes de tout genre. II y découvre le& habillemens des anciens Grecs et Romains , et la forme de la toge, sans parler des couvre-chefs, chapeaux, chaperons, mitres, tiares , voiles , réseaux , tuniques , sayons , manteaux , bas , chaussures , coturnes, socques, sandales, mouchoirs , ceintures , colliers, bracelets, agrafes, etc. Ici combien do  c'HERCtriAUtJM.' 2.6l .bustes de métal et de marbre, combien d'Isis, de Jupiter, de Neptune et de Mercure? Combien de candelabres d'un bon travail, combien de lampes de toute forme, et de differente grandeur F La il voit des chaines, des ceps et d'autres instrumens destinés k la torture des esclaves, qui servirent ensuite a celle des chrétiens : plus loin des instrumens de chirurgie pareils a. ceux de nos jours, sans compter plusieurs autres dont on ignore 1'usage ; ou bien des instrumens d'agriculture, bêches, hoyaux et marteaux de toute espèce. On a trouve dans les entrailles de la terre jusqu'aux productions de sa surface , orge , firoment, dattes, pistaches, amandes, noix, fèves, figues k demi brulées, mais qu'on conserve dans le cabinet. du roi, aussi bien que des pillules, des trochisques et des cérats. On y a trouve même un pain bien conserve , quoique presque réduit en charbon , et un paté tout brulé, qu'on eut le regret de voir tomber en poussière presqu'aussitöt qu'il vit le jour. Après tant d'objets qui ne peuvent qu'étonner les curieux, M. Bayardi offre a. leurs regards d'autres morceaux , non moins propres h piquer la curiosité. Des colonnes, des tables de marbre, des termes représentans de& R 6  2ö2 1es antiqitités dieux , des satyres et mille autres figures ', des amulettes, desmasques, sceaux, cacliets, serrures, clefs , gonds , clous de métal, de petites agrafes semblables aux nötres, des anneaux d'or, d'argent et d'autre matière, des dés, des poids, des balances, des épingles k tête d'or, d'argent ou d'ivoire , un pied qui sert, dit-on, de preuve a celui de Lucas Péto, et des priapes d'une grandeur démesurée, dont les uns sont ailés et chargés de clochettes, ce qui nóus fait présumer qu'ils ont quelque ressemblance avec ceux qu'on voit k Nïmes. Nous croyons devoir placer ici une observation que font k cet égard les savans chargés par sa majesté du soin de publier et d'expiiquer les monumens de son cabinet. Si, pour remplir leur tache, ils sont quelquefois obligés de présenter des objets dont la pudeur pourroit être alarmée, ils alléguent pour leur excuse les mêiucs raisons dont se servit autrefois la Chausse dans une occasion pareille. Ce fameux antiquaire réclama 1'exemple de Théodose et de Théophile , évêque d'Alexandrie , qui, loin de détruire les statues et les autres monumens des Payens, voulurent conserver les plus obscènes, et les exposer aux yeux du public , pour faire sentir le ridicule et les infamies du paga-  d'heucttiakwm; ^63 nxsme, et par ce moyen inspirer pour lui toute 1'horreur qu'il méritoït. Nos savans ajoutent avec la Chausse, que dés hommes graves et pieux, au nombre desquels on voitbeaucóup d'ecclésiastiques d'une vie exemplaire , n ont pas hésité de donner au public, et de coinmenter plusieurs monumens antiques de ce genre, h 1'exemple des saints-pères qui ont parle lort clairement des ordures du paganisme Le savant Leonardo Agostini ne fit pas de ddficulte de dédier au pape Alexandre VII son ouvrage sur lespierres antiques, et combien ce recueil n'offre-t-il pas de morceaux pareils a ceux qui occasionnent cette remarque ? Revenons au catalogue de M. Bayardi. Après avoir parlé de quelques mosaïques qui formoient les pavés des édifices sacrés et profanes, de plusieurs morceaux de cristal de roche , et des vases de cette matière , qui, comme ceux de métal, servoient de miroir aux anciens , il passé aux inscriptions et aux medailles de consuls et d'empereurs jusqu'a Tite, ce qui fixe 1'époque de la ruine d'Herculanum , dont on a non-seulement découvert le théatre, mais encore des édifices dar* 1'étendue de plus d'un mille, des rues et des carrefours. On n ap, percpit aucun monument postérieur k 1'an 8« R 4  Ï-ES ANTIQUITÉS de 1'ère vulgaire , qui répond au deuxième de Tite. Mais on en voit deux sur-tout qui serviront a marquer les fastes de quelques consuls, et k fixer quelques points de chronologie. Enfin , on a découvert plus de deux cents papiers qu'on est occupé maintenant a développer et a mettre en orrlre, de' quali al presente si procura loscioglimento. Sur cet objet, comme sur beaucoup d'autres, 1'auteur promet de plus ampies éclaircissemens dans un ouvrage préliminaire sous le titre de Prodrome. II en paroit déja cinq volumes in-folio, et 1'ouvrage n'est pas fmi. Outre une table générale chronologique depuis Inachus jusqu'a 1'extinction des Héraclide, on y yerra 1'histoire d'Hercule, de Thésée, de Minos, de Cécrops, deDanaüs et d'Europe. L'origine, la situation , les progrès et Ia ruine d'Herculanum n'y seront point oubliés, non plus que 1'histoire de sa découverte. On promet encore une carte géographique du golfc de Naples et des environs; c'est sans doute la même qui paroït a la tête du premier volume des antiquités d'Herculanum. Voici maintenant 1'ordre que M. Bayardi a suividans son cataloguc : les peintures y occupent sept cent trente-huit articles; les statues, bustes do métal et de marbre, têtes, bas-reliefs, hermes e£  b'herculanum; 20*5 masques y sont distribués en trois cent cinquante; les vases , patères, marmites et morceaux qui en f'aisoient partie , soit en métal, soit en terre , sont au nombre de neuf cent quinze; trépieds, vingt-quatre; lampes, cent soixante-trois; candélabres , quarante : enfin, sept centtrente-deux articles comprennant différens monumens, comme outils, instrumens, poids, etc. Tel étoit, en 17.54,1'état du cabinet du roi de Naples a Portici; mais comme depuis ce tems-3a de nouvelles ricbesses ont été découvertes, et que d'autres le seront encore a 1'avenir, M. Bayardi avertit qu'on augmentera le catalogue d'une seconde partie, d'une troisième et d'un plus grand nombre , selon que la necessité 1'exigera. II avertit encore, a 1'égard de 1'explication dont les figures seront accompagnées, qu'on suivra pour la brieveté, la méthode du père Montfaucon, et qu'on écartera soigneusement toute érudition qui ne sera pas jugée nécessaire. II prévient sur-tout le public, que les copies des originaux ont été tirées avec la plus scrupuleuse exactitude par d'excellens dessinateurs, et gravées ensuite avec un soin pareil. On a porté le scrupule au point de marquer jusqu'aux fractures et aux taches des mo-  ü66 1ES AWTIQU1TÉS numens; les planches offriront une Image fidelle des originaux, et 1'on ne verra rien dans les unes qui ne se trouve dans les autres (1). On verra dans la suite pourquoi nous insistons un peu sur ce point. Nous ne voulons pas oublier une remarque critique de M. Bayardi contre 1'abbé Banier , qui avoit prétendu que Cybèle , outre les Galles et Archigalles , avoit d'autres prêtres qui n'étoient pas mutilés. II lui paroït que , quoique cet auteur soit un des plus savans mythologues du siècle, il décide souvent sans f'onder ses assertions sur aucune autorité. M. Bayardi ne trouve dans i'antiquité d'autres prêtres de cette déesse , que les Galles , dont 1'Archigale étoit le chef'. On y voit, il est vrai, des prêtresses de Cybèle ; mais on ne peut tirer de la une conséquence favorable a 1'opinion de 1'ab* bé Banier. (1) Non occorrcra, che alla vista dcllc incise Tavole alenn eer— Vello svogliato faccia lo schizzinoso dubilando del vero. Sappia cgn'uno , che scrupidosamente furono gli originali da eggregi delineatori copiati, e che con altrctanta esalezza vennero incisi i disrgni. Sin le fralture si sono additate , nè in conto ■vcruno sona state le mancanze ne' discgni supplite , onde quanto si osserverd, e si -vedra nelle Tavolc rapprcscnlato, tantg da chi vorra ckiarirsene si trovercï negli originali espresso.  D* IT B R C UI A K UTStV A la vue de tant de monumens curieus qu'annonce le catalogne dont on vient de parler , le public ne pouvoit que désirer avec plus d'ardeur de les voir au plutöt exactement gravés ; et c'est pour répondrc k cet empressement que sa majesté le roi des deux Siciles a daigné confier a une compagnie de savans le soin de les publier avec des explications. Ces académiciens, dans Tépitre dédicatoire du premier volume exécuté avec une magnificence peu commune, reconnoissent qu'en off'rant au roi ce recueil, ils ne lui présentent que ce qui lui appartient; puisqu'ayant formé lui-même le projet de cet ouvrage, il 1'a fait exécuter avec un goüt exquis , et une dépense vraiment royale. L'univers entier joindra sans doute sa reconnoissance k celle de cette savante compagnie , et partagera tous les sentimens dont elle est pénétrée. II ne pourra voir, qu'avec un plaisir mêlé de surprise , le précieux fruit du loisirde sa majesté, après avoir admiré sa prudence et sa valeur dans la défense de ses étatsj sa sagesse et sa piété dans la législation, sa fermeté héroïque dans les dangers et dans les calamités tant publiques que particulières; 1'étendue de ses lumières et de ses soins pour faire reyivre , en quelque sorte, et se f'ormer  268 Ï.ES AWTIQTJITÉS un peuple qui, par sa puissance, par ses.arts,' par son commerce et son éclat, tient un rang distingué parmi les uations de 1'Europe (i). Ce premier volume contient cent trente-six morceaux de peinture, y compris ceux qui tiennent lieu de vignettes et de culs-de-lampe. On a mis au premier rang les monochromes, c'est-a-dire, ceux qui sont exécutés avec une seule couleur ; après quoi viennent ceux qui représentent des sujets tirés de Ja fable ou différens exercices. On voit ensuite des perspectives, divers points de vue, des caprices de peintre, qui sont suivis de quelques sujets égyptiens. On y a entre-mêlé des morceaux d'architecture , des paysages , des oiseaux , desfruits, des arabesques, dont quelques-uns ont été découverts depuis la publication du catalogue. Les savans éditeurs pensent qu'on tirera de ces monumens plus de lumières sur 1'art et le gout de la peinture ancienne, que de tout autre secours. Onse convaincra par les morceaux qu'ils viennent de publier, comme par ceux qui paroitront dans la suite , que les anciens connoissoient la dégradation des cou- <0 Ojj traduit a la lettre les expressions de 1'épitre dédicatoir^  I>'lIERCUI.ANUM. 269 leurs, Ia diminution des objets et Paffóiblisseinent des teintes, beaucoup mieux qu'on ne se 1'est imaginé jusqu'ici. On n'ignoroit pas qu'en général, ils savoient peindre a fresque et en détrempe ; Piine et Vitruve 1'attestent clairement; on doutoit seulement s'ils avoient eu 1'art de peindre les murs a. sec en détrempe. Mais les peintures conservées dans le cabinet du roi donnent sur ce point des lumières certaines , puisque c'est ainsi que la plupart sont exécutées. Nos savans en apportent deux raisons qui leur paroissent mettre la chose hors de toute contestation. i°. Les couleurs supérieures , endommagées , dissipées par 1'humidité , laissent voir celles de dessous, sans que 1'enduit soit altéré : or , cela est impossible dans la peinture k fresque qui, parfondue et incorporée avec 1'enduit, ne peut se dissiper qu'avec lui. Ils jugent même que les anciens peignoient sur la surface des murs comme sur d'autres matières; car on voit que presque toutes ces peintures ont la première teinte d'une seule couleur ordinairement rouge, jaune ou verte , et sur cette couche sont peints d'autres objets en couleurs diffërentes. Par exemple, le fond sera vert, sur lcquel il y aura une bande rouge chargée d'une feuille ou de quelqu®  27O EES ANTIQUITES figure d'une autre couleur. Que si la couleur supérieure a disparu quelque part, la seconde s'y montre , et la première au défaut de celleci. 20. On voit que dans ces ouvrages on a employé indiffëremment toute sórte de couleurs, sans en excepter celles qui ne peuvent résister ü la chaux fraiche. Ils ajoutent, a 1'égard de ces couleurs, que non-seulement on les y voit toutes avec les demi-teintes et les dégradations pratiquées de nos jours; mais qu'il y en a telles, qu'aujourd'liui on ne sauroit faire, comme un certain rouge foncé et éclatant, de même qu'une sorte de violet qu'on voit dans ces morceaux depeinture. A 1'égard des remarques qui servent a. Pexplication des figures, nos savans déclarent que rob jet qu'ils se sont proposé , en les f'aisant, les a forccs de dire bien des choses qui ne sont pas neuves, et qu'on peut trouver par-tout. Nous écrivons , disent-ils , pour ceux qui, en examinant les planches , n'ont pas le pouvoir ou la volonté de consulter d'autres livres; mais ils ne laissent pas de citer leurs garans, afin qu'on puisse y avoir recours, si on ne veut pas les en croire sur leur parole. Ils avertissent de plus qu'on ne doit point être étonné de les  d'hercui-anitjU. 27I voir accumuler quelquefois un grand nombre de conjectures différentes sans rien décider. Comme les notes qu'ils publient sont le résultat de leurs conférences, ils ont cru devoir y insérer les idees et les réflexions diverses qui ont fait 1'objet de leur discussion. Par ce moyen ils laissent k chacun une entière liberté de penser, et en indiquant quelques routes , ils préparent k en découvrir d'autres. Telle est 1'idée générale que nous donnerons aujourd'hui de cet ouvrage, nous réservant a le faire bientót mieux connoïtre par un détail plus particulier et plus circonstancié. S E C O N D EXTRAIT (1). La compagnie des savans chargée de publier avec des expücations les monumens de la ville d'Herculanum , a consacré a. sa majesté catholique le roi d'Espagne, le second volume des (1) Le pittuie antichi, etc. Peintures anciennes cl drssius d'Herculanum. Tome II, gr«7;f/2«-yö//ode539pag.,sansIepitre,la prél^ce at la table. Journal des Savans, septembre 1762 , page 593.  HJZ Ï.ES ANTIQUITES peintures qu'elle a donné au public; cornme elle avoit dédié le premier au même prince , lorsqu'il étoit roi des deux Siciles. Rien de plus légitime et de plus juste, k tous égards, que les sentimens de reconnoissance et les regrets qu'elle a fait éclater dans sa nouvelle dédicace. Dans la préface qui suit, elle déclare que , pour soutenir la réputation du précieux cabinet de sa majesté , elle avoit cru devoir, dans le premier volume, prévenir le public contre les entreprises de ceux qui ont écrit avec peu de réflexion sur les monumens d'Herculanum. Elle fait connoitre , k la tête de celui-ci, Padresse ou plutót la supercherie de Joseph Guerra,' vénitien, demeurant a. Rome,' que Pappas du gain engagea de publier dans cette ville des peintures antiques, dontil vouloit faire croire qu'il avoit les originaux trouvés dans les fouilles d'Herculanum. C'étoit donner lieu k des soupcons ftlcheux ; il falloit les éclaircir. On acheta donc a Rome trois de ces peintures qu'on débitoit pour antiques, et une confrontation publique qui s'en fit k Naples avec celles du cabinet royal, fit évidemment reconnoitre Pimposture. Le peintre fut obligé d'exposer clans Rome la copie du Chiron et de 1'Acbille, et la planclie publiée lui servifc  d'herculanum. 273 Servit demodèle et d'or'gin al. Nouvelle comparaison qui découvrit encore la nouveauté de ces monumens qu'on vouloit donner pour antiques. Toutes ces copies sont maintenant exposées a. la vue du public dans le cabinet de sa majesté, avec le nom de 1'auteur, et une légende qui transmettra sa fourberie a la postérité. II faut être sur ses gardes et plein de méfiance, concluent nos savans, contre ceux qui annoncent des peintures tirées des fouilles d'Herculanum , in tanto è ognuno neU'obligo di diffidar^e , quando si senta vantar pitture che sieno uscite d'alle scavazioni d'Ercolano. II seroit a souhaiter qu'ils eussent pareillement daigné apprendre au public quelle peut être la cause des différences considérables que nous avions remarquées (1) entre un dessin monochrome qu'ils ont publié dans le premier volume, et 1'exposition qu'en avoit donnée M. Bayardi dans son catalogue. L'entreprise qu'ils ont fbrmée de commencer par les peintures, retarde la publication de plusieurs autres rares monumens conservés dans le cabinet de Portici. Pour donner quel- (1) Journal de mai 17%. s  2^4 iES ANTIQTJITÉS que cliose a la curiosité des étrangers, lis ont imaginé de leur communiquer de tems en tems quelque rare morceau, en attendant qu'on leur présente une liste complette du tout. Ils leur offrent ici un médaillon en or, d'Auguste, du poids d'une once et un quart; on voit, d'un cöté, la tête de ce prince couronné de laurier, et autour ces mots : CAESAR AVGVSTVS DIVI Films PATER PATRIAE. Sur le revers paroït la figure de Diane ou de Cérès, avec ces mots : IMPerator XV , et a 1'exergue SICILia. C'est de la qu'ils concluent que le médaillon a été frappé vers la fin de j5ti ou au comraencement de j5g , vers le tems du second retour de Tibère a Rome, après avoir pénétré dans PAllemagne jusqu'a 1'Elbe. Les historiens attestent qu'alors Auguste, pour encourager Tibère a. 1'expédition d'Illyrie, de Dalmatie et de Pannonie , lui fit prendre et prit lui-même le titre & imperator. On voit dans Mezzabarba que le titre imper. XV se trouve joint h Ia puissance tribunit. XXVIII, XXIX, XXX et XXXI, et que celui de imper. XVI se trouve uni pour la première fois avec protest, trib. XXXIII , c'est a-dire , que Yimper. XV dura jusqu'au 7 juin 763, le tribunat d'Auguste ayant commencé le 7 juin 731. De Ia on peut  d'hercuxanuisi. a^S conclure que le tribunat XXVIII d'Auguste ayant commencé au mêrne jour 768 , le titre ó!imp. XV tomba sur la fin de cette année ou vers le commencement de la suivante (1). Ce qui s'accorde assez bien avec le récit de Veil. Paterculus, qui place le second retour de Tibère sur la fin de 1'année qui suivit son adop tion, ou de 1'an 758. Ce second volume des peintures d'Herculanum contient soixante planches, sans parler de celles qui servent de vignettes et de culsde-lainpe ; de sorte que le nombre total des diffërens morceaux se monte a cent quatrevingt. Les explications qui les accoinpagnent (1) La puissance tribunitienne commence a paroïtre sur les médailles d'Auguste , et se trouve assez communement sur celles de ses successeurs , jusqu'a Trajan-Dece. Elle y est expriméa quelquefois comme un simple titre de puissance; et d'autres fois , se trouvant jointe a des nombres , elle Ixprime les années du règne. On ne cite qu'une médaille de Trajan-Dece avec 1'année de la puissance tribunitienne. Après ce prince, les années du règne sont bien rarement marquées de cette facon , excepté sur celles de Postbume et de Gallien, oü elles se trouvent quelquefois. , Enfin, après Diöclétien, et son collègue Maximien, dont les médailles conservent quelques traits de cet usage, on le croit voir s'abolir entièrement; mais il reparoit sur deux médailles de Théodose le jeune , rapportées par Mezzabarba. (Note tirée des manuscrits de Barthélemy), S a  276 LES ANTIQUITÊS sont curieuses, et dans le goüt de celles da premier volume , dont nous avons parlé. Les neuf premières planoh.es représententApollon, avec une cithare oulyre a onze cordes, et huit Muses. La première de ces Muses, assise sur un siège , dont le dossier est f'ormé en demicercle, tient dans sa main gauche un volume k demi-ouvert, oü se lit son nom Clio , et celui de YHistoire, k laquelle elle préside. La seconde tient un masqué comique de la main gauche, et un baton recourbé de la droite. Sur un de ses vêtemens on voit une pièce rouge, en forme de carré oblong, qui paroït appliqué et cousu sur rétofïë , ce qui rappelle 1'idée du Clavus. Une inscription , placée au bas de la figure, annonce son nom Thalie, et la Comédie, k laquelle elle préside. La troisième , tenant de la main gauche un masqué tragique, s'appuie de la droite sur une massue : c'est Melpomène qui préside k la Tragédieainsi que le déclare 1'inscription. L'inscription de la quatrièrne annonce que c'est Terpsichore, comme présidant k la lyre , et la figure la représente avec cet instrument k sept cordes. Pindare , en effet, attribue k Terpsichore la poésie lyrique, quoiqu'Horace ne la nomme jamais, tandis qu'a cet égard il fait mention  d'herculanum. 277 de Melpomène , d'Euterpe , dePolyinnie, de Calliope et de Thalie. Mais il faut entendre ici les danses sacrées, qui , comme les hymnes, étoient accompagnées de la lyre. C'est la remarque de nos savans. La cinquièrne Muse est représentée avec un instrument qui a quelque ressemblance avec la harpe, qu'elle touche d'une main avec 1'archet, tandis qu'elle le pince avec les doigts de l'autre. Nos savans ont recherché ici quel étoit le nom de cet instrument qui a neuf'cordes. Les uns ont prétendu que c'étoit le psalterium , d'autres ont attaqué cette opinion : et les raisons apportées de part et d'autre sont assez fortes pour laisser ce point indécis. L'inscription porte sp«T« -ifxXTfia. C'est donc la Muse Erato , dont Ovide dit qu'elle doit son nom a 1'amour, Tu nomen Amoris/«z/5c?s,quoique d'autres donnent a son nom une origine différente. Mais que signifie le second mot (■^«^p'* ) ? Quelques uns ont pensé que c'étoit un terme abstrait, qui manque dans nos lexiques, et qui désigne 1'art de toucher un instrument k cordes. D'autres ont jugé qu'il signifioit ici , comme a. 1'ordinaire , celle qui joue d'un instrument de cette espèce : que d'ailleurs 1'expression est conforme au génie de la langue ,S 3  278 LES AKTIQUITÉS grecque, et mêrne de la latine, agere Chaeream, comme nous disons faire OEdipe ,Jgamemnon } pour faire le röle de ces princes. Mais le mot grec psaltria désigne quelquefois celle qui touche un instrument, d'autrefois celle qui chante, enfin celle qui danse, et souvent aussi celle qui fait ces trois actions a la fois , réunissant la voix et la danse au son de 1'instrument. Voila donc Erato confondue avec Terpsichore : point du tout, suivant 1'opinion de quelques académiciens d'Herculanum. L'usage sacré et religieux de la lyre est du domaine de Terpsichore; Erato préside a 1'usage profane du psalterium dans les festins , dans les chansons a boire , et dans les chansons amoureuses. Aussi les chansons obscènes , ou remplies de traits piquans, portoient-elles le nom de psalteria, oomme on le voit dans un passage de Varron cité par Nonnus (i). Cette idéé n'a pas été généralement adoptée , et quelquesuns de nos savans ont soupgonné que la diversité des instrumens faisoit ia différence principale des deux Muses. Mais une singularité remarquable de cette inscription et des autres , c'est que dans celle- (i) Voyez Scalig. sur Varron de Lins. Lat-  d'h erCUXanüivi. 279 ci Iepsi grec a la forrae d'une croix, ainsi que dans plusieurs manuscrits du huitième et du neuvième siècles , et que dans toutes ¥ epsilon et Voméga sont en caractères minuscules , tels que ceux de 1'écriture courante (e, «). Voila. un argument décisif contre ceux qui renvoient a des tems bien postérieurs Pusage de cette espèce de caractères : d'oü il semble qu'on peut conclure que les anciens avoient deuxsortesde lettres, les majuscules pour les monumens publiés et pour les ouvrages écrits avec soin , et les minuscules pour l'usage ordinaire. Aussi trouve-t-on des traces de celles-ci dans des médailles du troisième siècle , et même avant celui d'Auguste. A ce propos, les savans académiciens rapportent une inscription plus singulière encore. Elle fut trouvée dans les fouilles de Résina, le 6 mars 1743 , sur un mur qui formoit 1'angle d'une rue, laquelle menoit au tbéatre. C'est un vers d'Euripide (1) écrit en caractères noirs et roupes, avec les esprits et les accens qui sont en usage aujourd'hui. Sans doute 1'inscription , et la pierre qui la porte, se conservent dans le cabinet de Portici; sans doute (1) Voyez, les fragmens de YAntiope, v. 77. S 4  2.8o LES ANTIQUITÈS aussi les doctes académiciens qui jugent ïncontestable Pantiquité de ce monument, Pont examiné avec Pattention la plus sérieuse, avec Pceil le plus critique, pour éviter toute surprise , et pour ne point donner dans ces pièges qu'on a tendus plus d'une fois aux antiquaires. Que diront donc a présent ceux qui soutiennent que les esprits et les accens grecs ne datent que du septième siècle ? Peut-être ne cliangeront-ils pas de sentiment j mais qu'auront-ils k opposer au témoignage de nos savans , et k celui du monument même , s'il existe encore ? Iscrlzione la di cui antichita è incontrastabile. La sixième Muse n'a point d'instrument, ni aucun autre attribut qui la distingue : elle porte seulement 1'index de la main droite k sa bouche , pour indiquer le silence ; et 1'inscription annonce que c'est Polymnie qui préside aux Fahlcs. Plutarque témoigne que Numa avoit recommandé aux Romains d'avoir une vénération particulière pour une Muse nommée Taci ta j ou Silenlieuse. On sait d'ailleurs que Polymnie présidoit k Part des pantomimes, ou a la Chironomie } qui consistoit a tout exprimer avec les gestes. Ausone, Signat cuncta manu , loquitur Polyhymnia gesiu.  d'herculasïum. 281 La danse pantomime étoit tres - estimée des anciens; une ancienne épigramme parle d'un homme célèbre en ce genre, chez qui, par un art rnerveilleux, toutes les parties du corps étoient autant de langues Tot linguce quot rnembra viro : mirabilis est ars Quce facit articulos, voce silente, loqui. Les anciens, dit Cassiodore (1) , donnèrent le nom de muette k cette partie de la musique, qui, sans le secours des sons articulés, exprimoit avec le geste seul des choses que la langue et 1'écriture auroient a peine pu rendre. Hanc partem musicae disciplinae mutant nominaverc majores : scilicet quae ore clauso , manibus löquitur, et quibusdam gesticulationibus facit intelligi , quod vix } narrante lingud 3 aut scripturae teoctu possit agnosci. II ajoute que Polymnie est la Muse a laquelle Pinvention de cet art est attribuée. Mais pourquoi 1'inscription donne-t-elle les fables k cette Muse ? C'est que 1'ancienne histoire et les métamorpJioses fabuleuses étoient le sujet principal sur lequel s'exercoient les pantomimes , (1) Var. 1, rp. 20,  282 LES ANTIQTJITES comme nous i'apprend Lucien (de Salt). Saint Cyprien dit (1) que 1'art du pantomime consiste a exprimer par ses gestes et par sa danse les obscénités de 1'ancienne mythologie : cui ars sit verba manibus expedire, ut desaltentur fabulosae antiquitatis libidines. D'ailleurs le mot grec, comme le latin fabula , signifie géneralêment tout récit, vrai ou faux. La septième Muse n'a point d'inscription : assise sur un siège a dossier formé en demicercle, elle tient de la main gauche un globe, et de la droite une baguette avec laquelle elle ïndique les objets tracés sur le globe ; ce qui la fait prendre poar Uranie , la Muse de VAstronomie. Cependant comme le globe ne paroit point étoilé, la peinture ayant ici un peu souffert, quelques uns 1'ont pris pour un globe terrestre, la plupart.des anciens ayantreconnu que la figure de la terre étoit sphérique. L'inscription de la huitième Muse indique Calliope , comme présidant a la Poe'sie. Sa tete paroit couronnée de lierre, et elle tient un volume dans ses mains. C'est la poésie héroïque (i) Epist. io3.  d'hercïji-anum. 283 qu'il faut ici entendre; car on. sait que les poëtes épiques avoient coutume d'invoquer Calliope qu'on regardoit comme la nourrice d'Homère. Carmina Calliope libris heroica mandat. AüSONE , X , 20. Euterpe est une des Muses qui n'est point représentée dans ce volume des peintures d'Herculanum ; mais on sait que les anciens ontbeaucoup varié sur le nombre des Muses, puisque quelques-uns n'en ont reconnu que deux \ tandis que d'autres en ont admis trois , quatre,* cinq, six , sept, et la plupart neut'. II est si difficile de déterminer les sujets des deux planclies suivantes, qu'on ne doit pas être surpris si k leur égard nos savans ne présentent que des doutes et des conjectures. Ils sont moins embarrassés sur la douzième , qui seroit, h leur avis , une des meilleures du cabinet roy al, si la délicatesse du pinceau répondoit a la f'orce de 1'expression , et aux gr aces de la composition ; ce qui leur fait penser que c'est une copie d'un excellent original. Elle représente 1'éducation de Bacchus. Silène assis tient et soulève Bacchus tourné vers trois nym-  2B4 XES ANTIQUITÊS phes , qu'on prend pour ses trois nourrices , dont 1'une lui présente une grappe de raisin , tandis que les deux autres, debout derrière un arbre, ont les yeux fixés sur le petit dieu. Nous avons observé que clans son catalogue M. Bayardi ne prend pas ces deux dernièresfïgures pour deux nympbes ; il en est une qui a paru k ses yeux être un homme : 1'ignorance du peintre est apparemment la cause de ces variétés. Aux pieds de Silène est couché un ane ayant au cou une couronne de fleurs, et sur le dos un bat ou une selle assez semblable aux nótres : nos savan s on t même cru appercevoir qu'il étoit ferré. Mercure , avec ses attributs ordinaires, assis sur un tonneau , tient et pince de la main gauche une lyre , et a dans sa droite le plectrum dont il ne lait point usage. Un satyre paroit k ses pieds, prêt a lui óter ses talonnières, et plus bas une panthère lèche un tympanum , garni des grelots , qui ressemble k notre tambour de basque. On imagine bien cjue le nombre et les noms des nourrices Bacchus, Silène et son ane, le bat et les autres objets de la peinture, ont engagé les académiciens d'Herculanum dans de savantes discussions. La treizième planche représente la lutte de Pan et de 1'Amour aïlé. Siiène, tenant de la  d'herc ÜI ANTjM. a85 main gauche une palrne, porte la droite sur les cornes du petit satyre. Bacchus assis , et tenant de la main gauche un long thyrse, regarde les combattans. Plus haut paroit une femme assise, que les uns prennent pour une nourrice de Bacchus, d'autres pour Ariane, ou pour Semèle, ou pour Vénus, ou pour Cérès. M. Bayardi, dans son catalogue , prend Penfant ailé pour Bacchus, et avertit que dans cette peinture la tête de 1'homme au long thyrse avoit disparu, la di cui testa èperduta. Nos savans ne nous apprennent point comment elle a été retrouvée. Ils se contentent de dire qu'elle est couronnée de pampres et de raisins. Ariane abandonnée dans 1'ile de Naxos par Thésée, dont on voit le navire, gagnant le large , déja loin du rivage, est le sujet traité dans les deux planches suivantes. Dans la seizième, la même Ariane est représentée endormie; un satyre la découvre en partie, tandis que Bacchus, conduit par 1'Amour, et s'appuyant d'une main sur 1'épaule de Silène, paroit épris de ses charmes. Ce dieu est suivi dans le loin tain d'une troupe d'hommes et de bacchantes, oü 1'on remarque la doublé flüte , et la corbeille mystique. La dix-septième planche, dont les académi-  sSó" Ï.ES ANTIQUITÉS ciens d'Herculanum font grand cas (1), représente Apollon appuyé sur une espèce de pilastre , en face d'une femme assise, qui, tenant une branche de laurier, a la tête basse, comme par un sentiment de honte ou de tristesse. La figure néanmoins d'Apollon est telle qu'on peut la prendre pour celle de Paris, ou de Diane, ou de Minerve, ou même de Vénus; et souvent on a cru voir dans les anciens monumens ce dieu sous une forme féminine. Quant a la fëmrne assise, qui a une petite chaïne d'or h son cou, on ne sait quel nom lui donner. On a pensé aHélène, alphigenie,a Cassandre, etc. sans pouvoir se décider. La célèbre dispute d'Apollon et de Marsyas, ce téméraire Silène, ou Satyre (car on varie sur ce point) , qui osa défier avec sa flüte le dieu de la lyre, est le sujet de la plan che dixneuf. Apollon, assis et couronné , tient de Ja main gauche une lyre a quatre cordes, et le plectrum de la droite. Prés de lui une Muse, tenant une guirlande de fleurs, semble vouloir en couronner 1'instrument victorieux. (1) Ils renvoient ici au n°. 233 du catalogue , c'est le 243 ; il y a «juekrue» autres fautes pareilles, comme pages 121, i3°,  D*HER.C.U t AHÜM. 287 Aux pieds d'Apollon paroit a genoux Olympe qui intercède pour son malheureux maitre. Marsyas dépouillé et les mains liées derrière le dos, est attaché a un tronc d'arbre: et un homme, un couteau a. la main, paroit attendre les ordres qu'on va lui donner d'écorcher -vif 1'infortuné Silène, prés duquel on voit la doublé flute étendue par terre. A ce propos les savans d'Herculanum rapportent 1'opinion de ceux qui attribuent a Marsyas 1'origine del'art d'enfler deux flutes a. la fois , quoique d'autres en fassent honneur a. Jagnis, son père. On voit au bout inférieur de chaque flute une espèce de cheville , qui servoit sans doute, dans ces tems grossiers, a. varier les tons : les flütes n'ayant alors point de trous sur le cöté. Le même instrument paroit aussi dans les deux planches suivantes, dont la première représente un choeur de bacchantes , et 1'autre une pompe de Bacchus; M. Bayardi avoit aussi cru 1'appercevoir dans la main gauche d'une figure de la planche trente-un ; mais ce sont deux fleurs, suivant 1'exposé des académiciens d'Herculanum. Les planches vingt- deux et vingt-trois ont rapport a quelques cérémonies des mystères de Bacchus j mais il est difficile d'en déterminer  a88 rjES antiqüitès 1'objet: aussi ne nous donne-t-on k cet égard que des conjectures : on peut en dire autant de la vingt-quatrièrne, qu'on croit regarder le plus fameux, comme ie plus caché, des mystères de Bacchus, de ce Bacchus sur-tout qui portoit le nom de Bassareus ou Sabazius. On n'est pas plus éclairé sur les objets des deux planches suivantes; ce qui n'empêche pas les académiciens d'Herculanum de dédommager leurs lecteurs par des notes pleines d'érudition. II est encore question de Bacchus dans la planche vingt-sept; mais c'est presque toutce qu'on en peut dire. Le principal morceau de la suivante ofrre la plupart des symboles et des choses propres aux cérémonies du culte de Bacchus , une panthère, un serpent, des cymbales , une branche de laurier, la corbeille, ou le van mystique, le tympanum, le thyrse et diverses sortes de vases. On regarde comme ministres de Bacchus, deux femmes que présente la planche vingtneuvième. L'une porte d'une main le tympanum , et de 1'autre une petite corbeille pleine de verdure. On rappelle k ce sujet les fêtes appelées Thalysies , dans lesquelles on ofïroit a. Cérès et a Bacchus les prémices des champs , présent qui s'offroit aussi k d'autres divinités. La  »*IIÉRCUlAKl7M.' 2.8a La seconde femme porte une patère d'une main, et de 1'autre un rameau ou une tige qui a la figure d'une massue fbrmée de feuilles et de fleurs ; ce qui Pa fait prendre par quelques-uns pour une férule. La planche trente offre deux morceaux, ou deux figures, 1'une d'une femme, Pautre d'un liomme. Ce que la première tient de la main droite a été pris par quelques - uns pour un thyrse ou un baton , au haut du quel on portoit de la flamme pour éclairer les fêtes nocturne de Bacchus, tandis que d'autres Pont regardé comme une trompette. Sur 1'épaule gauche , elle porte, suivant M, Bayardi, une colonne ; mais on remarque ici que c'est un instrument creux qu'on croit pouvoir être aussi une trompette. Rien de plus varié que la forme de cet instrument dans les monumens anciens. Le pavillon de cette trompette est surmonté d'un aigle; autre circonstance qui a fait naïtre différens avis , dont le meilleur pourroit être celui qui ne trouve en cela qu'un caprice de peintre. L'hornme a la poitrine découverte , de la barbe au menton : il est couronné de lierre, assis , et revêtu du pallium; ce qui a fait croire a quelques-uns que c'étoit un póëte grec, peut-être Homère; d'autres T  2c)0 ees atïtïq.üitès ont inieux aimé le prendre pour un philosophe, et les avis différens ont été attaqués et soutenus avec un égal avantage. Quoique les savans d'Herculanum aient prodigué dans leurs remarques une vaste et curieuse érudition, bien des gens les en auroient dispensés, vu 1'incertitude qui en résulte, et auroient dé~ siré plus d'étoffe avec moins de broderie. Mais il faut se ressouvenir qu'ils écrivent même pour 1'utilité de ces lecteurs qui n'ont ni le pouvoir ni la volonté de consulter les ouvrages qu'on cite , et qu'en indiquant les routes qu'ils ont imaginées pour se conduire dans cette ténébreuse carrière , ils ont voulu mettre les autres a. portée d'en découvrir peut-être de plus süres. TROISIEME EXTRAIT (i). Les mceurs, les usages, même les plus indifférens en apparence qui ont régné ou règnent encore dans 1'univers , seront toujours pour 1'homme un objet capable de piquer sa curio- (1) Le pitture antiche d'Ercolano, etc. Les peintures et dessins d'Herculanum, etc. ame, vol. Journal des Savans, mars 1763, pag. 128.  d'herCUI ANUM. 29! site et de lui fburnir des instructions utiles , soit en lui présentant des vérités et des vertus, soit en lui montrant des erreurs et des vices. Quand on envisage sous ce point de vue le travail des académiciens d'Herculanum, 'H É R A C L B E? 3ll comme dans sal, septem, super , de «a? , 1*™, „V«> : tantót par VV consonne , comme dans vcspera , veneti, de eVa-ép*, snewt j et quelquefois les Grecs eux-mêmes par uneF, puisqu'on trouve sur des médailles fhfakaeqtqn > pour h>*At«™ , et ailleurs ff^« P°ur ?>fa , Tifufr* pour 4«*£«; ce qui fut aussi imité des Latins qui dirent pareillement fordeurn pour hordeunt, fcedus pour hoedus , fircus pour Jiircus. D'aiüeurs on voit dans Palphabet tiré des tables d'HéracIée, le caractère dont il s'agit, figuré aussi d'une manière C qui lui donne une ressemblance presque complette k Panden digamma. Nous ajouterons ici en passant, que la figure de ce digamma, sixièmelettre de Panden alphabet grec , s'altéra peu a peu, et prit enfin la fonne sous laquelle elle exprime aujourd'hui chez les Grecs le nombre 6. Sylburg (Alphab. Grae., pag. 8. ) avoit trouvé d'anciens monumens ou cette lettre étoit nommée erisinen et episinon; mais s'il est permis de dire ce que nous en pensons, il est probable que ces mots ont été altérés par les copistes, et tormes du grec episimon (•*&<*/•") qui est le nom qu'on donne k cettè figure, lorsqu'elle se prend pour une marqué numérique. Du caractère, passons k lalangue. V 4  3l2 I, ES TA B X E S II suffit de jeterlesyeux sur cette table, pour reconnoïtre le dialecte dorique; plusieurs mo< ïiumens déposent que ce dialecte étoit en usage a Héraclée , k Tarente, et même clans presque toute la grande Grèce. Mais on apprend d'un ancien gramrnairien , qu'il y avoit deux sortes de dialecte dorique , l'un ancien, qui dans la suite fut insensiblement négligé ; un autre plus nouveau, dont Sophron (1) et Epicharme (2) furent les inventeurs , et dont se servit Théocrite (3) environ deux cents ans après. Quoique M. Mazochi n'ose pas déterminer le genre du dialecte dorique, employé dans les tables d'HéracIée, toutnéanmoinsluipersuade que c'est le premier; paree qu'il croit y remarquer cette rudesse et cette grossièreté qu'on reprochoit a 1'ancien dorique. II en donne pour exemple Ces deux mOtS '. Kaunaa-vt , TfatrwTSsri pour ^oigs-/, vfJi-TisFt. II reste a savoir dans quel tems ces tables furent gravées; pour y parvenir, M. Mazochi observe quelques époques relatives a 1'état d'HéracIée en divers tems. Elle fut batie, I'an3i3 de Rome, par les Tarentins , (0 Vers la soixante quinzième olympiade. (2) Vers la quatre-vingt-quatrième olympiade. (3j Vers la cent tremicme olympiade-  d'hêraclée. 3l3 sous la domination desquels elle fut jusques vers 1'an 427> qu'Alexandre Molossus la leur enleva, comme le rapporte Tite-Live, /. VIII, c. 2,4. Dès ce moment, elle jouit de tous les privileges de 1'autonomie ; elle fit ensuite alliance avec Rome , sous le consulat de C. Fabricius, vers 1'an tyS, comme le témoigne Cicéron : (pro Corn. Balbo. c. zxj. Mais ce traité ne donna pas au corps entier des citoyens d'HéracIée le droit de bourgeoisie a Rome , ni celui d'y parvenir aux magistratures civiles. Après la guerre sociale, vers 1'an 663, la loi julia déféra le droit de bourgeoisie romaine aux villes d'Italie , alliées de la république, et c'est alors qu'Héraclée, renon» cant a son autonomie, adopta les loix de Rome. Or, M. Mazochi pense qu'on ne peut pas faire remonter 1'époque des tables au tems oü Héraclée étoit sous la domination des Tarentins ; car , outre qu'il n'y est jamais fait raention de ces peuples , cette ville y est, au contraire , représentée comme une cité libre, et gouvernée par ses propres loix. Ce ne peut donc qu'être qu'après 1'an /($j , tems auquel Molossus lui assüra ces avantages3 ainsi M. Mazochi croit pouvoir fixer la date de ces monumens vers 1'an /(óo de Rome, un peu plus de  3l4 IIS TABIES trois cents ans avant Jésus Christ. II nedoute pas néanmoins que le second ne soit un peu moins ancien, paree que la forme des caractères en est un peu moins grossière, le dialecte moins dur , et 1'ortographe moins éloignée de 1'usage moderne. Mais comme 1'on voit quelquefbis dans tous les deux les mêmes personnes noinmées , 1'intervalle de 1'un h I'autre ne peut pas être considérable. Quoiqu'il en soit, ils nous apprennent que les habitans d'HéracIée, comme ceux de Lacédemone , avoient des éphores : aussi Strabon témoigne que les Tarentins , dont Héraclée fut une colonie , étoient issus des Lacédemoniens. Ces magistrats avoient le droit de convoquerla nation, de présider a. ses assemblées , et leur nom serYoit a la date des années, comme celui des consuls chez les Romains. On sait qu'a Sparte il y avoit cinq éphores ; mais on ignore si leur nombre étoit le même a Héraclée , on voit uniquement qu'un seul étoit éponyme. II avoitsous lui deux autres magistrats nommés poliano~ mes , et leur fonction paroit avoir été la même que celle des préfets a Rome ; car Dion (lib* 44) donne le nom de polianomes aux préfets que Jules César, au rapport de Suétone (in, Julio. c. y6'J , établit au lieu des préteurs,  »' HÉE-ACIÉI.' 3l5 pour gérer les affaires civiles pendant son absence. II y a lieu de présumer que 1'autorité de ces deux magistrats étoit plus grande k Héraclée , que celle des astjnömes dans la ville d'Athènes, oü ils étoient aunombre de vingt. Ontrouve aussi dans ces tables les noms de deux mois connus ehez les Macédoniens, appellée et panemus : le savant auteur croit le premier originaire de Sparte, paree que le mot («V^,) dont il dérive, et qui signifie camzces, assemblée, étoit particulier aux Lacons. II est vrai qu'il remonte encore plus haut, puisqu'il veut le faire descendre de 1'Hébreu (phtlIclJ , mais c'est une étymologie qui nous paroit plus ingénieuse que solide. Quant au mois panemus , il ne dit rien pour en f aire honneur aux Lacédemoniens, il se contente de confirmer Tidée de Suidas, qui le fait répondre au mois de juillet. Le schcene , mesure de longueur, fort en usage parmi les anciens, se trouve plusieurs fois dans ces tables ; mais s'il est certain qu'il ne valoit pas trente-deux ni quarante stades, comme en quelques endroits , selon Phne , encore moins soixante, comme en Egypte ; rien ne peut nous donner une connoissance exacte de sa longueur chez les peuples de la  3l6" ï, ES TABLES grande Grèce : il f'aut se contenter de savoir qu'il se divisoit en pas, et le pas en pieds. Ces monumens ne nous fournissent pai plus de lumières sur la capicité du congé , du médimne et de \a.chénice, mesures creuses, dontils font inention ; on remarque seulement que le congé, qui ailleurs ne servoit ordinairement qu'a. mesurer les liqueurs, étoit aussi a. Héraclée une mesure de choses sèches. Tout ce qu'on y trouve sur la monnoie de cette ville fournit a la fois peu de ressources, pour en faire 1'estimation , et une ample matière de disserter au docte commentateur. Nous n'avons garde de mettre ici sur son compte une méprise, qui ne peut être qu'une faute d'impression ; et quoiqu'on nous dise que la mine attique étoit de six cents dragmes , mina attica drachmas sexcentas continebat ( page 219), nous voyons assez qu'il étoit trop instruit pour ignorer que la mine attique ne comprenoit pas plus de cent dragmes. Au reste; cette tache légère est bien rachetée par une correction très-heureuse d'un passage de Pollux qui avoit lort embarrassé les savans. Aristote, selon eet auteur (l. XI, segm. 8y) , témoigne que 1'ancien talent sicilien avoit vingtquatre nummus 3 le nouveau douze, et le num~  D* H Ê K. A C 1 E E. 3l7 mus une obole et demie. M. Mazochi observe qu'il faut lire vingt-quatre mines; ce qu'il prouve par 1'autorité d'un ancien , cité par Suidas , et par celle d'un scholiaste de Saint-Grégoire de Nazianze , qui paroit avoir copié Pollux : il ajoute que, puisque le nummus des Tarentins valoit trois demi - oboles , il devoit avoir a peu pres la même valeur que le sesterce; ce qui peut être assez juste , pourvu qu'on ne veuille pas en inférer une égalité parfaite entre la dragme attique et le denier romain. Nous n'entrerons pas dans un plus grand détail sur les particularités contenues dans la table d'HéracIée; il suffit de dire, en général, qu'outre plusieurs noms de lieux , dont on. cherche peut-être inutilement lasignification, elle présente beaucoup de mots grecs qui ne sont point du tout, ou seulement en partie , dansles recueils des lexicographes; nous osons dire qu'elle est très-utile pour connoitre 1'origine et les progrès de la langue grecque, et qu'on y trouve les principes de plusieurs régies grammaticales , dont les grammairiens ont souvent peine a. rendre raison ; il nous seroit par exemple bien aisé de montrer que ce vmmtwrn ou nucTuro-t, qui choque si lort 1'oreille  3l8 I I S TABLES de M. Mazochi même, est très-régulier et con* forme a 1'inflexion primordiale, tandis qu'au contraire, eet autre noiSn qui a prévalu, s'écarte de la régularité prirnitive ; nous souhaiterions qu'un esprit philosophe et versé dans le mécanisme des langues, voulut examiner sous ce point de vue les tables d'HéracIée, il y trouveroit sans doute les matériaux d'un nouveau plan de grammaire plus profond et plus lumineux que ceux que nous avons ; a 1'égard du commentaire de M. Mazochi, nous avons déja donné assez a connoïtre le cas que nous en faisons. Qu'importe , en effet, qu'il s'abandonne de tems en tems a des conjectures assez foibles, qu'il se répéte quelquefois, et que par des digressions un peu fréquentes , il dépaïse les lecteurs et interrompe leur attention , s'il les dédommage des courses et des fatigues qu'il leur fait essuyer ? C'est encore un léger inconvénient de le voir quelquefois changer d'opinion , se réfuter lui-même, et détruire dans un endroit ce qu'il avoit avancé dans un autre; le lectéur laborieux le suit, non saus peine , mais du moins il s'instruit avec lui : d'ailleurs c'est une suite de la nécessité oü il s'est trouvé de travailler , pour nous servir de ses termes, au jour la jour-  b'hbraciée. 319 nee, et de fournir a 1'impression a. raesure qu'elle avancoit (1). SEGOND EXTRAIT (2). Nous avons averti dans un premier extrait que M. Mazochi, a la tête de son docte commentaire sur les tables d'HéracIée , avoit placé trois dissertations, dont la première traite de Ia grande Grèce; la seconde contient des recherches sur la ville d'HéracIée et sur quelques villes voisines j la dernière comprend des discussions sur 1'age , sur le caractère et sur le dialecte des inscriptions grecques gravées sur ces tables de cuivre. Nous avons déja rendu compte de celle-ci, il ne nous reste plus qu'a parler des deux premières. Dans le précis (1) De interprctatione vcrb unwersi ncapolitani wris nihil dam equidem praeslare Icclori qveu; q'iippe quam non modö prrfecCam , sed ne affcclam quidem ulld ex. parte habeam. Sic enim. tum eurum riiu qui in diem vivunt, ut q..idquiil chartis illinitur, id statim typograpkis cogor Jorniis componendum tiadere (pag. 167 ). (a) Journal des Savans , décembre 1758 , page S61,  320 lES TABLES que nous allons en donner, le savant auteur ne trouvera pas mauvais que nous nous écartions un peu de 1'ordre qu'il a suivi : nous ta.cherons de rendre exactement ses idees et ses sentimens sans nous astreindre k la marclie qu'il s'est prescrite. L'étendue de la grande Grèce est un point sur lequel les anciens et les modernes sont éga* lement partagés. Quelques-uns lui donnent presque les mêmes bornes qu'a 1'Italie entière , d'autres la resserrent un peu davantage, mais ils renferment dans son enceinte la plus grande partie du royaume de Naples. Messieurs de 1'académie des sciences qui ont adopté cette opinion (1) pensent en conséquence que l'étendue de la grande Grèce étoit k peu prés égale k celle de Pancienne Grèce proprement dite ; c'est-a-dire , du Péloponèse , de 1'Achaie et de la Thessalie. L'auteur se déclare pour le sentiment de Pline (2) , qui la fait commencer a Loeres , et, la bornant par les trois gol- (1) Mémoires de 1'année 1714. (2) A Locris Italiw frons incipic, Magna Grcccla appellata , in tres sinus recedens Ausonii maris ; quoniam Ausonii tenncre primi: patet octaginta sex M. Pass. ut auctor est Varro. Plerique LXXV M.fecere. Plin. Lib. III, cap. 10. fes  »' H E R A C 1 è 32i' fes, de Loeres, de Scylax et de Tarente, lui donne quatre-vingt-six mille pas d'étendue seIon Varron, et soixante-quinze selon d'autres; M. Mazochi, après avoir montré que Ptolémée s'accorde a eet égard avec Pline, remarque que le mont Apennin, en s'approchant dugolfe de Tarente, se partage en deux bras, dontle gauche s'étend au promontoire Japygius, et I'autre au promontoire Zéphyrius. L'étendue com« prise entre ces bras de 1'Apennin et les trois gol-, fes dont on a parlé, formoit ce qu'on appeloit proprement la grande Grèce. Ce n'est pas qu'il n'y eut des villes grecques répandues tant sur les cötes de la mer Adriatique, que sur celles de la Toscane, mais elles n'étoient pas comprises sous le nom de la grande Grèce. Nous entrerons a. leur égard dans quelque détail , après que nous aurons expliqué le sentiment de Pauteur sur 1'origine de cette dénomination. Elle subsistoit du tems de Pythagore, qui vivoit vers 1'an 200 de Rome : Polybe, Cicéron, Valère Maxime et autres auteurs dont on produit les témoignages, ne permettent pas d'en douter : et Pon voit par le récit de Tite-Live (l. XXXI, c. 7 ), qu'elle subsistoit encore Pan 553, mais vers 1'an 600 , du .eins de Polybe , elle n'étoit plus en usage. Aussi les écrivains  323 I-ES TABLES qui ont vécu après Auguste ne manquent pas de rapporter cette dénomination a des tems qui les avoient précédés. Elle n'occupe donc que 1'intervalle qu'il y a entre les ans 200 et 600 de Rome, et elle ne prit fin que paree que les villes grecques adoptèrent insensiblement la langue et les loix des villes barbares quiétoient voisines. Cette observation ne conduit-elle pas naturellement k donner k Pythagore Porigine de cette dénomination : c'est aussi ce qu'assurent positivement Iamblique et Porphyre , en disant que cette partie de PItalie f qui fut appelée la grande Grèce , dut ce nom k Pythagore, qui la rendit célèbre par les écoles de philosophie qu'il y établit. M. Mazochi ne doute pas que plusieurs Romains ne vinssent prendre des legons de ce philosophe ou de ses disciples, et que les trois députés de Rome, qui furent chargés de recueillir les loix des Grecs , n'aient visité les villes grecques d'Italie, avant de passer k Athènes. Vér nys d'Halicarnasse (1. X) rapporte, en effet, que dans le sénat Pavis de Romiiius fut d'envoyer des députés, soit dans les villes grecques d'Italie, soit dans celle d'Athènes, pour faire un corps des loix qui conviendroient le mieuxau gouvernement romain. Ces villes fu-  d'héhacièe. 3a3 rent florissantes jusqu'au règne de Dénys le Tyran, qui fut leur ennemi déclaré ; elles se relevèrent ensuite, et se soutinrent, au rapport de Synésius (ad Pceonium) 3 jusqu'a ia neu~ vième génération après Pythagore. Le.témoignage de eet écrivain fburnit ma-; tière a de nou velles discussions. Que de sentimens différens sur la durée d'une généra-; tion ! les uns la font de sept ans, d'autres de vingt-cinq, quelques-uns de vingt-sept $ il y a, selon Censorin , deux calculs k eet égard, qui sont plus communément regus , et qui , réunissant trois générations en une , lui donnent ou quatre-vingt-dix ou cent ans d'étendue. M. Mazochi adopte ce dernier parti, et conduit par ses recherches a donner cent ans a chaque age, il fait tomber la ruine des républiques grecques vers 1'an Ó40 de Rome. La langueur des écoles philosophiques introduisit le luxe, les vices et la division : la perte de la liberté en fut la suite. Mais comment conciiier cette opinion avec le récit de Porphyre ? Cet auteur, dans la vie de Pythagore , dit qu'un certain Cylon crotoniate s'offrit au philosophe pour être son disciple , il fut refusé , et chercha le moyen de se venger. II ameute ses amis, et les détermine a mettre X z  324 1ES TABLES le feu a. la maison de 1'athlète Milon, oü leS disciples du philosophe étoient assemblés.' Heureusement il étoit absent j Archippe et Lysis furent les seuls qui échappèrent; les autres furent alors dispersés , de manière que la secte et la philosophie se perdirent. M. Mazochi avoue qu'après cette aventure ce fut, en effet, moins dans la grande Grèce que dans les autres villes grecques que se maintint la secte pythagorique. D'ailleurs, selon le témoignage de Iamblique, les pythagoriciens dispersés furent ensuite rappelés , et revinrent au nombre de soixante de 1'Achaie , oü la plupart s'étoient retirés. Les écoles furent alors rétablies, et subsistèrent jusqu'au tems oü les villes grecques perdirent leur liberté. Nigidius-Figulus, du tems de Cicéron, les fit revivre, et il y eut long-tems après des pythagoriciens en Italië. Justin, martyr, eut pour maitre un philosophe de cette secte, et Clément d'Alexandrie en eut deux dans la grande Grèce. Le savant auteur examine ensuite pourquoi la secte de Pythagore fut appelée italique : il observe qu'anciennement, et même du tems de ce philosophe jusqu'a celui d'Aristote, et d'Alexandre le Grand, on n'entendoit par l'h  »' h e h. A c i e fi'j 3z5 talie que cette étendue de pays quï porta ensuite le nom de grande Grèce. Voila pourquoï Iamblique dit qu'après 1'entreprise de Cylon , le reste des pytliagoriciens sortit de 1'Italie, a la réserve d'Architas de Tarente, et prit le parti de se réfugier a Rhégium. Car , comme cette ville n'étoit pas comprise dans Ia grande Grèce; elle n'étoit pas non plus dans 1'Italie de ces tems-la. Cette contrée étoit ce que Pline appelle le front de 1'Italie de son tems. A Locrisfrons Italiae incipit, dénomination dont Pomponius Méla explique la raison en ces termes : Frons ejus in duo qiddem se cornua scindit (lib. II, cap. 4). Voila pourquoi on trouve si fréquemment sur d'anciennes médailles de la Grèce Italique la figure ou entière ou imparfaite d'un taureau, et d'oü même est venu le nom è! Italië 3 de Vitulus 3 qui autrefois s'appeloit Italus ou Vitalus. M. Mazochi distingue dans la grande Grèce huit contrées, des Locriens, des Cauloniates , des habitans du golfe Scylletique, qui dans la suite prit le nom de Scylax, des Crotoniates, des Sybarites, nommés ensuite Thuriens, des Héarcléotes, des Métapontins et des Tarentins, II entre bientöt après dans le détail des villes particulières, et, en parlant de Crotone, ü na 1 X 3  32,6 XES TABIIS manque pas d'avertir que son nom vient du chaldéen Kartha} Ville; et qu'il ne fautpas la conlbndre avec une autre ville de Toscane que les latins ont nommée Cortone 3 quoique les Grecs aieni également appeléel'une et I'autre Crotone (k^tSvu) : il remarque aussi que les Loeres d'Italie étoient une colonie de ceux de la Grèce. Le Parnasse partageoit le territoire de ceux-ci, de sorte que ceux qui habitoient en dega, entre 1'Etolie et la Phocide , s'appeloient Locriens Ozoles 3 et ceux qui étoient au-dela, du cöté des Thermopyles et de 1'Euripe, se nommoient Locriens Epicnémidiens 3 du nom d'une montagne voisine j comme les Locriens d'Italie s'appelèrent Epizéphiriens k cause du promontoire voisin. Après avoir ainsi parcouru les villes renfermées dans la grande Grèce proprement dite, 1'auteur passé k la liste des villes grecques qui étoient sur les cötes de la mer Adriatiquej il la commence par la ville appelée Hatria ou Hadria 3 qui donna son nom au golfe, et la termine par celle qui, au midi, se nommoit Hydrus ou Hydruntum. II observe que Brundusium s'appeloit aussi Branta ou Brunta , et même Brenta ou Brenda 3 nom que les Grecs dérivoient de BfVmw, qui signifie bois de cerf3  d' H É S. A C t Ê eJ 3^7 paree que, comme le dit Strabon, cette ville avec son port représentoit la tête de eet ammal. Mais 1'auteur, selon sa coutume, remonte au chaldéen Biranta, qui signifie xrnfort ou un palais. , La troisième liste qu'il présente comprend les villes grecques qui étoient sur les cótes de la Lucanie, depuis Rhégium jusqu'a Vosidonie. II lui restoit k parler des villes grecques situées sur les cötes de la Campame, mais il renvoie ce détail k un autre volume. Pour tornier le catalogue de toutes ces villes, il ne se fonde pas seulement sur le témoignage des auteurs, niais plus encore sur les médailles et sur les anciens monumens. Voici en peu de mots la substance de son systême. II pense que les Etrusques, qui , selon lui, yenoient de la Phénicie, ou du moins de 1'Orient, furent d'abord les maïtres de presque toute 1'Italie , et y batirent des villes. Les Grecs n'y abordèrent que long-tems après, et s'établirent principalement sur les cótes maritimes. Mais pour connoitre 1'état de la Grèce Italique , il faut distinguer les tems. Anciennement, et environ 1'an 200 de Rome, on distingua la grande Grèce, comprise, comme on 1'a dit, entre les branches de 1'Apennin et trois gol- X 4  32.8 1ES TABXES fes, du corps des autres villes grecques, dont les unes, placées sur les cötes de la mer Adriatique, s'étendoientdepuisife^riflr jusqu'aLea:ca et les autres étoient situées sur les rivages de la rner de Toscane, depuis Rhégium jusqu'a Cumes. Le corps de ces villes portoit simplement le nom de Grèce Italique. Vers les derniers tems de la république, et sur-tout des premiers empereurs, plusieurs de ces villes adoptèrent la langue et les loix romaines, de sorte que , du tems de Strabon, qui écrivoit sous Tibère , il ne restoit presque plus de ces villes grecques que Rhégium et Naples. Avant cette époque, et vers le septième siècle de la république, il y avoit déja eu un changement qui avoit influé sur le langage. II restoit deux corps de villes grecques, 1'un renfermé dans les deux branches de 1'Apennin, dont on a tant parlé, et qu'on appela pour lors Major-Graecia, c'est le nom qu'on lui donnoit du tems de Cicéron j I'autre, sur les bords de la Campanie, portoit le nom de petite Grèce, ou de Grèce simplement. Toutes ces villes grecques avoient cela de commun , qu'elles étoient ou sur les cötes, ou peu éloignées de la mer : aussi n'y en avoit-il que sur les cötes maritimes du royaume de Naples, non-seulement  d'héb.aci.ée. 3^9 jusqu'a Cumes, mais même jusqu'a Sinope , qui prit le nom de Sinuesse. Au-dela , et plus au nord, il n'y avoit point de villes grecques, et Pintérieur du royaume de Naples étoit occupé par différens peuples. II y en avoit aussi dans la Sicile, mais elles ne faisoient point partie de ce qu'on appeloit la grande Grèce , et Xylander ne Fa fait dire k Strabon, que paree qu'il a mal rendu le texte de son auteur. On sent assez dans combien de discussions épineuses et de recherches profondes doit jeter un pareil détail : aussi 1'auteur ne les épargne pas a ses lecteurs. Sa vaste érudition ne se montre pas moins dans ce qu'il dit sur Héraclée : il relève une faute échappée a M. de 1'Isle, qui, dans sa carte de 1'ancienne Grèce avoit placé VAcalandre au midi du fleuve Cylistarne , au nord duquel est le Siris ; il montre que 1''Acalandre étoit entre le fleuve Aciris , vers le nord , et le fleuve Siris plus méridional, et c'est ainsi qu'il Ta placé dans une carte de la Grèce Italique jointe a. ses dissertations. Or , c'est sur la droite de 1'Aciris qu'Héraclée étoit située ; les Tarentins, qui la construisirent, y firent passer les habitans de Siris; c'est une autre ville qui étoit placée sur le fleuve du même nom. Mais quelle  33o ies tables fut Porigine de Siris ? c'est un point que Pauteur ne nous laissera pas ignorer. Elle fut batie par les Ioniens, qui furent, k son avis , les petits-fils de Noë par Javan , et cela longtems avant la guerre de Troye. Dans la suite les Troyens, unis aux Crotoniates, c'est-adire, aux Achéens, massacrèrent les Ioniens et s'emparèrent de la ville. Après quoi, les Thuriens et les Tarentins se la disputèrent, et Pon convint que les uns et les autres Phabiteroient, a condition que 1'autorité appartiendroit a ceux-ci. Enfin, les Sirites furent obligés de quitter leur ville, et de venir peupler Héraclée, oü les Tarentins envoyèrent aussi une colonie. Siris porta différens noms, entre autres, celui de Chone : c'est ainsi, selon Pliavorin, que lesEgyptiens appellent Hercule qui passa en Italië, et donna son nom aux Sirites. L'auteur ne se contente pas de cette étymologie , il en tire une autre de 1'hébreux Chion } nom qu'on sait avoir été donné a Saturne par les Phéniciens; ce qui fait cooiprendre pourquoi, selon la remarque de Plutarque (in Iside) Anubis, appelé par les Grecs Kóay, étoit Saturne. De Chion on fit x»»» ou k^o*, en insérant une et K(m«, satumia terra 3 au lieu de  x>' h é n a c t é e.4 331 Tarente est une autre ville voïsine d'HéracIée , qui prête aux recherches de M. Mazochi. On la croit batie par Taras, fils d'Hercule , selon quelques - uns , et de Neptune , selon d'autres, dont Pauteur adopte le sentiment. II croit de plus que- ce Taras est le même que Tiras, fils de Japhet; or , on sait que , suivant Eochard, Neptune et Japhet étoient la même personne. Les Crétois dans la suite s'en emparèf ent, ou du moins partagèrent 1'autorité avec les anciens habitans , et cela avant la guerre de Troye ; ce qui dura jusqu'a la vingt-unième olympiade. Ce fut alors que les Parthéniens de Lacédémone , sous la conduite de Phalantus , s'en rendirent maitres. Elle étoit florissante du tems du philosophe Archytas (vers la centième olympiade) qui la gouvernoit. Elle perdit son autonomie du tems d'Annibal, vers Pan 544 de Rome , et fut prise par Fabius Maximus ; enfin , vers Pan 63o , les Romains y envoyèrent une colonie. On a pu remarquer que le savant auteur saisit les occasions qui se présentent, de chercher dans la langue phénicienne les origines des noms. C'est ainsi qüen parlant de Métaponte, qui auparavant s'appeloit Metahus, il  Ï.ES TAïIEJ n'hésite pas de dire qu'elle fut aïnsi nommée par les Orientaux ou les Phéniciens qui la batirent, du chaldéen Metiba , qui signifié séjour, domicile. Après la guerre de Troye, les Pyüens y envoyèrent une colonie ; détruite ensuite par les Samnites, elle fut habitée par les Achéens. Les géographes jusqu'ici n'avoient reconnu qu'une ville appelée Pandosie , sur les confms de la Lucanie, oh mourut Pyrrhus, roi d'Epire; elle étoit placée ou maintenant est Mendicino. Mais il y en avoit une autre prés d'HéracIée sur le bord du fleuve Siris ; Plutarque ( in Pyrrho) en parle, et il en fait souvent mention dans les tables commentées par 1'auteur. Elle étoit sur la colline ou fbt ensuite Anglona, ville épiscopale détruite. Les bornes d'un extrait ne nous permettent pas de suivre M. Mazochi dans toutes ses digressions, quoiqu'il y en ait plusieurs oü, parmï quelques conjectures hasardées, on trouve des vues peu communes, et des discussions intéressantes pour Ia connoissance de 1'antiquité. II seroit peut-être a souhaiter qu'il eüt daigné donner plus d'ordre, de précision et de méthode a un ouvrage, sur-tout d'une érudition aussi sèche et aussi profbnde j  d'hêkacièe. 333 nous ne doutons pas néanmoins que les amateurs de la haute littérature n'en attendent la suite avec empressement (1). (1) Mazochi estimoit beaucoup les ouvrages de Barthélemy, dans lesquels il trouvoit non-seuleraent beaucoup de sagacité et d'érudition , mais encore une brevita lucida e ponderosa, expressians remarquables dans la bouche d'un sarant de son caractèrej  DES MÉDAILLES DE MARC-ANTOINE (i). p J- insiEUKS dissertations, pleines de recherches sur divers monumens antiques , ont fait connoitre dans la république des lettres le père Paciaudi , théatin , correspondant de 1'académie des inscriptions et belles-lettres de Paris , et ont donné une idéé avantageuse de son érudition. Celle dont nous allons rendre compte et qui est le plus récent de ses ouvrages que nous connoissions, ne peut que confirmer l'opinion publique en sa faveur. Depuis que les antiquaires se sont appliqués (i) Pauli M. Paciaudi C. R. Historici ord. hierosol, etc. Remarqués philosophiques sur les médailles consulairs dn triumvir Marc-Antoine , avec lexplication d'un marbre lire du Péloponèse. Par le père Paciaudi. Rome i757. In-lf. de 126 pag. Jour\ial des Savans, avril 1759 , pag. a3g.  DES MEDAILLES DE MARC-ANTOINE. 335 h. la recherche des monumens anciens, il s'est trouvé de tems en tems d'industrieux faussaires qui ont tenté d'abuser et de tirer parti de leur curiosité. Quelquefois même on n'a que trop bien réussi, et en ce genre d'imposture 1'Italie paroit avoir été plus féconde que les autres contrées. C'est en quoi Jean-Jacques Bonsagna de Parme et son contemporain Jean de Cavino de Padoue , se sont distingués de leur tems avec tant d'éclat, que la Muse du père Vionnet, de la compagnie de Jésus , a daigné célébrer en beaux vers leur adresse a contrefaire des médailles dans le goüt antique. Patavine dolosos Parmensisque typis mendacibus indere vultus, Atque novum potuisus opus donare vetusta Effigie, miraque oculis illudere fraude. Ces deux hommes , et quelques-uns de leurs semblables, ont conduit leur ruse avec tant d'art, que plusieurs savans ont été leurs dupes , et que 1'antiquité de certains monumens est devenue très-problématique. On a supposé des médailles frappées en 1'honneur d'Homère, d'Aristote , de Platon , de Priam, de Didon, de Scipion , d'Antoine, et d'une infinité d'autres, dont on peut voir une partie dans  336 DES MÉDAILLES 1'ouvrage du père Paciaudi. On pense bien. que Cicéron n'aura pas échappé : aussi sur Ia fin du seizième siècle, Fulvius Ursinus paya fort clier une médaille qu'on supposoit avoir été frappée par les Magnésiens en 1'honneur de ce Romain célèbre. Ses interprètes n'ont pas manqué d'en enrichir leurs commentaires, et Gronovius 1'a placée a la tête de son éditipn de Leyde 1692. On a supposé aussi que la Sicile avoit reconnu par un monument pareil les services que lui avoit rendus 1'orateur romain , en le vengeant de Verrès. Le savant Antoine-Francois Gori avoit regardé comme antique un médaillon en or, avec la tête de Livie, et Apostolo Zéno découvrit qu'il avoit été frappé , comme beaucoup d'autres , en Allemagne , dans le siècle dernier. Un autre de An. Faustina , en imposa pareillement a Chamillard, et au père Hafdouin. On eut beau découvrir les types en plomb qui avoient servi a la fabrique du médaillon , le père Hardouin écrivit pour soutenir son erreur, et accusa d'ignorance et de raensonge 1'auteur de la découverte, qui fut obligé de revenir a la charge pour confbndre 1'antiquaire obstiné. La médaille d'Antoine qui donne occasion aux  DE 51 ARC'ANTOIN Ei 337 aux recherches du père Paciaudi, n'est pas du nombre de celles qui doivent leur existence a la fourberie. On voit sur une de ses faces les enseignes a 1'aigle roraaine , avec ces lettres LEG. XXX , et sur le revers un navire , avec ces mots : ANT. AUG. III VIR. Comme le nombre des légions varia dans les tems dilïérens de la république, on peut demander s'il montoit a trente sous Antoine, ce qui f'eroit naitre des doutes sur Pantiquité de ce monument et de beaucoup d'autres semblables. Mais quoique Dion semble dire qu'on n'entretenoit que vingt-trois ou vingt-cinq légions sous Auguste, et que Tacite n'en compte que vingtcinq sous Tibère, on a des preuves qu'elles étoient en plus grand nombre dans le tems du triumvirat. Appien témoigne que lors du traité conclu entre les triumvirs il y avoit quarante-trois légions qui, après la bataille de Philippe , se trouvèrent réduites a vingt-huit. Ailleurs il parle de trente-quatre et de quarante légions du tems de César. De plus, Galba écrit k Cicéron : Lib X. Epist.fam, 30. Antonius legiones eduxit duas , secundam 3 et quintam trigesimam. Cicéron parle lui-même dans un autre endroit de cette trente - cinquième lé- Y  33$ DES MÉDAILLES gion.(PAz%7. V.sub fin). Mais la trentième, dont il est question dans la médaille , étoitelle attachée a. Antoine ? On voit par des lettres de Pollion a Cicéron, en 717, queLépidus et Antoine le sollicitoient de leur livrer la trentième légion, ibid. trente-un, trentedeux. Ce qui fut sans doute exécuté, puisqüau rapport de Yelleius , Plancus et Asinius Pollion livrèrent les troupes k Antoine. Uterque exercitus tradidere Antonio. Cette légion est célèbre dans les monumens pour sa valeur et sa fidélité : fortis 3 valens , fidelis , pia ,felix jvictrix; elle s'appela encore dans la suite ulpia, nom qüelle tira de celui d'Ulpius Trajan. Elle existoit donc avant eet empereur ; elle avoit soufïert, et ce prince ou la rétablit k 1'occasion de la guerre contre les Daces , ou se 1'attacha d'une manière particulière. Le père Paciaudi remarque ensuite qu'Antoine mettoit un vaisseau sur ses monnoies, pour faire sa cour a Cléopatre; et le pavillon arboré sur la proue de celui que porte la médaille , lui fait croire que c'étoit un vaisseau prétorien. II a encore cela de particulier qu'il est sans mat, sans antennes , et sans voiles ; d'oü Pon conclut que c'étoit un vaisseau de guerre, représenté comme étant sur le point  BE 5IAKC-AKTOIKE, 33Q- decombattre; paree que Pusage des anciens étoit de baisser les voiles, et le mat lui-même, avant le combat. L'auteur profite de cette occasion pour s'expliquer sur les polyrèmes des anciens; c'est-a-dire, sur leurs vaisseaux a plusieurs rangs de rames. Celui dont il est ici question , et d'autres , n'en ofïrent qu'un rang ; f'aut-il en conclure que Fidée des auteurs qui ont admis des rangs de rameurs élevés par étages dans les vaisseaux anciens, est une chimère? Après ce qu'ont dit sur ce sujet tant de savans depuis Bayf jusqu'a nos jours, le pere Paciaudi n'y voit encore que ténèbres, et des difficultés insurmontables, quelque sentiment qu'on embrasse. Cependant, après un mür exar men , il juge plus probable 1'opinion de ceux qui croient que les rangs de rames étoient placés par étages, les uns au-dessus des autres. Car , si les médailles d'Antoine, et plusieurs autres , offrent des navires ou les rames sont placées horisontalement sur les bords , on en trouve d'autres oü 1'on voit les rames s'élever les unes sur les autres a difïérentes hauteurs. Telles sont quelques unes de Q. MéteÜus, d'Adrien, de Gordien III, et deux en or de Carausxus et d'Alectus , rapportées par Deslandes. Y 2  34° DES MEDAILLES L'auteur en produit aussi une en cuivre du même Carausius, que lui avoit montrée Apostolo Zéno, sur laquelle on voit trois étages de rames bien marqués. Et, sans parler de la colonne trajane (1), on trouva, en 1724» sur le mont Palatin , une ancienne peinture qui représente de même un navire a trois rangs de rames bien distingués (2) , et les ruines d'Herculanum en fournissent, dit - on , une pareille. Le père Paciaudi est confirmé dans son sentiment par les expressions des anciens k eet égard , sur-tout par ces paroles de Vegèce au sujet des vaisseaux de guerre : interdum quïnos sortiuntur remigum ordines , nee hoe cui- (1) L'auteur , parlant de la galère prétorienne de Trajan qu'on voit sur cette colonne , dit, comma le père de Languedoc , qu'on peut douter si les rameurs étoient placés sur un même pont, ou sur des ponts différens, élevés les uus au-dessus des autres. Sed dubitatio de eo potius suboritur, an remiges alii ediis essent superiores; exigua enim adeo est inter remorum ordines distanlia , ut naulae in una cademqiie contabtdatione slantes possent supremos juxta , ac infimos tractare remos, 11 en dit autant de la birème sur laquelle 1'empereur Paléologue , et le patriarebe de Constantinople abordèrent en Italië, pour se trouver au concile de Florence. On voit la figure de ce navire sur les portes du Vatican , que fit faire le pape Eugène IV. (2) Si la figure est exacte , on diroit même qu'il y en a quatre.  DE MARC-ANTOINE. 34l quam enorme videatur, quum in actiacopraelio longè majora referantur concurrisse navigia j ut senorum etiam 3 vel ultra ordinum fuerint. Néanmoins elles ne sont pas décisives contre le systême du père Sanadon , cité par le père Paciaudi; car , comme eet auteur pensoit que les rames étoient disposées en ligne horisontale, et que plusieurs rameurs étoient placés sur la même rame, en descendant du courcié k la bande , on ne trouve rien dans les expressions de Vegèce , qui ne puisse quadrer a. cette idée. Nous ajouterons qüun Francois, dont le père Paciaudi paroït n'avoir pas connu les ouvrages , a pensé comme le père Sanadon sur ce point, quoiqüil ne s'accorde pas avec lui sur quelques autres. C'est de Barras de la Penne , qui , malgré 1'honneur qüil avoit, tout laïque qu'il étoit, d'étre qffilié a la compagnie de Jesus, ce sont ses termes (ï) , (1) Réplique a la Teponse du père de la Maugeraye, insérée dansles Mém. de Trevoux. Mars 1728, art. 25. Nous avons aussi vu du même auteur une lettre critique au sujet d'un livre intitulé : Nonvclles découvertes sur la Guerre, etc. Avec des remarques critiques sur les trois systêraes des trirèmes, etc. A Marseille 1727. Petit in-Jol. On voit par sa réplique qu'ij a composé sur ce sujet plusieurs autres écrits que nous n'avons point vus. Cette réplique aété impriinée a Marseille en 1728, ckei Dominique Sifaié. Y 3  DES MEDAILLES n'a pas laissé d'écrire beaucoup sur cette matière , non-seulement contre Folard et Fabretti, mais encore contre les pères de Languedoc et de la Maugeraye. Cet auteur soutient que les figures de la colonne trajane ne sont pas une preuve de la construction des vaisseaux , usitée dans ce tems-la, puisqu'on avoit abandonné Pusage des trirèraes plus i5o ans avant Pempire de Trajan. Le père Paciaudi s'appuie encore beaucoup sur le témoignage des anciens , qui parient de rames plus courtes les unes que les autres, et qui nous disent que les thranites (c'étoient les rameurs du cöté de Ia poupe ) avoient une plus forte paie que les autres, paree qu'ils fatiguoient davantage , a. cause de la longueur de leurs rames. Quelque partie que Pon prenne , il paroit qu'il faut supposer 1'inégalité des rames comme un fait incontestable , d'oü il semble résulter qu'elles n'étoient pas toutes placées sur une même ligne horisontale. Mais tous ceux qui ont traité cette matière , ceux du moins que nous avons vus , le père Paciaudi lui-mêrne, disent ou supposent que les rameurs frappoient Peau tous k la fbis , et a intervalles égaux , ce qui n'est pas aisé a concevoir, les plus courtes rames faisant néces-  11 E 11AUC-ANTOISB. 3/p sairement une moindre vibration que les plus longues , si 1'on peut se servir de cette expression. La longueur même des rames qu'on est obligé d'admettre dans tout systême, présente encore une autre difficulté. De Barras , par exemple, donne cinquante-sept pieds de longueur aux rames du vaisseau de Philopator, vingt six pieds pour la partie intérieure , et trente-un pourl'extérieure; quelle étendue ne devoit donc pas avoir 1'espèce de ligne courbe que tragoit le bout intérieur de la rarae dans son mouvement, et coinment concevoir qu'un homme placé a cette extrémité eüt pu nager assis, ou même debout ? ' Le père Paciaudi n'oublie pas le témoignage des anciens qui attestent que les rameurs étoient plus élevés les uns que les autres, et a inégale distance de la carène ou du fond du vaisseau, non plus qu'un fait assez récent et rapporté dans 1'histoire de Vénise. Un mathématicien nommé Victor Faustus , qui vivoit vers 1'an iSoj , y construisit, a Pimitation des anciens, une quinquerème , qui fit Fadmiration de tout le monde ; et, quoique la figure de ce batiinent n'existe plus, le père Paciaudi pense que les cinq rangs de rarnes étoient distribués par étages , suivant 1'an- Y4  344 DES MÉDAILLES ciennepratique. Ce vaisseau est apparemment le même dont parle Bayf dans la préface et dans le corps de son ouvrage de re navali , imprimé , par Robert Etienne , en i536 ; c'est 1'édition que nous avons vue. Cependant, quoique Bayf eut été a Vénise, il s'exprime de manière k faire croire qu'il n'avoit pas vu ce batiment (1). Mais ce qui paroit plus singulier, c'est qüau rapport de Bayf, Francois I faisoit construire au Havre, ad Portum Gratiarum , une quinquerème pareille , a cinq ordres de rames; mais d'un meilleur goüt et mieux proportionnée (2). C'est ainsi qu'il en parle, en adressant la parole k ce prince luimême : Nee mirum 'si haec Jidem non Jiabebunt apudhomines nostros , qui et Venetorum quinqueremem imam admirantur, ettuam totidem ordinum , quae illam symmetria superabit, gratulabundi cxpectant. II en parle aussi dans le corps de son ouvrage : revenons k celui du père Paciaudi. ( 1) Voici ce qu'il en dit, pag. 35 : Veneti vidcant an illa corurn qiiinqueremis , quae XXVIII tantum , opinor , transiris constat, acdificata sit ad antiquarum quinqüeremium rationem, (2) Elle se nommoit Caracon , selon Deslandes , et fut brü- ïèe presqu.e sous les yeux de Francois I.  BE BI AR.C -ANTOINE. II relève, avec raison , une méprise de Larrey, qui a cru que ces lettres IMP. AUG. , qu'on trouve souvent sur les médailles d'Antoine, signifioient empereur auguste , au lieu que les dernières signifient augure, dignité dont Antoine se fit toujours honneur; ce qui est confirmé par d'autres médailles du triumvir, oü ce mot est écrit en toutes lettres. Mais la justice due a. tout le rnonde , ne nous permet pas d'approuver de même la sortie qu'il fait contre Bayle, en le traitant de cynique. A 1'occasion d'un traité de paix que le roi de Perse fit avec les Grecs, le critique rapporte les témoignages de Plutarque et de Diodore de Sicile ; et comme les dates produites par ces deux auteurs ne paroissent pas s'accorder , il conclut que les préjugés sont pour Diodore. II faut avouer , ajoute-t-il , que Plutarque n'est point un bon guide de chronologie : il transpose quelquefois les événemens , tout comme s'il composoit un poëme épique. Je ne compte pour rien, dit k ce sujet le père Paciaudi (i), 1'autorité de eet écrivain (i) Nee quicquam tribuo auctoritatis maledico Mi ■vcterum icriptonnn obtrectatori, seu verius cjnico cani, qui ut Plular-  3 4 6 BES MÉDAILLES acharné a médire des anciens, qui avance que Plutarque a parle d'Antoine plutêt en poëte qu'en historiën. Les débauches d'Antoine ne sont-elles attestées que par Plutarque, et le dérangement des faits peut -il en infirmer la certitude ? Mais , i°. il n'est du tout point question d'Antoine dans la remarque de Bayle, comme on vient de le voir. 2°. Ce critique n'attaque point la fidélité de Plutarque, ni la vérité des faits rapportés en eet endroit. II se contente de dire que l'auteur grec n'est pas un bon guide en chronologie : or, on peut être historiën véridique , et chronologue peu exact; ensuite dire qu'un auteur transpose les evénemens, ce n'est pas assurer que les événernens soient faux. 3°. Préfërer 1'autorité de Diodore de Sicile a. celle de Plutarque pour 1'ordre des tems, ce n'est point médire des anciens. Le père Paciaudi adopte 1'idée par laquelle M. 1'abbé Barthélemy rend raison de cette singularité de quelques médailles antiques, ehum denie carperet rabido , ait poesin, potiüs de Antonio, quant hiitoriam Jlnxisse. An quae ab Ulo summa animilevitate, Ditaeque licentia facla perhibentur, unius nituntur Plmarchi testimonia ? Aut inordinata temporum series , quam Baylius historica culpae vertil, dktis abrogat fidem ? (pag'. 21).  DE MARC -ANTOINE. 347 qui présentent d'un cöté un reliëf, et de I'autre une aire quadrangulaire en creux (1). II pen se que dans 1'enfance de 1'art , les premiers ouvriers, pour retenir le flan par le moyen des coins, imaginèrent de graver en creux celui qui devoit former le type de la médaille , et en reliëf celui qui devoit la fixer. Ce reliëf étoit divisé par des lignes gravées en creux, de sorte que la pièce portant sur les parties saillantes, en recevoit 1'empreinte au premier coup de marteau, et y demeuroit engagée pendant le reste de l'opération. Le père Paciaudi a vu plusieurs de ces médailles antiques , avec le tétragone en creux, et il en publie sept qui n'avoient point encore paru. II termine son ouvrage par des observations sur un marbre antique , venu du Péloponèse, qu'il a vu a Vénise. Ce marbre gravé représente, a son avis , un médecin assis , consulté par une femme malade : a quelque distance paroit un serpent sur un arbre , et sur une planche latérale la forme de six instrumens a 1'usage de la médecine, qui embrassoit alors (1) On a supprimé dans cette phrase quelques expressions qnj sont du secrétaire, ou principalrédacteur du journal.  DES MÉDAILLES les fonctions de la chirurgie. Ce dessin, dans toutes ses parties , offre un beau champ a 1'érudition de l'auteur, dans un ouvrage surtout dédié a un médecin. On pense bien qu'il n'oublie pas 1'ancienne querelle , renouvelée de nos jours entre Richard Mead et Midleton , deux savans raédecins , 1'un de Londres, I'autre de Cambridge, sur 1'état des médeeins chez les anciens Romains. Ce dernier soutenbit contre son confrère , qu'ils étoient de condition servile ; et la Motte , Anglois , mit fin k la querelle, en distinguant quatre sortes d'esclaves (servi) chez les Romains. i°. Ceux qui étoient pris par le droit de la guerre a°. Ceux qu'on acquéroit a. prix d'argent. 3°. Ceux qui naissoient dans les maisons du maïtre , et s'appeloient Vernas. 4°. Ceux qui , étant étrangers, se mettoient eux-mêmes en servitude pour acquérir le droit de bourgeoisie k Rome. Tel étoit celui qui dans Pétrone dit : Ipse me dedi in servituten, et maluï civis esse Romanus , quam tributarius. Or, la première et la dernière classe n'étoient pas capables d'avilir une profession qui fut souvent exercée par des personnes aussi distinguées par leurs dignités que par leur savoir. Jules-Charles Schlaeger a fait 1'histoire  DE BT ARC -ANTOINE. de cette querelle dans un ouvrage intitulé : Historia litis de Medicorum apud veteres Romanos degentium conditione. Helmstad. »74°-  RAPPORT Fait a la Commission Temporaire des Arts 3 en janvier 27Q5 , sur une édition completle des OEuvres de fflinkelmann. CITOYENS, Vous mc demandcz, mon avis Sur la nouvelle édition des QEuvres de 1} inkelmann. Je me fais un dcvoir de remlrc justice aux travaux de eet excellent auteur. 11 avoit apporté en naissant les qualites qui ponvoient lui assurer la réputation dont il jouit, et il les consacra toutes I Pctudc des monumens de Pantiquité. II se contenta d'abord d'y découvrir des faits, des usages et des allégories. Bientöt il y découvrit Pliistoire de Part depuis son enfance jusqu'a sa perfection. II suivit avec obstination cette grande idéé , et, rapprochant entre eux cette foule de monumens qui sont venus jusqu'a nous, il osa fixer le siècle et le  B.APP. FAIT A IA COMM. DES ARTS. 35l pays qui les avoient produits , et s'éleva jusqu'a la notion du beau idéal , dont il se pénétra, et dont il pénétra tous ses lecteurs. De grands succès couronnèrent ses efforts ; des erreurs inévitables armèrentles critiques. Mais ses erreurs, ainsi que ses découvertes, firent naïtre de nouvelles idees ; et sous ce point de vue , il peut être regardé comme un des législateurs de la littérature. Le citoyen Jansen , en réunissant dans son édition toutes les observations que de savans hommes ont faites sur les ouvrages de Winkelmann , rendra un service signalé aux lettres et aux arts. Son entreprise mérite d'être encouragée (1). Les hommes de génie sont de tous les tems et de tous les pays ;~et la France, en honorant la mémoire de"Winkelmann, aura aütant de droit de se 1'approprier que la Prusse qui lui donna le jour. (l) Les deux premiers volumes de cette précieuse collection ont déja parus , et répondent parfaitement aux promesses de 1'éditeur; le reste est sous presse. FIN DE LA PRÉMIÈRE PARTIE.