1   M A G A Z I N DES EN FANS, O U DIALOGUES, :Entre une fage Gou vernante & plufieurs de fes Ele?es de la première, difïin&ion. Dans lesquels on faitpenfer „parler, agir les jcuneg Gcns fuivant le génie, Ie tempérament, & les inclinations d'un chacun. On y repréfente les difauts de leur age, & 1'on y montre de quelle maniére on peut les cn corrigtr: on s'aplique autant k leur fermer le cmur f qu'a leur éclair er Vefprit. On y donne un Abrêgè de VHiJlaire Sacrée, de fa Fable, de la Gétgrapbie &c, , le tout rempli ne Keflexions ut Hes, & de Contes moraux pour les amufer agréablement; & écrir d'un ftile fimple & proponionné a la tendreTe de leurs années» p a r Made- Le Prince de Beaumont t o m e premier. A L E I D E chéz L ü Z A C et COM P., m 8 c c u v I h»   a $®N ALTESSE 1MVEIUALR ■ PAUL PETROWITSCH, petit-fils d e PÏERRE le GRAND, N E V E U E L I S A B E T H, MÈRE ET LÉGISLATRÏCE BE SES SUJETS, ETC. ETC. ETC. i~\ u'ün autre étale, dans une Epïtre dédicatoire, les tïtres pompeux qui doiventun joar décorer V o» tre Altesse Imperiale; je  E P I T R E n'en trouve point qui ne foient. au deflous de ceux qui paroüTent a la tête de .eet ouvrage. Ce font les ■fculs refpectables aux yeux de ia ralfon,, les feuls qui peuvent Vousattirer des hommage-s folides <& réels ; & ie les crois préférables a celui de Maitre de VUnivers entier. C'eft en mettant fous les yeux des jeunes Princes les getions des grands nommes \ qui les ont précédés, .■ nous retrace les merveilles du régne de Pi er r e : le dirai je V Pardonnez a ma fincérité, onibre d'un héros que je révère: ta Fille te ra vit la giuire d'avoir été- le plus grand Monarquede- Punivers. Tul'avoueras toi-mème. Après avoir vaincu & tes ennemis &: tes fujets, il te retfa un emiemi redoutable, contre lequel t?on courage fut quelquefois impuilïant; nulle ombre dans le tableau cI'Elisabeth: elle ré unit au même dégré, & les qualités qui font les grands Rois, & celles qui font le partage des perfonnes de fon fcxe. Les é rangers, que fa réputation attire a fa Cour, ne favent ce qu'ils doivent le plus admirer en elle, uu de la vafte capacité de fon * 4 efprity -  £ P 1 T R E efprit, qui embraffe une fi grande quantitè de foins divers fans en être era» baraffé, ou de ia bonté de fon cceur, qui la rend la Mère de ceux , dont le Giel 1'a fait S^uveraine; ou de cette douceur & de cette modeftie, qui charment tous ceux qui ont Ie bonheur de Tapprocher. lis applaudiffent a ia juite récompenfe, que Dieu donre dès cette vie a cette Augufte Jmpératrice, en lui faifant voir dans .ceux qu'elle a ehoifis, pour perpétuer le bonheur de fes fujets, une noble émulafion de marcher fur fes tracés , & une vive recomiüilFar,ce de fes bontés. PpvINCe, de tous les dons, que Dieu a fa-hé a 1'heureutè Elisa» e e ï h , Vous etes fans - doutc leplus précieux. Puiiïiez - Vo us par Vos vertus retraccr en Elle Timage de fon Augufte Père! Puilïïez-vousapprendre loi g tems par fon exemple le grand aït de régner; pwisfiez-vous enfin, comme Elle, vous établir dans tous les cceurs un empire d'autant plus foüde & plus flatteur, que Vous ne le devrez qu'a la vo- lonté  DEÜ1CAT0IRE. lonté de Vos fujets, qui compteront, par le teros du rcgne de Votre Augufte Familie, celui de leurbonheur & de leur félicité. Je fuis avec un profond refpect, De Votre Altesse Imperiale, La ti ès humble & trés obéïïTante Servante, Maric k Princc dc Beaumont* \5 AVER.  AVERTISSEMENT. TT O RS OU E je me fuis deferminée I j a donner cc mas.azin au Public, je ne m& fuispoint diffimulée les di ficultésde men entreprife. Cet ouvrage eji tel par fa nature, me difois je a mui* méme* qu'tl doit déplaire nécefai rement a t out es les perfonnes formées, s'il efl ce que fat pre'tendu lef ai re. Les difficultés que favois prévuës, ont augmenté dans Vexécutton.& plus de vingt fois je me fuis vuë fur le point de tout abandonntr\ par le dófefpoir dtrcuffir. ye mefaifois, par avance, toutes les cbje&ions que me fèroit le Public, 6? y'en e'tois d'autant plus effrayée, que malgré leur folidité apparente, je me trouvois dans la néceffité de n'y avoir $Qtnt d'égard. J'acficyai enfin, PEté pas-  A7ERTLSSEMENT. Ét pnffé, de remplir la pénible tdche que jo niétois impofée, & pleine de défiance du fuccès, je communiquai mon mamifcrit a un grand nomtre de per fannes» Qjiellefut ma furprife ! plujieurs d'entrt elles, dont le goilt éprouvé peut feryir ds régie, m'avouërnjt quil les avoit amufces ajjez, pour n'ayoir pule quitter ayan't de Vayoir achevé» Ce fuccès inefpéré me découragea abfolu'mei.it* j° ai voulu travailler pour les enfans, me difois je; j'ai manqué mon hui -> pui. que les per/onnes faites s'amuf era de mon ouvrage, Cette er ai me me fttfufpmdre Pimpreffion; il me fal: loit d'auiresjuges, &'je les ai cherchés par?ni mes écplicres de tous les dges. JLllcs ont touie's lu mon manufcrit. Uenfant de Jïx ans f s'tn eft diyertie, aiijji- bien que celle de di'x & de quin • ze. Pluficurs cfentre elles3 a qui je défefpérois de faire naftre ie gout pour l ét ude > en ont écouté la leéiure avec une avidité, qui ne me laijfe ritn afouhaiter, & qut me répond du fuccès. Je me fuis conyaincu'è abfolument, par cette expénence, d'une chofe que je Joupfonnuis. Le dégout d un grand nomOre d'enfans pour la kcture yient * 6 dó  xn AVERTISSEMENT. de la nature des Iivres qifon leur mep ent re les mains; ils neles comprennent pas, £? de la nait inévitablement l'en■nut. Je ncxctpte aucun ouvrage, quand je por te cette décifion. Les mtens, co mme les autres, font fujets a eet inconvenient, £? je fuis contrainte de les refoiïdre, quand je yeux les faire comprendre, non feulement, aux enfans du premier dge 3 mais mé me è ceux qui feroient capables de les comprendre parfait ement, s'ils étoient écrits en Ang/ois. Une fille de quinze ans9 qui commence d appr end relt Francois, a befoin d'un ftile aujfi fimple, quune mutre de cinq ans 3 qui Ut dans fa lan* gue maternelle, Oiion juge par la dePennui quedoivent donner aux pauyres enfans la lecture & la traduction de Télemaquc ê?tffcoil-Blas, auxquels on borne d'ordinaire toutes leurs Udtures dans les .écolcs. Ces liyres, qui font des chefs-d^ceuyres en leur gen* >r & je me flat te de les avoir unies dans le Magazin des Enfans: car fans cela ,jV crc. ii ais avoir manqué mon but. E?i jaijai.t rócitcr aux  AVERTISSEMENT. xïX aux enfans V hifi oir e de la Ste. Ecri* ture, fai eu foin de donner a leur r ai fon. des preuves a Uur port de de la diyinité de cette Ecriture. J'ai tdché> enfuite, de leur faire trouyer dans cetteEcriture*. desmotifs capables cfexcitcr leur obéiffance. Un Dieu bienfaiteur, ami de la veriu, vengeur du crime* tout -puiffdnt pour récompenfcr rune, & punir l'autre; voild ce que leurs réflexions & celles de la gouvernante mettent d tous momens fous leurs yeux. Je n*ai rien oublié, pour leur montrer la conformité des maximes de ce livre divin, avec leurs lumières naturellesy & fai fint par les convaincre, 'qu^in* dépendammsnt d'une autre vie, d un bonheur, dud^un bhdtimentfiilur, leur bien-étre en cette vie, dép end de leur doei li té d fuivre ces maximes. En changeant de difcours, je ri'ai point changé d'objet. Mes contes tendentau méme but, tout y ra?nènc les enfans3 £?fai Hen cV efpérer qii' d force der épé* ter les mémes vérités, fous des formes diverfes, elles s'inculqueront chez eux d^une manière inejfacable. Si je réüsfis, je nai plus rien d défirer pour réducation ; un enfant reltgieux par raifon ?  xx AVERTISSEMENT.- raifon eft capable de tout; les vicés> les pcnchans corrompus, nenfefraycnt plus s & je dis. en paraphrafant les pa-* roles dü Roi prophete, en me donnant un efpiit clair-voyant, vous leur avez donnet le moid & la bride, pf>ur les empécher de mordre & de ruër corrre moi. 11 me refte d répondre d quelques cbjt&ions,, qiion me féra fans- éloute. Poi rquui avez vous retranché'quelques hipoitts de la faittte Ecriture? A ce* la je reponds , fen ai rc'trahc*hé queh qucs unes, par rfpedtpow Pinnocctice des enfans; je n'avois garde de chercker d eKcittr leur curiofitó fur une matióre 9 ou je rt garde l ignorance comme une uéatitude & la fortorejfe de ïtnnocence. jfe jais qiPils font dportee de les lire tous les jours dans la Bible t & je ne voudrJs pas mêmc les leur faire paffcr * cramtc de faire na Ure chez eux cette curiofilé que je crains ; mais je mefjoi cerots de la mettre en défaut par une explication naturelle, qui leur donneroit lc change, fans faire naüre leurs foupcons. Ccri'ejl point ici un ouvrage dogmatique, dans lequelilri'cfl pas permis d'omettre un feul mot.  ■ A VERTISS E MENT. xxi ■mot, 'Ceft a titre d'amufement que>je préfente cette hijloire aux enfans, II ne faut pas qu ils foupgonnent que je yeux les inftruire; ce motifm'a autorifée ar et rancher tout ce qui pour rok les en nu ïer. N'ai je pas je même privilege pour les chofes que je regarde comme dangereufes pour les mmurs? ijuelles réftexions mes écolières euftent^lles fait es fur eet endroit de V hiftoire Sainte, oü jacob, fans refpcB pour ■la vérité, trompe fon pére, fous Vha* bit & le nom leur docilité dans Venfance ff ér ont qidclks s^affeeïionneront d leurs devoirs dansun dge plus avancé* La Philofophie facriftera le dégout, queproduifent chez ,elks les détails domeftiques^au devoir qui lui  xxini AVERTISSEMENT. lui fait une lol de s'en cburger. Parfaitcment convaincuc -que fon bonheur , & fa gloire en cette vie £? en Tautre, confifient a rewplir les obligatiens de fon état, elle les étüdiera fans cejft, fi? les remplira ayec la même ex attitude > feit qu'elles foient conformes ou non d fes propres penchans ■& inclinations; & cette heureufe faèiHté d pratiquer tout ce qifeile doit, elle la tlrera de Pketireufe habitude deréjléchir. Voilé quels font les fruits précieux de la méthode que je veux fuivre, 6? que je propofe pour V éducation ; fefpére cjue chez une Nation auffi éclairée que ■ l Angloife, le peu que je viens de aire fuffira pour répondre d Vobjeétion qtfontrfapaite, & pour conyaincre les parens de la nécejfité de changer la méthode quon d Juivie jufqud ce jour dans l'éducation. Ce premier volume du Magazin des Enfans indique mes yues; muis ce n'eji quune ébauche de ce que je donnerai par la fuite , ft cette premier e partie ejl goiitee, & qu'on m'encQuragc ajfezpour continuer. Je Vai dn dans mesprcpofitions: les fraix de l'impref ion d Londres, font tresvonjidérables f & lenombre des leêteurs trés-  AVERTISSEMENT. xxr très-borné', lorfqifil eft que ft ion d'un livre francois. Heft donc impofjible de donner rien au Public, d moins qidun certain nombre de foufcrivans n'aftfurentd 1''Auteur h rembourfementdefes fraix. &i la Cour de Rujfie ne m'ayoit encouragée, ce petit ouyrage, prêt d pasfer fous la preffe depuis un an9 n'auroit peut - étre jamais été'imprimc. Si les parens daignent lire ce premier volume, s'ils le croient ajfez utile aux enfans, pour en fouhaiter la continuation, ils doivent foliciter leurs amis de remplir un pareil nombre de foufcriyanspour Pannée prochaine, fansquoi, je ferai réduite d tout abandonner; d'autant-plus que je nai pas, d beau' coup pres ici, la reffource que je tronver ois dans un autre pais: je nfexplique. Trois motifs peuvent encourager un auteur: le dèfir de fe rendre utile au Public par fes ouvrages; l'efpoir du gain s'il eft pauvre; l'efpoir d''acquerir Peftime des honnêtes gens, & de s'attirer ! leurs égards. J'ofe dire que le premier \ de ces motifs me fuffiroit, ft la fortune i fnavoit été plus favorable ; mais , i n'aïant d'autre reffource que mon travail3 je fuis bién éloignée de p.uvoir * * ayancer  xxvi AVERTISSEMENT. nvancer les fraix de Pimprefjlon. Je Pai fait pour les Magazins Francois, g? fai été cinq ans entiers fans être rembourfée de mes avances', il ne me re/Ie donc que les deux autres motifs. 11 ne tiendroit qiPd moi de me parer zei d'un dèftntéreffement abfolu; mais je fuis fineer e; la providence m'a donnéquelques talens pour me dédommager des richeffes qirelle mfa refufée. Je ne dois point rougir de chercher d en tirer parti, & je ne crois pas me dé* gr ader en le faifant, plus que le négo* ciant qui cherche d faire valoir fes fonds dans le commerce. On traiteroit dfinfenfè celui qui s'oppof éroit aux dan* gers, aux fatigues de cette profejjion , fi> fepiquant cTune générofité mal-entendue, il pub Hoi t quil na jamais eu dejfein ,ou des'enrichir, ou de fubfifler. Je ferois dans le méme cas, fi je vouloit perfuader au Public, que je ri*ai que le prémier & le troifième motifs: ceux ld véritablementfont plus puijfans fur mon efprit que Vautre ; & plus ambitieufe qififitèrejfée, je Jdcrifierai toujours Pintérét d la gloire: mais qu'on me permette de dire ici, que je «ourrois grand rif que d"étrc la dupe de mon  AVERTISSEMENT. xxvji men facrifice* Mes talens ne font pas de ceux qui conduifent nécejfairement aux marqués extérieur es de la confidèration en Angletcrre. S'il ne s^agiffoit ici que des intéréts de mon amour propre^je n'appuierois pasfur eet article ; mais il eft queftion de détruire un préjugé pernicieux d réducation, & je le combattrai toutes les fois que je trou~ yer ai Voccafton de le faire; après avoir répété vingt fois ce que je vai dire , peut • étre, fans que lesparens Talent lil une feule fois ,il arrivera par haf ar d 9 qu'ils meliront la vingt £? unième fois, LaJVature a dijlingué avantageufemenè les Anglois des autres peuples du monde. Ils pen/ent beaueoup, & ordinairement ilspenCent jufte. Que nepourroit onpas attendre d'une qualite'fe' eftimable, sHh agijfoient en confèquence de leurs pen» fées, de leurs fentimens: mais non9 vidtimes de préjugés, ils s'y foumettent en dépit de leurs lumières; & dans des chofes de la plus grande confèquence, comme dans les petites, ils fuiyent le chemin battu, fans pouvoir fe donner d eux mémes une bonne raifon deTin» conformité de leurs actions avec leurs lumières. Je pourrois en citer mille * * a exemples;  xxvm AVERTISSEMENT. excmpïes',fen choiftrai un feui, avant de par Ierde celuidont il'eft queftion ici. Ou'eft - ce que vos affemblées, ai • je dem'andê d vingt dames différentes? voici leur réponfe uniforme. Un amas confus deperfonnes^fouventtrop grand, pour étre contenu dans les maifons oü elles fe raffemblent , quelque vafles qifelles foient. On regarde commeune bonnefortune, de pouvoir trom er une chaife; mais le plus grand nombre, obli* gé de refter dcbout eft poujfé & repoujfé fans ceffe. lleflvrai qifonpcut étre un peu plus d l'aife en jouant: auf. fi plufieurs perfonnes, qui rfont point de goitt pour le jeu, prennent des cartes, afin de pouvoir étre affifes. Beaueoup debruit, peuoupoint .de converfation , une chaleur étouffante, une fatigue rèelle, lor sqifil faut per eer la fuule pour parvenir d un autre bout de Vappartement. Et vous amufez vous beaueoup de cette cohu'è, ai ■ je encore demandé? Non, je vousaffure, m'ontelles répondu, Je foujfre beaueoup dans ces fortes delieux; mais, c'eft l'ufa. ge, je ne fuis pas fait e pour le réfarmer. J'aibeaueoup entendu par Ier de certaines fociétês, oü Pon affortit une douzaine  AVERTISSEMENT. xxix douzaine de perfonnes^faites Tune pour Tautr& y je fouhaite qu elles deviennent d la mode, mals jujqu'd ce qu'elles le foient, je fèrai comme les autres: firai avec répugnance, je jouerai fans go ut, je perdrai a vee défagrément, avec depit même , au moins avec remords. Je fens que cela eft ridicule, que cela devient criminel d un eert ai n point, n'importe, le préjugê, Vhabitude le demande: je lui obéïrai. Ce raifonnement révolte fans doute. Une jeune dame de 15. ans me difoit, il y a qu Iques jours, une dame a fait hier les complaintes les plus répétees, fur une perte affez confidéruble qu elle avoit faite au jeu^ qu 'elle naimt point. Je pen/ois en moi même, difoit mon êcolière, eh, qui vous forpoii dejouerl fen dis autant que cette demoifelle ; qui vous force d"alter d cette affemblée qui vous déplait V qui vous empëchc dejuivre le goüt que la raifon vous infpire? le préjugé. Je pourrois faire un volume fur cette matière, £? pr&uyer démonjtrativcment que la plupart des dêfauts des Angluis 11e tiennent point d leur nature , & choquent leur raifon autant que * * 3 &  xxx AVERTISSEMENT, ia mienne; mais je me fuis bornèe, a parler de celui qui met objlacle d la bonne éducation: fy revieris. A quoi doit on attrihuer le progrès du commerce en Angleterre? ^A'la des» truclion du prèjugé, qui fait regarder ie commerce comme une profejfionindigne de la nobleffe. Un négoclant fidéle , 6? laborieux, peut prétendre d tout ici. LeDuc, le Comte ne rougit point de s'aillier avec lui, de le traiter avec diftinêlion, de lui montrer des égards. JLes motifs les plus puiffans fur lesprit de Phomme fe rèüniffent donc pour faire fleurir le Commerce, l'interêt, rarnour- propre. 11 conduitd lafortune & d la confidération. UAnghis fait plus; V Agricultureconduit au méme but, lorfqu'on fe diflingue tn la faifant fleur ir. Unfermier, qui a ju s'enrichir par fon induflrie laborieufe , a rang par mi les gentilshomma. Le Lord radmet dfa table, d fon amitié, 3, fes plaifirs. Si j'étois difirilutrice des marqués d'honneur, je ne balanceer ois pas d accorder une flatue au premier homme qui a eu le courage de s'elever au - deffïts du préji/gé ridicule, qui fait méprijer le commerce & Vagri- e uit ure :  AVERTISSEMENT. xxxi culture: eet homne a plus fait pour Jon païs, que s il eüt gagnê dix batailles . 11 y afait coulcr des fourees abondantcs de richeffes réelles. Vavan cement de tous les arts Mi* les dépend donc des Grands. Une profejfion fera donc plus ou moins fuivie , cultiyée, perfeclionnèe , felon qu elle procunra la fortune & la eonjidêration. Mais remarquez, que chez les ames nobles, ce fecond intirêt l'emporte de beaueoup fur Vautre. En vain prodigueriez vous les récompenfes ct ceux quipenfent bten, fi vous Uur refufez les égards: ils vous dirotent volontiers;païez moi la moitiéplus de confidération. Si cela convient en général d tous les arts hbéraux, on peut firtout le dire par rapport d celui qui dirige Véducation. Une perfonne , capable de la donner, a F ame delicate, plei* ne de refpeSt pour legrandemploi, auquel elle s'eft confacrèe, elle s'attend au jufte tribut d^efiime, que miritcht les ejfortsquelle fait, pour le remplir dignement. Si vous manquezd ce juste devoir ,fut • elle accablée de vos bienfaits, elle gémira fous le poids de vos mépris apparens, Sfacrijicra V abon* * a. dance  xxxn AVERTISSEMENT. dance humiliante que les premiers lui procurent. Je dis vos mépris apparens: je fais que chez la plupart, les fentimens ne réglent pas la conduite. Je ne puis me perfuader quune mèrefut 4ifez infenfée, pour confier fics enfans a une perfonne pour laquelle elle nauroit pas. une eft i me fort particuliere: ce, feroit le comble de l'extravagance, je nefoupfonne pas les Anglois de eet exces. Je fuppofe donc quils efiiment beaueoup les perfonnes qiiils choifijfent pour les ?nettre auprès de leurs enfans, en qualité de gouverneurs 9 ou de maitres; mais je le fuppofe fans autres preuves} que celles que je tirede la fupériorité de leur raifon. Leur conduite me montre le contraire, & pour les juftificrfai bcfoin de recourir au préju gé Mais tout k monde les ju ge-til aufti avantageufement' que moi? Non fans -doute 1 en géne ral on ne fuppofe rien, on croit (e que l on voit, & la perfuafion qui nait de leur conduite empèche un grand nombre de perjbnnes de cultiver les talen- qu"elles ont pour l'éducation ; ellescraiqnent le mépris, attaché d cette proieffion, s'il jjauten croire les apparences. Btvoild Une  AVERTISSEMENT. jöböö une de ces contrariêtés dom je me plaigneis tout • d Vheure, dont les j'ui'tes font terribles par rapport aux enfans, jfe fuppofe dans une jeuneperfonne , un égal talent pour la mufi que & pour Vèducation. *fndêcife auquelde ces art^ elle donnera la préférence, elle exan; ne lequel des deux luiprocurera le plus d'avantages, Elle voit d'un cóté l'liumble gouvernante 3 reléguée d la feconde table, condamnée d manger avec le ya* let ie chambre de Milord, qui étoit laquais il y aquatre jours, pendant que radèricebrillante eft applaudie, & admife d la table des m ai tres, & quon regarde comme une bonne fortunea Vavantage de la yoir. Que voulezyous que penfe cette jeune perfonne7 Elle naura garde d imaginer, comme motque3 malgré les apparenees, la maitrejfe de la maif ?i eflime la gouvernante plus que la chanteufe d) laquelle certainement elle ne confteroit pas Jd ftlle. Elle croira teut uniment^ ce que les apparences lui montreront , & confequemment fe déttrminera pour la milfique, Ce que fai fuppofe; combien de fois eft il arrivi'i Combien de fois arrivera-t il encorel Pères * * 5 &  xxxiv AVERTISSEMENT» £? Mères, reformez votre conduite, ou réfolvez-vcus a n'avoir que des gens fans fentimens, pour élever vos enfans. La plus affreufe indigence vous procurera par hafard quelques perfonnes dignes de eet emploi; mais foyez fürs que le point de vue' le plus intèreffant pour elles, en entrantdans vos maifons, fera celui dfêtre en ét at d-en fortir bien vite,pour s'arracher aux mépris dont elles font accablées. J'ai donc eu raifon de dire 3 que le feul motif de la gloire n'étoit pas fufft* fant pourfoutenir en Angkterre le courage dfun ?naïtre, ou d'un Auteur, qui travaille pour les enfans; celui qui fe borneroit d ne recueillir > pour prix de fes fueurs, que les égards, feroit en danger d'étrc dupe. 11 eft donc néceffaire quun auteur, ou un maitre, foit encouragéd'une autre manière, &puis* que ïexpérience apprend, que lestalens les plus utiles attirentpeudeconfdération, il faut au moins, quilsprocurent quelque proftt. Quelques cfforts que faie faits pour rendre eet ouvrage intelligible aux enfans , il s'en trouverafans doute, dont f efprit trop borné aurapeine ctlecom- prendu*  AVERTISSEMENT. xtkv prendre. Je conjure ici les per/onnes chargées du foin de V éducation, de fur pléer d ce qui manque d man travail; qu'ellesrefondent cequ elles trouveront dïobfeur; qu^elles le traduifent, Pabrègent & te tournent de tant de cdtés, qu'il s^en trouve un quifoit d laportée de leurs éléves. Que les difficiiltès ne les arrêtent point; une expérience de trente ans m'autorife d leur répondre du fuccès. Je puis les ajfurer avec vêrité, que depuis ce grand nombre d'annêes, je 7i'aipas trouvé un feul enfant incurable, foit du cóté du génie, foit du cóté des mtj&urs; cependant fai employé vingt de ces années aux êcoles gratuites, c'eji • d • dire, que fai yécu par mi les enfans des pauvres, dont Téducation grojfière tnoffroit moins de rejfources. Que ne doit - on pas ejpèrer de ceux qui ont, outre les fecours des maitres, les bons exemples dyune familie noble, ou aifée, dans laquelle on doit trouver par fuccejfion des fentimens plus rehvès. Que ne doit - on pas ejpèrer furtout dans ce pais ? Je puis dire avec vérité, que les Anglois naijfent vertueux. Deputs dix ans quê fenfeigne è Londres, je trouve les ais» ï * 6 pofttkm  xxxvi AVERTISSEMEET. pofitions les plus heureufes. II eft peu cT hommes ici, mime par mi les -plus mèchans, quiriait recu de la Nature un fonds qu'il ne s"1 agiffoit que de cultiyer, pour le rendre bon. En un mot 3 dans les autres contrées P éducation corrige la Nature; dans eelle*ci, Védu» fation la gdte: & pour la rendre bonme, il s'agit moins de changer les dis» pof tions des enfans 9 que de les eenfer» yer telles qu'on les trouve*  Noms des Dames qui parol» tront dans ces Dialogues., Madlle. Bonne, Gouvernante dt Lady, Sensee. Lady Sensee, &gée de 12 ans. Lady Spirituelle, agée de is ans. Lady Mart, &gée de 5 ans. Lady Charlotte, agée de 7 ans« 5 * 7 MA  Mfi Mollt, agée de 7 ans. Lady Babiole, agée de 10 ans. r Lady Tïmpete, agée de 13 ans. L E  L E |M AG AZIN DES ENFANS: 1. DlALOGÜE. Lady Babioee entrant chez Lady Senseê. Bon jour, ma Bonne amie; je fuis charmée de pouvoir palier 1'aprèsdiner avec vous: on m'a dit que vous aviez recu de Paris la plus jolie poupée du monde; ah! que nous allons nous divertir. Lady Sensee. Volontiers, ma chere, je fuis bienTom. 1 A aüè  % I. DlALOGÜtt aife d'avoir quelque chofe qui vous amufe; mais on frape, c'eft Lady Spi» rituelle; eile m'a fait dire qu'elle viendroit prendre le thé avec moi. Lady Spirituelle» Bonjour, Mesdames, je---- mais Dieu me pardonne, je crois que Lady Senfée joue avec une poupée , ah ! [ce que vous ne rne dcnnerez rien a lire ? Madsm. Bonne. Pardonnez-mol, mes bons enfansB vous aurez chacune une hiftoire, comme de grardes filles: mais auparavant, je veux dire a Lady Mary le conté que je lui ai promis; écoutez bien. Le Prince Chéri. Conté, V y avoit une fois un Roi, qui étoit fi honnête hcmme que fes fujets i'appeiloient le Rot bon. Un jour qu'il étoit a la chaüe, un petit lapin blanc, que  III. DlALOGUE 17 que les chiens allolent tuer, fe jetta dans fes bras. Le Roi carefla ce petit lapin, & dit; puisqu'it s'eft mis fous ma proteétion, je ne veux pas qu'on lui faiïè de mal. II porta ce petit lapiü dans fon palais, & il lui fit donner une jolie petite maifon, & de bonnes herbes a manger. La nuit, quand ü fütfeul dans fa chambre, il vit paroitre une belle dame: elle n'avoit point d'habits d'or & d'argent; mais fa robe étoit blanche comme la neige; & aulieu de cotfure , elle avoit une couronne de rofes Manches fur la tête. L? bon Roi fut bien éronné de voir cette dame; car fa porte étoit fermée, & il ne favoit pas comment elle étoit entrée. • Elle lui dit; je fuis la fée Candide; je paflbis dans le bois pendant que vous chafliez ; & J'ai voulu favoir fi vous étiez bon, comme tour le monde le dit. Pour cela, j'ai pris la rigure d'un petit lapin, & je me'fuis fauvée^dans vos bras; car je fais que ceux qui ont de la pitié pour les bêtes , en ont encore plus pour les hommes; & fi vous m'aviez refufé votre fecours, j'aurois cru que vous étiez méchant. Je viens vous remercier du bien que vous m'at B 4 vez  1B III. DlALOGUE. vez fair, & vous aflurer que je ferai toujours de vos amies. Vous n'avez q i'a me demander tout ce que vous voudrez; je vous promets de vous 1'aeeorder. Madame, die le bon Roi, pnïsque vous êtes une fée, vous devez favoir tout ce que je fouhaitd. Je n'ai qu'un tns, quej'aime beaueoup, & pour cela, on Pa nommé le Prince Cbiru Si vous avcz quelque bonté pour moi , devenez ia bonne arme de mon rils. Le bon coeur, lui die la fée; je puis rendre votre rils ie plus beau fïrinee du monde, ou le plus riche, ou le plus puiilant; choifiüêz ce que vous voudrez peur lui. Je re défire rien de tout cela pour mon frs, répondit le bon Roi, mais je vous ferai bien obb'gé, fi vous voulez le rendre le meilleu/de tous les proces. Que lui ferviroit-il d'êrre biau. riche, a'avoir tous les Royaumes du monde, s'ii étoit méchant ? Vous favez bien qu'il feroit malheureux, & qu'il n'y a que la vertJ qui pmfie le rendre content. Vous avez bien raifon, lui dit Candide\mm il n'eft pas en mon pouvoir de rendre le Prince Chèri honnête homme mal ié lui;  III. DlALOGUE. 19 lui: il faut qu'il travaille lui - même a. deveair vertueux. Tout ce que je puis vous promettre, c'eft de lui donncr de bons confeils, de le reprendre de fes fautes, & dele punir, s'il ne veut ras fe corriger & fe punir lui même. Le bon Roi fut fort content de cette promelTe, & il mourut peu de tems après. Le Prince Chéri plaura beaueoup fon père, car il 1'aimoit de tout fon coeur, & il auroit donné tous fes Royaumes, fon or, & fon argent pour le fauver; mais cela n'étoitpas poflïble. Deux jours après la mort du bon Roi, Chéri étant couché, Candide lui apparut. J'ai promis a votre père, lui dit-elle, d'être de vos amies, & pour tenir ma parole , je viens vous faire un prélènt. En même tems elle mit au doigt de Chéri une pedte ba?ue d'or, & lui dit: gardez bien cette bague, elle eft plus précieufe que les diamans; toutes les fois que vous férez une mauvaife aótkm, elle vous piquera le doigt; mais fi, malgié fa piquure, vous continuez cette mauvaife., aétion , vous perdrez mon amitié , & je deviendrai votre ennemie. En finiflant ©es paroles, Candide dlfparut, & laiüa Chéri B 5 &"  StO III. DlALOGUE. • fort étormé. II fut quelque tems fi fage , que ia bague ne le piquoit poinc au tout; & cela le rendoit fi content, qu'on ajouta au nom de Chéri qu'il portoit , celui tfHeureux. Quelque tems après, il fut a la chaffe, & il ne prit rien, ce qui le mir. de mauvaife humeur, il lui fembla alors que fa ba* gue lui prefibit un peu le doigt; mais comme elle ne le piquoit pas, il n'y .fit pas beaueoup d'attention. En rentrant dans fa chambre, fa petite chienne Bibi vint a lui en fautant pour le carelTer: il lui-dit, retire-toi; je ne fuis pas d'humeur a recevoir tes carefTes La pauvre petite chienne, qui ne Pentendoit pas, le tiroit par fon habit pour Pobliger a la regarder au moins. Cela impatienta Chéri, qui lui donna \m grand coup de pied. Dans le moment la bague le piqua , comme fi c'efit été une épingle : il fut bien éton» né, & s'affit tout honteux dans un coin de fa chambre. U difoit en luimême, je crois que la fée fe moque de moi, quel grand mal ai-je fait pour donner un coup de pied a un animal qui -m'importune? a quoi me fert d'être Maitrc d'un grand Empire, puis- qtlC  III. DlALOGlUE. 31 que je n'ai pas la liberté de battre mon : chien ? Je ne me moque pas de vous, dit une i voix , qui répondoit a la penfée de ■ Chéri, vous avez tait trois fautes, aulieu d'une. Vous avez été de mauvaife humeur, paree que vous n'aimez pas a être contredit, & que vous croyez que les bêtes & les hommes font faits pour vous obéïr. Vous vous êtes mis en colère , ce qui eft fort mal: & puis, vous avez é.é cruel a un pauvre animal qui ne méritoit pas d'êere maltraité. Je fai que vous êtes beaueoup au de.Tus d'un chien; mais fi c'étoit une chofe raifonnable & pemiife, que l s gi'ands puften e makraiter tout ce qui ©ft au-deilbus d'eux, je pourrois ea ce moment vous battre , vous tuër; puisqu'une fée eft plus qu'un homme. L'avantage d'être Muere d'un grand Empire , ne confifte pas a pouvoir faire le mal qu'on veuc, mais tout le bien qu'on peut. Chéri avoua fa faute, & promie de fe corriger; mais il ne tint pas parole. 11 avoit été élevé par une fote nourrice, qui 1'avoit gaté quand il étoit petit. S'il vouloit avoir une chofe, il n'avoit qa'a pleurer, fe déB 6 pi"  E2 III. DlALOGUE. piter, frapper du pied: cetre femme lui donnoit tout ce qu'il demandoit, & cela i'avoit rendu opiniatre. Elle lui difoit aufii, depüis le matin jufqu'au foir, qu'il fëroit Roi un jour; & que les Rois étoient fort heureux, paree que tous les hommes devoient leur obéïr, les rèfpecte*, & qu'on ne pouvoit pas les empécher de faire ce qu'ils vouloient. Quand Chéri avoit été grand garcon, & raifonnable, ii avoit bien connu, qu'il n"y avoit rien de ii vilain, que d'étre fier, orgueilleux, opiniatre; il avoit fait quelques efforts pour fe corriger; mais il avoit pris la mauvaife habicude de tous ces défaurs; & une mauvaifehabitude eft bien difficiie a détruire. Ce n*eft pas qu'il eüt naturellement le coeur méchant. Il pleuroit de dépit quand il avoit fait une faute, & il difoit, je fuis bien maiheureux d'avoir a combattre tous les jours contre ma colére &. mon orgueil : fi Pon m'avoit corrigé quand j'étois jeui e , je n'aurois pas tant de peine aujourd'hui. Sa bague le piquoit bien fouvent, quelque fois il s'arrêtoit tout court; d'au» tres fois il contmuoit, & ce qu'il y avoit de fingulier, c'eft qu'elle ne le pi-  III. DlALOGUE. 23 piquoit qu'un peu pour une légère faute; mais quand il étoit méchant, le fang fortoit de fon doigt. A la fin cela 1'impatienta, & voulant être mauvais tout a fon aife, il jetta fa bague. II fe crut le plus heureux de tous les hommes, quand il fe fut débaraffé de fes piquures. II s'abandonna a toutes les fotifes qui lui venoient dans 1'esprit, enfortequ'il devint trés-méchant, & que peifonne ne pouvoit plus le fouffrir. Un jour que Chéri étoit a la promenade , il vit une rille qui étoit fi belle, qu'il réfölut de 1'époufer. Elle fe nommoit Zèlie, & elle étoit auffi fage que belle. Chéri. crut que Zélie fe croiroit fort heureufe de devenir une grande Reine ; mais cette fille lui dit avec beaueoup de liberté, Sire, je ne fuis qu'une bergère , je n'ai point de fortune; mals malgré cela, je ne vous épouferai jamais. ' Eft ce que je vous déplais, lui demanda Chéri, un peu ému? Non, mon Prince, lui répondit Zélie. Je vous trouve tel que vous êtes, c'eft* a dire, fort beau; mais que me ferviroient votre beauté, vos richeffes, les beaux habits , les carofles magnifiques B 7  24 UI. DlALOGUE. que vous me donneriez, fi les maiivaifes aftions, que je vous verrois faire chaque jour, me forcoienta vous méprifer &a vous haïr. . Chéri fe mit fort en colère contre Zélie, &commandaa fes officiers de la conduire de force dans fon palais. II fut occupé toute la journée du mépris que cette fille lui avoit m'ontré.: mais comme il 1'aimoic, il ne pouvoit fe réfoudre a la maltraiter. Parmi les favoris de Chéri, il y avoit fon frère de lait, auquel il avoit donné toute fa cor.fiance: eet homme qui avoit les indinations auffi baflès que fa nahTance , flat tok les pafiions de fon Maitre, & lui donnoit de fort mauvais confeils. Comme il vit Chéri fort triste, il lui demanda le fujet de fon chagrin. Le Prince lui aïant répondu qu'il ne pouvoit fourTrir le mépris de Zélie* & qu'il étoit réfolu de fe corriger de fes défauts, puisqu'il falloit être'vertueux pour lui piaire, ce méchant homme lui dit, vous êtes bien bon de vouloir vous gêner pour une petite fille. Si j'éto^s a votre place, ajouta-t il, je Ia forcerois bien a m'obéïr. Souvenez vous qus vous êtes Roi, & qu'il feroit honteux de vous foumettre aux volontés d'une  III. DlALOGUE. 2$ (Tune bergère, qui feroit trop heureufe d'être re9ue parmi vos efclaves. Fakes - la jeüner au pain & a 1'eau : mettez la dans une prifon, & fi elle continue a ne vouloir pas vous épou.fer, faites - la mourir dansles tourmens, pour apprendre aux autres a céder a vos volontés. Vous ferez deshonoré fi Ton fait qu'une fimple fille vousréfifte; & tous vos fujets oublieront qu'ils ne font au monde que pour vous fervir. Mais, dit Chéri, ne ferai-je pas deshonoré, fi je fais mourir une innocente? car, er.fin, Zélie n'eft coupable d'aucun crime. On n'eft point innocent, quand on refufe d'exécuter vos volontés, reprit le confident: mais je fiïppofe que vous commettiez une injuftice, il vaut bien mieux qu'on vous en accufe, que d'apprendre qu'il eft quelquefois permis de vous manquer de refpeél, & de vous contredire. Le courtifan prenoit Chéri par fon foible; & la crainte de voir diminuer ion autorité , fit tant d'impreflion fur le Roi , qu'il étoufTa le bon mouvement qui lui avoit donné Tenvie de fe corriger. II réfolut d'aller le foir même, dans la chambre de la bergère, & de la saaltraiter, fi elle coü-  ao* III. DlALOGUE. continuoit a réfufer de 1'époufer. Le frère de lait de Chéri, qui craignoit encore quelque bon mouvement, rafïembla trois jeunes Seigneurs , auiïi mé» chans que lui, pour faire, la débauche avec le Roi: ils fouperent enfemble, & ils eurent foin d'achever de troubler la raifon de ce pauvre Prince , en le faifant boire beaueoup. Pendant le fouper ils excitèrent fa col ére contre Zélie, & lui firent tant de honte de Ja foiblelTe qu'ii avoit eue pour elle, qu'il fe leva comme un furieus, en iurant qu'il alloit la faire obéïr,-ou qu'il la feroit vendre lelendemain comme uneefclave. Chéri étant entré dans la chambre pü étoit cette fille, fut bien furpris de ne la pas rrouver; car il avoit la clef dans fa poche 11 étoit dans une colère épouvantable, & juroit de fe venger fur tous ceux qu'il foupconneioit d'avoir aidé Zélie a s'échapper. Ses corfidens, 1'entendant rarler ainfi, réfolurent de profiter de fa colère, pour perdre un Seirjneur, qui avoit été gouverneur de Chéri. Cet honnête homme avoit pris quelquefois la liberté d'avertir le Roi de fes défauts, car il 1'aimoit, eomtue fi c'eut été fon fils. D'abord Chéri le re.  III. DlALOGUE. 27 remercioit; enfu'te il s'impatienta d'être contredit, & puis il penfi que c'étoic par efprit de contradiétion, que fon gouverneur lui trouvoit des défauts , pendant que tout le monde lui donnoit des louinges. II lui commanda donc de fe retirer de la Cour; mais, malgré eet ordre, il difoit de tems en tems, que c*étoit un honnêtt homme, qu'il ne 1'aimoit plus, mais qu'il 1'efti* moit, malgré lui même. Les confldans craignoient toujours, qu'd ne prit fanra üa au Roi de rappeller fon gouverneur , & ils crurent avoir trouvé me oecafron favorable pour fe débarallèr de lui, Ils firent enten ire au Roi, que Suil man , (c'étoit le nom de ce disne homme ) s'étoit vanté de rendre la Iiberté a Zè'Ik: trols hommes corrompus; par des préfens , dirent qu'ils avoient ouï tenir ce discours a Suliman; & le Prince transpor té de colère, commanda a fon frère de lait d'envoyer des foldats pour lui amener fon gouverneur, enchainé comme un criminel. Après avoir donné ces ordres, Chéri fe retira dans fi chambre: mais, a peine fut ril entré que la terre trembla; il fit un grand coup de tonne- re,  23 UI. DlALOGUE» re, & Candide parut a fes yeux. J9a«vois promis a vorre Père, lui dit-elIe, d'un ton févère, de vous donner des confeüs:, & de vous punir, 11 vous refufiez de les fuivre : vous les avez méprifés ces confeils: vous n'avez confervé que la figure d'homme, & vos crimes vous ont changé en un monftre, Thorreur du Ciel, & de la Terre. II eft tems que j'achéve de fatisfaire a ma promefïè, en vous puniflant. Je vous condamne a devenir femblable aux bêtes, dont vous avez pris les inclinations. Vous vous êres rendu femblable au lion, par la colère; au ioup, par la gourmandife;-au ferpent, en déchirant celui qui avoit éié votre fëeond Pè e, au taureau, par votre brutalité. P©rtez dans votre nouvelle figure, le caractère de tous ces animaux. A peine la fée avoit-elle' achevé ces paroles, que Chéri vit avec horreur tel qu'elle 1'avoit fmhaité. II avoit la tê:ed'un lion, les cornes d'un taureau, les piés d'un loup , & la queuë d'un vipère. En même tems, il fe trouva. dans une grande forêt, fur le bord d'une fontaine, oü il vit fon horrible figure, & il entendit une. voix qui lui dit; regarde at-  III. DlALOGUE* 2S> attenti vernemen t 1'état oü tu t'ès réduic par tes crimes Ton ame eft devenue mille fois plus affreufe que ton corps , Chéri reconnuc la voix de Candide, & dans fa fureur il feretourna, pour s'élancer fur elle & la dévorer, s'il lui eüt été poffible; mais il ne vit perfonne, & la même voix lui dit, je me moque de ta foibleftè & de ta rage. Je vais confondre ton orgueil, en' te mettant fous la puhTance de tes propres fujets* Chéri crut qu'en s'éloignant de cette fontaine , il trouveroit du remède a fes maux, pirsqu'tl n'aUroit point devant fes yeux fa laideur & fa difformité-: il s'avanc/nt donc dans le bois; mais a peine y eut-il fait quelques pas, qu*il tomba dans un trou; qu'on avoit fait pour prendre lesouiss en même tems , des chaflèurs , qui é- oient cachés fur des arbres, defcendirent, & lVïant encbainé, le conduifirent dans la ville capitale de fon Royaume. Pendant le chemin , au lieu de reconnoitre qu'il s'étoit attiré ce chatiment par fa faute, il maudisfoit la fée, il mordoit fes chaines, & s'abandonnoit a la rage. Lorsqu'il ap- pro»  3° III. Dialogue; procha de la ville , oü on le condui- foit, il vit de grandes réjouïlTances ;& les chafleurs aïant demandé ce qui étoit arrivé de nouveau, on leur dit, que le Prince Chéri, qui ne fe plaifoit qu'a tourmenter fon peuple, avoit été écrafé dans fa chambre par un coup de tormerre; car on le croyoit ainfi. Les Dïeux, ajouca»t-on, n'ont pu fupporter 1'excès de fes mêchancetés, ils en ont déiivi é la Terre. Quatre feigneuns j complices de fes crimes, croyoient en pr< fiter & paitager fon Empire entre eux; mals, le peuple, qui favoit que c'étoienr leurs mauvais confeils , qui ayoient gaté le Roi, les ont mis en pièces, & ont été ohrir la couronne a Suliman, que le méchant Chéri vouloit faire mourir. Ge digne feigneur vient d'être couronré, & nous célébrons ce jour comme celui de la déiivrance du Royaume;.car il efl vertueux, & va ramener pa*mi nous la paix & 1'abondance. Chéri foupiroit de rage en écou* tant ce discours; mais fe fut.bien pis, Jorsqu'il arriva dans la grande place, qui étoit devant fon palais; il vit Sui liman fur un rröne fuperbe, & tout le peuple qui lui fouraitoit une longue vie,  III. Dl'A-LOGOE. SI vie pour réparer tous les maux qu'avoit fait fon précJéceireur. Suliman fit .fime de la main pour demander filence & il dit au peuple. J'ai accepté la couronne que vous m'avez Offerte, mais C'eft pour la conferver au Prince Chéri: il n'eft point mort, comme vous le'croyez, une fée me 1'a révélé, & psut-être qu'un jour vous le reverrez vertueux, comme il étoit dans fes premières années. Helas! continua-t-il, en verfant des larmes, les fiateurs 1 a•voient féduit. Je connoiftbis fon coeur, il étoit fait pour la vertu; & fans les discours empoifonnés de ceux qui 1 aprochoient, il eut été votre Père k tous. Détestez fes vices-; mais plaignez-le, & prions tous enfemble les Dieux , qu'ils nous le rendent. Pour moi, je m'eftimerois trop heureux d'ai> rofer ce trone de mon fang, fi je pouvois 1'y voir'remonter avec des dispofitions propres a le lui faire remplir dignement. Les paroles de Suiiman allerent }usqu'au coeur de Chéri. II connut alors combien 1'attacbement & la fidélité de £et homme, avoient été fincères, & fe reprocha fes crim.es pour la première fois.  III. DlALOGUE. fois. A peine eut-11 écouté ce bon mcuvement, qu'il fentit calmer la rage dont il étoit animé : il réfléchit fur tous les crimes de fa vie, & trouva qu'il n'étoit pas puni auffi rigourcufement qu'il 1'avoit mérité, Jl cefla donc de fe débattre dans la cage de fer, ou il étoit enchainé , & devint doux comme un mouton. On le conduifit dans une grande maifon ( * ) , oit 1'on gardoit tous les monftres & les bêtes fércces, & on 1'attacha avec les autres. Chéri alors prit la réfolution de commencer a réparer fes fautes , en fe montrant bien obéïïTant il 1'homme qui le gardoit. Cet homme étoit un brutal, & quoique le monftre fit fort doux, quand il étoit de mauvaife humeur, il le battoit fans rime, ni raifon. Un jour que cet homme s'étoit endormi, un tigre, qui avoit rompu fa chaine. fe jetta fur lui pour le cévorer : d'abord Chéri fentit un mouvement de joie, de voir qu'il alloi: être délivré de fon perfécuceur; mais ausfitöt il condamna ce mouvement, & fcuhaita d'être libre; je rendrois, dit- (<*) Une MéMgerie*  III. DlALOGUE. 33 il, le bien pour le mal, en fauvant la vie de ce malheureux. A peine eut-il formé ce foubait, qu'il vit fa cage de ferouverte: il s'élanca aux cötés de cet homme, qui s'étoit réveillé, et qui fe défendoit contre le tigre. Le gardien fe crue perdu, lorsqü'il vit le monftre; mais fa crainte fut bientöt changée en joie: ce monftre bien-faifant, je jetta fur le tigre, I'étrangla, & fe coucha 'enfuite aux pieds de celui qu'il venoit de fauver. Cet homme , pé^étré de reconnoifiance, voulut fe baifièr pour careller le monftre, qui lui avoit r ndu un ii grand fervice^ mais il enttndit une voix qui dif it, une bonne ac» tlon ne demeure point fans recompenfey & en même tems il ne vit plus qu'un joli chien a fes pieds. Chéri, charmé de fa métamorphofe; fit mille e ueiTes 1 fon gardien, qui le prit entre fes bras, & le porta au Roi, auquel il raconta cette merveille. La Reine voulut avoir le chien, & Chéri fe fut trouvé heureux dans fa nouvelle condition, s'il eüt pu oublier qu'il étoit homme, ,& Roi. La Reine 1'accabloit de careffes; mais dans la peur qu'elle avoit, .qu'il ne devint plus grand qu'il n'étoir,, elle  34 III» DlALOGUE. elle confulta fes médecins, qui lui dijen t qu'il ne falloit le nourrir que de pain, & ne lui en donner qu'une certaine quantité. Le pauvre Ché*i mouroit de faim la moitié de la jouinée; mais il falloit prendre patience. Un jour, qu'on venoit de lui donner fon petit pain pour déjeuner, il lui pilt fantaiiïe d'aller le manger dans le jardin du palais; il le pdt dans fagueule, & marcha vers un canal qu'il cónnoiflbir, & qui étoit un peu éloigné: mais il ne trcuva plus ce canal, & vit a la place unegrandeMaifon, dont les dehorsbrilloient d'or & de pierreries. II y voyoit entrer une grande quaniiré d'hommes & de femmes, magnifiquement habillés; on chantoit, on daniöit dans cette Maifon, on y faifoit bonne chère, mais tous ceux qui en fortoient, étoient pales, maigres, couverts de plaies, & presque tousnuds; car leurs habits étoient déchirés par lambeaux. Quelques uns tomboient morts en fortant, fans avoir la force de fe trainer plus loin; d'autres s'éloignoient avec beaueoup de peine; d'autres refloient couchés contre terre, mourant de faim ; ils demandoient un morceau de pain a ceux qui entroient dans  HL DlALOGUE. 35 dans cette Maifon, mais ils ne les^regardoient pss feulement. Chéri s apprceha d'une jeune fille, qui tachoit ci'arracher des herbes pour les manger: touché de compaffion, le Prince dit en lui-même, j'ai bon appetit, mais je ne mourrai pas de faim jnsqu'au tems de mon diné; fi je facrifiois mon déjeürié heette pauvre créature, peut-être lui fauverois*je la vie. II réfolut de Suivre ce ben mouvement, & mit fon pain dans la main de cette fille, qui le porta a fa bouche avec avidité. Elle parut bientöt entièrement remife , & Chéri, ravi de joie de 1'avoir ficouruë fi a-propos, penfoit a retourner aupa* : lais, lorsqu'il entendit de grands Gris: c'étoit Zétte, entre les mains de quatre i hommes, qui 1'entrainoient vers cette l belle Maifon, oü ils la forcèrent d'en* \ trer. Chéri regretta alors fa figure de I monftre, qui lui auroit donné lesmoy< ens de fecourir Zèïie ; mais , foible jchien, il ne put qu'aboyer contre fes ravhTeurs , & s'éfForca de les fuivre. On le chafla a coup de piés, &.il réfolut de ne point quitter ce lieu, pour favoir ce que deviendroit Zèlie. II fe reprochoit les malheurs de cette belle Tom. I. C fil-  $6 I 1 ï. DULOGUE, fÏÏte*m ^Hélas difoit-il cn lut-mêmej je fuis inité contre ceux qui 1'enlèvent; ft'ai- je p?s cbmmis le même crime? & li la jufnee des Dieux n'avoit prévenu mon attentat, ne 1'aurois-je pastraitée avec autant d'indignité? Les rcflexions de Chéri furent interrompnës par un bruit qui fe faifoit audeffus de fa tête. II vit qu'on ouvroit une fenêtre, & fa joye fut extreme, lorsqu'il appercut Zèlie, qui jettoit par cette fenêtre un plat plein de viandes fi bien apiêtées, qu'elles donnoient apj>etit a voir. On referma la fenêtre auiTnót; & Chéri, qui n'avoit pasmangé de toute la journée, crut qu'il devoitprollterdel'occafion. II alloit donc manger de ces viandes, lorsque la jeune fille, a laquelle il avoit donné fon pain, jetta un cri, & 1'aïant pris dans fes_bras; pauvre petit animal, lui ditelle, ne touche point a ces viandes: cette maifon eft le palais de la volupté, tout ce qui en fort eft empoifonné. En même tems, Chéri entendit une voix, qui difoit, tu vöis qu'une bonne aclion ne demeure point fans rdcompenfe; & auflï'öt il fut chsngé en un beau petit pigeon biauc. II fe fouvint que cette cou-  III. DïALOctr?, 37 icouleur étoit. eelle de Candtde, & commerca a efpérer qu'elie pourrok enfin lui rendre fes bonnes graces. H voulut d'abord s'approcher de Zèlie* !& s'étant élevé en i'air, il vola tout!au-tour de la Maifon, & vit avecjoie qu'il y avoit une fenêtre ouverte^mais lil eut beau parcourir toute la Maifon, lil n'y trouva point Zèlie, & défespéré de fa perte, il réfolut de ne point s'arrêter, qu'il ne 1'eut rencontrée. II vola pendant plulieurs jours, & étant entré dans un défert, il vit une caverne, Ide laquelle il s'approcha: quelle fut fa [joie! Zèlie y étoit affife a cóté d'un vénérable hermite, & prenoit avec lui iun frugal repas. Chéri, tranfporté, Ivola fur 1'épaule de cette charmante bergère , & exprimoit, par fes caresfes, le plaifir qu'il avoit de la voir» ■Zèlie charmée de la douceur de ce petit animal, le fiattoit doucement avec la main : & quoiqa'elle crue qu'il ne pouvoit 1'enrendre, elle lui dit qu'elie acceptoit le don qu'il lui faifoit de lui* même, & qu'elie 1'aimeroit. toujours. i Qti'avez-vous fait, Zèlie, lui dit 1'her; mite, vous venez d'engnger votre foi. Oui, charmante bergère, lui dit Chéri* C i qui  38 HL DlALOGUE. qui reprit en ce 'momecit fa forme naturelle., la fin de ma métamorphofe étoitattacbée au confentement que vous donneriez a norre union. Vous m'avez promis de m'aimer toujours, confirmez mon bonheur , ou je vai conjurer la fée Candide, ma proteétrice, de me rendre la figure, fous laquelle j'ai eu le bonheur de vous plaire. V ous n'avez poïm a craindre fon, irconftance, lui dit Candide, qui, quittant la forme de Fhermite, fous laquelle elle s'étoit cachée, parut a leurs yeux tellc qu'elie étoit en effet. Zèlie vous aima auffitót qu'elie vous vit; mais vos vlees la contraïgnirent a vous cacher le penchant que vous lui aviez infpiré. Le changement de votre coeur lui donne la liberré de fe livrer a toute fa tendrefTe, Vous allez vivre heureux, puisque votre union fera fondée fur la vertu» Chéri & Zèlie s'étoient jettcs aux piés de Candide, Le Prince ne pouvoit fe lallèr de la remercier de fes bontés, & Zèlie, enchantée d'apprendre que le Prince. détefioit fes égaremens, lui confirmoit 1'aveu de fa tendrefie. Le vez-vous mes enfans, leur dit la fBe, je vais vous transporter dans  III. DlALOGUE, 39 lars votre palais, pour rendre k 'Chéri Ine couronne, de laquelle fes vices IV voient rendu indigne. A peine eut-elle ccffé de parler, qu'ils fe trouvèrent lans la chambre de Suliman , qui chargé de revoir fon cher Maitre , devenu vertueux, lui abandonna le tröne, & reftale plus fidéle de fes fujets. Chéri ïjégna longtems avec Zélie, & on dit qu'il s'appliqua tellement a fes de,voirs, que la bague, qu'il avoit repri» fe, ne le pi qua pas une feule fois jusqu'au fang. Lady Mary. Ah , Mademoifelle Bonne ! que ce j petit conté eft joli: fi j'érois a la place ' de Lady Senfée, je vous 'tourmente: rois tout le jour, pour vous prier de : m'en corner a'autres. Dites moi, li Ij'apprends bien ma lecon, m'en direz : vous un autre la première fois V Madem. Bonne. Oui, ma chère; mais dites-moi ce que vous avez trouvé de plus joli dans» ce co n te.» C %. Lam  4® III. Dia l og ete. Lady. Mary. Tout, ma Bonne: mals j'aime beaueoup eette jolie bague, qui cmpêchoic Chéri de faire des fotifes. Lady. S p i r i t u e l l e. J'aurois befoin d'en avoir une pareille ; j'aurois iöuvent le doigt piqués" Madem, Bonne. J'aime votre franchife, ma chère;mais je veux vous apprendre une chofe ; nous avons tous une bague comme. cette-Hfc» Lady S e n s e i\ Je gage qm je devine, ma chère;. nTeft ce pas notre confdence qui nous piqué, quand nous faifons des lbti.es ?l Madem. Bonn e, Tout jufrement, ma chère.. Lady Chario r t e. Yous verrez que c'eft ma lague, qui me  III. DlALOGUE. 4Ï me die fouvent, qu'il eft vilain bn* tre du pié. [e fais tont comme Chèrt quand ii étoit petit, & mi nourrice s eft tout auffi fote que la ftenne; car elle dit, pourquoi faites -vous pleurer cet enfant? donnez lui ce qu'elie demande: moi, qui fiiü cela, je pleure trente fois par jour; mais je vous allure que je veux me corriger, de crainte de devenir une vilaine bete comois Chéri. Lady Mary. Eft*ce qu'on devient un monftre, & qu'on a des cornes, quani on eft méchantel Madem. Bonne. Non ma chère; votre corps refter? tout comme il eft; mais c'eft votre ame, qui ds'viendra laide & plus abor minable qu'un monftre, ii vous n'êtcs pas bonne fille« Lady Ch ar lotte, j'ai bien envie d'êtve bonne; ma's fouvent ie fuis méchante malgré, moU Ca, \/^  42 lil. DlALOGUF» fai plutötfait une forife que je n*y af peni'é. Je r'aime pas a êcre cmrredite : & quand on- réfrfte a ce que je veux, je deviens méchante , je bars ma fervante, je me moque de mes Maitres. Dites. moi, je vous prïe , comment il faut faire pour me coni^ei'? Madem* Bonne. Vous n'êtes point méchante malgré vous, ma chère; ca. nous pouvons toujours être bonnes, fi nous en prenons les moven-s. Je vai vous les enfeigner; premièrement, ilfaut demander a J3ieu tous les matins & tous les foirs dans vos prières, Ia grace de vous corriger; car nous ne pouvons rien fans fon fecours; mais il faut lui demander cette grace de tout votre coeur, & comme vous demamiez a votre Marnan ce que vous fouhaitez ie plus. Secondemenr, il faut rep.irer vos fautes, en demandantexcule a votre fervante, en priant vos (beurs de vous aveitir, en leur demandant pardon, quand vous les avez ©fftnfées. Si Vous voulez tout de bon wus coniger5 il faut écrire tous les tbirs j.  III. Dialogos. 4$ birs, toutes les mauvaifes paroles qae rous aurez dites, & cela vous rendra >ien honteufe , j'en fuis fure. Vous; jenferez alors que le bon Dieu vous a ru faire toutes ces fotifes, qu'il vous es reprochera, & que fi vous ne vous :orrigez pas, il vous punira lui-mêoie :n cette vie, ou après votre morcS r.ous fa vez bien cela, ma chère. Lady Charlotte. Ön me Fa dit ^ mais je n'y ai famais; fait attention. Modem. Bonne. Je m'en doutois bien; car on n'eft" fegint méchante, quand on penfeatout cela. Pour vous en faire fouvenir , m -sünfans,il faut vous infl uire de h Sainte E'crHüre. C'eft un livre divin qui', a été diólé paf le Saint Esprit;' aiiili', tl faut ie lire, 1'apprendre, & le répéter avec' un profönd rfefpedt. Vous; apprendrez , en lifant cette belle hiftoire, combien Dieu eft grand, & puis-fant: vous connoitrez unTi, combietf lil eft bon, combien vous devez 1'aimer,-. C 5 &  44 rrr. dialogu^ & combien vous devez craindre de Toffenfer, puisqu'il punic fëvèrement les. méchans. Souvenez-vous bien, mes enfans ^ que cette hiftoire eft la feule, fur laquelle il n'eft pas permis de douter : il eft plus für qu'elie eft vraie, qu'il n'eft für qu'il fait jour a préfent. Adieu, Mesdames: j'efpère que je con- ' tinüerai a être contente de votre appUV cation. IV, DlALOGUE. Seconde journêe. • Madem, Bonne. Bon jour , Mesdames ; mais d'oü: vient que vous n'avez pas amené Lady Babiole avec vous? Lady. Spirituelle. Elle dit qu'elie ne veut pas venhy paree que les hiftoires & les contesi^ennufento. Madem  IV". Dl AL o GCJSt # Madem. Bonne* Vous voyez, Mesdames r ce que c'eft que la mauvaife habitude Lady B'abio* .Je s'eft accoutumée a jouër tour.e la journée ; tout ce qui n'eft point jeu Tennuïe, lui déplait; elle iera une ig- m norante , une fbte toute- fa vie, -Sc quoiqu'elle ait de bonnes difpoürions > i elle reftera dans les converfations comime une imbécille, Ne lui vez pas fort i mauvais exemple. Je luis füre qua Latdy Mary eft bien plus fage , & qu'elie: a lu fa iecon. Lady Mary, Je 1'ai luë quatre fois, ma Bonne-,, i& je 1'ai raconté'e a Papa & a Maman.j, i voulez vous que je vous la/iife % Madem. Bonne. öui, ma chère. Lady Ma-ry. II y a bien long-tems, bien longtems, qu'il n'y avoit al ciel, ni terre „ C. 6 nii  4& ï¥. DlALOGUE. ni hommes , nianimaux. II n'y avoit que Dieu, car ii a toujours été. Le bon Dieu, Mesdames, peut faire tout ee qu'il veut. S'il aifoit a ce moment, je veux qu'il y ait un jardin dans cette chambre , il y auroit un jardin Eh bien! tout d'un coup il dit, qu'il vouloit qu'il y eut le ciel, la terre, des arbres, des oifeaux, des pohTons, des üeurs &c. A mefure qu'il difoit, je veux cela, tout cela venoit. II fut cinq jours a faire ce que nous voyons, & le fix'öme jour il prit de la terre, & en fit un homme Mais, Mesdames, cet homme ne parïoit pas, il ne marchoit pas, il étoit comme une ftatue. Dieu, pour Ie faire parler & marcher, lui donna une ame, faire a fon image , il 1'appella Adam. ComrneAdam fe féroit ennuïé tout feul, Dieu. lui envoya une grande envie de dormir, & pendant qu'il doimoit, il prit une de fes cótes, & il en fit une grande femme , comme Maman, Cette femme, qui avoit é:é faire avec la cöte d'AJam, le bon Dieu la nomma Evê-r^& il la mit avec Adam dans un beau jardin, 011 il y avoit toutes fortes de fruits, desfi^ues, des prunes, des poi-  IV. DlALOGUE. £7 poires, de;3 pêches &c. II y avoit ausli dans ce jardin , un-pommier qui portoit de belles ppmmes Et Dieu dit a Adam & a Eve, vous pouvez manger de tous les fruits qui font dans ce jardin; je vous les donne: mais je vous defends de toucher a ces pommes; car,, fi vous en mangez, vous mourrez. Le Démon, qui eft un méchant, & qui avoit défobéï au bon Dieu, fut jaloux. üAdam & d'Eve, & voulut les rendre méchans, & maiheureux comme lui:. pour cela il prit la figure d'un ferpent, & dit a Eve qui fe promenoit toute feule; pourquoi ne mangez-vous pas de ces pommes? elles font fi belles» Eve, au-lieu de bsucher fes oreiiles, ou de s'enfuir, s'amufa a paster avec le démon, & lui die; Dieu nous a de« fendu de manger de ces pommes, & il nous a dit qu'il nous feroit mourir, fi nous y touchions. 11 ne faut pas croi» re ce que dit Dieu, répondit le Démon; il vous a défendu de toucher a ces pommes, parcequ'il fut, que fi vous- en mangez, vous ferez auffi grands, auffi fa vans , & auffi puhTans que lui. Eve qui avoit envie d'être auffi iavante que Dieu, fut aftèz fote pour C 7 exoify  48 IV. DlALOGUE. eroire le Démon. Elle prit une pomme pour elle, & elle en donna une a Adam, Quand ils eurent man gé de ce maiheureux fruit, ils virent bien qu'ils avoient fait une faute : & tout non* teux, ils fe cachèrent fous des arbres, comme fi on pouvoit fe cacher du bon Dieu. Quelque tems après Dieu appella Adam, & lui dit: pourquoi avezvous été défobéïiTant? Adam, au lieu de reconnoitre fa faute, & de demander pardon a Dieu, s'excufa, & dit; Seigneur, la femme que vous m'a vez donnée, m'a dit de manger de la pomme. Seigneur, dit Erè; c'eft le ferpent qui m'a confeillé d'en manger. Puisque vous êtes coupables tous les trois, vous ferez punis tous les trois, dit le bon Dieu. Le ferpent fera maudit, & la femence de la femme lui éicrafera la tête ; Eve fèra obiigée d'obéïr a fon mari. Pour Adam * il mourra auffi bien que fa femme, & il fera obligé de uavailler, s'il veut avoir du pain Après cela, Dieu chalTa Adam & Eve du beau jardin qu'on appelloit le Paradis terrefire; & pour les empêchcr d'y rentrer, ii mit un ünge k la gorte, avec une épée de feu. Madem*  IV. Dialogüe» 49* Madem, Bonne, Venez, que je vous embraiïe, ma chère Lady Mary. Vous avez répété. votre hiftoire, comme une grande fille. Mais , dites-moi je vous prie; eft-ce feulement pour être favantes9 que nous aprenons des hiftoires ? Lady Mrry. Je ne fais pas, ma Bonne.. Madem-, Bonne. Allons, Lady Senfée, dites a ces; Dames ce qu'il faut faire, quand on a appris:- ou entendu une hiftoire. Lady Sensée. Vous nfavez dit qu'il faloit examlner les fotifts & les vertus de ceux,, dont on apprend les hiftoires, afin de ne pas faire lts mé mes fautes, & de. pratiquer leurs vertus.  5© ÏV. DlALOGUE» Madem. Bonne. C'eft fort bien répondu, ma chère'. Eh bien! Mifs Molly, quel profk voulez vous tirer de cette hiftoire? Mifs Molly. ' Quand j'aurai fait une faute > je ne m'excuferai pas , & j'en demanderai pardon. Madem, Bonne* C'eft trés bien répondre. Etvousy Lady Chariotte.- Lady Charlotte. Quand j'aurai envie d'ctre gourmande, ou défobéïiTanre, je penferai que le ferpent eft a cóté de moi, qu'il me confe'lle ces chofes; & je lui dirai, va-t- en méchant, j'aime mieux obéïr au bon Dieu , qu'a toi. Madem. Bonne. Mqui êtes une bonne fille de penfer som*  I V. DlALOGUE. . 51 comme cela: & Lady Spirituelle, quapenfe-felle? Lady Spirituelle. Je penfe qa'Eve étoit bien orgaeilléiElc , de vculoir être auffi fa van te que Dieu; ' Je penfe auffi qu'elie étoit bien gourmands; fi elle n'avoit rien eu a manger, je lui aurois pardonné; maiselle avoit tant d'autres chofes: il me femble, que fi j'avois é:é a fa place, je n'aurüis pas fongé a ces vüaines. pommes. Malem. Bonne. Si notre converfation n'avoit point ëté fi Longtfe, je vous conterois une folk hiftoire, dont vous me faitesfouvenir: ce fera pour tantöc. Lady Spi pit üelle. Ah, ma Bonne! je fuis füre que ces Dames ne s'ehnuïent point de vous etitèndréï dites. nous cette hiftoire, je vous prie. Madem*  52 IV. DlALOGüE. Madem, Bonne. Qu'en dites-vous, Mesiames/ Toutes enfemble. J'ai beaueoup d'envie de 1'entendre. Madem, Bonne. Un jour un Roi, qui étoit a la chasfe, fe perdit. Comme il eherchoit le chemin , il entendit parlcr & s'érant approché de 1'endroit, d'oü fortoit la voix, il vit un homme & une femme qui travailloient d couper du bois. La femme difoit, comme i^ady SpiritueU le, ii faut aveuër, que notre Mère Eve étoit bien gourmande, d'avoir mangé de la pomme. Si elle avoit obéï a Dieu, nous n'aurions pas la peine de travailler tous les jours. -L'homme lui répondit : fi Eve étoit une gourmande, Adam étoit bien fot de faire ce qu'elie lui difoit. Si j'avois été a fa pjace, & que vous m'eusüez voulu faire manger de ces pommes, je vous aurois donné un bon fouflet, & je n'aurois pas voulu feulement yï/us écouter. Le Roi  ï V. D I A L (TG U E. 53 Roi s'approcha, & leur dit, vous'avez donc bien de la peine , mes pauvrcs gens? Oui, Monfieur, répondirent-ils (car ils ne favoient pas que c'écoit le Roi ) nous travaillons comme des chevaux, depuis ie raatin jusqu'au foir, & encore nous avons bien de la peine a, vivre. Venez avec moi, leur dit le Roi, je vous nourrirai fans travailler. Dans le moment les Officiers du Roi, qui le cherchoient, arrivèrent; & ces pauvres gens furent bien étonnés & bien joyeux, Quand ils furent dans le Palais, le Roi leur tic donner de beaux habits, un carolTe, des laquais;& tous les jours ils avoient douze plats peur leur 'diné. Au bout d'un mois, on leur fervit vingt* quatre plats, mais dans le milieu de la table, on en rait un grand qui étoit fermé. D'abord, la femme qui étöit curieufe , vouluc ouvrir ce plat; mars un Officier du Roi, qui étoit piéfent, lui dit, que le Roi leur défëndöit d'y toucher, & qu'il ne vouloit pas qu'ils vhTent ce qui étoit dedans. Quand les domefti*»ques furenr fortis, ie niari s'appercut que fa femme ne mangeoit pas , & qu'elie étoit triftc; il lui demanda ce qu'elie  54 IV. DlALOGUE. qu'elie avoit & elle lui répondit, qu'eTle ne fe foucioit pas de manger de toutes les bonnes chofes qui étoient fur la table, mais qu'elie avoit envie de ce qui étoit dans" le plat couvert: vous êtes folie, lui dir fon marl, ne vous a-t-on pas dit que le Roi nous le défendoit? le Roi eft un injufte, dit la femme; s'il ne vouloit pas que nous viflions ce qui eft dans ce plat, il ne falloit pas le faire fervir fur la table. En même tems, elle fe mit a pleurer, & dit qu'elie fe tueroit fi fan raari ne vouloir pas ouvrir le plat. Quand fon xnari la vit pleurer, il fut bien faché, & comme il 1'aimoit beaueoup, il lui dit qu'il feroit tout ce qu'elie voudroit pour qu'elie ne fe chagrinat pas. En même tems, il ouvrit le plat, & il en fortit une petite fouris, qui le fauva dans la chambre. Ils coururent après elle pour la ratraper; mais elle fe cacha dans un petit trou, & auditor le Roi entra, qui demanda.. oü étoit la fouris. Sire, dit le mari, ma femme m'a tourmenté, pour voir ce qui étoit dans le plat, je 1'ai ouvert nialgré moi, & la fouris s'eft fauvée. Ah, ahl dit le Roi, vous diüez, que ü  IV. DlALOGUE. J5 fi vous euflïez été a Ia place d9Adam9 vous euffiez donné un fouflet a Eve, pour lui apprendre a être eurieufe & gourmande: il falloit vous fouvenir de vos promeffes. Et vous méchante femme, vous aviez toutes fortes de bonnes chofts, comme Eve^ & cela n'étoit pas aflèz: vous vouliez manger du plat que je vous avois déferadu. Aüez, maiheureux, retournez travailler dans le bois, & ne vous en prenez plus a Adam & a fa femme du mal que vous aurez, puisque vous avez fair, une fotife pareille a celle donc vous les accu* liez. Lody Spirituelle. Vous avez fait cette hiftoire exprès pour moi, ma Bonne, j'en fuis füre. Madem. Bonnf. Non, ma chère, je j'ai luë quelque part; mais il eft vrai qu'elie vous convenoit a merveille. Allons prendre le thé, Mesdames; enfuite, Mifs Molly nous dira une hiftoire. Mifs  50 IV. D i aloc l ?„ Mifs Molly. Après op?Adam & Eve furent fonis du Paradis terreftre, ils eurent deux rils. Ils rommèrent l'ainé, Cdin, & le plus jeune, Abel. Ca'in fe fit jardinier, & Abel fe fit berger, c'eft a dire, qu'il avoit coutume d'offrïr a Dieu une partie des chofes qu'il avoit, comme les premiers fruits , les premières fleurs, les premiers animaux, Ce n'eft pas que le bon Dieu eüt befoin de ces cho« fes; mais Adam les lui offroit, pour fe fouvenir que tout ce qu'il avoit, c'étoit Dieu qui le lui donnoit. Ca'in & Abel fuivirent 1'exemple de leur Pa» pa; mais Cdin ne donnoit pas de bon coeur ce qu'il offroit a Dieu. S'il y avoit une belle poire dans fon jardin, il la gardoir pour la manger; & il ne préfciitoit a Dieu quecelle, dont il ne fe foucioit pas. Abel, au contraire, choififtoit les moutons les plus beaux, pour lesoffiir au Seigneur: auffi, Dieu I'aimoit-il davantage que fon frère Cdin. Celui -ci devint jaloux; il étoit teut trifte. Un jour le bon Dieu lui dit; Caïn, poirquoi êtes-vous trifte? ne favez'vcus pas, que fi vous faites bien,  tWi Dia loc ue. 57 bien, vous en rrcevrez la récompenfe, & que fi vous fakes mal, vous ferez puni. C'étoit comme fi Dieu lui eüt dit, onne doit avoir du chagrin, que quand on eft méchant; ainli, au-lieu a'être trifte , devenez bon, & cela vous rendra content tout auffi - tot, Ca'in, au • lieu de profiter des avis que Dieu avoit la bonté de lui donner, dit a fon frère Abel, voulez-vous venir vous promener avec moi? Abel9 qui croyoit fon frère aufiï bon que lui, répondit, je le veux bien. Ils allèrent donc fe promener bien loin, & alors le méchant Ca'in tua fon pauvre frère AbeL 11 avoit été fi loin , afin qu'Adam & Eve ne fufïènt pas fa méchanceté: mais Dieu, qui eft partout, lui avoit vu commettre ce crime. II voulut voir fi Cdin mentiroit & lui dit; Cdin, oü eft votre frère Abel? je ne le vois plus. Cdin lui répondit, eft-ce que vous m'avez donné mon frère a garder ? Vous êtes un maudit, lui dit Dieu, vous avez tué votre frère ; allcz, courez par le Monde, vous n'aurez jamais u 1 moment de repos : votre crime vous tourmentera jour & nuit, & pour vous laire fouffrir plus long-  5& IV. D j a i. o c u e. long-tems, j'empêcherai les autres enfans tfAciam de vous tuür. Auiïltöt, Cdin s'enfuit 'de ce Païs avec fa femme , & il en eut un grand nombre d'enfans. Madem. Bonne. On ne peur pas mieux répéter une hiftoire; mais dites-moi, Lady Charlotte, n'avez vous rien penfé en écoutant cette hiftoire de Cdin. Lady Charlotte. J'a' penfé quelque chofe , ma Bonne ; mais je n'ofe le dire , cela eft trop vilain. - Madem. Bonne. Allons, ma chère; une jeune Dame, qui a le courage d'avouër fes défaurs, eft toute prête a fe corrïger. Lady Charlotte. Eb bien! donc, je vais vous le dire; je fuis jaloufe cc mme Caïn, contre  IV. DlALOGUE 50 tre ma foeur ainée ; Papa & Maman 1'aiment mieux que moi , & cola me mee il fort en colère quelqucfois, que je la tuerois, fi je pouvois. Madem. Bonne. Mais, ma chère, n'eft-ce pas votre faute, fi 1'on aime votre foeur plus que vous ? Dites moi; fi vous étiez u-^e Maman, & que vous euf&ez deux Blies; Tune qui feroit douce, honnête, obéïflante, appfquée avec fes Maitres; & 1'autre entétée, méchaste, infolente avec tout le monde, défobéiflante a ps Maitres; laqu.lle aimeriez - vous davantage? Lady Charlotte. J'aimerois mieux la première. Madem. Bonne» II ne faut donc pas être fachée contre votre Papa & votre Mam ar , s'ils aiment mieux votre foeur que vous: devenez auffi bonne qu'ell , je fuis luie qu'ils vous aimeront a la folie. Tom. L D Lady A  60 IV. DlALOGUE. Lady C h a rlott e* Je le yeux bien, ma Bonne, & je vous promets d'écrire toutes les fo~ tifes que je dirai. Madem. Bünnf* Et moi, je vcus promets que veris vous corrigerez; cela eft infailfible: je vous promets auffi que vous deviendrez auffi aimablc, que votre foeur airée, auffi heureufe qu'elie; car je fuis fure que vous êtes tiès-malheureufe^ quand vous êtes méchante. Lady Charlotte Cela eft bien vrai: je difois 1'autre jour a ma gouvernante, que je voudrois vêtre morte. Madem. Bonnf. Vous me faite frémir , ma chère: méchante, comme vous avez éré, que feriez vcus devenue , fi vous lulliez morte avant d'avoir demaneié pardon k Dieu? il eft bien bon de vous donner  IV. DlALOGUE. 6 ï ner du tems de vous corriger: il faut ce foir le remercier de cer.te grace, & lui dire que vous voulez 1'aimer de tout votre coeur. Adieu, mes enfans: je fuis bien contente de votre attention; en récompenfe, nous aurons de belles hiftoires, & un joli conté, ia première fois. V. DlALOGUE. Troiüème journée. Madem, Bonne* rTous venez de bonne heure auV jourdhuï, Mesdames: nous vetons de fortir de table, il n'y a qu'un ttoment. Lady Spirituelle. Ma Bonne, j'ai diné avec ces Danes, & nous avions tant d'envie de vous voir ? que nous n'avons reflé ju'ua demi-quart d'heure a. table. D a Madem.  6*2 V. DlALOGUE. .Madem. Bonne. Je val donc vous gronder, mes chers enfans: il n'y a rien de fi contraire 'sa la famé, que de manger trop vite:; pour vous punir, nous ne dirons rien avant de prendr.e le thé & nous irons neus promener dans le jardin. Lady Mary. J'aime beaueoup a me promener, maïs j^aime encore mieux les hiftoires. Ma Bonne, .pardonnez-nous pour cette fois, je vous jure fur ma confeience, que je ne favois pas que c'étoitune faute, de manger trop vïte. Madem. Bonne. Et c'eft auffi une faute de jurer fur votie confeience; une autrefois ne le faites pas. Je ne veux pas vous faire répéter vos lecons a piéfent, Mesdames ; parceque je erarns de vous faire mal, en vous appliqumt après le diné. Lady  V. D i a lo gue; €3 Lady Charlotte. Eh bien! ma Bonne, nous ne di^ rons rien, mais vous nous direz cjuel* que chofe; vous nous avez promis un joli conté: cela -nous fatiguera-LI de 1'écouter ? Madem* Bonne. Je vois bien qu'il faut faire ce que vous voulez, Mesdames. Quand vous êtes de bonnes filles, je n'ai pas le courage de vous ïien refufer: allons dene nous aiTeoir dans le jardin, & je vous dirai !e conté que je vous ai promis ia derniere fois. La Belle £?■ la Béte. conté, II y avoit une fois un marchand, qui étoit extrêmement riche. II avoit fix enfans, trois garcons & trois filles, comme ce marchand étoit un homme d'efprit, il n'épargna rien pour 1'éducation de fes enfans, & leur donna toutes fortes de Maitres. Ses filles éD 3 toient  $4 V. DlALOGUE. toient trés belles, mais la cadette iurtou; fe faifoit admirer; cc on ne l'appelloit, quand elle étoic petite. que la belle enfant; enforte que le nom lui en refta: ce qui donna beaueoup de jalouiie a lesfoeurs Cette cadette, qui étoic plus belle que fes foeurs, étoit auffi meÜleure qu'elles. Les deux aiTiées avoient beaueoup d'orgueil, paree qu'elles étoient riches; elles faifoient les Dames, & ne vou^oient pas recevoir les vifites des autres filles de marchands; il Uur falloit des gens de qualité pour leur compagnie. Elles alloient tous les jours au bal, & la comédie, a la promenade, & fe moquoient de leur cadette, qui emploioit la plus grande partie de fon tems a lire de bons livres. Comme on favoit que ces filles étoient fort riches, plufieurs gres marchands les demanderent en mariage; mais les deux ainées répondirent, qu'elles ne fe marieroient jamais, a moins qu'elles ne trouvaflènt un 13uc , ou tout au moins un Comte La Belle, ( car je vous ai dit que c'étoit le nom de la plus jeune ) la Belle, dis-je, re« mercia bien honnêtement ceux qui vou* loient i'époufer , mais elle leur dit, qu'el»  V. D.ialogue; 05 qu'elie étoit trop jeune, & qu'elie fonhaitok de tenir compagnie a ion Père, pendant quelques années. Tout d'un coup , le marchand perdit fon bien, & il ne lui refta qu'une petite Maifon de campagne, bien loin de la ville II dit en pleura 't a fes enfans-, qu'il fadoit aller demeurer dans cette Maifon , & qu'en travaillant comme des payfans , ils y pourroient vivre. Ses deux filles ainées 1 épondirent, qu elles ne vouloient pas quitter la ville , & qu'elles avoient plufieurs amans , qui feroient trop heureux de les époufer, quoiqu'elles n'eufient plus de fortuas: les bonnes demoifclles fe trompoient; leurs amans ne voulurent plus les rega*der , quand elles furent pauvres Comme perfonne ne les aimoit, k crufte de leur fierté, on difoit, ellesneméritent pas qu'on les piaigne; nous fommes bien aifes de voir leur orgueü abaiffé; qu'elles aiüent faire les Dames, en gardant les moutons; mais , en même tems tout le monde difoit; pour la Belle , nous fommes bien fachés de fon malheur; c'eft une fi bonne fille elleparloit aux pauvres gens avec tant de bonté, elle étoit fi douce, fi honnête. II d 4 y  V. DlALOGUE. t eüt même plufieurs gentils - hommes qui^ voulurenc 1'dpoufer , quoiqu'elle neut pas ua foti: mais elle leur die, qu elle ne pouvoit fe refoudre a abandonner fon pauvre Père dans fon malheur, & qu'elie le fuivroit a Ia cam. pagne pour le confoler & lui aider a Jravailler. La pauvre Belle . avoit été feienaföieée d'abord, de perdre fa fortune, mais elle s'étoit die a elle-même, quand je pleurerai bien fort, cela ne me rendra pas mon bien: il faut tècher a'être heureuf: lans fortune. Quand ils furent arrivés a léur maifon de campagne, ie mareend & fes trois tiis s'occupèrent a labourer la terre. La Belle fe levoit a quatre hcures du marfn, & lè dëpêchöic de nétoyer Ia maifon , & ö'aprêtér k diner pouf Ia familie. Elle euc d'abord bc:aucoup de peine, car elle n'éeok pas accouturrée a travailler comme une fervante; mais au bout de deux rnois, elle devint plus forte, & la fatipue lui donna une fanré parfaite. Quand elle avoit fait fon ouvrage, el ie Ufoit, elle jcuoic du c'avecin, ou bien, elle chantoir en filant. Ses deux foeurs, au contraire, s'ennuioient a la mort; elles fè le- voient  V. DlALOGUE. 67 voient a dix heures du matin, fe^ promenoient toute la journée, & s'amufoient a regreter leurs beaux habits & les compagnies, Voy:z notre ca lette, dvfoient- elles entr'elles, elle a 1'ame balie, & eft fi ftupide, qu'elie eft coutente de fa malheureufe fkuation. Le bon marchand ne penfoit pas comme fes filles; il favoit que la Z?f?//e étoit plus propre que fes foeurs a briller dans les compagnies. 11 admiroit la veitu de cette jeune fille, & fur - tout fi patience; car fes foeurs, non conté tes de lui laifler faire tout 1'ouvrage de la Maifon, 1'mfuitoient a tout moment. II y avoit un an que cette familie vivoit dans la folitude, lorsque le marchand reent une iettre, nar laquelle 011 luimanddit, qu'un vaifïèau, furlequel il avoit des marchandifes, venoit d'arriver heureufement. Cette nouvelle penfa tourner la tête a fes deuxainées, qui penfoient qu'a la fin , elles pourroient quitter cette campagne, oü elles s'ennuïoient tant, & quand elles virent leur Père pret a partir, elles le prièrentdeleurapporter des robes, des palatines, des coifures, & toutes fortes de bagatelles. La Beïk ne lui deD 5 man-  4B V. DlALOGUE. mandoit rien, car elle penfoit en eltemême, que tout 1'argent des marchandifes ne fuffiroit pas pour acheter ce que fes foeurs föuhaitoient. Tu ne me pries pas de t'acheter quelque chofe, lui dit fon Père. Puisque vous avez la bonté de penfrr a moi, lui dit-elle , je vous prie de m'apporter une rofe,car il n'en vient point ic;. Ce n'eft pas que la Belle fe fouciat a'une rofe; mais elle ne vouloit pas condamner, par fon exemple, la conduite ce fljs foeurs , qui auroient dit, que c'étoit pour fe diftinguer qu'elie ne demandoit rien. Le bon-homme partit ; mais quand il fut arrivé, on lui fit un procés pour les marchandifes, & après avoir eu beaueoup de peine, il revint auffi nauvre qu'il étoit auparavant. II «'avoit plus que treme milles pour arriver a fa maifon, & il fe réjouïïfoit déja du plaifir de voir fes enfans: mais comme il falloit pafïèr un grand bois, avant de trouver fa maifon, il fe perdit. II neigeoit horrib'ement; le vent étoit fi grand, qu'il le jetta deux fois «n bas de fon cheval, & la nuit étant venuë, il penfa qu'il mourroit de faim, #u de froid, ou qu'il leroit man gé des loupsj  V. DlALOGUE» f5p loups, qu'il ewtendoit heurler antour de lui. Tout d'un coup , en regardanc au boutd'une longue allée d'arbres, il vit une grande lumière, maïs qui paroifibit bien éloignée. II marcha de ce cóté-la, & vit que cette lumière fortoit d'un grand palais, qui étoit touc illuminé. Le marchand remercia Dieu du fecours qu'il lui eavoyoit, & fe hata d'arriver a ce chateau; maïs ii fut bien lürpris de ne trouver perfonne dans les cours. Son cheval , qui le fuivoit, voyant une grande écurie qu* verte, entra dedans , & aïaut trouvé du foin & de 1'avoine, le pauvre animal, qui mourroit de faim, fe jetta delfus avec beauconp d'avidteé. Le marchand 1'attacha dans 1'écurie , 6c marcha vers la maifon, oü il ne trouva psrfonne; mais étant entré dans une grande falie, il y trouva un bon feu, & une table chargée de viande, oü il n'y avoit qu'un couvert. Comme la pluie & la neige 1'avoient mouil* lé juqu'aux os, il s'approcha du feu pour fe fécher, & difoit en lui-même; le Maitre de la mufon, ou fes domeftiques me pardonneront la liberté que j'ai prife, & fans doute ils vienD é dront  70 V, DiALoeuE. dront bientót, 11 attendit pendant un tems confSdérable; mais onze heures at int fonné , fans qu'il vit perfonne, II ne putrefifter h la faim, & prit un poulet , qu'il mangea en deux bouchées, cc en trembiant. 11 but auffi quelques coups de vin, & devenu plus hardi, il forti t de la falie, & tra vei fa plufieurs grands appartemens , magnifiquement meubiés VA la fm, il trouva une chambre , oü il y avoir un bon lit, & comme il étoit minuit pafle, é>. qu'il étoit las, il prit le parti de fermer la porte, & de fe coucher. 11 étoit dix heures dumatin, quand il fè leva le lendemain, & il fut bien furpris de trouver un habit fort propre, a la place du Hen, qui étoit tout ga té. AlTurément, dit-il, en lui-même , ce palais appartient a quelque bonne fée, qui a eu pitie de ma fituation. II regarda par la fénêtre. & ne vit plus de J neige3 mais des berceaux de fleurs qui enchantoient la vuë. H rentra dans la grande falie oü il avoit foupé la veille, & vit une petite table oü il y avoit du chocolat. Je vous remercie, Madame la fée, dit-il tout haut, d'avoir eu la bonté de penfer a mon dejeüné. Le 1 bon-  V. DlALOGUE. 71 bon homme, après avoir pris fon chocolat, fottit pour aller chercher Ion cheval, & comme il paffoit fous un berceaö de rofes, il fe fouvïnt que la Belle lui en avoit demandé, & cueillit une branche , oü il y en avoit plufieurs. En même tems , il entendit un grand bruit, & vit venir a lui une Bete fi horrible, qu'il fut tout prêc de g'évanouïr. Vous ètes bien ingrat, lui dit la Bête, d'une voix terrible, je vous ai fauvé la vie, en vous recevant dans mon chateau, & pour ma peine, vous me voiez mes rofes, que j'aime mieux que toutes chofes au monde. II faut mourir pour reparer cette faute ; je ne vous donne qu'un quart d'heure pour demander pardon a Dieu. Le marchand fe jetta a genoux, & dit a la Béte, en joignant les mains, Monfeigneur, pardonnez-moi, je ne croyois pas vous offenfer, en cueillant une rofe pour m:s filles. qui m'en avoient demandé. Je ne m'appelle point Monfeigneur , répondit le monftre, mais la Béte. Je n'aime pas les complimens, moi; je veux qu'on dife ce que Fon penfe; ainfi, ne croyez pas me toucher par vos flateries. Mais D 7 vous  72 V. DlALOGUE. vous m'avez dit que vous aviez des filles; je veux bien vous pardonner , a condition qu'une de vos filles vfenne volontairement, pour mourir a votre place: ne me raifonnez pas; panez & fi vos filles refufent de mourir pour vous, jurez que vous reviendrez dans trois tnois. Le bon homme n'avoit pas delïein de facrifier une de fes filles a ce vilain monftre; mais il penfa; au moins, j'aurai le plaifir de les embrasfer encore une fois. II jure donc de revenir, & la Béte lui dit qu'il pouvoit partir quand il voudroit; maïs ajouta-1-elle, je ne veux pas que tu t'en ailles les mains vuides. Retourne dans la chambre oü tu as couché, tu y trouveras un grand coffre vuide: tu peux y mettre tout ce qu'il te plaira, je le ferai porrer chez toi. En même tems la Béte fe retira, & le bon homme dit en lui-même; s'il faut que je meure j'aurai la confolation de laifiêr du pain a mes pauvres enfans. II retouina dans la chambre oü il avoir couché, & y aïant trouvé une grande quantité de piéces d'or, il rem. plit le grand coffre, dont la Béte lui avoit paxlé, le ferma, & aïant repris ibi  V. DlALOGUE. 73 fon chevat qu'il retrouva dans 1'écurie, il fortit de ce palais avec une triffceiTe, égale a la joie qu'il avoit eu , lorsqu'il y étoit entré. Son cheval pr.it de lui même une des routes de la forèt, & en peu d'heures, le bon homme arriva dans fa petite maifon. Ses enfans fe ralTèmblèrent autour de lui; mais, aulieu d'être fenfible a leurs carelXes, le marchand fe mit a pleurer, en les regardant. II tenoit k la main la branche de rofes, qu'il apportoit a la Belle \ il la lui donna, & lui dit, la Belle, pre* nez ces rofes; elles couteront bien cher a votre maiheureux Père; & tout defuite, il raconta a fa familie la funefle avanture qui lui étoit arrivée. 'A ce récit, fes deux ainées jettèrent de grands cris, & direnc des injures a la Belle, qui ne pleuroit point. Voyez ce que produit Forgueil de certe petite créature, difoient- elles ; que ne de* mandoit - elle des ajuftemens comme nous; mais non, Mademoifelle vou. loit fe diftinguer; elle va caufer la mort de notre Père, & elle ne pleure pas. Cela feroit fort inutile, reprit la Belle-, pourquoi pleurerois-je la mort de mon Père ? II ne périra point. Pais-  74 V. DlALOGUE Puisque le monftre veut bien accepter une ce fes filles, je veux me livrer a toute fa furie, & je me trouve forr, heureufè , puisqu'en mouranr , j'aurai la joie de fauver mon Père, & de lui prouver ma tendrelfe. Non, ma foeur, lui dirent fes trois fières, vous ne mourrez pas , nous irons trouver ce monftre, & nous périrons fous fes coups, fi nous ne pouvons le tuër. Ne 1'efpérez pas, mes enfans, leur dit le marchand, la puifiance de cecte Bece eft fi grande, qu'il ne me refte aucune efpérance de la faire périi\ Je fuis charmé du bon coeur de la Belle, mais je ne veux pas 1'expofer a la mort. Je fuis vieux, il ne me refte que peu de tems a vivre; ainfi, je ne perdrai que quelques années de vie, que je ne regrette qu'a caufe de vous, mes chers enfans. Je vcus allure, mon Père, lui dit la Belle, que vous n'irez pas a ce palais fans moi, vous ne pouvez m'empêcher de vous fuivre. Quoique je fois jeune, je ne fuis pas fort atta* chée a la vie, & j'aime mieux être dévorée par ce monftre, que de mourrir du chagrin que me donneroit votre perte. On eut beau dire, la Belle vou- ' lut  V. DlALOGUE. T$ Iut abfolument partir pour le beau palais , & fes foeurs en étoient charmées; paree que les vertus de cette cadette leur avoient infpiré beaueoup de jaloufie. Le ma chand étoit il occupé de la douleur de perdre fa fille, qu'il ne penf nt pns au coffre qu'il avoit rempli ü'or; mais, auiïicöt qu'il le fut enfermé dans fa chambre pour fe coucher, il fut bien étonné de le trouver a la ruelle de fon Kt. II refolur de ne point dire a fes enfans qu'il étoit devenu fi riche; paree que fes fiiles auroient voulu retourner a la ville, & qu'il étoit réfolu de mourir dans cette campagne: mais il confu ce fecret a la Belle, qui lui appritqu'il étoit -venu quelques geiatiis - hommes pendant fon abfence, & qu'il y en avoit deux qui aimoient fes foeurs. Elle piïa fon Père de les marier: car elle étoit fi bonne qu'elie les aimoit, & leur pardonnoit de tout fon coeur, le mal qu'elles lui avoient fut. Ces deux méchantes fille fe frotèrent les yeux avec un oignon pour pleurer lorsque la Belle parfit avec fon Pè"e; maïs fes frères pleuroient tout de bon, aufii* bien que le marchand: il n'y avoit que la  7<5 V. D I ALOGüFf la Melk qui ne pleuroit point, paree qu'elie ne vouloit pas augmenter leur douleur. Le cheval prit la route du palais, & fiar le foir, ils 1'appeicurent illuminé, comme la première fois. Le cheval fut tout feul a 1'écurie, & le bon homme entra avec fa fille dans la grande falie, oü ils trouvèrent une tabl -, magnifiquement fervie, avec deux couvert?. Le marchand n'avoit pas le coeur de manger; mais la Belle s'éfforcant de paroitre tranquille , fe mit a table, & le fervit; puis elle difoit en elle même: la Bete veut m'engraiiTer avant de me manger; puisqu'elle me fait fi bonne ehè e. Quand ils eurent fbupé, ils entendirent un grand brult,. & le marchand dit adieu a fa pauvre fille en pleurant; car il penfoit que c'étoit la Bete. La Belle ne put s'empêcher de fiémir, en voyant cette hor» rible figure: mais elle le raÜura de fon mieux, & le monftre lui aïant de. maneé fi c'étoit de bon coeur qu'elie étoit venue ; elle lui dit, en tremblart, qu'oui. Vous êtes bien bonne , dit la Béte * & je vous fuis bien obligée. Bon homme, partez demain, & ne vous avifez jamais de revenir ici. Adieu  V. DlALOGUE. 77 Adieu la Belle. Adieu la Béte, répondit-etle, & tout de fuite le monftre fe retira, Ah, ma fille ! dit la marchand, en embrafiant la Belle, je fuis a demi - mort de frayeur. Croyez* moi, laiflèz moi ki: non mon Père, lui dit la Belle avec fermeté, vous partirez demain matin, & vous m'abandonnerez au fecours du Ciel; peut-être auratM pitié de moi. lis furent fe coucher, & croyoient ne pas dormir de toute la nuit; mais a peine furentils dans leur lit, que leurs yeux fe fermèrent. Pendant fon fommeil , la Belle vit une dame qui lui dit, je fuis contente de votre bon coeur la Belle; la bonne acYion que vous fakes en dunnant vOtrs vie, pour fauver celle de verre Père, ne demeurera point fans récompenfe. La Belle s'éveiilant, raconta ce fon ge a fon Père, & quoiqu'il le confolat un peu, cela ne 1'ernp'êcha pas de jetter de grands cris, quand il fallut fe féparer de fa chère Lorsqu'il fut parti, la Belle s alïït dans la grande falie, & fe mitè. pleurer auffi; mais comme elle avoit beaueoup de courage, elle fe recommanda a  78 V. DlALOGUE. k Dieu, & réfolut de ne point fe chagriner, pour le peu de tems qu'elie avoit a vivre ; car elle croyoit fermement que Ia Bete la mangeroit le föiré Elle réfolut de fe promener en attendant, & de vifiter ce beau chateau» Elle ne pouvoit s'empêcher d'en admirer la beauté. Mat? eile fut bien furprife de trouver une porte, fur laquelle il y avoit écrit: Appartement; de la Belle. Elle ouvrit cette p >rre avec précipiia* tion, & elle fut éblouïs de la magnificence qui y régnóit: mais ce qui frapa le plus fa vuë, fut un grande biblio-* théque, un clavecin, &>plufieurs li' yres de mufique. On ne veut pas qua je rci'ennuïe, dit elle tout bas ; elle penfa enfaite. fi je n'avois qu'un jour a ^demeurer ici, on ne m'auroir. pas fait une telle provifion Gétte penfée ranima fon courage Elle ouvrit la bibliothéque & vit un livre, oü il y avoit écrit en lettres d'or: fouhaitez', commanrlez; vous êtes ici la Reine & la MaitreJfe. Helas! dit-elle, en fou* pirant, je ne fouhaite rien que de revoir mon pauvre Père, & de favoir ce qu'il fair a préfent; elle avoit dit cela en elle même. Quelle fut fa furprife! en  V. DlALOGUE» 79 on ï<=>rranr les veux fur un grand mi- roir, d'yvoïr fa Maifon, oüfon Père arrivc.it avec un vifage extrêmement trifte. Ses foeurs venoient au - devant de lui, & malgré les grimaces qu'elles faifoient , pour paroitre afflgées , la joie qu'elles avoient de la perte de leur foeur, paroiftbit fur leur vifage. Un moment après, tout cela difparut, & la Belle ne put s'empêcher de penfer, que la Béte étoit bien complaifante, & qu'elie n'avoit rien a craindre d'elle. \A 'midi elle trouva la table mife, & pendant f:>n dioé, elle entendit un excellent concert, quoiqu'elle ne vit perfonne. Lefoir, comme elle alloit fe mettre a table, elle entendit le bruit que faifoit la Béte, & ne put s'empêcher de frémir. La Belle, lui dit ce monftre, voulez-vous bien que je vous voie fouper? Vous êtes le Maitre, répondit la Belle, en tremblant. Non, répondit la Bêre, il n'y a ici de Maitrefie que vous. Vous n'avez qu'a me dire de m'en aller, fi je vous ennüie; je fortirai tout de fuite. Dites-moi, n'eft-ce pas que vous me trouvez bien laid? Cela eft vrai, dit la Belle, car je ne fais pas men-  80 V. Dialogo e. mentir, mais je crois que vcus é'res fort bon. Vous avez raifon, dit le monftre, mais outre que je fuis laid, je n'ai point d'efpnt: je fais bien que je ne firs qu'une Béte. On n'eft pas Béte, reprit la Belle* quand on crcit n'avoir point d'efprit: un fot n'a jamais fïï cela. Mangez donc, la Belle, lui dit le monftre , & tachez de ne point vous ennuïer dans votre Maifon: car tout ceci eft a vous; & j'aurois du cbagrin , ii vous n'étiez pas contente. Vous avez bien de la bonté, dit la Belle. Je vous avoue que je fuis contente de votre coeur; quand j'y penfe , vous ne me paroiffez plus li laid. Oh dame, om, répondit la Béte, j'ai le coeur bon, mais je fuis un monftre. II y a bien des hommes qui font plus monftres que vous, dit la Belle, & je vous aime mieux avec votre figure, que ceux qui avec la figure d'hommes, cachent un coeur faux, corrompu, ingrat. Si j'avois de 1'efprit, reprit la Béte, je vous ferois un grand compliment pour vous remercier, mais je fuis un ftupide; & tout ce que je puis vous dire, c'eft que je vous fuis bien obligé. La  V. DlALOGUE. Ü 81 La Belle foupa de bon appetit. Elle n'avoit presque plus peur du monftre; maïs elle manqua mourir de frayeur, lorsqu'il lui dit: la Belle, voulez vous étre ma femme ? Elle fut quelque tems fans répondre; elle avoit peur d'exciter la colère du monftre en le refufant: elle lui dit pourtant en tremblant, non, la Béte. Dans le moment ce pauvre monftre voulut foupirer, & il fit un firnement fi épouvantable, que tout le Pal ais en retentit: mais la Belle fut bienrót raifurée , car la Béte, lui aïant dit triftement, adieu donc la BeiJe , fortit de la chambre, en fe retournant de tems en tems cour la regarder encore. La Belle fe voyant feule , fentit une grande compaflion pour cette pauTre Bete: hélas, difoit-elle, Ceft bien dommage qu'elie foit il laide, elle eft fi bonne! La Belle palfa trois mois dans ce palais avec afièz de tranquilité. Jfous les foirs, la Béte lui rendoit vifite, Fentretenoit pendant le fouper, avec afiez de bon fens, mais jamais avec ce qu'on appelle efprit, dans le monde. Chaque jour , la Belle découvroit de nouvelles bontés dans ce monftre. L'ha*  82 V. DlALOGUE. L'habitude de Ie voir, Pavoic accoutumée a falaideur; & loin de craindre le moment de fa vifite, elle regardoit fouvent a fa montre , pour- voir s'tl étoit bientöt neuf heures; car la Bete ne manqueit jamais de venir a cette heure la. II n'y avoit qu'une chofe qui faifoit de la peine a la Belle, c'eft que le monftre, avant de fe coucher lui demandoit toujours, li elle vouloit être fa femme, & paroifïbit pénétre de douleur, lorsqu'elle difoit que non. Elle lui dit un jour, vous me chagrinez, la Bete , je voudrois pouvoir vousépoufer, mais je fuis trop fincè* re, pour vous faire croire que cela arrivera jamais. Je ferai toujours votre amie , tachez de vous contenrer de cela. II le fau: bien, reprit la Béte, je me rends juftice. Je fais que je fuis bien honible; mais je vous aime beaueoup; cependanc je fuis trop heureux de ce que vous voulez bien refter ici; promettez moi que vous ne me quitterez jamais. La Belle rougit a ces paroles. Elle avoit vu dans fon miroir, que fon Père étoit malade de chagrin, de 1'avoir perduë, & elle fouhaitoit de le revoir. Je pourrois bien vous promet-  V. DlALOGUE. 8} mettre, dit-elle a la Béte, de ne vous jamis quitter tout - a • fait , mais j'ai tant d'envie de revoir mon Père, que je mourrai de douleur, fi vous me refufez ce plaifir. J'aime mieux mourir 1 moi-même, dit ce monftre, que de vous donner du chagrin. Je vous enverrai chez votre Père, vous y refterez, & votre pauvre Béte en mourra de douleur. Non, lui dit la Belle en pleurant, je vous aime trop pour vouloir caufer votre mort. Je vous promets de revenir dans huit jours. Vous m'avez fait voir que mes foeurs font mariées, & que mes frères font partis pour 1'armée. Mon Père eft tout feul, fouffrez que je refte chez lui une fe- I maine- Vous y ferez demain au matin, dit la Béte; mais fouvenez-vous de votre promelTe. Vous n'aurez qu'& l mettre votre bague fur une table eni vous couchant, quand vous voudrez \ rpvenir. Adieu Ia Belle! la Béte fou- pira felon fa coutume, en difant ces mots; & la Belle fe coucha toute trifte , de la voir affligée. Quand elle fe ré vellla le matin, elle fc trouva dans la maifon de fon Père, & aïant fonné une clochette, qui étoit a coté de Tom, I. E foa  84 V. DlALOGUE. fon lit, elle vit venir la fervante, qui fit un cri en la voyant. Le bon homme accourut a ce cri, & manqua de mourir de joie, en revoyant fa chère fille; & ils fe tinrent embrafféz plus d'un quart d'heure. La Belle* apiès les premiers tranfports, penfa qu'elie n'avoit point d'habits pour fe lever: mais la fervante lui dit, qu'elie venoit de trouver dans la chambre voifine, un grand coffre, plein de robes toutes d'or, garnies de diamans. La Belle remercia la bonne Béte de fes atten* tions; elle prit la moins riche de ces robes, & dit è. la fervante de ferrer les autres, dont elle vouloit faire préfent a fes foeurs, mais a peine eutelle prononcé ces paroles que le coffre difparut. Son Père lui dit, que la Bete vouloit qu'elie gardat tout cela pour elle, & aufiitöt, les robes & le coffre revinrent a. la même place. La Belle s'habilla, & pendant ce tems, on fut avertir fes foeurs , qui accoururent avec leurs maris. Elles étoient toutes deux fort mal - heureufes. L'ainée avoit époufé un gentilhomme beau comme 1'amour; mais il étoit fi amoureus, de fa propre figure, qu'il n'étoit occu-  V. DlALOGUE. 8 ƒ pé que de cela, denuïs le matui jusqu'aa foir, & méprifoit la beauté de fa femme. La feconde avoit époijfé un homme, qui avoit beaueoup d'efprk; mais il ne s'en fervoit que pour faire enrager tout le monde, & fa femme toute la première. Les foeurs de la Belle manquèrent de mourir de douleur , quand elles la virent habillée comme une PrincelTe, & plus belle que le jour. Elle eut beau les careffer, rien ne put étouffer leur jaloufie, qui augmenta beaueoup, quand elle leur eut conté combien elle étoit heureufe. Ces deux jaloufes defcendirent dans le jardin pour y pleurer tout a leur aife, & elles fe difoient, pourquoi cette petite créature eft-elle plusheureufe que nous? Ne fommes-nous pas plus aimables qu'elie? Ma foeur, dit 1'ainée, il me vient une penfée; tachons de Parrêter ici plus de huit jours, fa fote J3ête fe mettra en colère, de ce qu'elie lui aura manqué de parole, & peut* êcre qu'elie la dévorera. Vous avez raifon , ma foeur , répondit 1'autre. Pour cela, il lui faut faire de grandes careffes; & aïant pris cette refolution, elle remontèrent & flrant tant d'amitié E 2 i  85 V. DlALOGUE. h leur foeur, que la Belle en pleura de joie. Quand les huk jours furent pasféj, les deux foeurs s'arrachèrent les cheveux, & firent tant les affligées de fon depart, qu'elie promit de refter encore huit jours. Cependant la Belle fe reprochoit le chagrin qu'elie alloit donner a fa pauvre Béte, qu'elie aimoit de tout fon coeur, & elle s'ennuïoit de ne la plus voir. La dixième nuit qu'elie pafia chez fon Père, elle rêva qu'elie étoit dans le jardin du Palais, & qu'elie voyoit la Béte, couchée fur 1'herbe, & prête a mourir, qui lui reprochoit fon ingratitude. La Belle fe réveilla en furfaut, & verfa des larmes. Ne fuis-je pas bien méchante, difoit-elle, de donner du chagrin a une Béte, qui a pour moi tant de complaifance ? eftce fa faute, fi elle eft fi laide, & fi elle a peu d'efprit? Elle eft bonne, cela vaut mieux que tout le refte. Pourquoi n'ai-je pas voulu 1'époufer? Je ferois plus heureufe avec elle, que mes f jeurs avec leurs maris. Ce n'eft, ui la beauté, ni 1'efprit d'un mari, qui rendent une femme contente: c'eft la bonté du cara&èré, la vertu, la com» plai-  V. DlALOGUE. §7 plaifance: & la Béte a toutes ces bonnes qualités. Je n'ai point d'amour pour elle; mais j'ai de 1'estime, de Pamitié & de ia reconnoiffance. Allor s, il ne faut pas la rendre malheu» reufe ; je me reprocherois toute ma vie mon ingratitude. \A ces mots, la Belle fe léve, met fa bague fur la table, & revient fe coucher. \A peine fut-elle dans fon lit. qu'elie s'endor* mit, & quand elle fe réveilla le matin , elle vit avec joie qu'elie étoit dans Ie Palais de la Béte. Elle s'habilla magnifiquement pour lui plaire, & s'ennuïa a mourir toute la journée, en atterdant neufheures du foir; mais Phorloge eut beau forner, la Béte ne parut point. La Belle, alors, craignit d'avoir caufé fa mort. Elle courut tout le Palais , en jettant de grands cris; elle étoit au défefpoir. Après avoir cherché par-tout, elle fe fou» vhit de fon rêve, & courut dans le jardin versie canal, oü elle i'avoit vu en dormant. Elle trouva la pauvre Béte étenduë fans connoisfance, & elle crut qu'elie étoit morte. Elle fe jetta fur fon corps, fans aVoir horreur de la figure, & fentant que ion E 3 coeur  83 V. DlALOGUE. coeur battoit encore, elle prit de 1'eau dans le canal, & lui en jètta fur la tête. La Béte ouvrit les yeux, & dit a la Belle, vous avez oublié votre promefle, le chagrin de vous avoir per» duë,^ m'a fait" réfoudre k me laifTer mourir de faim; mais je meurs content, puisque j'ai le plaifir de vous revoir encore une fois. Non , ma chère 33cte, vous ne mourrez point, lui dit la Belle , vous vivrez pour devenir mon époux; dès ce moment je vous donne ma main , & je jure que je ne ferai qu'a vous Hélas i je croyois n'avoir que de 1'arrikié pour vous, mais la douleur que je fens, me fait voir, que jc ne pourrois vivre fans vous voir VA peine la Belle eut» elle prononcé ces paroles , qu'elie vit le chüteau briilant de lumière, les feux d'anifiees, la mufique, tout lui annoncoit une fête ; mais toutes ces beautés n'arrêtèrent point fa vuë: elle fe retourna vers fa chère Béte, dont le danser la faifoit frémir. Quelle fut fa furprife! la Béte avoit difparu, & elle ne vit plus a fes piés qu'un Prince plus beau que 1'amour, qui la ïemercioit d'avoir fini fon enchan tement,  V. DlALOGUE. 80 ment. Quoique ce Prince mérirat toute ion atcention, elle ne put s'empêcher de lui demander oü étoit la Bete. Vous la voyez a vos piés, lui dit le Prince. Une méchante Fée m'avoit condamné a refter fous cette figure jufqu'a ce qu'une belle fille confcntït k m'époufer, & elle m'avoit défendu de faire parofore mon efprit. Ainil, il n'y avoit que vous dans le monde aftez bonne , pour vous laifter toucher k la bonté de mon caraótère; & en vous offrant ma couronne, je ne puis m'acquiter des obligations que je vous ai. La Belle, agréablement furprife, donna la main a ce beau Prince pour fe relever. ils allèrent enfemble au chateau, & la Belle manqua de mourir de joye, en trouyant dans la grande .falie, fon Père & toure fa familie, que la belle Dame, qui lui étoit apparuë en fonge, avoit transportés au chateau. La Belle, lui dit cette Dame, qui étoit une grande fée, venez recevoir la récompenfe de votre bon choix: vous avez préféré la vercu a la beauté & a Pefprit, vous méritez de trouver toutes ces qualités réünies en une même perfonne. Vous allez, deli 4  S)0 V» DlALOGUE. venir une grande Reine: j'efpère que le tróne ne détruira pas vos vertus. Pour vous , Mesdemoifelles , die la fée, aux deux foeurs de la Belle, je connois votre coeur, & toute la malice qu'il renferme. Devenez deux itatuës ; mais confervez toute votre raifon fvus la pierre qui vous envelopera. Vous demeurerez a la porte du palais de votre foeur, & je ne vous impofe point d'autre peine, que d'étre temoins de fon bonheur. Vous ne pourrez revenir dans votre premier état, qu'au moment oü vous reconTioitrez vos fautes, mais j'ai bien peur que vous ne reftiez toujours ftatuës: on fe corrige de 1'orgucil, de la colère, de la gourmandife & de la parellè ; mais c'eft une efpéce de miracle que la conveifion d'un coeur méchant & envieux. Dans le moment, la fée donna un coup de baguette, qui transporta tous ceux qui étoient dans cette falie, dans le Royaume du Prince. Ses Sujers le virent avec joie, & il épcufa la Belle, qui vêcut avec lui fort longterrs; & dans un bonheur parfait, paree qu'il étoit fondé fur la vertu. Lady  V. DlALOGUE. 01 Lady Charlotte, Et les foeurs ont.elles toujours refté ftatuës? Madem. Bonne. Oui, ma chère, paree qu'elles ont toujours eu le coeur méchant. Lady spirituelle. Te palTerois une femaine a vous en\ tendre , fans m'ennuïer. J'aime cette i Belle a la folie, mais il me femble, h j'avois été a fa place, que je n'aurois pss voulu époufer la Bete; elle étoit trop horrible. Lady Sensée* Mais, Madame, elle étoit fi bonne , i que vous n'auriez pas voulu la lailTer mourir de chagrin, fur-tout après qu'elie vóus auroit fait tant de bien. Lady Spirituelle. 1'aurois dit comme la Belle dans le J E 5 cow  f>2 V. DlALOGUE. commencement; je ferai votre bonne amie, mais je ne veux pas être votre femme. Lady Mary. Pour moi, elle m'auroit fait bien peur; j'aurois toujours penfé qu'elie alloit me manger. Mifs Molly. Je erois que je me ferois accoiutimée a la voir tout comme la Belle. Quand Papa prit un petit. gareon tout noir, pour être fon laquais, j'en avois peur, je me cichoïs quand il entroit; il me paroisfoit plus laid qu'un* Béte. Eh bien ! petit-petit je m'y fuis accoutumée: ii me pófte, quand }e monte dans le earofFe, & je ne paife plus a fon vifage. Madem. Bonne. Mifs Molly a raifon, on s'accoutume a la laideur, mais jamais a la méchanceté. II ne faut donc guère s'embarïaflèr ö'être laide; mais il nous faut faire  V. Dl A LO © tfïE. faire en forte d'être fi bonnes, qu'on puifle oublier notre viüge, pour l'amour de notre coeur. Remarquez auflï, mes enfans, qu'on eft toujours récompenfé , quand on fait fon devoir. Si la Belle avoit refufé de mou* rir a la place de fon Père ; fi elle avoit été ingrate envers la pauvre Béte,, ellen'auroit pas été enfuite une grande Reine. Voyez auiïï combien ondevient méchant, quand on eft jaloux. G'eft le plus vilain de tous les défauts» 11 n'eft encore que trois heures, mes enfans, promenez-vous jufqu'a quatrc heures. Vous pouvez courir &. fauter tout & votre aife , pourvü que vous; reftiez è. 1'ombre: pour moi, qui fuis> vieille & qui ne puis marcher, je vai refter ici avec Lady Senfée, qui ne feporte pas trop bien.. Lady mary qui revient peu après** Ma bonne', voyez les-jolis papillonsP que nous avons attrappés: je veux mettre le mien dans une boëte, & je Ier nourrirai avec des, fleurs , peut- être* aura -1 - il des petits, & j'aurai une jo*~ Ue familie ds papillons* JL 6 Madèm*  J?4 V. DlALOGUE. Madem, Bonne. Vous feiiez bien étonnée ma chère, de ne trouver, au lieu depapillons, qu'une familie de chenilles. Lady Mary. Mais, ma Bonne, je ne mettrai pas Une chenille dans ma boëte, j'y mettrai un papillon, comment y trouvexois-je autre chofe qu'un papillon? Madem, Bonne. Afllirément, on ne peut trouver dans une boè'te & dans toute autre chofe, que ce qui y eft; mais apprexiez, ma chère, que ce papillon, qui vous paroit fi joli, étoit en venant au monde un petit ver, enfuite une vilaine chenille,_qui, après, a été chan. gée en ce papillon. Lady Spirituelle. C'eft comme dans les métamorphofes. Mais, dites nous, ma Bonne, fosnment cela fepeut-il faire? car j'ai tou-  V. DlALOGUE. $Jf toujours regardé les métamorphofes comme des contes, propres a amufer les enfans. Madem. Bonne» Vous vous êtes trompée, ma chère; les métamorphofes font l'hiftoire des Grecs, cachée & enveloppée fous des fables; & quand vous ferez plus gran» de je vous ferai voir le rapport qu'elles ont avec 1'hiftoire. Lady Spirituelle» Vous me dites toujours, quand vous ferez plus grande, je vous dirai ce que vous me demandez; mais, ma Bonne, penfez donc que j'ai bientöt treize ans, je ne fuis plus un en tant: pourquoi ne me pas dire aujourd'hui, ce que vous voulez me dire dans un autre tems ? Madem. Bonne. Paree qu'il y a plufieurs chofes que vous de vez favoir auparavant. Pour vous faire voir le rapport des métamorphofes avec l'hiftoire, il faut néceffaiE 7 i*>  $6 V. DlALOGUE. rement favoir 1'hiftoire. Hatez-vous de 1'apprendre , & enfuite je vous inftruirai fur tout ce que vous voudrez favoir. Lady Mary. Et moi, ma Bonne, faudra-t-il que j'attende aufii que je fois plus grande, pour favoir comment le papillon peut d'abord être chenille ? Madem. üonne. Non ? Ma chère. Peur vous faire plaifir, je vai garder plufieurs papillens; ils feront des oeufs en Automne, fur quelques feuilles que je leur donnerai: les papillors mourrent après avoir fait leurs oeufs, & je niettrai la feuille au Soleil. Quand ces oeufs feront éehaufféi, il en fortira de petites chenilles, qui fileront anlTi - tot qu'elles feront au monde, comme vous voyez fiier les araiguét s; & de ce lil elles fe batiront une maifon, pour fe cacher durant 1'hiver, afin de ne pas fentir le froid. Mi/s  V. DlALOGUE. p7 Mifs Molly. Qui eft-ce qui ieur donnera de quoj faire du ril y ma Bonne ? Madem. Bonne. Le bon Dieu qui les a créées, leur donne tout ce qui efl nécelTaire pour vivre & fe conlèrver; ainfi elles ont dans leur corps un magazin, oü elles trouvent de quoi faire le fil nécelTaire pour batir leur maifon. Lady Mary. Vous dcnrerez a manger a ces petites chenillcs, ma Bonne; mais celles qui reftent dans les champs, qui elt- ce qui leur porce a manger dans leur petite maifon.2 Madem. Bonne. Perfonne, ma chère, mais elles n'ën ent pas befoin, & ne mangent que quand elles font plus grandes. Quand il fera chaad, eiles fortïront de leur maifon, & après avoir mangé quelque tems.  §8 V. DlALOGUE. tems, vous les verrez fe batir un tombeau, oü elles ie coucheront, & deviendront comme mortes. Elle resfembleront alors a une fève ; mais, quelque tems après, cette fève remuera. II en fortira une tête, des jambes , des ailes, & enfin un joli papillon , comme celui - ci, qui fe nourrira de fleurs, jufqu a ce qu'il ait fait fes oeufs, & qu'il meure. Lady Mary* Et nous verrons tout cela, ma Bonne? Madem. Bonne. Oui, ma chère, vous verrez tout cela, & quantitè d'autres belles chofes, fi nous allons a la campagne enfemble, comme je 1'efpère. En attendant, je vai laire chercher une douzaine de papillons, & je les garderai dans mon cabinet, ou je ferai mettre des fleurs nouvelles tous les jours, & nous leur rendrons fouvent vifite. Allons préfentement prendre le thé , & enfuite uotts répéterons notre hiftoire: c'eft votre tour , Mifs Mali}. Mifs  V. DlALOGUE» 90 Mifs Molly, Longtems après la mort d9Adam & &9Eve, les hommes devinrent fi méchans , que le bon Dieu ne put, les fouffrir. Ils mentoient, étoient gourmands, fe mettoienr. en colère, ne faifoient jamais leurs prières; en un mot, ils ne faifoient que du mal. Dieu réfolut de les punir. Mais c >mme il y avoit un honnête homme parmi ces mé* chans , Dieu lui commanda de faire une grande maifon de bois, & d'y mettre toures fortes d'animaux. Cet honnête homme fe nommoit iVbë, & quand la maifon fut faite, il y entra , fa femme & fes trois fils qu'on appelloit Sem, Cham & Japhet; ils avoient auffi leurs femmes. Quand ils furent dans cette grande maifon, qu'on appelloit VArc'ie, Dieu fit tomber tant de pluie , tant de pluie, qu'il y en avoic par deflus toutes les maifons, les arbres & les montagnes; en forte que tous les hommes furent noyez, auffi bien que toutes les bêtes. No'è ne fut pas noyé comme les autres, car Dieu avoit bien fermé VArche, & elle fe tenoit au - deifus de 1'eau. Quand tous les  300 V. DlALOGUE. les hommes^ furent morts, il ne tomba flus de pluie, & il vint un grand vent,' qui féchi la terre. Aiors Noë ouvrit une iéi être de V Arche, & laiffii fortir m\ corbeau. Le corbeau eft un vilain anirr.al, qui mnnge les corps rnorts; ainfi, comme il en trouva beaueoup fur la terre, il ne revint point dans 1 Arche. Q'ielque tems après , Noê ou vit enco:e Ja fenêtre, & laifla fortir Un beau petit pigeon. Le pigeon cueillit une branche d'arbre, & 1'r.pporta dfes fon bec. Eefuite, Dieu dit & Noë de fortir de VArche. Noë fe mit' a $ènöux avec toute fa familie, pour reine cier Ie bon Dieu; en même tems il vit au Ciel une grar.de chofe qui étoit bleue, rouge, verre, violette; cela s'appelloit un Are en ciel, & le bon Dieu lui dit, eer Are en-ciel je vous Penverrai fouvent, pour vous faire fouvenir qu'il n'y sura jamais un autre déluge; c'eft-a-dire, de fi grandes pleies fur la terre. Lady Mary. Ma Bonne > qui eftSce qui donna I manger a Noë, a fes enfans & a toutes  V. DlALOGUE 101 trs les bêtes, pendant le tems qu'ils furent dans 1'Arche? Madem. Bonne» Ils avoient mis de quoi vivre dans 1'Arche. Vous avez été en Irlande, ma chète; eb bien ! vous étiez dans un vailTe^u , qui écoit presque comme 1'Arche, & il y avoit de quoi manger, paree qu'on y en avoit mis. Lady Mary. Cela eft vrai, ma Bonne, il y avoit Hufli des féi êLi es ; i'avois peur a tout moment que cela n'enfoncat dans 1'eau. D' ü viert le vaifteau fe tenoit il fur 1'eau, rendant que mon couteau, que j'ai laiffé tomber, eft allé teut au fond de la mer? Madem. Bonne. C'eft que 1'eau, qui étoit fous le vailTe?u, étoit plus péfante que lui, & le foute noit; au lieu que votre couteau étoit plus péfant que 1'eau, & qu'elie n'a pu le foutenirc Lady  t02 V. DlALOGUE, Lady* Spirituelle. Mais, ma Bonne, un vailTeau eft plus lourd qu'un couteau. Madem. Bonne. Cela eft vrai, ma chère ; mais aufli, il y a ure plus grande quantiré d'eau qui le foutient; au-beu qu'il n'y en avoit guère fous le couteau. Si on faif it un vailTeau de fer, il Troit au fond : eflayrns cela dans le baiïïn qui eft au bout du jardin; je vais prendre un morceau de bois gros comme le plomb qui eft dans ma manche. Eh bien! vous vcyez que le bois n'enfon» ce pas 1'eaumais le plomb 1'enfonce , paree qu'il eft plus lourd qu'elie. Ce petit oifeau , qui eft fur cetre branche, ne la fait pas plier, paree qu'elie eft plus lourde que lui; fi j'y monrois, je la ferois cafïer, paree que je fuis plus lourde qu'elie. Lady Mary. J'entends a préfent, ma Bonne, & «juand je retournerai en Ir lande, je n'aurai  V. DlALOGUE* I®3 i n'aurai plus peur, car je penferai que le vailTeau ne peut pas enfoncer, pari| ce que 1'eau eft plus lourde que lui. Madem. Bonne, Eb bien! Mifs Molly, 1'hiftoire que nous venons de répéter, ne vous a-telle point fait venir quelque bonne !| penfée ? Mifs Molly. Oui, ma Bonne; comme Noë st ; d'abord penfé a remercier le bon Dieu, je n'oublierai pas a le remercier tous les jours, de tout ce qu'il m'a donné. Lady. Mary, Mademoifelle, eft-ce que le bon Dieu vous donne quelque chofe ? ii ne m'a jamais rien donné, a moi. Madem. Bonne. Que dites • vous, ma chère ? il vous a donné votre corps, votre ame, vos yeux , vos oreilles, vos pieds, vos m»ns.  104 V. DlALOGUE, mains. II vous donne ce que vous mangez, vos habits ; en un mot, il vous donne tout ce que vous avez. Lady Mary» Pardonnez- moi, ma Bonne, c'eft Maman qui me donne mes robes & ce ^ue je mange. Madem. Bonne» Souvenez-vous bien , ma chère , que le bon Dieu a tout fait, & que tout lui appartient : s'il n'avoit pas donné d'argent a votre Maman, pour vous acheter des habits, du pain, & toutes les chofes dont vous avez befoin, vous n'auriez rien du tout. Lady Mary. Oh, que je vais aimer le bon Dieu! qui me donne toutes ces chofes. Madem. Bonne. Cela eft bien jufte, ma chère, & pour montrer au bon Dieu que -vous 1'ai-  V. DlALOGUE. ( 105 1'aimez, vous ferez bien bonne, car cela lui fait beaueoup de plaifir. Lady Mary. Le bon Dieu a-t-il aufli fait m* Grand* Maman, qui eft en Ir lande. Madem. Bonne. II fait tout ce qui eft fur la terre & dans le Ciel, mes enfans. Mais je crois qu'il va pleuvoir, remontons dans ma chambre. Lady Charlotte. Ah, ma Bonne! regardez de ce cê» té-la, je crois que voilé, cette belle machine que vous appellez PAre» en -ciel; oh, les belles couleurs! Madem. Bonne. Vous avez raifon, ma chère; eh bien! quand on voit cela, il faut fe fouvenir, que c'eft la marqué que lebon Dieu nous donne, qu'il a fait la patx «vee les hommes. II ne faut donc jamais  10(5 V. DlALOGUE. mais regarder F Are en-ciel, fans le remercier dans fon coeur de la bonté , qu'il a eue de nous pardonner. Montons vite, je fens déja des goutes de pluie ; mais il eft fix heures fonnées, il faut vous retirer, Mesdames. Lady Senfee va fe coucher de bonne heure. Je vous attends après demain; mais furtout, qu'on ne dine pas fi vite. Lady Spirituelle. r Nous mangerons doucement, ma Bonne, mais en récompenfe , nous aurons un conté avant le thé. Madem» Bonne. Oui, Mesdames, je vous le promets. VI. DIA-  V !♦ D ï a l 0 C U E, 10J VI. DlALOGUE. Quartième journée. Nous avons été une demi -heure a table, ma Bonne, nous aurons une hiftoire. Madem. Bonne. De tout mon coeur, mais Lady 'Charlotte n'a-t - elie rien a me donner 2 Lady Charlotte. Oui, ma Bonne , voüa un papier,' oti il y a de vilaines chofes; mais je vous prie, lifez-le tout bas. Madem. Bonne. Oui, ma chère, je le lïrai pendant ique nous prendrons le thé; Eh bienl (Mesdames, il faut tenir ma parole & Ivous dire un conté ; affeyez - vous, j$ jvai payer mes dettes. Tom. L F Conti  IC8 VI. DlALOGUE. Conté du Prince Fa tal & du Prince Fortune. II y avoit une fois une Reine, qui «ut deux petits garcons beaux comme le jour. Une fée, qui étoit bonne amie de la Reine, avoit étc priée d'être la marraine de ces Prirces, & de leur faire quelque don: jcdoue Tainé,, dit- elle , de toures forres de malheurs, jufqu'a 1'age de vingt-cinq ans, & le nomme FataL A ces parolcs, la Reine jetta de grands cris, & coi jura la fée de changer ce don. Vous ne fa* vez ce que vous demandez , dit-elle i la Reine; s'il n'eft pas maiheureux, il fera méchant. La Reine n'ofa pius rien dire; mais elle pria la fée de lui laiiTer choifir un don pour fon fecond fils. Peut être choifirez vous tout de travers, répondit la fée; mais n'importe; je veux bien lui accorder ce que vous me demanderez pour lui. Je ibuhaite, dk la Reine, qu'il réufjiffe toujours dans tout ce qu'il voudra faire ; c'eft le mcyen de le rendre parfait. Vous pourriez vous tromper, dit la fée; afrifi, je ne luiaccorde ce don, que jusqu'a £5. ans. On  VI. DlALOGUE. IO9 On donna des nourrices aux deux petitsPrinces, mais dès le troifième jour, la nourrice du Prince ainé eut la fièvre; on lui en donna une autre, qut fe cafïa la jambe en tombant; une troi« fième perdit fon lait, auflitót que le Prince Watal commenca a la téter; & le bruit s'étant répandu, que le Prince portoit malheur a fes nourrices, perfonne ne voulut plus le nourrir , ni s^approcher de lui. Ce pauvre enfant, qui avoit faim, Crioit, & ne faifoit pourtant pitié a perfonne. Une groffe païfanne, qui avoit un grand nombre d'enfans, dit qu'elie auroit foin de lui, fi on vouloit lui donner une groffe fomme d'argent; & comme le Roi & la Reine n'aimoient pas le Prince Faiel, ils donnèrent k la nourrice ce qu'elie demandoit, & lui dirent de le porter a fon village. Le fecend Prince , qu'on avoit nommé Fortunè, venoit au contraire -a merveille. Sou papa & fa maman 1'aimoient a la folie, & ne penfoient pas feulément k 1'ainé. La méchante femme a qui on 1'avoit donné, ne fut pas plutot chez elle, qu'elie lui öta les beaux langes, dont il étoit enveloppé, pour les.don* E & jser  IIO VI. DlALÓGUF. ner a un de fes fils, qui étoit de Page de Fatal; &, aïant enveloppé le pau* vre Prince dans une mauvaife jupe, elle le porta dans un bois, oü il y avoit bien des Bêtes fauvages, & le mit dans un trou, avec trois petits lions, pour qu'il fuc mangé. Mais la Mère de ces liors ne lui fit point de mal, & au contraire, elle lui donna a téter, ce qui le rendit fi fort, qu'il couroit tout feul au bout de fix mois. Cependant le fils de la nourrice, qu'elie faifoic pafier pour le Prince, mourut, & le Roi & la Reine furent charmes d'en étre débarafies. Fatal refla dans le bois jusqu'a deux ans, & un feigneur de la Cour, qui alloit a la chaifè, fut tout étonné de le trouver au milieu des Bêtes. II en eut pitié, 1'emporta dans fa maifon, & aïant appris, qu'on cherchoit un enfant, pour tenir compagnie a Fortunè, il prefenta Fatal a la Reine. On donna un Maitre a Fortuné pour lui apprendre a lire; mais on recommanda au Maitre de ne point le faire pleurer. Le jeune Prince, qui avoit entendu cela. pleuroit toutes les ^fois qu'il prenoit fon livre; en forte <$u'a cinq ans, il ne connoüToit pas les  VI. DlALOGUE. Itï les Lettres; au-lieu que Fa'al lifoit parfaitement & favoit déja éenre. (Pour faire peur au Prince, on commanda au Maitre de fouëtter Fatal toutes les fois que Foituné manqueroit a fon devoir; ainfi, Fatal avoit beau s'appüquer & être fage, cela ne 1'empêehoit pas d'être bami; d'aiileurs, Fortunê étoit fi volontaire & fi' méchant, qu'il maltrakoit toujours fon frère, qu'il ne connoifibit pas. Si on lui donnoit une pomme, un jouet, Firtuné le lui ar« rachoit des mams; il'le faifoir taire, quand il vouloit parler, il 1'obligeoit a parler quand il vouloit fe taire; en un mot, c'étoit un petit martir, dont perfonne n'avoit pitié. lis vecurerst ainfijufqu'a dixans, & la Reine étoit fort furprife de 1'ignorance de fon fils. La fée m'a trompée , difoit ede; je croyois que mon fils feroit le plus lavant de tous les Prmces, puisque j'ai fouhaité qu'il réüffit dans tout ce qu'il vourfreit entreprendre. Elle fut confulter la fée fur cela , qui lui dit; Madame, il falloit fouhaiter a votre fils de la bonne volonté, plutöt que des talens; il ne veut q.i'être bien méchant, & il y réüfia. comme vous le F 3 voyez.  112 VI. DlALOGUE. voyez. Après avoir dit ces paroles h la-Reine, elie lui tourna le dos: cette pauyre PrincelTe, fort affligée, retourna a fon palaïs. Elle voulut gronder Fortuné, pour 1'oMiger a mieux faire; mais, au-lieu de lui promettre de fe ccrriger, il dit que fi on le cbagrinoit, il fe laiflèroit mourir de faim. Alors la Reine, toute effrayée, le prit fur les genoux, le bafcfa, lui donna des bonbons, & lui dit, qu'il n'étudieroit pas de huit jours, s'ü vouloit bien manger co mme a fon orainaire, CependaHt le Prince Fatal étoit un prodige de feïence & de doueeur, il s'étoit tellement accoutumé a être contree.it, qu'il n'avoit point de volonté , & ne s'atrachok qu'a prévénir les caprices de Fortuné. Mais ce méchant enfant, qui enrageoit de le voir plus habile que lui, ne pouvoit le fouffrir, & les gouverneurs, pour piaire a leur jeune Maitre, battoient a tous momers Fatal E fin, ce méchmt dit a la Reine, qu'il ne vouloit plus voir Fatal, & qu'0 ne mangeroit pas qu'on ne Peut chaiTé du palais. Voüa donc Fatal dans la ruë ; & comme on avoic peur de déplaire au Prince, perfonne^ liQ  VI. Dialogee. lt$ ne voulut le recevoir. II pafïkla nuit fous un arbre, mourant de fro'.d, car c'étoit en hyver, & n'aiant pour fon foupé, qu'un morceau de pain, qu'on lui avoit donné par charité» Le lendenen matin, il dit en lui-même ; je ne veux pas refter ici a rien faire, je travaillerai pour £agner ma vie , jusqu a ce que je fois aflez grand pour alier a la guerre. Je me fruviens d'avoir lu dans les hiftoires, que de Umples foldats font devenus de grands Capitaines; peut êre^auvai-je le même bonheur, ü je fuis hoWye homme. je n'ai ni Père, ni Mère: mais D eu eft Ie Père d>s orphHius; il ma' donné une Honne pour nourrice , il ne m'abandonnera pis. Ap. ès avoir dit cela, Fatal fe leva, fir fa prièr?r car il ne manquoit jamais a orier Dieu foir & matin , & quand il prioit^ il avoit les yeux baiffés, les mains jointes, & il ne tournoit pas la tê:e^de cócé & d'autre. Un païfan, qui pasfa . & qui vit Fatal, qui prioit Dieu de tout fon coeur, dit en lui*même: je fuis für que cet enfant fera un honnête garce.n; j'ai envie de le prendre pour garder mes moutonsi Dieu me F 4 bé*  1X4 UI. DlALOGUE. bénira h c&ufe de lui. Le païfan attendn que Fatal eut fini fa prière, & lui dit: Mon petit ami, voulez vous veriir garcer meg mourons? je vous nourrirai & j'aurai foin de vous. je le veux bien, répondit Fatal, & je"ferai tout mon poffible pour vous bien fervir. Ce païfan étoic un gros fermier, qui avoit beaueoup de valets, qui le voloient fort fouvent; fa femme & fes enfans le voloient auffi. Quand ils virent Fatal, ils furent bien conrens; c'eft un enfant, difoient - ils, il fera tout ce que nous voudrons. Un jour la femme lui die, mon ami, mon mari eft un avare, qui ne me donne jamais d'argeut; kifie-moi prendre un mouton, & tu diras q.:e ie ioup l'a pmporté. Madame, lui répondit Fatal , je voudrois ce teut mon coeur vous rendre fervlce , mais j'aimerois mi', ux mourir que de dire un menfonge & être un voleur. Tu n'ès qu'un lot, lui dit cette femme; perfonne ne faura que tu as fait cela. Dieu le faura, Madame, répondit Fatal*, ü voic tout ce que nous faifous, & punk les menretrs & ceux qui vclent. Quand la férmière enrendit ces pa-  VI. DlALOGUE* 115 paroles, elle fe jetta fur lui, lui dort» na des louflets, & lui arracha les cheveux. Fatal pleuroit, & le fermier 1'aïant entendu, demanda a fa femme, pourquoi elle battoic cet enfant? Vraifnenc, dit-elle, c'eft un gourmand, je 1 1'ai vu ce matin manger un pot de j crème, que je voulois porter au marcbé. Fi, que cela eft vilain, d'être gourmand , dit le païfan; & tout de fuite, il appella un valer, & lui dit de fouëtter Fatal. Ce pauvre enfant avoit beau dire, qu'il n'avoit pas man; gé la crème , on croyoit fa MaitrelTa \; plus que lui. Après celay il fortic dans i la campagne avec ces moutons, & la fermière lui dit; eh bien ! voulez-vous* a cette heure, me donner un mouton? J'en ferois-bien faché , die Fatal, vous pouvez faire touc ce que vous voudrez concre moi, ma;s vous ne m'obligerea ; pas a mentir. Cetta méchante créature, pour fe venger, engagea tous les autres domeftiques k faire du mal a Fatal. II reftoic a la campagne le jour & la nuk, & au lieu de lui doni ner a manger, comme aux autres va* 1 Iets , -elle ne lui envoyoic que du pain & de 1'eau; 65- quand il revenoit^ eüe> F 5  116 VI. DlALOGUE* 1'accufoit de tout le mal qui fe faifoft dans la Maifon. II paffa un an avec ce fermier ; & quoiqu'il couc iat fur la terre, & qu'il fur fi mal nourri, il devint fi fort, qu'on croyoit qu'il avoit quinzeans, quoiqu'il n'en eüt que treize: d'ailleurs, il étoit devenu fi patiënt , qu'il ne fè chagrinoit plus , quand on le grondoit mal - a« propos» Un jour qu'il étoit a la ferme, il entendit dire qu'un Roi voifin avoit une grande guerre. II demanda congé a fon Maitre, & fut a pié dans le Royaume de ce Prince, pour être foldat. II s'engagea a un Capitaine, qui étoit un grand feigneur, mais il reiïl-mbloit a un porteur de chaife, tant il étoit brutal; il juroit, il battoit fes foldats, il leur voloit la moitié de 1'argent que le Roi donnoit pour les nourrir & les babiller: & fous ce méchant Capitaine, Fatal fut encore plus maiheureux que chez le fermier. 11 s'étoit engagé pour dix ans, & quoiqu'il vit déferter le plus grand nombre de fes camarades , il ne voulut jamais fuivre leur exemple: car il difoit , j'ai recu de 1'argent pour fervir dix ans, je volerois le Roi, fi je manquois a ma parole. Quoique le C&»  VI» DlALOGUE. ir/ Capitaine fut un méchant homme & qu'il maitrairat Fatal, tout comme les autres , il ne pouvoit s'empêcher de Feftïmer ; paree qu'il voyoit, qu'il faifoit toujours fon devoir. II lui donnoit de 1'argent pour faire fes commis* fions, & Fatal avoit la clef de fa chirnbre, quand il alloit a la campagne, ou qu'il üinoit chez fes amis.- Cé 'Ca pi* taine n'aimoit p-is la lecture, mais ü avoit une grande Bibliothéque, pour faire craire a ceux qui venoient chez lui, qu'il étoit un homme d'efprit, car dans ce païs - sa, on penfoit qu'un officier qui ne lifoit pas 1'biftoire, ne feroit jamais qu'un fot & qu'un ignorant. Quand Fatal avoic fait fon devoir de foldat, au-lieu d'aüer boire &: jouër avec les camarades, il s'enfermoit dans la chambre du Capiraine,. & tachoit d'apprendre fon métier, eu lilant la vie- des grands-hommes, & il devint capable de commander unearmée. II y avoit déja fept-ans qu'il. étoit foldat, lorsqu'il fut & la guerre„Son Capitaine prit lix foldacs avec lui. pour aller vifiter un petit bois? & quaneP ii fut dans ce petit bois, les foldats difoit tout-bas, il faut tuër ce mé> F 6 cha&$  ïiB VI. Dia log u'e. chant homme, qui nous donne des coups de canne, & qui nous vole notre pain. 1 Fatal leur dit, qu'il ne falloit pas faire une fi mauvaife action, mais aulieu del'écouter, ils lui dirent qu'ilsle tueroïent avec le Capitaine, & mirent tous cinq i'épée a la main. Fatal fe mit a cóté de fon Capitaine, & fe battit avec tant de valeur , qu'il tua lui lèul quatre de ces foldats. Son Capitaine, voyant qu'il lui devoitlavie, lui demanda pardon de tout le mal qu'il lui avoit fait; & aiant conté au Roi ce qui lui étoit arrivé, Fatal fut fait Capitaine & le Roi lui fit une grolTe peniion. Oh, Dame! fes foldats n'au- j rcient pas voulu tuer Fatal; car il les aimoit comme fes enfans; & , loin de J leur voler ce qui leur appartenoit, il leur donnoit de fon propre argent , quand ils faifoient leur devoir. II avoit foin d'eux , quand i s étoient bleflés, & ne les reprenoit jamais par mauvaife humeur. Cependant cn donra une grande batailïe, & celui qui cömmandoit Tarmée aïant éte tué, tous les officiers & le;j foldats s'enfuirent; mais Fatal cria tout*haut qu'il aimoit mieux mourir les armes a la main. que dt  VI. DlALOGUE. IIO pe fuir comme un lache. Ses foldats : lui crièrent, qu'ils ne vouloient point ' 1'abandonner , & leur bon exemple I aïant fait honte aux autres, ils fe rai> gèrent autour de Fatal, & combatirenr fi bien , qu'ils firent le rils du Roi en: nemi pxïfoanier. Le Roi fut bien content, quand il fut qu'il avoit gagr né la bataille, & dit a Fatal, qu'il le faifoit Général de toutes fes armées. \ II le préfenta" enfuite a la Reine & a la PrincelTe fa fille, qui lui donnèrent leurs mains a baifer. Quand Fatal vit la Princeffe , il refta iinmobile, Elle étoit li belle, qu'il en devint amoureux comme un fou, & ce fut alors qu'il fut bien maiheureux; car il penfoit qu'un homme comme lui, n'étoit pas fait pour époufer une gramj de Princeiïè. II réfolut donc de cacher foigneuiement fon amour, & tous les jours il fouffroii: les plus grands tourmens; mais ce fut bien pis, quand ilapprit que Fortuné-, aïant vu un portrait de la Princelfe, qui fe nommoit Gracieufe, en étoit devenu amoureux, & qu'il envoyoit des Ambalfadeurs pour la demander en mariage. Fat ai penfa mourir. de chagrin ; mais la Prim. F 7 ceflè-  T20 VI. DlALOGUE. ceffe Gracieufe, qui favoir, que Fortu» fiè écoit un prince lache & méchant, pria fi fort le Roi fon Père, de ne la point forcer k 1'époufer, qu'on répondit a 1'Ambasfadeur, que la PrincelTe ne vouloit point encore fe marier. Fortuné qui n'avoit jamais été contredit, entra en fureur , quand on lui eut rapporté la réponfe de ltiPrinceffe: & fon Père, qui ne pouvoit lui rien refufer, tiédara la guerre au Père de Graden Ce , qui ne sten embarafia pas beaueoup; car il difoit, tant que j'aurai Fatal k la tète de mon arraés, ]e ne crains pas d'être batru. 11 envoya donc cherener fon Général, & lui dit de fe préparer a faire la guerre: mais Fatal,, fe jettant a. fes pies, lui dit, qu'il étoit ré dans le Royaume du Pè' re de Fortuné, & qu'il ne pouvoit pas com aure contre fon Roi. Le Père de Gracieufe fe mit fort en colère, & dit a Fatal. qu'fl le feroit mourir, s'il refufoït de lui obeÏT, & qu'au contraire, il lui donneroit la fiile en mariage , s'il remportoit la victoire fur Fortuné.. Le pauvre Fatal9 qui aimoit Gracieufe k la folie, fut bien renté; mais & la fin il fe réfoiut a faire fon de»  VI. D IALO GÜ E. ISt: ; devoir, fans rien dtre au Roi; il quitta I la cour & abandonna toutes fes richesii fes. Opendant Fortuné fe rak k la :l tête de fon armée , pour aller faire la I guerre ; mais au bout de quatre jours;, ! il tomba malade de fatigue; car il étoit il fort délicat, n'aïant jama;s voulu faire i aucun exercice Le chaud, le froid,. i tout 1£ rendoit malade. Cependant 1'AmbafTadeur, qui vouloit faire fa. cour a Fortuné, lui dit qu'il avoit vu a la cour du Père de Gracieufe ce petit | garcon qu'il avoit chafTë de ion palais; ; & qu'on difoit que le Père de Graci* i eujé lui avoit promis fa fille. Fortuné*. a cette nouvelle, fe mit dans une gran» de colère, & auffitót qu'il fut gué i, 1 il partit pour détróner le Père de Gra: cieufe , & promit une groffe fomme : d'argent a celui qui lui ameneroit Fa\ tal. Fortuné remporta de grandes vicI toires, quoi qu'il ne combattït pas lui ! même;, car il avoit peur d'être tué. i Enfin, il afiiégea la ville capitale de fon ennemi, & réfolut de faire donner I 1'afTaut. La veille de ce jour, on lui amena Fatal, lié avec de groffes chaï-nes, car un grand nombre de perfon» jaes s'étoient mifes en chemin pour le  122 VI. DiALOCTjE. - chercher. Fortuné* charmé de fevenger, réfolut, avant de donner 1'affaut, de couper la tête a Fatal, a la vuë des ennemis. Ce jour - la même, ildonna un giand feftin a fes Officiers, parcequMs célébroient fon jour de naiiTance, aïant juftement vingtcinq ans. Les foldats, qui étoient dans la ville, aïant appris que Fatal étoit pris & qu'on devoit dans une heure lui couper Ja tête, réfolurent de péiir, ou de le fauver; car ils fe fouvenoient du bien qu'il leur avoit fait, pendant qu'il étoit leur Général. Ils demandèrent donc permillion au Roi de fortir pour combattre, & cette fois ils furent victorieus, Le don de Fortuné avoit celTé, & comme il vouloit s'enfuir, il fut tué. Les foldats viclorieux coururent öter les chaïnes a Fatal, & dans le même moment , on vit paroitre en 1'air deux ehariots, biillans de lumière. 'La fée étoit dans un de ces ehariots, & le Père & la Aière de Fatal étoient dans 1'autre, mais endornais, Ils ne s'eveillérent qu'au moment, oü leurs ehariots touchoient la terre, & furent bien étonnés de fe voir au milieu d'une aimée. La fée alors s'adrcfTant a la  VI. DlALOGUE» la Reine, & lui préfentant Fatal* lui dit; Madame, reconnoiflez dans ce Héros votre fils aïné , les malheurs qu'il a éprouvés, ont corrigé les défauts de fon caraetè.e, qui étoit violent & emporté. Fortuné, au contraire , qui étoit né avec de bonnes inclinations, a écé abfolument gacé par la flatterie, & Dieu n'a pas permis qu'il vêcut plus longtems, paree qu'il feroit devenu plus méchant chaque'jouiv II vient d'être tué ; mais, pour vous confoler de fa mort, apprenez qu'il étoit fur le point de détröner fon Père, paree qu'il s'ennuioitde n'ètre pas Roi. Le Roi & la Reine furent bien étonnés, & ils embrafiereut de bon coeur Fatal, dont ils avoient enten Ju parler ifort avantageufement. La Princefle Gracieufe & fon Père, apprirent avec joie 1'avanture de Fatal, qui époufa Gracieufe, avec laquelle il vêcut fort longtems parfaitement heureux cc fort vertueux. Lady Charlotte, en falfmt un foupir. Ah! que je fislis contente de voir le pau-  124 VI. DlALOGUE*' pauvre Fatal tranquille. J'avois tou* jours peur que le méchant Fortuné, ne lui fit couper la tête, Madem. Bonne, Je gage qu'il n'y en a pas une de vo.:s, Mesdames, qui ne üoit bien ai* fe que Fortuné ait éte tué. Lady Mary. J'en furs bien contente, moi ; car s'il n'étob pas mort, il auroit toujours cherché a faire du mal a fon frère, Mifs M olly. Ce n'étoit pas la faure de Fortuné d'être ii* méchant, mais ceHe de ion papa & de fa maman: pourquoi favoit- on fi mal élevéV Madem, Bonn'f, Vous avez raifon , ma chère.. Tl me femble, fi j'avois été a la pb. ee de la fée, que j'aurois bien puni cette fote Mère, qui lui donnoit d-.s bonbons pour  VI. DlALOGUE. tt$ ij pour 1'apaifer. Mais, mes enfans, il ilfaut faire une réflexion. Vous aimez 4 toutes Fat ai* & vous haïïïez Fortuné. I Kh bien! nnagmez vous que tes nuiu* mes font tous du même goüt que vous., i Ils aiment les bons», & font fachés, i quand ii leur arrivé du mal; s'il arrivé i un malheur a un honnête - homme , : tout le monde eft trifte, même c5ux ; qui ne le connohTent pas pasticulièrement. Retèrrez bien cela, mes enfims* ( vous êtes de qualité, vous êtes riches: i! ce ne font point ces chofes qui vous i feront aimer & eftimer : mais votre : vertu. A quoi me fert que vous foyez riches , fi vous gardez votre argent : fi vous ne payez pas les ouvriers qui travaiilent pour vous, fi vous latftez mourir les pauvres de faim ? Vous voyez bien que vos richeffes ne vous. rendent pas aimables ; au contraire, toutes les fois que vous refufez d'afiister les pauvres, ceux qui vous voient, < difent en eux-mêmes; oh, la méchante femme, c'eft bien dommage q i'elle foit riche, & il feroit bien mieux que Madame une telle eut tout fon argent, car elle eft bien charitable. Retenez cela. Lady Charlotte , fi vous conti- ,  las IV. Dialocue. nurez a être méchante, on vous mépriferoit, on vous haïroit , quoique -vous foyez Lady. Lady Charlotte Hélas! ma Bonne , cela eft bien vrai. Ma gouvernante, ma fervante, mon papa, ma maman, mes foeurs>, & jusqu'rux fervantes de cuifine, pe?fonne ne me peut fouffrir; mais vous Ia vez que je veux me corriger. Madem. Bonne. Oui ma chère , je Tefpère : & fi vous avez le couragï de fuivre mes confeils, nous viendrons a bout de vous corriger. Lady Charlottf. De tour mon coeur, je ferai ce que vous me ciirez. Madem. Bonne» Par exemple, ma chère; j'ai Iu votre papier en fecret. Lh bien! fi vous étiez*  VL DlALOGUE.' I27 iétiez bonne fille, vous me donneriez lla permiflion de le lire tout • haut. Je Ifti que cela fera bien horrible, & que [vous ferez bien honteufe; mais auffi, ■cela vous aideroit a vous corriger.] Lady Charlotte. -Si vous croyez que cela puifie m'aïSder a me corriger, je le veux bien, Ima JBonne. Madem. Bonne» Oui, je vous le promets. Quand vous aurez en vie de dire, ou de faire quelque fotifj, vous penferez en vous-, même j'ai promis de Fécricure, & on la lira de van t ces Dames; & ia peur de 1'entendre lire vous empêchera de la taire. Voyons donc ce papier; venez a cöré de moi, ma chère, que je vous embrafiè auparavant; car je fuis bien contente de votre courage: voulez-vous lire vous-même? Lady Charlotte. Non, ma Bonne, je fuis trop honteufe. Madem.  M% VI. DlALOGUE. Madem. Bonnf, C'eft bonne marqué, que vous foyez ïionteufe Eh bien! je vai le lire. ff ai refufê cfobeïr a Mademoifelle; je lui ai dit, qu'elie étoit bien hardie de me commander , puisqu'eUe r?étoit que ma fervante. jte lui ai dit auffi, que je fouhaitois la metire fi fort en zolère qu'elie me donndt un coup, pour we caffer unbras, ou une jambe; paree que cela la feroit chaffer de la maifon. Lady Charlotte. Ah , ma Bonne! ces Dames ne vou* drom p us me loufirir dans leur compagnie, h rréfent qu'elles favent com> bien je fuis méchante. Madem. Bonne. IVfais, ma chère, elles voient com* bien vous avez envie de vous corriger. Ecoutez bien, mon enfant, nous nailTons tous avec des défaurs : les bonnêtes gens, quand ils étoient jeunes, en avoient autant que les mé€hans, mais les premiers fe font cor-  VI. DlALOGUE* 129 I Ti gés: voili toute la difTérence qu'il y \ a. Je veux bien vous avouër une choj fe, ma chère, c'eft que quand j'étois c. petite, fétois auffi méchante que vous; i mais par bonheur, j'avois une bonne I gouvernante, qui m'aimoit beaueoup. ! Je fuivis fes confeils, & en deux mois |: je me corrigeai; enforte qu'on ne me I reconnoilToit pas. Je ïie vous dirai I point, combien ce que vous avez dit a votre demoifelle eft horrible , je I veux Poublier paree que vous recon*> noilfez votre faute. Lady S e n s e e , embrajjant Lady Charlotte* Ne pleurez pas, ma bonne amfe, I nous vous aimons de tout notre coeur, ! -& pour moi, je gagerois que vous ne i ferez jamais de pareilles fautes. Lady Spirituelle» Ma Eonne, je lifois il y a quelque j tems, qu'il y a eu un grand philofophe, que tout le monde admiroit, a caufe de ia bonté, Eh bien! il dit un jour qu'il étoit né gourmand , menteur, ivro*  13© VI. DlALOGUE ivrogne, voleur, mais perfonne ne le vouloit croire, paree qu'il s'étoit tout a fait corrigé, Ainfi, quand Lady Charlotte fera grande, on ne voudra pas croire qu'elie ait été méchante ; car elle fera 11 bonne qu'on en fera charmé. Madem. Bonne» Et a préfent, ma chère, on auroit de la peine a croire que vous étiez, il n'y a qu'un mois, une orgueilleufe, qui.prenoit plaifir a parler des defauts des autres , pour les humilier : vous vous corrigez, & il cela continue, je vous aimerai a la folie. Mais, dites moi, je vous prie, le nom de ce philofophe. Lady Spirituelle. II s'appelloit Socrate. Lady mary. Ah! ïe le connois bien, ma Bonne; vous m'avez appris hier Une jolie hiftoire de lui. Madem.  VI. DlALOGUE. I3I Madem. Bonne. Répétez-la a ces Dames, ma chèr3. Lady maby. Socrate avoit une femme bien méJchante; elle lui difoit des injures de* ipuis le matin jufqu'au foir. Un jour qu'elie 1'avoit beaueoup querellé, il forjtit devant Ia porte, pour ne la plus enhendre. Cette méchante femme fut" Ifort fachée de n'avoir plus perfonne j a gronder, & cela la mit 11 fort en collère, qu'elie prit un pot plein d'eau jfale, & jetta cette eau fur la tête de jfon mari. Vous croyez, peut-êtrey tfMesdames, que Socrate fe facha conjtre fa femme ; point du tout, il le imit a rire, & dit a 1'un de fes anus Iqui étoit la, après le tonnerre,il vient [toujours de la pluie. La gronderie de [fa femme il 1'appelloit le tonnerre; & Jl'eau fale s'étoit la pluie, qui avoit ga| té tout fon habit. Lady Sensee. Te fu*s fure que fa femme auroit Tom, I. G mieux  132 VI. DlALOGUE. mieux aimé qu'il 1'eüt battue, que de le voir lire. Madem. Bonne. Vous avez raifon, ma chère. II ne faut paschercher a fevenger, cela eft vPain : mais il eftpourtant vrai, qu'on fe venge j des gens qui nous font du mal, en riant du mal qu'ils nous font. Ils avoient envie de vous facher & vous ne leur donnez pas ce plaTfjr, cela les mortifie beaueoup; mais, comme je vous 1'ai dit, il ne faut pas rire pour les fa- I cher, cela ne feroit pas bien. Au contraire y quand une perfonne vous dit des injures , ou cherche a vous donner du chagrin, il faut dire en vous même, cette pauvre perfonne ne peut me faire du mal, fi je ne me facbe pas; mais elle fe fait beaueoup de mal a elle - même, en cherchant a ] me facher; elle efl bien a plaindre, j'ai pitié d'elle. Moa Dieu, faites lui la grace de fe corriger; je lui pardonne de bon coeur le tort qu'elie a voulu me faire. Car, voyez-vous, mes en- 1 fans, il faut aimer nos ennemis & leur pardonner, fi nous voulons que Dieu nous 1  VI. DlALOGUE. I33 nous pardonne. P;éfentement, Mifs Molly & Lady Mary vont nous racon* | ter leurs hiftoires. Mifs MOLLY. Quand Noé fut forti de VArche* ii j planta la vigne. II vint du raifm k | cette vigne, & Noé fit du vin avec ce ! raifm. Quand ii eut fait du vin, il vouflut favoir quel goüt il avoit; car il n'y S avoit point eu de vin auparavant. D'a. hord il en but un verre, & comme cela lui parut fort bon, il en but encore; : enfin, il but tant, qu'il en perdit la : raifon , & fit des fotifes. Son fils \Cham, au-lieu d'être faché de voir l ies fotifes que fon Père faifoit, fe ! mit a rire, & appel!a fes deux fréres , I Sem & ffaphet, pour fe moquer dé lui; 1 mais fes frères lui dirent; fi; cela eft vi« llain, de fe moquer de fon Père; quand I le papa, ou la maman font mal, il ne ! faut jamais le dire k perfonne. Quand . Noé eut dormi & qu'il eut recouvré : fa raifon, il fut ce que fes enfans a1 voient fait, & dit a Chamx Vous êces » un méchant; paree que vous avez perdu le refpect que vous me deviez, je G 2 vous  I3i VI. DlALOGUE. vcus maudis; & au contraire, je dotane ma bénédicluon a. vos deux frères. Lady Mary. Qu'eft - ce que cela veut dire , je vous maudis? Madem. Bonne. Cela veut dire, je vous fouhaite toutes fortes de malheurs, & je prie Dieu de vous les envoyer. Lady Charlotte. Et le bon Dieu envoye -t-il des malheurs aux enfants maudits? Madem, Bonke. Presque toujours, ma chère. C'eft le plus grand malheur qui puifle arriver a un enfant, que d'être maudit par fon Père & fa Mère. Or, on s'expofe a ce malheur, quand on leur donne du chagrin, en leur défobénTant, en leur parlant fans refpecT;, en fe mariant fans leur permilfion. Lady  VI. DlALOGUE. 135 Lady Spirituelle. Oh! cela eft bien vrai; je connoïs I plufieurs Dames, qui fe font mariées fmalgré leurs parens, elles font les plus imalheureufes du monde ; k ce que Ton dit. Madem, Bonne. Cela eft presque für: ainfi, mes enfans, prenez bien garde a ne pas cba'griner vos Pères &-Mères; car fi , par 'malheur, ils vous maudiltbient, vous 1 feriez bien a plaindre. Voyez auffi , ; combien ii eft dangereux de boire du vin & des liqueurs fortes; cela fait perdre la raifon, & après cela, on faic des fotifes. Lady Spirituelle. Ma Bonne, eft-ce un pêché de boire du vin ? je n'ai jamais perdu la raï: fon en buvant, mais je vous avouerai 1 que j'aime le vin blanc, celui qui eft fucré. G 3 Madem*  »3Ö VI. D I A L O G ü E. Madem. Bonne. II faut, mes enfans, que je vcus raconte une hiftoire, que j'ai luë quelque part; c'eft St. Auguflin qui la rapporre, & cela eft arrivé a fa Mère, qui ie nommoit Monique. Quand elle étoit petite fille, elle avoit une fage gouvernante, qui ce lui permettoit pas de boire de 1'eau, excepté a diner & a fouper. Elle lui difoit, ma chère, tant que vous ètes jeune, vous ne buvez que de Peau , mais quand vous ierez mariée & votre maitreffe, fi vous avez pris 1'habitude de boire a tout momènt fans foif, vous boirez du vin & vous perdrez la raifon. Monique n avoit jamais goüté de vin dans toute la vie, & quand elle eut quatorze ans, Ion papa 1'envoyok a la cave avec la lervantej & un jour elle dit, ie veux voir quel goüt a le vin. Elle "en bur une peate goute, & cela ne lui parut pap trop bon. Le lendemain , ii lui prit fantaifie d'en boire encore; elle en avala quelques gorgées , & trouva qu il étoit mèilleur; enfin, elle s'y accoutuma fi bien, qü'elle en buvoit de grands verres. Heiueufement pour  VI. DlALOGUE. 137 :elle, elle eut une difpute avec fa fer-» , van te, qui i'appella petite ivrognefie: ce reproche la rendit fi honteufe. qu'elie fe'corrigea; car c'eft la plus grande iüjure qu'on puifle dire a une Dame , que de lui reproeher, qu'elie böit beaueoup de vin, du punch & des lt* queurs fortes. Vous voyez par la, mes enfans, qu'il faut bien piendre garde aux mauvaife habitudes, & furtout a eed ;s-la: ; ainfi, vous pouvez boire du vin, quand 1 on vous en donne, car je fuppofe qu'on ne vous en donne guère; mais ii fe! roit épouvantable d'en de mander, ou ; d'en boire fans permiffion. Allons La1 dy Mary , dites-nous votre hiftoire. Lady Mary. Noé & fes trois fils, aïant eu beaueoup d'eafans, le Pais, oü ils demeuroient, leur parut trop petit, & ils réfolurent de batir une grande tour, bien plus haute que le clocher de St. Paul; paree qu'ils vouloient que ceux qui viendroient au monde, quand ils feroient morts, duTent, qu'ils avoient. eu beaueoup d'efprit, de faire un ff G 4 ' bel  133 VI. DlALOGUE. bel ouvrage. Us difioient auffi, fi Dieu vouloit nous noyer une au ere fois, nous raonterions au haut de cette tour , & 1'eau ne pourroit venir juiques-la. Ils commencèrent donc cette tour; mais Dieu fe moqua de leur vanité & de leur folie, car tout dun coup, il leur fit oublier la lamme quils favoient, & leuren apprit une autre; enforte qu'ils ne s'entendoient plus. C'eft comme fi nous oubliions préfentement le Francois &l'Ang!ois; que je parlaffe Latin, que ma Bonne parjat Allemand,~& Lady Senfée VU taliën : nous ferions obligées de nous cn aller, car nous nenous entendrions pas. Les hommes donc furent bien furpris; car, quand 1'un difoit, donnez moi une pierre, 1'autre, qui ne 1'entendoit pss, lui apportoit de 1'eau ou bien du bois. II fallut donc laiiTer la tour, qui étoit dé^a bien avancée; on la nomme Babeï, qui veut dire confufion, & chacun penfa a s'en aller de fon cóté. Les enfans de Cham & de Chanadn fon fils, furent du cö'é de 1'Orient, ceux de Japhet allèrent demeurer a 1'Occident," & ceux de Sem babitèrent dans le Païs d'Jfur. Mifs  VI. DlALOCUE 13» Misf Molly. Ma Bonne , je ne eonnois point tous ces cótés-la. Madem. Bonne. Je vai vous les montrer fur une carte de Géographie, ma chère Voyezvous cette carte ? Le cóté, qui eft tout en haut, s'appelle le AW, oule Septentrion; celui qui eft tout en bas, s'appelle le Sud9 ou le Midi; celui qui eft a votre maia droite, s'appelle VE/r9 ou YOrient; & celui qui eft a votre main gauche, s'appelle VOuefi ou l'Oo \cident. Voyez page 10. Tom. I. de 1'introduétïon a. la Géographie moderne, \par Mr. Palairet. Lady Mary. Ma Bonne, d'ou vient cette carte eft elle de quatre couleurs? Madem. Bonne. Pour marquer ce qui eft terre d'avec te qui eft eau , & pour diftinguer les G 5  Ï40 VI. DlALOGUE. quatre principales parties du Monde, qu'on appelle FEurope, FAfie, FAfriqite, & F Amen que. VÈurope eft au Nord, FAfie eft a FEfi, FAfnque eft au ÓW, & FAmérique eft a FOuefi. Adam a été créé dans FAfie; & nous vivons dans FEurope. Voyez la première Mappemonde de 1'Atlas Méthodi. que de Mr. Palairet. Lady Spirituelle. Dites-moi, je vous prie, lequel des' enfans de Noé, eft notre Père? Madem. Bonne. Uepondez ,' Lady Senfée. Lady Sensêe. C'eft Japhet Lady Mary, Ma Bonne, je crois que cela eft fort joli de connoitre les cartes; vou-« ka-vous bien me la lattier encore re- gar-  VI. DlALOGUE» Ut garder, & me dire ce que toute cette écriture & ces lignes fignifient. Madem. Bonne. Volontiers, ma chère. L'étude de la carte s'appelle la Géographie, & tous les jours, nous en dirons quelque chofe : pour aujourd'hui, nous en avons alfez appris: retenezbien les quatre c6tés du Monde & fes quatre parties, juïqu'a la première lecon. Lady Spirituelle. Ma Bonne, il y a dans la Fable plufieurs chofes qui reiïèmblent a l'Hiftoire Sainte; par exemple , Vage d'éf &c* le dêluge, Ventreprife des géans. &c. Lady Mary. Qu'eft • ce que cès géans, ma Boane f Madem. Bonne. Vous êtes encore trop petite pour apprendre cela. G 6 Lady  142 VI. DlALOGUE. Lady Mary. Ah\ ma Bonne, je ferai bien fage: dites-moi cela, je vous prie; je vous écouterai bien. Madem, Bonne. Je vous gate, je penfe, car je fais tout ce que vous voulez. Ecoutez donc bien. Après le déluge , les hommes ne favoient pas encore écrire; ainfi il n'y avoit point de livres. Lady Charlotte. Comment donc avons nous pü favoir Phiftoire d'Adam, puis qu'on ne Fa pas écrite? Madem. Bonne. Adam conta cette hifboire a fes enfans ; fes enfans 1'apprirent a Noé. Quand Noé fut forti de VArche, il la die a fes fils , & il leur ree .mmanda de 1'apprendre auffi a leurs enfans. Sem, qui étoit bieu obéïifant a fon Père lui obéït,  VI. DlALOGUE. I43 obéït, & jamais fes enfans ne 1'oublièrent; mais Cham & Japhet n'y penferent pas beaueoup; ils en parloienc quelquefois , mais par manière d'acquic. Les quatre fils de Japhet vinrent demeurer dans un païs, qu'on appelloit la Grece, & on les nomma Grecs 1 or les Grecs aimoient beaueoup les contes & les fables, & ils en compofoient fur tout ce qui arrivoit. Au lieu de rapporter les hiftoires comme leurs pères les leur avoient apprifes, ils en firent des fables, & voici celle qu'ils firent a 1'occafion de la tour de Babel. Mais , avant de vous dire cette lable, ii faut que je vous apprenne que ces Grecs étoient des méchans, qui, au lieu d'adorer le Bon-Dieu adoroient les hommes, & avoient une religion extravagante. 11 y avoit eu plufieurs Ro is nommés Jupiter; ils firent un Dieu de ces Rois , & toutes les bonnes & les mauvaifes actions, que ces Rois, nommés Jupiter, avoiei t faites, ils difoient qu'elles étoient faites par une feule perfonne, qui étoit Jupiter, Roi du Ciel. Ils difoient encore, que les Géans étoient de grands hommes, grands G 7 coia-  144 VI. DlALOGUE. comme cette maifon, & qu'ils eurent envie de chaffer Jupiter du Ciel; mais comme ils n'avoient pas une échella affez grande pour y monter, ils prirent les plus grandes montagnes, &, les mettant les unes fur les autres, ils en firent une échelle. lis étoient bien prés d'y atteindre, mais Jupiter les tua a coups de tonnere , & ceux qui ne furent pas tués il mit fur leurs corps ces groffes montagnes qu'ils avoient apportées. Vous comprenez bien, mes enfans, que cette fable n'eft pas vraie. Lady Mary. A merveille, ma Bonne. Ces montagnes , cela veut dire les pierres dont les enfans de Noé faifoient une tour; & ce tpnnerre, cela veut montrer comment Dieu les attrapa, en leur faifant oublier leur iangage, pour en par Ier un autre. Madem. B o nnl Voila ce qui s'appelle une fille d'efpvit; eh bien! puifque vous compremez cette fable, je vai vous dire une autre  VI. DlALOGUE. I.4# autre folie des Grecs. Savez-vous ce que c'eft qu'un tremblement de terre? Misf Molly. Non, ma Bonne. Lady Mary, & Lady Charlotte» Ni moi non plus. Madem. Bonne. Lady Senfée & Lady Spirituelle le favent bien: mais je vais ie répéter,, a caufe de vous, Mesdames. 11 arrivé quelquefois , que tout d'un coup la terre branie fous nos piés, & fait branIer toutes les maifons ; les Grecs difoient que la terre trembloit toutes les fois que les Géans, qui étoient fous les montagnes, tachoient d'en fortir. Lady Spirituelle. t Cela eft bien foü; mais je vous prie, dites-nous la vérité. Qu'eft-ce qui fait trembler la terre? Madem*  U<5 VI. DlALOGUE Madem. Bonne. J'ai oui dire que ce font de grands feux, ou des vents renfermés dans la terre, qui veulent fortir, & qui quelquefois font un trou, & fortent. Lady Mary, joignant les mains. O mon Dieu, ma Bonne, que cela eil: horrible, de voir fortir du feu de la terre! je mourrois de peur, s'il y avoit un tremblement de terre a Lottdres; nous ferions tous brülés. Madem. Bonne. Oh! que non ma chère. 11 y a trois païs fur-tout, oü 1'on trouve trois grartdes montagnes qui jettent du feu. On appelle cela des /'o/cans; retenez ce mot, mes enfans; mais le feu qui fort de ces Fok ans ~ n'empêche pas qu'il n'y ait des gens qui demeurent dans ces trois païs. Lady Charlotte. Comment appelle -1 - on ces païs, ma Bonne ? Madem.  VI. DlALOGUE. 147 Madem, Bonne. II y a un Fbïcan dans VItalië* prés ] d'une ville qu'on appelle Naples, & il 1 eft fur le haut d'une grande monragne , | nommée Vèfuve. II y en a un autre i dans rille de Steile, fur une grande \ montagne qu'on nomme Etna: & un I autre dans 1'lfle dVJlaade* fur la mon* j tagne d'Hécla. Lady Mary, Qu'eft ce qu'une Ifle, s'il vous plaitl Madem. Bonne. Je feröis charmée de vous PapprenI dre aujourd'hui, mes enfans ; mais it I eft fept heures paffées; ii faut nous i quitter, ce fera pour la première fois. '!, Adieu , mes bons enfans, Continuez ; a être bien fages; je recommande cela, I fur-tour, a Lady Charlotte. Si elle jfe corrige d'ici a la première lecon, i elle aura un joli conté, VIL  148 VIL DlALOGUE. VIL DlALOGUE. Cinquième Journée. Madem. Bonne. Bon Jour , Mesdames ;attendezun peu, ie vous prie, je veux regarder Lady Charlotte entre deux yeux.... Je gage qu'dle n'a pas faic beaueoup de fotifes, car elle a 1'air bien content. Lady Charlotte. Ma Bonne , j'ai commencé beaueoup de fotifes, mais je n'en ai pas fini une feule. Hier, j'ai dit a ma fervante, vous êtes une imper ....* & puis , je me fuis arrê'ée tout d'un coup; une autre fois, j'ai levé la main pour la battre, mais je ne 1'ai pas fait. Madem. Bonne. Je vous 1'ayois bien dit, ma chère, que vous vous corrigeriez. Cela ira de mieux en mieux, j'en fuis füre. Puis-  VIL DlALOGUE. 149 pujsque vous m'avez term parole , il eft ju'fte, que je vous rienne la mienne. Allons nous aileoir fous les arbres, dans le jardin, en atrendant 1'heure du thé, je vous dirai le conté que je vous ai promis. Conté du Prince Charmant. II y avoit une fois un Prince, quï perdit Ton père, quand il n'avoit que feize ans. D'abord il fut un peu trifte ; & puis, le plaifir d'être Roi le confola bientöt. Ce Prince, qui fe nommoit Charmant, n'avoit pas un mauvais coeur; mais il avoit été élevé en Prince, c'eft»a-dire, a faire fa volonté ; & cette mauvaife habitude 1'auroit lans doute rendu méchant par la fuite. II commencoit déja a fe tacher, quand on lui failöir voir qu'il s'étoit trcmpé. Ii négligoit fes affaires pour fe divertir , & fur-tout, il aimoit ü paüionnément la chafte, qu'il y paftbit prefqtie toutes les journées. On 1'avoit gaié , comme on fait tous les Princes. II avoit pourtant un bon gouverneur, & il Paimoit beaueoup, quand il étoit jeune; mais, lorsqu'ü fut de- venu  ÏJO VII. DlALOGUE, venu Roi, il penfa que ce gouverneur étoit trop vertueux. Je n'oferai jamais iuivre mes fantaifies devant lui, difoit-il en lui-même ; il di.t qu'un Prince doit donner tout fon remsaux affaires de. fon Royaume; & j'aime mes plaiürs, Quand même il ne me diroit rien, il leroit trifte, & je connoitrois a fon vifage, qu'il feroit méconttnt ue moi: il faut 1'éloigner, car ii me gêneroit. Le lendemain , Charmant aflembla fon Confeil, donna de ranaes louanges a Ion gouverneur, & it que Dour le récomnen fer dn fhin qu'il avoit eu de lui, il lui donnoit le Gouvernement d'une Province , qui étoit fort éïoigné- de la Cour. Quand fon gouverneur fut parti, il fe livra aux phifirs, & fur - tout & la cbaflè, qu'il aimoit palfionnément. Uu jour que Charmant étoit dans une grande forêt, il vit paffer une biche, blanche comme la neige; elle avoit un collier d'or au coti, & lorsqu'elle fut proche du Prince elle le regarda fixement, & enfuite s'éloigna. Je ne veux pas qu'on la tue, s'écria Charmant. II coromanda donc a fes gens, de refter ia avec fes chiens, & il fuivit la biche. 11 fem-  VIL DlALOGUE. IJl fembloit qu'elie 1'attendoit; mais lorsqu'il étoit proche d'elle, elle s'éloignoit en fautanc & gambadant. II avoic tant d'envie de la prendre, qu'en la 1 fuivant, il fit beaueoup de chemin, I fans y penfer. La nuit vint, & il perdic la biche de vuë. La voila bien ! embarraffé; car il ne favoit oü il étoit. ', Tout-d'un coup, il entendit des inftrumens; mais ils paroifToient être ; bien loin. II fuivit ce bruit agréable, & arriva enfin a un grand Chateau, oü Ton faifoit ce beau concert. Le portier lui demanda ce qu'il vouloit, & le Prince lui conta fon avanture. : Soyez le bieu venu, lui dit cet homme. On vous attend pour fouper; car j la biche blanche appartient & ma maitreffe: & toutes les fois qu'elie la faic fortir, c'eft pour amener compagnie. En même tems, le portier fiffla , & plufieurs domeftiques parurent avec des flambeaux, & conduifirent le Prince dans un appartement bien éclairé. Les meubles de cet appartement n'étoit point magnifiques; mais tout étoit propre & fi bien* arrangé, que cela faifoit plaifir a voir. Aulïï*töt, il vit paroitre la maïtreffe de la maifon: Charmant  152 VII. DlALOGUE. mant fut ébloiri de fa beauté. & s'étant jetté a fes pleds, il ne pouvoit parler, tant il étoit oceupé a Ia regarder. Levez-vous, mon Prince, lui dit-elle, en lui donnant la main. Je fuis charl mée de 1'a imiration que je vous caufe: vous me paroilTez fi aimable, que je* •foubaite de tout mon coeur, que vous foïez celui qui doit me titer de ma folitude. Je m'appelle Fraie ghire, & je fuis immortelle. Je vis dans ce Chateau , depuis le commencement du Monde, en attendant un mari; un grand nombre de Rois font venus me voir; mais, quoiqu'ils m'eulTent juré une fidélité éternelle, ils ont manqué a leur parole, & m'ont abandonnée pour la plus cruelle de mes ennemies. Ah ! belle PrincelTe , dit Charmant, peut-on vous oublier, quand on vous a vue une fois f Je jure de n'aimer jamais que vous, & dès ce moment, je vous choifis pour ma Reine: & moi je vous accepte pour mon Roi , lui dit « Fraze-GIoire; mais il ne m'eftpar permis de vous époufer encore. Je vais vous faire voir un autre Prince , qui eft dans mon Palais, qui prétend auffi m'époufer: fi j'étois la maïtreffe , je vous  VII. DlALOGUE. I53 i vous donnerois la préférence, mais ceI la ne dépend pas de moi. II faut que ! vous me quitriez pendant trois ans, & I celui des deux, qui me fera le plus fi| dèle pendant ce tems, aura la préfei rence. Charmant fut fort afrligé de ces paroi les ; mais il le fut bien davantage, quand il vit le Prince dont Vraie* Ghirelva. avoit parlé. II étoit fi beau, il avoit tant d'efprit, qu'il craignit que Vraie- ghire ne 1'aimat plus que lui. II fe nommoit Ahfolu, & il polTédoit un grand Royaume. lis foupèrent tous les deux avec Frak-ghire, & furent bien triftes, quand il fallut la quitter le matin. Elle leur dit qu'elie les att'endoit dans trois ans, & ils fortirent enfemble du Palaïs. A peine avoienils marché deux eens pas dans la Forêt, qu'ils virent un Palais bien plus magnifique que celui de Vraie-ghire: Por, 11'argent, lemarbre , les diamans éblou| ïfibient les yeux; les jardins en étoient magnifiques, & la curiolité les engaj gea a'y entrer. Ils furent bien furpris ï d'y trouver leur PrincefiTe; mais elle j avoit changé d'habit; fa robe étoit toute garnie de diamans, fes cheveux en étoient  ÏJ4 VII. DlALOGUE. étoient ornés; au lieu qu« la veille, fa i parure n'étoit qu'une robe blanche,, garnie de fleurs. Je vous montrai hier 1 ma maifon de campagne, leur dit* elle,, elle me plaifoit autrefois; mais puis- ■ que j'ai deux Princes pour amans, je rie la trouve plus digne de moi. Je Pai abandonnée pour toujours, & je vous attendrai dans ce Palais, car les Princes doivent aimer la magnifkence. L'or & les pierreries ne font faits que pour eux, & quand leurs füjets les voient fi magnifiques, ils les refpeétent davantage. En même tems, elle fit palier fes deux amans dans une grande falie, Je vais vous montrer, leur dit elle, les portraits de plufieurs Princes qui ont été mes favoris. En voila un qu'on nommoit Akxandre, que j'aurois époufé; mais il eft mort trop jeune. Ce Prince, avec un fort petit nombre de foldats , ravagea toute VJ/ie , & s'en rendit maitre. II -m'aimoit a la folie, & rifqua plufieurs fois fi vie pour me plaire. Voyez cet autre : on le nommoit Pyrrhus. Le défir de devenir mon époux, Pa engagé a quittar fon Royaume pour en acquérir d'autres ; il courut toute fa vie, & fut tué mal-  VIL DlALOGBTE. IJS ma'lheureufement d'üile tuile , 'qu'une femme luijecta fur la têce. Cet autre ft nommoit Jules Cèfar; pour mériter mon coeur, il a fait pendant dix ans la guerre dans les Gaules; il a vaincu \Pompée , & foumis les Romains. II eüt été mon époux; mais aïant , contre mon cónfeil, pardonné a fes ennemis, ils Jjui donnèrent vingt deux coups de poignard. La PrincelTe leur montra encore un grand nombre de portratts, & leur aïant donné un fuperbe dejeuné, qui fut fervi dans des plats d'or, elle leur dit de continuer leur voyage. Quand ils furent fortis du Palais, Ahfolu dit a Charmant'-, avouez que la PiincelTe étoit mille fois plus aimable aujourd'hui, avec fes beaux habits, qu'elie n'étoit hier, & qu'elie avoit auffi beaueoup plus d'efprit. Je ne fais, répondit Charmant. Elle avoit du fard aujourd'hui, elle m'a paru changée, h caufe de fes beaux habits; mais aiïïVément elle me plaifoit davantage fous fon habit de bergère. Les deux Princes fe féparèrent, & s'en retourneren t dans leurs Royaumes, bien réfolus de faire tout ce qu'ils pourroient, pour plaire a leur maitrelle» Tom, I» H Quand  ijö* VIT. Dialocue. Qucnd Charmant fut dans fon Palaïs, il fe reflbuvint qu'étant petit, fon gouverneur lui avoir fouvent parlé de Vraie -, ghire, & il dit en lui même, puisqu'il connoit ma PrincelTe . je veux le faire revenir a ma Cour; il m'apprendra ce que je dois faire pour lui plaire. II envoya donc un courier pour le chercher, & auffi-tót que fon gouverneur, qu'on nommoit Sincêre, fut arrivé, il le fit venir dans fon cabinet, & lui raconta ce qui lui étoit arrivé, Le bon Sincére, pleurant de joie, dit au Roi: Ah, mon Prince, que je fuis content d'étre revenu! fans moi vous auriez perdu votre PrincelTe. 11 faut que je vous apprenne qu'elie a une foeur, qu'on nomme Fauffe* ghire. Cette méchante ciéature n'eft pas ft belle que Vraieghire, mais elle fe fardé pour cacher fes défauts, Elle attend tous les Princes qui fortent de chez Vraie ghire ; & comme elle relïemble a fa foeur, elle les trcmpe. Ils croient travailler pour Vraie * ghire, & ils la perdent en fuivant les confeils de fa foeur. Vous avez vu que tous les amans de FauJJe* ghire périftent miférablement. Le Jïpnct dbfolu, qui va fuivre leur exem- ple,  VII. DlALOGUE.' 157 ple, ne vivra que jufqa'a trente ans; mais fi vous vous conduifcz par mes confeils, je vous promets qu'a la fin, vous ferez Pépoux de votre Princefie. Elie doit être mariée au plus grand Roi du Monde: travaillez a le devenir. Mon cher Sincère, répondit Char^ mant, tu fais que cela n'eft pas poffible. Quelque grand que foit moti Royaume , mes fujets font fi igncrans, fi 'grofliers, que je ne pourraï jamais les engager a. faire la guerre. Or, pour devenir le plus grand Roi du Monde, ne faut- il pas gagner un grand nombre de batailles, & prendre beaueoup de villes.? Ah! mon Prince, répartit Sincère, vous avez déja oublié les leeons que je vous ai donnéeg. Quand vous n'auriez pour tout bien, qu'une feule ville, & deux ou trois cent fujets, & que vous ne feriez jamais la guerre, vous pourriez devenir le plus grand Roi du Monde; il ne faut pour cela, qu'être le plus jufte & le plus vertueux, C'eft la le moyen d'acquérir la PrincelTe Vraye~ghire. Ceux qui prennent les Royaumes de leurs voifins, qui, pour batir de beaux cbiteaux, acheïer de beaux habits & H a beau»  158 VII. DlALOGUE. beaueoup de diamans, prennent Pargent de leurs peuples, lont trompés, & ne trouveront que la PrincelTe Fausfe-ghire, qui alors n'aura plus fon fard , & leur paroitra aufïï laide, qu'elie Peil veritablement. Vous dites que vos fujets font grofliers & ignorans, il faut les inftruire. Faites ïa guerre a 1'ignorance , au crime ; combattez vos paffions, & vous ferez un grand Roi, & un Conquérant au-deffus de Céfar , de Pyrrhus , üAlexandre, & de tous les Pléros, dont Fauffe ghire vous a montré les portraits. Charmant jéfolut de fuivre les confeils de fon gouverneur. Pour cela, il pria un de les pareus, de commander dans fon Royaume, pendant fon abfence , & partit avec fon gouverneur, pour voyager dans tout le Monde, & s'inflruire par lui - même de tout ce qn'ü falloit faire pour rendre fes fujets heu« reux. Quand il trouvoit dans un Royaume, un homme fage, ou habile, il lui difoit ; voulez vous venir avec moi, je vous donnerai beaueoup d'or. Quand il fut bien inftruit, & qu'il eut un grand nombre d'habiles gens, il xetourna dans fon Royaume, & char- gea  VII. DlALOGUE. 159 gea tous ces habiles gens d'inflruire fes fujets, qui étoient trés pauvres & trés ignorans. II fit batir de grandes villes, & quantité de vaifièaux ; il faifoit apprendre a traviller aux jeunes gens, nourriffoit les pauvres malades & les vieillards, rendoit lui-même la juftice a fes peuples, enforte qu'il les rendic honnêtes gens & heureux. Il pafïa deux ans dans ce travail, & au bout de ce tems, il dit a Sincère; croyez-vous que je fois bientöt digne de Vraiegloire ? II vous refte encore un grand ouvrage a faire, lui dit fon gouverneur. Vous avez vaincu les vices de vos fuiets, votre parelTe, votre amour pour les plaifirs, mais vous êtes encore Pefclave de votre colère; c'eft le dernier ennemi qu'il faut combattre. Charmant eut beaueoup de peine a fe corriger de ce dernicr défaut, mais il étoit fi amoureux de fa Princeflè, qu'il fit les plus grands efforts pour devenir doux & patiënt. II y réüffic: les trois ans étant palTés, il fe rendit dans la forêt, ou. il avoit vu la biche blanche^ 11 n'avoit pas mené avec lui un grand équipage; le feul Sincère i'accompag* noit. II rencontia bientöt Abfoïu dans H 3 un  10*0 VII. DlALOGUE. un char fcperbe. II avoit fait peindre fur ce char les ^ataiiles qu'il avoit gagnées,Jes vries qu'il avoit prifes , & il faifoit marcher devant lui .plufieurs Princes, qu'il avoit fait prifonniers , & qui étoient enchainés comrne des efclaves. LorsquM appereut Charmant, il fe moqua de lui, & de la conduite qu-il avoit tenue. Dans le même moment, ih virent les Palais des deux foturs, qui n'étoient pas fort éïöignés 1'un de i'autre. Charmant prit le chemin du premier, & Abfolu en fut charmé , parque celle, qu'il prenoit pour fa Prmceffe, lui avoit dit , qu'elie n'y retourneroit jamais. Mais a peine eutil quitté Charmant, que la Princefle Vraie- ghire, mille fois plus belief .mais toujours auffi fimplernent vêue, que la première fois 'qu'il 1'avoit vuë, vint au devant de lui. Venez, mon Prince, lui dit-elle, vous êtes djgne a'être mon époux ; mais vous n'auriez jamais eu ce bonheur, fans votre ami Sincère, qui vous a appris a me diflinguer de ma foeur. Dans le même tems Vraye -ghire commanda aux vertus, qui font fes fujettes, de de faire une fête p©ur célébrer fon ma- riage  VII. DlALOGUE. l6ï riage avec Charmant; & pendant qu'il s'occupoit du bonheur, qu'il alloit avoir, d'être 1'époux de cètte PrincelTe, Ahfolu arriva chez Fanffe gloire, qui le recut piifaitement bien , & lui offrit de Pépoufer fur le champ. II y confentit; mais a peine futrelle fa femme, qu'il s'apercAJt, en la regardanr de prés, qu'elie é:ok vieille & ridée, quoiqu'elle n'eüt pas oublié de mettre beaueoup de blanc & de rouge, pour cacher fes rtdes. Pendant qu'elie lui parioit, un fil d'or, qui attachoit fes fauflfcs denrs, fe rompit, & ces dents tombèrent a terre* Le Prince Ahfolu é'tok fi fort en colère, d'avoir é:é trorapé, qu'il fe jetta fur elle pour la battre; mais comrne il Pavoit pnfe par de beaux eheveux noirs, qui étoient fort longs, il fut tout étonné qu'ils lui reliaiTent dans ia main, car Faujfe* gloirc ponoit une perruque; & comme eiie reffca nue tête, il vit qu'elie n'avoit qu'une douzaine de eheveux , & encore ils étoient tous hlancs, Ahfolu iaiffa la cette méchante & lalde créature , & courut au Palais de Frak-gloire qui venoit d'epoufer Charmant; & la douleur qu'il eut, d'avoir perdu cetH 4 te  1<*2 VII. DlALOGUE. te PrmcefTe, fut fi grande, qu'il en mourur. Charmanï plaignit fon malheur & vêcut Ion?; tems avec Vraie* ghire. II en eut plufieu:s filles, mais une feule reflèmbloft parfaitement a fa mère. II la mit dans le chaieau champêrre, en attendant qu'elie püt trouver un époux ; & pour empécher fa méchante tante de lui débaucher fes amans, ii écrivit fa propre hiftoire, afin d'apprendre rnx Princes, qui vou. droient époufer fa fille , que le feui moyen de pofféder Vraie ■ ghire, étoit de travailler a fe rendre vertueux & utües a leurs füiets; & que, pour réusfir dans ce deffeia , i!s avoient befoin d'un ami fincè.e. Lady Mary. Ma Bonne, je ne trouve pas ce conté fi joii que les autres; car je ne connois pas les gens, dont Faujje ghire parle aux Princes; je vois Dien qu'il me refte bien des chofes a apprendre: depêchez vous, je vous prie, de rre les enftigner. Savez - vous bien, ma Bonne, que j'ai plus de fix ans, je fuis déja bien vieille. Madem*  VII. DlAXOGUE. I63 Madem. Bonne. Oh! cela efl vrai, ma chère, on eft vieille a fix ans, quand on ne faic rien, mais quand on s'eft appliquée, on eft encore aftez jeune pour apprendre bien des chofes. Nous allons apprendre la Géographie, mais auparavant, je prie Lady Spirituelle de me dire ce qu'elie penfe du conté que je viens de dire. Lady Spirituelle. Bien des chofes , ma Bonne. Je penfe d'abord que j'ai fait comme le Prince Abfohr, j'ai pris Faujfe-gloire pour Fraie gloire. Je croyois me faire eftimer par mon efprit, & ie ne fayojs pas qu'il me rendoit haïflable , fi je n'étois pas bonne en même tems. Je penfe aufii, que le Prince Charmant reffemble a Pierre le 'Grand, Empéreurde toutes les lUifties, dont j'ai lu Phiftoire dans les Magazins Franeois. Madem. Bonsje. Et tout cela eft fort bien penfé, Lady Spirituelle, Voyez * vous, mes eu- h 5 tos  i(54 VII, Dia log rj e» fans; nous aimons toutes a êcre efttmées, ïouéès, c'eft-dire, que nous fommes amoureufes de Belle-gloire ce qui eft fort bien, Mais, il faut bien nous mettre dans 1'efprit ce que je vous ai déja dit bien des fois, & ce que je vous répéterai encore. On ne nous eftime que pour 1'amour de notre vertu, & non pas pour notre argent, pour nos beaux habits, ni pour nos titres. Travaiilons donc a être vertueufes , mes bors enfans; il n'y a que cela de néeeffaire, & pour cette vie & pourl'autre. Allons! Mifs Molly 9 dl tes nous votre hiftoire. Mifs Molly. Parmi les enfans de Sein il y eut longtems après le déluge, un homme qu'on appelloit Abraham II aimoit beaueoup le bon Dieu, & Dieu auffi Faimoit beaueoup. 11 yint demeurer dans un païs., qu'on nommoit Chanaan, avec Sara fa femme & Lot fon neveu. Dieu lui avoit commandé de venir dans ce païs, & lui avoit promis de le rendre père d'un grand peuple. Abraham* qui étoit fort vieux, n'avoit point  VII. DlALOGUE. IfJj int d'enfans: mais cela ne 1'empêcha pas de croire cé que le bon Dieu lui promcttoit, paree qu'il favoit fort bien que Dieu poavjöit tout. Abraham & fon neveu Lot devinrent fort riches; car ils avoient un grand nombre de boeufs, de moutons & de valets. Ua jour les valets & Abraham^ & ceux de Lot eurent une grande difpuce enfemble; & Abraham qui favoir qu'on fiït un pêché, quand on qusrelle, dit a Lof. mon frère, je ne veux pas quéreller; ainfi, il faut nous féparer. Vo;la deux païs, -choifiiïez, j'irai deme urer dans celui que vous ne prendrez pas. Lot, au- lieu. de dire a Abraham , mon oncle, je ne veux point vous quitter, & je défendrai a mes domeftiques de quereller les vótres., choiüt le plus beau païs, & fut demeurer dans une ville , qu'on appelloic Sodome; mais tous les gens qui deuieu* roient dans ce païs, étoient li mé» chans, que quatid il venoit des étrati-» gers chez eux , ils les malcraitoient beaueoup; toute fois, ils ne firenc point de mal a Lot. Un jour que Lot étoic a fa porte , il vit venir deux jeunes hommes* Comme il avoit appris chez Hé fon  166" VIL DialogüE» fon oncle Abraham, a être charitable, Let dit a ces deux hommes: il eft pres» que nuk, je vous prie de venir fouper & coucher dans* ma maifon. Les deux jeur.es hommes entrèrent: mais les babitans de cette ville, qui vouloient roaltraiter ces étrangers, vinrent a laporte de Lot, & lui dirent, qu'ils le feroient mourir, s'il ne les mectoit pis dehors Lot eut bien peur, mais pouitant il dit & ces méchans; vous pouvez me faire tout le mal que vous voudrez, mais je ne mettrai pas ces hommes dans la ruè*. En même tems, ees deux hommes lui dirent , n'ayez point de peur, nous fommes des Anges, & Dieu nous a envoyés, pour vous dire de fortir de cette ville, r.arce qu'il veut punir ce méchant peuple. Sortez donc avec votre femme & vos filles, mais fur-tout, ne regardez pas derrière vous; car Dieu vous punira , ü vous lui défobéïflèz. Auffi» tót Lot & fa familie fortirent de Sodome, & les Anges marchèrent devant eux. Quand ils furent un peu loin, ils entendirent un bruit terrible ; & la femme de Lot, qui étoit curieufe, regarda derrière elle, pour voir d'ou venoit ce bruit.  VIL DlALOGUE. I67 bru't. El'e vit qu'il tomboit une pluie de feu, qui brüioit tous ces méchans hommes; mais comme elle défobéïsfoit a Dieu, elle fut changée en une ftatuë de fel. Sou mari & fes filles furent plus fages qu'elie. fis ne regardèrent point, & les An^es les lailfèrent fur une montagne, d'oü ils virent bruler Sodome & plufieurs autres villes dont les peuples étoient auffi fort mê« chans. Lady Charlotte. Ah , ma Bonne! que cela efl épou* vantable, d'être ainli brulé tout vif. Madem. Bonne. Cela efl: vrai, ma chère, & cela nous apprend, qu'il ne faut pas nous moquer de Dieu, en lui défobéïfïant. ]1 ne brule pas aujourd'hui tous les méchans; mais ceux qu'il ne punit pas, pendant qu'ils vivent, il les punira d'une manière bien terrible après leur mort: il ne faut pas oublier cela. Dieu efll'ennemi des méchans, qui ne veulen t pas fe corriger: il compte nos H 7 WW  1(58 VII. Dia logde, mauvaifes aétions ; & ceux qui ne lui en démandent pas pardon-, ce tout leur coeur, il les ren dra très-mTérables en cecte vie, ou en 1'autre. Voyez aufll, mes enfans, combien il faut avoir fom de vivre avec d'honnêtts gens. Si Lot neut pas quitté Abraham , tl n'eut pas perdu fa femme. II fuc fauvé, pavee qu'en demeurant avec Abraham^ il avoit pris la bonne habitude d'être cbaritable. II faut donc chercher a ê:re amies de jeunes Dames qui font bonnes, charitahles, obéïifmtes, & fuir, comme la pefte, la compagnie de celles , qui voudroient vous donner de mauvais exemples. Allons! Lady Mary , répétez 1'hiftoire que vous avez apprife. Lady Mary. Un jour qu1'Abraham étoit devant fa tente, il vit venir trois voyageurs, II fuc su-devant d'eux & leur dit; je vous prie , faites-moi Thonneur de vous arrêter ici, pour manger un morceau. Les é;rangers lui dirent, nous le voulons bien ; & alors Abraham die a fa femme de préparer du pain & des gate*  VIL DlALOGUE. 16) g&teaux pour ces étrangers; & il com- marida afes valets, de leur apprê ter de 4 1'eau pour laver leurs piés, & de la I viande pour leur dïné. Aprs qu'ils j eurent diné , ils dirent a Abraham , \ oü eft votre- femme ? Abraham leur i répondit, elle eft dans fa tente. Et j ces trois étrangers, qui étoient des Ani ges, lui dirent que Sara auroit bientöt | un fils. Quand Sara entendit cela, el1 le fe raat a rire , paree qu'elie étoit I tres • vieille, & qua ce n'eft pas la couI tume, que les vieilles femmes aient I de petis enfans. Les Anges dirent a Sara: pourquoi riez^vous? Dieu n'eft1 il pas le maitre de vous donner un fils I lui, qui eft le Tout-puuTmt? Sara, touie honteufe, dit qu'elie n'avoit pas I ri. Ah, que cela eft vilain de mentir! dirent les Anges; demandez pareoi a. Dieu de cette mauva;fe aélion. En : même tems les Anges s'en allèrent, & quelque tems après, Sara eut un fils, ï- qu'elie nomma Ifaac. Madem. Bonne. Fort bien, ma bonne amie* Allons Lady  170 VII. DlALOGUE. Lady Senfée*, fakes quelques réflexions fur cette hiftoire. Lady Sensee. Je répéterai a ces Dames, les réflexions que vous m'avez fakes, quand vous m'avez appris cette hiftoire. Abraham étoit un homme bien charitable, puisqu'il ne lailToit palTir aucun voyageur, fans le prier d'entrer chez lui pour fe repofêr, & Sara étoit bien modefte, puisqu'elle fe tenoit cachée dans fa tente, fans fe montrer aux hommes & fans être curieufe de les voir. Lady Charlotte. Ma Bonne; efl-ce qu*Abraham n'avoit point de maifon, que Sara reftoit dant une tente. Madem. Bonne. Non, ma chère; Abraham n'avoit point de maifon , quoiqu'il füt un grand Seigneur, qui avoit plus de doxneftiques que le Roi. Aujourd'hui, tes  Vil. DlALOGUE. 171 les perfonnes richts ont de grandes terres, de belles maifons, de 1'argent; mai-s dans ce tems - Ia, pour être riche , il falloit avoir beaueoup de troupeaux. Abraham en avoit une grande quaatiré, & il lui falloit beaueoup d'herbe pour les nourrir; ainfi, quand fes troupeaux avoient mangé toute 1'herbe d'un endroit, on les menoit dans un. autre. Vous voyez bien qu'il ne devoit pas avoir de maifon: on n'auroit pü i'emporter, fnais il avoit des tentes* qu'on changeoit de place, toutes les fois qu'on quittoit un païs, pour aller dans un autre. Mifs Molly, Puisque Sara avoit tant de domeftïques, pourquoi fon mari lui difoit - il de faire du pain pour ces étrangers, comme fi elle eüt été une fervante? Madem, Bonne, Les Dames de ce tems-la, n'étotent point des parefieufes , comme celles d'aujourd'hni, ma cbère. Sara étoit comme une PrincelTe , & pourtant elle  172 VII. DlALOGUE* elle prenoït foin dn ménage de fon mari, & faifoit elle même la cuifine; les jeunes Demoifelles menoient boire les moutons; tout le monde travailloit. Lady Mary. Mais , ma Bonne ; cela ne feroit pas joli, fi Maman faifoit elle même la cuiline. Madem. B o n n Vous-avez raifon, ma chère; ma's, 1 fi les Dauvs ne dcuvent pas faire la cu;fine, elles doivent du moins avoir foin de leur ménage ; prei:dre garde \ aux domeftiques , & penfer qu'une honnête femme doit être la première Houfekeeper ( a ) de fc n mari. Lady Sp iritu ellf. Mais, ma Bfiüne, cela ne fe peut pas: ?Cette qualité reviert h. celle de femme de charge , ou d'Iutcndant * en France.  VII. DlALOGUE. 173 bas: une Dame n'a pas le tems d'être J Houfekeeper ; il faut qu'elie atlle aux alfemblées, a la comédie, a 1'opéra. Madem, Bonne. Souvenez-vous bien de ce que je i1 vals vous dire, ma chère. Dieu ne vous a pas mife au monde pourjouër, pour courir les aflèmbléss, les fppétaIcles. On peut y aller quelquefois Ipour fe délailer ; mus cilies qui ne jfont a.utre chofe, font fort mal; & Dieu les punira, paree qu'elles négli1 gent leurs devoirs, & c'eft un grand 1 pêché, Une temme eft oblf>ée d'aIvoir foin de fes enfans, de fes domeI ftiques. Tout le mal qu'ils font, pen1 dart qu'elie n'y eft pas, Dieu lui en j demandera compte; ii y aura un grapd 1 nombre de femmes, qui feront punies 1 de cette négligence-la: d'ailleurs, ma i chère, c'eft un grand pêché de dépeni fer tant d'argent a des bagatelles: on | vole cet argent aux pauvres, è, fes en| fans. Lady  174 VIT. Dl alogue. Lady Spirituelle. Eft*ce ou'on n'eft pas maitrelTe de' dépenfer fon argent a fa fantaifie? Madem. Bonne» Dites-moi, ma chère Votre Papa a des fermiers, qui vendent le bied & le fruit de les terres ; ces fermiers Tont ils maitres de 1'argent, qu'on leur donne pour ces bleds & ces fruits? Lady Spirituelle. Eh bien! ma chère, nous fommes les fermiers du bon Dieu, II nous donne de 1'argent pour nous nourrir &nous habiller, pour éléver nos enfans, payer les marchands, les domeftiques, & affifter les pauvres; & comme les fermiers font obligés de rendre compte a leurs maitres, '& que ceux - ci les feroient mettre en prifon, s'ils dépenfoient leur argent mal • k - propos , de même, le bon Duu fera rendre compte aux riches de 1'argent qu'il leur1 aura donré, & il les punira, s'ils le dépenfent en folies. D'ailleurs, il faut être  VII. DlALOGUE. 175 jÉtre bien méchante pour dépenfer tant dargent au jeu, a 1'opéra, & aux ma: fcarades, pendant qu'il y a un fi grand ; nombre de pauvres , qui n'ont pas un moiceau de pain? Lady Mary. Eft -ce qu^il y a des gens qui ^n'ont point de pain, ma Bonne £ Madem. Bonne. Oui, ma chère. II y en a d'autres 1 qui r/ont point de lit, & qui couchent 1 fur le plancher; d'autres , qui n'ont c point de charbon en hyver, & qui meurent de froid; d'autres, qui n'ont ; point de chemife, & qui n'ont point ! n'.ouvrage, pour gagner de 1'argent. Lady Mary. Ah , mon Dieu ! ma Bonne: cela :i me fait pitié, Je vous prie de prendre 1 tout mon argent,pour acheter du pain, des lits & du charbon a tous ces pauvres gens. Madem*  I?<5 VIL DlALOGUE. Madem. Bonne, Vous avez donc beaueoup d'argent, ina chère. * Lady Mart, Oui, ma Bonne, j'ai deux chelins , & tant de (a) half pennys, que je ne peux pas les tenir dans mes deux mains; j'ai auffi de petites piêces dargent. Prenez tout cela, je voi§s pi ie; j'aime mieux le donner a ces pauvres gens , que d'acherer des poupées & des gate aux. Madem. Bonne. Venez m'embraflèr, ma chère amie, je vous aime de tout mon coeur, & j'ai beaueoup de refpeèl pour vous. Si je ne favois pas que vous êtes une La« dy, je le devinerois a ce moment, paree que vous êtes bonne & généreufe, comme une Dame de qualité doit 1'être; & pour vous récompenfer de votre O) Demi-foHs.  VII. DlALOGUE. I77 tre bon coeur, nous dirons quelque chofe de la Géographie, que vous aimez tant: c'eft pour cela que j'ai faic venir un plat plein d'eau. Vous voyez ce plat, Mesdames; fuppofez que ce foit la mer, & tous ces morceaux de carton, que je vai mettre deffus, feront la terre. Tous ces petits morceaux de cartes, qui font environnés d'eau de tous cötés, nous les appellerons des Hes, Voye^: cet autre carton, qui touche au bord du plat, par un petit morceau; c'eft pre. fque une He: nou» le nommerons donc une PresqtSisle, Ce grand morceau de carton qui ne touche a 1'eau, que par un cóté, nous 1'appellerons une Terre ferme, ou un Continent; cette pointe qui s'avance dans 1'eau, nous rappellerons un Cap; & une terre fort élevée , nous 1'appellerons Montagnex comprenez-vous bien cela , mes en* fans? Lady Mary» l A merveille, ma Borme. Une Ile eft une terre abfolument environnéé1 d'eau: une PerfquLle a un petit coin hors de 1'eau, & elle tient pas ce petit  178 VII. DlALOGUE. tit morceau de terre, a cette autre grande terre, que vous appellez Con* tinent &c. Madem. Bonne. Oh, que cela efl bien ! voyons préfentemen t fur un Carte Géographique, fi vous trouverez bien ame He, une Prefqiïlle , un Centinent , un Cap, une Montagne: il faut une Mappemonde* Lady M ar y, Ma Bonne , voila des païs qu'on nomme la Grande- Br ét agne , V Ir lande; je crois que ce lont des Hes; car k mer efl toutautour. Madem. Bonne. Et de quel cóté font ces païs, ma chère. Lady Mary. Tout en haut, & a la gauche de la Carte, ma Bonne. Madem.  VII. DlALOGUE. 179 Madem. Bonne. Mais ce cóté d'en haut, & ce cóté gauche ont des nous, qu'il faut toujours dire, Souvenen - vous en; nous 1'avons apprii ia deruière fois. Lady mary. t Je m'en fouviens, ma Bonne; ces païs, ou ces Hes, font au Nord, & en même tems a VOuejl de YEurope. Madem. Bonne» "Fort bien, ma chè*e. Lady Char* lotte, cberchez une Prefqiflle fur cette Carte. Lady Charlotte. UAfiique en efl une; ce grand pais tient a \ Afie par ce petit coin ; je crois auffi que cette pointe efl un Cap. Madem. Bonnf, Oui, ma chère, c*e(tle Cap de Bon* Tom. L I tu  180 VIL DlALOGUE. ne-Efpèrance. Allons, Mifs Molly, montrez-moi un Continent. Mifs Molly. J'en vois quatre conlldérablcs, qui font les mêmes quatre parriesdu globe déja nommées, favoir YEurope, YAJic9 YAfrique, YAmèrique. Madem. Bonne, Vous avez raifon, ma chère* Lady Senfèe va nous dire comment on nomme ces petites lam ues de terre , qui joignent la JPrefqu'Ile au Continent. Lady Sensée. r On les nomme Ifihmes, & celui qui joint YAJriqtie h YAfie, fe nomme IJihme de Suez. Madem. Bonne. Retenez bien ces noms des différentes parries de la nrre, mesdames; la premièse fois, nous en apprendrons davantage, car ii eft trop tard aujourd'hui. VIII.  VIII. DlALOGUE. lUt VIII. DlALOGUE. Sixième journée. Lady Charlotte Bonjour, ma Bonne; j'ai été bonne fille, prefque tout a*fait; & tout le monde, dans la maifon, me fait tant d'amitié, que je fuis heureufe comme une Reine; voyez cette jolie tnontre; Papa me i'a donnée, pour montrer qu'il eft content de moi. Madem, Bonne. Elle eft fort belle; mais, ma chère, vous dites que vous êtes heureufe comme une Reine; vous croyez donc que toutes les Reines font heureufes. Lady Charlotte. Je penfe qu'oui, ma Bonne; car ori dit toujours , quand on veut parler d'une perfonne qui eft bien contente ; elle eft heureufe comme une Reine. I 2 Madem*  182 VIII. Dl al O g uk. Madem. Bonne. On parle mal-propos, quand on dit cela, ma chère; il me prend cnvie de vous raconter une fable & ce fujet. Fable de la Veuve & de fes deux filles. II y avoit une Veuve, aliez bonne femme, qui avoit deux filles, toutes deux fort aimables; Painée fe nommoit Blanche , la fecoude Vermeille. On leur avoit donné ces noms, paree qu'elles avoient, 1'une le plus beau teint du monde, & la feconde des jouës & des lèvres merveilles comme du corail. Un jour la bonne Veuve é:ant prés de fa porte, a filer, vit une pauvre vieille, qui avoit bien de la peine a fe trainer avec fon baton. Vous êtes bien fatiguée, dit la bonne femme a la vieille. Affeyez vous un moment pour vous repofer ; & aulïiröt, elle dit a fes filles de donner une chaife a cette femme. Elles fe levèrent toutes deux ; mais Verméilie courut plus fort que fa foeür, &apporta la chaife. Voulez-vous boire un coup, dit la bonne femme a la vieille: de touc mon coeur, répondit- ei.  VIII. DlALOGUE. 183 elle; il me femble même, que je man* gerois bien un morceau, fi vous pouviez me donner quelque chofe pour me ragoüter. Je vous donnerai tout ce qui ett en mon pouvoir, dit la bonne femme; mais, comme je fuis pauvre, ce ne fera pas grand' choft; en mêne tems, elle dit a fes filles de fervir la bonne vieille, qui fe mit a table: & la bonne femme commanda a 1'ainée d'alier cueillir quelques psunes, fur un prunier qu'elie avoit planté elle mê» me, & qu'elie aimoit beaueoup. Blanche, au lieu d'obéïr de bonne grace a fa mère , murmura contre cet ordte, & dit en elle-même; ce n'eft pas pour cette vieille gourmande que j'ai eu tant de foin de mon prunier. Elle n'ofa pourtant pas refufer quelques prunes, mais elle les donna de mauvaife grace & acontrecoeur. Et vous, Fermeille* dit la bonne femme, a la feconde de fes filles , vous n'avez'pas de fruit a donner a cette bonne Dame, car vos raifins ne font pas murs, II eftvrai. dit Vermeilh, mais j'entens ma poule qui chante, elle vient de pondre un oeuf, & fi Madame veut 1'avaler tout chaud, je le lui offe de tout mon coeur. 13  184 VIII. DlALOGUE. En même tems, fans attendre la réponfe de la vieille, elle courut chercher fon oeuf; mais dans le moment qu'elie le p: éfentoit a cette femme elle disparut, & 1'on vit II fa place une belle Dame, qui dit alamère;je vaisrécompenfer vos deux filles felon leur mérite. L'ainée deviendra une grande Reine, & la feconde une fermière; & en même tems, aïant frappé la maifon de fon baton, elle disparut, & Ton vit a ia place une jolie ferme. Voila votre partage, dit-elle a Fermeilk. Je fai que je vous donne a chacune ce que vous aimez le mieux. La fée s'éloigna, en difant fes paroles; & la mère, aufii bien que les denx filles, reftèrent fort étonnées. Elles entrèrent dans la ferme, & furent char méés de la propreté des meubles. Les chaifcs n'étoient que de bois; mais elles étoient fi propres , qu'on s'y voyoit comme dans un miroir. Les Hts étoient de toile, b!anche comme la neige. 11 y avoit dans les étables, vingt moutons, autant de brébis , quatre boeufs, quatre vaches, &dans la cour, toutes fortesd'animaux, comme des poulets, des canards, des pigeons & autres. II y avoit auffi un jo-  VIII» DlALOGUE, 185 joli jardin, rempli de fleurs & de fruits. Blanche voyoit fans jaloufie le don , qu'on avoit fait a fa foeur, & elie n'étoit occupée qu5 du plaifir, qu'elie auroit a être Reine» Tour d'un coup, elle entendit paflèr des chalf urs, & étant allée fur le pas de la porte pour les voir, elle parut fi belle aux y^ux du Roi , qu'il ïéfMut de 1'époufer. Blanche, étant devenue Reine, dit a fa foeur Fermeilk: je ne v'ux pas que vous f;yez fermière; venez avec moi, ma foeur, je vous ferai époufer un, grand ifeïgneur, Je vous fuis bien obli? gée, ma foeur, répond?t Fermeille, je fuis accoutumée a la campagne, & je veux y refter. La Reine Blanche partit donc, & elle étoit fi contente, qu'elie paffa plufieurs nuits fans dormir dp joie 1 Les premiers mois, elle fut fi occupée de fes beaux habits, des bals, des comédies, qu'elie ne penfoit a autre chofe. Mais bientöt elle s'accoutuma a tout cela , & rien ne la diverifioit plus; au contraire, elle eut de grands chagrins. Toutes les Dames de la Cour lui rendoient de grands refpeéts, quand elUs étoient devant elle, mais elle fivoitqu'elles ne i'aimoient pas, & qu'elI 4 les  18Ö VUL DlALOGUF. les difoient; voyez cette petite païfanne, comme elle fait la grande Dame; le Roi a le coeur bien bas, d'avoir pris une telle femme. Ce difcours fit faile des réflexions au Roi. 11 penfaqu'il avoit eutortd'époufer^^,- & comme fon amour pour elle étoit paffé, il eut un grand nombre de maitreffes. Quand on vit que le Roi n'aimoit plus fa femme, on commenca h. ne plus lui xendre aucun devoir. Elle étoit trés malheureufe , car elle n'avoit pas une feule bonne amie, a qui elle put conter fes chagrins. Elle voyoit que c'étoit la moae, k la cour, de trahir fes amis par intérêt; de faire bonne mine si ceux que 1'on haïffoit, & de mentir è. tout moment. 11 falloit être feiieulë, paree qu'on lui difoit, qu'une Reine doit avoir urr air grave & majeftueux. Elle eut plufieurs enfans; & pendant tout ^ ce tems , elle avoit un medecin auprès d'elle , qui examinoit tout ce qu'elie mangeoit , & lui ótoit toutes les chofes qu'elie aimoit. On ne met* toit point de fel dans fes bouillons; on lui défendoit de fe promener, quand elle en avoit envie; en un mot: elle étoit contrèditedepuis le matin jusqu'au foir.  VIII. Dialocük. 187 |foir. On donna des gouvernantes a fes enfans, qui les élevoient tout de travers , fans qu'elie eüt la liberf é d'y : trouver a redire. La pauvre Blanche fe mourroit de chagrin, & elle devint |fi maigre, qu'elie faifoit pitié a tout le |monde. Elle n'avoit pas vu fa foeur,. jdepuis trois ans qu'elie étoit Reine; ; paree qu'elie penfoit qu'une perfonne de fon rang feroit deshonorée, d'aller t rendre viüte è. une fermière ; mais, le i voyant accablée de mélancoiie, elle léf ; folut d'aller paffer quelques jours a la i campagne, pour fe défenouïer. Elle en demanda permilhbn au Roi, qui la jlui a-corda de bon coeur, parc^ qu'il I penfoit qu'il feroit débaraffó d'elte penidant quelque tems, Elle arriva fur le ! foir a la ferme de Fenneille , & elle ' vit de loin, devant la porte, une trou! pe de bergers & de bergères, qui dani foient & fe divenifloient de tout leur coeur. Hélas! dit la Reine, en fou* pirant, oü eft le tems que je me divertiftbis comme ces pauvres gens ? perfonne n'y trouvolt a redire. D'abord qu'elie parut, fa foeur account pour 1'embralfer. Elle avoit un air fi content: elle étoit fi fort engraüTée que la I 5 Rei-  188 VIII. DlALOGUE. Reine ne put s'empêcher de pleurer1 en la regardant. Vermeille avoit épou- ■ fé un jeune païfan, qui n'avoit pas de fortuné, mais il fe fouvenoit toujours, que fa femme lui avoit donné tout ce qu'il avoit, & il cherchoit par fes ma- • nières complaifantes a lui en marquer 1 fa reconnoillance. Vermeille n'avoit: pas beaueoup de domeftiques, mais ils 1'aimoient, comme s'ils euflènt été fes i enfans; paree qu'elie les traitoit bien. , Tous fes voifins 1'aimoient auffi , & ; chacun s'emprelToit a lui en donner des preuves. Elle n'avoit pas beaueoup d'argent, mais elle n'en avoit pas befoin; car elle recueilloit dans fes terres du bied, du vin & de 1'huile. Ses troupeaux lui fourniffoientdu lait, dont elle faifoit du beurre & du fromage. Elle fiioit la laine de les moutons pour fe faire des habits, auffi-bien qu'a fon mari, & a deux enfans qu'elie avoir. Ils fe portoienta me veille. & le foir, quand le tems du travail étoit pafïë, ils fe divertiffoient a toutes fortes de jeux, JBélas ! s'écria la Reine, la fée m'a fait un mauvais préfent, en me donnant une couronne. On ne trouve point la joie dans les palais magnifiques, mais dans  VIII. DlALOGÜÉ» fgO dans les occupations innocent.es de la campagne. A peine eut»elle dit ces paroles, que la féé parut. Je n'ai pas prétendu vous récompenfer, en vous faifant Reine , lui dit la fée, mais vous punir, paree que vous m'aviez donné vos prunes a contre-coeur. Pour être heureux, il faut, cornme votre foeur, ne pofféder que les chofes néceffaires, & n'en point fouhaiter davantage. Ah! Madame, s'écria Blanche, vous vous êtes alTez vengée; finiffez mon malheur, II eft fini, reprit la fée. Le Roi, qui ne vous aime plus , vient d'époufer une autre femme; & demain fes offi* ciers viendront vous ordonner de fa part, de ne point retourner a fon palais. Cela arriva comme la fée 1'avoit prédit: Blanche p:\ffi le refte de les jours avec fa foeur Vermeille, dans toutes fortes de contentemens & de plaïftrs; & elle ne penfa jamais a la Cour, que pour remercier la fée de i'avoir ramende dans fon village. Lady Sensee* Ma Bonne, j'aime beaueoup ce con* te, J'ai toujours défiré d'être bergères I 6  190. VIII. DlALOGUE. j'aime la campagne a la folie, & il me femble que je ne fouhaiterois rien, ü j'avois une jolie ferme comme Vtrmeil* le\ mais, pour cela, il faudrok encore que j'y euffe des livres. Madem. E onne. Je crois que vous êtes dc bon gout, jna chère; mais pour fe plaire a la vie champêtre, il faut n'avoir ni ambition, ni vanité, ni défirs: & cela eft bien difficile. Sans aller vivre a ia campagne, vous pouvez être heureufe, par-tout cu vous vous trouverez, fi vous pouvez vous défaire de ces trois défauts, dont je viens de pari er. Mifs Molly. Qu'eft • ce que 1'ambition, ma bonne ? Madem. Bonjne, C'eft le défir de commander a tout le monde; & la vanité, c'eft de vouloir être louée par la beauté, 1'efprit, les Tichelles, les beaux habits: demandez h Lady Spirituelle, combien fa vaniié Fa renduë mjüheureufe. Lady  VIII. DlALOGUE» 151 Lady. Spirituelle. Elle m'avoit auffi renduë méchante; mais, ma Bonne, j'en ai encore beaueoup, & cela m'a fait faire une grande faute, depuis que je ne vous ai vue: je veux vous la dire devant ces Dames, pour me corriger. Madem. Bonne. Vous avez raifon, ma bonne amie : le vrai moyen de fe corriger de fes fautes, eft de les avouër. Voyons donc ce que vous avez fait. Lady Spirituelle. "Nous ériOns hier a 1'afTemblée de Madame D cette Dame eft agée, car elle a des enfans, elle medemanda a quoi je m'occupois? je lis Quinte- Curce, lui ai-je répondu. Qu'eftce que Quinte-Curce? a dit cette. Dame, Oh! lui ai je dit, c'eft un fort beau livre ; oü Fon trouve la vie d'AIexandre le Grand: cette Dame me répondit, je ne favois pas qu'il y euc eu un Roi üAngleterre, qui fe nomI 7 mat  192 VIII. DlALOGUE. mat Akxandre le Grand : cependant quand j'érois jeune j'ai appris par coeur 1'abregé de 1'hiftoir© iïAngleterre; il eft vrai que je 1'ai oubliée. Au - lieu de répondre a cette Dame, ma Bonne , j'ai fait femblant de faigner du nez ; j'ai mis mon mouchoir devant mon vifage, car j'étouffois a force de rire, & j'ai été dans les autres fales, oü j'ai conté a tout le monde 1'igno. rance de cette Dame, qui n'a jamais entendu parler iïAlexandre. Madem. Bon nF. Vous avez fait effeélivement une grande faute , ma chère: je gage que vous croyez avoir fait beaueoup de mal a cette Dame. Lady Spirtituelle. Oui, ma Bonne , mais quand j'ai fait cette fotife, ce n'étoit pas pour lui faire du mal; c'étoit feulement par vanité , pour faire penfer a tout le monde, que j'étois une fille raifonnable , qui lifoit beaueoup. Madem*.  VIII. DlALOGUE. 192 Madem. Bonne. Je vous allure, ma chère, qu'on n'a point penlë a cela du tout, Nous avons été ce matin rendre vifite a Milady B ... vous favez qu'elie a beaueoup d'efprir. Que cette petite Spirituelle eft méchante ! m'a -1 - elle dit; elle s'eft moquée hier cruellement de cette pauvre Madame D ... Si elle a* voit été ma fille, je 1'aurois cbasfée de la compagnie ; j'avois envie de la foufletter. Vous voyez, ma chère, que votre amour - propre eft un lot, qui, au-lieu de vous faire paroitre eftimabie , engage tout le monde k vous méprifer. Vous avez appris a tout le monde, que cette Dame étoit une ignorante; mais, en même tems, vous leur avez fait croire que vous étiez méchante : vous vous êtes fait beaueoup plus de mal, que vous n'eu avez fait a pelle, dont vous vous moquiez. Appüquez-vous donc a deve* nir bonne, charitable Avant de parler, penfez auparavant, ne vais je point dire une méchancete ? Au-lieu de parler des défauts des autres, attachezvous a faire remarquer. leurs bonnes qua-  194 VIII. DlALOGUE. qualités: & alors tout le monde vous aimera. Préfentement Lady Mary va nous dire fon hiftoire. Lady Mary. Abraham aimoit fon fils Ifaac a la folie; mais il aimoit le bon Dieu encore davantage, comme cela eft jufte. Un jour, Dieu dit a Abraham, prenez votre fils Ifaac & allez fur une grande montagne, pour m'en faire un facrifice, c'eft a-dire, pour lui couper la tête, & enfuite brüler fon corps. Car dans ce tems la, on tuoic des bêtes , qu'on offroit au Seigneur, & après cela, on les brüloit, & Dieu vouloit Ifaac au-lieu d'une Béte. Un autre op?Abraham auroit dit en lui-même: Dieu m'a promis de donner a mon fils Ifaac un grand nombre d'enfans; fi je le tue, cela ne pourra pas arriver; mais Abraham écoit bien plus lage; il ne raifonuoit poinr, quand Dieu lui commandoit qujique chofe, & favoit fort bien qu'il peut faire les chofes, qui nous paroiffent impofïibles. Abraham prit du bois, & dit a Ifaac de le porter, & pendant qu'ils montoient la  VIII. DlALOGUE. 195 i In montagne, Ifaac difoit; mon pè-e, 1 nous avons du bois &du feu pour <'al» f lumer, mais nous n'avons point de f Béte pour faire le ficrifice. Dieu nous | en enverra une, lui répondit Abraham; | mais quand ils furent au hau de la 1 montagne, il dit a Ifaae; mon fils, | c'eft vous que je vais facnfier a Dieu: li car il me 1'a commandé. Je le veux f bien, èk Ifaac; le bon Dieu m'a donI né la vie, je dois la lui rendre, puis( qu'il le veut. Auffitót Abraham fir un I bücher avec le bois, & Ha fon fils fur i ce bois ; enfuite , il prit fon grand li couteau, & lei>a le bras pour lui cou* | per la tête; mais il vint un Ange, qui ; arrêta le bras, & lui dit: Ne tuez pas l Ifaac. Dieu vouloit voir feulement, j fi vous feriez obéïffants tous deux. ] Abtaham délia Ifaac; & dans le même items, ils virent un bélier, qui étoit ] pris par fes cornes dans un buuTon. ] Ils pnrent ce bélier, & le facrifièrent ; au Seigneur; & enfuite , ils retour* i nèrent fort contens dans leurs tentes. Mifs, Molly. J'avois bien peur pour le pauvre Ifaac,  X9Ö* VIII. DlALOGUE. Ifaac , ma Bonne ; je croyois qu'il alloit être tué. Lady Charlotte. Mais, ma Bonne, c'efl: une mauvaife fielten de tuer un homme; commf nt eft • ce que Dieu commandoit une mauvaife aéUon. Madem. Bon ne. Ce n'eft pas toujours une mauvaife actiën de tuer un homme: vous voyez qu'on en fait mourrir bien fouvent pour avoir volé. Quand on fair la guerre, les foldats tuent leurs ennemis , fans commettre un pêché. D'aillcuis, vous voyez que Dieu ne vouloit pas qu''Ifaac fut tué: & Abraham qui favoir que Dieu eft bon & fage, difoit en lui - mê« me ; puisque j;deu me commande cela, il n'y a. point de mal , car Dieu ne commande jamais le pêché. Lady. Mary. Ifaac étoit un bon enfant. Je veux être bien obéïffante comme lui, & li Diee  VIII. DlALOGUE. 197 Dieu difoit a Maman de me tuer, je lui dirois qae je le veux bien. Madem. Bonne. II ne dira pas cela a votre Maman; mais, peut*être le dira-1 il a la fièvre, a la petite vérole, ou a quelque autre maladie. S'il ne vt ut pas votre vie, peut-être voudra- t-il vos yeux, vos oreilles, ou quelqu autre partie de votre corps. Quand donc vous ferez malade ii faut dire comme Ifaac, mon Dieu, c'eft vous qui m'avez donné la vie , fi vous voulez me 1'öter par cette maladie , je le veux bien. Lady Char* lotte; vous avez quelquefois beaueoup de peine a entendre, vous avez mal a 1'preille, un autre aura mal aux yeux, dius alors de tout votre coeur, mon Dieu, tout eft a vous; fi vous voulez me rendre fourde, ou aveugle, je le veux bien. II en faut dire autant, quand on perd fa fortuné, & tout ce qu'on poflcde dans le Monde, & penfer , je fuis füre que le bon Dieu m'aime; puisqu'il m'öte ces chofes, apparemment qu'elles ne valoicnt rien pour moi: fi elles euffent été bonnes pour moi 9  198 VIII. DlALOGUE iroi, Dieu ne me les auroit pas ötées, cela eft bien f ür. Lady S e n s e e. Si Ton penfoit toujours a cela, ma Bonne, on n'auroit jamais de chagrin. Madem. Bonne. Cela eft vrai, ma chère; c'eft pour cela que nous voyons quelquefois des perfonnes qui nous paroiflènt très-malheareufes, & qui font pour tant fort contentes. Allons, Lady Charlotte, dites - nous votre hiftoire. Lady Charlotte. Abraham voulant mariër fon fils Ifaac appella fon Intendant, & lui dit d'aller dans le païs, oü demeuroit fon frère, qui s'appelioit JVachor, pour chercher une femme a fon fils. Quand Fintendant fut arrivé dans le païs de Nachor , il pria Dieu de faire réüffir fon voyage, & dit: Seigneur, montrez- moi la femme que vous voulez donner a mon jeu. ne maitre; & comme il s'étoit afiis au- pies  VIII. DlALÓGÜ*. 199 iprès d'un puits, il dit encore k Dieu ; ij Seigneur, les filles de la ville vont veinir chercher de 1'eau a la fontaine; je ildemanderai a boire, infbirez'a celle Équi doit être la femme d'Ifaac, de me ipréfenter honnêcement fa cruche, & de m'offrir auïïi a boire pour mes chaimeaux. En même tems les filles fortirent ]de la ville, & il y en avoit une qui i étoit fort belle. L'Intendant s'appr^ tjcha d'elle & lui demanda a boire: de Itout mon coeur, lui dit cette fille; en 1 même tems elle baiiTe fa cruchc & lui Ij dit; je veux auffi donner a boire a vos ichameaux. L'Intendant lui demanda | comment alle s'appelloit? Elle lui ré| pondit; je m'appelle Rébecca ; mon | grand père fe nommoit Nachor. Allors 1'Intendant remercia Dieu, & fit I préfent k Rébecca d'une bague d'or & a de belles boucles d'oreilles. Rébecca 9 courut k fa maifon, pour montrer ces ■ préfens a fes frères; car elle favoit I qu'une fille ne doit pas prendre des I préfens des hommes, fans la permiffion I de fes parens. Laban, frère de Ré* Xbecca, aïant vu ces préfens, courut a Ila fontaine, & pria i'Intendant de venir loger chez lui. Cet homme ne vou«  tOO VIII» DlALOGUE. voulut ni boire, ni manger, qu'il nVftti fair fa commiffion. 11 demanda Re*> becca en mariage pour Ifaac; & fes frè4 res y confentirent. Ils dirent enfuite! & Rébecca ; voulez - vous aller avec cet! bomme pour époufer vo^re coufin Ifaac\\ Elle Tépondit, je le veux bien; & elle partit avec 1'Intendant, qui lui fitl de beaux préfens & a fes frères. Quand i Hs eurent marché bien longrems, Re*> becca vit un homme qui fe promenoit dans les champs , & 1'Intendant lui i aïant dit que c'étoit Ifaac, elle mit foni voile fur fa tête, & Ifaac 1'éooufai bientöt; & il aima tellement Rébecca,, qu'elie le conföla un peu de la mort: de fa Mère Sara, qui mourut peu de i tems après. Mifs Molly. Cette hiftoire eft bien belle , ma. Bonne, mais je voudrois favoir, pour- • quoi Abraham envoyoit fi loin pour ' chercherune femme a fon fils? Eft-ce i qu'il n'y avoit pas de filles dans le païs i oü il étoit? Madem.  VIII. DlALOGUE, tol Madem. Bonne. II y en avoit, ma chère; mais ces filles n'étoient pas fort fages, & A\braham vouloit donner une bonne fem> jme a fon fits, & ne fe foucioit pas qu'elie fut riche. Remarquez , mes enfans, ce que fit 1'Intendant tfAhra» \ham. Jl pria Dieu de lui trouver une jfemme pour fon maitre. : Cela nous japprend a demander ai Dieu tous nos jbefoins ; il eft fi bon, qu'il ne s'ofFcnjfe pas de cette liberté. Ii faut lui dejmander généralement toutes les chofes Iqui nous font néceffaires. Lady Mary. Mais le bon Dieu fait bien que nous javons befoin de ces chofes; ainfi, il jn'eft pas nécelTaire de les lui demander. Madem. Bonne» Pardonnez ■ moi , ma chère. Dieu [fait bien que nous avons befoin de Ipain; cependant Jéfus^ Chrifl nous orIdonne de lui en demander tous les jours, dans la prière qu'il nous a en- lei-  402 VIII. DlALOGUE. feignée. Ne dites-vous pas tous "es { matins & foirs dans votre prière, don- * me nous notre pain quotidien , c'eft-a-dire, le pain de tous les jours V Lady Charlotte. Cela efl vrai, ma Bonne , je n'y avois jamais fait attention. Lady Sensée, Pour moi, je demandé toujours au . bon Dieu tout ce dont j'ai befoin. , Quand je commence mes lecons, je le prie de me faire la grace de bien apprendre; quand Maman eft malade, ou mes Soeurs, ou Papa, je le prie de les guérir; quand j'ai en vie d'avoir quelque chofe, je prie Dieu d'infpiier h Maman de me la donner, & Dieu eft fi bon, qu'il m'accorde toujours tout ce que je lui demandé. Madem. Bonne. Confervez bien cette habitude, ma chère. Accoutumons-nous, mes entans, a regarder Dieu comme notre bon  V 111. DlALOGUE. 20*J bon père & notre maitre. Un enfant demandé avec confiance les chofes juftes a fon père, un domeftique a fon maitre. Mais comtne nous ne favons pas nos vrais befoins , & que nous pourrions demander des choles, qui ne feroient pas bonnes pour nous , difons toujours; accordez moi cette chofe, Seigneur, fi elle eft bonne pour votre gloire, pour mon falut. Voyons a préfent, fi nous dirons quelque chofe de la Géographie. La dernière fois , nous avons parlé des noms qu'on donne aux différentes parties de la terre, c'eft - a - dire: du Continent, de Vlle, de la PerfqiCIk, de Ylfthme & du Cap; il faut apprendre aujourd'hui les différens noms, qu'on donne aux différentes parties de 1'eau. Voyez - vous ce grand amas d'eau ? on 1'appelle Océan; on 1'appelle aulïï Mer , de 1'amertume de fon eau: il y en a quatre, qui prennent leurs noms descètés, ou poinrs du monde, vers lefquels ils font fitués: ce fontl'Océau Septentrional, 1'Océan Mét idional, 1'Océan Oriental, & 1'Océan Occidental. On appelle Gelfe, une portion de 1'Océan qui s'avance dans les terres. Tom. L K Eaye,  204 VIII. DlALOCUE. Baye, elt un Golfe dont 1'ouverture eft grande. Archipel efl une Mer oü il y a un amas d'lles; Détroit efl un pasfage d'une Mer a une autre. Lac eft un amas d'eau, entourré de terre; & Rivihe, une eau qui coule toujours. Comprenez - vous cela, mes enfans ? Lady Charlotte. Oui, ma Bonne; un Golfe eft une Mer, qui s'avance dans la terre, comme le Golfe de Vénife: un Détroit eft ure ruë de Mer, qui joint deux Mers enfemble , comme le Détroit de Gibraltar* qui joint le grand Océan a la Mer Méditerranée. Madem. Bonne. 'Fort bien: on appelle auffi un Détroit, une Mer refiérrée entre deux terres; voyez fur cette carte. Entre rile de Corfe, & 1'Ile de Sardaigne, il y a une petite rue de Mer; on la nomme le Détroit de Èoniface. Lady Spirituelle. Ma Bonne, d'oü vient appelle-t-on la petite rue de Mer, qui eft entre V Balie & liiSicile, la Phare 'de Meffine? que veut dire ce mot de Phare'i Madem.  VIII. DlALOGUE. 20J Modem* Bonne. Je ne fais pas le Gree, ma chère, & ce mot vient du Gw, mais nous pouvons le deviner. Les vaifleaux, qui font fur la mer, ne peuvent, fans danger, s'approcher de la terre. Pour les avertir que la terre n'eft pas loin , on met du feu, ou de la lumière fur le bord de la Mer, & alors les gens qui font dans le vfthTeau, voyant ce feu , ou cette lumière pendant la nuit, n'approchent pas. Or, il y avoit un Roi en Egypte, nommé Ptolomée, qui fit batir une Tour de marbre, qui étoit fi belle, qu'on a dit qu'elie étoit une des fept Merveilles du Monde. Ou mettoit une lumière au haut de cette ' Tour , qu'on appelte Pharos , pour avertir les vafüeaux ; & depuis ce ; tems, on a nommé Phares les endroits iélevés, oü l'on,jnet de la lumière la i nuit, pour ceux qui font fur la Mer; ; & c'eft une de cos Tours, qui s'appel; loit le Phar de MeJJtne, qui a donné i le nom a ce Détroit. Nous pouvons : donc penfer que le mot de Pharos, | veut dire une lumière qui condatt pen\-dant la nuit. K 2 Lady  200 VUL DlALOGUE. Lady Mary. Ainfi, les lanternes , qui font aux portes, font des Phares. Madem. Bonne. Oui, ma chère. Mis/ Molly. nVous nous avez dit, qu'il y avoit fept Merveilles du Monde. Apprenez- nous quelles font les autres. Madem. Bonne. Je vais vous les dire toutes comme je les fais. Les Murailles & les Jar* dins de Babilone, le Phare d'Alexandrie, le Tombeau de Maufole, le Co* lo/fe de Rhodes, le Temple de Diane a Ephèfe, le Lahyrinthe de Minos dans File de Crète , les Pyramides d''Egypte. Lady Charlotte. Qu'eft- ce que c'étoit que toutes ces chofes? Madem. Bonne. Lady Senfèe va vous les expliquer, mes enfans. Allons! ma chère, apprenez a ces Dames ce que c'étoit que le Tombeau de Maufole. Lady  VIII. DlALOGUE, 207 Lady Sensée. II y avoit une Reine de Carie , nom* I mée Artémlfe , qui aimoit beaueoup 1 fon mari Maufole. II mourut, & elle lui fit faire un Tombeau magnifique. I Depuis ce tems, on a appellé MauIfoïées les ouvrsges que 1'on fait pour I honorer la mémoire des morts» Lady Charlotte. • Ab! voila pourquei on nomme MauI folées , ces figures de marbre qui font ! a Weitminfter. Je n'oublierai pas d'oü \ vient ce nom. Lady Sensée. Quoique ce Tombeau, qpfArtémiJh \ avoit fait batir fut fi magnifique, elle I ne le trouva pas digne de recevoir les cendres de fon mari. Lady Charlotte. Oü les mit - elle donc, Madame ? Lady Sensee. Elle ies mêloit chaque jour avec fa ■ foupe & fon vin; ainfi, elle les avala ji t©ut- a-fait. Lady Spirituelle. N'eft «ce pas cette Artémlfe ,, qui K 3 COlür  208 VIII. DlALOGUE. combattit pour Xerxes, Roi de Per/è9 contre les Grece, a Salamine? Madem. Bonne. Non, ma chère, celle-la vivoit auraiavant. II faut ncusféparer, Mesdames, il eft tard. La première fois nous parierons des autres Merveilles du Monde. IX. DlALOGUE. Septième Joi rnée. Lady Mary. Bon jour, ma Bonne; nous d'rezvous un joli conté de fée, aujourd'hui? Madem. Bonne. Non, ma chère; mais, a la placej d'un conté de fée, Lady Senfée vous dira la fable du Labyrinthe, qui étoit une des fept Merveilles du Monde. Quand je dis que c'eft une fable, ce n'eft pas qu'il n'y ait pas eu un Labyrinthe, un Minos, un Théfée, & les autres perfonnes, dont nous allons papier j mais c'eft qu'on a mêlé des fables ' aux  VIII. DlALOGUE. 209 aux aclions véritables de ces gens la* Allons, Lady Senfée, commencez. Lady Sensee. II y avoit un Roi de Crète, nommé Minos. Les Athéniens, aïant tué fon fils, il leur déclara la guerre, remporta la vict.oire, & condamna les Athéniens a lui donner tous les neuf ans, fept garcons & fept filles, pour êcre dévorés par le Minotame. Ce Mino* taure étoit un monftre, moitié homme & moitié taureau. II demeuroic dans une maifon qu'on nommoit ie LabyriU"the. Cette maifon étoit feite de facon , qu'on ne pouvoit retrouver fon chemin „ quand on y étoit entré; car il avoit mille tours & détours. Ainfi , les pauvres Athéniens , qu'on mettoit dans cette manon^ y ïeroienrmortsucitmu, quand même ils-n'auroient pas êté maniés par le monftre. Le fils du Roi d'A* thènes, qui fe nommoit Théfée, réioluc d'aller eu Crète, avec les jeunes gens qu'on y envoyoit, afin de tuer le Mrnotaure. Quand il fut arrivé dans ce païs, la fille de Minos, appellée Ariad* ne, devint amoureufede Thé fée. II lui prornit de 1'enlever , fi, elle vouloit lui J£ 4 ^  2!0 IX. DlALOGUE. f?uver la vie. Arladne lui donna un peloton de fil, & lui die de fattacher a la porte du Labyrinthe. II tenok le peloton dans fa main, & dévidoit le fil a mefure qu'il avancoit. Aïant rencontré ie Minotaure, \\ le tua; & aïant fuivi fon fil, retrouva la porte & fortit. Ainfi les Athéniens ne furent plus obligés ó'envoyer perfonne , pour être mangé par ce monftre. Quand Théfée rerourna dans Athéries, Ariadne s'en fur rvec lui; mais il la méprifa, p ree qu'une fille, qui s'en va avec un homme, ne merite pas d'être eftimée. II fe leva donc de grand matin, pendant qu'elie dormoit dans une He, oü ils étoient descendus peur paiTer la nuit. Quand Ariadne fe reveilla, & qu'elie vit que le vailTeau étoit parti, elle pleu. ra fz avoit bien du regret d'avoir quitté la mailön de fon père; mals fes regrets étoient inudles. Bacchus , Dieu du vin, paffa par la , & comme A'iaine étoit belle, il en eut compaflion, & 1'époufa. Elle avoit une couronne fur la tête, Bacchus la jetta au Ciel, & la changea en étoiles Quand Théfée portie d'Atbènes, il promit a fon père, Ègée9 s'ii étoit victorieuxjdemettreundrapca.u blaag  IX. DlALOGUE. 21% blanc au haut de fon vailTeau; il 1 ou* blia, & fon père, qui venoit couples jours voir fi le vailTeau n'arrivoit pomt, le voyant fans drapeau, crut que fort fils étoit mort, & fe jetta dans la mer. IThéfée envofd. des préfens au Dieu Apollon pour le remercier de fa vidoire & il ordonna que tous les ans, on enver} roit le même vailTeau avec ces préfens. : Tout le tems que ce vailTeau étoit hors d'Athènes, on ne pouvoit faire ^mourir perfonne, & on attendoit qu'il fut revenu. Charlotte, Ma Bonna, ce Théfée étoit un méchant homme, d'abandonner airtfi cette pauvre PrincelTe , qui lui avoit fauvé la vie. Madem. Bonne. Cela efl vrai, ma chère; mais s'il nes < ravoit pas lailTée la, il auroit falu qu'il ; 1'époufat; & il eft facheux d'époufer i une fille, qui court après-les hommes. ' Tant qu'il eut befoin d'elle, il lui fit ! les plus belles promelTes du monde;, I mais les hommes ne fe croient p?s obli1 gés de garder les promelTes qu'ils font: ' aux femmes; ils font charmés de pou-  ZTt IX. DlALOGUE, voir les attraper pour s'en moquer après ^ & dire a tout le monde : voyez Lady} une telle, je lui ai dit qu'elie étoit beU le, que je 1'aimois, & elle efl affez fote pour me croire. Lady Mary. Fi, que cela eft vilain, ce font des : menteurs. Mais tous les hommes lontS ils cornme cela, ma Bonne? n'ya-t-ift point une marqué, pourconnoitre ceux! qui nous aimemt tout de bon, & ceuxi qui fe moquent de nous? Madem. Bonne. Oui, ma chère. Je fuppofe qne vous j foyez une grande fille, & qu'un Gentil- 1 bomme devïenne amoureux de vous. Si ! c'eft tout de bon, il ne vous le dira pas, mais il ira trouver votre pspa & votre Maman, & il leur dira: votre ! fille eft bien aimable; fi vous voulez ! me la donner pour ma femme, je vousferai obligé , car je 1'aime beaueoup. I Si eet homme. veut fe mocquer de vous; 1 il vous dira fecrètement qu'il vous aime, & vous priera de n'en point parIer a votre Papa. Lady Mary. Ton. bien j & m.01% je lui dirai tout .; d'abord: j  IX D i A L O gü:C §f% ) d'abord; Mr , je dirai a monPapaque; I vous m'aimez, li fera bien actrapé-, s'il. I me le difoit pour fe mocquer da uioi. ) IS'eft-ce pas ma Bonne? Madem. Bonne.Oui, ma chère; cela le rend'ra tout honteux, & vous ne manquerez pas d'en ' avertir le Papa, ou la Maman; mais il ne faut dire "cela qu'a eux, & jamais & I vos bonnes amies , ni a votre femme1 de chambre. Lady Spirituelle. Ma Bonne; j'ai une grande envie' de: favoir ce qu'il y a de vrai} dans ce queLady Senfée vient de nous dire. Madem. Bonne. Prefque tout, ma chère. Au'-Heit^ du monftre, c'ëtoit un Capitaine Cré|töis-, nomrné Taurus. Au-lieu du j.loton de fil, A'riadne donna &Théiéz, la carte du Labynnthe; & aü- lieu ie; I Bacchus y cette PrincelTe époufa un P; êI tre de ce Dieu; Je vais vous expliquer" li les autres quatre Merveilles du-Monde.- luts Murailles de Babyloneemou.ï jiene: j: cette ville, la Capitale du plus ancien* I Empire dui monde v elles avoieuc 53, I milles d'éteaduë,- &: «ooi pies de hauc..  IX. DlALOGUE. Elles étoient ü huves, que fix chars y pouvoient paflèr de front, fans s'incoinraoder. Les /fardins fufpendus de Ba» ' bylone, ont été un ouvrage auffi mer* veilleux que fes murailles. Le Coiojfe de Rhodes étoit une Statuë d'airain d'une grandeur déméfurée, qui avoit la figure d'un homme. Les Rhodiens la confacrèrent au Dieu Apollon, «Si la placèrent a 1'entrée du Port de la ville de Rhodes, dans 1'Ile de ce nom. Elle étoit fi haute, & fes piés étoient pofés fur deux rochers fi écartés, que les vaiffeaux lui pafibient a pleines voiles entre les jambes. Elle fut renverfée par un tremblement de terre. Le Temple de Diane étoit ce fuperbe édifice dans la ville d'Ephèfe, qui avoit été dédié a la Déefie Diane. L'extravagant Hèroflrate le biüla, pour fe rendre fameux dans 1'hiftoire. Les Piramides d'Egypte font des ouvrages fameux, batisdcpuis quatre-mille ars, que 1'on voit encore dans te voifinage du Grand-Caire. Elles fer. voient de ièpulture aux Rois d'Ègypte, On fut vingt ans a conftruire la "'plus grande, & on y employa $66. mille ouvriers. Ou y avoit marqué, qu'il eu avoit  IX. DlALOGUE, ft*5 avoit couté fimplement pour les ails, les poiraux, les oignons & autres legumes, fournis aux ouvriers, dix huit cent talens , qui font environ quatre-cent mille livres flerling, Mais en voila asfez pour la Fable aujourd'hui. Difons un mot de la Géographie. Prenons notre Carte. Nous allons divifer 1'Europe én trois principales parties; enpartie du Nord, en. partie du milieu, & eu partie du Sud. La partie du Nord comprend , de 1'Üueft a 1'Eft, les Hes Britaniques, qui confiftent en deux grandes, & un grand nombre de petites. Laplus confi.lérable efl: la Grande -Bretagne. Dans celle-ci il y a deux Royaumes; VAn* giet er re au Sud, & FEcojfe au Nord. L'autre 11e, qui efl: plus petite, s'ap# pelle V Ir lande. Lady Mary. Je ne favois pas que je demeurois dans la Grande- Bretagne. Madem. Bonne. Cela eft vrai, ma chère ; Londres efl la principale ville, ou la Capitale de rAngleterre. Edimbourg eft la Capitale de YjEcoJfe, cVDublin efl la CaK 7 PU  ftl<5 IX. DlALOGUE. pitale de Ylrlande. Ces trois Royaumes font au même Prince, qu'on ap. pelle Roi tfAngleterre. A YEfi de YAngleterre, on trouve le Dannemarc; dont la Capttale eft Copenhague, dans lTle de Zeeland, La Norwège, qui eft au Nord du Dannemarc \ ia ville Capitale eft Chifliania. Ce Roi posfède auffi Yiflande, & cette Ile eft encore plus au Nord de 1'Europe, que YAngleterre. A 1'Eft de la Norwege on trouve la Snéde, autour du Golphede Bothnïe, dans la Mer Baltique. La Capitale de la Snéde eft Stockholm. Enfin, a 1'Eft de la Suéde, on trouve la Rujjïe, ou Mofcovie, qui eft un trés 'grand païs, fa ville Capirale eft Mos* cow; mais aujourd'hui, Peter shourg en eft la plus belle ville, & la Réfidence de 1'lmpératrice , & de la Cour de Rujfie. Voila donc cinq partïes principales de PEurope au Nord: retenezles bien. La première fois, nous apprendrons les parties du milieu. Lady SpirituElle. Ma Bonne, j'ai lu hier,, dans le Magazin Francois , 1'Hiftoire de Pierre le Grand x qui a bati la ville de Péters» hourgr  IX. DlALOGUE» üïf bourg. Je Pai trouvée toute femblable au conté du Prince Charmant, que vous avez raconté Pautre jour, Madem. Bonne. C*eft presque le même, ma chère* & le Roi Ahfolu relTemble un peu £ Charles douze, Roi de Suéde. Je vous prêterai fon hiftoire, quand vous aurez fini de lire M. Rollin* Allons! Mesdames, voyons ce que vous avez; appris de i'hiftoire fainte.. Lady Mary. Quand Ifaac eut époufé Rébecca, il pria Dieu de lui envoyer des enfans. Elle eut deux fils, 1'ainé fut nommé Efaü, & le fecond Jacob. Vous fafa vez bien, Mesdames, qu'ordinairement il jfy a parmi les nobles que Painé qui ait un tirxe, & qui foit Lord;, le fecond ne Peft pas. On difoit donc Milord Efaïï, & Maitre Jacob. Un jour, Milord fut a lactiaffe, & quand il revint a la Maifon , il avoit une grande faim;. II trouve Maitre Jacob 9 qui venoit de faire une foupe-aux. lentiiles, & qui alloit ia manger». Milord; Ëfaiïéit a fon frère, donnez-moi votre foupe. Je Pai faite pour moi, ré- ;gon?-  £IS IX. DlALOGUE. pondit Jacob; mais fi vous voulez me donner votre titre, je vous donnerai ma foupe. Efaii, qui étoit un gourmand , vendit fon titre pour cette foupe: ainii, Jacob devint 1'ainé & fuü Lord, au-fieu f^Efaü ne fut plus que Maitre. Madem. Bonne. Vous voyez, Mesdames, combien la gourmandife fait faire de fotifei. C'eft un vilain défaut. Outre que e'eft un pêché d'être gourmande, celarend malade, ftupide, & fait mourir jeune: mais je ne vous en dirai pas davantage fur ces art'cle; je vous eftime trop, mes enfans, pour croire que vous fo'ijz gourmandes. C'eft un vice fi bas, ft honteux , que je ne voudrois pas fouffrir en votre compagnie une jeune Dame que je croirois gourmande. Vous rougiffez , Mifs Molly , auriez - vous eu le malheur de faire quelque faute. fur cet articie ? Mifs Molly. Oui, ma Bonne. II y a quelques jours que ma fervante ne voulut pas me donner du thé le foir, & j'ai pleuxé pendant plus d'une heure. Madem  IX. DlALOGUE. 219 Madem. Bonne. II faut vous corriger de ce vilain dêfaui, ma chère , & fi vous voulez être bonne fille, &'que je vous aime encore; il faut réparer votre faute. Voy* ons, que ferez vous poiu cela? 'Ml/S molly. Je ferai huit jours fans prendre du thé, ma Bonne, mais auffi, vous ne penierezplus a cette fodfe que j'ai fake. Madem. Bonne. Ponrquoi y penferois - je, ma bonne amie? Quand nous fommes fachées de nos fautes, & que nous les réparons % le bon Dieu les oublie; je n'ai garde de m'en fouvenir. Dites votre hiftoire , ma chère. Mifs Molly. Efaü n'aimoit pas fon frère Jacob paree qu'il avoit acheté fon titre, & qu'il lui avoit volé la bénédictdon de fon père. Rébecca dit a Jacab; j'ai peur que votre frère Efaü ne fe venge de vous, ainfi, mon fils, allez trouver votre oude Laban, & demeurez avec lui, jufqu'a ce que la colère de votre fièrefoit paflee. Laban avoitdeux filles L4a  220 IX. DlALOGUE. Léa Fatnée étoit laide, & Rachel, la feconde , étoit belle. Jacob devint a« moureux de Rachel, & la demanda en manage a Lahan, qui lui ait, je vous donnerai ma fille Rachel, fi vous voulez être mon domeftique pendant fept ans. Jacob y confentit, & il aimoit tam Rachel que ces fept années lui parurent comme fept jours. Au bout de ce tems, il croyoit époufer Rachel, mais Lahan le trompa, & mit dans le lit fa fille Léa. Comme Jacsb fecoucha fan.*: chandelle, il ne s'appercut pas que fon beau père 1'avoit trompé; mais le matin il fut bien faché. Lahan lui dit; Ce n'eft pss la coutume de marier la plus jeune avant Painée, mais fi vous voulez me fervir encore fept ans, je vous donnerai Rachel dans huit jours." Jacob y eonfcmit, & après ce tems, Lahan, qui voyoit que Dieu le bénisfoit, a caufe de Jacob, le pria de refter chez lui; & lui promit une bonne récompevfe * mais il cherchoit a le tromper, ce qui n'empècha pas jacob de devenir trés» riche. Il n'aimoit point fa femme Léa, & Dieu eut piiié d'elle. 11 lui donna un grand nombre d'enfans, & Rachel n'en avoit point. &  IX. DlALOGUE. Ö2I A la fin , pourrant, elle ene un fits qui fut nommé Jofeph. Cependant Jacob quitta fon beaupère Lahan, & revint dans fon païs. Mais comme il en étoit procha, il apprit que fon frère Efaü venoit au devant de lui avec un grand nombre d*hommcs armés. II eut peur, mais Dieu lui envoya un ange pour le faiïurer: & Jacob appaifa la colère de ion frère par fes préfens. Madem. Bonne. , Allons l Lady Charlotte, dites - nous Yoae hiftoire. Lady Charlotte. Jacoh s'arrêta avec fa familie prés de ta \ ille de Sichem. 11 avoit douze gai^ons, & une fille nommée Ditta. Cette fille , qui étoit cndeuCS, voulut voir les filles de Sichem. Elle fortit donc, & le fils du Roi faïant vuë, en devint amoureux & 1'enleva. Les fils de Jacob, aïant appris'cela , furent fort en colère; mais le Roi leur dit, ne vous fachez pas, donnez moi votre foeur pour être la femme de mon fils, & devenons amis les uns & les autres. Les frères de Dina y confentirent; mais deux d'entre eux, qu'on nommoit Simé-  222 IX. DlALOGUE. Simèon & Lévi, réfolurent de fe venger. Ils tnèrenr en trahifon le Roi, fon fils & tous les hommes de Sichem, & firent hurs femmes prifonniéres. Ja* cobfm bien faché quand il fut cette mauva;fe action9 & il avoit peur que les peuples des villes voifmes ne lui fhTent la guerre. Dieu le ralTura, & lui promit cc mme il avoit fait a Abraham & a Ifaac, de donner a fes ent nslepais, dans lequel il demeuroit actuellement.Jacob quicta cet endroit & vint demeua Héthei, qu'on a depuis appellé Beth* léem. Quand ils y fui'ent arrivés, Rachel eut encore un fils, & elle mourut quand il vinr au monde. Elle le nomma Benoni, c'eft-a dire, 1'enfant de ma douleur; mais Jacob l'appel]a Ben* jamin. Et Rachel fut enterrée auprès de Bethléem, Lady Spirituelle. Ma Bonne, il me femble que les enfans de Jacob n'étoient pas tous honnêtes gens. Ce Siméon & ce Lèvi étoient bien cruels, de tuer tous les habitans Sichem; qui n'étoientpas coupabks. Madem. Bonne. Ils étoient prefquetous de grands co- quins»  IX. DlALOGUE. 223 quins, comme vous le verrez bientöt. Juda, 1'ainé, a commis de grands crimes , mais il y en avoit un qui étoit un fort honnête homme, c'étoit Jofeph. j Lady Sensée. Mon Dieu l je ne comprends pas pourquoi les hommes font méchans. II y a tant de plaifir a faire fon devoir. Pour moi, quand j'ai fait une faute, je fuis fi tourmenrée, qu'il ne m'eft pas poflible de dormir de toute la nuit. Eft - ce que Lèvi & Simèon, qui tuèrent tous ces gens-la n'étoient pas aus* fi tourmentés? Madem. Bonne. Oui, ma chère. Dans le commence* ment qu'on eft méchant, la confcience tourmente; mais quand, malgré fes reproches, on continue a commettre le crime, petit - a petit les remords diminuënt, & a la fin, la confcience ne dit plus mot, ce qui eft le plus grand de tous les malheurs.^ Remarquez aufil, mes enfans, combien il eft dangereux pour une jeune Dame, d'être curieufe; & d'aimer a courir. Si Dina étoit reftée chez elle,' elle n'auroit pas caufé les eftïoyables malheurs que nous vo-  224 DlALOGUE. vpnons d'entendre. Les femmes font faites pour la retraite, il faut qu'elles s'accoutument k Faimer; & j'ai trèsinauvaife oplnion d'une rille qui aime a courir, & a fe faire voir par - tout. Je vous difois, il y a quelque tems, que les femmes étoitnt deftinées a veiller fur leurs families: comment le peuvent-elles faire, 11 elles font toujours hors de la maifon? Lady spirituellp. Mais, ma Bonne, quand on eft riche, on a des domeftiques, pour veiller fur fa familie; je croyois qu'il n'y avoit que les pauvres femmes qui dusfent s'occuper du foin de leur maifon. Madem. Bonne. Vous vous trorrpïez, ma chère. Dieu n'a pas dit qua les riches re mangeroient pas leur pain a lafueur de leur front. Tout le monde doit travailler: c'eft la penitence de tout le monde; & le travail d'une Lady, comme d'une marchande, eft d'avoir foin de fa familie. Je fuppofe même, que 1'oillveté ne fut pas un pêché: les Dames devroient toujours s'occuper du foin de leur maifon. Retenez bien ceci, mes enfans. Quand vous  IX. DlALOGUE. 225 vous feriez beaueoup plus riches que vous n'êtes, li vous ne prenez par garde a vos affaires, vos domeftiques vous voleront;les marchands feront d'accord avec eux pour vous vendre trop cher; vous deviendrez pauvies, oudu moins vos enfans le deviendront. Or il n'y a rien de plus honteux, que de devenir pauvre par fa faute: tout le monde fe moque de ces pauvres - la , & , lom d'en avoir pitié, on les méprife. Lady Mary. Vous dites que tout le monde efl obligé de travailier; mais les Rois & les Reines n'y font pas obligés. Madem. Bonne. Je vous demandé pardon, ma chère» un bon Roi, une bonne Reine, tra vaillent beaueoup plus , que le plus pauvre de leurs fujets. 11 y a deux fortes de manières de travailier, Mesdames ; un païfan travaille a la terre, un menuifier travaille fur ie bois, une couturière fait des habits; mais ce travailla n'eft pas fort difficile. Celui cu 1'efprit travaille, Feft bien davantage, & voila Pouvrage des Rois & des Reines. Comme Dieu leur demandera compte de  220 IX. D i alo gue» de tout le mal, qui fe fait par leur faute & leur négligence; ils doivent penfer jour & nuit,. è, s'inftruire de tout ce qui fe fait dans leur Royaume; & je vous allure qu'un bon Roi, un grand Roi, n'a pas un moment de repos. Lady Spirituelle. Si cela eft, ma Bonne, il n'y pas beaueoup de plailir a être Roi. Madem. Bonne. Pardonnez-moi, ma chère; un Roi peut être le plus heureux de tous les hommes; mais pour le devenir, il faut qu'il ne le donne pas un moment de repos. Ce travail, que vous regardez comme une peine fait tout le bonheur, & toute la gloire de fa vie. Dites - moi, je vous prie, une bonne mère trouve-1elle de la peine a s'occuper de fes enfans? non, fans doute. Eh bien \ un bon Roi eft le père de fes fujets; loin de trouver de la peine a s'occuper des chofes, qui peuvent les rendre heureux, cela lui donne une fatisfaction infinie. Adieu, mes enfans. La lecon a été un peu courte aujourd'hui, car je fuis inconunodée, nous récompenferons cela la premère fois. Fin du prent er Tomé.