■ HISTOIRE de la 2 7 IMS" 7 DERNIERE RÉ VOLUTION BE SUEDE, PRÉ'CÉDÉE D'UNE Analyfe de VHifioire de ce Pays , pour développer les vraies caufes de eet événement. Par Jacques ee Scène Desmaisons. Cogitemus , fi majus prlnclpibus pnflemus obfequium, qui Jervitut* civium , quam qui Hbercate Utantur. Pi. in. A AMSTERDAM, Et fe trouve a Parts, Chez MOUTARD, Imprimeur-Libraire de Ia Reine, de Madame, & Je Madame laCoMTEssE'd'ARïóis, nie des Matliunns , Hotel de Chini. ——m——■ mnjMwaa—gm» M. DCC. LXXXI.   iij INTRODUCTION- 13 E tous les événemens que 1'Hiftoire nous préfente, il n'en eft point de fi intéreflans & de f| inftru&ifs que les Révolutions dans le gouvernement & les moeurs des Nations. La vie des Princes, un Catalogue de leurs regnes, ou un détail de combats, de viéroires> & de défaites, font pour Ie Le&eur plutot un objet de curiofité que d'utilité. Mais les événemens qui changent la conftitution, les coutumes & les loix des Peuples, font les feuls qui enrichiffent vraiment 1'efprit humain , & fixent les recherches de 1'homme Philofophe & Polirique. Plus ces a ij  iv INTRODUCTION. changemens font fubits, plus 1'exemple en devient frappant, & plus auflï la caufe qui les produific femble d;fP jile a développer. L'on prévoit d'avance la chute d'une ruine que chaque jou,,, mine davantage , & a la fin bh la voic s ecrouler fans furprife. II en eft demême de la conftitution dun Etat. Les changemens graduels attirent a peine notre attention. L'on voit alors 1'enchainement des caufes & des e&tss & l'on s'attend a 1 evenement. Maïs un Gouvernement, dont la idéftru&ion foudaine ne paraic avoir été préparée par aucun de ces moyens qui annonceht & amenent uneRévolution, eft corame un édifice qui ne montrait aucun défaut,  INTRODUCTION. v & s'écroule tout a coup. Frappés d'un changement i\ furprenant, incapables den découvrir les vraies caufes au premier coup-d'ceil, nous le croyons le produit de la polifique & des manceuvres de ceux qui en font les agens. On an^ibue aux ta~ lens & aux intrigues fecretes des hommes, cequieft dans levrai, ou la conféquence ncceflaire de la ütuation des chofes, ou le réfulcat naturel des caufes fecretes, qui, pour avoir été cachées & fouvent reculées, n'en ont pas agi pour cela avcc moins de force. En effet, il elLimpouTDle au plus habile Politique de produire un pareil changement , fans le fecours &: la concurrence des circonilances. a lij  ■y) introduction. II peut, il eft vrai, les faire fervir a fes projets , mais non les faire nafcre. II hatera , G. vous voulez , leur opération : des efFets qui auraient eu une raarche lente, il les lendra précoces ; mais c'eft-ia Yultlmum. de fes forces. Et en général, il n'etf: qu'A&eur dans ces fcenes donc il parait 1'Auteur, Ce n'efl pas que je veuille diminucr du mérite de fhomme vertueux , dont le noble enthouliafme Jbrifa les fiers de fa Patrie, ou des talens de 1'ambitieux qui réuflit a lui donner des chaines. Sans doute les Aóteurs de paceilles Révolutions doivent pofTéder ce difcemement qui failit les occafions les plus favotables j cette adrefTe qui fait, fervir 3  INTRODUCTION. vij fes defieins les circonftances qui paraiflaient y avoir le moins de rapport; cette prévoyance qui éloigne les obftacles qu'on peut rencontrer dans 1'exécution ; & cette audace qui méprife les dangers qui Taccompagnenr. Mais pour découvrir les vraies , caufes du changement fubk d'un Gouvernement, il ne fufEt pas de chercher les moyens par lefquels il a été exécuté ; il faut encore examiner la nature, 1'origine, les principes & les défauts de fa conftitution: il faut connaitre jufqua quei point elle était fondée fur les mceurs -du Peuple qui lapoffédait j jufqua quel point elle pouvaic être fupporïée par l',opinion & les préjugés. II a iij  viij INTRODUCTION. faut enfin connaitre le génie Sc le caraftere de la Nation qui s'en eft laiffé dépouiller. Pour cela, nous devonsremontetr plus loin dans 1'Hiftoire de Suede, qu'il ne parak néceuaire au premier coup-d'ceil, en rendant compte dun événement aulfi récent que la derniere Révolution. L'Histoire de cette Nation oftïe Ia viciffitude la plus finguliere, tant dans fes Révolutions intérieures, que pour le röle qu'elle a joué en Europe a dirFérentes périodes. Le gouvernement de ces fiers habitans du Nord a toujours été extreme, commeleur cürriat. Libres  INTRODUCTION. k jufqu a la licence, ou voillns du defpotiune, tantöt 1'amour de la liberté parak être leur cara&ere, tantöt ils fe diftinguent par leur foumiflion & leur dévouement fervile a leurs Souverains. Ennemis de la contrainte, jaloux a 1'excès de 1'autorké royale, & également fanariques de leurs privilégcs, quelqneroi^ on les voit fe foulevcr féditieufcment , entraïner , comme un torrent, tout ce qui s'oppofe a leur fougue , précipiter de fon tröne un de leurs Souverains , & brifer toutes les digues qu'il avak élevées pour protéger la faible portion d autorité qu'on avaif, bien voulu lui accorder. Dans une autre période, la derniere étincellé de patriotifme parak  * INTRODUCTION éteinte parmi cux , comme s'ils euffent été abfolument épuifés par de trop violcntes fecouffes. Soumis avec patience a la plus accablante opprelïion, efclaves tranquilles, on dirait qu'ils n'ont jamais connu les douceurs de la liberté. Enfin, a 1'afpe£fc de cette efpece de contradiction de caraétere national, on ferait tenté de croire que deux races abfolument différentes ont fucceflivement habité ces contrées. L'extrême difFérence dans finfiuence qua eue la Suede fur les affaires de 1'Europe, n'eft pas moins frappante. Vous la voyez forti r de lobfcuricé , & donner des loix aux plus grands Potentats. Semblables aux Goths leurs ancêtres, les Sué-  INTRODUCTION. x) dois inondent les Empires, dépofent les Monarques, & diftribuent les Couronncs. Mais du faïte des grandeurs, ce Royaume tombe touta coup dans 1'oubli., & dans une forte d'inertie. II rappelle fes troupes , reftitue fes conquêtes j & fon importance polirique eft auffi momentanée, que fes conquêtes avaient éte rapides. Le génie fupérieur de quelques-uns de fes Monarques , le courage, l'intrépidité, & fur-tout la difcipline de fes foldats, afTurerent a fes armes une forte de certitude de fuccès, dont on voit peu d'exemples dans 1'Hiftoire des autres Pays^ Lorfqu'il recueillit fes moyens, fes efforts furent toujours violens, & quelquefois jrréfiflibles j mais étant «ïifproportionnés a fes reffaurceS/J  xij INTRODUCTION. ils fervirent plutór a épuifer fa forcc intérieure , qua étendre fa domination au dehors. L'honneur fut prefque le feul fruit des plus briljantes victoires, Nous diviferons eet Ouvrage en trois Partjes, La première nous conduira jufqu'a Ia Révolution qui placaGuftave Vafa fur le tróne en 1523, La feconde depuis cette époque jufqu'a la mort de Charles XII en 1718. La troilieme depuis ce tempa jufqu'en 1773. Fin de Plntroduclion, HISTOIRE  HISTOIRE DE LA DERNIERE RÉVOLUTION" D E SU EDE. PREMIÈRE^ PARTIE.^ Section première. Gouvernement, Coutumes & Mceurs des Suédois pendant la première période. Apkès un regne trop long pouc le malheur des peuples , I'Europe VoyaIt enfin expirer la. tyrannie du A  2' RÉVOtUTTON Gouvernement féodal. Prefque partout les abus de ce fyftême barbare avaient été ou redifiés ou abolis ; Sc la plupart des Gouvernemens commencaient a acquérir un certain degré de ftabilité. La naiflance & les progrès du commerce, en enrichiffant le peuple , lui donnaient une ïmportance & une confidération qui le mirent bientót en état de fecouer le }oug de fes Barons, & de reprendre dans la fociété le rang dont il avait été fi long-temps Sc fi injuftemeiit privé. A mefure que les droits du peuple fe confolidaient, 1'autorité royale s'étabiit fur une bafe plus folide. Les Couronnes, d'éle&ives qu'elles étaient , devinrent héréditaires. La lumiere vint éclairer les hommes , & avec elle fe répandirent les idéés de bien public, les notions de 'juftice, & 1'amour de 1'ordre. Ce fut le douzieme fiecle qui produifit ces grands changemens dans la poli-  Ö E S ü E D E. tlque & les moeurs de la plupart deJ nations de 1'Europe. . Mais la Suede ne partageait poinc ces avamages, & continuait toujours dans fon ctat flottant & incertain. Lè Royaume, déchiré par les diffenfions civiles, dévafté par les guerres inteftines , était fucceffivement Ia proie d'ufurpateurs étrangers , - de Nobles ambitieux, & de Monarques entreprenans ; & dans ces temps de lumiere pour le refte des Nations, elle retracait a 1'Europe efFrayée le tableau des défordres & de 1'anarchie, auxquels chaque Nation avaic été jadis expofée. Ce ne fut que vers le milieu du feizieme fiecle , que Ia Suede éprouva cette heureufe révolution. Ainfi 1'Hiftoire de cette pretoiere période ne nous offre qu'uri :|détail de féditions , de troubles & de Tévolutions , accompagnés de toutes les calamitcs qui en font la fuite ne% ceffaire, A ij  4 R É V O L U T I O H S'il eft défagréable de remonter fi loin, pour n'avoir a contempler que des fcenes révoltantes , ce n'eft pourtant que pacmi cette mjme confufion & ces défordres qu'on peut trouver 1'origine de la derniere forme du gouvernement Suédois. C'eft ja que nous découvrirons Ie génie & le caraftere de ce peuple , & par conféquent les vraies fources des révolutions auxquelles cette contrée a touiours été fujette. C'eft la auffi que plu* fieurs des caufes, quelque éloignées qu'elles paraiflent, qui ont opéré la derniere avec tant de facilité, fe dé*, velopperont a nos yeux. L'on ferait tenté, au premier coup* d'oeil, de donner a fancienne forme du Gouvernement Suédois la préférence fur tout autre établi dans le même temps. Au lieu de cette oppreffion ariilocratique , que le fy£tême féodal préfente par-tout ailleurs 5 nous voyons une conftitution  de Suede. «* oü le Corps du Peuple poflëde une affez confidérable autorité, pour le rendre, en grande partie, indépendant de fes Supérieurs. Le pouvoic fuprême n'eft point confiné dans les niains d'un feul, ni partagé entre le Prince & un petit nombre de fiers Barons; il réfide dans les Etats Géncraux du Royaume. La, point d'exclufion pour aucun ordre de citoyens. Lp Payfan, aufli bien que le Noble, coopere, dans la perfonne de fon député , a Ia légiflation de fon pays. Ces Etats étaient compofés de quatre ordres ; Noblefie, Clergé , Bourgeois, & Payfans. S'ils étaient affemblés, le pouvoir du Prince érait fufpendii, Sc fe perdait, pour ainfi dire, dans ce Corps. Après leur féparation , un Sénat, revêtu d'une grande autorité, continuait d'agir, comme gardien de la liberté pubhV que» A iij  $ R.ÉVOtÜTION. Tel était 1'extérieur féduifant d'une conflitution , qui pourtant éprouvait plus de troubles & d'anarchie qu'au» cun autre Gouvernement d'Europe. Quels pouvaient donc être les : obftacles qui s'oppofaient en Suede a la civilifation des moeurs, & conféquemment a 1'amélioration du Gouvernement ? J'en donnerai piufieurs raifons, I. Situation géographique de la Suede. Avant que le commerce eüt ouVert cette communication qui lie toutes les Nations, la Suede , par fa pofition feptentrionale , était, pour ainfi dire,hors du Monde. Si par-la elle était a 1'abri des querelles qui déchiraient le refte de 1'Europe ; paria auffi elle perdait tous les avantages qu'elle aurait pu tirer d'une communication ouverte avec les autres Nations, & reftait bien loin derrière elles pour les connaiflances des Scien^  de Suede. 7 ces & des Arts. Placée entre les Ruffes & les Danois, Nations auffi barbares qu'elle-même, fes guerres éternelles avec les derniers ne fervaient qu'a augmenter encore fa férocité* naturelle. I I. Stéril'ué du Jol & rigueur du climat ; caufes de leur efpr'u d'indépendance. Un climat tempéré & un fol fertile invitent a Tagriculture, en offrant la vie du Laboureur fous un af-, . peet agréable & lucratif. L'agriculture contribue infiniment a adoucic . les moeurs de ceux qui s'y adonnenr, Sc infpire naturellement aux hommes ramour de Fordre & de la tranquülité. Elle difpofe a la paix , puifque fans elle le Cultiyateur ne peut efpérer de recueillir le fruit de fes travaux. Par Ia même raifon, elle introduit parmi les hommes ces ide'es . de propriété perfonnelle, Sc des droits A iv  8 Rêvolution des individus, qui font la bafe de toute fociété civile. Ainfi donc la oü le climat elf rigoureux & le fol ingrat, la marche de la civilifation doit être lente & diflficile. Toutefois les Suédois tiraient de ces mêmes défagrémens 1'avantage •d'être endurcis aux travaux , ce qui les rendaic entreprenans Sc robufles. Par-la ils réunhTaient le goüt de findependance, Sc la force de la con;ferver. Découragés par la nature du climat, ils ncgligeaient 1'agriculture; & les immenfes forêts, qui couvraient leur contrée, abondant en gibier, la chafle leur fournilTait des moyens de iubfiftance plus convenables a leur génie, que les painbles occupations du Iabourage. On concoit aifément combien cette efpece de vie dut 'contribuer a les entretenir dans leur premier état de barbarie. La première période de THiftoire des Suédois nouspréfente par-tout, dans leur con-  de Suede. s> duite , ce goüt de changement, Sc cette inquiétude d'efprit, qui font ies conféquences naturelles d'un paieil Etat, Sc qui furent les principales fources des convulfions qui agiterent fi fouvent cette Nation. II eft vrai que les Provinces les plus méridionales de la Suede n'é~ taient ni ftériles, ni abfolument incultes. Mais changeant continuellement de Maitres, tantót dépendant de la Suede , tantöt du Danemarck , elles furent conflamment un fujet de querelles pour les deux Nations, & conftamment auffi le the'atre de la guerre. Cette circonftance devait fans doute mettre des entraves au penchant de ce peuple pour 1'agriculture, qui, fans cela, aurait civilifé fes moeurs. Mais comment efpérer que eet effet put être ou général, ou de longue durée, dans un pays oü tout Payfan était foldat, Sc obligé A v  io Révolution de manier plus fouvent Fépe'e que la, charrue ? I I ï. Trop grande indépendance des Payfans! Si l'on jette Toeil fur 1'état de la Société en Europe. avaut le treizieme & le quatorzieme fiecles, on verra la condition des Payfans Suédois bien différente de celle de cette même clalfe d'hommes chez les autres peuples. Par-tout ils étaient réduits a 1'état de la plus abje&e fervitude, fans poids ou influence dans le Gouvernement, Sc privés même, pour Ia plupart, des droksimprefcriptibles de la Nature. En Suede, au contraire , les Payfans s non contens d'avoir préfervé leur indépendance , de pofféder le privilége d'envoyer aux Etats Généraux des Députés de leur Corps, prirent fouvent même l£ direction des affaires publiques, furent 1'ame des  de Suede. h Révolutions , & agirent, en toute occafion comme un Corps chllind, qui avait fes vues & fes intéréts propres féparés de ceux des autres Membres de 1'Etat. 11 ferait naturel .de croire, que tant de poids & d'infiuence dans le Corps d'un Peuple , aurait dü-produire les plus grands avantages pour Ia liberté, & conféquemment pour Ia Société. Mais ces mêmes caufes, principes de fon importante, loin de le rendre capable den faire un bon ufage, le pouffaient en gcnéral a 'en abufer. S'ils devaient a leur maniere de vivre cette • fiere difpofition , qui s'oppofait a toute ufurpation fur leurs droits & en rendait la violation li clangereufe pour leurs Monarques; elle dorimdt aufïï au Peuple une ïrhpatience de contradidion, & une dureté de moeurs aufïï incompatibles avec un Gouvernement (i) bien 1 , L'ancisrme lei SuédoiTe j qui ordounaic a n  *2 Rêvolution qu'oppofées aux principes d'une vraie liberté. Dans 1'occafion, il eft vraj, elle leur infpiraic eet efFit de réfiftance , propre a préferver leur liberté ; rnais en même temps elle les expofait a la perdre. S'ils fe délivraient de 1'oppreffion d'un petit nombre, c'était pour êcre expofés a la hcence de Ia mulcitudej tou/ours flottans entre ces deux extremes, ils ne s'arrêtaient jamais au jufle milieu , & brulcr ou de détruire la maifon ou partic dC k maifon de avair lé« fon con- «oyen , proponionncllement a Poffenfe dl HnC Pr£UVe fraPPa'»e de Ja barbarie dun GoaVcrnemew.W d'avoir «cours a de reis exP^ns. II ne fm pas Ja r ^ «ne manjue de la firapücicé & de ,.. & «cc«fieclesiIBais b:enF,utót de ^ • de falfir la perf0„„e du coupable che2 un peuPk S Jeu fair a 1'ordre & a la fubordinadon. Ce netau «,,„ cettc pai,ie ^ ra ■ ^la ^iaibl, pouvairfai/ïr,^ ^ tllc fufaii tombcr la puniüo»,  DE S U E D È. IJ qui felit eüt pu écablir une balance pour leurs droits & la prérogative du Souverain. Ignorant également & Ia nature de la vraie liberté, Sc celle d'un jurte Gouvernement, ils nappercevaient pas la néceffité d'une telle balance; Sc quand ils rauïaient foupconne'e, ils manquaient d'adrelTe pour Ia former. Ils fentaient plutot qu'ils ne prévoyaient les dangers pour leur libené. Ils s'oppofaient a leurs Monarques ; mais ne favaient comment fixer des bornes a leur autorite. Auiïï leurs démêlés reffemblaientplus a des querellesperfonnel-' ks d'un peuple avec fon Roi, qu'a 1'oppoiition des branches de la légiflation aux entreprifes de la Couronne. Pouvait-on s'attendre que de pareils hommes délibéraiTent de concert, tramailent avec prévoyance , Sc exécutaffent avec jugement des mefures propres a prévenir ou empêcher les éternelles tentatives de leurs Souve-  Ï4 Révolution rains,pour ufurperun pouvoir abfolu? Demandaient-ils la réforme des abus ? leurs efForts momenranés pour i'obtenir, étaient marqués au coin de ce zele imprudent, & de cette aveügle impétuofité, qui caradtérifent les actes d une alFemblée tumultueufe & irréguliere , & prefque toujours en font manquer le but. II eft vrai que fouvent FopprelFeur tombait vidime de leur reiFentiment ; mais négligeant d'établir une ferme digue a Foppreffion, il était prefque für que le nouveau Prince leur donnerait les mê* mes raifons de plainte, & les forcerait d'avoir recours aux mêmes moyens de fe faire juftice. Un ancien ufage des Suédois orFre une preuve frappante du peu d'ordre de leur Gouvernement, & des moyens violens auxquels le Peuple & Ie Roi étaient fouvent forcés d'avoir recours. Chaque fois qu'un de leurs Monarques devait palFer par une Pro»  de Suede i£ vince, on ne 1'y lailTait point entrer , fans qu il donnat auparavant des otages pour eaution des privileges du pays , & lui - même en recevait a fon tour pour la füreté de fa perfonne (i ). Tandis que de telles jaloufies fubfiflaierït entre le Monarque Suédois & fes peuples ; tandis que les prérogatives de 1'un & les droits des autres n'étaient point déterminés, & que la force feule décidait leurs limites, il n'ctait pas extraordinaire qu'un efprit d'oppreffion marquat toujours le caraclere du premier, & le penchant a'la révolte celui des autres. L'on demandera peut - être ce qui produifait , dans le temps dont nous ( i) Les Suédois tenaient tant a eet ufage que Kagwald, qui regna vers le commencemenc du treizieme fiecle , peidit la Courenne & ra' vie pour nc s'y être pas toaformé. Botittg  ï6 R É V O L U T I O N parions, une différence fi frappants entre les Payfans Suédois & ceux de tout Ie refte de 1'Europe ? Le fol & le climat y entraient fans doute pour beaucoup ; mais ce n'était pourtanc ni Ia feule ni la principale raifon. Après la deltruftion de FEmpire Romain, par Finvalion dei Barbares du Nord, 1'Europe entiere fe trouva couverte de Goths, de Huns, de Vandales,de Saxons, &c. En s'établilTant fur les ruines de eet ancien tyran du monde, ils n'exterminerent pas ce qui furvécut a fa défaite. Les vainqueurs s'afFocierent les vaincus, & partagerent avec eux les terres, dans une certaine proportion ( i). AuiFi découvre-t-on parmi eux deux Peuples abfolument diflincLs. Dans 1« Nord, au contraire, nous ne trouvons que Ie relie de ces fiers habitans, qui, peut-être moins entrepre- (i) Efpric des Loix, liv. 30, 7 & 8.  de Suede. 17 nans que leurs concitoyens, au lieu de les fuivre dans la recherche de nouveaux établhTemens , refterent chez eux, contens des forêts qui les avaient vus naitre. Cette importante diftinction fuffit pour expliquer pourquoi le Corps du Peuple continua en Suede de jouir de la liberté, tandis que par-tout ailleurs cette clafte des hommes fut plongée dans la fervicude. Probablement les reftes de ces Nations feptentrionales, qui demeurerent chez elles, conferverent leur gouvernement & leurs coutumes anciennes ; mais ceux qui acquirent de nouvelles poffefiions, oü les premiers habitans continuaient de vivre , fe virent dans la néceftlté d'inventer des expédiens, qui puffent les garantir des furprifes, & les mettre a 1'abri des attaques foudaines auxquelles cette fituation les expofait naturellement. Ce fut-la 1'origine du fyftime féodal, ,que nous voyons établi pat-tout avec  18 Révolution ces hardis ufurpateurs. Un fyftême , il cajculé pour les circonftances dans lefquelles ils fe trouvaient, dut affurément fa naiflance a ces mèmes circonftances ; & il n'eft aucunement probable qu'il fut connu de ces Peuples avant leurs émigrations (i). Ce fyftême, il eft vrai, ne réduifit pas tout d'un coup les malheureux habitans de ces contrées, envahies par les Barbares, k eet affreux efclavage, oü il plongea enfuite par-tout (i) On ne trouve en Suede aucune tracé da fyftême féodal avant 1'aii 814 , ou Brant Anuncl fit abattre quelques' forêts, Sc donna les terres a défricher a fes fujets , a charge de fervicc militaire , ou d'un tribut. Ses Payfans étaient donc ferfs immédiats du Roi, jufqu'a ce que ces fiefs érant aliénés , tls paflertnt dans les mams des Nobles : mais ce ne fut que prés de trois flecles après la dellruétion de I'Empirc Romain , & conféquemment long-temps après 1'écabliflcmsnt du fyftême féodal en dautres pays.  de Suede. 19 Ie Corps nombreux du Peuple : mais il en devait être une fuite inévitable. Le principe de ce Gouvernement était fondé fur les conquêtes. C'eüt été une grande inconféquence dans les nouveaux propriétaires , quand peut - être les anciens étaient plus nombreux qu'eux-mêmes, de les laiffér dans une condition oü ils puffent en être troublés. Si le Peuple vaincu reflait avec le droit de cultiver les terres qui lui étaient concédées , c'était tout ce qu'il pouvait efpérer. Et comme on leur óta fans doute 1'ufage des armes, ragriculture devait devenir leur unique occupation. Si, d'après cela, Fon confidere 1'efprit d'ufurpation, qui fouvent aiguillonne ceux qui font revêtus du pouvoir; que d'un cöté était un Corps d'hommes nécelFaïrement fans défenfe ; de Fautre, leurs fiers Conquérans toujours armés, & prêts pour Ie combat j fi Ton réficchit encore fur  20 RÉV0LUTÏ0N Ie mépris, qui, pendant ces temps . guerriers, couvrait tout homme qui n'était pas foldat ; que les Allemands, qui dédaignaient toute occupation , excepté la guerre , avaient entiére* ment abandonné 1'agriculture a leurs efclaves (i) : il ne paraitra pas extraordinaire qu'ils traitalTent comme tels tous ceux qui fe donnaient aux occupations champêtres. Ce préjugé allait plus loin encore. Si quelquun de leur propre Nation , tenté par la fertilité de fes nouvelles poffeflions, bravait les idéés dominantes , & s'appliquait a 1'agriculture ; li, au lieu de tenir fes fiefs du Seigneur fuzerain, a la charge du fervice militaire, il payait une certaine redevance en bied ou en bétail : il était bientöt réduit a un état peu différent de 1'efclavage. Au commencement de la première ( i) Tac. de Mor. Ger.  de Suede. 21 Eace des rlois de France, on voit un grand nombre d'bommes libres, tant Francs que Bomains. Cependant la fervitude fit de tels progrès, qu'au commencement de la troifieme Race, non feulement tous les Payfans étaienE devenus.ferfs (1), mais même la plupart des habitans des villes : or, ces babitans étaijnt prefque tous Romains. C'eft encore une preuve, que fi les vainqueurs ne réduifirent pas tout d'un coup les vaincus en efclavage, par la nature de leur fituation même, ils s'y trouverent infenfiblement piongés dans la fuite. Pour la Suede, il en était bien a'u? trement. Outre que le fol & le climat n'étaient point favorables a 1'agriculture , les habitans , compofés d'une feule Nation, n'avaient point la diftinftion de vainqueurs & de vaincus, C'efi: pourquoi les caufes, qui foin (1) Efprit des Loiïj 1. je, c. u.  22 Révolution mirent ailleurs Ia plus grande partle des hommes a Ia domination de 1'autre, n'exilïerent point dans cette contrée. II eft vrai que les Nations du Nord avaient des efclaves avant 1'invafion de I'Empire Romain ; mais c'était en très-petit nombre, & compofés feulement de prifonniers de guerre , & de ceux de leurs concitoyens qui avaient commis de certains crimes ou s'étaient vendus euxmêmes , coutume affez commune chez ces Barbares. Ils ne formaient point, k proprement parler, une race d'hommes diftincte , comme il arrivé lorfqu'une Nation devient efclave d'une autre ; & comme la ligne de féparation entre leurs maitres & eux n'était pas fi marquée, il ne leur était pas fi difficile de recouvrer leur Iiberté. Auffi furent - ils affranchis en Suede plutöt que par-tout ailleurs. Environ le milieu du treizieme fiecle, Birgis Jarl rendit illegale rac-  de Suede. 23 tion de fe vendre foi-méme; & en 1335-, une Ordonnance de Magnus Ladulas abolit en Suede toute efpece d'efclavage (1). I V, Xe défaut de grandes Villes en Suede, autre fource de défordres. Le défaut de grandes Villes en Suede ne dut pas moins retarder les progrès de la civilifation. 11 était chez, elle une fuite nécefiaire du man!que de commerce. Le commerce eft un grand moyen d'adoucir les moeurs d'un Peuple guerrier ; de corriger icette apreté de 1'ardeur militaire, qui lui fait tant aimer les armes & haïr toute autre occupation. Le commerce préfente de nouveaux objets, ;donne un autre tour aux paffions humaines. En mettant a leur portée :les produdions des autres climats, (1) Botin.  24 RÉVOLUTION ils fe font des befoins de chofes dont ils n'avaient pas même dïde'e. De ces befoins nait le goüt pour des Arts jufqu'alors inconnus : & a mefure qu'ils s'y appliquent, leur attachément a leur première maniere de vivre s'afFaiblit. Mais une autre conféquence plus importante encore, c'eft qu'il raflemble les hommes, «Sc devient la caufe principale de la naiffance &de l'agrandiiTement des villes; Sz c'eft alors que 1'idëé de juftice, 1'amour de 1'ordre 3c le goüt de la tranquillité commencent néceftairement a prévaloir. Parmi beaucoup d'autres défavantages, la Suede devait fur-tout celui-ci a fa pofition feptentrionale, & a la nature de fon fol & de fon climat. Le commerce fut dabord introduit en Europe par 1'Italie. 11 fe répandit donc naturellement dans les autres pays, en raifon du voifinage de fa fource. Mais ce n'était pas tout. Les  de Suede. | lespays fitués dans les climats temI pe're's de 1'Europe, fe trouvaient les I mieux calculés pour établir & perpéI tuer le commerce par la nature de 1 leurs produftions. La Suede , au conI traire, par la rigueur de fon climat 1 Sc la ftérilité de fon fol, n'y e'tait I aucunement favorable. Le produit de j leurs mines leur fourniffait , il ell jvrai, quelque matiere. Mais cette j branche de négoce, la feule a lajquelle ils fe donnaffent, elf peut-être laufli Tunique qui ne tend pas direc|tement a produire les bons efï'ets oridinaires du commerce, je.veux dir© jramélioration du Gouvernement 8c ides mceurs. Les manufadures appeltlent les individus dans les Villes; Jmais ceux qui travaillent aux mines Jen font néceffairement éloignés, 8c aie font point rompus a la fubordi-» nation & a 1'ordre qui doivent y re'gner. Auffi voit-on toujours les Mijneurs de Suede, la partie de la NaB  Z6 R'ÉVOLUTION tion la plus turbulente, la plus iridomptable , Sc la plus prompte a Ia révolte. Les Suédois étaient fi ignorans dans toute efpece de manufadlure, que vers la fin du feizieme fiecle ils ne favaient pas même corament travailler leur fer. La pierre de mine était portée brute a Dantzick, ou dans quelque partié de la Pruffe, pour y être mife en barre. Pour juger en quel miférable état le commerce a toujours été en Suede, il fuffit de voir les priviléges exorbitans accordes aux Lubequois par Guitave Vafa (i). Par-tout oü les Villes eurent des (i) Ils ne devaient payer aucuns droits pour t'oiites les marchandifes qu'ils importeraienr ils avaient exclufivement tout le commerce du Royaume. Ils pouvaient trafiquer a Stockholm i a Suderkoping, a Aboo, non feulement ayei; Us Bourgepkj mai? avec les Payfans.  de Suede. 27 Députés participant a la légiflation, le Gouvernement en reffentit les meilleurs eff'ets. Les Bourgeois porterent dans leur caractere de legiflateurs , 1'efprit dominant de leur communauté.. Cet efprit dut être de la nature la plus pachique, puifque les Négocians font de tous les hommes les plus inte'reffés a la tranquillité publique. Mais quoique les Villes Suédoifes eufTent de bonne heure le privilege d'envoyer des Députés a la Diete, leur nombre était li petir, que leur infiuence devait être mille ; encore ce commerce était prefque entiérement dans les mains des Etrangers (1), Pou-aient-ils donc s'intéxeiTer autant au bien du Gouvernement que 1'euffent fait des citoyens, (1) Dans le treizicme fiecle , la plupart des liabitans des villes Suédoifes étaient Alleinands. La moitié des Magiitrats mêmes pouvaient être Etrangcrj. Botin , p. 315. Bij  28 RÉVOLUTION & devait-on s'attendre qu'ils donnaflent la même attention a des objets qui leur étaient indifférens? V.' Pauvreté de la Nobleffe Suédoife s nouvelle fource de Vinjlabilité du Gouvernement. Les Nobles Suédois n'étaient pas, a beaucoup prés , fi formidables a leurs Rois, que 1'étaient les Barons dans les autres pays. Le génie du fyftême féodal menait naturellement a 1'ariftocratie. 11 avait accoutumé les hommes a voir dans les maihs d'un petit nombre , des domainesimmenfes, & une autorité confidérable. Un vaffal ne pouvait aliéner fon fief, qui, après fa mort j retournait de droit au fuzerain. Lors même que les fiefs furent devenus héréditaires, la force de 1'habitude prévalut. Les mêmes idéés de les conferver entiers fubfifterent ; c'eft ce qui donna naif-  DE S U E D E. 2£ fance aux fubftitutions , moyens qui accumulaient tout fur une même tête, en ötant Ie droit d'aliéner ce qu'on regardait néceffaire pour foutenir la dignité d'un Baron. En Suede, au contraire, oü les titres ne furent connus qu'au milieu du feizieme fiecle, quand Eric, fils de Guflave, créa les premiers Comtes & Barons, on n'avait point d'idée de fubftitutions. C7avait été une coutume conftamment fuivie parmi eux , de partager également les biens du pere entre fes enfans. Le droit. de primogéniture ne donnait a 1'ainé rien de plus qu'aux autres. Cet ufage s'étendait même jufqu'a la Couronne ; & l'on vit fouvent le Royaume divifé entre les fils du dernier Roi. II eft. évident que cette coutume devait empêcher les grandes richeftes de s'accumuler, & les grandes polTeffions de fe perpétuer. Mais en renB iij  30 RéVolution' dant Ie pouvoir des individus de eet ordre peu confidérable , elle augmentait encore i'inftabilité du Gouvernement. Ailleurs , ce même pouvoir, qui faifait d'un Baron un petfc tyran dans fes domaines , fervaït en même temps de digue a 1'autorité du Souverain. Trois ou quatre Barons féodaux , a Ia tête de leurs tenans Sc de leurs vaffaux refpedifs, étaient capables de battre toute armée qu'il eüt pu mettre en campagne. II était de fintérêt de ces Chefs puiffans,, de faire caufe commune contre Ia Couronne. Auffi la moindre atteinte du fuzerain a leurs privileges, rencontraït d'abord la plus vive & la plus prompte oppofition. Les Monarques féodaux étaient donc forcés de paraitre fatisfaits du pouvoir qu'ils tenaient de la conftitution ; Sc s'ils travaillaient a 1'augmentation de leur autorité, c'était par une politique  de Suede» 31 fourde & indirecte, qui ne put alarmer la jaloufie des Barons, & conféquemment éxciter des troubles. Mais en Suede, le pouvoir de chaque Noble était li peu confidérable, que grand nombre d'eux, joints enfemble, étaient a peine en état de défendre leurs propres droits des ufurpations de la Couronne. La nature de leur pays, couvert de rochers, & coupé par des déferts, les forfait de vivre fi loin l'un de 1'autre , qu'il leur était impoffible de s'affembler, avec expédition , dans un cas nrgenr. Comment donc former une confédération bien liée, quand elle devait rencontrer tant d'obftacles ? Ainti il n'exiftait pas dans 1'Etat un pouvoir déja .förmé , qui füt, pour ainfi dire, au guet, & préparé a s'oppofer aux ufurpations , comme celui des Barons féodaux. Bien plus: la Noblefle Suédoife n'avait pas, Sc ne pouvait avoir , a la permanence B iv;  32 RÉVOLUTION du Gouvernement, eet intérêt vlf qui liait ailleurs les Barons a une conftitution qui les faifait jouir d'une li grande exiftence. La pauvreté des premiers les rendait peutêtre auffi amateurs du changement, dont ils pouvaient tirer quelque avantage, que les richelles & les privileges des au tres devaient les en éloigner. Enfin , les guerres éternelles entre la Suede Sc le Danemarck mettaient leurs Rois conftamment a la tête des armées, & les armées n'étaient pas, comme celles d'un Monarque féodal, compofées defoldats, tous vaffaux de leurs Chefs refpectifs, auxquels feuls ils croyaient deToir obéiffance ; mais d'hommes qui ne reconnaiffaient d'autre Maitre que leur Roi, Sc étaient par conféquent plus a fa dévotion.  de Suede. 33 V I. Jmmenfes richejfes du Clergé, & leurs abus. Cet ordre d'hommes, qui , par état, font les Miniftres de la paix Sc de la concorde , furent fouvent en Suede les principaux auteurs des révoltes , & les promoteurs des dillenlions civiles. Pendant les premiers fiecles du Chriftianifme, Ie" Clergé, dans tous les pays, avait ufurpé une autorité, & s'était arrogé des droits incompatibles avec fes fonctions. *La Religion rendait leur perfonne facrée : leur adreffe fut étendre ce refpeft jufqu'a leurs polTelTions. La vénération qu'on leur portait, autant que leurs immenfes richelfes, les rendit, dans tous les Royaumes, le corps le plus puifïant de PEtat. Mais en Suede, ces raifons produilïrent un efFet plus grand encore. Ailleurs, une grande partie des terres des laïcs, au B v  34 R é v o l u t r o n moyen des fubfïitutions, étaient ma* liénables, aufli bien que celles du Clergé ; & fi les Evêques étaient en général Seigneurs temporels de leurs Siéges Epifcopaux, ils n'étaient pas , de ce cöté - la , plus pui flans que beaucoup de Nobles, & il exiflaic une forte de balance entre la propriété eccléfiafïique & laïque : ici, au contraire, les terres du Clergé feul étaient inaliénables. Celles des Laïcs, comme je 1'ai obfervé , étaient fujett»s a être divifées, fubdivifées, fuivant que la familie fe trouvaït plus ou moins nombreufe. II efl aifé de ijuger de la prodigieufe fupériorité que TEglife devait tirer de cette feule circonflance. Aufli les Prélats Suédois affefïaient-ils la pompe de petits Souverains. Ils fortifiaient leurs chateaux, y maintenaient des garnifons. Ils avaient un cortége nombreux de Gentilshornmes & de foldats. lis étaient les boute-feux de chaque fé-  DE SUEDE. iÖitiön, & on les vit fouvent oublier aflez leur caradere, pour parakre a la tête de leurs troupes. C'était, il efl vrai, le feul Corps qui eüt pu s'oppofer avec fuccès a toute entreprife de la Couronne fqr la liberté publique, & a tout projet d'introduire un Gouvernement arbitraire : Corps non feulement confidcrable, mais permanent , préparé également a la défenfe ou a 1'attaque. Toutefois on ne voit les Evêques Suédois protéger fortement que ee qu'ils appelaient les droits de 1'Eglife. Ils furent fouvent les fauteurs de Ia tyrannie ; mais jamais les défenfeurs de la liberté publique. En raifon de leur célibat, ils formarent un ordre d'hommes dans 1'Etat plus diftind & plus féparé du refte de la Nation , quaucun autre. Aufli chez eux le Citoyen fe perdait toujours dans 1'Eccléfiaftique, & Fintérêt de la Nation dans Fintérêt du Corps. B vji  36 RÉVOLUTION Quand donc les Evêques Suédois s'oppofaient a leur Souverain, le biea public n'était pas même employé comme prétexte de leurs révoltes. Quelquefois ce n'était 1'effet que de eet efprit de turbulence qui caraftérifait tous les Nobles Suédois, Sc auquel les Prélats avaient plus de moyens encore de fe livrer, en raifon de leurs richefTes & de leur puiiïance. D'autres fois elles venaient des appréhenfions du Clergé , quand il craignait que le Prince n'eüt deflein de fe faifir des terres qui avaient été auparavant domaine de la Couronne, & dont ils Pavaient dépouillée. Mais fe croyaient-ils en füreté, ou le Souverain avait-il la politique de ménager leur amitié ? fans rencontrer aucun obftacle de leur part, il pouvait pourfuivre fur le refle de fes fujets tous les fyftêmes poffibles d'oppreflion, qu'il avait 1'adreiïe de conduire, ou le bonheur de faire réuffir,  DE S tyfcE D E. 37 V I I. Couronne éleclive, derniere Jouree de défordres. Les Monarques Suédois ne ceflerent jamais de vifer au pouvoir arbitraire. Ni exemple, ni danger, ne purent les en détourner ou les intiinider , pas même les cataftrophes de leurs prédécefTeurs, qui peut-être avaient perdu , par une pareille con-« duite, leur couronne & leur vie. Comme plufieurs avaient joui longtemps de leurs ufurpations , chacun, excité par 1'appat de ces avantages momentanés, bravait leur fin funefte, fe flattak d'être plus heureux, ou , fe croyant plus de talens, efpérait réuffir la oii les autres avaient fuccombé. II eft vrai que le Royaume continuant d'être éled.f, c'était une forte de füreté pour la liberté publique. Le regne d'un Prince kef! guere anez long pour effecluer de grands chan-  38 Rï v wüTioïi gemens. Chaque nouveau Roi, lors de fon élection, était forcé de foufcrire a des articles qui anéantifTaient d'un feul coup tous les travaux de fon prédéceffeur, pendant peut-être fa vie entiere. Mais la précaution ex:ceffive des Suédois , qui ne croyaient jamais reflreindre aflez 1'autorité & les revenus du Prince, était ellemême une fource de défordres. En portant les reftriclions au point de devenir infupportables , cette faufie politique pouffait fouvent les Princes aux chofes mêmes qu'on voulait erapêcher. Hors d'état de récompenfer Teurs partifans avec les revenus ordinaires de la Couronne, ils la dépouillaient pour eet ufage de prefque tous fes domaines. Ainfi appauvris, comment foutenir leur dignité avec quelque forte de fplendeur ? La feule relfource était d'employer des moyens extraordinaires de lever de 1'argent. Leurs créatures, avides en propor-  DE S U EDE. £0 tlon de Tincertitude de leur regne 7 les encourageaient dans toutes les mefures oppreffives , qui pouvaient les mettre a portee de fatisfaire pour "le moment leur avarice &'Ieur arabition ; tandis qu'eux-mêmes , irrités des entraves que leur mettait la jaloufie de leurs fujets, n'étaient que trop diCpofés a fuivre des confeils qui les flattaient de 1'efpérance de les brifer. Les Princes Suédois mirent toujours trop d'ardeur dans la pourfuite de leur objet. En divulguant trop tot leur deffein, ils Ie faifaient échouer. Plus de précaution dans leur conduite , une politique plus artificieufe leur aurait préparé un plus grand fuccès : mais la Nation était alarmée a temps, & par conféquent en garde contre les attaques. II eft vrai que cette avidité de jouir n'avait rien d'étonnant dans des Princes éleflifs, qui cherchaient a tirer du préfent le  40 RÉV0LUTI0N plus grand parti poffible. Un Monarque, für que fes enfans lui fuccéderont, peut fe contenter de jeter les fondemens du pouvoir dont il s'attend que jouira fa poftérité. L'intérêt de fa familie rnodere fon ambition, le rend difcret dans la conduite de fes deiïeins, & lui infpire des moyens de les efFectuer, qui, pour être indirefts, ne font peut-être pas moins fürs. Les Rois de Suede n'avaient point ces motifs. A peine étaient-ils fur le, Tróne , que leurs a&es étaient des infra&ions dire&es aux Loix : mais leur plan manquait de jugement, & leur conduite d'adreffe. Ils employaient la violence Ia oü il aurait fallu de Fartifice. Leur principale affaire était d'endormir Fefprit jaloux de la Nation, & ils ne manquaient jamais de léveiller ; auffi le fuccès répondait-il a Timprudence des mefures. Enfin, pour mettre en un feul point  DE S U E D E. 41 'de vue 1'état de Ia Suede pendant cette première période, nous trouvons des Rois employant toujours la violence pour s'emparer du pouvoir ; des fujets qui sy oppofent avec la même conflance Sc la même violence ; des Nobles inquiets Sc turbulens, trop jaloux les uns des autres pour fouffrir ï'anéantifTement du titre & de la dignité royale, Sc trop impatiens de la contrainte, pour rendre ce pouvoir d'aucune utilité après 1'avoir confervéj; un Clergé riche & puiflant, qui, felon fon intérêt, était toujours ou le fuppöt de la tyrannie, ou le promoteur des féditions Sc des révoltes ; des Payfans fauvages & indépendans , fans union parmi eux-mêmes , méprifant toute fubordination, entêtés a foutenir des priviléges & des ufages incompatibles avec tout bon Gouvernement ; des Bourgeois enfin, feul ordre d'hommes dont 1'inclination  Révolutïon tendait a Ia tranquillité pubh'que , faiblesennombre,<£fans crédit. Nous voyons une Nation , dont tous les ordres afpirent a Findépendance, que fon génie fauvage & intraitable avait rendue prefque incapable daucune union, & qui ne tirait aucun avantage d'une conflitution, dont le grand objet eft Ia liberté politique. Dans un Etat oü les branches de Ia légiflation , Monarque , Nobles , Peuple, fe liaient fi mal enfemble , oü les liinites n'étaient point fixées, les droits point déterminés, il était difficile, pour ne pas dire impoffible,, qu'on prit de juftes mefures pour 1'ordre intérieur Sc la tranquillité de Ia fociété ; Sc il n'était pas extraordinaire que ce Royaume futconftamment le fiége de guerres civin les, d'oppreJüon,, & d'ana.rchie,  de S u e d e. 43 | Section seconde. ; Regne de Magnus Laduias. Premiers changement dans la conftitut'ion. Quelque déplorable.qu'eüt tou1 jours été la fituation de la Suede , : un événement arrivé en Tannée 138^, augmenta encore la fomme de fes maux. Ce fut Ie fameux Traité de i Calmar. Defliné a établir une union éternelle entre les trois Royaumes ? du Nord, il devint la fource fatale I des guerres les plus fanglantes, & des i fcenes les plus tragrques que puiiïent ofFrir les Annales d'une Nation. Pour mieux comprendre ce qui : 'donna lieu a ce Traité, il fera né- ceffaire de reprendre quelques faits des regnes qui le précéderent.  4+ Révolütion Magnus Ladulas, qui monta fur Ie tröne en 1276, fut Ie premier Roi de Suede qui fuivit un fyftême régulier pour augmenter fon autorité. II employa la polit'ique la oü la violence avait fi fouvent fuccombé. La: pauvreté de fes" prédéceffeurs avait: été un grand obftacle a leurs fuccès. Magnus fit donc fa principale occu. pation d'augmenter les revenus de la Couronne. L'ambition eüt été fans doute un motif afTez puiffant pour lui faire fuivre cette marche ; uiais il y était encore pouflé par d'a,utres \ raifons peut-être daufli grand poids. Généreux jufqu'a Ia prodigalité, dominé par un goüt de pompe & de magnificence inconnu a tout autre Prince Suédois, ii fe trouvait entrainé dans des dépenfes au deffus du | revenu de la Couronne. Les retran- 1 cher eüt été Ia plus grande mortification pour un Prince de ce caractere. Mais pour venir a bout de fés ;  DE SüIDE, 4£ deffeins, il ne fuivit pas 1'exemple de fes pre'décefTeurs. Impofer des taxes' fans le confentement de leurs fujets; employer la force pour les percevoir, avait toujours été Pécueil oü ils avaient 'fait naufrage. Dans les befoins preffans, cette méthode leur paraiffait fans doute la plus expéditive ; elle était d'ailleurs dans le'! génie de Princes plus accoutumés a. agir qu'a penfer, Sc rarement capables de former un de ces fyftêmes qui font le réfultat de beaucoup d'art & de délibération. Mais ft cette méthode était la plus courte , elle était lauffi la plus dangereufe. Magnus , Ie ijplus habile Prince peut-être qui ait drhonté fur le tröne de Suede, ne ipouvait manquer de fentir eet inconvénient. II n'ignorait pas la haine dés Suédois pour les impóts, la crainte que leur infpirait 1'augmentation du pouvoir que la Couronne tirait de-  %6 RÉVOLUTION eet aecroiiïement de revenu. II fallait donc trouver un moyen qui pré- j vlnt 1'oppofition que les taxes ne manquaient jamais d'exciter. II lallait trouver un objet de revenu, fans avoir recours aux impots, & infpirer i aflez de confiance a fes peuples, pour | qu'ils ofaffent le lui confier. Aflez | habile , affez politique pour conduire j avec fecret & circonfpedion le plan qu'il avait formé contre leur liberté, il était plus dangereux encore par fes qualirés, fi propres k fe concilier leur. affeftion. S'il éveillait la jalouGe „de, fes fujets, il favaic gagner leurs coeurs. lis voyaient fa conduite ;. mais leur attachement a fa perfonne faifait illufion a leur propre jugement. Connaiflant toute finfluence du Clergé fur 1'efprit du peuple , Magnus donna ; tous fes foins a mettre ce Corps redoutable dans fes intéréts. 11 flattay les Moiues en fondant nombre dé.  DE S U E D Ei 47 Monafferes , & les Evêques en afFectant de leur montrer Ia plus grande confiance, & de les revêtir des plus grands emplois de FEtat (i). Quand eet habile Monarque crut avoir infpiré a la Nation les difpofitions favorables a fes deffeins, il affemble les Etats - Généraux a Stockholm. II repréfente la pauvreté de Ia Couronne; combien fes revenus étaient ïnfuffifans pour foutenir la dignité d'un Souverain. L'influence de ce Prince fur les Membres des Etats était telle , qu'après trois jours de délibération, on lui accorda, d'une voix unanime, toutes les mines de Suede & de Gothland , Ie produit des quatre grands lacs ( 2 ) , auxquels on ajouta encore, lors de fexpiration de leurs baux, le revenu de tous les ( 1) Botin, p. 271. ( 1) Le Meier , le Veter, le Vener , Sc k Hillmer.  48 RÉVOLUTION fiefs qui avaient été aliénés de Ia Couronne ( i) par fes prédéceffeurs. Par-la, Magnus fe rendit, d'un feul coup , indépendant de fes fujets, qui, prodigues de leurs conceffions, négligerent dy ajouter des préfervatifs pour la füreté de leur liberté. Ainfi furent jetés les fondemens d'un pouvoir , qui devint plus accablant fous les Princes qui lui fuccéderent. Magnus avait heureufement réuffi a augmenter fes revenus. Mais il était un autre point non moins important, pour donner une bafe plus folide a fon autorité , c'était d'abahTer la Nobleue. Quoique le choix des Sénateurs, la nomination a tous les grands emplois de 1'Etat fifTent partie de la prérogative royale, il avait obfervé que ces avantages avaient peu fervi ( i ) C'étaient les terres accordées par Brant Amund a ceux qui les défricheraient. Puffen- a  D E S U E D E. 42 a augmenter Ie pouvoir de fes prédécefieurs. Ces emplois approchaient trop de Ja dignité Souveraine, dans un pap oü 1'autorité des Rois était fi Iimitée, & rendaient ceux qui les poflëdaient plutót les rivaux que les fujets du Prince. La raifon en eft évidente. Le Roi avait bien le droit de nommer les Sénateurs ; mais les Etats feu Is avaient celui de les dépofer. Quiconque était donc nommé MembreduSénat, devenait dès-Iors independant du Souverain ; Sc le même homme, qui tenait du Prince fon pouvoir & fon importance , les employait fouvent contre lui. N'ayant plus rien a craindre ou a efpérer, ils m'avaient plus d'intérêt a fêrvir fon rambition ; au contraire , n ecoutant plus que eet efprit d'indépendance, eet amour de la liberté, communs h tous les Suédois , ils étaient portés k s'oppofer a toute entreprife qu'il eüt m renter contre la liberté publique.  $E S.UEDE. 5-5 Aufli un effet fi vigoureux de finfluence que le Roi avait acquife, les tint en fujétion tout le refte de fon regne,qui finic dans la plus parfaite tranquillité. Mais ce fut trop tot pour 1'accompliflement de tous les projets du Prince. II avait, il eft vrai, gouverné avec beaucoup plus d'autorité qn'aucun de fes prédécefleurs : rrtais il en était redevabie a fes qualitës perfonnelles , & non au tróne qüil occupait. C'était Magnus, & non le Rpi, qui était obéi & refpefté. II n'était rien moins qu'aifc de tranfmettre cette augmentation de pouvoir de la perfonne du Monarque a la Couronne elle-même, de maniere a en faire partie de la conftitution. Magnus eüt peut-être achevé ce grand ouvrage, s'il eüt vécu plus longtemps. La mort de ce Prince, a la fleur de fon age , vint, heureufemenc pour les Suédois, les empêcher de porter trop loin leur complaifance C iij  54 Révolution pour un Prince favori ; Sc 1'extrême jeuneffe de fon fuccefleur prévint les conféquences fatales pour leur liberté., que la politique adroite de Magnus aurait pu produire. Si je me fuis peut-être trop arrêté Fur ce regne, c'eft qu'il m'a paru néceffaire de marquer davanrage les premiers changemens opérés dans le Gouvernement Suédois , Sc ce regne «n forme 1'époque. Une augmentation fi grande du levenu de la Couronne dut néceffairement accroitre Tautorité du Prince. Par un emploi vigoureux Sc foutenu de cette autorité, Magnus humilia J'efprit hautain de la NoblefTe , Sc infpira au refte de la Nation un refj>e& pour la dignité royale , peu connu jufqu'alors. En ne fe fervant de fon pouvoir que pour le bien public , il familiarifa fes fujets avec des acies arbitraires, qui, dans fes prédécefleurs, auraient éprouvé la plus  d£ s ü 'e d ê, vlolente oppofition. Le caraftere & la conduite de ce Prince femblent, en quelque forte , juftifier leur complaifance pour lui. Mais ils ne prévirent point les conféquences dangereufes dün exemple qui frayait la route au pouvoir arbitraire , & ils ne fur ent pas s'en garantir. Tous les Hiftoriens conviennent, que fi les fucceffeufs de ce Prince euffent eu les mêrnes talens que lui, il eft probable que la conftitution libre de la Suede fe ferait changée en une Monarchie abfolue. Mais a famort, Birger fon fils n'avait que onze ans, & Terkei Canutron , qui fur. nommé Bégent pendant Ia minorité du jeune Prince, n'était pas d'humeur k facrifier la liberté de fa Patrie a 1'idoie de l'autorité rovaie. Magniis avait aufli commisune faute , dans laquelle étaient tomhés plufieurs de fes prédéceffeurs. II avait démembrc fes Etats, pour en faire des apanages a C iv  56 Révolutionfes cadets ; & quoique Birger eüt Ie titre de Roi, Eric & Waldemar fes freres avaient prefque autant de pouvoir & de domaines que lui - même. Ce partage produifït eet efprit de rivalité, ces jaloufies & ces querelles , qüil ne manquait jamais d'exciter. Le Roi, occupé d'intérêts plus prefians, n'avait ni le temps ni I'occafion ' de fuivre 1'artificieufe politique de fon pere, quand même il en eüt eu tous les talens. Cependant le plan de Magnus avait été trop bien jeté , pour .ne pas amener, après fa mort, plufieurs des conféquences que fa fagacité avait prévues. En introduifant ü la Cour une magnifkence & un luxe jufqüalors inconnus, il donna a la Couronne une nouvelle majefté , & diminua infiniment 1'importance de la NoblefTe dans Topinion du peuple, toujours gouverné par les apparences. En infpirant aufü du refpect poiy; fa per-  DE S U E D E. fonne, il les avait préparés a fe foumettre a 1'autorité du Roi : en cela il fut imité par fes fuccefTeurs. 11 les avait mis a portee de le faire par 1'immenfe augmentation du revenu de la Couronne , en même temps qu'il leur avait appris par fon exemple quel avantage ils pouvaient tirer des alliances étrangeres, Sc combien efficacement ils pouvaient en être foutenus contre leurs fujets. Quoique plufieurs circonftances aient contribué a faire fubfifter encore long - temps la liberté des Suédois , c'eft pourtant de ce'regne que nous voyons le pouvoir de la Couronne augmenter graduellement. Le caractere Sc Pinclination du peuple changent a tel point, que Favidité des Princes a ufurper 1'autorité , furpaffe a peine fa bafie facilité a s'y foumettie. Birger, les deux Ducs fes freres ichargent Ia Nation d'impöts acc^Cy  58 Révolution blans, & tont eft foufFerc avec une patience fans exemple. Cependant Fon voit bientöt une Révolution. Birger eft détróné; Mathos Kettlemanfon déclaré Frotecteur ; & Magnus, fils du Duc Eric , ügé feulernent de trois ans, eft mis fur le tröne. Mais n'attribuons pas cette Révolution a leur antique amour de la liberté. Cet efprit parait alors éteint 5 au moins avait-il été fi affaibli, qüil fallait d'autres motifs pour pouffer la Nation a cette réfiftance. Aufü , quoique Birger fut coupabie d'oppreffion, bieh plus forte que celles qui avaient couté la couronne a tant d'autres Princes , on prit les armes fous un autre prétexte. II avait fait mourir fes deux freres Eric & Waldemar , d'une maniere auffi perfide que barbare. Sa cruauté dénaturée envers ces deux Princes, qui peut-être ne méritaient pas plus la faveur du peu-  t>E SUEDE.

quer a fes fujets pat ces collecteurs militaires. Peu content d'avoir impofé a fes peuples un fardeau au dellus de leurs forces, Albert demande tout a coup le tiers des revenus du Royaume. La Diete refufa d'y confentir. Mais le Roi, qui ne les avait confultés que pour la forme, & décidé de n'avoir aucun égard a leurs remontrances ^ prend par force ce qu'il ne pouvaic obtenir de bonne volonté. Tel était alors ravililfement des Nobles Suédois, que fi Albert fe fut contenté d'envahir ainfi les biens des feuls laïcs , il aurait probablement jouï fans trouble de fes ufurpations : mais fa folie fut égale a fon avidité , en attaquant aulfi le patrimoine de 1'Eglife. C'ctait Ie für moyen de fe faire, du puilfant Corps du Clergé , un mortel ennemi. L'union fut alors générale pour fe délivrer d'un coramun  DE S U E D E. 6$ Tyran. Mais II la dépofition de Magnus avait été fi difBcile a effe&uer, challer Albert d'un tróne oü il était fi bien fortirié , dut être un ouvrage bien plus difficile encore. Albert, maitre de toutes les fortereffes du Royaume, appuyé d'une armee d'étrangers au dedans, & für d'un puiffant fecours de fes alliés, dont le dëfpotifme avait forcé la principale Nobleffe a s'exiler, & chercher un afile en Danemarck; Albert, dis-je, avait un pouvoir trop bien étayé, pour être renverfé par un peuple déja épuifé , ou trop découragé, pour ofer fe fervir des forces qui lui reftaient. Déterminës cejrendant a ne fe pas foumettre plus löng-temps a un joug devenu infupportable , ils eureritFimprudence d'offrir la couronne a Marguerite, Reine de Danemarck & de Norwege. Cette habile Princeffe, qui voyait depuis long - temps avec une fatisfadion fecrete la fituation a la-  (>6 R é v e l v t ï o n quelle les Suédois étaient réduit^ , avait trop d'ambition pour n'en pas tirer avantage. Elle accepta 1'offre ; mais en y mettant fes conditions : conditionfl. qui furent pour la Suede la fource du plus hofrïble efclavage. S'il était un Souverain pour qui le tröne de Suede dut paraitre k jamais ferme, c'était fans doute un Prince Danois. L'antipathie des deux Nations femblait en rendre 1'idée extravagante : mais cette mefure était peut - être plus imprudente encore qu'extraosdinaire4 Depuis 1'augmentation des revenus de laCouronne, les Princes Suédois s'étaient vus en état de fe faire un parti dans la Nation, qui rendait leur pouvoir bien plus redoutable ; & Ia tyrannie d'AIbert ne leur avait que trop appris combien plus dangereux encore était ce pouvoir , quand le* Princes avaient des reffources étrangeres. Ainfi donc, donner leur cou-  de Suede. 6j ronr.e au plus puiffant Souverain du Nord, qui nou feulement voudraic puk de la même autorité que fes prédéceiTeurs 3 mais avait déja les forces de deux Royaumes pour faire valoir fes prétentions, était un expediënt calculé pour appefantir les chaines qu'ils voulaient brifer. Pouvaient-ils efpéïer qu'une PrincelTe auffi puhTante refpeflerait plus leurs droits & leurs privileges, que ne Favaient fait des Princes de leur Nation ? Mais telle était la haine des Suédois pour Albert, & telle fut leur précipitation dans tous les moyens, qui pouvaient les délivrer de ce Tyran , quiis ne crurent jamais trop faire. Ils avaient reconnu Marguerite pour leur Reine ; mais pour öter au Prince détröné toute efpérance de retour, i'sfe dépouillerent de celui de leurs droits auquel ils avaient toujours le plus tenu, celui d'él ire leur Souvelain. Peu de temps après que Mar-  68 Révoiütïoh guerite fut montée fur le tröne, ils lui permirent de fe nommer uu fuccelTeur. Pendant que les Suédois étaient induftrieux a forger ainfi leurs propres chaines , Marguerite raéditair un coup qui avait été depuis long-temps 1'objet de fon ambition. Non contente d'avoir réuni fur fa tête les trois couronnes du Nord, elle voulut rendre cette union durable. Ce fut-ia 1'objet du Traité de Calmar ; Traité auquel fes fujets Suédois furent affez aveugles d'accéder, ou affez faibles pour ne pouvoir s'oppofer. Le moindre mal qui en pouvait réfulter, était de voir leur Royaume devenir une Province du Danemarck. Maisla demande de leur Souverain était un ordre qui ne iaiffait point de choix ; & Marguerite, affez puiffante pour commander 1'obéiffance, n'était pas d'humeur a fouffrir la contradiétion.  SüECl. 6p Section troisieme, Suites fune fles du Traité de Calmar. I^es fources de défordres étaient déja en aflez grand nombre dans ce turbulent Royaume ; mais le Traité de Calmar ouvre dans fon Hiftoire une nouvelle fcene de confufion & d'anarchie, Ce fut-la le titre des prétentions du Danemarck fur la Couronne de Suede, qui plongerent, pendant plus d'un fiecle, les deux Royaumes dans les guerres les plus fanglantes qui aient affligé aucune Nation. Ce fut Ia fatale caufe qui divifa la Nation en deux factions d'un acharnement fans exemple ; 1'une, réfolue de maintenir 1'indépendance de faPatrie; I'autre, également déterminée a foutenir les termes du Traité, ou cherchant, fous  70 R.ÉVOLUTI0N ce prétexte, mais réellement par jaloufie & ambition, a anéantir les vues patriotiques de ceux qui refufaient d'admettre les prétentions des Princes Danois. II eft vrai que les Suédois, avant leur acceffion a Tunion des trois j Couronnes , avaient pris, contre fes fuites , toutes les précautions que leur prudence put leur fuggérer. Ils avaient fur-tout ftipulé de conferver i leurs Loix, leurs coutumes , Sc tous leurs priviléges quelconques : que les fujets du Danemarck & de Norwege I ne pourraïent pofféder en Suede au- | cun emploi lucratif ou honoiable. Mais Marguerite, qui d'abord avait 1 confenti a tout fans diflF.culté , en fit | enfuite auffi peu pour agir contre fes > promelTes, Sc les Princes fes fucceffeurs ne fe conformerent a aucun des I articles du Traité d'union. Maitres de toutes les forterelTes , Sc conféquem-  de Suede. 71 ment du Royaume, ils ne parurent avoir pour objet que d'abaiffer la Nobleffe, de leloigner de tous les emplois, & de réduire le peuple a un tel efclavage, qu'il fut hors d etat de remuer. Mais leur conduite fut toute différente avec le Clergé. Ils le coüvrirent de marqués de faveur & de ■diftindion. Ces Princes étaient affez politiques pour fentir qu'il fallait être fur dace Corps , pour tyrannifer enfuice fans inquiétude tout Ie refle de la Nation. Aufiï les vit-on fon der des Monafteres, enrichir les Eglifes , & porter Ie pouvoir & ies privileges des Evêques au dela même, sil eüt été -poffible , des rêves de leur ambition. Gagnés par cette conduite, les Prélats furent toujours les Avocats les plus zélés du Traité de Calmar, Sc les plus violens ennemis de ceux qui cherchaient a brifer les fers que  72 RÉVOLUTIOM ce Traité avait donnés a leur Patrie. En conféquence de cette fatale union des trois Couronnes , la plus grande partie des Suédois fe trouva donc expofce a la plus terrible des oppreffions, celle qui vient de 1'Etranger • & ce qui rendait leur fituation plus déplorable encore., un Corps confidérable de leurs Concitoyens était intérelfé a maintenir cette tyrannie. Cela produifait deux effets également deftru&eurs. Ou ils étaient la proie de la rapacité des Gouverneurs Danois, dont les impofitions étaient d'autant plus exorbitantes, qu'ils étaient fürs de 1'impunité; qui, non contens de faifir les biens da ce peuple infortuné , punilfaient fouvent, dans la perfonne de ces malheureux, leur impuiffance de payer des taxes, impofées avec aufTi peu de jugement que d'humaqité : ou bien ils  de Suede. 73 ils fe déchiraient eux - rriêmes par leurs dilTentions domeftiques. Si leurs Tyrans les laiilaient refpirer un inftant, eet intervalle était rempli par les horreurs de la guerre civile. Ces malheureux, dévorés par la rage des paitis, aigris par le riel des rancunes Sc laviolence des haines, étaient entrainés par le démon dé la difcorde dans des querelles éternelles, & faifaient de nouveau couler des ruiiTeaux de ce fang dont 1'épée Danoife n'avait été que trop trempée. Peu après la mort de Marguerite, Engelbreckt & Eric Packe prennent les armes pour délivrer leur Patrie de 1'oppreiTion d'Eric, fucceffeurde cette PrinceUe. Enflammés de eet enthoufiafme de liberté qui avait jadis caraftérifé leur Nation , leurs efforts furent courageux Sc héroïques. Le Sénat refufe de reconnaitrele Prince, & le Gouvernement eft mis dans les mains de Charles Canutfon , grand D  74 RÉVOLUTION Maréchal de Suede. Sa naiffance & fon rang lui valurent ce qui était du aUx fervices d'Engelbreckt & de Packe. Le meurtre du premier, & 1'execution du fecond qui avait pris les armes pour venger la mort de fon ami, furent les récompenfes qu'ils recurent de Canutfon. Alors les Suédois , comme s'ils avaient déja oublié ce qu'ils avaient foivffert du Gouvernement Danois , parurent avoir envie de rappeler -Ene. Le Peuple,dégoüté de la manierefevere dont le Maréchal exercait fon pouvoir ; la NoblelTe , jaloufe de voir un égal au deffus d'elle, tous fe réunirent pour faire échouer fes projets fur la couronne , qu'il ne prenait pas la peine de cacher. Eric venait auffi d'ètre dépofé en Danemarck & en Norwege. Hss'unirent a ces deux Royaumes pour élire Chriftophe de Baviere, qui pnt cette triple couronne aux raêmes  de Suede. y$ ij ferm es que Marguerite & Eric. Peu 1 inftruit par I'exemple de fon prédé1 ceffeur, Chriftophe marcha fur fes I traces; & il aurait eu le même fort, fi la mort, enprévenantfa tyrannie, 1 n'avait épargné a la Suede tout le I fang qu'une autre Révolution lui auI rait néceilairement couté. j Nous les voyons alors retourner J i ce même homme qu'ils avaient juge', fi peu de temps auparavant, indigne de Ia couronne. Charles Canutfon j eft élu Roi par une grande majorité ; i mais il ne jouit pas long-temps de fa (nouvelle dignité. Les intrigues des i Prélats & des autres partifans du Da5 nemarck , quelques aftes tyranniques, ijque la violence de fon caratfere lui •ïfirent commettre, produifent bientöc tune révolte générale de fes fujets Elle eft fuivie de fa dépofition, du' renouvellement du Traité de Calmar & de Péleftion de Chriftiern I. H ferait difficile de décider ce qui Dij 4  76 RÉVOLUTION était le plus extraordinaire , ou la légéreté des Suédois en changeant fi fouvent de Makres, ou leur retour a ; une uniöh, dont une dure expérience leur avait appris qu'ils ne devaient attendre que la plus accablante oppreffion. Auffi Chriftiern leur fourmtil promptement des raifons de pleurer leur folie, & nous voyons bientöt après Canutfon affis de nouveau fur le tröne ; mais ce n'était que pour en être précipité auffi vite qu'il y était monté. On Le forQa de jurer de n'afpirer jamais a la couronne, de la refufer même, dans le cas oü elle lui ferait offerte. Cependant Charles; recouvre le fceptre pour la troifieme j fois; & fa mort, qui arriva bientót| après, lui évita probablement la mor-j tification de le voir encore une foisj arracher de fes mains. La conduite de ce Prince fut fans doute plus extraordinaire encorej que celle de fes prédécefleurs, &  de Suede, 77 eft une preuve frappante de 1'efprit d'anarchie qui dominait dans la Nation. Si les Monarques qui le précéderent fuivirent un fyftême arbitraire, s'ils extorquerent des taxes de leurs fujets avec une rapacité cruelle, au moins leur pouvoir était-il fondé fur une bafe aflez folide, & leur autorité généralement reconnue. Mais que Charles ait fuivi les rnêmes maximes, qu'il ait été coupable des mèmes opprefïïons, lui qui n'avait recu la Couronne de fes Concitoyens que pour les déiivrer d'un Tyran ; lui dont 1'autorité avait toujours été difputée par un grand nombre de fes fujets; qui avait continuellement fur les bras toutes les farces du Danemarck, dont les Princes réclamaient I fa couronne un droit foutenu par un parti dans Uitat ; que Charles, dis-je , au lieu ctfe fe conciüer FaffecUon de fes Peuples, ait agi auffi tyranniquement que fes prédécefleurs, D iij  7 8' Revoeution ïl faudraic 1'attribuer a démence, fi 1'on ne voyait que Fefprit d'anarchie s'étaic emparé de toutes les têtes. ia oü 1'amour de la conftitution eft éteint parmi les fujets, doit-on s'attendre que le Souverain refpecte leurs droits ? Depuis Ie temps oü. Charles fut mis a la tête des troupes levées par Engelbreckt, jufqu'a fa mort, qui forme un efpace de trente - fix années, la Suede nous offre le tableau Ie plus effrayant & le plus terrible. II eft aifé d'en juger par la courte analyfe que j'ai tracée de l'Hiftoire de cette période ; période qui fournit fept Révolutions complettes, indépendantesd'une quantitéde révoltes | dont Ie feu fut éteint avant qu'il 1 eüt affez de forces pour produire un f grand incendie ; période pendant la- J quelle , fans ceffe déchirés par une I fucceffion d'injures, demaffacres, & | de tous les outrages que la rage des  D E S.U.E D E. 79 § faciions, abandonnée a elle-même, | ne manque jamais de p&oduire, les 3 efprits parurent exaltés^a un degré de J fureur qui touchait a la frénéfie. I Enfin tant inconcevable était alors I 1'inconféquence de la conduite des 1 Suédois; tant barbare était leur abI furdité ; tant était dépourvue d'aui] cun but apparent leur deftruftion I mutuelle, que dans ces jours de fuI perftition , un fpeftateur indifférent 1 aurak été tenté de croire que quel1 que démon, attaché a la mine de ce if Koyaume, s'était emparé de fes Hall bitans. Tels furent les fruks du Traité de i Calmar. II ferait inutile de s'arrêter plus 1 long-temps fur des fcenes fi défagréa1 bles. 11 fuffit d'obferver, qu'excepté I quelques courts intervalles , ces convulfions agiterent continuellement la Suede, jufqu'a ce qu'enfln 1'horrible i maffacre de la Nobleffe a Stockholm D iv  80 R £ V O L U TI ON fous Chriftiern Second vint conibler la mefure des malheurs de cette contrée. Cette cataftrophe était une fin digne des événemens qui 1'avaient préparée, & le dernier trait qui manquait a eet horrible & défolant tableau. Cependant, comme aux maux extrêmes il faut de grands remedes, cette atrocité de 1'infame Néron du Nord produifit de bons efFets, & prépara la céiebre Révolution qui placabientöt après Guftave Vafa fur le tróne. Mais avant de pafier a ce mémorable événement , il ne fera pas peut-être hors de, propos de faire quelquesremarques fur les changemens que le Traité de Calmar dut procluire dans le Gouvernement & les moeurs des Suédois. Gouvernement , Moeurs & Coutumes. LTtat ne pouvait guere s'améliorer dans un temps d'une anarchie  D E S U E D E. Si J univerfelle, de diffentions violentes <5c 1 de guerres fanglantes au dehors. L'in| quiétude de caradere, la légereté de i difpofition , fi connue dans cette | Nation, durent. au&ontraire augmen\ ter en proportion de 1'inftabilité du Gouvernement. Avant 1'union des S trois couronne, les vices d'un GouI vernement éledif étaient du moins prefque corrigés par la préférence que les Suédois donnaient conflamment a la poftérité de leurs anciens Rois. Si la fucceffion était quelquefois difpuuée , c'était toujours par des branches différentes de la Maifon Royale ;& eet ufage, ótantaux NobleS toute efpérance a la couronne, prévenait leurs querelles. Le préjugé de la Nation fe fixa même a la defcendance direde. A la mort du pere , le fils était généralement fur de lui fuccéder , a moins qu'il n'eüt donné d'avance des fujets. de dégout aux Membres de 1'éledion, Par-la, les Mo* D v  "82 RjÊ'VOLUTION narques Suédois femblaient avoir un doublé titre a la couronne ; 1'un, en vertu de leur éledion, 1'autre, par leur naiffance. II eft vrai que dans un Etat éledif, le dernier n'était ni ne pouvait leur être garanti par la conftitution : mais il était fondé fur 1'ufage & la prédileftion du Peuple pour la Familie Royale ; & cela revenait au même. Cette coutume coupait racine a ces divifions, qui manquent rarement de fuivre la mort des Princes éledifs. Elle donnait aux Souverains Suédois un degré de fécurité qu'ils n'auraient pu avoir, fi leurs fujets ne les avaient regardés que comme les créatures de leur choix, & diminuait fans doute beaucoup 1'infiabilité de eet Etat. Mais lors du Traité de Calmar, 1'ancienne Familie Royale était éteinte, Loin donc d'avoir cette même prédiledion pour des Princes qui devenaient leurs Souverains en vertu de  de Suede. 83 ce Traité, il était naturel que les Suédois tiraflent de lancienne inimitié nationale une forte d'antipathie contre eux. Ces Princes perdaient donc ce qui avait été le principal appui de 1'autorité de leurs prédécefieurs, & cette averfion de leurs nouveaux fujets devait augmenter encore leur inquiete difpofition, qu'il avait toujours été fi difficile de gouverner. Auffi voyons-nous, qu'excepté Marguerite , dont les talens fupérieurs lui conferverent le fceptre jufqu'a fa mort, Sc Chriftophe, dont Ie trépas prévint la cbute, aucun des Princes Danois, qui fuccéderent au tröne de Suede, ne put s'y maintenir , quelque puiffamment foutenu qu'il füt par les forces réunies du Danemarck & de la Norwege. Charles Canutfon lui-même, tout Suédois qu'il était, n'ayant point d'autre droit a la couronne que celui de fon éle&ion} ne parut être que D vj  "82 RÉ'VOLUTION narques Suédois femblaient avoir un doublé titre a la couronne ; Fun, en vertu de leur éleftion, Fautre, par leur naifiance. II jft vrai que dans un Etat électif, le dernier n'était ni ne pouvait leur être garanti par la conftitution : mais il était fondé fur Pufage & la prédileftion du Peuple pour la Familie Royale ; & cela revenait au même. Cette coutume coupait racine a ces divifions, qui manquent rarement de fuivre la mort des Princes électifs. Elle donnait aux Souverains Suédois un degré de fécurité qu'ils n'auraient pu avoir, fi leurs fujets ne les avaient regardés que comme les créatures de leur choix, Sc diminuait fans doute beaucoup Pinftabilité de eet Etat. Mais lors du Traité de Calmar, Pancienne Familie Royale étaitéteinte, Loin donc d'avoir cette même prédiledion pour des Princes qui devenaient leurs Souverains en vertu de,  de Suede. 83 ce Traité, il était naturel que les Suédois tiraffent de fancienne inimitié nationale une forte d'antipathie contre eux. Ces Princes perdaient donc ce qui avait été le principal appui de 1'autorité de leurs prédécefleurs, & cette averfion de leurs nouveaux fujets devait augmenter encore leur inquiete difpofition , qu'il avait toujours été fi difficile de gouverner. Auffi voyons-nous, qu'excepté Marguerite , dont les talens fupérieurs lui conferverent le fceptre jufqu'a fa mort, & Chriftophe, dont Je trépas prévint la cbute, aucun des Princes Danois, qui fuccéderent au tróne de Suede, ne put sy maintenir , quelque puiffamment foutenu qu'il fut par les forces réunies du Danemarck & de la Norwege. Charles Canutfon lui-même, tout Suédois qu'il était, n'ayant point d'autre droit a la couronne que celui de fon élection, ne parut être que D vj  84 RÉ VOL U TION le jouet de fes fujets, qui le dépoferent & rétablirent tant de fois. Si le Traité de Cahnar, en jetanC TEtat dans la confufion & 1'anarchie , augmenta la turbulence naturelle des Suédois ; s'il fit revivre parmi eux ces moeurs barbares , qui avaient commencé a s'adoucir fous Magnus Ladulas & fes fuccefieurs immédiats : ce fyfiême malheureux enfanta d'autres conféquences encore plus fatales è la liberté. La quefïion ne fut plus comment la Nation ferait gouverriée; mais qui la gouvernerait .? Un Danois, ou un Suédois ? Un Roi choifi fuivant les termes du Traité, ou en oppofition a ce Traité ? Ce fut-la Ie grand point, a qui tout autre parut céder. L'amour de Ia liberté fe changea en efprit de parti : Ie magnanime enthoufiafme de 1'un fut enfeveli dans la violence & la fureur de i'autre. L'attachement a la confh'tution perdu dans le dévouement aux  'de Suede. 8y > individus. On combattait pour des Tyrans. Chaque faftion était opprimée par celui dont elle avait foutenu la caufe aux dépens de fon fang. Mais tel était Faveuglement, que tout -fentiment eédait au plaifir infructueux d'atterrer fon adverfaire. Politlqite , Loix, Sciences, Arts & Commerce. Pendant un efpace de cent cinquante années que nous voyons le pouvoir des Princes Suédois alle/ toujours en augmentant, ils ne prirent aucunes mefures qui puffent contribuer au bonheur de la fociété; aucune amélioration, au dedans , point de régiement pour faciliter radminiftration de la jufiice , pour établir le bón ordre, affurer aux individus la fürefe de leurs perfonnes , & la jouiifance de leurs biens. Nous ne voyons employer aucuns des moyens qui tendent  86 R F. V O L U T I O N , Sec. a éclairer le Peuple , ou a adoucir fes moeurs ; aucune connoiffance des Lettres ; une ignorance abfolue des Sciences & des Arts, Sc peu ou pokte de tentatives pour introduire le commerce. Ainfi, fans avoir fait un feul pas vers lordre & ï'établiffement de la tranquillité publique , les Suédois fe trouverent privés en même temps & de leur liberté & du peu d'avantages, qui font le produit du pouvoir abfolu. Telle était leur condition , vers lé milieu du feizieme fiecle , Sc telles furent les caufes qui les laifferent alors fi loin derrière pr'efque toutes les Nations d'Europe , quant a Ia politique Sc a la civilifation des moeurs.  HiSTOlRE DE LA DERNIERE RÉVOLUTXON" DE SUEDE. SECONDE PARTIE. -=-^yg?^—==^is£? Analyfe de VHïftoire de Suede depuis la Révoluuon opérée par Gujiave Vafa en 1510, jufqu'ci lamort de Charles XII en 1718. J"amais époque ne fut plus favorable a Fétabliffement d'une Monarchie abfolue , que ceüe oü Guftave Vafa Kionta fur le tröne. Pendant ces con-  88 RÉVOLUTI O N teftations fanglantes , qui, G longtemps, diviferent les Nobles , accablerent le Peuple , & défolerent Ie Royaume, 1'ancienne forme de Gouvernement n'avait exiffé qu'en idee ; le Peuple avait perdu de vue la liberté. Plus d'un fiecle de m-ffacres Sc d'anarchie avait chan.;é les idees , étouffé 1'amour de I'indépendance , aviü la Nation. En proie'a la fureur des partis , livré aveuglément aux Chefs des factions qui déchiraient 1'Etat, le Peuple avait été drefle a la foumiffion par le defpotifme de ceux qui dirigeaient les affaires publiques. Si fon fort avait été fufpendu, ce fut faute de s'accorder fur le choix d'un Maitre. Les Chefs momentanés de 1'Etat agiffaient avec une autorité parement arbitraire : mais leur nombre même empêchait leurs fuccès, & c'était a leur rivalité que la conftitution devait fon fantöme d'exif$encs. Quand Guftave parut , ce  de Suede. 89 refle d'obftacle n'exiftoit plus. A la première nouvelle de fon infurredion, Chriftiern donna ordre aux Officiers Danois qui étaient en Suede, de mettre a mort indiftindement tous les Gentilshommes Suédois qui tomberaient en leur pouvoir , amis ou ennemis. Cette horrible exécution avait été précédée par le maffacre de la principale Noblefle a Stockolhm. Le Danois n'imaginait guere que les mefures qu'il croyait devoir lui affurer Ie tröne de Suede , ne feryiraient en effet qu'a préparer les voies aux fueeès de fon ennemi. Elles laiilerent Guftave fans rival a la couronne, & le Peuple fans Chefs pour les fadions. Elles donnaient donc au Pnnce la pofleffion tranquille du Royaume, & h la Nation cette unanimité, qui feule pouvait la mettre en état de fecouer le joug Danois. Ainfi radion la plus atroeè qui ait jamais fiém la vie d'un Prince, pioduifit les plus  2 RÉVOLUTION vel ennemi, tandis qu'un ancien était encore a craindre. Auffi fuivit-il une conduite toute différente de celle de fes prédéceffeurs. Depuis-le Traité de Calmar , les Monarques Danois avaient conftamment réclamé la couronne de Suede ; prétention néceffairement injufte , puifqu'elle n'était fondée que fur un Traité , a.uquel ils ne s'étaient conformés eux-mêmes en aueun article. Mais Frédérie, loin de chercher a faire valoir ce prétendu droit, mit tous fes foins a cultiver Famitié de Guftave; Sc le Monarque Suédois trouva un Allié dans une Puifiance , qui , pendant plus d'un fiecle , s'était montrée la plus implacable ennemie de fon pays. Une multitude de circonftances concouraient donc a donner a Guftave un degré de pouvoir , dont aucun cle fes prédéceffeurs n'avait joui. Pour fentir combien folide était la bafe de ce  de Suede. 93 pouvoir , il fuffit de remarquer 1'étonnant changement qu'il opéra dans la Religion de fes Sujets. Les Prclats Suédois n'avaient pas peu contribué fans doute par leurs richeffes, leur fierté & leur ambition , a plonger leur patrie dans 1'état déplorable d'oü Guftave avait fu la tirer. II était donc auffi efientiel quedifficile de diminuer les biens & de reftreindre le pouvoir de ces Prêtres hautains. Jufqu'alors la plus légere atteinte aux droits du Clergé avait fouvent couté la couronne 'aux Monarques Suédois. Ainfi donc attaquer la Religion elle-même pour humilier fes Miniftres, extirper les cérémonies de l'Eglife Romaine chez un Peuple auffi fuperftitieux que les Suédois, était, il eft vrai, une entreprife qui pouvait flatter le génie audacieux de Guftave ; mais demandait en même temps un Prince qui eüt tous fes ta-  $>4 RÉV.OLUTION lens, & qui fut auffi fur de 1'amour de fes fujets. II réuffit ; la réforme fut entiere. Ces hommes fi long-temps rivaux de leurs Souverains, qui avaient fait la loi a la Couronne , qui foufflaient la difcorde au lieu de prêcher la paix, dont 1'infatiable ambition dévorait les richeffes avec la même avidité qu'ils avaient acquis leur pouvoir, furent enfin repouffés dans leur fphere , & forcés de s'occuper du devoir , long-temps négligé, de leur miniftere. Quelque falutaires que fuffent les conféquences de cette entreprife elle n'était pas moins dangereufe pour un Roi éleétif, & a peine affermi fur le tróne. Un Prince moins entreprenant eüt fans doute cru plus prudent de faire fa cour au Clergéi, & de mettre ce Corps dans fes intéréts, pour affurer davantage fon autorité fur le refie de fes fujets.  de Suede. nj Mais Guftave dédaignait ces moyens. La plus forteoppofition a fa glorieufe entreprife était venue de la part des Evêques. II ne voulait pas diffimuler avec des hommes qui avaient encouru fa plus vive indignation. 11 prévoyait d'ailleurs que tant que les Prélats jouiraient du pouvoir temporel, qu'ils avaient ufiirpé, la tranquillité publiquene pouvait avoir une durée certaine , ni 1'autorité royale une bafe folide. Ainfi, pour affaiblir un pouvoir dont on avait fi fouvent abufé , il jugea nécefiaire de 1'attaquer dans fon principe. Guftave, a fon avénement au tröne, trouva tous les revenus publics épuifés. L'état déplorable d'un pays dont tous les Habitans, excepté le Clergéj avaient été long-temps expofés a 1'inhumaine rapacité de Traitans étrangers, fous les ordres d'un Tyran infatiable, ne laiffait a ce Prince que trés-peu de reffources pour rétablir  96 R É V O LU T I O N les finances du Royaume. II crut ne pouvoir ' mieux remplir eet objet, qu'en y empioyant les richefles im- ! menfes & fuperflues du Clergé. C'était rifquerbeaucoup, fans doute, dehafarder une pareille entreprife. Se plonger dans de nouveaux troubles a 1'inftant qu'il commengak a jouir du fruit de ces fuccès, pouvait convenir a fon caradere guerrier , mais femblait ne pas répondre a la fageffe. ordinaire de fa politique. Ce Prince. avait fans doute de puiffans motifs, & c'était probablement le deffein qu'il méditait de rendre la couronne héréditaire dans fa familie. Les mefures qu'il prit pour combattre; tous les obftacles qu'il avait a furmonter, furent calculées avec une prudence qui démontre qu'il proje-: tait avec autant de fang froid , qu'd exécutait avec feu & vigueur. II rëufl fit en tont. Les Suédois abandonne-j rent, en faveur do fa defcendance I iufqu'aü  de Suede. $j I Jufqu'au droit d élire leur Souverain, 1 & s'öterenr par - la la poffibilité de I ftipuler avec fon fucceiïeur , des coni ditions qui auraienc pu ramener la \ conftitution a fes premiers principes. Telle fut pourtant la modération % I la juftice & la fageffe de Guftave, I & tel. avait été 1'état affreux de ce I Royaume avant fon regne , que les I Suédois, loin de concevoir qu'ila 1 euflent perdu quelque chofe aux changemens öpérés par ce Prince , durenq' I au contraire regarder toute altéraI tion comme un avantage. Ils ne pré-: 1 voyaient guere tout ce que leur Paij trie fouffrirait un jour du detpotifme 1 de Charles XI Sc de Charles XII, Au . lieu des horreurs des guerres civiles, | & de la tyrannie d'un joug étranger , ï ijs virent 1'indépendance du Royaume recouvrée , la paix & 1'ordre rétablis, la juftice exactement adminif- . trée, le commerce protégé, les,Arts • Sc les Sciences encouragés; ils virent; E  E Suede. ior I leur enfance aux fatigües & au tra| vail, les Dalécarliens forment peutI être en Suede la race d'hommes la I plus forte & la plus robufte. S'ils ignorent les rannemens de» i fociétés policées qui habitent de plus 1 agréables climats, ils en ignorent auffi i les vices. lis ont encore la première I" fimplicité de leurs moeurs : b.umIbles , mais braves , iis fupportent I les travaux , mais non pas 1'opprefI fion : foumis , quand la foumiffion ileur parait un devoir ; intraitabies , ijs ils croient fautorité ufurpation : Igénéreux Sc romanefques dans leurs jnotions naturelles d'honneur : échaufIfés de eet efprit entreprenant, quï laccorapagne communément un grand ■courage, on les vit fans cefTe redrefferjdes griefs , par lefquels ils rfétaient >eux-mêmes que peu ou point Jéfés. En füreté dans leurs montagnes, on les laiiTalt jouir tranquilleraent de deurs 'ruftiques coutumes. Hors de la E iij  102 RïVOLUTION -portee de la tyrannie , ils ne fubirent 5pas le joug qui accabla plufieurs fois -les autres.habitans de la Suede. Mais quand ces derniers n'avaient pas la iermeté de s'oppofer a leurs tyrans , 3es Dalécarliens s'en chargerent pour *ux. C'eft aïnfi qu'on les vit fe précipiter , comme un torrent, de leurs Toehers, & du fond de leurs forêts , ïuivre 1'étendard d'un Engelbreckt, j verfer leur fang pour la défenfe d'un Sture, & conquérir fous la banniere de Guftave : telles étaient les vertus de ce Peuple. Mais ces vertus ont un inconvéjuent inévitable & terrible. Tout ce que la fimplicité produit de crédulité, Sc 1'ignorance de fuperftition , fe ïrouvait chez ce Peuple. Ainfi donc •des difpofitions, qui pouvaient être dirigées vers le meilleur but poflible, étaient fouvent entre les mains d'hommes artificieux, les inftrumens des j>Iüi mauvais deffeins; auffi les Dalé-  de Suede. 103 eariiens paraiffent-ils la plus turbulente partie de la Nation. Trompés d'un cóté par un impofteur qui fe difait fils du dernier Adminiftrateur entrainés de Fautre par des Prêtres féditieux , ils ne fe révoiterent pas moins de fix fois contre Guitave. Trois des conditions , que les Dalécarliens propoferent a ce Prince dans Ja derniere infurreciion, donneront une jufte idee de leur efprit d'indépendance , de leur fuperftition , & de leur firnplicité. Ils demandaient qu'il ne paffat jamais les limites de leur Province, fans leur donner des otages pour la füreté de leurs privileges ; que tout individu qui mangerait de la viande un jour de jeune , fut brülé , & que le Roi & les Courtifans reprifient Fancien habit Suédois , & ne portaffent plus dorénavant aucun habit ou mode de 1'Etranger. Le dernier E iv  '104 Révolüt ion article fut celui fur lequei ils infifie■rent le plus. Guftave traita ce Peuple vertueux, mais fimple & crédule , avec toute la tendreffe que lui permettoient la tran-tjuillité dë fon Royaume & la fureté dence de s'en réferver a eux-mêmes. Cela entretint dans le Sénat ce goüt d'autotité, que la principale adminiftratioii des affaires, pendant  IIA RÉVOLUTION 1'abfence du dernier Roi, avait dut; leur infpirer. Cetce tournure corri-geait en quelqüe forte la négligence de prendre des mefures contre le futun defpotifme de leurs Souverains , 3c les rendait moins difpofés a s'y foumettre. Le caractere noble & généreux de; Guftave Adolphe, fils de Charles IX, affura a fes fujets la jouiffance entierei de tous les privileges qu'ils poftedaient lors de fonavénement a la coui ronne. Le défenfeur des libertés dd 1'AIlemagne aurait-il pn établir chezl lui le defpotifme?Cet excellent Princei qui unit toutes les vertus fociales auxsj quaiités brillantes qui font le Héros ;| dont la paffior> pour la gloire , quebl que grande quelle füt, ne furpaffail pas fa piété; dont le jugement éga-| lait le courage , quand par tous deux il furpaftait autant les autres hommes, qu'il était au deffus d'eux pat* fon rang; ce Prince, dis-je, qui  de Suede. 115" ne dcfirait régner que dans Ie coeur de fon Peuple, fatisfait du pouvoir qu'il tirait de leur amour, ne fronda jamais le retour de eet efprit de lrberté, qui ,avant la dépofition de Sigifmond , avait commencé a fe montrer. Mais Ia guerre de trente ans, qui fut la fuite de 1'invafion de Guftave dans 1'Empire, ne fervit pas peu a étouffer eet efprit. La paffion pour la gloire militaire, qui enflammait le Maitre, s'empara de la Nation. Tous les Nobles voulurent partager la eloire & les dangers d'un Général tel que Guftave Adolphe , & trés - peu refterent fpecfateurs oififs de fes exploits. Une telle paflïon n'était guere favorable ala liberté, fur-tout quand le Monarque lui-même fe trouvait a la tête de fes troupes. La fubordination & Ia difcipline militaires font aifément perdre de vue les droits du Ckoyen.Le defpotifme, qui doit né-  nt5 Révolution ceffairement régner dans une armee, accoutume le foldat a payer aux perfonnes ce cue les hommes libres ne croient devoir qüaux Loix. L'habitude de fuivre aveuglément les ordres du Général, mene aifément a accorder Ia même déférence au coramandement du Souverain. Lui obéir a un titre Sc non a 1'autre, eft une diftinction peut-être trop fubtile pout un foldat. II eft donc facile d'imaeri- o ner quels effets une guerre fi longue, commencée par Guitave 3c continuée par fon fucceffeur, dut produire fur des hommes qui y avaient pailé la plus grande partie de leur vie. D'ailleurs Ia Nation entiere étonnée, enchantée des fuccès qui couronnaient ce Prince , fiere d'avoir tout a coup percé fon obfcurité pour occuper le rang le plus diftingué aux yeux de I'Europe, était enivrée de fa profpérité. Eblouie par 1'éclat de tant de vidoires, elle ne fongea  de Suede. 117 ptfs a Eavantage plus folide d'établir fa conllicurion fur le pied oü la mort d'Adolphe,& 1'enfance de fon nis, lui offrirent roccafion de la mettre. Oxenfliern, il eft vrai, préfenta a Ia Diete tm projet de Gouvernement attribué a Guftave, qui fut approuvé, ■reeu & ratifié par les Etats. Mais depuis 1'époque de .1'importance que le Sénat avait acquifa en fe trouvant arbitre entre Sigifmond Sc Charles, ce n'ctait plus pour la liberté que les Grands faifaient des efforts. Leur objet unique était d'établir un pou» voir ariftocratique, autant aux dépens de i'autorité royale que dés droits des Etats. Si Guftave avait affez vécu pour exécuter lui-même ce projet de Gouvernement , il faurait probablement confolidé de m.aniere a plier fefprit ariftocratique des Nohles, en refferrant le pouvoir du Sénat dans des hornes qui feuftent empêché de don-  ïlS RÉVOLUTION ner plas long-temps ombrage aux or- I dres inférieurs de 1'Etat : mais lorfque ces régiemens , pour fïxer des bornes au pouvoir du Sénat, étaient digérés par ceux mêmes qui devaient jouir de ce pouvoir, pouvait - on s'attendre qu'ils adoptaffent la même conduite? Un article de cette réforme montre affez que 1'objet de j ceux qui 1'avaient ourdie, était plus ; de s'affurer a eux-mêmes 1'autonté, que de procurer la liberté a leur Pa- j trie. II portait que les Etats ne pour- J raient propofer ou. rédiger aucune Loi, agiter aucune matiere qui ne leur eüt été communiquée par le Roi ou la Régence. C'était effeaivement : affranchir ceux qui avaient 1'adminiftration des affaires publiques de la i cenfure des Etats; Sc il faut remar-ji quer que les auteurs de eet article!) devaient être Régens pendant une longue minorité. | Le pouvoir du Sénat ne produi-l  be Suede. 119 fait point de mécontentement parmi les Nobles ; c'était dans leur ordre Ique les Sénateurs étaient choifis. Mais les autres ordres ne Ie fupportaient qu'avec impatience: c'eft ce qui jeta le fondement de css jaloufies , de ce« divifions entre la Nobleffe d'un cöté, les Payfans & les Bourgeois de 1'autre, qui finirent par 1'efciavage de tous, <5c mirent Cbriftine en état de gouverner avec autant dautorité , que Ie Monarque le plus abfolu d'Europe. L'ordre des Payfans était alors bien différent de ce qu'il avoit été jadis. Ce n'était plus le même Peuple .Si 1'on en lexcepte les Dalécarliens, tout fentiIment de liberté était éteint parmi leux. Depuis le regne de Magnus iLadulas , chaque circonftance avait lété calculée pour avilir 1'efprit hujmain , & étouffer tout fentiment Igénéreux. Auffi nous voyons fous iCluiftine les Payfans foumis, patiens  120 R K V O T. V T ï O N & laboxieux. Nous les voyons avec j toutes les qualités qu'un Prince abfolu peut défirer dans fes Sujets , mais. aucunes de celles fans lefquelles une Nation ne peut être libre, ni même défirer de l'être. Ainfi donc , lorfque la vaine & capricieufe Chriftine prit la fantaifie ■ d'abdiquer fon tröne , elle donna aux Grands, il eft vrai, une belle occafion j d'exécuter leurs deffeins. Mais ils ne ïéuffirent point. Le Peuple n'était plus ! propre a feconder de tels efforts; & quand ill'aurait été , aurait-il voulu fojuterrjrd.es mefures dont le but, fans '■ lui procurer aucunavantage, était de : j^ter toute 1'autorité dans les mains d'un petit nombre de ceux qui la lui faifaient déja fentir avec tant d'infolence 8c d'orgueil? Charles Guftave fut nommé k la fucceffion avant 1'abdication de, Chriftine. Ce coup mit fin a toutes;: les  de Suede. 121 les intrigues. Pendant Ia courte dure'e I du regne de ce Prince, on ne voic j aucun changement; même autorité ] dans le Monarque ; même obéiffance i de Ia part des Sujets. Son objet parut 1 plutöt d'imiter 1'exemple de Guftave è par la hardieffe de fes entreprifes Sc ;| la rapidité de fes conquêtes, que par 1 1'extenGon de fa prérogative. La mort de ce Prince, fuivie d'une tj minorité de prés de feize années, fut jj encore pour les Suédois une belle ij occafion de rentrer dans leurs droits. i Mais fi quelque chofe peut prouver i combien ils étaient incapables de I liberté, c'eft qu'ayant eu, depuis la \i mort de Guftave Vafa , tant d'occaoj fions de la rétablir, ils 1'aient toujours 13 tentée & toujours inutilement. II eü vrai qu'a la mort de Charles ifj les Etats montrerent quelque vigueur. jj Son teftament avait chargé Ie Duc )iAdolphe fon fzere de la tutelle di* F  122 RÉVOLUTION jeune Roi. Les Etats prétendïrent qu'une difpofition telkment liée au Gouvernement, ne pouvait être valide fans leurapprobation; &n'ayant poinC été confultés, ils le dépouillerent de eet emploi. Quand enfuite Charles XI prit les rênes du Gouvernement , ils exigerent' de lui un ferment, qui montre affez que s'ils ignoraient les moyens de prefcrire des ljmites a Pautorité royale , c'était pourtant leur voeu. 11 était concu de cette maniere : Nous maintiendrons tous les „ droits & prérogatives des Etats & * de leurs Membres ; nous conferve» róns a tous nos Sujets leurs droits , „ priviléges & propriétés, conforméas ment aux loix du Royaume , ne „-défirant rien tant que de nous * rendre auffi agréables, qu'il eft en «nous, a la Nation.' S'il devient » néceflaire de faire des changemens  de Suede. 123 » en ce qui concerne la dcfenfe, Ia » füreté , Ia profpérité ou Iesbefoins j» du Royaume , nous prómettons de » ne faire ou killer faire rien fans WtVaark du Sénat, la participation 8c * la concurrence des Etats «. ; Qui 'eüt jamais pu deviner que deux ans après une telle aifurance , Charles XI deviehdrait Ie Prince Ie plus abfolu qui ait jamais occupé le tröne de Suede ? Ses Sujets euxmêmes, par leurs diffentions , opérejjenc ce changement. La jaloufie Ia plus vive setait élevée entre les Nobles&Ies autres Ordres, fous Ie regne de Chriftine. Fomentée par cette Princeffe, elle ne fit que s'envenimer davantage, & fubfifta dans toute fa force pendant la minorité de Charles. La Régence avait plongé 1'Etat dans une guerre infruaueufe, quï 1'avait épuifé. Quand donc le jeune F ij  J24 R ÉVOLUT10N Prince prit les rênes da Gouvernement , il fe vit forcé d'impofer des taxes, que la guerre avait rendues néceffaires. Elles devinrent une fource de querelles ; & telle fut 1'apimofité , qu'il s'en fallut peu qu'on ne vit en Suede le même étonnant événement arrivé en Danemarck quelques années auparavant, lorfque le Clergé & les Bourgeois , par haine pour la Nobleffe, réfignerent au Roi tous leurs droits, afin de priver les Nobles des leurs. Le principe de ces querelles était la prétention de la Nobleffe au privilege d'être exempte des impóts. Teut le poids de ce fardeau tombait donc fur les Bourgeois & les Payfans. Une diftiqclion, qui exemptait des charges de 1'Etat ceux qui étaierfc le plus dans le cas de les fupporter, était auffi odieufe qu'elle était injufte, fcir-tout quand le poids en était de-  de Suede. 12 <; venu fi pefa'nt, que le refte de la .Nation n'y pouvait plus fuffire. Suivant la conftitution , un point décidé par trois desOrdres, excepté dans quelques cas particuliers, faifait loi pour le quatrieme & avait force d'un acte des Etats, malgré les proteftations decetOrdre. Si trois voulaient donc être d'accord, il érait en leur pouvoir de pafler les acles les plus injurieux a 1'intérêt de TOrdre non conformifte. II eft vrai que toute propofition , relative aux droits Sc aux privileges d'un Ordre en particulier, devait, pour avoir force de loi, obtenir le confentement général. Mais il était fi faciie d'ëviter une* attaque direcle contre un Ordre confidéré comme Corps légifiatif, Sc pourtane ' de porter un coup fatal a fes intéréts comme membre de la Société ! Auffi Charles fe procura-t-il un décret, qui réannexait a la Couronne tout ce qui F iij  12(5 R É V O L ü T ION en avait été démembré depuis 1619. C'était un coup dirigé contre les Nobles, en faveur de qui toutes ces conceffions avaient été faites, & qui en réduifit un grand nombre a la plus extréme pauvreté. Les Ordres inférieurs ne s'arrêterent pas la. Leur jaloufie contre le pouvoir ufurpé du Sénat , égalait ï'impatience da Roi: ir.différens fur leur propre fort, aveuglés par leur paffion, ils ne fongerent qu'a anéantir ce Corps & fatisfaire leur vengeance. II fut décidé que le Roi n'était lié par aucune forme de Gouvernement, Sc cette réfolution extraordinaire était c'oncue en termes fi ambigus, qu'elle femblait laiffer au Prince le droit de gouverner avec ou fans 1'avis du Sénat. On juge aifément quel parti flattait Ie plus un Prince du caractere de Charles XI. Ainü les deux Souverains du Nord ,  DE S U E D E. I27 de 1'état le plus précaire, étaient devenus les plus abfalus de 1'Eurepe. Mais les moyens qui les éleverent , furent abfolument oppofés a ceux qui augmenterent le pouvoir des autres Monarques : la , c'était le Prince qui cherchait a élever le Peuple, pour balancer 1'autorité des Nobies ; en Suede Sc en Danemarck , c'était le Peuple qui cherchait a abaifler les Nobies, pour les réduire a fon niveau. La conféquence en fut que chez les premiers, la Couronne Sc le Peuple s'agrandirent des pertes des Nobies ; chez les derniers , la Couronne feule y gagna, Sc le Peuple eut le fort que méritait une Nation capable de forger ainfi fes propres fers, Sc d'établir le defpotifme par la Loi. Le but des Bourgeois Sc des Payfans Suédois avait été d'hurnilier la Nobleffe ; celui de Charles XI parut être d'abaiffer la Nation enüiere. Non F iv  128 R É V O L U T ÏO N -content dêtre le makre abfolu de leur liberté , il fembla croire 1'être auffi de leur propriété. Son injufte rapacké ruina la moitié des individus de fon Royaume. II eft yiai qu'il liquida les dettes publiques ; qu'il laiffa a fon fucceffeur un tréfor bien garni : mais les moyens qu'il employa répugnaient autant a Thonneur qu'a 1'humanité. Toutefois la réfiftance de fes Sujets fut inutile. L'enthoufiafme était éteint; le reffort des ames était ufé ; le defpotifme fortement établi ; & Charles XII fuccéda a une Couronne revêtue de tout ce pouvoir abfolu qui convenait ü bien a fon caractere. Le regne de ce Prince & 1'orage de malheurs qu'il attira fur fon pays, ne font que trop connus : Prince dont 1'ambition était démence , le courage férocité ; dont le principal titre a 1'admiration dont il éblouit  de Suede. 129 le monde , venait de la fingularité de fa conftitution, de fon infenfibilitc , de la privation totale de ces fenfations , qui feules produifent toutes les vertus fociales. II était peu probable que les Suédois regagnaffent fous ce cceur' de fer aucun des droits ou privileges dont ils avaient fait un facrifice volontaire a fon pere. AuiTi n'auraientils vraifemblablement jamais recouvré une ombre même de liberté , fij, dans une occafion très-finguliere, une balie n'était venue brifer les fers , dont les tenait enchainés eet homme extraordinaire. Cet événement arriva dans un temps oü le plus grand mécontentement était général; toutes les diffentions terminées ; les factions étouffées par un mal plus grand encore , le defpotifme : quand toutes les claffes de Citoyens, oubliant leurs jaloulies & leur haine, fe réunifF v '  130 Révolution, Sec. faient dans le feul défir de fouftraire leur Patrie aux maux qui 1'avaient accablée ; quand enfin, & c'était Ie point Ie plus important, il n'y avait point d'héritier direft, & qu'ils pouvaient conféquemment donner une nouvelle forme a leur Gouvernement.  H I S T O I R E DE LA DERNIERE RÉVOLUTION DE SUEDE. TROISIEME PARTIE. Section première. Etat de la Suede a la mort de Charles XII. Forme de Gouvernement ètablie peu après eet événement. L e s malheurs dans lefquels Ia fauvage ambition & 1'inflexible caractere de Charles avaient p'longé la ■ E vj  *32 Révolution Suede, étaient a leur comble. Elle avait perdu fes meilléures Provinces, celles fituées au fud de la Bakique , & la plus grande partie de la Finlande. Son commerce était anéanti; fe? armées & fes flottes détruites. Egalement épuifée d'hommes & d'argent, elle était ineapable de pourfuivre des guerres que 1'opiniatre entêtement de Charles avait toujours renouvelées ; a moins qu'on n'employat encore ces moyens odieux que le feul génie d'un Goërtz avait pu inventer, ou le coeur impitoyable d'un Charles XII mettre en pratique. Tout ce qaKine induftrie crueüe peut imaginer, tout ce que le defpotifme peut executer d'extorfions Sc d'oppreffton , avait accablé les Suédois , pour fournir a ce Prince les moyens de pourfuivre des projets fantaftiques, inutiles a fon pays s'ils réuffiffaient, fürs d'entrainer fa ruine s'ils ne xéuffilïaient pas, 11 ferait inutiie  de Suede. 133 d'en faire ici le détail. II fuffira d'obferver que, malgré la folie admiration que Charles infpira a fes fujets par ces mêmes qualités , fource de leut mifere, leur patience était pourtant bien prés d'être épuifée, quand pat fa mort ce Prince ceffa de 1'exercer, L'exécution du malheureux .Goërtz , qui paya de fa vie le crime d'avoir trop fidélement fervi fon Maitre , prouve affez, malgré la foumiffion forcée du Peuple, quels étaient fes fentirnens fecrets. Le mécontentement n'était pas particulier a quelque claffe d'hommes dans 1'Etat, c'était le reffentiment de la Nation entiere. Les Nobies & le Clergé , les Bourgeois Sc les Payfans, tous avaient également fouffert fous un commun Tyran, Excédés des guerres étrangeres, a peine en état de-défendre leurs propres foyers, ils n'avaient d'autre défir que leur füreté & la paix. Mais comme la fource ds  134 Révolution leurs malheurs était le pouvoir illimité accordé aux deux derniers Rois, ils fentaient que pour obtenir 1'une ou 1'autre de ces fins , ils ne devaient plus laiffer a la Couronne une autorité fi dangereufe. lis avaient eu le temps de pleurer la folie, qui leur avait fait s'impofer a eux-mèmes un joug fi accablant. Le Sénat avait recu une legon frappante de modération. Privé par Charles XI de toute fort autorité , & par Charles XII du peu de priviléges échappés a la politique dévorante de fon pere , il fentait que le plus fur moyen de préferver fes droits, était que les Etats confervaffent les leurs ; & les Etats, guéris de leur cöté de leur jaloufie contre le Sénat, s'étaient appergus de leur erreur, en humiliant ce Corps au point de n'être plus une barrière aux entreprifes de la Couronne. Telles étaient les circonftances. de la Suede, telle était Ia difpofïtion de  de Suede. 13-; tous les Citoyens, lorfqu'ils fe trouverent encore a même de recourir a leur ancien ufage d'élire leur Souvera»in. Le choix du Sénat fe fixa fur la plus jeune des fceurs de Charles XII, Ulrique Eléonore, époufe du Prince de Heffe. Mais avant tout, on voulut invalider toute prétention qu'eüt pu former la Princelfe en vertu du droit d'hérédité, afin que recevant la couronne en conféquence d'une élection libre des Etats , elle fut forcée d'accepter les conditions qüils jugeraient a propos d'impofer. On décida que les Loix d'hérédité, relativement auxfemmes, déclaraient expreffément qu'une PrincefTe devait être fille pour fuccéder a la couronne. Par-la, les fceurs de Charles perdaient toute prétention, & la Nation rentrait dans fon droit primitif. Ulrique ne pouvaitdonc plus former d'obje&ion aux conditions fous lefquelles les Suédois lui offraient une couronne, a laquelle  136" Révolution elle n'avait dautre titre que leur choix. Auffi fe prêra-t-elle en tout aux défirs des Etats, & a tous les changernens qu'ils voulurent faire dans laconftitution. Avant 1'affemblée de la Diete, elle publia une déclaration, par laquelle, en fon nom Sc celui de fa poftérité, elle renongait a tout pouvoir abfolu, & a toute prérogative de la couronne incompatible avec les libertés de la Nation. Quelque férieufe Sc unanime que fut la réfolution des Suédois, il n'était rien moins qu'aifé de la mettre en exécution. Lier les mains d'un Souverain , qui devait ne tenir la couronne que de leur choix, parailfait, il eft vrai, une entreprife facile. Mais pour abolir entiérement le pouvoir arbitraire, de fimples conventions avec le Souverain n'étaient pas fuffifantes. 11 fa'Iait pour cela un 1110dele tout neuf de Gouvernement. II fallait batir rédiüce düne conftitu-  de Suede. 137 tlon, dont 1'objet était de rendre tout d'un coup la liberté a-un Peuple accoutumé depuis long-temps a 1'efclavage. Indépendamment de la difficulté d'un ouvrage, qui demandait dans ceux qui fe chargeaient alors d'être les Légiflateurs de 1'Etat, des talens, une expérience &-une étendue de connoiffances que peu d'hommes poffedent , il n'était pas moins difficile de donnet a eet édifice un fondement folide. La liberté n'eft point une plante d'un moment, Ie temps feul peut lui donner des forces. II lui faut, pour germer, un fol qui lui foit analogue. Elle exige une culture non interrompue, une attention inquiete qui la défende des dangers qui 1'entourent fans ceffe. Mais comment la cultiver ? comment la préferver ? ce font des points que Pexpérience feule peut enfeigner aux hommes. En vain donc  138 Révolution une Formede Gouvernement , calculëe pour produire la liberté , fera-t-elle établie chez un Peuple, s'il n'eft préparé a la recevoir. Accoutumé a une obéifFance aveugle, peut-il avoir cette élévation d'ame, ce Fentiment d'indépendance , fi néceffaires pour produire le rapport du génie d'un Peuple a la nature d'un Gouvernement libre ? Si Fon fe rappelle combien de fois les Suédois avaient fubi Je joug du defpotifme, on feniira combien leur caradere, leurs idéés & leurs moeurs avaient dü s'altérer. Les Payfans étaient dégradés & avüis ; les Bourgeois fans influence par la ruine de & dépendante, plus propre a fervir d'inftrument a un Prince abfolu, que de Légiflateurs a un Peuple libre. Mais ce qui formait le plus grand obftacle a 1'établiffement d'une vraie  de Suede. 139 liberté, était cette divifion de la Nation en claffes diftinctes, fans liens, fans union entre elles. Si, pour conferver une conflitution libre , il faut, dit un habile Ecrivain (1) , qu'il regne ur/e certaine oppofition entre les vues & les intéréts des différens Corps qui la coinpofentil faut auffi , pour fa füreté, une réunion de vues & d'intcréts dans le Corps entier de la Nation. Comme membre des différentes branches légiflatives , propriétaires de droits SC de priviléges diflinfts, les agens du pouvoir doivent fe fervir mutuellement de Cenfeurs & de digues : comme membres de la même Société, qui ont un intérêt commun dans le bien-être de 1'Etat, ils ne peuvent trop ferrer les liens de leur union. (1) M. de Lolme, Hift. de Ia Conflitution d'Angletcrre.  '140 Rëvolution Mais il n'eft point de plus grand I obftacle a cette union , que ces I diftinclions dans la fcciété , qui, fans contribuer a fon bon ordre , ou au 1 foutien du Gouvernement , ne fervent qüa infpirer a une claffe d'hommes 1'orgueil Sc 1'infolence , aux autres la jaloufie & Ia haine; ces diftincfions inutiles , qui n'ont pour but que de flatter la vanité des individus. L'Anglererre eft le feul pays libre oü cette diftinftion de Noble & non Noble n'eft pas portee trop loin.: L'ainé feul de chaque familie ayant droit aux privileges de la Pairie, Iel Noble n'eft pas tout homme qui compte une longue fuite d'ancêtres titrés, mais le feul Le'giflateur héréditaire. Les branches cadettes de cesfl families, peu diftinguées du refte de leurs concitoyens, vont fe perdre, I pour ainfi dire, dans la maffe da j  de Suede. 141 Peuple. Elles font un anneau, qui joint Ia Nobleffe aux autres claffes de ia Nation, prévient les diffentions, & forme de cette Soeiété une chaine continue , dont on ne peut toucher une partie fans que le refte n'en foit affefté , comme par une forte de communication éleclrique. Mais en Suede , oü Ia nobleffe fe tranfmettait indiftinctement a toute la poftérité, ce point de réunion ne pouvait exifter. Au contraire , une ligne de féparation coupait a jamais en deux la chaine de la Soeiété, &c les extrémités paraiflaient plutöt fe repouffer mutuellement que s'attirer. Derniere forme de Gouvernement établie en Suede, I La nouvelle forme de gouvernement, préfente'e a Ulrique Eléonore, pour avoir fon approbation , contenait cinquante & un articles. Jetons  142 Rêvolution un coup - d'oeil fur ceux defünés a fervir de barrière a 1'autorité royale. Les Etats étaient compofés, comme aüparavant, de quatre Ordres ; Nobleffe, Clergé, Bourgeois, & Payfans ; ils devaient s'affembler tous les trois ans, & plus fouvent fi le Roi, ou en cas d'abfence , de maladie , ou de mort, fi le Sénat jugeait a propos de les convoquer. Mais fi le Roi ou le Sénat négligeait de le faire a 1'expiration des trois années, Sc au jour précis fixé par les Etats pour leur prochaine affemblée , ils étaient en droit de s'affembler d'eux-mêmes; Sc tout ce que le Roi ou ie Sénat aurait fait dans eet in> tervalle, devait être comme non avenu. Tant que les Etats étaient affemblés, en eux réfidait tout pouvoir : 1'autorité du Roi & du Sénat était fufpendue. Us n'entraient dans Iqs affaires que pour mettre leur fignature aux décifions quelconques de la  de Suede. 14,5 Diette, fuffent elles-mêmes contraires I a leurs. prérogatives. Les Etats feuls pouvaient faire Ia guerre ou Ia paix, alte'rer les mon] noies. C'étaient eux qui nommaient aux places de Sénateurs, en préfenItant au Roi trois fujets , fur lefquels il avait le/choix. Eux feuls enfin I avaient le droit de les démettre , ou J d'accorder leur retraite. Les Etats exercaient la puiffance I exécutrice, puifque, pendant Ia Diete, le C omité fecret était compofé de I leurs Membres. Le Sénat étant comp1 table de fon adminiftration aux Etats., |& fujet a être congédié ou puni, I ne pouvait la conferver ; autrement I la puiffance exécutrice eüt été dans lle cas de s'exécuter elle-même. Ils i é'étaient auffi attribué la puiffance ju- diciaire. lis ötaient quelques caufes 1 des Tribunaux ordinaires, qui fe juI geaient par une Commiffion, compo-' I fée de leurs propres Membres. Rien  144 Révolut roN de plus formidable, de plus deftructeur de la liberté, qu'un Tribunal qui réuniffait en effet les trois puiffances, ldgiflative , exécutrice, & judiciaire ; & ce qui rendait cette Cour plus monftrueufe encore , c'eft que jugeant fur-tout les crimes de haute trahifon , elle était en général Juge & Partie. A lexpiration de la Diete, Ia puiffance exécutrice réfidait dans le Roi & le Sénat ; mais de telle maniere que le Prince y avait trés-peu de part. La perfonne des Sénateurs, dans leur caraótere public, était facrée. Les décrier ou les diffamer, fans être en état de prouver les imputations , était crime capital. Du Sénat dépen- daient prefque entiérement les places hu deffous du rang de Sénateur ; & enfin, ce qui les rendait abfolument indépendans du Roi, ils pouvaient s'af- fembler, quand ils le trouvaient bon, fans aucun ordre du Prince, & tran- liger  de Suede, i^j fïger les affaires les plus importantes de la Nation, auoiqu'il fut abfent. Ils ouvraient, fans fa participation , 1 les dépêches des Miniilres chez 1'Etranger; en un mot, ils ne lui Iaif) faient rien a faire que de figner des j ordres donnés fouvent fans fon con- fentement. j II ne reftait au Roi que très-peu ;! de prérogatives; 1'hérédité de la couronne , les attributs de la Souveraineté, & la pompe extérieure de maj jefté. II avait deux voix dans le Séglat. Sa perfonne était facrée. II était lafeule fource vifible des honneurs, ^c'efi-a-dire, pouvait feul faire dj IComtes & des Barons. Enfin il pOUJvait faire grace aux criminels ; enfeore était-ce avec une refiriction qui, en autorifant le Sénat a faire des re' imontrances quand il les jugerait neceffafres, approchait bien d'un droit anégatif. Ma.is il ne pouvait ni lever des G  ia6 Révoluti on troupes, ni équiper des flottes, nï batir aucune fortereiTe fans le confentement des Etats. Le revenu pour fes dépenfes ordinaires dépendait de chaque Affemblée, & on 1'accordaie avec tant d'épargne , que fes finances n'étaient guere en etat de lui rendre en infiuence ce qui lui manquait en pouvoir. II ne difpofait pas des moindres emplois. Bien plus, fes propres Domeftiques étaient indépendans, & il fut un temps oü il n'aurait pu chaffer un Sérviteur qui 1'aurait offenfé. II n'eft pas difficile de fentir combien vicieufe était cette forme de Gouvernement. Les Suédois ne furent occupés qua dépouiller 1'autorité royale de toutes fes prérogatives. Aveuglés par ce qu'ils avaient fouffert du defpotifme des deux derniers Rois , ils ne virent pas que la liberté a autant a craindre de 1'extrême oppofé ; qu'il faut une balance entre  d è Suede. 147 les différentes branches düne conftitution ; que la oü la puiffance exécutrice peut fe fondre dans Ia puiffance légifiative, la tyrannie dok être lé fruit de cette union ; que le feul moyen d'empêcher les branches ariftocratiques de 1'Etat de changer Ie Gouvernement en une oligarchie, était de donner au Prince aiTez de puiffance pour défendre fes droits Sc leur fervir de barrière. Ils oublierent enfin qu'un prince gêné par de fi dures entraves , pouvait s'abandonner au défefpoir, &, pour fe mettre en liberté, avoir recours aux plus fatales extrémités. II eüt bien mieux valu , fans doute, abolir tout a fait une dignité rendue abfolument inutile. Mais la Nation était attachée a la Monarchie. II fallait, au moins pour lui faire illufion, que quelqu'un portat le titre de Roi. Ils fe trouverent donc forcés de conferver cette dignité j mais ce fut G ij  •148 Révoiüïios comme un lion féroce qu'on gard* pour la montre & qüon charge de chaines. Si d'ailleurs fon confidere ceux quï étaient appelés a être les Légiflateurs, Ton trouve une multitude de défauts , qui faifaient de ce fyftême de Gouvernement un compofé de vices & d'erreurs. La NobleiTe, nombreufe & pauvre, n'avait point cette indépendance que la fortune doit proourer au Légifiateur. La plupart des grandes families, ceux qui tenaient le premier rang parmi les Nobies, n'avaient d'autre fortune que leurs emplois. Les Sénateurs eux-mcmes n'avaient fouvent " d'autre revenu que les gages de leur office- La Conftitution, en admettant pour Membres de la Légidation des Nobies fans aucune propriété, introduifait elle-même une corruption qui leur devenait néceffaire. 11 eft vrai *>ue le chef de la familie avait feul le  t> e Suede. 149 droit de fiéger dans la Chambre des Kobles ; mais la Loi ne Fayant pas* diftingué du reffe de fes pareus dans le partage des biens, il fe trouvait fouvent dans Pimpoffibilité d'exercer' fon droit, faute de pouvoir faire la petite dépenfe du voyage de Stockholm pour le temps de la Diete. C'eft ce qui donna lieu a Pabus d'envoyer a fa place un Procureur, qui devenait dès - lors Membre de fa Diete, fans avoir aucun corripte a rendre a fon Commettant. Ces pröeurations, ou Füllmagks, comme on les appelait, devinrent bientót un objet de commerce, & fe vendaient au plus ofFrant. C'était un moyenpour les Sénateurs d'introduire leurs créaturès dans la Chambre des Nobles , tandis que, parda nomination qu'ils avaient de prefque tous les emplois , ils pouvaient Fe faire dans les Etats un parti trés - difficile a culfcuter, G ii|  ' s'en mêle, Maitre de fa Cour & » Roi de fon Royaume ; & finale>j ment ils fupplient très-humblement » que toute correfpondance ultérieure jj ceffe a ce fujet, ou toute autre de jj même efpece «. Après avoir emporté un point fi mortifiant pour le Roi, les Etats fe porterent a des aftes d'autorité plus perfonnels & plus vexatoires encore. Le Roi avait nommé un Sous-Gouverneur au Prince Royal. II imaginair, qu'au moins dans fa propre familie, il lui ferait permis de nommer ceux qui devaient être auprès de fa perfonne ou celles de fes enfans. Mais les Etats le crurent un privilege trop important pour lui être confié. Bientöt après ils déciderent que la place de Sous-Gouverneur de Son Alteffe Royale ferait abolie. Leur Adrefle a  IÓO RjÊtÓLUTrOïT ce fujet donne une ample idee d# 1'humilité impérieufe qui accompagnait leurs Requêtes au- Tröne, Je la rapporterai toute entiere :■ Très-Haut & Très-PuiJJant Rol, » Après une müre délibération fuf » 1'éducation, objet fi important pour w Votre Majefté & le Royaume , il »» nous a paru, entre autres chofes, j» que 1'emploi de Sous-Gouverneur 3> du Prince Royal était inutile. Les n Etats repréfentent donc avec fou» miffion, qu'un tel établiffement n'eft « point d'ufage dans ce Royaume , Sc m que ce qui fe pratique en d'autres » pays, qui different par les principes m de leur Gouvernement , ne peut » s'appliquer a celui-ci. » Tant que le Gouverneur a affez » de fanté & de vigueur pour remplir » la charge qui lui eft confiée , 1'opi-  de Suede. ï6ï » nion des Etats eft que 1'office de j » Sous-Gouverneur peut difficilement I » produire quelque bien, mais proba4 m blement des inconvéniens. « Les Etats, en toute foumiffion-, 1 => refpeftent les vues foigneufes Sc » tendres de Votre Majefté, en for» mant eet établiffement i mais ils fe oj flattent de montrer Ia même fou»5 miffion & le même refpeft, en don33 nant leur fincere avis de fupprimer a» a jamais Iedit emploi. « Les Etats fupplient auffi trésj jj humblement, que conformément au ■ a> droit qu'ils tiennent de la ConftituI j» tion, il ne foit fait aucun nouvel i 33 établiffement ou changement pour I i> 1'éducation des Princes, fans leur jj participation «. Ils n'eurent pas plutot aboli ceê emploi , qu'il parut une nouvelle Adreffe a Sa Majefté , avec un ordre en forme de fupplique , de démettre M. Von Dalin , Précepteur du Prince  162 Révolut.ion Royal. On ne lui imputait nommément aucun crime , & leur motif eft encore un fecret. Cependant il avaic ordre de ne point paraitre a la Cour, & toute communication avec Son Alteffe Royale lui était défendue. Les Etats avaient nommé pour Gouverneur du Prince , le Sénateur Scheffer. Le Roi s'y était oppofé , non pas, difait-il , qu'il ne connüt auffi bien qu'eux le mérite'du Sénateur ; mais paree que cette nomina-, tion était fon droit, conformément-i au troifieme article de la Conftitution. Rien ne peut donner une plus clairej idéé de ce fyftême de Gouvernement, que la réponfe du Comité fecret. » Les Etats du Royaume, difaient-j m ils, ont la puiffance légiflative & » exécutrice. C'eft par ces deux qua-: jj lifications qu'ils font défignés pari » la Conftitution. Or, ces deux at-J s' tributs feraient fans effet, fi la ré-1 j> fiftance ou des obftacies s'oppo-'  DE S U E D È. 163 » faient a leur exercice, ou fi les m fentimens des Légiflateurs étaient « fujets a aucune efpece de cenfure. =>» C'eft pourquoi 5a Majefté , con» formément a 1'article V des Aflu- rances Royales, s'eft obligé, par un =» ferment folennel 3 a fe conformer so toujours aux décifions des Etats » afiemblés : ainfi leurs ades font ou as doivent être le bon plaifir de Sa Majefté , &c. « Les Etats procéderent donc, d'après ce!a, a la nomination du Gouverneur du Prince, Sc de tous ceux qui appartenaient a fa perfonne. Le Roi fut obligé en cela, comme en tout, de céder. II femblait qu'il ne reftat plus rien a ofer a 1'ufurpation la plus infatiable. Les Etats porterent pourtant plus loin encore leur tyrannie. Pour empêcher le retard ou 1'embarras des affaires, la Conftitution avait décidé, que fi le Roi ne pouvait figner les  ifj4 RÉvoLurroN dépêches qui exigeaient fon attache,ou s'il refufait de le faire, le Sénat ferait autorifé , après la feconde réquifition, de le faire en fa place. On ofa donc demander au Roi qüil fut fait une griffe pour être remife au Sénat, & être employée a 1'avenir au lieu de fa fignature. Ce fut ainfi que les Chapeaux dépouillerent le Roi de tous les droits qu'il tenait de la Conftitution, fous prétexte de préferver les libertés de la Nation. Aurait- on pu imaginer alors, que, peu dannées après, les Chefs de ce même parti bouleverfe* raient la Conftitution elle-même, fous prétexte de rendre au Prince ime jufte portion d'autorité ? II était naturel, fans doute, que Ie Roi ou fes partifans cherchaffent a parer des coups fi funeftes a 1'autorita royale. Mais le fuccès ne pouvait avoir que peu de certitude. La force feule aurait pu conferver ou recou*  de Suede. i■> qu'il avait donné tous fes foins au » bonheur & au maintien de la liberté »» de fon Peuple : qüauffi-töt après la t» mort de fon prédécefieur , ils lui » avaient arraché une affurance, con» gue en termes beaucoup plus forts » que celle qüavait donnée le feu » Roi : qu'enfuite les Etats 1'avaient » dépouillé de fes droits & préroga» tivesj de maniere qu'il n'était que n ie premier efclave de la Nation.  de Suede. iSp m » Que dans Ia derniere Diete on m avait encore fait de nouv'eaux ré»> glemens au préjudice de fes droits : »» qu'il de'clarait qu'il n'y donnerait « jamais fon confentement, non plus » qu'a la nomination du Comte » Poffe, faite par les Etats pour être s> au pres de fes fils ». En réponfe a cette déclaration , Ie Sénat envoya deux Députés au Roi , pour lui repréfenter la néceffité de mettre les ordres des Etats en exécution , & de figner les nouveaux régiemens. Mais Sa Majeflé s'y refufa abfolument. En même temps 1'on employait tous les moyens pour préparer les efprits aux changemens qüon méditait, Le Prince Royal alla vifiter le Royaume. Tout en gagnant les Peuples par fon adreffe & fes qualités aimables , il recueillit nombre de plaintes,qui devaient fervir amontrer ïa néceffité düne Diete extraordinaire , pour corriger les abus qui y  i^o Révolution avaient donné lieu. Les Gouverneurs des Provinces, partifans de la Cour , envoyerent des peintures affligeantes. de leurs Gouvernemens. lis repréfentaient les Manufactures ruinées, & les Peuples dans la mifere. Les Négocians mêmes firent tomber le cours du change , pour arrêter les travaux des forges. Le Sénat refta pourtant ferme, Sc réfolut de ne point convoquer de Diete extraordinaire. II eft certain que convoquer une nouvelle affemblée des Etats, avant qüaucune de leurs mefures fut confolidée, était prononcer eux-mêmes leur révocation ; c'était s'expofer aux juftes reproches d'une Diete qui pouvait leur faire un crime d'avoir perdu les fubfides de la France, d'avoir rompu a vec un ancien Allié, pour fuivre un nouveau fyftême qui n'avait produit aucun bien. Bientót après, la mort du Comte  de Suede. ioi ■ de Lowenheilm, la guerre de Ia Ruffie & 1'arrivée dün nouveau Miniflre de France furent autant de circonftances qui donnerent aux Chapeaux une nouvelle vigueur. Ce moment parut favorable pour 1'exécution du plan de 1'abdication du Roi. Mais Sa Majefté craignait les conféquences d'une démarche fi hafardeufe ; & ce ne fut qu'après avoir long-temps balancé & s'être alTuré du ferment des Chefs des Chapeaux , qu'il ofa s'y déterminer. Ayant donc refufé de figner un Acte, qui lui fut préfenté par le Sénat, le Roi écrivit a ce Corps, le 12 Déeembre 1768, une Lettre, qui portait en fubfiance, que, « peu auparavant, » lorfquelaplusgrandepartie desSéna» teurs s'étaient oppofés a laconvocam tion des Etats, ce n'était point par »> conviclionde la validité de leurs raï33 fons qu'il s'était prêté a leur réfolu?  ïp2 Rêvohution « tlpn : que depuis ce temps les malv heurspublics s'étaient accrus journel» lement; queia preuve en ctak , les » requêtes fans nombre préfentées a fon 3> fils , la décadence fubite des forges » du commerce & des manufactures, Sc >j Tabandon même de la culture des « terres; que fon coeur paternel ne pou»> vaitêtre que très-affecté deTidée du »> fardeau des taxes annuelles, & de la » mifere inouie qu'elles produifoient; » que par la chute inattendue du cours *> du change, fes fujets fe trouvaient » forcés de paver un tiers de plus qu'ils w n'avaient confentï, & qüen vertu du » ferment qu'il leur avait fait de con» ferver leurs droits intacts , il était s> obligéd'y avoir égard 5 qu'il n'impu•» tait pas au Sénat la faute de cette » taxe illegale ; mais que la Nation , 3> quellequ'enfüt la caufe, avait le droit »» d'examiner fi elle voulait 1'accorder » ou non, c'eft-a-dire, qu'il fallait que ss les  de Suede. ipj h les Etats fuffent affemblés le plus tót » poffible. Si , contre mon attente , » ajoutait-il, le Sénat perfiftea s'y ops> pofer,jefuiseontraint de déclarer ici, » qu'en ce cas, je renonce au fardeau x> du Gouvernement, que les pleurs de »> tant de mes fujets malheureux , Sc k ia décadence de mon Royaume , s' me rendent infupportable ; me ré» fervant , quand mes fideles Cons» feillers , les Etats, feront affemblés, o> de leur donner mes xaifons pour «> avoir jufqu'alors dépofé ma cous5 ronne. En attendant, je défends trésu expreffément de faire ufage de mon ■f» nom dans aucune xéfolution da '*> Sénat«. Signê Adolphe Frédékjc. Le Roi voulaït une réponfe dans •quarante-huit heures; mais le Sénat clemanda quelques jours de plus, &, .pendant eet intervalle, les Miniftr.es I  ip4 RÉVOLUTÏON d'Angleterre & de Ruffie n'épargnerent rien pour les affermir dans leur fyftème. Le 14, le Roi fe rendit au Sénat, pour demander une réponfe immédiate. On lui repréfenta 1'impoffibilité d'examiner, dans un fi courc efpaee , toutes les raifons pour & contre 1'ajournement d'une Diete extraordinaire. Ils demandaient jufqu'au Lundi fuivant pour y réfléchir. Mais quant a 1'abandon du Gouvernement , ils fuppliaient Sa Majefté' de ne pas perfévérer dans un projet fi contraire aux loix & a fes gracieufes afiurances. La réponfe du Roi fut, qu'il prenait cette repréfentation pour un refus, & que de ce moment il ne voulait plus fe mêler de la Régence.-Il fe leva alors brufquement, & s'avanca pour fortir du Sénat. Le Sénateur Funck, homme eftimé de tous les partis, & particuliérement aimé du Roi , fe précipite aux pieds de Sa Majefté ,  de Suede. ipj len 1'arrêtant par fon habit. II le conljure de ne point fuivre fes deffeins, Ide fonger aux flots du fang de fes Ifujets, quüne pareille démarche pouJvait faire couler : il le fupplie de irentrer dans le Sénat, oü Ton pourirait trouver des tempéramens qui jprévinffent tant de malheurs. Pendant jee temps, Ie Prince Royal qui acjcompagnait le Monarque, le preffait ide fortir. Le Roi, bon par fa nature, lentrainé par fon fils, attendri par la ipofture & les prieres de fon ami , iflottait entre ces deux impreffions, Iquand le Prince Royal, par un de lees traits qui annoncent les grands ihommes , prend fur le champ fon Iparti, repouffe la main du Sénateur , 1& lui demandant comment il ofait Iretenir ainfi de force Ie Roi fon pere, jtranche enfin la queftion. Dès que "Sa Majefté fut de retour Ichez elle, elle envoya a Ia Chancel-  196 RÉVOLUTION lerie le Prince Royal , accompagné de plufieurs Officiers de fa Maifon, Son AltelTe Royale y fit en forme , au nom du Roi, la demande de la griffe, dont il était düfage de fe fervir au lieu de la fignature de Sa Majefté. Ce Tribunal s'y étant refufé, le Prince fe rendit dans tous les autres Tribunaux, y déclara que le Roi fon pere s'était démis du Gouvernement , & leur laiffa copie des raifons qui 1'y avaient forcé. Cependant le Sénat, qui continuait toujours d'ètre affemblé, députa vers le Roi quatre de fes Membres, pour le fupplier de ne point abandonner la Régence. Mais la réponfe fut, que Sa Majefté perfifiait dans fa réfolution. A leur retour, le Baron Friefendorf, Vice-Préfident de la Chancellerie, fe leva , 8c peignit la confufion iaévitable dans laquelle s'allait trouyst le Royaume, fi, fans le Roi, lq  de Suede. 197 Sénat fe chargeait de gouverner pendant dix-huit mois, temps néceffaire pour une autre Diete ; qu'il n'était rien de fi oppofé a la difpofition des Suédois, que 1'idée düne ariftocratie. II concluait a députer deux Sénateurs vers le Roi, pour lui killer efpérer que le Sénat fe conformerait a fes dé* firs , & le fupplier de reprendre les rênes du Gouvernement. Cette propofition fut admife : la réponfe du Roi fut : » Dès qu'on fe ré» foudra a la convocation de la Diete, 3} ma réfignacion tombe d'elle-même «. Le difcoursdu Vice-Préfident avait découvert les craintes du Sénat. On chercha a l'embarrafler davantage. Le parti de Ia Cour réuffit a faire déclarer pour le Roi les Tribunaux , les Colléges Sc le Clergé , en un mot, toute la puiffance exécutrice réfidane a Stockholm, excepté la Cour Souveraine de Juftice. I iij  Iö8 RÉVOLUTION Le lendemain de 1'abdication du Roi, le Sénat avait fait une forte de proclamation, pour avertir tous les Tribunaux de cette démarche, & leur enjoindre de n'exécuter que les ordres émanés du Sénat. Mais ils répondirent, que d'après les Loix fondamentales, la Suede ne pouvait pas plus être gouvernée fans Roi que fans Sénat ; qu'ils étaient donc forcés de refter dans 1'inaclion jufqüa la convocation des Etats. Ce refus d'obéiffance de la part des Corps chargés de 1'a.Iminiftration de la juftice, rendait cette convocation indifpenfab'e. Ce fut ainfi que le Sénat fe vit contraint d'en venir a cette réfolution : qüattendu que plufieurs Tribunaux avaient déclaré ne vouloir pas obéir aux ordres du Sénat jufqüa 1'affemblée des Etats; que le tréfor refufait d'avancer de 1'argent; que les Colonels  de Suede. 199 de Ia garnifon de Stockholm difaient ne pouvoir répondre de 1'obéiffance de leurs foldats, le Sénat fe trouvait forcé d'ajourner une affemblée des Etats au 19 Avril fuivant. Le parti Francais détruifit par-la dün feul coup tout ce que les Bonnets avaient fait pour 1'Angleterre Sc la RuiTie dans la derniere Diete , Sc mit fin au traité d'alliance avec la Cour de Londres, que le Sénat n'ofait plus prendre fur lui de pour- fuivre. Le Roi retourna alors au Sénat, oü il témoigna toute la fatisfaction qu'il éprouvait de leur réfolution ; ajoutant que fes intentions étaient pures, Sc qu'il était fur qüelles feraient approuvées. Cette démarche des Chapeaux était fans doute la plus hardie que 1'on eüt ofé hafarder depuis l'établiffement de Ia nouvelle Conftitution. II fallait I iv  200 RÉV0LUTI0N qu'ils fuffent bien furs d'une puiffante affifiance, pour rifquer une conduite , dont la Diete a venir pouvait leur den)ander un compte très-févere, qui pouvait conduire quelques-uns d'eux fur 1'échafaud, & réalifer Tabdication du Roi. En effet, la France était décidée a faire les plus grands efforts pour regagner une infiuence , dontIe défaut pouvait affëcter fon crédit dans une autre part ie du Monde (i) ; & elle était réfolue a des facrifices. 11 était probable que cette Diete ferait de la plus grande conféquence pour Ie defiin de la Conftitution de Suede. Auffi tous les partis drefferent leurs batteries différent es, & fe préparerent a pourfuivre leurs plans avec ,( i ) La Portc s'ennuyait de ne point voïe la Snede agir contre Ia Ruffie , & demandaic 1'accompüiTement des promelfes qu'on lui avaiü faites.  de Suede, 201 la plus grande vigueur. L'argent fut répandu de tous cötés,pour s'affurer des fuffrages. L'Efpagne même , malgré le peu d'intérêt qüelle femblait avoir aux affaires de Suede, commenga a s'en mêler, en offrant aux Danois le droit de porter des Negres aux Petites-Indes Efpagnoles , s'ils fe féparaient de Ia Ruffie Sc de 1'Angleterre. Enfin la Diete s'ouvrit. Le parti Frangais fe trouva dominant dans les Chambres des Nobies, du Clergé & des Bourgeois. Les Orateurs des quatre Ordres étaient de ce cöté , Sc le Général Ferfen, un des plus zélés Sc des plus habiles des Chapeaux , fut élu Maréchal de la Diete. Les Payfans, il eft vrai, tenaient encore pour les Bonnets. Mais le Comité Secret fe trouvant entiérement compofé de Chapeaux, il femblait que rien ne leur ferait impoffible. I v  2.02 RÉ VOL UTION Auffi , la première démarche des Etats fut de démettre tous les Sénateurs du parti des Bonnets, pour .les remplacer par ceux qüavait déplacés la Diete précédente. L'on rendit au Comte Eckebladt la place de Préfident de la Chancellerie. On vota des remercimens au Roi, pour avoir, par amour pour fon Peuple, abdiqué ia couronne, & forcé le Sénat d'affembler les Etats : il fut auffi réfolu que le Roi remercierait les Tribunaux de leur conduite dans cette occafion. Malgré des apparences fi flatteufes, ïl s'en fallut pourtant beaucoup que les Chapeaux mifient tous leurs plans en exécution. Dans les Etats, fopinion du jour était rarement Fopinion du 'lendemain, & les fentimens de cette Affemblée inquiete refiémblaient aux fiots de la mer agitée.. Ils étaient d'ailleurs divifés en deux partis : lün appelé Parti de la Cour, voulait chan-  de Suede. 203 ger la Conftitution, & jeter toute 1'autorité dans les mains du Souverain ; 1'autre, qui avait a fa tête le Colonel Péklin, homrae habile & intrigant, voulait feulement chaffer les Miniftres pour occuper leur place, mais conferver la Conftitution telle qüelle était. On les appelait le Parti dePéklin. Les Miniftres Etrangers, qui foutenaieut les Bonnets, ne négiigerent aucunes intrigues pour fomenter cette efpece de divifion. On cherchait a jeter 1'épouvante parmi le Peuple ; on prétendait que la France ne voulait bouleverfer la Conftitution, que pour précipiter la Suede dans une nouvelle guerre avec la Ruffie ; que les fubfides de cette Puiffance ne pourraient compenfer les dépenfes ruineufes qüoccafionnerait a la Suede une telle alliance. Que ces bruits fuffent fondés ou I vj  204 Rhvolution non, ils n'en produifaient pas moins leur effet. Le retardement qu'éprouvait le paiement des arrérages, venait encore augmenter le mécontentement. Auffi, lorfque les Chapeaux firent dans la Diete la première ouverture de leurs defléins , quand ils; propoferent de céder au Roi la nomination des emplois militaires, jufqüau Lieutenant-Colonel inclufivement, la propofition fut rejetée avec beaucoup de chaleur, excepté par le Clergé. Les autres points n'eurent pas plus de fuccès. Cependant les inftructions du Comité Secret pour régler la conduite du Sénat, après la féparation des Etats, furent a peu prés foppofé de celles données par la Diete précédente. Elles lui enjoignaient d"entretenir une bonne intelligence avee toutes les Cours voifines ; mais de n'entret pour Ie préfent dans une alliance dé-  de Suede. joj fenfive avec aucune d'elles, & particuliérement dans la ligue du Nord dont il avait été queftion. Elles portaient que la France & la Porte éraient les Alliés naturels de Ia Suede. L'Efpagne & 1'Autriche, comme liées avec la France , étaient recommandées auffi, comme amis naturels. On y obfervait que 1'Angleterre ne vifait qu'a l'empire de la mer, a engloutir tous les commerces dans le fien ; qu'on devait donc la regarder comme oppofée a Ia profpérité de la Suede, & ne contracter aucun engagement avec la Cour de Londres. Onpromit d'ailleurs au Miniftere de France, malgré Ie peu de fuccès dans la Diete, defuivrele plan d'opérations déja formé, pourvu que les arrérages fuffent payés pour faire les préparatifs.  2o6 Révolution Section quatrieme. Révolution de 1772. Evénemens qui la précéderent. J'ai montré quels étaient , pendant les deux dernieres Dietes, les deffeins de la Cour, la nature des partis , les intrigues des Miniftres Etrangers, &les vues de leurs Maitres. Ces détails étaient nécefTaires pour conduire aux vraies fources du grand événement que je vais rapporter. Depuis que 1'argent des Puiffances Etrangeres avait fait de la corruption un des mobiles du Gouvernement Suédois , les vices de cette Conflitution étaient parvenus a leur maturité. Avilis par le trafic de leurs fuffrages , occupés de Ia haine des factions Sc des vengeances privées, les Suédois  de Suede. 207 avaient perdu de vue le bien réel de leur pays. Deux factions oppofées dans leurs fyftêmes, s'arrachaient alternativement le pouvoir. Supporte's par des Puiffances ennemies , tour a tour perfécuteurs Sc perfécutés , le vainqueur éphémere ne fongeait qu'a venger de.-.injures paffées, ouprévenir des reffentimens a venir. Dansun oubli fi parfait de la Conftitution , aucune tentative n'était impraticable, aucun événement improbable; & fi la Conftitution n'avait pas été entiérement culbutée , ce n'était pas aux vertus des Membres de la Diete qu'il fallait 1'attribuer : probablement ils avaient été auffi bien payés pour la conferver, que pour 1'anéantir. Malgré rinfluence actuelle du parti. Frangois , les Bounets , contens d'avoir empêché 1'exécution de leur plan principal, n'avaient pas de grandes  203 RÊVOi UTIÓN ïnquiétudes. II eft vrai qu'il ne tem? blait pas impoffible d'effectuer par force ce que 1'argenc n'avait pu produire. Mais le caractere pacifique de Frédéric Adolphe leur était garant qüon n'en viendrait jamais a la violence. Orné de toutes les vertus de la vie privée , mais dénué de cette ambition qui foupire après le pouvoir, ce Prince n'avait point eet efprit entrepreitant qui d'ordinaire 1'accompagne. Formé pour la félicité domeftique, jamais fon coeur paternel n'aurait rifqué des démarches, qui pouvaient , en échouant , entrainer la ruine düne familie chérie. II était d'ailleurs Etranger. II ne pouvait par conféquent .efpérer de fon Peuple autant de confiance, qüun Prince né & élevé parmi eux en aurait pu infpirer. L'age venait encore augmenter fon penchant pour la tranquillité Sc le repos.  de Suede. 209 Ainfï donc , quoique les Chapeaux fuffent maitres de 1'Adminiftration , quoiqu'ils polTédaflent tous les emplois importans du. Royaume, on était fur, qu'au moins durant la vie du Roi, on n'aurait point recours a la force ouverte. Les Miniftres d'Angleterre & de Ruffie comptaient fur leurs intrigues, pour forti fier leur parti & fe mettre en état d'avoir la majorité dans la prochaine Diete. La Nation fentaifl fon peu de forces pour foutenir une guerre contre la Ruffie. On lui en faifait un épouvantail, pour la détacher du fyftême Frangöis. On lui montrait , d'un autre cóté, le projet d'ancantir la Conftitution : on éveillait par-la la jaloufie de ceux des Chapeaux qui tenaient encore a leur forme de Gouvernement, & on faifait une néceffité a ces nouveaux Convertis, auffi bien qu'aux Bonnets, de fe jeter  2io Révolut ion dans les bras de 1'Angleterre & de la Ruffie, comme lünique moyen de fe garantir des dangers qui les menagaient: par-la on efpérait faire paffer les Bonnets fur la difficulté des fubfides, & venir enfin a bout de réalifer le projet de !a ügue du Nord, fi intéreffante pour 1'Angleterre. Telle était la fituation des chofes , quand la mort (i) du Roi vint donner une nouvelle face aux affaires de la Suede. Le Prince Royal était a Paris lors de la mort de fon pere. II était occupé a demander quelques points , que 1'Adminifiration Suédoife avait en vain follicités dèpuis long-temps. La dignité royale, en donnant une nouvelle importance au Négociateur, donna plus de fuccès a la négociation. La France promit de payer an- ( i ) Au mois de Févricr 1771.  de Suede. 211 nuellement a la Suede un million & demi. Suivant les loix fondamentales , la Diete devait s'afiembkr trente jours après la mort du Roi. Mais le Sénat, en raifon de 1'abfence du Prince, & pour lui donner le temps de teiminer fes négociations , ne fixa 1'affemblée des Etats que pour le mois de Juin fuivant. II était évident que cette Diete devait décider du fort de la Conftitution Suédoife ; c'étoit donc le moment de réunir tous fes efforts. Perdre cette occafion , était perdre a jamais toute efpérance d'influence dans ce Gouvernement. Auffi les Bonnets mirent-üs bien a pront fabfence du jeune Roi ; ils fe donnerent tant de mouvement, ils furent fi puiffamment foutenus par les Miniftres d'Angleterre & de Ruffie , qüapfès les éleftions, ils fe trouverent avoir la majo-  212 Révolution rité dans les trois Ordres inferieurs.1 Cependant Ie Roi écrivit au Sénat dans les termes les plus gracieux, approuvant toutes fes démarches , 3c lui répétant fes alïurances degouverner conformément aux loix. Le parti des Chapeaux tenait auffi le même langage. lis prétendaient n'avoir d'autre but, que de faire payer l'argent dü par la France , mais fe difaient réfolus a raaintenir la Conftitution. Depuis Ie nouveau fyftème de Gouvernement, les Suédois n'avaient vu fur le tröne que des Etrangers, Frédéric ler, & Adolphe Frédéric. Ces Princes , appelés par une élection libre de leurs fujets, a un tröne oü i!s n'avaient aucun droit , avaient dü regarder comme une acquifition affez importante les honneurs extérieurs de Ia dignité royale, fanscroire avoir le droit düfurper ce qu'on ne leur avait pas accordé. Eblouis de l'éclat.  E> E SUEDE, 213 d*une couronne , pour laquelle ils n/étaient pas nés, ils avaient pu ne pas tant fentir eornbien peu d'autorité elle procurait en erTet. C'était peut-être a ces ciroonftances autant qu'a leur génie tranquille Sc peu entreprenant, que la Conftitution d'un Peuple fi corrompu devait une fi longue exiftence. Mais le fils & le fuccefféur de Frédéric Adolphe Jeur offrait un Prince dün génie bien different. Guftave III avait k peu pres vingtc'inq ans quand il fut proclamé Roi de Suede. Sa mere, foeur du Roi de PrufTe, fembla lui avoir paffé tout le courage & les taiens de fon oncle; &fon pere, cette bienveillanee, cette bonté d'arne qui font encore chérir aux Suédois la mémoire de Frédéric Adolphe. La Nature 1'avait fait pour briller £n tout rang, mais fur-tout dans le  214 RÉVOLUTION grand röle auquel il était deftiné; Sc fes talens naturels furent cultivés par féducation la plus flnie & la mieux adaptée a une Ctuation , qui devait probablement un jour demander leur plus grand développement. Une éloquence féduifante, & une adreffe infinuante , lui gagnaient le coeur de ceux qui Ie voyaient en public : des connaiffances vaftes, & un jugement profond, lui attiraient Padmiration de ceux qui Papprochaient de plus prés. Mais perfonne ne toupet nnait encore en lui cette politique auroite, eet efprit entreprenant & hardi qui l'ont diftingué depuis ; & bien moins encore, qüun jeune Prince, en s'v Uvrarit, ne perdrait jamais de vue le bonheur de fon Peuple ; que toutes fes démarches feraient marquées par une prudence & une modération auffi rares qüeftimables. Indifférent pour les plaifirs fans les  DE SUEDE. 2I<£ haïr; Philofophe & homme de Cour, le travait Ie plus opiniarre ne lui faifait rien perdre de ces graces qui font briller dans un cercle. Tel était ce Prince , qui, doué de tout ce qui féduit un Peuple dans un Gouvernement populaire , devait fe foumettre aux caprices dün Sénat ou a 1'influence d'un Miniftre Etranger ; qui, capable de gouverner les autfes, ne devait point avoir de volonté ; maitre des coeurs de fes Sujets , ne devait être leur Roi que de nora; devait enfin fe contenter dün extérieur de royauté qu'il méprifait, Sc n'avoir aucune part a un pouvoir qui feul faifait 1'objet de fes défirs. Rien ne pouvait furpaffer les acclamations de joie du Peuple a 1'arrivée du Roi a Stockholm ,. qui fut vers la fin de Mai 1771. Rien ne pouvait être mieux calculé pour le faire chérir dans fes Provinces les plus re-4  s.i6 Révolution culées , que la conduite qu'il adopta, Trois fois la femaine il donnait réguliérement audience a tout ce qui fe préfentait. II n'était befoin ni de rang, ni de fortune, pour obtenir accès. C'était affez d'être opprimé, d'avoir une juRe raifon de fe plaindre. II écoutait le moindre de fes Sujets avec la dignité d'un Souverain , mais avec la tendreffe dün pere. II entrak dans les détails les plus mimitieux qui les intéreffaient ; s informait de leurs affaires privées , femblait prendre a leur bonheur eet intérèt affedueux qui flatte tant 1'infortuné : fentiment fi rare a trouver dans les perfonnes que leur élévation place bien loin de 1'atteinte & de la comnaiffance même des fouffrances. du Peuple. Un Prince qui montrait a fes Peupies un tel coeur, ne pouvait manquer de fe faire regarde.r comme leur pere. 5i]  de Suede. 217 Si cette conduite était la plus fage & la mieux calculée pour fes delTeins ; fi c'était un mafque a 1'ambition , n'arrachons pas ce voile, Sc repofons nos yeux fur un tableau fi doux. Vouloir tenir tout de 1'amour des Peuples, ne pouvait au moins venir que d'une belle ame. En gagnant ainlï l'affecfion du Peuple, le jeune Roi ne s'occupait pas moins a convaincre les principaux de la Nation de fon attachement inviolablea la Conftitution. II faififfait toutes les occafions de déclarer qu'il fe glorifiait d'être le premier Citoyen d'un Peuple libre. II ne défirait, en apparence^due bannir la corruption & établir la concorde. II difait ne vouloir être d'autre parti que de celui de la Nation , & profeffait la foumiffion la plus entiere aux décifions du Sénat. Quelques gens crurent que c'étaic K  2i8 Révolution trop promettre pour être de bonne foi. Malgré toute fimpartialité qu il affeétait, on ne pouvait s'empêcher de voir que tous fes favoris étaient du parti Francais. Bientot après arriva a Stockholm un nouvel Ambaffadeur de France (i), dont le mérite perfonnel confirmait encore les foupeons de Fimportance de la commiffion, ün Miniftre d'Efpagne parut auih pour la première fois , & fem-, blait annoncer pour les Chapeaux une nouvelle affiftance de la part de la Cour de Madrid. Les Miniflres d'Angleterre & de Ruffie firent des efforts en raifon de leurs craintes. 11 n'était d'autre moyen de détruire le fyftême qu'ils fuppo-, faient a leurs antagoniftes , que de réalifer ie projet d'alliance entre ïAn-, (i) M,. le Comte de V,  de Suede. 219 gleterre , la Ruffie & la Suede, qui devait fervir de bafe a la ligue du Nord. II fallait, pour cela, réuffir a óter 1'adminiftration des mains du j parti Frangais ; déplacer les SénaI teurs de cette faftion, pour faire : entrer des hommes dévoués a 1'Angleterre & Ia Ruffie. L'argent fut prodigué fans compte. A 1'ouverture de la Diete, les Bonnets fe retrou'< verent dominans dans les trois Ordres inférieurs. II eft vrai que les j Royaliftes avaient la fupériorité dans ; la Chambre des Nobies , & que par conféquent Ie Maréchal de la Diete était un de leurs partifans ; ce qui fut par la fuite un article effentiel pour le Roi. Mais Ie Comité Secret fè trouva compofé en grande partie de Ronnets. Ce Comité avait tout pouvoir en :ce qui concernait les affaires étranj geres. Si dirigeait prefque entiérement Kij  220 RÉVOLUTION les opérations du Sénat. En général, fes décifions devenaient des aétes de la Diete. C'était donc pour le Prince une perfpective peu favorable de voir ce Corps abfolument dévoué a 1'Angleterre & la Ruffie. Jamais iltuation ne fut plus critique. A peine affis fur le tróne, fans ïfcyoir encore éprouvé 1'attachement de fes Sujets, ou découvert les difpofitions du Militaire ; n'ayant pas: encore eu le temps de conduire fes projets a maturité ( fuppofé qüils fuffent déja formés), fa pofition exigeait la prudence & la fageffe la plus confommée. Si les Bonnets devenaient Maitres de la Diete, fes partifans & fes amis étaient fans doute culbutés. Le traité avec 1'Angleterre & la Ruffie était une conféquence probable, & toute él pérance était perdue pour fes projets.  ■ de Suede. ant II eft vrai que les Nobies étaient a dans fon parti ; mais point du tout I a fa dévotion. Ils tenaient a cette ] Conftitution, qui était leur feul titre ij aux largeffes des Puiiïances Etrange1 res : avec elle tombait toute efpérance ij de pareilles faveurs. Le Corps du Peuple était bien mé! content du Gouvernement; mais ac: coutumé depuis long-temps a la pai tience & a la foumiflion , il regardait 3 les abus en filence. II était probable j qüil ne s'oppoferait pas a un chanj gement dans la Conftitution ; mais li ce n'était pas affez, il fallait exciter i fon indignation, lui infpirer 1'efprit i| de réfiftance, lui donner de 1'aétivité , : öc cela demandait beaucoup de ména' gemens préparatoires. Le Roi n'avait donc qüun petit » nombre de perfonnes attachées a lui , I prêtes a tout facrifier a fes intéréts ; ] mais pas affez nombreux pour pouKüj  222 RÉVOLUTION ,voir former un parti dans la Diete. Cette fituation le mettait dans la plus embarraffante alternative. Précipiter 1'exécution de fes projets, était s'expofer aux plus grands périls ; Sc 1'afcendant des amis de 1'Angleterre \ Sc de la Ruffie rendait également tout retard dangereux. La dépofition du Sénat devait être haturellement le premier objet des Bonnets. C'était donc 1'intérêt du Roi de la prévenir, ou du moins de i 1'éloigner. Pour cela il n'était d'autre I moyen que de femer des difficultéil dans chaque affaire, & rendre la Diete auffi inactive que poffible. Une des premières occupations de, la Diete, fut de régler les engagemensj que le Roi devait figner avant fon couronnement. 11 s'éleva a ce fujetj une querelle entre la Chambre des • Nobies & les autres Ordres. II exiftait déja entre eux un grand refroit  de Suede. 223 diffement caufé par un reglement du Sénat. Dans une circonffance particuliere, il avait pofé pour maxime, que les grands emplois de 1'Etat ne pouvaient être remplis que par des Nobies. Les Ordres inférieurs prétendaient que cette affertion était diredement cppofée aux Loix fondamentales' cïe 1'Etat; que tout homme de mérite, de quelque rang qu'il fut, était éligible pour les plus grands emplois. Des difputes de cette nature , font toujours funeftes dans un Gouvernement populaire. Cependant, au milieu de ces querelles, la Nation ne vit danS le Roi qüun pere tendre , occupé a réunir des divifions fi dangereufes. Ses difcours paraiffaient fi finceres ; il femblait tant enflammé de zele pour le bonheur de fes Sujets, & fi indifférent pour fes propres intéréts; il s'occupait avec tant de. K iv  224 Révolution follicitude des moyens de rétablir lünion parmi les Membres de la Diete, que le plus clair-voyant n'eüt pu pénétrer fes intentions. » Si, difait-il dans 1'un de fes « Difcours, mes intentions étaient » moins pures, moins innocentes, » moins iinceres ; fi mon cceur n'é3j tait pas pénétré de 1'amour le plus » tendre pour mon pays, potu" fon » indépendance, fa liberté, fa gloire » & fon bonheur , j'aurais pu épiet » tranquillement les occafions favo» rables ; j'aurais pu, comme les » Rois mes prédécelfeurs, faifir les » momens de tirer avantage des disj vifions aux dépens de la liberté 5c 5s des Loix «. II fit plus encore, il envoya demander aux Miniftres d'Angleterre 8c de Ruffie, fi, par leur entremife, il ne ferait pas poflible d'effecfuer la réunion défirée. Par-la le Prince fe  de Suede. 225 montrait au Peuple fous fe point de vue le plus agréable, & le dégoütait dün Gouvernement fi turbulent. Les opérations de la Diete furent fufpendues par ces difputes imprudentes; & ce ne fut qu'au bout de huit mois , en Février, que cette matiere fut enfin réglée. La confufion n'avait que trop dure',, pour faire fur le Peuple une forte. impreffion , Sc expofer les vices de ce: fyftême de Gouvésnement ;. pour montrer finfluence des Puiffances; Etrangeres fur la Diete ; faire briller la fageffe , le défmtéreffement & Ie patriotifme du Roi, qui, tant de fois,, maisenvain , avait offert fa médiation pour terminer ces querelles. La feconde chofeprife en confide'ration par les Etats-, fut la conduite du Sénat dèpuis la derniere Diete. La». Commiffion fecrete, nommée pourr eet objet,. ne finit fon. enquête qu'a  22.6 Révolution la fin de Mars. Le réfultat fut que Ie Sénat avait abufé de la confiance des Etats, & les trois Ordres inférieurs réfolurent de le dépofer en totalité. C'était une mefure également violente, injufte & peu politique. La prudence leur diclait de garder des ménagemens avec les Chapeaux ; de ne dépofer qu'autant de Sénateurs qu'il était néceffaire pour s'affurer Ia majorité dans ce Corps. C'était fans doute unafle defolie, de pouffer cette facfion au défefpoir, dans un temps oü 1'on foupconnait des deffeins formés contre la Conftitution, de rendre les Chapeaux indifférens fur fon exiftence, 'en leur ötartt tout intérêt a fa confervation. Si ce coup avart été porté dès le commencement de Ia Diete , peut - être n'eut-il pas été fi dangereux ; mais après un délai de dix mois, effet de 1'opiniatreté des • trois Ordres inférieurs j délai dou|  de Suede. 227 le Roi avait tiré le plus grand avantage pour préparer le fuccès a fes deffeins, il était peut-être impoffible aux Bonnets de choifir une conduite mieux calcuiée pour accélérer la révolution qu'ils voulaient empêcher. Lefaiielt, que les Bonnets, fe trou-' vant maitres abfolus de la Diete, s'enivrerent de leurs fuccès. Tranfportés par leur haine contre Ie parti adyerfe , par leur avidité pour 1'argent & leur foif du pouvoir, ils ne mirent ni frein aieurs défirs , ni terme a leurs demandes. Rien ne pouvait les fatisfaire,que de voir les Chapeaux entiérement exclus de tout emploi de con'iance, d'honneur ou de crédit. Dans I'av.uglement de leur violence, ils oiiblierent qu'au moins il était un point fur lequel beaucoup de Chapeaux étaient d'accord avec eux, la confervation de la ConP.itution : ils oubiiexent combien elle était en K vj  228 RÉVOLUTION danger ; combien ils auraient befoin' du fecours du parti oppofé,pour parer le coup qui menagait de la détruire. Le Roi, dont la fagacité voyait tout, dont la vigilance profitait de tout, vit d'abord la folie des Bonnets, & fut en tirer avantage. On fut bien étonné de voir tout a coup la Chambre des Nobies confentir a la décifion des trois Ordres inférieurs pour la démiffion des Sénateurs. On s'était attendu a la plus violente oppofition de la part du parti de la Cour. Ce fuccès inattendu rendit les Bonnets triomphans. On le regarda comme le coup fatal porté aux Chapeaux. On feut bien mieux jugé, fi on 1'avait ƒ ris pour un trait de cette politique confommée, qui éclairait la conduite du Prince. Ce n'était déja plus un objet pour le Prince, d'avoir un Sénat a fa dé-  db Suede. 22^ votion. Tout ce qui avait été néceffaire , était d'empêc.her pour quelque temps les Bonnets d'avoir 1'adminiftration des affaires • & en cela il avait réuffi. Après quoi, plus les Bonnets mettaient de violence & d'injultice dans leurs mefures contre les Chapeaux, moins le Roi avait d'oppofition a attendre de ceux des Chapeaux , qui tenaient encore a la Conftitution. Les voir dépouiller de leurs emplois , priver de leur pouvoir, profcrire en quelque maniere par leurs rivaux , était peut-être ce qu'il devait défirer dans cette circonftance. II devenait alors leur feule reflburce , .leur unique appui dans leur dif-grace. Si le parti Anglais avait le deffus-, les Chapeaux fe voyaient ruines, dépouillés, anéantis. Une Adminiftration de leurs ennemis leur offfait une perfpeclive défefpérante. Privés de  230 Révolution Pappui de la France, ils fe voyaient a la merci d'un parti ulcéré , qu'ils avaient fouvent opprimé, dont ils avaient mis les Chefs fur 1 echafaud, & dont la haine s'était déja mani-> feftée par des preuves non douteufes. II,, était donc naturel que leurs craintes pour la Conftitution , cédaffent a des appréhenfions perfonnelles fi preffantes. Auffi beaucoup d'entre eux de vinrent difpofés a fervir les vues du Roi, ou du moins a refier fpectateurs tranquiiles de fes mouvernens. Le Feid Maréchal Comte de Ferfen lui-même, parr fan zélé de la France . mais qui paffait pour être attaché au Gouvernement étabii, foit qu'il confervat encorequelqr.es fcrüpules, foit qu'il ne ci&t pas a la poifibil té du fuccès, fe retira a la campagne pour y attendre 1'événement. L'abfence de ce Général, qui était Colonel des Gat-  de Suede. 2*31 des, fut une circonftance très-favorable aux vues du Roi. Ce fut donc la conduite injufte Sc tyrannique des Bonnets, qui decida une révolution que le Prince avait 'fans doute défirée, que les circonftances avaient prcparée , mais pour laquelle il n'exifiait' pas encore un plan d'opérations fixe & déterminé. Le Comte Charles Scheffer, t'uri des plus ardens défenfeurs de la Conftitution, lorfque la Cour avait voulu jadis lui porter atteinte, alors perfonnellement attaché au jeune Monarque, fut le premier a lui en faire 1'ouvcrture. » Tout eft perdu , lui » dit-il, & voici Ie moment de poros ter un grand coup. Vous favez »• avec quel enthoufiafme je foutins =» une caufe oppofée : mais Je chan» gement de circonftances force celui » de mes fentimens. Une faflion in» folente ne refpe&e plus rien. L'hon-  2$2 RÉVOLUT ION » neur , la vie & la fortune des plus »- honnêtes gens ne font plus en fü» reté. Brifez la tyrannie qui nous » menace, & failiifez un pouvoir que » vous offrent les circonftances «. Cette propofition fut recue avec 1'erapreffement dün Prince qui la défirait ardemment. II n'était plus queftion que de fixer la maniere dont on procéderait. Parmi les amis de Scheffer, était un Officier habile Sc entreprenant, zélé pour les intéréts du Roi, & propre a le fervir dans le plan comme dans 1'exécution de fes projets. C'était le Colonel Springporten. Scheffer s'ouvrit a lui fur ce que Fon méditait. On convint alors d'exciter en même te.mps une infurreófion dans les Provinces de Finlande & de. Scanie. Deux hommes furent choifis pour mettre ce plan en exécution. Le Baron de Spingporten, frere du Colo-  dé Suede. 233 nel, Officier intelligent & actif, fut choifi pour pratiquer ces manoeuvres en Finlande ; & M. de Toll fe chargea de produire les mêmes effets en Scanie. Né avec de la hardieffe & de faudace, ce particulier y joignait 1'efprit d'ambition, qui précipite dans .les plus hafardeufes entreprifes. Cependant le Prince avait affemblé un Corps dënviron cent cinquante Officiers, commandé par le Colonel Springporten, fous prétexte de les exercer aux manoeuvres militaires; mais en effet pour fonder leurs difpofitions, & les attacher a fa perfbnne. Ils 1'accompagnaient par-tout; & bientöt ce Prince habile, qui favait tirer parti des moindres circonftances, les eut remplis de zele pour fes intéréts. Ce fut alors qüune cherté de grains réduifit le Royaume a la plus grande difette. On ne manqua pas de 1'attri-  234 R-ÊVOLUTI ON buer au peu de prévoyance des Etats a encourager 1'importation des bleds. II eft pourtant vrai que les Etats en avaient acheté une affez grande quantité, pour le faire diftribuer dans les difiérentes Provinces : mais , par un accident ou manoeuvre quelconque, il n'arriva point a fa deftination. II n'était pas de moyen plus propre a irriter le Peuple contre le Gouvernement. Auffi le mécontentement & les clameurs fe firent bientöt entendre, & forë'öt répétés par tous les coins clu iioyaun:o, Le Peuple fut par- la difpofé a une infnrreclion & a ün changement de Maitre. On lui confeilla, dans toutes les Provinces, de fe rendre a Stockholm , de mettre fes griefs aux pieds du tröne. On employa ces moyens jufque dans Ia Capitale. Tandis que Ie Fioi Sc fes Confidens étaient ainfi occupés , 1'Adminiftra-  DtT SüEDE. 235" tlon fe trouva enfin formée & compofée des amis de 1'Angleterre & de la Ruffie. On renoua auffi-töt la négociation du traité entre la Suede & la Grande-Bretagne, & une nouvelle pour un traité entre la Suede & la Ruffie. 11 était a préfumer que ces négociations feraient terminées avec la plus grande expédirion : cependant on oppofa encore W premières difficultés. On infifta auffi fortement que jamais fur én dédömmagement pour la perte du million & demi que devait payer annuellement fa France. Un mois s'était écou'é en tentatives infruftueufes de la part des Miniftres ligués pour faire adopter les traités par les difléreris Ordres, & le moment qui devait décider du fort de la Conftitution approchait. Un incident vint éveiller les craintes du parti dominant, & confirmeï fes foupgons. Jufque-la ce n'avait été  2.7,6 RÉVOLUTION que par des voies fourdes que les partifans de la Cour avaient fomenté les mécontentemens du Peuple. Mais alors on trouva des affiches dans les endroits publics de Stockholm, pour exciter les Peuples a une infurredion. Auffi-töt les Chefs des Bonnets prennent 1'alarme. On s'affemble , on réfout de porter 1'affaire devant le Comité Secret, pour prendre des mefures contre Ia furprife. Mais le Maréchal de la Diete, entiérement dévoué au Roi, refufa de FaiTembler le jour même, & retarda des mefures qu'on ne pouvait prendre trop tót. Cependant, lorfque le Comité Secret fut affemblé, il ordonna qüun bataillon du Régiment d'Uplaud fe tiendrait prêt a marcher au premier ordre. II fut enjoint au Colonel Springporten, qu'on foupgonnait, Sc dont on craignait la préfence a Stockholm , de fe rendre en Finlande,  de Suede. 237 fous prétexte d'y prévenir le tumulte, mais en effet pour Ie tenir éloigné. Le Général Rudbeck, Grand Gouverneur de Stockholm, en qui le Comité avait la plus grande confiance, fut chargé d'aller en Scanie , a Gottenbourg & Carlfcrone, pour y appaifer les efprits. En fon abfence, Ie Général Péklin alors vivement attaché aux Bonnets , fut chargé des mefures a prendre pour la tranquillité de Ia ville. Le Roi était a fa maifon de campagne, lorfqüon lui envoya la Commiffion de Péklin a figner. 11 ne jugea pas a propos de le faire. Par ce moyen , le Général ne put «ntrer en exercice, que quand le Roi trouva qüil ne ferait plus a temps de s'oppofer a fes deffeins. Les Royaliftes parurent très-alarmés des précautions que 1'on prenait contre eux. Le Roi feul était tranquille,  238 RÉVOLUTION Sc ne montra jamais la moindre agitation, ni par fa contenance, ni par fes difcours. Ilprit ce temps-la même pour informer le Miniftre de Ruffie , qu'il érait dans 1'intention d'aller vi-. fker 1'lmpératrice fa Maïtreffe, immédiatement après la clóture de la Diete ; ajoutant, qu'il déclarerait le lendemain fa réfolution au Sénat, Sc obtiendrait pour cela le confentement d'un Comité, qu'il avait décidé de mettre fi - tot hors d'état de lui accorder ou refufer aucune demande. Le Roi fe croyant alors fur de la plus grande partie des Officiers de la garnifon de Stockholm , fongea aux moyens régnait dans la Diete. II devait, auffi- > tot après, exciter a la révolte les troui pes a fes ordres , fermer les portes I de la fortereffe , Sc fe préparer a la I défenfe. En même temps un de fes I Officiers devait être envoyé au Prince ! Charles, Sc, fous prétexte de s'être échappé , lui apprendre ce qui fe / pafTait. Par-Ia, Ie Prince avait une ; raifon dëngager les Officiers des ! Régimens voifins a affembler leurs L  2-\2 RËVOLUT ION hommes, pour le but apparent de fupprimer cette révolte naiffante. Jamais plan ne fut mieux calculé t jamais plus heureufement exécuté. Hellichius remplit fon röle a la ïettre, & le Prince parut prefque auffitót a la tere de cinq Régimens. Comme ces troupes s'étaient mifes volontairement fous les ordres du Prince Charles; quëlies ignovaient également & fes vraies intentions, & •ce qui fe .faifait a Stockholm , il lui était facile de leur infpirer les difpofitions favorables a fes deffeins. Un bruit fe répandit dans 1'armée, que la Conftitution était en danger. On murmurait qu'il exiftait un projet contre le Roi, qui ne tendait peutêtre a rien moins qu'a lui ravir la couronne ; qu'on méditait 1'établiffement d'une Ariftocratie fous la direction de la Ruffie. Des propos qui ne pouvaient alors être contre-  r>e Suede. 24.3 I dits , devaient néceffairement faire jimpreflion. Si Ie Roi avoit fuccombé 1 dans fes tentatives a Stockholm , les I mefures que les Etats auraient pu I prendre en confe'quence, n'auraient Iparu que de nouvelles preuves de lla vérité de ces affertions. Si donc Ie I Sénat avait fait arrérer Sa Majefté, des Itroupes ainfi prévenues , ayant a Ieuc Itête Je frere de leur Souverain, n'auIraient pas héfité un inftant de marIcher a fon fecours. Ainfi le Roi, quoiqüengagé dans «ne entreprife oü le fecret était fi néceifaire, qu'il n'était pas confié peutétre a une demi-douzaine de perfonnes, avait fu fe garantir de tous les accidens poffibles. Le 16" d'Aoüt, le Général Rudbeck, dans fon voyage en, Scanie , avaiü voulu vifiter Chriftianftadt. Inftruic de Ia révolte, il revint a Stockholm,, $c informa le Comité Secret de Ia L ij  244 Révolution rebellion d'Hellichius. A cette nouvelle , il fut réfolu de faire venir a Stockholm un bataillon du Régiment d'Upland, & un de Sudermanie ; de faire patrouiller toutes les nuits la cavalerie Bourgeoife , Sc dënvoyer deux Régimensde cavalerie inveftir Chriflianftadt. Une députation alk porter ces ordres au Sénat, pour les faire mettre en exécution. . En même temps le Sénat pria Ie Roi de ne point quitter la ville, Sc dépêcha des Courriers aux Princes fes freres , avec des ordres pour leur retour immédiat. . Le Roi parut auffiTurpris qüaffligé, a la nouvelle de cette révolte. H entra avec empreffement dans toutes les mefures du Sénat, pour la fupprimer Sc pourvoir a leur propre füreté. Quand le Général Rudbeck la lui apprit , le Roi lëmbraffa, 1'appela fon meilleur ami, le remercia avec.  de Suede. 2451 tant de chaleur, que le bon vieux 1 Général, quoiqüanti-royalifte décidé, I fortit de fa préfence , convaincu qu'il I ne favait abfolument rien de la réI volte , & que c'était a tort qu'ón lui I prêtait des deffeins contre la ConftiI tution. Le Roi n'attendait probablement, Ipour porter le dernier coup- a la I puiffance des Etats , que la nouvelle jdu fuccès du Prince Charles, & des jmouvemens de la Finlande 3 & il lemployait ce temps a fe gagner tous iceux avec qui il avait occafion de Iconverfer. I II accompagnait dans fa ronde la «cavalerie Bourgeoife, qui avait ordre Ide faire la patrouille dans les rues. ILe Sénat ne pouvait trouver un pré«exte d'empêcher une démarche, qui, Idans Sa Majefté , avait 1'air d'un zele «rès-louable pour la tranquillité de Ia wille ; mais le Prince favait quel parti L iij  - £46* RÉVOLUTION en tirer. Dans deux nuits feulement , ce pouvoir enchanteur, qu'il poiTédait fi bien, fit, de ces hommes armés par les Etats, les plus zélés partifans de fa caufe. Ils furent enfuite des premiers a fe déclarer pour lui. Des que Sa Majefté eut regu la lettre du Prince_ Charles , qui lui annoncait qu'il fe trouvait a la tête de cinqRégimens , il lënvoya incontinent au Sénat, qui la mit fous les yeux du Comité Secret. Le Prince: y exprimait le plus grand défir d'étre: continué dans le commandement de: ces troupes , qu'il avait affemblées,II faififfant cette occafion de faire prc-| feffion du plus inviolable attache-j ment a la liberté. Toutefois, le Sénatl refufa de s'y prêter, cx nomma unl Commandant de fon Corps , a lal place du Prince. Le moment critique| était enfin arrivé, oü tout délai, loin| d'être néceffaire pour les vües du|  de Suede. 247 Roi, pouvait au contraire leur être funefte. II.ne s'était paffe que deux jours, depuis qu'on avait fit a Stockholm Ia révolte de Scan ie. Pendant ce temps, les partifans de la Cour étaient occupés de tous cótés a préparer les folclats des gardes & de fartillerie. Le Roi lui-même affemblait les Officiers qui lui étaient dévoués, parcourait les rues, fuivi de ce cortége, autant pour fe montrer au Peuple , - que pour converfer avec ceux qui 1'approchaient; Les Sénateurs & le Comité n'ignoraient pas ces mouvemens; mais quelques-uns fe fiaient aux précautions déja prifes, & les autres, intimidés par l'affection du Peuple pour le Roi, & par 1'attachement des Officiers, craignaientque les Etats, en confinant Sa Majefté dans fon Palais, .n'accéléraffent la Révolution. On aurait voulu ménager les chofes jufqüa L iv  248 Révolution ce que les Régimens , commande's pour la füreté de la Ville, fuffent arrivés ; & ils n'étaient plus qu'a un jour de marche. On remït donc au ïendemain des voies de fait, dangereufes en elles - mêmes, fi elles n'étaient foutenues par la force ou.verte. Au fortir du Confeil, Ie Baron d'Effen, Membre du Comité, communiqua a Salza fon beau-frere toutes ïeurs craintes fur la révolte de Scanie que ce n'était pas une étourdelie du Capitaine Hellichius , mais un plan arrangé & dirigé par le Roi même. U lui fit part des mefures violentes auxquelles on était réfolu de fe porter contre Sa Majefté. Salza, qui avait fuccédé au Colonel Springporten , & était entré fecrétement dans les vues du Roi, diffimula avec fon ami ; mais manda au Roi, dés le foir même, a quel danger il était ex-  de Suede. 249 pöfé ; que s'il remettait a agir jufqüau lendemain midi, il ne ferait peut-être plus a temps. Cet avis, foutenu de Ia nouvelle de !a révolte de Finlande, détermina le Prince a ne plus perdre un inftant pour lëxécution de fon plan. Ce fut le 19 d'Aoüt que Sa Majefté Suédoife jeta le mafque , Sc réfolut de sëmparer de ce pouvoir, dont les Etats avaient fi long-temps abufé , ou de périr dans la tentative. Quand il fe préparait le matin k quitter fon appartement, on vit quelque agitation dans fa contenance ; mais elle ne venait d'aucune inquiétude pour fon propre fort. Quelle que fut 1'ambition de ce Prince, il avait encore plus d'humanité. II craignait que le fang de fes Sujets ne fut verfé dans une entreprife oü il était difficile dëfpérer le fuccès , fans avoir L v  Révolution recours a Ia violence. Toute fa conduite jufiifie ces conje&ures. Nombre d'Officiers , connus par leur dévouement au Roi, avaient été avertis de fe trouver le matin auprès de fa perfonne. Avant dix heures il était a cheval, & paffa en revue Ie Régiment d'Artillerie. En parcourant les rues , il fut encore plus civil que de coutume, faluant familiérement le plus bas Peuple. A fon retour au Palais , lorfque Ie détachement, qui montait la garde, fut en parade avec celui qui la defcendait , le Roi fit entrer tous les Officiers Sc Bas-Officiers dans le corps-de-garde , ou il sënferma avec eux. Ce fut la qu'il leur paria avec cette éloquence qu'il poffede fi bien. Après leur avoir fait entendre que fa vie était en danger, il leur peignit des plus vives couleurs 1'état malheureux du Royaume, les  d.e Suede. 251 entraves dans lefquelles le tenait 1'argent des Etrangers , les diffentions Sc les troubles, qui en étaient la fuite , Sc qui avaient déchiré la Diete pendant quatorze mois. II les affura que fon but unique était de mettre fin a ces défordres, de bannir la corruption , rétablir la vraie liberté , Sc rendre fon ancien luflre au nom Suédois , qui avait été diffamé par une vénalité auffi publique que déshonorante. Enfin, les affurant dans les termes les plus forts , qüil renongait' a tout pouvoir abfolu, il conclut de cette maniere : » Je fuis forcé de dc» fendre ma propre liberté Sc celle da » Royaume contre 1'Ariftocratie qui 33 regne. Voulez-vous m'ètre fideles, ■* comme le - furent vos ancêtres a 33 Guftave Vafa Sc Guftave Adolphe , 33 & je rifquerai ma vie pour votre 33 bien Sc celui de la Patrie ». Un raorne filence régna dans TAfL vj  2^2 RÉVOLUTION fembleë : tous les yeux étaient baif-« fés, & le fort de la Révolution fut fufpendu pour un inftant. — Quoi ! s'écria le Prince furpris, mais'pourtant ferme , perfonne ne me répond? —- Oui, dit alors un jeune Officier, nous vous ïuïvróns. Serait-il parmi nous quelqüun affez lache pour abandonner fon Roi? — Ce propos décida tout. On y répondit par des acclamations. Les Officiers, la plupart jeunes gens, dont l'attachement pour le Roi avait été confolidé , qui peut-être ne fentaient pas bien toute la portée de Ce qu'on leur demandait, & n'avaient pas le temps d'y réfléchir, confentirent a fes demandes , & lui prêterent ferment de fidélité. II n'y en eut que trois qui refuferent. L'un d'eux, Frédéric Cederftrom, Capitained'une Compagnie des Gardes, dit qu'il avait , depuis peu , fait ferment d'être fidele aux Etats, &  r> e Suede. 253 qu'il ne pouvait, d'après cela, prêter celui que Sa Majefté exigeait de lui. — Songez a ce que vous faites , lui dit le Roi en le regardanf d'un air févere. — J'y fonge, répondit Cederftrom, & ce que je penfe aujourd'hui, je le penferai demain. Si j'étais capable de manquer au ferment qui me lie aux Etats, je ferais également capable de fauffer celui que Votre Majefté me demande aujourd'hui. Le Roi lui commanda de rendre fon épée, & lui ordonna les arrêts. Cependant, craignant, par réflexion, 1'impreffion qüune conduite fi réfolue pourrait faire fur les autres Officiers, le Roi radoucit fa voix, Sc s'adreffant a Cederftrom , lui dit que pour preuve de fa confiance Sc de fon eftime, il lui rendait fon épée, fans exiger de ferment, Sc ne lui demandait que fa préfence ce jour-la. Mais eet Officier tint ferme, Sc pria  25:4 Révolution Sa Majefté de lëxempter de fervice pendant cette- journée. Tandis que le Roi était enfermé avec les Officiers, le Sénateur Kalling , qui avait été nommé deux jours avant Commandant des troupes de la Ville , fe préfenta a la port* du corpsde-garde, dont on lui refufa lëntrée. Le Sénateur perfifia a vouloir être préfent a la diftribution des ordres, & le fit demander au Roi. On lui répondit de fe rendre au Sénat, oü Sa Majefté lui parlerait. , Les Officiers regurent du Roi 1'ordre d'affernbler les Régimens des Gardes & d'Artillerie , & de placer un détachement a la porte du Sénat, pour empêcher les Sénateurs de fbrtir. Mais il était une démarche néceffaire a faire , & dont dépendait tout le fuccès de lëntreprife, c'était que le Roi parhu aux Soldats, qui ignoraient abfolumeat fes defieins , &c  de Suede. 2^ étaient accoutumés a n'obéir qüanx ordres d'un Sénat refpecté. Ii s'avanca donc vers ia troupe. 11 leur rit a peu prés Ie même difcours qu'aux Officiers , & avec le même fuccès. On lui répondit par de grandes acclamations. Cependant, les Emiiïaires de Ia Cour répandaient Ie bruit que le Roi venait d'ctre arrêté. Cette rumeur attira le Peuple en foule vers Ie Palais. II arriva lorfque le Prince fimffait fa harangue aux troupes. Cette multitude témoigna fa joie de Ie voir en füreté, par des Vive le Roi réitérés : c'était un pronoftic heureux du fuccès de cette journée. Les Sénateurs voyaient, des fenêtres de Ia Chambre du.Confeil, tout ce qui fe paffait devant le Palais. Inquiets Sc curieux de la caufe de ces acclamations , ils voulurent fortir pour s'en informer; mais trente Grenadiers, la  SJÖ RÉVOLUTION bayonnette au bout du fufil, leur déclarerent que la volonté du Roi était qüils demeuraflent la oü ils étaient. lis voulurent prendre le haut ton : pn les enferma a clef. Dès que le Comité Secret fut que le Sénat était arrêté, il fe fépara de lui-même, & chacun fongea a pourvoir a fa propre füreté. Le Roi monta alors a cheval, &,fuivi des Officiers 1'épée a la main , d'un corps nomJbreux de Soldats, & d'une multitude de Peuple, il fe rendit aux autres quartiers de la ville, oü les troupes avaient eu ordre de s'affembler. II les trouva égalementdifpofées adéfendre fa caufe, & a lui prêter ferment de fidélité. En traverfant les rues, il difait au Peuple que fon unique but était de les défendre & fauver Ia Patrie : que s'ils ne fe fiaient pas a lui, il était pret a abandonner le fceptre & dépofer fa couronne. Ce Prince  de Suede. 2^7 était tant aimé , que le Peuple, les larmes aux yeux, plufieurs même a genoux, eonjuraient Sa Majefté de ne pas les abandonner. Le Roi fuivit fa fortune , & , en moins d'une heure , fe rendit maitre de toutes les forces militah es de Stockholm. On diftribua poudre & balles aux Soldats. On prit dans 1'Arfenal plufieurs pieces de canon,qu'on plaga au Palais, aux ponts , Sc en quelques autres endroits de la ville, mais particuliérement aux grandes avenues. Des Soldats y faifaient faction avec la meche allumée. Toute communication avec la campagne fut interrompue, 6c perfonne ne pouvait fortir de la ville fans un paffe-port figné du Roi lui-même. On aflficha dans toutes les rues une Déclaration du Roi, oü Sa Majefté exhortait fes fideles Sujets & Plabitans de la Cité , de refter  2j8 Révolution fpeftateurs tranquilles & refpe&ueux des mefures & démarches faites pour préferver la fureté publique , 1'indépendance du Royaume, & la vraie liberté, attendu que Sa Majefté s'étak vue forcée de fe fervir du pouvoir qui iui reftait encore pour délivrer le Royaume Sc elle-même d'un Gouvernement Ariftocratique, qui ,'plus que jamais, avait 1'intention dopprimer fes fideles Sujets. Sa Majefté ordonnait auffi très-expreffément a fes fideles Sujets Sc Habitans de la Cité, de refter dans leurs maifons, & de tenir leurs portes fermeës , pour prévenir tout défordre ; étant arrêté, que toute perfonne, de quelque condition ou conféquence quëllefüt, qui s'oppoferait afon loyal Roi, ou manquerait au fermeat & au | devoirdün Sujet, ferait puni immédiatement fuivant lëxigence du cas. 11 était défendu d'obéir a aucuns ordres  d e Suede. n^p que ceux de Sa Majefté, fous peine des conféquences de la déloyauté. On décécha un Officier avec des ordres pour les Régimens d'Upland & de Sudermanie , qui n'étaient pl..s qu'a quelques heines- de marche, de retourner dans leurs quartiers, & uns injonétion a TOfficier commandant, qui étaic un vioient Bonnet, de fe rendre fur le champ a Stockholm, Tout fut exécuté fans la moindre difficulté. La précaution'qu'avait prife le Roi de ne laiffer fortir perfonne de la ville , mettait néceffairement les troupes dans une ignorance abfolue de ce qui s'y paffait. Les ordres étaient fignés de la maniere accoutumée , £i contre-fignés par le Secrétraire d'Etat , de maniere qu'il était impoflïble pour le Commandant de favoir s ils étaient émanés ou non du Comité Secret , Sc le plus prudent était de s'y conformer.  26o Révolution II nën fut pas de même de 1'Officïer chargé de courir après Ie Général Pecklin. Le Général avait eu Ia veille fon paffe-port Sc fes ordres fignés du Roi , pour affembler fon Régiment Sc deux autres. II partit de Stockholm avant midi; le même jour on donna des ordres de lé fuivre Sc de le ramener. Le porteur le rejoignit a environ fept lieues de Stockholm , & fit fa commiffion. Le Général lui demanda s'il avait des ordres parécrit. Non,réponditrOfficier. Eh bien, dit Pecklin, les miens le font, & je ne fuis pas obligé de croire tout homme que viendra me faire une hiftoire. Comme 1'Officier n'avait pas main-forte pour 1'arrêter, il s'échappa pour le moment. Outre les Sénateurs , qui furent confinés féparément dans les appartemens du Palais , Ie Général Rudbeck, les principaux Chefs des Bon-  T> E S li E D E. 26" I nets, & plufieurs perfonnes de moindre confidération, furent mis aux arrêts. Aucun nëffaya de réfifter , de fe plaindre, ou de sënfuir ■ & le Roi, qui le matin s'était levé le Souverain le plus limité del'Europe, fe rendit, dans lëfpace de deux heures , auffi abfolu que le Roi de Pruffe a Berlin, ou le Grand Seigneur a Conftantïnople. Les Chapeaux, aveuglés par leurs fuccès contre leurs rivaux, parurent ne pas fentir que la mine, qui les avait culbutés, avait auffi fait fauter la Conftitution. Leur délire de vengeance les empêcha de voir qu'ils n'étaient que la patte crédule de Ia fable, employée a un ouvrage donc tout Ie profit était pour un autre. Les Bonnets fe défiant les uns des autres, ignorant toute 1'étendue des deffeins du Roi, & jufqüa quel point ies Chapeaux y étaient entrés , obéir  2Ó2 RÉVOLUTION rent tous fans murmure. PlufieurS même le difputerent aux Chapeaux dans leurs félicitations au Roi fut l'événement, & fe montrerent moins affligés de la perte de leur liberté, qüavides d'acquérir k fa place une part a la faveur royale. Le bas Peuple, trop peu important pöur être d'aucun parti, fe réjouit de la deftruftion dün Gouvernement oü il n'avait point de part, & dont il ne tirait aucun avantage. II vit avec fatisfa&ion paffer le pouvoir d'une Ariftocratie , dont il n'avait éprouvé qüinfolence & oppreffion , dans les mains d'un Monarque qui podëdait fon cceur. Ainfi, fans coup férir, fans une feule goutte de fang répandue, fans la moindre apparence de tumulte & de défordre, les habitans de Stockholm céderent une Conftitution que leurs ancêtres leur avaient laiffée,  de Suede. 265 I après Ia mort de Charles XII, comme I un boulevard contre le defpotifme de 1 leurs Monarques a venir. Au commen.cement de la RévoluI tion,leRoi avait fait prier les Miniftres I Etrangers de fe rendre*a fon Palais. I Quand ils furent arrivés; » Meffieurs, I « leur dit-il, cëft pour votre propre v füreté que je vous ai priés de vous j> rena're ici. J'aurais été très-fenfible 1« au moindre défagrément qui aurait r pu vous arriver, & une circonfp tance auffi critique ne me permettait »> pas de répondre des événemens, v Je ne vous dirai rien au fujet de ce » qui fe paffe en ce moment. Vous »>devez 1'avoir prévu depuis longp temps. J'ai été forcé a ce que je » fais, Sc les circonftances feront ma E juftification. Mais il eft une chofe I dont... ïe ne veux pas que vous I doutiez un inftant, Sc que je vous ?'pne de .eommuniquer d'abord a vo§  264 RÉVOLUTION „ Cours refpecltves ; cëft que ce qui j * fe paffe aftuellement ne change „ rien a mes difpofitions pacifiqucs, b> & que je cultiverai toujours avec » foin la bojpne harmonie & 1'amitié „ avec mes Alliés & mes Voifins «. Le rehVdu jour fut employé par Ie Roi a vifiter différens quartiers de la ville, a recevoir le ferment des Magiftrats , des Tribunaux, Sc de la Milice Bourgeoife. Sa fuite groiTiffait a i chaque inftant, les Officiers des deux: partis s'uniffant pour 1'aceompagner. Chacun noua a fon bras gauche uni mouchoir blanc , a fimitation du Roi, qui 1'avait fait dès le principe: de lëntreprife , Sc avait prié fes amiffi de fe diftinguer par-la de ceux qui ne feraient pas de fon parti. Non contente des fermens de tous les Officiers civils & militaires , Sa Majefté était réfolue de faire prêter, s'il était poffible , au Corps entier da  Pc e Suede. 26$ Ia Nation, un ferment général de fidélité. D'après la tournure religieufe du bas Peuple Suédois, cette mefure n'était pas fans utilité. Dès que Ie bruit de I'intention du Roi fe fut répandu dans Ia ville , une multitude confidérable de Peuple s'affembla , le 20 , dans une grande place. Quand le Roi arriva, il fe fit un profond fdence. Sa Majefté, a cheval, I'épée nue a la main, s'avanca de quelques pas Ioin de fon cortége. II fit au Peuple un difcours long Sc pathétique, d'une voix fi fonore & ft diftin&e , que 1'auditoire n'en perdit pas une fyllabe. II déclara que fon feul but était de rendre Ia tranquillité a fa Patrie en fupprimant la licence , Sc mettant fin a une Ariftocratie oppreffive; de faire revivre 1'ancienne liberté Suédoife, Sc rétablir les loix fiir le pied oü elles étaient avanC M  3.66 RÉVOLUTION isö8ö. » Je renonce acfuellement , a> ajouta-t-il, comme je l'ai déja fait , i> a toute idéé dün defpotifme abhor» ré, croyant que ma plus grande » gloire eft d'être Ie premier Citoyen » d'un Peuple vraiment libre «. La populace, qui, depuis le regne de Charles XII, n'avait pas entendu fes Souverains parler Suédois, écoutait le Roi avec 1'admiration que cette rareté devait exciter. Souvent ils 1'interrompirent par de grandes acclamations ; plufieurs verfaient des larmes de joie. Le Roi lut le ferment qu'il faifait ar. Peuple, & il fit lire celui que le Peuple devait lui-prêterf En même temps des Hérauts d'armes proclamerent, dans tous les quartiers de la ville, un ajournement des Etats pour le lendemain , avec ordre i a tous les Membres de la Diete de; sy trouver, fous peine d'être regar*'  de Suede. dés Sc traités comme traitres a leur pays. Tandis que Sa Majefté accompliffait fes deffeins avec tant de fuccès a Stockholm , rien n'était négligé pour leur donner une égale réuffite dans les Provinces. Les Régimens quï étaient en marche pour la Capitale , s'étaient, comme on 1'a dit, retirés tranquillement dans leurs quartiers. Les deux freres du Roi étaient chacun a Ia tête d'un nombreux corps de troupes. Hellichius avait remis Chriftianftadt aux mains du Prince Charles. Pecklin, dont on craignait les manoeuvres, avait été arrété. En Finlande, les affaires avaient eu le même fuccès. Les Springporten les conduifirent avec une intelligence Sc une acïivité , qui mirent bientöt les troupes Sc Ia Province entiere a Ia difpofition du Roi. La Reine Douai* M ij  263 RÉVOLUTION i-iere elle-même voulut avoir quelque part a ce glorieux événement. Jblle était dans fon retour de Berlin, quand e,lle en apprit la nouvelle. Cette Princeffe monta a cheval, Sc recut, au nom du Roi, le ferment de fidélité des Habitansde Stralfund. Les ordres qui furent envoyés aux autres Gouverneurs des Provinces & places fortcs , fe trouvant e>.acfement dans la forme prefcrite par la Conftitution, rencontrereiit par-tout une obéiffance aveugie ; & tout fe paffa dans Ie Royaume avec auffi peu d'oppofition Sc de tumulte qu'a Stockholm même. II eft vrai que les Soldats Sc le: Peuple des Provinces ignoraient en grande partie ce qui s'était paffé dans: la Capitale. Auffi ce fut une précaution très-prudente de la part du Roi | dëmpêcher qu'ils nën recuffent une; intelligence authentique, avant qu^  • de Suede. 26$ les Etats eux • mêmes , affemblés en Diete, euffent ratifié , de la maniere la plus folennelle, le changement qüil avait fait. Cëft pour cela que le Roi avait ajourné au 21 cette affemblée , oü les Etats devaient abolir I'ancien fyftêmê de Gouvernement, & le Roi en propofer un nouveau , auquel ön aurait foin qüils üofaffent s'oppofer. On répandit a propos le bruit quün corps de troupes affez nombreux, que le Roi avait mandé de Finlande, fe trouvait aux portes de la ville. On leur affïgna des quartiers, comme fi la chofe eut été vraie. L'impoffibilité de vérifier ces rapports, devait néceffairement laifiër les Etats dans 1'épouvante. Sa Majefté ne sën tint pas la. Le matin du 21 , un fort détachement des Gardes prit pofieffion de la Place M iij  270 RÉVOLUTION • oü était la Chambre des Nobies. Le Palais fut invefti de troupes de tous cötés. On plaga du canon en face de la grande Salie oü les Etats devaient s'affembler. Ils étaient chargés, & des Soldats, la meche allumée , étaient prèts, au premier ordre , a mettre Ie feu. Dans cette circonftance, on ne permit point aux différens Ordres de s'affembler, fuivant Tufage, dans leurs Chambres refpeétives, pour de la fe lendre aux Etats en Corps , & précédés par leurs Orateurs. Chacun fit fon chemin au Palais, comme il put. Ils n obferverent ni forme ni cérémonie , ne fongeant qüa fe garantir des punitions dont étaient menacés les abfens. On remarqua auffi que le Maréchal de la Diete fe rendit aux Etats fans les marqués diftin&ives de fon office. Le Roi, affis fur fon tröne, entouré  be Suede. 271 de fes Gardes & d'un grand nombre d'Officiers, s'adrelfa aux Erats , Sc peignit des plus fortes couleurs les excès, les défordres Sc les calamités dans lefquels 1'efprit de parti avait plongé le Royaume. 11 leur rappela toutes les peines qu'il avait prifes «pour rétablir 1'union & funanimué, Sc 1'ingratitude dont il avait été payé. 11 reprocha le déshonneur dont ils s'étaient couverts, par une vénalité publique, par la baffeile de facrifier les plus grands intéréts de la Patrie a 1'or des Puiffances Etrangeres. S'arrêtant alors tout a coup au milieu de fon difcours : » S'ileft quelqüun parmi » vous, s'écria-t-il, en état denier a» ce que j'avance , qu'il fe leve Sc » parle (1) «. » ( i ) J'aurais bien des chofes a dire , di~ » fait alors un Evêque a fon vcifin ; mais ces *> caaons me ferment la bouche ». M iv  272 Rêvoeut 1*0 n II n'était pas étonnant quën pareille fituation perfonne n'ofat repliquer au Roi ; mais , dans le fait, il y avait tant de véritédans ce qu'il avangait, que peut-être la honte n'avait pas moins de part a leur filence que la crainte. Quand Sa Majefté eut fmi, ellê ordonna a un Secrétaire de lire la nouvelle forme de Gouvernement. Elle était compofée de cinquante-fept articles. Quatre fuffiront pour donner idéé de la plénitude de pouvoir dont jouit aétuellement Sa Majefté Suédoife. Par Pun de ces articles, Ie Roi a le droit de convoquer ou proroger les Etats a volonté. Par l'autre, il a feul Ie maniement de 1'armée , de la marine & des finances, & la nomination de tous les emplois civils & militaires. Par un troifieme, le Roi  de Suede. 273 n'apas ouvertement Ie droit d'impofer les taxes ; mais celles qui fubfiftaient furent établies a perpétuité, & en cas d'invafion ou de néceffité preffante, il peut mettre des impóts jufqüa ce qüil foit poffible d'a.ffembler les Etats. Par un quatrieme, les Etats ne peuvent délibérer que fur des matieres propofées par le Roi. ! Après qüon eut Iu cette forme de Gouvernement, le Roi demanda aux Etats s'ils 1'approuvaient. Se faifant de néceffité vertu, ils ne répondirent que par des acclamations. Cependant un Membre de 1'Ordre des Nobies propofa de limiter les contributions a un certain nombre d'années ; mais le Maréchal de la Diete refufa de mettre la queftion en délibération fans le confentement du Roi. Sa Majefté pria les Nobies d'avoir , dans fes foins paternels, la même confiance M v  274 Révolution qu'avaient montrée les autres Ordres, qui n'avaient pas fait mention d'une telle limitation. Après cela, le Maréchal de la Diete & les Orateurs des autres Ordres, fignerent la nouvelle forme de Gouvernement , & les Etats prêterent a Sa Majefté le ferment dont elle-même dicla la formule. Cette fcene extraordinaire fe terïnina d'une maniere également finguliere. Le Roi tira de fa poche le Livre desPfeaumes, &, ötantfacouïonne, entonna un Te Deum , auquel toute faffemblée fe joignit très-dévotement. La Révolution était alors entiérement accomplie r les Princes Charles & Frédéric avaient été informés de ce qui fe paffait a Stockholm. Dès qu'ils eurent appris que le changement avait regu la fandion des Etats»  de Suede. 27J ils affemblerent les Officiers des troupes qui étaient fous leurs ordres, & après leur avoir lu les lettres du Roi, leur commanderent de prêter a Sa Majefté le ferment de fidélité. Pas un n'héfita de fe conformer a des ordres qui avaient Fapparence d'être autorifés par les Etats; peut-être même ignoraient-ils toute 1'étendue du changement qüavait fait le Roi, & la maniere dont il favait opéré. Les Princes fe rendirent avec une promptitude égale a leur zele dans toutes les villes importantes, & ils y regurent au nom du Roi le ferment des Magiftrats, des Citoyens, & des Troupes. Cette Révolution , qui n'avait demandé que peu d'heures a Stockholm , s'opéra fans oppofition ou murmure dans tout le Royaunae en peu de jours. <. Les Sénateurs & ceux qui avaient été M vj  2.j6 RÉVOLUTION arrêtés, excepté Pecklin, & Blomberg Officier Général en Finlande , furent alors remis en liberté, en prêtant le ferment. La plus parfaite tranquillité & la plus grande unanimité parurent régner parmi les citoyens d'un pays -qui, peu de femaines auparavant , était en proie aux diffentions civiles Sc a toute 1'animofité des faclions. Le calme qui fuccéda tout a coup a des fcenes de trouble Sc de confufion ; la clémence , la fagefle Sc 1'impartialité que montra le Souverain ; 1'amour que lui portaient la plupart de fes fujets , & 1'admiration de ceux mêmes qui n'étaient pas dans fon parti, tout contribua a rendre ce changement agréable au Corps entier de la Nation. Auffi vit-elle avec plaifir Sc même avec reconnaiffance la conduite du Roi ; conduite qui faifait un égal honneur a fon courage , a fes talens ?  ce Suede. 277 & a fon humanité. Le 19 même, dans le fort d'une entreprife qui pouvait être dangereufe, qui était affurément critique & embarraffante , il donna des preuves bien frappantes de cette bonté qui diftingue fur-tout fon ame. Rien de plus féduifant que fes attentions pour ceux qui, dans ce jour de trouble, craignaient pour le fort de leurs amis, que le Prince avait fait arrêter. 11 envoya des meffages particuliers aux époufes Sc aux parens des prifonniers, les priant d'être fans alarmes, Sc les affurant quën peu de temps la liberté leur ferait rendue. Le Général Rudbeck, qui était de ce nombre , envoya au Roi une lettre qüil écrivait a fon époufe , lui demandant la permiffion de la faire paffer. Sa Majefté y ajouta plufieurs lignes de fa propre main 3 par lefquelles il la priait, en termeg  278 RÉVOLUTION très-gracieux, de n'avoir aucune 'mquiétude pour fon mari, a qui il ne pouvait tien arriver qüun arrêt de peu de jours. II envoya un meffage jufqüatiK enfans dün pauvre Eccléfiaflique qui avait été arrêté, pour les affurer que leur pere leur ferais rendu dans peu, & qu'ils ne devaient avoir aueunesalarmes fur fon compte. De pareilles attentions, dans des momens oü 1'on eüt pu s'attendre que toutes fes penfées feraient abforbées dans des affaires d'une fi grande importance, font des preuves indubitables de la bonté de fon coeur. Dans le vrai, il fe montra toujours plus inquiet qu'il n'arrivat quelque malheur au moindre de fes fujets , que du fuccès de 1'entreprife. Les injures que la Familie Royale avait regues de quelques-uns des Chefs de parti, auraient peut-étre juftitié  de Suede. 279 en quelque forte un certain degré de repréfailles de la part du Roi, devenu poffeffeur du pouvoir fuprême. Toutefois, Sa Majefté ne parue avoir ni reffentiment ni partialité. 11 fembla n'avoir acquis 1'autorité que pour répandre des faveurs & des graces. Ceux qui avaient été les principaux inftrumens de fes deffeins, furent récompenfés avec une générofité qui furpaffa leurs efpérances. Mais le refte de la Nation, fans diftincfion de parti , eut également part aux faveurs royales. Plufieurs, du parti des Bonnets, furent continués dans des emplois lucratifs & de confïance. Quelques-uns même de ceux qui, en 1756, avaient, avec tant d'indécence, foulé aux pieds les prérogatives de la Couronne , qui avaient fi injuftement conduit fur 1'échafaud les amis du feu Roi, furent pourvus de pareils  éSo Révolution offices. Par une conduite fi impartiale & fi généreufe, il fe concilia tous les efprits , comme il avait auparavant gagné les affections. La première opération du Roi fut d'abolirl'horrible ufage d'appliquer les criminels a la queftion. II fit enfuite une proclamation , pour défendre de fe fervir des noms qui avaient diftingué les factions fi long-temps funeftes au Royaume. Cette prohibition devait produire d'autant plus d'cffet, que le Roi lui-même était. le premier a montrer qu'il regardait ces difientions comme éteintes. Peu après que les Etats eurent confenti a la nouvelle forme de Gouvernement , ils s'affemblerent de nouveau , & il fut réfolu de préfenter au Roi une Adrefie de remercimens d'avoir rifqué fa perfonne pour délivrer le Royaume de l'anarcliie& de la con-  DE S U È D E. 28l fufion. La Chambre des Nobies ordonna de frapper une médaille en mém-ure de eet événement , & les trois autres Ordres demanderent d'être. admis dans cette dépenfe. Le 9 Septembre fut la clóture de la Diete, que le Roi promit d'affembler de nouveau dans fix ans. La diffolution des Etats était !e dernier trait qui manquait a la perfeótion de 1'ouvrage. Le Maréchal de la Diete , Sc les autres Orateurs prononceren^ dans cette occafion, des difcours oü ils donnaient au Roi les plus grands éloges, & fe condamnaient eux-mêmes de maniere a fe montrer dans un contrafte frappant Sc ridicule. 11 n'eft peut-être point de meilleure juftification pour la conduite du Roi, que ce que les Etats publierent eux-mêmes dans un Acle appelé Procédures de la Diete. » Une ancienne  282 Révolution 3> divifion, difent-ils, avait rompu 33 tous les noeuds qui doivent unir 3» des Concitoyens dans une confiance . » & une amitié mutuelle. Souvent Sa 33 Majefté voulut , par fes gracieux » difcours, réconcilier fes Sujets di»» vifés , rétablir 1'union, la concorde » & famour de la Patrie, qui font 33 la bafe du bonheur &c de la force » d'une Nation libre. Mais notre gé» néreux Monarque, voyant a regret »> que fes bienveillantes intentions1 s> feraient fans fuccès, tant que les >3 Loix ne feraient pas fixes , qu'il » n'y aurait point de balance de 93 pouvoir dans le Gouvernement, & » qu'on abuferait journellement de e» la liberté , a enfin fait fuccéder un » inltant de calme a la tempête y » pour nous donner le temps. de » mieux réfléchir a notre fituation , »» & a celle de notre Patrie.  de Suede. 283 » II ferait inutile de retracer ici le m changement qui fe fit dans le.Gou» vernement Suédois , quand nous » regardions le pouvoir royal comme » dangereux , quand nous craignions » plutöt que nous n'aimions celui » qui régnait. Une longue Sc dure » expérience nous a appris, que de« puis cette époque, les Lqi'x fon» damentales ont fouvent fubi des » changemens, des conftruclions for» cées, des reftriétions injufles. On « a ufurpc les droits de la royauté, » & la conféquence en a été des dé» fordres fans nombre. Lëxécution » des Loix a été fouvent confiee a »> ceux mêmes qui les faifaient. La » corruption des moeurs eft devenue m générale ; les Loix n'ont point été » refpectées, & les Juges n'ont point « eu pour elles 1'obéiffance qu'ils leur »> devaient. Des vues étrangeres ont  2§4 Révolution 33 influé fur les délibérations Natio33 najes; les fèmênces de la difcorde 33 ont été fomentées avec foin dans un terrein déja préparé pour une » abondante moiffon. La haine & la » vengeance fe font manifeftées dans )3 les procés publics. L'ambition Sc 3> lënvie ont caufé des mécontente33 mens, des troubles, & même lëf33 fufion du fang. Une reconftruction s» était néceffaire dans un édince 33 cbancelant: la fureté publique de3> mandait de nouvelles Loix. Enfin, 33 le joug, toujours infupportable de 3> fes Concitoyens , avait atterré un 33 Peuple qui aurait du s'occuper en33 tiérement a regagner fa force & fa ss fplendeur première , en reffaififfant 33 fa vraie liberté, fous un Roi qui far33 fait des Loix la regie de fa con3> duite. 3) C'était-.. un ouvrage réfervé a  de Suede. 2$$ a notre bien-aimé Souveraih , Ie ma» gnanime Guftave III, ce fera pour u lui une gloire immortelle d'avoir, » avec le fecours de Ia Providence , >» par fa propre intrépidité , par Ie » courage & 1'amour patriotique de » Leurs Altefies Royales les Princes j> Charles & Frédéric, fauvé le Royau» me , fur le bord du précipice. Nous s>. reconnaiffons Sc révérons Fintré» pidité & la clémence de notre Roi. 3? Nous béuiffons le grand ouvrage 33 accompli par un Prince foumis aux 33 Loix , qui , fans y être forcé, a s> abjuré le defpotifme, par un fer33 ment nouveau & de nouvelles »> affurances. Nous voyons Fancienne 33 liberté Sc fureté des Suédois, con3> folidées par une nouvelle forme »' de Gouvernement, que nous avons » regue, approuvée & confirmée par «.ferment, Ie 21 Aoüt de la préfenté  zS6 Révolution » année, tant pour nous-mêmes, » que pour nos defcendans; & finaa> lement nous 1'acceptons , fapproua» vons & la confirmons, comme fi, 35 elle érait inférée ici mot pour mot. » Par-la, la Suede voit en effet fon »» tröna rempli par un Roi , & tous » les Citoyens, peuvent., fans inquié» tude, abandonner 1'adminiftration « a un Prince a qui il appartient de » les gouverner Sc de les protéger; « un Prince qui n'eft pas Roi pour » lui-même , mais pour le bien de fes » Sujets ; qui fait fa plus grande 3> gloire de régner fur un Peuple in» dépendant, Sc d'ètre le premier CiJ5 toyen d'une Nation libre «. Tel était le langage d'Etats, qui, peu de femaines auparavant, ne faifaient aucun fcrupule de mettre la iignature du Roi a des réfolutions abfolument oppofées a fa volonté.  de Suede, 287 Telle fut la conclufion d'un evenement qui rendit a la couronne de Suede fes anciens droits, bannit la corruption , 1'influence étrangere , 3c, les diffentions inte'rieures. S'il était une circonftance oü un Prince eüt le droit de renverfer la conftitution de fon pays , c'était fans doute celle-ci. Dans le fait, ilötaita fes Sujets une forme de Gouvernement qui n'avait produit & ne pouvait produire que des maux, pour leur en donner une ftable, Sc qui les mettait du moins a Eabri des calamités de 1'anarchie. Le pouvoir fuprême avait fans doute des appas pour un Prince jeune Sc ambitieux; mais 1'Etat précaire & d'efclavage , dans lequel 1'avait mis la fauffe politique , ou 1'ambition de fes Sujets , les vices & les défauts du Gouvernement, 1'influence des Puiffances Etrangeres, la vénalit^  288 Révolution, Sec. des hommes en place, juüifient au» tant fon entreprife , que 1'ufage qu'il a fait depuis du pouvoir le montre digne de fes fuccès, Piscotjb.3  DISCOURS BU ROI DE SUEDE, Depuis fon accejfwn au tröne jufqua la fin de la Diete de 1771 ; & quelques autres Pieces relatives a la Révolution. DISCOURS Du Roi a Couverture de la Diete de lil l. nr J- out, en ce moment, jufqüa Ia place que j'occupe , me retrace , auffi bien qua vous, la perte infigne & N  2pO RÉVOLUTION eommune que nous venons de faire. Les Etats du Royaume , en terminant leur derniere affemblée, virent ici un pere tendre & bien-aimé , un Roi bienfaifant & refpe&é, entouré de Sujets affeaionnés, & de trois fils qui fe difputaient le bonheur de lui donner les plus grandes preuves de leur vénération 8c de leur amour. Au Reu de te coup-d'oeil, fait pour produire de délicieufes émotions, vous voyez aujourdhui trois orphelins , accablés de leur douleur', qui mêlent leurs larmes aux vötres, & dont les bleffures fe rouvrent a 1'afpect de celles de vos coeurs. La plus belle récompenfe pour un bon Roi eft 1'amour de fes Sujets. Les pleurs que vous verfez font le plus glorieux monument confacré a fa mémoiré, lis font pour moi un aiguillon pour chercher a mériter , par la clémence & la bonté, 1'amour 8c ia con-  de Suede. 291 fiance qu'avait gagnés un pere fi firicérement regretté. Je n'ai pas befoin de vous rappelec ici les changemens qui fe font faits dans Ie Gouvernement depuis votre derniere affemblée. Vous en ferez fuffilamment informés par les papiers qüon mettra fous vos yeux. Mon abfence m'a empêché de rien faire pour le bien public. Toutefois, fi nous avons le bonheur de voir fleurir en ce moment la paix au dehors «fe.au dedans, de vivre en bonne intelligence , & d'avoir la confiance de nos voilins & de nos anciens Alliés , cëft le Fruit de la prudence & de la fagefië de ceux qui ont été chargés de Tadminiftration des affaires, &a qui je faifis cette occafion de donner un témoignage public de ma reconnaiffance. Né & élevé parmi-vous, j'appris, dès mon enfance, a chérir ma Patrie , N ij  $02 Révolution a regarder comme mon plus grand bonheur d'être Suédois; comme ma plus grande gloire d'ètre ie premier Citoyen dün Peuple libre. Tous mes voeux feront remplis, fi les réfolutions que vous prendrez , contribuenc au bonheur, a la gloire & a 1'indépendance de ce Royaume. Voir la Nation heureufe eft mon premier défir ; gouverner un Peuple libre & indépendant eft toute mon ambition ; Sc ne croyez pas que ce foient de vaines exprefiïons,contredites peut-être dans le fecret de mon ame. Cëft la peinture vraie dün coeur enfiammé" d'amour pour la gloire & pour fa Patrie , d'un coeur trop fincere pour dicler ce qu'il ne fent pas, trop fier même pour rompre un engagement qüil aurait formé. J'ai vu différens pays ; j'ai cherché a m'inftruire de leurs moeurs, de leur gouvernement, des avantages & des  de Suede. 29 £ défavantages de Ia fituation de chaque Peuple. J'ai remarqué que ce ne font ni un pouvoir abfolu , ni Ia magnifrcence & fe luxe , ni des tréförs amaffés avec une économie trop artentive, qui rendent les Sujets heureux , mais lünanimité Sc 1'amour de la Patrie. II eft donc en votre pouvoir detre la Nation de la Terre la plus fortunée. Puiffe cette Diete être a jamais diftinguée dans nos Annales, pour avoir facrifïé toute vüe d'intérêt privé, toutes jaloufies& animo» fïtés perfonnelles au grand intérêt du Public ! De ma part, je contribueraï autant qu'il eft en moi, a rapproclier vos opinions divifées, a réunir vos coeurs aliénés les uns des autres, pour que cette affembiée puiffe, avec faide du Seigneur , être Pépcque de la félieité de ce Royaume.  j2p4 RÉVOLUTION R É P O N S E Du Roi aux Députés des Nobies t le io Juin 1771. JLjA douleur quëxprime la Nobleffe rouvre dans mon coeur une bleffure que le temps ne pourra jamais cicatrifer entiérement. Les larmes dont le Peuple a arrofé le tombeau d'un fi kon Roi, mëncouragent a marcher fur fes traces. Le bonheur du Roi eft tellement uni a celui du Peuple & de la Nobleffe , que vous devez être fürs que je ne négligerai rien de ce qui peut contribuer a votre félicité. Ma première attention fera de foutenic les Loix & les libertés de mes Sujets, de préparer, de fortifier & augmenter leur union. Defcendant dün Gentilliomme Suédois , qui mérita la cou-  r> e Suede. 205* fonne pour avoir éteint le feu de la ' difcorde, & délivré fon pays d'un joug étranger, je ne erois pas pouvoir honorer mieux fon fceptre , ou donner de plus fortes preuves de la droiture de mes intentions, qu'en fuivant fes traces. N iv  •296* Révolution DISCOURS Du Roi au Sénat ajjemblé y le 28 Novembre 1771. Ï_/A trifte perfpetlive qui menace aftuellement 1'Etat d'une divifion funefie, ne peut, Messieurs, avoir échappé a votre pénétration & a votre zele pour mon fervice & celui de la Patrie. L'expérience montre jufqüa quel point on peut porter la haine 8c la difcorde civile , fur-tout dans un Gouvernement libre, 8c quelles en font les conféquences funeftes pour le Royaume. Pénétré profondément de ces confidérations, je déclarai aux Etats, a 1'ouverture de Ia Diete , que mon premier foin ferait de réunir leurs coeurs, d'cteindre ces animofités qui ont fi long - temps troublé le  de Suede. 297 Royaume fous mes deux augufles prédécefleurs. Ma confcience mëft un fur garant de Ia fïncérité de mes feminiens j & tout ce qui sëll paifé dans la Diete fous les yeux de tous les Suédois , portera un témoignage non équivoque , .que mes a&ions ont été confbrmes a ce que j'avais promis. Mais, plus je me fuis donné de peines pour obtenir ce point falutaire , plus j'ai été affligé de voir que. lesdivifions des deux partis n'ont fait que devenir des diffentions plus dangereufes encore, je veux dire une divifion entre les Ordres mêmes. Je ne puis plus en douter, je ne puis plus fuppofer I'ignorance, depuis qüun Méraoire authentique, avoué des Ordres de 1'Etat, a inflruit le Royaume de leurs différends. Sans ehercher des raifons éloignées, je n'ai qu'a conlülter mon coeur,. qui m'avertit affez des dangers de mon pays, Sc je le; Kt  •spS Révolution ïais actuellement. Si ma naiffance & món devoir n'uniffaient pas , par un lien indiflbluble , mon' bonheur 8c celui de 1'Etat, fi je ne regardais pas comme Ie plus grand honneur de régner fur un Peuple indépendanc 8c libre ; je refterais tranquille fpectateur de l'événement, ou je m'aflhrerais pour 1'avenir une fituation plus briljante aux dépens de votre liberté : mais mon coeur n'eft pas fufceptible de tels feminiens. J'ai promis volontairement a mon Peuple d'être le gardien de fes libertés; & tant que la Providence me laiffera tenir ce fceptre, je le ferai. Cëft d'après ces intentions, Messieurs, que je me vois 'forcé de vous faire dépofitaire de mes inquiétudes. Je n'ai point envie de m'ingérer dans les délibérations des Etats; mais je crois de votre devoir, comme du mien, de prévenir les conféquen»  r>e Suede. 290 ces que la turbulence dëfprits enflammés peut produire de tous cötés ; elles peuvent avoir des effets funeftes , & caufer la deftrucfion de la liberté. J'ai réfolu de mander les quatre Orateurs de la Diete, pour leur repréfenter les dangers de notre fituation acfuelle, toutes les affaires prefque fufpendues dans la Diete, mes aifurances remifes , mon couronnement, que j'avais fixé au 24 de Septembre dernier, encore indéterminé. Combien chaque heure ne produitelle pas defemences nouvelles de-difcorde, & quelle ne doit pas être 1'inquiétude du Royaume, en contemplant ces événemens ! Rien de plus intéreffant pour nous tous en général. Le pays a befoin d'un prompt fegours, & ce n'eft que des Etats & de moi qu'il peut le recevoir. Tout ce que je veux leur dire ne peut tendre qu'a leur bien-être & au foutien des Loix, N vj «  300 Révol ut ion Je fuis leur Roi, lënfant des Etats, qui, par mes droits & mon devoir, ne tiens pas plus a un Ordre qu'a l'autre , & conféquemment les aime tous avec une égale tendrefie. Voila, Messieurs, la réfolution que je défirais vous communiquer, conformément aux Loix du Royaume; & j'y ai été plus porté encore par 1'opinion que j'ai de vos talens & de votre amour pour la Patrie.  de Suede. 3or DISCOURS Du Roi au Maréchal de la Diete & aux autres Orateurs 3 le 18 Kovembre 1771- "'Vöict prefque trois mois que j'ai informé les Etats, par un Extrait des Regiftres du Sénat, de mon défir de. voir la cérémonie de mon Sacre, poUr mettre aux pieds de 1'Eternel la couronne de mes ancêtres, qu'il lui a plu de mettre fur ma tête. J'ai depuis attendu en fdence la réponfe des Etats ; mais il eft arrivé des événemens inat* tendus , dont les conféquences funeftes me donnent les plus grandes inquiétudes. Je ne croirais pas remplir les devoirs exacts , je ne dis pas d'un Roi, mais. d'un fimple Citoyen,. qui  302 rvÉVOLUTION" font les plus forts & les plus facrés que j'aye contractés depuis ma naiffance, fi je regardais d'un oeil tranquille la fituation aétuelle des affaires publiques. Du moment que Ia Providence, par un événement trifte Sc inattendu, m'eut placé fur le tröne, mon occupation conftante fut de rétablir fharmonie dans mon Royaume divifé. Ma conduite eft connue de tous , & vous pouvez par elle juger de la püreté de mes intentions. Cëft avec ces intentions que je regus les Etats a Pouverture de la Diete. Je promis dëmployer tous mes efforts h conciiier leurs diff-irends, a rapprocher leurs coeurs aliénés. Je ne m'attendais pas fans doute, qu'a la clöture de •cette Diete , lëfprit de parti aurait produit des querelles deftructives de la liberté & de Ia Nation. J'ai trop de confidération pour les  de Suede. 30J Etats, trop de refpeót pour les Loix, pour m'ingérer dans leurs délibérations. Loin de moi de pareilles penfée's. Mais quand Ie danger eft évident & preffant, refter fpectateur indifférent , ferait me rendre criminet. Ce ferait une mauvaife preuve d'attachement a mon pays, d'amour pour mes Concitoyens, de voir avec indifférence des événemens, qui peuvent les conduire fur le bord du précipice. Pénétré de ces fentimens, j'ai cru de mon devoir de charger le Maréchal de la Diete, & les trois arntres Orateurs, de faire part aux Etats de mes inquiétudes au fujet des malheureux différends qui fubfiftent actuellement entre les quatre Ordres, formant enfemble les Etats du Royaume. Jene puis plus ignorer ces querelles, depuis quëlles ont parti imprimées düne maniere authentique, Sc quëlles ont attiré 1'attention autant ches  304 RÉVOLUTION 1'Eiranger que dans Ie Royaume. Si mes intentions étaient moins pures, moins innocentes, moins finceres ; fi mon coeur n'était pas pénétré de 1'amour Ie plus tendre pouc mon pays7 pour fon indépendance, fa liberté, fa gloire & fon bonheur: j'aurais pu épier tranquillement les occafions favorables : j'aurais pu ,, comme les Rois mes prédéceflëurs, faifir les momens de tirer avantage des divifions aux dépens de la liberté & des Loix.. Mais la première fois que je faluai les Etats comme leur Roi, je. contractai un engagement d'autant plus. facré qu'il était libre ; engagement trop folennel, pour me laiffer jamais oublier un devoir que fhonneur Sc. plus encore mes fentimens m'impofent. Je fais que les Rois de ce pays ont été quelquefois affez malheureux pour. être regardés, non comme des peres tendres, faits pour unir les coeurs de  de Suede. 30? leurs enfans, mais comme des Puiffances Etrangeres avec qui il fallait capituler. Mais je me fens pouffé par un zele fi fincere pour mon pays, fi dégagé de tout intérêt perfonnel, ou de vues relatives a eet intérêt, que je me flatte de rétabln entre le Roi & fes Sujets cette confiance réciproque , que les temps paffes n'ont que trop détruite. Cëft dans ces intentions , commti" niquées ce matin'au Sénat, que je vous ai mandés, pour repréfenter fortement aux Etats les fatales conféquences qüeux & le Royaume ont a craindre, s'ils ne Les préviennent pas a temps , s'ils ne mettent pas fin a ces choquantes querelles , fur-tout dans un moment oü la rareté générale de 1'argent rend la prolongation de la Diete un fardeau pefant, quand une mauvaife récolte nous menace d'une faraine, de la pefte, ou de quelque  306* RÉVOLUTION autre fléau. Toutes ces calamités, qui nous menacent en même temps, exigent des remedes prompts, de fages délibérations, & des réfolutions fortes & vigoureufes. Heureux d'y contribuer pour ma part, je m'offre comme un moyen de réunion entre les Etats, mes chers Concitoyens Sc Sujets. Je leur laifle a déterminer comment Sc de quelle maniere faire u'age de mes bonnes intentions. Ils peuvent d'autant mieux me confier un ouvrage fi falutaire , que je leur ai déja déclaré & déclare encore dans la perfonne de leurs Orateurs , que, fatisfait de ce qüon m'accorde, je ne demande rien pour moimême. Je fuis Ie feul individu du Royaumè qui, né 1'enfant de 1'Etat, n'appartiens particuliérement a aucun Ordre, qui les aime tous également; dont le deftin , étroitement uni avec Fintérêt de 1'Etat, offre la feule  de Suede. 307 perfonne fans-partialité dans cette affaire délicate. Je défire que ces confidérations foient mi fes fous les yeux des Etats , Sc je requiere le Maréchal de la Diete, & les autres Orateurs, de rendre compte de ma déclaraüon»  3o8 Révolution D I S C O U R S Du Roi aux Etats ajjemhlés } le ii Aoüt 1772. Vivement affligé a la vue de Ia fituation aduelle de mon pays, je me rrouve obligé de vous expofer la vérité dans tout fon jour. Quand le Royaume touche au moment de fa ruine , vous ne devez pas vous-étonner que je ne vous recoive pas aujourd'hui avec ces expreffions de plaifir que me dictait mon coeur quand vous approchiez du tröne. Je n'at point a me reprocher de vous avoir caché quelque chofe. Je me fuis deux fois adreffé a vous avec toute la vérité quëxigeait ma fituation , toute la fincérité que fhonneur infpire. La même franchife va me diriger en re-  e e Suede. 309 tragant le paffe, pour chercher uti remede aux maux préfens. Cëft une trifte vérité , mais pourtant'trop prouvée, que Ia haine & Ia difcorde civile ont déchiré le Royaume. Long-temps la Nation a été en proie aux diffentions, qui 1'ont, en quelque maniere, divifée ,en deux claffes diftinctes, unies feulement pour faire Ie malheur de leur pays. Vous favez que cette divifion a produit Ia haine, Ia:haine Ia vengeance, la vengeance Ia perfécution , & Ia perfécution de nouvelles révokitions. Ces agitations de quelques hommes ambitieux ont mis Ie Royaume en convulfion. Les deux partis ont fait couler des ruiffeaux de fang, & le Peuple a été la victime infortunée de leurs différends. II n'y avait pourtant d'autre part que d'ètre le premier a en fentir les conféquences funeftes. Les Chefs 4e parti n'avaient d'autre but que de  3io Révolution fprtifier leur autorité. Tout était dirigé vers ce point, fouvent même aux dépens des Citoyens , & toujours pour le malheur de 1'Etat. Si lëfprk de la Loi était clair , on en forcait la lettre pour fervir fes projets : fi elle condamnait abfolument les mefures, on 1'enfreignait. Rien n'était refpefté par une multitude enflammée de haine & de vengeance, Enfin, la confufion a été fi loin , qu'il a été généralement recu, que la pluralité des voix était au deffus de la Loi, & on n'a adopté d'autre regie de conduite , que ces procédés arbitraires. Cëft ainfi que la liberté, le plus noble droit de 1'humanité, a été changée en une Ariftocratie defpotique dans les mains du parti dominant, qui lui-même était tyrannifé a fon tour, & gouverné par un petit nombre. L'approche d'une nouvelle Diete  be Suede. produifait une confternation générale. Loin de s'occuper des moyens de bien diriger les affaires du Royaume, on ne fongeait qu'a faire des Profelytes a fon parti, pour fe garantir de ï'audace coupable & de la violence de fautre. Si la fituation du Royaume était dangereufe au dedans, combien n'étaitelle pas humiliante au dehors f Je rougis den pariet. Né Suédois & Roi des Suédois , il m'étfait impoflible d'imaginer que des vues étrangeres gouverneraient des Suédois j & bien moins encore que 1'Etranger acheterait cette infiuence par le plus vil & le plus infame des moyens, moyens odieux a tout vrai Citoyen Suédois. Vous m'entendez , fans doute, quoique ma délicateffe me porte a jeter un voile fur 1'infamie dans laquelle vos diffentions ont pjongé 1'Etat. Voila la fituation dans laquelle je ctrpuvai la Suede, quand les décrets  RÉVOLUTION de la Providence me placerent fur le tröne. Vous favez vous-mêmes oombien je me fuis donnë de peines pour amener une réconciliatiom Quand je vous ai parlé de mon tröne, dans toutes les occafions comme dans celle-ci, je vous ai recommandé lünanimité & 1'obéiflance aux Loix. J'ai facrifié mon intérêt perfonnel Sc celui de mon rang ; je me fuis prêté a tout engagement, aux'démarches les plus défagréables, pour effeftuer ce point falutaire pour le bien public. Si queiqüun peut contredire ces vérités,, qu'il le faffe hardiment, J'avais efpéré que mes efforts vous i délivreraient des chaines que 1'or: étranger, les haines mutuelles Sc la licence vous avaient forgées ; que; lëxemple d'autres Nations ferait pour; vous un avertilTement effrayant. Mais: tout a été inutile. Vous vous êtesi laiflé féduire en partie par vos ChefsA en  be Suede. 315 en partie par vos animofités perfonnelles. On a perdu tout refped: humain, on a rompu tous les accords. La licence a brifé toutes les barrières, &, pour avoir été réprimée quelque temps, n'eft devenue que plus indomptable. Les Citoyens les plus eftimables, les plus vertueux, les plus diftingués, ont été facrirlés : des Miniftres refpeftables, dont le zele Sc la rldélité étaient reconnus , ont été dégradés : des Corps entiers de Magiftrats dépofés. Oui, la Nation entiere a été opprimée ; la voix du Peuple étouffée; fes plaintes regardeës comme féditieufes ; en un mot, fa liberté écrafeë fous un joug ariftocratique. Le Très-Haut a montré fa colere contre 1'injuftice düne domination ufurpée. La terre a fermé fon fein Sc refufé fes bienfaits. La difette, Ia mifere , des calamités de toute elpee© ont accablé ce pays. Loin d'y cher* Q  5r4 RévolutioU cher des remedes, quand je vous Ie demandai la première fois, vous nën parures que plus apres a fatisfaire vos propres paffions, au lieu de fecounr vos conftituans. Quand enfin la néceffité vous forca de chercher les moyens de prévenir la chute prochaine de la Nation, il sën fallut peu cue le remede ne vlnt trop tard. Une année sëft paffee de cette magere, durant une Diete très-difpendieufe , qui n'a rien fait pour le Royaume. Toutes mes remontrances étant inutiles , & mes foins fans effet, pénétré de douleur pour le fort d'une i Patrie que j'alme, j'ai attendu en filence ce que penferait la Nation de: la conduite de fes Députés envers elle: & envers mol. Une partie a fupporté! le joug en gémiffant & murmurant,, mais avec foumiffion , faute de favoin comment fe faire rendre juftice & feuver fon pays. Aüleurs on a été rc»  de Suede. * 31^ cluit au défefpoir. On a pris les armes. Dans cette fituation , qui expofait au plus grand danger 1'Etat, la vraie liberté & la fureté publique, ( pour ne pas parler du péril oü fe trouvait ma propre vie ), je n'avais d'autre reffource , avec rafliftance du Seigneur, que ces moyens, qui ont délivré d'autres braves Nations, Sc en dernier lieu la Suede elle - même Tous la banniere de Guftave Vafa. Dieu a beni mon entreprife : mes Peuples ont encore une fois été anijnés de ce zele pour la Patrie, qui enflamma jadis les coeurs d'EngelbrecE & Guftave Ericfon. Tout a réufii felonmesdéfirs; j'aifauvé le Royaume Sc moi-même, faas qüaucun Citoyen ait cprouvé le moindre malheur. Vous êtes dans Terreur , fi Vous avez cru que mes intentions étaient contraires aux Loix Sc a Ja liberté. J'ai promis de gouverner un Peuple O ij  316 Révolution libre, promeffe d'aütant plus facreë, qüelle ëtait volontaire. Mes mefures actuelles ne me feront pas rompre une réfolution qui ne fut pas fondée fur la néceffité, mais fur un fentiment intime. Je fuis bien éloigné de vouloir détruire la liberté. Je ne veux qüa-< bolir la licence ; fubftituer aux procédés illégaux & arbitraires, qui onG 'quelque temps tyrannifé tout le "Royaume, une forme de Gouvernement fage & bien réglée, telle que la prefcrivent les anciennes Loix Suédoifes ; je veux enfin gouvernér comme mes grands prédéceffeurs 1'ont fait. Le feul but que je me fuis propofé dans tout ce que j'ai fait, eft d'établir la vraie liberté ; elle feule, mes chers Sujets , peut vous rendre heureux. Je fétablirai par votre fureté a 1'abri des Loix, la füreté de vos biens, 1'encouragement de 1'induftrie, Ie mam?  c é Suede. 317 tien du bon ordre dans la Ville & le Royaume, par Ie plus grand foin d'augmenter I'opulence générale , Sc de vous mettre a portée d'en jouir en paix Sc tranquillité ; enfin en favorifant la vraie piété, fans hypocrifie ou fuperftition. . [ fout cefa ne peut s'accqmplir , fi Je Royaume n'eft gouverné par una Loi invariable, dont on ne puiffe forcer la lettre; par une Loi qui oblige les Etats auffi bien que le Roi; qui ne puiffe être abolie ni changée, fans le confentement libre de tous ; qui permette a un Roi zélé pour le bien de fon pays, d'agir de concert avec ,4§s/Etats, fans qu'ils le regardent comme un objet cle terreur ; une Loi enfin qui uniffe le Roi Sc les Etats dans un intérêt commun , le bien de la •Patrie. ,j ; On va vqus lire la Loi, qui fei^a votre regie auffi bien que la mienne. O iij  3i 3 RÉ votuïio» Vous fentirez aifément par ce qüê je vous ai dit, que je fuis löin d'avoir; aucunes vues perfonnelles, 6c que mon feul objet eft le bien du Royaume, Si je me fuis vu forcé a vous préfenter fortement ra' vérité, ce n'était point par des motifs de reffentiment, mais abfolument pour votre bien. Ja ne doute pas que vous n'en foyez reeonnaiffans, Sc que vous ne concou-» riez'avec moi a donner une bafe folide Sc invariablè au bonheur public Sc a la vraie libecté. Des Rois illailfes & immortelsonfe porté le fceptre que je 'tiens. Je n'al pas la préfomption de m'égaler a eux; mais jé Ie leur' di'ipute en kele Sc en amour pour mon Peuple. Si vous avez le même attachement pour votre TaMie, fok croire que le nom Suédois .reprendra le luftre & la gloire 5q\Vili:avaitt'acquis du 'temps dé nos irrcêtres/ •' 3ti 'O  de Suede. 31$ Le Trés - Haut, pour qui il n'eft point de fecrets, voit en ce moment tous les fentimens de mon coeur. Puiffe-t-il éclairer & bénir vos confeils Sc vos décifioris! O ïv  g20 E i v o i ü t i o s DISCOURS Du Roi aux Etats, le 25 Aout 1 772. C^'est avec Ia plus grande reconnaiffance envers le Seigneur, que je parle aujourd'hui avec 1'ancienne conHance Sc la candeur Suédoife , pratiquées par mes ancêtres. Après tant de troubles, de fi longues oppofitions dans les fentimens, nous fommes enfin parvenus a n'avoir plus qüun objet, le bien du Royaume. 11 eft temps de finir une Diete, qui a déja duré quatorze mois. Cëft pourquoi j'ai donné autant de briéveté que poffible aux propofitions que j'ai a vous faire. Les befoins de 1'Etat font confidé-  de Suede.. ,32.1 rables. L'économie ne manquera pas de mon cöté. Ce que vous m'accorderez ne fera employé que pour votre avantage. O v  '322 révolution raat-, asssaswanowi '-:^a^^^/'?<'-^^----'i:^^c-^'^Jfi^ discours x>a jRoi £mw pour la clóture de la Diete* le 9 Septembre 1772.. En terminant cette Affembleë des Etats du Royaume , qui fera fans doute une des plus remarquables dans nos Annales, je me fens pénétré de reconnaiffance envers le Très-Haut, qui a daigné protéger notre pays, & diiTiper un orage qui menagait de deftruótion la liberté des Citoyens & euxmêmes. Cette Diete commenca par le deuil pour la perte d'un bon Roi & d'un pere bien aimé. Vos délibérations furent interrompues par la difcorde & la haine des partis. II femblerait que ja Providence eüt, a deffein, laiffé les.  de Suede. 323 calarnités, qui ont opprimé nos ancêtres, monter a leur dernier période, pour ne montrer que mieux la forcede fon bras dans Ie changement quj vient de s'opérer. Cette heureufe Révolution , fous Ia direftion de la Providence, a appliqué un prompt remede aux maux qut avaient travaillé Ie Royaume pendanr plus d'un fiecle. Une Nation , auparavant déchirée par la rage des dif~ fentions , eft devenue un Peuple uni , libre, indépendant,