ZES ^irTWTlfllflS DOCTEUR FAlTST et lanefccute aux Knfers. a Amfterdam   LES AVENTURES D U DOCTEUR FAUST, E T SA. DESCENTE AUX ENFERS. AVEC FIGURES. AU this with indignation hare ff kuirfd At the pretendingVart oftheproudttrortd ; IVho, swoPn with selfish vanitij, devise False Freedams, hölyChcats, andformal Lies, Over their Fellow-Siaves to tijrclnnize.   P r èfa c e. L'Ouvrage dont on pnblie ici la traduction a paru, il y a six ons', en Allemagne, ou il jcuit d'un succh soutenti. Le grand nombre tféditions qu'on en a faites, et surtout l'accueil qn'il a reen des franpis qki entendent [Memand, mont détermini a le traduire, en faveur de ceux a qui cette langue n'est pas famiiiere, et pour en faciliter l'entiere connoissance a ceux qui l'étw dient, et leur donner mie idéé du génie qui la caractérise, je me suis écarté, le moins possible, des expres* sions et des images dc'VOriginal. Que si ma versiou rCa pas le mérite de Célégance, ni toujours celui de ln correction; 'fesphe qu'on voudra Hen me pardonner eet difauts, en faveur de la précision et de la fidélité qut j'ai obfervées avec le plus grand foin. Vantcnr de ce Roman philosophico - satyrique est un homme fort connn dans la Littérature, mais dont nous crayons devoir taire le nom, par respect pour, Je voile de prudenct dont il s'est enveloppé. Les vérjtlt hardies, les traits piquants, v.ais quilqnefois ticentienx qiCil s'est permis cor.tre les princes et les prêtres, Wanroient pas vianqué de lui susciter des ennemls, et pour éviter les penécutions de la haine, il a gardé l'»nonyme>  II Oh sait m le Docteur Faun, 71'e £ Mayence, passé en Allemagne pour l'inventeur de l'imprinierie, et que, ïaprh une tradition tris-ripandue parmi les Allemands, cette dkouvene le fit traiter de magicien et lui suscita des persécutions de la part des moines de son tems. lis debiterent que, par ses sorti/èges , il avoit évoqué U Diable, et ut que l'auteur des Aventnres dt Faust s'est  IV p opofé, CU fatit en juger in moins par l'Epilogue qu'il a placé a la fin de son Livre. „Je ne me suis determi„né, dit-il, a livrer eet ouvrage au grand jour'qui „dans de bonnes intentions. 11 pint ctpendant arri„ver qu'il produise de mauvais effets. Vn auteur qui „publie un livre, est dans le même cas qu'un père de „familie qui vient d'enricbir la société d'un nouveau ,,membre : il ignore si son enfant prospérera et s'il „fera plus de bien que de mal dans le monde. —■ „Quoiqu'il arrivé de ma production, elle trompera mes „desirs, si elle ne fait du bien, et mes espérancesi „si elle ne tromt des partisans et mime des défen„seurs." Livre  LIVRE PREMIER. A   Aprés,avoir longterm erré dans le labyrintlie de la métaphysique, de la niorale et de la théologie, sans en avoir pu lirer un ré<5 sultat satisfaisant, Faust, de colère, se jetta a corps perdu dans la magie, dans 1'espérance de forcer la nature a lui révéler ce qu'elle s'obstine a nous cacher. Son premier succes fut la découverte a jamais mémorable de 1'imprimerie, le second fit fremir le ciel. A force de recherches et avec le concours du hazard, il parvint a découvrir la terrible fornmle d'évoquer le diable de 1'enfer, et le moyen de le soumettre a la volonté del'homme. Jusqu' alors il n'avoit pu se résoudre a cette dangereuse démarA a  ) 4 ( che, par prédilection pour son ame immortelle; chose !qui fait 1'objet des soins de tout bon chrétien, saus cependant savoif ce que c'est. Faust étoit alors k la fJeur de son Age. La nature, procligue en vers lui, 1'avoit doué d'un corps robuste, d'une figure imposante et noble, qualités suffisantes pour faire son chemin dans le monde; mais a ces avantnges elle avoit joint dei dons dangereux: un caractère impérieux, de 1'énergie dans 1'esprit, de la fierté dans 1'ame; le vif sentiment du coeur, et plus, une imagination bruiante, que le present ne satisfaisoit jamais, qui, mécontente au moment même de la jouïssance, vouloit analyser le vuide, et qui domiuoit tellement toutes ses autres facultés, que bientut il perdit la route du bonheur, a laquelle des desirs bornés peuvem seuls conduire un mortel, et oü la discrétion seule peut le maintenir. Les bornes de 1'hu.nanité commencèrent de bonne heure k lui paroitre trop resserrées; par des efforts impétueux ü voulut les porter au dela de la réalité. Ce qu'il croyoit avoir appercu et senti dans sa jeunesse lui donna une haute opi-  ) 5 ( nion des facultés de 1' homme, qui font sa valeur moraie; et en se comparant avec les autres, son amour propre n'oublia pas de lui faire illusion (ce qui arrivé a l'liomme de génie, comme a 1' homme le plus stupide). Quelle source de grandeur et da gloire dans 1'amour propre! mais comme la vraie grandeur et la vraie gloire, semblables au bonheur, paroissent la plupart du tems fuir celui qui les, veut saisir, avant de les avoir purifiés des vapeurs et des nuages dont la présoraption les a environnés; il lui arriva souvent de n' embrasser qu' un fantóme, croyant serrer entre ses bras 1' épouse du maitre des dieux. Dans la position oü il se trouvoit, les sciences lui parurent le moyen le plus court et le plus commode de parvenir k la fortune et a la gloire; mais a. peine avoit - il gouté, leur charme, que la plus violente passion pour Ja vérité vint embraser son ame. Quiconque connoit ces Syrenes, et a appris leurs chants séducteurs (s'il ne fait point de$ sciences un métier) sentira qu'il est impossible d'éteindre cettei soif bruiante. Après avoir longtems erré dans ce dédale, pour  ) 6 ( fruit de ses peines, il ne lui resta que des do nies, que le dépit de voir les hommes anssi bomés; et s' irritant contre celui qui 1'a créé, il murmura de pressentir la lumiere, sans pouvoir percer les épaisses tenebres. Heureux encore, s'il n'eut eu que ces sentimens a comhattre, mais la lecture des philosophes et des poëtes avoit fait ïiaitre en son ame mille besoins, et son imagination, errant de fiction en fictiony présentoit sans cesse a ses yeux les objetsattrayants du plaisir, que la considération et 1'or seuls peuvent procurer. Le feu coula dans ses veines et toutes ses autres facultés furent étouffées par ce seul sentiment. Par la découverte da 1'impiimerie, il crut avoir vaincu tous les obstacles dont est hérissé le chemin qui conciuit a la richesse, a la gloire et au plaisir. II avoit employé toute sa fortnne a la perfectionner; et va maintenant présenter sa découverte aux hommes ; mais leur indécision entre le bien et le mal, et leur froideur, le convainquirent bientèt que, malgré sa découverte, sa femme, ses enfants et lui courroient grand danger de mourir de  ) 7 ( faim/ s'il n'avoit d'autre ressource. Déchu de cette haute espérance, accablé de deites qu' il avoit contractées par sa maïiière de vivre, par une genérosité outrée, et pour avoir légèrement répondu pour de faux amis et les avoir soutenus; il jetta un regard sur les hommes, et maudit son existence. Se . trouvant dans 1'impossibilité de pourvoir auxbesoins de sa familie les liens conjugaux lui devinrent insupportables, et il commenca'a croire poiir jamais , que la justice n'avoit pas présidé a la disttibutio.n du bonheur sur la terre. Tourmenté par une chose qu'il ne pouvoit déiinir, il ne concevoit pas, comment il se fesoit et d' oü il venoit que 1' homme, avec de la capacité et des sentimens aiobles, opprimé partout, fut abandonné du monde entier, et languisse dans la misère pendant que le fourbe ou jPimbécille nage dans la rïchesse, est heureux et considere. Avec quelque facilité que les philosophes ct les prédicateurs levent ce doute, ils ne parient cependant qu'a 1'esprit, et n'otent point a Téquivoque ce qu'elle a de far cheux; le sentiment s,e trouve toujours bles-  ) 8 ( se par 1'expériehce journalière; Ie coeur de 1'h omme altier soiiffre, et celui qui a moins de caractère succombe. Fauste étoit du -nombre des premiers. Dès ce moment son esprit tourmenté s' efforca de résoudre le probléme inextncable, dont la soiution a couté envain a des milliers d' hommes la tranquillité et le bonheur de la vie. II entreprit de re* hercher les causes du mal moral, et d'approfondir les rapports des hommes avec l'éternel. II voulut savoir, si c' est lui, qui est Ie moteur de routes les actions des humains, et si ? — enfin d'ou provenoient les contradictions qui le tourmentoient? II voulut porter de Ia clarté dans les ténèbres qui sembloient lui cacher la desünation de 1'homme. E concut même 1'idée téméraire de vouloir approfondir celui dont 1'existence nous est si incompréhensible, et Tefficacité si évidente. Armé de ces connoissances importantes, 1'espérance de jetter le monde entier dans ï'étonnëment, et de marcher parmi les hommes, comme un esprit du premier rang, adoucit quelque tems ses efForts jnfmctueux et penibles. Sa position deve-  j 9 ( nant de jour en jour plus crüïque, les hommes, malgré les obligations qu'ils lui avoient, s'éloignèrent de lui de plus en plus, et ses eiïorts, pour jetter quelrjuo Clarté dans ces tenèbres ne kètvïrfcnt öü & les rendre plus épaisses. CVst alors que, désesperé, il se' convninquil fermemfent qu'il n'y avoit qu'un esjtfjt de V autre monde qui put le tirer de sa misère* et lui donner queique lumière sur ces objets. Cette idee k la verité- sommeilloit encore dans son sein, mais il ne lalloit a 1' effervescence de ses desirs et a sa donleur qu'un nouvel aigiiillon pour le porter au dela des barrières qu'il heurioit avéc tant de fureur.  ) 10 ( 2t Navrê de douleur, Faust se rend de Ma-' yence a Francfort, dans le desem de vendre au trés - louable magis.rat une Bible latme imprimée p8r lui. U n-avoit cette seuie ressource pour procurer' du P--n ases enfants affarnês; et sa villa natale ne pouvoit, en cela, lui ètre daucun secours, parcecp'alors 1'archeveque se trouvoit engagé dans une guerre terrible «vee sonchapitre, et que Mayence etoit cn proie aux dissensions: en voici Ia cause, , Dominicain s'étoit avisé de rêver qn' CüUC,10it «vecsapénitente, la belle Clara ,7He bl8nche et ni&e de 1'archevêque. B devoit dire le matin la M?nte messe, il Ja d,t, et ma]gré Ie-S péAés de.Ja nu n »-nge« le corps du Seigneur. Le sohy se.on la religieüse coutume, enflammé par les vapeurs du vin du rhin dans lequel il noyoit les chagrins du célibat, il raconte 7" 8, ^ novice. Le rêve chatoudla 1'im.ginaüon du novice, qui le ^ontasoudainaunautrernoin^etyntit  ) " c dusien. VoiUlerêve passant de boucha en bouche dans tout le cloine; chacun le charge d'images sales et dégoutantes. et, dans eet état, il parvient aux oreilles du sévère prieur. Le saint homme, qui detes, toit cordialement le père Frappart, a cause de la considération dont il jouissoit dans les première, maisons, fut épouvante, dn scandale; et, env.sageant la cknse comme une profanation du saint sacrement, U osa pas prononcer sur ce cas important* et le communiqua a 1'archevêque. Le prélat, en vertu du syllogisme: B homme pecheur rêve la nmt de ce, qui occupe le iour son esprit, et de ce qu'il desire, er„o- prononca 1'anathême contre le mort ,ie Le chapitre qui déteste toujours son archevêque, en raison de la MM* dont U iouit, et de la pri» qu'il a * se dender i partiv pour 1'autre monde, saisit avec plaisir 1'occasion de le tourmenter, pnt le père Frappart sous sa protection et s'opposa k fanathême, en alléguant ce qui suit: o Tout le monde sait que le diable, „par des images les plus lascives ,t des „appats irrésisublcs, induisit entendon  ) 12 ( «saint Ante-ine; or, si Satan a vouJu s' „amuser ilo cette manière avec un saint, »il n'y a rien d'étonnant qu'il ]ui ^ »vonU a Fidée de s'adresser A un moine «dans le même dessein. II faut exhorter «le moine a suivre 1'exempïe du saint An«toine, et i'engnger a combattre les ten„taiions du diable avec les armes de Ja „priere et du jeune. Au reste on témoigna «beaucoup de chngrin, de ce que le diable «n'eut pas plus de respect pour 1'arclievè»que, et qu'il ait en 1'effronterie de se «servir, pour .ses - espiégleries infernales, »>dcs figures -des personnes de sa noble «familie.» Le cbapitre en tout ceci se conduisit, comme les princes heréditaires, dont les augustes pères regnent trop Jongtems. Une nouvelle, apporiée du convent des nonnes, vint embrouiller toute 1'affaire. Les nonnes, rassemblées dans le réïectoire, étoient occupees a parer la mère de dieu pour Ja fête prochaine, et vouloient 1'orner des plus riches habillements, p0Ur faire niche aux nonnes noires, lorsque tout a coup la vieille soeur tourière entre, racpme 1'histoire infernale, et ajoute: „que  ) »« ( »le dominicain seroit sörcment brulé vif, «et que le chapitre venoit de s'assembier «pour prononcer son jugement.« Pendant que Ia soeur tourière racontoit rinstoire avec tous ses details, les nonnettes devinrent ronges comme du corail; ct le pêché, qui ne laisse évcbapper aucune occasion d* empoisonner des coeurs innocents, fit ravage dans leur sein. Sur la figure des vieilles on voyoit les convulsions de la colcre et de la rage. L'abbesse saisie d' un tremblement, laissa tomber ses lunettes* On dit même que tout le couvent fut constipé pendant quinze jours* Dans eet intervalle, la vierge, restée nue, sembloit crier aux nonnes stupefaites et courroucées de couvrir sa nudiié. Mais la soeur tourière venant a ajouter que c'étoit la soeur Clara que le diable avoit conduite chez le dominicain; toute la salie retentit d'un cri fé* roce. Clara seule ne se démonta point^ et lorsque les autres eurent fini leurs lamentations, elle leur dit en souriant: „Mes „chères soeurs, pourquoi poussez vous des „cris si lamentables? J'ai aussi rêvé que «je coucbois avec le père Frappart, mon  ) i4 ( «directeur, et si c'est le méchant esprit „ qui a lait cela (a ces mots elles se signè«rent toutes) il faut lui donner la disci„pline. Quant a moi je vous assure que «jamais nuit ne me parut si courte; peu «m'importe qui me 1'a procurée.« »Le pére Frappart?» s' écfia la soeur tourière. «O, puissances célestes! c'est «celui-la même, qui a rèvé de vous, plus, „ c' est a lui que le diable vous a conduite, toet c'est celui, que 1'on va condamner «a être brulé vif.« La tom-ière ne s' en tint pas la, elle donna a ce songe les tormes de la réalité et il s' envola, dans la Ville. On laissa la vierge dans son ètat de nudité, et on s'inquiéta peu si celle des nonnes blanches surpasseroit en parure celle des nonnes noires. L'abesse sortit, accompagnée de la conciërge, pour aller faconter la diabolique histoirej la tourière tint assemblee a son parloir, et Clara répondit avec naiveté aux questions plus naiVes encore de ses soeurs. Les trompetes dti jugement dernier ne jetteront pas un jour plus d' elFroi et de trouble dans la ville de Mayence, que cette hjstoire- H n'  ) i5 C y èut que les évêchés du rhin, oiï la peur fut plus grande, a 1'époque ou il prit envie aux gentils francois, de rechercher les droits de 1' homme, qu' ils avoient originairement perdus, en se formant en société. Et a cette occasion, il étoit bien naturel qu'on se ressouvint de la danse de St. Vitte, genre de folie qui se répan-: dit dans toutes les provinces et empires^ de 1' Europe, qui troubla et échauffa tellement le cerveau des Européens, et surtout des Allemands, que chevaliers et paysans, comtes et valets, évêques et curés, femmes de condition et soubrettes, se tenant par la main, formoient des figures grotesques, courroient en dansant de village en village, de ville en ville, jusqu' a ce qu' ils fussent épuisés, ou que les plus foibles d'entre eux succombassent. Le prieur des dominicains apprenant eet événement, courrut bien vite au chapitre assemblé, et par cette nouvelle donna tout k coup une autre tournure a la chose. L' archevêque alors auroit bien voulu pouvoir assoupir toute Taffaire; mais le chapitre avoit iütérêt k la rendre publique, et  ) i6 ( tpus les chanoines déclarèrent unanimemetlt que le cas ëloit de nature a être porté aü Saint Père de Rome. Les uns crioient, les autres se démenoient comme des possédés ; on se menaca, et il n'y eut que la cloche du diner qtii sépa-a les combattants. La cour commencd a corrompre les chanoines, a intriguer dans le chapitre; et tout Mayence, moines et laics, furent, pendant plusieurs années divisés en deux partis; de manière qu' on ne vit, n'entendit, ne paria et ne rêva que du diable, de la nonne blanche et du père Frappart. La chose fut discutée dans toutes les facultés; les casuistes après avoir interrogé la nonne et le père, et les avoir confrontés, écrivirent des infolios sur tous les cas pecCables et non peccables possibles, en fait de rèves. Etoit-ce une époque favorable a Faust et a sa découverte? 3-  ) *7 l 3- C'est aFrancfort, sejour paisible des muses et 1'asyle des sciences, que Faust esperoit réparer sa manvaise fortune. II offrit sa Bible au digne conseil de cette ville pour une somme de deux cents ducats, mais par malheur pour lui on avoit achete quelques semaines auparavant cinq foudres 'de vieux vin du rhin pour les caves de la ville, et sa requête resta sans effet. 11 fit la cour aux échevins, au maire, aux sentteurs, k 1'orgueilleux patricien, et au conseiller plus orgueilleux encore du corps de métier de St. Crépin. On lui promit partout soutien et protection. II s' étoit principalement attaché auBourguemaitre, auprès duquel il ne gagna rien autre chose, qu' une violente passion que Madame la Bourguemaitre alluma dans son trés - combustible coeur. Un soir le Bourguemaitre 1'assura, que le conseil prendroit au premier joiir une resolution en vertu de laquelle le , peuple d'Israël seroit mis a contribution, teie par tête, jusqu'a concurrence de la somme qu'il demandoit pour sa Bible. Mais B  ) m c Faust remarquant qne ses enfanti pourroient bien mourir de faim> avant qu' une assemblee aüssi éclairée fut d'accord; dénué d'espérance, plein d'amour et de ^olère, il se retira chez lui. Dans 1'amer. tume de son ame, maudissant les hommes, accusant le ciel, il rcSolut de commehcer sa formule enclianteresse. L'idée d'erttreprendre quelque chose d'audacieux et de cherdièr a .se rendre independant des hommes par une alliance avec le diable, lourmerjtoit plus vivement que jamais son imagination. Malgré son malheur et sa résolution, son ame étoit encore incertaine. A pas précipités, avec des gestes furieus et des cxclamaüons effroyables, il court ca et la dans sa chambre et combat avec ses forces intérieures révoltëes. Uien ne peut les anêter, toutes considéraiions sont vaines, elles veulent pénétrer 1'obscurité qui nous onvirocne, son esprit frémit encore de ceite résolution; mais cédant a 1'ambition, iï pëse raccomplissement des desirs insatiables de son coeur, les jouissances de la nature pour lesqueiles il avoit si longtems sonpiré, avec les prejugés de 1'  ) «9 ( enfarice, la pauvreté et le mépris des hommes. Déja 1'aignille de la balance chantelle. II sonne onze beüres a la tour voisiné. La nuit de ses ailes sombres coüvre 1'univers. Les vents sont déchainés, Eums vomit les orages, Phébé est obscurtie par desnuages épais, toute la. nature est en insurrecüon. O, nuit favorable ppur aigrir encore une imagination revoltée! L'aiguille de la balance vacÜle encore. Dans un coté est la religion avec son soutien, la crainte de Pavenir; dans Pautre sont la soif de 1'indépendance et de la science, Porgueil, Ia volnpté, la haine et P amertume; celui - ci 1'emporte. L'éternité et la damnatiën ne se font entendre que foiblement dans son ame. Telle une jeune fiïïe, qui sent sur son sein les baiscrs brulants d'un amant, hésite entre les lecons de sa mère et Pattrait de la nature. Tel rëste incertain le philosophe entre deux propositions: Pune est vraie, Pautre est b'rillante et conduit k la gloire: la quelle choisira - t - il ? Faust décrit, d'après les régies de la magie, le cerclo terrible qui va le séparer B 3.  ) 20 ( a jamais de 1'ètre suprème, et par lequel il doit renoncer aux doux liens del'humaïiite'. Ses yeux; étincelent, son coeur bon dit, ses cheveux se dressent sur sa tête. Dans eet instant il croit voir son vieux père, sa jeune épouse et se* enfants se déchirer le sein de désespoir. Ensuite il les vit se prosterner a la face du ciel et implorer, en sa faveur, celui auquel Ü vouloit renoncer. » C' est le besoin, c'est ma misère qui «les a piongés dans le désespoir, « s'écriat - il, en frappant avec férocité des pieds contre la terre. La fierté de son esprit s' irrita contre la foiblesse de son coeur. C' en est fait, il saute dans le cercle, le ciel est en feu, le tonnerre gronde, la foudre tombe, sa maison est ébranlée jusque dans les fondements. Une noble %me se présente a ses yeux, et lui crie: «Faust! Faust!« Faust. Qui es-tu, pour venir m'interrompre dans mon audacieux ouvrage? La Fignre. Je suis le génie del'Immanité, et je veux te sauver, s'il est possible encore.  ) ai ( Faust. Que penx - tu me donner pour appaiser la soif de la science, un penchant invincible pour la jouissance et laliberté? La Figure. L'humilité, la résignation dans les souffrances, la modération , le noble sentiment de toi-même; une mort douce et la lumière après cette vie. Faust. Disparois, fantöme de mon imagination enflammée. Je te reconnois aux ruses avec lescpielles tu trompes les misérables que tu as soumis k ta puissance. Va faire tes momeries devant le mendiant, 1'esclave opprimé, le moine: addresse-toi a ceux qui ont enchainé leurs coeurs par des liens hors de la nature, k ceux qui ont renoncé a eux mêmes, pour échapper aux griffes du désespoir. Les forces de mon coeur veulent de 1'espace; que celui qui me les a données, réponde d' elles! »tu me reverras« dit le génie, en soupirant, et il disparut. Faust s' ecria: „Serai-je poursuivi par „des préjugés puérils jusqu'aux bords des „enfers? non, ils ne m'empêcheront pas de pénétrer 1' obscurité. Je veux connoitre ce que me dérobe 1' épais rideau qu' une  ) ( „main tirannique a tiré devant nos yeux. „Est - ce moi qui me suis formé ? Est - ce «ma faute si le triste lot de la modération «révolte mon ame? Ai - je allumé dans mon «sein le feu de» passions dont je me sens >?dévoré? Ai-je mis dans mon coeur le „fatal instinct de vouloir toujours m' éle«ver, sans être jamais satisfait du période „.oü je suis parvenu. Comment, moi, vase «formé par une main étrangère, je dois ».un jour être violemment brisé, parcequel' >?architecte ne se complait point dans son „ouvrage, parceque je ne renonce pas au „vil usage auquel il semble m'avoir de„sliné? Et toujours simplevase, fragile instrument, toujours soumis; pourquoi en„tends - je puissamment raisonnerjle senti„ment contradictoire deliberté et de propre „force dans le coeur d' un esclave? Eter„nité! Durée! Parlez enfin! L'homme n* „a-t-il en propre que ce qu'il sent, que „ce qu'il touche et que ce dont il jouit; „tout Ie reste est-il vision qu'il ne peut «expliquer? Le tanreau met A pront la force de ses cornes, il se repose sur el«les; Ie cerf par sa légèreté échappe au  ) V ( „chasseur qui Ie poursuit. Ce qui disüngue „rhomme de ces animaux, lui appartient„il inqins? Assez et trop longterm., j'ai „essayé les hommes et tout ce qu'ils ont „inventé; ils m'ont foulé aux pieds dans „la poussière, je n'ai saisi que 1'ombre „pour la vérité; essayons maintenant le » diable.« A ces mots furieux, il se précipite au milieu de son cercle, et les tons plaintifs de sa femme, de ses enfants et de son père retentissent dans le lointain; il entend: „hélas, il est perdu! perdu pour jamais! « 4- Au son de trompettes qui retentissoient jusque dans les nues, Satan, souverain seigneur des enfers, avoit fait savoir a toutes les ames damnées du haut et bas monde, qu'il donneroit aujourd'hui une grande fête. A cette voix puissante les esprits infemaux s'assemblèrent. Ses ambassadeurs, auprès des  ) 24 ( potentats de I'Europe et même de Ia chaire papale, quittèrent leurs postes, car 1'invitation fit supposer quelque chose de grand et d'intéressant. Les voutes spacieuses des enfers retentissoient déja des cris féroces que poussoit la populace des esprits. Des Myriades vinrent camper sur le sol brulé et stérile. Les princes ensuite se présenterent, et ordonnèrent silence & ]a multitude, afin que Satan put entendre les rapports de ses ambassadeurs du haut monde. Les diables obéirent, et il regna dans le lartare un morne silence, qui ne fut interrompu , que par les cris et les gémissements des damnés. Les esclaves des diables, ombres qui ne méritent ni salut, ni damnation, préparoient les innombrables tables pour le festin. La servitude la plus vile est bien la digne récompense de cette espéce d'hommes, qui sont amis de tout le monde, sans aimer personne; qui parient de la vertu, sans que leur coeur la conhoisse; qui ne font pas le mal, parcequ'il y a du danger a le faire, pas le bien, parcequ'il faut avoir du courage; qui ne regardent etn'estiment la religiën que commé  ) 25 ( un article de spéculation ; qui adorent Dim par crainte, et tremblent devant lui, comme des esclaves. Mais aussi les diables, qui ne sont pas de meilleurs princes que les gentilshommes polonois, hongrois et livoniens, les montent et les font aller un rude train dans 1'enfer. Leurs frères, qui suent a grosses goutes dans les cuisines, préparent les méts pour leurs sévères maitres; effroyable occupation pour une aue qui a autrefois ruiné un corps humain par la gloutonnerie, 1'ivrognerie et la lascivité. Quoique les diables ne mangent, ni ne boivent, ils imitent cependant les hommes dans 1'usage de célébrer par des festins un éve'nement remarquable, et, a certaines occasions, ils ont des repas d'ames. Le chef de chaque légion (car 1'enfer est sur le pied militaire et ressemble en cela a tout gouvernement despotique, ou plutut tout gouvernement despotique a 1'enfer) choisit a volonté un nombrè d'ames damnées pour le repas de ses officiers et soldats. Ceuxci les donnent ensuite aux eclaves qui les font cuir ou rotir et les arrosent avec des coulis infernaux. II arrivé souvent qu'un  ) aG ( 'de ces misérables se trouve obljgé de met* tre a la broche son père, sa femme, son Os, sa fille ou son frere et d'entrctenir bon feu sous eux; position effroyable, vraiment crkique, et d' autant plus tragique que les inspecteurs, qui SOnt de malins diables, comme tous les serviteurs des grands seigneurs, se tiennent derrière eux avec le fouet, pour les faire ressouvenir de tourner la broche et d' attiser le feu. Je recommande cette situation a tous les auteurs tragiques de 1'Allemagne. On prépara aujpurd'hui pour la bouche du grand seigneur, de ses vijirs et favoris, deux papes, un conquérant, un célèbre philosophe et un saint nouvellementcanonisé. II étoit arrivé des victuailles fraiches, pour la populace des enfers. Le pape, peu de tems avant, avoit engagé les Francois et les Aliemands, les Italiens et les Espagnols dans une guerre terrible, pour so mettre, pendant le trouble, quelques provinces sur 1'estomac, et arrondir la succession de Saint Pièrre. Ces peuples se bnttirent en héros, et descendirent aux enfers au giand galop et m müliers. Quel bonheur ce seroit en-  ) =7 ( core pour les ames destinées a servir de pature aux diables, si elles trouvoient par la une fin a leurs tourments; mais elles sont réservées a un sort bien plus rigoureux; après avoir été digérées par les diables, elles renaissent pour souffrir de nquveaux martires. Pendant que celles - ci gémissoient a la broche, les cabaretiers du noir sejour garliissoienr, les tables a boire. Certaines bonteilles éioient remplies dts pleurs des hypocrites, des fausses veuves, des tartuffes, des gens a grands sentiments e.t des repentants par foiblesse. D'autres, de larmes de Penvie a la vue du bonheur d' autrui ; de celles des égoïstes, des collatéraux, enEn des pleurs que .versent les fils sur le tombe dun père dur et avare. Les flacons destinés au dessert étoient remplis des larmes des prêlres qui, en chaire, jouent le role d'un comédien, pour toucher leurs auditeurs; et pour donner quelque chose de plus piquant a cette boisson, on y avoit mêlée des larmes des p , qui plsurent de faim jusqu' a ce qu' il arrivé une pratique qui commetie ayec elles certain pêché  ) 28 ( ponr de 1'argent. On n'avoit pas oublié d'y joindre des larmes de M. . . et M. . . de médécins et de subtils avocats, qui pleurent sur les mauvais tems. Pour satan et les princes il y avoit, sur des tables a part, des flacons remplis du plus noble breuvage. C'étoit un mélange enyvrant et pétillant des larmes que les souverains du monde répandent sur Je malheur de leurs sujets, pendant qu'ils distribuent des ordres pour le perpetuer a jamais ; de celles des jennes Elles qui regrettent la pene de leur chasteté et se prostituent encore, les larmes aux yeux. Afin de donner un peu de mousseux a cette boisson on 1'avoit ' melangée avec des larmes de favoris tombés en disgrace, et qui pleurent a présent, parceque, sous la protection de leur maitre, ils ne peuvent plus ni voler, ni opprimer. 5- Après avoir dressé les tables, ces malheureux allerent se placer derrière les sieges de leurs maitres et se tenoient la  ) 29 ( avec 1'humilité et Fair bas d'un Allemand devant un prince, lorsque les grands de 1' enfer sortirent des appartements de satan. Les compagnons inséparables des hommes — le pêché, 1'horrible fantoine du néant, la faim, la maladie, la peste, la guerre, 1'injustice, la pauvreté, le désespoir, 1'ambition, la violence, 1' orgueil, le mépris, la xichesse, 1'avarice, la volupté, la folie, 1' envie, la cnriosité, précédoient la cour de Satan, en qualité de marécbaux des logis. Ensuite veno'tent les gardes du corps, puis les chambellans et les pages avec des torches brulantes, faites avec les ames de ces moines qui font des enfants aux femmes, et qui pressent les maris, au lit de la mort, de léguer tous leurs biens a 1' église, sans même avoir égard, que leur progéniture adultère sera un jour exposée a mendier. Satan parut ensuite accompagné des grands de sa cour. Les diables dans le plus profond respect se prosternèrent jusqu' a terre, les pages mirent les flambeaux sur la table du grand seigneur, et il monta d'un air fier et conquérant sur son trone majestueux et tint le discours suivant:  ) 3o ( «Princes, puissants, esprits immortels, „saint! je me suis péhetré de la voluptè „la plus Vive, en jettant mes regards sur «vous, innombrables héros! nous sommes „encöre ce que nous étions, lorsque nous „nous éveillames et nous assemblames pour «la première fois dans ce marais! Ce n'est »qu' ici oü regne un seul sentiment; ce n' «est que dans 1'enfer ou il y a de 1'unité; „ce n'est qu'ici oii chacun travaille au même „ but. ïl est facile a celui qui regne sur vous, „d'oublier 1' éclat uniforme du ciel. Nous mavond beaucoup souffert, je 1'avoue, et „nous soufftons encore, en ce que 1'exercïce „de nös farces est borné par celui qui sem«ble plus nous craindre, que nous ne le „ craignons ; mais dans le sentiment de la «vengeance que nous prenons sur les hls „de la poüssière, ses tristes favoris , dans «la considération des folies, des crimes pat „lesquels ils font sans cesse échouer le plan „qu'il s'étoit proposé, nous trouvons une „ douce compensation a nos soufFrances. „Salut et félicité a ceux qui sont enflamii^més par cctie pensée!  ) 5i ( „ Sacltez a quelle occasion je vous ai „rassemblés pour la fète que je vais célé* „brer avec vou$. Faust, mortel audacieux> „ qui, comme nous, disside avec 1'Eternel, »et qui, par la fprce de son esprit peut «idevenir cligne d-'iiabiter un jour 1'enfer «avec nous, a découvert 1'art de multiplier »a 1'ihfifti et d'üne manière faciJe, les «livres, ces dangereüx jouets des hommes, «ces propagateurs de la démeuce, de 1' «erreur, du mensonge et de 1'abomination,„la source de 1'orgueil, et la riière des wdoutes cruels. Jusqu'3 présent ils étoient tfrares et précieux, ils ne se trouvoient que „dans les mains des riches que seuls ils „gonHoient de présomption et qu'ils éloi«gnoient de la simplicité, de 1'humilité «que 1'éternel mit, pour les rendre heti„reux, dans leur ame; et qu^il exige d'eux. «Triomphe! bientot le poison dangerenx; „ de la science et des recherches se com» „ muniquera dans toutes les classes! Ia fré „nésie, le doute, le trouble et de nou„ veaux besoins se feront sentfr sur la strr„face du haut monde, et j'ai peine a croire »que mon immense empire puisse contenir  ) 5a } „tous ceux que ce poison attrayant y pré» cipitera. iMais cette victoire ne seroit rien „encore; je pénétre plus avant dans 1'ave„nir qui, pour nous, n'est que 1' affaire d' „un instant. Le tems est proche oü les „idees et les opinions des innovateurs et „des détempteurs de 1'ancien, se propa»geront, par la découverte de Faust, avec „la rapidité de la peste. II s'élévera de »prétendus réformateurs du ciel et de la „terre, et par la facilité de la communica„tion, leurs dogmes pénétreront jusque „ dans la cabane du mendiant. Ils s' ima„gineront faire le bien et purifier de toute „erreur 1'objet de leur salut et de leur es„pérance; mais quand réussit-il a 1'homme „de faire le bien, et s'il est parvenu a le „faire, combien de tems en reste-t-il en „jouissance? le pêché n'est pas plus prés » d'eux, que les suites facheuses et les abus „ ne le sont de leurs plus nobles efForts. „Le peuple chéri du puissant qu'il vouloit, „par un miracle funeste pour nous, k ja„mais soustraire aux enfers, divisé par des »opinions dont aucun ne peut se rendre „compte, se livrera une guerre sanglantè, „et  ) 33 ( . „et ils se déchireront comme les animaux „féroces des foiêts. L'Europe sera en proie »a des horreurs qui surpasseiout encore »les abominations que les hommes ont com«mises dès les premiers jours du monde. „Mes espérances vous paroissent trop har„dies, je le vois dans vos regards incer„tains, mais, écoutez: Cette nouvelle fu„reur, dont les annales de la méchanceté „ et de la barban'e des hommes n' offrent „ point d' exemple, s' appelle guerre de re„ ligion. C' est dans cette même religion, „pour nous si terrible, que les insensés en „ont puisé la source. Ce flambeau de dis„corde a déja embrasé la terre, et ceux „que vous entendez gémir ls, dans le ma„rais brulant, sont ceux qui 1'ont allumé; „ mais le fanatisme, ce féroce enfant de la „haine et de la superstition, va bientót „dissoudre pour toujours, les liens de la „nature et de rhumanité. Pour plaire au „formidable, le père asssasinerale fils, et Ie »fils le père. Les rois tremperont gaiement „leurs mains dans le sang de leurs sujets, „ils armeront les fanatiques, pour qu'ils «assassinent par milliers leurs frères, parC  ) 54 ( »cequ'ils sont d'une autre opinion qu'eux. „L'eau des torrents se changera en sang, »et les cris des morts et des mourants „ébranleront même les voötes des enfers.' „Nous verrons descendre chez nous des «coupables, souillés de crimes dont le Hom „même nous est inconnu, et pour lesquels „il n'y a point de punition. Je vois déja „les fils de la poussière attaquer 1'autorité „papale, qui, pendant qu'elle chercbe a se „soutenir par la ruse et la supercherie, s' „ensevelit dans le crime et dans la vo„lupté la plus dégoutante. Je vois les sou«tiens de cette religion, pour nous si ter„rible, se précipiter dans 1'abime du fana„tisme, et si 1'Eternel n'étaye ce batiment „écroulant, par des nouveaux miracles, cette „religion disparoitra bientót de dessus la „surface de la terre, et nous jouirons de „nouveau du culte qu'on rend dans les „temples aux divinités qu'on adore. Qu' „elles sont les bornes oü s* arrête 1'esprit »de 1' homme, lorsqu'il entreprend de pé„nétrerjusque dans le sanctuairedu dieu qu' »>il a encensé? Demain il fotdera aux pieds „les cendres de celui de vaat Icquel il trem-  ) 35 ( »bloit avanihier, il détruira jüsqu'aux vesti» ges de 1'autel sur lequel il a sacrifié, s'il »entreprend de découvrir le cliemin qui „doit Ie conduire au ciel, a la félicité. Qui „voudroit enchainer pour des siécles son „esprit inquiet? Celui même qui 1'a créé, »a t-il assez de puissance sur son ame pour »lui faire préférer le sentier stérile et uni„forme qui conduit vers lui, au chemin „attrayant et varié qui 1'attire irrésistible„ment vers nous ? L'homme abuse de tout> »des forces de son ame et de son corps; „de tout ce qu'il voit, entend, touche, sent „et pense, de ce avec quoi il joue, et de ce qui fait même 1' objet de ses plus séri» euses occupations. Non content de briser „ et de de'former tout ce qu'il peut saisir^ „porté sur les ailes de 1'imagination, il „prend son essor vers des mondes qui lui » sont inconnus, et les détruit et les renverse> »au moins en idée. Après avoir fait cou„ler des torrents de sang pour la Jiberté, «leur bien suprème, ils la vendent pour dé «1'or, pour satisfaire un caprice insense, »en ayant a peine gotité le charme. Inca„pables du bien, ils tremblent devant le C 2  ) 36 ( „mal: ils entassent horreurs sur abomina»tions pour lui échapper, et détruisent „1'ouvrage de leurs mains. „Après des guerres sanglantes, fatigués »de meurtres, ils se reposeront un instant, „ et Ie poison de la haine comraencera a „se faire sentir. Quelques uns, sous 1'om„bre de la justice, feront de cette haine „le vengeur de la foi, ils éiéveront des bu„chers et bruleront. vivants ceux qui ne se„ront point de leur opinion. D'autres en„ Ireprendront d'expliquer l'encharnement des „choses et les mysteres obscurs; et ceux „qui sont nés pour les ténèbres, combat„ tront avec témérité pour la luinière. „Leur itnagination s'enflammera et crééra „mille nouveaux b.esoins. Ils fouleront aux „pieds la vérité, la simplicité et la religion, »pour composer un livre qui leur procure „ de 1'or et un nom. La démence de cette „race, qui n'est qu'orgueil, n'est point en«core a son dernier péiiode: on verra „ même les feimnes (écoutez, puissances et „ esprits des enfers!) on les verra se meier od'écrire. Vous connoissez ces vaines filles „d' Eve, je n'ai point besoin de vous dire  ) 37 ( «quelles terribles energumènes en fera la „science. Ecrire, de'sormais ne sera plus «qu'un vil métier, par lequel les hommes « de génie et les sots chercheront la gloire «et la fortune, sans s'inqniéler, s'ils trou»blent le cerveau des autres humains , et «s'ils portent la flamme dans Je coeur de «1'innocence: ils aspireront a monter jusqu' «au ciel, pour en mesurer 1'immensité : «ils préscriront a la terre la forme qu'elle « doit avoir: les téméraires oseront même „approfondir le formidable; ils voudront «découvrir les ressorts cachés de la nature, «les causes impénétrables de ses phénome«nes, la puissanse qui meut les astres, et »lance les cométes a travers 1'espace; ils «chercheront a saisir le tems, et a définir «le visible-et 1'invisible: pour ce qui est „hors des sens, ils inventeront des mots et «des nombres, entasserontsystêmes sur sys„ tèmes, jusqu' k ce qu'ils aient couvert la „terre de ténèbres qui ne seront éclairées «que par la lueur trompeuse du doute, «qui les plongera dans Terreur. Ce n'est » qu'alors qu'ils croiront voir clair ! et c'est »la, oa je les attends! Ils détruiront leur  ) 38 ( «religion et seront forcés ensuite d'en él& »ver une autre, qui ne sera qu'un horrible » composé de sagesse humaine et de super«stition; je les attends encore la! Alors vous «léverez toutes les trapes de 1'enfer, afin »que le genre humain vienne s'y englou-, «tir! Le premier pas est fait, leur chute »est procliaine. L'univers est encore me»nacé d'une révolution effroyable. Je la v pressens. Bientót les habitants de 1' an» cien monde quitteront leurs pénates, pour «aller découvrir des pays nouveaux, oü, «sous le prétexte de propager la vraie foi, «ils égorgeront, dans leur fureur religieu«se, des millions d'liommes, pour s'empa«rer de 1' or auquel ces innocens ne con«noissent aucun prix. Ils rempliront ces «nouveaux mondes de crimes et d'hor«reurs. C'est ainsi que des peuples, quo «1'innocence et 1'ignorance avoient mis en » sureté contre les effets de notre vengean»ce, deviendront notre proie. Pendant «des siècles entiers, au nom du formidar „ble, ils rougiront la surface de la terre »du sang de leurs frères; et 1'enfer , avec ».le seqours des favoris du ciel, remportera  ) 39 ( „la victoire sur celui qui nous a lancés »ici.« „Voila, princes et puissants, ce dont je „voulois vous faire part; réjouissez vous „avec moi de eet heureux jour, et jouis„sez d'avance de la victoire certaine que »je vous promets, parceque je connois les „hommes. Honnissez Péternel qui a réuni „si ridiculement et si insensément, dans „les fils de la poussière, la brute au demi „dieu, pour être continuellement en lutte. „Insultez a sa sottise, et, dansPivresse fé„roce de la victoire, criez avec moi: vive „ Faust!« Les cris de „vive Faust! Vive Pempoi„ sonneur des fils de la poussière,« étonnèrent tellement les voiites de 1'enfer, que Paxe de la terre en fut ébranlé, et que les os des morts se fracassèrent les uns contre les autres dans les tombeaux. On permit ensuite a la haute noblesse du noir empire de venir adorer, se prosterner et baiser la main, cv est k dire de venir faire sa cour au prince de 1' enfer; et je n' ai pas encore pu venir k bout de découvrir, si Satan a pris ce sot usage dans  ) 4o ( l'étiquette des cours des princes de la terre,' ou si ces princes de la terre 1' ont pris dans la cour de Satan. Les diables, pleins d'allegresse, coururent se mettre a table et tombèrent sur les plats. Les verres résonnerent, les ames grincèrent des dents, et 1' on but, au bruit de 1' artillerie infernale, a la santé de Satan, de Faust, du Clergé, des tirans de la terre, et des auteurs vivants et futurs. Les intendants des menus plaisirs de Satan, pour donner a la fête tout 1'éciat possible, se rendirent aux maiais des damnés, en chassèrent les ames brulantes et les firent vqltiger au dessus des tables, pour éclairer 1'obscur banquet. Ils avoient choisi pour monture les meilleures ames damnées, celles des Néron, des Sylla, des Louis onze, des Henri sept et d'autres cannibales, les forcoient, a coups d'éperons envenimes, a s' entrebattre avec fureur; et de leurs chocs, résultoient des e'tincelles, qui illuminoient le sombre empire, tel que P éclair, dans une nuit obscure, enfiamme  5 4i ( les gerbes ondoyantes des campagnes. Dans le dessein de recréei- les oreilles des diables pendant le repas par une musique d» table, d'autres versoient des métaux üquéfiés dans les Hammes, pour que les damnés, dans un horrible désespoir, hu:lassent et ju. assent. Que ne puis - je, au lieu des sermons froids et infructueux que débitent les bonzes, faire entendre sur la terre ces cris et ces' gémissements affreux! En vérité les pécheurs fermeroient bientót 1'oreiUe au chant voluptueux des castrats, au son mélodieux de la ftute, et, dans leur repentir, ils enionneroient des pseaumes. Mais, voeux insensés! L'enfer est loin et le plaisir est la! On donna ensuite, sur un théatre immense, un grand opéra qui représentoit les actions héroiques de Satan; (comme ' le diable entretient des poëtes a sa cour, il ne manque pas de flatteurs) par exemple: la séduction d'Eve, Judas Iscariote etc. L'opéra fini, les décoraiions du théatre furent changées, et on représenta un ballet allégorique. La métaphisique, squelette long et hideux, assise dans le fond d'une grotte obscure, avoit les yeux attachés sur,  ) 42 ( cinq mots brillants, qdf, tournant-toujours enx mêmes, présentoient de chaque ™té un sens différent. EUe ne cessoit Pomt d'y avoir les yeux attentivementfixés. „ Un COin étoit un naficieux petit dia. Me qui, de tems en tems, lui jettoit au front de petites boules remplies de vent. L'orgtteil, secretaire en chef de la dite métaph-.sique, recueilloit avec , soin toutes ce, petites boules, en exprimoit le vent, et Je petrissoit en hypothéses. Elle étoit enveloppée d'une robe egyptienne, parsemee de iigures mystiques. Par dessus cette robe eHe portoit un manteau grec, destiné a couvnr ces signes mystiques, mais beaucoup trop court et trop étroit pour eet «sage. Elle avoit des culottes a ]a centsuisse, qui, pourtant, ne cachoient pas sa nudité. TJn grand bonnet de docteur couvroit sa tête chauve sur Jaquelfe on ne voyoit que les égratiguures que, dans Ia profondeur des réflexions, elle S-étoit faites avec ses longs ongles, Ses souliers étoient fatts a 1'Européenne, et poudrés de Ia poussière la plus fine des universités et des colleges. Aprés qu'elfe eut longtems con-  ) 45 ( . sideré ces cinq mots vacillants, sans en avoir pu tirer un sens quelconque, 1'orgueiJ fit signe a la présoraption, qu'il avoit k sa gauche. Celle - ci prit bien vite une maavaise trompette de bois, et sonna un air de danser. Mu par ces sons barbares, 1' horrible squelette saisit 1'orgueü par la main et fit avec lui quelques pas a contre mesure. La foiblesse de ses jambes ne lui pevmettant pas un mouvement tant soit peu violent, elle retomba, hors d'haleme, dans sa première position. Ensuite vient la morale, figure extremement déliée, recouverte d'un voi e, qui, a 1'instar du Caméléon, jotioit tou'es les couleurs. Elle tenoit la vertu et li crime par la main et dansa un trio avec eux. Un sauvage nud jouoit du chalumeau, un philosopbe européen raclo tent te toi, ton zèle me plait. II m'importe que le systême féodal soit conservé, et qu'il ait sa racine, comme les sciences, dans mon empire. Tu chercheras a em-> porter les hommes de ta facon de penser, et je t'en fournirai bientot 1'occasion. Ecoutez! Je t' avancerai en charge; tu sortiras de la cuisine pour cntrer dans le cabinef, et tu accompagneras en qualité de secretaire, mon ambassadeur k la diète prochaine, pour y propager les principes. Mets les promptement sur le papier, et soufflé les dans le cerveau d' un de tes Gis de la poussière! Oui, le systême féodal est une invention précieuse pour 1'enfer. Le désespoir y conduit la canaille humaine, comme 1'appelle le docteur; et 1'injnstice et la débauche y envoyent après elle ses oppresseurs; Le Docteur en droit se prosterna, pénétré de reconnoissanse, sur le sol brulé, baisa les pieds de Satan, et se leva triomphant. Les diables se mirent de nouveau  ) 67 ( , a rire et a entrer en fureur; lorsque Ja voïx puissante de Faust se fit entendre pour la seconde fois. Satan continua: Tu entends a sa voix, que ce n'est point un de ces damoiseaux. Aucun mor* tel ne s'est encore fait entendre aux portes des enfers avec tant de force: eet homme en vérité est un génie. Vas le trouver sans perdre de tems, car si tu retardes, il pourroit douter de la veitu de sa magie, et 1'enfer perdroit le fruit de sa témérité. Saché qu'un homme tel que lui est cent fois plus précieux pour nous, que des milliers de gredins qui descendent journellement dans notre empire. Le diable Leviathan repartit en courroux! „Je jure par Ie marais brulant et em„pesté des damnés, que le téméraire mau„dira eet instant, ainsi que celui de sa „naissance, et qu'il outragera un jour «r.Eternel! II se repentira de ce que, pour „1'amour de lui, j'ai du mettre le pied en „Allemagne, pays qui m'est si odieux!« II s'éléva enveloppé dans un nuage de vapeurs, et aux vives acclamations de tout 1'enfer. E 2  ) 68 ( 8. Faust, dans une inspiration féroce, étoit au milieu de son cercle. 11 répeta pour la troisième fois, avec une voix de tonnerre, la terrible formule. La porte s'ouvrit tout a coUp, une épaisse vapeur séleva au bord du cercle, il donna dedans un coup de sa baguette magique, et s'écria d'une voix impérieuse: «Développe - toi, forme obscure!« La vapeur s'envola dans les airs, et Faust vit devant lui une belle figure, qui se ca-i choit sous un manteau rouge. Faust. Insipide mommerie pour celui qui desire te voir! Découvre - toi k celui qui ne te craint pas, sous quelque figure que tu appatoisses! Le diable ouvrit son manteau, et offrit a Faust une prestance majesteuse, nöble, hardie et énergique. Des yeux enflammés et imposants brilloient sous des noirs sourcils, entre lesquels l'amertume, la haine, la colère, la douleur et le dédain avoient formé de gros plis. Au dessus de ces rides s'élévoit un front uni, serein et voiité qui    contrastoit fort avec les signes caractèristiques de 1'enfer, entre les yeux. Un beau. nez aquilain regnoit sur ure bouche qui ne sembloit formée que pour la jouissance des immoitels. II avoit la mine de ces anges exterminés, dont Ia figure fut autrcfois éclairée par les rayons de Ia divinité, et que maintenant couvre un voile épais. Faust. (étonné.) Suis - je donc condamné k trouver l'homme partout? — Qui es - tu ? Le Diable. Je suis un des princes de • 1'enfer, je suis venu, ta voix puissante m'y a forcé. Faust. Un des princes de 1' enfer sous ce masqué? Sous la figure de l'homme? Je voulois avoir un diable, mais point un de mon espèce. Le Diable. Faust peut - être ne sommesnous de vrais diables, que quand nous vous ressemblons; au moins aucun autre masqué ne nous sied mieux. N'est - ce pas votre manière, de cacher ce que vous étes, et de vouloir paroitre ce que vous n' étes pas 3 Faust. C'est une vérité dure, mais encore plus fidele que dure, si nous parois-  ) 7o ( sions extérienrement, ce que nous sommes dans notre intérieur, nous ressemblerions parfaitement a ce que nous nous imaginons que vous étes; je te croyois cependant formidable, et j'espérois éprouver mon courage a ton apparition. Le Diable. Voila comme vous vous faites une autre idéé des choses, que de ce qu'elles sont. Tu t' attendois peut-être a voir un diable avec des comes et des pieds de bouc, tel que ton siècle timide le dépeint. Depuis que vous avez cessé d'adotf-er la puissance de la nature, elle vous a abandonnée, et vous ne pouvez plus penser rien de grand. Si je t'apparoissois tel que je suis; les yeux, menacantes comètes, porté sur un nuage noir qui lance de son sein les éclairs, la main armée du glaive que je tirai un jour contre le Vengeur, Ie bras couvert du bouclier monstrueux qu'a percé son tonnerre; tu tomberois reduit en cendre au milieu de ton cercle. Faust. Eh bien! j'aurois aumoinsvu une fois quelque chose de grand. Le Diable. Ton courage me plairoitj mais vous n'étes jamais plus ridicules, que  ) 7* ( • Jorsque vous croyez vous éléver au sublime, en confondant le pelit que vous pouvez saisir, avec l'immense et le grand que vous ne pouvez appercevoir. C'est ainsi que le ver peut aussi mesurer 1'éléphant qui passé, et calculer sa pésanteur, lorsqu'il expire sous le poids de son énorme masse. Faust. Persifleur! Qu'est donc en moi 1'esprit, qui, lorsqu'une fois il a pris son essor, s'éléve d'éohelon én échelon jusqu'a 1'inimi? Ou sont ses bornes? Le Diable. Au bout de ton nez, si tu veux être plus sincère, que vous n'avez coutume de 1'étre; mais si tu ne m'as évoqué des enfers que pour de telles fatalites, permets-moi de retourner dansle séjour des ombres. Je connois depuis longtems votre art de raisonner sur des choses que vous ne comprennez pas. Faust. Le Hel, que ta langue distille, me plait, il correspond a ma position, et il faut que je fasse [plus ample connoissance avec toi. Comment t'appelles - tu ? Le Diable. Leviathan, c'est a dire, tout, car je puis tout.  ) 72 C Faust. Oh, quelle jactance! les diables se vantent-ils aussi? Le Diable. De faire honneur a la figure sous laquelle tu me vois. Mets-moi a 1'épreuve. Que desires - tu? Faust. Desirer? Oh, que ce mot est long pour un diable. Si tu es réellement, ce que tu veux paroitre, exécute mes desirs a leur naissance, et satisfais les, avant qu'ils soyent devenus volontés. Le Diable. Je vais m' expliquer plus clairement. Le noble cheval mord son bridon; tel est l'homme qui se sent des ailes pour planer dans la lumière , et qu' une main tyrannique plonge dans 1'abime de 1'obscurité. Faust, ton imagination de feu pressent beaucoup', mais ce que tu voudrois embrasser disparoit, et ce que tu as saisi n' est toujours que 1' ombre de ta propre forme. Faust. Impétneux ? Le Diable. Je ne fais encore que parler doucement a ton ame: si une fois j'attaque tes sens, tu t'enflammeras encore bien davantage. Oui, tu es un de ces esprits qui, non contents de ce que le ciel  ) 73 ( avare leur a destiné, foulent aux pieds les rapports journaJiers de 1'homme. Ta force est puissante, ton ame étendue, tes desirs audacieux; mais ton esprit, comme celui de tous les autres, est circonscrit dans des hornes étroites. — Faust, tu es aussi grand que l'homme puisse parvenir k 1'être. Faust. Masqué de l'homme, retourne vite en enfer, si tu nous imites par Ia llatterie! Le Diable. Fnust, je suis un esprit créé par la lumière, j'ai vu 1'immensité des mondes sortir du néant, tu as été pétri de boue, tu es né d'hier — je teflatterai? Faust. Et cependant tu dois me servny si j'en ai 1'envie. Le Diable. Je compte pour cela sur le salaire et le suffrage de 1'enfer; l'homme et le diable, tous deux ne font rien pour rien. Faust. Quel salaire attends-tu? Le Diable. De faire de toi une espéce eomme moi, si tu en as la force. 1 Faust. Je ferois une belle espèce! Mais, pour un diable aussi habile, tu connois peu l'homme, si tu doutes de la force  ) 74 ( de celui qui a osé décbirer les liens dont la nalure a enchainé nos cöeurs. Que ces liens me scmuloient doux autrefois, lorsque PiUusion de la jeunesse peignoit k mes yeux le monde et les hommes sous les couleurs pures et aimables de la tendre Aurore. Cet heureux tems n'est plus, mon horison n'est plus chargé que de noires vapeurs; au milieu de la carrière de la vie, je me trouve au bord de 1'obscure éternité, et j'ai brisé les ressorts qui maintiennent le genre humain en harmonie. Le Diable. Qu'as-tu dit la, Faust? Harmonie! Est - ce elle qui conduit les hommes d'erreur en erreur, de sottise en sottise? Faust. Silence! Je le sens peut - être pour la dernière fois; peut - être pour la dernière fois je regarde encore les champs variés et delicieux de la jeunesse. Que I homme doive s'éveiller de ce songe heureux! Que la plante s'éléve pour devehïr arbre, et qu'ensuite elle se desséche, ou tombe sous la hache du bucheron! Pus, diable, je fus jadis heureux. Disparoisse eo que je ne puis plus saisir! Oui, nous  ) 7$ ( n'avons de force que pour faire le mal! Et en quoi suis - je grand? Si je 1'étois, aurois - je besoin de toi? Va t'en, flaneurartificieux, tu ne veux que me faire sentir combien je suis petit. Le Diable. Celui qui est capable de sen. tir sa foiblesse, et qui a le courage d'en exterminer la cause, est au moins grand en cela. Je n'en voulois pas dire davantage, et malheur a toi, si je dois t'irriter par dc« mots! Faust. Regarde - moi , et dis - moi ce que mon esprit te demande, ce que je n' ose dire! A ces mots il fit quelques signes sur lui, ensuite vers le ciel, et tourna sa baguette magique vers 1* oriënt et 1'occident; il continua: Tu entends gronder les arages tu étois lorsque rien n'étoit encore — lei il fit des signes sur sa .poitrine et sur son front. II fait nuit ici, fais-moi voir la lumière. L.e Diable. Téméraire, je penétre ta volonté, et tout diable que je suis, je frisonne de ton audace.  ) 7^ ( Faust. Misérable esprit, tu n'en es pas quitte pour cette défaite. Dans la soif bruiante qui me dévore, j' entreprendrois d'avaler toute Peau de la mer, si j'espérois trouver dans son abime ce que je cherche. Je'suis k toi; ou k celui — je suis encore la, oü aucun diable ne pent pénétrer, Faust est encore son maitre! Le Diable. Tu Pétois encore, il n'y a qu'un moment. Ton sort est jetié, il Pétoit, lorsque tu entras dans ce cercle. Quiconque rn'a regardé en face, veut en vain retourner sur ses pas, et je t'abandonne. Faust. Tu dois parler et déchirer le voile obscur qui me cache le monde des esprits. Que vois - je en toi? Un triste être comme moi. Je veux apprendre la déstination de l'homme, la cause du mal rooral dans le monde. Je veux savoir pourquoi le juste souffre, et pourquoi le criminel est heureux. Je veux savoir pourquoi nous devons acheter la jouissance dun instant, par des années de douleurs et de souffrances. Tu dois m'ouvrir la source des choses, me faire connoitre les ressorts secrets des phénomenes du monde phisique  ) 77 ) ét rhoral. Tu dois me faire connoitre 1'essence de celui qui a régie tout, je le veux, au risque même que la foudre, qui en ce moment se fait jour a travers ces nuages sulfurenx, vienne fondre sur ma tête, et m'étende sans vie dans ce cercle de la damnation. Crois - tu que je ne t' ai évoqué que pour de 1'or, de la volupte'? II n'est point de misérable qui ne satisfasse son appetit, qui n'assouvisse les desirs de la chair. — Tu trembles ? Aurois - je plus de courage qne toi? L'enfer ne,vomit-il que des diables timides? Et tu te nommes Leviathan, qui peut tout? Va - t - en, tu n'es point un dinble, tu n'es qu'un triste être, comme moi! Le Diable. Audacieux! tu n'as pas encore senti, comme moi, le courroux du vengeur. Puen que le pressentiment de sa vengeance te métamorphoseroit en poussière, eusses - tu même dans ton coeur toute la force du genre humain, depuis le premier pécheur jusqu'au dernier. Cessede chercher a m' approfondir. Faust. Je le veux et j'y suis résolu.  ) 73 ( Le Diable. Tu m'inspires du respect et de la pitié. Faust. Je ne veux que de 1'obéissance; Le Diable. Renonce a celui qui alluma en toi une flarame qui te consumera, si la crainte ne 1'éteint. Faust. Je 1'ai fait, mais en vain. JePai imploré pour la lumière, ü fut sourd a. ma voix; je 1'ai provoqué dans 1'excès de mon désespoir, sa réponse fut le silence. Les prières et la fureur ne peuvent rien sur celui qui paroit avoir diclé pour loix éternelles, une obéissance aveugle, une soumission servile dans les tourments et les ténèbres. II nous martyrise par ce même esprit qu'il nous a donné. A quoi bon un flambeau, si sa flamme vaporeuse ne fait qu'éblouir celui qtü s'égare. Que ce flambeau m'cclaire un jour dans le chemin des ténèbres que je veux percer; et qu'il me consume ensuite, si tel est 1'arrêt du destin ! Obéis, et promptement! Le Diable. Insatiable! .Eh bien, sache aussi que les diables sont circonscrits dans des bornes marquées. Depüis que nous sommes exterminés, nous avons peidu 1'idée  ) 79 ( de ces secrets célestes et même oublié Ia langue dans laquelle ils s'expriment. U n' est donne' qu'aux'esprits sans tache de 1'autre monde, d'y penser et de les chanter. Faust. Crois - tu par cette tournure ar. tificieuse me détourner de 1'objet de mes desirs les plus ardents? Le Diable. Insensé, pour me venger de toi, je desirerois te peindre ce que tu as perdu, sous les couleurs éclatantes du ciel, et t'abandonner ensuite au désespoir. Saurois - je encore plus, que je ne sais; une langue formée de chair, peut - elle rendre compréhensible a une oreille formée de boue ce qui est hors de Ia portee" des sens, et ce que 1'esprit immatériel, seul, comprend ? Faust. Sois esprit et parle! Quitte cette figure! Le Diable. M'appercevras - tu alors? Faust. Quitte cette figure, je veux te voir en esprit. Le Diable. Tu parles en insensé. — Eh bien regarde - moi — je serai, et ne serai point pour toi; je parlerai et tu ne me comprendras pas.  ) 8o ( Ayant dit ces mots le Diable Leviathan se liquéfia en une flamme claire, et disparut. Faust. Parle, et explïque 1' énigme. Faust entendit regner autour de son front et de ses oreilles un murmure semblable a celui du Zéphir qui parcoure d'une aile légere les prairies émaillées, et caresse les tendres fleurs qu'il dépouille des diamants liquides del'aurore. Ce doux murmure se changea ensuite en un bruit effroyable qui, s'augmentant toujours, ressembloit au tonnerre roulant, au fracas des flots qui se brisent avec fureur contre les rocbers, et aux mugissements des gouffres et des torrents. Faust sentit ses genoux plier sous lui, tomba évanoui, et ne reprit ses sens qu'avec peine. Faust. Ah, tel est le langage des esprits, mon songe disparoit, je suis trompé, mon arrêt est de gémir dans les ténèbres! je n'aurois donc vendu mon ame que pour le pêché de la f .... car ce seroit tout ce que ce ruinen d'esprit pourroit encore me procurer: ce, juslement, pourquoi j'ai compromis l'éternitc'! Eclairé comme ne le  ) 8x ( Ie fut encore aucun mortel, je comptois paroitre parmi les hommes comme unnouvel astre, et les éblouir par mon éclat, comme le soleil a son lever. Elle s'est évanouie, cette fiére idéé de vivre éternellement comme le premier de mon espèce, dans le coeur des hommes, et je suis maintenant plus misérable que je ne 1'étoit avant. Rongeant toujours les chaines de Ia nécessité, et n'ayant pu délivrer ni les autres, ni moi, du joug de fer ; je gémirai dans les ténèbres avec le reste des fils de Ia poussière. O li es - tu, imposteur, que j'assouvisse ma vengeance sur toi? Le Diable. (sous sa première figure) Je suis ici. Je pailai, et tu ne compris pas le sens de mes mots. Sens maintenant ce que tu es, né pour 1'obscurité et pour être le jouet du doute, Tu resteras ce que tu dois être. Que ton esprit cesse de se tourmenter pour pénétrer dans 1' incompréhensible, et satisfais-toi de ce que tes sens te présentent. Tu voulois entendre le langage des esprits, tu 1'as entendu, et le son de lenr voix t'a fait tomber évanoui. F  ) 8a ( Faust. Excite seulement mon courroux,' je te fouetterai avec ma baguette magique jusqu'aux larmes, je t'enchainerai aux extremités de mon cercle, et te mettrai le pied sur la gorge. Je sais que je le puis. Le Diable. Fais - Se, et 1'enfer se rira de ton courroux. Le désespoir, pour chaque larme que tu m'auras fait verser, exprimera un jour de ton front téméraire les gouttes de ton sang, et la vengeance tiendra la balance pour les peser. Faust. Quelle démence k une noble créature de s'enh-etenir avec une autre repudiée par 1'éternité, qui n'est capable que du mal et qui ne peut seconder que dans le mal! Le Diable. Quel ennui d'être obligé de prêter 1'oreille a un homme qui reproche au diable d'ctre diable, et de ne pas se vanter d'un fant&me de vertu! Faust. Se vanter d'un fantóme de vertu ! insulte encore a la valeur morale des hommes, qui les rapproche des immortels et les rend dignes de 1'immortalité. Le Diable. Je vais te montrer ce qui en est.  ) 83 ( Fctust. Je crois facilement que tu Ie peux. Car celni de nous . qui fait de sa bassesse la mesure générale des humains, qui rend suspectes des vertus qu'il n'a jamais senties dans son coeur, le peut aussi. Nous avons eu des phüosophes qui, en cela ont depuis longtems prévenu le diable. Le Diable. II auroit mieux valu pour toi que tu n' en eusses jamais lu aucun, ton esprit ne seroit pas aussi galé et ton coeur beaucoup plus pur. Faust. Quelle fatalité, que le diable aye toujours raison! Le Diable. Je vais t'expliquer clairement ce dont raisonnent les philosophes, et faire disparoitre les nuages que 1' orgueil, la vanité et 1' amour - propre ont rassemblés, et si bien colorés. Faust. Comment feras - tu? Le Diable. Je te conduirai sur le théatre du monde, et te ferai voir l'homme a nud. Nous voyagerons par mer, par terrej a pied, a cheval, sur les ailes du vent ; et nous passerons en revue tout le genre lnjj main. Peut - être parviendrons nous k cap-i F 2  ) 84 ( tiver cette prïncesse pour laquelle tant de milliers d'aventuriers se sont cassé le cou. Faust. J'y consens! parcourons le monde ; il faut que je m' étourdisse par Ia jouissance et le changement; depuis longtems j' ai desiré de sortir du cercle étroit de mon coeur insensé, pour en parcourir un plus grand. Courons 1'univers, et je te forcerai bien k croire a Ia vertu des hommes. C'est cette croyance seule k Ia valcur morale de l'homme, qui a éclairé pour moi les ténèbres crueHes; c'est elle seule qui a appaisé, pour quelques instans, les doutes qui me tourmentoient. Ris, ris, mais tu seras pourtant forcé de m' avoser que l'homme est la prunelie de celui que je n'ose plus nommer. Le Diable. Alors je veux retourner en enfer comme un menteur, et te rendre le p'acte que tu me signeras aujourd'hui de ton sang. Au moins tu verras plus clairemem sur le grand théatre du monde, combien celui, dont tu as 1'orgueil de nommer l'homme, Ja prunelie, prend de part a vous et I vos tourmens. J'en jure par la mort «i ses traits rapides! un noble traitement  ) 85 ( pour Ie favori d'un maitre si puissant! Si vos princes déduissent de lui Ia preuve de leur installation, en vous comptant comme une grace de vous laisser vivre dans la! misère oü ils vous ont piongés, ils n'ont pas justement si grand tort. Viens, et fais de moi un menteur, Faust. Je me garderai bien d' en croire a;t diable qui voudroit me faire passer ses oeuvres infernales pour 1'ouvrage des hommes. Comment, le persifleur sourit? Le Diable. Je n'eus pas cherché derrière l'homme, qui a si longtems joué avec la philosophie, cette idéé monacale; cependant en cela vous vous ressemblez tous, sages ou fous; I' orgueil et 1'amour-propre décident en leur faveur, ce que 1'esprit ne peut saisir. Voila deux mots, bien et mal, que vous voulez faire valoir pour des idéés; car, quand vous avez les mots, vous croyez, de leur vain son, avoir formé des idéés. Mais comme vous n' en pouvez venir a bout, pour vous débarasser de ce rude travail, vous arrangez tout a votre manière, et, naturellement, le bien est votre propre ouvrage, et le mal celui de Satan. Ainsi  ) 86 ( donc il faut que nous, pauvres diables; nous nous tourmentions jour et nuit, pour ex citer au soi - disant mal, le coeur et 1' imagination de tel ou tel coquin qui, sans cela, seroit reste' ün parfait honnête homme. Faust! Faust! L'homme cherche dans les nuages et hors de lui même mille choses qui sont dans son sein et devant ses yeux. Non, je n'ajouterai rien k nos voyages, a moins que tu ne 1'exiges de moi. Tout ce que tu verras, sera 1'ouvrage de 1'homme, et tu te convaincras bentót que ceux qui précipitent aussi rapidement leurs misérables ombres dans les enfers, n'ont aucunement besoin de la coopération du diable. Faust. Et ce seroit la tout ce que tu pourrois faire pour moi ? ■ Le Diabte. Je te conduirai de dégré en dégré; quand nous aurons parcouru cette carrière, il s'offrira bientot après une autre scène. Apprends premièrement a connoitre ce qui se trouve en rappoits si intimes avec toi, et puis tu prendras un essor plus élevé. — Les trésors de la terre sont a toi; — Ma puissance t'est soumise, tu me com-r  ) 37 (j mandéras', j'obéirai — tu rêves, — tu desires. —■ Faust. Cela est quelque chose. Le Diable. Rien, que quelque chose, insatiable? Tu me pourras forcer, moi diable, a 1' accomplissement des vues qua vous appellez bonnes et nobles, les suites en seront ta moisson, et la recompense de ton coeur le profil. Faust. Cela auroit plus de valeur, si ce n'étoit point le Diable qui l'eut dit. Le Diable. Qui peut se vanter d'avoir forcé le Diable a de bonnes oeuvres ? Que cette pensée enflamme toujours ton coeur. — Faust, sors de ton cercle! Faust. II n'est pas encore tems. Le Diable. Me crains-tu? Je te dis que tu pourras briser, a volonté, le sablier de tes jours ! Faust, je remplis pour toi la coupe de la jouissance, j'outrerai la mesure — elle ne fut jamais encore remplis de cette manière pour un mortel. Tu aurois aussitót compté les grains de sable de ]a mer, que le nombre des plaisirs que je vais répandre ici sur le plancher devant toi.  ) 88 ( Aces mots, il déposa une cassette remplie d'or devant le cercle, Ensuite passa devant lui la figure de la femme du Bourguemaitre, accompagJiée de beautés jeunes et fraiches. Faust. Diable, qui t'a montré le chemin de mon coeur? Le Diable. Je m'appelle Leviathan, je t'ai pésé, ainsi que ta force. Fais - tu cas de tout ceci? II fit tomber a terre hors d' un sac des ordres, de mitres, des chapeaux des princes et des titres de noblesse. Je connois micux Faust! La jouissance et le savoir sont ses dieux, devenez ce que vous étes! Us devinrent boue et poussière! N' est - ce pas Ia le chemin au coeur de tous les hommes? Vous ne travailkz de corps ou d'esprit que pour 1'ainour de ces choses, que je te viens de montrer, que pour satisfaire votre ventre, vos desirs et    ) 89 ( vous éléver. Laissè les insensés travailler. a la sueur de leur front, ëpuiser les force» de leur esprit pour parvenir a se satisfaire, et jouis sans peine et sans souci de ce que je te présentera!. Demain, si tu veux, je famenerai Ia femme du Bourguemaitre.' Faust. Comment le feras - tu? Le Diable. Ce sera mon coup d'essai. Accepfe, et je t*en dirai davantage. Sora du cercle! Tu es comme enyvré! Faust. Je m'anéantirois a 1'instant, è cause d'une idée. Le Diable. C'est celle? Faust. De devoir m'allier avec toi, seulement pour cela. Le Diable. Que l'homme veuiUe toujours franchir les barrièes, sauter de dégró en dégré. Apprends k me connoitre, et si je ne puis te saiisfaire, r.etourne k la pauvreté, au mépris et k ta vaine philoïöpliie. Sors de ton cercle I  ) 9° ( Faust. La rage du Lion n' égale pas 1. fureur qui m'agite, et si 1'enfer sWroit sous mes pieds- je saute par dessus les borne.de 1' humanus! (II sauta hors du cercle.) Je suis ton maitre. Le Diable. Aussi longtems que ton r0le dur.era. Je prends un grand homme par la main et je suis fier d'etre son set, viteur.  LIVRE SECOND.   I. Le lendemain matin le prince Leviathan, accompagné d'une suite nombreuse et avec le train d'un grand seigneur, qui voyago - incognito, arriva devant 1'auberge de Faust. II descendit de son magnifique cheval, et demanda a 1'aubergiste, si s'illustre Faust demeuroit chez lui. L'hóte re'pondit a cette question par une profonde réVérehce, et 1'introduisit. Le diable s'avanca vers Faust et lui dit en présence du maitre de la maison: »Que sa réputation, son grand esprit «et sa magnifique découverte 1'avoienten«gagé a un détour considérable dans son „voyage, pour faire la connoissance d'un „homme aussi rémarquable, et dont les «autres, en vertu de leur imbécillité, ne »connoissoient point le prix; ajoutant,  ) 94 ( „qu'il seroit infmiment flatté, s'il vouloit «'bien 1'accompagner dans un tour projettó „en Europe; qu'au reste il le laissoit ab„solument maitre des conditions, ne pou,,vant payer trop cher le plaisir et 1'agré»ment de sa société.« Faust répondit au diable sur le même ton, et 1'aubergiste, en toute bate, alla faire part de 1'événement a toute la maison. Le bruit s'en rêpandit dans Francfort, et la note du corps de garde concemant 1'arrivée de 1'illustre étranger étoit déja parvenue chez le Bourguemaitre regnant, et avoit mis en mouvement le trésnoble et trés-sage magistiat. Tous coururent, comme s'ils avoient eu le feu au derrière, k Tbótel de ville, et ils plantèrent la les importantes affaires d'état, pour délibérer sur 1'apparition. Le doyen des Echevins, d'une familie patricienne, s' étoit principalemcrït adonné a 1' explication des phénomenes dans l'horison politique, et, par la, s'étoit acquis une grande préponderance dans le sénat, I! se pressa le menton, son petit front se rida, et froncant le  ) 95 ( sourcil, il dit d' un ton d' assurance a Ia trés - sage assemblee : » Que eet illustre étranger n' étoit per«sonne autre qu'un Envoyé secret de Sa «Majesté Impériale, (nom formidable pour »tout état de 1'empire) chargé de parcou»rir toutes les provinces de 1'Allemagne, «pour examiner 1'état, les liaisons, la mes„ intelligence et 1'union des princes et des «villes de 1'empire, afin que sa cour, a «1'ouverture de la diète prochaine, siït com«ment s'y prendre pour réaliser ses vues. »I1 ajouta que, la cour impériale honorant «toujours leur république d'un coup d'oeil »vigilant, il faïïoit s'efforcer de convaincre «eet Envoyé du vif intérêt et de 1'attache«ment que 1'on portoit a l'ib'ustre maison «impériale, et bien prendre garde de ne «pas laisser partir eet émissaire, sans Ie «rendre favorable a 1'état. II dir, que dans «cette circonstance on devoit prendre pour «modèle Ie louable sénat de Venise, qui » ne négligeoit aucune occasion de donner «les preuves les plus éclatantes d'amitié « et de considération a ceux qu'il avoit des» «sein de tromper.»  ) 96 t Les esprits en sous • ordre du conseil assui èrent que 1'F.chevin avoit parlé comme le Doge de Veniselui même;.mais le Bourguemaitre qui étoit un ennemi secret de 1'Echevin ( car celui - ci, en qualité de vrai patricien, détestant le gouvernement démo- / cratique anssi cordialement qu'un princè flbhorre les républiques, avoit coutume de dire a chaque événement facheux: voila ce qui arrivé quand on fait de petits marchands des gens d'état:) lui riposta promptement: „Tout ce que le louable Echevin vient „d'avancer, sages collégues, me paroit mat„ qué au coin de la gloire et de la justesse, „est d'une ve'rité aussi reconnue qu'il est „notoire, soit dit en passant, que le com„merce contribue beaucoup plus a rendre „un état riche et florissant, que 1'inactive, „ignorante et orgueilleuse noblesse, et au„roit certainement eu de bonnes fins, si, „par une seule circonstance, nous n'eus„sions pas tout gaté. Je neme vanterai point „de la profondeur, ni du coup d'oeil po„litique du louable Echevin, qui voit de „loin les tempêtes s'éléver ; cependant, soit » effct  ) 97 C » effet du hazard ou de la réflexion, j'aurois «conjuré celle - ci. Vous vous rappellerez »tous que dans chaque séance je n'ai cessé «de vous dire qu'il ne falloit pas traiter ce «Faust avec autant de mépris, et lui ache«ter sa Bible latine pour une somme mo»dique. Ma femme même, qui n'est qu'une «femme, comme le sont d'autres femmes, «regardoit la chose comme trés - prudente; »car, quoique nous n'ayons pas besoin de »cette Bible, et que nous ne la compren«nions pas du tout; on auroit cependant «pu, a cause de ses belles lettres initiales «et de la rareté de 1'invention, la montrer, „après la bulle d'or, comme une curiosi»té, et par la, attirer les étrangers. D'ail»leurs, il convient a un état libre et riche »de protéger les arts et de les encoura«ger; mais je sais bien ce qui vous en a »empêché : la jalousie et 1'envie; vous ne «pouviez souffrir que mon nom passiit aux «races futures. Rien que le pressentiment, «que la postéiité dut un jour lire dans les «annales de 1'état que sous le consulat de » on acheta k Faust de Mayence «une Bible latine pour la somme de quatre G  ) 98 ( »cents florins, vous déchira les "entrailles; «A présent vous pouvez boire vos sotti«ses; et ce n'est pas sans raison que 1'on » dit: comrne on fait son lit, on se couche ; «pour bien aller en poste, il faut donner »de bonnes guides. Faust est, comme je «m'en appercus hier au soir, d'un carac»tère impétueux et méchant. Le ministre «impérial n'est venu ici que pour lui, est «même descendu chez lui, et trouve dans «sa personne un grand homme, que nous „avons fait valeter comme un décroteur »(il ne manquera pas de faire votre éloge »a Penvoyé impérial et vous mettra bien «dans son esprit) oui, oui, il lui mettra «la pnce a Poreiüe, et toutes nos polites» ses et grimaces ne serviront a autre chose »qu'a nous faire passer pour des sots dans «1'esprit des bourgeois. Que celui qui a «fourré le chariot dans la boue, Pen re«tire, je m'en lave les mains, comme Pi«late, et suis innocent de la perte et de «la cécité d' Israël.« II regna ensuite un morne silence. La sanglante bataille de Ganne qui mit Rome a deux doigts de sa perte, ne causa point  ) 99 ( au sénat romain autant de frayeur, que cette pos't^on critique en suggéra au noble magïstrat de Francfort. Le Bourguemaitre, Üans la fierté de son ame, se flattoit déja d'avoir remporté la victoire et désarconné 1' Echevin, lorsque celui rassemblant tout a coup ses forces héroi - politiques, vint au secours de 1'état chancelant, cria d'une voix terrible: ad ntajora, et proposa intrépidenient; „d' envoyer a 1' instant une dëputa„tion du conseil a 1'auberge, pour „complimenter 1'illustre étrauger, et «porter a Faust quatre cents florins «pour sa Bible latine, afin de le dis«poser en faveur de 1'état. Le Bourguemaitre se permit quelques gaietés sur ce que 1' on vouloit donr.er aujourd'hui quatre cents florins pour une chose qu'on auroit peut - être pu avoir hier, en marchandant, pour cent; ses plaisanteries ne servirent arien; 1'intérêt de la patrie 1' emporta. » Salus populi, suprema lex!« S'écria 1'Echevin, et il chargea le Bourguemaitre, du consentement du conseil, de traiter G 2  ) ioo ( magnifïquement 1'Ambassadeur et Faust, ajoutant que ce seroit aux dépens de 1'état. Ces mots, aux dépens de 1'état, mirent le Bourguemaitre en belle humeur, d' au* tant plus qu'il aimoit a étaler du faste et de I'opulence; et il se consola de ce que sa riposte n'avoit pas eu tout 1'efiet qu'il s'en étoit promis. 2. Les plus'jeunes des conseillers, avec un des quatre syndics, se mirent en chemin et le Bourguemaitre envoya chez lui pour qu'on fit les préparatifs du repas. Le prince Leviathan étoit juslement engagé avec Faust dans une convcrsation profonde, lorsqu'on vint leur annoncer la députation. Faust fit dire d'attendre un instant, et, au bout de quelques minutcs, on 1'introduisit. Ils complimentèrent 1'Envoyé au nom du sé« nat et avec :out le respecten, et tachèrent, par une fine tournure, de lui faire comprendre que sa trés - digne personne, ainsi que son importante commission leur étoient connues, et prièrent son Excellence, par  ) ( les plus jolles phrases, de se convaincre de leur zèle et de leur attachement envers la sublime maison impériale. Le Diable se tordit la figure, se tourna du coté de Faust, et, le prenant par la main, assura 1'orateur qu'il n'étoit venu dans leurs murs dans d'autre dessein, que celui de leur enlever rhomme célèbre que, comme il n'en doutoit pas, ils savoient apprécier. Les députés furent un peu embarrassés; mais ils se remirent bientót, continuèrent leur harangue, et dirent: „Qu'ils étoient extrêmement satisfaits „de pouvoir lui donner en eet instant une „preuve de 1'estime que le magistiat avoit „concue pour un homme aussi célèbre; „et qu'iis avoient 1'agiéable commission de „payer a Faust quatre cents florins pour sa „Bible latine, en le priant de vouloir bien „les accepter et de la leur céder, comme „ un bijou précieux. Ils alléguèrent encore „ que le magistrat s' estimeroit infiniment «heureux, s'il pouvoit se flatter de le comp»ter au nombre de ses citoyens, et par la, »lui ouvrir le chemin de la gloire et de „la fortune.«  1 ) 102 ( Hs n' ajoutèrent cette dernière circon-. stance que par raffinement de politique, preuve, qu'en halmes négociateurs ils sa.-. voient tirer parti des circonstances même impiévues. Faust se leva courroucé, frappa des pieds contre terre, et s'écria: „Infame et menteuse canaille, ne vous „ ai - je as assez longtems fait la cour, depuis „le fier patricien jusqu'aü cordonnier et a. „1'épieier, sur le col desquels vous mettez „un manteau de conseiller, comme on met „un bat sur le dos d'un ane ; vous m'avez „toujours fait tenir sur le seuil de vos por„tes, et m'avez k peine honoré d'un regard. „Maintenant que Monseigneur voit en moi „l'homme que vous n'y pouviez voir, vous „venez me cajoler. Voyez cette caisse, „ elle est remplie d'or. Eb bien ! pour elle „vous vendriez le saint empire romain; si „vous pouviez trouver un fou, qui voulut „acheter ce corps monstrueus sans tête, „sans sentiment et sans harmonie." Le courroux de Faust et la honte des jeunes sénateurs réjouirent beaucoup le diable. Ceux - ci qui n'avoient jamais lu,  3 io5 ( ni entendu parler de 1'histoire romaine, qui n'avoient eu de coeur de leur vie et ne savoient pas même ce que c'étoit, prirent leur mal en patience et ne répondirent au doux compliment de Faust, que par une invitation a diner chez le Bourguemaitre. Ils mirent toute la grace et la gaieté possibles a faire cette invitation, comme s'il ne se fut rien passé avant; preuve de leur habileté dans les négociations ; car, en répondant, par exemple, aux injures de Faust, c'eut été avouer qu'ils les méritoient, et en faisant semblant de n'y pas faire attention, elles restèrent sans effet et pouvoient pas-, ser pour d'injustes reproches. 11 n'y a que des génies qui, en semblable cas, puissent mettre a profit leur présence d'esprit. Au mot Bourguemaitre, Faust leva les oreilles et le diable lui fit un signe du coin de. 1'oeil. Faust tira sa Bible de son coffre, la remit aux sénateurs et leur dit trés, - por liment: aQue voyant qu'ils savoient vivre, quoir » que cependant il fallut les forcer a le savoir, il faisoit présent de sa Bible a Ia ville, les engageoit a la lire avec attention  ) io4 ( » et a montrer au rnagistrat assemblé le pas»sage qu'il avoit souligné et écrit en marge «en langue allemande. II les pria, de vou»loir bien, en mémoire de lui, le faire gra»ver en lettres d'or sur la muraille de la „chambre du conseil. « Les sénateurs s'en retournèrent a 1'hotel de ville aussi satisfaits que des ambassadeurs qui, après une guerre malheureuse, s'en retournent dans leurs pays avec une bonne paix, et qui jouissent d'avance des récompenses qui les attendent. Ils furent recus avec des acclamations de joye, on ouvrit la Bible au passage marqué et on lut: et vois, il y avoit des fous dans le conseil et les insensês dèlibèroient dans le tribuual. On avaia Famère pilule, car 1' ombre prétendue de la Majesté impériale, sous la figure du diable, fermoit la bouche a tout le monde; on se consola d'avoir épargné quatre cents florins, et 1'on se félicita réciproquement de s'être thé aussi bien d'un aussi mauvais pas. On remercia publiquement les de'putés de s"être adroitement ac-  ) fio5 ( quittés de leur commission, et il est mal- heureux que leurs noms n'ayent pas été transmis a la postérité. Après avoir raconté la manière dont les choses s' étoient passérs, ils vinrent a parler des monceaux d'or qu'ds avoient vus chez Faust, qui en étoit le possesseur, et alors chacun réfléchit en silence au moyen de se faire un ami de eet homme. L'Echevin s'écria: qu'il falloit k 1'Instant lui donner des lettres de naturalisation et de bourgeoisie, lui donner séance et voix au conseil, et que la poli* ticjue exigeoit qu'on transgressat les loix et qu'on omit 1'origine, lorsqu'il y alloit du salut et de 1'avantage de la patrie, etc. Faust, dans ces entrefaites, alla faire un tour de promenade avec le diable; mais il trouva les gens de 1'endroit si plats, si sots, si gènés dans leurs manières, qu'ils les prirent pour des gerrtilsbommes francois de province nouvellement arrivés k Paris, et tout frais débarqués du coche d'Auxerre. Ils ne remarquèrent en eux d'autre instinct que la curiosite', la soif de 1'or et du lucre, et un esprit mercantille borné, qui n'ose pas spéculer en grand.  ) 100 ( »Le citoyen d'ane ville libre impériale, »Faust, est un animal timide et il ne de»scend qu'avec peine aux enfers; il n'y a „rien k faire ici pour un homme d'esprit; «partons, lorsque tu auras amené la fem» «me du Bourguemaitre oü tu la veux. tu des hommes. Voyons, s'ü succombera k Pappat. II s' éléva tout - k coup au milieu de 1'hermitage une table garnïe des mets les plus friands et des vins les plus exquis. L'Hermite entra et mit doucement Peau devant Faust, se retira dans un coin, sans faire attention k la table voluptueuse. Faust. Eh bien, frère Hermite, la table est servie, ne vous le faites pas dire deux fois, asseyez - vous avec nous, Vous pouvez, sans faire tort a votre réputation de  ) ( sainteté, manger avec nous,, car je lis sur votre front que le coeur vous en dit, Allons, venez, nous boirons un coup en 1'honneur de votre patron! Comment s'appelle - t - il ? VHermite. Saint George. Faust. A sa santé'! Le Diable. Ho, bo! Frère Hermite, saint George de Cappadoce, c'étoit mon homme, et si vous le prenez pour modèle, vous vous en trouverez bien. Je connois parfaitement son hstoire, et, pour votre édification, je vais vous la raconter en peu de mots. II étoit fils de très-pauvres gens, et naquit dans unc misé> able chaumiere en Cilicie. En grandissant, il sentit et mit k profit ses talents, et s'ouvrit par la flatterie, la bassesse et comme entremetteur, les maisons des grands et des riches. Ceuxci, par reconnoissance, procurèrent a 1'officieux saint une livraison dans 1'armée de 1'Empereur grèc. Mais il y vola d'une manière si grossièt e, qu'il dut bientöt prendre la fuite pour n'être pas pendu. II embrassa ensuite la secte des Ariens, et se mit a enseigner la théologie et la métaphisique.  ) 1*4 ( Vers ce tems 1'Empereur Arien Constance chassa le .bon catholique et saint Athanase du siége épiscopa!, et le Cappadocien, élu par un Synode arien, 1'y remplaca. Votre George se trouva alors dans son élément, il se vautra dans la plus sale crapule, s'abandonna a tous les exces, et vivoit heureux; mais ses injustices et ses cruautés ayant réduit les esprits de ses sujets au désespoir, ils finirent par le tuer, mirent son cadavre sur un chameau et le conduisirent en triomphe par les rues d'Alexandrie. Ainsi, voila comme il est devenu JVlartyr, votre digne patron et celui des tristes enfans de Ia fiére Albion. IS Hermite. La légende n'en dit rien. Le Diable. Je le crois bien, frére, car, pour 1'amour de la vérité, le diable auroit du écrire la vie des saints. L'Hermite se signa bien vite. Faust. Manger et boire, est - ce un pêché ? L'Hermite. Cela peut y porter. Le Diable. En ce cas je plains votre extréme foiblesse et vous devez être bien  ) 125 ( mal avec le ciel. Combattre et résister aux tentations, voila le triomphe du saint. L" Hermite. Monsieur a raisonj mais tout le monde n'est pas saint. Faust. Etez - vous heureux , frère ? LHermite. Dans le repos je trouve e bonheur, et dans une bonne consdence la feliciré. Le Diable. Le repos invite aussi au Pêché, et plus que le boire et le mangercomment fakes - vous pour vivre? LHermite. Les paysans m'apportent J entieuen journalier de cette vie d'alflic- Faust. Et que faites - vous pour eux? L''Hermite. Je prie. Faust. Cela leur fait - il da bien? L'Hermite. Je Pespère, et ils le cro. yent. Le Diable. Frère, vous êtes un coquin. LHermite. Les injures du monde pécheur sont une correction nécessaire au juste. Le Diable. Pourquoi ne regardez-vous jamais en Pair? Pourquoi rougir? Imag;. nez - vous que je posséde Part de lire sur  ) ( la figure de l'homme ce qui se passé au fond de son coeur. L'Hermite. Tant pis pour vous, vous vous plairez rarement en société. Le Diable. Ho! Ho! Vous savez cela? Il rega.da Faust. ' L'Hermite. Le monde dans Jequel nous vivons est lm monde pécheur, et malheur a lui si des mulieri ne se retiroient point dans la soiitnde pour y vouer leur vie a la prière et par la détoumer de dessus la tête des pécheurs la vengeance da*M<)l coniroocé, Faust. Bon frère, vous falies paycr passablement cher vos prièrcs, et croyezmoi, il est beaucoup plus facile et commode de prier, que de travailler. Le Diable. Ecoutez, vous avez au tout de la bouche un trait qui caracterisé sur votre figure rhypocrisie, et nos yeux qui se meuvem dans un cercle si étroit ct toujours fixés a terre, me disent que vous étes convaincu qu'ils décéleroicnt votre eoeur, si vous regardiez en 1'air.  ) I27 ( L'Hermite leva les yeux vers le ciel, pria a mains jointes et dit: avoila comme »le juste répond au moqueur.« Faust. C'est assez! Allons, frère, mettez - vous a table avec nous. L'Hermite étoit inflexible, Faust regarda le diable avec un air de dédain, auquel celui-ci répondit encore avec plus de me* pris. Tout a coup la porte s'onvrit, et ils virent entrer une jeune pélerine, toute hors d'haleine. Aprés être revenue de sa peur et de san effroi, elle raconta commenf, poör^tilvie par un cavalier, elle avoit eu le B Dnheur de lui échapper et de se sauver chez le pieux hermite. On la recut amicalement et on découvrit en elle les charmes naissants et voluptueux d'une beauté, aux attraits de la quelle les sens du saint Antoine eussent eu peine a résister. Elle se placa auprès du diable et mangea avec discrétion. On se permit avec elle quelques libertés qui, au commencement, revoltèrent 1'Hermite, et finirent par Ie mettre si fort hors de son caractère, que le diable ayant découvert un sein rébondi et plus blanc que 1' albatre, sur iequel folatroient  ) "8 ( des boucles de cheveux noirs, il sentit cöuler de ce sein dans le sien Ie feu bndant du desir, et 1'aiguillon de la chair fut presque vainqueur. Hontrnse et courrbucée> elle s'échappa des bras du diable, pour chercher protection auprès de 1'hermite qui, en vertu de son froc, ne pouvoit la lui refuser. Leviathan et Faust ayant honnêtement bu, sentirent 'les atteintes du sommeil; avant de se coucher, le diable, en présence de Thermite, cacha sous la paillasse une lourde bourse d'or, mit ses riches bagues et celles de Faust dans un écrin que ce dernier prit de son coté. Us mirent leurs épées et leurs poignards sur la table, s'assoupirent et ronflèrent bientól. La pélerine s' approcha doucement de la table, et d'une main potelée et blanche comme la neige remplit un verre d'un viu pétillant, qu'elle gouta du bord des lèvres et qu'elle présenta ensuite a 1' hermite. II étoit comme étourdi, et, dans le trouble qui 1'agitoit, il but ce verre et plusieurs autres, et avaloit avec avidité les morceaux friands que Penchanteresse lui mettoit 1'un après  ) I29 ( aprés l'autre dans la bouche. Ensuite elle le lira a part, lui demanda pardon, les larmes aux yeux, d'avoir, malgré elle, offensé ses cbastes yeux ; en disant cela , elle afFecta la douleur et le chagrin , parut inconsolable, pressa avec cbaleur de ses mains celles de 1'hermite et enfin se jetia a ses g< noux. Dans ce moment le lacet de son cor se rompit, et laissa voir un sein, a bouton de rosesur lequel Zéphir se jouoit amoureusement et dont Pbébé relevoit encore 1'éclat. L'Hermite, a cette vue, sentit se réveiller si puissamment en lui le sentiment de la nature opprimée, qu'il tomba sur ce sein éblouissant sans savoir continent cela lui étoil arrivé. La pélerine Ie conduisit insensiblement d'un dégré de la volupté k l'autre, et, lorsqu'il se crut prés du moment de la jouissance, elle lui dit tout bas a 1'oreille: » qu'elle seroit éternel»lement a lui et qu' elle se rendroit tout »de suite k ses desirs, si, auparavant, »il vouloit la venger de ces témérai»res, et s'emparer de leur trésor, dont »la jouissance pouvoit procurer a tous »deux pour le reste de leurs jours une I  ) ( »vie heureuse, coulée dans les plaisirs et »la volupté. L'Hermite se réveille uil peu de son étourdissement et lui demanda en treinblant: »ce qu'elle vouloit dire, et ce qu'elle «exigeoit de lni?« Alors le serrant dans ses bras contre son sein enflarmné, elle le cauvrit, au milieu de ses sOupiis biülants, des baisefs les plus lascifs et lui dit encore plus doucement: »leurs poignards sont sur la table, „tu en assassineras un, moi l'autre, tu te wrevêtiras de leurs babits, nous mettrons »le feu a 1'hermitage et nous nous enfui„rons en Italie.« L'idée efFroyable du meurtre fit frissonner tous les sens de 1'hermite, le feu de la volupté alluma tout son sar>g dpns ses veincs, il balanca , hésita, jetta les yeux sur les charmes de 1'enchanteresse, se sentit en sa puissance, et voyant qu'il pouvoit sans danger satisfaire sa passion en s'emparant du trésor, tout autre sentiment disp'arut, et il oublia le ciel et sa vocation. Elle poussa 1'hermite hors de lui même dans Ia celluie, il prit ua poignard, elle l'autre, et  ) i3i ( Se préparoit a porter le coup fatal k Faust, lorsque le diable éléva tout a coup sa voix infernale, et Faust vit 1'hermite a genou a ses cótés, tenant a la main un poignard dirigé contre lui. Faust. Infame que tu es, sous le masqué de la piété tu veux assassiner ceux auxquels tu donnés 1'hospitalité. L'hermite tremblant tomba k terre. La pélerine, enfant de 1'enfer, se présenta a ses yeux sous une figure effroyable et disparut. < Faust ordonna au diable de mettre Ie feu a 1'hermitage, et d'ensevelir 1'hypocrite sous ses cendres. Le Diable obéit avec plaisir, et 1'hermitage devint Ia proie des Hammes. Le lendemain malin les paysans se lamentèrent sur la mort du juste, rassemblèrent ses os, et les honorèrent comme des reliques du saint hermite. 6. Faust et le diable arrivèrent du matin a Mayence et descendirent chez le premier. Sa jeune femme poussant des cris de joie, I 2  ) »5* ( se jetta a son cou, le pressa contre son sein, et répandit un torrent de larmes. Les enfants, en criant, papa! papa ! se pendoient a ses genoux, et tatoient ses poclies avec avidité, pour voir s' il leur avoit apporté quelque chose. Son vieux père s'approcha, les genoux tremblants, et d'un air affligé lui tendit la main. Faust sentit son coeur s'émouvoir, ses yeux s'humecter, tout son corps frissonner, et il jetta sur le diable un regaid de courroux et de mépris. Ayant demandé a sa femme le sujet de ses pleurs, elle répondit en sanglo- I tant: „Hslas, Faust, vois comme ces pauvres »petits alïamés cherchent du pain dans tes » poches, comment puis - je voir cela sans «verser des lsrines ! H y a tongtems qu'ils «n'ont mangé, nous avons été si malbeu- I „reux, tous tes amis nous ont abandonnés, «mais maintenant que je te revois , il me «semble voir un ange tute'laire. Ton père i „et moi, nous avons encore plus souffert J «pour toi, que pour nous- mémes. Kous I „avons eu des songes et des apparitions si i «terribles; lorsque mes yeux, fatigués de „verser de larmes, se fermoient, je te  ) ( „voyois craellementdéchiré par nous autres, „et il ne s'offioit a mon imagination que „des tableaux de sang et d'horreur.« — Faust. Une partie de tes songes, ma chère, s'est. réalisée. Le seigneur que tu vois veut récompenser le mérite de ton mari que sa dure patrie a méconnu et rejetté. Je me suis attaché a lui, pour 1' accompagner dans un long voyage. Le vieux Faust. Mon fils, reste dans ton pays et nourris-toi honnêtement, dit 1'écrirure. Faust. Et meurs de faim, Sans que personne aye pitié de toi, dit 1'expérience. La mère se lamenta encore davantage, et les enfants crièi ent pour avoir du pain. Faust fit un signe au diable qui appella un domestique auquel il dit deux mots, et qui apporta, un instant aprés, ure lourde caisse que Faust ouvrit et dont il lira un sac plein d'or, qu'il jetta sur la table. Al'ouverture du sac, 1'éclat de 1' or répandit la sérénité sur les figures languissantes. II sortit de cette caisse de beaux habits, des 'bijoux, et les remit a sa femme. Lés pleurs disparurent, la vanité les pompa, comme  ) i34 ( Ie soleil la rosée; et la gaieté vint se peindre sur le front de la jeune femme. Le diable sourioit, et Faust murmuroit entre ses dents: „O, charme de 1'or! Magie de »la vanité! Je puis maintenant partir, on »ne répandra plus de pleurs, il n'en coü»tera que des larmes feintes.« — «Eh bien, »ma chère, tu vois les fruits de mon vo»yage, dis, vaut - il mieux que je reste dans »le pays avec vous tous pour y être dans »1'indigence ? « La jeune femme n'entendoit rien, elle étoit occupée devant. le miroir a essayer toux ces beaux habits et a faire jouer 1'éclat des brillants. Les petites filles sautoient de joie autour d'elle, 1'admiroient, prenoient les ajustements qu' elle otoit et imitoient leur mère devant la glacé. Dans ces entrefaites un domestique apporta un déjeuner complet, les petits lancèrent mille acclamations de joie et tombèrent dessus. La mère avoit oublié la faim. Le père de Faust dit a son fils: »Si »tu as acquis tout cela d'une manière hon„nête, remercions Dieu, et jouissons de ce » qu'on i'a donné. Depuis quelques nuils,  ) f&5 ( «je n'ai vu que des fantömes effroyables „ et n'ai eu que des pressentimens cruels, „cependant j'espère qu'ils n'ont été enfan«tés que par notre affiiction.w Cette remarque du père auroit profondement affecté 1'ame de Faust; mais la joie de voir ses enfants manger avec tant d'avidité et de plaisir, de remarquer 1'amitié et la reconnoissance dans les yeux de son fils ainé, son Benjamin, 1'idée d' avoir secouru leur misère, le chagrin du passé et le penchant intérieur pour la jouissance, étouffèrent en lui le germe du repentir qu'avoit fait naitre le vieillard. Le diable ajouta encore une somme au sac d'or, fit présent a la jeune femme d'un collier de briüants, donna quelque chose k chaque enfant, et assura toute la familie qu'il rameneroit Faust sain et sauf, comblé de richess.es et de bonheur. • -1 ^.^<,-= , Faust alla ensuite avec le diable visifcer un ami qu'ils trouvèrent dans 1'affliction. II lui demanda la cause de sa tristesse et  ) i36 ( celui - ci répondit: „que le procés dont „il avoit connoissance devoit être jugé eet >> après-diner, et qu'il avoit la cerlitude de „le perdre, malgré toute la bonté de sa „cause. Maitre Faust, ajouta - t - il, je n'ai „plus d'autre ressource que d'aller men„dier, ou de me jetter dans le Rhin a „1'endroit ou il est le plus profond.» Faust. Comment pouvez - vous avoir la certitude de perdre le procés, ayant la loi pour vous ? L'ami. J'ai contre moi cinq cents florins que ma partie adverse a donnés au juge, je ne puis renchérir sur la somme et je dois être vict'ime, Faust. Ne tient - il qu'a cela ? Venez et conduisez - moi chez votre juge. J'ai ici un ami qui se fait un vrai plaisir d' être utile dans de semblables cas. Ils trouvèrent dans le juge un homme dur et bouffi d'orgueil, qui daignoit k peine honorer d' un regard un pauvre cliënt, Faust le connoissoit depuis longtems pour ce qu'il étoit. Le juge dit a l'ami de Faust d'un ton d'humeur : » pourquoi venir m'importuner? Que voulez-vous? Que diable,  ) i37 ( „vous savez que la justice ne s'est jamais „laissé corrompre par des larmes!" L' ami de Faust regardoit humblement la terre. Faust. Vous avez raison, sévère Magist) at, des larmes ne sont que de l'eau, et elles ne font mal qu' aux yeux qui les répandent; mais vous n' ignorez. pas que mon ami a Ie droit de son coté. Le ffuge. Maitre Faust, je vous connois depuis longues années pour un dissipateur et une mauvaise langue. Que font ses larmes a. la justice3 Le droit et Ja loi sont deux choses différentes; et si votre ami a le premier pour lui, ce n' est point une raison pour qu'il ait la seconde en sa faveur. Faust. Vous venez de dire que le droit et la loi étoient deux choses différentes, a peu - prés comme le juge et la justice, n'est - ce pas ainsi que vous 1'entendez. Le Qjtuge. Maitre Faust, je vous ai déja dit que je vous connoissois. Faust. Nous nous méconnoissons 1'un et l'autre, trés digne magistrat; cependant ce seroit peine perdue de savoner un nègre  ) i58 ( pour le rendre blanc. (II ouvrit la porte, le .Jiable entrg.) Voila un ami qui vous présentera un document, qui, ace que j'espere donnera une medleure tournure k 1'affaire du cliënt, , Le juge voyant entrer le diable richement habilié, prit une mine plus amicale, «t pria tous les deux de vouloir bien s*as* seoir. , Faust. Nous pouvons terminer l'affaire debour. (Au diable.) Montrez le document, que nous avons trouvé. Le Diable compta jusqu'a la somme de cinq cents florins, puis il s'arréta, Le Q?uge. Le document n' est pas manvais, Messieurs; cependant la partie adverse en a présenté un de même poids. Faust. Ainsi la balance de la justice egale, et il nous faut encore cracher au basainet. Le diable compte jusqu'a mille et s'arréta. Le $uge. Dans le fait, j' avois oublié ime circonsiance, et il n'est pas possible de réuster a de tels. arguments.  ) ï39 ( Faust. J'espère maintenant que le droit et la loi ne sont qu'un, et sont parfaitement d'accord. Le 3'uge. Vous savezl'art, MaitreF-aust, de réconcilier les ennemis les plus implacables. Faust que la bassesse du. juge révoltoit autant que sa grossiereté, soul'Ha a l'oi eille du diable en s'en allant: «Venge la justice » de ce méchant! « 11 se sépara de son ami, sans attendre ses remerciments, et courut la, ville avec le diable pour payer ses deties. II alla voir ensuite ses autres amis, donna pattout è pleines mains, même a ceux qui 1'avoient abandonné dans le malheur, et se sentit heureux de pouvoir donner un libre cours h sa grandeur d'ame et k sa générosité naturelle. Le diable qui avoit le nez plu» fin, voyoit avec plaisir sa profusion et se jéjouissoit d'avance des suites de ses largesses, 8. Ils se rendirent ensuite k 1'auberge, Faust, frappé de 1'idée de la conduite de  ) i4o C sa femme, se sentoit piqué et confus; il ne pouvoit ïui pardonner, de ne i'avoir plus entendu plaindre de son éloignement, aprés qu'elle èut vu 1'or et les bijoux. II s'étoit cru jusqu'alors plus aimé d' elle, et etoit dans la ferme conviction qu'elle renonceroit pour lui a tous les trésors du monde. L'idée de se voir trompé par une personne qui lui étoit si chére, lui causa une impression facheuse. II n'y a que celui qui condamne son propre coeur (ce que Faust fit dans ce moment), qui juge et prononce aussi sévèrement. . Le diable s'appercut du sujet de sa tristesse, et prit plaisir a le lakser agiter par cette triste pensée, afin qu'il brïsat tout a fait Je doux iien par lequel la nature le tenoit encore enchainé. II jouissoit intéiieurement en pensant aux tourments efFroyables que se préparoit Faust, Jorsque 1'avenir développeroit un jour tblites les horreurs dont le téméraire Faust étoit en train de le remplir. Ils dinérent a table d'höte avec quelques abbés et professeurs parmi lesquels ils s'éléva, a Ia grande satisfaction du diable, tme vive discussion au sujet de la nonne  ) i4i ( Clara. Le feu de la guerre bruloit encore dans toute sa force, 1'esprit de parti regnoit dans toutes les rhaisons, et les dissidents gesticulants a table comme des forcene's, dirent tant de sottises sur 1' affaire de la nonne, que la mauvaise humeur de Faust se dissipa. Le diable ne put s'empêcher de rire aux éclats en entendant un docteur de théologie avancer qu'il étoit possible que Satan ent poussé la maüce assez loin pour procurer a la nonne un rève vo-> luptueux et la mettre en certain cas. Faust se sentit une démangeaison irrésistibie de se venger de 1'archevêque qui avoit de'daigné sa découverte, Par la il espéroit de teilement embrouiller 1'objet de la discussion et du duel théologique et politique, que personne, dans Mayence, ne put venir a bout de démeler ce chaos. II ne réfiérhissoit pas que c'étoit le seul moyen de mettre un terme a toutes les dksensions. Aprés diner il ordonna au diable d'imaginer un expédient, pour lui faire passer la nuit, sous la figure du Dominicain, auprès de la nonne Clara. Le diable repartit que rien n' e'toit plus facile, et que plus, s'il vouloit, 1'Ab-  ') 142 ( besse le conduiroit elle méme dans la celluie de la nonne. Faust se moqua du diable, car il connoissoit 1'Abbesse pour une femme pieuse, austère et trés - delicate. Le Diable. Faust, ta femme jetta des cris lamentables, lorsque tu lui annoncas ton départ; mais lorsque 1'éclat de 1'or et des diamans brilla a ses yeux, son coeur sourit, il ne fut plus question de chagrin. Je te dis que 1'abbesse te conduira dans la celluie de la nonne et je n' employerai point de moyens surnaturels. Tu verras de tes propres yeux comme la vieille coquinemordra al'harnecon. Viens, nous nous travestirons en saintes religieuses et nous lui ferons une visite. Je connois le train des couvents, ainsi que la facon de penser des moines et des religieuses de 1'Allemagne. Je représenterai 1' abbesse des nonnes noires, et toi son amie, la soeur Agatlie. Dans ce moment l'ami de Faust arriva tout joyeux pour lui porter la nouvelle de 1'heurense issue de son procés. 11 vouloit témoigner a Faust et au diable sa reconnoissance, mais Faust lui dit: „point de »remercimens, je suis trop heureux d'avoir  ) i43 C „pu vous obliger, je vous recommande rna „femme et touie ma famii'e pendant mon „absence.» Le diable sourit malignemenr, én voyant la grande confiance de Faust. Celui - ci lui dit k 1'oreille: „II est tems) «pense au juge!« L'après - midi le juge voülut montrer a sa chère moitié et compter devant elle les mille florins du diable. Mais quelle fut sa terreur k 1'ouverture du tiroir! Toutes les piecesd'ors'étoient métamorphosées en souris et en gros rats qui soriirent avec impétuosité et se jettèrent avec fureur sur sa figure et ses mains. Le juge qui, de son naturel, avoit une antipathie invincible contre ces animaux, sortit avec précipitation de la chambre; mais ceux-ci le pcHirsuivirent. II se précipita du rez de chaussée en bas, se mit a courir par les rues; ces insectes étoient toujours a ses trousses. II s'enfuit k travers les champs, mais inutilement. Ces animaux le poursuivirent toujours avec plus d'acharnement, et le forcè-  rent de se jetter a la nage dans le E.liin4 11 atteignit la tour du péage qui se trouve au milieu de ce fleuve et s'y croyoit ï 1'abri de leur poursuite; mais les rats 'et les souiis de 1'enfer n'ont pas peur de Peau. Ils se p> écipitèrent dans Peau, fertdirent le courant, tombètent sur lui et le mangèrent tout vivant. Depuis ce tems on appelle cette tour, la tour aux souris. Sa femme toute troublée raconta Phistoire de la métamorphose des piéces d' or par lesquelles son mari s'étoit laissé corrompre, et a compter de eet événement, on n' a pas eu d' exemple dans tout 1' archevêché de Mayence qu'un juge ou un avocat se soit laissé corrompre. 10. Le Diable et Faust arrivèrent métamorphosés et déguisés au cloitre des normes et demandérent a parler a Madame 1'abbesse. La soeur tourière cournt a toutes jambes pour lui annoncer 1'illustre visite. L'abbesse les recüt avec tous les coinpliments ordinaires des cöuvents; et le diable lui répon-  ) *45 ( repondit sur Ie même ton. On apporta des confitures, des biscuits, des rafraichis-; sements et du vin; on raconta des histoires de couvent, on par'a de la méchanceté du monde, et le diable, en soupirant, fit tomber la conversation sur 1' aventure de la nonne Clara qui, en vertu de sa parenté, étant 1'enfant chéri du couvent, se tcnoit auprès de PAbbesse et rioit sous son voile. Faust qui s'appercut qu'elle rioit, la dévoroit des yeux et se réjouissoit de la petite aventure prête d'arriver, car il ne lui sembloit avoir jamais vu une coquine plus attrayante sous le saint voile. Le Diable donna a la conversation une tournure serieuse, et fit appercevoir a 1'Abbesse qu'il avoit des choses importante.! a lui confier. VAbbesse. (a Clara) AUez dans le jardin, mignone, et amusez vous avec les nonnes. Je vous enverrai, en 1'honneur de 1'illustre visite, des gateaux et des confitures, pour que vous puissiez célébrer eet heureux jour. Clara s'en alla en sautillant. Le diable, aprés avoir proféré quelques paroles d'un ton significatif et inquiet pour engager K  ) i46 ( l'Abbesse a s'en rapporter a lui, vint au fait. Le Diable. Ah, chère soeur, qufe je vous plains! II vous reste cependant une grande consolation, car toute la ville et tous le pays sont convaincus de vötre sainteté, de votre pieté et de la chasteté de vos moeurs. Vous étes le modèle vivant des épouses du ciel; mais, he'as! Le monde est monde, et souvent 1'esprit malin suggère aux hommes de mauvais desseins dans Pintention de perdre les personnes vertueuses qui sorit un obstacle a ses vues. Ce n'est qu'a regret que Pliideux Satan voit la pureté dans laquelle vous conservez les brebis qui vous sont confiées Oui, comme je vous Pai dit, je vous plains cordialement, mais je plains bien plus encore ces malheureuses brebis. Que deviendront elles, quand elles vous perdront. L'Abbesse. Que cela cesse de vous inquiéter, chère soeur; quoique je sois déja d'un certain age, je suis cependant, grace au ciel, fraiche et bien portante, et les petites incomniodités, belas ! qui sont la suite de I'abstinence, d'une vie austère et de la pénitence, prolongeront plutöt une vie fra-  ) '47 ( gile, qu'elles n'en abrégeront le pénible cours. Au moins c'est ce que me dit tous les jours Ie médecin du couvent, lorsque je me plains. Le Diable la fixa entre les deux yeüx: N'avez - vous donc aucun pressentiment 'de ce qui est prêt a vous arriver? N'avezvous point eu de songes avant - coureurs ? Ne s'est - il rien passé depuis quelque tems dans le couvent, qui ait dit vous rendre attentive sur Pavenir? Les ames pieuses sont ordinairement instruites par des prognostics certains de ce qui doit leur arriver. L'Abbesse. Vous m'effrayez, je tiemble dans tous mes membres. Laissez-moi un peu réfléchir. — Oui, oui, maintenant je me rappelle. — J'ai des nuits trés-laborieuses — je ne rêve que de cimelières, d'enterrement — et il y a quelques jours — o, siirement c'est un signe, un avertissement. J'allai me promener la semaine dernière avec Ie petit chien qui dort ici sur mes genoux et qui est une petite crèature extrèmemi nt sage. J'étois seule et les nonnes se racontoient de petites historiettes sous les tilleuls. Tout a coup une iplace,? tantot nne aulre; mais je  ) C «remarqtiai qu'il ne visoit qu'a nie faire «senür d'autant plus le poids de sa gran«deur, et qu'il ne manquoit plus rien a «son triomphe, si non qü'un homme, «ayönt mes principes, le reconnüt pour «protecteur, et sanctifiat, par son accession, «la dureté de son gouvernement. En outre «le mécliant vouloit me reiidre suspect au «peuple qui m'étoit attaché) Mais moi, «toujours fidéle a mes principes, a chaque «pas qu'il faisoit vers les honnèurs, je n'en «attaquois que d'autant plus vivement ses « défauts. Vous voyez que s'il eut été sus«ceptible de magnanimité, cette noble at«taque auroit au moins du lui inspirer de «1'admiration pour celui qui la hazardoit «avec tam de danger pour lui - même. «Cela fit un tout autre effet sur lui. Sa «haine contre moi, h chaque signe d'im«probation de ma part, ne faisoit qu'aug«menter; et ayant fait paroitre, ]e mois «dernier, une brochure dans laquelle je «1'attaquois vivement, le peuple se rassem«bla autour de sa maison, le menaca et «proféra ,mon nom k haute voix. Irrité, «ce ltiche ministre alla mettre mon écrit  ) 17S < „sous les veux du prince qui établit une „commission, qui m>a condamné è mort. „C'est ainsi que condamne la loi des ty-, „rans; mais le droit de 1'homme mabsout. „Yoila mon histoire, et vous n'apprendrez „rien autre chose de moi. Je mourrai sans „me plaindre, et ne regrette que de ne „pouvoir pas briser la chaine qui retient „le genre humain dans la plus vile serv,„tude Pouvez.vous m'êlre de quelque „sécours? Je 1'accepte! Sachez cependant „que je prèfére de la main de mon en*™mi le coup de la mort au pardon. „Maintenant)evous prie de me laisser seul, „retournezdansl'esclavage, je m'éléve vers „la liberté!« Faust pénétre de la grandeur d ame du Docteur se rendit promptement chez le ministre pour lui parler, lui reprocher son injastice et le faire rougir. Le Diable, qo, connoissoit mieux les hommes, remarqua bie» que Tamour du Docteur pour la I* berté provenoit dun tout autre senument. Le Ministre leur donna tout de suite audience. Faust paria avec chaleur et hardiesse sur la position et la facon de pen- sur  ) '77 ( ser du Docteur. II lui représenta, » com«bien il seroit. préjudiciable a sa réputa„tion d'avoir sacrifié au despotisme un „hornme qu'il avoit autrefois appellé son »ami.« II lui fit entendre, „que chacun „croiroit que 1'esprit de vengeance parti„culière et la pusillanimité seuls Pont „porté a se délivrer d'un aussi clairvoyant „observateur de ses actions. Votre eon«duite est - elle pure,« ajouta - t - il „vous „n'avez aucun sujet de le craindre? Ètes„vous 1'homme pour lequel il veut vous „faire passer, par sa mort vous ne faites „que confirmer son opinion, et le public »ne verra en vous qu' un ami faux et ja„loux, et qu'un oppresseur de ses conci„toyens.« Le Ministre. Je ne vous connois pas, et ne vous demanderai pas même qui vous étes. La manière dont je recois vos reproches et vos accusations, peut vous prouver ma facon de penser. Réflécliissez même, si, sur unsimple oui - dire, et n'ayant aucune connoissance de la situation dans laquelle se trouve le pays, vous avez quelque droit a me faire des observations, M  ) »7« ( et bien plus des reproches. J'aime fi croire que ce n' est qu'un sentiment d'humanité qui vous les suggère, c'est pourquoi je vais vous répondre. J'ai été 1'ami du Docteur Ptobert, et le suis encore; ce n'est qu'a mon plus grand regret que ie suis forcé de livrer en lui k la justice, tin homme qui auroit pu êlre utile a sa patrie par ses qualités, s'il ne lui pftt pas plu d'employer son esprit 'et ses moyens a la perdre. Je ne chercherai point la cause de eet egarement dans son coeur, je remits cela a sa propre conscience. J'ai souffert longtemt, sans me plaindre, ses opinions dangereuses, ses discours séditienx; mais il ö soulevé le péuple dont le bonheur m'est con'fié, il s'est declaié chef d'une sédilion, et il mourra, ainsi que mourroit mon hls unique, s'il entreprenoit une chose semblable. La loi 1'a condamné, ce n'est pas moi, il connoit cette loi, et sait quelles suites facheuses une sédition entiaine après elle. Je me charge de tout ce que 1'on ponrra dire, et n' ai rien autre chose a objecter que la tranquillité et le bonheur de ce peuple qui reconnoitra plus tard, q«e,  ) J79 ( moi $eül', je snis són père et son ami. S'il ne vous suffit pas d' avoir suivi la premie.-e impression, arrêtez - vous ici et si Vous avez quelques objections mieux fondées a me faire, quelques réflexions utiles au peuple a me communiquer, je1 serai toujouis prêt a vous enrendre. Après ce discours qu'il prononca avec le ton de la fermeté et de la vérité, il se retira et quitta Faust qui, a 1'instant, ne put trouver de réponse. En s' en allant, celui - ci dit au diable: „Lequel des deux »> dois - je croire maintenant Le Diable haussa les épaules, car il affectoit de ne rien savoir des choses dans lesquelles il lui sembloit y avoir de 1' avantage pour 1'enfer et quelque chose de facheux pour Faust et pour 1' humanité. Faust. Mais, que je sois assez simple pour te faire une qüestion ! Je ne snivrai que le voeu de mon coeur. Un tel homme, dont la facon de penser se rapproche autant de la mienne> ne doit point mourir! Si Faust ei"it connu nos jeunes criardj de liberté, il ne se seroit pas trompé sur M a  ) 1S0 ( le compte de Robert; mais ils étoient plus rares de son tems que du notie. L'exécution étant fïxée au lendemain matin k dix heures, Faust se rendit sur la rlace avec le diable, et 1'instruisit en cbemin de sa volonté. Dans 1'instant oü le bourrf au, le damas k la main, alloit trancher la tète du Docteur, celui • ci disparut. Le diable le transporta k travers les airs au-dela des frontières, lui remit, selon Tordre de Faust une somme considérable d'argent, et 1'abandonna gaiement a son sort, car il prévoyoit 1'usage que Robert feroit de eet argent et de sa liberté. Le peuple poussa un cri de joie k la disparition du Docteur, et crut que Dieu protégeoit son favori; Faust se joignit aux acclamations du peuple et fut trés - satisfait de la belle action. 5* Faust et le diable montèrent a cheval pour se rendre a la cour du prince de , * * *. Ce n'est point par crainte que je laisse k deviner les noms des princesAllemands et des grands, qui paroissent dans  ) i8i ( eet ouvrage, *) mais parceque les ressorts secrets de leurs actions que j'ai découverts se trouvent trop souvent en contradiciion avec leurs impudents, flatteurs et ignorants bistoriographes, et que les hommes, qui aiment tant a ètre trompés, pourroient douter de la vérité de mes découvertes secrétes. Quel Hercules se chargeroit de porter les mensonges imprimés que les historiens ont entassés les uns sur les autres? Ils arrivèrent bientót a la cour de ce prince que 1'on vantoit dans toute 1'Allemagne comme le modèle d'un Souverain sage, vertueux et juste, enfin comme le père de ses sujets. Ceux - ci cependant n'étoient bas toujours d'humeur a le regarder comme tel; mais le prince qui fera tout a la fantaisie de tous, est encore a naitre. Dicton politique, qui, comme tous les dictons, ne sert le plus souvent qu'a rendre le mauvais prince plus mauvais encore, aulieu de faire envisager au bon, tous *) On voit par ce passage que 1'auteur, pour ne pas rendre son ouvrage trop volumineux a passé sous silence beaucoup d'aventures en Allemagne: mais elles paroitront peut - être un jour.  ) 18a ( les devoirs de sa lourde charge, sous leur vrai point de vue. Faust et le diable par leur luxe et leur manières d'être trouvèrent acces k la cour. Faust vit le prince avec les yeux d'un homme dont le coeur est déja prévenu; et Péxtérieur noble de ce Souverain étoit plus que snffisant pour porter la prévention jusqn'a la conviction. II paroissoit, ou étoit droit et ouvert. II cherchoit k plaire et a gagner les coeurs, sans le faire appercevoir, étoit familier, sans se com? promettre, et possedoit cette habile froi-! deur qui inspire le respect, sans qu'on puisse en déterminer positivement la raison, et qu'on se smte vivement tenté d'en chercher la cause. Ses gestes, ses actions, ses paroles étoient accompagnés de tant de_ dignité, de finesse et de décence qu'il etoit presqn'impossible a 1'oeil le plus exercé de distinguer le factice et 1'acqiiis du naturel. Faust qui avoit encore vu peu de ces gens du monde dont tous les gestes sont corapassés et les paroles pésées psr la politiqiie s' en forma une idéé avantageuse. Apiès avoir fréquente la cqur quelque tems  - } 0 i et croyant «voir saisi le ca^ctère de tous les personnages qui la composoient, le dialogue suivant eut lieu entre lui et le diable: Faust. Je n'ai pas voulu te parler ces jours derniers du prince, et c' étoit a dessein ; mais maintenant que je puis me flatter de le bien connoitre, j'avancerai avec assurance que la renommee n'est pas menteuse, et fèspèré de te forcer d'avouer qu'il est 1'homme que nous chevchons. Le Diable. Faust, je vois déjaou tu veux en venir, et tu donnés un singulier róle a, jouer au diable, mais laissons cela, no.us en parierons une autre fois. Ton prince est assurement un homme; je ne te communiquerai aucune des observations que j'ai falies, car, d'après tout ce que j'ai cru appercevoir eet après - midi, chez le Ministre, ü y a sous le tapis quelque chose qui t,e convaincra visiblement de 1'éstime qu'il mérite; conserve précieusement 1'idée avantageuse que tu t'en es formé, jusqu'a ce que la chose soit évidente, et dis - moi co qu? tu penses du Comte de * * * * >. son. favpri?  ) *84 ( Faust. J'enrage! C'est le seul person» nage que je ne puisse venir a bout de définir. II est 1'ami intime du prince, et ce» pendant il a la subtilité d' une aiguille qui échappe toujours des mains, et la souplesse d'une femme a 1'égard de son mari, lorsqu'elle pense a le faire entrer, a son inscu, dans la confrérie. Mais sa position exige peut - être qu'il dissimule, afin qu'aucun des courtisans ne puisse lire dans son ame, Le Diable. Dans son ame ? Crois - tu, Faust, que 1'homme qui employé tant de peine a se cacher ce qu'il est ou ce qu'il veut faire, ait une ame qui puisse supporter la lumière ? Méfie - toi toujours de celui dans lequel 1'art, 1'esprit et 1'intérêt ont tellement subjugué ou fait disparoitre ce qu'il a d'huinain, que 1'on n'appercnive plus les signes de son instinct, ni de sa sensualité. Lorsque les passions qui agitent votre coeur ne se font plus reconnoitre sur votre front, dans vos yeux, ni dans vos mouvements, vous cessez d'être hommes et vous devenez les plus dangereux animaux de la terre ; monstres que la cul-  ) i85 ( ture trop raffinée de 1'esprit enfante dans le dernier transport de la volupté. Faust. Comment, ce ne seroit pas même un masqué ? Le Diable, Ce seroit encore un avantage pour toi; car un masqué a un air quelconque, et on peut reconnoitre celui qui le porte a sa démarche, a sa voix, a sa respiration et a ses manières. 'Non, Faust, celui - la est bien ce qu'il est, Faust. Et qu'est - il donc, au nom de 1'enfer ? Le Diable. Un homme qui a beaucoup voyagé et qui a vu le monde, qui a fréquenté toutes les cours de 1'Europe, qui s'est dépouillé de tout ce qu'il a d' animal et qui immole les sentiments du coeur & la froide raison; en un mot, un de ces hommes éclairés qui détruisent toute union entre 1'esprit et le coeur, rient de votre vertu imaginaire, et agissent avec les humains comme le potier avec son ouvraga qu'il brise et jette au rebut, lorsqu'il n'a pas réussi a son gré. 11 est un de ceux qui Si? croient autorisés par 1' éxpérience a considérer les hommes en général et en  ) i3G ( particulier comme un amas de canailles et de scélérats qui dévorent celui qui a la foiblesse de leur attribuer un noble instinct. Rien ne le satisfait plus, qu une intrigue de cour concne avec finesse et exécutée avec succès, et il jouit d'une jeune EJU comme d'une rose, qu'il arrache a son pied, qu'il flaire et qu'ensuite il foule indifféremment dans la poussière, Faust. Méchant diable, et l'liomme que tu peins la, pourroit être 1'ami inlime du prince de * * *. Le Diable. Tu ne tarderas pas a voir quelles sont ses relations avec le prince; je te dis qu'il y a quelque cfio.se sous le tapis. As - tu remarqué le Ministre ce soir? Faust. II a 1'air triste et.sqmbre. Le Diable. Eh hien! C'est un de ces Isommes que vous appellez aimables, gens de probité. II est généreux , actif, juste; mais, semblable k tous les autres, un défaut dominant r«nForte sur tontes ses qualités, et les obscurcit. Ce défaut chez lui est nne tendresse extreme pour 1'autre sexe, et comme, pa,r principes, il fait ser-  ) i87 ( vir la bénédiclion du prêtre a son plaislr, il devint après la mort de sa première épouse, éperdument amoureux de la femme que tu as vue. En 1'épousant, il donna une belle - mère a ses enfants déja grands, procura a ses sens une courte jouissance et de'truisit 1' édifice de sa fortune. Elle profita de son aveuglement, dissipa par le luxe, la toilette et le jeu non seulement sa propre fortune, mais encore celle de ses beaux-fils et de son mari, et lui fit contracter des dettes énormes. II est vrai qu'elle a pris un membre actif de la cour des aides, dans la personne du Baron H * * * que tu as vu et qui est, a proprement parler, maitre dans la maison. Les ressources commencant k diminuer d'une manière sensible, et 1'imagination créant tous les jours de nouveau* hesoins qui devenoient d'autant plus difficiles a satisfaire, la mère finit par agréer le plan que lui proposa son Sygisbé: de vendre au favori tavertu de sa fjle aussi cher qu'il voudroit Pacheter, et pour sauver les apparences d exiger de lui une promesse êquivoque de manage. Le ministre ne remarqué rjen  ) 188 ( 4e tout ceci, il ne sent que le délabrement de sa fortune, 1'immensité de ses dettes et toute la grandeur de sa sottise, et tremble de 1'arivée prochaine de son fds, que sa femme a expulse' de la maison paternelle, pour pouvoir plus facilement dissiper son patrimoine. Fatigué des disgraces que lui causoit cette maratre, ce jeune homme prit parti dans une guerre contre les Turcs qui ne lui avoient jamais rien fait, eut 1'épaule fracassée et revint avec un bras de jnoins. II est cependant possible que le favori, vu le cas que le prince faisoit du ministre, ait eu au commencement des vues honnétes; mais depuis quelques jours les choses ont tota'.ement changé de face. Le prince lui propose un mariage avec la plus riche hérilière du pays, et, depuis ce moment, il couve le dessein d'écraser, par un coup hardi et secret, le Ministre et toute sa maison. II a si bien pris ses précaulions que personne n'osera crier vengeance, ni même penser a 1'accuser. lis doivent rester muets, comme s'ils n'avoient jamais existé, et le Ministre doit périr sous ses pieds, comme le ver que vous écrasez  ) ( sans pitié et dont voire sourde oreille n'entend pas les gémissements. Faust. Et le prince laisseroit cette action impunie? Le Diable. Tu seras témoin du dénouement. Faust. Je t' ordonne par mon courroux de ne point faire ici de tes tours. Le Diable. Ceux qui font rougir le diable par leurs actions, ont-ils besoin de lui? Faust, nous ne commencons qu'a dévoiler le coeur humain; c' est avec plaisir cependant que je remarqre que vous autres Allemands étes aussi susceptibles de faire quelque chose. 11 faut cependant convenir que vous singez les autres nations et que par Ik vous perdez la gloire de 1'originalité; mais en enfer on n'y regarde pas de si prés, et la bonne volonté y est réputée pour le fait. Faust passoit son tems avec les femmes, seduisoit les filles d'bonn'iur et les soubrettes, pendant que le drame du favori ap.  ) *$» ( procboit du dénouémént. Celui - ci étöit assis auprés du Baron H * * * et lui faisoit part du joli projet qu'il avoit concu. II devoit eri être l'instrument; et comme 1'éclat de 1'or he pouvoit plus ranimer des forces qu'un long commerce avec la femme du Ministre avoit totalerrient épuisées, son impuissance et le manque de ressources de sa maitresse lui firent chercher un prétexte de s'éloigner d' elle. En outre les larmes de la malheureuse fille > le chagrin du père; et 1'arrivée prochaine du fils estropié commencèrent a tocrmenter sa délicate conscience, et il ne per.sa plus qu'a se débarrasser d'une nianière ou de 1'aulre de eet importun fardea'u. La première chose dont il fut natureliement question, comme cela se passé entre gens qui «e connoissent: ce fut de mettre un prix aux services du Baron. Le favori lui promit d'employer avec succès tout son crédit auprès du prince pour 1'envoyer, comme chargé d'une commission importante, a la cottr impériale. Le Baron de son coté s'engagea k délerminer la femme du Ministre, par une somme d'argent que  ) C le Comte déboursa, a enlevef furtiverhent du cabinet de son mari un certain papier qui lui avoit été remis pour en faire des extraits. Ce manuscrit contenoit un des plus importants titres de la maison du prince, et 1'on se trouvost justement clans le cas de le produire, a cause d'un difféxend survenu avec une autre maison sonveraine. Le Comte espéroit emuite de si bien arranger 1'affaire, que Je Minjj(tr« fik évidemment convaincu d' avoir e'té force', par un besoin extréme^ de livier cetle piece a la partie adverse; et il ménagea si adroitement les clioses, que le mérite d'avoir sauvé de ce danger la maison de son protecteur, ne pouvoit être attribué qu'a sa propre vigilance. La femme du Ministro croya qu'un homrne qui n'avoit plus d'or a sacrifier a ses caprices et a ses sottises, ne méritoit plus aucun égard, se flatta de mettre le favori de son coté. en lui témoignant de toutes maniéres sa bienveillance, et lui remit :le papier sans scrupule.  ) »92 ( 5- Le Ministre seul dans sa chambre se promenoit k petits pas en soupirant. Sa fille, autrefois sa seule consolation, accablée par le sentiment de la bonte qui la menacoit, succombant k la donleur mortelle de voir son amour décu, s'étoit éloignée de lui. Fuyant la lumière, cette victime bien digne d'un autre sort, déploroit son malheur dans un réduit obscur, et la dépérissoit; tel dans une vallée solitaire se désséche le lys qu'une main perfide a pressé sur sa tige encore tendre. L'épouse du ministre vint 1'interrompre dans sa triste solitude, pour lui rendre sa misère encore plus sensible. Bientöt après entra le Baron qui lui demanda d'un ton sec ses ia* structions pour se rendre k la cour impériale. Le Ministre ayant recu ordre du prince de les lui délivrer, il alla dans son cabinet pour les chercher. Dans ces entrefaits son épouse eut le tems d'accabler de reproches son amant qu'elle accusa d'être 1'auteur de la perte de toute sa familie. A Tinstant oü le ministre remettoit au Baron  ) ( ion ses instructions, arriva un messager du prince avec ordre par écrit d'apporter a la cour la susdiie piece avec son travail, parcequ'on vouloit présenter tous deux a 1'envoyé dela partieadverse. Le Ministre chercha dans son cabinet, fouillaetrefouilla toutes les armoires, la sueur froide de la mort se répandit sur sa figure; il fit appelier ses secretaires, ses commis> sa femme, sa fille, les interrogea tous, mais en vain, il dut se re'soudre a s' exposer, dans 1' innocence de son coeur, au terrible courroux de son maitre. II se présenta devant le prince, qui étoit seul avec le Comte, lui annonca son malheur, 1'assura de son innocence et se soumit a son sort. Le Comte laissa un libre essor au premier sentiment du prince et s'approchant ensuite de lui, tira de sa poche le papier, le lui remit avec une prolonde inclination, répondit k toutes les questions qu'on lui fit pour savoir comment il étoit parvenu a 1'avoir, se laissa même menacer de disgrace, et avoua enfin, avec une répugnance extréme, la manière dont la chose s'étoit passée, d'après le plan . qu'il avoit formé. Le Ministre resta muet, N  ) m ( la preuve eonvaincante de crime le troubla si fort, que le sentiment même de son innocence devint pour lui une énigme, tant il s' attendoit peu a cette tournure. Le prince le regarda d'un air furieux et dit: »Je pouvois depuis longtems m'attendre »que vous chercheriez a réparer vos sotti„ses et votre profusion en me traliissant. « Ce reproche fut pour le Ministre un coup de foudre, et déchira le bandeau qui étoit devant ses yeux; le sentiment de son honnêteté alloit lui rendre la parole, mais le. prince lui imposa silence, lui ordonna de se démettre de sa place, de s'en aller chez lui et de ne point s'éloigner jusqn'a ce qu'un tribunal ait prononcé sur sa conduite. Le mallicureirx s'en alla, la figure baignée de larmes. Le désespoir artacha a sa fille le secret de sa honte, et a la mére 1'aveu de son crime. Les ressorts de son esprit se détraquèrent, ses sens se troublèrent, et, ce qui peut arriver de plus mal.heureux a 1'homme, la foiblesse et le délire lui ravirent entièrement le souvenir du passé, et, par une subversion totale, gué-  ) ( rlrent son coeur des blessures cruelles que lui avoit faites sa familie. Dans ce moment le diable conduisit Faust dans la chambre du ministre, après 1'avoir instruit de toute 1'affaire. Le ministre n'avoit pas encore tout k fait perdu connoissance, toutes les fibres du sentiment n'étoient pas relachées, sa langue eherchoit k exprimer les tourments qu'il venoit d'endurer et il versoit ses derniers larmes sur sa malheureuse fille qui tenoit ses genoux embrassés, et dont le noir désespoir et 1'affreuse douleur défiguroient les traits. 11 sourit encore une fois, pressa dans ses doigts les cheveux tombants de sa fille, sourit encore une fois, son fils arrivé et veut dans le transport de sa joie, se précipiter sur lui. Son père le regarde d'un oeil farouche, prononce quelques mots entrecoupés d'une voix féroce, la paleur de la mort se répand sur son visage, et il n'offre plus qu'un objet d'effroi et de compassion. N »  ) -96 ( 6. Faust étoit furieux et s'exhaloit en malédictions. II résolut de déeomrir nu prince toute 1'intrigue et de démasquer le trompeur. Le diable sourit et lui consfilla d'agir avec plus de mesure, s'il vouloit parvenir a connoitre et a pouvoir juger ce piince qu'il lui avoit vanté, comme ie modèle de toutes les vertus humaines. Dans cette disposition Faust se rendit k la cour, et, sur, d'opérer par cette découverte la disgrace du favori, il communiqua au prince toute 1'afFaire, et lui paria d'un ton iroid et posé. Lorsqu'il en vint au motif qui avoit porté le Comte k cette action abominable, pour se soustraire a la promesse de manage qu'il avoit faite k la fille du Ministre, le visage du prince s'éclaircit, il prit un air riant, fit appelier le Comte, se jetta a son cou lorsqu'il enlra, et dit: „Heureux est le prince qui trouve un oami qui, par obe'issance, ou par la crainte »de lui déplaire, sait risquer de violer „sans rougir, les regies ordinaires de la »morale. Ce Ministre s' est toujours mal  ) »97 C «conduit, il n'étoit pas en ét at de gérer „sa place, je suis charmé d'en être déba„rassé, et le ministère sera infiniment „mieux entre vos mains.« Faust resta un instant comme pétrifie': enfin, reprenant ses sens, il s'abandonna a toute la véhémence du noble sentiment qui 1'agitoit. II peignit sous les couleurs les plus affreuses le triste état oit se trouvoit le Ministre; son imagination irritée le fit éclater en reproches, il oublia même le teirible pouvoir duquel il pouvoit disposer; et, ne pensant qua venger Mvumanité opprimée, il démasqua le froid tyran, sans penser au sort qui 1'attendoit. On le renvoya comme un insensé. Le diable le reent d'un air satisfait. II resta muet, son coeur se révöjta, et il se réjouit dans 1' amertume de son ame de s'être séparé des hommes. 7* A roinuit, le Comte fit enlever le diable et Faust et les fit jetter dans un noir cachot. Faust ordonna au diable de céder a la force, parcequil vouloit voir jusqu'oii ces hypocrites pousseroient leur méchan-  ) '98 C ceté. Privé de lumière, dans eet affreus séjöur, il étoit en proie aux doutes cruels de son ame. L'horrible scène de la veille se représentoit toujours k ses yeux sous des couleurs plus sombres, et ces tristes considérations donnèrent lieu k des réflexions épouvantables contre le dispensateur du sort des humains. Tous ses sens étoient révoltés, et il s'écria d'une voix féroce et avec le ton de 1'ironie: » Ou est ici le doigt «de 3a divinite'? Ou est 1'oeil de la pro«vidence qui veille sur le juste? Je. vois «1'honnête homme, abandonné au déses«poir, périr dans les tourments, et celui «qui 1'a immolé se trouve récompensé! Je » découvre dans le ryran qui se jone de la «vèrtu la perfidie de son favori, 'et il ne Yen „ trouve que plus digne de son amitié et des »récompenses! Et il y auroit une En, un «ordre et de 1'union dans le monde mo»ral! Eh bien, ils sont aussi dans le cer„veau da Ia malheureuse victime que son «créateur a laissé sacrilier sans lui portcr „secours, sans même la venger!« H contiriua, le diable écoutoit en souriant. „L'liom-r »me est-il forcé d'agir d'après les loix de  ) »99 ( »la necessitè? Dans cette supposition, il „ne faut attribuer toutes ses actions qua „1'Êtrc suprème, et, par la, elles cessent „d'être punissables. Peut - il .sortir d'un «Être parfait rien autre chose que de bon „et de juste? De la il résulte que toutes „nos actions, aussi horribles que nous puis„sions nous les imaginer, sont, bonnes et „justes, et que nous sommes leurs victi- . „mes, sans voir pourquoi. Sont-elles con„damnables et infames, comme elles nous „le paroissent, alors eet Être est injuste a „notre égard, car il punit en nous des horreurs dont il est lui - même la source. „Diable, éclaircis mes doutes, je veux sa„voir poaxquo} le juste souffre, et le sce„lérat, est récompensé.« Le Diable. Faust, tu viens de supposer deux cas, mais, s'il y en avoit un troisième? c'est a dire: que vous ne soyez jettés sur la terre, que comme la poussière et le ver, au hazard et sans distinction. Si, livrés a des erreurs sans nombre, il vous falloit les éclaircir et que, n'y pouvant parvenir, votre sévère maitre et votre juge exigeit que vous lui en rendissiez  ) zoo ( compte ? Si, semblable a nn despote, il' n'avoit dicté a votre coeur que des loix équivoques, s' il ne lui avoit inspiré que des penchants contradictoires, pour s'en réserver 1'explication obscure, et pour vous punir ou vous récompenser a sa volonté ? Faust. De quel philosophe as-tu fréquente Pécole, pour m' entasser des si sur des si? Ah! Je le seus bien, le sort de 1'hotnrne est d'errer et de tatonner dans les ténèbres, de sentir déchirer son coeur par ce qu'il voit tous les jours; et quand même il se livre au diable pour obtenir la lumiére et la clarté, il n'en est pas plus avancé. Si le crime et la folie rendent heureux, la vertu n'est qu'une sottise, puisqu'ellene peutprotéger ceux qui lui dévouent leur vie. Ce sentiment n' est que factice, et notre nature, qui, par les sens, nous conduit a la jouissance de 1'instant, ne le connoit pas. C'est dans un foi éspoir, dans un orgueilleux délire que nous levons les yeux vers le ciel, et que nous attendons dans un avenir éloigné et incertain la récompense de notre soumission, pendant que le crime tourne la vertu en ridicule, et  ) 20Ï ( en triomphe publiquement. Je flotte ici entre mon coeur déchiré et mon esprit révolté, comme sur la mer mugissante le nautonier désespéré dont la foudre a embrasé Ie vaisseau. La flamme le menace du néant; les üots furieux 1'en rnenacent encore. A quoi me sert cette compassion qui lacere mon coeur, a la vue des souffrances du genre humain? Que mon coeur devienne de pierre comme celui des grands et des puissants qui ne se servent des hommes, leurs semblabïes, que comme de moyens a leur but! II faut maintenant que je leur ressemble et que j'injurie 1'humanité. Que le geime de mon exietence ne s'est - il desséché dans le sein de ma mère ! Que .mes nerfs n'eussent jamais reen cette initabilité, et que le sentiment dn j'iste et de 1'injuste ne se fut jamais éveülé dans mon coeur! Devois-je apprendre a connoitre 1'homme pour, en présence du diable, blasphêmer sa nature! Encore une fois, subtil suphiste, explique-moi cette éni;;ii)e; découvre-moi ce secret, quand même je devrois le payer au prix du néanf.  ) 202 ( Le Diable. Tranquillise-toi, renonce a tes doutes; il n'est pas donné a un Etre matéviel de résoudre ce problème, et sa solution coutera en vain la vie k des milliers. N'oublie pas le bul que nous nous sommes proposé a notre première entrevue. Je fai promis de te montrer 1'liomme a nud, pour te guérir des préjugés de ra jeunesse, ainsi que de ceux que tu as puisés dans les livres , afin qu'ils ne te troublent point dans la jouissance de la vie; et quand tu te seras convaincu que cette prétendue providence de 1' Éternel auquel tu as renonce pour moi, et en face duquel vous commettez sans rougir les crimes les plus horribles, n'est que présomption de votre orgueil, alors, si tu te sens encore quelque force, je te dévoüerai dans toute leur horreur les mystères qui t'environnent maintenant. Faust. (avec un rire amer.) Eh bien! j'en jure par 1'obscurité des enfers qui nous enveloppe depuis notre naissance jusqu'au tombeau, je suis encore le plus sage de tous, car j'ai évité le labyrinthe, et en me livrant k tol, j'ai arbitrairement disposé de moi, et j'ai su fixer mon sort, comme  ) 2o3 ( il conviem a un être libre de Ie faire, (en se mordant les lèvres) a un être libre! ha! ha! oui, libre comine le chien de chasse que je mene en lesse, et que son instinct emporte, lorsqu' il apperooit une piece de gihier. , Le Diable. Crois-moi, moqueur, si les hommes possédoient la vertu mngique que tu as ravie au sombre séjour, ils dépeupleroient bientót 1'enfer, et tu verrois plus de diables sur la terre qu'il n'y a de saints dans le calendrier, ou que vos tyrans n'entretiennent de soldats pour vous tenir courbés sous le joug de la servitude et de 1'esdavsge. Oh! Quelle ttiste destinée pour dn diable d'exécuter les dcsirs insensés d'une bonne têne. Que deviendrions nous, s'il réussissoit a chaque coquin de nous èvoquer de 1'enfer a sonloUir? Cette observation du diable alloit opérer un changement dans 1'humeur de Faust lorsque tout a coup une nouvelle apparition vint mettre fin a leur conversation. Six hommes armés, suivis de deux bour-, reaux avec des grands sacs vuides, entrè* rent dans le cachot avec une ' lanterne  ) ao4 ( «ourde. Faust leur demanda ce qu'ils vouJoient, et le conducteur répondit: »qu'il» „devoient avoir la complaisance de passer „dans ces sacs, parcequ'ils avoient ordre „ d'y enfermer leurs Excellences, et de les „porter bien liés dans le fleuve voisin.« Le diable se mit a rire de toutes ses forces, et dit: «Vois donc, Faust, le prince „de * * * veut te guérir de eet enthousiasme pour la vertu, en faveur delaquelle „ tu lui parlas hier avec tant de chaleur.« Faust le regarda d'un air courroucé, lui fit un signe; aussitöt les voiïtes du cachot furent ébranlées, un bruit infernal se fit entendre, les archers tremblants tombèrent a terre et les prisonniers s'envolèrent. Ce ne fut qu'alprs que le sentiment de la vengeance s'éveilla dans le coeur de Faust, et se colora d'un noble vernis. L'idée, de venger fhumamtè de ses oppresseurs, occupoit seule son ame. Dans 1'excès de son indignation, il employa la puissance du diable, auquel il s'étoit voué, k ton propre peril, pour faire justice de ces hypocrites'et de ces méchants. II dit au diable d'un ton impérieux:  ) ao5 ( »Va - t - en dans le palais èt égorge nrrioi celui qui ne fait qu'un jeu de la vertu! «Anéantis celui qui récompense les tniitres, »et qui immoïe le juste avec réflexion! „Venge en mon nom 1'humanité sar ce „ monstre!« Le Diable. Faust, tu anticipes sur la vengeance du vengeur. Faust. Sa vengeance dort, et le juste souffre; je veux voir exterminé celui qui porte le masqué de la vertu. Le Diable. Dans ce cas-la, ordonnemoi de soullier la peste sur la terre, afin que tout le genre humain périsse. Que deviendront les hommes, si ton délire dure encore quelque tems. Tu ne feras que peupler 1'enfer, et les choses iront toujours leur train, comme auparavant. Faust. Malicieux diable; tu voudrois le sauver, afin qu' il commit encore plus d'horreurs; assurement, des princes tels que lui, sont d'gnes de la protection des enfers, car, en récompensant le crime, ils rendent la vertu suspecte sur la terre. Qu'il mcure, et que, chargé de son dernier crime, il descende tremblant vers la damnation.  ) 206 ( Le Diable. Insensé, le diable se complait dans le meurtre du pécheur; ce que je te dis, n'est que pour éviter a 1' avenir tes reproches, et pour qu'il ne te reste plus aucune espèce d'excuse. Les suites de cette action retomberont sur toi» Faust. Je m'en charge, elles serviront dans la balance de contre - poids a mes; crimes. Depêche-toi et assassine ! Sois le trait de ma vengeance! Saisis le favori, et lance-le sur le sable ardent de la bruiante Lybie, qu'il s'y consume k petit feu! Le Diable. Faust, j'obéis, mais réfle'chis, téméraire, que tu n'as pas le droit de t'ériger en juge souverain, ni de prononcer définitivement. Faust. Je suis 1' être le plus malheureux sur la terre; mais non dans ce moment. Le Diable. Ce n'est que 1'esprit d'une vengeance particuliere, le chagrin de t'être trompé sur son compte, qui te font agir. Faust. Infernal bavard, c'est le reste de la démence de ma jeunesse qui, k 1'aspcct d'horribles actions, a fait naitre cn moi 1'ide'e d'anéantir leurs auteurs. Si j'avoia pu voir et souffrir Pinjustice et les  ) 207 ( crimes des hommes, t'aurois-je évoqué des enfers? Dépêche - toi d'exécuter mes ordres! Le diable égorgea le prince dans son lit de dutterj saisit le favori tremblant, le lanca sur le sable briilant de Lybie, et retourna vers Faust: »tes ordres sont exé»cutés!« Hs se mirent tous deux sur les ailes du vent, et en un din d'oeil ils Jurent Jiors des frontières. Que nos princes sont maintenant heureux, qu'il ne réussisse plus a un mortel' d'évoquer le diable des enfers, et d'en faire l'instrument de Ia vengeance des innocents opprimés et immolés! Malheur aux Nababs de la terre, si cela pouvoit réussir a un seul Jmmain. 8« Faust, triste reveur, condiüsoit,.. négligemment son cheval; (car, aussitót qu'ils furent au-dela des frentiéres, le diable changea de manière de voyager.) L'histoire du Ministre lui revenoit sans cesse a 1'esprit; il étoit faché d'être obligé de faire au dia-  ) SOS ( ble certalns aveux relativement aux hommes, et son humeur s'aigrissoit d'autant plus qu'il commencoit a envisager les humains sous un autre polnt de vue. Cependant 1'idée d'avoir vengé le malheureux Ministre de ce prince perfide et de son favori allégeoit un peu son chagrin. Peü a peu 1'orgueil gonfla tellement son coeur qu'il commencoit presque a regarder sa liaison avec le diable comme la derniere ressource d'un homme qui sacrifie son ame pour le bien de 1'humanité, et, paria, surpasse tous les héros de l'aritiquité, qui n'ont compromis, qu'une. vie passagère. Ceux - ci ne s'étant sacrifiés que par amour pour la gloire, et s'étant laissé conduire par un intérêt auquel, en vertu de son alIiance, il ne pouvoit prétertdre, Faust crut toute compaiaison avec ces héros infiuiment au - dessus de lui. Mettez 1'homme dans telle position que vous vouliez, soyez sans inquiétude, et laissez simplement agir son amour-propre; vous verrez qu'il sait tout embellir, et qu'il a fait envisager a Faust 1'enfer, comme un séjour couleur de rose. II oublia, dans ce fier sentiment, les  ) 209 C les motifs de son alliance avec le diable, son penchant pour la volupté et la jouissance, et dans Pexcès du fanatisme, son imagination exaltée le proclama Chevalier de la vertu, et vengeur de 1'innocence. Cette illusion servit de baume a son esprit tourmenté, et il se sentit moins affecté de n'avoir pas découvert par le moyen du diable ce qu'il avoit si ardemment desiré de savoir. Dans cette disposition de son ame, il regardoit les tourments et 1' abime de 1'enfer avec autant de flegme et de tranquillité, que le juste envisage la mort, qui ne tranche le fil de ses jours que pour le conduire a la félicité éternelle. Le Diable étoit a cheval auprès de lui, et le laissoit s'abandonner a ses rêveries profondes. Il ne voyoit dans chacun de ces censés nobles sentiments qu' un nouveau sujet de peines prochaines et de de'sespoir, et sa haine contre Faust augmentoit a raison de ce que celui - ci s'applaudissoit, et de ce que sa perspective s'étendoit et son horison s'éclaircissoit. II jouissoit d'avance de 1'instant oïi toutes ces brillantes illusions devoient s' entre-détruire, ou toutes ces O  ) 210 ( images riantes de l'imaginatioii devöient se couvrir des couleurs de 1'enfer, et dérhirer le coeur de ce téméraire, comms jamais ne fut déchiré le coeur d'un mortel. Après un long silence Faust éléva enfin la voix: »Dis - moi, dans quel état se trouve »maintenant le perfide favori? Le Diable. II soupire et languit sur Ie sable brülant, sa langue desséchée sort de sa gorge enflaminée pour chercher a se rafraichir et s'humecter d'air et de rosée; mais dans ces plaines on ne sentit jamais le soufflé rafraichissant du Zéphyr, jamais 1'Aurore n'y versa ses pleurs, le ciel y est avare de pluie. Son sang bouillonne dans ses veines, les rayons du soleil dardent perpendiculairement sur sa tète nue. II maudit en lui-même 1'Eternel, et sa langue desséchée ne peut proférer de blasphêmes; sembiable au ver, il travaille dans Ie sable enflammé pour chercher 1'huinidité, et ne fait que creuser son tombeau. Ta vengeance est - elle satisfaite? Faust. Quel mot as - tu prononcé? Vengeance? Pourquoi nommes - tu ven-  ) 211 ( geance un simple acte dejustice? Pden qua ton récit me fait frissonner; et je Ie vis froidement sourire, lorsque je lui dépeignis Ie» tourments de 1'honnète Ministre et de sa fille séduite. Le Diable. Le tems, qui ne marche qu'a pas lents, te dévoilera tout. Le paysan, Faust, qui seme le chanvre, en fait de la corde, sans pressentir que son rigoureus seigneur le fera fouetter avec, s'il ne paye la taille et les impositions. Que deviendras-tu, lorsque tu verras 1'homme sur un plus grand théatre, et qu'il te paroitra tel qu'il est. Nous n'avons encore fait que lever 1'épiderme au monstre, que sera-ce, lorsque nous lui déchirerons le sein ? Celui qui s' est réservé la vengeance épuiseroit bientöt la foudre, s'il vouloit anéantir tous ceux qui, d'après ton opinion, ne méritent pas de vivre. Mais il veut qu'ils vivent, qu'ils souffrent, qu'ils commettent des crimes, et que le remords les prépare au chatiment. Cette espèce de bipèdes qu'on ap-* pelle homme seroit encore supportable, si son esprit orgueilleux pouvoit ou vouloit la porter a résister au penchant qu'elle a de O *  ) 212 ( tout détruire et d'abuser de tout. D'oü peut venir, Faust, ce non - vouloir, cette impuissance? Si tu construisois une machine, ne t'y prendrois - tu pas de manière a ce qu'elle répondit au but que tu te serois proposé; et, si tu t'appercevois que tu te fusses trompé dans ton calcul, et que cette même machine fut plus nuisible a ton but qu'elle n'y seroit utile', je te le demande, ne chercherois - tu pas a la perfeclionner, ou ne la briserois-tu pas ? Faust étoit dans 1'intention de lui répondre, lorsqu'ilj appercurent dans le lointain un village tout en feu. Faust piqua son cheval des deux, et le diable se mit a galoper pour le suivre. Ils rencontrèrent quelques instans après une legion de chevaliers et de valets qui battoient en retraite devant un autre corps de cavalerie. En s'approchant du village, ils trouvèrent les champs jonchés de cadavres et de chevaux. Parmi les morts et les mourants ils appercurent un pauvre diable qui, jurant et pestant, étoit occupé a faire rentrer ses boyaux dans son ventre. Faust 1' aborda et lui demanda poliment quelle étoit la cause  ) 2l3 ( de ce difFérend; ce garcon lui cria: »al«lez vous en a tous les diables, Monsieur «leCurieuxi Si'vos boyaux étoient en plein «air, comme les miens, la curiosité vous «passeroit bientót. Sais - je pourquoi ils «m'ont fendu le ventre ? Demandez a mon «maitre que voila par terre étendu sans vie, »et auquel je suis redevable de cette bon»ne aubade.« Ils allèrent ensuite trouver un cavalier qui avoit une blessure a la cuisse, et Faust lui fit la même question. Le cavalier répondit: oQu'un paysan du village qu'ils «voyoient enflammé, s'étoit avisé, il y avoit «quelques semaines, de tuer un des cerfs du Comte Noncoeur; que ce dit Comte «ayant exigé de son souverain qu'il lui „IivrAt le braconnier, pour, selon 1'usage „recu en Allemagne, le chasser comme «un quadrupède et le courir a mort, es» suya un refus de la part de son maitre, »qui croyoit avoir réparé le manque de „respect du paysan envers le Comte, en «confisquant a son profit toute la fortune «du pauvre malheureux. Sur ce refus le „Comte Noncoeur f envoya, au nom de  ) 214 ( »dieu et sous la protection de 1'Empereur, »un eartel a rnon noble maitre. Le com«bat s'engagea de part et d'autre, et le «sort des armes nous fut contraire. Le « Comte de sa propre main mit le feu au «village, après 1'avoir fait entourer par ses «cavaliers, afin qu'aucnn paysan ne pilt «échapper; et maintenant ' il veut accom«plir le serment qu'il a fait devant le saint «sacrement, de faire rótir tous les habi«tans comme des oies, pour les donner a »manger a ses chiens, et a ses sangliers.« Faust. (furieux) Oü est son chateau? Le Cavalier. Sur cette montagne, c'est le mieux fortifié et le plus beau du pays.' Faust monta sur une hauteur et vit dans la vallée le village enflammé. Les mères avec leurs enfants, les maris et les vieillards, les jeunes gens et les jeunes filles sortoient en foule de leurs maisons, se )ettoient aux pieds des cavaliers, et, déses-» perés, imploroient la vie. La vallée re^ tentit de ces mots du Comte: «Repous» « sez cette canaille! Qu' ils périssent tous «dans les flammes !c< Les paysans a'genoux s'écrioient: «Nous sommes innocents, celui  ) 2*5 ( »qui vous a offensé, a pris la fuite! Quel «crime avons - nous commis? Quel mal «vous ont fait nos enfants? Ah! sauvez«nous la vie!« Les cavaliers les firent lever k coups de fouet, et les poussèrent dans les Hammes: les femmes jettèrent leurs enfants a terre, dans 1'espérance que ces monstres en auroient au moins pitié, ils furent écrasés par les pieds des chevaux. Faust indigne' s'écria: Diable, vole et ne reviens pas que tu n'ayes embrasé le chateau de eet enragé, avec tout ce qu'il renferme. Qu'il retourne chez lui et qu' il y subisse Ie sort qu'il a fait éprouver aux autres. Le diable sourit, secoua la tête'et s'envola. Faust se jetta sous un arbre et attendoit avec impatience que le chateau fut enflammé. L'insensé voyant s'éléver des montagnes de Hammes et de fumée, s'imaginoit avoir rétabli 1'ordre des choses, et témoigna au diable, a son retour, sa satisfaction. Celui - ei revint triomphant, et fit rapport a Faust de tous les désastres qu'il avoit cause's, ainsi que de la promptitude avec laquelle il avoit chassé le Comte  ) 216 ( et ses cavaliers [dans le chateau;' mais, Faust, ajouta-t-il: oles tourmens qu'é«prouvent les ombres dans le marais in«fernal ne seront un jour pour lui qu'un «supplice bien doux, en comparaison de «1'acle que je viens de commettre par tes «ordres. II n'y a que quelques jours que »sa jeune épouse qu'il adoroit est accou»chée de son premier enfant.« — Faust. Vole, sauve-la ainsi que le nouveau - né. Le Diable. H est trop tard; la mère, évanouie, le pressa dans ses bras, etil fut réduit en cendre sur son sein. A ces mots Faust frissonna, et il dit en courroux: «Ah, que le diable est prompt » a détruire ! <* Le Diable. Faust, pas aussi prompt que 1'homme téméraire 1' est a juger et k condamner. Si vous aviez notre puissance, il y a longtems que le monde seroit détruit et ne formeroit plus qu' un chaos. Ne viens-tu pas de le prouver, en usant aussi insensément du pouvoir que tu as sur moi? Va ton train! L'homme qui s'abandonne a toutes ses passions, ressemble a  ) 2I7 ( }a roüe qui se précipite du haut d' une> montagne, qui peut 1'arrêter? Elle saute de rocher en rocher, jusqu'a ce qu'elle se brise. Faust, c'est avec plaisir que j'aurois conservé la vie a eet innocent, pour que, dans la suite il devlnt criminel comme les autres, maintenant il est perdu pour 1' enfer, ainsi que sa mère, sur le sein dela-; quelle il fut réduit en cendre, et qui cher» choit encore avec ses os décharnés a le préserver des Hammes dévorantes. Faust. Tu me navres le coeur. II enveloppe sa figure dans son manteau, et le baigna de ses larmes. 9* L'ardeur de venger la vertu sur le vicieux s'attiedit un peu dans Faust; en/in son esprit tourmenté par la dernière aventure, fut soulagé par 1'idée que la mère et le nourrisson étoient sauvés de 1'enfer; pensée que le diable avoit fait naitre k dessein. Outre cela, la susceptibilité, la volatilité du sang, 1'avidité des jouissances, 1'attrait du changement, 1'incertitude, ne  ) ai8 ( permettoient a aucun sentiment de faire sur son coeur une impression durable, Embrassant tout avec vivacité, sa sensibilité s' enflamrnoit comme ces feux lumineux qui brillent un instant dans 1'obscurité et puis éclatent. Enfin • regardant de dessous son raanteau, il appercoit Léviatlian écouter et sourire. II lui demande: »de quoi ris - tu, bourreau, tu parois «écouter quelqu'un, et je ne vois per» sonne.« Le Diable. Tu ne te trompes pas. II vient de voltiger par ici un des esprits qui s'occupe des intrigues d'adultères, il m' a raconté un tour, qui me fait rire, quelque sérieux que m'ait rendu ton insupportable compagnie. Faust. Raconte ! II me faut du plaisant. . Le Diable. Lui, ou moi? Faust Qui lui? Je ne le vois pas. Le Diable. II est cependant prés de toi. Veux-tu le voir, ou seulement 1'entendre? Sa voix est douce comme celle du trompeur qui fait succomber a la première tentation.  ) 2i9 ( Faust. L'entendre; une aventure ra-, contée en 1'air, est quelque chose de neuf, et c'est ce que je veux; mais il faut que le tour soit plaisant. «Plaisant et tragique, Faust, comme »chez vous autres tout est enchamé« dit une voix claire et sonore, qui comme un pipeau imitoit tous les tons. La voix continue : »J'arrive de Cologne, »ville, comme vous savez, plus fameuse » par ses églises et ses reliques, que par ses «hommes de génie. II y a pourtant plus » de cocus que d' églises.^ Faust. Un diable moralise! Cette voix a beaucoup vóyagé, elle commence par des remarques. Fol esprit, de quel lieu n'en peut - on pas dire autant ? La voix. Faust, la vérjté est partout de mise. — Je m'étois niché la dans les boutons de rose du sein blanc et arrondi d'une béate, son mari étoit parti pour la Hol-i lande. Elle sent Ia pétulence inquiete par tous les nerfs, qui correspondent au, point appetissant ou je m'étois fixé, elle se plaint a son confesseur de ' ce qu' elle éprouve de particulier; cela amene une  ) 220 ( explication, Ia suite de cette explication, est qu' il me touche par hazard de soa scapulaire. Mon tour étant k maturité je m' enluis. Passant par les rues , j'appercois un maraud entièrement dans le costume, dont nous pare le culte de vos moines. Un manteau rouge, un masqué effroyable, des cornes énormes, un pied de bouc et une longue queue. Je me poste entre les cornes de eet aventurier et je 1'accompagne. II se glisse dans la maison du seigneur de Trossel. Cet original m'étoit connu dès son permier mariage, et il me'rite de 1'être de vous. Représentez-vous un gentilhomme de Westphalie, insolent fiefé, haut de six pieds, ayant entre ses larges épaules, une ronde et grasse tête de veau, sur la face de la quelle la nature a grossièrement dessiné la capricieuse stupidité, 1'esclave des prêtres, un fanfaron barbare, dur et ignorant, le bourreau de ses inférieurs cita'lins et paysans, avec 1'air d'un cocu. II doit son éducadon a Ia valetaille de son trés haut et trés noble père; cette école 1'a rendu si habile et si ingénieux jureur, qu'aucun charretier de sa  ) 221 ( province, n'ose le lui disputer. Le chapelain lui a appris uil peu a lire, lui a farci la tète de legendes et de contes de sorciers, et ainsi qualiflé gentilhomme, il fut dans sa jeunesse, honoré d'un guidon pour conduire une petite troupe envoyée au secours de 1'empereur contre les Turcs. II tomba bravement sur les ennemis, quoiqu'il préférat de faire la guerre aux amis, il pilla, vola, et se conduisit comme un coquin, qui ne connoit d'autre droit que celui du plus fort, et de sa noblesse. Une trop forte dose de vin d'Hongrie mit fin a ses déprédaiions; tombant de cheval, il se demit une hanche, ayant été mal guéri, il est venu a Cologne chercher Ia tranquillité. Le découragement et 1'ennuil'ont jetté dans 1'étude, il a dévoré toutes les legendes; les contes d' enchanteurs et de sorciersontéchaufféetdérangé sa stérileimagination, et par patriotisme (en quoi les Allemands surpassent tous les peuples de la machine ronde) il s'est épris particulièrement de toutes les legendes et reliques du lieu de sa demeure. Rien n'égale, selon lui, lemiracle des onze mille vierges, (en quoi  ) a22 ( 51 n'a pas tort.) L'artiele des trols rois mages venus d'Orient est devenu ses délices; il entreprit d'en écrire Thistoire dès avant ses premières noces, sans avoir jusqu'a présent, pu arriver avec eux jusqu'a Bethle-r hem. Toutes ces pieuses occupations n'ont cependant pas converti notre jureur. Clercs et laïcs lui ont fait des remontrances sur ce point, et c'est en proférant les plus gros jurons qu'il promit de perdre 1'habitude de jurer. II faut ajouter a cela, que eet animal, a force d'être assis, est devenu hipocliondre, qu'il craint épouvantablement la mort, qu'il a une peur efiroyable de notre confrairie, qu'il ne cesse pourtant pas de citer, et pour achever de le peindre, qu'il est jaloux comme un;tygre, qu'il ne perd pas sa femme un moment de vue, que hachee sur un tabouret elle est forcée d'entendre ses commentaires sur la legende, ou ses gasconades menteuses sur ses campagnes. II n'y a pas longtems qu'il a épousé une brunette ferme et dedue —*• friande espiegle crue sur la tige fragile de 1'innocence, et entièrement imbue de 1' esprit fe'minin. J'avois déja tissu un filet pour  ) 225 ( elle, mais le rusé m'a pre'venu, comme vous 1'allez voir. Ce diable de moine monte avec bnïit 1' escalier — moi épiant de quoi il étoit question, je garnis ses cornes d'un feu enflammé et pétülant, et me mets au milieu sous la forme d'une monstrueuse cliauve- souris, avec des yeuxardents — le diable monacal se place devant le lit et crie: Trossel! Trossel! Monsieur de Trossel! Je viens de la part de Satan mon maitre. II te salue, et té fait dire, que si tu ne renonces pas aux terribles jurements avec lesquels tu Pinvoques a tout moment, il sera obligé dans peu, lui-même en personne, de venir te tordre-le col, II y a longtems qu'il eD a envie; mais tu jouis de la protection des onze mille vierges et des trois rois mages, qui te defendent contre lui. Cela n'empêchera cependant pas, que pour chaque juron que tu fulmineras a 1'avenir, un galant ne vienne coucher avec Lene, ta jeune femme. Malheur a toi si tu t'avises de iroubler ces deux innocents. —  ) 224 ( ■ Mon moine redescencl avec fracas. Tros* iel tremble d'éponvante — ft 1'aparition, Lene s'étoit tapie sous la couverture, et n'en a ressorti la tête qua ses cris de desespéré. Elle se met a gémir et se lamenter a faire pilié sur le malheur dont elle est ménacée, et conjure par tous les saints le pauvre blême, de se garder soigneusement de jurer. H le lui promet et se le promet k lui - même en sanglotant et priant dieu. Je me mets aux trousses du dróle, qui venoit de nous faire un si honteux affront, et 1'accompagne vers le Rhin. Un jeune gentilhomme a qui la ruse de* femmes avoit dans 1'église, inspiré ce joli jeu, 1'y attendoit — le dróle se dépouille de son masqué — eb. bien, Faust, c'étoit un moine! Voila Trossel toute la journée muet et inanimé; car parler et jurer chez lui étoit tout'un. Sa coquine de brunette jettoit des regards en dessous sur ce pauvre malheureux, en paroissant altérée d'un juron, comme d'après vos préjugés, une ame du purgatoire aspire a sa délivrance. Elle ne lui en. recommandoit pas moins sans dis- conti-  ) 225 ( continuer, de se garder soigneusement de jurer; elle lui peint le diable et Ie danger avec des couleurs plus terribles les unes que les autres, et assure en pleurant, qu'elle ne survivra pas a eet affreux moment. Trossel pousse de profonds soupirs pour la première fois de sa vie; il ne vit plus, c'est un ombre, un rien. On le vole, on renverse ses legendes pêle-mêle, on marche sur Ia patte de son chien favori, on est bourru, grondeur, on le traite avec impertinence, il perd injustement une bonne cause, — il grince les dents, ravale des jurons prêts a lui échapper, il souffre tout et se tait. II alloit perdre 1'usage de la parole, et Lene commencoit k desespérer, comme notre moine sous la forme d'un gentilhomme en voyage, recommandé a Trossel par un de ses camarades de guerre, lui fait un soir visite, et procure k 1'altérée brunette, 1'occasion de faire jour aux jurons enchainés. Le moinillon avec sa langue mielleuse se met k entretenir Trossel des trois rois. L' éloquence du muet se reveille, il ne tarit pas sur leur louange, il lit k 1'étranger quelque chose P \  ) Ö26 C de son ouvrage, la brunette 1'écoute dévotement. Le moine le voyant au fort de la chaleur, dit avec un ris moqueur: trois rois? Trois tout k la fois! Et il y en a souvent trop d'un! Et que faisoient donc ces dröles-la k Cologne? Que cherchoientils au Rhin? N'avoient-ils pas assez a faire chez eux, sans rouler comme des ménétriers? Qu'ont fait leurs sujets pendant ce tems-la? Avec votre permission, autant que je connois les rois, ils ne quittent pas ainsi leurs foyers, k moins qu' on ne les en ait cbassés. Ce sont des contes, de pures balivernes ! Trossel devient rouge et violet, la colère lui gonfla les veines du front, ,ses lèvres d'un bleu rougeatre écument de rage. 11 serre convulsivement, les pouces dans les poings, fait d' bombies grimaces, soufle du nez et de la boucbe, veut, pour repousser les jurements quil'étoufïent, prendre sa béquille et en 1'rapper le blaspliemateur, Lene effrayée se léve, le flatte, le caresse, lui dit des douceurs, le baise, le presse contre lui, et tout en le caressant pose le pied sur un cor du furibond et  ) 227 ( tnarche dessus de toutes ses forees. Le tonnère renfevmé rompt la digue. Les. plus terribles jnrements sórtent de sa boucbe, comme un torrent, qui s'est ouvert un passage, et tombent comme la grêle. — L'étranger s'enfuit - la brunette tombe a ses pieds, criant: tu m'as rendu malheureuse, tes jure.ments ont chassé mon honneur! et s'évanouit. Notre jureur reste-la roide, tremblant et pale. Enfin en jurant encore plus épouvantablement, il s'écrie: pourqnoi m'as - tu roarché sur mon cor? n'avois - je pas jusqu' a ce moment retenu ma maudite langue? - pourquoi as - tu juié, réplique Lene? Tu te moques de tout pourvu que le pied de bouc ne 1'emporte pas, que mon honneur devienne ce qu'il pourra! II n'y avoit plus moyen de m'empêcher de rire. Qui rit la dit Trossel en tremblottant? C'est le diable, s'écria la brunette. Le noble couple s'enfuit se cacber dans le lit, mais a peine Trossel estil revenu de sa frayeur, qu'il commence a ronfler, alors retentit une voix, qui le reveille : hors du lit, jureur! il faut bon gré mal gré que tu sois cocu aujourd'huL Sois P a  ) 228 ( sans craintè, comme toi je suis né de parents chrétiens, je ne te ferai aucun mal. Tout se fait pour le salut de ton ame, mais pour peu que tu te remues, le malin est la! Trossel saute du lit, se tapit dans un coin, enfonce son bonnet sur ses yeux palpitant de trouble et d'effroi. Quelques moments après la voix lui cria: recouchetoi et n'oublie pas que je suis destiné a remplir ta place toutes les fois que tu jureras, et que tu 1'es a le souffrir. La voix sort par la fenêtre. Lene affecte un désespoir outré, et le tiran domestique, si jaloux de ses droits de mari, qu'il ne pouvoit pas souffrir ia moinde contradiction, est reduit a la prier, conjurer de la pardonner au moins pour cette fois. L'on dresse de nouvelles embuches au jureur, longtems il les évite; mais Ia brunette, qui avoit une fois trouve le moyen de lui délier la langue, pince si longtems cette corde, qu'elle se relache. Un moyen lui réussit audela de toute espérance. Le pauvre liere avoit toute Ia journée travaillé a un chapitre de son ouvrage, oü il prouvoit que ses patrons d'Oriënt avoient  ) 229 C fait Ie voyage montés sur chamaux et point du tout a pied, et qu'un messager ailé d'en haut, leur avoit, la nuit montré le chemin avec une lanterne. Lene, qui connoissoit son application au travail et qui avoit remarqué la satisfaction qu'il en ressentoit, au moment oü il s'éloigne un peu, déchire les feuilles, pelotonne du fil sur un Iambeau, — enveloppe un sou dans un autre, 1'alume et le jette par la fenêtre a un mendiant qui chanioit dessous dans la rue. Trossel revient, veut lui lire son ouvrage de la journée ; il ne le trouve plus. II le redemande en tremblant; Lene se fait expliquer trois fois ce qu'il veut, et dit enfin avec un froid mépris: voila tes chiffons, je les ai pris pour ce griffonnage, que tu fais et déchire cent fois par jour! Premissant de rage, il devide les pelotons de fil qu'il lui jette en grondant, rassemble les lambeaux et demande d'une voix fulminante oïi est le reste? «hors de la fenê«tre!« hors de la fenêtre! — II exhale une foule de jurons qui font retentir les vitres et les verres sur la table. Lene se bouche les oreilles, elle repete la même comédie:  ) a3o ( le convive revient, Trossel doit sorrir du lit en murmurant et grondant entre les dents: je voudrois que les trois rois mages se fussent cassée les ]ambes! ils me font déja cocu pour la seconde fois. Tu le seras pour la trois.ième, quatrième et cinquième fois, pécheur téméraire! Un blasphême contre les saints est un pecbé mortel! cria la voix de derrière> rideau. Le convive est homme de parole. Irps,el trouvant ces visites trop fréquentes, a dit ce matin k Lene, \e n' y puis plus lenir! Quoi qu'il en arrivé, que j'étouffe, que je crêve, Ü feut que je jure! Je veux, eet après- midi envoyer dire au père Orbélius, qu'il vienne demain matin me voir, je lui raconterai tout, et le prierai qu'rlnous aide, toi et moi. Lene loue cette resolution: elle ne tarde pas k se glisser dans son cabinet pour écrire cette circonstance k son galant, le priant d'envoyer le soir le diable pour meLcer Trossel de la mort, s'd découvw 1'apparition.  ) «3i C Moi satisfait de ce qui s'e'toit passé, je la suis. Je me jette un petit manteau rouge sur les épaules je m'accoutre dune peau pelue de cauchemar je me fais une fraise autour du cou toute de Hammes bleues, rouges, jaunes et vertes, je me juche sur deux hauts pieds de coq a longs ergotg, je prends la face hideuse d'un crapaud et couvre Phumide et chauve crane d'un chapeau a plume . Au lieu de queue je m'entortille un monstrueus serpent autour du corps, j'en fais sortir fort avant la gueule par ie go^er du masqué de crapaud, et ainsi ajuste, je me plante derrière sa chaise, je lui souffiai d'un ton doux et complaisant avec la longue langue de serpent; épargnez - vous cette peirie, Madame, s'il vous faut un diable, vous avez ici votre fait. Ordonnez. Les suites de mon compliment ains} que la morale, Faust, lorsque nous nous reverrons. La voix setait, et Faust sentl'esprit s' envoler d'auprès de lui: Ils'écrie: oïiest-il? C'est la morale que je veux entendre.  ) 232 ( Le Diable. Ho! ho! est - ce au diable k la faire ? Et k guter son recit comme font vos poëtes ? II est déja bien loin; peut - être a - t - il flairé quelque nouvelle apparition! A ce que je vois, Faust, nos femmes allemandes ne manquent pas de génie, et si elles ne font rien de vous, je ïenonce k toute espérance. Tout en plaisantant et criant du tour, ils arrivent k la porte de la ville, qui étoit devant eux. Le bon repas et les vins exquis qu'ils y trouvèrent, detruisirent bientöt le triste humeur, de Faust. II y avoit une foire dans cette ville, et après diné Faust va avec le diable sur la place du marché pour voir la foule. C'étoit un singulier pays que celui, 011 ils se trouvoient. Dans un des couvents de la ville il y avoit un jeune moine, qui avoit reussi sans beaucoup de peine k allumgr en lui quelques petites étincelles d'esprit, au feu de son imagination, et de se persuader si fortement de la force de la foi religieuse, qu'il espéroit, si un jour son ame recevoit le vrai essort, et 1'esprit de dieu la pénétroit entièrement, qu'il lui se-  ) 233 ( roit facile de transporter des montagnes, et en nouvel apötre de se manifester par des miracles. Outre cela, ilVimbiboit comme une éponge des folies et des charlataneries enfantées par les autres, par oü les visionnaires se distinguent des philosophes, carceux-ci haïssent et méprisent les hypotheses d'un autre, tandis que les premiers adoptent toutes les ordures de 1'esprit humain et se les apropiient. Ce jeune moine, comme tout visiortnaire rempli de son sujet, étant un ardent orateur, il avoit bienlot gagné 1'esprit des foibles, et surtout des femtnes, (qui s'attachent si aisément ft .tout ce qui est passionné.) Son imagination lui a fourni une nouvelle baguette magique; car moyennant sus liaisons intimes avec 1'être suprème, ayant une haute opinion de 1'homme, il a resolu dans un moment de brulant enthousiasme, d'analiser phisionomiquement ce chef d'oeuvre de la providence, ce favori du ciel, pour qui tout le reste existe, et d'en déterminer 1'extérieur et 1'intérieur. Les gens de son calibre se trompent si souvent, qu'on ne peut pas dire certainement, si  ) a34 ( une étincelle secrette de 1'esprit lui a inspiré que cette extravagance donneroit une nouvelle couleur k I'ancienne, et qu'il attireroit encore plus k lui les ames pieuses, sur la phisionomie desquelles il y a de si magnifiques choses k dire. N'ayant vu que les quatre murailles de sa celluie, et des gens de son étoffe , et étant k 1'égard du monde, des hommes et des véri'.ables sciences, aussi ignorant que le sont ordinairement les gens d'une imagination exaltée, qui détruisent avec le marteau de la foi tous les doutes, qui peuvent s'éle'ver, il est aisé de conclure ce qui a guidé la plume dans son ouvrage. C'est aussi pourquoi il a fait un effet étonnant sur 1'esprit de tous ceux, qui aiment mieux sentir confusément, que penser clairement. C'est le cas de la plupart des hommes, les jours de la vie s'écoulant si doucement lorsque le cher soi est agréablement chatpuillé, il ne pouvoit pas manquer d'avoir beaucoup d'adorateurs. II est si doux de pouvoir se regarder comme le favori, 1'enfant gaté de la divinité, et de regarder de son haut les autres enfants de la simple  ) a35 ( nature avec pitié et mépris! Notre moine ne s'en tenoit pas a 1'homme seul, il descendoit jusqu'aux brutes, déterminant leurs qualités sur leur confirmation, et il croit avoir fait une trés grande découverte, pouvant demontrer pa- les griffes, les dents du lion, et par la fragile conformation du lièvre, qourquöi le lion n'est pas un lièvre et le lièvre pas un lion. II s'est singulièrement éionné d'avoir pu indiquer si précisement les marqués distinctives et invariablrs de la nature des brutes, et d'en avoir pu faire 1'application a 1'homme, quoique la société ait fait un masqué de sa phisionomie,»et qu'il n'en ait pas vu un seul sous la forme primitive. De la il a pénétré jusque dans 1'empire des morts, tirant des cranes des tombeaux et des os de bêtês des voiries, pour montrer aux vivarits comment et pourquoi les morts étoient ainsi, et qu'en vertu de leurs os, cela devoit et ne pouvoit être autrement. A quel'es conséquences dangereuses, de pareilles supositions ne peuvent - elles pas conduite un sophiste, ou tout autre, qui veut se debarasser de son insignifiance? L'homme doit-ilj  ) a36 ( peut - il remplacer par artifice, ce que la rnarche de la nature a rendu defectueux en lui? Le diable étoit instruit de ce travers, et étant a table avec Faust, il s'appercoit que quelques personnes, 1'hóte lui-même, les considéroient 1'un et 1'autre avec une attention particuliere et se communiquoien; tout bas leurs observations, en dessinant leur profil k la dérobée. La gloire de ce merveilleux homme étoit aussi parvenu jusqu' k Faust, mais 1'avoit si peu affecté, qu'il s'étoit peu appercu de ces conversations a 1'oreille. Arrivés sur la place, un nouveau spectacle les surprend. Cette fourmilliere de monde étoit la'vraie école des phisionomistes. Chacun pouvoit saisir son homme, mettre sa phisionomie dans la balance, et peser les facultés de son ame. Les uns avoient pour objets des anes de meunier, des chevaux, des chèvres, des cochons et des brebis, les autres tenoient entre leurs doigts, des araignées, des hannetons, des fourmjs et autres insectes, examinoient d'un oeil attentif leur caractèie intérieur, et cherchoient a developper com-  ) a37 ( ment leur instinct pouvoit se déterminer de leur forme extérieure. Quelques uns mesuroient des cranes d'hommes et de bêtes, jugeoient du poids des machoires et de 1'incisif des dents, a quel animal ils avoient appartenus. Faust et le diable arrivant parmi eux, on les entend s'écrier: »quel nez! quels yeux! quel regard per„eant! quel gracieux et doux arrondisse» ment de menton ! queile force sans foi„blesse! quelle intuitiorj! qnelle perspica»cité! quel hardi et Iumineux contour! „quelle demarche délibérée et vigoureuse! „comme ces yeux roulent! comme ces „membres s'élancent! quel ensemble! quel«le harmonie! Je donnerai je ne sais quoi «pour avoir quelques traits de plume de „ces messieurs dit un lisserant, pour voir «la vitesse et la facilité de penser.« Tous tirèrent leur crayon de leur poche pour tirer leur profil. Le diable altere les traits de son visage, entendant ces turlupinades ; un des scrutateurs s'écrie: „la vigueur in«térieure du lion, a tresMjlli a une tenta«tion ou a une pensée foible!«  ) s38 ( Faust sourioit de cette folie, comme tout a coup d'une fenêtre voisine, une hgure ang,lique le regarde et dans une douce admiration s'écrie: „sainte Cathen„-ne! la belle tête! qaelle douce, celeste „et attarhante rêverie! comme cette pht„sionomie respire la sensibuité et 1'atta- „chement!« _ , La mélodie de ces accents retentö ,us™'au'coeur de Faust. II reste immobile vers cette fenêtre, elle jette encore un re, gard sur lui et se retire. Faust dit au diable: „Je ne quitte pas eet endroit - ci sans „avoir couché avec cette créature. Le pi„eux éclat dont la volupté, qui brille dans „ses yeux, est accompagné, semble commu„niquerala sensualité son véritable assar- „ sonnement.« A peine avoient - ils tourné leurs pas vers une autre rue, qu'un des scrutateurs les acoste et leurs demande éffrontement la pbisionomie de leur écriture, afin d en déchiffrer, leur dit-il:»la vitesse ou la „lenteur de leur force prodnetriee, la dro.„ture, la fermeté, la pureté ou 1'obhquxte  ) 2^9 C »de leur caractère.« 11 ajoute tfqu'aücmt »étrariger ne s' est encore refusé a cette *> complaisance, qu'il en espère autantd'eux.« La dessns il tire de sa poche un livré, üné pluihe et de 1'en ere, et prête une oreille remplie d'espéiance. Faust. Tout beau, 1'ami, un service en vaut un autre: ditez - moi avant tout, qui est cette jeune personne, que je viens de voir k la fenêtre de cette maison, et dont la figure est si angelique ? Le Curieux. Oh! c'est un ange a tous égards. Notre grand clairvoyant assure que son régard est le miroir de la pureté et de la chasteté. Que sa gracieuse bouche n'est fait que pour exprimer la divine extase d'un coeur rempli des choses célestes. Que son front est le brillant boucher de la vertu, contre lequel se biisent tous les appetits sensuels et lerrestres. Que son nez flaire 1'odeur des champs des immortels. Qu'elle est le simbole de Ja beauté et de toutes les vertus qui 1'accompagnent, si la divinité vonloit la rendre visible aux yeux de la chair.  ) Mo ( Faust. En vérité ce ne sont pas des couleurs terrestres, que vous employez pour peindre; mais dites - moi aussi quelque chose de son état dans le mondet Le Ciirieux. II n'est pas aussi brillant que 1'auire, cependant il suffit pour ne pas en détrnire 1'exercice. Faust. Et elle s'appelle? Le Curieux. Angelique. Ils écrivent quelques mots insignificants sur un feuillet, et le Curieux content disparoit avec son trésor. Faust. Diable, comment crois - tu qu'il faille arriver k cette sage personne? Je suis fort en humeur de barbouiller un peu 1'idéal de ce Curieux. Le Diable. Par le grand chemin du coeur humain, Faust, tu 1'y rencontreras certainement; il faut que tót ou tard chacun y entre, quelque loin que sa fantaisie 1'en ait écarté. Faust. Ce doit être une puissance piquante, que de remplir une imagination ainsi montée, des images de la volnpté. • Le Diable. Le moine a commencé 1'ouvrage, il a si bien aiguisé ses sens, rempli sa  sa petite ame de tant de vanité et de sufHsance, il a rendu sa piété si charnelle, qu'il ne faut plus que frapper au coeur de la bonne manière pour y entrer comme 1'objet réel de sa chimère. Laisse - moi éprouver jusqu' oü. une femme visionaire peut être conduite. Faust. Et cela promptement! J'ai couché avec des rehgieuses, je les ai trouvées comme les autres femmes, voyons comment s'y prend une visionaire. ió* L'envie du diable étoit, d'escamoter une pareille ame au ciel, de combler plus vite la mesure des péchés de Faust, il paroit a 1'instant devant Faust, sous la forme d'un vieux homme montrant la curiosité: il fait un signe k Faust et se rend au marchê. II y établit sa cassette et crie au peuple de venir voir ses belles raretés. La foule se rassemble, servantes et valets, filles et veuves, enfants et vieillards. Le diable leur debite toutes sortes de contes , qu'il accompagne d' explications devotes, et de maximes de morale. Chacun s'en retourae Q  ) Ma ( content de ce qu'il a vu: le recit de cés merveilles piqué la curiosité des spectateurs. La céleste Angelique a la fenêtrd entendant le diable préluder d'un ton si pieux le sujet de ses historiettes, elle sent un désir irresistible, de regarder les merveilles de la cassette, et de faire 1'aumóne au sage vieillard. Le diable est appellé. II est lui - même frappé de sa miraculeuse beauté, de sa gracieuse douceur, et n'en est que plus avide de troubler ses sens.3 Elle pose un oeil enthousiaste a 1' ouverture de la cassette, le diable debite ses sentences journalières, et amene par degré les scènes amoureuses jusqu' au plus haut point de la jouissance charnelle et de la plus extréme lubricité: il conduit son imagination si rapidement et si imperceptiblement du spirituel au matériel, qu'elle n'en sauroit apperccvoir les nuances. Veut-elle détourner 1'oeil, l'objetscandaleuxse^hange tout a coup en une image sublime, qui efface la mauvaise impression, et rend le coeur susceptible de regarder ce qui va suivre. Ses joues étoient en feu, elle se croyoit dans un monde inconnu et en-    ) 243 ( charüé. Dans toutes jces scènes, Ie rusó coquin fait adroitement paroitre Faust, et toujours dans 1'attitude la plus séduissante. Elle le voit poursuivre une ombre semblable a elle et faire pour 1'avoir les plus grandes choses, s'exposer aux plus terribles dangers, et après avoir captivé toute son attention , remarquant que la curiosité de voir le dénouement des circonstances dans lesquèlles elle se trouvoit enveloppée avec Faust, la saisissoit, il change la scène et fait subitement paroitre un cahos des plus lubriqnes et des plus voluptueuses sitüations de 1'amour phisique, sous les coulëurS les plus sédüisantes, aux yeux de Tin» nocente curieuse. L' éclair détruit moins promptement 1'obscurité, le désir de 1'adultère est moins snbit dans le coeur du libertin, que le passage de cette apparition. Une seconde est longue en comparaison, 1'innocente rt'aUroit pas mis 1'oeil a la cassette, que le poison avoit déja coulé dans son coeur. Elle a vu avant que de pouvoir fuir. Elle se couvre les yeux de ses deux mains, s' enfuit dans sa chambre a coucher et tombe dans les bras de Faust. Q *  ) 244 ( Ce téméraire pronte du moment de 1* absence de ses esprits, trouve dans sa resistance, dans ses larmes, ses soupirs de nouveaux attraits, et jamais ame plus innocente, jamais corps moins corrompu et plus beau, ne fut souillé par 1'insolente main de la séduction. Enfin revenu a elle-même et remarquant sa chute', elle s' enveloppe la tête et repousse 1'impudenr. II dépose k ses genoux des bijoux précieux, elle les foule aux pieds en s'écriant: malheur a toi, la main vengeresse s'appesantira sur ta tête pour ce fatal moment! L'insensé content de sa victoire retourne sans remords vers le diable, qui rit de cette scène et se rejouit des suites épou-i vantables qu'elle aura. II. Faust se trouvoit dans son élément; 1'esprit de vision avoit posé 1'amorce du plaisir si prés des coeurs, que d'un soufflé il le mettoit tout en flamme. II vole de victoire en victoire, sans avoir grand besoin de 1'aide du diable, mais d'autant plus de  ) 245 ( ses bijoux et de son argent, dont les devots savent aussi faire usage. Angelique devient invisible, et tous les efforts de Faust pour la revoir encore une fois, sont inutiles, il 1'oublie bientót dans de nouvelles ivresses. Dans 1'intervalle, il lit avec le diable le manuscrit de la phisionomique, qu'un des examinateurs lui avoit vendu pour une grosse somme, et s'irrite violemment contre la suffisance, 1'ignorance et 1'emphase de Pauteur. Le diable brüle de colère, trouvant dans le manuscript son portrait, tel que le jeune moine 1'avoit tracé avec cette impudence, qui n' étoit qu' a lui. II sent un si violent dépit de voir sa sublime personne servir de jouet, qu'il ne peut plus resister au désir de se venger: Faust n'étant pas mieux disposé en faveur du moine, ils se disposent k lui jouer un tour. lis vont au couvent, et comme k leurs superbes vêtemenis, ils paroissoient être des gens de conséquence, le jeune moine les recoit fort affabïement. Mais a peine a - t - il fixé le diable, qu' enthousiasmé de sa phisionomie, il oublie tous les compliment* d'usage , il le prend fortement par la main,  ) 246 ( ensuite s' èloigne de lui 'pour 1' envisager tantót de face, tantót de profil. Enfin il s'écrie comme fortement inspiré : »Ha! qui es - tu incomparablement grand ? « «Oui, 1'on peut ce que 1'on veut. » On veut ce qu'on peut! C'est ce qu'anononce ta phisionomie, et je n'ai pas be«soin de te connoitre, ni de le dire. Ja«mais je n'ai mieux reconnu qu'en ce mo«ment la certitude de ma science!« „Comment voir une pareille phisiono«mie liumaine sans simpatie, sans interet »et sans sentiment — ne pas pressentir »dans la cavité de ce nez, profondeur, «grandeur sans étude, et farce originelle! «Une phisionomie rempli d'éclat, d'ener«gie et de force.« II tate le front de Léviathan et continue: «permets - moi de «mesurer avec mon instrument 1'arc de «ton front. — Sur ce front se voit aussi «bien un courage inébranlable, que sur «ces lèvres, la véritable amitié, la fidéltté, >>1'amour de dieu et la charité. Sur les lèwvres, quel sentiment appétissant d'une lan?  ) ®47 C «gueur prèvenante! Quelle noblesse dans »le tout!« «Oui ta phisionomie est celle d'un horri»me extraordinaire, qui a le regard vite et «profond, qui tient ferme, repousse, opó»?re, vole— exposé, trouve peu d'hom»mes sur qui se reposer, et beaucoup qui «veulent se reposer sur lui. «Ah! si un slmple mortel peut avoir «une bouche, un nez et un front pareils, «seulement un de ces cheveux, c'est bien »peu de chose que la métoposcopie. «II n'y a peut - être pas un mortel, «que tan aspect n'attire et ne repousse «tour a tour — o la naïveté enfantine, «avec le poids de la grandeur héroïque! «Peu de mort els peuvent être si bien et «si peu connus. » Aigle ! lion! destructeur ! reformateur des humains! Avance, et retire les mortels «de leur aveuglement, communiqué-leur ta «force, la nature t' a marqué au coin do «tout ce que je t'annonce.« Faust grincoit les dents de rage, a ce que le moine dans 1'enthousiasme debitoit de grand et de sublime sur la figure du  ) 248 ( irJiab]e. Celui - ci se tourne froidement vers le clairvoyant: « Et de celui - la, qu' en penses - tu ?« Le Moine. Grand, hardi, puissant, vigoureux, doux et tendre, mais, ce qui le surpasse en tout cela, est plus grand, plus puissant, plus vigoureux, plus doux et plus tendre. Grand et noble disciple d'un plus grand, quand ton esprit et ton coeur 1'auront entièrement compris, tu resplendiras de sa lumière! — Asseyez - vous, je vous prie, que je fasse votre silhouette, ou votre ombre. Faust de plus en plus furieux de ce que le moine le ravaloit si fort au dessous du diable, éclate: «Onibres! sans doute ce sont des om«bres, que tu a vues. Qui es - tu toi qui «prétends mesurer 1'homme et le juger »d'après les saillies de ton ardente et con«fuse imagination? As - tu vu 1'homme? «Oü, quand et comment? Tu n'en as vu »que 1'ombre, que tu pares avec le clin»can de ta fantaisie, et donnés pour sa vrai »forme! Dis quels hommes tu as vus ? «Des sectaires, des fanatiques, des visio-  ) 249 ( nnaires, 1'écume, le rebut de la nature hu» «maine. Des béates remplies de vanité, »> des jeunes femmes mariées a des hom«mes énervés, et des veuves attaquées d'in»somnie. Des filles a qui le sarig fait la «guerre, qui s'attachent a gens de ton étof»fe, faute de mieux, et dont 1'esprit extra«vague, les appetitits du corps n'e'tant pas «satisfaits. Tu as vu des auteurs contents «de ce que tu appliquois le timbre du gé»nie sur les traits insignifjants de leur «platte fïgure. Des grands dont le nom »et 1'état brillant rendoient k tes yeux la «phisionomie imposante, Tu vois que je «sais qui tu frequentes et que j'ai lu ton »livre. Le Diable. Fort bien Faust, mais laisse - moi parler, et lui dire la vérité pour recompense. Frère moine! Tu t' es fait dans ta solitaire celluie, un fant&me de perfection, que tu cherches k placer dans toutes les têtes, et qui mine les facultés de 1'esprit comme la gangrêne range les chaires corrompues, ou bien c' est ün nouveau tour de charlatanerie pour altiier a toi les hommes par Tappas de la vanité, afin  ) a5o ( 'de donner plus de cours a tes visions? II y a eu jadis des hommes, qui par 1'extéri» eur ont osé juger de 1'intérieur des hua mains (lequel pour le dire en passant est encore plus profond que le centre de la terre) mais iis éroient d'une autre espèco que toi. Ils avoient parcouru une paitie du globe, une longue expérience les avoit blanch.s, ils avoient vecu et conversé avec les hommes, couché avec plus d'une femme, vsité tous les recoins du vice et do la lubricité. Hs étoient descendus des palais dans les chaumières, s'étoient trainés dans les cavernes des sauvages, etsavoient ce que c'est a peu - prés qu' un homme bien organisé, ce qu'il peut et ce qu'on peut prétendre de ses lacultés. Tes préjugés te frappent d' étonnement et la vive activité de 1'hotnme te fait trembler. Tu t'es far briqué un fantóme de vertu monacale et feminine, orné d'une pure chasteté angelique, qui |öte a 1'homme pre'cisément ce qui lui donne quelque dignité. Le moine se tronvoit entre eux deux comme entre deux volcans, les mains hum-  ) s5r ( blement 'croisées sur la [poitrine, criant j «Miséricorde! Faust. Ce «'est pas tout, écoute! Tu, appercois sur le nez d'un adolescent, une petite éminence, a laquelle tu as une fois empreint la marqué de la concupicence charnelle, il faut qu'il soit adonné a la yOt lupté quoiqu'il ait des testicles gros comme des pois et des fesses plattes comme tes joues. Ce point dont tu ne peux te faire aucune idéé, que tu n'oses pas toucher, que tu ne saurois ni dessiner ni sculpter, c'est le point de 1'homme et de la femme, et ce n'est que trop souvent la mesure de leur vertu. Tu prends pour extase céleste le spasme lascif d'une matrice alterée, tu vois dans les yeux de la matrone des sentiments célestes, tandis qu' en idee elle se livre a. des scènes voluptueuses; pour 1'empressement d'une noble activité sur le front du jeune homme, la fougue amoureuse qui rugit comme un lion en lui. Comment veux - tu peser la force de 1'homme, toi qui n'éprouvas jamais ce dangereux et tumult,ueux combat qu'elle ex»  ) 252 ( cite en lui? Corament déterminèr a quelle tentation il lui faudra succomber, tandis que tu ne te repais que d'ombres,? Qu'en dis - tu, si quelqu' un s' avisoit d' analyser d'après les regies du droit bon sens, les haillons dont tu couvres ton ignorante inexpérience ? Que resteroit - il que des bul» les de savon? Le diable reprend la parole: et quoi si toutes les ombres, que tu as fait figurer dans ton livre alloient t'apparoitre sous leur forme réelle, comme je vais me montrer a toi! J'ai vu que tu t'es avisé de passer le diable en revue et d'en faire le portrait, il est bien tems' qu'il se montre a toi. Regarde - moi, mon intérieur va couvrir mon extérieur, et 1'idéal que ta fantaisie t'a fait voir en moi doit te reduire en poussière. Tu ne t'es pas appercu que celui - ci a pénétré dans ton bercail et égorgé tes saintes brebis. Vois comme il ex» liale la jouissance de la volupte — a present léve les yeux et puis avoue que tu as une fais vu un objet dans sa propre forme.  ) a53 ( lei le diable fait paroitre son intérieur sous la plus liideuse des figures infernales, se placant de manière que Faust ne puisse pas 1'observer. Le moine s'évanouit. Le diable reprenant sa piécédente forme, se tourne vers Faust, et puis vers le moine tremblant. Le Diable. Dis liardiment que tu' as vu le diable, et dépeins - le si tu en as la force. Faust. Persiste dans ta folie, communiqué - la k d'autres, rends par tes extravagances la réligion dégoutante aux gens raisonnables, tu ne saurois travailler plus efficacement pour 1' enfer. D' un coté tu engendres le mépris, de 1'autre tu fais naitre la grimace, porte - toi bien. L'effroi ayant renverséTesprit du moine, il n'en a que plus écrit, dans sa folie, sans que les lecteurs se soient appercus de ce dérangement, tant ses nouveaux ouvrages ressemblent aux anciens.  ) ö54 c Faust étoit enchanté de cette scène; mais ne se plaisant plus dans eet endroit, il se met avec le diable, en chemin, pour 1'agiéable, la charmante France.  LIVRE QÜATRIEME.   f. La France, sons le règne de Louis onze, n'étoit assurement pas aussi aimable, ni aussi riante qu'elle le devint( plus tard: 1'babitude de se laisser gouverner par des tyrans n'étoit pas encore assez profondement enracinée dans le coeur des Francois, pour qu'ils chantassent dans des airs de pont neuf les cruautés de leurs régents et les sottises de leurs Vizirs, et par la se crussent suffisamment vengés. Lorsque Faust et le diable mirent le pied dans ce pays oü règne 1'abondance, il soupiroit sous le joug oppresseur du plus lache et du plus cruel monstre, sous le gouvernement de Louis onze, qui le premier eut 1' idéé de se faire appeller Roi trés - chrètien, Le diable se garda bien de dire a Faust la moindre chose surle compte de ce prince, car R  ) a53 ( il chérchoit par la plus cruelle expérience et par des assauts réitérés, a le réduire au désespoir, a lui rendre, a chaque pas qu'il faisoit dans le monde, le ciel toujours plus suspect, pour lui porter ensuite le coup le plus terrible dont puisse être atteint un mortel qui apportant ses désirs au-dela de ses forces, oublie qu'il est homme et veut parfierté transgresserles limites qu'une main invisible et puissante a tracées devant notre horizon. En examinant les actions des humains, il ne se trouva, malheureusement, que trop autorisé a croire a Y indifférenco du ciel a leur égard, et de plus grands philosophes que Faust, ent, sans la participation du diable, échoué sur ce dangereux écueil, lorsqu'ils oublièrent que la première chose que la nature exige de 1'homme, est la soumission k son sert; ou que Ia bonté et lmdulgence, dont les doux rayons éclaircisseut seuls les scènes affreuses de la vie humaine, cessèrent de les distinguer. Il existe un certain sombre et venimeux atheïsme du sentiment, qui est presqu'incurable, parcequ'il ne manque jamais de raisons réelles en apparence, qu'il  ) *5g ( prdvient dü coeur et surtout d' un coeur qui, par sa disposition et sa manière de sentir, se laisse trop facilement abbattre par les contradictions évidentes du monde moral et phisique. Un tel coeur, par sa iiamme, consume 1'esprit, comme la fièvre mine celui qui a recu une blessure profonde. Contre eet atliéisme, 1' esprit n' est a la raison qu'une chimère; car 1'homme qui pense, cherche des causes aux effets, ét cette recherche, qui doit nécessairement le conduire aux bornes de 1'csprit humain, enchaine assez puissamment le plus hardi pour 1' empêcher de tomber entièrement dans 1'obscurité, dans le néant. L'avertissement est inutile: le monde moral a ses insurgens comme le politique, et doit les avoir. Si les premiers, pour nous instruire, se précipitant du pont chimérique qu'ils veulent établir entre le monde sensuel et l'intellectuel, succombent, le sacrifice des derniers nous crie de ne point laisser notre dignité d'hommes s'oublier dans une trop lache se'curite', et que le sentiment de nous - mêmes est la seule chose qui nous distingue des autres créatuR a  ) a6o ( res purement animales. Qu'on me pardonne cette digression. — Faust ne savoit autre chose toucliant ce prince, si non qu'il s'étoit fait appelier trés - chrètien, qu'il étoit le premier qui ait humilié les vassaux de son empire et soütenu les droits de la couronne conlre eux, qu'au reste il étoit craint par toutes les autres cours, parceque tous les moyens de parvenir a son but lui étoient égaux et qu' on n' avoit pas d' exemple qu'il eut tenu sa parole, lorsqu'il n'avoit pas intérêt a le faire. Faust devoit se convaincre par lui-même de la sainteté des moyens qu'employoit le trés- chrétien. Le diable avoit appris par ses espions que le saint roi étoit sur le point de faire un coup d'état, c'est a dire, de se débarrasser de son frère le Duc de Berry pour faire rentrer a la couronne une province qui lui avoit été cédée. II ne négligea pas de rendre Faust spectateur de cette scène. Ils traversèrent a cheval un petit bois contigu a un chateau dans lequel ils appercurent un moine bénédictin, qui avoit 1'air de dire son bréviaire. Le diable se réjouit sincèrement du coup d'oeil, car il  ) *6i ( Iut sur le front du moine qu'il imploroit la mère de dieu de lui ètre 1'avorablë dans Ia grande entreprise dont son Abbé 1'avoit chargé, et de le sauver de tout danger, après un heureux succès. Ce moine etoit le frère Favre Vesois, confesseur du fiére du roi. Le diable ne le troubla pas dans ses pieuses méditations, et il se rendit au chateau avec Faust. Ils furent recus avec tous les égards que 1' on témoigne a des étrangers de distinction qui viennent presenter leurs hommages au prince. Tranquille et satisfait, il couloit des jours heureux dans son chateau sur le sein de sa clière Monserau, ne pensoit a rien de mal, et ne s'attendoit a ricn de facheux. Ses manièies agréabies lui gagnèrent les bonnes graces de Faust qui se réjouissoit de voir un prince royal agiret parler comme un homme, car il n'étoit accoutumé a voir chez les princes allemands que roideur, fierté, le plus sot céréraonial qui est d'autant moins supportable, qu'il ne rend, aux yeux de tout homme sensé, leur petitesse et leur foiblesse que plus sensibles. Quelques jours se passérent a la chassc et a  ) 2Ö2 ( d'autres divertissements, et le prince s'attachoit toujours Faust de plus en plus. La seule chose qui lui déplaisoit dans le prince, étoit sa foiblessc pour son confesseur, le Bénédictin. II 1'accabloit de tant de tendresse et de caresses, se soumettoit avec' tant de complaisance a sa volonté, et le moine répondit a tout cela avec un air si pieux, que Faust ne pouvoit pas concevoir comment un homme avec des manières aussi franches , pouvoit caresser un tel caffard. Le diable, en lui faisant part des liaisons du prince avec Madame de Monserau, le mit bientót" au fait. L'amour du prince pour sa belle dame étoit égale a la peur qu'il avoit de 1'enfer, et Madame de Monserau ayant encore son mari, il n'étoit pas tout k fait sans inquietude sur sa liaison.avec elle, Comme il ne vouloit ni renoncer k elle, ni s' exposer a la damnation cternelle, il mit en usage les moyens connus dont les moines se servent pour fonder leur empire sur la conscience des hommes, et, lorsque la peur de 1'enfer le tourmentoit trop fort, il se fesoit assurer 1'avenir par Pabsolution de ses péchés. Ne  ) 265 ( devoit - il témoigner de. la reconnoissance a un homme qui 1'encourageoit a jouir du présent et le tranquillisoit sur 1'avenir ? — „Tu vois, Faust,« dit le diable, »ce que „les hommes ont fait de la religion, et „remarqué bien qu'elle a souvent eu part „ aux plus grands crimes, aux plus gran„des horreurs et qu'elle doit encore con„soler et tranquilliser les scélérats sur leurs „ actions.« La conduite du prince ne lui faisoit pas honneur dans V esprit de Faust qui s'étoit si promptement séparé de sa conscience, cette dernière remarqué du diable avoit fait une forte impressio.n dans son ame; néanmoins il laissa les choses aller leur train, ne pensa qu'a jouir de la rapidité du tems. Qn étoit un soir a table, et en belle humeur; le diable égayoit la société par des histoires gaillardes, et Faust avoit jetté son dévolu, pour la runt prochaine, sur une gentille francoise qui avoit complaisamment répondu a ses oeillades. La gaiete règnoit parmi le3 convives, lorsque tout a coup 1'horrible mort yint troubler la fête.  ) 264 C Le Bénédictin avoit fait apporter au dessert une corbeille de pêches magnifiques dont on lui avoit fait présent, et offrit au prince la plus belle avec un air souriant et bénin. Le prince la partagea avec sa bien-aime'e et tous deux mangèrent Ia pêche sans aucune espèce de soupcon. On se leva de table. Le rnoine dit les graces, donna la be'nédiction a toute la société (le diable fit la grimace) et disparut. Le diable alloit commencer une nouvelle histoire, lorsque Madame de Monserau se mit a jet. ter les hauts cris. Ses beaux traits se tirèrent tout k coup. Ses lèvres devinrent bleues, et la paleur de la mort couvroit sa figure. Le prince vouloit lui porter secours, mais dans ce moment le terrible poison commenca k se faire sentir, il tomba a ses pieds et s'écria: „Ciel, écoute! C'est Ia „main de mon frère qui m'assassine par ace monstre ! C'est lui qui foren notre pè»re a mourir par la faim, pour n'être point «empoisonné par lui, il a gagné ce moine!« Faust se mit a courir après le moine pour s'en emparer, mais il étoit de'ja bien Join j quelques cavaliers 1' attendoient au  ) 265 ( sortir du bois et devoient 1'accompagner dans sa fuite. II revint sur ses pas pour réjoindre Ie diable. La mort, planant sur ses victimes, les avoit déja étouffées. Ils lui laissèrent sa proie et décampè;ent. Le Diable. Eh bien,. Faust, avez-vous besoin du diable noir, c'est ainsi que vous 1'appellez, puisqu'il rode en tous lieux sous le froc du moine? Comment te plait le coup que le Bénédictin vient d'exécuter au nom du roi trés - chrétien? Faust. Ah! je croirois presque que nos corps ne sont animés que par des esprits infernaux et que nous ne leur servons que d'instruments, Le Diable. Fi de 1'emploi dégoutant pour un esprit immortel d'animer une ma-> cbine aussi mal concue, une espéce d'avorton! Crois moi, tout fier que je suis d'être diable, j' aimerois cependant mieux passer dans un cochon qui se roule dans Ia boue, que dans un de vous qui vous vautrez dans le crime et qui avez encore 1'orgueil de vous nommer 1'immage du très.haut.  ) a66 ( Faust. Maudit que tu es! Avilir a un tel point la créature humaine. — Le Diable. Hé, ne fais pas le méchant, liomme ! Dis, peut-on croire a votre valeur morale. Le diable peut - il supporter les rayons de votre vertu ? Ce moiné n' est il pas un saint homme? Cet Abbé qui 1'a chargé de cette expédition n'est-il pas un modèle de piété? Le roi n'est-il pas Ie trés - chrétien monarque, et n'a - t - il pas par 1'entremise de 1'Abbe', fait empoisonner son frève? Comment le diable devroit se loger chez de si saintes gens? Faust. Pourquoi ce misérable a - t - 11 donc pu se laisser entrainer k la damnation? Le Diable. La damnation est loin, fabsolutioii prés, et encore plus prés sont les grands biens et le salaire de 1'action qui rendcnt le. couvent de PAbbé le plus puissant et le plus riche de la proyince. "Vit - on jamais des moines résister a cet attrait, depuis qu'ils ont tellement avili la re'.uion qui nous est si terrible? Que 1'enfer qui craignit un instant de perdre son empire, est maintenant victorieuse!  ) *6y ( Gette idéé absorboit Faust. II se tut et s'enfonca toujours de plus en plus dans ses noires réflexions sur 1'homme, sur sa destinée, sur la ïnarche morale du monde, dont il ne pouvoit rapprocher les contradictions. Les aventures dont il étoit témqin chaque jour noircirent sa biie, firent lever dans son esprit le germe de doutes encore plus cruels', et mirent dans son coeur la, haine et le mépris pour le genre humain, qui semblables an polype croissent insensiblement, et ne tuent que lorsqu'ils ont tellement resserré le coeur, qu'il ne lui reste plus d'espace pour s'étendre. lis parcoururent le pays, éprouvèrent mille et mille aventures, et Faust ne se laissa pas encore troubler dans la jouissance de la vie, par ses sombres observations. Ils trouvèrent partout des monuments de la cruauté et de la lacheté du tyran, et Faust se servit souvent des trésors du diable pour fermer des plaïes encore sanglantes. 2. D'aventures en aventures ils arrivèrent a Paris. A leur entree ils virent toute la  ) a6S ( ville en mouvenuct. L« JMupie M pucipitoit en foule dans la rue St lionoré, tis suivirentla pOfKÜaC* «t arrivé: ent nux hallc* oü ils trouvère:U diissè un cclufi.v.id tnrclu de noir qui par «nc porto conimuniquoit k un batiment voisin. Faust demanda ce que c'étoit? On lui répondit que dans Pinstarrt le ricbe Duc de Nemours alloit être exécuté. «Et qu'a-t-il fait?» — »Le roi 1'a ordonné. On dit que, «dans de vues hostiles contre Ia maison «royale, il a voulu assassiner le Dauphin. «Comme il n'a été entendu et jugé dans „son cachot que par des juges noromés «par le roi lui-même, on ne sait rien au«tre chose. Un des assistans s'écria: «Dites plutót que ce sont ses grands « biens qui lui"coutent la vie; car notre „souverain, pour devenir un puissant mo«narque, et faire de nous une nation gran»de et célèbre, assassine tous nos grands «et nous par dessus le marché, si nous y «trouvons k redire.w Le diable fit mener les chevaux k 1'auberge la plus prochaine et conduisit Faust  ) 269 ( k travers la fonle. Ils virent le Duc ac compagné de ses enfants, passer dans une chambre tendue de noir, ou un moine 1'attendoit pour entendre sa dernière confession. Le père avoit les yeux attachés suf ses fils, et ne pouvoit porter ses rcgards vers le ciel. Après s'être confessé il pressa ses fils contre son sein, leva les yeux vers le ciel, mit ses tremblantes mains sur les têtes de ses enfants qui san^glotoient et dit: » que la bénédiction d'un père malheu»reux qui succombe victime de la cupidiie „et de la tyrannie soit propice a ces in„ nocents! mais « — ici il s' arrêta en soupirant — „vous étes les héiitiers d'un in„ fortune, vos prétentions vous condamnent »a des longs martyres, vous étes nés pour „la douleur et je dois mourir dans ce sen„timent.« II vouloit encore paiier, on le forca de se taire, et on le conduisit a 1'échaffaud. Le roi qui avoit ordonné 1'appareil et 1' exécution du Duc avec autant de sens froid que s' il se fut agi d' une partie da plaisir, avoit commandé qu' on le séparat de ses enfants et que ceux-ci fussent con-  ) 27° C duits sous l'échaffaud, pour que le sang de leurpère exécuté de'goutAtsur leurs robes blanches. Le cri que le père poussa dans ce moment, pörta la terreur dans 1'ame de tous ceux qui étoient la; Tristan seul, le bourrëau et 1'ami intiine du roi, a la fureur duqüel il avoit déja sacrifié tant de milliers d'hommes, essayoit sur son ongle, én souriant, le tranchant de son damas. Faust croyoit que les ttistes accens de có malheureux devoient attendrir le ciel et en faire le vengeur de 1'humanité violée. Furieux il leva les yeux vers les voutes célestes et son téméraire regard sembloit accuser rÉternel d'être lë complice de cette ëffroyable, sction. II ie sentit un instant tenté d'crdonner au diable de 1'enlever des mains du bonrreau ainsi' que ses enfants, mais, dans 1'état ou se trouvoit son ame aigtié et accablée, il étoit incapable d'attcune résolution, il regarda encore une fois le ciel et dit en lui - même: »Le soin de i>veil'er sur lel ne m'est point confié ; vrai* „ semblablemcnt S'ordre que tu as établi sur »la terre exige que celui - ci périsse, afin »que le roi s'enhardisse dans le crime!«  ) 27* ( Le Duc se mit a genou, il enter.dk les cris et les lamentations de ses fils qui étoient sous féèhaffaüd, 1'idée du triste genre de mort qu'il alloit e'prouver n'occupoit plus Son esprit, il sentit ponr Ia derniére fois et ne sentit que pour ses malheureüx enfants, — ses larmes se figèrent sur le3 bords de ses yeux — ses lèvres frissonnoient — Le böurreau porta le coup fatal, et lé sang bouillant du père jaiJlit sur ses fils tremblants. Couverts et tachés du sang paternel, on les fit monter sur l'échaffaud, on leur ïnontra' le cadavre-immöbile dont on venoit de séparer lft tête, on les forcd de Ia baiser, et on les reconduisit dans Ia prison 011 ils furent enfermés dans des paniers qu'on avoit eu soin de faire faire étroits par en haut et par en bas, afin que, dans cette position gênante, ils mourussent de langueur. Pour augmenter leurs martyres, de tems en tems on leur arrachoit des dents. Faust que cette scène avoit mis hors de lui - même s' en retourna désesperé a son auberge et exigea du diable qu' il exercat vengeance sur celui que le ciel laissoit com-  ) 272 ( mettre impunément de semblables abo- mirntions. Le Diable. Faust, je ne 1'égorgerai point, ce seroit contre la police et 1'intérêt de 1'enfer, et pourquoi le diable devroitil mettre un terme k ces cruautés, puisque celui que les hommes appellent leur père et leur protecteur les tolere patiemment? II appartient vraisemblablement a 1'ordre moral du monde, que les rois qui se disent les oints du ciel, et qui prétendent ne devoir qu'a lui leur dignité, trailent ainsi le3 hommes qu'il leur a donné a gouverner. Si je suivois ton aveugle courroux, quel est celui de ceux que nous verrons encore qui échapperoit a ta vengeance? Faust. Ne seroit - ce pas une bonne oeuvre de ma part, si, semblable a un autre Hercules, parcourant le monde, je purgeois les trónes orgueilleux de 1'Europe de ces monstres? Le Diable. Homme borné, que tu es, votre nature corrompue ne prouve-t-elle pas que vous avez bcsoirt de ces rois, et de nouveaux monstres ne renaitroientils pas de leurs cendres? On ne verroit quö  ) 275 C que meurtres sans fin, les peuples se d'ivU seroient et s'entre -détruiroient pai des guerres civib s. Tu vois ici des millions de bipèdes comme toi> qui souffrent avec patience qu'un autre homme, comme èux , les dépouille de leurs biens, les écorche et les anéantisse, sans même qu'ils sentent un mouvement de vengeance. N'ont - ils pas été témoins de 1' exécution de ce Duc, que 1' on a immolé comme un agneau, n' ont - ils pas joui avec un plaisir mêlé d'angoisse et de douleur de ce tragique spectacle? Cela ne prouve - t - il pas qu'ils sont dignes de leur sort et qu'ils n'en méritent pas un meilleur; 'qu'ils doivent, en esclaves du ciel et de leur natuie, supporter tel joug qu'on leur impose? Si tes facultés iniellectuelles ne sont pas encore tout a fait usées par la volüpté, arrange cela ensemble avec tes idees de morale scolastirjue, ce n'est point a moi a porter la lurftière dans les ténèbres qui vous environnent. Je ne puis porter la main sur un avoué du ciel, qui travaille aussi soigneu. sement pour 1'enfer, je ne saurois briser les chalnes qu'un plus puissant que S  ) a74 ( ïnoi a mïses entre ses mains pour conduire ce peuple. Faust. Quel exces subit de conscience dans mon diable! Avec quelle promptitude ne remplis - tu pas 1'ordre que je te donnai d'égorger un prince allemand, un francois auroit - il plus de valeur a tes yeux ? Le Diable. Oui, 1'Allemand n' avoit pas été sacré pour le crime, comme le Francois, et quand j'exécutai tes ordres, c'est que j'y vis quelque intérêt pour 1'enfer; tu seras un jour plus au fait! Pourquoi veux - tu que ma fureur se déchaïne contre mes propres entrailles? N'est - ce pas lui qui fonde le despotisme qui s' accroitra dans les siècles, qui enfantera des horreurs jusqu'a présent inconnues, et qui précipitera dans les enfers des victimes innombrables du désespoir? Tous les rois tyrans, tous leurs ministres et les autres sangsues des peuples ne descendront - ils pas dans le marais de la damnation ? et j'irois égorger 1'auteur d'un tel ouvrage? Faust, si Satan, souverain puissant du noir empire, étoit roi de France, il ne pourroit pas semer d'une main plus féconde le germe  ) 275 C du mal futur, peut - être même, malgrè" sa toute -puissance , ne réussiroit - il pas aussi bien que celui - ci. Un peu de patience et tu verras ce monarque, tu te réjouiras de ses tourments, et tu lui souhaiteras une longue vie, pour qu'il souffre plus longtems» 5\ Faust quelque tems après fit connoissance avec un gentilhomme de beaucoup d'esprit et qei avoit de la probité. Le diable e$ lui plurent tellement au dit seigneur qu'il les invita a venir passer plusieurs jours a sa terre, non loin de la ville, oü il vivoit avec sa familie qui consistoit en une épouse et une fille de seize ans, belle comme un ange. En voyant cet objet divin dont 1'innocence caractérisoit les traits, Faust fut comme enchanté, et sentit pour la première fois les doux tourments d'un amour plus délicat. II confia au diable son martyre, et celui-ci qui précipitoit le mal avec autant de plaisir, que Faust le faisoit, lui offrit ses services et se moqua de la prétendue délicatesse de ses sentimens* S 2  ) 276 ( 'Faust, qui s'imaginoit penser noblement, lui avoua qu'il répugnoit a violer ainsi les droits de 1'hospitalité. Le diable se moqua encore davantage de ses scruprdes et lui répondit: » eh bien, Faust, si tu veux avoir »le consentement du gentilhomme pour »cette plaisanterie, j'en serai d'autant plus «satisfait que je prendrai deux oiseaux d'un «coup, et je te réponds du consentement. «Pour qui le prends - tu ? « Faust. Pour un bonnête homme. Le Diable. II est facheux, Faust, que tu ne te connoisses pas mieux en figures. Ainsi tu prends ce personnage pour un galant homme? Assurement tout Paris pense comme toi, et malheureusement il 1'aut que ie me montre encore dans toute ma diablerie noire : — que crois - tu qu'il aime préïérablement? Faust. Sa fille. Le Diable. Je connois quelque chose qu'il aime encore plus. Faust. C'est? Le Diable. L'or, tu aurois déja certainement pu t'en convaincre; mais comme il m'a été ordonné de t'ouvrir les trésors de  ) 277 C la terre, et qu'ils sont a ta disposition, tu les prodigues, semblable au torrent qui inonde les plaines, sans s' embarrasser d' oü proviennent ses eaux, ni oü il les répand. Combien as - tu déja perdu au jeu avec ce genlilliomme ? Faust. Je laisse ma perfe a compter a celui qui fait plus de cas, que moi, d'un vü métal, Le Diable. Celui qui t' a trompé, la compte avec plus de soin que moi. Faust. Trompé ? Le Diable. Oui, trompé! Comment cela pourroit - il être autrement? Sans cela, crois - tu qu' il joueroit avec .toi, lui qui n'a jamais joué? II a vu le peu de cas que tu faisois de 1'or, et s' est conduit en conséquence. T'imagines - tu que sa table seroit aussi bien servie, qu'il verseroit avec profusion les vins les plus rares; que tu verrois autour de la table de cet avare autant de convives qui n'v sont quo pour, de moitié avec lui, te voler et te piller, si ton or n'opéroit ces miracles? Le plaisir de nous avoir dans cette maison, otoit Pappetit a tout le monde, a  ) 278 ( chaque ruinute on trembloit que nous ne prissions congé de la société. — Je vois a ton étonnement que tu as été toute ta vie un dissipateur, que tu ne connois pas cette soif de 1'or qui sait vaincre tous les déshs du coeur, et même les besoins les plus pressants de la nature. Suis-moi, mais doucement. Ils descendirent 1'escalier, traversèrent quelques allées souterraines et arrivèrent enfin auprès d'une porte de fer. Alors le diable dit a Faust: oregarde par le trou »de la serrure!« Faust appercut dans cette voAte, éclairée par la foible lueur d'une lampe, le gentilhomme auprès d'un cofïre fort, dans lequel il y avoit beauconp de sacs d'argent, qu'il comtemploit avec tendresse. II renferma ensuite dans un autre coffre vuide 1'argen't qu'il avoit gagné a Faust. 11 compta Louis par Louis, examina bien attentivement chaque pièce, la pesa dans sa main, la baisa, fit une addition du tout et finit par pleurer, en voyant qu'il lui manquoit encore quelque chose pour parfaire la somme qu'il désiroit. Le diable dit tout bas a Faust:  ) a79 ( „Pour avoir ce qui manque a la som„me qu'il désire, il te vendra sa fille.w Faust ne voulut pas le croire : le diable se facha et dit d'un ton d'humeur:« »Eh bien, je vais te montrer, si tu le „veux, que Por a une puissance si irrésis«tible sur le coeur de l liorame, que, dans „ce moment, quelques pères et mères de o la ville sont en pour-parler dans le bois „voisin avec plusieurs émissaires du roi, „pour vendre a ces derniers leurs enfants, »quoique ils saclient d' avance que ces „pauvres infortunés sont destine's a être »égorgés, et que le roi, dont le sang est „corrompu, doit boire celui de ces jeunes „victimes , dans la fans.se croyance de ra„ Fraich'ir et de rajeunir le sien.« Faust. (frissonant) Ainsi le monde est pire que 1' enfer, ali! c' est sans regret que je le quitterai. Et le roi sachant de quoi est composée la boisson qu'on lui donne, la prend malgré cela ? Le Diable. Le Médecin qui est son ty» ran et qui s'enrichit, Pa préscrite, et le confesseur la trouve innocente, si elle pejit  ) a8o ( contribner a prolonger les precieus jours de Sa Majesté. Ils se rendirent dans le bois, se cachèrent derrière un épais buisson et virent les émissaires du roi en conférence avec quelques bourgeois et le curé de la paroisse. II y avoit devant eux quatre enfants sur 1'herbe; 1'un d'eux crioit a faire pitié, et la mère, pour 1'appaiser, le caressoit et lui donnoit a têter. Les autres se rouloient sur le ventre et jouoient avec des fleurs. Les émissaires comptèrent 1'or dans la main des maris, le curé recut sa quote part, et, après, les enfants leur furent livrés. On entendit encore longtems dans le bois les échos répéter les cris des pauvres petits malheureux, les mères gé» missoient et se lamentoient, et les maris leur disoient pour les consoler: «voila de »l'or, allons au cabaret, le vin nous don» «nera des forces pour en faire d'autres. »On dit que le roi mange les enfants; il «vaut mieux qu'il les mange jeunes, que „d'attendre qu'ils soyent adolescents pour »>les écorcher ou les faire coudre dans un »sac, et les jetter ecsuite dans la Seine;  ) 28l ( «sort qu'il a fait éprouver a des milliers, «que ce' qui est ne' pour les souffrances, «péüsse au berceau! En vérité, il eut bien «mieux valu pour nous que son père nous. «eut dévorés dans notre enlance.« Le Curé les consola en leur disant: »Qu'ils avoient fait une oeuvre méri«toire et agréable a la mére de dieu a la «quelle le roi étoit tout dévoué: il ajouta «que les sujets étoient nés pour le roi, et »que, comme il règnoit sur la terre k la «place de dieu, il pouvoit disposer d'eux »a sa volonté, et leur faire regarder le »moindre de ses caprices, comme. une loi «sacrée etcc Je ne me sens pas la force d'arhever le discours de ce bonze cruel et imposteur. Ils allèrent au cabaret, y burent la raoitié du sang de leurs enfants, converti en or, et gardèrent 1'autre pour payer les impositions au roi. Le diable regarda Faust d' un air moqueur: ,, Doutes-tu encore que le gentilhomme vendra sa fille, qu'au moins tu ne „mangeras pas?" Faust, J'en jure par le noir enfer qui dans ce moment me paroit être un para^  ) 282 ( dis en comparaison avec la terre, je vais maintenant me livrer sans rétenue a tous mes désirs, et en détruisant et en ravageant, je croirai agir conséquemment aux vues de celui qui a fait de 1'homme un tel monstre. Vole, achete lui sa fille elle est vouée a la déstruction, comme tout ce qui respire. C'étoit précisément dans cette disposN tion, que le diable désiroit de le voir depuis longtems, pour le précipiter vers la, En de sa carrière, et par la, se décharger d'un insupportable fardeau, et cesser d'être l'éscla>'e d'une chose aussi méprisable que 1'homme 1'étoit a ses yeux. Dès le même soir, il commenca a tater le gentilhomme, et paria a dessein de leur prochajn départ; Le lendeinain malin, en se promenant, il lui fit ses propositions, lui montra des diaments et de 1'or que 1'avare dévoroit des yeux, mais qu'ü ne voulut cependant pas prendre, avant d'avoir fait les grimaces ordinaires de la vertu. — A chaque objection que faisoit ce vieil hypocrite, le diable auginentoit la somme, enfin il la porta si bautj que ie tartuffe, après bien des ce- I  ) a83 ( rèmonies,, 1'accepta, riant au fond de son coeur de cet insensé qui prodiguoit aussi sottement son or. Le contrat fut fait; la pèie condmsit Faust dans la chambre da sa fille, et croyoit avoir gsgné sa dote d' une manière dont son mari fulur ne s'appercevroit pas. Cette fille étoit dans la fleur de la jeunesse, Faust qui, par un long commerce avec les feinmes, savoit comment il falloit s.' y prendre pour leur plaire, la séduisit bientót; et comme il pouvoit lui prouver que sa défaite étoit agréable a son père, la nature fit le reste. Dans ces entreiaites le père se rendit secrètement avec son sac d'or et une lampe, dans un souterrain inconnu a tous ceux de Ja maison. Son coeur battoit de joie a la vue d'un sac "plein d'or, qu'il serroit tendrement dans ses mains, et qui devoit plus que parfaire la somme qu'il souhaitoit depuis si longtems. Dans la crainte que quelqu'un ne le suivit, et dans 1' excès de sa joie, ü tira avec vivacité la porte derrière lui; sans en oter la clef. Sa lam-: pe s'Jteignit par le vent de la porte, et il se trouva tout a coup dans une prafonde  ) a84 C obscurité. L'humidité et 1'air épais qui règnoit dans ce caveau, lui oppressèrent bientot la poitrine. Ce ne fut que quelques instans après qu'il s'appercut qu'il avoit laissé la clef' en dehois, et tous ses sens furent glacés d'effroi. 11 eut néanmoins encore assez de force et d'instinct pour tj ouver son coffre fort, y déposa son or, retourna ensuite, en tatonnant, vers la porte, et ne savoit s'il devoit frapper ou crier. II étoit cruellement combattu par 1'alternative de découvrir son «ecret ou de faire de cette cave son tombeau.'II auroit eu beau appeller; ce caveau étoit absolu. ment isolé de la partie habitée de la maii son, et il avoit toujours si bien su prendre son temps, que personne ne 1'avoit encore vu se rendre auprès de sa divinité. Apiès avoir longtems combattu avec lui - même, sans pouvoir prendre de résolution, les ter» ribles images, qui vinrent frapper son imagination, jointes a la rareté et k 1'épaisseur de 1'air, troublèrent emièrement son ceiveau. II tomba a terre, se roule jusqu'a son coffre, le serra dans ses bras et commenca a devenir furieux. II luttoit avec  ) 285 ( le désespoir, avec la plus effroyable mort, pendant que sa fille, dont il avoit vendu 1'innocence pour de Tor, sur lequel il terminoit misérablement ses jours, se deshonoroit avec Faust pour satisfaire Pindigne avarice de son père. Aprés Pavoir inutilement cherché pendant quelques jours dans tous les coins de Ia maison et du jardin, le hazard conduisitundomestique veis ce caveau secret. On enfonca la portea coupsdehache, etl'on ne trouva sur le coffre qu'un cadavre bleu et noir que les vers commencoient déja a. ronger. Dans Pexcès de sa rage, pressé par la faim cruelle, il avoit mange' la chair de son bras droit. En retoumant a Paris, le diable raconta k Faust la manière dont i'aventure s*étoit terminée, et celui-ci crut que la providence avoit au moins voulu se justifier une fois. 4* Le diable avoit appris que le parlement devoit prononcer sur un cas si inoui et si deshonorant pour Phumanité, qu'il crut utile au plan qu'il s'étoit proposé, de  ) 286 ( rendre Faust témoin da jngerhent de cfe tribnttali Voici le fait: Un Chimrgien s'en retournoit de ouit a Paris avec son domestique. Non loin du grand chemin, il entendit un homme qui se plaignoit et gémissoit. Sa sensibilité et son humanité le firent se porter vers le lieu d'oü venoit la voix. U y trouva un assassin roué vif qui le cornura, au nom de dieu, de 1'achever. Le Chirurgien recula d'effroi et perdit con«j noissance, mais reprenant peu a peu ses sens, il lui vint a 1'idée qu'il pouvoit par son art, sauver ce malheureux el lui conserver la vie. II paria a son domestique, détacha 1'assassin de la roue, le mit avec précaution dans sa voiture, le conduisit chez lui, entreprit sa guérison qui lui réussit parfaitement. II avoit appris que le parlement avoit promis cent livres k quiconque dénonceroit celui qui avoit osé détather 1'assassin de la roue. II communiqua ceci a 1'assassin en le congédiant, lui donna de 1'argent pour son voyage et lui conseilla de ne pas s'arrêter a Paris. La première chose que fit ce misérable fut de s'y arrêter et d'aller au parlement accuser son  ) 2§7 ( bienfaiteur, pour avoir les cent livres promises. Les juges, qui changent si rarement de couleur, devinrent tout pAles a cette dénonciation, car il avoua tout de suite qu'il étoit 1'assassin, que le parlement avoit condanmé a ctre roué sur la place, oü il avoit comrnis le meurtre. Le Chirurgien fut mandé et le diable conduisit Faust dans la galerie au moment oü celui - ci apparut. Faust ignoroit ce dont il s'agissoit. L'avocat général communiqua au Chirurgien 1'accusation portée contre lui. Etant sur de son domestique, il nia le fait avec fermeté. On 1'engagea a avouer la chose, parceqn'on pouvoit produire des témoins qui le convaincroient. II défia les juges. On ouvrit une porte de coté, 1'assassin s'avanca d'un air effronté, se présenta deyam lui et répeta froidement son accusation, sans oublier aucun des détails. Le Chirurgien s'écria: «qui t'a pu porter, «monstre, a cet horrible trait d'ingrati-' tude ?« LAssassin. Les cent livres dont vous m'avez parlé, lorsque vous me congédiates. Croyez - vous qu'il me suffisoit d'avoir ré-  ) a83 ( cüpèrê la liberté de mes membres ? Je füs rompu vif k cause d' un meurtre que je comrnis pour dix écus, ne devois - je pas chercher k en .gagner vingt-cinq par une accusation oü je n'avois rien k risquer? Le Chirurgien. Ingrat! Tes cr.s et tes gémissements touchèrent mon coeur. L'humar.ité me porta k te détacher de la roue, je pris soin de toi, je pansai et guéris tes blessures, je te nourris de ma propre main, aussi longtems que tu ne pus te servir de tes membres brisés, je te donnai ensuite une somme d'argent pour t'en retourner chez toi, tu n'a pas encore eu le tems de la depenser, je te fis part, pour ton propre salut, de la publication du tribunal, et jé jure par le dieu vivant , que si tu m'eusses communiqué ton effroyable projet, j'aurois plutót vendu jusqu'a ma dernière chemise, pour te donner cette somme, afin que cet horribie exemple d'ingra* titude outrée restat k jamais taché k 1' humanité. — Messieurs, jugez entre lui et moi, je me reconnois coupable. Le Président. Vous avez grièvement offensé la justice, en cherchant k conserver la  ) 289 ( . 1a vie a celui que la loi avoit condamné pour la süreté des citoyeris; mais, cette fois, la sévère justice laissera prononcer 1' humanité. Les cent livres seront pour vous, et 1'assassin sera rompu vif une seconde fois, Faust qui pendant 1' interrogatoire pestoit et juroit, cria de toutes ses forces, Bravo, et toute la galerie en fit autant. Le diable qui remarqua que la dernière impression vouloit détruire la première, Ie conduisit aussitót a un autre spectacle. Quelques Chirurgiens, Docteurs en médecine, Philosophes et Naturalistes, avoient formé une société secrete pour faire des recherches sur le suc nerveux, le mécanisme du corps et 1'effet de 1'ame sur Ia matière. Pour satisfaire leur curiosité et leur esprit de recherches, ils attiroient, sous toute sorte de prétextes, des pauvres, des gens du commun, dans une maison, éloignée de la ville, dont la partie supérieure étoit batie de manière qu' on ne pouvoit T  ) 2.go ( cVaticvm coté, voir ce qui s'y passoïT. La jls attschoicnt ces malheureux avec de fortes cordes sur une longue talie, leur mettoient un baillon dans la bouxhèj leur levoient une peau après 1'autre, découvroient leurs muscles, leurs nerfs, le coeur, le eerveau, et leur faisoient des incisions dans le ventre, avec autant de sens froid et d' at* trntion, que 1'on anatomise un cadavre. Pour mieux réussir dans leurs découvertes, ils donnoient force bouillons nourrissants a ces malheureux , et les faisoient mourir petit a petit en coupant les hls de la vie. Le diable sut qu'ils venoient de s' assem bier et il dit a Faust: »Tu as vu un Chi»i'nrglen qni par amour pour 1'humanité «ou par gout pour son art a gaéri un as* „sassin que la justice avoit fait rompre vil ; „je fais maintcnant te faire voir des phy„siciens qui, pour aller k la recherche de „secrets qu'i'is ne découvriront jamais, écor„cheut leurs fr'ères tout vivants. Tu sem„liles donter? Sois-mol et tu te convain» era?. Nous représenterons deux docteurs.w 1! le conduisit dans cette maison isolée, ils ent-rèrent dans un laboratoire, dont la  ) 29* ( Voute étoit impénétrable aux rayons du jour. Ils virent les physiciens disséquer un de ces malheui eux, dont la chair tremi bloit sous leurs mains fratricides, et les entendirent parler et discuter. sur leurs découvertes, comme s'ils eussent fait la dissection d' une fleur, Ils étoient tellement occupés de leur objet, qu'iJs n'appercurent pas tout de suite le diable et Faust. Celui - ci se sentoit des crispations dans tous les nerfs, il sortit furieux, se frappa la poitrine, et ordonna au diable de faire écruuler la maison sur la tête de ces impies, pour qu'il n'en restat plus le moindre vestige sur la terre, Le Diable. Faust, pourquoi cette fureur? Ne sens - tu dpnc pas que tu te conduis a 1'égard du monde moral, de la même manière que ceux - ci k 1' égard tlu monde physique? Ils taillent dans la chair des vivants, et toi, par ma main déstructrice, tu exerces ta furie sur toute la création. — Faust. Répudié ! Penses - tu que mon coeur soit pétrifié? Trouves - tu du plaisir a voir écorcher et massacrer ces mal* T a  ) 292 ( heureux? Al!ons! La vengeance seule pent appaiser 1' ardeur du feu qui me dévore. Tout mon sang s'enflamme, mon imagination s'irrite en me représontant les souffrances de ces malheureux. Tous les tourments qu'éprouve le genre humain m'accablent k la fois. O, je le sens bien, c'est folie de ma part, puisqne je ne peux ni sécher leurs larmes, ni guérir leurs plaïes ; mais je veux les venger de ces monstres! Allons! Fais écrouler la maison, vite! Qu' elle les ensevelisse sous ses ruines! Qu'il ne soit pas plus question d'eux, que s'ils n'avoient jamais été! Dépêche, ou crains mon courroux. Le diable qui lui obéissoit avec plaisir, ébranla les fondemens de la maison, elle s'écroula avec fracas et broya les monstres dans sa chute. Faust révolté regagna Paris en toute hAte, sans avoir fait attention au geste menacant que le diable lui fit. 6. Faust avoit tant entendu parler des prisons que le roi trés - chrétien avoit fait faire, pour y enfermer les pers onnes qui  ) ( lui sembloiexit suspectes ou dangereuses, qu'il ordonna au diable de s'arranger de manière a fes lui faire voir. C'étoit un spectacle que le diable lui procuroit avec plaisir ; et quoiqu'il fut defendu, sous peine de mort, d'en laisser approcher qui que ce füt, la male éloquence qui découloit des doigts de Leviathan trouva moyen de se faire ouvrir le chateau. Ils trouvèrent la des cages de fer, dans lesquelles un homme pouvoit a peine se tenir droit. Les malheureux qui e'toient condamnés a habiter dans cette triste demeure, trainoient a leurs pieds de lourdes chaïnes auxquelles étoient attachés de gros boulets. L'inspecteur dit en confidence que, lorsque le roi étoit en bonne santé, il se promenoit souvent dans cette galerie, pour se réjouir du chant de ses rossignols , car c'est ainsi qu'il appelloit ces malheureuses victimes. Faust demanda k quelques uns de ces infortunés la cause de leur détention, et il entendit des histoires k fendre Ie coeur. II fit entre autre la rnême demande a un respect able vieillard , et celui - ci lui répondit d'un ton plaintif:  ) 294 ( »Ah, qui que vous soyez, que mon «triste sort vous serve divertissement pour »ne jamais prêter les nieins k un tyran »p mr des c óautés. Vous voyez en moi «1'Evèque de Verdun, ce malheureux, qui «le premier donna au cruel roi 1' idee de »ces horribles cages, pour y enfermer un «de ses ennemis. Le tyran, d'après le «modèie que je lui avois donné, en fit. »faire deux autres, et assigna k i'inventeur »la première pour sèjour. Depuis quinze » ans, je fais pénitence pour mes péchés, «et j'implore journellement la mort de «mettre fin a mon martyre. Faust. Ah! Ah! Ainsi Monseigneur, sembl ble k un autre Pérille, a aussi trouve son Phalaris. Vous savez surement 1'histoire ? -- Vous secouez la tête — eh bieny pour passé-tems, je vais vous la raconter. Ce Pérille (qui n' étoit ni évêque, ni chrétien) avoit fondu un taureau d' airain, qu'il montra au tyran Phalaris, comme un chef d'oeuvre, en 1'assurant qu'il avoit ptis ses dimensions de sorte que, si Sa Majeste y vouloit faire entrer un homme, et, par du feu mis dessous, le faire rougir, les cris    ) 2g5 ( do cet homme imiteroient parfailement le rugissement d'un taureau , ce qui pourroit faire beaucoup de plaisir a Sa Majcsté. — Phalaris répondit: Mon cher Pérille, il est juste que 1' artiste essaye lui - même son ouvrage ! L'artiste fut forcé d' entrer dans 1'animal, sous le ventre duquel on alluma du feu et il commenca a rUgir comme un taureau, 11 y a mille ans que Phalaris punit Périile, comme le ti ès - chrétien roi vous apuni, Monseigneur Evêque de Verdun. L'Evêque. Que cette histoire ne me fut-elle plutöt connue, elle m'auroit servi d' avertissement. Faust. Par la vous voyez, respectable Prélat, que quelque fois 1'histoire peut aussi être utile h un Evêque. Prenez patience; on pleure sur le sort de ces malheureux, et on-rit du votre. 7- Faust vouloit absolument voir ce roi, dont les abominables faits lui avoient tellement échauffé 1'imagination, qü'il pouvoit a peine se le représenter sous une figure  ) 296 ( humaine. Le diable lui démontra I'imposi libil.té de pénétrer sous leur costume dans le chateau Plessis du pare, oü la lacheté et la peur rétenoient ce tyran prisonnier, et il ajouta que personne, a 1' exception des domestiques nécessaires, du médecin, du confesseur et de quelques astrolognes, ne pouvoit y entrer sans un ordre particulier. Faust. Prenons d'autres figures, d'autres costümes. Le Diable. Bon, je vais éloigner deux de ses gardes, et nous ferons leur service, pour observer de prés ce roi et son bonheur. Le moment de voir ce malheureux est favorable. La crainte de la mort ven'ge avant 1' enfer ses actions sur son lache coeur. II ne pense jour et nuit qu' au moyen d'éloigner 1'instant qui doit mettre fin h ses jours, ne fait par la que le.précipiter, et la mort a chaque séconde, lui paroit plus hideuse. Viens, je vais te rendre témoin des tourments auxquels il est toujours en proie. Le diable mit son projet a exécution, et ils se trouvèrent tous deux en sentinelle clans 1'intérieur du chateau, oü régnoit  ) 297 ( Je morne silence des tombeaux, oü planoient en tous lieux 1'épouvante et 1'effioi. C'est la qu'étoit exilé celui devant lequel trembloient des millions, pour éhapper a la vengeance des parents de ceux qu'il avoit fait assassiner, pour se soustraire aux regards de son propre fils dans lequej il croyoit voir le yengeur de son père. II pouvoit dans cet affreux exil éviter la vue de ses sujets, mais non les remords et les tourments de son coeur, ni les souffrances de son corps; c'est en vain qu'il fatiguoit et imploroit le ciel pour obtenir la santé et le repos; c'est en vam qu'il cherchoil; a le corrompre par des présents aux saints, aux prêtres et aux églises; vainement il couvroit son corps languissant et énervé" des reliques de toutes les parties du mon. de, 1'idée: tu dok mourir! semblable a un ver rongeur, déchiroit continuellement son sein palpitant, II ose a peine sortir de sa chambre, dans la crainte de trouver des assassias dans ceux qu'il rencontre. Le trouble et 1' inquiétude le forcent - ils a prendre 1'air, il s'arme d'un poignaH et d'une lance, et revêt sa maigre ^arcasse  ) 293 ( d'habits magnifiques, pour lui donner un éclat mensonger; ne se montre que de loin, afin qu' on ne puisse appercevoir ni son état, ni son déguisement. Jour et nuit dans les angoisses, il regarde a travers les créneaux de la tour, s'il ne vient point d'ennernis qui veuillent mettre fin a sa triste vie. Quatre cents gardes veillent sans cesse autour de la sombre retraite du monstre demi -mourant, qui ne fait cormoitre qu'il respire encore, que par des cmaulés inouies. Trois fois par heure leurs cris lugubres, répétés de poste en poste, troublent la tranquillité profonde de ces lieux, et chaque cri rappelle au tyran toute 1'horreur de sa positon. Tous les environs du chateau sont parsemés de piéges et de trappes, afin que la cavallerie ne puisse s'approcher pour le surprendre. On ne voit dans 1'intérieur que des chalnes auxquelles sont attachés de lourds boulets, pour enchalner ses domestiques, lorsqu'ils sont coupables de négligence. Tout au tour du chateau sont dressées des potences, et son seul et véritable ami, le bourreau Tristan, fait tous les jours *a ronde  ) a99 C et ramene des victimes, pour diminuer par leur exécution le trouble du tyran, car dans chaque condamné il voit un ennemi de moins de ses jours. De tems en tems il va dans une chambre qui n'est sëparée de celle de la torture que par une cloison, pour entendre les aveux des malheureux soupoonnés; il se réjouit de leurs tourments, et en voyant souffrir les autres, il trouve un soulagement a ses douleurs. Couvert de reliques, portant a son chapeau une image de la mère de dieu, sa prétendue protectrice, il boit le sang des. enfants a la mamelle, égorgés par ordre du Médecin, et du consentement de son confesseur, il se laisse martyriser par son Esculape auquel il donne dix mille écus par mois, assiége Ie ciel de prieres continuelles, meurt chaque fois que le marteau frappe la cloche, et auginente par chacune de ses pensees Ia terreur de la mort, dont il est defendu, sous peine de haute trahison, de prononcei le nom. C'est ainsi que le diable montra a Faust ce prince si formiuable, et son coeur se réjouit de la paleur de ses joues tomban»  ) 3oo ( tes, des rides que le trouble et le désespoir avoient gravées sur son front. II se repaissoit de la sueur de la mort qui couvroit sa figure livide, de sa respiration entre-coupée, et se rassassioit de ses tourments. 11 étoit sur le point de qnitter cet liorrible séjour, lorsque le diable lui soufla a 1'oreiüe d'attendre jusqu'au lendemain, pour être spectateur d'une scène unique en son genre. Le roi avoit appris qu'il existoit en Calabre un certain Martorillo, hermite de son métier , et que 1'on honoroit et respectoit dans toute la Sicile, comme un saint. Cet animal agé de quarante ans vivoit depuis vingt six sur le sommet d'un rocher, martyrisoit son corps par le jeune et la discipline, et refusoit toute espèce de nourriture a son esprit; mais les rayons de sa sainteté cachant sa stupidité, il vit bientót a ses pieds le monarque et 1'indigent. Louis avoit demandé au roi de Sicile cet homme extraordinaire, et il espéroit obtenir de lui sa guérison. Le saint se mit en chemin, et distribuoit des bénédictions a droite et a gauche. Comme il étoit porteur d'une permission du Pape  ) Soi ( par laquelle le roi pouvoit frotter tout son corps avec la sainte huile de Rheims, il crut qu'il vaincroit bientót toutes les terreurs de la mort. Enfin arriva 1'beureux jour, le roi appercut du haut de sa tour le paysan de Calabre s' avancer vers son chateau, alla au-devant de lui jusqu'a. la porte, se jetta a ses pieds, lui baisa les mains, et lui demanda la vie et la santé. L'hermite jouait son role d'une manière si comique que Faust ne put s' empêcher d'éclater de rire, en voyant cette farce. Déja Tristan avec ses coadjuteurs vouloit lui mettre la main sur le corps, c'en étoit fait de lui, le diable vit qu'il étoit tems de le soustraire a leurs griffes, et s'envola avec lui. Lorsqn'ils lurent arrivés a Paris, Faust dit au diable : » Voila donc cette lache, basse et super»stitieuse espèce devant laquelle tremblent «les nerveux habitants des gaules et par «laquelle ils se laissent égorger sans re'sis«sance? Ce squelette revètu de pour«pre, qui peut a peine énoncer le désir de «vivre? Et les Francois tremblent devant lui, «comme 1'OIympe devant Jupiter dont la  ) 5oa ( „foudre pent embraser a la fois 1'immensite »des cieux et de la terre! Lorsque le lion, » affaisé par 1'age, git languissant dans son «repaire, les animaux les plus laches pas«sent devant lui et se moquent du cruel »impuissant:« Le Diable. C'est par la que le roi des hommes se distingue du roi des forêts.' Celui - ci n' est redoutable qu' aussi longtems qu'il jouit de ses forces; mais 1'autre qui réuriit les forces (de ses esclaves a sa volonté, est aussi fort, impotent dans son lit, qu'a la fleur de son age, a la tête des armées. Es • tu convaincu maintenant que ce n'est que la sottise qui vous conduit, qui vous rend esclaves, brise vos chalnes, et vous en forge de nouvelles. Vous vous agitez et vous vous agiterez toujours dans le même cercle, et vous étes condamnés k saisir 1'ombre pour la réalité. Non contents d'être soumis k la nature, k vos passions, a vos désirs sans hornes, a un maitre invisible et sévère, il faut entore, pour pouvoir subsister, et ne pas vous déchirer dans votre rage, que vous vous choisissiez un tyran dont la voix vous soit sensible, et afin  ) 3o5 ( qu'il puisse abnser de vous sans darigef pour lui, vous faites dériver ses droits de celui qui ne parle qu'a votre coeur. Ce fut aissurément combler la mesure de votre sottise et de votre démence, que d' idolatrer un être qui vous resserable! Séparetoi de celui dont ils prétendent avoir recu ces droits. Faust. Heureux celui qui comprend quelque chose a cela. Tout ce que je vois, ce que je sens en moi et hors de moi, n' est qu' un tissu de contradictions. Des idéés affreuses, semblables aux démons tourmentants de la nuit, errent dans mon cerveau, et souvent il me semble que le mon Je moral n'est régi que par une espèce de tyran, pareil a ce malheureux qui se plait a tourmenter ses sujets , a boire leur sang et a les livrer au désespoir. Ce monstre n' écoute que son instinct féroce, et 1'homme succombe, corama le taureau, sans savoir pourquoi il doit périr, Faust resta clans cette ciuelle disposition, et tout se peignoit a son iinagination sous les couleur ies plus effroyables. Le diable se réjouissoit de le voir s'approcher  ) 3o4 ( ctu but oü il l'attendoit, et le disposa a conrir encore le monde, pour mettre le comble a son trouble par de nouvelles scènes, partant de Paris, le diable dit: „Je pressens déja les malheures pro„chains et affreux qui menacent cette ville » florissante. « Sur le chemin de Calais il dit souvent: »> La guerre civile et les opinions reli«gieuses couvriront bienlót de sang toutes „ ces plaines, les champs seront jonchés de „ cadavres. L'esprit de discorde exercera „ses fureurs pendant des siècles, et si le „despote fatigué de menrtres vouloit don„ner quelque relache a sa cruauté, le prê„tre, par ordre du ciel, 1'excitera a des hor„reurs encore plus etlroyables.« 8. Faust et le diable traversèrent au vol le canal de la manche et arrivèrent k Londres au moment oü 1'hideux et monstre de Duc de Glocester s'érigeoit protecteur du royaume, et faisoit tous ses efforts pour priver de la couronne son frère, fils du feu roi.  ) 3o5 ( roi. II avoif, avec du poison, expédié le !wr« Hlns 1'autre monde, et la reine, qui, . . ..i découvert sës projets, s'étoit réfugiée k V Abbaye de Westminster avec ses enfants, étoit, par ses menées, sur le point de lui livrer 1'héritier du trone qui avoit alors quator ze ans, et son jeune frére York. Elle ne les livra qu' en tremblanf, et sembloit déja prévoir le sort de ses fils. Faust fut présent lorsque le Docteur Shaw par ordre du protecteur, pröuva en chaire au peuple étonné: que Ia mére du feu roi et la sienne encore vivante avoit recu plusieurs amants dans son lit, que le feu roi avoit été concue en adultèrp, et que personne de la familie royale, excepté le protecteur, ne pouvoit se vanter d' une naissance légitime. II vit exécuter les grand» qui ne voulurent pas se prêter k ce pian, et le diable le conduisit k Ia tour a 1'instant oü Tyronel faisoit assassiner par des meurtriers le légitime roi d'Angleterre, ainsi que son frére York, et les fit ensuite enterrer au seuil de leur prison. II fut témoin de la basse soumission du parlement, ainsi que du couronuement de 1'efü  ) oo6 ( froyable tyran. II vit la reine s'abaisser a une négociation avec 1'assassin de ses enfants, lui donner, afin de 1'aflerrtiir sur tm trone usurpé a force de crimes, sa fille ainée en mariage, pour briller a la cour et jouir encore d'une espèce de souverainelé, quoiqu'elle entretïnt, k 1'instigation et par les grands révoltés du royaume, une inielligence avec le Comte de Richemond, soh futur vengeur. Cela irrita tellement Faust, que les charmes de la belle Anglohe ne purent le retenir plus long lems dans cette maudite ïle, qu'il quitta, avec ia haine et le courroux dans le coeur, car il n'avoit encore vu en Allemagne, ni en France conimettre de crimes avec autant de sens hoid et autant d'impudence; il est vrai qu'il n'avoit pas été a Rome. Lorsqu'ils furent sur le point de s'embarquer, le diable lui dit: »Ce peuple Faust, soupirera quelque „tems courbé sous le jong du despotisme, wensuite il immolera peut-étre un de ses «rois sur 1'échalfaud de la liberté, et la «vendra k ses successeurs pour de 1' or ct «des titres. Au reste, en eni'er, on ne  ) 3o7 ( «fait pas grand cas de ces tristes insulaire* «qui suceröient la moélle de< tous les cada-, „vres pestiférés de 1'univers, s'ils croient «leur trouver de 1'or dans les os. Ce peuple «qui méprise toutes les autres nations, qui, «si tu mets ce que tu appelles vertus dans „une balance, et crimes dans 1* autre avec « deux pences, n'hésitera pas dans son choix; «qui se joue de tout ce que tu noirmes «sentiments, qui ne conclut aücun traité «que dans t'intention de le rompre, sitöt «qu'il y aura un sol k gagner; ce peuple „habite le marais le plus infect du sombre „empire, et leurs ames sont fustigées sans «relache. Aucun damné ne veut com«muniquer avec eux. Si les habitans de «la terre ferme savoient se passer de sucre «et de caffé, les enfants de la vaine al„bion redeviendroient ce qu'ils étoient^ «lorsque Jules César, Canut, roi de Dane«mark et Guillaume le conquérant, Duc «de Normandie; s'amusèrent k y faire une « descente,« Faust. Pour un diable, tu sais passablement 1'histoire! Ü a -  ) 3o8 ( Leviathan le conduisit après a Milan oü ils virent assassiner dans la Cathédrale, le jour de saint Etienne, Ie Duc Galeas de Sforce. Faust entendit les meurtriers invoquer a haute voix saint Etienne et saint Ambroise, et les prier tous deux de leur prèter le courage ne'cessaire a leur noble pro jet. Ils virent a Florence, séjour des Muses, assassiner, dans Péglise Santa rep ar ata, sur le maitre - autel, le neveu du grand Cóme, père de la patrie, a 1'instant oü le prêtre faisoit Pclévation; c'étoit le signal du meurtre, donné par Salviati, Archevêque de Florence. Ils virent dans le Nord de féroces barbares et des ivrognes assassiner et pïller de la même manière que les autres Européens plus civilisés. En Espagne ils trouvèrent sur le trone Pimposture et 1'hypocrisie sous le masqué de la religion, virent dans un Auto da fé immoler dans les Hammes des hommes au doux dieu des Chrétiens, et entendirent Ie grand inquisiteur Torquemada se vanter auprès d'lsabelle et de Ferdinand, de ce que le saint tribunal  ) 3o9 ( avoit jusqu'a présent fait le procés a quatre vingt mille personnes suspectes, et avoit fair briiler vifs six mille hérétiques. Faust voyant pour la première fois les dames ct les cavaliers rassemblés sur la grande place, et dans les plus magntfiques habits, se flattoit d'assister a une fête de réjouissance; rnais lorsqu'il entendit les infortunés, escortés par des prêtres qui louoient dieu, géinir et se lamenter, il fut bientót convaincu que 1'abus de la religion avoit fait de l'homme le plus exéerable monstre de la terre. Tout en maudissant le genre humain, il jouissoit cependant des plaisirs de la vie, des belles femraes d'Angleterre de Florence et d'Espagne, et commencoit enfin a croire que toutes ces horreurs appartenoient essentiellement a la nature de 1'homme, qui est unardmal, qui doit ou déchirer lui-même, ou être déchiré par ses semblables. 9* Le diable qui voyoit Faust abattu et consterné par toutes ces scènes, qui remarquoit que son esprit se troubloit de plus en  ) 3io ( plus par 1' aspect de ces infamies, résolut do le conduite, pour la bonne bouche, k la cour du Pape. II regardoit Rome, comme la riche source des crimes, et la plus grande école des vices qui, san'cüflés par le chef de 1' éghse et le vicaire de dieu sur la terre, passoient de cette capitale du monde chrétien chez les autres peuples de TEurope. II dit k Faust: „Tu as vu maintenant comme toutes „les cours de 1'Europe se ressemblent et „ comme les hommes sont gouvernés ; fai„sons a présent un tour k Rome pour „voir si 1'église et le gouvernement ecclési„astique ne valent pas mieux.» Le malicieux Léviaihan se flattoit qu'Alexandre Six, qui portoit alors la triple couronne et avoit dans ses mains la clef du ciel et de ï' enfer, dcnneroit le branie a son noir projet contre Faust et précipiteroit son propre retour aux enfers. Depuis long-tems il étoit faügüé de séjourner sur. la terre, et quoique, des milliers d'années avant, il V eut parcourue tant de fois, il pe vit malgré tout le plaisir qu'il trouvoit è la scéleratesse des hommes, que les mê-  ) 3n ( mes ètres et les mèmes actions. L'umfürmité a quelqne chose de si i'astidieux, que, pour 1'éviter, un diable peut facilement pré(éi er 1'obscurité k la lumière, puisque les. hommes, pour s'y soustraire, commettent, au moins la moitié dc leurs sottises qui, trop souvent se terminent par des crimes. Hs rencontrèrent sur la route de Rome deux armées campées 1'une en face de Fautre. La première étoit commaudée par Malatesta de Rimini, 1'autre par un gênéral du Pape. L' artificieuse politique d' Alexandre qui avoit attiré de France aPipme. le jeune roi, et Payoit ensuue chassé, travailloit alois a frustrer, par le poison, 1'assassinat et la foice ouverte, tous les grands de leurs prop.iétés, pour, de leurs seigneunes et chateaux, ériger des principautés k ses batards. II commenca par les plus foibles, et avoit fait marcher cette petite armée pour erdever a Malatesta son fief de Rimini. Faust et le diable s'avancant a cheval sur la grande route, appercureut sur une hauteur, a la proximité du camp du Pape, deux Hommes magniriquement vêtus, engagés dans un vif combat, La  ) 3ia ( curiosité porta Faust en avant, le diable Ie suivit, et ils remarquèrent, a racharnement desrombattansqu'ils rlevoient nécessairement en rester un sur le carreau. Mais ce qui parut k Faust le plus extraordinaire, étoit une rhèvre, blanrhe comme neige, parée de rubans varicoiors, qu'un écuyer semblo t tenir, comme le prix de la victoire, et avec laquelle il étoit du plus grand sens froid auprès des deux forcenés. Un grand nombre de chevaliers s'étoient rassemblé sur la hanteur, pour être témoins de Fis» sue qu'ils attendoient avec tant d'indifférance. Faust s'approclia de Pun deux et demanda avec cette simplicité allemande: «si c'étoit pour cette belle chèvre que ces «Messieurs se battoient?i« II avoit remarqué qu' a chaque pause que faisoient les deux champions, ils regardoient avec beaucoup de tendresse le gentil animal, et paroissoient, selon Pusage des chevaliers, implorer dans le danger son assistance. L'Italim lui répondit froidement: „oui, sure«ment, et, j'espère que notre Général pu»nira de mort ce téméraire chevalier, qui »se trouve sous 3es ordres, pour avoir osé,  ) 3i5 ( • pendant qu'il alloit reconnoitre Ie camp «de 1'ennemi, enlever de sa tenie la plus «belle chèvre du monde.« Faust recula, secoua la tête et ne savoit s'il veiiloit ou s' il rêvoit. Le diable le laissa quelque tems dans ce trouble, et lui dit a 1' oreille certaines choses qui le firent rougir d'in dignation et qui saliroient le papier. Les champions se batrirent toujours avec la même fureur, jusqu'a Ce qu'enfin 1'épée du Général papale, trouvant une ouverture dans la cuirasse du chevalier, 1'éiendit par terre dans son sang. II rendit 1'ame au milieu des juremens et des blasphêmes les plus horribles et d'un regard a demi éteint prit tendrement congé du bel animal. Les assistans recurent Ie Gehérai avec des applaudissemens, 1'Ecuyer lui remit la chèvre, prix de la victoire, il I'appeüa: mi» cara, carissima! et luj prodigua les plus tendres caresses. Faust s'éloigna du champ de bataille et ne savoit s'il devoit se livrer a son envie de rire ou au sentiment de 1'indignation, lorsque le diable lui communiqua «| qui suit:  ) 3i4 C „Le duel, Faust, dont tu viens d'être „témoin fa fait conno.tre le Général dn „Pape; mais celui qui est vis-a-vis de lui „ne mérite pas moins ton attention. L'un «s'est battu, au péril de sa vie, pour une „chèvre blanche, et 1'autre a empoisonné „et étranglé de sa propre main deux do „-,es femmes, des premières maisons dlta-. „lie, pour en hériter plus promptement. „11 est sur la point d'en épouser une troi„sième, et s'il ne change pas de facon de » penser et d'agu, il est vraisemblable qu'elle „aura- le même sort. Au reste ces deux „personnages sont des gens pieins de re„ligion, ils ne manquent jamais une pro„cession, adressent des voeux au ciel et „1'implorent pour la victoire; en faveur „duquel crois- tu qu'il devroit se déclarei? Faust regarda Léviathan d'un air féroce et laissa sa malicieuse demande sans réponse; mais le diable qui vouloit se vengei de sa jactance sur la prétendue valeur moiale de 1'homme, n'oublia pas de faire encore quelques plaisanteries aroères sur les amours du Général de Sa Sainteté, sur la bassesse de 1'homrae, auxquelles Faust,  ) 3i5 ( qni 1'arrêta justement sur la plus méchante, trouva encore moins a répondre. JCU La vue de Piome et de ses ruines majestueuses sur lesquelles sembloit encore planer Ie puissant génie des anciens Romains, étonna Faust, et comme il connoissoit assez bien 1'histoire de ce peuple vain^ queur, le souvenir de ses faits héroiques et ce qu'il avoit devant les yeux éléva son ame; mais les babitans modernes de cette ancienne reine du monde produisirent sur lui un effet et des semiments bien différents, lis se donnèrent, de 1'avis du diable, pour des gentilhommes allemands que la curiosité de voir la magnificence et les monuments si vantés de cette ville avoit attirés en Italië ; leur train, leur suite et leur déper.se les firent prendie pour toute autre cb ïse. Abbés, moines, matrones, entremeileurs et lays, charlatans et pantalons vinrent k 1' envi leur offrir leur services, lorsque le bvtrit de leur arrivée retentissbit dans toutes les tribus de ceux qui ont  ) 5x6 { embrassé la comrnode profession de vivre des crimes et des sottises des hommes. Ils leur proposèrent leurs soeurs, leurs filles, femmes et parentes, vantèrent leurs charmes et leurs attraits avec une si vive éloquence que Faust, assiégé de tous cotés, ne savoit auquel entendre. Comme ils accompagnoient leurs offres de bouffoneries et de pasquinades et qu'ils y joignoient les peintures les plus lascives de la volupté aux maximes les plus sévères de la religion, Faust se crut autorisé a. croire: que ce peuple ne se servoit de la religion que pour appaiser et tranquilliser, par elle, dans leurs inJ amies et horreurs, le cri de la nature humaine intérieurement revolte'e. Le lendemain de leur arrivée ils furent invités a diner chez le Cardinal César Borgia, un des nombreux batards du Pape; II les recut et les traita de la manière la plus distinguée, et se chargea de les présenter a Sa Sainteté. Ils se rendirent a cheval, accompagnés d'une suite nombreuse et biillante, au Vatican, et le diable baisa avec Faust Ja mule du Pape, Ce dernier s'acquitta ds cet acte de dévotion avec la  ) 3<7 ( foi d'un bon catholique cbrétien qui regarde Sa Sainteté pour ce qu'EUe se donne, et le diable disoit en lui - même: Si Alfxandre savoit qui je suis, je le verrois peutêtre a mes pieds. Les cérémonies d'usage étant linies, le Pape les fit engager a se rendre dans ses petits appartements, oü illeur paria plus librement. La ils firent connoissance avec ses autres batards, avec la célèbre Lucrèce, avec Francois Borgia, Duc de Candide. Le Pape trouva la société du beau et bien tourné diable Léviatlian si fort k son goüt, que, dés la première entrevue, il lui témoigna une affection particulière qui, comme nous le verrons, alla jusqu'a la plus c'troite intimité. Faust s' atiar.ha au Cardinal Borgia qui lui fit un tableau si lascif des jouissances et des plaisirs de Piome, qu'il ne savoit pas s'il étoit au Vatican ou dans le temple du plaisir et de 1' amour. II lui fit faire en même tems une connoissance plus étroite avec sa soeur Lucrèce, épouse actuelle d'Alphonse d'Arragon. La volupté étoit peinte dans les yeux et dans les gestes de cette Syrène sous les cou-  ) 3.8 ( Jëurs-les plus attrayantes, elle maitrisa tel-» lement tous les sens de Faust, qu'il étoit devant elle comme encbanté, et se sentit au premier coup d'oeil, brulé du désir impatiënt de recevoir la coupe du plaisir de la main de celle qui la lui présentoit si remplie et d'une manière si engageante. 1 L Faust et le diable iurent en peu de jours sur le pied de 1'intimité avec la familie du Pape. Ils furent invités un sois a se rendre au Vatican pour y jouir d'un spectacle qui étonna beaucoup plus Faust que tout ce qu'il avoit encore vu k la cour de Sa Sainteté. On représenta la Mandra^ gola. L'honnête Macliiavel avoit composé cette piece licencieuse et satyriqne, pour exposer aux yeux de la cour de Rome un tableau frappant des moeurs infames du Clergé, pour lui prouver que ce dernier seul étoit la source de la perte et de la corruption des Laics. II se trompa dans son noble dessein, comme cela lui arnva plus tard, lorsqu'il découvrit dans son  ) 3t9 ( prince les horreurs de la tyrannie du monde. Les tyrans et leurs soutiens, les moines, diffamèrent comme panisans et proneurs de la tyrannie celui qui en étoit plus gu'aócun mortel 1'ennemi juré, et qui che choit par sort ouvrage k lui porter un coup mortel. Le peuple aveuglé eut la foiblesse et la sottise d'en croire a ceux qui vouloient Pinduire en erreur, et ne vit dans celui qui avoit 1'intention de le ramener a la santé et k la saine raison, qu' un charlatan et un empoisonnenr. II en fut de même k la cour: la Mandragola fut applaudie, amusa plusieurs soirées toute la sainte cour, rl p<;rso:ir.r, lr di.ible et Faust exceptés, Re ï' inarqua qu»; la Satyre de Machiavel, p;ir lfs appLuidi-iSements du Pape et de tout Je CI' i;H:, n>n devenoit que plus veMmtttfett PÉDtt «nttmdit Ie Pape> les Cardin.inx , lis nonncs «?t les dames, applaudir tt lotier cerlaint-s chosps que, d'après son OptaiODj lei empereurs romains les |>lB'ave et honnête Miehelotto j cinq „années se sont déja écoulées depuis 1'avé„nement de mon père au saint siége, et je „ne suis pas encore ce que je pourrois »être, si nous eussions agi avec moins de „délicatesse et plus de prévoyance. II m'a „fait Archevêque et enfin je suis devenu „ Cardinal; mais qu'est - ce que c' est que »cela pour un esprit qui brüle du désir do „se distinguer et qui aspire a la gloire? t> A peine mes revenus suffisent - ils au nécessaire, et je suis dans 1'impossibilité de „récompenser selon le voeu de mon coeur, » des amis qui me rendent d'essentiels ser» vices^ N'en - es - tu pas, Miehelotto, nné X st  ) 5a4 ( „preuve frappante? Dis, ai - je pu m'ae» quitter en quelque chose de ce que tes „ importants ont droit d' exiger de moi ? „ Languirons - nous toujours dans une hon„teuse inaction, et attendrons - nous que »la fortune ou le hazard veuiilent faire „quelque chose pour ceux qui n'osent „rien entreprendre? Crois - tu que la vie „monotone que je mene au consistoire et „a 1'église, soit faite pour un esprit comme „le mien?" Suis - je né pour ces cérémo„nies sottes et superstitieuses ? Si la na„ture, je ne sais pourquoi, n'avoit pas eu „le sot caprice de faire naitre mon frère „avant moi, toutes ces places, tous ces hon» neurs par lesquels on peut seulement exé„cuter de grands projets, ne me seroient«ils pas tombés en partage? Serois - tu en„core, brave Miehelotto, ce que tu es? „ Mon frere sait - il profiter des avantages „ que le Pape et 1' aveugle fortune lui of„frent? Que j'occupe sa place, et mon „nom retentira bientót dans toute 1'Euro„pe! La nature m'a marquée au coin du „héros, et lui au coin de la sottise et du „bonze. Ainsi il nous faut chercher a ré-  ) 3*5 • ( «parer la négligence du sort, si nous « voulons remplir notre déstination. Re»garde nous tous deux! Qui peut dire «que nous sommes du même père? Et « qu'importe qu'd soit mon frère? Quicon«que veut s'éléver au dessus des autres, «doit fouler aux pieds tous les obstacles «qui pouiïoient Parrêter, et oublier la ten-, «dresse et la parente, ces foibles Hens de «la nature; et s'il est homme» il n'hésitera »pas de tremper ses mains dans le sang «de ceux dont Pexistence pourroit être un „ obsiacle a ses nobles vues. C' est ainsi «que firent tous les grands hommes, c'est «ainsi que fit le fondateur de 1'immortelle «Rome. Pour que Rome par.lnt au point »de grandeur oïi son génie vouloit la por«ter, son frère dut succomber; pour que «César Borgia atteigne le faite des gran„deurs et passé a 1'immortalité, son frère «doit périr, Par moi, Rome doit redeve«nir le siége d'un roi puissant, mon père »servir d'instrnment a ma grandeur et voir «briser sous son pontificat la chaire de «Pierre, que la fourberie a sanciifiée; je «délivrerai ce peuple du joug honteux et  ) 3a6 C » insolent des prêtres, et j'en ferai de nou-, „veau des hommes et des héros. Périsse „ celui qui s' opposerait a notre élévation, » ou qui nous empêcheroit de pouvoir mon»trer au monde ce que nous sommes. Quoi» qu'il me seroit facile, dans 1'obscurilé et »a la faveur de la nuit, de Passassiner tout »de suite, sans donner lieu a aucun soup«con contre moi, je te réserve cette action, » afin que tu ayes encore plus de droit a «partager avec moi ina grandeur et ma for»tune futures. Je me rendrai demain a «Naples, pour assister, en qualitè de Lé»gat, au couronnement du roi. Vanosa, »ma mère, qui, entre nous, est lasse de «voir son entreprenant César Cardinal, et „ qui de bonne heure découvrit en moi le «héros, et enflamme toujours mon imagi« nation du désir de faire parler de moi, » donne, ce soir, a quelques amis, a mon «frère et a moi, un grand souper. — Mon «frère se rendra tard dans la nuit chez une » concubine que nous entretenons tous deux, »et je connoitrois mal Miehelotto, s'il de« voit retrouver le chemin de son palais. Je » m'appelle César, et veux être tout, ourien."  5 OZJ C Miehelotto prit la main du Cardinal, le remercia de sa confiance, 1'assura de sa fidelité et de son attachement, et s'éloigna pour préparer quelques uns de ses compagnons a 1' assassinat. Faust et le diable furent aussi engagés a ce souper. La gaieté règnoit parrai les convives. Francois accabloit son frère de tendresse, sans e'branler sa résolution. Au sortir de table, César prit congé de sa roète, pour se rendre chez lePape et prendre ses dernières ordres; son frère s'offrit de 1' accompagner un bout de chemin, pour jouir du plaisir de sa societé quelques momens de plus. Faust et le diable les suivirent. Francois se sépara bientót du Cardinal, après lui avoir dit oü il se rendoit. Le Cardinal lui souhaita en riant beaucoup de plaisir, Pembrassa et prit congé de lui. II se rendit bien vite au Vatican, termina ses affaires, alla trouver les assassins au rendez - vous donné et distribua ses ordres. Faust étoit monté ches la soeur -d'un principe, et le diable qui vayoit 1'horrible drame s'approcher du dér nouement, fit ensorte que Faust et lui se  ) 328 ( trouvassent sur les bords du Tibre dans 1'instant oü Miehelotto feroit jetter dans le fleuve le cadavre du Duc assassiné. Faust vouloit se jetter sur les scélérats, le diable 1'en empécha et lui dit: «Ne t'approche pas, tiens toi bien tranwquille, qu'aucun de ces gens ne te de'«couvre, ils fourinillent dans Rome, et »dans le Vatican, même a mes cötés ta »vie n'est pas en süreté, s'ils s'appercoi» vent que tu les remarques. L' assassiné, «qu'ils jettent a 1'eau, est Francois Bor«gia, son assascm est son frère, et ce que «tu vois maintenant, n'est que le prélude «d'actions qui étonneront et ferout même «trembler les enfers.« II lui découvrit ensuite tout ce noir complot, et lui répéta le discours du Cardinal a Miehelotto. Faust répondit plus froidement, que le diable n'auroit cru: «Ainsi leurs forfaits m'étonnent moins » que 1'enfer; que peut - on attendre autre «chose d'une familie oü Ie père et les «frères vivent incestueusement avec la fille «et la soeur? Le Pape se nomme le Vi^ »caire de dieu, les hommes le reconnoissent  ) 3a9 ( «pour tel, et celui cjui 1'a placé dans ce «poste, paroit satisfait de son régime; que «doit dire a cela Faust de qui l'église exi-> «ge qu"il 1'adore; mais, diable, malheur k » celui qui viendra encore me dire du bien, i> des hommes, je tomberai sur lui avec la «férocité d'un animal enragé. Allons nous »coucher ; tu as raison, le diable en com„paraison avec un de nous, et suitout «lorsque nous sommes en habits sacerdo«taux, n'est qu'un tres - petit garcon, une «espéce de saint, O, que ne suis - je nó «sous le climat fortuné de 1'heureuse Ara„bie, un palmier pour toit et la nature „ pour dieu!« Le bruit de 1'assassinat du Duc de Candia se répandit bientöt dans Rome et dans toute 1'Italie. Le Pape en fut si fort affli« gé, qu'il se livra au plus affreux désespoir, et resta trois jours sans boire ni manger. Au bout de neuf jours on trouva son corps dans le Tibre, et Sa Sainteté donna les ordres les plus rigoureux pour parvenir a Ja connoissance des auteurs de ce meurtre, Sa fille, qui se doutoit d'oü venoit le coup  ) 55o ( donna avis k sa mère Vanosa de la sévère résohnion du Pape, et celle-ci, dans la nuit, se rendit air Vatican. Le diable qui, en qualité de favori, étoit reste seul auprès de Sa Sainteté pendant le fort de son affücüon, s' éloigna k 1' arrivée de Vanosa, alïa trouver f aust qui consoloit la belle Lucrèce, et le condnisit auprès de la porte pour qu'il entendit le diaiogue suivant: „Un fratricide, un Cardinal! et vous, „mère de tous deux, m'annoncez cette ef„froyable nouvelle avec autant de sang „froid que vous viendriez me dire que »> César a empoisonné un des Colonnes ou «des Orsinis. Le meurtre de son frère le „perd de réputation et il a sappé, jusqu'« aux fondements , le monument de gran«deur que je voulois faire éléver par ma i> familie; mais le téméraire n'échappera „ni a ma vengeance, ni au juste et rigou»reux chatiment qu'il mérite. « Vanosa. Rodrigue Borgia, Vous avez partagé la couche de ma mère, je vous ai prodigué mes faveurs, vous deshonorez rnaintenant ma fille et la votre, fruit de VQtre inceste) Et qui pourroit compter tous  ) 55i ( ceux que vous avez fait secrètement assas* siner et empoisonner? Vous n' en étes pas moins Pape, Roine tremble devant vous, tout le Cbristianisme vous adore. Voyez, tout dépend de la position oü 1'on se trouve, quand on comraet des crimes, Je suis mère de tous deux, Rodrigue, et je savois que César devpit assassiner Francois. Le Pape, Ah, Pinfame! Vanosa. Si je le suis, je ne le suis devenue qu'a votre école. Le timoré iet v doux Francois devoit faire place a 1'audacieux et entreprenant César, afin que ce dernier remplit les brdlantes espérances dont vous vous flattiez et que vous me confiates, lorsque vous parvintes au saint siége. Francois n'étoit né que pour être moine, mon César pour briller a la tête des héros: o, dès son plus bas Age, je prévis ses destinées futures. Seul, il est capable d'anéantir tous les petits et grands tyrans d'Italie et de s'acquérir une couronne. II faut qu'il soit fait Gonfalonier du saint siége et qu'il fasse des Borgia les souverains de l'Italie, N'est-j$e pas la votre voeu le  ) 33a ( plus ardent? N'auriez - vous donc assassiné et empoisonné que pour Francois? Tous ces crimes nous seroient - ils de quelque utilité, si César restoit Cardinal, et que le consciencieuxi dut un jour defendre vos forfaits? Je n'ai d'autre protection et d'autre soutien que lui, lorsque vous ne serez plus; il eslimoit sa mère, pendant que 1'autre insensible me négligeoit et n'étoit assidu et caressant qu'auprès de son père dont il attendoit son élévation. César sent qu'nne femme , comme moi, qui ai pu engendrer un héros, saura aussi lui montrer le chemin de 1'immortalité. Reprenez votre séiénité ordinaire, Rodrigue, oubliez que Francois fut votre fils, et sachez que la main du meurtrier de votre bien-aimé, conduite par un esprit si audacieux, n'épargneroit pas même le père, s'il hazardoit de léver le voile qui cache cette acüon nécessaire. Le Pape. La solidité de tes raisonnemens, Vanosa, me rend k moi - même et ton éloquence m'éléve l'ame, en même tems qu'elle me fait fiissonner. Francois n'est plus, et César vit; qu'il vive, qu'il soit le  )' 353 ( prémier-né, qu'il s'éléve, puisque lê des* tin le veut ainsi. — II sonna. fit servir. et reprit sa bonne humeur. Faust. Diable, délivre la terre de ce monstre; ou tu ressentiras la colère que m'inspire son existence. Le Diable. Parles - tu de nouveau d'une manière aussi insensée. te serviras - tu toujours du langage des fils de la poussière? Oublies - tu qui est cet homme, qui il représente ici bas? Qui je suis? Ce que je puis et ce que j'ose faire? Faust. Ton devoir est de m'obéir! Le Diable. Va calmer ta fureur dans les bras de sa fille et de sa concubine ; réjouïs - toi d'être si prés parent avec celui qui lie et qui delie; Ia parenté te sera peutêtre utile au jour oü il faudra rendre compte. -4. Francois fut oublié, et le Pape ne songea plus qu'a ouvrir a 1'esprit audacieux de César un champ plus vaste pour y mettre en exercice ses dangereux talents. Celuici, en attendant, couronnoit le roi de Na-  ) 334 ( pies, avec des mains encóre fumantes du sang fraternel, et Fréderic de Naples eri tira de tristes conjectures, dans lesquelles il ne se trompa point. Le diable eut soin que rien de tont ceci n'échappat a Faust, qui- regardolt avec un ris malicieüx tous les Cardinaux, les Ambassadeurs d'Espagne et de Venise, aller au devant du fratricide, qu'ils reconnoissent pour tel, jusqu'a la porte de la ville, óü il fut recu par un grand consistorie, conduit ensuite en triompbe a l'aü> dience du Pape qui l'accuéillit avec beaucoup de téndresse. Vanosa mit bas le deuil, et célébra son retour par une fête oü parurent tous le* grands de Rome. Bientöt après César jetta 1'énnuyéux froc aux orties, convertit le chapeau dé Cardinal en une épée, et fut sacré, avec toute la pompe pèssible, Gonfalonier du saint siège. Le diable voyoit avec grand plaisir Faust se livrer a tous les excès possibles pour pouvoir oublier un instant les maux dont son coeur étoit déchire, 'II remarqua  ) 535 ( combien chaque horrible scène dont il étoit témoin aigrissoit son ame, et que son esprit aveuglé se convainqnoit de plus en plus que tout ce qu'il voyoit et entendoit avoit sa cause dans la nature de 1'homme, et qu'on avoit aussi peu lieu de s'en étonner, que de voir Ie loüp ravisseur, déchirer tout sans compassion pour assouvir sa faim dévoi ante. Le diable appuyoit enco< e cela de sophismes que de philosophes modernes ont réduits en systême, vuidoit les trésois de Ia terre, prodiguoit perles et pierredes, et Faust, deshonorant les femmes et les filles de Rome, détruisoit 1'harmonie et le bonheur de mille families, et croyoit ne pouvoir assez dépraver et abatardir 1'espèce humaine qui, selcn lui, n' étoit consacrée qu'au malheur et a la destruction. L'instruction de Lucrèce avoit depuis longtems empoisonné ses sens, et la volupté tellement anéanti ce qui lui restoit de bon, pour faire place a la haine et au mépris, seuls sentiments qui, a ce que 1' assuroit le diable, distinguent 1' homme d'esprit de 1'imbécille. Tous les liens de la douce humanité se rétrécirent dans son coeur, et  ) 556 ( il crut ne découvrir dans la céleste providence que la main d'un despote, qui s'inquiétant peu des parties isolées, ne veilloit que sur la marche et la conservaüon dü tout. U se représentoit le monde comme une mer orageuse, sur laquelle le genre humain jetté, n'étoit destiné qu'a être le jouet du vent qui pousse 1'un sur un rocher oit il se brise, et conduit 1'autre beureusement au port, et oü 1'infortuné r.aufragé est encore responsable de n'avoir pas mieux conduit le trop foible gouvernail qu'on lui a donné, et que chaque vague écumante rompt en mille morceaux. 15* Alcxandre avoit ordonné a son grandveneur de faire tous les préparatifs pour une partie de chasse a Ostia. II fut^accompagné d'un nombreux eortège de Cardinaux, d-Évèques, de Dames et de Nonnes; ces dernières avoient été tórées de leurs couvents pour certaines raisons et pour rendre la partie plus brillante. Le diable étoit continuellement aux cutés dü. Pape,  ) 337 ( Pape, et Faust étoit inséparable de la belle Lucrèce. Cbacun, a Ostia, s'abandonna a 1'instinct de sa nature animale, et 1'on commit, en peu de jours, des excès et des horreurs oü les Tibère et les Néron auroient encore pu apprendre quelque chose. C'est alors que Faust eut une belle occasion d'examiner 1'homme, selon 1' expression du diable, dans son horrible nudité; mais qu'étoient toutes ces scènes de la plus dégoutante bestialité, en comparaison des plans que le Pape , pour se remettre des fatigues du plaisir, concut avec ses batards, en présence de Faust et du diable? II fut résolu qu'on assassineroit Alphonse d'Arragon, époux de Lucrèce, pour donner au roi de France une preuve de la bonne disposition dans laquelle on e'toit de rompre entièrement avec celui de Naples, et de faciliter k ce prémier la conquête de la couronne de Sicile. Louis douze, par 1'entremise d' Alexandre avoit déja pénétré en Italië, et les Borgia par Ik voyoient leur plan favorisé et prêt de réussir. Lucrèce remit k son frère cet horrible attentat, et se regardoit déja comme veuve. Ensuite y  } 338 ( on arïêta le plan, de s'emparer de toutes villes, chateaux et seigneuiïes des grands d'Italië, d'assassiner tous les possesseurs avec leur familie entière, afin qu'il ne restiit personne qui put y faire quelque prétention, et qui les inquietat a 1'avenir par des conspirations. Pour entretenir rarmée, Alexandre et César dicièrent a Lucrèce une liste des riches Cardinaux et Prélats, que 1'on vouloit empoisonner peu a peu, póur, en vertu du droit du saint siége, hériter de leurs biens. Au sortir du conseil extraordinaire on se rendit dans le salon, puis on se mit a table. Le Pape étoit si content de ses projets et de leur prochain accomplissement qu'il se livra a tous les excès de son imagination, et fit du souper une orgie; il n'oublia cependant pns, au milieu de ces bacibanalcs, 1'intéiêt de 1'état; dans la chaleur du vin il demanda a tous les assistans: comment il devoit s'y prendre pour augmenter les revenus du saint siége, afin de pouvoir entretenir la grande armée pendant quelques campagnes. Apiés différens projets mis en avant, Ferare de  ) 339 ( Modène, Èvêqre de Patria, qu'Alexandre avoit choisi pour ministre et par lequel il faisoit vendre les charges de Péglise au plus öffiant, proposa, de próner des indulgences par toute 1'Europe, sous prétexte d'une g'ierre contre les infideles, et,, en bon financier papal, il ajouta: «que la sotte «crédulité des hommes de racbeier lenrs «péchés par de 1'or, étoit la source la plus »sure des richesses du Pape. Lucrèce, qui étoit sur les genoux de son père et jouoit avec les blonds cheveux de Haust, dit en soüriant: «le róle des in»duigences renferme des péchés si cora»muns, si hors de mode et si sots qu' il »n'y a que peu de chose a gagner. On »,ne 1'a fait que dans un siècle ignorant et «barbare, et il est a présent tems de créer »uri nouveau tarif de péchés, dont Piome «même fournira les meilleurs articles.« La société, enflammée par le vin et la volupté, se réjouit de 1' heureuse idee? le Pape somma chacun de proposer de nouveaux péchés, de taxer, et de choisir ceux qui ont le plus de cours, qui par consé; quent rapportent le plus. Y a  ) 34ö ( Borgia. Saint Père, rapportpz vous eti sur ce point aux Cardinaux et aux Prélats, il s'y connoissent Je mieux. Férare de Modène, Evêque de Patria, fit les fonctions de secrétaire. Un Cardinal. EJibien, je vais commencer a ouvrir la source des richesses. Ecris, Férare, je vais donner lel'a mi 1'a les autres sauront s'accorder. Absolution pour chaque pêché charnel comrnis par nn prêtre: qu'il le commette avec qu'il voudra, avec une nonne, Jtors ou dans 1'intérieur du couvent, avec ses parentes ou avec sa fille. Avec dispense, il pourra gérer toutes les charges de 1'église et obtenir de riouveaux be'néfices, s" il paye a la trésorerie du Pape neuf florins d'or. Le Pape. Bon! Bon! Ecris neuf florins d'or, Evêque, et vous autres buvez 'une absolution a la santé des prêtres qui les payent. Chacun remplit son verre, et on cria chorus: Absolution! Dispense! Le Pape. Je vois bien qu'il faut que je donne du courage aux autres. Ils sont dans ce moment plus attentifs aux nonnes,  ) 34i ( qu'a mon intérêt. Evêque Férare, écris, pour la fine sodomie douze Horins d'or, pour la grossière quinze, qu'il soit iaïc ou prêire. Avec ce seul article, j'espère entretenir ma cavalerie, et je prévois qu'une grande partie de sa solde me reviendra. ChoriiS. Absolution! Dispense aux fins et grossiers sodomites! Notme. Hé, qu'est-ce que cela? Personne ne se veut - il charger de nous? Saint Père, seules, n'aurions-nous pas de droits a votre bonté paternelle? De grace faites nous taxer, que nous puissions aussi pécher en repos. ALexandre. C'est juste, ma fille, et vous ne serez pas plus maltraitées que les prêtres. Je vais te donner a 1'instant une preuve de ma tendresse papale et de ma bienveillance pour vous. Ecris , Evêque ! Absolution a chaque nonne qui aura des intrigues charnelles; que ce soit avec qui elle voudra, avec son frère, ses parents ou son confesseur, hors ou dans 1'intérieur du couvent, avec dispense: elle participera k toutes les dignités du cloitre, neuf florins d' or. Es - tu contente ?  ) 3/43 ( La norme lui baisa la main. Chorus. Absolution ! Dispense ! Un Evêque. Maintenant.' Absolution efe dispense a tout prêtre qui entietiendrapubliquement une concubine cinq florins d'or. Lucrèce. O, les communes et ennuyeuses gens ! Voila du nouveau! Absolution a tout chrétien qui couchera avec sa mère, sa soeur ou toute autre parente, quinze florins d' or. Chorus. Absolution! Dispense ! Faust, que toute cette scène avoit horriblement contrarié a cause du diable; mais qui vouloit cependant pousser une riposte a Borgia, écria d'une voix de tonr nerre: Absolution a -tout parricide et fratricide, trois florins d' or. « Le Pape. Ho, ho, mon cher. Vous n'y pensez pas, en taxant le meurtre plus bas que le concubinage; car le dernier met les homra \s dans (.ernonde, et le premier les envoye dans 1'autre. César Borgia Saint père, il ne veut pas par un trop haut prix efftayer du pêché du meurtre.  ) 343 ( Le Bidblt. Attention, Messieurs! JS dis que les pauvres sont inhabiles a jouir des dites absolutions et dispenses, qu'ils sont indignes de la douce consolation de 1'église et damnés sans ressource. Est - ce bien, comme cela? Chorus, avec des klats de rire. Oui, soit damné tout ce qui n'a point d'or! Que les pauvres descendent aux enfers sans consolation de 1'église. César Borgia. Je vais ouvrir une source encore plus abondante. Quiconque se rendra coupable de vol, et même de sacrilège, son ame sera dégagée, s'il en donne les trois qnarts a la trésorerie papale! Chorus. Absolution aux sacrilèges et k tous voleurs, s'ih partagent le vol avec le saint siége. Le Pape. Tu as ouvert une riche source, César! Ecris, Evêque! Cela va a merveille' Faust. Messieurs! Absolution a tout rnagicien, a celui qui fera une alliance avec le diable. Combien taxes - vous le cas? Le Pape. Mon fils, avec cela tu n'enricbiras pas la chaire de saint Pierre, Le  ) 344 ( diable n'entend pas son intérét, c' est en vain qu'on 1'appelle. Faust. Saint Père, n'en parlez pas, car ilpourroit bien venjr, et taxez toujours. Le Pape. Pour Ia rareté, cent florins d'or. Faust. Les voici, en cas que cela me réussisse, expédiez moi une absolution et chantez chorus. Chorus. Absolution a celui qui fera une alliance avec le diable. L'Evêque Férare écrivit. Une autre Nanne. Monseigneur 1'Évê, que, comme vous étes maintenant occupé i écrire des absolutions pour 1' exorcisme, expédiez moi un acte, vous savez bien pourquoi; voici mon chapelet, il vaut, par sainte Magdelaine, quinze florins d'or, et il me reviendra encore une demie absolution. Férare écrivit et le Pape signa. Le Diable. Votre Sainteté croit - elle que le diable fera cas de ce torchon ds papier ? Le grand inquisiteur retira tout k coup sa, main du sein d'une Abbesse, se léva furieux et dit en bégayant.  ) 345 ( «Que — qu'est - ce que c'est? Je sens «1'hérésie! Qui est 1'athée qui a term ce «propos téméraire?« Le Pape appuya tout doucement son index sur la bouche du diable et lui dit : «Cavalier, ce sont des secrets d'état; gar«dez-vous d'y touciier, car, pour la conser«vation et 1'existcnce du saint siège je ne «pourrois raéme vous sauver.» Pour faire la cour au Pape et pour se tranquilliser Ja conscience, tous les assistans ouvrirent leur bourse. Férare appella encore quelques c'crivains; on leur expédfa des absulutions, chacun prit et emmena avec soi chacune, pour passer le reste de la nuit plus agréablement. Jamais péchés ne furent comrriis d'un coeur plus tranquille. Férare de Modène mit. le lendemam matin, ce tarif au net,' 1'envoya a la presse, et le fit circuler secréteraent dans toute la clirétienté. 16, César Borgia n' oublia pas la parole qu'il avoit donnce a sa soeur. AJphonse d'Arragon fut assassiné sur le seuil du pa-  ) 346 ( lais du Gonfalonier a 1'instant oü il voulou se rendre chez lui, pour assister a une Masquerade a laquelle étoient invités tous les grands de Rome pour voir la représentation des victoires du grand César que Bov.oia feroit exécuter comme présage et embléme des siennes. Peu de tems après, il se mit en maiche evec son armée, et au bout de quelques mois, le diable vols* da-.s la pocbe du Pape la lettre ci • dessous, qu'il donna a lire a Faust. Saint Phe! Je baise les pieds de Votre Sainteté. La victoire et la 1'ortune ont suivi mes pas, et je les traine enchainées a mon char: J'espère que César est maintenant digna de son nom, car je puis aussi dire: Veni, vidi, via- Le duc d'ürbin est tombé dans le piège que je lui ai tendu. En vertu du bref de Votre Sainteté, je lui demandai son artillerie, pour combattre vos en, nemis. Ëbloui par tous les témoignages d'amitié et d' affection par lesquels nous flattames son amour propre, il m'envoya un gentil.homme,. porteur de son consente*  ) 3'l7 ( ment par écrit. Sous ce prétexte j'envoyai quelques milles hommes a Urbin, qui, par mon ordre, s'emparèrent de cette ville et de tout le duché. Sur Ie bruit de 1' arrivée de cette petite armee, il s'est malheur reusement enfui; mais je me suis vengé de sa fuite sur la puissante et dangereuse fa? mille Montefeltro, tl j'ai fait anéantir toute la race. EvsuitelSitellozzo, trompé, se jo gnit a moi, arprès de Camerino. Je trompai César di Vavono, en lui promettant des conditions honnètes s'ü vouloit évacuer Camerino, et j'attaquai la ville dans 1'instant oü il étoit occupé a mettre par écrit les articles de la reddition. J'espévois d'exterminer toute la familie d'un seul coup, mais, malheureusement, le père a trouvé moyen de m'échapper. Je fis étrangler ses deux fils, et je crois pouvoir me flatter que le malheur et le désespoir enverront bientót ce vieillard rejoindre ses enfants. Je me retirai de Camerino, et j' envoyai Paul Orsina, Vitdlozzo et Oljverotto, avec leurs trouppes aSinigaglia avec ordre de la prendre d'assaut d'aprés un plan que je leur donnai, pour qu'ils creusassent de leurs pro-  ) 548 ( pres mains leur tombeau futur. Voyant tous nos ennemis dans nos adroits filets, j'envoyai en avant mon fidéle Miehelotto avec tous ses collegues cn leur signifiant, a chacun au premier signal que je leur donnerois, de s'emparer dun de nos ennemis. Je me mis en marche; trompés, ils vinrent a ma rencontre, pour me témoigner leur respect, et laissèrent, ièlon mes désirs, leurs trouppes derrière eux. Je leur prodiguai des caresses et les conduisis dans la ville, et au moment oü mes trouppes tombèrent sur leurs gens débandés, Miehelotto et consors s'emparèrent chacun de son homme. Je me s.üs ainsi rendu maitre des pays et des chateaux forts de peux que nous avons trompés par 1'espérance de faire des conquêtes sur leurs ennemis. La nuit suivante je les fis égorger en prison. Miehelotto, que j'avois chargé de. cette commission, m'a raconté en riant a gorge déployée: que Vitellozzo, paur toute grdce, avoit demandê qu on attendü pour le faire mourir, jusqu'a ce qu'il ait pu re~ cevoir de Votre Sainteté l absolution de sis peches. Que 1'on vienne encore me dire  ) 549 ( qu'il faut beaucoup d'art pour se rendrè maitre des hommes. Aussitót que Votre Sainteté aura expédié les Orsinis et les autres, j'enveTrai Fagola, le Duc de Gravhia et le reste les réjoindre également sans absolution. J'espère que d'après ce rapport, Votre Sainteté se convaincra que je suis digne de la couronne que mon courage et mon esprit savent m'acquérir. Auparar vant j'avois fait prisonnier F&enza avec son cher Astor, enfant de dix ans, plus beau que Cupidon. Il vivra aussi longtems qu'il pourra servir a mes plaisirs ; en vérité jamais vainqueur ne fit butin d'un plus charmant Ganyrnède, et si le paillard Jupiter règnoit encore, j'aurois a craindre un rival dangereux et puissant. Si Caraccioli, général des Vénitiens, dont j'ai fait enlever la superbe femme dans son voyage et qui contribue avec Astor k mes délassements, s'avisoit de venir k Rome, recommandez le au frère de mon Miehelotto. J'entends dire qu'il criaille beaucoup, et comme c'est une tête chaude, il faut prévenir a tems sa. vengeance. Les Vénitiens entendent trop bien leur intérêt pour. a cause de lui, se.  ) 55o ( brouiller avec nous. Le cliquetis des armes ne m'a point fait oub.ier les affaires de ma soeur. Le ministre du fils ainé da Duc d'Est est en chemin pour conclure, en son nora, le mariage, et fespère encore y assisser. Nous sommes maintenant debarrassés des Colonne, des Orsinis, Sakiaüs, Vitellozzo et de tous nos plus dangereux ennemis. Exterminons encore les maisóns d'Est et de Médicis, que Louis douze, comme ses préde'cesseurs, vienne se frotter en Italië, noris verrons qui hazardera en«uiie et les hommes se sont - ils rendus aussi „ peu dignes de ta vengeance, que de tes „soins paternels?» Le diable se moqua de ce beau discours et conduisit 1' orateur enllammé au Vatican oü ils trouvérent le Pape qui se livróit a toute la joie que lui causoit le bonheur de ses armes. II avoit déja donné ses ordres pour attirer dans le pièga le reste des Orsini, Alviano, Santa - Croce les autres Cardinaux et Archevêques, et en attendoit 1' issue avec impatience» Tous les Romains eourureut pour le féliciter, Ceux qui étoient dc-signés furent ar. èlés dans le Vatican, conduits dans diderentes  ) 35a ( prisons et exécutés la nuit au flambeaii. pendant que les gardes du Pape pilloient leurs palais. Le Cardinal Orsini, seul, fut mené au chateau saint ange, et on lui permit les premiers jours de se faire apporter a manger de la cuisine de sa mère, mais le Pape ayant entendu dire que, depuis sa détention, il avoit acheté des vignes pour une somme de deux mille écus, et qu'il possédoit une perle extrêmement précieuse a cause de sa grosseur extraordinaire, il lui retira cette faveur. La mère de ces Orsini autrefois célèbres et florissnns, s'liabilla en homme, porta au Pape les deux mille écus et la perle^ il prit 1'un et 1'autre de Ja main droite, et, de la gauche donna le signal de 1'exécution du Cardinal. Ce dernier trait mit tellement Faust hors de lui - même, que le diable ent besoin de toute sa rhétorique, pour le ramener a la raison. II ne demandoit de lui rien moins que de de'truire en entier le Vatican, d'écraser tous les Borgias entre ses ruines tombantes, et de venger 1'humanité de ces •monstres, Le  ) 355 ( Le diable répondit: Faust, je voulus, mais je ne pus pas. Faust. Ha, comment? Le Diable. Te ressouviens - tu du danger que courut Alexandre, il y a peu. Faust. Je m'en ressouviens, car j'enrageai contre le hazard sauveur, qui ren-, dit inntile le sort vengeur. Le Diable. Hazard! Hazard sauveur! Sort vengeur! Qu'entends-tu par ces vains mots sonores ? Et quelle espèce de phdosophe es - tu, si tu peux leur donner un sens quelconque? O, hommes! O, raison! Non, Faust, je fus ce sort vengeur, pour m'affermir dans tes bonnes graces, car tu te rappelleras de 1'ordre que tu me donnas de 1'exterminer; mais le hazard sauveur vint d'une main, dont, ce n'est qu' en tremblant que je sens encore la puissance. Faust. Imposteur infernal! Attends, je vais t'exorciser. — De quels dangereux pièges entoures - tu maintenant mon coeur éperdu ? Z  ) 354 ( Le Diable. Des piéges? Möi? A toi? Insensë, n'est - ce pas ton pröpre coeur qui te les tencl? Sois fier de ce que ta sagesse et ta sottise söyent ton piopre ouvrage, je ne suis point assez téme'rairé pour me vanter de mon inhuence Ik, oü on en n si peu besoin. Te ressouvient - il de 1'orage effroyable, accompagné de grêle et de tonnerre, qui passa sur Rome? Faust. II rri en ressouvient. Le Dicble. Je me suis élévé jusq1 ati milieu du nuage sulfureux dont sortoient les éclairs, je fondis avec fracas sur le manteaü de cheminée du Vatican, je le réduisis en rnorceaux et fis londre le toit sur le plafond doré de la chainbre dans laquelle étoit le Pape, qui rcfiéchissoit a de nouvelles horreurs, pendant qu'il disoit son bréviaire. Les poutres s' écroulèrent sur sa tête — je croyois qu' elles réduiroient ses os en poussière. Je les vis tout a coup, enchainées par une main puissante et suspendues aux foibles fils des araignées, s'arrèter sur la tête du pécheur. II ne recut pour lecon qu' une blessure légere —  ) 355 ( Je vis ce poids énorme suspendre, retenu par d'imperceptibles fils, Faust, le frisson s'empara de moi, ét je voulois déja fuir la lumière. Faust. O, que ne puls - je, misérable que tu es! pour ton demi - sèrvice, ta relation venimeuse, te chatier comme mon coeur révolté Ié désire. Le Diable. Essaye le! — Je te dis, que 1'ordre des choses exige, qu'il commette encore plus de crimes. La providence, qui veille sur vous, ne 1'a protégé quo pour qu'il devlnt plus hardi a se souiller d'horreurs, et portat la scélératesse a son dernier période; par la il concourt vraisemblablement a remplir les vues cachées qu'éclaircit 1'avenir. Faust. Et ceux qui souffrent par lui? Le Diable. Voila 1'écueil oü cchone ta haute sagesse! C'est 1'hamecon avec lequel votre philosophie prend les hardis scrutateurs, et les tire après soi jusqu'a ce qu'ils éiouffent. Sois tranquille, Faust, tu verras bientót la lumière — et ce Pape la ne Z a  ) 556 ( m'échappera pas. Je vois déja 1'instant do sa chute, comme je pressens le bas bouillonnement du premier désir au pêché — tu y trouveras quelque plaisir, mais si cela peut consoler ceux qui ont souffert par lui — ah! Voila la grande question! Le diable versa de 1'huile dans les Hammes et il lui fut alors facüe de prouver a Faust que ce n'étoit point a lui, mais au ciel a empêcher le mal, et il se conduisit et s'exprima de manière que Faust, guéri, a la vérité, dc sa présomption, retomba dans une erreur encore plus dangereuse; il se convainquit pleinement que 1'homme n'étoit qu'un misérable esclave, et son maitre et créateur un despote cruel, qui ne trouvoit de plaisir dans sa sottise et sa témérité que pour 1'en punir d'autant plus rigoureusement; qui même a dessein avoit mis dans son coeur mille penchants contraires a son bonheur, pour pouvoir satisfaire sa vengeance sur lui. II regardoit les vertueux et les justes comme des fous qui n' étoient destinés qu' a servir de proie et de palure aux méchants; mais  ) 557 (• il étoit harriblement tourmenté par 1'idée, que Léviathan faisoit accroire qu'il avoit sauvé le Papa d'une manière miraculeuse: action que Rome affirma par son témoignage et que Rome ne concut pas. Lorsque Borgia eut appris que le Pape avoit exécuté son projet, il fit assassiner les autres prisonnicrs, ainsi que le jeune Astor, entia triomphant a Rome, et partagea avec Sa Sainteté et les autres batards le butin du pillage des chateaux. Bientot après, les noces de Lucrèce furent célébrées avec toute la pompe asiatique, et les romains contribuèrent a les rendre aussi brillantes que possible. Le jour du mariage toutes les cloches furent en branie, on entendit résonner 1'artillerie du chateau saint ange, il y eut des combats de taureaux, on réprésenta les comédies les plus indécentes et les plus immorales, et le peuple ébahi s'écria devant le Vatican: «vive le Pape Alexandre! Vive Lu-  ) 358 ( » crèce. Duchesse d'Est!« Faust mêla ses cris aux leurs et dit au diable: »eh bien, »quand ces acclamations et les gémissey>ments des assassinés retentissent en même „tems jusqu'aux voutes du ciel, a qui doit „en croire l'Eternel?« Le diable se baissa jusquè terre et garda un profond silence. Four couronner la fin des festivités de la noce, Alexandre et sa fille, pour passer la solrée d'un dimanche, avoient ordonné un spectacle dont les annales des horreurs de 1'humanité n'avoient point encore offert d'exemple. Le Pape étoit assis avec sa fille sur un lit de repos dans un salon bien illuminé; Faust, le diable et les autres personnes adruises a cette fête étoient debout autour d'eux. Tout k coup les portes s'duvrirent, cinquante courtisanes, dans le pur état de nature, et plus belles les unes que les autres, entrèrent et exécutèrent, au son le plus voluptueux des instruments a 5 ent, un ballet que la bienséance nous défend de décrire, quoique ce soit un Pape qm en ait dessiné les figures. Ce ballet hm. Sa Sainteté donna le signal d' un combat  ) 559 ( qu'il nous est encore moins permis de dépeindre, et elle tenoit le prix de la victoire dans ses mains, pour exciter 1' ardeur dej combattans. Les impartiatrx romains proclamèrent enfin Faust vainqueur; Lucrèce le couvrit de baisers et le couronna de roses, et le Pape donna au vigoureux allemand pour prix de la victoire un vase d'or sur lequel Lucrèce avoit fait graver 1'école de la volupté. Faust en fit présent a son ami, Bonneau, le plus liabile entremetteur des moines Vénitiens, che» ,qui le divin Antin le vit longtems après et en lira ses célèbres positions. Cette victoire couta si cber a remporter k Faust que, non seulement, Ü épuisa les dernières forpes de son corps, mais brisa aussi tous les ressorts de son esprit. Le diable, qui ie voyoit parfaitement mur pour son plan, le corobla d'ap plaudissements. m Le Pape, au moment du mariage cU sa fille avoit fait une promotion de Cardinaux, et il cboisit pour cette dignité les  ) 36q ( plus riches prélats. César Borgia, ayant besoin de grosses sommes d'argent pour la campagne prochaine, résalut, dans une fète que son père donnoit a la campagne, d'envoyer quelques uns des élus dans 1'autre monde. Le Pape se rendit en voiture avec sa fille, le diable, Faust, Borgia cl 1'épouse du Vénitien a la campagne. Pour procurer a Lucrèce un nouveau plaisir, il fit amener dans une des cours du chateau cinquante juments qui furent sautées par de vigoureux étalons Napolitains, et ce spectacle réjouit Lucrèce d'une manière toute particuliere. La nouvelle mariée, enllammée par ce spectacle, conduisit Faust dans un boudoir voisin, et trouva bientut que son or et ses pierreries avoient une valeur beaucoup plus durable, que lui. Borgia alla avec la Vénitienne dans une autre chambre, et le Pape resta seul avec le diable. La figure de Léviathan avoit déja depuis longtems produit sur lui un effet singulier, et, animé par ce qu'il venoit de voir, il se mit a faire au diable certaines propositions, auxquelles celui - ci répondit par un éclat de rire féroce: mais Sa Sain-  ) 56i ( •teté devenant toujours plus pressante, il. remarqua qu'il couroit risque de voir son immortelle personne souillée par un raéprisable hurnain et surtout par un Papt; alors le noir courroux de 1'enfer s'alluma dans son esprit, et, dans le moment déci,sif, il lui apparut sous une forme qu'un oeil vivant n'a jamais vue et dont il nu peut soütenir le coup d' oeil. Le Pape, qui le reconnut tou.t de suite, poussa un cri de joie; «Ah, ben venuto, Signor Diavolo! En «vérité, tu ne saurois m' apparoitre plus k «'propos qu'a présent, et, depuis longtems, v. j'ai désiré ta présence, car je sais a quoi „onpeut employer un esprit aussi puis«sant que toi. Ah, oui! Tu me plais bien „ mieux sous cette figure que sous 1' autre. » Petit coquin que tu es ! Viens! Sois mon »ami, reprends une forme humaine et je «te ferai Cardinal, car, seul, tu peux me «porter rapidement oü j'aspire d'arriver. „Je te prie de m'aider a anéantir mes en„nemis, de me procuter de Targent et da «me chasser d'Italië les Francois, dontjo  ) 302 ( «n'ai plus besoirt. Pour un esprit, comwme toi, ce n'est que 1'affaire d'un mo«ment; et pour prix de tes bons offices, « tu pourras me demander ce que tu vou„dras. Je te conjure de ne te pas décou» vrir k mon fils César ; car il est si scélé«rat qu'il empoisonneroit même son père, «pour devenir, par ton secours, roi de «toute 1'Italië et Pape en même - tems.t< Le diable qui au commencement avoit témoigné un peu d'humeur de voir que, sous la forme effroyable qu'il avoit prise, jl n'avoit produit aucun effet sur Ie Papt;, ne put enfin s' empêcher de rire. Car ce qu'il avoit vu et entendu surpassoit toutes les actions des hommes, que 1' enfer, par gout pour les horreurs, avoit fait dessiner. II lui dit ensuite d'un air sérieux: «Pape Alexandre, Satan montra un «jour au fils de PEternel toutes les riches«ses du monde, et les lui offrit, s'il vou«loit se prosterner devant lui et l'adorer.« — Le Pape. Je t'entends. C' étoit un dieu, «t il n'avoit besoin de rien, S,i c'eut été  ) 563 e Hn homme et un Pape, il auroit fait comt me moi. II tomba a genoux , adora le diable et baisa ses pieds. Léviathan frappa du pied sur le plancher, et la terre trembla. Faust, Lucrèce, César et la Vénitienne virent, a travers la porte ouverte, le Pape s'agenouiüer en face de 1'horrible figure du diable, et 1'adorer a mains jointes; celui - ci cria d'un air ironiuue et indigué: „Sodomie et adoration du diable! j'en „jure par Satan, souveraiu seigneur du „sombre empire, un Pape ne peut, dans „un plus beau moment de sa vie, descen„dre aux enfers.» II saisit aussitot le Saint père tremblant, 1'égorgea et donna son ombre a un esprit; pour la précipiter dans le marais inlernal. Borgia effrayé tomba k la renverse, et Vhorrible aspect du diable lui causa une maiadie, cpri le priva de tout mouvement et lui fit perdre le fruit de ses infamies, et de sa téméritó; et ses noires acüons ne  ) 364 ( servirem qu'a accroitre la puissance du saint siége. Le Pape égorgé et sabominablement masqué fut enierré avec beaucoup de pompe, et les historiens qui ne connurent pas sa fin tragique, comme moi, inventèrent Ia fahle dont une partie est fonde'e sur la vérité: que lui et son fils burent, par Ia méprise d'un échanson, du vin empoisonné. qu'ils avoient destiné aux Cardinaux, et se prirent ainsi dans leur? propres fijets.  LI VRE CINQIEME.   ti L'abominable adoration du Pape, sa fin •tragique, 1'horreur de la figure du diablo que Faust jusqu'alors n'avoit vu que sous sa noble forme, firent une si fdrte impression sur notre Docteur qu'il quitta la campagne pour se rendre a Rome. R fit charger sa voiture, et partit ie coeur navré et 1'esprit égaré. Tout ce qu' il avoit vu et observé avoit tellement affoibli chez lui le sentiment, que, malgré la bardiesse de ses pensees contre 1'Eternel, il osoit k peine regarder en face Léviathan; qu'il maitrisoit en esclave. La haine et le mépris pour les hommes, les doutes crueïs, 1'indifférence pour tout ce qui se passoit autour de lui; des murmures sur 1'insuffisance et les hornes trop circonscrites, ie ses forces phisiques ct morales, furent le résultat de son  ) 368 ( texpérience et le fruit de sa vie; msis il se repaissoit encore de 1'idée que ce, dönt il avoit été témoin, autorisoit en lui ces tristes sentiment*, et le confirmoit dansl'opinion, ou, qu'il n'existölt sur la terre aucun rapport entre 1'homme et son créateur, ouque, s'il en) existoit, ces rapports étoient si confus et si équivoques, que 1'esprit humain ne pouvoit les saisir, bien moins entore y découvrir des vues qui lui fussent favorables; il se figuroit dans son délire, que ses égaremens n'étoient a la masse énorme des crimes de la terre que ce qu'est une goutte d'eau a 3' immensité des mers. Le diable le 'laissoit avec plaisir se bercer de ce songe, afin que le coup qu'il lui destinoit, le frappat si rudement, qu'il ne put e'chapper aux atteintes du désespoh. Faust ressembloit a ces hommes du monde qui, s'abandonnant a toutes leurs passions aussi longtems qu'ils conservent leurs forces, jouissert de tout, sans penser aux suites qui doivent en résulter pour eux et pour les autres, et qui, usés, abbattus, jeuent un rega.d désespéré sur la vie humaine et jugent le genre humain d' après la  ) 369 ( la triste expérience qu'ils ont acquise, sans réfléchir que notre raison prend les couleurs de notre disposition morale et phisique, et se dirige principalement d'après notre état présent. II n' y a qu' un coeur lache et corrompu que 1' expérience puisse rendre plus mauvais ; 1'liomme honnête ne régarde les crimes et les égarements des humains que comme de simples dissonances qui lui font mieux connoitre le prix de 1'harmönie, et lui rendent son bonheur plus sensible. Faust qui s' étoit séparé de sa familie et de lui - même, et qui par son abattement et sa facon de penser étoit in» capable de chercher a renouer aucune liaison pendant le cours prolongé de sa vie, jetta un régard sombre sur le monde et les hommes, et enfin ramené sur lui-même par des considérations générales, il recula d'horreur devant sa propre image. II commenca a calculer ce qu'il avoit gagné par le coup dangereux qu'il avoit hazardé, et mettant sa position actuelle en parallele avec les voeux, les projets et les espérances qu'il formoit autrefois, il vit bientê-t qu'il ne pourroit pas supporter longtems A a  ) 37o ( Ia comparaison. La ridicule ambltion de souteriir avéc dignité le iole qu'il avoit si audacieusement entrepris, se fit sentir, et 1'idée, de s'être soustrait du nombre de ceux qu' une main insouciante a assujettis a la force, au fouet des puissans, aux oppresseurs des hommes et a ceux qui les trompent; d'avoir joui de tout, Pespérance de pouvoir encore jouir, la satisfactiön. d'être 1'ouvrage de son proprechoix, d'avoir approfondi les sciences et d' en avoir reconnu le vuide, tous ces sentimens réveillèrent son courage et lui donnèrent de nouvelles forces. II rit du fantóme de son imagination malade, forma un nouveau plan de vie, se flatta, a force de recherches et de réflexions sur la divinité, sur le monde et sur les hommes, de deviner enfin Pénigme qu'il croyoit n' avoir été présentée aux hommes que pour rendre leur état moral aussi malheureux, que Pest leur état phisique. «Quiconque a déchiffré ce » problême, ou s'est convaincu qu'il est au« dessus de ses forces,« disoit - il dans son coeur, «s'est rendu maitre de son destin, «• et il auroit sürement secoué la poussière  ) 37* C scolastique pour se couvrir de 1'or de notre philosophie brillante, si le diable n'eüt pas été a ses cótés, ou s'il lui en eut laifisé Ie tems. Au moins, étoit - il en train de devenir un pliilosophe du genre de Voltaire,*) qui ne voyoit partout que le mat, et qui défiguroit le bien oü il Ie trouvoit; ou qui, selon 1' expression d' un meilleur j/liilo«ophe * *) que lui, voyoit partout le Diablet même sans y croire. < A a a *) On sait que Voltaire, dans Candide et dans plu^ieurs autres ouvrages, a combattu 1' öpinion de Pope et de Leibnitz qui soutenoient quë tout est bien, selon les loix e'ternelles de la nature. *) J- }• Rousseau. Celui - ci, sans soutenir que tout est bien, pensoit que le teut est bien, c'est a dire, que tout est bien pour le tont. II est a croire, dit - il, que les e'venemens particulier* ne sont rien aux yeux du maitre de 1'univers; que sa providence est seulement univetselle; qu'il se contente de conserver les genres et les espèces et de présider au tout, sans s'inquie'ter de la manière dont chaque individu passé cette courte vie. Un roi sage qui veut que chacun vive heureux dans ses e'tats, a - t il besoin de s'infbrmer si les cabarets y sont bons? C'est dans une longue Iettre, adresse'e a Monsieur de Voltaire, que. 1' e'loquent citoyen de Geneve  ) 372 ( 2. L' aurore venoit de chasser la nuit, et Faust, sur les frontières d'Italie, savouroit eft paix les doux pavots de Morpliée, lorsque ses esprits futent frappés par un songe frappant. Une apparition effioyable termina ce songe. 11 vit le genie de Vlwmanite, qui lui avoit autrefois apparu; il le vit dans une ile vaste et florissante, environnée d'une mer orageuse, errer ca et exposé sa doctrine ou son opinion sur le bien et le mal moral. „Je ne puis m'empêcher, Mon„sieur, lui dit - il en linissant, de remarquer une ,, opposition bien singuliere entre vous et moi, „dans le sujet de cette lettre. Rassassie' de gloire „ et desabusi des vaines grandeur?, vous vivei „libre au sein de l'abondajioe; bien sür de votre „ immortalité , vous philosophez paisiblement sur „la nature de 1'ame, et si le corps ou le coeur ,,souftre, vous avez Tromhhi pour mc'decin et „pour ami: vous ne trov.vez pourtant que ma[ „sur la terre, et moi, homme obscur, pauvre et ,. tourmenté d'un mal sans remède, je médite „avec plaisir dans ma retraite et trouve que tout „esc bien. D'ou vienneht ces contradictions ap„parentes? vous 1'avez vcus - même expüque': „vous jouissez, mais j'espère, et l'esperance em„bellit tout."  ) 375 ( la et Jixer avec inquiétude les Hots mugissants et furieux. La mer écumante étoit couverte d'innombrables barques dans lesquelies étoient des vieillards, des hommes, des jeunes gens, des enfants, des 1'emmes et des filles de tous les peuples du monde, qui, se deTendant contre la tempête, cherchoient a gagner lts rives de cette ile. Heureusement arrivés, leur premier soin fut de débarquer différents matériaux de baiisse qu'ils jettèrent confusément. Après qu' un nombre considérable ei\t mis pied a terre, le Génie dèssina sur la place la plus élévée de 1'ile le plan d' un batiment majestueux, et chacun des débarqués, vieux ou jeune, foible ou fort, prit, selon ses forces, une pièce de cet amas confus, et, dirigé par ceux que le génie avoit choisis^ la porta et la placa a 1'endroit destiné. Tous travailloient avec plaisir, avec courage, et sans relache; le batiment s'élévoit déja de beaucoup au dessus de; la surface de 1'ile, lorsque tout a coup les ouvriérs furent assaillis par des hordes nombreuses qui, sortant d'un bois épais fondirent sur eux en trois colonnes. A la tête de cha-  ) 374 ( rune de ces colonnes étoit un commandant paiticulier. Le premier portoit sur sa tête une couronne éclatante; sur son bouclier d'airain brilloit le mot Force, dans sa main droite il tenoit un sceptre, qui, comme le Caducée de Mercure, étoit entouié d'un serpent et d'un fouet. Devant lui marclioit une hyene, portam dans sa g ieule sanglante un livre, sur le dos duquel étoit écrit en gros caractères, ma volonte. Sa trouoe étoit armée de glaives, de lances et des autres inslruments destructeurs de la guerre. La seconde colonne étoit commandée par une digne matrone, dont les traits pleins de douceur, et la noble stature étoient caehés sous une robe sacerdotale. A sa droite étoit un fantome décharné , aux yeux étincelans, le Fanatisme, avec un are formé et composé d'os de morts, et avec un carquois rempli de Xleches empoisonnées. A sa gaucbe planoit une figure sauvage, habillée de toute sorte de couleurs, la superstition, qui portoit k sa main une torche enflammée; ces deux fantómes, avec des gestes menacans et des contorsions efiroyables, conduisoient  ) 575 ( la digne matrone a Ia chaine, comme une eselave prisonnière. Ils étoient précédés par Fambition, dont la tête étoit omée d'une triple couronne, une crosse d'évêque a Ja main ; on voyoit sur sa poitrine bril» Ier ce mot —- retigioa. Le fanatisme et la superstition attendoient avec impatience que la religion leur donnat le signal de se livrer sans réserve a leur fureur, qu'ils pouvoient k peine retenir. Son armée n' étoit qu'un amas confus, bruyant et barioló, et chaque soldat portoit un poignard et un flambeau brülant. Le chef de la troisièrse colonne marchoit d'un pas fier et hardi ; san habiliement avoit la simplicité de celui du sage; il avoit a ia main., ainsi que tous ceux de sa suite, une coupe remplie d'un breuvage pétfliant et mousseux. Ces deux, dernières colonnes s'agitoient avec tant de fureur, et poussoient des hurlemens si horribles, que leurs cris féroces surpassoient le mugissement des Hots, le sifflement des vents et, Ie bruit du tonnerre. Lorsque les trois colonnes furent arrii vees a une ceriaine distance des ouviiers, elles se réunirent par ordre de leurs chefs  ) 376 ( respectifs, et, dans leur rage foreenée, fondirent sur les travailleurs avec leurs armes destructrices. Les plus courageux des ouvriers jettèrent bas leurs instrumens, se saisirent des arraes dont ils étoient ceints, pour repousser les ennemis. Les autres pendant ce tems redoubloient de zèle pour achever 1' ouvrage commencé. Le Génie couvrit ses généreux combattans et ses ze'lés ouvriers d'un bouclier brillant que lui présenta une main, sonant des nuages: mais cette égide étoit insuffisante pour les couvrir tous. H vit avec une douleur profonde ses combattans et ses ouvriers succomber par millic-rs sous les fleches empoisonnées et les armes meurtrières. Un grand nombre se laissa tromper par les inviiations et les appats de ceux qui leur offroient la coupe enchantée, pour se rafraicbir; et dans leur ivresse ils détruisirent bientót le pénible ouvrage de leurs mains. Ceux qui étoient armés de flambeaux se firent jour avec leurs poignards, et jettèrent leurs torches enHammées dans ce batiment non achevé; et la llamme, commencant a 1'aire ' ravage, menacoit déja de réduire en cendre  .) 377 ( ce magnifique édiSce. Le génie, jettant un régard de douleur sur ceux qui étoient étendus morts et sur ceux qui s'étoient laissé se'duire par 1'appAt encbanteur, cl.ertlioit a donner du courage aux uns, et, par sa ponstance et son air de dignité, inspiroit aux autres du courage, de la patience et de la fermeté. Hs éteigmrent les Hammes, redressèrent ce que les autres avoient renversé, et travaillèrent, quoique les Heclies. et la mort volassent sur leurs tèies, avec tant de zèle, que, bravant la rage et 1'acharneinent de leurs ennemis, ils élévèrent un temple vaste et majestueux. L'orage s'appaisa, et le calme et la sérénité règnèrent sur toute 1'ile. Le génie guérit en-i suite les blessés, consola ceux qui étoient fatigués, loua la valeur des guerriers et les conduisit tous, au son de chants victorieux, dans le temple. Leurs ennemis restèrent ébahis a la vue de ce batiment énorme, et, après avoir vainement tenté d'en ébranler la solidité, ils se retirè;ent, la rage dans le coeur. Faust se trouva dans ce moment transporté dans 1'ile. Leschamps qui exivironnoient cetauguste temple étoient  ) 578 ( jonchés de cadavres. Ceux qui [avoient bu dans la coupe enchantée fouloient froider ment aux pieds les morts de 1'un et 1'au-f ire sexe, raisonnoient entre eux et critiquoient 1'arcliitecture de ce temple, mesu-i roient sa hauteur et sa Jargeur pour en calculer les proportions, et les déterminoient avec d'autant plus d'assurance, qu'ils s'éloig* noient plus de Ia vérité. Faust passa der vant eux et s'étant approché du temple, il lut ces mots sur son entree: Mortel! Si ia as combattu avec valeur et que tu sois reste' fidele, entre, et apprends d cannoitre ta noble destiiiatiou. A ces mots il sentit son coeur bondir de joie, et il concut tout a coup 1' espoir de pénétrer enlin 1'obscurité qui faisoit son malheur. II marche d' un pas hardi vers le temple, en monte les hauts degre's; 1'intérieur lui en semble comme doré par les rayons du soieil levant, il entend la douce voix du Génie, veut y entrer, mais la porte d'airain se ferme a 1'instant devant lui avec un bruit sourd; il recule épouvanté. II crut alors que ce temple assis, il n'y avoit qu'un jnstant, sur un terrein  ) 379 ( uni, reposoit maintenant sur trois rochers, élévés, auxquels il reconnnt les symboies de la patience, de 1'espérance et de la foi. Son vif désir de pénétrer les secrets du temple augmentoit a raisön des obstacles inviucibies qu'il éprouvoit; tout a coup il se sentit des ailes, prit son essor, se précipita avec fureur contre la porte d'airain, fut violcmment repousse, tomba dans le plus profond abime, et s'éveilla en sursaut et treioblant au raomi nt ou il croyoit toucher la terre. Etouidi, il ouvre les yeux; un fantöme pale et livide, revêtu d' un drap mortuaire ouvre avec bruit les rideaux de son bt, il reconnoit les traits de san vieux père qui lui dit d' une voix plaintive: «Faust! Faust! jamais père n'enfanta »un fils plus malheureux, et c'est dans ce „sentiment que je viens de quitler la vie. »Hélas, Faust! le gouffre de la damna„ lion existera éterneilement entre toi et „iiioi; pour jamais le fils sera separe du «père.w  ) 38o ( Cette ligure imposante, est horrible fanlime pénétrèrent d' effroi 1' ame de Faust; il sauta de son lit, ouvrit la fenêtre pour respirer 1'air; les Alpes, dont le feite va se perdre dans les nues, se présenreiit a sa vue, il voit leur sommet éciairé par les rayons naissants du soleil, et ce tableau lui semble une interprétation de son sentiment. 11 tombe dans de pTofondes. réflexions; 1'édifice chimérique qu'avoit élé\é son orgueil s'écroule tout a coup, et les sentiments aisoupis de sa jeunesse se réveillent en lui, pour augmenter ses tourments. Son coeur étoit déchire par la pensée d'avoir sacnffé sa vie a, des mouvements de vanité, de n'avoir pas mis a profit les forces de son esprit, de s'être Jlvré a tous les exces de la volupté, et de s'êtro laissé entrainer par le tourbiilon du monde. 11 tiernbloit en pensant au developptment de cette figure nocturne; son esprit travailloit déja a 1'explication des traits, lorsque son coeur accablé, retombant de nouveau dans les doutes cruels, lui demanda :  ) 33i ( „D'oü venoient>ces monstres qui afta* „quèrent ces laborieux ouvriers? Qui les «autorisa, non seulement a les troubler „dans leur travail, mais encore a les as„sassiner au milieu de leur noble ouvrage? „Qui le souffrit? Celui qui le souffrit, ne «vouloit - il ou ne pouvoit - il pas 1' em„pècher? Si je m'entends bien a l'cxpli«cation des traits de la figure, ils ont rap»port aux bases fondamentales des socié» tés htimaines, et chacune d'elles prétend „tirer son origine du ciel? Si ce qu'on y « débite est erreur, pourquoi celui qui at-' „ taque Terreur est - il exposé a des cfmti„ ments ignominieux? Fait - on allusion aux „ abus ? — Eh bien! Tout est abus sous Ie «soleil, et j'ai raison de me plaindre. „N'est - ce pas 1'ouvrage d' un être supéïsrieur, que nous sommes dans 1'impossi„biüié de questionner, et qui a mis un „rideaii devant nos yeux? Pourquoi tant « de müliers succombèrent - ils a la fureur »de ces Cannibales? Le génie suprème «ne voulut - il pas ou ne put - il pas les «protéger tous? Quelques uns étoient-ils „prédestinés a servir de victimes aux autres?  ) 582 ( »Qui me répondra que je ne suis point, »ou ne dois pas être une dé ces victimes odestinées a périr dès sa naissance? Ceux»ci devoient - ils périr, pour que les auto tres triomphassent et goütassent le repos? »Ouel mal Ont fait ces infortimés? De „quoi se sönt rendus coupables ceux qui, „pressés par une soif brularite , se sont jet„tés sur la coupe enchantée pour se dés-* >■> altéier. « Faust erroit depuis longtems sur une mer de doutes, lorsque Fapparition de son père rappeila k son esprit sa familie oubliée. II forrha la résolution d'aller la retrouver^ de rentrer dans 1'ordre social, da reprendre ses fonctions et de se délivrer de la fastidieuse société du diable. II se mit en chemin pour regagner ses pénates, comme beaucoup d'autres qui prenant 1'ardeur d'une jeunesse insensée pour du génie, se présentant, dans la carrière du monde avec de hautes prétentions, épuisent rapidement le peu de feu de leur ame, et a charge aux autres et a eux-mêmes, se retrouvent bientot, avec de tristes reites, au même point d'oü ils sont partis..  ) 385 ( Faust se repaissoit en silence dé toutes ces idéés; muet, sombre et rêveur, il étoit a cheval a cóté du diable; Celui - ci le laissoit avec plaisir livré a ses réllexions, rioit de sa re'solution et s'abrégeoit le tems par 1'espérance Hatteuse dé respirer bientot les douces vapeurs de 1'enfer. II jouissoit d'avance du plaisir qu'il éprouveroit a se moquer de Satan qui lui avoit vanté Faust comme un homme d'une force supérieure, et qu'il trouvoit cependant si foible et si abbattu avant même de subir • son sort. II se réprésentoit ce téméraire a 1'instant oü il lui devoit apparoitre sous sa vraie forme, et il le vit sur son cheval dans la posture d'un moine pénitent. Sa haine conlre lui augmentoit de plus en plus , et il se réjouissoit dans son ame, lorsqu'il appercut Worms dans la plaine. 4. Ils se rendoient tous deux a cheval vers la ville, et lorsqu'ils n'en furent plus éloignés que de quelques jets de pierre, ils appercurent une potence a laquelle étoit sus-  ) 584 ( pendu rat jeune homme grand et bien fait. Faust léva les yeux et 1'appercnt. Un vent frais qui souffloit k travers les blonds cheveux du pendu, et qui poussoit son corps en avant et en arrière, permit a Faust de remarqner une taille élégante. Ce coup d'oeil lüi fit verser des larmes, et il s'écria d'une voix tremblantè: «Pauvre jeune homme, quoi? Dans «la fleur de ton Age, déja ici, k ce fatal «poteaü? Quel mal peux - tu avoir fait «|pour que le tribunal des hommes fait «condamné si jeune ?« Le Diable. (d'un ton grave èt imposant) Faust, c'est ton ouvrageJ Faust. Mon ouvrage? Ij Diable. Ton ouvrage! Considèré attentivement ce jeune homme — c'est ton fils ame. Faust léva les yeux, reconnut son fils et tomba du cheval. Le Diable. Déja anéanti? Je me vois au moment dêtre privé du fruit de mes peines, et je ne pouvois le recueillir que dans ta misère et tes plaintes lamentables. Crie et gémis, 1'heure approche oü je dois déchirer  ) 585 ( déchirer le voile épais qui couvre tes yeux. Écoute! d'un soufflé je vais faire disparoitre lé labyrinthe dans lequel tu n'as pas pu te retrouver, je pOrterai la lumière sur le monde moral, que tu as parcouru en tiran ét que tu as souillé par chacune de tes actions. Moi, diable, je te ferai voir de quel droit et avec quel profit un ver de terrë, tel que toi, ose s'ériger en juge et ert vengeur du mal. Je ferai en détail 1'énumération de tous tes faits, afin que le poids de tes crimes et de ta démence tombe sur ton ame et Taccable. 'I e rappellfci - tü de ce jéune homme que, par ton ordre, a notre sortie dé Mayence, je sauvai des eaux prêtes a 1' erigloutir ? Je t'objectai mes réflexions; tu voulus suivre le mouvement de ton coeur, maintenant écoute les suites de tes ordres. Si tu avois laissé ce méchant s'engloutir sous les eaux, ton fils n'auroit pas perdu la vie a cet ignominieux poteau. Celui pour 1'amour du quel tu voulus avec témérité changer 1'ordre du destin, s'insinua bientöt dans Ie coeur de ta jeune femme abandonnée. L'éclat de 1'or que nous lui laissames ea B b  ) 386 ( abondance, la rendit bien plus séduisante que sa jennesse et sa beauté. II lui fut fa' cile de gagner le coeur de celle que tu avois délaissée, et, en peu de tems, il prit tant d'empire sur elle, qu'elle remit sa conduite et tout ce qu'elle possédoit a sa disposition. Ton père voulut s'opposer a ce manege, le jeune homme 1'insulta et le battit; ce vieiüard cbercha un asile dans 1'hospital des pauvres , oü il mourut de chagrin, ces jours derniers, en pleurant sur toi et sur toute ta familie. Ton fils indigné 1'accabla de reproches, alla même jusqu'a le menacer; celui - ci le chassa de la maison paternelle. II erra dans les bois, eut honte de mendier, lutta longtems contre la faim, enléva d'une église 1'argent des offrandes pour satisfaire le pressant besoin de manger, mais s'y prit si mal-adroitement, que plusieurs personnes le virent, et le sage magistrat, par égard pour son age, ne le condamna qu' k être pendu; il subit sa sentence, malgré les touchans témoignages de son répentir et ses excuses sur ce que depuis quatre jours il n' avoit fait que brouter de 1'herbe. Ta fille est a  ) 387 5 Francfort oü, pour vivre elle prostitue sa jeunesse au piemier venu qui la paye; ton second fils est au service d'un Prélat, qui deshonore les jeunes gens par des gouts honteux et par un crime dont le Pape taxa le pardon a si bas prix. Le jeune homme que j'ai sauvé des eaux, déroba enfin a ta femme jusqu'a sa derniére chemise; ton ami que nous relirames de la misère et du mépris refusa ses secours a ton vieux père, méconnut et rejetta tes enfants qui cherchoient un asyle auprès de lui, et lui de? mandoient du pain; je vais a présent te montrer ta familie, afin que tes yeux puissent se repaitre du malheur et de la bonte oü tu 1'as réduite ; puis, l'arrachant de force de ces lieux, je te ferai rendre compte, et tu périras d'une mort que jamais mortel n'éprouva. Le diable saisit Faust accablé, s'envola avec lui a Mayence, lui fit voir sa femme et ses deux enfants, couverts de haillons, assis devant la poite du couvent des FranB b a  ) 388 ( ciscams, en attendant les resles dégoütans du souper de ces moines. Lorsque la mère appercut Faust, elle s'écria: „ah »dieu, Faust, votre père!« puis portant la main sur ses yeux, elle tomba évanoui. Les enfans coururent a lui, le tirèrent par son habit et lui demandoient du pain. Faust. Diable, de'cide de mon sort, rends le plus effroyable que ne peut le supporter et le concevoir le coeur de 1'homme, mais donne du pain a ces malheureux, et sauve les de 1'ignominie et du besoin. Le Diable. J'ai ouvert pour toi tous les trésors de la terre , tu les as sacrifiés a la volupté et aux plaisirs, sans penser a ces misérables. Sens maintenant tout le poids de ta sottise, tout ceci est ton propre ouvrage; tu as filé le tissu de leur sort, et ta race mendiante et misérable perpétuera jusqu'a ta posiérité la plus reculée les malheurs dont seul tu es la cause. Tu donnas la vie a des humains, pourquoi ne voulus - tu pas être leur père? Pourquoi astu cherché le bonheur, oü jamais mortel ne 1'a trouvé? Regarde les encore une fois, et partons ensuite; tu les reverras  ) 389 ( nn jour dans les enfers, oü ils te maudiront pour 1' héritage douloureux qu' ils ont. recu de toi. 11 le sépara de sa familie gémissante a 1'instant oü sa femme vouloit embrasser ses genoux et lui demander pardon. — Faust fit le mouvement de tendre les bras a cette malheureuse, le diable le saisit, et le transporta sous la potence auprès de Worms. 6, La nuit de ses ailes sombres alloit couvrir 1'univers. Faust avoit devant les yeux 1'affreux squeletle de son fils infortuné, dont les membres agités par le vent s' entrechoquoient avec violence ; en proie a la douleur et au délire il s' écria avec le ton féroce du désespoir: »Diable, laisse-moi enterrer ce mal«heurfeux; après cela, tu peux m'arracher „la vie, sans craindre de m'aifliger; c'est » sans regret que je descendrai aux enfers, „oü je ne verrai plus d'hommes en chair et »en os. J' ai trop appris k les connoitre, «pour n'être pas dégoüté d'eux, de leur dé-  ) 39o ( » stination, du monde et de ma propre exis» »tence. Puisqu'une bonne action attira sur »ma tête des maux inexprimables, j'ai lieu »de croire que les méchants seuls ont droit » au bonheur. Si tel est 1'ordre des choses ode ce monde, hate-toi de me précipiter »aux enfers; je veux les habiter pour ja«mais; leur obscurité est peut-être préfé> «rable au jour qui m'éclaire. Le Diable. Doucement! — Faust, ressouviens-toi que je t'ai dit que tu traneherois toi-même le fil de ta vie; le moment n'est pas éloigné, et c'est celui de la vengeance après lequel j'ai si longtems soupiré. En attendant, je t' arrache ta puissante baguette magicrue et je t'enchaine dans le cercle étroit que je tracé autour de toi. Tu vas m'entendre mugir. Je tirerai 1'effroi et les terreurs des enfers; je déve? lopperai les suites de tes faits, et t'assassinerai par les repentirs et le desespoir. Voila le fruit de mes peines, voila de quelle manière je triomphe sur toi! Insensé, tu te vantes d'avoir étudié 1'homme et de le connoitre? Ou? Comment et quand .as-tu pu apprendre k le connoi-  ) 39i ( tre? As - tu sonde sa naiure? As - tu re. cherché et séparé ce qu'il a réuni d'énanger k san essence? As • tu distingué avec exactitude cc qui provient directeraent de-, son coeur, d'avec ce qui n*est que 1'effet d'une imagination corrompue avec art? As - tu comparé les besoins et les défauts résultants de sa nature, avec ceux qu'il doit a la civilisation et a une volonté qui n'est plus la sienne? As-tu considéré 1'homme dans 1'état qui lui est propre, oü chaque mouvement naturel porte 1' empreinte de sa disposition inférieure? Tu as pris le masqué de la sociètè pour sa figure naturelle , et tu »■' as appris d connoitre que Phomme, que saposition, son état, sa richesse, sa puissance et ses connoissa-nces ont voilé d la corruption, qui a oublié qu'il étoit homme, qui a sacrifié sa nature, d votre idole, c'est d dire, a la vanité. Tu n'as fréquenté que les palais et les cours oü 1' on se rit des malheureux, pendant qu'on en abuse, oü on les foule aux pieds, pendant qu' on dissipe avec profusion ce qu'on leur a volé. Les souverains du monde, les tyrans avec leurs soudoyés, les in-  ) 3ga C infames courtisannes, les prêtres, qui se servent de votre religion, comme d'un instrument d'oppression, voila les gens que tu as vus; et celui qui gémit sous le joug pésant du travail et de la misère, qui supporte avec patience le fardeau de la vie, et se console par 1'espérance de J'avenir, t'est échappé. Tu as passé avec dédain devant la cabane du pauvre et de 1'homme modeste , qui ignore même le nom de vos défauts factices, qui, gagnant son pain a la sueur de son front, le partageant avec sa femme et ses enfants, se réjouit aux derniers moments de sa vie, d'avoir fini sa fiche pénible. Si tu avois daigne' approfondir cet homme-la, tu n'aurois surement pas trouvé en lui une vaine idéé d» yertu héroïque et raffinée, qui n'est que le produtt de vos vices et de votre orgueil; mais tu aurojs vu 1' homme qui dans une modestie paisible et une résignation magnanime, montre, sans ostentation, plus de force d'ame et de vertu, que n'en font voir vos héros célébres dans les champs de bataille, et vos ministres dans leurs cabinets perfides. Sans ces derniers, sans  ) S93 ( vos prêtres et sans vos philosophes , les poM tes de 1'enfer seroient bientöt fermées.. Peux - tu dire que tu connois 1' homme. puisque tu ne 1'as cherché que dans la lie du crime et de la volupté? Te connoistu toi-même? Je veux encore rendre tes plaies plus profondes, y verser du poison, et attirer le brasier que tu as renfermó dans ton sein. Quand j'aurois mille langues humaines, et quand je te tiendrois encbainé dans ce cercle pendant des années, je n'aurois pas encore a$sez de tems pour 1'énumération et le développement des tristes suites de tes actions et de ta témérité. Le tissu du malheur dont tu es cause s'étendra jusques dans les siécles les plus reculés, et les races futures maudiront un jour leur existence , parceque d,ans des moments de délire, tu as satisfait ton instinct et tes de'sirs ; ou que tu t'es érigé en juge et en vengeur des actions humaines. Vois, téméraire, de, quejle terrible conséquence sont des faits, qui, aveugles que vous étes, vous paroissent minutieux! Qui de vous peut dire, le tems anéantit jusqu'aux traces de ^non existence? Sais - tu ce qu©  ) 3g4 ( sont le tems et 1'existence, et ce qu'ils signifieni ? La goutte d'e.m qui tombe clans Pocéan, n'augmente- t- elle pas la vague d'une goutte? et toi, qui ignores ce qua c'est que commencerrtent, milieu et fin, tu as saisi d'une main téméraire la chaine du destin, tu as rongé ses anneaux, quoique ce soit 1'éterniié qui 1'ait forgée! Je vais maintenant décbirer le voile et lancer dans ton cerveau 1' afireux désespoir. Faust porta la main devant ses yeux et 1'affliction et le répentir s'emparent de son coeur. Le Diable. Connois maintenant le résultat de ta vie, moissonne ce que tu as semé, et ressouviens - toi que je n'ai rempli aucun de tes désirs insensés, sans t'avoir prévenu de leur eonséquence. C'est par tes ordres que j'ai interrompu le cours des choses , comrnis des horreurs que j' aurois a peine imaginées, desorte, que tout diable que je suis, je suis beaucoup moins méchant que toi, Penses - tu encore a la nonne Clara, a la nuit vohipt'ieuse que tu as passée avec elle?. Comment 1'aurois-tu oubliée, puis-  ) 395 ( qu'elle te transporta de plaisir et de ravissement ? Écoute les suites terribles de cette nuit de délices! Peu après notre départ, 1'archevêque, son ami et son protecteur vint a mourir, et, objet de 1'horreur publique, elle fut jettée avec son enfant dans un affreux cachot oü elle pèrit après avoir été longtems en proie a toutes les horreurs de la misère et de la faim. Le croiras-m? Ne pouvant résister au besoin cruel qui dévoroit ses entrailles, elle se porta, dans son désespoir, a déchirer celles de son enfant, et a se repaitra de ton sang et du sien, et elle prolongea son affreux supplice, aussi longtems qu'il lui resta des os de son fils a ronger. En quoi et comment étoit - elle coupable, elle qui ne concut pas son crime, elle qui ne connoissoit, ninesoupconnaitpas même 1'auteur de son ignominie, et de sa mort efïioyable? Connois maintenant toutes les suites d'un seul instant de volupté, et tremble! Sens combien tu es coupable; C'est ton infernale méchanceté qui a rendu ce peuple aussi féroce que barbare.  ) 3gS C Tu fus plus heureux/ il est vrai, avec le Prince - Evêque. II fit enterrer Jean Nicodêine, et mit sa familie dans 1'aisance. Le tour que je lui jouai lui fit aussi perdre son triple menton et son embonpoint, et il devint un des princes les meilleurs et les plus doux; mais par son trop d'indu'gence, il relacha tellement les liens de 1'ordre social, que ses sujets ne formèrent •plus qu'une bande de coquins, de buveurs, de fainéans, de voleurs et de crapuleux débauchés. L'Evêque artuel dut, pour en faire, de nouveau, des hommes, devenir leur bourreau, disperser les Families, en faire exécuter quelques membres, afin que les auters effrayés se soumissent aux loix et rentrassent dans le devoir. Les furies n'auroient pas fait plus de mal a ce peuple, que ne' lui en font maintenant ceux' auxquels ce prince se trouve forcé de confier Ie glaive de la justice et le pouvoir de la vengeance. Le Docteur Robert, cet illustre défenseur de la liberté, fut, selon toi, dés sa plus tendre jeunesse 1'ennemi du Ministre f|u'il haissoit, a cause de ses talents. L'en,  > 397 ( Vie et la jalousie firent naitre en lui cet" esprit d'indépendance, et si celui-la eut pensé cömme lui, il eut adopté avec plaisir les principes du plus sévère despotisme, car son coeur dür et fëroce n'étoit créé que pour cela. L'honnête homme étoit le Ministre, ét Robert un scélérai qui auroit mis tout 1'univers en feu, s'il 1' eut pu, et qui y a réussi en partie, pour salisfnire son ambiiion sans bornes. Tu m'ordonnas de le sauver, de lui prodiguer 1'or: apprends k quoi il 1'a employé, et réjouis-loi des suites. 11 mit si bien k profit sa liberté, 1'or et la fermentation que son évasion miraculeuse occasionna parmi le peuple, qu'il réussit bientöt après a susciter une émeute terrible. II arma les paysans; ceux - ci pillèrent, assassmèrent les nobles, désolèrent tous les pays , l'honnête ministre fut la première victime de la vengeance de Robert, et ce beau défenseür de la liberté est 1'auteur de la malheureusa guerre des paysans, quis'étendra peu k peu sur toute 1'Ailemagne et ravagera. On ne voitplusque meurtre, assassinais, pillage, sacrilège, et ton noble héros, a la tête d'une  ) 398 ( horde de furieux menace de faire de Ia Germanie le cimetière du genre humain. Recueille a présant le fruit des calamitédont tu es Ia cause; Satan lui - même n'au» roit pas mieux travaillé, que toi, a la destrüction des hommes que nous abhorrons, lorsque tu dérobas cet insensé au glaive de la justice. Retournons a la cour de ce prince al-f Iemand, oü tu t'es arrogé avec tant d'impudence et de hardiesse le droit de venger la vertu et la justice, Ce prince et son favori affectoient vos vertus ; mais leurs actions contribuoient au bonheur du peuple, parceque tous deux avoient assez d'esprit pour sentir que la félicité du peuple fait celle du prince. L'homme altéré saitil et s'inquiéte - t-il si Ia source oü il étanche sa soif, sort du sein d' une montagne remplie de poison? II lui suffit de calmer et de rafraichir son sang échauffé. Cet hypocrite te déplut parcequ'il ne. repondit pas a la haute opinion que tu aurois voulu, pour certaines raisons, me forcer k concevoir; et je dus, par ton ordre, 1'égorger. Son fils mineur lui succéda.  ) 399 ( Ses tuteurs vexèrent et opprimèrent le peuple, jadis heureux sous le gouvernement de son père, ils corrompir.nt le coeur et 1'esprit du futur régent, énervèrent de bonne iieure son corps par la volupté, le gouvernent a leur fantaisie, maintenant qu'il est majeur et sont ses tyrans, ainsi que ceux du peuple. Si, par ton ordre, je n'avois pas égorgé le père, il anroit élévé son fils, d'après ses principes, eut développé ses facultés, et en auroitfait un homme digne d'être a la tête du peuple. Les nombreux sujets qui gémissent maintenant sous 1'oppression du lache voluptueux, et dont les maux s'assemblent sur la tête, seroient les êtres les plus heureux en Allemagne. Quel bonheur pour nous, en t'érigeant le vengeur d'un seul, tu as rendu un peuple entter malheureux! Abreuvetoi maintenant de leurs larmes, de leur de'sespoir, goüte d'avance les horreurs d© leur insurrection prochaine, et réjouis - toi d'avoir exercé la charge sévère d'un juge! Insensé, par ton ordre je dus bruler le chateau du féroce Comte Noncoeur, avec tous les habitans, sa femme et son enfant  ) 4oö ( n la mamelle. Quel mal ont fait 'ces innocents ? Ge fut pour moi un moment do délices! Si 1' enfant a été réduit en cendre sur le sein de sa mère, c'est ta propre faute; si le Comte Noncoeur attaqua un gentilhomme du voisinage, comme auteur de 1'incendie, mit le feu auxquatre coins du chateau de ce gentilhomme innocent, et 1'assomma, seul tu as a te le reprocher. Des milliers sont déja tombés sous le glaive de leur vengeance réciproque, et la tranquillité ne sera rétablie dans cette partie de 1'AlIemagne, oü j'ai semé la discorde, que lorsque les families combattantes se seront entièrement épuisées et anéanties. C'est ainsi, méprisable insecte,qui te vautras dans la volupté, qui pénétras dans 1'enfer pour assouvir ta concupiscence , que tu fus le vengeur de 1' injustice. Gémis et lamente-toi, je vais encore t'accabler de plus d'horreurs. La fille de ce riche avare en France, que tu débauchas et dans le sein de laquelle tu allumas le feu de la lubricité, céda bientót aux instances du jeune roi et devint sa maitresse. Elle le captiva et prit tant  ) 4oi ( tarit d'empire sur son esprit, qu'elle le détermina a porter la guerre en Italië, et attira sur la France des malheurs, qu'una longue suite de règnes aura de la peine a réparer. La fleur de la jeunesse francoise, les héros du royaume, engraissent maintenant les sillons de 1'ltalie, et Je roi, ayant perdu ses meilleurs sujets et ruinéses finances, retourna honteux a sa cour. Ainsi, partout oü tü as passé, tu as semé le germe du malheur, et il fructifiera dans 1'éternité. J'espère que tu comprends maintenant le signe que je te fis , lorsque tu m'ordonnas de renverser la maison oü ces cruels physiciens avoient leur Jaboratoire; j'exécutai tes ordres, et ils furent écrasés sous les tuines. Je t'ai dit alors, que par ma main déstructrice tu ravageois le monde moral, comme ceux - ci faisoient souffrir la nature, en taillant dans la chair des vivants pour approfondir des secrets impénétrables. Tu n'as pas fait attention a ce signe. Connois en maintenant toute 1'importance. lis méritoient une mort plus cruelle que celle, trop prompte, qu'ils ont subie ; mais quel mal ont fait les innocens qui logeoient auC e  ) 402 ( dessous d'eux, et qui ne savoieht pas rn£me les horreurs qui se passoient au-dessus de leürs lêtes ? Pourquoi durent - ils éprouver le même sort que ces monstres ? Pourquoi une familie innocente et heureuse dut' elle, pour satisfaire ta vengeance inconsidérée, être ensevelie sous des monceaux de pierre? Juge et vengeur a la fois, tu n' y as pas réfiéchi. Pense maintenant a toutes les suites dc ton déliie et de ta sott:se, approfondis les, et succombe ent'en représentant toute Phorreur. Ne disois je pas que 1'homme étoit beaucoup plus prompt dans son jugement et dans sa vengeance, que le diable dans 1' accomplissement du mal ? Par ton ordre, je dus allumer le feu de la volupté dans le coeur de la divine Angélique; elle qui étoit le plus bel ornement de son sexe et du monde. Tu en as joui dans 1'ivresse féroce de tes sens, et la malheureuse ne savoit pas ce qui se passoit en elle. Frisonne a 1' aspect des suites de ta brutalité. — Cette Angélique — moi, qui ne trouve du plaisir que dans le mal et la déstruction, je pourrois sentir un mouvement de compassion en pensant a la  ) 4o5 ( triste fin qui 1'attendoit. Elle alla s'isolerala campagne, et le sentiment de la pudeur et de la honte la contraignit a cacher létat dans lequel tu 1'avois mi