(EUVRES SPIRITUELLES SUR DIVERS P01NTS DE LA MORALE, DE LA PIÉTÉ, ET DE LA PERFECTION CHRÉTIENNE; Propres ci tous les Chrètiens, & fur-tout aux perfonnss qui font profejfton de [ervir Dieu (Tune fagon plus particuliere, dans le Monde, ou dans le Cloltre. A AMSTERDAM, AUX DÉPENS DES L I B K. A I R E S; M. DCC. LX XXL  1  AVIS DE L'IMPRIMEUR. V_>Omme les Perfonnes timorées pourroient concevoir de 1'éloignement pour eet Ouvrage, a caufe que le Titre porte qu'il a été imprimé a Amfterdam, je dois les avertir qu'il a été vraiment imprimé dans un Pays très-Catholique, & qu'il ne renferme rien qui ne foit parfaitement conforme a la pureté de la Foi & de la Morale de la Sainte Eglife Romaine. 'ii^r1 preuve que j'en puiffe donner, eelt 1 annonce qu'on en trouve a la page 415 , mois de Novembre 17 81 , du Journal de Luxembourg, le plus Chrétien & le plus Cathohque des Journaux que je connoiffe. Voici les propres paroles de 1'liabile Journalilte dans le compte qu'il rend au Public de eet Ouvrage. „ U y a une grande variété de chofes qui „ ne peuvent être indifférentes aux Perfonnes " ?n8agees dans la vie religieufe , ni aux „ LeéteursChrédens en généra!. Les prémiers „ Chapitres qui traitent de la nature & des „ facultés de 1'ame, de fa dignité, de 1'eftime » qu on doit en faire, & des moyens de la „ rendre plus excellente encore, préfentent " ™ «es-bonnes vues de Métaphyfique & de " £'?rale\ LAuteur difcute enfuite divers „ Points de la Doftrine Evangélique, parti» culierement ceux qui ont un rapport plus  3, marqué avec la vie afcétlque ; tels qüe „ 1'Oraifon Mentale, 1'état de pure foi, les „ épreuyes, 1'humilité, les voies qui condui„ fent a la perfe&ion du Chriftianifme. La „ manière dont il réfout la queftion fcavoir „ s'il y a quelque différence entre le Chrétien „ & le Dévot, eft tout-a-fait fatisfaifante & bien propre a faire ceflér enfin les plats „ propos que les beaux - efprits affedtent de „ tenir fur la Dévotion , & la dérifion qu'ils „ attachent au nom de Dévot < Deux Chapitres qui concernent les Philofophes, „ contiennent des chofes trés - fenfées „ Le dernier Chapitre roule fur quelques abus communs dans les Pays - Bas Autri„ chiens & Fran?ois. L'Auteur eft fort mécon„ tent de plufieurs Proceflions, qui dans le fonds font un mélange dégoutant de ridicule 5, & de férieux, de facré & de profane: la „ Relation de la Cavalcade faite il y a quel„ ques années par les Malinois, qu'on voit a la page 305 , me porte a croire que „ 1'Auteur habite nos Provinces, & que' fes 5, yeux déterminent quelquefois les objets de 5, fon zèle; il eft fi ardent, ce zèle, ü fécond ., en expreffions véhémentes & fingulières, }, qu'il n'eft prefque pas poflible de lire ces , Lettres avec indifference ; elles attachent , par la manière neuve & extraordinairement \ animée dorit il rend fes idéés , &c. On trouve eet Ouvrage a Luxembourg , chez 1'Imprimeur du Journal. Prix 1 livre 10 fols broché ; & a Lille, chez B. BROVELLIO, Imprimeur-Libraire , Rue des Manneliers, a la Sorbonne.  (EUVRES SPIRITUELLES SUR D1TERS POINTS DE LA MORALE, DE LA PIÉTÉ E T DE LA RELIGION CHRÉTIENNE. CHAPITRE I. Sur la nature de VAme bumaine &> hs Preuves de fa fpiritualitè. |tapj|E mot d'Ame fè prend ou lljtte P°ur,,e principe de Ia vie de I^^S t0US s animai,x» ou pour Ie principe de nos penfées, de nos connoiflances, de nos jugements, A  2 CEüVRES SPIRITUELLES. de nos raifonnements, de nos fentiments; pour 1'Ame humaine, cette fubftance qui penfe & qui fent en nous, cetEtre penfant, qui anime & qui gouverne notre corps. Mais qu'eft-ce que 1'Ame prife en ce dernier fens? N'eft-ce que de la madere, ou une modification de la matiere? Eft-ceunefubftancefimple, imrnatériel]e , raifonnable , fpirituelie , fublime image de la Divinité? N'eft-ce qu une même chofe avec le corps, ou bien en eft-elle entiérement Sc effentiellement diftinguée? Les Philofophes modernes quon nomme Matérialiftes, foutiennent que 1'Ame de 1'homme eft de même nature que fon corps. Selon eux, tout ce qui exifte, eft matiere ou modification de la matiere; tout eft corps, & il n'y a point- de pur efprit, ou d'êrre purernent fpirituel. Dans leur fauffe opinion, le principe qui penfe en nous , eft donc un corps non pas groliier, a la vérité, mais fubtil «Sc délié, tel qu un feu imperceptible, un atome plus exigu que la matiere la plus fubtile, unpeu d'air ou defang, ou enfin un compote exrrêmement delïcat des quatre éléments. Car nous ne parions pas de cette efpece  ChapitrbL 3 de Matérialiftes qui ofent foutenir que J Ame eft coétendue au corps ; cette groffiere opinion eft des plus extravagames; il s'enfuivroit que 1'Ame dun enfant feroit matérieJIement moindre quecelle dun homme fait; qu'elle croïtroitöc grandiroit en même temps que Ion corps; qu'un homme gros & o-ras auroit une Ame d'un volume plus lmple qu'un homme maigre & décharné; que quand on coupe une jambe a queiqu un on lui enleve une partie de fon Ame, &c. Nous allons prouver la fpirituahte de 1'Ame. r Première Preuve tirée de Vldée de la Matiere & de la Penfée. La matiere même Ia plus déliêe & Iai plus imperceptible eft une fubftance elienneilement étendue, divifible, inerte , c eft-è-dire deftkuée de toute adivité intrinfeque qui lui foit propre, incapaoie de fe donner Je mouvement a ellememe, & capable de Ie recevoir d'un premier moteur. C'eftuntifTu de diverles pamesféparables, réellement diftmguees les unes des autres, & qui par leur affemblage, forment une fubftance, étenaue, fufceptible duncmulritudedefiwuAij °  '4 (Euvres sp1rituelles. res, de coulcurs, de divifions, dernou-1 vements. Etre étendu & être matériel, ce font donc deux notions identiques «Sc la plus petite parcelle de matiere, précifément paree qu'elle eft matiere, eft étendue : la longueur, la largeur elle paffe les mers, elle parcourt 1'univers, elle prédit sürement & a point nommé les éclipfes de foleil & de lune des milliers d'années avant qu'elles arrivent; elle embraffe tous les lieux & tous les temps, le préfent, le paffé & le futur, les contemple d'un feul regard. Ces connoiffances & mille autres font bien au deffus des forces de la capacité de la matiere ; elles ne conviennent qua une fubftance fpirituelle, 8c prouvent conféquemmentla fpiritualitè de 1'Ame qui eft douée de ces fublimes connoiffances & de ces admirables opérations.  Cjhapitre I. 9 Quatrieme Preuve de la fpiritualitè de PAme tirée de la faculté qu'elle a de réfléchir, de comparer, de juger, de raifonner. Réfléchir c'eft agir 8c réagir, fe replier fur foi-même, 8c non-feulement fur foi, mais encore fur fa manière d'agir, 8c fur la manière de cette manière, 8c fur la réflexion que 1'on fait fur cette mamere a 1'infini, par une efpece dereph qui n'a pas de fin; telle eft la faculté merveilleulèderAme.Elleréfléchitnonfeulement fur les objets qui font hors delle, 8c dont les idéés lui font mifes, pour ainfi dire , fous les yeux 8c dans le plus intime de fon être par 1'opération du Souvcrain moteur, mais encore fur elle-même, fur fes propres penfées, fur fes propres réflexions, 8c alors 1 etre reflechiffant 8c 1'être réfléchi n'en font qu'un , c'eft une identité d etre. L'Ame réfléchir, elle compare les idéés les unes avec les autres, pour les joindre ou les feparer; elle juge, c'eft-a-dire qu'elle prononce en affirmant ou en niant; elle raifonne, ceft-a-dire qu'elle déduit une venté d'une autre vérité, une confóquence jufte de fon principe : or touc A y  IÓ CEuVRKS SPIRITUELLES. cela prouve l'irnmarérialité de 1'Ame 8c ne peut convenir au corps, qui n'eft nullement capable de ces opérations lublimes, puifqu'il n'a de lui-même que lina&ivité & 1'inertie en partage. Cinquieme Preuve de la fpiritualitè de CAmetirèe de fattention & du doute. L'attention pour laqüelle 1'efprit ap* pliqué a la confidération d'un objet, le faifit, le pénetre & le développe en quelque forte , en s'y arrêtant plus ou moins long-temps, ne fauroit être une adtion purement méchanique , qiü fe borne au tranfport des parties d'un corps en mouvement. 11 en faut dire autant des doutes que nous éprouvons fans pouvoir nous déterminer entre deux fentiments contraires, paree qu'ils nous paroiflent tous deux appuyés fur des raifons également plaufibles. Ces doutes & ces indéterminations ne font pas des mouvements locaux; & ce qui doute en nous, c'eft 1'efprit & non pas la machine, ou la matiere mife en mouvement , puifqu'elles n'ont aucun rapport avec le doute ni avec la certitude. Le bon fens di&e que ce font les raifons &  ClIAPlTRE I. 11 non pas le mouvement & le choc des parties d'un corps qui produifent le doute & la certitude qui font des difpofitions de 1'efprir. Sixieme Preuve de la fpiritualitè de V Ame tirée des rêves &dês diflraBions. L'homme qui rêve, a des idéés; il juge, il raifonne , il veut, il aime, il hait, il exerce enfin toutes les opérations qu'il exercoit pendant la veille, & fouvent mieux. Le Prédicateur compofeoudéclamedesfermons , lePoëte fait des vers, 1'Avocat plaide, le PhiJofophe raifonne , fait des découvertes. Cardon attefte pag. 230, qu'il a trouvé durant fes rêves beaucoup de démonftrations géométriques, qu'il n'avoit pu découvrir en veiilant malgré toute lön application. Or toutes ces opérations font néceffairement indivifibles & des modifications d'une fubftance Ipirituelle de 1'Ame du rêveur, laquelle fe trouve encore moins afiujettie au méehanifme que quand il veille. Souvent dans les rêves, 1'Ame pafte rapidement d'un objet a 1'autre, d'une idéé, d'une palfion, d'un fentiment desidées, des paffions, des fentimenw A vl  12 CËUVRES SPIRITUEtLES. contradi£toires; elle dit oui & non fut' le même fujet; elle veut, elle ne veut pas; elle aime, elle hait, &c. Ce paflage fobie dun objet a 1'autre, n'eft pas moins ordinaire a 1'homme diftrait pendant qu'il veille. Très-fouvent fon efprit voltige d'objet en objet , & raifonne fur le palfé, lür le préfent, fur 1'avenir, fur une affaire, fur un projet, fur un point d'hiftoire , fur une vérité métaphyfique , fur un problême de Géométrie, «Sec. Comment expliquer des pafTages fi rapides, fi variés, li oppofés par les loix du méchanifme? Septieme Preuve de la fpiritualitè de VAme tirée de la faculté que lAme a de vouloir. L'Ame veut & en voulant elle agit par elle-même, en elle-même Sc fur elle-même. Elle agit par elle-même, puifqu'elle veut, & qu'elle eft le principe du moins fecondaire de fon vouloir ou de 1'action par laquelle elle veut; elle agit en elle même, puifquefbn vouloir eft au dedans d'elle-même, comme dans une modification dans fon füjef. EJle agit fui eile-raême en produifant fes  Chapitre I. 13 Vouloirs, dom elle eft fouvent 1'obier, elle fe veut du bien a elle-même ; elle s'aime, elle s'idolatre. Or la matiere n'agit pas par elle-même, elle eft inerte de^ fa nature ; elle n'agit pas dans ellemême ; fon adion qui ne confifte que dans un tranfport local, ne lui vient que de 1'impreftion d'une caufe étrano-ere. Elle n'agit point fur elle-même; 1 objet ou le terme de fon adion eft toujours hors d'clle-même : un corps frappe un autre corps, il ne fe frappe pas lui-même ; la faculté de vouloir qui eft effentielle a 1'Ame, prouve donc fa fpiri* tualité. Huitieme Preuve de la fpiritualitè de 1'Ame tirée de la liberté de ï1 homme, L'homme eft libre; il examine, il delibere, il choifit,il détermine, ilacvjr, & en agiffant, il conferve'le pouvoic de ne point agir, de s'arrêter, de fufpendre fon acïion , d'en faire une autre conté contraire. Tous les hommes en font convaincus , le fens intime qu'üs ont de leur liberté, ne leur permec pas d'en douter, & les plus grands ennemis de Ia liberté dans Ia fpéculation , en fontperfuadés comme les autres dans  14 (EuVRES SPIRITUELLES. la pracique, puifqu'ils agiftent avec autant de perfuaiion de leur liberté , que ceux qui Ia défendent avec plus de chaleur. Ils commandenta leurs inférieurs, ils rampent devant leurs Supérieurs : ils les prient, les follicitent avec refpe£t, pour en obtenir des graces; ils promettent, ils exigent, ils font en un mot, tout ce que font les autres hommes dans le commerce ordinaire de la vie, 8c ce qu'il fèroit ridicule'de faire , li 1'on n'étoit bien convaincu de 1'exiftence de la liberté humaine. L'homme eft donc libre, il n'eft donc point machine, puifques'il 1'étoit, ilfuivroitnéceflairement & inviolablement les loix du méchanifme; il n'auroit&nepourroitavoird'autre regie de tous fes mouvements & de toutes fes aftions que les difpofitions organiques de fon corps ; il agiroit toujours ou plutót il feroit toujours emporté par 1'invincible impreftion d'une impétuofité aveugle. Neuvieme Preuve de la fpiritualitè de VAme tirée des de/irs, de Yefpérance & de la crainte. L'Ame defire, elle efpere, elle craint; elle eft donc fpirituelle, puifque la ma-  ClIAPITRB 1. T5 tiere n'eft fufceprible ni de defirs, ni d'efpérance, ni de crainte. Car qu'eft-ce qu'un defir ? C'eft une inquiétude que 1'Amc reffent pour une chofe abfente , qu'elle ferepréfènte comme avantageufe. Très-fouvent les objets de nos defirs font purement fpirituels, quelquefois fimplement poftibles, d'autres fois même impoffibles, «Sc enfin un defir peur avoir pour objerun autre defir , comme il arrivé a un pécheur qui foupire de temps en temps après fa converfion, «Sc qui voudroir avoir les vertus contraires aux vices qui le tyrannifent. Le defir agite 1'Ame , il la tranfporte ; la raifon appellée a fon fecours, la fait quelquefois triompher de fa paffion ; mais le plus fouveru la paftion 1'emporte; le defir, s'il eft violent, s'irrite des obftacles, «Sc en s'irritant il crolt en ardeur «Sc en violence. L'efpérance ajoute au defir la douce penfée qu'on obtiendra ce que 1'on defire; elle affe£te fouvent 1'Ame plus délicieufement que la jouiffance, quoique 1'objet de la jouiffance foit préfent «Sc celui de l'efpérance éloigné. La crainte, cette facheufè «Sc involontaire émotion de 1'Ame, a 1'afpeft d'un mal qui nous menace , eft un fentiment de 1'Ame  ï6 CEUVRES SPIRITUELLES,_ dont une machine n'eft pas fufceptible, non plus que des defks & de l'efpérance. Dixieme Preuve de la fpiritualitè de VAme tirée de l'amour & de la haine. L'amour qui nous fait aimer un ob» jet, nous fait haïr 1'o'ojet contraire, d'ovi il arrivé que l'amour Sc la haine affectenc 1'Ame en même temps. Or 1'exiftence limultanée de deux méchanifmes contraires dans un même fujet, renferme unecontradiction palpable; puifqu'ileft impollible qu'un même morceau de bois, par exemple, foit rond Sc quarré tout a la fois; 1'exiftence limultanée de l'amour & de la haine, dans une même Ame, en prouve donc la fpiritualitè. Onzieme Preuve de la fpiritualitè de VAme tirée de la joie & de la trifleffe. L'expérience fimultanée de la joie Sc de la trifteffe , fe rrouve fouvent dans une même Ame, paree qu'un même objet la réjouit a certains égards , & 1'attrifte a d'autres; or cette conirariété de fenfations produites par une diverfité d'égards , de rapports , de vues , de eonfidéraüons, ne peut s'expliquer par  ClIJPITRE I. 17 les loix du méchanifme, ni fe comprendre dans un homme machine, non plus que le paflage rapide d'une triftefle profonde a une joie exceftïve, ou d'une joie exceffive a une triftefle profonde. La nature phyfique & méchanique va par degré d'une extrêmité a 1'autre. Qiielquefois ce qui a donné de la joie, caufe de 1'ennui & de la triftefle , quand il eft continué : c'eft un phénomene qui heurte de front toutes les loix du méchanifme , felon lefquelles jamais une caufe qui continue d'agir , ne produit un effet oppofé a celui qu'elle a d'abord commencé a produire. D'ailleurs , la joie 8c la triftefle ont fouvent des objets tout fpirituels, tels que les idéés du vice & de la vertu, ou le fouvenir d'un objet paffé ou l'efpérance d'un objet futur, ou feulement poflible, qui peut-êtren'exiftera jamais; 1'Ame qui éprouve ces fenfations, eft donc fpirituelle de même que les objets qui les produifenr. Enfin la joie eft fufceptible d'accroiffements, 8c de décroiflements, c'eft-adire,qu'ellecroïtoudécroitenelle-mêmeintérieurement, tandis que le corps ne croit que par une nouvelle acquifition de parties de matiere, Ce n'eft donc pas  Ig CEUVRES SPIRITUELLES. 1'homme machine qui éprouve le fentimenr de la joie, quand un être machinal vient a fe déranger. L'expérience prouve 3e contraire; le héros Chrétien éprouve une joie délicieufe «Sc ineffable de fouffrir dans fon corps pour la caufè de fa Religion, «Sc le héros même profane fè réjouit de voir coulcr fon fang pour la défenfedefapatrie, nil'un ni 1'autre n'eft donc un homme machine. Douzieme Preuve de la fpiritualitè de VAme tii éi des fentiments du plaifir & de la douleur. Les fentiments fi vifs «Sc fi intimes du plaifir «Sc de la douleur qui font comme une partie de nous-mêmes, ne fauroient avoir le corps pour fujet d'inhéfion, c'eft-a-dire pour fujet immédiat; ou bien, ce qui revient au même, la matiere ou le corps ne fauroit ni produire, ni réprouver les fentiments du plaifir 8c de la douleur, paree qu'il n'y a point d'effet fans caufe, & que 1'effet ne fauroit être plus parfait que fa caufe, du moins quand 1'effet eft d'un ordre différent 8c bien fupérieur a la caule prétendue, «Sc qu'il n'y a ancun rapport entre 1'un 8c 1'autre. Or fi la matiere  CliAPlTRE I. lp pouvoit produire les fentiments du plaifir & de la douleur, 1'effet, c'eft-a-dire, le fentiment du plaifir & de la douleur feroit plus parfait que fa caufe, puifqu'il eft certain que la faculté fenlitive eft une perfection qui furpaffe toutes celles de la matiere & du méchanifme, & que le plus beau chef-d'ceuvre de méchanique n'eft rien en comparaifon du plus petit être fenfitif. Treizieme Preuve de la fpiritualitè de ï/lme tirée des fenfations. La fenfation eft une modalité ou manière d etre de 1'Ame qui agit parl'organe & 1'entremife desfèns, la vue, l'ouie,Ie goüt,l'odorat,le toucher; c'eflTAmeellemême en tant qu'elle voit, qu'elle écoute, qu'elle goüte, &c. Or les fenfations dépendent bien du méchanifme, mais elles ne confiftent pas dans le feul méchanifme, puifque fi cela étoit, on ne pourroit jamais connoitre les fenfations, fans connoitre en même temps leur méchanifme, ce qui eft faux, puifque nous avons des connoiffances très-claircs & très-diftinctes de nos fenfations, quoique nous en ignorions parfaitement le méchanifme. Par exemple, j'ai unecon-  20 CEUVRES SPIRITUELLES. noiffance très-claire de la fenfation de la vue, je vois la lumiere, & je luis intimement convaincu que je la vois ; cependant je ne vois pas mon ceil, ni rien de fon méchanifme, ils font pat* rapport a mon fentiment intime, comme s'ils n'cxiftoient pas. Preuve fenfible que la fenfation de ma vue ne confifte pas dans le méchanifme, & qu'il n'y a ni klentité, ni même liaifon néceffaire entr'eux, le méchanifme de 1'ceil pouvant exiiïer & exiftant fort fouvent fans la fenfition de la vue, comme le prouve 1'expérience journaliere. En effet,j'ouvrelesyeux,ckclansle moment tous les objets qui font expofésa ma vue,fe peignent fur la membrane nerveufe de mon ceil qu'on nommelachoroïde,&qui efta la retine de 1'ceil cequele vifargent eft a la glacé du miroir.Voiia donc 1'image cSc tout le méchanifme de 1'ceil. Cependant fi je fuis fort occupé d'une affaire, d'une queftion, ou fimplement diflrait, je ne vois pas ces objets, ils font pour moi comme s'ils n'étoient point. Le méchanifme de 1'ceil n'eft donc pas toujours fuivi de la fenfation de la vue.Les fenfations ne confiftent donc pas dans lefeul méchanifme; elles coniiltent dans 1'attention que 1'on fait aux objets  ClIAPlTRE I. ai qui les excitent, & cette attention fignifiee par le terme même de fenfation eft une modahté de 1'Ame, cette fubftance ipintuelle, feule capable d'être le fujet & la caufe efficiënte de toutes les fenlauons. Sans cela, & fi les fenfations n etoient que méchanifme, il faudroit admettre des fenfations rondes, quarrées,triangulaires, & enfin de toutes les figures, puifque le méchanifme ne coniifte que dans les figures. II faudroit auih que les fenfations fuffent divifibles comme les figures, & qu'ilyeütconféquemment des moitiés, destiers, des quarts de fenfations : idéés folies & abïurdes J Quatorzhme Preuve de la fpiritualitè de ïame tirée de la confcience. La confcience eft la regie inférieure, prochame,immédiatedesa£teshumains, lejugement aduel &pratique, qui dide ce qu'il faut faire ou éviter, la voix fecrete, mtime, uniforme, univerfelle qui parle a tous les hommes pour les inftruire de leurs devoirs, pour les porter a les accomplir, pour les récompenfer dunejoiedélicieufe, quand dociles afes lecons ils les accpmpliflent fidélement,  22 GËUVRES SPIRlTUELtES. ou bien pour les punir de leur infidélité, par la pointe des remords &l'amertume des plus vifs reproches, lorfqu'ils ofent les violer. La confcience eft donc elfentiellement une regie qui dirige & qui guide dans le genre moral, une faculté éclairée qui examine, difcute, juge, prononce, décide de la bonté ou de la malicedes acfions humaines, en appliquant les principes généraux & les loix aux cas particuliers Sc a toutes les circonftances. Or de bonne foi 1'homme machine eft-il capable de toutes ces connoiffances & de toutes ces opérations? La fcience Sc 1'application des loix & des regies de mceurs ne font-elles qu'un arrangement de quelques grains de poulliere? La voix de la confcience, ne doit-on la regarderque comme unlimple mouvement du corps? Ouinzieme Preuve de la fpiritualitè de VAme tirée des louanges données ou regues. Tout être capable de donner ou d'apprécier des louanges vraies ou fauffes, eft néceffairement un être fpirituel, pour trois raifons principales Parcequ'une même exprellion contient quelquefois  CllAPITRE I. 23 une louange, & quelquefois une fatyre fèlon les circonflances des temps, des lieux, des perfonnes, du ton , &c. 2° Paree qu une louange qui a d'abord fait un plaifir délicieux, a caufe qu'on la croyoit fincere, produit enfuite le dépit , quand on vient a 1'envifager fous les traits de la dérifion. 30. Paree que la perfonne qui s'eft-entendu louer , examine quelquefois long-temps après le fens des paroles qu'on lui a dites, pour voir fi elles renferment une vraie ou une faulfe louange. Or tout cela exige néceffairement un être fpirituel, piufqu'il n'y a qu'un tel être qui foit capable d'examiner, de difcuter, de difcerner, d'apprécier, de juger du fens des expreffions équivoques, que le méchanifme eft abfolument incapable de ces différentes opérations, 8c que pour produire méchaniquement un effet, il faut exifter phyfiquemenr. Selzieme Preuve de la fpiritualitè de VAme tirée de la politique. La politique confifte dans une fagefie de gouvernement qui a pour objet la confervation, les avanrages 8c la glou-e des Etats; ce qui fuppofe une  24 CEüVRËS SPIRITUELLES. multitude prodigieufe de connoiffances , des lumieres peu communes, des vues fupérieures & profondes , beaucoup de foupleffe, de pénétration, de fagacité, d etude, de force d'efprit. Le méchanifme n'eft autre chofe qu'un arrangement de figures Sc un mouvement de parties figurées. Le fyftême politin'eft donc pas le fyftême méchanique, les idéés de ces deux fyftêmes s'excluent mutuellement;' & il feroit abfurde de dire que 1'homme politique, ne foit que 1'homme machine- Le machinifte & le politique different donc effentiellement. Si le politique eft homme, il a pour guide la raifön Sc les fentiments de la nature: s'il eft honnêtehomme, les principes d'honneur & de probité le conduilènt: s'il eft Chrétien, la Religion fiirnafurelle le dirige. L'heureux concours de ces trois principes forme le politique accompli; Sc pour le politique machine, c'eft une chimère folie öc abfurde. Dix-feptieme Preuve de la fpiritualitè de VAme tirée de Théroïfme naturel & furnaturel, & fur-tout de l'héroïfne Chrétien. L'héroïfme naturel confifte dans cette grandeur  C H A P I T R E ï. 25 grandeur d'ame, cette hauteur de fentiments, cette magnanimité, cette intrépidire, cette noble fier ré de courao-e qm eleve 1'homme au deffus de tous' les maux de Ia vie préfente , Ie pénetre de joie a Ia vue du lang qui coule a gros bouillons defes membres mutilés, abattus pour Ia défenfe de la patrie. L'héroifme Chrétien eft celui qui rend 1 homme fupérieur non-feulement aux maux de la vie , mais encore a lui-même, en 1'obJigeant de tenir enchaïnés tous les vices & toutes les paffions vicieufesaux pieds de la vertu la plus pure, leur inflexible fouverain , fans qu'ils plent faire aucun effort pour rompre les chaines qui les captivent. Or, je demande fi cette grandeur & cette éiévation de fentiments , ne font que Ia ftature d un corps & les dimenfions d'une machine ? Je demande fi le héros hu> main, qui fent croitre fon courao-e en voyant fes membres mutilés, abattus nager dans fon fang, n'eft qu'un tronc d arbre dont on a coupé les branches, ou une ftatue inanimée? Je Ie demande encore, & qu on me Ie dife : ce héros Chrenen qui fe domine Iui-même, & ■ tous fes penchants les plus naturels, -les plus intimes, les plus forts, les plus B  2 nivers publie d'une voix éclatante 1'cxiftence, la majefté , tous les attributs, 8c pour lui rendre fes hommages, profternée, terraftée aux pieds de fon tröne füblime , par les rayons étincelants de fes immortelles grandeurs. Telle eft 1'excellence de 1'Ame, en ne la confidérant même que dans 1'ordre de la nature 8c de fes facultés naturelles : ce qui ne doit poinr furprendre dès qu'on fait qu'elle fut faite a 1'irmge de Dieu; qu'elle n'eft pas fèulement 1'ouvrage, mais encore le foufiie 8c une forte d'écoulement, de participation de la Divinité; que toute la majefté Divine s'employa pour la créer ; que les trois perfonnes de 1'adorable Trinité prirent confcil quand il falluten venir ace chcf-d'ceuvre de leurs mains toutes-puiflantes, qui repréfente fi bien le modele fur lequel il fut formé : Faifons fhomme, direntelles, a notre image 8c a notre reffemblance. (Genefe I.) O image, ö reffemblance de mon Ame avec Dieu > votre modele & votre Créateur! N'avez- vous donc point épuifé fa puiftance, 8c pou-  C u AP JT Ti -it E II f. 39 voitdl faire quelque chofe de plus ? Oui il le pouvoit & il 1'a fait en élevant 1'Ame a 1'ordre furnarurel de la grace. L'hommeayantperdu Ion innocence & toures les briilantes prérogatives de fa créatjon par le pêché, 1'Ou vrier Di vin qui avoit fait 1'Ame a fon image, ne la put voir route défïgurée, fans penfer a la rétablir dans fon premier état, en lui rendant fes premiers traits , par fon élévation a un ordre bien fupérieura celui de la nature , a 1'ordre furnarurel de la grace & du faiut, Grace, falut que le tils umque de Dieu, envoyé par fon Pere célefte, apporra au monde perdu, en le racheranr de rour fon Sang, pour en faire fon héritage, faconquêtel 1'Ame de 1'homme fut donc rachetée du Sang d'un Dieu , qui en voulut faire fon acquifition, fon remple animé, fon fancruaire vivanr, fon époufe rendrement aimée. Le Sang d'un Dieu, voila donc ce que tu as coiité; voila ton jufte prix, O mon Ame! Ah quelle eft donc ra noblelfe, ra grandeur, ron excellence, s'il faut juger de la nature des chofes par leur prix! Non, il n'eft rien ni dans le Ciel, ni fur Ia terre, ni au fond des abymes , que 1'on puiffe re comparer; tu vaux plus toi feule, fins aucune com-  40 .(EuVRES SPIRITUELLES. paraifon, que tout le monde enfemble; que de millions de mondes, puifque tu es celle de toutes les créatures & préfentes&pollibles , qui approchele plus prés du Créateur , dont tu es la vive image; image d'abord toutebrillantede fes clartés divines , défïgurée enfuite, hélas trop-iöt! mais enfin réparée&rachetée par tout leSang d'un Dieu, ton Rédempteur, qui t'a rendu avec fa première reffemblance , tous les auguftes privileges dont le pêché favoit honteufement dépouillée ,• cette précieufe innocence dans laquelle tu avois été créée, cette juffice, cette fainteté, ces lumieres , cette intelligence , cette liberté, cette facilité pour le bien, lestendreffes , 1'amitié de Dieu. Ceffe donc, ö mon Ame, ceffe d'admirer lahautcur des aftres, la profondeur des mers, les richeffes & toutes les produftions de la terre : admire phnöt ton excellence dans 1'ordre de la nature , ta grandeur bien fupérieure a la nature dans ton élévation a 1'ordre furnaturel de la grace, la hauteur de tes immortelles deftinées dans 1'ordre de la gloire , & borne la toutes tes admirations. Inutilement tu t'efforces d'anéantir mon Ame avec laDivinité qui la forma  C H A P I T R E III. 41 comme fon chef-d'oeuvre è. fa reflèmblance, Philofophie forcenée, rille de forgueil, de Ja licence, de l'impiété! 1'Ouvrier «Sc 1'ouvrage fubfifteront éterneliement malgré tes facrileges «Sc mille foistropcoupablesefforts, paree qu'ils font immortels; J'Ouvrier, par fon effence même; 1'ouvrage, par Ja nature & les prérogatives qu'il a recues de fon magnifique Auteur; 1'Ame eit donc immortelle, & par fa nature, «Sc par fes privileges. Par fa nature. Fidelle copie, vive expreffion de ladivineelfence , 1'Ame humaine eft une, fimple, fpirituelle, exempte de parties , incapablepar conféquent de périr par la diffolution ou la féparation de fes parties. Indépendante du corps dans fon exiftence «Sc fes opérations, ftipéiïeure a toute la force des ngents extérieurs, Dieu feul pourroit la détruire; «Sc Dieu lui a donné le privilege de 1'immortalité ; tous fes attnbuts Divins nous 1'atteftent également. Douée d'une intelligence capable de tout connoitre, 1'Ame'éprouve une foif dévorante de tout favoir, «Sc ce qui 1'enflamme d'avantage , c'eft la première vérité : cette foif qui la dévore, 1'Ame ne peut 1'ctancher en cette vie, oü tout eft  n: ,m-e ,U1 Parie è fon t0lJr? Oui. eelt Dieu lui-même qui nous en afiure en cent endroits de ces divines Lcntures. Je la conduirai dans la foli. tude , dit-il en parlant de 1'Ame, & la je parlerai a fon cceur. fécouterai ce aue Dieu me dira au fond du cceur, dit ie Koi prophete ; car fes divines paroles nefont que des paroles de paix. Dieu par e donc aux hommes dans le fond de leurs Ames; il en fait fes délices, comme il nous le protelte lui-même' Delict* me* effe cum filih bommum, & i les hommes 1'écoutent dans ce mêmec fond de leurs Ames; ils lui répondenr i s lui parient , ils 1'inrerrogent, ils lui demandent ils le prient, ils lui expoJent leurs befoins & ceux des autres, en Je conjui-ant de les remplir; ils follici ene fes graces, ils implorent fes miféricorCij Ofh ch. 2. v. Pf-  52 CEl/VRES SPIRITUELLES des, le remercient de fes bienfaits & Ie prelfent de leur en accorder de nouveau* , fe foumettent a fes ordres, & acceptent toutes les difpofitions de fa providence, fe donnent & fe confacrent a lui, pour faire en toutes chofes fa volonté. Mais comment Dieu parle-t-il a 1'Ame &l'entretient-il, converfe-t-il avec elle? c'eft i°.En éelairant fon efprit d'une lumiere furnaturelle, qui lui fait connoitre ce qu'il veut lui apprendre 12°. En lui donnant des inftinas cachés , des impulfions fecretes, des mouvements particuliers qui la portent a faire quelqu'aaion, ou qui 1'en détournent : 3°. En lui infpirant une ferme confiance. qu'elle eft exaucée : 4°« En formant par lui-même, ou par leminifteredes Anges dans fon imagination, une voix interieure qui s'entend auili diltinaement que fi on parloit a 1'oreille du corpus, óe qui femble venir tantót du Ciel, tantot du fond du cceur, quelquefois de lom, & d'autres fois de prés : 50. En lui fkfant entendre certaines paroles inténeures, dont les unes font Jucceffives, les autres formelles & les autres fubftancielles, comme le dit Saint Jean de la Croix dans fon Livre II. de la Montée du MontCarmel, chap. 38 & fuivants. Les pa-  Chapitre V. 53 roles faccejfives font les raifonnements que 1'Ame recueillie forme dans les méditations avec le fècours du Sr. Efprit, qui 1'aide , 1'éclaire, 1'inftruir de ficon, qu'il femble a 1'Ame que ce n'eft pas elle qui forme ces difcours 6c ces raifonnements dans fon intérieur, mais Dieu lui-même. Les paroles formelles font les paroles diftinctes & formées que 1'Ame enrend 6c recoit de Dieu, foit dans l'oraifon ou hors 1'oraifon, fans qu'elle y conrribue autrement que d'une manière purement paf live, c'eft-a-dire» en les recevant 6c les écoutanr toutfimplement; en quoi elles different des paroles fuccefïïves qui font en partie 1'ouvrage du Sr. Efprir 6c de 1'Ame aidée de la grace. Les paroles fuhflancielles font celles qui produifent dans le fond de 1'Ame la fubftance , la vertu 6c Ia force des chofes qu'elles ilgnifient, en la portant efficacement h faire ce que Dieu veut d'elle. Enfin Dieu parle a 1'Ame dans 1'oraifon ou hors de 1'oraifon, en formant des paroles intellectuellès fans 1'entremife des fens, ni de 1'imagination, comme il parle aux Anges qui font de purs efprits, 6c que les Anges fe parient les uns aux autres. Ce fut ainfi pro-, C iij  54 CEUVRES SPIRITUELLES. bablement que Dieu paria a Sr. Paul, lorfqu'il fut ra vi au rroifieme Ciel,& qu'il enrendit des paroles fecretes, qu'il n'eft pas permis aux hommes de déclarer. Saint Jean de la Croix qui traite de toutes ces différentes paroles , donne des avis très-fages, pour empêcher qu'on n'y foir rrompé, en prenant fes propres penfées, ou celles du démon, pour des paroles divines. Voici les cinq marqués ou propriétés qui caractérifent les paroles divines, & qui les diftïnguent de celles de 1'homme & du démon , d'aprèsle PereAlvarez de l'aiz, de grad. contempl. torn. 3./. 5. p. 3. c. 6. i°. La parole inférieure qui vient de Dieu, a unecertaine majefté, une aurorité, un empire fur 1'Ame, qui gagne fon attention, qui recueille fes puiifances, qui 1'abyme dans un profond refpect, & la fait fondre dans fon néanr. Ainfi Elie entendant la voix de Dieu, comme le bruit d'un petit fouffle de vent, fe couvi it le vifage de fon manteau, & de- ' meura debour par refpect a 1'ouverture de fa grorte. 2°. Quand c'eft Dieu qui parle, il donne une fi grande force a fa parole, qu'elle fait ce qu'elle dit. Par exemple, s'il dit a 1'Ame lAimez-moi, elle fe fent  ClIAPITRE V. 5 blcflee auffi-töt des traits d'un très-pu amour," s'il lui dit :Ne craignezpoint, c'ej moi, elle devient en même temps fort & intrépide; s'il lui dit: Soyez en paix il appaifè les troubles de fa confcience & lui rend le calme & la rranquillité. 3°. Quand Dieu favorife 1'Ame de fot entretien, fa parole n'a pas moins df douceur que de force, car le même Ef prit qui dit dans 1'Ecriture que fa pa role eft un feu , un glaive, un martean qui brife les rochers, 1'appelle auffi un pain de vie, une manne, une rofée, un doux zéphyr , qui s'infinue dans l'oreille du cceur avec une admirable délicateffe. O le doux entretien que celui de Dieu avec 1'Ame, dit Richard deSt. Victor; les paroles qui s'y difent, font comme des ruifeaux d'une fontaine célejle, qui ar r of ent les cceurs que le defir d" aimer a confumès de fécbereffe & d'ennui. On y parle de la Cité de Dieu, de la paix & des richeffes qui y abondent, de la gloire de fes citoyens, 'de la beauté de ce fejour lumineux; ces difcours pleins de douceur cbaffent l'ennui^ de 1'efprit, & la lajfitude du corps,■& font connoitre a 1'Ame que c'eft la firn héritage , & qu'elle y peut parvenir. 4°. La parole de Dieu porte avec ellcj C iv c 1 ■> ? I De era. dibus charit. c, 4-  56 CEuvres spirituelles. un fonds de lumiere Sc de fageffe qui éclaire, échauffe Sc guérit 1'Ame dans un momenr. 5°. La parole inférieure de Dieu eft pleine de fécondité. C'eft une femence divinement fertile qui produit les vertus Théologales , les ceuvres fortes, héroïques, qu'on exerce avec une ferveur admirabie, des confolations céleftes qui font comme un eiïai Sc un gage de la félicité des Saints. Quand les paroles qu'on entend au fond de 1'Ame, portent ces caraffceres, on peut croire fans témérité Sc avec une humble confiance qu'elles viennent de Dieu ; mais fans s'y appuyer avec une entiere certitude Sc en s'en tenant toujours a 1'avis des Supérieurs ou des directeurs , quand même il feroit contraire a ce que 1'on croiroit avoir été irévélé Sc commandé de Dieu. L'obéif fance doit toujours 1'emporter fur ces voies extraordinaires , qu'on ne doit point prendre pour regie de fa conduite. II ne faut non plus ni les defirer, quand on n'y eft pas, ni s'y attacher, quand on y eft, ni s'en appuyer; il faut bien plutöt les craindre Sc s'en défier, a caufe des dangers, des illufions&des écueils auxquels ces voies extraordinai-  CllAPITRE V. 57 res font fujettes. Ce n'eft pas en eek que conlifte la fainteté; elle confiffedans la prarique de toutes les vertus animécs del'ardeur delachariré, c'eft-a-dire d'un amour ardent de Dieu pour lui-même. Combien de fanatiques infpirés par 1'efprit de ténebres, fe font donnés pour Prophetes du Seigneur? Combien d'illuminés,de fauxmyfliques quiprennent leurs propres penfëes pour des paroles divines, & leurs rêveries, pour des révélations de Dieu?Combien qui s'imaginent n'agir en tout que par efprit de grace , & n'ètre conduits que par le Sr. Efprit, & qui en effet n'agiffent & ne font conduits que par 1'efprit de nature, ne fiüvant en tout que leurs idéés parriculieres, leurs caprices, leurs fantaifies? L'obéifïance, la défiance 8c le mépris de foi-même, l'amour de 1'abjeftion & de 1'obfcuiïté, 1'éloignement & le detachement des douceurs & des élévations intérieures, 1'efprit de mortification & d'humilité , de dépouillcmenr & de défappropriation des biens & des fatisfacTtions de 1'Ame, une fainte indifférence pour en jouir ou pour en être privé, felon la .volonté 8c le boa plaifir de Dieu , une vigilance exacte fur foi-même, uneapplicationconftants Cv I  58 CEUVRES SP1RITUELLES. a pratiquer les vertus chrétiennes & les devoirs de fon état: voila les moyens de fè préferver de toute illufion. Au refte 1'exercice de la converfation avec Dieu, n'eft pas embarraffant, puifqu'autant qu'il eft difficile de bien converfer avec les hommes, autant il eft facile de bien converfer avec Dieu. II ne faut pour cela qu'un mot, & moins encore, fi 1'On veut, car il n'eft pas néceflaire de parler pour lui faire entendre ce qu'on veut lui dire; il fuffit de penfer, de delirer, de vouloir, d'expofer les befoins de 1'Ame ou du corps, pour recevoir de Dieu des réponfès favorables, c'eft-a-dire 1'aide, la force, le foutien , la prorecTion , la confolation, le foulagement dans tous les maux qu'on peut éprouver , puifqu'il eft le pere, le frere , farm , 1 epoux , le pafteur, le pourvoyeur , le confolaceur, le protecteur de tous les hommes. Parlez donc a Dieu comme 1'on parle a un rendre ami, fans facon , fans effort, fans embarras ; élevez fouvent votre efprit & votre cceur vers lui; dites-lui doucement, naturellement, fans effort, fans étude, fins difcours longs & recherchés, dites-lui en un mot, qu'il eft infiniment puillant, infiniment fage,  CrijtpiTRE V. 59 infiniment jufte, infiniment bon, infiniment iaint , infini en routes fortes de perfections, & que vous voulez 1'aimer, le craindre, le refpecter, 1'honorer, 1'adorer, le fervir durant toute vorre vie, pour le polTéder dans la vie future. Parlez-lui de rour ce qu'il afair pour vous, foit dans 1'ordre de la nature , comme Créateur, foit dans celui de la grace, comme Rédempreur. Remerciezde de rous fes bienfaits, en le priant de vous pardonner le peu de reconnoiffance que vous en avez eu jufqu'a préfent, & 1'abus que vous en avez fait. Confeflez-lui tous vos péchés, tous vos défaurs, toutes vos foiblefles, toures vos miferes. Ay/ouez-lui ingénument, que vous êtes vain, fuperbe, curienx, diflïpé, fenfuel, parelïeux, tiede, lache dans les exerciccs de la piété chrétienne, impatient dans les peines & les afHiftions de la vie, chagrin, capricieux, colere, amateur de vous-même cSc du monde, attaché a vos plaifirs, è vos aifes, a vos commodités, a cenr objers frivoles, fujet a un grand nombre de paffions , <3c peu atrentif a les domter & a les réprimer , dénué de toutes les vertus, fans zele, fans force, fans courage pour les acquérir. Conjurcz-le de venir a votre C v j  6b (euvres spirituelles. fecours , puifque vous ne pouvez rien fans lui, en vous donnant toutes les graces nécelfaires pour expier vos péchés«Scvous encorriger, réprimer toutes les paffions qui vous tyrannifent, acquérir routes les vertus qui vous manquent; douceur, humilité, fimplicité, détachement, patience , fidélité , ferveur, conftance dans le bien, mortification , pénitence, recueiilement d'efprit, pureté de cceur , amour de Dieu «Sc du prochain. Voila rout le fecret de la converfation avec Dieu. CHAPITRE VI. Sur les moyens qu'il faut prendre pour bien converfer avec Dieu. Le premier moyen qu'il faut prendre pour bien converfer avec Dieu, «Sc qui eft la bafe de tous les autres, c'eft de le vouloir fincéremenrj&pourexciter en foi certe volonté fincere, de confidérer attenrivement les avantagesinefiimables qui fonr attachés a cette divine converfation. Tels font entr'autres les lumieres furnaturelles que 1'on y puife, les feux de FAmour Divin dont le cceur  Cuapitre VI. 61 y eft embrafé, Jes pures déiices & 3es douceurs ineftables que 1'on y goüte, les confolarions que 1'on yrecoit', la patience dans les peines & les afiïiaions de la vie, Ia force pour triompher des rentations & des perfécutions du monde & del'enfer, la/ainteté, Jareftèmblance avec Dieu, car de même qu'on devient bon en converfant fréquemment avec les bons, on devient femblable a Dieu en^ converfant fouvent avec lui; puifquenfin on ne peut approcher de la lumiere fans être éclairé, du feu fans être échauffé, de la fource de tous les biens lans être enrichi, de 1'Auteur même de Ia fainteté fans être fandlïfié, & parvenir a fa reflemblance par la pratique conftante des vertus & des actions faintes. O qu'il eft doux, qu'il eftagréable, confolant, avantageux cSc falutaire de s'entretenir avec vous, 6 mon Dieu! de vous parler avec la liberté & la conftance d'un ami, de jonir de votre intime familiarité, de répandre fon cceur dans le votre; & fi 1'on en connoiftoit toutes les douceurs & tous les avantages, quel emprelTemenr n'auroit-on pas pour votre converfation? Un fecond moven qu'il faut prendre pour bien converfer avec Dieu, c'eft ia  62 (EüVRES SPIRITUELLES. purcté de confcience qui confifte a éviter non-feulement les péchés mortels, mais les péchés les plus légers, enforte qu'on n'en commette aucun de propos délibéré, & qu'on s'applique a détefter & a expier ceux qu'on a le malheur de commectre par pure fragilité, aulTi-töt qu'on s'en appercoit, puifqu'il eft certain que les péchés même légers caufent dans 1'Ame desténebres qui lui dérobent la vue de Dieu, & des langueurs, des foibleffes, qui font qu'elle eft peu difpofée pour s'entretenir avec lui. La pureté de cceur forme un troifieme moyen pour bien converfer avec Dieu , & cette pureté de cceur ajoute a celle de la confcience, un détachement général de toutes les chofes créées & de foi-même, en forte qu'on ne s'aime point foi même , ni aucune créature , qu'en vue & pour l'amour de Dieu même. Et dela le retranchement abfolu de toute attaché purement humaine & naturelle a quelque chofe que ce puilfe être, puifqu'il eft certain que toute attaché partage le cceur entre Dieu & 1'objet qu'on n'aime pas purement pour lui, & devient une fource de trouble, d'agitations, de craintes, de chagrins, d'inquiétudes, qui alterent la paix de 1'Ame  C H A P l T HkB VI. 63 & 1'empêchent de prendre 1'elTor vers ion Dieu, pour jouir des délices de fa converfation. D'ailleurs, toute attaché qui n'a pas Dieu pour objet ou pour motif immédiat, refroidit fon amitié, fufpend le cours de fes graces, & s'oppofe a fes fecretcs Communications. II faut encore fe détacher de foi-même en mourant a l'amour de fa pro pre excellence, de eet amour-propre qui fè complait en luimême, au-lieu de mertre en Dieu feul toutes fes complaifances. Enfin la pureté de cceur veut qu'on porte le detachement jufqu'aux dons furnaturels qui ne font pas néceffaires au falut, a ces iunaieres, n ces graces extraordinaires qui ne rendent pas meilleurs ceux qui en font favorifés; on ne doit ni les demander quand on ne les a pas, ni les pofféder avec complaifance quand on les a, ni les regretter quand Dieu nous les öte. On doit plutöt, a 1'exemple des Saints, feréjouir d'en être privé, pour avoir le bonheur de fervir Dieu, par le motif fublime d'un amourépurédetout intérêt propre. Pour converfer familiérement avec Dieu, 8c avoir part a fes Communications les plus intimes, il ne faut donc avoir d'attache que pour lui  64 CEüVRES SPIRITUELLES. feul; trop heureux de le fervir pour luimême, 6c è caufe de la fouveraineré de fon être & 1'excellence de fes perrc&ions. Un quatrieme moyen pour bien converfer avec Dieu, c'eft la monification extérieure 6c intérieure. La mortification extérieure confiite a macérer le corps par les jeünes , les veilles , les haires , les cilices , les fatigues 6c les travaux, pour 1'affoiblir, le domter, l'affujettir, Sc empêcher qu'il ne fe révolte contre 1'efprit. Elle confifte auflï a refufer aux fens les objets agréables qui les flattent. Par exemple, on morlïfie la vue en fe privant de voir les jeux, les divertifiemenrs, les fêtes publiques, les maifons , les jardins magnifiques, & généralement tout ce qu'on appelle beau, agréable, rare, exquis, tout ce qui ne feit qua contenterJa curiofué. On mortifie 1'ouïe, en s'interdifant les nouvelles, les contes agréables, la mufique, 1'harmonie, les concerts, les inftruments; tout ce qui flatté 1'oreille. On mortifie 1'odorat en fe privant de 1'odeur des fleurs 6c des parfums. On mortifie le goüt en retranchant dans 1'ufage du boire 6c du manger tout ce qui ne fert qu'a la déhcarelfe, 6c en mélant avec les aliments  Chapitre VI. 65 quelque fuc défagréable, comme 1'abfynthe. On mortifie le toucher en évitant toute délicatelTe 8c toute recherche dans les habits, le linge, &c. La mortification intérieure confifte è réprimer remprelTement, la précipitation, 1'activité naturelle & toutes les paf fions, c'eft-a-dire, tous ces mouvements impétueux de 1'Ame qui la portent a rechercher tout ce qui lui plaïr, 8c a fuir tout ce qui lui déplaït. Tels font entr'autres les defirs, la joie, les ris immodérés, la trifteffe, la crainte, lechagrin , 1'ennui, la colerc, 1'impatience, 1'humeur, le trouble, lagitation, 1'inquiétude, & enfin tout ce qui peutaltérer la paix de 1'Ame fi néceflairé pour s'entretenir tranquillement avec Dieu, 8c 1'écouter parler dans le filence cklecalme. Cinquieme moyen : la folitude extérieure & intérieure. La folitude extérieure confiite a s'éloigner du monde, autant qu'il eft poftiblc, fans manquer aux devoirs de Ion état, a retrancher toutes les connoiffances, toutes les vifites, tous les entretiens, tous les divertiffements ou dangereux ou inuti1 les, 8c enfin toutes les occupations étrani geres a fa condition. La folitude inté- i rieure fe trouve dans ie rccucillement  66 (EuVRES SPIRITUELLES. de 1'efprit qui s'unit a Dieu au milieu même du tumulte des affaires & des occupations attachées a fon état. Sixieme moyen : la préfencedeDieu. Cette préfence de Dieu eftfinéceffaire, qu'il femble qu'elle falfe toute la perfection de rhomme felon ces paroles de Dieu même au faint Patriarche Abraham : Marcbez en ma préfence & vous ferez parfait. Mais comment 1'acquérir Sc la conferver cette préfence de Dieu fi nécedaire ? En faifant de temps en temps des Actes de foi fur fon immenfité qui le rend préfent par-tout, en fe rappellant fon fouvenir, en élevant fon cceur a lui, en fe le repréfentant comme étant a nos cötés & au dedans de nous, puifqu'il yeft en effet, pour nous communiquer le mouvement, la vie, 1'être tout enrier. On jouit encore de la préfence de Dieu en l'cnvifageant dans routes les créatures animées & inanimées auxquelles il donne a chaque inf tant ce qu'elles ont de beau, de bon, d'agréable, d'utile, Sc en penfant que c'eft lui qui nous éclaire dans le SoLïl, qui nous échauffe dans le feu, qui nous rafraichit dans lak, qui nous défaltere dans 1'eau , qui nous nourrit dans le pain, les viandes Sc les fruits, qui nous  C II A PI T R E VI. 67 réjouit dans les fleurs & les parfums, qui nous guérit dans les plantes, qui nous enrichit dans toutes les différentes productions de la nature. Septieme moyen: la préfence de Dieu dans la perfonnedeJefus-Chrift.IeFils unique du Pere, qui renferme les deux natures, la divine & 1'humaine, qui par conféquent e£t Dieu Sc Homme tout enfemble , & le Sauveur , le Rédempteur, le Glorificateur des hommes; il faut donc pour bien converfer avec Dieu, fe repréfenter fbuvent ce divin Sauveur ,^dans les différents états de fa vie, tantót caché dans le fein virginal de Marie fa très-fainte Mere ou dans 1 etable de Bethléem, ou dans la boutique de Jofeph, ou dans leTemple de jerufalem, ou dans le fond d'un défert; tantót converfant avec les hommes, les vifitant, les nourriffant, les guériffanr, les inftruifant, les confolant; tantót faifant des mii-acles étonnants en leur faveur; ici priant fur les montagnes, la fouffrant les mépris, les injures, les af fronts, les outrages, les opprobres, les dérifions, les calomnies, les perfécutions & les tourments; plus loin mourant fur le Calvaire , fortanr glorieux du tombeau, montant au Cielfansquü>  6% (EüVRES SPIRITUELLES. ter la terre, oü il réfide en perfonne dans le Sacrement de nos Autels, pour nous y nourrir de fa propre fubftance jufqua la confommation des fiecles, Sc nousy combler de toutes les graces dont nous avons befoin dans tout le temps de notre vie. Huitieme moyen : la candeur jomte a la fimplicité, qui fait qu'on s'approche de Dieu, comme un enfant s'approche de fon pere pour lui repréfenter Sc lui demander tout fimplement ce qui lui manque Sc ce dont ila befoin. C'eft avec ces Ames fimples que Dieu fe plait furtout a converfer : Et cum fimplicibus fermocihatio ejus. Neuvieme moyen : 1'humble confiance. L'humilité n'eft oppofée ni a la confiance, ni a la candeur Sc a la fimplicité, ni a une certaine innocente familiarité avec lefquelles 1'Ame traite avec Dieu; 5c en même temps qu'elle a la plus ferme 5c la plus inébranlable confiance dans la bonté divine, elle ne fe fent pas moins pénétrée de la grandeur de la Majefté fuprême, 5c de fa propre baffelfe, ne fe regardant que comme la plus vile des créatures, indigne de toute grace, 5c particuliérement de celle de s'approcher du Tröne fublime du Tout-  Ciiapitre FIT. 69 I PuilTant pour lui parler & s'entretenir I familiérement avec lui, 8c qui ofe ceI pendant prendre cette liberté, cette harI oiefle, pour obéir a fa voix 8c au com1 mandement qu'il lui fait d'aller le trou| ver pour recevoir de fa tendreffe 8c de 1 fa compaffion, le foulagement dans fes peines, 8c le remede a tous fes maux. Oui, dit-elle, je parlerai a mon Seigneur, quoique je ne fbis que pouffiere ckque cendre; je lui parlerai avec une humble confiance toute fondée fur fa tendreffe pour fes créatures, & fes miféricordes infinies envers elles; je lui parlerai d'une manière également libre 8c refpecf ueufe, tendre 8c amoureufe, inltruite que je fuis a 1'école de fbn amour, qu'on peut lui dire tout ce qu'on veut & comme on veut, quand on 1'aime. Dixieme moyen : 1'Oraifon mentale, qui fera le fujet du Chapitre fuivant. C II A P I TRE VIL Sur fOraifon mentale. L'Oraison mentale eft une élévation purement intérieure de 1'Ame k Dieu, par laquclle fans intervention de  70 (EuVRES SPIRITUELLES. la priere vocale , 1'Ame penfe a Dieu, confidere fes perfections, réfléchit fur les myfteres 6c fur les vérités de fon Evangile , s'excite a des fentiments pieux envers lui, tels que des Actes intérieurs de foi, d'efpérance , d'amour, de contrition, de remerciements, de demandcs, 6cc. Etdelatrois fortes d'Oraifons mentales, favoir,l'Oraifon de méditation, de difcottrs ou difcur/ïve, l'Oraifon d'affeclion ou ajfe&ive, & la contemp lat ion. L'Oraifon de méditation ou de difcours, eft celle dans laquelle on réfléchir, 6c 1'on raifonne fur quelque myftere ou quelque vérité de laReligion, pour exciter dans fon cceur quelques bons mouvements , quelques pieufes affeftions, 8c dans fa volonté de faintes réfolutions de fe corriger de fes défaurs , 8c de prariquer les verrus qui font 1'objet des réflexions , des confidérations, des raifonnements. L'Oraifon daffe&ion ou affèclive eft celle dans laquelle 1'Ame déja inftruire «Scrouchée des myfteres 6c des vérités de la Religion par les réflexions 6c les confidérations qui ont précédé, na plus befoin de réfléchir, de méditer, de raifonner, pour s'cxciter a produire  Chapitre FIT. yi i faintes affe&ions , mais les produit I comme d'elle-même fans effort, fans I travail, & fans être obligée de recouI riraux réflexions, aux raifonnements, I & avec autant de facilité que-de joie, ■ de douceur & de fuavité. Les affections 1 & les pieux fentiments font dans cette I Oraifon comme une eau qui coule de 1 fource, & qu'on ne tire point a force I de bras,d'un puits profond. Quand on I eft dans cette Oraifon d'arfection, il ne faut pas laiffer de prendre un fujet de méditation, mais il faut aufïi le quitter fans peine lorfque Dieu nous porte ailleurs par fes attraits. II faut auffi recourir a la méditation quand on fe fent abfolument fee Si vuide de tout bon fentiment, afin de recouvrer fa ferveur, au moyen de quelques confidérations. Si 1'on s'appercoit qu'un paffage qu'on aura lu, ou un myltere qu'on aura confidéré, touche,anime,enflamme, ilfaut s'y arrêter. Les marqués auxquelles on reconnoit qu'il faut paffer a 1'Oraifon affective, c'eft quand on ne trouve plus aucun goüt dans la méditation , qu'on ne peut pas même méditer, quand on le | voudfoit, & que les faintes affedions 4 naiffent comme naturellement dans le i cceur. n  72 (EuvRES SPIRITUELLES. Cette Oraifon affective produit de grands effets dans 1'Ame. Tels font entr'autres i°. Un amour ardent de Dieu, ■ amour de préférence, par lequel on 1'aime fans comparaifon plus que toutes chofes 5 amour de complaifance, qui fait qu'on eft content, ravi, charmé que Dieu eft ce qu'il eft, c'eft-a-dire infini en toutes fortes de biens & de perfections; amour de bienveillance qui porte a fouhaiter paftionnémcnt que Dieu foit connu , aimé & fervi de toutes fes créatures :2°. Un renoncement abfolu a fa volonté propre, pour faire en tout la volonté de Dieu : 30. Un grand zele pour la gloire de Dieu : 40. Un grand defir de s'unir a Dieu par la fainte Communion : 50. Une grande ardeur pour la mortification des fens & les auftérités du corps : 6°. L'amour dufilence, de la retraite 8c de la folitude: 7° Une fainte avidité pour s'inlïrnire des voies qui conduifent aDieu, par le moyen de la lecture fpirituelle ou de la converfation des perfonnes expérimentées dans ces fortes de voies : 8°. Beaucoup de goüt a parler de Dieu, puifqu'on parle volontiers de ce qu'on aime: 9°.Un courage a 1'épreuve de toutes les peines du dedans 8c du dehors qu'il faut fouffrir pour fe  Chapitre VIL 73 fe fauver, & qui fait qu'on ne craint ni les contradicïions, ni les mépris, ni les perfécutions, ni les tourments les plus cruels, ni la mort la plus horrible : io°.Le defir de mourir pour ne plus offenfer Dieu, 8c pour jouir éternellement de fa préfence : 11°. Un zele ardent pour le falut des ames: 12°. Le mépris des difcours du monde 8c le courage de s'élever au delfus du refpeft hurnain. L'Oraifon de contemplation, ou d'attention amourcufe a Dieu préfent, ou de regardlïmple 8c amoureux de Dieu, confiite dans une fimple & amoureufe vue de Dieu préfent. Cette vue eft douce, tranquille, uniforme, fans confidérations, fans difcours, fans raifonnements; c'eft 1'efprit qui par le moyen de la foi vive , 8c animée de la charité, voit Dieu préfent , 8c la volonté qui lembraffe, tel qu'il eft en lui-même, fans en avoir d'autreidée que celle d'un être incompréhenfible & immenfe qui remplit tout, & particuliérement le fond intime de 1'Ame. Quand on s'eftexercé long-temps dans 1'oraifon de difcours 8c dans celle d'affection; qu'on n'y trouve plus ni goüt, ni profit, qu'on fe ient prelfé d'entrer dans celle-ci, c'eft D  74 CEUVRES SPIRITUELLES. une marqué qu'on y eft appellé de Dieu : lors donc qu'une perfonne d'oraifon aflèaive ne lé fent plus portee a cette foule d'aftes qu'elle avoit coulume de produire auparavant avec tant d'ardeur & de goüt, mais qu'elle éprouve une certaine tendance a 1'unité , a une forte de filence intérieur , doux & tranquille, c'eft un figne que Dieu la conduit a 1'oraifon du regard fimple & amoureux. Une quatrieme forte d'Oraifon qui fuit celle du fimple regard ou de 1'attention amoureufe a Dieu , eft celle de recueillement pafifoxx de repos de VAme en Dieu ou de quiétude, comme 1'appelle Ste. Thérefe, par laquelle 1'Ame fe repofe doucement en Dieu comme dans fon fouverain bien, qui lui fait fentir fa préfence & 1'attire toute entiere a lui par quelques fentiments de fes confolations céleftes qu'il répand dans fon cceur, a-peu-près comme 1'aiman qui attire a lui des aiguilles qui 1'environnent, & qui viennent s'attacher a 1'obiet qui les attire : c'eft la comparaifon deSt. Francois de Sales. Ste. Thérefe appelle encore cette Oraifon un évanouilfement intérieur & extérieur, & un abforbemem des puiftances, paree  Chapitre VIL 75 que le corps voudroit demeurer fans remuer, & que les puiïfances de 1'Ame y font comme abforbées, abymées & pcrdues en Dieu. D'autres la nomment un doux fommeil des puiïfances de 1'Ame, qui y lont comme alfoupies & endormies dans le fein de Dieu. C'eft ce qui eft marqué dans Je Cantique des Cantiques oü 1'Epoux facré dit en parlant de 1'Ame parvenue a eet état: Je vous conjure, pies de Jerufakm, de ne point éveiller ma bien-aimóe, jufqil'a ce qiielle s'èveille elle-même. II faut obferver que , quoiqu'on dife que les puiïfances de 1'Ame font ajfoupies, endormies, abforbées, abymées &perduesen Dieu, cela ne veut pas dire qu'elles n'agilfent pas du tout, mais feulement qu'elles n'agilfent pas d'une manière commune & ordinaire, & que leur action eft extraordinaire , furnaturelJe, infufe & fi délicate, qu'on diroit qu'ellesn'agilTent point du tout; quoiqu'elles agiftent effectivementens'uniftant a Dieu, comme au centre de leur repos, en 1'aimant" en 1'embraifant, en le goütant, en Je poftédant, par une douce & fuave jouiffance. La cinquieme efpece d'Oraifon qui vient api-ès celle de quiétude ou de reD ij  76 (EüVRES SPIRITUELLES. pos de VAme en Dieu, c'eft TOraifon dunton par laquelle Dieu fe fait fentir a 1'Ame d'une manière extraordinaire, en s'uniftant a elle dans fon fond, ou dans fon centre, ou dans tout ce qu'elle a de plus intime. Cette Oraifon confifte donc dans certaines touches, certaines opèrations, impreftions, ondtions divines, certains attraits, mouvements ou fentiments céleftesparlefquels Dieu s'unit au fond de 1'Ame d'une mamere fixe, permanente, continuelle. Telles font les cinq fortes d'Oraifons qui conduifent 1'Ame a Dieu, le centre de fon fouverain bonheur. Dans l'Oraifon de méditation ou de difcours, on chercheDieu, parlesconfidérations & les raifonnements. Dans 1'Oraifon affeaive on s'approche de Dieu par le moyen des affeftions : dans 1'Oraifon du regard fimple & amoureux, on trouve Dieu en Ie regardant prefque continuellement par 1'efprit & en 1'embraflant par Ia volonté : dans 1'Orailon de quiétude ou de repos, 1'Ame fe repofe doucement en Dieu : dans 1'Oraifon d'union, 1'Ame s'unit a Dieu de facon qu'elle ne fait, pour. ainfi dire, oVune même chofe, qu'un même elprk avec lui, comme dit 1'Apötre Sr. j  Cüapitre yir. 77 Paul, par une fainte transformaties , non pas que 1'Ame change de nature; mais paree qu'elle prend les qualités de 1'efprit de Dieu, qui vit en elle, comme le même Apötre le difoit de lui-même en s'écriant : Je vis, ou plutot, een''eft plus moi qui vit, mais c'eft Jefus-C/.rift qui vit en moi. Les Ames qui ont Ie bonheur d'ere élevées a eet état d'üraifon, font dene étrokement unies a Dieu, qui eft e principe de toutes leurs opérations, ei forte qu'il leur femble, comme le dit Ste. Thérele, que c'eft lui qui penfe, qui parle, qui aime, qui agit en elles, ou du moins qui les fait penfer, parler, aimer, agir. Les vertus que pratiquent les Ames de eet état font bien plus folides, plus fortes , plus hérbiques que celles qu'on exerce dans les états précédents; 1'humilité y eft plus profonde, le détachement de toutes les chofes créées plus abfolu , 1'indifférence pour tous les événements, ék la conformité a la volonté de Dieu plus parfaites, la paix, la tranquillité, 1'égalité de 1'efprit & du cceur plus conftantes ók plus invariables, ckc. Cependant, on peut tomber de eet état tout fublime qu'il eft, dans 1'abyme D iij  7$ IÜUVRES SPÏRITUELLES. du pêché mortel, y vivre ék y mourir, comme il n'y en a, hélas! que trop d'exemples. Tous les états d'Oraifons ont donc leurs tentations, leurs dangers & leurs écueils qu'il faut éviter {bigreufement, fi 1'on ne veut pas faire un rifte naufrage. Tels font entr'autres le cfcfir ék l'amour des chofes extraordimires , 1'orgueil, la vanité, la préibnption, la vaine complaifance dans le dons de Dieu, l'eflime de foi-même qui y répondent ék qui y conduifent. j Jen conviens; mais je foutiens en mê-j me temps que le plus bas degré de la | grace fancrifiante ék de la vertu chré- | tienne eft inféparable de la dévotion; I qu'il en renferme toute 1'effence, ék qu'ilv eft de toute impofïïbilné d etre Chrétien *1 dans |  Chapitre XIV. 145 | dans le degré abfolument néceftaire, | & indifpenlable pour le falut, lans être 1 en même temps elTentiellement dévot. I On ne peut être Chrétien même dans I le plus bas degré indifpenfablement néI, ceffaire au falut, fans aimer Dieu pa? I delfus toutes chofes, & le prochain comI me foi-même, fans obferver les comI mandements de Dieu «Sc de FEglife , fans adorer Dieu en efprit «Sc en vérité, fans lui rapporter toutes fes aétions par amour comme au premier principe «Sc a la derniere fin de toutes chofes, fans accomplir les devoirs de 1'état oü fa Providence nous a placés, par le motif de fa gloire «Sc dans 1'intention de lui plaire : ceil une vérité de foi; or rout Chrétien qui fait tout cela, eft vraiment, fubftanciellement, eftèntieliement dévot , c'eft-a-dire, dévoué, confacré è Dieu «Sc a fon culte, a fon fervice, «Sc celui qui ne le fait pas, n'eft ni dévot 1 ni Chrétien; c'eft un violateur des vceux 1 de fon baptême, par lefquels il a promis de fë confacrer totalement au culte de Dieu, de ne s'attacher qua lui feul, de ne fervir que lui, de n'aimer que lui, de fuivre Jefus-Chrift, fon maïtre, fon mo|dele «Sc fon chef dans les routes de Ia Ilainteté, qu'il lui a tracées par fes exemG  146 CEuvres spirituelees. pies; c'eft un tranfgrelTeur des commandements de Dieu, 6c fur-tout du premier qui 1'oblige d'aimer Dieu par deffus toutes chofes, de tout fon efprit, de tout fon cceur , de toute fon Ame 5c de toutes fes forces. Commandement dont 1'obfervation entraine celle de tous les autres 6t la pratique de toutes les vertus; dont 1'inobfervation cnfante nécelfaircment la damnation éternelle. II n'y a donc aucune différence réelle entre le Chrétien 6c le dévot; la diftinction de 1'un 6c de 1'autre, n'eft donc qu'une diftinétion chimérique, inventée par 1'ennemi du falut des hommes, pour les illuder, les féduire 6c les perdre en leur perfuadact qu'ils peuvent être Chrétiens fans pratiquer les ceuvres effentielles au Chriftianifme, Difciples de J. C. en rougiftant de lui 6c en fe défendant du dévoucment a fon fervice comme d'une flétriffure honteufe. Tremblez, vous qui penfez de la forte, foit dans le monde, foit dans Ie cloitre; tremblez : vous n etes ni Chrétiens, niReügieuxouReligieufes. Qii'êtes-vous donc maintenant, 6c que deviendrez-vous dans la fuite? Qu'avczvous a attendre, quel fera votre fort dans 1'autre'vie? Hélas! je vous en fais  ClIAPITRE XIV. I47 les juges, ou plutöt, je vous invite a - prévenir le jugementépouvantable que portera de vous le fbuverain Arbitre de nos deftinées au jour terrible de fes vengeances. Jefus-Chrift, le Juge fuprême desvivants & des morts, nous a déclaré qu'il rougiroitdevant fon Pere & devant fes Anges, de tous ceux qui auroient rougi de lui devant les hommes, & qui auroient eu honte de paroitre dévoués a fon fervice, confacrés a fon culte. Mais fi Jefus-Chrift rougira de vous, s'il aura honte de vousreconnoitre pour fes amis, fes fèrviteurs, fes freres & fes cohéritiers, s'il ne pourra fans mentir & fans fe contrcdire luimême vous placer a fa droite comme les benits de fon Pere, avec laglorieufe rroupe des Elus, oü pourra-r-il vous placer, fi ce n'eft a fa gauche avec la bande infernale & maudire des rcprouvés ? G ij  148 CEuVRES SPIRITUELLE5. CHAPITRE XV. Sur la fingularitè dans les pratlques de Religion & de piété. R ien de plus ordinaire dans le monde Sc dans le cloïtre que d'entendre fe récrier contre la fingularitè de ceux & celles qui fe diftinguent des autres par leur régularité, & leur attachement a certains exercices de Religion & de piété. Ces clameurs font-elles juftes & bien fondées? II eft certain, généralement parlanr; que la fingularitè a quelque chofe d'odieux Sc de choquant pour plufieurs de ceux qui en font témoins. On n'aime point a voir des perfonnes qui fe diftinguent des autres par une conduite extraordinaire, qui leur attire les regards de la multitude; Sc dela, le plaifir qu'on trouve a les blamer, a les critiquer, a les ridiculifer, en allant fouiller jufques dans leurs plus fecretes intentions, Sc en exagérant ce que 1'on croit remarquer de repréhenlible dans leur conduite extérieure. D'un autre cöté, il n'eft pas moins -  Chapitre XV. 149 certain que la fingularitè eft dangereufe pour les perfonnes qui en donnent le fpe&acle; qu'elle peut avoir fa racine dans un fecret amour-propre 6c une fubtile recherche de foi-même, qui ne font point ennemies des applaudifiêments, des fauftes louanges, del'eftime 6c de 1'admiration qu'une conduite extraordinaire, en fait de Religion 6c de piété, peut leur attirer de la part de la multitude : Tout le monde admire ce que perfonne ne fait, dit le Proverbe : Quod facit nemo, mirantur omnes. II eft encore indubitable que fi tous les Chrétiens dans le monde 6c tous ceux 6c celles qui font profelïion de la vie religieufe dans Ie cloïrre, étoient tels qu'ils devroient être, les uns par la pratique fervente de 1'Evangile, des commandements de Dieu 6c de ceux de 1'Eglifè, les autres par l'exacte obfervance de leurs vceux, de leurs regies, de leurs conftitutions , de leurs ftatuts, il eft indubitable que la fingularitè ne feroit alors , ni néceftaire, ni utile, ouplutöt qu'elle deviendroit comme impolfible, du moins pour 1'extérieur, pour le corps desadtions quiparoilfentauxyeux des hommes, pour le train ordinaire de la vie. Car, comment G iij  150 CEUVRES SP1RITUELLES. lè fingularifer dans une fociété dont tous les membres s'acquittent des devoirs communs avec une entiere exactitude ? Ce n'eft donc ni en confidérant la fingularitè en elle-même, ni en 1'envilageant dans 1'hypothefe dont nous parions , mais en la rapprochant de 1'état actuel, oü fe trouve la pratique de la Religion dans le monde & dans le cloïtre, qu'on peut 1'apprécier & juger fainement de fon vice ou de fon mérite. Or, que voit-on aujourd'hui dans le monde & dans le cloitre? Si 1'on en cxcepte un trcs-petit nombre de Chrétiens dans le monde qui rempliftent les devoirs de leur Religion , & dans le cloitre, un très-petit nombre encore de Religieux & de Rcligieufes qui s'acquittent exactement des obligations de leur profeftion, on ne voit dans tous les autres, que des prévaricateurs plus ou moins déclarés, des violateurs plus ou moins hardis, effrontés, impudents, de toutes les loix divines & humaines, eccléfiaftiques & monaftiques. Or vous me demandez fi dans eet état actuel des chofes, il vous eft permis de vous fingularifer ? Qui en doute , ou qui en peut raifonnablement douter ? Nonfeulement la fingularitè vous eft per-  CudPITRE XV. IJl mife, & dans le monde, & dans le cloitre; mais elle vous eftcommandée, néceffaire , indifpenfable, ou bien 1'Evangile eft faux , ainfi que le corps entier de nos divines Ecrkures. En combien d'endroits n'y lit-on pas quil ne faut pas fulvre la multitude pour faire le mal, qu'il faut au contraire s'en éloigner, s'en féparer; que la voie fréquentée par la multitude eft la voie large & (pacieufe qui mene a la perdition; que la voie qui conduit au Ciel eft étroite, & quil n'y a qu'un peiit nombre de perfonnes qui y marcbent; quil y en a beaucoup d'appelléi & peu d"élus; que le nombre des élus eft li petit, qu'il nous elt figuré tantöt par les huk perfonnes feulement qui furent fauvées du déluge univerfel dans 1'Arche de Noé, tan;öt par Caleb & Jofué qui de fix cents mille Hébreux fords de 1'Egypte , entrerent feuls dans la terre promilè, quelquefois par la gr-appe de raifin échappée a la main de vendangeurs, &c? Qu'en conclure, fi ce n'eft qu'il faut néceffairement fe féparer du grand monde, & dans le monde & dans le cloitre par fa conduite, fi 1'on veut fe fauver aujourd'hui, & que la fingularitè eft indkpenfvblement néceffaire au falut? G iv  CEUVSES SPIRITUELLES. O vous donc qui voulez fincérement vous fauver, ék qui regardez votre falut comme 1'unique nécelfaire, fans lequei tout le refte n'aboutira qua vous rcndre éternellement ék fouverainement malheureux; fuyez, fuyez la multitude qui dans tous les états, court en aveugle dans la voie large ékfpacieufe, dont le terme funcfte elt la mort, la perdition, 1'enfer. Séparez-vous de cette race maudite ék corrompue, par la pureté de vos mceurs ék la fingularitè d'une vie chrétienne ék religieufe, cette vie pure , innocente , fainte, parfaitement conforme a celle de Jefus-Chrift ék aux maximes de fon Evangile ; cette vie toute célefte ék toute divine , toute appliquée a la pratique des bonnes ceuvres, ék qui n'eft autre chofe que la copie, fexpreffion, la fuite, la continuation de celle de Jefus-Chrift par une imitation exacte ék une relfemblance parfaite; cette vie de privations, de renoncements, de dépouillements, de pauvreté, de modeftie, de fimplicité, d'humilité , d'abjection, de délaiffements, d'anéantiftements ; cette vie de iilence, de retraite, derecueillement, de priere, d'oraifon, de contemplation, de prélénce de Dieu, d'union continuelleavec  C II A P 1 T R E XV. IJ3 lui - cette vie de larmes, de gémifiements, de douleur, de compon£tion, d'une triftefle falutaire; cette vie de mortification, de pénitence intérieure 6c extérieure , de fouftïances 6c de croix; cette vie enfin toute oppofée a celle du monde-6c des mondains qui fetrouvent par-tout6cjufques dans les afylesles plus facrés, les retraites les plus profondes, les cloitres les plus obfcurs; cette vie molle, oifive, inutile, défceuvrée, inappliquée ; cette vie diffipée, fenlüelle, délicate, voluptueufè, efféminée; cette vie qui fè pafte toute enticre dans la joie, les jeux, les ris, les bals, les danfes, les fpeffcacles, les chants diftblus, les airs profanes, les converfations enjouées, les repas, les feftins, les vifites adtives 6c paftives, les plaifirs de toute elpece, variés, raffinés, fuivis, Menez une vie toute différente, toute contraire, vous qui voulez vous fauver. Mais prenez bien garde de n'aller point échouer contre un autre écueil qui ne manqueroit point de vous perdre, fi vous n'aviez foin de 1 eviter, celui de 1'orgueil, de la préfomption , d'un zele amer 6c tout païtri de fiel envers les autres. Supportez-les dans un efprit d'humiliié, de patience, de douG v  154 CEuvres spirituelles. ceur, de charité, de foumiffion a la volonté de Dieu, qui permet tout ce qui arrivé fur la terre, par des vues d'une fageffe profonde, qui fait tirer le bien du mal même. Vous êtes aujourd'hui debout, craignez de tomber demain, & que celui qui eft tombé, ne fe releve en prenant votre place. Supportez les plus grands pécheurs comme Dieu les fupporte; mettez-vous en efprit a leurs pieds; fouffrez avec joie leurs railleries, leurs outrages , leurs contradidtions , leurs perfécutions, n'étant ni chargé ni comptable de leur conduite; bornez votre zele a gémir, a pleurer, a prier, a faire pénitence pour eux, a les édifier, a les embaumer par la bonne odeur, le parfum de vos vertus folides & toujours fbutenues. Vous trouverez infailliblement dans ces faintes difpolitions la paix & le falut que vous cherchez. CHAPITRE XVI. Sur les grandeurs de Jefus-Chrift. \J u i racontera fa génération, dit un Prophete, en parlant de lui: Generatienem ejus quis enarrabit ? Le langage  C II A I> I T R E XVI. 155 des hommes & des Anges n'y fuffiroit pas •, il faut donc que ce foit 1'efprit de Dieu qui nous en inftruifè. Ecoutons donc ce que nous en difèht le Difciple Bien-Aimé & 1'Apötre faint Paul, 1'interprete de la Religion de Jefiis-Chrift; 1'un & 1'autre ont été inftruits a 1'école de ce divin Maïtre ; 1'un en repolant fur fon cceur le jour de la Ccne, jour auquel il inftitua le Sacrement adorable & aimable de fon amour; 1'autre lorfqu'il fut ravi jufqu'au troifieme Ciel, ravilfement admirable oü il fut inftruit immédiatement par Jefus - Chrilt, luimême, & dans lequel il vit & il entendit des merveilles qu'une langue mortelle ne peut raconter. üu plutot écoutons Jefus-Chrift, laSagefl'eincréée qui a daigné nous apprendre elle-même, ce qu'elle eft. Jefus-Chrift, le Fils unique de Dieu, eft une même chofè avec fon Pere; fon Pere eft en lui comme il eft en fon Pere; qui le voit, voit fon Pere, il fait les ceuvres de fon Pere que perfonnc ne peut faire , il travaille indiviiiblement avec fon Pere : donc Jefus-Chrift eft Dieu ainfi que fon Pere, & par conféquent 1'objet des adorations éternelles des Anges & des hommes. II faut donc G vj  ï$6 CËUVRES SPIRITUELLES". 1'adorer comme notre Dieu, croire a fes myfteres , fe foumettre a fa Loi, craindre fes chatiments, efpérer fes récompenfes, ledefirer lui-même comme 1'objet de notre éternelle félicité, puifqu'il fera lui-même cette grande Sc immortelle récompenfe , dont la poffeffion nous rendra fouverainement, éternellement, immuablement heureux. Retirez-vous donc, cachez-vous, enfoncez-vous dans les noires profondeurs de 1'abyme , vous qui refufez de croire en Jefus-Chrift; vous blafphémez ce que vous ignorez, ou plutot ce que vous feignez d'ignorer; ce qui vous rend d'autant plus coupables a fes yeux, que votre ignorance affectée décele un cceur plus pervers Sc plus corrompu. Ah! ouvrez les yeux, jevousenconjure par vos plus chers intéréts, ouvrez les yeux de vos Ames a la lumiere de eet Aftre divin, de ce Soleil de juftice Sc d'amour, dont les rayons refplendiffants vous environnent, vous inveftiffènt, vous pénetrent de toute part; bon gré-malgré , ilfaudra 1'adorer „ cléfiaftiques nonobftant tout appel, „ en invoquanr même pour cela, s'il „ en eft befoin, le fecours du bras fé„ culier „. Le-Pape Benoït XII a renouvellé & confirrné cette fage Décrétale par faBulle t'er adverfum; le Concilede Trente 1'a auffi confirmée & en a fait une regie de conduite pour tout le monde chrétien. " Le faint Concile, difènt les „ Peres de cette augufte affemblée, re„ nouvellant la conftitution de Boni„ face VIII qui commence Periculofoy „ commande a tous les Evêques fous „ la menace du jugement de Dieu, qu'il „ prend a témoin & de la malédiction „ éternelle, que par 1'autoritédu Siege ,, apoftolique , ils aient un foin tout „ particulier de faire rétablir la clöture „ des Religieufes aux lieux oü elle fe „ trouvera avoir été violée, & qu'ils „ tiennent la main a la conferver en „ fon entier dans les maifons oüelle fe „ feramaintenue, réprimantpar cenfu„ res eccléfiaftiques, & par autres pei„ nes, fans égard a aucun appel,toutes „ perfonnes qui pourroient y appor„ ter oppofidon ou contradi£tion , & „ appellant même pour cela, s'il en eft „ befoin, le fecours du bras fëculier  Chapitre XXI. 209 „ Ne fera pas permis a aucuneReligieufe „ de fortir de fonMonaftere, après fa „ profellion, même pour peu de temps, „ & fous quelque prétexte que ce foit, „ fi ce n'eft pour quelque caufe légitime „ approuvée par 1'Evêque nonobftant „ tous indults contraires. Ne fera non „ plus permis a quelque perfonne de „ quelque naiftance , condition, fexe „ ou age qu'elle foit, d'entrer dans 1'en„ clos d'aucun Monaftere, fans la per„ mifiion par écrit de 1'Evêque ou du „ Supérieur fous peine d'excommuni„ cation qui fera encourue dès lors ef„ fectivement; & cette permiftion ne „ fera donnée par 1'Evêque ou par le „ Supérieur, que dans les cas néceflai„ res, fans qu'aucun autre la puilfe don„ ner en aucune autre manière, en vertu „ d'aucune faculté ou indult qui ait été „ jufqu'ici accordée ou qui puilfe être „ a 1'avenir. SeJT.15.cap. 5. De claufura „ Monialium „. Le üécret du Concile deTrente drelfé en 1563 renouvelle & confirme la Décrétale Periculofo fans aucune reftriétion. 11 a donc la même étendue & il porte comme elle fur toutes les Religieufes préfentes & a venir de quelque Religion & de quelque Ordre ou inftitut qu'elles foient, non-feu-  2IO CEUVRGS SPIRITUELLES. lement fur celles qui fe trouveront avoir été en clöture, mais encore fur celles qui n'y font pas ék n'y ont jamais été. 11 derend de même généralement ék indiitinétement a toutes Religieufes d'en fbrtir fans caufe légitime, of aux externes d'y entrer hors les cas nécelfaires. D'après cette Décrétale du Pape Boniface VIII ék le Décret du Concile de Trente , il eft évident que la clöture des Religieufes confifte eflentiellement: i°. Ane jamais fortir de leur Monaftere fans des raifons bien légitimes, fondées fur une néceflité véritable, urgente, ék fans la permiftion par écrit de 1'Evêque même pour les Religieufes foumifes aux réguliers. 2°. A n'y pouvoir jamais laiffer entrer aucune perfonne, fans permiflion par écrit de 1'Evêque ou du Supérieur régulier ék fans une grande ék évidente néceffité. Les Religieufes ne peuvent donc point aller la oü font les externes , ni les externes oü font les Religieufes, comme 1'a déclaré la Congrégation des Cardinaux interpretes du Concile de Trente. II n'y a donc point d'endroit mitoyen qui puiffe être commun aux uns ék aux autres. Voila le principe d'oü il faut partir pour décider les queftions qui  Chapitre XXI. 211 peuvent s elever fur le violement de la clöture. On comprend fous le nom de clöture , tout 1'efpace qui eft environné & renfermé des murs du Monaftere, 8c oü habitent 8c vont communément les Religieufes. Ainfi les externes violent la clöture en entrant au dedans de ces murs, c'eft-a-dire dans les cours, jardins 8c autres endroits contigus du Monaftere, oü les Religieufes vont travailler ou fe promener, 8c a plus forte raifon dans le Chceur, la Sacriftie intérieure, &c. On doit tirer de ce principe les conféquences fuivantes. i°. Les Religieufes qui fortent de 1'enceinte de leurs murs, violent la clöture de même que les externes qui y entrent. a«. II en eft de même de celles qui pafient dans 1'Eglife extérieure, pour parer les Autels, quoiqu'elles tiennent les portes de 1'Eglife fermées, ou qui fortent de la clöture pour entrer dans la Sacriftie extérieure, ou pour fermer les parloirs extérieurs. 3». 11 faut porter le même jugement de celles qui fe placeroicnt dans le tour, puis le feroient tourner, 8c fe préfenteroient de 1'autre cöté, quoique fans fortir du tour, paree qu'elles palferoiens  212 CEUVRES SPIRITUELLES. le pivot du tour, qui eft le terme de la clöture. 4°. Les Religieufes portieres, dit le Pere Petit Didier , dans fon Traité de la clöture, partie 3, article 1. ne peuvent s'arrêter long-temps fur la porte, ni s'y entretenir avec perfonne, car elles ne le doivent faire que dans un parloir, au travers d'une grille, & non par 1'ouverture d'une porte , c'eft un abus contre le précepte de la clöture, qui défend non-feulement 1'entrée dans les Couvents, mais 1'approche de la perfonne des Religieufes: Nulliperfonnc?... ingrejfus vel accej/us pateat ad eafdem, dit le Pape Boniface VIII dans la Bulle Periculofo. Elles n'encourent pourtant pas la cenfure, ajoute le Pere Petit Didier , pourvu qu'elles ne mettenr pas les pieds hors de la porte, & qu'elles n'y lailfent pas entrer les perfonnes du dehors; car le Concile de Trente, quand il prononce cette cenfure, fe fert du mot de fortir, pour les Religieufes, exire a Monafterio & du mot di entrer pour les externes , in/ra fepta Monaf-, terii ingredï. 5°. Les portieres ne doivent ni regarder ce qui fe paffe au dehors , ni parler a perfonne du dehors; cela leur  Chapitre XXL 213 Keft défendu par les Conciles, entr'auItres par celui de Milan préfidé par Sr. • Charles Borromée 1'an 1565. 6°. Les fécuüers ne peuvent aller la oü vont les Religieufes, quoique les iportes du Monaltere foient ouvertes, ni quand quelque mur de clöture eft louvert, rotnpu, ou même tout-a-fait renverlë. " Puilqu'on voit, difent les „ Peres du Concile tenu a Avignon en „ 1725, s'accroïtre tous les jours 1'opi„ nion erronée de plufieurs qui croient „ qu'on ne viole pas la clöture des Mo,, nafteres de Religieufes, quand 1'en„ trée en eft libre, foit paree que la „ porte fe trouve ouverte par hafard, „ ou paree qu'une partie des murs eft „ renverfée, le Concile voulant en même temps guérir cette erreur & pré„ venir les dangers qui en réfultent, „ déclare, pour la süreté des confeien„ ces, que felon 1'intention des fouve„ rains Pontifes, tous ceux qui ont ainfi „ violé la clöture, dans les cas lufdirs, „ ontencouru les cenfures & autres pei„ nes portées parle Droit. C'eft pour„ quoi, il exhorte dans le Seigneur, „ tous les Prédicateurs a faire connoï„ tre aux Fideles combien la luldite „ opinion eft frivole ók erronée, & a  214 CEuVRES SPIRITUELLES. „ leur infpirer le refpect dü è Ia clöture, „ des vierges confacrées a Dieu. De „ même que tous les Prêtres chargés „ de la confeffion ou direcfion des Re„ ligieufes, a les avertir qu'elles encou„ rent la même cenfure & les autres „ peines, fi elles confentent ou conni„ vent è la violation de la clöture dans „ les cas fufdits „. Les flatus Synodaux d'un grand nombre de Diocefes recommandent la même chofe. Tels font entr'autres, ceux de Cahors en 1638 & 1673» de Cominges en 1641, d'Agen en 1673 •> de Toul en 16-7 ik i?i 1, de Chalons-fur-Marne en 1684, de Grenoble en 1690, de Paris en 1697, d'Autun en 1705, de Sifteron en 1710, d'Avignon en 17x2, de Lectoure en 1728. C'eft donc une erreur populaire de croire que la breche d'une muraille peut donner légitimement lieu a la rupture de la clöture. II en eft de même dans les cas de conftruction de nouveaux batiments, foit d'une Eglife ou d'un dortoir, & de tout autre dans 1'intérieur du Monaftere qui donne lieu a 1'ouverture de la clöture. Dans tous ces cas, foit de breche, foit de conftruction, les raifons qui ont fait ordonner la clöture  Chapitre XXI. 215 ne fubfiftent pas moins que s'il n'y avoit ni breche, ni clöture, & les Religieufes doivent fermer au plutöt ces ouvertures avec des planches, en attendant qu'on les rétablilfe en maconnerie. 7°. La défenfe fake par 1'Eglife aux Religieufes de fortir de leurs Monafteres , setend a toutes généralement, & fans exception de celles même qui s'appuient fur la coutume, ou qui fontiftues du fang Royal; & la défenfe d'entrer dans ces^mêmes Monafteres, s'étend aufli généralement a toutes fortes d'externes, de quelque fexe, age & condition qu'ils foient, s'il n'y a néceflité 5c permiffion. C'eft la difpofition du Décret du Concile de Trente confirmépar le Pape Pie V pour les forties des Religieufes, en 1566 & 1570. & pour les entrées des externes, par Ie Pape Grégoire XIII dans les Bulles Ubi gratia du 15 Juin 1575, & Dublis, du 23 Décembre 1581 , oü il a révoqué toutes les permiftions accordées précédemment a des femmes, même Comteffes, Marquifes ou Ducheftes, & a routes autres, comme auffi a des hommes de pareil état & condition. II y déclare encore que 1'excommi.mication eft encourue tant par les perfonnes qui en-  2l6 CËUVRES SPIRITUELLES. trent, que par les Abbeftes, & toutes autres perfonnes, de quelque nom qu'on les appelle, qui font ou lailfent entrer, fous prétexte de ces permiffions données, hors les cas de néceffité. D'oü 1'on conclut que les portieres , & les autres Religieufes qui contribuent a ces entrees, encourent rexcommunication. Tout cela a été renouvellé par PaulV dans la Bulle Monialium, du 10 Juillet 1612; par GrégoireXV, dans fa Bulle Infcrutabilidu 5 Février 1623 ; par Urbain VIII dans fa Bulle Sacro fanclum, du 27 Octobre 1614; & enfin par Benoit XIV, dans fa Bulle Salutare, du 3 Janvier 1742, oü il comprend dans la jévocation des permiffions accordées antérieurement par qui que ce foit,même par les fouverains Pontifes Romains, pour quelque caufe que ce foit, toutes perfonnes de quelque rang & condition qu'elles foient, même les Cardinaux & les Légats du faint Siege, & ne réferve que les Ordinaires des lieux& les autres Supérieurs des Monafteres qui y ont jurifdiction, mais feulement pour les 'cas nécelfaires. 8°. Ces défenfes fi fouvent & fi févérement intimées aux Religieufes, de fortic de leurs Monafteres, font fondées fur  Chapitre XXI. zxf fur les inconvenients extrêmes qu'entraïnent après eux ces fortes de forties, le cloitre eft comme lelément propre, le centre, le lien naturel des perfonnes religieufes ; elles y doivent vivre & mourir; hors de la tout eft piege, em« büche, danger pour elles : c'eft pour cela que faint Bernard & le bienheureux Yvres de Chartes le comparent tantöt au paradis terreftre, oü nos premiers parents vivoient dans 1'innocence; tantot au Tabernacle facré, oü 1'on vit a lombre des ailes de Dieu; tantöt a une arche, oü comme celle de Noé, elles peuvent facilement fe fauver du déluge 8c de la corruption du monde. Une Religieufè n'eft donc en süreté que dans fon cloitre, & hors de la c'eft comme Adam & Eve hors du paradis terreftre, comme un arbre hors de la terre,comme un poiffon hors de 1 eau, comme une brebis horsdefa bergerie, 8c vifiblement expofée a la gueule des loups. Une Religieufè dans le monde prend 1'efprit du monde, qui éteint en elle 1'efprit de Dieu 8c de la piété. Décharchée du joug de la régufarité 8c livrée a elle-même, on la voit courir, aller, venir, jouer, danfer, fe divertir, s'émauciper en difcours 8c en manieres K  SlP> CËUVRES SPIR1TUELLES. qui fcandalifent ceux & celles même, qui femblent leur applaudir: de quelque cöté que ces Religieufes tournent leurs pas, elles ne rencontrent par-tout que des précipices qui les attendenr, ék ce qu'elles rapportent de leurs forties, c'eft la tiédeur, la fécherelfe, 1'ennui, la légéreté, la diffipation, l'amour du plaifir0, le dégout ék 1'averfion de la piété, delafimplicité, de la régularité, de 1'ordre, dulilence, du recueillement, de la priere, de la mortification, de la pénitence, de la pauvreté, de 1'obéiffance, de toutes les vertus chrétiennes ék religieufes ; toutes les pratiques, tous les exercices de la Religion leur deviennent a charge : elles ne fe plaifent qua fe rappelfer les plaifirs qu'elles ont goutés &a s'en entretenir; mille images impertinentes de ce qui a frappé leurs fens, les obfedent, les troublent, les tourmentent fans ceffe ék les empêchent de s'acquitter d'un feul de leurs devoirs avec eet efprit d.'attention, de recueillement, de ferveur ék d'amour qu'il feroit néceffaire pour qu'il put être agréable a Dieu. , _ ., 9°. Les Evêques dans les Conciles, la Congrégation des Cardinaux établie pour les affaires des réguliers, auffi-  Chapitre XXL 219 bien que les inftituteurs,fondateursou réformateurs des Religieufes ont eu fia cceur le point fi important de la clöture, qu'ils ont marqué clans le plus grand détail la forme de leurs batimems, de leurs grilles, des tours, des parloirs, des facrifties, &c. Voici en abrégé ce qu'ils ont prefcrit Ja delfus. Autant qu'il fera pollible les Monafteres feront rellement fitués, que Jes Religieufes ne puiftcnt voir immédiatement dans les rues, & que les féculiers ne puiffentles voir dans leurs chambres ou leurs jardins. Si par néceftité les appartements des Religieufes, ou leurs greniers ont ainfi des vues immédiates fur les rues, ou fur des maifons féculieres, elles ne fe préfenteront jamais a ces fenêtres pour regarder ce qui fe paffe au dehors, & même on y mettra des efpeces de hottes qui empêchent de recevoir ia clarté autrement que par le haut, ou des jaloufies dont les ouvertures n'aient qu'un pouce de diametre. A eet effetie Chceur des Religieufes prendra fes jours furda clöture; il fera féparé de 1'Eglife ou Chapelle extérieure, par un mur dans lequel il y aura une grande grille de fer, dont Jes mailles n'auïontqu'environ deuxpouces de K ij  220 CEUVKES SPIRITUELLES. diametre. Au dedans de la grille du J Chceur, il y aura des volets qui fe fermeront a la clef, 6c ne s'ouvriront que j pendant les Offices divins, 6c même alors on tirera un petit rideau, afin d'empêcher les externes de voir les Religieufes au Chceur, 6c on ne 1'ouvrira que pour lelévation des faints Myfteres, pour la Bénédiction, 6c 1'expofition du faint Sacrement, pendant les Sermons, les cérémonies de vêture, de profelfion 6c femblables, mais alors les Religieufes tiendront leur voile baiffé jufqu'au deffous du menton. Dans chaque Monaftere, il n'y aura pas plus de deux parloirs, conftruits de facon que la partie qui eft du cöté des Religieufes, ne prenne point jour fur les dehors du Monaftere, 6c celle du cöté des externes, fur le dedans. 11 y aura dans chacun deux grilles, dont une au moins fera de fer, elles feront éloignées 1'une de 1'autre de fix pouces au moins. Les mailles de chaque grille en feront fi étroites, que la main d'une jeune fille ne puiffe y paffer, 6c que de la grille il fort des clouxdeferpointus, en forte que les externes ne puiflent en approcher le vifage. On placera dans le confeflionnal une petite grille defert  C 11 A P 1 T R Ë XXL 221 dtdont les mailles feront fiétroites, qu'on |ne puilfe y palfer un doigt: il y aura 1 par deffusune doublé toileépaiffe, clouée ■ fur un chaffis dormant de bois,ou une ■plaque deferblancpercée de petitstrous, ■ fur laquelle il y aura une petite toile clouée de même fur le chaffis. Dans le mur de la chambre des tourieres, il y aura un tour de bois fort, revêtu de bandes de fer, accommodé de facon, qu'on ne puilfe voir au travers. Les portes qui donnent furies dehors, feront très-épailfes fans fente, ni autre ouverture par laquelle on puilfe voir du dehors, ou du dedans , & les portieres n'y paroitront que le voile baiffé. Les murailles des jardins, cours 8c balfes-cours, qui ferment la clöture, auront au moins vingt pieds de hauteur, on n'yappuyera ni appentis, ni arbres en éventail, ni treilles, & les arbres a haut-vent en feront éloignés de dix a quinze pieds. Les habitations des do- : meftiques externes ne feront point contigues au Monaftere, ou du moins elles feront beaucoup furpalfées par les murs Ide la clöture, afin qu'on ne puilfe paffer d'un toit a 1'autre. i°. Les Conciles interdifent les par- ! loirs aux Religieufes hors les cas dené- Küj  '222 CEUVUES SPIRITUELLES. ceftité, qui font rares, & qui doivent I toujours avöir un objet légitime ék qui | prenne fa fource dans la charité, la Re- 1 ligion, la piété, 1'utilité fpirituelle ou I temporelle du Monaftere, ék nullement I dans 1'inutilité, i'amufement, la frivoli- I té, 1'oifiveté, la perte du temps, ék les I vaines ék infiniment dangereufes fatifraccions des Religieufes particulieres, qui aiment a fréquenter les parloirs pour s'y difliper, s'y amufer, s'y divertir, y apprendre les nouvelles du monde ou les fciences humaines, la peinture,la mufique, les inftruments, ékc. 11 eft vilible, dit Mr. Hermant, dans fa Tradition de 1'Eglife fur le füence, que les Religieufes qui fe comportent de la forte, font dans raveuglement; qu'il vaudroit mieux'pour elles qu'elles n'euffent jamais mis le pied dans le cloitre ék que les Supérieurs de telles perfonnes doivent attendre les dernieres marqués de la colerede Dieu, s'ils n'apportent des remedes prompts ék efficaces a ces abus. Plufieurs regies de Religieufes leur interdifent abfolument les parloirs, ék la plupart de celles qui les leur permettent pour befoin, veulent qu'elles n'v paroilfent jamais qu'avec un grand voile  Chapitre XXII. 223 épais, bailTé jufqua la ceinture,& les manehes de leurs robes rabattues fur leurs mains. CHAPITRE XXII. Sur les difficultés qiion peut allêguer contre la Lot de la clöture avec les réponfes. Première difficultè. T 1 e Concile de Trente n'ordonne pas aux Evêques de mettre & d etablir la clöture par-tout Sc dans toutes les maifons des Religieufes, mais feulement de la rétabliro\x elle aura étéviolée, Sc de la maintenir la oü elle aura été confervée. Donc les Religieufes exemptes de la clöture, ou par fondation, ou par privilege, ou par ufage ckpoifeffion, ne font pas compriles dans le Dêcret de ce Concile, donc on ne peut les obliger a la clöture, en vertu de ceDécrer. Réponfe. Le Décret du Concile deTrente drelfé en 1563, que nous avons rapporte, K iv  224 CEuVRES SPIRITUELLES. renouvelle & confirme la Bulle Periculofo du Pape Boniface VIII, fans aucune reftriction, ni exceprion. II a donc la même étendue que cette Bulle, <3c porte comme elle fur toutes les Religieufes préfentes & a venir, de quelque Religion, de quelqu'Ordre ou inftitut qu'elles foient, non-fèulement fur celles qui fe trouveront avoir été en clöture, mais encore fur celles qui n'y font pas, & n'y ont jamais été. II défend de même généralement & indiftinctement a toutes les Religieufes d'en fortir, fans caufe légitime, & aux externes d'y entrer. La conformité entre le Décret du Concile & la Bulle Periculofo, eft donc entiere, Scfims cela, le Concile ne renouvelleroit & ne confirmeroit pas cette Bulle, comme il déclare qu'il la renouvelle & qu'il Ia confïrme, mais il la reftrcindroit, la limiteroit & fe contrediroit lui-même. D'ailleurs le Concile de Trente défend expreffément a toute Religieufè proféffe de fortir de fon cloitre & a toute perfonne d'y entrer, fous peine d'excommunication. C'eft dans ces deux points que confifte effentiellement la clöture. Puig donc que le Concile de  Chapitre XXII. 21$ | Trente établit clairement ces deux I points, & qu'il renouvelle laDécrétale I liPericulofo , dont toute la difpolïtion, ] qui comprend généralement toutes les I Religieufes, fe réduit encore a ces deux I points, il n'y a nulle différence entre I la Décrétale 'du Pape, & le Décret du Concile. Ce que Boniface VIII. déFend, le Concile le défend; 1'un 8c 1'autre excluent dans les mêmes termes toutes forties des Religieufes, 8c toutes entrées dans leurs Monafteres. Le fens, 1'efprit 8c 1'intention du Concile font donc clairs , & quand le fens, 1'efprit 8c 1'intcntion foit de 1'Ecriture Sainte, foit des Conciles, foit de 1'Eglife, foit des autres Légiflateurs, font clairs, il eft ridicule 8c contre la bonne Foi de vouloir les expliquer par quelques mots obfcurs 8c équivoques. Ce font au contraire ces mots obfcurs ou équivoques qu'il faut expliquer par le fens clair & 1'intention maniftfte des Légiflateurs. C'eft la regie que nous donne St. Grégoire le Grand , Ch. 7. ! livre 26 de fes Morales, en nous aver' tilfant que 1'intention du Légiflateur ne doit pas être affujettie aux paroles, mais plutöt que les paroles doivent être affujettics a 1'intention du Légiflateur : Non K y  226 (EuVRES SPIRIT CELLES. debet in tent io verbis defervire, fed verba I intentioni. Cette regie qui forme le Ca- I non Hitman* cauf* 22, q. 1, q. 5, a été I adoptée par les Canoniftes, en expli- I quant ce Décret du Concile de Trente: I „ On doit, difent-ils, bien plus pefer „ 1'intention du Légiflateur que fes pa„ roles „ : Mens Legiflatoris eft potius attendenda qucim verba. Navarr. Bonacina, de claufurd q. 1. puncï. r, n. 2. Mais en fuppofant que le Décret du Concile de Trente fur la cióture des Religieufes a befoin d'une interprétation authentique, qui ait la même force que le texte, ék a laquelle tout le monde foit obligé de fe foumettre; nous rayons dans la Bulle de Pie V. Circa paftor alis officii, de 29 Mai 1566, qui renouvelle le chapitre Periculofo, ainfi que le Concile de Trente, ék oblige expreffément a la clöture toutes les Religieufes qui n'y ont jamais été, ék qui n'y font pas obligées par leur inftitut, rnême les tiercaires. Et cette Bulle a été publiée en France, comme il paroït par le Concile de Rheims ék de Tours en 1583, de Bourges en 1584, d'Aix en 1585, deTouloufe en 1590, qui en ordonnent 1'exécution. Le même Pape , pour confkmer cette première Bulle,  Chapitre XXII. 227 én a donne une autre le 1 Février 1570, qui commence par ces mots, Decori & boneflati. Grégoire XIII. dans fa Bulle Beo facris en 1572, a cité celle de Pie V, & reconnoit qu'elles ont été faites en confirmation & en exécution du Décret du Concile de Trente. Ainfi le fens de ce mot rètablir, dans le Décret de ce Concile , felon ces Papes & les autres, s'entend de celui dVtablir pour les Monafteres oü la clöture n'a point encore été, faute de s'être conformée a laDécrétale Periculofo. C'eft pourquoi le Concile d'Aix en 15 y j, en copiant le Décret du Concile de Trente, au-Heu de reflititere a mis inftituere, établir au-Iieu de rètablir qui eft le vrai fens du Décret; & par-la, il a öté 1'équivoque. Deuxieme difflculté. Le Concile de Trente n'a pas été recti, quant aux points de difciplinc, par la puilfance féculiere notamment en France , malgré les efforts réunis des Papes & du Clergé. Réponfe. Quand même le Concile de Trenïe n'auroit pas été recu , ni en France, ni K v]  228 CSUVRES SPIRITUGLtES* ailleurs par la puilfance féculiere , luf les poinrs de difcipline, les particuüers ne lailferoient pas d etre obligés de s'y foumettre dans le for de la confcience , en tout ce qui n'eft pas contraire aux droits légitimes des Souverains , qui font indépendants de 1'Egliië pour le temporel, comme 1'Eglifè ne dépend point d'eux pour le fpirituel, puifqu'il eft indubitable que tous les enfants de 1'Eglife font obligés de lui obéir comme è une mere, & a 1 'époufè de Jefus-Chrift, dr.ns tout ce qu'elle leur prefcrit pour le bon ordre & le falut de leur Ame. Or 1'Eglile prefcrit <5c commande la clöture de toutes les Religieufes qui font les trois vcenx folemnels de Religion, comme il eft évident non-feulement par les Bulles des Papes & le Décret du Concile de Trente que nous avons rapportés , mais par une infinité d'autres Conciles, de tous les Pays catholiques, & particuliérement de la France, qui ont recu & adopté toutes les Bulles des Papes données a ce fujet; ainfi que le Décret du Concile de Trente. Tels font entr'autres le Concile de Mayence en 1549, de Sens en 1528, de Rouen en 1581, de Rheitns en 15Ü5 , de Cologne en i536,deMilanen 1565,1569,  Chapitre XXIL 229 1579 6c 15H2, de Lyon en 1510, de Valence en 1522, de Bourges en 1528 & 1584» de Treves en 1589? de Narbonneen 1551 6c 1609, de Tolede en 1566, de Cambrai en 1570 & 1586, de Malines en 1570, de Bordeaux en 1583 & 1624, d'Aix en Provence en 1 585,deTouloufe eni5<,o,d'Avignon en 1594 6c 172 5 , 6cc. Tout Chrétien eft donc obligé de fe foumettre d'cfpric 6c de cceur dans le for intérieur de la confcience, a tant de Décrets des Papes , 6c de Canons des Conciles, qui ont ordonné la clöture a toutes les Religieufes , quand bien même ces Décrets 6c ces Conciles ne feroient point recus par la puiffance féculiere pour certaines raifons. Mais ce qui met le comble a la force victorieufè de cette preuve, c'eft que les Ordonnances 6c les Edits des Souverains , particuliérement des Rois de France, 6c les Arrêts des Parlements s'accordent avec les Bulles 6c les Décrets des Papes, 6c les Canons des Conciles fur ce point. On peut voir entr'autres Faffemblée de Melun en 1579, 1'Ordonnance de Henry III. aux Etats de Blois, donnée la même gnnée, art. 31 6c confirmée par Louis Xlll, dans fbn Ordonnance  ÜjO CEuVRES SPIÏÜTUELLE9. du mois de Janvier 1629, arr. 4,1'Edk du Roi Louis XIV. are. 19 donné au mois d'Avril 1695 , enrégiftré dans rous les Parlements , 1 article 33 duRéglement dreffé par la Chambre eccléfiaftique des Etats généraux, affemblés a Paris en 1614, 1'Arrêt du Confeil-Privé du 26 Aoüc 1653, Tarnde 4 de la Capitulation accordée a la Ville de Lille lorfque le Roi de France en fit la conquête en 1667, oü il eft dit que le Concile de Trente publié ókrecu dansles Pays-Bas, fera obfervé dans ladite Ville ék Chatellenie ék enclavements , &c. Les deux Puiffances s'accordent donc touchant la Loi de la clöture des Religieufes: on ne peut donc la violer fans être rebelle a Dieu ck afEglife, auxPontifes ck aux Rois. Troifieme difficulté. II y a des Religieufes qui par leurfondation, ont la liberté de fortir de leurs Monafteres ék d'y recevoir des externes. Réponfe. On répond a cette difficulté , que le Concile de Rouen tcnul'an 1581,1'ayanl propofé au Pape Grégoirc XIII, ce Pape après avoir confulté les Cardinaux, ré-  'C m, a p i t. it s XXII. 23* pondit qu'il falloit exécuter le Décret du Concile de Trente, ék les Bulles des fouverains Pontifes , touchant la clöture, lefquels avoient révoqué tous les privileges , ék dérogé aux'fondations contraires a la clöture. La Bulle de Pie V. du 29 Mai 1566, elt aullï exprefle fur. cette matiere. Quatrieme difflcuïtè. 11 y a des Religieufes qui n'ont pas fait vceu de clöture , ék qui ne féroient jamais entrees dans leurs Monafteres, fi elles avoient prévu qu'on pourroit les y obliger. Réponfe. La clöture eft contenue implicitemenr dans la regie ék dans les vceux, comme un moyen que 1'Eglife a jugé trés-propre pour les faire obferver, ék pour en ernpêcher le violemenr. D'oü Silviusconclut, que quand des Religieufes auroient fait profeffion fous la claufe expreffe de ne point garder la clöture, 1'Evêque auroit encore en ce cas droit de les y contraindre , è moins qu'elles n'eufïent donné qu'un confentement conditionnel a leurs vceux, ék qu'elles  2$2 CEuVRES SPIRITUÈLLES. n'eulfcnteu 1'intention formelle d'en (ufpendre 1'effet par cette condition, paree que leurs vceux alors feroient invalides jufqua raccompliiTement de Ia condition , & ne les rendroient pas par conféquent véritablement Religieufes comme le dit Miranda. Cinquieme difficultê. On ne peut obligcr les Religieufes qui n'ont pas voué ia clöture, de 1'obferver malgré elles, & 11 on vouloit les y forcer, il y auroit a craindre des extrêmités beaucoup plus facheufes que la violation de la clöture. Réponfe. La plus grande extrêmité qu'il y ait a craindre pour des Religieufes, c'eft de les lailfer vivre & mourir tranquillement dans un état de damnation tel que celui oü elles font, en violant habituellement Ia Loi de la clöture que leur impofent de concert 1'Eglife & le Prince, le Sacerdoce & 1'Empire. Noh-feulement le Pape, dit le favant Du Moulin, mais même les Princes fouverains peuvent & doivent contraindre les Re-  Chapitre XXII. 233 ligieufes de garder la clöture, vu qu'elle eli dela regie, & qu'on doit les obliger a obferver les regies prefcrites par les Supérieurs légitimes. Du Moulin, Notes fur la Coutumz de Bourgogne. Sixieme difficulté. II fe trouve plufieurs Monafteres oü 1'on fait vceude clöture, quand il plaira aux Supérieurs de le faire obferver; 8c cependant les Supérieurs même les plus réguliers 8c les plus zélés n'en exigent point 1'obfervation, malgré la bonne volonté des Religieufes qui s'y foumettroient, li les Supérieurs le vouloienr* Réponfe. Les Supérieurs de ces Religieufes n'ont ni la régularité, ni le zele qu'on leur fuppofe; ils n'en ont pas la moindre étincelle , puifque s'ils 1'avoient, ils ne manqueroient pas de faifir avidemenE la bonne volonté de ces Religieufes pour leur faire obferver une Loi, que 1'Eglife leur impofe, fous peine d'excommunication , paree qu'elle la juge très-grave 8c très-importante, & néceffaire a leur falut: au défaut de ces laches  234 CEüVRES SPIRITUELLES. Supérieurs, les Religieufes doivent Cc ranger d'elles-mêmes a leur devoir fur ce point, s'il eft vrai qu'elles foient li bien difpofées. Mais il eft fort è craindre qu'elles ne foient pas plus zélées fur eet article, que leurs indolents Supérieurs. On a vu des Evêques vraimentzélés, qui ont voulu mettre la clöture dans plufieurs Monafteres, & quionttrouvé des obftacles infurmontables, dans 1'oppofition des Grands Si des Magiftrats j oppofition trop fouvent mendiée, extorquée par les Religieufes mêmes qu'on vouloit cloitrer; ce qui ne fut qu'aggraver le crime de leur défobéifiance a 1'Eglife malgré 1'appui de leurs Proteéteurs. Septieme difficultè. La charité n'eft-elle pas la reine des vertus, &peut-on blamer des Religieufes qui fortent de leurs cloitres pour aller panfer des pauvres ? Réponfe. La charité toute bonne Si excellente qu'elle eft en foi, ne peut plaire a Dieu que quand elle eft bien ordonnée, &  Chapitre XXII. 235 revêtue de toutes les conditions quil exige pour qu'elle lui foit agréable; le défaut d'une feule de ces conditions fuffit pour la rendre mauvaife, criminelle ft fes yeux; & telle eft précifément la charité que les Religieufes exercent contre la Loi de la clöture. Dieu lacondamne, il la rejette, & il la punira févérement, paree qu'il n'y voit qu'une défobéilfance bien caractérifée aux Loix de fon Eglife, a laquelle on ne peut défobéir fans crime. Huitkms difficulté. Eft-il croyable que 1'Eglife puiffe & veuille défendre aux Religieufes de fortir de leurs cloïtres dans ces occafions, & autres femblables, tandis que les Supérieurs majeurs qui les voient, & qui font inftruits des Loix de 1'Eglife, ne s'y oppofent en aucune forte? Réponfe. L'Eglife peut & veut défendre^ aux Religieufes de fortir de leurs cloitres dansjes occafions, & autres femblables. Elle Je peut, puree qu'elle a reen de Jefus-Chrift fon divin Epoux, le pouvoir d'ordonner & de défendre a fes enfants, tout ce qu'elle jugeroit è  23<5 (EuVRES SPIRITUELLES. propos de leur ordonner, ék de leur défendre pour le bien ék le falut de leur Ame. Or, 1'Eglife juge ék elle juge infailliblement que la clöture la plus févere eft néceffaire non-feulement au bien ék au falut de 1'Ame des Religieufes, mais encore au bien général de la Religion, ék a ledification des Fideles, qui font toujours fcandalifés de voir des Religieufes au milieu du monde. Elle peut donc, ék elle doit leur impofer la loi de la clöture la plus févere. Elle peut, elle le doit, ék elle le veut comme le prouvent invinciblement les loix fins nombre qu'elle a portées fur ce point. N'importe que les Supérieurs majeurs ferment les yeux fur les violements de la Loi de la clöture, ou même qu'ils en difpenfent, leur tolérance ék toutes leurs difpenfes font réprouvées de Dieu, ék abfolument nulles, fi elles ne font point fondées fur des caufes ma-. nifeftement juftes, folides , urgentes, nécefTaires , felon 1'efprit de 1'Eglife, les Bulles des Papes, ék les Décrets des Conciles, auxqucls les premiers Supérieurs font foumis tout comme les autres. Neuvieme difficultè. La néceffué de fortir du cloitre pour  Chapitre XXII. 237 aller prendre les eaux, ou de mourir, faute de les prendre, ne fera-t-elle pas au moins, une raifon fuffifante pour aulorifer ces fordes? Réponfe. Non, au jugement du Pape Pie V, qui, lollicité par des perfonnes de grande qualité, de permettre a une Religieufè malade de Naples, de fortir de fon Monallere, pour aller aux bains, le refufa. Le P. Francois de Gonzague, General de 1'Ordre de Sr.Francois, en ufa de même 1'an 1580, a 1 egard d'une Religieufè de grande maifon, croyant qu'il n'en avoit pas le pouvoir. Le Général de 1'ürdre de Annonciades, requis de permettre a une Religieufè de 1'Annonciation d'Agen condamnée par les Médecins a mourir infailliblement, fi elle ne fortoit pour prendre 1'air ou les bains, qui 1'eulfcnt infailliblement guérie, au jugement des mêmes Médccins,répondit tout limplement : Qu'elle meure , moriatur, 8c avec bien de la raifon. Ne voila-r-il pas un grand malheur pour une Religieufè qui demande tous les joui s tant de fois a Dieu, 1'avénement de fon Royaume, qui dit 8c répete fi  I38 CEUVRES SPIR1TUELLES. fouvent, qu'elle gémit dans certe trifte vallée de larmes, qu'elle Idupire, qu'elle languit après le bienheureux moment qufdoit brifer les liens de fon corps, «Screnverfer cette maifon deboue, pour 1'unir a fon chafte & divin Epoux. Auffi, les réglements particuliers des Religieufefdè 1'Ordre deCïteaux, desCarmélites, des Annonciadcs, desFilles de laVifitation, & de plufieurs autres Ordres, défendent pofitivement aux Religieufes d'aller aux bains & aux eaux. Dixieme difficulté. II faudra donc damner toutes les Religieufes qui fortent de leurs cloitres , hors les cas permis par 1'Eglife; ce qui eft dur & cruel, pour tant de Religieufes qui n'ont jamais recu aucune int truftion la deflus, & qui ignorent abfolument les Loix de 1'Eglife fur la clöture. Réponfe. Tl nmis Daroit très-difficile, pour ne pas dire impoffible, qu'il y ait des Religieufes qui ignorent invinciblement les Loix de 1'Eglife töuchant la clöture des Monafteres de filles. Mais en fup-  Chapitre XXIII. 239 pofant cette ignorance invincible dans quelques Religieufes, nous les abandonnons au Jugement de Dieu, qui fonde les cceurs 6c les reins. Si donc ces Religieufes que nous fuppofons dans 1'ignorance invincible de la Loi de la clöture, ne fortent point par goüt, par inclination , & plutöt malgré elles, 6c pour fuivre 1'ufage du Monaftere, pour obéir aux Supérieures qui 1'ordonnent, pour éviter les mauvais traitements qui fuivroient leur défobéilfance a eet égard, 6c fi d'ailleurs elles fe comportent avec une entiere régularité 6c une touchante édification chez les parents Chrétiens qui les recoivent pendant le temps de leurs vacances, nous n'ofons les condamner. Mais oü trouver des Religieufes telles que celles-ci? CHAPITRE XXIII. Sur Ia dot ou dotation des Religieufes. ^3 n appelle dot ou dotation des Religieufes, 1'argent ou les autres chofes temporelles, efrimables a prix d'argent qu'elles recoivenr des perfonnes qui veulent embralTer leur état.  Extr, ch. 51. de Simonia. 24O (EuVRES SPIRITUELLES. Les Papes, dans leurs Décrérales, Sc f lesConcilesdansleursCanonsdéfendent 1 févérement d'exiger de 1'argent ou tout I autre bien temporel, foit pour la vêture, foit pour la profefïïon religieufè, une pa-i reille exa£tion étant illicite, fimoniaque, Sc contraire au droit naturel Sc divin, qui défend d'exiger aucun bien temporei pour une chofè fpirituelle, telle que la vêture Sc la profefïïon religieufè; 11 n'elt donc pas permis de donnet' de fes biens temporels aux Monafteres dans lefquels on veut s'engager par la profefïïon religieufè, que quand ces fortes de donations font entiérement libres Sc volontaires, Sc qu'elles ne font ni comme prix ou en confidération de la vêture ou de la profefïïon, ni avec pact. ou flipulation, foit de la part de ceux ou celles qui entrent dans les Monafteres, foit de la part de leurs parents ou amis, foit de la part des Monafteres qui adrnettent les novices. Le Pape Urbain V, dans fa Décrétale fur cette matiere, Si le Pape Grégoire XI qui a adopté Sc renouvellé cette Décrétale , traitent iïabus déteftable de demander directement ou indirectement, on d'exiger des perfonnes qui font profefïïon de la vie religieufè, de 1'argent, des  Chapitre XXIII. 241 des joyaux, des repas, ou toute autre chofe, quand même ce feroit pour 1'appliquer a des ufages pieux. lis défendent fous peine d'excommunication de le faire a 1'avenir, permettant feulement de recevoir avec actions de graces ce que les perfonnes offriront volontairement, par une libéralité pleine, entiere Sc toute paction celfante. Les Conciles contiennent les mêmes difpofitions furcepoint, ckledeuxieme Concile général de Nicée, qui fut tenu 1'an 78? fous le Pape Adrien I, condamne comme fimoniaques & contraires au droit divin, Jes exadtions dargent qui iè font pour fentrée en religion, de même que celles qui fe font pour les ordinations, & prononce la peine de dépofition contre les Abbés & les Abbelfes, qui fe rendent coupables de ce crime. Les Loix du Royaume de France s'accordent ici avec celles de 1'Eglife, 6c la déclaration du 2 Avril 1693 enrégiltrée ■au Parlement de Paris , le 7 Mai fuivant, a établi une Jurifprudence uniforme fur ce point, qui feit de regie dans toute la France. Après avoir ordonné dans Je préambule, que les faints Décrets, Ordonnances & Réglements .concernant la réception des perfonnes L Ca/t, li.  242 CËUVRES SPIRITUELLES. qui entrent dans les Monafteres, pour . y embralfer la vie religieufè foient exécutés; elle défend a tous Supérieurs ék Supérieures, d'exiger aucune chofe direétement ou indirecfement en vue ék confidération de la réception, prife d'habit ék profellion. Permet néanmoins Sa Majefté aux Monafteres des Carmélites, des Filles de Sainte Marie, des Urfulines & autres qui ne font point fondés, ék qui font établis depuis 1'an 1600, de recevoir des penfions viageres, pour la fubliftance des perfonnes qui y prennent 1'habit ék y font profellion, a la charge que lefdites penfions ne pourront excéder la fomme de cinq cents livres a Paris ék autres Villes qui ont Parlements, ék celle de trois cents cinquante livres, dans les autres lieux du Royaume. Permet auffi Sa Majefté auxdits Monafteres de recevoir pour les meubles, habits ék autres chofes abfolument nécelfaires pour 1'entrée des Religieufes, jufqu a la fomme de deux mille livres , une fois payée dans les Villes oü les Cours de Parlements font établies ék jufqu a celle de douze cents livres , dans les autres Villes ék lieux. j Et en cas que les parents ék héritiers des perfonnes qui entrerontdanslefdit$ 1  Chapitre XXIII. 243 Monafteres, ne foient pas en volonté, ou en état d'aiïiirer leldires penfions viageres , il fera permis auxdits Supérieurs de recevoir des fommes dargent, ou des biens immeubles qui tiennent lieu defdites penfions, pourvu que lefdites fommes dargent ou la valeur des biens immeubles n'excédent pas la fomme de huit mille livres dans les Villes oü il y a Parlements, & ailleurs celle de fix mille livres» Permis aux autres Monafteres , même aux Abbayes & Prieurés qui ont des revenus par leur fondation , & qui prétendroient ne pouvoir entretenir le nombre de Religieufes qui y font, de préfenter aux Evêques des états de leurs revenus & de leurs charges, fur 1'avis defquels on pourra permettre de recevoir des penfions, des fommes d'argent ou des immeubles de la valeur exprimée ci-deffus. Pour que les Religieux Sc Religieufes ne foient point dans le cas de rien exiger de ceux ou celles qui poftulent leur habit, le Concile de Trente a ordonné sef.xxv que les Monafteres, foit pauvres, foit ch"P- 3 riches, ne recevront qu'autant de fujets di u&uh qu'ils en pourront faire fublifter, ou par leurs propres revenus, ou par les aumönes qu'ils ont coutume de receLij  244 CEUVRES SPIRITUELLES. voir. Que s'il fe préfente des furnuméraires j on leurrepréfentera que le Couvent n etant pas en état de les entretenir, onles recevra, s'ils veulent donner ce qui eft néceffaire pour leur entretien, mais on ne fera avec eux, ni avec leurs parents aucune ftipulation, & on ne leur demandera qu'une penüon viagere, laquelle ne durera qiCauta?n de temps que le Couvent ne pourra entretenir le iiijet fans s'incommoder. Si les parents aiment mieux fe libérer par une fomme une fois donnée que par une penfion viagere, on peut acquiefcer a leurs defirs , mais foit qu'on accepte une penfion viagere, ou une fomme une fois payée, on doit régler fonintention, en forte que 1'acceptation ait pour motif le befoin du Monaftere, & non pas la vêture, ni la profellion du fujet. On ne doit non plus , ni faire payer la dot en tout ou en partie , avant que la novice foit recue a profellion, ni même ftipuler cette dot, ni en faire un contrat, ni en convenir de paroles avant ce temps, quand même on auroit lieu de foupconner lamauvaife foi des parents : tout ce qu'on pourroit faire en ce cas, feroit de s'affurer d'une penfion viagere par un ade qui fuivroit la réception du  Chapitre XXIV. 245 fujet. On peut voir 1'ouvrage qui a pour titre : Traité de la conduite canonique de 1'Eglife, pour la réception des Filles dans les Monafteres. ParMr. Hermant, imprimé a Paris, chez Savreux en 1670. chapitre xxiv. Sur les penfions des Religieux & des Religieufes. Ij es Religieux & les Religieufes peuvent-ils avoir des penfions viageres, fans violer leur vceu de pauvreté? Cette queftion mérite d'autant plus detre difcutée, que 1'ufage de ces penfions eft plus commun, & que fi eet ufage renferme elfentiellement le violement & la ruine du vceu de pauvreté, il fuffira lui fëul pour damner les Religieux&Religieufes penfionnaires. Quelques Auteurs le penfent ainfi, & foutiennent que les penfions religieufes font elfentiellement deftructives du vceu de pauvreté; Si par conféquent elfentiellement vicieufes , intrinféquement mauvaifes, criminelles de leur nature. Tels font le Pere Thorentier de i'Oratoire dans la Differtation fur le vceu ds l iij  246 CEUVRES SP1RITUELLES. pauvreté religieufè, imprimée a Paris, chez Babuty en 1726; & Mr. 1'Abbé Des Villars Official de Sr. Claude, dans lerome I. de fes Conférences théologiques & morales fur les principaux devoirs de la Vie religieufè, imprimées a Lyon, chez les freres Périlfe en 1763. Ces Auteurs fe fondent fur la définition qu'ils donnent du vceu de pauvreté : voici comme ils le définilfent. Le vceu de pauvreté, difent-ils, eft une promejfe folemnelle que vous avez fake d Dieu , dans une Religion approuvée, par laquelle vous avez irrèvocablement renoncénon-feulement alapropriétè & au domaine de tous vos biens tempor els, droits & prétentions que vous pourriez avoir, mais encore a la faculté d'en difpofer & de vous enfervir fans la permiffion de votre Supérieur. Telle eft, ajoute Mr. Des Villars, la définition que les Cafuifies & les Canonifies donnent du vceu folemnelde pauvreté; d'oü il réfulte, felon leur unanimefentiment. i°. Qu'une Religieufè ne peut nipojféder ni prendre ni recevoir aucune cbofe tempor elle, foit pour la garder, foit pour s'en fervir ,foit pour en difpofer en quelque manière que ce foit, fans la permiffion de fa Supérieure eu de fon Supérieur majeur, paree que  Chapitre XXIV. 247 tous ces objets ifappartiennent qtia une perfonne, qui eft, ou qui peut en être propriétaire. J'ofe affurer que cette définition du vceu folemnel de pauvreté eft fauflè,& que fi elle appartienta 1'unanimité des Cafuites & des Canonift.es (ceque jenecrois nullement)ilsfe trompent unanimement fur ce point : en voici la preuve. Selon cette définition, le vceu de pauvreté confifte elfentiellement dans le renoncement a toute propriété de tout bien temporel, a tout droit, d toute prétention. Cela eft vrai pour le renoncement a la propriété de tout bien temporel; mais cela eft ablblument faux quant au renoncement a tout droit, a touteprètention, paree que les Religieux ne renoncenrpoint par leur vceu de pauvreté, a tout droit, a toute prètention; qu'ils contervent certains droits,certaines prétentions, & que même, ils ne pourroient renoncer a ces droits, a ces prétentions, fans pécher contre la Loi naturelle & divine, eccléfiaftique & civile. Tout Religieux, malgré fon vceu de pauvreté , aun droit ftrict & rigoureux a fa vie, a fon entretien, a fon honneur, a fa liberté; un Supérieur eft obligé par juftice de lui conferver tous L iv  248 CEUVRES SPIUITUELLES. ccs droits ; il abuferoit vifiblement de fon autorité , s'il prétendoir 1'en priver fans jufte raifon, & le Religieux en ce cas, pourroit 6c devroit fè maintenir dans tous ces droits, par des voies légitimes éc canoniques. Eh quoi donc, eft-ce qu'un Religieux, paree qu'il afait vceu de pauvreté, fera obligé de fe laiffer mourir de fum, d'aller nu, de renoncer volontairement a fon honneur 6c a. fa liberté, paree qu'un Supérieur barbare lui refufera le néceffaire a la vie Scal'entretien, 6c prétendra le diffamer & 1'enchainer injuftement? II eft donc faux que le vceu de pauvreté renferme cffentiellement un renoncement abfolu a tout droit 6c a toute prétention. Les Religieux 6c les Religieufes malgré leur vceu de pauvreté, confervent donc certains droits, 6c s'ils les confervent, ils font donc a eux ces droits, 6c s'ils font a eux , ils en ont donc la propriété, puifque s'ils n'en avoient pas la propriété , ils les auroient 6c ne les auroient pas tout a la fois ces droits qu'ils confervent, ce qui répugne. La définition du vceu de pauvreté que donne Mr.Des Viilars eft donc fauffe , les conféquences qu'il en tire ne font donc niplus vraies, niplus juftes, puifqu'elles ne portent que fur-  ClI/lPITRE XXIV. 2\<) un faux principe, un fondement rtiineux. Mais en quoi confifte donc le vceu de pauvreté, & quelle en eft la vraie définition? la voici. Le vceu de pauvreté confifte effenriellement dans la promeffe faire a Dieu, de n'avoir rien en propre, c'eft-a-dire, dont on foit le propriétaire, dont on puifle u fer en maitreindépendant,dont il foit libre de jouir & de difpofer a fa volonté, comme d'un bien qui nousappartienr,& donr nousn'avons de compte a rendre a perfonne. Telle eft la véritable idéé du vceu de pauvreté, & par conféquent, tout ce dont on eft propriétaire , toutce qu'on poffedeen maïtre indépendant, eft incompatible avec le vceu de pauvreté; il le detruit abfolument. Mais auffi par la raifon contraire, tout ce qu'on poffede, comme fimple ufager, ou tout ce dont on n'a que 1'ufage dépendant de la volonté du Supérieur, tout ce dont on n'eft ni le propriétaire, ni le maïtre indépendant, tout cela n'eft point incompatible avec levceu de pauvreté , & ne le détruit pas. Sur ce principe inconteftable, il eft évident que les penfions religieufes ne font point contraires a 1'effence du vceu de pauvreté, pourvu qu'elles foient fo«: L y  2J0 CEUVRES SPIRITÜELLES". mifes a Ia volonté des Supérieurs &revêtues des autres conditions que nous allonsrapporrer; pourquoi? paree que jouir, po[f'édcr comme propriétaire, difpofer en maitre indépendant, & pofféder, ufer feulement en fujet totalement foumis , fubordonné , dépendant, lont deux idéés qui fe combattent, & fe détruifenr, s'exciuent mutueliement & ne peuvent compatir enfemble. Donc les penfions religieufes étantfubordonnées aux Supérieurs, dépendantes de leur volonté, ceux qui les polfedent & quï en ufent avec cette dépendance & cette fubordination, ne pechent point contre l'elfence du vceu de pauvreté; donc elles ne font point intrinféquement inauvaifes & criminelles de leur nature. Cependant, il faut convenir qu'elles font contraires a la perfection du vceu de pauvreté, 5c qu'il feroit beaucoup mieux, plus parfait & plus sur pour le falut, que tout fut en commun dans les Monafteres Sc que les Supérieurs diftribualfent a tous leurs fujets ce dont ils ont befbin, fans acception de perfonnes. II faut convenir aulfi que les penfions religieulès font très-dangereufes; qu'on peut en abufer, Sc qu'on n'en abufe que trop fouvent; ék, enfin qu'el-  Chapitre XXlF. 2ji les font pour plufieurs Religieux 5c Religieufes, une occafionpar accident,de violer leur vceu de .pauvreté. Que fautil donc pour que les Religieux 6c Religieufes qui ont des penfions, foient entiérement exempts de pêché & irrépréhenfibles aux yeux de Dieu? II faut: i°. qu'ils en foient détachés d'efprit 6c de cceur; i°. qu'ils ne s'en eftimcnt point les maitres 6c les propriétaires : 30. qu'ils n'en ufent qu'avec la permilfion de leurs Supérieurs, 6c qu'ils n'en falTent ni lufage, ni la deifination a leur gré: 40. qu'ils foient lincérement difpofés a les remettre entre les mains de leurs Supérieurs, ou des dépofitaircs qu'il leur nommera, 6c même a y renoncer abfolument, fi les Supérieurs jugenta propos de rètablir le commun parfait: 50. qu'ils ne les emploient qu a leurs befoins véritables, 6c qu'ils foient dans la difpofition fincere de fouffrir volontiers qu'on les emploie aux befoins des autres : 6°. que dans 1'emploi qu'ils font de leurs penfions , il n'y ait rien de contraire a la modeltie, a la fimplicité 6c a la pauvreté de 1'état religieux ; comme par exemple, de porter des habits trop fins 6c trop chers, d'avoir des tabiaux, des meubles ou des uftenfiles L vj  252 CEUVRES spirituelles. deprix,de jouer de 1'argent, de donnet' des repas fomptueux, ou de faire route autre dépenfe inutile,frivole,& qui n'a pour objet que le plaifir & la fatisfaction des fens, de 1'orgueil, de la vanifé, de quelque paflion déréglée que ce foit. Avec ces conditions, on peut tolérer les penfions religieufes dans les Monafteres oü elles font établies , -quand il n'eft pas poftible, moralement parlant, de les y abolir; & les Religieux & Religieufes qui en ufent dans les difpofitions bien finceres qu'on vient de détailler, font en süretéde confcience, ne dépendant point deux de faire autremenr. Mais aulfi ceux & celles qui font dans des difpofitions contraires, violent leur vceu de pauvreté, & font par conféquent dans un état de damnation. CHAPITRE XXV. Sur les Penftonnaires des Monafteres de pilles. Ï^our donner une jufte idéé de 1'efprit de 1'Eglife par rapport a ces Penfionnaires, nous ne pouvons rien faire de mieux, que de coucher ici le pré-  Chapitre XXV. 253 cis des Réglements qu'on trouve pour elles dans 1'Ordonnance du Cardinal de Noailles en date du 27 Septembre 1697. 1 f. Les Monafteres qui par leur regie peuvent recevoir des Penfionnaires, ne recevront aucunes petites fïlles plus jeunes que de fix a fept ans, 6c les rendront a leurs parents , quand elles auront feize ans. 20. Elles ne recevront au nombre des grandes Penfionnaires, aucune fille au deiTus de dix-huit ans , ni femmes mariées ou veuves pour penfionnaires, fans la permiffion par écrit de 1'Evêque diocéfain. 30. Toutes lefdites Penfionnaires feront obiigées de garder la clöture pendant leur demeure dans le Convent, öc n'en pourront fortir, non plus que les perfonnes qui les fervent, que rarement & pour affaires qui feront jugées néceffaires par la Supérieure, 6c jamais découcher fans la permiffion par écrit du Supérieur. Elles n'iront point aux comédies , opéra 5c bals , fous quelque prétexte que ce puiffe être, même en compagnie de leurs peres 5c meres. 40. Elles n'iront point au parloir a 1'heure de 1'Office divin, 5c on ne leur  354 CEuVRES SPIRITUELLES. permetrra point de manger au parloir,, fur-tout avec des hommes. 5°. Elles ne pourront auffi envoyer aucune lettre au dehors , ni en recevoir fans permiffion de la Supérieure; les Penfionnaires grandes ou petites coucheront toujours fcparément. 6°. Elles logeront , autant qu'il fe pourra , dans un corps de logis féparé des lieux réguliers, & jamais dans le dortoir des Religieufes, & n'auront de commerce qu'avec celles qui feront commifes par la Supérieure pour leur conduite. 7°. Si les parents fouhaitent que leurs filles penfionnaires apprennent a chanter, ou a jouer de quelqu'inftrument, on ne leur montrera jamais des airs licentieux, capables d'exciter les paffions & d'altérer 1'innocence. Elles prendront garde de ne rien faire qui puille préjuclicier au bon ordre & a la difcipline réguliere du Monaftere. 8°. Les Religieufes tiendront la main a ce que les grandes Penfionnaires ne portent nipierreries , nihabitstropmagnifiques , & qu'elles foient toujours modeftement vêtues. 9°. Quant aux petites Penfionnaires, elles poneront ou 1'habit du Convent,  Chapitre XXV. i$$ fi c'eft 1'ufage, ou du moins un habic fimple & modefte. io°. On ne leur permettra point, fous prétexte de récréation, de faire des déclamations ; ces fortes d'exercices ne fervant qu'a diffiper Sc a faire perdre beaucoup de temps aux Religieufes , Sc étantoccafion aux penfionnaires de prendre un efprit de vanité contraire a la modeftic dans laquelle on doit les élever. On ne leur permetrra point auffi, en quelque temps que ce foit, de jouer entr'elles aux cartes, ni aux autres jeux de hafard. Qu'on rapproche cesRéglements dc cequi fe paffe aujourd'hui dans un grand nombre de Communautés de filles, oü 1'on recoit des Penfionnaires, & 1'on verra, non fans douleur, qu'on n'y en remarque pas Ia plus petite tracé , le moindre veftige. Les Penfionnaires y ont une entiere liberté , non-feulement de parler a toutes les Religieufes, d'aller au parloir & d'y manger avec les féculiers, de fortir Sc de recevoir, ou d'envoyer des lettres, mais de danfer, de chanter des airs profanes, de lire Sc de repréfenter des comédies, de fe déguifer Sc de fuivre toutes les modes les plus folies Sc les plus fcandaleufes du monde : il y a plus encore, Sc c'eft que  2$6 CEuVRKS SPIRITUELLES. les Penfionnaires prennenr dans ces Communautés mêmes le goüt de la parure, quand elles ne Font pas, ou qu'elles 1'augmentent & 1'enflamment, lorfqu'elles 1'ontenyentrant. On y voit des Religieufes ou foi-difant telles, dont 1'emploi eft d'apprendre aux Penfionnaires a fe coëffer a la mode , & 1'on y exige des parents dont les filles font coëffées modeftement, de permettre qu'elles fe conforment aux autres : quelle horreur! Quel fcandale pour la Religion! Quel horrible contraire entre une pareille conduite & l'Evangile, les Conciles Sc tous les Peres de 1'Ëglife, qui ne recommandent rien tant aux perfonnes du fexe, que la retentie, Ia modeftie, la pudeur, la fimplicité, 1'éloignement, le mépris, 1'averfion de tout ce qui fent le luxe, la pompe, la vanité, & toutes les folies du liecle pervers Sc corrompu. Je le dis hardiment, il vaudroitinfiniment mieux que toutes ces miférables prétendues Religieufes qui n'en n'ont que 1'habit, Sc qui font les vrais inftruments du démon , fe fuftent cafie le cou plutöt que de mettre les pieds dans le cloitre. A ces abus énormes, on en peut joindre un autre, qui n'eft pas moins déplorable, Sc qui a pour objet les poftu-  Chapitre XXV. 257 Iantes qui prennent 1'habit de Religion. Qui croiroit, fi on n'en étoit fi fouvent les triftes témoins, qu'il y eut tant de Monafteres, oü le jour de la vêture, les filles qui prennent 1'habit de Religion , fans en excepter les fceurs converfes , font habiilées fuperbement, & beaucoup au deffus de leur condition , fouvent indécemment, quelquefois teintes en rouge , toujours coëffées a la mode des filles les plus mondaines, Si ridiculement chargées de tout 1'étalage de la vanité la plus folie & la plus extravagante ? On voit même des Communautés , oü c'eft un jeune homme qui donne la main a la Demoifelle, & qui la conduit. A quel point d'aveuglement ne faut-il pas être parvenu, pour ne pas voir, qu'une entrée aufti profane & auffi criminelle dans le cloitre , n'eft propre qua attirer la malédicfion du Seigneur & fur la Novice qui y fait fon entrée, & fur tout le Monaftere oü elle entre? Puiffe le Seigneur jeter un regard de miféricorde fur les Supérieures qui autorifent ou qui tolerent des abus auffi fcandaleux , afin qu'en les voyant dans toute leur énormité, avec la rigueur des chatiments dont Dieu les punira dans 1'autre monde, elles y remédient efficacement!  258 (euvres spirituelles. CHAPITRE XXVI. Sur les Confejjeurs & les Direcleurs. J«j a conduite des Ames eft 1'art des arts : Ars artium regimen Anïmarum ; dit St. Grégoire, Pape. C'eft un art fi fupérieur atous les autres, que le gouvernement du monde entier dans 1'ordre naturel & civil, ne peut entrer en comparaifon avec le gouvernement d'une feule Ame dans 1'ordre du falut, & que pour en fauver une feule , Dieu bouleverfera quelquefois"des Royaumes entiers. O mon Dieu , combien les Ames humaines vous font donc cheres & précieufes! Eh faut-il s'en étonner, quand on fait qu'elles ont été créées a votre image, & rachetées d'un Sang divin! Mais fi les Ames font fi nobles, ü excellentes, fi précieufes aux yeux de Dieu , & fi la conduite en eft fi importante, fi dangereufe, fi difficile, quels doivent être les Confelfeurs & les Directeurs chargés de les conduire au Ciel? Ils devroient être des efprits céleftes, de pures intelligences , j'ai prefque dit des Dieux, s'il étoit poftible. Ils doi-  XXVI. 2J9 vent du moins être des hommes éclairés 5c favants, faints 5c zéiés, fages 5c prudents, charitables 5c patients. La première qualité des ConfeiTeurs, c'eft la fcienceconvenable a leur miniftere; le feul défaut de cette qualité les exclut des fonétions facerdotales , 5c les foumet, s'ils ofent les exercer, aux anathëmes 5c aux malédictions quel'Ecriture prononce contre les conducteurs aveugies , qui tombent dans l'abyme de la perdition avec les Ames infortunées qu'ils conduifent. Tout Confelfeur eft par fon état le maïtre , le dodteur, le guide, le centêur, le jugeéclemédecin des Ames qui s'adreftent a lui, pour les conduire dans la voie du falur. Ces trois premières qualités lui impofent donc 1'obligation indifpenfable de favoir tout ce qui eft de fon devoir fous ce triple rapport. Comme maïtre 5c comme doéteur, il doit favoir toutes les vérités fpéculatives 5c pratiques, dogmatiques 5c morales dont il eft obligé d'inftruire ceux 5c celles qui s'adreftent a lui 5c qu'ils ne pourroient ignorer fans crime; comme guide, il faut qu'il fache les devoirs attachés aux différentes conditions des hommes, 5c les abus qui s'y commettent, pour faire ob- Ofce 4 , MatthUu 23- Matt. 15,  Z6o CEUVRES SPIRITUELLES. lèrver les uns ék éviter les aurres, puifque fans cette connoilfance, il nc pourroit régler leur confcience , ni les conduire dans la voie du falut par la pratique exacte des devoirs qui les obligent, ék la fuïte des abus qui les perdent, quand ils les fuivent. Comme cenfeur ék comme juge, il eft de fon devoir de connoitre ce qui elt permis ou défendu a fes pénitents, afin de les en inftruire. II doitdonc avoir connoilfance des loix naturelles, divines ék humaines, eccléfiaftiques ék civiles qui les obligent. Comme médecin , il eft nécelfaire qu'il fache les maladies fpirituelles de 1'Ame, leurs caufès ék leurs remedes; tout cela exige fans doute une étendue non médiocre de lumieres ék de connoiffances. La fainteté du Confeffeur doit égaler ou furpaffer fa fcience ék fes lumieres. Un ignorant, s'il a des difpofitions a la fcience ék une bonne volonté, peut s'inftruire par 1'étude ék profiter des avis de ceux qui font plushabiles que lui; mais un Confeffeur vicieux, emprunrera-t-il des vertus des autres ? C'eft pour cela que la primitive Lglife excluoit irrémif fiblement du Sacerdoce ók du Clergé  Chapitre XXVI. 261 en général, quiconque n'avoit pas confervé fonitinocencebaptifmale, a moins qu'il ne 1'eüt réparée par une longue ék fincere pénitence. Tel elt encore 1'efprit & le vceu de 1'Eglife d'aujourd'hui, malgré la décadence des mceurs, ék eet affreux déluge de crimes qui inonde la face de la terre. Elle exige la. fainteté dans tous fèsminiftres, ék üir-toutdans ceux qui font prépofés a la conduite des autres. Elle entend qu'ils foient irréprochables dans leurs mceurs, ék alfez avancés dans la pratique des vertus chrétiennes, pour qu'ils puilfent fervir de modeles en ce genre a toutes les perfonnes qu'ils conduifent, ék qu'ils ont fous leur direclion. Et de quel front pourroient-ils condamner dans ces perfonnes , ce qu'ils nauroient pas honte de faire eux-mêmes ? Quelle force pourroient avoir dans leurs bouches, les remontrances ék les exhortations que ceux auxquels ils les adrefferoient, pourroient leur rétorquer en leur diiant : Mèdecins, guérijfez - vous vous - mêmes avant d'entreprendre de guérir les autres. Ils n'oferont donc prelfer les pécheurs fur ia néceffité de quitter les mauvaifes habitudes, de rompre les liens qui les attachent au pêché, d'en fuir  a62 (Et/VRES SPIRITUELLES. toutes les occafions prochaines , d'ert détruire les caufes , d'en tarir les fources , & quand ils en auroient le courage, leurs paroles feront fans aucun fruit, paree que leurs mauvais exemples bien plus forts que leurs difcours, en étoufferont toute la vertu. D'ailleurs, ce qui attire la bénédiétion fur les paroles d'un Confeffeur, c'eft la ferveur des prieres qu'il doit fans ceffe adreffer au Ciel pour ceux & celles qui font fous fa conduite ; d'oü vient qu'il faut qu'il foit un homrne d'oraifon, un homme intérieur, uni aDieu parl'exercice de la contemplation. Tels furent dans tous les temps les vrais miniltres des Autels qui donnoient a la priere & a la contemplation, tout le temps qui leur reftoit, après avoir fatisfait aux fonctions de leur miniftere. Or, je demande fi des Confeffeurs engagés dans quelque vice que ce puiffe être & toujours diffipés, toujours hors d'eux-mêmes, penfent feulement a prier pour les autres , eux qui ne prient pas pour eux-mêmes; & en fuppofant qu'ils le fiffent, je demande encore quelle vertu , quelle force , quelle efficace leurs prieres pourroientavoir auprèsdeDieu? Tout Confeffeur doit donc êire faint,  Chapitre XXVI. 263 il doit être zélé. Mais en quoi confifte le zele du Confeffeur pour fes pénitents? 11 confifte ce zele non-feulement a leur faire éviter les péchés mortels qui les damnent, en éteignant en eux l'amour de Dieu qui eft la vie de leurs Ames, mais encore les péchés véniels qui affoibliffent eet amour, lans 1'éreindre, Sc non-feulement a leur faire éviter les péchés véniels, mais encore a les porter a toute la perfection de leur état, a lespreffer d'y tendre, de s'y avancer, d'y faire des progrès continuels, de tout faire ék de tout fouffrir pour y arriver , felon les deffeins de Dieu fur eux. Car la volonté de Dieu eft que tous les Chrétiens foient faints Sc parfaits comme leur Pere célefte eft parfait luimême, non qu'ils puiffent parvenirala divine perfection, mais paree qu'ils doivent faire tous leurs efforts, pour yatteindre, Sc en copier les traits qui leur conviennent, felon la mefure de ia grace qui leur eft donnée. C'eft ainfi que St. Auguftin affure qu'il étoit a propos ékmême néceffaire que Dieu nous commandat de 1'aimer de tout notre cceur, de tout notre efprit, Sc de toutes nos forces, pour nous mettre devant les yeux la fin è laquelle nous fommes obligés de  264 (Et/VRES SPIRITUELLES. tendre, & nous engager a mettre quelque proportion entre fa bonté infinie Sc l'amour que nous lui devons , quoique perfonne en cette vie, n'ait jamais atteint 8c ne puilfe jamais atteindre la perfection de l'amour qu'il nous commande : un Confeffeur qui aime vérk tablement Dieu comme il doit 1'aimer, eft donc rempli de zele pour Ie falut Sc la perfection de fes pénitents; & fi fon cceur ne brüle pas de ce feu facré que Jefus-Chrift eft venu ailumer fur la terre, c'eft une marqué trop certaine, qu'il n'aime pas vraimcnt Dieu, puifque St. Chrifoftome nous déclare, qu'il feroit plus facile d'empêcher le foleil declairer, 8c le feu d echauffer, que de féparer le zele de l'amour de Dieu, 8c d'empêcher un vrai Chrétien (combien plus un Confeffeur) de fanétifier les autres. Le Confeffeur doit donc être zélé; il doit être fage 8c prudent, pour appliquer les regies générales aux circonf tances particulieres de 1'état, des forces, 8c des autres difpofitions de fes pénitents , 8c pour éviter les deux excès contraires ou d'une rigueur qui pafte les bornes pofées par la Loi, ou d'une complaifance flatteufè & d'un relachement meurtrier, qui ne peuvent fer-  'Chapitre XXVI. 26% vir qua le perdre lui & ceux qu'il prétendroit fauver, en les conduifant par la voie large , qui elf celle de la perdirion, d'après les Oracles divins. La chariré ék la patience lont encore des qualités indifpenfables aux Confeffeurs ék aux directeurs. Peuvent-ils ignorer que les tendres noms de peres ék de pafteurs qu'on leur donne , leur impofent 1'obligation de fe monrrer véritablement des peres ék des pafteurs pleins de tendreffe , mais d'une tendreffe toute divine envers les pénitents qui s'adreffent a eux, fans jamais leur donner aucune marqué de peine, de chagrin, de mauvaife humeur, de répugnance , d'impatience, foit pour le temps qu'il faut employer a les entendre, foit pour les péchés qu'ils déclarent, quelque horribles qu'ils puiffent être, foit pour 1'ignorance, la lenteur, la groftiéteté ék tous les défauts qu'ils peuvent faire paroïtre. Les inltruire, les aider, les confoler, les animer 8c les encourager, ne rien oubüer enfin de tout ce qui eft en leur pouvoir, pour les difpofer a recevoir la grace ineftimable du pardon de leurs péchés ék de leur réconciliation avec Dieu ; c'eft juf. ques la que les Confeffeurs font obligés M  266 (EuVRES SPIRITUELLES. de porter la patience Sc la charité qu'ils doivent aux pécheurs , fans jamais fe laffer, Sc par le pur motif de leur falut. Sur ces principes inconteftables, que penfer de tant de Confeffeurs qui s'ingerent dans le plus faint Sc le plus important , comme le plus dangereux, le plus difficile Sc le plus redoütable des minifleres, fans vocation, fans talents, fans fcience ni capacité, ni volonté d'en acquérir, faas piété, fans Religion, fans vertu, fouillés de mille péchés, charges , de cent fortes de vicés Sc de défauts; qui loin de porter ceux Sc celles qu'ils conduifent, ala perfection de leurs différents états, les en détournent, Sc par leurs difcours, Sc par leurs exemples-, qui n'ont d'autre but dans 1'exercice de leurs fonctions que 1'intérêt, 1'ambition, la vaine gloire^ la fatisfaftion des fens, les commodités temporelies, les avantages humains de toute efpece qui ne roügiffent pas de prendre avec les perfonnes d'i n ièxe différent qui font fous leur direction, d'indécentes libertés, fuites ordinaires de 1'affection purement naturelle Sc profane qu'ils ont concue pour elles : ce qu'il faut penter de ces fortes de Confeffeurs? Ce qu'en penfentJefüs-Chrift, 1'Evangüe , 1'Eglife Sc les Peres de l'E-  Chapitre XXVI. 267 glife, c'eft a-dire, que ce font des nuées fans eaux, des foleils fans lumiere & fans chaleur, des loups raviffants qui font entrés d'eux-mêmes dans le bercail, pourtuer, pour maffacrer, pour égorger \ des maïtres d'erreurs , des docteurs de peflüence, des ouvriersd'iniquités , des guides aveugles qui menent droit au précipice , des idoles de leurs confeffionnaux,des miniftres de fatan , des fuppöts de 1'enfer , des bourreaux, des parricides, des fiéaux de la Religion, des monftres exécrables, des facrileges profanateurs des Sacrements ck. du Sang de Jefus-Chrift, qui ne coule plus fur eux que comme un fleuve de feu , pour les marquer en cara£leres ineffac.ables , comme des victimes réfervées au jour épouvantable dela colere & des vengeances du Seigneur. Et qu'on ne fe récrie pas fur la force de ces expreflions, puifqu'il n'en eft, & qu'il n'y en peut avoir d'affez fortes pour caractérifer & peindre au naturel ces Confeffeurs abominables, déja marqués du fceau fatal de leur éternellc réprobation, par tout le Sang d'un Dieu qu'ils n'ont pas horreur de trafiquer & de vendre a denier comptant. Car ditesmoi de grace, vous qui me faites ce reM ij  258 CEUVRES SPIRITUELLES. proche, que diriez-vóus d'un pere,qui, regardant d'un ceil farouche tous fes enfants, les prendroit les uns après les autres , les égorgeroit tout vivants, fouilleroitdans leurs entrailles, leur arracheroit le cceur, les dévoreroit a belles dents, fe raffafieroit de leur chair, boiroit leur fang a longs traits dans leurs propres cranes? Les exprellions vous manqueroient fans doute pour qualifier un pareil monftre, qui ne feroit cependant qu'une foible image de ces Confelfeurs parricides des Ames, dont ils devroient être les peres fpirituels, & dont ils font les bourreaux inhumains & barbares. Oui, autant que 1'Ame eft au delfus du corps, le Ciel au delfus de la terre, 1'éternité au delfus du temps, Dieu au delfus de toutes les créatures, autant la barbarie d'un Confclfeur qui perd les Ames confiées a fes foins, en les plongeant dans le gouffre épouvantable de 1'enfer, ce centre horrible de tous les tourments réunis enfemble par 1'immenfe étendue de 1'éternité toute entiere, autant, dis-je, la barbarie de ce monftre de Confelfeur furpalfe celle d'un pere qui fe raifalieroit de la chair de fes enfants, s'enivreroit de leur fang, après les avoir égorgés, maftaxrés, éventrés de fes mains.  Chapithe XXVII. 269 Ici je me perds , je m'abyme dans ma douleur , ma plume tremblante fe refufe a ma main, & ma main elle-même reffe immobile , pour lailfer un libre cours a mes fanglots, a mes foupirs, a mes gémiffements, a mes larmes. Grand Dieu , confolez-moi, en jetant un regard de compallion fur votre Eglife afüigée, défolée. Seigneur Jefus qui 1'a-' vez fondée, cimentce de vorre Sang adorable, volez a fon fècours, effuyez fes pleurs en lui envoyant des minifrres dignes de vous & d'elle , des ouvriers vraiment évangéliques, animés de votre efprir, embrafés de votre amour, brülants de votre zele , revêtus de votre force, ornés de votre fainreré, brillanrs de toutes vos vertus, pour courir comme vous après les brebis égarées d'Ifraël, les ramener dans votre bergerie , les engraiffer dans vos divins paturages , & les y fixer pour toujours. CHAPITRE XXVII. Sur les Femmes. Quand Ie Saint-Efprit nous tracé le tableau de la femme forte, il demande M iij  270 CEUVRES SPIRITUELLES. avant de le commencer, qui fera aflcz heureux pour la trouver cette femme fi admirable. Elles n etoient point rares dans les beaux fiecles de 1'Eglife. Telles furent entrebeaucoupd'autres, lesMacrines , les Emmeües, les Paules, les Marcelles, les Olimpiades, les Salvines, les Procules, les Pantadies, les Anthufes ; cette derniere, mere de faint Jean Chrifoftome, au fujet de laquelle on entendit un célebre fophiftc païen s'écrier dans un tranfport d'admiration pour fes vertus : Qiielles merveilleufes femmes fe trouvent parmi les Chrétiens! Mais hélas! dans ce malheureux fiecle, on ne voit par-tout que des femmes païennes, & bien plus criminelles encore, puifqu'elles ne prouvent que trop par leur conduite, qu'elles ont abjuré le Chriftianifme pour fe faire adorer comme autant d'idoles rivales du Dieu des Chrétiens. Oui, elles font dévorées de 1'impie & facrilege ambidon de débaucher au vrai Dieu tous fes adoraleurs, pour s'en faire adorer elles-mêmcs? Eh! dans quel autre deffein les voir-on s'expofer par-tout, plus parécs que des Autcls aux yeux de tout le monde, & jufques dans nos Eglifes, & jufques dans nos Sanctuaires, qui de-  Chapitre XXVII. 271 vroient leur être fi févérement interdits ? Et vous, Anges du Ciel, qui êtes prépofés a la garde de nos Tabernacles, qui environnez 1'Autel en temblant,en vous faifant un voile de vos ailes, vous fouffrez cette impudence! Oui, vous fouffrez que ces femmes mondaines levent leurs têtes altieres 6c femblent menacerles Cieux,au moment même que 1'Homme-Dieu s'immole fur nos Autels, pour demander leur grace a fon Pere, en lui offrant le Sang adorable qu'il averfé pour elles fur la Croix. Oh! pourquoi ne point les déchirer a coups de fouets, comme vous fltes 1'impie Héliodore, bcaucoup moins coupable qu'elles? Pourquoi ne pas faire defcendre le feu du Ciel fur ces infames ineendiaires, pour éteindre les flammes infernales qu'elles s'efforcent d'allumer par-tout? Elles diront fans doute qu'elles n'ont pas cette criminelle intention. Mais li elles ne 1'ont pas en effet, pourquoi donc cette envie de plaire, de s'attirer tous les regarcls, de fe faire admirer 6c aimer? D'oü vient font-elles fi fort humiliées 6c fi vivement piquées, quand on les négligé, qu'on les dédaigne, qu'on les méprife? D'oü vient encore M iv  2J2 (ElJVRES SPIRITUELLES. cette cruelle jaloufie contre celles de leurs femblables qui les furpaffent dans 1'art funefte de plaire Si d'enlever les cceurs ? Mais je le veux pour un moment, elles n'ont pas mauvaife intention en fe parant. Eh! qu'importe a leur juftification & a leur innocence? Ne fuffit-il pas pour les rendre coupables aux yeux de Dieu, qu'elles fervent d'inftruments aux démons, qui les emploient comme ïe moyen le plus sur & le plus efficace qu'il ait pour perdre les hommes? Futil jamais permis de donner du fcandale & d etre un fujet de chüte a fes freres? Fut-il jamais permis de fe prêter aux dieux de 1'orgueil, de la vanité, de 1'impureté pour corrompre les Ames? Ne fivent-elles pas, qu'une femme parée eft une idole a laquelle on ne manque jamais de facrifier; que fes yeux fbnt plus meurtriers que ceux de 1'afpic & du bafilic; que fa langue eft un filet dans lequel s'enlacent les imprudents qui les écoutent; que fes mains fbnt des chaines pour ceux qui les touchent, & qu'elle n'eft que trop capable d'amollir les cceurs même les plus durs, & d'y étouffer jufqu'au germe de la pudeur Si de la Religion?  Chapitre XXVIL 273 Oui, dit le Sage, la familiarité avec un fcélérat n'elt pas fi dangereufe pour 1'homme, que la familiarité avec une femme même honnête, vertueufe 8c pieulè : Melior eft iniquitas viri, quam muiier benefaciens. Après eet Oracle divin, ne venez donc plus nous alléguer vos intentions, filles 8c femmes mondaines, qui que vous puilfiez être. Vous êtes coupables 8c digncs des feux de 1'enfer, dès que vous allumez des feux diaboliques Sc impurs, par 1'immodefhe des parures dont vous vous chargez avec tant de complaifance, quelques puilfent être vos intentions. Vous aiguilez Ie fer meurtrier, vous allumez les feux impurs, vous préparez le poifon 8c vous le préfentez dans la coupe fatale qui le renferme : vous êtes donc coupables de meurtres , d'incendies , d'empoifonnements: vous méritez donc les fupplices éternels que le jufte Ven- §eur des crimes defhne aux homicies, aux incendiaires, aux empoifonneurs; tremblez puifque 1'enfer s'ouvre déja fous vos pieds pour vous tourmenter a jamais. Et vous Miniflres des Autels, difpenfateurs des Sacrements, qui fouffrez, qui tolérez, qui permettez, qui approiv M v  274 CE U VEES STIRITUELLES. vez ces monftrueux exces de luxe, dé parures, d'indécences & d'immodelties des filles & femmes du fiecle; vous qui les accueillez dans ce fcandaleux appareil qu'elles n'ont pas honte de porter jufqu'aux pieds de vos facrés Tribunaux , ou elles ne devroient paroitre que dans le fac & la cendre, comme des pécherefles contrites, humiliées, & dont vous dcvriez les rep ouffer comme des murs d'airain & des colonnes de fer; vousqui les fiattezparvosdécilions commodes, au-lieu de les menacerde la colere de Dieu, & de faire gronder fur leurs têtes fuperbes le tonnerre de fa redoutable Juftice : vous qui portcz la complaifance pour elles jufqua la familiarité; eft-ce donc ainfi que vous foutenez la dignité, la fainteté de votre augulte miniftere? Quoi! vous ne craignez point de donner les chofes faintes aux chiennes? Vos mains ne tremblent point, elles ne fe fechent pas quand vous voulez les lever pour abfoudre ces cruelles meurrrieres de leurs freres? Vous avez donc perdu la Religion, la Foi, & jufqua ia pudeur. Vous êtes donc encore plus impies & plus corrompus que ces coloffes de luxe, de faffe, d'orgueil, de vanité, d'impureté; vous ne  Chapitre XXVIL 275 eraignez donc ni Dieu, ni les hommes. Levez-vous, Seigneur, & prenez votre caufe en main , puifque ceux que vous en avez chargés, l'abandonnent& vous trahiflent. Vengez-vous avec éclat de ces laches 8c indignes miniftres, 011 plutöt convertilfez-les, infpirez-leur par la force toute-puilfante dcvotre grace des fentiments qui foient proportionnés a la grandeur des outrages qu'ils commettent contre vous, 8c recevezles humiliés & contrits dans le fein de vos miféricordes infinies. Accordez la même faveur a cette foule prodigieufe de femmes 8c de filles mondaines , qui s'aveuglent malheureufement fur leur trifte 8c damnable état. Délfillez-leur les yeux pour leur faire voir dans toute fon étendue toute 1'horreur des crimes dont elles fe rendent a chaque inftant coupables envers vous 8c envcrs leurs freres. Qu'elles comprennent enfin que l'amour du monde 8c d'cfles-mêmes eft incompatible avec le votre ; que vous avez maudit le monde a caufe de fes fcandales, 8c que vous les maudilTez avec le monde, a caufe de leurs propres fcandales; paree que c'eft un crime digne de toutes vos malédiclions d etre aux autres une pierre M vj  276 CEUVRES SFIRITUELLES. d'achoppement & de chüte; qu'en leg faifimt rombcr dans les pieges qu'elles tendent a leur innocence, elles fe creufent un abyme éternel de fupplices épouvantables; que toutes ces vaines parures qui les enchantent, font les pompes de Satan auxquelles tous les Chrétiens ont renoncé dans leur baptême; qu'en les étalant comme elles font par-tout êc jufques dans les lieux les plus faints, elles font entre les mains de ce cruel ennemi du falut des hommes, les meilleurs infïruments quil ait pour les perdre fans retour; qu'en paroiffant ainfi dans nos Temples, elles doivent trembler que les efprits céleftes qui en font les Anges tutélaires, ne les en chaffent avec confufion; que les voütes de ces mêmes Temples ne tombent fur elles, pour les enfevelir fous leurs ruines ; que les pierres ne fe détachent de leurs murs pour les écrafèr; que la terre beriite fur laquelle on les voit marcher avec tant d'arrogance & de fafte, ne s'ouvre fous leurs pieds pour les engloutir, & qu'elles ne paffent fubitement des feux coupables dont elles brülent & qu'elles allument dans le cceur de ceux qui les voient, aux feux vengeurs de 1'enfer, qui les bruleront fans  Chapitre XKVI1. 277 les confumcrdurantl'efpaceimmenfede 1 éternité toute entiere. Qu'elles voient eet affreux malheur qui les menace de li prés, a la lumiere de votre efprit, Sc qu'elles reviennent fincérement a vous humiliées, pénitentes Sc contrites. Décifion touchant Yufage du fard, tirée du Di&ionnaire des Cas de confcience de Pontas. Le fard eft une pommade que les femmes mondaines appliquent fur leur vifage, pour embellir leur teint, Sc pour paroïtre plus belles, ce qui en effet releve un peu leur beauté pour un temps,, mais dont elles font punies par la fuite, par les rides prématurées qui les rendent laides iong-temps avant la vieilleffe. Les faints Peres Sc en particulier St. Cyprien , St. Clément d'Alexandre Sc St. Auguftin, difent que fe farder, c'eft infulter Dieu en voulant réformer fon ouvrage; que cela convient beaucoup mieux aux femmes déréglées, qua celles qui ont de la pudeur; que les femmes Sc les filles qui fe platrent le vifage de fard , Sc qui le couvrenr de mouches, fontvoirqu'elles font malades dans 1'ame.  278 CEUVRES spir.ituelles. D'oü lesThéologiens concluentqini y a toujours un pêché véniel au moins de fè farder, ék que le pêché devient mortel dans les circonftances luivantes. i°. Quand cela fe fait par mépris pour Dieu, ce qui eft rare fans doute. 2°. Quand on a 1'intention fbrmelle de porter les hommes a la luxure. 3°. Quand, fans avoir cette intention formelle , on eft a fon prochain une occafion de fcandale ék de chüte , ce qui arrivé très-fouvent. CHAPITRE XXVIII. ' Sur les Pbilofophes ennem'is de la Foi. Dieu le Pere ayant réfolu de toute éternité de fauver le monde par la Foi en Jefus-Chrift , 1'Homme-Dieu ék fon Fils unique, luienvoya ce Fils bien-aimé ék 1'objet de fes complaifances, au temps marqué dans fes éternels décrets, pour 1'exécution de fon tendre deffein. Le monde crut en lui ék a tous fes myfteres, malgré leur profondeur impénétrable ; il fuivit fes exemples , pratiqua les fübiimes lecons de fa morale li pure & fi auftere, obferva toutes les Loix  Chapitre XXVIIT. 279 de fon Evangile 6c trouva ainfi fon falut dans fa Foi opérante par la charité & féconde en bonnes ceuvres. Mais que font les prétendus Philofophes de nos jours, ces ennemis déclarés de la Foi, eux qui ont eu 1'avantage inefiimable de la fucer avec le lait? Infiniment plus coupables que les faux fages du paganifme , par cette raifon même qu'ils ont rec,u prefqu'cn nailfant le don précieux de la Foi, ils emploient tout ce qu'ils ont de talents, d'induftries, d'intrigues, de force, ou plutot de fureur, pour arracher de leur propre cceur 6c de celui des autres, ce divin germe du falut. Arrêtez, furieux, que faites-vous? N'eft-ce donc point la Foi, ce flambeau célefte qui, par leclat de fa divine lumiere, a diftipé les ténebres qui couvroient la face du monde idolatre? N'eft-ce point elle qui a donné a fes faux'fages, les véritables idéés du bien 6c du mal moral qu'ils confondoient fouvent jufqua permettre les crimes les plus contraires a la juftice 6c a la raifon? N'eft-ce point elle qui a civilifé les hommes les plus féroces, adouci leurs mceurs barbares, changé leur caraétere, en leur infpirant cette douceur, cettehumanité, cette bicnfaiünce tant vantée dans vos  2%0 CEUVRES SPIRITUELIESf. écrits, difons mieux, cette charité chrétienne qui fait que les hommes, même les plus oppofés d'intérêts , n'ont ^entr'eux qu'une même Ame, qu'un même efprit 6c un même cceur? N'eft-ce point elle enfin, qui nous apprend efficacement a méprifer les richeftes, la gloire, les grandeurs, les plaifirs empoitdnnés du monde , malgré leur appas féduifant, pour nous attacher a Dieu, qui feul peut nousrendre heureux.-5 Et cette Foi, première fouree de tant de biens, vous voulez nous la ravir ? Et qui êtes-vous donc pour tenterune pareille entreprife? Nous fommes, me direzvous fans doute avec beaucoup de modeftie, nous fommes des hommes enrichis de tous les talents, doués de toutes les connoiffances; la nature nous a confié tous fes fecrets; il n'eft pas un feul reffbrt de la machine fi compliquée du monde qui échappe a notre perfpicaciré; génies vaftes, fublimes, pénétrants, nous débrouillons le chaos de 1'univers avec une merveilleufe facilité* Dites plutöt que vous 1'embrouillez de plus en plus, par les fyftêmes abfurdes que vous enfantez tous les jours; 6c je vous dirai moi, que fans la Foi, vous ner.es rien, vos talents fuffent-ils auffi  Chapitre XXVIU. 281 rëels qu'iis font faux & chimériques, Non, (ans la Foi vous n'êtes rien, puifque vous êres féparés de Dieu, la plénitude de letre, 1'Etre unique; vous êtes de purs néants & moins que le néant même , puifque vous êtes je ne fais quelles fortes de monftres révoltés, armés contre Dieu. N'étant rien dans 1'ordre de la Foi, de la grace, du falut, letre qui vous refte, eft infiniment au defTous du néant, dont, pour 1'honneur & le bien de f humanité, vous n'auriez jamais dü fortir. Vous êtes les vils efclaves des paffions les plus honteufes. En fermant les yeux aux lumieres de la Foi, pour les ouvrir aux trompeufes lueurs de votre foible , imbécille & fuperbe raifon , vous ne faites que tomberd'abymes en abymes, de précipices en précipices, d'erreurs en erreurs, de crimes en crimes, jufqua ne rougir de rien,* jufqua vous faire gloire de vous rouler dans la fange des plus fales voluptés , comme les animaux les plus immondes; jufqu a envier le fort de la brute, jufqua faire les derniers efforts pour vous perfuader que vous n'êtes pas différents d'elle. Quelle folie ! quelle fureur ! Quoi} votre Ame fake a 1'image de Dieu, &  2g2 CEuVRES SPIRITUELLES. capable de le connoitre, de 1'aimer, de le polTéder, comme le lui prouve 1'immenfité jointe a 1'infatiabilité de fes defirs; votre Ame périroit avec votre corps comme celle de la brute \ 5c Dieu, ce Dieu fi fage, fi bon, fi jufte, Dieu ne fauroit créée a farelfemblance qu'afin de la tourmenter dans le temps & de 1'exterminer pour leternité? Votre cceur corrompu vous le dit, fans vous le perfuader, tantle paradoxe eft abfurde. Mais arrêtons-nous un moment a vous fixer du cöté des talents naturels. Comparons ces écrits qui vous enfient fi fort, a ceux émanés de la Foi, enfantés dans le fèin de la Religion furnaturelle Sc divine. Dans les premiers, que de défauts Sc pour la forme Sc pour le fonds! Pour la forme, eet un ftyle fee, aride , froid, affecté, recherché , manière , abftrait, obfeur, contor tillé, plein d'afféteries , de pointes , d'antithefes , de jeu d efprit, de cadances, de tours ingénieux qui ne tendent qu a éblouir, a flatter 5c a furprendre. Pour le fonds, c'eft un tilïu de penfées faulfes 5c louches, d'idées grotefques ,d'opinions extravagantes 5cridicules, de paradoxes révoltants, de fyltêmes également abfurdes 5c impics, de raifonncments qui  Chapitre XXVlll 283 n'ont ni jufteffe ni folidité ni force, ou plutöt d'arguties de cavillations, de Cophifmes , dont tout le but elt de tromper 6c de faire illufion aux lecteurs fimples 6c crédules; ce font autant de cloaques pleins d'ordures, de corruptions, d'impuretés, d'obfcénités, d'abominations, d'infamies. La licence, la dilTolution , les plaifirs effrénés, les plus files voluptés, les crimes les plus noirs 6c les plus abominables, les forfaits les plus atroces, dès qu'on peut les commettre impunément, 6c qu'on y trouve fon intéfêt, ne doivent effrayer perfonne , fi on les en croit, puifque c'eft 1'intérêt propre qu'ils établiffent comme 1'unique regie des actions humaines, le bien 5c le mal moral n'étant, felon eux, que de vains noms 5c de pures chimères ainfi que la crainte d'un Dieu vengeur érernel du crime Sc rémunérateur magmfique de la vertu. C'eft la politique des Princes 6c des Légiflateurs qui a inventé tous ces fantömes pour fèrvir d'épouventail a la crédulité des peuples 6c les tenir dans 1'obéiffance ou plutot 1'efclavage de cescruelsdefpotes, de ces tyrans fédentaires 6c batbares; car c'eft ainfi qu'il plait a nos Ecrivains philofophiftcs de qualifier tous lesMonarques  284 CEüVRES SPIRITUELLES. fans aucune exception. UnRoi, unMonarque, un Prince fouverain quelconque , un defpote, un ufurpateur, un tyran, font termes fynonymes dans leur dictionnaire. Cela eft démontré dans cent ouvrages & entr'autres dans celui intitulé : Les Pbilofophes convaincus du crime de lefe-M-ajefté divine & bumaine au premier chef. Et dela les forties féditieufes qu'ils font continuellement contre les chefs établis de Dieu pour gouverner les hommes dans 1'ordre dé la vie civile & dans celui de Ia Religion, ce qui a fait dire avec tant de juftice a ralfemblée du Clergé de France en 1765, dans la condamnation de plufieurs livres contre le Chriftianifme: Que le mal eft ajfez preffant pour allarmer les deux Puiffances , que les maxi' mes anciennes s a ffoibliffent, que les Hens. de robéiffance fe reldcbent, que la majefté de l'Etre fuprême & celle des -Rois font outragées , que le zele religieux & celui de la patrie s'éteignent prefque dans tous les cceurs, & que dans 1'ordre de la Foi, dans celui des mceurs , dans 1'ordre même de l'Etat , 1'efprit du fiecle femble menacer d'une révolution qui annonce de toute part une ruine és5 une deflrutlion totale.  Chapitre XXVIII. 285 Quelle énorme différence entre ces ouvrages deftructeurs de tout bien dans tous les ordres, Sc ceux émanés de la plume des Ecrivains foit facrés Sc divinement infpirés, foit animés d'une vive Foi ëc d'un zele ardent pour la gloire duTrèsHaut, Sc le falut des hommes! On voit briller, érinceier de toutes parts dans ces derniers, mille Sc mille traits de lumieres Sc de feux, mais des lumieres 5c des feux tout célefles, qui éclairent St qui embrafent faintemenr. On diroit que toutes les puiffances, Sc poyr m'exprimer ainfi, toutes les entrailles de leur Ame Sc toute la moëlle de leur cceur étoient pénétrées du feu facré de l'amour divin qui les embrafoit Sc qu'ils vouloient communiquer aux autres. Ils y parient comme les oracles, les trompettes, les hérauts de la divinité, les interpretes de fes fecrets, de fes deffeins, de fes volontés, lesmaltres, les docteurs, les peres Sc les pafteurs des hommes , mais dofteurs Sc maitres aimables, peres tendres , pafteurs charitables, qui s'infinuent doucement dans le plus profond des cceurs, pour y graver la piété revêtue de tous fes charmes Sc de toutes fes amabilités. Quelle douceur! Quelle onction! Quelle bonté  286 CEUVRES SPIRITUELL1Ï.S. bienfaifante! Quelle prudence confommée ! Quelle ardeur de zele ! Quelle horreur du vice ! Quel amour de la vertu ne font-ils poinc paroitre? Quelle juftefle, quelle fagacité, quelle pénétration d efprit, quel fond de génie, quelle folidité de jugement, quelle force ék quelle variété de raifonnements, quelle étendue de connoiffance, quelle beauté d'expreflïons n'emploient-ils pas, pour perfuader les vérités falutaires auxquelles elt attaché le bonheur de la créature raifonnable, pour 1'efioace immenfe des fiecles! Qu'ils font nobles, élevés,fublimes, quand ils nous parient de 1'Etre infini de Dieu éi de 1'infinité de fes attributs divins, de fon unité, de fon éternité, de fon immutabilité, de 1'univerfalité ék de Ia fouveraineté de fon domaine, de fon pouvoir abfolu, de fa grandeur, de fa majefté, de fa magnificence, de fa gloire , de fa fagefle, de fa bonté, de fa libéralité, de fa juftice , de fa providence , de fa fcience, de fes charmes, de fa beauté, de fa pureté, de fa fainteté, de toutes fes perfeétions enfin! Qu'ils font touchants, attendriftants , lorfqu'ils font fèntir a 1'homme, d'uncóté, fatrifte condirion, fon vil apanage, tous fes humiliants  Chapitre XXVUL 287 attributs, fes défauts, fes imperfecfions, fes vices, fes penchants déréglés, fes paffions fougueufes, fes péchés, fabafièlTe , fa corruption, fon infamie, fes befoins , fon indigence affreufe , fon impuilfance générale, fes difgraces de toutes efpeces, eet abyme fans fond de miferes, oü il fe voit plongé •, & de 1'autre cöté fes avantages ineitimables comme Chrétien , fes cjualités glorieufes, fes titres auguftes , fes droits , fes prétentions, fes efpérances, fes hautes deftinées, les fources enfin de fon bonheur, & d'un bonheur complet, univerfel, interminable, avec les moyens alfurés d'y parvenir s'il le veut. Voila ce qu'on trouve dans les ouvrages dictés par la Religion chrétienne, cette fille chérie du Ciel & defcendue du Tröne fublime du Pere avec fon Fils unique fur la terre pour le bonheur des hommes: Elle feule leur apprend a modérer tous leurs defirs, a régler tous leurs appétits, a maitrifer toutes leurs paffions, a extirper tous leurs vices, fans faire grace a aucun, a haïr & détefter tous les péchés jufqu'a être prêts a mourir miiïe fois plutöt que d'en commettre un feul, quelque léger qu'on le fuppofe. Elle feule leur inlpire l'amour Sc  288 CEuVRES SPIRITUELLES. la pratique conftante de toutes les vertus portées au comble de 1'héröïfme le plus parfait; le détachement des richeffes, jufqua fe faire pauvres eux-mêmes pour enriehir ou pour (oulager les pauvres; le mépris des voluptés du corps, pour s'interdire rigoureufement tout ce qui n'eft point indifpenfablement néceffaire a la confèrvation de la vie; la chafteté qui fe refufe jufqu'au plus petit clin d'ceil, jufqua la moindre penfée contraire a la pudeur; 1'humilité qui recherche avec empreffement ék comme des perles précieufes, les affronts les plus fanglants; la charité qui ne laiffe appercevoir que fes freres ék fes plus fignalés bienfaidteurs dans la perfonne de fes ennemis les plus cruels; la patience qui fouffre dans un amoureux filence ék avec actions de graces, les plus rudes adverlités; le courage qui fe rit des dangers, affronteles tourments, brave la mort la plus cruelle ék la plus ignominieufè, en montantgaiementfur les roues ék les büchers enflammés, quand il s'agit de combattre ék de mourir en combattant pour la juftice ou 1'innocence, la vertu ou la vérité. Prince, ék le Fils ainé de 1'Eglife, ö Roi très-chrétien, c'eft vers vous que tous  C II AP I T R E XXIX. 289 tous vos fideles fujets tournent leurs yeux baignés de pleurs , en vous conjurant de fixer dans le plus beauRoyaume de 1'univers , la Foi prête a le quitter, paree quelle s'y voit outragée, combattue de toute part. ^ Arrêtez au piutöt les triftes effets de 1'impiété furieufe, fans attendre qu'elle vous ait arraché le fceptre des mains; c'eft de Dieu que vous le tenez; c'eft par lui que vous regnez : fakes-Ie regner jui-même fur les peuples qu'il a confiés a vos foins; c'eft le premier devoir d'un Monarque, dont le titre le plus augufte eft celui de Roi chrétien par excellence. CHAPITRE XXIX. Sur le ftyle qu'il convient d'employer dans la réfutation des Auteurs impies, libertins , bèrètiqlies & mauvais Cafuiftes. CD'est une opinion généralement recue aujourd'hui parmi les Littérateurs, qu'on ne fauroit traiter avec trop d'égards & de ménagements les Ecrivains qu'on entreprend de réfuter, & qu'un N /  £00 CEUVRES SPIRITUEELE5. ftyle doux, poli, tendre, infinuant eft le feul admilfible dans ces fortes d'ouvrao-es polémiques. La chofe eft portee au point, qu'il fuffit qu'un ouvrage paroiife avec une teinte de zele pour la vérité, & d'une jufte indignation contre Terreur ék 1'impiété la plus déclarée , le hbertinage le plus effréné, la moralela plus corrompue , pour qu'on le blame univerfellement comme un tocfin qui tinte rallarme, un fruit amer de la haine , de la colere, de 1 emportement, de la fureur, de la rage, quoiqu'il foit d'ailleurs tranchant ók'vi&orieux par la force & la foüdité des raifons. Aveugles ék hïjuftes cenfeurs! Vous ne favez donc pas, ou vous ne voulez pas favoir que la plume écrit comme la bouche parle de 1'abondance du cceur; qu'on ne peut ni parler ni écrire avec froideur de ce qui intérefte ék affe&e vivement; qu'il eft une fainte colere ; qui n'a rien de commun avec les fougues de 1'emportement ; que la vigueur ék la fermeté dans la défenfe de la Religion ne font point oppofées a l'amour ék a la tendreffe ; que la charité eft forte comme la mort, ék le zele inflexible comme 1'enfer; que loin de dérruire la charité, le zele en eft la flamme la plus purej  Chapitre XXIX. 291 que par-tout oü il n'y a point de zele, il n'y a ni amour, ni charité, ék enfin que le zele eft la vertu la plus lïïbiime ékla plus héroïque, une vertu toute divine, ék la vie de Dieu même, dit faint Ambroife. Zelus Dei vita eft. in rfai. Et n'eft-ce point pour cela que le Roi us. Prophete s'écric, en lui adreffant la parole : Votre zele, ê mon Dieu! s'eft al- Ff.w&. lumè comme un feu, ék que le Fils de Dieu envoyé aux hommes par fon Pere, déclare qu'il eft venu apporter le feu fur la terre, ce feu facré d'une charité ardente, qui n'eft autre que le zele, ék qu'il fouhaite que tous les cceurs en foient embrafés? Eh quoi! les impies vomiront les blafphêmes a pleines bouches contre la Divinité; ils la déchireront a belles dents, ils la mettront en pieces; les iibertins rempliront leurs écrits orduriers de faletés, d'obfcénités horribles feulement a penfer; les méchants Cafuiftes fe feront un jeu de perdre les Ames; ils les précipiteront de gaieté de cceur dans le fond des enfers , par leurs maximes corrompues qu'ils défendent avec chaleur : ék tous ces monftres, il fuidra les confidérer froidement, il faudra même les flatter, les cajoler, on ne pourra les N ij  292 (EuVRES SPIRITUELLES. combattre qu'avec des armes parfumées de fenteurs; il ne fera permis d entrer en lice avec eux, qu'en leur difant mille douceurs , ék en les comblant de politelles? Si cela elt, David avoit grand tort de fe lailfer dévorer par le zele de la maifon du Seigneur , de tomber en dèfaillance , d caufe des pécheurs qui abandonnent la loi, de fécberde douleur, d'ennui, d la vue des violateurs de fes ordonnances, de haï'r ceux qui les ba'iffoient. Les Elies, les Jérémies, les Phinées, tous les Prophetes, tous les Apötres ék les hommes apolioliques, tous les Peres de 1'Eglife, tous les miniftres de la Religion dans tous les temps qui furent animés de 1'efprit de Dieu , fe trompoient lourdement, lorfqu'ils tonnoient avec tant d'éclat ék de force contre les impies ék les méchants de toute efpece- Dieu lui-même étoit dans Terreur, quand il reprenoit fes Prophetes ék fes Apötres, non pas de parler trop durement aux prévaricateurs de leurs temps, mais de les traiter avec trop de douceur , ék d'avoir pour eux des ménagements coupables. Criez, leurdifoit-il a tous dans la perfonne d'lfaïe, criez de toutes vos forces & fans vous laffer jamais, ékvez vos voix comme des  Chapitre XXIX. 293 trompetten , dont le bruit fe faffe entendre par-tout : Ciama, ne cefles; quafi tuba, exalta vocem tuam. lfai. cap. 58. Que diroiron d'un enfant qui voyant fon pere <3c fon Roi aux prifes avec un meurtrier, fe mettroit en devoir de le défendre, mais avec tant de douceur & de ménagement pourl'affailin, qu'il laifferoit a deviner s'il le complimente, ou s'il le combat? Telle eft la conduite qu'il faut garder envers les fuicides, les parricides, les meurtriers des Ames, & les coopérateurs du démon dans 1'art funerte de les perdre pour une éternité, fi 1'on en croit nos Littérateurs a la mode. Preuve trop claire qu'ils n'ont pas la moindre étincelle de la charité qu'ils recommandent fi fort aux autres, puifque s'ils 1'avoient, le zele qui en fait la partie la plus noble & la plus excellente, 1'accompagneroit infailliblement; qui non nmat, non zelat: c'eft 1'expreftion de faint Auguftin dans fon Traité fur 1'Evangile de faint Jean. Hélas! Ce n'eft point de 1'excès, mais du défaut de zele qu'il faut fe plaindre aujourd'hui, puifque rien n'eft plus rare dans ce malheureux liecle , que le zele de la gloire de Dieu & du falut du prochain : ce qui ne peut venir que du refroidilfcment N iij  294 CEUVRES SPIRITUELLES. général, on plutot de 1 'extindtion prefque totale de la vraie charité. Non, non, une voix de tonnerre ne feroit point trop forte pourcrier contrefimpiété, le libertinage & la corruption des mceurs-, elle ne le feroit point aflêz, & un flyle tout de feu manqueroit encore de chaleur, quand il s'agit de combattre les ennemis forcenés de Dieu , de la Religion 8c des rnceurs. Je ne puis m'empêcher de rapporter a ce fujet un trait qui ne fait pas beaucoup d'honneur ni au jugement, ni au zele des Journaliftes prépofés pour rendre compte au public des nouveaux livres , & qui font trop fouvent les premiers a fe récrier contre la véhémence du flyle de ceux qui ne ménagent point affez les impies a leur gré; car je ne parle pas de ces Journaliftes , qui en fbnt eux-mêmes les complices & les eélés partifans. 11 s'agit de ]'Inftru£tion paftorale de Monfeigneur 1'Archevêque de Lyon, contre les incrédules, impriméel'an 1778. Tous les Journaliftes qui en ont rendu compte, 1'ont annoncée comme un chef-d'ceuvre de modération , de douceur, de bonté, de tendreffe, de charité vraiment paftorale, 8c 1'ont propofée aux défenfeurs de la  Chapitre XXIX. 295 Religion comme un rare modele a fuivre; cependant j'ofe afliirer que de tous les Apologiftes modernes de la Religion , il n'en eft pas un feul qui traite les incrédules avec moins de ménagement, & avec plus de force, de dureté, d'impolitelTe, & même de mépris, d'infultes, d'outrages, d'injures, que l'ilfufrre Primat des Gaules; voulez-vous en être córivaincu par vos propres yeux, mon cherleéteür? Prenez en main cette Inftruction in-quarto, ék, lilèz-y ce qui fuit, comme je 1'y ai lu moi-même: Qui pourroit dire tous les monflres que l efprit d'orgueil & eThêréfie produi/it fucCeffivement pour anèantir la fainteté de fes myfteres (TEglife) & brifer les Hens de fon unité. Remontez avec nous d la première époque & aux véritables eaufes de leur incréduliié; vous irouverez des hommes emportés par Je tourbillon du monde, & qui n ont jamais connu d'autre étude que celle de leurs plaifirs; qui nayant jamais cherché dans les fciences humaines que ce qui pouvoit flatter leur orgueil & nottrrir leur curiofité, ont mérité d être abandonnésd leurs penfées, & font devênus infenfés, en s'attribuunt le nom defages; — philofophie afreufe, fondêe fur fignorance &les paffons; — les N iv  206 (EUVRES SPIRITUc. LLES. incrédules font aveugles dans la fcience de la Religion, & le préjugé de leur autorité qui entraine tant d'efprits foibles cu corrompus, mérite feul le reproche de fóduclion quils ont Vinjuftice de faire d Cbumble, mais fage docilité des Fideles. Plufieurs dans leurs ouvrages ontportè des at teint es mortelles aux principes les plus facrés de la jufiice&de Fhonnêtetéy ils ont pouffé le délire jufqu'a attaquer la difiintlion effentielle du vice & de la vertu ; ceft Torgueil qui allume en eux cette foif dévor ante de la renommée , ce defir fanatique de faire une révolution éclatante dans les efprit s; ce font les corrupteurs des mceurs, les fléaux de la Religion & de la fociété. Ce font les ylpêtres & les Légiflateurs de tous les hommes méchants & pervers, des Princes injufles, des fujets rebelles , des enfants ingrats, des épouxparjures, quipuifent dans leurs cuvrages foubli de tous les devoirs &l'apologie de tous les vices; — leur coupable & leur odieufe confpiration pour nous enlever le précieux don de la Foi, ne tend qua reldcher & d brifer tous les Hens de la fociété, d renverfer fordre public, & d faire difparottre ce qui refie encore parmi nous d'bonnêteté & de décence; ils voudroient rendre tous les bom-  Chapitre XXIX. 297 mesphilofophes, c'eft-a-dire, irréligieux; — ils apprennent aux hommes d fe livrer fans honte & fans remords d des voluptés qui avilijfent la nature; d fouler aux pieds les principes de l'équité; aux fouverains d ne reconnoitre d'autre regie de leur pouvoir que leur volonté, & aux peuples d ne regarder l'autorité des Rois que comme une tyrannie ; ils arment le fils contre le pere, l'époux contre l'êpoufe, le ferviteur contre le maitre ; ils donnent lieu aux forfaits les plus inouis; ils ont fait l''apologie du fuicide \ tous les vices font venus inonder la fociétédlafuite de leurs fyftêmes ; ils ont óté la crainte des loix , & jufqu 'd l'amour de la vie , pour familiarifer les mêchants avec les plus grands crimes; — ce font desinfenfés , des furieux , des êtres infernaux, acharnès contre leurs vi&imes. J'ignore , Meiïïeurs, s'il eft une Jangue humaine qui renferme dans fes tréfors des expreftions plus pittorefques, plus énergiques, plus fortes & plus propres a caraclérifer les incrédufes, que celles que vous voyez employées, accumulées par Monfeigneur 1'Arehevêque de Lyon : je ne 'fais même s'il s'en trouve dans la langue du Tanare. Car enfin, dites-rnoi de grace, ce que l'eaN v  298 CEUVUES SPIRITUELE ES. fer öéchamé pourroit dire de plus fort contre nos impies dogmatiftes, que de les app'eller aveügles, infenfés ,furieux, fanattques, orgueilleux & monfïres d'orgueïl, ignorants, pafftonnés , injufes, malhonnêtes , corritpteurs des mceurs, Jféaux de la Religion & de la fociété, les Apótres &les Légiflateurs de tous les hommes méchants & pervers, qui enfeignent Voubli de tous les devoirs, & font 'C apologie de tous les vices; qui brifent tous les Hens de la fociété, renverfent 1'ordre public , font difparoitre ce qui refte parmi nous d'honnêteté & de décence , apprennent aux hommes a fe livrer fans honte & fans remords a des voluptés aviliffantes pour la nature, a fouter aux pieds les principes de Vêquité, d s''armer les rtns contre les autres; qui donnent lieu aux forfaits les plus inouis; en un mot, des êtres infernaux acharnés contre leurs vitlimes , qui ont êté la crainte des loix, & jufqu''d F amour de la vie, pour familiarifer les méchants avec les plus grands crimes , & pour inonder la fociété de tous les vices. fcft-il une chofe pire que 1'enfer ? Exifte-r-il des monftres plushorribles &plus cruels que les démons, ces êtres infernaux, qui atüfent fans ceffe les feux dévorants  Chapitre XXIX. 299 du noir abyme , pour brüler toujours leurs malheureufes victimes, fans jamais les confumer? Et voila, Melïïeurs, commentle doux Archevêque deLyon traite les inerédules Philofbphes dans cette Inftrudtion paftorale, qui n'eft a vos yeux qu'un chefd'ceuvre de douceur, une compofition toute de miel, un modele unique d'ondtuolité, de fuavité, de modération, de charité. Je le veux cependant , Meftieurs, car je n'aime point a vous contredire , 1'Inftruction archiépifcopale eft un modele de charité, oui; mais de cette charité toute divine qui, pour parler un langage tout divin, eft forte comme la mort, dure comme 1'enfer, pour brifer ék mettre en pieces les cceurs de bronze, ék abaifter toute hauteur qui s'éleve contre Dieu; de cette charité qui, femblable'au glaive a deux tranchants , perce jufques dans 1'intérieur de 1'Ame, ék la divife d'avec elle-même; de cette charité , dont les lampes de fhmmes ék de feux brillent, éclatent, frappent, abattent, embrafent, confument tout ce qui s'oppofe a fa brülante adtivité; c'eft elle qui parle dans les écrits de tous les vrais défenfeurs de la Religion, quoique N vj  000 CErJVRES SPIRITUELLES. moins fortement que dans 1'Inftruction paftorale du ferme Primat des Gaules; ceffez donc, Meftieurs, celfez de les repréfenter comme autant ft/lpêtres fans mifjion, animés d'un faux zele, & verfant Vinjure d pleines mains fur les- incrédules , les dêfenfeurs de la Foi des Apêtres fans miffion. II n'en eft aucun qui n'en foit pourvu. Les uns la tiennent de leurs pafteurs dans 1'ordre hiérarchique; les autres deleursSupérieurs," ceux-ci de leurs directeurs; ceux-la de leurs amis ék de leurs confeillers ; tous de leur qualité d'hommes, de citoyens, de patriotes , de fujets , de Chrétiens, d'enfants de Dieu ék de 1'Eglife, de foldats de Jefus-Chrift : Eh! quelle autre qualité faut-il donc pour avoir droit de s'élever avec force contre les ennemis forcenés de Dieu ék des hommes, les corrupteurs de la Religion ék des mceurs, les deftru£teurs de tous les biens dans tous les genres, les introduéteurs de tous les maux dans 1'ordre civil ék religieux de la fociété? Eh! quoi donc, Meftieurs! Tout crie, tout rugit, tout confpire, tout eft ligué contre 1'Autel & le Tröne pour les faper jufques dans leurs fondementsj on entend par-tout le fon de la trompette des Prédicants jmpies; on vqit par-tout les torrents de  Chapitre XXIX. %ot feux coulera grands flots de leurs plumes meurtrieres, pour embrafer 1'univers; ces monftres a cent têtes n'oublient rien pour anéantir la majefté divine & humaine, corrompre les peuples,pervertirék perdre enfin tous les hommesjes perdre pour une éternité! Et ces monftres que le foleil n eclaire qu'avec douleur , que la terre ne porte qu'avec peine, que le Ciel ne voit qu'en frémiflant, ék. en fe cachant a leur afpeét, que 1'Eternel a déja marqués du fceau de fes vengeances , en creufant les abymes fous leurs pieds; ces monftres , il ne fera point permis de les vouer a 1'exécration publique, en leur arrachant le mafque hypocrite dont ils fe couvrent pour tromper les crédules mortels ? On ne pourra leur arracher leurs malheureufes viélimes , fans s'atdrer les titres odieux qui leur font propres ? Et vous, Meftieurs les Journaliftes, vous, les vedettes d'office, obligés par état de les démafquer, en criant contre eux de toutes vos forces, vous étoufferez la voix de ceux qui le font pour vous? Vous impoferez filence a ces généreux défenfeurs de la Divinité ék, de J'humanité, en leur demandant leurs lettres de créance, ék les preuves de leur mifiion ? Vous les traduuez aux yeux du public comme des  $02 (euvues spirituelles. Apotres qui ne tiennent leurs pouvoirs que de Vamertume de leur zele prodigue dlnjures? Jufte Ciel! oü en fommes-nous donc, 6c a quel temps nous avez-vous réfervés? Ecoutez, Meftieurs, quand poiu' le malheur du genre humain, vous auriez réd uit tous les miniftres des Autels a partager votre honteux 6c coupable lilence, les pierres prendroient leur place 6c la votre pour crier contre 1'impie dogmatilte : Lapides clamabunt. CHAPITRE XXX. Sur quelques abus fort communs dans les Pays-Bas Autrichiens &'Francois. premier abus. u n ufage fort commun dans les PaysBas Autrichiens, eft de faire des cavalcades ornées de chars detriomphe,emb!êmes6c a 1 occafion de 1'entréefolemnelle d'unEvêque dans fonDiocefe par exemple, ou de fon élévation a une dignité fupérieure , telle que celle de Cardinal, 6cc. Pour en donner une idéé 6c mettre les Leéteurs a portée d'en juger, il eft a propos de leur pré-  Chapitre XXX. 303 fenter la defcription abrégée d'une de ces fortes de cavalcades, qui s'eft faite il y a peu d'années dans une Ville des PaysBas Autrichiens, a 1'occafion de la promotion d'un Archevêque auCardinalat. On y voyoit d'abord le timbalier ék le trompette de la Ville avec leurs inftruments, puis le porte-étendard entre deux chevaliers armés, fuivis del'Ange tutélaire, accompagné de deux chevaliers , qui donnoient a connoitre le fujet de la fête par quelques chronographes. Suivoit Minerve la Déefte des Arts, encourageant tous les fujets de 1'Académie-Koyale de deftin & autres écoles a honorer leur protecteur ék bienfaiteur. Venoit enfuite le premier char de triomphe au haut duquel étoit repréfentéelaVillequi préfentoit le vin d'honneur au Prélat dans ces termes:Ê« vousoff'rant ce vin, que Bacchus nous di[penfe, &c, Ce Dieu Bacchus difpenfateur du vin paroiftbit aftis fur fon tonneau, la tête coüronnée de vignes ck une coupe si la main ; Silene le fidele compagnon de Bacchus conduifoit fon char ot partageoit la joie, de même que les génies a droitc ék a gauche; les Nymphes,les villes ék les villages repréfentés en bergers, conduits par la Déefte Cérès ac-  304 CEUVRES SPIRITUELLES. compagnée de Pomone ck. de Flore. Sur Je fecond char écoit Apollon , qui animoit les neufMufes a célébrer par leur chant les louanges du Prélat; les Nymphes encourageoient auffi les Mufes qui répondoient de concert, ün voyoit auffi ffir le même char, les quatre vertus cardinales; la Prudence, la Tempérance, la Juftice & la Force. Sur Ie troifieme char attelé de fis chevaux conduits par la Providence, paroiftbient Ie Pape, quelques Cardinaux, trois génies & lecuftbn de la Religion, &c. C'eft par la pompe de ces cérémonies qu'on prétendfignaler fon zele pour fes premiers pafteurs , dans certaines Villes desPays-Bas; cérémonies auffi folies & auffi ridicules, qu'elles font impies & facrileges. Car enfin on le demande a qniconque connoït 1'efprit & les maximes de la Religion chrétienne: que veut dire ce mélange bizarre du facré & du profane: ApolTon, Bacchus, Cérès, Minerve , Pomone? Les faulfes divinités du Paganifme figurent-elles bien avec le feul vrai Dieu des Chrétiens? Prétend-on 1'honorer ce Dieu effentiellement jaloux de fa gloire, en lui aftbciant des rivaux qui la partagent avec  Chapitre XXX. 305 lui? A-t-on oublié que quand les Philiftins mirent fon arche dans un Temple confacré a une aurre divinité, quoique ce fut par ignorance, & a delfcin de lui procurer une forte d'honneur, il mit en pieces 1'idole qu'on lui comparoit & fit mourir un grand nombre d'idolatres ? Et des Chrétiens inftruits commettront avec connoilfance de caufe la mêmeimpiété? Qu'ils tremblent qu'ils n'éprouvent tot ou tard le même chatiment dès ce monde , ou plutot qu'ils préviennent par leur douleur & leur amandement, les peines infiniment plus terribles qui leur font réfervées dans 1'autre monde. Eft-ce donc ainfi, jufte Ciel! que Jes Fideles des beauxfiecles de 1'Eglife témoignoient leur joie al'entrée folemnelle de leurs Pontifes , & quand ils revenoient triomphants des exils glorieux oü les Princes de la terre les avoient envoyés, pour leur courage intrépide a défendre la Foi de JefusChrift? On voyoit des foules de perfonnes de tout age, de tout fexe, de toute condition, aller proceffionnellement a la rencontre de ces faints & vénérables Evêques, les yeux modeftement baiffés, des palmes ckdescierges ardents a la main, des Pfeaumes, des  306 (EuVRES SPIRITUELLES. Hymnes, desCantiques facrésa la bouche, pour attirer la bénédiction du Seigneur fur les pafteurs, & fur les troupeaux. ü Dieu! Quelle gravité! Quelle modeftie ! Quelle piétéT Quelle dévotion ! Quelle ferveur! Quelravilfantfpectacle pour les Anges! Quel fojet de joie pour toute la Cour célefte! Puilfent ces beaux Meeles reparoitre encore fur la terre ! On peut joindre aux cavalcades dont on a parlé dans eet article, les proceffions ridicules qui fe font dans plufieurs Villes, par exemple, aDunkerque, il y a plufieurs chars repiéfentant 1'Annonciation , la NahTance , le Paradis , les quatre vertus cardinales qui font quatre Demoifelles dont on fait arrêter le char pour qu'elles puilfent danfer des balets j 1'enfer oü il y a Proferpine & des hommes habillés en diables fort indécemrnent, un vailfeau rempli d'étudiants habillés en fauvages qui feringuent de feau aux fenêtres, oü il y a des Demoifelles. Le géant qu'on appelle Reufe, des cavalcades fur des bêtes marines, enfin un tas d extravagances. II s'en fait une a Menin, la nuit du Jeudi faint repréfentant toute la Paffion: ce fpeétacle y attire une foule d'étran-  Chapitre XXX. 307 gers, dont le moindre abus eft desfoupers fplendides qu'on fait cette nuit pour, les régaler. Second abus. Un autre très-commun dans les PaysBas, c'eft la violation ouverte des jeünes d'Eglife, ék fpécialement du jeune du faint temps de Carême fi religieufement ék li févérement obfervé par la vénérable antiquiié. 11 eft telle Ville de ces Pays oü les riches, les Grands, les gens en place ék dans les premières places, choifuTent de préférence tous les jours de Caiême pour fe traitcr tour-atour ék (k régaler fplendidement lefoir, en fubftituant a la mince collation que 1'Eglife tolere a peine, les repas les plus fomptueux ék les plus délicats. Peut-on, de bonne-foi, voir un mépris plus formel, un violement plus fcandaleux de la fainte Loi du jeune, fur-tout dans des gens en place, qui font plus obligés que perfonnes dedonner bon exemple aux autres ék qui ont plus befoin de faire pénitence? Hélas! qu'ils feront étrangement furpris a 1'heure de la mort, lorfque Dieu ouvrant le Livre de leur confcience, leur fera voir en un moment tous leurs péchés ék toutes les cir-  308 CËUVRES SPIRITUELLES. conftances aggravantes de leurs péchés, en propordon de 1 'élévadon Sc de 1'éminence des places qu'ils aurontoccupées dans le monde! Ah! cette vue, cette horrible vue fera fi profonde 6cfi pénétrante; elle leur caufera une telle horreur, que le feu de 1'enfer leur paroltra moins infupportable, 6c qu'ils aimeront mieux s'y précipiter eux-mêmes, que de fe voir expofés aux yeux de Dieu le Saint des Saints, ainfi couverts de leurs crimes avec toutes leurs affreufes circonftances 6c leur hideufe difformité. Troifieme abus. Un autre abus fur Ia même matiere du jeune, eelt la liberté qu'on fe donne de boire fans le moindre fcrupule durant une bonne partie de la journée, thé, café, chocolat, bierre, vin,liqueur, fous prétexte que le liquide ne rompt point le jeune. Cet axiome prétendu que le liquide ne rompt point le jeune, n'a d'autre fondement qu'un paffage mal entendu de faint Thomas : le voici en latin 6c en francois. Jejunium Ecclefi* non folvitur nifi per ea qu* Ecclefia interdicere in~ tsndit; non autem intendit Ecckfia in-  Chapitre XXX. 309 terdicere fumptionem potus, qui magis fumitur ad alterationem corporis fedandam, & digeftionem ciborum affumptorum, qudm ad nutritionem, licèt aliquomodb nutriat & ideó Heet jejunantibus pluries bibere; c 'eft-a-dire : " Le „ jeune d'Eglirè ne fe rompt que par „ 1'ufage des chofes que 1'Eglife a in„ tention d'interdire', or 1'Eglife n'a pas „ intendon d'interdire 1'ufage dela boif„ fon qui fe prend plus pour appai ferl'al„ tération du corps, ou Ia foif, & pour „ la digeftion des aliments qu'ona pris, „ que pour fe nourrir, ou par forme „ de nourriture, quoiqu'en effet la boif „ fon nourriffe en quelque forte, 8c „ c'eft pourquoi il eft permis a ceux qui „ jeünent, de boire plufieurs fois les „ jours de jeune „. Ce texte de St. Thomas prouve trois chofes; la première, que les liquides, tels, par exemple, que le vin & la bierre font nourrilfants ; la feconde, qu'il eft permis de boire plufieurs fois de ces liquides, quoique nourriffants, les jours même de jeune lorfqu'on le fait parnécefïïté, favoir, quand cela eft néceffaire pour appaifèr la foif, ou pour faire la digeftion, paree que 1'intention de 1'Eglife n'eff pas d'interdire la boiffon dans  3io (Euvre's spirituelles. ces deux cas; la troifieme, qu'on violele jeune, lorfqu'on boit contre 1'intention de 1'Eglife, & en fraude de la Loi du jeune, comme le dit ailleurs le même faint Doéteur : Nifi fraudeni faciat; 5^3,* 1am Legem violat qui in fraudem Legis i, ad. i. aliquid facit. Cela pofé, il eft évident par le texte même de St. Thomas qu'on allegue en faveur de la boilfon les jours de jeune , qu'il n'eft permis de boire hors les repas en ces faints jours, que quand cela eft nécelfaire ou pour appaifer la foif, ou pour faire la digeftion, & que boire hors 1'un ou 1'autre de ces deux cas, c'eft aller contre 1'efprit & 1'intention de 1'Eglife; c'eft frauder la Loi du jeune qu'elle impofe a fes enfants; donc ceux qui boivent hors 1'un ou 1'autre de ces deux cas, ils fraudent la Loi, ils violent le précepte qu'elle fait du jeune. Eh quoi! 1'Eglife a établi des jeünes pour donner a fes enfants un moyen efficace d'expier leurs péchés paffes, & de fe prémunir contre les péchés futurs, d'affbiblir & de réprimer leurs paffions & leurs mouvements de la concupif cence, eet ennemi domeftique qui les fuit par-tout, 6c par-la de fatisfaire a la juftice de Dieu, d'appaifer fa colere,  Chapitre XXX. 311 d'attirer fes graces, de s'appliquer le mérites des fouffrances de Jefus-Chrift, d'avoir 1'efprit plus libre pour s'oecuper de fes myfteres 6c méditer toutes Jes vérités céleftes : i'Eglife fe propofe ces fins falutaires dans 1'inftkution des jeünes qu'elle prefcrit a fes enfants; 8c elle leur permettroiten même temps de flatter leur goüt 8c de conrenter leur fenfualité, par 1'ufage des boiffons agréables, durant une grande partie des jours qu'elle confacre a la pénitence? Quelle monftrueufe abfurdité ! L'Egiife, cette tendre 6c fidelle époufe de Jefüs-Chrift, fe contrediroit donc elle-même de la manière la plus grolliere; elle batiroic d'une main, 6cdétruiroit de 1'autre; on la verrok s'élever contre fon propre 8c divin Epoux, en fourniffant des armes a fes cruels ennemis, au démon, a la chair, & a fes paffions brutales; on la verroit anéantir fon Evangile, qui ne recommande rien tant que la mortification, la pénitence, la fouffrance 6c la croix. Mais, je le veux pour un moment, on ne viole pas la Loi du jeüne prefcrit par I'Eglife, en buvant nombre de fois 6c long-remps des liqueurs nourriffantes, les jours de jeüne : foit; mais  312 CEuVRES SPIRITUELLES. ne viole-t-on pas Ia Loi naturelle & Ia Loi divine par une telle conduite? Ne viole-t-on pas la Loi de la tempérance & de lafobriété? La Loi naturelle & la Loi divine nous obligent au jeune pris en général, paree qu'il eft néceffaire pour domter les paf fions rebelles, réprimer les révoltes de la chair & la foumettre a 1'efprit, affoiblirle corps & 1'affujettir a 1'Ame. C'eft pour cela que le jeüne eft de droit naturel & divin, & qu'il a été en ufage dans tous les temps & parmi toutes . les nations qui ont eu quelque Religion vraie ou fauffe. LesPaïens avoient des jeünes établis en 1'honneur de leurs dieux, & ils ne confultoient jamais les oracles^, fans avoir auparavant indiqué un jeüne au rapport de Tertullien, Lib. de anima, cap. 48; & faint Jéröme fe fert des jeünes des Païens pour confondre Gorinien ce grand ennemi du jeüne, dans le fecond Livre qu'il a écrit contre lui. Depuis Moïfe, les Juifs ont jeüné & jeünent encore, en ne prenant aucune nourriture ni aucune boiffon depuis le foir précédent jufqu'après le couché du foleil du jour fuivant \ les premiers Chrétiens ne mangeoient & ne buvoient en Car ê me  Chapitre XXX. 313 Carême que le foir; il y en avoient même qui obfervoienr les Xeropbagie, c'eft a-dire, qui ne mangeoient que des chofes feches, d'autres qui feréduifoient au pain Sc a 1'eau, d'autres qui ne mangeoient que de deux jours 1'un, ou même qui étoient trois ou quatre jours fans manger. Ainfi jeünoient les premiers Chrétiens : & les Chrétiens de nos jours prétendront jeüner enbuvant hors du repas, Sc pendant une bonne partie des jours de jeüne, des boiftbns nourrilfantes ! Quel horrible aveuglement! lis ignorent donc que la tempérance qui s'en tient au néceffaire dans le boire comme le manger, eft un devoir indifpenfable pour eux, Sc que 1'intempérance qui franchit ces hornes étroites, polées par la fage nature, eft un vice honteux Sc la fource empoifonnée d'une multitude d'autres; un vice qui les dégrade, les abrutit, les rend ineptes aux fublimes fondtions de 1'ef» prit, les porte infenfiblement a 1'oubli de Dieu, a la négligence, Sc fouvenc au mépris de tous les exercices de la Religion. Ils ne favent pas que la feule pene du temps, quand elle eft notable Sc habituelle, comme elle 1'eft toujours dans ces longs efpaces de temps du  Prov. xxj. Eccli. Xix. IjVi. V. 514 (EuVRES SPIRITUELLES. jour & de la nuit qu'ils facrifient a la boiiïbn, eft un pêché mortel, qui ftiftit feul pour les damner. Ils ne favent pas non plus qu'en fe livrant a la boilïon, ils s'expofent a 1'occafion prochaine ou de perdre, ou d'altérer & de troubler la raifon, ce qui ne le peut faire fans un danger manifefte de leur falut , 1'Efprit Saint nous difant que celui qui aime Ie péril y périra. Enfin ils n'ont donc jamais oui parler des menaces épouvantables & des foudroyants anathêmes de ce même Efprit Saint contre ces buveurs d'habitude ? A qui dira-t-on malheur, s'écrie-t-il par la bouche de fes Sages & de fes Prophetes, fmon d ceux qui pafent le temps h boire du vin, qui mettent leur plaifir a vuider les coupes ? Le vin & les femmes font tomber les Sages mêmes, & les jettent dans fopprobre. Malheur è vous qui vous levez des le matin pour vous plonger dans les-excès de table , & pour boire jufqu au foir. Malheur d vous qui êtes puiffants a boire du vin & d vous enivrer. Quiconque ofe braver ces menaces Sc méprifer ces terribles malédidions du Saint-Efprit, a perdu la Foi, il eft pire qu'un infidele.  Chapitre XXX. 31$ Quatrieme abus. C'eft une coutume très-répandue dans fes Communaurés régulieres de 1'un & de 1'autre fexe des Pays-Bas, d'y faire ce qu'on y appelle fon jubilé, d'oü vient le nom de Jubilaires qu'on donne a ceux & celles qui ont fait leurs Jubilés. On y fait aulfi fouvent fon demi-Jubilé. Le Jubilé confifte dans des fètes plus ou moins brillantes & bruyantes, qui durent plus ou moins de jours, felon les facultés Sc la bonne volonté de ceux ou celles qui les donnent, lorfqu'ils font parvenus è leur cinquantieme année de leur profellion religieufè; le demi-Jubilé a lieu a la vingt-cinquieme année. Nous ne parierons ici que de ce qui fe pafte communémcnt dans les Monafteres des filles a J'occafion des Jubilés, paree que les exces qui s'ycommertenr, font encore plus criants a certains égards, que ceux qui fe commettent dans les Monafteres d'hommes, Sc que d'ailleurs il fera facile de juger des autres par ceux-ci. La fêre du Jubilé commence par un grand Sc magnifique diner que Ja Jubilaire ou par fes épargnes, ou par les O ij  glS CEuVRES SPIRITUELLES. bienfaits de fes parents , donne a fa Communauté, a un nombre plus ou moins grand d'externes, parents, amis, hommes, femmes, filles, gat-gons; ces repas font quelquefois répétés plufieurs jours de fuite, tant a diner qua fouper, Sc égayés par le fon des inftruments, par des chanfbns amoureufes & bachiques (car on n'a garde d'y oublier Vernis Sc Bacchus, les dieux de l'amour Sc du vin) par des cris confus Sc un bruit qui durent durant le temps que boit la Jubilaire; lors donc qu'on lui porte la fanté, Sc qu'elle prend la coupe , c'eft a qui criera le plus haut pour lui fouhaiter de longues années, a qui frappera davantage für la table, les plats Sc affiettes: quel carrillon! Ce n'eft point tout. Les bonnes Dames Religieufes repréfentent des comédies, & fè déguifent en toutes fortes de perfonnages elles fautent, elles danfent Sc encore, fi toutes ces extravagances fe paftoient entre elles, Ie mal quoique très-grave, feroit moins énorme; mais non, cela ne leur fuffit pas , il faut donner des bals en forme aux externes de tout fexe Sc de tout age. Les Monafteres oü 1'on fe contente de donner ces bals dans un parloir ou  Chapitre XXX. 317 une falie extérieure, palfent pour des modeles de fagelfe & de régularité, en comparaifon des autres oü on les donne dans 1'intérieur même des Monafteres jufques bien avant dans la nuit: ce n'eft point encore tout, on en voit, oü après qu'on eft las de chanter, de danfer, de fauter, on court librement dans tous les lieux du Monaftere, fans excepter les cellules des Nones, qui fe trouvent quelquefois tête a tête avec un cavalier: cela n'eft point fans exemple; & ce qui fe fait aux Jubilés, fe fait aufli,du moins en partie, en plufieurs autres occafions, telles que les profèffions des Religieufes, les grandes récréations, les fêtes des Supérieures, oü les Religieufes danfent au moins , & repréfentent des comédies errtr'elles. C'eft ainfi qu'on célebre les Jubilés dans les Monafteres des filles des Pays-Bas. La- raifon, le bon fens, la Religion fur-tout dictent, que plus on avance en age , plus on doit croitre en fageffe Sc en vertu ; que le nombre de bonnes ceuvres doit répondre a celui des années; que le temps qui avoifine le tombeau de plus prés, eft celui oü on doit redoubler d'effort pour éviter Ie mal, pratiquer le bien avec plus de ferveur, O iij  3lff (EuVRES SPIRITUELLES. amafter des tréfors de mérite, augmenter, s'il eft poflible, tous fes exercices de pénitence ék de piété, fur le point qu'on eft d'aller paroitre au Tribunal redoutable de la juftice d'un Dieu vengeur ék terrible dans fes vengeances, qui jugera les Juftices mêmes, qui trouve des taches jufques dans fes Anges, ék qui ne laiftera pas un fèul pêché impuni, ne füt-ce qu'un clin d'ceil, un mouvement imperceptible, un defir naiffant, une fimple penfée, moins encore , s'il eft poflible, un rien, des qu'il n'eft point exaétement conforme a Ia fainteté de fa Loi. Mais ce n'eft pas ainfi que penfent ék que raifonnent les Religieufes des Pays-Bas. Elles font perfuadées que la meilleure préparation a la mort, c'eft la plus douce jouiffance de la vie ék des piaifirs qu'elles y peuvent gouter; qu'un age avancé eft comme un héraut qui leur crie d'une voix forte, que Ie temps preffe, ék qu'elles ne fauroient trop fe hater de le mettre a profit, pour fe réjouir ék s'accorder tous les divertiffements polfibles; ék enfin qu'elles n'ont rien de mieux a faire pour fe difpofer a paroitre au Tribunal de Dieu, le fouverain Juge des vivants ék des morts , que d'entaffer péchés fur péchés, ék de com,-  Chapitre XXX. 319 bier la mefure de leurs fcandales. Vierges folies, fcandaleufes Sc mille fois erop coupables aux yeux du célefte Epoux, vous croyez donc que c'eft en enchériffant de beaucoup par vos fêtes facrileges, fur les Bacchantes 8c les bacchanales des Païens, que vous pourrez lui plaire 6c aller jouir dans peu de fes chaftes 6c délicieux embraffements ? Vous ne favcz donc pas que c'eft un Dieu d'une délicatelfe infinie 6c infiniment jaloux, qui s'offenfe jufqua 1'indignation d'un cheveu dérangé de fes époufes, 6c qui ne peut fouffrir le moindre partage de leur part? Vousignorezque fon zele s'allume, s'enflamme, frappe, écrafe, brüle, embrafe, confume les cceurs partagés entre lui 6c quelqu'autre objet que ce puiffe être? Vous n'avez jamais lu dans fon Evangile, que rien de fouillé, rien d'impur, rien d'imparfait n'entrcra dans .fon Royaume, 6c que la fainteté feule, la fainteté parfaite 6c confommée trouvera place dans la fainte Cité de ce Dieu trois fois faint 6c ia fainteté même, la pureté par effence, la juftice inviolable, la droiture inflexible, 1'ordre immuable, la fouveraine raifon ? Vous avez donc, doublemenrapoftates, abjuréles vceux folemnels qu'on fit pour vous fur O iv  320 CEUVRES SPIRITUELLES. ]es fonts facrés de votre baptême, 5c ceux que vous fites vous-mêmes, en renoncant au monde pour vous confacrer a Dieu, a ia face des Autels, des Anges , témoins de vos promeffes, 8c de I'Eglife toute entiere , qui recut vos engagements, par les mains de fes miniftres? O 1'abominable apoftafielö 1'abomination de la défoladon, introduite dans le lieu faint! ü vous qui les fondates autrefois avec tant de zele 8c de peine, ces lieux faints 6c qui ont fanctifiés tant d'Ames, Auguftin , Benoït, Bernard, Francois, Dominique, Claire; vous tous, faints fondateurs 6c faintes fondatrices des Ordres, des Congrégations, des Monafteres de Religieux 6c de Religieufes, je vous attefte, 1'eufïïcz-vous jamais cru que ces Sandtuaires augufïes oü Dieu fe plaifoit de demeurer 6c de faire fes délices, de converfer avec les Anges terreftres qui les habitoient, euffiez-vous cru qu'ils feroient un jour les repaires des démons, qui y regnent avec un fouverain empire, comme fur leurs trönes, après en avoir banni au loin, 1'efprit de paix, d'union, de concorde,de charité, d'humilité, de pauvreté, de modefhe, de fimplicité, de chafteté, d'obéiffance, de  Chapitre XXX. 32t retraite, de recueillement, de filence, de priere, de piété, de ferveur, de mortification, de pénitence, pour y fubftituer 1'efprit de trouble, d'intrigues, de difcorde, d'ambition, d'orgueil, defafte, de vanité, d'indépendance, d'immortification, de fenfualité, de diflïpation, de tiédeur, d'indifférence, de mépris pour le filence, la retraite, le recueillement, la priere Sc.tous les exercices de la piété chrétienne? Non, vousneleuffiez jamais cru, 8c j'aime a croire que Dieu vous cache par bonté ces excès fi horribles de vos enfants, puifqu'une vue fi affligeante feroit capable, s'il étoit polfible, de troubler la joie que vous caufe fa vifion béadfique toute inaltérable qu'elle eft. O peres! ö enfants! ö vie célefte 8c angélique des premiers ! 6 primitive ferveur des faints perfonnages qui firent la gloire & 1'ornement de I'Eglife dans la naiffance de tous les Ordres religieux, ne reparoïtrez-vous donc jamais fur la terre ? En êtes-vous bannie pour toujours? Aurons-nousa pleurer fans ceffe 8c fans efpérance de remede, la décadence de tant de faints inftituts, & furtout les fcandales de tant de vierges toutes mondaines, é>c paree qu'cüesaoO v  322 (EUVRES SPIRITUE-LLES. pellent le monde dans 1'enceinte de leurs cloïtxes, & p'arce qu'elles ne rougiffent pas de fortir de leurs cloitres pour aller chercher le monde, par le violement feandaleux de la fainte loi de la clöture. Réponfes aux raifons qu'on allegue pour juftifier les divertijfements des Jubilés ei? autres femblables qui fe font dans les Maifons religieufes. Quoique les prétendues raifons qu'on allegue en faveur des divertilfements des jubilés & autres femblables, ne méritenc aucune confidération & fe réfutenr alfez d'elles-mêmes, nous ne laifferons pas d'y répondre ici, pour öter toutes excufes aux perfonnes religieufes, qui prétendroient s'en étayer, pour perfévérer dans ces abus. i°. N'efï-il donc pas permis, dit-on, de faire fon Jubilé, puifqu'on en prend fouvent occafion de remercier le Seigneur, d'avoir eu le bonheur de pafier cinquante années a Ion fervice, de renouveller fon facrifice & de lui en rendre graces par une Meffe folemnelle, chantée quelquefois par des muficvens, 6c d'y tirer des boites pendant  Chapitre XXX. 323 i'élêvation; cette Grand'Mefiè eft fouvent fiüvie du Sermon & des Prieres de 1'Egüfe propres aux cérémonies de la Fête; on y bénit deslunettes, lacouronne & la crolfette, portées quelquefois par des enfants habillés en Anges. On fait auffi des décoraüons a I'Eglife & au réfectoire. Réponfe, Remercier Ie Seigneur d'avoir eu Ie bonheur de paffer cinquante années a fon fervice, li on 1'a fervi en effet comme il mérite de 1'être, renouveller fon facrifice, & lui en rendre grace par une Meffe folemnelle, fuivie d'un Sermon & des Prieres de I'Eglife , tout cela eft excellent. Faire chanter la Meffe par des muficiens, ceci ne vaut rien du tout; paree que I'expérience prouve que les MelTes chantées en mufique font bien plus propres a dérourner 1'efprit & le cceur de l'attention qu'ils doivent aDieu, & a la fainteté du myftere redoutable de nos Autels, que de les y appliquer; que les muficiens d'aujourd'hui pratiquent une mufique toute profane & touta-fait indigne de la majefté de Dieu & de notre fainte Religion, & qu'ils ne  324 CEuVRES SPIRITUELLES. font capables que d'apporter la diftipation dans un Monaftere, fans parler des airs ék des chants licentieux, dont ils régalent les convives durant & après le repas. II en eft de même des boïtes qu'on tire pendant 1'élévation. C'eft par un filence ék un anéantilfement profond qu'il faut honorer Jefus-Chrift, au moment qu'on le propofeaTadorationdes Fideles, ék nullement par un bruit extérieur, qui ne fert qua effrayer ék a diftraire. Les décorations de I'Eglife peuvent être louables, fi le motif en eft pur; mais pour celles du réfeétoire, ainfi que la bénédiction des lunettes, croffette ék couronne portées par des enfants, ne font qu'un pur enfantillage, pour les traiter bien bénignement. 2°. Quel mal y a-t-il, dit-on, que les cérémonies de 1'Eglile foient fuivies d'un ou plufieurs repas, dont les parents font prefque toujours les frais ék qui foulagent même de pauvres Communautés? Rponfe. Le mal eft : i°. Que les parents qui font les frais de ces repas, fe gênent fouvent pour les faire, ne les font que  Chapitre XXX. 325 contre cceur, & par une forte de bienféance dont ils voudroient bien s'exempter, s'ils le pouvoient fans faire parler d'eux. 2°. Que ces repas ne font jamais exaéïement renfermés dans les bornes étroites de la retenue, de latempérance & de la fobriété qui conviennent a des Chrétiens & a plus forte raifon a des perlbnnes religieufes. 30. Que les parents mêmes qui donnent ces repas fbnt les premiers a ie fcandalifer de la diffipation & de toutes les folies des Religieux & des Religieufes dans ces occalions. 40. Que c'eft bien du temps & de 1'argent perdu; argent qui feroit infiniment mieux appliqué aux pauvres, qui manquent de letroit néceffaire, qu'aux Communautés, pour leur fervir de récréations. 50. Que quand les perfonnes religieufes font elles-mêmes les frais de leurs Jubilés, elles s'inquietent, s'agitenr., fe tourmentent une grande partie de leur vie, pour fe divertir quelques jours, aux approches de la mort. 3°. Quel mal y a-t il de chanter a Ia louange de la Jubilaire, au fon des inf rruments; de boire a fa fanté & de lui fouhaiter longues années en cliquetanc fur les affiettes, fur totit fi elle eft réguliere , de tirer des bort.es, &c. ?  326 CEUVRES SPIRITUELLES. Réponfe. Le mal qu'il y a dans tout cela, c'eft de fe livrer a une joie folie & indigne d'une Ame chrétienne, de mentir fouvent par action, en témoignant au dehors une joie que le cceur dement, d'infpirer de 1'orguéil 8c de la vanité a la Jubilaire dont on chante les louanges, loit qu'elle les mérite ou qu'elle ne les mérite pas; de lui faire regarder la longue vie comme un grand bien, elle qui devroit la regarder comme un grand mal, 8c en deürer ardemment la fin, furtout, pour ne plus offenfer Dieu, 8c le poffédera jamais. J'ajoute que fi la Jubilaire eft vraiment réguliere, tout ce tintamarre eft vraiment un fupplice pour elle, 8c fi elle 1'aime, c'eft une marqué certaine qu'elle n'a nullement la régularité qu'on lui fuppofe. 4°. Quel mal y a-t-il aux Religieufes de fauter 8c de danfer entr'elles ? David ne danfa-t-ilpas devant 1'Arche, 8c faint Francois de Sales n'approuve-t-il pas la danfe ? Réponfe. Perfonne ne danfe s'il n'eft ivre ou fou, dit Ciceron. Ainfi penlöient les Sages  Chapitre XXX. 327 du Paganifme. La danfe cependantn'eft point criminelle de fa nature; David en fit un acte de Religion, en danfant devant 1'Arched'alliance, pourtémoigner a Dieu la joie qu'il avoit de la voir venir dans la Ville de Jeruialem. Ainfi la danfe peut être permife aux gens du monde, pourvu qu'elle foit accompagnée des conditions fuivantes : i°. Que les perfonnes qui danfent,le puilfent faire avec décence, avec modeltie & fans mal édifier perfonne. 20. Que ce foit dans un temps de joie, tel qu'elt celui de noces ou d'une réjouilïance publique. 30. Que 1'honnêteté y foit réguliérement obfervée a 1'égard des chants, des geiles,du lieu,du temps & des autres circonftances qui l'accompagnenr. Voila le fentiment de faint Thomas, qui ajoute que la danfe n'eft permife ni aux Eccléfiaftiques, ni aux Religieux ni Religieufes, paree que I'Eglife la leur défend comme contraire a la gravité, a la modeftie & a la fainteté de leur état. On peut voir entr'autres le Concile de Trente, le premier deMilan,fous faint Charles Borromée, & celui de Bordeaux tenu 1'an 1581. 50. Quel mal y a-t-il de repréfenter des comédies ou des tragédies entiérement honnêtes, de s'y déguifer pour  328 CEuVRES STIRITUELLES. rire & fe récréer, ce qui fe fait dans les Couvents de filles, non-feulement avec la permiffion, mais même quelquefois par le commandement des Supérieures «5c des Directeurs? Réponfe. Lesreprélèntationsmêmelesplushonnêtes entrainent nécelfairement après elles beaucoup de perte de temps, de diffipation, de légéreté, dejoiesfolies, de ris infenfés, tout-a-fait contraires a 1'état & a 1'efprit de la Religion; les déguifèments de fexe font traités d'abominables aux yeux de Dieu dans 1'Ecriture; <3c quand on ne déguiièroit point fon fexe, mais feulement fon état, en prenant, par exemple, un habit de Dcmoifelle, s'il eft qucftion d'une Religieufè , ce feroit toujours un pêché grave contre 1'ordre & la bienféance de 1'état; il y a excommunication contre les Religieux qui quittent témérairement leur habit. 11 n'y a donc ni permiffion, ni approbation ni commandement qui puilfe excufer les Religieufes qui tomberoient dans ces excès. 6y. Que fera une Religieufè engagée dans un Monaftere oü tous ces abus  Chapitre XXX. 329 regnenï de temps immémorial, & comment pourra-t-elle fe délalfer, fi toutes les récréations communes lui font interdites ? Réponfe. Cette Religieufè évitera tout ce qui fera a fon pouvoir deviter, comme les danfes, les reprélèntations, les déguifèments, les chants profanes, &c. Quant a ce quil lui fera impollible d'éviter, comme les repas qui fe donnent au réfectoire, elle s'y comportera avec toute la retenue & toute la modeltie qu'exige fon état. Et pour les délalfements, elle les trouvera dans les converlations chrétiennes avec quelques-unes de fes Sceurs, dans quelques promenades au jardin ou ailleurs , felon les temps; dans le chant des Hymmes, des Pfeaumes, des facrés Cantiques, des Chanfons pieu-, fes, ckc. FIN.  330 T A B L E T A B L E DES CHAPITRES. hapitre I. Sur la nature de T Ame humaine & les preuves de fa fpiritualitè, Page 1 Chap. II. Sur les facultés de VAme, 27 Chap. III. Sur la dignité de VAme, 37 Chap. IV. Sur Veftime quon doit faire de fon Ame, 45 Chap. V. Sur la converfation de VAme avec Dieu, 51 Chap. VI. Sur les moyens qu'il faut prendre pour converfer avec Dieu, 60 Chap. VIL Sur VOraifon mentale, 69 Chap. VIII. Sur Vunion de VAme avec Dieu, 79 Chap. IX. Sur la conformité d la volonté de Dieu, 91 Chap. X. Sur la Foi, Vétat de pure Foi, Vabnégation & Vabandon dt foimême entre les mains de Dieu , 99 Chap. XI. Sur les épreuves, ïott Chap. XII. Sur Vhumilitè, 124 Chap. XIII. Sur la perfection du Chrif-  DES CHAPITRES. 331 tianifme & les voies qui y conduifent, 134 Chap. XIV. Sur la diférence du Chrétien & du dévot, 140 Chap. XV. Sur la fingularitè, 148 Chap. XVI. Sur les grandeurs de Jefus-Chrifl, 154 Chap. XVII. Sur les grandeurs de Marie, 161 Chap. XVIII. Sur la fainteté des Temples, \6$ Chap. XIX. Sur la récitation de POffice divin, ijfcjS Chap. XX. Sur les fignifications des Heures canoniales, 199 Chap. XXI. Sur la clöture des Religieufes, 204 Chap. XXII. Sur les difficultés qu'on oppofe a la clöture des Religieufes ,223 Chap. XX11I. Sur la dot des Religieufes, 239 Chj!p. XXIV. Sur les penfions des Religieufes, 245 Cha p. XXV. Sur les penfionnaires des Religieufes, - 25 a Chap. XXVI. Sur les Confeffeurs & les Direbleurs, 258 Chap. XXVII. Sur les femmes, 269 Chap. XXVIII. Sur les Fhilofophes ennemis de la Foi, 27 Ü  33* TABLE DES CHAPITRES. Chap. XXIX. Sur le flyle qu'il convient demployer pour combattre lés Fhilofophes & en général tous les Auteurs impies ou libertins, 289 Ch a p. XXX. Sur quelques abus communs dans les Pays-Bas Autrichiens & Francois, 302 Fin de la Table.