MAG AZIN DES E N F A N S, O u DIALOGU ES, Ent re une fa-ge Gouvernante & plufieurs de fes EléVes de la pretkière diftin&ien. Dans lesquels on faitpenfer ,parhr, agir les jeun.es Gens fuivant le génie, Ie tempérament, & les inclinations d'un chacun. On y repréfente les dêfauts de leur age, & 1'on y montre de quelle maniére on peut les en corrüger : on s'aplique autant a leur ftrmer le coeur 9 qu'a leur èclairer Vefprit. On y donne un Abrègè de VHifltire Sacrie , de Ia Fthle, de la Gétgrapbie &c, le tout retnplide Reflexions utiles, & de Contes moraux pourles sunufer agréablement; & écrir d'un ftile fimple & proportionné a la tendreiïe de leurs années. P A R Made. Le Prince de Beaumont TOME SECOND. A L E I D E chcz LUZAC ET COMP., HDCCXGYEII*   L E M A G A Z IN DES E N F A N S. X, DIALOGUE. Huitième Journée. Madem. Bonne. Bon jour, Mesdames; aujourd'hui je vais vous rendre bien contentes; j'ai lu hier un fort joli conté, & je vais vous le raconter. II y avoit une fois un Roi qui aimoit paflionnément une Princeflè • mais elle ne pouvoit pas fe marier, paree qu'elle étoit enchantée. II fut confulTom, II. A 2 ter  4 X. DlALOCUE. ter une Fée, pour favoir comment il devoit faire pour être aimé de cette Princefle. 'La fée lui dit Vous favez que la PrinceiTc; a un gros chat qu'eile aime beaucoup; elle dok époufer ce Jui qui fera aflez adroit., pour marcher fur la queue de fon chat. Le Prince dit en lui* même ; cela ne fsra pas fort difficile. 11 quitta donc la fée, déterminé a écrafer la queuë du chat, plu» tot que de manquer a marcher deiïüs. II courut au palais de fa maitrelfe. Minon vint au devant de lui, faifant le gros dos, comme il avoit courume: le E.oi leva le pied; mais lorsqu'il croyoit 1'avoir mis fur fa queuë, Minon fe retourna (i vite, qu'il ne prit rien fous fon pied. II fut pendant huit jours a chercher a marcher fur cette fatale queuë : mais il fembloit qu'elle fut pleinede vif-argent, car elle remuoit toujours. Enfin, le Roi eut le bonheur de furprendre Minon pendant qu'il étoit endormi, & lui appuïa le pied fur la queuë de toute fa force. Minon fe réveilla en miaulant horriblement: puis, tout«a»coup, il prit la iigure d'un grand homme, & regardant le Prince avec des yeux pleins de co- lère,  X. Dl'ALOOU'C- 5 lère, il lui dit: Tu épouferas la PrincelTe, puifque tu as détruit 4'enchan-tement qui t'en empê'choit,^ mais je m'en vengerai. Tu auras un fils, qur fera toujours malheureux, jusqü'au moment cü il connoitra qu'il aura le nez trop long, & fi tu parles de la menace que je te fais, tu mourras fur le champ. Quoique lè R'oi fut fort effrayé de voir ce grand homme , qui étoit un Enchanteur , il ne put s'empêcher de rire de cette menace. Si mon fils a le nez trop long, dit-II en lui-même, k' moins qu'il ne foit aveugle, ou manchot, il pourra toujours le voir, ouie fentir. L'Enchanteur aïant difparu, le Roi fut trouver la Princefle, qui con* fentir a 1'épouier; mais il ne vécut pas longtems avec elle, & mourut au boutde huit mois. Un mois après, la Reine mit au monde un petit Prince qu'ori nomma Defir. II avoit de grandsyeux bleus, les plus beaux du monde; une joïie petite bouche, mais fon nezétoU fi grand, qu'il lui couvroit la moitité' du yilkge. La Reine fut inconfol .ible , quand elle vit ce grand nez; mais les Dames qui étoient a cóte d'elle, lui dirent que ce nez n'étoit pas auffi grand A 3 qu'il  6 X. Dialogue. qu'il le lui paroïflbit; que c'étoit un nez a la Romaine, & qu'on voyoic par les hiftoires, que tous les héros avoient eu un grand nez. La Reine, qui aimoit fon fils a la folie , fut charmée de ce difcours, & a force de regarder Defir, fon nez ne lui parut plus fi grand, Le Pxince fut élevé avec foin, & fitöt qu'il fut parler, on faifoit devant lui toutes fortes de mauvais contes fur les perfonnes qui avoient le nez court. On ne fouffVoic auprés de lui, que ceux dont le nez resfembloit un peu au fien, & les ceurtifans, pour faire leur cour a la Reine & a fon fils, tiroienr plufieurs fois par jour le nez de leurs petits enfans, pour le faire allonger; mais ils a voient beau faire, ils paroilToient camards auprès du Prince Dtjir. Quand il fut raifonnable, on lui apprit 1'hiffcoire: & quand on lui parloit de quelque grand Prince, ou de quelque belle Princeffe, on difoit toujours qu'ils avoient le nez long. Toute fa chambre étoic pleine de tableaux, oü il y avoit de grands nez, & Defir s'accoutuma fi bien a regarder la longueur du nez comme une perfecrion, qu'il n'eüt pas voulu pour une cou-  X. DlALOdUE. 7 couronne, faire öterame ligne du flets» Lorsqu'il eut vingt ans, & qu'on penfa a le marier, on lui préfenra le por»trait de plufieurs Frihceffes; II fut encbanté de celui de Mignone: c'ëtoit la fille d'un grand Rei, & elle devoit avoit plufieurs Royaumes; mais Defir nry penfoit feulement pas , tant il étoit occupé de fa beauté Cette PrincelTe, qu'il trouvoit charmante, avoit ponrtant un petit n?z rerrouffé , quu fatfott le plus joli effet du monde fur fon vifage; mais, qui jetta les courtifans dans ie plus grand embarras. Ils avoient pris 1'habitude de fe moqueir des petits nez, &illeur échapoit quelquefois derirede celui de la PrincelTe;. mais Defir n'entendoit pas raillerie fur eet article, & il chalTa de fa cour deux courtifans qui avoient ofé parler mal du nez de Mignone. Les autres, deven us fages par eet exemple, fe corrigèrent, & il y en eut un qui dit au Prince, qu'a la vérité, un homme ne pouvoit pas être aimable fans avoir un grand nez; mais que la beauté des femmes étoit différente; & qu'un favant,. qui parloit grec, lui avir dit, qu'il avoit lu dans un vieux Manufcrit Grec, A 4 que  8 X. DlALOGUE. que la belle Clèopatre avoit le bout du nez retromTé. Le Prince fit un préfent magnifique a celui qui lui dit cette bonne nouvelle & il fit partir des Amtaüadeurs pour aller dcmander Migno* fie en manage. On la lui accorda', & il fut au devant d'elle plus de trois lieuës, tant il avoit envie de la voir, mais lorsqu'il s'avanc^it pour lui haifer la main, on vit defcendre 1'Enchanteur qui enleva la Princeffe a fes yeux, & le lerdit ineonfolable. Defir réfolut de ne point rentrer dans fon Royaume, qu'il n'eüt retrouvé Mig■none. II ne voulut permettre a aucun de fes courtifans de le fuivre, & étant monté fur un bon cheval, il lui mit la bride fur le coü, & lui laiffa prendre le chemin qu'il voulut, Le cheval «ntra dans une grande plaine , oü il marcha toute la journée fans trouver une feule maifon. Le maïtre & 1'animal mouroient de faim ; enfin fur le foir, il vit une caveire, oü il y avoit de lalumière. II y cnrra, & vit une petite vieilie qui pareilToit avoir plus de cent ans. Elle mit fes luncttes pour regarr'er le piince, mais elle fut longtems fans pouvoir les faire tenir, paree  X. Dialoc (je. § ce que fon nez étoit trop court. L,3 Prince & la fée, ( car c'en étoit une) firentchacun un éclat de rire en fe regardant, & s'écrièrent tous deux en même tems , ah, quel drole de nez! pas fi drole que le vótre, dit Defir a. la fée ; mais, Madame, laiifons nos nez pour ce qu'ils font, & foyez alTez bonne pour me donner quelque chofe a. . manger, car je meurs de faim auiïi bien que mon cheval. De tout mon coeur, lui dit la fée. Quoique votre nez foit ridicule, vous n*en êtes pas moins ie fils du meilleur de mes amis» J'aimois le Roi votre père, comme mon frère ; il avoit le nez fort bien ce Prince. Et que manque-r-il aa mien, dit Defir. Oh ! il n'y manque rien, reprit la fée; au contraire, il n'y a que trop d'étofe; mais n'importe, on peut être fort honnête homme, & avoir le nez trop long. Je vous difiis donc, que j'étois 1'amie de votre père ; il me venoit voir fouvent dans ce tems la, & a oropos de ce tems-la, fayez vous bien que j'étois fort jolie alors, il me le difoit. II faut que je vous conté une converfation que nous eumes enfemble, la derniere A 5 foï*  10 X. DlALOGUE. föis qu'il me vit. Hé! Madame, dit "*'Defir, je Vons éccmterai avec bien du plaifir, quand j'aurai foupé: penfez, s'il vous plait, que je n'ai pas mangé d'aujourd'hui. Le pauvre garcon, dit la fée; il a raifon, je n'y penfois pas. Je vais donc vous donner a fouper, & pendant que vous mangerez, je vous dirai mon hiftoire en quatre paroles, car je n'aime pas les longs difcours. Une langue trop longue eft encore plus infupportable qu'un grand nez, & je me fouviens , quand j'étois jeune, qu'on m'admiroit, paree que je n'étois pas une grande parleufe: on le difoit a la Reine ma mère; car telle que vous me voyez, je fuis la fille d'un grand Roi. Mon père . . . votre père mangeoit quand il avoit faim, lui dit le Prince, en 1'interrompant. Oui, fans doute, lui dit la fée, & vous fouperez auffi tout a 1'heure: je voulois vous dire feulement, que mon père . . . . & moi, je ne veux rien écouter que je n'aie a manger, dit le Prince, qui commencoit a fe mettre en colère. II fe radoucit pourtant, car il avoit befoin de la fée, & lui dit, je fais que Je plaifir que j'aurois en vous écoutant, pour-  X. DlALOGUE. It pourroit me faire oublier ma faim, mais mon cheval qui ne vous enrendra pas, a befoin de prendre quelque nourriture. La fée fe rengorgea a ce compliment, Vous n'attendrez pas davantage, lui dit - elle, en appellant fes domeftiques; vous êtes bien poli, & malgré la grandeur énorme de votre nez, vous êtes fort aimable. Fefle foit de la vieille avec mon nez, dit le Prince en lui même. Qn diroit que ma mère lui a volé P&. tofe qui manque au fien ; fi je n'avois pas befoin de manger, je lahTe* rois la cette babiüarde, qui croit être petite parleufe. II faut être bien fot, pour ne pas connoitre fes défauts: voila ce que c'eft que d'êcre née Prin» ceflè; les flatteuss Pont garée & lui ont perfuadé qu'elle parloit peu, Pen» dant que le Prince penfoit cela, les fervantes mettoient la table, & le Prince admiroit la fée qui leur failbit mille queftions, feulement pour avoir le plaifir de parler; il admiroit fur-tout une femme de chambre, qui, a propos de tout ce qu'elle voyoit, louoit fa niaitrelTe fur fa difcrétion j parbleu , penfoit-il en mangeant . je fuis charmé d'être venu ici. Cet exempie ine fait A 6 voir  12 X. DlALOGUE. voir combien j'ai fait fagement de ne pas écouter les flatteurs. Ces gens-ia nouslouënt éffrontément, nous cachenc nos défauts, & les changent en perfeétions; pour moi je ne ferai jamais leur dupe , je connois mes défauts, Dieu merci. Le pauvre Defir le croyoit bonnement, & ne fentoit pas, que ceux qui avoient loué fon nez , fe moquoient ae lui comme la femme de chambre de la fée fe moquoit d'elle; car le Prince vit qu'elle fe retour-? noit de tems en tems pour rire. Pour lui, il ne dijoit mot, & mangeoit de toutes fes forces. Mon Prince , lui dit la fée, quand il commenca a être ralTafié; tournez vous un peu je vous prie ; votre nez fait une ombre qui m'empêche de voir ce qui eft fur mon affiete. Ah, 9a! parions de votre père ; j'allois a fa Cour dans le tems qu'il «'étoit qu'un petit garcon; mais il y a quarante ans que je luis retirée dans cette folitude. Dites - moi un peu coinment Ton vit a la Cour, a préfent; les Dames aiment elles toujours a cou» rir? de mon tems., on les voyoit le même jour a 1'affemblée, aux fpeclacles, aux promenades, au bal,,.. Que v©«  X. DlALOGUE. 13 votre nez eft long! je ne puis m'accoutumer a le voir. En vérité, Madame , lui répondit Dfier, ceffez de parler de mon nez , il eft comme il eft. que vous importe? j'en fuis con» tent, je ne voudrois pas qu'il füt plus court, chacun 1'a comme il peut. Oh! je vois bien qua cela vous fache, mon pauvre Dtfir, dit la fée, ce n'eft pourtant pas mon intentian; au contraire, je fuis de vos amies & je veux vous rendre fervice ; mais malgré cela, je ne puis m'emoêcher d'être choquée de votre nez: je ferai pourtant en forte, de ne vous en plus parler, je m'efforcerai même de penfer que vous êtes camard, quoiqu'a dire la vérité, il y ait afltz d'étofe dans ce nez, pour en faire trois raifonnables. Defir , qui avoit foupé, s'impatienta tellement des discours fans fin que la fé* faifoit fur fon nez, qu'il fe jetta fur fon cheval, & fortit. II continua fon voyage, & par-tout oü il paffoit, il croyoit que tout le monde étoit fou, paree que tout le monde parloit de fon nez; mais, malgré cela, on 1'avoit fi bien a£coutumé a s'entendre dire que fon nez étoit beau, qu'il ne put jamais A 7 €0!I«  14 X. DlALOGUE. convenir avec lui-même, qu'il fut trop long. La vM'le fée, qui vouloit lui rencire fervice, malgré lui, s'avifa d'enfermer Mignone dans un palais de criftal, & mit ce palais fur le chemin du Prince. Defir transporté de joie, s'efFoica de le calTer; mais il n'en put venir a bout: defespéré, il voulut s'approcher pour parler du moins a la PrincelTe, qui, de fon cöré, approchoit aulTi fa main de ia glacé. II vouloit baifer cette main , mais de quelque cöté qu'il fe tournat, il ne pouvoit y porter la boucbe, paree que fon nez 1'en empêchoit. II s'appercut, pour la première fois, de fon extraordinaire longueur , & le prenant avec fa main pour le rangèr de cöté, il faut avouè'r, dit-il, que mon nez eft trop long. Dans le moment, le palais de criftal tomba par morceaux, & la vieille, qui tenoit Mignone par la main , dit au Prince: avouez que vous m'avez beau* coup d'obligation; j'avois beau vous parler de votre nez, vous n'en audez jamais reconnu le defaut, s'il ne fut devenu un obftacle a ce que vous fouhaitiez. C'eft airfi que Pamour-propre nous cachsles difformités de notrcf ame  X. Dialogüe. 15 & de notre corps. La Raifon a beau chercber a nousles dévoiler; nous n'en convenons qu'au moment, oü ce mcme amour propre les trouve contraires a fes intéréts. Defir, dont le nez étoic devenuun nez ordinaire, profitade eet» te lecon; il épöufa Mignone, & vêcut heureux avec elle, un fort grand nombre d'années. Lady Spirituelle. Vous aviez raifon de dire que ce conté étoit joli; mais, maBonne, efi> il poffible qu'on ne connoiffe pas fes défautsf j'ai toujours bien cru que je n'étois pas belle, & fi on me difoit le contraire, je penferoïs qu'on fe mocque de moi. Madem. Bonne. Votre amour • propre vous a dit que vous n'étiez pas belle ; mais je gage que vous ne croyez pas non plus êcrö laide. Lady  10 X, DlALOGUE, Lady Spirituelle. Quand je me regarde , je me trom ve ïaide, mals on a dit iouvent devant moi, que j'étois-de ces laides qui plaifent ; ainfi, je penfe que je. fuis laide, & aimable en même tems,, Madem. Bonne. Eh bien, ma chère, fi quelque fot flaneur vous difoit que vous êtes jolie, d'abord vous penferiéz qu'il fe moque de vous; mais s'il vous répé*. tok cela plufieurs fois, vous co nmenceriez a le croire, II eft fort aifé d'oublier fes dëfauts, a moins qu'on n'ait une bonne amie qui nous en averthTe. Préfentement répétons nos hiftoires: commencez, Lady Mary. Lady mary. Jacoh aimoit mieux fon fils Jofeph que fes autres enfans, parcequ^il étoit plus honnête homme que fes frères, & pascequ'il étoit fils de fa chère Rachel', mais il fut haï de fes frères par plufiturs motifs. Un jour Jofeph leur vit fai-  X. DlALOGUE. 17 faire une mauvaife aótion, il en arertit fon père Jacoh; ce qui facha fes frères. Un autre jour, il leur die; fai rêvé que nousétions dansun champ, & que nous faifions des gerbes de bied, mais toutes vos gerbes fe font abahTées devant la mienne; j'ai rêvé une autre fois . que le Soleil, la Lune & onze Etoiles fe profternoient devant moi. Quoique-^co^ pen fat que Dieu avoit envoyé cesrêves a Jofeph, il le gronk da pourtant de ce qu'il les racontoit, & lui dit; crois*tu que ta mère, moi & tes frères deviendrons tes ferviteurs? I^es autres enfans de Jacoh énoient donc fort en colère contre Jofeph', & un jour, qu'iis étoient allés bien loin mener leurs troupeaux , ils virent venir Jofeph, que Jacoh avoit envoyé^ pour fa voir comm-nt ils fe portoient, &ils dirent: voici notre réveur, il faut le tuër. Ruben qui n'étoit pas fi méchant que les aurres, dit; ne le tuons pas, mais jottens le dans un grand trou: car Ruben avoit envie dê revenir la nuit pour le tirer de ce trou; mais quand il fut parti, les enfans de Jacoh virent venir des Marchands, 'qui alloient en Egypte, lis tirérent Jofeph de  18 X. DlALOGÜE. de la fofïè, & le vendirent a ces Marchands, pour être efclave. Quand Ruben vint le foir pour (auver Jofeph , il fut bien faché de ne le point tiouver, & il pleura ï mais fes frères prirent la robe de Jofeph , & Païant toute remplie de fang, ils la renvoyèrent a Jacoh , qui crut qu'une béte fauvage avoit dévoré Jofeph , ce qui lui donna beaucoup de chagrin. t Lady Charlotte. Ma Bonne, eft-ce qull faut croire aux rêves? Madem. Bonne, Non, ma chère, c*eft la plus grande fotife du monde. 11 eft vrai que Dieu s'eft fervi quelquefois des reveS pour dé^uvrir fa völonté a fes ferviteurs; mais nous ne fommes pas aflez bonnes pour efpérer de pareilles faveüi s I tailleurs cela eft fort rare, & n'eft arrivé que dans des chofes de la dernière confëquence. Mlft  X. DlfiLOGUE. 10 Mi/s Molly. Ma Bonne, je connois une Da^ge qui explique les rêves de tour. ie monde; elle verfe auffi du caffé fur la table; & puis elle explique ce caffé renverfé, & dit a fes amies tout ce qui leur doit arriver; ceft Milady .... Madem. Bonne. II ne faut jamais nommer les^gensy ma chère , quand on dit d'eux des chofes qui ne font pas bonnes; comme cette Dame eft une fote, il faut bien fe garder de nous dire fon nom» Retenez bien, mes enfuns, qu'il n'y a que Dieu qui connoiffe Pavenir; or il faut être bien fote pour eroire, qu'on obligêra Dieu a le découvrir toutes les fois qu'on répandra une tafle de caffé: une perfonne qui a de Tefprit doit fe moquer de toutes fes fuperftitions. Lady Spirituelle» Mais pourtant, ma Bonne, ce que 1'on '"'explique des rêves arrivé quelqucfois.  30 X, D ia l o G rJE, Madem. Bonne, Oui, par hazard;, une fois en mille; ainfi, c'eft une folie d'être trifte, ou gaie, a caufe a'ün r'ève, Allons! Lady Charlotte , continuez Phiftoire de. Jofeph. Lady Charlotte. Les Marchands, qui avoient acheré; Jofeph, le vendirent a un grand Seigneur tfEgypte. Jofeph , fe voyant efclave, réfolut de feivir fiddlement fon Maitre, qui fe nommon Putiphar, & il gagna PafFeétion de ce Seigneur. Putiphar avoit une tl ès ruéchantë femme, & elle voulut engager Jofeph a trahir fon Maitre : Jofph ne voulut jamais faire cette mauvaife action, & la femme de Putiphar, snragée contre lui, dit a fon mari, qui Jofeph étoit un méchant qui le trahilToit Putiphar, qui ne favoit pas que fa femme étoit unementeufe, fut fort en Cölèré contre Jofeph, & le fit mettre. en prifon; il y demeura longtems: mais le maitre de la prifon, touché dé fa v-ertu, avoit beaucoup d'amitié pour lui, il  X. DrALOGUE 21 ÏI y avoit dans cette prifon deux officiers du Roi Egypte, qui s'appellok Tharaon. L'un étoit ion Echanlon c'eft a - dire, celui qui verfok a boire; 1'autre écoit fon Pannetier, c'eft-èl dire, celui qui lui fourniffoit fon pain. Un jour 1'Eehanfon dit a Jofeph, j'ai rêvé que j'avois de fort beaux raifins je les ai écrafés dans une coupe, & le Roi a bu le jus de„ ces raifins. Jofeph lui dit, ce rêve veut dire, que le Roi vous pardonnera & vous rendra votre Charge: quand vous ièrez retourné a la Cour, je vous prie de parler au Roi pour me faire fortir de prifon; car je fuis innocent. Le Pannetier dit a Jo* feph; &moi, j'ai rêvé, que je portois fur ma tête une corbeille pleine de. gateaux, & que les oifeaux venoient les manger. Jofeph lui répondit: ce rêve veut dire que vous ferez pendu, & que les oifeaux mangeront votre corps* Toutes ces chofes arrivèrent comme Jofeph Pavoit prédit; mais quand 1'J£. chanfon fut a la Cour, il oublia fon ami Jofeph, qui refla en prifon. Madem.  22 X. DïALOGUE. Madem, Bonne. Vous voyez, Mesdames, que Dieu envoyoit ces rêves, & les autres dont nous parierons, pour faire connoitre 1'innocence de jofeph. C'étoit un miracle que Dieu faifoit pour le récompenfer & le rendre heureux; or il ne faut pas croire que Di^u raffe des miracles pour rien ; & qu'il veuille découvrir l'avenir aux hommes, fans nécesfiré: ainü, je vous le répète, c'eft une grande folie de vouloir expliquer les rêves, & celles qui ont de 1'efpric fe moquent de tout ce qu'on leur dit a ce fujet. Lady Sensee. Ma Bonne, je fuis en colère contre 1'Echanfon, qui a oublié le pauvre Jo* feph, qui étoit fon ami. Madem. Bonne, Les gens qui vivent a la Cour n'ont guère d'amitié, ma chère: ils ne font occupés que du defir de plaire au Roi, pour faire leur fortune: ils vous diront quel-  X. DlALOGUE. 23 quelquefois, qu'ils font de vos arms, qu'ils veulent vous rendre fervice; mais, auffitöt que vous ferez fortie de devant eux, ils ne penferont plus k vous; ainfi, il na faut pas croire ce qu'ils promettent , jufqu'a ce qu'on foit alTuré qu'ils ont beaucoup de vertu, & Fon eft fort heureux quand on n'a pas befoin d'eux» Lady Spirituelle. Comment, toutes ces Dames qui vont a la Cour, font des trompeufes? Madem. Bonne. Non, ma chère; tous ceux qui vont k la Cour ne font pas des gens de Cour. On appelle gens de Cour ceux qui ont Pamitié du Prince; qui veulent faire fortune par cette amitié-la; qui font jaloux de tous ceux qui approchent de leur Maitre. Lady Spirituelle. Urne feinble, ii j'étois aimée de Ia Princeffe, 011 de la Reine, s'il y en avoic  24 X. DlALOCUE. avoit une, que cela ne me rendroitpas méchante, & que je ferois charmée de rendre fervice a tout le morde. Madem. Bonne. Vous le croyez, ma chère; mais 1'amitié des ÏMnces change le coeur, & pour corferver un bon coeur a la Ccur, il faut être quatre fois plus yertueufe qu'une autre. Mais revenons a notre hiftoire. Reir.arquez, Mesdames, que Jofeph obéït fidellement a fon Maitre, &a-rhonime qui commandoic dans la prifon, qnoiqu'il ne fut pas né pour être efclave, & que par cette conduite il gagna leur amitié. Lady Mary. Ma Bonne, Jofeph a-t-il toujours refté dans dans* la prifon ? Madem. Bonne. Non, ma chère: Ws£3fo//y va con. tinuër fon hiftoire. Mhf  X DlALOCUE. 2j Misf Molly. Pharaon rêva un jour qu'il voyo't fept belles vaches, qui étoient 11 grasfes, qu'elles faifoient plaifir a regarder. Tout d'un coup, il vit fept vaches, qui éroient 11 maigres, qu'ehes n'avoient que la peau & les os. Ces fept vaches maigres mangèrent les fept grafie*; & le Roi s'érant éveillé, envoya chercher les hommes les plus favans de VEgypte, pour lui expliquer fon rêve , mais ils ne purent pas le faire, paree que Dieu ne leur avoit pas appris ce qu'il vouloit dire. Alors rEchanfon fe fouvint de Jofeph, & dit au Roi, qu'il lui avoit expliqué fon fonge, & celui du Pannetier. On fïc venir Jofeph, qui dit au roi: Sire, les fept vaches grafïès fignifient, que pen» 1 dant fept ans, il y aura beaucoup de I bied; mais après celtems il y aura fept : années, pendant lefquelies il n'y au1 ra point de bied, & ce font les fept ' vaches maigres qui mangeront les grasI fes. Le Roi dit a Jofeph: puisque tu ! as connu le mal, il faut que tu donnés le remède; je te lailfe le maicre de fai:re tout ce que tu voudras dans mon Tom. II, B Roy-  £Ö X. DlALOCUE, Royaume. Alors Jofeph fit batir de grandes maifons, & quand tout le monde eut fa provifon de bied, il achetoit tout ce qui reftoit, & le mit dans les maifons qu'il avoit fait batir; & au bout de fept ans, toutes ces maifons, ou greniers, furent pleines de bied, On ne iavoit pas pourquoi Jofeph faifoit cela; mais on le connut bientöt; car aprés les fept ans, le bied qu'on avoit femé ne vint pas, & les Egyptiens furent obligés d'aller acheter le bied du Roi, dont Jofeph avoit la charge. JPhfraon connut donc la fagefiè de Jofeph, & il le fit le plus grand Seigneur de fon Royaume. Lady Mary. Ah! que je fuis contente de voir le pauvre' Jofeph hors de prifon. Ditesmoi, je vous prie, ma Bonne, n'envoya-t-il point dire a fon père Jacoh, «ju'il étoit encore vivant ? Madem; BoniïE. C'eft ce que nous verrons la première fois; aujourd'hui nous n'avons que  X. DlALOCUE. 27 le tems de répéter notre Géographie. Vous vous fouvenez bien que nous a* vons trouvé cinq grandes parties au Nord de YEurope; il y en a quatre au milieu, dites-les a ces dames, Lady Serifè Cm Lady S e n s i e. A 1'Oueft, on trouve la France^ dont la Capitale eft Paris. A FEft de la France, on trouve YAllemagne, dont la Capitale eft Vienne. Au Nord» Eft de VAllemagne, on trouve la Pologne, dont la Capitale eft Varfovie. Au Sud de la Pologne eft la Hongrie, dont la Capitale eft Bude. Madem. Bonne. Outre ces quatre parties principales óeVAurope, dans le milieu, on trouve trois autres Païs autour de la Fran~ ce; les Païs - Bas au Nord, la Suijè a 1'Eft & ia Savoye aufli a 1'Eft, mais plus du cöté du Sud que la Suiffe, Lady Spirituelle. Quels font proprement les Pais-Bas? B 2 Madem*  28 X. DlALOCUE. Madem. Bonne. Cette étenduë de Païs, qni eft entte la Mer du Nord, la France & YJlkmagne ; appellés ainfi, paree qu'ils font fitués vers la mer, & que le terrein eft plat en la plupart des endroits, & peu élevé en d'autres. On les diftingue en Païs-Bas feptentrionaux, ou Proteftans, & en Païs-Bas méridionaux , ou Catholiques. On donne deux noms aux Païs - Bas feptentrionaux , ou Proteftans; celui de Provinces-Unies; paree qu'ellesv s'unirent enfemble pour ne plus obéïr au Roi d'Efpagne, leur Maitre, qui vouloit les opprimer; & celui de Hollande, eft la principale de ces fept Provinces. Dort en eft la ville capitale. Lady Charlotte. Eft-ce que ces provinces n'ont plus de Roi? Madem. Bonne. Non, ma chère; c'eft une République, c'eft-a-dire, un Etat gouverné par  X. DlALOCUE. 2Q pir plufieurs perfonnes; car, quand il n'y a dans un Etat qu'une feule perJonne qui gouverne , on appelle eet Etat-une Monarchie, Lady Spirituelle. Ne donne t*on pas un autre nom aux Païs- Bas Catholiques? Madem» Bonne. - öui, ma chère, on les appelle aulïl la Fldh'drer dn nom d'une de fes prineipales Provinces. Ce Païs appartient aujourd'nui a trois Souverains au Roi de France.) a la Reine de Hongrie, & aux Etats -Gênèraux: la partie qui appartient au Roi de France , s'appelle \z Flandre Fraupoife; Lille en eft la Ville capitale: la partie qui appartient k la Reine de Hongrie , s'appelle la Flandre Aufrichienne, dont Bruxeiks eft la Capitale: & la partie qui appartient aux Etats -Gènéraux , s'appelle la Flandre Hal'andoifè: vous voyes tout cela diftinctemerit marqué dans la feconde Carte de Flandre de 1'Atlas méthodique. B 3 Lady  X. DlALOCUE. Lady Mary. Et quelle eft la Capitale de la Savoyeï Madem. Bonme. Chambéri. Ce païs eft plein de montagnes, dont les lommets font toujours couverts de neige, & oü 1'on voit des Talons toujours rempüs de glacé: il appartient a un Prince, qu'on nomme le Roi de Sardaigne. Berne eft la Capi* tale de la Suijje, le plus haut païs5 de VEurope. C'èft un Etat des plus libres du monde. II eft compofé de treize Cantons, ou Provinces , & de quelques autres Provinces ailiées, toures independantes les unes des autres; lesqnelles forment une puhTante République. Adieu , Mesdames. Apprenèz bien vos lecons> & je tacherai de vous trouver un conté pour la première fois. VII.  XI, DlALOCUE. 3t XI. D1ALOGÜ E. Neuvième Journée. Lady Spirituele e. Ma Bonne, j'ai tmejolie hiftoire k dire a ces Dames. Ce n'eft pm un conté au moins, cela e(l arrivé a Paris, a une Dame que Maman' connoit, & elle a recu hier une Lettre dans laquelleon lui. écrit cette hiftoire. Madem* Bonne, Je ferai charmée de Pentendre, ausfi bien que ces Dames, Lady Spirituelle. Maman, dans le tems qu'elle étoit k Paris, a connu une Dame qui a une fille, qu'on appelle M idem o' felle JuHe, Cette Mademoifelle Julie, eft la meilleure fille du monde. Elle n'a jamais fait de mal a perfonne, pas même aux bêtes, & elle eft fachée, quand B 4 el*  33 XI. DlALOGtTE. elle voit tuer une mouche. Un jour que Mademoifelle Jutte te promgnoit, elle vit un pauvre chien que de perics garcons trainoient avec une corde , pour le jetter dans la Rivière. Ce pau« vre chien étoit fort laid, & tour. crotté. Julie en eut pitié, & dit a ces petits gai^ons; je vous donnerai unpetit écu, 11 vous voulez me donner ce chien: fa femme de chambre lui dit, que voulez-vous faire de ce chien? il eft vilain. Cela eft vrai, dit Julie, maisil eft malheureux; fije 1'abandonne, perfonne n'en aura pitié. Elle fit laver ce chien, & le mit dans fon carolTe. Tout le monde fe moqua d'elle, quand elle revint a la maifon; mais cela ne Fa pas empêché de garder cette pauvre béte depuis trois ans. 31 y a huit jours qu'elle écoit couchée, & qu'elle commencoit a s'endormir, lorsque fon chien a fau:é fur fon lit, & s'eft mis a ia tirer par la manche; il aboyoit fi fort qu'elle s'eft éveillée, & comme ü y avoit de la lumière dans fa chambre, elle a vu fon chien qui aboyoir, en regardant fous le Ht. Ju» lie aïant peur, courut ouvrir fiiporte, & appeila fes Domeftiques, qui, pp bon-  bonheur, n'étoientpas encore couchés. Mvirirentlfa chambre, & trouvèrent un Voleur caché fous le lic, qui avoit un poignard; &. ce Voleur dit, qu'il auroit tué cette Demoilelle pendant la nuit, pour prendre fes Diamans; ainfi, ion pauvre chien lui a lauvé la vie., Madem. Bonne. Vous aviez raifon-,. ma chère, de nous dire que votre hiftoire étoit fort jolie: il eft certain que la pitié, même pour les animaux, eft la marqué d'un coeur généreux; ma;s j'aime beaucoup cette penfée de votre Demoifelle JuHe. Ce chien n'eft pas beau, mais il eft. malheureux» Tout ce qui eft maU heureux devient reip^&able a une perfónne d'un bon caraffcère ; c'eft par cette raifon, que les honnêtes gens traitent avec douceur les Domeftiques, & les Ouvriers. Lady Mauy. Eft-ce que tous ces gens-la font malheureux V B 5 Madem.  34 XI. DlALOCUE. Madem. Bonne. Mettez - vous a leur place, ma bonne amie. Parexemple, votre Gouvernante, autrefois avoit des Dömeftiques ; elle leur commandoit, ils lui obeïsfoient; mais comme elle eft devenuë pauvre, c'eft elle qui doit obéïr aux autres. Vous fentez bien que cela doit lui faire de la peine. Les autres Dömeftiques, qui n'ont jamais été riches, ne font pas malheureux, s'ils ont de bons Maitres; mais fi on les gronde mal-a-propos, fi on les méprife, fi on leur parle rudement, ils difent en eux-mêmes: que je fuis malheureux ! d'être forcés par la pauvreré de fervir ces méchantes gens qui me maltraitent, qui me parient comme a un efclave, quoiqu'ils foient des créatures de la même nature que moi. Les meilleurs maities ont des caprices, qïït/rendent qqelquefois les Dömeftiques miférables; il'faut donc en avoir pitié. Et puis, ma chère, ces pauvres gens - la ont déja alTez de mal. Votre laquais, votre porteur de chaife, font expofés dans la ruë , a la pluie, au vent, & au froid* pendant que vous êtes bien chaudement * dans  XI. Dialogüe; 3j dans votre carolTe, ou dans votre chaïie. Ils ont mille aatres fujetsde chagrin; il feroit donc bien cruel, de lei r en donner encore davantags. J'en dis aucant de tous ceux qui font obiigés de travailler, pour gagner Ieurvie; ilfaut bien prendre garde de ne pas les rendre. plus malheureux qu'ils ne font Par exemple , vous envoyez chercher un pauvre ouvrier, & quand il eft venu , vous-le faites attendre deux heures, oü bien vous lui faites dire qu'il revienné une autrefois, que vous n'avez pas lé tems de lui parler: vous ne penfez pas que pendant qu'il court, il ne travaille pas, que vous lui faites perdre fon tems; qu'il lera obligé de travailler pendant la nuit,.pour ënir fon ouvrage, fans quoi, il n'aura pas de pain: n'eft-il pas bien cruel de faire toutes ces cho* fes? Laiy Spirtituelle. En vérité, ma Bonne, on ne penfe point a toutes ces chofes; je fais coui rir mon Cordonaier & mon Tailleur, i trois ou quatre jours, avant d'être en i commodité d'eiTayer mon corps, oü B ö mes  36 XL DlALOCUE. mes fouliers ; je pleurerois presque quand j'y penfe. Pour les Domettiques, ma Bonne, ils font fi impertinens qu'on a bien de la peine a avoir pitié d'eux. Madem. Bonne. Ma chère, laplus grande partie da tems, ce font les m^uvais Maitres qui font ies mauvais domefiiques. Vous rie les aimez pas ; ils ne vous aiment l pas non plus; ils vous fervent, paree qu'ils ont befoin de votre argent, mais en même tems, ils mauduTent leur pauvreté, qui les force a vous fervir. Je me fouviendrai toujours, de ce que jyliïady Br. .... difoit a une aimable fille qu'elle a perdue, & qui, fans doute, etit pu, dans la fuite, fervir de modèle a toutes les Dames. Si vous voulez être bien fervie, ma chère, faites en fort e que vos dömeftiques vous fervent avec plaifir, & non par intérét; qu'ils ne penfent pas a rargent que vous leur donneZ) mais a la-douceur qu'ils trouvent a vous fervir. Reprochez - vous, comme un crime, une parole dure a leur égard. Ou'ils connoiffent fur V9tre vi* fa*  XI. Dialocue. a7 fage, S? par vos paroles, que vous êtes obligêe, quand ils font leur devoir, que vous vous intèreffeza leur fortune, h leurs maladies, a leurs chagrins. Si vous fuivez mes confeils, vos dömeftiques vous regarderont comme une m£re 9 ils vous re/peiteront, & aimeront mieux gagner quatre guinèes dans votre maifon, que mit chez un autre. Voila, mes enfans, ce que cette Dame refpe&able diiöit a fa fille, & cette Demoifelte avoit tellement pratiqaé les lec/ms de fa mère, qu'elle étoit adorée de toute fa maifon. Elle difoit toujours, je vous prie, faite cela. Elle les remercioit des petits fervices qu'ils lui rendoient, d'un air doux, content; 65 quand elle étoit obligée de les repren» dre, c'étoit fans gron'der, enforte qu'ils avoient une grande crainte de lui déplaire; & quand elle eft morte, ils étoient aulfi affligés, que s'ils euffent perdu leur enfant. Lady. Spirituelle. Allons! ma Bonne; je veux refiembler a cette Demoilèjle, & être bonne pour mes Dömeftiques : mais j'aurai B 7 de  38 XI. DlALOCUE. de la peine, ear ma Gouvernante me gronde, quand je leur parle. Madem. Bonne. Elle a raifon, ma chère. II faut être bonne avec les Dömeftiques, mais il ne faut pas fe familiarifer avec eux, cela feroit qu'ils vous manqueroient de relpecl;. Lady Charlotte, Qu'eft-ce que fe familiarifer avec les domeftiquss? Madem. Bonnf, C'eft leur parler fans befoin, rire, badiner avec eux, leur demander des nouvelles , leur raconter ce que 1'on a fait. Mi/s Molly. Ma Bonne, Maman fait tout ce que vous dites la, avec fa femme de chambre; elle lui dit tout ce qu'elle fait, & cette femme la gronde quelquefoi^, comme fi elle étoit une petite fille.  XI. DlALOCUE. 39 Madem. Bonne. Premièrement, ma chère, il ne faut jamais rapporter, ce que fait votre Maman , furtout, quand vous croyez que cela n'eft pas bien. Secondement, votre Maman a raifon de faire ce qu'elle fait. II y a vingt ans qu'elle a cette femme de chambre , & elle fait qu'elle 1'aime plus que toutes chofes au monde, & qu'elle a refufé d'aller demeurer chez d'autres Dames, qui lui offroient beaucoup plus d'argent. Quand votre Maman eft malade, cette pauvre femme ne veut pas fecou* cher, elle refte avec la garde. D'ailleurs, elle fait que c'eft une honnête perfonne, qui lui a toujours donné de bons confeils, qui ne Fa jamais flatée; Quand on a le bonheur d'avoir un tel domeftique, il ne faut plus le regar* der que comme un ami, & il faut lui pardonner la liberré qu'il prend, de nous gronder quelquefois, paree qu'on connoit que c'eft par affeclion, & pour notre bien : mais ces fortes de dömeftiques font rares: ainfi, on peut toujours dire en général * qu'il eft dan* gereux de fe familiarifer avec eux» Mais  40 XI. Dialogüs. Mais les dömeftiques m'ont fait oublier une jolie hiftoire, que je voulois vous dire. Nous 1'avons luë hier au foir, Lady Senfèe & moi. EUe va; vous la raconter. Lady Sfnsée. II y avoit un voyageur qui fe per* dit dans une forêt. 11 étoit prefque. nuit, & aïant vü une caverne, il y en» tra pour y attendre le lendemain; mais.un moment après,. il vit venir un lion vers cette caverne. Cet homme eut une grande frayeur, & crut que le lion 1'alloit manger. Celion marchoir fur trois pattes, &, tenoit la quatrième levée en Fair: il s'approcha du voya? geur, & lui montra cette patte, oü il y avoit une grande épine.. L'homme öta 1'épine, & aïant déchiré fon mouchoir de poche il envelopa la patte du lion. Cet animal, pour leremercier, le carelTa comme fi c'eüt été un chien, ne lui fit aucun mal, & le lendemain, l'homme continua fon voyage. Quelques années après, cet homme aïant commis un crime, fut condamné a £tre déchiré par les bêtes fauvages. Lors-  XI. DlALOCUE* 41 Lorsqu'il fut dans un lieu qu'on nommoit YArêne, on fit fortir contre lui un lion furieux, qui d'abord courut a lui pour le öévorer; mais quand il fut proche de cet homme, il s'arrê:a pour le regarder, & 1'aïant reconnu pour celui qui lui avoic öté 1'épine du pied, il s'approcha de lui en remuant la tête & la queuë, pour témoigner le plaifir qu'il avoit de le revoir. L'Empereur fut fort furpris de voir cela, & aïant fait venir eer homme, il lui demanda s'il connoifloit ce lion: le cru minel lui raconta fon hiftoire, & 1'Empereur lui accorda fa grace. Lady Charlotte. Eft - ce que les Empereurs voyoient mourir les criminels, ma Bonne? II me femble que cela étoit bien cruel. Madem. Bonne* Oui, ma chère; mais ce qu'il y a de plus abominable, c'eft que les Dames, & tous les gens de qualité, ailoient voir cet affreux fpeftacle. On couroit comme ai'Opéra, ou a la Come-  42 XI. DlALOGUE. médie. On fe divertilToit auflï h voir combattre des hommes , qu'on nommoit Gladiateurs, & qui, pour de l'argent, fe déchiroient par morceaux. Lady Mary. Te vous allure, ma Bonne, que je fuis charmée de n'être point née parmi ce vilain peuple-ïa. L'autre jour , il y eut deux hommes qui fe battoient devant ma fénêtre, je ne voulus pas les regarder; mais ma fervante me dit qu'elle étoit bien aife paree qu'elle. n'avoit iamais vu cela: depuis ce tems, je ne 1'aime plu?. D'cü vient, eft-cequ'on n'empêche pas ces gens de fe battre? Si j'étois Reine, je les ferois mettre en prifon. Lady Spian uelle. EtmoiaulTu ma chère; maisau-lieu de cela, on les enedur.age> J'en via un l'autre jour en paflant, qui mordit le bras de fon camarade, comme s'il eüt été un chien; j'étois dans le carosfe, & je me mis a crier de toutes mes forces , & a dire des injures a tous ceux  XI. D i a'l o g u Ê, 43 ceux qui étoient la, qui n'em -êchoient pas ces deux hommes de fe battre. Madem. Bonne« Vous avez bien raifon, d'avoir horreur de ces chofes, mes bons enfans. Mais il eft tard; dépechons-nous de dire nos hiftoires. Commencez, Mifs 'Molly. Mifs Molly. Vous favez, Mesdames, que Jacoh avoit beaucoup d'enfans, & un grand nombre de dömeftiques; il rfavoit plus guère de bied pour faire du pain, & aïant appris qu'on en vendoit dans Tfigypte, il dit a fes fils, prenez de 1'argVnt, allez en Egypte, pour acheter du bied. Les'dix enfans de Jacob partirent pour i'Egypte, mais il garda auprès de lui le petit Benjamin. Quand les enfans de Jacob furent devant Jofeph, ils ne le reconnurent pas; mais il les reconnut fort bien , & faifant femblant d'être en colère, il leur dit: vous êtes des espions, vout êtes venus dans ce païs, pour trahir le Roi. Ils lui /  44 Xf. DlALOCUE. lui répondirent, en fe profternant devant lui: Seigneur, [nous ne fommes point des efpions, mais nous fommes frères & enfans du même père; nous avons encore un frère a la maifon, & un autre qui eft mort, il y a longtems. Vous êtes des menteurs, leur die Jofeph, & je ne vous croirai point, a Hioins que vous ne meniez ici ce jeune fiére que vous avez. Alors, les frères de Jofeph, qui ne le reconnoilToientpas, & qui croyoient qu'il n'entendoit pas leur langue , dirent: Dieu nors punit pour avoir tué norre pauvre frère Jofeph, qui n us r- ;oit d'a« voir pitié de lui. Jofeph qui u'avoit pas oublié la langue de fon païs, les entendoit fort bien. & leur dit retournez chez votre père, pour ramener le petit Benjamin; je garderai un de vous dans la prifon, & fi vous ne revenez pas je le terai mourir. Les neuf enfans de Jacob , retournèrent auprès de leur père ; mais ils lurent bien étonnes de retrouver dans leurs. facs Pargent qu'ils avoient donné pour payer le bied; car Jofeph avoit commandé qu'on remit leur argent dans les facs. Cependant, ils racontèrent leur avanture a  XI. DlALOCUE» 4J a leur père, mais Jacob ne vouloit point laillèr aller Benjamin. Quand ils eurent mangé tout leur bied, il falut pourtant retourner, & Judas 1'ainé des enfans de Jacob, lui dit, qu'il lui répondoit de fon jeune frère, & Ja* cob les lailfa partir. Madem. Bonne. Continuez, Lady Mary. Lady mary. Jofeph fut bien charmé, quand il vit fon jeune frère, & aïant fait fortir. Si' méon, qui étoit en prifon, il dit a fon Intendant, de men er ces étrangers dans fa maifon , Eparce qu'il vouloit manger avec eux. Ils eurent peur , quand ils entendirent cela; & dirent a 1'intendant , nous ne favons pas, comment cela s'eft fait, mais nous a« vons trouvé dans nos facs, 1'argent que nous avions donné pour le bied, dans l'autre voyage. L'intendant leur répondit; foyez tranquilles, j'ai recu votre argent, je ne vous demande rien. Quand Jojeph fut venu , il demanda com*  46 XI. DlALOCUE. comment fe portoit Jacob, & regardant fon frère, qui étoit comree lui, fils de Rachel, les larmes lui vinrent aux yeux, & il fe retira un moment. Enfuite, ils fe mirent a table, & Benjaman avoit une portion cinq fois plus groife que les autres. Le lendemain , Jofeph commanda a fon Intendant de leur donner du bied ; mais il lui dit en même tems, de cacher dans le fac de Benjamin une belle coupe d'or, dans laquelle il buvoit. Quand les enfans de Jacob furent un peu éjoignés, le Maitre d'hötel cour ut après, & leur dit; vous êtes des voleurs & des méehans; mon maitre vous a bien recu. dans fa maifon, & pour le récompenfer, vous avez emporté fa coupe d'or. Ils répondirent tous: nous n'avons point fait cette mauvaife aétion, & fi vous trouvez la coupe parmi nous, nous confentons d'être efclaves de votre maitre. Alors ils vuidèrent leur facs, & on trouva la coupe dans le fac de Benjamin. Ils retournèrent auprès de Jofeph, qui leur dit: il n'eft pas juftè que les innocens fouffrent pour le coupable; allez chez votre père, & le voleur fera mon efclave. Judas, fe jet-  XI* DlALOCUE, 47 jettant aux pieds de Jofeph, lui dit; Seigneur, ne vous mettez point en colère, je vous prie: permettez«moid'être votre efclave a k place de Benjamin % car, li mon père nous volt retour n er fans lui, il mourra de chagrin. Jofeph, ne pouvant plus retenir fes pleurs fit fortir tout le monde, & dit a fes frères: je fuis Jofeph votre frère que vous avez vendu; mais je vous le pardonne, n'aïez pas peur. C'eft Dieu qui a permis cela, pour quejepuifle vous donner du pain. Cependant, Pharaon, aïant appris que Jofeph avoit rètrouvé fes frères, en fut trés content, & il lui dit prenez des chariots, & envoyez chercher votre père ; je veux qu'il vienne en Egypte avec fa familie, & je luidonnerai le plus beau païs de toute ItEgypte, pour y demeurer. Enfuite, Jofeph, après avoir beaucoup carefle fes freres , fur-tout Benjamin, leur, fit de grands préfens, & les renvoya chercher leur père Jacob. Madem. Bonne. j Continuez, Lady Chvrïotte. Lady  48 XI. DlALOGUE. Lady Charlotte. Quand les enfans de Jacob futent arrivés, ils dirert a leur père, réjouilTez-vous; votre fils Jofeph n'eft pas morr: il eft devenu grand Seigneur, & c'eft lui qui a le bied de toute PEgypte. Jacob eut bü n de la peine a croire cette bonne nouvelle ; mais quand il tut vu les préfens, il remer. ciaDieu, en plfurant de joie; & partit avec toute fa familie, pour aller revoir fon cber fils. Jofeph , après Pavoir embrafTé , le préfema au Roi, qui lui demanda quel age il avoit. J'ai cent & trente ans répondit Jacob, & les jours de mon voyage fur la terre, ont été courts & facheux. Pharaon donna a Jacob & a fes enfans un fort beau païs, oü il y avoit des paturages pour fes troupeaux, & Jacob y vêcut èncore plufieurs années. Avant de mourir, il prédit a fes enfans tout ce qui leur devoit arriver , & il alTura Judas fon fils, que la couronne vienoroït dans fa maifon, & qu'elle n'en fortiroit jamais. Après fa mort, on tranfporta fon corps au tombeau de fes pères, car il avoit fait jurer a Jofeph de  XI. DlALOCUE. 49 de lui accorder cette fatisfa&ion. Jofeph v£cutun grand nombre d'années, & comme Dieu lui avoit ré velé, que les defeendans de Jacob, qu'on nom* moit Isra'èUtes, fjitiroient un jour de l'Ëgypte, il fit jurer a fes enfans d'emporter les os, pour les mettre auprès de ceux de Jacob, Lady Spirituelle. En vérité, ma Bonne, je n'ai pn m'empêcher de pleurer, en écoutant cette hiftoire; Jofeph étoit bien honnête homme, de faire tant de bien a fes frères , qui 1'avoient traité fi cruellemeut. Madem, Bonne. Quand Jacob fut mort, fes frères eurent peur qu'il ne cherchat a fe venger: mais il les raffüra, & leur dit toujours, que fon efclavage étoit arrivé par la volonté de Dieu, & qu'il leur avoit pardonné de tout fon coeur. Tm. II. C irjs  50 XL DlALOCUE. ■Lady S e n s é e* Pour moi, ma Bonne, fadmire la fagelTe de Dieu, qui fe fert de la ma. lice des hommes, pour fa?re réüffir fes delTeins. Qui eft-ce qui n'auroit pas penfé que Jofeph écoit fort ma'heureux, d'avoir de fi méchans frères , d'êtres vendu comme un efclave, d'être accufé par la femme de Putfphar, d'être mis dans une prifon V Cependant, fi tous ces malheurs n'étoient pas arrivés a Jofeph, il n'auroit pas eu le plaifir de fauver l'Esypte & fa familie , ni de pardonner a fes frères. Lady Charlotte. Eft-ce qu'il y a du plaifir a pardonner a ceux, qui nous ont fait beaucoup de mal ? Madem. Bonne. Oui, ma chère, c'eft le plus grand plaifir qu'il y ait au monde. Jugez-en par vous-même. Je fuppofe que vous foïez fort en colère contre moi, que vous me preniez mon argent, que vous  XI. DlALOCUE. 51 vous m'aïez crevé I'oeil : & qu'aprèj tout ce mal que vous m'auriez fait, je vous trouvaflü dans un bois prête a mouris de faim, & que fe vous donnalfe a manger. N 'eft - il pas vrai, que vous diriez: j'étois bien méchante de faire du mal a cette perfonne, qui eft ü bonne. Lady Charlolle. Vous me faites pleurer, feulement en me difant cela; je vous allure que j'aurois bien du regret de vous avoir caufé tout ce mal? je vous en demanderois pardon, & je t&cherois de vout faire tant de bien, que vous oublieriez toutes mes méchancetès. Madem. Bonne. Ne voyez-vous pas, ma chère, combien je ferois contente de vous voir devenir bonne : cela me feroit beaucoup plus de plaifir, que le mal que j'aurois pu vous faire en me vengeant. C ft Lady  $i XI. Dia logue. Lady S p i r i tnne. Repofez-vous, ma chère, car vous avez fait un grand voyage. Lady Charlotte. It je ne fuis guère fatiguée. Pour la  XII. Dialogüe. 59 , la première fois, j'apprendrai lés noms j de toutes les montagnes de 1'Europe, & de tous les Golphes. Madem* Bonne. Cela fera trés bien, & moi, pour vous récompenfer, je vous dirai un i joli conté. II y avoit une fois une Dame, qui i avoit deux filles. L'ainée, • qui ) nommoit Aurore , étoit belle comme I le jour, & elle avoit un affez bon cali raclère. La feconde, qui fe nommoit [ Aimée, écoit bien auüi belle que fa d foeur, mais elle étoit maligne, & n'aI voit de 1'efprit que pour faire du mal. J La mère avoit éré auffi fort belle, i mais elie commencoit a n'être plus f jeune, & cela lui donnoit beaucoup de I chagrin. Aurore avoit feize ans; & I Aimée n'en avoit que douze; ainfi, la imère qui craignoit de paroitre vieille, [ quitta le païs oü tout le monde la contnoiffoit, & envoya fa fille ainée a la i campagne, parcequ'elle ne vouloit pas | qu'on fut quelle avoit une fille fi agée. i Élle garda la plus jeune auprès d'elle , I & fut dans une autre viile, & elle diC 6 foit  60 XII. DlALOCUE. foit a tout le monde , qu''Aimée n'avoit que dix ans, & qu'elle Pavoit euë avant quinze ans. Cependant, comme elle craignoit qu'on ne découvrit fa tromperie, elle envoya Aurore dans un païs bien-loin, & celui qui la conduiioit la lahTa dans un grand bois, oü elle s'étoit endormie en fe repofant. Quand Aurore fe réveilla, & qu'elle fe vit toute feule dans ce bois, elle fe mit a pleurer. II écoit presque nuir, & s'étant levée, elle chercha a fortir de cette forêt; mais au-lieu de trou ver fon chemin , elle s'égara encore davantage. Enfin, elle vit bien loin une lumïère, & étant allée de ce cöté-la, elle trouva une petite maifon. Aurore frappa a la portê, & une Bergère vint lui ouvrir, & lui demanda ce qu'elle vouloit. Ma bonne mère, lui dit Aurore, je vousprie, par charité, de me donner la permiflion de coueher dans votre maifon, car fi je refte dans le bois, je ferai manpée des loups. De tout mon coeur, "ma belle fille, lui répondit la Bergère:, mais dites moi, pourquoi êtes-vous dans ce bois fi tard? Aurore lui raconta fon hiftoire, & lui dit: ne fuis-je pas bien malheu- reu-  XII. DlALOGUS. 61 reufe a'avoir une mère fi cruelle! ne vaudroit-il pas mieux que je fullè morte en venant au monde, que de vivre pour être ainfi maltraitée! Qu'eft ce que j'ai fait au bon Dieu pour être fi miférable? Ma chère eufant, repliqua la Bergère, il ne faut jamais murmurer contre D.eu; il eft tout - puhTant, il eft fage, il vous aime, & vous de« vez croire qu'il n*a permis votre malheur que pour votre bien. Confiezvous en lui, & mettez vous bien dans la tête, que Dieu prorè^e les bons, & que les chofes facheufes qui leur arrivent, ne font pas des malheurs! demeurezavec moi, je vous fervirai de mère, & je vous aimerai comme ma fille. Aurore confentit a cette propofition, & le lendemain, la Bergère lui dit, je vai vous donner un petit troupeau a conduire , mais j'ai peur que vous ne vous ennuiïez, ma belle fille; ainfi, prenez une quenouille, & vous fillerez, cela vous amufera. Ma mère, répondit Aurore, je fuis une fille de qualité ainfi je ne fais pas travailler. Prenez donc un livre, lui dit la Bergère. Je n'aime pas la lecture, lui répondit Aurore , en rougilTant. C 7 C'eft  6*2 XII. DlALOCUE. C'eft qu'elle étoit honteufe d'avouër x a la Bergère , qu'elle ne favoit pas lire comme il faut. II faiut pourtant avouër la vérité; & elle dit a la Bergère, qu'elle n'avoit jamais voulu apprendre a lire quand elle'étoit petite, & qu'elle n'en avoit pas eu le tems quand elle étoit devenuë grande. Vous aviez donc de grandss affaires, lui dit la Bergère. Oui, ma mère, répondit Aurore. J'allois me promener tous les matins avec mes bonnes amies; après diner je me cocffois, le foir je reftois a notre afTemblée, & puis j'allois au bal. Véritablement, dit la Bergère , vous aviez de grandes occupations, & fans doute, vous ne vous ennuïiez pas. Je vous demande pardon, ma mère, réTxjn&t Aurore. Quand j'étois un quartd'heure toute feule, ce qui m'arrivoit quelquefois, je m'ennuïois a mourir: mais quand nous allions a la campagne, c'étoit bien pire, je pafTois toute la iournée a me coëffer, & a me décoëffer , pour m'amufer. Vous n'étiez donc pas heureufe a la campagne, dit la Bergère. Je ne 1'étois pas a la ville non plus, répondit Aurore. Si je jouois, je perdois mon argent, fi j'étois dans  XII. DlALOCUE. 6% dans une aflemblée , je voyois mes compagnes mieux habillées que moi, & cela me chagrinoit beaucoup ; fi j'allois au bal, je n'étois occupée qu'a chercher des défauts a celles qui danfoient mieux que moi; enfin, je n'ai jamais p.ifie un jour fans avoir du chagrin. Ne vous plaignez donc plus de la Providence, lui die la Bergère: en vous conduifant dans cette folitude , elle vous a öté plus de chagrins que de plaifir; mais cen'eftpas tout, vous auriez été par la fuite encore plus maiheureufe; car enfin, on n'eft pas toujours jeune: le tems du bal & de la comédie paflè; quand on dsvient vieille, & qu'on veut toujours être dans les alTemblées, les jeunes gens fe moquent; d'ailleurs, on ne peut plus danfer, on n'oferoit plus fe coëffèr; il faut donc s'ennuïer a mourir, & être fort malheureufe. Mais, ma Bonne mère, dit Aurore, on ne peut pourtant pas refter feule, la journée paroit longue comme un an, quand on n'a pas compagnie, Je vous demande pardon, ma chère, répondit la Bergère: je fuis feule ici, & les an. nées me paroiflent courtes comme les jours; ü vous voulez, je vous appren- drai  0*4 XII. DlALOCUE. drai le fecret de ne vous ennuïer jamais. Je le veux bien , dit Aurore ; vous pouvez me gouverner comme vous le jugerez a propos, je veux vous obéïr. La Bereère, profitant de la bonne volonté d9 Aurore , lui écrivit fur un papier tout ce qu'elle devoit faire, Toute la journée étoit partagée, entre la prière, la lecture, le travail & la pro. menade II n'y avoit pas d'horloge dans ce bois, & Aurore ne favoit pas quelle heure il étoit, mais la Bergère connoifloit Pheure par le Soleil: elle dit a Aurore de venir diner; ma mère, dit cette belle fille a la Bergère, vous dinez de bonne - heure , il n'y a pas long-tems que nous fommes levées. II eft pourtant deux heures, réprit la Bergère en fouriant, & nous fommes levées depuis cinq heures; mais, ma fille, quand on s'occupe utilement, le tems palTe bien vite, & jamais on ne s'ennuïe. Aurore, charmée de ne plus fentir Fennui, s'appliqua de tout fon coeur a la leclure & au travail; & elle fe trouvoit mille fois plus heureufe, au millieu de fes occupations champêtres, qu'a la viile. Je vois bien, difoit-elle a la Bergère, que Dieu fait tout  XII. DlALOGUE. 65 tout pour notre bien. Si ma mère n'avoit pas é:é injufte & cruelle a mon égard, je ferois reftée dans mon ignorance < & la vanité, 1'oiiiveté , le déiïr de plaire, m'auroient renduë méchante & maiheureufe. 11 y avoit un an qu*Aurore étoit chez la Bergère, lorsque le frère du Roi vint chasfêr dans le bois cü elle gardoit fesmoutons II fe nommoit Ingènu, & c'étoit le meilleur Prince du monde; mais le Roi fon frère , qui ^s'appelloit Fourbin , ne lui relTembloit pas, car il n'avoit de plaifir qu'a tromper les voifins, & & maltraiter fes fujets. Ingènu fut charmé de la beauté Aurore, & lui dit, qu'il fe croiroit fort heureux, fi elle vouloit 1'époufer. Aurore le trouvok fort aimable; mais elle favoit qu'une fille qui eft fage, n'écoute point les hommes qui leur tiennent de pareils discours. Monfieur, dit- elle a Ingénu, fi ce que vous me dites eft vrai, vous irez trou ver ma mè-e, qui eft une bergère; elle demeure dans cette petite maifon que vous voyez tout-Ia bas: fi elle veut bien que vous foiez mon mari, je le voudrai bien auffi; car elle eft fi fage & fi raifonnable, que je ne lui  66 XII. D I A L O G U E. lui défobéïs jamais. Ma belle fille r reprit Ingènu, j'irai de tout mon coeur vous demander a votre mére, mais je ne voudrois pas vous époufer malgré vous: fi elle confent que vous foyez ma femme , cela peut être vous donnera du chagrin , & j'aimerois mieux mourir, que de vous caufèr de la peine. Un homme qui penfe comme cela a de la vertu, dit Aurore, & une fille ne peut être malheureufe avec un homme vertueux. Ingènu quitta Aurore , & fut trouver la Bergère, qui connoiflbit fa vertu, & qui confentit de bon coeur a fon mariage: il lui promit de revenir dans trois jours pour voir Aurore avec elle, & partit le plus content du monde, après lui avoir donné fa bague pour gage. Cependant Aurore avoit beaucoup d'impatience de retourner a la petite maifon; Ingènu lui avoit paru fi aimable, qu'elle craignoit que celle qu'elle appelloit fa mére, ne 1'eüt rebuté; mais la Bergère lui dit: ce n'efl pas paree op?Ingènu eftPrirce, que j'ai confenti a votre manage avec lui; maisparee qu'il eft le plus honnête homme dumonde. Am crcattendoir avec quelque iflipatience ie retour du Prince; mais le ft.  XII. DlALOCUE. 67 fecond jour après fon départ, comme elle ramenoir fon troupeau, elle fe laisfa tomber 11 malheureufement dans un buiffon, qu'elle fedéchira tout le vifage. Elle fe regarda bien vite dans un ruilTeau, & elle fe fit peur; car le fang lui couloit de tous les cótés. Ne fuisje pas bien malheureufe, dit-elle a la Bergère, en rentrant dans la maifon; Ingènu viendra demain jpatin, & il ne m'aimera plus tant il me trouvera horrible. La ,Bergère lui dit en fouriant : puisque le bon Dieu a permis que vous foyez tombée , fans-doute que c'èft pour votre bien ; car vous favez qu'il vous aime, & qu'il fait mieux que vous ce qui vous eft bon. Aurore reconnut fafaute, car c'en eft une de murmurer contre laProvidenee, &ellediten elle-même; fi le Piince Ingènu ne veut plus m'epoufer, paree que je ne fuis plus belle , apparemment que j'aurois été malheureufe avec lui. Cependant la Bergère lui lava le vifage, & lui arracha plufieurs épines, qui éroient enfoncées dedans. Le lendemain matin, Aurore étoit effroyable, car fon vifage étoit horriblement erflé, & on ne lui voyoit pas les yeux. Sur les dix heures du ma*  68 XII. Dia logu matin, on entendit un carolTe s'arrêterdevanc la porte; mais au - iieu tflngé* nn, on en vit defcendre lè Roi Faurbiti.. Un des Courtifahs , qui étqfc a la chaflè avec le Prince, avoit dit au Roi, que fon Frère avoit rencontré la plusbelle fille du monde, & qu'il vculoit 1'époufer. Vous êres bien hardi de vouloirvous marier fans ma permhTion, dit Fourbin a fon frère : pour vous punir, je veux époufer cette fille, fi elle eft auffi belle qu'on le dit. Fourir dans un grand village , & demandèi'ent a coucher par charité, mais peribnne ne voulut les recevoir. Apes avoir frappé a toutes les portes ils furent a une petite cabane , couverte de paille & de feuilles d'arbres: le maitre de cette cabane é» toic un pauvre vieiüard qui vivoit en paix avec Baucis fa femme. Les Dieux les prièrent de leur laiffer palTer la nuit dans leur cabane, & ces bonnes vieilles gens y confentirent de bon coeur. D'abord Phiïétnon pria Baucis de faire chauffer de 1'eau pour laver les pieds de ces éErangers, & la bonne femme, E 5 , pour  töê XIV. DlALOGUE. pour allumer plus vire le feu , cafTa quelques branches de celles qui cou- j vroient leur petite maifon; enfuite elle foufSa le feu avec fa bouche, car elle j n'avoit pas de foufflet. Lorsque l'eau fut chaude , Phiïémon prit un plat de * bois, qui étoit attaché a la muraille avec une cheville & pendant qu'il lavoit les pieds de ces étrangers, Baucis lava la table, & la frota avec de la menthe, pour lui donner une bonne odeur; en' fuite, elle mit un morceau de tuile fous un des pieds de cette table, paree qu'il étoit un peu calTe. II n'y avoit point de chaifes dans cetie pauvre maifon, & il falloit s'afïèoir fur un banc: Baw Cis pour le rendre moins dur, mit desfis un vieux morceau de tapilïêrie; dont elle couvroit fon lit les jours de bonnes fêtes. Elle courut auffi au jardin, & apporta des prunes fur une feuille de vigrae, un peu de miel dans une moitié de plat, car il étoit calTé, & un morceau de fromage. Ils fe mirent tous a table, & Philemon demanda pardon aux étrangers de les recevoir li mal. Tout d'un coup, il fe fouvint qu'il avoit une oye, & réfolut de la tuër pour donner un meilleur foupé a fes  XIV. DlALOGUE. léf jj fes hótes; il fe leva donc avec fa femi me pour attraper i'oye, mais cet ani| mal fe fauvoit tantöt dans un coin, tantöt dans un autre, & les bonnes gens, a force d'avoir couru, étoient tout en fueur» A la fin, 1'oye fe réi! fugia^ entre les jambes de Jupiter, & : ce Dieu dit a Philèmon, & a Baucis: I je fuis content de vorre charité; fuivezi moi fur cette grande montagne. En i même tems il parut environné de lu« f mière auffi bien que Mercure, Lorsqu'ils furent fur la montagne * JupiIj ter leur dit ; regardez derrière vous. I Ils obéirent: & virent qu'il n'y avoit i plus de village, il n'y avoit qa'une | grande quantité d'eau; car Jupiter, i pour punir la dureté des habitans de j ce village, les avoit tous noyé, füfant I venir un lac daas cet endrok; mais au i milieu de ce lac, on voyoit la petite I cabane des vieilies gens, qui avoit été confervée. Comme ils étoient charitables , ils s'affligèrent du malheur de leurs voifms, quoique ces gens ne leur eufTent jamais fait que du mal. Enfuite, jtupiterÏQüv dit; demandez moi une récompenfe, §c ,je vous Paccorderai, Ces bonnes gens confultèrent E 6 un  108 XIV. DlALOGUE. un moment enfemble, après quoi PhiUmon dit a Jupiter ; puisque vous avez Ia bonté de vouloir nous récom* penfer, franfportez notre petite maifon fur cette montagne, changez ]a dans un temple oü vous foïez adoré , que je fois votre prétre, & Baucis votre jprêtreflè, & faites que nous y mourions enlèmble le même jour, afin que je n'aie pas la douleur de pleurer rna chère Baucis, & qu'elle n'ait point de larmes a répandre pour fon fidéle Philèmonm Jupiter accorda une demande fi jufle; la maifon fut changée dans un temple, & les bonnes gens y vêcurent en p.tix plufieurs années. Un jour, qu'ils étoieut aiïis devant la porte du temple, & qu'ils s'entretenoient de 1'amourqu'ils devoienr aux Dieux, Philémon voulut fe lever, mais il s'appercut qu'il n'avoit plus de jambes, & qu'elles étoient changées en arbre. Baucis voulut alier pour le fe* courir; elle connut que le même chan* fement étoit arrivé en elle. Elle dit onc adieu a fon chèr Philémon, il lui paria tant qu'il eutl'ufage de laparole, mais 1'écorce, montant petit- apetit, les enveloppa entièremcnt, & ils de- vin-  XIV. D IA l o g ü e. iop vinrentdeux beaux arbres, qui reftèrent toujours a la porte du temple. Vous voyez bien , Mesdames, qu'aprés ayoir lu cette fable, il n'étoit pas difficile d'expliquer 1'eftampe. Lady Spirituelle. Je vois auffi que Lady Senfèe n'eft jamais fiére de ce qu'elle fait. Si j'en avois dit amant, je ferois toute glorieufe« Madem, Bonne. Cela auroit pu vous arriver il y a deux mois, mais je vous crois corrigée, ma chère. Lady Senfèe a bien raifon de ne pas être glorieufe d'avoir expliqué cette fable: cela prouve qu'elle a de la mémoire, mais cette mémoire, ce n'eli pas elle qui fe 1'efl donnée; c'eft un préfent de Dieu. Lady Spirituelle. Je fais que fa mémoire eft un préfent de Dieu; mais fon application a profiter de fa mémoire mérite des louanges. E 7 . Lady  110 XIV. DlALOGUE, Lady S e n s é e , embrajjant Lady Spirituelle, Vous êtes bien bonne, ma chére amie, de penfer fi bien de moi. Madem. Bonne, J'ai bien du plaifir a voir Lady Spirituclle fi changée: autrefois, ma chère , vous auriez été chagrine & jaloufe de la mémoire & de 1'application de votre compagne; aujourd'hui cela vous fait plaifir, vous en êtes contente: en corrigeant votre orgueil, vous avez chafie la jaloufie, & tous les chaerins qu'elle vous caufoit: vous vous fin tes aimer de vos compagnes qui fouhaitent de vous voir fouvent, paree qu'aulieu de chescher a les mortifier, vousn'êtes occupée qu'a leur dire des chofes agréables. N'eft-il pasvrai, machère, que ■votre coeur efi: mille fois plus content qu'il n'étoit autrefois? Lady Spirituelle. Cela efi: bien vrai, ma Bonne, mais je fais encore bien des fautes. Par e"* xem*  XIV. Dtalogue. in xemple, je n'ai pas encore pardonné a Mylord ..... qui a dit que j'étois une pefte. Madem, Bonne. Comment, ma chère, c'eft l'homme du monde auquei vous avez les plus grandes obligations. Rendez-vous juftice; Mylord avoit raifon : ce n'eft pas par méchancetéqu'ildifoitcela: au contraire, il vous aime, il s'eft fort bien appercu de votre converfion, & il difoit, il y a trois jours , que fi vous continuïez, comme vous avez commencé, vous feriez la plus aimable femme de Londres, Lady Spirituelle. •Ma Bonne, eft ce une faute d'être bien contente de ce que Mylord... a dit ? Madem, Bonne. Non, ma chère. Nous devons chercher a plaire a tout le monde, pourvü que ce foic par nos vertus '7 & rien n'eft  112 XIV. DlALOGUE. n'eft fi mal que eb dire, je ne me foucie pas qu'on me méprile.. Lady Charlotte. j'ai dit certe fotife-la, b'en des fois; mais, ma Bonne, je ne le penfois pas; c'écoit par dépit & par rage que je difois cela, & pour donner du chagrin a ma gouvernante & a mes foeurs. Madem. Bonne. Vous preniez la une belle vengeance: c'eft comme fi vous mettiez le feu a une belle maifon que vous auriez, pour brul er Pécurie de votre voifin, qui feroit a cöté; mais ne pari ons plus de cela, puisque vous vous êtes corrigée. Nous alloiis a préfent répéter nos hiftoires. Lady Mart. Ma Bonne, je vous prie auparavant, de m'expliquer deux mots que je n'entends pas. Qu'efi: - ce qu'un Héte? Queil-ce qu'un Lac% Madem  XIV* DlALOGUE, II3 Madem. Bonne. Ce mot tfHóte a deux fignificatiöns. Quelquefois, il veut dire une perfonne chez laquelle on loge & 1'on mange. Ainfi, le maitre d'une Auberge s'appelle un Ho te, & fa femme une Hot esfe. Quelquefois aufiij il veut dire des perfonnes qui viennent manger & coucher chez nous; comme dans la fable de Philémon & Baucis: Jupiter & Mer» cure étoient leurs hötes. Lady Senfèe va vous dire ce que c'eft: qu'un Lac , & en même tems, elle vous dira la différence qu'il y a entre les Mers, les Rivieres, les Fieuves & les Lacs. Lady S e n s e e, Une Mer, c'eft une grande quantité d'eaux qui ne fortent point de leur place , & qui ne coulent point comme les Rivières. Lady Mary. Eft-ce que les Rivières coulent? Madem»  114 XIV. DlALOGUE. Madem. Bonne, Oui , ma chère, elles coulent ou marchent toujours; mertez vous fur le pont de Weflminfier, vous verrez que 1'eau ne fe tient point tranquille , & qu'elle va toujours du cöté du pont de Lottdres. Mifs Molly. Dites-moi je vous prie, d'oü vienaent les Rivières? Madem, BoNNK. Elles fortent ordinairement des Montagnes. La Rivière coule ftns celfe, julqu'a ce qu'elle trouve une autre Rivière oü elle fe perd. Mais ïï elle ne rencontre point de Rivière dans fon che. min, & qu'elle aille jufquè la Mer, alors on la nomme un Fleuve. Un Fleuve efi: donc une grande Rivière, qui ordinairement porte fon nom jusqu'a la Mer, Lady  XIV. DlALOGUE. 115 Lady Charlotte. Je n'entends pasbiencela, ma Bonne. Madem. Bonne. Vous le • comprendrez en regardant une Carce. Voyez-vous cette grande Rivière qu'on appelle le Rhone; voila plufieurs autres Rivières qui viennent ie perdre chez elle. En voila furrout deux grandes, la Saone&l'Ifere. Quand Ia Saónc & Vlfere ont attrappé le Rhone, il n'y a plus de Saone ni d'Ifere, mais feulement le Rhone , qui court encore fort long - tems, & puis va fe jeter dans la Mer. Quand le Rhone arrivé a la Mer, on le nom me encore le Rhone; c'eft, donc un Fleuve, paree qu'il garde fon nom jufqu'a la Mer. Je dis que cela arrivé ordinairement, mais pas toujours, Car le Rhin, qui coule a POuefi de VAïïewagne, ne va pas jufqu'a la Mer, mais il fe perd dans les fables. Voyez aux pages 57. ë?<8. duTome I. de Ia Nouv. Introd. a la Géographie Moderne, vous y trouverez les principales Rivières de PEurope.- Lady Senfèe, dites nous ce que  HÓ" XIV. DlALOGUE. que c'eft qu'un Lac, & combien il y a de grands Lacs en Europe. Lady Sensée. Un Lac, eft comme une petite Mer; par fes eaux ne coulent pas. Ii y en a deux dans la Moscovie. Le Lac Oné* ga, & le Lac Ladoga. Un au Nord» efi de la Suijfe, qu'on appelle leLac de Conflance, & un proche de Genève qu'on appelle le Lac de Genève: le Fleuve du Rhone, paffa a travers ce dernier Lac. Madem. Bonnf, Cela fera notre lecon de Géographie aujourd'hui: Lady Mary, dites-nous votre hiftoire. Lady Mary, Lorsque Moïfe & les Israëlites entrèrent dans le défert, le Seigneur ordonna a fon Ange de les conduire. Le jour il marchoit devant eux dans une nuée, & la nuit dans une colonne de feu qui les éclairoit. Cependant Pha- ra»  XIV. DlALOGUE. 117 u raon eut regret d'avoir lahTé partir ce peuple qui travailloit pour lui; & aïant \ aflemblé une grande armée, il courut | après lui. Quand les Israëlites virent les I Egyptiens ils eurent une grande peur, & 1 ils dirent a Moïfe: pourquoi nous avezp vous amenés dans ce défert,pour ypérir tout d'un coup? Si falloit nous laifïèr dans P Egypte, aviez- vous peur qu'il y manquat de la terre pour nous y mettre après notre mort ? Moïfe les exhorta a ! mettre leur confiance en Dieu, & il pria le Seigneur d'avoir pitié de fon ; peuple. En même tems, i'Ange qui ; étoit devanr les Israëlites, paffa derriè» re, & fe mit entre eux & les Egyptiens» Du cöté des Israëlites. il faifoit jour, ï car la colonne de feu les éclairoit; w mais du cöté des Egyptiens, il n'y a1 voit qu'une nuée, ainfi il ne voyoient ;| pas les Israëlites: car cette nuée étoit ; comme un grand brouillard. Alors , Moïfe, par ordre du Seigneur, leva fa i baguette fur la Mer - Rouge, & auüïtöt m cette Mer s'ouvrit en deux; enfort'e : que 1'eau étoit en 1'air des deux cö:és, «: comme une montagne, & qu'on pon1 voitpaflkr, fans fe mouilier, au milieu 1 de cette Mer. Pendant toute la Huik les  H8 XIV. Dialocue. les Israëlites pafte rent, & les Egyptiens crurent qu'ils pouvoienr pafter aprés eux: mais quand ils furent tous dans la Mer avec Pharaon leur Roi, les eaux qui étoient en 1'air revinrent a leur place, & tous les Egyptiens furent noyés fans qu'il s'enYauvat un feul. Alors Moïfe, Aaron. & leur foeur Marie, chantèrent avec le peuple un Cantique de louange au Seigneur, qui les avoit fauvés des mains de leurs ennemis. Madem Bonnf. Continuez, Lady Charlotte. Lady Charlotte, Les Israëlites arrivèrent dans un lieu oü les eaux étoient f] amè'es, qu'il n'étoit pas pofiible d'en boire. Ils recommencèrent a murrrur r contre Moi» fe, mais ce fainr homme, Ans fe rebuter de leur ingraritu.ie , pria le Seigneur. Dieu lui co.nmanda de ietter dans ces eaux d'un certain bois, & au même tems elles devinrent douces, Enfuite les Israëlites entrèient dans un grand  XIV. DlALOGUE. 119 I grand défert oü il n'y avoit rien a manger, & ils murmurèrent encore, en clifant: pourquoi nous as-tu tirés d'£' gypte, oü nous étions afïïs auprès des marmites pleines de viandes ? C'eft pour nous faire mourir de faim, que tu nous as ménés dans ce défert. Mot* fe pria le Seigneur, qui fit tomber fur la terre une grande rofée, & fur cette rofée de petits grains comme de la grêle. Alors Motje dit au peuple, voi- Iei le pain que Dieu vous envoye: qu'on en ramaffe une mefure pour chaque perfonne, mais il ne faut pas en garder pour le lendemain. Le peuple , Lqui n'avoit rien vu comme ces petits grains, les appella Manne1, & ils avoient le goüt de baignets cuits dans le miel. Chacun fe dépêcha d'en ramasfer; mais il y en eut quelques uns qui idéfobéïrent a Moïfe & qui en gardè! rent pour le lendemain: ils furent bien lattrappés quand ils la voulurent manger .le matin; car elle fentoit mauvais, |& étoit pleine de vers. Cependant \ Moïfe dit au peuple de la part de Dieu: Ivous ramafferez chacun une mefure de Manne pendant cinq jours, mais le fixième jour, vous en ramalTerez deux me*  120 XIV. DlALOGUE. mefüres; celle-la fe confervera bonne & fraiche pour le lendemain , car il n'en tombera pas le feptième jour Ce feptième jour fera confacré au Seig^ neur, & il ne fera pas permis de travailler ce jour-la. Les chofes arrivèrent comme Moïfe les avoit predites, & la Mamie qui fe gatoit du jour au lendemain, pendant toute la femaine, lè conferva bonne le jour du Seigneur, & ce feptième jour fut appel ié Sabach. Moïfe commanda auffi a Aaron de ramaffer une mefure de cette Mannc, & de la garder comme un témoigrage du miracle que Dieu avoit fait pour les Israëlites, qui en mangèrent pendant quarante ans; mais les pareffeux, qui n'aimoient pas a fe lever matin , en manquoient, car la Manne fe fondoit au foleil; ainfi, il falloit fe dépècher de la relever. Madem. Bonne. C'eft votre tour., Mifs Molly* Mifs Molly. Les Israëlites, étant allés dans un autre  x1v. D i a l o e u é; 121 ihtre endroic, manquèrent d'eau; & oubliant tous les miracles que Dieu avoit fait pour eux, ils direnr a Moïfe: pourquoi nous as tu tirés Egypte, & -nous as tu menés ici pour y mourir de foif avec nos families & nos troupeaux v Moïfe leur répondit, ce n'eft pas contre moi que vous murmurez, mais contre Dieu; toute fois, je vais ile prier qu'il vous donne de 1'eau. Afilors Moïfe, par 1'ordre du Seigneür^ Ijfrappa un Rocher avec fa baguette, & Hil en fortit une grande quantité d'eau» lEnfuite , il y eut un Roi, nommé tAmalec, qui vint avec une grande arjmée, pour tuër les Israëlites. Moïfe «commanda a Jofuè de choifir des foU jdars parmi le peuple & d'aller combatjtre Amalec. Pendant la bataille, Moi* \\fe, Aaron, & Hur, montèrent fur ia Montagne, & Moïfe levoit les mains au ciel en priant le Seigneur, mais (comme il avoit les bras fatigués, il fut l obligé de les baifièr. Or, les Israëli* tes, qui avoient été vainqueurs pendant que Moife avoit les mains élevées, furent battus aulfifót qu'il les eut abaisfées. Quïfcl il vit cela-, il s'afïït fur krie pierre; & Aaron & Hur lui fe» Tom* II. F noienc  122 XIV. Dl al o-c uk. noient chscun un bras, & les AmaU* cites , luiers tfjimalec, furent contraints de s'enfuir; & Dieu déclara ure guerre éternelle aux AmalècHes, & ccmmsnda a Matje d'écrire toutes .ces chofes. Lady Spirtitüelle. Ma Eorne, toutes ces hiftoires font■elles bien vraies? Eiies font fi furprenautes, qu'on a bien de la peine a les croire. Madem. Bom me. Vous oubliez, ma chère, qise tien n'eft impoffible a Dieu. Lady Spirituelle. Je le Sus, ma Bonne. Mais n'eft-il pas vrai, que Moïfe pourroir fort bien avoir éciït des chofes qui ne iëroient pas vraies. Je ne dis que cela loit1 faux; mais je vous prie feukmentdel me dire, comment en peut s'affurer que eela eft viai. Madem* \  XIV. Dialocüe. 123 Madem. Bonne. Je le ferai de tout mon coeur, ma Ichère: je fuis bien aife de voir que lyous écoutiez comme une perfonne fraifonnable, & que vous veuilliez des Ipreuves: c'eft le moyen de n'être ja.* Wais trompée Nous favons que Dieu Ipeut faire des miracles , & nous vouttons favoir s'il a fait ceux que Moïfi rtè écrits. N'eft*ce pas cela que vous jme demandez ? v Lady Spirituelle. Oui, ma Bonne. Madem. Bonne. Si Moïfe avoit écrit des menfönges, les Israëlites, qui n'étoient pas com» plaifans , lui auroient donné un démenti, & lui auroient dit: pourquoi dites-vous que nous avons pafte la fMer- Rouge, que nous avons mangé ilde la Manne qui tomboit du ciel? ^Pourquoi dites vous que cette Manne Ine pouvoit fe conferver du jour au lenidemain pendant cinq jours, & qu'elle Fa fe  vj24 xiv. DralocüË. fe confervoit le fixième ? Pourquoi dites-vous que vous avez fait fortir de Peau d'un Roch&r ? Nous fommes trois eens mille hommes qui aurions vu ces chofes, fi elles étoient vraies. Allez, vous êtes un effronté menteur , vous ne méritez pas qu'on vous écoute. Si on mettoit fur les papiers de nouvelles, qu'il a tombé hier une pluie de feu fur toute la ville de Londresi n'eftil pas vrai, que vous diriez, l'homme qui a écrit ce papier eft un effronté menteur? Si cela étoit vrai, nousl'aurions vu. N'eft-il pas vrai que dans les papiers qui paroitront demain, on ie moqueroit de cet homme ? Lady Mary. Sans - doute, ma Bonne. Madem, Bonne. Mais fi cet homme vous difoit enfuite: vous favez que c'eft moi qui ai 'fait tomber ce feu; ainfi, je fuis bien puiffant, vous devez m'obéïr; que lui répondriez vous? Lady  XIV. D I A L O G ü E. 12 ƒ Lady MARY. Jè lui dirois, vous êtes un extrava-gant, au-lieu de vous obé-ir, il fau* droit vous envoyer a Bedlam avec les foux* Madem. Bonne. Eh bien ! ma chère , les Israelttei n'ont pas répondu cela a Moïfe» Pourquoi? C'eft qu'ils avoient vu ies mira- jeles que Dieu avoit faits, & dont Mot- \fi leur parloit. Lady Sensée. Permettez-moi, ma Bonne, de faire auffi une réflexion. Si Moïfe aVoit écrit une hiftoire faite a plaifir, il me femble qu'il n'auroit pas mis dans cette hiftoire ce qui lui arriva, quand il vit cebuiftbn tout en feu, qui ne brü* loit point. Moïfe ne montra pas beaueoup de courage alors, il s'excufa plu* fieursfois, & répétoit toujours, qu'il avoit de la peine a parler. II me femble, s'il n'avoit pas voulu écrire la vérité, qu'il eut dit; Wabord que Dieu w'eut p*rlè9 je n'eus pas de peurr & F 3 je- \fe leur parloit.  12€ XIV. DlALOGUE. je dis: firai dèlivrer Ie peuple & je ne crains pas Pharaon. Madem. Bonne. Votre remarque elf excellente, ma chère. Quand un homme écrit une hi-i iloire, & qu'il avoue les fottifes qu'il $ faites, on peut ju^er hardiment que cet homme dit la vérité; car s'il étoit; un menteur, ilmentiroit a Ion avantage, & pour dire du bien de lui: vous i verrez par la fuite qa'il continue d'a« < vouër fes fautes. Lady Spirituelle. J'ai pourtant entendu un gentil - hom- < me qui difoit, que Moïfe étoit un : mal- bonnëte homme, & qu'il n'a ja* i mais fait de miracle. II difoit encore i que la Mer-Rouge fe retire de tems en tems fans miracle,- & que MeïTe qui favoitcela, avoit pris ce tems pour la paifcr. Madem. Bonne. II falloit donc qu'il fut bien adroit pour !  XIV. DlALOGUE, 127 • pour faire durer le paflage des Israëlites juftement jufqu'au tems oü la Mar deivoit revenir a fa place, afin de faire noyerles Egyptiens. II falloit eir- =re : que les Egyptiens' fufljnt de grands W l gnorans; car enfin ils ne demeurolent pas loin de la Mer-Rouge: fi cetteI Mer fe retiroit de tems en tems, oa : devoit favoir cela en Egypte , & ils ; n'auroient eu garde d'entrer dans cette i Mer, qu'ils favoient bien devoir les 1 noyer. Si jamais vou^ voyez cet tra* I pertinent gentil - homme. dites-lui ce« l la. Demandez lui encore, s'il fait : quelque lecret pour emnêcher le beurre i de fondre auprès du feu; il vous dira i que non. Dites-lui que le feptième j jour de Ja femaine, le feu ne fond pas I le beurre, il fe m >quera de vous, & 1 dira que les jours n'y font rien; que ce beurre doit fondre paree que c'eft fa : nature de fondre; vous lui repondrez alors: eh bien! Monfieur , la nature 1 de la Manne étoit de fe gèter:; les jours ne faifoient rien a cela., & püisqu'elle fe confervoit le jour du Sabath, il : falloit que ce fut un miracle, comme ce feroit un miracle fi le beurre ne fe fondoit pas au feu le feptième jour. F 4 Mifs  123 XIV. Dialogee, Mis/ Molly. Pour moi, ma Bonne, je penfe que: les Israëlites étoient bien inprats de murmurer fans ceffe contre Moïfe, qui i leur avoit obtenudefi graudes graces,, en priant le Seigneur pour eux. Madem, Bonne. Cela eft vrai, ma chère; mais nous i fommes auffi ingrats que ce peuplepuisque nous défobéïiTons a Dieu, malgre les miracles que r.ous voyons tous les jours. Lady Charlotte. Mais, je n'ai jamais vu de. miracle. Madem. Bonne. Ouvrez les yeux, ma chère, & re* gardez le Soleil, laLune, lesEtoiies: regardez la Terre & la Mer: re gardezvous, vous.méme. Nous fommes env.'ronnés de miracles auxquels nous ne penfons pas, paree que nous les voyons tous les jours. Ce Soleil qui éclai- | - re !  XIV. DlALOGUE. 129 re les hommes depuis le commence* ;ment du Monde, eft précifement pla* eé comme il faut, pour nous être uti* le. S'il étoit plus haut, il ne pourroit ipas échauffer la Terre. S'il étoit plus bas, il la bruleroit, & nous auffi.. •In'eft-ce pas un miracle qu'il refte 'toujours a la même hauteur depuis fi s long-tems? Lady Sensee. J'ai ouï dire qu'il y a un païs, d'oiV 1 le Soleil eft bien plus proche que de / nous &- oü il fait une chaleur infup. i portable. Madem. Bonne^ G'eft dans 1'^Afrique, dans le milieu de VAmèrique & au Sud de YAfie; mais cette chaleur n'eft pas infupportable, puisqu'il y a de gens dans ce païs qui la fupportent. C'eft- encore un miracle que Dieu qui avoit deftiné des gens i a vivre dans ces païs chauds, leur s> donné- des corps capables de fouffrir fcette chaleur ^ auffi, ceux qui naiflèns s dans VAfrïaut^ fansVAmériguey aux F 5 öö*  130 XIV. DlALOGUE. endroits cü il fait fi chaud, fe portent bien ; mais les étrangers y tombent malades. Je pourrois vous parler pendant toute ma vie des miracles que Dieu fait a chaque inflant pour les hommes, & ma vie feroit trop courte, tant il y en a une fi grande quantité, Mais je ne veux vous en faire remarquer qu'un aujourd'hui, car il efi tard, Voyez-vous, fur la carte dCAfrique ce païs qu'on appelle Egypte: il y rait fort chaud; cependant il n'y pieut jamais, ou du moins trés-rarement. Lady Spirituelle. Comment donc ces pauvres gens peuvent ils vivre ? car fans la pluie il ne viendroit rien fur la terre; ni bied, ni herbe, ni choux, ni falade, ni fruits, &c. Madem. Bonne. Cela eft vrai, ma chère. Cependant VEgypte efi un païs, oü 1'on trouve toutes ces chofes. Dieu, qui ne vou« loit pas qu'il plüt dnns ce païs, y a placé ce grand fleuve que vous voyez, Qu'on nomme le «ZV/7. Tous les ans il fort  XIV. DlALOCUE. f$t 1 fort de fa place, & va couvrir toutes \ les terres tfEgypte, pendant plufieurs i mois; & ce qu'il y a d'admirable, c'eft i que les eaux du Nilportent avec elles i fur les terres une bouë, ou limon, qui i les rendent plus propres a porter d'ex' cellen tes chofes. Or je vous de mande, imes enfans, fi ce n'elt pas la un grand |miracle? Si la Tamife fe débordoit & i couvroit YAngleterre pendant plufi- ejrs mois, chaque année, la terre fis» i roit noyée, paree qu'il pleut affez pour la rendre ferrile, & lui donner toute ; ï'eau dont elle a befoin. 11 n'y a que \YEgypte oü il ne pleut pas, paree que |e Nil efi fuffifant pour lui donner de il'eau: cela eft admirable. Lady Mary. Mais, ma Bonne, quand les eaux ,du Nil fe répaudent daas VEgypte, ijelles doivent remplir toutes les villes. Madem. Bonne» Non, ma chère; car on a bati les 'ijvilles dans des lieux élevés, & 1'on a fait des ponts qui mènent d'une viile F 6 k  13a XIV. DlALOGUE. i une autre. Adieu , Mesdames, fe me fuis amufée a vous pailer; il elt bien tard. Lady Mary. J'ai mille chofes a vous demander^ ma Bonne, & ce fera pour la premiere fois. XV. DlALOGUE» Dixième Journée. Lady Mary. Ma Bonne-, j'ai beaucoup de chofes a vous demander aujourd'hui^, fi vous voulez me le permettre. Madem» Bonne. De tout mon coeur, ma chère. Lady Mary. Je voudrois bien favoir d'oü^ viem? la pluie ? Madem.  Ji V. DlALOGUE. I$3 Madem. Bonnev Des mers, des rivières &-de toutes les eaux qui font fur la terre,. Lady, Mary.~ Vous vous moquea de moi , rna Bonne:. comment eft-ce que 1'eau qui eft dans la mer & les rivières peut monter au ciel? Madem. Bonne, découvrant It Téakettle (<*)• Comment Peau, qui eft dans ce Téakettle , a-t-elle monté au couvert? vous voyez qu'il en eft tout plein, quoique ce chaudron ne foit pas motié remplï. Quand,l'eau commence a .chauffer , & furtout a boulllir, vous voyez qu'elle prodait de la fumée: eh bien! ce qui vous paroit de la fumée, c'eft la partie la plus délicate de 1'eau, qu'on appelle vapeur, & qui eft fort fubtile. Or la chaleur du Soleil attireperpétuellement les O) Chaudron couvert dans leqael on fait feouil^ir Te au pour le thé^ " F 7  134 DlALOGUE. les parties de 1'eau les plus délicates, elles s'élèvent dans 1'air en vapeurs, & 1'air les foutient, quand il n'y en a guère; mais quand il y en a une grande quantité, 1'air ne peut plus les fupporter; 1'eau crève 1'air, & retombe fur la terre en pluie. Lady. Spirituelle. Mais, ma Bonne, je ne croyois pas que 1'air put foutenir quelque chofe, 1'air eft comme rien , car j'ai beau regarder autour de moi, je ne le vois pas. Madem. Bonne. Ce n'eft pas la faute de 1'air, ma chère, mais celle de vos yeux, qui ne font pas affez bons pour le voir. II y a bien des chofes que nous ne voyons pas, & qui font pourtant. Par exemple, voyez-vous une grande pouffière dans cette chambre? Lady Spirituell. Non, ma Bonne je ne vois pas de pouffière j mais c'eft qu'il n'y en a pas. Madem»  XV. DlALOGUE, I35 Madem. Bonne, Levez-vous, ma chère, & allez regarder au bout de la chambre dans 1'endroit oü il fait du foleil, & vous verrez s'il n'y a pas de pouffière. Lady Spirituelle. Oui, ma Bonne; il y a un grand nomnombre de petites chofes qui remuent toujours. Madem. Bonne» Ces petites chofes fe nomment des Atomes; tout 1'air en eft plein: mais les parties de 1'air font beaucoup plus fines & plus petites, c'eft pour cela que vous ne les voyez pas. Lady Charlotte. Je voudrois bien voir 1'air; de quelle couleur eft-il? Misf MotLY, en riant. Eft-ce que 1'air, donc les partie* font  t$6 XV. DlALOGUE. font fi petites, peut avoir une couleur?' Madem» Bonne. ©ui, mes enfans, levez lesyeux au ciei, de quelle couleur eft»UV Lady Mary»' 14 eft bleu. Madem. Bonne. Eh bien! ma chère, ce que vous ap«* pellez le ciel, c'eft 1'air qui fe raftèm. bic & qui fe prefle la haut. Vous ne voyez pas les Atomes a 1'endroir oü il ne fait pas de foleil, paree qu'ils font trop éloignés les uns des autres, & trop petits; mais je vais en faire venir une plus grande quantité ; ils feront alors plus- prefïes , & vous les verrez {La Bonne prend un balai, £f balaie tu Chambre').. Lady Spirituelle, Ah , ma Bonne ! quelle pouffière, je ne vois plus-clair, elle m'aveugle. MuleiVn-  X V. D l aloguE, Ï3y Madem» Bonne. Vous voyez pourtant la pouffière ou les Atomes, car c'eft la même chofe, paree que j'en ai fait lever une grande quantité, &que tous- ces grains de pousfière fe touchent: de même, vous ne voyez pas 1'air qui vous environne , paree que fes parties ne font pas preffées ies unes contre les autres: mais les parties de 1'air fe raflèmblent la haut, & alors vous les voyez. Je vais vous faire comprendre cela, par un exemple, en verfant du vin du Porto dans un verre. Vous voyez qu'il eft bien rouge; j'en vais prendre une goute avec mon doigt, & la jetter fur mon mouchoir; regardez, mes enfans, ce vin qui eft fur mon mouchoir, il n'eft pas fi rouge que le vin qui eft dans le verre, paree que dans le verre, il y a uneplus grande quantité de parties, & qu'elles font plus prelTées , plus jointes enfemble que fur mon mouchoir. Voyez auffi cette éguilléedefoie rouge, èlle paroit moins rouge toute feule que dans 1'écheveau, & cela par la même raifon* Lady  *33 XV. DlALOGUE. Lady Spirituelle. Eh bien! ma Bonne , je luppofe que 3'air eft un corps, compofe d'un grand nombre de petites parties qui font bleuës; mais je neconcois nas que ce corps dont les parties font fi foibles, puiffe foutenir 1'eau, qui eft plus péfénre; puisque fes parties font aiTez grolfes^ pour que je les voie, Madem. Bonne. Comment donc, Lady Spirituelle ; vous allez devenir Pnyficienne. Un oifeau eft plus lourd que 1'air, cependant 1'air le foutient bien. N'avezvous jamais été dans un jardin, aprés une grande pluie? Lady Spirituelle. Oui, ma Bonne. Madem. Bonne. N'avez vous point remarqné, qu'il pend des gouttes d'eau a tous les bouts des petites branches, ou des feuilles^ Lady  XV. DlALOGUE. 139 Lady Spirituelle. Oui, ma Bonne, &jem'arrêta toujours a les regarder, furtout quand le Soleil donne diffus, & cela me paroit comme des diamans qui font a toutes les feuilles. Madem» Bonne. Qu'eft'Ce qui foutient tous ce dia» mans au bout de ces feuilles? C'eft 1'air, qui par conféquent eft plus lourd qu'elles; mais a la fin, la petite boute d'eau groifit , paree que le refte de 1'eau, qui eft fur la feuille, ou la branche fe joint avec la petite boule, alors cette petite boule devient plus lourde que 1'air, elle le crève, & tombe a terre. Lady Spirituelle. Je comprends fort bien cela a préfent. L'eau, fans doute, eft plus lourde que 1'air, quand il y a une égale quantité d'eau & d'ain ma?s cela n'empêche pas qu'une grande quantité d'air ne puiflè porter une petite quantité d'eau^  HO XV. DlALOCUE. C eft comme ce vaiffeaudont vous hou* parhez il y a quelque tems: le vaifteau par lui - même eft plus péfant que 1'eau mais pourtant i! y aune li grande quani tité d eau fous le vahTeau qu'elle le por* te & le foutient.. Madem. Bonne. Juftement, ma chère. Lady Ma r Mais, ma Bonne, vous avez dit que Lady Spirituelle alloit devenir Phyficienne: eft-ce que les Dames doivent favoir cette fcience? je croyois qu'il n'y avoit que les docteurs. Madem. Bonne. Ma chère, en anglois, un homme qui suént les malades , s'appelle un Dofteur Pbyftcien; mais ce n'eft pas la meme chofe en francoiss on appelle cet homme un Medtcin. En anglois un lemède s'appelle phyfique, & en fraticois, une médicine. Le mot de Phylique en.francois, veut dire une fci-  XV. DlALOGÜE. 14 t fctence qnl apprend a connoitre tous les corps. Un Phyficien eft donc un homme qui connoit la nature dc 1'air du feu, de 1'eau, de la terre: il connoit auffi les corps des hommes & des animaux, les arbres, les plantes, les fieurs, lesminéraux, & les métaux : Se les Dames peuvent favoir tout cela. Lady Charlotte. Qu'eft-ce que les mméraux & les ïnétaux? Madem. Bonne, L'or, 1'argent, le cuivre, & les au* tres chofes qui viennent dans la terre. Lady Mary. Eft-ce que l'or vient dans h terres Madem. Bonne, Oui, ma chère, mais nous avons aftez parlé de phyfique aujourd'hui. Nous continuerons la première fois t je veux a préfent vffus raconter une pe-  14? XV. DlALOGUE. petite fable, après quoi nous répéte* rons nos hiftoires» Conté du Pècheur cjf du Voyageur. II y avoit ure fois un homme qui n'avoit pour tout bien qu'une pauvre cabane fur le bord d'une petite rivière : gagnoit fa vie a pêcher du poiftön; mais comme il n'y en avok guère dans cette rivière, il ne gagnoit pas grand chofe, & ne vivoit presque que de pain & d'eau. Cependant il étoit content dans fapauvreté, paree qu'il ne fouhaitoit rien que ce qu'il avoit. Un jour, il lui prit fantaifie de voir la ville, & 1 il réfolut d'y aller le lendemain. Comme il penfoit a faire ce voyage, il rencontra un voyageur qui lui demanda, s'il y avoit bien loin jufqu'a un village, pour trouver une maifon oü il put cou» j cher, II y a douze milles lui répondit le pêcheur, & il eft bien tard; fi vous vculez pafïèr la ruit dans ma cabane, je vous 1'offre de bon coeur. Le voyageur Rccepta fa propofition, & le pêcheur alluma du feu, pour faire cuire qut-lques petits pohTons. Pendant qu'il apprêtoit le foupé, ilchantoit, il rioit,  XV. DlALOGUE. I43 rioit, & paroiftbit de fort bonne humeur. Que vous êces heureux! lui dit fon höte, de pouvoir vous divertir: je donnerois tout ce que je poftède au monde, pour être aufli gai que vous. Et qui vous empêche, dit le pêcheur ? ma joie ne me coute rien, & je n'ai jamais eu fujet d'être trifte. Eft-ce que vous avez quelque grand chagrin; qui ne vous permet pas de vous réjou* ïr? Hélas! reprit le voyageur, tout le monde me croit le plus heureux des hommes. J'étois marchand, & je gagnois de grands biens, mais je n'avois pas un moment de repos. Je craignois toujours qu'on ne me fit banqueroute, que mes marchandifes ne fe gatafïent, que les vaifieaux que j'avois fur mer, ne fiflènt naufrage; ainfi, j'ai quitté le commerce pour elfayer d'être plus tranquille , & j'ai acheté une charge chez le Roi. D'abord, j'ai eu le bon* heur de plaire au Prince, je fuis devenu fon favori, & je croyois que j'allois être content; mais je connus bientót, que j'étois plus 1'efclave du Prince, que fon favori. II falloit renoncer & tout moment a mes inclinations, pour fuivre les fiennes. 11 aimoit la ehaftë &  T44 XV. D-iaiogime. & moi le repos: ceperdant j'étois o*» bligé de courir avec ?ui les bois toutè la journée: je revenois au palais fatigué, & avec une grande envie de me coucher. Point-du-tout ^ la maitreiTe dü Roi donnoit un bal, un feftin; on me faifoit l'honneur de m'en prier pour faire fa cour au Roi: j'y allois en enrageant ; mais 1'amitié du Prince me confokit un peu. Ils y a environ quinze jours qu'il s'eft avifé de parler d'un air d'amitié a un des Seigneurs de fa Corar: il lui a donné deux commiiTions, & a dit, qu'il le croyoit un fort honnête homme. Dès ce moment^ j'ai bien vu que j'étois perdu, & j'ai paffé plufieurs nuits fans dormir. Mais, dit le pêcheur, en interrompant fon hóte^ efi; c© que le Roi vous faifoit mauvais vifage, & re vous aimoitplus ? Pardonnez • moi, répondit cet homme , le Roi me faifoit plus d'amitié qu'al'ordinaire; maispeniezdonc qu'il ne m'aimöit plus tout feul, & que tout le monde difoit, que ce Seigneur alloit devenir un fecond favori. Vous fentez bien que cela eft infupportable, aulfi ai-je manqué en mourir de chagrin. Je me retirai hier au foir dans ma  XV. Dialogos. 145 i ma chambre tont triftè, & quand je fus I feul, je me mis a pleurer. Tout d'un Icoup, je vis un grand homme, d'une Jphifionomie fort agréable, qui me dit, \dzaelj j'ai pitié dè ta mifère: veux-tu jdevenir tranquille, renonce a 1'amour Jdes richeflès & au défir des honneurs. jHélas! Seigneur, ai-je dit a cet hom|me, je le löuhaiterois de tout mon i^coeur; mais, commentyréufïïr? Quitte la Cour, m'a t-il dit, & marche cipendant deux jours par le premier cheI min qui s'offrira a ta vuë la folie d'un (ihomme te prépare un fpedacle capable de te guérir pour jamais de 1'ambition, j; Quand tu auras marché pendant deux ijours , reviens fur tes pas, & crois tfermement qu'il ne tiendra qu'a toi de ïivivre gai & tranquille. J'ai déja mar'Iché un jour entier pour obéïr a cet horaj me , & je marcherai encore demain: jsmais j'ai bien de la peine a efpérer le prepos qu'il m'a promis. Le pêcheur aïant écouté cette hiftoine put s'empêcher d'admirer la folie de iscet ambitieux, qui faifoit dépendre fon ibonheur des regards & des paroles du iPrince. Je ferai charmé de vous revoir :& d'apprendre yotre guérifon , dit-il I Tm. IL G au  I4Ö XV. DlALOGUE. au voyageur: achevez votre voyage, & dans deux jours revenez dans ma cabane; je vais voyager aufli; je n'ai jamais été a Ia ville, & je m'imaginei que je me divertirai beancoup de tout le tracas qu'il. doit y avoir. Vous avez; la une mauvaife per fée, dit le voyageur: puisque vous êtes heureux a préfent, pourquoi cherchez-vous a vous; rendre miférable ! Votre cabane vous: paroit fuffifanteaujourd'hui, mais quand; vous aurez vu les palais des grands- elle vous parottra bien petite, & bien chétive. Vous êtes content de votrei habit, paree qu'il vous couvre; maisj il vous fera mal au coeur, quand vousi aurez examiné les fuperbes vêtemens: des riches. Monlieur, dit le pêcheuri a fon höte, vous parlez comme un lid vre, fervez vous de ces belles raifons?] pour apprendre a ne pas vous facheri quand on regarde les autres, ou qu'on i leur parle, Le monde eft plein de ces i gens qui confeillent les autres, pen-j dant qu'ils ne peu vent fe gouvernen eux mêmes. Le voyageur ne répliquai rien, paree qu'il n'eft pas honnête de: contredire les gens dans leur maifon, j & le lendemain il continua fon voya-  XV. DlALOGUE. I47 ijge, pendant qtie le pêcheur commenjcoit le fien. Au-bout de deux jours, le voyageur Azael, qui n'avoit riem rencontré d?extraordinaire, revint a la cabane. II trouva le pêcheur aflls devant fa porte, la tête appaïée dans fa main , & les yeux fixés contre terre. a quoi penfez-vous, lui demanda^-' \zael? je penfe que je fuis fort malheureux, répondit le pêcheur. Qu'eft-ce que j'ai fait a Dieu pour m'avoir rendu fi pauvre ? pendant qu'il y a une fi grande quantité d'hömmes fi riches & ifi contens. Dans le moment, cet homme qui avoit commandé a Azael de imarcher pendant deux jours, & qui iétoit un Ange, parut Pourquoi n'aspx pas fuivi les confeils $ Azael, dit-ii nu pêcheur. La vuë des magnificences de Ja ville, a fait naitre chez toi 1'avarice & 1'ambition, elles en ontchasfé la joie & la paix. Modère tes défirs, & tu trouveras ces précieux avantages. Cela vous eft bien aifé a dire,, reprit le pêcheur; mais cela ne m'eft kpaspoffible, & je fensqueje ferai touijours malheureux, a moins qu'il neplaiHfe a Dieu de changer ma fituation. Ce feroit pour ta perte, lui dit 1'Ange. g ü Crois-  148 XV. Dialogu-e. Crois-moi, ne fouhaite que ce que tt$ as. Vous avez beau parler, reprit lei pêcheur, vous ne m'enpêcherez pas de: fouhaiter une autre fituation. Dieuj exauce quelquefois les voeux de Fambitieux, répondit 1'Ange , mais c'eit dans fa colère, & pour le punir. Eti que vous importe , dit le pêcheur ?i S'ii ne tenoit qu'a fouhaiter, je ne: m'embarafierois guère de vos menaces. Puisque tu veux te perdre, dit 1'Ange., j'y confens: tu peux te fouhaiter trots: chofes, Dieu te l?s accordera. Le pêcheur tranfporté de joie, fouhaita que: la cabane fut changée en un palais ma- i gniflque, & auffitöt, fon fouhait fut: aecompli. Le pêcheur après avoir ad- ■ miré ce palais, fouhaita que la petite: rivière qui étoit devant fa porte, fut : changée en une grande mer, & auffitöt , fon fouhait fut accompli, II lui i en reftoitun troifième a faire; il y rêva quelque tems, & enfuite il fouhaita i que fa petite barque fut changée en un vaiffeau fuperbe, chargé d'or & de diamans. Auffitöt qu'il vit le vaiifeau,, il y courut pour admïrer les richefiès dont il étoit devenu le maitre; mais £ peine y fut-il entré, qu'il s'éleva un grand  XV. DlALOCUE. 149 grand orage. Le pêcheur voulut reve* nir au rivage & defcendre a terre, mais il n'y avoit pas moyen. Ce fut alors qu'il maudit fon ambition: regrets inutiles, la mer 1'engloutit avec toutes fes richefies, & 1'Ange dit a Azael: que cet exemple te rende fage. La fin de cet homme efi: presque toujours celle i de 1'ambitieux. La Cour, oü tu vis : préfentement, eft une mer fameufe par les naufrages & les tempêtes: pendant ; que tu le peux encore, gagnele rivage, tu le fouhaiteras un jour fans pouvoir ; y parvenir. Azael effrayé promit d'o: béïr a 1'Ange, & lui tint parole. II ] quitta la cour, & vint demeurer a la : campagne, oü il fe maria avec une fïl« 1 le qui avoit plus de vertu que de beauté & de femme. Au -lieu de chercher a augmenter fes grandes richeflès, ii 3'ne s'appliqua plus qu'a en jouïr avec 1 modération, & a en diftribuer le fuperflu aux pauvres II fè vit alors heureux \ & content, & il ne pafia aucun jour fans remércier Dieu de Tavoir guéri de r 1'avarice & de 1'ambition , qui avoient 1 jufqu'alors empoifonné tout le bonhcur Ide fa vie. G 3 Lady  1J0 XV. DlALOGUE. Lady Sensée» Eft- il poftible, que 1'ambition rende les gens 11 malheureux? Madem, Bonne. Demandez a Lady Spirituelle ct qu'elle a fouffert dans le tems oü elle n'e« toit occupée que du défir de plaire, de &ire briller fon efprit, & d'être louée. Lady Spirituelle. II eft vai , ma Bonne , que j'étois bien raiférable. Si j'étois a 1'afTemblée de Papa, & qu'il vint une jeune Dame a qui on fit politeftè, cela me mettoit de mauvaife humeur; il me fembloit qu'on me voloit .toutes les louanges qu'on lui donnoit, je la haïsfois. Savez-vous bien Lady Senfèe, que j'ai été très-fouvent fachée contre vous. Lady Senss e. Et pourquoi, ma chère? Lady  XV. DlALOGUE. IJl Lady Spi ritu ell, Parceque je ne pouvois m'empêcher 1 de voir que vous valliez mieux que 1 moi. Mais je vous afDre qu'a préfent j je vous aime de tout mon coeur, & ! loin d'avoir da la jaloufie , cela me : fait grand plaifir quand on dit du bien li de vous. Lady Sensee, Je vous fuis bien obligée, Madame-; : mais il efi; vrai que vous feriez une inI grace, fi vous ne m'aimiez pas; car ].pour moi, je vous ai toujours aimée 1 de tout mon coeur. Madem, Bonne. Nous n'avons pas trop de tems pour répéter nos hiftoires & notre Géogra] phie. Commencez, Lady Mary. Lady M ary. * Jéthro, beau-père de Moïfe, aïant appris irs grands miracles que Dieu avoit opérés par le moyen de fon genG 4 dre,  IJ3 XV. DlALOGUE. dre, vint le voir, & lui ramena fa femme & deux enfans qu'il avoit. Or Jéthro aïant vu que Moïfe paffoit toula jourrée a écouter les affaires du peuple, lui dit; fi vous continuez k prendre cette peine vous tomberez maïade; croyez moi, choifrflèz les plus ionnêtes gens, qui écouteront le peule, & qui vous rendront compie de toutes les affaires. Moïfe fuivit ce confeil, &après avoirregaié fon beau-père, ils fe fépfuèrent. Enfuite, les Israëlites arrivèrent proche la montagne de Sinai, & Dieu dit a Moïfe montez fur cette montagne; mais que le peuple n'approche pas , car il mourroit. Moïfe monta fur le mont Sinaï, & la majefté de Dieu y parut; car la montagne étoit environnée de fumée. II en fortoit un tonncrre terrible , elle étoit pleine de feux & d'éclairs, & ce fut au milieu de ces feux, que Dieu donna a Moïfe les dix commandemens qu'il faifoit a fon peuple, pour luimontrer qu'il étoit un Dieu puilfant, & qu'il fauroit fe venger, & punir les hommes, qui feroient aflez hardis pour ïui defobéïr. Et ces dix commandemens que .Dieu donna aux Israëlites^ font  XV. DlALOGUE. 153 I font ceux qu'on nous a appris, & que nous répétons tous les jours dans nos i] prières. Madem, Eo/ïnk. Continuez, Mifs Molly. Mifs Molly. Dieu appella Moife fur la montagne 1 une autre fois, & il y fut quarante jours & quarante nuits. Pendant ce tems, il lui donna des loix pour fon peuple, & lui commanda de batir une Arche & un Tabernacle pour lui :• il lui expliqua la facon dont cette Arche devoit être conftruite, ce qu'il falloit faire lorsqu'on lui facrifieroit quelque chofe, & lui commanda de prendre . Aaron & fes enfans, pour être Sacrificateurs & Grands« Prêtres. Mais, ; pendant que Moïfe parloit k Dieu, comme un ami a fon ami, les Israëlites. oubliant les miracles que Dieu avoit ï: fait pour 1'amour d'eux, dirent a Aaron : fais - nous des Dieux comme ceux qui étoient en Egypte, afin qu'ils marchent devant nous, car ce Moïfe 7 nous ne faG 5 voiA  IJ4 XV. DlALOGUE. vons ce qu'il efi devenu. Aaron, craignant que le peuple ne le tuit, leur dit: apportez moi les pendans d'oreilles de vos filles & de vos femmes, Ils fe dé» pêchérent d'apporter leurs bijoux, & Aaron en fit un Veau d'or, qu'ils adorèrent en difant: c'eft iel le Dieu qui nous atirés ó9Egypte. Dieu dit a Mot* fe, qui étoit fur la montagne; le peuple préfentement a commis un grand crime, c'eft pourquoi je veux le faire périr, & je te donnerai un autre peuple. Mais Moïfe dit: fouvenez-vous Seigneur, & Abraham, tflfaac, de Jacob, pardonnez a ce pauvre peuple, & effacez moi du livre de vie, plutót que de le détruire. Dieu répondit a Moïfe; il n'y a que le méchant qui fera effacé de mon livre de vie; toutefois je pardonne a ce peuple. Alors Mofje defcendit de la Montagne avec des TaMes de pierre, oü Dieu avoit luimême écrit fa Loi de tous les cótés; quand Moïfe vit les Israëlites qui danfoient autour du Veau d'or, il en tra dans une fi grande colère, qu'il jetta les Tables contre terre, & les calTa: enfuite, il fit de grands reproches k Aaron, & aïant jetté le Veau d'or dans le  XV. DlALOGUE. ÏJ5 le feu , il le fit réduire en pouffière, puis mêlant cette pouffière avec de 1'eau, il la fit boire au peuple, enfuite il appella les enfans de Lévi, & leur dit; je vous commande de la part de Dieu, de prendre vos épées, & de traverfer tout le camp d'un bout a l'autre, 1 en tuant a droit & a gauche tous ceux I que vous rencontrerez , fans épargner I, vos parens & vos amis. Les enfans de Lévi lui obéïrent, & il y eut trois mille hommes de tués. Après cela, Moïfe dit aux enfans de Lévi; Dieu vous'bénira, paree que vous avez exéI cuté fa femence. Enfuite Moïfe s'enf ferma dans fon Tabernacle, & la nuée oü étoit le Seigneur, étoit a fa porte, | les Israëlites tremblans, fe proffcerfnoient contre terre, après avoir quitté {leurs beaux habits, pour tacher (fob* 1 tenir miféricorde de Dieu.' Lady Mary. Ma Bonne, cela étoit bien terrible j de tuer trois mille hommes l G 6 Madem,  1JÖ" XV. DlALOGUE. Madem. Bonne, Mais, ma chère, tous les Israëlites méritoient la mort; ils avoient promis d'obferver la Loi du Seigneur , qui condamnoit a mort ceux, qui adoroient les Idoles. Dieu étoit donc encore bien bon, de ne punir que trois mille hommes ; je fuis füre qu'il permit, que les enfans de Lévi ne tuafiènt que les plus coupables. Continuez , Lady Charlotte. Lady Charlotte. Les enfans tflirael murmurèrent encore contre le Seigneur, & dirent, pourquoi avons nous quitté VEgypte, oü nous avions de fi beaux poilfons pour rien, & oü nous mangions de fi beaux oignons V nous fommes las de ne voir que de la Manne. Moïfe fut fi faché de 1'ingratitude de ce peuple envers Dieu, qu'il pria le Seigneur de lui donner la mort, pour qu'il ne vit plus leur méchanceté. Dieu le confoÜa, & envoya une grande quantité de Cailles aux Israëlites: «l'abord ils fujrent fort comens, & mangèrent de ces Caü-  IXV, DlALOGUE. IJ7 Cailles avec avidité; mais ils avoient encore la chair entre les dents, que Dieu en fit mourir un grand nombre. Moïfe eut encore un autre fujet de chagrin: Aaron & fa foeur Marie fe moquèrent de lui, & caufe que fa femme ètoit Ethiopienne : mais Dieu prit le parti de Moïfe. Sa foeur devint léprcufe, Moïfe eut beau prier le Seigneur pour elle , elle refia lépreufe pendant fept jours, Enfuite, Moïfe envoya des efpions dans le païs, que Dieu avoit promis a Abraham, & ils en rapportèrent une grape de raifin qui étoit fi grofie, qu'il falloit deux hom. mes pour la porter. Parmi ces efpions étoit Ca leb & Jofuè qui exhortèrent le peuple a venir dans ce païs qui étoit excellent; mais les autres efpions dirent; il efi: vrai que c'eft une terre d'oü déeoule le lait & le miel, mais elle efi; habitée par des hommes plus forts que nous; il y a même des Géants qui nous tueront, aufii bien que nos femmes & nos enfans. Alors les Israëlites dirent; pourquoi nous a-t-on tirés d'Egypte? il faut nommer un chef pour y retourner. Et comme Jofué & Cakb les reprenoient, ils voulurent les G 7 tüer  158 XV. DlALpGUE. vier a coups de -pierree. Moïfe & Aaron fe profternèrent pour demander pardon a Dieu, mais le Seigneur leur répondit; ce peuple a murmuré contre moi dix fois, & je jure dans ma colère, qu'il mourra dans ce défert; il y reftera pendant quarante ans, & quand ils feront tous morts, leurs enfans entreront dans cette terre promjfe avec Caleb & Jofué, qui ont cru a ma parole: pour les autres qui ont vu tes miracles que j'ai taits pour eux, & qui fe font déiiés de moi , ils laifferont leurs cadavres dans ce défert. Ür le nombre de ces hommes paffoit fixcent milles. Lady Spirituelle. En vérité , ma Bonne, les Israëlites m'impauenrent avec leurs murmures. Comment étoient -ils aflêz bêtes, pour s'expofer a a colère de Dieu, dont ils conr.oifloient la puifiance ? comment pouvoient-ils adorer la figure d'un Veau, & dire, que c'étoit-la le Dieu ^ui les avoit tirés Egypte. Madem,  X V. Dialogüe. 159 Madem. Bonne. Sommes-nous moins méchans, & moins aveugles que les Israëlites, ma chère, quand nous défobéïiïbns a Dieu, & que nous n'accompliflbns pas les commandemens V Car enfin, il eft fur qu'il jettera les méchants dans 1'enfer; ceux qui feront menteurs, gourmands, colères, déiobéïflans a leur>< parens, impitoyables envers les pauvres; les ja* loufes, celles qui parient mal du prochain, qui fe vangent de leurs ennemis, qui fe réjouïffent du mal qui leur arrivé. Nous favons tout cela, mes chers enfans, & nous ne prenons aucune peine pour nous corriger de nos mauvaifes habitudes, qui attireront fur nous la colère de Dieu, & qui nous conduiront en enfer. RéfléchhTons bien fur cela, mes bons enfans & n'épargnons rien pour détruire nos vices. Comme il eft fept heures palTées, nous n'aurons pas le tems de parler de Géographie aujourd'hui, ce fera pour la première fois, & nous commence* ions notre lecon par-la.  %6o XVI. DlALOGUE» XVI. DlALOGUE. Quatorzième journée. . Madem. Bonne. J'ai promisque nous commencerions par la Géographie; nous parierons donc aujoura'hui des lies Britaniques. II y a deux Hes, comme nous Favons dit, une grande & une petite. Dans la grande, on compte deux Royaumes, VAngkterre, qui eft au Sud de File, & FEcofJe, qui eft au Nord. On divife rAugleterre en quarante Provinces, & en y ajoutant douze Provinces qui font dans la Principauté de Galles, cela fait en tout 52. La Capitale de ce Royaume, efi Londres fur la Tamife dans la Province de Middlefex , au Sud ■ eft de PAngleterre. Ce Royaume fe nommoit dlbion dans les premiers tems, & les naturels du païs furent d'abord foumis par un peuple qui fe nommoit Bretons-, on croit qu'il fortoit de cette partie de la Fran* te, qu'on nommeaujourd'huiito/^»*.  XVI. DlALOGUE. IÖI \ Jules-Cé/ar, aïant palTé en Angleter» I re, foumit une partie de ce Royaume ; mais les Romains n'en furent abfoluI ment les Maitres, que fous 1'Empereur Domitien. Quoique les Romains fus« I fent Maitres de PAngleterre, les NatuI reis du païs vivoient felon leurs loix I & leurs coutumes; ils avoient même I] plufieurs Rois ; car 1'lle comprenoit I plufieurs Royaumes, dont les Rois re[ connoifibient la PuilTance Romaine» I Les Ecqffbis, qui habitoient P Ir lande. I ou PHibernie, s'étant joints aux Pi&es , I s'enparèrent de la partie de Pfle qui eft I au Nord, & qu'on nomme Ecqffè: ils I en furent chaftës par les Romains; mais I les troubles de 1'Empire de Rome leur I donnèrent moyen de s'y rétablir, fous I un Prince nommévFergus Depuis ce i' tems, il y a eu une guerre presque i continuelle entre les Bretons, (car on I nommoit ainfi les peuples de cette Iie ) I & les Ecojfois unis avec les Pi&es. Et 1 pour fe garantir de leur fureur, les Bre* I tons firent une muraiilequi féparoit leur I païs de celui de leurs ennemis, & dont I on voit encore les reftes ; mais cela i n'empêcha pas les Ecoffois , de les réidüire a 1'extrèmité. lis furent donc • con-  10*2 XVI, DlALOGUE. coatrains d'appeller & leur fe cours les Saxons-Ang/ois, qui les défendirent d'abord, & enfuïre , devlnrent leurs Maitres; mais quelques reftes des Bre. torn fe refugièrent dans les montagnes du païs de Galles, oü ils acquirenc la réputation de ne pouvoir ètre vaincus;. d'anrres fe redrèrent dans'la Petite Btetagne. Les Saxons qui avoient chaiTé les Bretons de fAngleierre, furent cbalTés a leur tour par les Danois, qui en furent tranquilles pofteiTeu.s fous le Roi Canut: mais dans ia firre, les Anglois remirent fur le r? êne Edouard, qui êtoit du fangde leurs Rois. Arrès la mort de ce dernier Roi, Guillaume, Duc de Normandie, qu'il avoit. non rné fon héritier, devint Maitre de VAngleterre, & commenca ie rè mille & fept-cent, en punition de leurs murmures. Lady. Charlotte. Mon Dieu, que cette hiftoire efi terrible! je tremble de tout mon corps, ma Bonne; nous fommes bien heureu* fes, que Dieu ne fait plus ces terribles chatimens; il y a de quoi mourir de frayeur. H 5 Madem.  178 XVI. DlALOGUE. Madem. Bonne. Dieu efi auffi jüfte & auffi ennemi des méchans, qu'il i'étoit en ce temsla, mes cbèrs enfans; ceux qui ne veulent point ohéïr a fes commandemens, ne font pas, il eft vrai, engloutis tous vivans dans 1'enfer; mais il eft fur qu'ils y tomberont. après leur mort, & cela doit bien imprimer dans nos ames la haine du crime & la crainte de Dieu. Nous ne devons craindre que Dieu & le pêché. felon cette parole de JéfusChr'ift: Ne craignez point ceux qui ne peuvent tuer que le corps: mais craignez eelui qui peut perdre le corps & Fame9 & les précipiter dans Penfer. Mifs molly. Mais, ma Bonne, on dit que Dieu eft fi bon ; il punit pourtant bien rigoureufement les méchans. Madem. Bonne. C'eft qu'il eft aufli très-jufte, mes enfans. Dieu montre fa bonté aux hom• s&es, en leur donnant de bonhes pen- fées  XVI. DlALOGUE. 179 fées pour faire le bi n; des remords quand ils font de mauvaifes aétions; il leur donne beaucoup de tems pour fe repen tir & fe corriger; mais s'ils refufent de le faire, & qu'ils veuillent ab« folument refter toujours méchans, comme Dieu eft jufte, il faut abfolument qu'il les punifïe. Le Roi eft bon, mes enfans; mais pourtant il confent a la mort des méchans, &il feroit méchant lui même, s'il pardonnoit a tous les criminels: car alors perfonne n'oferoit plus fortir dans les ruës; les pauvreg tueroient les riches pour avoir leur argent ; ceux a qui on auroit donné le plus petit fujet de chagrin tueroient leurs enHemis; on feroit obligé d'allervivredans les bois avec les bêtes, & le Roi feroit caufe de tous ces crimes, par fa fauifè bonté. Lady Charlotte. 1 Je vous afture, ma Bonne, que je veux abfolument me corriger; je n'ai été méchante jusqu'a ce jour, que paree que je ne pen fois pas a toutes ces chofes ; j'avois pourtant lu la Sainte Ecriture; mais je n'y faifois pas d'atx II 6 tea*  J8o XVI. DlALOCUE, tention: quand on y penfe bien , il faudroit être folie pour s'expofer a la colère de Dieu. Madem. Bonne. Voyez combien il vous aime , ma chère. Ces bonnes penfées, ces bonnes réfolutions, c'eft lui qui vous les donne: ne feriez-vous pas bien coupable, fi vous les oubliez? Alionsl Mifs Molly, diies votre hiftoire. Mifs Molly. Dieu, voulant faire voir aux Israëli* tes qu'il avoit choifi Aaron pour être fon Prêtre, fit dire au peuple, par la bpuche de Moïfe; que les chefs de tou-. tes les tribus dVsraèl, apportent chacun une verge en ma préfence. Ils obéïrrent, & le lendemain, la verge d'Aaron avoit pouffé des fleurs, des boutons & des amandes. Alors Dieu dit; j'ai choifi Aaron & fa familie, pour être mes Sacrificateurs. Nul autre qu'eux ne pourra m'offrir de 1'encens; mais je leur donne les enfans de Lévi pour aavoir foin des chofes qui me feront con-  XVI. Dialogïjü. 181 xonfacrées: ils vivront des chofes qui me feront offertes, & auront la dixième partie des bêtes & des fruits de la terre. Après cela, les Israëlites vinrent en un lieu, oü il n'y avoit point d'eau, & murmurèrent encore. Moïfe & Aaron feprofternèrent devant le Seigneur, qui dit a Moïfe; prends ta verge & marche avec ton frère vers le rochcr, devant toute Faffemblée du peuple ; tu parieras au rocher , & il te donnera de 1'eau. Moïfe & Aaron asfemblèrent le peuple, mais ils n'obéïrent pas fimplement au commandement du Seigneur, & au-lieu de parler au rceher, ils lefrappèrent de deux coups de baguette. Alors Dieu dit a Moïfe & a Aaron; paree que vous n'avez pas crua la parole du Seigneur, vous tnourrez tous les deux avant d'entrer dans la terrs promife: & Dieu commanda k Moïfe de monter fur la montagne avec fon frère Aaron & Eléazar fon neveu, fils Aaron; il commanda aufli a Aaron cPöter fes habits de grand Pr être & de les donser a fon fils, paree qu'il alloit mourir. Aaron obéït a Dieu, & mourut tout auflitöt. Une autrefois, les Israëlites murmurèrent encore contre H 7 Dieu 3  182 XVI. DlALOCUF. Dieu, qui pour les punir, envoya contre eux des ferpens brulans : mais le Sf"P n*^??™' Dieu commanda a Motfe de fane un ferpent d'airain, & de 1 élever en haut, & rous ceux qui étoient mordus, & qui regardoient ce ferpent étoient guéris fur le champs. Cependant, les Israëlites demandèrenc aux Rois qui étoient voilins, la permiffion de paflèr dans leur païs promettant de ne leur faire aucun tort & de payer jusqu'a 1'eau qu'ils boiroièntmais ces Rois ne voulurent pas leur accorder cette gmce; & Dieu dit aux Araelttes; combattez-les, & vous les yaincrez par mon fecours. Les Israëlites öbéïrent, & ils remportèrent de grandes vi&oires. Lady Mary. Moïfe & Aaron n'étoient pas des méchans, cependant, ma Bonne, Dieu les punit bien févèrement, & cela pouune bagatelle. Quel mal avoient. ils iait en frappant le rocher? Madem,  ♦ XVI. DlALOGUE. 183 Madem. Bonne. Ils avoient fans doute fait un grand mal; car ils s'étoient méfiés de la puisfance de Dieu, qui leur avoit dit, qu'ils devoient commander au rocher de leur donner de 1'eau. Au lieu d'obéïr tout fimplement a Dieu, ils dirent en euxmêmes; fi nous commandons au rocher de nous donner de 1'eau, il n'en viendrapas, mais nous le frapperons, comme nous avons dêjè. fait une fois, & alors il en viendra. J'avouë que cette faute n'étoit pas fi grande que celle d'a« dorer le veau d'or; mais Dieu punit le pêché, quel qu'il foit: toute la différence qu'il y a, c'efi: que les méchans, qui péchent par malice, il les punit en l'autre vie, en les envoyant dans 1'enfer; & les bons, qui péchent par foiblelTe, & qui font fachés d'avoir pêché , il les punit en cette vie par des maladies, par la perte de leurs biens, de leurs parens, de leurs amis. Dieu fait comme un bon pêre, qui, pour corriger fes enfans, leur donne le fou* üt, ou ks punit.  184 XVI. DlALOGUE. Lady Spirituelle. I Ce n'eft donc pas parceque Dieu eft taché contre un homme qu'il devient pauvre aveugle, ou, qu'il lui arrivédes maleeursV Madem. jB o n n e. Quand Dieu envoye ces malheurs aux tuéchans, c'eft pour les punir, & en même tems pour tacher de les corri- gS";i-r,°n penfe k Dieu' aaèl, & le Roi Balak dit au Prophéte , je ne t'ai pas fait venir pour bénir ce peup e; ainfi, puisque tu fais le contraire de ce que je veux, je ne te donnerai point les honneurs & les rN cheffes que je t'avois deflinées. Ba* laam, qui étoit meehaat, dit au Roi: fi  IPO XVII. DlALOCUE. fi vous pouvez engager les Israëlites a commettre quelque grand pêché, certainement Dieu les maudira; vous n'avez donc qu'a envoyer vers eux les plus belles femmes qui font parmi vous; ils en deviendront amoureux & les prendront pour femmes; or en ce* la ils commettront un pêché, car Dieu leur a défendu de prendre des femmes étrangères. Balak fuivit ce mauvais confeil; & les Israëlites, oubliant les commandemens du Seigneur, prirent ces femmes, qui leur firent adorer leurs idoles. Alors Dieu ordonna a Moïfe de faire pendre tous les chefs de families; & Dieu lui-même puni9foit les coupables , enforte qu'il en périt vingt quatre mille Mais malgré ce chatiment, il y eut un homme aflèz méchant pour mener dans fa tente une femme de Madian. Alors Phinées* fils du grand prêtreEléazar, tranfporté d'une fainte colère contre cet homme, qui fe moquoitdu Seigneur, pritfonépée, & tua cet homme & cette femme; & cette aclion de jufiice fut fi agréable a Dieu , qu'il pardonna au refte des coupables, mais en même tems, il commanda a fon peuple de détruire tous les  XJVIT. DlALOGUE. Ipl les Madianites, paree qu'ils les avoient engagés a commettr§ le pêche. Lady Spirituelle. Cela étoit bien terrible, pourtant, de détruire tout un peuple; peut-être qu'ils n'avoient pas tous confenti a cette mauvaife aclion. Madem. Bonne* Dieu re cornmande jamais rien qui ne foit jufte, mes enfans. Dieu fit détruire non-feulement cette nation, mais aufli toutes les autres qui demeuroient dans la terre promife, paree que ces peuples étoient extrèmement méchans , & qu'ils n'avoient pas profité du tems qu'il leur avoit donné pour fe corriger. Dieu fe fert de tout pour punir ceux qui ne veulent pas fe convertir. Du tems de Noé, il fe fervit du défuge. Du tems # Abraham, il fe fervit du feu qu'il fit tomber du ciel, pour punir Sadome & Gomorrhe. Dans le tems dont nous parions, il fe fervit de 1'épée des Israëlites:. Dans d'autres tems, il employé lapefte, la famine, la  192 XVII. DlALOGUE. la mortalité das beftiaux, les inondations, les tremblemens de tene; car il eftle Tout-PuuTant: les élemens font toujours prêts a lui obéïr pour punir les pécbeurs, & s'ils n'ont p =s recours a fa miféricorde, il faut qu'ils éprouvent fa mftice. Dites-nous votre hiftoire, Mifs Molly. Lady Mary* Auparavant, ma Bonne, jevousprie de me dire ce que c'eft que les élémens. Madem. Bonne, II y a quaTe élemens, mes enfans fans lefquels l'homme ne pourroit vivre La terre, 1'eau, 1'air & le feu. Lady Mary. Si on vïvoit dans un lieu oü il ne fut pas froid, on pouroit fe paffer de feu, il n'y auroit qu'a manger du lait & des fruits. Madem.  'XVII. DlALOGUE. I£3 Madem. Bonne. "Le feu qui eft un élemsnt, n'eft >as fèulement le feu, dont nous nous Iervons pour nous chauffer, mais le Soleil qui échauffe toute la terre, qui fait croitre les herbes & les plantcs. Or les hommes ne fauroient vivre fans ce feu. Quand je vous dis, c'eft le Soleil, mes enfans; je ne fuis pas bien füre que les favans n'aient pas un autre feu élémentaire , mais je ne fuis pas afïèz favante fur cet article, pour vous en parler. Mi/s Molly. J'étois bien fote, je n'avois jamais penfé que le Soleil fut un feu, quoique je fentiffe fa chaleur. Mais ditesmpi, s'il vöus plait, pourquoi le Soleil eft plus chaud en Eté qu'en Hyver, eft - ce qu'en Eté, nous en fommes plus proches? Madem. Bonne. Tout au contraire, ma chère, nóus fommes plus éloignes du Soleil en Eté torn. II. I qu'é!?  'm XVII. DlALOGUE. qu'en Kyver. Maïs en Eté, il tombe plus droit fur nos têtes, & en Hyver, fes rayons ne nous touchent que par le cöté. Je vais vous apprendre deux mots pour espïtquer cela, $t enfuite vous le faire comprendre parun exemple. Mettez votre main juftement au deffus de la cbandelle, mais, ne 1'approchez pas trop prés; car vous vous brüleriez.... tb bien ! je dis que votre main cüperpen* dicidairement fur l&chandelle , c'eft-adire , qu'elle eft droite deftus. Remarquez que vous êtes obligée de la tenir fort éloignée. Préfentement, mettez votre main a'cöté de la chan- ^delle je dis que votre main la regarde de cóté , c'eft- a-dire oblique* ment. Or remarquez que vous pouvez approcher votre main beaucoup plus prés, par le cöté que par le haut: la chaleur, qui vient de cöté frapper votre main, eft beaucoup plus foible que celle qui vient la frapper tout droit. Voüa ce qui fait PHyver & 1'Eré. II y a pourtant un habile homme, qui prérend que le Soleil n'eft pas chaud, . & qu'il produit pcui tan r la chaleur, mare c'eft encore une queftion qu'il faut laisfe* auxiavans. Lady  XVII. DiALoa Lady Charlotte. paimerois bien qu'il fit Eté pendant toure 1'année; les jours font plas longs, plus beaux, & on a le plaifir de fe promener. A quoi fert 1'Hyver, je vous prie ? H ne croit rien fur la terre , pendant ce tems. Madem. Bonne. Mais s'il n'y avoit point d'Hyver* il ne viendroit rien fur la terre pendant 1'Eté. Dieu a teliement arrangé le monde, mes enfans, qu'il n'y a pas une ièu!e chofe inutile, & fi les chofes, que Dieu a réglèei, fe dérangeoient, tout le monde périroit. N'a▼ez-vous jamais vu du bied, mes enfans ? Lady Charlotte. Oui, ma Bonne, j'en ai vu a Ia campagne. Madem Bonne. Eh bien! mes enfans, examinons comment ce bied croit. On le jette 2 s dans  10 XVII. DïALOGUS. dans Ia terre en grain, & 'On fait eels. un peu avant 1'Hyver, dans le tems des pluïes qui "ne manquent jamais dans cette faifon. . Alors le grain de bied le pourrit, & il en fort un petit brin d'herbe; mais fi cette herbe fortoit d'aboid bien grande, elle n'auroit pas affez dé fbrce-: le froid deTHyvervient qui i'enfonce dans la terre, & 1'empê» che de fortir, afin qu'elle ait le tems de fe nourrir. Si après 1'Hyver, 1'Eté venoit tout de fuite, cette herbe feroit féchée tout-d'un coup, & n'auroit pas le ten s de croitre. Qu'a fait le bon Dieu? il a mis le Printems qui n'eft ni chaud ni froid, entre 1'Hyver & 1'Eté; pendant le Printems, 1'herbe qui renferme le bied grandit tout k fon aife. IV fe forme au bout de cette herbe, quantité de petites chambres, & dans chaque chambre, il y a un grain de bied qui groffit petit-a - petit , jufqu'a ce qu'il foit afïèz gros. Alors viennent les grandes chaleurs qui le müriflènt, 11 change de couleur car il étoit verd , & il devient jaune. Chaque grain de bied eft environné d'une petite peau qui eft jaune, comme je viens de vous ledire, ileftdur, mais fous cette peau, on  XVII. DlALOCUE. 107 on trouve une petite chofe blancfjé comme la neige: on la met entre deux prerres, pour la reduire en pouffière & cette pouffière blanche, c'eft la fatfcl ne avec laquelle on fait le pain. Lady Spirituelle. T'ai' mangé le pain jufqu'a préfenr fans favoir comment il venoit, & fans penfer a toutes les précautions que Dieu aprifes, pour me le donner: vraiment ma Bonne, cela eft admirable. L'Ëtë prochain quand j'irai a la campagne j'examinerai toutes ces mer veilles cela m'amufera beaucoup. . Madem. Bonne. Mais cela doit faire autre chofe que de vous amufer, ma chère enfant. Lady Spirituelle. Quoi donc, ma Bonne? Madem. B o nn e. N'admirerez vous pas la fageffe de 1 3 Dieu,  198 XVII. DlALOGUE. Dieu, qui aarrangé toutes les faifons, précifément comme ilfaut, pour faire venir ce bied? Wadmirerez vous pas la bonté, qui a fait tout ceia pour les laommes, & pour vous en particulier? !Ne remercierez vous pas ce bon père, en voyant cette grande quantité d'hommes qui travaillent comme des cheveaux, a Pardeur du foleii? Ne direzvous pas en vous-même; la providence de Dieu eft grande, d'avoir fait des riches & des pauvres; fans cela, fi je voulois du pain , il faudroit que je travaiiiafte avec ces pauvres gens? Vous penferez encore; ces pauvres gens ont bien de la peine pour me nourrir; ne fcrois-je pas bien méchante, fi je les maltraitois, fi je les méprifois, paree qu'ils font pauvres? Lady Sensee. Voilé bien de quoi s'amufer, & projiter a la campagne, ma Bonne;. je voudroisque quelquesDamesqu jeconnois,, fulfent a notre lecon; elles diiènt qu'el • les s'e»nuïent, quand elles font toute leuies, vous leur apprendriez h s'occu©er pour plufieurs lcmajnes. Madem,  XVII. DlALOCUE. IyQ Madem. Bonne. Oh! je vous allure, mesenfans, qu'il y auroit de quois'occupar toute fa vie, 11 on vouloit examiner toutes les'oeuvres de Dieu dans la nature. . . . Vous baitlez, Lady Mary; la lecon a été bien férieufe pour vous: mits pour vous réveiller, j'ai en vie de vous faire un conté. Lady Mary* Je ne m'ennuïe pas, je vous afTire, ma Bonne. Je veux aufïi examiner le bied quand il vient; mais fi vous voulez nous dire un conté, je vous avouë que cela me fera bien plaifir. Madem. Bonne. Volontiers, ma chère. II y avoit un jour un Seigneur & une Dame qui étoient mariés depuis plufieurs années, fans avoir d'enfans: ils croyoient qu'il ne leur manquoit que cela pour être heureux, car ils étoient riches & eitN més de tout le monde. A la fin, ils eurenr une fille, & toutes les fé s qui étoient dans le païs, vinrenc a fon baI 4 rê-  4q0 XVIL Diaiogüe, tême, pour lui faire des dons. L'une dit, quelle feroit belle comme un Ange; l'autre qu'elle danferoit a ravir; une troifième, qu'elle ne feroit jamais malade; une quatrième, qu'elle auroit beaucoup d'efprit. La mère étoit joy eufe de tous les.dons qu'on faifoit a fa fille; belle, fpirituelle, une bonne fanté, des talens. Qu'eft ce qu'on pouvoit donner mieux a cet enfant, qu'on nomma Jplktte ? On fe mit a table pour fe divertir; mais lorsqu'on eut k moitié foupé-, on vint dire au père de Jcliette , que la Reine des fées, qui paftoit par la, vouloit entrer. Toutes ics fées fe levèrent pour aller au devant de leur Reine ; mais elle avoit un vifage fi fevère, qu'elle les fit toutes trembler. Mesfoeurs, dit-elle, lorsqu'elle fut affife , efi; ce ainfi que vous tmployez ie pouvoir que vous avez recu du Ciel? Pas une de vous n'a.penfé a douer jfo/ietted'-an bon coeur, d'inclinations vertueufes. Je vais tacher de ren:édier au mal que vous lui avez fait,; je la douë d'être muette jufqu'a 1'age de vingt ars; plut a Dieu qu'il fut en mon pouvoir de lui öter abfolument 1'öfage de la langue. En même tems, laL..  XVII* DiA L O O U E. 40 ! la fée diiparut; & lahTa le père & Ia mère de Joliette dans le plus grand défelpoir du monde; car ils ne concevoient rien de plus triffce, que d'avoir une fille muette. Cependant Joliette devenoit charmante; elle s'efforcoit de parler quand elle eut deux. ans, & 1'on connoifibit par fes- petits geftes,. qu'elle entendoit tout ce qu'on lui difoit & qu'elle mouroit d'envie de répondrel On lui donna toutes fortes de Maitres; & elle apprenoit avec une promptitude furprenante; elle avoit tant d'ef^rit, qu'elle fe faifoit entendre par geiles' & rendoit compte a fa mè:e, de tout ce qu'elle voyoit, ou entendoir. D'a* bord, on admiroit cela, mais lepère, qui étoit un homme de bons fens, dit a fa femma; ma chère , vous laifièz prendre une mauvaife habitude a jo-Het te 1 c'efi un petit efpion, Q t'avonanous befoin de favoir tout ce qui fe fait dans la ville; on ne fe méfie pas d'elle, parcequ'elle efi:. un; enfant, &■ qu'on fait qu'eile ne peut pas parler, & elle vous fait favoir tout ce qu'elle entend? il faut la corriger de ce défaut, il n'y a rien de plus. vilaitv que d'être une rapporteufe,,. I 1- to'  202 XVII. DlALOÖUE. La mére qui idolatroit Joliette, & qui étoit naturellement curi'eufe, dit a fon mari, qu'il n'aimoit pas cette pauvre enfant, paree qu'elle avoit le défaut d'être muette ; qu'elle étoit déja affez malheureufe avec fon infirmité,. & qu'elle ne pouvoit fe réfoudre a la rendre encore plus miférable en la contredifant. Leraari, quinefepaya pas de ces mauvaifes raifons, prit.yoüettt en particulier, &lui dit: ma chère enfant, vous me chagrinez. La bonne fée qui vous a rendu muette, avoit fans doute prévu, que vous feriez une rapporteufemais a quoi cela fert'il qne vous ne puiffiez parler, puisque vous vous faites entendre parfignes; favezvous ce qu'il arrivera r vous vous ferez haïr de tout le monde; on vous fuira comme fi vous aviez la pefte, & on aura raifon , car vous cauferiez plus de mal que cette affreufe maladie Un rapporteur brouille tout le monde, & caufe des maux épouvanrables r pour moi, li vous ne vous corrigez pas, je fouhaiterois de tout mon coeur que vous fufiiez auffi aveugle & fourde» joliette n'étoit pas méchante; c'étoit 3>ar étourderie? qu'elle découvroit ce qu'elle  xvn. Dia log U Bi 21^ qu'elle avoit vu, ainfi, elle lui promic par figne, qu'elle fe corrigeroit, Elle en avoit intention, mais deux ou trois jours après, elle entendic une Dame, qui fe moquoit d'üne de fes amics: e!le favoit écrire alors, & elle mit fur. un papier ce qu'elle avoit entendu, Elle avoit écrit cette converfaition avec cant d'efprit, que fa mère ne puts'empêcher de rire, de ce qu'il y avoit de phifant , & d'admirer le ltile de fa fille. Joliette avoit de la vanité: elle fut fi contente des louanges que fa" mè-. re lui donna, qu'elle écrivott tout ce qui fe paflbit devant elle. Ce que fon père lui avoit prédtt> arriva, elle fe fit haïr de tout le monde. On fè cachoit d'elle, on ne parloit pas quand elle entroit, & on craignoit de fe trou* ver dans les aftemblées oü. elle étoit priée. Malheureufement pour elle lön père mourut, quani elle n'avo, que douze ans, & perfonne ne lui faiV fant plus honte de fon défiut, elle pdc une telle habitude de rapporter, qu'elle. le faifoit même fans y penfer; elle pas• foit toute la journée a éfpionner les dömeftiques, qui la haïfibient comme; ia mon; fi elle étoit daas un jardin* X 6" elle  5Ü4 XVII. DlALOGUE. elle faifoit femblant de dormir pour emendre les difcours de ceux qui fe promenoient. Mais comme plufieurs parloient a la fois, & qu'elle n'avoit pas alTez de mémoire pour retenir ce que. 1'on difoit; elle faifoit dire aux uns ce que les autres avoient dit: elle écrivoit le commencement d'un discours, fans entendre la fin, oü la fin, fans en favoir le commencement. 11 n'y avoit pas de femaine, qu'il n'y eut vingt tracafTeries, ou querelles dans la ville, & quand on venoit a examiner d'oü venoient cesbruits, on découvroit que cela pro venoit des rappor ts de ^c- . Hette, Elle brouilla fa mère avec toutes fes amies, & fit battre trois ou qua*;* tre perfonnes»- Cela dura jufqu'au jour, ©u elle eut vingt ans; elle attendoit ce jour avec. une grande inipatience, pour parler tout a. fon aife : il vint enfin , & la. Reine des fées fe préfentant devant elle, lui dit, jfoliette, avantide vous rendre 1'ufage de la parole,, dont cerlainemerït vous abuferez, je vais vous faire- voir tous les maux que vous avez caufés par vosrapports; en même tems, elle lui préfenta un miroir, & elle y vir  XVII. Dia logüb. 205 vit un homme fuivï de trois enfans* qui demandoient 1'aumöne avec leur père. Je ne connois pas cet homme, dit Joiïette, qui parloit pour la première fois ; quel mal lui ai je caufé? Cet homme étoit un riche .marchand, lui répondit la féé ; il avoit dans fon magafin beaucoup de marchandifes; mais il manquoit d'argent comptant. Cet homme vint emprunter une fomme a> votre père,. pour payer ine lettre de change; vous, écoutiez a la porte du cabinet, & vous fites connoitre la fk. tuation de ce ■marchand' a p'uüeurs perfonnes a qui il devoit de 1'argent; cela. lui fit perdre fon credit, tout le monde voulut être payé, & la juftice s'étant, mêlée de cette affaire, le pauvre hom- me & fes enfans font reduits a 1'aumöne depuis neuf ans* Ah, mon. Dieu,, Madame! óix.,Joliette, je fuis au défef-: poir d'avoir commis ce crime; mais je fuis riche, je veux réparer le mal que j'ai fait, en rendant a cet homme le bien que je lui ai vfait perdre: par , mon Impruilence Après cela Joliette vit une belle femme dans une chambre, dont Jes I 7 fè*  20(5 XVII. DlAL 0 GU E. fénêtres étoient garnies de grilles dè fer; elle étoit coüchée fur de la paille , aïant une cruche d'eau, & un mor* ceau de pain a cóté d'elle: fes grands cheveux noirs tomboient fur fes épaules, & fon vifage étoit baigné de fes larmes. Ah, mon Dieu! dit JoUettc, je connois cette dame; fon mari i'a menée en Francs depuis deux ans, &. il a écrit qu'elle étoit mortc; feroit- il bien pollible que je fuffe la caufe de FafFreufe fituation de cette Dame ? Oui, Joliette, réprit la fée; mais ce qu'il y a de plus terrible1, c'eft que vous êtes. encore la caufe de la mort d'un homme que le mari de cette Dame a tué. Vous fouvenez vous qu'un foir, étant dans un jardin , fur un banc, vous rites femblant^ de dormir, pour entendre ce que difoient ces deux perfonnes; vous comprites par leurs dtfeours qu'ils s'aiaaoient, & vous le fites favoir a toute la ville. Ce bruit vint jufqu'aux oreiiles du mari de cette Dame, qui eft un homme fort jaloux; il tua ce cavalier , & a mené cette Daaie en France; il Fa fait pafferpour mor te, afin de pouvoir la tourmenter lus long tems; cependant 7 cette pauvre Dame étoit in- no-  XVII. DlALOCUE. I07 nocente. Le gentii-homrne lui parloit de 1'amour qu'il avoit pour une de les coufrnes qu'il vouloit époufer; mais eomme ils parloient hasr vous n'avez entendu que la moitié de leur converfation que vous avez écrite, & cela a eaufé ces bombies malheurs Ahf s'écria Jdiïette, je fuis une malheureux fe, je ne mérite pas de voir lejour. Attendez a vous condamner, que vous aïez connu tous vos crimes, lui dit la fée. Regardez cet homme couché dans ce cachot couvert de chaines; vous avez découvert une converfarion fort inno eente, que tenoit cet homme, & comme vous ne l'aviez écouté qu'a moitié v vous avez cru entendre qu'il étoit d'intelligence avec les ennemis du Roi. Un jeune étourdi fort méchant homme, une femme aufli babillarde que vous, qui n'aimoit pas ce pauvre homme qui eft prifonnier, ont répété & augmenté ce que vous leur aviez fait entendre de cet hommei ils 1'on fait mettre da™ ce cachot, d'oü il ne fortira que pour alfommer le rapporteur a coup de batons, & vous traiter comme laderniè» re des femmes, li jamais il vous rencontre. Après cela, la fée naontra £  208 XVII. DlALOGUE. Joliette quantité de dömeftiques fur Ia pavé, & manquant de pain; des maris féparés de leurs femmes; des enfans deshérités par leurs pères, & tout cela , a caufe de fes rapports. Jelïet* te étoit inconfoiable, & promit de fe corriger* Vous êtes trop vieille pour vous corriger*; lui dit la fée, des défauts qu'on a nourris jufqu'a vingt ans, ne fe corrigent pas après cela, quand on le veut; je ne fais qu'un remède i ce mal; c'eft d'être aveugle , fourde & muette, pendant dix ans, & de paftèr tout ce tems a réfléchir fur les malheurs qu© vous avez caufés^ Joliette n'eut pas le courage de conlèntir a un remède qui lui paroiffoit ft terrible; elle promit pourtant de n© rien épargner pour devenir filencieufe: mais la fée lui tourna le dos fans vouloir 1'écouter, car elle favoit bien, que fi elle avoit une vraie en vie de* ie corriger, , elle. en auroit pris les moyens. Le monde eft plein de ces> fortes de gens, qui difent: je fuis bien f&chée d'êtregourmande, colère, menteufe ; je fouhaiterois de tout mor* coeur de me corriger. Ils mententaffürément, car fi on leur dit, pour, cor«-  XVII. DlALOGUE. 209 corriger votre gourmandife, il faut ne jamais manger hors de vos repas, & refter toujours fur votre apétit, quand vous fortez de table. Pour vous gué- nr de votre colère, il raut vous ïmpofer une bonne pénitence, toutes les fois que vous vous emportez. Si, dis-je, on leur dit de fe fervir de ces moyens, ils répondent, cela eft trop difhcile. C'eft-a-dire, qu'ils voudroient que Dieu fit.un miracle pour les corriger tout d'un-coup, fans qu'il leur en coutat aucune peine. Voila précifément, comme penfoit Joliette; mais avec cette faufle bonne volonté, on ne fe corrige de rien. Comme elle éroit déteftée de toutes les ■ parfonnes qui la connoiflbient, malgré fon efprir, fa beauté & fes talens , elle réfolut d'aller demeurer dans un autre pais. Elle vendit donc tout fon bien, & partit avec fa fote mère. Elles arri» vèrent dans ua grande Ville, oü 1'on fut d'abord charmé de Joliette. Plufieurs Seigneurs Ja demandèrent en manage, & elle en choifit un, qu'elle aimoit palfionnément. Elle vêcut un an fort heureufe avec lui. Comme la ville dans laquelle elle demeuroit, étoit bien  2T0 XVII. DlALOGUE» bien grande, on ne connut pas iltöt qu'elle éroit une rapporteufe , paree qu'elle voyoit beaucoup de gens, qui ne fe connohToient pas les uns les autres. Un jour, aprés fouper, fon mari parloit de plufieurs perfonnes, & il vint a dire, qu'un tel Seigneur n'étoit pas un fort honnête homme , paree qu'il lui avoit vu faire plufieurs mauvaifes a&ions. Deux jours après, Joliet* te étoit daas une grande mafcarade, un homme, couvert d'un Domino, la priade danfer, & vint enfuite s'afieoir auprès d'elle. Comme elle parloit bien, il s'amufa beaucoup de fa converfation, d'autant plus qu'elle favoit toutes les hifioires fcandaleufes de- Ia ville, & qu'elle les racontoit avec beaucoup d'c fprit. La femme du Seigneur, dont fon mari lui avoit parlé, vint k danfer* & Joliette dit a ce mafque, qui avoit_ un Domino; cette femme efi; fort aimable; c'efi: bien dommage qu'elle foit mariée a un mal honnête homme. Connoifièz - vous le mari, dont vous parlez mal, lui demanda le masqué ¥■ Non, répondit Joliette, mais mon mari qui le connoit parfaitement, m'a raqonté plufieurs vilaines hifioires qui  XVII DlALOGUE» 211 qui font fur fon compte; & de fuke, Joliette racanta ces hiftoires, qu'elle augmtnta felon la mauvaife habitude qu'elle avoit prife, afin d'avoir ocea* fion de faire briller fon efprit. Le mafque 1'écouta trés attenrivement, & elle étoit fort aife de 1'attention qu'il luidonnoit, paree qu'elle penfbit qu'il 1'admiroit. Quand elle eut fint, il fe leva & un quart-d'heure après , ; on vint dire a Joiïette, que fon mari fe mouroit, paree qu'il s'étoit battu con* tre un homme auquel il avoit óté la reputation Joliette courut toute en pleurs, au • lieu oü étoit fon mari, qui n'avoit plus qu'un quart d'heure a vivre. Retirez vous, mauvaife créature, lui dit cet homme mourant. C'eft. votre langue & vos rapports, qui mvdtent la vie, & peu de tems après, il expira. Jolleste, qui l'aimoit a la folie, le voyant mort, fe jetta toute furieufe fur fon énée, & fe la paffa au travers du corps. Sa mère qui vit cet horrible fpe&acle, en fut ft faifi, qu'elle en tomba malade de chagrin, & mourut aufli en maudiffant fa curiofué, & la fote complaifance qu'elle avoit euë pour fa fille, doat elle avoit caufé la perte* Lady  «*a XVII. DlALOGUE, Lady Spiritue lle. II failtflvnn une méchante créature. Madem. Bonne. Point du tout, ma chère; c'étoit une mie étourdie, qui avoit beaucoup de vanité, qui vouloit montrer fon efprit, & qui eüt été une fort bonne fille, fi la Maman hiï nvoit- H ia i„ _ . *«« iv/uv, l lei ^■KiuiCTB rois qireiie fit un rapport. Spirituelle. Mon Dieul ma Bonne, vous me faites trembler, j'ai de la vanité comme johette, je veux montrer de 1'eforit en toutes fortes d'occafiöns, & je fuis fort étourdie; fi j'allois comme elle , caufer de fi grands malheurs! Lady S s n s £ e, Vous avez un bon remède, ma chère amie; il faut devenir fourde, aveugle? & muette. Laaj-  XVII. DlALOGUE» 213 Lady Mary» Mais cela eft bien terrible, ma Bonne. Madem. Bon ni» < Non , Mesdames,, cela n9eft pas auffi terrible que vous le croyezo Quand vous vous trouvez dans une compagnie oü 1'on parle mal du prochain, devenez fourde, c'eft a-dire, n'écoutez point ces mauvais difcours; & fi vous ne pouvez pas vous empêcher de les entendre, foyez muette au forrir de cette compagnie, c'eft-a-dire, ne répétez jamais ce que vous avez entendu. II faut aufli fermer les yeux furies actions de votre prochain. Vous voyez combien cela eft de conféquence. J'aimerois mieux vivre dans une forêtavec des vo!eurs; mais comment fe garder d'une perfonne qu'on croit fon amie, & laquelle on n'a jamais fait de mal , & qui a tout moment peut vous expofer aux plusgrands malheurs, par fon indifcrétion ? Je vous avouë, Mesdames , que fi j'avois remarqués ; qu'une de vous rapportat ce qui fe die iici, je la chafferois de la compagnie avec  214 XVII. DlALOCUE. avec ignominie. Maïs , mes enfans, je m'apereois, qu'il eft déjèi bien tard, nous nous fommes amufees & parler, & je crains que nous n'aïons pas le tems de dire nos hiftoires* Difons un mot de la Géographe. Lady Senfèe quelles font les principales Rivières tfAngleterre? Lady Sensïe. La Tamife* qui eft au Sud Eft, & qui a fon embouchure a VEft dans le grand Ocean; elle pafte è. Londres; la Saverne qui a fa fource dans la Principauté de Gaïks, & qui a fon embouchure au Sud-Oueft; YHumber, qui a fon embouchure au Nord - Eft de YAngleterre, & qui eft compofée de deux Rivières qui ièjoignent; teTrente, qui vient du cö é du Sud, & YOufe, qui vient du cóté du Nord. Lady Mart, Qu'eft»ce qu'une embouchure , & une fource, ma Bonne ? Je a'entends pas ces deux mots-la. Madem*  XVII. DlALOCUE* 215 Madem. Bonne» On appelle fource d'une Rivière, Pendroit oü elle commence; & 1 embouchure , 1'endroit oü elle fe jecte dans la Mer ou dans une autre Rivière. 'Continuez, Lady Senfèe. ■ Lady Sensee. La Rivière de Twede, fépare VAn* gleterre de PEeofe, aufli bien que le Mont Cheviot. Madem. Bonne. 11 vous refte a apprendre les noms des cinquante deux Provinces d'Ang/et erre, les Caps, les Golphes & les Hes; mais vous avez toutes la Géographie de Morfieur Palairet, ainfi, vous aurez la bontéde F apprendre, vous-mémes. Adieu, mes enfans. Fin du fecond Tornt.