] 1   M A G A Z I N EN FANS, O u DIALOGUES, Entre une fage Gouvernante & plufieurs* de fes Elé 'es de la première diftin&ion. Dans lesquels on faitpenfer ,parler , agir les jeunes Gens fuivant le génie, le tempérament, & les inclinations d'un chacun. On y repréfente les défauts de leur 3ge, & 1'on y montre de quelle marüére on peut les en corri»ger; on s'aplique autant h leur ftrmer le coeur t qa'a leur éclairer Vefprit. On y donne un Abrégè de flliftêire Sacrêe , de la Fahle, de la Géegt apbie &c , le tout remplioe Reflex ions utiles, & de Cent es moraux pourles amufer agréablement; & écir d'un ftile fimplc & propordonné a la tendrefle de leurs années. P A R Made. Le Prince de Beaumont TOME TROiSIEME. A L E I D E chez L U Z A C E T COMP,, M 9 C C X CV I (II»  mout* Onderwijn**  L E M A G A Z IN DES E N F A N S. XVIII. DIALOGÜE. Seizième Journée. Madem. Bonite. Miss Mol/y, rêpetez nous votre hiftoire, s'il vous plak. Mi/s Mollt. Dieu commanda a Mnfe de pofer fes mains fur Jofuè, & donna fon esprit a eet homme, pour conduire fon Tom. III. A a peu*  4 XVIII. DlALOGUE. peuple dans Ia terre qu'il avoit promï» fe a Abrahamm Miife^ aïant obéï a Dieu, fic fouvenir les Israèlhes de tous les miracles que Dku avoit fair pour Famour d'eux» 11 leur promit que Dien n© les abandonneroit jamais, s'ils étoiént fidèles a obferver fes commandemens, & leur fit jurer qu'ils n'y manqueroient jamais. Après quoi il monta fur une grande montague , d'oü il découvroit cette terre, dans laquelle il ne devoit point entrer, a caufe de fa défobéïïTance. II mourut en eet endroit, mais on n*a jamais fü cu Ton avoit enfeveli fon corps: il avoit vêcu cent vingt ans. Lady Mary. Le pauvre Moïfe a eu bien du mal pendant fa vie! Madtm> Bonne. Tout ce mal efl fini, ell il eft heu* reux depuis bien long-tems. Comparez les cent vingt années qu'il a vécu, avec le grand nombre de celles qui fe font pafTées depuis ce tems-la ; fes pei«-  XVIII. DlALOGUE. 5 peines ont été bien courtes, en comparaifon du tems qu'il a déja écé heureux, & II le fera encore pendant toute 1'éternité. Vous n'auriez pas voulu êrre a fa place pendant qu'il avoit tant de peine; maïs n'eft-il pas vrai, que vous voudriez y être a préfent? Lady Sensee. Om, ma Bonne , je penfe quelque fois a cela, & je dis en mou même: après tout, la vie eft bien courte; je n'ai pas bien long-tems & me gêner, & après ma mort, qui arrivera bientot, je n'aurai plus qu'a être heureu* fe, fi j'ai bien vêcu. Lady Ch ar lotte. Mais, ma chère amie, vous diteg que votre mort arrivera bientöt , & vous n'avez que treize ans: eft ce que vous êtes confomptive? Madem. Bonne. NofH ma chère; Lady Senfèe fe porce a merveille; mais quand elle deA 34 vroi  6 XVI1Ï. DlALOGUE. vroit vivre encore cent nns, elle auroit encore raifon de dire qu'elle mourroit bientöt. II y a fept ani que vous êtes au monde; ces fept années fe font écoulées comme fept jours: le refte de votre vie palfera tout aufli vite; mais il n'eft pas für que nous vivrons encore long tems; chaque jour peut être le dernier de notre vie» Lady Spirituell b. Ma Bonne, fi je penfois a cela, je ferois toujours mélancolique ; car je YQusFavoue, j'ai bien peur de mourir. Madem. Bonne. Vous craignez apparemraent, de n'avoir pas encore fait alTez d'efEorts pour vous convertir. Lady Spirituell f. En vérité, ma "Bonne, je ne penfe pas a cela,* mais j'aime la vie: je n'ai presque pas eu de plaifir jusqu'a préfent: & je n'ai rendu que peu de vifites y a caufe que je fuis trop jeune. Je  XVIIÏ. Dl A LOGÜE* 7 Je voudrois donc, avant de mourir, avoir eu le tems de voir le monde, & de me divertir un peu. Maiem. Bonne» Que diriez-vous, fi le fils d'un Rot étoit en pr ifon, & qu'il ne voulut pas1 fortir de cette prifon, paree qu'il n'auroit pas encore été fe prorrtener daas k jardin de ce trifte lieu ? Lady SpirituELLE, Je dirois qu'il feroit fou, paree qu*il auroit, fans doute, dans le Royaume de fon Père, des jardins bien plus beaux que celui de la prifon. Madem* Bon ne. Voila pourtant ce que vous faites, ma bonne amie, quand vous dites ,que vous ne voudriez pas mourir encore , paree que vous fouhaitez de voir le monde; cela me fait löuvenir d'un petit traic que j'ai lu dans un Roman fpirkueL A 4 Ui*  8 XVIII. DlALOGUE, Un Prince, nommé Jofaphat^ s'étant perdu a la chafTe, entendit la plus belle voix du monde. Surpris d'entendre fi bien chanter dans un défert, il marchadu cöré qu'il èntendoit la voix, & fut bien furpris de voir que celui qui chantoit étoit un pauvre lépreux, dont le corps étoit a demi pourri. Eh, monDieu! lui dit le Prince, commenc pouvez-vous avoir le coeur de chanter, ètant dans urse condition fi miférable? J'ai bien fujet de me réjouir, lui dit le malade: il y a quarante ans que mon ame eft enfèrmée dans un corps de bouë, qui eft fa pvifon. Les murailles de cette prifon tombent par niorceaux; bientót mon ame, libre par la dcftruclion de mon corps, va s'envoler vers mon Dieu, pour y jouir d'une félicité fans bornes: j^en ai tant de joie, que je ne puis m'empêdier d'élever ma voix vers le ciel, pour céiébrer ma délivrance. Lady Ch ar lotte. Pour moi, ma Bonne; je nefuispas fort aitachée a la vie; mais je cnins la mort, paree que j'ai é-.é bian méchante* Madem*  XVIIÏ. DfALOGüE. 9 Madsm. Bonne. Vous avez commencé a vous "convertir, ma chère, & vous y travaillez tous les jours; cela doit vous tranqiilifer. Dieu eft ü bon, qu'il n'en demande pas davantage. J'avoue que la mort eft bien terrible pour ces perfonnes qui vivent comme ft leur ame devoit mo irir avec leur corps r qui ne font occupées que de leurs plalfirs^ qui ne penfent non plus a Dieu, que s'il n'y en avoit point: Tenfer de ce& perfomres commence dès le tems de leur maladie. J'ai connu une Dame de grande qualité qui avoit vécu comme cela. Elle avoit le foie gaté, & les médecins le lui dirent; elle jettaua grand cri, & leur demanda fotement, ft on ne pouvoit pas lui faire un autre foie: car elle étoit trés ignorantei elle offroit pour cela tout fon bien. Les< médecins lui aïant dit, qa'il n'yavoic point de remèie, elle devint comme une enragée & prioit une de fes aime& de lui brüler la cervelle d'un coup de: piftolet. Mais, mes en&ns y conti** nuons nos> hiftoires. A 5 L&h  JO XVIII» DlALOGüïo. Lady Charlotte» JoFué, aïant fuccédé a Moïfe par ordre de Dieu, envoya deux efpions a une ville, nommée Jérico: ils allé» rent chez une femme nommée Rjihab^ mais le Roi de Jéric* envoya des foldats chez cette femme pour prendre ces efpions. Ils ne les trouvèrent pas; car elle les avoit cachés, & le lendemain elle leur dit: Je fais que vous êtes venus de la part du vrai Dieu, & qu'il livrera cette ville entre vos mains; mais puisque je vous ai rendu fervice je vous prie de ne me point faire de mal, ni a ma familie Les efpions 1/i dirent: nous ne vous ferons point de mal : aftèmblez toute votre familie chez vous, quand nous prendrons cette ville, & mettez un cordon d'ëcarlate a votre ftnêtre, on ne vous fera aueun mal. Ils retournèrent après cela vers Jofué, qui commanda au peu» ple de fe tenir prêt pour pafter le Jourdam , qui eft un grand fleuve. Les Isrfl'elites étoient fort embarnfïè's, car il n'y avoit pa* de pont fur le Jourdain; mais Jofué commanda aux prêtres de prendre 1'arche du Seigneur & d'entrer dan??  XVIII. DlALÖ 6üe. • lï dans le fleuve. A peine leurs pieds eurent-ils. touché 1'eau, que le fleuve s'ouvrit en deux, pour laiffer paffer les Israëtites; & Dieu dit a Jofué, faites prendre douze pierres a-la place ou les prétres onc reftés au milieu du Jour* dain, pendant que le peuple paftoit; & de ces douzes pierres, vous en fe« rez un autel & quand vos enfans vous demanderont, ce que fignifie eet autel, vous leur repondrez: c'eft pour vous faire fouvénir du miracle que Dieu a fait pour 1'amour de vous, afin de vousfaire entrer dans la terre qu'il avoit promilè a Abraham; & les Israïlites obéï» rent en tout au commandement du Set* gneur & entrèrent dans la terre promi* fe. Lady Mary. Dans quelle panie du monde étoit eetce terre petnaiMfef Madem* Bonne. Jé vais vous la mon'rer für la earte?» ma chère. Elle eft dans PAfie* au Sud*Öuefi; & depuis que les Israïlites y onc demeuré, on IV normïiöe la Judées"  12 XVIII. D i alo g UE» aujourd'hui elle eft plus connuë fous le nom de Palcftine. Voila Ie fleuve du Jour dam 9 la Mer-Morte eft a la même place oü étoit Sodome qui fut brülée par le feu du ciel. Lady Sensee, Ma Bonne, j'ai lu dans un livre de voyage, qa'il y a de fort beaux arbres fur le bord de cette Mer - Morte, & que ces arbres portent des fruits magnifiques, mais quand on veut les manger, on dit qu'ils font pleins de eendres & de pourriture: cela eft»il bien vrai? Madem, Bonne. Je Fai lu comme vous, ma chère; jnais je ne fais fi cela eft vrai, car fouvent les voyageurs prennent la liberté de mentir. S'ils ont dit la vérité en cette occafion, ces fruits feroient Fimage du pêché, & des plaifirs qu'on veut fe procurer en le commettant: le dehors en eft beau; mais le dedaas n'eft que pourriture & vilainie. Allons , Lady Mtry, dites votre hiftoire. Lady  XVIII. Dl alogue. 13 Lady Mary. Auiïitöt que les Israëlites furent en. trés dans la terre promife, ils fkent du pain avec le bied du Puïs, & auiïirot la manne celTa de tomber. Cependant Jofiié vit un Ange qui avMt une épée a la main, pour lui montrer que Dieu combattoit pour fon peuple; & le Seigneur dit a Jofué; que les prötres prennent 1'arche du Seigneur, & qu'ils la portent en filence autour des murailles de Jérico pendant fix jours : le feptième jour, vous ferez le tour de la ville fept fois, & a ia fepuème fois, les prêcres fbnneront de la trompetter & le peuple jettera un cri de réjouisfance, aulfitot les muraiües de la ville tomberont, & cbacun entrera de fon cöté dans cette ville; mais prenezbien garde a ce que je vais vous dire: je ne veux pas qu'on pardonne a aucun des habitans de Jérico, mais je vous commande de tuer les hommes & les bê:es, excepté Rahetb & fa familie, Après cela vous décruirez cette ville, car tous ceux qui y demeurent, font des méchants: je vous défends de gardez rien de ce qui fera dans Jêrico; mais. A 7 vous  14 XVIU. DiALoeuE. vous prendvez Tor, 1'argent, le cuivre & le ter, & vous me le confacrerez, & tout le refte fera brülé. Jofuè exécuta ce que Dieu lui avoit ordonné. Les mu'ailles de Jérico tombèrent, & la feule Rahab fut fauvée avec fa lamille. Cependant Jofuè envoya trois. mille hommes pour combattre les ennemis: mais les Israïlites s'enfuirent, & il y eut trente fix hommes de tués. Jofuè & les anciens, bien affligés, fe profternèrent la face contre terre; mais le Seigneur dit a Jofuè : ne t'afflige point, ce malheur eft arrivé au peuple, paree qu'il y a au milieu de vous un homme quia desobéi, en gardant quelque chofe de ce qu'il a pris dans Jérico; tirez au fort,, & je montrerai le coupable que vous tuerez a coups de pierres, & enfuite vous le brülerez avec ce qu'il a volé. On écrivit donc les noms des tribus Israël fur des papiers,. &. on les pi ia; enfuite on les tira fans les voir, & le premier nom qui vint, fut celui de la tribu de Juda: enfuite on tira les noms de routes les families de cette tribu, on tira le nom de familie de Zara : enfin dans la familie de Zara, on tira le nom tfdchan ; alors  XVIII* DlALOGUB, IJ itors Jofué dita Achan: mon fïls, glorifie le Seigneur, en avouant ce que tu as volé; Achan répondit: j'ai pêché contre 1'Eternel, & je me luis lahTé tenter par un beau. manteau, & par de 1'or & de 1'argent , que j'ai enterré' dans ma tente. On trouva efTedivement toutes ces chofes, & Achan fut lapidé; c'eft - a - dire , qu'il fuc tué a coups de pierres, & on le brula enfuite avec tout ce qui lui appartenoit. Madenu Bonne- Avouez, mes enfans, que voila une hiftoire bien terrible. Achan s'étoit caché pour commettre ce vol, & il ne penibit pas que Dieu le voyoit, & qu'il trouveroit le moyen de découvrir fon crime a la face de tout le peuple. Gachez vous tant qu'il vous plaira pour faire le mal, choififtez fi vous voulez, le tems de la mait, enfermez vous dans une cave rdans un défërt; Dieu qui eft par tout, verra votrs crime, & s'il ne le découvre pas a tout le monde, comme il a fait celui $ Achan, il eft: fur qu'il vous réprochera a la face de FUnivers, au jugement dernier.^  IÖ XVIII. DlALOGUE. Lady Mary. Qu'eft-ce que le jugement dernier; ma Bonne ? je n'ai jamais entendu parler de cela. M.idem. Bonne» Vous vous trompez, machère: vous en parlez tous les jours dans votre prière. En difant le fimbole , ne dites vous pas que Jéfus-Chrifi: efl afjis & la drotte de Dieu le Pere tout puijfanty (foïi il viendra pour juger les yi qui lui lêrt de  XVIII. Dialogee. ajr ;de rime, eft auplurier, ce qui ne fe itrouve jamais dans de bons vers. Lady Charlotte, Ma Bonne, je retiens les vers plus bifément qu'autre chofe, ainfi je prie- mi Lady Senfèe de me copier ceux 1 qu'elle vient de répéter. Lady Sensêe. Volontiers, ma chère, je vous les ienverrai demain matin. Madem. Bonne. Et vous les apprendrez pour la pre* $ mière lecon. Adieu, mes enfans.  28 XIX. DlALOGUE. XIX. DlALOGUE. Dix -feptième Journée. Lady Spirituell e. Ma Bonne, mon Papa m'a prêté un livre, oü j'ai lu un joli conté; voulez vous que je le répéte a ces Dames? Lady Spirituelle. Volontiers, ma chère. Madem. Bonne. II y avoit un Prince, nommé Roland, qui étoit amoureux d'une PrinceiTe , nommée Angêlique. Roland étoit un fort honnête homme; mais malgré cela, Angêlique ne pouvoit pas le fouffrir. 11 alloit a la guerre faifoit les plus belles aftions du monde, pour plaire il Ia Maitrelïè. Quand il faifoit des prifonniers, ü leurdifoit, je vous do nc U Uberté a condition que vous irez trou*  XIX. DlALOGUE. 2$ trouver Angé li que de ma part, & que vous lui direz, que je vous ai donné" la liberté pour 1'amour d'elle. Quand il prenoit des diamans & d'autres chofes précieufés aux ennemis, il les envoyoit a cette Princeife; mais rien de tout cela ne touchoit fon coeur, paree qu'elle étoit une fote : elle aimoit mieux un bel homme, qu'unhonnête homme, qui avoit beaucoup de courage, & Ro* land n'étoit point beau; ainfi elle ne voulort pas 1'époufer. Un jour qu'elle fe promenoit dans un bois, elle vit un homme a terre, qui- étoit percé de pluiieurs coups d'épée: d'abord elle crut qu'il étoit mort, mais 1'aïant regardé di- plus prés, elle connut qu'il refpiroit encore, & remarqua qu'il étoit beau comme le jour. Elle pria des bergers, qm écoiem prc.che de la , de porrer ce jeune homme dans leur cabane, & quand il y fut, AngèUque en prit foin; mais ce n'étoit pas par charité, c'eft qu'elle aimoit ce jeune homme. Quand il fut guéri, elle s'enfuit avec lui, & Roland futfi faché de cela, qu'il devint fou. II couroit tout nut dans les champs, & tous ceux qui le voyjient, en avoient pidé, &diibient: c'éïb un grand mal13 3 heur  30 XIX. DlALOGUE. tem pour un honnête homme que d'aimer une femme qui n'eft pas fase. Une grande fée eut pitié de Roland, & fut trouver un de fes coufins, nommé Aftolphe; elle lui donna un chevai qui avoit desailes, & lui dit: montez fur ce chevai, il vous ménera dans le Royaume de la Lune , & vous y trouverez Ia raifon de Roland que vous rappprterez. Aftolphe monta fur ce chevai ailé , qui le porta jusqu'a la Lune. Alors il vit trois vieilles femmes, qui filoientenfemble. L'une, qui fe nommoit Clotho, tenoit le ril; la feconde, qui s'appelloit Lachefis , le tournoit fur le fufeau; & Atropos , la plus vieille, le coupoit. Elles dirent a Aftolphe nous lómmes trois foeurs qu'on appelle les Parques; nous filons la vie des mortels; quand un homme vient au monde, Tune prend le fil, 1'autre le tourne ; mais quand nous le coupons, il faut qu'il meure, Aftolphe, qui étoit fort attaché a la vie, dit aux Parques: Mesdames, je fins charmé d'avoir eu lnonneur de vous faire ma révérence; j'avois entendu parler de vous; muis on ne vous rend pas juftice. Les Poëtes difent que vous êtes vieilles, ils mentent,  XIX, DlALOGUE. $V l tent, je vous trouve encore trés alma' bles ; & quand je ferai retourré fur la ;: terre, je faurai punïr■ févèrement les: auteurs qui ne vous rendrons pas juftice; car je veux être un de vos plus ; zè ès ferviteurs. Onvoit bien que vous i venez de la Cour, dit Cloihoï. Aftolphe; ■ i vous mentezavec une effronterie admi-n.bU , &:vous flattez de fort bonne ! grace; mais, rnonpauvre garcon,vous; ' perdez vos.peines* nousfavonsque nous fom mes vieilles, & trés «vieilles, &nous : ne fommes pas comme les femmes de1 votre monde, qui font afièz ftupiües, ■ pour ne pas voir que les hommes fe moquent d'ëlles ordinairement, qüand ils les louent avec exigération. Je vois bien ce qui. vous engage a nous dire des ■ douceurs; vous voudriez bien que ma^ foeur Atropos oubliat de couper le fit de votre vie; mais cela nedépendpas d'elle; le deftin -conduit nos cifeaux, & toutes les puifiances du del, de la terre, & des enfers, ne peuventl'empêcher d'exécuter les arrêts.. Vous2mourrez quand il Pordonnera; ne vous embaraffez pas du moment, & tachez féulemenr de vivre afièz bien pour ne pas craindre la mort, Adieu, penfez B 4 k  32 XIX. DlALOGUE* a faire votre commiflion. Vous n'avez qu'a fuivre le chemin qui efl devant vous; vous trouverez une grande maifon, dans laquelle vous encrerez, & 1'un de nos domeftiques vous enfeignera, oü vous devez chercher la raifon de Roland. Aftolphe, un peu honteux d'avoir éré trouvé flatteur, prït congé des Parques, & trouva la maifor; dont Clotho lui avoit parlé. Le domefdque, qui gardoit cette maifon, lui dit: Seigneur, entrezdans cette chambre avec moi, vous trouverez ce que vous cherchez. Aftolphe entre dans une grande chambre, qui étoit garnie de plancher toutautour; furcesplancbes, ily avoit un grand nombre de bouteilles arrangées, avec des papiers écrits deïTus, comme dans la boutique d'un apoticaire: chacune de ces bouteilles renfermoit la raifon d'un homme. Cherchez celle du Seigneur Roland, dit le valet, il y a des enquêtes fur toutes les bouteilles. Mais, mon ami, dit Aftolphe a ce' domefh'que, je fuis tout éconné du grand nombre de bouteilles que je veis ici; jc ne croiois pas qu'il y eüt un fi grand nombre de fous fur la terre. Vous ne voyez rien, répondit ce do-  XIX. Dialogue. 33 domeftique ; cette chambre-ei ne renferme. que les raifons des fous qui font a la Cour de Charlemagne votre Empereur; mais dépêchez - vous de chercher celle dont vous avez befoin. A* ftolphe lut les étiquères, & trouva d'abord, Raifon de la jeune EU fe. Vous n'y penfëz pas, die - il au gardien de cette maifon; Elife n'eft point folie , elle fait 1'ornemenc de la Cour de Char* lemagne; & moi qui la connois particulièrement, je puis vous aiTurer qu'elle a beaacoup d'efprit. Et point de raifon , ajouta le gardien; eft on raifonnable, quand on facrifie de fang froid fa jeuneftè, fa fanté, fa réputation, au défir de fe divertir? Elife, livrée k la diflipation, avance la vieillefte pour elle," & mourra a la moirié de fa vie; elle fait du jour la nuit, & de la nuit le jour. Elle c:aint fi fort de fe trouver avec elle-même, qu'elle court dé tous cótés pour fuir fa propre compagnie ; vous la voyez partout, elle eft: de toutes les parties, & tout cela, paree qu'elle craint de trouver uu moment pour réfléchir fur eile même, ce qüi la rendroit trop honteufe. Cependant Elife étoit née avec une raifon extraB 5 ou I  34 XIX. DlALOGUE. ordinaire; remarquez que fa b'onteille eft beaucoup plus grande que les autres. Permettez-moi de prendre cette bouteille avec celle de Roland, dit Aft oh phe. Vous le feriez inurilement, répondit le gardien: je Tuis descendu plufieurs fois dans votre monde , pour offrir cette boutrille a Elife, elle m'a remercié de fort bonne grace, mais elle n'a pu fe réfoudre a la recevoir. Elle aime le plailir, elle veut bril Ier dans les compagnies, & elle fait bien que 11 elle reprenoit fa raifon, il faudroit renoncer a ce genre de vie, & brifer les cbaines qui 1'y retiennent; elle aime ces chaines, & m'a prié de lui garder fa bouteille, fusqu'a ce qu'elle ait quarante ans: elle jure qu'alors elle la prendra jusqu'a la dernière goute, mais Mas! elle la prendra alors pour fon défespoir. Infirme, méprifée, perfonue ne lui faura gré d'abandonner des plaifirs prêts a la quitter, & fa raifon qui pourroit aujourd'hui lui fervir a fe co-iriger, ne fervira, dans ce tems, qu'a la défefpérer. Mais paftbns k d^autrcs bouteilles. Aftolphe lut encore quelques étiquètes , mais quel fut fon étonnementl lorsqu'il trouva unebou- teil-  XIX. DlALOGUE. 3f reille fur laquelle étoit écrite: Raifon ó''Aftolphe. Ah, parbieu ! cecieltüngulier! s'écria-1 • il, meprend on pour un fou? Aprenez, lui dit fon guide, que tous les plus grands fous, ne font pas ceux qui courent les champs, comme Roland: tous ceux qui fe laiflènt gouverner par une paiïion, font extravagans. Le riche avare, qui fe laifïè manquer du néceflaire, qui s'attire le mépris des honnêtes gens, & tout cela pour ferrer écu fur écu „ & les lahTer a des hériciers, qui les dé.>enferont en fe moquantde lui, n'eft il pas un fou? Cet homme entêté de fa noblefTe, qui pétïroit pluLÖc que de céder le pas a un autre qu'il croit fon egal, n'elfc-il pas un fou? Vous même , Seigneur Aftolphe, qui courez a la guerre, & qui vous expofez tous les jours a vous faire casfer ia tête, ou les bras, ou les jambes; & cela feu lemen t pour faire parler de vous: vous, qui êtes pret a tous momens a vous faire tuer par le premier fot qui aura mal parlé de vous, n'êtes vous p as un fou ? Pour le dernier articie^ répondit Aftolphe, j'avouë mon extravagance , mais je ne puis convenir du premier. Un homme de mon rang B 6 eft  %6 XIX. DlALOGUE. eft fait pour aller a la guerre ; & la raifon me dit qu'il faut facrifierrma vie pour mon Pais & pour mon Prince, Vous avez raifon, lui dit fon guide; mais en facnfiant votre vié, vous n'a« vez eu d'autre penfées que de faire parler de vous, d'acquérir quelque dignité, de 1'emporter lur vos camarades, & voila 1'extavagance» Croyezmoi, prenez votre bouteille jufqu'a la dernière goute, II me refte aftez de raifon pour fuivre votre confeil, dit Aftolphe; &auflï-tÓt, ouvrant fa bouteille, il refpira tout ce qui étoit dedans , & fut fort honteux , quand il examina avec fa raifon toutes les fotifes qu'il avoit faites. 11 trouva enfin la bouteille de Roland; & après avoir remerciê fon guide, il revint fur la terre. On eut bien de la peine a attrapper Roland, pour lui faire refpirer fa raifon, mais enfin, on en vint a bout. A peine 1'eut» il reprife qu'il regardade tous les eótés , & lurpris de fe voir tout nud, il demanda qui Pavoit mis ilans cette fituation ? On lui dit que c'étoit le chagrin qu'il avoit concu de la perte (TAngélique. Angèliquel dit Roland tout 'étonné; cette coquette qui  XIX. Dialogue. 37 qui écoutoit tous les hommes, qui étoit toute occupée de fa beauté, qui n'aimoit que les louanges, qui recevoit les piéfens que les hommes lui donnoient, qui oubliant qu'elle étoit née Princesfe, a époufé un jeune avanturier, feulement paree qu'il étoit beau! eft -ii polTible que je fois devenu fou' pour une perfonne fi méprifable ? Enfuite i^ö/^r/rèfléchiftant, dit encore, après tout, c'eft un grand bonheur pour moi d'être devenu furieux, cette folie étoit moins grande que celle qui me rendoit amoureux Angèlique , & elle étoit bien moins dangéreufe, carle plus grand malheur qui puiffe arriver a un honnête homme, c'eft d'époufer une femme coquette. Tout le mon ie fut bien furpris d'entendreparler Roland d'une ma» nière fi raifonnable. Pluüeurs perfonnes attaquées de la même maladie , prièrent Aftolphe de recommencer le même voyage en leur faveur; car il n'y avoit rieii de fi commode, que d'etre débaraiïë tout d'un coup d'une paffion tirannique: mais la fée n'étoit pascl'humeur de prêter cous les jours voiture. Ainfi depuis Roland perfonne n'a pu parvenir a cette demeure bienheureufe., B 7 &  3& XIX. DlALOGUE. & ce n'eft qu'en faifant les plus grands efforts, qu'on peut parvenir a retrouver fa raifon, quand on Ta perduë, en cédant lachement a quelque paffion.. Lady Sensee, Ma Bonne, n'ai-je pas entendu parler de ce Roland dans 1'hiiloire % Madem. Bonne. Oui, ma chère, c'étoit un des Gouverneurs de la Bretagne, (bus Charle* tnagne, & apparemment un grand Capitain^ ; car les faifeurs de romans, qui confervent pour 1'ordinaire le vrai ■ caracière des héros, nous le aépeignenc comme un homme d'une vaieur èxcraoidinaire: ma is tout ce que l'hiftoire nous appiend de lui, c'eft qu'il mou« nu a Ronceveaux., au fortir de YEs* pagne, cu fon Maitre avoit remporté de grands avamages fur les Maures. Lady Spiritc-elle* En vêrité, ma Bonne, je fuis fachée d'apprendre qae tout ce qu'on a écric de  XIX. Dialogwe. 39 de Roland, n'eft pas vrai, je Faimois beaueoup malgré fa folie. Madem. Bonne. C'eft que vous avez du gotit pour tout ce qui eft extraordinaire, Mais dans le fond , ces fortes de lectures ne valent pas grand' chofe: on peut s'en amufer quelques mornens pour fe délaffer, mais il ne faudroirpas en faire fon occnpation ordinaire : on ac* coutume, par la,, fon efprit a aimer ld faux; & puis, cela prend beaueoup de tems, cc le tems, a votre age furtout, eft une chofe bien précieufe. Vous pouvez d'autant mieux vous paiTer de ces lectures , que vous trouvez dans l'hiftoire fainte, & même dans l'hiftoire profane, des faits véritables, & plus intérefïaios que tous ceux qu'on trouve dans les contes & les hiftoires fabuleu» fes. Lady Charlotte. Mais pourtant, ma Bonne, vous nous dites des contes. Madem*  40 XIX. DlALOGUE. Madem, B O/nne. O la efl vrai, ma chère, mais cVO: que vous êtes encore une petitefille, & qu'il faut bien vous amufer un peu ; maïs a mefureque vous deviendrez plus raifonnable , je vous dirai moins des contes, & plus d'hiffcoires. Commencez a nous répéter celle que vous avez apprife. Lady Charlotte. Comme tous les peuples, qui habitoient dans la terre promife , éroient méchans, Dieu avoit comniandé aux Jsra'èlites de les tuer dans !a güerre, lans faire miféiicorde a perfonne; paree que Dieu les avoit tous condamnés. Ils avoient déja dérruit la ville de Jé* rico, & celle de ffat; mais les Rois de ce Païs, au Heu de lè foumeftre au Seigneur, fe réunirent tous enfemble, pour détruire les Israëlltes , en leur faifant la gutrre, li y avoir, parmi ces narions, un peuple qu'on appelloit ies Cabaonites: ce peuple , aï-mt vu les , grandes chofes que Dieu avoit fakes pour les Israë/itcSy vit bien qu'il étoit inu-  XIX. DlALOGUE. 41 inutile de penfer a leur refifter, puis* que le Seigneur des armées combattoit pour eux ; mais comme ils favoient que Dieu avoit défendu aux Israëli' tes de faire alliance avec aucun des peuples de ce Païs, ils réfolurent de les tromper. Pour cela, ils envoyèrent vers eux des AmbafTadeurs, qui avoient des fouliers tout déchirés; ils leur donnèrent des pains qui étoient cuits depuis plufieurs jours, enforte qu'ils étoient fort durs: & les outres, oü ils mirent leur vin , étoient ufés & pleins de pièces. Ces AmbaiTadeurs, étant arrivés au camp des Israëlites , dirent a Jofuè: Nous demeurons bien loin d'ici; nos peuples, aïant appris les merveilles que Dieu a faites pour vous tirer & Egypte, nous ont envoyés pour faire alliance avec vous, afin que quand vous fèrez les maitres de tout ce païs, vous ne nous falfiez point de mal: il y a lpn'gtems que nous fommes en chemin , c'eft pourquoi nos fouliers font tout ufés , & le pain, que nous avons emporté avec nous, elt dur comme du bifcuit, Jofté & les principaux d'Israël^ ne confaitèrent point le Seigneur, pour fayoir ce qu'ils  4* XIX. DlALOGUE. qu'ils devoient faire, & jurèrent la paix avec les Gabaonites. Quelques jours après ils approchèrent de leurs villes pour les prendre, & ils furent bien éionnés, lorsque ce peuple leur dii : Vous ne pouvez p s nous faire aucun md, car vous ave^ juré, par le nom du Seigneur , 1'alliance avec nous. Quoiquê Jofuè fut bien faché d'avoir éié trompé, il ne voulut pas manquer a fon ferment , & dit aux Gabaonites: Puifque nous avons juré par le nom du Seigneur, de ne vous point tuer , vout vivrez parmi nous, mais, paree que vous avez fauvé votre vie par un menfonge, vous ferez efclaves , & vous travaillerez a four-i nir 1'eau & le bois pour le fervice du Seigneur. Les Gabaonites dirent a Jo+ fuè; nous voulons bien être vos eiclaves; nous fervirons a tout ce que vous nous commanderez; ainfi les Israëlitesi pardonnèrent aux Gabaonites pour gar-> der leur ferment. Lady. Mary. Ces pauvres gers ! je mourois de peur qu'on ne les fit mourir; mais di- tes  XIX. Dialogue. 43 tes moi, ma Bonne^ d'oü vient Dieu a-t il pardonné a ceux-la, & point aux autres? Madem. Bonne. Je pourrois vous répondre, qu'il eft le maitre d'accorder le' pardon a qui il lui plait; mais, ma chère, je vais vous dire ce que je penfe la - desfus. Dieu ne fait rien par caprice; puifqu'il a permis que les Gabaonites trouvaftènt le moyen de fauver leur vie, je crois que c'eft paree qu'ils n'étoieni pas fi méchans que les autres peuples, & qu'ils avoient deiTein de fe convertir. Lady Sens^e. Et moi, ma Bonne, je penfè qu'ils avoient déja commencé a fe convertir. lis croyoient au !ieu des hraelites, puisqu'ils étoient aiTurés que ce qu'il avoic ordonné ne pouvoit pas manquer d'arrivef. Of, croire en Dieu, c'eft avoir commencé a fe convertir. Miidetn»  4i XIX. DlALOGUF* Madem. Bonne, Je fuis de votre fentiment, ma chère; car Dieu, qui eft infiniment jufte, punit chacun felon le dégré de fa mé. charceté: les Gabaonites commencoient a coire en lui & a le craindre, il change la peine de mort, qu'il avoit portee contre eux, dans celle de 1'es* clavage, & leur donne, paria, le moyen de le connoitro & de fe convertir tout a lait. Allons! Lady Mary, continuez l'hiftoire de 1'entrée des Israïlites dans la terre promife. Lady Mary. Cinq Rois, s'étant aiTemhlés, pour punir. les Gabaonites qui s'étoi nt foumis aux enfans tflsraël , Jojué marcha au feeoursde fes alliés, & donna une grande bataille. Le Seigneur combattit viftblement pour mi. envo* yant une grèle de pïcrres. qui tua plus dYnncmis, que le fer des Israïlites, Comme il y avoit encore un grand nombre d'ennemis a v.aincre, & que la nuk étoit proche, jofué- paria au foeil, &. lui commanda .de refter a fa pla-  XIX. Dialogüe. 45 place, jufqu'a ce que les Isra'èlites ëusfent remporté une entière victoire. Le foleil obêït a Jofuè, & le jour dura beaueoup plus longtems qu'a 1'ordinaire, & la nuit ne vint, que quand la bataille fut tout-a -fait finie. Jofuè remporta encore un grand nombre d'autres victoires: enfuite, il par* tagea les Païs, qu'il avoit conquis, aux Tribus des enfans & Israël; puis il les fit fouvenir des miracles que Dieu avoit faits en leur faveur, & leur demanda, s'ils vouloient fervir ce Dieu tout-puiffant, qui les avoit tirés & Egypte , ou les Dieux des peuples qu'ils venoient qui  XTX. DlALOGUE. 5J qui voulurent Ten faire reiTouvenir. Les Rois, qui regnèrent après Haf* hueriwr trakèrent les Suédois encore plus mal, enforte qu'ils fe revoltèrent. Un Roi de Dannemarck, qui fe nommok Chriflïerne, & qui étoic bien mëchant, déclara la gucrre aux Suédois, pour les forcer a le connoitre pour Roi; & comme ils avoien* oarmi eux un jeune homme, nommé Gufiave qui avoit beaueoup de valeur, Chriftisrnt le prit par trahifon & 1'envoya dans le Dannemark. Ce méchant Prince r étant devenu Maitre de la Suède, fit mourir tous les hommes de qualité» qu'il avoit priés a diner* & parmi ceux qu'il tua , écoit le pêre -de Guftave. Ce jeune homme, aïant fü cHa, fe fauva & vint dans des montagnes qui font en Suède; & paree que Chriftieme. avoit promis une grande fomme d'ar-gent a ceux qui le tueroient, il fut ob:igé, pour fe cacher, de prendre un. pauvre habit, & de travailler a la journée. II fut déc ^uvert par une femme, qui vit que le coilet rle fa chemife étoit hrodé;; & il fe fiuva chez un gen til' homme qu'il croyoit de f s amis. C-s gentü «homme le pria de refter chez C 4 IiaV  50* XIX, DlALOGUE» lui , pendant qu'il iroit lui chercher des troupes pour faire la guerre a Chri: ftierne. Guftave y confentit , mafs quand eet homme fut forti, fa femme dit a Guftave, que fon mari étoit allé chercher des foldats p mr le faire prifonnier. Cetre Dame 1'envoyachez un Curé qui étoit de fes amis, & ce Curé cacha Guftave dans une armoire qui étoit dans fon Eglife, & toutes les nuits il lui portoit a manger. Enfuite, ce Curé engaa;ea un grand nombre de païfans a faire la guerre avec Guftave contre Chriftierne. Les païfans le voulurent bien, & après bien des fatigues, Guftave rendit la liberté aux Suédois, qui, pour le récompenfer, le rlrent leur Roi. Mifs Molly. Je vous afture, ma Bonne, que cette hiftoire ne m'a pas ennuïée, & que je 1'ai fort bien comprife; je m'en fouviendrai en répétant les vers, quand Lady Senfèe aura eu la bonté de me les donner par écrit. XX.  XX. DialogtüF. 57 XX. DlALOGUE. Dix-huitième jfournée. Lady Mary. Ma Bonne, il eft de bonne-heure, n'aurons-nous pas un conté aujourd'hui ? Madem. Bonne. Vous aimez terriblement les contes; mais puisque vous apprenez ft bien vos hiftoires, je ne puis vous rien refufer. En voici un, il fera un peu long. Lady Charlotte. Tant mieux, ma Bónne. Madem. Bonne. II y avoit une fois 'un Roi, nommé Guinguet, qui étoit fort avare. II voulut fe marier; mais il ne fe foucioitpas d'avoir une belle Princefte, il vouloit C 5 feu-  Jg XX. DlALOGUE. feulement qu'elle eüt beaueoup d'argent, & qu'elle fut plus avare que lui. II en trouva une, telle qu'il la fouhaitöit. Elle eut un rils qu'on nomma 77/y, & une autreannée, elle eut encore un autre fils , qu'on nomma Mirtih Tity étoit bien plus beau que fon frère, mais le Roi & la Reine ne le pouvoient fouflrir , paree qu'il aimoit a partager tout ce qu'on lui donnoit avec les autres enfans, qui venoient jouer avec lui. Pour Mirtih ü aimoit mieux laiifer gater fes bonbons, que d'en donner a perfonne: il enfermoit fes jouets, «rainte de les ufer, & quand il tenoit quelque chofe dans fa main, il le ferroit fi fort, qu'on ne pouvoit la lui arracher, même pendant qu'il donnoit. Le Roi & fa femme étoient foux de eet enfant, paree qu'il leur relfembloit. Les Prir.ces devinrent grands, & de peur que Tity ne dépenfat fon argent, on ne lui donnoit pas un fou. Un jour que Tity étoit a la cbaffe, un de fes écuïers qui courroit a chevai, paffa auprès d'une vieille femme & la jetta dar.s la bouë; la vieille crioit qu'elle avoit la jambe caifée ; mais 1'écuïer n'èn faifoit que rire. Tity, qui avoit un  XX, DlALOGUE^ ven bon coeur, gronda fón écuïer, & s'approchanc de la vieille avec YËm% U qui êcöit fon Page favori , il aida la vieille a fe relever., &d'aïant prife cbacuh par-un bras, ils la conduifirent dans une petitie cabane, oü elle demeuroit. Le Prince alors fut au défefpoir de n'avoir point d'argent pour donner a cette femme: a quoi me fert-il d'être Prince, difok-il, puisque je n'ai pas la liberté.de pouvoir faire du bien? il n'y a plaifir a.êcre grand Seigneur,, que paree qu'on a le pouvoir de foulager les miférables. XÏEveillè, qui enten ik parler le Prince ainfi, lui dit j'ai un écu pour tout bien, &il eft a votre fervice: je vous recompenferai, quand je feraiRci, dit Tity; j'accept© votre écu pour le donner a cette pau* vre femme. Tity étant retourné a la Cour, la Reine le gronda de ce qu'il avoit aidé cette pauvre femme a fe re» lever. Le grand malheur quand' cette. vieille femme feroit morte ! dit-elle a fon fils, £car les avares font impïtoyables:) il fait beau voir un Prince s'abaiflèr jusqu'a fécourir une mifé'rable gueufe! Madame, lui dit Tity, je croyois que les Princes n'étoienr, jamais l " C 6 plas  Cö XX. DlALOCUB, plus grands, que quand ils faifoient du bien. Allez, lui dit la Reine, vous êtes extravaguant avec cette belle facon de penfer. Le lendemain , Tiïy fut encore a la chafTe; mais c'étoit pour yoir comment cette femme fe portoiu 1.1 la trouva guérie, & elle le remercia de la charité qu'il avoit eue pour elle: j'ai encore une grace a vous demander, lui dit-elle: j'ai des noifettes & des rèfles qui font excellentes, je vous prie de me faire la grace d'en jnanger quelques unes. Le Prince ne -voulut pas refufer cette bonne femme, de crainte qu'elle ne crut que c'étoit par mépris; il gouta donc de ces noifettes & de ces nèrPs, & il les trouva excellentes. Puisque vous les trouvez fi bonnes, dit la vieille, faites-moi le plaifir d'emporter le refte pour votre delTert. Pendant que la vieille dv foit cela, une poule qu'elle avoit le snit a chanrer, & la vieille pria le Prince de fi, bonne grace d'empoiter auffi eet ceuf, qu'il le prit par complaifance, mais en même tems, il donna quatre guinées a la vieille, car FEveH* lé lui avoit donné cette fomme, qui itqk un Gentil- homme de campagne, v Quand  XX. DlALOGUE. 6*1 Quand le Prince fut a fon palais, il commanda qu'on lui donnat 1'oeuf, les nèfles, & les noifettes de la bonne femme pour fon foupé; mais quand il eut caflë 1'oeuf, il fut bien étonné de trouver dedans un gros diamant; les nèfles & les noifettes étoient auffi remplies de diamans. Quelqu'un fut dire cela a la Reine, qui courut a 1'appartement de Tity & qui fut li charmée de voir ces diamans, qu'elle i'embrasfa & 1'appella fon cher fils pour la première fois de fa vie. Voulez-vous bien me donner ces diamans, dit-elle a fon fils ? Tous ce que j'ai efl a votre fervice, lui dit le Prince: Allez , vous êtes un bon garcon , lui dit la Reine, je vous recompenferai. Elle emporta donc ce trêfor, & elle envoya am Prince quatre guinées, pliées bien proprement dans un petic morceau de papier. Ceux, qui virent ce préfent, voulurent fe moquer de la Reine, qui n'étoit pas honteufe d'envoyer quatre guinées pour des diamans, qui valoient plus de cinq cent.mille guinées; mais le Prince les chafïa hors de fa chambre, en leur difant, qu'ils étoient bien hardis de manquer de reC ? fpeft  62 XX. DfALOCTJE fpecl. a fa mère. Cependant la Reine* dit a Guivgitet, apparamment que cecvieille , que Tity a relevée , eft une grande fée, il faut l'aller voir demain ; mais au lieu d'y mener Tity, nous ménerons fon fiere, car je ne veuxpas qu'eüe s'attache trop a ce benêt, qui n'a pas eu 1'efprit de garder fes diamans. En rnême tems, elle ordonna q.:'on nettoyat les caroflès, & qu'on louat des chevaux; car elle avoit fait vendre ceux du Roi, paree qu'ils coutoient trop a nourir. On fit rempltr deux de ces caroflès de Médecins, Chirurgiens, Apoticaires , & la familie royale f@ mit dans 1'aurre. Quand ils furent arrivés a la cabane de la vieille, la Reine lui dit, qu'elle venoit lui demander excufe de 1'étourderie de 1'écuïer de Tity, C'eft que mon fils n'a pas 1'efprit de choifir de bons domeftiques, dit elle a la bonne femme; mais je le forcerai de chaiïer ce brutaL Enfuite, elle dit ala vieide, qu'elle avoit mené avec elle les plus habiles gens de fon Royaume pour guérir fon pied. Mais la bonne femme lui dit que fon pied alloit fort bien, & qu'elle lui étoit obligée de la charité qu'elle avoit, de  XX. DlALOGUE. mmes nous nas bien malheur ux , que lity foit i'ainé? Nous ^maiTons beaueoup de trélors qu'il dilïipera auffitöc qu'il fera Roi; & Mirtil qui eft bon ménager, au lieu de toucher a ces tréfors, les auroit augmentés; n'yauroit-il pas  08 XX. DlALOGUE. pas moyen de le deshérlrer ? II faudra voir, lui répondit le Roi, & fi nous ne pouvons y réuffir, il faudra enterrer ces tréfors crainte qu'il ne les diflïpe UEveillé entendoit aufli tous lescourtifans, qui, pour plaire au Roi & 'a !a Reine, leur difoient du mal de 7ity, & louoient Mirtil;. puis au fortir de chez le Roi, ils venoient chez le Prince, & lui difoient qu'ils avoient pris fon parti devant Ie Roi &. la Reine; mais le Prince, qui fwoit la vérité par le moyen de rEveillé, fe moquoit d'eux aans foncoeur, & les mé» prifoit. 11 y avoit a la Cour quatre Seigneurs qui étoient fort honnêtes gens : ceux-la prenoient le parti de Tity, mais ils ne s'en vantoient pas; au- concraire, Hs 1'exhortoient toujours. a aimer le Roi & ia Reine , & a leur être fort obéiiïant. II y avoit un Roi voifin qui envoya des AmbalTadeurs a Gulnguet pour une affaire de conféquence. La Reine, felon fa bonne coutume, ne voulut pas que 7>Vy parut devant les AmbalTadeurs, Elle lui dit, d'aller dans une belle Maifon de campagne, qui appartenoit au Roi, parceque, ajouta- t el-  XX. DlALOGUE. 6*0 t-elle , les Ambafladeurs voudront fans doure voir cette Maifon , & il faudra que vous en fallïez les hon« neurs. Quand Tity fut parti, la Reine prépara tout pour recevoir les Amhafladeurs, fans qu'il lui en coutat beaueoup. Elle prit une jupe de ve« lours, & la donna aux tailleurs, pour faire les deux derrières d'un habit a Guinguet & a Mirtil; on fit les devans de ces habits de velours neuf, car la Reine penfoit, que le Roi & le !Prince étant aflis , on ne verroit pas le derrière de leurs habits. Pour les -rendre magniflques, elle prit les diamans qu'on avoit trouvés dans 1'oeuf, & les petits qui étoient fortis des noifettes, furent employés a faire des boutons a 1'habit de Mirtil, & une pièce, un colier, & des noeuds de manche a la Reine. Véritablement ils éblouïsfoient avec tous ces diamans. Guinguet & fa femme fe mirent fur leur tröne, & Mirtil étoit a leurs pieds; mais a peine les AmbafTadeurs furentils entrés dans la chambre, que les diamans difparurent, & il n'y eut plus que des nèfles, des noifetces & un «oeuf. Les AmbafTadeurs crurent, que Guift*  7© XX. DlALOGUE. Guinguet s'étoit habillé d'une maniére ü ridicule, pour faire affront a leur Maitre, ils fortirent tout en colère, & dirent, que leur Maitre apprendroit qu'il n'étoit pas un Roi de nèfles. Ön cut beau les rappeller, ils ne voulurent rien écouter, & s'enretournèrent dans leur Païs. Guinguet & fa femme reftèrent fort honteux & fort en colère. C'eft lity qui nous a joué ce tour, dit- elle au Roi, quand il fut feul avec elle; il faut le deshériter, & laiffer notre couronne a Mirtil. J'y confens de tout mon coeur, dit le Roi. En même tems, ils entendirènt une voix qui leur dit, fi vous êtes affez méchans pour le faire, je vous cafTerai les os, les uns après les autres. Ils eurent une grande peur d'entendre cette voix; car ils ne favoient pas que PÈveillé étoit dans leur cabinet, & qu'il avoit entendu leur converfation. Ils n'ofèrent donc faire aucun mal a Tity, mais ils faifoient chercher la vieille de tous les cötés, pour la faire mourir, & ils étoient au défefpoir de ce qu'on ne pouvoit la trouver. Cependant, le Roi Violent, qui étoit celui qui avoit envoyé des AmbafTadeurs a Guin*  XX- DlAT.oguë. 7* 'Guinguet, crut que véritablement o» avoit voulu fe moquer de lui, & réfolut de fe venger, en déclarant la £uerre a Guinguet. Ce dernier en fut d'abord bien faché, car il n'avoit pas de courage, & craignoit d'être tué, mais ia Reine lui dit, ne vous affligez pas, nous enverrons Tity commander notre armee, fous prétexte de lui faire honneur; c'eft: un étourdi qui fe fera tuer, & alors nous aurons le plaifir de lais« fer la couronne a Mirtil* Le Roi trouva cette invention admirable, & aïant fait revenir Tity de la campagne, il le nomma GénéralifTime de fes Troupes; & pour lui donner plus d'occafion d'expofer fa vie, il lui donna un plein pouvoir pour la guerre, ou la paix. Comme ce conté eft encore fort long, mes enfans, & que nous n'aurons pas le tems de dire nos hiftoires, jegarderai le refte pour la première fois. Lady Mary. Je vcus affure, ma Bonne, que je ne dormirai pas tranquillemen, jusqu'a ce tems*la; achevez-le aujourd'hui, s'il vous plait. Madem»  ■ 72 XX. DlALOGUE. Madem. Bonne. Ma chère amie, il faut favoir fe prïver d'un plaifir, quand il eft queftion de faire fon de voir. Je finirai ce conté , fi vous le voulez abfolument; mais nous manquerons a des chofes plus néceflaires, & cèla ne feroit pas bien. Pour être bonne, il ne faut pas s'accoutumer a fuivre fes fantaifies: je vous confeilie donc de faire ce petit iacrifice ; autrement je penferai que vous n'aurez jamais le courage de facrifier le plaifir au devoir. Lady Mary. Ehbien! difons donc nos hiftoires, mais je vous aflure que cela me coute un peu. Madem. Bonne. II en coute fouvent quelque chole pour faire ce que Fon doit: mais c'eft pourtant del'habnude a fe vaincre dans Ces petites cfjofes, que dépend votre bonheur pendant toute votre vie. Quand vous ferez grande, ma bonne amie,  XX. DlALOGUE. 73 amie, fi vous n'êtes point accoutumée a vous géner un peu, vous ne ferez jamais rien a propos. Vous aurez envie de vous promener, quand il fau» dra refter k la maifen ; vous voudrez lire, quand il fera nècefTaire de fortir; & toujours vous ferez dans le dérangement. 11 faut fe faire une règle, & quand elle eft arrangée, il ne faut jamais 1'abandonner par fantaifié, & lans une grande néceffité. Voyons donc Thiftoire de Lady Charktte. Lady Charlotte. Les enfans Israël aïant encore ado. ré des Idoles, Dieu donna aux Madia* nites la permiffion de les to urmen ter. Ces peuples venoient dans le tems de la moiflbn, ils gatoient tous les fruits & les blés, &prenoient tous les trou» peaux &Israël. Alors le peuple reconnüt fa faute, & demanda pardon au Seigneur. Dieu, touché de fon répentir, envoya fon Ange a un homme nommé Gédëon, .& PAnge lui. dit: trés fort & vaillant homme! le Seigneur efl avec toi. Héias, S igneur! ïépondit Gédéon, que font devenuës toutes Tom. III, D les  74 XX. Dialogue. les mei-veilles que Dieu a faites en faveur de nes pères? maintenant, il nous a absndonné. Paree que vous 1'avez abandonné les premiers, lui dit 1'Anse; mais il a écouté vcs pleurs, marchez contre Madian, & vous le vaincrez. Gédèon dit a 1'Ange: comment délivrerai- je mes frèresV Je fuis le plus pauvre des Isra'èlites, & le plus petit de la maifon de mon Père. L'Ange lui répondit: paree que le Seigneur eft avec toi, tu vaincras les Madianites, comme s'ils n'étoient qu'un feul homme. Que votre ferviteur ne vous offenfe point, dit Gédèon: mais donnez moi une preuve que Dieu veut que j'entreprenne cette guerre. Alors, Dieu fit plufieurs miracles , pour prouver a Gédèon, que c'étoit fa volonté qu'il combattit Madian ; enfuite 1'Eternel lui apparut, & lui commanda de détruire 1'autel de Bahal qui étoit %. fon Père. Gédèon obéït, & le peuple vouloit le faire mourir; mais le Père de Gédèon dit au peuple: ne prenez point le parti de Bahal; s'il eft Dieu, qu'il fe venge lui-même. Cependant les Madianitef, les Awaleci- • tes, & les QrientauX) afièmblèrent une  XX. DlALOGUE. 75 armee innombrable contre Israël, & Gédèon fonnant de la trompette, asiembla aufii une grande armée d'Israëlites: mais Dieu dit a Gédèon: vous avez une trop grande armée; 11 vous battiez les ennemis avec ces troupes, le peuple diroit; c'eft moi qui ai remporté la vi&oire, & ce n'eft pas la main du Seigneur qui a détruit nos ennemis : faites donc publier que tous ceux qui ont peur, retournent dans leurs maifons. Gédèon obéït, & de trenteeleux mille hommes, il n'en refta que dix mille. Le Seigneur dit a Gédèon : vous avez encore trop de monde, marchez vers la rivière. Quand ces dixmille hommes furent prés de Peau, comme ils avoient une grande foif, il voulurent boire; il y en eut troiscent qui prirent de Feau dans leurs mains, feulement pour fe rafraicbir \% bouche; mais les autres fe mirent agenoux pour boire tout a leur aife, & fe desaltérer entièrement. Alors Dieu dit a Gédèon : prends ces trois-eens hommes qui ont pris de Feau dans leurs mains; ceux la font de bons foldats i cs r ils fa vent fouffrir la foif, & par eux, je vaincrai cette grande armée. D 2 En-  J6 XX, DlALOGUE. Enfuite , Dieu commanda a Gédèon d'aller dans le camp des ennemis avec un feu! homme, & quand il y fut, il entendit un foldat qui difoit k fon camarade, j'ai rêvé cette nuit qu'un gateau avoit roulé dans notre camp, & qu'en touchant nos tentes, il les avoit renverfées. L'autre foldat lui répon* dit, ce fonge veut dire, que 1'épée de Gédèon, qui étoit répréfentée par ce g&teau , détruira toute notre armée. Gédèon, aïant entendu cela, fe prosterna pour remercierle Seigneur, & re« tourna a fon camp plein de confiance. Alors il dit a fes trois - cents foldats, je vais vous divifer en trois bandes, prenez de l'autre main une cruche vuide, dans laquelle vous mettrez un flambeau, & vous ferez tout ce que vous me verrez faire. Etant arrivés au camp des ennemis, ils fonnèrent tous de la trompette, *& caffèrent leurs cruches en criant ; Pépée du Seigneur de Gédèon, A ces paroles, les ennemis s'enfuirent, & tournant leurs épées les uns contre les autres , ils s'entre tuèrent. Madem,  XX. Oialogue» 77 Madem. Bonne. Continuez, Mifs Molly, Misf Molly. Alors Gé Jé en fit dire a tous les />r# elites de pour lui vre les ennemis, & ils en tuèrent cent-vingt-mille; mais comme les trois-eens hommes de Gédéon étoient fatigués, & qu'ils continuoient de^ pourfuivre leurs ennemis , Gédèon pria des peuples qui étoient fur fon paffage, de leur donner un peu de pain; ils le refufèrent avec brutalité, & quand Gédèon eut achevé de remporter la viéloire, il punit les principaux d'entre ces peuples. Gédèon demanda pour fa récompenfe, qu'on lui donnat les bagues d'or qu'on avoit prifes fur les ennemis: il en eut une grande quantité, & les fit fondrepour en faire un Ephod, c'eft* adire, un vêtement comme celui que Dieu avoit ordonné pour le Grand - Prêtre; & il mit eet Ephod dans fa ville; mais par la fuite, il devint une occafion de pêché pour le peuple , qui adora eet Ephod. Gédèon mourut dans une granD 3 de  78 XX. DlALOGUF. de viei'ilefïe, & laiffa foixante & dix fils légirimes, & un batard. Le peuple avoic dit a Gédèon , après qu'il eut vaincu les Madianites: foyez notre Roi, & vos fils après vous; mais Gédèon leur avoit fépondu, c'eft Dieu qui doit êrre votre Roi. Après la ïnort de Gédèon, les Israëfttes obéïrent a fes fils: mais oubtünt bien tót les cbligations qu'ils avoient a Gédèon^ ils écoutèrent les mauvais discours de ion batard, qui fe nommoit Abimélec, &' le recrnnurent peur Maitre. Ce toéebant homme fit «mourir tous fës frèresj, a la referve du plus jeune, qui fe nommoit Jotham, & qui s'étoit caché. Celui - ci reprecha au peuple fon ingratituJe , & lui piédit qtfAbimêïec leur feroit beaueoup de mal. Cela arriva comme il 1'avoit prédit. Abtmé* Jee fit mourir un grand nombre de perfonnes, & comme il alloit mettre le feu a une tour pour la brüler, avec ceux qui étoient dedans, une femme lui jetta fur la tête une pierre de meule 0 qui le blefta mortellement. Alors Abhiélec commania a fon écuïer de lui palier fon épée au travers du corps, afin  XX. DlALOGUE. 79 afin qu'il ne füt pas dit qu'il étoit mort de la maiii d'une femme. M-idem. Bonne. Remarquez, mes enfans, le foin que Dieu a de punir les crimes. Les enfans dpl$ra'él furent ingrats envers les enfans de Gédèon; il fe fert d*Abimé~ lec pour les punir, & enfuite , il punic Abimékc lui-même. Continuez, Lady Mary. Lady Mary. Une autre fois, les enfans d" Israël abandonnèrent encore le Seigneur, pour adorer de faux Dieux, & il les aban» donna aux Ammonitss & aux PhWftim. Alors ils démandèrent du fecours au Seigneur, qui leur ditt dernatrdez du fecours aux Dieux que vous avez fervi. A la fin pourtant Dieu eut pirié d'cux» & leur infpira de choifir Jephté pour leur chef. Ce jephté étoit un batard, & les enfans légitimes lravotent chaffé de la maifon de fon Père. Toute fois il leur ordonna, &; fë mit t\ leur tête pour combattre les ennemis. AD 4 vaat  $0 XX. DlALOGUE* vant Ie combat, il dit tout haut: Seigneur, fi vous me donnez la viétoire, je vous promets de vous facrifier la première perfonne qui paroitra a mes yeux , q: and je rentrerai dans la ville. 11 remporta la viétoire , & fa fille , aïant appris cette bonne nouvelle, vint au-devant de lui avec fest'omptgnes qui jouoient des inftrumens, & elle marchoit la première. Quand jephté vit fa fille unique, il détourna les yeux & décbira fa robe; car il n'avoir que cette fille , qui étoit fort bonne , & il 1'aimoit beaueoup. Elle fut fort furprife de voir la douleur de fon Père dars un jour de réjouïflance; mais quand il lui eut dir, qu'il étoit fiffligé a.caufê d'elle, paree qu'il étoit obligé de la facrifier au Seigneur, a caufe de fon voeu , elle lui dit: ne vous r.ffligez poii t, je confens demou* rir, puisque vous 1'avez promis a Dieu. Elle cemanda deux mois pour pleurer avtc fes compagnes, paree qu'elle n'avoit pas été mariée, & qu'elle n'avoit point d'enfans, car c'étoit une bonte dans ce tems-la de n'a voir point d'en. tans? & au bout de deux mois, elle jevint trouver fon Père qui la facnfia u Seigntur, Lady  XX. DlALOGUE. gr Lady Ch a r lotte» Mais, ma Bonne, eft- ce que Jephtê auroit fait un pêché, s'il n'avoit pas facriflé fa pauvre fille? Le bon Dieu peut-il aimer de tels facrifices °? Madem. Bonne. Non, ma chère, Dieu a en horreur le fang des hommes. Jephté avoit faic un ferment itnprudent; & it eut tort de 1'exécuter. Les Israëli'tes, qui avoient commerce avec les peuples qu'ils a* voient laiftë fubfifter contre Torire du Seigneur , prirent leurs mauvaifês coütumes; or les peuples Je Tyr & de Sydon, immoloïent des hommes k un de leurs Dieux, qu'on nommoit Sa* tuttte. Jepht£"qui avoit été chaftë tout jeune de la maifon de fon Père, n'étoit pas inftruit dans la loi de Dieu; il crut donc faire merveille en offrant a Dieu un fac ifice, pareil a celui quö les Syriens ofFroient a Saturne. Sort intention étoir bonne, & fon aébori mauvaife; mais j'admire le courage de' fa fille, qui fe foumet fans murmurer & la volonté de fon Père, & cela aa D S mQm  $2 XX. DlALQCUE. moment qu'il étoit devenu un grand Seigneur, & qu'elle alloit être honorée comme la fille de celui qui avoit fauvé le peuple. Lady Ch ar lot te. Mais, fna Bonne, pourquoi étoit - il lionteux de mourir fans enfans. Madem. Bonne, Pour vous expliquer ce que je penfe la-deftus, mes enfans., il faut que je vous rappeile ce que Dieu dit au ferpent, avant de ehalTer Adam & Eve du Paradis terreftre: tu as vaincu la femme, & la femme fècrafera la tête. Ce ferpent, c'éroitle Diable, & Dieu vouloit dire, qu'un jour fon fils, qui eft: Dieu comme lui, fe feroit homme, & naitroit d'une femme: je penfe donc, que toutes les femmes Juives prétendoient a 1'honneur de voir naitre le Meffie dans leurs families, & que c^étok pour cela qu'elles fouhaitoient d'avoir des enfans. Lady  X X Dialoges. Lady Mary, Ma Bonne, permettez moi de vous faire une queftion lur une chofe qui me tient a Tefpric depuis une heure Dans, le conté du Prince City , vous nous avez dit: que la Reine avoit trouvé un Poulet, au-lieu d'un diamant, dans 1'oeuf que la Fée 'lui avoit donnet comrnent pouvoit il être venu un poulet dans eet oeuf? Madenu Bonne. m... C'eft qu'il y a un poulet dans les oeuf, ma cnère; je vais fonner pour demander un oeuf, & je vous ferat voir un poulet dedans Voyez* vous cette petite chofe blanchequi tiètnj a ce jaune? ii y a un poulet «afmat) dedans. Mifs M olly, Cela eft admirable, ma Bonne. F,fï> ceque tous les poulers, que nous mangeons , v-ennent d'une ^ecite ernfè bianche comme celle la? D 6 Madm%  &4 XX. Dialoc u2« Madem. Bonne. Oui, ma chère : cette petite chofe s'appelle germe. Quand la poule veut avoir des poulets, elle refte fur ft s oeufs pendant vingt jours, & en les échaufant, elle fait fortir le poulet de ce germe. Quand il efl forti, il fe nourrit d'abord du blanc & du jaune de eet oeuf, & quand il n'y a plus rien a manger, & qu'il eft aftèz fort , il cafte la coquille de 1'oeuf avec fon petit bec, & il fort. Lady Spirituell e. J'ai remarqué cela & la campagne, & j'admirois la patience de la poule. Cette pauvre béte ne fortoit point de }a ; elle étoit maigre comme un baton , &'on étoit obligé de lui apporter a manger, fans quoi je crois qu'elle fexoit nlorte de faim. Madem. Bonne. Admirez la Frovidence, qui permet que cetie pauvre béte alt tant d'attachement pour fa familie, qui n'eft pas en»  XX. DlALOGUE» 85 encore venue. Quand fespoulets font fortis de la coquille; quelle eft fon inquiétude pour les dérendre! La poule eft fort timide, elle a peur de tout; cependant, ft on attaque fes poulets* elle devient hardie, comme un lion, elle attaque un chien , elle fauteroit a la face d'un homme. Lady Charlotte. J'ai vu une poule a qui on avoit fait couver des oeufs de canard: quand ils furent grands, ils fe jettèrent dans Feau, & la pauvre poule, quine pouvoit: pas les fuivre dans Feau, fe défefpéroit. Madem. Bon n e» Admirez encore la Providence. Vous voyez combien cette poule eft attachée a fes petits poulets, tant qu'ils ont befoin dfelle: mais auflirot qu'ils font grands, & qu'ils peuvent fe pafler ö'elle, elle les abandonne & ne les connoit pas mêtne. D'oü vient que ce piodi^ieux a [achement difparoit tout d'un coup dans tous les anjU D 7 mauxf  $6 XX. DlALOGUE. rnaux? C'eft qu'il n'eft point nécesfaire a la confervation de 1'espéce, & ne doit pas durer inutilement. Car Dieu, qui fait tout ce qui eft nécesfaire, s'arrête précifément a ce point, & ne va pas au déla. Rien d'inutile dans la nature: tout y eft a fa place, & 1'on auroit beau imaginer, on ne pomroit jamais rien trouver de plus pa'fait.. Tout y eft miracle: nous les yoyons, nous fommes au milieu d'eux, & nous n'y faifons pas d'attention. Par exemple , mes enfans , croiriezvous bien qu'il n'y a pas, dans tout 1'Univers, deux chofes qui foient abfolument femblables? Lady Sensee. Quoi, ma Bonne, dans toutes les feuillesqui font fur cette arbre, il n'y en a pas deux de fembiables! Madem. Bonne» Non, ma chère, ni même dant tout le monde. Un grand Philofophe, qui fe promenoit dans un pare avec une PrinceiTe, fit un jour cette propo-  XX. DlALOGUE. 8> fition. On fe moqua de lui, & tous les Seigneurs, qui étoient a la luite de cette Princesfe, paffèrent toute la joufnée a mettre des feuilles a Cóté 1'une de l'autre; ils ne purent jamais en trouver deux femblables. Mais , mes enfans, il y a une autre chofe 4 laquelle vous ne faites pas d'attention, Tous les hommes ont au vifage un nez, deuxyeux, unebouche, un menton, des föurcils, des jouës. Cependant, ces mêmes parties, prefque toutes faites de la même manière, font ft différentes, qu'il n'y a pas deux hommes qui fe reiïèmblent parfaitement. Oü elt 1'ouvrier qui pourroit mettre une telle diverfité dans fes ouvrages? Lady Spirituelle« En vérité, ma Bonne, vous avez raifon de dire, que nous fommes environnés de miracles, auxq iels nous ne penfons pas; & les efpritb f nt-ils aufli difTérens que les vifages? Madem. Bonne. Oui, ma chère, li'ouvrier, qui a fait  S8 XX. DlALOGUE. -fait toutes ces chofes , pourroit en faire d'autres fans nornbre, qui ne fe reftembleroient pas. Mais ii eft tems de nous quitter, mes enfans. Réflèchiflèz quelquefois a toutes ces chofes, cela vous donnera occafton d'admirer la fa geile & la fcience du Créateur. XXI. DlALOGUE. Dix neuvième Journée. Lady Mary* Ma Bonne, vous nous avez promïs d'achever le conté du Prince Tity. Madem. Bonne. Oui, mes enfans, nous en fornmes reftées a 1'endroit, oü le Roi lui donna le com man dement de fon armée, pour le faire périr. Tity, étant arrivé fur les frontières du Royaume de fon Père, réfolut d'attendre 1'ennemi , & s'occupa k faire batir une fortereffe dans un petit pas.*  XXI. DlALOGUE. 80 pafiage, par lequel il falloit entrer. Un . jour qu'il regardoit travailler les fol-* dars, il eut foif, & voyant une Maifon fur une montagne voifine, il monta pour demander a boire. Le Maitre de la Maifon, qui fe nommoit Abor, lui en donna, & comme le Prince alloit fe retirer, il vit entrer dans cette Maifon une fille fi belle, qu'il en fut ébloui. C'étoit Biby, fille ttAbor; & le Prince, charmé de cette belle fille, retourna fouvent a cette Maifon fous divers prétextes. II paria fouvent a Biby, & trouvant qu'elle étoit fort fage , & qu'elle avoit beaueoup d'es» prit, il difoit en lui même: fi j'étois mon Maitre, j'épouferois Biby; elle n'eft pas née Princefiè , mais elle a tant de. vertus , qu'elle efl digne de devenir Reine. Tous les jours il de« devenoit plus amoureux de cette fille, & enfin, il prit la réfolution de lui écrire. Biby, qui faVoit bien qu'une honnête fille ne recoit point de lettres des hommes, porta celle du prince a fon Père ; fans 1'avoir décachetée. Abor, voyant que le Prince étoit amoureux de fa fille, demanda a Biby* fi elle aimoit 2ï/y. Biby, qui n'avojt ja- I  50 XXI. DlALOGUE. jamais menti dans toute fa vie, dit a fon Père, que le Prince lui avoit paru 11 honnête-homme, qu'elle n'avoit pu s'empêcber de Paimer; mais ajouta telle, je fais bien qu'il ne peut pas m'époufer, paree que je ne fuis qu'u» ne bergère; je vousprie de m'envoyer chez ma tante qui demeure bien loin d'ici. Son Père la fit partir le même jour, & le Prince fut fi chagrin de i'avoir petduë , . qu'il en tomba malade. Abor lui dit: mon Prince, je fuis bien faché de vous chagriner, mais puisque vous aimez ma fiile, vous ne voudriez pas la rendre malheureufe, vous favez bien qu'on méprife , comme la bouë des ruës, une fille qui recoit les vifites d'un homme qui 1'aime, & qui ne veut pas 1'époufer. Eccutez, Abor , dit le Prince , j'aimerois mieux mourir, que de manquer de refpect a mon Père, en me mariant fans fa permisfion; mais promettez - moi de me garder votre fi!le, & je vous promets de 1'époufer, quand je ferai Roi: je confens a ne point la voir jufqu'a ce tems Ia. En raéme tems la Fée parut dans la chambre , & furpiït beaueoup le Prince; car il ne 1'avoit jamais vuë fous  XXI. DlALOGUE. Qt fous cette figure. Je fuis la vieille que vous avez fécouruë, dit elle au Prince ; & vous êtes fi honnête homme, & Biby eft ft fage, je vous prends tous les deux fous ma protection. Vous 1'épouferez dans deux ans, mais jusqu'a ce tems, vous aurez encore bien des traverfes. Au refte, je vous promets de vous rendre une vifite tous les mois, & je menerai Biby avec moi. Le Prince fut enchanté de cette promesfe, & réfolut d'aquérir beaueoup de gloire pour plaire a Biby. Le Roi Vi(f lent viht lui offrir la bataille, & Tity non feulement la gagna, mais encore Violent fut fait prifonnier. On confeilloit a Tity de lui öter tout fon Royaume, mais il dit; je ne veux pas faire cela: les fujets, qui aiment toujours mieux leur Roi qu'un étran?.er, fe révolteroient, & lui rendroient la couronne ; Violent n'uublieroit jamais fa prifon, & ce ferok une guerre continuelle qui rendroit deux peuples malheureux: je veux, au contraire, ren* dre la liberté a Violent, & ne lui rien demander pour cela; je fais qu'il eft; génércux, il deviendra notre ami; & fon amitié vaudra mieux pour nous, que  02 XXI. DlALOGUE. que fon Rcyaume qui ne nous appartient pas; & j'éviterai par la une guerre, qui couteroit la vie a plufieurs milliers d'houimes. Ce que Tity avoit pré vu, arriva: Violent fut li charmé de fa généroilté, qu'il jura une alliance éternelle avec le Roi Guinguet, & avec fon fils, Cependant Guinguet fut fort en co* lère, quand il apprit que fon fils avoit rendu la liberté a Violent, fans lui faire payer beaueoup d'argent; & ce Prince avoit beau lui repréfenter , qu'il lui avoit donné ordre d'agir comme il le voudroit, il ne pouvoit lui pardonner. Tity, qui aimoit & refpectoit fon Père, tomba maiade de chagrin de lui avoir déplu. Un jour, qu'il étoit feul dans fon lit, fans penfer que c'étoit le premier jour du mois , il vit entrer deux jolis ferins par fa fénêtre, & fut fort furpris, lorsque ces deux ferins, reprenant leur formes naturelles, lui préfentcrent la Fée & fa chère Biby. II alloit remercier la bonne Fée, quand la Reine entra dans fon appartement, tenant dans fes bras un gros chat qu'elle aimoit beauccup, paree qu'il prenoit les fouris qui mangeoient fes provifions, &  XXI. DlALOGUE. 93 & qu'il ne lui coutok rien a nourrïr. D'abord que la Reine vit les ferins, elle fe facha de ce qu'on les laillbic courir, paree que cela gatoit les meubles. Le Prince lui dit qu'il les feroit mettre dans une cage; mais elle répondit, qu'elle les aimoit beaueoup, & qu'ell» les mangeroit a fon diner. Le Prince défefpéré eut beau prier, tous les courtifans & fes domeftiques couroient après les ferins, & on ne l'é« coutoit pas. Un valet prit un balai, & fit tomber a terre la pauvre Biby. Le Prince iè jetta hors de fon lit pour la fecourir; mais ii feroit atrivé trop tard, car le chat de la Reine s'étoit échappé de fes bras, & alloit la tuer d'un coup de grhTe, lorsque la Fée, prenant tout d'un coup la figure d'un gros chien, fauta fur le chat, & 1'étrangla; enfuite elle prit, aufli bien que Biby, la figure d'une petite fouris, & elles s'enfuirent toutes deux par un petit trou , qui étoit dans un coin de la chambre. Le Prince étoit tombé évanouï a la vuë du danger, qu'avoit couru fa chère Biby, mais la Reine n'y fit pas d'attention: elle rf'étoit occupée que de la mort de fon chat, pour  94- XXI. DlALOGUE. pour lequel elle jettoit des cris hoiri» bles: elle dit au Roi, qu'elle fe tueroit, s'il ne vengoit pas la mort de ce pauvre animal ; que Tity avoit commerce avec des forciers, pour lui donner du chagrin , & qu'elle n'aurok pas un moment de repos, qu'il ne 1'euc deshérité, pour donner la couronne a fon frère. Le Roi y confentit, &lui e prens; mais c'eft une vieille habituele, & je fuis trop agée pour me reformer, ainft , Votre Ma je ft è voudra bien me pardonner. & Tarnende, s'écria Violent, vous devezdeux guinées. Que Votre Majefté ne fe fache pas, dit la vieille. J'avois oublié qu'il ne falloit pas dire Votre Majefté, vous lal lts fouvenir tout Ie monde de fe teuir dans ce refpeéf, gênant, que vous voulez bannir. C'eft comme ceux qui, pour fe famil'arifer, düènt k ceux qu'ils • recoivent a leurs tables, quoiqu'ilsfoient au-deftus d'eux , buvez a ma fanté; il n'y a rien de fi impertinent que cette bonté-la; c'eft comme s'ils leur difoient: fou venez • vous bien que vous n'êtes pas fluts pour boire a ma fanté, ii je ne vous en donnois pas la permilTion. Ce que j'en dis , au iefte, n'eft pas pour m'exemter de payer Tarnende ; je dois fept guinées, les voila. En même tems, elle tira de fa poche une bourfe aulli ufée, que ft elle eut été faite depuis cent ans, & jetta les fept guinées fur la table. Violent ne favoit s'il devoit rire, ou fe facher, du difcours de la vieille: il étoit lujet a fe mettre en colère pour un rien, &  XXII. DlALOGUE. IS0 fon fang commencoit a s'échaufTèr. Touteföis, il réfolut de fe faire violence par confideration pour Tity; & prenanc la* chofe en badinanr. Eh bien! ma bonne mère, die il ala vieille, parlez a votre fantaifie, foit que vous difiez Votre Majefié, ou non y je ne veux pas moing être un de vos amis. j'y compte bien, reprit la vieille, c'efr, pour cela que j'ai pris la liberté-de dire mon fentiment, & je le ferai toutes les fois que j'en trouverai 1'occafion; car on ne peut rendre un plus grand fervice a fes amis, que de les avertir de ce qu'on croit qu'ils font mal. II ne faudroit pas vous y fier, répondit Violent; H y a des momens, oü je ne reeevrois pas volontiers de tels avis. Avouez, mon prince, lui dit la vieille, que vous n'êtes pas loin d'un de ces momens; & que vom donneriez quelque chofe de bon, pour avoir la liberté de m'envoyer prome» ner tout a votre aife.. Voilé, nos Héros. Ils feroient au défelpoir qu'oa leur reprocbat d'avoir fui devant un ennemi, de lui avoir cédé la vi&oire fans oombat , & ils avouënt de fang froid, qu'ils n'ont pas le courage de ré-  T3ü XXII. DlALOGUE. réfifter a leur colère, comme s'il n'étoit pas plus honteux de cédér lachement a une paffion qu'a un ennemi, qu'il n'eft pas toujours en notre pouvoir de vaincre. Mais, changeons de difcours, celui - ci ne vous eft pas agréable; permettez que je faflè entrer mes pages, qui ont quelques préfents k faire a la Compagnie. Dans le mo. ment, la vieille frsppa fur la table, & 1'on vit entrer par les quatre fenêtres de ia falie, quatre enfans ailés, qui étoient les plus beaux du monde. Ils portoient chacun une corbeille pleine de divers bijoux d'une richefle étonname. Le Roi Violent, aïant en mêKie tems jetté les yeux fur la vieille, fut furpris de la voir changée en une Dame ft belle, & fi richement parée , qu'elle éblouïflbit les yeux. Ah, Madame, dit»il a la Fée, je vous reconnois pour la marchande de nèfles & denoifettes, qui me mit ft fort en colère; pardonnez au peu d'égard que j'ai eu pour vous, je n'avois pas 1'honneur de vous connoitre. Cela doit vous fai- ^ re voir qu'il ne faut jamais manquer d^ègard pour perfonne, reprit la Féej. 1 anais$ mon Prince, pour vous montrer que  XXII. DlALOCüB. I-^I que je n'ai point de rancune, je veux vous faire deux préfens. Le premier efl de ce gobelet; il eft fait d'un feul diamant, mais ce n'eft pas ce qui le rend précieux: toutes les fois que vous ferez tenté de vous mettre en colère, rempliflez ce verre d'eau, & le buvez en trois fois, & vous fendrez la pasfion fe calmer, pour faire place a la raifon. Si vous profitez de ce premier préfent, vous vous rendrez digne du fecond. Je fais que vous aimez la Princefie Blanche; elle vous trouve fort aimable, mais elle craint vos emportemens, & ne vous époufera qu'a condition que vous ferez ufage du gobelet. Violent, furpris de ce que la Fée connoiftbit fi bien fes défauts & fes inclinations, avoua qu'en effet il fe croiroit fort heureux d'ëpoufer Blan* che; mais , ajouta-t-il, il me réfte un obftacle k vaincre , quand même je ferois aftèz heureux pour obtenir le confentement de Blanche; je me ferois toujours une peine de me rerna» rier, par la crainte de priver ma fille d'une couronne, Ce fentiment eft beau, dit la Fée, &il fe trouve peu de pères, capables de facrifier leurs F 6* in»  1*2 XXII. DlALOGUE. ïncünations au bonheur de leurs enfans; mais, que cela ne vous arrête point. Le Roi de Mogolan, qui étoit un de mes amis vient de mourir fans enfans, & par confeil il a difpofé de fa couronne en faveur de YEveillé* 11 n'eft pas r.é Prince, mais il mérite de le devenir, il aime la. Princefïe Elife, elle eft digne d'être la recompenfe de la fidélité de VEveUU: & ft fon Pere y confent, je fuis Jure qu'elle lui obéïra fans répugnance. Elife tougit a ce. discours: il eft vrai qu'elle avoit trouvé YEveillé fort aimable,, & qu'elle avoit écouué avec plaifir ce qu'on lui avoit r»iconté de la fidéliré pour fon Maitre. Madame, dit Fïo* temf, nous avons pris 1'habitude -de boüs parler a' coeur ouvert. j'eftime VEvei/Ié, & fi i'ufage ne me lioit pas les mains, je n'auroi» pa? befbin de lui voir une couronne pour lui donner ma fille; fnais les Hommes, & fur-tour. les Rois, doivent'refpeéber les ufages regus-, & ce feroit bleftèr ces ufages que de dbnner ma fille aun ftnple gentil-homme,. elle, qui fort d'une des plus-anciennes families du monde ; car , ¥Oss- &yez bien qus depuis trois cent ans  XXII. LTiAtagïte. 133 i tns nous occuponsle tróne. Mon Prïni; ce, lui die la Fée, vous ignorez que I la familie de X'Eveillé eft tout-auiü an) cienne que la votre, pulsquevous êtes ii parent, & que vous fortez de deux rrèj ■es: encore YEveillé doit-il avoir ! le pas, car il efl forti de 1'ainé, & ' votre Père n'étoit que le cadet. Si '\ vous voulez me prouver cela, dit le Roi Violent, je jure de donner ma fille j; k YEveillé ^ quand même les fujets du feu Roi de Mogolan refuferoient de Ie j: reconnoitre pour Maitre» Rien de plus \ facile que de vous prouver 1'anciermeté ]i de la Maifon de YEveillé^ dit la Fée I il .fort cYElifa, 1'ainé des fi's de Japket fijs de Noè, qui s'etabüt dans le Pilo\ponnlfe, & vous fbrcez du f^cond fils de ce même Japhet. 11 n'y eut perfonne qui n'eut beaueoup de peine a s'empêcher d'éclater de rire, en voyant que la Fée fe moquoit fi férieu, fement de Violent. Pour lui, la colère commencoit a s'emparer defesfens, Jbrsque laPrinccflè Blanche, qui étoit a cóié de lui , lui prefenta le gobelet de diamant: il le but en trois coups comme la Fée le lui avoit commandé' & pendant cet intervalle, il penfa en F 7 ld  134 XXIT. Dial ocue. lui-même , ^qu'efFeétivement tous les i hommes étoient réellement égaux dans leur naiflanee, puisqu'ils fortbient tous de Noê, & qu'il n'y avoit de vraie difTérence entre eux, que celle qu'ils y mettoient par leurs vertus, Aïant | achevé de vuider fon verre, il dit k la Fée: en véritê, Madame, je vous ai beaueoup d'obligation, vous venez de me corriger de deux grands défauts, de mon entêtement fur ma nobiefTe, & de 1'habitude de me mettre en colère. J'admire la vertu du gobelet, dont vous^ m'avez fait préfent; a mefure que je buvois, j'ai fenti ma colère fe calmer, (& les rêflexions que j'ai faites, dans 1'intervalle' des trois coups, que j'ai bus, ont achevé de me rendre raifonnable. Je ne veux pas vous tromper, lui dit la Fée, il n'y a aucune vertu dans le gobelet, dont je vous ai fait préfent; & je veux apprendre a toute la Compagnie, en quoi confifte le fortilège de cette eau, bue en trois coups. On homme raifonnable ne fe mettroit jamais en co* lère, li cette paflion ne le furprenoit pas , & lui lauToit le tems de réfléchir: or, en fe donnant la peine de faire-  XXII. Diilocue. 135 faire remplir ce gobelet d'eau, en le buvant en trois fois, on prend du tems; les fens fe calment, les réfléxions viennent, & lorfque cette cérémonie eft achevée, la raifon a eu le tems de prendre le deftiis fur la paflion. En vérité, lui dit Violent, j'en ai plus appris aujourd'hui, que pendant le refte de ma vie. Heureux, Tity, vous deviendrez le plus grand Prince du Monde avec une telle protectrice ; mais, je vous conjure d'employer le pouvoir que vous avez fur 1'efprit de Madame, a la faire fou venir qu'elle m'a promis d'être de mes amies. Je m'en fouvint trop bien pour 1'oublier, dit la Fée , & je vous en ai déja donné des preuves; je continuerai a le faire, tant que vous ferez docile, & j'efpère que ce fera jusqu'a la fin de votre vie. Aujourd'hui, ne penfons plus qu'a nous divertir pour célébrer votre mariage, & celui de la Princefle Elife. En même tems, on avertit Tity4 que les Officiers, qu'il avoit chargés d'acheter toutes les terres & les maifons qui environnoient celle de Biby, demandoient a lui parler. II commanda qu'on les fit entrer- & ils lui  Ï3Ö XXII. DlALOGtfE. lui-'montrèrent le deflin de rduvra^e qu'ils vouloient faire en cette petite'mailen, lis y avoient ajouté un grand jardin, & un grand pare, qui auroit été parfait, s'ils e uilen e pu abattre une petite maifon, qui fe trouvoit au beau milieu d'une des allées de ce raic, & qui en gatoit la fymmétrie. Kt pourquoi ri'avez-vous pas öté cette bieoque, dit le Roi Violent, en parlant a ces Officiers & aux Architecles ? Seigneur, lui répondirent- ils, notre Roi nous avoit défendu de faire violeree a perfonne^ & il s'eft trouvé un homme qui n'a 'ja?» mais voulu vendre fancaifon-, quoique nous aïons offert de la lui payer quatre fois plus qu'elle ne vaut. Si ce coquin* la étoit né mon fujet, je le ferois pendre, dit Violent. Vous vuideriez votre gobelet auparavant, dit la Fée. Je crois que Ie gobelet ne pourroit lui fauver la vie, répondit Violent; car enfin, n'eft il pas hoirible, qu'un Roi ne foit pas maitre dans fes Etats,. & qu'il foit contraint d'abandonner un ouvrage qu'il fouhaiteachever, par 1'obftination d'un faquin, qui devroit s'eftiaaer trop heureux de faire fa fortune, en  XXÏÏ. DlALOGLTK. 13? en obligeant fon Maitre, fins le foreer a le contraindre, ou a aba'ndonner fon delïein. je ne ferai ni i'un ni l'autre, dit Tiiy, en riant:, &; je préte^ds que cette maifon foit le plus grand ornement de mon pare. Oh! je vous en défie, dit Violent, elle eft telïement placée , qu'eile Jne peut fervlr qu'a le gater. Voici ce que je ferai, dit Tity: elle fera environnée d'une muraille as* fez haute, pour empêcher cet homme d'entrer dans mon pare;. mais pas aftez pour lui en öter la vuë, car il ne feroit pas jufte de fenfermer comme dans une prifon; cette muraille continuera des deux cotés , & 1'on y lira ces paroles, éerkes en lettres d'or: Un Roi qui fit batir ce pare, alma mieux lui latjfer ce éèfaut, que de devenir injufte a Pégard , d'un de fes fujets, en lui- raviffant fhêritage de fes Pères, fur lequel il nx avoit d9autre droit, que celui de la force,. Tout ce que je vois me confoni , dit Violent', j'avouë que je n'a vois pas même 1'idée des vertus héroïques qui font les grands hommes. Oui, Tity, certe muraille fera Fornement de votre pare, & la belle aétion que vous faites en Fèlevant, fera i'ornement de votre vie. Mais,  138 XXII. DlALOGUE Mais, Madame, d'oü vient Tity fe porte-t-il naturellement aux grandes vertus, dcnt je n'ai pas même 1'idée, comme je vous ]'ai dit? Grand Roi, lui répondit la Fée, Tity, élevé par des parens, qui ne pouvoient pas le fouffrir, a toujours été contredit depuis qu'il eft au monde: il s'eft accotitumé, par conféquent, a foumettre fa volonté a celle d'autrui dans toutes les chofes indifférentes. Comme il n'avoit aucun pouvoir dans le Royaume, pendant la vie de fon Père; qu'il rje^pouvoit accorder aucune grace, & qu'on favoit que le Roi avoit envie de le déshériter, les flateurs n'ont pas daigné le gater, paree qu'ils ne croyoient pas avoit rien a craindre, ni k . cfpérer de lui: ils 1'ont abandonné aux honnêtes gens, que le feul devoir attachoit k fa perfonne, & dans leur compagnie, il a appris, qu'un Roi, qui efl maitre abfolu pour faire du bien, doit avoir les mains liées, lorsqu'il eft queftion de faire du mal; qu'il cómmande a des hommes libres, & non a des efclaves; que les peuples ne fe font foumis a leurs égaux, en leur donnant la couronne, que pour fe don- aer  XXII. Dialosue. 13& ner des Pères , des protecleurs aux loix, un refuge aux pauvres & aux opprimés. Vous n'avez jamais entendu ces grandes vérité. Devenu Roi dès 1'age de douze ans les Gouverneurs, a qui Ton a confié votre éducation, n'ont penfé qu'a faire leur fortune, en gagnans vos bonnes graces. Ils ont appellé votre orgueil noble forti; vos emportemens., des vivacités txcufabks: en unmot, ils ont fait jusqu'a ce jour votre malheur, & le malheur de vos pauvres fujets, que vous avez regardés & traités en efclaves, paree que vous penfiez, qu'ils n'étoient au monde que pour fervir a yos caprices, au-lieu que dans la vérité, vous n'y êtes que pour fervir a les protéger, & a les défendre. Violent con« vint des vérités que lui difoit la Fée; inftruit de 4es devoirs iï s'appliqua k fe vaincre pour les remplir; & ü fut encouragé dans fes bonnes réfolutions, par 1'exemple de Tity & de YEveillé, qui confervèrent, iur le tróne , les vertus qu'ils y avoient apportées» Lady  Ï40 XXII. DlALOGUE. Lady Spirituelle. Ma Bonne, voila le plus joli conté que j'aie entendu de ma vie; il me fait fbuvenir ri'üne petite hiftoire que j'ai entendu dire, & que je raconterai & ces Dames, fi vous voulez me le permettre. Madem. Bonne, Volontiers, ma chère., Lady Charlotte. II y avoit une femme d'une. balie condition, qui étoit la plus malheureufe perfonne du monde ; elle avoit un mari qui la battoit tous les jours jusqu'è. la rendre malade. Elle fut trouver une vieille femme de fes voifines, qui paflbit pour avoir beaueoup de fcience, quelques-uns même difoient qu'elle étoit forcière , paree qu'eile venoit a bout de tout ce qu'elle entreprenoit. La vérité eft, que cette femme, aïant beaueoup de prudence, & s'attachant a connoitre les caraclères des perfonnes, avec lesquelles elle vivoit, leur faifoit faire tout ce qu'elle VQU-  XXII. Dtaloguf; 141 I vouloit, & prévoyöit ce qu'elies avoient I envie de faire. La bonne femme éi coura les plaintes de la voifme, & compniïelle la connóiifoit auffibien que fon Imarï, ëlle lui dit, qu'elle vouloir, cm» jjployer fa fcience pour lui rendre lèrivice. Elle fuc chercher une grande I cruche pleine d'eau, la mie fur une taïble, fit trois tours, en difant qaelques I paroleslatines, puis elle mir deux grams I de fel dans cetre eau, & en aïant remI pli une bouteille, etle dit a fa voifme, I gardez cette eau bien foigneufement, & I toutes les fois, que vous verrez votre § mari, prêt a fefacher, rempliffez voI trebouche de cette eau; tant que vous I 1'aurez dans la bouche, je vous promets j que vorre mari ne vous battra pas. La 1: femme remercia beaueoup fa voifme, I & ne manqua pas de faire ce qu'elle lui ï avoit commandé. E je ne douta plus I que cette vieille ne fut véritablement I fbrcière; car pendant huit jours, que I fon eau dura, fon mari ne la battit | pas une feule fois. Elle fut fort affli] gée, quand elle vit la bouteille vuide, i & retourna chez la vieille pour la prier 3 de la remplir. Vous n'cn avez par be| fom, lui dit cette femme; cette eau eft de  142 XXII. DlALOGUE. de 1'eau de la rivière, fur laquelle j'ai dit des paroles qui ne fignifioient rien. Mais pourtant, dit la jeune femme, cette eau a eu la vertu d'empêcher mon mari de me battre; paree qu'elle vous a empêché de répondre a votre mari, dit la vieille, car vous ne pouviez parler tout le tems que vous en aviez dans la bouche: rerournez a votre maifon, & quand vous verrez votre mari qui aura trop bu, ou qui fera de mauvaife humeur, au lieu de 1'obftiner & de lui dire des injures, gardez le filence, comme fi votre bouche étoit pleine d'eau , & vous verrez que fa colère fe palfera. La jeune femme fuivit le confeil de la vieille, & elle s'en trouva bien; car fon mari, n'étant plus contreditmal-a-propos, perditThabitude de fe mettre en colère, & vecut toujours bien avec la femme, qu'il aima beaueoup, aufii tot qu'elle fut devenuë douce & patiënte. Madem, Bonne. Votre hiftoire eft fort jolie , ma chère; j'ai envie de donner une bouteille d'eau a Lady QhtrkUe* Vous en  XXII. DlALOGUE. 43 en auriez grand befoin, n'eft-ce pas, ma chère? Lady Charlotte. Oui, ma Bonne. Je vous aiïure ; pourtant, que je ne fuis plus fi méi chante, & que je me com^e un peu tous les jours. Madem. Bonne» Si vous continuez, vous devïendrez bonne tout-a-fait. Parions maintenant de la Géographie; mais, avant d'examiner la fituation de la France, je ' veux vous dire un mot de ce qu'elle étoit avant de porter ce nom. Autrefois on nommoit ce Païs les Gau/es. II étoit habité par des peuples lextrêmement forts & robuftes, & qui avoient un courage féroce, qui les fit regarder longtems comme invincibles. |Ces peuples, s'étant multipliés, cher'ichèrent a s'établir dans d'autres Païs, I paree que les Gaules, quelque grandes I qu'elies finTent, étoient devenuës trop ajpetites pour les contenir. Une grande Iarmée de Gaulois palfa dans l'Italië; &  144 XXII. DlALOGUE. & ils demai dèrent honnctement un i Païs qui n'ëtoir point cultivé pour s'y établir. On le leur ref ufa, & on cora« i nut même une injuftice a leur égard; , ainfi, leur chef, nommé Brennus, après avoir demandéjuftice -aux Romains,, qui la lui refufèrenr, mena fon armée: vers Rome qu'on avoit abandonnée», Ils brulèreut enfuite cetce Ville, mais i aïant été attaqués pru- un nommé Ca- > mille, au moment qu'ils croyoient: avoir fait la paix, ils lurent défaits &: mis en piece? Ces Gaulois qui biü- 1 lèrent la ville de Rome, fortoient de 1 la ville de Sens, que je vais vous mon- - trer fur la carte. Dans d'autres i tems, les Gaulois envoyèrent encore des armées, ou dans la Grèce* ou dans ; VItalië, mais elles furent prefque tou-. jours dêfaites, après avoir remporré de grandes viéloires, & pillé les lieux : oü elles avoient paifé. Enfin, les 1 Gau/es furent foumifes par Jules-Céfsir, qui fut dix ans entiers a faire la , guerre aux Gaulois. Je vous ai fait remal quer, en parlant de VAngleterre> que la force dest Romains diminuant de plus en plus, 'ils ne furent pas en état de confèrver leur conquêtes, qui kur  XXIÏ. DlALOGUE. I45 leur furent enlevées par des Nations, qui profitèrent de leur foibleflë, Un , peuple, qu'on appelloit les Vifigots, leur prirent le Languedoc & une part ie de la Provence, que vous voyez au Sud dehFrance. — Un autre peuple, qu'on nommoit les Bourguignons, leur enleva ce Païs que vous voyez, & qu'on appelle aujourd'riui la Bourgogne & le Dauphinè, Enfin, les Francs, qui demeuroient de l'autre cöté du Rhin9 dans la Germanie , vinrent faire des courfes dans les Gaules pour les piller, & a la fin, ils s'y établirent fous un Prince nommé Clovis, quivinta bout de chafTer le refte des Romains qui y étoient encore. Clovis fit par la fuite un accommodement avec un autre peuple, qui, du confentement des Ro~ mains, s'étoit établi dans les Gaules; c'étoient lesAnglois, comme nous Fa* vons vu en parlant de VAngleterre, T1<3 hflT"»ïfr»ipnf la Rref/irrti» Ar\r\r r*lni>:* leur laiffa une partie^ mais, ce fut a condition que leurs Princes ne prendroient plus la qualité de Rois: depuis ce tems, on les nomma Comtes. Lady Senfé va me répéter en abregé c& que j'ai dit de la France,, Tem, III, G Lady  I4Ö XXII. DlALOGUE. Lady Sensee. Ce Païs autrefois s'appelloit Gaules t II fut fóumis par Jule:-Cèfar. Les Vipgots & les Bouguignons s'y établirent en enlevant plufieurs Provinces aux Romains, & fondèrent dans les Gaules deux Royaumes, qu'on nommoit le Royaume des Bourguignons, & celui des Viflgots. II y avoit un troifième Royaume dans les Gaules, qu'on nommoit Bretagne, & il étoit fondé par les Anglois. Enfin Clovis, Roi des Frangois, aïant chafle" des Gau* lei ce qui y reftoit de Romains, y fon* da le grand empire, qu'on a depuis siQöjmé la France. Modem» Bonne; On ne peut pas mieux dire , ma chère. Allons, Lady Mary, répétez votre hiftoire. Lady Mary, Un homme , nommé Elimelec, fut demeurer dans le Païs des Moabites mee fa femme Nahmi & deux de fes rils,  XXII. DlALOGUE. I47 fils, qui époufèrent des filles de Moabi ils avoient quitté leur contrée, paree qu'il y avoit une grande famine. Ils demeurèrent dix ans dans Moab, & pendant ce tems, le Père & les deux fils moururent. Nahomi refta donc: feule avec fes deux belles filles, &elle eut envie de retourner dans fon PaïSy. Elles dit aux veuves de fes fils : re-r tournez dans la Maifon de vos Pères; je prie Dieu qu'il vous bénilfe, paree* que vous avez bien vecu avec mes fils , & enfuite avec moi, Dieu vous en récompenfera, en vous donnant d'autres maris. Une de fes belles-filles lui die adieu en pleurant, & retourna chez fon Père; mais l'autre qui fe nommoit: Ruth, lui dit: je ne vous quiterai point, votre Dieu fera mon Dieu, & votre peuple fera mon peuple, la mort feule me féparera de vous. Ruth partit donc avec fa belle, mère, & vint X Bethlêem, qui étoit le païs de Naho* mi, & tout le monde admiroit la vertu de cette jeune femme , qui avoit renoncé k tout, pour fuivre fa bellemère, qui étoit fort pauvre. Comme c'étoit dans le tems de la moifion , Ruth dit a Nahomi; permettez que G a j'ail.  148 XXII. DlALOGUE. faille glaner, cela nous donnera moyen de vivre. Sa belle-mère y aïant confenti, elle fut dans le champ d'un homme vieux & riche, qui fe nommoit Boaz, & qui étoit parent du Père de fon mari Boaz, étant venu voir fes moiiTonneurs, & aïant appris que cette jeune femme étoit la Moahite, dont on admiroit le bon coeur, lui dit, Dieu vous béniftè, ma chère fille, il vous récompenfera, j'en fuis fur, ne fortez point de mon champ, vous glanerez avec mes filles, & vous mangerez avec nous. Enfuite, Boaz9 commanda a fes ferviteurs de relpéfter Ruth, & de laiftèr tomber, commepar hazard , beaueoup de bied , dans le lieu oü elle glaneroit; enforte qu'elle en ramaffa une grande quantité, qu'elle porta a fa belle-mère. Nahomi, charmée de la fageffe, de 1'obé'üTance & de 1'afTeélion de Ruth, lui dit: mon enfant, je veux récompenfer ton amitié & te donner le moyen de faire ta fortune. Boaz eft notre parent, & il doit t'époufer; va donc ce foir dans la grange oü il couchera; couche toi a fes pieds; & il te dira ce qu'il faudra faire. Ruth obéït a la belle-mêre , & Boaz,  XXII. DlALOGUE. 149 Booz, s'étant éveïllé a minuit, fut furpi is de voir une femme couchée a fes pieds. Ruth lui dit : Monfeigneur, vous favez que je fuis votre parente; & que, felon la loi, vous devez m'époufer. Boaz lui dit, en vérité ? ma fille, tu montres que tu es bien fage; car tu n'as pas chercbé un mari parmi les jeunes gens, mais tu as choifi un vieüiard ; il eft vrai que je fuis ton parent, mais il y a un autre homme qui eft plus proche parent que moi, s'il refufë de t'époufer, comme la loi Pordonne, je te prendrai pour ma femme; car tout le monde fait que tu as de la vertu. Le lendemain Boaz s'asfitdevant la porte de la Ville, & aïant pris dix témoins parmis les anciens du peuple, il dit a cet homme, qui étoit plus proche parent que lui: Nahomi veut vendre la part de 1'héritage de fon mari, vois, fi tu veux 1'acheter & époufer ic»M, peur donner des enfans a ton parent qui eft mort. Cet hom* me lui répondit: je renonce a 1'héritage & a la femme, prends la pour toi. En même tems, il óta fon lóulier felon la coutume, car c'étoit une marqué qu'il renoncoit a 1'héritage du G 3 de-  1JO XX11* DlALOGUE, defunt. Boaz prit le foulier, & époufa Ruth, & tout le peuple difoit: lbyez heureux avec cette femme, & que Dieu la bénifte, comme il a fait a Rachel & Lea. Dieu écouta les prièies du peuple : car Ruth eut un fils, qui fut nommé Obed, & qui a été Grand-Père de David. Nahomi recut cet enfant dans fon fein, qui la confola de tous fes malheurs, & qui lui tint lieu du mari , & des deux fils Qu'elle avoit perdus. Mifs Mo$ly. Mon Dieu, ma Bonne, que cette kiftoire eft touchante; j'ai eu envie de pleurer, en 1'écoutant. Madem. Bonne. Et moi, ma chère, j'ai pleuré toutk» fait. J'admire le bon coeur de Ruth pour fa belle-mère; fa fageffe, fon obéïftance: j'admire le bon coeur de Boaz, qui veut lui faire du bien, comme par hazard, & fans qu'elle foit obligée de le remercier ; remarquez bien° cela, mes enfans. Ce n'eft pas alFez  XXII. DlALOGUE. 151 afTez d'aimer a faire du bien; il faut encore apprendre k le fiire lans vanU té. II y a des gens qui afliffcent les pauvres; mais qui le font d'une manière fi dure, qu'ils les font mourir de honte, au*lieu de les föulager. Un honnête homme efl devenu pauvre; li vous allez lui dire ; apparemment que vous avez perdu votre bien par votre mauvaife conduite; je veux bien pourtant vous empêcher de mourir de faim, & je vous ferai 1'aumöne. Voyez-vous, mes enfans, cet homme-lalöunrira davantage, en recevant votrfc bienfait , qu'il n'eüt foufFert par la faim. Vous rendrez fervice a un ami; mais vous lui faites valoir ce fervice -9 vous lui en parlez fans ceffe , vous dites a tout le monde que cet homme vous a beaueoup d'obligation; & moi je penfe qu1 il*ne vous en a guères» Quand on rend un fervice, il faut tacher que celui & qui on le rend, ne le fachepas, ne lui en jamais parler, tacher de le lui rendre comme par hazard, & s'il découvre que vous avez voulu l'obli* ger, lui faire voir que vous avez eu plus de plaifir en lui rendant ce fervice , qu'il n'en a eu a le recevoir. ■ G 4 La-  ïyi XXII, Dialogüe Lady Charloite, dites-nous votre hiftoire. Lady Cha r lot te. II y avoit un homme, nommé Elkana, qui avoit deux femmes; une ó'elles, nommée Anne, n'avoit point d'enfans i & l'autre femme la méprïfoit a caufe de cela. Un jour, Anne fut au Temple, pour demander au Seigneur de finjr fa peine, & elle lui dit: Si tu me donnés un fils, 6 mon Seigneur, je lc confacrerai a ton fervice. Comme Anne prioi: avec ardeur, fon vifage etoit tout en feu, & le GrandPrêtre Hélt crut qu'elle avoit trop bü, & lui dit de fortir. Anne, aulieu de fe mettre en colère, de ce qu'on la croyoit une yvrogneffe, dit au GrandPrêtre: Seigneur, je ne fuis pas yvre, je fuis une pauvre femme affltsée, qui vient demander du fecours au Seigneur: s'il m'accorde un fils, le rafoir ne pas* fera point fur fa tête, & je le confacrerai a mon Dieu. Qae le ^>eigneur t'accorde ta demande , reprit le GrandPrêtre. Anne fe releva pleine d'efpé• rance , & ie Seigneur lui accordala gra-  XXII. Dl AL O CU F. I53 grace qu'elle lui avoit demandée. Elle eut un fils qu'on nomma Samu'èl, & lorsqu'il fut févré, Anne le mena au Grand - Prêtre, & lui dit; Seigneur, vous voyez cette femme qui étoit ft affligée, Dieu m'a confolée , c'efr. pourquoi je vous amènemon fils; afin qu'il ferve le Seigneur dans fon Temple. Le Grand Prêtre bénit Anne & fon mari, en difant: que le Seigneur vous envoye d'autres enfans, pour celui que vous lui donnez, Anne eut donc encore trois fils & deux filles* Une nuit, que le jeune Samu'ël dormoit auprès de 1'arche du Seigneur, une voix 1'appella. Ii crut.que c'étoit le Grand-Prêtre Hélt, & s'étant levé, il fut lui demander ce qu'il lui vouloit. Je ne vous ai point appellé, monfils, lui dit Hélt , allez vous ree:>uch;r. La même chofe érant arrivée trois fois de fuite, Héli comprit que c'étoit Dieu, qui appelloit Samuël, & lui dit: fi 1'on t'appelle encore une fois tu-ré pondras 1 parle, Seigneur, ton Serviteur t'écoute. Samucl fit ce qu'Héli lui avoit commandé, & Dieu dit: Héli a négligé de corriger fes enfans ; c'eft pourquoi je lui ai annoncé, qu'aucuii G 5 de  J54 XXII. DlALOGUE* de fes enfans ne parviendroit jusqu'è la vieillefle, car fes enfans font des méchans, 5& il s'eft contenté de les reprendre fans les punir févèrement, comme il le devoit. Samuël auroit bien voulu taire cette vifion au GrandPrêtre, mais Héli lui aïant commandé de lui dire la vérité, Samuël lui raconta ce que le Seigneur lui avoit dit & Héli répondit, que la volonté de Dieu s'accompliflè. Depuis ce tems, le Seigueur fut avec Samuël, qui dejneuroit en Scilo; & tout le peuple consut qu'il étoit un Prophéte. Lady Seks se. Tlvis nous avancons dans l'hiftoire «le la Sainte Ecriture, plus je la troufe belle. II me paroit qn9 Héli étoit un laonnête homme, c'eft bien dommage qu'il eut des enfans méchans. Madem* Bonne. C'étoit fa faute, ma chère, autre^ anent Dieu ne la lui auroit pas re* prochée. II s'étoit contenté de les regrendre > & cela dans le tems qu'ils <$OïE»  XXII. DlALOGUE. fff commettoient de grands crimes, qui méritoient des chatimens plus fevères. Combien de Pères & de Mères, qui feront maiheureux , pour n'avoir pas puni leurs enfans! Vous voyez, Mesdames, qu'il ne faut pas fe facher contre vos Parens & vos Maitres, quand ils vous corrigent; ils y font obligés, & Dieu les puniroit bien févèrement, slis ne le faifoient pas, comme vous verrez qu'il punit Hélu Mifs Molly. Dieu menaca les enfans tfHèlt déles faire périr, avant qu'ils devinflènt vieux; cTeft donc une punition de Diets quand on meurt jeune? Madem. Bonne. Souvent, ma chère; mais il arrivé I fouvent auiïi, que la mort dans la jeu» nefie eft un effet de k bonté de Dieu» I II enlève les enfans de ce monde, avant qu'ils aient commis de grand* pêchés, s'il prévoit qu'ils en doivent commettre, & devenirméchans; quel» a»l?heure. Cetre femme furieufe die k fon mari, qu'il pouvoit partir touc feul , mais qu'alTurément elle ne fortiroit pas. Le eentil-homme, fans s'émouvoir, appelb quatre grands laquais, qu'il avoit menés avec lui, & leur dit: fi Madame ne monte pas a chevai de bonne grace, prenez-la de force, & laliezfur le chevai. Cette femme outrée, voyant qu'elle n'étoit pas la plus forte, monta furie chevai, envomiflant mille injures contre fon mari, qui ne fai* foit pas femblant de 1'entendre. Pendant ce tems, une chienne, qu'il ai. xnoit beaueoup, vint le csreffer; retire-toi, luidit-il, je ne fuis pas d'humeur de recevoir tes carelfes. Cette pauvre chienne, qui ne 1'entendoit pas, revint une feconde {ois pour le caresfer; cg! dit-il, je n'aime pas qu'on m'obftine , & aïant pris un piftokt qui étoit a 1'arcon de fa felle, il brnla la cervelle a cette pauvre b£te, A ce fpeétacle, la Dame eftrayée- ceflè de lui dire des injures, ce brutal la, dit* elle en elle - même, pourroit bien me traiter comme fa chienne. Ils firent trois lieuës de chemin , fans dire un feul  XXIII. DlALOGUE. I<53 feul mot; mais le chevai de la femme aïant refufè de pafiTer auprés d'un arbre, qui lui faifoit peur, fon mari lui commanda de defcendre , puis il dit au chevai, ie t'apprendrai a pbéïr, & prenant fon piftolet, il lui calfi la tête avec le plus grand fang froid du Monde. Mon Dieu, ayez pitié de moi! difoit tout bas la femme; que vais-je devenir feule avec cet enragé? il me* tuera au premier moment, J'ai changé de penfée , lui dit le gentil* homme , retournons au Chateau , je ferai marcher mon chevai au petit pas, afin que vous puiiïiez me fuivre; mais comme je ne veux pas perdre la felle du chevai que j'ai tué, vous aurez la bonté de la porter lur vos épaules. Cette femme ^ plus morte que vive, prit la felle , fans ofer dire un feul mot, & arriva a fon Chateau, fuant a groflès goutes. Pendant fon abfen» ce, on avoit donné congé a tous fes domeftiques, & elle en trouva d'autres qu'elle ne connoiflbit pas, & qui a« voicnt une mine fi terrible, qu'ils la faifoient trembler; elle eut bien voulu s'enfuir; mais il n'y avoit pas moyen d'y penfer. Son mari la fit diner & J r fou-  10*4 XXIII. DlALOGUE. fouper fans qu'elle eüt appétir, & elle crut être morte, quand il lui dit qu'elle pouvoit monter dans fa chambre, paree qu'il vouloit fe coucher; car en même tems, il prit fes piftolets. En enrrant dans cette chambre, quVlle regardoir comme devant être fon tombeau, il 5'affit daus un fauteuil, & lm commanda de leoéchauffer. Elte obéït en filence, enfuite, fon mari lui >aïant dit de s'aftèoir dans le même fauteuil, le-déchaufla a fon tour. II eft bien jufte, lui dit -il, que je vous rende le même fervice que j'ai recu de vous, car tel eft mon humeur; je traite les gens comme ils me traitent; ceft a vous k prendre vos mefures lè deiTus. Pour une bruralité que vous me^ ferez, je vous en rendrai quatre; mais aufii vous n'aurez pas pour moi la moindre complaifance, que je ne vous la rende avec ufure, c'eft-a dire, beaueoup plus grande. Votre conduite réglera donc la mienne, & il ne tiendra qu'a vous, d'être la plus neureufe^ de toutes les femmes avec moi: mais fouvenez*vous bien, que ft vous vouliez faire le Diable avec moi, comme vous 1'avez fair avec le défunt, vous  XXIII. DlALOGUE. iöj. vous trouveriez en moi un Diable cenc fois plus méchant que vous, Cela fuffit Monfieur , lui dit fa femme, tenez votre parole, je fuis contente, fi mes manières dol vent régler les vorres, comme je reconnois que cela eft jufte, je ne vous reverrai jamais tel que je vous ai vu aujourd'hui. Eifeclivement, cette femme fit de ferieufes réflexions fur fa conduite paffée, & fermement per. fuadée qu'elle avoit enfin trouvé un 1 plus méchant qu'elle, elle fedétermina k fe corriger, & elle y réulïït au grand étonnement de tout le monde; enforte qu'il n'y eut jamais de manage plus heureux. Madem. Bonne.' Avouez, Mesdames, que ce gentilhomme avoit pns un bon parti. Vous voyez, par exemple, combien je fuis douce en vers vous; je ne vous ai jamais grondées, je puïs pourtant vous afturer, que fi j'avois trouvé, parmi vous une écolière , qui reftembla't a cette Dame, j'aurois pris le même parti que ce gentil- homme; caril n'y a pas d'autre moyen de ranger celles qui ne veu-  io*6* XXIII. DlALOGUE. veulent pas fe corriger par la douceur. S'il plak a Dieu, je n'aurai jamais befoin d'en venir a ces extrêuiités, vous êtes toutes bonnes & dociles; j'efpère que Lady Tempête , qui vient palier quelques mois avec fa coufine, Lady Senfée, fuivra vos bons exemples, & que nous ferons toujours bonnes amies. Lady Tempete. Je Tefpère Mademoifelle. Madem. Bonne. Appellez* moi votre Bonne, comme les autres, ma chère: venez ni'embras* fer , & ne foyez point timide avec moi'; car comme je vous 1'ai dit, je veux être votre bonne amie; je fuis celle de toutes ces Dames; elles font ce que je veux, je ne cherche qu'a leur faire plaifir; demandez-le a Lady Charhtte* qui étoit autrefois mèchante comme un petit démon, & qui eft devenue fi bonne fille, qu'elle eft ma favorite aujourd'hui. Lady  XXIII. DlALOGUE. I6> Lady Mary. Ma Bonne, 11 vous aimez mieux LaI dy Charlatte que moi, je ferai jaloufe. Madem. Bonne» Je vous aime toutes, de tout mon coeur, Mesdames: il efl vrai que j'ai un grand foible pour celles qui font un peu dragons, quand je fuis venufc a bout de les vaincre. Lady Tempé te. Je pourrai donc devenir votre favoritefc Madem. Bonne. Comment, ma chére, feriez-vout i Un peu dragon? Lady Tempete. Je fuis fure, que Maman vous 1% dit, & que c'eft a caufe de moi, que vons avea fait répéter a Lady Senféa l'hiftoire de cette méchante femme. Madem»  168 XXIII. DlALOGUE» Madem. Bonne. Tenez, ma chère, je ne veux pas vous tromper; vous 1'avez deviné. Mais, pourvü que vous aïez de la bonne volonté, je ne m'effraie point de vos défauts , nous les corrigerons. Soyez bien attentive a la lecon, ma chère ; peut - être trouverons - nous quelque chofe dans ce qui va être répêté, qui vous encouragera a devenir bonne fille. Lady Spirituelfa, vouavez lu l'hiftoire de France ; ditess nous combien il y a eu de différentes Maifons fur Ie tróne, depuis 1'étabüsment de la Monarchie. Lady Spirituelle. II efl: vrai, ma Bonne, que j'ai lu l'hiftoire de France ; mais je 1'ai luë li vite, que je ne m'en fouviens pas d'un mot: quand j'ai des livres, je fuis comme un gourmand, qui eft devant une bonne table, je voudrois les lire tous en une fois, je me dépêche, je 1'avale, pour en lire d'autres. Modem»  XXIIÏ. DlALOGUE. Ió> Madem. Bojnhe. Et comme le gourmand n'engraiÜe pas toujours, & qu'au - contraire il a fouvent des indigeftions, vous vous donnez des indigeftions de leéhire, qui ne vous rendent pas plus favante; il faut vous corriger de ce défaut, ma chère; Lad^ Senfie lit moins que vous, mais elle tire plus de profit de fes leétures; elle va répondre a la queftions que je vous ai faite. Lady Sensse. II y a eu en France trois Maifons, ou trois Races: on nomme la première: la Race des Mèrovingiens, a caufe d'un des ayeux de Clovis , qui re nommoit Mérové , & qui avoit fa it quelques courfes dans les Gaules fans s'y être établi. La feconde Race eft celle de Carlovingiens; on la nomme ainli a caufe de Charlemagne , quoique ce foit fon Père Pépin, qui ait fait entrer la couronne dans fa Maifon ; & la troifième Race eft celle des Capetiens, qui a commencé fous Tom. III. H Mu*  Ï70 XXIII. DlALOGUE. Bugues C/jpet, &quirègne encore aujourd'hui en France. Madem* Bonne, Retenez bien ceci, Mesdames; voyons maintenant comment nous partagerons la France, telle qu'elle eft au'jourd'hui, mais nous ne nommerons pas toutes les Provinces, nousneparleions que des principales. On trouve au Nord de la France, la Lorraine, \etPaïs' Bas Frangois, la Picardie, le Païs reconquis, la Normandie, & la Bretagne. Retenez bien ces Provinces, mes enfans; la première fois, je vous dirai ce qu'il y a de particulier dans chacune de ces Provinces. Lady Mary, dites-nous préfentement votre hiftoire. Lady Mary. Samueï étant devenu vieux, fes enfans jugèrent le peuple a fa place; mais ils ne reftembloient point a leur Père, car ils étoient méchans, & prenoient de 1'argent pour condamner les in-  XXIII. DlALOGUE. I/I innocens, & pardonner aux coupables. Les Israsliies dirent donc a Samuël; donnez nous un Roi pour nous gonverner, ccmme les autres Nations. Cette demande afHigea Samuël, mais le Seigneur lui dit: ce n'eft pas roi que le peuple a rejetré , c'eft - moi; explique leur k quoi ils s'engagent e£ demandant un Roi. & enfuite donne* leur en un. II prendra leurs fils pour les faire courir devant fon charior. II obligera leurs filles a être fes cuifimè* res & fes fervantes. II prendra fa dlxième partie de leurs biens ! leurs champs & leurs vignes, pour les donner a fes Serviteurs; alors ils crieront vers moi, qui fuis le Seigneur, con. tre le Roi qu'ils auront choifi; mais je ne les écouterai pas. Samuël répréfenta toutes fes chofes aux Israèiites ; mais comme ils s'obftinèrent & demander un Roi: Dieu dit a Samuël, de préparer un facrifice, & qu'il lui enverroit celui qu'il avoit choifi. li y avoit un homme de la tribu de Benjamin, nommé Saül, qui étoit beati de vifage, & plus grand que tous les jeunes gens de fon age. Le Père deSaül} aïant perdu fes aneftes, commanH ft.  171 XXIII. Dl AL O CUE. da a fon fils de les aller chercher, & il courut fon loin avec fon ferviteur, pour les trouver. Après avoir cherché long-tems, fon ferviteur lui dit: Allons confulter Samuël, qui eft 1'homnie de Dieu. Kt Samuël, aïant invité Saülk diner, lui fit donner la meilkure part, & le mena enfuite fur le haut de la Maifon; la il répandit fur lui une phiole d'huile & lui dit, que DieuTavoit choifi pour gouverner fon peuole. Et comme Saül lui répondit, qu'il étoit de la derniè e des tribus du peuple. -Samuël lui - donna plufieurs lignes pour lui proüver fon élection, & lui dit entre autres chofes: vous rencontrerez au" fortir d'ici une troupe de Prophètes, vous vous mêlerez avec eux,« & vous prophètiferez, enfuite vous m'attendrez pendant fept jours, pour offrir -un facrifice au Seigneur. Saül étant forti, rencontra les Prophètes, 1'Efprit de Dieu 1'aïant Templi, il devint un autre homme. Ceux qui le connóiftbient, furent tous étonnés de 1'entendre propbétifer , & difoient: Saül, er.tre les Prophètes! ce qui a palTé en proverbe. Cependant, Satnuël aïant alfemblé le peuple,-on tira  XXIII. Dta lo'gue. 173 tira au fort, &: il tomba fur Saül» qu'on eut bien de la peine a trouver , car il s'étoit caché. Laiy Charlotte, Je vous prie, ma Bonne, pourquoi Saül, fecachok-il pour ne pas être Roi? tous les hommes lbuhaitent de 1'être. . Madem. Bonne. . Ce font des aveugles, qui ne connoiffènt ni les périls, ni les devoirs de. la Royauté. 11 s'eft trouvé des hommes parmi les Païens, qui ont fait comme Saül, & on a eu beaueoup de peine a les déterminer a recevoir la couronne. Un Roi eft 1'homme chargé du bonheur du peuple, auquel il doit facrifier toutes fes inclinations, & tous fes plaifirs. Un bon Roi n'en doit point avoir d'autres; mais il efl d'autant plus malheureux, qu'il ne fait pas tout le bien qu'il fouhaiteroit de faire, & qu'on fe fert de fon non\ pour faire fouvent beaueoup de mal. Un homme fenfé doit donc trembler en devenant Roi, comme fit Saül* H 3 Cön-  374 XXIII. Di alog eg, Continuez, Lady Charlotte. Lady Charlotte. Les Ammonites marchèrent contre }es habitans de Jahès, qui leur dirent: faites alliance avec nous, &nous vous fervirons; mais le chef des Ammonites répondit: toute alliance que je ferai avec vous, eft de vous crever a chacun 1'oeil droit. Les habitans de Ja* jtès bien eftrayés , demandèrent fept jours pour füre réponfe, & aïant fait ia voir leur fttuation a leurs fi ères les Jsraëlites, ils jettéren de grand cris. Saül, qui labouroit la terrre, aïant fu Ja caufe de cette défolation, fut faift de 1'cfprit du Seigneur, & aïant coupé en pièces des boeufs avec lesquels il labouroit, il les envoya par toutes les Villes, & dit qu'ii feroit le même traitement a ceux qui refuferoient de fuivre Samuël & lui. II aftembla donc une grande armée, & battit tellement les Ammonites, qu'il n'en refta pas deux enfemble. Ii y avoit eu plufieurs perfonnes p.irmi le peuple, qui n'avoient pas é;é contentes de ce que Saül étoit devenu Roi; elles 1'avoient xgéprifé, & ne lui avoient point fait de  XXIII. DlALOGUE. 175 de préfens, ce*qu'il avoit ftgement difïïmulé, mais après cette grande victoire, le peuple dit: qui font ces per*' fonnes qui Ont murmuré contre 1'élection de Saül? donnezks nous, & nous les ferons mourir. Saülv alors rempona une plus grande victoire fur lui même, que celle qu'il avoit remponée fur les ennemis. On ne fera mourir perfonne aujourd'hui, dit-il, d'autant que c'eft un jour de réjouïsfance , dans lequel le Seigneur nous a déiivrés. Saül regna paMiblement pendant deux ans ; mais fon fils jö* tiathan aïant attaqué les philiftins, ils affemblèrent une armée innombrable contre les Israblites. . Le plus grand nombre effrayé, fe cacha, & les autres s'affemblèrent auprès de Saüti or, Samuel avoit dit a Saül: vous m'attendrez pour facrifier au Seigneur. Saül attendit fept jours; mais voyant que Samuël ne venoit point , & que fes foldats défertoient, il offrit feul le facrifice. A peine fut il achevé, que Samuël arriva, qui dit a Saül: Si vous eusfiez obéï a ce que le Seigneur vous a commandé par ma bouche, la couronne feroitreftée dans votre familie ; H 4 aiais  376 XXIII. Dial 0GUE4 mais paree que vous avez defobéï, Ie vSeigneur vous rejette, & a choifi un autre Roi, qui fera felon fon coeur. Cetre parole affiigea Saül, qui fe prépara pourtant a combattre contre les Philiftins. Lady Spirituelle. Mais, ma Bonne, Saül avoit attendu Samuël pendant fept jours; il avoit, ce me femble, une bonne raifon d'offrir le facrifice, puisque tous fes foldats s'en alloient: qu'auroit- il fait tout feul contre les Philiftins? Madem. Bonne. Le Seigneur, auquel il auroit obéï, auroit été avec lui, ma chère, & fon fecours vaut mieux que des millons de foldats. Quand Dieu commande, ce n'eft pas a nous de raifonner. II faut feulement nous foumettre. Saül défobéït, paree qu'il perdit la confïance en Dieu, il douta de fa puiffance, & de Ja vérité de fes promefles, lui qui avoit recu tant de preuves de fa divine protedlion.; n'ctoit-ce pas une gran-  XXIII. DlALOGUE. 177 grande -ingratitude de fa part? Conti' nuez cette hiftoire, Mifs Molly* ; Mifs Molly. • Les Philiftins avoient leur camp pro» che de celui des Israëlites, & Jonathan^ plein de confiance en Dieu, auquel il demanda du fecours, fut dans leur camp, fuivi d'un feul homme: il tua vingt Philiftins, & Dieu les frappa d'une telle crainte, qu'ils s'entretuoit, on jettoient leurs armes pöur fuir plus vite. Saül les pourfuivit & dit: maudit foit celui qui. mangera , avant que j'ai fini de vaincre mes ennemis. Le peuple étoit fort fatigué , & avoit une grande faim ,• mais quoiqu'il paflat dans un bois, oü il y avoit beaueoup de miel, perfonne n'ofa y toucher. Jonathan, qui ne favoit pas les paroles que fon Père . avoit dites, fe trouva mal de befoin de manger, & il prit un layon de miel au bout de fa baguette; ce petit fecours le fortifia, & qu'elqu'un lui aïant dit le ferment que fon Père avoit fait, il le blama. Cependant après la vi&oip r Saül confwlta Dieu pour ftvoir, U 5 s?  173 XXIII. DlALOGUE. s'il devoit encore combattreJes Philiftins; mais le Seigneur ne lui répondant point, il connut par-la que quelqu'un avoit manqué au ferment qu'il avoit fait. 11 tira au fort pour connoitre le coupable, & le fort tomba fur Jonathan. Saül vouloit le faire .mourir, mais le peuple s'y oppofa. & ibrca le Roi de lui accorder fa grace. Lady Spirituelle. Je mourois de peur que Saül ne fit mourir Jonathan; il n'étoit pas coupable, puisqu'il ne favoit pas le Ierment que fon Père avoit fait. Madem. Bonne. Cela efl vrai, ma chère; mais il a* voir pris la liberté de murmurer contre ion Père , a caufe du ferment qu'il avoit fait: cette faute devoit être pu.:iie, & elle le fut par la frayeur qu'il «ut de mourir. Admirez la conduite de ce ieune Prince. 11 commencé pas s'adreffer au Seigneur, & plein de coulance en fon fecours , il ne craint point i'atEa^ucr une grand* armée , n'aïant qu'uil  XXIII. Dr&LQ^ug. 179 qu'un feul homme avec lui. Que ne ferions*nous pas. par le fecours de la prière, & de la confiance en Dieu? Allons, Lady Tempue, c'eft- la , ou il faut chercher du fecours: vous avez un grand nombre d'ennemis a combattre, 1'orgueil, 1'entêtement, la colère. Vous n'en viendrez pas a bout, li vous êtes toute feule; miis fi Dieu combat avec vous comme avec jonathan , & avec les hra'èlites, vous* remporterez certainement la victoire, & cela fans avoir autant de peine que. vous vous fimagiiiez. Lady Tempete* On vous a fait un joli portrait da mon caraflère ; mais on ne vous a pas dit, que fouvent on me force a me mettre en colère: en m'obftinant mal-a propos: Après tout, Mademoifelle, chacun a fon cara&ère; & je vous aflïïre, que celles qui parient du mien, en ont encore un plus mau- " vaii.  iSo XXIIL Dtalocue. Madem. Bonne. Ce que vous dites - la, n'eft pas bien, ma chère; vous favez que vous devez du refpea a celles qui m'ont avertiës. Lady Temp et e. Te fais que'je dois du refjecT: a ma Mère; mais elle ne vous auroit rien dit, fj ma fervante ne 1'avoic pas fait parler, & je ne crois pas devoir du refpect a ma fervante. Madem. Bonne. Vous êtes dans Terreur. La perfonne que votre Mère a mife auprès de vous , & qu'il vous plait d'appeller votre fervante , a recu ordre de votre Mère, de veiller fur votre conduite, & par conféquent, elle tient fa place, & vous lui devez du refpect.. j'ajoute même, que vous en devez a t«ut le monde; & que, fi vous ne changez pas votre cara&ère, perfonne »e vous en devra. Lady  XXIII. DlALOGUE. 181 Lady Tempete. Je fuis d'un rang qui me donnera les moyens de me faire iefpe&er, quand même on ne le voudroit pas. Madem. Bonne. Puisque vous me forcez a vous dire des vérités dures , je vous avertis, mon enfant, que loin d'avoir aucun refpect pour votre rang, ni pour votre perfonne , je vous méprife plus * que les femmes qui venden t du poiffon dans les ruës; vous n'avez au-delfus d'elles que votre orgueil: or, c'eft un titre qui n'infpire de refpect & peifonne. Je vous prie, Madame, de ne point travailler quand je vous parle, & de m'écouter avec attention. Lady Tempete. Je ne fais point de mal en travaillant, cela m'amufe; & c'eft par mauvaife humeur que vous voulez me priver de ce plaifir5 mais je ne laifferaï pas paur cela de continuer. H 7 Madem,;  182 XXIII. D ia t og us> Madem. Bonne.. II y a du mal a travailler, quand une perfonne , a qui vous devez du refpect, vous parle, & vous m'en devez , Madame, aulïï bien que de 1\> béïilance. Lady Temp e t e , riant. Moi, je vous dois du refpeél & de robèïffance! Madem, Bonn e. Oui, ma trés chére, & certainéSient fi vous m'en manquez, ce fera intérieurement, car je ne le fouffrirai pas. ^ Je commencé par vous montrer, que je fuis la Maitreflè ici, en jettant votre ouvrage au feu. Je fuis charmée que vous nous donniez , dès le premier jour, un échantillon de votre méchaHceté: je commencerai auiïï a vous montrer ce que je fais faire. Vous êtes comme cette méchante femme, dont je vous ai fait; raconter l'hiftoire ; vous i'avez fouvée plus méehante que vous. Jc ne ma flate plus de  XX11I. DlALOGUE. Igj de vovjs rendre bonne; mais au moins, je fuis fure de vous rendre la plus malheureufe de toutes les créatures. Pour commencer, je vous avertis» que vous refterez tout le jour avec des perfonnes de votre forte, c'eft-a-dire , fans éducation, & que vous mangerez avec les fervantes de cuifine. Lady Charlotte, d Lady Tempete. Ma chère, fi vous voyez combien vous êtes devenuë laide depuis que vous parlez infolemment a ma Bon* ne, vous lui demanderiez pardon touta-l'heure. Madem. Bonne, Laiflez-la, ma chére, elle ne mérite pas qu'on s'intéreflè pour elle. Je fuis pourtant charmée, mes enfans, que cela fe foit paflé devant vous. Cette lecon vous fera plus de bien, que tout ce que je pourrois vous dire tontre 1'orgueiJ. Lady  «4 XXIII. DiAtocuE. Lady Charlotte. Mi Bonne, quand je penfe que j'étois comme cela, il y sl.fept mois, cela me fait trembler. Que je vous ai d'obligations, de m'avoir aidé a me corriger! Madem. Bonne. Vous aviez de la bonne volonté, mon enfant, d'ailleurs vous n'aviez que feptans; le dragon d'orgueil, qui étoit dans votre coeur, étoit encore tout petit, nous 1'avons étranglé facilemen t; mais le dragon de cette malheureufe créature eft fort, il a treize ans, & il 1'étranglera elle.même au premier jour. Qu'avez vous a pleurer, Lady Senfée* Lady Sensée. Ma Bonne, vous favez que j'aime ma coufine de tout mon coeur, jugez combien je fuis afrligée de la voir ü méchante: eft-ce donc qu'elle eft déja trop vieille pour fe corriger? Madm*  XXIII. DlALOGUE. I85 Madem. Bonne. II n'eft jamais trop tard, ma chère ; mais il eft vrai, qu'elle aura plus de peine a fe corriger aujourd'hui qu'elle 11'en auroit eu hier, & que cela fera plus difficile demain qu'aujourd'hui, & deviendra plus difficile d^ jour en jour. Je vous recommande a toutes de prier beaueoup Dieu pour elle , afin qu'il la converciftè. Lady Spirituelle. De tout mon coeur , ma Bonne; mais peut-être qu'elle a du regret a préfent de toutes les fotifes qu'elle a faites. Madem. Bonne. Non, ma chère , je m'y connois, elle crève d'orgueil actuellement, elle fait ce qu'elle peut pour paroicre gaie, paree qu'elle croit me braver par-la, & elle étouife d'envie de pleurer. La pauvre enfant croit me donner du chagrin, & elle m'en donne effeélivement; car elle fe fait un gtand tort 4 ■t'  186* XXIÏI. DlALOGUE. a elle-même. Pour moi, qui ne m'intéreflè a elle que par charité ; fi fon orgueil ne bleflbit pas fon ame que j'aime, je lui pardonnerois de tout mon coeur les fotiles qu'elle m'a dites, cela ne m'a pas donnè la fièvre, ni mal a la tére, & elle m'en diroit cent fois davantage que cela ne pourroit me faire du tort. Adieu, Mesdames, je fuis fachée que cela nous ait dérangées, j'avois un joli conté a vous dire, mais je le garde pour la première fois. Lady S e n s e e , embrajfant la Bon n e. Ma chère amie, pour 1'amour de Dieu, ne lahTez pas ma coufme dans fon orgueil, pardonnez - lui: mon Dieu [ 11 elle mouroit cette nuit, que deviendroit-elle? Madem. Bonne. Mais, ma chère, quand je lui pardonnerorê, le bon Dieu ne lui pardona«rait pas, fi elle n'a pas de regret. Lady  XXIII, DlALOGUE. 187 'Lady Tempete, fe jette entre les bras de la Gouvernante en pleur ant* Madem. Bonne. Voila l'orgueil qui crève. Courage, mon enfant, avez-vous regret de votre fauteV Lady Tempete. A quoi cela ferviroit-il? Vous dites, que je fuis trop vieilie pour me corriger. Madem. Bonne. Je ne dis pas cela, mon enfant; mais je dis que vous aurez plus de peine qu'une autre. Si vous vouliez me promettre de faire tout ce que je vous dirai, je pourrois vous promettre aulïï qu'avec le tems vous daviendrez bonne. Lady Tempete. Te ne fais ce que je vaux, je vois bien que je fuis un monftre d'orgueil, faire préfent a quelqu'un de vos amis6. Epheftion logeoit chez deux gentilshomm.es qui étoient frères & fort hon« nêtes gens» II leur dit qn'Aiexandte lui aïant permis de dïfpcfèr de la couronne, il ne pouvoit mieux faire que de la donner a l'un deux. Les deux frères le remercièrent de^fa bonne vo* lomé; mais ils lui direru, que, felon leurs loix, ils ne pouvoient pas monter; fur. le Tróne, paree qu'ils n'étoient pas de la familie Royale. Epheftion fut charmé du refpect que ces dignes frèresavoient pour les, loix.de leur Païs, leur dit, qu'il avoit une telle confiance dar.s^ leur vertu, 'qu'il leur remettoit cette couronne qu'ils. refufoient, pour la donner a quelqu'un qui fut du Sang Royal, & honnêtü homme, II y avoit ' dans,.  XXIII DlALOGUE, dans la Ville un homme de la Famik le Royale., mais qui étoit devenu 13 pauvre, qu'il n'avoit pour tout bien qu'un . petit jardin, qu'il cultivoit lui« même afin de gagner fa vie. Les^ deux. frères furent a la maifon de cec homme, qui fe nommoit Abdolonime* Ils le trouvèrent , avec- un mauvais habit, & lui dirent, quictez cec ouvrage qui n'eft pas digne de vous, & venez occuper le Tróne de vos Pères, Abdolonime crut que' ces hommes fe> moquoie.jt de lui & leur dit: il n'eft pas honnê'e de venir dans ma maifon pour vous moquer de moi;- paree que je fuis pauvre. Les deux, frères, voyaat qu'il ne vouloit pas croire ce qu'ils lui difoient,, lui» arrachérent fes méchans habits, & lui mirent une rc«be Royale qu'ils avoient apportée*. Akxandre, aïant appris cette avanture eut envie de voir cet homme. Abd<^lönime parut devant lui avec une mi defte fermeté , & Ahxandre lui aïant demandé comment il fupporteroit fit nouvelle dignité , ce vieillard lui répondit ces belles paroks : Plaife aux Dieux9 que. je M$?rU_ ma grandeur mé  18€ XXIII. DlALOGUE. avec antant de courage que ma pauvreté ! Jusqu'a préfent mes bras ont fmrni a ma nourt iture, & tant que je tftiï rien eu , je n'ai manqué de rien, Alexandre admira cette réponle , & fit de grar ds préfens au Roi de Sidon.9 auquel il accorda fon eftime. Fin dit troifteme Tomé»,