BIBLIOTHEEK UNIVERSITEIT VAN AMSTERDAML 01 2641 1990    MAGAZIN DES E N F A N S, O U DIALOGU ES, Rntreunc fage Gouvernante & plufieurs de fes Eli /es de la première diftinÏÏion. Dans lesquels on faitpeufer rfarler , agir les jeunai Gens fuïvant le génie, le tempérament, & les inclinations d'un chacun. On y repréfente les défauts de leur age, & Ton y montre de queüe maoiére on peut les en corrhger: on s'apüque autant a leur former le ctiur f qa'a leur éclairer Vefprit. On y dunne un Abrégi de f Hifi oir e Sacrêt, de la Fable, de la Gétgrapbie &c , le tout rempli oc Reflexitns ut Hts, & de Contes moraux pourles amufer agréablement; & écrir d'un fttle fimple & proportionné a la tendrefle de leurs années. P A R Made- Le Prince de Beaumont TOME QUATR1EME. A L E I D E chez L U Z A C et COMP., mdccxcviii»   L E MAGAZIN D E S E N F A N S. •^gggBSSSBSSBESBÊEBBM^ XXIV. DÏALÖGÜE. Vingt-deuxième Journée, Madem. Bonne. L Je veus ai promis un conté, mes enfans, je veux vous tenir parole; mais auparavant je veux vous dire, que Lady Tempéte a été douce comme un mouton, & qu'elle n'a faic qu'une feule faute qu'elle a réparée fur le champ: auffi, je 1'aime de touc mon coeur, & elle me difoit cc maTam. IV. A t tin  a XXTV. Dialogu*. tin quelle n'avoit jamais été fi contente dans toute fa vie, que pendant ces trois jours. Au rede, fi elle peut cor • riger fon orgueil & fa colère, comme je 1'esrère, elle deviendra fort aimaWe ; car elle aime 1'étude, elle ne matïquè pas d'efprit, & a ie coeur fort bon. Lady Tempé te. Vous êtes bien bonne de m'encou- ra*er, M&dem. BonnK. Je vous allure, rn* chère, que je re ferai jamais plus aife, que quand je pourrai vous louer avec juftice: cela eft bien plus a^réable que de gron(ier. .]e ne vivrois pas long-tems, fi j'avoix fouvent des fcènes pareilles a celles que nous eumes la dernière fois, jnais je veux 1'oublier. Ecoutez donc ce conté, Mesdames. II y avoit une fois une Fée qui vouloit époufer un Roi; m?.is comme elle avoit une fort mauvaife réputaxion, Ie Roi aima mieux s'expofcr a toute fa  XXIV. DrALOCüE, s fa colère, que de devenir le mari d'une femme , que perfonne n'eitimoit; ear il n'y a rien de fifacheux, pour un honnête homme , que de voir ia femme méprifée. Une bonne Fée , qu'on nommoit Diamantins, fir époufer a ce Prince, une jeune Princefic* qu'elle avoit élevée, & promit de le défendre contre ia Fée Furie ; mais peu de tems après, Furie, aïant été nommée Reine des Fées , fon pouvoir, qui furpafToit de beaucoup ceiui de Diamantine, lui donna le moyen de fe venger. Elle fe trouva aux couches de la Reine, & doua un pe« tit Prince , qu'elle mit au monde, d'une laideur que rien ne peut furpasfèr. Diamantine, qui s'étoit cachée 4 la ruelle du lit de la Reine, ellaya de la eonfoler, lorsque Furie fut partie. Ayez bon courage, lui dit-elle, malgré la malice de votre ennemie, votre fils fera fort heureux un jour. Vous le nommerez Spirituele & non feulement il aura tout Fefprit poffible, mais il pourra encore en donner a ia perfonne qu'il aimera le mieux. Cependant, le petit Prince étoit fi laid, qu'on ne pouvoit le regarder fans A 3 fre-  <6 XVI. DlALOCVÏ ffsyeur: foit qu'il pleurit, foït qu'il voulut rire, il faifoit de fi laides grimaces, que les petits enfans. qu'on lui amenoit peur jouër avec lui, en avoient peur, & difoient, que c'étoit la béte. Quand il fut devenu raifon* nable, tout le monde fouhaitoit de Fentendre parler, mais on fermoit les yet»x? & le peuple, qui ne fait la plus part du tems 9e qu'il veut, prit pour Spirituel une haine fi forte, que la Reine sïant eu un fecond fils, on obligea le Roi dc le nommer fon hérttier, car daus ce Païs-la le peuple •avoit le droit de fe choifir un Maitre. Spirituel céda fans muramrer la cou* xonne a fon frère , & rebuté de la fötife des hommes , qui n'eftiment que la beauté du corps, fans fe foucier de cellc de Tame , il fe retira dans une folitude, oii, en s'appliquant a 1'étude de la fageffe, il devint extrêmemenc lieureux. Ce n'étoit pas lk le compte de la Fée Furie; elle vouloit qu'il fut miférable, & voici cc qu'elle fit pour lui faire perdre fon bonheur. Furie avoit un fils nommé Charmant; elle 1'adoroic, quoiqu'il füc la plus srande béte du jnoude^ Comme elle vou-  XXIV. DlALOGUE. 7 vouloit le rendre heureux, a quelqueprix que ce fut, elle enleva une Princeffe qui étoit parfaitement belle; mais, afin qu'elle ne fut point rebutée de la bêtife de Charmant, elle fouhaka qu'elle füt auffi fote que lui. Cette Princeffe, qu'on app.-lloit Aftre , vivoit avec Charmant, & quoiqu'ils emTent feize ans paffes, on n'avoit jamais pa leur apprendre a lire. Furie fitpemdre la Princefïe, & porta elle-meme fon portrait dans une perite tnaifon, oü Spirituel vivoit avec un feul domeftique. La malice de Furie lui réuflit, & quöique Spirituel füt que la PfinceïTe Aftre étoit dans le Palais de fon ennctnie, il en devint fi amoureux , qu'il réfolut d'y aller; mais en même tems, fe föu. Tenant de fa laideur, il vit bien qu'il étoit le plus malheureux de tous les hommes, puisqu'il étoit fïïr de parol* tre horrible aux yeux de "cette belle fille. II réllfta long - tems au déür qu'il avoit de la voir; mais, enfin fa paflion 1'emporta fur fa raifon. 11 partit avec fon valet, & Furie fut enchantée de lui voir prendre cette réfolution, pour avoir le plaifir de le tourmenter tout a fon aife. Aftre fe promenoit dans un A 4 3ar'  8 XXIV. DlALOGUE. jardin avec Diamantine, fa Gouvernante ; lorsqu'elle vit approcher le Prince, elle fit un grand cri, & vouloit s'enfuir; mais Diamantine 1'en aïant empêchée, elle fe cacba la tête dauc fes deux mains, & dit a la Fée: ma bonne, faites fortir ce vilain homme. il me fait mcurir de peur. Le Prince voulut profker du moment, oü elle avoit les yeux fei més pour lui faire un compliment bien arrangé, mais c'éroit comme s'il lui eut parlé lattn, elle étoit trop béte pour le comprendrè. En même tems, Spitituel entendit Furie qui rioit de toute la force, en fé moquant de lui. Vous en avez alfez fait peur la p:em:è« re fois, dit-elle au Prince, vous pouvez vous rétirer dans un appartement, que je vous ai fait piéparer, & d'on vous aurez le plaifir de voir la PrinccfTe tout a votre aife. Vous croyez peut- être , que Spirituel s'amufa a dire des injures a cette méchante femme ; il avoit trop d'efprit pour cela: il favoir qu'elle ne cherchoit qu'a le facher. & il ne lui donna point le plaifir de fe mettre en col ere. II étoit pourtant bien iMué; mais ce fut oien pis, lorsqu'il entendit une converfa- tion  XXIV. DlALOGUE. 9 tion Aftre avec Charmant; car 11e dit tant de bêtifes, qu'elle ne lui^arut plus fi belle de moitié, & qn'll prit la réfolution de 1'oublier, & de retourner dans fa folitude. II voulut auparavant prendre congé de Diaman' tine; qu'elle fut fa furprife, lorsque cette Fée lui dit, qu'il ne devoic point quitter le Palais, qu'elle favoit un moyen de le faire aimer de la Princefle. Je vous fuis bien obligé , Madame, lui répondit Spirituel; mais je ne fuis pas preffé de me marier. J'avouë qu'Aftre eft charmante , mais c'eft quand elle ne parle pas; la Fée Furie m'a guéri, en me faifant entendre une de fes converfations: j'emporterai fon portrait, qui eft admirable, paree qu'il garde toujours le filence. Vous avez beau faire le dédaigneux, lui dit Diamantine; votre bonheur dépend d'époufer la Princeffe. Je vous alfüre , Madame , que je ne 'le ferai jamais, a moins que je ne devienne fourd, encore faudroit-il que je perdhTè la mémoire: autrement je ne pourrois m'öter de 1'efprit cette converfation. J'aimerois mieux cent fois époufer une femme plus lalde que moi, fi cela étoit pofïi* A 5 ble?  ÏO XXIV. DlALOGUE. ble, qu'une ftupide avec laquelle je ne pourrois avoir une converfation raifonnable, & qui me feroit trembler, quand ie ferois en compagnie avec elle, par la crainte de lui entendre dire une impertinence, toutesles fois qu'elle ouvriroit la bouche. Votre frayeur me divertit, lui dit Diamanüne; mais, Pnnce apprenez un fecret, qui n'eft consul'que de votre Mère & de moi. Je vous ai doué du pouvoir de donner ♦ie i'efprit a la perfonne que vous aimeriez le mieux ; ainfi vous n'avez qu'k fouhaiter: Aftre peut devenir la perfonne la plus ïpirituelle, elle lera parfaitealors; car elle eft la meilleure enfant du monde, & a le coeur fort bon. Ab, Madame! dit Spirituel, vous allez me rendre bien miférable; Afffre va devenir trop aimable pour mon repos, & je le ferai trop peu pour lui plaire; mais n'importe, je facrifie mon bonheur au fien, & je lui fouhaite tout I'efprit qui dépend de moi. Cela eft bien généreux, dit Diamem* tkw9 mais j'efpère que cette belle action ne démeurera pas fans récompenfe. Trouvez-vous dans les jardins du Palais ï minuis > c'eft Fhevire oü Furie eft; ot>i>  XXIV. DlALOGUE. lï obligée de dormir, & pendant trois heures, elle perd toute fa puhTance. Le Prince s'étant retiré, Diamantine fut dans la chambre d''Aftre ; elle la trouva affife, la tête apuïée dans fes mains, comme une perfonne qui rêve profondément. Diamantine Faïanr appellée, Aftre lui die: Ah! Madame, fi vous pouviez voir ce qui vient da fe palTer en moi, vous feriez bien furprife. Depuis un moment je fuis comme dans un nouveau monde: je réfléchis, je penfe, mes penfées s'arrangent dans une forme, qui me donne un plaillr infini, & je fuis bien bon» teufe en me rapellant ma répugnance pour les livres & pour les fciences.. Et bien! lui dit Diamantine, vous pourrez vous en corriger: vous épouferez dans deux jours le Prince Char» mant, & vous étudierez enfuite tout & votre aife. Ah! ma bonne, répondit Aftre, en foupirant, feroït-il bien pofllble que je fullè condamnée a épou» fer dans deux jours le Prince Charmant^ il eft li béte, fi bêce, que cela me fait trembler; mais ditesmoi, jevousprie, pourquoi eft - ce que je n'ai pas connu plutöt la bêtife de ce Prince. C'èft A 4 que  n XXIV. DialogüE. que vous étiez vous même une fote 9 dit la Fée ; mais voici juftement le Prince Charmant. Effc &i vemen t , il entra dans fa chambre avec un nid de moineainx dans fon chapeau. Tenez, dit-il, -je viens de lailler mon Maitre dans une grande colére, paree qu'aulieu de lire ma lecon, j'ai éré dénicher ce nid. Mais votre Maitre a raifon d'ètre en colère, lui dit^r*; n'eftil pas honteux qu'un garcon de votre ige ne fache pas lire? Oh ! vous m'enmrïiez aufli bien que lui, répondit' Charmant , j'ai bien afraire de toute cette fcience: moi, j'aime mieux un cerfvolant, ou une boule, que tous les livres du monde. Adieu, je vais jouê'r au volant. Et je ferois la femme de ce ftupide, dit Aftre, lorsqu'il fut forti. Je vous affure, ma bonne, que j'aimerois mieux mourir que Fèpoufer. Quelle différence de lui a ce Prince que j'ai vu tantót! il eft vrai, qu'il eft bien laid; mais quand je me rapnelle fon discours, il me femble qu'il n'eft plus fi horrible: pourquoi rTa t • il pas le vifage comme Charmant? Mais après teut, que fert la beauté du vifage ? Une maladie peut Fê-  XXIV. DialoóüS- 13 Poter; la vieillelTe la fait perdre k coup fur, & que refte ■ t- il alors a ceux qui n'ont pas d'efprit! En vérité, ma bonne, s'il falloit choifir, j'aimerois mieux ce Prince , malgré fa laideur, que ce ftupide qu'on veut me faire époufer. Je fuis bien aife de vous voir penfer d'une manière fi raifonnable, dit Diamantine; mais j'ai un confeil a. vous donner. Cacbez foigneufement a Furie tout votre efprit; tout eft perdu fi vous lui laiiTez connoitre le changement qui s'eft fait en vous. Aftre obéït a fa Gouvernante , & fitót que minuit fut fonnée, la bonne Fée propofa a la PrincelTe de defcendre dans les jardins : elles s'affirent fur un banc, & Spirituel m tardapas a les joindre Qudle fut fa joiei lorsqu'il entendit parler Afire, & qu'il futconvaincu qu'il lui avoit donné autant d'efprit, qu'il en avoit lui-même. Aftre de fon cóté étoit enchantée de la converfation du Prince; mais lorsque Diamantine lui eut appris 1'obligation qu'elle avoit a Spirituel, fa reconnoiffance lui fit oublier fa laideur, quoiqu'elle le vit parfaitement; car il faifoit clair de lune. Que je A 7 YOUi  H XXIV. DlALOGUE, vous ai d'obligations, lui dit-elle, & comment pourrai-je m'acquiter envers vous? Vous le pouvez facileraent, répondit la Fée, en devenant 1'Epoufe de Spirituel; il ne tient qu'a vous de lui donner autantde beauté, qu'il vous a donné d'efprit. 1'en ferois bien fachée , répondit Aftre ; Spirituel me plait tel qu'il eft; je ne m'embaraiTe gnère qu'il foit beau, il eft aimable, cela me fuffit. Vous venez de finir tous fes malheurs, dit Diamantine, ü vous euffiez fuccombé a la tentation de le rendre beau, vous reftiez fous le pouvoir de Furie; maisapréfent, vous n'avez rien a craindre de fa rage. Je vais vous ranfporter dans le Royaume de Spirituel: fon frère eft mort, & Ja haine, que Furie avoit infpirée contre lui au peuple, ne fubfifte plus. EÊfecYtvement, on vit revenir Spirituel avec joie, & il n'eut pas demeurée trois mois dans fon Royaume, qu'on s'accoutuma a fon vifage; mais on ne ceifa jamais d'admirer fon efprit. Lady C har lotte* Mais? pourquoi laPrinceflè ne don-  XXIV. DlALOGUE. 15 na-1-elle "pas la beauté a Spirituel? Car elle ne favoit pas que cela la remettroit fous la puiflance de Furie, Madem. Bonne. C'eft qu'Jftre ètoit devenuè' une perfonne d'efprit, & qu'une fille, qui a du bon fens, ne fe foucie pas d'époufer un bel homme. Lady Spirituelle. Pourquoi cela, ma Bonne. Maiem, Bonn k. C'eft que prefque toujours un bel homme eft un fot, tout amoureuxde fa propre tl gure, tout rempli de fon mérite, tout occupé du foin de fon aiuftement, comme une femme; or, vous fentez bien, qu'il n'y a rien de plus meprifable qu'un homme comme CCla' Lady Temp et e. Cela eft vrai, ma Bonne, je con> jiois u# homme ^u'on appelle. .. . « Modern^  16" XXIV. Dialoöüi; Madem, Bonne. II ne faut pas nommer les perfonnes .( quand on veut dire quelque chofe de mal. FinhTez donc ce que vous vouliez nous dire, mais ne dites pas le nom de ce gentil-homme. Lady Tempete, Eh bien ! il met trois heures tous les jours aVaiufter, comme feroicune femme. Outre fon nom , que je ne dirai pas, on 1'appelle Narcijfe. Mifs molly, Qu'eft - ce que veut dire ce nom , s'il vous plait? Madem, Bonne. C'eft que Narcijfe étoit un jeune homme, exfrêmement beau, , qui devin t amoureux de fa propre figure qu'il voyoit dans une fontaine bien claire. II appelloit cette belle figure, qui ne pouvoit pas venir, comme vous penfez bien, & il eut tant de douleur de ne  XXVI. DlALOGUE. 17 ne pouvoir 'la faire fortir de Peau, qu'il en mourut; & les Dieux le changèrent en fleur. Depuis ce tems , quand, un homme aime trop fa figure , on 1'appelle Narcijfe. Difons préfan tement un mot de la Géographie. Qu'elle eft la province, qu'on trouve au Nord-eft de la Franceï Répétezmoi-cela, Lady Senfée. Lady Sensee. Les Païs-Bas Francois. On les appelle Frangois, paree qu'il y a les Païs~ Bas Hollandois, & ceux qui appartiennent a la Maifon XAutriche. Lady Mary. Qu'eft-ce que cela veut dire, b Maiion d'Autrieke. ' Madem Bonne. C'eft comme qui diroit la Familie ÜAutriche. Pour bien entendre la Géographie Hiftorique, il faut connoitreles principale* families de ÏEurope. Ecoutez bien ceci, mes enfans. Quand je dis, lei  18 XXIV. DlALOGUE. les principales Families de PEurope, "je ne veux parler que de celles des principaux Rois. La première Familie, ou Maifon de VEurope, eft cel ie d triche, Depuis un grand nombre d'années , ce font les Princes de cette Maifon qui ont écéempereurs; mais, préfentement c'eft un Prince de la Maifon de Lorraitie. AuparaVant, ce Prince étoit Maitre de cette Province, que vous voyez a 1'Eft de la France: mais il n'étoit pas Roi, car la Lorraine^ depuis bien long-tems, eft un Duché. Lady Mary. J'entends, le Duc de Lorraine dtoit un Duc, comme le Papa de Lady Tem* péte, Madem. Bonne. Non , ma chère. II y a de deux fortes de Ducs, de Princes, de Contes & de Marquis. Les uns, qui font nés dans un Royaume qui a un Maitre, ils font de grands Seigueurs, comme le Papa de Lady Tempéte, mais ils ne font pas Souverains: les autres font ab«  XXIV- DlALOGUE» IP abfolument les Maitres de leurs Païs, paree qu'il n'y a point de Roi, & on dit qu'ils font Princes fouverains. Mifs Molly- Et quel privilege leurdonneleur Souveraineté? Madem. Bonne. Je viehs de vous le dire; ils font Maitres dans leur Pais; ils peuvent faire laire des Pièces d'or, d'argent, oud'autre métal, oü eft leur image; & dans leur Pais, ces Pièces fervent k acheter les chofes dont on a befoin: c'eft ce qu'on appelle avoir le droit de faire battre monnoie. lis peuvent encore accorder la vie a un criminel qui feroit condamné a être pendu. II faut être Prince fouverain , pour faire battre monnoie, & accorder la vie a un criminel. N'oubliez donc pas ce que c'eft qu'un Prince fouverain. La feconde Maifon de VEurope eft celle de BourIon , qui descend de Hugues Capet. On partage cette Familie en deux, & on appelle cela deux Branches, 1'ai- née,  «O XXIV. DlALOCÜE. née, & la cadette, c'eft • a - dire, que deux Princes de la Maifon de Bourbon font Sodverains. La familie du Prince ainé, qu'on appelle la Branche ainée, règne en Fravce: la Familie , ou la Branche qui fort du cadet, règne en' Efpangne. La Maifon de Branden* bourg règne en PruJJe* Celle de Brunswick, unie a cellè de Stuart, par les femmes, règne en Angïeterre. La Maifon de Savoye règne'en Sardaigne, & dans le Piémont. L'Electeur de Saxe regne en Po/ogne. Les descendans de Guftave, règnent en Suéde. II n'y en a plus de conlldérable, que la Maifon des Czars; mais je ne la connois que depuis Pierre te Grand, & je ne fais pas fon nom- Je fai feufement qu'elle eft foit anciemie. Lady teMpete. Permettez- moi de vous dire une chofe, ma Bonne. Vous me difiez 1'autre jour, que vous ne faifiez pas grand cas de mon titre ; cependant vous nous faites remarquer aujourd'hui, qu'il y a d< s Maifons plus anciennes, & plus grandes les unes que les autres ; c'eft donc  XXIV. DlALOGUE. ai donc quelque chofe d'être forti d'unc grande Maifon. Madem, Bonne. Certainement, machère, c'eft quelque chofe. Vous favez que tous les hommes font fortis de Noé: ils font donc tous égaux par leur nature, & font parens; comme tous les Israelites étoient parens entre eux. Mais les hommes, qui font égaux par leur nature, ne le font pas par les qualités de 1'ame, du corps, & de I'efprit; & voila ce qui a produit la NoblelTe. II étoit jufte d'honorer particulièrement ceux qui écoient meilleurs que les autres, ou qui ayoient qüelquss talens, qu'ils faifoient fervir a rendre leurs frères plus heureux. Ces hommes-la fu» rent donc honorés avec juftice ; & pour encourager leurs enfans a leur reiTembler, aulfi bien que par refpeét pour la mémoire de leurs Pères, on les honora auüT C'eft donc quelque chofe d'être forti d'une Familie noble, & ancienne. Car cela fuppofe, qu'on a eu quelque grand Pére qui a eu des talens, ou des~yertus fupérieures aux au-  S2 XXIV. DlALOGUE. autres; mais remarquez, que cela oblige les enfans a fuivre 1'éxemple de leurs Pères, fans quoi il ne feroit pas jutte de les honorer pour les vertus d'autrui. Concevez cela par un exemple, Nous avons en France une coutume fote: s'il fe trouve dans une familie un coquin, qui fe falie pendre, toute la familie eft déshonorée, quand même elle feroit compofée des plus honnêtes gens du monde: & perfonne ne voudroit épou* fer une fille, ou une foeur de eet homme qui auroit été pendu. Lady Ch AR lotte, Mais cela eft fort injufte; ce n'eft pas ma faute, fi mon Père, mon frère, ou mon coufin eft un mal-honnête homme; on ne dcit me méprifer que pour mes propres actions. Madem. Bonne. Et il ne feroit pas jufte nön plus, de tous honorer pour les aclions d'autrui; & feulement paree que vos ancêtrts ètoient honnêtes gens, & avoient un mérite fupérieur. C'eft une chofe eftï- ma-  XXIV. DlALOGUE* 23 mable d'êrre në d'une ancienne Maifon; maïs il eft mille fois plus glorieux de faire entrer la noblefïè dans fa Maifon , par une aclion héroïque, que de la trouver toute établie, & de ne rien faire pour la foutenir1? Lady Spirituellè. On ne doit donc pas de refpeób aux Rois, & aux grands Seigneurs, quand ils ne font pas vertueux. Madem. Bonne. II y a de deux fortes de rejpeffi9 mes enfans. Celui qui eft dans le coeur, & qu'on a pour les perfonnes vertueufes; or celui-la n'eft dü qu'aux honnêtes gens, nous ne devons pas 1'avoir pour les Rois, & les Grands qui déshonorent leur rang par leurs vices. Mais il y a un refpeft extérieur, qui confifte a obéïr aux Rois & aux Magiftrats, paree qu'ils tiennent la place de Dieu fur la terre; & a leur rendre certaines marqués de refpect extérieur. Le bon ordre demande qu'on conferve ce fe-cond refpeft: c'eft-a-dire, qu'on dpic  24 XXIV. DlALOGUE. doit honorer le titre, 1'autorité, & le rang, dans le tems-même qu'on méprife fouverainement la perfonne. Retenezbien ceci, mes enfans; vous êtcs toutes filles de condition, c'eft • a - dire, que vous êtes toutes dans 1'obligation d'être plus vertueufes que les autres; II vous y manquez, je ne vois plus en vous, qu'une fille de Noé, coufine du porteur de chaife quoique d'un peu loin; je refpeflerai votre titre, ceft-adire, que je vous ferai la révérence, quand vous palTerez a cóté de moi: mais d'ailleurs, je vous eftimeraimoins que votre arrière petit coufin, le porteur de chaife ; car, peut être, que s'il eut eu quelque grand Père auffi honnête homme que le votre, ou qu'il eut recu votre éducation , il feroit beaucoup plus vertueux que vous, Lady Sens^e. Mais, ma Bonne, la NoblefTe a-telle toujours été la récompenfe de la vertu? Nemrod* qui a été le premier Roi des jfffyriens. étoit un ambitieus. Ne voyons-nous pas tous les jours , qu'on devient noble quand on a beaucoup  XXIV7. DlALOGUE. 25 coup d'argent ? Dans deux cent ans, les enfans de ces Nobles dironc, qu'i)s fortent d'une Maifon ancienne, & il leurs Pères ne s'étoient pas enrichispar des moyens injuftes, ils ne feroient aujourd'Uui que des perfonnes du Pt:u* ple, & fans titre. Madem. Bonne. Votre ftflexion eft excellente, ma chère. On abufe de tout. La Nobleflè, qui ne devoit ê:re que la récompenfe des vertus & des talens, eft devenuë le prix de 1'ambition, de Pavarice, & de plufieurs autres crimes. Cela nous prouve, encore mieux que tout ce que j'ai dit, que la Nobleflè de nos Aïeux, eft un titre bien mince, bien équivoque, & qu'il ne faut compter que fur celle qu'on acquiert par fes propres aótions. Mais eet abus des moyens d'acquérir la Nobleflè montre toujours, qu'elle a été 1'intention des hommes en 1'accordant a quelques-uns d'entre eux On ne penfoitpas k 1'am* bition de Nemrodh lorsqu'on lui accorda le titre de Roi, mais feulemènt aux grands fervjees qu'il avoit rendu a la Tom. VL B bo-  2$ XXIV. DlALOGUE. Société, en tuant les bêtes fauvages, ■& en r.ccoutumant les jeunes gens i 1'obcïflance militaire. Un homme s'enrichit dans le commerce, on lui vend des titres de Nobleffe, ou on lui en accorde; c'eft qu'on fuppofe, qu'il s'eft comporré en honnête - homme, cc que fes richeïTes font le prix de fon appli» cation & de fon travail. Mais il eft tems de répéter nos -hiftohjes. Commencez, Mifs Mol/y. Misf M olly. Samuel alla trouver Saül, & lui diti Dieu t'ordonne par ma bouche d'aller faire la guerre aux Amalécites, car la meiure de leurs péchés eft plein e ; c'eft pourquoi tu les tueras depuis le premier jusqu'au dernier, aulïï bien qua toutes leurs bêtes; car leurs crimes ont rendu tout ce qui leur appartient aböminable aux yeux du Seigneur. Saül & les Israëli fes marchèrent donc contre les Amalécites, & remportèrentla vicloire. Ils tuèrent les bêtes qui étoientmaigres; inais ils confervèrent toutes celles qui •étoient gras fes, fous préttxte d'-en faire nn facrifice au Seigneur; & Smïl n'ofa les  n XXIV. DlALOGUE. *7 les en empêcher. Saiil lui-inême désobéït a Dïeu, en fauvant Ia vie a Agag , Roi des Amalécites. Alors Dieu paria a Samuel, & lui dit; 'Saai a négligé nies ordres, c'eft pourquoi ja 1'ai abandonné, & j'ai choifi un autre R oi pour mon peuple. Samuel fut fort affiigé; car il aimoit Saüh II fut trcuver Saül9 & lui annonca les paroles -du Seigneur; & comme ce Prince vouloit s'excufer, en difant qu'on avoit gardé ces bêtes pour les facrhier a Dieu, Samuel lui répondit: Dieu aime mieux fobétffance que le facrifice. Enfuite, Samuel commanda, qu'on fit venir A" gag, qui étoit gras, 8& qui trembloit de toutes fes forces. Le Prophéte lui dit: paree que tu as fait pjeurer un grand nombre de Mères , en faifant mourir leurs enfans avec ton èpée, de même je ferai pleurer ta Mère aujourd'hui ; & Samuel le tua. II vouioid enfuite le rédrer , mais Saül lui dit: j'ai pêché, demandez miféricorde au Seigneur pour moi. Et comme il re* tenoit le Prophéte par fon manteau, il en déchira un morceau, Samuel lui dit, comme tu as déchiré ce manteau , & óté ce morceau de deffus moucorps, Ba 4®  £8 XXIV. DlALOGUE* de même Dieu öterade toi le Royaume d'lsra'él pour le donner a un homme plus fidè'e. Saül dit au Prophéte: ü le peuple s'appercoit que le Seigneur m'a rejetté; il ne vcudraplus m'obéïr; c'eft pourquoi, je te prie, viens avec moi, afin que le peuple nous voye enfemble, & ne fache pas que Dieu ne yeut plus de moi. Samuel eut encore cette complaifance pour Saül, mais ce fut la dernière: car il ne le vit plus le refte de fa vie. Lady Charlotte. Puifque Saül confefïbit fon pêché, & qu'il en demandoit pardon, pourquoi Dieu, qui eft 11 bon , ne hu pardonnoit- il pas? Madem. Bonne, Dieu connoit le fond des coeurs, ma chère; il voyoit que Saül n'étoit faché de 1'avoir offenfé, que paree que cela lui feroit perdre fon Royaume. Vous voyez bien , qu'il fut content, lorsque Samuel eut paru devant le peuple avec lui. S'il eüt été vraiment re-  XXIV. DlALOGUE. 20 repentant de fa faute, il eut dit au Piophèe, que le Seigneur m'öte mon Royaume, j'en fuis content pourvflt qu'il me pardonne mon pêché; je fuis für que Dieu lui auroit pardonné. Voyez-vous, mt s enfans, il faut être fsüché d'avoir pêché, paree que cela déplait a Dieu, & non pas paice que 1© pêché nous a atthé quelque malheur. Un gourmand, qui meurt, paree qu'il a trop mangé, eft bien fa ené d'avoir été gourmand, non pas, paree que cela offenfe Dieu, mais, paree que fa gourmandife le fait mourir. Vous fentez bien, que cette douleur du pêché n'eft pas bonne, & c'étoit-la la douieur de Saül. Continuez, Lady Mary, Lady M a r y. Dieu dit a Samuel, va k Bethlêem. dans la Maifon tflfaï, car j'ai choifi un de fes fils pour être Roi. Quand Samuel vit 1'ainé de ces fils, qui étoit grand & bienfait, il crut que c'étoit celui que le Seigneur avoit choifi; mais Dieu lui dit: ce n'eft point celui-la; car je ne regarde pas a la taille d?un homme, mais & fon coeur. Et les fept B 3 fils  go XXIV. Dialogue. filsd'7/^/palTèrenr devsnt Samuel', mais le Seigneur n'en choifit aucun, & le Prophéte lui dit: n'avez-vous poinc d'autres enfans? IfaïXm dit: j'ai encore un jeune fils, nommé David, qui garde mes troupeaux. On fit venïr David, qui étoit petit & beau de vi» fage, & le Seigneur aïant fait connoitre a Samuel, que c'étoit celui qu'il avoit choifi, il répandit fur lui une phiole d'huile pour le facrer. Depuis ce tems, I'efprit du Seigneur fut avec JDavid: & Saül, au contraire, fut livré au mauvais efprit, qui le tourmcntoit fi fort, qu'il entroit en fureur. On dit a Saül, que s'il faifoit jouër de la harpe devant lui, il feroit föulagé; & comme David jouoit fort bien de eet inflrument, le Roi le demanda a fon Père. Auffitöt que Saül eut vu David il 1'aima , & lui faifoit porter fes armes ; & toutes les fois que le tnalin efprit le tourmentoit, David jouoit de la harpe , & il étoit foulagé. Madem, Bonne» ContinuezLady Charlotte. Lady  XXIV. DlALOGUE. 3* LadyCharlotte. II y avoit parmi les Philiftins un Géar, t, nommé Goliath, qui étoit armé cTirne maniöre terrible. II vint défier les Israëlites au combat, mais perfonne n*ofoit 1'attaquer. Cepsndant, David étoit retourné garder fes moutons, Sifon Père lui dit d'aller porter des vivres a fes frères, qui étoient au camp. Quand il fut arrivé, il vit le Géant qui fe moquoit des Israëlites , & de leur Dieu, ce q.ü facha David, & il demanda, quelle feioit la récompenfe de celui qui tueroit eet hommeV On lui réoondit, que le Roi lui donneroic fa fille en manage. Le fröre de David9 qui entendit la demande qu'il faiföir,.. lui dit qu'il étoit un orgueilleux, & qu'il feroit bien mieux de retourner garder fon troupeau. Saül lïant appris lés queftions que faifoit David, lui dit, mon ami, eft - ce que tu voudroiscombattre le Géant? tu n'es qu'un enfant! David lui répondit: pendant que je gardois les troupeaux de mon Père, un Lion & un Ours font venus les attaquer; je les ai déchirés, & je penfe que Dieu, qui m'a délivré de la B4 gueule  32 XXIV. DlALOGUE. gueule du Lion & de 1'Ours, peut ausfi me délivrer de la main du Géant. Alors Saül donna fes propres afmes a David, mais les aïant trouvées trop péfantes, il prit feulement fa fronde, c'eft - a - dire, une machine pour jetter des pierres, & ramaffa aufïï cinq cail* loux, Le Géant, voyant David, qui avoit Fair d'un jeune garcon fort délïeat, le moqua d'un tel ennemi, & lui dit; efl-ce que tu me prerds pour un chien , que tu vïens avec des pierres & un baton? Mais je vais te tuer, & je donnerai ton corps a manger aux oifeaux. David lui répondit: tu crois ê:re en fureté avfc tes armes ; mais je viens au devant de roi, armé de la puifiance du Seigneur , qui me fera remponer la vicloire. En même tems, il courut contre le Géant, & lui larca t ne pierre, qui lui entra dans le front, & le tua; & David lui coupa la töre avec fa propre épée. Les Philiftins, voyant le Géant mort, s'enfuirent, & les Israëlites en tuèrent un grand nombre. On fit de grandes réjouïfiarjces pour cette viêloire , & des femmes chanroient, en jouant des inftrumens: Saül en a tui mille, & David dix mille. Ces  XXIV. Dialoguê. 33 Ces paroles donnèrent une grande jaloufie au Roi , & il commenca a ne plus aimer David* car tout reüffiflbit a ce jeune homme , paree que Dieu étoit avec iui; mais Jonathan, fils de éaüh fut plus jufte qu; ion Père; il admira la belle aétion de David, & lui fitpréfent de Thabit qu'il portoit; car en ce tems -la, c'étoit la plus grande marqué d'eftime, qu'on put donner k une perfonne &üaima toujours David, Lady Mart. J'avois pitié de Saül, mais je commenca a ne l'aimer guère; car il étoit bien méchant d'être jaloux de David r qui lui avoit rendu un fi grand fervice & fait une fi belle aólion. Madem, Bonne. II y a eu plufieurs Princes qui ont' reflèmblé a Saül; ils étoient jaloux» de leurs fujets , qui avoient fait de belles aótions. Affurément,, cela eft bien bas, & bien injufte. Faites encore une réflexion, Mesdames. David ne dit pas a Saül, c'eft par ma fbrce£ 5 que  34 XXIV. DlALOGUE.. que j'ai tué un Lion & un Ours, c'enV par ma force que je vaincrai Goliath: c'eft toujonrs par le fecours du Seigneur, qu'il avouë avoir vaincu ces terribles animaux, & c'èit encore par Je fecours du Seigneur , qu'il efpère vaincre Goliath. On eft bien fort, mes enfans, quand on met toute fa confiance en Dieu. Lady Tcmpête, vous avez des ennemis a corabattre plus forts que ceux que David a vaincu ; vous n'en viendrez pas a bout, vous toute lêule, cela eft impoffible; mais, fi le Seigneur combat avec vous, •vous remporterez la viétoire: il faut donc, ma chère amie, lui demander continuellement fon fecours. Lady Spirituelle. Ma Bonne, vous nous avez dit, en parlant des Provinces de France, que la Lorraine étoit au Nor d~ eft ; comment cette Province peut-elle appartenir a la France. puisque 1'Ëmpereur étoit Duc de Lorraine? Madera*  XXIV. DlALOGUE. 35 Madem. Bonne. Pour vous expliquer cela, il faudroit vous raconter une grande hifioire ; mais il eft trop tard aujoürd'hui, je commencerai par la , la première fois. Lady Mary, cela fera bien plus joli qu'un conté de Fèe, car tout ce que je vous dirai fera vrai. XXV. DIA-LOG U~E. Vingt - troifième Journée. Lady Mary. Vous nous avez promis , pour aujoürd'hui, une hiltoire fur la Lorraine. Madem. Bonne. Je tiendral ma parole, mes enfans ; mais auparavant , il faut que je vous apprenne la différence qu'il y a entre un Royaume éle£tif9 & un Royaume héréditaire. B 6 Lady  h6 XXV. DlALOGÜE. Lady Mary. Qu'eft-ce que veulent di e ces-deux mot* ? Madem, Bonn F. On dit qu'un Royaume eft ékftif, quand les fils du Roi ne font pas Rois après lui, & que le peuple peut donEer la couronne a un homme qui n'eft pas de la familie Royale ; & on dit c,ue le Royaume eft héréditaire, quand la loi obl ge les peupks a reconnoitre pour Maitre le fils de leur Roi, ou fon plus proche parent. Le Royaume de Pokgne eft ék£lir9 mes enfans: c'eft 'e peuple qui fe choifït un Roi. Orle Roi de Snéde, aïant fait la guerre aux Polonets, les obligea de chaffei leur Prince, &d'en nommer un autre. Ce nouveau Roi fe nommoit Stanifias, & il étoit le meilkur Prince du monde; mais le Roi détroné lui aïant fait la guerre, StaniJIas ne fut pas le plus fort, & fut obligé de fe fauver déguifé, avec un Seigneur de fa Cour. Ce Seigneur portoit la bourle, «u étoit tout fargent de StaniJIas, Un jour  XXV. Dialoguï. 37 jour que ce Seigneur donnoit de Pargent a un homme, on vint lui dire, qu'on le demandoit pour une affaire prefTée ; il fortit, & par bonheur il oublia de remettre la bourfe, dans fa poche , car on vint dire a Staniflas9 que les ennemis venoient pour leprendre, & ii fut obligé de fe fauver. Or jügez , combien ü auroit été embarasfé, fi ce Seigneur n'avoitpas onblié Ia bourfe fur la table , car tout 1'argent du pauvre Prince étoit dedans. Stani* (lasvriSL des hommes qu'il rencontre*, de lui aider afe fauver; mais c'étoient de méchantes gens, qui lui firent fouffrir toutes fortes de maux, pendant plufieurs jours qu'il refia avec eux; ils le menaeoient a tout moment de le livrer aux ennemis; car quoiqu'ils ne fulJènt pas oue c'étok le Roi, ils penfoient que e'étoit un grand Seigneur de fa Cour; & fi 1'on eut pris Stanlflas, on 1'eüt fait mourir. II fe fauva pourtant heureufement , & pafla plufieurs années dans- les Etats d'un Prince , qui lui donna une retraite. Vous fentez bien, mesenfans, qu'il avoit perdu tout fon bienmais comme il étoit bon Chrétien, il fe foumettoit a la volonté de JB ? Dieu.,  38 XXV. DlALOGUE Dieu, & vivoit content. II avoit une fille, qui étoit auffi bonne que fon Père. Une autre en fa place feroit morte de chagrin, de voir que fon Pèi'e n'étoit plus Roi; mais pour elle, elle difoit: apparemment qu'il efl mieux pour mon Père, d'avoir perdu fa couronne, que de 1'avoir gardée, puisque Dieu 1'a permis comme cela. Dieu vouloit récompenfer la piéré & la fa^efle de cette PrinceiTe, & pour cela, il infpira a un Prince, qui gouvernoit la Frante, de la faire époufer au Roi de France, quoiqu'elle fut plus agée que lui, & qu'elle ne fut pas tres-belle. Le Roi 1'époufa & 1'aima beaucoup , paree qu'elle étoit trés - vertueufe. Quelque tems après, il y eut une grande guer* re, & quand on fit la paix, ce fut a condition que le Duc de Lorraine donneroit fon Païs a Staniflas % & qu'il prendroit en fa place un Païs plus riche, qui efi: en Italië, & qu'on nomme la Tofcane. Depuis ce tems, qui étoit en 1'année 1737., Staniflas efi: Duc de Lorraine, oü il n'efi: occupé que du foin de rendre fes peuples heuicux, & de faire du bien aux pauvres, &  XXV. DlALOGUE. 3§ & quand il fera mort, la Lorraine appartiendra au Roi de France. ■ Lady Mary. Ce Prince Staniflas eft donc encore en vie? Madem. Bonne. Et fa fille auffi, ma chère, elle eft. Reine de France; & comme elle avoit : facrifié fa couronne au bon Dieu, il , lui en a rendu une bien plus richei une couronne héréditaire, au lieu d'ul ■ ne élective. Car on ne facrifié jamais rien au Seigneur, qu'il n'en rende i beaucoup davantage, fouvent en cette vie, mais toujours fürementdansPautre. Mi/s Molly. Vous dites , que la couronne de . France eft héréditaire , c'eft donc & i dire, que quand le Roi meurt, le i peuple eft obligé de laifter monter : fur le tröne fon fils, ou fa fille, s'il » en a '7 ou fon plus proche parent. Madem,  40 XXV. DfALOGUE, Madem, Bo;nne. Dans le Royaume de France , les filles ne peuvent pas hériter de la couronne, paree qifune loi defend aux filles- d'hèriier des terres Saliques, c'efta*dire, des terres nobles, ou comme 1'on dit, des Fiefs, ou titres nobles. Vous voyez, que la cpuronne eft le plus noble de tous les titres ; ainfi, par cette loi, les filles n'en peuvent hériter. Ce n'eft pas de même en Angleterre, en Efpagne, dans la Mos* covie, &c. La Couronne peut tomber en quenouille, c'eft-a-dire, que quand le Roi meurt fans garcons, fa fille ainée monte fur le tróne. Parions maintenant des autres Provinces que 1'on trouve au Nord de la France, La première, qui eft au Nord-Eft, eft l'Alface. Cette Province n'appartient a la France que depuis le dix feprième fiècle; fa capitale eft Strasbourg fur ie Rhin, Mifs Molly. Qu'eft-ce qu'un fiècle, ma Bonne V Madem*  XXV. DlALOGUE. 41 Madem. Bonne. C'eft cent ans , ma chère. Tous les peuples du monde ont choifi un grand événement pour marquer les ahné.s. Ainfi, les enfans de Noé avoient pris le délugepour Ere^ c'eft a dire, pour le teuis duquel ils commencoient a compter, cela s' ppelle Ere. Les Grecs comptcftent I s années par leurs aflemblées, qui fe tenoient tous^les cinq ars dans la Ville drO/impie; ainfi 1'efpace don fort du grand jour, & qu'on entre Idans un lieu obfcur, on ne voit rien; \$aül ne vit donc pa< Da ia^ mais Da~ nid le vit fort bien, & ceux qtu étoienl avec lui, lui confeilloient de le tuer-| mais David leur répondit: Dieu me préserve de me ttre la main fur mon Roi, fur celui qu'il a facré de fon huiie iainite. II fe contenta donc de lui couper un morceau de fon habit, encore ert eut-il regret après, craignanc d'avoir manqué de refpcét a fon Roi, Quand Saül fut forti, David monra fur le -robber & appelh Saül, en lui d;fan : C 3 Sei*  54 XXV. DlALOGUE. Seigneur, pourquoi écoutez-vous les discours de ceux qui vous parient mal de moi ? puisque j'aipu couper un morceau de votre habit, je pouvois aufïï vous tuer; mais je vous ai refpeété, paree que vous êtes mon Roi;i'Eternel fera Juge entre vous & moi; car il fait, que vous me perfecutez injuftement, moi qui fuis devant vous comme une puce. Saül, aïant entendu ces paroles, dit: n'eft - ce pas votre voix, xnon fils David? Et il pleura, & dit encore: vous êtes plus jufte que moi, & je connois a votre bonté, que Dieu vous a certainement choifi pour vous donner la Couronne; jurez - moi devant Dieu, que quand vous ferezmonté fur le tröne, vous ne ferez point mourir ma familie. David le lui aïant juré, le Roi fe retira, Jonathan avoit fut la même prière a David, & lui avoit dit: aïez bon courage, mon Tére ne peut vous faire périr, & il fait trés bien que vous ferez Roi tflsraël: pour moi, je ne ferez point jaloux de vous voir fur le Tróne, & je ferai tiès content d'être le premier aprè* vous. Car le Prince Jonathan aimoit David plus que fa vie. Lady  XXV. Dtalogoe. $$ Lady Charlo r te. Je fuis bien contente de voir David bon ami avec Saül: apparemment que le Roi ne chercha plus a lui faire iu imal, après la bonte que David avoit eu de ne ie point tur. Madem, Bonne. Un mécbant coeur ne fe corrige pas : comme ceia, mes enfans. II y a des ixnomens, oü il eft honteux de fa méchanceté; mais il oublie bientöt cetce honte pour retourner a fa mécbanceté, : comme vous .verrez que fit Saül, Lady Spirituelle. Ce mécbant Roi avoit un bon fi?s, i & j'aime Jonathan de tou: mon coeur. H.'espère que David iui aura fait beaui coup de bien, quand il fera devenuRoi. Madem. Bonne. David n'eut pas ce plaifir, ma chère, & Jonathan fat tué avant que David C 4 fiü  56 XXV\ DlALOGUE. fut Roi, mais nous verrons cela la première foi. Continuez, Mifs Molly. Mi/s Molly. Samuel mourut en ce tems-la. David fut dans le défert, proche de la montagne de Car mei* II y avoit dans ce quartier un homme, nommé Nabal, qui étoit extrêmement riche, mais fort biutal, & il avoit une femme trés bel. le & trés prudente, nommée AbigaïL David, aïant tu que Nabal faifoit tondre fes bêtes en Carmel, lui envoya quelques-uns des flens, pour lui faire fon compliment, & lui repréfenter, que, péndant tous le tems qu'il avoit été dans le défert avec fes bergers, il avoit eu foin qu'on ne lui fit pas tort, en la plus petite chofe, & qu'ainfi, il ]e prioit, felon la coutume, de lui faire uu petit préfënt. Nabal au lieu de répondre a cette polreffe, dit a ceux qui lui avoient éré envoyés: jeneconnois point David, le monde efi plein de ces Servitenrs qui futent leur Maitres. David, aïaut appris cette bruralité,; partit avec quatre eens hommes, & ju-1 ia de faire périr, iüi & tous ceux qui lui  XXV. Dia logü.e. 57 lui appartenoient. Un des bergers de Nabal, aïant appris cette réfolunon, fut trouver Abigaïl, & lui dit; ces gens nous ont gardé bien fidèlement, & cependant notre Maitre a excité leur col ére par fa brutalité, & ils viennent pour le détruire. Abigaïl fe le va promtement, & aïant préparé un grand prefent de cbofes prêtes a manger, elle fut au-devant de David & lui paria avec tant de fagelTe, qu'elle défarma fa qolère. II fentit aiors qu'il avoit été fur le point de commetue une grande faute, en fe vengeant de Nabal, & il remercia cette Dame de 1'avoir empêché decommetr.re.un crime. Abigaïl,, étant rétournée a fa maifon, trouva fon mari dans un grand feftin, & com^ me il étoit ivre , elle ne lui dit rien de ce qui étoit arrivé, jusqu'aulendemain matin Nabal fut fi 'effrayé du péril qu'il avoit couru, qu'il en tomba malade, & mouruthuitjours après. Alors David dit: paree que j'ai facrifié ma colère & le déflr que j'avois de me ven. ger, le Sngneur m'a vengé lui- même; en même tems, il fe fouvint a'Abigaïl* & penfantqu'une telle femme, qui avoit cuI'efprit d'arrêter fa colère, écoitun C 5 tré-  58 XXV. DlALOGUE. tréfor, paree qu'elle Pempêchoit de faire desfautes, il Penvoya demander en mariage, & 1'époufa. II avoit déja deux autres femmes, Michol & Abimham. Cependanr, Saül, oubliant que David avoit refpeété fa vie, alTembla encore une armée pour le pourfuivre. Etant arrivé dans une plaine, on drcfla, des tentes pourpafferla nuit, & Abner gardoit la tente du Roi avec des foldats: mais, au-lieu de faire bonne garde, ils s*endormirent, & David, avéc un de fes gens, entra jufques dans la tente du Roi; celui qui fuivolt David, lui demanda de tuer Saül; mais David Pen empêcha , en lui difant, 1'homme qui mettra la main fur POint du Seigneur, ne fera point innocent. II fecontentadonc, d'emporterla coupe & la hallebarde de Saül, & quand il fut bien loin , il cria, & dit a Abner \ Vous êtes un brave homme certainement, vous avez mérité la mort, pour n'avoir pas gardé le Roi. Saül, entendant ces paroles , appella encore David fon fils, & convint qu'il étoit plus honnête homme que lui; il lui promit même de ne plus chercher a lui faire *m mal; mais David le connois- foit  XXV. DlALOGUE. J$ loil trop bien pour ofer fe fier a fa parole, & il s'enfuit dans un aucre lieu. Lady Spiritue lle. II m'impatiente ce Saul, avec fes pro-» fmeiTes , qu'il ne tient point. II falloit 'en véritë que David fut bien bon, de ne pas fe débarafièr tout d'un coup d'un homme, qui le perfécutoit fi cru» ellement. Madem. Bonne. Mais eet homme étoit fon Roi; eet homme'étoit fon beau-Père. Paree que Saul étoit mécbant, filloir*il que Da» vid devint mechant aufti? Que deviendroit le monde, mes enfans, fi chaenu i*e croyoit autorifé a fe venger? il faut remettre ce foin a la jufiice des hommes, & fi 1'on ne peut y avoir recours, a la jultice de Dieu. Davidvenoit d'éprouver, que Dieu i'avoit vengé de Nabal, fans qu'il s'en mêlat, & il n'avo|t garde de s'expofer une feconde fois a commettre un crime. C 6 Lady  6o XXV. DlALOGUE» Lady Tempete. Mais pourtant avec toute fa patience, David étoit trés miférable, cir il fe voyoit a tout moment en danger de perdre la vie. II étoit obligé de vivre dans les bois, de manquer des 'chofes les plus nécelfaires; & cela , dans le tems, oü il étoit le vrai Roi, car Samuel Pavoit facré avec4'huile. Madem. Bonne. Auriez-vous mieux aimé être a la place de Saul, qu'a celle de David? . Lady Tempete. Non , ma Bonne, je n'auroispas •voulu être a la place de Saul : je penfe qu'il étoit encore plus malheu* reux que David. Madem. Bonne. Vous avez bien raifon, ma chère. On n'eft point a plaindre, quaud on tft vertueux , & David l'écoit. Ce ne lont point les accidens de la vie, les in-  XXV. DlALOGUE. 0*1 incommodités, la pauvreté, qui rendent les hommes malheureux: toutes ces chofes font des maux du corps: or votre corps n'eft point vous, c'eft un écranger, 1'habit de votre ame; & les maux de ce c^rps ne font confidérables , qu'a mefure que vö:re ame y prend intérêt. Si j'aime beaucoup mon habit ; je ferai bien fachée d'y voir une tache, ou un trou; mais 11 je fais raifonnable, je m'en confolerai bientöt. David, en fouffrant toutes les incommodités que Sauï lui occafionnoit, favoit que cela ne gatoit que fon habit; mais s'il fe fut vengé, il auroit gaté 1'on ame ; or cette ame devöit Pintéresfer beaucoup plus que fon corps, qui n'étoit que fon habit, car fon ame c'étoit lui même. Lady Ch ar lotte. Mais , ma Bonne , mon corps eft moi, aulfi bien que mon ame. Madem. Bonne. Point du tout, ma chère. Quand tous ferez morte, les vers mangeront C 7 votre  ©2 XXV. DlALOGUE. yotre chair, vos os tomberont en pous* fiére, & cependanr vous exifterez en!core, car votre ame reftera telle qu'elle eft. Vous favez bien qu'elle eft im* ïnortelle. Lady Charlotte. ! On-me l'a dit, maïs.je ne le concois |>as. Madem. Bonne. Vous le concevrez quelque jour, rna chére. Quand nous ierons plus avan- . cées , nous parierons de ces chofey, qui font encore trop difficiles pour vous. Voyons préfentement, fi Phiftoire tfAfo'gaït ne nous piefente point qnelque bonne réflexion. Lady Sensee. ' "Gul, ma Bonne. Je penfe que David étoitbien fage: il n'époufa point cette femme, paree qu'ell étoit betèe <& riche, mais paree qu'elle étoit prudente, qu'elle Pavoitempêché de commettre un crime, en calmant fa colère,  XXV. DlALOGUE. G"3 & qu'il efpéroit fans doute , qu'elle lui rendroic le même fervice en pareille occafion. Madem. Bonne. Votre r,éflexion eft très.fage, ma chère. La chofe la plus précieufe eft un ami qui nous aime aflez, pour nous avertir, quand nous fommes prêts a faire quelques fotifes,.& il faut préférer eet ami aux dons les plus précieux; ainfi David agit en homme de bon fens, en époufant AbigaïL Lady Makt, Cela étoit permis autrefois. Madem. Bonne. Ma chère; mais cela ne 1'eft plus au* ^ourd'hui parmi les Chrédens, parceque Jefus-Ckrijï le leur a défendu. Lady Spirituelle, J'en fuis bien aife. Si un marï pouToit avoir plufieurs femmes, je ne me soa*  04 XXV. DlALOGUE. jnarierois jamais; car je ne pourrois «pas alors être maitrefie dans la maifon, & je m'imaginerois toujours, que mon mari aimeroit mieux fes autres femmes que moi. Madem. Bonne. C'eft-a-dire, que vous êtes difpofée a devenir jaloufe, ma trés chère; •vous auriézdonc été fort malheureufe, fi voue étiez néé a la Chine. Lady Mary. Eft ce que les Chinois ont plufieurs femmes ? Madem. Bonnb. Oui, ma chère, ainfi que prefque tous les Peuples de VJfie. Comme il nous refte un demi quart d'heure, je vais vous raconter comme fe font les mariages a la Chine II faut que vous fachiez d'abord , qu'a la Chine les femjnes ne fortent point a pied, & ne voyent jamais d'autres hommes que leurs leurs pères & leurs «naris. Lady  XXV. DlALOGUE. ÓJ Lady Sensee. Comment peut-on donc fe maner, ma Bonne? Eft-ce au moins qu'un gentil - homme n'a pas la liberté de voir une fille, quand il veut 1'époufer? Madem. Bonne, . Ce ne font pas ceux qui doivent fe marier, qui fe mêlent de faire le mariage; ce font les Pères Un homme, qui a un fils, va trouver un autre homme, qui a une fille, 11 s'informe des qualités de cette fille, & s'il'croit qu'elle foit convenable a fon fils, il la demande pour lui. Le père, 1'aïant accordée va dire a fa fille qu'il vient de la marier. Alors, on lui met fes plus beaux habits, & on 1'enferme dans une machine qui efi: fermée, & on la porte dans la maifon de fon mari. Le nouveau marié attend avec bien de 1'impatience le moment de voir fa femme. Quelque fois il eft content de fon marché, d'autre fois fa femme n'eft. point de fon goüt ;maisne croyez.pas pour cela qu'il aitde mauvaifes facons pour elle ; il a trop  €6 XXV. DlALOGUE, trop de refpecT: pour fon Père qui l'a choifie. 11 demeure avec elle pendant huk jours. & au bout de ce tems, il lui demaude permisfion de choifir une autre femme parmi celles qu'on lui a donrée pour la fervir La femme ne lui refufe jamais cette permilTion; mais cette autre ftmme, que le mari prend, refte toujours fa fervante, & la femme que le Père a choifie, refte roujours maitrefiè de ia maifon; les enfans de la fervante 1'appellent leur Mère, & lui font foumis. Lady Tempete. Eh bien 1 cela doit la confoler, puis» qu'elle refte tcujours la maitrefiè; & fi la fervante étoit infolente, pouroitelle la punir? Madem. JBonne, Sans doute, ma chère , mais cela arrivé point. j.a fervante fait qu'elle doit refpeéter fa niaitreifie, & travaillei a gagner fes bonnes graces pour elle & fes enfans. La maitrefiè 4 par complaifance pour fon mari, & pour s'en faire aimer, traite bien une femme qu'il aime, & tous ces gens vivent or- . di-  XXV. DlALOGUE. 67 dinairement dans la meilleure intelligence du monde. Lady Sensee. Mais ces gens-la font donc plus raifonnables que les autres Peuples. J at lu dans la Vie de Dênis, Tyrande t>y> racufe, qu'il avoit époufé deux femmes dans un même jour, & qu'il avoit trouvé le fecret de les faire vivre en paix. & i'ai ouï dire que cela prouvoit, que Dênis étoit le plus habile homme du monde, paree que rien n'étoit plus difficile que de conferver la bonne mtelli^ence entre deux femmes qui vivent dans%ne même maifon, & qui doivent partager 1'autorité. Madem. Bonne. ' Cet homme avoit d'autant plus de raifon , qua ces deux femmes de Dênis avoient chacune des enfans, & qu il étoit naturel qu'elles cherchafTent a les mettre fur le Tröue; mais a la Chine, ceia'ea moins difficile; ü la Maitreffe a des enfans, ils font toujours audesfus de ceux de ia fervante. D'ailleurs,  68 XXV. Dialogue. mes enfans, 1'éeucation fait tout. Les filles font infiruites dès leur jeunelTe, que c'eft la cuutume du Païs, elles s'y attendent, & cela ne* leur paroit point extraordinaire. Mi/s Molly. Mais ces pauvres femmes doivent bien $'ennuïer,puisqu'elles ne fortent jamais. Madem, Bonne. Je vous ai dit, qu'elles ne fortent jamais a pied ; mais on les porte dans ces machines fermées chez les autres Dames, pour faire das vifites. C'eft quelque chofe de honreux pour une femme de paroitre en pubjic; il n'y a que les pauvres,' & les mal-honnêtes femmes, a qui cela foit permis. Et puis, quand les Dames aimeroient k courir, elles ne pourroient pas aller lien loin , a caufe de leurs pieds. Lady Mary. Eft-ce que leurs pieds font autreJïient faits que les ïiócres? Madem*  XXV. DlALOGUE. 6*0 Madem. Bonne. Quand elles viénneut au monde, elles ont les pieds faits comme les nötres, mais on a foin de leur plier les doigts des pieds en dedans, & de les attacher avec des bandes; quand elles fontgrandes, les doigts de leurs pieds femblent colés en-deflbus, comme font nas doigts, quand nous avons la main fermée. On ne fait pas, qui a commencé a faire cela aux enfans, mais apparamment, qu'on a 'voulu par-la apprendre aux Dames, qu'elles ne doivent pas aimer a courir, & que leur vraie place eft leur maifon, oü elles doivent .refter pour avoir foin de leurs enfans & de leur ménage. Adieu, mes en* fans, notre tems eft paiTé. XXVL  7o XXVI. DlALOGUE. % i —^tsg-^—j % XXVI. DlALOGUE. Vingt-quatrième journée. Lady Mary. Ma Bonne, il y a long-tems que vous ne nous avez point raconté de conté, n'en aurons-nous point un 'aujoürd'hui ? Madem. Bonne* Te le veux bien, mes enfans. II y avoit une fois un Seigneur qui avoit deux filles jumelles , a qui 1'on avoit donné deux noms qui leur convenoient parfaitement. L'ainée qui étois trés-belle, lut nommée Bé/ore, & la feconde, qui éroit fort laide, fut nommée Laidronette. On leur donna des Maitres, & jusqu'a 1'age de douze ans, elles s'appliquerent a leurs exercices, mais alors leur Mère fit une fotife car fans penfer qu'il leur reftoit encore bien des chofes a apprendre, elle les mena avec elle dans les afièmblées. Com-  XXVI. DlALOGUE, ?r Comme ces deux filles aimoient a fe divertir, elles furent bien contentes de voir le monde, & elles n'étoient plus occupées que de cela, même pendant le tems de leurs lecons, enforte que leurs Maitres commencèrent a les ennuïer. Elles trouvèrent mille prétextes pour ne plus apprendre; tantót il falloitcélebrer le jour de leur naiflance; une autre fois elles étoient priées a un bal, a une affemblée, & il falloit pasfer le jour a fe coëfer, enforte qu'Ori écrivoit fouvent des cartes aux Maitres , pour les prier de ne point venir, D'un autre cöté les Maitres, qui vöi yoient que les deux petites filles ne s'appliquoient plus, ne fe foucioient pas beaucoup de leur donner des le* §ons; car dans ce Païs, les Maitres ne donnoient pas lecon feulement pour gagner de 1'argent, mais pour avoir le plaifir de voir avancer leurs écolières. lis n'y alloient donc guère fouvent; & les jeunes filles en étoient bien aifes. Elles vécurent ainfi jufqu'a quinze ans , & a eet age, 'Bèlote étoit devenuë 11 belle , qu'elle faifoit Padmiration de tous ceux qui la voyoient. Quand la Mère menoit fes filles en compagnie, tous  72 XXVI. DlALOGÜP, tous les cavaillers fr.ifoient la Cour k Bèlote; 1'un louoit fa bouche, 1'autre fes yeux, fa main, fa railte, & pendant qu'on lui donnoit toutes ces louanges, on ne penfoit feulement pas, que fa foeur fut au monde. Laidronette mouroit de dépit d'être laide, & bientót elle prit un grand dégoüt pour le monde & les compagnies, oü tous les honneurs & les préférences étoient pour fa foeur. Elle commenca donc & fouhaiter de ne plus fortir: & un jour, qu'elles étoient priés a une allèmblée, qui devoit finir par un bal, elle dit k faMère, qu'elle avoit mal a la tête, & qu'elle fouhaitoit de refter a la maifon. Elle s'y ennüfa d'abord a mourlr, & pour palier le tems, elle fut a la bidliothéque de fa Mère, pour chercher un Roman, & fut bien fachée de ce que fa foeur en avoit emporté la clef. Son Père avoit aulTi une Bibliothéque, mais c'étoit; des livres férieux, !& elle les haïlToit beaucoup. Elle fut pour tant ibrcée d'en prendre un: c'é:oit un recueil de lettres, & en ouvrant le livre, elle tronva celle que je vais vous rapporter. Vous  XXVI. DiALoouE. 73 ous me deraandez, d'oü vientque la plus grande partie des belles perfon:nes font extrêmement fotes & ftupi* das? Je crois pouvoir vous en dire la raifon. Ce n'eft pas qu'elles aient imoins d'efprit que les autres, en venant au monde; mais c'eft qu'elles négli ! gent de le cultiver. Toutes les femmes : ont de la vanité; elles veulent plaire. Une laide connoit, qu'elle ne peut être aimée a caufe de fon vifage; cela lui I donne la penfée de fe diftinguer par fon efprit. Elle étudie donc beaucoup, & elle parvient a devenir aimable malgré la nature. La belle, au contraire , n'a qu'a fe montrer pour plaire; fa vanité eft fatisfaite: comme elle ne réfléchit jamais, elle ne penle i pas que fa beauté n'aura qu'un tems; I d'ailleurs elle eft li occupée de fa paru* re, du foin de coarir les affemblées : pour fe montrer, pour recevoir des louanges, qu'elle n'auroit pas le tems ! de cultiver fon efprit, quand même elle en connoitroit la nécefliré. Elle Idevient donc une fote toute occupée ! de puérilités, de chifons, de lpectacles; : cela dure jusqu'a trente ans, quctfante Tom, IV. D ans  74 XXVI. Dialocue* ans au plus, pourvu que la petite vé- j role , ou quelque autre maladie, ne j vienne pas déranger fa beauté plutöt. Mais quand on n'eft plus jeune, on ne j peut plus rien apprendre: ainfi, cette belle fille, qui ne 1'eft plus, refte une | fote pour toute fa vie, quoique la nature lui eut donné autant d'efprit qu'a i une autre; au lieu que la laide, qui i eft devenuë fort aimable fe moque des : malades & de la vieillefie, qui ne peu- i vent rien lui óter Laidronette, après avoirlu cette Lettre qui fernbloit avoir été écrite pour i elle , réfolut de profiter des vérités : qu'elle lui avoit découvertes. Elle re- ; demande fes Maitres, s'applique a la ! ledure , fait de bonnes réfiéxions fur ce qu'elle lit, & en peu de tems, de-! vient une fille de mérite. Quand elle ! étoit obligée de fuivre fa Mère dans les compagnies, elle fe mettoït tou-1 jours a cóté des perfonnes en qui elle I remarquoit de I'efprit, & de la raifon, i elle leur faifoit des queftions, & rete-i noit toutes les bonnes chofes, qu'elle leur entendoit dire: elle prit mêmei Fhabitude de les écrire pour s'en mieux I fou-i  XXVI. Dialoöue. 75 ilfouvenir, &a dix-fept ans, elle par] Joit & écrivoit fi bien, que toutes les nperfonnes de mérite fe faifoient ua jplaifir de la connoitre, & d'entretenir Win commerce de Lettres avec elle. Les f deux foeurs fe marièrent le même jour. t Bikte époufa un jeune Prince qui étoit [ charmant, & qui n'avoit que vingt-deux la ans. Laidroriette époufa le Miniflre de |[ce Prince: c'étoit un homme de quaI rante cinq ans. II avoit reconnu I'efprit de cette fille, 5 & il l'eftimoit beaucoup; car le vifage ide celle, qu'il prenoit pour la femme in'étoit pas propre a lui infpirer de iTamour , & il avoua a Lnidronette, ijqu'il n'avoit que de 1'amitié pour elle: bc'étoit juftement ce qu'elle demandoit, !?& elle n'étoit point jaioufe de fa foeur ]]qui époufoit un Prince , qui étoit il •fort amoureux d'elle, qu'il ne pouvoit lila quiter une minute, & qu'il rêvoit d'elle toute la nuit Bikte fut fort theuieufe pendant trois mois; mais au ï:boutdecetems, fon mari, qui 1'avoit kvuë tout a fon aife, commenca k ss'accoutumer afa beauté, & k penlèr c qu'il nefalloitpas renoncer a tout pour Da ia  76 XXVI. DlALOGUE. fa femme. II fat a la chaflè, & fit d'autres parties de plaifir dont elle n'é- ; toit pas, ce qui parut fort extraordinai- | re kBélote: car elle s'éroit perfuadée, que fon mari 1'aimeroit toujours de la même force; & elle fé crut la plus malheureufe perfonne du monde , quand elle vit que fon amour diminuoit. Elle lui en fit des plaintes; illefacha; ilsfe racommodèrent: mais comme ces plaintes recommencoient tous les jours, le Prince fe fatigua de Fentendre. D'ailleurs Békte, aïant eu un fils, eile devint maigre, & fa beauté diminua confidérablement; enforte qu'a la fin, fon mari, qui n'aimoit en elle que cette beauté, ne Faima plus du tout. Le chagrin, qu'elle en concut, acheva de i gater fon vifage , & comme elle ne favoit rien, fa converfation étóit fort ennuïeufe. Lesjeunesaenss'ennuïoient i avec elle, paree qu'elle étoit fote; les : perfonnes plus agées. & qui avoient; du bon-fens, s'ènnuïoient aufli avec < elle, paree qu'elle étoit fote: enforte: qu'elle reftoit feule prefque toute lal journée. Ce qui iaugmentoit fon dé- ] fefpoir, c'eft que fa foeur Laidronette i étoit la plus heureufe perfonne du monde. 1  XXVI. DlALOGUE. 77 de. Son mari la confultoit fur fas affaires-, il lui confioit tout ce qu'i! penfoit; il fe conduifoit par fes confeils, & difoit par tout, que fa femme étoit lavmeilieurëamifcqu'ü eut au monde. Le Prince même , qui étoit un homme d'efprit, fe plaifolt dans la converfation de la belle - foeur, & difoit, qu'il n'y avoit pas moyen de refter une demie heure fans bailler avec BéXote, paree qu'elle ne favoit parler que de coéfures, & d'ajuftemens, en quoi il ne connohToit rien. Son dé out pour ia fereme devint tel, qu'il 1'envoya a la campagne, oü elle eut le tems de s'ennuïer tout a fon aife, ce oü elle feroit morte de chagrin, li fa foeur Laidro* r.ette n'avoit pas eu la charité d'aller la voir le plus fouvent qu'elle pouvoit. Un jour qu'elle tachoit de la confoler, Békte lui dit: mais, ma foeur, d'oü vient donc la différence qu'il y a entre vous & moi? Je ne puis pas m'empêcher de voir que vous avez beaucoup d'efprit, &que je ne fuis qu'une fote: cependant quand nous étions jeunes, on diroit, que j'tn avois pour le moins autant que vous. Lat zonette alors racoma ion avanture a fa foeur, & lui D 3 dit:  73 XX VI. Dl AL O G UE. dit: vous êtes fort fachée contre votre mari, paree qu'il vous a envoyée a la campagne, & cependant cette chofe, que vous regaidez comme le plus grand malheur de votre vie, peut faire votre konheur , fi vous le voulez. Vous rj'avez pas encore dix neuf ans; ce feroit trop tard pour vous apliquer, fi vous étiez dans la cfifïïpation de la Vil* ïe; mais la folitude, dans laquelle vous vivez, vous laiflè tout le tems nécesfaire pour cultiver votre efprit. Vous n'en manquez pas, ma chère foeur; mais il faut 1'orner par la lecture, & les réflexions. Békte trouva d'abord beaucoup p^e difficulté a fuivre les confeils de fa foeur, par 1'habitude qu'elle avoit contractie de perdre fon tems en jriaiferies; mais a force de fe gêner, «He y réüffit, & fit des progrès furprenans étns toutes fes fciences, a mefure qu'elle devenoit aufïï raifonnable: & comme la Philofophie la confoloit de fes malheurs, elle reprit fon embonpoint, & devint plus belle qu'elle n'avoit jamais été; mais elle ne s'en foucioit plus du tout, & ne daignoit pas même fe regarder dans le miroir. CepsndajUj fon mari avoit pris un fi grand  XXVI. Dialogüe. 79 •j grand dégoüt pour elle, qu'il fit caffer jj fon mariage. Ce dernier malheur penjj fa l'accabler, car elle aimoit tendreI men: fon mari, mais fa foeur Laidronette vint a bout de la confoler, Ne vous afrligezpas, lui difoit elle, je fais j le moyen de vous rendre votre mari; | fuivez feulement mes confeils, & ne vous embamuTez de rien. Comme le t Prince avoit eu un fils de Békte, qui i devoit être fon héritier, il ne fe preifa point de prendre une autre femme, & : ne penfa qu'afe bien divertir. II gouca I extrêmement la converfation de Laii dronette, & lui difoit quelquefois, qu'^ii i ne fe remarieroit jamais, a moins qu'il ! ne trouvat une femme qui eüt autant i d'efprit qu'elle. Mais, li elle étoit auffi laide que moi, lui répondit-ellc, en riant. Envérité, Madame, lui dit le Prince cela ne m'arrêteroit pas un moment : on s'accoutume a un laid vifage, le votre ne me paroit plus choquant, par 1'habitude que j'ai de vous voir; quand vous parlez, il ne s'en faut de rien que je ne «vous trouve jolie; & puis, a vous dire la vérité, Békte m'a dégoüté des belles; toutes les fois que j'en rencontre une ftupide, jen'ofe lui. D4 par«  80 XXVI. DlALOGUE. parler, dans la crainte qu'elle ne me réponde une fotife. Cependant, le tems du Carnaval arriva, & le Prince crut qu'il iè divertiroit beaucoup, s'il pouvoit courir le bal fans être connu de perlonne. II ne fe confïa qu'a Laïdronette, & la pria de fe masquer avec lui ; car, comme elle étoit fa belle-foeur, perfonne ne pouvoit y rrouver a redire, & quand on 1'auroit fu, cela n'aurcit pu nuire a fa réputa* tio»; cependant, Laidronette en demanda la permilïion a fon mari, qui y confentit, d'autant plus volontiers^ qu'il avoit lui même mis cette fantaifie en tête du Prince, pour faire réüsfir le deflèin qu'il avoit, de le réconcilier avec Békte, II écrivit a cette Princeffè abandonnée de concert avec fon époufe, qui marqua en même tems a fa foeur, comment le Prince devoit êrre habille. Dans le milieu du bal, £é\ote vint s'ülTeoir entre fon mari & fa foeur, & ccrnmencji une converfation extrêmement agréable avec eux: d'abord, le Prince crut reconnoitre la voix de fa femme; mais elle n'eut pas parlé un demi quart» d'heure, qu'il perditle fouj:con qu'il avoit cu aucom- men«  XXVI. DlALOGUE. 81 mencement. Le refte de la nuk pafla 11 vite , a ce qu'il lui fembla , qu'il fe frotta les yeux quand le jour parut, croyant rêver, & demeura charmé de I'efprit de 1'inconnuë, qu'il ne put jamais engager a fe démafquer: tout ce qu'il en put obtenir , c'eft qu'elle reviendroit au premier bal avec le même habit. Le Prince s'y trouva des premiers; & quoique 1'inconnuë y arrivat un quart d'heure après lui, il 1'aocufa de parcflè, & lui jura qu'il s'étoit beaucoup impatienté. II fut encore plus charmé de 1'inconnuë cette feconde fois que la première, & avoua a Laidronette qu'il étoit amoureux comme un fou de cette perfonne. J'avouë qu'elle a beaucoup d'efprit, lui rénondit fa confidente; mais fi vous vouïez que je vous dife mon fentimeht, je foupconne qu'elle eft encore plus laide que moi: elle connoit que vous i'aimez, & craint de perdre votre coeur, quand vous verrez fon vifage. Ah! Madame, dit le Prince; que '"ne peut- elle lire dans mon ame ! L'amour qu'elle m'a infpiré eft indénendant de fes traits: j'admire fes lumières, 1'étenduë de fes connoiftanD 5 ees5  Sa XXVÏ. Dialogöe. ces, la fupériorité de fon efpric, & & la bonté de fon coeur.. Cornment pouvez vous juger de la bonté de fon coeur? lui dit Laidronette. Je vais vous le dire, reprit le Prince; quand je lui ai fait remarquer de belles femmes, elles les a louées de bonne foi, & elle m'a même fait remarquer avec adreffe des beautés qu'elles avoient, & qui échapoient a ma vuë. Quand j'ai voulu, pour 1'éprouver, lui conter les -:n>au\jaifes hiftoires, qu'on mettoit fur le compte de ces femmes, elle a détourné adroitement le discours, ou bien elle m'a interrompu, pour me raconter quelque belle aéfcion de ces perfonnes , & enfin , quand j'ai voulu continuer, elle m'a fermé la bouche, en me difant, qu'elle ne pouvoit fouffrir la médifance. Vous voyez bien, Madame, qu'une femme qui n'eft point jaloufe de celles qui font belles, une femme qui prend plaifir a dire du bien du prochain, une femme qui ne peut fouffrir la médifance, doit être d'un excellent caraélère, & ne peut manquer d'avoir un bon coeur. Que me manquera-t-il pour être heureux avec une telle femme, quand même elle feroit auffi  XXVI. Df.4E.0CUE. 83 au (Ti laide que vous le penfez % Je luis donc réfolu a lui déclarer mon nom, & a lui offrir de partager ma puiflance. Effectivement, dans le premier bal, le Prince aprit fa qualité a 1'inconnuë, & lui dit, qu'il n'y avoit point de bonheur a efpérer pour lui, s'il n'obtenoit pas fa main; mais, malgré ces offres, Bélote s'obflina a demeurer mafquée, ainfi qu'elle en étoit convenuë avec fa foeur. Voila le pauvre Prince dans une inquftujleeépouvantable. II penfoit comme Laidronette, que cette perfonne fi fpirituelle devoit être un monftre, puisqu'elie avoit tant de répugnance a fe lauTer voir; mais quoiqu'il fe la peignit de la manière du monde la plus défagréable, cela ne diminuoit point i'attachement, 1'eftime, & le refpect, qu'il avoit concu pour fon efprit & pour fa vertu. li étoit tout prêt a tomber' malade de chagrin, lorsque Pinconnuë lui dit: Je vous aime, mon Prince, & je nè chercherai point a vous le cacher; mais plus mon amour eit grand, plus je crains de vous perdre, quand vous me connoitrez. Vous vous figureZj peu-être, que j'ai de D 6 grands  S4 XXVI. DlALOGUE. grands yeux, une petite bouche, de belles dents, un tein de lis & de rofe*; & fi par avanture, j'allois me trouver des yeux louches, une grande bouche , unnezcamard, des dents gatées, vous me prieriez bien vite de remettre mon masqué. D'ailleurs, quand je ne ferois pas fi horribk, je fais que vous êtes inconftant: vous avez aimé Béloie a la folie, & cependant vous vous en êtes dégouté. Ah! Madame, lui die le Prince, foyez mon juge ; j'étois jeune , quand j'époufai Bélote, & je vous avouë que je ne m'étois jamais occupé qu'a la regarder, & point a 1'écouter; mais lorsque je fus fon man, & que 1'habitude de la voir, eut diffipé mon illufion, imaginez-vous, fi ma ütuation düt être bien agréable? Quand je me trouvo;s feul avec mon époufe, elle me parloit d'une robe nouvelle qu'elle devoit mettre le lendemain, des fouliers de celle-ci, des diamans de celle-la. S'il fe trouvoit a ma table , une perfonne d'efprit, & que 1'on voulüt parler de quelque chofe de raifonnable, Bélote commencoit par bailler, & finifoit par s'endormir. Je voulus elfayer de 1'engager è s'in- itruï-  XXVI. DlALOGUE» 85 ftruire, cela rimpatienta; elle étoit fi ignorante, qu'elle me faifoit trembier & rougir toutes les fois qu'elle ouvroit la bouche. D'ailleurs, elle avoit touts les défauts des fotes: quand elle s'toit fourée une chofe dans la tête, il n'étoit pas polfible de 1'en faire re < venir, en lui donnant de bonnes raifons, car elle ne pouvoit les comprendrc. Elle étoit jaloufe , médifante, méfiante. Encore, s'il m'avoit^été permis de medefennuïer d'un autre cöté, j'aurois eu patience, mais ce n'étoit pas lk fon compe; elle eut voulu que le fot amour , qu'elle m'a voir infpiré, eüt duré toute ma vie, & m'eut rendu fon efclave. Vous voyez bien, qu'elle m'a mis dans la nècefiité de faire calTer mon manage. J'avouë, que vous étiez a plaindre, lui répondit 1'inconnuë; mais tous ce que vous dites, ne me rafiure point. Vous dites que vous m'aimez: voyez , fi vous ferez afièz hardi pour m'époufer aux yeux de tout vos fujets, fans m'a voir vuë. Je fuis le plus heureux de tous les hommes, puisque vous ne demandez que cela, répondit le Prince; venez dans mon Palais avec LaïD 7 drom  / 86 XXVI. DlALOGUE. dronette, & demain, dès le matin, Je ferai aftèmbler mon Confeil, pour vous époufer a fes yeux. Le refte de la nuit parut bien long au Prince, & avant de quitter le bal, s'étant démafqué, il ordonna a tous les Seigneurs de la Cour de fe rendre dans fon Pa- » lais, & fit avertir tous fes Miniftres. Ce fut en leur préfence qu'il raconta ce qui lui étoit arrivé avec 1'inconnuë, & après avoir fini fon difcours, il jura de n'avoir jamais d'autre époufe qu'elle , telle que put être fa figure. 11 n'y eut perfonne qui ne ciüt, comme le Piince, que celle qu'il époufoit ainfi, ne fut horrible a voir. Quelle fut la fuiprife de tous les afiiftaris, lorsque Bélote s'étant démafquée, leur fit yoir la plus belle perfonne qu'on püc imaginer1? Ce qu'il y eut de plus fingulier, c'eft que le Prince, ni les autres, ne la reconnurent pas d'abord , tant le iepos & la folicude 'i'avoient embellie; ©n fe difoit feulement tout-bas, que 1'autre Princefie lui reflembloit en laid. Le Prince extafié , d'être trompé fi agréablement, ne pouvoit parler; mais Laidronette rompit le filence, pour féliciter fa foeur du retour de la ten- dres»  XXVI- Dialoguf; 87 drelTe de fon époux. Quoi! s'écria le Roi , cette charmante & ipirituelle eft Bélote? Par quel enchantement at • elle joint aux charmes de la figure, ceux de I'efprit &du caractère , qui lui manquoient abfolument ? Quelque Fée favorable a t ■ elle fait ce miracle en fa faveur? il n'y a point de miracle, reprit Bélote, j'avois négligé de cultiver les dons de la nature; mes malheurs, la folitude &les confeils de ma foeur, m'ont ouvertles yeux, drm'ont engagée a acquérirdes gracesai'epreuve du tems & des maladies. Et ces graces m'on infpiré un attachement al'épreuve de rinconftance, lui dit le Prince en 1'embraffant. Effe&i vemen t, il 1'aima toute fa vie avec une fidélké, qui lui fit oublier fes malheurs paffés. Lady Spirituelek. Je vous affure, ma Bonne, que ce conté eft le plus joli de tous ceux que vous nous avez racontés: dites nous la vérité, vous 1'avez fait exprès pour nous. Madem*  88 XXVI. DlALOGUE. Madem. Bonne. Cela pourroit bien être ; mais qu'il foit fait pour vous, ou non , Mesdames, 1'importance eft d'en profker. II a été bien long mon conté , & j'ai peur que nous n'ayons pas le tems de rien dire fur la Géographie; commencons par nos hiftoires. C'est a vous, Lady Mary. Lady Mary. David, craignant de tomber entre les mains de Saül, fe retira auprès d'un des Rois des PhMJlins , qui lui donna une Ville , ponr y deraeurer avec fes gens. Au bout de quelques années, les Philifiins déclarèrent la guerre a Saül, qui eut une grande peur ; il confulta le Seigneur ; & comme il ne lui voulut point répondre, il dit a fes fujets : cherchez moi quelque perfonne qui dévine par le moyen «du malin efprit. Or cela étoit fort difficile; car lui-même avoit porté un arrêt de mort contre ces gens-la. Cependant fes Serviteurs lui enfeignèrent une femme. II y fütdeguifé avec deux de fes do- • meftiques & lui dit, qu'il la prioit de faire re-  XXVI. DlALOGUE. 89 revenir une perfonne morte dont il# avoit befoin. Cette femme lui dit , pourquoi me tentez vous? Ne favez» vous pas, que le Roi a défendu de faire ce que vous me commandez? Je jure par le Seigneur, qu'il ne vous en arrivera pas de mal, lui dit - il. Alors cette femme fit fes conjurations, & tout d'un coup elle jetta un grand cri, & dit: vous m'avez trompée, vous êtes le Roi. Saül la rafiura, & lui demanda ce qu'elle voyoit. Je vois un vieillard , lui dit-elle; & fur le portrait qu'elle en fit, Saül reconnut que c'étoit Samuèl, & lui demanda, quel devoit être le fuccès de la bataille. Pourquoi troubles tu mon repos? lui dit Samuël; ce que je t'ai prédit , arrivera : paree que tu as défobéï au Seigneur, il va t'óter ton Royaume, & toi & tes fils, vous ferez demain avec moi, Saül effrayé refta contre terre, oü il s'étoit jetté devant Sa* tnuel; toutefois k la prière de cetre femme, il mangea un morceaux. Le lendemain il donna la bataille ;^ & comme il vit que les ennemis étoient plus forts que lui, il fe pafia fon épée au tiavers du corps, & fes fils furent tués.  $o XXVI. DlAIOCLE. tués. Les Philiftins, aïant trouvé fon corps, le pendirenr; mais les babitars de Jabès, s'étant aflèmblés, emportèrent fon corps, & lui donnèrent la fépulture. Lady Charlotte, Ma Bonne, j'ai toujours bien peur des morts , & j'en aurai encore bien davantage.. Ma nourrice me difoit J>ien qu'ils revenoient, elle m'a conté jenefaiscombien d'hiftoires a cefujet. Madem. Bokne. C'eft. que votre noiarrice efi une fote, ma bonne amie. II eft certain, que, fi Dieu le vouloit, il pourrok faire revenir les morts, comme il a fait a 1'ègard de Samuèl, du moins quelque phantömes qui leur refièmbleroient; mais il efi; auffi certain, qu'il ne fait pas de miracles fans de bonnes raifons , & que toutes les hifloires , qu'on conté a ce fujet, font des fables. Je pourrois, vous en dire plufieurs exemples, mais je me contente* rai d'en rapporter deux. Un  XXVI. DlALOGUE. 91 Un gentil-homme avoit été envoyé par le Roi en Alkmagne , pour des affaires de confëquence. II revenoit en pofte avec quatre domeftiques, lorsque la nuit le furprit dans un méchant hameau oü il n'y avoit pas un feul cabaret. 11 demanda a un PaïTan , s'il n'y avoit pas de moyen de loger dans le chateau 1 Le Païfan lui répondit: il eft abandonné, Monfieur, il n'y a qu'un fermier, dont la petite maifon eft hors du ch&teau, oü il n'oferoit entrer que le jour, paree que la nuit il y revient des efprits, qui battent les gens. Le gentil-homme , qui n'étoit pas peureux, dit au Païfan: je n'ai pas de frayeur des esprits, je fuis plus méchant qu'eux, & pour le prouver, je veux que mes domeftiques reftent dans le village, & j'y coucherai tout feul. Ce n'étoit pourtant pas fon intention de fe coucher; il avoit toute fa vie entendu parler de revenans, & il avoit une grande curiofité d'en voir. II fit allumer un bon feu, prit des pipes & du tabac, avec deux bouteilles de vin , & mit fur la table quatre piftolets char^ée. Sur la minuit, il entendit un grand, bruit de chai*  92 XX VL DlALOGUF. chaines, & vit un homme beaucoup plus grand que d'crdinaire, qui lui faifoit figne de venir a lui. Notre homme mit deux de fes piftolets a fa ceintme, un dans fa poene, il prit le dernier dm> ia main droite , & tenoit la chandelle de 1'autre main ; dans eet équipage il fuivit le phantöme , qui descendit 1'efcalier, traverfa la cour, & entra dans une aliée, mais lorsqne le gernl- homme fut arrivé au bout de Tallée , tout d'un coup la terre manqua fous fes pieds, & il tomba dans un trou. II s'appercut alors de la fotife qu'il avoit faite; car il vit a travers une cloiicn mal jointe, qui le léparoit d'une cave, qu'il étoit tombé dans la puiflance, non des esprits, ma's d'une douzaine d'hommes qui tenoient confeil entre eux , pour favoir, il on devoit le tuër. 11 connut par leur difcours, que c'étoit des gens qui faifoient de la fauflè monnoie. Le gentil-homme, qui fe voyoit pris comme un""rat dans une fouricière, élev a ia voix , & demanda a ces Melïïeurs la permiffion de parler. On la lui accorda, & il leur dit: Mesfieurs, ma conduite, en venant ici, vous  XXVI. DlALOGUE. 93 vous prouve que je fuis un étourdi; mais en même tems , elle doif vous affürer que je fuis ün homme d'honneur • car vous n'ignor^z pas, que prefque toujours un coquin et un lache. Je vous promets de garder le fecret de cette avanture , & je vous le promets fur mon honneur. Ne comme ctez point un crime en tuant un homme, qui n'a jamais eu intention de vous faire du mal. D'ailleurs confidérez les fuites de ma mort. Je porte fur moi des lettres de confé» quence , que je dois rendré au Roi en main-propte* j'ai quatre domefliques dans ce village; croyez qu'on fera tant de recherches pour fa voir ce que je ferai devenu, qu'a la fin on le découvrira. Ces hommes, apres 1'avoir écouté, déciderent qu'il fa loit fe fier en la parole. On lui fit jurer fur l'fi> vangile, qu'il raconteroit des chofes rerribles de ce chateau. Effectivemeat, il dit le lendemain, qu'il y avoit vü des chofes capables de faire mourir un homme de frayeur, & il ne mentoit pas, comme vous penfez bien. Voila donc une hiftoire de revenans bien établie. Perfonne n'auroit ofe* ea  94- XXVI. DlALOGUE. en douter depuis qu'un homme tel que celui-la 1'alTuroit. Cela dura pendanc douze ans. Après ce tems , comme il étoit dans fon chateau a fe divertir avec plufieurs de fes amis, on lui dit, qu'un homme , qui conduifoit deux chevaux, 1'attendoit fur le pont pour iui parler, mais qu'il ne vouloit pas entrer. La compagnie fut curieufe de favoir ce que fignifioit cette avanture; mais dès que le gentil-homme parut, fuivi de fes amis, celui qui étoit fur le pont, lui cria: Arrêtez, s'il vous plait, Monfieur, je n'ai qu'un mot a vous dire. Ceux, a qui vous avez promis le fecret il y a douze ans, vous remercient de Favoir fi bien gardé. Préfentement ils vous rendent votre parole. Ils ont gagné de quoi vivre , & font fortis du Royaume; mais avant de me permettre de les fuivre, ils m'ont chargé de vous prier d'accepter de leur part deux chevaux, & je vous les laifie. Efieétivement eer homme , qui avoit attaché ces deux chevaux a un arbre , fit partir le fien comme un éclair; & bientót il le perdirent de vuè\ Alors le héros de l'hiftoire raconta a ua ami ce qui  XXVL DlALOGUE. oui lui étoit arrivé, & ils conclurent, qu'il ne falloit rien croire des foiftoires des revenans qui paroilTent les plus certaines; puisque fi on les examinoit avec attention, on trouveroit que la malice, ou la foibleflè des hommes, a donné nahTance a ces contes. Lady Spirituelle. J'aurois juré que c'étoit des diables, ou des revenans, qui étoient dans ce chateau. Madem. Bonne. Un peu de reflexion, mes enfans, & 1'on n'ajoutera aucune croyance a ces hiftoires. Croyez vous de bonne foi, que Dieu, qui efi: la fiigefle, & la bonté même, veulle faire des mi* racles feulement pour tourmenter les hommes? Croyez-vous, qu'il permeta une ame de revenir fur la terre, pour faires des malices, tirer la couverture d'une perfonne qui dort, 1'ernpêcher de dormir & mille autre fadaifes, qui ne font dignes que de riféeV Je vais vous prouver, par ce qui m'eft arrivé  $6 XXVI. DlALOGUE. arrivé a moi même ; le parti qu'il faut prendre dans ces fortes d'occafions^ Je crois que le fort avoit rafXemblé, exprès pour moi, ies plus fotes da toutes les fervantas: A fix ans je favois plus de cinq eens hiftoires de revenans, que je croyois comme YEvangile, & cela m'avoit iendu 11 peureule, que je crai;nois mon ombre ; mais quand je commencai a avoir de Ia raifon, je me réfolus de me guérir de cette maladie. Je m'accoutumai donc le foir a aller feule, d'abord avec de la lumière. Je me difois a moi-même : je ne fuis pas feule, Dieu eft dans cette chambre, oü je vais entrer il faura bien me défendre. Après cela j'entrois hardiment, je m'aftèyois , & je ne quittois pas la place, que je ne fufte tout*a*fait tranquiüfée, & après ie me moquois de moi-même. Si je voyois quelque chofe dans 1'obfcurké, ie m'avancois pour la toucher, & je trouvois que c'étoit un linge, ou une chaife, qui de loin me paroiflbit fous une forme terrible; car la peur grofïït les objets. Petit-èpetit je me guéris de cette foiblelTe, & une avanture qui m'arriva, ache*?a de me rendre tout-ani * fait  XXVI. DlALOGUE. 97 fait raifonnahle. J'eus affaire pour quelques mois dans une petite Ville, & en y arrivant, j'envoyai chercher un Irapiffier, pour me meubler un apartement que j''étois prête a toner, Le tapillier me die qu'il avoit une petire maifon toute meublée , & qu'il me la donneroit toute entière pour une demi • guinée par mois; & il n'y avoit que deux ans que cette maifon étoit rebatie, paree qu'elle avoit été brulée, & il yavoit même une vieille femme, qui étant rentrée pour fauver fon argent, y avoit réri. Les voifms eurent "grand foin de me raconter cette hiftoire, & me direht, que la vieille venoit toutes les nuits pour compter fon argent. Je lis un éclat de rire au nez de ces gens; mais ils ajoutèrent, que je ferois la dupe de ma confiance, que cette maifon avoit été louée plufieurs fois , mais que perfonne ne pouvoit y demeurer plus de rrcis jours. J'en fuis ; charmée , répondis-je, j'ai toujours eu envie de voir, ou d'entendre quelque chofe d'extraordinaire: peut être a la fin aurai-je ce plaifi^, ma-s les ï efprits craignent ceux qui ne les c:a{- ; gnent pas: j'ai bien peur que la bonne Tom, IV. E tem»  $8 XXVI. DlALOGUE. femme re revienne plus. D'abord que je fus dars cerre maifon, je la vifitai depuis la cave jusqu*au grenier; car ii je n'si pas peur des morts, je crains encore les vivars, & je penfois que quelque ennemi du rapiffier pouvoit: peutêtre fe divertir a tffrayer les gens , pour empêcher fa maifon d'être ióuée. ÏS'aïant rien trouvé, je palTai la journée fort tranquillement. Sur les onze heures du foir, étant auprès du feu avec mon mari , j'entendis un bruit fourd , mais fans pouvoir diflinguer d'oü il partoit, paree qu'il changeoit de place a tout moment, Le plus fouvent pourtant il paroiflbit fortir du milieu de la chambre. Ce bruit ne m'effiaya point, & je dis en riant, li je n'avois pas Vfiré les caves, je croirois qu'on y fait de la faufle monnoie , car ce brult rcflèmbloit a celui d'un balancier. Le matin on n'enrendit plus rien, maï-s le bnut recommenca les nuits fuivantes, & r>u buut de ceux femaines, je remarquai qu'il étoit bien plus fort le Vendredj, qui étoit juitement le jour oü la maifon avoit brulé. Je pafïai la nuit du feeond Yendrcdi fans me coucber , & fur  XXVI. Dialocue. tt9 fur les quatre heure du matin, je crus encendre parler, mais 'tout cela fVmbloit forrir de deffous terre. patten* dis le jour, avec impatience, & je priai mon maii de refter a la même place; pour moi, je fortis, & fus dans la maifon voifine; c'étoit un cabaret, & je m'apercas que 1'écurie de ce caoaret étoit derrière notre falie, oü 1'on entendon ce bruit. Vous favez. Mesdames , que les chevaux frapent du pied de tems en tems: le jour on ne les entendoit point, paree que le bruit, trui fe faifoit de rous cötés, Tempéchoit, mais dans le fiience de la nuit, on ne perdoit pas un de leurs coups de pieds. fe pris un giand baton, & aïant frappé trois coups contre terre de toute ma force , je rentrai chez moi 5 & mon mari me dir, que depuis que j'étois fortie, on avoit frappé trois coups. Les Vendredis étoient des jours de marché; i" venoït beaucoup de gens de la campagne. qui co;?choient en Ville , & mettoient leurs chevaux dans cette écurie , ce qui augmentoit le bruit. Je me h&cai de conter mort hiftoiie * plufieurs perfonnes vim ent pour entendre ce bruit, qui du mo* i£ % ment  1.00 XXVI, DlALOGUE. ment qu'on en fut la caufe, ne parut plus qae ce qu'il étoit, car on diftinguoit fort bien que c'étoit un bruinde pieds de cheval fur la terre, Ceux qui avoient eu peur , & qui av'oient décrié cette maifon, furent bien hon* teux. Je n'y demeurai qu'un mois, paree qu'il fe préfenta de tous cötésdes gens, pour Ia louer, & le Maitre étoit fi content de mon courage, que j'eus beaucoup de peine a lui faire recevoir mon argent. Lady Sens^e. Eh bien! ma Bonne, fi vous n'eusfiez pas eu I'efprit d'aller dans cette maifon , il feroit demeuré pour fur, que la bonne femme faifoit toutce tapage. Madem. Bonne. Sans doute, chez des perfonnes qui n'auroient pas raifonné ; car il étoit extravagant de penfer, que cette vieille revint de Pautre riionde, feulement, pour compter fon argent. Continu-(/ ez, Mifs Molly, Mifs  XXVI. DlALOGUF. IOT Mifs Molly- Deux jours après la bataille , un Amalécitev'mt trouver David & lui annopea la mort de Saül & de Jonathan-; & pour lui prouver qu'il difoit ia vérité, il ajouta: j'ai trouvé Saül a moitié mort du coup qu'il s'éroit dormé, & comme il m'a prié d'achever de le tuër, je lui ai obéï, & je vous apporte fa couronne. A ces paroles, David déchira fes vêtemens, & dit a eet homme r Comment avez-vous éré allèz hardi pour mettre la main fur 1'Oint du Seigneur? certainement vous mourrez, Après cela David pleura Saül & fon ami Jonathan, & il bénit les habitans de Jabes qui leur avoient donné fépu'ture. Enfuire, David fut reconnu Roi par la Tribu de Judas, de laquelle il étoit forti ; ma:s Abner, un des capkaines de Saül, fit reconnoitre un des fils de ce malheureux Prince par les autres Tribus, & il y eut guerre entre ces deux Princes; mais le fils de Saül aïant maltraité Abner pour une femme, celui-ci vint fe rendre a David, & le reconnut pour fon Maitre. Comme Abner s'en E 3 te-  loa XXVI. DiALoeuE. ie:ournoie trarquillcment, Joab, Capitaine de David, dont Abner avoic tué le frère en fe défendant, le prit en rr&hifon, & le ma. David pleura /Ih.nr & maudic qui avoit cooi- »is une fi' grande trahifbn. Enfiiite David, feïant confuké le Seigneur, fit la gueire aux Phiiift'ws, qu'il vainquit, & prit aufii Jéryfaletn, Alors il penfa a retirer i'Arche du Seigneur qui étoit reflée chez Abinadam. On Ia mit dans un chaiiot tout neuf; & David , & toute la Maifon $ Israël, jouoit des inftrumens devant i'Arche du Seigneur, Or les boeufs, qui trai* noient le chariot, aïant fait un faux pas, un homme porta fa main contre I'Arche pour la foutenir; mais comme eet homme n'étoit pas pur , & qu'il avoit ofé toucher l'Archs, il tomba mort, ce qui efiraya tellement David, qu'il n'ofa garder I'Arche chez lui, & la laifia a Hobed-Edom. Toutefbis David, aïant appris que Dieu avoit comblé de bénedictions la Mailbn de eet homme, il réfolut de faire porter I'Arche dans fa Ville, ce qu'il fit avec grand appareil; car on ii&mpla un grand nombre de viclimes dans  XXVI. DlAtOGUE. 103 dans Ie chsmin, & David, révétu d'un Ephod de lin, danfoit de toute fa force devant i'Arche du Seigneur: enfuite ^ il dépofa I'Arche dans un Tabernacie qu'il avoit fait dreffer, puis il bénit Ie peuple au nom du Seigneur, & lui diftribua a diner. Comme il renrroit dans fa Maifon, Mical, fa femme,, vint au devant de lui & lui dit: Vous vous êtes fait beaucoup d'honneur au*» jourd'hui, en danfant devant I'Arche comme un balaiin. Falloit-il vous abaiflèr ainfi devant le pjuple? David lui répondit: Je ne me fuis point abais-» fer devant le peuple; mais je me fuis bumiiié devant le Seigneur, qui m-'a p:é'feié a votre pë;e, pour me donaer le Royaume d'lsra'èl; je ne faurois afiez m'abaiÓir en fa préfence. Dieu, eut pour agréable cette humilité de David, & pour panir Mical t il la readit ftérile. Madem. Bonne. G'efi: il votre tour, Lady Charhtte* E 4 L*(h  104 XXVI. DlALOGUE. Lady Chaslotte. Dien paria a un Prophéte, nommé KJathan, qui fut trouver David de la part du Seigneur; & lui dit: Dieu m'ordonne de te dire, que ton fils doit lui batir un temple; il t'a donné la Couronne & Israël*. & elle ne fortira jamais de ta Maifon , & ton fang regnera jufqu'a la fin des fiècles. David s'humilia devant le Seigneur, & chanta un Cannque de loua'nges, & Dieu lui donna la vi&oire fur fes ennemi?. Lorsqu'il Kit un peu plus tranquille ils'informa foignenfement, s'il ne restoit perfonne de .la Maifon de Jonathan; & aïant découvert un de fes pe» tits fils, il lui rendit tous les biens de Saül, & le fit rcanger h. la table; or ce fils étoit hoiteux des deux jambes. CcpendamDavid eut une nouvelle guerre, &, co'ntre fa coutume, il ne commanda point lui-même fon armée, & rtffo a Jerujalem, aïant nommé Joab pour fon Lieutenant-Géöéral. Ör un jour qu'il fe promenoit lur la plafefdrme ce fon P dit: eet homme mérite h mort. Vous avez prononcé votre arrêt, lui dit le Prophéte. Dieu vous avoit donné le Royaume d'hrad, des biens en abondauce, un grand nombre de femmes: 1 vous auroit encore donné plus qie E 5 tout  jö& XXVI. Dialogue; tout cela, s'il eut été néceiïaire , & malgré tous ces bienfaits, vous 1'avez ofiènfé , & vous avez fait tuer Urie pour avoir fa femme. Je vous annonce donc de la part de Dieu, que 1'épée ne fortira point de votre Maifon, & qu'on vous enlevera vos femme?. Da* yid répondit: J'ai pêché l Le Prophéte lui dit: & le Seigneur vous a par•donné ; toutefois comme vous avez fcandalifé votre peuple, le fils , que •vous avez eu de Bethfabée , mourra. Lady Sensee» Ah! ma Bonne, que je fuis fachée. Voila David, qui efi devenu méchant comme Saül Comment fe peut-il faire, qu'un fi faint homme ait demeujé deux ans ^dans Ion pêché fans en, avoir regret? Madem. Bohne» "Vbila Teffet des grands crimes, me& . enfansv ils endur«ifiènt le coeur; mais fakes une remarque, je vous prie. Sa* ml avoit dit r comme David, j'ai pi* dhé i; ww David le dü aufoad du coeur.  X X VI. D ia l o G u b. taf j TI ne fut p£s faché a caufe des malheurs , dont il étoit menacé, mais feu* Jement paree qu'il avoit offenfé fon Dieu, & le Seigneur qui voit le coeur, lui pardonna'tout de fuite, c'eft - a - dire , qu'il lui rendit fon amitié; mus cela : ne Fempêcha pas de le punir en cettevie, car il chatie ceux auxquels il veut faire mifêricorde dans 1'autre. llemari quez auffi, mes enfans, avec quel re«fpeét il faut traiter les chofes faintes. Un homme fouillé touche I'Arche, & tombe mort fur lechamp: mais celui qui recoit I'Arche dans fa Maifon, étaat un homme de bien, eflrcomblé de bé) nédiéliöns. Adieu, mes enfans , la Ipremière fois, nous commencerons la lecon par ia Géographie. IXXVII. DlALOGUE Vingt-Cinquième Journée. Madem. Bonne, Te vous ai parlé de la Lorraine & J des Païs* Bas, nous dirons aujoürd'hui un mot de la Picardte; C'cfö  103 XXVII. DlALOGUE. urie grande Province alTez fertile, mais il n'y croic point de vin. On dit communément, que les Picards ont la tête chaude , c'eft-a dire , qu'ils font ' extrêmemcnt vifs, & fujets a fe mettre en colère pour un rien; mais ils font auffi prêts a s'apaifèr qu'a fe facher, Ils ont le coeur bon, droit & fmcè;e. La capitale, comme je vous 1'ai dit, eft Anüens9 fur ia rivière de Somme. Sous le Gouvernement de Picardie9 on trouve le Païs reconquis, dont la Capitale eft Calais. Cette Ville fut prife par les Angkis9 après un longfiège par Edouard III. Ce prince, piqué de la longue réfiftance des CaUfiens 9 demanda qu'on lui envoyat quatre chefs des principales families de Calais, qu'il vouloit faire mourir, Vous croyez, peut-être, mes enfans, que tous les gens de qualité avoient peur d'être choifis ? point du tout. Chacun d'eux prétendoit a 1'honneur de donner fon fang pour fon Païs. Les quatre, qui furent nommés, fe rendirent au camp du Roi tfAngleterre en chemife , nuë tête, nuds pieds & la corde au cou; mais la Reine, qui admiroitlcur vertu, obünt leur grace. En.  XXVII. Dialogee, ioo Enfuite, le Roi- fit fortir tous les Francais ce Calais, & ces pauvres gens furent encore fécourus vpar la Reine & les Dames de fa Cour. Les Anghis ont gardé cette Ville plus de deux fiècles, & elle a été reprife par les Francais , four le regne de Marie. Ce fut un Duc de Guife, furnommé le Ba» lafrè, qui la reprit. Lady Spirituele.k. Ces pauvres gens, qui furent forcés d'abandonner leur Païs & leurs bians , me font fouvenir d'un trait d'nistoire que j'ai lu quelque part, mais je ne me fouviens pas des noms. Un Prince avoit pris une Ville, & comme il étoit forten colère contre' les habitans, il réfolut de les faire périr, & de ne pardonner qu'aux femmes: il leur permit donc de fortir de la Ville, d'emporter tout ce qu'elles voudroient, & ce qu'elles avoient de plus précieux. Devinez, ce qu'elles emportèrent. Mesdames. E 7 Lady  JIO XXVII. DlALOGUE, Lidy Mary. Leurs petits enfans, fans doute. Lady Spirituelle. Non, Madame Lady C h a r lo t t Peut-être emportèrent-elles tout leur or, leur argent, leurs diamans , & leurs beaux habits. Lady Spirituelle. Non, ma chére, elles eurent bien plus d'efprit que cela. Chaque femme prit fon mari fur fon coü r. & elles pasfèrent ainfi devant le vainqueur qui fut-fi charmé de la vercu de ces femmes , qu'il pardonna a teute ia Ville. Mifs molly. fe fuis bien fachée que vous aïezoublié le nom de ce Prince ? c'étoit un fionnête-hornare.  XXVIT. DïALOCUE. III hady Sensee. L'hiftoire de Lady Spkituelh m'en raipelle une autre; ii vous voulez me le^ ipermettre, ma Bonne, je la rapporte» ïrai a ces Dames. Mon Prince eft ent core meilleur que celui, dont on nou* i vient de parler; mais je n'ai pas ou* biié fon nom. Madem, Bois rïE. Lady Sfirituelle me reflemble, elle eft brouillée avec les noms propres. l C'eft un miracie quand je les redens comme il faut, C'eft un défaut de jeuneiTe, & il faut tacher de 1'évirer, : mes enfans* Quand j'étoi* a votre ag'ey je ne lifois pas , ]e dévorois les livres r le moyen après cela de retenirles noms propres. A prefent je luis trop vieille pour me corriger;. mais pour vous, mes enfans, vous le pouvez, 11 vous voulez vous en donner la peine. Vbyons l'hiftoire que vous voulez nou*raconter, ma chère*.  112 XXVII. DrALOGÜE, Lady Sensée. II y avoit un Prince, nommé Dème* trius Poltocrêtcs, qui avoit fait beaucoup de bien au Peuple de la Ville d'Athènes. Ce Prince en partant pour la guerre, laifia fa femme & fes enfans chez les Athèniens, II perdit la bataille, & fut obligé de s'enfuir. II crut d'abord qu'>l n'avoit qu'a fe retirer chez fes bons amis les Athèniens; mais ces ingrats réfulèrent de le recevoir; ils lui envoyèrent même fa femme & fes enfans, löus prètexte qu'ii ne feroient peut-être pas en füreté dans Athènes, oü les ennemis pourroient les venir prendre, Cette conduitepercale coeur de Dèmetrius; car il n'y a rien de il cruel pour un honnête- homme , que 1'ingratitude de ceux qu'il aime, & auxquels il a fait du bien. Quelque tems après, ce Prince racommoda fes affaires, & vint avec une grande armée mettre le flège devant la Ville d'Athènes. Les Athèniens , perfuadés qu'il n'avoient aucun pardon a efpérer de Démétrius, réfoiurent de mourir les armes a la main, & donnèrent un arrêt, qui condamnoit a mort, ceux qui par-  XXVII. DlALOGUE. ris parleroient de fe rendre a ce Prince; mais il ne faifoient pas réflexion , qull n'y avoit prefque point de blé dans la Viile, & que bientót ils manqueroient de pain. EfFectivement, après avoir fouffert la faim trés « long-tems, les plus raifonnables dirent: il vaut mieux que Démêtrius nous 'faflè tuer tout d'un coup, que de mourir par la faim; peutêtre aura-t ii pi:ié de nos femmes & de nos enfans. lis lui ouvrirent doue les portes de la Ville. Démêtrius comma-; da, que tous les hommes mariés fuflent dans une grande place , qu'il avoit fait énvi'róhner de foldats, qui avoienttous Pépéeouc: alors on n'entendit dans la Ville, que des cris & des gé.mifTemens. Les femmes cmbrasfoient leurs maris, les enfans leurs Pères, & leur difoient le dernier adieu. Quand ils furent tous dans cette place, Démêtrius monta dans un Heu éievé, '& leur reprocha leur ingratitude dans les termes les plus touchans: ii en étoit fi pénétré , qu'il verfoit des larmes, en leur parlanc. Ils gardoient le filen» ce, & s'attendoient, a tout moment* que ce Prince ailoit commander a fes foldats de les tuer. lis furent donq bien  IÏ4 XXVII. DlALOGUE. bien furpris , lorsque eé bon Prince j leur dir: Je veux vous montrer , eombien vous êtes Cöupables a mon égar 1; car enfin , ce n'cffc pas ur ennemi, a qui vous avez refufé du fecours* c'eft a un Prince qui vous simoit, qui vous aime encore, & qui ne [veut fe venger qu'en vous pardonnant, & en vous j faifant du bien. Retournez cnez vous: I pendant que vous ét és reftés ici, mes foldats, par mon ordre, ont porté du blé & du pain dans vos maifons» Lady Sptrituelle» Si les Athèniens étoient honnêtes* gens, ils devoient mourir de döufeuf ; d'avoir pu ofTenfer un fi bon Prince. Madem. Bonne. Quand même ils eufTent tous été des coquins, cette conduite étoit toute propre a les faire rentrer en eux • mêmes. Faires moi fbuvenir la première fois de vousraconter une hiftoire, qui vous prouvera ce que je vous dis. J'aurai auffi beaucoup de chofes a vous dire fur la Proviuce de Nor mandie; mais pré-  XXVII. DlALOGUE. ÏTf awéfentement, il faut nous dépêcher ï de dire nos hiftoites : a quatre heures I il doit arriver une chofe qai vous forI prendra beaucouo; il fera nuk tout[d'un coup, Mesdames, & puisune deI mie heure après, nous aurons encore I le jour. Lady Mary. Eh la! ma Bonne, comment cel* fe peut«il? Madem. Bonnts. Je vous Texpliquerai alors, ma bonne lamie, a-préfent dites votre hiftoire.. Lady Mary* Dieu, qui vouloit faire miféricorde I a David dans f autre monde, le punit : bien févèrement, pendant fa vie, du. | crime qu'il avoit commis. Son chati1 ment cornmenea par la mort du fils qu'il I avoit eu de Bethfabêe, Cet entanc fut I malade pendant fept jours, & p^ndaat ce tems, David refta couciié contre 1 terre, jeunant & criant vers le Seigneur, pouc  115 XXVII. DlALOGUE. pour lui demander la vie de eet enfant, enforte que fes ferviteurs n'ofoient lui dire, qu'il étoit more; mais: David, Païant appiis elTuïa fes larmes , fe prollerna devant le Seigneur, & demanda a manger Ses ferviteurs* étonnés lui dirent: pendant que votre: fils étoit malade, vous éciez fi affligé, d'oü vient donc êres-vous fuöt confo-' lé de fa mort? David leur répondit:: tant que 1'enfant étoit vivant , j'ai pkuré , parceque j'efpérois que mesi larmes pourroient toucher le Seigneur, & m'obtenir la vie de mon fils, mais] maintenant, mes pleursfe oient inutiles i & ne pourroient lui rendre la vie, ii I ne reviendra poinr vers moi, mais jé cours verslui. Dieu recompenfa la i foumilTion de David; il lui donna un i autre fils de Bethfauèe, qu'il nomma . Salomon: & Nathan lui dit de la part: de Dieu, que ce fits devoit être Roi i aprés lui. David avoit encore un i grand nombre de fils, mais ce fut pour i fon malheur. Un d'eux, nommé Abfalon , aïant recu un grand * outrage & Amman, qui étoit un de fes fréres, 1'invita a un feftin & le tua. Abfalon* craignant la colère de fon père, s'en- fuit  XXVI17. Dialogue. 117. fuit chez un Prince voifin, & y deraeura trois ans; mais au bout de ce tems, Joab, qui commandoit les troupes de David, obtint fon pardon. Le Roi permit a Abfalon de revenir dans le païs, mais il lui défendit de paroitre devant lui. Abfalon, défefpéré d'être bannide la préfence de fon père, lui fit dire, qu'il aimoit mieux mourir, Ique de vivre ainfi, & David lui pardoana tout-a* fait. Madem. Bonne, Continuez, Mifs Molly. Mifs Molly. Ahfalon, au lieu d'être touché de la bonté de fon père, réfolut de le déïtróner. II s'-attacha a flater le peuple pour gagner fes bonnes graces, & quand il crut y avoir réufli, il demanda a fon ipère la permifïion d'aller exécuter un voeu qu'il-avoit fait, & au lieu de ce'la, il alTembla des troupes. David, Païant appris, fe fauva de Jérufalem avec fes amis; il pafïa en pleurant le torrent de Cedron, & monra aufli en pleurant la montagne des QUviets. Pendant qu'il fuïoit ainfi, un parent de Jeab9  ii8 XXVIII. Dialogus. Saül. charmé de fon malheur, parut fur la montagne, & il jettoit des pierres ti de la pouffière contre David* en le maudilfant. Les gens, qui éroi- i ent avec le Roi, lui d^mandèrent perTniffion de tuer eet homme; mais David leur dit: laiflez-le en paix, Dieu lui acerrmandé de memaudire. Mon pTopre fils s*é ève contre moi, comment voudrièz vous qu'un parent de Saül ne fuivit pa? ce mauvaisexemnle? Ie me foumets de tout mon coeur aux ; chitimens du Seigneur, & #s'il veut l jn'óter le Royaume qu'il m'a donné, if luis content de le peröre. Gependarjt Abfalon tnarcha vers Jérufalem \ &David fut qu'il avoir avec lui un eertainAchitophel, qui avoit autant d'efprit que de malice & de méchanceié; il pria Dieu de confondie les artifices de eet homme , & de ne pas permettre i qx? Abfalon fuivit lés conlèils. En i même tems, un des amis ce David* ircmuié Cufa'i, vint ie trouver. Le Roi lui dit, vous pouvez me renare i un grand fervice: pour vous oppofera I Achitophel, & m'avertir de tout ce qui j fe palTera. Cu/di obéït, &, en ap- ] procbant $ Abfalon* il cria; vive le r Roti  XXVIII. DlALOGUE. ng Ijloi! Ce Prince parat furpris de voir qu'il avoit abandonné fon père , qui éJtoit fon ami; mais comme Cufaï étoit j un homme de mérite, & qu'il 1'aflura | de fa fidélué, il fut charmé de Ij voir. Lady Tempete. Je n'ai pas une goute de fang dans les veines, ma Bonne: je meurs de peur que David ne, tombe entre les :mains du méchant Abfalon, Madem* Bonne. Vous oubliez, ma chère, que Dieir ji protégeoit David, 11 paroit quelquerois abandonner ïes bons, & les livrer aux i'roéchans; maïsdansle tems même qu'il jchatie les crimes des premiers, il eft (attentifa leurs intéréts, & empêche : qu'ils ne fuccombent. Adrnirez , mes i enfans, la pénitence de David. II fait ;:que la révolte de fon fils, les iufures d'un de fes fujets, font le jufte chacti ment de fa révolte contre Dien; ain. fi il nc regarde ni fo i fils, ni eet infolent qui 1'outrage, C'eft la main de Dieu qu'il voit eu tout cela; il s'yfou» met  120 XXVIII. Dl AL 0 CUE. met de tour fon coeur, & confènt h perdre fon Royaume. Dieu ne peut pas abandonner un tel homme, & quand même je n'aurois pas lu le refte de cette hifloire, jeferois presque fare, que David forriroit rie ce danger. II efi vrai-pourrant, que Dieu permet quelquefois, que les bons foient tout a-fait opprimés par les méchans, afin d'excercer notre foi; mais cela eft rare, & piesque toujours, il n'attend pas en i'autre vie a punir le? criminers. Finiffez cette hifloire, Lady Charlotte. Lady Cll A R LOT TE. Abfahn, aïant afTemblé fon Confeil, Achitophel lui demanda quelques troupes pour pourfuivre David, avant qu'il eut le tems de reprendre courage, & d'ailèmbler des troupes. David étoit perdu, fi on eut fuivi ce confeil, car Ie peu de foldats, qu'il avoit avec lui, étoient fi fatigués , qu'ils ne pcuvoient pas fe foutenir; mais Cufaï dit kAbfahn; gardez vous de fuivre ce confeil; David & ceux qui font avec lui font vaillans, ils fe battront en défespérés, & ü vous avez du défavantage dans I  xxviïi. Dialogtjx wm I dans ce premier combat, le peuple^ f qui aime votre Père, prendra fon parjti: il vaut mieux vous donner le tems Id'ailèmbler une groffe armée, & vous Jl'envelopperez lans qu'il puiffe échaI per. - Dieu aveugla Abfalon, qui méIprifa le confeil $ Ac hit op nel i ce mé* l-chant homme fut fi faché de Ce qu'on I ne fuivoit pas fon avis, qu'il fe pen« |dit, & Cufaï fit avertir David de pas* I fer le Jourdain. Quand Abfalon eut I afTemblé fon armée, il marcha contre i'fon Père: & ceux, qui étoient avec IDavid, ne voulurent pas qu'il allat I-contre Abfalon. Ce fut donc Joab qui f commanda ï'armée, & David ordonn* ia Joab d'épargner Abfalon*; mais ii In'obéïc pas aux ordres du Roi , car. \~Abfalon,i aïant été battu, & voulant is'entuir, fut ar ré té par fes cheveux en I paflant fous un arbre, oü il demeura jacroché. Joab lui perca le coeur, ce |qui aïant été rapporf é a David, il dit-s ïpluta Dieuquejefujfe mort. &.qw mort ifils fut vivant. Ct tendre Père s'étoit Ite-u dehors a la por re de la Ville, & Idemandoit a tous ceux qui 'venoient des nouvelles & Abfalon. Joab, vo« Iprant qu'il pleuroit fon fils, lui manTaf». VL F ^T&g  122 XXVIII. DlALOGUE. qua de refpecl, & le forca de paroitre devant le peuple. Cependant la tribu de Juda fe prefïa de ramener David a Jêrufalem, & comme il s'en retounfoit, eet homme, qui lui avoit jetté des pierres, vint lui demander pardon & le jetrer a fes pieds. Un des ferviteurs de David dit a fon Maitre: | permettez-moi de tuer ce méchant homme. David lui répondit; vous parlez comme fi vous étiez mon enne- | mi, car vous me confeillez de me ven- j ger : il ne fera pas dit que j'aie fait ; mourir un homme dans le jour oü je deviens Roi. Les Tribus tflsraël furent jaloufes, de ce que la Tribu de Juda avoit ramené David, & il y eut entre elles de grcflès qnerelles, 4^ors un homme, nommé Sé bak, fonria de i la trompette , & fit révoker les dix Tribus tflsra'ël contre David. Joab i fut affiéger une Ville dans laquelle eet ! homme étoit enfermé, & elle auroit I été détruïte ; mais la fagefle d'une | femme la fauva; car, aïant fait aflem- I bier le peuple, elle leur repréfenta, qu'il y avoit de la folie a s'expofer a | la mort pour un rebelle. Le peuple i s'affembla donc contre Sébah, & lui aïant  XXVIII. DlALOGUE. 123 aïant coupé la tête, ils la jettèrent a Joab par delTus les murailles , ce qui finit la guerre. Lady Spirituelle. Je vous allure, ma Bonne, que je n'ai point pitié Abfalon ; il falloit qu'il fur, bien méchant, pour chercher a faire périr fon Père; & un Père qui 1'aimoit avec tant de tendreffe, qui lui avoit déja pardonné la mort de fon frère Ammon. Madem» B o/n n e. Abfalon étoit peut-être né avec de bonnes inclinations, mes enfans: mais il avoit les paffions violentes, & paree qu'il ne s'appliqua pas a les modérer, il parvint par dêgrés a eet excès de méchanceté que de vouloir tuer fon propre Père. Peut être li 1'on avoit prédit a Abfalon pendant qu'il étoit jeune, qu'il deviendroit fi méchant, qu'il en feroit mort de frayeur; mais il s'accoutuma è! flatter fes paffions, & enfuite il n'en fut plus le maitre. Voiii ce qui anive a bien des gens, mes enF a fens;  XXVIII. DlALO GUE. fans ; voila ce qui vous arrivera a vous même , fi^vous n'avez pas foin de réprimer vos vicea, quels qu'ils foient. Lady Tempete. Comment, ma Bonne, je pourroij devenir auffi méchante qu''Abfalon? en vérité, je ne le puis croire. Madem. Bonne. Et moi, ma chère, je pourrois en faire ferment, Toute perfonne, qui a les paffions vives, doit être füre qu'il faut qu'elle devienne ou trés vertueufe, ou trés méchante; il n'y a pas de milieu. Oui, ma chére, fi vous prenez le parti de vaincre vos paffions, comme je 1'efpère, il vous en coutera beaucoup, fansdoute; mais votre vertu feraforte, folide, & inébranlable, paree que vous 1'aurez acquife k la pointe de 1'épée, pour ainfi dire: que que fi vous neprenez point ce parri, il n'eft point de crimes que vous ne ioyez capable de commettre dans la fuke, fi vous en avez 1'occafion, & que vous aïez befoin d'en profiter pour vous fa- tis-  XXVIII. DïALoeVE. 12$ tisfaire. Nous en avons eu un terrible exi;rnple en France, il y a quelques années; il me prend envie de vous le rapporter. 11 y avoit une fille fort aimable & fort riche, qui n'avoit qu'un dëfliuti Elle aimoit rrop les ncheffes, ne vouloit époufer qu'un hOrème auflTri* che qu'elle. D'aiücurs , elle ètoifc douce ,^ & n'avoit pas de mauvaifeS inclinaüons. Elle demiuroit avec une de fes tantes, qui^gardoir tout fon ar* gent, & qui connohToit le défaut de fa nièce. II fe prefentoit plufieurs mariagespour cette fille, & entre autres, un nommé Mr. Tiquet en deviat amoureux, & s'attacha agagner les bonnes graces de la tante. Cette femme, qui fouhaitoit que Mr. Tiquet devint fon neveu, lui découvrit le défaut de fa nièce, & lui dit, qu'il lui plairoit fürement s'il étoit fort riche. Mr. Tiquet découvrit a cette femme, qu'il n'avoit pas une grolTe fortune, & la pria de lui aider a tromper fa nièce. Elle y confentit, & lui aïant donné quinze mille écus dé 1'argentdefa nièce Mr. Tiquet en fit faire un bouquet de F 3 dia-  126 XXVIII. DlALOGUE. diamans qu'il donna a cette fille le jourde fa fête. Elle penfa qu'un homme, qui avoit le moyen de faire de tels préfens, devoit être comme un Crefuf 9 & elle confëntit a 1'époufer. Quand elle fut fa femme, & qu'elle s'appercut qu'il 1'avoit trompée, elleprit une grande hiine pour lui, & pour fe difliper, elle réfbiut. de voir grande compagnie. Parmi ceux qui venoient lui rendre vifite, il y avoit un Cavalier fort aimable , dont elle de vint araui» reufe* Alors, elle maudit le moment oü elle s'étaic mariée, & fauhaitoic tous les jours la mort afon mari, pour époufer fon amant. La première fois qu'elle eut cette penfée de lui fouhaiter la mort, elle en eut horreur, car elle n'étoit pas encore tout -a- fait méchante ; mais comme elle penfoit, qu'elle ne feroit jamais heureufe avec un homme qu'elle n'aimoit pas, & qu'elle nourrhToit avec plaifir 1'idée d'époufer fon amant, fon coeur acheva de fe gater, & elle s'abandonna toute entière au défir de le voir mort, Quand elle fe fut familiarifée avec cette penfée, qu'elle écoutoit fans fcrupule, elle  XXVIII. DlALOGUE. 127 le penfa, que fon mari fe portoic trés bien, & que peut ■ être il vivroir. plus long-tems qu'elle: petit-a-petit, il lui vint dans la penfée, qu'elle pouvoit le faire tuer. Vous fentez bien, mes enfans, qu'il lui fallut bien du tems, pour s'accoutumer a cette ab« bominable penfée; mais enfin, elle en vint a bout. Elle donna de 1'argent a un homme, pour tuer fon mari; & onlui tira un coup de piftolet; mais il ne fut que blelTé. Comme on favoir, que fa femme ne 1'aimoit pas, toutle monde crut, que c'éroic elle qui avoit fait faire ce mauvais coup, & fes amis lui confeillèrent de s'enfuir, puifqu'on lui en laiffoit le tems; mals elle ne voulut jamais le faire, dans la crainte que fon mari ne prit fon bien pendant fon abfence. Elle fut donc arrêtée, & aïant été convaincuë de fon crime, elle eut la têtetranchée. Vous voyez, mes enfans, dans quellesextrê* mités les paffions peuvent nous porter; il faut que cela nous engage a lescombattre fans celfe & a ne leur rien céder» F 4 Lady  »8: XX VUL DlALOGUFe. I Lady Sensie. David étoit bien maitre de ,fes pafïïons, aaa Bonne,. puifqu'il ne voulut pas qu'©n fit mourir un homme. qui 1'avoic fi cruellement offenfë, qu'il ne punit pas ; Joab, qui ayoit. tué Abfalon contre fa Séfenfe. Madem, Bonn-e.. David ne lailTa pas d'être embarafle* dans ces deux occafions, machere. II favoit, qu'en qualité de Roi, il .étoit Eclipfe du Soleil: & les Aftronomes. nous avoient avertis, que cette éeliplë arriveroit aujoürd'hui a. quatre heures. Lady Tempete, Je ne fuis pas plus favante que je n'étois auparavant, ma Bonne, ni ces Dames non plus que moi, a ce que je ©rois. Je ne laispas ce que c'eft qu'une M.cUpfe & des Aftronomes* Madem. Bonne. 'Senfie, va. vous 1'aprendre-, ma  chère. Dites k ces Dames,- je vous prie, ce que c'eft qu'une Eclipfé. Lady. Spirituelle„ Je le fais bien auffi, ma bonne,. $ vous voulez, je le diraL Madem* BaNNE» Non, ma chèremais je vöudrofc bien que vous appriffiez a vaincre vo^ tre vaniré, cela eft plus important quev de connoitre ce que c'eft qu'une Eclip-* fk, Vous, auriez été bien fachée de1 vous taire dans cette occafion , &voü# avez faifi avec avidité celle de montrer-" votre Icience, fans penfer, qü'en mê! me tems, vous faifiez voir votre amour propre. Si Lady Senfde avoit autanc de vanité que vous r elle feroit trèsfachée, & ne vous pardonneroit pas? votre empreffement a briller a fës üéi pens. Voila ce qui fait hair les fem; mes qui ont un peu plus étudïé que les; : autres. Elles ne veulenr. lailTer. tetenafl a perfonne de parler ;• elles veulen^ briller toutes feules & fe rend'enr infuv i portables* par> la.. Lady; S&ifd&P qiïii  XXVII. DlALOG UB» en fait plus a préfent que vous n'era faurez dans dix ans, eft bien plus prudente ; elle ne parle jamais des chofes que les autres ignorent , & a moins qu'on ne Pinterroge, elle garde le filence, comme il convient a une fille de fon age. Eh bien ! JLady Spirituel" Je, vous voila bien mortifiée & bien en colère contre moi; cependant je viens de vous rendre un plus grand fervice, que fi je vous avois lauTé étaler votre fci en ce, & vous euflè donné. bien des leuanges. Venez m'embrasfer, pour me remercier, mais que ce. Jfoit de bon coeur au moins. • . « Iftdy S piiit.iiell e. Gli! ma Bonne, je ne fuis pas fi* chée contre vous, mais contre moi;, j 'ai beau faire, ma vaniré me fait faije<.d§§ fotifes i. tout moment. Madem. Bonne. JVla fin vous en viendrez a bout, ma c|ère;,3nais.-avecvla-,niême amiiié que |^|ilaiï|écVOtre vanité, je vais louër ■ |r9a$^9€üitéc. Prote de eet exem-,  XXVII. DïALOGUE. 133 ple, Lady Tempête! vous êtes toute furprÜe de voir que votre campagne n'eit pas fachée contre moi, qaoique je 1'aie reprife devant tout le monde alfez rudement. Lady S'PIRlTUELLEo Ma Bonne, vous pourriez me battre que je ne m" faeherois pas; je fuis li perfuadée que vous m'aimez de tout votre coeur, que je croirai toujours, que tous ce que vous ferez, fera pouï mon bien. Madem, Bonne» Et vous penferez jufte, ma chère; Jé vous aflüre qu'il a fallu me faire vio« lence pour vous mortifier; mais mon amitié pour vous^ a été plus forte que ma répugnance è vous donner ce petit chagrin. Revenons a nos éclipfes ; inais. auparavant, je vais allumer ma bougie 3 car on ne voit presque plus„ Lady Sbnsie». 0fi dit qu'il y a uneEclipfe, quané  134 XXVII. DrALOGirE* la Lune fe rencontre entre le Soleil & la Terre. Lady Mary. Je ne comprens pas cela, Madame» Lady Sensée» Je vais vous rapporter une hifloire, qui vous le fera comprendre. Autrefois on ne favoit pas quelle étoit la caufe des Eclipfes,. & les Anciens croyoient que cela annoncoit quelque grand malheur ; ainfi ils auroienr été bien fachés d'entreprendre* quelque chofe dans le tems d'une Eclipie. II y avoit donc un jour un Capitaine, nommé Pérides, qui étoit prêt de s'embarquer pour aller faire la guerre. Comme il mettoit le pied dans fon vaiffeau, il vint une Eclipfe de Soleil, & fon pilote ne voulut pas partir, par. ce qu'il croyoit qu'il périroit infailliblement. Pèriclh, qui étoit favant, a'avoit pas peur, & dit a fon pilote, que cela étoit une chofe naturelle, & que la Lune, s'étant mife devant le* Soleil emp&choit de le voir. piIe*  XXVII. DlALOGUE. 13 f I lote ne comprenant rien & cela, Péri1 cles9 qui s'impatientoit, lui jetta fon j manteau fur la tête, & lui dit, me I vois tu? Je n'ai garde de vous voir, SI répondit le pilote, puisque votre man* 3 teau, qui eft entre vous & mes yeuxr m'en empêche. Grand ignorant, re: prit Péric/ès9 voila la raifon, pour la: quelle tu ne vois pas le Soleil; c'ell: que la Lune eft entre tes yeux & le j Soleil, comme mon manteau eft entre: ;: moi & tes yeux., Madvm* Bo'nne. Entendez-vous cela préfentement, Lady Mary? Lady Mary; Non , ma Bonne, car je ne concofr . pas, commentda Lune peut fe trouverde van t le Soleil, & comment on peut déviner, tout jufte, le moment ou, elle s'y trou vei a. Modem, Bon-ne. Le Soleil étaot plus haut qte-la Eu*-  I3<5 XXVII. Dl aio qvu ne, & la Lune marchant, il n'efl pas | «x raordinaire qu'ils fe rencontrent» ! Or on fait piéfentement le chemin que faitia Lune, & 1'on fait encore qu'elle ne fe dérange jamais de fon chemin ordinaire; ainfi on peut prédire toutes les 1 Eclip es qui arriveront, & les gens, qui etudier.t la fcience des aftres, fe I aomment des Aftronomes. Lady Spiritueli-e»- Mais comment a-t*on inventé es*: ie fcience? Madem. Bonne. Ba néceffité , qui eft la mère de 1'ih-1 düftrie, a produic toutes les fciences • & les arts, mais c'eft 1'oifiveté qui a produic PAftronomieo . Vous devez I vous fouvenir, mes enfans, que les ; premiers hommes étoient bergers, c'eft$>direv qu'ils gardoient les troupeaux. Comme ils vivoienc dans des Païs fort .chauds, ils reftoient dans la campagne ' pendant la nuit; dans ce tems, oü iis n'avoient rien a faire, ils s'amufoient & regarder les étoiles. A force de i les rcgarder toutes tes auits, ils remar- què*j  XXVII. D'ialogde. I37 i:quèrent qu'a telle heure on voyoit paI roicre certaïnes étoiles. Ils virent aulfi Ique ces étoiles avancj'ient régulièreimjnt, & ils parvmrenc a pouvoir pré| dire le chemin qu'elles ^aif jient, & les iplaces qu'elles devoient oecuper. On f fe fit donc un plan de leur* remarques, | & d'hatnles gens, qui examinèrent ces :r marqués, en n>ent une Icience eerI taine; car elle étoit fondée fur PéxI péxience. Lady Sens&e. Pèrmettez-moi de vous faire ttrie | queftion , ma Bonne. Püsique les | premiers hommes favoient l'/vltrono1 mie , commenc du tems de Périclès, I s'effrayoient-ils , quand ils voyoient I une eelipfe ?; Madem. Bonne» Cette fcience fe conferva Ion»-tems i en Egypte; mais elle ne fut jamatt per: feélionnée, ni chez les Grtcs, ni chea ! les Romains. Les habiles gens favoient I bien, que le peuple s'effrayoit & tort ' pour des jprodiges naturels j mais au- lieu  138 XXVII. DlALOGUE. lieu de guérir Ia fuperflition , ils la i nourriffoient, ravce que cela leur fer4 voh a faire faLe aux peuples tout ce : qu'ils vouloient. Mifs Molly. Vous nous avez dit, que la néces- ■ fité a inventé les autres arts & fcien-' ces; y en a-t-il beaucoup? Madem. Bonne* Oui, ma chère; chaque befoin a produit un art. Le plus preffé pour: les hommes, après le pêché d'Adam,, fut de cultiver la terre: ce befoin pro- ' duifit un art, qu'on nomma YAgricul-> ture. 11 {allut enfuite penfer a fe lo» j ger. D'abord les hommes fe retiroientj dans les ca vernes ; mais comme il ne: s'en trouvoit pas par-tout, ils fe bati-. rent des cabanes, qui d'abord ne fèrvirent que pour les mettre a couvert i des injures du tems. Enfuite, on penfa a rendre ces cabanes plus commodes; puis on chercha a les rendre: magnifiques, & cela produifit un autre art , qu'on nomma YArchiteclure* \ CeuXy  XXVII. Dialogue. 130* Ceux , qui demeuroient en Egypte y iitans ce païs oü il ne pleur janriis, & bü le NU fe déborde, ihventèrent un Jut, qu'on nomma la Géomitrh. Cet irc eft celui de mefurer & de compter. Lady Ch ar lot te. Je fais donc la Géomêtrie, ma Bontie; car je fais bien compter. Madem. Bonne. Vous favez une partie de la Gêomé* %trie, ma chère, puisque vous favez WArithmètiquei mais cette fcience eft i bien plus étenduë, puisqu'elle com* jprend auffi 1'art de mefurer fü-rement ;& promptement. Je vais vous dire ce I qui engagea les Egyptiens a inventer kette fcience. Comme 1'abondance , >ou la difette dépend chez eux des dé.bordemens du A7/, vous pouvez pen- fer qu'ils furent fort attentifs a mefurer TaccrouTement de ce fleuve. D'ailt leurs le iV/7, en fe débordant, déran'geoit, fans doute, les pierres , oü les ihayes, qui marquoient 1'héritage d'un cbacun, ce qui les mettoit dans la néces-  i4o XXVIL Dialogüe; celTiié d'avoir toujcurs la mefure a lai main, La récefiité de fe pnérir des diffé- I renres malanies, qni affiigent les hom-| mes, donna naifliiiice a un autre art,^ qu'on n'.mrua la Mêdecine. Enfinre, il fè trouva des hommes amUrieux, qui vouloient commanden aux a'.nre? ; des hemmes vemieuxyi qui vou oient los engager a vivre eni frc éte les uns avec 'es autres ; &' COmm« cos homrn°s n'ëtoient pas afTez* jpuiflans pour abufer de leur puillance J ils cherchèrt-nü un moyen plus doux da l faire réüflr Jeurs dcffeins. Comme üsj avoieni étudië" le caraótère des hom- : mes, ils connurent qu'ils f3 laiffoient i perfuader par des beaux discours, & cela fit naitre la Rhétorique■-, ou Part\ de bien par/er. Ils réfléehirent enfui-< te, que pour bian arranger les paroles,] ils falloit favoir auparavant arranger fes i idéés, & cela produifit un autre art,; qu'on nomme la Logique* ou Part dej bien penfer. D'autres hommes confi-i dérèrent, qu'en vain 1'homme avoit J trouvé les autres arts , s'il ignoroiti celui de fe rendre heureux, eri deveaant vertueux: ils donnèrent donc aux hom-  XXVII. Dl al o gu e. 141 ;hommes Tart d'acquérir le bonheur, ?n réglant fes paffions; & eet art, le blus néceffaire de tout, fut appdlé la whilofophie. Oh dit, que 1'amour donha naiflauce a la Peinture, paree qu'un tmant, qui étoit obligé de fe feparer He fa maitrefiè, s'avifa de crayonner Ijfes traits avec du charbon. Les autres toefoms des hommes firent naitr^ les Erts Méchaniques, mais j'ai beau cherIcher, mes enfans, je ne puis me (buj&enir du befoin, qui a fait inventer Ia Mujiquu Lady Sensée. N'eft- ce pas le befoin de fe dé» kennuïer, ina Bonne? Madem. Bonne. Cela pourroit bien être, mes enfans. jLa Banfedzm fon origine n apeu*- être iécé inventée que pour donner dei'exerj cice au corps, Je vous prie, Lady Scn~ \ fée, répétez-nous ïes noms des arts \ dont je viens de parler. Lady  142 XXVII. DlALOGUE. Lady S e n s e e. "UAgriculture , VArchiteEiure, la Gèométrie . \&Logique, la Rhètorique, la Philofophie, \ Aftronomie, la Méde* cine, la Phypque, X&Peinture, la M«^ttë & la Danfe. Madem. Bonne. Vous avez eu plus de mémoire que jnoi, ma chère; car j'avois oublié la Phyfique, qui eft la fcience des chofes naturelles. Pour celle- la, elle doitfa naiffance a la curiofité. Adieu, mes enfans; retenez bien les noms de toutes ■ces fciences; ii eft honteux de n'en pas connoitre au moins les noms & 1'ufage. xx vin.  XXVIII. DlALOGUE. 143 XXVIII. DlALOGUE. Vingt-flxième journée. Charlotte. JlTV/l a Bonne, vous nous avez proJ1YJL mis de commencer la lecon ipar une hifloire. Madem. Bonne. Et je vous tiendrai volontiers parojde, pourvü que vous me rappelliez, a ) propos de quoi, je vous ai promis j: cette hifloire. Lady Charlotte. C'étoit au fujet des Athèniens & da lEPrince Démêtrius; vous nous dites, ique quand même ils euflènt été des tcoquins, la conduite de ce Prince les tauroit fait rentrer en eux-mêmes, & ! les eüt rendus honnêtes gens. Madem,  J44 XXVIII. DlALOGUE* Madem. Bonne. Vous me rappellez mon hifloire, mai chère, lavoicü li y avoit un Père,, qui fut fi malheureux, que nViant qu' un fils, cemonfire réfoïut cie lui öter; la vie. II ccnfia ce-mauvais defTein ai un domeflique, qui jui avoir aidé jusquVce jour, k voler fcn Père; maïsj ce garcon, aïant horreui d'un 11 grand I oime, fut fe jetter aux pieüs du Père, j & lui déclara 'e deflèiw de fon fils,; Ce vieillard diffimula eet afireux fecret,, & ait a fon fils, qu'il vouloit lemener : a la Campagne, peur lui faire voir une i fille belle & riche, qu'il vouloit lui i faire epoufer. II falloit paflèr par une \ forêt extrèmement dangereufe, paree qu'il y avoit fouvent des voleurs. Quand ils furent arrivés au milieu de cette forêt, le Père commanda a fon i fils de defcendre de cheval, & lui dit:: j'ai découvert le defltin affreux que ! vous avez concu contre ma vie: vous voulez m'oter ce peu de jours que j'ai 1 a cémeurer fur la terre, mais, mon i fils. avez-vcus bier; réfléchi fur les j iuites de cette action! Votre crime,] s'il étoit découvert, vous conduiroitl fur i  XXVIII. DlALOCÖE. I45 r^fur 1'échafaut, & vous y périrez par Ha main du boureau : j'ai voulu vous Jèpargner le dernier fuplice, en vous Jeonduifant ici, vous pouvez m'y pericer le coeur en fureté. Frapez, mon (fils, ajouta ce vieillard, en lui préfenitant un poignard & fon fein, frapez, r punilTez-mon J'aurai du moins la Jconfolation de mettre votre vie & voitre honneur, en fureté, en mourant ?dans ce lieu folitaire. Peut-être que i vous vous rappellerez quelque jour ma 5 bonté, & cpe, touché de cette dernière I marqué que je vous en donne, vous jpleurerez votre parricide. Vous penfez bien, mes enfans, que ice garcon, quelque méchant qu'il fut» ; fut confoadu par le discours de ion IPère, fe répentit fmcèrement, & deli vint auiïï honnête - homme, qu'il avoit I été méchant par le paffé. Lady Sbnsée. Mais eft-il poffible , ma Bonne, | qu'il y ait des hommes aflez méchans | pour avoir la penfée de tuer leur Père, | ou leur Mère? Tm. IV, G Madew.  i4ö XXVIII» Dial ocue. Madem. Bonne. Un grand Légiflateur penfoit comme vous, ma chère. 11 ordonna des chatimens pour toutes fortes de crimes; mais il n'en voulut point marquer pour les parricides, paree qu'il ne croyoit pas qu'un homme put fe rendre coupable d'un tel crime. Lady Mary. Qu'eft-ce que cela veut dire ks parricides ? Madem. Bonne. On appelle parricides, ceux qui tuent leur Père, ouleurMère, ou leur Roi; fratricides, ceux qui tuent leurs frères: fuicides, ceux qui fe tuent eux-même, & deicides, les Juifs qui ont fait mouiir JèjusGhrifl. Mifs Molly. ,Eft-ce un grand pêché que de fè tuer foi-même? Madem*  XXVIII. DiALOGua. 147 Madem. Bonne. Certainement, ma chère; ceux quï fe tuent font damnés érernèllement, & moins qu'iis ne foient devenus fous auparavant, comme cela arrivé ordiinairement. Lady Tempete. J'ai ouï dire, qu'il n'y a que les gens iicourageux, qui fe tuent eux-mêmes* Madem. Bonne. On vous a trompée, ma chère; c'elï itout le contraire. Ceux qui le tuent eux-mêmes, font des gens foibles qui icèdent lachement a Ia douleür: qui 1 n'ont pas le courage de fupporter le# I peines & les chagrins de la vie, & qui ; aiment meux s'en débarrafièr tout d'un* 1 coup par la mort, que de prendre k peine néceflaire pour s'encourager Mes fupporter. Lady Spirittjet.le, J'ai lu une fingulière hiffcoire d*uft G % hom  148 XXVIII. DlALOGUE. homme qui vouloit fe faire mourir: voulez-vous que je la rapporte a ces Dames, ma Bonne? Madem. Bonne. Je le veux bien, ma chère. Lady Spirituelle. Juies - Cé/ar affiégeoitune Ville, dans iaquelle il y avoit deux hommes qui étoient fes ennemis , & qui avoient cflayé de lui faire beaucoup de mal. Un de ces hommes, qui craignoit la colère du vainqueur, réfolut de s'empoifonner: 1'autre penfa, qu'il vaioit mieux' aller trou ver Céfar, car, difoitil en lui-même, peut-être qu'il me pardonnera: il ne peut rien m'arriver de pis que la mort , je la fouffrirai avec courage, quand elle fe préfentera; mais je veux faire tout ce que 1'honjieur me permet pour 1'évitei*-. Ces deux hommes aïant pris une réfolution fi différente, le premier demanda a fon JMédecin un poifon aflèz doux, pour ie faire mourir fans fouffrir beaucoup ; le fecond lortit de la Ville pour aller  XXVIII. Dialocoe. 149 Ier trou ver Cé/ar, & lui dire, qu'il venoit remettre fa vie entre les mains. Cé/ar, qui avoit 1'ame grande & gé* néreufe, fut touché de la eonfiance de eet homme, & lui dit: je vous fuis bien obligé d'avoir eu a'flèz bonne opinion de moi, pour me croire capable de vous pardonner, Vous m'avez en cela rendu un trés-grand fervice; car il n'y a rien dans le monde qui me falTe tant de plaifir, que de pardonner a un ennemi: vous pouvez compter fur mon efbime, &fur mes bienfaits. Cet homme , agréablement furpris de ce discours, le hata de quiter Céfar, & eourut a la Ville, pour tacher de fau* ver fon ami, s'il en étoit encore tems* II le trouva fur fon lit, pale & comme un homme prêc a rendre le dernier fou-» pir. II fut bien éronné, quand il apprit la généroficé de Cèfar, & eut regret de s'être empoifonné. Son ami lui dit d'envoyer chercher fon Médecin , pour lui demander du contre poiIbn Le malade ne vouloit pas le faire; je fuis trop mal, difoit-il a fon ami, & je fens que je n'ai plus qu'un moment avivre: cependant, par com» plaifance pour lbn ami, il confentit a fai-  »50 XXVIII. DlALOGUE. fairè appelier le Médeein , qui lui avoit donné le poifon, & lui demanda, s'il y avoit quelque remede qui put lui feu ver la vie ? Le Médeein fe mit a rire; & dit aux deux amis: admirez la force de 1'imagination ; 1'idée d'uné mort procbaine a réduit Monüeur a ragonie» Comme je connoiflois la bonté du coeur de Jules Céfar, j'au* fois gagé tout mon bien, qu'il vous pardonneroit a tous deux, &que vous turiez beaucoup de regret de vous être empoifönné; c'eft pourquoi, au-lieu de vous donner du poifon, je vous ai fait prendre une pilule, propre a vous fortifier contre la peur. Levez-vous donc, car abfolument vous n'êtes malade que d'efprit. EfFecbivement eet homme, aïant appris qu'il n'avoit pas pris du poifon , & que, par conféquent, fa vie ne couroit aucun danger, fe trouva guéri, & fe leva fur le champ. Céfar, aïant appris cette hiftoire, ne put s'empêcher d'en rire; & il récompenfa le Médeein , qui avoit fi bien Jugé de lui. Madem*  XXVIII. DlALOGUE, IJS Madem. Bonne, Cette hifloire efi venue le plus k propos du monde, pous vous prouver que ceux , qui fe donnent la mort 9 font des laches. Vous voyez que c«?c homme , qui vouloit s'empoifonnér , paroiffoit ne pas craindre la mort puisque c'étoit volontairemenc qu'il avok pris du poifon : cependant, ii avoit une telte peur de mourir, qu'il étoit rëettement malade. Mais, en voila affez fur eet article, je ne crois pas qu'aucune de vous foit affez extravagante, pour penfer a fe tuer. Difons un mot de la Provinee de Norman*die. Lady Senfée , föulagez ma poi: trine, & apprenez a ces Dames, ce t que vous favez de cette Provinee, Lady Ssnsée» La Normandie efi fltuée au Nord de la France. Elle a au Sud, pour bor« nes , une Provinee qu'on appelle le Maine; elle eft bornée a TOuell & au IMord par la Manche, & a fefl par la Picardie & 1'Ile de France. Autrefois, cette Provinee s'appelloit Neuftrie, & G 4, ce-  35a XXVIII. DlALOGUE, ce font ces hommes venus du Nord, qui lui ont donné le nom qu'elle porte aujoürd'hui. Car le mot de Normand veut dire en Anglois Nord-Man; homme du Nord. Ces hommes, dont la plus grande partie étoient Danois, ou qui vivoientaux environs de ce Royaume, fe trouvant trop d'habitans pour leur Païs, qui d'ailleurs eftextrêmement froid, léfolurent d'aller chercher fortune: ils s'embarquêrent donc, & vinrer.t dans tous les Royaumes voifins, oü ils commirent des ravages épouvantables, tuant les hommes, emmenant les femmes & les beftiaux^brulant les arbres, & ravageant les terres. Quand ils avoient ruiné un païs, ils demai:doicnt une groffe fomme d'argent pour 1'abandonner; mais, a peine ceux-la étoient- ils arrivés dans leur païs chargés de richeffes, qu'ils donnoient envie a leurs camarades de venir s'enrichir a leur tour. La. France & VAngiet er re eurenc beaucoup a fouffrir de ces Normans; mais fur-tout, ils réduifirent la France a la demière extrê-! mité, car ils affiégèrent la Ville de Pa* ris. Enfin, un de leurs Chefs, nommé Rolon* qui s'étoit fait Chrêtien r de-  XXVIIL Diauogüe; 153 [ demanda au Roi de France la Neuflrie ,> \ qui étoit abfolument ruïnée & presque idéferte, & il promit au Rol, s'il vouiloit le faire Duc de ce païs, d'empês cher fes compatriotes de re-venir en ; Francey car ils y entroient ordinairejment paria rivière de Seine, qui a fon sembouchure dans X^Neufirie* Ilfallut i lui accorder fa demande,•. & il promtt de faire hommage au Roi de ce Duché, : c'eft - a-dire,- de reconnoitre publique:ment, que c'étoit ie Rot qui le lui )avoit donné: & toutes les fois qu'il y iauroit un nouveau Duc*de Normandie r il devoit renouveller eet hommage.lAinfi, ces hommes du Nord s'établi-jrentdans X^Neuflrie^ & changèrent le tnom de cette Provinee en celui deiNormandie3 paree qu'on les appelloitieux-mêmes Normands^ Lady Spieiituëlle. jTadmire' la mémoire de Lady Set**? auffi-bien-que-fa fcience 4 m Lady Seks és»» Vous avez bien de la bonté 9>Mffiaa-  XXVIII. DlALOGUE» me; mais vous devez feulement adrm- > rer le foin que ma Bonne a eu de m'in* ftruire. Je n*avois que quatre ans lorsqiie Maman a eu la bonté de me la i donner, & elle n'a pas palTé un feul jour fans m'apprendre quelque chofe i o'utile: fi vous aviez eu le bonheur i d'avoir une telle Bonne, vous feriej&i beaucoup plus habile que je ne le fuisJ Madem. Bonne., Je vous fuis bien obligée, ma ehêrey de la reeonnoiffance que vous avez da» mes foins. 11 eft vrai / que je n'ai rièn épargné pour vous rendre bonne i & habile; mais il faut que je difè auflirj que vous avez rendu mon travail agréa- j ble par votre docilité & votre applica» j tlon* Lady Tempete. Je don nero is toutes chofes au mond®^ pour que vous en puiffiez dire amant; de moL m Madim. Bonnb. €da @ft fort ptflible, ma ehêre* vous-  XXVIII. Dialocue. fff. 1 vous n'avez qu'a continuer a vous cor> : riger ; je ne fuis jamais fi contente, I que quand je puis louër avec juftice; j & pour vous prouver que je dis la véI rite, je vous montrerai ce foirunelet* I tre que j'ai eu 1'honneur de recevoir § de Madame votre mère, elle me marI que qu'elle efi; charmée du bien que je I lui ai mandé de vous dans ma dernière dlettre; & que, puisque vous êtes de* venuë raifonnable, elle viendra vous ï chercher au bout de vos trois moish, Lady Tempete. Voila une belle récompenfe qu'elle iveut me donner. Si je retourne a la i maifon, je ferai dans un au tout: comime j'étois auparavant. Ec puis, ma; (Bonne, je veux in'inftruire. Lady IMaty efi plus habile que moi, qui fuis itme grande fille, cela me fait bontev l & fi vous voulez encore avoir la bon-jtté de me garder, je prierai Mamam, de :mc laifier avec ma coufine le plu& ilongtems qu'il le pourra.  1$$ XXVIII. DlALOGUE. Madem, Bonne. Admirez,. mes enfans, comme Lady- j Tempete eft devenuë polie. Elle a Pair d'une Dame aétuellement; elle penfe &: parle comme une fille de qualité. Lady Tempete. Et j'avoue bonnement, que je pen* fois & parlois auparavant comme une J marchande de pommes.. Lady Spiritüelle. MaB^.me, n'ai- je pas ludans 1'bis-fcoire, qu'un Roi Angleterre^ eft de* I vtnuDuc de Normandie» Madem, Bonne.. Non, ma chère : mais.vous avez hij j qu'un Duc de Nor mandie eft devenu | Roi ÜAngleterre. Lady Senféew. vous,. j dire cette hiftoire. Lady S ensee.. Un Roi ïïjlngUterre, étant morta l fans;  XXVIII. DlALOGUE. I57 fans enfans , nomma pour fon héritier Guillaume, Duc de Normandie, qu'on apelloit le Bdtard, & qu'on a nommé dépuis Guillaume le Conquérant* Comme il y avoit plufieurs Princes, parens du dernier Roi,, qui prótendoient a cette Couronne, Gulllaume ne fe prella pas d'en venir prendre poffeflion, il laiffa ces Princes fe faire la guerre les uns aux autres,, &quand ils furentbien affoiblis, il vinten Angleterrezvec une bonne armée, & fe rendit Maitre du Royaume: ainfi,, la Normandie devmt" une Provinee Angloife, & les Rois & Angleterre étoient a caufe de cette Provinee, fujets , ou vaffkux des Roisde France- mais c'étoient des VafTaux plus puillans que leurs Seigneurs, & qui leur donnèrent beauoup de peine. Quand des Rois #Angleterre faifoient quelque chofe de contraire a ce qu'ils avoient promis au Roi de France., en lui faifant hommage,, le Roi de France avoit droit de les fair© comparoitre devant les Pairs du Roy* aume de France , pour y être jugés ; & s'ils refufoient d'y venir, il pouvoit s'emparer des biens qu'ils avoient en France. C'eft, par - Ia , que la NorG 7 man*  1J8 XXVIII. DlALOGUE. mandie k été perduë pour les Anglois* & eft retournée a la France fous le règne d'un Roi &Angleterre , nommé jean fans terre. Madem. Bonne. La première fois, nous parierons dela Provinee de Brètagne* Préfente* ment Lady Mary va nous répéter fhn hiftoire. Lady Mary. < Dans le tems que David fuïoir ron fils, Méphibofeth, le petit-fiis de Jonathan, a qui David avoit donné le' bien de Saül; & qu'il avoit faitmanger a fa table, dit a fon ferviteur de iui amener fon ane, paree qu'il vouloit fuivre David; & qu'il ne pouvoit pas mareber, vü qu'il étoit incommodé des deux pieds. Son ferviteur, qui étoit un méchant homme y refufa de lui obéïr. & aïant pris beaucoup de fttovifiens dans la maifon de fon Maitre , il les porta a- David comme fi c'eut été lui qui lui en faifoit préfenr. David lui demanda3. oü eft votre Mai-  XX VIÏI. DrAtöcuE. w tre? Ce méchant lui répondit, il elt allé trou ver Ahfahn , & a été fort content de votre malheur. David fut en colère en apprenant cela, & il dit a ce ferviteur, je vous donne le bien de votre Maitre. Quand David re» vint, le petit fils de Jonathan vint au-devant de lui, & lui demanda ju* ftice de fon ferviteur qui n'avoit pas voulu lui amener fon ane. Si David eiit agi avec prudence, il fe fut informé de la vérité pour punir le coupable; mais une faute pflèz ordinaire aux Rois, c'eft de craindre la peine, & de n'aimer pas a s'inftruire par eux mêmes, ce qui les expofe a faire de grandes injuflices. David en commit une grande dans cette occafion; car il fe contenta de rendre au petit fits de Jonathan la moitié de fes biens, <$t 1'aifïa l'autre moitié a fon mauvais do* meflique. David regma encore plu* fieurs années, mais fur la fin de fes jours, il fe lahTa furmonter par la vanité, & voulu favoir le nombre de fes fujets. Ses ferviteurs lui montrèrent qu'il devoit fe contenter de remereier Dieu d'avoir béni fon Peuple fans vouj. loir en connoitie le nombre ; mais  Kfo XXVIII. DlALOGUE. David s'obftina, & on trouva qu'il y avoit cinq-cent mille hommes dans la Tribu de Juda, capables de porter les armes & huit cent mille dans les autres Tribus. Après cela, David reconnut la faute que fa vanité lui avoit faitcorrmettre, & il en demanda pardon a Dieu. Le Seigneur lui envoya un Prophéte,, qui lui dit: il faut que cette faute foit pnnie. Choififlez donc, ou d'une Famine de trois ans, ou d'une Guerre de troismois, on d'une Pes* te de trois jours. David choifit la Pes» te pour deuxraifons: la prem;ère, c'eft; qu'il dit , qu'il aimoit mienx tomber entre les mains de Dieu, qu'entre les mains des hommes; la feconde, c'eft qu'il penfoit, qu'il ne fouffriroit point de la Famine,- mais feulemeyt le pau* vre peuple: il auroit auiïi été en füreté pendant la Guerre, car il avoit promis a fon peuple de ne point marcher lui même contre fes ennemis; mais il penfoit, que la Pefte ne 1'épargneroit pas plus que le dernier de fes ïujets r & il vouloit partager le chfttiment, puisqu'il étoit le plus coupable. L'An* ge du Seignenr commenca donc a frap* p,er les Isra£lites+ .&i\ en mourut foi«  XXVIIL D i alo au e. iöi xante & dix mille. David, voiant 1'Ange qui s'avancoit vers Jerufatem* fe profterna, & die au Seigneur: pourquoi frappez vous ces brébis qui font innocentes? c'eft moi, qui fuis coupable; frappez-moi , Seigneur; n'épargnez ni moi, ni ma famiile; mais ayez pitié de mon pauvre peuple. La colère de. Dieu fut appiifée par cette prière. de David 9 qui vit 1'Ange remettre fon épée dans le fourreau, & David dreffa un autel au Seigneur, dans le lieu oü 1'Ange s'étoit arrêté. Lady Charlotte, Ma Bonne, c'eft un pêché que de fe mettre en colère, comment donc 1'Ecriture fainte dit . elle , que le Seigneur fe mit en colèie? Madem. Bonne. C'eft qu'il n'y a point d'autre terme dans notre langue, qui puisfe exprimer les efFets de la juftice de DieU, & de la haine qu'il porte au crime. Je fupofe, ma chère, que vous voyez un méchant homme qui en tuë un autre, vous feriez bien fachée contre ce méchant homme, & vous le feriez punir  162 XXVIII. DlALOGUE» mr fi cela dépendoit de vous: on pourroit dire alors que vous feriez en colère, c efi - a- dire , fachée contre eet homme, mais cette colère feroit jufte, elIe ne ftroit pas une paiïion, ni un pêché. Les juges, qui condamnent les cnminels amort, ont cette efpèce de colère contre eux, & c'eft ce fentiment de haine pour le crime, qui engage a punir le criminel, que 1'E- \ enture appelle Ia colère de Dieu. Lady Spirituelle. Cette haine de Dieu contre le crime eft bien forte, ma Bonne, puisqu'il punit fi fevèrement dans David une faute, qui paroit fi légère. Madem. Bonne. Tout ce qui offenfe Dieu , eft un fi grand mal , qu'on n'ofe dire qu'il y en ait de petites ; mais fur-tout celles que commettent les perfonnes a qui Dieu a fait de grandes graces, font plus horribles que celles des au, tres. C'eft pourquoi Jefus- Chrift dit dans 1'Evangile, qne les Juifs iet ont plus  XXVIII- DlALOGUE» 1Ö3 I plus rigoureufement punis que Jes haIbitans deSodotne, paree que, s'il avoit | fait dans cette Ville les miracles qu ii 1 avoit faits parmi eux , ils auroient j) fait pénitence dans le fac & la een* iidre» Continuez, Mifs Molly Mifs Molly» David étant devenu vieux, un de I fes fils, nommé Adonija, réfolut de !: fe faire Roi, & gagna Joab qui com[ mandoit les troupes, & plufieurs au* 1 tres perfonnages confidérables. II y I avoit déja. quelque tems, qu*Adonija. I fe diftinguok de fes frères par la. ma* ij gnificence, & David s'en étoit apperI cu; mais il aimoit fi fort fes enfans, qu'il craignoit de les chagriner ^ & ii i ne croyoit pas que fon fils eut de mauvais desfeins. Cette patience de Day id autorifa Adonija ; il affembla fes frères & les principaux de fes partifans , pour fe faire nommer Roi; mais le Prophéte Nathan commanda a Bethfabée d'aller trou ver David , pour le faire fouvenir qu'il avoir choifi Salomon pour lui fucceder, & cela par 1'ordre du Seigneur. Nathan fut aufil trou?  IÖ4 XXVIII. DlALOGUE. trouver David, & 1'inftruifit du defTein ff Adonija, alors Ie Roi commanda que Saiomon fut faeré fur le cbamp , & Adonija, 1'aïant appris, eut peur qu'on ne le fit mourir: il fe fauva dans le Tabernacle du Seigneur, & embralTa la corne de 1'autel, qu'il ne voulut point quitter qu'après être alTuré de fa grace. Sahmon jura de lui pardonner le palTé, pourvü qu'il fut honnête homme a 1'avenir. David fentant qu'il alloit mourir, fit venir fon fils Sahm mon, &lui commanda d'être fidéle au Seigneur. Il lui- dit auffi :- Vous voyez que Joab s'étoit joint avec votre frè* re Adonija; il s'efl rendu coupable du fang de deux hommes, qu'il a tués en tems de paix; ne perme»-tez pas qu'il meure de fa mort naturelle. Vous- Gonnoifièz auffi eet homme qui me maudit, lorsque je fuïois Abfalon; je lui ait pardonné de tout mon coeur,. mais fon crime doit être puni: j'abandonne le chatiment de ces deux hommes a votre fagefïè. Après que David eut parlé ainfi, il mourut, & Saiomon regna après lui. Quelque tems après, il découvrit que fon frère Adoniia & J-oab travailloient pour lui en* lever  XXVIII. Dialocüe, 165 lever la Couronne ; & il les fit mourir tous les deux. Quand a eet homme, .qui avoit maudit fon Père David, il lui dit: batis une Mailon dans Jèrufa* lem, & fi tu n'en fors point, il ne t'arrivera aucun mal; mais fi tu paffes le torrent de Cédron , tu mourras. Cet homme fut bien content de fauver fa vie a fi bon marché; mais au bout de trois ans, deux de fes efclaves s'étant enfuis, il oublia la défenfe de Salomon9 & courut après eux; ainfi Salomon le fit mourir aufll. Madem. Bonne. ■ Oontinuez, Lady Charlottet. Lady Ch arLOTjr e, Salomon étoit fort jeune lorsqu'il monta fur le trêne, & une nuit pendant qu'il dormoit, le Seigneur lui apparut , & lui dit: demande moi ce que tu voudras, & je te 1'accorderai. Soïomon s'humilia devant Dieu, & confidéranc fa grande jeuneflè, ii pria Dieu de lui accorder cette lagefie qui convient aux Rois, & qui leur efi;  166 XXVHI. Dialoguz, eft nécelTaire, pour juger & gouverner leurs peuples comme il faut. Dieu lui répondit: parceque tu as préférê la fageile aux riehefiès & aux autres biens i temporels , je te rendrai non feulele plus fage de tous les Rois , mais auffi le plus riche & le plus puiffant: & 11 tu gardes fidèlement mes comïnandemens, tu vivras long-tems fur la terre. Ce fut après cette vifion, que Salomon eut occallon de montrer fa fagelTe , en jugeant un procés fort fin gulier. Deux femmes vinrent fe préfenter devant lui, & Tune d'elles lui dit: Seigneur, je loeeoisavec cette femme dans une même chambre , & il n'y avoit que nous deux; nous avions chacune un petit enfant, a qui nous donnions a têter; or il eft arrivé , que cette femme aïant mis fon enfant dans fon lit, elle l'a étouffé. Quand elle a vu fon fils mort, elle s'eft levée tout doucement, &, aïant mis fon enfant mort, auprès de moi, elle a pris mon fils qui étoit vivant. Le matin j'ai été bien affligée; mais , en regardant attentivement eet enfant mort, j'ai reconnu que ce n'étoit pas snon fils, mais celui de cette femme. L'au •  XXVIII. DlALOGUE. ï6f L'autre femme dit au Roi; Seigneur, cette femme vous trompe: c'eft fort fils qui eft mort; & le mien qui eft vivant. Un autre, que Salomon, auroit été bien embarrasfé, car il n'y avoit point de temoins, mais le Seigneur avoit donné la fageffe a Salomon , & il dit a un de fes domeftiques: prenez 1'enfant qui eft vivant, & le coupez en deux avec une épée; par ce moyen ces deux femmes en auront chacune une moitié. La femme , qui avoit parléla première, & qui étoit la vraie jnère de 1'enfant, frémit en entendant ces paroles, & toutes fes entrailles fe jévokèrent: elle fe jetta donc aux pieds du Roi, & dit a Salomon; Ahi Sei* gneur, donnez 1'enfant tout entier a cette femme qui le demande, j'aime mieux le perdre, que de le voir périr, mais 1'autre femme difoit; ce que le Roia ordonné, eft fort jufte; nous n'aurons 1'enfant, ni 1'une, ni 1'autre. Alors Salomon dit : donnez 1'enfant vivant a cette première ;femme , je connois a fa tendreffe, qu'elle eft la véritable mère de 1'enfant: tout le monde fut éconné de 1'adrefD avec la- quel-  1(58 XX VUL DlALOGUE. quélle le Roi avoit découvert la vérité, & la vraie mère le retira, en le comblant de bénédictions. Lady Mary. Je cröyois que Salomon alloit faire couper eet enfant en deux; je mourois de peur. Madem, Bonne. Un Roi, a qui Dieu avoit donné la fagelle, n'avoit garde de commettre un fi grand crime; mais n'avez vous point admiré quelque chofe dans la j conduite de Salomtn? Lady Tempete. Oui , ma Bonne ; j'admire que ce Prince, qui étoit fi jeune, préférat la fageffe, a toutes les autres chofes. Lady Sensée. Et moi, ma Bonne ; j'admire la j bonté de Dieu, qui lui donna les richelfes & les grandeurs qu'il n'avoit j pas demandées. Madem* I  XXVIII. DlALOGUt, 1Ó9 Madem, B o^n g, Salomon demanda une chofe eftimable, mais il eüc, lans doute, bien mieux fait, s'il eut demandé a D>eu la grace de garder fidèlement fes com* manderaens. 11 eut obtenu avec cette grace, la fageffe, ainli que les autres chofes que le Seigneur daigna lui accorder par furcroit. Lady Ch arlotte. Eft - ce que Salomon n'a pas été honnête homme toute fa vie? Madem. Bonne» Non, ma chère; il oublia tout 'ce qu'il devoit £ Dieu, & devint idolatre. Lady Spi rituelle. Et a quoi donc lui fervit fa fageffe? Madem, Bonne. La fageffe humaine eft bien peu de Cchofe, au (Ti bien que I'efprit & les ta* Tom. IV. H lens.  i?o XXV in. DlALOGUE. lens. Ces avantages ne. font précieux qu'autant qu'ils font joints a la craitfte du Seigneur. Salomon a été le plus ■fa van t de tous les hommes. 11 a compofé les plus beaux ouvrages du monde, & a parlé dans fes livres de tous les arbres & de toutes les plantes; a quoi tout-cela lui a-t-il fcrvi, s'il a eu le malheur de mourir fans fe répendr de fes crimes? Mifs molly. Eft-ce qu'il n'a pas demandé pardon a Dieu avant que de mourir? Madem. Bonne. L'F.criture, qui nous apprend fes crimes, ne nous dit rien de fa pénitence. J'ai pourtant entendu dire , qu'il y a des iavans qui prétendent qu'il s'eft converti; mais cela n'eft p?s certain. puisque ï'Ecriture ne le dit pas, & cela doit faire trembler. Ce fut une malhenreufe paffion qui conduifit Salomon dans le crime: il aima des femmes étrangères, & il les épou$a contre la deterife que Dieu en avoit fai-  XXVIII. DlALOGUE. 171 faite. Ces femmes voulurent avoir les 'idoles de leurs faux Dieux, 6z il leur offrit de 1'encens par complaifancé pour elles *; car vous fentez bien què Salomon avoit trop d'efprit pour adorer vraiment des Dieux de pierre & ,Jde bois. Lady Spirituells. Ma Bonne, j'ai lu les contes Arabes; ils ont beaucoup de refpect pour Salomon; ils difent, qu'il commandoit a tou:es les créatures élémentaires, Ss que ceux qui peuvent avoir fon anneau leur commandent auÏÏI. Lady Mary. Qu'eft ce que les créatures élérAear taire, ma Bonne? Madem. Bonne. Ce font des créatures qui habitenf dans les élémens, a ce que Croyent les Turcs & les Arabes. II y a quatre élémens, le feu, Vair, la terre & Yeau, comme je vous 1'ai dit. Or ils H & eroy-  172 XXVIII. DlALOGUE. croyent, que lVr efi plein de créatures qu'on nomme Silphes; qu'il y en a d'autres dans la terre qu'on nomjne Gnomes; que le feu a des habitans qu'on appelle Salamandres., & qu'ü s'en trouve auffi dans Peau qu'on nomme Nimphes. Ils ajoutent, que ces créatures font fupérieures aux hommes, a qui Dieu permet q-'eiles fas'fent de grands biers cc de grands maux; mais en même tems, ilsdifent, que les fa ges, qui font fur la terre. out une grande autorité fur les efprits, airfi que Salomon 1'eut autrefois ; & «ju'tts les obügent a leur obéir avec plus d'exa&itude, que les efclaves a leurs Maitres; non feulement a eux, mais encore a ceux auxquels ils ont donné des talismans. Mifs Molly. Qu'eft.-ce qu'un talismans'il vous plait? Madem. Bonne. C'eft. ou une bague, ou une piéce de méral, fur laquelle un de ces fa^es a gravé certains caraftères. Lady  XXVIII. DlALOGUE. I73 Lady Charlotte. Et tout ce qu'on dit de ces créatures éiémemaires, & des talismans, eft- il vrai? Madem. Bonne. Comme les contes des Fées que je vous airaporté, me* enfans. Cependant j'ai vu des perfonnes d'efprit qui avoient la foibleffe de croire il toutes ces chofes, On leur avoit donné les contes Arabet a lire,. quand elles étoient jeunes, & d'autres livres dans ie même goüt; perfonne n'avoir eu le foirt de leur apprendre, que c'étoit des contes a dormir dcbout, & cela leur avoit ga\ié I'efprit. J'ai connu une certaine Mademoifelle Pérot fille d'efprit d'ailleurs, & qu'un grand Miniftre ConfüÊ toit queiquefois ; je lui si, dis-je, entendu dire trés férieufement, que les Si lp hes i'enlevoient des bras de fa mère , quand eile étoit jeune, pour la porter au millieu des fleurs dans les prairies. Je vous nomme cette Demoifelle, paree qu'elle efi: morte depuis long- tems; mais je pourrois vousH 3 noia«r  174 XXVUL Dialocüe. Bommer plufieurs perfonnes de difiinction, qiii donnent dans cette extra vagance. Je ne le fais pas, paree qu'ilne faut jamais nommer les gens , quand on en dit quelque chofe de défavantageux. Lady Mary. Ma Bonne, vous nous avez dit, que Jes Turcs croyoient, que Dieu permet* toit aux créatures élémentaires de faire du bien & du mal aux hommes. Efi> ce que les Turcs croyent en Dieu? Je penfois, que c'étoient de bien méchans hommes qui adoroient les idoie?» Lady Tempete. Et moi auffi, ma Bonne, je croyois^ fu'ils adoroient Mahomet* Madem. Bonne» Vous vous trompiez , mes enfans.. Les Turcs ne font point idolatres , car ils adorent un feul Dieu, & le même que nous adorons. Mus ils font infidè/les;, paree qu'ils ne croyent pas que  XXVIII. DlAXOCUE, I7J que Jéfus Chrift foit Dieu. Ils diént, que c'eft un grand Prophéte, qu'il a envoyé Moïfe aux Juifs & Ma» hornet pour eux. D'ailleurs les Turcs, ne^ lont point méchans:/ il ont au contraire le coeur fbrt bon. Ils font beaucoup de charités, & loin de vouloir faire du mal aux hommes, ils ont même pitié des bêtes , & il y a des Turcs, qui, en mourant, laiiïènt une fomoae pour acheter de la viande aux chiens, & du grain pour les oifeaux* Lady Sensée. Je ne fais, ma Bonne, d'oü eft venuë cette imagination; mais on regar,. de les Turcs comme des gens cruels. Eft - ce qu'ils maltraitentlesChrétiens ?' Madem. Bonne. Souvent, ma chère, mais cela vient de ce qu'ils les méprifent. lis difent que nous fommes des chiens, non pas paree que nous fommes Chiétiens , mais paree que nous ne fuivons pas les préceptes que Jéfus Chrift , notre Prophéte., nous a'laislës; & quand ils H 4 . wyeM  176 XXVIII. DlALOGUE voyant un Cbrérien rronnête • homrre, ih I'eftimetu, & ne lui -font pnint de mal. Je parle des gens qui onr de I'écmcation ; car dans tous les Pus du monde le peuple eft peuple, c'eft - ddire, qu'il hait, méprife, ou maltraité, fans rime, ni raifon. Lady Mary. Ma Bonne, voudriez - vous bien nous dire ce que c'étoit que ce Mahomet,\ Madem. Bonnf» Je vous apprendrai tout ce que 'fen ai lu de cöté & d'autre, ma chère, c°r je n'ai jamais lu fon hiftoire. Mahomet9 je penfe, étoit un gare^n marchand, qui époufa la veuve de fon Maitre. II avoit beaucoup d'efprit, de courage, & par duffus tout, une ambition déméfurée. Comme fa nais» farce le réduifoit amener une vie obfcuie, il réfolut de fe diftinguer, en inyenrant une nouvelle Religion. La chofe étoit d'aurant plus facile, que les Chrétiens, qui vivoient dans ces quartiers, étoient fort ignorans, & qu'il y avoit  XXVIII, DlALOGUE. 17/ 1 avoit auffi •' un grand nombre de Juifs 1 & d'Iiolatres, qui n'ëtoient pas plus éclairés. Ce qui prouve I'efprit de 1 Mahomet, c'eft qu'il fit ftrvir a fon defJèin une maladte, qui devoit 1'emI pêcher de réüfTir. II tomboit du mal j caduc. Vous ne connoifllz peut- être i pas cette maladie, mes-enfans. Ceux, qui Pont, tombent contre terre & fe débactent horriblement: ils jettent mê« me de 1'écume par la bouche, comme I des enragés , & après cela, reftent J fouvent long-tems fans connoisfance. I Qjand Mahimet avoit un accès de ce i terrible mal, il difoit, qu'il tomboit en extafe , c'eft - a - dire , que Dieu I lüi parioit, ou Penlevoit au ciel, pour 1 lui déclarer fes voiontés.- Lady Spir itue ll'e. Et fe trouva -1 il des gens affez ex« 1 travagans pour le croire? Madem. Bonne. * T Les gens fenfés fè moquèrent de1 Hui, mais ceux-ia ne font pas leplus' I grand nombre. • Gependant, Make-met  fff! XXVIII. Dl ALOCtTE,1 fut obligé de fuir; mais les ditTicultés jie le rébutèrent point. II compofa fa nouvelle religion de facon a fa faire des difciples; car pour attirer les Chrétiens, il paria de Jéfus - Chrift honorablemenr. eoinme d'un grand Prophè-te, qui mé * ïitoit d'être refpecté: il en dit autant de Moifc, pour attirer les Juifs; & pour ne point effaroucher les Païens, il conferva plufieurs ie leurs cérémonies* II difoit, que Dieu aïant donné une loi par Moïfe avec des tonnéres & des* éclairs, il avoit voulu fe faire obéïr par la crainte: que ce moyen n'aïant point réüfïï, il leur avoit envoyé un j autre Prophère ,. pour les engager k j iui obéïr par la douceur: & que ce moyen aïant encore étè inutile, il l*avoit envoyé pour forcer les hommes, 'par 1'épée, a lui être flièles. Selon . ce principe, il dit, que fa fecta devoit } §'établir par les armes; ce qui lui at- ; $ira de touts cótés un grand nombre- ; d'hommes , qui efpérèrent de faire i fortune en le fuivant. C'eft ainfi que [ Mahomet, de Légiflateur, devint Mo- \ uarque, & laiffi le tröne a fa poftérité. Son tombeau eft a la Mee que, & jl eft. rév^ré de \% plus. grande partie de& i  XX Vni. DlALOGETE. If# des peuples de VAfie, qui font Mdkfr 'mét ans. Lady Spirituelle. Mais comment un ii grand nombre3 de peuples,. ont-iïs pu fe laifier féduire? Madem. Bonne, Tl y avoit certains poinrs dans la RéJigion de Mahomet, bien propres a féduire les hommes. Par exempler il leur permet d'avoir amant de femmes qu'ils en peüvent nourir: il leur promet, pour 1'autre vie, un Paradis oiV 1'on fera bonne chère, cü 1'on boira d'excellentes liqueurs qui ne pourront ennivrer ; car pour celles qui peuvent faire perdre la raifon , elles font défènduës "aux Mahomètam., Mais ce qui a beaucoup augmenré la Religtost de Mahomet, c'eft qu'il défcnd a fes* fectateurs Fétude des fcienct-s &' de laReügion ; car ii föntok que fa feéte ne pouvoit fubfifter qu'a l'aide deTignorance. Tous leurs livres fe bor» noient a. YAlcoran, qui eft- un orósagp IJ. 6 ■ wé  TBO XXVIII. DlALOGUE*! de Mahomet. C'eft un recueil de feuten ces & de Prières fans aucun ordre.; j'en ai lu une partie, mais comme il m'ennuïoit, je n'ai pas eu.le courage de fachever. Lady. Spirituelle. Eft-ce qu'on n'imprime point dë livres chez, les Turcs t Madem. Bonne. On dit qu ils- ont une Imprimerie de* puis plufieurs années: mais fi cela eft: vrai, cela eft bien nouveau & contraire a leurs principes. Lady Sens^e. Ma Bonne, voulez-vcus me per* mettre de racoater a ces Dames ce qui' arriva, quand les Mahométans prirent, la Ville SAlèxandrie? Madem* Bonne, Toïontiers, ma chére.  XXVIII. DlALOGUE» I8-I Lady Sensee. II y avoit dans la Ville Ü Alexandrie une Bibliothéque magniflque, que les Rois d''Egypte avoient fake avec un foin extraordinaire. Ce n'étoient pas des livres, comme les rötres , Mesdames; car en ce tems lavon ne favoit pas imprimer: c'étoienc des livres écrits a la main.. Les Mahomètïins aïant pris cette Ville, un Scavant, qui s'étoit fait ami de leur Général, lui demanda cette grande quantité de livres: Le Général n'öfa lui accorder fa demande, & il écrivït a fon Maitre pour favoir ce qu'on devoit faire de ceue Bibliothéque, Voici ce que fon Maitre lui répondit. S'il n'y a dans tous les livres, que les. mêmes chcfes qui font dans /'Alcoran, ils font inutiles, ainfi il faut les bruter; que s'il y a autre chofe, il faut les hruler encore On brula donc cette Bibliothéque, & ü y avoit une 11 grande quanritè- de livres, qu'il y en eut alTez pour échaurfer lesbains publiés pendant fixmois. / - )<;.>:. H» 7 Lady  ï8a XXVIFL DiALoeuE. Lady Spirit üelle. Ah! ma Bonne, quel dommage [ J'auroi* dit comme ce Scavant, donnez-moi tous ces livres; j'aurois paffé toute ma vie a les lire. Lady Tempete. Vous aimez donc bien la leéture,. Madame. Lady Spirituelle. Plus que teute chofe au monde , plus que 1'oréra, la comédie, le bal, la promenade. Je confentirois de tout mon coeur a aller dans une prifon, pourvft qu'on me promit de me fournir fdTèz de liv?es pour lire, depuis le Siatin jusqu'au foir., Lady Tempete. je ne fuis pas de votre goüt. |e a'ai jamais pu fouffrir la leéture : ce n'eft que pour obéïr a ma B( nne , que je lis a préfent. Dans le com» mencement cela m'ennuïoit a la morr; &  XX VUL DlALOGUE. 183 è-préfent cela m'ertnuïe moins, mai& je fens bien pourtant que je n 'aimerai jamais la leéture autant que vous le dites. C'eft une fureur. Madem, Bonne. Vous avez raifon, ma chère, c'efï: une fareur. Je 1'avois comme Lady Spirituelle, quand j'étois a fon age , & je ne fuis guères plus raifonnable fur eet article. J'avouë que c'eft un défaut d'aimer la lecture avec eet ex* cès; mais, ma chère, c'en eft un bienplus grand, de ne point du • tout ai mar la leéture. C'eft le défaut des fotes;& fi j'avois ce défaut, je me haterois de m'en eorriger, & je ie cacherois, foigneufement, de crainte qu'on ne me pril pour une ftupide. Lady T e m pet e. Mais a quoi cela eft-il bon d'aimer U leélure? Madem. Bonne. A mille chofes, ma chfcre. On  m XXVIII. DiAxocue. s'inftmit en lifant , on s'amufe, &', eomrae le dit Lady Spirituelle, une perfonne qui aiuie la leclure, ne s'enruïeroit pas dans un défert,. dans une prifon même. D'ailleurs le tems, qu'on donne a la leclure, eft bien mieux employé, que celui qu'on perd au jeu, & a courir des fpeclacles. Adieu, mes enfans , le tems de notre lecon eft paffé. V XXIX. DlALOGUE. Vingt-feptième Journée. Madem. Bonne. Qu'avrz-vous , Lady Charlotte 9. vous avez les yeux rouges; eft* ce que vous avez pleuré ï Lady Charlotte. Je ne mérite pas d'être dans la compagnie de ces Dames, ma Bonne: j'ai éré méchante comme un démon, deputs que je ne vcus ai vuë. Madem*  XXIX, DlA'looue. iSS Madem. Bonne. Cela eft bien mal, ma chère; mais vous reconnoifiez votre faute , & vous en êtes fachée, c'eft déja quelque chofe: il ne s'agit plus que de Ja réparer. Commencèz d'abord par Tavouër devant ces Dames. Lady Charlotte» Je n'oferai jamais, ma Bonne, cela eft trop horrible , & ces Dames ne pourroient plus me fouffrir. Madem, Bonne. Elles n'auroient guéres de charité. fi elles penfoient ainfi, ma chère. Elles favent que nous fommes toutes capables de commettre les plus grandes faur.es. Si nous ne le faifons pas, c'e t par une pure miféricorde de Dieu; & ceile qui feroit afiez orgueilleufe pour méprifer un pécheur qui fe répent, feroit elle-même bien eriminelle devant le Seigneur. ' Mais, ma chère, quand même il feroit vrai, que ces Dames vous mépriferoient k eau-  m XXIX. DrALOGtJü. caufe de votre faute, il faudroit con, lentir a cette humiliation, Vous n'avez pas craint de vous rendre méprifable aux yeux de Dieu cn péchant, & vous craignez d'êcre mépriiëe des créatures; cela n'eft pas raifonnable. |e gage que c'eft votre orgueil qui a eauié votre faute; il faut le punir en 1'avouant. Lady Charlotte. Vous avez raifon, ma Bonne. Mon , crgueil fait, que je regardeles domeftiques comme mes efclaves, & cela tait que je me mets en colère", quand ils me concredifent. Hier, après beaucoup avoir mangé, je m'amufois a rompre mon pain par morceaux, & a le jerter contre terre; ma Gouvernante dit a ma fervante, de nföter ce pain , & moi, j'ai dit que j'avois encore faim , & que je le vouloismanger, Je mentois, ma Bonne, je n avois plus faim , c'étoit par efprit de^ contradiélion. Ma Gouvernante, qui voyoit bien cela, è commandé a cette fille une feconde fois, de m'öter mon pain, & comme elle a obéï, je  XXIX. Dialocue. 187 je lui ai donné un foufBet, j'ai frappé des pieds, j'ai voulu l'égratigner. . Madem, Bonne* Vous avez raifon d'être honteufe, ma chère, cela eft bien horrible; mais je ne veux pas vous faire de reproches , car je vois que vous vous en fakes a vous-même. Avant de vous dire ce que vous devez faire pour réparer cette faute, je vais vous raeonter une hiftoire. II y avoit dans la ville tfAthènes une jeune Demoifelle, nommée Elife, qui étoit a-peu^près de vorre humeur.. Elle avoit un grand nombre cFefclaves, qu'elle rendoit les plus malheureufes perfonnes du monde ; elle les battoit ; leur difoit des injures; & quand des perfonnes de bon fens lui difoient, qu'elle avoit tort d'a^ir ainfi % elle répondoit: ees créatures font faites pour fouffrir mes humeurs. c'eft pour cela que je les aiachetées, que je les nourris, que je les habille; elles font'encore trop heureufes de trouver du pain auprès de moi. Cette méchante rille avoit furtout une femme  288 XXIX. DlALOGUE, me de chambre qu'on nommoit Mira* qm étoufon fouffre-doulem; cepen' o«it c étoit 'a rneiileure créarure du monde & mal^é les n auvaifes facvns de fa jvlaitrcflè, elle lui étoit fort attaché© elle excufblt fes défams trant qu elle pouvoit,. & elle eut donné tout ion lang pour !a rendre plus raifonnable. Elife eut un voyage a faire par mer, & comme c'étoit pour une «ffaire prefTée , & qu'dle ne devoit pas y être longtems, elle ne prit avec elle que fa femme de chambre. A peine fut-elle en pleine mer; qu'il s'éleva^ure grande tempête qui éloigna le vaifleau de la route. Aprés qu'il eut ccuru la mer pendant plufieurs jours,ceux?, qui conduifoient le vaiffeau appercurent une He: comme ils ne favoient oü ils étoient, & qu'ilsn'avoient plus de vivres, il fallut y aborder. En entrant dans le port une chaloupe vint au devant d'eux, & ceux, qui étoient dans cette chaloupe, demandèrent a tous ceux du vaiffeau, quels étoient leurs noms & leurs qualités ? L'orgueilleufe Elife fit écrire les fïtres de la familie, & il y en avoit plus d'une page, Elle croyoit que cela obligeroic ces  XXIX. DlALOGUE. f39 ces geus-til a la refpecler. Elle fut donc fort furprife, lorsqu'ils lui tour. nèsent le dos, fans lal faire politeffe; mais elle le fut bien davantage, quand fon ufclave eut déclaré fon nom & fa qualtté, car ces gens lui rendirent toute forte de refpeéc., & lui dirent* qu'elle pouvoit commander dans le vaiffeau oü elle étoit la Maitresfe. Ce difcours imparienta Elife, qui dit k fon tfclave; je vous trouve bien impertinente , d'écouter les dilcours de ces gens-la. Tout beau, Madame lui dit le Maitre de la chaloupe: vous n'êtes plus a Athènes. Apprenez que trois eens efclaves , au défefpoir des mauvats traitemens de leurs Maitres fe fauvèrent dans cette 11e il y a trois eens ans; ils y ont fondé une République, oü tous les hommes font égaux» mais ils ont établi une loi, a laquelle il faut vous foumettre de gré, ou de force. Pour faire fèntir aux Mmres combien ils ont eu tort d'abufer du pouvoir qu'ils avoient fur leurs dorne* ftiques, ils les ont condamaé a être efclaves a leur tour. Ceux, qm obéïffent de bonne grace, peuvent efpérer qu'on leur rendra la libertéj mais ceuXj  190 XXIX. DlALOGUE. ceux, qui refufent de fe foumettre a nos loix, font efclaves poör toute leur vie. On vous donne toute cette journée pour vous plamdre , & vous ac« coutumer a votre mauvais fort,* mais li demain vous faites le plus petit murmure, vous êtes efclave a jamais. Elife proéta de la permifion, & vomit mille injures contre cette Ile & fes habitans, mais Mira, prófitant d'un moment, oü perfonne ne la voyoit, fe jetta aux pieds de fa Maitrefiè, & lui dit confolez-vous, Madame, je n'abuferai pas de votre malheur, & je vons refpeélerai toujours comme ma Maitreffe La pauvre fille le penfoit, comme elle le difoit , mais elle në connoiffoit pas les loix du Païs. Le lendemain, on la fit venir devant les Magiftrats avec fa Mairreffe, qui étoit devenuë fon efclave. Mira, lui dit le premier Magiflrat, il faut vous inftruire de nos coutumes: mais fouvenez vous bien , que fi vous y manquiez, il en couteroit la vie a votre efclave Elife* Rappelles-vous bien fidèlement la conduice qu'elle a euë avec vous dans Athïnes; il faut pendant huk jours que vous la traitiez com-  1 XXIX. DlALOGUE. 191 * comme elle vous a traitée. II faut ile jurer tout-a-l'neure. Au bout de ffouit jours, vous ferez la Maitrefiè de | la traiter, comme il vous plaira. Et vous, Elife , fouvenez-vous que la moindre défobéïflance vous rendroit efclave pour le refte de vos jours» A ces paroles Mira & Elife fe mivrent a pleureiv Mira même fe jetta I aux pieds du Magiflrat, & le conjura i de la dispenfer de faire ce ferment; i car, ajouta-c-elle, je mourrai de douI leur, s^il faut que je le garde. Levezx vous, Madame, dit le Magiflrat a | Mira , cette créature vous traitoit i donc d'une manière bien terrible, é puisque vous frémifïèz de 1'imiter. ye voudrois que la loi me permit de ij vous accorder ce que vous me demanI dez, mais cela n'eft paspoffible. Tout j ce que je puis faire en votre faveur, 1 c'eft d'abréger Fépreuve , & de la 1 réduire a quatre jours ; mais ne mei répliquez pas: car fi vous dites un mot, vous ferez les huit jours entiers. Mira fit donc ce ferment, & on annonca a Elife, que fon fervice comcenceroit le lendemain. On envoya chez Mira deux 'femmes, qui devoient écri- I  192 XXIX* DlALOGUE. écrire toutes fes paroles & fes aélionss pendant ces quatre jours Elife, vo-< yantque c'étoit une néctfïité, prit fon i parti en fille d'efprit: car malgré fa i hauteur, elle en avoit beaucoup. Elle! réfolut donc d'être fi éxacte a fervir: Mira qu'elle n'auroit point occafion i de la maltiaiter: elle ne fè fouvenoit: pas que cette fille deveit copier fes i caprices & fes mauvaifes humeuts., Le matin du jour f uivant, Mira lön-na, & JbJije manqua de fe caffer le ! col pour cc-mir a fon lit, mais cela ne lui fervit de rien ; Mira lui dit: d'un ton aigre , a quoi s'occupoit cette lalope ? elle ne vient jamais qu'un quart-d'heure après que j'ai fon. né. Je vous allure, Madame, que j'ai tout quitté quand je vous ai entenduë. Taifez- vous, lui dit Mira , vous êtes une impertinente raifonneufe, qui ne fait que repondre mal ■ apvcpos: donnez moi ma rcbe, que je me léve. Eitje en foupirant fut cbercher la robe, que Mira avoir mife la veille, & la lui apporta; mais Mira, la lui jeuant au vifage, lui dit, que cette fille eft béte, il 'faut lui dire teut; ne devez*vous,pas favoir, que  XXIX. DlALOGUE. I93 Iqüe je veux raettre aujoürd'hui ma Irobebleuë; Elife foupira encore, mais lil n'y avoit pas le petit mot a dire ; elle fe fouvenoit fort bien, qu'il eüt ifallu dans Athènes, que la pauvre Mi\fa cüc deviné fes caprices p jur s'empêIcher d'être grondée. Quand fa Maiitreflè fut habilée, & qu'elle lui eut !fervi fon déjeuné, elle descendit pour [déjeuner k fon tour; mais a peine fut» I elle afïife que la cloche fonna: cela iJarriva plus de dix fois dans une heure, & c'étoit pour des bagatelles que Mira la faifoit monter. Tantöt elle avoit Ioublié fon mouchoir dans une autre |chambre; une autrefois, c'étoit pour iouvrir la porte a fon chien, & tou| jours pour des chofes de pareille cenféquence. Il falloit pourtant descendre «Sc monter deux grands escaliers , en| forte que la pauvre Elife ne pouvoit dplus fe foutenir, tant elle éioit laffe s |j& difoit en elle - mêm? : hélas la pauti vre Mira a bien eu a fouffrir avec I moi, car il lui falloit recommencer I ce train de vie tous les jours. A deux | heures, Madame annonca qu'elle voujloit alier au fpeftacle, & qu'il falloit ila coëffer. Elle dit a Elife 9 qu'elle 2>W. VI. I VQQm  194 XXIX. DlALOGUE. vouloit que fes cheveux fuïïent acc^m» mocés en groiïes boucles; mais enfuite, elle tro1 va que cela lui rendoir !a< tête trop grolTe, elle fit donc dcfaire cettèjfrifure, pour en faire une autre, & jusqu'a fix heures, qu'elle fortir, Elife fut contrainte de refter debout: encore eur-elle a éftixïer mille brusqueriee; elle étoit upe béte, une maladroite, qui ne gagnoit pas 1'argent qu'elle dépenfoit. Mira revint du fpeéfocle a deux heures de nuit, paree qu'elle avoit foupé en Ville , & elle revint de fort mauvaife humeur , a caufe qu'elle avoit perdu Ion argent au jeu : elle s'en vengea eit cherchant querelle a fa femme de chambre; & comnT» celle « ci, en la décoëf* fant i lui tira les cheveux par accident., elle lui donna un foufflet.: La parienee manqua d'échpper a Elife; mais elle fe fouvmt qu'elle rn avoit donné plus de dix a Mira , & fe fouvenir 1'engagea a fe taire. Je veux fortir'deirain a dix heures, & mertre ma cr ëffure a dentelk-, dit Mira a Elife, Elle n'eft pas blancbe, dit la femme de chamore , & vous favez qu'il me faut cinq heures pour la blanchir. Mada-  XXIX. Dialocue. 195 dsrne, dirent les deux femmes de Vlle a Mira^ penfez-donc, que cette pauvre fiile a befoin de dormir. Elle fera bien malade , quand elle pjffera une nuit, répondit Mira; elle eft fakepour cela. Hélas , dit Elife en ellemême, je lui ai fait paffer la nuit pour mes fantaifies, plus de virigcfois. Mi* ra, pendant les quatre jours, répéta fi bien toutes les fon fes de fa Maitrefiè, qu'Elife concut toute la dureté de fa conduite, & vit bien qu?elle avoit agi en barbare avec cette fille. Elle étoit fi fatiguée lorsque les quatre jöurs furent finis, qu'elle tomba malade. Mira la fit coucher dans fon lit* lui apporta elle-même fes bouillons , & la fervit av-c la même exactitude , que quand elle étoit dans A« •thènes mais ..Elife ne recevoit pas Tes fervices avec la même hauteurr elle étok fi confufe du bon cbewc de Xon efclave , qu'elle eut conlènti k être la fienne toute fa vie, poui té*parer toutes les faures qu'elle avoit .fakes a fon égard. j'a* oublié de vous dire, qu'on avoit pris fur le vaiffeau, ou étoit Elife , qu'elques Dames. & gentils-hommes dAthines^ mais conu» la me ■  10 XXIX. DlALOGUE. me ce n'étoient pas des perfonnes de ion rang, elle lfs co'inoiflbit peu, & ue s'en étoit guère occapée. Au bout d'un mois, on les raffembla toutes, & les Juges, qui étoient nommés pour cela, examinèrentleur conduite, com» mencèrent par interroger les Maitres» fes devenuës esclaves, pour favoir, «omment elles fe trouvoient de leur nouvelle -condition ? Elles avouèrent toutes en foupirant, qu'il étoit bien dur pour elles d'être foumifcs a ceux auxquels elles devoient co m mander. Et pourquoi, leur demandèrent les juses, vous croyez- vous en droit de commandïr a vos efclaves? La natu* re a-t-elle mis entre vous & eux une tliflinéMonréelle ? Vous n'oferiez le dire. L'efclavc, ledomeihque, & le Maitre, fortentdu même père, & les Dieux, en ïes pla^ant dans des conditions li différentjes, n'ont pas préiendu, que les uns fuflènt plus a leurs yeux que les autres. La vertu règle lés rang* devant ladivine fageffe. C'eft le feul titre dont elle fasfe eas, & c'eft pour faciliter 1'exercice 4ie toutes les vertus qu'elle a permis les diffèrentes conditions. L'eïclave doit fe diftinguer par fon attacaement a  XX IX D ih l o c u k. joy a fon MaitreV Ia fidélité, fon amomr pour le travaii. Ii faut que les Maitres, par leur douceur, leur charité, adoucilfent ce que la condiion d'es* clave a de dur? & i\ faur. que let eselaves , par leur affeéfcion, leur obéïs* fance & leur zèle, payent leurs-Mai« tres des bontés qu'ils ont pour eux. Vous avez fait 1'épreuve des deuxconditions, dit le juge aux Maitres devenus efclaves: que cela vous ferv* de leeon quand vous ferez retourné dans Athenes, & ne traitez jamais vos domefliques autrement qae vous n'au^ riez fcuhaité d'être traité dans le tems que vous avezrefté ici. Le Juge , enfuite , s'adrelTant aux efclaves devenus Maitres, leur dit; la loi vous permec de rendre la liberté a vos efclaves, mais elle ne vous y förce pas: vous pouvez les garder ici toute leur vie ;. vous pouvez'les renvoyer a Aihènes; vous pouvez, fi vous le voulez , y retourner avec eux. Que tous ceux, qui veulent rendre la liberté a leurs anciens Maitres, viennent écrire leurs noms fur ce li vie. Le Juge efpéroip de Mira, qu'elle feroit la première i rendre la liberté a fa Maitreife; mais I 3 elle  1P3 XXIX. Dl AL O G 02. elle refta a fa place, atrfli-bien qu'une autre femme, & un jeune homme qui avoit la plus belle phyfionomie du monde. On demanda a cette femme; par quelle raifon elle ne rendoit pas ïa.liberté a fe Maitrefiè, qui étoit une bonne vieille V C'eft répondit-elle , paree qu'aïant été fon efclave vin^t ans , il eft jufte que j'aie ma revanche pendant un pareil nombre d'années; je fuis laffe d'obéïr, & je veux gouter plus long-tems le plaifir de comfliander a rrion tour: cette efclave fe nommoit Béiife. Dans le moment ce jeune homme, qui avoit une fi belle phyfionomie, & qui fe nommoit Zénon, s'avan§a, & dit au Juge: je ne ftie fuis point avancé pour ligner Pao» 'te de la liberté de mon Maitre, paree qu'il a ceftë d'être efclave au moment que j'ai eu la liberté de le traiter felon ma volonté. Je lui demande bien 'pardon' d'avoir été obligé de le maltraiter pendant huit jours. La loi m'ordonnoit de copier les mauvaifes fsconis qu'il avoit euës a mon égard; jnais je vous affure que j'ai foufrert plus que lui. Vous pouvez le faire partir pour Athènes, je m'offre a par- tir  XXIX. Di.alOj.cue. 199 tir avec lui, a le fervif même toute ma vie, s'il l'exige; cir enfin, ü m'a acheté , je lui appamens , & je ne crois pas pouvoir, en honnenr, & en confcience, prcfker d'un accident qui me rend la liberté , fans. 1 ü rendre Pargent avec lequel il m'a achïté. Ce garcon a répondu pour moi, dit Mira, fon hifloire eft la mienne; hacez vous de nous renvoyer a A*kï*s nes ; le coeur me dit que j'y 1erai plus heureufe; car je me trompe fort, ou ma chère Maitrefiè, qui a connu mon ;.ffe&ion, me traitera avec plus de douceur que par le pafle. Elijjt imerrornpit fon efclave, & die au juge; fi je n'ai pas parlé piutót, c'eft que la honte & la confuflon retenoient ma langue. Cette pauvre fille eft digne d'être ma Maitrefiè toute fa vie, & je ne nié-ite pas d'ê:;re fon efcla* ve. Je m'étois cruë jusqu'a préfmt d'une autre efpèce que la üenne, & je ne me trompois pas tout-a fait. J'avois au-deflus d'elle un nom, des richeffes, de 1'orgueil, de la dureté: elle avoit au deffus de moi un bon coeur, de la patience, de 1'humanité, üe la généroüté. Que ferois-je oeve1 4 nu©  nuk' aujoürd'hui, il elle n'avoit eu que mes titres ? Je reconnois donc avec plaifir fa fnpériorité fur moi. J'accepte^pourtant Ia liberté qu'elle m'a rendué, & je ja reinercie de vouloir bien re venir avec moi dans Athenet; car alörs, j'aurai 1'occafion de lui mar* quer ma reconnoiflance, en partagcant ma fortune avec elle, & en la regardant comme une (amïe refpeélable , dont je fuivrai les confeils , & donc je tacherai d'irnirer les exemples. Le Maitre de Zènon, qui n'avoit encore rien dit, s'avarca a fon tour. II fe »ommoit Zénocraie, & s'adrelTant aux juges, il leur dit: je partage la confufion ff Elife. Comme elle, j'ai maltraité un efclave qui m'étoit de beaucoup fupérieur par la nobleflè de fes fentimens; comme elle, j'ai lerégret le plus fincère de ma mauvaifè conduite , & comme elle, je veux la réparer en faifant a Zéwn le fort le plus heureux. Le juge, alors s'adrelTant a toute 1'aflèmblée, prononca eet arret: L'efclave , qui n'a point eu pitié „ de la fituation de fa vieille Mai,^ treflè, a les fentimens d'une efcia- ve, ainfi nous la condamnons a res- n ter  XXIX, DIA L O 6 U fir 20I1 ,„ ter dans 1'efclavage le refte de les L jours, c'eft la condition qui corw vient a la baflelTe de fon coeur; mais „„ nous exbortons fa Maitreftè a ne ,[ „ point abufer de 1'autoiité que noul L, lui rendons fur elle; car fans cela, „ elle deviendroit auffi méprifable que L cette crèature. Ceux , qui ont „ choifi de renvoyer leur Maitres k ,„ Athènes, & de demeurer dans notre He, y demeureront; mais fous des „ qualités différentes* Parmi ceux* ,,„ la, il y en a deux, qui ont malv „ traité leurs Maitres après que Ier , „ nuit jours ae i epreuve uui etc p4&„ fés; ces deux demeureront efclaves [ , ici: car toute perfonne, qui man|* que d'humanité &. de douceur, eft ,! née fans fentimens, & doit avec [ , juftice demeurer dans la dernière ' des conditions , elle eft faite pour cela, elle ne mérite que cela. Les „ autres , qui ont bien traité, leurs^ ! , Maitres, & comme ils euffent vou\\ lu qu'on les traitat eux-mêmes,, „ aous les admettons parmi nos ci« „ toyens. Pour Mira , &- Zenon 9+ „ leur vertu eft au-deffus de nos élö« ges & de nps récompenlesquandi I 5 n- »ê^a  202 XXIX. D IA L O G UE» même ils refteroient efclaves toute? „ leur vie, leurs fentimens les élèvent „ au-defliis des Rois; nous les aban„ donnons donc a la providence des „ Dieux , fans ofer décider de leur #, fou, qu'ils retournenr a Athènes „ avec Zenocrate & Elife: ils font 9, dignes d'être Maitres ; mais qu'ils 9, le deviennent ou non, ils feront s, toujours les plus refpeélables de 99 töus les humains, & honoreront 9, la condirion dans laquelle les Dieux 99 voudront les placer." Elife & Zènocrate, avant de partïr, Temeicièrent beaucoup les habitans de 1'ile, & leur dirent, qu'ils n'oublieroient jamais les legons d'humanité qu'ils avoient re cues chez eux. Pendant le voyage qu'ils firent pour retourner a Athems, Zènocraie & Zénon , qui ccnnurent particulièrement les bonnes qualités d'Elife & de Mira9 en devinrent auwureux ; & les aïant demancées en mariage , ils furent #ccutés favorablement; & les époufèrent en arrivant k Athènes; & comme ces deux fidèles elciaves ne voulurent point fe lëf arer de leurs Mai. tres, quoiqst'Üs euJTent recu leur li. bei-  XXIX. DlALOGÜE. 203 berté, ils furent chargés de la conduiie de toute ieur Maifon, cc s en acquitèrent avec an zè!e une fidéhté qui peuvent fervir cTexechpïè a tous ceux que la Providence a placés dans la fervitude. Ii eft vrai que leurs Maitres n'oublièrent jamais leurs vertus: & les traiterenc moins en perfonnes que le fort leur avoient ioumifes, qu'en amis qui méritoient toute leut confiance, leur affedion, & mérae leurs refpecls. ^ Eh bien , Lady Charlotte, fi nous étions dans file des efclaves, qu eitce qui nous arriveroit? Lady CHiVr-lo TTe. Ma fervante m'ésratignerott, me donneroit un fou llet, m'apelleroit impertinente, infolente. Madem* Bonne. Cela feroit jufte, ma chère; mais ie n'en exige pas tant. II faut pourtant punir cette faute. Demain je roe trouverai chez vous a Vheure du diner ; ie feiai aftèoir vetre fsnvmA 7 J 16 t9»  201 XXIX. Dia loc ue. votre place a table, & vous la fer* ▼irez, s'il vous plait. Vous frémis* fez, Lady Tempete*. Lady Tempete. Oui, ma Bonne; il me femWey que je ne pourrois jamais me réfoudre a faire cela; d'ailleurs, ces créatures-la font li infolentes, fi prêtes k vous manquer de refpett, que j'auicnis peur de les autorifer. # Madem* Bonne; Vous êtes dans Terreur, ma chère. Ce font vos vices qui vous atcirent le. mépris de vos domefliques, & jamais ce que vous faites pour les 'réparer. J'ai connu une Mademoifelle Tomelle, qui avoit été fille de garderobe de Mademoifelle de Beaujo/ois9 Princeffe du fang Royal en France* Mademoifelle de Beaujolois avoit le meilleur coeur du monde, mais eMe étoit fi vive, qu'il lui échappoit fouvent de dire des- chofes dures. Vöici e* que Mademoifelle Tomeïle m'a ra«onté i ee iüjet9  XXIX# Dia l o e tje. 20f Un jour, Mademoifelle de Beaujolois mit fur fa toilette de 1'eau d'Orange daus une taffe a caffé. La pauvre Tomeik", qui étoit une grande rangeufe, voyant cette, taffe a caffé hors de la place, crut qu'on avoit oublié de 1'y remettre , & fans fentir ce qui étoit dedans, elle jetta cette eau dans un bafïïn. Quand la Princeflè vint s'habiller, elle demanda fon eau de fleur d'Orange, Tomelle. lui aïant avoué qu'elle 1'avoit jettée, elle lui dit plufieurs paroles mortifiantes* Mademoifelle de Beaujolois avoit une foeur r plus jeune qu'elle, & qui a époufé depuis le Prince de Conti, cette dernière étoit douce comme un ange* Quand elle fut feule avec fa foeur, elle lui dit: en vérité, ma chère, fi j'avois fait une auffi grande faute que celle que vous avez commife ce matin, je ne dormirois pas cette nuit. Mademoifelle de Beaujolois* qui avoic oublié fa brufquerie , demanda a fa foeur, ce que c'étoit que ce gros pêché qu'elle lui reprochoit; & 1'autfö lui rappella fa brufquerie, N'efl-ce que cela! lui dit la Princeffe ainée, tri rjant, Ab ! ma foeur, lui dit la,  30r, du bois de cédre, qui eft un beis précieux, & il s'en fervit pour batir le Temple, qu'il fit couvrir d'or em partie, il y avoit aufïï un autel d'or, dix chandeliers , & une grande partie des vais* feaux du Temple étoient d'une matiè-i re précieufe ou admirables pour leurtravail, Après que eet édifice fuperbe tut i  *tO XXIX, DlALOGUE. fut achevé , Salomon y fit porter I'Arche, qui renfermoii; ies tah'es de pierre, oü Dieu avrit écrk fa loi. Enïuite , Salomon fit le dédicace de ce Temple, en immöfant un ^rand nombre de viaimes ; puis i? pria le Seigneur de vouloir léfider, c'eft* a-dire, demeurer d'une manière particuliere dans cetie maifon qu'il lui avoit ba*ie, reconiioill.nt pourranr, qu'elle n'étoit pas digne de celui que les cieux ne peuv- nt contenir. II 1? pria d'écouier leg vceux de ceux qui !e prie oient dans ce Terrplt; & 'le Seigneur, voulant lui montrer qu'il exauc^it fa prére . reroplit le Temple d'une nuee qui empêcha pendant quejque tems ies Piê« ties de s'acquiter de leur fonétions. Salomon, aïant béni le peuple qui é.oit affemb^é, fc retira dans fa maifon, & la n éme ruit, Dieu lui app.ruü, pour lui dire, qu'il avoit éxaucé les prières, & pour lui recommander encore une ' fois d'être fidéle a fes commandemens. Sahmon enfuite fe batic un Palais, & un a fon époufe; puis il s'apiiqua a faire fleurir le commerce aars fes Etars & il y réüffit fi bien, qU' 1'argent étoit auüi cunjmun a Jèrufalem que  XXIX. DlALOCUE. 211 que les pierres. II établit auffi un ft bel ordre dans fa Maifon , qu on en parloit dans tout le monde. La Reine de Saba quitta même fon Royaume pour venir a Jèrufakm admuer la lagefTe de ce grand Roi. Wltoï Smmon} dans fa vieillefle, abandonria le «hernia de la vertu, & ce fut l'amour des femmes qui lui fit oubiier ce qu'il devoit au SeH gneur. II eut jufqu'a müle femmes, dont fept étoient Princeffes; & comil les avoit prifes parmi les Nations, qui n'avoient pas été détruires dans la terre promile , quoique • Dieu eüc exprefTément défendu ces mamges , ces femmes idolarres exigèrem, quil batit des autels k leurs faux * Dieux. II fut aOez lache pour leur obéïr , ÖS même il y facrifia avec elles. Alors, Dieu abandonna Salomon, & lui fus* cita des ennemis. II envoya même un Prophéte vets un jeune ho:nme, nommé Jéroboam, & le Prophéte, aïant coupé ion manteau en douze parts, lui dit : prend dix morceaux de ce manteau ; de même je diviferahle Royaume, & je t'en donnerai dix P^rts, mais je laifïerai le refte au fils de Salomon, a caufe de David mon ferviteur, ' Dieu  *I2 XXIX. DlAtOOUE. Bieu apparue auffi une dernière fois i i>alomon>r mais ce fut pour lui reproener Ion ingratitude, & lui annoncer ie démembrement de fon Royaume: tomefois, il lui dit que cela a'arrtveroit Ta oTOOrt' k caufe de' Davi* ion pere. Salomon, aïant appris qu'un prophéte avoit promis une partie de jon Royaume a Jèroboam, chercha a. taire cerir ce jeune homme ; mais il le l^uva en Egypte* & ne revmf qu'aprés Ia mort de Salomon* qui ariiva quelque tem*après. Or, Salomon n'avoit pas êcrit fèulement fur tous les arbres, & les plantes; mais auffi fut tous les animaux; ü avoit auffi compoJé un hvre de Proverbes, ou belles Madem. Bonne. Voyez, Lady Splrltuelle, Ie cas qu il faut faire de la fcience , quand elle n'eft pas accompagnée de la vertu. Lady Spir it uelle. : ^P.us avez bien raifon, ma Bonne je kus bien affligée, quand je penfe que  XXIX. Dl alosüe. 2ï# ^ue Salomon eft devenu fi méchant, & [ •fi ingrat enrers Dien. II y a une cho« (•fe dans ce que Mifs M/?//y vient de 1 nous rapporter, qui me fait crainire, jqu'il ne foit mort dans fon pécné; I c'eft, qu'au lieu d^ fe foumettre aux I ordres de Dieu, qui vouloit parta^er le Royaume entre Ion fils & Jèro- boam, il voulut faire périr le deraier. Madem, Bonne, Votre réflexion eft bonne, ma chèw i re, mais comme PEcriture ne l'a pas ! condamné, nous ne devons pas le conI damner non plus. Continaez, Lady , Mary, Lady Mary. Roboatn* fils de Salomon, aïant as* \ femblé le peuple pour fe faire couron: ner Roi, fes fujets lui dirent: votré i Père nous a impofé de grands trfou'-s; foulagez nous un peu a préfent que i vous montez far fon tróne. Roboam demanda trois jours pour répondre, & aïant confnlté les vieillar is , dont fon Père f^ivoit les confèils, ils bi ré-  214 XXIX. Diaioguë. répondirent: la demande du peuple eft jufte, & fi vous lui cédez dans cette occafion, il vous obéïra toujours fidèJement. Roboam ccnfulta enfuite les jem es gens, avec lesquels il avoit été élevé, & ils lui dirent: gardez-vous bien de céder au peuple: il faut lui fépondre, qu\ai-lieu de diminuer les faxes , vous les augmenterez. Alors vous ferez craint, & perfonne n'ofera vous réfifter. Roboam fuivit ce mauvais confeil, & dix des Tribus fe revoitèrent & choifirent Jéroboam pour leur Roi; les lèules Tribus de Jua'a *& c'e Benjamin reftèrent ficièles a 'Robeam Ainfi,. depuis ce tems II y eut Geux Royaumes : Celui d'/rraé/, oü regroit Jéroboam, & celui de Jum da* oü regrra Rohoam & fa poftérité. Ct^AzrM* Jéroboam dit en lui-même: fi je laisfe aller le peuple facrifier a ©iea dans Jérufalem* ils reprendront i'affedion na urelie qu'ils ont pour le lan? de David* & ils me fcront mout\i pour faire leur paix avec Robnam. ï>our pré venir ce malheur, Jéroboam fit faire deux veaux d or qu'il expofa en public, & dit aux dix Tribus: c'eft ici les Dieux qui vous ont tirés d'Egyte. Ainfi,  XXIX. DlALOGUE. 2iy Ainfi, Jéroboam fit adorer les Dieux a fon peuple. Un jour qu'il étoit auprès de 1'autel pour y faire fumer Tencens, Dieu lui envoya un Prophéte , qui lui dit ; il naitra un fils du fang de David qui aura nom Jofias\ • il ariofera eet autel du fang des facriti* cateurs, & comme vous pourriez douter que je fuffe envoyé du Seigneur, je vais le prouvèr par un miracle': que cêt autél fe'fende, & que la'cendre qui efi: deflus, fe répande! Jéroboam ètendit fa main pour faire figne qu'on arrêtat ce Prophéte: mais la main qu'il avoit étenduë, fe fécha ,1'autel fe fendit Jéroboam effrayé, dit au.Pro* phète; prièz le Sergneur pour moi, afin qu'il me rende 1'ufage de ma main. • L'homme de' Dieu lui aïant accordé fi demande, la main., du Roi revint dems fon prémier état, & il pria le Prophéte d'entrer dms fa Maifon pour .manger un morceau. Cét homme lui réponüt: quanl vous me donneriez la moitié de votre Royaume, je ne pourrols pas le faire, car le Seigneur m'a défendu de manger un moiceau jusqu'a ce que je füfïe de retour chez moi. II partit donc fur le  2i6 XXIX. Dialocüe. lc «hamp; mais un méehant Prophéte lui aïant dit fur le chfmin, que Die« lui avoit révélé fon arrivée , & lui avoit commandé de lui ofTrir a manger, il fe laiila tenter, & mangea. 11 en fut févèrement puni; car, comme il reprit le chtmin de fa maifon, , un Lïon forüt d'une forêt qui 1'érrangla, mais il re toucha point a 1'Ane, & il refta auprès de ce coips mort, fans* y toucher, pour marquer que ce n'étcit pas fair , mais 1'ordre de Dieu, qui 1'avoit fait fortir de eet forêt. Madem, Bonne. Continuez; Lady Charlotte, Lady Charlotte. Jéroboam n'aïant point corrigé fa jnauvaïfe vie, Dieu frappa fon fils d'une grande malacie, & le Roidk a la femme c'aller ccnfulter le Prophéte ( qui lui avoit promis le tiöne ) fur la maladie de f< n fils, mais il lui commabda de fe déguifer. Elle le fit inutilement; le Prophéte , a qui Dieu avoit révélé fa venuë, 1'aïant entendu par--  xxix, DiALoe'üic. 2ïj parler, lui dit: entrez, femme de Jéroboam ; quand vous mettrez le piecfr fur le pas de votre porte votre fi's mourra, II fera Ie feul de votre fa» mille qui entrera dans ie tombeau de fes Pères, paree que Dieu a re* connu quelque chofe de bon en lui. Pour ce qui regarde le refte de vos defcendans, ceux qui meurront dans la Ville feront mangés par les chiens, & ceux qui raourront a la campagne, Veront mangés par les oifeaux; paree que Jéroboam, au lieu de fervir iEternteJ, qui lui avoit donné un Royaume, s incité le peuple k fervir des Dieux étrangers* Dans Ia fuite, cece parole de Dieu fut accomplie: car un nouveau ■ Prince s'éleva dans Israël* qui fïtpéIrir la familie de Jéroboam. Mais, ce Inouveau Roi nVfant pas été plus fidè» Jle a Dieu , un autrt Prince traita les Ifiens, comme il avoiv traité la familie |de fon Maitre. II arriva encore d'aü* {tres cbangemens dans la fucceflfon des ïRois d''Israël, mais ils fuunttous méJchans jufqu'a Achab , qui fut encore jpïus méchant que les autres , & qui •époufa Jéfabtl, fille du Roi des Tom, IV. L Lea  ai8 XXIX. Dia'looüe. Les peuples de Juda ne farent pas plus fidèles a üieu que les Israëlites, &, comme eux, ils adorèrent de fausfes divinités, mais le petit fils de Sa» lomon, qui fe nommoit Ofia, & qui fut Roi de Juda, marcha fidèlement dans la voye des comraandemens du Seigneur: il óta même la régence k fa Mère, paree qu'elle avoit un&Idole* Lady Spirit*uelle. II faut avouër, ma Bonne, que les Juifs étoient bien ftupides, & avoient un grand penchant a 1'idolatrie. Quoi, après tous les miracles que Dieu avoit faits en faveur de leurs Pères; ils puren écouter tranquillement le discours de Jéroboam, qui leur difoit, en montrant les veaux d'or qu'il avoit fabriqués: voici les Dieux qui vous ont tinés d1'Egypte/ En vériré, ces gens-la j m'impatientent avec leur flupidité. Lady Sensee. Et Jéroboam , ma chère, qui voit fa i siain devenir fèche, qui en obuent Ia gué. j  XXIX. DlALOCUfc 2iö guérifon, &qui, malgrécela, retourne4 ies Idolesl Madem. Bonne. Vous ne croyez pas fans doute, qu'il ginat qu'il y eut aucune divinité dans fes veaux d'or; mais 1'ambition, -dont il étoit devoré, ne lui permettoit pas de fuivre les lumières de fa confcit-rce. Quand a ce que dit Lady Spirituelle que les Israëlites avoient un grand pencbant a 1'ldolatrie , \W en avoient lans-doute beaucoup; mais ce fut moins ce penchant, que le rnau* Vas exemple des peuples, dont ils évtöient environnés, qui les y en train at li fouvent, Voyez - vous piétênte* ment, Mesdames," la fageffe & 1'équité des ordres, que Dieu leur avoit donnés en en trant dans la terre promifej? Vous exterminerez tous les peuples qui y habitent. J'ai vu dts gens qui ofoient dire, que eet ordre étoit cruel; c'eft qu'ils n'avoient jamais réfléchi fur ce qui arriva aux Israëlites, pour avoir défobéï a eet ordre. C'eft une chofe certaine, mes-enfans, qu'il feroit plus avan»  XXIX. DïALGOüE. avantageux aux pécheurs, de mourir *près k pernier crime, que de.reiler long-tems fur la terre, pour en cora» mettre de nousreaux. je me fuis dé^a fervie de cette comparaifon, a ce que je crcis. Ce feroit uue mifericorde mal-placée, d'&ccorder la graee a ua Jbomme qu'on auroit trouvé tuant les paiTans, pour avoir leur argent* La «harï é pour tout le public,, pour eet homme - même , exige qu'oii Lui ó\e la vie , & un Princt, qui, par uae compaffion mal placée, lui donneroir la vie & la liberté, auroic k ce repro,cher tous le* meurtres qu'il feroic enfuice. Teile fut la compaflion que concurent les Israëlites, contre des peuples que Dieu avoit condamnés juftement, paree que kuis* crimes éïoieiiL k leur comble* paree qu'il favoit qu'au lieu de ie conige; k. 1'ave* mr, iis coutinueroient dans leur mé« chanceté , & feroient une occaüon de pécher sux Israëlites, en les pouffant a devenir idolatres, &: par leurs coofeils, & par leurs maüvais exemples. Que ce'a nous apprenne , mes enfans, é refpetter les arréts da Seigneur, quand  mêroe ils leroiént contraires & nos petiteslumières, perfuadées cju'étant U ju* ftice même , il ne peut jamais aroic xien oidonné que de jofte» Fin du Tom* quatrièmt*     1.  1