OE U V R E S DIYERSES DE J. J. BARTHÉLEMY. SECONDE PARTIE.   OE U V R E S DlVER SES DE J. J. BARTHÉLEMY. SECONDE PARTIE. A PARIS, CHEZ H. J. JANSEN, IMPRIMEUR-LIBRAIRE, RUE DES PÈRES, N». n95, F. G, i'an 6me,:   LITTÉRATURE angienne, BEAUX ARTS, etc.   AVERTISSEMENT. Le dix-septième siècle a produit, nonseulement plusieurs hommes de génie , mais encore un grand nombre de savans qui nous étonnent , et dont les travaux nous paroissent aujourdhui surpasser les forces humaines. Si Ton ne savoit pas que Meursius, Godefroy, Gérard Vossius, Pétau , Gassendi, Saumaise , Selden, Walton , Bochart, Ducange , Bartolocci, Tillemont, Herbelot, Mabillon , etc. , eussent seuls composé leurs ouvrages, on seroit tenté de les attribuer a des sociétés entières de littérateurs. Cependant elles ne faisoient alors que de naltre; et Tacadémie des inscriptions et belles-lettres n'a fleuri qu'au commencement du dix-huitième siècle. A cette époque, Tarnour de 1 etude étoit fort affoibli en France. Plus les moyens d'apprendre s étoient multipliés, moins on cher-  8 AVERTISSEMENT. choit a en profiter. L'esprit philosophique, ou, pour nïexprimer exactement, Fesprit des philosophes de notre siècle, devint ennemi du véritable savoir : on donna aux connoissances qui dépendoient beaucoup de la mémoire, le nom d'érudition ; et aux personnes qui les cultivoient, celui d'érudits. Ce dernier fut bientöt un terme de mépris dans la bouche des beaux esprits et des gens a calcul (]). Les uns et les autres, se préférant a tout, et s'estimant eux seuls, auroient voulu ne laisser subsister que leurs propres écrits. Ainsi, la fureur de la destruction les animoit sans quils s'en appercussent, et devoit tót ou tard se manifester avec plus de force, et ramener un jour les ténèbres de la barbarie. Dans une pareille conjoncture, Texistence d'une société, composée de sa vans livrés h (i) Le comte d'Argenson insisloit pour que Vaucanson füt recu a 1'académie des sciences; Reaumur lui dit : Monseigneur, il rta fait que de belles machines. — Eh Ken, répligua le ministre, U/era un géomètre, et vous le recevrez.  AVEIITISSEMENT. 9 letude de tous les monumens religieux, philosopliiques , littéraires et historiques , de mème qu'a celle des langues originales qui servent a les entendre ou h les expliquer , étoit absolument nécessaire. ÏSacadémie des inscriptions et belles-lettres offroit parmi nous le modèle de cette société conservatrice. Elle ouvrit son sein aux hommes les plus instruits de la nation, a ceux qui navoient pas encore perdu le gout des occupationssérieusesjelleempèchaqu'ilsnemourussent sans successeurs, en proposant des prix qui excitoient Témulation, et en inspirantla noble ambition de les remplacer; enfin, elle sauvaleurnomderoubli, par le recueildeses mémoires , que les autres peuples de FEurope nous envient, et qui passera indubita-, blement a. la postérité. Barthélemy a contribué a. ce précieux recueil, moins par le nombre et Tétendue de ses ouvrages que par les vues et les découvertes dont ils sont remplis. II y mettoit beaucoup d'importance, et les regardoit comme le titre le plus solide de sa gloire. Son Voyage dAnacharsis n'étoit, a ses yeux , qu'une  10 AVERTISSEMENT. tentative pour faire renaitre"le gout de la saine érudition, la venger du dédain philosophique , et montrer toute Futilité qu on en peut retirer. Le reste de ses écrits, que nous publions aujourdliui , sont, en quelque sorte, de simples fragmens, mais dignes d etre conservés. Différentes circonstances engagèrentBarthélemy a les composer. Gest aux sollicitations de Famitié que nous devons les recherches sur le partage du butin chez les anciens peuples; il les entreprit pour satisfaire aux questions de M. Stanley, chargé de négocier, de la part du ministère anglois, en 1761, la paix avec la France, et qui fut depuis membre de la chambre des communes. Sa lettre judicieuse, qui donne lieu a la réponse savante de Barthélemy, fera connoitre suffisamment Fobjet de ces questions. Tl importe néanmoins d'avertir que celui-ci n'avoit achevé que la première partie de cette même réponse, et qu'il étoit si peu content des deux autres qu'il vouloit les jeter au feu. En ayant été détourné, il écrivit sur Fenveloppe : « II faudroit les revoir, et discu«t ter de nouveau la matière qui ne présente  AVËRTISSEMENT. 11 « d'ailïeurs ni conclusion certaine , nï inté« rêt bien pressant. Je les ai gardées pour cc les raettre a la disposition de quelque « homme de lettre qui voudroit traiter ce « sujet ». En conséquence , on s'est contenté de faire un court extrait de ces recherches qui auroient seules formé un gros volume. Dans un voyage d'Italie, fait en ijS5 et 1756 aux frais du gouvernement, Barthélemy rassembla une foule d'observations en tout genre , transcrivit un nombre prodigieux d'inscriptions , et examina avec beaucoup d'exactitude tout ce qui concerne la littérature ancienne et les arts. Deux excellens mémoires, 1'un sur les anciens monuraens de Rome, et Tautre sur la mosaïque de Palestrine, furent le, premier fruit de ce voyage. II a laissé encore dans ses portefeuilles des matériaux très-considérables sur beaucoup d'objets intéressans; mais lui seul auroit pu revoir ces fragmens précieux , en remplir les lacunes, et les rédiger avec succes. ,11 avoit eu d'abord ce dessein, et commenca a Fexécuter; dans la suite, il s'en dé-  12 AVEKTISSE MENT. gouta, et le peu quil en reste ne se trouve pas mèrne complet. II m'a fourni pourtant quelques articles, dont le prlncipal est la description abrégée de la galerie de Florence ; ceux qui suivent, a Fexception de ce qui est relatif au Panthéon , aux Thermes de Titus, et k Farc de Suse, rédigé d'après ses notes, sont tirés du brouillon des lettres qu'il écrivoit, pendant son voyage, aucomte d'Argenson. Ces morceaux doivent, sans doute, faire regretter que nous nayons pas de la main de Barthélemy tout Fouvrage; il auroit été utile aux artistes, instructif pour les gens de lettres, et agréable a la plupart des lecteurs. Les articles concernant les peintures mexïcaines, les antiquités péruviennes, et la conservation des monumens en France, achévent de faire connoitre Fétendue des vues de Barthélemy. Enfin, cette cinquième section de ses OEuvres diverses est terminée par un essai assez singulier sur une nouvelle histoire romaine. II y tourne en ridicule les écrivains qui ont compilé sans discernement les fables qui couvrent le berceau de Rome.  AVERTISSEMENT. ï 5 Cetteespèce de parodie est faite avec esprit , et doit servir de lecon ou d'avertissement. Cela ne suffisoit pas; il falloit aussi montrer 1'abus qui se reproduisoit continuellement, et sous toutes les forrnes , d'une érudition empruntée et mensongère , pour accréditer des systêmes toujours plus ingénieux que vraisemblables , et dont les conséquences devoient anéantir les traditions les moins incertaines, renverser les anciens monumens, replonger dans le cahos les élémens de ï'histoire, sous le vain prétexte de les en tirer; des systêmes dénués de fondement et sans appui, fruit des longs rêves de Fignorance ou du charlatanisme; des systêmes a Ia fois destructeurs et destructibles dont rien n'arrêtoitles progrès contagieux. Barthélemy eut encore Fidée dy mettre quelque obstacle , avec Farme quil avoit déja employée, celle de la parodie ou du ridicule. II imagina d'expliquer le roman de Don Quichotte d une manière allégorique; et au moyen de rapprochemens , de conjectures et d'étymologies, il paroissoit démontrer que eet ouvrage original n'étoit qu'urie traduction d'un an-  1 4 AVERTISSEMENT.' cien livre des Egyptiens, renfermant tous les mystères de leur religion. J'aï entendu avec autant de plaisir que de surprise, les développemens de cette idee; malheureusement Barthélemy avoit négligé de la mettre par écrit; du moins on n'en a trouvé aucune tracé dans ses papiers.  RECHERCHES SUR LE PARTAGE DU BUTIN CHEZ LES ANCIENS PEUPLES. L E T T R E DE M. STANLEY A L'ABBÉ BARTHÉLEMY. A Steep-Hill, dans 1'ile de Wight, ce 10 juillet 1773. Les bontés que vous m'avez marqué depuis long-tems, monsieur, et la haute estime que je fais de votre érudition, vous attirent une importunité de ma part: je me flatte que dans  10 DU BÜTIS le loisir dom vous jouissez actuellement, vous voudrez bien me la pardonner, et que vous pourriez trouver le tems de me résoudre une difficulté. Le parlement vient de faire une recherche , dont vous aurez peut-être entendu parler, sur les fortunes acquises par les généraux et les autres officiers de la compagnie des Indes. Vous savez, monsieur, que dans les tribunaux ordinaires de ce royaume, on ne suit pas le droit civil, sur lequel, comme sur la loi la plus générale, plusieurs points du droit des gens se trouvent f'ondés : il arrivé cependant de tems en tems des questions oit Pon est obligé de remonter a ses principes. On a voté : Que toutes les acquisitions faites par l'injluence d'une force militaire apparliennent de droit a l'état. Je n'ai pas de doute a 1'égard de ce dernier terme j il y a erreur : il falloit dire a la couronne , et non pas a l'état; car, très-constamment dans les monarchiesmixtes, le roi se saisit de ces sortes d'acquisitions, et même en Angleterre, oü , en toute autre instance, la chambre des communes accorde les deniers publics, c'est la couronne , au contraire, qui accorde 1'argent des prises faites sur 1'ennemi au parlement, qui les distribue aux matelots et  eitEz ies AifciEïfS, \tf et aux officiers en conséquence de cette con-< cession. L'origine de ce droit de Ia couronne n'est pas également clair 5 il reste a. savoir si le roi en jouit comme chef de l'état faisant les frais de la guerre, ou s'il en jouit comme capitaine général des armées de l'état ?—.Ce n'est point une simple spéculation que j'ose vous proposer; car aprèsles circonstances que nous avons eu, et avant celles que nous aurons, il est important de fixer si le vote qui vient de passer estun de ces principes invariables, dont toutes les nations sont convenues dans tous les ages, ou si c'est simplement une pratique sujette aux divers changemens que les mceurs et les usages des peuples ont pu introduire ? On revient dans ces cas aux Romains, comme anos précepteurs dans la politique; on cite leur. serment militaire contre la substractioit du butin, avec ce que Modestinus et quelques autres jurisconsultes ont laissé dans Ie dï~ geste 5 mais ce serment et ces auteurs sont d'un siècle auquel on peut appliquer ce que Bartole dit dans son livre sur les représailles s que les empereurs réclamoient alors une souveraineté universelle; que dans cette vue ils traitoient les guerres étrangères en guerres ei* Sec. part. g  l8 dubutin viles, et les acquisitions faites par ce mo-yen comme biens revenant au fisc par extinction de rebellion, outre qu'ils réunissoient dans leurs séules personnes toutes les fonctions civiles et militaires. II me semble que si 1'on consulte la jurisprudence grecque, ou les Romains ont tant puisé, ou 1'histoire de leur république dans des tems plus reculés, le résultat en sera différent. Je me rappelle que Henri Etienne, dont 1'autorité est si reconnue par rapport aux antiquités grecques, en parlant de la différence entre le butin acquis par de simples représailles , et celui qui se fait en guerre déclarée, dit, que dans le premier cas les dépouilles ( Tu DU BUTIN bord présumer, d'après un passage de 1'Odyssée, qu'ils ne la distribuoient point aux soldats (1). « Ulysse, disent ses compagnons, ap« porte de Troye un riche butin , et nous qui «1'avons accompagné dans ses courses, nous « retournons les mains vides. » Ces plaintes que le malheur arrachoit aux soldats d'Ulysse ne prouvent que la sage économie de ce prince; car nous verrons bientöt qu'elles n'avoient aucun fondement. Pouravoir une justeidée de 1'usage que 1'on suivoit alors, examinons quelles étoient les prérogatives du généralissime de l'armée des Grecs. 1°. On mettoitases pieds le butin que les différens partis de l'armée ramassoient parmi les nations voisines et alliées des Troyens. 2°. Agamemnon en faisoit trois portions ; la première qu'il divisoit en autant de lots qu'il y avoit de chefs, et ces lots étoient tirés au sort; la seconde qu'Agamemnon réservoit pour lui; la troisième qu'il gardoit encore pour en faire des présens k ceux qui s'étoient signalés par leur valeur. Cette distinction, qu'il ne faudra pas perdre de vue dans la suite de cette discussion , est clairement établie par ces paroles (1) Odyss. Lib IX, v. 40.  CHEZ LES ANCIENS. 2.J d'Achille : «Dans vingt-trois villes que j'ai « prises avec mes vaisseaux ou avec mes trou«pes de terre, j'ai ramassé des richesses con« sidérables j je les ai toutes remises entre les «mains d'Agamemnon. II en a distribué une' « petite quantité ; il en a retenu une grande « partie pour lui; il s'est servi du reste pour « en gratifier les princes et les principaux de «l'armée. Ils ont tous encore les présens qu'ils « ont re^u; je suis le seul a qui il ait enlevé ce«lui qu'il m'avoit donné (1).» Grotius a rapporté ce passage j mais comme il étoit persuadé que dans les tems les plus anciens , le butin appartenoit de droit a. la nation , il dit : « qu'Agamemnon doit être consi« déré en partie comme chef de toute la Grèce « et représentant ainsi le corps de la nation , « a cause de quoi il avoit droit de faire la discc tribution du butin, conjointement avec le «conseil; en partie comme commandant gé« néral de l'armée , et en cette qualité pouecyant exiger une portion plus considérable «que celle des autres (2). » L'esprit de systême a entraïné ce savant homme. En eff'et, (O öïad. Lib. IX, y. 3a8. (2) Grotius, parag. 14, pag. 8 r4>  2<5 DU BUTIN Agamemnon étoit le chef de l'armée, mais il ne 1'étoit certainement pas de toute la Grèce. Citons deux ou trois faits qui développeront encore mieux le texte précédent. Agamemnon , voulant appaiser Achille, promet, entre autres choses, de lui donner dix talens dW, sept trépieds magnifiques , vingt vases précieux, douze beaux chevaux, sept belles esclaves de Lesbos qu'Achille avoit amenées de cette ile quand il s'en rendit maïtre, et qu'Agamemnon avoit choisies pour lui. Ces différens objets faisoient partie du butin qu'Agamemnon s'étoit réservé dans les différens partages ; il lui appartenoient, et Ton n'est pas surpris qu'il en dispose comme il lui plait; mais ce qu'il ajoute mérite de 1'attention : «Voila, dit-il, les présens qu'il recevra « dès aujourd'hui, et si jamais les dieux nous « accordent de détruire la ville de Priam , « alors, quand nous partagerons le butin, il « sera le maïtre de remplir ses vaisseaux d'or « et de cuivre, et de choisir vingt Troyennes « qui ne le céderont en beauté qu'a Hélène (1).» A quel titre Agamemnon prétendoit-il disposer d'une partie du butin qu'on feroit a Troye, si (!) Odvss. Lib. IX, V. 133.;  CHEZ XES ANCIENS.* 2,y CC n'est par le droit qu'il avoit cn qualité de général de réserver ou pour lui, ou pour ceux qu'il vouloit honorer, de la plus grande partie des prises faites sur 1'ennemi. Ici Grotius suppose (i) que la proposition d'Agamemnon fut approuvée du conseil; mais ce prince ne mit point la cliose en délibération. Nestor se contente de répondre : « Fils d'Atride, vous of«frez a Achille des présens qui ne sont pas « a rejeter. » Et c'est cette réponse que Grotius a prise pour une approbation du conseil. Après la prise de Troye, Ulysse est jeté par la tempête sur la cöte des Ciconiens (2), peuple de Thrace qui avoit fourni des secours aux Troyens (3); il prend leur ville, fait un trèsgrand butin et le distribue par égales parts a ses soldats. Enfin, dans une liistoire fabuleuse qu'il raconte a. Eumée, le même Ulysse dit qu'avant laguerre de Troye, il avoit commandé une escadre de neuf vaisseaux; qu'il avoit fait des incursions chez des nations étrangères; qu'ayant rassemblé un grand butin, il choisissoit d'a- (1) Grot. Lib. III, cap6, parag. i4« (2) Odyss. Lib. IX, v. 3g. (3) Iliad. Lib. II, v. 846.  3o HU BUTIN bord ce qui lui convenoit et que le sort lui en adjugeoit une autre partie (1). Quand même on prendroit ces expéditions supposées pour des guerres de pirates, elles n'attestent pas moins 1'esprit général du siècle , et il résulte de tous ces passages réunis et comparés que, soit que la guerre fut légitime ou non, le chef d'une expédition avoit le droit de prendre pour lui une partie du butin et de distribuer le reste par la voie du sort. Je pourrois citer pour les Troyens 1'exemple d'Hector, qui promet a. Dolon le char et les chevaux d'Ulysse s'il peut vaincre ce héros (2); qui offre la moitié des dépouilles d'Ajax a celui qui pourra , malgré les eff'orts de ce dernier , enlever le corps de Patrocle (3). Je passé aux beaux siècles de la Grèce; 1'on y retrouvera des traces de Tanden usage. J'observe d'abord que parmi les loix qui nous restent des Athéniens, des Lacédémoniens, de Charondas et de Zaleucus (4) , il n'en est aucune qui concerne la distribution (1) Odyss. Lib. XIV, v. 23o. (2) Iliad. Lib. X, v. 321. (5) Iliad. Lib. XVII, v. a5i. (/,) Dlod. Sicul. Lib. XII.  CHEZ IES ANCIENS. 3l du butin, quoique les loix des premiers infligent des peines sévères aux soldats qui ont quitté l'armée, qui ont refusé de s'enröler, etc., (i). Je remarque en second lieu que parmi cette fbule d'accusations intentées, soit dans les tribunaux d'Athènes, soit devant 1'assemblée du sénat ou du peuple , on n'en voit aucune qui ait été dirigée contre un général qui se seroit approprié les richesses de Pennemi. Erasinide, a Athènes , fut traduit en jugement pour avoir retenu les contributions qu'il avoit recueillies dans PHellespont, et qui appartenoient au peuple (2). A Lacédémone , Rhimbron fut accusé , condamné, obligé de prendre la fuite pour avoir permis a ses soldats de ravager les terres des alliés (3); mais je ne connois point d'action intentée contre les généraux qui gardoient le butin. S'il existoit une loi qui le réserva pour le trésor public , peut-on supposer que personne ne Peut enfreinte, ou que personne n'en eüt poursuivi 1'infraction ? Ajoutons, pour donner un nou- (1) Sam. Pet. de legib. att. (2) Xenoph. Hist. graec. Lib. I, pag. 5o. (3) Idem. Lib. Ui, cap. 1, pa». i2g,édit. d'Oxford t/z-8".  3a DUBITTIN veau degré de force a eet argument négatif , que cliez les Athéniens les généraux, ainsi que tous ceux qui avoient part a. 1'administration, devoient rendre leurs comptes en sortant de place (1), par quel hasard auroient ils dans ces examens soustrait leurs rapines a 1'ceil sévère de leurs juges, a la jalousie vigilante de leurs ennemis. S'il n'existoit point de loix, on en doit conclure, a. ce qui me semble, que les législateurs s'enétoientrapportésal'ancienusage et avoient laissé aux généraux un très-ample pouvoir sur la distribution du butin. Ils usèrent plus ou moins de ce pouvoir suivant qu'ils étoient plus ou moins désintéressés, plus ou moins attachés ii leur patrie, suivant que les besoins de l'état étoient plus ou moins urgens. Jetons les yeux sur les principaux événemens de 1'histoire grecque. Après la bataille de Marathon, le vertueux Aristide fut chargé, conjointement avec sa tribu, de veiller a la conservation des prisonniers, des dépouilles, de 1'or et de 1'argent que les Perses avoient laissés sur le champ de bataille. Non-seulêment il n'y touclia point, (O AEschia. in Ctesipb., pag. 429- Plut. in Nic,, pag. 533. mais  CHEZ 1ES ANCIENS. 33 mais il ne permit pas qu'on en écartat la moindre chose (i). On en préleva le dixième pour en consacrer treize statues dans 1'enceinte sacrée du temple deDelphes (2). II paroït qu'on en déposa une grande partie dans le trésor public. Car environ soixante ans après cette bataille, Périclès, dans sa harangue aux Athéniens, disoit que ce qui restoit des dépouilles des Mèdes, joint aux vases qui seryoient aux pompes solemnelles, montoit k 5oo talens (3). L'histoire ne dit pas si dans cette occasion les généraux ne gardèrent rien pour eux, si les soldats ne furent pas récompensés, si les habitans de Platée, qui vinrent au secours des Athéniens , furent privés de Ia portion du butin qui leur appartenoit. Je n'aurois que des conjectures k proposer sur 1'emploi de celui que procura la victoire de Salamine; mais celle de Platée offre des détails essentiels. Pausanias , général de l'armée, fit proclamer, par un héraut, une défense expresse de toucher au butin. II le fit rassembler par les (1) Plut. in Aristid. , pag. 321. (2) Pausan. in Phoc. Lib. X, pag. 821. (3) Thucyd. Lib. II, cap. 3. Diod. Snul Lib. XII, pag. 9^ Sec. part. C  34 ntr butis Hilotes , qui en détournèrent une partie. Les généraux en réservèrent le dixième pour les offrandes qu'ils présentèrent a 1'Apollon de Delphes , au Jupiter d'Olyrnpie , au Neptune de risthme (1). Ils donnèrent ensuite 80 talens a. ceux de Platée, qui en construisirent un temple (2). Le reste fut distribué aux soldats (3); mais auparavant on préléva un fonds qu'on répartit a ceux qui s'étoient distingués par leur valeur. Pausanias eut, entre autres choses, dix captives , dix talens, dix chevaux , et dix chameaux (4). Si on compare ce fait avec ceux que j'ai déja cités d'après Homère , on verra la distribution du butin dirigée par les mêmes principes. De part et d'autre, c'est le général qui veille a la conservation des prises, qui préside au partage , qui a une portion plus considérable 5 de part et d'autre, les soldats participent aux dépouilles et la valeur recoit les récompenses qu'elle mérite. De grands avantages remportés sur les Phé- (1) Herodot. Lib. IX, cap. 79. (2) Pint. in Aristid., pag. 331. (3) Diod. Sicul. Lib. XI, pag. 26. Edit. Wechel. (4) Herod. Supr.  CHEZ LES ANCIENS. 35 niciens, sur les penples de Cypre et de Thasos, procurèrent a Cimon un butin qu'il fit vendre k 1'encan, et dont il remit le produit au trésor de l'état. II suffit pour subvenir aux dépenses publiques et pour construire le mur méridional de Ja citadelle (i). Du butin fait dans une autre occasion , Cimon entretint Ia flotte pendant quatre mois , et il en resta une somme considérable pour Ja république (2). Ces faits doivent être discutés* Cimon, dans ses premières années, n'avoit pas été en état de payer les 5o talens d'amende auxquels son père, Miltiade, avoit été condamné (3); mais après les victoires on Ie vit construire, a ses frais , les fbndemens des longues murailles qui devoient joindre la ville au i Pirée (4) , embellir la place publique etl'acaMémie par des promenades , des allées, des canaux ; ouvrir ses ^ardins a tout le monde , paroitre au milieu d'Athènes accompagné d'un domestique chargé de distribuer de 1'argent aux citoyens que 1'indigence opprimoit. (5). (1) Plut. ia Cim. , pag. 487. Nepos in Cim. Cap. 2. (2) Plut. Ibid, pag. 484. (3) Nep. in Cim. Cap. i. (4) Plut., pag. 487. (5) Idem, pag. 484. Nep. in Cim. Cap. 6. C a  36 Dü IlITIM D'oü provenoient ces richesses ? Plutarque dit que les ayant glorieusement acquises a la tête des armées , il ne s'en servit que pour 1'utilité de ses concitoyens (1). Je sais qu'un général pouvoit recevoir des présens de la part des peuples et des souverains qu'il protégeoit, et que ce moyen d'acquisition, plus dangereux que le droit de participer au butin, ne paroissoit criminel que dans le cas oü il 1'auroit ouvertement préféré aux intéréts de l'état. Je sais aussi que Cimon lui-même fut accusé de s'être laissé corrompre, k force d'argent, par Alexandre , roi de Macédoine , et de n'avoir pas en conséquence conduit ses troupes victorieuses dans ce royaume. Mais je vois en même tems qüil fut absous, et que dans sa défense', il protesta qu'il auroit pu, a 1'exemple des autres généraux, contracter en Ionie et' en Thessalie des liaisons d'hospitalité qui 1'auroient enrichi; mais qu'il avoit toujours préféré la frugalité et la modération k la fortune, et que son unique ambition avoit toujours été d'enrichir la république des dépouilles de 1'ennemi (2). (1) Plut. , pag. 484. (2) Idem, pag. 487.  CHEZ ZES ANCIENS. Bj On est donc fondé a penser que Populence qu'étala Cimon après ses succès, vint en grande partie du droit qu'il avoit sur les prises qu'il avoit faites. Vers le même tems, Myronidès , général des Athéniens, gagne, contre les Thébains, une bataille que Diodore de Sicile compare k celles de Platée et de Marathon; il prend la ville de Tanagre, ravage la Béotie, rassemble un butin immense. Qu'en f'ait-il ? il le distribue aux soldats (i), et le peuple d'Athènes n'en est pas moins empressé k publier sa gloire (2). La guerre du Péloponèse fournit peu d'événemens propres k éclaircir la question. Dans cette foule d'expéditions qui se firent en Grèce, en Thrace et dans 1'Asie mineure, le butin étoit presque toujours destiné a entretenir les troupes et k les enrichir. C'est dans cette vue qu'Alcibiade et Thrasibule, voulant, au rapport de Diodore de Sicile (3), soulager le peuple d'Athènes des contributions qu'on exigeoit de lui en tems de guerre, ravagent la (1) Diod. Sicul. Lib. XI, pag. 63. (2) Idem , ibid. (3) Idem. Lib. XIII, pag. 188. C 3  38 rJUBUTIN' province de 1'Asie oü commandoit Pharnabaze, se procurent de 1'argent par la vente du butin, et ménagent a leurs soldats les moyens d'acquérir des richesses. C'est par Ie même motif que Théramène , autre général d'Athènes, ordonne le pillage sur les terres des ennemis , et en retire des sommes considérablrs (ï). II est inutile de citer d'autres exemples (2) j mais il ne le sera pas d'observer que les Athéniens, les Acarnaniens , et d'autres peuples, ayant vaincu les habitans d'Ambracie, partagèrent entre eux les dépouilles j que les Athéniens en eurent un tiers qu'on envoyoit k Athènes et qui fut pris sur mer, et qu'on choisit pour Démosthène , général des Athéniens, trois eens armures complettes (3), qu'il fit suspendre dans les temples d'Athènes. I! paroit que dans cette bataille on ne trouva guère d'autre butin que les armes , i°. paree que Thucydide se sert du mot ( i Sec. part. D  5o D Ü B Ü T I N statues , des inscriptions , des éloges publiés , etc. Ce résultat est conforme k 1'idée que vous vous étiez faite de la pratique usitée parmi les anciens. On le retrouvera, suivant les apparences, dans la discussion des faits de 1'histoire romaine. Je n'ai pas eu le tems de les approfondir, non plus que ceux de 1'histoire moderne ; mais , k moins que des affaires imprévues ne me détournent, malgré moi, de ces recherches, je vais m'y livrer avec une nouvelle ardeur. J'ai 1'honneur d'être, etc.  CHEZ XES ANCIENS. 5i EXTRAIT D'UNE SECONDE LETTRE DE M. STANLEY A L'ABBÈ BARTHÉLEMY. A Ia Roche-Escarpée dans 1'fle de Wi'ght, ce 22 ybre. i77Z. \ Dans la lettre pleine d'érudition, et de la plus saine critique dont vous m'avez honoré , j'ai trouvé assurement plus de traits historiques , et plus de réflexions politiques , que tout autre que vous, monsieur, n'auroit pu rassembler par rapport k un siècle aussi reculé ; et la recherche que vous avez eu la bonté de faire me sera infiniment utile, non simplement paree je désire, en général, de m'instruire, mais paree qu'elle m'éclaire sur des. devoirs que ma situation dans ce pays-ci m'ohlige de remplir. Je n'ose presque vous mar- D a  5a DU BUTIN quer avec combien tl'impatience j'attends les deux autres parties que vous me faites espérer, tant je crains d'abuser du loisir que vous avez employé en ma faveur; je sens cependant que ce sera la plus grande grace que 1'on puisse m'accorder. J'ai bien étudié ce que j'ai regu de votre part j je ne vous y réponds pas en détail, mais j'y trouve beaucoup de nouvelles raisons pour me confirmer dans mes principes ; c'est plutöt une proposition négative que j'ai soutenue dans notre parlement, n'ayant pu convenir de la généralité de cette assertion, que toute prise faite sur 1'ennemi appartient a l'état : c'est plutöt une question de fait, que de droit naturel ou de droit des gens ; car , en la traitant, il faut supposer des sociétés trop formées, et des intéréts trop compliqués pour la considérer sous ce premier point de vue; et le second suppose des matières de discussion entre des nations indépendantes, dont il ne s'agit nullement ici. Je ne trouve guère de régie universelle dans la pratique qui ne soit établie sur quel-; que principe d'une égale étendue , et il me paroit que tout contract entre le souveraïn et une partie des sujets, qui lui assure nommejment de certains services de la part de ces  CHEZ1ES ANCIENS, 53 derniers , est susceptible de conditions différentes, suivant les conventions faites entre les parties, ou suivant les usages établis. Notre compagnie des Indes a eu, depuis sa fondation, par les chartres royales,le droit de faire la guerre ou la paix avec les puissances de ces contrées, et par conséquent, k ce que 1'on a toujours cru, les droits accessoires qui regardent les prises, les sauve-gardes, le butin, etc. Les généraux qu'elle a employé se sont enrichis par ces acquisitions, ct ils próuvent qu'ils ne se sont attribués que ce que les coutumes de ces paysles autorisoient k prendre. Effectivement, la compagnie n'a rien répété, et même en plusieurs occasions a approuvé leur conduite ; mais quand leurs actions ont baissées j et quand le parlement a examiné les causes de cette décadence, quelques membres ont voulu exiger la restitution de ces richesscs , et ne sacliant pas trop bien comment les adjuger, a Ia compagnie, qui ne formoit pas de prétentions sur elles, ils ont voulu ériger un titre de propriété appartenant k l'état, sur ce principe général dont il a été question, dans 1'idée de se servir ensuite de ces sommes pour payer les dettes et faire rehausser les actions. Comme ona été très-mécontent de l'état de leurs affaires, et D 3  54 DU BUTIN que 1'opulence est sujette a 1'envie , la proposition générale a passée comme j'ai eu 1'honncur de vous mander, malgré quelques doutes que j'ai alors suggérés; mais quand on en est venu a. des applications particulières, et en premier lieu a. milord Clive (1), qui avoit ren du des services très-distingués, il a su se justifier par des raisons qui ont prévalu, et par des exemples pris soit dans les Indes , soit ailleurs. Cependant comme ces débats, oü j'ai pris part, pourront vraisemblablement se renouveller, il m'est fort important de ne pas perdre 1'espèce de supériorité que j'ai obtenue, etc (1) Ce général réalisa i3o millloos tournois a son retour en Angleterre; mais la plus grande partie étoit le fruit des vexations les plus révoltantes, exercées principalement sur les Indiens du Bengale.  chez les anciens. 50 EXTRAIT D'UN MEMOIRE SUR L'USAGE DES ROMAINS A l'égard du butin fait sur Vennemi. Potjr mettre plus d'ordre et de clarté dans ce mémoire, dit Barthélemy, j'ai rassemblé la plupart des faits relatifs a. la distribution du butin. Cette suite chronologique, qui, par défaut de monumens, se trouve quelquefois interompue, commence a Romulus et finit a Jules César. Je n'ai pas cru devoir la pousser plus loin; sous presque tous' les empereurs , les loix n'étoient autre chose que la volonté du prince; et il est inutile d'examiner quel peut être le droit public d'une nation, lorsqu'elle est esclave. La chaïne des témoignages que j'ai recueillis ne regarde donc, a propre- D 4  56 Bü ÏÜTIlf ment parler, que le tems de la république; je n'ai pas néanmoins négligé ceux qui concernent le tems des rois de Rome, paree que , lorsqu'il est question de 1'origine d'un usage, il faut remonter aussi haut qu'il est possible. On trouvera les uns et les autres dans la première partie de ce mémoire. Dans la seconde je taclie, d'après ces témoignages, d'éclaircir autant que je le puis la question que vous m'avez fait 1'honneur de me proposer (1). Je réponds dans la troisième aux difficultés qu'on pourroit opposer aux principes que j'ai établis dans la seconde. Nous nous arrêterons a celleci, paree qu'elle o'f'frê plus de résultats que la première , qui n'est, pour ainsi dire, qu'une table clironologique. Bartliélerny distingue d'abord les différentes espèces de butin. Les prises faites, dit-il, sur 1'ennemi sont de deux espèces : dans la première classe sont les terres, les villes, lea royaumes; dans Ia seconde, 1'or, 1'argent, les prisonniers de guerre, les armes, les provisions, les troupeaux, en un mot, toutes les. choses mobiliaires. Chez les Romains, les prises de la première (0 Bauhélcmy répond toujours a M. Stanley,  CHEZ XES ANCIENS» Ö7 espèce étoient réunies au domaine; cependant avantleurréunion, le général, cornmunément assisté de dix commissaires, exercoit dans les pays conquis une autorité sans bornes, décernant des honneurs et des récompenses , établissant des loix, distribuant des diadêmes et disposant des terres (ï). Après ces observations, Barthélemy avertit qu'il nes'occupera que des prises de la seconde espèce , et divise son mémoire en six articles. Dans le premier il établit que chez les Romains, le général disposoit du butin; dans le second, qu'il pouvoit consacrer aux dieux ou destiner a 1'embellissement de Rome une partie de ce même butin; dans le troisième, qu'il lui étoit permis de distribuer une partie de ce butin en forme de gratifications pour les troupes ; dans le quatrième, que ce général avoit lui-même une part dans les dépouilles de 1'ennemi ; dans le cinquième, que c'étoit a. lui a régler la portion du butin qui de voit être remise au trésor public, et que dans les premiers siècles de la république, il pouvoit, en cer- (1) Cicer. de Lege agrar. orat. 11, cap 19 et 22. Plut. ia Pomp., pag. 63g. Emrop. Lib. VI, nc'. 14. Poljb. Excerpt, legat. , pag. 964.  58 DU BUTIN taine occasion et sous différens prétextes, se dispenser de porter la moindre chose a ce trésor j enfin, dans le sixième article , 1'auteur prouve que le général romain devoit rendre compte de 1'usage qu'il avoit fait du butin. La matière est sans doute épuisée dans ces six articles; mais Barthélemy n'y rassemble que des faits avec son exactitude ordinaire, sans presque aucune liaison , de manière qu'il est impossible d'en faire un extrait suivi. Je me contenterai de rapporter en entier le dernier de ces mêmes articles. Grotius, persuadé, dit-il, par ses principes que le butin devoit appartenir a l'état, s'étoit vu par la nature des faits obligé de convenir que chez les Romains la disposition du butin appartenoit au général (1). Pour concilier ces deux droits qui semblent se détruire mutuellement, il prétend que le général romain devoit rendre compte a son retour de la manière dont il avoit usé de son pouvoir. Grotius ne cite aoicun décret, aucune loi qui impose cette obligation au général; mais les égards que mé- (1) Grot. Liv. III, chap. 6, parag. i5 et 26. Je cite toujours la traduction iranciose de JBarbeyrac , paree je n'ai pas ici le texte de Grotius.  CHEZ, LES ASCIüSS. 5y rite ce savant homrae, m'engagent a rechercher les raisons sur lesquelles il pouvoit fonder son assertion. Ces raisons seront autant d'objections qui exigeront une réponse de ma part. i°. On peut dire : Le général, après avoir achevé sa mission, remettoit au trésor public un registre contenant l'état du butin dont il s'étoit emparé , et des libéralités dont il avoit gratifié ses troupes. Ainsi, le consul P. Servilius, après avoir exposé dans son triomplie les dépouilles des peuples vaincus, les fit inscrire avec la plus grande exactitude dans les registres publiés; 1'article qui les énoneoit, avoit pour titre : Comptes rendus par Servilius ; (Rationes relatae P. Servilii). On y voyoit non-seulement le nombre des statues, mais jusqu'a leur grandeur , leur attitude et leur habillement (1). Lucullus, dans son triomphe, porta un registre oü se trouvoient détaillées les sommes qu'il avoit fournies a. Pompée pendant la guerre des pirates, celles qu'il avoit remises aux questeurs de l'armée, celles qu'il avoit données aux soldats (2). (0 Ciccr in Verr. Act. 2 , lib. I, cap. 21. (2) Plut. in Lucull., pag. 617.  Go 3B TT B U T I JT Réponsê. Je sais que le questeür de l'armée (i) , le lieutenant du général (2), le gouverneur d'une province (3) , étoient tenus de laisser dans le trésor un compte exact de leur administration ; et quoique plusieurs d'entre eux fussent très-négligens k le dresser ou k le déposer (4), 1'obligation n'étoit pas moins réelle pour eux , paree que leurs emplois étoient sujets k Ia comptabilité. Mais il n'est pas prouvé que le général des armées le fut aussi quand il s'agissoit du butin. La minutieuse exactitude de Servilius , joint k Moge que Cicéron fait de sa vertu , ne prouve qu'un désintéressement qui craint jusqu'au soupgon j et 1'attention de Lucullus k montrer au public son livre de comptes, n'atteste de sa part que 1'envie de fermer la bouche a. ses ennemis et h ses soldats, qui 1'accusoient de s'être approprié les trésors de Mithridate et de Tigrane. Les autres généraux ont ils produit de pareils mémoires pour justifier la répartition qu'ils (1) Ciccr. in Verr. Act. 2 , lib. I, cap. i3 et 14. (2) Idem. Cap. 5g. Lii>. Lib. XXXVIII, cap. 55. Aul. Geil. Lib. IV", cap. 18. (3) Cicer. Ibid , cap. 3g. (4) Cicer. in Verr. Act. 2, lib. I, cap. a3<  CHEz XES ANCIENS. 6t avoient faite du butin ? y étoient-ils obligés ? tous les articles de ces mémoires devoient-ils être examinés et rectifiés ? J'admettrai, si 1'on veut, qu'ils étoient astraints k quelque formalité; mais je dirai toujours que ce n'étoit de leur part qu'une simple déclaration, et de la part du sénat ou du peuple qu'une précautiort pour contenir dans de justes bornes 1'avidité ou la générosité du chef des troupes. Eh quoi 1 ces récompenses accordées a la valeur, ces sommes distribuées aux soldats, quelquefois même sur Ie champ de bataille, avoient-elles besoin d'une nouvelle sanction pour être légitimes ? D'oü vient donc qu'on ne les a jamais discu-: tées contradictoirement; d'oü yient qu'on n'a jamais vu un général juridiquement accusé et puni pour avoir trop donné a ses troupes ? Des citoyens élevés dans la sévérité des moeurs anciennes murmuroient quelquefois contre cette espèce de profusion; mais ils s'en plaignoient paree qu'elle pouvoit introduire lalicence dans les armées, paree qu'elle procuroit au général des voies trop faciles pour obtenir la faveur des soldats. 20. On peut m'objecter le passage suivant de Tite-Live : Q. et L. Mummius s'étoient d'abord opposés k la loi qui ordonnoit d'införmer  02 D TT BUTIN contre les deux Scipion, soupconnés d'avoïr diverti Pargent d'Antiochus. Ce n'est pas, disoient-ils, qu'il ne soit très-juste que le sénat, ainsi qu'on Pa toujours pratiqué, prenne connoissance de Pargent qui n'a pas été remis au trésor (i). II étoit donc reconnu, dira-t-on, que dans tous les tems le sénat avoit eu le droit de prendre des infbrmations au sujet de Pargent qui n'étoit pas rentré dans le tréso». Réponse. Je ne conteste pas ce droit. Le sénat pouvoit se faire rendre compte et des sommes qu'un général exigeoit de Pennemi dans un traité pour dédommagement des frais de la guerre, et des présens que les alliés faisoient a la république, et des impositions et de tous les objets relatifs aux finances. Peut-être aussi pouvoit-il prendre connoissance de la partie du butin que le général avoit choisie pour luimême, de celle qu'il avoit distribuée aux troupes , de celle enfin dont il avoit décoré la ville de Rome ou les temples des dieux. Mais la question est de savoir si, relativement a ces trois articles, il pouvoit intenter une accusa- (i) Senatum quaerere de pecunia non relata in publicum , ita ut antea semper factum esset, aequum censehant. Liv. Lib. XXXVIII, cap. 54.  CHEZ EES ANCIENS. 63 tion contre le général, et c'est ce qui n'est pas même prouvé par le fait qui a donné lieu k la réflexion rapportée par Tite-Live; car on verra dans la troisième partie que, suivant toutes les apparences, le procés des Scipion n'avoit pas le butin pour objet. 3°. On peut dire : Le général pouvoit dans un pays soumis par ses armes établir des gouverneurs, distribuer des terres, décider du sort d'un peuple entier. Cependant ces régiemens n'étoient que provisoires, et pour les valider, il falloit un décret du sénat : pourquoi n'en auroit-il pas été de même de tous les actes relatifs k la distribution du butin ? Je réponds que le général n'avoit aucun droit sur les provinces conquises , et qu'il en avoit un réel sur les dépouilles de 1'ennemi; que la süreté de l'état pouvoit dépendre des arrangemens que 1'on prendroit a 1'égard d'un pays conquis et devenu frontière , tandis que la répartition du butin pouvoit tont au plus répandre parmi les soldats un germe de corruption facile a prévenir j qu'enfin, nous voyons par une foule de témoignages que les régiemens politiques du général, étant souvent réformés, avoient besoin d'être ratifiés , au lieu qu'on n'a jamais rien changé a la ré-  4 Bü BPIlS partition du butin, dès qu'une fois il i'avoit ordonnée. Qu'on dise après cela que le sénat et le peuple imprimoient le sceau de 1'autorité souveraine sur cette répartition lorsqu'il coniirinoit les actes du général; je répondrai toujours qu'on ne peut pas détruire par une simple supposition les témoignages nombreux et sans replique que j'ai rassemblés dans ce mémoire et qui assignent au général les droits les plus étendus et les plus indépendans a 1'égard du butin. L'opinion qu'embrasse Barthélemy est susceptible de quelques difficultés; il 1'a bien senti, et répond dans un mémoire particulier aux objectionsqu'on pourroitlui faire, tirées l°. d'une loi rapportée par Denys d'Halicarnasse; 2°. de la formule du serment militaire; 3°. des accusations intentées contre plusieurs de ceux qui ont commandé les armées. Dans ces trois articles du dernier mémoire, il ne laisse échapper aucun fait, et achève le dépouillement de tout ce qui peut avoir rapport a. son objet dans les anciens historiens de la république romaine. On ne rapportera de ces mêmes articles que le premier f qui me paroit renférmer une discussion judicieuse sur Ia loi supposée  CHEZ LES ANCIENS. 65 supposée par Denys d'Halicarnasse , et qui, selon lui, adjugeoit sans restriction au trésor public les prises faites sur 1'ennemi. Cette loi existoit, si nous en croyons eet historiën (i ) , qui la rapporte dans Pendroit oü il traite de 1'exil de Coriolan. II falloit rnontrer que ce patricien aspiroit a la tyrannie. Les tribuns du peuple avoient promis au sénat que Paccusation ne rouleroit que sur eet objet. Cette promesse avoit rassuré Coriolan et ses amis. La cause ayant été portée a Passemblée du peuple, le tribun Décius se leva et dit : « Voulez-vous savoir jusqu'a quel point « Coriolan a porté son audace. Vous savez tous « que la loi ordonne que les prises faites sur « Pennemi appartiennent au public : le géné« ral et les particuliers n'y ont aucun droit; cc le questeur s'en empare, les exposé en vente cc et en remet les sommes au trésor public. Decc puis la fondation de eet empire, personne «e n'a violé cette loi, personne même ne Pa blacc mée. Coriolan est le seul qui Pait fbulée aux cc pieds 5 il est le seul qui ait osé, Pannée der« nière, enlever un butin qui nous devoit être (i) Lib. VII, pag. 467. Edit. Sylburg. Sec. part. j£  66 DTTBUTIN Kcommuna tous. Lorsque, dansles courses « que vous fites sur les terres des Antiates, « vous eütes pris une grande quantité de pri«sonniers, de troupeaux et de richesses de « toute espèce , au lieu de les remettre entre «les mains des trésoriers, au lieu d'en rap« porter 1'argent au trésor public, il les disécouverte de Tauroentum. A une demi-lieue de la Ciolat en Provenee au fond du golfe des Baumelles, sont les ruines d'une ancienne ville , qui nous parurent mériter quelque examen. Nous nous y rendimes avec une douzaine de pa ysans et quelques plongeurs , paree qu'on nous avoit dit qu'une partie de ces ruines étoit dans la mer. Le premier objet qui s'offrit'a. nosregards, fut un rang de dix-sept piles placées sur le rivage et distantes les unes des autres d'ënviron douze a quinze pieds; car cette distance varie. La plupart s'élevoient a deux ou trois pieds sur terre, d'autres étoient entièrement ensevelies sous le sable. Nous en fitnes découvrir quelques-unes ; elles étoient isolées, et aboutissoient d'un cöté a. une espèce de bassin qu'on a détruit il y quelques années, et de 1'autr© F 4  88 VOYAGE a un édifïce qui paroit avoir été fortifié, mais dont il ne reste plus que des débris inforrnes. Ces piles étoient peut- être destinées a por ter un aqueduc, et a servir d'arc-boutant a un mur parallèle qui n'en étoit éloigné que de quelques toises et dont les fondemens subsistent encore. On voit dans eet édifice les restes de différens petits appartemens dont les murs ne sont plus qu'a hauteur d'appui ; 1'intérieur étoit recouvert d'un marbre blanc dont on voit des vestiges en quelques endroits. On découvre aux environs les fondemens de plusieurs maisons, et 1'on n'y peut creuser sans trouverdes morceaux de pavés en mosaïque, et des fragmens de poterie chargés d'ornemens d'un assez bon gout. L'ouvrage , en gé-r néral, paroit être romain. II étoit presque. tout fondé sur le roe; une partie est tombée dans la mer oü 1'on ne put plonger , paree qu'elle étoit fort agitée; 1'autre est ensevelie sous le sable que les pluies en train ent des montagnes voisines. II faudroit pour le déga-f ger beaucoup de tems et d'ouvriers , et peutêtre que les découvertes qu'on y feroit dédom» mageroient foiblement des peines qu'on se se-> roit données. II restoita connoïtre le nom de cette ville,  E TT ITAIIE, ÖCj Je soupconnai, en voyant ces ruines, que c'étoient les restes de Tauroentum, ville ou chateau que les Marseillois avoient fondé sur cette cöte, et oü leurs forces se joignirent k celles de Nasidius , lieutenant de Pompée , dans la guerre qu'ils firent k César. Cette conjecture me parut d'autant mieux fondée, que les habitans donnent encore k ce canton le nom de Taurent. Cependant, comme elle ne peut se concilier avec le témoignage apparent de quelques géographes anciens, je me réserve a 1'examiner avec plus d'attention dans un tems oü , libre de tout autre soin , je pourrai trouver dans le secours des livres qui me manquent ici, de quoi la confirmer ou la détruire (1). (i) Cela me paroit avoir été démontré par M. Marin , ancien et fidéle ami de Barthélemy, dans un mémoire lu k 1'académie de Marseille, le zS avril 1781 , et inséré dans le Journal d,es Savans , 178a juin , premier vol. , pag. 349., et même mois , second vol. 413. L'auteur y est entré dans des détails aussi complets qu'exacts sur l'état actuel des ruines de Tauroentuin.  9» vöyagb N°. IIL Sur quelques ouvrages du Puget. La plupart des ouvrages du Puget, tels que le Mi Ion, 1'Hercule de Sceaux, les Thermes de Toulon , le Saint - Sébastien , donnent 1'idée d'un génie male, capable de peindre les grands ef'fets, les grandes passions, et ces sortes de génies écbouent bien souvent dans des sujets douxetpaisibles. Mais le Puget avoit toutes sortes de pinceaux; pour s'en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur son assomption que 1'on conserve a Gênes dans 1''Albergo dei Poveri. Lsl Vierge s'élève dans les cieux : sur son, visage adtnirable règnent la paix , la sérénité,. les prémices des joies du ciel: sa draperie flotte légérement au gré des vents ; ses mains sont étendues et tournées vers la terre; elle est portée par des anges entrelacés dans des nuages j deux ou trois sont k ses pieds, deux autres sont k ses cötés et la soutiennent avec leurs aïles : leurs têtes ne paroissent point détachées. On a pensé que Partiste a été géné par le bloc. Si cela est,c'estun grand mérite d'avoir triomphé  E!f ITAIIE," 91 de eet obstacle comme Ta fait le Puget. L'ange de la droite caclie en partie sa tête dans le nuage qui touche aux pieds de la Vierge; on diroit que c'est 1'acte du plus profond respect. L'ange de la gauche baisse sa tête; il regarde vers 1'autel et paroit lier le mystère de 1'assomption dont il est un des ministres, avec celui qui se célèbre sur 1'autel et dont il est le témoin : si 1'idée que je suppose est bonne, elle est sürement de lui; si elle est mauvaise, je ne la lui attribue pas. Quoiqu'il en soit, on ne peut se lasser d'admirer cette figure. L'intention y est si bien marquée, que 1'ceil croit y appercevoir un mouvement secret et craint de le laisser échapper. L'ange de la droite a les mains croisées; il tient quelque chose qui ressemble a des fleurs. Peut-être est-ce a, cause du Rosa mystica dont on qualifie la Vierge; peut-être est-ce une idéé poétique et très-bien a sa place : 1'autre main s'appuie sur un bouclier et de ce bouclier semble sortir un e pal me que tient un ange placé sous les pieds de la Vierge. Ces attributs m'ont paru mal placés. II faut croire qu'en eet endroit le Puget a été véritableinent géné par le bloc, et qu'il a eu besoin de lier, au moyen dé cette palme, le petit ange qui est sous les pieds avec celui qui est a droite. On a fait h cette figure  j2 v o y a g s un piëdestal en forme de deux consoles, maïs ce piëdestal est trop haut de plus d'un pied. II est de schiaffino. A Sainte-Marie des Vignes, j'ai vu un autel du Puget, qui est en forme de tombeau antique. Les oves, les cannélures, tout en est divinement sculpté. Mais ce qu'il y a de singulier , c'est d'être soutenu par les quatre animaux qui représentent les quatre évangelistes, pour signifier que le mystère de 1'autel est fbndé sur le tëmoignage de ces évangelistes. L'ange et le bceuf soutiennent par les cötés ; leurs pieds sont couverts de plumes ; ceia est* assez conforme k la description de 1'apocalypse et sauve la difformité qui auroit résulté des pieds représentës au naturel, La tête de l'ange n'est pas assez agréable; celledu bceuf est fiére. L'autel ou le tombeau est réellement soutenu par deux bases de marbre, et entre deux sont un aigle et un lion , qui paroissent faire des efforts pour le soutenir aussi. Ces deux animaux sont bien petits j ils sont disposés k être vus de moitié ou même de trois quarts j c'est ce motif sans doute qui a engagé 1'artiste a les mettre en eet endroit; car il pouvoit lesplacer sous le tombeau même, en ötant les deux dés de marbre. Mais alors on ne les auroit yus que de cöté.  in itaue; <)3 N°. IV. Explication des bas - reliëfs d'un tombeau anti que. A 1'entrée de 1'église de Tortone en dedans on voi t un tombeau antique trouve dans le chateau. II est très-beau et très-bien conservé, et a été érigé en 1'lionnenr de P. .AElius Sabinus , par sa mère Antonia Thisiplio. Cet .AElius Sabinus mourut age de vingt-quatre ans. Les basreliëfs du tombeau font presque tous allusiort a son age. Sur le devant Phaëton tombe de son char : cet emblême désigneroit-il que Sabinus avoit péri pour s'être engagé dans une entreprise audacieuse ? Sur la même face Castor et Pollux. Auprès du premier on a tracé ces mots grecs : ©ArcEi kai ErrENEr. Auprès du second: oyAeiC aoanatoC. Peut-être que Sabinus avoit un autre frère qui lui étoit fort attaché et quï avoit souhaité que leur amitié fut éternisée sur ce monument, en s'y faisantreprésentersous la figure de Castor, et avec une inscription qui 1'exhortoit a prendre courage j tandis que son frère paroissoit sous la figure de Pollux, et.  «ne divise qui annoncoit la nécessité de mourir. Au cöté droit de Tautel, deux génies ailes sont témoins d'un combat entre un coq et un autre animal. Le coq est vaincu ; le génie quï est de ce cöté-la paroit consterné; 1'autre tient une palme, et lui montre que la victoire est de son cöté. Ces deux génies sont vraisemblablement ceux de la vie et de la mort : le coq représente Sabinus. Au cöté gauche est 1'autre bas-relief. Deux autres génies ont jeté leurs osselets; celui qui a perdu essuie ses larmes , pendant que le vainqueur se baisse et se fait un plaisir de lui montrer avec le doigt son osselet. Par derrière sontdeux autres bas-relief. Dans 1'urt , une figure a tête de bélier en embrasse une autre qui a un carquois pendu sur le cöté droit: on voit deux cliiens a. leurs pieds et deux arbres par derrière. Dans 1'autre basrelief est un enfant qui semble gémir. J'ignore la signification de ces deux bas-reliefs. Le couvercle est orné de plusieurs beaux ornemens. Sur la face de devant se trouve une urne d'oü sortent deux ceps de vigne chargés de feuilles et de raisins, et serpentant sur toute 1'étendue du tombeau. Deux enfans tiennent chacun unegrappe de raisin: une de ces grap-  Elf ITAIIE? {j3 pes, qui ne tient plus a la vigne , est tombée avant sa maturité : c'est Sabinus qui est mort. L'autre grappe tient encore au cep, mais le petit enfant qui semble vouloir 1'enlever, ne désigneroit - il pas quelque maladie dont les jours du frère de Sabinus étoient menacés. Dans les quatre angles du couvercle on voit par devant deux têtes de fëmmes : je ne sais ce qu'elles font-la. Par derrière est d'un cöté Léda avec son signe; et de l'autre, un chien auprès d'un laurier. Mesures du tombeau. Largeur de face. ...... 6"p. 6p. 3\t Hauteur non compris la base et le couvercle 2 o, Base 11 Largeur des cötés 2 8 Saillie du couvercle 1 cj Le couvercle se termine en pointe.  *>6 V O Y A G S N°. V. Voyage de Plaisance a Bologne. Nous partïmes de Plaisance le 29 septembre 1755, a. midi, et arrivames a Parme a. six lieures, ayant passé par Fiorenzela , et de la a Bronni. Le chemin est très-beau, assez bien aligné; il se trouve sur 1'ancienne voie semi* lia, qui alloit depuis Plaisance jusqu'a Pumini ; cependant M. Danville a raison dans son analyse, en disant que, malgré cet alignement, il doit y avoir de petites courbures. Le territoire est si beausi intéressant, qu'il seroit im-: possible d'en donner une véritable idée. Au dome ou cathédrale de Parme, onremarque la coupole peinte par le Corrège. Une partie a été détruite par le tems, et l'autre partie n'est pas visible. Cette coupole est si élevée que les peintures ne peuvent avoir été faites pour l'usage des hommes. On dit qu'elle représente 1'assomption de la Vierge j une foule innombrable de saints etd'angesse prosternent, brülent des parfums ou des branches d'olivier, idée singuliere et neuvej d'autres . jouent  BH ITALIË.' Qy jouent de divers instrumens et même de tambours de basque. Les ennemis du Corrège disoient que c'étoit un ragoüt de grenouiües j il est vrai qu'on ne voit que des jambes , des cuisses, des têtes, etc. On voit dans Téglise de Saint - Jcan prés du döme, chapelle a gauche , deux tableaux du Corrège , 1'un du martyre de Saint Placide et de Sainte-Flavie, l'autre une descente de croix. Le.premier a de grandes beautés : les bras des bourreaux font réellementdes effbrts pour plonger 1'épée dans le sein de Sainte Flavie, et pour couper la tête a SaintPlacicle; mais rien n'est si beau que le tableau opposé. Jésus Christ est étendu et appuyé sur les genoux de la Vierge : k ses pieds la Madeleine ; auprès de la Vierg* , Marie Salomé , et une autre figure indéfinissable auprès de Marie Salomé ; un homme descend de la croix , tenant les clous dans sa main ; c'est celui qui a détaché le corps. Le caractère du visage est la fermeté. Je ne voudrois pas que sa tête fut environnée d'un nimbe ; cet attribut le suppose chrétien, et en ce cas, il faudroit qu'il fut un peu plus affligé. Je ne parle pas de la figure inconnue , et qui étend ses mains d'une manière inconcevable. Le corps de JésusSec. part. G  98 VOYAGE Christ est trés - beau , les trois femraes sont dans la douleur, mais dans des douleurs variées: la "Vierge est morte, Madeleine se meurt etMarie Salomé est bien malade. On s'afflige avec cette dernière , on s'attendrit avec la seconde , mais on a le cceur déchiré avec la première : le coloris est fort beau, et les draperies sont bien jetées. Je ne sais si c'est une illusion, on a plus de plaisir a fixer ses regards sur des expressions de douleur que sur celles de la joie. On ne peut s'arracher du spectacle dont je viens de tracer une si légère ébauche. Ce sentiment profond dont la Vierge et la Madeleine paroissent pénétrées, agite 1'ame du spectateur et la remplit. Pourquoi tant d'attraits pour ces situations terribles ? Sommesnous donc faits pour la douleur plutöt que pour le plaisir? MonDieu! cette pauvre Madeleine; elle a dü bien souffrir. Un autre tableau du Corrège étoit conservé autrefois chez des moines qui cherchoient a s'en défaire; aujourd'hui il se trouve au döme par ordre de la ville. La Vierge tenant 1'enfant Jésus , la Madeleine lui baise un de ses pieds , derrière la Madeleine un enfant qui tient le vase de parfums dont la Madeleine veut oindre apparemment les pieds de Jésus;  IN ITAIIE, <}C) de l'autre cöté on voit une grande figure d'homme, qu'on dit êtreSaint-Jéröme debout, tenant de la main droite un rouleau a 1'antique déplié, de la gauche un livre a. la moderne ouvert, dans lequel un ange montre k Penfant Jésus, ou les principes de la lecture, ou les prophéties qui le concern ent. Le Corrège a pu supposer qu'une femme amie de la Vierge , instruite du mystère, est venue rendre ses hommages a 1'enfant; il a pu anticiper Peffusion du parfum qui se fit chez Simon-le-Lépreux. Ce seroit une licence, mais pardonnable k un si grand peintre. Mais que fait cette grande figure ? si c'est un SaintJéröme , il est ridicule; si c'est le maïtre d'école du village, c'est un personnage bas et inutile, II y a un bras de la Madeleine trèsmal dessiné, c'est le gauche , et d'autres incorrections de dessin. Mais que ce tableau est admirable ! sur le visage de la Vierge, quelle noble majesté, quel doux sourire, quelle beauté décente , quelle paix suave ! dans celui de Penfant, quelle joie naïve, quelle agréable vivacité ! dans celui de l'ange, quelle satisfaction, quelle admiration , quel respect! dans celui de la Madeleine enfin , quel tendre empressement, quel amour! dans toutes G a  lOO TOYACB les têtes , il y a finesse et élégance de traits ; mais celui de la Madeleine estlemodèle le plus parfait. Je ne sais oü les peintres ont pris que cette sainte fut si belle. Dans un tems oü on la confondoit avec la pécheresse, auroit-on cru que toutes les femmes de mauvaise vie avoienrde la beauté ? non certainement; mais les peintres ont été bien aises de trouver pour les sujets saints une femme qui réunit en elle les perfections de la beauté : ils avoient Vénus pour les sujets de la fable ; ils ont pris la Madeleine pour les sujets de 1'histoire sacrée. II faut voir comment ils profitent de la liberté qüils ont prise. La Madeleine n'est plus qu'une amante souvent passionnée , et quelquefois tendre même en versant des larmes. Les peintres pouvoient faire autrement; n'en doutons point : les plus licentieux donnent a la Vierge même un air de décence ; ils auroient pu également trouver un caractère , une expression pour la Madeleine; mais la plupart n'ont point de génie , et ceux qui en ont, sont souvent des libertins. Ceci est une vérité fondée surce principe que tout doit être peint avec ses propres couleurs. Au Sépulchre, il y a trois tableaux du Corrège : dans 1'un, Saint-Joseph cueille des fleurs,  EH ITAIII, ÏOl les donne k Penfant qui se jette sur les genoux de la Vierge , laquelle tient de sa main droite une tasse. J'ai vu ce tableau sur le soir : la figure de l'ange m'a paru mal posée. II y a plusieurs autres ouvrages du Corrège a Parme : il faudroit du tems pour les voir, et des connoissances pour les apprécier. Voicï 1'idée générale que je me suis faite de ce peintre : fin, gracieux , élégant dans les têtes, sur-tout dans les têtes de femmes, habile a grouper, vrai et fort dans ses couleurs, souvent incorrect dans le dessin, savant dans l'art des expressions, non-seulement par rapport k 1'espèce mais encore par rapport aux nuances (1). Deux statues colossales de basalte ou de pierre noire de douze pieds romains de hauteur, ont été trouvées, en 1724, dans le palais des Césars, aujourd'hui le jardin de Farnèse. L'une représenteHercule ou Caracalla, tenant la massue, la peau de lion et trois pommes j l'autre Bacchus appuyé sur un satyre : toutes les deux ont été gravées par les soins de M. (1) Voyez sur le mérite du Corrège ce qu'en di't Son admira, teur Ant. Raff. Mengs. Opere, t. I, pag. 5o, t. II, pag. I35„ G 3  i oa v o y A e e Bianchini (1 ). Celui d'Hercule ressemble a Caracalla. Les deux statues sont mutilées; il manque k celle d'Hercule le bras droit, et presque tout le gauche , le reste du corps est bien conservé. Le groupe de Bacchus a plus souffert; il lui manque la jambe droite, lebras droit et une partie du ventre, qui a été restaurée. On avoit commencé a rétablir le reste ; mais Pouvrage a été interrompu ; il va se reprendre, et on mettra ces deux grands morceaux dans le nouveau jardin qu'on doit construire. La proportion de la brasse de Parme au pied de Paris , est comme quatre cents a deux cent trente-huit. La latitude de Parme, prise cette année par le R. P. Tortosa, jésuite, professeur de mathématiques au collége de Parme, est de 44 ° 48' 44" 3o"*. Le théatre si célèbre qu'on voit dans le palais est, dit-on, de la construction de Vignole; il est en demi-ovale, a douze gradins en amphithéatre, et au-dessus deux rangs de loges; depuis leurs extrémités jusqu'au théatre pro- (1) Del Palaszo de' Cesari Verona 1758. Tab. XIX et XX.  EN ITALIË. lo3 prement dit, il y a un espace assez considérable oü sont deux portes, au-dessus les statues en stuc de deux princes de la maison Farnèse. Tout l'intérieur est en bois, les gradins, les loges, excepté les deux murs de refend qui sont sur le théatre. Ce bois est d'une espèce de chéne, nomméepesso en italien,le même dont on fait les tables de violon. Le parterre s'inonde quelquefois jusqu'è. hauteur des gradins pour y donner des naumachies au moyen d'une quinzaines de petites chaloupes. Le soubassement des gradins et du théatre étoit couvert de plomb, que les Allemands ont pris dans la derr nière guerre. Le hasard a fait qu'un écho s'est rencontré dans cette salie, mais il ne résonne que lorsque la salie est vide. Nous nous donnames une petite représentation. Du fond du théatre je récitai des vers a voix assez basse qu'on entendoit du fond de la loge opposée. Les voyageurs frappés de cet accident en ont fait honneur k 1'architecte ; mais plusieurs personnes nous ontassuré que dans lesgrandes représentations 1'écho se tait , et qu'on n'entend presque pas les acteurs. On dit que ce théatre contient qua* torze mille personnes j il est assez dans le gout des anciens. De celui-ci on entre par une porte G4  Io4 VOYAGE collaterale dans un autre très-joli, qui est du chevalier Bernin. Etantpartis de Parme aseptheures et demie de matin, nous arrivames a Reggio , oü nous nous sommes arrêtés trois quarts d'heure pour voir des tableaux qu'on ne voit pas étant mal placés. Nous ruines a Modène sur les deux heures, et nous rendimes visite k la housarde au père Zacharie , jésuite , qui faisoit la méridienne : interrompre son sommeil , parcourir ses livres , lui faire quelques mauvais complimens, lui demander du chocolat, en prendre et partir , tout cela fut 1'affaire d'une demi-heure. Je tiens de lui qu'on ne trouve plus a Modène que quelques inscriptions de peu de conséquence et déja publiées. La route de Parme k Bologne est assez droite etil y a un trés beau chemin. La campagne est toute hérissée de noyers , saules, chênes , peupliers et d'autres arbres alignés, divisant tout ce terrain en compartimens carrés, qui font autant de pièces de terre différentes, toutes coupées par des canaux qui en fournissent a deux grands qui bordent tout le chemin. C'est-la que viennent aboutir toutes ces allées dont les arbres sont liés ensemble par des guirlandes ou des festons de vignes j quel-  EN ITALIB. lo5 ques-unes de ces guirlandes viennent même tomber dans le chemin. Chaque vigne s'appuie sur son arbre comme sur un sigisbée j dès qu'ils sont unis, ils ne s'abandonnent plus. Ayant passé le petït Rhin , fleuve nuisible k l'état de Bologne , sur-tout depuis qu'il ne peut plus se jeter dans le Pö , nous sommes arrivés, le vendredi sur les sept heures, a Bologne , oü se trouvent deux cardinaux , dont 1'un est légat et par conséquent étranger , l'autre arclievêque et par conséquent originaire du lieu. Sabellioni étoit légat, et Malvezzi archevêque. Nous entendimes la messe a Ste.-Petrone, oü assistoient les deux cardinaux : il y avoit belle et grande musique de Pesto , exécutée par plus de quarante violons et de cent musiciens. Cette musique finit au credo. Les maisons de Bologne sont baties de brïque , de même que les églises; les colonnes même sont de cette matière , quoique cannelées. On prépare quelquefois Ia brique pour la faire servir k ces colonnes , en la faisant en forme de triangle curviligne. II n'y a point de marbre aux environs ; on se sert, mais rarement, du rougeatre de Vérone , de celui de Massa et de Carrara, qui ne peut guère ar-  ÏOt> VOYAGE river que par Vénise. C'est la même chose a Parme, oü les jésuites ont fait construire un au tel de marbre qui revient a plus de 20,000 livres. On ne trouve point d'ardoise, qu'ils ne connoissent ici que sous le nom de pierre de Lavagne. La même chose est a Parme. On trouve sur les hauteurs voisines de petites pierres dures a. plusieurs lits dont on peut faire des camées, beaucoup de coquilles pétrifiées, et une sorte de pierre qui n'est qu'un composé de grains de sable, tendre, legére et propre a couvrir les terrasses. Le terrain depuis Modène jusqu'a Bologne est fort gras, argilleux, retenant les eaux qui s'y trouvent en abondance. Placons-nous a Plaisance, de la jusqu'a Riinini , oü alloit aboutir la voieaemilienne : des marais sans nombre y étoient autrefois formés par les pluies d'automne et les eaux des Apennins, qui devoient naturellement se répandre dans cette plaine entourée de montagnes jusqu'au Pö , oü el les se trouvoient retenues par la nature du sol. AEmilius Scaurus, suivant Strabon , dessécha les marais par des canaux navigables depuis le Pö jusqu'a Parme (1). (i) Geogr. Lib. V, édit. Vigno» , pag. i5o.  EN ITALIË. I07 Xylander a corrigé le texte et a mis a PlacentiaParmam usque. II prétend que (napp^m) est Parme, et Cluvier est de son sentiment; Casaubon en doute, Je ne sais pourquoi 1'on veut changer le Pö en Plaisance. Que seroient devenues toutes ces eaux transportées dans des canaux depuis Plaisance jusqu'a Parme ? on peut conserver le texte comme il est et supposer que les canaux alloient de Parme jusqu'au Pö. Quoiqu'il en soit, on voit par ce passage que le pays étoit fort marecageux, et que Ia voie scmilienne devoit être fortélevée : j'ai cru en découvrir des vestiges ; ils sont semblables a ceux qu'on trouve au sortir de Tortone , et qu'on seroit d'abord tenté de prendre pour des restes d'aqueduc. Le petit Rhin , qui est prés de Bologne, inonde une partie du territoire vers le Pö , oü il ne trouve plus d'issue. Dans Bologne il y a soixante-dix mille habitans ; et dans le territoire, vingt mille. Létendue de ce territoire est, de l'est a 1'ouest, d'environ trente milles , du nord au sud d'environ cinquante milles. L'institut est un établissement digne d'Auguste ou de Louis XIV; il a été formé par un simple officier disgracié , et un ecclésiastique  I08 VOYAGE de Bologne nommé Bollette en a donné 1'histoire. On trouve dans cette ville de belles peintures, descabinets, de belles suites d'histoire naturelle , un cabinet de médailles données en grande partie par le pape régnant (Benoït XIV), dans lequel est une suite de médailles grecques du cardinal Porto Carrero , enfin , un cabinet d'antiques, oü 1'on remarque des sarcophages même en brique, trois morceaux de peinture antique, une tête de femme, et un Hercule dans le jardin des Hespérides. Dans toute cette plaine, depuis 1'arc de Suze jusqu'a la mer, il n'y a point de grands monumens; c'est i°. paree qu'ils n'avoient point de pierres , et que tout se fait encore en brique; 2°. qu'il n'y a pas de pays dans le monde qui ait plus souffert par les causes physiques et morales, par 1'exhaussement du sol, et par les inondations des eaux et des barbares. Bologne fut habitée d'abord par les Etrusques, qui la nommèrent Felsina , ensuite par les Gaulois Boïens, qui peut - être 1'appelèrent Bononic a. cause de la ville de ce nom qui est dans la Gaule Belgique. Elle devint colonie romaine 1'an 563 de la fondation de Rome, et regut alors trois mille Eouveaux habitans. Après bien des guerres intérieures,  EN ITAEIE. 100 elle s'est donnée au pape Nicolas dans le treizième siècle. A 1'église de Saint-Jean in Monte , on admire un tableau de Raphaël. II représente Sainte-Cécile, Sainte-Madeleine , Saint-Augustin , Saint-Jean et Saint-Paul, surmontés d'une gloire de six anges. Sainte-Cécile tient un orgue renversé qui sert apparemment d'attribut, mais on ne tient pas un orgue comme un violon : toutes les têtes sont fort belles; celle de la Madeleine est très-décente elle m'a paru ressembler un peu a celle de SainteCécile. L'attitude de Saint-Paul est admirable; on y lit la profondeur, la sublimité des idéés dont elle étoit remplie, et le courage intrepide qui 1'animoit. II me semble qu'il doit être difficile k un peintre de placer cinq grandes fïgures debout sur le devant d'un tableau, surtout lorsqu'elles ne sont pas animées par un intérêt commun; mais Raphaël les a si bien groupées, contrastées et peintes, qu'on se laisse aller a 1'admiration. On avoit sans doute exigé de ce grand peintre de mettre tous ces saints ensemble. Otez ce motif et analysez ce tableau, vous verrez Sainte-Cécile les yeux tournés vers le ciel, et tenant d'une main une file de tuyaux d'orgue, a la droite Saint-Paul  j10 VOYAGE qui de sa main droite soutient sa tête , de la gauche s'appuie sur son épée, et prés de la sainte d'un cöté est Saint-Jean, dont onne voit guère que la tête, de l'autre son commentateur Saint-Augustin , caractérisé par une crosse ; ils lorgnent la sainte. Ensuite Madeleine qui , les yeux fixés sur les spectateurs, tient un vase de parfums. Ne prenons pas garde aux attributs, ils ne servent qu'a caractériser les personnages: mais ces personnages que fontils la , quelle est 1'action principale a laquelle les autres sont assorties ? J'avoue mon tort : je ne puis encore m'accoutumer a ces assemblages bisarres de saints que nos peintres mettent en compagnie , quoique ils n'aient jamais eu rien a démêler ensemble. Du reste , ce tableau est si beau , les draperies sont si fines , si bien jetées, le dessin est si correct, qu'on a raison de le regarder comme un des plus divins morceaux du divin Raphaël. A Saint-Paul , au maïtre autel il y a un groupe en marbre de 1'Algarde. Saint-Paul a. genoux, plein de résignation , de fermeté et de douceur , attend le coup f'atal qui va le frapper. Le bourreau debout tient 1'épée levée et ne montre guère plus de mouvement que s'il devoit abattre une tête de pavot; son vi-  EK ITAIIE, Hl sage respire Ia fureur, et son corps est tranquille. Les draperies des deux figures sont belles; et le rnorceau , en tout, produit 1'admiration. Au Corpus Domini, ou Sainte-Catherine , le tableau du maitre autel, qui est de Francischini , représente la cène. Jésus-Christ n'est pas k table ; il est debout et donne la communion aux apötres : cette supposition fournit plus de liberté au peintre ; il en a profité. L'apötre qui va recevoir le corps, celui qui, après 1'avoir recu , s'en va les mains jointes, les autres qui sont également affectés, tout cela jette beaucoup de mouvement dans ce tableau , qui d'ailleurs ne brille pas moins par les autres parties de 1'art. A Saint-Philippe de Neri, on voit JésusChrist enfant, la Sainte - Vierge , Saint-Joseph , le Père-Eternel en haut, accompagné de plusieurs anges qui montrent a l'enfant les instrumens de la passion. La tête de l'enfant levant ses regards vers son père, est d'une beauté inconcevable ; celle de la Vierge est fort belle aussi : elle est attentive au mystère révélé. A 1'égard de Saint-Joseph, il ne paroit pas avoir connoissance de cette apparition; mais comme il doit y prendre part, le  112 VOVAGE peintre le représente lisant un livre; et je suis sur que c'étoit le chapitre d'Isaïe, ou le pseaume de David , qui parle de la passion. Ce tableau est de PAlbane. A Saint - Michel in Boscho est un tableau du Guerchin. Saint-Thomas, instituteur des olivetans , y regoit sa règle des mains d'un ange : le saint est a genoux , l'ange sort des nuages, la Vierge est au-dessus du saint tenant de la gauche l'enfant Jésus, et de la droite les armes de la maison , qui sont trois petites montagnes surmontées d'une croix entourée de deux branches d'olivier. C'est un des plus beaux tableaux qui soient k Bo'ogne. Les têtes en sont charmantes et les draperies fort bonnes : il fait effet; mais jamais figure plus inutile que celle de la Vierge dans ce tableau : le saint ni l'ange ne la regardent pas; il semble qu'elle vient la pour voir si l'ange s'acquitte bien de sa commission. Sans doute les moines 1'avoient voulu ainsi; ils avoient distribué les personnages au Gnide , comme si Auguste avoit voulu distribuer a Virgile ceux ou'il devoit mettre ën oeuvre. C'est un grand malheur que les peintres soient tant de fois obligés k se plier aux volontés capricieuses de ceux qui les font travailler. Les Italiens apellent  EN ITAIilE. h3 appellent ces sortes de tableaux obligati, tableaux ou sujets de commande. Le cloïtre de cette maison étoit autrefbis couvert de trés-belles fresques que le tems a fort endornmagées. II yen avoit de plusieurs peintres difïërens, et, entre autres , d'un des Carraches j mais celle qui faisoit le plus grancl effet étoit un Saint-Benoït préchant dans Ie désert, par le Guide. Ce sont les plus belles têtes que j'aie jamais vues, sur-tout la tête de femme qui est dans le milieu, et qu'on nommoit la turbantine, paree qu'elle est couverte d'un turban. Un peintre nornmé Viani a tiré «ne copie de ce tableau en i689 , et 1'a mise dans le sanctuaire. Dans la vallée sur laquelle domine, du cöté de 1'ouest, le couvent de Saint-Michel, est un monument ancien qu'on appelle les bains de Marius. II est de brique, de forme ronde, et s eleve sur terre de quelques pieds, couvert par une plate-forme, au milieu de laquelle est un soupirail. L'entrée est en bas; elle introduit d'abord a une pièce qui sert comme de vestibule, et ensuite k une autre qui prend jour par le soupirail et dans laquelle on descend par un escalier de plusieurs marches. Le sol en est divisé en plusieurs parties creusées et capables Sec. part. jj  VOYAGE de contenir de 1'eau, et dans le milieu est un vide a travers lequel passé le jour d'en haut pour éclairer une autre salie qui est dessous. II règne autour du mur un espace de quelques pieds pour passer librement, et des ouvertures en forme de portes qui donnent entree k des aqueducs qui vont bien avant dans la montagne. Ces aqueducs sont fort hauts; deux petits ruisseaux conduisent 1'eau jusqu'a ces petits bassins dont j'ai parlé. Une de ces ouvertures conduit, par le moyen d'un petit escalier de trois a. quatre marches, k une autre petite salie de bains ; et de celle-ci on va, par le moyen d'un autre escalier , k une troisième salie qui est sous la première. On prétend qu'ici est un aqueduc qui transporte cette eau a la fontaine du pal ais public : cette fontaine ou 1'on voit de si belles figures de Jean de Bologne, un Neptune qui écarté les jambes, et en bas des femmes qui se terminent en poisson. Observez que ce bain ou ce réservoir d'eau n'a subsisté si long-tems que paree qu'il est sur le pencharit d'une montagne, et que les eaux et ' les barbares n'ont pu le détruire. La tour Asinelli, b£tie dans le douzième siècle par un nommé Asinelli, est haute de trois centsoixante-seize piedsde Bologne. L'ancien  EN ITALIË. jj5 escalier est détruit, on y a substitué des echelles qui serpentent autour des murs; ainsi le milieu est absolument vide. II y avoit autrefois d'espace en espace des planchers dont il ne reste plus que les naissances. Vers le haut, les cötés de la tour ont environ treize pieds dans ceuvres; 1'épaisseur des murs est en bien des endroits d'environ cinq pieds. A quoi pouvoit servir un batiment de cette nature P Audessus est une cloche. Les pères Grimaldi et Riccioh ont mesuré géométriquement la distance de la tour Asinelli. Suivant une inscription tracée sur cette tour , elle penche de trente-huit pouces du cöté de 1'occident. De dessus la tour on voit le haut de la Garisande qui est a cöté; on a demandé si elle avoit été construite avec cet air penché ou si quelque accident le lui avoit donné. II paroit assez clairement que c'est un ouvrage de 1 art. 1°. II y a trois de ces tours en Italië j estil vraisemblable que la nature eüt répété un effet si extraordinaire jusqu'a trois fois 5 2° ü n'y a point de crevasse dans la tour ni sur le cöté même opposé k celui qui est penché; 3». On prétend k Bologne que par dehors 1'inclinaison est de sept pieds, et par dedans d'un pied seulementrsicelaest, la question est décidée, H a  Hf5 VOYAGE il faut avouer que 1'ouverture supérieure de cette tour paroit bien placée dans le milieu. Je n'ai pas pu y monter; mais je 1'ai vue de dessus la tour Asinelli, qui n'en est distante que de quelques toises. J'ajoute néanmoins que cette observation ne conclut rien; 1'architecte de la Garisande, qui, pour empêcher qu'on ne montat sur le haut, ne 1'a munie d'aucun garde-fou, et en a même fermé 1'ouverture avec une grille de fër , a pu place r cette ouverture dans le milieu afin de tromper ceux qui voudroient épier son ouvrage de dessus la grande tour; car a quelques pieds de 1'ouverture on voit une batisse qui semble prendre une autre direction. L'endroit oü 1'on croit que se fit la division du monde entre les triumvirs, est k cinq milles et demi de Bologne, au lieu nommé SaintChiatno, en-deca du Lavino. On y voit une colonne avec deux inscriptions , 1'une a 1'est et l'autre h 1'ouest; 1'une antique et l'autre moderne. Magini, dans sa carte du territoire de Bologne , f'aite en i5p9 , place cette entrevue dans l'endroit nommé Forcelli, entre le Ghironda et le Lavino ; mais les lieux ont bien changé depuis Magini. II y a une inscription célèbre a un mille  IK ITA1IE, H7 de Bologne (AELIA. LAELIA CRISPIS), dans un endroit nommé Castello Realte, oü est un séminaire : elle est enclavée dans le mur d'une cour. Une autre inscription pardessous montre que celle-cin'est qu'une copie. AENIGMA QVOD PEPERIT GLORIAE ANTiQVITAS NE PERIRET INGLORIVM EX ANTIQVATO MARMORE HIC IN NOVO REPARAVIT ACHILLES VOLTA SENATOR (1). La latitude de Bologne est 44° 29' 5o" a ce que dit le second astronome de 1'institut. Voyez VIntroduit, all. Ephemer. Le pied de Bologne est de dix pouces un quart, et la brasse de vingt pouces. Au PdTazzopublico, on voit un Saint-Jean. dans le désert de Raphaël. II montre la croix et prêche : son air, son attitude, toutparle; ses regards poursuivent le spectateur et le pé- (1) Cette familie de Volta ne subsiste plus. H 3  Jl8 VOYAGE nètrent. Je n'ai jamais entendu un meilleur prédicateur. Dans la même salie sont deux tableaux du Guide : 1'un a été fait pour la délivrance de la peste dont Bologne fut attaquée en i63o. On le peignit en soie et il servoit de guidon. On 1'a collé sur toile. La Vierge est avec l'enfant Jésus sur 1'arc-en-ciel; en bas sont les sept protecteurs de la ville ; Saint - Frangois est dans le milieu a. genoux ; d'un cöté SaintDominique , également k genoux ; Saint-Procule et Saint-Frangois-Xavier sont debout; de l'autre cóté Saint-Petrone est en chape k genoux; Saint-Florien et Saint-Ignace sont debout. Parmi cette sainte-bande Saint-Frangois attire la principale attention, c'est le plus dévot de tous; le jeüne, 1'onction et la ferveur sont peints sur son visage ; son attitude est merveilleuse ; c'est une belle figure comme celle de Saint - Petrone , dont la chape est d'un travail singulier , et dont la barbe fait un beau contraste avec le menton nu de Saint-Francois. Ces deux saints implorent le secours du ciel dans une persuasion humble que ce secours est nécessaire ; Saint-Dominique paroit dans une persuasion théologique ; Saint-Ignace comme si 1'on pouvoit s'en  EN ITALIË. 119 passer (1); Saint-Frangois-Xavier comme n'étant pas encore décidé; Saint Florien et SaintProcule comme deux militaires qui n'entendent rien aux disputes de la grace, et a qui tout est bon ; au fond , ils n'ont l'air ni trop affiigé ni trop fervent. Je ne voudrois pas que le Guide eüt rapproclié comme il a fait la tête des deux Saint-Francois; elles sont toutes deux pales, maigres et décliarnées , et comme elles occupent le milieu du tableau, elles offensent la vue. L'arc-en-ciel sur lequel la Vierge descend du ciel est une idée heureuse pour exprimer la cessation de la peste. On remarque vis-a-vis le Samson du même Guide. Samson debout regoit de la maclioire d'ane une liqueur qui le désaltère; il déploie un beau corps , de belles jambes et pose un de ses pieds sur deux ou trois Philistins abattus sous ses coups. Cette figure n'est pas assez nerveuse : le peintre en devoit faire un Hercule, il en a fait un Bacchus tenant dans sa main le vase qui a renversé a. ses pieds une foule de buveurs dont il triomphe. L'avis d'un ignorant ne fait rien aux productions des grands (1) II n'étoit cependant question alors ni de malinisme ni da jansenisme. H 4  120 voyage hommes; mais que devi en droit-on si 1'on étoit obligé de se taire quand on ne sait rien. Dans la même salie on trouve encore un Saint-Jéröme qui médite sur un gros livre ; il est de Simon Cantarini de Pesaro. Le saint semble sortir du tableau. On y voit le genre de pénitence rigoureuse qu'embrassent communement ceux qui avec un cceur tendre ont un caractère brusque. N°. VI. Description abrégèe de la galerie de Florence. Loin de nous ces esprits bornés qui osent admirer les conquérans de la terre; loin ces ames froides qui ne peuvent ressentir les douces impressions des chefs - d'ceuvre des arts, ou qui s'y livrent sans enthousiasme et sans vigueur; loin encore tous ceux pour qui les médailles ne sont que des morceaux de cuivre, les tableaux des toiles couvertes d'huile, les statues des rochers taillés. Ici les grands projets des Egyptiens se trouvent réunis avec la délicatesse des Grecs et la magnificence des Perses; ici de simples particuliers devenus les pères et les chefs de leur nation ont recueilli   p/.ll  EN ITAIIÏ. 121 1'esprit de la Grèce prête a s'éteindre, ont préparé dans 1'Europe la révolution des arts et des sciences, ont fait fleurir dans leurs états le commerce, les loix et la vérité par une politique qui n'a point couté de sang et de larmes au genre humain. C'est aux cceurs bien nés qu'il appartient d'apprécier le mérite des Médicis; c'est k ceux qui sont bénits du père des arts qu'il appartient de goüter les beautés de la galerie. L'histoire de cet établissement est dans le troisième volume du Museum Etruscum, ou des antiquités d'Etrurie. Voyez aussi le Museum Florentinum , publié , en 1741 et les années suivantes, en six volumes in-folio avec les explications du savant Gori. Mais coramengons cette description abrégée par le cabinet des médailles, n°. 6. ( Voyez la planche ci-jointe). Ce cabinet jouit depuis long-tems d'une trésgrande réputation. Les médailles sont dans des armoires posées sur des espèces de tables ; le tout fort simple. Les armoires sont adossées contre un des murs de la salie, ornée de grands tableaux qui n'ont aucuns rapports a. 1'antiquité. La suite des médailles d'or, quoique la plus belle de toutes, ne va guère  122 VOYAGE qu'a sept cents : il y manque plusieurs têtes capitales, et beaucoup de revers ; elles sont, du reste, assez bien conservées. Ce qüil y a de plus beau , c'est un grand médaillon de Dioclétien et de Maximien;des médaillons dePharïiace , d'Antiochus et de Persée , et un ABmilien admirable,de grandeur ordinaire. Lesn édaillons de bronze vont a peine a. trois eens j ils sont beaux : il y a de plus une suite de contorniates assez nombreuse. Les médaillons de grand bronze sont au nombre d'environ dixsept eens, bien ehoisis et d'une conservation singulière. II y a peu de grecs, plusieurs têtes rares. Le moyen et le petit bronze sont peu nombreux, ainsi que les rois et les villes. Le docteur Cocchi a la garde de ce cabinet et donne des lecons de médailles aux Anglois. Les pierres gravées sont au nombre d'environ deux mille, tant camées que pierres en creux. II y en a beaucoup de modernes, et encore plus de médiocres ; elles sont fort au-dessous de celles du roi. La suite des médailles perd encore plus dans la comparaison, quoiqu'elle jouisse depuis long-tems d'une grande célébrité (1). (i) On parle ici de l'état du cabinet des médailles tel qu'il étoiï  e tt itaiie, 123 Dans un des cabinetsnommé l'Arsenal,n°. 10, on trouve un casquq assez bien conservé, découvert prés de Cadix; sur le bord intérieur cette inscription : ana^ > Yl'r-Unelyre en bronze avec dix-sept chevilles d'un très-joli travail. L'Apollon assis sur un rocher, jouant de la flute a sept tuyaux, comme celui du roi, paroit moderne. Le Bacchus avec la peau de tigre remplie de raisins, est semblable a celui du roi, excepté que le chien y est regardé comme ancien. Dans les cent vingt volumes de dessins de grands maitres , reliés en maroquin rouge, j'ai vu ceux de Raphaël, de Michel-Ange et du Guide; ceux du premier sont quelques morceaux des loges du Vatican , les apötres, des études particulières , des morceaux de draperies. Les dessins de Michel-Ange consistent en quelques études pour le jugement dernier, etc. De ce même cöté est le cabinet pour les en 1755. 11 consistoit alors seulement en vingt-six médaillons des empereurs en or , en mille cinq cent cinquante médailles impériales en or , en mille médaillons en bronze , et en quatre mille deus eens médailles des empereurs en grand bronze.  \l\ VOYAGE portraits des peintres faits par eux-mêmes. N°. 4 , a droite en entranj par le corridor, on voit 1'école romaine ; au cöté opposé, Pécole lombarde ; a gauche, l'école frangoise ; k droite , la flamande; et au fond, la statue du cardinal Léopold, qui a fait cet établissement. De ce cabinet on passé a celui des porcelaines. Dans le corridor qui communiqué au vieux palais, n°. 24, on trouve deux bustes de porphyre : 1'un de Ferdinand Ier., l'autre de Cosme Ier., un buste antique de Solon, avec cette inscription : soaqn o nomo0ETH2. Ensuite est un Saint-Jean du Bernin ; vrai squelette. La peau d'agneau est collée sur la sienne, comme si elle lui appartenoit. Aun°. 18, la Camera delle arti, est une table carrée de pierres précieuses rapportées, avec des figures de pêcheurs, d'hameaux , en rubis d'Orient, jaspe de Chypre, verre de Bohème. C'est un travail de la galerie. On applique chaque pièce sur un fond d'ardoise : on colle cet assemblage avec les autres pièces, et quand 1'ouvrage est fini, on use ces morceaux d'ardoise rapportés et on met un autre fond de la même matière. Nous avons vu ce travail dans la galerie ; Siries nous 1'a montre.  EN ITAEIE. 125 On voit une autre table de Lapis Lazuli : le premier cadre est d'albatre de Corse, le second, de jaspe de Corse. On trouve de ces tables et des armoires travaillés de la même fagon, dans presque toutes les chambres. Quelquefois le travail en est different : ce sont des pierres enchassées dans la pierre de touche, dont le noir brillant rehausse 1'éclat des pierres. Vient ensuite une armoire en bas-reliefs d'ivoire avec de petites colonnes d'albatre oriental, une autre en bois de Brésil, une troisième contenant des ouvrages d'ivoire faits au tour , enfin , une quatrième avec des ouvrages d'ambre. Huit figures d'argile représentent les travaux d'Hercule, de Jean de Bologne, qui les auroit exécutés en grand s'il n'avoit pas été prévenu par la mort. Deux ouvrages de 1'abbé Zumbo , en cire : le premier offre le corps hu-; main dans tous les degrés de corruption ; l'autre, une peste. Dans une Sainte-Famille de Pérugin , suivant les principes de Raphaël, la Vierge passé la main sous le menton de SaintJean. Enfin, on appergoit une adoration des rois de Philippes da Carmine, qui vivoit il y a trois eens ans , et quantité de figures; il y a de 1'expression dans quelques-unes, mais c'est le commencement de la perspective.  12C) VOYAGE De ce salon on entre dans un autre ou est le chef - d'ceuvre de Michel-Ange; et de la dans un troisième, oü sont des globes, des instrumens de matliématiques, et des cartes de la Toscane peintes a fresque, faites il y a soixante-dix a quatre-vingt ans. Je reviens a. Michel - Ange. Dans une armoire ornée de pierres de toutes couléurs , peintes par Breughels, est un tour semblable a ceux des parloirs, et sur une de ces faces un modèle en cire d'une descente de croix par Michel-Ange : il y a dix-huit figures. Deux echelles posées sur les deux bras de la et 373, tom. I, edit. Ernesti. II faut également consulter sur ca passage d'Annibal une bonne dissertation du cbevalier Lorenzo Guazzesi, imprimée en 175i, dans le torne VI des Mémoires et de 1'écuine de la lave du ,Vésuve ; ce qui rend cette voute très-légère. Elle étoit en dedans ornée'de caissons , et les bandes qui séparent les caissons, de même que 1'espace compris entre ces mêmes caissons et 1'ouverture , recouvert d'une composition arrêté par des féuilles de plomb attaehées par des clous de bronze , comme tous les ornemens de la voute. Cette enveloppe intérieure étant tombée par morceaux,on a pris le parti de 1'öter, et 1'on a fait en conséquence cette belle machine qui marche sur la corniche ; c'est par-la. qu'on s'est apperqu que la coupole n'étoit pas parfaitement ronde , et qu'en certains en droits la différence alloit jusqu'a une palme et demie. II y avoit autrefois deux urnes de porphvre, 1'une qui est a présent a. Saint-Jean de Latran et contient le corps de Clément XII j l'autre , k demi- brisée , avoit été vendue, depuis long-tems , k un particulier. L'abbé Baldani a trouve cette anecdote dans les archives de son chapitre. En continuant de travailler k la coupole du Panthéon , on a détaché , au mois de ievrier 1757 , les marbres qui couvroient Jes murs de cette espèce d'attique; ils étoient attachés par des  EN ITALIË; 1^5 des crampons de bronze, a ce que nra dit le chef des ouvriers, horame intelligent, le même qui a fait cette belle machine dont je viens de parler. En abattant 1'appui d'une fenêtre d'attique, on a trouve' des matoni ou brlques antiques , avec différentes inscriptions (i ) qu'il seroit trop long d'expliquer ici, mais qui prouvent que toutes ces brisques étoient tirées d'une manufacture, du tems d'PIadrien, et que ses esclaves exploitoient. II paroit que* cette manufacture s'appeloit Isïaca , paree qu'elle étoit voisine d'un temple d'Isis, peu éloigné du Panthéon; et on aura dans la restauration de ce dernier édifice employé par préfërence des briques fkites dans cette manufacture. Quoiqu'il en soit, il paroit constant que les quatre briques inscrites et trouvées au Panthéon sont ou des dernières années de 1'empire de Trajan, ou des premières d'Hadrien , qui rétablit ce bel édifice (2). (1) On n'en rapportera que deux : ]a première est concue en ces termes : EX FIGLINIS MARCIANIS C. CALP. ET ANT. FAVORIS DOLIAUE; et Ja seconde : DOL. ANTEROT1S SEVERI. CAESARIS. n. (2) On trouvera des notes insrructives sur le Panthéon , let différentes restaurations et les fouilles qui y ont été faites. i». DanS Fontana; 2°. dans Nardini, Roma Amica ; 3°, dans les Re. Sec. part. j£  1/^6 voyage N*. IX. Observations sur les Thermes de Titus. J'aeeai avec Piranèse aux Thermes de Titus , pour voir les souterrains. Ils sont immenses en face du colisée et sous le théatre des Thermes. Ce sont des salles parallèles fort longues , assez hautes encore , quoique presque toutes comblées : elles se trouvent éclai- ckerches de Flaminio Vacca, qui sont quelquefois k la fin de I edition de Nardini; 4°. dans fouvrage de Piranèse le père, et dans celui que le Els a publié depuis. Ce qu'on sait encore, c'est qu'un très-beau fragment de figure de jeune homme avec une corbeille sur la tête , espèce de cariatide , fut trouvé danS les fouilles de ce monument, lors de la restauration du parement. On voit ce fragment au palais Farnése. On trouva encore les débris d'un char de bronze et des pieds de chevaux, qui pouvoient avoir appartenus a un quadrige placé au sommet du Ironton a 1'extérieur. II paroit également certain que 1'on descendoit plusieurs marches dans 1'intérieur; ce qui étoit nécessaire pour donner a cet édifice une proportion élégante. Les chanfreins ou biSeaux qui se voient actuellement au-dessus des filets bas des caissons de lavoüte sont dans une incliuaison qui indique également que le póint de vue étoit plus bas oi iginaii ement, ce cbanfrein ne devant point être appercu du sol antique. (Nqte communiquée par M. Legrand, architect»).  IS ITAIIE, rees par des jours d'en haut, percées d'un cöté de charme salie et répondantes k la cour comprise entre les Thermes proprement dites et la circonférence carrée. Au fbnd d'une de ces salles est l'endroit oü 1'on prétend qu'étoit le Laocoon, dont on voit la niche. Dans cette pièce , ornée de peinture , on voit le tableau de Coriolan. II a été gravé d'après un dessin d'Annibal Carrache ,, conservé dans le cabinet du chanoine Victorius; et il forme la première planche du recueil de Pietro Sante-Bartholi. L'originalde ce tableau est entièrementef'f'acé. II représentoit quatre figures , Coriolan , sa mère Véturie, Volumnia sa femme, et une autre femme , qui toutes le prioient de faire retirer ses troupes. Vers le même endroit des Thermes, on va , par une foule d'ouvertures et de pièces , dans un corridor qui servoit aux bains inférieurs ; il est voüté, décoré de peintures en arabesques, et éclairé par les mêmes jours qui sont dans les salles. L'endroit oü estappliqué la peinture est dur, poli, blanc comme J'albatre et inaltérable a 1'eau qui en découle sans Cesse; la composition s'en trouve, je crois,dans Pline. II est visible que ces salles , ces corridors, ainsi embeliis, éclairéset distribués, ne K 2  lijS VOYAGE pouvoient servir qu'a des bains; et que ce qu'on voit dans le jardin supérieur, c'est-adire , ces exhèdres , etc., faisoient le second plan des Thermes de Titus. La même chose étoit a ceux de Caracalla. Nous y avons vu , avec MM. Moreau et VVailli, des souterrains éclairés par des trous semblables qui débouchoient dans le jardin; et le jardinier m'a dit qu'on en avoit trouvé un grand nombre. Je reviens aux Thermes de Titus (1)3 il en résulte que cette partie de 1'Esquilin qui alloit aboutir au Colisée de ce cöté-la n'étoit pas autref'ois aussi élevée. Piranèse a remarqué aussi que tout autour de ces édifices souter-, rains sont d'autres ruines qui s'y appuient sans s'y raccorder. II conjecture que c'est un édifice plus ancien , et peut-être la maison de Mecène. Efféctivement on s'appercoit d'un autre travail. Les parties anciennes sont composées de 1'opera incerta, morceaux de brique , de tüfo et de pierres mêlées ensemble. L'autre n'est que de morceaux de bricjue , tóvolazza. Piranèse a un bonne idée sur le Monle-Tes- (1) Ils ont été découverts sous Léon X, et gravés magnifij guenjent, sous Pie VI, par les soins «le Louis Mini,,  en itai1i,'1 i'/^ tacceo. II dit, d'après Pline , que les vases de terre brisées servoient a faire le lastricum ou ciment. Or, quelle quantité n'en falloit-il pas pour un batiment comme celui des Thermes, etc. Lorsqu'on vouloit construire quelques grands édifices, on faisoit des amas de ces morceaux celui-ci avoit été fait dans cette intention , qui ne fut pas remplie. Notes sur quelques monumens de Rome: Dans le palais Colonne, j'ai examiné avec soin la fameuse apothéose d'Homère, qui a tant exercé quelques savans du dernier siècle. Les cötés de la partie supérieure de ce basrelief sont détruits ; ce qui fait qu'elle semble se terminer en pyramide. Le premier mot n'est pas eimeah ; la -première lettre peut être effacée. Ce n'est pas la seule observation qu'on pourroit faire sur les mots qui désignent les figures. Le travail en est trèsbon 5 et je ne doute point que ce que les petits rats rongent ne soit un rouleau. La Mus© K. 3  j5o VOYAGE placée sous Homère tient évidetnment une lyre (1). Au Capitole , dans le palais des Conservateurs , 1'Esclave qui se tire une épine du pied est la plus belle des figures de ce genre, quoique j'en trouve le travail un peu sec. On voit également dans ce palais la statue d'Hercule dorée, tenant la massue. Elle est a. cöté des prétendues statues de Cicéron et de Virgile. On a enchassé dans le mur d'une des salles les fameux restes des fastes capitolins. Dans la chambre des Pliilosophes au Capitole , on voit sur un bas-relief une femme qui tient une lyre a. sept cordes. Elle est très-bien drapée et appuyée sur un autel. Yis-a-vis s'offre une autre femme presque toute nue, tenant de la main gauche 1'archet. Sur 1'autel est la figure d'un dieu, ayant de la main droite (1) Après avoir parlé d'autres bas-reliëfs, 1'un représentant, les travaux d'Hercule , celui sur la guerre de. Troye, et un troi5ièrae dont le sujet est thé du dixième livre de I'Odvssée, tous conservés h Rome , Barthélemy conjecture qu'ils étoient destinés par les rhéteurs grecs, chargés de 1'éducation , ft remettre sous les yeux les principaux traits de Ia mythologie. Acad. des Insc. , tome XXVIU , png. 5g'6.  Elf ITA1IÏ. l5l une haste , de l'autre une patere, sur la tête une écrivisse et un diadême. Ce sujet me paroit être un hymne chanté en 1'honneur de ce dieu par une de ces femmes qui, peu contente des sons qu'elle tiroit de son instrument, prie l'autre d'en tirer de plus expressifs. Ce bas reliëf, qui est très-beau, renferme une idée poétique , dans le gout de Rion et de Moschus. Je le crois fait en Sicile, et je ne doute pas que la figure ne soit celle d'Apollon. D'ailleurs , rien de si touchant que la iigure qui s'appuie sur le bras de ce même Apollon. Au Belveder, on adrnire la statue d'Apollon. Le bras gauche, depuis le coude , est moderne , mais quatre des doigts sont antiques; les jambes, qui étoient brisées, ont été bien remises ; la main droite est moderne. On voit sur le cöté de la cuisse gauche un reste de tenon. Quelques parties de la draperie sont encore modernes; ainsi que les bouts des gros doigts des pieds. II n'y a point de prunelles (1). Sur la tête du serpent on appergoit (i) Voyez 1'observation en note , pag. i54« K 4  1^2 VOYAGB quelque chose de semblable auscarabée; seroit-ce le symbole de 1'ouvrier? Le Laocoon n'a également point de prunelles ; mais il est plus maltraité que 1'Apollon. L'enfant de la droite est du même bloc, tandis que celui de la gauche n'y pourroit tenir sans les serpens. Or, la partie du serpent inférieur , qui enveloppe l'enfant et qui vient aboutir k un autre pli, autour de la cuisse du Laocoon, ne se raccorde pas avec ce même pli, composé de plusieurs morceaux ajoutés; la liaison n'est pas indiquée, c'est un bout de serpent coupé qui venoit s'appuyer par derrière sur la partie du serpent attachée a Ia cuisse du Laocoon. La partie supérieure qui sert de liaison est pleine de cassures et de parties modernes. Les trois figures ont été finies a la masse, et on y voit encore les coups de ciseau. Le bras droit et la partie du serpent du Laocoon, les doigts de son pied gauche , la tête du serpent qui mort Laocoon , les doigts du pied droit, la main et une partie du bras de l'enfant a. gauche, les calotes des deux enfans, leurs bouts de nez, presque Ia baseentière ou siège, excepté la partie antérieure, tout cela est moderne et a été restauré.  EN ITAEIE. l53 II y a sous 1'épaule droite du Laocoon une tracé sur le marbre qui semble designer l'endroit oü le serpent mordoit: elle est plus épaisse qu'elle ne devoit 1'être pour y appuyer la queue; et ce qu'il y a de singulier, c'est qu'elle a la même longueur et largeur que la tête oü la morsure du serpent est placée de l'autre coté. Cependant il ne paroit pas vraisemblable que les têtes des deux serpens aient été du même cöté. Le 8 octobre 1756", j'ai vu de prés le tableau delaTransfiguration que 1'on copioitpour mettre en mosaïque , a. Saint-Pierre. Les deux figures qui sont en haut, a cöté du mystère, représentent Saint-Laurent et Saint-Jules, et comme ce tableau fut acheté par les Médicis, après la mort de Raphaël , et qu'ils le donnèrent eux - mêmes a. 1'église oü il se trouve k présent, on soupconne que Laurent et Jules de Médicis y firent ajouter leurs patrons , ou par Jules Romain, ou par quelqu'un de 1'école de Raphaël. Le peintre qui le copioit prétendoit trouver de la différence dans les touches. Dans le palais Rospïgliosï, on conserve cinq  VOYAGE tableaux du Poussin. Le premier représente les quatre états de la vie qui dansent au son de la lyre, que le Tems a dans ses mains : un petit enfant auprès de lui tient un sablier ; et un autre fait des boules de savon, pour désigner que tout cela est frivole. L'on voit un terme de Janus, et au-dessus Apollon dans son char avec les Heures qui 1'accompagnent. Ce tableau est plein de poésie. La figure couronnée de fleurs , représentant, je crois, le Plaisir, m'a paru désagréable pour la tête qui ressemble a celle d'une bacchante. L'autre figure , sur le devant, est fort belle. Le Travail, qui regarde la Pauvreté en se plaignant, me paroit un trait bien lieureux. L'idée du tableau me fait de la peine, et je n'en puis démêler la raison. Cette Pauvreté et ce Travail qui dansent ne désignent pas trop la vérité; a. moins que Ie Poussin ait voulu dire simplement que ces quatre états roulent et circulent sans cesse. Le même peintre, dans un second tableau, représente le Tems qui déeouvre Ia Vérité. II est fort beau, et m'a fait naïtre une idée. Pourquoi représente-t-on le tems sous 1'image d'un vieillardt II n'est pourtantni enfant ni vieux; il est toujours jeune, ou plutöt dans  EN ITALIË. l55 un age parfait. A la vérité, 1'iraage d'un vieillard avec des aïles est plus frappante et fait plus d'effet, quoiqu'elle exprime moins la rapidité. Un second tableau du Poussin passé pour représenter la peste; je n'en ai pas trop compris la composition. Les deux autres m'oht échappés ; ils me reviendront peut-être ; mais s'ils ne reviennent pas, je m'en consolerai. Le plafond de 1'église de Saint-Louis vient d'être achevé par M. Natoire; et il me paroit fort beau. On y voit Jésus - Christ dans sa gloire ; Saint-Louis qui est présenté par la Religion, derrière lequel est Charlemagne. Des Vertus soutiennent les nuages qui portent Jésus-Christ et Saint-Louis. En bas se trouve la France éplorée , auprès d'un autel; un soldat qui tient un étendard , et dans le lointain le camp attaqué par la peste. Les têtes de femme sont très-agréables et bien dessinées. On a critiquéla jambe gauche de Saint-Louis, comme trop longue et estropiée. La figure de Charlemagne me paroit froide et faire un mauvais effet. II ernbrasse un gros globe avec son bras droit : sa tête est trop petite pour un gros corps. Je trouve aussi que non - seulement Saint-Louis paroit malade, mais encore le  VOYAGE Sauveur; d'ailleurs, ces deux figures se ressemblent. Néanmoins le plafond dans son ensemble m'a fait grand plaisir (i). N°. XL . Voyage a Tusculum et a Palestrine. Arrivé a Tusculum, le 14 janvier iy56, j'examinai Pamphithéatre dont 1'enceinte , en pierre et ciment, est encore conservée. Le champ est plein de roseaux, et on appercoit quelques restes des gradins : ils avoient vingtIruit pieds ; et le plus grand diamètre de tout Pamphithéatre est de deux cent quarante. Les (0 Onjugera par ce peti't nombre d'observatio'ns qu'aucun obi jet n'échappoit a Barthélemy dans Rome. Cependant il n'a rien laissé d'une certaine étendue sur cette ville que le mémoire déja cué , qui se trouve inséré dans le vingt-huitième volume du Re eueil cle Vacadcmie des belles-lettres. Tout le reste ne consista qu'en notes mémoratives, mais sans aucune réflexion ni développement. II avoit copié toutes les inscriptions qu'il avoit vues, et cela se'ul formeroit un bon volume , et quelques-imes sont acr.ompagnées de diverses lecons. De toutes ce nombreuses notes , je n'ai pu employer que celles rapportées dans cet article , et le* deux piécédens.  XX ITALÏE. 15*7 murs du cöté du vallon étoient soutenus extérieurement par des massifs ou arcs-boutans; De ce cöté, on trouve une voüte fort large et assez haute qui passoit dans le grand diamètre dont je viens de parler. A une portée de fusil de cet amphithéatre , sur une petite hauteur , on voit un vaste édifice , nommé dans ce canton, les caves de Cicéron. L'aspect en est trés-beau : il s'étend en lar geur au-dessus d'une plaine très-fertile, au milieu de laquelle passé le chemin qui conduit a Monté Calïino, ayant au midi CastelGandolphe , a gauche Monte - Cavo ( Rocca di Tapa) , a droite un petit rideau formé par différentes collines, sur 1'une desqueiles est la maison des jésuites, oü 1'on remarque une mosaïque représentant Rome ou Pallas. Le batiment dont il s'agit présentoit dans sa face méridionale plusieurs chambres voutées et parallèles, dont la longueur paroit avoir été de trente-deux pieds , sur quinze et demi de large. Je n'ai pu déterminer ia hauteur k cause des décombres. L'ouvrage est de pierres enchassées dans de grosses couches de ciment. Les murs sont revêtus de pierres en losange , et, par ir.tervalle , d'une bande de briques. On y compte dix pièces communie  *58 TOTACE quant toutes avec une longue galerie voutée d'environ treize pieds de large. Au fond de chaque pièce est une porte ceintrée, entourée de grandes briques. De cette galerie on communiquoit a d'autres pièces vis-a-vis des premières : elles sont pleines de décombres; et quelques-unes, dont la voute est entière, paroissent n'avoir regu de jour que par la porte ; on n'appercoit aucune communication entre elles. Derrière est encore une galerie obscure , mais plus basse ; enfin, une troisième , qui 1'cst encore davantage. A droite de la première galerie sont plusieurs pièces carrées ou oblongues, la plupart privées de lumière. De la on entre dans les pièces du cöté droit, k lalueur desflambeaux; elles sont petites et enfilées les unes dans les autres. On y descend par des crevasses faites dans les voutes qui servent de plancher. L'édifice paroit en totalité avoir eté de forme carrée j et ce qui en reste , mesuré par en haut, a deux cent quatre-vingt pieds de fagade. II est tourné du coté de Rome , et on y jouit d'une vue admirable. Ce fut la vraisemblablement oü Cicéron se livroit tout entier a 1'étude de la philosophie, oü il composa ses beaux dialogues qui oat immortalisé le nom de Tus-  EN ITAEIE. l5g culum: c'est encore dans le territoire de cette villa oü Lucullus et Mecène, et plusieurs autres illustres Romains, eurent aussi des maisons de campagne; je n'ai pas eu le tems d'en faire une recherche assez exacte pour en parler d'une manière satisfaisante (1). Dans le mois de juillet de la même année, j'allai voir 1'émissaire du lac Albano, qui est a Castel-Gandolfo , presque a. 1'opposite de Palazzolo, et dont 1'ouverture peut être de douze ou quinze pieds. Voici 1'idée, que je me suis fbrmé de ce canal. II est soutenu de chaque cöté par deux murs qui, a. vingt-cinq pieds de profondeur, deviennent plus épais de quatre ïi cinq , et jusqu'a huit et demi en l'endroit oü le roe commence. L'eau entroit dans la montagne par plusieurs rangs de trous, les uns sur les autres , d'environ neuf pieds de diamètre , et creusés dans de grandes pierres. On ne peut savoir si dans 1'origine elles étoient liées avec du ciment; elles le sont actuellement. Plusieurs groschênes verts ombragent 1'entrée du canal sur lequel je ne m'arrêterai pas davantage, Jean-Baptiste Piranèse (0 Voycz Chaupj. Description de la maison de campagne d'Horace, torae II, pag. 234.  ï6*0 VOYAGE en ayant donné une exacte description (1). Dans la montagne sous le chateau du pape sont des grottes , dont une a servi autrefois de temple ou de bain. On y a élevé tout autour des murs recouverts de briques et de pierres ' en losange, orne's de niches qui sont percées de trous carrés $ ceux-ci paroissent aboutir a la montagne, et je n'ai pu en deviner Pusage. II y a une voute très-hardie, faite avec de petites pierres et du ciment. On monte au-dessus par un chemin pratiqué au fond d'une des niches ; et on y trouve une pièce sans jour qui est simplement la partie supérieure de la grotte, masquée par la voüte dont je viens de parler. Le 18, je me mis en marche pour MonteCavo. On prend par-dessus le Belveder, en cötoyant la villa Brasciano, jusqu'a ce qu'on rencontre le chemin de Monte - Castino. On va vers la Mocara, au-dessus de l'ancien Tus' culum j on se rend a Rocca-Papa. Le chemin est très-beau et entre des chataigniers. Rocca (1) Antichita d'Alba.no e di Casttl Gandolfo, in-40. Ce savans etbabile architecte a publié , depuis 1760 jusqu'en 1786, neuf ou dix grands ouvrages qu'il faut nécessaireraent lire pour bien conooicre les antiquités de Rome et de ses errvirons. di  EN ITALIË. jgj di Papa se trouve adossé a une pointe de montagne oü étoit peut-être le temple de Vénus. On traverse ce village par une montée très-escarpée ; et ayant pris sur la droite on arrivé dans cet endroit que la tradition dit avoir été le camp de César, et qui paroit être le lieu oü s'assembloient les peuples latins. C'est une plaine de figure circulaire, entourée de montagnes eouvertes de bois , et ouvertes du cöté de Tusculum, a 1'exception de la pointe de montagne qui couvre Rocca di Papa. MonteCavo est a droite. En y montant, on trouve le chemin ancien , pavé de grandes pierres et qui est bien conservé, et conduit jusqu'a la cïme. La. s'offre une plaine assez grande, au bas de laquelle sont les deux lacs deNemiet d'Albano , formant le plus bel aspect du monde. Tous deux ont la forme d'entonnoir. Celui de Nemi est plus régulier dans sa rondeur ; leur position ressemble k une lunette, et 1'isthme qui les sépare paroit d'en haut n'avoir qu'un mille. Cette plaine , qui est k peu prés de forme carrée , a du levant au couchant environ cent dix pas , et du nord au midi quatrevingt-dix. Elle pourroit avoir été autrefois plus grande et circulaire ; car autour règne Un terrain mobile, avec des débris , et terSec. part. L  jga VOYAGE miné , k une distance de vingt pas au moins," par une haie d'arbrisseaux , disposée en cercle. Je n'ai vu en cet endroit aucun mur; et on y a tellement remué les terres qüil est impossible de rien découvrir du temple de Vénus. Le 30 juillet, j'arrivai, avec le baron de Gleichen , a. Palestrine , et nous appergumes le reste de la voie ancienne qui conduisoit a. Prameste : elle a en c ertains endroits douze pieds huit pouces de large j en d'autres, douze pieds huit pouces ei dix pieds onze pouces. Palestrine, 1'ancienne Prameste, est célèbre par la mosaïque qui couvroit autrefois le sanctuaire d'un temple k Prameste. On la voit aujourd'hui dans le pal ais des princes Barberins , k Palestrine. Sa longueur est d'environ dixhuit pieds, sa largeur de quatorze pieds quelques pouces. Elle représente, dans sa partie supérieure , un pays de montagnes rempli de chasseurs et d'animaux, qui ne laissent aucun lieu de douter que la scène ne soit en Egypte. Les noms de ces animaux sont tracés en caractères grecs. Je les ai vérifiés avec d'autant plus de soin, que dansles gravures quelques-uns ne répondent pas aux animaux qu'ils désignent, que d'autres ont été omis , et que plusieurs ont été entièrement altérés.  EN ITALIË. ]j53 Dans la partie inférieure de la mosaïque on voit le Nil serpentant autour de plusieurs petites iles, des bateaux a rames ou a. voiles, des Egyptiens poursuivant des crocodiles qui se cachent dans les roseaux , des cabanes rustiques, des édifices superbes , des prêtres s'occupant de cérémonies religieuses dans leurs temples, des Egyptiennes couchées au bord d'un canal, sous un berceau, et tenant des coupes ou des instrumens de musique; enfin, une ten te superbe, auprès de laquelle un général, suivi de plusieurs soldats arm és de lances et de boucliers, s'avance vers une femme qui, tenant une palme de la main gauche, lui présente de la droite une espèce de guirlande. J'ai examiné avec la plus scrupuleuse attention chaque signe j mais je n'en donneraï point ici 1'explication, paree que je compte en faire 1'objet particulier d'un mémoire (i) (i) Ce mémoire, imprimé dans le trentième volume du Re* tueil de l'académie , pag. 5o5 , est divisé en deux parties. Dans k prermère , Barthélemy examine quel est 1'objet du monument IAinnOT, comme si on avoit voulu dire : Monnoie de Gélon , d'Archelaus, du roi Philippe. Sur celles qui ont été frappées du tems des empereurs, on le trouve quelquefois au nominatif : BASIAET2 HPOAHS, BA2IAET2 PHSKOrnOPI2. Seroit-ce des monétaires romains que les Grecs auroient appris k terminer ainsi les noms de leurs princes ? Agrippa II, roi de Judée, joignit k son nom la préposition Em , sous t comme faisoient souvent les magïstrats des villes grecques et les gouverneurs des villes soumises k Pempire. Par cette légende Eïll BA AFHOIlA, (1) In muS. D. Pellerin. (3) Frmlich. Regum veterum sumisin.  T) E S MEDAILLES.' 2^1 Agrippa avoit-il voulu déclarer publiquement qu'il ne gouvernoit son royaume qu'en qualité de lieutenant de 1'empereur. A mesure que les Romains étendoient leurs conquêtes, les principaux de chaque nation subjuguée, briguoient la protection des sénateurs accrédités. Ils prenoient leur nom et se mettoit, en quelque facon, au nombre de leurs cliens et de leurs affranchis. Cet exemple fut suivi par quelques souverains de 1'Orient. Ils crurent qu'il étoit de leur mérite ou de leur gloire de joindre a. leur nom celui des maïtres dont ils dépendoient. Polémon, dynaste d'Olba en Cilicie, et Tarcondimotus, qui régnoit dans un autre canton de cette province, se sont fait appeler Marcus Antonius sur leurs médaillesrivl. ANTQNIOT nOAEMONOS (ï) ou plutot M. ANTONIOT TAPKONAIMOTOT (2). Sauromate Ier. et Rhescuporis I". , rois du Bosphore , ont tous deux pris les noms de Tibère, Jules (3), et un Abgare, roi d'Edesse, est nommé sur ses monnoies Lucius AElius Sep- (1) Lieb. Goch. Numm. Mus. D. Pellerin. Mus. Pemp., (2) Maff. Gall. ant. , pag. 3i. (3) In mus. reg. Cary. Hist. des rois du Bosph. , pag. 43 •»t siiiv. *5  traité timius Abgarus. A. AIA, etc. II avoit pris le nom de Septimius en 1'honneur de Septime Sévère , qui régnoit alors, et vraisemblablement il devoit ceux de Lucius AElius a Pun de ses aïeux qui Pavoit pris du tems de 1'empereur Antonin ou de quelqu'un de ses successeurs (1); car il faut observer que ces noms romains ainsi adoptés et bisarrement combinés avec des noms grecs ou barbares se transmettoient aux enfans et subsistoient dans les provinces même après Pextinction des families romaines auxquelles ils étoient propres. C'est ainsi que le sophiste Polémon, qui vivoit sous Hadrien , et qui descendoit, sans doute de ces Polémon de Laodicée que M. Antoine avoit comblés d'honneurs , conservoit encore le nom du bienfaiteur de sa maison (2) dans un tems oü il ne restoit personne de la familie Antonia. En général les Grecs n'étoient connus que sous un seul nom , qui devenoit souvent commun a plusieurs princes d'une même dynastie. Presque tous les rois d'Egypte ont pris ce- (1) Spankeim. de usu et praest numism. 1 (2) Philost. Vit. Soph. Lib. I. Marm. Oxon., pag. 95 , edit. Prid. lui  BES MÉDAILLES. 27O lui de Ptolémée : trcize rois de Syrië ont porte celui d'Antiochus ; et ainsi des autres monarchies. Mais ces différens princes ne sont pas caractérisés sur les monumens par des nombresrelatifs a. 1'ordre de leur succession. O i n'y lit jamais Antiochus VI, Ptoléméè VIII, etc.; comment donc les distinguer sur leurs médailles ? par la diffërence des têtes , des titres, des époques, et par d'autres moyens que j'indiquerai dans la suite. Quelques-uns, mais en petit nombre, ont joint a leur nom celui de leurs pères. Tels sont Alexandre , roi d'Epire ; Ju ba II, roi de Mauritanië : AAE="ANAPOT TOT NEOITTOAEMOT • IVBA REX IVBAE (i). D'autres, tels que ce même Juba , Antiochus VIII, roi de Syrië, etc. , ont pet mis ou ont été forcés de permettre que les noms de leurs mères ou de leurs épouses parusstmt sur la monnoie conjoiritement avec ie leur. Nous en avons une de Cotys V, roi d'une partie de la Thrace (2), oü dün cöté Pon voit son nom autour de sa tête, et au revers celui de Rhescuporis , son parent et son al- (1) Mus. reg. (2) Carj. Hist. des rois du Bosph. , pag. j5. Sec. part. S  274 TRAITÉ lié qui régnoit dans une autre partie de ce royaume. On trouve bien rarement sur les médailles des rois les noms des magistrats ou des officiers préposés k la monnoie. Cependant sur celles de Lysimaque (i) il est fait mention d'un Scostokus et d'un Zopyrus ou Zupyrion (2) ; et sur les médailles de Juba II, roi de Mauritanië , et de Ptolémée, son fils , on voit les noms des duumvirs d'une colonie romaine établie dans les états de ces princes. Le nom d'un roi paroit quelquefois en abrégé ou en monogramme (3). Des titres de puissance. Les princes grecs régnoient a différens titres. Voici ceux que 1'on trouve sur leurs médailles : BASIAET2 , roi ; ATNA2TH2 é dynaste j APXfiN , archonte ; E0NAPXH2,< etlmarque j TETPAPXHS, tétrarque; TC- (1) Mus. reg. Goltius. Mus. reg. Lieu. (2) J'ai vu le nom de Calchas sur une médaille de Lysimaque, fausse & la vérité, mais moulée sur 1'anticjue. (3) Voyez ces articles dans le cLap.,.. . du liv  DES MEDAILLES. riAP'XHS, toparque; APXIEPETS, grandprêtre. De tous ces titres le premier est le plus ancien et le plus brillant; mais les Grecs 1'avilirent au point de Paccorder k des princes qui reconnoissoient des supérieurs , ou qui n'avoient presque point de sujets. II n'est pas facile de fixer le tems oü il commence k paroitre sur les médailles. Le père Hardouin (i) a cru que ce n'étoit qu'après Alexandre; et quoiqüil semble admettre quelque exception a. cette espèce de principe, il en tire néanmoins les mêmes conséquences (2) que s'il étoit universel et applicable a tous les cas. Spanheim (3) lui a opposé des exemples qui ne sont pas tous également décisifs, et les autres antiquaires (4) se sont écartés plus ou moins du sentiment du père Hardouin. Si le titre de roi ne commence k paroitre sur les médailles qu'après Alexandre , il s'ensuit que toutes celles qui Pofïrent a. nos yeux (1) Chronol. vet. testam. , pag. 574 , col. 1. (2) Ibid. , pag. 576 , col. 2. (3) De usu et proest, numism. Tom. I, pag. 381. (4) Froclich. 4 Tentam. , pag. 3i. Idem. Reg. vet. nuram. pag. 3- Idem. Annal. reg. syr. S 2  2.j6 TRAITÉ sont postérieures a ce prince. II est donc nécessaire d'examiner cette question; mais, comme je 1'ai dit, il n'est pas facile de la décider, paree que de tous les princes qui ont régné avant Alexandre , il en est peu dont il nous reste des médailles, et encore moins dont les médailles puissent être connues a des caractères certains. II suffira donc ici d'exposer la difficulté et les moyens de la résoudre. Le père Hardouin (1) a rapporté, d'après Paruta , deux médailles d'argent, sur lesquelles on voit le nom de Gélon , qui régnoit a. Syracuse vers 1'an 480 avant Jésus-Christ, et les deux lettres B A qu'on regarde comme les initiales du mot BA2IAE.QS. Pressé par ces exemples, il répond que ces médailles sont fausses , ou qu'elles prouvent tout au plus que le tyran de Syracuse avoit une fois en passant recu le titre de roi sur sa monnoie (2). Mais nous répondrons que depuis Paruta, ces médailles se sont multipliées dans nos cabinets ; qu'elles sont incontestablement antiques, et que s'il restoit des doutes sur les conséquen- (1) Num. pop. et urb. , pag. 154. (2) Mus. reg. et alibi. Ces médailles de Gélon appartiennent Gélon second.  DES MÉDAILLES. ces qu'on en tire, ils devroient avoir simplementpour objet les deux lettres BA, qui pourroient a la rigueur être interprêtées par tout autre mot que celui de BASlAEflS. Ce titre sé trouve encore sur les médailles (() qu'on croit avoir été frappées pour Amyntas II, roi de Macédoine , mais qui pourroient bien n'être pas de ce prince, ainsi qu'on le verra plus bas 5 sur une médaille que Goltzius rapportée k Perdiccas , fils d'Amyntas , mais qu'on chercheroit en vain dans les cabinets les plus célèbres; enfin, sur plusieurs médailles qu'on a coutume d'attribuer k Philippe et k son fils Alexandre (i). Mais il ne seroit pas impossible que les premières fussent de Philippe Aridée , et que les secondes eussent été frappées après la mort d'Alexandre, quoiqu'en son nom. II résulte de la que nous avons jusqu'a présent de très-fbrtes présomptions contre le sentiment du père Hardouin , et néanmoins qu'il ne peut être détruit que par de nouvelles découvertes. Après Alexandre on trouve des princes qui sur quelques - unes de leurs monnoies, ont (1) Spanheim. Diss. 7, pag. 378. (2) Voyez le chap de ce livre. S 3  2.7 8 TRAITÉ négligé de faire exprimer le titre de roi, quoiqu'ils le prennent sur la plupart des autres. Tels sont Antiocfms Ier., roi de Syrië ; Cassandre, roi de macédoine , etc. On' en voit aussi qui paroissent ne 1'avoir jamais recu sur les monumens; tels sont les rois de Carie et Philetare, fbndateur du royaume de Pergame. Nous tacherons plus bas d'enpénétrer la raison. Quoique le titre de roi désigne laplénitude du pouvoir suprème, quelques monarques de POrient, qui sans doute en avoient d'autres dans leur dépendance, se firent appeler rois des rois BA2IAETS BA2IAEHN. II est singulier que ce titre une fois introduit dans cette partie du monde, s'y soit perpétué pendant plus de deux mille cinq cents ans , parmi des nations totale ment différentes entre elles pour la langue, les mocurs et la puissance , et que les révolutions qui ont tant de fois cliangé la face de leurs états, n'y aient point changé les folies prétentions de leurs souverains. Seroitce que le gouvernement despotique y a presque toujours subsisté, et que dans ce gouvernement le prince doit paroitre excessivement grand, pour être excessivement craint ? Seroit-ce plutöt que les Orientaux sont plus  DES MEDAILLES. 279 constans que nous dans les usages qu'ils ont une fois adoptés ? Ce n'est pas ici le lieu de résoudre ce problême. Contentons-nous d'observer que le titre de roi des rois paroit sur les médailles de quelques princes qui croyoient tenir aux anciens rois de Perse : par exemple , sur celles des rois parthes, qui avoient, en quelque fagon , rétabli cet empire; sur celles de Pharnace, roi du Pont, qui rapportoit son origine k 1'un des seigneurs qui avoient tué le faux Smerdis; enfin, sur celles de Tigrane , qui descendoit des rois de Perse par Artaxias, un de ses prédécesseurs sur le tröne d'Arménie. Ce Tigrane, après des conquêtes la plupart facilitées par 1'extrême foiblesse de ses ennemis , réduisit aux plus viles fonctions les princes que le sort des armes avoit fait tomber entre ses mains; et en dégradant ainsi la majesté du tröne il ne rougit pas de prendre le titre de roi des rois. Quelque tems après , M, Antoine , de retour de la malheureuse expédition contre les Parthes, s'étant emparé de 1'Arménie, sans effbrt, et de la personne d'Artavasde, fils et successeur" de Tigrane , par trahison, donna ce royaume et d'autres souverainetés aux enfans de Cléopatre; et comme s'il lui avoit suffi de parcou- S 4  2.3o TRAITÉ rir en fugitif quelques provinces de 1'Orient pour éprouver tout le fanatisme du faste asiatique , il lit revivre , en faveur de ces jeunes princes , le titre de roi des rois , que Sesostris n'avoit pris qu'après la conquête des Indes : on frappa aussi des médailles oü Cléopatre fut nouioiée reine et mère de roi, REGINAE REGUM FILIORUM REGUM CLEOP A T R A E Quels titres auroit donc pris cette ambitieuse princesse si M. Antoine avoit renversé le tröne des Arsacides ? ce tröne dont les souverains se disoient frères du soleil et de la lune ; ce tröne qui enivra d'un fol orgueil non - seulement ceux qui 1'occupèrent, mais ceux qui le détruisirent. L'histoire nous apprcnd que les derniers rois de Perse, vainqueurs des Parthes, se glorifioient de distribuer aux astres la lumière dont ils brillent, et que 1'un d'entre eux, après avoir épuisó les titres usités jusqu'alors, prit celui de géant des géans. Par une suite de cette contagion, le titre de grand roi, B 2JAET2 MEFA2, quiancienne'uent suffisoit k peine pour désigner les rois de Perse, fut accordé dans la suite k quelques rois parthes, qui Pont pris sur leurs monumens. On le trouve aussi sur les médailles d'Eucratès, roi  DES MÉDAILLES. 2.8l de la Bactriane (1), d'un Agrippa, roi de Judée, de quelques rois de Commagène j et, s'il en faut croire Patin (2) et Spanheim (3), sur les médailles d'un autre prince plus petit encore , d'un Abgare, souverain d'Edesse vers le commencement du deuxième siècle. Spanheim a pensé que ce dernier a joint le titre de grand a celui de roi , paree que son nom signifie en arabe la même chose que le premier de ces titres. Mais cette étymologie est très-incertaine, et en la supposant mieux fondée, 1'application qu'on en auroit faite sur la médaille seroit froide ou du moins inutile. II est plus naturel de penser que ces petits souverainsavoient emprunté ces titres superbes des rois des Parthes , ou que les Romains leur avoient ordonné des'en revêtir pour confondrel'orgueilde cette nation ennemie et rivale de la leur. Quelques rois parthes semblent avoir épuisé les expressions pour donner une grande idée de leur puissance. Ils ont pris le titre de grand roi des rois, BASIAEHS BA2IAE&N MEr (1) Mus. D. Peller. Mus. Petropol, (2) Pat. Num. imp., pag. 227. (5) Spanh. Tom. I, pag. 535,  502 TRAITE TAAOT , et Pharnace, roi du Pont, a suivi cet exemple (1). II faut convenir cependant que sur ces médailles le mot MErAAOT peut absolument se rapporter au nom du prince , et qu'on pourroit expliquer leurs légendes de cette manière : Du roi des rois le grand Arsace ; du roi des rois le grand Pharnace. Les auteurs anciens ont souvent confondu le titre de dynaste ATNA2TH2 avec celui de roi. Mais on doit les distinguer. Les états d'Indibilis et de Colchas , en Espagne; ceux de Massanissa en Afrique , et de Pleuratus, en Illyrie, ayant été augmentés par la libéralité des Romains , ces princes, dit Polybe (2), devinrent véritablement rois , de dynastes qu'ils étoient auparavant. De ce passage, et de quelques autres qu'il est inutile de citer, on peut conclure que les dynastes étoient au-dessous des rois, moins par le genre que par 1'étendue de leur puissance ; et qu'a leurs différens titres étoient attachées des prérogatives plus ou moins brillantes. Peut-être que dans ce nom- (1) Morcll. Spec. Tom. I , tab. 23. 42) Poljb. Excerp. legat., pag. Si 3.  DES MÉDAILLES.' 2.83 bre il faudroit compter le droit de porter le diadême; car il est certain que les rois étoient jaloux de cette marqué d'honneur, et qu'elle ne paroït pas sur la médaille de Polémon, souverain d'un petit canton de Cilicie, la seule jusqu'a présent oü se trouve exprimé le titre de dynaste (1). Le titre d'Archonte APX£2N , qui signifie, en général, un chef, et qui dans plusieurs villes grecques désignoit une magistrature annuelle , paroït sur des médailles de cet Asandre du Bosphore qui recut d'Auguste (2) le titre de roi, au lieu de celui d'ethnarque qu'il portoit auparavant. En cette occasion, les mots ethnarque et archonte paroissent dire la même chose. Les médailles d'Asandre sont parmi celles des rois les seules jusqu'a présent oü 1'on ait mis le titre d'archonte. Lorsqu'une nation étoit gouvernée par un chef perpétuel et dont le pouvoir, quoique éminent, -étoit restreint et tempéré par celui d'un sénat ou d'un conseil public, ce chef s'ap peloit quelquefois ethnarque E0NAPXHS ; (1) Cab. de Pembr. Mus. Peller. (2) Lucian. in Longaevis. Carj. Hist. des rois du Bosphore , pag. 55.  284 TRAITÉ et c'est cette qualité qu'Hérode le Grand prenoit sur ses médailles (1) avant qu'il ent obtenu du sénat rornain le titre de roi , HPOAQT E0NAPXOT. Ces médailles sont jusqu'a présent lrs scules sur lesquelles on voit le titre d'ethnarque. Lorsqu'une nation étoit divisée en quatre parties, soumises chacune en particulier a un chef dont 1'autorité ressembloit a celle des ethnarques, ces parties s'appeloient quelqueIbis des tétrarchies, et leurs chefs des tétrarques,TETPAPXHS Et c'est ainsi que les trois nations ou tribus de Galates (2), établiesdans 1'Asie mineure, étoient dans les commencemens gouvernées par douze tétrarques, ainsi nommés paree qu'ils avoient chacun sous leurs ordres la quatrième partie d'une des trois nations. Ce titre s'étendit parmi d'autres peuples de 1'Asie, et sur-tout dans la Coelesyrie, oü il ne désignoit souvent que le souverain d'un petit canton (3) , soit que le pays eut été originairement divisé en quatre districts , soit que (1) Machab. XIII, 41 , XIV, 41. 47. Joseph. Antiq. liv. XIII, chap. 6. (2) Strab. Lib. XII, pag. 567. iZ)Plin. Lib. V, cap. 18.  BES MÉDAILLES. ' Sb85 le mot de tëtrarque fut pris dans une acception moins déterminéë. II paroït sur les médailles de Zénodore, qui commandoit dans la Batanée, et sur celles d'Hérode Antipas, et de Philippe, fils d'Hérode Iei\, roi de Judée. Lorsqu'au lieu d'avoir dans sa dépendance une nation entière, un prince n'en gouvernoit qu'une petite partie , il prenoit quelquefois le nom de toparque, TOnAPXHS), qui signifie k la lettre chef du lieu; et c'est par ce titre que sont caractérisés sur leurs médailles (1) deux souverains de la principauté d'OIba, en Cilicie, dont 1'un s'appeloit Ajax j et l'autre, Teucer. Enfin, lorsque, suivant un usage aussi ancien qu'étendu , la grande prétrise et la puissance temporelle se réunissoient sur une même tête , et que de ces deux titres sembloit résulter un pouvoir plus éminent et plus sacré, alors on ne manquoit guère de les exprimer a la fois dans les actes et sur les monumens; et c'est ainsi que sur les médailles, Antigonus de Judée a joint le titre de grand - prêtre, APXIEPET2 , a celui de roi; Polémon de Ci- (0 Mus. D. Peller.  20*6 TRAITÉ licie , a celui de dynaste ; Zénodore de Batanée , k celui de tétrarque. II faut observer ici que presque tous ces titres ne désignent bien souvent dans les inscriptions et les auteurs de 1'antiquité que des officiers subalternes et dépendans. On voyoit un roi, BA2IAEY2, parmi les magistrats d'Athènes et de quelques villes de 1'Asie mineure , des ethnarques a. Damas pendant qu'Arétas d'Arabie (1) y régnoit, et en Egypte (2), du tems qu'elle étoit réduite en province de 1'empire, des toparques (3) dans la même province et dans le même tems. Mais sur les médailles , a Fexception du titre d'archonte, tous les autres désignent des souverains dont 1'autorité étoit plus ou moins étendue. II faut observer encore que divers auteurs, ignorant le véritable titre affecté aux princes d'une dynastie, les ont quelquefois caractérisé par des titres plus ou moins honorables. C'est aux médailles qu'il faut recourir pour connoitre les prérogatives de plusieurs souverains de 1'Orient. Rien ne les empêchoit de (1) Paul. ad Cor. 2, cap. 11. (2) Strab. Lib. XVII, pag. 798. (5) Idem, ibid, pag. 787.  bes medailles. 287 s'y parer des vertus les plus brillantes. Maïs , a 1'aide de pareils monumens, ils ne pouvoient relever 1'éclat de leur dignité, sans exciter la jalousie de leurs voisins, et de Rome même, a qui les vertus des rois tributaires étoient plus indifférentes que leur puissance.' II faut observer enfin , qu'une médaille seule ne suffira jamais pour fixer la nature des titres que prenoient les rois de 1'Orient, paree qu'a mesure que leur pouvoir s'est accru, ils 1'ont énoncé par des expressions relatives, et qu'en fait d'usage, une médaille, ne déposant que pour 1'instant présent, son autorité peut k la rigueur être rejetée pour celui qui 1'a précédé ou suivi. Des titres d'honneur que les rois ont pris sur leurs médailles. Ce fut après Alexandre qu'on vit paroitre sur les médailles des rois grecs ces titres honorables que la flatterie prodigue si souvent aux princes,'et que la vérité leur accorde avec tant de réserve. Philippe de Macédoine, qui aimoit passionnement les louanges, ne mit jamais sur ses monnoies le titre de sauveur qu'il avoit recu des Thébains. Son fils, qui préfé-  288 TRAITÉ roit la renommee a la gloire, et la gloire aux conquêtes, qui cherchoit a se rendre présent a tous les lieux et a tous les tems, qui forqa les Spartiates mêmes a le regarder comme un dieu, son fds est simplement nommé sur les médailles Alexandre, ou le roi Alexandre ; soit que ce nom lui parut supérieur a tous les éloges , soit que les monnoies lui parussent de fbibles moyens pour transmettre ses prétentions a la postérité. La conquête de la Perse changea ses idéés. Le faste des vaincus se communiqua par dégrés aux vainqueurs. Ptolémée W., roi d'Egypte, et Antiochus Ire., roi de Syrië, prirent sur leurs médailles le titre de sauveur; le premier, pour avoir accordé quelque secours aux Rhodiens (1); le second, pour avoir repoussé les Gaulois qui avoient fait une incursion dans ses états. Leurs successeurs et les princes qui régnèrent dans les pays voisins, ou dans 1'Asie inineure , furent presque tous caractérisés par des surnoms particuliers. Tels sont, outre les rois de Syrië et d'Egypte , ceux des Parthes , de Commagène, de Cappadoce et de quelques souverains établis aux environs de la Syrië. Mais , au lieu que (0 App. in Syr. dans  DES M ÉD AI XE ES. 2.3 j dans les autres monarchies on ne donnoit coramunement qu'un surnom a. chaque prince, on les multiplia sans scrupule chez les Parthes et dans la Syrië, etcetabus alla si loin dans la suite qu'une pièce de métal sufïisoit a peine pour les contenir tous. L'usage d'exprimer ces titres sur les monnoies ne passa point en Europe; du moins n'en trouve-t-on aucun vestige sur celles des rois de Macédoine et de Thrace. On peut faire usage de ces réflexions pour fixer le pays et le tems d'une médaille qui, avec Ie nom d'un prince inconnu , présente un ou plusieurs titres d'honneur. On en ciierchera le pays plutöt en Asie qu'en Europe , et le siècle plutöt après Alexandre qu'avant lui. On peut se servir avec succès de la diffërence des titres énoncés sur les médailles pour distinguer des princes du même nom, et confondus quelquefois dans les auteurs. Mais on doit prendre garde que quelques-uns de ces princes ont changé de surnoms. Démétrius III, roi de Syrië, est appelé tantöt «MAOÏlATOP et tantöt ANCLE (2), sont assez rares , et valent dix a douze fois le poids. M. le baron de Riedezel parle d'un cabinet de médailles qui est entre les mains de M. le prince de Sperlinga : on trouve de ces collections dans plusieurs villes de Sicile. Dans ce (1) Jos. Morisano a publié , en 1770 , dix inscriptions de Rhegium ; mais elles fournissent peu de lumière et ne sont pas fort anciennes. (2) Elle portoit encore celui de Zancle avant d'avoirrecu la seconde colonie desMesséniensdu Péloponèse. M. Schiavo a mis au jour quelques inscriptions de cette ville. Du reste, en parlant de 1'ancienne Messine , 011 devroit toujours dire , conformement a la prononciation dorique et a 1'ortograplie des médailles , Alessane.  3o2 INSTR.UCTIONS cas, je vous supplie de vous informer, sans trop d'empressement, si le possesseur voudroit s'en déf'aire, quel prix il y met, et s'il pourroit en donner un catalogue ? Au cas qu'il ne voulut pas les vendre , il seroit important d'avoir le catalogue des seules médailles en or et en argent des rois et des villes de Sicile ; au défaut du catalogue, je me contenterai d'une note générale des principales médailles de ces rois et de ces villes. Je suppose que les moyens de remplir cette vue seroient faciles ; sans cela j'y renonce. La cöte depuis Messine jusqu'a Palerme offroit autrefois les villes de Milet, de Tindaria, d'Himère, les Thermes d'Himère oü sont des bains chauds. Si vous abordez sur ces cötes et que les paysans vous offrent des médailles, en quelque métal qu'elles soient, je vous prie de les prendre, pourvu qu'elles soient grecques. PALERME. Vous verrez dans cette ville le docteur Tardia, a qui j'ai envoyé, il n'y a pas long-tems, des variantes et des additions tirées d'un manuscrit de la bibliothèque, pour 1'édition qu'il  pour m. hou ex.; 3o3 prépare des anciennes constitutions de Sicile (1). Je lui ai aussi adressé une note des médailles qui manquent au cabinet. S'il vous en remettoit quelques-unes, je vous serois obligé de vous en charger. Les jésuites de Palerme avoient une suite de médailles de Sicile. Que sont-elles devenues ? S E G E S T E. Le baron de Riedezel, après être parti de Palerme , arriva aux ruines de Segeste. Ce sont les restes d'un temple fort ancien, d'ordre dorique. M. Dorville en a donné le dessin (2) ; mais il n'a pas marqué les dimensions de ses parties, comme Desgodets 1'avoit fait pour les antiquités de Rome , et les Anglois pour celles de Palmyre, de Balbec et de la Grèce. Votre dessinateur pourroit consacrer une journée a prendre les mesures exactes de cet édifice tant en général qu'en partie. Outre ce monument, Fazello (3) prétend (1) Barthélemy envoya encore des extraits de Novairi, sur la Sicile, que le savant Caussin fit k sa prière , et qui ont été imprimés dans le recueil des écrivains arabes , concernant 1'histoire de cette ile, k Palerme , en 1790, par les soins de M. Grégorio. (2) Sicula. Tom. I, pag. 64. (3) De rebus siculis. Liv. VII, pag.  3o4 IS6TRÜCTIOSS qu'on trouve dans la ville même un vieux temple , consacré aujourd'hui a. la SainteVierge. II se trouve des médailles de Segeste avec des légendes grecques : elles sont bonnes k acquérir pour le doublé ou le triple du poids si elles étoient en argent, pour cinq a six fois le poids s'il s'en trouvoit en or. Voici comment la légende doit être a. peu prés , ECESTAiflB; quelquefois il manque quelques lettres; quelquefois elles sont en sens contraires. Ces médailles représentent pour 1'ordinaire d'un cöté une tête , de l'autre un chien. DREPANO ou TRAPANI. A six milles de Trapani, sur le mont Erix , on voit quelques vestiges d'antiquités ; mais il paroit que c'est peu de chose. Médailles phéniciennes. Depuis Palerme jusqu'a Agrigente, on trouve des médailles phéniciennes, paree que les Phéniciens , et ensuite les Carthaginois , ont long-tems occupé cette cöte-la. Cette espèce de monumens commence a devenir très- précieuse ,  Jour at, hou el. 3o5 précieuse , et m'intéresse fort en particulier. Si le hasard vous en faisoit tomber entre les mains, je vous prie de les prendre , en vous informant de l'endroit oü elles ont ététrouvées ; mais comme il seroit possible qu'on vous présentat des médailles arabes, dont je ne me soucie pas, je dois vous indiquer les moyens de les distinguer. i°. Les médailles arabes en or et en argerit sonttrès-minces et trèsdégères. Les phéniciennes sont plus ëpaisses , et quand elles sont de la grandeur d'une pièce de 24 sous , elles ont k peu prés 1'épaisseur d'un écu de 3 livres : le prix est toujours a. peu pres le même. Celles en bronze n'ont qu'une ou deux lettres et ne valent pas grand chose : celleó en argent contiennent un , deux ou trois mots , et valent quatre ou cinq fois le poids. S'il s'en trouvoit en or avec pareil nombre de mots , même prix relativement k la matière. 20. Les lettres dans les médailles arabes sont liées entre elles; dans les phéniciennes elles sont séparées les unes des autres. 3°. Je joins ici üne planche de médaillons phéniciens en argent, frappés autrefois en Sicile, qui pourra servir de modèle. On appelle médaillons les médailles de cette grandeur la. Sec. part. V  3o6 instb.uctions Si par hasard vous trouviez celle de N°. III, oü 1'on voit du cöté de la Victoire et du cheval le mot grec AIONY2IOT , Dionusiou, de Denys , roi de Syracuse, je vous prierois d'en donner trois ou quatre louis ; les autres valent trois ou quatre fois le poids. Entre Trapani et Marsala , la., dit le baron de Riedezel (i) , on découvre une petite ile , nommée aujourd'liui Saint - Pantales , qu'on dit être 1'ancienne Motya, oü , suivant Thucydide, les Phéniciens bdtirent une ville. II faudroit savoir si 1'on y trouve des médailles phéniciennes , et de quelle espèce ? M A Z A R A. Il n'y a rien de remarquable dans cette ville; du moins je n'ai la-dessus aucun renseignement. SELINONTE. A douze milles k l'est de Mazara, on voit les ruines de Selinonte , oü sont les superbes ruines de trois temples dontDorville s'est con- (i) Voyage en bicile et dans la grande Grèce, pag. a3.    ï> O TT E. ft'i HOTJEE. 3oj fenté de donner les plans (1). Votre dessinateur pourroit en apporter de plus exacts avec les proportions du tout et des parties. Ces monumens méritent 1'attention des architectes. Fazello dit qu'il a vu trois carrières aux environs d'cü Pon avoit tiré ces pierres , et oü Pon voit encore des colonnes k demi-taillées dans le roe. L'une auprès du fleuve a. deux milles de la ville ; l'autre a quatre milles au nord dans un endroit nommé Bügilifer; l'autre a six milles a 1'ouest dans un lieu nommé Ramutiura. Ces carrières s'appellent encore Latumiae. On trouve a Selinonte des médaillons et médailles d'argent , avec cette inscription 2EAINONTION (Selinontion) , des Selinontiens. S C I A C C A. En suivant la cöte vous trouverez Sciacca, autrefois Thermae Seluntinae} .paree qu'on y trouve différentes sortes de bains. Fazello (2) parle d'un de ces bains en forme d'antre, oü (ï)Sicula, pag. yo, 71. (2) De reb. Sic-, pag. 129. V 2  3o8 instructions sont encore les débris des sièges oü les malades se tenoient. II ajoute qu'au-dessus de ces sièges sont des lettres fort effacées, que personne n'a jamais pu lire, et qui ne sont d'aucune langue connue. Seroient-elles phéniciennes ? Le baron de Riedezel (1) dit que ces lettres sont grecques j ce qui est a. vérifier. AGRIGENTE ou GIRGENTI. C'est ici que votre dessinateur pourroit exercer ses talens, sur-tout s'il est architecte. II faut détaoher de 1'ouvrage du père Pancrace , théatin imprimé a Naples en 1751, sous le nom d'' Antichita Siciliane, les planches oü sont gravées les ruines de Girgenti. Cet ouvrage a eu si peu de succès que 1'auteur, qui comptoit donner toute la Sicile , a abandonné son entreprise. Je ne sais pas ce que sont devenus ses autres dessins. Quoiqu'il en soit, ceux de Girgenti, quoique très-imparfaits , pourront vous guider quand vous serez sur les lieux. II faut y joindre les dessins qu'a donnés Dorville (2). (1) Voyage en Sicile , etc-, pag. 3o(a)Sicula, pag. 97, 99, 107-  PO UB. M. HOU El. ÓOQ Le baron de Riedezel (1) parle d'une inscription qu'on voit sur la place du Marché, et qui est, dit-il , dans une langue barbare. C'est de 1'arabe ou du phénicien. S'il est vrai qu'elle ait été tirée du temple de Jupiter Olympien , elle seroit plutöt phénicienne; et dans ce cas je vous supplie de la faire copier exactement, et s'il étoit possible de la faire mouler et de m'en faire parvenir les moules par une voie süre, vous me combleriez de joie. Au reste, outre que 1'évêque de Girgenti vous dira si c'est de 1'arabe ou du phénicien, vous pourrez vous en assurer vous-même par les régies établies ci-dessus. Si les lettres sont liées, c'est de 1'arabe ; si elles sont séparées et k peu prés semblables k celles des médailles gravées dans la planche ci- jointe, c'est du phénicien. « Cet évêque de Girgenti, dit Ie baron de « Riedezel (2), a une collection de médailles « des empereurs romains. » Je ne m'en soucie point; mais voici ce qu'ajoute le voyageur : cc Parmi les médailles grecques sont les médail« les des anciennes villes de Sicile, en argent, (1) Voyage en Sicile, etc , pag. 38. (2) Ibid. i pag, 56. V 3  OIO IlfSTKUCTIOSS « avec bon nombre de médailles puniques,' en « or. » Voila. ce qui me conviendroit trés-fort. Si cet évêque vouloit se défaire de cet article , ce seroit sans doute une belle acquisitionpour le cabinet. D'abord les médailles d'argent quatre ou cinq fois le poids; celles en or de même , pourvu qu'elles aient des lettres phéniciennes , et qu'elles en aient plus d'une ; car si elles représentoient simplement un cheval ou un pal mier , elles ne valent qu'une fois et demi le poids. Si 1'évêque ne veut pas se dé.faire de ces articles , il faudroit en obtenir une description exacte et sur-tout des médailles puniques en or. S'il ne vouloit pas abandonner cet article, sans y joindre tout le cabinet, alors il faudroit demander une noticc du tout, et 1'estimation qu'il en fait. MALTHE. Si de Girgenti vous passez a Malthe, je vous prie de ramasser des médailles de bronze qu'on y trouve souvent et qui présentent ces trois lettres föfy. Si elles sont bien conservées elles valent i5 ou 2.0 sous. Demander si c'est a Malthe ou au Gozzp qu'on les trouve. Vous y verrez la même inscription phéni-  tour m. ii ou el. 3ll cienne sur deux marbres en forme d'autels surmontés d'une borne. J'en aile moule et je 1'ai expliqué. Le chanoine Agio pourra vous dire s'il s'est découvert depuis peu quelqüinscription phénicienne , et vous donner copie de toutes celles qu'il a rassemblées. Vous pourriez vous adresser aussi a un de nos associés étrangers , nommé M. de Ciantar, supposé qu'il ne soit pas mort; car il y a plus dix ans qu'on n'a entendu parler de lui a l'académie. PHINTIA et GELA. Atrès Agrigente , en tirant vers 1'est, on trouve Alicate, Terranuova, etc. C'étoit-la qüétoit autrefbis Phintia, Gela, etc. Dorville a été jusqu'au lieu oü devoit être Gela, et n'y a rien trouvé. II prit ensuite la route de terre. Le baron de Pdedezel va de Malthe a. Syracuse. Je ne sais si on pourroit .se flatter de quelques découvertes en allant cóte k cöte depuis Girgenti jusqu'a Syracuse. V 4  3l2 ihstuctions SYRACUSE. Je ne vous dis rien de cette ville. Votre dessinateur jugera par lui-même des monumens qui mériteront son attention,, et dont quelques-uns sont assez imparfaitementgravés dans Pouvrage de Dorville; mais les médailles, sur-tout en or et en argent, avec le nom de 2YPAK02IQN ( Syracosiorum) , ne doivent pas être refusées pour deux ou trois fois le poids. II en est de même des médailles de la ville de Leonte auprès de Catane (1). C A T A N E. Le prince Riscari a une belle suite de médailles de Sicile. On ne peut pas honnêtement lui proposer de s'en défaire, mais il doit avoir des doublés qu'il seroit peut-être bien aise d'échanger contre des médailles qu'il n'a pas. (0 Barthélemy est entré sur Syracuse et sur toutes les villes anciennes de la grande Grèce et de la Sicile, dans des détails aussi curieux que complets , relativement a leur histoire numismatique, dans la partie de sa paléographie, qu'il a laissée ma-. Kuscrite,  touu m. hoüe1. 3i3 TAUROMENIUM. Les antiquités de cette ville, ainsi que celles de Catane, sont dans 1'ouvrage de Dorville, mais toujours avec le même défaut; des mesures très-vagues et très-insuffisantes. Depuis Rhegio jusqu'a Tarente, il paroit qu'il ne subsiste pas beaucoup de monumens sur cette cóte , quoiqu'elle fut autrefois remplie de villes célèbres : mais on y trouve des médailles. Par exemple, on doit découvrir du cötédeGierani des médailles des LoeriensEpizephyriens. Ces médailles sont en argent de ia grandeur d'une pièce de 12 sous, mais un peu plus épaiss^s. La plupart représentent d'un cöté une tête de Jupiter, et de l'autre un aigle tenant un lièvre dans ses serres, avec ce mot OAKP.QN, qui est le nom du peuple. II seroit important de savoir si on trouve dans le même canton des médailles de même métal et de même grandeur qui, avec ou sans le nom des Locriens, représentent d'un cöté la tête de Minerve , et de l'autre un cheval ailé ; le prix est de deux ou trois fois le poids.  3l4 ïnstructions G A U L O N I A. Le baron de Riedezel (1) place Pancienne ville de Caulonia a. l'endroit oü est a. présent Squillaci. M. Danville la met en-dega. Quoiqu'il en soit, on peut trouver dans les environs de Squillaci des médailles de Caulonia; elles sont en argent. Les plus anciennes sont grandes et minces; les autres sont, en général, plus petites et plus épaisses. Elles représentent un cerf', et une figure nue qui tient un rarneau; avec ce mot KATAONIATAN (' Kauloniatan) 3 tout au long ou en abrégé. Sur les plus anciennes un des cötés est en creux. J'en donne ici un modèle ( Voyez planche troisième, n°.IJ. CAPO COLONNE ou PROMONTOIRE LACINIUM. Sur ce promontoire étoit bati le fameux temple de Junon Laokiie , dont il s'est conservé des débris assez considérables, dit le (1) Voyage en Sicile, pag. 184.    POUR M. H O U E L. 3l5 baron de Riedezel (1). Ce fut dans ce temple que, suivant Tite-Live (2), Annibal fit placer un autel et une inscription grecque et punique contenant le détail de ses exploits. Je ne présume pas que les Romains aient été assez généreux pour laisser subsister ce monument ; mais enfin, je vous prie et vous demande a mains jointes de faire quelques recherches dans le temple et dans les environs. La découverte de cette inscription seroit la plus belle qu'on put jamais faire pour les progrès de la littérature punique et phénicienne. Dans le même endroit doivent se trouver des médailles de Crotone. Elles représentent un trépied et un aigle , 1'un ou l'autre quelquefois gravé en creux avec ce commencement de mot KPOT ( Crot) ou KPO (Cro) : deux ou trois fois le poids. Quelquefois on -y voit une tête d'Apollon ou de quelqüautre divinité. D'autres fois le nom de Crotone y est tout au long; s'il s'en trouvoient en or, deux ou trois fois le poids. (O Voyage en Sicile et dans la grande Grèce , pag. 186. (2) Liv. XXVIII, chap. 46.  3i6 ïnstrüctions S Y B A R I S. Dans le golfe de Tarente auprès de Corigliano étoit située la ville de Sybaris , dont nous avons des médailles d'argent seirïblables a. celles dont je joins ici le dessin. II seroit bon d'en acquérir, soit qu'elles f'ussent absolument semblables , ou qu'elles présentassent quelques différences pour les lettres ou pour le volume (1). T H U R I U M. Non loin de la étoit Thurium. La se trouvent des médailles d'argent représentant d'un cöté la tête de Pallas, de l'autre un taureau avec ce mot 0OTPII2N ; deux fois le poids environ. (1) Voyez les numéros II ct III de la planche troisième. Au n". II pour SY , c'est-k-dire , Sybaris , est MTf, qu'il faut lire do droite i gauche , paree que le type a été redoublé. Voyez Acad. des insc. Tom- XXVI, pag. 546.  poür m. hous1. 017 SIRIS et HÉRACLÉE. Petts loin sur cette cöte étoient situées Siris et Héraclée dont nous connoissons des médailles en argent. Toujours le même prix. En général, toute médaille grecque trouvée dans ce canton est bonne a acquérir; il en est de même des médailles qui ont un cöté en creux. Celles d'Héraclée représentent, en général , la tête d'Apollon ou de Pallas, et ,1e combat d'Hercule contre le lion. MÉTAPONTE. Ses médailles ont, pour 1'ordinaire, d'un cöté un épis, de l'autre une tête de Mars ou de Cérès. Elles sont faciles a. reconnoïtre par ce mot META. Même prix. TARENTE. Ses médailles sont assez communes en argent. On y lit le mot TAPA2 ( Taras J elles valent deux fois le poids. Sur celles en or on lit TAPANTINAN : elles sont plus rares ; on peut en donner deux ou trois fois le poids.  3l8 instructions POUR M. HOUEl.' Entre Otrante et Brindes , au village de Martanna, suivant Riedezel (1) , on trouve quantité de médailles. Si elles sont grecques, je vous prie d'en acquérir et de bien marquer l'endroit oü elles ont été trouvées. A Lecce, la maison Palmyri possède quelques médailles, dit encore ce voyageur allemand. Toujoucs même prière. II faut voir si ce sont des médailles grecques , et si on voudroit s'en défaire, le prix de celles en or et en argent est de deux ou trois fois le poids. E R I N D E S. D eux particuliers qui ont des médailles (2). même prière ; mêmes questions; même prix ; même demande pour les doublés, si on ne peut en avoir d'autres (3). (1) Voyage en Sicile, pag. 219. (2) Ibidem , pag. 22.4. - (5) Cette instruction n'a procuré aucune nouvelle acquisition «u cabinet des médailles. M. Houel se contenta d'écrire une lettre , de Catane Ie 3 juillet 1777, pour proposer 1'acliat d'une collection entière, k un prix exhorbitant. D'ailleurs, il assuroit dans cette lettre que les curieux du pays , qui étoient en grand nombre , et parmi lesquels on distinguoit le prince Biscan', ne laissoient rien écbapper de ce qu'011 pouvoit y découvrir.  MÉMOIRE SUR LE CABINET DES MÉDAILLES, PIERRES GRAVÉES ET ANTIQUES. O n s'est proposé de rassembler dans le cabinet du roi, i°. des médailles; 2°. des pierres gravées ; 3°. des antiques. Je comtnence par les médailles. Cette collection est divisée en deux classes principales , qui sont les médailles anciennes, et les médailles modernes. Les unes et les autres forment plusieurs sous-diviaions.  320 cabinet §. PREMIER, JMédailles anciennes. Les médailles anciennes se sous-divisent d'abord en médailles de villes et de rois, et en médailles romaines. Les premières, pour la plupart, ont été frappées par les républiques et les souverains de la Grèce. Les secondes par les Romains , soit avant les empereurs , soit pendant leur règne. Parcourons rapidementles différentes suites qu'elles produisent, On a placé la suite des villes k la tête de toutes les autres, paree qu'elle contient les plus anciennes médailles qui soient venues 'jusqu'a nous. Elle comprend les médailles qui présentent le nom d'un peuple ou d'une ville sans off'rir le nom d'un souverain. On y remarque sur-tout les médailles d'Athènes , de Lacédémone , de Thèbes , de Corinthe , de la plupart des anciennes républiques établies dans la Grèce proprement dite , sur les cótes de 1'Asie mineure, dans la grande Grèce (aujourd'hui le royaume de Naples) , dans la Sicile, en Crète, en Cypre, et dans presque toutes  f> E S MÉDAItlÉS, tes les fles de 1'Archipe!. On y trouve aussi plusieurs médailles frappées en Italië, dans les Gaules, en Espagne , sur les cötes de l'Afrique, de la Syrië, etc. Les médailles de certaines villes sont assez communes; celles de plusieurs autres, extrêmement rares. Toutes peuvent répandre des lumières sur la géographie ancienne, sur 1'histoire des arts , sur une infinité d'usages des anciens peuples. En les arrangeant on ne sépare pas les métaux, comme on fait pour les médailles romaines ; mais on mêle 1'or, f argent et le bronze, paree qu'il n'y en a pas un assez grand nombre de chaque espèce pour en composer autant de suites différentes. Celle du roi se monte aujourd'hui a plus de sept mille, et c'est la plus nombreuse qui existe. La plus ancienne suite , après celle des villes , est celle des rois. C'est le nom qu'on donne aux médailles des rois de Macédoine, d'Egypte, de Syrië, des Parthes, de Cappadoce, du Pont, de Thrace , en un mot, de toutes les monarchies ou dynasties anciennes. C'est-la qu'on trouve les médailles d'Alexandre, de Mithridate , et de quantité de princes plus ou moins célèbres , de quelquesSec. part. x.  322 CABINET uns même dont il n'es'c pas fait mention dans l'histoire. On y mêle les mé taux comme dans la suite précédente. Le roi est extrêmement riche dans ce genre. Après ces deux espèces de médailles viennent les médailles romaines , dont les plus anciennes sont les consulaires. Ce sont celles qui ont été frappées dans les derniers tems de la république , et qui nous donnent les noms des principales families romaines. Elles fbrment dans le cabinet la troisième suite , qui est assez belle , mais qui est su6ceptible d'augmen tation. La quatrième est celle des empereurs , en or. C'est la plus précieuse de toutes celles qui sont en Europe , pour la rareté , la conservation , et le nombre des médailles qui passé deux mille cinq cents. Elle commence a Jules César , continue jusqu'aux derniers empereurs de Constantinople , et comprend ainsi les médailles de la plupart des empereurs , impératrices et césars qui ont paru sur le tröne pendant quinze siècles. On a placé a la tête tous les médaillons en or qu'on a pu trouver de ces princes. C'est le nom qu'on donne aux plus grandes médailles. Elles sont infini-  DES MEDAILLES. 3^.3 inent plus rares que les autres, et pr^sque toutes d'un extréme cherté. On en trouve a peine cinq ou six dans les plus belles collections. II y en a au cabinet du roi plus de quarante. La cinquièrne suite est celle des empereurs, en argent. C'est en quelque fagon la répétition des médailles en or j mais elle est plus nombreuse , et 1'on peut la pousser plus loin, paree que dans tous les tems et dans tous les lieux on a frappé plus de monnoies en argent qu'en or. Les médailles les plus rares s'y trouvent. Les sixième , septième , huitième et neuvième suites comprennent toutes les médailles de bronze des empereurs romains. D'abord les médaillons ou les plus grandes médailles, ensuite celles de grand bronze, de moyen bronze et de petit bronze. Ces trois dernières répondent, en quelque fagon , pour Ia grosseur, a nos pièces d'un sou, de deux Hards ei d'un liard. Toutes les suites en bronze sont extrêmement précieuses pour le nombre et la rareté des médailles. X a  324 cabinet §. I I. Médailles modernes. Cette classe de médailles se sous-divise en médailles proprement dites, en monnoies et en jettons. La suite des médailles contient celles qu'on apu rassembler, en or et en argent, de toutes les monarchies modernes , telles que la France , PEspagne , 1'Angleterre , 1'Empire , la Suède , le Dannemarck , la Hollande , etc. On commenga cette collection du tems de M. Colbert. Nos ministres dans les cours étrangères furent chargés d'envoyer au cabinet les médailles en or et en argent qu'on y frappoit successivement , et celles qu'on y avoit frappées auparavant. A la mort de M. Colbert, cette correspondance fut interrompue , et faute de moyens, la suite des médailles modernes, devenue très-riche par ses soins, resta a peu prés dans l'état oü il 1'avoit laissée. La suite des monnoies comprend de même celles de France et celles des puissances étran-  i»es médailles: 3a5 geres : elle est assez nombreuse; cependant on pourroit la pousser infiniment plus loin. La suite des jettons comprend ceux qui ont été frappés pour nos rois, pour les cours supérieures , pour différens corps et différens particuliers. C'est la partie du cabinet que Ton consulte le moins. Cependant elle peut être utile pour les généalogistes, et dans la suite plusieurs families seront bien aises d'y trouver les noms de leurs ancêtres et les titres de leur origine. Dans la collection des médailles, des monnoies et des jettons, on ne trouve que des pièces en or ou en argent. On n'a pas cru devoir s'attacher aux pièces de bronze. Après avoir donné a M. le Noir une idée succincte des différentes suites qui composent le cabinet, je dois mettre sous ses yeux les moyens que 1'on doit employer soit pour les perfectionner, soit pour les conserver dans le meilleur ordre possible. X 3  326" c a b i -n e t §. I I Li Moyens de perfectionner ces suites par des acquisitions. Qüoiqtje le cabinet du roi soit, sans contredit, le premier de 1'Europe , il n'est point de suite dans 1'antique et dans le moderne qui ne soit susceptible d'augmentations. II n'y a que deux voies pour se les procurer , ou d'avoir recours au fonds de la bibliothèque , ou d'obtenir des ordonnances sur le trésor royal. La première seroit une foible ressource et suffiroit a peine a quelques légères acquisitions journalières ; par la seconde , on peut avoir des cabinets entiers, et il en résulte deux avantages considérables, le premier , que ces cabinets enrichissent celui du roi dans toutes ses parties ; la seconde s qu'ils procurent beaucoup de médailles doublés qui servent a des échanges continuels et par le moyen desquels on acquiert des médailles qu'on n'auroit pas avec de 1'argent. Quelques exemples prouveront ce que je dj§ 5 et Je ies rapporte avec d'autant plug de  DES MEDAILLES."1 3^7 plaisir qu'ils raettront M. le Noir en état de connoïtre les opérations en ce genre qui depuis une quarantaine d'années se sont faites au cabinet. Deux ou trois ans avant la mort de M. de Boze, mon prédécesseur, on obtint une ordonnance de 20,000 livres pour 1'acquisition d'une riche collection de médaillons de bronze et de médailles de grand bronze , qui , du cabinet de JVI. 1'abbé de Rothelin, avoit passé a celui de M. le marquis de Beauveau. Environ quatre cents médaillons et deux mille médailles insérées dans les suites du roi, les augmentèrent 1'une et l'autre du doublé. II en reste encore une assez grande quantité parmi les doublés, mais la plupart trés-communes, car les plus précieuses des médailles inutilcs qu'avoit procurées cette collection ont servi pendant long-tems a. des acquisitions particulières. En 1755, nous obtinmes ure ordonnance de 22,000 livres (1), pour acheter le cabinet (1) Le cabinet avoit été estiraé et ne couta en effet quo 18,000 livres ; mais comme 1'héritier vouloit être payé sur-lecbamp , et que le trésor royal étoit sans fonds , M. le comte d'Argenson me proposa d'obtenir de 1'héritier qu'on le payat par quartiers, et dans 1'espace de quelques années , a coadi- x 4  3^3 CABINET de M. Cary, de '/académie de Marseille.' Cette acquisition fut d'autant plus utile que ce cabinet renfermoit toutes sortes de suites, que j'en tirai pour celui du roi plus de cent vingt médailles impériales en or , et quantité de médailles grecques de villes et de rois. Le reste fut destiné a. des échanges. La même année , le roi m'envoya en Italië pour la recherche des médailles qui manquoient a son cabinet. Je portai avec moi les plus beaux médaillons et les plus belles médailles que je pus trouver parmi les doublés de M. le marquis de Beauveau, et je m'en servis pour en rapporter, en 1757, environ trois cents médailles, dont quelques-unes tion qu'au Keu de 18,000 livres, on lui en donneroit 22,000 li, vres. L'héritier y cousentit d'abord. L'prdonnance fut expédiée ; mais l'héritier ayant ensuite retiré sa parole , je fus obligé de lui envoyer 18,000 livres, que M. de Fontferrières mc fit 1'amitié de me préter , dont il ne fut remboursé que deux ans après , et dont il ne voulut retirer aucun intérèt. Les 4,000 li, vres restantes furent déposées entre les mains de M. de la Court. Elles furent depuis employees a divers objets relatift SU cabinet, il 1'exception d'une gratification de 1,200 livres, que je n'avois pas demandée , et que M. Ie comte de SaintPlorentin me donna pour me dédommager des dépenses que j'aypjs faites dans mon voyage (1'Italie, et cru; se montoien? fteaucoup plus haut,  BES MÉDAILLES.' 3^9 étoient uniques , et presque toutes précieuses par leur rareté. Quelques années après , avec 1'agrérnent de feu M. Bignon , je m'associai avec M. du Hodent, qui est mort depuis, et M. le controleur-général nous accorda une ordonnance de 20,000 livres pour aclieter la superbe suite d'environ douze cents médailles impériales en or, qu'avoit formée M. de Clèves, et qui fut vendue 5o,ooo livres. On ne nous donna au trésor royal que des papiers qui perdoient environ un tiers sur Ia place. Cornme Ia somme qu'ils produisirent ne suffisoit pas pour prendre dans la suite de 3M. de Clèves, toutes les médailles qui manquoient au cabinet , je donnai en échange la plupart des médailles doublés en or que nous avoit procurées le cabinet de M. Cary. La plus grande acquisition qui se soit faite en ces derniers tems , est celle du cabinet de M. Pellerin, le plus ricbe qui fut en Europe après celui du roi, le plus célèbre par le soin qu'avoit pris le possesseur d'en publier les principales médailles et de les accompagner de notes dans un recueil composé de plusieurs volumes. Ce cabinet, acquis en 17761 couta 3oo,ooo livres. C'est par de pareilles opérations et par des  33o CABINET correspondances établies dans les pays étrangers , suivies avec soin pendant une longue suite d'années et entretenues par la voie des échanges, que je suis parvenu a. augmenter du doublé le cabinet des médailles du roi , et a. le porter a un point qu'il ne sauroit être égalé par la réunion de toutes les collections qui sont en Italië. II peut se trouver encore des occasions oü il faudroit faire un effort pour acquérir de ces médailles singulières que le hasard ne présente qu'une fois. II en manque plusieurs de cette espèce dans toutes les suites, et même dans celle en or qui est la plus riche de toutes ; car 1'on connoit quelques empereurs ou césars dont nous n'avons aucune médaille en ce métal, soit qu'on n'en ait pas encore découvert , soit qu'elles n'existent que dans un ou deux cabinets dontil est impossible de les arracher. Telle est, entre autres, Ja médaille unique d'Agrippa que j'ai vue en Italië , et que je ne pus acquérir malgré les offres avantageuses que je proposai. Lorsqu'il se présente de pareilles médailles, on ne doit pas s'arrêter au prix et hésiter a en donner 3o ou 4o louis; quand la médaille existe déja dans un ou deux cabinets, 5o ou 60 , et même  DES MEDAILLES. davantage quand elle est unique. J'eus pour 800 livres une médaille de 1'empereur Vetranio , en br, que j'achetai a Marseille ; mais je portai k i,5oo livres celle d'Uranius Antoninus , que je pris dans la suite de M. de Clèves, paree qu'on n'en connoissoit pas d'autres. II faut avoir la même attention pour les médaillons des empereurs, en or, qui sont extrêmement rares. Un des derniers que j'ai acquis est de 1'empereur Domitien. II est unique. J'en donnai 1,000 livres, et je crus l'avoir a bon marché. Parmi les objets d'acquisition qu'on pourroit avoir en vue , il n'en est point de plus important et de plus avantageux que le cabinet de M. d'Ennery. II contient dans toutes les espèces de suites de médailles précieuses qui manquent au cabinet; mais il sera tems de s'occuper de cet objet , s'il est mis en vente (1) après la mort du possesseur. Comme les médailles anciennes sont la partie la plus utile , et a tous égards la plus précieuse du cabinet, elles ont toujours dü fixer (1) Cette vente a été faite en 1788 ; et environ cinq cents médailles y ont été acquises , au prix de 11,000 livres, pour le. cabinet aujourd'hui natioual,  333 CABINET la principale attention de ceux qui en avoient ia garde, et ils n'ont jamais eu assez de secours pour augmenter la collection des médailles modernes. J'ai déja dit que les différentes suites dont elle est composée furent interrompues vers la fin du dernier siècle. On ne les avoit pas reprises depuis, et j'avois toujours pensé qu'il n en couteroit pas infiniment pour les comPletter; persuadé que, si on pouvoit les condmre jusqu'a nos jours, il seroit ensuite trésaise , par le moyen de nos ambassadeurs , de les entretenir, et d'obtenir les médailles qui paroitroient successivernent dans les pays étrangers. Feu M. Bignon père adopta cette idee. Nous commencames par la Suède et le Dannemarck : je donnai une note des médailles qui avoient été frappées dans ces deux royaumes , et qui manquoient au cabinet. M. Rouillé, alors ministre des affaires étrangères, envoya la note a nos ambassadeurs aux cours du Gopenhague et de Stockholm , et les chargea de faire la recherche de ces médailles. Ses ordres furent exécutés avec soin • les suites des médailles de Suède et de Dannemarck , devinrent aussi parfaites qu'elles pouvoient 1'être; mais quoique nous n'eus-  des médailles: 333 sions demandé que des médailles en argent, ces deux objets réunis coutèrent environ 20,000 livres; et comme on fut effrayé de cette dépense, on nous annonga qu'il falloit, pour le présent, renoncer au projet de corapletter les médailles des autres états de FEurope. On pourra peut-être le reprendre dans des tems plus favorables, et alors il faudra y joindre celui d'obtenir une ordonnance pour avoir au moins en argent les médailles et autres pièces que 1'on frappe journellement au balancier. La suite des monnoies n'est pas moins imparfaite que celle des médailles modernes. J'ai profité de toutes les occasions pour augmenter la suite des monnoies de France. M. de Macliault en avoit formé une trois fois plus nombreuse que celle du roi. Quand il voulut s'en défaire , je donnai un mémoire pour nous en procurer 1'acquisition. Ce mémoire ne produisit aucun effet. La cour des monnoies acquit cette belle suite , et c'est un avantage qu'elle ne soit pas sortie de Paris. II pourra survenir des circonstances plus heureuses. Comme le cabinet du roi subsiste toujours , on ne doit avoir regret qu'aux richesses dont les étrangers nous dépouillent.  334 c a b i k e t II circule si peu de jettons dans le coirimerce , et si peu de gens s'attachent a cette espèce de curiosité , qu'on n'a jamais cru devoir se donner beaucoup de soins pour en augmenter la suite. Cependant je ne 1'ai pas négligée , quand le hasard m'a présenté des pièces singulières et historiques. §■ IV; Moyens de conservation. Après avoir parlé des moyens d'augmenter les différentes suites du cabinet, il faut parler de ceux qu'on dolt employer pour les conserver. Le premier est de ne jamais songer a rendre le cabinet public. Chez aucun souverain de PEurope, les médailles rte sont exposées indifféremment aux yeux de tout le monde. Autrefois en Italië , on les entouroit d'un cercle de corne ou de métal. On les attachoit ensuite les unes aux autres par de petites baguettes de fer d'un pouce de longueur, et après en avoir formé un cordon qui ressembloit a une espèce de broche, on les placoit  DES MÉDAILLE S. 335 dans des caisses de bois couvertes d'un chassis de verre. Une maniveile adaptée a. chaque cordon étoit placée hors de la caissse , et servoit a. présenter tour a. tour aux yeux du spectateur les deux cötés de Ia médaille. J'ai vu a Naples une partie du cabinet Farnèse encore disposée de cette étraUge manière. Au Vatican , oü 1'on avoit commencé a rassembler une suite d'environ quatre cents médaillons en bronze , on avoit pris le parti de les enchasser dans des trous creusés dans des tablettes de bois ; ils y tiennent par deux pointes qui leur permettent de tourner. Un domestique est chargé de les montrer aux étrangers; mais on s'est trouvé f'orcé d'abandonner cette méthode pour les acquisitions que 1'on a faites depuis, paree qu'elle est aussi impraticable pour les grandes collections que celle des broches et des caisses. La nécessité oü 1'on est de ménager le terrain , de déranger souvent les médailles pour faire place aux nouvelles acquisitions , de les prendre entre les mains pour les examiner de prés , a forcé par-tout les gardes a les distribuer dans des tablettes, d'oü il seroit trèsaisé de les enlever ou de substituer une médaille commune a une médaille unique, si des  335 CABINET yeux attentifs ne veilloient pas k leur cónservation. Le danger est si imminent, que feu M. de Boze, mon prédécesseur, s'étoit fait une règle très-sage de ne montrer que rarement le cabinet; persuadé qu'il ne devoit être ouvert que pour les savans qui vouloient y puiser des lumières , pour les artistes qui venoient y cherclier des modèles de gout, pour des étrangers connus et des personnes de considération a qui il étoit convenable de donner une grande idée des beautés de la bibliothèque. Après sa mort, je me laissai entrainer k un zèle de novice. J'avois quelquefois entendu des plaintes sur la difficulté de pénétrer dans ce sanctuaire ; pour les prévenir, j'en rendis 1'accès plus facile , la foule y aborda. On s'y rendoit tous les jours, k toute heure, et j'avois souvent des compagnies de quinze ou vingt personnes qui dans un instant dépouilloient une tablette entière. J'ai été assez heureux pour ne rien perdre dans cette confusion, mais je n'ai jamais montré le cabinet sans être pénétré de frayeur et sans y remonter eusuite pour vérifier les objets que j'avois exposés a tant de regards. Le concours devint ensuite un peu moins fréquent. J'avois déclaré a ceux qui me demandoient des ren- dez-vous,  DES MÉDAILLES. 33^ dez-vous, que je ne recevrois qu'une certaine quantité de personnes a la Ibis; et de plus , la curiosité de cette fbule de gens oisifs qui croient aimer les lettres et les arts avoit été satisfaite, et le dégoüt qu'ils avoient éprouvé él'abord , me sauvoit d'une seconde importunité de leur part.' II y vient encore assez de monde aujourd'hui, et peut-être même n'en vient-il que trop. Mais quel parti prendre? A quel signe peut-on distinguer ceux qu'on doit admettre et ceux qu'on doit refuser ? Tout le monde est admis k des jours fixés dans les bibliothéques publiques, paree que la plupart ne veulent que parcourir les galeries, paree que rien ne s'y trouve a portée d'êtrefacilement enlevé. J'avois d'abord pensé qu'on pourroit de même, k certains jours, ouvrir le cabinet: mais a Paspect des armoires, on seroit tenté de voir ce qu'elles contiennent, et, dés ge moment, le refus exciteroit les plus grandes plaintes et la complaisance les plus grands dangers. II faut donc s'en tenir au point oü nous sommes, et s'en rapporter uniquement a la vigilance des préposés k la garde des médaüles. Le second moyen de conservation consiste Sec. part. Y  338 CABINET a placer les médailles dans le meilleur ordre possible, et a s'assurer, par des catalogues exacts, des médailles qui existoient auparavant, et de celles dont on fait par intervalles 1'acquisition. Pour montrer a M. le Noir comment ces vues ont été remplies , et lui donner en même tems 1'idée du travail qu'exige la manutention du cabinet, il est nécessaire d'entrer dans quelques détails. Le cabinet de médailles venoit d'être transporté de Versailles a Paris, lorsqu'en 1745, je fus adjoint a. M. de Boze. II avoit déja placé une partie des suites dans les armoires, je placai l'autre sous ses yeux ; mais plusieurs d'entre elles avoient besoin d'être remaniées. M. de Boze avoit fait des acquisitions considérables que son age, ses infirmités, son séjour a Paris, oü sa place de secrétaire de l'académie des belles lettres le tenoit fixé, ne lui avoient pas permis d'incorporer dans les suites du roi. Telle étoit, entre autres , celle du maréchal d'Estrées, consistant soit en médailles de villes et de rois , soit en médaillons des empereurs. Nous entreprïmes cette incorporation; elle dura plusieurs années. On ne sera pas surpris si 1'on fait aftention aux pré-  des medailles. 33q cautions qu'exige ce genre de travail quand on veut y apporter de 1'exactitude. Quand il s'agit d'enregistrer un livre , le titre suffit presque toujours pour indiquer 1'objet dont il traite , et la place qu'il doit occuper dans une bibliothèque. II n'en est pas de même des médailles. Un ou deux exemples feront sentir cette différence. Douze ou treize rois d'Egypte , successeurs d'Alexandre, et ce sont les seuls dont nous ayons les médailles , ont pris le nom de Ptolémée : mais comme 1'usage n'étoit pas alors d'ajouter a ce nom le nombre Ier. , II, III, comme on fait aujourd'hui, et que ces médailles , ou n'ont point de dates, ou ne contiennent que les années du règne de chaque prince, a 1'aspect d'une médaille oü le nom de Ptolémée se trouve gravé, on hésite auquel des rois d'Egypte il faut 1'attribuer; si 1'on consulte les antiquaires , la diversité de lenrs opinions ne sert qu'a augmenter 1'incertitude. On est donc obligé d'employer toutes sortes de combinaisons pour approcher de la vérité. Tantöt ce sont des épithètes que les auteurs et les médailles donnent au même prince , tantöt les années du règne ou les traits du visage empêchent de rapporter une médaille a Y a  34<3 CABINET un prince qui est .mort jeune 5 d'autrefois on est obligé de suivre les progrès de la gravure, afin de ne pas mettre a la tête d'une suite , une médaille qui ne doit être qu'a la fin. La plupart des médailles des anciennes monarchies présentent ces difficultés que 1'on ne rencontre pas moins sur les médailles de villes. Plusieurs de ces villes ont porté le nom d'Antioche, d'Apollonie, d'Héraclée, et n'ont tracé sur plusieurs de Ipurs monnoies aucun titre, aucune qualité qui servit k les distinguer les unes des autres. Telles sont les discussions pénibles et longues dans lesquelles on doit nécessairement s'engager. Je ne parle pas des médailles dont les légendes sont a demi-eftacées et dont il faut restituer la véritable legon , ni de celles qu'on a quelque raison de soupgonner de f'ausseté, et qu'il faut examiner k plusieurs reprises. Je sais qu'on est forcé quelquefois de rejetter ces médailles dans la classe des douteuses et incertaines. Mais pour en avoir le droit, il faut 1'avoir acquis a force de recherches inutiles. Si a. ces difficultés 1'on joint les correspondances qu'on doit entretenir avec des curieux et des savans étrangers , soit pour acquérir  BES MÉDAILLES. 3^1 des médailles qui sont entre les mains des premiers , soit pour donner aux seconds les éclaircissemens qu'ils demandent, on verra aisément que le travail du garde des médailles n'est pas un travail passager et mécanique, mais une occupation et une etude continuelle dont 1'objet est de perféctionner le dépöt confié a. ses soins et de le rendre aussi utile qüil peut 1'être. Après avoir incorporé les suites du maréclial d'Estrées avec celles du roi, il fallut en faire des catalogues. On les dressa sur un nouveau plan. Dans les anciens, on laissoit après cliaque ville , cliaque roi, chaque empereur, un espace en blanc , pour inscrire les médailles qu'on ajoutoit; mais il résultoit de la qu'elles n'étoient pas dans leur rang, et il n'y avoit plus de correspondance exacte entre 1'ordre du catalogue et celui des médailles placées dans les tablettes. M. de Boze proposa de rnettre dans cliaque catalogue tous les articles a la file les uns des autres sans espace intermédiaire , et de rejeter dans des supplémens les médailles dont on fèroit 1'acquisition. Cette idée fut exécutée. II n'entre pas une médaille dans les suites du roi qu'elle ne soit décrite aussitöt dans Y 3  34^ CABINET le supplément. A cöté de la descrïption est une note qui renvoie a la page et au réglet du catalogue ; une autre note est placée dans l'endroit du catalogue indiqué par le premier renvoi. De manière qu'il est très-aisé de confronter le catalogue avec la suite des médailles." On s'est si bien trouvé de cette méthode , dans la pratique , qu'a mesure qu'on a fait de grandes acquisitions, on a pris le parti de jrenouveller plusieurs des anciens catalogues. Comme on exige de la part du qopiste de 1'exactitude et de la propreté , ce reuouvellement a pris beaucoup de tems, et seroit actuellement terminé si 1'acquisition du cabinet de M. Pelïerin ne nous avoit engagé dans un travail plus long et plus difficile que tous ceux qu'on avoit entrepris. Dans l'état actuel des choses le cabinet est dans un très-bel ordre. II n'y a pas une seule médaille qui ne soit inscrite , placée et facile a. trouver. Je n'en excepte qu'un seul article trés-peu important, trèspeu nombreux , qui concerne les monnoies des Indes , et dont on s'occupera aussitöt après 1'insertion entière des médailles de M. Pellerin. Je n'en parle même ici que pour ne rien laisser ignorer a M. le Noir de tout co qui regarde mon administration.  des medailles. 34i V. Des pierres gravées. En France, aïnsi que chez tous les souverains de 1'Europe, les pierres gravées sont jointes aux cabinets des médailles, et cela. ne peut être autrement puisque les unes servent a. éclaircir les autres, paree qu'elles ont toutes le même objet et exigent les mêmes connoissances. Lorsqu'on transporta le cabinet des médailles a Paris, il y a environ quarantecinq ans, le feu roi conserva dans son cabinet les pierres gravées. Le roi vouloit les envoyer a. la bibliothèque. M. d'Angeviller proposa de les faire nettoyer, et les a gardées ; mais il est impossible qu'elles ne soient réunies tot ou tard aux médailles (1). (0 En effet , les pierres gravées ont été transportèes k Pa» ris, et réuiiies au cabinet des médailles, dans le mois de juin. '791- T 4  >i4 4 . CABINET §.• y i.' Des antiques. Cette collection est clestinée k rassembler les têtes, les bustes, les instrumens , les vases , les tombeaux , tout ce qui a servi, soit au culte sacré, soit aux usages de la vie civile parmi les Egyptiens , les Étrusques, les Grecs, les Romains et les divers peuples de 1'antiquité. II ne paroït pas que dans 1'institution du cabinet des médailles on se fut proposé d'y joindre une suite de figures antiques. On rassembla celles que le hasard offroit et qui méritoient quelque considération. Dans la suite, on fit quelques légères acqui» sïtions ; mais on étoit tellement éloigné de regarder cet objet comme essentiel, qu'en faisant construire un sallon pour les médailles, on négligea d'y joindre un sallon pour les antiques , dont le nombre s'est singulièrement augmenté et enricln par le cabinet de feu M, le comte de Caylus. Par un zèle infiniment respectable, M, le comte de Caylus avoit posi^  DES MEDAILLES. 345 fcivement déclaré, dans la préface de son premier volume des antiquités , qu'il destinoit au cabinet du roi les monumens qu'il rassembloit. En conséquence, il en fit deux envois pendant sa vie, et après sa mort nous recueillimes tout ce qui en restoit, autorisés par un article de son testament. II faut observer qüon ne trouvera point au cabinet des antiques tous les monumens que M. le comte de Caylus a publiés de son cabinet. II lui est arrivé plus d'une fois de céder les pièces qu'il avoit, aux prières de ses amis; de les éclianger contre d'autres dont il vouloit enrichir sa collection. J'ai été plus d'une fois témoin de semblables opérations, et pour nous mettre en. règle a cet égard, a mesure qu'il nous revenoit des portions de son cabinet , nous en prenions une note exacte et relative a ses planches gravées. Ces notes , jointes au catalogue des monumens qui existoient auparavant dans le cabinet, suffisent pour constater tout ce qu'il renferme aujourd'hui. La collection est placée dans une espèce de galletas au-dessus du cabinet des médailles. II auroit fallu monter toutes les pièces sur des piédouches , et les renfermer dans des ar-  CABINET moirés propres , partagées en plusieurs planches avec des portes de glacé pour les garantir de la poussière. Mais comme la dépense auroit été considérable, que des besoins plus pressans ont toujours absorbé les fonds , que ce recueil, tout nombreux qu'il est, n'est pas bien précieux, et qu'enfin le projet de trans-? porter la bibliothèque au vieux Louvre ou ailleurs a toujours fait espérer qu'on y destineroit une salie pour les antiques, on s'est contenté en attendant de les disposer sur de longues tables oü 1'on a taché de mettre 1'ordre dont elles étoient susceptibles. Un autre inconvénient qui résulte de'Remplacement actuel, c'est qu'on n'y peut placer les grands morceaux de marbre, comme autels, tombeaux, jambes et autres trongons de statue qui, par leur énorme pesanteur, écraseroient le plancher. On avoit été obligé de les entasser dans des espèces de bouges qui sont le long de 1'escalier. On les fit depuis transporter chez M. le duc de Caylus, qui avoit obtenu de M. le duc de Ia Vrillière de jouir, pendant sa vie , des antiques que feu M. le comte de Caylus avoit laissées a sa mort. On y joignit plusieurs pièces de bronze, et M, le  DES 51 É I) A I I 1 E S.' duc de Caylus a donné une reconnoissance du tout. Elles sont revenues après sa mort au cabinet. En jetant un premier coup-d'osil sur cette quantité d'antiques qui sont au cabinet, on seroit tenté d'en concevoir une assez haute idée. II renferme sans doute des morceaux précieux et utiles pour la connoissance des arts et des usages anciens, mais la plus grande partie ne présente a 1'examen que des débris ïnformes et de peu de valeur. M. le comte de Caylus n'étoitpas fort scrupuleux dans le choix de ses acquisitions, et ne devoit pas 1'être pour 1'objet qu'il se proposoit. Clous, vieilles clefs, pots cassés, il ramassoit tout, et nous sommes obligés de tout conserver, puisque nous devons respecter ses volontés. II auroit été facile d'embellir ce recueil par des correspondances établies en Italië, oü il est bien plus aisé qu'en France de faire des découvertes en ce genre ; mais 1'on a toujours pensé que les antiques n'étoient qu'un accessoire , et que la principale attention, la première dépense devoit se porter sur les médailles, qui sont plus instructives et qui font, pour ainsi dire , la base du cabinet. II faut donc laisser cette partie du dépöt  cabinet dans l'état oü elle est, et n'acquérir, quand 1'occasion s'en présente, que des morceaux remarquables par leur beauté ou par les lumières qu'on en peut tirer. §. V I I, Diverses remarques. Après avoir parcouru ces différentes classes , je ne puis me dispenser de proposer ici quelques réflexions qui intéressent le cabinet ou ceux qui en ont la garde, et je me fais un plaisir de les soumettre entièrement aux lumières et k 1'équité de M. le Noir. Je ne parle pas du dessein oü 1'on étoit d'abord de placer des rideaux aux fenêtres du cabinet des médailles. Je sens bien qu'il ne faut pas s'occuper de moyens de décorations, quand on est a. peine en état de fournir a 1'entretien. Mais il est indispensable de continuer a faire des tablettes pour contenir les médailles. On a été obligé d'employer quand on 1'a pu celles qui étoient a Versailles, et comme leur forme ne s'adaptoit pas aux nouvelles ar-  BES M EDA IEEE S. 3/^ moirés, il a fallu les rogner en tout sens, ce qui produit un très-mauvais effet. De plus, elles ne suffisoient pas. Nous avons des tiroirs entiers qui en sont privés et dans lesquels les médailles sont presque entassées les unes sur les autres. Cette dépense se fait petit a petit. J ai dit plus liaut qu'en acquérant des cabinets entiers, les médailles qui se trouvoient déja dans celui du roi, étoient rejetées parmi les doublés, et que 1'on s'en servoit pour des échanges; j'ajoute qu'on n'en a jamais fait de catalogues, et qu'il seroit impossible d'en faire. Ce travail exigeroit un tems considérable, et deviendroit ensuite inutile, puisque ces doublés ne doivent pas rester au cabinet. De plus, la plupart des médailles doublés en bronze sur-tout, ne valent que le poids, c'est-a-dire, un Hard, un sou , etc... C'est ici qu'il faut s'en rapporter uniquement a la probité du garde des médailles. II exerce un ministère de confiance : s'il étoit capable d'en abuser, il auroit mille moyens de déguiser ses larcins. Cependant j'ai en de pareilies occasions pris une note des médailles doublés en or , et mis en marge 1'emploi que j'en ai fait. Tant que les médailles ont été a Versailles on faisoit peu d'acquisitions , et peu de gens  35o CABINET demandoient a les voir. Un seul homme suffisoit alors pour en avoir soin. Quelques années après qu'on les eut transportées a Paris, on me donna pour adjoint a M. de Boze. Après sa mort je partis pour 1'Italie, et le cabinet fut fermé pendant deux ans. A mon retour, je remplis seul, pendant environ douze a treize ans, les fonctions de la place, devenue tous les jours plus pénibles par les grandes acquisitions qui se faisoient journellement et par 1'affluence du monde qui venoit au cabinet. Je deinandai enfin , de m'associer Pabbé de Courcay, mon neveu , soit pour m'aider dans mon travail , soit pour se mettre a portée de me remplacer un jour. II travailla quelques années avec moi sans avoir d'appointemens , et nous obtïnmes enfin les 1000 livres dont il a toujouts joui sans augmentation. L'abbé de Courcay a des qualités excellentes et rares. C'est le plus honnête homme, et un des meil-. leurs esprits que je connoisse. Par ses lumières , son travail et. la sagesse de sa conduite , il se seroit avancé dans toute autre carrière. 11 a tout sacrifié par amitié pour moi et par zèle pour le cabinet. M. le Noir me permettra de lui rendre cette justice , et d'espérer de son équité qu'il voudra bien profiter de la pre-.  DES MÉDAILLES. 351 mière occasion pour le traiter plus favorableinent qu'on ne Pa fait jusqu'a présent. ,11 est a présent dans la même position oü je me trouvai quand je le demandai pour adjoint. Le poids du travail tombe presqu'entièrement sur lui. La perte d'un oeil, la crainte de perdre l'autre, des infirmités qui augmentent chaque jour, me forcent a des ménagemens qui coutent a mon zèle. C'est d'après ces considérations que j'ai eu Phonneur d'exposer a M. le Noir le besoin que nous avions d'un employé au cabinet, qui, non - seulement put nous aider, mais qui commencat de bonne heure a s'appliquer a 1'étude des médailles. Car il faut observer que cette connoissance ne s'acquiert pas au moyen des livres seuls. II faut y joindre la pratique, c'est-a-dire, voir souvent les médailr les , apprendre a les lire, a juger de leur authentieke , a les classer, a les considérer sous leurs différens rapports ; tantöt par rapport a. 1'histoire, dont elles sont un des principaux fbndemens ; tantöt par rapport aux arts, auxquels elles servent souvent de rnodèles. Ces lumières ne s'acquièrent donc que par un long apprentissage et que dans un lieu oü 1'on est » portée de consulter ces monumens. J'ai jeté  35a cabinet les yeux sur un jeune homme (Barbié du Bocage), dont la probité m'est connue et qui est déja versé dans la connoissance de 1'antiquité. J'ai commencé a Pexercer dans ce genre de littérature, et je puis d'avance répondre du succès. J'ai eu 1'honneur d'en parler k M. le Noir. J'insiste encore, paree qu'on offre , d'autres places k ce jeune homme, et que je n e pourrois le remplacer , si nous le laissions échapper. Le secrétaire attaché au cabinet des médailles est absolument nécessaire, non-seulement pour la confection du catalogue et pour le travail courant, mais pour être présent au cabinet quand on est dans le cas de le montrer. II faut qu'il ait quelque connoissance de la langue latine , qu'il ait une belle main , qu'il soit assidu et d'une parfaite probité, puisqu'il est chargé de vciller sur celle des autres. Son traitement, qui consiste en une trés - petite chambre et en 800 livres qu'il faut attendre long-tems , est si fbible que j'ai toutes les peines du monde k trouver quelqu'un pour remplir cette place, paree qu'elle ne mène k rien, et qu'elle ne suf fit pas au plus mince entretien. J'ai eu le chagrin d'en perdre en peu de temS deux que je m'étois fait un plaisir de former, dont  DES MÉDAIXEES. 353 dont Pun obtint une place de commis aux affaires étrangères, et dont l'autre est consul au Levant. On ne peut leur faire espérer des avantages proportionne's a de pareilles places$ mais il est certain que s'ils pouvoient subsister dans celle du cabinet, ils ne songeroient pas avec le même empressement a la quitter. M. le Noir a promis de prendre cet objet en considération. Sec. part. Z  NOTES. ï. Sur la bibliothèque nationale. E s 1772, le* appointemens des gardes et autres employés montoient & 46,469 livres, et les dépenses h. 2i,53i : total 68,000 livres. On trouve a. peu prés le même résultat pour quelques-unes des années précédentes et suivantes. Ce fonds suffisoit i peine pour quelques acquisitions très-pres«ées , et quand il se présentoit des collections précieuses en livres f manuscrits et médailles , qu'on croyoit absolument nécessaires de réunir £1 celles du roi, on sollicitoit, et 1'on ne manquoit guère d'ebtenir des ordonnances particulières qui ont beaucoup conIribué a rendre la bibliothèque du roi la première de 1'Europe. En 177a, on s'appercut que le fonds ordinaire de 68,000 livres ne pouvoit plus suffire, et le gouvernement accorda un supplément de finances , qui, suivant les circonstances , a dü nécessairement varier: il a monté quelquefois & 10,000 livres , quelquefois k 20 ou même 21,000 livres , dont le terme moyen est i5,ooo livres. Ajoutons ces i5,ooo livres de supplément au fonds ordinaire de 6b,000 livres, nous auions pour chaque année 83,ooo livres. En 1785, M. le baron de Breteuil, frappé de 1'extrême diffé-. rence qu'il voyoit entre le traitement des employés a la bibliothèque , et le traitement qu'on faisoit aux employés des autres départemens de 1'administration , proposa au roi d'augmenter les appointemens des premiers, et cette augoientation fut de 27,00»  sotes, 355 Vi'vtÉs environ, qui, jointes aux 83,ooo livres énoncées ci-deasus, Buroient dü faire environ 110,000 livres pour 1'année courante. Cependant les états qu'on a fournis depuis ont quelquefois monté plus haut , a cause de qüelques dépenses extraordinaires. Dans le rapport de M. 1'arclievêque de Toulouse , de 1788, ils sont portés 4 120,000 livres, et dans celui de M. Necker , de 1789, ils vont a 167,000 livres. Dans le rapport de M. le marquis de Montesquiou , on a réduit les appointemens et dépenses pour cliaque année k 69,000 livres , et dans un autre mémoire présenté au comité des finances k 88,268 livres. Ces réductions sont fondées , k ce qu'il paroit, sur deux espèces de suppressions. i°. Suppression de 1'augmentation des appointemens accordée en 1785 ; 2°. suppression de plusieurs des employés. Quant k la première, on observera que les appointemens des gardes des médailles, des livres et des manuscrits , avoient été; lixés k 3ooo livres , et 200 livres pour le bois pour cbacun d'eux vers le milieu du règne de Louis XIV; qu'ils 11'avoient, pendant prés d un siècle , recu aucun accroissement, et n'étoient plus en proportion avec le prix des denrées. II reste a considérer si des geus de Iettres , consacrant leurï jours k la conservation , a 1'augmentation , k la communication des dépots confiés k leurs soins, sans oesse occupés k répondre a 1'empressement de tous ceux qui viennent k la bibliothèque, k entretenir des correspondances avec des savans de toutes les nations , k se livrer a des travaux de détail pénibles et obscurs dont ils ne retirent aucune espèce de gloire , inéritoient, après de longues années d'exercice , qu'on ajoutat k leurs anciens appointemens 1S00 livres, qu'ils n'avoient poini sollicitées. Les mêmes réflexions justifient les avantages accordésau garde des généalogies et k celui des estampes. On a proposé aussi des retranchemens k l'état des commis ; nous avons vu un rapport oü la plupart d'entre eux étoient réduits a 800 livres. On n'avoit pas observé sans doute que ce|  356 notes. sommis ne Sont pas de simples copistes faciles k remplacar , mais des gens de lettres qui doivent être instruits , intelligens , d'une probité exacte, quelques-uns destinés , après une longue suite de travaux , k remplir les premières places de la bibliothèque, et qui certainement ne s'engageroient point dans une carrière oü ils ne trouveroient pas de moyens de subsister. Quant a la suppression de quelques-uns de ces commis , on rexnarquera que les acquisitions considérabks qui se sont faites depuis une trentaine d'années dans tous les départemens, et le parti que les gardes ont pris volontairement de communiquer tous les jours a tout le monde les richesses qu'ils renferment, out dü nécessairement augmenter le travail et forcé d'employer plus da eoopérateyrs qu'il n'y en avoit autrefois. II. Sur le cabinet des médailles* Ce dépot, transporté de Versailles a Paris , vers 1'an 1740 , fait partie de la bibliothèque nationale. La garde en est confiée k un homme de lettres qui est présenté au ministre de 1'intérieur par le bibliothécaire , k qui le garde présente les personnes qui lui sont subordonnées. 11 demande aussi son agrément pour les dépenses qu'exige le cabinet Soit en acquisitions, soit en entretien des tablettes et autres objets. Les employés au cabinet sont dans ce moment un garde , un adjoint et un commis. L'augmentation successive de ses richesses avoit forcé d'établir un second comaiis , que Roland supprima sans daigner s'informer des motifs qui en avoient occasionné 1'adjonction. Les devoirs des employés ne se bornent pas k déchiffrer, classer, enregistrer dans des catalogues , les divers objets dont oa fait 1'acquisition; ils doivent encore se livrei- k des recherches  w o t e s; 35f iongups et pènibles. Les médailles antiques n'ètant que des monnoies dans leur origine, on négligeoit quelquefois , en les com.posant, les précautions que nous prenons pour les nótres, soit pour fixer le tems et Ie lieu de leur fabrique , soit pour le développement des tableaux qu'elles nous présentent ; mais après différentes combinaisons les difficultés disparoissent , et de ce» obscuriiés on voit sortir de nouvelles lumières pour 1'histoire; car f>i les auteurs anciens éclaircissent les monumens , les monumens a leur tour éclaircissent les aureurs anciens. Les uns racontent la fait, les autres en présentent le tableau. Les occupatious journalières sont souvent interrompues par ideS correspondances oü 1'on demande des dessins ou des renseignemens relalifs aux médailles et aux autres objets conservés au dépöt. II suit de Ih que tout homme, de quelque talent qu'il soit doué , n'est pas propre au travail du cabinet; il faut qu'a la probité Ia plus exacte , a 1'esprit d'ordre et de surveillance , il joignq, du moins dans un certain degré, le gout de la critique, la connoissance de 1'histoire, et sur-tout de la chronologie el de la géographie. La suite des médailles antiques, tléja célèbre depuis plus d'un Siècle, augrnentée du doublé par les soins du garde actuel qui s'en occupe depuis prés de cinquante ans, est parvenue i un tel poinj de perfection qu'il seroit tems d'en procurer Ia jouissance 4 tous les savans de 1'Europe, qui ne cessent d'exprimer leurs vceux a cet égard. La représentation fidelle de ces monumens suffirois «ans doute pour justifier et même surpasser leur attente. Cependaut le garde , si on Ie lui ordonnoit , pourroit y joindre des remarques, fruits d'une très-longue expérience et de 1'examen d'un nombre infini de médailles qui ont passé sous ses yeux. II na dissimule point que la gravure et l'impression de la collection entière exigeioit une dépense très-considérable. Mais 1'ouvrage, par le seul mérite des planches , auroit beaucoup de succes, et la dépense , répartie en un grand nombre d'années , seroit tót ou taro} -compensée par le nombre des exemplaires qui passeroient dans bn z 3  358 notes» pays étrangers, L'essemiel seroit d'entamer une entreprise qui ra. traceroit sans cesse, rappeleroit sans cesse aux yeux des élèves da la république, le souvenir de ces nations si jalouses de la liberté, et qui prouveroit & 1'Europe entière la protection éclatante qus; la nation accorde aux lettres et aux arts,, ]V. B. Les deux notes qu'on viênt de lire étoient jointes as mémoire Sur le cabinet des médailles , dans le manuscrit de Barthélemy. II paroit qu'elles ont été faites pour être présentées au comité des finances de 1'assemblée constituante. L'une et l'autra ne sont pas dépourvues d'un certain intérêt, et peuvent être utiles Sous plus d'un rapport. D'ailleurs , 1'auteur les a regardéos comme servant de suite et d'éclaircissemens a ce qu'il avoit di{ dans son mémoire-,  DISCOURS d e L'ABBÉ BARTHÉLEMY, Prononcé dans la séance publique de l'académie francoise. Messieurs, Poun rendre a la mémoire de M. Beauzée un hommage digne de vous et de lui, il suffiroit de dire qu'il vous avoit inspiré une haute estime, et qu'il vous a laissé des regrets sincères ; mais un devoir que je chéris , m'engage a vous entretenir pendant quelques momens de ses travaux et de ses vertus. Dès sa jeunesse, les sciences exactes atti» Z 4  36o DISCOURS rèrent son attention, qui bientöt se fixa tout cntière sur les langues anciennes et modernes. La métaphysique de la grammaire offroit a ses regards une vaste région, rarement fréquentée par les voyageurs, couverte, en certains endroits, de riches moissons , en d'autres de roches escarpées, ou de sombres forêts. M. Beauzée y fit un long séjour, la parcourut dans tous les sens, et en publia une description circonstanciée, sous le titre de Grammaire générale ; persuadé que les loix du langage dérivent d'un petit nombre de principes généraux qu'il avoit retrouvés dans toutes les langues , il remonte a. ces premiers principes, et, les appliquant aux cas particuliers, il en fait sbrtir une fbule de préceptes lumineux. Au milieu de tant de discussions arides et d'idées abstraites , on a de la peine a le suivre; mais on est toujours forcé d'admirer la finesse de ses vues, ou 1'intrépidité de son courage. Peu content d'avoir développé le mécanismes des langues, il s'occupoit souvent de 1'appréciation des signes de nos pensees, moins importante sans doute, mais aussi moins dangereuse pour notie repos que 1'appréciation des biens et des maux de la vie.  D E BARTHÉ1ÏMÏ. 36l Séparer, dans chaque expression, les idees accessoires de 1'idée principale qui lui est corn« mune avec d'autres expressions, est une des nombreuses qualités de 1'esprit humain , re-? fusée quelquefois au génie, souvent suppléée par 1'éducation ou par 1'usage du monde; c'est elle qui choisit le mot propre , qui fournit des définitions exactes, et qui répand de 1'intérêt sur le style soigné et même sur la conversation négligée. M. Beauzée discernoit les caractères distinctif's des synonymes, comme un oeil pergant découvre les nuances presque imperceptibles d'une couleur; ce talent et de longues méditations lui dévoilèrent insensiblement tous les mystères de la langue franchise. Quand il enricbissoit notre littérature des productions étrangères, c'étoit un intcrprète fidele et plein de ressources j quand il falloit s'expliquer sur des difficultés relatives a 1'art de la parole , c'étoit un législateur dont on respectoit les décisions. Cependant il se méfioit de ses fbrces : en donnant une nouvelle édition des synonymes de 1'abbé Girarcl, il y joignit quelques articles de sa composition, et il en fit des excuses. Sa supériorilé lui donnoit des droits a la modestie. La simplicité étoit dans ses manières,  36a discours paree qu'elle étoit dans son coeur; comme il ne s'étoit point familiarisé avec les formes séduisantes de la société , on pouvoit compter sur sa parole et sur ses actions. Doux, sensible, plus indulgent pour les autres que pour lui -même, il sembloit ne suivre, dans ses rapports avec eux, que 1'instinct de la bonté , dans tout ce qui lui étoit personnel, que 1'instinct de la vertu. La fbrtune, en lui refusant ses dons, n'avoit laissé a son courage que de trop fréquentes occasions de s'exercer ; heureux néanmoins , paree qu'il n'eut besoin que de ses plaisirs, bornés au gout des lettres et aux douceurs de 1'amitié. Quels charmes répandoient sur ses jours cette communication d'idées et de sentimens, ces liaisons intimes qui le rendoient assidu k vos séances ! liaisons dont j'ai trouvé de si beaux modèles dans une autre compagnie savante, oü la confiance et 1'union régnent au milieu des plus profondes connoissances, óü je ne sais quel motif m'attire le plus, si c'est le désir d'écouter mes maitres , ou celui de voir mes amis. M. Beauzée n'est plus, et je connois mieux que personne W perte que vous avez faite. Le jour oü vous daignates m'accorder sa place,  BE B-UTHÉ1E5IT. 363 je sentis, dans toute son étendue , le prix de ce bienfait : pourquoi faut-il qu'aujourd'huï ma reconnoissance soit mêlee d'inquiétude ? La Grèce avoit ménagé deux triomphes aux atblètes qui se distinguoient dans ses jeux solemnels. Au moment de la victoire , le héraut proclamoit leurs noms, que des milliers de voix élevoient jusqu'aux cieux. Quelques jours après , tous les vainqueurs étoient couronnés dans une cérémonie pompeuse aubruit des instrumens, aux applaudissemens réitérés d'un peuple immense; mais du moins ils pouvoient supporter une gloire qui n'exigeoit pas une nouvelle épreuve, et qui, leur étant commune a tous , n'arrêtoit les regards sur aucun d'eux en particulier. Maintenant ils restent fixés sur 1'orateur, a qui ils semblent demander compte de votre choix. Ce concours si flatteur de témoins si éclairés, ce silence , cette attente , les préventions même trop favorables , tout sert k 1'intimider; tout, dis-je, jusqu'a des ressouvenirs qui se présentent tout a coup k son esprit. C'est dans ce palais de nos rois , dans cette salie , du lieu même oü je suis assis , que, depuis plus d'un siècle, les plus grands génies et les plus beaux talens ont signalé leur avénement a l'académie, les uns  ^4 »ISC0TTR5 en célébrant Ia gloire de vos augustes protec^ teurs , les autres en répandant un nouveau jour sur la littérature et sur Ja philosopliie. Commentoserois-je donc, messieurs, devant vous, et après vous, retoucher des tableaux que vous avez finis , ou trailer des 6ujets que vous avez épuisés ? Dans cette confüsion d'idées , je cherche k, me rassurer , non sur un ouvrage qu'on a daigné recevoir avec indulgence, mais sur un titre qu'on ne sauroit ni me contester ni m'envier, sur prés de soixante ans de travaux consacrés k des études longues et pénibles. Non, messieurs, nous ne rougirons point, vous, de m'avoir accordé vos suffrages , moi, de les avoir sollicités. Vous avez prouvé de nouveau qu'il n'est aucun genre de littérature qui échappe k votre vigilance. Ceux qui désormais entreront dans Ia carrière avec plus de zèle que de talent, apprendront, par mon exemple, que de grands effbrts pourront un jour leur mériter une récompense qui honorera leur vieilJesse, et leur fèra partager le surcroit de gloire qui doit infailliblement rejaillir sur les lettres. Les lettres et la gloire ! Puis-je, dans Ie sanctuaire oü elles recoivent Ie même encens, pro-  DE BAKTHEEEMT. 365 noncer leurs noms sacrés sans leur offrir un tribut d'admiration et de reconnoissance, sans publier les bienfaits qu'elles ont déja répandus et qu'elles répandront encore sur le genre humain ! II a toujours existé une classe , ou plutöt une familie de citoyens respectables, qui, de génération en génération, s'est dévouée a la poursuite du bien public. Dès son origine, les peuples étonnés la crurent inspirée des dieux. C'est elle qui, par la douceur de ses accens, attira les hommes du fonds des forêts, et qui, après avoir développé leurs facultés intellectuelles, employa la séduction du langage et 1'autorité de la raison, pour les retenir dans les Hens d'une dépendance mutuelle ; familie pendant long-tems exposée aux vicissitudes des choses humaines, tour a. tour persécutée et triomphante, chérie des bons princes, k qui elle inspiroit des vertus, détestée des tyrans qui redoutoient jusqu'a son silence j familie aujourd'hui tranquille et florissante; tenant , chez les peuples civilisés, k tous les ordres de citoyens j fiére de lire dans ses fastes immortels les noms de César , de MarcAurèle et de Frédéric ; plus fiére d'y trouver ceux d'Homère, de Newton, de Montesquieu  366 discours et de tant d'autres grands hommes , associés {' pendant leur vie, au ministère de Pinstruction, et devenus, pour la postérité , les re* présentans de leur nation et de leur siècle. Je parle comme ces vétérans qui, au souve» nir du corps oü ils ont passé leur vie, s'enorgueillissent des héros qu'il a produits et des services qu'il a rendus a. l'état; vous me le pardonnerez, messieurs. J'ajoute que si les lettres ont eu tant d'obstacles a surmonter, il faut s'en prendre uniquement au hasard, dont les lentes faveurs ne nous ont dévoilé le secret de 1'imprimerie que vers le milieu du quatorzième siècle. Avant cette époque, qui devoit, tot ou tard , changer la face des choses , 1'extrême rareté des livres opposoit un ohstacle invincible aux progrès de la doctrine. Dans cette Grèce, que je cite encore, et que je ne saurois oublier sans être accusé d'ingratitude, lorsque des vérités importantes se révéloient a 1'homme de génie, ne pouvant se produire au grand jour , elles se desséchoient et périssoient comme ces plantes qui ne sont jamais exposées aux rayons du soleil. Aujourd'hui chaque découverte, anr noncée solemnellement, réveille tous les esprits , se perpétue par 1'admiration ou par  BE EARTHÉEEMY. 36*7 1'envie, et se transmet d'age en age, avec le nom de son auteur, avec les nouvelles découvertes qu'elle a fait éclore. Autref'ois on citoit les souverains ou les particuliers qui avoient formé des collections de livres. Lorsque Xerxès enleva la petite bibliothèque de Pisistrate, ce fut une perte immense pour Athènes; et quand le calife Omar ordonna de brüler la bibliothèque d'Alexandrie, ce fut une perte irréparable pour toutes les nations. Aujourd'hui , si la flamme devoroit la plus riche bibliothèque de 1'Europe, les lettres ne perdroient qu'un petit nombre de livres uniques , qui ne sont nullement nécessaires , puisqu'ils sont si rares. Dans ces anciennes républiques, oü une multitude ignorante décidoit des plus grands intéréts sans les connoïtre, le sort de l'état dépendoit souvent de 1'éloquence ou du crédit de Porateur; c'est ainsi que le jeune Alcibiade entraina follement les Athéniens a cette fatale expédition de Sicile, et que les conseils de Démosthène furent presque toujours préférés a ceux de Phocion. Aujourd'hui, les discussions par écrit, si faciles a multiplier, ramènent bientöt les opinions qu'avoient égarées les discussions de vive voix, et 1'igno-  368 discours rance ne peut plus servir d'excuse a Terreur. Tels sont, en partie, les avantages que nous devons a 1'art de rimprimerie. II avoit fallu des milliers d'années pour ouvrir aux nations le commerce des idees; il a fallu plus de deux cents ans pour 1'étendre en le délivrant des loix prohibitives. Nulle puissance ne pourra dans la suite suspendre son activité. Ces nombreux dépots des productions de 1'esprit, cette foule d'institutions en faveur des sciences et des arts, 1'estime accordée aux efforts, Ia gloire attachée aux succes, et cette flamme dévorante qui tourmentera les ames tant qu'il restera une vérité a, découvrir, tout annonce la stabilité de 1'empire des lettres. Ils ne reviendront plus ces longs interval les de tems, oü la nature, en silence, sembloit réparer ses fbrces, et travailler , en sevcret, a une nouvelle génération d'intelligences bientöt ensevelies dans 1'oubli. Un jour éternel s'est levé , et son éclat, toujours plus vif, pénétrera successivement dans tous les climats. Chaque siècle, héritier des vérités du siècle précédent, aura soin de les rendre avec usure au siècle qui doit le suivre. Les triornphes du mauvais gout seront passagers, puisque les modèles du bon gout subsisteront toujours.  DE B Aft T ft É t I M T. 36() jours. II paroïtra peut-être moins de génies mais des écrivains estimables ne cesseront de s'armer pour la défènse des loix et des moeurs. Nous devons 1'augurer, d'après le spectacle qui depuis quelques années, frappe nos regard s. L'amour des lettres et 1'esprit de bienfaisance semblent agiter, de concert, Ia société; on court, pour ainsi dire, a la conquête des connoissances et des vertus , comme on couroit, il y a deux siècles , k la conquête des trésors du Nouveau-Monde. Des hommes de bien , et c'est maintenant le titre le plus cher k leurs yeux, se sont ligués pour subvenir aux besoins de 1'indigence. Les sociétés littéraires ont vu leurs travaux s'ennoblir, et leur domaine s'accroxtre. II faut, pour se présenter aux concours qu'elles ont établis , tantöt remonter aux principes de la morale, tantöt découvrir dans 1'histoire des exemplesou des lecons ; d'autres fois proposer de nouvelles vues sur la médecine, 1'agriculture , le commerce , Findustrie et les arts. Vous-mêmes messieurs, vous avez été revêtus de la plus touchante des jurisdictions, et c'est a votre tribunal qüon vient dénoncer, non des écrits dangereux ou des actions criminelles, mais des ouvrages utiles et des vertus ob^cures. Sec. part. A a  DISCOURS Quelles seront désormaïs les bornes de nos découvertes ? La voix de 1'humanité parviendra-t-elle a se faire entendre de tous les coeurs, et la raison , plus éclairée, sulfira-t-elle pour maintenir par - tout 1'liarmonie et le repos ? Qu'il me soit permis de renvoyer la solution de ce problême a 1'expérience des siècles a venir, et d'observer seulement que les lumières, en dépouillant les passions des préjugés, qui semblent justifier leurs excès, opèrent le plus grand des biens qu'on puisse procurer aux hommes , celui de diminuer la masse de leurs maux. La France va sans doute se ressentir de cet heureux effet; elle voit ses représentans rangés autour de ce trone d'oü sont descendues des paroles de consolation, qui n'étoient jamais tombées de si haut, et qui ont laissé dans les coeurs une impression profbnde. Ils sont venus poser les fondemens inébranlables de la félicité publique. Jamais entreprise de plus grande irnportance et de plus difficile exécution; mais aussi jamais assemblée nationale ne réunit plus de talens, d'instructions et de courage ; et comme s'il étoit dans 1'ordre des destinées que le plus beau des projets fut secondé par les plus favorables cir-  DJ BARTHÉLEMY. Constances, il a fallu qu'il fut fbnné sous un roi, Ie meilleur citoyen de son royaume, dans «ne nation chez qui 1'amour du bien est aussi ardent que celui de la gloire , et dans un siècle oü 1'art de penser a le plus médité sur 1'art de gouverner. C'est sous de pareils auspices que s'achève un ouvrage qui doit être le complément des plus sages constitutions , et la preuve la plus éclatante du progrès des lumières. A a 2,  RÉPONSE DE M. LE CHEVALIER DE BOUFFLERS, Directeur de Vacadémie francoise. M ONSIEUR, Dans ce mélange continuel, et souvent trop inégal, des biens et des maux qui sont le partage du genre humain, l'académie éprouve quelquefois des joies vives ; mais elle est condamnée a. n'en point connoitre de pures; sa destinée est de n'acquérir qu'en perdant: aussi commence-t-elle par jeter un regard de tristesse sur le vide de la place qu'elle donne ; et même en y udmettant un homme que de tout  RÉPONSE DE BOUFFEERS.1 3j3 tems elle avoit désiré d'y voir, elle y cherche encore un homme qu'elle auroit voulu toujours y conserver. L'utile académicien que vous remplacez, monsieur, n'a plus besoin d'éloges; le premier juge, en fait de monumens, vient de lui en élever un immortel. Tout ce que j'oserois dire, après vous, seroit a peine entendu, et, quand vous avez fini de parler, c'est encore vous que 1'on écoute. Ce n'est donc point pour rien ajonter a. 1'honneur de M. Beauzée , mais pour satisfaire a mon devoir, que j'essayerai de fixer encore un moment 1'attention sur cet homme estimable, qui le méritoit si bien, qui 1'ambitionnoit si peu. S'il est, comme dit Horace, une récompense assurée a la vertu discrète, comment la refuser, et sur-tout dans des tems oü cette vertu devient si rare, comment la refuser, dis-je , a un homme simple, droit et toujours semblable a lui-même, qui, dans la' guerre éternelle des passions, des opinions , des cabales, des intrigues, a su conserver sa franchise et sa neutralité; qui, libre de soins, insensible k 1'éclat, indifférens.pour la richesse, préféroit k tout 1'étude, la paix, 1'amitié , la vertu, et s'occupoit, en silence, non du bien qu'il pouvoit A a 5  3j4 . R. É P O N S E acquérir, mais du bien qu'il pouvoit Faire I Tel fut le caractère de M. Beauzée. La fortune lui avoit tout refüsé : mais il ne lui dernanda rien ; et pendant qu'il se contentoit du modique fruit de ses travaux littéraires, il vit au moins que ses amis ne partageoient point pour lui sa résignation. Beaucoup de secours lui furent offèrts; presque tous ont été refusés. En vain essayoit-on d'exiger son secret, pour obtenir son aveu. S'il accepta quelquefois le service, il refusa toujours la conditiën. II voulut bonorer ceux qu'il avoit choisis pour ses bienfaiteurs, en s'honorant de leurs bienfaits; et dans sa manière de leur devoir, il leur disputa le prix de la générosité. Du reste, plagant tous ses plaisirs dans la satisfaction intérieure, et sa gloire dans 1'estime de ses amis, on Fa, dans tous les tems, vu tranquille au milieu du tumulte qu'il fuyoit, isolé au milieu du monde qu'il aimoit, étendre ses idéés, borner ses voeux, trouver le bonheur en lui-même, et joindre a. chaque instant sou consentement a sa destinée. La jeunesse de M. Beauzée futconsacrée k Fétude des sciences exactes ; il y puisa le mépris de tout ce qui n'est pas vrai, et leur dut peut-être cette justease de conception, cette  BE BOUFFEERS.' Oj5 rectitude de jugement, qui nous ont été souvent d'un grand secours dans nos travaux académiques. II fut porté depuis vers 1'étude de la grammaire, par cet attrait particulier qu'on peut regarder comme 1'instinct de 1'esprit; et malgré le désavantagc d'écrire après tous les hommes éclairés qui ont réfléchi sur cette matière abstraite , il y répandit des lumières , et la soumit a des principes inconnus avant lui j également judicieux , soit qu'il suive ses devanciers ou qu'il les abandonne, il ne paroit point s'égarer lorsqu'il s'écarte de leurs traces; et lorsqu'il raisonne comme eux , on voit encore qu'il parle d'après lui. En effet, dans 1'histoire du monde, rien n'est plus obscur, mais en même tems rien n'est plus intéressant que la formation des langues. L'esprit, toujours impatient de son ignorance, voudroit s'élever a toutes les origines, et descendre dans toutes les profondeurs. II aime quelquefois a se transporter vers ces tems inconnus a 1'histoire , perdus pour la tradition, et presque inaccessibles k la pensee , oü les hommes, jusques-lè. condamnés a tous les ennuis et a tous les dangers , excédés du pénible soin d'une subsistance toujours mal assurée, las d'être seuls quand ils pou- A a 4  RÉPONSE voient être plusieurs , honteux d'être foibles quand ils pouvoient accroïtre leurs forces, et tristes de ne voir que des rivaux sous des traits qui sembloient leur annoncer des amis, essayèrent, dit-on , de s'unir pour se défendre, et de s'entendre pour se réunir. Dans ces rencontres, d'abord inquiétantes, on devint, par degrés, plus liardi; la ressemblance des traits , 1'analogie des organes produisirent bientót la confiance , ensuite la familiarité , ensuite 1'imitation. Les premiers cris, suggcrés par la nature, entendus au loin , diversement modifiés et fidèlement répetés, servirent aux premières conventions; et après beaucoup d'essais, un signe sonore , facile k produire en tout tems , a. renouveller au besoin, a varier dans 1'occasion , a reconnoïtre jusques dans 1'éloignement et dans 1'obscurité , fut jugé propre k 1'indication et k 1'échange des afïèctions et des pensées ; cette découverte fut décisive pour le genre humain; les suites en étoient et en sont encore incalculables. Dès ce premier pas, 1'esprit entrevit confusément 1'immensité de son inculte domaine : alorsseulement, et pour jamais, notre espèce fut distniguée du reste des hötes de cliamps et de§ bois. et nos ancêtres furent des bommes,  de noirruERS. 077 Mais qui put exposer k des êtres si bornés un aussi vaste projet ? De quels signes se sontils servis pour en établir d'autres ? Quel génie supérieur a pu leur ol'frir le tableau rapide des s'uppositions, des convenances, des relations , des particularités que la théorie de tous ces idiomes , depuis celui de 1'Attique jusqu'a ceux de la Guinee , embrasse également ? En un mot, qui leur a tracé le plan de toutes les opérations de 1'esprit, auxquelles un systême grammatical doit se rapporter , comme la contexture des nerfs k tous les mouvemens du corps ? Et quand la discussion des moindres questions de la grammaire exige les connoissances les plus rares et la métaphysique la plus subtile, comment la conception du systême général et raisonné de tout ce qui tient au langage , appartiendroit - elle k des hommes qui ne savoient pas encore parler f Ces recherches, peut-être utiles, peut-être frivoles, et qui nous rameneroient jusqu'a la première limite , s'il en est une entre L'état de nature et l'état social, auroient exigé 1'application infatigable de 1'académicien que nous regrettons ; mais elles peuvent aussi être soumises aux lumières et a la sagesse du savant écrivain qui le remplace.  ^7^ RÉPONSE Eh ! qui en effet auroit plus de droit a notre foi sur de tels mystères que celui qui, d'un vaste monceau de ruines , a su tirer les premiers élémens de 1'écriture et du langage d'un peuple depuis long-tems oublié, que celui pour qui 1'histoire n'a rien d'obscur, même dans ses lacunes, qui semble évoquer les hommes de tous les pays et de tous les siècles, les mterroger dans leurs langues, et les entendre k demi-mot! Tels sont, monsieur, les utiles et surprenans travaux auxquels, depuis long-tems , vous vous êtes dévoué. Également fait pour avapcer a pas de géant dans toutes les carrières, vous avez préféré celle qui vous ramenoit vers la sage antiquité ; et, moins occupé de vous faire le grand nom que vous méritez, que de rappeler tous les hommes des anciens ages a la mémoire et k 1'attention de celui-ci, vous vous êtes sur-tout consacré k 1'étude.de la science numismatique, k la recherche et a la discussion des monumens de cet art inventé par le désir de nous survivre, de cet art que les foibles mortels, peu contens de la renommée présente , et se défiant, a juste titre, d'une condition toujours variable, ont invoqué, pour donner k la pensée la solidité de 1'airain , pour fixer  DE BOtfllERS. 379 au moins 1'empreinte de la beauté fugitive , pour éterniser le souvenir, trop prompt k effacer , des hommes illustres, en confiant leurs traits et leurs noms k des pièces de métal, qu'on espéroit opposer comme autant d'égides aux coups de la destruction. Mais les médailles elles-mêmes n'ont point échappé aux ravages des années ; la plupart dispersées , enfouies , mutilées , désespèrent Fobservateur le plus attentif; et celles qu'un destin plus heurenx avoit soustraites a ces désastres , défigurées , k la longue , par leur propre vieillesse, semblent attester que rien n'est pur sur la terre ; que , jusques dans les choses inanimées , il y a toujours un combat intérieur, une lérmentation secrète , un ennemi caché de tout ce qui existe, et que les matières mêmes que nous regardons comme 1'emblême de la solidité, enfèrment, ainsi que nous , le principe de leur dissolution. Enchaïner 1'action , toujours imprévue , mais toujours certaine , du hasard qui se plait a bouleverser tout ce que le travail des hommes avoit entrepris d'assurer ; lire k travers la rouille des siècles et la confusion des choses ; interroger jusqn'aux moindres traces ; rapprocher des débris informes ; suppléer des  it é t o n s e traits eff'acés; remettre en lumière ce qu'une nuit, sans lendemain, étoit sur Ie point d'ensevelir; arraclier k 1'oubli ses plus regrettables conquêtes, et présenter les hommes d'autrefois aux regards de la postérïté, c'est ce que vous avez fait, monsieur; et c'est ainsi que, bienfaiteur a la fois du passé, du présent , et de I'avenir, vous avez en effet rendu a 1'art numismatique les services que cet art osoit promettre a. 1'liumanité. C'en étoit assez pour votre gloire sans doute ; mais il arrivé k la gloire elle-même, commek d'autres objets de nos poursuites , de se refuser souvent k ceux qui brülent pour elle, et de trouver quelquefois des indifférens dans ceux k qui elle s'attache. Mais, encore une fois, ce n'ctoit point la gloire qui vous charmoit; c'étoit toujours cette auguste antiquité, ces restes precieus d'hommes plus grands , d'êtres meilleurs , dont les moindres vestiges nous inspirent un secret mépris pour nos plus hardis travaux, et qui nous ont laissé leurs mesures dans des chef d'ceuvres en tous genres, qui découragent nos talens, et dans des monumens de génie qui effraient notre raison. Tels furent en effet ces maïtres de tous ceux •qui les ont suivis, ces Grecs, si chers h la  DEB0UFE1ERS; 331 pensee de 1'homme instruit; ces Grecs, dont vous semblez n'avoir si bien'étudié 1'idiome , que pour vivre plus intimement avec eux, et leur consacrer tant d'heures précieuses que vos compatriotes leur ont plus d'une fois eniviées. S'il s'agissoit de prouver k 1'homme combien sa main est foible contre la main du Tems , il su ffiroit de promener ses regards sur chacune de ces contrées autrefois libres, oü maintenant un esclave règne en despote ; sur cette patrie des arts, oü Palgue et la mousse couvrent aujourd'hui les marbres qui jadis avoient regu la vie des mains de Leucippe et de Phidias. Que sont devenus ces ruisseaux et ces fbntaines dont les noms sont encore aussi doux k Poreille que les murmures de leurs flots argentés, quand ils couloient entre les arbustes et les fleurs ? Maintenant leur cours est arrêté par d'informes amas de voütes écroulées , de dömes abattus, de fondemens arrachés , de socles et de chapiteaux roulés pêle-mêle, avec les urnes, les trépieds, les autels et les membres mutilés des dieux. Et qui le croiroit ? 1'Ilissus , le Céphise , le Pénée, et tant d'autres fleuves, inutilement cherebés, ne prominent plus qu'un limon  38a réponse infect dans les vallons de PAttique et de tempé. Ces riantes prairies , ces campagnes fertiles, cette terre favorisée du ciel, oü les arts trouvoient a peine de la place pour leurs chefd'oeuvres toujours renaissans, depuis longtems privées de Pame qui respiroit en elles, ressemblent au cadavre, qui, après avoir perdu la vie, perd successivement jusqu'aux traits et aux forrnes qui Pavoient autrefois distingué. La Grèce est le pays qui atteste le moins ce que fut autrefois la Grèce; le voyageur, qu'une curiosité audacieuse a conduit loin de sa patrie vers ces rivages désolés, n'y retrouve pas même la nature ; et pour unique fruit de tant de fatigues et de dangers, il ne remporte qu'une grande lecon, c'est que, pour les pays comme pour les peuples, la liberté est un principe de vie, et le despotisme un principe de mort. Mais quel autre Orphée , quelle voix harmonieuse arappelé sur ces cöteaux dépouillés les arbres majestueux qui les couronnoient, et rendu a ces lieux incultes 1'ornement de leurs bocages frais , de leurs vertes prairies et de leurs ondoyantes moissons ? Quels puissans accords ont de nouveau rassemblé les pierres éparses de ces murs autrefois batis par  DE .BOUFFEEB.S. 383 les dieux ? Tous les édifices sont relevés sur leurs fondemens , toutes les colonnes sur leurs bases, toutes les statues sur leurs piédestaux j cliaque chose a repris sa forine, son lustre et sa place; et dans cette création récente, le plus aimable des peuples a retrouvé ses cités, ses demeures, ses loix, ses usages, ses intéréts , ses travaux, ses occupations et ses f'êtes. C'est vous, monsieur, qui opérez tous ces prodiges : vous parlez, aussitöt la nuit de vingt siècles fait place k une lumière soudaine, et laisse éclore a nos yeux le magnifique spectacle de la Grèce entière au plus haut degré de son antique splendeur. Argos, Corinthe , Sparte, Athènes, et mille autres villes disparues sont repeuplées. Vous nous montrez, vous nous ouvrez les temples, les théatres , les gymnases, les académies , les édifices publiés , les maisons particulières , les réduits les plus intérieurs. Admis, sous vos auspices, dans leurs assemblées, dans leurs camps, a leurs écoles , a leurs cercles , a. leurs repas , nous voila mêlés dans tous les jeux, spectateurs de toutes les cérémonies , témoins de toutes les délibérations , associés a tous les intéréts, initiés a. tous les mystères, confidens de toutes les pensees; et jamais les Grecs n'ont  384 R E ? O K S E aussi bien connu la Grèce, jamais ils fte se sont aussi bien connus entre eux, que votre Anacbarsis vous les a fait connoitre. Dans ces tableaux nouveaux, parlans et vïvans, tous les objets s'offrent a nous sous tous les aspects. Les hommes et les peuples, toujours en rapport, toujours aux prises les uns avec les autres, nous découvrent, a. 1'envi, leurs vices et leurs' vertus. Le thousiasme, la haine etrimpartialité tracent alternativement le portrait de Philippe. Les tristes hymnes des Messéniens acciiseirt 1'orgueil de Lacédémone. Les Athéniens laissent entre voir leur corruption au travers de leurs agrémens. Le suffrage ou le blame distribué tour a tour par des partisans ou par des rivaux , tous les témoignages favorables ou contraires , soigneusement recueillis , fidèlement cités , sagcment appréciés , suspendent et sollicitent des jugemens que vous laissez modestement prononcer a votre lecteur; il tient la balance, mais vous y mettez les poids. II vous appartient, monsieur, plus qu'a personne, de converser avec ces hommes étonnans , de leur législation , de leur religion , de leurs sciences , de leur morale , de leur histoire , de leur politique. S'agit-il de leurs arts ?  DE BOÜIFIEKS. 385 arts ? quel pinceau pourroit mieux retracer 1'élégance de leurs chef- d'oeuvres ? Quand vous faites parler leurs orateurs et leurs poëtes , votre style rappelle toute 1'harmonie de leur langue. Exposezvous les dogmes faux ou vrais de leurs philosophes ? c'est en donnant è la vérité les caractères qui la font triompher; c'est en prêtant a Terreur tous les prestiges qui excusent ses partisans. Enfin, est-il question de la première et de la plus noble passion des Grecs, de leur patriotisme ? en nous les offrant pour modèles vous nous rendez leurs émules. Mais que dis-je ? en fait de patriotisme, les exemples des Grecs nous seroient-ils nécessaires ? Non, non , ce feu sacré , trop long-tems couvert, mais jamais éteint, n'altendoit ici que le soufflé d'un roi citoyen pour tout embraser; déja un même esprit nous vivifie, un même sentiment nous élève , une même raison nous dirige, un même titre nous enorgueillit; et ce titre, c'est celui de Frangois. Nous savons, comme les Grecs, qu'il n'est de véritable existence qu'avec la liberté, sans laquelle on n'est point homme , et qu'avec la loi, sans laquelle on n'est point libre. Nous savons, comme eux, qu'au milieu des inégalités nécessaires des Sec. part. B b  386 RÉPONSE dons de la nature et de la fortune, tous les citoyens sont du moins égaux aux yeux de la loi, et que nulle préférence ne vaut cette précieuse égalité , qui seule peut sauver du malheur de haïr ou d'être haï. Nous savons, comme eux, qu'avant d'être a soi-même , on étoit a sa patrie , et que tout citoyen lui doit le tribut de son bien , de son courage, de ses talens , de ses veilles ; comme 1'arbre doit le tribut de son ombre et de ses fruits auxlieux oü il a pris racine. Au reste , monsieur, la peinture naïve des Grecs ne fait point tout le mérite de votre ouvrage , et celle de 1'auteur qui se voile et se trahit sans cesse, y répand un intérêt encore plus attachant. On est toujours tenté de substituer votre nom a celui de ces sages sï aimables auxquels vous donnez vos traits sans vous en appercevoir. On sent, en vous lisant, que leurs maximes sont vos principes , que leurs lumières sont dans votre esprit, que leurs vertus sont dans votre coeur, et que vous vivez avec eux, pour ainsi dire , en communauté de biens, également riche de ce que vous leur empruntez et de ce que vous leur prêtez. C'est vous que 1'on retrouve encore mieux que les Grecs dans cet hommage pur  BE BOÜTFLEUS. Ó07 qu'a chaque instant vous vous plaisez a. rendre a 1'amitié. Nulle part on ne reconnoit mieux sa divine inspiration, ses doux accens, son influence penetrante ; c'est 1'amitié qui , de sa main fidelle , traga 1'image de Phédime avec la délicatesse, avec la pureté de 1'ame de Phédime elle-même; c'est elle qui fait reparoïtre un instant cet Arsame, si justement, si généralement pleuré ! On voit avec attendrissement le grand homme qui n'est plus, survivre encore mieux k lui-même par 1'amitié que par la renommee, et trouver dans le coeur d'un ami vertueux, non un mausolée, mais un temple. C'est ainsi , monsieur , qu'en réunissant 1'exercice et la récompense de vos vertus . vous avez passé pendant long-tems et vous passez encore la vie la plus douce et la plus utile, entre la noble élite des premiers personnages des anciens tems et de ceux de votre siècle. En vain cependant, content d'un sort aussi désirable , auriez-vous tenté de voüs dérober entièrement aux regards du public: la société avoit atissi ses droits a réclamer, et 1'obscurité k laquelle on vous a vu toujours ïnutilement aspirer, auroit fait trop de tort a vos contemporains; ils connoxtroient moins ce Bb a  388 nÊr-c-nse de bouffeers. caractère simple comme 1'enfance, sage comme 1'antiquité; cet art précieux et sublime de mêler toujours la grace a la vérité, 1'indulgence h la censure, la bienveillance au conseil, et 1'amusement k la leqon; de prêter son esprit au lieu de le montrer ; de se servir de sa raison pour féconder celle des autres; d'instruire les plus instruits, et de s'instruïre encore avec les plus ignorans j de plaire k tous, et de se plaire avec tous. Enfin, nous ne saurions pas que Platon, Aristote, et sur-tout Socrate, vivent encore, et qu'en ce moment l'académie frangoise ne peut porter aucune envie k celle d'Athènes.  LETTRES A M. VERNET (i). J'ai honte, monsieur, de répondre si tard et si mal aux questions que vous me faites 1'lionneur de me proposer. II en est qui n'avoient jamais fixé mon attention , et d'autres qui ne m'ont laissé que des doutes. On a beaucoup écrit sur ces matières, et comme on ne les éclaircira peut-être jamais , on ne cessera d'écrire. II est impossible de faire 1'histoire des (1) Ministre du saint^èvangile, a Genève, connu par plusieurs bons ouvrages , qui avoit consultê" Bartbélemy, par une lettre datée du 4 avril 1767. Bb 3  LETTRES. usages, et d'assigner des époques aux changeinens essentiels provenus dans 1'écriture, lorsqüon n'a point de monumens qui nous dirigent de siècle en siècle. Je ne me suis jamais occupé des altérations successives des lettres samaritaines et chaldéennes. Des vues particulières m'ont engagé k rechercher les monumens des langues orientales; et voici a peu prés les idéés qu'ils m'ont fournies relativement aux questions proposées. 10. Je crois avec M. Warburton que la première écritüre fut en liiéroglyphes. Je crois de plus que la première écritüre alphabétique fut trés-défectueuse ; que les divers peuples deTOrient, en recevant cet alphabet, le modifièrent ou le perfectionnèrent, et que de la résultèrent insensiblement les divers alphabets connus aujourd'hui sous le nom de samaritains, dechaldéens, de phéniciens, etc. Prenons pour exemple Valeph. II est figuré sur monumens phéniciens de ces quatre facons différentes , -f£ ^ | : la première forme est la même que celle de Valeph samaritain T? la seconde, qui n'est pas distinguée de la première, paroit sur une bandeïette qui entouroit une momie, et qui présente k nos  LETTRES. yeux 1'ancierme écritüre courante des Egyptiens; la troisième se retrouve dans Valeph des Palmyreniens et des Chaldéens K 5 de la quatrième vient Valeph des Arabes et des Syriens. II en est de même du beth. 3 samaritain et phénicien. ^ autre beth phénicien. ^ palmyrenien. 33, hébreu ou chaldéen. 9^0) phénicien et puniqne. t_> arabe , etc. Je ne cite point ici les langues persanes et indiennes, que je ne connois pas , mais dont les alphabets ne paroissent pas être d'une si haute antiquité. 2°. Les Grecs ayant emprunté leurs lettres des Phéniciens , et leurs lettres étant en effet les mêmes que les phéniciennes, on doit en conclure que quinze ou seize cents ans avant Jésus Christ, 1'alphabet phénicien étoit fbrmé. Cet alphabet n'est pas essentiellement distingué du samaritain. 3°. On trouve souvent sur des monumens phéniciens des lettres qui ne ressemblent point aux samaritains, mais aux chaldéens ou hébreux modernes. Par exemple, sur une médaille phénicienne le mem , au lieu d'être figuré de cette manière V , comme il l'est dans le phénicien et le samaritain, présente cette forme-fa , comme dans 1'hébreu mo- Bb 4  X E T T R E s. derne. La même lettre, sur les inscriptions du mont Sina'ï, paroit faite ainsi £) , . Je trouve tous les jours de pareilles singularités sur les monumens, et j'en conclus que nos alphabets ne sont pas exacts ; que dans des pays voisins, et souvent dans un même pays, on employoit des formes différentes pour les mêmes lettres , et que ces formes ayant été souvent altérées par les copistes et par les graveurs , il est quelquefois très-difhcile de décider si telle lettre appartient a tel alphabet ou a tel autre. 4°. Les médailles de Jonathan grand prêtre, celles de Jean , celles de Simon , celles même d'Antigonus, roi de Judée , offrent des caractères samaritains. Ces dernières 'ont été frappées environ quarante ans avant JésusChrist : on se servoit donc encore alors des lettres samaritaines. II paroit de plus par deux passages combinés de la mischna et du talmud de Jérusalem , que dans le troisième siècle de Jésus-Christ, et peut-être plus tard, les Juifs avoient des exemplaires de Ja bible en caractères assyriens ou chaldéens, et d'autres en caractères samaritains. J'ai discuté ce point dans une dissertation sur les médailles d'Antigonus,imprimée dans le vrègt-quatrième  LETTRES. volume des Memoires de l'académie des belles-lettres , pag. 64- D'après ces notions, voici la réponse que je fais a vos questions : 10. Vous demandez si, par le moyen des exemplaires du pentateuque samaritain et des médailles, j'ai f'ormé un alphabet samaritain assez sür et bien figuré ? Je n'ai jamais fait ce travail. Les élémens tracés sur les médailles samaritaines ont été insérés dans les alphabets samaritains ou phéniciens. Et a l'égard des exemplaires samaritains de la bible , ils ne sont pas assez anciens pour servir de règle. 2.0. Les lettres samaritaines ont-elles plus de rapport que celles que nous nommons hebraiques avec les phéniciennes et puniques? Elles en ont infiniment d'avantage. 3°. Les caractères samaritains sont-ils les mêmes dont se servoient les tribus de Juda et d'Israël avant leur captivité ? II y a toute apparence. Car les caractères phéniciens ou samaritains paroissent avoir été en usage dans toute la Syrië et dans les pays voisins depuis les tems les plus anciens. 40. Connoït-on assez les caractères baby-  J94 i iette.es. lonniens ou chaldéens du tems, par exemple, de Cyrus , pour assurer qu'ils fussent les mêmes que nos présens caractères hébreux ? II nous reste des médailles des rois de Perse; mais les unes sont des dariques , oü il n'y a point de lettres. Sur les autres sont des légendes phéniciennes, paree qu'elles ont été frappées en Phénicie. Les auteurs anciens ont cité quelques inscriptions en caractères assyriens; telle étoit celle que Darius , fils d'Hystape, pïaca sur une colonne auprès du Bosphore de Thrace. ( Voyez Herod. , lib. IV } §. 8yJ. Par ces lettres assyriennes faut-il entendre les samaritaines ou chaldéennes? Dans les passages de la mischna et du talmud, cités plus haut, on entend sous ce nom les caractères chaldéens, et cette autorité est d'un assez grand poids, car les Juifs des premiers siècles devoient savoir au moins le nom que 1'on donnoit a. 1'Orient aux différentes lettres en usage. Les caractères chaldéens du tems de Darius devoient sans doute avoir plus d'affinité avec les lettres hébraïques d'aujourd'hui qu'avec les samaritaines. Mais j'ignore jusqu'& quel point alloit cette ressemblance. 5°. Si les anciennes lettres chaldéennes sont  i.ettk.es. 3q5 les mêmes que nos lettres hébraïques ; quand est-ce que les Juifs les ont empruntées des Chaldéens ? La tradition des Juifs porte que ce fut au tems de la captivité. Je 1'admettrai, pourvu qu'on ne prétende pas que les nouvelles lettres firent tout a coup disparoitre les anciennes. De pareils changeraens ne peuvent s'opérer que dans 1'espace de plusieurs siècles. Je pense qu'alors plusieurs Juifs commencèrent a se servir des lettres chaldéennes, que d'autres leur préférèrent encore les lettres samaritaines, que d'autres se servoient indifféremment de ces deux espèces d'écritures ; c'est ce qui me paroit résulter de ma réponse a la question suivante. 6°. De quels caractères se servoient les Juifs du tems de Jésus-Christ, dans leurs livres sacrés, dans leurs thargums , etc. r Suivant ma quatrième observation, ils employoient encore les samaritains sur leurs monnoies; par les passages de la mischna et du talmud de Jérusalem que j'ai cités, il paroït que dans le tems que le talmud fut composé, vers le troisième siècle , ils avoient des exemplaires de la bible en lettres chaldéennes, et d'autres en lettres samaritaines. Par consé-  395 iettri j, quent les deux espèces d'écriture étoient alors en usage. Mais comme dans ces passages il est dit que les lettres samaritaines ne doivent paroitre que dans les exemplaires destinés a un «sage particulier, et que les exemplaires destines a être lus publiquement doivent être ecnts en caractères assyriens , on pourroit présumer qu'on observoit a peu prés la même régie vers le tems de Jésus-Christ. Voila , monsieur, tout ce que je puis vous dire sur des questions que je n'ai pas eu le tems d'approfondir. Je ne sais si vous serez content de mes idéés; mais comme ce n'est que pour vous que je les jette sur le papier, j'ai des droits sur votre indulgence. Vous en avez de votre cöté de bien étendus sur 1'eslime et Ie respect avec lesquels j'ai 1'honneur d'être, etc.  lettres» 097 A M. LE COMTE DE SALUCES (1). M ONS IEUR, J'avois résolu de garder le silence sur la question qui partage MM. Needham et Barroli. Tout m'engageoit a prendre ce parti, mon estime pour eux, mes occupations, mon éloignement pour les disputes littéraires , et 1'impossibilité d'éclaircir, quant k présent , une partie des faits sur lesquels il faut prononcer. Mais je n'ai pu résister a la confiance dont vous m'lionorez ; je me fais un devoir d'obéir a vos ordres, et je vais vous exposer avec simplicité ce que j'ai cru entrevoir dans le cours de cette affaire intéressante. Pour apprécier , comme il faut, les travaux (1) II avoit écrit, le i5 décembre 1762 , k Barthélemy, pour le consulter sur le livre de M. Needham , qui a pour titre : Jnlerpretatio inscriptionis wgyptiacoe, exaratce simulacro t/uod deam Isidem reprcusentaC. In-o". 1761.  39°" Ii.ETTB.ES. de M. Needham, il faut remonter a leur principe , et se rappeler qu'en 1768 M. de Guignes de l'académie des belles-lettres, découvrit le premier, dans la langue écrite des Chinois, les débris des langues égyptiennes et phéniciennes, et dans les anciens hiéroglyphes de ce peuple, ceux qui étoient en usage parmi les Egyptiens. II développa ces deux objets dans un mémoire qu'il lut k l'académie , et dont il fit imprimer un extrait que j'ai 1'honneur de vous envoyer. Vous y verrez, monsieur , k la page 72 , plusieurs syrnboles égyptiens mis en parallèle avec des hiéroglyphes chinois; et vous y lirez, k la page 78, ces mots importans : «II s'agit encore de dépouil« Ier tous les caractères hiéroglyphiques et « symboliques chinois, de les ranger par clas« ses, de les rapprocher des hiéroglyphes et « des syrnboles gravés sur les obélisques et « sur les autres monumens d'Egypte.» M. de Guignes avoit rassemblé dans son grand mémoire plusieurs exempJes de cette conformité; il en avoit dans ses porte-feuilles un plus grand nombre encore, et il en découvroit tous les jours de nouveaux : c'est un fait certain. Dans ces circonstances , M. Needham , instruit du systême de M. de Guignes, réso-  I E T T R I S. 099 Iut de faire examiner si les caractères du buste de Turin ne seroient pas dans le dictionnaire chinois, et publia sa dissertation. M. Bartolï jeta des soupcons sur 1'antiquité du buste ; et M. de Guignes nia le fait découvert au Vatican, quoique attesté par des personnes trèséclairées et très-respectables. Une supposition très-admissible suffiroit pour affoiblir les doutes de M. Bartoli. Vous savez, monsieur, que dans le premier et le second siècle les prêtres de Sérapis étoient établis en Sardaigne et en d'autres endroits d'Italie. Imaginons qu'ils y ont fait construire ce buste ; alors la pierre sera tirée d'une carrière d'Italie ; et la coëffure dif'fërera de celle qu'on voit sur les autres statues égyptiennes, paree que le monument sera d'un tems postérieur. M. Bartoli nous a donné une copie plus exactes des caractères. Elle diffère en quelques choses de celle de M. Needham, mais la différence est si légère qu'elle ne me paroïtroit pas devoir détruire Pexplication du Chinois du Vatican ; ce qui la ruineroit de fond en comble , c'est le refus de M. de Guignes k reconnoitre que les caractères du buste du Turin sont dans le dictionnaire chinois conservé au Vatican.  4°° 1ETTRES. Ici, monsieur, je me pera's dans mes incertitudes. D'un cöté une foule de témoignages assurent avoir vu dans un livre un certain nombre de caractères trait pour trait. D'un autre cöté un homme dont le savoir et la droiture me sont connus, quilui-même est intéressé k reconnoitre la vérité du fait, le rejette sans détour. II a sous les yeux le même dictionnaire que 1'on conserve au Vatican ; il connoit mieux que personne la forme des hiéroglyphes chinois; il est occupé depuis quatre ans k les analyser, a séparer tous leurs traits pour les réduire a leurs premiers élémens : je puis vous assurer qu'il n'a ni jalousie , ni attachement k son avis, et qu'on ne peut être plus sage et plus réservé qu'il 1'est dans ses jugemens. II persiste et ne veut pas se rendre aux attestations produites par M. Needham. Ce dernier vint a Paris, il y a cinq k six mois. Je fus ravi de le connoitre , et sur ce que je démêlai de son caractère, je crus qu'il seroit facile de le lier avec M. de Guignes, et d'éclaircir entre nous 1'étrange problême que j'ai 1'honneur de vous exposer. Nous nous assemblames chez M. de Guignes. Nous avions le dictionnaire chinois sous nos yeux. M. Needham  LETTRES» ,|ol ham y trouva sans peine deux ou trois des caractères qui sont sur votre buste, et que M. de Guignes avoit reconnu dès le commencement pour des caractères égyptiens et chinois; mais il étoit question du reste de 1'inscription. Comme M. Needham n'avoit pas beaucoup de tems a donner k cet objet, et que 1'exemplaire du dictionnaire que nous avons est distribué dans les volumes d'une manière toute différente de celui du Vatican, M. Needham renvoya cette recherche a un tems plus convenable, et je restai dans mes doutes. M. Needham est revenu k Paris pour quelques jours. II va retour ner a Caën. II voudroit emporter avec lui Ie dictionnaire ; je travaille pour lui en obtenir la permission. En attendant le fruit de ses recherches, j'avoue qu'il me sembleroit extraordinaire de voir réunis sur un seul buste vingt• quatre ou vingt-cinq caractères égyptiens, lesquels ne paroïtroient sur aucun autre monument égyptien. J'ai vu une quantité prodigieuse de ces monumens ; j'ai beaucoup rcfléchi sur les hiéroglyphes et 1'écriture des Égyptiens , je n'ai jamais rencontré ceux-ci et je ne leur trouve de conformité qu'avec ceux des Gnostiques. M. Needham m'a répondu que ces derniers les auroient recus des Égyptiens. Sec. part. C c  '4oa IETTRIS. Mais je pourrois répliquer que ces Égyptiens étoient bien modernes , en comparaison de ceux qui eurent des Communications avec les Chinois. Vous voyez , monsieur, combien de discussions naissent a la suite 1'une de l'autre , et combien il est essentiel de constater auparavant si les caractères de votre buste sont, ou ne sont pas, dans le dictionnaire chinois. Un autre objet plus important avoit occupé M. Needham. C'est le dépouillement de tous les hiéroglyphes des Égyptiens, et leurs comparaisons avec ceux des Chinois. J'ai déja eu 1'honneur de vous observer, monsieur, que M. de Guines avoit le premier indiqué et suivi cette route. J'ajoute que M. Needham , ignorant le chinois, n'y marche que d'un pas incertain; nous nous en appercumes d'abord dans notre conférence. Dès qu'il eut produit ses collections , M. de Guignes lui fit observer que la plupart des rapports qu'il croyoit avoir découvert, étoient 1'effet da hasard , paree qu'il n'avoit pas bien choisi les pièces de comparaison. Les Chinois ont deux sortes de caractères , les anciens et les modernes, qui viennent a. la vérité des premiers, mais qui ont éprouvé  LETTRES. 4°3 de grandes altérations. Les uns et les autres se trouvent confondus dans les dictionnaires des Chinois , et il faut savoir la langue pour les distinguer. Les caractères modernes sont h peu prés du tems de Jésus-Christ, et comme la communication des deux peuples est fort antérieure a cette époque , c'est manquer Ie but que de rapprocher les hiéroglyphes égyptiens des caractères modernes des Chinois , et voila le procédé ordinaire de M. Needham. Le hasard Pa fait quelquefois tornber sur un caractère ancien, et souvent déja recueilli par M. de Guignes; mals le plus souvent il se sert des caractères nouveaux , et de la ne peuvent résulter que des parallèles malheureux et des conséquences erronées. Les carrés , les cercles , les triangles , les lignes droites, toutes les figures simples pourrontse rencontrer également sur les obélisques et parmi les caractères modernes des Chinois, sans qu'on en puisse rien conclure , paree que ces figures se présentent par-tout. M. Needham se retranche sur les hiéroglyphes composés, et il prétend qu'ils doivent servir de pièces de comparaison toutes les fois qu'on les voit dans les monumens des Égyptiens et des Chinois. Cela peut arriver sans doute, mais il peut se faire aussi C c a  4°4 tETTRïS, qu'un hiéroglyphe chinois k force de s'altérer et de se corrompre parvienne a ressembler a un hiéroglyphe égyptien. Ainsi, monsieur, le principe que vous avancez dans votre lettre, et dont M. Needham s'autorise assez souvent, qu'il ne s'agit pas de la puissance des caractères, mais de leur forme; qu'il n'est pas question de savoir le chinois, mais qu'il suffit d'avoir des yeux : ce principe , dis-je, seroit vrai si M. Needham ne consultoit qu'un dictionnaire d'anciens caractères. Dans ce cas , tous ses rapprochemens seroient autant de données qui prouveroient Ia communication des Chinois et des Égyptiens. Aujourd'hui, s'il fait cent combinaisons , il est k craindre qu'il y en aura quatre-vingt-dix de fausses : les dix autres seront justes, mais elles aurontdéja été faites par M. de Guignes, qui depuis long-tems travaille k dépouiller les monumens égyptiens. Si j'avois eu 1'honneur de connoïtre M. Needham avant qu'il s'appliquat a. ce genre de travail, j'aurois fait tout mon possible pour Pen détourner, persuadé que Ja gloire qui doit lui en revenir ne sera jamais proportionnée a ses peines; il est trop avancé maintenant pour reculer; et quand ses efforts  LETTRES. Ao5 l * ti'aboutiroient qu'a nous donner une collection complette des hiéroglyphes répandus sur les monumens égyptiens, ce seroit toujours un préliminaire pour les grandes découvertes qui restent a. faire. Je ne me suis pas expliqué si clairement avec M. Needham. Je 1'aurois affligé ; mais je ne lui ai pas donné de faux éloges : j'aurois été contre mon caractère et contre le sien. J'ai pour lui la plus grande estime. Je suis enchanté des qualités de son coeur. Je sais qu'il possède de grandes connoissances, et j'admire le zèle dont il est animé; mais j'aurois désiré qu'il n'eut pas employé si souvent dans ses écrits, dans ses lettres et dans ses conversations, le mot sacré de découverte, pour caractériser le genre de travail auquel il s'est appliqué. Bien de gens en ont été blessés : je 1'ai condamné au fond de mon cceur, paree qu'après tout, je ne puis pas me dissimuler que la découverte est toute entière a. M. de Guignes, et que M. Needham n'en fait qu'une application que M. de Guignes a faite avec plus de lumières et de succès. Je résumé en peu de mots tout ce que j'ai dit dans cette longue lettre. Les doutes sur le buste de Turin ne me paroissent pas assez fondés» Les caractères dont il est couvert ne se trou- Cc 3  /{06 IETTKEJ.' vant que sur ce monument, on ne peut les attribuer aux anciens Égyptiens qu'après que M. Needham nous les aura montrés dans Te dictionnaire chinois. Son grand travail sur les obélisques et sur les autres caractères hiéroglyphiques, ne peut être utile que lorsqu'on aura rapproché ces caractères des anciens caractères chinois, Jusques-la ce n'est qu'une opération propre a faciliter le parallèle, mais insuffisante pour 1'établir. Voila, monsieur, ce que je pense sur ces différens objets ; voila ce que je ne cherche point a répandre. Je vous supplie de n'en faire aucun usage , paree que je dois plus que personne au monde me défier de mes lumières, et ménager les opinions des autres. Je suis, etc.  lettres. 4°7 'A M. LE COMTE DOETTING. A Paris, ce 21 novembre 1763. Monsieur, Je réponds un peu tard a la lettre que vous m'avez fait 1'honneur de m'écrire le 2/1 septembre ; ma's je n'en ai pas été moins flatté. J'ai vu avec bien du plaisir le vif intérêt que vous prenez aux progrès de la littérature oriëntale, et je me fais un devoir de répondre a tous les articles sur lesquels vous me faites 1'honneur de m'interroger. Les inscriptions phéniciennes qui sont en Chypre , et dont M. Pococke nous a rapporté les copies, étoient certainement destinées a, des tombeaux. Elles ne contiennent presque que des noms propres. J'ai taché d'en éclaircir deux dans une dissertation qui paroitra bientöt dans le dernier volume de notre académie. Si les copies que nous en avons étoienü C c 4  4o8 1 E T T 11 E s.' plus exactes, il seroit très-possible de les expliquer toutes. II en résulteroit peu de lumières pour 1'liistoire, mais de trés grandes pour connoïtre la forme et la valeur des lettres phéniciennes et des autres anciens alphabets orientaux. Le même Pococke a publié les inscriptions du mont Sinaï, dont quelques-unes paroissent être en arabe, mais dont la plupart sont certainement phéniciennes. J'attends avec impatience les copies exactes que nous promettent les savans danois envoyés en Arabie. Mais j'ose vous assurer d'avance que ces inscriptions , comme celles de Chypre, ne sont que des épitaphes. Je croyois vous avoir envoyé la relation abrégée que M. Anquetil avoit faite de son voyage , et qu'il avoit insérée dans le Journal des Savans. Je n'ai plus la première partie , qui n'est qu'historique; mais je joins ici la seconde partie , qui contient la notice exacte des livres parses qu'il nous arapportés. Vousy verrez les trois traités qui restent de tous ceux que Zoroastre avoit composés, traités que M. Hyde n'a point connus, et qu'il n'étoit peutêtre pas en état d'entendre. Car il y a tout lieu de présumer que M. Hyde s'étoit étrangement mépris au sujet du persan , et qu'il avoit con-  1 S T T R E S.' 4°9 fondu le moderne avec 1'ancien. Les mots qu'U cite dans son livre sont en persan moderne, écrits en anciens caractères , de même que le saddes qu'il a traduit et qui n'est point de Zoroastre; M. Anquetil éclaircira tout celamieux que moi. II vient de finir la traduction des trois traités de Zoroastre, il reste k y joindre des notes et quelques dissertations sur 1'ancienneté, 1'autenticité et Ia langue de ces ouvrages : après quoi le public sera en état de juger. M. de Guignes est toujours occupé a son grand traité sur la communication des Égyptiens avec les Chinois. II met sa découverte k 1'abri de toute critique, et après les preuves sans nombre qu'il donnera de cette communication , les doutes ne pourront plus rouler que sur celle de ces deux nations qui a policé l'autre. Vous vous déterminez , monsieur le comte , en faveur des Chinois, et vous appuycz votre opinion d'une foule de réflexions judicieuses etsavantes. Cependant je vous prie de faire attention que, suivant le nouveau systême, chaque caractère chinois est un groupe de lettres phéniciennes et égyptiennes, et présente par conséquent un mot égyptien ou phénicien. Ce sont donc les langues égyptienne et pbénicienne qui ont passé a la Cbine; dira-  410 IETTRBS.' ton que ces langues viennent aussi des Chinois ; mais i°. la langue parlée des Chinois est totalement différente. 2°. Ils n'ont jamais su que leurs hiéroglyphes renfermassent les débris de la langue égyptienne. Ainsi, pour embrasser votre sentiment, il faudroit supposer un tems oü les Chinois parloient égyptien ou phénicien ; il faudroit qu'ils eussent apporté cette langue en Egypte et dans les pays voisins, et qu'après cette communication , ils Peussent oubliée totalement; il faudroit même que dans les commencemens ils eussent regardé leurs caractères comme des groupes de lettres, puisque c'est dans cet état qu'ils les auroient transmis aux égyptiens , et que tout a. coup ils en eussent changé la nature, puisque de tems immémorial, ils ne les regardent que comme des signes représentatifs d'idées. Je supprime beaucoup d'autres réflexions qui se présentent en foule ; je conviens cependant que le peu de gout que les Égyptiens semblent avoir toujours eu pour les voyages de long cours, semblent s'opposer k 1'idée de leurs établissemens en Chine, et dans les Indes orientales. Mais j'entrevois un moyen de conciliation. Les Phéniciens, dans  1ETTB.ES. 411 les plus anciens tems, fort Hés avec les Égyptiens , avoient, k ce que je pense, les mêmes intéréts, le même culte , et des mceurs fort approchantes. Je crois avoir prouvé, dans un mémoire lu k l'académie (i), ü y a quelques mois, que le génie des langues égyptienne et pliénicienne étoit le même, et qu'elles avoient quantité de mots communs. Pourquoi ne pas dire que ces Phéniciens, établis sur la mer Rouge, dépendans peut-être des Égyptiens, dont ils étoient en quelque sorte les facteurs, ayant faits dans les Indes des établissemens pour leur commerce, ont été de proche en proche k la Chine, et y ont porté les sciences encore grossières et les usages des Égyptiens. Vous sentez aisément, monsieur le comte, combien il seroit facile d'étendre et de fonder cette assertion. Je suis, etc. (i) Acad. des inscript. , tom. XXXII, pag. 321.  4l2 XETTTi.ES» A M. ADLER. Le premier juin i7S2, J'ai vu avec plaisir, monsieur, 1'inscription que vous m'avez fait 1'honneur de me communiquer de la part de monseigneur Borgia. Ses lumières ne me laissent aucun doute sur l autenticité de 1'original, et sur 1'exactitude de la copie , et c'est pour me conformer k ses ordres que je vais vous dire mon avis en peu de mots. Je rapporterois volontiers ce monument (1) au sixième ou cinquième siècle avant JésusChrist. L'inscription est en dialecte dorique, tel qu'il étoit en usage dans la grande Grèce, oü il a été découvert. Quelques-unes des lettres présentent des (0 M. Jean-Pliilippe Siebenkees a publié, en 1789 , ce monument avec une explication; M. Kmgbt en a parlé dans son Essai analytique suf Valphabet grec, en 1791.  xe t tres. formes peu connues; mais leur valeur est déterminée par les anciens monumens ou par le sens de 1'inscription. Telles sont les suivantes: D A comme dans les plus anciennes médailles de Zancle ou Messine. I F. 5 ïota comme dans la colonne du sé- nateur Nani. A* M comme sur plusieurs monumens.' + x- aa 2 comme sur plusieurs médailles de la grande Grèce. 4> 2Q II faut remarquer encore le digamma avant le mot OIKIAN , et Yomicron , faisant quelquefois la fonction de Vomega. D'après ces notions , je vais tracer 1'inscription avec des caractères plus usités (i). (1) Voyez pour les caractères anciens Ia planche IV ci-jointe-  4l4 LETTRES. ©EOS . TYXA . SAizTIS" AIA OTI . 2IKAINIAI . TAN OI kian . KAI TAAAA ÏÏANT a . AAMinpros . napatop AS . nPO^ENOI . MINKQN. APMO--IAAMOS . ATA©AP XOS . ONATAS : EniKQP OS. En voicï maintenant une traduction littéïale en latin: Dea fortunae servatrix dat Sicaeniae domum Et reliqua omnia. C cum esset) Demiurgus Paragoras. (cum essent) Proxeni JMincon 3 Harmoxidamus , Agat/iarcus. Onetas 3 Epicurus. Le décret est signé 1°. par Paragoras , qui étoit demiurge ; c'est le titre que donnoient a. leurs principaux magistrats plusieurs villes d'origine dorienne ( Voyez Thucyd.3 lib. V3 cap. Arj. Hesychius 3 etc } etc. Liv. 3 lib. XXXVIII, cap. 3oJ.  PI. IV   iettb.es. 2°. Le décret est signé par cinq próxènes , espèces de magistrats chargés de protéger les étrangers qui avoient obtenu le droit d'hospitalité dans une ville. Leur signature prouve qu'il étoit question ici d'un pareil droit et que par le mot *<*<«>>, il faut entendre la maison ou 1'hospice public oü 1'on recevoit les étrangers auxquels on accordoit 1'hospitalité; c'est peut-être clansce sens que, parmi les acceptions que Suidas donne au mot OIKIAN, on trouve celui d'«**-<*»yi Au privilège de Phospitalté en étoient joins d'autres exprimées par ces mots »«i raxxa wavra. La seule difficulté qui m'arrête , est le mot 23KAINIAI. J'avois d'abord cru qu'il pouvoit désigner la petite nation des Sicanes, qui avoit autrefois possédé la Sicile , et qui du tems de Thucydide occupoit encore quelques-unes des cötes occidentales de cette ïle; mais le nom de ce peuple étoit 2IKANOÏ et non SlKAlNOI: de plus, on auroit dit 2IKAINOÏS plutöt que 2IKA1NIAI. II est donc plus vraisemblable qu'il faut entendre ici d'une femme nommée 2IKAINIA. On pourroit incidenter sur ce nom ainsi que sur celui de Mineon qui vient après. Mais loin de nous arrêter a des objets si mi-  4*6" lettres. nutieux , concluons que 1'inscrlption contieni un décret pour accorder a quelqu'un 1'hospitalité puhlique. Ce décret est gravé sur une de ces tablettes de cuivre que dans de pareilles occasions on remettoit entre les mains de la personne f'avorisée pour lui servir de titre. Cet usage est confirmé par plusieurs exemples , et par deux , entre autres, que le père Paciaudi a rapportés CIn Monuni. Pelopon. , tom. II, pag. i43). Cicéron (In Verr. } lib. IV, cap. 6$), en parlant des honneurs que le sénat de Syracuse lui avoit décernés , ainsi qu'a son frère , dit : decernunt statim : primum , ut cum L. J'ratre hospitium publice Jieret ; id non modo turn scripserunt verum etiam in aere incisum no~ bis tradiderunt. Autre exemple : le sénat et le peuple de Malthe , ayant accordé I'hospitalité publique a. un certain Démétrius, ordonnèrent d'inscrire le décret sur deux tablettes de cuivre , et d'en donner une a ce Démétrius : vpó^tixv t«Jt!)ï «v«y|><*J/«< üs XcihxcifictTci Ji)o , ki to 'tv iïSvaf &HfiilTfi!i Atoiïiris. Si vous croyez, monsieur, que ces notes rassemblées a la hate et au milieu d'une fbule d'embarras méritent d'être mises sous les yeux de monseigneur Borgia, je yous serai obligé de les  lettris.' ^tj les lui envoyer avec l'hommage de nion respect et de ma reconnoissance. Acceptez en même tems celui, etc. A M. ***. Les observations contenues dans votre lettre,4 monsieur, confirmentla haute idée que j'avois de vos lumières. II est singulier en effet qu'on n'eut pas exprimé sur cette lame de cuivre le nom de la ville qui 1'avoit fait graver. Mais outre que nous ne pouvons aujourd'hui juger des üsages de ces tems reculés, ainsi que vous 1'avez remarqué vous-même , je vous prie d'observer que ce n'est pas ici un monument pour la postérité ; c'est une simple concession, faite h une personne particulière ou a. une nation. Les noms des magistrats ne suffisoient-ils pas pour donner a cet acte toute 1'autorité dont il avoit besoin ? II me semble qu'il en coute moins d'adopter cette idee que de prendre le mot SjAiiTIS pour le nom d'une Sec. part. D d  4l8 LETTRES. ville dont il ne reste point de traces dans les auteurs anciens. Ce mot, je vous 1'avoue , m'embarrasse. II ne se trouve point dans les auteurs grees ; il m'arrêta au moment que je lus 1'inscription (1). Je cherchois a. le décomposer pour en saisir le sens , lorsqu'un de mes amis, qui arriva par hasard, me proposa de le tracluire par Serveldina ou Sospita , en le prenant pour le féminin de 2AÜ.THP. L'analogie de la langue s'y trouvoit, et je préférai cette conjecture a toutes celles que j'avois imaginées. Je sais qu'en Sicile , les Doriens disoient SfTTEIPA au lieu de 2.A.QTI2. Mais il est impossible que dans la grande Grèce, ils aient employé cette dernière forme. J'ajoute que 2Af2TI2) se lie naturellement avec les deux mots précédens. Vous proposez, monsieur, de les isoler, comme dans plusieurs inscriptions qui commencent par AFA0H TTXH. Mais ces deux mots ne sont-ils pas toujours au datif'? Je n'ai ici aucun recueil d'inscriptions et ne (i) J'ai trouvé depuis dans Pausanias, lib IX , cap. 26 , pag. 761, une statue de bronze consacrèe & Jupiter sauveur , sous le titre de 2AGTOÏ AI02.,  XE T TRES. puis vérifier le fait. Je ne me rappelle pas non plus si les lames de cuivre rapportées par le père Paciaudi, et citées dans ma lettre a M. Adler, font mention des descendans de la personne a qui 1'on avoit accorde un semblable privilège. J'ai 1'honneur d'être, etc. P. S. II reste Ie mot 2IKAINIAI, qui n'est pas moins embarrassant que celui de SAOTIS. II peut designer ufte femme , ou peut-être la petite nation des Sicaniens. De ces deux acceptions, j'avois préféré la première : vous choisirez volontiers la seconde. II me semble que dans les privilèges que les villes s'accordoient mutuellement, on n'exprimoit pas Ie nom de la ville ou de la nation, mais celui des habitans. Par exemple, on ne disoit pas Eyzance accorde a Athènes, mais les Byzantins accordent aux Athéniens , etc. Dd a  AlO lettres» A M. DE CHABANON.1 I. A Paris , ce 26 janvier 1778.: Je connois depuis Iong-tems, mon cher ami," le passage de Démétrius de Phalère. Je 1'avois examiné autrefois, et j'en ai dit un mot dans une note de mon Mémoire sur les rapports des langues égyptienne , phénicienne et grecque , t. XXII, pag. 222. Comme nous n'avons aucune autre preuve que les anciens Égyptiens eussent admis sept voyelles dans leur alphabet, et qu'il me paroissoit absurde qu'une nation eüt employé de simples sons pour célébrer ses dieux, j'avois embrassé 1'opinion de MM. Gesner et Michaëlis , consignée dans les mémoires de Gottingue. Ces deux savans ont prétendu que les Grecs , ayant entendu dans quelque temple des Égyptiens, le nom de jehova ( dieu ), prononcé peut-être de cette |  iettres. manière ïeoua (1) , avoient imagïné que les Égyptiens employoient de simples voyelles dans leurs prières. II est vrai pourtant qu'il n'est pas prouvé que les prêtres égyptiens aient connu le nom de jehova 3 quoique la chose soit assez probable. Depuis 1'impression de mon mémoire, je suis revenu plus d'une fois a ce passage. J'ai re vu ce qu'en avoit écrit M. JablonsHci (' Panth. aegypt. Proleg, pag. 55) , et je ne suis pas éloigné de croire que les prêtres égyptiens, ayant désigné chaque planète par une voyelle, se contentoient de faire resonner ces voyelles lorsqu'ils vouloient invoquer les divinités qui présidoient aux planètes. M. Jablonski rapporte plusieurs passages qui semblent confirmer cette opinion, un, entre autres , de Nicomaque , qui est assez frappant; il est tiré du deuxième livre du Manuel , p. 87. édit. de Meibomius. II y est dit que les Thériniens honorent la Divinité par des sons inarticulés. Malheureusement on ne connoit pas ces Thériniens. Meibomius a cru qu'il falloit lire Tyrrhéniens ou anciens Toscans, qui (1) Ce mot n'est composé en hebreu crue de quatre voyelJei.. Dd 3  4^2, I ET T R I 8> en effet avoient beaucoup emprunté des Egyptiens; d'autres, au lieu de ©.po., ont lu ©.oopyoi, Quoiqüil en soit, il y a donc eu anciennement des prêtres qui ne pronongoient dans leurs prières que des voyelles , et cela pourroit suffire pour justifier Démétrius de Phalère. M. Jablonski observe avec raïson que les Gnostiques, qui avoient conservé plusieurs rites des Égyptiens , nous ont laissé plusieurs abraocas } sur lesquels sont gravés les sept Voyelles , quelquefois a cöté de figures de divinités qui paroissent égyptiennes. Je trouve en marge de ma dissertatlon citée ci-dessus, une note manuscrite que j'ai ajoutée je ne sais quand. C'est un passage inconnu a Jablonski, et tiré d'un médecin grec nommé Nicolaus Myrepsus. L'ouvrage de ce médecin est imprimé parmi les Medici principes d'Henri Etienne {col. 635). Ce Nicolas rapporte beaucoup de formules de remèdes, et trés-souvent il exige qu'en les composant, on les accompagne de prières. Or, en parlant d'une eer* taine drogue (sect. XXI, cap. 1), il veut, pour qu'elle opère son effet,qu'on ait soin en la faisant de prononcer les sept voyelles Page 129. Mort de Commode en iqA. Ce prince n'est-il pas mort le dernier jour de Pan 192? Page 127. Je ne sais pas pourquoi vous at-  LETTRES. 431 tribuez cette inscription k Commode. Le titre deNOBILISSIMVS CAESAR n'a pas paru jusqu'a présent sur les monumens des princes antérieurs a Geta, quoique Commode ait regu celui de nobilissimusprinceps dans une inscription. Dans celle que vous rapportez le mot Caesaris, étant au génitif, devroit se rapporter au père de Commode, et je doute fort qu'on ait jamais appelé Mare Aurèle nobilissimus Caesar. Que signifie d'ailleurs DIVI ANTONINI DI... Si Diadumenien avoit laissé des enfans qui eussent eu des prétentions a 1'empire, on liroit très-naturellement nobilissimi Caesaris divi Antonini Diadumeniani ; car Diadumenien avoit pris et le nom d'Antonin et le titre de nobilissimus Caesar sur ses médailles. Mais cette conjecture ne peut pas avoir lieu, et 1'inscription est trop dégradée pour en nasarder d'autres; il me paroit seulement qu'elle conviendroit mieux a Elagabale. La chose est d'ailleurs très-peu importante. Page. i4o. Je ne vois pas ou pouvoient être placées les années des règnes de Sévère et de Caracalla; car après ces mots abrégés : TRIB, POT., qui terminent la troisième ligne , vient  4^2 tETTr.ES. unP, qui doit être 1'initiale de PONTlfex.1 Vient ensuite IMPERATORIS CAES. L. SEPTIMI SEVERI, etc. On ne pourrolt placer les années de Sévère qu'après ces mots: PARTHICI MAXIME Mais il me semble qu'il n'y a pas assez d'espace dans votre copie ; et je croirois plutöt qu'il faudroit remplir la lacune par le mot FILIO, en entier ou en abrégé. LT est-il bien net sur la pierre ? Page 148. Vous avez raison de rejetter la ïecon do monseigneur Fontanini au sujet de Pare de Sévère. On y lit clairement le nom de Geta, ainsi que vous le verrez par la copie figurée de cette inscription que j'ai 1'honneur de vous envoyer. Page 383. Je suis au désespoir que vous n'ayez pas voulu vous rendre au sentiment de M. Assemanni. Les deux inscriptions clont il s'agit sont certainement 1'ouvrage des Arabes, quand ils, étoient maitres de la Sicile. Les ca* ractères en sont coufites et paroissent sous la même forme, non-seulement sur les médailles arabes, mais encore sur plusieurs inscriptions arabes que j'ai vues a Marseille, a Pouz* zole et dans plusieurs copies qu'on m'a en- voyées  LETT11ES. 4^3 voyées des lieux oü les Sarrasins ont demeurés. Cette f xpression même non est alius deus praeter unum deunt, est consacrée particulièrement sur les médailles et dans presque toutes les inscriptions arabes. Je suis, etc. A UN ARTISTE. ous me demandez, monsieur, si Pusage de placer 1'épée a droite ou a gauche a été le même chez toutes les nations et dans tous les tems. Voici sur ce sujet quelques observations relatives aux Grecs et aux Romains , d'après les historiens et les monumens. Polybe {lib. VI, pag. 46$), qui écrivoit vers Pan i5o avant Jésus-Christ, décrit exactement les armes des R.omains, et dit que les fantassins portoient Pépée espagnole prés de la cuisse droite. Environ deux cent trente ans après, Josephe, qui s'étoit distingué dans la guerre des Juifs contre Vespasien, dit {de Bell. Jud.; Sec. part. E e  A34 LETTRES.' /. III, c. 5) que dans les armées romaines, Ie fantassin portoit deuxépées, 1'une plus longue a gauche, l'autre, qui n'avoit qu'un palme de longueur, c'est-a-dire, neuf a dix pouces, a droite. II ajoute que le cavalier portoit une longue épée du cöté droit. Sidonius Apollinaris, mort évêque de Clermont, vers Tan 48a de Tére vulgaire, qui nous a laissé quelques pièces de poésie, dit dans un endroit (carm. II, v. 303) que le baudrier tenoit Tépée suspendue a gauche. Applicat a leevd fulgentem balteus ensemï Procope , qui vivoit du tems de Justinien , environ deux cents ans après Sidonius , observe que les archers de son tems portoient 1'épée au cöté gauche ( Bell. Per. I, cap. 1 ). Quant aux monumens, il est certain que sur la colonne de Trajan , sur celle d'Antonin , sur Tarcde Septime Sévère et sur d'autres monumens qui nous sont restés des Romains, la plupart des soldats ont Tépée a droite, en même tems que plusieurs la portent a gauche , ainsi que 1'empereur et les principaux officiers rangés autour de lui. II est certain encore que dans ce fameux  1ETTRES. Ao5 dïsque d'argent trouve dans le Rhöne, au siècle dernier, conservé maintenant au cabinet du roi et connu sous le nom de bouclier de Scipion, on voit deux soldats avec 1'épée k gauche. . , II est certain encore que dans des bas-reliefs antiques conservés en Italië, lesquels représentent le sacrifice d'Iphigénie, les héros grecs ont 1'épée du cöté gauche. Parmi les médailles grecques et romaines , je ne m'en rappelle aucune oü 1'épée soit k droite; mais j'en connois beaucoup oü elle est k gauche. Je dois même observer que dans le tems oü furent élevées les colonnes trajane et antonine, oü sont tant de soldats avec leur épée placée du cöté droit, on frappoit k Rome des monnoies oü 1'empereur paroissoitavec une épée placée k gauche. D'après d'autres indications , je présume que dans les plus anciens tems les soldats avoient une épée et un poignard; que cette épée fut tantöt longue et tantöt courte; qu'Iphicrate , général athénien, préfëra 1'épée longue; que les Romains au tems des guerres puniques, la raccourcirent, en empruntant la forme qu'avoit cette arme parmi les Espagnols , et la placèrent vers la cuisse drbite , E e 2  436 IETTHBSi oü plus anciennement étoit le poignard j que 1'usage de 1'épée longue a. gauche, et de 1'épée courte a. gauche, subsistoit encore du tems de Vespasien ; que peu de tems après et du tems des Antonins, on se contenta de 1'épée courte, c'est-a-dire, de dix-huit pouces, que lesuns plagoient a droite , les autres a gauche suivant que cela leur étoit plus commode, mais que les empereurs et les principaux officiers la mettoient a gauche. Ainsi, loin d'avancer comme un principe que les anciens portoient toujours 1'épée du cöté droit, je dirai qu'originairement 1'épée devoit être a gauche , et que des circonstances particulières la transportèrent a droite, et qu'ainsi un artiste , qui, en traitant un sujet tiré de 1'histoire grecque , placera 1'épée a gauche, aura beaucoup de monumens pour lui et aucun contre lui; et qu'en traitant un sujet de 1'histoire romaine postérieur aux guerres puniques , sur-tout si c'est une bataille , un assaut, il pourra, suivant que ses figures seront plus ou moins en action, laisser tomber la petite épée sur la cuisse droite , ou sur le cöté droit, ou même derrière le dos, paree que , en effet, cette épée suspendue au baudrier, sans que rien ne la retienne, pa-  roït dans toutes ces positions sur les colonnes et sur les arcs de trioraplie des empereurs. Mals je n'en suis pas moins persuadé qu'un artiste qui représenteroit un empereur, un général en habit militaire , mais dans une situation tranquille, ne pêcheroit pas contre le costume en la placant a la gauche de ses figures. J'ai 1'honneur d'être, etc. A M. LE COMTE D'ARGENSON. A Rome, ce..... 1756. J e n'ai différé, monsieur, a vous rendre compte que pour avoir le tems de terminer quelques négociations assez importantes dont le succes me paroissoit encore douteux. Les Italiens ont une si haute idée du cabinet du roi, qu'ils ne rougissent pas d'attribuer une valeur exorbitante a toutes les médailles que je désire. Cette prévention produit de leur part des dó- E e 3  LETTRES, fiances et des lenteurs, auxquelles je suis obligé d'opposer une indifférence simulée et le secours d'une voie étrangère pour traiter avec eux. Ces moyens m'ont assez bien réussi et j'ose me flatter que mes recherches jusqu'a ce jour justifieront le choix que vous avez fait de moi pour ce voyage. J'ai acquis environ deux cents médailles dont quelques-unes sont uniques , et la plupart extrêmement rares. J'en aurois acquis davantage si je m'étois plus attaché au nombre qu'a. la rareté ; mais j'ai cru devoir négliger celles que des hasards fréquens procureront en France , et pour lesquelles il auroit fallu sacrifier des médailles destinées k des échanges plus avantageux. Sans entrer dans 1'examen de toutes ces acquisitions en particulier, je me bornerai a celles qui exigeront moins de réflexions et de détails. Vous savez , monsieur, qu'avec le médaillon de 1'empereur Honorius, que vous me fites 1'honneur de me remettre 1'année dernière , le nombre des médaillons d'or conservés au cabinet du roi est monté a. vingt-six. L'Italie entière n'en fourniroit pas une si grande quantité. J'en ai vu quatre dans le cabinet de Florence , quatre autres dans celui du Va-  LETTRES. 4^9 tïcan, trois dans celui de la reine Christine , qui a passé dans la maison Odescalchi, et quelques autres en différens endroits. J'en ax acquis trois aussi précieux par leur rarete que par leur conservation. Le premier est de 1'empereur Gallien, qui monta sur le tröne 1'an 253 de 1'ère vulgaire. On y voit d'un cote le buste et le nom de ce prince, et au revers un soldat de la troisième cohorte de la garde prétorienne entre quatre enseignes militaires avec cette légende: COHORS TERTIA PRAETORIA. C'est un monument destiné k consacrer la fidélité de cette cohorte. Nous avions au cabinet du roi un médaillon d'or de Gallien , différent de celui-ci. J'en ai vu un troisième au Vatican, qui n'a rien de particulier au revers, et un quatrième au palais Barberin qu'on estime beaucoup , mais dont je ne voudrois pas garantir 1'autenticité. Les deux autres médaillons que j'ai acquis et dont j'ai 1'honneur de vous envoyer le dessin, représentent les empereurs Constantinle jeune et Constantius, son frère, tous deux fils du grand Constantin. Dans le partage de 1'ein- E e 4  44° iettres. pire que ce prince fit entre ses enfans , Cons^ tantin eut les Gaules, 1'Espagne et la GrandeBretagne. II n'y régna que trois ans, ayant été tué dans une embuscade auprès d'Aquilée par un des généraux de Constance, son frère j c'est plusieurs années avant cette époque que le médaillon a été frappé. La légende qu'on y voit autour de la tête, CONSTANTIN VS IVNior NOBilis CAESAR, signifie que ce prince n'avoit encore que le titre de Caesar , qu'on donnoit au fils des empereurs ; de même que le titre de prince de la jeunesse qu'on voit au revers, et qui désignoit auparavant le prince ou le chef de 1'ordre des chevaliers. Le médaillon représente Constantin debout en habit militaire, tenant dans sa main droite 1'enseigne de la cavalerie appelé labarum, et de la gauche une espèce de lance : le mot abrégé CONS. qui est al'exergue, marqué que ce médaillon a été frappé a Constantinople. Je n'ai pas besoin pour relever le mérite de ce monument d'observer qu'il a été fait pour un prince qui a régné dans les Gaules, mais j'observerai plus particulièrement qu'on n'avoit publié jusqu'a présent aucun médaillon d'or de ce prince , et qu'on n'en trouvoit pas même dans le cabinet du roi, quoiqu'on y en  IBTTB.ES', 44l conservat de semblables de toute la familie du grand Constantin. Le troisième médaillon a été frappé pour Constantius , troisième fils de Constantin , la légende FLavius IVLius CONSTANTIVS PERPetuus AVGustus, montre que Constantius régnoit alors en qualité d'auguste. Après la mort de son père, il eut 1'Orient en partage, et il y joignit, après celle de ses frères, 1'Occident. C'est, suivant les apparences, ce que 1'on a voulu exprimer par les deux figures de femmes qui sont au revers, et qui représentent les villes de Rome et de Constantinople; la première sous les traits qui la caractérisent communément, c'est - a- dire , avec un casque et une lance ; la seconde avec des tours sur la tête pour marqué de ses fortifications et de sa situation sur la mer. Les avantages remportés par Constantius contre les Perses et les Germains , sont désignés par les victoires que tiennent les deux figures et 1'éclat qui en réjaillissoient sur tout l'em»> pire romain par cette inscription : GLORIA ROMANORVM. Les lettres de 1'exergue signifient que ce médaillon a été frappé dans la ville d'Antioche en Syrië. Signata Moneta ANTiochiee.  442 Ï-ETTRES. Les bornes que je dois me prescrire m'erapêchent de vous parler, monsieur, de quelqu'autres médailles aussi précieuses que celleci. J'en réserve la description pour une autre lettre, et j'aurai 1'honneur de vous remettre la notice de toutes mes acquisitions a, mon retour k Paris (i). Je suis, etc. AU PÈRE GOURDIN. ■L a lettre que m'avez fait 1'honneur de m'écrire , mon révérend père, exigeoit quelques recherches qui en ont suspendu Ia réponse. M. Galland lut, en effet, dans la séance pu- (i) On doit se rappeler en lisant cette lettre que Barthélemy écrivoit a un ministre , autrement il s'y seroit épargné des détails connus de tous les antiquaires. II avoit rendu un compte fort exact de ce qu'il avoit observé dans son voyage, au comte d'Argensen, qui lui demanda , après sa retraite , une copie de cette correspondance , dont je n'ai pu retrouver qu'un petit nombre de fragmens , etc.  1ETTP,ÜS. 44^ blique de l'académie des belles-lettres , du 3 mal 1707 , une dissertation sur une medaille qui porte le nom de Cléopatre, et qu'il attribuoit k la Bérénice de Titus. Vous êtes étonne de n'en trouver aucune inention dans nos memoires. Votre surprise cessera quand j'aurai mis sous vos yeux ce qui se passa dans les séances suivantes. Je vois par des notes manuscrites , écrites de la main de M. de Boze , que dans celle du 6 mai, tous ceux qui s'appliquoient a 1 etude des médailles se déclare, rent ouvertement contre 1'explication de M. Galland, et la détruisirent par quantité d'objections, dont voici le résultat, tel qu'il est dans les notes citées : « Enfin , M. Galland ne sauroit prouver « que Bérénice ait jamais quitté ce nom , « qu'elle ait jamais pris celui de Cléopatre , « qu'on 1'ait jamais appelée ©EA NEflTEPA, cc ni qu'elle ait jamais été reconnue pour fem« me de 1'empereur Titus. II semble donc cc qu'on ne puisse pas avancer un fait de « cette conséquence sur le témoignage équi« voque d'une médaille dont la légende ne « dit rien de semblable , et dont la lecture cc même est contestée. » ' M. Galland étoit présent et ne se rendit  444 1ETTEES.' point. Dans la séance du 10 il répondit k ces objections , et termina son mémoire par un trait digne de remarque : « Pythagore, dit-il, ne demandoit k ses « disciples que sept ans de silence pour s'ins« truire des principes de sa philosophie avant « que d'en écrire ou d'en vouloir juger. Sans « que personne Peut exigé de moi, j'ai gardé « un silence plus rigide et plus long dans « 1'étude des médailles. Ce silence a été de « trente années. Pendant tout ce tems-la, je « ne me suis pas contenté d'écouter un grand « nombre de maïtres habiles, de lire et d'exa* cc miner leurs ouvrages, j'ai encore manié et cc déchiffré plusieurs milliers de médailles cc grecques et latines, tant en France que « dans la Syrië et dans la Palestine, k Conscc tantinople, k Smyrne, k Alexandrie et dans « les ïles de 1'Archipel. Le sort d'un antiquairs cc est bien déplorable au prix de celui d'un ex« pert dans les arts les plus mécaniques. L'ex« pert, souvent peu expérimenté et choisi par « caprice ou par faveur, ne laisse pas d'être cru cc en justice, et 1'on ne veut pas s'en rapporter a « nu antiquaire qui a de 1'acquit dans la concc noissance des médailles , et qui les explique « avec autant de franchise que de bonne foi. »  1ETTRES. 445 J'ai copié ce long passage paree qu'il contient quelques détails sur les travaux et sur les voyages de M. Galland. II faut convenir que ses plaintes étoient injustes. II parloit devant des arbitres qu'on ne pouvoit conduire par la voie d'autorité. Tels étoient M. Vaillant, M. Simon, M. de Boze et M. Baudelot. Suivant les apparences, il persista dans son opinion, qui depuis n'a trouvé aucun partisan , et qui ne pouvoit pas en avoir. La médaille dont il s'agit est certainement de Cléopatre, reine d'Egypte. Les mots du revers ATT TOT KAIC., doivent s'expliquer par ATTOKPATOPOC TOT KAICAPOC : imperatoris filii Caesaris , qui paroissent ne convenir qu'a Auguste. Mais comment le nom de ce^prince est-il associé sur une médaille avec celui de Cléopatre ? C'est une difficulté qu'on ne pourroit résoudre que par des conjectures ; il faudroit même examiner auparavant la médaillle. Elle n'est point dans le cabinet du roi, ni dans aucun de ceux que j'ai vus. Après la mort de M. Foucault, elle passa dans celui des ducs de Parme , qui depuis a été transpor té a Naples. M. Galland s'étoit laissé séduire par 1'espoir d'une découverte, et l'académie, en gar-  AA6 IETTB.ES.1 dant le silence sur cette question, prouva les égards qu'elle avoit pour un confrère estimable. II en méritoit beaucoup. II étoit également versé dans la connoissance des monumens antiques et dans celle des langues orientales. Son nom est avantageusement connu dans la littérature : il ne manquoit a sa mémoire qu'un historiën digne de lui (1), et cet historiën est maintenant trouvé. J'ai 1'honneur d'être, etc. (i) Le père Gourdin, bibliothècaire de 1'abbaye de SaintOuen, a JAouen , travailloit alors k une histoire littéraire de Picardie, et avoit écrit, le 8 juillet 1784, k Barthélemy, pour avoir les renseignemens dont il est question dans la lettre de ce dernier.  xettb.es. 447 A M. RAST (i). Je vais tacher , monsieur, de répondre aux questions que vous m'avez fait 1'honneur de me proposer. Première question. Quelles sont les principales villes grecques qui firent frapper des médailles en 1'honneur de Julien 1'Apostat , après son élévation a 1'empire ? Réponse. Du tems de Julien , la langue latine étoit tellement répandue qu'on n'en employoit plus d'autre sur la monnoie. Nous avons de ses médailles avec les noms abrégés d'Antioche, de Constantinople, de Cyzique et d'autres villes d'origine grecque , comme nous en avons d'autres avec les noms d'Aquilée, de Lyon, de Sirmium et d'autres villes (i) Sa lettre est du 5 janvier 1782 , et la copie de celle de Barthélemy , sans date , comme plusieurs de celles que j'ai trouvées dans ses canons.  44% xetth.es» qui n'étoient pas originairement grecques. Mais sur les unes et sur les autres les noms sont en caractères latins. Seconde question. Quelles furent les légendes, marqués, chiffres, etc, en caractères grecs relatifs a son apostasie ? Réponse. J'ai déja dit qu'on ne trouvoit point de légendes grecques sur la monnoie de ce prince. A l'égard des marqués relatives a son apostasie, il suffira d'observer que jusqu'a Constantin, les empereurs ou les monnétaires faisoient graver sur la monnoie les figures des divinités du paganisme; que Constantin et ses premiers successeurs abolirent cet usage, et que Julien le rétablit. On représenta souvent sur ses médailles les dieux d'Egypte , tels qu'Osiris , Isis, Serapis, Anubis , etc. Troisième question. Quels furent ceux oü il prenoit le nom et la figure de Serapis ? Réponse. On trouve sur quelques médailles de ce prince le nom de Serapis DEO SERAPI DI, tantöt avec une seule tête, tantöt avec deux têtes; qu'on peut prendre pour celles de Serapis et d'Isis, ou pour celles de Julien et d'Hélène, son épouse. Je suis, etc. A  lettres. 449 A M. C A M P A N. (O J'a i recu, monsieur, les deux empreintes de la bague qui appartient a la reine : elles présentent des lettres grecques , et des mots la plupart inintelligibles. C'est une espèce de talisman, connu des antiquaires sous le nom. d'abraxas, nom bisarre qui se trouve gravé sur ces pierres , et dont on a donné différentes interprétations aussi peu fondées les unes que les autres. II nous reste un très-grand nombre de ces talismans, les uns chargés de figures, les autres avec de simples inscriptions. On les rapporte aux premiers siècles de 1'église. Alors parurent plusieurs sectes qui, fortement attachées aux anciennes superstitions des Égyptiens et des Perses, supposèrent 1'exis- (i) Secrétaire du cabinet de la reine , qui avoit demanda de ta part k Barthélemy son avis, par une lettre du 4 janvier 1784. Sec. part. F f  ,|5o ietth.es. tence d'une foule de génies qui, les uns bons,^ les autres mauvais, présidoient aux astres, dont le pouvoir s'exercant sur toutes les parties de 1'univers, influoit en particulier sur la naissance, sur la mort et sur les actions des hommes. Pour obtenir leur faveur il suffisoit de graver ces lettres sur certains métaux ou sur certaines pierres. Quelquefois 1'inscription est en grec, et concue a peu prés en ces termes : Conservez un tel. Pour 1'ordinaire elle contient des noms que 1'on a pris pour ceux des génies honorés parmi les nations de 1'Orient. On y joint souvent des formules de prières exprimées en égyptien ou dans d'autres langues que nousne connoissons qu'imparfaitement aujourd'hui. Dans les empreintes que j'ai sous les yeux , je crois distinguer le mot semès, qui dans les anciennes langues de 1'Orient signifioit soleil. On pourroit en conclure qu'on avoit tracé sur la pierre des vceux adressés k cet astre , ce qui paroit confirmé par la figure du serpent qui mort sa queue. Ce symbole, qui paroit sur plusieurs de ces talismans, désigne tantöt 1'éternité qui ne finit point, ou tantöt 1'année qui ne finit que pour recommencer. Je 1'honneur d'être , etc.  % e t t r li s« 45i A M. LE COMTE D'ANGEVILLER^ Paris, ce 27 octobre 1787/ J e vous ren voie, monsieur, les deux pierres gravées que vous avez bien voulu me confier.1 J'y joins la notice, que j'ai lue avec attention, et les deux empreintes, dont 1'une avoit sans doute été échangée quand on a fait le paquet. L'auteur de la notice prétend que la plus grande de ces pierres représente la tête de Régulus. II se fonde sur le clou qui est gravc dans le cliamp , et qui, suivant lui, indique le supplice qu'on fit subir a. ce grand homme. L'idée est ingénieuse; mais ce n'est, après tout, qu'une conjecture. Cette tête, différente de celle que Fulvius Ursinus attribuoit a Régulus, d'après une médaille de son cabinet, ressemble si fort a une tête que le baron de Stosch a fait graver dans son Ff a  45a 1 E T T H E 3. ouvrage (planche V) , qu'on seroit porté a croire au premier aspect que 1'une n'est que la copie de l'autre. Je ne vous cacherai pas, monsieur, qu'un homme qui connoïttrès-bien Ia partie de 1'art, et qui se trouva chez moi a 1'ouverture du paquet, alloit plus loin , et youloit douter de 1'antiquité de la pierre que je mettois sous ses yeux. Mais sans insister sur des soupcons auxquels je préférerois le jugement de 1'auteur de la notice, je pense qu'une pierre dont le travail n'est pas excellent, et dont le sujet n'est pas incontestablement fixé, peut être, sans regret, envoyée en Russie. La petite pierre qui vous appartient est d'un grand caractère et d'une belle exécution. Vous demandez, monsieur le comte, si c'est un Annibal ou un Pyrrhus. Nous n'avons point de pièces de comparaison pour le premier, quoique des antiquaires aient cru le reconnoitre sur des médailles phéniciennes. La tête a beaucoup de rapports, soit pour les traits du visage , soit pour les ornemens du casque, avec celle de la statue colossale qui est au Capitole, et qu'on croit être de Pyrrhus. C'est toujours avec peine et défiance que je hasarde mon opinion sur des choses qu'il est impossible d'éclaircir; je mets dans ce  iettres. 4-^3 nombre quantité de têtes que nous présentent les monumens de Fantiquité. On veut absolument y reconnoitre des dieux , ou des souverains , ou des grands hommes , comme s'il avoit été défendu aux particuliers de se faire représenter par des artistes. Je suis, etc. A M. DE SAINT-VINCENS. I. Paris, ce 7 mars 1779. Je ne connoissois point, monsieur le président , de médaille d'or frappée a Marseille. Mon neveu m'écrivit, au mois de septembre dernier , qu'il avoit trouvé chez un curieux, a. Amsterdam, oü quelques affaires 1'avoient conduit, trois médailles extrêmement précieuses qui manquoient au cabinet du roi; 1'une de 1'empereur Carausius, l'autre d'un Nico- Ff 3  454 XSTTB.ES. mèdc, roi de Bithynie, et la troisièrne de Marseille. II m'assura qu'elles étoient indubitables; et quoique je m'en rapportasse volontiers a. ses lumières, j'exigeai , avant que d'en faire 1'acquisition par voie d'écbange , qu'elles me fussent envoyées. Je les recus , et elles ne me parurent susceptibles d'aucun soupgon. Je donnai pour celle de Marseille une médaille fort rare en or , de Ptolémée Ier., roi d'Egypte , représentant au revers un quadrige trainé par des élépbans; pour les deux autres, des médailles impériales en or. Celle de Marseille est très-bien conservée, etpèseun gros vingt-buit grains et demi. C'est peut-être la même que Goltzius avoit publiée, et qui, suivant toutes les apparences, étoit do son tems dans quelque cabinet de Hollande ou de Flandre. Votre erreur , si c'en est une, nous étoit commune , et ne fait aucun tort a votre excellent morceau sur les médailles de Marseille. On ne peut pas répondre quand on écrit, des médailles que la terre nous restitue peu a peu, ou qui restent ensevelies dans 1'obscurité d'un cabinet. Si j'avois écrit sur celles, des rois de Bithynie, j'aurois dit qu'il ne s'en trouve point en or, et cependant en voila une» Je suis avec respect, etc.  1 e t t h e s.' A55 AU MEME, I I. Ce 18 janvier 1783, Ce n'est pas, monsieur, la première fois, a ce qu'on prétend, qu'on a trouve des couteaux ou poignards de pierre auprès des cadavres déterrés dans les Gaules (1). On m'en a cité plus d'un exemple a l'académie, oü j'ai Lu votre lettre. On m'a dit aussi qu'a Brême , auprès de Soissons, des laboureurs avoient trouvé , a quelques pieds.sous terxe , une es- (1) Un particulier a trouvé k Mollans , en Daupliiné , deux ou trois cents cadavres rangés les uns a cöté des autres. Ils avoient chacim k cótè d-eux une espèce de couteau fait de pierre k fus.1. L'avidité de ce particulier a fait que sur-lechamp il a tout derangé et to,;t brisé , espérant de trouver quelques pièces d'argent. Ces recherches ont été inuliles; et il n'existe plus dans ce moment qu'un tas d'ossemens brisés. Les couteaux ont été aussi mis en pièces. Ils avoient, lorsqu'ils étoient entiers , environ un pied Ff 4  456 1BTTH.ES. pèce de caveau , sur lequel étoit étendu un cadavre, entouré de douze têtes placées sur autant de pierres, avec un couteau de pierre auprès de lui. Je ne ine rappelle point d'avoir vu , ni dans les cabinets , ni dans les recueils des antiquaires, des instrumens de cette espèce. Mais j'ai vu souvent des baches de pierre assez tranchantes qui avoient servi aux anciens habitans de ce pays. Ils pouvoient donc avoir des poignards, tels que ceux qu'on a découverts dans votre terre. Je pense, comme vous, que ces armes sont d'un tems oü les habitans de cette contrée ne connoissoient pas encore 1'usage du fer. Mais ce tems pourroit n'être que de quelques siècles antérieur k la conquête des Gaules par les Romains, et peut-être même d'un petit nombre d'années. Lesr peuples grossiers conservent long-tems leurs anciens usages, et par le déf'aut soit des historiens, soit des autres de long. On n'a pu m'envoyer qu'un fragment qui a quatre pouces de longueur sur un de largeur. II est triangulaire , et Ie bout en est un peu recourbé. II est aigu , paroissant avoir été poli & Ia meule. On seroit tenté de croire que ces armes sout du tems oü les habitans de cette contiée ne connoissoient pas 1'nsage du fer. (Extraitdc la lettre de M. de Saint-Vineens).  1'ETTaBi. 4 ■ 7 monumens , 'nous ne sommes plus en état de suivre les révolutions que ces usages ont éprouvé. Nous avons au cabinet du roi des medailles d'Antonin, frappées la cinquièrne ou la vingtquatrième année de son règne, représentant au revers un beller avec la tête ou d'Ammon ou de Serapis. Je n'en fis pas usage dans ma dissertation ( Académie des inscriptions, tom. XLI, p. 5oi), paree que ce belier n'y est point accompagné d'une planète. Ce qui m'avoit frappé dans les médailles de ce prince , c'étoit de voir sous 1'année huitième, la suite des signes du zodiaque toujours correspondante a certaines planètes caractérisées par leurs attributs et par une étoile. On voyoit une intention marquée , et c'est ce que je tacbai de découvrir. Je ne nie point que le belier de votre médaille soit un de ces signes, mais ce n'est peut-être aussi qu'un symbole sur lequel on ne pourroit proposer que des conjectures. Ce qui me détermineroit pour le symbole, c'est qu'on trouve le belier avec la tête d'Ammon sur les médailles de Faustine la jeune et de quelques autres princes postérieurs. Agréez, etc.  4^3 IiETTIlES. P. S. Ecard a fait graver dans son traité de Origine Germanorum , deux couteaux de pierre , semblables a ceux qu'on a découverts en Dauphiné. On les a trouvés dans les tombeaux des anciens Germains : il est certain qu'ils se servoient de ces espèces d'armes avant de connoïtre 1'usage du fer. AU MÊME. I I I. Ce 12 Septembre 1786, T *>e communiquai k l'académie , monsieur, la première lettre que vous me fites 1'honneur de m'écrire sur la démolition du monument renfermé dans 1'enceinte du vieux palais. Elle prit le plus vif intérét a cette lecture , et témoigna un grand désir de voir les détails de cette découverte. Je ne les ai recus qu'après qu'elle est entrée en vacance, et je ne pour-  1ETTKES.' 459 rai les lui communiquer qu'après la SaintMartin (.). Je suis assuré qu'elle sera aussx contente de vos réflexions que je 1 ai ete. Je ne suis pas surpris qüau seul aspect de cette tour, M. de Peiresc eut avance que ce „e pouvoit être qu'un tombeau. II en avoit vu de semblables en Italië ; et sans sortir de notre province , il trouvoit a Saint-Remi un exemple frappant de ces espèces de construction. Je crois ce dernier plus ancien que celui d'Aix. Bouche 1'a fait graver j il 1'a été depuis par les soins de M. de Mautour {Mémoires de l'académie des helles-lettres, vol. VII). (,) Dans la ««malitic- que 1'on fit a Aix , en ,786 , de 1 ancie„ pakis de justice , on renversa jusquaux fondemens un moment antique quil renfermoi, Ce monument en» u„e tour de douze toises delévation , en y comprenant le caue „assif sur lequel elle étoit balie. Ce carré avoit vingt-s.x p.eus si, pouces de hauteur, sur vingr,sept pieds trois pouces de ter, eeur , en tous srns. _ Cette tour é.oit entourée de dix colonnes en demr-rehe,. «tm avoient di, pieds de hauteur. Leurs chapiteaux étoient d ordre f0moosUc. Entre farchitrave et la frise qui avoient plus de ..auteur que les régies ord.naires prescrivent , on avoit con.mun le prolongement des demi-colonnes, ce qui faisoit une decorauon sans ÉOUU Enfin, cette tour étoit surrnontée par dix autres colonn« de granit , vraisemblablement destinées a soutenu un «tóme. Leurs chaptteaux étoient d'ordre composite. Le tonnerre „ avoit abattu deux, ce qui avoit obügé de faire un mur pour  46o ^inscription que j'ai vérifiée sur les lieux : ^ que, „ rapportée dans la relation de mon {Mém°ireS ^ l'^mie, torn. XXVIII) , semble prouver que ce monument est du premier siècle de 1'ère chéfaenne. Vous avez raison de rapporter celui „ a" SeCOIjd' Je ™" P^e de les compaer, et d exammer si ce dernier est en effet, comme vous le dites , le monument sépulcral ie pLus magnifiane qui eut été élevé en-deca desMpes. Ce qu'il y a de certain, c'est que sur les quatre faces de la base, celui de SaintRemia des basreliëfs k demi-effacés , repré- Jjer cel, qui et ^ ^ \ eSbUS de ces colonnes on avoit élevé, tlenuis sur Jequel on avoit placé une horloge On découvrit dans la même tour trois urnes assez grandes don une étoir de porphyre, et toutes rempües d'osserlns I gn demontre que le céléb.e Peiresc avoit eu raison de croir 'qu h monument etoit un ntau.oléei Deux médailles , Tune de Tra- rables klopmion du savant Fauris-Saint-Vincens, qui rapporte k construction de tout ,'édince aux premières années d'Anfonin P.e. Dans un excellent mémoire envoyé a l'académie des bellesJettres , ,1 explique avec le même succés une inscription „ui d^gne q„e ce mausoiée étoit celui des trois patrons de la colonie ü Aix , etc.  IET TRES. sentant des batailles. Cette décoration manquoit a celui qu'on avoit élevé a Aix. Vous ne nous avez pas donné les dimensions de la boite d'or. C'est une singularité qui mérite de 1'attention. Je pense , comme vous, que 1'inscription dont vous rapportez un fragment, étoit placée sur ce tombeau. II est facheux que l'autre moitié soit perdue. II me vient sur cela une idée que je dois vous communiquer. II me paroit que cette inscription faisoit mention de trois personnages différens , tous trois étoient patrons de la colonie, puisque ces mots Patrono coloniae s'y trouvent trois fois. De la les trois urnes que 1'on a trouvées dans la tour. On en placa une k la mort du premier ; on plaga successivement les autres , en ajoutant un nouvel ordre au monument. Mais pourquoi cette différence de matières dans les urnes ? Elle peut dépendre de quantité de circonstances que nous ignorons et qu'il seroit inutile de savoir. II faut, a. ce qu'il me semble , s'en tenir au résultat. Voila trois patrons d'une ville ; leurs noms étoient tracés dans la partie de 1'inscription que nous n'avons plus. II y a toute apparence que cette pierre étoit placée sur ce tombeau, ou 1'on  46*3 ietthe8. a trouvé trois urnes, donc elles contenoient les cendres des trois personnages auxquelles la colonie a élevé ce monument. Je finis en vous remerciant de la bonté que vous avez eue de m'annoncer cette découverte et sur-tout des excellentes réflexions dont vous 1'avez accompagnée. Agréez, etc. A M. DÜTENS.: Ce 28 janvier 1783.' Je viens de lire , monsieur , dans le quatrevingt-deuxième volume du Monthly Revier , or Litterary Journal un extrait du Voyage du jeune Anacharsis. L'auteur rn'y traite avec une bonté qui lui donne des droits k ma reconnoissanne ; et finit par une réflexion qui exige de ma part un éclaircissement. « II est « possible, dit-il, que le plan de cet ouvrage « ait été concu d'après celui des lettres athé« niennes.»  LETTRES, 4^5 Ces lettres furent composées dans les années 1739 et 1740 par une société de personnages respectables, qui achevoient leur éducation dans 1'université de Cambrige. En 1741, ils en firent imprimer, pour leur usage, douzo exemplaires , en quatre volumes in-S°. Et en 1782, un plus grand nombre encore , en un volume in- Les lettres sont au nombre de cent quatrevingt. Un P désigne celles de Philippe Yorck, comte de Hardwick, lils aïné du grand-chancelier de ce nom; un C celles de M. Charles Yorck , son frère, parvenu a. 1'importante dignité de grand-chancelier, et mort en 1770 , trop tot pour sa familie et sa patrie. Les autres lettres furent écrites par leurs parens ou par leurs amis. Les deux éditions n'ont jamais parues , et c'est ce qui fait dire au journaliste, qu'<2 proprement parler , elles n'ont jamais été publiées. Mais comme il ajoute qu'ils les avoient communiquées a plusieurs personnes, on peut croire que le secret m'en avoit été dévoilé, et ce soupcon prend une nouvelle force quand on considéroit que les deux ouvrages, fbrmés sur le même plan, semblent n'être qu'une suite 1'un de l'autre. Tous deux placent dans  4^4 IETÏ1VES. la Grèce, a des époques assez voisines, uri témoin oculaire chargé de recueillir tout ce qui lui paroit digne d'attention. Dans les lettres athéniennes, Cléandes, agent du roi de Perse , résident a Athènes pendant la guerre du Péloponèse , entretient une correspondance suivie avec les ministres de ce prince et avec différens particuliers. II leur rend compte des événemens de cette guerre, des mouvemens qu'il se donne pour la perpétuer, et des divisions qui règnent parmi les peuples de la Grèce. II décrit leurs forces de terre et de mer, leur dicipline militaire et leur politique. Gouvernement, loix, moeurs, fêtes , monumens , rien n'échappe au profond observateur. II converse avec Périclès , Aspasie , Alcibiade , Cléon , Socrate, Thucydide. II s'occupe de la philosophie des Grecs tantöt avec Smerdis qui réside en Perse et qui dans ses réponses, lui parle de la philosophie des mages ; tantöt avec Orsames, qui voyage en Egypte, et qui dans les siennes lui parle des loix et des antiquités de ce pays. Ainsi se trouvent rapprochés sous un même point de vu les principaux traits de 1'histoire des Grecs, des Perses, et des Égyptiens, et ces traits , puisés, dans les auteurs anciens , donnent lieu a.  lettres. A65 a des paralièles aussi instructifs qu'intéressans. Une parf'aite exécution répond a cette belle ordonnance. Je vous proteste, monsieur, que je n'ai pas eu cet excellent modèie devant les yeux (1). Je suis, etc. A M. DE CHOISEUL-GOUFFIER. A Paris , ce 24 mars 1792. J'ai 1'honneur de vous envoyer, monsieur 1'ambassadeur, deux exemplaires d'une dissertation qui vient de paroitre , après de longs travaux et une longue impression. Vous aurez la bonté d'en remettre un a M. Guis et (1) II paroit que Barthélemy entroit ensuite dans quelques détails sur sa justification ; il renvoit même k la suite de cette lettre , mais je ne 1'ai point trouvée dans ses papiers ; et elle doic être entre les mains de M- Dutens , son confrère et son ami. Sec. part. G g  ^6*6 iettres. de conserver l'autre, a condition que vous ne le lirez pas; car je ne connois rien de si ennuyeux. Vous serez peut-être offensé de 1'audace de 1'auteur qui vous 1'a dédiée, sans vous en demander la permission. II prétend qu'il a été forcé de céder a ses sentimens, et que vous êtes assez généreux pour lui pardonner, d'autant mieux qu'il n'a pas blessé votre modestie. Vous possédez, mon clier comte, un des plus beaux monumens des Athéniens , et je suis bien aise d'en avoir donné la première idée. Que je regrette de n'avoir pas vu toutes vos richesses en ce genre , jusqu'a présent enfouies dans un magasin a Marseille. II doit s'y trouver des choses précieuses, et j'aurois bien volontiers consacré le reste de mes jours a les éclaircir. Vous m'aviez marqué dans une de vos lettres que M. Fauvel avoit trouvé a Athènes une inscription dont les caractères lui avoient paru très-anciens et semblables k ceux de 1'inscription que je publie. J'en écrivis k M. Guis, k Marseille , qui ne perdit pas un moment pour la chercher. II eut la bonté de m'envoyer des copies de deux ou trois inscriptions qui étoient visibles et moins essentielles. Toutes les autres sont renfermées dans de6 caisses, et il ajouta que si vous 1'ordon-  £ E T T R E S. 4"7 tiïez, il les feroit ouvrir (1). Je lui marquai bien vite qu'il falloit bien s'en garder , et qu'on risqueroit beaucoup a les déplacer, outre les frais immenses qu'il en couteroit. Ce n'est qu'a votre retour , dans un tems plus tranquille, lorsque vous aurez étalé tous ces monumens dans une pièce particulière, que les antiquaires pourront exercer leur courage et leur savoir, et, suivant toutes les apparences, ce tems ne reviendra pas sitöt. (1) Los objets renferffiés dans ces caisses ont été transportés ensuite k Paris. M. de Choiseul en parloit dans une lettre k Bartbélemy , en ces termes : « Je termine une entreprise dont « je puis dire qüe des souverains auroient été effrayés ; tous les k métopes , et les plus belles parties de la frise qui règne au« tour de la cello, du temple de Minerve, les plus beaux baste reliëfs de celui de Thésée, les cariatides , les cbapiteaux d'JE» k recbtèe, la lanterne de Démostbène en entier , ont été mou« lés , sont encaissés et préts a partir sur une frégate. Ces chefte d'ceuvres de sculpture se survivront ainsi k eux-mèmes, et en « dépit des Turcs qui les mutilent plus que jamais , on les verra tc dans mon cabinet k Paris ; si le roi vouloit, je serois en état tc dn les lui construire en plitre dans ses jardins de St.-Cloud «c ou de Bambouillet; on ne pourroit pas dire que ce fut une « copie; ce seroit le monument lui-mêine, etc... » Jamais particulier n'a fait en France tant de sacrifices pour les beaux arts et 1'antiquité que M. de Choiseul, et personne n'a plus eu justement k se plaindre d'une si forte ingratitude , sur-tout de la part de quelques artistes qu'il avoit employés. G g a  ^68 IETTKES. On m'a dit que pendant le séjour de M. Fauvel k Athènes, on avoit découvert une inscription sur la facade extérieure d'un monument que Spon et "Wheler avoient pris pour le temple de Jupiter Olympien, et dont les ruines se trouvent au nord de la citadelle ; Stuart et le Roi ont parlé de ces ruines, et j'en parle aussi dans la note sur le plan d'Athènes, chap. ia du Voyage d'Anacharsis. 3V1. Fauvel vous a-t-il parlé de cette inscription ; en auroit-il une copie, et pourriez vous me 1'envoyer? Elle pourroit servir a fixer la dcstination de ce monument. Faites-moi le plaisir de me rappeler au souvenir de M. Cousineri, consul a Thessalonique , qui se connoït bien en médailles, et qui pendant son voyage k Paris m'en céda quelques-unes trés-belles pour le cabinet du roi. II m'écrivit a son retour a Thessalonique; je lui repondis sur-le-champ : je lui ai écrit depuis une ou deux fois, et n'ai plus entendu parler de lui. 11 m'avoit cependant promis de me faire part de ses découvertes : je suis faché de son silence , continuant a. travailler sur les plus anciennes médaiiles. II est dans un pays oü elles se trouvent assez fréquemment, et il est bien en état de les discerner. Je  iettres. 4^9 compte lui envoyer un exemplaire de ma dissertation, et peut-être même prendrai-je la liberté de 1'insérer dans le second paquet que je vous adresserai, dans la crainte que celuici ne s'égare. Vous avez aussi beaucoup de médailles, et vous ne m'en parlez jamais; vous gardez encore le silence sur votre second volume. On me demande souvent quand il paroitra ; que fautil que je réponde ? Le défaut de livres, la lenteur des ouvriers , les affaires de 1'ambassasade , etc., etc.; voila ce que je dis. Je ne vous parle que littérature, paree que tout autre sujet afflige et tourmente. J'en détourne mon esprit autant qu'il m'est possible. Nous en sommes au point de ne devoir songer ni au passé, ni a 1'avenir , et a. peine au moment présent. Je vais aux académies, en trés peu de maisons , quelquefois aux promenades les plus solitaires, et je dis tous les soirs : Voila encore un jour de passé. Je suis, etc. Gg3  4yO tETTB.ES.1 | A U C I T O Y E N G * * *.] Ce 16 avril 1795. ous me demandates dernièrement, mon clier ami, pourquoi je n'avois pas parlé de la loi de Solon , qui condamnoit le célibat j et pour confirmer 1'existence de cette loi, vous me citates un passage de Démosthène, par lequel il paroissoit qu'on avoit flétri la mémoire d'un Athénien qui ne s'étoit pas ma-, rié , en placant sur son tombeau un symbole qui attestoit sa désobéissance k la loi. Ni Samuël Petit, ni Potter ne parient de cette loi j mais il est certain que le célibat étoit un déshonneur a Lacédémone , et je 1'ai observé dans mon ouvrage. Je me suis souvenu que Platon avoit proposé de ne pas admettre dans 1'administration un homme qui n'auroifc point été marié; c'étoit une idée de ce philoeophe, II faut donc avoir recours au passage  xijttb.es» 47l de Démosthène , dans son discours contre Léochares. II y est dit en effet que sur Ie tombeau d'Archiades étoit un Aarpo. 8 brisques , lisez briques. 148 dernière un , lisez une. 151 2 écrivisse , lisez écrevisse. 152 21 mort , lisez mord. i55 8 ne reviennent pas, lisez ne me reviennent pas.: 184 * 5 not. des, lisez de. 188 3 not. romaines , lisez romains. 340 2 et 3 not. j'urare, lisez juvarc. 26S 2 des rois, lisez de rois. 270 10 APXAAOT , Usez APXEAAOT. 3i3 17 OAKPaN , Usez AOKPüN. , 317 i3 épis, lisez épi. 3go 2r monumens , lisez des monumens. 3gi 22 lettres , lisez caractères. 5gg pénult. du , lisez de. 4og 4 saddes , lisez Sadder, 414 6 et 7 ATA0APXO2 , lisez ArAQAFXOZ» 415 pénult, Mineon, lisez Mincon< 416 23 AKfctrpiy, \Usez Aijfeirjinv. 44i 22 réjaillissoint, lisez réjaillissoit, ib. antepénult. nu , lisez un.  Note tirée des manuscrits de Barthélemy, oubliée a la page 319 part. II. Ci) Le cabinet des médailles , commencé d'abord par Gaston , frère de Louis XIII, qui en fit présent h Louis XIV , s'accrut sous ce dermer prince par des acquisitions fréquentes , et par les offrandes volontaires de quantité de particuliers.