LE PAYSAN PARVENU, OU L £ S MEMOIRES DE M * * * , F ar M. DE MARIVAUX. TOME PREMIER M. DCC. XXXXVIII. A LA HA Y E , Chez PIERRE DERO GIS SART.   L E PAYSAN PARVENU, OU LES MEMOIRES DE M * * *. PREMIÈRE P ART IE. LE titre qtie je donne a mes Memoires, annonce ma naiflance ; je ne 1'ai pat difiimuléc a qui me 1'a demandée , & il flmble qu'en tout temps Dien uit rceompenltï ma franchits la-deffus ; car je n'ai pas remarq'ué qu'en aucune oceaiion, on en ah eu moins d'égard & moins d'eflims poiir moi. J'ai pourrant vu nombre de fort qui n'avoient 5? rt« comiuiffoient point d'amre mérite dans le nmnde , que celui d'être iiè noble, ou dans Uti rsng' diftiugué. Je l'ss entcndois mépriler beaucoup dc gens cjui valoient mieux qu'eux , & cela ieukment paree qu'ils n'étoienr pas Gentilshom. 8!ts i mais c'elt qne ces geiis qu'ils méprilouat , A *  > 4 ) rtfpeft.!b1es ó"ail!eurs par rnüle bonnes quahref, avoient la foiblefle de rougir eus-mêines- de leur naiff.mce ^ de la cacher & tacher de s'en donner une qui embrotiillar la véritable , & qui les mi» a couvert du dédain du monde. Or , eet arrifice-la ne rcuffit prefque jamais; on a be.au déguifer la vérité la:deffus-, elle ie venge tó* on t3rd des menfor.ges dont on a voulu li couvrïr ; & 1'ou eft toujours trahi par une infinité' d'éveuemens qji'on ne fauroit ni.parer , ni prévojr-: jamais je ne me vis , en pareille matiere ». de vauiié qui fit une bonne fin. Ce ft une erreur au refte , que de penfer qu'une ebfeure naiflance vous aviliffe , quand c'eft vousmême qui 1'aVouez , & que c'eft de vous qu'on la, i'ait. La malignité ctes hommes vous laiffe-la ; vousla friiftrèz de fes droits ; elle ne voudroit que vous humilier , 8c vous faites fa charge ; vous vous hümiliez vous-même , elle ne fait plus que nrc Les hommes ont des mceürs malgré qu'ils eii, aient ; ils trouv'ent qu'il' eft beau d'affronter leui» mépii» Injuites. , cela les rend k la raifon. 11» ienteni dans ce cpuiage-Ja une nobltfii qui lei. fbir t„irc ; c'eft une fierté üeuféc, qui cunfond Uftergueil impertinent. Mais c'eft affez parler U-deiIus. Ceux que ma. réflexion regarde, fe trouveront bien de m'en croire. La courume en faifant tin Livre, c'eft de comjr.sncer par un petit préambule , & en voila tin : revenons a moi. Le récit de mes avenrures ne fera pas inutile a ceux qui aiment a s'inftruire. Voila en partie ce qui fait que ie les donne ; je cherche auffi a m'amufer moi-mïme. Je vis dans une campagne, oü je me fins re« Uré , &. oü mon lpifit m'infpirs u.n. «iR«S d4 *ïm-  c 5y qne Je vais exercer fur !eS événement au vie. Je les écnrai du mieux que je pourraï &Z%^T " ^-^-vieLde^ Parmi les f»ifS que j'ai k raconter , je crois. qu .1 y en aura de curieux :. qu'on me 'paJffe m™ ftyle en leur faveur jj'ofe afiurer qu'.ls font vrai " Ce n eft ponn. ,c. une hiftoire forgée a plaifir, & je crors qu'on le verra bien. Pour mon non, , je ne Ie dis point : on peut- Quelques perfonnea pourront me reconnoltre * ma,, je les ia.s difcretes ,. elles n'en abuleo*l point. Commengons. &J(5nifU^né daniU" Vilbge de ,a Champagne, que je don le commencement de ma fortune. Mon pere eto.c le Eermier de fon Seigneur homme extrememenr riche, ( je par]e de c§e SeU gneur ) & a qm il ne manquoit que d'êrre noiJle pour erre Gemllhomme. II avoir gagné fon bien dans les affaires, s'éroit albe a d Mluftres Maifons par ,e mariage e deu. de les fils donr 1'un avoit pris le pani de la üobe , & 1'autre. de 1'Epée. Le pere & le fils vivoienr magnifiquement; ils avoient p„s des noms de Terres ; & du Vér ! même's.'6 Cr°1S ^ ^"^noient plus eux. Leur origine étoit cornme enfevelie fous d'immenfes „cheffes. On la eonnoifToit bien „ï on „ en pariet plus. La nobleiTe de leurs al™ ces avp.t achevé d'étourdir 1'ima^inatien de «es fur leur compte ; de forte qu'ils ctoLr co, J fondus avec tout ce qu'il y Zit da m * l ïïï eft VI'' HL,°rëUeil d6S ^Ü ^ toao„eft. dalles, heiiie coippoürir, a fut w- A. s  (O tains préjugés, il femble que lui-méme ïl en feiite- le frivole. C'éiuit-la leur fituation , quand je vins au monde. La Terre feigneuriale , dont mon pere étoit le Eermier , St qu'ils avoient acquife , n'étoit confitiérable que par le vin qu'elle produifoit en alTcï grande quantité. Ce vin étoit le plus exquis du pays , & c'étoit mon fiere ainé qui le conduiibit a Paiis chez notre MLutre , car nous étions trois enfans , deux gar$ons & une fille , 8* j'étois le cadet de tous. Mon ainé, dans un de fes voyjges a Paris ,. s'amouracha de la veuve d'un Aubergine qui étoit i fon ail'e , dont le cceut ne lui fut pas cruel , & qui 1'époufa avec fes droits c'eft-a-dire avec. rien. Dans la fuite , les enfans de ce Irere ont ei» grand beibin que je les reconnulfe pour mes neTeux , car leur pere qui vit encore , qui eft actuellcment avec moi , Sl qui avoit continué le métier d'Aubergifte , vit , en dix ans , ruiner fa Kiailbn par les difiipations de fa femme. A 1'égard de fes fils , nies fecours les ont mis aujourd'iiui en poftuie d'honnêtes gens : Ut font tien établis , & malgré ccla, ie n*en ai fait que des ingrats , paree que je leur ai reproché qu'ils étoient trop glorieux. En ciTet, ils ont quitté leur nom , & n'ont plus de commecce avec leur pere , qu'ils venoientr autrcfois voir de temps en temps. ■ Qu'on me permette de dire fut eux encore un Kiot ou deux. Je remarquai leur fatuité a la derniere vifite qu'ils lui rendirent. lis 1'appellerent Monfieur dans ïa converfation. Le bon homme a ce terme fe reïourua , s'imaginant qu'ils parloient a quelqu'un ig.ui venoit » & qu'il ne voyoit pas. Uoa. > aoa» lui dis je alots y tl ai vie-nt pe.2-  c 7 > fonne , mon frere , 8t c'eft a vous a qui I'on parle f a moi ! reprir-il. He pourquoi cela ? Eft ce que vous ne me connoiffez plus, mes enfans? Nefuis-je pas votre pere ? Oh ! leur pere , tant qu'il. vous plaira , lui dis-je , mais il n'elt pas décent qu'ils vous appellent de ce nom-ia. Eft-ce donc qu'il eft mal honnête d'étre le pere de fes enfans , reprit-il ? Qu'elt-ce que c'eft que cette mode-la ? C'eft, lui dis je , que le terme de mon pere eft trop ignoble , trop groflier , il n'y a que les petites gens qui s'en fervent ; mais chez les perfonnes auffi riiftinguées que Meffieurs vos fils , on fupprime dans le difcours toutes ces qualités rriviales que donne la nature , Sc au lieu de dire fnftiquemeut mon pere, comme le menu peuple , on dit Monjieur , cela a plus de dignité. Mes neveux rougirent beaucoup de la critique que je fis de leur impertinence : leur pere fe facha,. 8c ne fe facha pas en Monfieur , mais en vrai pere , 8c en pere Aubergine. Laiflbns-la mes neveux, qui m'ont un pen détourné de mon Hiftoire , 8c tant mieux , car il faut qu'on s'accoutume de bonne heure a mes digrefliuns : je ne fais pas pourtant fi j'en ferai de fréquentes ,. peut être que oui , peut-être que non , je ne réponds de rien : je ne me gênerai point : je conterai toute ma vie , 8c fi j'y mêle autre chofe c'eft que cela fe préfentera Idiis que je le cherche. J'ai dit que c'étoit mon frere ajné qui conduifoit chez nos Maitres le vin de la '1 erre don£ jnon pere avoit foin. Or , fon mariage le fixant a Paris , je lui fuc» eédai dans fon emploi de conduöeur de vin. .S'avois alois dixhuit a dix-ncuf ans : on difoit que j'é'ois beau gorgon , beau comme peutt'être un Payl'an dont le vifage eft a la mdttè  G« >• . eUr haMe de 1'air, & du travail des champs. Mail. a cela prés, j'avois effe&ivemenr afiez bonne mine ajoutez-y je. ne fais quoi de franc dans ma phyfionomie,rceil vif, qui annongoit un peu. d'efprit , 8c qui ne mentoit- pas totalement. L'année d'après le mariage de mon frere j'arrivai donc a Puris avec ma voiture 8c ma bonne facon ruilique. Je fus ravi de me trouver dans cette grande. Valle ; tout ce que j'y voyois , m'éronnoir moiifis qu'il ne me divertilXüit , ce qu'on appellé grand monde , me paroifloit plailant. Je fus fort bien venu dans la maifon de notre Seigneur,. fes dumeftiques m'affeftionnerent tout d'un coup ; je. difois hardiment mon fentiment fur tout ce qui s'offroit a mes yeux , Sc ce fentiment avoit aflez fouvent un bon fens villageois , qui faifoit qu'on aimoit a m'interroger. H n'étoit queftion que de Jacob pendant les. cinq ou fix premiers jours que je. fus dans la Maifon. Ma Mdïrrelfe même voulut me voir ,. fur le. tóch que fes femmes lui firent de moii C'étoit une femme qui paffoit fa vie dans toutes. les diQipations du grand monde , qui alloit aux Speöacles , foupoit en ville ,.fe couchoit a quatre. heures du matin ,. fe levoit i une heure après. midi, quiavoh desamans, qui les recevoit a fa. toilette , qui.y lifoit les billets doux qu'on lui enV.oyoit , 8c puis- les laiflbit trainer par-tout , les lifoit qui vouloit , mais on n'en étoit point curieux ; fes femmes ne trouvoient rien d'étrange a tout cela : le mari ne s'en fcandalifoit point. Otv ent dit que c'étotr-la , pour une femme , des dépendances naturellei du mariage. Madame , chez elle , ne paffoit point pour coquette , elle ne. 1'étoit point non plus , car elle 1'étoir fans réfiexion, fans le favoir : 8c une femme ne fe dit £,Qint qu'elle eft.coquette , quand elk ne fair £ouiS:  qu'slle Tefr, & qii'elle vit dans fa coquetrene comme on vivroit dans 1'état le plus décent & le plus ordinaire. Telle étoit notre Maitreflie , qui menoit ce trairl de vie tout aufii franchement qu'on boit St qu'on mange ;c'étoit en un mot un petit libertinage de la meilleure foi du monde. Je dis petit libertinage , Sl c'eft. dire ce qu'il faut ; car quoiqu'il fut fort franc de fa part , & qu'elie n'y. réflé.chir point , il n'en étoit pas moins ce que je dis-la. Du relle , j,-mais je nVi vu une meilleure fem* me ; fes- manieres reflersbloient a-fa phyfiouomie ( qui étoit toute ronde. Elle étoit bonne , généreufe , ne fe formalifoifl de rien , famjliere avec. fes domeftiques -, abré» geant les refpefts des uns , les :évérenees des au» tres -} la franchife avec elle tenoit lieu de politüfte. Enfin c'étoit un Ciraftere fans fugon. Avec elle on ne Lifoit point de fautes capitales , il n'y aiwit point de réprimandes a effuyer , elle aimoit rnleux qu'une chofe allat mal , que de fe donnerla pcine de dire qu'on la fit bien. Aimant de tout i'pfl caeur la. vertu , fans inimitié pour le vice ; elle ne blamoit rien , pas même la malice de esus qu'elie entendoit blamer les autres. Vous ne pouviez manquer de tr.ouv.er cloge ou grace auprès d'elle ; je ne lui ai jamais vu h/ir que le crime , lyi'elle haïiToir peut-être plus fortement que perfonne. Au demeurant, amie de tout le monde , 8i fur-rout de toutes les foibleffes qu'elie pouvoit. vous connoiir». Bon jour ,.mon gargon , me dit- elle , quand je 1'abordai. Hé bien , comment te trouyes-tu a Paris l & puis fe toumant du cöté de fes femmes, vraL ment, ajouta-t-elle, voila un Payfan de bonnemine. Bon , Madame , luj répondis je ,.ie fuis le plus.  ( 10 ) mal fait de notre Village: Va, va , me dit-elle; tu ne me parois ni tot, ni mal ban' , & je te confeille de refter a Paris, tu y deviendras quelque chole. -, Dieu le veulUe , Madame , lui répartisje: mais 1 ai du mérite & point d'argent , cela ne joue pas enfemble. Tu as raifon , me dit-elle , en riant , mais le Temps remédiera a eet inconvénient. la , demeure ici , je te mettrai auprès de mon neveu qui arrivé de Province , & qu'on va envoyer au College, tu Ie ferviras. ' Que le Ciel vous le rende , Madame , lui répondis-je ; dires-moi feulement fi cela vaut fait, afin que je 1'écrive i none pere : je me rendrai fi lavant en le voyant étudier , que je vous promets de favoir quelque jour vous dire la fainte McfTe. He ! que fait-on .? Comme il n'y a que chance dans ce monde, fouvent on fe trouve Evêque ou Vicaire , lans favoir comment cela s'eft fait. Ce difcours la divertit besucoup ,. fa gaieté na fit que m'animer ; je n'étois pas honteux des bltife» cfue je difois , pourvu qu'elles fuflent plaifantes , car a travers 1'epaifleur de mon ignorance , je voyois qu elles ne nuifoient jamais è un homme qui n'étoit pas oblige d'en favoir davantage , & même quon lui tenoit compte d'avoir le courage de repliquer , a quelque pnx que ce fut. Ce garcon-la eft plai&nt, dit-elle , je veux tn PVoir ioin; prenez garde a vont, vous autrei ( K seioit a les temmes a qui elle patloit , ) fa nafveté vous réjouit aujourd'hui, vous vous en amufta comme d'un Payfan ; mais ce Payfan ósvieudra dangereux , je vous en avertis. Oh ! repliquafj? , Madame , il n'y a que faire ri attendre après cela, je ne deviendrai point, je luis tout devenu , ces Demoiftllès font bien jo.. tics & cela fbrme bienun homme , il n'y a point-  (n) de Village qui ne tienne ; on eft tout d'un coup né natif de Paris , quand on les voit. Comment, dit-elle , te voila déja galant ; 8c pour laquelle te déclarerois-tu ? ( elles étoient trois. ) J^rvote eft une jolie blonde , ajouta-t-eile : & Mademoifelle Génevieve une jolie brune , m'écriai-je tout de fuite. Génevieve a ce difcours rougit un peu, mais d'uue rougeur qui venoit d'une vanité contente , & elle déguifa la petite fatisfaction que lui donrioit ma préférence , d'un fouris qui iignifioit pourTant je te rtmercie , mais qui iignifioit aufii , ce Ii'eft que ia naïveté bouffonne qui me fait rite. Ce qui eft sur, c'eft que le trait porta ; &, comme on le verra dans la iuite , ma faillie lui fit dans le cceur une bleffure fourde , dont je ne négligeai pas de m'affurer, car je me doutai que mon difcours n'avoit pas dü lui déplaire , & dés ce moment-la , je 1'épiai pour voir fi je penfois jufte. Nous allions continuer la converfation , qui commencoit a tomber fur la troifieme femme de chambre de Madame , qui n'étoit ni brune , ni blonde , & qui n'étoit d'aucune couleur , & qui portoit un de ces vifages indifterens , qu'on voit a out ie monde , 8t qu'on ne remarque a perfon ie. Déja je tachois d'éviter de dire mon fentiment fur fon chapitre , avec un embarras mal-adroit & ingénu , qui ne faifoit pas 1'éloge de ladite perfonne , quand un des adorareurs de Madame entra , 84 nous obligea de nous retirer. J'étois fort content du marché que j'avois fait de refter a Paris. Le peu de jours que j'y avois paffe , m'avoit éveillé le cceur , & je me fentis tout d'un coup en appétit de fortune. 11 s'agiffbit de mander 1'état des chofes a mon pere , 84 je ne favojj pas éctire; mais je fongeai  X 'l i " ) •1 IVIaderïioifelle Génevieve , & fans plus délibérer , j'allai la prier d'écrire ma lettre. Elle étoit feule , quand je lui parlai , & non. feulement elle Pécrh, mais ee fut de la meiileure grace da monde. Ce que je lui dictois , elle le trouvoir fpirituel Sc de bon lens , & ne fit que reöifier mes expreffiors. Profites de la bonne volonté de Madame, me dit-elle enfuite ; j'augure bien de ton aventure. Hé bien , Mademoifelle , lui répondis je , fi vous mettez encore votre amitié par-deffus, je ne me changerai pas eontre un autre ; car déja je fuis heureux , il n'y a point de doute a cela , puifqiie je vous aime. Comment ! me dit-elle , tu m'aimes ? Et qu'entends-tu par-la , Jacob ? Ce que j'enteuds , lui dis-je , de la belle 8c bonne affection , comme un garcon , fauf votre refpeft , peut l'ayoir pour une fille aufiï charmamte que vous ; j'entends que c'elt bien dommage que je ne fois qu'un chetif homme ; car, mardi , fi j'étois Roi , par exemple , nous verricns un peu qui de nous deux feroit Reine, 8c comme ce ne feroit pas moi , il faudroit bien que ce fut vous : il n'y a rien a refairc a mon dire. Je te fuis bien obligée de pareils fentimens , me dit-elle d'un ton badin, 8c fi tu étois Rbi , cela mérheroit réflexion. Pardi , lui dis-je , Mademoifelle , il y a tant de gens par le monde , que les filles aiment , 8c qui ne font pas Roi ; n'y aura-il pas moyen quelque jour d'être comme eux ? Mais vraiment, me dit-elle, tu es preffant: oü as tu appris a faire 1'amour '? Ma foi, lui dis-je , demandez-le a votre mérite , je ri'ai point eu d'autre maïtre d'école , & comme il me Pa appris , je le rends. Madame la-delTus appella Génevieve , qui me guitta trés-contente de moi, a vue de pays , St me  Bié dit en s en allant : va , Jaeob , tu feras fortune , & je le fouhaire 'de tout mon ccSUr. ■Grand merci , lui dis-je en Ia faluant d'un coup de chapeau, qui avoitplus defture , me rendit la phyfionomie plus vivs , & yjetta comme un rayon de bonheur a veuir. Du moins tout le monde m'en prédifoit, 8i je ne doutois point da fuccès de la prédiftion. On me comphmenta fort fur mon bon air , 8c en attendant que Madame fut vifible , j'allai faire effai de mes nouvelles graces fur le cceur de Génevieve , qui eiTeflivement me plaifoit beaucoup. H me parut qu'elie fut furprife de la mine ql» j'avois fous mon attirail tout neuf; je fentk moiinême que j'avois plus d'efprit qu'a 1'ordinaue j Tornt!. B  mais a peïne caufions-nous enfemble . qu'on vint ni'avertir, de la part de Madame , de 1'aller trouver. * Cet ordre redoubla encore ma reconnoiffaiice pour elle ; je n'allai pas , je volai. Me voila , Madame , lui dis je en entrant: je fóuhaiteroii bien avoir affez d'efprit pour vous reinere ier a ma fantaifie ; mais je mourrai a votre ferviee , fi vous me le permettez. C'eft une affaire finie ; je vous appartiens pour le refte de mes jours. Voila qui eft bien , me dit-elle alors: tu es feuiible 8c reconnoiffanr, cela me fait plaifir : ton habit te iïed bien ; tu n'as plus Pair villageois. Madame , m'écriai-je , j'ai 1'air de votre ferviteur étercel , il n'y a que cela que j'eftime. Cette Dame alots me fit approcher , examina ma parure; j'avois un habit uni , 8c fans livrée. Elle me demanda qui m'avoit frifc , me dit d'avoir toujours foin de mes chevenx , que je les avoïs beaux, Sc qu'elie vouioit que je lui filTe honneur. Tant que vous voudrez , quoique vous en avez de tout fait, lui dis-je ; mais n'importe , abondance ne nuit point. Notez que Madame venoit de fe mettre a fa toilette , Sc que fa figure é;oit clans un certaiu défordre affez piquant pour ma curiofité. Je n'étoispas né indifférent , il s'en falloit beaucoup ; cette Dame avoit de la frakheur 8c de 1'embonpoint , 8c mes y'eux lorgnoient volontiers. Elle s'en appercut , 8c fourit de la diftraöion qu'elie me donnoit ; moi je vis qu'elie s'en appercevoir, 8c je me mis a rire auffi d'un air que la honte d'êtrc pris fur le fait , 8c le plaifir de voir , rendoient moitié niais, Sc moitié tendre ; Sc la regardant avec des yeux mêles de tout ce que je dis-la , je ne lui dübis rien. De fur te qu'il fe paffa alors eatre nous deux une  C '5) pente fcene muette , qui fut la plus plaifante chofe du monde ; puis fe raccommodant enfuite aflez négligemment : A quoi penfes-tu , Jacob , me ditelle ? Hé ! Madame , repris-je , je penfe qu'il fait bon vous voir , Sc que Monfieur a une belle femme. Je ne faurois dire dans quelle difpofition d'efprit cela la mit , mais il me parut que la naïveté de mes fagons ne lui déplaifoit pas. Lés regdrds amoureux d'un homme du monde n ont rien de nouveau pour une jolie i'cinme ; elle eft accoutumée a leurs expreffions , Sc ils font dans Un go ut de galanterie qui lui eft familier , de forte que fon amour-propre s'y amufe comme a une chofe ' qui lui eft ordinaire , & qui va quelqucfois aiidela de la vérité. Jci, ce n'étoit pas de même ; mes regnrds n'avoient rien de galant , ils në favqient être qua vrais. J'étois un payfan , j'étois jeune, affez beau garcon , Sc 1'hommage que je rendois a fes appas, veuoir du plus pur plaifir qu'ils me-faifoient. II étoit affaifonné d'une ingénuité rufiique , plus cuneufe a voir, Sc d'autant plus Ha'tVufe , qu'elie ne vouloir point flatter. Ceteif d'autrts'yeux , une autre mauiere de confiderer , une autre tournure de mine ; & teutcel'a enfemble me donnoit apparemment des agrémeus finguliers , dont je vis que Madame étoit un peu touchée. Tu es bien hardi de me regarder tant, me direlle alors , toujours en fouuant ; Parcü , lui dis-je eft-ce ma faute , Madame ] Pourquoi êtes-vcus belle? Va-t-en , me dit-elle alors, d'un ton brufque, mais amical, je crois que tu rc'en con-' teroisyfi tu 1'ofois • & cela dit, elle fe remit a fa toilette , 8c moi je ni'en allai , en me retoumaut toujours pour la yoir. Mais elle ne per-  f16) dit rfen de vtie de ce que je fis , 8c me conduïlït des yeux jufqu'a la porte, Le foir même elle me préfenta a fon neveu , 8t m'inftalla au rang de fon Domeftique. Je continuai de caj'oler Génevieve. Mais depuis 1'inftant vil je m'étois appercu que je n'avois pas déplu a M..dame même , mon inclination pour cette fille fcaiiTa de vivacité , fon cceur ne me parut plus une conquête fi importante , 8c je n'eftimai plus taut 1'honneur d'être fouffert d'elle. Génevieve ne fe comporta pas de même , elle prit tout de bon du goüt pour moi , tant par 1'opinion qu'elie avoit de ce je pourrois deveair , que par le penchant naturel qu'elie fe fentit pour rooi ; 8c comme je la cherchois un peu moins, elle me chtrcha davantage. II n'y avoit pas longtemps qu'elie étoit dans la Maifon , 8c le mari deJVIadame ne 1'avoit pas encore remarquée. Comme le Maitre 8c la MaitreiTe avoient chacuti leur appartement , d'oü le matin ils envoyoient favoir comment ils fe portoient , ( c'étoit-la pref'que tout le commerce qu'ils avoient enfemble. ) Madame , un matin , fiir quelque légere indifpofition de fon mari , envoya Génevieve , pour favoir de fes nouvelles. Elle me rencoi.tra fur 1'efcalier en y allant 8c me dit de 1'atteudre. Elle fut tr.ès-long-temps a ravenir , & rtvint les yeux pleins de coquet- Vous voila bien émdrillonnée, Mademoifelle Genevieve , lui dis-je en la voyant : Oh ! tu ne faispas , me dit-elle , d'un air gai , .mais goguenard ,. fi je veux , ma fortune eft faite. Vous êtes bien difficüc de ne pas vouloir, lui dis-je : Oui, dit elle, mais il y a. un petit atticle 8) afin de te damner par Ie défepoir, après t'avorr attrappé par fa rnarchandife. On trouvera peut-être les repréfentations que me faifoit 1'honneur , un peu longues ; mais c'eft qu'il a befoin de parler long-temps , lui , pour faire impreffion , & qu'il a plus de peine a perfuader que les paflions. Car, par exemple , la cupidité ne répondoit a tout cela qu'un mot on deux, mais fon éloquence , quoique laconique , étoit vigoureufe. C'eft bien a toi , paltoquet , me difoit-elle , a t'arrêter a ere chimérique honneur. Ne te fied-il pas bien d'être délicat la-deiTus? Miférable ruftre. Va, tu as raifon , va te giter a 1'Höpital , tca lionneur & toi, vous y aurez tous deux fort bonne Pas fi bonne grace , repondois-je en moi-menie; c'eft avoir de 1'honneur en pure perte , que de l'avoir a 1'Hópital , je crois qu'il n'y brille guere. Mais 1'honneur vous conduit-Ll toujours la ? ou!» affez fouvent , tk fi ce n'eft la , c'eft du moins aux environs. Mais eft-on heureux, quand on a honte de 1'être? Eft-ce un plaifir que d'être a fon aife a contrecteur ï Qutlle perplexité ! Ce fut-la tout ce qui fe préfenta un inftant a mon cfprit. Pour furcroit d'embarras , je regardois ce rouleau d'argent qui étoit ftft la table ,, jl me paroiflbit fi rebondi : quel dommage de le perdie ! Cependant , Monfieur, furpris de ce que je ne lui difcis rien , & que je ne prenois pas Je rouleau qu'il avoit mis la pour appuyer fon difcours, me demanda a quoi je penfois l Pourquoi ne me dis-tu mot, ajouta-t-il l Hé ! Monfieur, répondis-je , je rêve , & il y a bien de quoi. Tenez , parions ea conicience ;. pre-  «ex que je fois vous , & que vous foyez raof. Vous voila un pauvre homme. Mais eft: ce que les pauvres gens aiment a être cocus ? Vous le ferez pourtant fi je vous donne Génevieve en mariage. Eh bien , voila le fujet de ma pcnfée. Quoi 1 me dit-il la deffus, eft-ce que Génevieve n'eft pas une honnêre fille ? Fort honnête , reprisje , pour ce qui eft en cas de faire un compliment ou une révérence ; mais pour ce qui eft d'être la femme d'un mari, je n'eftime pas que 1'honnêteté qu'tlle a feit propre a cela. £h ! qu'as tu donc a lui repwcher, dit-il ? Hé hé , repris-je en riant, vous favez mieux que moi les tenans & les aboutiffans de cette affaire-la vous y étiez & je n'y étois pas ; mais on fait bien a peu-près comment cela fe gouverne, Tenez, Monfieur, dites-moi franchement la vérité eft-ce qu'un Monfieur a befoin de femme de chaml bre 1 Et quand il en a une, eft ce elle qui 1» déshabille ? Je crois que c'eft tout le contraire" Oh! pour le coup, me dit-il, vous parlez net 'r Jacob, & je vous entends , tout Payfan que vous ctes , vous ne manquez pas d'efprit. Ecoutez donc attentivement ce que je vais vous dire a mon lour. Tout ce que vous vous imaginez de Génevieve eft iaux_; mais iuppofons qu'il foit vrai, vous voyez les perlonnes qui viennent me voir, ce font tous gens de conlidération , qui font riches, & qu£ ont de grands équipages. Savez-vous bien que parmi eux il y en a quelques-uns, qu'il n'eft pas néceffaire de nommer qui ne doivent leur fortune qu'a un marLge qu'ils ent fait avec des Genevieves. Or , croyez-vous valoir mieux qu'eux ? Eft-ce Ia crainte d'être moqué qui vous retient ? Et par qui Ie terez-vous l Vous connoit-on ,. & êtes-vous quelque chofe dans la vie l s'iraaginera-t-on ieu*.  ClO lement que vous en ayiez un , benêt qvfe voiig; ctes ? Vous ne rifquez qü'uïje chofe , c'eit d'avoir autant d'envieux de votre-état, qu'il y a de gens de votre forte qui vous connoiflent. Aller, mon enfant , 1'honncur de vos pareils , c'eft d'avoir de cjuoi vivre , & de quoi fe retirer de la baiTefle de leur condition .• enrendez vous 1 Le dernier <3es hommes ici-b'S, eft celui qui n'a rien. N'impoite , Monfieur, lui répondis-je d'un air entre triftt & mutin , j'aimerois encore mieux êrre le dernier des autres r que le plus faché des autres. Le deruur des autres trouve toujours le pain bon quand on lui en donne ; mais le" plus faché de tous n'a jamais d'appétir a rien ; il n'y a pas de morceau qui lui pn.fiie , quaud ee feroit de la Perdrix. Et ma foi 1'appétit mérite bien qu'on le garde, & je le perdrois , malgré toute la bonne chere , fi j'époufois votre femme de chambre. Votre parti eft donc pi is , reparti-t Monfieur ï Ma foi , oui , Monfieur , répondis-je , Sc j'tn ai bien du regret, mais que voulez vous ? dans notre village ,. c'eft notre coutume de n'époufer que des éilles, Sc s'il y en avoit une qui eür été temmé de chambre d'un Monfieur, il faudroit qu'elie fe contentat d'avoir un amant, mais pour de man néant ; il rn; pleuvroit, qu'il n'en tombëroit pas uin pour elle; c'eft notie régime, 8c fur-tout dans SOtre familie. Ma mere fe maria fille, fa grand'mere en avoit fait autant; 8c de grand'meres en grand'iïieres, je fuis venn droit comme vous voyez , avec l'obligation de ne tien changer a cela. Js me Sus a peine expliqué d'un ton fi déciftf,. «pis me: reg.irdant d'un air fier 8i irrité : Vous êtes Sn coquin , me dit-il. Vous avez fait chez moi. jaibiiquement 1'amour a Génevieve ; vous n'afpisiez: d'abord ,. nv'a-t-elle dit , qu'au bonheur de gouv.oir l'époufer un jour. Les autres filles de Maisse, le. favejit:. d'un auwe cöié , yous efsz llac-  cufer de netre pas rille d'honneur : vous èus frappé de cette impertinente idée-la ; je ne doute pas qu'en conféquence vous ne cauliez l'ur fon Compte. , quand on vous pariera d'elle ; vous êtes homme a ne la pas ménager dans vos petits difcours; Sc c'eft moi, c'eft ma fimple bonne volonté pour elle , qui ieroit la caufe innocente de tout le tort que vous pourriez lui faire. Non , Monfieur Jacob , ->'y mettrai bon ordre ; St puifque j'ai tant fait que de m'en meier , que vous avez déja pris de fon argent fur le pied d'un homme qui devoit 1'e'poufer, je ne prétends pas que vous vous moquiez d'elle. Je ne vous laiiTerai point en liberté de lui nnire , Sc fi vous ne 1'époufez pas , je vous déclare que ce fera a moi a qui vous aurez a faire» Déterminez-vous, je vous donne vingt-quatre heures, choililfez de fa main ou du cachot , je n'ai que cela a vous dire. Allons, retirez-vous vfaquLi. Cet ordre St i'épithete qui le foutenóit , me firent peur, Sc je ne fis qu'un faut de la chaaibre a la porte. Génevieve qui avoit été avertie de 1'heure eiY Monfieur devoit m'euvoyer chercher, m'attendoit au paflage ; je la rencontrai fur 1'efcalier. Ah ! . h ! me dit-elle , comme fi nous nous étions rencontrés fortuitement; eft ce que tu viens de parler a Monfieur? que te vouloit-il donc? Douct ment, Génevieve ma mie, lui dis-je, j'ai vingt quatre heurts devant moi pour vous répondre , Si je ne dirai ma penfée qu'a la derniere minute. La-deiïïis , je paffai mon chemin d'un air r.efrogné , 8c méme un peu brutal , 8c lailfai Mademoifclle Génevieve toute ftupéfaite, 8c ouvrant de grands yeux, qui fe difpofoient a pleurer ; mais ceia ne me toucha point. L'alternative du cachot, ou de fa main , m'avoit guéri radicalement du p-u tl'incliuaüon qui me reftoit pour elle ; j'en avois  le cceur aufli nettoye , que fi je ne 1 avois jamais connue , fans compter la farouche épouvante dont j'étois faifi, 8c qui étoit bien contraire a 1'amour. Elle me rappella plufieurs fois d'un ton plaintif: Jacob, hé l mais parle-moi donc, Jacob. Dans vingt-quatre heures, Mademoifelle , puis je courus toujours, fans favoir oü j'allois , car je marchois en égaré. _ Enfin , je me trouvai dans le jardin, le cceur palpitant , regrettant les choux de mon village » Sc maudiiTant les filles de Paris , qu'on vous obiige d'époufer le piftolet fous la gorge ; j'aimerois autant , difois-je en moi-même, prendre une femme a la fripperie. Que je fuis malheurenx 1 Ma fituation m'attendrit fur moi-même, 8c me voila a pleurer ; je tournois dans un bofquet, en faifant des exclamations de douleur , quand je vis Madame qui en fortoit avec un livre a la main. A qui en as-tu donc, mon pauvre Jacob, me dit-elle, avec tes yeux baignés de larmes ? Ah 1 Madame lui répondis-je en me jettant a fes genoux ; Ah ! ma bonne MaitrelTe , Jacob eft un homme coffré quand vingt-quatre heures feronï fonnées. CoiT-.é! me dit-elle. As-tu commis quelque mauvailë aftiou \ Eh ! tout a rebours de cela, m'écriai-je : c'eft a caufe que je n'en veux pas commettre une. Vous m'avez recommandé de vous faire honneur, n'eft ce pas , Madame? Eh ! oü le prendrai je , pour vous en faire , fi on ne prétend pas que j'en garde ? Monfieur ne veut pas que je me donnne les airs d'en avoir. Quel miférable pays , Madame , oü on met au cachot les perfonnes qui ont de 1'honneur , 8c en chambre garnie celles qui n'en ont point ! Epoufez des femmes de chambre ,. pauvre homme , 8c vous aurez des rouleaux d'argent; prenez une honnête fille , 8c •sous voila niché cnue quaus rruuaiUes. Voilacomaie  C H > Monfieur 1'entend , qui veur, fanf votre refpefr, que j'époufe fa femme de chambre. Expüque-toi mieux , me dit Madame , qui fe mordoir les levres pour s'empêcher de rire ; je ne te comprends point. Qu'eft-ce que c'eft que cette femme de chambre ? Eft-ce que mon -mari en a une ? Eb ! oui , Madame , tui dis-je : c'eft la vötre » c'eft Mademoifelle Génevieve qui me recherche f & qu'on me commande de prendre pour femme. Ecoute , Jacob , me dit-elle , e'-efta toi a col*fulter ton cceur. Eh bien mon cceur & moi , repris je , avons auffi la-deflus raifonné bien longtemps enfemble , St il n'en veut pas entendra; parler. II eft pourtant vrai , dit-elle , que cela feroit ta fortune ; car mon mari ne te laifteroit pas-la , je le connois. Oui, Madame , répondis-je ; mais par charité , fongez un peu a ce que c'eft que d'avoir des enfans qui vous appellent leur pere , &l qui en ont menti : cela eft bien trifte ! Et cependant li j'époufe Génevieve, je fuis en danger de n'avoir point d'autres enfans que de ceux-la : je ferai ebligé de leur donner des nourrices qui me fendront le cceur, 8c vous me voycz défolé, Madame. Naturellement je n'aime pas les enfans de contreban.de , 8t je n'ai que vingt-quatre heures pour dire fi je m'en fournirai peut-être d'une demi-douzaine ou non. Portez moi fecours Ia dedans, ayez pitié de moi. Le cachot qu'on me promet , empêchez. qu'on ne me le tienne. Je luis d'avis de m'enfuir. Non, non, me dit-elle, je te le défends^je parlerai a mon mari , & je re garantis que tu n'as rien a craindre ; va , rttourne a ton iervice lans jnquiétude. Après ce difcours elle me quitta pour contiuuer  . C !4 ) % lecture , & moï je me rendis auprès de mon petit Maitie qui ne ie portoit pas bien. II failoit en me retournant que je paflafle devant la chambre de Génevieve , qui en avoit laifïe la porte ouverte , & qui me guettoit affife 84 fondant en larmes. Te voila donc, ingrat ! s'écria-t-elle aufïi-tót qu'elie me vit , fourbe , qui non content de refuler ma main , m'accables encore de honte 8c de mépris ! Et c'étoit en me tetenant par ma manche qu'elie m'apoftrophoit fur ce ton. Parle , ajouta-t-elle : pourquoi dis-tu que je ne fuis pas fiile d'honneur 1 Eh ! mon dieu , Mademoifelle Génevieve , pardi , donnez-moi du temps ; ce n'eft pas que vous ne foyiezune honnête fille , il n'y a que ce petit coffre plein d'or , Sc vos autres brimborions d'affiquets qui me chicanent, 8t je crois que fans eux vous feriez encore plus honnête ; j'aimerois bien autant votre honneur comme il étoit ci-devant ; mais n'en parions plus , 8c ne nous querellons point ; vous avez tort , ajoutai je avec adrefle , que ne in'avezvous dit bennement les chofes ; il n'y a rien de li beau que la fincérité , 8c vous êtes une diflimulée , il n'y avoit qu'a m'avouer votre petit fait, je n'y aurois pas regardé de fi prés ; car aprés cela on fait a quoi s'en tenir , Sc du moins une fille vous «ft obligée de prendre tout en gré ; mais vouloir me brider le nez, venir me bercer avec des contes a dormir debout , pendant que je fuis le meileur enfant du monde , ce n'eft pas la la maniere dont on en ufe. II s'agifloit de me dire : Tiens , Jacob , je ne veux point te vendre chat en poche, Monfieur a couru après moi, je m'enfuyois ; mais il m'a jétté de 1'or , des niopes 8c une maifon fournie de fes uftenfiles a la tête ; cela m'a étourdie, je me fuis arrêtée, oc puis j'ai ramaffé 1'or , les uippes  I Sc la mailon : en veux-ru ta part a cette heure l I Voila comme on parle ; dites-moi cela, 8c puis I vous faurez mon dernier mot. ^ La-deiTus les larmes de Génevieve redoubleren!; U il en vint une ondée pendant laquelle elle me ferc roir les mains tant qu'elie pouvoit , 8c c'étoit 1'aveu | de la vérité qui s'arrêtoit au paflage. A la fin pourtant , comme je la confolois , en ; la preflant de parler : Si 1'on pouvoit ie fier a toi , me dit-elle ? Eh ! qui eft-ce qui en doute , lui dis-je ? fi Allons, ma belle Demoifelle , courage. Hélas ! t me répondit elle , c'eft 1'amour que j'ai pour toi I qui eft caufe de tout. I Voila qui eft merveilleux , lui dis-je après. Sans ji lui , ajouta-t-elle , j'aurois méprifé tout 1'or 8t | toutes les fortunes du monde ; mais j'ai cru te fixer i par la fituation que Monfieur vouloit bien me proI curer , 8t que tu ferois bien aife de me voir riche ; 8c cependant je me fuis trompée , tu me reproches I ce que je n'ai fait que par tendreffe. Ce difcours me glaca jufqu'au fond du cceur. Ce : qu'elie me difeit ne m'apprenoit pourtant rien de k nouveau ; car enfin je favois bien a quoi m'en te• mr fur cette aventure , fans qu'elie m'en rendit i compte ^ Sc malgré cela , tout ce qu'elie me difoit, je crus 1'apprendre encore en 1'entendant raconter |par elle-même, j'en fus frappé comme d'uue nou« Veauté. J'aurois juré que je ne m'intéroiffois plus a Getnevieve , 8c je ciois 1'avoir dit plus haut ; mais fcapparemment qu'il me reftoit encore dans te cceur bquelque petite étincelle de feu pour elle , puifquo je tas ému ; mais tout s'éteignit dans ce moment. | Je cachai pourtant a Génevieve ce qui fe paflbit hen moi. Hélas 1 lui répondis je , ce que vous me biiites eft bien facheux. |. .Quoi! Jacob , me dit-elle avec des yeux qui  3H5 demandoient grace , & qui étoient faits pour l'obtenir,fi 011 n'étoit pas quelquefois plus irréconciliable en pareil cas , avec une fille qui eft beile qu'avec une autre qui ne 1'eft pas. Quoi '. m'aurois-tn abufée , quand tu m'as fait etpérer qu'un peu de lincérité nous raccommoderoit enfemble ?- Non , lui dis je , j'aurois jiué que je vous parlois loyalement ; mais il me femble que mon cceur veut changer d'avis. Eh ! pourquoi en changeroitil, mon cher Jacob , s'écria-t-elle , tu ne trouveras jamais perfonne qui t'aimi autant que moi ? Tu pcujr. d'ailleurs compter déformais fur une fag-effe éternelle de ma part. Oui ; mais malheureufement , lui dis-je, cette fageffe vous prend un tard ; c'eft le médecin etui arrivé après la mort. Quoi ! reprit elle , je te- petdrai donc 1 Laifiezmoi rêver a ee'la , lui dis-je , il me faut un peu de loifir pour m'ajufter avec mon cceur , il me chiehane , & je vais tacher aujourd'hui de t'aceoutumer a la fatigue. Permettez que je m'en aille penfer a cette affaire. II vaut autant que tu me poignardes , me ditplie , que de ne pas prendre ta réfolution fur le cbamp. 11 n'y a pas moyen , je ne faurois , fi vite , favoir ce que je veux : mais patience , lui dis-je , il y aura tantót réponlé , Sc peut-être bonnes nouvelles avec : oui , tantót , ne vous impatientez pas. Adieu s ma petite maitrefte , reftez en paix, Sc que le ciel nous aflifte tous deux. Je la**quittai donc , Stelle me vit partir avec une tendre inquiétude , qu'en vérité j'avois honte de ne pas calmer ; mais je ne cherchois qu'a Hi'efquiver, Sc j'entrai dans ma chambre , ,dans la réfolution inébranlable de m'en.Vir de la maifon , fi Madame ne mettoit pas quelque ordre a mon embarras , comme elle me 1'avöit promis. J'appris dans le cours de la journée que Génevieve  t 37 ) Vieve s etoit mife au Iit , & q felle étoit malade t qu'elie avoit eu des maux de ceeurs ; accidens dont on fourioit en me le contant , & qu'on me venoit conter par préférence. Six ou lépt perfonnes de la maifon , & fur-tout les filles de Madame , vinrent me le dire ea fecrer. Pour moi , je me tus , j'avois trop de fouci pour m'amufer a babilier avec perfonne , 8t je reilai tapi dans mon petit taudis jufqu'a fept heures du foir. Je les comptai, car j'avois 1'oieille attentive a 1'horloge , paree que je voulois parler a Madame , qu'une légere migraine avoit empêchée de fottir. Je me préparois donc a 1'aller rrouver , quand ï'entendis du bruit dans la maifon : on montoit , on defcendoit 1'efcalier avec un mouvement qui n'étoit pas ordinaire : Ah ! mon Dieu , difoit-on , quel accident ! Ce fracas-la m'émut, & je fortis de ma chambre pour favoir ce que c'étoit. _ Le premier objet que je rencontrai, ce fut uit vieux yalet de chambre de Monfieur , qui levoit les mains au ciel , en foupirant, qui pleuroit, 8c qui s'écrioit : Ah ! pauvre homme que je fuis .' Quelle pene ! quel malheur ! Qu'avez-vous donc ', Monfieur Dubois , lui dis-je , cju'eit-il arrivé ■ Hélas t mon enfant , dit-il , Monfieur eft mort , 8i j'ai envie de m'aller jetter dans la rivitre. Je ne pris pas la peine de I'en diffuader , paree qu'il n'y avoit rien a craindre : il n'y avoit pas d'apparence qu'il voulüt choifir 1'eau pour fon tmobeau , lui qui en étoit 1'ennemi juré : il y avoit peut-être plus de trente ans que le viel ivro°ne n'e» avoit bu. Au refle , il avoit raifon de s'affliger ; I3 mort lui enlevoit un bon chaland ; il étoit depuis quinzw ans le Pourvoyeur des plaifirs de fon Maitre , qui Tornt 1, d  ( |8 ) le payoit bien, & qu'il voloit, difoit-on, pardelïus le marché. Je le laiiTai donc fans douleur , moirié raifonriable, Sc moitié bachique ; il étoit plein de vin quand je lui parlai , Sc je courus m'inftruhe plus au fond de ce qu'il venoit de m'apprendte. Rien n'étoit plus vrai que fon rapport, une apoplexie venoit d'étoufler Monfieur. II étoit feul dans fon cabinet quand elle 1'avoit furpris. II n'avoit eu aucun fecours , 8c un domeftique 1'avoit trouvé mort dans fon fauteuil , 8c devant lo» bureau , fur lequel étoit une lettre ébauchée de quelques lignes gaillardes , qu'il écrivoit a une Dame de bonne compofition , autant qu'on en pouvoit juger ; car jê crois que tout le monde dans la maifon hit cette lettre, que Madame avoit prife dans le cabinet, 8c qu'elie laiffa tomber de fes mains dans le défordre oü la jetta ce fpeaacle «ffrayanr. Pour moi, il faut que je 1'avoue franchement, cette mort fubite m'épouvanta fans rn'affliger ; peut-être même la trouvai-je venue bien a propos ; je refpirai, Sc j'avois pour excufe de ma durete la-deflus, que ie défunt m'avoit menacé de la prifon. Cela m'avnit alarmé , Sc fa mort me tirok tl'iuquiétude , Sc mit le comble a la difgrace oü Génevieve étoit tombée dans mon cceur. Hélas .' la pauvre fille , le malheur lui en vouloit ce jour-la. Elle avoit entendu , aufli-bien que moi , le tintamare qu'on faifoit dans la maiton , Sc tle fon lit elle appella un domeftique pour en favoir la caufe. ' Celui a qui elle s'adrelTa étoit un gros brutal , «n de ces valets qui dans une maifon ne tiennent jamais a rien qu'a leurs gages 8c qu'a leuts profits , & pour qui leur Maitre eft toujours un étranger , qui peut moutir , périr , profpérer , fans qu'ils s'en fbuclent, tant tenu, tant payé , &c attrape qui t.  C 3P ) Je le peias iei, quoique cela ne foit pas Fort néceffaire ; mais du moins fur le portrait que j'en fais , on peut éviter de prendre des domeftiques qui lui reffemblent. Ce fut donc ce gros fournois la qui vinï a la voix de Génevieve qui 1'appelloit , & qui interrogé de ce que c'étoit que ce biuit qu'elie entendoit , lui dit, c'eft que Monfieur eft mort. A cette brufque nouvelle , Génevieve, déja indifpofée , s'évanouit. Sans doute que ce valet ne s'amufa pas a la fecourir. Le petit coffret plein d'argent , dont j'ai parlé , qui étoit encore fur fa table , fixa fon attention. De forte que dès ce moment le coffret Sc lui difparurent , on ne les a jamais revus depuis , & apparemment qu'ils partirent enfemble. II nous refte encore d'autres malheurs ; le brult de la mort de Monfieur fut bientöt répandu ; on re connoiffoit pas fes affaires : Madame avoit vécu jufques-la dans une abondance dont elle ne favoit pas la fource , & dont elle jouiffuit dans une quiétude parfaite. On 1'en tira dès le lendemain , mille créanciers fondirent chez elle avec des Commiffaires Si tout* leur fequelle. Ce fut un déforrire épouvantable. Les domeftiques demandoient leurs gages , Sc pilloient ce qu'ils pouvoient en attendant de les recevoir. La mémoire de Monfieur étoit maltraitée ; nombre de perfonnes ne lui épnrgnoient pas 1'épithete de fripon. L'un difoit , il m'a trompé ; 1'autre, je lui ai confié de 1'argent , qu'en a-t-il fait ? Enfuite on infultoit a la magnificence de fa veuve ; on ne la ménageoit pas en fa prcfence même ; Sc elle fe taifoit moins par patience que par confternation. Cette Dame n'avoit iamais fu ce que c'étoit que chaerin ; & dans la trifte expérience qu'elie en fit D i  C 40 ) alors, je crois que 1'étonnement oiï la jettok fos érat, lui fauvoit la moitié de fa douleur. Imaginez-vous que ce feroit une perfonne qu'on auroit tout-a-coup tranfportée dans un pays affreux , dont tout ce qu'elie auroit vu ne lui auroit pas donné la moindre idéé : voila comment elle fe trouvoif. Moi qui n'avois pas été touché de la mort de fon mari, & qui dans le fond n'avois pas dÖ 1'être, )e réparai bien cette infenfibilité excufable par mon attendriffement pour fa femme. Je ne pus la voir fans pleurer avec elle , il me fembloit que fi j'avois tu des millions , je les lui autois donnés avec une joie infinie : aufli étoit-ce ma bienfaiftrice. Mais de quoi lui fervoit que je fuffe touché de fon infortune ? C'étoit la tendre compaflion de fes amis qu'il lui falloit alors , 8c non pas celle'd'un miférable comme moi , qui ne pouvois rien pour elle. Mais dans ce monde toutes les vertus font dé» placées aufli-bien que les vices. Les bons & les mauvais coeurs ne fe rrouvent point a leur place. Quand je ne me ferois pas foucié de la fituation de cette Dame , elle n'y auroit rien perdu , mon ift» grate infenfibilité n'eüt fait tort qu'a moi. Celle de fes amis qu'elie avoit tant fêtés la laiflbit fans, refiource , 8t mettoit le comble a fes maux. II en vint d'abord quelques uns de ces indignes amis ; mais dès qu'ils virent que le feu étoit dans les affaires , 8c que la fortune de leur amie s'en alloit en ruine, ils coururent encore, 8c apparemment qu'ils avenirent les auttes , car il n'en revint plus. Je paffe la fuite de ces ttiftes événemens , le détail en feroit trop longs. Je ne demturai plus que trois jours dans la maifon ; tous les domeftiques furent renvoyés , a une femme; 'de chambre prés que Madame n'dvoit peut-ê.tt«  C 41 > jamais autant aimée que les autres , a qui, dans ce moment , elle devoit tous fes gages , & qui pourtant ne voulut jamais la quitter. Cette femme de chambre , c'étoit , ce vifage fi indifférenr , dont j'ai parlé tantót , fur qui j'avois évité de dire mon ientiment, Sc dont la phyfionomie étoit de li petite apparence.. La nature fait aflez fouvent de ces tricheties-Ia , ell-e enterre je ne fais combien de belles ames fousv de pareils vifages : on n'y connoït rien, 8c puis quand ces gens-la viennent a fe manifefter , vous. voycz des vernis qui fortent de deflous terre. Pour moi , pénétré , comme je 1'ai dit , de tout cc que je voyois , j'allai me préfenter a Madame , Sc lui vouai un fervice eternel, s'il pouvoit lui être: utile. Hélas mon enfant, me dit-elle , tout ce que je puis te repondre , c'eft que je voudrois être en état de récompenfer ton zele mais tu vois ce que je fuis devcnue , Sc je ne fais pas ce que je deviendraï encore , ni ce q,ui me reftera ainfi je te défends de t'attacher a moi , va te fauver ailleurs. Quand Je t'ai mis auprès de mon neven , je comptois avoir loinde toimais puifqu'aujourd'hui je ne puis rien „ ne refte point , ta condition eft trop peu de chofe,, tache d'en trouverune meilleure , 8c ne perds- point sourage , tu as un. bon cceur qui ne demeurera pasfans récompenfe. J'infiftai , mais elle voulut abfolument que je: Ia quittafle ,. Sc je me retkai, en vérité , fondant eni larmes. De-la, je me rendis a ma chambre pour y faire: mon paquer : en y all'ant je rencontrai Ie Précepteur de mon petit Majtre , qui. efcortoit. déja fes ballots. Son difciple pleuroit, en lui difanr adieu Sc pleuroit tout feul. Je pris aufli congé du jeune enfant, qui s'écria , d'iin ton qui me fendit le cceur.; Hé quoi L tout. le monde me quitte donc ? n *  Je ne repartls a cela que par un foupir ; je n'avois que cette réponfe-la a ma difpofition , & je fortis chargé de mon petit butin , fans dire gare a perfonne. Je penfai pourtant aller dire adieu a Génevieve ; mais je ne 1'aimois plus , je ne faifois que la plaindre, & peut-être que dans la conjonöure cïi nous nous trouvioss , il étoit plus généreux de ne me pas préfenter a elle. Mon deflein , au fortir de chez ma Maitrefle, fut d'abord de m*en retourner a mon Village ; car je ne favois que devenir , ni ou me placer. Je n'avois pas de connoiffances , point d'autre métier que celui de Payfan : je favois parfaitement femer , labourer la terre , tailler la vigne , & voila lout. 11 eft vrai que mon féjour a Paris avoit effacê fceaucoup de l'air ruftique que j'y avois apporté -T je marchois d'affez bonne grace , je portois bien ma tête , & je mettois mon chapeau en garcon qui n'étoit pas un fot. Enfin j'avois déja de la petite oie de ce qu'on appelle ufage du monde ; je dis du monde demon «fpece , •& c'eu eft un. Mais c'étoit-la tous mes talens, joint a cette phyfionomie aflez avenante , que le Ciel m'avoit donné , tk qui jouoit fa partie avec le refte. En atteudant mon départ de Paris , dont je ïi'avois pas encore fixé le jour , je me mis dans une de ces petites Auberges a qui le mépris de 2a pauvreté a fait donner le nom de gargotte. Je vécus la deux jours avec des Voituriers , qui *e parurent très-grotturs , & c'eft que je ne 1'étois jplus unt, mot. Ils me dégoüterent du Village. Pourquoi m'en aetoutner , me difois-je' quelque-fois 1 Tout eft. jletö ici de gens a leur aife , qui , auffi-bien que itoi, n'avoient pour tout bien que la Providence. fiiii foi , reftons encore quelques jours ïct» pour  Toir ce qui en fera ; il y a tant tfaventures dana la vie , il peut m'en écheoir quelque bonne , made'penfe n'eft pas ruineufe , je puis encore la foutenir deux ou trois femaines ; a ce qu'il m'en coüte par repas, j'irai loin ; car j'étois fobre , & je 1'étois fanspeine. Quand je trouvois bonne chere, elle me faifoit plaifir , je ne la regrettois pas quand je 1'avois mauvaife , tout m'accommodoit. Et ce font-la d'alTez bonnes qualités dans un garcon qui cherche fortune avec cette humeur-la. Ordinairement il ne la cherche pas en vain , le hafard eft volontiers pour lui, fes foins lui réuffiflent 9 & j'ai remarqué que les gourmands perdent la moitié de leur temps a être en peine de ce qu'ils mangeront; ils ont la-deiTus un fouci machinal qui difiipe une grande partie de leur attention pour lerefte. Voila donc mon parti pris de féjourner a Paris plus que je n'avois réfolu d'abord, Le lendemain de ma réfolution , je commencai par aller m'informer de ce qu'étoit devenue la Dame de chez laqnelle j'étois forti , paree qu'elie auroit pu me recommander a quelqu'un. Mais j'appris qu'elie s'étoit retirée dans un Couvent avec la généreufe femme de chambre dont j'ai parlé que fes affaires tonrnoient mal, & qu'a peine auroit» elle de quoi fubfifter dans 1'obfcurité le refte de fes jours. Cette nouvelle me fit encore jetter quelques foupirs, car fa mémoire m'étoit chere : mais il n'y avoit point de remede a cela , tout ce que je pus imaginer de mieux , pour me fourrer quelque part , ce fut d'aller chez un nommé Maitre Jacques, qui étoit de monpays, & a qui mon pere » quand je partis du Village, tn'avoit dit de faire des complimens. J'en avois 1'adrefTe ; mais jufqussla je n'y avois pas fongé.  (44} li étoït Cuifinier dans une bonne maifon , & me Voila en chemin pour 1'aller trouver. Je paffois le Pont-Neuf, entre fept & huit heures du marin , marchant fort vite a caufe qu'il faifoit froid , & n'ayant dans i'efprit que mon homme. Quand je fus ptès du Cheval de Bronze , je vis une femme enveloppée dans une écharpe de gros taffetas uni , qui s'appuyoit contre les grilles , Sc qui difoit: Ah ! je me meur». A ces mots que j'entendis, je m'approchai d'elle», pour favoir fi elle n'avoit pas befoin de fecours : eft-ce que vous vous trouvez mal , Madame , lui dis-je ? Hélas .' mon enfant , je n'en puis plus ,, me répondit-elle , il vient de me prendre un grand, étourdiflément , & j'ai été obligée de m'appuyer ki. Je Pexaminai un peu pendant qu'elie me parloit,, & je vis une face ronde quiavoitl'air d'être fucculernment nourrie , & qui, a vue de pays, avoit. coutume d'être vermeille quand quelque indifpof;tion ne la terniffbit pas, A 1'égard de l age de cette perfonne ,1a rondeur de fon vifage, fa blancheer , & fon embonpoint, empêchoient qu'on en put bien décider. Mon fentiment, a moi , fut qu'il s'agilfoit d'une quarantaine d'anuées, & je me trompois, la cinquanlaine étoit complete. Cette écharpe de gros taffetas fans facton, une cornette unie , un habit d'une couleur a 1'avenanr,, & ie ne fais quelle réforine dévote répandue fuï. toute cette figure -f le tout foutenu d'une propreté tirée a quatre épingles , me firent juger que c'étoit. une femme a Direfteur; car elles ont prefque partout la même facon de fe mettre, ces fottes de fcmmes-la , c'eft la leur uniforme j & il ne m'avoit jamais plu. Je ne fais a qui il faut s'en prendre , fi c'eft a la perfonne ou a 1'hahk j. mais il me fembla  ( 45 ) que ces figures-la ont une auftérité ctitique qus en vent a tout Ie monde. Cependant, comme cette perfonne-ci étoit frasche 8t goutante , 8c qu'elie avoit une mine ronde , mine que j'ai toujours aimée , je m'inquiétai pour elle , & lui aidant a fe foutenir : Madame , lui dis-je , je ne vous laiflerai point-la , fi vous le voultz bien , & je vous offre mon bras , pour vous conduire chez vous ; votre étourdiffement peut revenir, 8t vous aurez befoin d'aide. Oüv demeurtz-vous ? Dans la rue de la Monnoie , mon enfant, me dit-elle, & je ne refufe point votre bras, puifque vous me 1'offrez de fi bon cceur , vous me paroilTez un honnête garcon. Vous ne vous trompez pas , repris-je en nous Hiettant en marche , il n'y a que ttois ou quatre mois que je fuis forti de mon village , & je n'ai pas encore eu le temps d'empirer 8c de devenir méchanr. Ce feroit bien dommage que vous le devinffiee jamais, me dit-elle, en jettant fur moi un regard bénévole 8c dévotement languiffant ; vous ne me femblez pas fait pour tomber dans un li grand malheur. Vous avez raifon, repris-je , Madame, Dieu m'a fait la grace d'être fimple 8c de bonne foi , Sc d'aimer les honnêtes gens. Cela eft écrit fur votre vifage, me dit-elle ; mais vous êtes bien jeune. Quel age avez-vous \ Pas encore vingt ans , repris-je. Et notez que pendant cette converfarion , nous cheminions d'une lenteur étonnante , 8c que je la foulevois prefque de terre , pour lui épargner la peine de fe trainer. Mon Dieu , mon fils , que je vous fatigue , me difoit-elle. Non, Madame, lui répondis-je; ne vous gênez point, je fuis ravi de vous rendre ce gs-  ( 46 ) tit fervice. Je le vols bien, reprenoit-elle ; maïs dites-moi , mon cher enfant, qu'êtes-vous venu faire a Paris ? A quoi vous occupez-vous ? A cette queftion , je m'imaginai heureufement que cette rencontre pouvoit tourner a bien. Quand elle m'avoit cüt que ce feroit dommage que je devinlfe méchant, fes yeux avoient accompagné ce compliment de tant de bonté , d'un fi grand air de douceur, que j'en avois tiié un bon augure, je n'envifageois pourtant tien de pbiitif fur les fuites que pourroit avoir ce coup de hafard ; mais j'en efpérois quelque chofe , fans favoir quoi. Dans cette opinion, je concus auffi que mon hiftoire étoit très-bonne a lui raeonter, & trésconvenable. . J'avois refufé d'époufer une belle fille que j'aimois , qui m'aimoit , & qui m'offroit ma fortune. Et cela par un dégout fier & pudique , qui ne pouvoit avoir frappé qu'une ame de bien & d'honneur. N'étoit-ce pas-la un récit bien avantageux a lui faire ? fk je le fis de mon mieux , & d'une maniere naïve , & comme on dit la vérité. II me réufiir, mon hiftoire lui plut tout-a-fait. Le Cicl , me dit-elle , vous récompenfera d'une fi honnête facon de penfer , mon garcon , je n'en doute pas , je vois que vos feminiens répondent a votre phyfionomie. Oh ! Madame , pour ma phyfionomie, elle ira comme elle pourra ; mais voila de queUe humeur je fuis pour le cceur. Ce qu'il dit la eft fi ingénu , dit-elle avec un fouris benin. Ecoutez , mon fils , vous avez bien des graces a rendie a Dieu de ce cceur droit qu'il vous a donné ; c'eft un don plus précieux que tout 1'or dn monde , un bien pour Féternité ; mais il faut le conlerver , vous n'avez pas d'expérience , & il y a tant de pieges a Paris pour votre inuocence, fur-tout a l'age oü vous ites. Ecou.  t 47 ) tez-moi, c'eft le Ciel apparemment qui a permis que je vous rencontrafl'e. Je vis avec une lceur que j'aime beaucoup , qui m'aime de même ; nous vivons retirées, mais a notre aife , grace a la bonté divine , & avec une cuifiniere agée , qui eft une honnête fille. Avant-hier nous nous défimes d'un garcon qui ne nous convenoit point, nous avions remarqué qu'il n'avoit pas de religion , auffi éroit-il libertin ; & je fuis fortie ce matin pour prier un Eccléiiaftique , de nos amis , de nous en envoyer un qu'il nous avoit promis. Mais ce Domeftique a rrouvé une maifon qu'il ne veut pas quitter, paree qu'il y eft avec un de fes freres , & il ne tiendra qu'a vous de tenir fa place , pourvu que vous ayiez quelqu'un qui nous réponde de vous. Hélas! Madame , fur ce pied-la, lui dis-Je, je ne puis profiter de votre bonne volonté , car je n'ai perfonne ici qui me connoifle. Je n'ai ete que dans la maifon dont je vous ai paré , oïi je n'ai fait ni bien ni mal : Madame y avoit pris de Paffeaion pour moi ; mais a cette heure elle eft retirée dans un Convent, ie ne fais lequel , & cette bonne Dame-la , avec un cuifinier de mon pays qui eft ici, mais qui n'eft pas digne de me préfenter a des perfonnes comme vous, voila toutes les camions que j'ai ; fi vous me donnez le temps de chercher la Dame , je fuis sür que vous ferez conrente de fon rapport. Pour Maitre Jacques le cuifinier, ce qu'il vous dira de mui ira pnr-deflus le marché. Mon enfant , me dit-elle , j'appercois une fincéiité dans ce que vous me dites , qui doit vous tenir lieu de Répondaiu. A ces mots nous nous trouvames a fa porte : montez , montez avec moi, me dit-elle , je pariera i a ma fceur. J'obéis, & nous entrames dans une mailon os  C 4'S ) tout rfie parut bien étoffé , 8c n*ont 1'arrangemen. 8c les moubles étoientdans le goüt des habits de nos dévotes. Netteté , ütnplicité 8c proprete , c'eft Ce qu'on y voyoit. On eik dit que chaque chambre étoit un Oratoire ; Fenvie d'y faire oraifon y prenoit en y enïrant; tout y étoit modefte Sc luifant , tout y invitoit 1'ame a y goüter la douceur d'un faint recueillement. L'autre fceur étoit dans fon Cabinet, qui les deux mains fur les bras d'un fauteuil, s'y repofoit de Ia fatigue d'un déjeuné qu'elie venoit de faire , 8c en attendoit la digeftiou en paix. Les débris du déjeuné étoient la fur une petite table ; il avoit été compofé d'une demi-bou. teille de vin de Bourgogne prefque toute bue, de deux ceufs frais , 8c d'un petit pain au lait. Je crois que ce détail n'ennuiera point, il entre dans le portrait de la perfonne dont je parle. Eh ! man Dieu, ma fceur, vous avez été bien long-temps a revenir, j'étois en peine ds vous, dit celle qui étoit dans le fauteuil a celle qui entroir. Eft-ce-la le Domeftique qu'on devoit nous donner ? Non , ma fceur , reprit l'autre , c'eft un honnête jeune homme que j'ai rencontré fur le PontNeuf, 8c fans lui je ne ferois pas ici ; car je viens de me trouver très-mal, il s'en elt appercu en paftant , Sc s'eft offert pour m'aider a revenir a la maifon. En vérité, ma fceur, reprit l'autre, vous vous faites toujours des fcrupules que je ne faurois approuver. Pourquoi fortir le matin pour aller loin , lans prendre quelque nourriture ? Et cela paree que vous n'aviez pas entendu la Meue. Dieu exiget-il qu'on devienne malade 1 Ne peut-on le fervir fans fe tuer ? Le fervirez-vous mieux quand vous aurez perdu la fanté , 5{ que yous vous ferez mis  ( 49 ) mis hors d'état «'aller a VEglife ? Ne faut-il pas que notre piété foit prudente"? N'eft-on pas obligé de ménager fa vie pour louer Dieu qui nous 1'a donnée , le plus long-temps qu'il fera poiTible ï Vous êtes trop outrée-, ma fceur , 8c vous devez tlemander conléil la-deiTus. Enfin , ma chere fceur , reprit l'autre , c'eft une chofe faite. J'ai cru que j'aurois aflez de force ; j'avois effeÊtivêment envie de manger un morceau en partant , mais il étoit bien matin , Sc d'ailleurs j'ai craint que ce ne fiit une délicatefle , & li on ne hafa'rdoit rien , on n'auroit pas grand mérite ; mais cela ne m'arrivera plus , car il eft; vrai que je m'incommodtrois : je crois pourtant que Dieu a béni mon petit voyage , pmfqu'il a permis que j'aie rencontré ce gargon que vous voycz : l'autre eft placé ; il n'y a que trok' nioisj que celui-ei eft a P^ris, il m'a fait fon hiftoire. je lui trouve de très-bonnes moeurs , Sc c'eft afTurément la Providence qui nous 1'adrelTe , il vent être lage , Sc notre condition lui convknt : que dites vous de lui ? II prévient aflez, répondit l'autre ; mais nous parierons de cela quand vous aurez mangé; appellez Catherine, ma fceur, afin qu'elie vous appporte ce qu'il vous faut : Pour vous , mon gargon , allez dans la cuïfute, vous déjeuneren aufli. A cet ordre je £s la révérence , Sc Catherine qu'on avoit appellée , mouta , on la chargea du foin de me rafraïchir. Catherine étoit grande, maigre , mife blanchement , Sc portant fur fa mine 1'air d'une dévotioti revéche , en colere , 8t ardente ; ce qui lui venoit apparemment de la chaleur que fon cerveau contra'Êtoit auprès dti feu de fa cUifinè 8c de fes fdn'rneaux , fans compter'que le cerveau d'une dévote , 8c d'une dévote Ciiifiniere , eft naturellement féc 8c b'tülé. Terne J. E  ( 5o ) Je n'en rlirois pas tant de celui d'une pieufe ; «3r il y a bien de la différence entre la véritable piété , & ce qu'on appelle communémcnt dévotion. Les dévots fachent le monde , Sc les gens pieux 1'édilientj les premiers n'ont que les levres de devots , c'eft le cceur qui 1'eft dans les autres ; les devots vont a 1'Eglilé fimplement pour y aller , pour avoir le plaifir de s'y trouver , Sc les pieux pour y ptier Dieu; ces derniers ont de 1'humilité , les dévots n'en veulent que dans les autres. Les uns font de vrais ferviteurs de Dieu , les autres n'en ont que la contenance ; faire oraifon pour fe dire je la fais ; porter a 1'Eglife des livres de dévotion pour les manier , les ouvrir , Sc les lire ; fe retirer dans un coin , s'y tapir pour y jouir lhperbement d'uhe pollure de méditatifs , s'exciter a des tranfports pieux , afin de croire qu'on a une ame bien diftinguée , li on en attrape ; en fentir en elfet quelques-uns que 1'ardenre vanitc d'cn avoir a fait naftre , 8c que Ie Diable ^qui he les KiTHe rnanquer de rien pour les tromper , leur donite. Revenir de-la tout gonflé de refpcft pour foi meme , Sc d'une orgucilleufe pitié pour les arms ordinairés. S'im3giner enfuite qu'on a acquis Ie droit de fe délalfer de fes faints exercices par mille petites moileflés qui foutiennent une fanté délicate. Tels font eeux que j'appelle des dévots , de la dévotion defquels le malin efprit a tout le ptofit , fcomme on le voit bien. A 1'égard des petfounes véritablement pieufes , elles font aimables pour les méchans meme , qui s'en accommodent bien mieux que de leurs pareiU ; car le plus grand ennemi du méchant eft celui qui lui reilUnble. Voila, je pehfe'j de quoi mettre mes penfées fur les dévots a l'.ibii de toute cenfure.  Reyenons a Catherine, a 1'occafion de qui-jai dit tout cela. , . Catherine donc avoit un trouiTeau de clefs a ia ceinture , comme une Tourriere de Couveiu. Apportez des ceuls frais a ma loeur , qui eft a jeun a 1'heure qu'il eft , lui dit Mademoifellc Haberd , fceur ainée de celle avec qui j'étois venu , Sc menez ce garcon dans votre ctiüine pour lui faire boire un coup. Un coup ! répondit Catherine d'un ton btufque & pourtant de bonne humeur , il en boira bien deux a caufe de fa taille. Et tous les deux a votre f.nté , Madame Catherine, lin dis-je. Bon , reprit-elle , tant que je me porterai bien , ils ne me feront pas de mal. Ailons, venez , vous m'aiderez a faire cuire mes ceuls. Eh ! non , Caiherine , ce n'eft pas la peine , dit Mademoifelle Haberd la eadette , donnez-moi le pot de confiture , ce fera aiTez : mais, ma fceur, ce.a 11e nounit point , dit IVinée , le« ceufsrr.e gotifl*roient, dit la eadette , Sc puis ma iceur par-ci , ma fceur par-la. Catherine , d'un geile lans appel, décida pour les.ceufs en s'en allant , a cauie , ditelle , qu'un déjeuné n'étoit pas un deflert. Pour moi je la fuivis dans fa cuifinc , oü elle'me mit aux mains avec un refte de ragoüt de la veille & des volailles ftoides , une bouteille de Vin prtfque pleine , & du pain a difcrétion. Ah ! le bon pain ! je n'en ai jamais mange d* meilleur, deplusblanc , de plus ragoütant , il fa ut bien des attentions pour faire un pain comme celuila ; iln'y avoit qu'une main dévote qui put l avoir pêtri, aufli étoit-il de la fagon de Catherine. Oh ! 1'excellent repas que je fis ! La vue ieule de la cuifine donnoit appétit de manger : tout y laitoit entrer en goüt. Mangez , me dit Catherine en fe mettant après fes ceufs frais, Dieu veut qu'on vive. Voila de quoi faire fa volonté , lui dis-je , 8c par-deiTns le max- E i  C 5* ) ché, j'ai grande faim. Tant mieux, reprit-eik} mais dites-moi , ' êtes-vous retenu ? Reftez-vous avec nous ? Je 1'efpere ainfi , répondis-je , & je ierois faien faché que cela ne fik pas , car je m'imagine qu'il fait bon fous votre direftion , Madame Catherine ; vous avez I'air fi avenant , fi raifonnable. Eh ! eh 1 reprit-elle , je fais du mieux que je peux , que le ciel nous affifte , chacun a fes rautes, & je n'en chomme pas, Sc le pis eft, c'eft que la vie fe paffe , & que phis 1'on va , plus on ,lCr.?"c 5 car le Diable eft toujours après nous , lEghle le dit: mais on baraille ; au furplus, je luis bien aife que nos DemoifeHes vous prennent , car vous me paroiffèz de bonne amitié. Hélas / 1 enez , vous reffemblez comme deux gouttes d'ea-u a defunt Eaptifte, que j'aipenfé époufer, qui étoit Dien le meilleur enfant 8c beau garcon comme vous ; mais ce n'eft pas-la ce que j'y regardois , quoique cela lafTe toujours plaifir ; Dieu nous 1'a öre , il eft le mafcre, il n'ya point a le contröler , mais vous avez toute fon apjaarence : vous parlez tout comme lui; mon Dieu, qu'il m'aimoit .' Je luis bien changée depuis ,■ fans ce que je changerai encore, je m'appelle toujours Catherine ;. mais ce n eft plus de même. 1 Ma ' Iui c!is-je , fi Baptifte nlétok pas mort-, il vous aimeroit encore ; car , moi qui lui ïeffem.nk , ie n'en ferois pas a deux fois. Bon f bon ! me dit-elle en riant, je fuis encore un bel objet , mangez , mon fils , mangez , vous direz mieux quand vous m'aurez regardée ie plus prés ; je ne vaux plus rien qu'a "faire mon falut , 8c c'eft biea ie la befegne : Dieu veuille que je 1'acheve ! . En difant en ces mots , elle ti-ra fes ceufs , que je yonjus porter en haut. Non , non , me dit-elle , déjeunez en repos , afin que cela vous pró'fité , je vais voir un peu ce qu'on penie de vous la-haut, je ereis que vousêus aotre.  (5!) tdit , & i'en dirai mon avis : nos DemoifeHes, ordinairement font dix ans a favoir ce qu'elles veulent , ik c'eft moi qui ai la peine de vouloir pour elles. Mais ne vous embarraflcz [pas , j'aura xbin de tout ; je me plais a fervir mon prochain , 8ï c'eft ce qu'on nous recommande au Próne. Je vous rends mille graces , Madame Catherine , lui dis-je , 8t fur-tout fouvenez-vous que je fuis un prochain qui reftemble a Baptifte. Mais mangez^donc , me dit-elle , c'eft le moyen de lui reflembler long-temps en ce monde; j'aime un prochain qui dure , moi : & je vous affure que votre prochain aime a durer, lui dis-je en la faluanc d'un rouge bord que je bus a fa fanté. Ce fut-la le premier eflai que je fis du commcrce de Madame Catherine , des difcours de laquelle j'ai retranché une centaine de Dieu foit béni, 8c que le Ciel nous afiifte , qui fervoient tantót de refrein , tantót de véhicnle a fes difcours. Apparemment que cela faifoit partie de fa dévotion verbale; mais peu m'importoit : ce qui eft sur , c'eft que je ne déplus point a la bonne Dame_, nor* plus qu'a fes Maitrefles , fur-tout a Mademoifelle Haberd Ia eadette, comme on le verra dans ia fuite. J'achevai de déjeuner en attendant la réponfo que m'appotteroit Catherine , qui defcendit bientöt , 8t qui me dit : Allons , notre Ami , il ne vous manque plus que votre bonnet de nuit , a.ttendu que votre gjte eft ici. Le bonnet de nuit, nous Paurons bientöt , lus dis-je ,• pour mes pantoufles ,.je les pone aöuellement. Fort bien , mon gaillard , me dit-elle, a-llez donc querir vos hardes , afin de revenir diner j, pendant que vous déjetlniez , vos gages couroient c'eft moi qui 1'ai conclu. Courent-ils en bon nombre h rcpiis-j* ? Oui, oui , me dit-elle en riant »jk ■ 3  i'entends bien , & ils vont un train fort honnête» Je m'en fie bien a vous, répondis-je , je ne veux pas fculement y regarder , 8c je vais gager que je fuis mieux que je ne mérite , grace a vos bons Ibins. Ah ! le bon Apórre , me dit-elle toute réjouie de la franchife que je mettois dans mes louanges ; c'eft Baptifte tout. revenu , il me femble que je> I'entends : alerte , alerte , j'ai mon diné a faire , xie m'amufe pas, laifie-moi travailler , 8t cours chercher. ton équipage ; es-tu revenu? Autant vaut , lui dis-je en fortant , j'aurai bientöt fait , il ne faut point de muiets pour amener mont bagage , &t. cela dit , je me rendis a mon Au"berge. Je fis pourtant en clierain quelques réflexions , pour favoir fi je devois enuer dans cette maifon ; mais., me difois-je , je ne couts aucun rifque , il n'y aura qu'a déloger fi je ne fuis pas content; en attendant , le déjeuné m'eft de bonne augure , il me femble que la dévotion de ces gens-ci ne compte pas fes morceaux, 8c n'eft pa s entêtée id'abftinence. D'ailieurs toute la maifon me fait bonne. mine on n'y hait pas les gros gaicons de mon age , je fuis déja dans la faveur de la Cuifiniere ; voila déja mes q. a-:re repas de sürs , 8c Ie cceur me dit , tout ira bien : courage ! Je me trouvai a la potte de mon Auberge en laifonnant ainft, je n'y devois rien que le bon foir a mon HöteiTe , 8c puis je n'avois qu'a décampcr avec mon paquet. Je fus de retour a la maifon, au moment qu'on slloit fe mettre a table. Malpeue , le fncculent petit diné 1 Voila ce qu'on appelle du potage , fans parlsr d'un petit plat de rót d'une finefie , d'une «uiiFon fi parfaite. II falloit avoir 1'ame bien a 1'épreuve du plaifir que peuvent donner les bons mo?WS*5». psui üe pas. donder, dans le pêché de. fr.a;t?  c 5* >. d'ife en mangeant de ce rör-la, & puis de ce ra* gtjüt ; car il y en avoit un d'une délicatefle d'aflai1'onnement que je n'ai jamais rencontré mille part. Si 1'on mangeoit au Cicl, j-e ne voudrois pas y être mieux fervi : fMahomet de ce repas-la en auroit pil' faire une des joies de fon Paradis-. Nos Dames ne mangeoient point de bouilli, il ne faifoit que paroitre fur la table , & puis ori' 1'Btoit pour le donner aux pauvres. Catherine a fon tour s'en palïbit , difoit-elle par charité pour etix , & je confentis fur le champ a devenir aufli charitable qu'elie. Rien n'eft tel quele bon exemple. Je fus depuis que mon devancier n'avoit pas eu, comme moi , part a l'aumène , paree qu'il étoif trop libertin pour mériter de la faire , £4 pour êtreréduit au rót Sc au ragout. Je ne fais pas , au refte , comment nos den» fceurs faifoient en mangeant , mais atfurément c'étoit jouer des gobelets , que de marager ainfï. Jamais elles n'avoient d'appétit, du moins on na voyoit point celui qu'elles avoient ; elles elcamotoient les morceaux , ils difparoilfoient , fans qu'elles paruflent y toucher. •On voyoit ces Dames fe fervir négligemment da leurs fourelrettes, a peine avoient-elles la force d'ouvrir la boucbe : elles jettoient des regards in* différens fur ce bon vivre : je n'ai point de goïit atijourd'hui. Ni moi non plus : je trouve tout fade*. Et moi tout trop falé. Ces d-ifcours-la me jettoient de la poudre aux yeux , de maniere que je croyois voir les créatures les plus dégoütées du monde , & cependant le réfultat de tout cela étoit que les plats fe trouvoient-fi confidérablement diminués quand on deffervoit , que je ne favois les premiers jours comment ajufter tout cela. Mais je vis a la fin de quoi j'avois .té la dupe»  ( 56 ) C'éroient de ces airs de dégoiïr que marquoknt nosr Maitrelfes , Sc qui m'avoient caché la lburde attivité de leurs dents. Et le plus plaifant, c'eft qu'elles s'imaginoknt elles-mêmes être de trés-petites Sc de très-fobrcs mangeufes : Sc comme il n'étoit pas décent que des dévotes fuifent gourmandes , qu'il faut le uourrir pour vivre ,. 8c non pas vivre pour matiger;-que malgré cette maxime raifonnable Sc chrétienne , kur appé;it glouton ne vouloit rien perdre , elles avoient trouvé le lecret de le laifkr faire , fans trempet dans fa gloutonnerie; 8c c'étoit par le moyen de ces apparences de dédain pour les vhndes , c'étoit par 1'iudolence avec laquelle elles y touchoient, qu'tiks fe perfuadoicnt être fobres , en le confervaut le plaifir de ne pas 1'être ; c'étoit a la faveur de cette lingerie que kur dévotion laitToit innocemmeut le champ libre a 1'intempérance. II faut avouer que le Diable eft bien fin, mais aufli que nous fommes bien fots ! Le deffert fut a 1'avenant du repas : confitures feches 8c liquides , 8c fur le tout de petites liqueurs, pour aider a faire la digeftion , 8c pour ravigoter ce goüt fi mortifié. Après quoi, Mademoifelle Haberd 1'ainée dilbit a la eadette : Allons , ma fceur , remercions Dieu. Cela eft bien jufte-, répondoit l'autieavec une plénitude de reconnoiflance , qu'alors elle auroit alfurément eu tort de difputer a Dieu. Cela eft bien jufte difoit-elle donc ; 8c puis les deux fceurs le levant de leurs fieges avec un recueillement qui étoifde la meilleure foi du monde , 8c qu'elles croyoient aufli méritoire que légitime , «lies joignoknt pofément les mains , pour faire une priere commune , oü elles fe répondoient par verfets 1'une a l'autre , avec des tons que. le fejrtirnent de leur bien-êire readoit extrêxnemeat: pithirique*.  C S7 ) Enfuite on órok le couvert ; elles fe lailToient . aller dans un fauteuil , dont la mollefie & la pro, fondeur invitoit au repos , & la on s'entretenoit de quelques réflexionJ qu'on avoit fakes d'après de faintes leftures , ou bien d'un Sermon du jour , ou de la veille , dont elles trouvoient le fuje-t admirablement convenable pour Monfieur, ou 'pour Madame une telle. Ce Sermon-ia n'étoit fait que pour enx ; 1'avarice , 1'amour du monde , l'orgueil & d'autres imperfeöions y avoient fi bien éré débattues. Mais, difoit une, comment peut-on alMerala fainte patole de Dieu , & n'en pas revenir avec le deifein dé fe corrigcr , ma fceur, comprenez-vous quelque chofe a cela ? . Madame une telle, qui pendant le Öarême eft venue aflidume.it au Sermon , comment 1'emendellc ? car je lui vois toujours le même air de coquetrerk. Era prop,os de coquetterie, mon Dieu ! que je fus fcandalifée l'autre jour, de ia maniere indecente dont Mademoifelle ** étoit vêtiu. Peuton venir a 1'Eglife en cet état-la ? Je vous dirsi qu'elie me donna une diftraöion , dont je demande pardau a Dieu, & qui m'empêcha de dire mes prieres. En vérité , cela eft effroyable ! Vous avez raifon , ma fceur , répondoit l'autre ; mais quand je vois de pareilles chofts , je baifte les yeux , & la colere que j'en ai, fait que je refufe de les voir , & que je lotie Dieu de la grace qu'il m'a faire de m'avoir du moins prélérvée de ces péchés-la , en le priant de tout mon cceur de vouloir bien éclairer de fa grace les perfonnes qui les commettent. Vous me direz , comment avez vous fu ces entretiens oü le prochain elTuyoit la digeltion de ces. I Dames ? C'étoit en ötant la table , eu ran.geant dans. la. «hambre ou elle.s étoi.eiu.. - 1  ( 5« ) Madamoifelle Haberd La eadette ,: après qtie 'few deiïervi , m'appella comme je m'en allois diner; & ine parlaot aflez bas , a caufe d'un léger aflbupiffement qui commencoit a clorre les yeux de fa fceur , me dit ce que vous verrez dans la feconde Partie de cette Hiftoire.  LE PAYSAN PARVENU, O V L ES MEMOIRES DE M***. SECONDE F ART IE. "I'A'ï dit dans la première Partie rle ma vie , que J Madetnoifellê Haberd la eadette m'appella , pendant que Ca fceur s'endormoir. Mon fils , me dit-elle , nous vous retenons ; j'y ai fait confentir ma fceur , & je lui ai répondu de votre fagefle ; car je crois que votfe phyfionomie Sc vos difcours de m'ont point trompée ; ils m'ont donné de .'amitié pour vous , 8t j'efpere que vous la mériterez. Vous ferez avec Gariwrirce, qui elf une bonne Sc vertueufe fille, 8c qui m'a patu aufli vous voir de bon ceil , elle vous dira de quoi nous fommes convenus pour yous ; je penfe que vous aur«z lieu d'être content,  (öö) Sc peut-être dans les luites le ferez vous encore (favautage • c'eft moi qui vous en affure. Allez, j ition fils , allez diner, lbyez toujours aufli honsête garcon que vous le paroiifez , comptez queje vous iltime , St que je n'oublierai point avec quel boa cceur vous m'avez feconrue ce matin dans ma foibleue. II y a des chcfes dont on ne peut rendre ni 1'efprit ni la manier* , 8c je ne fauroïs donner ufre iriée bien complete , ni de tout ce que figniftoft ' ' le difcours de Mademoifelle Haberd , ni de l'.iir dont elle me le tint. Ce qui eft de sur , c'eft que j fon vifage , fes yeux , fon ton difoient encore | plus que les paroles , ou du moins ajoutoient beau- ] coup au lens naturel de fes tenues; & je crus y remarquer une bonté,, une douceur affeftueufe ., une \ prévenance pour moi, qui auroient pu n'y pas être., qui ine furprirent en me rendant curieux de ce qu'elles vouloient dire. Mais en attendant , je la remerci-ai prefque dans ] le même goüt , Sc lui répondis avec une abon- '] dance de cceur , qui auioic mérité correction , li I mes remarques n'avoient pas été juftes , 8c apparemment qu'elles 1'ctoient-, puifque ma focon de ré- < pondre ne déplut point. Vous verrez dans les luites j oü cela nous conduira. . Je faifois ma révérence a Mademoifelle Haberd ï pour deicendre d.-ns la cuifine , quand un Eccléliafti- | qui' entra dans la chambre. C'-étoit le Directeur ordinaire de ces Dames : je dis ordinaire , paree qu'elles étoient amies de plufieurs autres Eccléliaftiqties qui leur rendoient J vilite , 8c avec qui , par furcroit , elles s'entrete- I noient aufli des affaires de leur confeience. Pour celui-ei , il en avoit la direétion en chef, | c'étoit 1'arbitre de leur conduite. Encore une fois, que tont ce que je dis-la ne fcandalife perfonne, & n'induife pas a penfer que • je  je raille indiftinftemer.t 1'ufage oü 1 on eft de don> ner fa confcience a gouverner a ce qu'on appclie des Direcleurs , 8c de les confuiter fur. routes fes actious. Cet ufage eft fans doute louable Si faint en lui, ir.ème , c'eft bien fait de le fuivre, quand on le tuit comme il faut , 8c ce n'eft pas de cela dont je badine ; mais il y a des minuties doiit les Directeurs ne devroient pas fe méler autli férieuüinent qu'ils le font , & je ris de ceux qui portent ieur dirtctiun jufques la. Ce Direfteur-ci étoit un aikz petit homme, mais bien fait dans fa t..ille un,peu ronde : il avoit le teint frais , d'une fraicheur repofée , 1'ceil vit r mais de cette vivacité qui n'a rien d'étourdi nï d'ardent. N'avez-vous jamais vu de ces vifages qui annoncentdans ceux qui les ont, je ne fais quoi d'accommpdant , d'indulgent 8c de coniblaut pour les autres, Sc qui lont comme lesgarants d'une ame rempl;e de douceur Sc de charité. C'étoit-la pofitiv,emeut la mine de notre Directeur. Du refte , imaginez-vous de courts cheveux , dont t'iui ne pafte pas l'autre , qui iiein , on ne peut pas mieux, Sc qui fe relevent en demi-boucles autour des joues , par un tour qu'ils prennent natureilernent , 8c qui ue doit rien au i'oin de celui qui les porte ; joignez a cela d = s .levres aflez verHieilles , avec de belles dcnts , qui ne font belles 8c blanches a leur tour que paree qu'elles fe trouvent heureufemenr ainfi fans qu'on y touche. Tels étoient les agrémens , foit dit iu.nocens , de cet Eccléfiaftique , qui dans fes habits u'avc it pas oublié que la Reügion même veut qu'on oï>ierve fur foi une propreté modeile , afin de at clioquer lés yeux (Je perfonne : il excédoi: fpnlement un peu de cette propreté de devoir } uiais.il Tome 1. ¥  (01) eft diflicile d'en trouver le point bien jufte , de lorre qne notre Eccléfiallique , contre ton intention , ians dou'e , avoit été jufqu'a 1'aiuftement. Mademoifelle Haberd 1'aïnée , qni s'étoit ailotipie , devina plUs fon arrivée qu'elie ne 1'enteudit, car il Bé fit pas grand bruiten entrant ; mais une dévote, en pareil cas , a 1'ou-ïe bien fubtile. Ctlle-ci 1'e réveilla fur le champ en fouriant de la bonne fortune qui lui venoit en dormant ; j'enlends une bonne fortune toute fpiritueile. Cet Eccléfiafiique , pour qui j'étois un vifage nouveau , me regarda avec affez d'attention. Eft-ce-la votre domeftique , Mafdames , leur dit-il ? Oui , Monfieur , c'eft un garqon que nous' ■avons d'aujourd'hui , répondit 1'ainée , & c'eft un iérvice qu'il a rendu a ma fceur qui en eft canfe. La-deftus elle fe mit a lui conter ce qui tn'étoit arrivé avec fa eadette , & moi je jugeai a propos de fortir pendant 1'hifloire. Quand je fus au milieu de 1'efcalier , fongeant sux regards que ce Direéteur avoit jettés fur moi, il me prit envie de favoir ce qu'il en diroit : Catherine m'attendoit pourtant dans fa cuifine ; mais n'importe , ie mourai doucement 1'efcalier. J'avois fermé la porte de la chambre , & j'en approchai mon oreille le plus prés qu'il me fut pofiible. Mon aventure avec -Mademoifelle Haberd la eadette fut bientöt racontée , de temps en temps je regardois a traveis la lérrure ; & de la maniere «lont le Bire.fteur étoit placé , je voyois fon vifage en plein , aufli-bien que celui de la luem" cadeite. Je remarquai qu'il écoutoit le récit qu'on lui faifoit, d'un maintien froid , penfif, & tirant fur Tauftcre. Ce n'étoit plus cette phyfionomie fi douce , fï iiuhilgenie qu'il avoit quand il eft enué dans ja  ( ) ne vous parciiïent pas juftes , je conclus que j-e vous fuis inutile , Sc qu'ii faut que je me retire. Comment ! Monfieur, vous retirer , s'écria 1'arnée : ah ! Monfieur , mon fa tul m'eft encore plus. cherr, ue ma fceur, & je fens bien qu'il n'y a qu'avec un aufli foint homrr.e que vous , que ja le puis faire. Vous retirer, mon Dieu ! Non , Monfieur, c'eft d'avec ma fceur qu'il faut que je me retire. Nous pouvons vivre féparément Tune de l'autre , elle 'n'a que faire de. moi, ni moi d'elle 5 qu'elie rede, je lui cede cette maifon ci , Sc ja vais de ce pas m'en chercher une autre , oïi j'eipere de votre piété, que vous voudrez bien me centinuer les vifites que vous nous rendez ici ï Eh ! jufte Ciel 1 oü en fommes-nous ? \ L'Eccléfiaftique ne re'pondit rien a ce dévot 8c même tendre emportement qu'on marquoit en fa faveur. Ne conferver que I'ainée, c'étoit perdra beauconp. II me fembla qu'il étoit estrêmement embarrafTé; Sc comme la fcene menacoit de devenir bruyante , par les larmes que I'ainée commengoit a répandre , 8? par les éclats de voix dont elle rempliftbit la chambre , je quittai mon pofte, 8c defcendis vite dans la cuifine, oü il y avoit prés d'un quart-d'heure que Catheiine m'attendoit pour diner. Je n'ai que faire , je penfe , d'expliquer pourquoi le Directeur opinoit fans quartier pour ma fonie, il leur avoit dit dans fon fermon qu'il étoit indecent que je demeuraffe avec elles ; mais je crois qu'il auroit paffé la-deffus ,. qu'il n'y auroit pas même fongé , fans un autre motif que voici; c'eft' qu'il voyoit la fceur eadette obftiné» a me garder , cela pouvoit fignifier qu'elie avoit du gour pour moi ; ce goüt pour moi auroit pu. la dégoflter d'être dévote , 8c puis d'être foumile » Ik adieu 1'autorité du Directeur : on aime a gouVemer les gens, 8c il y a bien de l.a douceuï  (1°) a les voir obéiiTans 8c attachés, a être leur Roi, pour ainfi dire, 8c un Roi fouvent d'autant plus ehéri , qu'il eft inflexible 8c rigoureux. Après cela , j'étois un gros garcon de bonne mine , 8c peut-être favoit-il que Mademoifelle Haberd n'avoit point d'antipathie pour les beaux gargons ; car enfin un Direfteut fait bien des choiés : retournons a notre cuifine. Vous avez été bien long-temps a venir, me dit Catherine, qui m'y attendoit en filant, Sc en faifant chaufter notre potage : de quoi parliez-vous donc tous fi haut dans la chambre \ J'ai entendu quelqu'un qui crioit comme un Aigle : Hé ! tenez , écoutez le beau tintamare qu'elles font encore ? Eft-ce que nos DemoifeHes fe querellent ? _Ma foi, Madame Catherine , je n'en fais rien, lui dis-je ; mais elles ne peavent pas fe querellet, car ce feroit oftenfer Dieu , 8c elles ne font pas capables de cela. Oh ! que fi , reprit-elle , ce font les meilleures filles du monde , cela vit comme des Saintes ; mais c'eft juftement a caufe de leur fainteté qu'elles font mutines entr'elles deux ; cela fait qu'il ne fe pafle pas de jour qu'elles ne fe chamaillent fur le bien , fur le mal , a caufe de 1'amour de Dieu qui les rend fcrnpuleufes ; 8c quelquefois j'en ai ma part aufli , moi ; mais je me moque de cela , j« vous les rembarre qu'il n'y manque rien , je haulle le coude , 8c puis je m'en vais , 8c Dieu par-deffus tout : Allons , mangeons , ce fera autant de fait. Ce que le Direfteur avoit dit de moi ne m'avoit pas óté 1'appétit : En arrivé ce qui poutra, difois-je en moi-même , mettons toujours ce diné k 1'abri du naufrage. La-deflus, je doublois les morceaux , 8c j'entamois la cuiffe d'un excellent lapereau , quand le bruit d'en haut redoubla jufqu'a dégénérer en charivari»  A qui diantre en ont-elles donc , dit Catheriue !a bouche pleine ? Ün diroir. qu'elles s'égorgent. Le bruit continua : il faut que j'y monte , ditelle ; je gage que c'eft quelque cas de confcience qui leur tourne la cervelle. Bon , lui dis-je , un cas dè confcience ; Eft-ce qu'il n'y a pas un Cafuifte avec elles ? 11 peut bien mettre le hola ; il doit favoir la Bible & i'Evangile par cceur; hé ! oui , me dit-elle en fe levant , mais cette Bible Sc cet Evangile ne répondent pas a toutes les fantaifies mufquées de gens , Sc nos bonnes Maïtrelfes en ont je ne fais combien de cellesla ; attendez-moi en mangeant , je vais voir ce que c'eft , 8c elle monta. Pour moi je fuivis fes ordres a la lettre , Sc je continuai de diner comme elle me 1'avoit rec.ommandé , d'autant plus que j'étois bien aife, comme je 1'ai déja dit, de me munir toujours d'un bon repas, dans 1'incertitude oü j'étois de ce qui pourroit m'arriver de tout ce tapage. Cependant Catherine ne revenoit point , 8c j'avois achevé de diner ; j'entendois quelquefois fa voix primer fur celles des autres , elle étoit reConnoiflable par un ton brufque Sc décifif, le bruit xontinuoit Sc même augmentoit. Je regardois mon paquet que j'avois porté le même jour dans cette maifon , Sc qui étoit refté dans un coin de la cuiline : j'ai bien la mine de te reporter, dilbis-je en moi-même , Sc j'ai bien peur que ceci n'arrête tout court les bons gages qu'on m'a promis , Sc qui courent de ce matin. C'étoit-la les penfées dont je m'entretenois , quand il me fembla que le tintamare baiflbit. Un moment après la porte de la chambre s'ouvrit , Sc quelqu'un defcendit 1'efcalier. Je me mis a 1'eutrée de la cuiline pour voir qui lbrtoit : c'étoit notre Directeur.  C N ) tl avoit 1'air d'un homme dont 1'ame eft en peine , il deicendoit d'un pas mal affuré. Je voulus repoufler la porte de la cuiline , pour m'éparguer le coup de chapeau qu'il auroit falia lui donner , en me montrant; mais je n'y gagrïa* ■rien , car il la rouvrir, Sc entra. Mon garcon, me dit-il en rappellant a lui toutes les reftburces de fon art, je veux dire , de ces ïons dévots Sc pathétiques , qui font fentir que c'eft un homme de bien qui vous parle. - Mon garcon, vous êtes ici la caufe d'un grand trouble. Moi! Monfieur, lui répondis-je. Hé ! je tti dis mot : ;e n'ai pas prononcé quatre paroles la-haut depuis que je fuis dans la maifon. _ N'importe , mon enfant, repartit-il, je ne vous dis pas que ce foit vous qui faffirï le trouble , mais c'eft vous qui en êtes le fajet, & Dieu ne vous demande pas ici , puifque vous en baunilTez la paix fans y contribuer que de votre préfence. Une de ces DemoifeHes vous fouffre volontiers , mais l'autre ne veut point de vous ; ainli vous metrez la divilion entr'elles, 5c ces filles pieufes , qui , avant que vous fuffiez ici, ne difputoient que de douceur , de complaifance Sc d'humilité l'une avec l'autre , les voila qui vont fe féparei p3$t 1'amour de vous ; vous êtes la pierre de feu. dale pour elles ; vous devez vous regarder comme rinftiiiment du Démon ; cMt de vous dont il fe iert pour les défunir , pour leur enlever la paix dans laquelle elles vivoient , en s'édifiant reciproquement. A mon égard , j'en ai le cceur faifi, Sc je vous déclare de la part de Dieu, qu'il vous arrivera quelque grand malheur, fi vous ne prenez pas votre parti. Je fuis bien-aife de vous arcir rencontré en m'en allant; car fi j'en juge par votre phylionomie , vous êtes un garcon fa ge 8c de bonnes mcenrs, Sc vous ne réfifterez pas aux con- feili  C7,) I. . feils que je vous donne pour votre bien , 5c pour celui de tour le monde ici. Moi! Monfieur, un gargon de bonnes mceurs, lui dis-je, après favoir écöuté d'un air diftrait & peu touché de fon exhortation. Vous dites que vous voyez a ma phyfionomie que je fuis fage « Non, Monfieur , vous vous méprenez , vous ne fongez pas a ce que vous dites , je vous foutiens que vous ne voyez point cela fur ma mine , au contraire , vous me trouvez l'air d'un frippon qui n'aiira pas les mains engourdies pour emporrer 1'argent d'une maifon ; il ne faut pas fe fier a moi , je pourrois foit bien couper la goige aux gens pour avoir leurbourfe : voila ce qui vous en femble. Eh ! qui eft-ce qui vous a dit cela , mon enfant , me répondit-il en rougilfant ? Oh ! reprisje , je parle d'aprcs un habile homme qui m'a bien envifagé , Dieu lui infpire que je ne vaux rien. Vous faites le difcret ; mais je fais bien votre pcnfée. Cet honnête homme a dit aufli que ie fuis; trop jeune , Sc que fi ces DemoifeHes me garrioient, cela feroit venir de mauvaifes penfées aux voifins. Sans compter que le Diable eft un évcillé qui pourroit bien tenter mes Maïtrefles de moi; car je fuis un vaurien de bonne mine, n'eft ce pas Monfieur le Directeur? Je ne fais ce que cela figuifie, me ditil , en bajiTant les yeux. Oh! que fi, lui répöndis-je. Ne trouvezvous pas encore que Mademoifelle Haberd la eadette m'aiTeGionne déja trop a caufe du fervice que je lui ai rendu! II y a peut-être un pêché la-delfous qui vent prendre racine , voyez-vous ? II n'y !t rien a craindre pour I'ainée , elle bien obéifiant» celle-la ; je pourrois refter s'il n'y avoit qu'elie, ma mine ne la dérange point, car elle veut biea qu'on me chaffe ; mais cette eadette fait 1'opiniatre, c'eft mauvais figne , elle me voüdroit trop de bien , 8c il faut qu'elie n'ait de 1'amitié qu'enTome /. G  C 74 ) vers fon Directeur pour le lalut de fa confcience, & pour le contentemenr de la vótre. Prenez-y garde pourtant ; car , a propos de confcience , lans la bonté de la vótre , la paix de Dieu feroit encore ici : vous le favez bien, Monfieur le Directeur. Qu'eft-ce que c'eft donc que ce langage , ditil alors 1 Tant y a , lui répondis-je , que Dieu re veut pas qu'on cherche midi ou quatorze heures 1 Rêvez a cela : quand vous prêchiez ces DemoifeHes , je n'étöis pas loin de la chaire. Pour ce qui eft de moi , ie n'y ent:nds point fineiTt ; je ne faurois gagner ma vie a gouvtrner les ülles, je ne fuis pas (i aife , Sc je la gagae a fiire le nacas des maifoiis ; que chacun dans fon métier ;ai!!e aufli droit que moi. 11 m'eft avis que le vótre eft encote plus cafuel que le mien , Sc je ne fuis pas aufli friand de ma condition que vous l'êtes de la vótre. Je ne ferai jamais donner con^é a perfonne , de peur d'avoir le mien. Notre homme a ce difcours tourna le dos , fans .me répondre , Sc fe rc'.ira. I! y a de petites vérités contre lefquelles on n'eft point en garde. Sa eoufulion ne lui donna pas le temps d'ajufter fa réplique , Si le plus court étoit de fe fauver. Cependant Catherine ne revenoit point , 8c je fus bien encore un quarr-d'heure a 1'attendre ; enli, i , elle defcendit , Sc je la vis entrer en ievant les mains au ciel , Sc en s'écriant : Hé ! mon lion Dieu , qu'eft-ce que c'eft que tout cela ? Quoi ! lui dis-je , Madame Catherine , s'eft-on battu la-haut 1 quelqu'un eft-il mort ? C'eft notre ménage qui fe meurt, mon pauvre garcon, me dir-tlle, le voila qui s'en va. Hé ! qui clt-ce qui 1'a tué , lui dis-je i Hélas ! reprit-ïile , c'eft le fcrupule qui s'eft mis après , Jk par le moyen d'uae predication de Moafteut  < 75 ) ., . ..- , Ie Directeur. II y a long-temps que , ai ciit que eet homme-la lailternoit trop après les conl- C'Mals' encore , de quoi «'agit-il, lui dis-je 1 Que tout eft chut, reprit-elle, & que nos Demoitclles ne peuveut p.lus gagner le ciel enfemble ; ««11»SGon , que c'eft affaire faitc , notre Demoifelle la eadette va louer une autre maifon , & elle m a dit que tu lVttendes, pour aller avec cbe , & _ vous n'avez qu'a m'attendre tous deux, cette ainee elt une pigriêche ; moi , fai la tête prés du bonnet , jamais les Prêtres n'ont pu me guirir de cela, car je fuis Picarde : cela vient du terroir , & comme deux têtes re valrnt rien dans une mailon , n tandra que j'aïlle porter la mienne avec la eadette qui n'en a point. A peine Catherine achevoit-elle ce ducours, que cette eadette parut. Mon enfant , me dit-elle en eptrant , ma lceur ne veut pas que vors reftiez ici , mais moi je vous P>rde- elle & 1'Eccléfiaflique qui fort , viennent de me'dire la deffus des chofes qui m'y engagent , & vous profiterez de 1'imprudence choquante avec laquelle cn m'a parlé. C'eft moi qui vous ai produit ici, je vous ai d'ailleurs obligation ; ainfi vous me fuivtez ; je vais de ce pas chercher un appartement ; venez m'aider a rcarcher , car je ne luis pas encore trop forte. . Allons, Mademoifelle, lui dis-je, n nya que vous qui êtes ma Maïtreffe ici. Sc vous lerez contente dc mon fervice affurément. Mademoifelle , dit alors Catherine , nous ne rjous quilterons pas non plus, enténdez vous l Je vous ferai ailleurs d'auffi bonnes fricaffees qu ici. Que votre aïnce s'accommode , je commencois a en être bien laffe; ce neft jamais fini avec elle , tantót ü v a trop de ei , tantót il y a trop ce ca , pardi, aiicz, fans vous il y auroit long-temps qus *■ G. z.  . . , . (-'6) j'aurois planté-Ia fa cuiline ; mais vous êtes clouce on eft chrétienne , Sc on prend patience , 8c puis je vous aime. Je vous remercie de ce fentiment-la , dit Mademoifelle Haberd , 8c nous verrons comment nous f erons , quand j'aurai arrêté une maifon. J'ai bsaucoup de meubles ici , je n'en puis fortir que dans deux ou trois jours , 8c nous aurons le temps de nous ajufter : allons , Jacob ,'partons. C'étoit le «om que j'avois pris , 8c dont cette Demoifelle fe jfouvint alors. Sa réponfe , a ce qu'il me parut , déconcerta un peu Dame Catherine , 8c toute prompte qu'elie étoit ordinairement a la répartie , elle n'en trouva point alors , Sc demeura muette. Pour moi je vis très-bien que Mademoifelle HaLerd n'avoit pas deflein qu'elie fut des nórres & , a diie la vérité , il n'y a pas grande pene ; car q.uoiqü'ellë bredouillat plus de prieres en un jour , qu'il n'en eut fallu pour un mois , fi elles avoient été conditionnées de 1'attcntion néceffaire ,. ce devoit être ordinairement la plus rcvêche 8c la plus brutale créatuie dont on put fe feryrr, Quand elle vous difoit une douceur , c'étoit du ton dont les autres querellent. Mais laiffons la bouder de la réponfe que Mademoifelle Haberd lui avoit faire. Nous partimes elle 8c moi , elle me ptit fous, le bras , Sc de ma vie je n'ai aidé quelqu'un a marcher d'auffi bon cceur que je le fis alors. Le procédé de cette bonne Demoifelle m'avoit gagné. Y a-t-il rien de fi doux que d'être sur de i'amttiéj de quelqu'un , 8c j'étois sur de la fienne , abfolument süt ? 8c même cette amitié , dont je ne. doutois pas , je ne faurois dire comment je la cpmprenois ; mais dans mon efprit , je la faifois d'une etpece ttès-flatteufe ; elle me touchoit plus que n'auroit du. faire une bieuveillance ordinaire. Jq  ( 77 ) Ru trcuivois des agrémens que cette dèfnière n'a pas , 8c j'en témoignois ma reconnoifiance d'une maniere aflez particuliere a mon tour : car il s'y Hiêloit quelque chofe de careilant. Quand cette Demoifelle me regardoit , je prenois garde a moi , j'ajuftois mes yeux ; 8c tous mes regards étoient prefqu'autant de complimens , 8£ cependant je n'aurois pu moi-même rendre aucune L»aifon de tout cela ; car ce n'étoit que par inftincï que j'en agilTois ainfi , Sc 1'inftina ne débrouille rien. Notis étions déja a cinquante pas de la maifon , Sc nous n'avions pas encore dit une parole ; mais nous marchions de bon cceur. Je la foutenois avec joie , Sc le foutien lui faifoit plaifir : voila du moins ce que je fentois , 8c je ne me trompois pas. Pendant que nous avancions fans parler , ca qui venoit , je crois , de ne favoir par oü comuiencer pour entamer la converfation , j'appercus un écriteau qui annoncoit a-peu-près ce qu'il faifoit d'appartemens a Mademoifelle Haberd , 8c jefaifis ce prétexte pour rompre.un filence , dont üuvant toute apparence nous étions tous deux. embarrafles. Mademoifelle, lui dis-je, vonlez-vous voir ce que c'eft que cette maifon-ci ? Nou mon enfant me répondit-elle , je ferois trop voifine de me iceur ; allons plus Ioin , voyons dans un autre•quartier. Eh ! mon Dieu , repris-je , Mademoifelle : Comment eft-ce donc que cette fceur a fait p0Ur fe brouiller avec vous , vous qui êtes fi. douce ? caron vous aimeroit quand on feroit un Turc. Moi, par exemple , qui ne vous ai vu que d'aujourd'hui ', J> rt'ai jamais eu le cceur fi content. Tout de bon ! Jacob , me dit-elle.. Oh ! prHi Mademoifelle „ hjl dis-je , cela eft aifé a connoitrs.^,  ( 78 ) il n y a qu'a me voir. Tant mieux , me dit-elle & tu fais bien ; car tu m'as plus d'obiigation que tu ne penfes. Tant mieux auffi , lui dis-je ;. car il n'y a riery qui fafle tant de plailir que d'avoir obligation aux perfonnes qui vous ont gagné 1'aine. Eh bien ! me dit-elle , appiends , Jacob , que je ne me fépare d'avec ma fceur qu'a caufe de toi. Je te le répete encore , tu m'as^fecourue tantót avec ïant d'empreffement, que j'en ai été férieufement aouchéë. Quel bonheur pour moi ! repris-je , avec un^efte qui me fit un peu ferrer le bras que je lui te«ois. Dieu foit loué d'avoir adreifé mon chemin fur le Pont-Neuf ! Pour ce qui eft du fecours qua je vous ai donné , il n'y a pas tant a fe récrier , Mademoifelle ; car qui eft-ce qui pourroit voir une perfonne comme vous.fe trouver mal , fans en être en pfeine ? j'en ai été tout en frayeur. Tencz , ma Maitrefle , je vous demande pardon de mes paroits ; snais il y a des gens qui ont une mine qui rend lous les pafliins leurs bons amis , Sc de ces mines-la , votre mere , de fa grace , vous en a donné une. Tu t'expliques ptaifamment, me dit-elle ; mais ïi naïvcment , que tu plais. Dis-moi , Jacob , que font ïes parens a la campagne ? Hélas ! Mademoifelle, lui dis-je , ils ne font pas riches , mais pour honora,hies : oh ! c'eft la crème de notre Paroifte , il n'y a pas a dire non. Pour ce qui eft de la profeffion., mon pere eft le vigneron Sc le fermier du Seigneur •ie notre Village. Mais je dis mal , ie ne fais plus ce qu'il eft , il n'y a plus ni vignes ni ferme ; c^t notre Seigneur eft mort , Sc. c'eft de fon logis de Paris que ie fors. Pour ce qui eft de mes autres parens , ce n'eft pas du fretin non plus., on les «.ppelle Monfieur 8c. Madame. Hors une tante que j'ai.quine s'appelle que Mademoifelle , faute d'avoir.  C 79 ) étc mariée au Chirurgien de notre pays-, qwist put achevet la ncce a.caufe qu'il mourut ; & par dépit de cette mort , ma tante s'efl mife a être. MaitrelTe d'Ecole de notre Village j.on la falue ,.. il faut voir. Outre cela , j'ai deux oncles, donc, 1'un eft Curé , qui a toujours de bon vin chez, lui , & l'autre a penfé. 1'être plus de trois fois ; mais il va toujours. fon train de Vicaire , en atteudant mieux. Le Tabellion de chez nous eft aufli. notre coufin pour le moins,. & même on dit par. le pays , que nous avons eu une grand'mere qui étoit la fille d'un.Gentilhomme : il eft vrai , pour. n'en pas mentir, que c'étoit ducöté gauche mais le cóté drait n'en elt pas plus loin , on arrivé en ce monde du cöté qu'on peut, 84 c'eft toujours de la noblefle a gauche. Au refte , ce font tous de braves gens , St voila au jufte tout le compta de la parenté , finon que j'oublie un petit marmot de coufin qui ne fait encore rien que d'être au maillot. Eh bien, reprit Mademoifelle Haberd ,.on peut appelier cela une bonne familie de campagne , & il y a bien des gens qui font figure dans le monde & qui n'ont pas une fi honnête origine. Nous autres , par exemple , nous en avons une comme la vótre , tk je ne m'en tiens pas déshonorée. Notre pere étoit le fils d'un gros fermier dans la Beauce , qui lui laifla de quoi faire un grand négoce , nous foromes reftées ma fceur & moi fort a notre aife. _ . Cela fe connoit fort bien, lui dis-je , _au bon ménage que vous tenez , Mademoifelle , & j'en fuis ravi pour 1'amour de vous , qui mériteriez d'avoir toutes les métairies de la ville Si fauxbourgs dï Paris ; mais cela me fait fonger que c'eft grand domrnage que vous ne laiffiez perfonne de votre race , il.y a tant de mauvaife graine dans le monde , que c'eft pêché de n'en pas porter de bonne. quand,  (8o) ttn Ié peut , 1'un raccominode l'autre ,. & les galans ne vous auroient non plus manqué que Peau a la riviere. Peut-être bien, me dit-elle en riant ; mais il n'eft plus temps , ils me manqueroient aujonrd'hui ,. mon pauvre Jacob. Ils vous manqueroient , m'écriai-je. Oh ! que nenni, Mademoifelle ; il faudroit donc pour cet effet que vous mifliez un crêpe fur votre vifage ,. car tant qu'on le verra , c'eft du miel qui fera venir les mouches. Jarni de vie, qui eft-ce qui ne voudroit pas marier fa mine avec la vótre , quand même ce ne feroit pas par-devant Notaire 1 Si j'étois auffibien le fils d'un pere qui ent été 1'enfant d'un gros fermier de la Beauce , Sc qui eüt pu faire le négoce : ah pardi , nous verrions un peu ft. ce minois-la pafferoit fon chemin fans avoir affaire a moi. Mademoifelle Haberd nerépondoita me's difcours qu'en riant prefque de toute fa force , 8c c'étoit d'un rire qui venoit moins de mes plaifanteries , que des éloges qu'elles contenoient. On voyoit que fon cceur favoit bon gré au mien de lés difpofi» tions. Plus elle rioit, plus ie pourfuivois. Petit a petir mes difcours augmentoient de force , d'obligeans ils étoient déja devenus flatteurs , 8c puis quelque chofe de plus vif encore , 8c puis ils approchoient du tendre ; Sc puis, ma foi , c'étoit de 1'amour au mot prés que je n'aventurai point, paree que je le trouvois trop gros a prononcer ; mais je lui en donnai bien la valeur 8c de refte. Elle ne faiioit pas femblant d'y prendre garde Sc laiffbit toutpaffer, fousprétexte du plaifir innocent qu'elie prenoit a ma naïveté. Je profitai fort bien de fon hypocrite facon da m'entendre. J'ouvris alors les yeux fur ma bonne fortune, Sc je conclus fur le champ qu'il taüoit  («I) qu'elie eut du penchant pour moi, puifqu'elle n'af» rétoit pas des difcours aufli rendres que les miens,'. Rien ne rend li ainaable que de fe croire aimée;. Ik comme j'étois natureliement vif,que d'ailleurs ma vivacité m'emportoit, Sc que j'ignorois 1'arC des détours ; qu'enfin , je ne metrois pas d'autre Trein & mes penfées , qu'un peu de retentie maladroite, que 1'impunité diminuoit <■ ...*ur moment ^ je laiffois échapper des tendreflöl étonnantes , 5c cela avec un courage , avec une ardcur qui perfuadoient dn moins que je difois vrai , Sc ce vraila plaïr toujours , même de la part de ceux qu'on n'aime point. ; Notre conVerfation nous intéreffa tant tous deux,, que nous en avious oublié la maifon qu'elie vouloit -Joucr. A la fin pourtant, 1'embarras que nous trouva-mes dans une rue nous forca de nous interrompre, Sk je remarquai que Mademoifelle Haberd avoit les yeux bien plus gais qu'a 1'ordinaire. I Pendant cet embarras dei rue , elle vit a fon tour un écriteau. J'alme affez ce quanier-ci , me dit-elle (c'étoit du cöté de Saint Gervais) voici •tine m;.iion a louer, allons voir ce que c'eft. Nous y entrames efteftivement, Sc nous demandames a. voir 1'appartement qui étoit a louer. La propriétaire de cette maifon y avoit fon logement, elle vint a neus, C'étoit la veiive d'un Procureur qui lui avoit laiflé affez abondamment de quoi vivre , Sc qui vivoit a proportion de fon bien. Femme avenant* au refte , a-peu-près deTSge.de Mademoifelle Haberd , aufïï fraiche , Sc plus graffe qu'elie ; un, peu commere par le babi! , mais commere d'un bon efprit, qui vous prenoit d'abord en amitié ,. qui vous ouvroit fon cceur, vous contoit fes affaires , vous demandoit les vótres , ck puis revenoit aux fi.ennes, Sc puis. a vous. Vous parloit de fa fille,,  ■ ear elle en avoit mie ; vous apprenoit qu'elie avoSt 9 dix-huit ans , vous racontoit les accideiis de fcn bas-age , les maladies , tcmboit enfuite fur le ■ chapitre de défunt fon mari , en prenuit 1'hiftoire du te:nps qu'il étoit g.ircon , 8t puis venoit a leurs amoiirs, difoit ce qu'ils avoient duré , paffoit dela a leur mariage , enfuite au récit de la vie qu'ils avoient mei" ■ enfemble ;c'étoit le mcilleur homme du monde , très-appliqué a fon étude , aufli avoitil gagné du bien par fa fagelfe St par fon économie : un peu ploux de fan naturel , Sc aufli paree qu'ii 1'aimoit beaucoup-, fujeJ a la gravelle ; Dieu faitce qu'il avoit fouflert , les foins qu'elie avoit eus de lui : enfin il étoit mort bien chréiiennemenf. Ce qui fe difoit en s'efliiyant !ss yeux qui en effe-t larmoyoient, a caufe que la trifïefle du récit le voulfbit, & non pas a saufe de la chofe même ; car de- la on alloit a un accident de ménage qui demandoit d'être dit en riant , St on rioit. Pour faire ce portrait-la., a\i rede il ne m'en a coüté que de me reffbuv.enir de tous les diicours que nous tint cette bonne veuve , qui après que I nous tümes vu 1'appar.tement en queflion , Sc ea atrendant que nous eonvinffions du prix fur lequel il y avoit difpute , nous fit entrer dans une chambre oü étoit fa fille , nous fit affeoir ami» c -iement, fe mit devant nous , & la , nous accabla , li cela fe peut dire , de ce déluge de confiance St des récits que je vous rapporte ici. Son babil m'ennuya beaucoup r moi; mais il n'empê.cha pas que fon caraftere ne me plut , paree qu'on fentoit qu'elie ne jafoit tant, que paree qu'elie avoit 1'innocente foibleffe .d'aimer a parler, Sc comme qui diroit une bonté de cceur babillarde. Elle nous nffrit la collation , la fit venir, quoique nous la refufaflions ; nous fit manger fans que nous en euffions envie , 8c nous dit qu'elie ne nouslaifleroit pas fortir que nous ne fuflions d'ac.cord. Je.  'dis nous , car on fe r.ippéflerd qtie j'avois un h:\nt ütii & fans livrée , que m'avoit fait'faire la femme du Seigneur de notie Village ; Sc dans cet equipage dont j'avois 1'aflTortiraent, avec la phyfionomie que je portois , ou pouvoit me prendre ou pour un garcon de bouuque , ou pour un parent de Mademoifelle Haberd. Kt la maniere fimple , quoiqu'honnête , don: elle étoit elle-même vêtue , permetroit qu'on me fit cet honneur-ta , d'autant plus que dans la conVerfario'n , cette Demoifelle le tournoit fouvent de mon cöté d'un air amical Sc faniilier ; 8c moi je m'y conloruiois, comme li elle m'avoit donné le mot. Pour en agir ainfi, elle avoit fes raifons, que je ne pénétrois pas éncore : mais fans m'en emJjarraffer , je prenois toujours , 8c j'étois charmé de fon procédé. La féance dura bien deux bonnes heures , un peu par la faute de Mademoifelle Haberd qui ne naïflbit pas les entretieiis diffus , 8c qui perdoit Ion ftemps aflez volontiers. II faut bien fe fentir de ce qu'on eft : toute femme a du caquet ., ou s'amufe avec plaifir de celui des autres ; 1'amour du babil eft un tribut qu'elie paie a fon fexe. II y a pourrant des femmes fiientieufes ; mais je crois que ce n'eft poinr par caraftere qu'elles le font, c'eft 1'expérience ou Pédueation qui leur ont appris a le devenir. Enfin , Mademoifelle Haberd fe reffouvint que nous aviens du chtmin a faire pour nous en retour» ner ; elle fe leva. Ou paria encore affez long-temps d .'bout, après quoi elle s'approeha de la porte , oii fe fit une autre liation , qui enfin terminn I'entretien , Sc pendant laquelle Mademoifelle Haberd Careffée , flattée fur j fon air doux Sc modefte , fur 1'opiuion qu'on avoit de fes bonnes qualités, morales Sc chrérieiiues, de fon aimable caraftere , cöriclut aufli le marché I de 1'appancmeuti  C n ) ïl Fut arrêté qu'elie y viendroit lbger trots jour» -Sprès , on ne demanda ni avec qui , ni combien elle avoit de pert'onnes qui la fuivroient ; c'eft ■une queftion qu'on oublia dans le nombre d- s chofes qui furent dites. Ce qui fut fort heureux ; car on verra que Mademoifelle Haberd auroit été trèsembarraftee s'il avoit fallu répoudre fur le champ la-deffus. Nous voila donc en chemin pour nous en retourner ; je paffe Une infiniré de chofes qus nous nous dïmes encore Mademoifelle Haberd Sc moi. Nous pariames de 1'Hótéfle chez qui nous devto-ns loger. J'aime cette 'femme-la , me dit-elle , i! y a apparence que nous ferons bien chez elle , Sc il me tatde déja d'y être : il ne s'agit plus que de trouver une Cuilluiere ; car je t'avoue , Jacob , que je ne veux point de Catherine ; elle a 1'efprit rade Sc difficile , elle feroit toujours en commerce avec ma fceur qui eft naturellement curieufe ( fans compter que routes les dévotes le font ) elles fe dédommagent des péchés qu'elles ne font pas, par le plailïr de favoir les péchés des autres; c'eft toujours autant de pris ; Sc c'eft moi qui fais cette réflexion-la , ce n'eft pas Mademoifelle Haberd , qui continuant a me parler de fa fceur , me dit : puifque nous nous féparons , i! faut que la chofe foit fans retour, voila qui eft fini-; mais tu ne fais pas faire la cuiline, 8c quand tu la faurois faire , mon intention n'eft pas de t'employer a cela. Vous m'emploierez a tout ce qu'il vous plaira , lui dis-je : mais puifque nous difcourons fur ce lujet, eft-ce que vous fongez pour moi a quelqu'autre ouVrage ? Ce n'eft pas ici le lieu de te dire mes penfées , . ïeprit-elle , mais en attendant, tu as du remarquer que je n'ai rien dit chez notre Höteffe qui put te faire connoitre pour un domeftique ; elle n'aura pas  pas non plus deviné , üir ton habit , que tu en es un , ainfi je te recominaude , quand nous irons chez elle , de régler tes manieres fur les miennes. Ne m'en demande pas aujourd'hui d'avaurage , c'eft la tout 1'éclairciflément que je puis te donner a préfent. Que le Ciel béniffe les volontés que vous avez , répondis-je , enchanté de ce petit difcours quï me parut d'un bon pronoftic : mais écoutez , Mademoifelle , il faut encore ajufter une autre affaire j on pourra s'enquêter a moi de ma petfonne , & me dire , qui êtes-vous 1 Qui n'êtes-vous pas 1 Or , i votre avis, qui voulez vous que je fois ? Voila que vous me fakes un Monfieur , mais ce Monfieur , qui fera-ce ? Monfieur Jacob ? Cela va-wl bien ? Jacob eft mon nom de baptême , il eft beau 8c bon ce nom-la ; il n'y a qu'a le laiffer comme il eftfans le changer contre un autre qui ne vaudroic pas mieux , ainfi je m'y tiens , mais j'en ai befoin d'un aurre : on appclle notre pere le bon homme de la Vallée , & je ferai Monfieur de la Vallée fon fils, fi cela vous cor.vient. Tu as raifon, me dit-elle en riant, tuas raifon , Monfieur de la Vallée , appelle-toi ainfi ■ il n'y a pas encore Ia tout , lui dis-je , fi on me dit, Monfieur de Ia Vallée , que fakes-vous chez Mademoifelle Haberd \ Que faut-il que tt reparte ? Hé bien ! me re'pondit-elle , la difficulté n'eft pas grande ; je ne laifferai pas long temps let chofes indécifes , & dans 1'appartement que je vienS de prendre , il y a une chambre très-éloignée de» 1'endroit que i'habiterai , tu feras Ia a part, St décemment fous le titre d'un parent qui vit avec moi, St qui me fecoure dans mes affaires : d'ailleurs, comme je te dis, nous nous mettrons bieiüót touta-fait a notre aife fur cet article-la , quelques jours fuffiront pour me déterminer a ce que je médite, St il faut fe hater; car les circonrta,gces ne perTe mi J. 'd  C8(5) mettent pas que je differe. Ne patles de rien ati logis de ma fceur j 8c vis a ton ordinaire durant le peu de temps que nous y ferons : retourue dès deroain chez notre Hótefle , elle me paroit obligeante ; tu la prieras de vouloir bien nous chercher une Cuifiniere : 8c fi elle te fait des queftions qni te regardent , réponds-y fuivant ce que nous venons de dire : prends le nom de la Vallée , 8c fois mon parenttu as alfez bonne mine pour cela. Verti'bleu ! que je fuis aife de toute cette manigance-ia , m'éctiai-je ; que j'ai de joie qui me trotte «lans le cceur , fans favoir pourquoi ; je ferai donc votre coufin ! Pourtant , ma coufine, fi on me mettoit en même de prendre mes qualités , ce ne feroit pas votre parent que je voudrois être : non , j'aurois bien meilleur appétit que cela ; la parente me fait bien de 1'honneur, néanmoins ; mais quelquefois 1'honneur 8c le plaifir vont de compagnie : ja'eft-ce pas 1 Nous approchions du logis pendant que je parlois ainfi , Sc je fentis fur le champ qu'elie ralenliffbit fa marche , pour avoir le temps de me répondre, 8c de me faire expliquer. Je ne vous entends pas bien , Monfieur de la Vallée , me dit-elle d'un ton de bonne humeur , 8c je ne fais pas ce que c'eft que cette qualité que vous voudriez. Ho ! malpefte ! coufin^ ,, lui dis-je, je ne faurois m'avancer plus avant , 8c je ne fuis pas un homme è perdre le refpect envers vous , toute ma parente que vous êtes , mais fi par hafard , quelque jour vous aviez envie de prendre un camarade de ménage ; la, de ces garcons qu'on n'envoie point dans Une chambre a part, Sc qui font aflez hardis pour dormir a cöté du monde : comment appelle-t-on la profeffj^n de ces gens-la ? On dit chez nous que c'eü .es .naris. Eft-ce ici de même l Hé bien »  C 87 ) eette qliahtt, par exemple , le camarade qui 1'aura « 6t que vous prendrez, la voudroit-il troquer contra la qualité de parent que j'ai de votre grace .'•■Répondez en eonfcience 1 Voila mon énigme , deviiiez-la. Je t'en dirai le mot une autre fois , me dit-ella en fe tournant de mon cöté avec bienveillauce ; mais ton énigme eft jolie : Oui dn , coufine , repliquai-je , on en pourroit faire quelque chofe de bon , fi on vouloit s'entendre. Paix , me dit-elle alors , il n'eft pas queftion icï d'un pareil badinage , St dans 1'inftant qu'elie m'arrêta , nous étions a la porte du logis , oü nous arrivSmes a 1'entrée de la nuit. Catherine vint su-devant de nous, toujouts fort intriguée des intentions de Mademoifelle Haberd fur fon chapitre. Je ne dirai rien des fagons empreftees qu'elie eut pour nous, ni du dégout qu'elie difoit avoir pour le fervice de la fceur ainée , St ce dégcü:-la étoit alors fincere , paree que la retraite de la foeur eadette alloit la laifler feiile avec l'autre ; mais aufli, pendant que leur union avoit duré, Dame Cathérine n'avoit jamais fait fa cour qu'a I'ainée , dont Pefprit impérieux St tracafiier lui en impofoir davant3ge , Sc qui d'ailleurs avoit toujours gouyerné la maifon. Mais la fociété des deux fceurs finiffant , cela changeoit la thefe , 8t il étoit bien plus doux de paffer au fervice de la eadette , dont elle auroit été la mairreffe. Catherine nous apprit que I'ainée étoit fottie, St qu'elie devoit coucher chez une dévote de fes amies, de peur que Dieu ne fut offtnlé , fi les deux fceurs fe revoyoient dans la conjouöure préfente : & tant mieux qu'elie foit partie , dit Catherine , nous en fouperons de meilleur cceur, n'eft-ee pas, Mademoifelle ? Affurément, reprit H *  Mademoifelle Haberd , ma fceur a fait prudemment , & elle eft la maitreffe de fes a&ions , comme je la fuis des miemies. A cela fuceéderent plufieurs petites queftions de la part de la careffante Cuifiniere : Mais vous avez été bien long-temps a revenir. Avez-vous retenu «ne maifon? Eft-elle en beau quattier ? Y a-t-il Join d'ici? Serons nous prés des marchés ? La cuiline eft-elle commode ? Aurai-je ma chambre ? Elle obtint d'abord quelques réponfes laconiques ; j'eus aufli ma part de fes cajoleries, a quoi je repanois avec ma gaillardife ordinaire , fans lui «n apprendre plus que ne faifoit Mademoifelle Haberd fur qui je me réglois. Nous parierons de tout cela une autre fois , Catherine , dit celle-ci , pour abréger , je fuis.trop laffe a préfent ,. faites-mo.i foupet de bonne heure , afin que je me couche. Et la-deffus elle monta a fa chambre , St j'aliai mettre le couvert pour me fouftraire aux importunes interrogations de Catherine , dont je m'attendois bien d'être perfécuté quan- nous ferions enfemble. Je fus long dans mon fervice , Mademoifelle Haberd étoit revenue dans la chambre ou je mettois le couvert , St je plaifantai avec elle de 1'iaquiétude de Catherine ; fi nous la menions avec nous , lui difois-je , nous ne pourrions plus être parens , il n'y auroit plus de Monfieur de la Vallée. Je 1'amufai de pareils difcours,. pendant qu'elie faifoit un petit mémoire des meubles qui lui appar.«oient , tk qu'elie ctevoit emporter de che^la fceur; car fur 1'éloignement que. celle-ci témoignoit pour elle en s'abfentant de la maifon , elle avoit deffein , s'il étoit poflible , de coucher le tendemain dans fon ,nouvel appartement. Monfieur de la Vallée , me dit-elle en badinant,,  ( 89 ) Vas demain , le plus matin que tu pourras , me chercher un Tapiflier pour détendre mon cabinet & ma chambre , & dis-lui qu'il fe charge aufli des: voitures néceffaires pour emporter tous mes meubles ; une journée fuffira pour tranfporter tout, (I on veut aller un peu vite. Je voudrois que cela fut déja fait , lui dis-je i tant j'ai hate que nous buvions enfemble ; car labas , il faudra bien que mon afliette foit vis-a-vis la vöne ; attendu qu'un parent prend fes repas; avec fa parente , ainfi faires votre compte , que dès demain tout fera détalé dès lept heures dl* raarin. Ce qui fut conclu , fut exécuté. Mademoifelle Haberd foupa. Devenu hardi avec elle , je Pinvitai a boire a Ia fanté du coufin le dernier coup que je lui verfai , pendant que Catherine , qui de temps en temps montoit pour la fervir , étoit allée dans fa cuifine. La fanté du coufin fut bue , il fit raifon fut Ie champ: car dès qu'elie erit vuidé fa tafie, ( ?<. c'en étoit une ) je la remplis d'une rafade de vi:i p.ur : & puis a votre fanté , coufine. Après quoi je defcendis pour fouper a mon tour. Je mangeai beaucoup , mais je machai peu pour avoir plutót fait , aimant mieux courir les rifques. d'une. indigeflion , que de demeurer long-temps avec Catherine , dont I'inquiete curiofité mc tra — calfa beaucoup ; & fous le préteXte d'avoir a me: lever matin le lendemain , je me retirai vite enla laiflant triftement ébahie de tout ce qu'elievoyoit, aufli.bien que de. la précipitation avec. laquelle j'avois enfalfé mes morceaux , fans luii avoir répondu que des monofyllabes. Mais, Jacob ,. dis-moi donc ceci l conte-moi: donc cela ? Ma foi , Madame Catherine , Mademoifelle Haberd a loué une maifon , je lui aai èoiuié. Is. hias dans.les chemins „ nous étions-tilis  nous fommes revenus ; voila tout ee que je fais, bon foir. Ah .' qu'elie m'tüt de bon cceur dit des injures, mais elle efpéroit encore , St la brutale n'oibit faire du bruit. II me tarde d'en venir a de plus grands événerr.ens : ainfi paifons yite a notre nouvelle maifon. Le Tapiffier eft venu Ie lendemain , nos meubles font partis , nous avons diné debout, remettant de mahger mieux 8t plus a notre aife au foupé «fans notre nouveau gite. Catherine convaincue «nfin qu'elie ue nous fuivra pas nous a traités a 1'avenantde notre indifférence pour elle , 8c comme le méritoit la banqueroute que nous lui faifions ; elle a difpüté la propriété de Je ne fais combien de nippes a Mademoifelle Haberd , 8c foutenu qu'elles étoient a fa fceur ainée : elle lui a fait mille chicanes , elle m'a voulu battre , moi qui I-lTemble a ce dé-font Baptifte , qu'elie m'a dit qu'elie avoit tant aimé. Mademoifelle Haberd a écrit un petit Billet qu'elie a 'lifle fur la table pour fa fceur , St par lequel elle'i'avertit que dans lept ou huit jours elle viendra pour s'arranger avec elle , 8c régler quelques petits intéréts qu'elles ont a vuider enfemble. Un Fiacre eft venu nous prendre , nous nous y fommes emballés fans facon la coufine 8c moi ; 8c puis fouette cocher. Nous voila af-l'autre maifon , 8c c'eft d'ici qu'on ■va voir mes avantures devenir plus nobles 8c plus importantes ; c'eft ici ou ma fortune commence : ierviteur au nom de Jacob : il ne fera plus quefaion que de Monfieur de la Vallée , nom qut j'ai porté pendant quelque temps, 8c qui étoit eftltti■vement celui de mon pere , mais a celui-la on «n joignoit un autre qui fervoit a le diftinguer «i'un de fes freres , & c'eft fous cet autre nom qu'on sne connoit dans le monde ; c'eft celui-ci qu'il n'eft pas néccffaire que je dife , 8c qué je ne pi is %u'?ptès la mort de Mademoifelle Haberd, non  <91 \ „ pa« que je ne fuffe content de 1 autre , maispareque les gens de mon pays s'obftinerent a ne -Rappeller que de ce nom-la, Paflbns a l'autre maifon. Notre Hötelfe nous recur comme fes amis les plus intimes. La chambre oü devoit coucher Mademoifelle Haberd étoit déja rangée , & j'avois un petit lit de camp tout pret dans 1'endroit qui m'étoit réfervé , & dont j'ai fait mention. II ne s'ap.iflbit plus que d'avoir de quoi fouper , le RótiiTcur qui étoit a notre porte , nous eüt foumi ce qu'il falloit , mais notre obligeante Hötcffe . a qui j'avois dit que nous arriverioi s le foir même , y avoit pourvu , 8t voulut ablolument que nous foupaffions chez elle. Elle nous fit bonne chere, St notre appétit y fit honneur. Mademoifelle Haberd commenca d'abord par étabür ma qualité de coufin , a quoi je ripoftai fans facon par le nom de coufine ; 8c comme il me reftcit encore un petit accent, 8t même quelques expreffions de Village , on remédia a cela par dire que j'arrivois de la campagne , St que je n'étois a Paris que depuis deux ou trois mois. Jufqu'ici donc mes difcours avoient toujours euj une petite tournure champêtte ; mais il y avoit plus d'un mois que je m'en corrigeois affez bien quand je voulois y prendre garde , St je n'avois conftrvé cette tournure avec Mademoifelle Haberd, qu'a caufe que je m'étois appercu qu'eib me réufliffoit auprès d'elle , 8c que je lui avois dit tout ce qui m'avoit plu a la faveur de ce langage ruftique ; mais il eft cert3in que je parlois meilleur francois quand je voulois. J'avois déja acquis affez d'ufage pour cela , 8c je crus deyoir m'appliquer a parler mieux qu'a 1'ordinaire. Notre repas fut le plus gai du monde , Sc j'y fus plus gai que perfonne. Ma fituation me paroifibit affez douce : il y avoit  C s>* ) grande apparenee que Mademoifelle Haberd m'aïf moit , elle étoit encore affez aimable , elle étoit. riche pour moi : elle jouiffoir de quatre mille livres de rtnte St au-dela , & j'appercevois un avenir trés-riant & très-prochain; ce qui devoit réjouir 1'ame d'un payfan de mon age , qui prefqu'au fortir de la charrue. pouvoit fautef tout-d'un-coup au. rang honorable d'un bon bourgeois de Paris : en tui mot , j!étois a la veille d'avoir pignon fur rue , & de vivre de mes rentes , chéri d'une femme que je ne ha'üTois pas , & que mon cceur payoit du moins d'une reconnoiffance qui reffembloit fi bien a de 1'amour , que je ne m'embarraffois pas d'en examiner la différence. Naturellement j'avois 1'humeur gaillarde , on a pu s'en appercevoir dans les récits que j'ai faits de ma vie ; & quand a cette humeur naturellement gaillarde y il. fe joint encore de nouveaux motifs de gaillardife , Dieu fait comme on pétille ! aufli. faifois je ; mettez avec cela un peu d'efprir , car. je n'en manquois pas ; affaifonnez le tout d'une phyfionomie agréable, n'a-t-on pas de quoi plaire a table avec tous ces agrémens-la ? N'y remplit* on pas bien fa place ? Sans doute que j'y valois quelque chofe , car. notre Hötefle qui étoit amie de la joie , a la vérité plus capable de la goüter quand elle la trouvoit, que de la faire naitre , car fa converfation étoit Kop diffufe pour être piquaute , & a table il ne. feut que des mots & pc'nt de récits. Notre Hötefle donc ne fa voit quel compliment me faire qui fut digue du plaifir que lui donacit ma compagnie , difoit-elle : elle s'attendriffoit ingénument en me regardant, je lui gagnois le cceu , & elle le difoit bonntment , elle ne.. S3en cachoit pas. Sa fille qui avoit , comme je Pai dit , dix-fept; fiu. dbt-huitans s. je ne fais. plus combien dont  C 95 5 ! Ie cceur étolr plus difcret & plus mntois, me rr- garrioit du coin de 1'ceil , & prenant un extérieur ;] plus diffimulé que modcite , ne rémoignoir que'.ijl J nioirié du goüt qu'elie prenoit a ce que je difois1. Mademoifelle Haberd, d'une autre part, me paJ roiffoit ftupéfaite de toute la vivacité que je mouj trois ; je \oyois a fa mine qu'elie m'avoit bien cru de 1'efprit, mais non pas tant que j'en avois. ' Je pris garde en même temps qu'tllte augmeaj toit d'eftime & de penehant pour moi mais que cette augmentatipn de fentimms n'alloit pas fans 1 tnquiétude. Les éioges de ma mïve Hötefle l'intrignoient , j les regards fins ck dérobés que la jeune fille me tancoit de cöté ne lui échappoiént pas 'Quand L'on aime , on a 1'ceil a tout, & fon ame fe parra• ceoir entre le fouci de me voir fi aimé , St la i Jatisfaflion de me voir fi airrable. Je m'en appe-cus a merveille, St ce talent de I Kre dans 1'efpnt des gens , &. de débrouiller letiri 1 fentimens fecrets , eft un don que j'ai toujours 1 tu , & qui m'a quelquefois bien fervf Je fus' charme d'abord de Voir Mademoifelle I Haberd dans ces difpofitions-la ;*c'étoit bon fignit i pour mes efpérances, cela me coufirmoit fon incli1 nation pour moi, & devoit hater fes bons def| feins , d'autant plus que les regards de la jeune j perfonne, 8t les douceurs que me difoit la mere , I me mettoient comme a l'encberc. Je redoubiai donc d'agrémtns le p!us_ qu'il me t fut pofiible , pour entretenir MadtmoH'elIe HaJ berd dans les alarmes qu'elie en prenoit ; mais 3 comme il falloit qu'elie cut peur du goüt qu'on i avoit pour moi , St non pas de celui qu'elie m'au| roit fenti pour quelqu'une de ces deux perfonnes , : je me ménageai de facon que je ne devois lui 1 pareine coupable de rien , & qu'elie pouvoit juger ;] que je n'avois point d'autre intention que de ma  divertir, St non pas de plaire, & qtie fi j'étoii aimsble , je n'en voulois profiter que dans fon cceur, 8t non dans celui d'aucune de ces deux femmes. Pour preuve de cela , j'avois foin de la regarder très-fouvent avec des yeux qui demandoient ion approbation pour tout ce que je difois ; de forte que j'eus 1'art de la rendre contente de moi, de lui laifler fes inqniétudes qui pouvoient m'être utiles, & He continuer de plaire a nos deux Hóte fles , a qui je trouvai aufli le fecret de perfuader qu elles me plaifoient , afin de les exciter a me plaire a leur tour , & de les maintenir dans ce penehant qu'elles marquoient pour moi, & dour j'avois befoin pour prelTer Mademoifelle Haberd de s'expüquer ; & s'il faut tout dire , peut-être aufli voulois je voir ce qui arriveroit de Cette aventure , & tirer parti de tout : on eft bien aife d'avoir, comme on dit, plus d'une corde a fon are. Mais j'oubliois une chofe , c'eft le portrait de la jeune fille , & il eft nc'ceffaire que je le laffe. J'ai dit fon age , Agathe , c'étoit fon noin , dans fon éducation bourgeoife , avoit bien plus d'efprit que fa mere , dont les épanchemens de cceur & Ja naïveté babillaide lui paroiflbient ridicules ; ce que je connoiffois par certains petits fourires malins qu'elie faifoit de temps en temps , & dont la fignification paffoit la mere qui éroit trop bonne Sc trop franche pour être fi intelligente. Agathe n'étoit pas belle, mais elle avoit beau-" coup de délicateffe dans les traits , avec des yeux vifs & pleins de feu ; mais d'un feu que la petite perfonne rerenoit, & ne laiffbit échapper qu'en fournoife , ce qui tout enfemble lui faifoit une phyfionomie piquante & fpirituelle , mais fripponne , & de laquelle on fe méfioit d'abord a caufe de je ne fais quoi de rufé qui brochoit fur tout, & qui ne la rendoit pas bien sure.  Agathe , a vue de pays, avoit du penehant k 1'amour : on lui fentoit plus de diipofition a êtte amoureulé que tendre , plus d'hypocritie que de mceurs, plus d'attention -out ce qu'on diroit d'elle , que pour ce qu'elie feroit dans le fond ; c'étoit la plus intrépide tnenreufe que j'aie connue ; je n'ai jamais vu fon efprit en défaut fur les expériences ; vous 1'auriei crue timide , il n'y avoit point d'ame plus ferme , plus réfolue , point de tête qui fe démontat moins; il n'y avoit perfonne qui fe fouciat moins dans le cceur d'avoir fait une faute , de quelque nature qu'elie fut; perfonne en même temps qui fe fouciat tant de la couvrir ou de 1'excufer, perfonne qui en craignit moins le reproche , quand elle ne pouvoit 1'éviter , 8t alors, vous parliez i une coupable fi tranquille , que fa faute ne vous paroilfoit plus rien. Ce ne fut pas fur le champ que je démêlai tout ee caraftere que ie développe ici , je ne le fentis qu'a force de voir Agathe. II eft certain qu'elie me trouva a fon gré auffibien que fa mere , a qui ie plus beaucoup , 8t qui étoit une bonne femme dont on pouvoit mener le cceur bien loin : ainfi, des deux cötés , je voyois une affez belle carrière ouverte a mes galanteries, fi j'en avois voulu tenter le fuccès. Mais Mademoifelle Haberd étoit plus süre que tout cela ; elle ne répondoit de fes aftions a perfonne , Sc fes deffeins , s'ils n'étoient favorables, n'étoient fujets a aucune contradiétion. D'ailleurs , je lui devois de la reconnoilfance , Sc c'éroit-la une dette que j'ai toujours bien payée a tout le monde. Ainfi , malgré la faveur que j'acquis dès ce jour dans la maifon , malgré tou:es les apparences qu'il y avoit que je ferois en écat de me faire valoir, je réfolus de m'en tenir au cceur le plus prêt Si le plus maitre de fe déterminer.  (pi) II étoït minuit quand nous forttmes de table: on conduifit Mademoifelle Haberd a fa chambre , & dans 1'efpace du peu de chemin qu'il falloit taire pour cela, Agathe trouva plus de dix fois le moment de jouer de la prune He fur moi, d'une maniere très-flatteufe , Sc toujours fournoife , a quoi je ne pus m'empêcher de répondre a mon tour, & le tout fi rapidernent de part 8c d'autre , qu'il n'y avoit que nous qui puflions faifir ces éclairs-la. Quant a moi , je ne répondois a Agathe , ce femble , que pour ne pas mortifier fon amour-propre ; car il eft dur de faire le cruel avec de beaux yeux qui cherchent les vötxes. La mere m'avoit pris fous le bras , Sc ne fe lalfoit point de dire : allez , vous êtes un plaifant garcon , on ne s'ennuiera pas avec vous. Je ne 1'ai jamais vu li gaillard , repartoit a cela la coufine, d'un ton qui me difoit, vous 1'êtes trop. Ma foi, Mefdames, difois-je , mon humeur eft de Pêtre toujours, mais avec de bon vin, bonne chere , Sc de bonne compagnie , on Peft encore davantage qu'a fon ordinaire ; n'eft-il pas vrai , coufine, ajoutai-je , en lui ferrant le bras que je tenois aufli l Ce fut en tenant de pareils difcours que nous .arrivames a 1'appartement de Mademoifelle Haberd. Je crois que je dormirai bien, dit-elle, quand nous y fumes , en affedtant une hflitude qu'elie n'avoit pas , 8c qu'elie feignoit pour engager notre Hötelfe a prendre congé d'elle. Mais notre Hötefle n'étoit pas~ expéditive dans fes politefles ; 8c par abondance d'amitié pour; nous, il n'y eut point de petites commodités dans cet appartement qu'elie ne fe piquat de nous faire remarquer. Elle propofa enfuite de me mener a ma chambre ; mais je comptis, a 1'air de la coufine , que cet  eet exces de civiüté n'étoit pas de Ion goiit, tk je la refufai le plus lioniiêtement qu'il me fut pof. fible. Enfin-, nos Dimes s'en allerent, chalfées par les bailk-mens de Mademoifelle Haberd , qui en ft a la fin de très-vrais peut-être pour en avoir fait de faux. Et moi je fcrtois avec nos HótelTes pour me retirer décemment chez moi , quand la coufine me rappella. Monfieur de la Vallée , crir.-t elle, attendcz un i-nflant , j'ai une commifiïon a vous donncr pour demain ; & la-dtfiiis je renttai en fouhaitant le bon foir ii la mere & a la fille , honoré moi-même de leur révérence , St fur-tout de celle d'Agaihe , qui ne confondit pas -la fienne avec celle de fa mere , qui la fit a part , afin que je la diilinguaiTe , Sc. que je priffe garde a rout ce qu'elie y ruit d'e;:preflif St d'obligeant pour moi. Quand je fus rentré chez Mademoifelle Haberd , Sc que nous iürncs feuls , je préfumai qu'il alloit être queftion, de quelque réflexion chagrine üit nos aventures de table , St fur 1'avantage que j'avois eu d'y paroltre fi amu'ant. Gependant , je me trompai ; mais non pas fur les intentions, car ce qu'elie me dit marquok que ce n'étoit que partie remife. Notre joyeux coufin , me dit-elle , j'ai a vous parler : mais il eft trop tard St haire indue , ainfi différons la eonverfation jufqu'a demain , je me leverai plus matin qu'a 1'ordiuaire pour ranger quelques hardes qui font dans ces paquets , Sc je vous attendrai entre huit St nèuf dans ma chambre , afin de voir quelles mefures nou* 'levons prendre fur mille choles que j'ai dans i efprit ; entendez- /ous ? n'y manquez pas ; car notre lïótefie a tout 1'air de venir demain favoir des bcuivejks de ma fanté , Sc peut-être de la vótre? Tomi I. I  C-S>8) & nous n'atirions pas le temps de nous entretenir , fi nous ne prévenions pas la fureur de les polittfFt-s. Ce petit difcours , .comme vous voyez , -étoit tut prélude d!humeur jaloufe , ou du moins inquiete i ainfi ie ne doutai pas uil inftant du fujet d'entrelien que nous traiterions le lendemain. Je ne manquai pas au rendez-vous , j'y fus même ifn peu plutöt qu'elie ne me 1'avoit dit , pour tui rémoigner une impatience qui ne pouvoit que lui être agréable : aulii m'appercus-je qu'elie m'en fut bon gré. Ah ! voila quieftbien , dit-elle en me voyant, vous êtes exafl, Monfieur de la Vallée ; n'avez-vous encore vu aucune de nos Hoteffes depuis que vous êtes levé ? Bön ! lui dis-je , je n'ai pas feulement fongé fi elles étoient au monde : eft-ce que nous avons affaire enfemble ? J'avois ma foi bien autre chofe dans la tére. Eh ! qu'eft-ce donc qui vous a occupé , repritolie ? Notre rendez-vous , lui dis-je , que j'ai en toute la nuit dans la penfée. Je n'ai pas laiffé que d'y rêver aufli , me dit. tlle ; car ce que j'ai a te dire, la Vallée , eft de conféquence pour moi. Eh ! mardi, ma chere couiine, repartis-je la-deflüs , faites donc vite , vous me reudez malade d'inquiétude. Dès que le itijet regarde votre perfonne , je ne faurois plus durcr fans le favoir ! eft-ce qu'il y a quelque chofe qui vous fait peine 1 Y a-t-il du remede • N'y en a t-il pas ? Me voila csmme un troublé , ii vous ne parlez vïte. Ne t'inquiete pas , me dit-elle, il ne s'agit de rien de facheux. Dame , répondis-je , c'eft qu'il faut compter que j'ai un cceur qui n'entend envers vous, pas plus dé raifon qu'un enfant, & ce n'eft pas ma i'aute. Pourqnoi m'avèz-vous été fi bonne S je n'ai pu y tenir.  ( pO . Mais mon garcon , me dit-elle alors en me regardantavec une attention qui me conjuroit d'être vrai , n'exageres-tu point ton attachement pour moi , St me dis-tu ce que tu penfés ? puis-ie te croire ? Comment! repris-je en faiiant un pas en arriere vous dóutez de moi , Mademoifelle ? pendant que je metttois ma vie en gage ,8c une centaine avec, "li je les avois, pour acheter la fanté de la vótre ., St fa continuation : vous doutcz de moi ? Hélas ï ■il n'y aura donc plus de joie en moi , car je n'ai vaillant que mon pauvre cceur ; St dès que vous ne le connoilfez pas , c'eft tout comme fi je n'avois plus rien : voila qui eft fini ; après toutes les grases que j'ai recues d'une maitrefte qui m'a donné f3 parenté pour rien , fi vous me dites, m'aimes-tu , coufin l Que je vous difc , eh pardi , oui , coufine; St que vous repartiez , peut-être que non , coufin : votre parent eft donc pis qu'nn ours, il n'y a point, dans les bois , d'animal qui foir fon pareil, fi dénaturè que lui. N'eft-ce pas-la un beau bijou que vous avez mis dans votre familie ? Allez , que Dieu vous le pardonne , Mademoifelle , car i! n'y a plus de coufine , j'aurois trop de confufion de proférer ce norn-la , après la barbarie que vous me croyez dans 1'ame; allez , Mademoifelle , j'aimerois mieux ne vous avoir jamais ni vue , ni appercue , que de m'entendre accufer de la forte par uiu perfonne qui a été le fujet de la première affeclion que j'ai cue dans le cceur , hormis pere St mere que je ne compte pas, paree qu'on eft leur race , St que 1'amirié qu'on a pour euxn'óte point la part des autres: mais j'avois une grande confolation a croire que vous favieZ le fond de ma jjenfée ; que le ciel me feit en aide , 8c a vous aufii. Hélas ! de gaillard que j'étois , me voila bien trifle ! Je me reftbuviens bien qu'en lui parlant ainfi , je ne fentois rien en moi oui dêoientk mon difcours. I i  ( too ) J\jvouc pourtant que je tachai d'avoir 1'air Sc Ie ton touchant , le ton d'un homme qui p'leure , 8c que je voulus orner un peu la vérité ; 8c ce qui eft de fingulier , c'eft que mon intention me gagna ïout !e premier. Je fis fi bien , que j'en fus la dupe moi-même , Sc je n'eus plus qu'a me laifler aller fans m'embarraffer de rien ajouter a ce que je fenteis , c'étoit alors 1'afEaire du fentiment qui m'avoit pris, Sc qui en fait plus que tout 1'art du monde. Aufli ne manquai je pas mon coup ; je convain-. quis , je perfuadai fi bien Mademoifelle Haberd , qu'elie me crut jufqu'a en pleurer d'attendriflement, jufqu'a me confoler de.la douleur que je témoignois, Sc jVifqu'a me demandtr excuie d'avoir douté. Je ne m'appaifai pourtant pas d'abord , j'cus le cceur gros encore quelque temps j.le fentiment me menoit ainfi , 8c il me menoit bien ; car quand on eft une fois en train de fe plaiudre des gens , fur. tout en fait de tendrefle , les reproches ont toujours une cerraine durée , Sc on fe plaiut encore d'eux , même après leur avoir pardonné ; c'eft comme un mouvement qu'on a donné a quelque choie , il ne ceflepas tout-d'un-coup , il diroinue , 8c puis il finit. Mes tendres reproches finirent donc , 8c je me rendis enfuite a toutce qu'elie me dit d'obligeant pour m'appaifer. Rien n'attendrit tant de part Sc d'autre que ces fcenes-la , fur-tout dans un commencement de paflion : cela fait faire a 1'amour un progrès inïni, il n'y a plus dans le cceur de difcrétion qui lienne ; il dit en un quart-d'heure cc que fuivant la bicnféance il n'auroit ofé dire qu'en un mois , & le dit fans paroitre aller trop vite ; c'eft que tout lui échappe, Voila ou moins ce qui arriva alors a Mademoifelle Hctberd. Je fuis perfuadé qu'elie. n'avoit p.ts.  ... C ioi > deffem de s'avancer tant qu'elie le fiV,. & qu'ëfine m'eüt annoncé ma bonne fortune qu'a pluiieurs reprïles ; mais elie ne fut pas maitrefie d'ublervcr cette economie-la : fon cceur s'épancha , j'en rirai tout ce qu'il méditoit pour moi , & peur-être qu'a Ion tour elle tira du mien plus de tendreiïe qu'il nen avoit a lui rendre ; je me trouvai atoï-mfcr/a «toiiné de 1 aimertant, & je n'y perdis rien , comme on le va voir dans la fuite de notre conv-ètfation , qu il eft neceffaire que ,e rapporte , paree que c'eft eel|e ou Mademoifelle Haberd fe déclare. , Mo,n e»f3nt> me dit-elle , après m'avoir vinar fois repete , je te crois_, voila qui eft fait : mon enfant , me dit-elle donc , je penfe qu'a préfent tu vois bien de quoi il sag.t: Hélas, lui dis-je, ma gracieufe. parente , il me paroit que je vois quelque ch ,fê maïs lapprehenfion de m'abufer, me read 1, vïle troubié & les chofes que je vois me confondeu: & caufe de mon petit mérite : eft-ce qu'il fe pourroit, Bieu me pardonne , que ma perfonne ne feroit p?s. deplanante a la votre? Eft-ce qu'un bonheurcomtnce,u,- a feroit la part d'un pauvre garcon qui fort du Village? Car voila ce cui m'en femble , & fi Kjolèt " "rtain' H faUdr0it tl0"C ^ürir, Oui Jacob , me répondit-elle. alors , puifque tu m entends,. & que cela te fair tant de plaifir téiouis-r-en en toute süreté Ooucement donc I lui dis-je , car j'en pamérai n aife. II „ y, a qu une raifon qui me chicane a tout cec, , ajoutai-je. Hé ! laquelle , me dit-elle ? C'eft Itli rëpartis je , que vous me direz , tu n'a's rien bi revenu, ni profit d'amaffé ; rien a louer, tóü'f a acheter rien a ve.ndre ; point d'autre gitêque' 1« maifon du prochain , ou bien la rue , pas feX ment du paln pour attr;lper ,e bom djj K , - ceh , mon petlt Manfieur , n'êtes-votVs PaS bien, £3j  ( 102 ) öime \ Ne fatidra-t-il pas encore vous reraereler tle la peine que vous. prenez d'en être fi ravi I Voila , ma prccieufe coufine , ce qui vous eft loifihle de repartir au contentement que je témoigne de votre affeüion : mais Dieu le fair, ma parenIe , ce n'eft point pour l'.imour «Je toutes ces pro■yilions-la que mon cceur fe tranlporte. J'en fuis perfuadée , me dit-elle , 8c tu ne penferois pas a m'en affurer , fi cela n'étoit pas vrai, jnon cher enfant. Tenez , coufine , ajoutai je , je ne fonge non plus £ pain , a vin , ni a gite , que s'il n'y avoit ni bied , sii vigne , ni logis dans le monde ;.je les prendrai pourtant quand ils viendront , mais ieulement paree qu'ils font la. Pour a de 1'argent, j'y rêve comme au Mogol ; mon cceur n'eft pas. une. marchan'dffe , on ne I'aureit pas quand on m'en oftriroit mille écus plus qu'il ne vaut ; mais on L'a pour ïien , quand il y prend goüt , St c'eft ce qu'il a fait avec vous fans tien demander en retour. Que ce cceur vous pl.iilé ou vous fache , n'itnporte , il a pris la fecoufte , il eft a vous. Je confefle fconnement ■ néanmoins que vous pouvez me faire du bien , paree que vous e.n avez, ^ mais je ne rêvois pas a cette arithmétique-la. Quand je me iuis rendu a. votre mérite , a votre jolie mine , a vos douces facons : St je m'attcndois a votre amitié , comme a voir un Samedi,arriver Dimanche. J.a mienne eft une affaire qui a commencé fur le Pont-neut"; de ia jufqua votre maifon , elle a pris. vigueur St croilfance , fa perfe£tion eft venue chez Vous , St deus heures après , il n'y avoit plus üien a y mettre ; en voila le récit bien véritable. Quoi ! me répondit-elle , fi tu avois été plus riche , & en fituation de me dire , je vous aime , Mademoifelle , tu me 1'auroisdir, Jacob, Qui 1 moi , m'écriai-je ; hé ! merci de ma vie , fs v.ous 1'surois dit avant que.de parler tourabili  C »! > .... que Pai fait , ne vous déplaife ; 8c fi j'avois éte digne que vous m'euffiez envifagé a bon etcient,. vous auriez bien vu que mes yeux vous difoient des paroles que je n'olbis pas prononcer ; jamais ils ne vous ont regardé , qu'ils ne vous aient tenu< les mêmes difcours que je vous tiens , 8c toujoursje vous aim«, 8c quoi encore , je vous aime ; je. n'avois que ces mots-la dans 1'ceil. Hé bien ! mon enfant , me répondit-elle , en jettant un foupir. qui partoit d'une abondance de tendrelTe , tu viens de m'ouv-rir ton cceur , il faut que ie t'ouvre le mien. Quand tu m'as rencontrée , il y avoit long-tempsque l'humeur difficile de ma fceur m'avoit rebutéa de fon commerce ; d'un autre cöté , je ne favois, quel parti prendre , ni a quel genre de vie je devois me. deftiner , en me fépararit d'avec elle ; j'avois quelquefois envie de me mettre en penfion ;, mais cette facori de vivre a fes défagrémens , il faut le. plus fouvent facrifier ce qu'on. vent a ce que veulent les autres , Sc cela m'en dégoutoit. Je fongeois quelquefois au mariage , je ne fuis pas encore en age d'y renoncer, me difois-je ; je puis apporter un allez beau bien a celui qui m'époufera ; Sc fi je rencontre un honnête homme , un efprit doux , un bon caraftere , voila du repos pour le refte de mes jours. Mais cet honnête homme , oü le trouver ? Je voyois bien des gens qui me jettoient des difcours a la dér-obée pour m'attirer a eux. II y en avoit des rich.es, mais ils. ne me plaifoient point ; les uns éroient d'une profclTion que je n'aimois pas : j'apprenois que les autres n'avoient puint de conduite ; ceUii-ci aimoit le vin , celui-la le jeu , un autre les femmes j, car il y a fi peu de perfonnes dans le monde qui vivent dans la crainte de Dieu, fi peu qui fe ma-, rient pour remplir les devoirs de leur état. ParmiSSHX. qui n'avoient; point ces vices-la. ,.1'uu éiak  < io4 y tin étourdi l'autre étoit lombre St mclancolique * & je cberchois quelqu'un d'un caraétere ouvei t St gai , qui eütle cceur bon St fenfible , qui répondic a la tendrtfe que j'aurois pour lui. Peu m'importoit qu'il fut riche ou pauvre , qu'il eüt quelque rang , ou qu'il n'en eüt pas. Je n'étois pas délicate non plus fur 1'origine , pourvu qu'elie füc honnête , t'eft-a-dire , pourvu qu'elie ne füc qu'obfcure , Sc non pas vile 8c méprifable , Sc j'avois raifon de penter modefte.ment la-deffus; car je ne fuis née moi-même que de parens hon.orables , Sc non pas connus. J'attendois donc que la Providence,a qui je, rern.ettois le tout, me fit rrouver 1'homme que je cberchois, St ce fut dans ce temps-la que je te rencontrai fnr le Pontneuf. Je 1'interrompis a cet endroit de fon. difcours. Je veux , lui dis-je , acheter une tablette pour tcrire 1'année , le jour , 1'heure S< le moment, avec le mois , la femaine , Sc le. temps qu'il laifoit le jour de cette heureufe rencontre. La tablette elt toute achetée , mon fils , me ditelle , 8c je te la donnerai , lailfe-moi achever. J'étois extrêmemenr foible quand nous nous rencontrames , 8c il faut avouer que tu me fecourus avec beaucoup de zele. Lorfque par tes foins, je fus revenue amoi , je te r.eg:rdai avec beaoup d'attention , St tu me parus, d'une phyfionomie tout-a-fait prévenante. Grand merci a Dieu qui a permis que je la porte ,. m'écriai-je encore a ces mots. Oui , dit-elle, tu me plus d'abord ; Sc le penehant que j'eus pour toi, me. parut être G fubit Sc li naturel , que je ne pus m'ernpêcher d'y faire quelque réflexion. Qu'eft-ce que c'eft que ceci, me dis-je , je me fens comme obligée d'aimer ce jeune hommel La-deffus, je me recornmandai a Dieu qui ditpofe de tout, 8c le fjriai de vouloir bien., dans les fuites , me mant-  ( '05- > . „ Céder fa fainte volpnté fur une aventure qui me?tonnoit moi-même.. "Hé bien! coufine, lui dis-je alors, ce jour-la» nos prieres partirent donc l'une quant 8t quant l'autre j car pendant que vous faifiez la vótre , ja fis aufli ma petite oraifon a part. Mon Dieu ! di. fois-je , qui. avez mené Jacob fur ce Pont Neuf mon Dieu , que vous feriez clément envers moi , fi vous metsiez dans la fantaifi.e de cette honnête Demoifelle de me garder toute fa vie , ou feulement toute la miemie a fon aimable tervice. Eft-il bien pofiibie , me répondit Mademoifelle Haberd, que cette idée-la te fok venue , mon garcon ? Par ma foi oui, lui dis ie , tk je ne la fentis point venir , je fa trouvai toute arrivée. Que cela eft particulier , repiit-elle ! Quoi qu'il. en fok , tu m'aidas a revenir chez moi , Sc durarj: le chemin , nous nous entretinmes de ta fituation. Je te fis pluiieurs queftions ; Sc je ne faurois t'êx-. primer combien je fus contente de tes réponfes Sc des mcenrs que tu montrois. Je te voyois une limpiicité , une csndeur qui me charmoit, Sc j'en revenois toujours a ce penehant que je ne pouvois. m'empêcher d'avoir pour toi.. Toujours je demandois a Dieu qu'il daignat m'éclairer la-deffus, Sc me manifefler ce qu'il vouloif que cela deyinr. Si fa volonté eft que j'époufe ce garcun-lè , difois-je , il arriv.era des chofes qui me le prouveront pendant qu'il demcurera chez nous.. Et je raifonnois fort bien ; Dieu ne m'a pas laiffé long-temps dans 1'iucertiude Le mime jour, cet Eccléfiaftiqne de nos amis vint nous voir, 8c je t'ai dit Ia querelle que nous eümes enfemble.. _ Ah ! ma coufine, la bonne querelle , m'écriai-je , Sc que ce bon Direaeur a bien fait d'être fi fantafqiie ! Comme tout cela s'arrange ! Une rue oii i'on fe rencontre ; uiie priere d'un cóté , une orai-  t i*< (tc ïon _d On autre , un Prêtre qui arrivé , & qui vous réprimande ; votre fceur qui me chaffe ; vous qui me dires , arrètes ; une divrfion entre deux filies pour un garcon que Dieu envoie ; que cela eft admirable ! Sc puis vous me demandez fi je vous atme? Ehfrnais cela fe peut-il autrement ! Ne voyezVous pas bien que mon aftëttion fe trouve la par prophétie divine , & que cela étoit décidé avant nous 1 ü n'y a rien de fi vifible. En vérité , tu dis a merveilles , me réponditelle , & il femble que Dieu te fourniffe de quoi achcver de me convaincre. Allons, mon fils, je n'en doute pas.,tu es celui a qui Dieu veut que je in'attache , tu es 1'homme que je cherchois, avec qui je dois yivre , St je me donnerai a toi. Et moi , lui dis-je , je m'humilie devant ce bienheureux don , ce béni mariage que je ne mérite peinr, finon que c'eft Dieu qui vous 1'ordonne , & que vous êtes trop bonne Chrétienne pour aller ïa-contre. Tout le profit en eft a moi, & toute la charité a vous.. Je m'étois jetté a genoux pour lui parler ainfi , 8c je lui baifai. la main qu'elie crut dévotement devoir abandonner aux - tranfports de ma recoanoilTance. Leve-roi, la Vallée. Oui, me dit-elle après, otli je t'épouferai, Sc comme on ne fe peut mettre trop tot dans 1'état oü la Providence nous demande , que d'ailleurs , malgré notre parente établie ,. on pourroit trouver indecent de nous voir loger enlemble , il faut hater notre mariage. II eft matin, répondis-je ; en fe trémoulfant le refte de la journee ,. en allant 8c venant , eft-ce qu'on ne pourroit pas faire en forre avec le No„taïre 8c le Prêtre de nous bénir après minuit ? Je Be fais pas comment cela fe pratique. Non ,, me dit-elle , mon enfant,, les chofes ne  C I87 ) fauroient aller fi vite , tl faut d'aborc! que tu écrï» Ves a ton pere de t'envoyer fon confentement. Bon ! repartis-je , mon pere n'eft pas dégoüté , il confentiroit, quand il feroit mort , tant il feroit aile de ma rencontre. Je n'en doute pas , dit-elle ; mais commence par faire ta lettre ce matin , il nous faudra des témoins , je les veux difcrets : mon deifein eft de cacher d'abord notre mariage , a caufe de ma fceur , & je ne fais qui prendre. Prenons notre Höreffe , lui dis-je , & quelqu'un de fes amis , c'eft une bonne femme qui ne dira mot. J'y confens, dit-elle, d'autant plus que cela fera cefler toutes ces amitiés qu'elie te fit hier , & qu'elie continueroit peut être encore ; aufii-bien que fa fille qui eft une jeune étourdie affez mal élevée , a ce qu'il m'a paru , Sc avec qui je te prie de battre froid. Nous en étions-la quand nous entendimes du bruit , c'étoit notre Höteffe , efcortée de fa Cuiliniere , qui nous apportoit du café. Etes-vous levée , ma voifine , s'écria-t-elle a la porte 1 II y a long-temps , dit Mademoifelle Haberd , en allant lui ouvrir : entrez , Madame : Ah ■! bon jour , lui dit l'autre : comment vous portezvous ? avez-vous bien repofé 1 Monfieur de la Vallée , je vous falue. Je paffe tous nos complimens , St la couverfation qui fe fit en prcnant du café. Quand la Cuifiniere ent emporté les taftes : Madame, lui dit Mademoifelle Haberd , vous me paroiffez la meilleure perfonne du monde , 8t j'ai une confidence a vous faire fur une chofe oü j'ai même befoin de votre fecours. Eh ! mon Dieu , ma chere Demoifelle , quel fervice puis-je vous remlre , répondit 1'iiötefle , avec une effiili^n de zele 8c de bonté qui étoit  • (ro8) hneere. Parkz : mais , non , ajouta-t-e'le tout de iuite, attendtz quej'aille fermer les portes ; dès que c'eft un fecret , il faut que perfonne ne nous entende. Elk fe leva en difant ceci, fortit , & puis du haut de 1'efcalier appella fa Cuifinicre : Javotte , lui ciia-r-elle , fi quelqu'un vient me demander , dites que je fuis lorrie ; empéchez aulli qu'oii ne ïnonte chez Mademoifelle , 6c fur-tout que ma fille n'y entre pas, paree que nous avons a parler en lecrer enfemble , entendez-vous ? Jst après ces tnefures li difcrétement prifes contre ks impottuns , la voila qui revient a nous , en fermani portes Sc verroux ; de forte que par refpeÊt pour la confidence qu'on devoit lui faire , elle débura' par avertir toute la maifon qu'on devoit lui p.fi laire une : fon zele 8c fa bonté n'en favoient pas davantage ; c'eft affez-la le caraftere des rr.eilleu.es gens du monde. Les ames exceflivement bonnes , font volonticrs imprudentes par excès de bonté même; d'un autre cóté, les -ames piudentes font filfez rarement bonnes. Lh ! Madame , lui dit Mademoifelle Haberd , vous ne rieviez point dire a votre Cuifinkre que nous avions a nous entretenir en fecret , je ne voulois point qu'on süt que j'ai quelque chofe a vous confier. Oh ! n'importe , dit-elle, ne vous embarraiïez pas. Si je n'avois pas averti , on feroit venu nous troubkr ; Sc n'y eüt-il que ma fille , la précaution étoit néceifaire. Allons , Mademoifelle , voyons de quoi il s'agit; je vous défie de trouver quelqu'un qui vous veuiile tant de bien que moi , fans compter que je fuis la confidente de tous ceux qui me connóiflent. Quand on m'a dit un fecret , tenez , j'ai la bouhe coufue , j'ai perdu la parole. Hier encove , Madame une telle , qui a un mari qui lui mange tout, m'apporta mille francs qu'elie • me  C 5 . . oiepria de luicacher, & qu'il lui maugeroit niiru , (Ml le favoir, rïiais je les lui garde. Ah 9a, dires. Toutes ces prcuves de la ditcrétion de notre bonne Hóteffe n'encourageoient pobir Mademoifelle Haberd ; mais après lui avoir promis un iecret , il étoit peut-être encore pis de le lui refufer, que de le lui dire : ainfi il fallut parler. J'ai fait en deux mots , dit Mademoifelle Haberd ; c'eft que nous allons nous marier , Monfieur dela Vallée que vous voyez, & moi. Enfemble ! dit l'HóreiTe , avec un air de furprife : Oui , reprit Mademoifelle Haberd , je le* P Oh,' oh ! dit-elle , eh bien, il eft jeune , Mdurerar lone-temps. Je voudiois en trouver un comme lui , mof, j'en ferois de même. Y a-t il long-temps que vous vousaimezl Non, dit Mademoilelle Haberd, en rougiftant. Eh bien! c'eft encote mieux , mes enfans , vous avez raifon. Pour laire l amour li ,,'V a rien de tel que d'être mari & femme ; mais 11'avc-z. vous pas vos difpenfes , car vous êtes coufins 1 . Nous n'en avons pas befoin, dis-Je alors, nous Ti'étions parens que par prudence , que par honnêteté pour les difcours du monde. Ha hal ctla eft plaifant, dit-elle. Eh ! maïs vous m'apprenez-la des chofes que je n'aurois jamais devinées. C'eft donc de votre noce que vous me pricz. , Ce n'eft pas-la tout, dit Mademoilelle Haberd, nous voulons tenir notre mariage fecret, a caulq de ma fceur qui feroit du bruit peut-être. Eh ! pourquoi du bruit 1 a caufe de votre age.' reprit notte Höteffe ' Eh 1 pardi, voila bien de quoi. La femaine paffée n'y eüt-il pas une femme de ibixante-dix ans pour le moins, qu'on fianca dans notre Paroiffe , avec un cadet de vingt aas! Tomé L K  L 3ge n y fait nen , que pour ceux Sc celles qui 1'onr, c'ti't leur affaire. Je ne^ luis pas fi agée , Hit Mademoifelle Haoerd , d'un air un peu décor.ccrté qui ne 1'avoit pas quitté. Eli ! pardi non , dit 1'Höteffe , vous êtes en age d'époufer , ou jamais : après tout, Ofl aime ce qu'on aime ; il fe trouve que le filtur eft jeune. Hé bien , vous le prenez jeune. S'il n'a que vingt ans , ce n'eft pas votre faute non plus qua la fieune. Tant mieux qu'il luit. jeune, ma voifine , il aura de la jeuneffe pour vous deux. Dix ans quiétcz pas , ie tui parlerai ce matin. Je vais nrhabiller ; fans adieu , voifme. A quarante-cinq ans , sppréhtndcr qu'on ne caufe d'un mariage. Eh ! vous n'y fongez pas , voifine. Adieu, adieu , ma bonne tnMe , votre fervante , Monfieur de la Vallée. A propos , vous me patlates hier d'une Cuiumere , vous en aurez une tantót , Javotte me Fa dit elle a été 1'avertir ce matin de venir , elle eft de fa connoiflance , elles font toutes deux du'nfême pa'ys , ce font des Champenoifes Sc moi aufli ; c'eft déja trois , Sc cela fera quatre avec vous : car je vous crois de Champagne , ifeft-cé pas , ajoura t elle en riant? Non, c'eft moi, lui dis-je , vous vous' êtes méprife , Madame. Eh bien oui , dit-elle : je favois bien qu'il y en avoit un de vous deux. K z  ("O evi pays , nimporte qui. Bon jour , jufqu'au revoir, Quand elle fut parrie , voila une fotte femme , me dit Mademoifelle Haberd , avec fon age, Sc fa mere, St fon fils ; je luis bien fachée de lui avoir «Séclaré nos affaires, Jacob , fi je fuis aufli vieille a tes yeux que je la fuis aux flens , je ne te confeiile pas de nr'époufer, Eh ! ne voyez-vous , pas , lui dis-je , que c'eft «npeu pat rancune ; tenez , entre nous ,.ma parente, je crois qu'elie me prendroit, fi vous me laiffiez-!a„ en cas que je le voululfe , St je ne le voudrois pas -. il n'y a, point de femme qui me fut quelqae chofe après vous. Mais , attendez , je m'en vais vous siontrer votre vieilieffè : Sc je courus , en difant ces mots , détacher 11:1 petit miroir qui étoit accrothé a la tapiffeiie. Tenez , lui dis-je ,.regardez vos quaranre-cinq ans , pour voir s'ils ne relTemblenc jjas a rrente , & gageons qu'ils en approchent plus que vous ne dites. Non , jr.sn cher enfant ,. reprir-elle ,, j'ai I'.lgs que je viens de dire Sc il efl vjai que prefqus perfonne ne me ie donne. Ce n'ell pas que je mt* vante d'être li fraiche , ni jolie, quoiqu'il nóiit .te nu qu'a moi d'être bleu c.'jolée; mais je n'ai jamais prió garde a ce qu'on m'a dit la-dtffijf, Nous n'eilmes pas le temps d'en dire davatage, car Agathe arriva. Hélas ! Mademoifelle , s'écria-t-e.lle en entrant a Mademoifelle H.iberd ,. vous me prenez donc pour une caufeufe , puifque vous n'avezpas voul'4 que je fuffs ce que vous avez dit 4 ma.mere ? Elle. Jit qu'elie s'en va pour vous chez fan.Noraire , puis dc-la a la Paroiffe 1 E(t-ce pour un mariage ? A ce mot de .mariage , Mademoifelle Hubenl rougit , fans favoir. que répondre. C'eft pour uil contrat, dis-je en preijant la parole, 8c il faut. «isme ,a caufe de cela ,.que j'écrive. tout a-Huurc  Bne lettre qui prefte : ce que je dis expres, afTrï que la petite fille nous laifsat en repos , car j| lentoi> que la préfence pefoit a Mademoilelle Haberd, qui ne pouvoit revenir de la furprife oü la jettoit 1*, conduite étourdie de la mere. Et fur le champ je cherchai du papier , & me. rnis en efTet a écrire a mon pere ; Mademoifelle Haberd faifoit femblant de me. dicter tout bas ce que j'éctivois , de facon qu'Agathe fortit. Toute indifcrete. qu'étoit la mere , elle notis fervit pourtant a merveille. En un mot- toutes les mefures furent prilés ; nous eümes le furlendernain un ban de publié. L'après-midi du même jour nous allames chez le Notaire , oü. le contrar fut dreflé : Mademoifelle Haberd m'y donna,tout ce qu'elie avoit pour en jouir pendant ma vie. Le confentement de mon pere arriva quatre jours sprès , St nous étions a la veille de nos noces fecretes , quand pour je ne fais quoi , dont je ne me reiTouviens plus , nous fiimes obligés d'ailer parler a ce Prêtre de la connoiffance de notre Hötefle. C'étoit lui qui devoit nous marier ie lendemairi , c'eft-a-dire , pendant la nuit , St qui s'étoit même chargé d'une quanthé de petits détails , par confidération pour notre Höteffe , a qui il avoit quelque obligation. Ce fut Mademoifelle Haberd qui donna le foir a fouper a celle-ci , a fa fille Sc a quatre témoins. On étoit conveilii qu'on fortiroit de table a onze heures , que la mere Sela fille fe re'tireroient dans leur appartement ; qu'on laifferoit coachcr Agathe ,, 8c qu'a deux heures après minuit , nous partirions, notre Hötefle, les quatre témoins de fes amis ,. Mademoifelle Haberd Sc moi pour aller a EEglife. Nous nous. rendimes donc fur les fix heures dn. foir a la Paroifie cü devoit fe trouver cet Eccléfiaft,que a qui. nous av.ions a parler ; il étoit averü éuifj Kt  tïoUs viendtions, mais il n'avoit pu nous atrendre Si va de fes confrères nous dit de fa part qu'il ie rendroit dans une heure ou deux chez notre HótciTe. Nous nous en retournames , St nous étions jprêts de nous mettre a table quand on nous annonc;a 1'Eccléfiaftique en quefiion , qu'on ne nous avoit pas nommé., 8: a qui on n'avoit pas dit laotre nom non plus. II entre. Eigurez- vous notre étonnement, quand, au lieu d'un homme que nous penfions ne pas eonnoitre , nous vimes ce Direfteur qui , chez Mefdemoifelles Haberd , avoit décidé pour ma fortie de chez elles. Ma prétendue fit un cri en le voyant , cri aflez ïmprudent , mais ce font de ces mouvemens qui vont plus vite que la réflexiou. Moi j'étois en ïrain de lui tirer une révérence que je lailfai a moit'é faite ; il avoit la bouche onverre pour parler, 8c il demeura fans root dire. Notre Hötefle marchoic a lui , 8c s'arrêta avec des yeux ftupéfaits de nous voir tous immobilas ; un des. témoius , ami de 1'Hötefle , qui s'étoit avancé vers 1'Eccléliaitique pour 1'embrafier , étoit reité les bras étendus , &(. nous compofions tous le fpectacle le plus fingulier du rponde. C'étoit autant de ftatues j peindre. Notre filence dura bien deux minutes. A la fin , le Direfteur le rompit ; St s'adreflant a 1'Hötefle : Madame, lui dit-il, ell-ce que les perfonnes en queftion j)e font pas ici 1 ( car il ne s'imagina pas que nous iuflions les fujets de fa miflion préfente , c'efl-idire , ceux qu'il devoit marier cinq ou fix heures après ) Hé , pardi , répondit-elle , les voila toutes deux, Mademoifelle Haberd 8c Monfieurde la Vallée.. A peine put-U le croire : Sc efleétivement il étoit foit fingulier que ce fut nous. C'étoit de ces nou,, velles qu'on peut apprendrs , & dent on ne fè dotue. point.  Quoi ! dit il , après avoir un inftant ou deus. promené les regards éronnés -fur nous , vous nommez ce jeune homme Monfieur de la Vallée r. 8t c'eft lui qui époul'e cette nuit M'ademoilelU Haberd ! Lui même , répondit l'Hóteffe , )e n en iache paSd'aurre , St app«;emment que Mademoilelle n'en époul'e pas deux. Ma future ni'moi nous ne répondions rien ; je ! tenois mon chapeau a la main de 1'air le plusdégagé qu'il tn'étcit pofiible ; je fouriois. même en regardant le Diiefteur pendant qu'il intetrogeoit notre Höteffe mais je re fouriois que par coni tenance ,. St non pas-tout de bon ; 8t je fuis perfuadé que ma facon dégagée n'empêchoit pas queI jé n'êuffe 1'air affz. fot. I faudroit avoir un turieux ; fond d'effrontejrie pour tenir bon contre de eer. I taines chofes ; S; je n'étois né que hcrdi, St pointeffronté. . A Tégard de ma future , fa contenance étoit d'avoir les yeux baiffés, avec une mine qu'il feroit affez difficile de dénnir. II y avoit de tout , du- ■ chagrin , de la confiïuon , de ta timidité, qui venoit ! d'un refte de refpeö dévot pour ce Direaeur ; St furie tout, un air. penfif, comme d'une perfonne qui , a envie de dire : ie me moque de cela , mais qur ■ eft encore trop étourdie pour être fi réfolue. Cet Eccléfiaftique r après avoir jetté les yeux fut nous : Madame, dit-il en s'adreffanta notre Höteffe , : cette affaire-ci mérite un peu de réflexion : voulez- ■ vous bien que je vous dife un mot en particulier ï Paffons un moment chez vous , jevousprie, notre entretien ne fera que d'un inftant. Oui-da , Monfieur, répondit-elie , charmee de fe trouver de toute maniere un perfoniiage fi important dans Paventure ; Mademoifelle, ne vous im> patientez pas , cria-t-elle a Mademoifelle Haberd en jartant, Monfieur dit que nous aurons bisntot feaift  (r>6) Ln-ctefius elle prend un ffambeau , fort avec PEccléfiaftique , & nous laifla ma future, ceux qui deyoienrnousfervirde témoins , ckqui ne témoignerent tien , Agathe , a qui on avoit tout caché , Sc Bioi dans fa chambre. Monfieur de la Vallée , me dit alors un de nos témoins, qu'eit.ce que cela fignifie ? Eft-ce que. Monfieur Doucin , parlant du Frette , vous connohiOui, lui dis je , nous nous fommes rencontre's chez Mademoifelle. Ha , ha .' vous vous mariez donc , dit Agathe a fon tour. Hé mais , pas encore, comme vousvoyez , réponriis je. Et jufques-la , pas un mot de la part de Mademoilelle Haberd : mais pendant fon filence fa confufion fe paffoit, 1'amour reprenoit le delfos,. & la clébarraffoir de tous ces petits mouvemens qui Favoient d'abord déconcertée. Et il n'en fera ni plus ni moins, dit-elle en s'affeyanrcourageufemenr. Savez-vous , lui dit un de nos témoins , 1'ami de 1'Hötefte , ce que Monfieur Doucin va dire aMadame d'Alain l ( c'étoit le nom de notre Höteffe. ( Oui, Monfieur , lui répondit- elle , je m'en doute , mais je ne m'en foucie guere. C'eft un fort honnête homme , un faint homme ,_ que Monfieur Doucin au moins , dit la malicieufe Agathe , c'eft le Confefïeur de ma tante. Hé bien ! MaJemoifelle , je le connois mieux que vous dit ma. future , mais il n'eft pas queftion de fa fainteté ; on le canonifera s'il eft faint. Qu'eft que cela fait ici ? Oh ! ce que j'en dis, reprit la petite friponne , n'eft que pour montrer 1'eilime que nous avons. pour lui ; car du refte , je n'en parle pas : ce ne foin point mes affaires. Je fuis fachée de ce qu'il ne fe coxiporre pas a votre fantaifie ; mais il faut croire que c'eft apparemment pour votre bien j cai ü eft fi prudent 2.  „ A ces mots, la mere rentra. Vous revenez lans ; Monfieur Doucin , dit notre témoin ; je penibis qu'il' fouperoit avec nous. < Oui , tbuper , répondit Madame d'Alain .' vrarment , il eft bien queftion de cela ! Allons , allons, il n'y aura point de mariage cette nuit non plus, & s'ii n'y en.a point du tout , ce fera encore mieux : S'oupons, puifque nous y voila. C'eft un bon cceur que ce Monfieur Doucin , & vous lui avez- bien 'obligation , Mademoifelle, dit-elle a ma future on ne fauroit croire combien il vous aime toutes deux, votre bonne fceur & vous : le pauvre homme ! 11 s'en va prsfque fa larme a i'oeil , & j'i-.i pleuté moi-même en le quittant , je ne fais que d'eftuyer mes yeux. Quelte nouvelle pour cette fceur, mon Dieu 1 q.u'eil-ce que c'eft que nous ! A qui en avez-vous donc, Madame, avec vos exclamations , lui dit Mademoifelle Haberd ? Oh / rien , reprit el'le ; mais me voila. bien ébaudie : Paffe pour fe quittcr toutes deux , on n'eft pas obligé de vivre enfemble, & vous ferez aufii-bien ici ; mais fe marier en cachctte , ck puis ce Pont-Neuf ort t'on fe rencontre ; un mari fur le Pont-Neuf! J Vous qui êtes fi puufe , fi raifonnable , qui êteJ i de familie, qui êtes itehe : Oh ! pour cela vous ■ ny fongtz pas ; je n'en veux pas dire davantage , ', car on m'a recommandé de ne vous parler qu'erj i fecret ; c'eft une affaire qu'il ne faut pas que tout le i monde fiche. Et que vous apprenez pourtant a tout : le monde , lui répondit Mademoifelle Haberd ,. d'un ten de dépir. Non , non , reprit la difcrere d'Alain , je ne par» : le que de rencontre fur ie Punt-Neuf, & peifonne ne fait ce que c'eft ; demandez plutót a ma fille, Jk a Monfieur , ajouta-t-eile , en montrant notre témoin , s'ils y comprennent quelque chofe l II n'y a que vous & ce garcon qui y étoit avec yous c^ui m'tnte:idiea»  (n8j Oh ! pour moi je n'y enrends rien , dit Agathe j finon que c'eft fur le Pont-Neuf que s'ert fait la connoiffance de Monfieur de la Vallée Si vous , .& voila tour. Encore n'y a-t-il que fix jours , reprit la mere ,; & c'eft de quoi je ne dis mot. Six jours, s'éciia Ie témoin I Oui , fix jours, mon voifin : mais n'en parions plus, car aufli-bien vous ne faurez rien de moi, il eft inutile de m'interroger , il fuffit que nous en cauferons, Mademoifelle Haberd & moi. Mettonsnous a table , & que Monfieur de la Vt.ltée s'y mette aufli , puifque Monfieur de la Vallée y a. Ce n'eft pas que je méprife perfonne afTi-uétnent ; il eft bon garcon 8c de bonne mine, 8c il n'y a point de bien que je ne lui fouhaite : s'il n'eft pas encore tin Monfieur , peut-être qu'il le fera un jour * aujourd'hui ferviteur , demain Maitre t il y en a bien d'autres que lui qt:i ont été aux gages des gens , Sc puis qui ont en des gens a leurs gages. Monfieur de la Vallée aux gages des gens! s'écria. Agathe. Taif-'z-vous, petite fille , lui dit la mere t de quoi vous mêlez vous ? Etoit-ce aux gages de Mademoifelle qui eft préfente , dit alors notre témoin 1 Eh ! Qu'knporte répondit-elle , laiiTons tout cela, mon compere , a bon entendeur falut. C'eft aiijourd'hui, Monfieur de la Vallée , ou vous Ie donne pour cela , prentzle de même , Sc maugeons. Comme vous voudrez, reprit il : mais c'eft qu'onaime a être avec les gens de fa forte ; au furplus , je; ferai comme vous, commere : on ne fauroit faiiiic1 en vous aimant. Ce petit dialogue au refte alla fi vite , qu'a peine! eiimes-nous Ie ttmps de nous reconnoitre, Ma- ■ demoifelle Haberd 8t moi ; fchaque détail nous; affommoit, Si le temps fe paffe a rougir enpateille: occafion ; imaginez vous ce que c'ift que de voir: toute notre hiftoire racontée , article par article 1 m  ( H>} '*af cette femme qui ne devoit en parler qu'a Mj» itlemoifelle Haberd , qui fe tue de dire , je ne dirai ijmor , & qui conté tour , en difant toujours qu'elie Bié contcra tien. I Pour moi , j'en fus terraffe , je reftai muet , rien ■ fle me vinr , St ma future ne fut que fe mettre a Ipleurer en fe renverfant dans le fauteuil oü elle céroit aflife. I Je me remis pourtant au difcours que tint notre ■témoin, quand il dit qu'on aimoit i être avec les /rjgens de fa forte. j Cet honnête convive n'avcit pas une mine fort ; impofante , malgré un habit de drap neuf qu'il avoit jpris, malgré une cravate bien blanche , bien longue, jbien empcfée 8t bien ronde , avec une perruque tjtoute neuve aufli , qu'on voyoit que fa tête pertoit Javec refpeft, 8c dont elle étoit plus embarraflee que jscouverte , paree qu'appatemment elle n'y étoit pas Hencore familiarifée , St que cette perruque n'avoit ftpeur-être fervi que deux ou trois Dimanches. Le bon homme , Epicier du coin , comme je le fus ■après, s'étoit mis dans cet équipage-la pour hoaorer Inotre mariage St la fonöion de témoin qu'il y devoit «faire ; je ne dis rien de fes manchettes , qui avoient Keur gravité particuliere , je n'en vis jamais de fi i Eh ! mais vous , Monfieur , qui parlez des gens ■ de votre forte , lui dis-je , de queile forte êtes vous ndonc ? car Ie cceur me dit que je vous vaux bien , Jiormis que j'ai mes cheveux , St vous ceux des autres. j Ah ! oui , dit-il nous nous voulons bien , l'un pour tjdemander a boire , 8c l'autre pour en apporter ; i|rn.fis ne bougez , je n'ai pas de foif. Bon foir , I Madame d'Alain ,je vous fouhaite une bonne nuit, i Mademoifelle. Et puis voila notre témoin forti. Fin du Tome premier.   LE P A Y S A N PARVENU.. OU LES MÉMOIRES DE M**S Par M. DE MARI V AUX. TOME S E C O N D. A LA HA TE, Chez PIERRE DEROGISS ART. IA, DCC. LXXXV111.   LE PAYSAN PAK VENU» OU LES MEMOIRES DE M***• TROISIEME PART IE. usques-LA nos autres témoins n'auroient rien dit , & feroient volon- ■ tiers reftés , je penfe , n'eüt-ce été que pour faire bonne chere ; car il n'eft pas indifférent a de certaines gens d'être convives , un bon repas eft quelque chofe pour enx. Mais ce témoin qui fortit étoit leur ami & leur camarade, 8t comme il avoit la fierté de ne pas manger avec moi, ils crurent devoir fuivre fon exemple, & fe montrer aufli délicats que lui. Puifque Monfieur un tel ( parlant de l'autre ) s'en va, nous ne pouvons plus vous êrre utiles , dit a Mademoifelle Haberd 1'un des trois f A ^  < 4 ) qu! etoit gros & court; ainfi, mademoifelle , je crois qu'il elf a propos que nous prenions congé de la compagnie. Difcours qu'il tint d'un air prefque aufli trifte que firieux ; il femfaloit qu'il difoit , c'eft bien a regret que nous nous retirons , mais no.us ne faurions faire autrement. Et ce qui rendoit leur retraite encore plus difficiie , c'eft que pendant que kur orateur avoit parlé , on avoit apporté les premiers plats de notre Jbupé, qu'ils trouvqient de fort bonne mine; je le voyois bien a kur facon de les regarder. Mefikurs , leur dit mademoifelle Haberd , d'un ton affez fee , je ferois fachée de vous gêner , vous êtes les maitres. Eh ! pourquoi s'en aller, dit madame d'Alain, qiti aimoit les aflëmblées nombreufes & bruyantes, c; qui fe voyoit enlever 1'efpoir d'une foirée oü tii.' auroit fait la comere a difcrétiou 1 Et pardi ! puifque voila le foupé fervi , il n'y a qu'a fe mettre a table. Nous fommes bien mortifiés, mais cela ne fe peut pas , répondit k témoin gros & court, celj ne fe peur pas, notre voifine. Ses confrères , qui étoient rangés a cöté de lui, n'oninoient qu'en baiffant la tête , & fe lailfoient eonduire fans avoir la force de prononcer un mot ; ces viandés qu'on venoit de fervir kur ótoient la; parole ; il falua , ils faluerent , il fortit le premier , & ils k fuivirent. II ne nous refta donc que madame d'Alain 8c. fa fille. Voila ce que c'eft, dit la mere, en me regardani brufquement , voila ce que c'eft que de répondre aux gens mal-a-propos , fi vous n'aviez rien dit I iis fcroient encore-la , 8c ne s'en iroient pas mécontens. Pourquoi leur camarade a-t-il ma! parlé, lui répondis-je l que veut-il dire avec les geus d& fa.  C 5 ) forfe \ il me méprife , 8t je ne dirois mot? Mais entre nous, monfieur de la Vallée, reprit» elle, a-t-il tant de tort 1 voyons , c'eft un marchand , un Buurgeois de Paris, un homme bien établi ; de bonne toi êtes-vous fon pareil, un homme qui eft Marguillier de fa Paroiffe ? Qu'appellez-vous , madame , Marguillier de fa Paroifle, lui dis-je 1 Eft-ce que mon pere ne 1'a pas éré de la fienne 1 Eft-ce que je pouvois manquer a fêtre aufli , moi, fi j'avois relté dans notre village , au lic-u de venir ici ? Ah! oui, dit-elle , mais il y a Paroifle St Paroitfe , monfieur de la Vallée ; eh pardi , lui disje , je penfe que notre Saint eft autant que le vótre : madame d'Alain, Saint Jacques vaut bien Saint 'Gervais. Enfin, ils font partis , dit-elle -d'un ton plus deux, car elle n'étoit point opiniatre ; ce n'eft pas la peine'de difpüter, eek ne les fera pas revenir ; -pour moi, je ne fuis point glorieufe, St je j>e rei'ufe pas de fouper. A 1'égard de votre mariage , i! en fera ce qu'il pluira a Dieu ; je n'en ai dit rron avis que par amitié, Sc je n'ai envie de facher per, fcnne. Vous m'avez pourtant k'wn fachée , dit mademoifelle Haberd en fanglctant , Sc fans !:r crainte d'of•fenfer Dieu, je ne vous pardonnerois jamais le procédé que vous avez eu ici , de venir dire routes mes affaires tievant des gens que je ne connois pas, infulter un jeune homme que je confidere , en parler comme d'un miférable , le traiter comme un valet, pendant qu'il ne 1'a été qu'un moment par hafard, Sc encore paree qu'il n'étoit pas riclre, Sc puis citer un Pont-Neuf, me faire pafier pour une folie, pour une fille fans cceur, fans conduite, Sc répéter tous les difcours d'un Prêtre qui n'en a pas agi felon Dieu dans cette occafion-ci ; car d'oi'i vient eft-ce qu'il vous a fait tous ces contcs-la? qu'il parle en soufeknee, eft-ce par religion , eft-ce A caufe qu'il A j  ( « ) eft en peine, de moi & de mes actions l s'il a tant d'amitié pour moi, s'il s'intérelTe fi chrériennement a ce qui me regarde , pourquoi donc rn'a-t-il laiffé toujours maltraiter par ma fceur pendant que nous demeurions toutes deux enfemble 1 Y avoit-il moyen de vivre avec elle ? pouvois-je y refifter ? II iait bien que non ;, je me marie aujourd'hui; eh bien , il auroit fallu me marier demain , 8t je n'aurois peut-être pas trouvé un. fi honnête homme, Monfieur de la Vallée m'a fauvé la vie; fans lui je ferois peut-être morte ; il eft d'aufii bonne familie que moi: que vcut-on dire? a qui en a monfieur Doucin; vraiment 1'intérèt eft une belle chofe ; paree que je le quitte, & qu'il n'aura plus de moi les prétëns que je luj faifois tous les jours, il faut qu'il me perfécute , fous prétexte qu'il prend part a ce qui me regarde , il faut qu'une perfonne chez qui je demeure, Sc a qui je me fuis confiée , me fafie efluyer la plus cruelle avanie du monde ; car y a-t-il rien de plus mortifiaut que ce qui m'arrive 1 La, les pleurs , les fanglots , les foupirs , 8t tous les accens d'une douleur amere étoufterent la voix de mademoifelle Haberd , 8t 1'qmpêcberent de con-, tinuer. Je pfcurai moi-même , au lieu de lui dire confolez-vuus: je lui rendis les larmes qu'tlle verfoit pour moi ; elle en pleura encore davanrage pour me récompenfer de ce que je pleurois ; Sc comme madame d'Alain étoit une fi bonne femme, que tout ce qui pleuroit avoit raifon avec elle, nous la gagnames fur le champ, Sc ce fut le Prêtre qui «ut ton. Eh doucement donc, ma chere amie, dit-elle a mademoifelle Haberd en allant a elle ! Eh mon Dku , que je fuis mortifiée de n'avoir pas fu tout Ce que vous me dites !' allons , monfieur de Ia Vals.' lh?e, bon courage, mon enfant; vensz m'aider a «onfokr qette chere^ Demqilèl,'t> qui fe tourmen» fWJfi- Jïens ; maïs c'eft un lu;et du Roi comme tffl autre , & il n'eft pas permis de maltraiter les ftijets du Roi, ni ne les faire narcher comme cela , fous prétexte qu'on eft Préfident , St qu'ils 11e font rien ; mon fentiment eft qu'il refte. Non , Mademoifelle , lui dis-je alors , je ne erains rien ( 8c cela étoit vrai ) ne regarclons pas fi c'eft bien ou mal fait de m'envoyer dire que js jrienue ; qu'eft-ce que je fuis pour être glorieux ï ne faut-il pns fe mefurer a fon aune 2 quand je ferai bourgeois de Paris , encore piflé ; mais a préfent que je fais fi petit , il faut bien en portel' la peine , St aller fuivant ma taille : aux petits , les corvees , dit-on ; Monfieur le Préfident me mande, trouvons que je fuis bien mandé ; Monfieur le Préfident me verta , fa Préfidence ine dira fes raifons , je lui dirai les niierines, nous fotumes en pays de Chrétienj , je lui porte une bonne confcieiiw , St Dieu par-deffus tont ; marchons , Monfieur, je fuis tout' prêt. Eh bien , j'y confens , dit Mademoifelle H.-.berd ; car , en effet, qu'en peut-il être ? mais avant que vous psrtiez , venez que je vous dife un petit mot dans ce cabinet , Monfieur de la Vallée. Elle y entra , je la fuivis , elle oüvrit une armoire , mit fa main dans un fac, St en tira une fomme en or qu'elie me dit de prendre. Je foupconne, ajouta-t-elle , que tu n'as. pas beaucoup d'argent , mon enfant ; a tout hnfard mets toujours cela dans tg poche. Va, Monfieur de la Vallée , que Dieu foit avec toi , qu'il te conduife & te ramene ; ne tarde point a revenir , dès que tu le pourr.ts , Sc fouviens-toi que js't'artends avec imp-ctience. Oui coufine , oui maitrefie , oui charmante ruture , &L tout ce qui m'eit le plus cher dans le monde, oui , je retourne auffi-töt , je ne ferai de bon fang qu'a mon arrivce , je ne vivrai poiut lome 11. B  tu) qtie je ne vous revoie, lui cfis-jè , en me jettanf fur cette main généreufe qu'elie avoit vuidée clans mon chapeau : hélas ! quand on auroit un cceur de rocher , ce feroit bicntöt un cceur de chnir avec vous St vos cheres manieres; quelle bonté d'ame ! mon Dieu , la charmante fille , que je 1'aimerai quand je ferai fon ho'nmc ; b fcule penfée m'eil fait rno'urir d'aife ; viennent tous les Préfidcns du monde , Sc tous ies Greffiers du pays, voila ce que je leur dirai , furent-ils mille avec autant d'Avocats. Adieu, la Reine de men ttmé , adieu , perfonne cliiris 1 j'ai tant d'amour , que je n'en fnurais plus parler fuis notre mariage , il me faut cela pour dire le refte. Pour toute réponfe , elle fe laiiTa tomber dans un fauteuil en pleuranr, St je partis avec ce valet de chambre qui m'atteudoit, St qui me parut honnête homme. Ne vous alarmez point, me dit-il en chemin , ce n'eft pas un crime que d'être aime cl'une fille , 8t ce n'eft que par complaifance que Monfieur le Préfident vous envoie chercher , on 1'én a prié dans 1'efpérance qu'il vous intimideroit ; mais c'eft un Magiftrat plein de raifon 8t d'équité , ainfi foyez eu repos ; défeanez-vous honnêtcment , St tenez bon. Aufii ferai-je , mon cher Monfieur , lui dis-je , je vous remercie du confeil , quelque jour je vous le revaudrai, fi je puis ; mais je vous cïirai que je vais la, aufli gaillard qu'a ma noce. Ce fut en tenant de parcils difcours que nous arrivames chez fon maitre. Apparanment que mon hiftoire avck éclaté dans la maifon ; car j'y trouvai tous les domeftiques aflemblés qui me recurcut en haie fur 1'efcalier. Je neme démoutai point ; chacun difoit fon mot fur ma figure, 8t heureufement de tous ces mots , il n'y en avoit pas un dont je pus être choqué"; il y eu eut même de fort obligeans de la part des  femmes. II n'a pas 1'air fot, difoit l'une , mais vraiment la dévote a fort bien choifi ; il elf beau garcon, difoit l'autre. A droitc , c'e'toit, je fuis bien-aife de fa bonne fortune ; a gauche j'aime fa phyfionouiie , qu'il m'en vienne un cie cette mine-la , je m'y tiens, eutendois-je dire ici; vous n'êtes pas dégoütée , difoit-on la. Enfin , je puis dire que mon chemin fut feir.c de compliuieus ; Sc fi c'étoit-la palfer par les baguettes, du moins étoient-clles les plus douces du moiim des , Sc j'aurois eu lieu d'être bien content, fans une vieille gouvernante qui gata tout, que je renc.ontrni au haut c'e 1'efcalier , Sc qui fe facha fans doute de me voir fi jeune , pendant qu'elie étoit ii vieille , Sc fi éloignée de la bonne fortune de Mademoifelle Haberd. Oh ! le coup de baguette de ce'le-la ne fut pas doux , car ine regarc'ant d'un ceil hagard , Srievant lts épsules fur moi : hum ! qu'eit-ce que c'eft: que cela , dit-eüc , quelle bégueule a fon ago de vouloir époufer. ce godelurcau ? 11 faut qu'elie ait perdu i'efprit. Tout doucement, ma bonne mere ; vous le perdriez bien au même prix, lui répondis-je , enlnrdi par tout ce que les autres m'.rvoicnt dit dc flat* teur. Ma réponfe réuffit , ce fut un éclat de rire genéral, tout 1'efcalier en retentit , Sc nous entrainesle valet de chambre Sc moi dans 1'appartement, en lailTai'.t une querelle bien établie enne la gouvernante Sc le refte de la maifon , qui la fiffloit tn ma faveur. . Je ne fais pas comment la vieille s'en tira ;rfiais , comme vous voyez , mon début étoit aflez plaifant. La compagnie étoit chez Madame ; on m'y atte'ndoit, Sc ce fut auffi chez elle que me mena mon euic'.e. * B 2  Modeftie Jk Courage, voila avec qtioi j'y enfra!. J'y trouvai Mademoifelle Haberd I'ainée par qui je comnence , paree que c'eft contr'elle que je vais plaider. Monlieur le Préfident , homme entre deux 'sges. Madame la Préfidente , tlont la feule phyfionojnie , m'auroir rafiuré fi j'avois eu peur ; il n'en laut qu'une comme celle-la dans une compagnie pour vous faire aimer toutes les autres ; non pas que Madame la Préfidente fut belle , il s'en falloit bien ; je ne vous dirai pas non plus qu'elie fut laidé , je n'oferois ; car fi la bonté , fi la franchife , fi toutes les qualités qui font une ame aimable prenoient une jhyfionomie en commun , elles n'en prendroient point d'autre que celle de cette Préfidente. .T'entendis qu'elie difoitau Préfident d'un ton nflëz bns : mon Dieu ! Monfieur1, ii me femble que ce pau\re garcon tremble ; allez-y doucement, je vous prie , St puis elle me regarda tout de fuite d'un air qui me difoit ne vous troublez point. Ce font des chofes fi fenfibles , qu'on ne fauroit s'y méprendre. Mais ce que je dis la m'a écarté. Je comptois les afliftans , cn voila d.éja trois de nommés , venons aux autres. II y avoit un Abbé d'une mine fine , St mis avec toute la galanterie que pouvoit comporter fon hnbit, gefticulant décemment, mais avec grace ; c'étoit un petit-maitre d'églife , je n'en dirai pas de lui davantage , car je ne 1'ai pas revu. 11 y avoit encore une Dame parente du Préfident , celle que Mademoifelle Haberd avoit dit conuoitre , St qui occupoit une partie de la maifon , veuve d'environ cinquante ans , grande perfonne , bien faite , St dont je ferai le portrait dans un mostent ; voila tout. II eft ben d'avertir qv.e cette Dame , doat je  (I75 „ « ,, pjomets Ie portrait , étoit une devote auiü ; voiia bien des dévotes , dira-t-ou , mr.is je ne faurois bli'y faire ; c'étoit par la que Mademoifelk Haberd I'ainée la connoiflbit , Sc qu'elie avoit fu 1'intéréffer dans 1'affaire dont il s'agiflbic ; elles ulloieiit toutes deux au même confcffionnal. Et a propos des dévotes, ce fut bien dans cette occalion oü j'aurois pu dire : Tant de nel entrc-r-il dans 1'ame des devots < je n'ai jamais vu de vifage fi. furiboud que celui de Mademoifelle Habert préiènte ; cela la changeoit au point que je penfai la méconnoitre. En véricé,il n'y a de mouvemens violens que chez ces perfonnes-!a ; il n'appirtient qu'a elles d'être paflionnées ; peut-être qu'elles croient être affez bien avec Dieu, pour pouvoir prendre ces lkencesla fans conféquence, Sc qu'elles s'imagiuent que ce qui eft pêché pour nous autres profanes , chr.nge de nom , Sc fe purifk en pafl'ant par leur aine.^ Enfin , je ne fais pas comment elles 1'entendent, mais il eft sur que la colere des dévotes eft terrible. Apparcmment qu'on fait bien de la bik dans ce mêtier-la ; je ne parle janir.is que des dévots , je niet» toujours les pieux a part; ceux-ci n'ont point de bile , la piété les en puige. Je ne m'enibarraflai guere de la fureur avec laquelle me regardoit Mademoifelle Haberd ; je jettai les yeux fur elle aufli indiiféreinmeut que fur le refte de la compagnie, Sc je mlayancai eu fakiant Monfieur le Préfident. C'eft donc toi, me dit-il, que la fceur de Mademoifelk veut époufer 1 Oui, Monfieur , du moins me le dit-elle ; Sc affurément je ne 1'en empêcherai pas; car cela ine fait beaucoup d'honneur Sc de plaifir , lui répondis-je d'un air fnnple , .mais-ferme Sc tranquille } je m' obfervai un peu fur 1c langage, foit dit ea paffant.  r . tr2) i époufer , toi, reprit le Préfident ? toi; es ijt fait pour être fon mari ? oublies-tn que tu n'es que fon-do:nefiique ? Je n'aurai pas de peine a 1'oublier , lui dis-je , car je ne i'ai été qu'un moment par rencontre. Voyez 1'efli'onté , comme il répond , Monfieur le Préfident , dit alors Mademoifelle Haberd. Ha ! point du tout, Mademoifelle, c'eft que vous êtes fachée , dit fur la champ la Préfidente d'un ton de voix fi bien afforti ave: cette phyliononik dont j'ai parlé ; Monfieur le Préfident 1'interrógè , i! faut bien qu'il réponde , il n'y a pas de mal a cela , écoutons-le. L'Abbé , a ce dialoguc , fourioit fous main d'un pir fpirituel St railleur ; Monfieur lc Préfident bniffoit les yeux de 1'air d'un homme qui veut refter grave , St qui retient une en vie de lire. L'autre Dame , parente de la maifon , faifoit nes nceuds , je penfe , St la tête Jriffée fe contentoit par intervalle de lever fourdement les yeux fur moi, je la voyois qui ir.e'incfuroit depuis les pieds jufqu'a la tête. Pourquoi, reprit le Préfident, me dis-tu que tn n'as été qu'un moment fon domeftique , puifque tu c? aciueliement afon fervice ? Oui, Monfieur, a fon fervice comme au vótre, je fuis fort fon ferviteur j fon ami St fon préteadu , & puis c'eft tout. Mais , petir fripon que vous êtes , s'écria la-dcffus ma future belk-ficur, qui ne trouvoir pas que le Préfident me pari at a fa fantaifie ; mais ponvezvous a votre age mentir aufli impudemment que "vous faites? L:i , mettez ia main fur la confcien:e, fongez que vous êtes devant Dieu , St qu'il nous écoute. Eft-ce que ma folie de fceur ne vous a pas rencontré dans la rue ? n'étiez-vous pas fur le pavé fins favoir ou aller , quand elle vous a pris ? que feriez-vous devenu fans elle? ne feriez-vous pas réjhrit a tendre la majji aux paflans, fi elk ii'avojt  pas eu la charlté ce vous amener au logis ? Hélas-! • la pauvre fille , il valoit bien mieux qu'elie n'eut pas eu pitié de vous : il faut bien que fa charité n'eft pas été agréable a Dieu, puifqu'il s'en eft' »!füivi un fi grand malheur pour elle : quel égarenient , Monfieur le Préfident, que les jugèiifëivs de Dieu font tenibles ! Elle paffe un matin fur le. Pont-.Neuf, elle rencontre ce petit libertin, elle me .1'amene, il ne me revient pas , elle le veut garder a toutes forces malgré mon confeil &C 1'infpiration d'un faint homme qui tache de 1'en difliisder ; elle fe brouille avec lui , fe fipare d'ave: moi , prendline maifon aiUeurs , y va logcr avec ce miférable , ( Dieu me pardonne de 1'appeiler ainfi ) fe coëffe de lui, 8c veut être fa femme , la femme d'un valet , a pr'.s de cinquante ans qu'elie a. Oh ! 1'age ne fait rien k cela , dit fans lever la tête la D?.me dévote , a qui cet article de cinquante ans ne plut pas , paree qu'elie avoit fa cinquantaine , fk qu'elie craignoit que ce difcours ne fit fongeraclle ; &t d'ailleurs, dit-elle en continuant, eft-elle , Mademoifelle votre fceur 1 vous êtes en colere, ck il me femble lui avoir entendu dire qu'elie étoit de mon age , ck fur ce pied-ia elle feroit a peu-près de cinq ans plus jeune. Je vis le Préfident fourire k ce calcul, apparentment qu'il ne lui paroifibit pas exact. Eh ! Madame , reprit Mademoifelle Haberd 1'ai, née d'un ton piqué , je fais 1'age de ma fceur , je : fuis fon ainée, I lir a vous voir , St elle m'avoit cru ; a l'autre presIs tégez-moi, St e'le me 1'avoit promis , car il me femble qu'elles m'avoicnt entendu toutes deux» f répondu ce que je vous d:s-ia. Monfieur 1'Abbé même avoit eu quelque part a -mes intentions ; quelques regards extrêmement honnêtes me 1'avoient aufli difpofé en ma faveur ; de forte que j'avois déja les deux tiers de mes Juges Ij pour moi, quand je commencai a parler. I D'abord je fis faire filence , car de la manier* | dont je m'y pris , cela vouloit dire , écoutez- ï Monfieur le Préfident, dis-je donc , j'ai laifle I parler Mademoifelle a fon aife , je 1'ai laifl'é m'in■/jurier tant qu'il lui a plu : quand elle feroit enli core un difiours d'une heure , elle n'en diroit pas Iq plus qu'elie en a dir , c'eft donc a moi k parler a I préfent, chacun a fon tour , ce n'eft pas trop.  (») Vous dites , Monfieur le Préfident, que fi jeveux époufer Mademoifelle Habeit la eadette, cn m'en empêchera bien ; a quoi je vous réponds , que fi on m'en empêche , il me fera bien forcé de Ia laiflêr la , a 1'impoffible nul n'eft tenu ; mais qi.e fi on ne m'en empêche pas , je 1'épouferai, cela eft siir, 8c tout le monde eu feroit autant k ma place. Venons a cette heure aux injures qu'on me dit, jene lais pas fi la dévotion les permet ; en tour cas je les mets fur la confcience de Mademoifelle qui les aproférées. Elle dit que Dieu nous écoute , 8c tant pis pour elle , car ce n'eft pas la de-trop belles parolcs qu'elie lui a fait eutendre ; bref, a fonj compte , je fuis un miférable , un gredin; fa fceur eft une folie , une pauvre vieille égarée ; a tout cela il n'y a que le prochain de fou'é , qui s'accommode , parions de moi. Voila , par exemple , Mademoifelle Haberd I'ainée , Monfieur le Préfident ; fi vous lui difiez comme a moi , toi par-ci , toi par-la , qui es-tu , qui n'es-tu pas ? elle ne manqueroit pas de troiuer cela' biea e'trange ; die diroit, Monfieur , vous me traite? mal, Êc vous penferiez en vous-même , elle a raifon ; c'e r Mademoifelle qu'il faut dire : au Si fakes-vous Mademoifelle ici , Mademoifclk-la , toujours honaStement Mademoifelle , Sc k moi toujours tu 8c toi. Ce n'eft pas que je m'en plaigne , Monfieur k Préfident, il n'y a rien a dire , c'eft la continue de vous autres grands Meliieurs ; toi, c"e!i ma part , & celk-la du pauvre monde ; voila comme 0:1 ie raene : pourquoi pauvre monde c!t-ii ? ce n'eft pas votre faute , 8c ce que j'en dis n'eft que pour faire I une comparaifon. C'eft que Mademoifelle , a qui ce feroit mal fait de dire , que veux-tu, n'eft prefque pourtant pas plus Mademoifelle que k fuis Monfieur ; c'eft , ma foi, la même chofe. Comment donc, petit impertinent, la même chofe , s'écria-t-elk.  Eh pardi, om , répondis-je ; mais je n'ai pas fait? laiiïcz-moi me reprendr*'. ■ Eft-ce que Monfieur Haberd votre pere , devant Dieu foit fon nme , étoit un gredin , M-idemoifelle! II étoit fils d'un bon fennïer de Benuce, moi fils d'un bon fermier de Champagne ; c'e't déja ferme pour ferme ; nous voila déja Monfieur votre pere St moi, aufli greriins l'i 1 que l'autre ; il fe fit Marchind , n'eft-Ce pas ? je le feraJ peut-être ; ce fera encore boutique pour boutique. Vous autres DemoifeHes qui êt;s fes fillés , ce n'eft donc que ' d'une boutique que vous valez mieux que moi ; fuais cette boutique , fi je li prends , mon fils di|ra , mon pere 1'avoit j Sc par-la mon fils fera au niveau de vous. Aujourd'hui vous allez de la boutique k la ferme , Ge moi j'irai de la ferme a la boutique ; il n'y pas Ik grande différente , ce n'eft | qu'un étage que vous avez de plus que moi ; eft-ce qu'on eft miférable a caufe d'üh ér»ge de mo nsl eft! ce que les gens qui fervent Dieu comrac vous , qui ps'adonnent a 1'hnmilité comme vous , comptent les etages , fur-tout quand il n'y en a qu'un a redire ? Pour ce qui eft de cette rue oü vous dites que ; "Votre fceur m'a rencontré ; eh bien , cette rue, j c'eft que tout le monde y pafte ; j'y paffois , elle y baflbit , Sc il vaut autant fe rencoiltrer la qu'ail•leurs, qu?.nd on a a fe rencontrer quelque partJ'allois être mendianjt fans elle; hélas 1'non pas 'le 'même jour , imis un peu plus tard , il auroit f.bien fallu en venir la ou s'en rgtourner k la ferrlmc ; je le confelfe rranchement, car je n'y entends Ijoint fineffe ; c'eft bien un plaifir d'être riche, ■ miis ce n'eft pas une gioire , hormis pour les fots; *Sc puis y n-t-il fi grande merveille a mon fait; on f eft jeune , on a pere & mere , on fort de chez eu:: pour faire quelque chofe : quelie richefle vouplez-vous qu'on aie ? on a peu , mais on cherche , St ;,'je cberchois ; la-deffus v0fre fceur vient; qui êtesvous , ine dit-elle ? je lui récite > voulez-vous ve-  *ir chez uöus , nous fommes deux filles craignant Dieu , dit-elle I oui-da , lui dis-je , 8c en atten-' dant mieux je In fuis. Nous caufoils par les chemins , je lui apprends mon nom , mon furnom Hies moyens, jc lui détaille ma familie ; elle me dit, la nêtre eft de même étofte ; moi je m'en réjouis , elle dit qu'elie eft bien aife ; je lui repars ; elle ine repart; je la loue, elle me le rend ; vous: me paroiifez bon garcon ; vous Mademoifelle , la meilleure fille de Paris ; jé fuis content , lui disje , moi contente/, 8c puis tious arrivons chez vous, 8c puis vous la querellez a caufe de moi ; Vous dites que vous la quitterez , elle vous quitte la première ; elle m'emmene ; la voila feule, 1'ennui la prend , du mariage lui vrent, nous en devifons , je me trouve la tout porté , elle m'eftime , je la Tcvere ; je fuis fils de Fermier , elle petite-fille , elle oe chicane pas fur un crau de plus , fur un cnn de moins , fur une boutique en-deCa, fur une boutique en-dela ; elle a du bien pour nous deux , mais de 1'amitié pour quatre ; on appelle un Notaire , j'écris en Champagne , on ine récrit, tout eft prêt, 8c je demande a Monfieur le Préfident qui fait la juftice par cceur , a Madame Ia Préfidente qui nous écoute , a Madame qui a bon efprit, a Monfieur 1'Abbé qui a de la confcience , je demande a tout Paris, comme s'il étoit la , oü eft ce grand affront que je vous fais ? A ces mots la compagnie fe tut , perfonne ne réponc ir. Notre aïnée qui s'attendoit que Monfieur le Préfident parleroit, le regardoit , étonnée de ce qu'il ne difoit rien : quoi ! Monfieur , lui dit-elle, eft-ce que vous m'abondonnez ? J'aurois fort envie de vous fervir , Mademoifelle, lui dit-il ; mais que voulez-vous que je falie en pareil cas ? je croyois 1'aflaire bien différente , St ii tout ce qu'il dit eft vrai , il ne feroit ni jufté si poffible de s'oppofer a un mariage qui n'a point (l'autre  dFatitre défaut me cTêtre ridicule a came de la dilyroportion des ages. Saus compter , dtt la Dame parente, qu'on en voit tous les jours de bien plus grandes de ces difproportions, S; que celle-ci ne fera fenfible que Öaris quelques annoes , car vorre fceur eft encore fraiche. Et d'ail'eurs , dit la Préfidente , d'un air conciliant, elle eft fa mairreffe , cette fille , Sc ce jeune homme n'a contre lui que fa jeuneffe dam le fond. Et il :feft p.-s défeudu d'avoir un mari j2une , dit 1'Abbé d'un ton gogucnard. Mais n'eft-ce pas une folie qu'elie fait, dit Mademoifelle Haberd, donr toutes ces généalogies avoient mis la tête en défordre , Sc n'y a-t-ii pas de la charité a 1'en empêcher? Vous, Madame, qui m'avez tant promis d'eagager Monfieur le Préfident a me prêter fon fecours , ajouta-t-elie en parlant a cette Dime dévote, eft-ce que vous at prefferez pas d'agir ? je comptois tan: lur vous» Mais , ma bonne Demoifelle H iDert, reprit li Dame , il faut entendre raifon. Vous m'avez parlé de ce jeune homme comme du dernier des malheuren, n'appartenant a perfonne, Sc j'ai pris feu la-deffus ; mais point du tout , ce n'eft point cela , c'eft le fds d'honnêtes gens , d'une bonne familie de Champagne , d'aiileurs un garcon raifonnable ; Sc je vous avoue que je me ferois un fcrupule-.de nuire a fa petite fortune. A ce difcours le garcon raifonnable falua la fcrupuleufe ; ma révérence partit fur le champ* Mon Dieu ! qu'eft-ce que c'eft que le monde , s'écria ma belle fceur future ? Pour avoir dit a Ma«tame qu'elie fe foutenoit bien a 1'age qu'a ma foeur, voila que j'ai perdu fes bonnes grices ; qui e!t-ce «ui devineroit qu'on eft encore une Nymphe a cinquante ans ? Adieu , Madame , Monfieur le Préfident , je fuis votre fervante. Cela dit, elle falua le refte de la compagnie , Teme II. C  (i6) pendant qtie la Dame de'vote la regnrdolt de cöte d'un air méprifant, fans daigner lui répondre. Allez , mon enfant, me dit-elle , quand l'autre fut partie , mariez-vous , il n'y a pas le mot a vous dire. Je lui confeille même de fe hater , dit la Préfidente , car cette fceur-la eft bien mal intentionuée. De quelle facon qu'elie s'y prenne , fes mauvaifes intentions n'aboutironr a rien , dit froiriement le Préfident, tk je ne vois pas ce qu'elie pourroit faire. I La-deflus on annonca quelqu'un. Venez , me dit en fe levant la Nymphe de cinquante ans, je vais vous donner un petit billet pour Mademoifelle Haberd ; c'eft une fort bonne fille, ]z 1'ai toujours, mieux aimée que l'autre , St je fuis bien-aife de lui apprendre comment ceci s'eft paffe». Monfieur Ie Préfident, permettez-moi de paffer un moment dans votre. cabinet pour écrire , ck tout de fuite elle part, je la fuis trés content de mon ambaffade. Quand nous fümes dans ce cabinet, francheinent, mon garcon, me dit-elle , en prenant une leuille de papier, tk en eflayant quelques plumes, j'ai d'abord été Contre vous , cette emportée qui fort nous avoit fi fort parlé a vorre défavantage , que votre mariage paroiffoit la chofe du monde la plus extraordinaire ; mais j'ai changé d'avis dès que je vous ai vu ; je vous ai trouvé une phyfionomie qui détruifoit tout le mal qu'elie avoit dit, tk erfectivement vous 1'avez belle , St même heureufe» Mademoifelle Haberd la eadette a raifon. . Je fuis bien obligé . Madame , a la bonne opinjon que vous avez de moi , lui répondis-je , St je tacherai de la mériter. Oui, me dit-elle , je penfe très-bien de vous, -extrêmement bien , je fuis charrnée de votre avcnture ; St fi cette facheufe fceur vous faifoit encore quelque chicane , vous pouvez compter que je vous fervirar contr'elle. C'étoit toujours en eflayant dilférentes plumes  (»7) ■qu'elie me tenolt ces difcours , ck elle ne pouvoit pas en trouver de bonnes. Voila de mauvaifes plumes , dit-elle , en tachant d'en tailier , ou plutot d'en raccommoder une ; quel age avez vous ? bientot vingt ans , Madame , lui dis-je en gros : c'eft le ve'ritable age de faire. • fortune , rcprit-elle ; vous n'a'vez befoin que d'amis qui vous pouffcnt, St je veux vous eu donner; car j'aime votre Mlle Haberd , St je tui fais bon gré de ce qu'elie fait pour vous ; elle a du difcerneraent; mais il eft vrai qu'il n'y a que quatre ou cinq mois que vous arrivez de campagne , on nale croiroit point a vous voir : vous n'êtcs point halc , vous n'avez point 1'air campagnard , il a le plus beau teint du monde. Ace compliment les rofes du beau teint augmen- ■ terent ; je rougis un peil par pudeur, mais bien ■plus par je ne fais quel fentiment de plaifir qui me ' vint de me voir loué fur ce ton-la par une femme* de cette confidération. On fe fent fort tk bien a fon aife , quand c'eft par la figure qu'on plaït, car c'eft un mérite qu'on •n'a point de peine a fouteuir , ni a faire durer 5 ' cette figure 11c change point , elle eft toujours la , vos agrémens y tiennent ; St comme c'elt a eux -qu'on en veut, vous ne craignez point que les gens fe détrompent fur votre chapitre , St cela vous donne de la confiance. Je crois que je plais par ma perfonne, difois-je - donc en moi-même , St je fentois en même temps 1'agréable St le commode de cette facon de plaire, Ce qui faifoit que j'avois l'air affez aifé. Cependant les plumes alloient toujours mal on effayoit de les tailler , on ne pouvoit en venir a ■ bout; St tout en fe dépitant 011 continuoit la converfatiou. Je ne faurois écrire avec cela , me dit-elle : ne pourriez-vous pas m'en tailler une.? C »  <2S'). Oui-da , Madame , lui dis-je , je Tais y fiché?,1, f en prend donc une , & je la taille. Vous mariez-vous cette nuit, reprit-elle pendant' que j'étois après cette plume ? je crois qu'oui , Madame. Eh dites-moi, ajouta-t-elle en fouriant, Mademoifelle Haberd vous airne beaucoup , mon.gateen, je n'en doute pas, tk je n'en fuis point furprife ; mais entre nous, 1'aimez-vous un peu auffi? avez-vous de 1'amour pour elle ? la , ce que 1'on appeile de 1'amour , ce n'eft pas de 1'amitié que j'entends, car de cela elle en mérite beaucoup de votre part , tk vous n'êtes pas obligé au refte i mais a-t-elle quelques charmes a vos veux , toute agée qu'elie eft 1 Ces derniers mots furent prononcés d'un ton ba— din qui me. diétoit ma réponfe , qui fembloit m'exciter a dire que non , tk a plaifanter de ces charmes. Je fentis que je lui ferois plaifir cle n'être pas ïmparient de les pofléder , tk ma foi je n'eus pas la force de lui refufer ce qu'elie demandoit. Eu fait d'amour, tout engagé qu'on eft déja , la vanité de plaire ailleurs vous rend 1'ame fi jnfidelle , tk vous donne en pareille occalion de fi laches complaifances. J'eus donc la foibleffe de manquer d'honneur &C de fincérité ici , car j'aimois Mademoifelle Haberd , du moins je le croyois , tk cela revient au même pour Ia friponnerie que je fis alors ; tk quand je ne 1'aurois pas aimée , les circonftances oü je me trouvois avec elle , les obligations que je lui avois &C que j'allois lui avoir ; tout n'exigeoit-t-il pas que je diffe fans héfiter , oui , je 1'aime , tk de tout mon cceur. Je n'en fis pourtant rien , paree que cette Dame ne vouloit pas que je 1'aimafTe , tk que j'étois flatté de ce qu'elie ne Ie vouloit pas- Mais comme je n'étois pas de caractere a être vin effromé fripon, que je o'étois même tout a»  C \9 T plus capable d'un procédé faux que dans un ca» rfe cette nature , je pris un milieu que je m'imnginai en être un , ck ce fut de ine contenter de fourire fans rien répondre , ck dc mettre une mine a la place du mot qu'on me demandoit. Oui , oui, je vous enteuds , dit la Dame , vous êtes plus reconnoiflant qu'amcureux , je m'en doutois bien ; cette fille-la n'a pourtant pas été défagréable autrefois. Pendant qu'elie parloit , j'eflayois la plume qu» j'avois taillé ; elle n'alloit pas a ma fantaifie , ck j'y retouchois pour alonger un eurretien qui m'amufoit beaucoup , 8c dont je voulois voir la fin. Oui , elle eft fort paffee , mais je penfe qu'elie' a été affez jolie , dit encore la Dame en continuant, &c comme.dit fa fceur , elle a bien cinquante ans ; il n'a pas tenu a moi tantót qu'elie ne fut de beaucoup plus jeune ; car je la faitbis de mon age , pour la rendre plus excufable. Si j'avois pris leparti de fa fceur ainée, je vous aurois nui auprès du Préfident, mais je n'ai eu garde. J'ai bien remarqué , lui dis-je , 'a proteftion que vous m'accordiez , Madames il eft vrai, repritelle , que je me fuis aflez ouverteme,'!'; dëclarée : cette pauvre eadette, je me mets k fa place , tfe auroit eu trop de chagrin de vous perdre , toute Vieillé qu'elie eft, Êc d'ailleurs ie vous veux cïu bien. _ Hélas , Madame , repris-je d'un air naïf, j'en 'dirois bien autant de vous , fi je valois la peine' de parler : Eh pourquoi non , rcpontüt-elle , je ne negligé i'amitié de perfonne, mon cher enfant, furtout de ceux qui font a mon gré autant que vous , ■car vous me piaifez ; je ne fais , mais vous m'avez -prévcnue en votre faveur ; je ne re^rc'.e pas k la condition des gens , moi , je ne regie pas mon •goüt la-deflüs. Et quoiqu'elle glifsat ces dernieres paroles en iemme qui prend les mots qui lui viennent, ck qui  n'a pas a obfervcr fur ce qu'elie penie , la for:e dn difcours 1'obligea pourtant a baiiler les yeux, car ou ne badine pas avec fa confcience. Cepenclaut je ne favois plus que faire de cette piume ; il étoit temps de favoir rendue bonne , ou de la laiflér fa. Je vous fupplie , lui- dis-je ,. de ine conferver cette bonne volonté que vous me marquez, Madame i il ne fauroit me venir du. bien d'aucune part que j'aime autant que de la votre. Et c'étoit en lui rendant la plume que je parlois ainfi ■> elle la prit , elfaya , reille que j'aimerois , je ne m'en foucierois pas , ce létoit quelque perfonne qui feroit plus que moi; il n'y a que cela qui me feroit envie. Eh bien , me dit-elle, c'eft-la penfer a merveille t Sc je vous en eftïme davantage ; ce fentiinent-1» vous fied bien , ne le perdez pas, il vous fait honneur , Sc il vous réuffira , je vous le prédis ; je m'y couuois , vous devez m'en croire , ayez bon courage; Sc c'étoit avec un regard perfuafif qu'elie me difoit' cela. A propos de cceur, ajouta-t-elle , êtesvous né un peu tendre ? c'eft la marqué d'un bon caraflere. Oh i irelï, je fuis donc du meilleur caraétere du mondje , repris-je 1 oui-da , dit-elle , ha , ha y ha... ce gros garcon , il me répond cela avec une vivacité tout-a-fait plaifante : eh , parlez-moi franchement? eft-ce que vous auriez déja quelque vueï aimeriez-vous aêtueilement quelque perfonne ! Oui, lui dis-je , j'aime toutes les perfoimes a qui j'ai obligation comme k vous , Madame , que j'ainie plus que toutes les autres. Prenez garde , me dit-elle, je parle d'amour , Sc vous n'en avez pas pour ces perfonnes-la , non plus que pour moi ; fi vous nous aimez, c'eft par reconnoiflance , Sc non pas k caufe que nous fommes aimables. Quand les perfonnes font comme vous, c'eft a cauie de tout, lui répartis-je ; mais ce n'eft pas a moi a le dire : oh 1 dites r mon enfant, dites, re» prk-elle , je ne fuis ni fotte ni ridicule , Sc pourvu que vous foyez de bonne foi , je vous le pardanne. Pardi, de bonne foi , répondis-je, fi je ne 1'étois pas, je ferois donc bien difticile. Doucement pourtant , me dit-elle , en fe mettant le doigt fur la bouche, ne dites cela qu'a moi, au moins , car on en riroit, mon enfant, Sc d'ailleurs vous me brouilleriez avec Mademoifeile Haberd, li elle le ia/iut.  Je m'einpêcherois b:en de. le, dire , II .elle e'rbt't la, repris- je. Vraimenr , c'eft que ces viei lies lont jaloufes, Sé que le monde eft 'méchant, ajouta-telle en achevant fa lettre , ck il faut toujours fe taire. Nous entendimes alors du bruit dans une chambre prochaine. N'y auroit-il pas-la quelque domeftique qui nous écoute , dit-elle en pliant ft lettre ? j'en ferois fache'e ; fortons , rendez ce billet a Mademoifelle Haberd , dites-lui que je fuis fon amieentendezvous , ck dès que vous ferez mariés , venez m'en informer ici oü je demeure, mon nom eft au bas du billet, que j'ai écrit, mais ne venez que fur le foir, je vous donnerai ces papiers que vous copierez, ck nous cauferons fur les moyeus de vous reiidre fervice dans la Iuite. Allons , mon cher enfant, foyez fage , j'ai de bonnes intentions pour vous , dit-elle d'un ton plus bas avec douceur , ck en me-rendant la lettre d'une f35011 qui vouloit dire , je vous tènds aufli la main , du moins je le compris de même : de forte qu'en recêvant le billet, je baifai cette main qui parohffoit fe prëfenter , ck qui ne fit point la cruclle, malgré la vive ck affectueufe reconnoiflance avec laquelle je ia baifois , ck cette main étoit belle. Pendant que je la tenois , voila encore ce qu'il ne faut pas dire ; me gliffa-t-elle en me quittant. Oh ! je fuis honnête garcon, Madame , lui répondis-;e bien confidemment , en vrai payfan pour ie coup , en homme qui eonvient de bonne foi qu'on ne le .maltraité pas , ck qui ne fait pas vivre avec la pudeur des Dames. Le trair étoit brutal , elle rotïgit légérement, car je n'étois pas digne qu'elie en rcugir beaucoup : je ne lavois pas 1'infolence que je faiiois ; ainfi elle fe remit fur le champ , tk je vis que , toute réfle-xion faite , elle étoit bieai-aife de cette groffiéretc qui m'étoit échappée , c'étoit unc marqué que je  comprcnois fes fentïmens , St cela lm cpargnoit fes dttours qu'elie auroit été obligée de prendre pour les dire. Nous nous quittamei donc , elle rentra dan* Ijapp'arternent de Madame la Préfidente , moi jè jne retirai plein d'une agréable émotion. Ei't-ce que vous aviez dclfein c'.e 1'aimer, me direz-vous ? Je n'avois aucun deffein déterminé , j'étois feulement charmé de me trouver au gré d'un* grande Dame , j'en pétiüois d'avance , fans favoir a quoi cela aboutiroit, fans fonger a la conduite que je devois tenir. De vohs dire que cette Dame me fut indifférente , non ■■, de vous dire que je 1'aimois, je ne le crois pas non plus. Ce que je fentois pour elle ne pouvoit guere s'appeller de 1'amour , car je n'aurois pas pris garde a elle , fi elle n'avoit pas pris garde a moi; St de fes attentions même , je ne m'en ferois point foucié, li elle n'avoit pas été une perfonne de diftinction. Ce n'étoit donc point elle que j'aimois , c'étoit fon rang , qui étoit très-grand par rapport a moi. Je voyois une femme de condition d'un certai* air , qui avoit apparemmeut des valets, un équipage , St qui me trouvoit aimable ; qui me permettoit de lui baifer la main , St qui ne vouloit pas qu'on le sut ; une femme enfin qui nous tirek mon orgueil St moi du néant oü nous étions encore ; car avant ce temps-la m'étois-je eftimé quelque chofe ? avois-je ienti ce que c'étoit qu'amourpropre ? 11 eft vrai que j'allois époufer Mademoifelle Haberd , mais c'étoit une petite bourgeoife qui ave-itr débi.té par me dire que j'étois autant qu'elie , qui ne m'avoit pas donné le temps de m'enorgueillir de fa conquêre , St qu'a fon bien prés, je regardois coinine mon égale;  JC»4) ïVavois-je pas été fon coufin ? le moven après i cela de voir une diftance lénfible entr'elle St: moi ? Mais ici elle eft énorme , je ne la pouvois pas! mefurér , je m'y perdois en y fongeant; cependanr i c'étoit de cette diftance-la qu'on venoit a moi ,. ou que je me trouvois tout d'un coup porté jufqu'ai' une perfonne qui u'auroit pas feulement du favoir ij fi j'étois au monde : oh ! voyez s'il n'y avoit pas i la de quoi tourner la tête , de quoi me donner des |: mouvenens approchans de ceux de 1'amour. J'aimois donc par refpedt & par étonnement! pour mon aventure , par ivreffe de vanité , par tout Ce qu'il vous plaira, par le cas infini que je faifois i des appas de cette Dame ; car je n'avois tien vu de { li beau qu'elie, a ce que je m'imaginois alors ; i elle avoit pourtant cinquante ans , Sc je l'avois fixée a cela dans la chambre de la Préfidente ; i mais je ne m'en refibuvenois plus ; je ne lui defi- } rois rien ; eêt-ello eu vingt ans de moins , elle ne 1 m'auroit pas paru en valoir mieux ; c'étoit une 1 Déellê , ck les Déeffes n'ont point d'age. De forte j que je m'en retournai pénétré de joie, boufli de gloire , Sc plein de mes folies exagérations fur le ! mérite de la Dame. II ne me vient pas un moment en penfée , que | mes fentimens fifiênt tort a ceux que je devois a Mademoifelle Haberd , rien dans mon efprit n'a-.1 voit changé pair clie , Sc j'allois la revoir aufli temirement qu'a 1'orriinaire ; j'étois ravi é'époufer l'une, Sc i!e plaire a l'autre , 6c on fent fort bien l| deux plaifirs a la fois. Mais avant que de me mettre en chemin pour : retourner chez ma future , j'aurois dü faire le por- | trait de cette Déefie que je venois de quittcr ; met- { tons-le ici, il ne fera pas long. _ Vous favez fon age , je vous ai dit qu'elie étoit [ bien faite , ck ce n'eft pns afiéz dire , j'ai vu peu  ( ü) '' ie femmes d'une taille au.ii aoble , 8t d'un aufli ■ grand air. Celle-ci fe mettoit toujours d'une maniere moI defte , d'une maniere pourtant qui n'ötoit rien a ce qui lui reftoit d'agrémens naturels. Une femme auroit pu fe mettre comme cela pour I plaire , fans être accufée de fonger a plaire ; je dij i une femme intérieurement coquette ; car il falloit al'être pour tirer parti de cette parure-la ; il y avoit de petits reflbrts fecrets a y faire jouer pour la renI dre aufli gracieufe que décente , St peut-être plus | piquante que 1'ajuRement le plus déclaré. l C'étoient de belles mains , &t de beaux bras |fous du linge uni ; ou les en rsmarque mieux lai delfous , cela les rend plus fenfiblss. C'étoit un vifage un peu ancien , mais encore (beau , qui auroit paru vieux avec une cornette de Iprix , qui ne paroifloit qu'aiinable avec une cor[nette toute limple. C'eft le uégliger trop que de H'orncr li peu , avoit-on en vie de dire. C'étoit une gorge bien faite (il ne faut oublier [cet article-la qui eft prefque aufli conlidérablc que jle vifage d:;ns nne femme ) gorge fort blanche , enveloppée, mais dont 1'enveloppe fe dérangeoit quelquefois par un gefte qui en faifoit apparoitre la blancheur , St le peu qu'on en voyoit alors en donnoit la meilleure idéé du monde. I ..C'étoient de grands yeux noirs qu'on rendoit ffage St férieux , malgré qu'ils en euffent, carfoniciéremcnt ils étoient vifs , tendres St amoureux. ' Je ne les définirai pas en entier : il y auroit tant fa parler de ces yeuv-la , 1'art y mettoit tant de chojfes , la nature y en mettoit tant d'autres , que ce • ne feroit jamais fait, fi on en vouloit tout dire , St Ipeut-être qu'on n'en viendroit pas a bout. Eft-ce . fqii'on peut dire tout ce qu'on fent ? Ceux qui le ' croient ne fenteut guere , 8t ne voient apparenv tnent que la moitié de ceqvffimpeut voir.  venons a la phyfiono:nie que compofoït le tout ënfemble. Au premier coup d'ceil, on eut dit de celle 1 qui la pottoh , voila une perfonne bien grave Sc bien pofde. Au fecond coup d'ceil , voila une perfonne qua a acquis cet air de fageflê St de graviré , elle ne : 1'avoit pas. Cette perfonne-Ia eft-elle vertueufe 1 la phyfionomie difoit oui, mais il lui en coüte : elle fe gouverne mieux qu'elie n'eft fouvent ten-' tée de le faire : elle fe refufe au plaiftr , mais elle 1'aime ; gare qu'elie n'y cede. Voila pour les mceurs. Quant a 1'efprit, on la foupconnoit d'en avoir; beaucoup , St on foupconnoit jufte , je ne 1'ai pas aflez connue pour en dire davantage la-deflus. A 1'égard du caradtere , il me feroit difficile de le dénnir auiii : ce que je vais en rapporter, va pourtant en donuer une idee aflez étendue St aflez finguliere. C'eft qu'elie n'aimoit perfonne , qu'elie vouloit pourtant plus de mal a fon prochain , qu'elie ne' lui en faifoit directement. L'honneur de paffer pour bonne 1'empêckoit de fe ntontrer rnéchante ; mais elle avoit 1'adrefle? d'éxcirer la malignité des autres ; St cela tenoit lieu: d'exercice a la fienne. Par-tout oü elle fe trouvoit,',acouverfation n'c-, toit que médifance , St c'étoit elle qui mettoit les autres dans cette humeur-la , foit en louant, foit: en défendant quelqu'un mal-a-propos ; enftn , par une Infihité de rubriques , en apparence toutes obligeantes pour ceux qu'elie vous donnoit a déchirer , St puis pendant qu'on les mettoit en pie-0 ces , c'étoient des exclamations charitables , St en même temps eucourageantes t mais que me ditesvous-la ? ne vous trompez-vous point ? cela eft-il poflible ? de facon r' '. 'le fe retiroit toujours in-' aocente des crimes qu'J-ie faifoit commettre ( j'ap- pelle  (37.) pelle ainfi to-ut ce qui eit fatire ) tk toujours pro*tectri:e des gens qu'elie përdöit de réput.ation par 'la bouche des autres. Et ce qui eft de plaifant, c'eft que cette.femme > telle que je vous la peins , ne favoit pas qu'elie avoit 1'ame fi méchatlte , le fond de fon cceur lui cchappoit , fon adreffe la trompoit, elle s'y attrap- I poit elle-même , tk paree qu'elie feignoit d'être | bonne , elle croyoit 1'être en eflet. Telle étoit donc la Dame d'auprès de qui je ■ fortois •, je vous la peins d'après ce que j'entendis [ dire d'elle dans les luites d'après le peu de com- merce que nous cümes enfe.nble , tk d'après les • réflexions que j'ai faites depuis. 11 y avoit hult ou dix ans qu'elie étoit veuve , '. fon mari , a ce qu'on difoit, n'étoit pas mort conI t.iit d'elle, il .1'avoit accufée de quelque irrégulaI rité de conduite , tk pour prouver qu'il avoit eit tort , elle s'étoit depuis fon veuvage , jettée dans une dévotion qui favoit écartëe du mond;, tk qu'elie avoit foutenue , tant par fierté que par lnbitude, tk par la raifon de 1'indéceuce qu'il y auroit eu a reparoitre fur la fcène avec des appas qu'on n'y connoiffoit plus , que le temps avoit ■ un peu ufés , tk que la retraite même auroit flétris , car elle fait cet effet-la fur les perfonnes qui en fortent. La retraite , fur-töut la chrctienne , ne lied bien qu'a ceux qui y demeurent, tk jamais on n'en rapporta un vifage a la mode, il en devient toujours ou ridicule ou fcandaleux. Je retournois donc chez M idemoifelle Haberd I ma future , tk je doublois joyeufement les pas pour y arriver plutót, quand un grand embarras de caroffes ck de charettes m'arrêta a 1'entrée d'une rue; je ne voulus pas m'y engager , de peur d'être bkfr fé ; tk en attendant que 1'embarras fut fini, j'entral I c'„ans une allee , oü pour pafltt le temps , je me mis a lire ia lettre que Madame de Ferval ( c'eft ainfi que je nommerai la Dame dont je viens cle parler ) Tomé II. D  . . . ^8) in'avöit donnee pour Mademoifelle Haberd, St qu? n'étoit pas cachetée. J'en lifois a peine les premiers mots, qu'un homme defcendu de 1'cfcalier qui étoit au fond de 1'ailée , la traverfa en fuyanr a toutes jambes , me froiffa en pafiant, laifla tomber a mes pieds une épée nue qu'il tenoit, St fe fauva en fermaiit fur moi la porte de la rue. Me voila donc enfermé dans cette allee , non fans queïqu'émotion de ce que je venois de voir. Mon premier foin fut de me hater d'aller a la porte pour la rouvrïr , mais j'y tdchois cn vain, je ne pus en venir a bout. D'un autre cöté j'entendois du bruir au haut de 1'efcalier. L'allée étoit aflez obfcure, cela tn'inquiéta. Et comme en pareil cas tous nos mouvemens tendent machinalemeut a notre confervation , que je n'avois ni verge ni baton , je me mis a ramalfer cette épée , fans tiop favoir ce que je faifois. Le bruit en haut redoubloir ; il me fembloit même eutendre des cris comme venant d'une fenêtre de la maifon , fur la rue , St je ne me trompois pas. Je démêlai qu'on crioit arréte , arrête ; St a tout hafard je tenois toujours cette épée nue d'une main , pendant que de l'autre je tachois d'ouvrir cette miférable porte qu'a la fin j'ouvris , fans fouger a lacher 1'épée'. Mais je n'en fus pas mieux ; toute une populace s'y étoit aflemblée , qui en me voyant avec 1'air eifaré que j'avois , St cette épée nue que je tenois, ne douta point que je ne fulle ou un alfaflin , ou un voleur. Je voulus m'échapper , mais il me fut impoflible, Si les efforts que je fis pour cela ne fervirent qu'a rendre contre moi les foupc;ons encore plus violens. En même temps voila des Archers ou des Sergens accourus d'une barrière prochaine , qui per- .  <59) . . . Cent la foule , m'arrachent 1'épee que je tenois, St qui me faififlént. Je veux crier, cfire mes raifons r.mnis le bruit St le tumulte empêchent qu'on ne m'entende, St malgré ma réfiftance qui n'étoit pas de trop bon fens , on m'entraïne dans la maifon , on me fait monter 1'efcalier, St j'entre avec les Archers qui me menent , St quelques voifins qui nous fuivent , dans un petit appartement oü nous trouvons une jeune Dame couchée a terre , extrêmement bleflee, évanouie , St qu'une femme agée tachoit d'appuyer contre un fauteuil. Vis-a-vïs d'elle ét'oit un jeune homme fort bien mis, bleflé aufli , renverfé fur un fopha , Si qui, en perdant fon fang, deifiandoit du fecours pour la jeune Dame en queftion , pendant que la vieille femme St une efpece de fervante pouflbient les hauts cris. Eh , vite , Meffieurs , vite , un Chirurgien , dit le jeune homme a ceux qui me tenoient, qu'on fe hate de la fqcourir , elle fe meurt, peut-être la fauvera-t-on (il parloit de la jeune Dame. ) Le Chirurgien n'étoit pas loin ; il en demcuroit lin vis-a-vis la maifon , qu'on appella de la fenêtre , Sc qui monta fkr ie champ ; il vint aufli un Comrrüffaire. Et comme je parlois beaucoup , que je proteftois n'avoir point de part dans cette aventure , St qu'il étoit injiute de me retenir, on m'entraina dans^ un petit cabinet voüln , oü j'attendis qu'on eüt vifité les bleffures de la Dame St du jeune homme. La Dame qui étoit évanouie revinr a elle , &C quand on eut mis ordre a tout, on me ramena du cabinet oü j'étois dans leur chambre. Connoiflêz-vous ce jeune homme , leur dit un de mes Archers ? examinez-le : nous 1'avons trouvé dans 1'allée dont la porte étoit fermée fur lui, Sc qu'il a ouverte en tenant a la main cette épée que TOus voyez. Elle eft encore toute fanglaiite , s'é-  cria la-defius quelqu'autrc qui 1'examina , St voïlè fans doute un de ceux qui vous ont bleffé. Non , Meffieurs , répondit !e jeune homme d'une voix très-foible , nous ne connoiffbns point cet homme , ce n'eft pas lui qui nous a mis dans 1'état oü nous fommes, mais nous connoiffbns notre aflafiin ; c'eft un nommé tel.... ( il dit un nom dont je ne me reflbuviens plus ) mais puifque celuici étoit dans la maifon, ck que vous 1'y avez faifl avec cette épée encore teinte de notre fang, peutctre celui qui nous a afiafïïnés 1'avoit-il pris pour le foutenir en cas de befoin , ck il faut toujours. I'arrcter. Miférable , me dit a fon tour la jeune Dame fans me donuer le temps de répondre , qu'eft devenu celui donttu es fans doute le complice ? Hélas 1 Mëffieurs il vous eft échappé ; elle n'eut pas la force d'aller plus loin : elle étoit bleffée a mort , Sc ne pouvoit pas en revenir. Je crus alors pouvoir parler ; mais a peine commencois-je a m'explquer , que 1'Archer qui avoit le premier pris la parole , m'interrompant : Ce n'eft pas ici que tu dois te juftilier, me dit-il , marche ; Sc fur le champ en me traine en bas , oü je reftai jufqu'a 1'arrivée d'un fiacre qu'on étoit allé chercher Sc dans lequel on me meua en prifou. L'endroit oü je fus mis n'étoit pas tout - a - fait un cachot , mais il ne s'en falloit guere. Heureufcmeut celui qui m'enferma , tout Géolier qu'il étoit, n'avoit point la mine impitoyable , il ne m'effraya point ; Sc comme en de pareils momens ou s'accroche a tout, Sc qu'un vifage un peu moiiis feroce que les autres vous paroit le vifage d'un bon homme : Monfieur , dis-je a ce Géolier , en lui mettant dans la main quelques-unes de ces pieces d'or que m'avoit données Mademoifelle Haberd , qu'il ne refufa point , qui 1'engagerent a m'écouter , Sc que j'avois confervées , quoiqu'on »'eut fait quitter tout ce que j'avois, paree que de  (41), ma poche qui fe trouva percée , elleS avoient, ë* bon francois, coulé plus- bas , il nc m'étoir reué que mon biUe* j'avois mis dans mon fei:. , apr.!s 1'avoir tenu long-temps chiffoimé dans ma main. Hélas ! Monfieur, lui dis-je donc , vous quï êtes libre d'aller St de venir . rendez-moi un fervice , je ne fuis coupable de rien , vous le verrez ; ce n'efl ici qu'un malheur qui m'eft arrivé. Je> fors de chez Monfieur le Préfident de... & une Dame qui eft fa parente m'a remis un billet pour Ie porter chez mie nommée Mademoifelle Haberd , qui demeure en telle rue tk en tel endroit, ck comme je ne faurois ie reiidre , je vous le remets a vous r ayez la bonté de le porter , ou de 1'envoyer chea cette Demoifelle , tk de lui dire en même temps 011 je fuis : tenez , ajoutai-je , en tirant encore quelciues piecés , voila de quoi payer le meffage, s'il le faut , tk ce n'eft rien que tout cela , vous ferea bien aiirrenient rccompenfé , quand on me rerirerat d'ici. • Attendez , me dit-il en tirant un peut crayon , n'eft-ce'pas chez Mademoifelle Haberd que vous. dites , en telle rue ? Oui, Monfieur > répondis-je i mettez auffi que c'eft dans la maifon de Madame' d'Alain la veuve. Bon , reprit-il, dormez en repos , j'ai a fortir ,. St dans une heure au plus tard , votre affaire fera faite. II me laiffa brufquement après ces mots , St je reftai pleurant entre mes quatre murailles mais avec plus de confteniation que d'épouvante v ou II j'avois peur, c'étoit par un effet de 1'émotion que m'avoit caufé mon accident, car je ne fongeai point È craindre pour ma vie. En de pareilles orcaftons nous fommes d'aborcS faifis des mouvemens que nous inérit^ias d'avoir a notre ame , pour ainfi dire , fe fait juftice. Un iüiiocsnt en eft quitte pour foi pirer , St un coi# »3 "  ƒ 1*4*} pabie tremMe , t'un eft aftligé , l'autre eft' menner. Jc n'érois donc qu'atüigé , je méritois de n'Ótret qu: cela , quel riéfaftre , difois-je en moi-même ! ah ! la raaudite rue avec fes embarras ! qu'avoisje affaire dans cette miférable allee , c'eft bien le diable qui m'y a poufie quand j'y fuis entré. Et puis mes larmes couloient : eh , mon Dieu ï: oü en fuis-je ? eh ,. mon Dieu ! tirez-moi d'ici , difois-je après. Voila de méchantes gens , que cetteDemoifelle Haberd i'ainée St Monfieur Doucin ; quel chagrin ils me'donnent avec leur Préfident oü il a fallu que j'aille , & puis de foupirer, puis de pleurer , puis de me taire St de-parler. Mon pauvrepere ne fe doute pas que je fuis en prifon le jour de ma noce , reprenois-je, St cette chere Mademoifelle Haberd qui m'attend , 11e fommes-nous pas bien en chemin de nous revoir. Toutes ces conlïdérations m'abymolent de douleur ; a la fin pourtant d'autres réflexions vinrent a» mon fecours ; il ne faut point me défefpérer difoisje. Dieu ne me délalffera pas. Si ce Geolier renrf ma lettre a Mademoifelle Haberd , St qu'il lui apprenne mon malheur , elle ne manquera pas detrav.aller a ma délivrance. Et j'avois raifon de I'efpércr , comme on le verra.. Le Geolier ne me trompa point. La lettre de Madame de Ferval fut portée une ou deux heurès. après a ma fiiture , ce fut lui-même qui en fut le porteur ,. St qui 1'inftruifit de 1'endroit oü j'étois il viut me le dire a fon retour , en m'apportant quelque nourriture qui ne-me tenta point. Bon courage , me dit-il , j'ai domié votre lettre a la Demoifelle, je lui ai dit que vous étiez en prifon , St quand elle 1'a fit, elle s'efl tout d'un coup évanouie ; adieu. C'étoirbien la un fiyle de Geolier , coinme vous voyez- Eh ! ur moment, lui criai-je en 1'arrêtant, y ivoit-il quelqu'un pour la fecourir au moins ? Oh tju'oui j me dit-il x ce ne fera rien que cela j il y  , (43) avoit deux perfonncs avec elle. Eh ! ne vous a-tv elle rien dit, repris-je encore. ? eh pardi non , me répondit - il, puifqu'elle avoir perdu la parole > mangez toujours en attendant mieux. Je ne faurois , lui dis-je , je n'ai qtie foif, 8* j'avois befoin d'un pen de vin , n'y auroit-il pas moyen d'en avoir ? oui-da , reprit-il; donnez , je vous en ferez venir. Après tour 1'argent qu'il avoit en de moi, er» tout autre lieu que celui oïi je me trouvois , lemor de donner auroir été ingrar Sc mal-honnête ; mais; en prilon , c'éroit moi qui avois tort, ck qui man» quois de favoir vivre. Hélas i lui dis-je , excufez-moi , j'oubliois de' 1'argent, Si je rare encore un louis d'or , je n'avois» pas d'autre monnoie. Voulez-vous, me répondit-il en s'en allant, qu'au lieu de vous rendre votre refte , que je vous fourniflê de vin tant que cela durera ? Vous aurez bien le loifir de le boire. Comme il vous plaira , dis-je humblement, 8c le cceur ferré de me voir en commerce avec ce nouveau genre d'homme qu'il falloit remercier du bien qu'on leur faifoit. Ce vin arriva fort a propos, car j'atlois tomber en foibleffe quand on me 1'apporta , mais i! me remit , Sc je ne me fentis plus pour tout mal qu'une extréme impatieilce de voir ce que produiroit la nouvelle dont j'avois fait informer la fecourable Mademoifelle Haberd- Quelquefois fon évanouiflement m'inquiétoit un pen , je craignois qu'il ne la mit hors d'état d'agir el'e-même , Sc je m'en fiois plus a elle qu'a tous les amis qu'elie auroit pu employer pour moi. D'un autre cóté , cet évanouilfement m'étoit un-. gtram" de fa tendrelfe , Sc de la vitelfe avec laquelle; ellT '. viendroit a mon fecours. Trois heures s'étoient déja palfées depuis qu'on ja'aYoit apporté du yin t quand on vSat ine dire  ( 44 ) que deux perfonnes me demandoient en bas , qu'elles ne monteroient point, Sc que je pouvois defcendre. Le cceur m'en battit de joie , je fuivis le Geolier qtiï me mena dans une chambre , ou en enrrant je fus accueilli par Mademoifelle Haberd , qui m'embrafl'a fondant en larmes. A cöté d'elie étoit un homme vêtu de noir , que je ne connoifibis pas. Eh ! M. do la Vallée , mon char enfant , par quel hafard êtes-vous donc ici , s'écria-t-elle ? Je 1'embraftê , Monfieur , n'en foyez point furpris , nous dcvions êire mariés aujourd'hui ,• dit-elle k celui qui l'acc;ompagnoït ; Sc puis revenant a moi, qua vous eft-il donc arrivé ï de quoi s'agh-il ? Je ne répoudis pas fur le champ , attendri par 1'accueil de Mlle Haberd , il. fallut. me laifler le temps de pleurer 3 mon tour. Hélas ! dis-je a la fin v c'eft une furieufe hiftoire que la mienne , imaginez-vous que c'eft une. allé» qui eft caufe que je fuis ici ; pendant que j'y étöis on en a ferme la porte, il y avoit dteux meurtres de faits en haut, on a cru que j'y avois part , Sc tout de fuite me voila. Comment! part'a deux meurtres pour être entre dans une allee , me repondit-elle 1 eh ! mon enfant, qu'eft-ce que cela lignifie ? expliquez-vous ? eh ! rjui eft-ce"qui a tué I je n'en fais rien , repris-je 7 je n'ai vu que 1'épée que j'ai par mégarde ramalfée dans 1'allée. Ceci a 1'air grave , dit alors 1'homme vêtu de noir ; ce que vous nous rapportez ne fauroit nous mettre au fait ; aflêyoas aous , Sc contez-nous la. chofe comme elle eft ; qu'eft-ce que cette allee a laquelle aous n'entendons rien ? Voici , lui dis-je comme le tout s'eft pafte, S.C. la-delfus je'commencai mon récit "par ma fort:- jr .e. chez le Préfident; de-la j'en vins a l'embajrras qui m'avoit -arrêté , a cette ajlée dont je parlois, ik cet  BCbnhxi qui m'y avoit renfer mé en s'enfuyant, i cette épée qu'il avoit laifié tomber , que j'avois prife , enfin a tout le refte de l'aventure. Je ne connois, lui dis-je , ni le meur ni les més , qui n'étoient pas encore morts quand on m'a jréfenté a eux , &£ ils ont confelTé qu'ils ne me connoiffoient point non plus ; c'eft-la tout ce que je fais moi-même du fujet pour lequel on m'emprifonne. Tout le corps me frémit, dit Mlie Haberd , eft fcuoi! on n'a dönc pas voulu entendre raifon ; dès que les bleflés ne vous connoiflênt pas , qu'ont-ils a vous dire ? que je fuis peut-être le camarade du 'méchaut homme qui les a mis a mort , St dont je n'ai jamais vu que le dos , répondis-je. Cette épée fanglante avec laquelle on vous a faifi, dit 1'habillé de noir , eft un article facheux ! cela ' embarrafïê ; mais votre récit me fait faire une ré> flexion. Nous avons entendu dire la-bas que depuis trois ou quatre heures on a mené un prifonnier qui a , dir-on poignardé deux perfonnes dans la rue. do ut vous nous parlez; ce pourroit bien être la 1'homme qui a traverfé cette allee oü vous étiez. Artcndez ici tous deux , je vais tacher de favoir plus particuliérement de quoi il eft queftion, peut-être m'inftruira-t-on. II nous quitta la-deffus. Mon pauvre garcon ,. me dit Mademoifelle Haberd quand il fut paru , en quel état eft-ce que je te trouve ? j'en ai pns un faififiement, qui me tient encore , &t qui m'etoufi'e j_ j'ai cru que ce feroit au jourd'hui le dernier jour de ma vie. Eh , mon enfant, quand tu as vu cet etnbarras , que ne prenois-tu par un autre rue ï ... Eh ! mon aimable coufine , lui dis-je , c etoit pour jouir plutót de votre vue, que je voulois aller par le plus droit chemin , qui eft-ce qui va penier qu'une rue eft ft fatale . on marche , on eft impa-  ( 46) tlent, on aime une perfonne qu'on va trouver, & on prend fon plus court; cela eft naturel. Je lui baignois les mains de pletirs en lui tenant ce difcours , St elle eu verfoit tant qu'elie pouvoit auiTi. Qui eft cet homme que vous avez amené avec vous , lui dis-je , Si d'oü. venez-vous, coufine ? Hélas ! me dit-elle, je n'ai fait que courir depuis la lertre que tu m'as envoyée ; Madame de Ferval m'y faifoit tant d'honnêtetés , tant d'offres de fervices , que j'ai d'abord fongé a m'adrefier a elle pour la prier de nous fecourir. C'eft une bonne Dame , elle n'en auroit. pas mieux agi quand c'auroir été pour fon fils ; je 1'ai vue prefque aufii fachée que je 1'étois. Ne vous chagrinez point , m'a-t-elie dit, ce ne fera rien , nous avons des amis, je le tirerai de la ; reftez chez moi, je vais parler a M. le Préfident. Et fans perdre de teinps elle m'a quirtée , 8t un moment après elle eft revenue avec un biilet du Préfident pour M. de.... ( c'étoit un des principaux Magiftrars pour les affaires de 1'efpecc de la mien«e. ) J'ai pris le biilet , je 1'ai porté fur le champ chez ce Magiftrat, qui , après i'avoir lu , a fait appelier un de fes Secrétaires , lui a parlé a part , enfuite lui a dit, de me fuivre a la prifon , de me procurer la liberté de te voir , Si nous "fommes venus enfemble pour favoir ce que c'eft que ton affaire. Mde. de Ferval m'a promis de fe joindre a moi, fi je voulois , pour m'accompagner par-tout ou il faudroit aller. Le Secrétaire qui nous avoit quitté revint au moment que Mademoifelle Haberd finiffoit ce cietail. J'ai penfé jufte , nous dit-il , 1'homme qu'on a amené ici ce matin , eft certainement 1'affaflin des deux perfonnes en queftion ; je viens de parler a un des Archers, qui 1'a arrêté , comme il s'enfuyoit fans chapeau Si fans épée , pourfuivi d'une popukce qui 1'a vu fortir tout en défordre d'une mai-,  (47) fon que Ton eüt être dans la même rue oü vous avez rrouvé 1'embarras : il s'eft paflë une efpace de temps confidsrable avant qu'on ait pu le faifir , paree qu'il avoit couru fort loin , & il a été ramené clans cette maifon d'oü il étoit forti , St d'oü ajoute-t-on, venoit de partir un autre homIne qu'on y avoit pris , qu'on avoit déja mené en prifon , St qu'on foupconne d'être fon complice. Or , fuivant ce que vous nous avez dit, cet autre homme cru fon complice , il y a bien de 1'apparence que c'eft vous. C'eft moi-même , répondis-je , c'eft 1'homme de, cette allée ; voila tout juftement comme quoi je fuis ici , fans que perfonne fache que c'étoit en paffant mon chemin que j'ai eu le guignon d'être fourré ladedans. Ce prifonnier fera bientöt interrogé , me dit Ie Secrétaire, St s'il ne vous connolt point, s'il répond conformément a ce que vous nous dites , comme je n'en doute pas, vous ferez bientöt hers d'ici, St 1'ou hatera votre fortie. Retournez vousen chez vous, Mademoifelle , St foyez tranquille ; fortons. Pour vous, ajouta-t-il en me parlant,vous refterez dans cette chambre-ci , vous y ferez mieux qu'oü vous étiez , St je vais avoir foin qu'on vous porte a diner. Hélas ! dis-je , ils m'ont déja apporté quelque chétive pitance dans mon trou de la-haut, qui y feroit bien moifie , St 1'appétit n'y eft point. Ils m'exhorterent a manger , me quitterent , SC nous nous embrafsames Müe Haberd St moi en pleurant un peu fur nouveaux frais. Qu'on ne le laifle manquer de rien , dit cette bonne fille a celui qui me renferma : il y avoit déja deux ou trois blinutês qu'ils étoient partis, que le bruit des clefs qui m'enfermoient duroit encore. II n'y a rien de li rude que les ferrures de ce pays-la , St "je crois qu'elles déplaifent plus al'iimocent qu'au coupable: ce dernier a bien autre chofe a faire qu'a prendre garde a cela.  (48) ■ Moü diner vinf qncïques momens après , la coni- I paraifon que j'en fis avec celui qu'on m'avoit apporté auparavanr, me réconforta un peu; c'étoit un. changement de bon augure : on ne demande qu'a vivre , tout y poufle', St js jettai quelques regards nonchalans fur un poulet d'aflez bonne mine dont je levai nonclnlamment auifi les deux ailes , qui ie trouverent inlêniiblement mangées ; j'en rongeai encore par oifiveté quelque partie., je bus deux ou trois coups d'un vin qui me parut paftable fans que j'y fiflê attention , St fini.s mon repas par quelques fruits dont je goütai, paree qu'ils étoient la. Je me fentis moins abattu après que j'eus mangé. C'eft une chofe admirable que la nourriture , . lorfqu'on a du chagrin , il eft certain qu'elie met i du calme dans 1'efprit: on ne fauroit être bien trifte pendant que 1'eftomac digere. Je ne dis pas que je perdiffe de vue mon état, j'y rêvai toujours , mais tranquillement; h la fin pourtant ma triftelfe revint. Je laifle la le récit de j tbutce qui ce paffa depuis la vifite de MUe Haberd, pour eu venir a 1'inftant oü je eomparus devant un j Magiftrat aceompagné d'un autre homme de Ju.'Hce qui paroiffoit écrire, St dont je ne favoit ni le nom. j ni les fonctions , vis-a-vis d'eux étoit encore un homme d'une extréme pfdeur, St qui avoit 1'air' accablé ,• avec d'autres perfonnes dont il mefembla qu'on recevoit les dépofitions. On m'iuterrogea ; ne vous attendez point au détail exact de cet interrogatoire; je ne me reflbuvieiis point de 1'orJre qu'on y obferva ; je n'en rappor- I terai que Partiele efiêntiel, qui eft que cet hom-1 me fi défait, qui étoit précifément 1'homme del i'allée , dit qu'il ne me connoifibit pas ; j'en dis I autant de lui. Je racontai mon hiftoire , St la ra-| eontai avec des expreflions fi naïves fur mon mal-„< fceur, que quelques-uus des afiïftans furent obligés : de :  ( 49 ) JcpaiTer Ia fflaïn furie viiage , pour caclier qu ils fourioienr. Quand j'eus finis, je vous le répete encore , dit leprifounlerles larmes aux yeux , je n'aieu ni confident ni complice , je ne fais pas li je pourrois difpurer ma vie , mais elle m'eft a charge , & j» mérite de la perdre. J'ai rué ma maitreffe , je 1'ai vue expirer ( tk en effet elle mourut quand on le ramena vers elle (elle eft morte d'horreur en me revoyant tk en m'appellant fon alfaffin ; j'ai tué mon ami, dont j'étois dcvsnu le rival, ( tk il elt vrai qu'il fe mouroit aufli; ) je les ai tués tous deux en furieus ; je fuis au défefp'oir , je ' me renard» comme un monftre , je me fais horreur, je me ferois poignardé moi-même fi je n'avois pas été prisje ne fuis pas digne d'avoir le temps de me reconnoitre&C de me repentir de ma rage ; qu'on me condamne , qu'on les venge, je deraah'cje la mort comme une grace ; épargnez-moi des longueurs qui me font mourir mille fois pour une, tk renvoyez ce jeune homme qu'il eit inutile de retenir ici, tk que je n'ai jamais vu que dans ce pafiage , oü je 1'aurois tué lui-mêmc , de' peur quTlne me reconnüt, fi dans Ie trouble oü j'étois en fuyant , mon épée ne m'avoit pas échappé des mains ; renvoyez-le , Monfieur , qu'il fe retire , je me reproche la peine qu'on lui a faite , ck je le prie de mepardouner la frayeur oü je le vois , tk dont je fuis caufe ; il n'a rien de commun avec un abominable corame moi. Je frérnis en Penteridant dire qu'il avoit eu deffein de me tuer , c'auroit été bien pis que d'être en prifon. Malgré cet avcu pourtantje plaignis alors cet infortuné coupable , fon difcours m'attendrit, tk- pour répondre a la priere qu'il me fit de lui pardonner mon accident ; moi, Monfieur , lui dis-je a mon tour, je prie Dieu d'avoir pitié de vous tk de votre ame. Voila tout ce que je dirai la-deffus. Ml'-ë Haberd Tome IL ü  revlnt me vo!r apres toutes les corvees que j'avois elfuyées, le Secretaire étoit encore avec elle , il nous laiffa quelque temps feuls ; jugez avec quel attendriffement nos cceurs s'épancherent; on eft de fi bonne humeur , on fent quelque chofe de fi doux dans 1'ame , quand on fort d'un grand péril , Si nous en fortions tous deux chacun a notre maniere ; car a tout prendre , ma vie avoit été expofée , 8t MUe Haberd avoit couril rifque de me perdre ; ce qu'elie regardoit a fon tour comme un des plus grand malheurs du monde , fur-tout li elle m'avoit perdu dans cette occafion. Elle me conta tout ce qu'elie avoit fait, les nouveaux mouvemens que s'étoit donné Mde de Ferval , tant anprès du Préfident, qu'auprès du Magiftrat qui m'avoit interrogé. Nous bénimes mille &c mille fois cette Dame pour les bons fervices qu'elie nous avoit rendus; ma future s'extafioit fur fa charité , fur fa piété ; la bonne Chrétienne , s'écrioit-elle , la bonne Chrétienne ; Si moi, difois-je , le bon cceur de femme , car je n'ofois pa* répéter les termes de Miie Haberd, ni employer les mêmes éloges qu'elie: j'avois la confcience d'en prendre d'autres, Sc en vérité il n'y auroit pas eu de pudeur, en préfence de ma future ( a louer la piété d'une perfonne qui avoit jetté les yeux fur fon mari, St qui ne me fervoit fi bien précifément , que paree qu'elie n'étoit pas fi chrétienne. Or, j'étois encore en prifon, cela me rendoit fcrupuleux , Sc j'avois peur que Dieu ne me punit, fi je traitois de pieux des foins dont vraifemblnblement le diable Sc 1'homme avoient tous les honneurs. Je rougis même plus d'une fois pendant que Mlle Haberd louoit fur ce ton-la Mde de Ferval , fur le cómpte de laquelle je n'étois pas moi-même irréprochable , Sc j'étois honteux de voir cette bonne iille ii dupe , elle qui méritoit fi peu de 1'être. Des éloges de Mde de Ferval, nous en vtumes  (51) a ce qui s etoit pafte dans ma prifon : la joie eft Lab-Marde , nous ne finiflions point: je lui contai tout ce qu'avoit dit le vrai conpable , avec quelle candeur il m'avoit juftifié , ck que c'étoit grand •dommage qu'il le fut malheureufement abandonné a de fi terribles coups , car au fond il falloit que ce fut un honnête homme , tk puis nous en vïnmes a nous , a notre amour , a notre mariage , tk vous me demanderez peut-être ce que c'étoit que ce conpable ; voiei en deux mots le fujet de fon action. t II 7 avoit prés d'un an que fon meilleur ami almoit une Demoifelle , dont il étoit aimé ; comme il n'étoit pas aufli riche qu'elie , le pere de la fille la lui refufoit en mariage , tk défendit même a fa fille dc la voir davantage. Dans 1'eintarras oü cela les mit, ils fe fervirent de celui qui les tua pour s'écrire tk recevoir leurs billets. Celui-ci, qui étoit un des amis de la maifon , mais qui n'y venoit pas fouvent, de\int éperdument amoureux de cette Demoifelle , a force de la voir tk de 1'entendre foupirer pour l'autre. II étoit plus riche que fon ami; il paria d'amoür , la Demoifelle en badina quelque temps comme d'une plaifanterie , s'en facha quand elle vit que la chofe étoit férieufe , tk en fit ayertir fon amant qui en fit des reproches a ce déloyal ami. Cet ami en fut d'abord honteux , parut s'en repentir , promit de les laiffer en repos , puis continus , puis acheva de fe brouiller avec le défunt qui rompit avec lui, tk il porta enfin 1'infidélité jufqu'a fe propofer pour gendre au pere qui 1'accepta , Ik qui voulut inutiieraeut forcer fa fille a 1'époufer. Nos amans défefpérés eurent recours a d'autvcs moyens tant pour s'écrire que pour fe parler. Ure veuve agée qui 2voit été la femme de chambre de la mere de la Dlle, les recueillit dans fa maifon, oa ils alloient quelquefois fe trouver , pour voir enfemble quelles rnéfures il y avoir a prendre ; 1'autie If fut j en deviut furieus de jaloufic ; c'étoit ua V j  (5-1 , _ i homfïie violent, apparemment fans earafiefe , Et de ces ames qu'une grande paflion rend méchantes ] Sc capables de tout. II les fit fuivre un jour qu'ils fe rendirent chez la veuve , y entra après eux , les y furprit au moment que fon ami bnifoit la main de j la Demoifelle , Sc dans fa fureur le bleffa d'abord d'un coup d'épée , qu'il alloit redoubler d'un autre, I quand la Demoifelle , qui voulut fe jetter fur lui ,! le rec.ut Sc tomba ; celui-ci s'enfuit, Sc on fait le 'j refte de 1'hiftoire. Retournons a moi. Notre Secrétaire revint , Sc nous dit que je for-j tirois le leiidemaiu. Paflbns a ce lendemain , toutj Ce détail de prifon e(t trifte. MUe Haberd me vint prendre a onze heures du| matin ; elle ne monta pas, elle me fit avertir, jej defcendis , un carcffe m'attendoit a la porte , Stj quel carofié ? celui de Mde de Ferval, oü Mde d«' Ferval étoit elle-même , Sc cela. pour donner plusjj d'éclat a ma fortie , Sc plus de célébrité .a monj innocence. Le zele de cette Dame ne s'en tint pas la; avant que dele ramene-r chez vous, dit-elle a MUe Haberd , je fuis d'avïs que nous le menions dans le quartier Sc vis-a-vis 1'endroitoüil a été arrêté ; il eft bon que ceux qui le virent enlcver,. Sc qui pourroient le reconnnoitre ailleurs , fachent qu'il eft in-, nocent; c'eft une attention qui me paroit néceffai• re ; peut-être , ajouta-t-eüe en s'adreffant a moi , reconnoirrez-vous vous-même quelques-uns de ceux qui vous entouroient quand vous fütes pris. Oh pour cela oui, lui dis-je , Sc n'y eüt-il que; le Chirurgien qui étoit vis-a-vis la maifon, &£ qu'on appella pour penfer les défunts , je feroi»; bien-aife de le voir , pour lui montrer que je fuiïï plus honnête garcon qu'il ne s'imagine. Mon Dieu que Mde eft incomparable , s'écria la-deffus MUe Haber^Ucar vous n'avez qu'acompter que c'eft elle qui a tout fait, M. de la Vallée I guoiqu'eUe n'eft regarde que DiiH la-dedans. A  0 53) Ce mot c!c Kien que Mde de Ferval favoit bien étre de trop la-dedans , laiflbns cela , dit-elle en l'interrompanr ; quand avez-vous deftéiu de vous marier:Cette nuit, fi rien ne nous empêche, dit Mile Flabercl. Sur ces propos nous arrivames dans cette rue qui I m'avoit été li fatale , Sc dont nous avions dit au cochcr de prendre le chemin. Nous arrétames de. vant ia maifon du Chirurgien ; il étoit a fa porte , Sc je remarquai qu'il me rcgtrdoit beaucoup : Monfieur , lui ciis-je , vous fouvenez-vous de moiT me reconnoilfez-vous ? Mais je penfe qu'oui, me répondit-il en ötant bien honnêtement fon chapeau , comme a un homme qu'il voyoit dans un bon équipage avec deux Dames ; dont l'une paroilfoit de grande confidération. Oui, Monfieur, je vous remets ; je crois que c'eft vous qui étiez avant-hier dans cette maifon ( montrant celle oi\ Pon m'avoit pris ) II héfitoit a dire le refte ; achevez , achevez , lui dis-je : oui , Monfieur , c'eft moi qu'on y faifit ,■ Sc qu'on mena -en prifon ; je n'ofois vous le dire , reprit-il , mais je vous examinai tint, que je vous ai- reconnu tout . d'un coup. Eh bien , Monfieur vous n'aviez donc point de part a 1'aftairé en queftion ? Pas plus que vous , lui répondis-je Sc la-deffus je lui expliquai, comment j'y avois été mêlé. Eh ! pardi, Monfieur , reprit-il , je m'en réjoui , &i nous le diiions tous ici , nos voifins , ma femme , mes enfans , moi Si mes garcons ; a qui ciiantre s'en ficra-t-on , après ce gar5on-ia , car il a Sa meilleure phyfionomie dn monde ? oh ! parbleu je .veux qu'ils vous voient. Hola , B ibet , (c'étoi une de fes filles qu'il appelioit ) ma femme, appro' ; chez , venez vous autres , il parloit a fes garcons ~ ' tenez, regardez bien Monfieur, favez-vous qui : c'eft? 1 Eh! mon pere ,s'écria Babet, ilreffemble au vifage de ce prifonnier de l'autre jour ; eh vraiiacjc El T L  oui, dit la femme , il lui rellemble tant, que c'eft lui-même ; oui, répondis-je , en propre vifage: ah , ah ! dit encore Babet, voila qui eft dröle , vous n'avez donc aidé a tuer perfonne , Monfieur ? Eh ! non certes , repris-je , je ferois bien faché d'aider a Ia mort de quelqu'un , a la vie encore pafte. En bonne foi, dit la femme , nous n'y comprenions rien : oh pour cela , dit Babet, fi jamais quelqu'un a eu la mine d'un innocent, c'étoit vous affurémenr. Le peuple commerrcoit a s'aflembler , nombre de gens me reconnciiïoient. Mde de Ferval eutla complaifance de laitfer durer cette fcene aufii longtemps qu'il le falloit pour rétablir ma réputation dans tout le quartier ; je pris congé du Chirurgien 8c de toute fa familie , avec la confoiation d'être falué bien eordialement par ce peuple , ik bien purgé le long de la rue des crimes dont on m'y avoir foupconné ; fans compter 1'agrément que j'eus d'y entendrc de tous cötés faire 1'éloge de ma phyfionomie , ce qui mit Mlle Haberd de Ia meilleure humeur du monde , 8c fengagee a me regarder avec une avidité qu'elie n'avoit pas encore eue. Je la voyois qui fe pénctroit du plaifir de me confidérer , Sc qui fe félicitoit de voir que 1'on me trouvat fiaimable. J'y gagnai même auprès de Mde de Ferval , qui de fon cöté en appiiqua fur moi quelques regards plus attentifs qu'a Fordinaire , Sc je fuis perfuasé qu'elie fe difoit: je ne fuis donc point de fi man vais goüt, puifque tout le monde eft de mon fentiment. Ce que je vous dis-la , au refte , fe paffoit en parlant; aufii étois-je bien content , 8c ce ne fut pas la tout. Nous approchions de Ia maifon de Mlle Haberd, oü Mde de Ferval vouloit nous meuer, quand nous r-ncontrames , a la porte d'une Eglife , la fceur ainée de ma future ck M. Doucin qui caufoient enfemble , 8c qui fembioient parler d'aüioa. U.a ja*  rofle , qu' retarda Ia comle du notre , leur donna tout le temps de nous appercevoir. Quand j'y fonge , je ris encore du pródigJelHS étonnement oü. il ciemeurerent tous deu* eu nous voyant. Nous les pétrifiames, ils en furent fi dc'route's ; fi étourdis , qu'il ne leur rcfla pas même aflez de préfence d'efprit pour nous faire la motie , comme ils n'y auroient pas manqué, s'ils avoient été moins faifis ; mais il y a des chofes qui terralTent, St pour furcroit de chagrin , c'eft que nous ne pouvions leur apparonre dans un inftant qui leur rendlt notre apparition plus humiliante , Sc plus douloureufe. Le hafard y joignit des accidens faits expres pour les défoler,c'étoit triompher d'eux d'une maniere fuperbe , 8c qui auroit été infolente , fi nous 1'avions méditée ; Sc c'eft , ne vous déplaile , qu'au moment qu'ils nous appercurent, nous éclations de rire , Mde de Feryal , Mlle Haberd St moi, de quelque chofe de plaifant que j'avois dit; ce qui joint a la pompe triomphante avec laquelle Mde de Ftrval fembloir nous meuer , devoit aflliréinent leur percer le cceur. Nous les faliiames fort honnctement; ils nous rendirent le falut comme gens confonrlus , qui ne favoiei.t plus ce qu'ils faifoient, Sc qui plioient fous la force du coup qui les afibmmoit. Vous faurez encore qu'ils venoient tous deux de chez Mlle Haberd la eadette ( nous 1'apprimes en rentrant) St que la on leur avoit dit que j'étois en prifon ; car Mde d'Alain qui avoit été prélente au rapport du Geolier que j'avois envoyé de la prifon, n'avoit pas pu fe taire , Sc tout en les grondant en notre faveur , les avoit régalés de cerre bonne nouvelle. Jugez des efpérances qu'ils en avoient tirées contre moi. Un homme en prifon , qu'a-t-il fait ? ce n'eft pas nous qui avons part a cela : ce n'eft pas ie Préfident non plus , qui a refufé deno usfervir;  il faut donc que ce foit pour quelque aftion étrangere a notre affaire ; que fais-je s'ils n'alioient pas me foupconnér cie quelque crime ; ils me haïffoient aflez tous deux pour avoir cette .charitable opinion de moi; les dévots pieniif.ut leur haine contre vouspour une preuve que vous ne valez rien : oh 1 voyez «piel rabat-joie de nous renrontrer fubltement en fituation aufli brillante St fi profpere ! Mais laiffbns-Ies dans. leur confufion , Sc arrivons chez la bonne Mlle Haberd. Je ne monte point chez vous , lui dit Mde de Ferval , paree que j'ai affaire ; adieu , prenc'z vos mefures pour vous marier au plutót, n'y perdez point de temps , Sc que M. de- la Vallée , je vous prie , vieime m'averrir quand ce fera fait, car jilfqtles-la je ferai inquiete. Nous irons vous en informer tous deux , répondit Mile Haberd , c'eflbienle moins que nous vous devions, Madame. Non , non , reprit-elle , en jettant fur moi un petit regard d'inteliigence , qu'elie vit bien que j'eutendois ; il fuffira de lui ; Mademoifelle ., faites k votre aife , Sc puis elle partit. Eh ! Dieu me pardonne, s'écria Mde d'Alain ea me reVoyaiit, je crois que c'eft M. de la Vallée que vous nous ramenez , notre bonne amie ? Tout jufte, Mde d'Alain , vous y êtes , lui dis-je, Sc Dieu vous parrionnera de le croire , car vous ne vous trompez point ; bon jour , Mlle Agathe ; ( fa fille ctoit-la) foyez le bien venu , répondit-elle, ma mere Sc moi nous vous croyions perdu. Comment perdu , s'écria la veuve ? fi vous n'étiez pas venu ce matin , j'allois cet après midi mettre tous mes amis par voie Sc par chemin ; votre fceur Sc M. Doucin , fortent d'ici, qui venoient vors voir , ajouta-t-elle a ma future : allez , je ne les ai pas mal accommodés , demandez le train que je leur ai fait. Le pauvre garcon eft en prifon , leur ai-je dit, vous le favez bien, c'eft vous qui en lies  eaufe , tk c'eft fort mal fait a vous. En prifon ! Eh ! depuis quand , Bon ! depuis quand , depuis vos menées , depuis que vous courez par-tout pour 1'y mettre ; ck puis ils font partis fans que je leur aie feulement dit , alfeyez-vous. Par ce difcours de Mde d'Alain que je rapporte, en voit bien qu'elie ignoroit les caufes de ma prifon ; tk en effet, Mlle Haberd s'e'toit bien garde'e de le lui dire , ck lui avoit laifle croire que j'y avois été mis par les intrigues de fa fceur. Si Mde. d'Alain avoit été inftruite , quelle bonne fortune pour elle qu'un pareil récit a faire ! tout le quartier auroit retenti de mon aventure , elle auroit été été la conter de porte ■ en porte , pour y avoir le plaifir d'étaler fes regrets fur moncompte, tkc'étoit toujours autant de mauvais bruits d'épargués. Eh ! mais dites-nous donc ceci, dites-nous donc cela ? c'étoit le détail de ma prifon qu'elie me dea mandoit, je lui eu inventai quelques-uns , ;e ne lui en dis point les véritables; ck puis je vous ai trouvó un Prêtre qui vous mariera quand vous voudrez, dit-elle , rout-a-l'heure s'il n'étoit pas trop tard, mais ce fera pour après minuit, fi c'eft votre intention. Oui-da , Madame , dit Mlle Haberd , tk nou# vous ferons fort obligéc de le faire avertir ; j'iraï moi-même tantöt chez lui , nous dit-elle ; il s'agit de diner a préfent; allons venez manger ma foupe, vous me donnerez a fouper ce foir ; tk de témoins pour votre mariage, je vous en fouruirai qui ne fe-> ront pas li glorieux que les premiers. Mais tous ces meiius récits m'ennuient moi-mê-. me , fautons-les, tk fuppofons que le foir eft venu , que nous avons foupé avec nos témoins, qu'il elt deux heures après minuit, tk nous partons pour PEgfife. Enfin, pour le coup , nous y fommes, la Mefle e.t dite , tk nous voila mariés en dépit de notre fceur ainée tk du direcleur fon adhérant, quin'auw  ( 5« ) plus ni café ni pain de fucre de Mde de la Vallée. J'ai bien vu des amours eii ma vie , au refte , bien des facons de dire tk de témoigner qu'on aime , mais je n'ai rien vu d'égal a 1'amour, de ma femme. Les femmes du monde les plus vives , les plus tendres , yieilles ou jeunes , n'aiment point dans ce gout-la, je leur défierois même de 1'imiter , non pour reffembler a Mlle Haberd , que je ne devois plus nommer ainfi : il ne fert de rien d'avoir le cceur le pius fenfible du monde , joignez-y de 1'emportement, cela n'avance de rien encore ; mertez enfin dam le coeur d'une feimne tout ce au'il vous plaira , vous ferez d'elle quelque chofe de'fcrt rif, M foitpallioim^iiiaisïuus ,pen ferez point une Mlle Haberd ; tout 1'amour dont elle fera capable ne vous donnera point èncore une jufte idéé de celui de ma femme. Pour aimer comme elle , il faut avoir éré trento ans dévote , tk pendant trente ans avoir eu befoin de courage pour 1'être ; il faut cependant trente ans avoir réfifté a la tentation de fonger a 1'amour , tk trente ans s'être fait un fcrupule d'écouter ou même de regarder les hommes qu'on 11e haïffoit pourtant pas. Oh ! mariez-vous après trente ans d'une vie c!« cette force-la , trouvez-vous du foir au matin 1'époufe d'un homme , c'eft déja beaucoup ; j'ajoute aufli d'un homme que vous aimerez d'inclination , ce qui eft encore plus , tk vous ferez pour lors un* autre Mlle Haberd , tk je vous réponds que qui vous époufera , verra bien que j'ai raifon , quand je dis que fon amour n'étoit fait comme celui de perfonne. Cara&érifez donc cette amour , me din-t-on : mais doucement, aufii-bien je ne faurois ; tout ce que j'en puis dire , c'eft qu'elie ne me reg-rc'oit ni Plus ni moins que fi j'avois été une image ; c'étoit ia grande habitude de prier £* de touraer ajEeaue».  (59 ) jfement les yeux en pnant, qui faifoit que Ces regards fur moi avoit cette air-la. Quand une femme vous aiffte , c'eft avec amour fqu'elle vous le dit; c'étoit avec dévotion que me le difoit la miemie, mais avec une dévotion délicieufe; vous eyffiez cru que fon cceur traitoit amoureufement moi avec d'une affaire de conf-ience , ck que Cela Iignifioit Dieu foit béni , qui veut que je vous aime, tk que fa fr.inte volonté foit faite ; St tout les tranfports de ce cceur étoient fur ce ton-la , St •amour n'y perdoit qu'un peu de fon air Sc de fon ?ftyle, mais rien de fes fentimens ; figurez-vous ladeffus de quel caraêfere il pouvoit être. II étoit dix heures quand nous nous levames ; nous nous étions coaches h trois, St nous avions eu befoin de repos. M. de la Vallée , me dit-elle un quart-d'heure avaat que aous nous levaftions , nous avons bien ^quatre h cinq mille livres de rente ; c'eft de quoi vivre paffabiement; mais tu es jeune , il faut s'ocIcuper: a quoi te deftines-tu ? A ce qu'il vous plaira, coufine , lui dis-je ; mais j'aime affez cette liialt'te , elle eft de fi bon rapport, c'eft la mere nour-rice de tous ceux qui n'ont rien ; je n'ai que faire iéc uourrice avec vous , coufine , vous ne me laifferez pas manquer de nourriture ; mais abondance [de vivre ne nuit point: faifons-nous Financiers par quelque emploi qui ne nous coüte guere St qui .nous rende beaucoup , comme c'eft la coutume du métier. Le Seigneur de notre village , qui eft mort riche comme uii coffre , étoit parvenu par ce moyen , parvenons de même. Oui-da , me dir-e'lc , mais tu ne fais rien, St je ferois d'avis que tu tlnftruiftfiés un peu auparavaat ; je cennois un Avocat auConfeil chez quï |tu pourrois travailler ; veux-tu que je lui en parle? Si je veux , dis-je ! eh ! pardi , coufine , eft-ce wu'il y a deux volor.tés ici ? eft-ce que la vótre b'eft pas la notre ? Hélas! mon bien-ahné , reprit-  elle , jene Voudrai jamais rien que pour ton bien ;' mais a propos , mon cher mari, nos embarras I m'ont fait oubüer une chof- ; tu as befoin d'habit. Sc de linge , je fortirai cet après-midi pour t'acheter run 8c l'autre. Et a propos, d'équipage d'homme/ma petite Femme , lui-je, il y a encore une bagatelle qui m'a toujours fait eiivie ; votre volonté n'y penfetoit-t-elle pas par hafard ? dans cette vie un peu de bonne mine ne gate rien. Eh 1 de quoi s'agit-ilS mon ami, me réponditelle ? Rien que d'une épée avec fon ceinturon, lui dis-je , pour être M. de la vallée a fort fait; il n'y a rien qui releve tant la taille : Sc puis avec cela tous les honnêtes gens font vos pareils. Eh bien ! mon beau mari, vous avez raifon , me dit-elle , nous en ferons ce matin 1'emplette ; il y a prés d'ici un Fourbiffeur , il n'y a qu'a 1'envoyer chercher ; voyez , fougez, que defirez-vous encore , ajouta-t-elle , car en ce premier jour de noces , cette ame dévoteinent enflammée , ne refpiroit que pour fon jeune époux ; fi je lui avois dit que je voulois être Roi, je penlê qu'elie m'auroit promis de marchander une couronne. Sur ces entrei'aites dix heures fonnerent ; la taffe. de café nous attendoit, Mde d'Alain qui nous la faifoit porter , crioit a notre porte , Sc demandoit a ent/er avec un tapage , qu'elie croyoit la chofe dn monde la plus galante , vu que nous étions de, nouveaux mariés. Je voulois me lever : laiiTez , mon fils , laiffez ,, me dit Mde de la Vallée , tu ferois trop long-temps' a t'habiller , voila qui me fait encore relfouvenir, qu'il te faut une robe de chambre ; bon , bon, il; me faut, lui répondis-je en riant ; allez , allez vous n'y entendez rien , ma femme , il me falloit ma coufine , avec cela j'aurai de tout. La-deffus elle fortit du lit, mit une robe , Sc •uvrit a notre bruyante hótefTe, que lui dit en en- trant  («O -trant, venez ca que je vous embralTe avec vette belle ceil mourant: eh bien 1 qu'eft-ce que c'eft, ce gros garcon , s'en accommodera-t-on 1 vous ■riez", c'eft figne qu'oui, tant mieux , je m'en ferois 'bien doutée, le gaillard , je penfe qu'il fait bon vivre avec lui , n'eft-ce pas ? Debout , debout, 'jeuneffe , me dit-elle en venant a moi, quittez le chevet , votre femme n'y eft plus , St il fera nuit Lee foir. . Je ne faurois , lui dis-je , je fuis trop «vil pour f ine lever devant vous , demain tant que Vous vou- drez , j'aurai une robe de chambre : eh parui, dit> \ e;ie , voila bien des facons , s'il n'y a que cela qui ' manque , je vais vous en chercher une qui eft prsl- que neuve ; mon pauvre défunt ne 1'a pat mife dis fois ; quand vous 1'aurez , il me femblera le voir , liii-mÊme. Kt fur le champ elle paffe chei eile , rapporte cette robe de chambre , &t me ia jette fur Ie Ut ï \ tenez , me dit-elle ; elle eft belle & bonne , gardez-la , je vous en ferai bon compte. _ • La veux-tu , me dit Mde de la Vallse ? o'.u-da ,. repris-je ; a combien eft-elle . je ne fais pas .nar. chuider. ■ Et li-deffus , je vous la laiffe a tant, c eft marehé donné ; non , c'eft trop ; ce n'eft pas affez -, bref elles convinrent, St la robe de chambre me demeura , je la pajai de 1'argent qui me reftort de ma prifon. Nous primes notre café ; Mde de la Yallee conria mes befoins tant en habit qu'en linge a notre . höteffe , la pria de 1'aider i'après-midi dans ces [ achats , mais quant a 1'habit, le htfttd en ordoaaa | autre::ient. , Un tailleur a qui Mde d'Alain lotioit quelques chambres dans le ibnd de la maifon , vint uit 'i quait-d'heure après lui apporter un refte de tenue ' qu'il lui devoit; eh ! pardi , M. Simon , vous arrit \cz a propos, lui dit-elle eu me montrant, voila Tomé //. ¥  (éi) tme pratique pour vous, nous allons rantot levef un habit pour ce Monfieur-la. . M. Simon me falua, me regarda : eh ! ma foi , dit-il, ce ne feroit pas la peine de lever 1'étoffe , j'ai chez moi un habit tout battant neuf , a qui je mis hier le dernier point, St que 1'homme a qui il eft m'a laifle pour gages , a caufe qu'il n'a pas pu me payer 1'avance que je lui en ai faire , St que hier au matin , ne vous déplaife , il a délogé de fon auberge fans dire adieu a perfonne ; je crois qu'il fera jufte a Monfieur, c'eft une occafion de s'habiller tout ri'im coup St pas fi ener que chez le March'and ; il y a habit, vefte St culotte , d'un bel St bon drap bien fin , tout uni , doublé de foi» rouge , rien n'y manque. Cette foie rouge me fiatta , une daublure de foie , quel plaifir St quelle magriificence pour un payfan. Qu'en ditcs-vous , ma mie , dis-je a Mde de la Vallée ? Eh ! mais , dit-elle > s'il va bien mon ami« c'eft autant de pris. II fera comme de cire , reprit ie Tailleur , qui courut le chercher ; il 1'apporte , jë 1'effaie, il m'habilloit mieux que Ie mien , St Ie cceur me battoit fous la foie , on en vient au prix. Le marché en fut plus long a conclure que de la robe de chambre , non pas de la part de uia femme , a qui Mde d'Alain dit, ne vous mêlez point de cela , c'eft mon affaire : aiions , M. Simon , peut-être que d'un an vous ne vendrez cette fripperie-la fi a propos ; car il faut ime taille , St en voila une; c'eft comme fi Dieu vous 1'eövoyoitj il n'y a peut-être que ceüe-la a Paris; lachez la main , pour trop avoir on n'a rien , St d'offres en offres notre officieufe tracaffiere conclut. Quand 1'habit fut acheté , 1'amoureufe envie' de me voir tout équipe' prit a ma femme : mon fils , me dit-elle , envoyons tout de fuite chercher un ceinturon , des bas , un chapeau ( St je veux qu'il foit bordé ) une chemife neuve toute faite 9 & tout 1'attirail, n'eft-ce pas l  (ö3) , . Comme il vous plaira , lui dis-je avecune gaiete, qui alloit jufqu'a l'arne, St auffi-tot dit , auffi-töt fair ; tous les marchands furent appelles ; Mde d'Alain toujours préfente , toujours marchandant , toujours tracalllere ; St avant le diné j'eus la jole de voir Jacob métamorphofé en Cavalier avec 1'a doublure de foie , avec le galant bord d'argent au chapeau , Sc 1'ajuftement d'une che\elure qui me defcendoit jufqu'a la ceinture , St après laquelle le Baigneur avoit épuifé tout fon favoir-faire. Je vous ai déja dit que j'étois beau garcon , mais jufqnés-lail avoit fallu le remarquer pour y prendre garde. Qu'eft-ce que c'eft qu'tm beau garcon fous des habits grofiiers ? il eft bien entcrré la-deffoUs , nos yeux fout fi dupes a cet égard-la ; s'appercut011 même qu'il eft beau, quel mérite cela a-t-il ? on diroit volontiers , de quoi fe mê!e-t-il, il lui appartient bien ; -il y a feulement par-ci par-la quelques femmes moins frivoles , moins diffipées que d'autres , qui ont le goüt plus effentiel, &l qui ne s'y trompent point. J'en avois déja rencontré quelquesunes de relies-la , comme vous 1'avez vu ; mais ma foi , fous mon nou vel attirail , il ne falloit que des yeux pour me trouver aimabie , St je n'avois que faire qu'on les eüt fi bons , j'étois bel homme, j'étois bien fait , j'avois des graces naturelles , St tout cela au premier coup d'ceil. Voyez donc 1'air qu'il a , ce cher enfant , dit Mde de la Vallée , quand je fortis du cabinet oü je m'étoit retiré pour m'habiiler : comment donc : dit Mde. d'Alain, favez-vous bien qu'il eft charmant, St ce n'étoit plus en babillarde qu'elie le difoit, il me parut que c'étoit en femme qui le penfoit, St qui même pendant quelques momens en pcrdit fon babil. A la maniere étonnée dont elle me regarda , je crois qu'elie convoitcit Ie mari de ma femme , je lui avois déja plu a moins de frais. Voila une belle tête , difoit-elle , fi jamais je me jjjarie , ie prendrai un homme qui aura la pareille F i  .. . .' v 64 ) ©h om , ma mere, dit Agathe qui venoit d'entrer» mais ce n'eft pas ie tout , il faut la mine avec. Cependnnt nous dinarnes ; Mde d'Alain fe répandit en cajoleries pendant le rppas , Agathe ne m'y paria qi:e des yeux , ck m'en dit plus que fa mere , ck ma femme ne vit que mei, ne fongea qu'a moi', tk je parus h mon tour n'avcir d'arteution que potii 'elle. Nos te'moins que Mde de la Vallée avoit invités a fouper, en les quittant a trois heures du matin Ie même jour, arriverent fur les cinq heures du foir. M. de Ia Vallée, me dit la coufine, je" ferois d'avis que vous ailafiiez chez Mde de Ferval , nous ne fouperons que fur les huit heures , ck vous aurez le temps de la voir ; faites-lui bien des complimens de ma part , Sc dites-lui que demain nous aurons 1'honneur de la voir enfemble. Eh ! oui , a propos , lui dis-je , elle nous 'a bien recommandé de 1'avertir , Sc cela eft jufte. Adieu , Mëfdairies ; adieu , Meflieuis , vous le voulez bien , jufqu'a tantöt. Ma femme croyoit me faire reffbuvenïr de cette Mde de Ferval , mais je 1'eii aurois fait reffouvenir elle-même li elle 1'avoit oublié ; je mourois d'envie qu'elie me vit fait comme j'étois.. Oh! comme je vais lui plaire , difois-je en moi-même,. ce fera bien autre chofe que ces jours palfés. On fera dans les fuites ce qu'il en fut.  LE PAYSAN PARVENU, OU LES MEMOIRES DE M *. QUATRIEME PART IE. E me rendis donc chez Madame clè Ferval , Sc ne rencontrai dans la cour de la maifon qu'un laquais , qui me? conduifit chez elle par un petit efcalietr que ie ne connoiflbis point. Une de fes femmes qui fe pre'fenta d'abord , me, dit qu'elie alloit avertir fa Maitrefié , elle revint uil moment après , 8t me fit enrrer dans Ia chambre de cette Dame. Je la trouvai qui lifoit couchee fur un fopha , la tête appuyée iur une main , Sc dans un déshabillé très-propre » mais aflez négligeinriijeiug arrangé,  FTgurezj-yous une jupe qui n'eft pis rout-5-fait rabatue jufqu'aux pïeds, qui même laifle voir un peu de la plus belle jambe du monde ; ( tk c'eft une grande beauté qu'une belle jambe dans une femme. ) De ces deux pieds mignons il y en avoit un dont la mule étoit tombée , tk qui dans cette efpece denudité avoit fort bonne grace. Je ne perdis rien de cette touchailte poflure ; ce fur pour la première fois de ma vie que je fentis bien ce que valóient le pied tk la jambe d'une femme ; jufques-la je ne. les avois comptés pour xha , je n'avois vu les femmes qu'au vifage tk k la taille , j'appris alors qu'elles étoient femmes par-tour. Je n'étols pourtant encore qu'un Payfan ;. car qu'eft-ce que c'eft qu'un féjour de quatre ou cinq mois a Paris ; mais il ne faut ni délicatefle , ni ufage du monde , pour être tout d'un coup,au. fait de certaines chofes; fur-tout quand elles font a leur vrai point de vue , il ne faut que des fens s St j'en avois. Ainii cettebelie jamb e tk ce j'oli petit pied fans*, pantoufle me firent beaucoup de plaifir a voir. J'ai bien vil depuis des objets de ce genre-LV qui m'ont toujours plu , mais jamais tant qu'ils me plurént alors ; aufli, comme je 1'ai déja dir ,. éroirce la première fois que je les fentois , c'eft tout dire , il n'y a point de plaifir qui ne perde a être déja coniiu. Je fis en er.trant deux ou trois révérences a Mde de Ferval,. qui , je penfe , ne prit pas garde fi elle» étoient bien ou mal fakes ; elle ne demandoit pas des graces acquifes, elle n'en vouloit qu'a mes graces naturelles , qu'elie pouvoit alors remarqner encore mieux qu'elie ne 1'avoit fait, paree que j'étois. jslüs paré. De 1'air dont elle me regarda , je jugeai qu'elie ine s'écoir pas attendue a me voir ui fi'bien fai t ui de.- fi bonne mine. Comment donc , s'écria-t-elte avec furprifè , t$ï  en le relevant un peu de deflus ion fbpha ; c'efiV vous , la Vallée , je ne vous reconnois pas : voila vraiment une très-jolie figure , mais très-jolie approchez , mon cher enfant, approchez, prenez un fiege, mettez-vous-la; mais cette taille , comme elle eft bien prifc, cette tête, ces chevetix;en vérité ; ' il eft trop beau pour un homme , la jambe parfaite avec cela , il faut apprcndre a danfer, la Vallée,n'y mauquez pas .afieyez vous: vous voila on ne peut pas • mieux , ajouta-t-elle en me prenant par la main pour me faire affeoir. Er comme j'héfitois par refpeéf , afleyez-vous donc ; me répéta-t-elle encore du ton d'une perfonne qui vous diroit oubliez ce que je fuis, St vivons fans facon. Eh bien ! gros garcon , me dit-elle , je fongeois k vous . car je vous aime, vous le favez bien ; ce qu'elie me dit avec des yeux qui expliquoient fa maniere de m'aimer : oui , je vous aime, St je veux que vous vous attachiez a moi, St que vous m'aimiez aufli ; entendez-vous ? Hélas ! charmante Dam* , lui répondis-je avec un tranfport de vanité St de reconnoiflance , je vous aimerai peut-être trop , fi vous n'y prenez garde. Et a peine lui eus-je tenu ce difcours , que je me jettai fur fa main qu'elie m'abandonna , St que je baifois de tout mon cceur. Elle fut un moment ou deux fans rien dire, St feconteuta de me voir; jel'entendis feulement ref. pirer d'une maniere fenfible , St comme une per-- fonne qui foupire un peu ; parle donc , eft-ce que Hu m'aiines tant , me dit-elle, pendant que j'avois la tête büiftee fur cette main ? Eh, pourquoi crains; tu de m'aimer trop ? explique-toi , la Vallée : qu'eft-ce que tu veux dire ? C'eft , repris-je , que vous êtes fi aimable , fi telle ! St moi qui fens tout cela , voyez-vous, j'ai Jpeur de vous aimer autrement qu'il ne m'appar* l»nt.  . (68) Tout de bon, me dit-il, on dlroit que tu pariet d'amour , la Vallée ; tk on diroit ce qui eft, repartis-je, car je ne faurois m'en empêcher. Parle bas r me dit-elle , ma femme de chambre eft peut-être la-dedans , ( c'étoit 1'antichambre qu'elie marquoit : ) ah ! mon cher enfant y qu'eft - ce que tu viens de me dire ? tu m'aimes-donc ? hélas ! tout petit homme que je fuis , dirai-je qu'oui , repartis - je ? comme tu voudras , me répondit-elie avec un petit foupir : mais tu es bien jeune , j'ai peur a mon tour de me fier a toi , approche-toi, afin de nous entretenir de plus prés, ajouta-t-elle. J'oubliois de vous dire que dans le cours de la converfation elle s'étott remife dans la pofture oü je l'avois trouvée d'abord ; toujours avec cette pantoufle de moins ; tk toujours avec ces jambes un peu découvertes , tantót plus , tantót moins , fuivaut les attitudes qu'elie prenoit fur le fopha. Les coups d'ceil que js jettois de ce cóté-la , ne lui échappoient pas ; quel friand petit pied vous avez-la, Madame , lui dis-je en avancant ma chaife , car je rombois infenfiblement fur le ton familier ; laiflé-la mon pied , dit-elle , tk remets-moi ma pantoufle , il faut que nous caufions fur ce que, tu viens de me dire , tk voir un peu ce que nous ferons de cet amour que tu as pour moi. Eft-ce que par malheur il vous facheroit, lui dis-je ? eh ! non , la Vallée il ne me fache point , me répondit-elle : il me touche au contraire , tu né m'as que trop plu , tu es beau comme 1'amour. Eh ! lui dis-je , qu'elt-ce que c'eft que mes beautés auprès des vótres ? un petit doigt de vous vaut mieux que tout ce que j'ai en moi ; tout eit admirable en vous, voyez ce bi-as, cette belle facon de corps , des yeux que je n'ai jamais vus k. perfonne , tk la-deflus les miens la parcouroient toute entiere : eft-ce que vous n'avez pas pris garde coinme je vous regardois Ja première fois que je  . . ^9) ■ i vous aï vue , lui difois-je ? Je devinois que votrft I 'perfonne étoit charmante , plus blanchs qu'un, i. cigne ah i li vous faviez le plaifir que j'aieu & ve||!tair ici , Madame , Sc comme quoi ie croyois touRjours tenir votre chere main que je baifai l'autre K jour , quand vous medonnares la lettre. Ah ! taisIntoi, me dit-elle en mettant certe main fur ma bouI che pour me Ia fermer ; tais-toi , la Vallée , je ne Bfaurois t'écouter de fang froid , après quoi elle fe Klejetta fur le fopha avec un air d'émotion fur le viRfage , qui m'en donna beaucoup a moi-même. , I Je la regardois, elle me regardoit, elle rougifI foit: !c cceur me battoit , jc crois que le fien alloit I de même , Sc la tête commencoit a nous tourner a Bjtous deus quand elle me dit: écouta-tnoi, la ValKtee , tu vois bien qu'on peut entrer a tout moment, I Sc puifque tu ïn'aimes , il ne faut plus nous voiï I ki, car tu n'y es pas aflez fage. Un foupir interI rompit ce difcours. I ■ Tu es marie, reprit-elle , après ! oui , de cetttf 1 nuit, lui dis-je. De cette nuit , me répondit-elle ; K Eh bien , conte-moi ton amour , en as-tu eu beauI coup ? Comment trouves-tu ta femme ? M'aimeI rois-tu bien autant qu'elie ? Ah ! que je t'aimerois 1 a fa place. Ah 1 repartis-je , que je vcus rendrois I bien le chrnge. Eft-il vrai , me dit-elle ? mais ne u parions plus de cela , la Vallée; nous fommes trop Irjxrès 1'un de l'autre, recule-toi un peu, jc erainS Etoujours une furprife. J'avois quelque chofe a te I dire , Sc ton mariage me ia fait oubüer , nous au< tions été plus tranquilles dans mon cabinet, j'y luis I ordinairement , mais je ne prévoyois pas que tu I viendrois ce foir. A propos , j'aurois pourtant k envie que nous y allaSions pour te donner les pais piers dont je te parlai l'autre jour, \ eux-ty y venir ? [ Elle fe leva tout-a-fait la-deffus ; fi je le veux , lui dis-je : elle rêva alors un inftant , Sc puis i non, dit-elle , n'y allons point, fi cette femme.  (70) de chambre arrlvoit, tk qu'elie ne nous trouvat; pas ici, que fait-on ce qu'elie penferoit ? reftons. I Je voudrois pourtant bien ces papiers , repris-je. II n'y a pas moyen , dit-elle , tu ne les auras pas' I aujourd'hui ; tk alors elle fe remit fur le fopha^, ^ mais ne fit que s'y afi'eoir; ck ces pieds fi miM gnons, lui dis-je , ii vous vous tenez comme cela jl je ne les verrai donc plus. Elle fourit a ce difcours , tk me paffant ten.'rement la main fur le vifage , parions d'autre chofe j.| ïépondit-elle. Tu dis que tu m'aimes , je te le pardonne, mais, mon enfant, fi j'allois t'aimer" aulft , comme je prévois que cela pourroit bien être, & le moyen de s'en défendre avec un aufli aimable». jeune hoinme que toi : dis-moi , me garderois tu le fecret, la Vallée 1 Eh ! ma belle Dame , lui dis-je , a qui voulez-j vous donc que j'aille rapporter nos affaires ? il taudroit que je fulfe bieu méchant : ne fais-je pas bien' que cela ne fe fait pas, fur-tout envers une grande Dame comme vous , qui ell veuve , tk qui me fuittj cent fois plus d'honneur que je ne mérite , en m'ac-cj cordant le réciproque ; tk puis ne fais-je pas enJ core que vous tenez un étatde dévote , qui ne permet pas que pareille chofe foit connue du monde ï; Non , me répondit-elle en rougiffant un peu , tujj te trompes , je ne fuis pas fi dévote que retirée. Eh pardi ? repris-je , dévote ou non , je vous aimej autant d'une facon que d'un autre ; cela empêche-5 t-il qu'on ne vous donne fon cceur , tk que vous na preniez ce qu'on vous donne ; on ell ce qu'on eft ^ & le monde n'y a que voir; après tout, qu'eft-ceo qu'on fait dans cette vie : un peu de bien , un peu. Ae mal, tantöti'un , tantöt l'autre : on fait commej On peut , on n'eft ni cles Saints n: des Saintes ; cèj n'eft pas pour rien qu'on va a confeflé , tk puis! qu'on y retourné ; il n'y a que les défunts qui n'y] vont plus, mais pour des vivans qu'on m'e» cher-Jche.  | tSe que tu dis n'eft que trop certam , chactm ~u I fes foibleffes , me re'ponciit-elle : eh ! vraiment f.:oui, lui dis-je , ma chere Dame , fi par hafard vous ï voulez du bien a votre petit ferviteur , il ne faut Kpas en être fi étonnée ; il eft vrai que je fuis ma| rié, mais il n'en feroit ni plus ni moins quand je ft r.e le ferois pas , fans compter que j'étois garcon ■quand vous m'avez vu , St fi j'ai pris femme de4 puis , ce n'eft pas votre faute , ce n'eft pas vous 1 qui me 1'avez fait prendre, St ce feroit bien pis fi . nous étions mariés tous deux , au lieu que vous ne 11'êtes pas , c'eft toujours autant de rabattu : on fe 1 prend coinme on fe trouve , ou bien il faudroit fe I laiffer, St je n'en ai pas le courage depuis vos belI les raains que j'ai tint retenties dans les miennes > I St les petites douceurs que vous m'avez dites. Je t'en dirois encore , fi je ne me retenois pas , I me répondit-elle, car tu me charmes , la Vallée , I St tu es le plus dangcreux petit homme que je coiincifle. Mais revenous. Je te difois qu'il falloit être difcret, St je vols que tu en fens les conféquences. La facon dont je vis , 1'opinion qu'on a de ma conduite , ta reconnoiflance peur les fervices que je t'ai rendus , pour .ceux que j'ai deflêin de te rendre , toutféxige, mon cher enfant. S'il t'échappoit jamais le moindre mot, tu me perdrois , fouviens-toi bien de cela , St ne 1'oublie point, je t'en prie ; voyons a préfent comme tu feras pour me voir quelquefois. Si tu contijmois de venir ici, on pourroit en caufer car fous quel prétexte y viendrois-tu ? Je tiens quelque rang dans le monde , tu n'es pas en fituation de me rendre de fréquentes viiites. On ne manqueroit pas de foupconner que j'ai du goüt pour toi, ta jeuneffe St ta bonne facon le perfuaderoient aifément, St c'eft ce qu'il faut éviter. Voici donc ce que j'imagiue. II y a dans un tel fauxbourg ( je ne fais plus lequel c'étoit) une vieille femme dont le mari, qui  CC7-) fe> mort depuis fix ou fepr moit, m'avoit obliga* : ïion ; elle loge en tel endroit, Sc elle s'appelle j Madame Remi; tiens, e'cris tout-a-l"heure fon nom & fa demeure r voici fur cette table ce qu'il faut I pour cela. J'écrivis donc ce nora , Sc quand j'eus fait, Madame de Ferval continuant fon difcours, c'eft une femme dont je puis difpofer , ajouta-t-elle. Je lui . enverrai dire demain de venir me parler dans la matinee. Ce fera chez eile oü nous nous verrons , c'eft un quafticr éloigné oü je ferai totalement iuconnue. Sa petite maifon eft commode , elle y vit feuïe ; il y a même un petit j-ardin par lequel on peut s'y rendre , Sc dont une porte de derrière donne dans une rue très-peu fréquentée , ce fera dans cette rue que je ferai arrêter mon caroflé ; j'eutrerai toujours par cette porte , Sc toi toujours par l'autre. A Pégard de ce qu'en penferont mes gens , je ne m'en mets pas en peine , ils font accoutumés a me mener dans toutes lorres de quartiers pour difierentes ceuvres de charité que nous exercons fouvent deux ou trois Dames de mes amies Sc moi , auxquels il m'eft quelquefois arrivé d'aller feulc, aufïï-bien qu'en compagnie , foit pour des malades , foit pour des pauvres families. Mes gens le favent , Sc croiront que ce fera de même quand j'irai chez la Remi. Pourras-tu t'y trouver demain fur les cinq heures du foir, Ia Yailée ? j'aurai vu la Remi, Sc toutes mefures feront prifes. Eh pardi ! lui dis-je je n'y manquerai pas, je fuis feulement faché que ce ne foit pas tout-a- 1'heure : eh ! dites-moi, ma bonne Sc chere Dame , ill n'y aura donc point comme ici de femme de cham- . Lre qui nous écoute , Sc qui m'empêche d'avoir ^ les papiers ? Eh vraiment non ! me dit-elle en riant, 8c nous I parlerons tout auffi haut qu'il nous plaira ; mais jei fais une réflexioii. II y a loin de chez toi a ce faux-1 Jbourg , tu auras bcfoiii de voitures pour y venir , | Sc  té) ■$C ce feroit une dépenfe qu! t'ine'ommoderoir. Bon , bon , lui dis-je , cette de'penfe, il n'y aufa que mes jambes qui la feront, ne vous embar. iraffez pas : non , mon fils, me dit-elle en fe levant, il y a trop loin , Sc cela te fatigueroit ; Sc en tenant ce difcours, elle ouvrit un petit coffret , d'oü elle tira une bourfe affez fimpie', mais aflez pleine. Tiens; mon enfant, ajo'uta-t-elle , voila de quoi payer tes caroffes ; quand cela fera fini, je t'en donaerai d'autres. Eh mais ! ma belle Maitreffe , lui dis-je , gonflé d'amour propre , Sc tout ébloui de mon mérite , arrêtez-vous donc , votre bourfe me fait honte. Et ce qui eft de plaifant , c'eft que je difois vrai: oui , malgré la vanité que j'avois , il fe mêloit uil peu de confufion a 1'eftime orgueilleufe que je prenois pour moi. J'étois charmé qu'on m'orfrït , mais je rougilfois de prendre ; 1'un me paroiffoitflatteur, Sc l'autre bas. A la fin pourtant, dans PetourdifTèment oü j'e'tois, je cédai aux inftaures qu'elie me faifoit, Sc après lui avoir dit deux ou trois fois : mais, Mde , mais , ma Maitreffe , je vous coürerois trop , ce n'eft pas la peine d'acheter mon cceur , il e.t tout payé , puifque je vous le donne pour rien, a quoi bon cet argcnt? k. la fin , dis-je , je pris. Au refte , dit-elle , en fermant le petit coffret, nous n'irons dans 1'endroit que je t'indique , que ■pour empêcher qu'on ne caufe , mon cher enfant, tu m'y verras avec plus de liberté , mais avec autant de fageffe qu'ici au moins ; entsnds-tu , la Vallée ? je t'en prie , n'abufe point de ce que je fais nour toi , je n'y entends point de fineffe. Hélas ! lui dis-je , je ne fuis pas plus fin que vous non plus , j'y vais tout bonnement pour avoir le plaifir d'être avec vous , Sc d'aiser votre perfonne a mon aife , voila tout, car au furplus , je n'ai envie de vous chagriner en rien, je vous affure : mon inteittion ell de vous complaire ; je vous Tome II. G  (74) aime Iel, je vous aimerai la-Las; je vous almerols par-tout. II n'y a point de mal a cela , me dit-elle, Sc je ne te défends point de m'aimer, la Valide ; mais c'eft que je voudrois bien n'avoir rien a me reprocher : voila ce que je veux dire. Ah ca , il me refte a te parler d'une chofe ; c'eft d'une lettre que j'ai écrite pour toi , Sc que j'adrefle a Mde de Fécour , a qui tu la porteras. M. de Fécour fon beau-frere eft un homme d'un trés-grand crédit dans les Finances , il ne refufe rien a la recommandation de fa belle-fceur , 8c je la prie , ou de te préfenter a lui , ou de tui écrire en ta faveur , afin qu'il te place a Paris , Sc te mette en chemin de t'avaucer ; il n'y a point pour toi de voie plus Süre que celle-la pour aller a la fortune. Elle prit alors cette lettre qui étoit fur une table , Sc me la donna ; a peine la tenois-je , qu'un laquais annonca une vifite , Sc c'étoit Mde de Fécour elle-même. Je vïs donc entrer une aflez grofle femme , de taille médiocre , qui portoit une des plus furieufes gorges que j'aie jamais vue , femme d'ailleurs qui me parut fans facon , aimant a vue de pays le plaifir Sc la joie , Sc dont je vais vous donner le portrait , puifque j'y fuis. Mde de Fécour pouvoit avoir trois ou quatre années de moins que Mde de Ferval. Je crois que dans fa jeuneffe elle avoit été jolie ; mais ce qui alors fe remarquoit le plus dans fa phyfionomie , c'étoit un air franc Sc cordial qui la rendoit affez agréable a voir. Elle n'avoir pas dans fes mouvemens la pefauteur des femmes trop graffes ; fon embonpoint ni fa gorge ne l'embarralfoient pas , Sc on voyoit cette maffe fe démener avec une vigueur qui lui tenoit lieu de légéreté. Ajoutez a cela un air de fanté robufte, Sc une certaine fraicheur qui faifoit plaifir , de ces fraicheurs qui vienuent d'un bon tent- • gérament, Sc qui ont pourtant efliiyé ds la fatigue, j  C?5) ... II n'y a prefque point de femme qui n'ait des ml- pauderies , ou qui ne veuille perfuader qu'elie n'en a point ; ce qui eft une autre forte de coquetterie , St de ce cöté-la Mde de Fécour n'avoit rien de femme. C'étoit même une de fes graces que de ne point fonger en avoir. Elle avoit la main belle , Sc ne le favoit pas ; fi elle 1'avoit ene laide , elle 1'auroit ignoré de même l elle ne penfoit jamais a donner de 1'amour , mais elle étoit fujette a en prendre. Ce n'étoit jamais elle qui s'avifoir de plaire , c'étoit toujours a elle a qui on plaifoit. Les autres femmes , en vous regarcant , vous difent finement, aimez-moi pour ma gloire; celle-ci vous difoit naturellement , je vous aime, le voulez-vous bien , Sc elle auroit oublié de vous demander , m'aimez-vous , pourvu que vous eufliez fait comme fi vous 1'aimiez ? De tout ce que je dis-la , il réfulte qu'elie pouvoir quelquefois être indecente , Sc non pas coquette. . Quand vous lui plaifiez , par exemple , cetre gorge dont j'ai parlé , il fembloit qu'elie vous la préfentat, Sc c'étoit moins pour tenter votre cceur , que pour vous dire que vous touchiez le lien ; c'étoit une maniere de déclaration d'amour. Mde de Fécour étoit bonne convive , plus joyeufe que fpirituelle k table, plus franchc que hardie , pourtant plus iibertine que tendre ; elle aimoit tout le monde , Sc n'avoit d'amitié pour perfonne ; vivoit du même air avec tous , avec le riche comme avec le pauvre , avec le Seigneur comme avec le Eourgeois , n'eflimoit le rang des uns, ni ne méprifoir le médiocre état des autres. Ses gens n'étoient point fes valets; c'étoient des hommes Sc des femmes qu'elie avoit chez elle ; ils la fervoient, elle en étoit fervie ; voila tout ce qu'elie y voyoit. Monfieur , que ferons-nous , vous difoit elle ? Sc fi Eourguignon venoit, Bourguignon , que faj.itU que je faffe ? Jafmjn étoit fon confeil s'il étoit G z  la; c'étolf vous qui Pétiez . iï vous vous rrouviez auprès d'elle : il s'appelloit Jafmin , 8c vous Mon- . fieur : c'e'toit toute la differente qu'elie y fentoit • car elle n'avoit ni orgueil ni modeftie. Encore un trait de fon caraöere par lequel je fi.» nis, 8c qui eft bien fingulier. Lui difiez-vous , j'ai dn chagrin ou de la joie , telles ou telles efpérances , ou tel embarras ; elle n'entroit dans votre fituation qu'a caufe du mot 8c non pas de la chofe; ne pleuroit avec vous ', qu'a caufe que vous p'euriez , Sc non pas a caufe que vous aviez fujet de pleurer , rioit de même , s'intriguoit pour vous fans s'intéreffer a vos affaires , fans favoir qu'elie ne s'y intérefioit pas, Sc feulement paree que vous lui aviez dit, intriguez-vous ; «n un mot , c'étoient les termes Sc le ton avec lequel vous les prononciez , qui la remuoient; fi on lui avoit dit, votre ami ou bien votre parent eft mort ; que 1'on Ie lui ent dit d'un air indifférent, elle eüt répondu du même air , eft-il poflible ? lui. euflïez-vous reparti avec triftelfe qu'il n'étoit que trop vrai, elle eüt repris d'un air affligé , cela eft bien fachcux. Enfin c'étoit une femme qui n'avoit que des fens Sc poiiit de fentimens , Sc qui paffoit pourtant pour la meilleure femme du monde , paree que fes fens, en mille occafions lui tenoient exaöement lieu de fentiment , Sc lui faifoient autant d'honneur. Ce caratvtere tout particulier qu'il pourra paroïtre , n'eft pas fi rare qu'on le penfe , c'eft celui d'une infiniré de perfonnes qu'on appelle communément de bonnes gens dans le monde ; ajoutez feulement de bonnes gens qui ne vivent que pour Ie plaifir Sc pour la joie , qui ne haïffent rien que ce qu'on leur fait haïr, ne font que ce qu'on veut qu'ils foient, Sc 11'ont jamais d'avis que celui qu'ca leur donne. Au refte , ce ne fut pas alors que je connus Mee de Fécour, comme je la peins ici, car je n'eus p: s-  - C?7) flans ce .temps une aflez grande lialfon avec elle , mais je la retrouvai quelques années après , ck je la vis aflez pour la reconnoïtrc. Revenons. ■ Eh ! mon Dieu , Madame , dit-elle a Mde de Ferval, que je fuis charmée de vous trouver chez vous , j'avois peur que vous n'y fuflïez pas ; car 51 y a long-temps que nous ne nous fommes vues ! comment vous portez-vous ? Et puis elle me falua , moi qui faifois la la figure d'un honnête homme , tk eu me faluant me regarda beaucoup tk long-temps. Après que les premiers complimens furent paffes, Mde Ferval lui en fit un fur ce grand air de fanté qu'elie avoir. Oui, dit-elle , je me porte fort bien , je fuis d'un fort bon tempérament; je voudrois bien que ma belle-fceur tut de même , je vais la voir au fortir d'ici, la pauvre femme me fit dire avanthier qu'elie étoit malade. Je ne. le favois pas , dit Mde Ferval, mais"pentêtre qu'a fon ordinaire ce fera plus indifpofition que maladie , elle eft extrêmement délicate. Ah ! fans doute , reprit la groffe réjouie , je crois , comme vous , que ce n'eft rien de férieux. Pendant leur difcours j'étois affez décontenancé , moins qu'un autre ne Pauroit été a ma place, pourtant , car je commencois a me former un peu , tk je n'aurois pas été li embarraffé , fi je n'avois point eu peur de 1'être. Or j'avois par mégarne emporté la tabatiere de Madame la Vallée , je la fentis dans ma poche , tk pour occuper mes mains , je me mis a 1'ouvrir tk a prendre du tabac. A peine 1'eus-je ouverte , que Madame de Fécour , qui jettoit fur moi de fréquens regards , tk de ces regards qu'on jette fur quelqu'un qu'on aime a voir ; que Mde de Fécour , dis-je, s'écria: ah! Monfieur, vous avez du tabac , donnez m'en , je vous en prie , j'ai oublié ma tabatiere , il y a une beure que je ne fais que devenir. G3  (7») . La-defibs , je me leve tk lui en prélente; $C comme je me baiffois afin qu'elie en prit , ck que ! p?r cette pofture j'approchois ma tête cie la fienne, elle profita du voifinage pour m'examiner plus a fon aife, ck en prenant du tabac leva les yeux fans facon fur moi , ck les y fixa fi bien , que j'en rougis un peu. Vous êtes bien jeune pour vous accoutumer au tabac , me dit-elle ; quelque jour vous en ferez faché ,- Monfieur , il n'y a rien de fi incommode : je le dis a toutle monde , ck fur-tout aux jeunes MM. Je votre age , a qui j'en vois prendre , car affurékhent Monfieur n'a pas vingt ans. Je les aurai bientöt, Madame , lui dis-je en me j-eculant jufqu'a ma chaife. Ah ! lc bel age ,s ecriat-elle. Oui, dit Mde de Ferval, mais il ne faut ■ pas qu'il perde fon temps , car il n'a point de fortune ; il n'y a que cinq ou fix mois qu'il arrivé de JProvince , tk nous voudrions bien 1'employer k j-queique chofe. Oui-da ; répondit-elle , ce fera fort bien fait , TJVL plaira a tous ceux qui le verront, je lui proaioftique un mariage heureux. Hélas , Mde , il vient honnête homme , un gros Fermler qui a p'ufieurS enfans , St qui avoit envoyé celui-ci a Paris pour iacher d'y faire quelque chofe ; eu un mot ce fout de fort honuêtes geus. Oui certes , reprit Madame de Fécour ; comment donc , des gens qui demeurent h la campagne , des Fermiers; oh je fais ce que c'eft: : oui, ce font de fort honnêres gens , fort eftimables affurément , il n'y a rien a redire a cela. Et c'eft moi , dit Madame de Ferval , qui ai fait terminer fon mariage ; oui , eft-ce vous , reprit l'autre ? mais cette bonne dévote vous a bien obligation ; je fais grand cas de Monfieur feulement a le voir ; encore un peu de votre tabac , Monfieur de la Vallée ; c'eft vous êtremarié bien jeune , mon bel enfant , vous n'auriez pu manquer de 1'être quelque jour avantageufement , fait comme vous êtes , mais vous en ferez plus a votre aife h Paris , St moins a charge h votre familie. Madame, ajouta-t-elle en s'adreiTant h Madame de Ferval, vous avez des amis, il eft aimable , il faut le pouflêr. Nous en avons fort envie •, reprit l'autre , St je vous dirai même que lorfque vous êtes entrée , je venois de lui donner une lettre pour vous , par laquelle je vous le recommandois. Monfieur de Fécour votre beau-frcre , eft fort en état de lui rendre fervice, St je vous priois de 1'y engager. Eh ! mon "Dieu , de tout mon cceur , dit Madame de Fécour: oui , Monfieur , il faut que Monfieur de Fécour vous place , je n'y fongeois pas , mais il eft a Verfailles pour quelques jours : voulez-vous que je lui écrive en attendant que je lui parle ? tenez , il n'y a pas loin d'ici chez moi, nous n'avons qu'a pafler un moment, j'écrirai, 8t M. de la Vallée lui portera demain ma lettre. Eu vérité , Mr , dit-elle en fe levaut , je fuis ravie que Mad. ait penfé a moi dans cette occafion-ci ! partons, j'ai encore quelques vifites a faire , ne perdous point de temps; adieu , Madame > ma  vifite eft courte , mais vous vo3'ez pourquoi ]e vous quitte. Et la-deflus elle embrafie Madame de Ferval quï la remercie , qu'elie remercie , s'appuie fans facon fur mon bras , m'emmene , me fait monter dans l fon carrofie , ni'y appelle tantót Monfieur , tantót mon bel enfant , m'y parle comme fi nous nous fuffions connus depuis dix ans , toujours cette grofle gorge en a\ant, 8c nous arrivons chtz elle. Nous entrons , elle me mene dans un cabinet ; afl'eyez-vous , me dit-elle, je n'ai que cleux mots a écrire a Moniieur de Fécour/1 ils fcror.t preflans. | En effet, fa lettre fut achevée en un inftant : tenez , me clit-elle en me la donnant, on vous refXevra bien fur ma parole , je lui dis qu'il vous place a Paris , car il faut que vous reftiez ici pour cultiver vos amis , ce feroit dommage de vous envoyer en campagne , vous y fericz enterré , Sc nous fommes bien aifes de vous voir. Je ne veux pas que notre connoiflznee en cleineure la , au moins , Moniieur de la Vallée : qu'en dites-vous , vous fait-elle un pen de plaifir ? Et beaucoup d'honneur aufli, lui repartis-je 1 bon , de 1'honneur , me dit-elle , il s'agit bien de cela , je fuis une femme fans cérémonie , fur-tout avec les perfonnes que j'aime 8c qui font aimables > Monfieur de la Vallée , car vous 1'êtes beaucoup : oh beaucoup ! Le premier homme pour qui j'ai eu de 1'inclination vous reflémbloit tout-a-fait; je crois le voir ck je 1'aime toujours , je le tutoyois , c'eft aflez ma maniere , j'ai déja penfé en ufer de même avec vous , Sc cela viendra , en ferez-vous faché l ne voulez-vous pas bien que je vous traire comme lui, ajouta- t-elle avec fa gorge , fur qui par hafard j'avois alors les yeux fixés ; ce qui me reudit diltrait Sc m'empêcha de répondre ; elle y prit garde , Sc fut quelque temps a m'oblêrver. Eh bien, me dit-elle en riant , a quoi penfezvous donc ? c'eft a vous, Madame , lui répondis-  je d'un ton affez bas, toujours la vue attache'e fur | ce que j'ai dit; a moi, reprit - elle , dites - vous I vrai, Monfieur de la Vallée ? vous appercevez-vous I que je vous veux du bien ? II n'eft pas difficile de I le voir , ck fi vous en doutez , ce n'eft pas ma fante ; vous voyez que je fuis franche , tk j'aime qu'on le foit avec moi; entendez-vous , belle jeuneffe ? f quels yeux il a , tk avec cela il a peur de parler : ah ca , Monfieur de la Vallée , j'ai un confeil k vous donner , vous venez de Province , vous en avez apporté un air de timidité qui ne lied pas a votre age ; quand on elt fait comme vous , il faut ié raffurer un peu, fur-tout en ce pays-ci ; que vous mauque-t-il pour avoir de Ia coufiance ? qui eft-ce qui en aura , fi vous n'en avez pas , mon enfant? vous êtes fi aimable ; tri elle me difoit.cela d'un ton fi vrai, fi careffant , que je commencois è prendre du goüt pour fes douceurs , quand nous entendïmes un carroflé entrer dans la cour. Voila quelqu'un qui me vient , dit-elle , ferrez votre lettre , mon beau garcon , reviendrez vous me voir bientöt ? dès que j'aurai rendu la lettre , Madame , lui dis-je. Adieu donc, me répondit-elle en me tendant la main que je baifai tout a mon aife : Ah ca une autre fois foyezdonc bien perfuadé qu'on vous ai- j me ; je fuis fachée de n'avoir point fait dire que je n'y étois pas ; je ne ferois peut-être pas fortie , 8c nous aurious paffé le refte de la journée eufem■ ble , mais nous nous reverrons, tk je vous attends, n'y manquez pas. Et 1'heure de votre commodité , Madame , voulez-vous me la dire ? A 1'heure qu'il te plaira , me dit-elle ; le matin , le foir toute heure eft bonne , fi ce n'eft qu'il eft plus sur de me trouver le matin ; adieu , mon gros brunet ( ce qu'elie me dit en me paffant la main fous le menton ) de la confiance avec moi a 1'avenir , je te la recommande. Elle achevoit a peine de parler, qu'on luivint  (S3) . . 31 re-que trols perfonnes étoient dans fa chambre' J & je me retirai pendant qu'elie y paffoit. Mes affaires , comme vous voyez , alloient un aflez bon train. Voila des aventures bien rapides , j'en étois étourdi moi-même. Figurez-vous ce que c'eü qu'un jeune ruflre comme moi, qui dans le feul efpace de deux jours , eft 'devenu le mari d'une fille riche , St 1'amant de deux femmes de condition. Après cela mon changement ^de décoration dans mes habits , car tout y fait , ce titre de. Monfieur dont je m'etois vu honoré , moï :qu'on appeiloit Jacob dix ou douze jours auparavant, les amoureufes agaceries de ces deux Dames r St lur-tout cet art charmant , quoiqu'impur , que Madame de Ferval avoit employé pour me féduire, cette jambe fi bien chauifée, li galante ,, que j'avois tant regardée ; ces belles mains fi blanches qu'on m'avoit fi tendrement abandonnées ; ces regards fi pleins de douceur ; enfin l'air qu'on ref(pire au milieu de tout cela : voyez que de chofes jcapables de brouiüer mon efprit St mon cceur : vo« yez queile école de molleflé , de volupté , de cor. jruption , St par conféquent de fentiment; car 1'amc fe raffiue a mefure qu'elie fe gare. Aufli étoise dans un vourbillon de vanité li flatteufe , je me trouvois quelque chofe de fi rare , je n'avois point encore gouté fi délicatement le plaifir de vivre , Sc depuis ce jour-la je devius méconnoiflable , tant 'acquis d'étiucation St d'expéiicnce. , Je retoumai donc chez moi, perdu de vanité, comme je 1'ai oir, mais d'une vanité qui me rendoit gai , St non pas fuperbe St ridicule , mon amour>ropre a toujours été fociable ; je n'ai jamais été )lus doux ni plus traitable , que lorfque j'ai eu lieu le m'eftimer St d'être v :in : chacun a la-deffus fon arattere , St c'étoit-la le mien. Madame de la Valéene m'avoit en- ore vu ni fi aimable que je le fus ivec elle a mon retour, li étoit rar'd , on nVatteudoit pour fe mettre a ta-  .(84) tle , car on fe fouviendra que nous avions retentt a fouper notre hótelfe , fa fille , 8t les perfonnes qui nous avoient fervi de témoins le jour de notre mariage. Je ne faurois vous dire combien je fis d'amitiér a mes convives , ni avec quelles graces je les ex-| citai k fe réjouir. Nos deux témoins étoient un peu épais, Sc ils me trouverent fi léger en compafaifon d'eux, je dirois prefque fi galant dans mes fa-, t;ons , que je leur en impofai , Sc malgré toute la: joie k laquelle je les invitois , ils ne fe familiarifoient avec moi qu'avec difcrérion. J'étonnii même Madame d'Alain , qui toute commere qu'elie étoit , regardoit de plus prés que: de coutume a ce qu'elie difoit. Mon éloge faifoU| toujours le refrain de la converfation , éloge qu'on rachoit même de tourner le plus poüment qu'on le: pouvoit , de forte que je fentis que les manieres avoient augraenté de confidération pour moi. Et il falloit bien que ce fut mon entretien avecj ces deux Dames qui me valoit cela , Sc que j'en| euffe rapporté je ne fais quel air plus diftingué que je ne l'avois d'ordinaire. Ce qui eft de vrai, c'eft que moi-même je mei trouvois tout autre, Sc que je me difois , a peu de-j chofes prés ; en regardant nos convives , ce font-9 de bonnes gens qui ne font pas de ma force; maisi avec qui il faut que je m'accommode pour le préfent. Je pafiérai tout ce qui fut dit dans notre entre-J tien : Javotte m'y lanca de fréquens regards , j'yj fis le plaifant de la table , mais le plaifant prefque refpecïé , Sc j'y parus fi charmant a Madame de la Vallée , que dans 1'impatience de me voir a fonfs aife , elle tira fa montre a plufieurs reprifes , Scl dit 1'heure qu'il étoit , pour confeiller honnêtement: la retraite a nos convives. Enfin on fe leva , on s'embrafTa , tout notfl monde  monde partit, on deflêrvit, St nous reftames feuls Madame de la Vallée 8c moi. 'Et alors , fans autre compliment ; fous prétexte d'un peu de fatigue , ma pieufe époufe fe mit au lit ; Si me dit couchons-nous, mon fils , il eft tard ; ce qui vouloit dire , couche-toi, paree que je t'aime ; je 1'entendis bien de même , Sc me couc'ui de bon cceur , paree que je 1'aimois aufii , car elle ctoit encore aimable Sc d'une figure appétifSfa.nte ; je 1'ai cléja dit au commencement de cette . hfftoire ; outre cela j'avois 1'ame remplie de tant d'images tendres', on avoit agacé mon coeur de tant de mauieres, on m'avoit tant fait 1'amour ce jourla , qu'on m'avoit mis en humeur d'être amoureux a mon tour, a quoi fe joigaoir la commodité d'avoir avec moi une perfonne qui ne detnandoit pas mieux que de m'écouter, telle qu'étoit Madame de la Vallée , ce qui eft encore un motif qui eugage. ' Jc VDuluii en me déshabillant lui rendre compte de ma journée ; je lui parlai des bons defleins que Madame de Ferval avoit pour moi , de i'arrivée de Madame de Fécour chez eile , de la lettre qu'elie m'avoit donnée , du voyage que je ferois ie lendemain a Verfailles pour porter cette lettres je prenois mal mon temps ; quelqu'intérêt que Madame de la Vallée prit a ce qui me regardoit , rien de tour ce que je lui dis ne mérita pas fon attpntion ; je n'en pas jamais tirer que des monofyllabes ; ouid'a ; fort bien , tant mieux , Sc pais viens , viens , nous parierons de cela ici. " Je vins donc, Sc adieu les récits , j'oubliai de les reprendre , Sc ma chere femme ne m'en fit pas rellbuvenir. Que d'honnêtes Sc ferventes tendreflès ne me ditelle pas 1 on a déja vu le caraftere de fes mouveraens ; Sc tout ce que j'ajouterai; c'eft que jamais femme dévote n'ufa avec tant de paflion du privi' lége cie marquer fon chafte amour ; je vis le ïflt-Tome 11. H  mcntqn file s'eerieroit, quel plaifir cTe fruflrer Ic3 droits du Diablc , & de pouvoir fans pêché être aufii aife que les pécheurs ! Enfin nous nous endormimes tous deux , Sc ce ne fut que Ie matin fur les huit heures , que ie repris mes récirs de la veille. Elle loua beaucoup les bonnes inrentions de Madame de ferval, pria Dieu d'être fa récompenfe , Sc celle de Madame de Fécour : enfuite nous nous levames^ Sc fortimes enfemble ; Sc pendant que j allois a Verfaiües , elle alla entendre la Meife pour le fuccès de mon voyage. Je me rendis donc a Pendroit oü Pon prend les voitures ; j'en trouvai une a quatre , dont il y avoit deja trois places de rempües , Sc ie pris la quatrieme. J'avois pour compagnons de voyage, un vieux Officier , homme de très-bon fens , Sc qui avec une phyfionomie refpctable , étoit fort fimple Sc fort unie dans ces facons. m Un grand homme fee Sc déchame , qui avoit Pair «nquiet Sc les yeux petits, noirs Sc ardens : nous fcumes bientöt que c'étoit un plaideur ; Sc ce métier , vü la mine du perfonnage , lui convenoit ou ne peut pas mieux. Après ces Mefiieurs venoit un jeune homme d une aflez belle figure 5 POfficier Sc lui fe regartloient comme gens qui fe font vus ailleurs , mais qui ne fe remettent pas. A la fin ils fe reconnurent, bc fe reffouvinrent qu'ils avoient mangé enfemble. Comme je n'étois pas-la avec des Madame d'Alain , ni avec des femmes qui m'aimaffent, je m'obfervai beaucoup fur mon langage, Sc tachai de ne rien dire qui fentit le fils de feraiier de campagne , de forte que je parlai fobrement, Sc me contentai de preter beaucoup d'attcntion a ce que Pon difoit. On ne s'appercoit prefque pas qu'un homme ne dit mot, quand il écoute atteutivement, du moins  sb'magme-t-on toujours qu'ii va parler; Sc bien écouter , c'eft prefque répondre. De temps en temps je difois un oui, fins doute , vraiment non , vous avez raifon ; Sc le rout conformément au fentiment que je voyois le plus genera!. L'Oflïcier , Chevaüer de faint Louis , fut celui qui engagea le plus la converfation. Cet air d'honnête Guêrrier qu'il avoit, fon age , fa facon franche Sc aifée apprivoifoient iufcnfiblement notre Plaideur , qui étoit affez taciturue , Sc qui rêvoit plus qu'il ne parloit. Je ne fais d'ailleurs par quel hafard notre Officier paria au jeune homme d'une femme qui ^Jaidoit contre fon mari, Sc qui vouloit fe féparer d'avec lui. Cette maniere intéreffa le Plaideur ; qui après avoir envifagé deux ou trois fois 1'Oiücier , Sc pris apparemment quelque amitié pour lui , fe mêla a 1'entretien , Sc s'y mêla de fi bon cceur , que do difcours en difcours , d'inveclivcs eninvefctives contre les femmes , il avoua jnfenfiblemènt qu'il étoit dans le cas de 1'hommc dont on s'entretenoit , Sc qu'il plaidoit auffi contre fa femme. A cet aveu , on laiffa la fhiftoire dont il étoit queftion , pour venir a la fienne , Sc on avoit raifon : l'une étoit bien plus intére (Tante que l'autre , Sc c'étoit, pour ainfi dire , préférer un original a la fimple copie. Ah , ah ! Monfieur , vous êtes en procés avec votre femme , lui dit le jeune homme , cela eft fa* cheux : c'eit üne trifte fituation que celle-la pour un galant homme ? eh ! pourquoi donc vous êtesvous brouillés enfemble ; Bon , pourquoi, reprit l'autre ? eft-ce qu'il eft fi difficiie de fc brouilier avec fa femme ! être fou mari , n'eft-ce pas avoir déja un procés tout établi contr'elle 1 tout mari eft plaideur , Monfieur , ou 11 fe défend , ou il attaque : quelquefois le procés H j  ( 88) ne paffe pas Ia maifon , quelquefois il e'clate , St le mien a éclaté. Je n'ai jamais voulu me marier , dit alors POfficier, je ne fais fi j'ai bien ou mal fait, mais jufJ qu'ici je ne m'en repens pas. Que vous êtes heureux , reprit l'autre , je voudrois bien être a votre •p'ice : je ra'étois pourtant promisde refter garcon, j'avois même réfifté a nombre de tentations' qui mei litoient plus de m'cmporter que celle a laquelle j'ai fuccombé ; je n'y comprens rien , on ne fait comment cela arrivé ; j'c'tcis amoureux , mais fortdoircement Si de moitié moins que je ne Pavois été silleurs ; cependant j'ai époufé. C'eft que fans doute la perfonne étoit riche , dit le jeune homme ? non , reprit-il, pas plus riche qu'uiie autre , Sc même pas fi jeune. C'étoit une grande fille de trente-deux a trente-trois ans , St j'en avois quarante. Je plaidais contre un certsiri neven que j'ai , grand chicaneur, avec qui je n'ai pas firii, _ St que je ruinera! comme un frippon qu'il eft, duffe-je y msnger jufqu'a mon dernier fol ; mais c'eft une hiftoire a part que jc vous contefai fi nous avons le temps. Mon Démon ( c'eft de ma femme dont je parle > étoit parente d'un de mes Juges: je la connoifl'ois , j'allai la prier de foliicifer pour moi; Si comme unevifite en attire une autre , je lui en rendis de fi fréquentes, qu'a la fin je la voyois tous les jours , fans trop favoir pourquoi , par habitude : nos families* fe convenoient ; elle avoit du bien ce qui m'en falloit : le bruit coiirut que je 1'époufois , nous en' rïmes tous deux. II faudra pourtant nous voir moins fouyent pour faire cefiêr ce bruit-la , a la fin on diroit pis , me dit-elle en riant : eh pourquoi , repris-je ; j'ai envie de vous aimer , qu'en dites-vous, le voulez-vous bien ? elle ne ine répondit ni oui , ni non. J'y retournai le lendemain , toujours en br dinant de cet amour que je difois vouloir prendre , Si i  qiu , a ce que je crois, étoit tout pris , ou qu! venoit fans que je m'en appercuffe ; je ne le fentois pas ; je ne lui ai jamais dit, je vous aime ; on n'a jamais rien vu d'éga! a ce mifcrable amour d'habitude qui n'avertit point, ik qui me met encore en colere toutes les fois que j'y fonge ; je ne faurois digérer mon aventure. Imaginez-voüs que quinze jours après , un homme veuf Sc fort a fon aife , plus agé que mei , s'avifa de faire la cour a ma belle , que j'appelle bien en plaifantant , car il y a cent mille vifages comme le (ieu , auxquels on ne prend pas garde ; Sc excepté de grands yeux de prude qu'elie a, Sc qui ne font pourtant pas fi beaux qu'ils le paroiffent , c'eft une mine aflez commune , Sc qui n'a vaillant que de la blancheur. Cet homme dont je vous parle me déplut, je Ie trouvois toujours la , cela me mit de mauvaife humeur ; je n'étois jamais de fon avis , je le brufquois volontiers ; il y a des gens qui ne reviennent point Sc c'eft a quoi j'attribuai monéloigementpon? lui : voila tout ce que j'y compris , Sc je me trompois encore ; c'eft que j'étois jaloux. Cet homme apparcmmeut s'eunuyoit d'être veuf, il paria d'amour , Sc puis de mariage ; jc le fus , je J'en haïs Öavantage, Sc toujours de la meilleure foi du monde. Eft-ce que vous voulez époufer cet hommela , dis-je a cette fille ? mes parens Sc mes amis me le confeillent , me dit-elle ; de fon cóté il me preffe , Sc je ne fais que faire , je ne fuis encore céterminée a rien. Que me confeillezvous vous-même ; moi, rien, lui dis-je en boudant, vous êtes votre maitreffe ; époufez , Mademoifelle, époufez , puifque vous en avez envie : eh mon Dieu, Monfieur , me dit-elle en me quittant, comme vous me parlez , fi vous ne vous fouciez pas des gens, du moins difpenfez-vous de Ie dire ; pardi , Mademoifelle , c'eft vous qui ne vous fouciez pas d'eux , répondis-je : plaifaute déclaration d'amour, H j  ( 90) comme vous voyez ; c'eft pourtant la plus forte. que je lui ai faite , encore m'échappa-t-elle , Sc n'y fis-je aucune réflexion ; après quoi je m'en allai chez moi tout rêveur. Un de mes amis \ int m'y voir fur Ie foir. Savez-votts , me dit-il, qu'on d.oit demain paffer un contrar de manage eatre Mademoifelle une telle Sc Monfieur.... je fors de chez elle , Sc tous les parens y font aftuellement affemblés ; il ne paroit pas qu'elie en foit fort empreffée elle , je 1'ai même trouvée trifte , n'en feriez-vous. pas caufe. Comment! m'écriai-je, fans répondre a la queftion, on parle de contrat 1 eh ! mais, mon ami ,. je crois que je Paime , je I'aurois aufii bien époufée qu'un autre , Sc je voudrois de tout mon cceur e;npêcher ce contrat-la. Eh bien , me dit-il, il n'y a point de temps a, perdre ; courez chez elle, voyez ce qu'elie vous dira. Les chofes font pcut-ctre trop avancées ; repris-je le creur émn , Sc II vous avez la bonté d'aller vous-méme lui parler pour moi , vous me feriez grand plaifir , ajoutai-je d'un air ninis Sc hoiiteuxJ Volontiers, me dit-il, attendez-moi ici , j'y vaistout-a-l'heure , Sc je reviendrai fur ie champ vous rendre fa réponfe. II y alla donc , lui dit que je 1'rimois , Sc que. je demandöis la préférence fur l'autre : lui ? répon-j ftit-elle , voila qui eft plaifant , il m'en a fait un fecret; dites-lui qu'il vienne , nous verrons. A cette réponfe que mon ami me rendit , j'ac-. courus ; elle pafta dans une chambre a part oii je.: lui parlai. Que me vient donc conter votre ami , me ditelle , avec fes grands yeux aflez tendres ? Eft-ce que vous fongez a moi ? Eh ! vraiment oui, répondisje décontenancé ! eh que ne le difiez-vous donc, me répondit-elle ; comment faire a préfent, vetus, m'embarraiTez. Lèt-deffus je lui pris la main; vous êtes tui étran-  Cj>0 ge homilie , ajouta-t-elle. Eh pardi, lui dis-ja , ep: ce que je ne vaux pas bien l'autre? heureufeuie, t qu'il vient de fortir ; dit-elle ; il y a d'ailleurs uae petite difficulté pour le Contrat, 8c il faut voir fi on ne pourra pas en protiter ; il n'y a plus que mes parens la-dedans , entrons. Je la fuivis , je parlai a fes parens que je rangeai de mon parti; la Demoifelle étoit de bonne voionté , Sc quelqu'un d'eux pour finir fur le champ , propofa d'envoyer chercher le Notaire. Je ne pouvois pas dire non ; eh vite , eh vite , on part, le Notaire arrivé ; la tête me tourna de la rapidité avec laquelle on y alloit ; on me traita comme on voulut, j'étois pris , je fignai, on figna , Sc puis des difpenfes de bans. Pas le moindre petit mot d'arrrour au milieu de cela , Sc puis je Pépoufe , Sc le lendemain des noces , je fus tout furpris de me trouver marié ; avec qui; du moins , eif-ce avec une perfonne fort raifonnable, dis-je en moimêine. Oui, ma foi , raifonnable, c'étoit bien Ia connottre ; favez-vous ce qu'elie devint au bout de. tïois mois , cette fille que j'avois cru fi fenfée l Une bigotte de maüvaife humeur , férieufe , quoique bsbillarde , car elle alloit toujours critiquant) mes difcours 8c mes aftions i enfin , une folie grave qui ne me montra plus qu'une longue mine auf-tere , qui fe coèffa de la trilte vanité de vivre en reclufe ; nou pas au profit de fa maifon qu'elie. abandonnoit, elle auroit cru fe dégrader par le foin de fon ménage, Sc elle ne donnoit pas dans une piété fi vulgaire Sc fi unie : non , elle ne fe tenoit chez elle que pour pafier fa vie dans une oifivetécontemplative, que pour vaqucr a de faintes lecture dans un cabinet dont elle ne fortoit qu'avec tjne trifteffe dévote Sc précieufe fur le vifage , comme fi c'étoit un mérite devaut Dieu que d'avoir ce vifage-la. Et puis Madame fe mêloit de raifonner de Reli-  gton ; elle avoit des fentimens, elle parlolt de doctrine,c'étoit une Théologienne. Je 1'aurois pourtant laiflée faire , s'il n'y avoit eu qtte cela ; mais cette Théologienne étoit facheufe tk incommode. Retenois-je un ami a diner, Madame ne vouloit pas manger avec ee profane ; elle étoit indifpofée , £k dinoit a part dans fa chambre , oü elle demandoit pardon a Dieu du libertinage de ma conduite. II falloit être Moine ; ou du moins Prêtre ou Bigotte comme elle , pour être convive chez moi ; j'avois toujours quelque capuchon ou quelque foutane a ma table. Je ne dis pas que ce ne fuffent d'honnêtes gens ; mais cos honnêtes gens-la ne font pas faits pour être les camarades d'honnêtes gens comme nous , tk ma mailon n'étoit ni un Couvent, ni une Eglife , ni ma table un réfedtoire. Et ce qui m'impatientoit, c'eft qu'il n'y avoit rien d'afléz friand pour ces grands ferviteurs de Dieu , pendant que je ne faifois qu'une chere ordinaire a mes amis mondains tk pécheurs : vous voyez qu'il n'y avoit ni bon fens, ni morale a cela. Eh bien , Meflieurs , je vous en dis-Ia beaucoup , mais je m'y étois fait, j'aime la paix , tk fans un Commis que j'avois Un commis, s'écria le jeune homme en 1'interrompant; ceci eft confidérable. Oui , dit-il, j'en devins jaloux, tk Dieu veuille que j'aie eu tort de 1'être. Les amis de mon époufe ont traité ma jaloulie de malice tk de calomnie, tk m'ont regardé comme un méchant d'avoir foupc;onné une fi vertueufe femme de galanterie , une femme qui ne vifitoit que les Eglifes , qui n'aimoit que les Sermons , les Offices tk les Saluts : voila qui eft a merveille , on dira ce qu'on voudra. Tout ce que je fais, c'eft que ce Ctfmmis , dont j'avois befobi a caufe de ma charge , qui étoit le fils d'une femme de chambre de défunte fa mere ; mi grand benêt, fans efprit, que je garriois par  Ébfliplaifance , affez beau garcon au furplns , ct qui avoit la mine d'un prédelliné , a ce qu'ells difoit. Ce garcon , dis - je , faifoit ordinairement fes commifEons ■', alloit favoir de fa part comment le I bnrtoit le Pere un tel, la Mere une telle ; Monfieur celui-ci , Monfieur celui-la ; 1'un Curé ,. Vaptre Vicaire, l'autre Chapelain, ou fimple Ecclé- ; fhftique ; Sc puis venoit lui rendre réponfe, entroir dans fon cabinet , y caufoit avec elle , lui placoit . un tableau , un Agnus, un reliquaire : lui portoit des livres, quelquefois les lui lifoit. Cela m'inquiétoit, je jurois de temps en temps ;- : qu'eft-ce que c'eft donc que cette piété hétéroclite, _ difois-je ? qu'eft-ce que c'eft qu'une fainte qui' m'enleve mon Commis ? Aufii 1'uuion entr'elle Sc moi n'étoit-clle pas édifiante. Madame m'appelloit fa croix , fa tribulation ; mei je 1'appellois du premier nom qui me venoit, je ne choifiuois pas. Le Commis me fachoit, je ne m'y aCCQutumois point. L'envoyois-je un petr> loin , je 'e fatiguois. En vérité , dilbit-elle , avec avec une charité , qui , je crois , ne fera point le profit de fon ame ; en vérité, il fe tuera , ce pauvre ïgarcon. ( Cet aiiimal tomba malade , &C la fievre me prit a inoi Ie lendemain. Je 1'eus violente , c'étoient mes domeftiques qui me fervoient, 8c c'étoit Madame qui fervoit ce butor. Monfieur eft le maitre, difoit-elle la-deifus,'il 'n'a qu'a ordonner pour avoir tout ce qu'il lui faut; mais ce garcon , qui eft-ce qui en aura foin , fi je 1'abandomie? Aiiifi c'éroit encore par charité qu'elie me laiffoit-la. Son impertiuence me fauva peut-être la vie. J'en ■ fus fi outré que je guéris de fureur , 8c dès que je ;fus fur pied , le premier figne deconvalefcence que je donnai j ce fut de mettre I'objet de fa charité a  (94) , fa porte ; je 1'envoyai fc rétablir ailleurs. Ma béate en frémit de rage , 5c s'en vint comme en furie m'en demander raifon. Je fens bien vos motifs, me dit-elle , c'eft une infulte que vous me faites , Monfieur , 1'indiguita de v . foupcon6 eft vifible, tk Dieu me vengera , Monfieur , Dieu me vengera. Jc recus mal fes prédiftious ; elle les fit en fuïieufe , j'y répondis prefqu'èn brutal ; eh morbleu, lui dis-je , ce ne fera pas la fortie de ce coquin-ia qui me brouillera avec Dieu. Allons , retirez-vous avec votre piété équivoque ; ne m'échauffez pas la tête , êc laiffez-raoi en repos. Que fit-elle ? Nous avions une petite femme de chambre dans la maifon , aflez gentille , tk fort bon enfant, qui ne plaifoit pas a Madame , paree qu'elie étoir, je penfe , plus jeune tk plus jolie qu'elie , tk que j'en étois affez content. Je ferois peut-être mort daiis ma maladie fans elle. La pauvre petite fille me confoloit quelquefois des bizarreries de ma femme, tk m'appaifoit quand j'étois en colore ; ce qui faifoit que de mon cöté je la foutenoistk que j'avois de la bienveillancc pour elle. Je 1'ai même gardée ; paree qu'elie eft entendue , 8% qu'elie m'elt extrêmement utile. ^ Or ma femme , après qu'on eut diné , la fit venir dans fa chambre , prit je ne fais quel prétexte pour la quereller , la fouffleta fur quelque réponfe , lui reprocha eer air de bonté que j'avois pour elle » & la chaffa. Nanette ( c'eft le nom de cette jeune fille ) vint prendre congé de moi toute en pleurs , me conta fon aventure tk fon foufllet. Et comme je vis que dans tout cela , il n'y avoit qu'une malice vindicative de la part de ma femme ? va, va , lui dis-je , laifle-la faire , tu n'as qu'a refter , Nanette ; je ma charge du refte. Ma femme éclata , ne vovdut plus la voir ; mais ti  V je tuis bon , il faut être le maitre chez foi , fur-rouC I quand on a raifon de 1'être. Ma refiflance n'adoucit pas 1'aigreur de notre l|eommerce , nous nous parlions quelquefois , mais I pour nous quereller. I Vous obferverez , s'il vous plait , que j'avois Kp'ris un autre Commis qui e'toit 1'averfion de ma I; femme , elle ne pouvoit pas le fouffrir , aufli le pharceloit-elle a propos de rien , &c le tout pour | me chagriner ; mais il ne s'en foucioit guere , je lui f avois dit de n'y pas prendre garde , ck il fuivoit ■ptactement mes intentions , il ne 1'écoutoit pas. J'appris quelques jours après que ma femme I avoit envie de me poufiêr a bout. Dieu me fera peut-être la grace que ce brutal-la I me frappera , difoit-elle en parlant de moi ; je le Klus: oh que non ! lui dis-je, ne vous y attendez pas; I foyez convaiucue que je ne vous ferai pas ce plai■fir-la ; pour des mortifïcations , vous en aurez, elles I ne vous'maiiqueront pas , j'en fais vceu , mais voila.' Mon vceu me porta malheur , il ne faut jamais i j'urer de rien. Malgré mes louables réfolutions , 1 elle m'excéda tant un jour , me dit dévotement des Icbofts fipiquantes : enfin le Diable me tenta fi li>ien , qu'au fouvenir de fes impertinences &C du 1 fouffler qu'elie avoit donné a Nanette a caufe de I moi, il m'échappa de lui en donner un , en pré• fence de quelques témoins de fes amis. I' Cela partit plus vïte qu'un éclair; elle fortit fur Ble champ , m'attaqua en Juftice, ck depuis ce Ktemps-la nous plaidous , a mon grand regret : car «cette fainte perfonne , en dépit du Commis que j'ai llliis fur fon compte , ck qu'il a bien fallu citer, (pourroit bien gagner fon procés, fi je ne trouve H pas de puiffans amis , ck je vais en chercher a VerI bles. ! _ Ce foufïlet-la m'inquiete pour vous, lui dit notre t! jeuue homme , quand il eut fini j je crains qu'il ac  (96) . iuuie a votre caufe. II eft vrai que ce Commis eft; un article dont je n'ai pas meilleure idéé que j vous : je vous crois afl'urément très-aial-traité a cet égard , mais c'eft une affaire de confcience que, vous ne fauriez prouver, Sc ce malheureux fouftlet a cu des témoins. Tout doux , Monfieur , répondit l'autre d'un air» chagrin , laiffez-la les réflexions fur le Commis , s'il vous plair , je les ferai bien moi-même , fans'? que perfonne les faffe : ne vous embarraffez pas, le. fpufliet ira comme il pourra , je ne fuis faché a préfent que de n'en avoir donné qu'un ; quant atjl refte , fupprimons le coinmentaire. II n'y a peut-] être pas tant de mal qu'on le croiroit bien dans Paffaire du Commis, j'ai mes raifons pour crier. ] Ce Commis étoit un fot; ma femme a bien pu 1'ai-. mer fans le favoir tlle-même, Sc ofténfer Dieu dans] le fond , fans que j'y aie rien perdu dans la forme.j Et en un mot, qu'il y ait du mal ou non , quand! ie dis qu'il y en a , le meilleur eft de me laiffer, dire. . Sans doute , dit l'Ofiïcier, pour le calmer ; en; doit-on croire un mari faché, il eft fi fujet a fel tromper. Je ne vois moi-même dans le récit que^ vous venez de nous faire , qu'une femme infocia"ble Sc mifauthrope ; Sc puis c'eft tout. Chaugeons de difcours , Sc fachons un peu ce* que nos deux jeunes gens vont faire a Verfailles, ajouta-t-il en s'adreffant au jeune homme Sc a moi;; Pour vous , Monfieur, qui fortez a peine du Col-, lége , me dit-il, vous n'y allez appareinment que; pour vous divertir ou que par curioiité ? Ni pour 1'un , ni pour l'autre , répondis-je , j'yy vais demandtr un emploi a quelqu'un qui eft dans-| les aftaires, Si les hommes vous en refufent , appellez-en aux femmes , reprit il , en badinant. Eh vous, Monfieur , ( c'étoit au jeune homme a qui il parloit) avez-vous des affaires oii nous allons ? J'y  3 y vaisroirun Seigneur a qui je iïontim d^rnie» fement un livre qui vient de paroïtre Sc dont je fuis 1'Auteur, dit-il. Ah oui, reprit 1'Qflicier; c'eft ce livre dont nous parlions l'autre jour, lortque nous dinames enfemble. C'eft cela même , répondit le jeune homme. L'avez-vous lu , Monfieur, ajouta-t-il ? Oui, je le rendis hiera un de mes amis qui me 1'avoit prêté , dit i'Oftïcier. Eh bien, Monfieur , dites-mci ce que vous en peufez , je vous prie , répondit le jeune homme ? Que feriez-vous de mou iejitiinertt, dit 1'dificier ? I! ne décideroit de rien , Monfieur : mais encore , dit l'autre en ie preffant beaucoup, comment le trouvez-vous ? En vérité, Monfieur, reprit le Militaire, je ne fais que vous en dire, je ne fuis guere en état d'en juger , ce n'eft pas un livre fait pour moi, je fuis trop vieux. Comment, trop vieux, reprit le jeune homme ?' «ui, dit l'autre, je crois que dans une grande jeuneffe , on peut avoir du plaifir a lire , tout eft bon a cet age , oü 1'on ne demande qu'a rire , St oü 1'on eft li avide de joie , qu'on la prend comme on ■la trouve ; mais nous autres barbons nous y fom.mes un peu plus difliciles, nous reflernbloas , li'deflits , a ces friands dégoütés que les mets groffiers ne tentent point, 8c qu'on n'excite a matiger qu'en leur en donnant de fins Sc de choifis. D'ailleurs , je n'ai pas vu le defiein de votre livre , je ne fais a quoi il tend ni quel en eit le but. On diroit que vous ne vous êtes pas donné la peine de. chercher des idéés , mais que vous avez pris feulement toutes les imaginations qui vous "font venues, ce qui eft différent : dans le premier cas , on. travaille , onrejerte , on choifit; dans le fecond , on prend ce qui fe préfente , quelqu'étrange qu'il foit, Sc il fe préfente toujours quelque chofe ; car je penfè que 1'efprit fournit toujours bien ou mal- Au refte , fi les chofes purement extraordinaires Tome II. I  (93) , .. , toeiivent être eurïeufés, fi elles font plaifantës a force d'être libres , votre livre doit plaire ; fi ce n'eft a l'efprit, c'eft du moins aux fens ; mais je' crois encore que vous vous êtes trompé la-dedans, 6ute d'expérience , Sc fans compter qu'il n'y a pas grand merite a intéreficr de cette dern.erc maniere, !c que vous m'avez parit avoir aflez d'efprit pour reüflir par d'autres voies ; c'eft qu'en général ce n'eft pas connoïtre les Lefteurs , que d'efpérer de les toucher beaucoup par-la ; il eft vrai , Monfieur, öue nous fommes naturellement libertms , ou pour mieux dire, corrotnpus ; mais en fait d'efprit, il ne faut pas prendre cela a la lettre , ai nous traiter d'emblée fur ce pied-la. Un LeAcur veut etre meh'aéé i vous, Auteur , voulez-vous mettre la corrüption dans vos intéréts , allez-y doucement du moins , apprivoifez-la , mais ne la pouflez pas a b-Ce Leftéur aime pourtant les licences , mais non pas les licences extrêmes, exceflives ; celles-la ne font frlpportables que dans la réalite qui en anoucit 1'ef ronterie; elles ne font a leur place que la , 6c nous les y paflbns 5 paree que nous y fommes plus hommes qii'aiUeurs : mais non pas dans un byn oü elles devienn-rtplates, fales Sc rebutantes,a caufe du peu de convënance qu elles ontavee 1 etat tranquille d'un Lefteur. II eft vrai que ce Lefteur eft homme aufli, mais c'eft alors un homme en repos, qui a du goüt, qui eft déiicat, qui s'attend qu'on fera hre Ion eipnt , «mi veut pourtant bien qu'on le debauche.mais honnêtement , avec des facons, & avec de la décence, Tout ce que je dis-la n'empeche pas qu il n y alt de jolies chofes dans votre livre; aifurement j y en ai «marqué plulieurs de ce genre. A 1'égard de votre ftyle , je ne le trouve poi.it mauvais ; a 1'exception qu'il y a quelquefois nes phrafes alongées, ldches, St par-la conlules , emfcarraffantes, cequi vientapparemmeot cïe ce-que  lp ) vous n'avez pas aflez ciébrouiilé vos irfées , ou que vous ne les avez pas mifes dans un certain otdre ;•• mais vous ne faites que' comraencer, Monfieur., Sc c'eft un petit dcfaut dont vous vous corrigerez en écrivant, aufli-bien que celui de critiquer les autres , Sc lur-toiit de les critiquer de ce ton aifé Sc ■ badin que vous avez taché d'avoir ', Sc avec cette confiance dont vous rirez vous-mêmc, ou que vous vous reprocherez , quand vous ferez un peu plus^ Philofophe , Sc que vous aurez.acquis une certaine fagon de penfer pli:s mure Sc plus digne de vous ; , car vous aurez plus d'efprit que vous n'en avez, au. moins j'ai vu de vous des chofes qui le promettent, vous ne f:rez pas même grand cas de celui que vous avez eu jufqu'ici, Sc a peine en ferez-vous un peu de tout celui qu'on peut avoir : voila du moins. Comment font ceux qui ont le plus écrit, a ce qu'on leur entend dire. Je uc vous-parle de critique , au rftfte ,-qu'a 1'occafion de celle que j'ai vue dans votre livre , &c qui regarde un des convives ( Sc il Is nomina, \ qui, étok avec nous le jour que nous «marnes enfemble, Sc je vous avcuie que j'ai été furprjs de trouver ein-, quante ou foixsnte page de votre Ouvrage , pefrmjrient employees comit lui ; en véiiré, je \oudrois .bien , pour 1'amour de vous, qu'eiltS n'y fufient; pas. Mais neus voici arrivés , nous m'avez. demandc mon fentiment, je vous 1'ai dit en homme qui ri-nc vos taltns, Sc qui fouhaite vous voir un jour 1'objef d'autant.de critiques qu'en en a fait contre celui dont nous parions ; peut-être n'en ferez-vous pas pour cela plus habile homme qu'il 1'eft , mais du moins ferez vous alors la figure d'un homme qut pjioitra valoir quelque chofe. _ Voila par oü fiuit i'Oflkier , Sc je rapporte fon difcours a-peu-prés comme je le compris alors. Notre voiture arrêta la-deiïus , nous' defceuii-. mes Sc chacun fe fep ara. li  ( 100 ) II n'étoit pas elicore midi , 8t je me hatai d'afiér porter ma lettre a Monfieur de Fécour , dont je n'eus pas de peine a apprendre la demeure ; c'étoit un homme dans d'affez grandes affaires , Sc extrêment i.onnu des MmiftreS. II me fallut traverfer plufieurs cours pour arriver jufqu'a lui, Sc enfin on m'introduifit dans un grand cabinet , oü je le trouvai en aflez nombreufe ■compagnie. Monfieur de Fécour parohToit avoir cinquantecinq a foixaute ans ; un affez grand homme , de peu d'embonpoint , très-brun de vifage , d'un férieux , non pas a glacer , car ce férieux-ia eft nature' , Sc vient du caraftere de 1'efprit. - Mais le fien glagoit moins qu'il n'humilioit : c'étoit un air fier Sc hautain qui vient de ce qu'on fonge, a fon importance , Sc qu'on veut la faire rcfpecter. Les gens qui nous approchf nt fentent ces différences»la plus ou moins confufement ; nous nous. «onnoiffons tous fi bien en orgueil, que perfonne ne fauroit nous faire un fecret du fien ; c'e.t quelquefois même , fans y penftr, la première chofe a quoi 1'on regarde en abordant un inconnu. Quoi qu'il en foit, voila 1'imprefiion que me fit Monfieur de Fécour. Je m'avancai vers lui d'un ah?1 Fort humble ; il écrivoit une lettre r je penié, pen-; dant que fa compagnie caufoic Jc lui fis mon compliment, avec cette émotion qu'on a quand on eft un petit perfonnage , Scqu'oit vient deinander une grace a quelqu'un d'important qui ne vous aide , ni ne vous encourage , qui r.e vous regarde point ;car Monfieur de Fécour entendit tout ce que je lui dis , fans jetter les yeux fur moi. Je tenois ma lettre , que je lui préfentois, St' qu'il ne prenoit point; St fou peu d'attention me lailïöit dans une pofture qui étoit rifible , St dont je-ne favois pas comment me rèmettre. II y avoit d'ailleurs. la cette compagnie dont j'ai.  parle , ck qui me regardoit ; elle étoit compofée de trois ou quatre Mefiieurs, dont pas un n'avoit I une mine capable de mc réconforier. C'étoient de ces figures non pas mngniiiques , mais opulentes , devant qui la miemie étoit li ravalée , malgré ma petite doublure de foie. Tous gens d'ailleurs d'un certain age , pendant que je n'avois que dix-huit ans , ce qui n'étoit pas un article li indifférent qu'on le croiroit ; car fi I vous aviez vu de quel air ils m'obfervoicnt, vous ailriez jugé que ma jeuneffe étoit encore un raotif de confufion pour moi. A qui en veut ce policon-la avec fa lettre ? fembloient-ils me dire par leurs regards libres , hardis ,, Sc pleins d'une curiofité fans facon. De forte que j'éroit-la comme un fpeétacle de liiince yaleur , qui leur -fonrniflbit un moment dei diltractioii , Sc qu'ils s'ainufoieut a méprifer en paffant. L'un in'examinoit fuperbement de cöté; l'autre. '. fe proraeliant dans ce vaftc cabinet, les mains derrière le dos , s'arrêtoit quelquefois auprèj de M. de Fécour qui continuoit d'ecrire ; 5c puis ce mettoit de la a me cdnfidérer coinmodément Sc a fon S aife. Figurez-vous la contenance que je devois tenir. L'autre , d'uii air perilif Sc occupé, fixoit les yeux fur moi comme fur un meuble ou fur une murfiiile , Sc de 1'air d'un homme qui ne fonge pas ii ce qu'il voit. . Et celui-la pour qui je n'étois rien , m'embarraffoit tout autant que celui pour qui j'étois ff peu de chofe. Jefentois fort bien que je n'y gagnois pas plus de cette facon que d'une autre. ^ Enfin , j'étois fi pénétré d'une confufion inté; rieure. Je n'ai jamais oublié cette fceiie-la ; je fuis ; devenu riche aufli, Sc pour le moins autant qu'aucun de ces Mefiièlirs dont je parle ici ; Sc je fuis encore a comprendre qu'il y ait des hommes dou.ï  C r°0 I'ame devienne ai-fli cavaiiere que je te dis-la pour celle de quelque homme que ce foit. A la fin pourtant , Monfieur de Fécour finit fa.. Lettre, cle forte que tendant la main pour avoir celle que j.e lui préfêntois ; voyous , me dit-il , ik tont de Iuite , quelle heure eft-il , Mefiieurs ïPrés de midi , répondit négligemment celui qui fe promenoit en long , pendant que Monfieur de Fécour décachetoit la lettre qu'il lut aflez rapidement. Fort bien , me dit-il,. après favoir lue, voila le cinquieme homme depuis dis-huit mois pour qui. ma belle-fceur m'écrit ou me parle , ck que je place ; je ne fus. oii elle va chercher tous ceux qu'elie m'envoie , mais elle ne finit point , ck en voici un. qui m'eit encore plus recommandc que les autresL'originale femme ; tenez , vous la recounoitrcz bien a ce qu'elie m'écrit, ajouta-t-il en donnant la lettre a un de ces Mefiieurs. Et puis je vous placerai , me dit-il, je m'en retourne demain a Paris, venez me trouver le lentdemsin. Lardefius , j'allois prendre congé de lui , quand il m'arrêra. Vous êtes bien jeune , me dit-il; que favez vous Faire ? rien , je gage ? Jc n'ai encore été dans auctm emploi, Monfieurr lui répondis-je. Oir! je njien doutoisbien , repritil , il ne m'en vient point d'autre de fa part; ck ce. fera un grand Eonheur fi vous favez écrire. Oui, Monfieur , lui ciis-j;.- en rougiiïant, je fais même uïi peu d'Arithmétique ; comment donc , s'écria-t-il en plaifantant , vous nous fakes trop de grace 1 Allez , jufqu'après demain. Sur quoi je me retirois avec 1'agrément de laiffer ces Mefiieurs riant de tout leur cceur de mon Arithmétique , &. de mon écriture , quand il vint un Juaquais oui dit a Monfieur de Fécour qu'une appel-  lce Madame une telle ( c'eft ainfi qu'il s'expllqua ) demandoit k lui parler. Ha , ah ! répondit-il, je fais qui elle eft , elle arrivé fort k propos , qu'elie entre : Sc vous , reftez , (c'étoit a moi a qui il parloit. } Je reftai donc , Sc fur le champ deux Dames entrerent qui étoient modeftement vêtues, dont l'une étoit une jeune perfonne de vingt ans , accompagnée d'une femme d'environ cinquante. Toutes deux d'un air fort trifte ; Sc encore plus fuppliant. Je n'ai vu de ma vie rien de fi diftingué ni de fi touchant que la phyüononaie de la jeune ; on ne pouvoit pourtant pas dire que ce fiat une belle femme , il faut d'autres traits que ceux-la pour faire une beauté. Figurez-vous un vifage qui n'a rien d'aflez bril— lant ui d'aflez régulier pour furprendre les yeux , mais k qui rien ne manque de ce qui peut furprendre le cceur , de ce qui peut infpirer du refpeét , de la tendreffe , Sc même de 1'amour , car ce qu'on fcntoit pour cette jeune perfonne étoit mêlé de tout ce que je dis-la. C'étoit pour ainfi dire une ame qu'on voyoit fur ce vifage , mais une ame noble , vertüeufe Sc tendre ; Sc par conféquent charmante a voir. Je ne dis rien de la femme agée qui l'accompagnoit, Sc qui n'intéreflbit que par fa moüeftie Sc fa triftefiê. Monfieur de Fécour , en me congédiant , s'étoit levé de fa place , Sc caufoit debout au milieu du cabinet avec fes Mefiieurs; il falua aflez négligeminent la jeune Dame qui i'aborda. Je fais ce qui vous amene, lui dit-il , Madame ; j'ai révoqué votre mari ; mais ce n'eft pas ma faute. s'il eft toujours malade Sc s'il ne peut exercer fon emploi ; que voulez-vous qu'on faffe de lui ? ce font des abfeuces continuelles. D>uoi! Monfieur , lui dit-elle d'un ton fait pour  (l04) tout obtenïr , n'y a-t-il plus rien a efpérer ? il.eft vrai que mon mari eft d'une fanté fort foible , vous avec eu jufqu'icï la bonré d'avoir égard a fon état; faites-nous encore la même grace , Monfieur , ne nous traitez pas avec tant de rigueur ; ( Sc ce mot de rigueur dans fa bouche , percoit 1'ame , ) vous nous jetteriez dans un embarras dont vous feriez touché fi vous le connoiffiez tout entier ; ne me laiffez poinr dans 1'afiliftion oü je fuis, Sc oü je m'en retournerois , li vous étiez inflexible : (inflexible , il n'y avoit non plus d'apparence qu'on put 1'étre ;) mon mari fe rétablira , vous n'ignorez pas qui nous fommes , 6C le befoin extréme que nous avons de votre proteétion , Monfieur. Ne vous imaginez pas qu'elie pleura en tenant ce difcours ; 8c je penfe que li elle avoit pleuré, fa douleur en auroit eu moins de dignité, en auroit paru moins férieufe Sc moins vraie. Mais la perfonne qui 1'accompagnoit, Sc qui fe tenoit un peu au-deflbus d'elle, avoit les yeux mouillés de larmes. Je ne doutai pas un inftant que Monfieur de Fécour ne fi rendït; jc trouvois impofiible qu'il réfiftat: helas ! que j'étois rieuf, il n'en fut pas feulementému. Monfieur de Fécour étoit dans 1'abondance ; il y avoit trente ans qif'il faifoit bonne chere ; on lui parloit d'embarras, de befoin , d'indigence même au mot prés, Sc il ne favoit pas ce que c'étoit que tout cela. II falloit pourtant qu'il ent le cceur naturellement dur ; car je crois que la profpérité n'acheve d'endurcir que ces cceurs-la. II n'y a plus moyen , Madame , lui dit-il , je ne puis plus m'en dédire 7 j'ai difpofé de 1'emploi ; voila un jeune homme a qui je 1'ai donné, il vous le dira. A cette apoftrophe.qni me fit rougir , elle jetta  (I0^ ,.,„,. un regard fur mol, mais un regard qui m'adrefloiP un fi doux reproche ; eh quoi ! vous aufii , fembloit-elte me dire : vous contribuez au mal qu'orS me fsit. Eh non ! Madame , lui repondis-je dans le même langige , fi elle m'entendit; eh puis ! c'eft donc :l'emploi du mari de Madame que vous voulez que. ;j'nie , Monfieur, dis-je a Monfieur de Fécour? [t)ui , reprit-il, c'eft lui-même : je fuis votre fer-< Viteur , Madame. I Ce n'eft pas la peine , Monfieur , lui répondis-je> en 1'arrétant. J'aime mieux attendre que vous m'en douniez un autre quand vous le pourrez ; je nefuis' pas fi preffé , permettez que je laifle celui-la a cet honnête homme ; fi j'étois a fa place , 6t maladé Icomaie lui, je ferois bien-aife qu'on en usat envers, moi , comme j'en ufe envers lui. La jeune Dame n'appuya point ce difcours, ce 'qui étoit un excellent procédé , ik les yeux baiffés* attendit en filence que Monfieur de Fécour prit fon parti , fans abufer par aucune inftance de Ja générolité que je témoignois , &. qui pouvoit feiviï Id'exemple a notre Patron. Pour lui, je m'appercus que 1'exemple 1'étonna fans lui plaire , &C qu'il trouva mauvais que je> me donnafte les airs d'être plus fenllble que lui- Vous aïmez donc mieux attendre , me dit-il r voila qui eft nouveau < Eh bien , Madame , retour* Kez-vous-en , nous verrons a Paris ce qu'on pourra faire , j'y ferai après demain ; allez , me dit-il t'moi, je parlerai a Madame de Fécour. La jeune Dame le falua profondément fans rien repliquer ; l'autre femme la fuivit, ck moi de mê| mê , tk nous fortlines tous trois ; mais du ton dont notre homme nous congédia , je défefpérai que . mon aêtion put fervir de quelque chofe au mari'de la jeune Dame , tk je vis bien a fa mine qu'elie n'en auguroit pas une meilleure réuflite. Mais voici ce qui va. vous furprcndre ; uu de ces  C 106) Mefiieurs qui étoit avec Monfieur de Fécour, fortit un moment après nous. Nous nous étions arrêtés Ia jeune Dame Sc moi fur 1'efcalier, 011 elle me remercioit de ce que je venois de faire pour ei ie , tk m'en marquoit une reconnoiffance dont je la voyois réellement pénétrée. L'autre Dame, c 'elle nommóit fa mere, joign'óitfes remerciemens aux lïens , &C je préfentois la main a la fille pour 1'aider a defcendre, ( car j'avois déja appris cette politeflè , tk on fe fait honneur de ce qu'on fait ) quand nous vimes venir k nous ceiui de ces Mefiieurs dont je vous ai parlé , ck qui s'approchant de la jeune Dame: ne dinezvous pas a Verfailles avant que de vous en retourner , Madame , lui dit-il, en bredouillant, tk d'un . ton hrufque ? Oui , Monfieur, répondit-elle. Eh bien , reprirïl, après votre diner, venez me trouver a telle Anberge oü je vais , je ferois bien aife de vous parler, n'y manquez pas : venez-y audi , vous , me dit-il, ck a la même heure vous n'en ferez pas faché, entendez-vous j adieu , bon jour , tk puis il paifafon chemin. ^ Or ce gros tk petit homme , car i! étoit 1'un ck l'autre , aufii bien que bredouilleur , étoit celui dont j'avois été le moins mécontent chez Monfieur de lécour , celui dont la contenance m'avoit paru la moins facheufe , il eft bon de remarquer cela , chemin fajfant. Soupconnez-vous ce qu'il nous veut, me dit la jeune Dame ? non , Madame , lui répondis-je ; je 11e fais pas même qui il eft , voila la première fois de ma vie que je le vois. Nous arrivames au bas de 1'efcalier en nous entretenant ainfi , tk j'allois a regret prendre congé d'elle ; mais au premier figne que j'en donnai : puifque vous tk ma fille devez vous rendre tantót au même endroit, ne nous quittez pas , Monfieur, : me dit la mere , tk faites nous 1'liouneur de venir  I ttmef avec nous ; auffi-bien après le fervice , qns ■ivous avez taché c!e nous rendre, ferions nous mor|tifiécs de ne eonnoittre qu'en paffant un aufli honl-nête homme que vous. I M'inviter a cette partie , c'étoit devïner mes deiflrs. Cette jeune Dame avoit un charme fecret qui |me retenoit auprès d'elle , mais je ne croyois que iTeflimer , ls plaindre , £t m'intérellêr a. ce qui la pegardoit. I D'ailleurs j'avois eu un bon procédé pour elle , Z< on fe plait avec les gens dont on vient de mériIter la recoanoiffance. Voila bonnement tout ce que Me comprenois au plaifir que j'avois a la voir; car Ipour d'amour , ni d'aucun fentiment approchant, |'il n'en étoit pas queftion dans mon efprit, je n'y ï.fongcois pas. I Je m'applaudiflbis même de mon affection pour [ elle , comme d'un attendriflement louable, comme B'une vertu , £t il y a de la douceur a fe fentir verItueux ; de forte que je fuivis ces Dames avec une linnocence d'intention admirable, 8c en me difant i intéiieurement, tu es un honnête homme. I 'Je remarquai que la mere dit quelques mots h ïpart a rhoteflë , pour ordouner fans doute quelque tapprêt; je n'ofai montrer que je foupgonnois fon ■ntention , ni m'y oppofer, j'eus peur que ce ne jtfut pas favoir vivre. Un quart d'heure après on nous fervit, Sc nous '. nous mimis a table. I Plus je regatde Monfieur , difoit la mere , & &pliis je lui trouve un phyfionomie digne de ce qu'il j a fait chez Monfieur cc Fécour. Eh mon Dieu, Ma■ame , lui répondis-je , qui eft-ce qui n'en auroit Ipas fait autant que moi , eu voyant Madame dans f;la douleur oü elle étoit ? qui eft-ce qui ne voudroit spas la tirer de peine? 11 eft bien ifte de ne pouvoir Hen quand on rencontre des perfonnes dans 1'afflicI rion , 8c fur-tout des perfonnes aufli eftimables [ tju'elle 1'eft. Je n'ai de ma vie été fi touehé que ce  tnatifl , j aurois pleuredebon cceur , fi je nè m'ca ! étois pas empêché. Ce difcours , quoique fort ilmple , n'étoit plus ! d'un payfait , comme vous voyez : on n'y fintoit i plus le jeune homme de Village , mais feulement l le jeune homme naïf St bon. Ce que vous dites , ajoute encore une nouvelle f ©bügation a celle que nous vous avons. Monlieur, ,: dit la jeune Dame en rougiffant, fans qu'elle-mêmê j fut pourquoi elle rougilToit peut-être ; a moins qrte \ ce ne fut de ce que jc m'étois attendri dans mes j Cxprefiions, St tïe ce qu'elie avoit peur d'en êtrS trop touchée ; St il eft vrai que fes regards étoient plust -x que fes difcours ; elle ne me difoit que Ce qu'cJe vouloit, s'arrêtoit oü il lui plaifoit; mais quand elle me regardoit, ce n'étoit plus de même, ' & ce qu'il me paroiffoit. Et ce font-la des r'emarques que tout le monde peut faire , fur-tout dansles difpofidons oü j'étois. De mon cóté , je n'avois ni la ga:eté , ni la vi-J vacité qui m'étoient ordinaire , St pourtant j'éiois charmé d'être-la 5 mais je fongeois a être honnête St refpeflueux ; c'étoit tout ce que cet aimable vifage me permettoit être ; on n'eft pas ce qu'on veut avec de certaines mines ; il y en a qui vous en impofent. Je ne fmirois point fi je voulois rapporter tout ce que ces Dames me dirent d'cbligeant, tout ce qu'elles me témoiguerent d'efcime. Je leur demandai oü elles demeuroient a Paris, St elles me 1'apprirent, auffi-iu&n que leur nom, avec une amitié qui prouvoitl'envie lincere qu'elles avoient de me voir. C'étoit toujours la mere qui répondoit la première , enfuite venoit la fille qui appuyoit modeftement ce qu'elie avoit dit , St toujours a la fin de fon difcours un regard oü je voyois plus qu'elie ne me difoit. Enfin notre repas finit; nous pariames du rendez- VOlfS  Vous que nous avlons, qui nous paroiftbit tres*fingulier. Deux heures fonnerent , ck nous y allames ; on nous dit que notre homme achevoit de diner ; 8c | comme il avoit averti les gens que nous vien«.«lricns, on nous fit entrer dans une petite falie oü fenous fattemlunes, ik oü il viut quelques inftans I après , un cure-dent a la main. Je parle du curei. dent, paree qu'il fert a caraétérifer la réception J qu'il nous fit. II faut le peindre , comme je 1'ai déja dit , un > gros homme , d'une taille au-defibus de la médiocre , d'une allure slfez pefante , avec unc mine de grondeur , ck qui avoit la parole fi rapide , que de q'-ntre mots qu'il difoit , il en culbutoit la moitié. Nous le recümes avec force révérences qu'il )| «ous laiffa faire tant que nous voulimes ; fans être eale ment du moindre falut de i\ tête ; ck je ne crois pas que ce fut par fierté ; mais b-en par un pur oubli de toute cérémonie ; c eft que j; cela lui étoit plus commode , ck qu'it avoir petit a - : petit pris ce pli-la , a force de voir journellement ! des fubalternes de fon tnétjir. ■ II. s'avanca vers la jeune Dame avec Ie cure-nent, = , comme vous voyez , accempagnoir fort bien la fijnplicité de fon accueil. Ah ! bon , lui dit-il, vous voila } ck vous aufli , r| ajouta-t-il en me regardant } eh bien, qu'en:- £ | que c'eft , vous êtes donc bien trifte ? pauvre jeune femme ! ( 011 fent bien a qui cela s'adretro*) : qui eft cette Dame-la avec qui vous etes ! elt ce . I votre mere , ou votre parente ? ... Je fuis fa fille , Monfieur , répondit la jeune pera fonne. Ah ! vous êtes fa fille , voila qui eft bien , elle a 1'air d'une honnête femme , ck vous a.iffi ; j'aime les honnêtes gens , moi. Et ce man queue er„ec» d'homme eft-ce ? d'oü vient donc qu il eft jfi fouvent malade \ eft-ce qu'il eft vieux ? n'y a-t-il pas unpeu de débaucke dans fon fait ? Toutes quelTome II, &  . . ("O) tions tjui etoienr aflez dures, 8c pourtant farres svtt la meilleure inrention du monde , ainfi que vous le verrez dans la fuite , mais qui n'avoient rien de inoèüeux , c'étoit prefque autant de petits affronts •Ü efliiyer pour 1'amour propre. On dit de certaines gens qu'ils ont la main lourde ; cet honnête homme-ci ne 1'avoit pas légere. Revenons : c'étoit du mari dont il s'informoit; il n'eft ui vieux ni débauché , répondit la jeune Dame : c'eft un homme de trés-bonnes mtcurs , qui n'a que trente-cinq ans , 8c que les malheurs qui lui font arrivés ont accablé ; c'eft le chagrin qui a ruiné fa fanté. Oui-da , dit-il , je le croirois bien , le pauvre homme ; cela _ eft facheux : vous m'avez touché lautót , aufli-bien que votre mere, j'ai pris aarde qu'elie pleuroit : eh dites moi ; vous avez °donc tien de la peine a vivre ? quel age avez vous ? ? Vingt ans , Monfieur, reprit-elle en rougiflant.' vingt ans, dit-il ; pourquoi femarier fi jeune ? \-ous voyez ce qui en arrivé : il vient des enfans , des traverfes , on n'a qu'un petit bien , 8c puis on fouffre , Sc adieu le ménage. Ah ca , n'importe , elle eft gentille votre fille , fort gentille , ajoutat-il, en parlant a la mere j'aimerois aflez fa figure , mais ce n'eft pas a caufe ne cela que j'ai eu envie de la voir ; au contraire, puifqu'elle eft fage , je veux 1'airier , Sc lui faire du bien. Je fais "rand cas d'une jeune femme qui a de Ia conduite quand elle eft jolie Sc mal a fon aife , je n'en ai guerre Vu de pareilles ; on ne fuit pas les autres, mais •n ne les eftime pas. Continuez , Madame , continuez d'être toujours de même : tenez , je fuis •aufli fort content cle ce jeune homme-la , oui , trésédifié , il faur que ce foit un honnête garcon , de Ja maniere dont il a parlé tantót ; allez , vous êtes un bon cceur, vous m'avez plu ; j'ai de 1'amitié pour vous ; ce qu'il a fait chez Monfieur de Fécour eft fort beau , il m'a étonné. Au refte , s'il ne  (III) f (Jus uoniie pas utl autre emploi ( c'e'tolt a mol Sr Wa il parloit Sc de Monfieut de Fécour , ) j'aurai f foin de vous , je vous le promets ; venez me voir Paris , Sc vous de même ( c'étoit a la jeune Da| me que ces paroles regardoient ; ) il faut voir a quoi Monfieur de Fécour fe dérerminera pourvoItre mari : s'il le rétablit, a la bonne heure ; mais lindépendamment de ce qui en fera , je vous rendraï Kervice , moi, j'ai des vues qui vous conviendront, |8t qui vous feront avantageufes. Mais affeyons^nous , êtes-vous preffée ? il n'eft que deux heures i8t demie , contez-moi un peu vos affaires , je feKU bieu-aiie d'têre un peu au fait : d'oü vient efttk que votre mari a eu des malheurs • eft-ce qu'il étoit riche ? de quel pays êtes-voue ? I t D'Orléans , Monfieur , lui dir-elle ? ah d'Or-.' léans, c'eft une fort bonne Ville, reprit-il ; y avez, lyous vos parens ? qu'eft-ce que c'eit que votre hiftoire ? j'ai encore un quart-d'heure a vous donnerj 8c comme je m'iutéreffe a vous, il eft naturel que je fcachc qui vous êtes, cela me fera plaifir ; voyons. \ . Monfieur, lui dit-elle , mon hiftoire ne fera pas Uonguc. | Ma familie eft d'Orléans , mais je n'y ai point Bté élevée. Je fuis la fille d'un Gentiihomme peu 'ïiche , Sc qUi denieuroit avec ma mere adeuxlieues me cette Ville , dans une Terre qui lui reïtoit des bleus de fa familie , Sc oü il en mort. I Ha , ha ! dit Monfieur Bono ( é'etoit le nom He notre Patrorj ) la fille d'un Gentildomrne : a la lipnne heure ; mais a quoi cela fert-il, quand il efl pauvre ? Continuez. I II y a trois ans que mon mari s'attacha a moi , «eprit-eile : c'étoit un autre Gentiihomme de nos gpifins; bon , s'écria-t-il la-deffus , le voila bien avancé dans fa noblelfe : après. I Comme on metroüvoit alors quelques agrémens ; pui-da, dit-il j on avoit raifon, ce n'eft pas ce qui  volts manque : oh , vous étiez mignonne , Sc UilO des plus jolies filles du cauton , j'en fuis sur : eh i>ien ! J'étois eu même-temps recherchéc , dit-elle,. par un riche Bourgeois d'Orléans. Ah ! paffe pour celui-la, reprit-il encore , voila du foüde ; c'étoit ce Bourgeois-la qu'il falloit. prem're. Vous allez voir , Monfieur , pourqudi je ne l'ai| pas pris : il étoit bien fait ; je ne le haïffois pas A non que je 1'aimaffe ; je le fouffrois feuiement plus | voloutiers que le Gentiihomme , qni avoit ponitant autant de mérite que lui \ Sc comme ma mere qui . étoit la feiile dont je dépendois alors , car mon pere.3] étoit mort. Comme , dis-je , ma mere me laiflbit le choix' des deux , je ne doute pas que ce léger fentimeri de préfércuce que j'avois pour le Bourgeois, nem'eüt enfin déterminée en fa faveur , fans un acci-5 dent qui me fit teut d'un coup pencher du cöté Ae4 fon rival. On étoit a 1'entrée de 1'hiver , Sc nous nous pro-ó menions un jour ma mere Sc moi le long d'une fo-J rêt avec ces deux Mefiieurs ; je m'étois un peu écar-f tée , je nefais pour quelle bagatelle a laquellc je>| m'amufois dans cette campagne , quand un loup fu-j rieux forti de la forêt, vint a moi eu me pourfui-^ vant. Jugezdema frayeur , je me fauvai vers ma com-"^ pagnie en jettant de hauts cris. Ma mere épouvan-. j téeVo nltit fe fauver aufli, Sc tomba de précipita- .| tion ; le Bourgeois s'enfuit, quoiqu'il eüt une epee ' a fon cöté. Le Gentiihomme feu! tirant la fienne , refia , ac- i co'urut a mOi , fit face au loup , Sc 1'attaqua dans;' le moment qu'il alloit fe jetter fur moi, Sc me dévorer. Tl le tua , non fans courir rifque de la vie , car A li futbleflc en plufieurs endroits, Sc même reuverfé  Cn5) rar le loup , avec qni il fe rouJa long-temps fur la terre fans quitter fon e'pée , dont enfin il acheva ce furieux animal. Quelques payfans , dont les maifons étoient voifines de ce lieu , ck qui avoient entendu nos cris , ne purent ar; ^ver qu'après que le loup fut tué , Sc enleverent le Gentiihomme qui ne s'éroit pas encore relevé, qui perdoit beaucoup de lang , & qui avoir befoin d'un prompt fecours. . De mon cöté j'étois a fix pas de la , tombée Se évanouie aufli-bien que ma mere qui étoit un pen plus loin dans le même état , de forte qu'il fallut nous emporter tous trois jufqu'a notre maifon » dont nous nous étions aflez écartés en nous promenant. Les morfures que Ie loup avoit faire* au Gentiihomme étoient fort guériffables ; mais fur la fureur de cet animal , on eüt peur qu'elles ifeufTeiic les fuites les plus affreufes ; ck dès Ie Iendemain ce Gentiihomme , toutbieflé qu'il étoir, partit de chez; nous pour la mer. Jevousavoue, Monfieur, que je reflai nénétrée du mépris qu'il avoit fait de fa vie pour moi ( car il n'avoit tenu qu'a lui de fe fauver aufli-bien que fon rival ) 8t encore plus penétrée , de voir qu'il ne tiroir aucune vanité de fon aüion , qn'U ne s'en faifoit pas valoir davantage, ck que fon amour n'en avoit pas pris plus de confiance. Je 11e fuis plus aimé, Mademoifelle, nie dit-H feuiement en partant ; je n'ai point le bonheur de vous plaire ; mais je ne fuis point II malheurenx, puifque j'ai eu celui de vous montrer que rien ne m'eft fi cher que vous. Perfonne a préfeat ne me dolt 1'être autant que vous non plus , lui répondis-je fans aucun détour , St devant ma mere , qui approuva ma réponfe. Oui, oui, dit aldrs Monfieur Bono , voila qui eft a merveille , il n'y a rien de fi beau que ces fentimens-la j quand ce feroit pour un Roman, je vois K j  bien que vous 1'épouferez a caufe des morfures » mais tenez , j'aimerois encore mieux que ce loup r e> fut pas venu ; vous vous en fcriez bien paffe , car il vous fait grand tort: St le Bourgeois a propos court-il encore ? Eft-ce qu'il ne revint pas ? II ofa reparoïtre dès le foir même , dit la jeune Dame. II revint au logis , 8t foutint pendant mne heure la préfënce de ce rival bleffé , ce qui me le rendit encore plus me'prifable qus fon manque de courage dans le péril ou il m'avoit abandonnée. Oh ! ma foi dit Monfieur Bono ; je ne fais que vous dire , fervitcur a 1'amour en pareil cas \ pour la v ifite paffe , je la blame > mais pour ce qui eft de fa füite , c'eft une autre affaire, je ne trouve pas qu'il ait fi mal fait, moi ; c'étoit-li un fort vilain animal, au moins , St votre mari n'étoit qu'un étourdi dans le fond. Achevez , Ie Gentiihomme revint, St vous 1'epousates , n'eft-ce pas ? Oui , Monfieur , dit la jeune Dame , je crus y être obligée. Ah ! comme vous voud rez, reprit-il la-deffus ; mais je regretre la fiiyard , il valoit mieux pour vous , puifqu'il étoit riche; votre mari étoit expediënt pour tuer des loups , mais on ne rencontre pas toujours des loups fur fon chemin, St on a toujours befoin d'avoir de quoi vivre. Mon mari , quand jc 1'époufai, dit-elle , avoit du bien , il jonisfoit d'une foitune fumfante. Bon , reprit-il, fufflfaüte , a quoi cela va-t-il ? tout ce qui n'eft que fuffifant ne fuftit jamais ; voyons » comment a-t-il perdu cette fortune ? Par un procés , reprit-elle , que nous avons eu contre un Seigneur de nos voifins , pour des certains droits ; procés qui n'étoit prefque rien d'aberd , qui eft devcnu plus coniidérable que nous ne 1'avions cru , qu'on a gagné contre nous a force de crédit , St dont la perte nous a totalement ruines. II a fallu que mon mari foit venu a Paris pour tacher d'obtenir quelque einploi, on le recgra->,  ( "O Kianda a Monfieur de Fécour, qui lui en donna un ? c'eft ce même emploi qu'il lui a öté ces jours paffésr 8c que vous avez cntendu que je lui redemandois. J'ignore s'il le lui rendra , il ne m'a rien dit quï me le promette ; mais fe pars bien confolée , Monfieur, puifque j'ai eu le bonheurde rencontrer une perfonne aufii généreufe que vous , Sc que vous avez la bonté de vous intéreftér k notre fituntlon. Oui, oui , dit-il, ne vous affiigez pas , comptez fur moi , il faut biênfecourir les gens qui font dans la peine , je voudrois que perfonne ne fouffrit, voila comme je penfe , mais cela ne fe peut pas. Et vous, mon garcon , d'oü êtes-vous , me dit-il a moi ? De Champagne , Monfieur , lui-répondis-je. Ah ! du pays du bon vin , reprit-il , j'en fuis bieu-aife ; vous y avez votre pere ? Oui , Monfieur ; tant mieux , dit-il , il pourra donc m'en faire venir ; car On y eft fouvent trompé : eh ! qui êtes-vous ? Le fils d'un honnête homme qui demeure k la campagne , répondis-je ( c'étoit dire vrai) Sc pourtant efquiver ie mot de 1'ayfan qui me paroifibit dur ; les fynonymes ne font pas défendus , Sc tant que j'en ai trouvé la-deffus , je les ai pris , mais ma vanité n'a jamais paffe ces bornes-la ; Sc j'aurois dit tout net,je fuis ie fils d'unpayfan,fi le mot de fils d'un homme de la campagne ne m'étoit pas venu. Trois heures formerent alors : Monfieur Bono tira fa montre , Sc puis fe levant, ah ga dit-il , je vous quitte , nous nous reverrons a Paris , je voife y attends , Sc je vous tiendrai psrole : bon jour , je fuis votre ferviteur : A propos , vous en retournez-vous tout-a-l'heure ; j'envoie dans un moment mon équipage a Paris , mettez-vous dedans , les voitures font cheres , Sc ce fera autant d'épargné. La-deffus il appella un laquais, Picard fe préjsare-t-il a s'en aller, lui dit-il ] oui, Monfieur f  (n6) il met les chevaux au carroffe , répondit le domeftique. Eh bien , dis-lui qu'il premie ces DameS 8c ce jeune homme , reprit-il : adieu- Nous voulümes le remercier , mais il étoit déja bien loin ; nous defcendimes , 1'équipage fut bientöt prêt, Sc nous partimes très-contens de notre homme ck de fa brufque humeur. Je ne vous dirai rien de notre entretieu fur Ia toute : arrivons a Paris ; nous y entrames d'affez; bonne heure pour mon rendez-vous ; car vous favez que j'en avois un avec Madame de Ferval ches Madame Remi dans un Fauxbourg. Le cocher de Monfieur Bono mena mes deux Dames chez elles ; oü je les quittai après plufieurs compliraens , Sc de nouvelles inftances de leur part pour les venir voir. De la je reuvoyai Ie cocher , je pris un Fiacre * êc je partis pour mon Fauxbou rg.  LE PA Y SAN PARVENU, OU LES MEMOIRES DE M * * *, CINQU1EME PART IE. \ï dit dans la derniere Partie , que Je ie hatai de me rendre chez Madame lemi , oü ïn'attendoit Madame da Ferval. ii étoit k-peu-près cinq heures Sr. de- mie du ïyy quand j'y arrivai. Je trouvai tout d un coup 1'endroit. Je vis aufli le caroffe de Madame de Ferval, dans cette petite rue dont elle m'avoit par¬ le , OZ. OU OiOU tcnc WUHt ui. uwi«.iv , r. i - - elle m'avoit dit qu'elie entroit, St luivant mes^initruaions j'entrai par l'autre porte , après m'ctt» afiuré auparavant que c'étoit la que demeuroit Ma-  (n8) dame Remi. D'abord je vis une allée affez étroite qui aboutilToit a une petite cour , au bout de laquelle on entroitdans une falie Sc c'e'toit dans cette falie qu'on paffbit dans le jardin dont Madame de herval avoit fait mention. Je n'avois pas encore traverfé la cour qu'on ouvrit la porte de la falie ( gc apparemment qu'on m entendit venir ) ii en fortit une grande femme age'e , maigre, pale , vêtue en femme du cominun , maïs proprement pourtant , qui avoit un air pofé Sc matois. C'étoit Madame Remi elle même. _ Qui demandez-vous , Monfieur, me dit-elle quancf je me fus approché ? Je viens , répondis-je parler a une Dame qui doit être ici depuis quelques momens , ou qui va y arriver bientöt. Et fon nom , Monfieur , me dit-elle > Madame de Ferval, repris-je; 8c fur le champ , entrez ; Monfieur. ^ J'entre , il n'y avoit perfonne dans la falie ; elle n eft donc pas encore venue , lui dis-je ? Vous allez la voir , me répondit-eil , en tirant de fa poche une clef dont elle ouvrit une porte que jene voyois pas , 8c qui étoit celle d'une chambre oü je trouvai Madame de Ferval affife auprès d'un petit lit , Sc qui lifoit. Vous venez bien tard , Monfieur de la Vallée , me dit - elle en fe levant , il y a pour le moins un quart-d'heiue que je fuis ici. ^ Hélas ! Madame , ne me blamez pas , dis-je , il n'y a point de ma faure ; j'arrive en ce moment de Verfaille , oü j'ai été obligé d'aller , Sc j'étois bien ïmpatient de me voir ici. Pendant que nous nous paiiions, notre complaifante Höteffe , fans paroitre nous écouter , Sc d'un air diftrait, rangeoit par-ci, par-la dans la chambre , Sc puis le retira fans nous rien dire. Vous vous en allez donc , Madame Remi , lui cria Madame de Ferval , s'approchant d'une porte ouveite qui donnoit dans le jardin. Qui, Madame , répondit-elle ; j'ai affaire la-  , Cup) haut pour quelques momens , ik puls peut-êtr» avez-vous a parler a Moniieur ; aurez-vous befoin de moi. Non , dit Madame de Ferval, vous pouvez refter fi vous voulez , mais ne vous gênez point; ladeffus la Remi nous falue , nous laifle , ferme la porte fur nous , öte la clef, que nous lui entendipies retirer , quoiqu'elle y allat doucemerit. II faut donc que cette femme foit folie : je crois qu'elie nous enferme , me dit alors Madame de Ferval en fouriant , d'un air qui entamoit la matiere , qui engageoit amoureufement la converfapion , tk qui me difoit , nous voila donc feuls ? Qu'importe > lui dis-je ( tk nous <■ ;ons alors Jflir les pas de la porte du jardin ) nous n'avons que [faire de la Remi pour caufer enfemble , ce feroit |encore pis que la femme de chambre de la-bas ; n'a[yons-nous pas fait marché que nous ferons libres. I Et pendant que je lui tenois ce difcours , je lui rprenois la main , dont je confidérois la grace tk la rblancheur , ck que je baifois quelquefois ; eft-ce la |comme tu me contes ton hiftoire , me dit elle 1 je [vous la conterai toujours bien , lui dis-je , ce LConte-la n'eft pas fi preflé que moi ; que toi , me dk-d'e , en me jettant fon autre main fur 1'épaule; Bi de quoi donc es-ru tant preffé ! de vous dire s-'que vous avez des charmes qui m'ont fait rever [toute la journe'e a eux , repris-je , je n'ai pas mal |rêyé a toi non plus , me dit-elle , tk tant rêvé que t j'ai penfé ne pas venir ici. |. Eh pourquoi donc , Maitreffe de mon cceur , lui jreparris-je ? oh ! pourquoi, me dit-elle , c'eft que |;tu es fi jeune tk fi remuant; il me fouvient de tes Kvivacite's d'hier , tout gêné que tu étois; tk a préj'fent que tu ne 1'es plus , te corrigeras-tu ? j'ai bien de lapaine a le croire ; tk moi aufli, lui dis-je , car je fuis encore plus amoureux que je ne 1'étois ':hier , a caufe qu'il ine femble que vous êtes encore plus belle.  Fort bïsn , fort bien, me dit-elle avec un founs 5 Toila de très-bonnes difpofitions , tk qui me raflii• rent beaucoup : Etre feule avec un étourdi comme vous, fanspouvoir fortir ; car oü eft-elle allée, cette forte femme qui nous laiffe ? je gagerois qu'il n'y a peut-être que nous ici aéhiellement; ah ! elle :.n'a qu'a revenir , je ne la querellerai pas mal: voyez , je vous prie , a quoi elle m'expofe. Par la mardi , lui dis-je , vous en parlez bien a votre aife ; vous ne favez pas ce que c'eft que d'ê-: tre amoureux de vous ; ne tient-il qu'a dire auxpens , tenez-vous en repos ? je voudrois biei: vous voir k ma place , pour favoir cc que vous feriez : va , va, tais-toi, dit-elle d'un air badin , j'ai aflez de la mienne : mais encore inliftois-je fur le même, ton ; eh bien , a ta place , reprit-elle , je tacheroii tipparemmenr d'être raifonnable : tk s'il ne vous fervoit de rien d'y tacher , répondis-je , qu'en feroit-il? oh ! ce qu'il en feroit , dit-elle , je n'eïl fais rien , tu m'en demandes trop , je n'y fuis pas ;• mais qu'importe que tu m'aimes , faurois-tu taire Comme moi, je fuis raifonnable , quoique je t'aime aufli, tk je ne d»vrois pas te Ie dire , car tu n'en feras que plus de folies , ck ce fera ma faute , petit mufin que tu es : voyez comme il me regard*; oü «-r-il pris cette mine-la , ce frippon , on n'y fau* ïoit tenir 1 parions de Verfailles. Gh que non , rcpoiidis-je, parions de ce qu|f vous dites , que vous m'aimez ; cette parole eft fi agréable , c'eft un charme de 1' entendre, elle me ïavit, elle me tranfporte ; quel plaifir .' ah que votre chere perfonen eft enchautée ! En lui -teinnt ce difcours , je levois avideraenr les yeux fur elle ; elle étoit un peu moins enveioppée qu'a l'ordiiiaire , il n'y a rien auffi de fi friand que ce joli corcet-la , m'écriai-je : allons , allons, jpetit garcon , ne fongez point a cela , je ne le veux jias', dit-elle.' Et ia-deffus, elle fe raccommodoit affez mal : ehj  eh ! ma gracieufe Dame , repartis-je , Cela eft ff Jbien arrauge', ii'ytouchez pas ; je hu pris les ar :ins alors : elle avoit les yeux pleins d'amour, elle foupira , me dit que me veux-tu, ia Vallée, j'ai bien mal fait de ne pas retenir la Remi , une autre fois je la reliendrois , tu n'enrends point raifon , recule-toi un peu , voila des fenêrres dont on peut nous j voir. Et eu effet , il y avoit de l'autre cöté des vues fur nous ; il n'y a qu'a rentrer dans la chambre , •lui dis-je : il le faut bien reprit-elle ; mais moderes-toi, mon bel enfant, moderes-toi , je fuis venue ici de bonne foi, ck tu m'inquietes avec ton amour. Je n'ai pourtant que celui que vous m'avez donné , répondis-je ; mais vous voila debout , cela fatigue , afléyons-nous , tenez , remettez-vous a la place ou vous étiez quand je fuis venu. Quoi , la , dit-elle : oh je n'oferois , j'y ferois trop enfermée , a moins que tu n'appelles la Remi : appelle-la , je t'en prie , ce qu'elie difoit d'un ton qui n'avoit rien d'opiniatre , St infenfiblement nous rtous approchions de 1'enclroit oü je 1'a vois d'abord trouvée. Oü me menes-tu donc, dit-elle d'un air nonchalant tk rendre ? cependant elle s'affeyoit , St je me jertois a fes genoux , quand nous entendimes tout-a-coup parler dans la falie. Et puis le bruit devint plus fort, c'étoit comme une difpute. Ah ! la Vallée ; qu'eft-ce que c'eft que cela ? leve-toi , s'écria "Madame de Ferval, le bruit s'augmente encore ; nous diftinguions la voix d'un homilie en colere , contre qui Madame Remi, que nous entendions auili , paroiffoit fe défeiidre. Enfin , on mit la clef dans la ferrure , la porte s'ouvre , Sc nous vimes entrer un hemme de trente a trentecinq ans , très-bien fait , St de fort bonne mine , qui avoit 1'air extrêmement ému. Je tenois la garde de mon épée , St je m'étois avancé au milieu de Tome II. I*  , . .(«O Ia chambre, fort inqnier de cette aventure , mals" bien réfolu de repoulTer 1'infulte , fuppofez que c'en fut une qu'on eüt envie de nous faire. A qui en voulez-vous , Monfieur , lui dis-je aufli-tör. Cet homme , fans me répondre , jette les yeux fur Madame de Ferval , fe calrae fur le champ , öte refpeftueufement fon chapeau , non fans marquer beaucoup d'étonnement; tk s'adreffant a Madame de Ferval : ah ! Madame , je vous demande mille pardons , dit-il, je fuis au défefpoir de ce que je viens de faire ; je m'attendois a voir une autre Dame a qui je prends intérêt, tk je n'ai pas douté que ce ne füt elle que je trouverois ici. Ah ! vraiment oui , lui dit Madame Remi, il eft bien temps de demander des excufes , voila une belle équipée que vous avez fait-la ; Madame qui vient pour affaires de familie , parler a fon neveu qu'elie ne peut voir qu'en fecret, avoit grand befoin de vos pardons , tk moi aufii. Vous avez plus de tort que moi, lui ditl'homme enqueftion, vous ne m'avez jamais averti que vous receviez ici d'autres perfonnes que la Dame que j'y cherche tk moi. Je viens de diner de la campagne ; je paffe , j'appercois un équipage dans la petite rue ; je crois qu'a 1'ordinaire c'elt celui de la Dame que je connois. Je ne lui ai pourtant pas donné de rendez-vous ; cela me furprend ; je vois même de loin un Laquais dont la livrée nie. trompe. Je fais arréter mon carrolfe pour favoir ce que cette Dame fait ici , vous me' dites qu'elie n'y eft pas ; je vous vois embarraffée ; qui eft-ce qui ne fe feroit pas imaginé a ma place qu'il y avoit du myftere ? Au refte , ótez 1'inquiétude que cela a pu donner a Madame , c'eft comme fi rien n'étoit arrivé , tk je la fupplie encore une fois de me pardonner , ajouta-t-il , en s'approchant encore plus de Madame de Ferval, avec une aétion tout-a-fait  galante , St qui avoit même quelque chofe Je tendre. Madame de Ferval rougit , ck voulut retirer fa main qu'ii avoit prife , St qu'il baifoit avec vivacité. La-deffus , je m'avancai, ck ne crus pas devoir demeurer muet. Madame ne me paroit pas fachée , dis-je a ce Cavalier , le plus avifé s'abufe , vous 1'avez prife pour une autre, il n'y a pas grand mal, elle vous excufe , il ne refte plus qu'a s'en aller , c'eft le plus court, a préfeut que vous voyez cequi en eft , Monfieur. - La-dellus, il fe retourna , ck me regarda avec quelque attention : il me femble que vous ne m'êtes pas inconnu , me dit-il, ne vous ai-je pas vu chez Madame une telle ? II ne parloit, s'il vous plait, que de la femme, de défunt le Seigneur de notre Village. Cela fe pourroit, lui dis-je en rougiffant malgré que j'en eufle ; Sc en effet, je commencois a le remettre' ltii-même. Hé ! c'eft Jacob , s'écria-t-il alors, je le reconnois , c'eft lui-même. Eh ! parbleu , mon enfant, je fuis charmé de vous voir ici en li bonne polture ? il faut que ta fortune ait bien changé de face. pourt'avoir mis a portee d'être enliaifonavec Madame ; tout homme de condition que je fuis , je youdrois bien avoir cette honneur-la comme vous: il y a quatre mois que je fouhaite d'être un peu de fes amis ; elle a pu s'en appercevoir, quoique je ne 1'aie encore reucontrée que trois ou quatre fois, mes regards lui ont dit combien elle étoit aimable ; je fuis ué avec le plus tendre penehant pour elle ; ck je fuis bien sur , mon cher Jacob , que mon amour date avant le tien. Madame Remi n'étoit pas préfente a ce dif- coufs ' .el!e étoit Pau^e aans la falIe > tk nous avoit laifte le foin de nous tirer d'ihtrigue. Pour moi , je n'avois plus de centenance, Sc en Trai benêt, je falupis cette homme a chaque mot L2  (»4> qu'il m'adreffoit, tantöt je tirois un pied , laiito* j'inclinois la tête , St 11e favois plus ce que je faifpis , j'étois démonté ; cette affomante époque de notre corinoiftance , foii tutoiement, ce paifage fubit de 1'état d'un homme en bonne fortune oü il m'avoit pris, a 1'état de Jacob oü il me remettoit, tont cela m'avoit renverfé. A 1'égard de Madame de Ferval , il feroit difficile de vous dire la mine qu'elie faifoit. Souvenez-vous que la Remi avoit parlé de moi, comme du neven de cette Dame ; fongez qu'elie ctoit dévote , que j'étois jeune ; que fa parure étoit ce jour-la plus mondaine qu'a 1'ordiiiaire , fon corcelet plus galant, moins ferré ,. St par conféquenl, fa gorge plus a 1'aife: fongez qu'on nous trouvoit. enfermés chez une Madame Remi,femme commode, fujette a prêter fa maifon, comme nous 1'apprenions ; n'oubliez pas que ce Cavalier qui nous furprenoit connoiffoit Madame de Ferval, étoit ami de fes amis, St fur tous ces articles que je viens de dire , voyez la curieufe révélarion qu'on avoit des meeurs de Madame de Ferval; le bel intérieur de confcience a montrer, que de miferes mifesau jour, fee quclies miferes encore ! de celles qui déshonorent Je plus une dévote , qui décident qu'elie eft une hypocrite , une franche friponne ; car qu'elie foit maligne , vindicative , orgutilleufe , médifante , elle fait fa charge, St n'eii a pas moins droit de tenir fa morgue ; tout cela ne jure point avec 1'impérieufe auftérité de fon métier. Mais fe trouver convaincue d'être amoureufe , être furprife dans un rendez-vous gaillard ? oh / tout eft perdu -7 voila la dévote fifilée , il n'y a point de tournure a donner a cela. Madame de Ferval efl'aya pourtant d'en donner une, St dit quelque chofe pour fe défendre ; mais. ce fut avec un air de confufion fi marqué , qu'on. voyoit hien que La caufe lui paroifibit défefpérée»  Aufli n'eut-elle pas le courage de la plaicler longtemps. Vous vous trompez , Monfieur , je vous aflure que vous vous trompez ; c'eft fort innocemment qim je me trouve ici ; je n'y fuis que pour lui parler a 1'occailon d'un fervice que je voulois lui rendre. Après ce peu de paroles , le ton de fa voix s'alte'ra , fes yeux fe mouillcrent de quelques larmes , &C un foupir lui coupa la parole. De mon cöté, je ne favois que dire , ce nom de Jacob qu'il m'avoit rappellé , me tenoit en refpeét, j'avois toujours peur qu'il n'en recommencat Tapoftrophe , tk je ne fongèois qu'a m'évader du mieux qu'ü me feroir poflible ; car que faire-la avec un Rival pour qui on ne s'appelle que Jacob; ck cela en préfence d'une femme que cet excès de familiarité n'hümilioit pas moins que moi ; Avoir un amant , c'étoit déja une honte pour elle , tk en avoir un de ce nom-la, c'en étoit deux ; ilne pouvoit pas être queftion entr'elle tk Jacob d'une aftaire de cceur bien délicate. De forte qu'avec 1'embarras perfonnel oü je me rrouvois, je rougiflbis encore de voir que j'étois fon opprobre , tk ainfi je devois être fort mal a mon aife : je cherchois donc un prétexte raifonnable de retraite , quand Madame de Ferval vint a dire , qu'elie n'étoit-la que pour me rendre un fervice. Et fur !e champ , fans donner le temps au Cavalier de répondre , ce fera pour une autre fois , Madame , repris-je , confervez-moi toujours votre bonne voionté, j'attendrai que vous me fafliez favoir vos inteutions ; tk puifque vous connoiflêz Monfieur, tk que Monfieur vous cohnoit, je vais Prendre congé de vous , aufli-bien je n'euteads rien a cet amour donr il me parle. Madame de Ferval ne répondit mot, tk reffa les yeux baiflés avec un vifage humble tk morrifié , fur lequel on voyoit couler une larme ou deux. Ce Ll  Cavalier , notre trouble-fète , venoit de luireprenilrc la main , qu'elie lui laiftbit, paree qu'elie n'ofoit la lui öter fans doute. Le frippon étoit comme 1'arbitre de fon fort, il pouvoit lui faire juftice oit grace; en un mot, il avoit droit d'être un peu hardf, Sc elle n'avoit pas le droit de le trouver mauvais. Adieu donc , Mons Jacob, jufqu'au revoir , me cria-t-il, comme je me retirois. Oh!pour lors, cela me déplut, je perdis patience , Sc devenu plus courageux, paree que je m'en allois ; bon , bon „ lui criai-je a lnon tour, en hochant la tête , adieu Mons Jacob , hé bien adieu , Mons Pierre, fervi- I teur a Mons Nicolas ; voila bien du bruit pour un nom de baptême. II fit un grand éclat de rire a ma réponfe , Sc je fortis eu fermarit la porte fur eux de pure colere. Je trottvai Madame Remi a la porte de la rueVous vous en allez donc , me dit-elle ? Eh ! par- [ di , oui , repris-je , qu'eft-ce que vous voulez que | je faiTe-la , a cette heure que cet homme y eft , Sc I pourquoi 1'avez-vons accoutumé a venir ici ? cela | eft bien défagcéable , Madame Remi; on vient dé | Verfaillss pour fe parler honuêtemenr chez vous , I ou prend votre chambre , óu croit être en repos I 8c point du tout; c'eft comme lï on étoit dans la I rue. C'étoit bien la peine de me prener tant ; ce I n'eft pas moi que je regarde la-dedans , c'eft Ma- I dame de Ferval ; qu'eft-ce que ce grand je ne fais I qui va penfer d'elle } un porte fermée , point de I clef a une ïerrüre une femme de bien avec un | jeune garcon , voila qui a bonne mine. Lh mon Dieu, mon enfant, me dit-elle, j'en fuis défolée , je renois la clef de votre chambre quand il eft arrivé, favez-vous bien qu'il me Paarrachée des mains : iln'y a rien a crainde ; au furplus, c'eft un de mes amis , un [fort honnête homme , qui [i voit quelquefois ici une Dame de ma connoillance, [ je crois entre nous qu'il ne Ia hait pas , Sc 1'étour- V di qu'il eit, a voulu entrer par jaloulie : mals ï  ( 1*7) qu'eft-cc que cela fait? reftez, je fuis sfire qu'il va* fomr : bon , lui dis-je , après celui-la un autre , vous avez trop de connoiflance , Madame Remi. Oh ! dame , reprit-elle, que voulez-vous , j'ai ime grande mrilbn , je fuis veuve, je fuis feule , d'honnêtes gens me difent, nous avons des aflaires enfemble , il ne faut pas qu'on le fache r prêteznous v.otre chambre ; dirai-je que non , fur-tout k des gens qui me font plaifir , qui ont de 1'amitié pour mol ? c'eft encore un beau taudis que le mien pour en être chiche , n'eft-ce p:s ? après cela, quel mal y a-t-il qu'on ait vu Madame de Ferval avec vous chez moi ? Je me repens de n'avoir pas ouvert tout d'un coup , car qu'eft-ce qu'on en peut dire ? voyons , d'abord il me vient une Dame , enfuire arrivé un garcon , je les recois tous deux , les voila donc enfemble , a moins que je ne les fépareLe garcon eft jeune , eft-il obligé d'être vieux ? il eft vrai que la porte étoit fermée , eh bien une autre fois elle fera ouverte , c'eft tantót 1'un , tantöt l'autre : oü eft le myftere ? on 1'ouvre quand on entre , on la ferme quand on eft entré; pour ce qui eft de moi, fi jen'éto:: pas avec vous ceque j'étois aiüeurs ; on ne peut pas être par-tout, je vas , je Viens , je tracaffe, je fais mon menage , ck ma compagnie caufe , ck puis eft-ce que je ne ferois pas revenudde quoi Madame de Ferval s'embarrafiè-relle ? a'ai-je pas dit même que c'étoit votre tante ! Eh ! vraimenr tant pis, repris-je , car il fait tout le contraire;pardi;me dit-elle, le voila bien favantj n'avez-vous pas peur qu'il vous fafib un procés ? Pendant que la Remi me parloit, je fongeois a ces deux perfonnes que j'avois laiiTées dans la chambre, ck quoique je fufle bien aife d'en être forti , a caufe de ce nom de Jacob , j'étois pourtant tres-faché de ce qu'on avoit trouble' mon entretieu avec Madame_de Ferval , j'en regrettois la fuite , non pas que j'euffe de la tendrelfc pour elle , je fl'en avois jamais eu , quoiqu'il m'eOt feujjslë crus  CÜ8) j'en avois, je me fuis déja expliqué la-cleffus; ce jour-la même jc ne m'étois pas fenti fort eraprefle en venant au Fauxbourg , la rencontre de cette jeune femme a. Verfailles avoit extrêmement diminué' de mon ardeur pour le rendez-vous. Mais Madame de Ferval étoit une femme de conféquence , qui étoit encore très-bien faite , qui étoit fort blanche , qui avoit de belles mains, que j'avois vue négligemment couchée fur un foplia , qui m'y avoit jetté d'amoureux regards ; ck a mon age quand on a ces petites confidérations-la dans 1'efprit , on a pas befoin de tendrefte pour aimer les gens , ck pour voir avec chagrin troubler un i'endez-vous comme celui qu'on m'avoit donné. II y a bien des amours oü le cceur n'a point de part, il y en a plus de ceux-la que d'autres , même ck dans le fond c'eft fur eux que roule la nature , Sc non pas fur nos délicateflés de fentimens , qui ne lui fervent de rien. C'eft nous le plus fouvent qui nous rendons tendres , pour orner nos paflions, mais c'eft la nature qui nous rend amoureux , nous tenons d'elle 1'utile que nous enjolivons de 1'honnêtc , j'appeKe ainii le fentiment; on n'enjolive pourtant plus guere , la mode eu eft aflez paffee dans ce temps oü j'écris. Quoiqu'il en foit, je n'avois qu'un amour fort naturel; Sc comme cet amour-la a fes agitations, il me déplaifoit beaucoup d'avoir été interrompu.' Le Cavalier lui a pris la main, il la lui a baifée fans facon , Sc ce dróie-la va devenir bien hardi de ce qu'il nous a furpris enfemble, difois-je en moimême : car je comprenois a merveille 1'abus qu'il pouvoit faire de cela. Madame de Ferval , ci-devant dévote , Sc maintenanr reconnue pour trésprofane , pour une femme très-légere de fcrupulcs , ne pouvoit plus fe donner les airs d'être fiere, le gaillard m'avoit paru aimable , il étoit grand Sc de bonne mine; il y avoit quatre mois , diloit-il,qu'il aimoit la Dame : il avoit furpris le fecret de  fes rnceiirs, peut-être fe vengercur-il , n on Ie rt* "butoit, peut-être fe tairoit-il, fi on le traitoit avec douceur ; Madame de Ferval étoit née douce , il y avoit ici des raifons pour 1'être , le feroit-elle , ne le feroit-elle pas .? me voila la deffus dans une cmotionque je ne puis exprimer ; me voila remue par je ne fais quelle curiofité inquiete , jaloufe, un peu übertine , fi vous voulez, enfin très-difficile a expüquer. Ce n'eft pas dn cceur d'une femme dont ou eft en peine, c'eft de fa perfonne ; on ne fonge point h fes fentimens , mais a fes aétions ; on ne dil point fcra-t-elle infidele , mais fera-t-elle fage ? Dans fes difpofitions , je fongeai que j'avois beaucoup d'argent fur moi , que la Remi aimoit a en gagner, tk qu'une femme qui ne refufoit pas de louer fa chambre, pour deux ou trois heures , voudroit bien pour quelques momens me louer un cabinet , ou quelqu'autre lieu attenant la chambre ; fi elle en avoit un. Je fuis d'avis de ne pas m'en aller , lui dis-je f ck d'attendre que cet homme ait quitté Madame de Ferval ; n'auriez-vous pas quelque endroit prés de celui oü ils font, tk oü je pourrois me renir ? je ne vous demande pas ce plaifir-la pour rien , je vous paierai ; tk c'étoit en tirant de Pargent de . ma poche que je lui parlois ainfi. Oui-da , dit-elle , en regardant un demi-loui-s* d'or que je tenois , il y a juftementun petit retranchement qui n'eft féparé de la chambre que par une cloifon , tk oü je mets des vieilles hardes ; mais montez plutót a mon grenier , vous y ferez mieux. Non , non , lui dis-je , le retranchement, me fuffit, je ferai plus prés de Madame de Ferv al , tk quand l'autre la quittera, je le faurai tout d'un coup. Tenez , voila ce que ja vous offre , le voulez-vous , ajoutai-jc , en lui préfentant mon demilouis , non fans me reprocher un peu de le dépenfer ainfi ; car voyez quel infidele emploie de 1'ar-  ( IJO) gent de Madame de la Vallée , j'en étoïs honteux ; mais je tachai de n'y prendre pas garde, afin d'avoir moins de tort. Hélas ! il ne falloit pas rien pour cela , me dit la Remi, en recevant ce que je lui donnois , c'eft une bonté que vous avez , ck je vais vous mener dans ce petit endroit, mais ne faites point de bruit au moins , ck marchez doucement en y allant , il n'eft; pas néceflaire que nos gens y entendent perfonne , il fembleroit qu'il y auroit du myflere. Oh ! ne craignez rien, lui dis-je ,je n'y remuerai pas. Et tout en parlant , nous revinmes dans la lalle. Enfnite elle pouffa une porte qui n'étoit couverte que d'une mauvaife tapifferie, ck par oü l'oil entroitdans ce petit retranchement oü je me mis. • J'étois-la en effet, a-peu-près comme fi j'avois ete dans la chambre ; il n'y avoit rien de fi mine* ; que les planches qui m'en féparoient, de forteï qu'on n'y pouvoit refpirer fans que je 1'entendiflé, Je fus pourtant bien deux minutes fans pouvoiri démêler ce que 1'homme en quefiion difoit a Madame de Ferval, car c'étoit lui qui parloit ; mais? j'étois (i agité dans ce premier moment, j'avois un fi grand battement de cceur , que je ne pus d'a-ï bord donner aftention a rien , je me méfioh? un peu de Madame de Ferval , ck ce qui eft de plai-| faut, c'eft que je m'en méfiois a caufe que je lutJ avois plu : c'étoit cet amour dont elle s'étoit cprife en ma faveur , qui bien loin de me rafiurer, m'apprenoit a douter d'elle. Je prête donc attentivement 1'oreiile , ck on va voir une coiiverfation qui n'eft conveuable qu'aveM une femme_ qu'on n'eftime point, mais qu'a' force de galanterie on apprivoife aux impertinences qu'on lui débite , tk qu'elie mérite ; il me fembla d'abord que Madame de Ferval foupiroir. De grace, Madame, afléyez-vous un inftant', lui dit-il , je ne vous laiflérai point dans 1'état otV  Vöus etcs ? de quoi s'agit-il ? que craigner-vous t!e ma part, St pourquoi me haïlfez. vous, Madame ï Je ne vous hais point, Monfieur , dit-elle en fanglottant mi peu , ck fi je pleure , ce n'eft pas que j'aie rien a me reprocher ; mais voici un accident bien malheureux pour moi , d'autant plus qu'il s'y trouve des circonftances oü je n'ai point de part ; Cette femme neus avoit enfermés , ck je ne le favois pas ; elle vous a dit que ce jeune homme étoit monneveu, elle a parlé de fon chef, St dans la furprile oü j'en ai été moi-même , je n'ai pas eu le temps de 1'en dédire, je ne fais pas la fineiïe qu'elie y a entendue ; St tout cela rerombe fur moi pourtant , il n'y a rien que vous ne puifliez en imaginer St en dire : St voila pourquoi je pleure. Oui , Madame , reprit-il; je conviens qu'avec un homme fans caraöere , St fans probité , vous auriez raifon de pleurer , St que cette aventure - ci pourroit vous faire un grand tort , fur-tout a vous qui vivez plus retirée qu'une autre ; mais , Madame , commencez par croire qu'une aftioii dont vous n'auriez pour témoin que vous - même , ne feroit pas plus ignorée que le fera cet événement-ci, avec un témoin comme moi ; ayez donc 1'efprit en repos de ce cöté-la , foyez aufli tranquille que vous 1'étiez avant que je viiiffe ; puifqu'il n'y a que moi qui vous ai vue , c'eft comme fi vous n'aviez été vue de perfonne , il n'y a qu'un méchant qui pourroit parler, St je ne le fuis point, je ne ferois pas tenté de 1'être avec mon plus grand ennemi , vous avez affaire a un honnête homme , a un homme incapable de faire une lacheté, St c'en feroit une iudigne , affreufe , que celle de vous trahir dans cette occafion-ci. ,Voil? qni'eft fini, Monfieur, vous me raflurez, répondit Madame de Ferval ; vous dites que vous êtes un honnête homme, il eft vrai que vous paroiffez 1'être ; quoique je vous connoiflé fort peuz  5e i'aï tc""ours penfé de même : les gens sriez qui nous nous fomme vus , vous le diroient; ck ii ne faudroit compter fur la phyfionomie de perfonne , fi vous me trompiez. Au refte , Monfieur , en gardant le filence, non-feulement vous fatisferez a Ia probité qui 1'exige , mais vous rendrez encore juftice a mon innocence ; il n'y a ici que les apparences contre moi, foyez-en perfuadé , je vous prie. Aii Mesdame , reprit-il alors , vous vous méfiez encore de moi, puifque vous fongez a vous juftifier. Eh ! de grace , un peu plus de confiance ; j'ai intérêt de vous en infpirer ; ce feroit autant de gagné fur votre cceur , ck vous en feriez moins éloignee d'avoir quelque retour pour moi. Du retour pour vous , dit-elle, avec un ton d'affliction ; vous me tenez-la un terrible difcours ; il eft bien dur pour moi d'y être expofée , vous me 1'auriez épargné en tout autre temps ; mais vous croyez qu'il vous eft permis de tout dire dans la , lituation oü je me trouve , ck vous abufez des raifons que j'ai de vous ménager, je le vois bien. Par parenthefe , n'oubliez pas que j'étois-la , &t j qu'en entendant parler ainfi Madame de Ferval , je me fentois infenfiblement changer pour elle , que ma facon de 1'aimer s'ennobliflbit, pour ainfi dire, , ck devenoit digue de la fageffe qu'elie montroit. Non , Madame , ne me mcnagez point, s'écriat-il, rien ne vous y engage ; ma difcrétion, dans i cette affaire-ci , eft une chofe a part; elle me re-S garde encore plus que vous , ck je me déshonore- ■ rois-; quoi ! vous croyez qu'il faut que vous ache- ■ tiez mon filence ! eu vérité vous me faites injure 5 tion , Madame, je vous le répete , quelle que foit ! la fafon dont vous me traitiez , il n';nporre pourle : fecret de votre aventure , ck fi dans ce moment-ci i vous voulez que je m'en aille , fi je vous déplais , | je pars. Non, Monfieur, ce n'eft pas-la ce que je veux • dire >  I-, . Cl53> Are, repnr-elle : le reproche que Je vous fafs , ; ne fignifie pas que vous me déplaiflez ; ce n'eft ; pas mêmê votre amour qui me fait c!e la peine : On eft libre d'en avoir pour qui 1'on veut , une femme i ne fauroit empêcher qu'on en ait pour elle , ck celui d'un homme comme vous , eft plus fupportable que celui d'un autre ; j'aurois feuiement föuhaité 1 que le votre eüt paru dans une autre occafion , , paree que je n'aurois pas eu lieu de penfer que vous tirez une forte d'avantage de ce qui m'arrive, : tout injufte qu'il feroit de vous en prévaloir ; car, I aiTurément, i! n'y auroit rien de fi injufte , vous ne voulez pas le croire , mais je vous dis vrai. Ah ! que je ferois faché que vous difliez vrai , | Madame , reprit-il vivement. De quoi eft-il queftion, d'avoir eu quelque goüt pour ce jeune hommeï Ah ! que vous êtes aimable , faite comme vous êtes, d'avoir encore le mérite d'être un peu feufibleEh ! non , Monfieur, lui dit-elle , ne le croyec | pomt , il ne s'agit point de cela , je vous jure. II me fembla qu'alors il fe jettoit a fes genoux , ck que 1'interrompant, celléz de me vouloir déi fabuier , lui dit-il ; avec qui vous juftifiezi vous ? fuis-je d'un age ck d'un cara&ere a vous I faire un crime de votre rendez-vous ? Penfez: vous que je vous en eftime moins, paree que : vous êtes capable de ce qu'on appeLJej une foi1 blelfe? Eh ! tout ceque j'en conclus , au contraii re ( c'eft que vous avez le cceur meilleur qu'une • autre ; plus on a de fenfibilité, plus on a 1'ame : généreufe , £k par conféquent eftimable ; vous n'en : êtes que plus charmante en tout fens, c'eft une : grace de plus dans votre fexe , que d'en être fufceptible de fes foibleffes-li , ( petite morale : bonne a débiter chez Madame Remi; mais il falioit biendorer la pilule : ) vous m'avez touché dès la ■ première fois que je vous ai vue, continua-t-il , i vous le favez, je vous regardois avec un plaifir infini, vous vous eu êtes appereue, j'ai lu pJ^is ' Tornt 11. M,  Jtine fois Jms. vos yeux que vous m'entendiez j avouez-le , Madame. II eft vrai, dit elle , d'un ton plus calme , que je loupgonnois quelque chofe , ( & moi je foupConnois a ces deux petits mots, que je redevien«Irois ce que j avois été pour elle. ) Oui , je vous aimois, ajouta-t-il , toute trifte, toute folitaire toute ennemie du commerce des hommes que re pois , Madame de Ferval eft née teudre , tk née fenfible ; elle peut elle-même fe prendre de eoöt. pour qm 1 aimera ;ellé ena eu pour ce jeune homme , il ne feroit clonc pas impoiïible qu'elie en eüt pour moi qui la cherche , & qui la prévient; peut-être eu avoit-ehe avant que ceci arrivat • tk ence cas pourquoi me le cacheriez-vous , ou pourquoi n'en aunez-vous plus ? qu'ai-je fait pour être puni ? qu avez-vous fait pour être obligée de diffimu'cr ? De quoirougiriez-vous? Oü eft le tort que vous avez ? Dependez-vous de quelqu'un l Avez-vous un man ?N'êtes-vous pas veuve , tk votre maltrefle ? Y a-t-il rien k redire a votre conduite ? N avez-vous pas pris dans cette occafion-ci les mefures les plus fages ? & faur-il vous défefpérer , Vous imaginer que tout eft perdu , paree que le Iialard m amene ici ; moi que vous pouvez traiter Comme vous voudrez-: moi qui fuis homme d'honneur, tk raifonnable ; moi qui vous adore , tk que vous ne haïriez peut-être pas , li vous ne vous alarKiiez point d'une chofe qui n'eft hen, précifément rien , tk dont n'y a qu'ü rire dans le fond , fi vous m eftimez un peu ? Ah ! dit ici Madame de Ferval avec un foupir qui faifoit elpéier un accommodement, que vous m embarrafiez, Monfieur le Chevalier, jene fais que vousrepondre ; car il n'y a pas moyen de vousóter Vos idees , tk vous êtes un étrange homme de fous mettre dans 1'efprit que j'ai jette les yeux fur  C'35) ce garcon ( notez qu'ici mon cceur fe retlre , ck ne fe mêle plus d'elle. ) Eh bien , foit, il n'en eft rien, reprit-il ! D'oü vient que je vous en parle 1 ce n'eft que pour faciliter nos entretiens, pour abréger les longueurs, tout ce que cet événement-ci peut avoir d'heureux pour moi , c'eft que fi vous le voulez , il nous met tout d'un coup en éfat de nous parler avec franchife. Sans cette aventure il auroit fallu que je foupiraffe long-temps avant que de vous mettre en droit de m'écouter, ou de me dire le moindre mot favorable;au lieu qu'a préfentnous voila tout portes , il n'y a plus que votre goüt qui décide , &C puifqu'on peut vous plaire , Sc que ja vous aime , a quoi dois-je m'attendre ? que ferez-vous de moi ? prononcez , Madame. Que ne me dites-vous cela aiiieurs , réponditelle ! cette circonftancc-ci me décourage ; je m'imagine toujours que vous en profiterez , Sc je voudrois que vous n'euffiez ici pour vous que mes difpofitior.s. Vos difpofitions , s'écria-t-il , pendant que j'étois indigné dans ma niche : Ah ! Madame fuivezles , ne les contraignicz pas , vous me mettez au combie de la joie, fuivez-lez ; Sc 11 malgré tout ce que je vous ai dit ; vous me craignez encore , ïi ma parole ne vous a pas tout-a-fait raffurée , ell bien ! qu'importe , oui , craignez moi, doutez de ma difcrétion , j'y confens, je vous paffe cette injure, pourvu qu'elie ferve a hater ces difpofitions dont vous me parlez , Sc qui me ra'viflent: oui , Madame , il faut me ménagèt, vous ferez bien , j'ai envie de vous le dire moi-même , je fens qu'a force d'atuour on peut manquer de riélicateffe -, je vous aime tant, que je n'ai pas la force de refufer ce petit fecours contre vous ; je n'en aurois pour-.. tant pas befoin ; fi vous me connoiflïez, Sc je devrois tout a 1'amour ; oubliez donc que nous fommes ici, fongez que vous m'auriez aimé tot ou M j.  rare!, puifque vousyétiez difpofée, & quejen'aurois rien négligé pour cela. Je ne m'en dérencis point, dit-elle , je vous diftinguois , j'ai plus d'une fois demandé de vos nouvelles. Eh bien ! dit-il avec feu , louons-nous donc de cette aventure , il n'y a point a héfiter , Madame : Quand je fonge , répondit-elle , que c'eft un engagement qu'il s'agit de prendre : un engagement Chevalier , cela me fait peur , penfez de moi comme il vous plaira ; quelles que foient vos idéés , je ne les combats plus , mais il n'en eft pas moins vrai que la vie que je mene eft bien éloignée de ce ■que vous me demandez , Sc puifqu'enfin il faut tout dire , favez-vous bien que je vous fuyois , que je me fuis plus d'une fois abftenue d'aller chez les gens chez qui je vous rencontrois ?je n'y ai pourtant encore été que trop fouveut. Quoi! dit-il, vous me fuyiez , pendant que je vous cherchois , vous me 1'avouez , 8c je ne profiterois pas du hafard qui m'en venge , St je vouï laifferois la liberté de me fuir encore ! non , Madame , je ne vous quitte point que je ne fois sur de -votre cceur , 8c qu'il ne m'ait mis a 1'abri de cette cruauté-la. Non , vous ne m'échapperez plus , je vous adore , il faut que vous m'aimiez , il faut que vous me Ie difiez , Sc que je le fache , que je n'en p.iiffe douter : quelle impétuofité , s'écria-t-elle r comme il me perfécute ! Chevalier , quel tyran vous êtes 8c que je fuis imprudente de vous en avoir tant dit. Eh .'répondit-il avec douceur, qu'eft-ce qui vous arrête I qu'a-t-il donc de fi terrible pour vous cet engagement- que vous redoutez tant ? ce feroit a moi a le craindre , ce n'eft pas vous qui rifquez de voir finir mon amour , vous êtes trop aimaiile pour cela, c'eft moi qui le fuis mille fois moins que vous , Sc qui par-la fuis expofé a la douleur-de voir iiuir le votre , fans qu'il y ait de votre faute , 8c que je puiffe m'en plaindre ;  (U7) Siais n'itnporté , ne m'aünaffiez-vófM qu un jjpat'j ces beaux yeux noirs qui m'enchantent ne dnffent-ils jetter fur moi qu'un feul regard un peu ten. dre , je m'en croirois encore trop heureux. - Et moi qui 1'écoutüis , vous ne fauriez vous figurer de auelle beauté je lts troitvois dans ma colare , ces'beaux yeux noirs dont il faifoit 1'éloge. C'eft bien a vous, vraiment , h parler de 'fidéfité, lui dit-elle, m'aimeriez-vous aujourd'hui, fi vous» n'étiez pas un inconftant ? n'étoit-ce pas une autre» que moi que vous cherchiez ici ? je ne vous demanderai point qui elle eft , vous êtes trop honnête homme pour me le dire, St je ne dois pas le favcir; mais jc fuis perfuadce qu'elie eft aimable , ik vousla quittez pourtant, cela eft-il de bonne augura pour moi ? Que vous vous rendez peu de juftice , St quelle. comparaifoii vous faites, répondif-il ? Y avoit-it fix mois que je vous voyois avant que je vous aimafte 1 quelle différence entre une perfonne qu'oir aime , paree qu'on ne fauroit faire autrémênt , paree qu'on eft né avec un penehant naturel & in-, vincible pour elle (c'eft de vous dont je parle) 8t une femme a qui on ne s'arrête que paree qu'il faut - faire quelque chofe, que paree que c'eft une de ces coquettes qui s'avifent de s'adreffer a vous , qui ne fauroient fe paflér d'amans ; a qui on parle d'a. mour , fans qu'on les aime , qui s'imaginent vous aimer elles-mêmes , feuiement paree qu'elles vous le difent, St qui s'engagent avec vous par oifiveté , par caprice , par vanité , par étourderie , par un gout palfager que je n'oferois vous expliquer £c qui ne mérite pas que je vous en entretienne, enfin par tout ce qu'il vous plaira. Quelle différence entre un aufli fade , aufli languiflante , aufii peu digne liaifon , St la vérité des fentimens que j'ai pris pour vous dès que je vous ai vue , dont je me ferois fort bien pafle\ St que j'ai gardé contre toute appareuce de fuccès l diftinguous les chofes , je  VÖTïS prie , ne cor.fondons pon t un flmple amufej ment avec um intlination ferieufe , ck laiflbns Ik cette chicane. Je me laffe de dire que Madame de Ferval foupira ; elle fit pourtant encore un foupir ici, fck il eff \ rai que chez les femmes , ces fituations-lè en fourmillent de faux ou de véritables. Que vous êtes preffanr , Chevalier , dit-elle après, je conviens que vous êtes aimable , ck que vous ne 1 êtes que trop. N'eft-ce pas affez ? faut-il encore vous dire qu'on pourra vous aimer ? A quoi cela reflémblera-t-il ; ne foupconnerez-vous pas vousmême que vous ne devez ce que je vous dis d'obligeant qu'a mon aventure ? encore fi j'avois e'té préyenue de cette amour-la , ce que j'y répondrois aujourd'hui, auroit meilleure grace, Sc vous m'en iauriez plus de gre' aufli: mais s'entendre dire qu'on «ft aimée , avouer fur le champ qu'on le veut bien & tout cela dans I'efpace d'une demi-heure , en vérité il n'y a rien de pareil , je crois qu'il faudroic un pent intervalle , ck vous n'y perdriez point, Chevalier. Eh ! Madame, vous n'y fongez pas , reprit-il , fouvenez-vou* donc qu'il y a quatre mois que je vous aime, que mes yeux vous en entretiennent , que vous y prenez garde , ck que vous me diftinguez , ditos-vous ; quatre mois ! les bienféances ne font-elies pas fatisfaites ? Eh ! de grace, plus de fcrupules ; vous baiffez les yeux, vous rougiffez < & peut-être ne fuppofoit-il le dernier que pour lui ,faire_ honneur ) m'aimez-vous un peu, youlez-vous que je le croie, le youlez-vous ? oui, n'eft-ce pas l encore un mot pour plus de süreté. Quel enchanteur vous êtes , répondir-elle ! voila qui eft étonnant, j'en fuis honteufc ; non , il n'y a rien d'impoflible après ce qui m'arrive ; je penfe que je vous aimerai. Eh! pourquoi me remettre dit-il, 8t ne pas m'aimer tout-a-l'heure l mais, Chevalier, ajouta-t-elle,  Cns>) vous qu! parlez , ne me trompez-VOUS pas ? m'aimez-vous vous-même autant que vous le dites ? n'êtes vous pas un fripon ? vous êtes 11 aimable que j'en ai peur , ck j'héfite. Ah ! nous y voila, m'écriai-je involontairement 7 fans favoir que je parlois haut, ck emporté par le ton avec lequel elle prononca ces dernieres paroles ; aufli étoit-ce un ton qui accordoit ce qu'elie lui difputoit encore un peu dans fes exprefiions. Le bruit que je fis me furprit moi-même , & aufli-tót je me hatai de fortir de mon retranchement pour m'efquiver ; en me fauvant, j'entendis Madame de Ferval qui crioit a fon tour : ah ! Monfieur le Chevalier , c'eft lui qui nous écoute. Le Chevalier fortit de la chambre , il fut longtemps a ouvrir la porte , &C puis, qui eft-ce qui eft la, dit-il; mais j'allois fi vite que j'étois déja dans 1'allée quand il m'appercur. La Remi filoit, je> penfe , a la porte de la rue , ck voyant que je me retirois aveï précipitation , qu'eft-ce que c'eft donc que cela, me dit-elle, qu'avez-vous fait ? vos deux Locataires vous le diront, lui repondis-je brufquement, ck fans la regarder , ck puis je marchsi dans la rue d'un pas ordinaire. Si je me fauvai au tefte , ce n'eft pas que je cralgnifle le Chevalier, ce n'étoit que pour éviter la fcene qui feroit fans doute arrivée avec Jacob ; car s'il ne m'avoit pas connu , fi j'avois pit figurer comme Monfieur de la Vallée, il eft certain que je ferois refté, ck qu'il n'auroit pas même étéqueftiondu retranchement oü je m'étois mis. Mais il n'y avoit que quatre ou cinq mois qu'il m'avoit vu Jacob ; le moyen de tenir tête a un homme qui avoit cet avantage-la fur moi, ma métamorphofe étoit de trop fraïche date ; il y a certaines hardiefles que 1'homme que eft né avec du cceur , ne fauroit avoir , ck quoiqu'elles ne foient peut-être pas des infolences , il faut pourtant, je crois, être ué infolent pour en être capable.  r n . ... r ■ t r4° ) F Quoiqu'il en foit, ce ne fut pas inafique d'orif gueil que je pliai dans cette occafion-ci, mon oxM gueil avoit de la pudeur , 8t voila pourquoi il hei tint pas. Me voici donc forti de chez la Remi avec beau-1 coup de mépris pour Madame de Ferval ; mais avec» beaucoup d'eftime pour fa figure ; 8c il n'y a rien la l d'étonnant : il n'eft pas rare qu'une majtreflê cou- '3 pable en dcvienne plus piquante.Vous croyez a pré-l| feut que je pourfuis mon chemin, 8c que je re-al tourne chez moi; point du tout, une nouvelle in- § 'quiétudeme prend : voyons ce qu'ils deviendront,|l dis-je en moi-même , a préfent que je' les ai inter-fl rompus ; je les ai quittés bien avancés ; quel partï'1 prendra-t-elle cette femme ; aura-t-elle le courage I de demeurer ? Et la-deiTus j'entre dans 1'allée d'une maifon I éloignée de cinquante pas de celle de Ia Remi, qui 1 étoit vis-a-vis la petite rue oü Madame de Ferval 1 avoit laifle fon carofle. Je me tapis la , d'oü je I jettois les yeux , tantót fur cette petite rue , tantót 1 fur la porte par oü je venois de fortir , toujours" leB ' cceur ému; mais ému d'une maniere plus péniblell que chez la Remi , oü j'entendois du moins ce quril fe paflbit, 8c entendois fi bien que c'étoit prefque I voir , ce qui faifoit que je ne favois a quoi m'en J tenir, mais je ne fus pas long-temps en peine , 8c.J n'avois pas attendti quatre minutes , quand je visw Madame de Ferval fortir par la porte du Jardin , 8c I rentrer dans fon carroflê. Après quoi, parut de i'au-';l tre cóté mon homme qui entra dans le fien , Stal que je vis paflêr. Ce qui mecalma fur le champ. M Tout ce qui me retta pour Madame de Ferval, I ce fut ce qu'ordinairement on appelle un goüt, 1 mais un goüt tranquille , £c qui ne m'agita plus , | c'eft-a-dire , que fi on m'avoit laifle en ce moment | le choix des femmes , c'au.-oitété aelle a qui j'aurois I donné la préférence. Vous jugez bien que tout ceci rompoit notre I  (I4i) Commerce ; elle ne devoit pas elle-méme fouhaitei de me revoir , inftruit comme je 1'étois de fon caii raftere ; aufli ne fongeois-je pas a aller chez elle : I il étoit encore de bonne heure : Madame de Féfccour m'avoit recommandé de lui donner au plutöt i des nouvelles de mon voyage de Verfailles , Sc je p'pris le chemin de fa maifon avant q\ie d'arriver | chez moi : j'y arrivé. II n'y avoit pas aucun de fes gens dans la cour , E ils étoient apparemment difperfés ; je ne vis pas :c le portier , pas même une femme en haut ; I je traverfai tout fon appartement fans rencontrer I perfonne, &C je parvins jufqu'a une chambre , dans I laquelle j'entendis ou parler ou lire ; car c'étoit I une continuité de ton qui reflembloir plus a une I lecture qu'a un langage de converfation. La porte I n'étoit que pouflee , je ne penfai pas que ce fut la I peine de frapper a une porte a demi ouverte , St I j'entrai tout de fuite a caufe de la commodité. J'avois foupconné jufte , on lifoit au chevet dn I lit de Madame de Fécour qui étoit couchée. ï! y I avoit une vieille femme de chambre aflife au pied! I de fon lit , un Laquais debout auprès de la fenê1 tres , Sc c'étoit une grande Dame , laide , maigre , I d'une phyfionomie feche , févere ck critique , qui I lifoit. Ah ! mon Dieu, dit-elle en piegriefche , & 'I s'interrompant , quand je fus entré , eft-ce que vous j n'avez pas fermé cette potte, vous autres ? il n'y a 1 donc perfonne la-bas pour empêcher de monter ï | ma fceur eft-elle en état de voir du monde ? Le compliment n'étoit pas doux , mais il s'ajuf1 toit a merveille a l'air de la perfonne qui le proJ nongoit, fa mine tk fon accueil étoient fairs pour I aller enfemble. Elle n'avoit pourtant pas l'air d'une dévote r celle-la ; Sc comme je 1'ai connue depuis , j'ai envie de vous dire en paflant a quoi elle reflêmbloit. Iinaginez-vous de ces laides femmes qui out bien  r • , « -, ( MO leilti qu elles feroient négligées dans le monde j qu'elles auroient la morrification de voir plaire les autres , tk de ne plaire jamais ; êc qui pour e'viter cet _ affront-la , pour empêcher qu'on ne voie la vraie caule de 1'abandon oü elles refteront, difent? en elles-mêmes , fans fonger a Dieu ni a fes Mms, diftinguons-nous par des mceurs aufteres; prenoni une figure inacceffible , affeftons une fiere régiH Iarité de conduite , afin qu'on fe perluade quei c'eft ma fageffé , 8c non pas mon vifage qui fait qu on ne me dit mot. Et effeftivemenr cela réuffit quelquefois , tk la] Dame en queftion paffoit pour une femme hértffée de cette efpece de fageffé-ia. Comme elle m'avoit déplu dès le premier coupd'ceil , Ion difcours ne me démonta point, il me parut convenable , Sc fans faire arténtion a elle , je faluai Madame de Fécour, qui me dit : ah ! c'eft vous , Monfieur de la Vallée , approchez , aprrochez , ne querellez point, ma fceur , il n'y a point de mal, je fuis bien-aife de le voir. Eh ! mon Dieu , Madame , lui répondis-je, comme vousyoilajje vous qur.ni hier enbonne faute', Cela eft vrai, mon enfant, reprit-il affez bas , on ne pouvoit pas mieux fe porter , j'allai même louper en compagnie, ou je mangeai beaucoup Sc de fort bon appëtit. J'ai pourtant penfé mourir cette nuit d'une colique fi violente , qu'on a cru qu'elie m'emporteroit, Sc qui m'a laifle la fievre avec des accidens très-dangereux , dit-on; j'étouffe de temps en temps , Sc on eft d'avis de me faire confeflér ce foir ; il faut bien que la chofe foit férieufe , tk voila ma fceur , qui hëureufemént pour moi arriva reLde -la camPaSne' & qui avoit toüt-a-l'heure la bonte de me lire un chapitre de 1'imitation , cela eft fort beau. Eh bien, Monfieur de la Vallée, contez-moi votre voyage , êtes-vous content de M. de fécour ? voici un accident qui vient fort mal-apropos pour vous; car jel'aurois preffé; que Votrsa- i  ...... , Ci4j) t-il dit ? j'ai tant de peine a refpirer , que je nefau- rois plus parle r ; aurez-vous un emploi ? c'elt pour Paris que je 1'ai demandé. I Eh ! ma fceur , lui dit l'autre , tenez vous en ftepos ; Si vous, Monfieur , ajouta-t-elle en m'a;ien , voyez qu'il a l'air frais , mais il n'a que vingt ins ; adieu , adieu , nous nous reverrons , ceci ne "era rien , je 1'efpere; St moi, Madame je le fouhaite de tont mon cceur, lui dis-je en me retirant, St ne faluant qu'elie , au(E-biea l'autre , a vue de pays, eO.t-elle recu ma révérence en ingrate , St je lïorris pour aller chez moi. [ Reraarquez , chemin faifant, 1'inconftance des chofes de ce monde. La veille j'avois deux mai|rre(Tes , ou fi vous voulez deux amoureufes ; le mot [de Maitreffe fignilie trop ici , communémenr il veut jdire une femme qui a donné fon cceur , St quï Eveut le votre : 8t les deux perfonnes dont je parle ine m'avoient, je penfe , ni donné le leur, ni ne [«'étoient fouciés d'avoir le mien , qui ne s'étoit pas [non plus foucié d'elles. t Je dis les deux perfonnes , car je crois pouvoür Icoinpter Madame de Fécour , 8t la joindre a Maplaiiie de Ferval , 8t en vingt-quatre heures de temps , en voila une qu'on me fouffle , que je petris en la tenant, St l'autre qui fe meurt; car Madame de Fécour m'avoit paru mourante , Sc fouppofons ■ qu'elie en réchappat, nous allions être quelque temps fans nous voir , fon amour n'étoit qu'une •fantaifie , les fantaifies fe paffeut} Sc puis n'j^  ... . , C 144 ) tsvoif-il que moi de gros garcon a Paris , qui fut joli , ck qui n'eüt que ringt ans ? C'en étoit donc fait de ce cöté-la , fuivant toute apparence , ck je ne m'embarralTois guere. La Fécour avec fon énorme gorge , m'étoit 'fort indiffé*' rente ; il n'y avoit que cette hypocrite de Ferval qui m'eür un peu remué. Elle avoit des graces naturelles. Par-deiTus cela elle étoit fauife dévote , ck ces fcmmes-la , en fait d'amour, ont quelque chofe de plus piquant que les autres ; il y a dans leurs facons je ne fais quel mélange indéfininable de myflere , de fourberie, d'avidité libertine tk folitaire , tk en même-temps de retentie qui tente extrêmement: vous fentez qu'elles voudroient jouir furtivemcnt du plaifir de vous aimer, ck d'être aimées , fans que vous y priffiez garde, ou qu'elles voudroient du moins vous perfuader que dans tout ce qui fe paffe , elles font vos dupes , tk non pas vos complices. R.evenons , je m'en retourne enfin chez moi ; je vais retrouver Madame de la Vallée qui m'aimoit tant, tk que toutes mes diffipations n'empêchoient pas que je n'aimaffe , tk a caufe de fes agrémens, ( car elle en avoit) tk a caufe de cette pieufe tendreffe qu'elie avoit pour moi. Je crois pourtant que je 1'aurois aimée davantage , fi je n'avois été que fon amant; ( j'appelle aimer d'amour, ) mais quand on a d'aufïï grandes obligations a une femme que je lui en avois , en vérité^ ce n'eft pas avec de 1'amour qu'un bon cceur les paie ; il fe pénetre de fentimens plus férieux, il fent de 1'amitié tk de la reconnoiffance : aufli en etois-je plein , ck je penfe que 1'amour en fouffroit »in peu. Quand je ferois revenu du plus long voyage , Madame de la Vallée ne m'auroit pas revu avec P|us de joie qu'elie en marqua. Je la trouvai priant Dieu pour mon heureux retour , tk il n'y avoit fas plus d/une heure , a ce qu'elie me dit, qu'elie étoit  ëroit revenue de PEglife , oü elle av olt pafte mie, partie de 1'après-dïiié, toujours a mon interition , I car elle ne parliot plus a Dieu que de moi feul, Sc a la vérité , c'étoit toujours lui parler pour elle: i dans un autre fens. Le motif de fes prieres , quand j'y fonge , deI yoit pourtant être quelque chofe de fort plaifant : E je fuis sur qu'il n'y eu avoit pas une oü elle-na t dit, confervez-moi mon mari , ou bien je vous remercie de me Pavoir donné ; ce qui, a le biéii j prendre , ne Iignifioit autre chofe, finon , mon ! Dieu , confervez-moi les douceurs que vous m'a' vées procurées par le faint mariage , oü je vous rends mes aéïions de grace de ces doucours que je , góüte en tout bien &t tout honneur par votre fainte volonté , dans 1'état oü vous m'avez mife. Et jugez combien de pareilles prieres étoient i. fcrventes , les dévots n'aiin'ent jamais tant Dieur que lorfqu'ils en ont obtcnu leurs petites fatisfactions temporelles ; St jamais on ne prie mieux qu» | quand 1'efprit Sc la chair font coutens , Sc priem: enfemble ; il n'y a que lorfque la chair languit , fouffre , Sc n'a pas fon compte, Sc qu'il faut que 1'efprit foit dévot tout fcul , qu'on a de la peine. Mais Madame de la Vallée n'étoit pas dan» ce ï cas-la , elle n'avoit rien a fouhaiter , fes fatisfac; tions étoient légitimes , elle pouvoit en jouir eu | confcience , aufli fa dévotion en avolt-elle aiigmen■ té de moitié , fans en être appanmment plus méI ritoire, puifque c'étoit le plaifir de pofféder ce cher ami, ce gros bnuiet , comme elle m'appelloit quelquefois , Sc non pas 1'amour de Dien , qui étoit Paine de fa dévotion. Nous foupames chez notre hoteiTe , qui de Ia maniere dont elle en agilfoit me parut cordialenient a'moureufe de moi, fins qu'elie s'en appercut ellci même peut-être. La bonne femme me trouvoir a I fon gré, Sc ls téaioigtioit tou: de f.iice, co:ti:n; elle le fentoit. Tome II. N  ^ Oh ! pour cela , Madame de la Valide , il n'y * rien a dire , vous avez pris la un mari de bonne mine > un gros dodu que tout le monde aimera : moi, a qui il n'eft rien, je 1'aime de tout mon cceur , difoit-elle ; St puis un moment après , vous ne devez pas avoir regret de vous être mariée li tard , vous n'auriez pas mieux choifi il y a vingt ans au moins , St mille autres naïv.*és de la même force , qui ne divertiflbisnt pas beaucoup Madame de la Vallée , fur-tout quand elles tomboient fur ce mariage tardif, St qu'elles la harceloïent fur Ion age. Mais, mon Dieu, Madame, lui répondit-elle d'un ton doux St brufque. Je conviens que j'ai bien choifi, je fuis fort fatisfaite de mon choix , St très-ravie qu'il vous plaife. Au furplus je ne me fuis pas mariée fi tard , que je ne fois encore mariée fort a propos , ce me femble , on eft fort bonne a marier a mon age ; n'e!t-ce pas , mon ami, ajouta-t-elle en mettant fa main dans lamienne , St en me regardant avec des yeux qui me difoient confidemment, tu m'as para content 2 Comment donc , ma chere femme , li vous êtes bonne , répondois-je , Sc k quel Sge eft on nteiileure St plus ragoutante, s'il vous plait ? La-deffus elle fburioit, me ferroit la main , St finiffoit par demander prefqu'en foupirant, quelle heure eft-il, pour favoir s'il n'étoit pas temps de fortir de table ? c'étoit-la fon refrein. Quant a l'autre petite perfonne , la fille de Madame d'Alain , je la voyois qui du coin de 1'ceil obfervoit notre chafte amour, St qui ne le voyoit pas , je penfe , d'un regard aufli innocent qu'il 1'étoit. Agathe avoit le bras St la main paffables, St je remarquois que la friponne jouoit d'induftriepour les mettre en vue le plus qu'eile pouvoit, comme fi elle avoit voulu me dire, regardez , votre femme a-r-elle rien qui vaille cela. C'eft pour la derniere fois que je fais ces fortes de détails: a 1'égard d'Agathe je pourrai en parler encore ; inais de ma facon de vivre ayec Mada-  ,,„.., . ( 147) me de Ia Vallee , je n'en dirai plus mot ; on eft fuftifamment inftruit de fon caraétere , ck de fes tendrefles pour moi. Nous voila marie's ; je fais tout ce que je lui dois ; j'irai toujours au-devant de ce qui pourra lui faire plaifir ; je fuis dans la fleur de mon age : elle eft encore fraiche , malgré le fien, cc quand elle ne le feroir pas , la reconnoilfance dans un jeune homme qui a des fentimens, peut fuppléer a bien des chofes : elle a de grandes reflbiirces. D'ailleurs , Madame de la Vallée , m'aïrne avec une pafiion dont la fingularité lui tiendroit lieu d'agremens , ii elle en manquoir ; fon cceur fe livre a moi dans un goüt dévot qui me réveille. Madame de la Vallée , toute tendre qu'elie eft , n'eft point jaloufe ; je n'ai point de pompte importun i lui rendre de mes aétions, qui jufqu'ici , comme vous voyez, n'ont déja été que trop infideles , tk qui n'en font point efpérer fi-töt de plus reglées. Suis-je abfent, Madame de la Vallée fouhaite ardemment mon retour , mais 1'attend en paix : me revoit elle , point de queftions , la voila charmée , pourvu que je 1'aime , tk je 1'aimerai. Qu'on s'imagine donc de ma part toutes les atteniions poflibles pour elle : qu'on fuppolê éntre nous le ménage le plus donc tk le plus mnquille ; tel fera le notre , tk je ne ferai plusmention d'elle que dans les chofes oü par hafara elle fe trouvera mêlée , hélas ! bientöt ne fervira-t-elle plus de rien dans tout ce qui me regarde ; le moment qui doit me 1'enlever n'eft pas loin,.tk je ne ferai pas longtemps fans revenir a elle , pour faire Ie récit de fa mort, tk celui de la douleur que j'en cus. Vous n'aurez pas oublié que Monfieur Bouo nousavoit dit ce jour-la a Ia jeune Dame de Verfailles tk a moi.de 1'aller voir , tk nous avions eu foin de demander fon adrefle a fon cocher qui nous avoit ramenés de Verfailles. Je reftai le leudemain toute la matinée chez moi, N *  (i4S) je ne m'y ennuyai pas : je m'y déleftai dans le plarllr de me troirver tout-a-coup un maitre de maifon r j'y favcurai ma fortune j'y goütai mes aifes , je me regardai dans mon appartement, j'y marchai jc rr'y aflis , j'y fouris a mes meubles, j'y rêvai a ma Cuifiniere , qu'il ne tenoit qu'a moi de faire Tenir , tk que je crois que j'appellai pour h voir; enfin , j'y conten.plai ma robe de chambre ck mes jïaritoufles ; ck je vcus allure que ce ne furent pasla les deux articles qui me toucherent le moins ; de combien t!è petits bonheurs 1'homme du monde eft-il entouré , ck qu'il ne fent point, paree qu'il eft né avec eux ? Comment donc , des pantoufles tk une robe de chambre a Jacob ! car c'étoit en me regardaht comme Jacob que j'étois fi délicieufement étonné de me voir dans cet équipage ; c'étoit de Jacob que Monfieur de la Vallée empruntoit toute fa joie. Ce moment-la n'étoit fi doux qu'a caufe dl) petit payfan. Je vous dirai au refte que tout enthoufiafmé que j'étois de cette agréable métamorphofe , elle ne me donna que du plaifir , tk point de vanité. Je m'eil eftimai heureux , tk voila tout, je n'allai pas plus loin. Atrendez pourtant, il faut compter les chofes ekaftement; il eft vrai que je neme fentis point plus glorieux , que je u'cus point cette vanité qui fait qu'un homme va fe donner des airs; mais j'en eus une autre , tk la voici: C'eft que je fongeai en moi-même qu'il ne falloit pas paroitre aux autres , ni fi joyeux r ni fi furpris de men bonheur , qu'il étoit bon qu'on ne remarquat pas combien j'y étois fenfible , tk que fi je ne ine contenois pas , on diroit : ah ! le pauvre petit garcon , qu'il eft aimable , il ne fait h qui le dire. Et j'aurois été honteux qu'on fit cette réflexion\a ; je nc 1'aurois pas même aimée dans ma feimnej.  C 149 ) , , , je voulois bien qu'elie fut que j'étois charme , St I je Ie lui répetois cent fois par jour, mais je vouI lois le lui dire moi-même, St non pas qu'elie y prit I garde en fon particulier : j'y faifois ^ une grande I différence , fans démêler que confufément pour|; quoi ; St la vérité eft qu'en pénétrant par elle-même toute ma joie , elle eüt bien vu que c'étoit ce • petit Valet, ce petit payfan , ce petit miférable qui ie trouvoit fi heureux d'avoir chaugé d'état, St . il m'auroit été dephifant qu'elie m'eüt envifagé fbus ces faccs-la ;c'étoit aflez qu'elie me crut heureux , fans fonger a ma baflêffe paflée cette idee-la n'étoit bonne que chez moi, qui en faifois intérieureinent ia fonrce de ma joie;mais il n'étoit pas uéceffaire que les autres entraflênt fi avant dans le fecret de mes plaiilrs , ni fuffent de quoi je le compofois. Sur les trois heures après-midi, VèpresfonneI rent ; ma femme y alla pendant que je lifois je ne fais quel livre férieux que je n'eutendois pas trop, que je ne me fouciois pas trop d'entendre , St auquel je ne m'airiufois que pour imiter la contenan; ce d'un honnête homme chez foi. Quand nia compagne fut partie , je quittai ma robede chambre ( laiflêz-moi en parler pendant qu'elie me rèjouit, cela ne durera pas : j'y ferai , bientót accoutumé ) je m'habillai, St je fords pour aller voir la jeune Dame de Verfailles pour qui j'avois coucu une aflez tendre eftime , comme vous \ 1'avez pu voir dans ce que je vous ai déja dit. Toiit Monfieur de la Vallée que j'étois , moi qui n'avois jamais eu d'autre voiture que mes jambes , ou que ma charrettê, quand j'avois mené a Paris le vin du Seigneur de notre Village , je n'avois pas ailuréinent befoin de carh roflê°pour aller chez cette jeune Dame ,_St je ne !■ fongeois pas non plus ü eu prendre ; mais un Fiacre qui m'arrêta fur une placé que je traverfois , me teuta , avez-voUs affaire de moi, mon Gentil-  jTomffle, mé djt-fl) il foi Lu GefltilÉomme mt gagna, Sc je lm dis , approche. Voici pourtant des airs , me direz vous ; point de tout, je ne pris ce carrofl'e que par eaillardiT*, pour etre encore heureux de cette facon-lü, pour tater , chemin faifant , d'une autre petite douceur T" ivf ?'avo» dér? §oüté ^U'une fois « allanc chez Madame Remi. _ II y avoit quelques embarras dans Ia rue de Ia jeune Dame en queftion , dont je vais vous dire le nom pour la commodite de mon récit - (c'étoit Madame d'Orville ) mon Fiacre fur obligé de me .Cefcendre a quelques pas de chez elle. A peine en étois-je defcendu , que j'cntendis un grand bruit ü vingt pas derrière moi. Je me retouraaai, Sc je vis un jeune homme d'une trés-belle figure 8c fort bien mis , a-peu-près de mon aRï , «c eft-a-dire , de vingt-un a vingt-deux ans , qui' 1 epee a la mam,fe défendoit du mieux qu'il pouvoit contre trois ho mmes , qui avoient la lacheté de I att.^quer enfemble. En pareil cas , Ie peuple crie, fait dn tlntamarre,, mais ne fecourt point: il y avoit autour des combattans un cercle de canailles qui s'augmentoit a tous momens, 8c qui les fuivoit, tanrót s'avauS?nt, tantot reenlant, a mefure que ce brave jeune uomme etoit póuffé , & reculoit plus ou moins. Le danger oü je le vis Sc 1'indignité de leur actioii , m emut le cceur a un point, que fans hétoer 8t fans aucune réflexion , me fentant une épée au cote, je la rire, fais le tour de mon fiacre pour gagner ie milieu de Ia rue , Sc je vole comme un hou au fecours du jeune homme , en lui criant • courage , Monfieur , courage. Et il étoit temps que j'ariïvaffe , car il y en avoir un des trois qui pendant que le jeune honme batailloit contre les autres , alloit tout a fon aife lui pionger de cóté fon épée dans Ie corps : Arrêtf, arrête, a moi, criai-je a celui-ci en allaat 3  tut! ce qui 1'obligea bien vite a me faire face ; es qui 1'obligea bien vite , a me faire face ; le mouvement qu'il fit le remit du cóté de fes camarades , 8c me donna la liberté de me joindre au jeune homme qui en reprit de nouvelles forces , 8c qui voyant avec quelle ardeur j'y allois, poufla a fon tour ces miférables, fur qui j'allongeois a rout inftant, a bras raccourci, desbottes qu'ils ne paroient qu'en lachant. Je dis a bras raccourci ; car c'eft la maniere de combatne d'un homme qui a du cceur, 8c qui n'a jamais manié d'épée , il n'y fait pas plus de facon , &c n'en eft peut-être pas moins dangereux ennemi pour n'en favoir pas davantage. Quoi qu'il en foit, nos trois hommes reculerent, malgré la fupériorité du nombre qu'ils avoient encore ; mais aufii n'étoit-ce pas de braves gens , leur combat en fait foi : ajoutez a cela que mon aüion anima le peuple en notre faveur. On ne vit pas plutót ces trois hommes lacher le pied , que 1'un avec un grand baton , l'autre avec un manche k balai , l'autre avec une arme de la même efpece , vinrent les charger, 8c acheva de les mettre en fiiite. Nous laiffames la canaille courir après eux avec des huëes , &c nous reftames fur le champ de bataille , qui , je ne fins comment, fe rrouva , alors prés de h porte de Madame d'Orville : de forte que 1'inconnu que je venois de défendre entra dans fa maifon , pour fe déb:rrafiér de la foule importune qui nous environnoit. Son habit 8c la main dont il tenoif fon épée , étoient tout enfanglautés. Je priai qu'on fit venir un Chirurgien ; il y a de ces Meftieurs-la dans tous les quartiers , Sc il nous en viut un prefque fur Lt champ. "Une partie de ce peuple nous avoit fuivi jufques dans la cour de Madame d'Orville , ce qui caufa une rumeur dans la maifon , qui en fit defcendre des ï^ocataires de tous les étages. Madajöe d'QryiLb  logeoit au premier fur le derrière, ck vint favoir , comme les autres , de quoi il s'agiflbit: jugez de fon étonnement quand elle ine vit la , tenant encore mon épée nue a la main , paree qu'on eft diftrait en pareil cas , ck que d'ailleurs je n'avois pas eu même aflez d'efpace pour la remettre dans le fourreau , tant nous étions preflé's par la populace. Oh ! c'eft ici oü je me fentis un peu glorieux , Un peu fuperbe , Sc oü mon cceur s'enfla du courage que je venois de montrer , tk de la noble pofture oü je me trouvois ; tout diftrait que je devois être par ce qui fe paffoit encore , je ne laiffai pas que d'avoir quelques momens de recueillement oü je me confiderai avec cette épée a la main , ck avec mon chapeau enfoncé en mauvais garcon : car je devinois l'air que j'avois , cela fe feut , on fe voit dans fon amour-propre , pour ainfi dire ; St je vous avoue qu'en 1'état oü je me fuppofois , je m'eftimois digne de quelques égards , que je me regardois moi-même moins familierement, Sc avec plus de difiinétion qu'a 1'ordinaire ; je n'étois plus ce petit poliffon furpris de fon bonhetir , ck qui trouvoit tant de difproportion entre fon aventure St lui. Ma foi, j'étois un homme de mérite , a qui, la fortune commencoit a rendre juflice. Revenons a la cour de cetta mtifon oü nous étions , mon jeune inconnu , moi , le Chirurgien Sc tout ce monde , Madame d'Orville m'y appercut tout d'un coup. Eh ? Monfieur , c'eft vous , s'écria-t-e!le toute effrayée de deffus fon efcalier oü elle s'arrêta. Eh ! que vous eft-il donc arrivé ? êtes-vous bleffé ? Je n'ai , répondis-je , en la faluant d'un air de Héros tranquille , qu'une très-petite égratignure , Madame , Sc ce n'eft pas a moi a qui on en \ouloit , : c'eft a Monfieur qui eft bleffé , ajoutai-je , en lui montrant le jeune inconnu a qui le Chirurgien par- I loit alors , Sc qui, je penfe , n'avoit ni eutendu Ce qu'elie m'avoit dit, ni encore pris garde a elle.  ( * 5 3 3 Ce Chirurgien connoiflbir Madame d'Orville Et en effet, ces chofes-Ia fe fentent ; 11 en eft dé tèe que je dis la-deilus , comme d'un homme d'une tcertaine conriition a qui voüs donneriez un habit l "de Payfan : en faites-vous un Payfan pour cela t 3 non, vous voyez qu'il n'en porte que 1'habit : fa [figure en eft vêtue, ck point habillée , pour ainfi Hire ; il y a des attitudes , cles mouvemens ck des [geftes dans cette figure , qui fout qu'elie eft c'trant gere au vêtement qui la couvre. II en e'toit clonc a-peu-prAs de même de MonI fieur d'Orville ; quoiqu'il eüt un logement ck des l ineubles , on trouvoit qu'il n'étoit ni logé ni meuI blé. Voila tout ce que je dirai de lui a cet égard. IC'en eft allez fur un homme que je n'ai guere vu , ck dont la femme fera bientöt veuve. fi II n'y a point de remerciemens qu'il ne me flf :fur mon aventure de Verfailles avec Madame d'Orville , point d'éloges qu'il ne donnat a mon caracItere ; mais j'abrege, je ne vis point la mere , apHfcrémment qu'elie étoit fortie ; nous pariames de ^Monfieur Bono qui nous avoit recommandé de 1'alBer voir, ck il fut décidé que nous nous y rendrious sle lendemain, ck que pour n'y aller ni plutöt ni plutard 1'un que l'autre , je viendrois prendre Madame d'Orville fur les deux heures ik demie. Nous en étions la quand le bleffé entra dans la chambre avec le Chirurgien. Autres remerciemens .de fa part, fur tous les fecours qu'il avoitrecus dans la maifon ; force regards fur Madame d'Orville , tinais modeltes , refpeélueux , enfin , ménagés avec Ibeaucoup de difcrétion ; le tout foutenu de je ne Ifais quelle politeflê tendre dans fes difcours , mais iid'une tendreflê prefque imperceptible, ck hors de •la portée d'un mari , qui , quoiqu'il aime fa fem'i Kie , 1'aime en homme tranquille , ck qui a fait fa Bfortune auprès d'elle , ce qui lui óte en pareil cas luue certaine fineffe de fentiment, 8c lui épaiflit I Bttrêinement 1'intelligence. Quant a moi, je remarquai fur le champ cette.  petite teiiiture de tendrefle dont je parle , pare* qne , fans le favoir encore , j'étois très-difpofé k aimer Madame d'Orville , Sc je fuis sur que cette Dame leremarqua aufli : j'en eus du moins pour garant fa facon d'écouter le jeune homme , un certainbaiflémentd'yeux, St fes reparties modiques & rares. Et puis Madame d'Orville étoit fi aimable ; en faut-il davantage pour mettre une femme au fait, quelque raifonnable qu'elie foit ? eft-ce que cela ne lui donne pas alors le fens de tout ce qu'on lui dit ? Y a-t-i! rien dans ce gout-la qui puiflé lui échapper , 8c ne s'attend-ellc pas toujours a pareille chofe ? Mais , Monfieur , pourquoi ces trois hommes vous ont-ils attaqué, lui dit le mari, qui le plus fouvent répondoir pour fa femme , 8c qui de la meilleure foi du monde difputoit de complimens avec le bleffé , paree qu'il ne voyoit dans les flens que les exprefiions d'une filnplé 8c pure reconuoif-, fance ? les coniioiflez-vous ces trois hommmes , ajouta-t-i! ? Non , Monfieur , reprit le jeune homme , qui, cömme vous le verrez dans la fuite , nous cacha alors le vrai fujet de fon combat: je n'ai fait que les rencontrer , ils venoient a moi dans cette rueci : j'étois diftrait; je les ai fort regardés en paflant j fans fonger a eux : cela leur a déplu : un d'entr'eux j m'a dit quelque chofe d'impertinent ; je lui ai répondu : ils ont repliqué tous trois. La-deffus jel n'ai pu m'empêcher de leur donner quelques mar-| ques de mépris : un d'eux m'a dit une injure , jé] n'y ai reparti qu'en 1'attaquant , ils fe fónt joints, a lui, je les ai eus tous trois fur les bras , Sc j'au-J rois fuccombé , fans doute , fi Monfieur ( il par-j loit de moi) n'étoit générenfement venu me dé-*l fendre. Je lui dis qu'il n'y avoit pas la une grande gé-f aérofité ; que tout honnête homme a ma place au-| loit  f oit tait de menie.; eiifuyte, n'Atiriez-yous pas t>-« foin de vous repoier plus foriga-térups , lui dit Mon-' fieur d'Orville , ne forttz-vous pas trop tót ? n'êusvous pas aftoibli ? Nuliement, Monfieur ; il n'y a point de danger, dit a fon tour le Chirurgien : Monfieur ell en état de fe retirer chez lui ; 'il ne faut qu'une voiture ; on en trouvera fur la place •Voifine. ■ Auffi-tót la petite fervante part pour en amener |me ; h voiture arrivé , le bleffé me prie de ne le pas quitter : j'aurois mieux aimé refter , pour avoir le plaifir d'être avec Madame d'Orville ; mais il n'y avoit pas moyen de le reftiiér, après ie fervice que je venois de lui rendre. ' Je le fuivis donc ; une petite roux qui prit au mari , abrégèa toutes les politeffes avec lefqu.elles on fe feroit encore éconduit de part Sc d'autre r nous voila defcehdus : le Chirurgien qui nous re'tonduifit jufques dans U cour , me parut très-révéTencieux, apparemnmit qu'il étoit bien payé ; nous le quittons , & nous montons dans notre fiacre. Je n'attendois rien de cette aventure-ci, £c ne peufois pas qu'elie dut me rapporter autre chofe que 1'honneur d'avoir fait une belle aöion. Ce fut \k pourtant 1'origine de ma fortune, & je ne pouvoi? guere commencer ma courfe avec plus de bonheur- Savez-vous qui étoit 1'hommea oui probablemenr j'avois fauvé la vie l rien qu'un des neveux de celui qui pour lors gouvernoit la France , du premier Miniftre en un mot ; vous fentez bien que cela devientférieux , fur-tout quand on a affaire a un des plus honnêtes hommes du monde , a un ne\eu qui auroit mérité d'être fils de Roi. Je n'ai jamais vu d'ame fi noble. Par quel hafard,me direz-vous , s'étoit-il trouvé expofé au péril dont vous le tirates ? vous 1'allez Voir. Oü allons-nous , lui dit i? Cocher ! a ijei eg* lome IJ. " O  tli-oit , repondit-il; St ce 11e fut point le non d'une rue qu'il lui donna , mais feuiement le noir d'une Dame , chez Madame 1» Marquife une telle i ck le Cocher n'en demanda pas davantage , ce qu marquoit que ce devoit être une maifon fort connue , ck me faifoit en mèine-temps foupcouner qu« mon camarade étoit un homme de conféquence, Auffi en avoit-il la mine , £< je foupconnois jufte! . Ah ca! mon cheraini, me dit-il dans le trajet. ]e vais vous dire la vérité de mon hiftoire , a vous! Dans le quartier d'oü nous fortons , il y a une femme que je renconrrai il y a quelques jours a l'Opéra. Je la remarquai d'une loge oü j'étois avec des hommes , elle me parut extrêmement jolie , aufii 1'eft-elle : je demandai qui elle étoit, on ne la connoiflbit pas. Sur la fin de'l'Opéra , je fortis de ma loge pour aller la voir fortir de la fienue, & la regarder tout a mon aife. Je me trouvai donc fur fonpaffage, elle ne perdoit rien a être vue de prés; elle étoit avec une autre femme afiez bien faire ; elle s'appercut de 1'attention avec laquelle je la regardois ; ck de la facon dont elle y prit garde, il me fembla qu'elie me difoit, en demeurez-vous la ? Enfin , je vis je ne fais quoi dans fes yeux qui m'encourageoit, qui m'aifuroit qu'elie ne feroit pas d'un difficiie abord. II y a de certains airs dans une femme qui vous annoncent ce que vous pourriez devenir avec elle : vousy démêlez, quand elle vous regarde, s'il n'y a que de la coquetterie dans fon fait, ou fi elle auroit euvie de lier connoiflance ; quand ce n'eft que le premier , elle ne veut que vous paroitre aimable, fck voila tout, fes mines ne pafieiit pas cela : quand c'eft le fecond , ces mines en difent davantage , elles vous appellent, ck je crus voir ici que c'étoit le fecond. ^ Mais on a peur de fe tromper, &c je la fuivis jufqu'a 1'efcalier fans rien ofer que d'avoir toujours  les yeux fur elle , Sc la coudoyer même en mar« chant. ' Elle me tira crintrigue , Sc remédia a ma retenue difcrete par une petite fineffe qu'elie imagina , Sc qui fut de laüfer tomber fon éventail. Je fentis fon i'nrention , Sc proMtai du moyen qu'elie m'oifroit de placer une politefle , Sc de lui dire un mot ou deux en lui rendant 1'éventail que je ramaflai bien vite. Ce fut pourtant elle qui, de peur de manquer fon coup , paria la première : Monfieur, je vous fuis bien obligée , me dit-elle d'un air gracieux eti le recevant; je fuis trop heureux , Madame, d'aj voir pu vous rendre ce petit fervice , lui répondisje le plus galamment qu'il me fut poffible ; St comme en cet inftant, elle fembloit chercher a mettre sdrement le pied fur la première marche de 1'efcalier, je tirai encore parti de cela , Sc lui dis; il y a bien du monde , on nous poufle, que j'aie 1'aie 1'honneur de vous donner ia main pour plus de surstd , Madame. Je le veux bien , dit-elle d'un air aifé , car je marche mal , St je la menai ainfi, toujours 1'entretenant du plaifir que j'avois eu a la voir , Sc de ce que j'avois fait pour la voir de plus prés. N'eft-ce pas vous aufli, Monfieur , que j'ai vu dans une telle loge , me dit-elle , comme pour m'infiflUer a fon tour qu'elie m'avoit démclé. s Et de difcours en difcours , nous arrivames. jufqu'en bas , oti un grand Laqtiais f qui n'avoit pas trop 1'air d'être a elle, a la maniere prévenante , dont il fe préf;nta , ce qui eft une liberté que ces Melïieurs-la ne prennent pas avec leur Maitreflê ) vint a elle , Sc lui dit, qu'on auroit de la peine a faire approCher le carroffe , mais qu'il n'étoit qu'a dix pas. Eh bien , allons jufques-la , fauvonsnous, dit-elle a fa compagne , n'eft-ce pas 2 comme il vous plaira , reprit l'autre, Sc je les y ittenai en rafanr la murailiei O z  t ■ - (100 5 1 . L.e mien, je dis mon carolle , n'étoft qu'a mol- J tic chemia , notre court cntretien m'avoit enhardi, j Sc je leur própöfai fans facon cl'y entrer , 8c de let j jrafflener rout de fuite chez elles pour avoir plutót >i fait ; mais elles ne voulurent pas. J'pblervai feuiement que celle que je tenois , jet>'| toit un coup d'ceil fur 1'tquipage , 8c 1'examinoit, 1 &t nous arrivames au leur , qui , par parenthefe , 1 n'appnrtenoit a aucunes d'elles, 8c n'étoit qu'un 1 carroffé de ^ remife qu'on leur avoit piété. J'ai oublié de vous dire qu'en la menant jufqu'a I ce carroffé , je favois priée cie vouloir bien que je I la reviffe chez elle. Ce qu'elie m'avoit accordé fans | facon, Sc en femme du monde qui rend politefle pour politefle. Volontiers , Monfieur, vous me ferez honneur, m'avoit-elle re'pondu. A quoi elle avoit ajouté ce qu'il falloit pour la trouver, de forte qu'en la quittant, je fa menagai d'une viflte très-prompte. . Et en effet, j'y alki le lcnneinain , elle me parut aflez bien loge'e , jc vis des Domeftiques ; il y avoit du monde , Sc d'honnêtes gens, autant que j'en pus juger : on y joua , j'y fus recu avec difrindtion ; nous eünies mêmes enfemble quelques inftans de converfation particuliere ; je lui parlai d'amour , elle ne me dcfefpéra pas, Sc elle m'en ' plut davantage. Nous nous entretenions encore a I'écart , quand un de ceux qui viennent de m'atta- ■: quer entra. C'eft un homme entre deux ages , qui fait de la dépenfe , 8c que je crois de Province ;. J il me parut inquiet de notre t-:te-a-téte ; il me fem- B bla aufli qu'elie avoit égard a fon inquiétude , Sc qu'elie fe hata de rejoindre fa compagne. Quelques momens après , je me retirai, St Ie lendemain je retournai chez elle de meilleure heure que la veille. Eile étoit feule , je lui en contai fur de nouveaux frais. D'abord elle badina de mon amour d'un ton qui Iignifioit pourtant, je voudrois qu'il fut vrai: j'iiififtaj pour la perfuader ; mais cda eft-il férieux 1 f  vous m'embarraffez ; on pourroir vous écoutér de refte , ce n'eft pas-la la difljcuité , me dit-elle ; mais ma fituation ne me le permet guere ; je fuis veuve , je plaicle , il me reftera peu de bien peutêtre. Vous avez vu ici un affez grand homme, d'une figure bien au-deflbus de la vótre , ck quf n'eft qu'un fimple Bourgeois, mais qui eft riche ,. ck dont je puis faire un mari, quand il me plaira „ il m'en preffe beaucoup , ck j'ai tant de peine a m'y réfoudre , que je n'ai rien décidé jufqu'ici, êk depuis un jour ou deux , ajouta-t-elle en fouriant, je? déciderois encore moins fi je m'en croyois ; il y ar dei gens qu'on aimeroit plus volontiers qu'on n'en ép.ouferoit d'autres ; mais j'ai trop peu cle fortune*, pour fuivre mes goüts ; je ne faurois même demeu-, rer encore long-temps a Paris , comme ii me ccuyiendroit d'y être, ck fi je n'époufe pas , il faut qu» je m'en retourne a une terre que je hais , St dont le féjour eft fi trifte qu'il me fait peur, ainfi comment voulez-vous que je faft'e ? Je ne fais pas pourquoi je vous dis tout cela au refte : il faut que je fois folie, 8t je ne veux plus vous voir. A ce difcours , je fentis a merveiile que j'étois1 avec une de fes beautés mal-aifées , dont le mëilleur revenu conlifte en un joli vifage ; je comoris 1'efpece cle liaifon qu'elie avoit avec cet homme qu'elie qualiHoit d'un mari futur ; je fentis bier» aufli qu'elie me difoit, fi je le rein oie , le remplacerez-yous , ou bien ne me demandez-vous qu'un©iufidélité paffagere. Petite facon de traiter 1'amour qui me rebuta un peu ; je ne m'étois imaginé qu'une femme galante , St non pas intéreffee ; de forte que pendant qu'elie parloit , je n'étois pas d'accord avec moi-même fut ce que je devois lui répondre. Mais je n'eus pas le temps de me déterminer, paree que ce Bourgeois en queftion arriva , St nous furpris ; il fronca le faurci!; .mais infolemment, »n homme qui peut mettre ordre a ce qu'il  (löi) voit; il eft vrai que je tenois la main de cette femme quand il entra. Eüe ent beau le prendre d'un air riant avec lui, ck lui dire même, je vous attendois , il n'en reprit p^s plus de férénité , ck fa phyfionomie refla toujours fombre ck brutale , heureufement , vous ne vous ennuyez pas ; ce fut-la tout ce qu'elie en put tirer. Pour moi je ne daignai pas jetter les yeux fur lui , Sc ne ceffai point d'entretenir cette femme de mille cajoleries , pour le punir de fon impertinent procédé. Après quoi je fortis. Le jeune homme en étoit-!a de fon récit : quand Ie Cocher arrêta a quelques pas de la maifon oü il nous menoit, ck dont il ne pouvoit approcher a caufe de deux ou trois carroffes qui 1'en empêchoient. Nous fortimes du Fiacre ; je vis le jeune homme parler a un grand Laquais, qui enfuite ouvroit la portiere d'un de ces carroffes. Montez j ■mon cher ami , me dit auffi-tSt mon camarade ; oü» lui dis-je 1 Dans ce carroffé , me répondit-il , c'eft le mien que je n'ai pu prendre en allant chez la femme en queftion. Et remarquez qu'il n'y avoit rien de plus lefte que cet équipage. Ho , ho , dis-je en moi-même , ceci va encore plus loin què je ne le croyois ; voici du grand , ,*ft-ce que mon ami feroit un Seigneur ? II faur~ •prendre garde a vous , Monfieur de la Vallée , ck iacher de parler bon Francois ; vous êtes vêtu en .enfant de familie , foutenez 1'honneur du juftauxorps , ck que votre entretien réponde a votre figure qui eft paffable. Je vous rends a - peu - prés ce que je penfai rapidement alors, ck puis je moutai en carroffé ,: ïncertain fi je devois y monter le premier , & n'ofant en même-temps faire des complimens la-deffus ; le favoir-vivre veut-il que j'aille en avant, oü bien veut-il que je recule , me difois-je?  (t<0 en 1'air> c'eft-a-dire , en montant ? car le ca» étoit nouveau pour moi , St ma légere expérience ne m'apprenoit rien fur cet article , finon , qu'on fait tles cérémonies , lorfqu'on eft deux a une por-, te , St je penchois a croire que ce pouvoit être icï de même. A bon compte je montois toujours, St j'étois 'déja placé , que je fongeois encore au parti qu'il falloit prendre ; me voila donc cóte-a-cöte de mon ami de qualité , St de pair h compagnon avec un homme a qui par hafard j'auro's fort bien pu , cinq mois auparavant , tenir la portiere ouveite de ce caroflé que j'occupois avec lui. Je ne fis pourtant pas alors cette rcflexion ; je la fais feuiement a préfent que j'écris ; elle fe préfenta bien un peu mais je refufai tout net d'y faire attention ; j'avois befoin d'avoir de la confiance , 8t elle me 1'auroit otée. Avez-vous affaire , me dit le Comte d'Orfan ! ( c'étoit le nom du Maitre de 1'équipage ) je me porte fort bien , St ne veux pas m'en retourner fitot rhez moi; il eft encore de ■ bonne heure , allons a la Coméc'ie, j'y ferai aufli a mon aife que dans ma chambre. Jufques-la je m'étois affez poffédé , je ne m'étois pas tout-a-fait perdu de vue ; mais ceci fut plus fort que moi , St la propofition d'être mené fi gaillardement a la Coméc.ie , me tourna entiére-, ment la tête ; la hauteur de.monétat m'éblpuit, je me fentis étoufdi d'une vapeur de joie , de gloire , de fortune, de mondanité , (fi on veut bien me permettre de parler ainfi ) car ie n'ignore pas qu'il y a des Leöeurs facheux , quoiqu'eftimables , avec qui il vaut mieux laiffer-la ce qu'on fent , que de le dire , quand ou ne peut 1'exprimer que d'une maniere qui paroitroit finguliere ; ce qui arrivé quelquefois pourtant , fur-tout dans les chofes oü il eft queftion de rendre ce qui fe paflé dans 1'ame ; cette ame qui fe tourne en bien plus de facons que nous n'avons de inoyens pour les dire , Si a qui du  moins on devroit hiffèr dans fon befoin .laliberté Je. fe fervir des expreflïons du mieux qu'elie pourroit pourvu qu'on entendit clairement ce qu'elie voudroiS dire , Sc qu'elie ne put employer d'autres termes, fans dimïhuer ou alte'rer fa penfe'e ; ce font les difputes fréquentes qu'on fait la-deffus qui font caufe de ma parentbefe ; je ne m'y ferois pas engagé , li j'avois cru la faire li longue ; re venons. Comme il vous pluira , lui répondis-je, Sc le. carrofl'e partit. Je ne vous ai pas achevé le recit cle mon aven- l ture , me dit-il, en voici le refte. J'ai diné aujourd'hui chez Madame la Marqnife de. . . . fous prétexte d'affaires , j'en fuis forti fur les trois heu-. res pour aller chez cette femme. Mon caroflé n'étoit point encore revenu : je n'ai vu aucun de mes gens en bas: il y a des carrof. fes prés de la , j'ai dit qu'on allat m'en chercher un , dans leqilel je me fuis mis , Sc qui m'a conduit è fa porte. A peine allois-je monter 1'efcalier que j'ai vu phroïtre cet homme de fi brutale humeur , qiii en defcendoit avec deux autres , Sc qui fon chapeau fur la tête , quoique je faiuaffe par habituele , m'a rudémént pouflé en paffant. Vous êtes bien groflier , lui ai-je dit en levant les f épaules avec dédain. A qui par.léz-vous , a répris undes deux autres qui n'avoient pas falué non plus? A tous , ai-je répondu. A ce difcours , il a porté la main fur la garde j de Ion épée. J'ai cru devoir tirer la miemie , en fautant en arriere , paree que c'.eüx de ces gens-la étoient au-deffus de moi , Sc avoient encore deux inarches a defceudre : il n'y avoit que l'autre qui étOlt paffe ; aufli-tót j'ai vu trois épées tirées contre moi , les laches m'ont pourfuivi jufques dans la rue , Sc nous nous battions encore quand vous êres venu h mon fecours, Sc venu au moment oü 1'un de mes aflafiins m'alloit porter un coup mortel. Oui , lui dis-je , j'ea ai eu grande peur , Stc'eit  pourquoi j'ai tant crie après lui pour empêcher fort deftéin , mais n'en parions plus ; ce font des canailles , ck la femme aufii. , Vous jugez bien du cas que j'e '"is d'elle , me ré'ponriit-il ; mais parions de \ous. Après ce que vous 'avez fait pour moi, il n'y a point d'intérêt que je ne doive prendre a ce qui vous regarde. II faut ; cue je fcache a qui j'ai tant obligation , tk que " de votre cóté vous nic connoifiiez aufli. ' On m'appelle le Comte d'Orfan , je n'ai plus ' qne ma mere , je fuis fort riche : les perfonnes^ a ■ qui j'appartieiis ont quelque crédit : j'ofe vous dire qu'il n'y a rien oü je ne p'urffe vous fervir, tk je " ferai trop heureux que Vóus m'en fourniiliez 1'occafion : réglez-vous li-derfus , tk dites-moi votre "nom tk votre fortune. D'abord , je le remerciai , cela s'en va fans dire , mais briévement, paree qu'il le voulut aiu" li, tk que je craignois d'ailleurs de m'cngager dan» quelque tournure de compliment, qui ne fut pas d'un goat convenable. Quand on manqüe d'édu"cation, il n'y paroit jamais tant. que loriqu'on veut en montrer. Je le remerciai donc dans les termes les plus firnples : enfuite mon nom eft la Vallée , lui dis-je; vous êtes un homme de quaüté , tk moi je ne fuis pas un grand Monfieur ; mon pere demeure a la campagne oü eft tout fon bien , tk d'oü je ne fais prefque que d'arriver, dans 1'intention de me pouffcr tk de clevcnir quelque chofe , comme font tous les jeunes gens de Provliïce tk de ma forte ( tk dans tout ce que je difois la , on voit que je n'étoit que difcret bt point menteur. ) Mais, ajöiifai-jé d'un ton plein de franchife , quand je ne ferois de ma vie rien a Paris , tk que mon voyage ne me vaudroit que le plaifir d'avoir été hon a un fi honnête homme que vous , par ma for, Monfieur , je ne me plainrirois pas , je m'en retouruerois content. II me teudit la main a ce difcours ,  et me dit , mon cherla Valide, votre fortune .n'eft plus votre affaire , c'eft la mienne , c'eft 1'affaire de votre ami ; car je fuis le votre , St je. veux que vous fq/'ez 'e mien. Le carroffé arrcta alors , nous étions arrivés ,a la Comédie , ck je n'eus le tems de réponare que par un fouris a de fi affcttueufes paroles. Suivez-moi, me dit-il , après avoir donné a un Laquais de quoi prendre des bil Iets , ck nous entrames : Sc me voila donc a la Comédie , d'abord au chauffoir , ne vous déplaife , 011 le Comteci'Orfail trouva quelques amis qu'il falua. Ici fe diliiperent outes ces enfinres de cceur . dont je vóiis ai'parlé , toutes ces fumées de vanité .qui m'avoient monté a la tête. Les airs ck les facons de ce pays-Ia me confon. dirent, ck m'épouvanterent. Hélas ! mon maintien annoncoit un fi petit compagnon , je me voyois fi gauche , fi dérouté , au milieu de ce monde , qui avoit quelque chofe cle fi aifé ck de fi . lcfte : que vas-tu faire de roi , me difois-je ? Aufli, de ma contenance , je n'en parbrai pas , attendu que je n'en avois point, a moins qu'on ne dife que n'en point avoir , eft en avoir une. II ne tint pour-tant pas amoi de m'en donner une autre ; mais je crois que je n'en pus jamais venir a bout, non plus que d'avoir un vifage qui ne parut nï déplacé , ni honteux : car pour étouné , je me ferois confolé que le mien n'eüt paru que cela , ce n'auroit été que figne que je n'avois jarnais été a la Comédie , Sc il n'y auroit pas eu grand mal; mais c'étoit une confufion fecrete cle me trouverla , un certain fentiment de mon inclignité qu i m'empêchoit d'y être hardiment, Sc que ' j'aurois bien voulu qu'on ne vit pis clans ma phyfionomie , 'Sc qu'on \ n'en voyoit que mieux, paree que je m'efforgois de le cacher. Mes yeux m'embarraflbient, je ne favois fur qui les arrêter; je u'ofois prendre la liberté d.e  ■ ■ • C ï<7) reg-trrier les autres, de peur qu'on ne démêlat dans I inon peu d'aflurance que ce n'étoit pas a moi a avoir 1'honneur d'être avec de fi honnêtts gens , tk .que j'étois une figure de eontrebaude ; car je ne Sfache rien qui figuifie mieux ce que je veux dire que cette exprefïïon qui n'ert pj» trop noble. II eft vrai aum que je n'avois pas paffe par afie'z de dégrés d'inftruftion ck .(i'aceroiiTer;;ens de fortune pour pouvoïr me tenir au milieu dé. ce mon> èe avec la hardieflè requlfe. J'y avois fanté trop Vite ; je venois d'être fait Monfieur.', encore n'a..voij-je pas la fubalterne ééne.uion des Monfieurs . de ma fortè , ck je tremblois < ü'on ne connüt a ma mine que ce Monfieur-la ayait été Jacob. II y en a qui a ma place auroient eu le front de foutenir cela , c'eft-a-dire , qui auroient p.ayé d'effrontéïie; maïs qu'e(t-ce qu'on y gagne ? rien ; ne voitou pas bien alors qu'un homme n'eft effronté que paree qu'il devroit être honteux ? Vous êtes un peu changé , dit qu'elquunde ces leuis au Comte d'Orfan : je le crois bien , ditil , tk je pouvois être pis. La-delfus il conti fon hiftoire , tk par conféquent la miemie , de la maniere tiu monde la plus honorable pour moi ; de forte , Mefiieurs , dit-il en finiffont , que c'eft a Moniieur a qui je dois rhoiiiieur de vous voir encore. Autre fatigue pour la Vallée , fur qui ce difcours attiroit l'attention de ces Mefiieurs; ils parcouroient donc mon hétéroclyte figure , je peufe qu'il n'y avoit rien de fi fot que moi, ni de fi plaifant a voir : plus le Comte d'Orfan me louoit , plus il m'embarraffoit. II falloit pourtant répoiidre avec mon petit habit de foie , tk ma petite propreté bourgeoife , dont je ne faifois plus ri'eftime , depuis que je voyois tant d'habits magnitiques autour de moi. Mais que réponrire ! oh! point de tout, Monfieur, vous vous moquez , tk puis, c'eft une bagatelle , &:  (iö8) tfy a pas de quoi : cela lé devoit, je fuis voir^ ferviteur. Voila cle mes réponfes que j'accompagaois clvi-' leraent de courbettes de corps courtes 8t fréquentes , anxquelles apparemment ces Mefiieurs prircnt goüt , car il n'y en ent pas un qui ne me fit des cor.ipüinens pour avoir la fienne. Un d'entr'étix que je vis fe retourner pour rire , We mit au fait de la plaifanterie, ck aclieva de m'aréantir ; il n'y eut plus de cour.bettes : ma figure alla comme elle put , ck mes réponfss de mê.neLe Comte d'Orfan qui étoit un galant homme , d'un caractere d'efprit franc ck droit , continuoit de parler fans sVppcrccvoir de ce qui fe prfioitfilr mon compte; allons prendre place , me liit-il , St , je le uitvis : il me mena fur le théatre , oü la quantité de monde me mit a couvert de pareils affronts , ck oü je me piacai avec lui comme Üii homme qui fe fauve. C'étoit une Tragédie qu'on jouoit , MifhridatdJ s'il m'en fouvient: ah 1 la grande Actrice que celle' qui jouoit Monime .' J'en ferai le portrait dans ma. Cxieme Partie de même que je ferai celui des Acteurs Si des Aêtrices qui ont brillé de mon tems. Fin du Tome fecond.  LE PAYSAN PARVENU, OU LES MEMOIRES DE M * * * , Par M. DE MARI FAUX, TOME TROISIEME. A L A H A Y E, Chez PIER R E DEROGISSART. M. DCC. LXXXVIII.   LE PAYSAN PARVENU, OU LES MEMOIRES DE M***. S IXIEME F ART IE. JE fuis donc furie Théatre de la Comédie .• fi eett» pofition étonne mon Lefteur , elle avoit bien plus lieu de me furprendre. Qu'on fe repréfente le nouveau Monfieur de la Vallée , avec fa petite doublure de foie , qui lm inftant plutöt fe trouvoit déplacé , paree qu'il etoit entre quatre ou cinq Seigneuts; qu'on fe le repréfente, dis-je, dans le cercle des plus noblef. ou des plus opulens de la célebre ville de Paris, a cóté de M. le Comte d'Orfan , fils d'un des plus grands du Royaume, qui le regarde comme ami, & qui le traite en égal : on ne pourra certainement s'empêcher d'être étonné. Je vais bien vite , diront quelques Letleurs; je A »  ' rc 4 y Vai dej-a dit, Je le répete; ce n'eft pas moi qui marche ; je fuis pouffé par les événemens qu'il plait a Ja fortune de faire naïtre en ma faveur. Si je me plais d'ailleurs a répéter cette fituation , c'eft une fuite de cette complaifance avec laquelle je m'ingérai de rel-ever mon petit être , dès que , monté en caroffe , j'entendis donner 1'ordre au Cocher de nous conduire a la Comédie; - On doit fe reffouvenir qu'au mot feul de Comédie , j'avois fenti mon cceur fe goufler de joie. II eft vrai que ma fituation me fit bientöt changer de fentiment : Sc un moment paffe au chauffeur, en me rabaiffant, m'avoit fait croire un être ifolé dans ce nouveau, monde. M. le Comte d'Orfan y étoit trop occupé a répondre aux queftions de ceux qui i'abordoient, pour pouvoir m'atder a fouténii le róle qu'il me mettoit dans le cas de jouer pour la première fois : mais tout difparut, quand , eu marchant de pair avec ce Seigneur , je me vis fur le Théatre. Si la vanité ccde un inftant , elle & fes reffources infaillibles pour fe dédommager. Peut-on penlér, St. devois-je croire qu'une épée que je n'avois demandée a mon époufe que comme Mn ornement de parade , m-e ferviroit a fauver la vie d'un homme puiffant claris 1'Etat, & me metiroit, le même jour, dans le eas de figurer avec fes jpareils ï Je fuis perfuadé ( quoi que difent ceux qui fclament 1'efpace de temps que j'ai laiffé paffer entre cette fixieme Partie Sc les préedentes , ) qu'on conviendra qu'il ne falloit pas moins de vingt ans , pour revenir de la furprife dans laquelle mon courage St ma vidtoire ont riü jetter un chacun : mais je ne fais s'il en falloit beaucoup moins pour me rappeller de 1'éronnement ftupide oü me plongea le premier coup d'ceil- que je donnai a la Comédie. En moins de quatre ans , paffer du Village fur le Théatre de Paris , Sc par quels de«  %tès! Le faut eft trop haroU pour faire moins d'effet : mais enfin j'y ibis. A peine aflis, je promene mes regards par-tout; mais j'en conviendroi , pour trop avoir fous les yeux, je ne voyois rien exaaement, & peut-être dirois-je vrai , en avouant fimplement que je ne voyois rien. Chaque perfonne, chaque contenance, chaque habillemeat, tout m'arrêtoit , mais je ne me fatisfaifoi» fur aucune chofe en particulier. Je ne m'appercevois plus que j'étois déplacé , paree que je n'avois pas le temps de fonger a moi ; mille objets étrangers fe préfentoient, je les faififfois ; & 1'un n'étoit pas ébauché , que l'autre , en ié fubitituant , enlevoit 1'attention que je me propofois de donner au premier. Quel cahos dans 1'efprit du pauvre la Vallée, qui n'étoit révetllé que par mille fornettes , dont , fi la nouveauté le forcoit d'y prêter 1'oreille , la futilité le fatiguoit bientót 1 Bon jour, Chevalier, difoit un furvenant a celui qui étoit aflis. As-tu vu la Marquife ? Ah ! petit fripon , vous ne venez plus chez la Duchefte ; c'eft mal, mais du dernier mal. Voila nos gens, courus, fêtés : vous allez cent fois a leur porte, toujours en lair. Sais-tu quelle piece on donne? Qu'en dit on? Pour moi je foupai hier en excellente compagnie j la Comteffe de..,, en étoit ; ah ! nous avions du vin exquis, & 1'on but.... Le vieux Comte fe faotila rapidement. Tu juges que fa femme n'en fut pas fachée , elle eft bonne perfonne.... Oü foupes-tu ce foir ? Ah 1 tu fais le myftérieux ? Eh 1 fi donc , a ton age. Tout cela étoit dit avec la rapidité d'un difcours éttidié , 8c celui auquel on adreffoit la parole, avoit a peine le temps d'y couler de temp? en temps un oui ou un non , quand la volubilité du dncoureur ne 1'obligeoit pas d'y fuppléer par urï gefte de tête. Ces difcours étourdis ne différe»- A J  I] C 6 ) cioient dans la bonche du Vieillard cu du Robin ^ j que par une baleine plus reriouvellée , qui me fii j penfer que ces dialogues éroient moins un conflit I de complimens , qu'un projer formé de fe ruiner les I poumons de concert tk a plaifir. Un autre, a demi-penché fur une première loge, flébitoit mille fades douceurs aux femmes qui y étoient, tk qui les recevoient avec un léger fouris qui fembloient dire , la forme veut que je n'adhere point a ce que vous dites ; mais continuez néananoius, e;ir ma fuffifance m'en dit mille fois davantage. Si c'étoit-ja le langage du cceur , celui •qu'exprimoit la bouehe étoit bien différent. Pour perfuader qu'on n'ajoutóit point foi aux complimens , on accumuloit exagérations fur exagérations, qui tendoient toutes.a prouvcr que 1'on n'éloit point dupe de la politeffe : mais 1'ceil , comme par diflraftion, apprenoit qu'en continuant, on aijnoit la reconnoiffance. Pendant tous ces petits débats , préludes da fpeftacle , je rêvois ftupidement a tout. On n'en f fera point furpris, quand je dirai que je ne con-noiffois point ce grand air du monde, qui oblige la bouche a n'être prefque jamais d'accord avec le cceur. Je favois encore moins qu'une belle femme ne devoit plus parler fa langue matcrnelle , qnVlle en devoit trouver les expreffions trop foibles pour rendre fes idéés, tk que , pour y fuppléer , la mode voulcit qu'elie employat des termes outrés , qui , louvent dénués de fens , ne peuvent fervir qu'a mettre de la confufion dans les penfées , ou qu'a donner un nouveau ridicule a la perfonne qui les met eu ufage. Eh ! qu'on n'aitle pas dire que cela eft neuf: car il fe rrouvera peut-être bien des gens qui ont eu a Paris une plus longue habitude que moi , 8c qui liront ceci-avec quelque incré.lt.lité. M iis je ne voyois le monde que «ivruis mon manage centraSf  [. ( 7 ) ' . avec une perfonne qui ne connoiiToit d'autre langage que celui de le Tourncur ou cle Saint Cyran , St qui, au moindre mot de Comédie , le teroit écriée : bon Dieu ! mon eher enfant , vous alles vous perdre ; ainfi ma fimplicité eft a fa place, Toutes ces chofes ont leur terme, c'eft 1'ordre ; ma première furprife eut le fien , un 00117 d'archet me rendit a moi-même , ou pour mieux dire , faifit tous mes fens , St vint s'emparer de mon ame. Je m'appergus alors, pour la première fois , que mon cceur étoit fenfible. Oui , la Mufique me fit éprouver ces doux faififfemens que la véritable fenfibilité £iit n;:ïtre. Mais, dira-t-on, 1'on connolt déja votre ame. Mademoifelle H;iberd , Mefdames de Ferval & de Fécour , vous ont donné occafion de dévoiler aux autres votre penehant pour la tendreffe : vous deviez donc dès-lors le connoitre vous-même. Je conviendrai que ces expériences fuperficielleï re m'avoient point affez fervi, quoique je puifle , fans montrer beaucoup d'impriidence , St peut-être même fans craindre un'démenti , fiire parade d'inclination pour ces femmes ; ( on fait que, dans cette Ville , le nombre des corvquêtes ne fait point déroger aux fsntimens ) aufli-bien des gens a ma place fe feroient honneur de fe dire amoureux. Ce feroit même 1'ordre du Roman , du moins pour Mademoifelle Hüberd ; car- dans ces fiêtions 1'Amant doit être fidele, ou s'il a quelques égarcmens , il doit en revenir', les regretter, trouver grace , Sc finir par être conltant. Mais la vérité , je 1'ai déja dit , n'eft point aftieinte aux regies. C'eft elle aufli qui m'obligé de rappeller que , ■fi 1'on a bien pris les différens röles que j'ai été forcé de jouer anprès de ces Djmes , on a dü ■voir que routes ces avsnturcs étoient moins des affaires oü mon cceur fe n.it de la partie , que ets occafions oü mes beaux yeux avoient ieuls  C8> tout décidé. Oui, Ie gros Brunet accoutumé s i être prévenu, n'avoit point encore eu le temps de fonder fi fon cceur étoit capable de ptendre de lui- <| même quelqu'impreffion. . La reconnoiffance St 1'efpoir d'un fort que je | ne devois point attendre d'une rencontre fortuite | fur le Pont-neuf, avoit plus avancé mon mariage, li qu'un goüt décidé pour Mlle. Haberd. Je 1'ai fait j| preffentir , elle avoit trop fait en ma faveur pour ji prétendre a mon amour. On en eft facilement con- I vaincu , quand on voit que même devant qu'elie m'eüt accordé fa main, & a la veille de la recevoir, mou ame, que cette bonne dévote fe croyoit toute II acquiie , lui avoit fait une infidélité a la première | agacerie de Madame de Ferval on peut fe rap- ■ peller qae je rougis alors d'avouer que j'aimois ma 1 femme prétendue , & que j'aurois confommé ma I trahifon chez la Remi , fans 1'apparition imprévue I d'un Chevalier indifcret , qui glorieux d'ayoir mis I en fuite M. Jacob, fe crut néanmoins trop heureux i de le remplacer. Ma liaifon , ébauchée avec Madame de Ferval , auroit peut-être pu avoir un motif plus noble , fi ma vanité &t 1'intérêt ne l'eulfent point prévenu. Le ton rond St fans fard de Madame de Fécour, cette facon d'être la première a me demaüder mon amitié , fa groffe gorge.... Ah ! ceci étoit : un article délicat. Oui, toutes ces rencontres avoient I flatté mon cceur fans 1'éelairer : c'étoit une terre I qu'on avoit pris trop de peine a engraiffer, pour 1 en pouvoir connoitre la vraie qualité. Rien n'avoit donc encore découvert en moi cette I facilité a fe laiffer aller aux impreflicns que doit I caufer le vrai beau , quand la Mufique, eu frappant K mes oreilles , s'empara de mon ame. Elle fe réveilla , J car c'étoit la première fois que je pouvois a loifir | entendre , fentir St goüter fon harmonie. Si ceux qui m'environnoient, Si qui fembloient H  L ff) ïi'affifter au fpeêlacle que peur ne s'en point oo cilper, avoient tourné leurs yeux fur moi, ils m'au, roient pris du moins pour quelque Provincial 8c ' même du derr.ier ordre ; 8i le ris mocqueur qui dans le chauffoir avoit payé mes révérences redoublées, ■ auroit bien pu me déconcerrer de 'nouveau. J'évitai cette confufion , on fi , je 1'efluyai de la port de quelques-uns des fpeêtateurs, je fus affez heureux pour n'y point prendre garde , & par-la la félicité que je geüïois , ne fut point ttoublée. On lait que quelque mortifians que roient les objets extérieurs, fi cn eft affez fortuné pour ne les point cnvifagcr , ou qu'en les regardant on ait affez de courage pour les braver , on ne fort ' point de fa tranqtiilfité. Or , dans 1'extafe qui me • tenoit hors de moi-même , je n'étois en état de ' voir que ce qui pouvoit concemer le fpeöacle, tout le refte m'étoit étranger , 8c fembloit n'être plus fous mes yeux , rien donc ne me gênoit, & j'étois heureux. Oui, fi je voulois dépeindre mon raviffement, j'aurois bien de la peine a y réuffir : car que devins-je, quand Ia fcene s'ouvrit 1 Je n'ai jamais bien pu me repréfenter cette fituation, 8t a préfent même que je fuis fait a y paroitre fur les mêmes rangs, je ne pourrois démêler tous les mouvemens que j'y éprouve , lorfque j'y affifte. C'eft une fucceflion fi rapidement v Viée , que li 1'on peut tout fentir, je crois impofiïble de'tout retracer. Pour aider cependant a développer cette circonftance, qui n'eft pas la moins efféntielle de ma vie , puifqu'elle fut la fource du bonheur dont je jouis maintenant , qu'on fe repréfente Jacob , qtii, de couduöeur des \ins de fon pere, eft devenu valet, qui de fa condition a paffé dans les bras d'une Demoifelle qui 1'a mis a la tête de quatre mille livres de rente , en un mot , qui fe ttouve I au Théatre de la Comédie*.  A en jiiger par ces trans reunis, 1'on me voit oflis droit comme un piquet, n'ofant me pencher fur la banquette comme mes voifins, ne me retournant qu'avec précaution , envifageant avec une ' attention fcrupuleufe tous ceux qui font quelques mouvemens : on ne me demandera point pourquoi cette derniere précaution; on m'épargnera la honte de me voir craindre quelqu'apoftrophe pareille a celle qui me fut raite chez la Remi ; j'euffe en effet été terraffé , Sc peut-être encore obligé de quitter honteufement, fi 1'on eüt falué d'un Monf. Jacob, le libérateur de M. le Comte d'Orfan. Cette réflexion que je faifois de temps en temps, pafTa alors fans que j'y fiffe trop attention. Un coup d'ceil nouveau ne me permit pas de m'y arrêter, & m'enleva, pour un inftant, toute 1'attention que je m'étois promis de donner a la piece qu'on repréfentoit. Cinq ou fix jeunes Seigneurs ,fans avoir éeouté ni regardé ce qui s'étoit paffé ou dit , mais après avoir parlé chevaux , chiens , chaffe ou fille , fe déterminerent a fe retirer. Ce projet me flattoit intérieurement , du moins autant que leur facon d'être préfens m'avoit for'malifé , quand avant de partir , ils voulurent avoir une idéé du fpeftacle. Je vis tout-a-coup braquer de toutes parts un tas de lorgnettes , qui alloient pénétrer dans chaque loge , pour découvrir quelles beautés y étoient. Les contenances , les vifages , les ajuftemens, tout étoit matiere a leur critique ; on couloit rapidement fur chaque objet. Cela occafionnoit de part 8c d'autre , ici un falut , la un gefte de connoiffance , d'amitié ou de familiarité ; enfuite tous ces contemplateurs , après s'être repenchés fe communiquoient leurs découvertes ; 8c la fin étoit toujours de débiter quelques anecdotes fur les perfonnes connues , ou de donner a celles qu'on ne connoiffoit poiiit , un age proportionné au  C ti ) frapport que 1'inftrument fidele ou infidele pouvoit fans doute faire. Quoique cette finguliere méthode ■ de regarder , & les propos qu'elie produifoit , i me fachaffent par les diftraétions que tout cela me caulbit , je ne pus cependant m'empêcher de rire. J'avoue en effet que je ne pouvois concevoir :1a raifon qui donnoit un fi grand crédit a cet . ufage , & je me demandois fi c'étoit un reproche dou une galanterie qu'on faifoit a la nature. Pour m'éclairer , j'examinai fcrupuleufement ces lorI gneurs. ( Car les plus jeunes me paroiflbient les plus djemprefles a fe fervir de ces lorRiiettes, ) Ont-ils la vue foible, me difois-je a moi-même, Ó ou les hommes doivent-ils ne venir au fpecf acle avec I des lunettes , que comme les femmes n'yafiiflent il qu'avec des navettes ? Une certaine timidité m'emi9 pêchoit , en interrogeant M. d'Orfan , d'être lfinftruit tout d'un coup. II m'en auroit trop coüté ïde paroïtre novice , St j'aimois mieux tacher de sdécouvrir par moi-même. Je voyois de tous cötés »de beaux yeux, dont le nerf me paroiffbit foj lide , la prunelle ferme St le cryftallin brillant, itlorfque je m'appercus que , par un motif contraire , je caufois un étonnement pareil a celui que j'é- prouvois. Que je favois peu ce que je faifois , quand je me fachois contre un inftrument qui alloit me de- : venir fi favorable ! Oui , je ne fus pas long-temps a regretter moi-même de n'avoir pas eu affez d'ufage du monde pour m'être muni d'une lorgnette , avant d'entrer au fpeftacle. Avant d'en venir a ce point intéreffanr , je ne puis m'empêcher de dire i encore un mot fur la manie de ceux qui occupent ces rangs , oü je me trouvois alors fi mal a mon itaife. < J'écoutois fouvent les Acteurs fans pouvoir en» tendre leurs paroles. Un| petit-maitre fe levoit,  (« ) fe tournoit potir débiter en fecret a fa droite ou a fa gauche , une fornette qu'il auroit été faché de ne pas faire paffer d'oreilles en oreillcs. Le ton haut avec lequel il la débitoit, paroiffoit dire a tous fes voifins : fi je veux bien donner a mon ami une preuve de mon affection , en lui confiant mon fecret, je ne vous crois pas indigncs de le partager. Oui , je continue fur ce ton , vous pouvez 1'eutendre ; mais 1'apparence de myftere que j'emploie , doit fuffire pour ne me pas taxer d'indifcretion. Moi-même au commencement je voulois m'écarter parrefpeét; ( il refte toujours quelque teinture de fon premier état , ou du moins le temps feul peut feffacer. ) Mais k la fagon dont la voix fe groflilfoit , je compris que je n'étois pas de trop. Ce fut alors que je pris la généreufe réfolution de confulter M. le Comte , car le premier Acte qui finiffoit, le rappelloit au chauffoir , Si je devois 1'y fuivre. Monfieur, lui dis je , il vous paroitra étonnant qu'un homme qui a été affez heureux pour rr.ériter vos attentions , paroiffe aflez neuf fur le Théatre pour être furpris de tous fesufages ? Que ce début n'étonne point, il avoit été bien ctudié , 8c j'ai déja annoncé que mon langage fe poliffoit. J'ai été élevé a la Campagne , continuai-je ,' Sc la on fe fert bonnement de ce que la Nature a donné. Quelquefois nos vieillards ont recours a des 'yeux polfiches pour lire k notre Eglife ou dans la maifon ; mais pour regarder Pierre ou Jacques, pour parcourir une chambre , je ne les ai jamais vu prendre des lnnettes. Les. yeux feroient-iis donc plus foibles k la Ville qu'a la Campagne , Sc a Paris qu'en Province ? Si M. d'Orfan , qui , quoique jeune , confer-. voit affez de raifon pour ne pas poulfer a 1'excès les ridicules, fut étonné de ma demande St de la fa 5011  facon dont je Ia tournois , il ent aflez d'httmanité pour ne pas me faire fentir toute Ia furprife qu'elie lui caufoit. On penfe aflez que j'en devinois une partie ; mais, ce qu'il m'en matqua fut pour ainfi dire , infenfible, * Ce que vous dites , mon cher , me répondit-il eft fage & bien penfe' , fi la mode ne le com'. battoit pas. II eft du bel air de regarder par I» fecours d'un verre ; 8c quoique 1'ceil foit fuffifant je Ais même plus , quoique le plaifir de la vue doive ê:re plus fenfible quand 1'objet fe retraee direêtemenr dans la tétine , 1'ufage , oui , l'ufaae ne penner pas de s'y borner , ck ce feroit fe ridiculer que d'agir autrement. Je blame cette methode peut-être plus que vous , & cepeudant je iuiS contraint de la fuivre ; mille autres font de notre lentiment , qui n'ofent s'éloi-^ner de cette pratique ; mais ce qui doit paro/tre plus «tradrdinaire:, c'eft qu'il fc-mble que plus on eft tayorife pour cette fonöion , & moins on doive laire la gloire de fes avantages. Pardi , repiis-je , qu'eft.ce donc que cette mode qm fait combatrre fes penchans , & qui i/end inutiles^ les bienfaits de Ia Providerice ? .C'eft, me dit-il, une efpece de convention racne qui prcfcm de s'arrêter a telle chofe , paree que le pius grand nombre y adhere 8i la pratique. * Je crois, dis je en 1'interrompant , nue c'eft faire honte a la Nature. A la Nature , reprit-il Z c - 7r!Zlt-0n atm*W i EHe nous a formés , ia fonöion eft remplie ; du refte, que doit elle siuqui,'ter J Eile nous a donné des organes , c'eft a nous d'en régler les mouvemens 8t de décider les fervkes que nous prétendons en tirer. Mais cette facon de s'a'ffepir , lui dis-je , 011 pour mieux dire , de fe coueher , eft-elle auffi prefente par la mode? Eft-ce donc cette mode lome 111. £>  ( 14 ) q*ui fait venïr au fpeftacle pour ne s'en pas occuper ? Autant vauriroit- il relttr chez foi. Oui , mon ami , me dit-il , il n'appartient qu'a un Provincial ou a un Bourgeois de paroïire atlentif a la Comédie : il eft du bel air de ne 1'écouter que par diftraftion. Remarquez bien, rfjou»a-t-il , que je ne renferme dans la clafle de ctux qui doivent écouter au fpeêtacle , que les Provinciaux ou les Bourgeois : car le Clerc & le Commis ont le dtoit , St font même obligés dans le parterre , de copier les aétions que le Grand met en parade fur le Théatre ; St la mode , voila le tyran qui le lui ordonne. Ici s'évanouiflbit tout le röle de M. de la Vallée , St Jacob reparoilfoit tout entier , les yeux ouverts St la bouche béante : j'écoutois M. d'Orfan avec une ftupidité qui fe fentoit fort des prérogatives de ma pr.trie. La Champagne , ( comme on le fait ) malgré les génies qu'eile a produit, ne paffe pas ordinairement pour avoir de grands droits iur 1'efprit. M. le Comte , que fes habitudes a la Cour rcndoient affez pénétrant pour découvrir ce que tout autre moins clairvoyant auroit facilement appcreu , fut afllz bon pour me cachet qu'il me pénétroit; il me propofa de rentrer au Théatre , je le fuivis. Je ne fus pas arrivé , que je me trouvai fujet aux m&mes diftrattions, cela me fit prendre la réfolution de ne donner a la piece qu'une attention fuperficielle , St de promener mes regards dans les loges, amphithéatre 8t parterre. Me ;Voila donc un peu a la mode : j'aflide maintenant a la Comédie , c'eft-a-dire , que je fjis nombre au fpedWle. J'entends de temps a autre des baftemens de niains ; mes voifiris s'y Uuiffent , je m'y joins machinalement: je dis machinalement , car ce que m'avoit dit M. d'Orfan m'avoit fait imptvflion , & je eroyèis tout de mode, j'ap-  C 15 ) fciaudifïois fouve.it fans favoir pourquoi. En effet,' je m'imaginois connoitre le beau a un certain falfifieraent qui me paffoir dans le fang 8c me fatisfailoit , mais rarement applaudiifoit-on quand je 1'éprouvois : j'aurois fouvent gardé le filenc» quand la multitude nfentrainoir , 8c fouvent au contraire je leprochois au parterre une tranquiilité eruelle qui m*empêchoit de manifefter les tranfports de joie qui s'élevoient dans mon ame. Ce feroit ici le lieu de faire le portrait 8c d« donner les carafteres des Acïetirs 8c des Aftriees qtu j uioient ; m^is on fent affez qu'entrainé pat le terrein , je n'ai pu affez les étudier pour fa. tisfaire fumfammelit le public fur cet article. II eft vrai que 1'étude que j'en ai faite depuis , pourroit y fuppléer ; mais oi.tre que depuis que j'ai interrompu mes Mémoires j'ai été prévenu , c'eft que d'ailleurs je me fuis impofe la loi de fuivre 1'ordre de mes événemens , 8i qu'alors je n'atirois pu les peindre , faute de les connoitre. Je me contenterai de dire flmplement que Moriïme m'arrachoit , même malgré moi , de ma diftraction , quoiqu'elle fut volontaire. Je n'étois point encore familiarifé avec les beautés théatrales ; mais 1'aimable fille qui repréfentoit ce róle portoit dans mon ame un feu qui fufpendoit tous mes fens. Rien d'extérieur dans ces inflans ne pouvoit plus les frapper , Sc dès qu'elie ouvroit la bouche , elle me captivoit ; je fuivois fes paroles , je prenois fes fentimens , je partageois fes craintes , St j'entrois dans fes projets. Oui , je lui dois cetre jultice : la grace qu'elie donnoit a tout ce qu'elie prononcoit, le lui ren-doit fi propre , que , tout firnple 5c tout neuf que j etois , je m'appercus bien que je m'intércffois moins a Monime repréfentée par la Dlle. Gauflin , qu'a la Gauflin qui paroirfeir fpus Ie nom d« Monime. II éft parmi les AQeurs St les Adric»» B z  ( '6 ) «fes rangs différens proportionnés aux qualités qu'exige chaque genre de perfonnages. J'aurois youlu pouvoir remplir , a leur égard , la loi que je m'étois impofée a la fin de ma cinquieme I'artie. Mon filence méconrentera peut-être Sc .Acteurs & Ledteurs. En effet, fi les grands hommes en tout genre ont des droits fur notre eftime % qu'on ne peut leur refufer fans injnftice , la pofiérité réclame le plaifir de les connoitre. Elle leur rend juftice ; Sc cette équité , a laquelle on la force , pour ainfi dire, fait plus d'honneur a la Nature , qu'un préiugé vulgaire , qui cherche a les ïétrir, ne peut leur imprimer de honte. Ce n'eft donc point pour diminuer la gloire qui leur eft due , que je me tais fur leur conipte. Je n'avois point d'attention : je ne pouvois bien les conIioitre : voila les motifs de mon filence. Ah! bon Dieu , dira quelqu'un, ce n'eft que Trop nous amufer fur le Théatre. J'en ai prévenu ; cette fituation , toute fimple qu'elie paroit par elle-mèrae , eft la plus ïntéreffante de ma vie. II r.'étoit pas inutile de m'y bien envifager; cela ifervira a prouver combien la fortune prenoit plaifir a me favorifer , puifqu'une pofition , qui auroit pu nuire a tout autre , va devenir la fource du bonheur dont je jouirai par la fuite. Non , jamais je n'oublicrai cet heureux inftant ; qu'on ne fe fache donc pas fi j'y infifte volontiers; c'eft affez annoncer que je ne fuis pas las de ma fituation , Sc que je fuis décidé de Ia reprendre. Le quatrieme Acte alloit commencer , quand M. d'Orfan falua deux Dames qui étoient a une première loge du fond. Je regardois depuis quelque temps cette loge avec attention , paree qu'il m'avoit paru que , par le fecours d'une lorgnette , on y avoit voulu connoitre a qui 1'on avoit obligation de I'attention avec laquelle mes regards s'y portoient , même fans réflexion. Lef  C «7 ) iaLit Je M. d'Orfan me fit prendre garde a cett# fcirconftance ; ie me dis alors qua ce Seigneur étoit 1'objec de cette curiolitc , mais je vais être défibufé. La politefTe de mon nouvel ami ne m'échappar pas , je vis qu'a l'une il donna une révérence d'amitié qui annonfoit une connoiffance entiere j mais que Piiurre he reent de fa part qu'un hipt refpeftueux, que j'ai appris depuis être plus faitpout flatttr la vanité , que pour conteurer le cceur. L'une St l'autre civilité lui furent rendues avto les mêmes proportions. Je les fuivis des yeux , j'envifageai ces deux perfonnes , ie m'appercu's qu'un mot qu'il me dit alors , parut les inquiéter ; mais un grand ceil brun St'brillant que I» feconde Dame fixa fur moi , lorfqu'un regard timide fembloit le -chercher & 1'éwter tout a la fois , me déconcerta. Je foupco'nnai par fa vivacué _a fe détourner , qu'elie étoit fachée que je reuffg fnrprife ; mais 1'ardeur avec laquelle elle patloit a fa compagrfe , qui ne faifoit que redoubler fon attention ü me regarder , fembloit me dire . je vous prie df conrinuer, mais n'at-" tnbuez mes réponfes qu'a la diftraaion. Les yeux de cette perfonne me paroiiToient s'animer , car je m'étois enhardi , ck rien n'étoit plus capable de me retirer de cette loge : le rouge m'en monta au vilage ; & M. d'Orfan , qui s'en appercut fans doute , me dit : Cher , cu je me tromperois fort, ou je ferai plaifir a une de ces Dames que j'ai faluées , de vous mener ce foir chez elle. Je ne puis , lui dis-je ; «ta femme.... Ah ! votre femme reprit-il avec vil vacité. Vous êtes donc marié \1 i'ant pis: mais «pfeft-ce que cela fait 1 vous êies-a moi aujourd'htii ; je vous riois la vie , & je n'ai pas trop de la journée entiere pour faire connoiffince avec Tous. Vous ne ms quitterez pas : cela eft décidï,  Qtie pouvoit repondre M. de la Vallée ? C'eft: lin Seigneur qui décide , & je ne puis qu'obéir. Je tachois cependant de ttouver quelques termei I pour me défendre ; car mon époufe me revenoit a I 1'efprit, £k je craignois de lui caufer quelqu'in- | tjuiétude , ( il ne faut que de la reconnoiflance 1 ynur ménager les perfonnes auxquelles on a obli- | gation. ) J'allois donc repliquer a M. d'Orfan , | quand un coup-d'ceil jetté par mon nouvel ami E fur les perfonnes de la loge , me parut avoir lié f la partie. Que la réponfe des deux perfonnes , telle que f je crus la lire dans leurs regards , me fembla f différente ! Celle a laquelle s'adreffoit le Comte , par un gefte fimple , lui difoit , comme vous voudrez ; mais l'autre fembloit timidement lui marquer fa graritude d'être fi bien entré dans fes defirs. Cette remarque que je fis , jointe a ce • que me dit M. d'Orfan , m'obligea de faluer ces Dames , Sc j'ofe dire que fi mon falut étoit une fuite de politcffe pour la première , il marquoit a la feconde combien je lui avois obligation , St cette obligation ne faifoit qu'enflammer mes regards. J'étois comme immobile , les yeux toujours fixé» fur cette loge : fi celle qui trt'y arrêtoit détour» 'noit quelquefois les flens, bientöt, fans prendre garde a la rougeur qui couvroit fon front, un mouvement involontaire les ramenoit vers moi. Leur fatisfaflion m'apprenoit qu'elie étoit enchantée de ne les point porter en vain de mon cöté : & les miens , par leur afiiduité , devoient la convain» rre que fes bon, me flattoient. II eft bien doux , quand on fent naitre les premières impreilions de la tendrefle , de pouvoir penfer , ou qu'elles fout psévenues, ou qu'elles peuvent au moins fe dire , pous fommes entenducs & peut-être agréées. La Comédie finit; enfin il fallut fortir, M. d'Or-  fan me répéta de ne point longer a le qtutter. Je n'y penlbis plus. En traverl'ant les couliffes , je fus fpectareur oifif de cette liberté légere réfeivée aux tiires & aux richelTes, qui fait dire une galanterie a une Actrice, qui en fait chiffonner une autre, rieam-r avec celle-ci, fourire avec celle-la ; en un mot, qui vaut a chacune quelques faveurs, pendant que quelquefois on lache un compliment fouvent mal-adroit aux Acteurs, qui peuvent prendre quelqu'intérêt a la conduite de ces perfonnes qui font leurs moitiés préfentes ou futures. Ce fut en confidérant ce fpedtacle de nouvelle efpece , que nous nous rendimes a la porte de la loge diius laquelle étoient les Dames que nous avions faluées : les complimens furent courts & nous defcendimes. Je donnai la main a celle qui avoit paru me diftinguer. Elle la recut avec un regard timide St qui fembloit annoncer que le cceur , en balancant , auroit été faché de ne la pas accepter : pour moi, la joie que j'éprouvois, un certain failïffement auquel je m'abandonnois fans le vouloir, me la firent faifir avec ardeur. J'appréhendai bientöt que ma hardieffe ne fe fentlt de ma rufticité. Je regardois M. d'Orfan , 8t ie tachois de 1'imiter : je parlois peu , par la crainte que j'avois de mal parler , je fentois que je n'étois plus a mon aife comme avec Mde. de la Vallée. J'appréhendois de deplaire , fans pénétrer encore le rieffein décidé que j'avois de plaire. I.e cceur n'eft qu'un cahos, quand il commencc a reffentir de 1'amour : c'étoit ma pofition. Quoi qu'il en loit , fans fortir de ma fimplicité , mais ajuftant mes réponfes fur nies légeres réflexions ,-il me parut qu'on m'écoutoit fans peine , & par-la je gagnois beaucoup. 11 eft vrai que je dois cette juftice a M. d'Orfan , que préfumant 1'embatras de ma fituation , il ne laiflbit échapper aucune occafion de rendre l'entreticn général, £4 qu'il y fcurniftbit li  (:o5 febondamiftent, que je n'avois ie plus ordinaire* meur a placer qu'un oui, Madame ; non , Monfieur. C'eft d = cette f.| délivré fon époux des mains de trois affadins ! J'a-j voue'rai que fi elle avoit lu dans mon cceur, ellelj y auroit découvett que Mde. de Vambures méritoiti) de partagcr fa reconnoiftance. Je n'étois pas éveillé le lendemain , qu'on nfl temit un billet de Mde. de Fécour , qui m'ordon-J1 »oit de me rendre chez elle fut les onze heweS'.  I C J5 ) : jiour affaires importantes. Mde. de la Vallée voulut |le voir fans s'en rapporter a ce que je lui en difois ; !& fi elle me permit de me lever pour me rendre au drendez-vous , ce ne fut pas fans m'avoir témoidgné 1'agitation qu'elie auroit jufqu'a mon retour. Je lui promis de ne point tarder. Que de tendres jembraffemens me prodigua-t-elle , avant d'ajouter i'foi aux fermens que je lui faifois pour garantir la parole que je lui donnois 1 Qu'on dife tout ce iqu'on voudra , fi quelqu'un en a fait 1'épreuve «comme moi , il conviendra que la dévotion a pour llcmouvoir la tendreffe , des refiburces inconnues ia tous ceux qui ne profelfent pas cc genre de jjvie. Oui , dès que j'étois avec mon époufe un imoment, j'oubliois tout le refte. Telle uharmante Ique m'ait paru Mde. de Vambures , telle profonde ique fut 1'impreffïon qu'elie m'avoit faite, j'avouerai ijnuement que les charmes que je goütois dans les 'ibras de ma femme me rendoient infidele a 1'amour Ique je fcntois pour la première. Que le cceur de 1'homme eft incompréhenfible ! |Je n'avois pas quitté le lit , que 1'idée de mon «époufe céda dans mon efprit a celle de mon aman,lte , St je redevins tout autre. J'aurois fouhaité pouiijvoir lui rendre vifite a 1'inftant: mais, me dont la vanité n'étoit point dupe : mais je la ccnnniffbis mal; un peu plus, un peu moins de jtceur lui étoit totaleinent indifférent, aufli ne reprit-elle rien de mon difcouts que je croyois fort intó, efianr , que 1'inftant 011 je m'étois trouvé , pou: ainfi dire , par hafard dans la maifon cle M. d'O.ville. Le fort t'a bien fervi , dit-elle. Tu ne penlés pjus a perfonne qu'a cette femme. Perlonne n'effacera de ma mémoire les obligations que je .vous ai , St ma reconnoiffance.... Ah ! tu devieus complimenteur , reprit eett* bonne Dame , abanclonne cet ufage. Tu me plais , gros brunet; h me fais un plaifir en te fervant, St fi ie fouhaite de vivre , c'eft pour décider mon f ere en ta faveur. Approchc-toi , me dit-elle, car je m'étois teuu debout devant fon lit. Tu es toujours timide , eft-ce que je fuis fi changée ? Ce qu'elie dit en ajuftant un peu fa coëffure,  ( 4i ) ck ce mouvement me fit voir fa gorge & fon bras; Mets-toi li , continua-t-elle , en me montrant un fauteuil qui étoit auprès de fon lit , agifibns librement enfemble. Je te 1'ai dit , tu me plais. En difarit tont cela , elle jettoit de temps a autre un coup-d'ceil en deffous pour voir en quel état étoit fa poitrine ; puis les relevant fur moi, elle paroiflbic contente d'y voir mes yeux attachés qui s'animoieht par ce fpeöacle. Sais-tu bien que ta ptéfence eft dangereufe , reprcnoit-elle alors ? mais fi j'ailois mourir ! Ah ! Dieu eft bon. Baiiiiilfez., Madame , lui dis je vivement, cette idéé qui me pénetre de douleur. Le pauvre enfant , dit elle , il s'attendrit : en prononcant ces mots , elle avanca fes bras vers moi , j'aïiai audeVaut , 8< je lui imptimai ma bouche fur cette groflé gorge , dont je ne pouvois me détacher , quand un bruit imprévu m'obligea de me retirer. Ce mouvement ne peut sürement point être at-tribué a 1'amour. J'étois touché de 1'idée de la mort dont m'avoit parlé cette Dame a laquelle j'avois des obligatioris ; Ia gratitude qu'elie me témoignoit pour mon attendriffement , fit feule tout 1'effet qu'on vient de voir : il eft fouvent des carafteres d'amour qui éehappent , Sc qu'on donne ou qu'on recoït par reconnciflance , ou par quelqu'autre motif , fans que le cceur y entre pour rien. Je me retir-i donc de cette pofture , & je fis fort bien , car c'étoit M. de Fécour qui revenoit avec fon Médecin , qu'il avoit promis, en Ibrtant , d'amtner au plutöt a fa fceur. Madame de Fécour reupit a ce gra-ve perfonnage un Compte préiipité de fon état; le ton dont elle s'expxipioif fen:!>ioit lui dire , vous êtes un impofteur , fitfiÜes Sc retirez-vous ; Sc m'adreflbit équivalemafent ces paroles : il eft venu bien mal» . U i  a-propos: je commencois a efpérel' pour ma vie mais cet affaffin vient en airêter le progrès. Quelques coups d'ceil que cette Dame lacha fur moi en prononcant le peu de mots qu'elie difoit a fon Médecin , plus que la vivacité qu'elie devoit avoit dans le fang , ne permirent pas a 1'Effculape de douter des motifs de 1'impatience que lui témoignoit fa malade. Cela auroit peut-être été plus loin , fi M. de I'écour , pour mettre ce moment a pront , ne fa'eiït fait figne du doigt de m'approcher d'une einbrafure de fenêtre oü il s'étoit retiré. Je fui charmé de vous retrouver encore ici , jeune homme, me dit-il. Avez-vous bien penfé a ce dont je vous ai parlé tantó.t 1 De quoi ell-tl queftion , lui répondis-je , comme fi j'étois étonné l Je dois cependant avouer qu'il n'avoit point ouvert la bouche fans me mettre au fait de ce qu'11 efpéroit de moi ; mais je faifois 1'ignorant pour lacher d'en éluder la décifion qui ne pouvoit que lui déplaiie , & par-la me faire perdre fes faveurs. 'J eft de ces érats oü 1'opulence'rend les defirs ampétueux, on croit alors qu'il fuffit de les fentir ou de les faire paroure , pour avoir droit de les voir courounés. L'appas que 1'or a pour ceux qui Ie pofftdent, leur fai: croire facilement que per-, fpnne ne peut réfifler a fon amorce. II e(t dans 3a nature de préter aux autres les fentiniens que nous fivorifons. De-li un financier fe croit sur 43*ll fuccès , dès qu'il ajoute a fes propoiitions , je vous donnerai. II eft vrai que ce terme, a leurs yeux , augmente d'autant plus de valeur , qu'ils ont moins courume de le mettre en ufage , & ils ne peuvent fe perfuader qu'il y ait des facons de penter différentes de Ia leur. Plein donc de ces idéés , M. de Fécour me dit, la d'Orville m'a parue jolie , fcn mari eft  ( 4} ) un homme confifqué , elle eft jeune, & elle aura befoin ile fecours , tu n'as qu'a lui dire. de s'a-. dreffer a moi. Monfieur , lui répondis-je , cette propofition au* roit plus de force , fi elle étoit faite par vousmême. Je ne connois point Madame d'Orville ; mais vous qui protégez fon mari , qui le foutenez dans fon pofte , vous avez plus de raifon de faire valoir vos intentions. Je fuis peu propre a les lui bien rendre. Que tu es nigaud , reprit ce financier; je te le dis, il faut que tu la voies, mes occupatious ne me permettent pas les afliduités. Tu lui diras que je 1'aime , Sc qu." non-feulement je lui donne la eonfirmation de 1'emploi de ion maii , ( prends bien garde que c'eft a elle a qui je le donne ) mais que ie veux encore pourvoir a tous fes befoins. Je ne lui demande pour toute reconnoiffance , que de venir après demain chez moi , 8c la nous réglerons itout enfer-ble , n'oublie rien pour réufïïr , tu as • de 1'efprit, 8c ce fervice re vaudra plus auprès de moi que la recommandation de ma fceur , ou de qui que ce foit. Je vous avoue que je ne concois rien a ce que vous exigez de moi, lui dis-je piqué au vif, j'iTois parler d'amour a une perfonne que je ne connois point , & cela pour vous ; mon cceur ne peut b'y réfoiidre. Pour moi , je. crois que quand on ■ime , % on le dit foi - même ; fi la tendreffe e ft réciproque , on vous répond de même ; mais je fc'entends rien a ces traités par lefqueis des tiers ir.aichandent un cceur que les offres doivent déeider. Ne foyez point faché , Monfieur , mais je me vois inutile dans cette circonftance. Dans ce cas , me dit-il , tu n'as pas befoin de moi , tes fentimens héroïques fetont ta fortune i Lis-les , 8c tu verras de quelle belle relfource ils te feront. Je trouverai quelqu'autre qui faurs  ( 44 ) 'décider mes faveurs en iervant mes deflrs. Tu ne feras jamais rien , je re le prédis ; ma fceur dit que tu as de 1'efprit , St moi je vois que tu n'es qu'une béte. II fe retira en me jettant un coup-d'ceil dédai-' gneux , accompagné d'un fouris moqueur, au quel je ne répondis que par une courbette , dont je ne pourrois dire la valeur : mais quelqu'aflligeante que fut pour moi la cohclufion de ce difcours ,; je fentois qu'intérieurement mon cceur me difoit] tu as bien fait , la Vallée , tes beaux yeux , tes traits , ta jeunelfe te mettent dans le cas de s'ertij ployer pour toi auprès des femmes , St tu n'espas taillé pour êrre le meffage.' de Fécour. J'avouerai cependant que li M. d'Orfan ne m'avoit pas fait compter fur une proteftion puiffante de fa part pour décider ma fortune , peut-être* jnon cceur eüt il été moins glorieux : mais j'avoifl fa promeffe , St cela me fuffifoit pour fourèniq mes fentimens. Dans cette difpofition je fuivis M. de Fécour* auprès du lit de la malade. L'eritretien que je ve-4 jiois d'avoir, en :ne piquai^t , avoit animé mon vifage' d'une rougeur que la honte imprime comme le'; plaifir. Qu'il eft beau , dit fans facon Ia malade ! Oui , dit gravement le Médecin , ce vifage eft: aimable.... mais il ne fera jamais rien , ajoutaj brutalement le financier.... Sc paiiant aufli-tót au preinier , que dites-vous de 1'état de ma fceur 1 1 Ce qu'on lui a ordonné jufqu'a prélént , répon'4 dir-il , eft bon , il n'y a qu'a continuer : maiÉ qu'on la laifle en repos ; car je lui trouve le fang' tfès-ému. Un regard qu'il me jetta , en pronon»* Cant ces demieres paroles , me fit léntir que 1'ordonnance venoit de fe régler fur 1'impreflion qti'ayoit fait le gros garcon. Et en effet , léroir-il poffible qu'un homme qui n'a jamais vu le malade qu'il vifite , put dans  ( 4J ) I 1 inftant fi bien prendre fon tempérament Si fosï | état, qu'il décidat infailliblement ce qu'il llü I faut ? Rien n'échappe a ces prétendus Dofteurs-, 1 Un coup-d'ceil , un difcours les reglent mieux i fouvent que le battement d'une artere , auquel I ils paroiffent fort attentifs. Sij fa malade avoit ofé , elle lui auroit donné I un démenti qui fe feroit trahi lui même ; ce feroit I un crime irrémiflible de s oppofer aux décifions I de la Faculté. Elle , qui n'y entendoit aucunes I facons , auroit peut-être eu cette ténitrité , fi fon I tiere, en la prévenant, n'eüt prefcrit d'un ton I unperieux que chacun eüt a fe retirer. Son difcours I ne pouvoit s'adreffer qu'a moi ; mais je ptnf» I qu il vouloit le rendre général , moins pour ne I pas me parler direétcment , que pour fe fiatter d» I faire obéir un grand monde a fes ordres. Je faluai la malade, qui me recommanda da i| nouveau a fon frere ; mais il ne lui répondit que I ces mots , 8s même fans fe détourner , il fait ce I que je lui ai dit, c'eft a lui d'obéir , & je me 1 charge de fa fortune. S'il ne veut point , je ne l puis le forcer, adieu; & il partit far. me re4 garder , quoique je me fuffe rangé pour le laiffer ; paffer. 'ft Je fus obligé de 1* fuivre. Je paffai chez Mas dame d'Orville , non pour m'aequitter de la comImiflion de M. de Fécour , mais pour lui faire part I que 1'emploi de fon mari lui étoit confervé. ElLe 1 étoit fortie , ik le' Domeftique m'apprir que M. 1 d'Orville étoit fort mal , & que je ne pouvois le I voir. Je me rendis chez moi. En rentrant, je trouvai Agathe fur la port9 i Vous êtes bien raifonnable aupurd'hui, me dit-elle, ! M. de la Vallée ; paffez-vous donc fi vite 1 J'auroiï I ciu manquer a la politefle fi je n'euffe répondu k B'invitation qu'elie me-faifoit d'entrer. -J'eus un inftant de convetfation avec cette petite perfonne ,  quï ne Fut pas aflez intérefïante pour être rcndue.'E II me 'fuflira de dire sn gros que fon Iangngei étoit moins pétlllent que celui de fa mere , parcetj qu'il y entroit plus d'art. Ah ! fi vous aviez vul 1'inquiétude que votre femme euthier, difoit-elle , quand elle ne vous vit pas revenir , vous auriii bien connu le pouvoir que vous avez fur fon cceur. Ma femme eft bonne , Mlle. Agathe , lui dis je , 8t je vous fuis obügé de travaillcr a augmenter ma reconnoiflance pour elle. C'eft d'un bon cceur. Aufli le fuis-je , reprit-elle; mais vóusj dévez la partagej cette reconnoiflance , car ma mere 8t moi nous en-s trons bien fincéremcnt dans fes peines. Oui, nous étions inquietes , on ne favoit que penfer , Sc tout nous alarmoit. Je ne difois mot, par exemple , moi , mais je ne penfois pas moins. Je ne fuis point ingrat , repris-je , Sc vous pouvez être perfuadée que je reflens , comme je le dois , la part que vous prenez a ce qui peut m'arriver. Je lui baifai alors la main qu'elie m'abandonna en feignant cle la retirer. Je voulois lui marquer par ce geile la fincérité de mes paroles , Sc fes yeux, par leur vivcité , annongoient que la petite perfonne n'éi{?it pas fachée de 1'impreflïon qu'elie croyoit m'avoir faite , quand ma femme entra , foutenue par Madame d'Alain. J'avois raifon de dire que je vous avois entendu, me dit ma femme. Cela eft fort joli, Mlle. En vérité je ne me ferois pas attendue a cette incar- '■ tade de votre part , la Vallée. II vous faut de la jeunefle : cela eft beau. Je quittai rapidement prife , Sc fans trop favoir Cè que j'allois dire , je me tournai e'u cóté de ma . femme avec plus de trauquiiliré fur le vifisge que dans le cceur. Mlle. , lui dis-je , me racoutoit jufqu'a quel print vous Aires inquiete hier au ï loir ; touché d; vos bontés , je lui marquois ma  ireconnoiflance de fon attention a me les faire» Eonnoitre. Je ne vois rien la qui puifTe vous fatcher. , | Hé bien , ma mie , rcpreud Mde. d'Alain , quel fm-il a cela? Cette petite fille vous aime, elle Brend pait a vos peines , elle les raconte d'une (maniere touchante , on lui exprime qu'on lui eft ïobligé : venez y voir. Allons, allons, point de Ijaloulie ; elle eft jeune , eft-ce fa faute fi vous êtes Ip'us agée ? il faudra bien qu'elie vienne a notre age : dix ans de plus , dix ans de moins , y [prend on garde de fi pres \ Venez , M. de la Vallée ; [venez , Agathe : la pauvre enfant n'y entend point [de malice. Montons , montons ; il y a bien d'autte Bbefognc la haut. Votre frere , M. de la Vallée } wotre frere qui vous attend. Je fuivis cette compagnie , qui prit le chemïn de mon appartement. Je donnai le bras a mon ïpoufe, que quelques mots dits en montant calmerent totalement ; elle m'apprit qu'elie fe trouvoit fort incommodée , St que fans la vifite de Ijion frere , elle ne fe feroit pas levée. ! Mde. d'Alain nous précédoit en répétant contirr.ellement, le pauvre garcon eft fenfible , St on Ei en veut du mal. Mais votre frere , ah ! le pauvre here , il vous fera pitié, il me fait peine a moi qui ne lui fuis tien , car je n'aime point a foir les malheureux. La mifere me fait tant de peine ,. que je ne puis regarder ceux qui la fouffreut ; le voila, tenez, regardez , la Vallée. II nous attendoil , eu effet , au haut de 1'efcalier; car mon époufe , par une fuite fans doute de fes principes de dévotion , n'avoit pas olé le lailfer lans fa chambre. Elle ne fe fouvenoit plus que J.,cob fur le Pont-Neuf auroit paru a fes yeux dans un état moins décent, s'il n'eüt eu un habit de fervice qu'on lui avoit laifle par grace en quittant fon pupille. Elle ne voyoit plus en moi qu*  Ion epoiix, Sc cet epoux ïrancholt du bon bourgeois , Sc étoit habillé proprement, cela lui faifoit croire faas doute, que perfonne, fans être un importeur , ne pouvoit fe dire mon parent, fi fes habits ne le mettoient dans le cas de figurer avec moi. De-la elle foupconnoit que celui qui fe difoit mon frere pouvoit bien être un homme qui cherchoit a la furprendre fous un nom fuppofé. Ses habillemens ne répondoient pas pour lui , Sc cela fiiffil pour faire gagner la défïance .: d'ailleurs je dois dire , pour Pexcufer , qu'elie ne connoilfoit mon frere que fur mon rapport ; je lui avois dit qu'il étoit bien établi a Paris , Sc Ia f39011 dont i! par-oiflbit, ne s'accordoit pas avec mes difcours. II faut 1'avouer : il eft rare que le nom, que le fang même obtiennent les avantages qu'on fe croit forcé de jtre-iiguer a un équipage brillantj Etalcz un--grand nom, faites même paroitre de grinde-s vernis fous un habit qui dénote ia rnlJ fsrc , i peine ferez-vous regardé , quand la fottife 8c la crafle feront fétés fous les galons ou hf; broderie qui lis couvtent. On croit fe releverl en faifant politefle aux derniers , quand la famili.irité avec les premiers nous humiüe d'autaut plus , qu'on peut moins s'en difpenfer. Pour moi, qui n'étois pas encore inkié dans; tes ulages que j'ai toujours trop méprifés pouji Touloit jamais les fuivre , je fautai au col de mot» here. Oui, fans penfer a lui marquer la furprife que je pouvois avoir de Ie voir dans un état qui aroiflbit peu conforme aux efpérances que nol tre familie avoit concues de fon mariage , je ai m'inquiétai que de 1'heureux hafatd qui 1'ame-ioit chez moi. bh ! comment avez-vous fait pour me1 découvrir, lui dis je , en ne ceffant de 1'embrafler ï Entrez : que je fuis ravi de vous voir. Le hafard , me dit-il, m'a fervi. Je favois votre mar'.ige, mais j'ignorois votre. demeure , quand j'ai  ( 49 ) ) ai entend» parler hier d'une hiftoire arrivée a M. le Comte d'Orfan, & quand j'ai fa qu'un nommé la Vallée l'avoir fauvé du péril oü ce Seigneur étoit expofé. { Nouvelle fêté pour mon cceur , bn parloit de moi dans Paris comme d'un Brave. ) Votre nom, continua mon fiere, m'a frappé. J'ai couru ce matin a 1'Hórel du Comte, dont le Valet de chambre eft une de mes pratiques. Ce Domeftique a la confiance de fon Maitre. Je 1'ai prié de s'informer auprès de lui du nom , du pays &; de la demeure de ce M. de la Vallée , dont il ne cefibit de faire 1'éloge. II m'a éclairci un inftant après fur toutes les circonftances que je lui venois demander. J'ai appris-par lui que le libératetir de fon Maitre étoit de Champagne , qu'il étoit marié , enfin que vous demeuriez ici. Je m'y fuis reudu pour avoir le plaifir d'embraffer mon cher Jacob .& de faluer votre femme. "' II fe précipita de nouveau a mon col , & après nous être tenus quelque temps érroitement ferrés , je lui montrai ma femme , qu'il me parut faluer. d'un air égalemftlt humhle & . refpeftueux. J'appercus que Mlle. Haberd ne lui faifoit qu'une révérence fort fimple , & que s'étant affife , elle 6toit par-la a mon frere la liberté de s'avancer pour 1'embraffer. Je les prisi réciproquement d» le donner cette marqué d'affection. Si mon époufe ne put me refufer cette fatisfaétion , & même il elle s'en acquitta d'affez bonne grace, ( car fon état de foibleffe lui fervoit d'exculé légitime, > je m'appercus aux larmes qui couvrirent pour lors le vifage de mon frere , qu'il fe pafToit dans font ame quelque chofe d'extraordinaire qui me fembloit étre de mauvais augore. Je n'attribuois fes pleurs , .je 1'avoue , qu'a c© que je le croyo-is humilié par 1'efpece d'infenfibihté avec laquelle ma femme avoit nam receyoifi. Tornt III, £  - . "C 5° ) fes avances; mais je me trompois lourdement. Mon cceur foufFroit de mon ineertitude , 8c je voulus m'en éclaircir. Qu'as-tu donc, mon cher frere, lui dis-je 1 Eh ! qui peut troubler la joie que nous devons gouter en nous revoyant ? Tu dois voir que tu me fais fentir un plaifir parfait, 8c il te doit apprendre que , fans des raifons preflanres , je ne t'aurois pas caché mon mariage. J'ai une femme que j'a» dore 8c qui m'aime , notre fortune elt honnête , mes efpérances font grandes, je te crois également heureux : 8c quand je veux donner un morif a tes larmes , je penfe qu'elles viennent du plaifir que te caufe notre bdnheur : je n'ofe m'imaginer qu'elles puiffent m'annoncer quelques difgraces. Remarquez, en paflanr, que je ne dis plus mon bonheur; relevé par tant d'accidens heureux , je me figurois que Mademoifelle Haberd devoit s'eftimer autant fortunée de m'avoir acquis, que je trouvóis de félicité a la pofleder. . Un filence morne , un regard trifte formerent toute la réponfe de mon frere. Je me doutai que f'humanité fouffroit; je compris qu'il avoit quelque chofe de perfonnel a me cornmuniquer , 8c que ce qu'il avoit a me dire ne demaiidoit point de témoins , je priai la compagnie de me laififer avec mon frere. Oui, oui, c'eft bien penfé , dit Madame d'Alain en fe levant , quand on fe tient de fi prés, on a mille chofes a fe dire , dont les voifins n'ont cue faire. II feroit beau voir que thacun mit le i;ez dans mes affaires ; cependant on ne rifque rien avec moi , je fuis difcrete quand on me demande le fecret , non , rien ne me feroit jafer ; ai-je jamais dit a perfonne que mon voifin 1'Epicicr qui eft Marguillier de fa Paroifle , a fa fceur iiervante ? L'une demeure au Marais , l'autre eft. ÊU Fauxbourg Saint-Getmain t qui va y regarder  (51 > de ii prés? Eh I pourquoi débiter ces nouvellesj On fait bien que ca ne fert de rien aux autres. Nous ne lbmmes pas tous obügés d'étres riches: la volonté de Dieu foit faite. Mais au revoir , rnon voifin ; adieu Madame, allons, allons, r frin.li Le bon Pere ine répéra .qu'il. n'avoir jamais rienrecu de ma femme que forcément , & me déclara a la fin qu'il peirfoit que nia femme étoit folie. Tenez , dit-il , Monfieur , voila un bonnet d'été violet qu'elie m'a envoyé. (iroit-elle qu'un homme de mon. e. :t portera de ces garnitures en réfeaUJC d'argent & en franges.1 Je le lui ai renvoyé deux fois, mais en- vaiu. Comme j.e fuis réfolu de ne  i58) in en point fervir , je vous le remets. II me dit même qu'il avoit prié mon époufe de fe choifir un autre Direfteur , fur le prétexte que fes autres: affaires ne lui permettoient pas de lui donner fes foins. La candeur que faifoit paroïtre cet honnête Eccléfiaftique m'öta la force de lui parler des fix bouteilles qu'il avoir recues le même jour , tk il! ne m'en paria pas non plus , peut-être par oubli. Je pris a 1'inftant un carroffé tk je me fis con-. duire a Paffy : je trouvai ma femme , auprès de: laquelle Hutin s'étoit déja rendu ; j'augurai dès 1'abord qu'il venoit lui rendre compte de 1'ufage qu'il avoit fait des lumieres qu'elie lui avoit données , car ayant voulu lui parler du défaftre que fa conduite mettoit dans notre ménage , elle me dit avec emportement : C'eft bien a vous a vous plaindre , quand j'ai tout fait pour vous, tk que vous me ruinez ; fans la confidérat'ion que M. Hutin a pour moi , il vous pourfuivroit tk il vous feroit pourrir dans une prifon. II veut bien a ma priere , vous accorder du temps , ne point ébruiter votre friponnerie , tk même vous continuer fa confiance , tk vous voudriez me foumettre a votre humeur ! Ce pauvre Picard que vous cbaffez , il faut le reprendre; n'eftce pas, M. Hutin? II fuffit que j'aime ce gar.» Con , M. le met dehors ; allez, toute votre con-1 diute eft affreufe. Décidez-vous a mériter les bontés de Monfieur, ou je vous abandonne a fa vengeance. J'aurois peut-être répondu , tk j'avoue que la patience étoit prête a m'échapper , quand M. Hutin me fbrca a me tenir tranquille , en me pro- ■ teftant que , (i je faifois le moindre bruit , il me dccréditeroit a jamais. Que faire a ma place ? Ce que je fis , géinir en,fecret tk fe taire. J  Je revenois chez moi délefperé , quand en paf" fant j'ai entendu parler de 1'affaire de M. le Comte d'Orfan. Chacun s'en entretenoit chez moi quand j'y fuis arrivé , 8c 1'on vous nommoit. Cela a excité ma curiofité : je vous ai découvert, 8c j'ai le bonheur de vous voir. Je ne pus entendre ce récit fans frémir , St fans faire une comparaifon du fort de mon frere au mien , bien avantageufe pour moi. Mademoifelle Haberd y donna quelques larmes qui me furent bien fenfibles, Sc dont je lui eus une obligation infinie. Je retins mon frere a diner , 8c fans m'amufer a plaindre fon malheur , ( compaffion ftérile qui ne remédié a rien , Sc qui fouvent eft plus employée pour fatisfaire 1'amour-propre,que pour contenter la Nature ; ) je lui dis que j'irois le voir , que je le priois de venir fouvent chez moi, St qu'il devoit être perfuadé que je ferois toujours fon frere. Mon bien , lui dis-je , cher frere , ne me fera ■ Jamais précieux , qu'autant qu'il me mettra dans le cas de vous être bon a quelque chofe ; 8c dèslors j'engageai Mde. de la Vallée a prendre chez nous deux garcons qu'il avoit eus de fon mariage , & auxquels il ne pouvoit donner une éducation convenable. Ma femme y confentit volontiers , St auroit pris la peine de les aller chercher , fi fon état de foibleffe le lui eut permis , mais elle fut obligée dans le jour de fe remettre au lit; a peine y étoit-elle , & a peine mon frere venoit-ii de fortir , que M. le Comte d'Orfan entra. II_ fit un court compliment a ma femme fur fon indifpofition , il ne pouvoit fe laffer de lui répéter lés obligations qu'il difoit m'avoir , 8c il finit en me priant de le co.iduire chez M. d'Orville , auquel , ainfi qu'a fa femme , il devoit, me ditil , un remerciement Sc des excufes de 1'embarras ju'il leur avoit caufé la veille.J  C 6° ) Je me difpofois a m'y rendre , lui dis je , 3VTon«' fieuc. J'en luis charmé, répondit-il , cela s'arrar.ge avec mes vues , lans vous riétourtier de vos affaifi res ; mon carroffé elt la bas , nous irons de coiuf pagnie. II ïdlua Mde. de.la Vallée 3 je 1'embraffal', ies yeux paroiffoient ine voir pamr a regret , majj M. dOrlan avoir parlé , il n'y av.oic pas moyen m'arrêrer. Nous partimes. Li,  LE PAYSAN PARVENU, OU LES MEMOIRES DE M * * *. S E PT IE ME PARTIE. pÜ Ous étions 3 peine montés en caroflé , qUe A'n r,e C/US deVoir ftme Part è Mo"fieur le Comte a>rlan de 1'inquiétude que j'avois fur 1'état pré«ent de la fanté de d'Orville. Nous allons dans une maifon , lui dis-je, oü je crains qu'il ne foit arrivé quelqu'acddent. Eh » quel accident appréhendcz vous , répondit-il vivel ment ? Je n'en iais rien , continuai-je : mais e« ^MMdOet,r'-r'ie. ^^^ceataa! cnez M. dOrville , Je n'y ai trouvé qu'une femme qui ma auure que 1'état du malade ne lui permettoit point de recevoir ma vifite.  (61) Ie Comte, quand je le quittai : je ferois cependant faché que fon mal fut empiré. Je le connois peu , mais j'ai obligation a fon époule : d'ailleurs, ajoura-t-il comme par réflexion , lui-même nous a recu avec égards , St cela mérite de la reconnoilfance. J'avoue que cette facon de s'exprimcr m'oifrit matiere a réfléchir moi-même. Cette diftin&ion que faifoit M. le Comte , entre les obligations contracties avec la femme , St celles qu'il devoit au mari , Tle me paroiffoit pas affez formelle pour les bien apprécier féparément , comme il fembloit le vouloir faire. Je commencois même a attribuer fa conduite a une des irrégularités de 1'amour, quaiid M. le Comte d'Orfan , ( fans doute pour m'épargner la peine de me toufmenter 1'efpiit ) reprit ainfi. Vous le dirai-je , mon cher , quelle que foit ma gratitude pour les maiques d'attention de «d'Orville , je fens qu'elles céderoient facilement dans mon cceur aux fentimens que j'ai concus pour fon époufe. A cette ouverture que crut me faire M. d'Orfan , & a laquelle il ne douta pas de me voir prendre part, je ne répondis que par un , nous y voila, je m'y atttndois. 11 parut étonné de mon exclamation , qui fut fans doute caufe du filenee qu'il garda. II faut pourtant convenir que ee filence pouvoit 'avoir un autre motif, & la fuite le fera croire. "C'eft 1'ordinaire du cceur , qui pour la première fois trouve jour a fortir de fon fecret , d'être fatisfait d'avoir pu faire foupconncrfes fentimens, St quand il obtient cet avantage , il n'a pas ordinairement la force de paffer outre. Nous reftames doncun inftant fans parler. Qu'on ne me demande pas ce qui m'engageoit a me taire , car j'aurois bien de la peine a eu rendre raifon : le  f6* > feul motif que je pniffe entrevoir, c'eft que M. d'Orfan me paroiffoit être dans une rêverie li agréable , que je me ferois fait un crime de 1'en dif» traire. Je me mis alors infenfiblement a rêver moi-mS* me. Je me rappellai la première entrevue de Mde. d'Orville & de M. d'Orfan , St les idéees que j'avois prilés de leurs fentimens me parurent bien fondées : mais la réflexion que cela m'occafionna naturellement fur les peines que j'avois eues a terminer mon mariage, m'afiligea véritablement & pour 1'un ck pour l'autre. Je me difois intérieurement : Eh ! m3is il y avoit moins de diftance de Jacob a Mlle. Haberd, que de Mde. d'Orville a M. d'Orfan. J'étois fils de fermier, comme celle qui vient de m'époufer, la différence ne confirte qu'en ce que les parens de ma femme ont quitté depuis quelques années, ce que les miens exercent encore : mais ici fi Mde. d'Orville eft fille d'un gentiihomme , il eft queftion pour elle du fils d'un Miniftre. Je me retraCois alors toutes les traverfes que j'avois efl'uyées, ck je croyois voir Mde. d'Orville dans les mêmes embarras. Cela m'attriftoit , quand M. d'Orfan forrit tout-a-coup de fa rêverie par une faillie qui , en rappellant la miemie, acheva de le dévoiler a mes yeux. Oui, je puis efpérer de devenir heureux, s'écria-t-il. Que je fuis fortuné !.... Mde. d'Orville, repris-je, a tous les agrémens qui peu vent faire votre félicité , j'en conviens ; mais iut-elle veuve, elle eft fans fortune Sc fans rang. Eh bien, j'ai 1'un Sc l'autre , reprit il vivemenf. Je crois que c'eft votre malheur, lui répondis-je ; votre familie intéreffée a 1'alliance que vous devez prendre, ne mettra-t elle point d'obftacles a vos defirs} F »  ( <*4 ) Ah ï cher Ia Vallée, dit-il, en m'embraflant i comme pour me fupplier d'ariêter mes réflcxions, riemppiionnez pas le plaifir que je goüte. Je vois peut-être encore plus de difficultés que vous n'en pouvez envifager ; mais el)es ne peuvent me faire trembler. Si f es fe préfentent , je les combats , « je m'applaudiffbis même de les avoir toutes spplanies , quand vous avez commencé de parler. hom de 1'attaquer , daignez plutót rae confirmer dans mon erreur , fi c'en ell une ; elle a trop de charmes pour ne pas la chérir; que ne les avezvous connus , quand vous avez époufé Mlle. Haberd i vous feriez plus indulgenr. L'oppofition que je mets ne doit point vous faire peine. Des mo. tik différens nous meneront au même but. L'intérét plus que 1'amour décidoit votre volonté , lorfque 1'amour eft le feul maitre que j'écoute ; mais pour rompre cet entretien , faites-moi le plaifir de m'inftruire de Ia familie de Mde. d'Orville & de celle de fon mari. Je ne pus m'empêcher de remarquer la facon finguhere dont M. d'Orfan prétendoit rompre cet entretien , en y rentrant plus que jamais. Je ne luis guere plus au fait que vous fur cet article , répondis-je. Tout ce que' je fais , c'eft que d'Orville eft un Gentiihomme de la Province d'Orléans , fk que fon époufe eft iffue d'une famille noble du même canton. Elle eft fille de condition , reprit avec joie c« Seigneur; elle avoit époufé un Gentiihomme , cela me fuffit; mais comment avez-vous appris ces circonftances1 Pat les éclairciflemens , répondis je , que Mde. d'Oiville donna elle-même a une perfonne que nous trouvames a Verfailles chez M. de Fécour, ik qui , fachée de la facon dure avec laquelle ce dernier perfidoit a révoquer M. d'Orville, fe voulut bien charger de lui faire du bien»  c *a l Eh ! quel eft cet homme fi bien ïntentïonné ^ me demanda le Comte d'Orfan, avec un vifage qui , quoique contraint, fembloit me marquer quelqu'inquiétude 1 Je ne me trompai pas a fon mouvement, je le pris pour une impreflion de jaloufie , 8t je crus de mon devoir de ne pas tarder a effacer un fentiment qui faifoit ou pouvoit faire quelque tort at Mde. d'Orville dans i'efprit de ce Seigneur. Je ne puis cepcndant m'empêcher de faire attention a cette bizafrerie de 1'homme amoureux ; a peine commence-t-il a aimer , que tout 1'alarme : fon) ombre feule , vue a 1'improvifte , eft capable dc 1'agiter. L'amour feroit-il donc un fentiment de 1'ame , quand tout fon effet eft d'en déranger l'affiette , & d'en troubler la trauquillité 3 Voüa une réflexion que je fais la plume a la main , car alors ne voyant que la gloire de la Dame dont nous parlions, je répondis fur le champ. Cette perfonne touchée des refus de M. de Fécour , elt un nommé M. Eono : ( a ce nom le Comte prit un vifage plus ferein ) il nous promit alots , continuai-je, a cette Dame St a moi, de nous dédommager, fi M. de Fécour perfiftoit dans fes refus. Nous avons eu avec eet homme un inftant d'entretien , dans lequel la vertu de Mde, d'Orville m'a paru lui faire plus d'imprefiion que fes charmes. Oh! je connois Bono , reprit M. Ie Comte, totalement remis par mes dernieres paroles : s'il peut quelque chofe , je me charge de le décider en votre faveur : mais maintenant je doi3 atrendre. Je vous avouerai , mon cher la Vallée , pouriuivit.il , que quoique je fois dans la ferme réfolution de tout faire pour votre avancement proeh ain , 1'état de d'Orville , s'il vit encore , m* femble demander plus de précipitation de ma part, Peifuadé de votre fagon de penlér par l'a£te géaé-  f 66 ) reu* que vous fites a VerfaiUes , 'y. ne vous cache pas que je crois devoir d'abord travniller pour notre malade. A quoi bon vous déguifer ces motifs : vous connoiffcz fiiffifamment mon cceur ; j'aime Mde. d'Orville , & je veux faire quelque chofe pour Ion mari , s'il elt temps encore, St je dois en avoir réponfe dans le jour. Je ne me fentois point du tout faché de la préférence qi e M. d'Orfan avoit donné aux intéréts de fan amour fur le mien. J'allois même lui marquer combien j'étois fenfible a ce que fa bonne irolonté lui infpiioit pour une familie qui inéritoit fes attentions. Eh 1 qu'on ne foit point étonné de cette géjiérolité ! Je voyois d'honnêtes gens dans le befoin , St quoique 1'orgueil Sc la cupidité me folliqitaffent vivement , ces p„flions ne s'étoient point «ucore rendues maitreffes de mon cceur ; elles font violentes , j'en conviens : mais la nature qui fe faifoit entendre , n'eut point de peine a les terïaffer. D'ailleurs , fi Ton fe fouvient que je fuis a Ia lête de quatre mille livres de rente , on penfera que Jacob devoit s'eftimer fort heureux. Que de Fayfans contens de ma foitune, fe leroient endormis dans une molle indolence ! Cependant , £ fon réfléchit , on avouera que 1'expérience en Stontroit un plus grand nombre , dont le cceur eaflé par mes premiers progrès , fe feroit cru en éigoit de forcer la fortune a leur accorder de nouVelles faveurs , St qui dans ma po fit ion en auScknt atfuiément voulu a M. le Comte d'Orfan > étt ce que 1'amirié- cédoit dans cette occafion a. S\tnour .• mais j'étois moins injufte. Oui , j'ai-» leis lui exprimer ma fatisf..£tion, quand ce Sei|jseuï fit anêter , 8c en effet nous étions a la j-Ojrte; de, M. d'Orville. TftUïe. ia maifoa % par le filence qui y régnoi:,  C *? ) nous parut plongee dans une trifteffe profondei Cette idee fit pafïer fur le vifage de M. le Comte r & dans mon cceur, un morne qui y répondoit, & nous n'eümes pas de peine a démêler le motif qui pouvoit occafionner la douleur qui fe manifeltoit fur le vifage de Mde. d'Orville St de 1'a mere. Ce fut en vain que ces aimables Dames, a la vue de M. d'Orfan, voulurent effayer leurs larmes , elles fe faifoient jour malgré leurs efforts pour les retenir. Cet état, qui fouvent fait tort a la beauté , relevoit au contraire les charmes de Mde. d'Uiville. Une certaine rougeur qui vint couper la paleur , fuite ordinaire de la triftefle , me fit croire qu'il régnoit quelqu'embarras dans le cceur de notre charmante veuve, Sc je ne 1'attribuui qu'a la préfence de M. d'Orfan. _ On doit le rappeller que je n'avois pu voir cette jeune Dame avec indiffèrence ; St que ce fentiment, tout fuperficiel qu'il étoit, m'avoit donaé affez de lumieres pour bien apprécier cette timidité contrainte & ces ceillades lachées St a demirerdues entre deux perfonnes, lorfque le hafard les avoit fait rencontrer pour la première fois. Je décidai donc a ce moment, mais fans balancer , que fi je connoifibis les fentimens de M. le Comte pour cette Dame , cet abord devoit me confirmer ceux de cette Dame pour mon ami. Je viens , Madame , lui dit M. d'Orfan d'un air timide Sc embarrafTé , fous Jes aufpices de M.. de la Vallée , pour vous prier d'agréer mes excufes du trouble que je caufii hier dans votre maifon „ 8c pour vous faire mes remerciemens des bontés dont vous m'avez honoré. Mde. d'Orville, qui dans toute autre circonf.tance n'auroit pas laiffé le compliment du Comte lans replique , n'eut pas la force de lui dire un -»v-ul mot ; la douleur ae lui donna de pouyoir que  C «8 ) pour verfer quelques larmes; peut-être Cette Dam?; fentant 1'effet que la préfence rle mon ami faifoit fur fon cceur , vir-elle avec un nouveau chagrin 1'elpece d'infidélité qu'elie faifoit déja a la mémoire de fon époux. On nous préfenta des fieges en filence. Tout cet extérieur confirma nos foupcons ; l'air avec lequel alois me regarda M. ri'Ortan , me fit compreudre que fa fituation ne lui permettoit pas cfe parler le premier fur M. d'Orville , qu'il fuppofoit mort , 8t avec raifon ; je 1'entendis a meryeille , Si je crus que mon amitié demandoit que js fuppléaflé $ fon filence. Madame, dis-je a la veuve, je m'étois renda tantót chez vaus pour vous apprendre que M. de Fécour rendoit a votre époux..'.. Ah ! Monfieur, reprit cette Dame, fa bonne volonté eft inutile : II n'eft plus.... Après ce peu de mots, je crus que la vivacité de la douleur 1'avoit réduite dans un pareil état. Ce qui me parut étonnant , c'eft que fes larmes fe fécherent tour-a coup , 8t elle demeura bien pendant 1'efpace d'un quart d'heure , la tête renverfée dans fon fauteuil , les yeux fixés, les mains pendantes, fans parole Sc fans mouvement. Je ne comprenois rien a cette fituation : j'ofi.i même un inftant 1'attribuer a 1'infenfibiliré. Que je connoifibis peu la nature ! J'ignorois alors que les grands mouvemens faififfent tous les fens , & les rendent incapables d'aucunes fonctions. Oui, 1'expérience m'a feule appris que tantes ces douleurs , qui s'exhalent en cris Sc en lamentations , lont 1'effet d'une ame qui cherche a mafquer , par les dehors , fon endurciffement intérieur, lorfque le cceur vivement touché eft abforbé 8c demeure dans un fombre repos qu'il ne connoit pas lui-même. M. Ie Comte d'Orfan , plus inftruit que moi-,  ( 69 ) connut d'abord 1'état de cette veuve , 8t n'épargna rien de tout ce que 1'efprit peut inventer de plus jféduifant pour tacher de le calrner : mais il me parut long-temps travailler en vain. Si un monofyllabe coupoit de temps a autre la rapidité de fes cxhortations , 1'abattement ne fembloit reprcndre qu'avec plus de force. Qu'on juge bien de 1'état oü fe trouvent ces deux perfonnes qui s'aiment , qui fe voient libres ; mais dans quelle circonflance ! St rien n'étornera plus. Malgré Ia part fincere que M. le Comte prenoit a la douleur de Mde. d'Orville , ie croyois entrevoir qu'il goiitoit une fatisfacfion intérieur*, tant des fentimens que 1'état de cette belle veuve lui faifoit exprimer , que des libertés innocentes que 1'office -de confolateur lui permettoit de ptendre auprès .d'elle, fans qu'elie y fit attention. M. d'Orfan en effet, pour lui mieux faire goöteï fes raifons , liii prenoit Ia main , la lui preffoit dans les fiennes , St quelquefois s'émancipoit a la porter a fa bouche. II applaudiffoit a fes larmes , ■en entrant dans la juflice de la caufe qui les faifoit coukr. Mais il ne perdoit pas 1'occafion de lui faire entrevoir que depuis long-temps elle devoit s'attendre a ce qui lui venoit d'arriver; que la moi t avoit été favorable a fon mari rréme , puifqu'un état d'infirmité continuelle devoit lui rendre la vie s charge. Pour moi , tout neuf que j'étois , fi toutes ces laifons me paroiffoient bonnes, il y Rn eut une qui me ftmbla déplacée , St je penfai même que M. d'Orfan s'étoit trop avancé. Je crus en effet voir un intéiét trop marqué , quand M. le Comte ajouta , qu'avec fes traits & fa jeuneffe , une aufli belle femme pouvoit facilement réparer cette pette, 81 qu'il étoit impoffible qu'elie ne fixat 1'amour St 1'inconffance de quelqu'un en état de la dédommager. Oti ne mene pas ramour , qnaad -tine fois on s'abandonne a fa conduite ! Si ces ptg»  -Ruers font infenfibles , il n'attend que le momerrt:: de faire une irruption. Si faute d'avoir connu pour lors ce caraftere de 1'amour la vivacité de M. le Comte me fuprit II peut-être fut-ce par une fuite de cette même ignoiffl rance que la réponfe de la belle veuve m'étonna: I elle ne coufiftoit que dans un eoup-d'ceil , mais quii] fembloit chercher dans celui de M. d'Orfan , le motif qu'infpiroit fon difcours; & qui , quoiqueI pénétrée de douleur , laiflbit voir une apparence * de furprife fatisfaite. Je n'eus pas lieu de m'y arte-4 ter long-temps. Le Comte qui devinoit 1'embarras dans lequel devoit être Mde. d'Orville , 1'efi dit : vous avez fans doute des amis , Madjme , car votre pofition en exige. Je ferois flatté (I en me mettant de ce no«ibre , quoique j'aie peu 1'honneur d'être connu de vous , il vous plaifoit de m'honorer de vos ordres. La reconnoiflance que ie vous dois , | ïégleroit mon exactitude a vous rr.arquer mon zele. tl II n'avoit pas encore achevé les dcrnieres pa- I roles , quand Mde. d'Orville , qui fe dlfpofoit fans I doute a lui répondre , en fut empêchée par la il vifite de quelques perfonnes de fa connoiffance , qui venoient , par politefle , prendre part a fa peine. Les abords furent filencieux , les eomplimens brefs , les vifites courtes , & chacun fe retira après avoir donné des marqués d'une trifteffe qui ne paroiffoit pas pafflr le bord des levres. Nous nous ■ étions approches M. d'Orfan & moi pour fondêël la mere de Mde. dOrville fur 1'état oü fon beau-it fils pouvoit 1 aiiler fa veuve par fa mort. Je m'appeigus bientöt que M. d'Orfan ne fai- I foit aucune attention a notre entretien. Un grand u homme fee , qui venoit d'entrer , le fixa , 8c il ne nous répondoit plus que d'une facon diflraire : ce fujet de fa nouvelle inquiétude paroiffoit un Sei-1.  ( V) r . , ftgneur a 1'éclat cle fes h.ibits. L'air de confianc* Tavec le.iuel Mde. d'Orville ie pria de reiter un inf« loaiit pour 1'entretenir , le faifoit croire a M. d'OrIfan un ami tntimé de la maifon : ( St qui dit anti ) d'une femme dans 1'efprit de fon Amant, eft sur jde le tourmenter ; ) pour moi , je jugeai qu'elie ajs'ouvroir a cette perfonne fur fa fituation , Sc peutïj-être fur quelques embarras qui eu réfultoient. J'alidlois f .ire part au Comte ds mon idee , quand en Efe levant,ce perfonnag* fufpect nous fit entendre lees paroles adreffées a la veuve: f J'ai teiiiours été le très-humble ferviteur 8i dTami véritable de votre mari. Je voudruis poucj.voir vous obliger , 8c pour vous 8c par reconnoif■iance pour fa mémoire qui m'eft chere; mais vous iijme prenez malheureuiément dans un temps oïi je iifuis moi-même dans le plus grand embarras, il ifaut s'aider , voyez a vous tirer de ce pas- Ayez iirecoursa vos connoilfances ; elles feront peut-être jjplus heureufes que moi. Je vous regarde , reprit Mde. d'Orville , comme ■ la perfonne avec laquelle je puiffe m'ouvrir plus llibrement, Sc a laquelle je doive plus de con-, Ifiance. Vous me faitss honneur, dit il en s'en allant, I je fuis faché de ne pouvoir y répondre , mais vous Elle favez , il fait fbjlger a foi ; Sc il fortir aufii-:öt. M. d'Orfan, trop éclairé paree difcours, pria lla mere de lui expliquer le fens de ces demieres /iparoles , qu'il comaienca lui-même a interpréter : Cf s iiiforrpa même du rang Sc de 1'état de cet homr. ma : elle nous dit fuperficiellement qu'elie ignoroic Tle fujet de la converiation que fa fille venoit d'avoir i'Javcc ce Monfieur , que c'étoit un Gentiihomme |,de leur Province , qui , ifétant point riche, avoit ('eu recours a M. d'Orville , pour lui rendre ferij'vice. Mon fils a été affez heureux, aioufa-t-elle , ■jour lui faire obtenir tin emploi oü il s'eft pouffé  C 70 ïapidement, Sc depuis ce temps il a toujours erté 1'ami intime du défunt 8c de ia maifon. II n'en falloit pas tant pour inflruire M. d'Orfan , 8c pour le décider fur ce qu'il devoit faire dans cette circonftance , Sc j'ofe; dire qu'il 1'exécura avec la dextérité qui donne aux bienfaits un prix que rien ne peut compenfer. Après un compliment qu'il tic a ces Dames, St qui me parut moins animé ( fans doute paree que 1'action qu'il venoit de faire le rendoit moins libre,) il leur demanda la permiffion de venir les confoler , & nous nous retirames. Je lui avois appris la promeffé faite a M. Bono de lui rendre vifite , il me propofa de m'y condi.ire fur le champ ; mais je le priai de ne point fe dé» ranger, d'autant plus que j'étois réfolu de retourner chez moi. J'ai laiffé ma femme indifpofce , lui dis-je ; 8t je lui ai promis de revenir au plutót. Si je tardois, «He pourroit s'inquiéter , 8c je me ferois un crime de contribuer a augmenter fa maladie. M. le Comte , malgré mes inltances , voulut i toute torce me remettre chez moi pour s'informer de la fanté de mon époufe. Sa pol heffe Sc fon amitié l'y porroient affurément; mais je penfe que le motif le plus preffant étoit de pouvoir en chemiu parler encore^ quelque temps de 1'objet de mon amour ; car a peine étions-nous en route, qu'en me fautant au col , il me dit : Ah ! cher la Vallée, que cette veuve eft aimable ! je ne crois pas que perfonne ait jamais pris fur moi 1'empire que je fens qu'elie obtient. Oui, je fadore , 8c rien ne peut me faire changer. J'ai cru deviner vos fentimens, répondis-je , vous ne faites qu'affermir mes idéés ; mais j'avoue que plus je vo is crois incapable de vous vaincre , 8c moins j'efpere que vos feux ne foient point Uaverles.  Eh quoi ! reprit-il d'un air animé , quelqu'un m'auroit-il prévenu dans fon cceur I ( Que je ferois maldeureux ! ) mais n'importe , j'exige de votre amitié de ne me rien cacher. Je ne connois point affez cette belle , lui repartisje , pour favoir fi fon cceur eft prévenu ; mais fi j'en -dois juger par ies feules lumieres que la nature m'a donnces , je crois qu'elie vous voit d'un ceil aufli favoiable que le vótre peut lui être avantageux. Que tu me réjouis, cher ami , dit-il, cette efpérance me charme. Puis-je m'y abandonner ? Tu me le dis , je te crois. L'efpoir que vous roe faites concevoir , continu».t-i! , redouble 1'amitié que je vous ai vouée : oui, c'eft un titre plus grand a I. mes yeux que la vie même que je vous dois. Eh ! qu'eft-ce que la vie en effet , ajouta-t-il avec feu , fi elle doir être malheureufe 1 Loin de vous en !; avoir obligation , je devrois au contraire vous en f.iire un reproche de me 1'avoir confervée , fi je ; devois perdre Ia feule chofe qui pourra jamais me . la faire eftimer. J'eus beau combattre fes fentimens , Ie prier même de s'y livrer avec plus de réferve , tout fut inutile. Si mes raifons paroiiToient quelquefois 1'abatïre , il ne fe relevoit biéntót qu'avec plus d'avantage. Sa mere 1'aimoit, il avoit un bien aff.z confider-able ; Mde, d'Orville avoit une r.aif» fa nee qui ne pouvoit le faire «röugir. Eu un mot, il ai mok : voila le grand point , & cette circonftance fumfoit pour trouver de la foibleffe dans mes objeaions, ik de la folidité dans fes réponfes. Inftruitd'ajlleurs par Ia feule nature , 'que pouvois-je lui objeöet qu'il ne put aifément renverfer , £4 tout ce qu'il pouvoit me repondre deioit être sur de s'attirer mon fuffrage : aufli quand je le combattois , je prenois plus mes argumens de 1'exp'érience que du fcntimen:. Taitii JU, a  C 74 ) Ce fut au milieu de tous ces propos que nous nous rendimes chez moi: M. d'Orfan voulut voir mon époufe, qu'il trouva toujours dans le même état de langueur : nous étions a peine aflis, qu'on vint m'avertir qu'une perfonne me demandoit de la part de Mde. d'Orville. M. d'Orfan, qui pénétra plus que moi le motif dn menage , me dit de faire entrer cet exprès. J'obéis , 8t 1'on me remit un billet de cette Dame , dont je ne crus pas devoir faire un myftere au Comte , qui paroiffoit lui même fort empreffé d'en voir le conlenu. Nous y trouvames ce peu de mots. » J'ai trouvé une bouife fur ma toilette. Seroitu ce a vous, Monfieur 1 Ou M. le Comte 1'auroit» il oubliée \ Je vous prie de me faire favoir auj> quel de vous deux je dois la renvoyer. d'O r v i i, l e. Je regardai , en fouriant, M. le Comte , dont Ie vifage foutint mes regards attentifs fans fe laiffer pénétrer. D'un air néme fort ir.génu , St qui auroit pu perfuader un homme moins inftruit , il foüilla dans fa poche 8c m'a Au ra qu'il n'avoit point perdu la fienne. Sans fortir de mon idéé, pour le fatisfaife , ie chetchai la mienne par forme , aufli fe trouva-telle fort exactemtnt a fa place. Je ne doutois point d'oü la géuérofité partoit , 8c j'allois me difpöfer a répondre fuivant mes lumie.es, quand M. d'Orfan ayant fu qu'ón ne connoiffoit point mon écriture dans cette mailon , me pria de lui permettre de faire lui-même la réponfe fous mon nom. Que 1'amour eft ingénieux ! il faifit tout. Peut-être aufli ce Seigneur appréhendoit-il quelqu'indifcrétion de ma part. Quel qu'ait été fon motif, voici fa réponfe. Madame, La bourfe que vous avez trouvée ne m'appart'tent point. M. le Comte , qui eft préfent a 1'ouverture de votre billet, m'a affuré qu'il n'a point  C 75 ) perdu la fienne ; il m'a ajouté que fans doute celle qui fe trouve chez vous , ou vous appartien: , ou y a été laiffée par quelqu'un mfuuit de vos affp'ouSr moi je penfe que vous ne devez faire auenne difficuité de vous en fervir. Je fuis même perfuadé qu'on vous en auta obligation. Qui co agit de cette facon myftérieufe , a voulu te cacher; vos recherches ne le découvnront pas , H borne fa gleire a w.is être utile : voila mon leatiment. Je fuis avec refpeft , Madame, Votre tiès-humble Sc tresobéifTant ferviteur , La VALLiE, Si cette lettre paroit un peu longue , qu'on fe rappelle que c'eft un Amant, & un Amant dans les premiers tranfports , qui trouve une occalion inefpérée d'écrire a fa Maitreffe : Sc on fera lurpris que fon ftyle fe foit trouvé fi lacomque , car un Anuint qui écrit, appréhende toujours de n en pas dire affez. . Malgré toutes les précatltions que ce Seigneur prenoit dans fa lettre pour cacher qu'il füt 1 auteur de cette aaion génércufe , tous mts loupcons s'arrêterent fur lui. En effet , me difois je intérieurement , fa tranquillité me 1'apprend. 1'endant 1'entretien de Mde. d'Orville , avec ce grand homme fee , j'ai cru voir que M. le Comte étoit naturellement jaloux , 8c cependant cette circonttauce , qui auroit dü 1'allarmer plus qu'une converfation , ne lui caufe aucun trouble, il n'y voit donc point de motifs de s'inquiéter , ainfi il connoit 1'auteur de cette générofnc que ion grand cceur lui a diSée. Tant il eft vrai que 1'homme a toujours quelque foible par lequel il le démafque , fans le vouloir» G i  C 7Ö- ) auryeux de ceux qui font a portee de le connoitre ; eu qui s'attachent a 1'étudier. Pour moi, qui entrois dans le monde , ie fuivois tous ceux qui m'approchoienr avec tant d'attention , que rien ne pouvoit m'échapper. C'eft ce que 1'on a dü remarquer dans le cours de mes Mémoires jufqu'a prérent , 8t ce qui fans doute m'a le plus inftruit pour me conduire moi-même. Après cette réflexiou , ja ne balangois plus a attribuer a M. d'Orfan cette libéraKté , lorfque ce Seigneur me demanda s'il pouvoit m'entretenir en particulier. Ma femme , qui éroit dans fon lit, ne nous gênant point , nous nous retirames dans un coin de 1'appartement, pour y parler en liberté. Je nc vous cacherai point, cher ami , me dit-il, que je fuis 1'auteur de 1'inquiétude de Mde. d'Orville. Que ne voudrois-je pas faire en faveur de cette adorable perfonne 1 mais fa lettre me jet?e dans un doublé embarras. Je crains fa délicateffe , & je vcudrois la prévenir. b'ignoranee de ma conduite , dans laquelle je prétands la laiffer , la mettra peut-être dans le cas de regarder cet argent comme un dépót . & de ne pas ofer y toucher. D'un autre cöté , fi elle fait qu'il vient de moi , & que mon amour veut qu'elie s'en ferve , fes fentimens peuvent m'expofer a fes refus... Voyant "qu'il s'arrêtoit a réflêchir , je tui demandai ce qu'il croyoit qu'il fallut faire dans cette occafion pour épargner le refus qu'il craignoit , 8c pour donner a cette veuve la liberté de fe fe'rvir cle 1'argent qu'elie avoit trouvé dans fa maifon. Je m'y perds , reprit-il , la circonfiauce eft embarraffante.... mais.... attendez.... Oui, je vois une reffource. II faut que vous vous rendiez chez elle ; vous fonderez ce qu'elie penfe. Vous combattrez lés fctnpules , vous les leverez même , vous la déterminerez enfin a profiter de cette circonftance lans la pénétrer. Laiffez-lui la liberté de penfar  ce quelle voudra , mais ne lui faites point fonpconner que vous connoifTez la perfonne qui a eit le bonh-, ur de lui offrir fes feeours. < etre commiffion eftdifficilea rcmplir, lui dis-je , Ah ! cher la Va llée , ajotrta le Comte , j'attends de vous cttte grace ; & fans me donner le remps de repondre , il m'apprit tous les argumens que je devois employer pour vaiucre la délicateffe de fon Amanre. Ma reconnoilTance ne me permettoit pas de défobeir a un Seigneur dont les ordres m'honoroienr. Je lui promis de remplir fes volontés dès le lendeKiain , & d'aller aufli-tót lui rendre la réponfe que J'aurois recue. M. d'Orfan fortit en me proteflant de nouveau qu'il alloit employer fon crédit pour preffer mon avancement. Faites vos affaires , me rfltil, je verrai Bono , je vous excuferai auprès de lui , il eft bon homme , & 1'indifpofmon de votre femme fera un motif fuffifant. Ce Seigneur auroit pu ajouter , que mes excufes , er» ioitant de ta bouche , ne devoient point trouvei de rephque dans Bono ; mais il auroit craint de m huRiilier en ajoutant ct /.;>t de me tranquiiilfer . K il ne le fit point. * Dès que je fus feut avec ma femme , je m'informai plus exadement de fa fituation préfente. File fe trouvoit un peu mieux. Je lui dis que je comptois aller le lendemain prendre mes neveux& croyant qu'elie feroit en état de m'y accompa-* gner, elle m'en fit la proPofition. Je 1'acceptai volont.ers; mais cette réfolution ne devoit poiuï s executer. r Elle pafTa en effet une fort mauvaife nuit, éprouvant par-tout dts douleurs aufii aiguës que paffageres. Je fis venir un Médecin qui , a le bien dire ne comprit rien i cette finguliere maladie , mais qu. neanmoins ordonna la faignée & quekiues. -loiffons, plutot je crois pour n'être pas veiKl m G *  ( 7§ ) vain , que- dans 1'efpérance que ces remedes pro- «luiliffent quelque effet avantageux. La faignée fake , on n'y découvrit aucun fymplöme qui püt dénoter la nature d'une indifpofition niarquée. Comme ma femme ne paroiffoit fe plaindre que d'une foibleffe extréme , je lui parlai de me rendre chez mon frere. Loin de s'y oppofer, elle me dit d'un air d'affeélion dont j,e fus pénétré, qu'elie étoit fachée de ne pottvoir m'y accompagner, mais qu'elie me prioit d'affurer mon frere qu'elie fe faifoit un plaifir infini d'embraffer fes neveux. Je fortis donc , & me rendis chez Mde. d'Orville. Elle me renouvella les motifs de fon inquiétude. Je lui demandai en quel lieu elle avoir trouvé cette bourfe , qui lui faifoit prendre tant f! peine pour en découvrir le maitre ? Elle me ex qu'après notre départ fa mere 1'avoit vue fur /a toilette. Dans ce cas, lui dis-je , vous ne devez pas donter que celui qui a pris ces précautions , n'ait fouJiaité de vous être mile fans fe faire connoitre. "Vous vous donnerez a le chercher des foins inutiles , St je crois qu'a votre place, St dans la pofition , oü vous êtes , je ne balancerois pas k profiter de fecours offerts avec tant de délicateffe. Le trait ne peut partir que d'une main amie , Sc celui qui 1'a fait a fans doute appréhendé vos refus. Quoique mon raifonnement eüt plus de force que je n'aurois penfe la veille pouvoir lui en donner, elle combattit quelque temps ma décifion , & je ne pus la réfoudre a ufer de cette reffource, qu'en 1'aiTurant que fi quelqu'un 1'inquiétoit a ce fujet, je lui promettois parole d'honneur de la ïirer d'embarras a fes ordres. Satisfait d'avoir réufii dans ma médiation t je me rendis tiiomphant chez M. d'Orfan , que je  C 79 > cotnblai d'une joie parfaite. Sa reconnoiflance ne pouvoit trouver de termes aflez fous pour me remercier. J'étois une feconde fois fon libérateur. Les intéréts de 1'amour 1'emportoient dans fon cceur fur ceux de la vie. Ne pourriez-vous, me dit-il, m'expliquer plus en détail la pofition des affaires de Mde. d'Orville? Car je connois maintenant fon nom St celui de fon mari, mais je ne comprends pas comment des gtns de ce rang ont tombé dans une pareille extrêmiré. Je fais , lui dis je , qu'un procés confidérable a ruiné cette familie. II étoit quellion de droit de terres qu'on difputoit a feu M. d'Orville. Le crédit de fa Partie 1'a emporté fur la juttice de fa caufe , St Ia perte de ce procés l"a coutraint de quitter la Province pour venir a Paris folliciter un emploi qui le mit en état cle vivre Sc de fduténir fa femme. N'avez-vous pas, reprit-il, d'autres Iumieres fur cette affaire , qui puiffent m'apprendre les voies qu'on pourroit trouver pour faire rentrer cette familie dans fes droits 1 Non, Monfieur, lui répondis-je ; je ne fais pas même le nom de la terre. Je le découvriiai, ajouta-t-il, St s'il y a moyen , je ferai rendre juftice a cette aimable veuve. Aprè-s ce court entretien , je quittai M. le Comte d'Orfan pour me rendre chez mon frere. J,e le trouvai, il me recut les larmes aux yeux , que fa joie de me voir ou le chagrin de me recevoir dans une falie dégarnie pouvoit également faire couler. Je penfe que 1'un 8c l'autre motif pouvoient y contribuer : car j'allois m'afltoir , quand il me dit que fa femme étoit de retour. Je le priai de me la faire voir. II 1'envoya avertir , St dans 1'inftant un garcön vint Ke dire de fa part de monres a fon appartement.  . . .. Mon frere m'accompagna, je dis qu'il m'aeeompagna , car je crois que fans ma préfence il ne lui auroit pas été permis d'y paroitre. J'avoue que r fi l'air de mifere qui m'avoit frappé en bas m'a-' voit furpris , 1'aifance & 1'opulence même qui paroiflbient régner clans la petite antichambre de Madame, m'étonnerent encote devantage. Je ne pouvois comprendre pourquoi, quand tout étoit dégarni, je trouvois dans un feul endroir tant de meubles en profulion , Sc en fi grande quantité, qu'il étoit un coin oü les pieces de tapiffcries étoient entaflees les unes fur les autres. Je trouvai ma belle-fceur dans fon lit. Avec tous ces grands airs , je m'attendois a voir une beauté* snais ce n'étoit qti'üne petite perfonne d'un vifage fort ordinaire , 8c dont le langage me parut dénoter plus de fuffifance que d'efprit. Je fuis charmé , ma fceur, lui dis-je, de vous voit 8c de vous embraffer, cet agrément augmente Ia joie que j'ai eue de retrouver mon fiere. Si fa réponfe fut fort laconique , elle ne contenoit nulle aigreur ; les termes de M. quand elle m'adreiToit la parole , ou de Mde. quand elle parloit de mon époufe , étoient tous ce que je remarquois de différentiel entre nos difcours. Elle fuivit ce même ton , tant que mon frere fut préfent, auquel de temps a autre elle j-ettoit un coup d'ceil qui fembloit lui dite : Que faites-vous. ici ? Je ne fus point la dupe de toutes ces manieres , Sc je compris que je devois plus la politeffe qu'elie me marquoit , a mon air décent qui lui en impofoit , qu'a ma qualité de beau-f.iere. Comme ma fceur n'ofoit pas apparemment donner une libre carrière a fa mauvaife humeur, tant que mon frere refteroit» de peur que cela n'occafionnat quelques conteftations , dont je deviendrois un arbitre fufpect, elle arTeöa un grand ain ie douceur pour 1'engager a defeendre. La da^  .... I") eihte qui Ie porta a obéir fur le ehamp me fit connoitre combien fa femme avoit d'empire fur lui, & me révolta encore davantage contr'elle. II ne fut pas parti , que ma belle fceur prenant tme humeur plus grave , me-dit d'un ton moitié libre & moitié dévot, oui , de ce ton qui n'attend que votre repartie pour fe «Iéérder. Que jé luis malheureufe , votre frere me ruine. II n'a point d'arrangement dans fes affaires , St nous fommes dans le cas de quitter inceffamment le commerce. Pour moi , je n'en fuis pas fachée , mais j'aurois defiré qu'il put le foutenir pour lui. Je lui fis entendre que je voyois avec peine Ie défaftre qu'elie m'annoncoit, & fans paroitre lui adreffer direftement la parble , je lui dis : Que dans un ménage chacun devoit fe prêter égale'ment a Ie foutenir, fi 1'on fouhaitoit qu'il profpérat. Vous avez raifon , me dit elle : j'ai fait ce que j'ai pu ; mais mon pani eft pris. Je ne puis vivre plus long-temps avec votre frere, ( qu'on remarqu* ce nom en paffant, Sc il eft a conlidérer que dans 'tout notre entretien , elle n'employa jamais celui de mari , qui fans doute Tauroic fait rotigir. ) Je vais me retirer chez ma mere, ajouta-t-elle , a moins qu'il ne veuille coniéntir a une iêparatiofl de biens. Je ne favois trop ce que cela emportoit ; cependant fur quelques interrogations que je lui fis, ménagées avec affez d'art pour dérober mon ignorance a fes yeux , elle m'en inftruifit, en m'aj.outant qu'elie avoit encore des efpérances, & qu'elie prérendoit fe les couiérver. Cette réfolution me pénéira de douleur; mais je fentis Pimpoffibilité de la faire revenir d'un parti' pris avec obftination. D'ailleurs je ne voulus pas trop y infifler, pmfqn'elle le faifoit dépendre de la 'volonté de fon époux, qui ne ine paroiffoit pas y devoir confentir.  ( «O Mais quel fera le fort de mon frere, me conreritai-je de lui dire ? Ah ! Je demeurerai alors avecj lui, me répondit-elle , Sc je le ferai vivre; muis du moins il ne fera pas mon maitre : ce qui hit prononcé avec un ton animé qui régla ma réponfe. Vous avez raifon, lui dis-je; pour que le ma-j riage foit heureux, je crois que chacun doit par-1 tager la fupériorité , fans qu'aucun falfe feiltir aj l'autre la part qu'il en pofTede. Eh ! qu'eft-ce que je demande , cher beau-frere , j reprit-elle en m'iiuerrompant I ( car mon difcours, dont elle n'avoit pas pris le fens , 1'avoil Prévenue en ma faveur : ) je veux ma liberté, pourfuivit-elle , je n'en fais point mauvais ufage ; jej vais au fermon , je m'amufe ; fi je ne me leve! point de bonne heure, c'eft que ie ne peux pas. Votre frere me connok , ne doit-il pas le con-l former a mon humeur 1 I Elle me débha alors tous les motifs de ref-j fentiment qu'elie prétendoit avoir contie fon marul Je n'y vis que des griefs contr'elle , que je mei contentai de déplorer, fans ofer y joindre ma jufte! crhique. Le trait de M. Hutin ne fut point oublié.1 Elle ne rougit pas même de me parler avec violencei de la haine que mon frete portoit a fon Ange. ( OnJ fait que c'elt le nom qu'elie donnoit a Ion Directeur. ) Je crois devoir le rappeller avec d'au-ji tant plus de raifon , que j-e ne 1'aurois pas re-l connu moi-même fous ce titre , fi je ne me fuffej fouvenu des difcours que mon frere m'avoit tenus chez moi a ce fujet. Enfin, ajouta-t-elle , je me leverai bientöt pourj; affilter a un fermon qu'il doit prêcher ce matin ii a 1'Eglilé de St. Jaan ; car j'aimerois mieux per-| dre tout, que de manquer une de fes prédications. Nous fommes pourtant un peu brouillés ,1 continua-t-elle avec un air de dépit , car il ne . yeut plus être mon Directeur. II faut que je vousi rioïsh i... I I  ( «J ) , ^ rraconte ee qui a donné lieu a notre difpute. Je nfimpatientois d'être expofé a entendre tant k de fornettes; mais je voulois prendre quelque crédit ,,fur 1'on efprit. Prtmiérement, pour obtenir d'tlle la I demande que je comptois lui faire de mes neveux : ^fecondement, me flattaut que par-la je pourrois la llramener a bien vivre par la fuite avec mon frere. ilj'ignorois que le fecond article étoit trop décidé Ipour la faire changer} 8c que le premier avoit lètous fes voeux ; mais fe favois qu'une dévote a è plus d'obligation a quelqu'un qui lui laiffe patier de icfon Confeffeur, qu'une coquette n'en goüte quand Helle s'entretient de fes Amans. Ce pere, me ditil «lie, étoit anciennement du parti rigorilte , 8t alots :iil fe faifoit une réputation infinie. Son Confefionsnal étoit toujours entouré d'une foule prodif,ieuie ïde Pénitentes , 8c il ne pouvoit répondre a 1'emlipreffement des femmes de bien qui vouloient fe Bconduire par fes confeils'. J'étois alors une des il plus foumifes 8t des mieux accueillies. Ii y a queltfque temps que par un aveuglemeut horrtble il a iflehangé de fyftême : mais comme il n'avoit fait fjee pas que pour fe concilier 1'amitié de fon Evê- ■ que, il ne changea point de conduite avec fes iouailles. Satisfaites de fes fentimens intérieurs, ■ nous nous contentieus de gémir fur fon apofiafie Ifapparente , quand tout-a-eoup il entreprit de méte tamorphofer nos coeurs : comme il m'avoit hola norée du nom de fa chere fille , je fus une de feïfes premières dont il entreprit la perverfion. Un i.cjour il me paria de la légitimité de fes nouveaux usfentimens ; je ne pus 1'entendre fans ftémir. Je le priai de ceder, il continua ; je devins furieufe , ;3& j'entrepris de le combatrre avec une force dont i'1 eut lieu d'être furpris. i Eh ! ma chere fille , me dit-il, oü eft donc cette ?docilité, que vous m'avez tant de fois promife/ Venez me voir en particulier, &t je fuis convaincn  C 843 que je vans ramenerai a cette conRance fur laquelle vous m'avez donne: tant de droits. Non , Monfieur, lui dis-je , n'efpérez pas me vaincre. Si vous avez été la-che pour fuccomber, je faurai me foutenir. En ce cas, reprit-il d'un air conflemé, je vous prie de choilir quelqu'un plus digne de votre confiance. II me regarda en finifTuit , ik je le pris au mot. Rendue chez moi , je lui écriyis une lettre foudroyante fur fon changement & fur fon ardeur i .vouloit que je 1'imitaffe. Je la lui fis remettre direaement .: mais je n'en eus point de réponfe i. f.éprouvai bientöt le vuide queme caufoit fon abfence ; je lui écrivis de nouveau pour -lui redemander fes foins ; m iis ce fut en vain , St j'e fuis réduite au plaifir (téiile de le fuivre par-tout ovi il prêche, tk a gémir en fecret de n'avoir plus le bonheur d'être fous conduite ; car jc ne le diffi-j niule point , i! fera toujours mon Ange. J'avoue que , fi je n'avois cru avoir befoin de gagner 1'amitié de ma belle-fceur, je n'aurois pu m'empêcher de rire en voyant cette dévotion finguliere qui s'attache plus a 1'homme qu'aux principes qu'il débite. Je vis par-la combien il avoit été heureux pour moi que M. Doucin fut un Ange de moindre crédit auprès de Mlle. Haberd la eadette. Je ne pus foutenir plus long-temps le récit de. tant d'extravagances, 8c fur le prétexte de 1'inelifpofirion de mon époufe , je me levai avant même qu'elie etit fini fa narration. Je.t la priai de me confier l'éducation de mes neveux : elle accepta ma propofitiou fans balancer , ce qui ne me prévint pas en fa faveur, 8c je la quittai. Je vis mon frere en defcendant, auquel je cachai une partie de ma douleur II embrafja fes enfans les larmes aux yeux , 8c me demanda fi fa femme avoit volomiers confenti a me les céder.  ( 85 ) der. Je lui fis fentir avec tout le ménagemènt dortf je fus capable , que je croyois qu'elie n'en regret'toit pas la perte , paree qu'ils paffoient entre mes mains , 8c 'nous nous féparames également pénéirés de la plus vive douleur. Pendant le chernin que je fis pour me rendre chez moi , je réfléehis a tout ce que je venois de voir Sc d'entendre. Je me demandois : Qu'eft-ce donc que la religion aujourd'hui dans ce Royaume ? Ce n'eft donc plus qu'un ma ique dont chacun décide le grotefque felon fon caprice. Si j'en crois ma belle-fceur , fon Directeur ch.-nge pat intérêt, 8c métamorphofé au dehors , fou cceur refte le même ; mais ce n'eft que pour un tftnps, nécelTaire fans doute pour apprivoifer irifenfiblement les petfonnes accoutumées a entendrc fes premiers difcours. Le temps le fert, 8c dès-lors tout doit s'affujettir a fa facon de penfer. Qn£ "fair encore fi 1'intérêt n'eft pas Pa me de cette» nouvelle conduite ! Ma fceur, d'ailleurs, contiuuai-je en réfléchif—: fant, qui dans fon Directeur voit un Ange , tant "qu'il ne s'éloigne point de fes idéés , entrcprtnd de 1'endoclriner , dès qu'il veut la ccmbaltre. Je ne favois a quoi m'arrêter , quand il me vinf dans 1'efprit que toute la faute venoit de 1'Ange prétendu. La religion , telle qu'elie eft en France , m» dis-je , eft fondée fur un préjugé d'obciftance aveu» gle. Ma belle-fceur avoit été élevée dans fes idéés1, elle a été foumife tant-qu'elie s'y eft aflreinte. Pour lui faire goéter fes fentimens , fon Direo leur a été obligé de donner carrière a fa raifon, St de lui apprendre a n'êrre docile qu'avec ref. tridtion, Ce principe raifonnable a jetté dans foa cceur des racines d'autant plus profoides , que la réflexion le montre plus folide ; c'eft 1'oetiyre in Torna 111. H  ( 8ó ) Directeur, c'eft. donc de fon ouvrage qu'elie fe fert contre lui-même C'eft ainfi que je m'entretenois en chetnin ; oii n'y voit point ces réflexions prifes de la nature même des chofes , je ne voyois encore que la fuperficie, 8c c'étoit par elle que je jugeois. J'étois trop limple pour aller plus avant , je le ferois aujouro'hui, mais ce feroit prévenir les temps : j'eus même honte d'avoir pouffé fi loin mes idéés ; je les croyois contraites a ce préjugé de foumiflion que j'avois fuccé avec le lait. Pendant tout ce petit débat., qui fe paflbit dans mon efprit, je difois de temps a autre quelques douceurs aux enfans qui venoient de m'être confiés. En arrivant je les conduifis au lit de mon époufe , qui malgré un grand accablement, leur prodigua les carelfes que je pouvois efpérer d'une femme qui m'aimoit véritablement. Elle jugea a propos en voyant leur grande jeuIiefle , de me confeiller de les mettre eu penfion , ce que j'exécutai dès le lendemain. Libre de tout embarras, 8c me confiant fur la parole que m'avoit donnée M. d'Orfan , je palfai quelque temps chez moi fans quitter ma femme , qui n'avoit point d'incommodité décidée , comme je 1'ai dit, mais qui fembloit néanmoins périr a rue d'ceil. M. le Comte d'Orfan , a qui j'avois fait part .des raifons de ma retraite , venoit nous voir aflïduement. C'eft par lui que j'appris que Mde. de Fécour étoit dans un état défefpéré , 8c qu'elie ne voyoit perfonne. II m'avoit mené deux fois chez Mde. de Vambures , fans pouvoir joindre cette Dame. Chaque fois que nous nous étions préfentés a fa porte , on nous avoit toujours dit qVella étoit a la campagne, 8c qu'a peine reftoit-elle a Ja ville , quand fes affaires la forcoient a s'y re»-  ire. Je fouTrois impatiemment cette longue abfence , quuique la réfhxion m'y fit fouvent trouver des charmes. J'évitois' par-la un éclairciffement qui m'auroit beaucoup coüté. Qu'auroit ert effet pu dire un homme marié a une femme qu'il étoit dans le cas d'aimer St de refpeöer ? La fituation du Comte ne me paroiffoit pas plus agréable : je le voyois chaque jour trifte St rêveur, St je n'ofois lui en demander le motif, paree que je pénétrois trop fon fecret ; on fe doute aflez que Mde. d'Orville entroit dans tous nos entretiens. II la voyoit fouvent , St n'en fortoit jamais fans être plus charmé ; il m'avoit appris toutes les voies qu'il avoit employees auprès de certe Dame , pour découvrir le fond de fes affaires ; 1'envie de lui être utile étoit la feule caufe da fa curiofité. Sans qu'elie s'en fut prefque apper511e, il avoit fu toutes les circonilances du procés que feu fon mari avoit perdu , Sc fur cela il avoit bati fon fylfême , dont il ne m'avoit jamais parlé. Un foir il me dit que des affairei iniportantes 1'empêchoient de venir chez moi pendant quelque temps , je ne fus donc point furpris de ne le pc/tril voir. Je m'étois rendu plufieur) fois a fon Kötel , fans pouvoir le ioindre ; j'étois enfin réfolu de 1'attendre chez moi , quand mi» Cuifiiiiere vint un jour fur les lépt heures du matin m'avertir que M. le Comte d'Orfan demandoit a me parler dans 1'inftant. Je lui fis dire que j'allois m'habiller au plutót ; mais il renvoya le Domeftique, pour me prier de fa part , ou de le laiffer approcher de mon lit, ou de0lle contenrer de mettre ma robe de chambre : ,\ me levai, St je fus au-devant de lui. Devois-je être fort content de moi? Autrefois je m'eflimois trop heureux d'avoir certe robe de chambre , je ne pouvois me laffer de me voir feul avec cette efpece d'habillement , St maintenanï H s  { 88 ) j'ai Ie privilege de paroitre en compagnie Avte tmst robe de chambre ? Devant un Seigneur, la Vallée en robe de chambre ! Voila ce que ie n'avois ofé penfcr , quand je Ia pris pour la première fois. Je Commence a m'eflimer heureux , mon cher la Vallée , me dit M. le.Comte en m'abordant. Je viens, d'obtenir pour vous le Contióle des Fermes de votre Province, j'ai bien eu de la peine a réuffir» Jiarce que vous n'avez jamais exercé , 8t fans Mde" de Vambures , qui n'a point eu de relache qu'elie n'ait obtenu cette faveur fignalée , j'aurois afluiément éehoué , malgré tout mon crédit. Qutlles obligations ne vous ai-je pas , Monfieur , lui dis-je ! La facon prévenante avec laquelle vous m'annoneez ce bienfait , me pénetre. mille fois plus que la fortune confidéra.bl* que vous me procurez. II faut 1'uvouer, li les bienfaits ont un droiï -SnaliénabU fur notre fenfibilité , le plus ou le moins de ce droit fe prend dans la maniere de les répandre. Souvent on donne mal ; le bien mal donn! perd la plus grande partie de fes attraits. Un homme eft dans la mifere , fon état implore des fecours , on veut bien les lui donner ; mais on 1'humilie par les demandes réitérées auxquellei on 1'expofe , ou on le fatigue par des remifes qui i'accablcnt loin de le foulager. Doit-il avoir obligation quand on lui donne enfin ? Oui , s'il penfe bien , le fervice mérite la reconnoiflance ; mais celui qui donne doit-il réclamer ? Non fans doute : ce qu'on donne de cette facon n'eft plus a foi, c'eft u' pi.faveur que celui qui la regoit a- achetée , c'cu.aonc fon acquifition, & non pas un don. Voila une réflexion qui me fait placer ici U conduite de M. d'Orfan. On dira qu'elie a été faite dans tous les temps ; mais peut-on trop Ia; répéter, quand malgré fa juftefle elle eft firarement «ufe eu ufage.  Si vous faviez , mon cher, reprit M. d'Orfari,; avec quel plaifir , avec quel zele Mde. de Vambures s'eft prêtée a vous obliger dès la première ouverture que je lui en ai faite, vous ne douteriez pas plus de fes fentimens, que je ne doute des vötres. Elle ignorc votre mariage ; croyez-moi , cachez-le-lui, car fa vertu , fans être revèche , pourroit lui faire , au moins intérieurement , honte des fentimens que je ne puis m'empêcher de lui fuppofer. J'étois fi tranfporté de joie en entendant ces dernieres paroles de mon généreux protefteur, que je ne me connoiflbis plus. Non , les grands biens que me promettoir la fortune n'avoient plus pour moi que des attraits impuiffans. Etre aimé de Mde. de Vambures, en être fervi avec zele , voila ce qui me tranfportoit ; mais que je revins bientót de mon illufion , en me rappellant que j'étois marié. Je crois que fi j'avois pu être ingrat , mon cceur auroit reproché a Mlle. Haberd les bontés qu'elie avoit eues pour moi : mais fans elle je n'aurois pas eu mon épée , qui délivra M. d'Orfaji , Sc j'aurois manqué 1'occafion de connoitre Mde. de Vambures. Soit que ces réflexions fuffent vennes tout-a-coup, je ne fis aucuns reproches même en fecret a mon époufe : je fus joyeux 8c je devins trifte a 1'excès dans le même mr...^t. Dans ces difpofitions , je promis a M. d'Orfari de fuivre fes confeils. Oui , Monfieur , lui dis-je , je cacherai a cette Dame une connoiffance qui pourroit la faite rougir : mais quoi I vous penfez qu'elie pouiTeroit la bonté jufqu'a me.... Oui , elle vous aime , reprit M. d'Orfan , rapportez-vous en a mon txpérience. Que ne fuis je aufii heureux , ou pour parler plus équitablement , nous lommes , mon cher, également malheureux» Votre mariage met un obftacle invincible aux defirs fecrets que je fuppefe a Mde. de Vambures, Si H J  ... (50) qui. doivent naitre de l'imprefiion qu'elie a fait fu2 vous : Sc moi , fi j'ainie, tout s'oppofe a mon «onheur. Que je fuis a plaindre d'êtie né dans un Tang oü le cceur doit aftrcindre tous fes mouve. mens aux loix rigoureufes qu'impofe Ia naiffance ! Non , je ne dois rien vous déguifer , M. le ■Comte , lui dis-je , 8t votre fincérité doit régler la mienne. Mes fentimens font tels que vous les avez pénétrés. Oui, j'aime Mde. de Vambures; car fi ce que je'fens n'eft de 1'amour , j'ofe prefque dire qu'il n'en eft point fur la terre. Quand Vous m'apprencz qu'elie daigne y répondre , il n'eft point étonnant que je fois malheureux ; mais vous y mon cher proteéteur , que la naiffance & la fortune femblent avoir placé au-deffus de toutes les xévolutions , je ne puis concevoir 1'oijgine de la d.ouleur qui vous a'ccable. Le même motif qui vous afflige , me dit-il, fait aujourd'hni mon chagrin. Qui , 1'amour nous rend tous deux infortunés : je fuis libre , il eft vrai.; je fc'ai point encore tormé les nceuds qui vous reiieunent ; mais c'eft ma mere qui doit difpofer de ana maui , St elle-même doit recevoir la loi de la Cour pour arrêter mon alliance. Mon cceur les a prévenuS foufcriront-ils a mon choix 1 Voila ce. que te n'ofe efpérer. Mais votre cceur, repris je , auroit-il fait ua choix indi.gne de mériter 1'approbation des perfonnes dont vous dépendez ? Qu'on voie ici en palfant jufqu'a quel point 1'amour m'avoit aveuglé , puilque je ne me rappellois plus les- fentimens que j'avois vu naitre dans le cceur de M. d'Oifan , le jour que j'avois (Été affez heureux pour lui (iO.itr la vie.. Je ne teviiis a moi que qUand il reprit en ces termes. Mon choix ne pet.it fans doute être blamé. JVoul COnnoilfez affez Mde. cfOivilte , póur juger fi j'aE jui ste. défeiidre. coatre fes charmes. Non , je ua  • ( 9» ) gouterai Jamais de vrai bowheur qu'en partageair?. ma fortune avec elle. J'ai été alTez heureux pour augmenter fon aifance fans la faire rougir. Vous: m'avez parlé d'un procés confidérable qu'elie avoit autrefois perdu par la faveur de fa Partie , cette alfaire n'étoit jugée qu'en première inftancc, St la, forrune de fon mari ne lui avoit pas permis de la; fuivre ; j'ai vu fon Procureur , que j'ai envoyé* chez cette Dame , comme s'il y venoit de fon pro— pre mouvement , pour 1'engager a reprendre fon: inftance , en 1'affurant qu'il fe chargeoit des rifques ; elle n'a confenti qu'avec peine a prêter fon nom. Elle vient de gagner fon Procés < St elf a prél'ent dans fa terre , fans qu'elie fache comment: cette affaire a été conduite. Elle n'en a appris que le fuccès. Cette pofition nouvelle de Mde. d'Orville femble quelquefois. me permettre d'cfpérer ; mais que cet efpoir eft. traverfé par de terribles craintes ! J'avoue que toute cette conduite , jointe aux lumieres de la raifon , qui n'étoient point offufquées par la politique , me faifoient regarder lest fentimens de M. d'Orfan comme tres-légitimes. Le cceur, me difois-je, parle bien ici : 8c c'eit le,feul dont on doit prceslre confeil- pour former une union de cette importance. Calsuler les revenus ou éplucher la naiffance , marquent une ame trop tranquille pour que 1'amour foit de la partie. Je me trouvois cpnfirmé dans cette idéé par ma propre expérience. J'avois pris Mlle. Haberd pour fon bien ; je menois une vie douce avec elle , mais. mon cceur T comme on le voir , n'y trouvoit pas a fe fixer. De temps a autre le charme des fens étourdiffoit i'ame -T mais fi la tendreffe avoit toujours eu autant d'empire fur moi , que je m'appercevois qu'elie en prenoit depuis que je eon.aoiffuis le fond des fentimens de Mde. de Vatx-  bures , j aurois éte infailliblement malheuretm On juge affez , d'après Ces réflexions , quelle fut la réponfe que je fis a M. le Comte d'Orfan. Je lui déclarai ftanchement que le parti que je prendrois k fa place s'accorderoit certainement avec les réfolutions que je le i'oupconnois d'evoir formécs. C'eft par cette voie , lui dis-je, qu'a la campagne oii je fuis né , les mariages font ordinairement heureux. Un enfi. nt n'y craint prefque jamais de fe tromper en nommant fon pere ; quand avec toutes ces dépendances de la ville St de la Cour , on voit prefque toutes les maifons pleines de fils St'-le filles qui , en bonne juftice , n'auroient aucun droit a la fucctffion qu'on eft forcé de leur laiffer recueilür. Que je fuis charmé de vous voir dans ces fentimens , rep-it le Comte en m'embraffant ! je ne puis refter plus long temps. Je viendrai vous prendre entre midi 8c une heure pour nous rendre chez Mde. de Vambures 5 qui doit avec moi vous conduire chez les perfonnes qui fe font employées pour vous. Je le reconduifis a fon caroffe , en lui renouvellant les témoignages de ma reconnoiflance. Dès qu'il fut parti, je remont:n^auprès de mon époufe, a laquelle, a travers mi, - tranfports de joie , je fis part du fujet de la vifite que j'avois recue de M. le Comte d'Orfan. Elle ne parut pas recevoir cette nouvelle avec la même fatisfaöion que je lui marquois : cependant il eft encore bon d'avertir que M. le Comte fut le feul a qui j'attribuai cette faveur aufli grande qu'inefpérée j je craignois en nommant Mde: de Vambures , d'offrir mariere k la jaloufie que j'avois déja reconnue deux fois aufli' facile que prompte a s'enflammer dans le cceur de ma femme. Qu'avez-vous donc, ma chere , lui dis-je ?Vous jaroiffiez fouhaiter que je fiffe quelque chofe , &  lorfque fflon avancement fe décidé , il paro/t vous affliger 1 Je fuis charmée , me dit-elle , de la place qu'on vous a donnée ; mais cela vou< obligera a voyager, & pendant ce temps je ferai éloignée de vous, D'ailleurs , que j'appréhende de ne pas jouir long»' temps de la vue de votrs fortune ! Cette idéé , qui paroiffoit me préfager une défunion prochaine , me fit mêler mes larmes a «elles qui terminerenr le difcouts de mon époufe. Je ta. chai de la raffürer contre ce facheux pronoftic» auquel j'avouerai que ie ne voyois nulle apparenee. Quand je crus la voir plus tranquille , ie la^quittai , en 1'embraffant , pour me difpofer a être prêt a 1'arrivée de M. le Comte d'Orfan , qui vint k 1'heure iudiquée. . Ma femme me ehargea de faire fes excufes a ca Seigneur, de ce qu'elie ne pouvoit le remertieï de la protettion dont il vouloit bien m'honorer t fon indifpofition fut le prétexte, mais un cha-grin étonnant en étoit la véri'.able caufe. Arrivé chez Mde.. de Vambures , j'employai tout 1'art que la réflexion avoit pu me fuggérer , pour lui faire tin abord qui confirmat les difpofitions dans lefquelles elle étoit a mon égard. II étoit impolfible que mes politeffes ne fe reflentitfent pas de la gêne oü je me mettois. L'expérience m'a démontré depuis qu'on gagne davantage a lailfer agir la nature : en effet, il falloit que cette Dame füt bien prévenue en ma faveur, pour ne s'être pas ïebutée de 1'air contrahit que ie devois avoir dans «ette vifite que je lui fis. Si je faifois une révérence , mes yeux accompagnoient mes pieds pour en regarder la pofition. Quand je voulois tournet un complimeut, le terme propre m'échappoit pour en vouloir uu plus noble & me perdant dans un cahos de fynonimes , je sfauêtois au moins cotivenable. de tous. Teil*  fut ma première enrre'e chez Mde: de Vambtires. Quoique mon embarras ne lui échappat pas , j'eus Cependant lieu {'.'être content de la facon gra«ieufe avec laquelle cette Dame me recut : St Cl je m'appercus alors, quoiqu'un peu tard , du ridicule que je me donnois ,je ne dus ma découverte qu'a la réfléxion ; car j'eus beau confultér les yeux de Mde. de Vambures , il me parut toujours que mon petit être la fatisfaifoit également. II fallut faire les vilites projettées : jugez de notre étonnement commun , les premières perfonnes que nous allames rcmercier , furent Meflieuts Fécour 8t BonOi Le premier me reent avec un froid qui 1'urprit tont le monde, car c'étoit lui qui, au nom de Mde. de Vambures, dont il étoit allié , avoit le premier foufcrit. Le fecond , au contraire , parut fort fatisfait que le choix me regardat. Je luis charmé , dir-U k mes ProuQeurs, que vous vous foyicz intéicffés pour ce jeune homme , il fera quelque chofe : enfin le voila le (üed a 1'étritr , c'ell a lui d'a\ancer tnaintenant; mais il faut qu'il parte inceffamment je tiendrai la parole que je vous ai donnre , Madame , dit-il a Mde. de Vambures ; je lui donrerai un homme pour faire les tournées avec lui tk arrang. r lés affaires : il lera même en éti-t de 1'inftruire , car il eft bon qu'il fache quelque chofe ; mais il le paiera au moins , car nous ne pouvons nous charger de ces fraïs qui font affez conlidérables. Ne foyez pas inquiet, lui dit Mde. de Vambures , nous venors pour vous remercier , tk non pas pour vous être a charge. A charge , a moi ? reprit Bono. Oh ! ma foi non. II faut donner ces places , peu m'importe qui les obtienne. Je fuis charmé que cela vous ait fait plaifir ; mafs voila ce qu'on n'a iamais vu , un homme qui n'a jamais rien fait, tk qui fans  «oute ne fait nen , occtiper ces fortes de placesi ( ) ai prévenu dans ma quatrieme Partie que cet homme-ci étoit bon , mais qu'il n'avoit pas la Iangue légere : ) au refte , continua-t-il , Fécour nous a. ferme la bouche en nous difant, qu'il n'étoit pas pour refter la, Se qu'il ne prenoit cet emploi qu'ai honores, tk qu'en conféquence nous ii aunons point a. nous plaiudre. J'ai fait de mon eoce ce que j'ai pu ; car la perfonne que je lui donne pour commis auroit eu fa place , ii ce jeune flomme n'avoit été préfenté pat Mde. M. d'Ortan l'aflura qu'or» ne manqueroit a rien de ce qu'il conviendroit de faire, tk qu'il fe renloit garant de tout. II prononca ces paroles d'un air de grandeur qui ne permit a Bono d'y répondre que par une profonde inclination, accompagnée de ce peu de mots bien fatisfaifants pour moi : » Sous votre proteüion , Monfieur, il fera »> un chemin rapide. Nous nous difpofions a nous retirer, quand Bono , d'un air fans facon , dit qu'il s'étoit flatté que nous lui ferions 1'honneur de diner chez lui , ( gonfles-toi , mon cher la Vallée , nous lui ferions 1'honneur ! ) celui qui autrefois s'étoit trouvé fort heureux de faire mille complimens a Dame Catherine pour avoir 1'honneur de manger avec elle tk dans fa Cuiline aujourd'hui marche de pair avec les Grands. On parle du Comte , d'une Murquife tk de lui fans diftiuaion: eh 1 qui ? Un Financier. La propofition ayant été acceptée, on ne rarda pas a fe mettre a table. ■ La compagnie m'y parut aufii nombreufe que bigarrée. C'éioit gens de tout état Sc de tout rang, auxquels fouvent le maitre du logis étoit obligé de demander le nom , quand il vouloit s'en feïeir, M. Bono , placé entre M. d'Orfan Sc Mde. de Vambures, a la droite de laquelle j'étois rangé, les entretenoit: pendant qu'un petit étousdi , qu'a  li fes gefticulations on auroit pris pour Un Ba la dia J' s'acquittoit du foin de dédommager le refte de U «ornpagnie , de la diftin&ion qtie M. Bono accordoit a lés voifins. La table fut fompueufement fervie ; tout s'y «nouvelloit, on y oublioit la faifon 8t le temps, j'y vis «e raffinement inventé par la gloutonnerie •financiere de faire doubler tous les fervices, & je n'avois d'embarras qu'a favoir fur quoi m'ar. xêter. Le Champigne ne parut pas , que notre étourdi commenga a propofa a la compagnie la Iecture de qnelques pieces fugitives faites en 1'honneur de 1'hóte de la maifon. Chacun y applaudit , Sc M. Bono , d'un coup de tête réfervé , remercia 1'auteur de la propofition qu'il avoit faite , Sc 1'affemi)lée de 1'acquielcement qu'elie venoit d'y donner; il me parut , en fe relevant, gonflé de la moitié. La lefture fe fit au milieu des acclamations de toute la compagnie. On félicita le leftear de 1'heureufe invention. D'un ton modefte il en refufa d'abord les honneurs , 8c ce ne fut qu'a force d'opiniatreté qu'on le forca de dire : cela n'en vaut": pas la peine, Meflienrs, vous me faites rougir ; 8c a 1'abri de cette apparente humilité , il fe ckargea d'en faire fortir toutes les beautés. - J'avoue que je ne les fentois pas, j'artribuois «ion infenfibilité a défaut de conoiffance , quand en jettant un coup-d'ceil fur M. d'Orfan , je vis qu'il hauiïbit les épaules. Mde. de Vambures paroiffoit fouffrir , mais n'ofoit rien dire , paree que Mde. Bono , qui étoit vis-a-vis fon mari, étoit enthoufiafmée du merveilleux de ce qu'on venoit de dire. u'eut-être cet homme s'appercut-i! qu'il lui manquoit notre fuffrage , car il avoit le vifage animé lorfqu'il adreffa ces paroles a M. d'Orfan. . Mo;., eur , lui dit-il , je ne fais fi vous avez en- tendu  tandii parler d un epithalame eampagnard Fait aw fujet du mariage de Mde. de Ferval avec ie Chevalier des Briflbns. Chacun de nous fe regarda , & fans faire attention que M. le Comte n'avoit point répondu , je m'adreffai au Poëre ; mais , Monfieur ,lui dis-je, je croyois M. le Chevalier a fon régiment. Tout le monde 1'a penfé comme vous, me répondit-il, mais c'étoit une feinte. Mde. de Ferval , qui s'en eft amourachée depuis une rencontre tout-a-fait finguliere , étoit partie pour fe rendre a une de fes terres : le Chevalier 1'y a fuivie quelques jours après , & elle vient de mettre entre fes mains fa perfonne 8c fes biens. Cette bonne femme , a force d'avoir badiné 1'amour fous le mafque de la dévotion , s'en voit a la fin dupe a fon tour, elle le mérite bien. Le Chevalier eft un jeune fou , qui , faute de biens , s'attachoit a tout ce qui fe préfentoit, dans 1'efpoir de trouver quelque bonne poule a plumer ; celle-ci s'efi préfeutée , il n'a point manqué fon coup , i! en a profité • il a bien fait ; aufii c'eft fur Mde. de Ferval q'ue tombe tout le fiel du Pcëte campagnard qui a compoté cet épithalame. Pendant que notre homme déployoit fon papier avec précaution, Mde.. de» Vambures me jetta un coup-d'ceil de farisfaaion qui me difoit : On vous a parlé de ce rival , eft-il a craindre? J'en compris le fens a merveille : mais j'affeaai de craindre qu'on ne nous interprétat en lui répondant , 8c je mexoutentai de baiffer les yeux eu fouriant, clans la jufte appréhenlion oü j'étois qu'elie ne lut dans mes regards embanafTés qu'elie avoit uue rivale demon cóté bien plus & redouter. Uncertaia mome que je fentis fe répandre fur mon vifage m'inquiéta • je travaillai i le corriger au plutót, Sc il faut croire' que j'y réufiis ; car elle ireparur pas avoir le moindre: fonpcrbn de ce qui fe pafibit dans mon efprit , Tome 111, I  C 98 ) du moins je dus 1'augurer a la gaieri. qu'élle temojglia pendant la lecture de 1'épithalame. Quoiqu'elle tut aiïez bien écrite , je me contenterai de dire que toutes les reffburces de Mde. cle Ferval, pour renouveller 8t diveififier les plaifirs lans redourer la cenlure , y étoient dépeintes avec une naïveté Sc un fel qui failbient autant admirer la piece , qu'ils révoltoient contre fon héroïne. M. Jacob y jouoit un röle qui n'étoit pas aufli lavorable a fa valeur que la délivrauce^de M. d'Orfan ; mais cette eirconfbnce étoit dépeinte avec des couleurs fi fingulieres , que , fans le nom qui me blelToit l'oreille , je crois que j'y aurois applaudi. Cette piece fut univerfellement goütée , 8c malgré cela le lefteur ne voulut pas fe 1'approprier , paree qu'il prétendoit qu'il y avoit quelques expreffions balfcs qui fe fentoient d'un Poëte des champs. Enfin on fe leva de table , 81 chacun infenfiblement s'enalla:: nous nous difposamesde même a nous retirer. Quand compte-t-il partir, demanda M. Bono 1 Dans quelques jours , répondit M. d'Orfan. Le plulöt fera le mieux , reprit Bono. II nous reconduifit enfuite jufqu'au caroffe , St la comme on alloit donner le coup de fouet : Eh ! a propos, me dit M. Bono , cette petite fwnme que j'ai vue a Verfailles avec vous , qu'eft. elle devenue 1 La.... la.... j M. d'Orfan , piqué de cette facon de s expnmer, 1'interrompit avec vivacité. C'eft de Mde. d'Orville dont on vous parle , fans doute , me dit-il. Oui , reprit Bono , jufte , la d Orville : que taitelle ? Elle n'eft pas venue me voir; comment fe porte fon man ? . ■. M. d'Orville eft mort, lui répondis-Je. Oui, reprit M. ri'Ortan indigné. Oui, M. d'Orville eft ittert, St Mde. d'Orville eft veuve , Sc elle n'a par conféqueut plus befoin d'emplois. J'en fuis faché „  C cp ) dit M. Bono en nous faluant, tk il fe retira. A qui s'adreffoit ia phrafe : j'en fuis faché ? Je fuis certain qu'il n'en favoit rien lui-même, comme j'affurerois que M. Bono n'avoit pas pris garde a la colere qu'il avoit caufée a M. d'Orfan ; il étoit naturellement bon, mais c'étoit un de ces caracteres dont la fimplicité va jufqu'a la duretc , fans y faire attention. Quelle vivacité , dit alors Mde. de Vambures au Comte d'Orfan ! vous paroiffez prendre bien de 1'inrérêt a Mde. d'Orville. Oui, Madame ; loin de le nier , lui répondit le Comte , je m'en fais gloire. Ces miférablés , paree que leurs richelfes les mettent au-dcffus du commun , s'imaginent qu'ils peuvent impunément mcprifer la noble fans opulence. Je ne fuis pas affez infame d'un grand nom , pour croire que tous les égards lui foient dus ; mais je penfe que quand malgté 1'indigence , la nobleffe fait foutenir fon rang , elle n'en a que plus de droits fur notre eftimc. J'en cOnviens , reprit cette Dame, la naiffance eft accidenttlle a 1'homme , mais une naiffance qu'accompagne la vertu ell digne des plus finceres hommages : mais avouez a votre tour , Comte , que fi vous n'aviez pas quelque liaifon intime avec Mde, d'Orville , vous auricz été moins agité d'une expreflion qui , dans la bouche de Bono , n'eft d'aucune conféquence. Ne foupcourez rien , je vous prie, reprit le Comte , d'injurieux a cette Dame. J'admire plus fa vertu , que je n'rftime fa beauté , qui a cependant tout mon cceur. Je «e doute point de votre difcrétion , tk je ne fais point de difficulré da vous découvrir mes fentimens. Oui , fi ma main dépendoit de moi , j'irois dans 1'inftant la fupplier a genoux de 1'accepter. - Mais eft-ce qu'elie ignoreroit vos difpofitionsjui I i 1  ( I oo" ) «lis-je ? Si elle les fait, reprit fur Ie chatfip Mdede Vambures , elle ne peut y être infenfible. Qui pourroit reietter d'auffi beaux fentimens 1 Eh ! Ji cette Dame penfe aufli-bien que vous, Comte, je ne puis vous blamer. J'ai peu joui de favantage de la voir , nous répondit le Comte : fon état de veuve m'a prefcrit des loix que fuivoit foiblement mon refpect, quand fes affaires 1'ont entrainé* a la campagne. Je ne vous cacheri.i pas cependant qu'elie connoit ce que je penfe. Je vous dirai même que je crois m'être appercu que mes fentimens lui font cbers ; mais fa fituation tk ma naiffance lui ont impofé jufqu'a préfent un rigoureux filence. Tout cela s'eftmanifefté dana la derniere vifie que je lui rendis avant fon départ. Elle avoit la force de me douner des confeüs contre mon amour. Je lui en fis mes plaintes , tk en effet j'étois pénétré de doulciir , loifque les larmes qui couvrirent fon vifage m'apprireut qu'elie comba.ttoif fes propres feiitünens , en travaillant a déttuire les miens. Ah ! Comte , s'écria Mde. de Vambures , de pareils fentimens tienuent lieu de naiffance , de beauté tk de fortune. Si je vous plains des obftacles que vous aurez a effuyer , je vous admirerai , fi vous êtes inébranlable. Oui, il n'y a rien de fi précieux qu'on ne puiffe , qu'on ne doive même la«rifier a une fi noble facon dV.irfier. Que vous m'enchantez , s'écria a fon tour le Comte ! Si vous ccnnoiiTiez celle que j'adore , vous 1'aimeiiez vous-même. M. de la Vallée 1'a vue , il peut vous dire fi j'exagere. Je vis que Mde, de Vambures interrogeoit mes yeux pour y lire 1'imprefiion que cet er.tretitn faifoit fur mon ame. Quoi ! vous paroiffez iufenfib'.e , me dit-elle , en s'appercevant que je l'avois découverte ? Non , Madame , répondis-je ; mais je fuis fi en»  ( ,ot > thantê de la facon dont vous enrrfz- dans fes fen. timens de M. le Comte , que j'eftimerois heureux celui qui auroit 1'avantage de vous en faire agréer de pareils. Peu inquiete de fon origine , vous ne regarderiez que 1'on amour : & voila ce cue j'arlmire. Vous ne vous trompez pas fur ma facon He penfer, me dit-elle; oui, je n'écouterai que mon cceur pour donner ma main ; 5c ie m'eftimerai heu. rente fi je rencontre le même avantage. Pouvez-vous , repris je avec une vivacité que ie ne me connoifiois pas , pouvez-vous être vue fans faire naitre ces fentimens parfaits que vous rc'clamez. II ell encore des cceurs capables d'apprécier le mérite , 8c vous léuniffez tout ce qu'il faut pour gagner le filffrage. . Madame de Vambures , qui s'appercut que Ia converfation devenoit animée , Sc qu'elie comrseneoit a en faire 1'intérêt, prit M. Ie Comte par le bra-: , en lm difant r A quoi rêvez vous donc , Comte l Aux moyens de faire mon bonheur , lui dit-il , 8c J'y réuflirai. Cette reprife de M. d'Orfan renouvella les craintes qu'avoit eues cette Dame de fe trouver de nouveau impbquée dans une converfarion férieufe , & pour s'en débarraffer, elle tourna 1'entretien fur mes affaires. M. d'Orfan lui dit que tout étoir arraiW . & que je pouvois partir dès le lendemain fi je voulois ; qu'il avoit pourvu a tout, 8c que dès que je ferois decidé , il m'enverroit fa chaife de pofle 8c deux de fes domeftiques. Sa fortune , reprit Mde. de Vambures , Ici permet-elle de f. ire une tournee aufli longue ? Tou* eft arrangé , j'ai eu 1'honneur de vous le dire , reprit M. d'Orfan , n'ayez point d'inquiéti.rie, Mais' dit cette généreufe Dame , fon avancement eft notre ouvrage en commun , je veux , comme vous cofl». tribuer k le foutenir dans fon emoioi. ij  ( ie») A ces mots, ie. me jettai fur fa main, 'que jé couvris de mille baifers, pendant que M. le Comte lui difoit, cela ne regarde pas M. de la Vallée , ce font nos affaires, nous les arrangerons bien enfemble. Mde. de Vambures pria alors M. le domte de faire arrêter , paree qu'elie fe trouvoit devant une maifon oti elle devoit paffer la foirée. 'Je defeendis le premier , j'eus 1'honneur de lui préfenter la main, tk je me fervis de cette cir"conflance avantageufe pour Ia remercier de nouveau dans des termes qui devoient plus flatter fon amour que fa générofité. J'avoue que je n'aurois pu bien démêler ce qui pouvoit diéter mes paroles. Je n'avois pas envie de rromper , mais j'étois entralné par des fentijr.ens dont je n'étois plus le maïtre. Laiffez quelque jour a une paflion , elle fera plus. de chemin , «jue ' fouvent on ne penfera lui. en permettre. Si cette paflion eft 1'amour, la pente que notre cceur s naturellement pour fes attraits lui donne un cours Eicn plus difficile a retenir. Eh ! qui s'emploie a y mettre des bornes 1 Tout au contraire dans rious-metnes concourt a 1'étendre. Ainfi on ne doit point être furpris (1, malgré mon mariage , 8t quoique M. d'Orfan m'eüt donné une haure idéé de la vertu de Mde. de Vambures, je profirois de toutes ïes occafions pour lui marquer ma tendreffe, J'oubliois, dès que je la voyois , mon devoir , tk le refpeft que je lui devois; car 1'un tk l'autre étoient égalemcnt combattus par ma conduite. En quittant Mde. de Vambures, M. Ie Comte ne reconduifir chez moi, ou de concert avec mon époufe dont 1'état paroiffoit toujours le même, mon voyage fut fixé au troifieme jour. Pendant cet intetvalle je vis mon frere , que fa femtns tourmentoit avec le même acharnement ; je le conduilis dans 1'endroit oü j'avois placé fes fils, dont vn bons fit conccvoir une grande efpéranct. Lg  ( i«5 ) temps que ces occupations ne m'enlevererrt pa» je le donnai tout entier a calmer les tendres in>. quiétudes de ma femme , dont 1'érat empiroit chaque jour. Sur le fok du fecond jour r M. d'Orfan , chea lequel j'avois envoyé , & que 1'on m'avoit dit en campagne , vint me voir 8t me dit dans un tranfport de joie inexprimable : cher ami, je fuis aimé, je n'en puis plus douter : Mde. d'Orville a daU gné m'en affurer,..& je n'ai. p"lus a combattre qu* les chimères dont une folie ambition prétend nous tyrannifer ; mais je les terrafferai , St dès que fon. cceur eft pour moi, je n'ofe plus douter de mon Iriomphe. Si je pris part a fa joie , comme le méritoir 1'amitié dont il m'honoroit , j'avoue que la réflexion me fit payer cher ce fentiment .- car je me repréiéntai que rien ne paroiffoit me permettre un femblable efpoir. Ne'anmoins je lui propoki d'aller enfemble chez Mde. de Vambures. On fera^ furpris que je n'y aie pas encore paru ; 1'étonnement ceffera dès qu'on fera attention , qu'ennemi déclaré de toute diffimulation , je devois redouter un tête-a tête avec cette Dame. Après les derniers entretiens qui avoient du lui faire connoitre ce que je penfois , Sc qui m'avoient mis dans le cas de pouvoit foupconner les fentimens qu'elie avoit pour moi , je n'aurois pu me trouver feul avec elle, fans lui faire une déclaration en forme.. Elle ne pouvoit aveir pour but que de la tromper par 1'apparence des defu-s auxquels mon mariage s'oppofoir ,. ou que de lui faire une injure qu'elie ne m'eüt jamais pardonnée. Dans ce cruel embarras, je crus devoir attendre le retour de M. d'Orfan ; aufli dès que je le vis, je lui propofai de m'aider a remplir ce devoir de politeffe 8c de reconnoiffance ; mais il me répondit que dès le même foir dans. lequel nous aYiu.sïk  ( i«4 ) «juitté cette Dame, elle étoit partie pour aller i fa campagne. J'arlmiiai certe fingularité qui faifoit que nous nous fiyions 1'un tk l'autre dans un temps oü les premiers propos éclaircis fembloïent neus prefcrire une entrevne prochaine. Je coiieus que cette Dame , par délicateffe , avoit voulu , a la veille de mon départ,. éviter une déclaration qui le lui auroit rtndu plus fenfible ,. mais contre laquelle mon mariage , qu'elie ignoroit, la mettoit en fureté. M. le Comte d'Orfan me difpenfa de la vifite que je voulois lui faire ; & en me quittant, comme je devois partir le lendemain de bonne heure, il' me reinit de la part de Mde. de Vambures une bourfe qu'il ne voulut jamais me petmettre d'ouvrir en fa piéfence. Je voulois voir ce qu'elie conté» Iioit, mais il parrit comme un éclair, en me priant de lui écrire fouvent, tk en prometrant a ma femme q.i'il viendroit fouvent la confoler de 1'abfence de fon ami. II ne fut pas parti , que ma femme devint in* eonfolable, en me répétant qu'elie croyoit qu'elie n'auroit plus le plaifir de me revoir. Pour moi,je ne pattageois plus fes frayeurs ; tk j'ofe dire que, fi cette tendre époufe avoit été moins aveuglée par la tendrefTe qu'elie me portoit, elle auroit trouvé au moins beaucoup d'infenfibilité dans les adiejix que je lui fis. .... Je partis le lendemain en pofte ; j'arrivai a Reims, oü je trouvai mon Commis qui m'y attendoit ^ je pafTai quelque temps a m'inftruirs avec lui des fonctions de mon emploi,, tk je puis dire que, fans me flatter de beaucoup de pénétration , en ce peu de temps ie me mis au fait du principal. A peine y avoit-il un mois que j'étois dans cette Ville,,que je reïus une lettre de M, d'Orfan » don*  ( IS5 } . . .lef.yle m'étonna , chaque ordinaire je reeévoiS de les nouvelles , par-tout je voyois un ftyle badin ck folarre , mais celui de cette derniere me paroiffoit contraint 8c étudié ; enfin je vins a u-n atticle dans lequel. il mVpprenoit que ma femme .étoit fort mal, mais que comme on ne délupéroit pas encore qu'elie ne fe rétabüt , il me piioit ;de ne point quitter mes affaires , Sc me montroit !l'importance de ne point abandonner mon pofte fans une permiffion cxpreffe : enfin il me conjuroit de ne point m'alarmer , Sc de me repofer fur lui. » Après avoir pris lefhire de cette lettre , je reftai interdit. Tant d'empreffement a m'enga.ger de reder en Province , quand on m'annoncoit que ma femme étoit fort mal , me fit cuvrir les yeux , Sc je ne doutai plus qu'elie ne fut morte : un froid me failit auffi-töt ; je reprenois cette lettre, 8c je la remettois fans la lire. J'étois encore dans cette agitaiio.n violente, quand un des Laquais que jn'avoit donnés M. d'Orfan, vint m'avertir qu'un Grand-Vicaire dn Diocefe, 8c parent de fon Maitre , demandoit a me parler. Je fus au devaut de lui. Après quelques queftions fur les arrangemens que j'avois pris avec Mademoifelle Habeid en 1'époufant, il m'ajouta qu'elie étoit morte fans donner d'autres fignes de maladie que Ja foibleffe que je lui avois connue. Je ne pus refufer des larmes a fa mémoite , Sc ie puis dire qu'elles étoient finceres. Monfieur, me dit-il, M. d'Orfan a fait jufqu'a préfent tout ce qui dépendoit de lui pour vous épargner la do.uleur de rentrer fi-tèt dans votre maifon ; mais maintenant vous devez vous y rendre pu plutór; car Mademoifelle H .berd I'ainée a fait mettre le fcellé chez vous ; 8c je vous apporte une. permiffion d'interrompre Youe tournes.  ii 106 ) . Je ne perdis pas de temps, tk je partïs la même nuit. Arrivé chez moi, je pris le deuil ; tk par les foins de M. d'Orfan , j'eus bientöt arrangé le principal de mes affaires. A peine étois-je de retour , que j'eus la vifïte de M. Doucin , ce vénérablé Directeur de Mademoifelle Haberd. Je crois que vous me reconnoiffez , me dit-il en entranr. Je viens de la part de Mlle. Haberd I'ainée. Cette bonne fille attend de votre équité que veus lui remettiez les biens de fa fceur. Je vous crais trop honnête homme , pour vouloir lui enlever une fuccefiion qui lui appartient par le! droits du fang. Si vous croytz , lui répondis-je , que je voifs connoiffe , je fuis étonné que vous ofiez venir ici. Ma belle-fceur n'a rien a prétendre fur la fuccefiion de ma femme, tk votre équité autant que votre état doit 1'engager a éviter de mauvais procédés , qui ne 1'avanceront de rien. II affefta long-temps ce ton douceretix pour tacher de me fléchir ; mais voyant qu'il ne pouvoit rien gaguer fur mon efprit , tk peut être ayant jugé par mes réponfes qu'il ne pouvoit fe flatter de réuflir dans fon projet : Nous verrons, me dit-il, qui de vous ou de moi 1'emportera. Je ne pus m'empêcher de rire en voyant cette affeclion cordiale d'un Dire&eur , qui lui rendoit propres les intéréts de fa Pénitente. Je Ie laiftai fortir en fureur, fans même le reconduire. Cette impoliteffe procéda moins d'un efprit de colere que de la timidité que mon ignorance en procédure m'avoit iufpiré en entendant fes menaces. J'appris dès le même jour cette fcene a M. d'Orfan, qui me conduifit chez fon Avocat : i! me dit de .reder tranquille , & qu'il fe chargeoit de fuivre cette affaire, fans que je duffe m'en inquiéter davantage.  , ( I07 ) Je reftai néanmoius un mois a Paris, pendant lequel j'étois jour,nellement alT.iüli par Mde. d'Alain , qui avoit jetté les yens iiir moi pour établir fa fille Agathe. Je ne parvius a m'en débarraffer qu'en brufquant un peu cette bonne femme: J'allois retourner en Champagne , quand M. d'Orfin me fit dire que MJe. de Vambures étoit de retour, 5t qu'il falloit que je m'y rendiffe dans le jour. Je ne balancai pas a lui obéir , je craignois moins alors fa préfence , quoique mon ajufïement me femblat un reproche parlant de diflïmulation. Quel lugubre appareil , me dit cette Dame en arrivant. Je vous croyois encore en Province. Je jne fuis rendu a Paris , Madame, lui répondis-je, par ordre de M. le Comte d'Orfan , pour mettre ordre a mes affaires. La mort de ma femme... Comment de votre femme, reprit-elle vivementl Qu'eftce que cela veut dire 1 d'Orfan ne m'a jamais dit que vous fufliez marié : Sc glie refta la un moment a rêver. Je profitai de 1'inflant pour me jetter a fes genoux. Excufez , Madame, lui dis-je, le fecret que M- le Comte, par zele pour mes intéréts, a cru devoir vous faire .•■ il appréhendoit peut être... Eh ! qu'appréhendoit-il, dit-elle eu m'interrompantl Croyoit-il que je vous aurois obligé avee moins de zele ? Soupconnoit-il , pourfuivit-elle d'un air ému , que ma bonne volonté eüt quelques vues auxquelles ce mariage füc contraire ? Non , Madame , repris-je, M. d'Orfan vous connoït trop bien , il fait trop qui je fuis pour croire que vous daigniez defcendre jufqu'a moi, quand il auroit pu foupconner que je fuffe affez térnéraire pour porter mes ,yeux jufqu'a vous. Eh 1 relevez-vous donc, me dit-elle : je vous 1'ai dit, ce ne fera point la difproporrion des rangs ■gui genera jamais mon iuclination ; li je me maners  C 108 ) tin jour , je ne confukerois que mon cceur tk celui de la perlonne pour laquelle le mien fe décideroir. Ah ! Madame , lui dis-je dans un mouvement que je ne pus arrêter , fi vorre cceur doit chercher qui vous aime, qui vous adore , ne doit-il pas fe fker aujourd'hui .? Que voultz-vous donc dire , reprit-elle toute troublée ? Mais je crois que vous êtes fott. Votre femme eft a peine enterrée , tk vous venez me parler d'amour ? C'eft mal diriger votre plan ; tk cette vivacité , loin de vous faire gagner mon cceur, feroit capable d« diminuer mon eftime. Daignez , lui dis-je , ne me point c-eunamner fans m'entendre. Sachez l'hiftoire de mon premier ma-ïiage , connoiflez comment les nceuds ont été forrnés , tk vous verrez qu'un motif étranger a 1'amour le décida. Oui, s'il eft permis de le dire fans vous offenfer , vous êres la première qui ait recu Fhommage de mon cceur. je ferai charmée d'être inftruite, me dit-elle ; comme je veux abfoiument décider votre fortune , il eft important que je vous connoifte. Sous quelle forme ingénieufe 1'amour véritable ne chorche-t-il pas des raifons pour foutenir fon fiu , même lorfqu'il croit entrevoir des motifs de le détruire ! Plus il eft ïincere , tk moins il manque de relïburces au befoin, II feroit fuperflu de répéter tout ce que j'ai dit ci-deffus: il fuffira de favoir que je lis un récit aufli haïf a Mde. de Vambures , que je 1'ai fait jufqu'ici au public.'Vous voyez, ajoutai-je alors , Madame, fi 1'amour a eu quelque part a mon union avec MUe. Haberd ; par une fuite de ma fincérité , je dois vous avouer que vous êtes la première beauté qui m'ayiez rendu fenfible ; mais qtie cette feuiibiliré eft d'autant plus cruelle , qu'il m'eft moins permis d'en concevoir quelqu'efpérance. Je fuis ftatiói tles lumieres que vous venez de me donnet  ( iep ) donner, me dit cette aimable Dame , puifque je puis vous rendre mon eftime. Votre diffimulation avoit alarmé ma gloire. J'en fuis défabuiée , il n'eft temps maintenant que de penfer a votre fortune. Eh ! que me fait la fortune , fi je ne puis mériter vos bontés , lui dis-je d'un air pénétré de douleur ? Soyez content, la Vallée, me dit-elle, de mes difpofitions préfentes , je ne puis vous dire d'efpércr : vous connoilfez ma facon de penfer , que cela vous fuffife ; un ceil adouci Sc qui me parut fatisfait, fembloit m'en dire mille fois davantage que la bouche n'en exprimcir. Entrainé par un mouvement de joie , je me pré"cipitois de nouveau a fes pieds , comptanr la forcer a s'expliquer plus clairement, gquand un bruit» qui ie fit entendre dans 1'antichambre, 1'obligea de m'arrêter. C'étoit M. le Comte d'Orfan. Je viens a vos orrires , dit-il a Mde. de Vam-( bures. Peut-être fuis-je importun , ajouta-t-il ert fouriant Sc en me regardant d'un air malin ; mais comme un intérêt eommun m'amene, j'efpere qu'on ne m'en voudra pas de mal. Non , Comte , répondit fut le champ Mde. de Vambures , vous n'êtes point de trop ; car je veus vous parler. 11 eft queftion de m'aider de votro crédit pour achever l'établilTement de M. de la Vallée. Bono , que je vis hier , m'en ouvrit un moyen. C'eft un ben homme que ce Bono. Oui, Madame, reprit le Comte , 1'intérêt qu'il prendaM.de la Vallée me le fait etlimer, vous pouvez compter fur moi : mais je vous avouerai, dit-il encore en badiiiant , que fi je ne voyois mon ami fous cet extérieur mortuaire , je ferois plus étonné de votre zele que le mien ne peut fatisfaire. Je ne pénetre jamais mes amis, conti» piw-t-il fur le même ton, nwijje fouhaite qu'un TomelJI. $  ( i io ) état décent le mette au plutöt dans un rang plug proportionné aux bontés dont vous 1'honortz. La fortune n'a point de privileges auprès da moi, reprit d'un air badin Mde. de Vambures; M. de la Vallée n'aura plus befoin de moi , quand fon chemin fera fait. Je me fuis prêtée volontiers a ce que vous avez fouhaité de moi pour fon avancement ; mais je crois qu'il demande , li rien ne le retient a Paris , qu'il aille pourfuivre fa tournée. Mais je fuis menacé , dis-je alors , d'un procédé la part de ma belle-fceur. Ne craignez rien de ce cóté , me dit M. d'Orfan. J'ai vu Duucin , St je crois qu'il portera fa Pénitente a teller tranquille; mais quand il n'cxécuteroit point ce qu'il m'a promis, vous ne devriez pas être plus inquiet de fes menaces. M. le Comte , qui appercut fans doute aux yeux de Mde. de Vambures St aux miens , qu'ils voukiient fe communiquer quelque chofe , fe retira en chantant vers une fenêtre qui donnoit fur une place. Qu'il eft facile a M. d'Orfan , dis-je aufiitót a cette Dame , de me confeiller de n'avoir aucune inquiétude ; mon cceur a des intéréts plus prelfans que ceux de ma fortune, & 1'abfence que jrous me prefcrivez ... Je ne pus achever , tant j'étois accablé de triftelfe. Ne vous chagrinez pas , répondit avec douceur cette Dame , fongez que je vous 1'ordonne , St que je veux être obéie. Si du moins il m'éroit permis de vous écrire , repris-je 1 Vous 1'ai-Je défendu , me dit-elle 1 II fera même impoflible que je ne fois forcée de vous répondre fur les vues que j'ai pour votre fortune. M. d'Orfan , qui nous rejoigr.it , fit décider mon départ , S? je quittai Mde. de Vambures , dont les yeux fcnibloient me renouveller 1'ordre d'être tranquille. Piui-êtie. pour m'aguerrir, M. ie Comte  ( "O fxh la main de Mde. de Vambures qu'il baifa ea la quittant ; je mé hafardai en tremblant de prendre la même liberté , & je dois avouet que cette complaifan'ce fut accordée avec une dillinctioa mjrquée en ma faveur. On fera sürement étonné de cette fcene ; on verra en effet peu d'exemple d'un homme qui , dans les premiers jours d'un deuil pris pour la mort de & femme , ait déja pouffé fi loin les avances d'un fecond mariage : mais outre que dans le cours de ma vie il a fembfé que j'étois né pour renyerfer les loix ordinaires , d'ailleurs fi 1'on le met a ma place , tout 1'étonnement ceflera. En effet , marié fans inclination , veuf lorfque je commence a en prendte pour un obiet que la recounoiffance m'oblige de voir , je doute que qui que ce foit tut laiffé échapper une occalipn aufii. favorable. Si ces raifons ne fufiïlênt pas, ie 1'ai fait , St 1'on doit le lire. Eu fortant de chez Mde. de Vambures , je me rendis chez mon frere, que je trouvai dans le dernier embarras. Sa femme l'êvoit abandoiihé depuis quelques jours, réfolue de ne point 'renner dans fa maifon , qu'il n'en fortit. II vouloit employer les voies de Juüice pour la remetire dans fon devoir. Jc 1'en diffuadai , 8t pour le porter a fe rendre a mes avis , je 1'engageai a me choifir une petite maifon pu marais, St pendant mon abfence , je le priai de lui faire porter mes meubles , cn ajoutant que j'attendois de fon amitié qu'il y demeureroit au moins jufqu'a mon retour, me flattant que par la fuite nous ne nous féparerions plus. Après avoir tout rangé avec Mde. d'Alain , qui ne me paroiffoit plus fi polie , depuis qu'elie craignoit qu'on ne parvint a me dépouiller de la fuceeflion de Mlle. Haberd , je partis pour me rendre a mon emploi 5c pour achever ma tournée. Comme on vouloit abfoiument que je prille K i  <■ 1,1) quelque teinture de ces fortes d'affaireï , j'y reftai plus long-temps que je ne penfois : il y avoit bien dix huit mois que j'entretenois avec Mde. de Vambures un commerce de lettres fort régulier, quand elle me^pria , de la part de M. le Comte , de me rendre a une des terres de ce Seigneur, qui étoit fur la frontiere de la Province que je vifitois. Quel fut mon étonnement d'y trouver Mde. d'Or♦ille , tk d'entendre le Comte d'Orfan qui me dit, que le bonheur qu'il avoit d'époufer cette aimable veuve ne lui auroit pas paru complet, li je n'en eufle été témoin. La cérémonie s'en fit dès le lendemain. Mde. fa mere, qu'il avoit fléchie par fes prieres , y aflifta avec joie , tk quelques jours après nous nous rendimes tous a Paris. ^ Savez-vous, mon cher, me dit en route M. d'Orfan, que Mad. de Vambures vous aabfoiument fixé a Paris ! Le Roi vient d'oQroyer un privilege particulier a une nouvelle Compagnie : cette Damevous y a fait agréer , tk je ne doute pas que les fonds n'en foint déja fournis. Tant de bontés de la part d'un objet qui avoit toute ma tendrefle , me laifferent fans réponfe. Xe dois dire que lorfque M. le Comte me parloit ainfi, il me cachoit toute la part qu'il avoit ene a cette faveur, qu'il vouloit que j'attribualfe toute entiee a ma chere Maitreffe. Ce que je dis n'eft pas pour diminuer ce que je dois a 1'amour , mais pour ne pas priver 1'amitié d'une jufte reconnoiflance qu'elie a droit ri'exiger. J'ofe même avancer que ma reftriQion fait honneur a Mde. de Vambures , puifque c'eft par fon aveu que je me vois dans le cas de rendre a M. d'Orfan la juftice que je dois a fa générofité. Peut-il tk pourra-t-il jamais fe trouver un homme plus heureux ! L'amitié difputoit a 1'amour le privilege de m'obliger , tk ne pouvant 1'emporter , ilS 's'uniflbiem tous les deux en ma faveur.  ( T 13 ) Dès que je fus a Paris , je me rendis chez Mde. de Vambures. Je la trouvai feule dans fon appartement; 1'amour 5c la reconnoiffance me précipiterent a fes genoux. Je ne pourrois me rappeller ce que je lui dis. Le feu fecret qui me dévoroit dictoit feul mes paroles , Sc le trouble qu'il devoit jetter dans mes difcours , ne m'a pas permis de les retenir : mais j'avoue a ma honte, que cette flatnme perdit un peu de fa force quand je vis que cette Dame , en me relevant, tachoit de me dérober des papiers qui couvroient fa table. . J'av0l,e q»e cette précaution me caufa quelque lnquietude. Quel étoit ce mouvement ? Doit-on Patmbuer a la jaloufie? Je ne le crois point. J'aimois , Sc tout m'affuroit que j'étois aimé , cela ferme-t il toute voie a cet elprit jaloux qui s'alarme de la momdre appareuce 1 Si 1'on me dit que non Je coufeu"erai volontiers qu'il entroit un peu de jaloufie dans mon procédé : mais fi 1'on n'y voiqu'un de ces mouvemens paffagers , qui , fans s'attacher a rien de fixe , font paiTer dans 1'efprit un de ces images volatils , dont on ne pourroit bien définir ni 1'elTence ni 1'origine, je crois qu'on fe tromperou encore moins. J'ai eu d'autant moins lieu de penetrer la nature du fentiment qui m'agiTOit , qu'a peine s'étoit-il fait jour , que je crus appercevoir fur ces papiers un caraftere femblable au mien , ce qui me fit penfer que cette Dame s'oc- " eupoit de mes lettres. Je me difpofois même è lui en marquer ma joie quand, .ayant deviné une partie de ce qui fe w£ loit dans mon ame , Mde. de Vambures me dit *a 015 ™"%écrire P°ur Poffer votre retour eu certe" ville. DOrfan vous a obtenu une place qui demande votre préfence. S'il étoit un motif de preffer mon retour. lui ré pondis-je, que n'a-t-it pris naiilance moins dan» jrorre géueroaté que dans votre cceur ! K S  Om) Ne parions point de mon cceur , me dit elle.... Ah 1 repris-je , c'eft le feul bien que j'ambitionne. Votre bouche reful'eroit-elle de me confirmer le Lonheur que j'ai cru lire dans vos lettres 1 Eh 1 quand cela feroit.... dit-elle en baiffant les 'yeux ? Je fentis tout mon avantage. Si'cela étoit, 'ladame, lui dis-je avec vivacité , 1'état oü m'ont 'rnis vos bontés ne me permettroit-il pas quelqu'efpoir 1 Elle paroiffoit rêver profondément. Daignez vous expliquer a un homme qui vous adore. Les fentimens que vous m'avez fait connoitre-, cette indifférence fur les titres , fur les grandeurs, fur la naiffance même , tout fait ici Pexcüfe de ma témérité. Je vous aime, je fuis libre , mon nom ne vous révolte point. J'ofe vous demander.... Arrêtcz , me dit-elle, ne penfons qu'a votre arrangement; i! y a de quoi nous occuper. Quand il fera fini , je vous permettrai de me confulter fur 'autre chofe, mais jufques-la je vous prie de ne m'en point parler. Ces dernieres paroles furent prononcées avec line efpece de timidité qui m'auroit fort embarraffé , fi fes yeux ne m'euffent au plutöt raffuré. J'eus beau mettre mon efprit a la torture , il fallut me 'retirer fans avoir pu renouer cet entretien charmant. Je me trouvois dans une pofition bien nouvelle pour moi , mais heureufement qu'un peu d'ufage du monde avoit éclairé mon efprit. Jufques-la j'avois loujours été prévenu , mais ici j'étois obligé de faire toutes les avances , que fouvent on paroiffoit ne pas entendre. Si je m'expliquois clairement, un foupir , un gefte , ou un mot pintor arraché que donné , formoit toute la réponfe que je recevois. Que 1'on ne croie pas cependant qus je reftaffe tn clierain. Mon cceur étoit véritablement touché t & il fuflifoit feul pour me conduire dans cette cir-  eonflance. Oui , je ne fus pas long-temps a fair»! connoitre a Mde. de Vambures toate 1'étendue dela paflion 'qu'elie avoit fait riakrei Elle dut y voir diftinflement 1'empire de 1'amour St le pouvoir de la reconnoiflance : car fi cette derniere avoit quelque part aux fentimens que j'exprimois dans nos enrretiens , 1'amour s'en dédommageoit avee ulure, St rien n'échappoit a cette aimable perfonne , comme elle me 1'a avoué depuis. J'ai promis fon portrait, 8t le voici naturellement placé. Elle étoit d'une taille haute 8c avantageule. Ses cheveux chatains étoient fi parfaitement placés , qu'ils fembloient s'arranger d'eux-mêmes pour faire fortir un front majeftueux , dont la grandeur étoit tempérée par des yeux qui , malgré leur éclat , paroiflbient infpirer la confiauce , 8c manifeftoient un pétillant dans 1'efprit , dont la réalité etoit capable d'enchanter. Je conviendrai que le vifage étoit un peu long , mais ce défaut étoit réparé par les plus belles conleurs du monde. Sa bouche étoit mignonne 8c' la mieux garnie qu'on peut yoir. Elle avoit la main charmante St la gorge arimirable. Je ne puis mieux donner une idee de fon efprit, qu'en avouant avec ingénuité , que dès que j'eus connu la juftefle de fon difcernement Sc la fagefle de fes réflexions , je me fis gloire de ne me -con duire que par fes avis. Son ame grande 8c modefte 7 fuivant les circonftances , favoir fe prêter a tout , 8c fon exemple me dirigeoit St m'a peutêtre évité bien des frux pas. Voila le pottrait que j'avois promis il y a long-temps. S'il n'eft point fini , on penfera facilemcnt qu'un léger défordre. eft permis , quand je me retracc tant de graces qui font encore le bonheur de ma vie, 8c dont j'ai 1'öriginal lous mes yeux en écrivant. I.e lecteur me permettra cette petite digtefiion : je pcinv fuis~  ( »'« ) J*efltrai donc dans mon nouveau pofte. L'inïérle eonfidérable que j'avois dans cette compagnie, Si la main qui m'y avoit placé , m'y donnoient urs crédit étonnant. Je me vis laientór obligé , par les confeils de M. d'Orfan , de prendre une maifon décente ; je fis faire U-n équipage , enfin je devins ïin petit Seigneur, fans prefque m'appercevoir de ma métamorphofe. Que 1'homme change , me difois-je quelquefois ! Lors de mon mariage avec Mlle. Haberd , je ne pouvois me laffer d'admirer une fimple robe de chambre , Sc aujourd'hui , fans étonnement , je remplis le fond d'un canoffe ; un appartement autrefois me fembloit un palais , St ma maifon n'a rien qui m'étonne. J'aimois a appeller ma Cuifïnierc pour me féliciter d'en avoir une , St mes gens m'entourent maintenant fans que je leur dife nn mot. Que la conduite du Traitant eft différente de celle de Jacob a peine échappé du village I mais voila 1'homme , j'avois paffe tout d'un coup dans cet appartement, Sc je n'étois venu que par degrés dans ma maifon. Je voulus m'inftruire des devoirs de ma nouvelle place : mais après un peu d'attention , je vis qu'il'confiftoit a favoir placer des gens au fait, fur Ie zele defquels on put compter, St a fe réferver le plaifir de recueillir Sc de confumer Ie fruit de leurs travaux. Cette méthode me parut douce Sc aifée , Sc 1'expérience m'apprit qu'on s'y formoit facilement. Je voyois journellement Mde. de Vambures, Sc 1'on fent que je ne la voyois jamais fans lui renouveller mes empreffemens Sc mes defirs ; mais quoique je recuffe de cette Dame mille affurances de tendrelfe , elle ne me permettoit jamais de lui parler des vues que j'avois de 1'époufer. Un jour que la réflexion fur les retards qu'effuyoit mon amour, m'avoit retenu a la pronte»  ( H7 ) nade plus long-temps qu'a mon ordinaire , Je rentrois chez moi accablé He trifteffe , quand on me dit qu'une perfonne m'attendoit pour me parler. Je pallia dans mon cabinet, après avoir donné ordre de 1'y introduire. Jugez de ma furprife : ce fut M. d'Orfan, qui fe préfenta , lui que ie croyoi» a la campagne. Vous êtes furpris de me voir, me dit il, mail votre intéiêt me ramene a Paris. Vous êtes jeune 8c fans enfans, il faur vous marier , 8c j'ai un parti avantageux a vous offrir. Ne me parlez point de mariage, Monfieur, lui dis-je d'un air chagrin; il n'eft qu'une perfonne qui puiffe m'y faire penfer, 8c je vois trop que je n'y dois jamais honger. Avant de recevoir vos refus, ou de forcer votre eonfentement, reprit-il, j'ai une grace a vous demander, c'eft de placer un jeune homme que j'ai trouve dans votre anti- chambre , 8c qui me paroit mériter votre attention. Son hiftoire , qu'il m'a conrée, m'a attendri. Sa fortune dépendoi* d'tv« oncle dont la mort le réduit dans •>« état tleplorable. Commandez , lui répondis-je, en m'avancant moi-même vers la porte , 8c ü vous voulez me permetrre , je vais le faire entrer pour 1'afiurer que je ferai tout en fa faveur, ou plutót qu'il peut compter fur moi, dès qu'il a votte recomrnandation. En effet, le jeune ho«me fe préfenta ; l'air égaJement noble 8c refyeöueux avec lequel il me falua ne me permir pas de 1'envifager ,• Sc s'il ne fe fflt nommé , peut-être ne 1'aurois-je pas reconnu ; mais en entendant le nom de mon premier Maitre , je vis fon neveu , Sc celui même au fervice duquel j'avois été. Je ne pus retenir mes larmes en comparant nos. pofirions anciennes Sc préfentes; Sc en lui fautant  ( ) atl coti, je le priai de tour attendre d'un homme qui devoit a fa familie les premières faveurs dont il eüt joui. La furprife de M. d'Orfan, fur extréme, & j'ofe dire que loin que cette petite homiliation , qui réfultoit pour moi de ma fincérité fit imprelfion contre moi dans fon cceur , elle augmenra Ion ■jftime. Je priai mon ancien Maitre de venir fouvent me voir, St peu de jours après je fus affez heureux pour le mettre dans le cas de ne point ï.egretter de s'être adreffé a fon cher Jacob. II ne fut pas forti , que M. d'Orfan m'apprit qu'il étoit venu a Paris pour favoir ce que je devois efpérer des intentions de Mde. de Vambures. Je 1'ai vue , me dit-il , elle n'a point fait de difficulté de m'avouer les fentimens qu'elie a pour vous, St même la réfolution qu'elie a prife de couronner les^defirs de 1'époufer que vous lui avez fouvent témoignés. II m'apprit que , quoique veuve d'un Marquis, elle étoit fille d'un Financier : mais cette Dame , ajouta-t-il , pour éviter la critique, a voulu vous voir dans un état d'opuïence avant vous donner la main. Vous y voila , mon -her , me dit-U , voyez-la maintenant, St finiffez au pi», .lót votre bonheur, auquel je m'intéreffe véritablement. Je priai M. d'Orfan de me guider, fans même le remercier du zele qu'il me marquoit. II me dit que dès le lendemain je devois aller voir Mde. de Vambures , St qu'il 1» préviendroit fur les ouvertures qu'il venoit de n<* faire. Je ne dirai point dans ^uels tranfports de fatisfaction St d'impatience je p^ffai la nuit; je parvins a 1'heure de partir fans avoir encore pu bien démêler tous les fentimens qui me partagcoient. Je re doutois pas de la fincérité de M. d'Orfan : 1'amour même de Mde. de Vambures n'étoit plus un myftere pour moi; mais j'appréhendois quelques révolutions; quelles, St d'oü pouvoient-elles veuit !  Je n en favois rien. Je crois que Je puis dire ï je craignois , paree que j'aimois. Je me rendis donc chez 1'objet de ma tendrefle , j'y fus recu avec un air de fatisfaftion que je ne lui avois pas encore vu ; nos cceurs étoient d'accord , nous étions réeiproquement prévenus , tkt notre hymen fut bientöt réfolu tk accompli. Ce lilt alors que je connus la fortune immenfe que je venois de faire. Ma nouvelle époul'e marqua a mon trere la même tendrelTe qu'elie avoit pour moi, en reprenant mes neveux, pour qu'ils fuffent élevés chez elle. Leur pere , malgré toutes mes inftances , ne voulut jamais fortir de fon état de médiocrité ; content de vivre décemmenr, il me pria de lui permettre de fe retirer a la campagne. J'y confentis avec peine , tk peu de jours après il partit avec nous pour choilir fa demeure. Ma nouvelle époufe auroit bien fouhaité que je prilTe le nom de quelques-unes de fes maifons, mais je la priai de m'en difpenfer. Elle ne parut pas en faire difficulté , tk nous nous mimes ea route avec mon frere pour aller me faire recoaconnoltre dans les terres de Mde. de Vambures, M. d'Orlan prit la réfolution de nous accompa. gner avec fon époufe. Nous fumes fort étonnés de les trouver a la première pcüe qui nous at» ïemloient. Quelle rencontre flatteufe 1  LEPAYSAN PARVENU, OU LES MEMOIRES DE M * * *. HU IT IE ME PARTIE. *jVT Otre voyage fut long, mais trés agréable; XN la vanité , ce tyran .flaneur,, qui chaque jour fembloit accroitre 1'on pouvoit fur mon cceur, lans pouvoir 1'aveugler entié'rement, m'y faifoit trouver des charmes , que rien n'a jamais pu compenfer jufqu'a Pinftant heureux qui m'a retiré du .trouble ck. du fracas du monde. Je conviendrai , fi 1'on veut, qu'il s'eft trouvé clans ma vie des circonftances plus effentiellement heureufes; mais comme le bonheur dépend tout de 1'ame , dès que celle-ci obtient cette fatiété ovï fes defirs n'ont pas le temps de naitre pour être fatisfaits , on jouit la feuiement d'une félicité entiere. Si d'ailleurs c'avoit élé beaucoup pour moi d'être  C "» ) d'être forti de fobfcurité Sc d'être devena riche , il étoit bien plus flaneur que tout s'empreffat k ine démonrrer ces avantages dont je jouiiTois, & e'ert la , je crois , le vrai comble de la piofpérité. Oui , chaque endroit oü nous nous arrêtions " étoit le rendez-vous, pour ainfi parler, des hommages que le canton venoit nous rendre. Ces té. moignagcs fufpeös de refpea Sc d'amitié ne montroient i mes yeux que' ce que 1'exférieur renréfentoit, 8c j'en étois fatisfait. Je ne favois 'pas encore que les paflions étoient de tous les lieux. J'ignorois que, concentré dans fon Caftel , le Gentiihomme campagnard rendit la Province le théatre des mêmes défauts que la fatuité étale pompeufement k la ville ; ici les occafions en font plus fréquentes , mais leur rareté les fait faifir avec plus d'empreirement. Ce qui contribuoit encore» beaucoup a eutretenir mon illufiou , c'eft que nous paflions fi rapidement dans chaque endroit, qua je n'avois , pour ainfi dire, point le temps de connoitre ceux qui nous venoient voir, ou ceux auxquels nous rendions vifitc. L'état dans lequel Mde. de Yambures, ma nouvelle éooufe , avoit toujours entretenti fes terres, ne m'e demandoit pas grand foin. Je n'avois qu'a recommander la même exaétitude. Les fermss étoient entre les mains.de bons payfans, qui, enrichis par une lage faciliré qu'elie leur avoit toujours donnée failoient le bien de leurs Maftres , fans oublier le leur, Sc de cette facon on n'a rien a leur dire. Chaque pas m'offroit un nouveau plaifir. La compagnie d'une nouvelle époufe dont j'avois toute la tendrefle, Sc qui poffédoit toute la mienne, la fociété de M. d'Orfan Sc de I'aimable d'Orville , tout lembloit réuni pour augmetiter 1'efpece de triomphe avec lequel je paflbis dans mes terres. Car malgré toute la confiauce que me donTom e III. £,  ( «O «oït mon amour-propre, je m'appereevois cependant quelquefois que la préfeuce d'un Seigneur qui me rraitoit en ami, retenoit mes voilins dans une foumiflion forcée , qu'ils auroient bien voulu franchir. Cetre idee eut bientöt fujet de fe confirmer dans mon efprit. Ce Seigneur, en effet, nous quitta , quand il fe trouva prés d'une de fes tetres, dans laquelle quelques affaires 1'appelloient, St je ne fus pas long-temps a m'appercevoir que le Comte me manquoit pour foutenir dans mes voifins ce refpea qu'ils me marquoient malgré eux , & dont je m'entvrois depuis que j'étois forti de Paris. Je ne eonnoifTbis donc encore la Province que par fon beau , quand mon époufe me nomma un village , que , peu de temps avant que je recuue fa main , elle avoit acheté de la fucceffion d'une veuve qui venoit de moutir dans un Couvent. Quelle fut ma furprife , quand j'appris que j'allois paroitre en Maitre , en Seigneur , dans un endroit d'oü chacun pouvoit fe fouvenir qu il m avoit vu fortir le fouet a la main ! II eft vrai que mon petit amour-propre s'avi'.a de bouder, Sc même de m'infpirer quelques ferupuleS interieurs qui m'alarmerent. Je voulus le mater, mais mutilement, ck fon opiniatreté me coutraignit de communiquer mon embarras a ma femme. Je ne vous ai rien déguifé , lui dis-je , fur ma naiffance ni fur mes parens. Vous favez par conféquent que je fuis né dans le village dont vous avez fait 1'acquifition. Je ne crains point de paroitre dans le lieu oü ma familie a vecu dans une obfcurité honorable ; mais je tremble que votre globe ne fouffre de voir le Compere Lucas Sc la Comere Jeanne me fauter au col , ck vous trailer de leur parente. Vous vous alarmez a tort , me répondit ma femme. Vos parens partagent dans mon cceur les  fentifflenj que je vous ai voués. Vous allez -voif renalrre" cette affabilité que j'ai cru devoir fufpendre depuis que nous fommes en route. Je 1'avoue , repris je , ce changement qui m'a étonné , a feul caufe mes alarmes. A Paris , ja vous ai toujours trouvée fimple , unie , bonne , en un mot charmante ; rnais dans vos terres vous vous êtes montrée jufqu'a préfent grande , fi it m dis pas orgueiileufe. Vos pas fembloient ccmptés. Vous paroifliez étndier chaque démarche , Sc il me lembloit que vous craigniez de trop répondre aux avances qu'on vous faifoit, Sc que vous voyita même avec peine celles que je croyois devoir faire. Vous avez raifon , reprit-elle en m'interrompant ; j'ai fait ce que 1'expérience m'a fait juger néceffaire. Je connois 1'efprit de tous ces nobles Campagnards; ils n'ont jamais vu fans peine qu'ils étoient mes Vaffaux , le titre de votre femme n'é» teit pus «n état d« leur en impofer davantage ; l!i favent ve»« flalfTdiie* , i»'«n dbutsz point \ ( earja euriofjté eft la paaien la plus ehétie par les Gentilshommes des ehamps ) un nouveau vi. fage paroSt, il faut favoir fon titte , fon rang , fon origine, St la-deiïus 1'on regie fes démarches; on nous connott donc tous deux, Sc dès - lors foyez-en fur, la polnsife ne nous rend qu'a regret des hommages dont la vanité voudroit pouvoir fe difpenfer. J'ai depuis long-temps pénétri ce fentiment de nos voifins , 8c cette connoiflance a réglé ma conduite. Si je n'euffe craint de vous défobliget , je vous aurois engagé a fuivre ma méthode ; mais il falloit vous parler de votre origine , St j'appréhendois de vous déplaire fans intention. Avec vos parens nous ne ferons pas obügés de nous contraindre , ils vous aiment ; s'ils me marquent leur joie , vous me verrez les devancer dans les politelfes qu'ils nous feront. Ce difcours me parut fort fenfé ; Sc en efFer9 L »  rat difofs-ïe a moi-même , peut-être d'après ma propre conduite, voila 1'homme. S'il fe croit un avantage fur fon voifin , il ne le cache qu'a regret; ck même lorfqu'il le cache , il cherche en fecret un moyen de le faire valoir. II faut donc être continuellement en garde contre lui ; car il eft d'autant plus apre a fe relever, que fhounctir dont il fe gloriüe lui appartient moins. Le Gentiihomme , qui s'enterre dans fa campagne, a des titres furannés , acquis par une valeur étrangere , il veut les foutenir par des moyens qui lui font également étrangers. Les ayeux , voila le grand article t la vanité fe charge de les découvrir, Sc je ne pouvois gagner a cet examen ; mon époufe elle-mème a cet égard ne pouvoit beaucoup augmentcr ma gloire. Voila les motifs de la conduite de ma femme , qui ne manquoit a aueun des dcvoirs de la politeffe , mois qui les obfervoit ftriftement. Si cette conduite paroit étonnante , moi, qui connois le fond du cceur de eette Dame , je puis dire qu'elie la crut néceffaire. En effet, me difoit-elle quelquefois , la conduite qu'on doit tenir k la ville ou a la campagne eft bien différente. Dans la première , on penfe , Sc la politeffe gagne un cceur que la vanité révolte ; mais dans la feconde, 1'homme tout entier a fon orgueil, fe croit refferré mal-a-piopos dans un coin de la terre, fon ame impatiente de ne pouvoir donner carrière a fa vaine gloire , n artcnd qu'un objet pour lui faire prendre un libre effor. II croit par-la fe dédommager de 1'iiijuftice que lui fait la fociété. La moindre avance lui paroit une marqué de foibleffe dans celui qui la bü fait, Sc paffe en même temps a fes yeux pour une preuve de fa fupériorité ; 8c dès lors il la faifit pour fe relever en vous hurniliant. .Je trouvai tant de julfeffe dans ce raifonnementj que je me lélblus de le mettre en praii-  fjne. J'uffcCJtai par la Iuite un air important avee ceux qui vouloient jouer la grandeur ; fk quiconque fembloit vouloir plier , etoit stir cle trouver ma main prête ii le relever. Je ne fats li tous mes Lefteurs applaudiront a ma conduite , mais le temps m'a confumé qtt'au moius elle étoit prudente. Nous arrivdmes clans ces difpofitions au village , ou peu de temps auparavant j'avois tant redoute de paroitre. Un faififfement s'empara de moi mais que devins-je , quand je vis que , par ordre lans doute de ma chere époufe , tous les villageois étoient fous les armes pour recevoir "leur nouveau Seigneur. Quoi ! mes anciens camarades , ( qui autrefois r en me revoyanr, auroient cru m'honorer s'ils m'euC ferit dit : Ah ! re voila, Jacofc ; bon jour : ) n'ofoient plus me parler que par des tranfports de joie Si ..es marqués de_ refpeft. Chacun' me regai doit, St perfonne ,ie crois, ne me reconnoiifoit. La difficulté de fe figurer ma fortune aidoit lans doute leur aveugfettient ; ils parurent avoir moins oublié le vifage de mon frere , car plufieurs le falwerent d'un air furpris. Le croiroir-on ? Cette préférence me caufa un petit dépit : Jc me difois : il a quitté le village dtvant moi , cependant les habita-.s s'en reffouviennent encore; il a donc leur cceur , quand je n'obtiens que leur relpedt. Ce paralkle altéroit contfdérabtemi.it ma fatisfaQion. Pendant que j'eiTuyois ce petit mouvement, nous arrivames a la potte dn Chareau , ou je vis •mon pere qui , fans être couibé fous le poids des annécs , porroit de vénérables cheveux blancs. La. douceur de la campagne fembloit favoir déftnda contre la rigueur de Page. Les larmes mc vinrent aux yeux, St en faifanr arrêter f équipage jc. liefcencüs ^uiü-itir, St je voki dans lés bus.  C i-ff ) Le bon homme fentit alors toute fa foiblelTe. II ne put foutenir 1'excès cle la fenfibilité que lui iufpira ma préfeuce. II favoit les différens événemens qui m'avpient conduit a la fortune , je favois inftruit de mon dernier mariage , mais il ignoroit que je fuffe devenu fon Seigneur. II ouvroit de grandsyeux, Sc quoiqu'en me tenant étroitement ferré dans fes bras , il me vit dans une pofture a repréfenter ce qu'il cherchoit ,; il parcouroit cependant des yeux tout 1'intérieur du carolfe ,. pour voir fans doute s'il n'y découvriroit pas quelqu'un qui dut être le Seigneur , pour lequel il avoit lui— jnême commandé tous ces honneurs. Mon époufe , en voyant mon atrion Sc mes tranfports par mon imraobilité , s'inftruifit faeilement des motifs de la fcene attendrilfante que nous lui donnions. Sans être arrêtée par aucun motif humain , elle defcendit de fa voiture , St après avoir embraffé mon pere , elle le pria cle nous fuivre au Chateau. Que cet inftant eut de délices pour moi ! je ne fais fi la tendreffe de mon pere me flatta plus que la noble fenfibilité de ma femme. Mon pere n'avoit ni parole , ni voix ; fes yeux, qui s'inondoient de larmes fans qu'il s'en appercüt, re pouvoient fe laffer de me regarder. Ce fut dans cette fituation que nous traversames le cours. Mde. de Vambures ,. par mille difcours aufii obligeans que refpedtueux , cherchoit a lui rendre 1'ufage de la parole , mais tout étoit inutile. La nouvelle de mon arrivée ne fut bientöt plus wn myftere. Plus nous avancions, St plus le conege qui nous fuivoit s'augmentoit. Viens voir Jacob , fe difoient les voifins 1'un a l'autre. Dame , il eft Ie Seigneur du lieu. On a bien raifon de le dire , il n'eft qu'un bonheur Sc malheur dans ce monde. Qui 1'auroit dit qu'il feroit devenu un fi gros Monfieur quand il fut a Paais ? C'sft-la oü 1'on fait fortune.  ( «7 ) Chacun ainfi invité s'empreffoit dvapprocfier fe chacun vouloit me voir. Quelques domeftiques irrités de cette familiarité , qu'on avoit 1'audace , difoient-ils, d'avoir avec leur Maitre , voulurent repouifer cette affluence ; mais mon époufe , qui fe doutoit fans doute de ce qui pourroit arriver , réprima la brutalité de nos valets , en leur difantr Laifuz venir ces bonnes gens. Je prétends que le Cbateau foit ouvert a tous les habitans du bourg , 8c que chacun non-feulement ait la liberté de nous voir , mais même que tout le monde foit introduit dans les appartemens , dès que quelqu'un en marquera le delir. Pour moi je marchois avec mon pere , qui ne pouvoit encore que dire : ah l mon cher Jacob r efl-ce un fonge ? Quoi! toi même mon Seigneur ? Non , mon pere , lui répondis-je , je fuis le Seigneur du lieu , 8t non pas le vótre. Vous commanderez toujours par-tout oü je ferai le maitre ;, 8t fi je prends poiTeflion du Chateau , c'eft pour vous en laifier la difpofition. Le bon bomme ne pouvoit encore fe perfuader Ia réaliré de tout ce qu'il voyoit, 8c je crois que la furprife du Curé qui nous attendoit dans la falie , put feule le convaincre. Ce Pafteur avoit fans doute difpofé quelque compliment, dont fon étonnement nous épargna 1'ennuyeux débit -r car a ma vue il parut pétrifié ; mais je 1'embraflai Si lui parlai le premier pour le faire revenir de fon embarras , en 1'afTurant que j'étois réellement fon Seigneur. Nous ne fümes pas aflis , qu'il fallut faire a mon pere 8c a ce vertueux Eccléfiaftique un récit cir» conftancié de toutes mes aventures , pour leur apprendre par quelle faveur finguliere du Ciel j'étoisparvenu a ce haut point de fortune. On juge que j'obéis avec plaifir a leur empreflement. Tout devoit me relever a leurs yeux t car ce qui pouyoit  (128> mlïumïlicT leur étoit trop connu pour qtie j eiifie befoin de le Uur rappeller. Si ir.es premières aventtires salantes parurent chagriner le Pafteur , qui -intérieureuient fembloit en demander pardon au Ciel , elies fournirent a mon pere matiere a rire. Cc vieilfard trouvok peut-être extraordinaire que fon fils, a peine forti de deffous fes ailes, eüt eu tant de facilké a copier les airs évaporés d'un .petit-mdtre. Mais le Lefteur n'en aura point été frappé ,- quand en fondant fon propre cceur , il y aura vu que tous les hommes ont le mime penehant pour le plaifir , & qu'il n'a paroitre qu'a pour s'aïlirtr leur hommage. Je ne donmti point le temps a chacun de trop tfémêler fes fentimens , il manquoit quelque chofe a ma joie ; je ne voyois. point ma fceur , St je ne favois a quoi attribuer fon ablénce. J'en deraandai des nouvelles a mon pere , qui me parut auffi étonné que moi de ne la point voir. Le bon homme ne fe fouvenant pias qu'il étoit mon pere , paree qu'il voyoit fon Seiveur, me propofa de 1'allex chercher; mais a.rès i'ivoir embraffc tendrement pour lui rappeller que j'ctois fon ii Is , ;e le priai de me laifier aller feul pour avoir. le plaifir de iürprendre ma fceur.. Je cours auffi-tcVt a la ferme de mon pere : on m'y reconnoit , perfonne n'ofe ïn'anêtcr , ce ne font que des cris d'cxclamation qui pénétroient a peine dans la chambre de ma fceur , quand j'y parvins- Je l'embraffai en lui faifant de. tendtes reproches du rctard qu'elie avoit mis au plaifir que je devois gcüter en la voyauti Le Leétcur fera fans doute curieux de favoir cï qui pouvoit 1'arrêter. S'il connoit bien le fexe , il pénétrera les motifs de ma fceur avant que je les lui découvre. Elle .étoit allée fe p3tct de fes plus beaux habits , pour fe rapprocher un peu plus de la quaüii de fceur du Seigneur du village , qu'ïUe-veuc:?  C ) de prendre. On avoit déja effayé St rtbuté trois OH quatre jupes St autant de tubans. Ce n'étoit dans chambre que cornettes qui avoient été pretentées St laiffées ; je ne pus m'empêcher de lire , en ïéfléchiflant que li la eoquetterie a Paris taitoit plus d'éralage , elle avoit au moins la même conduite au village. ' ■ , Elle ne me vit pas fans émotion , préfenta la toUette. Le frere étoit trop couvert fous le Seigneur. Elle rougit , étoit-ce d'innocence ou de fatisfaaion de voir un perfonnage plus relevé qu'un villageois lui prêter fon fecours * Peut-être lüt-ce autant de 1'un que de l'autre. Ce qu'il y a de sur , c'eft que tout ce qui parut me plaire fut employé ii fon ajuftement: j'aurois voulu en vain la diflilader de prendre fes habïts des Dimanches , elle alloit fe trouver prés d'une belle-fceur brillante , auroit-elle pu en paioitre d éloignée par les vêtemens ordinaires 1 Non , non , c'eft la vertu capitale des femmes , de ne fe jamais céder entr'elles que forcément. J'emmenai donc ma fceur au Chateau : ma femme lui témoigna 1'eftime la plus fincere , & même eut la bonté de lui marquer fa furprife de voir une beauté fi réguliere au village. II eft vrai que pour peu qu'une fille aic des attraits , cet air d'ingénuité qu'a la campagne les filles ont pour premier apanage , ces habillemens qui paroiffent fans art, quoiqu'elles y mettent bien du raffinement , ajoutent a leurs trans un éclat , que 1'artdes coëffures & le brillant du rouge St du blanc ne peuvent jamais égaler. On lui fit une petite gusrre fur le ravage que fes charmes doivent faite fur le canton. Elle la fotitiut jolimenr, St 1'efprit qu'elie y marqua lm gapna totalement 1'eftime de ma femme, 8t deslors elles devinrent inléparables pendant notre féjour dans le pays. J'appréheudois qu'elie _ n'eut formé quelque ballon- qui ne s'unit a l>nv« que  f Mo) le eoncus fur 1'heure de lui faire tm fort heflreux ; maïs je 1'ait dit , mes defirs n'avoient pas le temps de naitre , pour ainfi dire , pour être couronnés. Ceci en iera par la fuite un nouvel exemple. Le refte de cette iournée nous permit a peine de repondre aux empreffemens qu'eurent tous les habitans, parens ou autres , de me voir Sc de m'embraffer. Chaque perfonne qui fe préfentoit , donnoit matiere a une fcene attendriflante , dont la nature feule faifoit tous les frais. Je ne pouvois trop admirer mon époufe , qui dès le premier jotir.fe trouvoit faite avec ces villageoii comme fi elle fes eüt tous connus. Elle s'abaHfoit a leur portée en leur parlant , elle emprunroit même fouvent leurs expreflions pottr les empêehef 06 tOUgfr en la nommant leur parente. Le foir elU efdofina «jt,e is Itndèfflain teuti ma familie feroit traités au Chêseau , & qtu ]» village partieipere» a ettte file dans Vmèihut. Nou contente de 1'avoir ordonnée , elU ptjt fur elle tout le détail de eette foleranité, & veulut lhonorer de fa préfenee. En effet, pendant que j'étoij avee mes parens, elle fe fit conduire au village eü elle pareoureiï toutei les tables qu'elie avoit fait dreffer. M'éranï appercu de fon abfence , 84 me doutant du motif qui la caufoir, je la fuivis avec ceux de la compagnie que j'entretenois. Si Je fus ravis de voir 1'affabilité de ma femme, que J'eus lieu d'être fatisfait des témoignages de refpea 8c de reconnoiflance que lui donnoient nos cohabitans, car je n'ofe encore dire nos Payfans. On lefait: cette efpece d'hommes paroit être conduite par le cceur feul, fans que 1'efprit fe mêle de le diriger. J'eus lieu de m'en convaincre dans le même jour. Tout iufpiroit i ces gens le defir de «ous montrer combien ils étoient feufibles aux  nontes dont ma femme les honoroit, & a i'amitie? que je leur marquois : mais les preuves qu'ils employerent, penferent m'êrre funeftes. En effet, quand nous nous i'ümes mis a table avec la familie dans la falie , les habitans vinrent i'inveftir. Leur but étoit de nous voir , St ma femme , pour y répondre, fit ouvrir toutes les fenêtres. Elle ordonna qu'on leur diftribuar a boire a difcrétion. Cette générofïré ne tarda pas a leur échauffer le cerveau. Chacun , pour témoigner fa gratitude , alla dans fa maifon prendre les armes a feu qui pouvoient s'y trouver , 8c revint marquer les fantés qu'on portoit par autant de coups en l'air. Un ancien du village imita certe folie faillie 8c prit un vieux fufil rouillé. II charge , tire ou ne tire point Sc boit. II court au buffet, revient, Sc fait le même manege : a la troifieme apparition de ce vieillard , ma femme prend elle-même un verre fur la table St le prie de le boire a fa fanté. Cette démarche tranfporra de joie ce Payfan ; une diftinftion flatte par-tout. Il charge de nouveau fa vieille armure , Sc pour que fon coup répondit mieux a fes fentimens , il doublé la dofe. Le coup part avec un bruit furieux , je me retourne au bruit de quelques vitres qai tomberent en eclats. Je vois ma femme renverfée dans un fauteuil de la falie , Sc 1'homme étendu dans la cour. Je cours a mon époufe , quelques gouttes de lang m'effraient , je cherche ce que cela dénote , pendant qu'on tache de lui rappeller les fens ; je ne lui trouvai qu'une petite égratignure k ja main , je la lui levai en la couvrant de mille bailcrs. Je m'appercus qu'un morceau de verre en la frappant lui avoit fait cette légere bleffure qui fut guérie en un moment; mais je vis par-la 1'inconvéuicnt inféparable de pareilles réjouiffances. Elle voulut être iuformée de ce qui s'étoit paffé  C M* ) ■2ans Ia cofir. J'y courus pour la trancfuilüfer. J'appris que le vieillard n'avoit eu ni peur ni mal. Son arme s'étoit crevée dans le tuyau fans le bleffer, & Ia force feule de la charge 1'avoit renverfé. J-e Ie fis tranfporter fur un lit , St je défendis de tirer davantage; mais pour être obéi, je fis approcher les méneflriers du village ; Sc 1'amufemcnt qu'en efpérerent les payfannes , plus que mes paroles , détournerent les payfans de leur ardeur a tirer .: par - tout la femme décide nos gouts. Ce petit accident paffa fi rapidement, qu'il ne troubla notre joie qu'un inftant, Sc ma femme parut d'une gaieté charmante le refte du repas. Le lendemairi mon époufe me dit : depuis deux jours que nous fommes ici , nous n'avons point vu le Chevalier de Vainfac ; c'étoit un homme qui avoit un fief relevant de Ia terre , Sc qui deEieuroit au village. Je m'imagine, lui dis-je., qu'il n'eft pas au bourg. Vous vous trompez , je crois , répondit-elle. Je penfe qu'il y eft , Sc qu'il attend votre vifite. II faudra la lui rendre aujourd'hui. Nous venions de convenir de cette démarche , quand le Curé de la Paroilfe viut nous annoncer que ce Gentiihomme fortoit de chez lui, pour lui déclarêr qu'il prétendoit aux honneurs de i'Eglife avant nous , Sc que fur les difficultés qu'il avoit cru devoir lui faire , il les avoit detnandés avec cet air de hauteur qui veut êtte obéi fans replique. Je ne concevois pas trop quelles étoient les prétentions de ce Noble. Je me rappellois bien qu'il y avoit a 1'Eglife certaines cérémonies qui fervoient a diftinguer le Seigneur du Payfan ; mais je les regardois moins comme un devoir que comme une politefle. Le Pafteur m'expliqua le mieux qu'il put 1'origine de ce droit , mais quand il voulut  Voulut men faire comprendre ritnportance , je rre I'entendois plus; ma femme voyant mon embarras, lui dit : - Cela füffit : on dira la MeïTe a la Chapclle dtr ChSteau , & nous remettrons a htiir jours pour paróltre dans 1'Eglife. Mde. de Vambures, dont je dois autant admirer la fagelfe que la beauté voulut que dès le même jour nous rendiffions vifitê a ce Gentiihomme ; mon pere nous y conduilit. . Quoique cette prévenance le déconcerta d'abord, ü ne tarda pas néanmoins a déployer toute fa fatuité. Sur les iuftruftious que ma femme m'avoic données , je lui dis : . Je fuis charmé d'avoir un voifiri tel que vous; je ne doute pa's que nous ne vivious* d'intelligence, Sc j'eipere que dès... Je ne demahde pas mieux , répondit-il en m'iu.' terrompant, il ne tiendra qu'a vous. De mon cöté, repris-je, j'y mettrai tous mes loins ; Sc s'il s'élevoit quelque difficulté, je vous prierois de m'en donner avis avant d'en venir a quelqu'éclar. Je ferai toujours prét a prentlre des arbitres Sc a fuivre leurs riécifions. Vos difpofitions me charment, me dit-il. Si vous les obfervez , nous ferons amis : mais je vais les mettre a 1'épreuve dans une occafion oii les arbitres font inutiles. Ceux qui pofiedoieut le Chateau que vóus avez scheté , ont ufurpé fur mes ancétres des droits que je réclame. Initruiféz-ffloj, lui dis-je , de la nature de ces ufiirpationt. Si le mal peut fe réparer, Sc qu'il foir réel, je m'y ptêterai volontiers. Mon humilité apparente lui donna des armes qu'il ne crur plus devoir ménager ; vous êtes da pays , m'ajouta-t-il alors, mon nom vous eft conmi , comme je connois le vótre. Je prétends aus droits honorifiques de 1'Eglife , Sc je ne crois pas que vous me les difputiez. Tome III. j|  ( »H ) .... . Les droits dont vous parlez, lui dit ma lemma avec beaucoop de douceur, font attachés a ma terre , 8c M. de la Vallée eft' obligé de les foutenir. Si vous croyez pouvoir les contefter , il faut établir votre prérention, nous en montrer les titres, 8c nous nous ferons plaifir de vous les céder. De votre aveu, ceux de qui je tiens la terre ont poffédé ces droits que vous nous difputez ; j'ai acheté ce bien avec fes avantages , la nature & la juftice veulent que je les conterve a ma familie, ou a ceux qui me fuivront dans la polfeflïon de "e domaine. . C'eft donc-la votre réfolution , lui dit il en fouriant. J'en fuis bien aife : nous venons li vous la foutiendrez. Nous plaidcrons , Madame , nous plaiderons, 8c nous verrons ce que le nom de fa Vallée fera contre celui de Vainfac. On penfe bien que ce dernier ne tut prononce BVec un ton emphatique , que pour faire valoir la foibleffe dont on avoit marqué lc premier. Je fentis cette différence , 8c elle me choqua. La crainte de m'échapper me fit gatder le filence. En vain mon époufe , qui connoiffoit a rond tous les droits de fa terre , 8c qui Joignoit a 1 art de fe pofféder une grande facihté de s'enoncer , voulut-elle employer toute fon éloquence pour le ramener a la' raifon , Sc lui faire fennr la foibleffe de fes prétentions , elle n'en recufd autre réponfe : 1'on verra i enfin cela eft étonnant : M. de la Vallée difputera de rang avec Vainfac. Cette reprife m'alloit faire ouvrir la bouche , quand mon pere, las de toutes ces fanfaronnades, crut devoir prendre la parole. 11 ne fera pas inutile de faire remarquer que £a tendreffe le rendoit plus épris de ma tortune oue je ne 1'étois moi-même ; que d'ailleurs, ii la loneue habitatiou daus le village lui en faifp.t canuoifie toutes les families, une aneienne «*,  rectioti des biens du Chateau, lm avoit appris tous les droits qui dépendoient de la Seigneurie. Eh ! parbleu, dit-il au Chevalier, v'la bian du bruit; j'ons vu vos ancêtres au moins , M. de Vainfac, St Jean votre pere n'étoit pas fi haut hupé que vous. Vous tranchez du grand, mais il alloit tout bonnement ; St quand j'nous rencontrions , par exemple, il me difoit : bon jour, compare , comme te portes-tu ? Et Dame j'li parlions fans facon. II n'a pas tenu a lui , voyezvous, que je n'ayions époufé votre fceur, M. de Vainfac, & Jacob feroit votre coufin. Mais, teftigué', j'ons du nez , St je vimes bien alors qu'on vifoit a notre bian St non a notre parfonne , & j'ons toujours fait le fourd. Allons , allons , bou- , tez-la , M. de Vainfac ; Si vous St moi, a peu de diftance , c'eft qu'eu-ci , qu'eu mi : oui, oui, Colas votre grand.pare étoit aufli bon farmier que moi. Cette petite harangue de mon pere fit plus que toute 1'éloquenee de ma femme, St me iatisfit, paree qu'elie me vengeoit d'autant plus , qu'elie humilioir davantsge mon adverfaire. II ne fut plus queftion de difp'utes entre nous , St nous nous féparames bons amis. Je paflai encore huit jours dans cette terre, pendant lefquels j'eus le plaifir de rendre M. de Vainfac témoin de mon triomphe. Nous étions prêts a partir pour retourner a Paris , quand mon frere vint me prier de le laifler dans le Chateau , en m'ajoutant qu'il defiroit d'y fixer fon domicile. Je ne balancai a acquiefcer a fa deman-le, qu'au. tant que je le crus nécefliure pour luv faire comprendre qu'il ne devoit pas attribuer ma facilitc a 1'envie «le me féparer de lui. Avant de me mettre en route , je voulus engager mon pere a quitter fa ferme , pour habiter ma maifon O Ü. mon frere alloit demeurerj mais toutes mes  mftances furent inutiles. Non, «on , Jacob , ms dit il ; nous autres gens cle village , j'avons notre Tran tran , il faut nous le lailfer fuivre ; j'mourreis li j'quittois mon ufage. Je veux travailler tant que je vivrai. _ Que cette noble fïmplicité , qu'aucun defïr d'ambition ne traverfe , a cle charmes Sc de douceurs ! Quoique la fortune air toujours femblé me prévenir dans tout ce que j'ai pu deflrer , il m'eft cependant permis de connoitre cette oppofnion. Je fuis homme,. & fexpérience m'a appris que 1'humanité rcvendique toujours fes droits. Oui , perfonne ne doute que. je n'aie lieu d'être fort content de mon fort ,St que Jacob , triomphant dans le lieu de ia naiffance , devoit être heureux : mais non , je ne 1'étois pas , je commencois a goüter les biens de la fortune ; cet avantage , en augmentaat mes dcfirs , faifoit croftre mon tourment. Je viens de dire que Jacob triomphant dans fon, pays devoit être content. En effet, quoique quelques perfonnes penfent qu'un rufire qui fort de fa craffe devroit s'éloigner de fon pays , paree qu'il s"öte par ce moyen des fujets d'humiliation journaliere , je crois cependant, après 1'épreuve fake, que cette humiliation n'a rien de comparable au plaifir de voir courber devant vous ceux ou qui,. marchoient vos égaux , ou qui même croyoient vous honorer en vous donnant un coup de tête. Parexemple , y eüt-il une amorce plus féduifante poua Jtia vanité , que de voir Vainfac , qui m'avoit contefté des droits honorifiques , me venir rendre le lendemain ■•'es devoirs révérencieux ? Cette 'aftion étoit libre , ui-ais je me flattois a chaque coutbette ,. «ju'il faifoit a ma femme ou a moi, que je le faifois plier fous mon autorité , qui "clès-lors 1'emportoit fur Ia fienne. Ainfi je teviens de cette idéé, & je penfe que rien n'eft pl.us flaneur que de paroitre g'.orieux dans un lieu oü 1'on étoit confondu peu 4e temps. aupsiavant. Qu'on me permette cett*.  ( 1,7 } r • petite réflexion qui combat un fentiment recu 8t accrédilé , auquel je ne puis oppofer que 1'expérienee , qui me paroit un argument fans replique. Je me difpofois a partir le lendemain, quand M. de Vainfac vint me prier de lui accorder ma fceur en mariage : cette demande me furprit autant qu'ells me fit de plaifir. Je ne pus lui cachet ni mon étonne.» ment ni ma joie. Monfieur , lui dis-je, vous honorez beaucoup le nom de la Vallée de 1'unir a celui de Vainfac... Ah !. vous êtes un méchant , me répondit il, de me rappeller une vivacité que je ne cefie de me reprocher. Cette alliance , fi vous 1'agréez , vous aflurera de mes difpofitions a votre égard. J'en ferai flatté , repartis-je , & j'en parlerai a mon pere St a ma fceur dans ce jour : car vous fentez que cette alliance doit premiérement olaire a l'une, St être autorifée par l'autre. Tout ell prévenu , me dit il ; depuis long-temps j'ai cédé aux charmes de votre aimable fceur, St ma flamnie lui ell agréable. M. votre pere ., que je quitte , y content; mais il m'a confeillé de vous voir ; il defire même votre aveu. Vorre nom le décide , lui dis-je ,. dès que mon pere & ma fceur font contens;ck je ne partirai point d'ici que je n'aie vu votie union. Nous nous rendimes a la maifon de mon pere f M. de Vainfac renouvella fes inllances auprès du> vénérable vieillard , dont les yeux s'inonderent a; 1'inltant de larmes de joie. Oui, Jacob , me difoit il , tu pouffes le bonheur en avant toi. Voila ta^fueur mariée , je ne: fouhaite plus que de voir tes enfans , & je mourrai' content.. » Cet arrangement pris , nous ne nous donmlmesle temps que de remplir les- formalités , & M. de: Vainfac devin' le beau.frere de M, de la Vallée 5. §t j'ole dire que 1'agrément.qui luit cette heureuf»  unlön , fait «ne des plus grandes féllcités dont je? jouiife dans ma retraite. Quelques jours après nous partimes pour Parisavec les nouveaux époux. Nous voulions y faire prendre a la jeune femme un certain air dn monde qui lui mauquoit , mais a l'acquifition duquel un petit penehant a paroitre belle lui donna plus de facilitê que je n'aurois ofé imaginer. Nous avions laifle mon fiere a la campagne , qui peu de temps après perdit fa temme. M. de Vainfac acheta une charge chez le Roi. Tout ainfi prof-. péroit dans ma familie , St je voyois chaque jour ma fortune prendre une nouvelle fotme ; St j'ofe dire que je le voyois fans tranfport extraordinaire.. •Accoutumé a voir mes defirs s'accomplir, je n'eus; plus d'ardeur pour en former, C.'eil alors que 1'ai— fance dont je jouiffois commenc.a a faire p..roitre. fes charmes a mes-yeux. Je goütois fans trouble cette tranquillité , quand ma femme vint la troubler par des idéés de vanité qui lui étoient a'la, vérité pejmifes , mais Jjui me cauferent quelque fihagrin. On fait que la perfonne que j'avois époufée ètoh fille d'un Financier fort riche , dont 1'origir.e ne valoit pas mieux que la mienne ; mais fon; bien Pavoit fait rechercher en premières noces par 1^1. de Vambtues , & fon alliance avec ce Marquis. 1'avoit bée avec tous les gens de Cour. Cette tinion lui avoit prendre un air St un ton de grandeur qu'elie auroit voulu foutenir. Elle m'aimoit,, strais elle m'auroit fans doute aimé davantage , fi. jjiuffe pu réunir a mes traits St a mon caraftere Itili nom plus décent St des ancètres plus relesé"», ï?our moi , a qui la retraite dans laquelle vivoit MUe.. Haberd , n'avoit pas permis de fabe ds gjandes. connoiffances , & dont la vanité n'avoit jjpii'it encore. troublé le cerveau , j'étois latlitait. 4*. mon. lort cidc moo nom..  c y Cette différenee de mon fort m'expofóit fouvent , de la part de ma femme , a quelques propofitions ambiguës que je tachois d'éluder : mais il eft bien difficile de ne pas enfin donner quelque prife a une perfonne qui épie avec attention toutes les occaiions de fe déclarer :.un jour donc que nous raifonnions enfemble fur nos affaires , mon. époufe &. moi , elle me parut d'abord enchantée de la joie que me caufoit ma fortune , mais touta-coup elle tomba dans une profonde rêverie , je lui en demandai le motit d'une maniere empreffée.. Vous voyez , mon cher, me dit-elle , en quel état. eft notre fortune , elle ne peut être plus arrondie, & bien des gens de familie même pourroient 1'envier. Les connoiffances que vous prenez dans lesaffaires , par votre afliduité a vous y appliquer , me font efpérer que vous la poufferez , cette fortune , aufli loiu qu'elie peut aller ; mais ce n'eft pas. tout. Quoi donc ! lüi dis-je: eh ! que faut-il encore ? II faut faire un nom aux enfans que nous pouvons avoir, St vous leur devcz un rang , qui , plus que le vótre , s'aecorde avec le bien que vous leur. laifle re z. Les richeflës vous font confidérer , j'en conviens ; mais la nobleffe y donne un teliefqui,. quoiqu'étranger , en releve infiniment 1'avantage,. Voila ce que vous pouvez laiffer a votre poftérité s & ce que i'ofe vous prier de lui acCorder. Ce raifoni,.'inent me parut neuf. Qui fuis je donc , me difois-je en moi-même , pour ennoblir ma familie a ma volonté 1 Je regardois ma femme , & j'étois ten té de croire qu'un petit déra'-gement d'efprit avoit pu lui caufer cette idee. D'ailleurs. j'avois une petite dofe d'orgueil, mais elle n'étoit pas encore affez forte pour me fafciner les yeux an point de m'aveugler. On fe reffbuviendra fans doute que lors de mon mariage je n'avois pu me réfoudre a changer mon.  ( Mo ) Bom, 8c ici une femme que je croyois incapabfe de me tromper , me propofoit de métamorphofejr jufqu'a mon être , 8c de changer,pour ainii dire , la nature du fang quicouloit dansmesveines.il étoit roturier ce fang , je ne pouvois le communiquer que comme je l'avois regu ; 8t cependant on me parle de rendre purs les canaux les plus voifins d'une fource bourbeufe. Ma femme , qui voyoit bien le combat qui fe paiïoit dans mon efprit , 8c qui croyoit fans doute que la réflexion ne pouvoit être qu'avantageufe a fes deffeins , me laiffa rêver fans me diftraire ,. & auroit continué ce filence, en étudiant peut-être mes mouvemens , fi je n'eufie pas pris moi-mêms la parole. Je vous avoue , lui dis-je , que je ne concois point votre propofition. J'aurai toujours une dé.férence entiere pour vos volontés ; mais ici 1'impoflibilité de réufiir regie mon éloignement a vous ebéir. Je fuis né au village, je ne puis rien changer a cet. article.. Suis - je donc le maitre de faire qu'Alexandre la Vallée , fermier^ de Champagne ,. ne foit pas mon pe.e , 8c par conféquent 1'ayeul de. mes enfans ? Tant que cela durera , ]e crois que fils 8t petit-fijs de roturier , mes tnfans feront renfermés dans la même clafle. Non mon ami, me dit elle , vous ne pouvez-empêcher ce qui ell fait ; mais vous pouvez obtenir que vos enfans foient la tig* d'une familie noble ilfue de Jacob la Vallée ennobli. Eh ! , quels moyens , par quelles reflburces ,. lui dit alors mon amour-propre, plus piqué de ne. pas voir de route au fuccès , que de la iingularité de la propofition qui m'avoit d'abord alarmé ? Par votre argent , me répondit-elle. Comment,. par mon argent , lui dis-je 1 E -ce que la noblefie. s'achete comme un cheval au marché ? J'ai cru jufqu'a préünt qu. les nobles teuoient leurs rangs  C ui ) d'tm partage ancien , dont, a la vente , je ne pouvois bien découvrir ni la raifon ni 1'équité ; car ïe fens commun me dide que tous les hommes trant nés égaux , aucun n'a pu , fans une ulurpation tyrannique , étabür cette diftinaion d'ordreS^ que nous voyons parmi les hommes. Vous avez raifon, me dit-elle ; mais fi neanjnoins vous réfléchilTez , vous conviendrezjacilement que la même juftiee , qui avoit établi 1'égahte dans 1'origine-, a mis paria fuite cette difproportion qui vous furprend. J'avoue , pourfuivit-elle , que le premier-pas fait, quelques-uns par des fervices importans ont mérité cette diftinaion, qu'ils ont tranfmife a une poftérité qui , en marchant fur leurs pas , a fouten; ce privilege ; mais aufli combien parmi, je ne dis pas les plus fimples Nobles,. mais les grands du Royaume , qui ne doivent la grandeur St les titres qu'on leur a tranfmis ^ qua, i'erreur , au caprice , a 1'argent , ou a d'autteS motifs encore p.lus hnmilians 1 Vites-vous demiérement ce Duc ? fi 1'un de fes syeux n'eüt eu de la délicateffe dans les doigts , il n'auroit point le nom btillant qui le décore. Un. Marquis de votre eonnoiflance , & que vous ne pouvez méconnoitre , a mis dans fa _ ferme le Seigneur , dont , comme vous , il a acquis le domaint'. Que vous dirai-je 1 L'un prête des millions dans Uil befoin preffant , & il devient Comte : l'autre achete une charge, St il efface fon origine roturiere sn ennobliflTant fa poftérité. Si 1'on vouloit trouver de 1'antiquité dans les races de ce pays, n'en doutez pas , me dit-elle , il faudtoit quitter 8c Paris 8c la Cour , Sc en convoquant 1'arriereban , il feroit encore néceflaire de bien trier. L'on dira de vouscommc des autres. Dans les commence» mens on fera furpris. Bientöt 1'étennement ceffera, Sc l'on nojnmera vos enfans M. le Baron , M.. le Chevalier, avec la même confiance qu'oa.  (1415 dit a tant d autres aujourd hui, M. le Dtic dei & M. le Marqu.. , qui n'ont pas eu des principes de noblefTe plus caraétérifés que ceux que je VOU3 propofe d'acquérir. , Dès cet inftant Je comrnencai a ne plus comtattre que bien foiblement les idéés de mon époufe. Cette méthode , lui dis-je, me paroit finguliere. Je croyois que la nobleffe étoit le prix de la valeur ou des travaux ; mais dès que vous m'aflurez que ce fentiment eft une erreur, je vous crois. On peut donc 1'acheter. Mais, li je le fais. ( Connoiflez le motif d'un refte de répugnance. ) Oui , vos propofitions font flatteufes , & fi je balanec , c'eft que je crains d'être forcé moi-même de me dire cent fois le jour, ces Gentilshommes , que j'éleve chez moi, font fils de Jacob , conducteur de vin , valet & noble enfin. Quelque jufteffe que puifle avoir votre réflexion , reprit ma femme , c'eft une grace que je vous demande , & que j'efpere obtenir. Après ces mots je n'avois plus a répondre.Faites ce que vous voudrez, lui dis-je , je foufcris a tout. Qu'on ne foit pas êtonné de ma complaifance , 8t qu'on ne 1'attribue pas a un excès d'ambition rtVontre lequel j'avois prévenu mon lettcur , car 1'amour plus que la vanité arracha ce confentement. Si cependant on vouloit trouver dans mon acqutefcement quelque tracé d'orguei' . devrois-je tant m'en détendre 1 La gloire flatte , ,'urprend , & rend fouvent fou : telle fera alors ma pofition. Enfin , quoi qu'il en foit , par les foins de ma femme , qui , malgré toute fa tendrefle pour moi , portoit impatiemment le nom de la Vallée, on découvrif une charge , j'en traitai , je 1'obtins , j'en comptai 1'argent, & j'eus par-la le droit d'ajuuter a men nom : Ecuyer , Sieur de , fkc. Quelques mois après cette métamorphofe, mon  époufe aecoucha , Stee fut dans 1 exces de joie qii* me caufa cette nouvelle , qu'elie me forca d'ajouter a mon nom celui de la derniere terre qu'elie avoit acquife , St bientöt , graces a fes foins fecrets, on s'habitua fi bien a prononcer ce dernier nom, qu'on n'en connutp'u; d'autre danspa malton. On doit s'appercevoir que la néceflité de fuivre un fil d'hiftoire, que je luis réfolu de terminer dans cette/Partie , m'a fait oublier mes chers neveux. Je n'avois pas pourtant moins foin de leur éducation , Sc j'ofe dire qu'ils répondoient parfaitement aux peines que leurs inaitres fe donnoient. J'avois lieu d'être fatisfait de tous cótés , & pendant quinze ou feize ans que je paffai a Paris , '"ans le feul embarras des affaires , ie vis croitre <&* familie de deux fils ck d'une fiWe. Ma femme leur fit donner une éducation proportionnée aux róles que leurs grands biens leur permettoient d© jouer un jour dans le monde. Mon bien s'augmentoit en effet chaque jour; mes garcons^faifoient des progrès infinis, & ma fille nous mettoit danss le cas de découvrir chaque jour en elle de nouveaux charmes. Ami aufli favorifé que pere fortune, le jeune homme que j'avois fervi en arrivant a Paris, St que M. d'Orfan m'avoit préfenté , M. de Beaulfon, c'eft ainfi qu'il fe nommoit, par fes rares talens & par 1'ufage qu'il en faifoit, me mettoit dans 1'heureufe néceflité de contribuer chaque jour a fon avancement. II venoit afliduement chez moi, Sc je 1'y voyois avec plaifir. Un caractere doux, liant Sc gai lui gagna 1'amitié de chacun. Sa figure étoit gracieufe, j'ofe avancer qu'il méritoit la fortune que la diffipation de fes parens lui avoit fait perdre , 8e que mon attachement lui fit obtenir. Ce jeune homme étoit de toutes nos parties , 8t nous le rsgatdions comme un -enfant de la maifon.  - ,„ (144) Quand je refolus de- faire quirter a meS neveux ïes études , pour les mettre dans des poftes qui décidaflent leur fortune , je les engageai a fe lier d'amitié avec M. de Beauflbn. Les graces que ce Cavalier mettoit dans tout ce qu'il faifoit, lui attirerent bientöt tout le cceur de mes neveux, & j'en eus une joie bien fincere , car je favois que louvent la fortune , & prefque toujours le caraétere des enfans, dépendent des premières liaifons qu'ils forment. On concoit alfez que la fituation de leur pere, ■ruiné par les diflipations de leur mere , ne leur permettoit pas de fe foutenir dans le monde, s'ils ne décidoient eux-mêmes leur fortune. J'avois des enfans , St ces enfans ótoient a mes neveux toute prétentiqn fur mon bien. Je réfolus donc? de les accoutumer de bonne heure au travail. Je leur propofai d'entrer dans mes bureaux fous la conduite de M. de Beauiïun. L'ainé confentit volontiers , St fe montra bientöt né pour les plus grandes a*ffaires. Mais quelle fut ma douleur de voir le cadet fe révolter avec hauteur contre cette difpofition prudente ! Que voulez-vous donc faire, lui dis-je? Je n'ai de goüt que pour les armes , vte dit-il , 8c. je ferois peu propre a piquer 1'efcabelle. Cette inclination ne me parut qu'une faillie de jeunelfe , dont je le ferois revenir aifément; car outre une aimable phyfionomie , qui annoncoit beaucoup de douceur , je remarquois en lui un caraétere de réflexion qui me promettoit de le faire entrer dans mes raifons. Je ne blame point, lui dis-je, 1'ardeur qui vous fait fouhaiter de courir une carrière honorable ; mais tout combat vos idéés , mon cher neveu. Votre naiffance eft obfcurc ; le reliëf que j'ai été obligé de donner a la mienne , ne me releve pas beaucoup  beat-'c.oup , mais il ne fait rien en votre faveur,' puifqu'il vous èft 'totalement étranger. Je !e fais , me répoudit-il , mais c'eft a moi d'obtenir par mes actions ce que la nature m'a rëfufé. C'eft fort bien penfé , repris-je. Mais vous Ie favez , le fervice militaire dans notre Patrie eft: le fentier oir court la noblefle ; St fans cet avantage-, obligé de vivre ou d'être en conctlrreuce avec elle , vous ferez journellement en bute a inille nouvellcs difgraces. Dans le choix de 'deux perfonnes qui fe feront égalemeut dilliuguées , le noble obtiendra la préférence fur vous. Vous croirez voir de 1'injuftice oü 1'équité feule aura parlé; vous êtes vif, St peut-être la chaleur vous expofera a quelque folie, qui en vous forcant "de Vous expatrier, vous ruinera. Mais pour ne vous rien déguifer, mon cher neven , vos fervices mêmes, fi vous êtes alfez heureux pour en rendre , fans cor.currence , fans rivalité , fe trouveront obfcurcis par votre origine ; St fi vous parvenez , vous irez ' lentement oü d'autres arriveront a pas de géans, fans avoir d'autres droits a Faire valoir que des parchemins a demi-rongés que leur autont trarifmis leurs ayeux. Eh bien ! ce fera a moi , me dit-il , a brufquer les occafions , Sc a favoir les mettre a profit. Ces paroles prononcées avec vivacité , me dénoterent fon caraêtcre. Je vis que fous une apparence de douceur , il voiloit un naturel opiniatre que j'aurois peine a vaincre. Je crus Cependant Ie faire revenir par une raifon dont 1'ufage du monde me faifoit voir la folidité autant que la vérité. Le fervice , lui dis-je , ne convient qu'a deux fortes de gens en France , aux riches Sc aux nobles iudigens. Ceux-ci ivont point d'autres reffources, Sc leurs noms font les garans de leur avancement. Ceux-la favent forcer la faveur ea Torne III. N  (145 > ., . prodiguant leur argent. Vous n etes m daru iufi* ni dans l'autre de ces dalles : que ptétendez-vous donc faire ? Suivre le parti pour lequel je me fens de 1'inclination , me dit-il. Nous étions dans cette conteftation , & j'étois prêt de me fervir de 1'autorité que mes bieniaits me donnoient fur ce jeune homme , quand M. d'Orfan furvint. Après les complimens ordinadres , je lui fis patt de la converfation que j'avois avec mon neveu. Je ne doutois pas qu'il n'entrat dans mes vues. J'étois perfuadé qu'élevé dans le lervice , il devoit fentir affurément mieux que perfonne la folidité de mes raifons. Qu'on juge donc li je fus étonné quand j'entendis fa répoHle. L'envie de votre neveu, dit-il, eft louable ; il faut la fatisfaire , tk je me charge de lui rendre fervice : combattte les inclinations des jeunes gens , c'eft les fortifier. Je ne voudrois pas cependant , 3)outa-t-il, foufcrire a toutes leurs volontés. II faut leur faire envifager ie bien tk le mal d'un état; mais alors s'ils perfiftent , laiffezles jtiger par eux mémes. Si c'eft une fimple velléité , elle échouera contre le premier cbftacle ; fi au contraire c'eft un penehant dcclaré, les remontrances ne feront pas plus fortes que les peines pour les en dérourner. Mais, Monfieur , lui dis-je , fans fortune, fans nom , que fera-t-il ? Eh ! pourquoi, reprit ce Seigneur , n'avanceroit-il pas comme mille autres 1 Avec de li conduitê tk de la valeur , on fait oubiier fa naiffance , tk l'on parvient dans le métier des armes comme en tout autre. II n'eft pas lucraiif dans fa pofition., il eft long ordinairement, je 1'avoue : mais votre neveu eft jeune , il eft prudent, il peut efpérer. Je n'ai rien de vacant dans mon régiment , mais fi' vous voulez lui fournir de quoi  vivre en garnifon, je le prendrai pour cadet,, SC dès qu'il fe préfentera quelqu'occafion de 1 obllger, il pourra compter fur moi. . Les bontés dont ce Seigneur ceffbit de m accabler, me firent regarder ces paroles comme autant de loix qui forcoient mon obéiftance. Je ne trouvai plus de termes pour combattte les detfeins de mon neveu. Je n'avois de voix que pour marquer a fon bienfaiteur Sc au mien une reconnoiflance aufli légitimement due. Je venois de faire retirer mon neveu , qua nel ma femme parut. Veuve en premières nöcês d'un Militaire diftingué , felle fut d'un nouvel appui pour M. d'Orfan. Elle remercia ce Seigneur dans des termes qui marquoient toute fa joie. Monfieur , me dit-elle , votre neveu mérite votre eftime 8c nos foins. Je ferois étonnée que vous vous oppolafliez è fes deffeins. 11 fe tirera d'affaire , notre for. tune nous permet de 1'aider , Sc je vous promets d'avance de foufcrire a tout ce que vous lerei pour fon avancement. . Je me fuis chargé de fon 'avancement , reprit M. d'Orfan, 8c permettezmoi, Madame , dit-il a ma femme , de vous envier cette gloire. » Mais fi nous venions a lui manquer ma femme 8c moi, dis-je a M. d'Orfan, quelle feroit ia retfource \ Car il n'a pas d'efpérance du cöte de Ion pere. . Nous ne manquerons pas tous a la fois, reprit M. d'Orfan: mais d'ailleurs, depuis que je fers , j'ai toujours vu les gens fans fortune profpérer oii 1'opulence a échoué. Ebloui par ce principe , je ne voudrois pas cependant recevoir tout le monde fans diftinaion. II faut tacher que les compagnons d'un homme que nous mettons en place , n'aient point a rougir de fe trouver avec lui. Votre neven n'eft point connu , ou il ne 1'eft que par Vous. Votre «ut d'opulence en imprime , Sc cela lufiit pour  { '48 ) qtnl puiffe paroitre dans un régiment. En un mof > je le preuds & je me charge de tout , s'il perfide dans fa réfolution. Dès-Iors ce fut un parti décidé que mon neven sppritavec des tranfports que je ne pouvois fouffrir qu'avec quelque forte d'impatience ; mais il fallut fe réfo'udre a le faire partir ; St comme la fuite 11'eut rien «'extraordinaire que fon mariage , avant que cette circonflance vienne , je me contenterai de dire ici que M. d'Orfan ne tarda pas a lui procurer de 1'emploi , 8t que chaque jour ce Seigneur fe flattoit de 1'avoir dans fon régiment. Mon .autre neveu fe livra tout entier a la finance. fous les' yeux de M. de Beauffon , dont le rappoit flatteur me faifoit plaifir. Mes enfans grandiffoient , St je ne négligeois rien de tout ce qui pouvoit contribuer a leur éducation. Quoique Paris nous offrit des écoles célebres, oü ces jeunes gens pouvoient prendre les teintures de toutes les fciences, conduits par le confeit de perfonnes fages , je crus devoir leur procurer chez moi des maitres en tout genre. L'émulation , me dit-on , peut faire beaucoup fur desjeunes cceurs: mais fteil du pere jtoint aux ibins d'un maitre particulier , dont ie nombre des difciples ne partage point 1'attention , font des moyens bien puiffans pour décider le progtès desjeunes gens. Je ne fais fi cette réflexion qu'on me fuggéra , fera également approuvée par tout le monde ; mais. 1'expérience m'a convaicu de fa jufteffe. En eftet, mes fils avancerent avant 1'age , Sc ils n'avoient pas encore feize ans quand je me vis en état d'égayer leurs études férieufes par des oecupations plus amufantes. Je les envoyai a 1'Académie. A cette nouvelle , fi 1'ainé treffailla de joie , le cadet y parut peu fenfible. Leur caraftere étoic trés-différent. Celuiïa afoit un cataftere vif St falllant , fon efprit é.toif  C M9) pénétrant, les difficultés dans les fciertceS ne fèrrtbloient fe montrer que pour donner de nouvelle* preuvcs de 1'a pénétration. L'autre avoit moins de brillant , mais il paroilfoit avoir plus de folide. Un efprit de réflexion le rendoit fombre Sc taciturne j, mais dans 1'occafion il n'étoit ni moins gai ni moins éclairé que l'on frere. Cette différence de caracteres me faifoit attendre avec impatience 1'age oü chacun feroit en état de prendre un parti: car je croyois impoflible qu'avec des tempéramens fi oppofés, ces enfans euffent les mêmes inclinations. Je voyois avec pl?ifir 1'amitié intime qui les uniffoit a Beaufion. Ma fille étoit un parti confidérable-: mais quoique douée d'une beauté merveilleufe Sc d'un efprit délicar St délié , elle paroiffoit d'un naturel infenfible qui m'alarmoit. L'admiration qu'elie caufoit , lui procuroit un nombrer d'adoraieurs que fa froideur rebutoit bientöt. Je ne pouvois en dccouvrir 1'origine. M. de Beauffon la voyoit a la vérité affiduement , je m'appercevois bien qu'il étoit le feul que ma fille dillinguat ; mais j'attribuois cette confiance a la préférence naturelle qu'une fille doit Sc accorde a un jeune homme qui dès 1'enfance a fait le métier de complaifant auprès d'elle. Lui-même dans fa conduite ne me laiffoit appereevoir qu'un cceur reconnoiffant des obligations qu'il croyoit m'avoir Sc qui tachoit de m'exprhner fes fentimens. par un attachement entier a teut ce: qui pouvoit m'appartenir. Je ne pouvois donc pénétrer ce qui fe pniTbiï .dans ces deux cceurs , quand ma femme crut devoir m'avcrtir qu'elie trouvoir dans fa fille un airde rêverie Sc de dillraöion qui s'accordoit mal aves: 1'enjouement- ordinair* de fon efprit. Je n'y fis pas d'abord attention , paree que cet enfant fortoit d'une indifpolltion qui pouvok- las N »  ïaiïTer quelque foiblelTe qui 1'attriftat : mais a force de m'tntendre répéter par ma frrniie ce que fes jemarques jovirjnaliéres lui fiiifoi'ent foupconaer , je réfolus 'de fonder ma fille, bien décidé de ne rien Lire qui put contraindre fes deliis. Je la fis venir. Qu'avez-vous donc , ma fitte , lui dis - je 1 Votre état nous inquiete. N'êtes-vous pas bienremiie de votre maladie , ou quelque chagrin caufcroit-ri cet air abattu & rêveut dont ma tendrtffe eft slarmée ï Je fuis en. bonne fante , me dit-elle ; mais ri> jp'e'ft refte de ma maladie une certaipe laugueur que je ne puis vaincre. Jc m'en veux mal a moÈmême ; mais il ne#m'eft pas pofiible de me furmonter Au refte cela paifera , tk ne mérite pas dt, vous inquiéter. On f.it ce qu'on veut fur foi , repris-je , tk un efprit trop réfléchi quadre mal a votre agV D'ailleurs je vous ai toujours vue fi gaie , je pourvrois même vous dire fi folie , lui ajoutai-je en, riant , que je ne puis , fans êtte alarmé, voir un changement fi total. Votre mere s'en eft appercue , tk n'en eft pas moins inquiete ; ne me cachez pas le motif qui vous chagtine , tk foyez perfuadée que nous ne voulons que votre bien & votre faüsfaflion. On fait , d'apiès ma converfation chez le Préfident, qu'en parlant j'ai 1'ufage d'éiudier les contenanccs tk les yeux des peifonnes auxquelles j'adrelfe la parole : je me fervis ici de tout man art'pour pénétrer ma fille : mais je dois 1'avouer,. • fi une rougeur légere qui couvrh fon vifage ne m'échappa pas, fi je vis même que mon difcours lui avoit fait d'abord defferrer les levres pour me gatier avec confiance , fans doute , je ne pus en iiver les fumitres que j'en efpérois , quand Je 1'en-. Ma-dis me iépondre en ie- tantes ;  Que voulez-vous que j'ate a mon age ï Je n ai d'autre delfein que de vous obéir , tk j'en fais toute: mon occupation. Je fens tk je vois mon changement mokmême. II vous chagrine : j'en fuis atv défefpoir , 'mais je ne puis 1'attribuer qu'a ma foiblefle , &t il faut efpérer que le temps.... J'allois riuterrompre , tk je me flattois de la forcer a rompre le filence en lui montrant que je n'étois pas dupe de fes détours , quand on m'avertit que M. de Beaulfon demandoit a me perIer. Je le fis entrer, ma fille fe retira ; mais malgré leurs précautiuns , cette rencontre imprévua jetta fur leurs vifages un trouble qui avoit des motifs bien différens , tk qui m'auroit pu donner quelques foupcons , fi Beauflbn ne m'eüt abards par ces mois. Je fuis mortifié que Mlle. fe foit trouvée ici quand on m'a introduit. Je venois vous parler en fecret de M. votre neveu , tk il étoit important que perfonne ne me vit. Ma fille eflcapable d'un fecret, lui dis-je es le lui recommandant: mais de quoi, eft-il queftion l , La confiance dont vous m'honorez , reprit-il , tk les bontés que vous avez pour moi , m'oblU gent a ne vous rien cacher : votre neveu ne tra-vaille plus : il paroit depuis deux mois plongé dans «ne mélancoHe étonnante , tk rien ne peut l'én tirer. Devant mon oncle je me cache , m'a-t-U dit, mais je ne puis me déguifer quand je fuis hors de delfous fes yeux. Quoi ! me dis-je alors , ma fille , mon neveu , tout me craint, j'en fuis mortifié ; mais en pailant a M. de Beaulfon , je lui demandai s'il avoit percé le motif de 1'inquiétude de ce jeune homme. Je crois l'avoir deviné , me répondit-il d'un air également abattu & touefcant ,. par un hafard ^qui. peut yous être avantageux , li fes dtffeins ns s'ac»  c i<» y eordent pas aux vötres. Ce matin , en cherchant fur la table de votre neveu un papier dont j'avoiï befoin pour vos affaires , j'ai trouve un portrait qu'il doit avoir oublié par fuite de diftraöion. Je favois bien qu'il aimoit , ajouta Beauffon , mais je n'avois garde de foupconner 1'aknable objet qui caufe fa pafiion. Je n'ofe vous en dire davantage. Un certain friffonnement me paffa dans les veines. La conformité qui fe trouvoit dans les eonriuites de mon neveu & de ma fille m'effraya. Je tremblai de pouffer plus loin 1'éclairciffement ; mais bientöt je pris la réfolution de tout favoir , & ce ne fut qu'en balbutiant que je priai M. Beauffon de me nommer la peifonne qui avoit donné tant d'amour a mon neveu , s'il la eonnoiffoit. Oui , Monfieur , me dit-il en pouffant un grand foupir. Mais quoi ! lui dis-je un peu revenu a moi-même , qui peut donc tant vous attrifter ? Mon neveu a de 1'efprit & des fentimens , cette perfonne pourroit-elle le faire rougir ? Si Ie cceur lui parle pour elle, il eft sur de mon aveu. 11 n'eft pas riche ; fi la Dlle a du bien , il marchera fur mes pas , &t ce pottrait m'eft d'un bon augure. Ah ! reprit-il vivement, fi vous faviez le nom de cette adorable perfonne , vous cefferiez , je crois , de trairer fi légérement un fujet qu'un intérêt peut être trop vif... ( II s'arrêta pour voir fans doute fi je le devinois, mais je ne 1'étudiois même pas ) & un inftant après il ajouta , que 1'intérêt que je prends a votre repos m'empêche de nommer. Nommez , nommez , lui dis-je avec inquiétude. Vous me 1'ordonnez ,reprit-il, & je dois vous obéir. C'eft votre fille. Ma fille ! m'écriai-je, & je reftai fans mouvement dans mon fauteuil. Oui , votie fille , me dit il , jugez fi je devois craindre de la trouver ici. Mon neveu amoureux de ma fille , repris je !'  C 155 ) Hélas ! quelle bizarrerie clans 1'amour !' A peul» fe font-ils vus ! Mais auriez-vous , lui dis-je , quelques autres preuves de fes fentimens , ck fau-s riez-vous fi ce jeune homme auroit eu la témérité de déclarer fa paflion a 1'objet qui 1'a fait naitre ï Je ne puis la-deffus vous rien dire de plus , merépondit-il , ck le portrait eft le feul témoin qui puiflé dépofer. Je me reffouvins alors que j'avois le portrait de ma fille en miniature , je le cherchai & je 1© trouvdi a fa même place. Dès-Iors la preuve me parut convaincante. Car , me difois-je , il ne peut ayöjr fon portrait, fans qu'elie ait {buffert qu'il Fait fait peindre. Ils font donc d'iutelligence , fk c'eft-li la fource de cette honte qui empêche ma fille de s'expliquer fur les motifs de fa langueur. Que je fuis malheureux ! M. de Beauffon, que ces mots accabloient , Sc auquel fes fentimens fecrets pour ma fille ne per-mettoient pas le moindre foupcon qui put lui être» injurieux , voulut en vain me faire entendre quemon neveu pouvoit avoir obtenu ce portrait par adreffe ; rien ne put me calmer. Je ne voyois ce projet d'alliance qu'avec horreur. Je priai mon ami de ne rien témoigner kmon neveu , mais de 1'amener diner chez moi dans le jour , étant bien réfolu d'avoir un entretien aveclui , oü je pénétrerois tout ce myftere. Quand M. de Beauffon fe fut retiré , je demeurai dans un abattertunt entier ; car plus on eft fait aux faveurs de la fortune , & moins on peut foutenir fes difgraces. J'étois, plongé dans une rêverie fi profonde , que ma femme étoit entrée dans mon cabinet fans que je m'en fuffe appercu. Ayant uil inftant après jetté les yeux fur elle , je lui dis : L'auriez vous cru , ma chere 1 Eh ! quoi donc , me dit-elle ? Notre fille. . . reupris je , St je m'ar-, t&ai pour attendrs fa réponfe.. J'étois un homme.  ('»J4> p fi fortement prévenu de mon fecret , que re croyois que chacun devoit le favoir , avant que je le découvrilfe. Je ne comprends tien , dit-elle , a votreabattement. Vous eft-il arrivé quelque chofe de facheux? & Beauffon qui fort.... II n'eft point queftion de lui, repris je vivement. Ma fille ! mon neveu ! Ah Dieu!... Que voulez vous dire, reprit ma femme , qui commencoit a deviner le motif de ma douleur ï Cela ne peut être , Monfieur : achevez , je vous Prie- . Je lui racontai alors tout ce que Ie venois d apprendre , St je lui fis part de mes deffeins. Elle les goüta , ck me promit de me feconder en fondant fa fille. Eile m'engagea a ménager TefprLt de mon neveu qui étoit violent , ck qui , s il venoit a découvrir la trahifon que lui avoit faite fon ami , pouvoit nous caufer quelque nouveau chagrin. Je le lui promis , St elle «rut me devoit aider de fes lumieres fur la conduite que j'avois a tenir , mais que mon chagrin empêcha de bien fuivre. Mon neveu vint , & après le diner je me rerirai avec lui dans mon appartement. Je lui demandai d'un air gai en apparence , s'il étoit content de fon fort : il me répondit d'un air froid qu'il en étoit fort fatisfait. Pourquoi donc, lui dis-je , ne vous voit-on plus dans nos affernblées , ou pourquoi , quand vous y êtes , y paroiffez - vous fi diltrait ? A la campagne on ne vous voit qu'aux heures des repas ; 8c a Paris vous choififfcz pout vos promenades les, lieux les plus folitaires. Je ne pourrois pas , me répondit-il , vous rendre bien compte des motifs d'une conduite qui doit vous paroitre bien bizarre a mon age. Je  troiï que tout cela dl'machinal & fans deffeirt décidé. . . . Vous tremblez de vous expliquer avec moi, nu dis-je. Qu'elt donc devenu cette confiance que vous me devez 1 Je vous aime comme faime mes propres enfans. Parlez moi avec cette cordialité qu'un pere doit s'eftimer heureux d'obtenir , ik qu'un ami a droit d'exiger : oui , mon cher neveu , ajoutai-je, je ne vous crois pas infenfible... Ah ! qu'allez-vous penfer , reprit-il avec vivacité : excufez fi je vous interromps ; mais en vérité pouvez-vous concevoir qu'un homme fans fortune , fans efpoit, puiffe fe permettre de prendre de 1'amour 1 . Eh ! pourquoi, lui dis-je? Je ne vous en terois point un crime. Mon exemple fert a autorifer vos fentimens, tk je puis vous avouer que la regie que j'ai fuivie moi-même fera celle que j'obferverai pour 1'établifTement de mes enfans tk pour le vótre. Cette apparence d'approbation générale des fentimens qu'il pouvoit avoir pris le charma. La joie éclata fur fon vifage", bientöt un mouvement de doute s'éleva dans fon ame. II appréhetida fans doute de voir un piege dans ma facilité. Je le vis confulter mes yeux pour y démêler ce qui fe paffoir dans mon ame. J'affeGai un air tranquille. II crut en devoir être content ; car avec un tranfport qui eut lieu de m'étonner, il me dit: Je puis donc vous avouer fans rougir les fentimens que votre aimable fille a fait naitre dans mon cceur. Oui , je 1'adore , tk rien ne peut me faire changer. Sa hardielTe me terralTa , tk quoique je duffe m'attendre a cette ouverture, je ne pus» 1'enrendre fans la plus vive douleur. Je reftai hiterdiï , tk je n'avois pas la force de lui répondre. II n'avoit plus lieu de feindre , tk regardant ce moment  ( !5<5 5 • ïómm'e un inftant décifif, il fe jetta a mes pieds; 8c, en fondant en larmes , il me déclara que fa fortune Sc fes jours dépendoient du fuccès de fa tendreffe. Quoique ma femme m'eüt dit de ménager ce earaftere altier , je fentis qu'il ne m'étoit plus pofiible de fuivre fes avis. Je favois lailfé aller trop avant , Sc il eft certain que .je n'avois pas eu aflez d'éducation. ni pour manier de pareils efprits, ni pour fuivre avec avant age de fetnbla» bles, fituations. J'aurois dü me faire accompagner par mon époufe , fa prudence m'auroit été fort «éceflaire pour , dans le commencement de 1'entreticn , ménager tellement mon neveu , que je le'forcafle a m'en dire affez pour m'éclairer fans le mettre dans le cas de s'expliquer trop clairement : mais le mal étoit fait St il étoit queftion de le réparer. Après avoir réfléchi un inftant fur les dangers auxquels expofe fouvent une fotte préfomption de foi-même , je crus voir qu'il n'y avoit plus rien a ''épargner ; Sc prenant nu air furpris Sc un ton ferme, je dis a ce jeune homme, que 1'incertitude rendoit immobile , pale 8c défait : Eft-ce donc la le prix de mes foïns?Pouviez-vous fans rougir vous laifler aller a une folie paflion qui vous maitrife moins qu'elie ne vous déshonore? Quoi 1 vous prétendez devenir 1'amant de ma fille, vous que la nature a fait fon coufin 1 Avez-vous bien pu penfer que j'y donnerois mon aveu 1 Ne vous en flattez pas , lui dis-je d'un ton décidé. Je ne contraindrai pas vos inclinations ; je dis plus, je les feconderai de tout mon pouvoir , fi votre choix ne doit pas faire frémir la vertu. Ce fera a vous Sc a moi a fuppléer au refte. Votre idéé décidera des charmes de 1'objet que vous adorerez, "Sc je ne les combattrai point. Ma fortune 8c les occafions que mon état préfent me mettent en main ,  (,57-) , main , me permet.tront toujours de vous taire un fort heureux ; mais fi vous voulez mériter mes fjbbis , abandonner un deffein auquel rien dans le monde nê peut me faire c'onfenrir. Pour ménager votre gloire, je cacherai autant a ma - femme qu'a ma fille un fentiment qui les révolteroit également , & vous feroit perdre:leur eftime. Ah ! ma coufine corf'Wóft mes idéés, me dit il , Sc fa facon de penfer rïé's'accorde que trop avec votre rigueur. Oui , tout fe réunit contre moi pour tonfomïner'ma difgraee. Tant mieux , lui répon^dis-je ,'St travai'lez d'après ces lumieres pour ne pas excirer fa haine ck ne pas-armer ma col-re contre vous. -■<•■■:•; 'Mon neven me'quitta pénétré de la plus vive douleur. J'appella-i'M. de Beauffon ; je lui racontai fuccinSement ce qui venoit de fé 1 paffer , St je le priai de courir. après le jeune homme , Si de ne pas 1'abandonner dans un inltant aufli critique ; il J Vola avec zele. Je demeuvai dans la plus cruelle perpkxité , car tous les lbupcons que m'avoit fait prendre ma fille de Péja't de fon coeur fe réuniffoient fur mon neveu. Je ne voyois que lui capable, par la témérité , d'avoir allumé dans ce jeune cceur des feux que rien ne pouvoit me faire approuver. Ce jeune nomme , en m'apprenant le feu criminel qui le brüloit , me faifoit trembler d'être éclairci des motifis de la langueur qui confumoit ma bile. Dans le -deffein de calmer mon inquiétude , je me rendist •a 1'appartement de ma femme , tant pour lui rendre compte de ce que j'avois fait , que pour favoir £ elle avoit décoiwert quelque chofe. Elle me blama , avec raifon , fur 1'imprudenee avec laquelle j'avois moi-même mis cet amant téméraire dans le cas de me déclarer fa paflion. II n'aura plus de méuageir.ent, me difoit- elle ; fa naiffance lui donne dioit dans votre maifon : vous Tornt UI. O  ne pouvez lui en défendre 1'entrée , 8c fa.petmence lui fera regarder eer accès forcé comme un aveu tacite que vous donnez a la recherche qu'il prétend faire de votre fille. Vous voudrez un jour vous y oppofer, mais il ne fera plus temps. Si vous lui en parlez alors , il fe fera retnpli la tête de mille esemples pareils moins fond és fur 1'ordre que fur un abus de ce même ordre'. Que lui direz-vous ? Je fentis la force des raifons qu'elie m'alléguoit ; mais avant de prendre un parti, je voulus lavoir ce qui fe pafToit dans le cceur de ma fille. Votre fille , me dit mon époufe , a eu moins d'avantage auprès de moi , que votre neveu n'en a gagné auprès de vous. Elle a cru me tromper. Elle s'en flatte encore , mais j'ai découvert deux choles , dont l'une eft importante a votre -tranquillité , 8c dont l'autre demande de la prudence pour 1'éclaircir entiérement. Premiérement , cette enfant n'a nuls fentimens pour votre neveu. J'ai trouvé dans fes réponlcs a ce fujet rant de fincéiité , que je n'ai point ctaint de lui demander comment ce jeune homme avoit pu avoir fon portrait. Elle en a parti également etonnée 8c courroucée. 11 faut , m'a-t-elle dit, qu'il 1'ait pris ii mon pere , ou qu'il ait fait copier celui qui eft entre fes main*. Voila ce qui doit nous tranquiUlfér , 8c la petite perfonne n'a certainement pas pu m'en impoler. Ce que vous me dites,répondis-je a mon époufe , s'accorde allez avec ce que m'a avoué mon neveu : mais fuivant ce que vous me rapportez, ma fille paroit ignorer la pafiion qu'elie a fait naitre, 8c cependant mon neven m'a déclaré qu'elie connoilfoit les fentimens qu'il avoit pour elle. Je conviens que cette circonftance m'alarme comme vous , reprit cette Dame , mais peut être cet aveu n'eft-il' que déplacé dans fon récit. Je vais fuivre le détail de mes découvertes , & vous  en jueerez. Pa! cru m'appercevoir , ajouta-t-elle , que votre fille aimoit; mais quel eit 1'objet de cette iendrefTe * ie n'ai pu le favoir. Ses loupirs m ont plus inftruire que fes paroles. Comme ) infiftois , elle a cru devoir m'avouer qu'elie voyoit une perfonne avec plus de complaifance que les autres, fans pouvoir bien démêler fi fes fentimens de preriileftion devoient être atrribués a 1'amour. Je lui riemandai alors fi elle croyoit avou fait la meme impreflion fur 1'efprit de la perfonne qu elle cheïilToit. . Elle m'a tépondu qu'elie ignoroit fon pouvoit 5 cet épard , mais qu'elie avoit trouvé un jour une lettre fërt tendre fur fa table, & qu'elie lavoit foupconnée de cette petfonne. Elle me la remit auffi-tót. Je la pris des mains de ma femme , mais je ii e pus, non plus qu'elie , en réconiioitre 1 ecriture. . J'allois sürement, continua ma femme , arrachet h 1'obéiffance de ma fille le nom de celui qu elle aime , quand M. d'ürfan , vous fachant en affaires ,, eft venu m'apporter une lettre de votre frere_, qui nous dtmande notre confenrement pour termlner une alliance confidérable qu'il eft prêt de faire dans fa garnifon. Notre réflexion fe porta fur tous ceux qui venoient a la maifon. J'avoue que Beauffon U préfenta mille fois a mon imaginaiion ; mais comme je ne lui voyois qu'un empreffement cdinaue , ]» ne m'y arrêtai point: enfin je prnpolai a mon époufe d'interroger de nouveau fa fille. _ Non , Monfieur , me dit elle , ce feroit mal nous y prendre ; le premier pas eft fait, cette enfin" aura réfléchi fur mes démarches & fur fes reponfes , & cette réflexion ne peut la conduite qu * chercher les moyens de fe rendre impenetrable. Croye? moi, a 1'abri de cette première ouverture „  tl!c me penfera fatisfaite quand je me tairai ; Si bientöt paree qu'elie ne m'aura pas totalement inllruite , elle ne (e ménagera. point. II nous feta facile alors , en ctudiant i'es pas , fes yeux,même , tie nous fatisfaire fur ce point. Je vous avoue quu tous rnes foupcons s'arrêterent fur M. de Beauffon. Nous partons inceffamment pour la campagne , c'eft la oü je prétends achever de Ia décou.vrir. En effet , quelques jours après notre voyage fut réfolu. Ma femme voulut que Beaulfon 'fut de la partie , 8t fe chargea d'annoncer a ma Elle que ce Cavalier nous accompagneroit. La petire perfonne rtcut cette nouvelle avec une indiff«r rence qui auroit dérangé tóütes nos idees , (I SU moment du départ , un air de fatisfaétion qui éclara fur fon vifage , en le voyant , ne 1'eü.t trahie. Nous arrivames a ma terre , oü je vis bientöt que , quoique Beauffon paait avec fa gaieté ordinaire , un trouble fecret Ie dévoroit. Je remarquois que chaque matin il. fortoit du Chateau , St n'y rentroit qu'a 1'heure oü ma fille ét oir vifible. Je pris le parti ; de le fuivre un jour, & de ïacher d'obtenir qu'il me dévoiiat fon fecret ; mais nos amans m'en offrirent eux-mêmes 1'occafion. En effet , le lendemain matin ayant vu fortir ma fille, qui s'enfoncoit dans un petit bois dn jardin , je pris la réfolution de la fuivre. J'allois la joindre , car elle s'étoit aflife Sc paroiffoit rêver profondémenr , quand je vis Beauffon fortir d'un eabinet avec 1'air extrêmement abattu. Je foup§ounois un rendez-vous , mais en acenfant 1'un de témérité , 8c l'autre d'indifcrétion , je faifois tort a 1'un Sc a l'autre. Cette promenade, quiine paroiffoit concertée , n'étoit qu'un effet du Tiafard , on pour mieux dire, de la firuation de. leurs ames.  C 1*1) Beauffon , en effet , alloit gagner une allée pour fe retirer , quand un bruit que fit ma fille pour. tirer un livre de fa poche , obügea ce jeune homme a tourner la tête. II appercut fa maitreffe. II revint fur les pas , St 1'aborda avec un air confus. Quel bonheur , lui dit-il, Mademoilelle, me procure 1'avantage de vous trouver en ce lieu ; Sc n'y auroit-il point d'indifcrétion de votis demander Ie motif' qui vous rend ff folitaire ? L'agrément de prendre le frais , lui dit-elle en fe levant, m'a fait venir ici, Sc le plaifir d'être feule , un inftant regie ma folitude. Eh ! quoi, s'écria-t-il aufli-tót, auriez-vous quelque lujet de chagrin 1 Vos yeux femblent encore mouiilés des larmes que vous venez de verfer. Je crois que vous vous trompez , lui réoondit-elle en baiffant la vue, 8c d'un air un peu 'plus gai, fans me paroitre plus libre- Je vis fort contente , ajouta-t-elle. Que votre fort eft charmant, pourfuivit-il je nenvie point votre fatisfaflion. Je 1'acheterois même aux dépens de la miemie ; mais , hélas ' je n'en ai point , ni n'en dois efpérer : que vous lacnfierois-je donc ? Je n'entends rien a ce difcours, lui dit ma hil». Je me hafarderois a vous en découvrir le fens" reprit Beauffon , fi je ne craignois de vous déplaire : mais.... Ce qui vient de votre part, reprit-elle, ne me peut aeplaite ; Sc ce qui vous intéreffc me touche veritablement. " Ah ! charmante la. Vallée , reprit 1'amant comme un homme etouffé , m'eft-il permis d'aiouterv foi a ce difcours? II eft un mortel d'autant plus digne de vous charraer ,. qu'il vous touche de plus prés.... Ma fille rougiffant de fureur ,. en, voyant mie Beauffon. etoit inftruit de 1'araour de fort „nfui,,  f161) pour elle, Finterrompit fur-le cbamp. Que preten-dez-vous dire , Monlieur, lui dit-elle ? Sachez au moins me refpeöer , & ne point me mettre de moitié dans une ardeur criminelle que je ne prolégeai jamais , & que je dételte depuis. que je la Connois. ; ..... Daignez pardonner cette erreur ,, répondit-il, a. un homme qui n'eft coupable que par Iuite de fentimens qui feront peut-être aufli malheureux. Ma fille préfageant fans doute le deffein de Beauffon, St fentant fa foibleffe, fe relevoit pour s'en aller , quand cet amant , jaloux de ne pas, laiffer échapper cette occafion favortble , fe prétipita a fes genoux , en faififfant une de fes mains. Oui, je vous adore, belle la Vallée ,. lui riitil ; la connoiffance que j'avois des fentimens de votre coufin , votre portrait que jlai vu entre tes mains , St que je croyois qu'il tenoit de votre leudreffe ; tout, depuis long-temps, me force a un filence rigoureux. Je ne ferois peut-être pas. encore maitre de 1'enfreindre , fi votre vivacité n'avoit daigné raffurer mon inquiétude- L'amour a fait mon crime, daignez permettre qu'il en foit 1'excufe. Je fais que ma fortune ne devroit pas. me permettre d'afpirer au bonheur de vous pofféder, mais j'ai des efpérances.... J'ai-des parens,. lui dit ma fille en le relevant,, c'eft a eux a décider de mon fort. Si j'étois libre,, je regnrderois moins les biens St la figure , que Je caraaere de la perfonne qui s'offritoit pour ob-. tenir ma main.. , En vain infifta-t-il pour obtemr une reponle plus pofitive, & il n'épargnoit rien de tout ce qui peut fléchir un jeune cceur : mais que la temnle eft maitreffe d'elle-même ! ma fille aimoit veïitablement Beauffon , pat conféquent elle devoit tfouver un plaifir paifait a lui faire concevoir qpelqu'efpf.rance ; néanmoins rien de tout ce. qvis.-  C >65 > put employer cet amant véritable n'eut la forcs de la faire manquer a fon devoir. Beauffon alloit s'éloigner dans le plus vif défefpoir , quand ma fille , pour le tranquillifer crut devoir lui dire : je ne puis vous répondre autrement. Votre fexe peut parler, le nótre doit fe taire , je dépe.nds de mes parens. Je ne vous défends point de les voir. Si voire alliance leur eft agréable, mon obéiffance a leurs v.olontés pourra vous prouver quels font mes fentimens, plus qu'il ne me feroit poffible de le faire aujourd'hui pat mes paroles. Cette fcene m'avoit pénétré , & fans trop favoir ce que j'allois faire ou dire , ie m'approchaientre ces deux amans , fans qu'ils s'appercuffent de ma préfence. La néceflité de fe féparer commencoit a les attendrir; Beauffon prenoit la main de fa maitreffe , qui n'ofoit la lui refufer, quanst je crus devoir y unir la mienne. Quelle furprife de la part de i'amant, quelle confufion du cóté de la maitreffe ! Ils étoient tous deux fans parole & fans mouvement. Leurs. yeux s'interrogeoient & fe demandoient : qu'alïons-nous dire ? Je iouis un inftant de leur embarras ; mais cédant bientöt a toute la tendreffe que j'avois pour ma fille & a toute 1'amitié que je portois a Beauffon : remettez-vous , mes enfans,. leur dis-je. Je connois votre cceur, Beauffon; je crois foupeonner le votre, ma fille, je ne demande qu'a> vous rendre heureux 1'un & l'autre. Soyez-en per-. fuadés , mes enfans : mais , ma fille , il s'agitde me parler fans myftere. Pour vous donner plus de fucilité, M. Beaulfon voudra bien fe retirer: IIn inftant, J'avoue que je ne fentois pas ce que cette pré-, catition avoit de mortifiant pour cet amant ; ma fille11e lui avoit point avoué 1'effet qu'il. avoit faiïr  C rö4 >. Eir fon cceur, & ce que ie lui enjoignois pa» roiiïbit lui enfeigner que j'en doutois moi-même. II obéit néanmoins ; & prenant alors ma fille par la main : Ne croyez pas , lui dis-je , que j'aille vous faire un crime d'une rencontre que je fais être 1'effet du hafard. J'eftime M. Beauffon : vous n'ignorez pas que je connois fa familie ; fes qualités perfonnelles m'en ont fait un ami précieux.: ainfi vous pouvez St vous devez même me parler fans détour. II vous aime, je n'en puis douter, *& j'approuve fes deffeins : mais 1'aimez - vous I Voila ce qu'il me faut avouer. De la confiance, fur-tout; vous devez vous rappeller ma facon de. penfer a votre égard ;- oubliez pour un inftant que je fois votre pere, St répondez a votre ami. Je vous cacherois en vain , me dit-elle , que fans me faire une violence extréme , je n'ai pu déguifer a Beauffon une partie de ce que je fens pour lui. Oui , mon pere je 1'aime ; St fi depuis quelque temps ma retraite St ma taciturnité ont pu vous canfer quelqu'inquiétude , ne 1'attribusz qu'a ces fentimens que j'étois obligée de devoter. J'ignorois que la tendieffe de ce Cavalier eüt prévenu la mienne. J'avois même lieu de foup§onner qu'il ne penfoir point a moi. Le foin qu'il affeêtüit dans toutes fes vilites m'aGcabloit. Je ne ne pouvois me découvrir fans honte , Sc cette contrainte me jettoit dans un embarras continuel qui a été la foutce de vos alarmes. Vous voyez. maintenant toute ma foibleffe , il ne tient qu'a vous de me la faire chérir , ou de la rendre l'origine des malheurs de ma vie; mais, quoi que que vous décidiez, mon refpeéf vous allure de mon obéiffaiice. En finiffant cet aveu, que je n'avois pas eu.la force d'interrompre , ma fille jetta fur moi un. coup-d'ceil qui fembloit autant demander que craindis ma réponfe.  ' Je vous 1'ai dit , ma fille, rephquai-je en 1'embraffanr, j'appronve vss fentimens pour Beauffon, & je fuis charme tie ceux qu'il aconcus pour vous , ie veux les couronner. Ne doutez pas de ma fincériré : mais' jé ne puis tour-a-coup céder a ma bonne volonte. II eft un cceur que vous avez touché, St que je dois ménager. Votre coufin, en un tuot , me prefcrit feul de retarder votre bonheur. Je me rendis alors avec ma fille a la chambre de mon époufe a laquelle je fis part de mes nouvelles découvertes , elle ca fut enchantée ; mais rien ne put lui faire gouter cet efprit de ménagement que je croyois né'ceffaire pour mon neveu. Que craignez-vous , me dit-elle , ou qu'efpérez-voüs \ Devez-vous permettre a votre neveu de conferver quelqu'efpoir ? Plus vous doutez qu'il ne perde les fentimens, qu'il a eu Paudace de concevoir pour votre fille , & moins il doit trouver en vous de fofbleffe ; brufquez cette óccafion, je vous prie , c'eft en lui enlevant 1'efpoir qu'on peut le rendre a Ia raifon; un feu qui n'a plus d'alimens jette quelques Hammes , qui ne fouE qu'avancer fa fin. Je fentois toute la folidité de ce raifönnement,. & j'étois fermeme.nt réfolu de preffér 1'union de Beauffon avec ma fille. Je voulois qu'on 1'appel-, ■lat a 1'inftant pour lui faire part de la décifion que nous venions de former, quand mon époufé m'apprit. que n'ayant pu foupconner qu'il nous leroit néeeffaire a la campagnt , elle 1'avoit prié de fe rendre auffi-töt a Paris pour y rece.voir mot) frere qui devoit y arriver dans le jour. Je fus d'autant plus mortifié de ce départ pré» cipité , que ce jeune homme ne pouvoit être qu'a-. larmé de la converfation fecrete que je venois d'avoir avec ma fille ; je me flattois de le tirer de peine-a mon retour; mais f'ordre des propres-af?.  C iös ) faires de Beauffon devoit retarder ce conreitfement , que mon amitié étoit impatiente de lui donner. Nous parrimes peu d'heures après pour nous rendre nous-mêmes a Paris. Nos enfans, qui nous avoient accoinpagnés dans ce voyage , revinrent avec nous. L'ainé m'avoit enchanté pendant ce voyage , je n'avois jamais vu dans un jeune homme fin'efprit fi fatisfait de lui même. J'avois de plus fait attention que fon humeur n'étoit jamais plus enjouée que les jours oü j'envoyois a Paris r & ceux auxquels mes commiflionnaiies revenoient ; je me doutois qu'il avoit quelque liaifou d'amitié qui pouvoit opérer ces renouvellemens de plaifir , quand il recevoit des letttes. Je lui en avois parlé plufieurs fois ; mais il me répondoit ordinairement d'un air badin , que fi fa joie ne me faifoit point de peine, je ne devpis pas le preffer de m'en découvrir le motif. L'inftant viendra bientöt , me dit il le-jour de notre départ , que je ferai contraint de vous ouvrir mon cceur a ce fujet. Comme fe ne voyois rien dans toute fa conduite qui dut m'alarmer , je le laiffois tranquille , 8t la fuite prouvera que je n'avois point tort j en effet, il aimoit , il étoit aimé , 8c cet amour 11e pouvoit que mérirer mon approbation : mais il étoit dit que, malgré tous les foins que j'apportois pout acquéiir la confiance de mes enfans 8c de mes neveux, je ne devrois jamais qu'a d'autres la connolffance de leurs fenrimens. En arrivant a Paris , je trouvai mon frere qui venoit pour me confulter fur 1'érabliflement dfs fon fils 1'Officier. Le jeune Militaire étoit digne de la part que je prenois a fa fortune. Car, fi l'on excepte un orgueil infupportable , il étoit doué de mille belles qualirés, que ce feul défaut avoit fouvent Ia force d'obfcurcir. Je me rendis ayec mon frere chez M. d'Orfan ,  ( 167 > jour avoir de ce Seigneur des éclairciflemens fur ce projer. M. le Comte nous répondit qu'il connoilfoit la perfonne dont il étoit queftion, que Mlle. de Selinville étoit riche & aimable. Nous envoyames donc a mon neveu notre confentement , que M. d'Orfan, qui devoit fe rendre au régiment , fe chargea de lui remettre , en nous affurant que fa préfence ne nuiroit point aux affaires de ce jeune homme. Nous engageames M. le Comte de ramener ies nouveaux mariés a Paris, lois de fon retour : ce qu'il nous promit. Cette affaire ne fut pas terminée , que je fongeai aux moyens de communiquer a Beauffon & les fentimens de ma fille & la réfolution que , d'accord avec ma femme , j'avois prife a ce fujet ; j'appris que des affaires perfonnelles & importantes 1'avoient obligé de partir pour la Province , St qu'on ne 1'attendoit que dans quelques jours. Pendant cet intervalle , je fus étonné de ne point voir mon neveu paroitre a la maifon , furtout pendant le féjour qu'y faifoit fon pere ; en effet, ce pere tendre, qui aimoit fiucérement fes enfans , me paroiffoit touché de ce que depuis fon arrivée , fon fils lui avoit a peine accordé un quarr-d'heure d'entretien. Le chagrin de mon frere m'étoit fenfible ; mais j'avois d'autres fujets d'inquiétude fur le compte de ce jeune homme qui me tourmentoient bien davantage. L'ablence de Beauffon me mettoit dans le cas de ne pouvoir me confier a perfonne. Dans cet état, je réfolus de parler k mon neveu dire&ement ; & pour y parvenir , j'ordonnai un jour de me réveiller le lendemiiin de fi bonne heure , que je paffe le trouver encore au lit. Cela fut exécuté. Quelle eft donc votre conduite, lui dis-je? Ni votre pere , ni moi, nous ne vous voyons plus. Conferveriez-yous encore une flamme dont la  (,ï(53 )• lionte vous empêcheroit de foutenir notre préfence ? Non , mon oncle , me dit-il. Daignez mêmem'épargner un reproche dont les charmes de ma coufine. font feuls 1'excufe. Vos confeils ont fait une impreflion fur moi, a laquelle ie ne me croyois pas capable d'obéir. Je rends juftice a votre fille : mais je lui fuis fidele. Eft-ce être infidele, repris-je vivement , que de devenir raifonnable ? mais fi je prends bien le fens de votre difcours , un autre objet vous captive ; en êtes-vous aimé ? Oui, mon oncle, répondit-il , tk votre fils ainé aime dans la même maifon. Apprenez-moi quels font les objets , lui dis-je , qui vous ont enchainés 1'un tk l'autre , tk vous verrez, par mon zele a avancer votre bonheur, que fans des raifons aufli puiflantes que celles qui me commandoient alors, je ne me ferois jamais oppoié a vos premiers defirs. C'eft aux DemoifeHes de Fécour que nous adreffons nos vceux , me répondit-il. La mort de leur tante les rend immenfement riches. Mon coufin peut être heureux ; mais moi que dois-je efpérer 1 Vous connoiflez Fécour , tk je n'ai ni biens , ni établiflement. Tranquillifez-vous, lui dis-je , je ne ménagerai rien pour vous rendre content. Mais je fais que vous avez le portrait de ma fille. II faut me le remettre , je le dois a Beaulfon que je lui deftine pour époux. II ne balanca point a me le rendre , en m'apprenant que ce portrait avoit été tiré fur cehii que j'avois dans mon cabinet , tk que le hafard lui avoit fait trouver. II m'avoua aufli que c'étoit lui qui avoit écrit a ma fille , mais que , tant par craiute de lui déplaire , que de peur que cette démarche ne vïnt a ma connoiflance , il s'étoit fervi d'une main étrangere pour copier fa lettre. Oa  ( i6o ) On juge alfément combien cette eonverfatio» ■ent de charmes pour moi. Je rettouVois mon neveu tel que je le defirois , ck je ne défefipérois pas de le rendre heureux. Je le quittai en ï'affurant que j'allois faire tous mes efforts pour décider Fécour en fa faveur. Je fii appeller mon fils , qui fans détour me fit 1'aveu de fa paflion. II m'ajouta que M. 8t M,.demeifelle de Fécour 1'approuvoient, 8c après quelques reproches. fur fa difcrétion, déplacée a mon. égard , je 1'affurai que je ferois toujours prêt a remplir des defirs aufli légitimes. Comme je patlois a mon fils des arrangemenï a prendre pour fon érabliffement , on annouca M. de Beauffon , qui venoit m'appreudre que 1'embartaS d'un procés important 1'avoit empêché de venir nous voir depuis notre retour. Je viens de le gagner , ajouta-t il, 8c je me vois forcéde me rendre en Province , pour faire exécuter 1'arrêt qui me remet en poffeflion d'une partie des biens de mon oncle. Cette faveur ne m'eft précieufe qu'autant que vous me permettrez de 1'öffrlt a Mademoifelle votre fille. Vous m'avez permis 1'efpérance , daignez me la confirmer. Je ne balancai pas a raffurer cet amant qui avoit toute mon eftime. Je fus même enchanté de voir mon fils lui fauter au colSt le traitcr de btaufrere. Je crus voir la prenve d'un bon naturel dans cette fenfibilité de mon fils pour le bónheuc d'un ami , 8c elle me fit plaifir. M. de Beauffon me demanda la permiflion de' faluer 8c ma femme 8c ma fille. Je le conduilis a 1'appattement de mon époufe , 8c j'ordonnai d'y faire venir fa maitreffe. M. de la Vallée , dit-il en abordant ma femme , a daigné flatter une paflion «op belle pour que je doive craindre de vous en montrer 1'ardeur. J'aime Mademoifelle votre fille. Tant que je me Tome UI. P  ( '7° 5 fuis cru un rival , que la reconnoiflance m'obllgeoit de eonfidérer, j'ai gardé le filence. Je m'é« tois alarmé vainement. Je connois mon crreur, Sc le premier fruit de ma comioifTance eft d'ofer vous prier , en apprenant ma témérité , de confentir ;i mon efpérance. Le bonheur'de ma fille, répondit ma femme, fera toujours la regie que je fuivrai pour fon éta» bliflement. Je fais que fon cceur eft a vous. Vous voyez ce que cette découverte m'ordonne. Je ne doute point de fa conftance , Sc cette conftance décide votre efpoir, qu'il me fera toujours flatteur de Voir accomplir. On feut que ce commencement d'entrètien lia une converfation entre ma fille 8c fon amant , dans laquelle tout ce que la tendrefle peut inventer fut répandu avec les gtaces que deux perfonnes gaies , fpirituelles 8c libres donnent a tout ce qu'elles tlifent. Beauflbn étoit au défefpoir d'être contraint de partir , mais il ne pouvoit s'en difpenfer. Comme jios amans étoient prêts a fe féparer, j'approchai de ma fille, 8c lui donnai fon portrait que mon eieveu m'avoit remis. Voili , lui dis-je , une reftitution qu'on vous fait, il ne tient qu'a vous , ma fille , d'en difpofer. Elle fentit a merveille le fens de mes paroles, Sc cette peinture paffa aufli-töt dans les mains du fortuné Beauflbn , qui nous ayant tous embrafies , alla fe difpofer pour fon voyage. II aious promit de revenir au plutöt; 8t je 1'aflurai que je ne mettrois a fon bonheur que les délais néceflailes pour fes arrangemens. Je communiquai a ma femme les fentimens de mon fils Sc de mon neveu pour les DemoifeHes de Fécour, 8c après avoir pris nos mefures de concert , le lendemain je rendis vifite au pere de ces filles. Je n'eus pas de peine a réfoudre avec lui 1'hymen de mon fils Sc de fa fille : mais le mariage de mon oeYSU Étoit via article plus délicat, Cependant, après  ( 17' ) bien des difficuhés, nous convinmesque je céderois mon intérêt dans les Fermes a mon fils en faveur de fon union avec Mlle. de Fécour , & que Fécour feroit le même avantage a celle de fes filles qui devoit énoufer mon neveu. . Ce doublé article eonclu , on fe difpofa a faire la folemnité du doublé mariage. Mon fils demeurant •hez moi , mon néveu prit une maifon , & manda fon frere , qui fe rendit a Paris avec fa femme, qm joignoit beaucoup d'attraits a un bien capable de foutenir noblement un Officier. Ma joie étoit parfaite , quand 1'afcendant cruel de mes neveux pour la fatuité vint en arrêter toute la douceur. En effet , le cadet ne fut pas plu tót arrivé , que les deux freres fe rendirent chez moi pour me faire vifite. ; i La tendreffe de leur pere ne lui permit pas d attendre leurs hommages , il defcendit dans mon appartement pour les embraffer. II en-tra &t courut a eux; mais a peine daignereilt-ils répondre a fes avances. Aveuglés fans doute par leur tortune , & comparant les broderies qui les couvroient avec la noble fiinplicité des habits de mon frere & de leur pere, ils eurent prefque 1'audace de le méconnoitre. Je ne répéterai point cette revoltante entrevue, dont j'ai donné une idéé fupetficielle dans le commencement de ma première Partie. La fingularité de cette fcene ne m'a pas permis d'attendre pour la placer dans fon lieu. D'ailleurs j'ai poue excufe qu'elie fervoit de preuves aux afjus énormes que je combattois alors , St cette raifon fuffic pour me difculper de la faute eommife en prévenant les temps. Je me contenterai feuiement de dire ici que , ff le chagrin que me caufa 1'égarement de ces jeunes gens, ne fe manifefta alors que par ironies , je xi'employai ce ton que comme plus propte a fairs P i  (17*) / gouter des vérités qui combattoient 1'orgueil r paflion la plus favorifée dans ce fiecle. En effet, 1'expérience m'a appris qu'on corrigemoins un écart en brufquant le caraöere de celui qui s'y eft livré , qu'en raafquant la fageffe fous un léger badinage. Le devoir auquel mes neveux venoient de manquer, étoit trop facré , pour que je ne tachaffe pas de les y faire rentrer; mais leurs efprits vifs 8t bouillans fe feroient révoltés en les buttant de front , lorfque mes froides faillies les ramenerent infenfblement. Mais ce changement fut de peilde duiée, car leur fortune ne fut pas établie , qu'ils changerent de nom , Sc dépouillerent eu même temps les fentimens de la nature : la vue de leur pere les humilioit, paree qu'il ne donnoit pas dans le fafte ; & je les mortifiois, paree que ma prélénce étoit un reproche fecret du befoin qu'ils avoient eu de moi. Je dis ceci en paffant pour n'y plus revenir. J'avois éciit a Beauffon le bonheur qui alloit de nouveau combler ma fortune , je me flattois qu'il fe rendroit a Paris pour en être témoin j mais le jour pris pour cette fête , j'appris qu'il étoit tombé dangereufement malade. Quoique cette nouvelle m'affligeat fenfiblement, je crus, de concert avec ma femme, ne devoir rien déranger des arrangemens pris, 8c devoir même eacher cet accidenta ma fille. Mais par un preffentiment intéiieur qui fcmble infépatable d'un vif amour, elle ne porta dans toute la fête qui accompagna le doublé hymen , qu'un efprit diftraic 8c méL.ncoliquc. Malgré mon filence elle devina ce que je lui cachois , 8c.la crainte de la trop alarmer , m'obligea de lui confier 1'état dans lequel étoit Beauffon. Elle me pria d'envoyer au plutót quelqu'un de confiance pour avoir de nouvelles certaines de fa maladie. Je priail'Officierd'accompagner fon pere qui retournoit en Champagne , St je 1'eil» gageai « ne poi.m quitter le malade.  (i73) Affurez-le , lui dis-je , que dès que je pourraï quitter Paris , j'irai moi-même le voir , ex que je lui conduirai fa maitreffe , s'il ne peut Venir avant mon départ. Mon frere St fon fils étant partis , ils m'écrivirent peu de jours après , qu'a leur arrivée ce jeune homme étoit dans un état défefpéré : mais que les nouvelles qu'ils lui avoient apportées de la conftance de ma fille 8c de ma perfévérance dans mes bontés pour lui , avoient fait un tel effet fur fa fanté , que chaque jour il reprenoit fes forces , 8c qu'on ne doutoit plus qu'il ne fut bientót totalement rétabli. Nous partimes quelque temps après pour ma terre qui fe trouvoit voifine des biens dans lefquels venoit de rentrer M. de Beauffon. Le jour de notre arrivée il fe rendit au Chateau , oü il époufa ma fille. Si j'étois aimé dans ma terre , fon nom y étoit également chéri , ce qui rendit la pompe de ce mariage aufli lolemnelle que le lieu pouvoit le permettre. Si l'on a bien exaöement fuivi ma vie jufqu'a eette époque , on a dü voir que j'avois recu les faveurs de la fortune comme des biens ou dus ou conquis. Je n'avois fait nulle réflexion fur la main qui les déoartit a qui Sc quand il lui plait. Doit-on en être étonné 1 Frappé continnellement d'une fucceflion rapide de profpérités , mon efprit en étoit ébloui ; il n'avoit point 1'inftant néceffaire pour y faire attention. II étoit temps que quelque chofe d'extraordinaire me rappellat a moi-même , St même malgré moi. Car quoique dégagé de tout embarras , j'étois trop enivré d'un charme toujours renaifLnt pour me donner la liberté de voir. II me falloit un objet étranger , pour me defiilkr les yeux. Je Vais le trouver , Sc c'effla la fource du comnuncement de mon vrai bonheur. II me reftoit un fils a établir qui entrcit dans Pi  C '74 ) ; . . , fa feizieme année. Sts taleus étoient bornes , mal un efprit jufte, une réflexion folirle , un caraaere férieux Si «u deffus de la diffipation , me charmoit. J'avois mille projets fur lui , j> crus qu'après 1'établifllment de fon fiere St de fa leeur il étoit temps de lts lui tommuniquer pour me tégler fur fon indination. Mon fiis, lui dis je un jour , vous êtes leui maintenant qui léclamez mes foius. Les biens que ie devois vous laiffer , vous iffurent un état d'aifance auqut.1 1'oifiveté même ne peut nuire. Mais qu'eft-ce qu'un homme oilif ? Un citoyen miKlle , un faideau a charge a la terie , a foi même 8* aux autres. Telle ift fidée que vous devez. vous lotmer d'une petfonne qui p:ffe fa jeuneffe fans rien faire. On n'y penfe pas a Votre age. Je n'étois pas deftine , comme vous , a de grands emplois. Je n'y fus p..s formé de bonne heure, que ne m'en a-t il point coüté , quand , dans un temps oü tout doit être appris , je dus commencer lts élémens de tout I Inftruit par cette txpérience ,je veux vous mieux euider. Choififfez 1'état qui vous conviendra ; la l'inance , la Robr , 1' Epée , cela m'eft iodifférent : jnais que je fache votre réfolution. Je voudrois entrer dans vos vues, me dit-il , je ine vois a regret obligé de m'en floigner. Le relpeüfeul a pu jufqu'a préfent me forcer au filence , &. ma mere , confidente de mes incliuations, a cru devoir m'empêcher de vous découvrir mes defurs. Je fais que la fortune peut-me favoiifer , mais les biei.s n'ont point d'..ttraits pour moi. L'amour n'a pas plus de force fur mon cceur. La retraite St le célibat ont toute mon envie. Que diies-vous , m'écriai je 1 Quoi ! ma femme entre dans vos idéés 1 Mais vous , mon fils , couBoiffez vous bien ce genre de \ie , oü 1'homme tout ensiet a fon état St aux autres , n'eft plus a fo» iftue pour fe sombaure 1II ne peut le vaincre qu'e.a  fe t»ntrari*nt fans ceffe ; & s'il flechit , il de- vient malheuieux. Mille périls nouveaux fe fucce«krent & paroitront le lever fous vos pas. Mille vertui auront peine a vous foutenir , quand le rnoindre défaut vous renverfera infailliblement. Ln un mor, regardez le cloitre comme un petit monde, d'aurant plus dangereux , qii'ü éft plus refferre. Les trouble», les agitarions , les paffions de ce dernier, cue vous fembkz vouloir éviter en vous enterrant dans le premier , s'y reproduifent & y gemunt avec d'autant plus de force , qu elles y font plus couvertes. L'envie s'y couvre comme a la Cour, du voile de 1'amitié. L'ambition s'y deguife fous le mafque de 1'humilité. Tout y eft fard , tout y tft rufe , comme dans le monde ; on peut n y pas donner dans ces excès , j'en conviens ; mais fi vous avez le bonheur de les éviter , êtes-vous sur de ne pas éprouver leur fureur 1 1'homme eft homme: partout , voila ce que vous devez penfer ; la foiblelTe eft inféparable de fon être , les défauts que vous „e reconnoitrez pas en vous , doivent vous faire craindre les luites qu'ils peuv.nt produire dans les autres contre votre intérêt. Pelez ces reflexions , mon fils, la feule tendreffe me les d'fte ; mais ne croyez pas que jamais je prétende gêuer vos inclinations. Confultez votre mere , ÏHterrogez-vous vous-même , & )e confentirai a tout ce qui yous paroiira propte a procurer votre félicite que j ambitioune de faire. Je tentai fouvent , malgré mes promeffes , de detourner mon fils d'une téfolution qui me faitoit trembKr; mais rien ne fut capable de changer fes fentimens. Je fus donc forcé de le IailTer partir , & peu de temps après il commenca ton temps d epreuves. L'amitié que j'ai toujours eue pour mes enfans, m'engagea a paffer cette annee a la campaene. Je l'ailois voir fréquemment , 8? )e ne celfois de lui laire valoir Us péiits que J« voyois dans  un deffein que j attribuois a Ion opiniatreté. II efJ vrai que le commerce que j'eus pendant cet intervalle avec ces recius , me porta prefqu'a changer de fentiment fur leur compte. Je dus même a leur converfation quelques légeres réflexions fur mes premières annéeS. Mais enfin je n'en étois pas moins opiniatré a travtifer le projet de mon fils , qui conlomma fon faciifice avec une ge'nérolité qui furprit autant qu'elie charma 1'affemblée. J'avois réuni ma familie pour afliller a cette cérémonie ; M. d'Orfan eur la bonté de s'y rendre , 8i quoique perfonne ne püt refufer des larmes a la jeuneffe & a la beauté de Ia vidtime , fa fermeté trouva bientót le moyen de les effuyer. Ce ne fut qu'après la cérémonie qu'il donna quelque chofe a la nature , ik encore ne fut-ce qu'au moment de notre départ. Je me rendis a ma terre , oii plein des réflexions que ce fpeöacle m'avoit caulé , je commeucai a porter férieulement les yeux fur cette efpece d'infenfibiliré dans laquelle j'avois vécu jufques-la fur les affaires du falut. J'en compris 1'importance a la vue de ce que cet objet avoit fait faire a mon fils. J'aurois voulu pouvoir me décidtr a vivre auprès de ce cher enfant ; je comptois que fon voifinage me feroit u:ile , tk je fentófs même que fa préfence m'étoit néceffaire , mais je n'ofois propofer a ma femme de s'enterrer dans une Piovince. Nous revïnmes tous a Paris. J'yachevai d'arran. gei mes affaires avec mts enfans. Je les voyois tous dans une pofition heuieufe , tk moi dans une opulence confidérable , tk libre de tout embarras. Je n'étois pas hors de ce tracas, que mon idéé de retraite vint me tourmenter de nouveau. Tout me portoit a la nznplir , mon époufe me paroiffoit feule un obflacle invincible. Je craignois que , faite au grand monde, elle ne regardat mon projet que comme une folie plus a méprifer qu'a fuivre ; mais  ,11 étoit dit que 1'amour 8c la fortune s'accorieroient en ma favtur jufques dans les moindres chofes pour conrenter mes defirs. Je n'ofois donc déclarer mes idéés , quand mora aimable femme , me voyant , un jour plus rêveur qu'a l'ordinaire , crut m'en devoir demander le motif Je balanjois , 8c guidé par mes craintes qui croiffoient a proportion qu'elie me prefToit davantage , j'allois , je crois , la refufer , quand fes larmes me forcerent a rompre le filence. Tendre époufe , lui dis-je , prenez pitié de mon embarras, 8c ne m'obligez pasa le riécouvrir. Cette connoiflance ne peut. que vous faire peine. Vous m'êtes toujours également chere , je vous aime avec la même ardeur. . . . A quoi bon ce préambule , Sc que m'annoncet-il , me dit-elle? doutez vous de ma tendreffe , & puis-je foupconner la vótre ? Pourquoi donc ne fuis-je plus digne de votre confiance i Vous 1'avez toute entiere , lui répondis-ie , 8c fi. je pouvois augmenter tes preuves que vous avez de ma déférence a vos volontés , je le ferois volontiers. Mais, vous le dirai-je ? cette déférence même fait aujourd'hui mon fupplice- Accoutumée a figurer dans le monde , vous y devez vivre ; 8c la retraite commence a avoir des attraits pour moi. J'envifage la rapidité avec laquelle la fortune m'a prodigué fes faveurs. Elle m'a furpris , Sc en m'étonnant , elle a ravi toute mon admiration. Seule elle a eu mes vceux St ma reconnoilfance jufqu'ici. Je ne les ai point montés plus haut. L'afte généreux que mon fils vient de faire m'a ouvert les yeux. II a porté un certain trouble en mon ame , dont je ne pouvois prévoir la fin. J'ai cru entrevoir ce que le Ciel exigeoit , je voudrois le remplir. Le tumulte de la ville m'y paroit moins propre que la douce trauquillité qu'on goüte a la campagne ; §t quand j«  C '78 ) iflefire de vivre en Province , Ia erainte de vourf déplaire ou de vous géner me retient a Paris. Mon cher époux, me dir cette Dame adorable, le deffein que vous avez pris ne me füche point. Par-toutoü Vous ferez mon bonheur fera parfair. Je la priai de ne pas contraindre fes inclinations avec un homme qui n'auroit jamais d'autre félicité que celle qu'elie partageroit : mais elle me déclara que le féjour de la ville n'avoit jamais eu d'attraits pour elle , & que pendant fon veuvage elle reftoit prefque toujours en Province. ( Ce qui s'accordoit parfaitement avec la rareté que fes fréquentes abfences m'avoient forcé de mettre dans les vilites que je lui avois rendues avant notre mariage. ) Nous nous arrangeames donc de concert, tk après avoir cédé ma maifon a mon fils afné , qui pofledoit déja mon emploi , nous nous rendimes dans ce lieu, 011, depuis plus de vingt ans , nous menons une vie heureufe & tranquille. Chaque jour je vois ma familie profpérer ik s'agrandir. M. le Comte d'Orfan, auteur de ma fortune , a la bonte de venir fouvent nous vifiter. L'aimable d'Orville qu'il a époufée , eft intimement liée avec ma femme, ik c'eft dans cette fociété charmante que nous goütons un bonheur que je n'ai jamais trouvé dans le tumulte du monde. C'eft ici que j'ai commencé mes Mémoires, c'eft ici que je les continue avec la même fincérité. Si j'avois été capable de manquer a la vérité , j'aurois taché de dérober au Public la connoiffance de l'ingratitude de mes neveux, qui, fans refpefter les loix de la nature , ni celles de 1'honneur , méconnoiftent leur pere , tk ont oublié les bienfaits de leur oncle. Cette épreuve, toute fenfible qu'elie doive être, n'altere point mon repos. J'en gémis pour «ux , fans eu être plus agité.  On a dü le reconnoïtre : perfonne n a poufle la Fortune plus loin , mais qu'étois-je alors 1 Un cceur tyrannifé de defirs , qui ne fentoit point fon malheur , paree qu'il n'y faifoit point attention : mais ici les fouhaits font étouffés , Sc je fuis heureux, paree que je vois plus clairement mon bonheur. C'eft , je crois, la feule félicité qui puiffe fatilfaire 1'homme véritablement raifonnable. Fin du Tome iroifieme Sr dernier,