L E CABINET DES FÉES.  CE VOLUME C O NTIE NT Le Prince desAisues-Ma&ines&IcPrinci In visible , par Madame l'E vêque. Les ïéeries nouvellis , par M. Ie Coir.tc de Cayivs.  A AMSTERDAM, Etfe trouve a PARIS, RUE ET HOTEL SERPENTE, M- DCC. LXXXVÏT LE CABINET DES FÉESt o u COLLECTIOÏV CHOIS1E DES CONTES DES FÉES, ET AUTRES CONTES MERVEILLEUX, Ornés de Fïgures. TOME VINGT-QUATRIÈME.   L E P Pv I N C E DES AIGUES MARINES,. Xj'i sl e des fauvages rerentiiïbit decrisde joie , Sc les rochers afFreux dont cette ïle eft entourée , répondoient ah bruic des inftrumens de guerre , Sc aux clamenrs de ces barbares. La mer , qui venoic fe brifer avec violence conrre Ie- hers , mêloit fes mugiffemens a tous ces cris ^ en augmentoic encore 1'horreur. Ges monftres, qui. fe Faifoient un plaifir d'égorger tous les malheureux que la Fureur des vents forcoit a relacher dans leur ile , étoient atTemblés pour fe choifïr un roi. Déja des flots de fang humain avoient coulé fur les autels de leurs dieux; le rivage en étoit abreuvé, & les corps de ces vi&imes infortunées, enrarTés fur un bücher , alloienr êtrè bientót rédtücs en cendres ; déja ces fauvages epmmen^oient a danTvme XXir. A  i LePrince fer autour de ce bücher, quand ils appergurent les débris d'un navire. Les mats brifés, les bancs fracaifés, les cordages épars, & les voiles déchirées florroient au gré des vagues ; ils appercurent aufll plus loin plufieurs malheureux qui s'efforcoient de gaguer a la nage le bord de leur ïle. L 'efpoir d'un falutprochain ranimoit leurs forces,qu'une longue farigue & des efforts redoublés avoient prefque épuifées. Hélas ! ils couroient a la mort en abor«dant a ce rivage funefte , & le fort qui paroifloit les arracher aux rlots , & les vouloir fauver, leur préparoit, en les pouflant fur ces bords , a une mort mille fois plus cruelle. A peine eurent-ils gagné la cóte, que ces fauvages fe faiiïrent deux , les enchaïnèrent & les trainèrentaux pieds de leurs autels.La,ils furent égorgés, & leur fang tout fumant encore, fut mis dans descoupes que ces barbares vidèrent en 1'honneur de leurs dieux. Ils ne réfervèrent qu'un feul de ces étrangers , dont la beauté , les graces & Ia jeunelfeauroient attendri tout autre que cepeuple féroce , nourri dans le fang & dans le carnage. Sa taille , au-delfus de la médiocre , ctoit noble , fans contrainre ; de longs cheveux.du plus beau blond du monde, flottoient a groffes boucles fur fes épaules j fon front ouvert reluifoir d'una douce majefté j fes yeux étoient noirs , & brilloient d'un feu percant , &c ce je ne fai quoi,  des Aigues Marines.' 5 plus- féduifant encore que la beauté, le rendoic le plus aimable des mortels. II fut deftiné pat ces barbares 5 a fervir de nourriture au roi, que le fort alloit leur donner. La manière d'élire un roi n'étoit pas moins cruelle que le refte de leurs mceurs. On choifilïoit fix des plus confidérables & des plus renommés par leur barbarie , & celui de ces fix qui percoic d'un coup de flêche le eceur de la veuve ou de la plus ptoche parente du défunt roi, étoit pelui qui devoit être élu. Déja ils avoient attaché leur reine a un rocher, Sc cinq de ces barbares 1'avoient frappée de leurs flêches dans les cuiifes Sc dans les bras, quand le fixième s'avancant dans la carrière tendit fon are; le trait fendit les airs, «Sc alla percer de part en part le coeur de cette prince!Të malheureufe. L'on entendit auffi-tót mille cris confus. Tout ce peuple fe profterna aux pieds du nouveau roi, & on le portacemme en triorhphe, autour de Hle. Les femmes & les filles, les cheveux épars, & un poignard a la main s marchoient les premières. Leur chant reffembloit aux cris des Baccantes furieufes.Les vieillards courbés fous le poids de leurs crimes , plus encore que fous celui des ans les fuivoient d'un pas lent, & le roi entouré de la jeunefTe de cette ile , fermoit cette marche. Cet étranger qu'ils avoient réfervé, faifi d'horreur, fuivoit, les yeux baifTés , cette pomp© Ai;  4 LePrince funebre. Deux fauvages le tenoienr enehaïné, &c le menoient comme une jeune vi&ime qu'orc conduit a 1'autel;* Après avoir fait tout le tour de 1'ile , ce peuple enfin s'arrêta au milieu d'une forêt. C etoit le lieu deftiné pour leurs feftins. Mille bctes fauvages étoient étendues fur le gazon , & de grands vafes pleins de fang étoient rangés de diflance en diftance. Le vin le plus exquis , le nectar même leur eüt paru moins doux que ce breuvage. Le nouveau roi fut mis fur un tröne couvert de peaux de lion , Sc déja pour commencer la fête , il s'étoit faifi de eet étranger , & Ie poignard a la main, il étoit prêt a 1'égorger, quand foudain le poignard tomba, & ie roi même fat renverfe mort aux pieds de eet inconnu.Tout ce peuple furpris , porta avidement les yeux fur eet étranger j mais tous ces barbares éprouvèrent le même fort, Sc tombèrent nageant dans le fang, qui couloit des vafes qu'ils avoient renverfés en expirant. , • , L'on ne peut exprimer quel fut 1'étonnement dece jeune étranger a la vue de tout ce peuple, qu'une main divine & invifible parohToit avoir exterminé dans un moment. Ces barbares étoient étendus par terre , les horreurs de la mort étoient peintes fur leurs vifages; leurs yeux tournés vers le ciel , paroitfuient accufer les dieux de leur    des Aicsues Marines. 5 trépas; leucs bouches ouverces fembloient blafphcmec contre eux , & leurs bras , que le froid de la mort avoit glacés , & renoic élevés, fembloient les menacer encore. Cet inconnu s'arma promptement des dépouilles du roi , & paiTant au milieu de ces cadavres , s'enfonca dans la forêt. 11 gagna une roche, d'oü fortoit une fource d'eau qui , rombant de rochers en rochers , augmentoit encore par fon bruit 1'horteur de ces deferts. Ce fut la oü cet étranger , réfléchifTant a fes malheurs , s'abandonna tout entier a fa douleur. II ne put penfer , fans frémir , a tout ce qu'il avoit fouffert depuis qu'il étoit parti de 1'ile brillante. C'étoit une ile oü régnoit le roi fon père. Des rochers de criftal & d'émeraudes en entouroient les bords; les collines étoient femées de pierres précieufes; les arbres étoient chargés de fruits couleur de rubis, & les fuperbes tours de diamans , qui fermoient les portes de la ville capitale , éblouiüoient les yeux. Il y avoit une année entière qu'il en étoit parti , 5c qu'il alloit erranr fur les mers. Tout ce qui lui étoit arrivé fe peignit dans ce moment a fon efprit. II ne put retenir fes larmes en penfant.qu'il étoit peutêtre pour jamais féparé de fen père. ïl fe reifouvint alors que le roi en partant , lui avoit remis une boite qu'il lui avoit ordonnc den'ouvrir qu'un an après fon départ. L'année étant fiaie, le prince Aüj  6 LePrince 1'ouvric, & y trouva un papier qu'il Jut avec emprefTemenr. II étoit écrit de la main du roi, Sc c'étoit en ces termes que ce père malheureux rinftruifpit de la fource de fes infortunes. Je voudrois en vain , mon cher fils, te cacher les malheurs qui te menacent. Les dieux me font témoins de tout ce que j'ai fait pour calmer leur couroux; mais la fée Noirjabarbe , ennemie de cette ile , te condamna au plus affreux fupplice , au moment de ta naiffance. Que ne t'arrachat-elle la vie ! j'aurois été plus heureux, & c'eiït été pour toi une moindre peine. Cette cruelle fée arriva dans mon empire , au moment que les autres fées venoient de te faire don de tout ce qui peut rendre un prince accompli. Elles avoient voulu par ces dons, óter tout moyen a la fée Noirjabarbe de te nuire. Mais que n'imaginent point la cruauté & la barbarie pour fe venger ? La fée ne pouvant t'öter tous les dons qu'on t'avoit faits, voulut te rendre 1'horreur de 1'univers, & te condamna a tuer dans 1'inftant tous ceux qui te regarderoient, fi-tót que tu aiirois atteint 1'agede vingc ans. Juge de ma douleur quand elle eut prononcé ces terribles paroles. Je üs ce que je pus pour la flcchir, mais ce fut inutilement j elle me défendit même de le découvrir a perfonne qua'toi , & ayant ta vingtième année, efpcrant que moi-même pc tout mon peuple périroit en te regardant, &c  bes Aigues Marines. 7 que tu en ferois le bourreau. Hélas ! je lui offtis ma vie ; elle fut infenfible a mes larmes , & s'eavola au milieu d'un noir tourbillon de name de bitume & de poix. Tu fais les foins que j'ai pns de ton enfance; tu fais les pleurs que tum'ascoütés, prix funefte de ma tendreffe. Je ne te verrai plus, déja tu as fait la trifte épreuve des malheurs oü Ia fée Noirjabarde t'acondamné. Cherche un défert, mon fils, oü tu puiflTe épargner les mortels en te.cachant pour jamais a leurs yeux , Sc fonges-y quelquefois a ton père. A peine ce prince, qui fe nommoit Ie prince des Aigues marines , eut achevé de lire» que fes yeux fe couvrirent de larmes. Ah dieux! s'écriat-il , ai je mérité un fupplice fi cruel; quels lieux allez déferts trouverai-je fur la terre, pour me cacher aux yeux des mortels ! Heureux encore dans mes malheurs , que le fort m'ait pouflé fur ce rivage barbare , & que ces monftres foient les premières viótimes que je me fois immolé. Ce malheureux prince fe leva alors , & fortit de Ia forêt. II fe trouva a une des portes de la ville de ces fauvages , batie dans un valon entouré de hautes montagnes toutes couvertes de bois. Un torrent qui fe précipitoit du haut des rochers avec un bruit horrible , féparoit cette ville en deux. Les maifons en étoient fort balfes , & toutes teintes de fang, Sc prefque couvertes de A iv  8 L e Prince corps morts & de membres épars. L'air de cette ïle 3 la propriété de conferver les corps, & ils ne. s'y corrompeut jamais. Ce prince e.ut horreur d'un lieu (i affreux. II en fortit, & fe confola un peu de fes malheurs, en peniant qu'il avoit purgé la nature de monftres fi cruels ; il réfolut de refter dans cette ïle, & d'y vivre des fruits que la terre produifoit. II choifit pour fa demeure } une grotte taillée. dans le roe , d'oü 1'on découvroit la mer. L'horreur de fe voir feul fur ces bords inconnus. , étoient un peu adoucie par la nécefTité oü il étoit réduit de vivre éloigné des mortels. La peine cruelle que la fée Noirjabarbe lui avoit impofée en naiffant , le banniffoit pour jamais du commerce des hommes. II en venoit de faire la trifte expérience , & fa folitude lui paroifToit moins affreufe quand il fpngeoit que du moins fa vue ne feroit fatale a petfonne. 11 fe fut confolé de fe,s malheurs par les plaifirs d'une vie douce & tranquille , fi 1'amour ne fe fut pas joint pour 1'accablex, avec la cruelle Noirjabarbe. Mais il airnoit^ dévoré en fecret d'un feu cuifant, il foupiroit nuit & jour, & pour furcroit de maux, il ne favoit pas même le nom de la perfonne qu'il aimoit. 11 n'en, avpitque le portrait, Occupé fans ceffe du plaific dfi le confidérer , il aiigmgntoit encore d chaque. inftanr, &fesfeux&fes regrèts.J'aime, s'éfripit-  » k s Aigues Marines: p H , 1'amour a éguifé fur moi ce qu'il y a de plus violent dans fon empire. Je ne connois poinr ce quej'aime , & je ne puis jamais efpérer de le voir W li ne Un en coüce la vie. Ma vue , fatale 4 tous les mortels, feroit périr ce que j'adore fi je le voyois. O dieux ! 4 quelfupplicehorrible m'avezvous condamné ? Telles étoient les cruelles réflexions de ce malheureux prince. Souvent il alloit fe promener dans une ïle plantée d'orangers, qui joignoit prefque celle qu'il habitoit. Un jouril s y endormit, & ne fe réveilla qu'au bruit & aux eclats du tonnerre. Déja la mer commencoit 4 enner fes flots , un vent de terre s elevoit fur la cote , & tout annoncoit une tempête prochaine. Le prince des Aigues marines crut cependant pouvoir encore regagner fon ile. U remonta dans fa barque , & il étoit pret 4 y aborder, quand un coup oe vent le repoulTa en pleine mer. La tempête augmenta tout d'un coup, & h barque du pnnce, qui n étoit faite que d'un tronc d'arbre «ede, fut bien-tót portée 4 1'autre extrémité de la mer. II attendoit avec tranquillité la mort quil croyoit ne pouvoir éviter, quand fa barque donna contre un rocker & fe bn'fa. II nagea quelque temps ; mais la nuit qui futvint , le jeta dans de nouveaux dangers. II ne voyoit plus a fe conduite ; il craignoit de s'éloigner du nvage , en croyant s'en approcher. II nageok  i© Le Prince cependant toujours , & étoit prêt a fuccomber , fes forces étant épuifées, lotfqu'il fentit un anneau de fer qui étoit attaché a une tour j il le faifit; il s'y tenoit fufpendu, réfolu d'attendre que 1'aurore , en ramenant le jour, lui découvric le plus prochain rivage. II fe plaignoit, en foupirant du deftin qui le perfécutoit, avec tant de cruauté , quand il entendit une voix qui lui dit : Malheureux étranger , que la mer & les vents ont pouffé fur ces bords, celfe de te plaindre du fort. Hélas ! que ne peux-tu finir mes malheurs , comme je vais finir les tiens en te fauvant la vie! faifis cette corde, les dieux n'ont point encore ordonné ta mort. Le prince des Aigues marines héfita quelque temps. II fe reprochoit d'expofer a la mort , une perfonne qui lui vouloit fauver la vie; mais fes forces étoient tellement affoiblies , qu'il falloit fe réfoudre a, périr, ne pouvant plus réfifter. La nuit qui régnoit 1'enhardit ; il faifit la corde , monta dans la tour , & fe trouva dans une chambre, oü il ne put rien diftinguer , tant 1'obfcurité y étoit grande. II avoit réfolu de fe rejeter a la mer il-tót qu'il verroit 1'aurore reparoitre , Sc de fe fauver dans File la plus prochaine , ne voulant pas faire périr une perfonne qui venoit de le tirer d'un danger fi preffant. Que ne vous dois-je point, dit-il a celle qni venoit de lui fauver la  bes Aigues Marines. h vie, 6c comment puis-je jamais reconnoïtre le bienfaic que je viens de recevoir de vous ? Mais que pourroit pour vous un prince malheureux que le deftin perfécute ? Votre picié , en me fauvanc la vie, va peut-être m'engager dans de nouveaux malheurs, dont le trépas m'eür délivré. Ne laiiïez pas cependant ignorer quets font les climats oü les flots de la mer m'onr porté. C'eft proche de 1'ïle de la Nuit » bü règne le roi mon père, répondit cette perfonne. Cette tour s'appelle la tour ténébreufe ; elle a été batie par la main d une fée. Jamais les rayons du foleil , nila douce clarté de la lune ne 1'éclaire ; une éternelle obfcurité I'environne, & les objets les plus proches ne s'y peuvent diftinguer. Ce difcours confola Ie prince des Aigues mannes. II ne craignoit plus que fa vue put caufer la mort a cette princeffe, puifqu'on ne devoit mourir qu'en le regardant. Les ténèbres profondes Sc éternelles qui entoiir roient cette tour le raffuroient. Mais quels climats vous ont donné la naiftance, continua cette ptincefle , & comment la tempête vous a-t-elle jeté fur ce rivage ? ne me refufez pas le récit de vos aventures. Après quelques foupirs , que Ie fcuvenir de fes malheurs arracha au prince des Aigues marines , il commenca ainfi fon hift lire. Je fuis né dans 1'ile brijlante, & mon f èig ,  ïi Le Prince qui y rcgnoir depuis trés-long-temps , voyoit avec douleur la ftérilité de la reine ma mère. Enfin , elle devint groffe. Plufieurs fées afliftèrent a ma naiffance , & me firent don de toutes les vertus qu'un prince pouvoit fouhaiter. Mon père , pour les mieux honqrer , leur avoit fait préparer un feftin magnifique dans une des falies de fon palais. Déja on étoit prèt a cqmmencer la fête a quand foudain 1'air s'obfcurcit. Une noire vapeur fe répandit dans la fale du feftin y & mon père fe fentit enlever par une main invifible. Toutes les autres fées reconnurent bien que c'étoit la fée Noirjabarbe qui lui avoit joué ce tour; mais elles n'avoient aucun pouvoir fur elle. Elles plaignirent feulement mon père , connoiffant la cruauté de cette fée. Mon père revint quelque temps après, mais fi affligé & fi abbatu, qu'il n'étoit plus reconnoifTable. Les fées eurent beau le preffer de leur apprendre ce que la fée Noirjabarbe lui avoit dit , il n'ofoit ni ne pouvoit parler; la douleur 1'avoit faifi , & lui arrachoit un torrent de larmes. La fée Noirjabarbe lui avoit défendu, fous peine des plus affreux malheurs , de révéler a. d'autres qu'a moi ce qu'elle venoir de lui dire. Mon père me fit élever avec tout le foin poffible ; mais ce qui fait le plaifir des autres pères, 1'accabloit de douleur. II me voyoit avec chagrin augmenter en age. Plus je paroiffois répondre i  »M Marines. u *" b°Ti d u" boIs. & '"'embraflin, tendrement ■ Fuyez mon fis „j;, a f miement. Jreuteufe on vous avez tecu le jour. Le temps eft veuuou'dfau^ousfep^.j;;^,™ P«a tout mou peuple ;i,s.yferoi ZT d & T*" CM P"1 £» vous Z2:p™ ncr°n6U>™™^ "Utrecotedecebois „„ vaifliau qoe ,ai p• W« expres. je me cache ^ £ f " je vous a, donnés pour vous accompagL-m ^ fe'°« m*. roupc„„Lr,X chofe.Hatez-vousdepattir Sckiir.» q "-au.veuts.SuJout.ml^rmir — cetteboiteou-uoauaprèsouevousfe L' pam de ce „vage f„„efte. „ dip0;t r " fl,fi' me ' '" & falfible M* Prüres d'un père , ihl.  I4 LePringi gnez-vous de ce féjour. II sechappa alors de moi 4 Sc s'enfonca dans la forèt. Je demeurai immobile * Sc il me fut impoffible de faire un pas pour le fuivre. Je revins i moi quelques momens après ; mais je cherchai vainement dans la forêt j je n'y trouvai point mon père. J'appercus le vaiffeau qu'il m'avoit fait préparer. On n'attendoit plus que moi. II avoit fait croire a ceux qui m'accompagnoient, que j'aliois aux iles bienheureufes, qui n'étoient pas fort éloignées de Ule Brillante. Je m'embarquai donc après avoir prié les dieux de conferver les jours de mon père. Nous avions pris la route de ces ïles , quand foudain le vent tourna Sc nöus pouffa dans une ile oü il fallut relacher. Nous débarquames pour radouber notre vaiffeau que la tempête avoit un peu endommagé. Je m'avancai dans cette ile , qui paroiffoit un féjour enchanté. Nuls rochers n'en défendoient le rivage; une cote unie , & oü on refpitoit un air doux & agréable , 1'entouroit; des allées d'orangers plantées de toutes parts , conduifoient a Ia ville , qu'on appercevoit du bord de la mer ; de larges canaux entrecoupoient ces allées , Sc des plates bandes d'anemones , de jonquilles , de renoncules Sc de rulipes , bordoient ces canaux. Un abord fi charmant me donna de la curiofité. Je m'avancai davantage , & j'appercus venir de lom vers moi, un homme dont 1'habillement  8ÏS AXGÜES MARINES. «efurprir. Je Je joignis. Une longue robe onverre pardevant, & traïnanre jufqu'a terre, co*. Inifiime;te del'éCOffedllm^elap,;ma. gMfique; de larges manches enrouroient fes bras • a tcte ctoiccoaverte d>un bonnet orné de pierredes ; ,1 tenoic un livre d une main, & de 1 autre une baguette d'o, II s'arrêra en me apresm avoir confidéré quelque temps, il me Paria amn Jeune étranger que la tempeteaieté farcesbords^uis-moi^profitedesrnomens que tu as a refter dans cette ïle. Je me fentis a ces paroles , comme entraïné malgré moi. Je le Ws. II tourna du cóté de la ville, qu'on appercevolt au bout de j'allée. En marchant, il m>en trennc de leurs coutumes & de leur manière de vivre. Cette de, me dit-il, oü tont ce qu ü y a de plus rare dans la nature eft raffemblé, eft Pile de la Magie blanche. Le nombre des habitans eft nxe. II ny a point de jaloufie entte nous: notre pouvoit eft égal 5 nous vivons tous amis , paree que 1 envie ni 1'intérêt ne nous troublent point • nous fommes tous de même age , & nous rons tous le même jour. Nous ne gardons point ia nos temmes, & nousn'en avons jamais qu'un Ws. AI age de vingt-cinq ans nous nous marion*. tous aux pnnceff^qui nous plaifent le plus dans 1 un.vers. Des géniês, a qui nous commandons nous en apportent les portraiw, & chacm, choitf't  i£ LePrince la fienne. Elles accouchent toutes le même jout' Bun fils, qu'elles gardent avec elles jufqu aiage ' de vin de grands vafes de bronze , remplis d'une liqueur qui bruloit toujours fans fe confommet , éclairoient le rivage de cette ile •, ils étoient pofés fur de hautes colonnes du plus beau marbre , mifes de diftance en diftance , & qui entouroienr toute File. Sans  des Aigues Marines. iy ces feux, une obfcurité éternelle y rcgneroir. La princeffe débarqua , & fut conduite a la ville capitale par uue allee de fapins , dont les branches étoient toutes chargées de ces memes lampions qui ne seteignoient jamais. Elle arrivaalaportey qui etoit éclairée de la même manière , & entra dans le palais du roi fon père. II étoit de la plusbelle architecture du monde. Des pots a feu ornoient&éclairoientle toit de ce palais, qui étoient entièrement illuminés. Tous les jardins 1'étoient auffi, & 1'étoient toujouts. On fit monter la princeffe fur une terraffe qui étoit au-delTus du palais. On découvroit de la toute 1 ile. L'art d'une fée, protectrice de ce ro)*iume , avoit Dar ces lampions corrigé le défaut de la nature, qui avoi'; refufé le foleil a cette ile. La ptinceiTè fur éconnée de voir une ville Ci grande Sc batie fi magnifiquement. On diftinguoit les hautes murailles dont elle étoit entourée par le moyen de ces lampions. Chaque arbre de la campagne étoit éclairé de même, Sc les colmes Sc les forêts paroilfoient des allres brillans, dont la lumière douce fe laifioit fupporter aux yeux. Ge fpeótacle étonna la princeffe ; maisfon cceur étoit encore plus troublé que fes yeux. L'idée du prince des Aigues marines lui revenoit fans ceffe dans 1'efprit.. Elle étoit au défefpoir de n'avoir pu favoir le relfe de fes aventures. Biv  14 Le Prince Quoi qu'elle n'eüt pu le voir , elle ne laiiToic pas que de s'intéreffer déja pour lui. Elle penfoic qu'un prince, a qui les fées avoient fait don de toutes les qualités qui pouvoient le rendre accompli , devoir être un prince bien aimable. Elle eüt bien fouhaité le voir. Hélas ! fans doute cette envie eüt bien diminué fi elle eüt fu le péril qu'il y avoit a le voir , & qu'il lui en auroit coüté la vie. Elle ne favoit comment fe dérober de fon père pour retournet a fa tour ténébreufe j & de plus, de quoi lui auroit fervi ce voyage ? 11 étoit abfolument défendu de porter la moindre lumière au-dehors de File. Ainfi, elle ïvauroir fait qu'entretenir le prince des Aigues marines ; cependant, ce prince fe repréfentoit toujours a elle. Se promenant un jour dans une grande forêt qui éroit au bout des jardins de fon père , elle rèvoit a tout ce que le prince des Aigues marines lui avoit raconté; &commeelle avoit été condamnée par une fée, a paffer fa vie feule dans la tour té* nébreufe, jufqu'a ce qu'un monftre qui tuoit de fa vue, la vint délivrer; elle s'imagina que ce prince pourroit être fon libérateut. Son père, qui confultoit chaque jour les dieux , pour favoir le temps oü les malheuts de fa fille devoient finir , ne comprenoit point, non plus qu'elle , ce que la fée avoit prctendu dire par ce monftre , qui tuoit de fa feule vue; mais enfin, Foracle ró-  des Aigues Marines. ij pondit que ce temps étoit arrivé. C'eft ce qui rallatmoit érrangemenr. Quoi ! difoit elle , ce prince que je me figure fi aimable , eft donc ce monftre dont je fuis menacée ? Pourquoi fouhaitai-je de le voir ? Puis je douter que ce n'en foit un , après ce que 1'oracle vient de dire ? C'eft ainfi qu'elle s'entretenoit elle-même ; Sc déja elle avoit petdu 1'envie de retourner a la tour ténébreufe , quand elle fe trouva a la porte d'un temple. C'étoit celui de Morphée, a qui il étoit confacré. Un magnifique portique conduifoit a un veftibule tout de marbre & de porphire. De-la , on entroit dans le temple. Des parfums les plus doux brüloient inceffamment devant la ftatue de ce dieu , qui paroilfoit dans le fond couché , Sc s'appuyant Ia tête fur un bras. Des Hts de gazons, femés des plus belles fleurs , invitoient au repos; des pavots, feuls préfens qu'on offroit a ce dieu , couvroienr une table qui étoit au milieu du temple. II fuffifbit de lui en offrir, pour fentir dans le moment couler dans fes veines , une langueur a laquelle il n'étoit pas poffible de réfifter. On cédoit infenfiblement au fommeil qui fe répandoit fur les paupières, & alors , ce qu'on defiroit Je plus de favoir, fe peignoir en fonge. La princeffe préfenta des pavots a Morphée ; & dans 1'inftant, fentant fes genoux fe dérober fous eile, elle fe coucha fur un lit de gazon femé de violettes i 8c  i6 LePrince s'endormit en fouhaitant de voir le prince des Aigues marines. A peine le fommeil eut fermé fes yeux 3 que le dieu des fonges prenant la figure du prince des Aigues marines , fe préfenta a elle. La furprife de voir ce prince , fi différent du monftte qu'elle s'étoit imaginé, la réveilla dans 1'inftant. O dieux! sécria-t-elle, fe peut-il qu'un mortel foit plus aimable qu'on ne nous peint les dieux ? Elle croyoit encore rêver. Elle cherchoir ce prince dans le temple ; mais ce n'éroit qu'une ombre légere que le moindre vent & la moindre agitation diffipe. Elle étoit au défefpoir que ce fonge eüt paffé avec tant de vïteffe. Elle offrit de nouveaux pavots a Morphée. Ses regards languiffans attachés fixément fur fa frame , Ie prioient de lui rendre un fommeil fi doux; mais cette faveur ne s'accordoit qu'une fois. Ce fut en vain que fort cceurfe flattade 1'obtenir. Morphée, infenfiblea fes prières, s'endormit même en les écoutanr. Elle fortit de ce temple, brülant de 1'envie de revoir ce prince. L'amour étoit déja entré dans fon cceur. Elle n'étoit plus maitteffe d'elle; elle ne fongeoit plus qu'au ptince des Aigues marines ; elle ne fuivoit plus dans la forêt de toute certaine; pleine de 1'idée charmante qu'elle pottoit dans fon cceur , elle laiffoit au hafard, a conduite fes pas. Elle fe trouva , fans y penfer s ai*  bes Aigues Marines, 27 bord de la mer, & danslemême lieu oüellc avoit lailTé la barque qui 1'avoit ramenée de la tour iénébreufe. Son premier mouvement fut de s'embarquer pour aller engager le prince des Aigues marines , a venir a la cour du roi fon père. Elle entra donc dans cette barque, & fuivant un cable qui, du rivage, étoit attaché a Ia tour ténébreufe, elle arriva au pied de cette tour. Elle entendit Ia voix du prince des Aigues marines qui faifoit rer tentit les rochers de ces chants : O mer ! dont les tranquiles flots Viennent, en gémilfant, mourir fur ce rivage, Le moindre vent, le moindre orage SufSc pour troublcr ton repos. Au milieu des éclairs & du bruic du tonnerrc , Tout a coup tes flots furieux Semblent vouloir ouvrir la terre, Et tantót inonder les deux. Ainfi lorfquc moins on y penfe, L'amour ^ient de nos cceuts troublcr la donce paix. Le cruel, d'un feul de fes traits , En bannir l'heuicufe innocence. Mais tes mugilfemens , qui font trembler l:s airs, La fureur dont le vent s'agice , O mer ! font autre tSchoient d'adouCtr la rigueur de fa prifon. Mais hélas ! en effayant de lui rendre le repos , la princeffe de Rfe de la nuit perdoit le fien. Elle aimoit avec une violence qu'elle ne pouvoit plus retenir; elle fe cachoit au fond des bois, pour le pouvoir dire aux échos ; fes paroles étoient enttecoupées & n'avoient quelquefois aucun fens; fes yeux étoient plems d'un feu fombre; fon teint n'avoit plus cet écht vif & brillant; fa beauté étoit prefque affacée ; i peine y pouvoit-on reconnokre Ia priricèrfe de 1'iie de la Nuit. Enfin, elle ne put plu's réfftféf. II fallut avouer a fon vainqueur qu'elle I'aimoit EHe s embarqua pour la tour ténébreufe Son ccenr trembloit a mefure qu'elle en approchoit. Elle n y fut pas fi ér atrivée , qu'elle appela Ie pnnce des Aigues marines. Ce prince, qui avoic accoutumé de répondre au moindre ficmal ne paroifïant point, la princeffe commenca i 'fré nur. Elle 1'appela plufieurs fois, mais ce fut inunlement Comme on ne pouvoit monter dans la tour fans echelle , elle retourna dans 1%. & ayant commandé a une de fes efclaves d'en 'ap potter une, elle retourna dans h tour, y mon:a  LePrincè elle-même , paree qu'elle en connoifloït jufqu'aiï moindre détour. Hélas ! elle ne chercha pas longtemps. A peine fut-elle montée fur 1'efplanade , qu'elle fentit quelque chofe a. fes pieds. Elle fe baiffa , & trouva un corps fans mouvement, Sc plus froid que le marbre. Elle ne douta point qua ce ne fur le prince des Aigues marines. O dieux ! mon amant eft mort, s'écria-r-clle. Un totrenr de larmes fortit auffi-tót de fes yeux, & fes foupirs lui ótètent entièrement Ia parole. II fallur ce« pendant s'arracher d'auprès de cecadavre , qu'elle fit emporter par 1'efclave, & lui fit élever un rombeau magnifique au milieu d'un bois de ciprès qui donnoit fur le bord de Ia mer. Elle fit conftruire un bucher de bois de cèdre, oü ce corps fut confumé. Elle-mème en ramaffa les cendres, qu'elle mit dans une urne faite d'une feule éméraude, Sc 1'urne fut enfermée dans le tombeau. La rombe étoit de marbre noir; quatre ftatues de bronze en ornoient les quatre coins •, Sc fur le devant étoient gravé en lettres d'or : lei git li malheureux Prince des Aigues marinfs. Prince qu'une fee ennemie Condamna pour jamais au plus affreux tourment, A qui te voyoit un moment La lumière des cieux étoit foudain ravie * Mais pour te voir, cher amant , Hélas 1 je do-nncrois ma vie. G'étok  bis Aigues Marines.' $lj C etoitaux piés de cë tombeau que la princeffe de 1'ile de la Nuit paffoit tous les momens qu elle pouvoit déróbef aux hommages de fa cour. Elle ne craignoit plus d'avouer l'amour qu'elle avoit pour le prince des Aigues marines; elle en entretenoit les ruiffeaux Sc les fontaines; fes foupirs Sc fes regrets troubloiënt le filence des bois; Elle croyóit que ce prince n'étoit plus. Larmes inutiles, foupirs fupetnus! Ce prince vivoit encore. Des pirates, qui favoierit que le roi de 1'ile de la Nuit avoit enfermé la princeffe fa fille dans une tour au milieu de la met, attirés par 1'efpérance d'une rancon confidérable , étoient venus pour 1'enlever ; mais au lieü de cette princeffe, ils avoient trouvé le prince des Aigues marines * qui, malgré fa réfiftance , fut cohtraint de céder aux efforts & au nombrë de ces barbares. II avoit étranglé le prémier qui avoit ofé 1'attaquer; mais s'étant tous jetés fur lui, ils Ie faiïirent & 1'attachèrent au mat de leur navire , Sc firent voile auffi-töt. C'eft ainfi qu'il fut contraint de quitter ces lieux 4 oü il avoit le plaifir d'entretenir fouvent fa princeffe. Ces pirates ne furent pas Iöng-temps fans être punis de leur témétité; cat a peine eutent-ils paffe cette zone obfcute qui entoutoit l'ile de la Nuit j qu'aux ptemiets rayons du foleil, ils tombèrent tous morts en appercevant le prince des Aigues Tomc XXIF* C  34 LePrince marines. Ce prince n'en étoit pas cependant moins a plaindre. Il étoit lié au mat du navire, & sur de périr de faim , ne pouvant être fecouru d'aucun mortel, puifque celui qui 1'auroit appercu , devoit mourir en le voyant. Les vents & les flots conduifoient a leur gré fon vailfeau. Enfin , il donna contre un banc de fable oü il échoua. Un rocher affreux s'élevoit fur ee banc , & portoic fon front jufqu aux cieux. La , il attendoit la mort , qu'il croyoit ne pouvoir plus éviter. Le fouvenir de la princeffe de 1'ïle de la Nuit 1'occupoit toujours malgré les horreurs du trépas qu'il fentoit approcher de moment en moment. Déja fa langueur extréme lui avoit óté la lumière ) il ne voyoir plus , & fa foibleffe augmentant toujours , il refta fans aucun mouvement. Son évanouiffement fut long \ il en revint cependant. Mais quelle fut fa furprife quand il fe trouva a fon réveil, dans une prairie'. II étoit encore fi foible, qu'il neut pas la force de fe lever. II cherchoit en vain a pénétrer comment il avoit pu fe trouver dans ces lieux , quand il vit venir a lui une perfonne qui portoit une corbeille pleine de fruits. Elle s'approcha de lui, & lui paria ainfi : Tachez , prince malheureux , de prolonger des jours que les dieux protègent malgré la cruauré de la fée Noirjabarbe. A ce funeffe nom, le prince des Aigues marines penfa retomber dans fa foibleffe j  des Aigues M a m n e s. j $ iiiais certe inconnue continuant de lui parler; je fuis fée, lui dit-elle , & je fais rha demeure dans ce rocher , proche duquel votre vailfeau échoua. Je vous appercus du haut de ce rocher, oü je me promenois ce jour la ; & ayant eu pitié de 1'état ou vous étiez, je vons en retirai pour vous conduite dans ces lieux. Mon art de fée m'apprend tous vos malheurs. Je fais vos plus fecretes penfées. Je fais que vous aimez une princeffe dont le fort vous interdit la vue , de crainte de lui donner la mort; mais je fais auffi qu'il viendra un jour oü vos malheurs finiront. Cette efpérance acheva de ranimer les forces du prince des Aigues marines. Il fe leva , & fe jeta aux genoux de fa libétatrice. Levez-vous, prince, lui dir la fée ; vous ne pouvez refter icï plus d'un jour, & j'ai bien des chofes a vous y faire voir. Auffi-tót ils gagnèrent enfemble un grand bois qui bordoit la prairie, & qui les conduifit a une porte d'airain d'une épauTeur prodigieufe. A mefure que le prince des Aigues marines s'avancoit, il entendoit des cris & des hur» lemens horribles. Quand il fur a cette porte d'airain , il y Ipt cette infctiption. LE PALAIS VENGEUR DE L'AMOUR. '' La & toucha de fa baguette cette porte , qui s'ouvrit d'elle-même. Le prince entra dans un Gij  }4 LePrinck large efpace tout ferme de grilles de fer, & tout encouré de fontaines plus claires que le criftal. La, un nombre infini de princes & de princeffes, qui paroiffoient regarder attentivemenr dans ces eaux , poufloient des cris épouvantables , Sc ne pouvoient cependant s'arracher d'auprès de ces fontaines, qui fembloient être la fource de leurs maux» Le prince des Aigues mannes en demanda Ia raifon a la fée. C'eft ici, lui répondit-elle , oü l'amour punit les amans. Les infidèles voyenc fans ceffe , dans ces fontaines, le nouvel objec de leurs amours dans les bras d'un autre; fans ceffe ils leur paroiffent heureux , &c toujours infulter a leurs malheurs. Le regret qu'elles ont d'avoir quitté leurs amans , avec qui elles vivoient dans un bonheur qu'un amour réciproque augmente, Sc dont on peut s'affurer, & le défefpoir de fe voir méprifées par ces mêmes amans , pour qui elles ont tout quitté , fait & fera éternellement leur fupplice. Les jaloux y voyent inceffamment tout ce qui peut augmenter leur jaloufie. Les inconftans ceffent de 1'êtte ; mais ils fe voyent eux-mêmes indignement trahis. Enfin, chaque amant y trouve une peine proportionnée a fes crimes, ces peines feront éternelles. Parmi ce grand nombre de malheureux , Ie prince des Aigues marines remarqua une prinr;  css Aigues Marines. 37 ceffè qui paroiffoit plus affligée que toutes les autres. Elle s'arrachoit les cheveux , qui étoient du plus beau blond du monde ; elle meurtsiffoitfes joues , qu'une couleur plus vive que n'effc Ja rofe au matin coloroit \ elle frappoic fon fein , qui auroit fait honte a la blancheur de 1'albarre , & a la dureté du marbre ; enfin , fa douleur étoit fi grande , que le prince pria la fée de lui dire quelle éroit cette princefle. C'eft la princeffe dé 1'ile des Graces, répondit la fée. Elle aimoit un prince , qu'elle avoit engagé dans fes chaines par fes attraits & fes faux fermens. Ses regards féduifans & fes difcour-s fiatteurs avoient allumé dans le cceur de ce prince la plus violenre paffion, II s'éroit abandonné tout entiet a ce poifon funefte. Charmé de fes nouvelles amours , il paffoit tous les momens dans les bras de cette prin-ceffe. Ils vivoient alors conrens , paree qu'ils s'aimoient d'une tendrefte égale ; mais dans le temp* qu'elle juroir a. ce prince une fidélité fincère & éternelle, dans le tems que de fi tendres fermens augmentoient encore l'amour de ce prince infortuné, la perfide écouta un autre- amant, & Int donna fon coeur. Les larmes, les plaintes » les. foupirs , les reproches, le défefpoir, & enfin , la tendrefie de ce prince n'ayant pu la regagner , il en mouruï de douleur après avoir fait graver fur £entombeau ces vers pour une marqué éternslle G iij  }t LePrincb de fa tendreffe , & de la perfidie de ia princeffe i Tout mc trahit, ma princeffe infidelle , Malgré tous fes fermens, me change en moins d'un jout Dieux ! a quel choix me réduit-elle ï De perdre, hélas! la vie ou mon amour. ei Ah ! c'en eft fait, fa perfidie éclate , le tems change fon cceur fans changer fes appas. Mais j'aime encore aflez 1'ingrate , Pour m'en venger par un noble trépas. Ce prince en mourant, laiffa a. l'amour le foin de le venger ; & ce dieu redoutable, touché de fes malheurs , livra cette princeffe a la plus fenfible douleur. Le prince des Aigues marines ne laiffa pas de plaindre la princeffe de 1'ile des Graces, car elle étoit belle , & il ne lui manquoit qu'un cceur fidelle pour être digne de l'amour des dieux mêmes» Je ne crains point tous ces tourmens , dit le prince a la fée qui le conduifoit , puifque j'ai— merai jufqu'au tombeau la ptincefle de 1'ile de la Nuit. II fortit alots de ce lieu terrible. La fée le reconduifit fur le rocher , proche duquel fon navire avoit échoué. C'eft a moi , lui dic-elle, que l'amour a confié le foin de récompenfer les amans fldèles, &c de punir !es inconftans. Je ne puis vous affranchir de la peine oü la fée Noir-  des Aigues Marines. 0 •jabarbe vous a condamné; mais cette baguette que je vous donne , faura vous délivcer de bien des malheurs oü vous fuccomberiez fans elle. Elle a le pouvoir d'affoupir ceux qui en font touchés. Vous n'aurez qua la tourner trois fois, & le fommeil aufli-tót, attentif a vos ordres, fermera les yeux de ceux que vous voudrez endotmir; 8c la retournant a contre fens, il fuira de leurs paupières avec autant de promptitude qu'il s'en fera emparé. Par ce moyen votre vue, fi fatale au refte des hommes , ceffera de 1'être quand vous le voudrez, puifqu'ils ne doivent périr qu'-en vous regardant. Mais ce n'eft pas tout; ce vaiffeau , fur lequel vous avez échoué , foumis a vos ordres , vous conduira roujours oü vous lui commanderezd'aller.Partezprince,&fidèleal'amour,fouvenez-vous que ce dieu n'abandonne jamais les ccEiirs vraiment attachés a fon empire. Comme le prince des Aigues marines n'étoit occupé que de la princeffe de 1'ïle de la Nuit, il commanda a fon vaiiTeau de le remener dans la tour ténébreufe , oü malgré 1'horreur des ténèbres étemelles qui 1'environnent', il avoit du moins le. plaifir d'entretenir la princeffe. Il aborda a cette tour , 8c fe rejetant auffi-tót a la mer , il gagna a la nage une forèr qui donnoit fur le rivage de 1'ïle de Ia Nuit. II fe gliffa de buiffon en buiflon, jufques dans un endroit oü il appetcut Civ  4& L E P R I K C E un tombeau, fur lequel il lut cetce infcription i ld git k malheureux Prince des Aigues Marines. II ne favoit que penfer de ce qu'il voyoit, Si il étoit plongé dans une ptofonde rêverie , quand un bruit qu'il entendit, 1'obligea a fe cacher dans un endroit d'oü il ne pouvoit être appercu de perfonne. Ce bruit augmentoit a mefure que le char fur lequel étoit affife la princeffe même, apptochoit. II la reconnut pout la même perfonne dont il avoit le pottrair. Eile mir pied a terre * Sc s'approchant de ce tombeau , elle 1'embraffa de fes beaux bras, & le baigna de fes larmes. Le prince des Aigues marines attribua a foa abfence 1'idée qu'on s'étoit formée de fa morï. Caché dans 1'endroit le plus épais de la forêt , il obfervoit la princeffe de 1 ile de la Nuit. Sa joie étoit extreme, de voir qu'elle reffembloit jufques dans lë moindre trait,' au modèle qu'il en portoit. II fe relTbuvint alors de ce que le ma-, gicien lui avoit dit, qu'il ne verroit Ia princeffe dont il avoit le pottrait, qu'au pied du tombeau qu'elle 1 ui autoit dreffé. Non - feulement il la voyoit, mais il étoit petfuadé d'en êtte aimé. II ne-fut jamais fi fenfible a la peine a laquelle la fée Noirjabatbe l'avoit condamné. II fe feroit volonwers jetté aux genoux de fa princeffe, fi le péril affteux oü il 1'atroit expofée, ne 1'en avoit era-  d z s Aigues Marines." '4Ï pêché. II ofoit a peine foupirer. II craignoit que le moindre bruit ne 1'obligeat a tourner la tête. Quelle fituation pour un amant! voir ce qu'il aimoit, trouver ce qu'il cherchoit depuis un fi longtemps , & trembler decrainte den être appercu, quel fupplice ! II ne favoit comment lui annoncer fon retour. D'ailleurs , la douleur de la princeffe augmentoit encore la fienne. II la voyoit fondante en larmes , & ne pouvant s'arrac.her d'auprès de fon tombeau. II fe fouvint alors de la baguette enchantée que la fée lui avoit donnée. II ne manqua pas une fi belle occafion de s'en fervir pour afloupir la princeffe, & profitant de ce moment, il écrivit ces vets au bas du tombeau. Toujours fidelle, & tcmjours malheureufe, Mon ombre vient encore partager vos douleurs. Allez a la Tour ténébreufe , J'y mettrai fin a vos malheurs. Le prince des Aigues mannes, charmé du plaifir de voir la princefTe qu'il adoroit, en contemploit les appas ; mais fon cceur ttembloit, paree qu'il ne fe tenoit pas encore tout-a-fait afluté de la vettu de fa baguette. C'eft pourquoi il s'arracha d'auprès de fa princeffe, après Ta voir tirée de fon enchantement; & regagnant auffi-tot le botd de la mer , il retourna dans la tout ténébreufe , fgité des plus vifs tourmens de ramour.  42 Le Prince A peine 1'aurore avoit commencé d'éclairer le refte de 1'univers , que la princeffe de 1'ile de la Nuit fortit de fon palais , & fe rendit au tombeau fuppofé du prince des Aigues marines. Elle y tót ce qu'il y avoit éctit. Son cceur s'émut de joie en penfant qu'elle entretiendroit encore fon cher amant; Sc pleine d'impatience , elle vola avec vïteffe au bord de la mer , s'embarqua , Sc arriva au pied de la tout ténébreufe. Le prince des Aigues marines entendoit avec joie le bruit que faifoit cette barque en fendant les eaux , Sc qui s'approchoit de lui de plus en plus. A fon arrivée ils s'entretintent long-temps enfemble. La princeiïe de 1'ïle de la Nuit, qui ctoyoit parler a une ombre , ne craignit point de lui laiffer voir le fond de fon cceur. Elle lui découvrit route fa tendreffe, Sc lui fit connoïtre a. découvert la douleur exrrême qu'elle avoit de fa mort. Le prince des Aigues marines ne put diffimuler plus long-temps. 11 lui conta fes aventures, comment il avoit été enlevé de la tour ténébreufe par des pirates, aux efforts & a la multitude defquels il avoit été obligé de céder, après avoir tué celui dont elle avoit honoré le cadavre d'un iï magnifique tombeau. Il lui raconta le rifque qu'il avoit couru de périr de faim pendant qu'il étoit lié au mat de fon navire , Sc comment une fée 1'avoit tiré de cet état fi dangereux. II n'en fut  bes Aigues Marines. 43 encore que plas clier d la princeffe de File de la Nuit. Cetou pour elle qu'il avoit couru tant de dangers. Pouvoit-elle les moins payer que par toure la tendreffe. dont fon cceur étoit capable ? Auffi fe jurèrent-ils , en fe féparanr, une fidélité éternelle. La princeffe s'arracha d Ia fin de ce féj'our , & retourna dans fon palais , charmée d'avoir recouvré fon amant. II ne fe paffoit point de jour qu'elle ne revint d la tour ténébreufe. Ils étoient Pon & 1'autre auffi heureux qu'on ie peut être. Ils s'aimoient d'une tendreffe égale lis paffoient les jours d s'entretenir enfemblé! L'efpérance que la fée avoit donnée au prince des Aigues marines, que fes malheurs finiroient un jour, adouciffoit le chagrin cruel de ne point voir ce qu'il aimoit. Sa tendreffe , celle de la princeffe de 1'ile de la Nuit lui renoit lieu de tout; mais le deffm ■ trop jaloux du bonheur des hommes , ne pur les laiffer plus long-temps heureux, & il leur réfervoit encore de plus afTreux malheurs. jour que la princeffe de 1'ile de la Nuit s'étoit embatquée fur cette petite barque dont elle fe fervoit pour aller d la tour ténébreufe , la mer groffir en fi peu de remps, que la princeffe ne put regagner fon ïle , ni aborder d la tour. Une vague qui donna contre fa barque Ia fit tourner.EUe pouffa alors un cri horrible, qui  44 LePhincï fut entendu du prince des Aigues marines, lequel ne doutant point que la princeffe n'eur fait naufrage , fe jeta auui-tot a la mer ; mais il oublia fa baguette enchaniée , paree que dans cet inftanr, fon efprir ne fur occupé que du danger ou fe trouvoit 1'unique objet de fes amours. il nagea long-temps aux cris de la princelfe que les flots & les vents pouffoient en pleine mer. Enfin> ne I'entendant plus, il crut qu'elle étoit périe. Jugez de la douleur de ce malheureux. amant. IL s'efforcoit de nager , & il étoit prefque épuifé , quand il la vit revenir fur la mer, mais fans mouvement, & comme une perfonne morte. II la faifit, & tacha de gagner la plus proche desdeux ïles qu'il appercur. II trembloit qu'elle ne revirrt de fon évanouiffement. Elle étoit perdue fans reffource fi elle en étoit revenue;. & pour furcroit de douleur, X peine 1'eut-il jetée fur le rivage , qu'il fut obligé de s'en éloigner, paree qu'il craignoit qu'elle n'ouvrit les yeux. II n'ofoit la fecourir lui-même. Elle eut péri s'il 1'eut tirée de cet état& du moins fe flattoit-il que quelqu'un poutroit lui donnet du fecours. 11 fe retira done dans une grotte qui donnoit fur le rivage , d'oü il pouvoit tout voit fans être appercu. A peine y fut-il entré „ qu'il vit fortir d'un bois un géanï d'une figure énorme qui , s'approchant du bord de la mer, appercuc la princelfe de file de la  des Aigues Marines. 4$ Nuit évanouie. ïl laconlïdéra quelque temps, Sc mant auffi-röt un cimetère qui pendoit i fon cêté , Sc la faifiirant par fes longs cheveux qu'il entottilla aurour de fon bras ; il étoit prêt a lui trancher la tête , quand le cri que fit le prince des Aigues marines, qui s'avancoit vers le géanr, arrêta fon bras , Sc le for§a a tourner la tête ; mais fi-tót que le géant 1'eüt appercu, il tomba mort. Cette ile étoit appelée 111e des géans, lieu terrible oü il étoit abfolumenrordonné de maffacrer tous ceux que le hafard oü le naufrage y jetoienr. Le prince des Aigues marines reprit alors la princeffe , & fe rejeranr a la mer , il gagna une autre ïle qui n'étoit pas fort éloigiaée; il la pofa fur 1'herbe qui couvroit le rivage , Sc fe retira dans une forêt prochaine. A peine y fut-il, que le roi de cette ïle , qui fe divertiffoit a la chaffe, fur conduir par le hafard, au même endroit oü le prince des Aigues marines avoit laiffé la princeffe. Sa beauté , que fon évanouiffement n'avoit fait qu'altérer, le frappa. 11 mir auffi-tot pied a tetre, appela fes gens , & fit dans 1'inftant ttanfporter la princeffe dans fon palais. Le prince des Aigues marines la fuivit long-temps des yeux , mais il n'ofoit paroïtre. II ne fortit de la forêr que lorfqu'il les eut entièrement perdus de vue. II déplora fon fort, d'être forcé de fuir ce qu'il aimoit,  Af6 Le Prince avec aurant de foin que les autres amans eil prennent a chercher ce qu'ils aiment. Sa vue étoit trop dangereufe pour lui permettre de refter long-temps dans cette ile. 11 regagna la tour ténébreufe , réfolu d'y revenir avec fa baguette enchantée , Sc de délivrer fa princeffe. A peine fut-il arrivé a fon féjour ordinaire » qu'il s'éleva une tempête affreufe qui dura plufieurs jours , durant lefquels il lui fut abfolument impcflïble de fe remettre en mer. Enfin elle cefTa , Sc il monta auffi-tót dans le vaiffeau que la fée lui avoit donné. II lui commanda de voguer a 1'ile oü il avoit lailfé la princelfe de 1'ile de la Nuit. Il y aborda , Sc tournant trois fois fa baguette, il endormit toute 1'ile. Alors s'avancant avec confiance, il parcourut tout le palais du roi fans trouver la princeffe. 11 vit ce roi qui paroiffoit donner quelques ordres dans le moment qu'il 1'avoit enchanté. 11 defcendit dans les jardins y les traverfa , Sc arriva a 1'autre rivage de la mer, oü il vit une tour. II s'en approcha. Elle étoit entourée de grilles de fer. Unechambre fort obfcure , Sc qui ne recevoit du jour que par une fenêtre baffe qui étoit grillée , occupoit tout le bas de cette tour. II y en avoit une pareille audeffus, Sc le haut de la tour étoit deftiné pour des gardes qui y veilloient jour Sc nuit. Le prince des Aigues marines s'en approcha; il regarda par Ia  ©es Aigues Marines. 47 fenêtre cette chambre bafTe. O dieux ! quelle fut fa furprife, quand il vit fa princeffe! Sa tête étoit négligemment appuyée fut fon btas j fes yeux étoient baignés de larmes, & elle paroiffoit être plongée dans la plus affreufe douleur. Un fpeftacle fi fenfible pour le prince des Aigues marines , penfa lui arracher la vie. II ne favoit comment apprendre laraifon pour laquelle fa princeffe étoit enfermée dans cette tour, paree qu'il n'ofoit la réveiller. II ne trouva donc point d'autre moyen de le favoir, que de s'enfermer dans la chambre qui étoit au-deffus de celle oü étoit la princeffe. Elle étoit toute ouverte. C'eft auffi ce qu'il fit: & alots retournan t fa baguette a contrefens, il réveilla feule la princeffe de 1'ile de la Nuit, & 1'appela. Quelle fut Ia joie de cette princeffe quand elle entendit la voix de fon amant! Quel réveil, grands dieux! Elle croyoit que c'étoit encore un fonge. Elle courut cependant a la fenêtre de fa chambre , & elle reconnut bientót que ce n'étoit point une illufion , & que le prince des Aigues marines étoit dans la même tour qu'elle. Elle ne pouvoit cependant comprendre comment il avoit pu trouver le moyen d'y entrer. Elle étoit prête a le lui demander, quand le prince des Aigues marines la prévint. Quel barbare , quel cceur aflez inhumain peut retenir ma princeffe dans cette horrible captivité, s ecria-  48 L e Prince t-il! Hélas ! j'ignore comment j'ai été pouffée Fut ces bords , répondit la princeffe. J'allois pout vous voir a la tour ténébreufe , quand la tempêté brifa ma barque. Je m'évanouis, & ne revins de mon évanouiffement, que par les foins du roi qui règne dans cette ile. Je me trouvai dans fon palais, fans favoir comment j'y avois été tranfportée. Lui-mëme ne me put dire autre chofe , flnon qu'il m'avoit trouvée fur le rivage. Le prince des Aigues marines raconta alors a la princeffe , que c'étoit lui qui 1'avoit fauvée , & du naufrage , & de la fureur du géant. Mais pourquoi cette prifon , continua-t-il ? ma princeffe eft-elle criminelle ? Hélas! s'écria -1 - elle, tout mon cïime eft de vous trop aimer ; fidelle aux fermens que je vous ai faits de vous aimer jufqu'au tombeau, j'ai réfifté aux follicitations & aux menaces du toi de cette ile, qui vouloit partager fon empire avec moi, fi je voulois répondre a fort amour. Mais comme je n'ai point vöulu y confcnrir, ce cruel a cru m'y forcer en m'ótant pour jamais la liberté. Il m'a fait enfermer dans cette tout , qu'une fée a batie , & que lui feul a Ie pouvoir d'ouvrir. Ainfi, toutes les puiffances de 1'univers ne pourroient m'atracher d'entre les mains de ce batbare; mais je ne crains plus rien, puifque je puis encore entrerenir mon amant. Je ne crains que pour vous, répliqua le prince y quels  bes Aigues Marines. 49 qüels tourmens allez vous fouffrir , & cofnmenc vous cirer dece iéjour horrible ? Les pleurs réciproques de ces deux amans finirejif cet entretien j & Ie prince des Aigues marines ne voulant pas donner des foupcons a« roi de cette ile, le retira de fon affoilpifïemcnr. A peine en fut il délivré , qu'il courut i Ia tour oü étoit la princeffe de 1'ile de la Nuir. Surpris du fommeil qui 1'avoit faifi , il connut bien qu'une pui ff mee fupérieure combattoit pour elle. Cependant, quand il Ia revit dans les mêmes lieux oü il 1'avoit hiffée , fes foupcons fe calmèrent; Le plaifir de revoir ce qu'il aimoit, lui ota toute autre réflexicn. Il la preffa de nouveau dfe répondré a fes defirs, & la menaca, en cis de refus, de la faire enco' e fouffrir mille fois da/antage. Le ptince des Aigues marines èntendoit tous ces empörremens* Combien dé fois fut - il renté de paroitre , & de punir ce cruel, par Ia mort même des tourmens dont il rrienacoir la princeffe ? Mais que fèroiertt-ils devenus 1'un bc 1'autre ? La porte de cètte tour ne pouvoir jamais s'ouvrir que par Ia v'olonté de ce roi. H auroit fidlu , en s'abandonnant a la vengcance „ renoncer a la délivrance de Ia princeffe. L'amour I'empórta donc fur le courroux f & il différa de fe venger , jufqu'a ce qu'il eüt retiré la prijL ceile de 1'efclavage oü elle étoit. Tarnt XXIT, D  $* t ! P R 1 « é I Si-tot que le roi Teut quittée, le prince des Aigues marines endormit la garde , & prit des mefures avec la princeffe de file de la Nuit, pour la fauver. 11 fortit de cette tour , & retourna a la tour ténébreufe , oü le père de la princeffe , au défefpoirde la perte de fa fille , s'étoit rendu pour s'en confoler avec le prince des Aigues mannes. Ce fut dans ce temps-la qu'il inftruiiic le roi de tout ce qui lui étoit atrivé. II lui dit qu'il n'y avoit point d'autre moyen pour la délivrer , que de tacher de furprendre le roi qui la retenoit captive, de 1'emmener , & de le renir dans une ctroite prifon , jufqu'a ce qu'il eüt rendu la liberté a la princeffe. Le roi de 1'ile de la Nuit s'embarqua donc avec un petit nombre de gardes, fur le vaiffeau enchanté du prince des Aigues marines, qui les fant aux vents Sc aux flots a conduire leur barque , üs s'éloignètent infenfiblement de la tout ténébreufe. Déja ils commencoient a appercevoit les rayons du foleil, Sc charmés du plaifir de fe voir, Sc enivrés pour ainfi dire de joie, ils ne fong'Joient pas a gouverner leur barque , quand elle dcnna contre'un rocher , Sc s'ouvrit en deux. Le prince des Aigues marines faifit alors la princeffe, & nageant d'une main, & lafoutenantdel'autre, il aborda a un rivage qu'il reconnut pour file des fauvages, oü il avoit été jeté une autre fois par la tempête. Ils la trouvèrent déferce. II fit voir a fa princeffe tout ce peuple qui avoit péri en le regar-» danr. Le prince des Aigues marines en eut pitié , Sc propofa a la princeffe de 1'ile de la Nuit, de rendre la vie a tous ces malheureux , par le pou* voir de rendre la vie aux morts. La princeffe y ■confenrit volontiers. lis en arrosèrent tous les corps , qui fe ranimèrent auffi - tót ; "mais ils per* dirent leur férocité naturelle, & 'reconnnrent la prince 8c ia princeffe pour leurs légirimes fouverains, Ainfi , cette 51e qui étoit ci-deyant une Ile d horreur , devint en peu de temps policée. , & fut nommée 1'ile Fortunée,  57 LE PRINCE INVI'SIBLE, H IS T O I RE ■!«',.. . . . "—"»-"■"-'"m Un e fée , dont le pouvoir s'ctendoit fur Iss quatte élémens, eut quatre fils. Sa tendteffe pour eux 1'engagea a leur partager fon empire. Elle donna a 1'ainé celui du feu , comme le plus noble de tous les élémens. C'étoit un prince agiffant, vif, & d'une imagination brillante. Eüe fit fon fecond fils fouverain de la terre. Un fonds de fageffe & de prudence récompenfoir le peu de vivacité qu'on voyoit en lui. Le ttoifième étoit d'une grandeur monftrueufe , barbare , fauvage ; auffi la fée fa mère , pour cacher aux yeux des mortels tant de défauts, fat donna 1'empire des mers. Le dernier de tous eut celui des airs. il étoit d'une humeur inégale , un peu emporté, &c fe laiffant aifément eiitramer a fes paffions. Sa mère , qui 1'aimoit tendrement, prévoyant que l'amour le rendroit malheureux, l'éleva dans  jÜ Le Prince une horreur pour les femmes, qu'elle voyoit avec plaifir augmenter avec 1'age. Elle nel'enrretint pendant fapremièrejeunefTe, que d'hiftoires de princes dont l'amour feul avoit caufé les malheurs. Elle lui dépeignoitce dieu avec des couleurs fi noires, que ce prince n'eut pas de peine a fe laiffer convaincre que fa flamme ctoit le poifon des cceurs. Craignez, mon fils , lui difoit-eile , craignezles douceurs flatteufes de l'amour ; il ne féduit nos cceurs que pour les rendre malheureux ; fes moindres plaifirs empoifonnent le refte de la vie ; & fi fes flêches acérées ne portent pas le trépas dans une ame , elles y portent du moins 1'oifiveté & la molleue, plus a craindre encore que la mort. Tels étoient les confeils de cette fage mère , qui infpira en même temps au jeune prince une fi forre inclination pour la chaffe, qu'il y paffbit les plus beaux jours de fa vie. Elle fit même planter pour lui une forêt d'une étendue prodigieufe, qu'elle peupla de tous les animaux qu'on trouve dans les quatte parties du monde. Elle lui cleva au milieu de cette forêt un palais d'une magnificence que rien ne pouvoit égalet ; & les defirs de ce jeune prince eulfent été fatisfaits , s'ils enffent été botnés aux charmes d'une demeure délicieufe. Le jeune prince s'occupa d'abord du plaifir de  Invisible. )9 faire Ia guerre aux habitans de cette forêt. Quelquefois montant un char attelé de quatre courfiers qu'il conduifoit lui-même, il joignoit a la courfe,des cerfs qui fuyoient tremblans devanr lui. Tantot le pieu a la main, il fe faifoii un plaifir de Iutter contre un fanglier furieux , dont le poil hérilfé , les yeux étincelans , Sc la gueule écumante , auroient épouvanté les plus hardis mortels. II n'y avoit point de jours qu'il ne donnat des preuves de fon adrelte ou de fa force ; Sc les louanges que lui donnoir fa mère , finiffoiene toujours par quelque plainte contre l'amour. Mais elle eut beau lui parler mal de ce dieu , on ne peut forcer Ia nature. Le cceur de ce prince défapprouvoit en fecret tous les difcours que lui tenoit la fée ; & quoique cette tendre mère , en le qüittant pour quelques affaires qui la demandoient ailleurs, lui eut très-expreffément recommandé de ne point fortir de fon palais, paree qu'elle prévoyoit les malheurs qui lui en pourroient arriver, il ne put s'empêcher de lui défobéir. Le prince abandonné a lui-même oublia bienrot les fages confeils de fa mère ; Sc 1'ennui Is gagnant infenfiblement, il fe fit un jour tranfporter par les efprits aëriens , dans la cour d'un prince de fes voifins. Ce fut dans 1'ile des Rofes, cümat heureux? ou 1'hiver n'étend point fa puif-  6o LePrince fance. La , les gafons font toujours verts > les rofiers toujours fleuris parfument 1'air d'une odeur charmante , &c ptéfentent fans ceffe aux yeux, 1'image riante du printems. Le premier coupd'ceil arrêta quelque tems le prince des génies. Cette mer fpacieufe, dont les vagues venoient moutir fur le rivage , & fe brifer avec bruit contre les rochers , 1'éronna \ les épis dorés qui couvroient la campagne , & les raifins dont les collines étoient chargées , furent autant d'objets dont la nouveauté le furprit. Le roi de cette ile avoit pour fille , une princeffe d'une beauté fans égale. On la nommoit Rozalie. Le prince des génies ne 1'eütpas plutót vue, qu'il ne fe fouvint plus des malheurs qu'on lui avoit prédits. II perdit en un moment cette horreur pour l'amour, qu'on lui avoit infpiréeprefque en naiffant. Hélas ! il ne faut qu'un inftant a ce dieu , pour renverfer des projets de vingt années. Un prince comme lui ne foupira pas long-rems, fans fonger aux moyens de fe rendre heurenx. Il n'en imagina point de plus court, que de faire enlever Rozalie dans fon palais , par fes génies. Quelle fut la dou'eur du roi , que la beauté & la fageffe de fa fille confoloient de n'avoir eu qu'elle'. II en gcmiffoit nuit & jour; fa perte lui étoit toujours préfente ; il n'avoit plus d'autre  I N V I S I B t E. gt Plaifir LePrince de cette allée. II fentit dans fon cceuren Ie voyant, un tranfport fecret, qui fut pour lui un préfage que c'étoit le féjour de Rozalie. C'étoit la feule joie qu'il avoit reffentie depuis fon enlevement. II arriva a la porte de ce palais, qui étoit faite d'une feule agate. II paffa trois cours , que de larges foflés d'une eau vive & pure entouroient. Le bord étoit revêtu d'une baluftrade k hauteur d'appui, toute de diamans btillans, avec des tablettes de rubis. Les oifeaux les plus rares fe promenoient fur le bord des canaux j d'autres étoient perchés fur la baluftrade, &c d'autres fur le toit du palais , qui étoit de criftal de roche, & d'une atchiteéture magnifique. Un falon , orné de pilaftres d'émeraudes cannelées , conduifoit a des jardins en terraffe qui donnoient fur des prairies a perte de vue. Des jets d'eau d'une hauteur prodigieufe embelliffbient encore ce féjour enchanté, & des platebandes de fleurs les plus recherchées parfumoient 1'ait des plus délicieufes odeurs. La magnificence de ces lieux , oü h nature &C 1'art fembloient s'être épuifés , n'arrêra pas un moment le prince invifible. II ne penfoit qu'a fa princeffe ; il ne cherchoit qu'elle; il ne la trouvoit point dans ce palais; quel charme pouvoit-il y avoir pour lui ? En vain il rvoit traverfé les falies Sc les cabinets, en vain il en avoit déja  ÏnVisible. £7 païxouru prefque tous les jardins, il öe lui refbit plus a vóir qu'un bofquet. II entra en tremblant, dans une allée bordée de ftatues de bronze ; enrre chaque ftatue étoit une nappe d'eau. Cette allée le conduifit a une falie d'otangers plus hauts Sc plus gros que nos plus gros maronniers ; aux coins de cette falie étoient quatre cabinets. Il ne trouva dans le premier, qu'un baffin de jafpe : du milieu fortoit une figure d'or, repréfenrant le ferpent Pithon qui , par la gueule , les yeux Sc les oreilles , fembloit vouloir encore obf^ curcir le foleil. Dans Ie fecond, au milieu d'un baffin d'émeraudes, 1'on voyoit un Êole de bronze enrouré de vents , qu'il venoit de déchainer , inonder la rerre d'un torrent de pluie. Dans le troifième s'élevoir, du centre d'un baffin de ropaze, un rocher de marbre blanc, d'oü fortoit une gerbe d'eau d'une groffeur prodigieufe. Au pied de ce rocher, 1'on voyoit une Ariadne en pleurs; de fes yeux fortoient goute a goute des larmes qu'on auroit cru naturelles , fi quelques foupirs les euffent accompagnées. II ne lui ref4 tob plus a. voir qu'un cabinet , dont le baffin étoit de. rubis, Sc les ffatues de marbre noir. C'étoit un Memnon, dont les foldats pleuroienS Ia mort, II étoit étendu au pied d'un rrophée d'armes , d'oü fortoient mille jets-d'eau. Quelles furent la furprife Sc la joie du prince Eij  Mais vous n'ttes pas feule a plaindre , U eft encore quelqu'un plus malheureux cjuc vous? E iij  7o LePrince Qui que vous foyez, répondit Rozalie,, génie favorable , car je ne doute point que vous n'en foyez un , que 'mes chagrins rendent fenfible aux maux que Je fouffre , qui que vous foyez ; hélas ï quel malheur pour vous rendre plus a plaindre que moi ? La même plume traca a finftant fur le même papier cette réponfe : Vous fouffrez des maux rigoureux ; Mais pour moi , ma peine eft extreme ; Votre fort eft cruel, & Ie mien eft affreux ; Vous n'aimez point, Sc je vous aime. Vous m'aimez , s'écria la princeffe, ah! puiffe votre amour vous rendre encore cent fois plu* malheureux; car fans doute vous êtes un ftijee du prince qui me retient ici captive ; peut - être ètes-vous ce prince lui-mème. Oui, puiffe a jamais l'amour me venger des maux que je fouffre ici. Le prince invifible fut charmé de voir ï'élotgnement que Rozalie avoit pout le prince des génies. C'eft toujours un plaifir pour un amant malheureux , de voir fon rival maltraité. Cependant , la princeffe ne put s'empêchet de jeter quelques larmes. Hélas I dit - elle en foupirant, quene favez-vous letat déplotable ou je fuis ï votre valeur vous feroit affronrer tous les mal-  InYISIBLE» yt heurs pour men délivrer; mais vousignorez mes maux , & le plus grand de tous pour moi, eft de ne vous point voir. Le prince Invifible frémir a ces mots. II connut aux larmes de la belle Rozalie , qu'il avoit un rival aimé. Quelle fut fa douleur ! Auffi ce ne fut qu'en tremblant qu'il écrivit ce qui fuit: Confiez-vous a moi , princefTe , Je jure par ce même amour , Dont 1'aveu trop tendre vous blelfe j De vous tirer de cc féjour. Mais fi Ia libertc pour vous a tant de charmes ; Pour prix de mes foins généreux , Nommez-moi le mortel hcureux Qui coüte a vos yeux tant de larmes. Que ne peut point fur nous le defïr de Ia liberté ? Quelque rifque qu'il y eüt pour la princefTe d'avouer qu'elle aimoit, cependant, après avoir combattu quelques tems, elle rompit le filence : Qu'exigez-vous de moi, dit- elle , 8c que ne devrois-je pas craindre d'une cenfidence pareille a celle que je vais vous faire ? Je prévois tous les malheurs qui m'en peuvent arriver ; mais vos fermens me raffurenr, & je ne faist quoi au fond de mon cceur m'arrache un aveil que je voudrois taire. J'étois un jour dans les jardins de mon père, Eiv  yi LePrincï entourée d'une nombreufe cour , & occupée da plaifir d'en recevoir 1'hommage, quand d'un bois qui bordoir un long canal , fur lequel je me promenois , fortit un jeune étranger , dont la grace Sc la beauté nous furprirent tous. II nous parut étonné a la vue de nos chaloupes dorées, Sc ornées de banderoles de fleurs. Il s'arrèta, & nous fuivit long-temps des yeux; mais enfin je le perdis de vue , & je fentis en le perdant, une inquiétude que je ne connoiffois pas encore. Je fus rêveufe tout le refte du jour , Sc ce ne fut que lorfque j'entrai dans 1'appartement de mon père , que je fortis de ma rêverie. J'y trouvai ce même étranger. Je rougis en le voyant, Sc je ne pus écouter fans trouble le récit qu'il faifoit a mon père de fes aventures. II ne voulut jamais fe découvrir. Je le voyois chaque jour, & chaque jour je fentois un nouveau plaifir a le voir. Je ne m'oppofai point a cet amour naiffant; je trouvois cet inconnu digne de naa tendrelle. Je crus remarquer dans fes regards, que je ne lui érois pas indifférente. Loin de m'en offenfer , ma paffion en augmenta pat le plaifir de fonger que j'étois aimée. Que je vivois heureufe ! Je voyois inceffamment ce que j'aimois. Poutquoi faut-il qu'un prince barbare m'en ait féparée ? Rozalie ne put retenir fes latmes , & te prince Invifible ne put refter plus long-temps caché. 11 öta auffi-  I N V I S I B I E. 73 tót la pierre , & fe jeta aux pieds de Rozalie. Jugez de leurs tranfports fecrets, Vous , jeunes cceurs, donr l'amour eft le maitre, C'eft pour vous feuls que ces plaifïrs fout faits j II faut aimer pour les connoitre. Après s'être long-temps entretenus enfemble de leur rendreffe , ils prirent des mefures pour fortir du palais du prince des génies ; mais Ia pierre qui rendoit invifible , ne pouvoit fervir qua une feule perfonne; & il falloit que le prince de 1'ïle d'Or, pour fauver Rozalie , s'exposat a toute Ia fureur du prince des génies. Cependant il n'héfita pas. Laiffez-moi, lui dit-il, lailfez-moi, ma princeffe , m'expofer feul au courroux du prince des génies , & fuyez de ces lieux pour jamais. Rozalie ne put s'y réfoudre. Non , prince, lui répondit-elle, ce féjour ne me paroïtplus affreux depuis que je peux vous y voir. Vous avez une fée qui vous protégé, & qui revient a toutes les faifons de 1'année a la cour du roi votre père. Voici le tems oü elle doit s'y rendre. Partez , prince , partez , & tachez d'obtenir d'elle une' pierre pareille a la vórre. II nous fera facile après de nous fauver enfemble. Le prince des génies étant deretour, le prince Invifible partït quelques jours après. II ne pouvoit déliyrer trop tót Rozalie. II fe hata de fe  74 LePrince rendre a Ia cour du roi de 1'ïle d'Or; mais les détours de la forêt 1'empêchant d'en forrir , il ne put arriver affez tót, & la fée y avoit déja paffe. Sa douleur fut extréme. C'étoit trois mois entiers que Rozalie avoit encore a fouffrir -y il en étoit mconfolable, cV déja même ii avoit réfolu de retourner au palais du prince des génies , pour y paffer ces rrois mois auprès de Rozalie , qumd en traverfant une allée qui donnoit fur le bord de la mer, oii il devoit s'embarquer , il vit un chêne monfèrueux s'enrr'ouvrir , & du creux de cet arbre , forrir deux princes qui s'entretenoient enfemble. Comme ils n'appercevoient pas le prince Invifible , ils ne craignirent point de parler haur, fe croyant feuls. Continuerez-vous toujours , difoit 1'un , a vous tourmenter d'une paffion que vous favez ne pouvoir jamais être heureufe, & n'avez-vous rien dans votre empire qui puiffe vous en confoler ? Que me fert-il, répondit 1'autre, d'être prince des Gnomes, & que ma mère fok fouveraine des quatre élémens , puifque je ne puis jamais être aimé de la princeffe Ar gentine ? II te fouvient du jour que nous nous promenions dans fes jardins, & que cachez derrière une paliffade épaiffe qui entoutoit une fontaine ornée de coquilles &z de rocailles , dont 1'onde formoit en ces lieux des bains auffi purs & auffi clairs que le criftal, nous vïmes Argen-  Invisible. 7$ tine, que la chaleur du jour obligeoir a venir chercher le frais dans ces bois que le foleil n'a jamais pu pénétrer, malgré fes ardeurs , 1'haleine des zéphirs y conferve en tout temps une fraicheur délicieufe ; elle s'affit fur un gazon émaillé de mille fleurs naiflantes qui bordoient cette fontaine, 8c le brillant &c le murmure de cette onde 1'invitant a s'y baigner, tu la vis comme moi s'y plonger. Son trouble paroifloic extreme ; Hontcufe de fe voir , quoique feule en ces lieux ; Toute nue expofée a la clarté des cieux , A peine , hélas! fur elle-même Ofoit-elle porter les yeux. De fes tréfors cachés mon ame, fut émue ; De fon fein quelle eft la fraicheur I De fes bras quelle eft la blancheur ! Non , Vénus même toute nue Auroit mille fois moins d'appas, It je jugeai par ceux qu'elle offrit a rna vue De tous ceux que je ne vis pas. Depuis ce moment je n'ai pas celfé de penfera elle. Son image me fuit nuit & jour. Je 1'aime, & je fuis certain , hélas ! qu'elle ne m'aimera jamais. Tu fais que j'ai dans mon palais les cabinets du tems ; que dans le premier, de grandes glacés nous repréfentent le paffé ; que dans le fecond le préfent fe peint a nos yeux , 6c qu'ag  7 Le Prince découvre 1'avenir dans le troifième \ ce fut dans ce dernier que je courus fi-töt que j'eus quitte Argentine \ mais, hélas! malgré toute ma tendreffe , je ne vis que mépris & que rigueur», Juge de mon amour Sc de mes malheurs , puifque malgré cette certitude je fens que je 1'aimerai toujours. Le prince de 1'üe d*Or, qui écoutoït leur converfarion, fut ravi de favoir que le prince Gnome aimoit Argentine. C'étoit fa fceur , 8c il efpéra de pouvoir obtenir par lui, du prince des génies , fon frère, Ia liberté de la princeffe de 1'i'e des Rofes. II auroit bien voulu pouvoir aller dans les cabinets du tems; mais Argentine ayant parit au bout de cette allee, le prince Gnome & fon conhdent rentrèrent dans leur arbre , & retournèrent dans leur royaume. Le prince Invifible remarqua 1'arbre , & fit tout ce qu'il put pout l'ouvrir ; il lui fut impoffible y il fermoit par un fecret qu'il ignoroit. Cependant, 1'envie de favoir fi Rozalie 1'aimoit encore , & fi elle 1'aimeroit toujours, 1'obligea a. différer fon départ de quelques jours. II s arrêta dans cette allée, fe. fiattant que Ie prince Gnome y reviendroit. Il ne fe trompa pas. Il le vit un jour ; Sc pendant qu'il s'entretenoit avec fon confident, le prince invifible entra dans 1'arbre qu'ik j n'avoient point refermé, 8c defcendit par un ef-  I N V I S I B t E. yj calier d'ébène & d'ivoire, qui Ie conduifit i une porte de cuivre rouge cifelé , qu'il ouvrir. II fe ttouva dans une galerie d'une longueur & d'une largeur furprenante. Elle étoit percée des deux cöcés; i;Un donnoit fur des jardins délicieux, & lautrefur un lac d perte de vue, tout revêmde marbre, & entouté d'une forêt. 11 s'avanca dans cetre galerie. Tous les meubles en étoient d'or & dargent maffif; on y voyoit les plus beaux vafes & les plus belles ftatues , & la corniehe «ou otnée des porcelaines les plus rares. Au bout de cette galerie , il y avoit une porte d'argent travaillé, au-deffus de laquelle le prince Invifible lut cette infcription : Ici de tous les tems eft 1'image fide|Ie; Ici tout fe découvrc aux regards curieux; Le préfent s'y dépeint, !e paffe" sy rappclle, Et 1'obfcur avenir s'y dévoile a nos yeux. Le prince Invifible tacha vainement d'ouvrir cette porte; fes effbrts furent inutiles , elle ferinoit par des fecrets qu'on ne pouvoit découvrir e prince Gnome les favoir; & ce ne fut q„'après les lui avoir vu ouvrir , que le prince Invifible entra dans le cabinet du paffé. C'eft Ia qu'il revit lecanal oü il avoir rencontré Rozalie la première fois ; il la vit enlever par ie prince des génies; il vu ce prmce i fes genoux, dans le cabinet de la  7g Le Prince ftatue de Memnon-, mais tout cela ne fit queluï renouveler de triftes fouvenits. II ne put merria xetenir fes larmes , quand il vit tout ce que depuis fon départ, le prince des génies avoit fait fouffrir a Rozalie il la prelfoit fans cefle fes menaces & fon courroux paroilfoient dépeints dans fes yeux ; il la retenoit de plus en plus captive -, elle n'avoit plus la liberté de fortir de fon appartement. Cette princefTe infortunée paffoit les nuits & les iours dans les larmes. Un état fi cruel étoit trop fenfible au prince Invifible. 11 fe couvrit les yeux pour s'abandonner tout entier a fa douleur; il fortit même un moment de ce cabinet fatal ; mais l'amour 1'y ramena malgré lui. Quelle fut fa futprife de voir , en y reatrant , Rozalie a une fenètre qui dornoit fur une pièce d'eau magnifique, écrire une lettre au clair de la lune. II trembla , il sapprocha de la glacé, & lut ces vers: Arrête ton cours , chère nuit, Toi 1 dont cet aftre qui nous luit, Vient de petcer les voiles fombres , Aye pitié de mes malheurs; C'eft a la faveur de tes ombres Que j'ofe ici verfer des pleurs. Dn moment qu'au fortir de 1'onde j Semant Vat de fa trefle blonde ,  I N V I S T B I E. Ie folcil répandra le jour , Rentrant dans mon trifte efclavage , IJ faudra cacher mon amour Aux yeux du jaloux qui m'outragc. Quels tourmens me fait-il fouffrir > II m ote jufqu'au plai/ir De répandre en fecret des larmes; Pendant.qu'il n'eft point de moment Ou pleme de crainte & d'alarmes Je ne trembie pour mon amant. ® Secs les loix d'un prince barbare, Dont Ia cruauté me fépare De ce que yaime pom °dlcuï! Sw ™ feine eft extréme j Je vois toujours ce que je hais, Ec )& ne Puis voir ce que j'aime.' $ Ah! qui fuc jamais ftms u Joj. , Amour, plus a pIaindre ^ mJ. , Et qui fut jamais plus fideile i Que ton empire eft rigoureus > Hélas! une chaine fi belle Méricoie un fort plus heureur. Et toi, digne objet de ma flamme ; Toi.cher prince, de q„, mon ^  So L i Prince Ne veut jamais fe défunir, Toi qui me couces tant d'alartnes, Pour marqué de mon fouvenir , Recois mes foupirs & mes larmes. $ Mais un tival trop odieux Va bientót paroitre en ces lieux ; De la nuit le jour prend la place. Quel eft 1'excès de mes malheurs 3 II faut le matin que j'efface Jufqu'a la tracé de mes plcurs. La lecture de ces vers attendrit le cceur du prince Invifible. II plaignit le fort de Rozalie > mais fa douleur fut extreme quand il vit entrer le prince des génies tout furieux dans 1'appartemenr de la princeffe. 11 paroiffoit la menacer de rendre encore fa captivité plus rude, fi elle ne répondoit a fes defirs. Ses yeux enflammés de colère , fa démarche précipitée , fon air fombre, fon gefte menacant, marquoient fa barbarie & fa fureur. Le prince Invifible ne put tenir corttte un fpectacle fi cruel. II fortit du cabinet du paflé, &C entra dans celui du préfent. Ce fut li qu'il vit Rozalie affife fur le bord dun canal. Elle tenoic a fa main ce qu'il lui avoit écrir pendant qu'il avoit été dans le palals du prince des génies. Elle paroiffoit  ï N V I S I B L B.' jj'Jl foiflbit le lire avec plaifir, & fes regards tendres & paffioanés marquoient fon rrouble & fon amour. Le prince Invifible auroit bien voulu entrer dans le cabinet de 1'avenir; mais le prince Gnome n'y enrroit jamais. II favoir qu'il n'y avoit vu que 1'indifférence & les mépris d'Argentine. II y étoit trop fenfible pour chercher a s'en convaincre. Ce fut dans le cabinet du préfent , oü le prince Invifible paffa le peu de tems qu'il y avoit jufqu'au retour de la fée qui le protégeoit. L'abfence de Rozalie lui étoit moins rude; il la voyoit fans ceffe ; il la fuivoit de momenten moment; mais enfin , Ie rems arriva qu'il fallut' s'arracher dé ces heux pour fe rrouver a 1'arrivée de la fée. Le prince Invifible forrit des cabiners du tems t & fe rendil a la cour du roi de 1'ïle d'Or fon père. II demanda a#fée une pierre pareille a celle qu'il avoir recue d'elle ci-devant. La fée qui faimoit la lui donna dans le moment. II partit auffi tót pour aller délivrer la princefTe. II arriva au bord de la forêt qui entouroit le palais du prince des génies j il la traverfa fur les brifées qu'il y avoit faites Ia dernière fois , & il arriva enfin a la porte du palais. II en parcourut tous les appattemens fans y trouver Rofalie • il n'y eut point de cabiners dans les jardins oü il n'alM > mais 11 ckercha vainemenr , & il ne IV tme XXIFé p  ft LiPrincï trouva point, & faifi d'une douleur fincère , it fut prêt mille fois a s'öter la vie. 11 attendit encore quelque tems ; mais rien ne s'offrant a fa vue , il forrit de ce lieu funefte, ne fachant oü aller. II fe reffouvint des cabiners du tems, oü il étoit sür de voir ce qui étoit arrivé a Rozalie , & dans quel lieu elle pouvoit être ; il repaffe la forêt, s'embarque , arrivé a 1'ïle d'Or. Arrivé au pied du chêne par lequel on defcen* doir au palais du prince Gnome , il defcend 1'efcatier , ouvre la galerie & la porte du cabinet du palfé. Quelle fut fa furprife , quand il vit que Rozalie avoit laiffé tomber un de ces papiers qu'il lui avoir écrits pendant qu'il étoit dans le palais du prince des génies , & que le prince 1'ayant ramaffé , étoit entré dans une fi furieufe colère , qu'il 1'avoit dans 1'inftant enlevée dans un palais au-deffus^ine montagne qui palfoit les nues. II voulut voir ce que Rozalie faifoit dans le moment , & il entra dans le cabinet du préfent. Il la vit dans une longue falie oü le prince des génies avoit fait faire un retranchemenr de criftal. On diftinguoit au travers toures les aftions de la princeffe , & le prince faifoit garder nuit & jour par des génies qui 1'entouroient , & qui ne la quittoient jamais. Elle étoit éplorée , elle foupiroit fans ceffe , &C fa douleur paroiffoit dans 1'abattement de fon  I N V I S I B T. E. g| Vifage , & dans les larmes qui couloient de fes yeux. On ne peut exprimer Ie défefpoir du prince Invifible. II fe voyoit enlever fa princeffe au moment qu'il étoit prêt de la-délivrer ; il fe reprochoit d'en avoir été la caufe. II ne favoit oü trouver ce palais qu'elle habiroit, il étoit couvert des nues; il ne connoilfoit ni Ia montagne ni le pays dans lequel elle pouvoit être. Cependant il fortit du palais du prince Gnome , réfolu de parcounr Ie monde pour trouver Rozalie ; il part, il arrivé au bord de la mer, oü il s'embarque. L'onde étoit tranquille. Un vent favorable enfloit les voiles de fon vaiffeau | & déja il avoit perdu de vue le rivage , quand fair s'obfcurcit tout d un coup , le vent changea , & Ia mer s'agitant de moment en moment , annoncoir par fécümé de fes flots une rempête prochaine. Sa furie augmenta tour d'un coup, & le vaiffeau du prince de 1'ile d'Or , après avoir long-tems erré fur les flots, fut enfin potiflé par ia violente des veins, contre des brifans qui éroienr a la cöre* II échoüa , & parmi les débris de fon navire s il faifit une planche. Il fut long-tems le jouet des venrs & des flots; mais enfin il fe fauva dans une ïle inconnue. Sa furprife fut extiême de 1'emendre retentir de cris affreux, & lm mo- Fij  ment après d'une fymphonie , & de chants qui le charmèrenr. Une fingularité fi grande 1'obligea de s'avancer. 11 fe trouva a la porre d'un bois que deux dragons gardoienr. Tout leur corps étoit couvert d'écailles jaunilfantes; leurs queues recourbées rec'ouvroient la terre de leurs longs replis y ils jetöient le feu par la guèule & les narines', & leurs yeux étincelans auroient fait trembler le plus hardi morrel. Comme le prince étois invifible, ces monftres ae s'opposèrent point a fon paffage. U entra dans le bois : c'étoit un labyrinthe , dont la multitude & la diverfité des allées empèchoient de retrouver 1'entiée ; il y marcha long-tems fans rencontrer perfonne; il trouva feulement une infmité de mains d'hommes qui fortoient de terre jufqu'au-deffous du poignet , qui avoient un cercle d'or autour , ou étoient écrits des noms. II en tot plufieurs; mais tout cela ne l'inftruifoit de rien. Sa curiofité augmentoit a mefure qu'il avancoit dans le labyrinthe. Enfin au milieu d"une allée de cyprès, il trouva deux corps morts ; il reconnu au refte de chaleur qu'il n'y avoit pas long-tems qu'ils avoient été tués. Ce qui 1'étonna davantage , c'eft qu'ils avoient un cordon de foie , couleur de feu , paffé dans le col, dont chacun tenoit encore le bout , & ils paroiffoient s'être étranglés euxmèmes. lis avoient un cercle d'or au bras , oü  I N V I S I B L E". 85 » • / « 1 , , ceffes. Le prince Invifible les reconnut pour fouverains de deux iles confidérables qui joignoieuc 1'ïle A'Clr ■ mAic \a J— J„ __: rr 1 ■ } „„„„ v^WJ ^llIltcllCS JLU étoit inconnu. II plaignic le deftin de ces princes malheureux , & fachant le refpeét qu'on dok aux morrs , il fit a 1'inftant une foffe au bord de 1'allée , & les y enterra. A peine furent- ils couverts de pouffière , que la main de chacun de ces princes infortunés fortit de terre, & refta é'evée jufqu'au- deflbus d'un cercle d'or qui entouroit leur poignet. Le prince invifible continua fon chemin, rêvant a la fingularité de certe aventure. II n'avoic encore rencontré que ces deux princes , quand au tournant d'une allée il appercut un grand homme dont la douleur paroiiïbit peinte fur le vifage ; de longs foupirs forroient de fa poitrine , & un torrent de larmes couloir de fes yeux. 11 tenoit a la main un lien de foie couleur de feu , pareil a ceux que le prince Invifible avoit trouvés au col des deux princes mores. II marcha quelque tems a la fuite de cet inconnu, fans qu'il dit une feule parole. Le hafard paroiffoit conduire fes pa< ; toujours accablé de douleur , rien ne le tirc t de fa rêverie. Enfin il tourna dans une allée de cicomores oü le prince F iij  8 L E P R I N C * Invifible appercut un autte homme aufh trifte J Sc non moins rêveur que Ie premier. Ces deux inconnus fe joignirent , s'embrafsèrent fans fe parler , fe pafsèrent chacun leur cordon de foie rouge au col, èc dans Tinltanr le lien fe ferrant de lui - même , ils tombèrent a coté 1'un de 1'autre. Le prince Invifible ne put jamais être affez tót pour les détourner de leur deflein. En vain il effaya de detferrer le cordon de foie , il il ne lui fut jamais poilible. II les enterra comme les deux autres, Sc letu's mains fortirent auffitót de terre jufqu'au-deflbus du cercle d'or qu'ils avoient au bras. Le prince Invifible n'ofa jamais fe découvrirj il craignoit quelque enchantement •, il commencoit déja même a défefpérer de pouvoir fe démêler de ce labyrinthe , quand il appercut les dragons qui en défendoient 1'entrce. Il fortit , £c s'avan^ant davanrage dans 1'ile , il fe trouva a. la porte d'un pare délicieux , oü il appeicut un grand nombre de perfonnes dont les unes. étoient couchées fur des lits de gafon , d'autres. fe promenoient au bord d'un ruiffeau , & d'au^ tres affifes fous des arbres épais , pafloient tous les momens du jour dans les danfes Sc dans les feftins ; une mufique charmante retentiifoit dans ces lieux ; le chant des oifeaux fe mèloit avec cet.tQ harmonie , Sc tous enfin dans ce fé-  Invisible. 87 jour enchanté , paroiffoient ne refpirer que la joie ik les plaifirs. Le prince invifible s'approcha, & la curiofité 1'entrainant, il fe trouva a portee d'entendre la converfation d'un jeune prince & d'une jeune princeffe. Vous m'aimez , difoit le prince , & vous m'avez juré de m'aimer jufqu'au tombeau j mais peut-ctre, malgré vos fermens, ne m'aimerez-vous pas toujours , & peut - être , par votre legereté me forcerez-vous bientót a avoir recours a la fée du Défefpoir , fouveraine de la moitié de cette ile. C'eft la oü font enlevés les amans qui, défefpérés de 1'infidélité de leurs maitreffes , veulent renoncer a la vie. La fée qui s'en faifir , les met dans un labyrinthe fait de facon qu'ils peuvent marcher un tems infini fans fe rencontrer les uns les autres. Elle leur attaché, en enttant, au poignet un cercle d'or ou leurs noms &. celui de leurs infidelles maicreffes font écrits. Elle leur donne auffi un cordon de foie couleur de feu , qui ne fe peut ferrer que quand un amant défefpéré en trouve un autre. Alors , s'approchant 1'un & 1'autre , ils fe le paffent au col, & le cordon fe ferre a 1'inftant & les étrangle. Le premier qui les trouve les enterre , & leurs mains s'élevant aufli-tót de terre jufqu'au defious du cercle d'or , reftent ainfi pour marqué éternelle de 1'infidélité de leurs maitreffes. Quel- iv  $8 L e Prince quaffreufe que fok cette mort , continua Ie prince , elle me fëroit douce , fi j'avois perdu yotre cceur, Ce fut par la converfation de ces deux amans que le prince Invifible apprit qu'il étoit dans 1'ile des amans , & qu'il forroit du labyrinthe du défefpoir , ou les amans malheureux alloient finir leurs jours. Il joignoit le pare des heureux. amans ,. & ils n'étoient féparés 1'un de 1'autre que par une fimple paliffade. Sur la foi de l'amour ne vous repofèz g.uères ; Amans, quelques plaifus que vous puiflïez avoir De fes faveurs au défefpoir L'on n'a fouvent qu'un pas a faire. Le prince Invifible parcourut ces jardins :- il ïie trouva par tout que des amans charmés Vur\ de 1'autte ; mais leur bonheur ne fervok qu a Ie rendre encore plus malheureux. tl en fortir-» Sc chetcha des lieux plus écartés , oü la folitude êc le filence entretenoient mieux fa paffion. Affis fur un rocher dont les pointes s'avancoient dans la mer, il paffoit les jours a penfèr a Rozalie. Le deftin , difoit il en lui-même , ne fe laffera-t-il jamais de me perfécuter ? Mes malheurs & mon naufrage fuffitoient pour m'ac%zfehi de dpul.eur, quand même l'amour n'y  I N V I 8 I B l E. 89 joindroit pas fes peines cruelles. Eloigne des etats du roi mon père , fans efpérance de le revoir jamais , je traïne ici une vie languiiTante, que les dieux ne me laiffent que pour augmenter encore mes tourmens, Si je fouffrois feul , mes maux me paroitroient legers ; mais Rozalie eft captive ; je voguois pour la fauver. Mer cruelle , funefte naufrage , que tu coütes a mon cceur de douleurs amères! Les yeux de ce prince fe cou-vrirent alors de larmes; ils en étoient prefque toujours noyés. 11 ne fongeoit nuit Sc jour qu'aux moyens de fortir de cette ile , Sc défefpéroit d'en pouvoir rrouver , lorfqu'il entendit un bruir horrible. Les flots de la mer s'élevoient juf— qu'aux nues ; le rivage retentiffoit au loin de longs mugiffemens , & enfin il vit fortir du fond de 1'onde une femme qui fuyoit a grands pas devant un géant furieux. Les cris pitoyables qu'elle jetoit 1'attendrirent le prince Invifible ; il óta fa pierre & mettant les armes a la main , i' courut pour combattre le géant, afin de donnet le tems a cette malheureufe de fe fauver; mais a peine fut-il a portée , que le géant le touchant d'une baguette qu'il avoit a la main , il refta immobile. Le géant eut bientot rejoint fa proie, Sc 1'enlevant dans fes bras , il la replongea dans la mer. II fortit alors des tritons qui enchainèrent le prince de file dOr, & qui en lui ren-  9o LePrinci dant 1'ufage des fens , mirent ce prince malheureux dans le plus horribie érat ou il fe fut encore trouvé. La pitié lui coütoit cher ; il ne pouvoit plus fe fervir de fa pierre , il fe voyoit entraïner au fond des flots , & fans efpérance de pouvoir jamais délivrer fa princeffe. Le géant, qui étoit le troifième fils de la fée des quatre Elemens , & fouverain de la mer , avoit touché le prince de 1'ile d'Or d'une baguette qui avoit la vertu de rendre un morrel capable de vivre au milieu des eaux. Ainfi le prince de 1'ile d'Or , mené par ces tritons qui 1'avoient enchainé , paffa dans des lieux oü il ne vit que des monftres horribles, ttaverfa des forêts d'une grandeur immenfe , defcendit dans des abimes affreux. II arriva enfin dans un large efpace entouré de rochers épouvantables. Au milieu de ces rochers s'en élevoit un fur lequel le prince de 1'ile d'tfr appercut le géant qui 1'avoit frappé de fa baguette. 11 y étoit affis commefurun trone \ une longue barbe pendoit jufqu'a fa ceinture ; fon front chauve & ridé , fes yeux enfoncés , fes regards terribles , fa voix mena^ante auroient fait trembler tout autre que le prince de 1'ile d'or. Témeraire , lui dit le géant , la mort devroit être le prix de ton infolence; mais vivre & fouffrir toujours eft un fupplice encore plus cruel \ augmente ici le nombre des mal-  ÏNVISIBLE. t)\i heureux que je me plais a tourmenter. Ou attacha le prince de file d'Or a un rocher \ il n'étoir pas le feul a plaindre ; toutes ces roches éroient garnies de princes Sc de princeffes que le géant y retenoit captifs. Ce monftre , dont la fureur élève exprès des tempêres , pour pouvoir augmenter le nombre de fes viófcimes , fe faifit avec joie de tous ceux qui périffent. Le prince de 1'ile d'Or ne pouvoir fe fervir de fa pierre , car il étoit enchaïné. II foupiroit nuit & jour : le fouvenir de Rozalie étoit de tous les maux qu'il fouffroit le plus fenfible pour lui ; mais enfin un jour que le géant voulut fe donner le plaifir de voir combattre quelques-uns de ces infortunés qu'il retenoit enchainés , le forr romba fur le prince de 1'ïle d'Or. On le délia, & fi-töt qu'il fe vit libre, il prit fa pierre Sc fe rendit invifible. Quelle fut la furprife du géant quand il vit difparoïtre le prince de 1'ïle d'Or! II ordonna qu'on fe faisït de tous les paffages; mais le prince Invifible s'étoit déja gliflé entre deux rochers. II marcha long-tems dans des forêts oü il ne rencontra que des monftres d'une fkure efftoyable. II monta de rochers en rochers, fe gliffa d'arbies en arbres , Sc après des peines infinies il fe trouva fur le rivage de la mer, au pied d'une montagne qu'il reconnut pour la même qu'il avoie  LiPrinci vue dans le cabinet du préfent , & pour celle ou Rozalie étoit retenue captive. C'eft ainfi que la fortune fe joue des projets des hommes , & que les malheuts qui nous paroiffent fans remède, font fouvent la fource d'un ïx>nheur prochain. II monta jufqu'au fommet de la montagne qui percoit les nues ; il y trouva un palais dans lequel il entra ; il pénétra jufques dans une grande allée , au milieu de laquelle il vit la •chambre de criftal oü Rozalie étoit jour & nuit gardée par des génies. 11 n'y avoit pas la moindre ouverture. L'embarras du prince Invifible fut. extreme ; il ne favoit comment avertir Rozalie qu'il étoit enfin de retour ; il la voyoit fans ceffe fondante en larmes. La douleur de cette princefle malheureufe percoit le cceur du prince Invifible : il falloit ménager la jaloufie du prince des Génies; car au moindre foupcon il 1'auroit tranfportée dans 1'autre extrémité de la terre. II falloit cependant avertir Rozalie; auffi que ne fait point imaginer l'amour. Un jour que Rozalie fe promenoit dans fa chambre, s'étant approchée du criftal qui lui fervoit de muraille, elle fut étonnée de le voir terni, cpmme fi quelqu'un avoit foitfflé deffus. Elle voulut 1'eifuyer ; mais fa furprife fut encore plus grande quand elle vit que ce n'étoit pas de fon \  I N V I S I B t I. £J cöté , la vapeur fe diffipa. Rozalie eut beau chaftger de place , fi-töt qu'elle s'arrêtoit, la même vapeur terniffoit le criftal. ïl n'enfallut pas davantage a la princefle pour lui faire foupconner que fon amant étoit de retour. Elle commenca dèslors a gracieufer davanrage le prince des gc'nies, a le flatter d'être écouté s'il vouloit un peu adoucir la captivité dans kquellê il la retenoit. Elle ne lui demanda pour toute gtace que de pouvoir, une heure au moins chaque jour , fe promerier dans cette longue falie. Le prince des géni.s le lui permïr. Elle fortir auffi rot , & le prince In~ vifible lui donna d ns le mon ent Ia pii rre qu'elle mit dans fa bouche. Lon ne peut ?xp hakt la fa* reur du prince des génies. II ordonna a fes ef >rits aëriens de voler par tout 1'univers, & de ramener Rozalie fi-töt qu'ils pourroieut déeouvrir les lieux oü elle fe retiroir. Les génies fort,rent pour exécuter fes ordres , & fe répandirent par toute la tetre. Cependant, Rozalie & le prince Invifible fe tenant tous deux par la main , avoient ga CONTÉ. i i étoit une fois un roi & une reine d'une fottife démefurée, mais qui s'aimoient prodigieufement. 11 ne pouvoit y avoir dans le monde que les flatteuts de leur cour qui ne dMentpas queleutamour étoit une preuve de leur fottife mutuelle. Tels qu'ils étoient, ils étoient rois, & pour lors tout va bien, tout eft bon , d'autant mieux que dans les tems de féerie , les princes n'avoient point d'affaires plus elfentielles que celles de fe bien gou-  io6 Le Prince Courtebotte verner avec les fées & les génies, de leur donnet des gateaux, quelques aones de rubans & autres mennes bagatelles de cette efpèce. II leur falloit fur-tout avoir un peu de mémoire pour ne point oublier d'invirer aux couches d'une reine les fées ou les génies bons ou mauvais. Ils éroient encore obligés de prendre bien garde de ne point mécontenter ceux ou celles qui aimoient a faire du mal i avec ces fortes d'attentions tout étoit fait , un royaume étoit bien gouverné. Auffi ; depuis le tems que la féerie eft un peu tombée, les rois da préfent gouvernent-ils par eux-mêmes; ils ont tous de 1'efprit, de la connoilfance des affaires.de la capacité, & fur-tout ils s'attachent a connoltre le cceur humain. La reine devint groffe; elle employa tout le tems de fa gtoffeffe 1 compofer une lifte des noms de toutes les fées qu'il lui fut poffible de raflembler. 11 y en avoit un grand nombre dont on n'avoit jamais entendu patier. Tous les fsjets du roi eurent ordre, fous peine de la vie , de donner les noms de ceües qui leur étoient connues, & 1'on avoit grand foin d'écrite leurs. déclarations. Mais tous les corps du royaume que 1'on confulta fut cette grande affaire , ne furent pas, a beaucoup prés, traités avec amant de.confidération que celui des nourrices & des vieilles .mies, 3c ce fut a jutte titre , a caufe de leurs,  ET LA PHINCESSE ZlBELINE. IO7 grandes connoiffances & de leur profonde érudition. Elles furent donc admifes au confeil, Sc donnèrent routes leurs avis, avec les détails, les diffufions & les obicurités qu'on leur a connues de tout tems. Le tems des couches arriva, & Ia lifte de tous les noms qu'on avoit pu recueillir , remplillbit (quoiquede petite écriture) un des plus gros volumes in-folio, pour lequel on avoit fait dreffer wn grand pupitre fur une eftrade au pied du li: de la reine , Sc le tout reflembloit affez k un lutrin. Au moment que 1'on s'en doutoit moins, les doulem-s prirent a la bonne reine , Sc ce fut précifément entre minuit & une heure. Le roi , pour lors, étoit dans fon premier fomme; mais elle accoucha fi promptement (quoique 1'on füt bien affuré que ce für fon premier enfant, & qu'aucune fée ne 1'eüt fecourue ) que Ie roiqai avoit été averti dès 1'inftant des premières douleurs , & qui couchoit dans une chambre féparée Par une fimple cloifon de celle de la reine, que le bon roi , dis je, n'eut que le tems de mettre ion petenlair Sc fes pantoufles , Sc d'accourir encore tout endormi. Malgré cette diligence il trouva la reine accouchée ; ii f „t lu „. pure , Sc monta les degrés fi foj , ;r, il3t& que 1'hjftoire rapporte qu'il [ .es pan-  i©8 Le Prince Courtebotte toufles en chemin. Que de befogne a faire pouc un for! Le voila donc juché devant fon grand livre," tentmt fon martiner a la main ; le voili donc criant a. tue-tête : » je vous con'ure & vous prie, » fée une telle , génie un rel de m'honorer de » votre vuite, & de venir douer mon enfanr II fe pretfoit fi fort, & il étoit fi prodigieufement ému , qu'il ne prononca pas rrois noms comme ils étoient écrits. D'un autre cóté la reine s'égofdloit a force de crier : » que 1'on apporte « mes gateaux , que 1'on arrange mes préfens; » prenez cette clef, ouvrez cette armoire , &C » tenoit mille propos femblables ». Enfin 1'on ne favoit dans cette chambre auquel entendre. Heureufement que le tems de ces fortes d'invitations étoit limité ; car les attentions de la reine , qui de tout tems avoit été fertile en ordres inutiles & fouvent répétés , n'auroient pu finir , non plus que la leéture du roi, le plus grand anoneur qui fut jamais , avant que leur petit garcon eut été en état d'être fevré ( car c'étoit un prince que le ciel leur avoit donné ) ; article de joie qui n'avoit pas peu contribué a démonter la pauvre tête du roi. Quoiquele tems de 1'invitation ne dut être que d'une demi-heure , au plus , le roi employa deux grandes heures a lire dans fon grand livre , quel-:  »"f tA Prïncesse Zibeline. ic9 que chofe qu'on put lui dire , & cependant il neton encore qu'a la troifième page. Enfin on «1 fit appercevoir que plufieurs fées ou génies latrendoient dans la grande falie du palais , & qu ils s'impatientoienr de ne voir perfonne pour W les honneurs & les recevoir ; il courut dans 1 equipage indécent dont j'ai déja parlé ht a tour ce qu'il trouva de fées dans Ia falie cent excufes , & leur demanda leur protecf ion! Prefque route 1'affemblée fut touehée de fon extreme foumiffion , & lui promk de ne fa;re aucunmalafon fils • »s laffilI*rent tOHS >u parviendroit a une grande vieillefTe , & qu'ü jouiroit aan certainage.de tout le bonheur imaginable. Mais pendant Ia lefture du roi, une neerefle , dont il avoit écrit le nom en lettres majufcules , dans la crainte de Ibublier & dont ,ama,s perfonne n avoit entendu parlèr ayant été nommée des premières, arriva auffi des premières dans la grande falie. Ennuvée dan ndre, & piquée de n'avoir pas été eompWntce a ladefcente de fcn grand eoeo fur lequel elle etoit venue du for.d de la Guinée • » hs touiours, dit. elle entre fes dents , ton " P- Plus grand, Is touiours , il * ne fera qu'un Courrebone <: Elle auroit fans doute continué la litanie des défaurs qu'elle lui voulou donnet, fik bonne Guerhnguin , qui  t:o Le Prince Göürt ebotté protégeoit particulièrement le royaume Sc la fa mille royale, ne fut accourue d'elle-même, fans attendre le moment de fon appel , & n'eüt conjuré Ia négreffe de modérer fa mauvaife humeur, ce qu'elle fit avec peine. Enfin elles recurent toutes leurs préfens, rendirent vifite a la reine» Sc retournèrent chacune a leurs affaires. Quand tout le monde fut parti, Guerlinguin s'approcha du lit de la reine , Sc dit au roi , » vous n'avez rien fait de bien , tout a été de_ 5> travers ■, pourquoi n'avez-vous pas daigné me „ confulter ? Mais les fots font toujours mé» fians ; vous ne m'avez pas feulement invitée, » moi dont vous connoiflez les bontés : ah ! „ madame , dit le toi, en fe jetant a fes pieds, » ai-je eu le tems de lire jufqua vous ? Voyez , „ en lui montrant la marqué ,. fi je n'en fuis ,5 pas refté au commencement. Je ne fuis pas » piquée, lui dit-elle, de n'avoir pas été in„ vitée , je ne' prends pas garde a ces fortes u de bagatelles avec les gens que j'aime , fans » cela , jen'aurois pas fauvé bien des malheurs „ .1 votre fils ; mais j'ai des vues fur lui, je „ dois vous 1'enlever , Sc vous ne le reverrez; „ que tout couvert de fourrure «. A ce mot que le roi & la reine ne pouvoient comprendre dans nn ciimat auffi chaud que celui qu'ils habitoient , ils fondirent en larmes. Guerlinguin  et la PRINCESSE Z i b £ l i N e. iu leur dit de ne fe point affliger, qu'elle avoit été affez bonne & affez complaifante pour lailfer clevet le roi par fes père & mère, qui 1'avoient gate , & fi bien gaté qu'ils n'en avoient fait qu'un fot; mais qu'elle ne vouloit pas qu'il en fut de même de leur fils 5 qu'ils ne devoient sembarraiTer de rien autre chofe, que de gouverner fagemcnt leur royaume. Après , elle ouvnt la fenêtre , mit le petic prince dans un panier , & fe donnant du talon dans le derrière, elle glilfa fur les airs , comme elle auroit pu faire avec des patins. Le roi & la reine furent penetrés d'une douleur inconcevable j ils fe voyoient féparés d'un fils quils avoient été fi long-tems a faire : ils s'occupèrent des dernières paroles que leur avoit dites Guerlinguin : vous ne Ie verrez , nous at-elle dit, que tout couvert de fourrure. L'on confulta tout le monde , pour s'en inftruire • car les confeils font le fort de ceux [ ou qui ne peuvent prendre»de parti, ou qui n'ont point de connoiffance 5 mais tous les confultés ne purent inftruire les gens intcreffés. On opina donc , & 1'on fe perfuada aifément, vu ia difpofition oü l'on étoit , que des fourrures devoient être une chofe affreufe. Le roi & la reine prirent donc a Ia feite de tous leurs confeils & de leurs réflesions, le fage paai de s'affliger  in Le Prince Courtebotte.' tant que cela faifoit pitié. Mais tout triftes Sc défceuvrés que fe trouvoient le roi & la reine dans leur palais , ils ne purent fe réfoudre a donner de petits frères ou de petites fceurs a leur fils. Revenons au petit prince; la fée 1'emporta chez elle. Elle habitoit un bel & bon chateau de campagne. En arrivant, elle öta a une jeune païfane , fraiche & vigoureufe , 1'enfant qu'elle nourrifloit , & lui fubftituant le petit prince , elle lui fafcina les yeux, au point que la païfanne le crut toujours fon propre enfant. II fut élevé par elle dans la baffe-cour du chateau ; mais a mefure qu'il avancoit en age , la fée le faifoit venir plus fouvent auprès d'elle, afin de cultiver en lui les dons de la nature. Cette fage fée étoit bien perfuadée qu'une éducation fimple & naturelle du cöté de 1'efprit , dure & fatigante du coté du corps , étoit le don le plus effentiel qu'elle put donner a un prince. Mais ce ne fut pas a cette feule attention que fe bornèrent celles qu'elle voulut avoir. Elle réfolut de le former par les traverfes, les peines de 1'efprit, & la connoiffance des hommes. Courtebotte avoit en effet befoin de tous les talens du cceur & de 1'efprit; car en augmenrant en age , il ne patvint pas a une haute ftature; en récompenfe , il étoit agréable de vifage, bien fait dans fa petite taille , & 1'ou  HT LA PRÏNCESSE ZlBÈLlNÏÏ. I t j Pon voyoit peu d'hommes plus nerveux & plus vigoureüx que lui. 11 avoit, dès fon enfarice , exercé fon courage dans les forêrs, & plufieurs fois formé dès tröupes de jeunes géns de fori age, qui lui avoient toujours défere le commandement ; tant il eft vrai que l'on fait prefque toujours dans fon enfance, ce que 1'ori doit faire dans unage plus avancé. Les années forrinent les inclinations bonnes öu rriauvaifes; mais leur principe eft toujours indiqué daris la jeüneffe. Courtebogp n'ignoroit pas qüe le nom qu'il pottoit, fans en connoitre aticun autre, étoit un fobriquet qu'on lui avoit doriné; mais, pour s'en confoler , il s'étoit promis cent fois de riliuftrer; 6c de le rendre recommandable. La fée 1'avertif-. foit fouvent par des fonges, qii'il devoit inceffamment quitter un pays ou 1 etat d'une naiffance auffi baffe que la Renne* faifoit une forte de ieproche a 1'élévation de fon cceut. Ce fut la feule voie qu'elle employa pour lui infpirer tous les moyens néceffaires pour mettrè a fin les plus grandes aventures. Elle imprima fortement en lui Ia patierlce & la hardieffe, dont la réunion produit le fens froid; & 1'affura plufièurs fois que tant qu'il feroit vertueux, rien në pourroit lui manquer dans les pays éloignés; & pour le perfuader davantage , quand elle le faifoit venir aupfès d'elle, elle ne 1'entretenoic que de cou* Terne XX'IK* H  ii4 Le PRlNCE Courtebotte tonnes acquifes par des gens de fon efpèce, de la réputation qu'ils avoient obrenue par leur valeur & par leur bonne conduite. La tête rernplie de toutes ces idéés, le cceur natureüement haut & magnanime, & la taille des plus courres, il arriva un jour dans une grande ville vbifine du chateau de la fée, 1'ardeur de la chaffè 1'avoir emponé jufques-la. II étoit monté fut un jolt chcval Alezan, donfla fée lui avoit fait .préfent depuis peu. H étoit fimplement yêtu , & n'avoit point d'autres armes qu'un are , desftèches & un épieu ; mais toute cette parure, pf'un peu fauvage , avoit une grace merveilleixfe fur fa perfonne0 11 arriva, dis-je, au moment que tous les habitans de la ville couroient a la grande place pour entendre ce que des étrangers avoient a publier. Leur cortège , leurs habillemens & leurs équipages bifares §c Lnconnus dans le pays, attitoient fa curiofué. Tout le monde coutoit donc j car on a beau dire, on eft badaud en rout pays. Courtebotte courut auffi , & fe trouva fort mès des étrangers. Ils firent ptécéder la leóture qu'ils vouloient fake par le bruit de plufieuts inftrumens de guerre. Quand les fanfares uitent finis, un vénérable vieillard a barbe retrouffée derrière les oreilles, lat a haute voix ce qui fuit: Que toute la terre fache que quiconque pourra conauérir la montagne de glacé, pojfédera non-  ÏT U HI-UCESSE ZlBïllNt. 115 feulemtntlaprédeufi Zibeline, belle entre toutes les belUs , mais encore tous les états dont elle dolt être reine. « Voici , dit-il, après ce cri-li, la lifte de » tous les princes qui, frappés de fa beauté, ou » de celle de fes porrraits, ont péri en voulant » mertre a fin 1'entrepnfe propofce, & celle de »? ceux qui fe font nouvellement engagés pour » la conquète „. Courtebotte fe fentit alors animé du défir le plas violen.r que la gloire ait jamais excicédans un cceur. II balancoit cependant, en rcfléchiflant fur fon état, & fur le peu de reffource qu'il avoit - mais au milieu de 1'agitation que lui caufoient toutes les penfées qui le venoient alfaillir en foule, le vieillard, qui venoit de faire la ledure, après &erre profterné trois fois, déeouvrir une efpèce de litière, & fic voir a toute 1'affemblée, le portrait de la belle Zibeline. Courtebotte en fut fi frappé, que, fendant la preife , Sc ne confidérant plus rien, il demanda a s'infcrire. Tous les étrangers apperce* vant fa petite figure , & la fimplicité de fes vêtemens, fe regardoient entr'eux, & ne favoient s'ils devoient acceptet fa propofition, ou la refafer. « Donnez , leur dit-il d'un ton haut, don>» nez que je figne : favez-vous qui je fuis » ? On obéit; mais comme il étoit animé d'amouf pour le portrait, Sc de colère contre les étraa- HiJ  n6 Le Princj Courtebotte gers, il neut pas le tems de choifir un autre nor» que le fien, & figna Courrebotte. A ce nom qui fe trouvoit a la fuite de tant de princes, 1'éclat de rire des étrangers fut violent. » Coquins, leur » dit-il, rendez graces au portrait dont la garde » vous eft confiée, fans cela » H n'en dit pas davantage, Ia medération le reprit; il s'éloigna d'eux , en leut promettant de leur faire voir qui il étoit, après toutefois avoir fu le nom du pays de Zibeline , & le tems auquel il falloit fe rendre pour temer 1'aventure. Courtebotte, malgré fon grand courage, fe trouva rempli de tous les doutes qu'une pareille entreprife auroit pu caufer a tout autre qu'a lui; mais comme il étoit fort connu dans la ville, 8c qu'il avoit figné fon propre nom, que les rrompettes avoient répété mille fois a la grande rifée de tout le monde, & que fes petits amis le vinrent féliciter en riant fur fes grandes entre-t prifes, il fe douta aifément que le bruit de cet événement fe feroit répandu jufqu'au chateau de la fée : il n'ofa donc y retourner & fe préfenter devant celle qu'il croyoit fa mète, fut-torn après avoir foufcrit a 1'efpétance d'un royaume & d'une belle princefle. 11 dit adieu a fes petits amis, & les embraffa, en les affurant qu'ils ne le reverroient que roi & mari de Zibeline , ou qu'il mourroit a la peine. U parcit fans s'embarraffer davantage  ET LA PRINCESSE ZlEELINE. H7 de tous les propos que l'on tenoit dans le pays fur fon enrreprife. Les provinces en parlèrent après que la cour en eüt beaucoup parlé, & certe cour étoit celle du roi fon père & de la reine fa mère , qui ne favoient pas la part qu'ils avoient aux plaifanteries que l'on faifoit de Courtebotte, & qu'ils faifoient eux - meines. Les pauvres princes vivoient de la %on que j'ai déja dire. Courtebotte fortit de la ville fur fon joli cheval Alezan, plongé dans fes peufées. II n'eft pas étonnant qu'il eüt de ptofondes rêveries; le fouvenir du portrait de Zibeline 1'occupa : 1'embarras du voyage fe préfenta a lui; mais l'amour d'un cöté, & de 1'autre, la honte de retourner au chateau de la fée, lui firent abfolument prendre le parti du voyage. II bt 1'affiche que lui avoient donnée les hérauts darmes, & ne la trouva que médiocrement claire , elle étoit concue en ces termes : a quatre eens lïeues du viont Caucafe, en montant au nord, vous recevre% vos ordres & vos ïnjlrutlïons pour la conquête de la montagne de glacé. Belle inllruction pour un homme qui part d'un pays oü fe trouve aujourd'hui le Japon. Cependant il s'orienta fuivant les connoiifances de géographie que la fée lui avoit fait apprendre dans la géographie de Robbe, & continua fa route. II évitaavec foin toutes les villes, pouréviter en même tems toutes les p laifanreries qu'il avoit eutendu faire Hiij  ii8 Le Prince Courtebotte fur fon nom. Comme il n'avoit pas beauconp yoyagéj il n'entendoit pas encore la raillerie \ il couchoit donc dans les foièts , &c croyoit fe foutenir de quelques fruit s qu'il rencontroir en che-min; mais la fée qui le protégeoic, & qui vouloit ie fecourir fans diminuer fon courage par la confiance des merveilles, lui fouffloir des vivres pendant qu'il prenoir du repos; de facon qu'a fon réveil, il fe trouvoic de plus en plus frais & difpos. Elle voulut encore, fuivant le projet qu'elle en avoit formé dès long tems, le faire paffer par toutes fortes d'épreuves. Un jour qu'il fuivoit a fon ordinaire le fenrier d'une forêt, elle le fit attaquer par un de ces monftres , dont 1'Amérique eft remplie. Celui-ci tenoit du tigre 8c du léopard. Le combat fut vif, 8c Courtebotte a la fin triompha du monftre ; ce ne fut pas fans peine, car il en coüra la vie a fon cheval; cette pene lui fut chère, mais 1'ardeur de fon courage le foutenant dans cette adverfité , il continua fon chemin a pied, & arriva enfin dans un port de mer. 11 y trouva un batiment qui faifoit route a peu prés du cóté qu'il le défiroir, & fe trouva fur lui enGore aflèz d'argenr pour payer fon paffage. II partit; mais après quelques jours de navigation, il furvint une tempête qui lui fit faire naufrage. U fe fauva feul de tout r.équipage, & albarck avec grand peine dans une  et La Princesse Zibeline. 119 ïle déferre. Ce fut la. qu'il eut le tems de faire de férieufes réflexious; cependant fon grand cceur ne le lailfa point abatre. II vécut de la chaffe &C de la pêche, du moins fe le perfuada t-il ainfi , mais plus certainement encore des fecours fecrers de la bonne Guerlinguin. Un jour qu'il fe promenoit affez triftement fur le bord de la mer, il découvrit un vaifleau qui faifoit voile de fon cöté. II fit des fignaux pont demander du fecours; mais plus le vaiffeau approchoit, plus il lui paroiiïoit extraordinaire , Si moins il appercevoit d'hcmmes fur lebatiment; enfin il vint a pleines voiles donner contre la terre. Le hafard Sc la fortune lui firent renconrrer un lit de vafe , fur lequel il échoua le plus heureufement du monde. Pour lors Courtebotte fut a pottée d'examiner de plus prés le vaiffeau -x il vit que les mats étoient des arbres verts pleins de feuilles, que tous les bordages étoient couverts de petits arbres en tailüs, Sc qu'enfin il reffembloit parraitemeht a un bolquec Surpris de eer objet, Sc de la folitude du batiment, il fauta dedans, & ne vit que des hommes réduits dans un état affreux. lis étoient fans mouvement, cv prefque devenus arbres. Les lihs tenoieht au pont du vailfeau par les jambes, d'autres par les bras, fuivaat 1'action dans laquelle la manccuvre & fa cornmuriication du vaiffeau les avoit furpris. H iv  ïzo Le Prince Courtebotte Courtebotte, frappé de la compaffion qu'un pareil fpeclacle pouvoit caufer, effaya avec le fer d'une de fes flcches, de détacher leurs membres du bois qui les retenoit. li en vint a bout, & pour lors il les porta 1'un après l'autre a rerre. II gffaya de faire quelques fomentations d'herbes fur leurs membres de bois, &c ]e fit avec fuccès. II fit fi bien, qu'en peu de jours, ils fe trour yèrent en état ci'agir & de manoeuvrer comme auparavanr. L'on imagine bien que Guerlinguin travailla a cette belle cure. Soit par infphation , foit par une fimple réflexion , Courtebotte fit frotter rpus les membres du vaifleau avec les mêmes plantes qui avoient fecouru fi parfaiternent les matelots; & ce fecouts fut donné très-r a-propos, car au train qu'il prenoit, le batiment feroit devenu en peu de tenis une grande forêt, La reconnoiflance de ces pauvtes matelots fut in-. finie : il obtint donc aifément d'eux de le conduire oü il avoit deflein d'aller ; mais ils ne purent lui répondre autre chofe aux queftions qu'il leur fit fur Pétat dans lequel il les avoit tirouvés, finon que palfant a la vue d'une cóte templie de bois, un vent de terre affez violent lts avoit chargés; que Pair s'étoit tout a coup obfcurci d'une pouffière trés - épaiffe, qui fans doute avoit communic]ué une vertu végctative a. fous les corps ? excepté aux mctaux; qu'ils s'ctoienl  1T IA PRINCESSE ZlBïLINE^ Jlt ffouvés d'abord appefantis; qu'enfuite ils avoient perdu le fentiment; 8c que pen a pen, fans pouvoir 1'éviter, le bois les avoit gagnés 8c attachés; k lui. Courtebotte fit fes réflexions fur un événe* ment fi finguliet ; 8c ne voulant rien négliger de tour ce qui lui arrivoit, 8c qui pouvoit êtte utile ou curieux, ü ramaffa a tout hafard une aflèz grande quantiré de cette poudre , qu'il mit dans une boete j & qu'il eonferva précieufement fut lui. La fée , qui avoit produit cette meryeille, contribua beaucoup a cette infpiration; 1'équi-» page de ce vaifleau n'eut pas de peine a quitter 1'ile déferte; & fit voile par le plus beau tems du monde. Après un mois de nayigation, ils appercurent la terre, & réfolurent d'y débarquer non feulement pour s'inftruire de leur route; mais encore pour faire de 1'eau , 8c prendre des rafraïchilfemens dont ils commeiicoient d'avoir befoin : Courteborte s'embarqua dans la chaloupe qu'ils mirent a la mer; a mefure qu'ils approchoient de terre , ils ne découvrpient point d'hommes : cependant ils ne pouvoienp douter que la cote ne fut habitée , puifqu'ils rematquoient du mouvement, que l'on faifqit des fignaux pour marquer leur découverte, 8c qu'enfin ils diflinguoient des pouffières, médiocres a U yérité , qui fe rejoignoiem dans i'eiidroit ou ils vouloient aborder, ce qui prouvoit ciairemeut  'iïi Le Prince Courtebotte' qu'on étoit fur fes gardes. Quand ils furent a la portée de 1'ceil, ils découvrirent de gros barbets poflés Ie long de la cote qui faifoient la garde; lis Én appercurent d'autres formés en troupes. Ceux qui fe tr-ouvèrent a 1'avancée , vinrent fiérement reconnoïtre la chaloupe ; Sc voyant que Courtebotte rte les accueilloit pas de ce vüain rnor, tirezj & qu'ou contraire, il leur dit:eh, bon jour, mes bons chiens,ce fut auffi tot de leur part des mouvemens de queue infinis, & de ces Cris de careffe qui mrrquoient leur contentement. Ils firent plus, ils lui donnèrent fa pate ; ils lui demandèrent s'il vouloit les fuivre, Sc s'abandonner a leur conduite; non feulemem il comprit tout ce que je viens de dire ; mais il comprit encore qu'ils ne vouloient pas qu'il fut füivi de perfonne de 1'équipage , & que ce n'étoit qu'a lui feul qu'ils accordoient cette marqué de confiance. La curiofité détermina Courtebotte : il ordonna donc a fes gens de 1'attendre pendant 1'efpace de quinze jours , après lefquels ils pourroient continuer leur route, quand même ils n'auroient point eu de fes nouvelles. II leur recommanda cependant de ménager beaucoup les habitans de 1'ïle pendant fon abfence, de bien vivre avec eux, Sc de faire leur provifion d'eau & de tout ce qui leut étoit néceffaire , avec les ménagemens que l'cn a pour les pöfiples amis; quant  et la Princess'i Zibeline. uj a lui , il s'abandonna a la merci de ces bons nnimaux; & 4 demi-lieue de la cote, il découvnt un village affez gros, qui n'étoit compote que de loges les plus jolies du monde, & les pius propres. II rencontra avant que d'y atriver , des chatrettes traïnées par des chevaux & par les autres animaux deftinés a cet ufage pat 1'induftrie des hommes. II fut furpris de la culture des terres, & de voir a chaque pas tout ce que la pohce la plus exaóte peut ptéfenter; & cela, faas appercevoir autre chofe que des barbets. On lui fervit des rafraichiffèmens lorfqu'il fut arrivé £ ce petit village, pendant le tems qu'on atteloit deux chevaux a une chaife a 1'italienne, qu'un gros barbet conduifoit, comme auroit pu faire Ie meilleur poftillon. Courtebotte fit dans cette voiture environ une dixaine de lieues, traverfant tantót des villages, tantót de petites villes , Sc renconttant des chaifes comme la fienne menées pat des barbets, dans lefquelles il voyoit d'autres barbers qui Ie faluoient avec une grande poütefle. Enfin il arriva dans une grande ville; il ne douta point qu'elle ne fut la capitale du pays. Tous les habitans éroient aux portes, fur les murailles Sc dans les rues; ds avoient été avertis d'avance par un courier , de la confiance qu'avoit en eux 1'étranger, & de fon arrivée dans la ville. Courtebotte fur  114 Le Prince Courtebotte infiniment fatisfait des exclamations & des careffes,,avec lefquelles il fut recu. Quant il eut ttaverfé plufieurs rues droites , bien pavées Sc bien plantées d'arbres, il arriva a une grande efplanade, au fortir de laquelle il traverfa une grande cour , au milieu de deux mille barbers qui bordoient la haie. Ils étoient tondus, ils avoient des mouftaches, & prefque tous la pipe a la gueule, comme on les voit dans nos pays , quand on leur fait faire 1'exercice ; il traverfa , dis-je , cette grande cour 3 fur laquelle dominoit la grande loge du roi , toute brillante d'or &C d'azut. Quand il en fut a certaine diftance , il mit pied a terre par refpect, & trouva le roi couché fur un riche tapis d'étoffe de Perfe, environné de petits chiens occupés a lui chaffer les mouches. C'étoit le plus beau & le plus joü des barbets; il avoit les yeux étonnans de finelfe , la phyfionomie douce & fpirituelle , & la taille infiniment agtéable. Quand il eut vu Courtebotte, il lui fit cent carrefles & lui donna la patte, en reconnoilfance de la confiance qu'il lui témoignoit. Iinfuite il fit figne a toute fa cour de s'avancer pour faire la révérence a 1'étranger , & toute cette cour étoit compofée de ces jolis barbets de la petite efpèce. Ils avoient tous le mainiien poli, & les barbettes fur-tout, étoient on ne peut pas plus mode fles. Après quelques  êt la Princesse Zibeline. ii$ momens employés a ces fortes de complimens , Ie roi fit figne a tout le monde de fe retirer, & fic appeler un fecrétaire d etat, auquel il di£b. un compliment fur la douleur qu'il éprouvoit de ne pouvoir fe faire entendre de vive voix , fe langue des chiens n'étant pas facile a entendre. Pour 1'écriture , elle étoit demeutée la même que celle des hommes. Courtebotte répondit X ce compliment avec la politefle qu'il méritoir, & fupplia le roi de fatisfaire fa curiofité fur tout ce qu'il voyoit de furprenant a fa cour & dans fes états. Ce difcours rappela au roi de trifteS idéés ; cependant après qu'il ent donné quelques momens aux réflexions qui s'emparèrent de lui , il lui apprit, touiours par le miniftère de fon fecrétaire d etat, qu'il fe rtommoit le roi Biby ; qu'une fée voifine de fes états, nommée Mar' fontice , avoit été touchée & frappée de la figure que le ciel lui avoit donnée en naiifant , & qu'elle avoit fait tout fon poffible pout lenglet X 1'aimer Sc a 1'époufer ; mais qu'il n'avoit jamais pu fe réfoudre a 1'un non plus qu'a 1'autre , i caufe de 1'attachement qu'il avoit pour la reine des Indes , dont il étoit atdemment aimé, Sc qu'enfin l'amour de la fée s'étant convetti en fureur, elle 1'avoit métamorphofé & réduit en i'état oü il le voyoit; que pour redoubler fon malheur, elle ne lui avoit óté que 1'ufage  jt$ Le Prince Courtebotte de la parole , & qu'elle lui avoit laiffé toutes les autres facultés de 1'efprit humain; qu'il fe confoleroit aifément de fon propre malheur, fi la fée , pour 1'affliger encore plus, n'avoit exercc Ia même tyrannie fur tous fes fujets. Courtebotte comprit aifément par ce difcours tout ce qu'il avoit vu de fingulier dans le royaume, & témoigna au roi la part qu'il prenoit aux malheurs qu'il venoit de lui confier. Mais comme il étoit naturellement avide de gloire , Sc cuneux de le témoigner, il offrit d'abord fon bras avec empreffement , Sc jura qu'il ne trouvoit rien de difficile pour obliger un prince qui lui paroiffoit auffi aimable, Sc le tirer de 1'état déplorable dans lequel il le voyoit. Le beau Biby lui répondit que fes malheurs étoient fans reffource , puifque la méchante fée avoit dit dans le cruel inftant de fa métamorphofe, jappe & fois couvert de poiU jufqu'au tems oü l'amour & la fortune auront récompenféla vcrtu. Vous voyez bien , ajouta-t-il , que c'eft être condamné a refter batbet toute ma vie. Courtebotte en convint avec lui, Sc fe fervit cependant, avec avantage, en cette occafion, du lieu commun dont on falue tous les malheureux, en lui difant élégamment: il faut que votre majefté prenne parience. Biby touché de tout ce que Courtebotte lui avoit dit de compatiflant , voulut lui prouver  ËT IA pRINCESSE ZlJJEllNE. |J? que Ie motif de fes malheurs méritoit fon artachement, en lui faifant voir un portrait de Ia, reine des Indes , peine par Largillière. II fit pret que faire une infidélité a Courtebotte (il me femble que notre héros recevoit aifément de grandes impreffions par la peinture) ; quoi qu'il en foit, Courtebotte applaudit a l'attachement du roi Sc au choix qu'il avoit fait; il ne fur p]us furpris de la froideur avec laquelle il recevoit les agaceiies des plus jolies barbettes de fa cour, Sc comprit aifément que c'étoit a tort que toutes, les dames le taxoient en fecret d'impuhfance. Courtebotte a fon tour conta fon hiftoire, & ies grands deffeins dont il étoit animé. Biby lui donna plufieurs éclaitciffemens très-utiles fur la route qu'il devcit tenir, & lui fit mêmepréfent d'une carte marine dont on s'étoit autrefuis fèrvi & que l'on avoit toujours confervée dans les bureaux. Les deux princes n'eurent pas de perne a fe jurer une amitié éternelle, car ils la reffentoieut véritablement. Biby voulut reconduire notre héros jufqua fon vaiffeau. Courtebotte trouva les matelots enchantés de le revoir, & nullemen? inquiets de fa perfonne, car ils étoient comblój des préfens Sc des rafraichiffemens qu'on leui, avoit portés tous les jouts a bord par ordre du roi. Ce fut avec douleur que Biby fe fépara mourront a la peine ; ils ne jouiront jamais, du » rocher, ils finiront leurs jours, cemme bien » d'autres qui ies ont précédés les ont fin-s-, c'eft» a-dire, par fe caffer la tête de défefpoir ». La fée le reconduifit au lieu oü elle 1'avoit trouvé 5 pour lors elle difparut , & Coattebatte recur a fon retour mille Sc mille carelfes de Moufta , qui 1'attendoit patiemment dans 1'endtoir oü il 1'avoit laiffé. II prit enfuite le chemin de la v.lle , Sc s'y rendir fans éprouver aucune- aventure. II s'y repofa quelques jours, & s'informa avec foin du chemin qu'il falloit prendre pour fe lij  Le Prince Courtebotte rendre au mont Caucafe : il fit auffi beaucoup de queftions fur la princefle Zibeline , maïs il ne put s'inftruire a fond , que fur la route qu'il falloit tenir. Il étoit encore fi fort éloigné des états de la ptincefle, quïi n en entendit parler que confufément. U acheta des chevaux , quelques efdaves, enfin tout ce qui lui étoit néceffaire pour fon voyage. Toutes les empletes qu'il fit étoient fimples Sc peu apparentes, mais bonnes & étoffées. Le petit motceau dot foumit abondamment, & fans s'altérer, a tous fes befoins. Il traverfa aifément le Caucafe ; pour lors , il n'entendit pariet que de Zibeline : Les étrangers fe rendoient de tous cbtés a fa cour; mais en entendant patier de fes beautés Sc de fon efprit, il entendit auffi patier du nombre de fes rivaux & de leur puilfance. Celui-ci avoit une armée, celui-li des tréfots, un autre avoit * fafuite toutce que les arts peuvent fournir d'utile & d'agréable. Quant a lui, pauvte Couttebotte , il ne poffédoit qu'une grande volonté de téuffit, fon chien tc le ridicule d'un nom qui fervoit encore plus 4 faire remarquet celui de fa petite taille. Comme il s'étoit infctit fous ce nom dans la pancarte des ambafladeurs , il ne lui étoit pas poflible de le cuitter Sc d'en prendre un autre } tl pnt donc U parti de ne s'en plus occuper , Sc je crois qu'il fit bien.  ET IA PRINCESSE ZlBElINE. I 3 3 Après deux mois tout entiers de marche, il arriva dans la grande ville de Trelintin , capitale des états promis a Zibeline. II employa quelques jours a s'informer des ufages du pays, & a reconnoltre le caraétère de fes rivaux , a faire des queftions fur la montagne de glacé, & i s'infrruire fur 1'entreprife qu'il falloit mettre a fin. Voici ce qu'il apprit fur ce dernier article; car fut la montagne , comme jamais aucun homme n'en étoit revenu , on n'en pouvoit parler que par conjecture. Farda-Kinbras, père de Zibeline, & roi d'une grande partie du nord , époufa Bitbantine, fille d'un roi, fon voifin. La convenance des états fe trouva d'accord avec celle des humeurs & des perfonnes ; enfin, le hafard fit en ce tems un bon matiage , mais fi bon , que la tête en tourna aux deux époux , & qu'ils eurent la fottife , un jour qu'ils étoient 1'un & 1'autre fur un traineau, de défier le fort de leur être contraire, tant qu'ils éprouveroient 1'un pour 1'autre l'amour dont ils étoient épris. « Vous verrez Ie contraire, dit une » bonne vieille qui fe trouva la par hafard , & » que la rigueur du froid engageoit a fouffler » dans fes doigts. » Le roi voulut punir 1'auw dace de cette infolente , & fauter a bas de fon »> traineau j mais la reine plus douce &c plus mo» dérée 1'en empêcha , en lui difant: <■ Hélas, Iiij  134 Le Prince Courtebotte »> Sire , "ne vous fachez pas, c'eft peut-être une » fée. Oui fans doute , c'en eft une , dit lg 3j vieille , en prenanr une voix ferme, croiflant „ Sc devenant gigantefque , & faifant de fa ne» tite chaufrette un char de feu ; de fon baron » un grand dragon ; de fes haillons un parapluie » tout d'or, Si de fes fabots deux fufées: Oui, „ c'en eft une , dit-e'le encore , vous verrez quel „ fera le fruit de vos amours, & vous vous » fouviendrez quelquefois , Sc de vottepréfomp3> tion , Sc de la fée Guarlangandino. » Le roi Sc la reine fe proftcrnèrent devant elle , mais elle étoit déja bien loin » Sc s'envolant vers le nord , fon char & fes fufées ne laifsèrent après eux qu'une longue tracé de feu. Farda Kinbras & Birbantine fe trouvèrent pour lors bien honteux. Mais comment faire ? il n'y avoit point de remcde a leurs inquiétudes. fort peu de tems après cetce avenrure , la reine fe trouva groffe , & mit au monde Zibeline, qui parut belle dès 1'inftant qu'elle parut au jour. Toures les fées du nord prélidèrent a fa naiffance ; les états du roi étoient d'une fi grande étendue, que plus de cent fées avoient leur habitation dans fon royaume : il les avoit toutes invitées avec grand foin, Sc leur avoit confié les menaces de Guarlangandino. Elle ne parut point au feftin j elle ne vint point recevoir fon pré-  ET LA PrINCESSE ZlBELTNE. IJ5 fent, quoiqu'elle eür óré invitée avec totue forre d'attention Sc d 'empreffemenr ; mais après avoir ïaiiTe mnquillement toutes fes fceurs douer la petite princeffe de toutes les vertus Sc de tous les talens imasinables, pendant Ie tems que teut le monde étoit z tabie , Sc que le roi ne pouvoit coiitenir la joie qu'il reffentoit , d'avoir vu rermi ier les dons des fées fms aucune oppofuion , pen.'-ant ce tsms-Ia , dis je , Guarlangandino fe glilfa dans le pal.iis fous la figure d'une chatte ; elle entra aifémenr d ;ns la chambre de ia perite priricetle , fe capita fous fon berceau \ & d'abord que les mies ük la nourice euren* le dos tourné , elle cnporra le cceur de la b.lle petite Zibeline , lui laiffant cependanr la faculte de vivre. Après ce beau coup , e'le fortir du palals tout auffi aifément qu'elle y étoit entree; elle fut feulenv nt heufpiilée par que'ques chiens Sc par quelques marmirons. Ei'e trouva fa voiture qui 1'attendoit fur la grande pl-ïcc, Sc fut enfermer le larciü qu'elle venoit de faire , dans la montagne de glacé , tout auprès du pole arctique. Elle impofa tant de difScmtés pour pouvoir en faire la conquête, qu'elle compta jouir toute fa vie du malheureux etat dans lequel cette pauvre cour alloit être réduite. Les fées partirent après le dinér, fans fe dourer de la moindre chofe ; par conféquent , le toi & la reine fe trouvèrent iiv  13*» Le Prince Courtebotte dans une parfaice fécuriré. Zibeline, belle comme le plus beau jour , apprenoit tout avec une facilité inexprimable ; mais on ne voyoit en elle aucun fentiment rel qu'il püt être; 1'efprit faifoit en elle toutes les foncrions , mais le cceur ne difoit mot; eh ! comment auroit-il parlé ? II étoit dans la montagne de glacé. Zibeline, il eft vrai, étoit en croiffant, 1'admiration de tous ceux qui la voyoient, quant a la beauté : elle n'ignoroit pas qu'une princeffe devoit favoit danfer ; elle danfoir donc , mais elle ne s'en acquittoit que par méthode : on ne voyoit point dans fa danfe ce tour heureux , ce je ne fais quoi que peut donner la feule envie de plaire. Elle avoir la voix belle. Elle chanroit, mais elle ne rendoit jamais le fentiment des paroles. Elle prononcoit Ie mot d'amour, & tous ceux qui le fuivent , comme elle eut fait les mots d'une langue étrangère qu'elle n'eüt point entendu. Eft-ce chanter , que ce qu'elle faifoit avec fa belle voix ? J'en appelle a mon lecteur. Il en étoit ainfi de toutes fes opérarions. Malgré 1'admiration & la fi arterie de toute une cout, malgré 1'aveuglement paternel, on s'appercut d'un défaut auffi eflentiel que celui que la princeffe poffédoit; car enfin , quand on n'aime point , on ne peut être aimé long-tems. Malgré la cerrkude de ce principe r 'nos princeftes ont  ET LA PRINCESSE ZlBELINE. 137 toujours imité Zibeline dans les commencemenj de fa vie, non pas fur l'amour, s'entend. Pour remédier a un fi grand inconvénienr, on courut a !a confulration des fées , Farda-Kinbras les invna , & convoqua une affemblée generale , dans laquelle il expofa fes griefs , & finir en les conjurant d'examiner de nouveau la princefle fa fille. « Certainement , leur dit-il, vous avez laiflé » votre ouvrage imparfait, & je vous puis af» furer qu'il y manque quelque chofe ; je ne fau» rois trop vous dire ce que c'eft; mais ce qu'il » y a de vrai , c'eft que je vous avance un fait » certain. » Elles 1'afTurèrent toutes qu'elles n'avoienr rien oublié de rout ce qu'elles devoient a un roi leur ami, tel qu'il avoit toujours fait profellion de 1'ètre. Après ce compliment, elles furenr rendre vilite a Zibeline ; mais en entrant dans fa chambre, elles s ecrièrent toutes : Ah ! c'eft un miracle ! c'eft un prodige. Toute la cour tk la princeffe elle-même, malgré fon grand efprit, crurent que ces exclamations étoient adreffées a fa beauté; mais les fées après èrre forties, dirent naturellement au roi & a la reine qu'elles venoient de voir une chofe furnaturelle, que leur fille n'avoit pas plus de cceur que fur leur main. Farda-Kinbras & Birbantine fe mirent a jeter les hauts cris a cette nouvelle , & conjurèrent tout le facté collége de remédier a cet inconvé*  » jouet, c'eft a quoi je fautai mettre bon ordre; * & choififfant des yeux celui dont 1'air étoit le plus fat, il fe détermina a s'en prendre a lui. C'étoit le prince Fadaffe , un de ces grands héros dont les romans font farcis, fier de fes aïeux , enivré de fa longue figure , & charmé de fes grands cheveux de filaflê. Courtebotte lui dit donc , en le regardant fieremenr : « Eh vous ! mon grand » Monfieur , croyez - vous n'être pas plus ridiv cule que mon nom ? Je vous défie au combat, n foyez atmé comme il vous plaira. » Fadaffe accepta le dén , en ticanant de pitié de la témérité de fon adverfaire , & le combat fut arrêté pour le lendemain. Courtebotte au fortit de 1'appartement du roi, fut conduït dans celui de Zibeline. II fut frappé de fa beauté, & fe temit avec peine de 1'émotion qu'elle lui caufa. Voici a peu de chofes prés le compliment qu'il lui fit. Je viens du hout da monde, attiré par la  ET IA PRINCESSE ZlBELINE. 14^ » beauté de votre portrait, Madame, pour vous n offrir mes fervices; je vous apporte une bonne » volonté infinie : mais le ridicule du nom que » je porte , qui n'eft pas a la vérité des plus élé» gans, m'a déja fait une affaire dans votre cour: » Je dois demain combattre un grand vilain » prince; je vous fupplie d'honorer mon combat w de votre préfence, & de prouver a 1'univers » entier, que le nom ne fait tien a 1'affaite , » 8c qu'enfin , vous avouez Courtebotte pour » votre chevalier.» La princeffe fourit, car elle avoit de 1'efprit ; 8c lui dit avec politeffe qu'elle 1'acceptoit avec plaifir. II lui demanda pour lors , fi elle ne protégeoit point fon adverfaire le prince Fadafle; « Hélas ! dit-elle, je n'en ptotège aucun, tous »> ces Meflieurs m'importunent , & leur folie » m'eft infupportable. Je me ttouve fort bien » comme je fuis ; que patiënt-ils toute la jour»> née de me délivrer ? Je ne comprends rien a »> tout ce qu'ils me veulent; de l'amour, difent» ils , des fentimens , & müle autres chofes » plus plates que je n'ai pu retenir. Courtebotte avoit trop d'efprit lui-même pour ne pas fentir dans ce moment, qu'ayant envie de plaire a une perfonne qui n'a que de 1'efprit , il ne faut non plus fe plaindre qu'étaler fes fentimens; mais qu'il faut avant que de fe déclater, obtenir  ï4i Le Prince Courtebotte k confiance ; Sc s'avancer par 1'agrémear. Il lui répondit donc fans la contrarier < Sc tournant la tonverfation fur le compte de fes rivaux , il leur chetcha quelques ridicules, & fur-tout au prince Fadaffe. Zibeline lüi en fut bon gré , & lui aida même a en trouver; de facon qife dès le premier moment, Courtebotte devint celui de toute la cour , dont elle aimoit le plus la converfation. Toute la ville Sc la cour futent occupces du combat, dont le fpectacle étoit affigné pour de lendemain. Le roi, la reine , & la princeife , 4e placèrent fur leur amphithéatre. Le prince Fa•daffe parut dans la lice avec les plus belles armes •du monde Sc les plus magnifiques, fuivi de vingtquatre écuyets Sc de cent palfreniers, qui menoient chacun un cheval en main; Sc Courrebotte entra de 1'aurre coté , fans -autres armes que fon épieu , vètu fimplement, mais avec goüt , Sc fuivi feulement 'dè Moufta , fon barber, qui menóit un cheval dans la grande perfedion. Le parallèle de ces deux adverfaires fit Tire toute 1'alfemblée , Sc Moufta attiroit tous les regards. Quand les juges du camp furent placés , Sc que les rrompettes eurenr donné le iignal, les écuyers de Fadaffe fortirent de la lice, Sc Moufta en fit autant. Les deux champions coururent avec fureur 1'un contre 1'autre. Courtebotte , dont 1'adreffe & i'agiiité étoient infmies ,  ET LA PlUNCESSB ZlB.ELINE. 143 évira le coup que le prince lui voulok potter , & trouva le moyen de prouver qu'il n'en vouloic poMrd fa vie; car le coup qu'il étoit Ie makte de lm donner, il le porta è fon cheval, q*?Ü renvetfa mort fur la pfice. Courtebotte fauta géremenr i rerre, & dégagea Fadaffe de deffous fon cheval, en lui difant qu'il ne vouloit ooint de 1'avanrage qu'il avoit eu. Fadaffe furieux des ménagemens de fon adverfdre, mit 1'épée a la main ; mais Courtebotte la lui fit fauter en mille pièces, & lui dit après : « Je refpede trop tout » ce qui eft attaché a la princeffe Zibeline pour » vous faire périr ; allez la remercier de la vie » qu'elle vous donne. Les écuyers rentrèrent dans le camp , & Moufta fautant d bas de fon cheval, fut rechercher celui de fon maitre, lui tint lettier ; & reflautant fur le fien , ils fortirent très-férieufement de la carrière, au bruic des trompertes & des acclamations du peuple, Le roi & la princeffe envoyèrent féliciter Courtebotte dans la petite maifon qu'il avoit choifie pour fon habitation , & h,i offrir un appartement dans le palais. Courtebotte ne tarda pas a les aller remercier, &ne paria de fon combat qu'avec la modération d'un galant homme, & •d'un homme fait pour la vicroire. La pi-bcefTe 4ui demanda pourquoi.il étoit fi légèrement armé , Courtebotte lui répondit qu'il n'en avoit  144 Le Pk-xnce Courtebotte pas agi ainfi par aucun mépris pour fon adveffaire ; mais que 1'arme dont il s'étoit fervi, lui étoit plus commode. Enfuite elle lui fït des queftions fur Moufta ; elle eut envie de le voir Sc de le careffer. Courtebotte 1'affura qu'il étoit a fon pofte, c'eft-a - dire dans 1'anticliambre , avec les écuyers. Une jeune efclave recut 1'ordre d'aller Pavertir que Zibeline le demandoit; effe&ivement Moufta fe préfenta avec le refpeét Sc le maintien d'un barbet qui connoiffoit la cour Sc fes ufages. On lui fit faire cent mille chofes plus futprenantes les unes que les autres; enfin, la princeffe ne put s'empêcher de prier Courtebotte de le lui facrifier, Sc de lui en faire un préfent. Courtebotte y confentit avec joie , non-feulement pat politelfe , mais encore paree qu'il prévoyoit qu'il ne pouvoit avoir un efpion plus sur Sc plus fidéle auprès de Zibeline , du roi, Sc de toute la cour. Le combat Sc la facon noble & aifée dont il s'en étoit acquitté , donnèrent une grande confidération a Courtebotte. Sut ces entrefaites on eut avis que 1'ambaffadeur d'un roi voifin , Sc trés puiffant, étoit fur la frontière , Sc qu'il demandoit la permiffion de venir 4 la cour, pour traiter d'une affaire de conféquence ; c'étoit le roi Brandatimor qui le dépèchoit. On lui envoya fut le champ un courier, Sc  ét la Princesse Zibeline. ^ ik l'on ordonrta qu'il föt recu fur touce la rouiéj avec tous les honneurs poifibles , car les états dé ce prince étoient contigus; & de plus, c'étoit uri roi renommé par fa valeur perfonnelle , par la bonté & k qualité de fes troupes, & enfin, par töut ce qui peut rendre un roi terrible. L'ambaffadeur précéda fes nombreux équipages, & vint en pofte avec fes letttes de ciéance. II fe „ommoit Atrogantin. II vit Ie roi incognito, & lui préfenta une lettre d'un ftyle alTez mauvais, dont voici les termes i ce que l'on m'a fort affirré. "UKDAUliOR A FARDA KlNBRASi Saltm Sij'avóis vu plutót au'hier un dès portraus dé ia belle Zibeline votre fille, je n'aurois pas fouffert qu un auffi grand nombre d'avchturiers & de petits princes fe fuffent gelés & fnorfondus pour la mi* Ther : quant h mof*, je crains peu les concurrens < d'abord que je me ferai déclaré comme je le fais , in vous demandant votre fille en mariage, & je fuis bien ajfuré qu'ils ne perfifieront pas dans leurs pourfaites. Arrogantin a dont ordte de moi de l'époufer fur le champ a mon nom , car je ne erois point * tous les contes que m'oni faits les voyageurs que vous tnvoyei par tout le monde tonter yos fariboles fur ld TomsXXlK K  146 Le Prince Courtesottï montagne de glacé ; & quand il ferok yrai quelle n'auroit point de cceur, je ne men embarraffe point du tout, étant aujjl certain que je le fuis de lui en faire venir un. Je vous embrafje, mon cher beaupère. La lect-ure de cette lettre embarraffa beaucoup Farda-Kinbras, & lui déplut infiniment, auffi bien qua Birbantine , & la vanitc de la princefle fut offenfée au dernier point de la hauteur du ftyle , & du tour de la demande; mais ils prirent tous trois la réfolution de tenir cette negociation fecrète , jufqu'd ce qu'ils fuffent déterminés au parti qu'ils pouvoient prendre. Moufta s'étoit trouvé préfent a 1'entrevue , il avoit été témoin de 1'impreflion qu'elle avoit caufée; il ne manqua pas d'en avertir Courtebotte par un billet. Cette nouvelle 1'anima de furenr. Le détail de la lettre le mit prefque hors de lui - même 'y cependant il prit le parti de fe gontenir, & médita long tems fur les expédiens que l'on pouvoit trouver pour éluder une demande faire d'une facon auffi brutale : mais ce fut inutilement qu'il donna la torture a fon efprit. Dans cette agitation il coutut chez la ptinceffe , comme ils étoient tous deux occupés de la même penfée , & qu'ils étoient 1'un & 1'autre révoltés contre la hauteur & 1'infolence de Brandatimor , la con-  Hf LA PilNCÉSSE ZlB ÉtiNEi i^f Verfacion romba d'elle-même fur ce chapitrf, Sé fur la révolte que les deux erfeurs de 1'efprit di du cceur caüfent a tout le monde , mais fur-tout & ceiix qui s'en trouvettt les viélimes. La cöhveffatiort s'échauffa , & Courtebotte parut ft bieli inftruit de la circonftance préfente, que la princeffe en fut étonnée, & lui avoua tout ce qu'il favoit déja , en lui demandai» cönfeil. Courtebotte qui n'avoit encore pu fe déterminer a rien , lui confeilla de différer la réponfe toilt autant qu'il lui fetoit poffible , &1'affutaqué la fuperbö ènrrée qu'Arrogantin promettoit avec tant d em* pbafe & fi peu de modëftie , lui pottvo:r fervir de prérexte pour éluder du moins pendant quelques jours; Zibeline approuva cette petite reffource , toüte foible qu'elle étoit, cat elle re* doutoit infiniment Brandatimot. Elle confeilla donc aü toi & a la reine de ne promettre leur réponfe qu'après 1'ehrrée de 1'ambaffadeur J 5c ce fut en effet le parti auquel on fe détermina; Arrogantin recut avec quelque forte d'impatience ce petit retardement; mais il leur dit oué dès le Iendemairt de Parrivée de fon équipage qui devoit être dans peu de jours > il don neroit | toute la ville, & a tous les petits princes don elle étoit inondée , 1'idée de la puiffance & de f ttéfors de fon maïtre. Courtebotte au dcfefpoirs' & dans une perplexité infmie, voyant le jour d* Kif  t48 Ie Prince Courtebotttê 1'enttée qui s approchoit , a bout de toutes fe* idéés , iiitetcéda vivement k bonne Guerlm-. guin. 11 penföit fouvent 4 elle , (car fon cceur n'étoit point ingrat) mais il avoit pris la ferme réfolution de ne 1'impottuner que dans les grandes cccafions. Celle-ci lui parut être de ce nombre s il 1'invoqua donc; & la nuit, abattu pat 1'agitation de fon efptit, il la vit elle-mème en fonge , qut lui dit: « Courtebotte , tu t'es bien conduit }uf„ qu'ici, continue d'ëtre laborieux & vertueux , „ Sc tu trouveras de bons amis dans 1'occafion -r „ fais valoir a Zibeline le fuccès qu'aura 1'entrée „ de l'ambaffadeur.« La joie réveilla Courtebotte : ü voulut fe jeter aux pieds de la fée , mais il n'appercut aucun objet „ & craignit un moment de n'avoir éprouvé une forte de contememenc que pat 1'illufion d'un fonge. Cependant il efpéra; Sc fans parler a la princelfe de tour 1'amont qu'il reflentoit pour elle, il lui tint, fur an événement qui alloit attiver , de ces propos qui ne difent ni oui ni non. A la queftion qu'ïl lui fit, en lui demandant fi elle fetoic bien obligée i quelqu'im qui la délivteroic des importunités de Btandatimor; elle l'affura que 1'obligafton qu'elle lui auroit feroit infinie. 11 pouffa la queftion plus lptH j il voulut favoir ce qu'elle délireroit a cet. heureux mortel, elle l'affura que ce feroit de nellen aimer, d'ëtre comme elle.  ST IA PRINCESSE ZlBElINE. 'l4? Un amant a beaucoup d fouffrir quand il a de femblables propos a foutenir de tout ce qu'il adore, auffi déchiroient- ils Ie cceur du pauvre Courtebotte. Les équipages d'Arrogantin arrivèrent; 8c par une morgue digne de fon maitre & de lui, il ne voulut fe fervir que de ce qu'il avoit conduit avec lüi : II demanda donc fon audience pour le lendemain, elle lui fut accotdée, & tous les habirans de la ville fe placèrent dès Ie point du jour , pour voir une magnificence annoncée avec autant de hauteur & de vanité. La bonne Guerlinguin prit foin de fournir aux plaifirs de 1'afTemblée , car elle fafcina les yeux de tous les fpectareurs , 8c chargea Plllufion (cette divinité qui n'a que trop de pouvoir fur le genre humain) de punir 1'orgueil de Brandatimor, Sc de fervir indire&ement Courtebotte. Les livrées parurenr donc a rous ceux qui virent 1'entrée d'Arrogantin , des guenilles 8c des locques que des gueux autoient eu honte de porter; tous les chevaux que lamba^adeur & fa fuire trouvoient piaffans &caraco!ans, parurent des roffes maigres a faire pitié, & qui n'avoient pas la force de fe rraïner; les beaux harnois tout d'or ne firent aucun autre effet que celui des colliers de charme, crnés de leurs viedles peaux de moutons , Sc tous les pages teffemblèrentparfaitement aux plus vilains ramo- K iij  Ij© Le Prince Courtebotte neurs. Les trompettes & tous les autres iriftru* rnens rendirent le fon des flutes a loignon , ou des peignes devant lefquels on met un morceau de papier; & la file des cinquante carofles.fut tegardée comme 1'auroient été cinquante chaïettes toutes dépenaülées. Arrogantiu parut dans la dernière avec la rnorgue d'un prince brutal qu'il croyoit dignement repréfenter. Ce qui jetoit un plus grand coraique , & un plus grand ridicule fur toute l'entréc, c'étoient les vifages & le maintien fiet que donne la vanité fatisfaite, & qu'avoient 1'anv bafladeut & fa fuite , car i'illufion ne portoit que fur les parures & fur les ornemens; elle laifloit voir les hommes avec les airs & les facons conyenables i ce dont ils fe croyoient environnés. Les huées & les rifées de tout le peuple furentpropordonnées 4 l* fingularité dont voyoiene tous les équipages. Le toi qui fut averti long-tems avant de 1'arrivée de 1'ambalfadeur (car il marchoit très-lentement & d'un pas convenable a fa dignité) ne crut pas, & avec raifon qu'il fut de la fienne , de recevoir un ambafladeur dont d fe croyoit infulté a ce point la. Il fit donc fermer les portes de (on palais, & refiifa l'audience. Arro. gantin qui ne pouvoit concevoit la raifon d'un tel refus, hu dpnt la magnificence égaloit en effeï i'arrpgance, fut aifément tranfporté de feut,  et la Princesse Zibeline. 151 Pour lors, il fe répandit en injures contre le roi 8c contre tout un peuple qui le chargeoit luimême de toute forte de plaifanteries; & le menu peuple autorifé par le refus de 1'entrée du palais, en réponfes aux injures magnifiques qu'il difoir, & aux menaces terribles qu'il faifoit, reconduifit 1'ambaffadeur & fon cortège a coups de pierres & d'ordures , dont il fut fur le point d'ëtre affommé , & dont il fe fauva avec grand-peine. Arrogantin partit dès le moment même , non fans avoir employé fes pouvoirs a faire une déclaration de guerre des plus terribles qu'on ait jamais faites; & j'ai oüidire que cette fois étoit la première dans laquelle on eut employé la menace de tout mettre a feu & a. fang. Quelques jours avant cette belle ambaffade , le roi Biby avoit dépêché a Courtebotte un de fes coureurs, avec une lettre pleine d'amitié , d'offres de fervices , & de curiofité pour tout ce qui le regardoit. Courtebotte répondit a toutes fes bontés comme il devoit y répondre; il 1'inftruifitde tout ce qui s'étoit paffé , & fur-tout, n'oublia pas de lui détailler 1'hifloire d'Arrogantin, & la terrible guerre que cet événement allumoit entre les deux rois Farda-Kinbras 8c Brandatimor. 11 donna les lettres au coureur de Biby, le foie même de 1'aventure, & le fit partir fur le champ , avec ordre de faire autant de diligence qu'il lui Kiv  ï5* Le Prince Courtebotte feroit poffible j il ne put finir fa lettre , fans cU> mander a fon cher Biby un fecouts de quelques rnilliers de barbets de la meilleure volonté & des plus aguerris , en lui promettant de ne rien negliger pour tout ce qui leut feroit néceflaire , Sc le faifant juge du befoin qu'il avoit d'un tel fecours, Le roi, la reine & la princeffe, ne pouvoient tien comprendre au procédé d'Arrogantin ? ou plutót 4 celui de Brandatimor : le premier vraifemblablement n'agiffoit pas fans oidres, & la marqué de mépris qu'ils en avoient tecue, leur paroitfoit avec raifon , s'accorder mal avec la demande qu'il leut avoit faite de la princeffe leut fille, On fe prépara vivement a la guerre, & tous les autres princes qui fe trouvèrent 4 la cour * pffrirent leurs fervices , & demandèrent les plus grandes charges de 1'armée, Courtebotte ne fut pas un des denfiers 4 témoigner fa bonne vor lonté ; mais il ne demanda que 1'emploi d'aide de camp auptès du général qui fut nommé pour commander 1'armée : c'étoit un vieux parent du roi, fort galant homme , & célèbre par fes vic^ toires, Quand 1'armée fut aflemblée, elle marcha fur ïa froptière; elle arriva affez 4 tems pour s'opr ppfer 4 celle que Brandatimor affembla avec fij-e  et la Princesse Zibeline. 15J reur, dans la réfolution de faire la conquête de Zibeline & de fes états, & de fe venger de toutes les infultes qui lui avoient été faites en la perfonne de fon ambaffadeur. Tout ce que 1'afmée de Farda-Kinbras put faire au commencement de la campagne , ce fut d'ëtre fur la défenfive , & de S'oppofer aux fureurs d'un roi brutal Sc outragé. Courtebotte s'acquit 1'eftime des officiers Sc des foldats , & cette eftime ne le rendit encore que plus doux avec fes égaux, Sc plus foumis avee les géuéraux. II battit les troupes ennemies toutes les fois qu'il les rencontra Sc qu'il fe trouva avoir de petits commandemens , Sc la fortune enfin fecondant fa bonne conduite & fa valeur , il eft aifé de s'imaginer qu'elle étoit la jaloufie de fes rivaux. Enfin , Brandatimor qui vouloit, a quelque prix que ce fut , fatisfaire fa fnreur , rrouva le moyen d'engager une affaire générale ; elle fut terrible , mais malgré la valeur des tronpes de Farda-Kinbras, malgré les fecours & 1'aétivité de Coiutebotte, la bataille fut perdue , Sc Ie général fut tué, Courtebotte fauva la vie a plufieurs de fes rivaux. & nommément au prince Fadaffe. ïl fit plus , car après la mort du général, ce fut lui qui fit la retraite de 1'armée ; il en fauva les débris, Sc jeta des troupes dans toutes les places qui pouvoient être attaquées. II tourna tête cent  rj4 L£ Prince Courtebotte fois dans fa retraite contre les vainqueurs, & les contraignit cent fois de s'arrêter; enfin, tantöt par les adions perfonnelles, tanrót par la facon dont il pofla fes troupes , il empêcha les progrès de la vidoire. La rigueur de la faifon furvint, qui fufpendit toute hoflilité. Courtebotte revint auprès du roi, qu'il ttouva dans une conffetnation infinie , & qui n'imagina pas de meilleur expediënt, que de confier le commandement de 1'armée a notre héros ; il le pna de 1'accepter , & rien ne fe fit plus a la cour que par fes confeils. Une plus grande autorité ne lui attita que plus d'amis. L'amufement de fon efprit plaifoit a celui de Zibeline , il la voyoit fouvent ; mais du cóté du cceut, il ne faifoit pas le plus foible progrès. L'hiver fe pafla , pendant lequel Courtebotte fe conduifit, comme je viens de le dire , & pendant lequel il forma les projets de la campagne que l'on alloit commcncer. Sur ces entrefaites, il recut des nouvelles du roi Biby. Elles étoient telles qu'il les pouvoit défirer , puifqu'elles lui apprenoient le départ de douze mille barbets de fes meilleures troupes, & qui tous n'avoient fuivi que leur bonne volonté, pour venir combattre & fecourir fon bon ami Courtebotte. Biby lui mandoit encore de faire trouver fes ordres fur les frontières, & que le général Barbefalle les recevroit foit pour les quar-  ET LA PRINCESSE ZlBELINÉ. 155 tiers de rafraichiffemens , foit pour ceux d'affenv Wee. Courtebotte, charmé d'avoir un fecours fi confidérable , réfolut de Femployer utilement. 11 pria donc Barbefalle de tenir fon arrivée fecrette, de faire filer fes troupes, 8c de les répandre fur la frontières dans les garnifons amies ou ennemies, le tout a fa volonté, & convint avec lui des moyens de les réunir quand il feroit néceffaire. Courtebotte recut fes ordres pour la campagne, & Carteblanche pour tout ce qu'il voudroit faire, II arriva fur la frontière, 8c convint d'un rendez -vous avec Barbefalle. Ils eurent enfemble une grande conference par écrir. Barbefalle étoit réellement un grand homme de guerre; non feulement il avoit beauceup de valeur, mais il avoit encore 1'efprit trés - expédient, & notre héros Ie pria de paffer quelques jours avec lui incognito. L'armée de Farda Kinbras n'avoit de favorable pour elle que la confiance qu'elle avoit en fon nouveau général. L'armée ennemie avoit, au contraire , lapréfence du roi qui commandoit en perfonne, & dont l'amour 8c la vanité étoient révoltés\ elle avoit de plus le fouvenir de fa derrière viéfoire. Courtebotte réfolut d'aecepter la bgtaille qu'on lui préfentoit, mais il ne prit «n  15Le Prince Courtebottetel parti qu'après être convenu de fes démarches avec Barbefalle. Ce grand barbet en conféqaence du confeil qu'üs avoient tenu, détacha des aides de camp pour donner les ordres de marche & de ralliement a tous les barbets dans leurs différens quartiers ; & après les avoir mis au fait des difpofitions du général, les barbets fe tronvèrent d'une bonne volonté t toute épreuve. Courtebotte accepta donc la bataille, & préfenta un front a 1'ennemi, qu'il fut obligé d'étendre beaucoup , car il étoit fort inférieur en troupes. Brandatimor comptoit fur une vidoire complette &: cettaine : tout en effet devcit i'en affurer. L'ardeur de fes troupes , la fupériorité de fes forces , & fur-tout la vanité que peut avoir un roi déji vainqueur. Quand le fignal de la charge eüt été donné, & que les troupes furent prêtes a fe meier, tous les barbets qui avoient recu leurs ordres , & auxquels il avoit été aifé de faire leurs difpofnions fans être foupconnés ni remarqués , fautèrent en même tems fur la croupe de chaque cavalier de la première Hgne; ils ne fe contentèrent pas de mettre les efcadrons en défordre , par la furprife qie leur mouvement caufa narurellement aux chevaux , ils fautèrent encore a la gorge des cavaliers, en démontèrent un grand nombre, & conduiiirent les chevaux dont ils fi'étoient ainfi rendus les rnaittes, dans le flanc  ET LA PRINGESSE Z I B E L I N B. 157 des bataillons, qu'ils mirent aifément en défordre; & Barbefalle avec mille barbets des plus déterminés, ébranla la maifon du roi. II ne fut pas difficile a Courtebotte de profiter d'un auffi. grand avantage , il remporta donc une vidoire complette, il combattit perfonnellement Brandatimor ; & malgré fa fureur, il le fit prifónnier de guerre. Mais ce prince, dont perfonne ne plaignoit la deftinée, en arrivanr aux pieds du rróne de Zibeline, ou Courtebotte 1'envoya, mouruc fubitement. On attribua cette mort a une révo-. lution d'orgueil. Courtebotte , après la vidoire , renvoya les barbets dans leur pays, avec des lettres pour Biby pleines de leurs éloges & des grandes obligations qu'il leur avoit. II les pria d'obferver, pour leur retour, les mêmesprécautions qu'ils avoient prifes pour arriver. II en réferva feulement cinquante des plus jeunes & des plus déterminés, qu'il choifit pour fa garde, parmi les grenadiers. Mais ce qui prouve bien que la valeur & même la témérité ne font pas toujours périr ceux que la nature honore de ce fentiment , & qu'au contraire, il en périt moins de ceux-ci, c'eft que, dans cette grande journée, on ne perdit guère plus de quatte eens batbets. Courrebotte employa deux mois pour affurer a Farda-Kinbras la conquête qu'il fit de tous les états de Brandatirnor. Après ce tems, il revinti  15S Le PriNé e Courtebotte la cour comblé de gloire , adorer Zibeline, qui le recut avec la fimple joie que la vidoire &c les fuccès de notre petit héros pouvoient lui donner, mais fans éprouver ni témoigner k plus foible émotion de cceur telle qu elle put être. L'on ignora le fecours effentiel dont les barbets avoient été pour la vidoire ; ainfi Courtebotte & les troupes recurent des éloges a perte de vue. Pour le général, il les recut encore avec une plus grande modétation qu'a fon ordinaire, puifqu'il n'ignoroit pas a qui il étoit redevable de fa vidoire. Pendant le tems que Courtebotte aifuroit les conquêtes du roi, Fadafle & les autres princes hatèrent leur départ pour entreprendre la conquête de la montagne de Glacé, que la guerre avoit fufpendue. lis avoient vu une fi bonne conduite en Courtebotte, tant de valeur & tant derelfource dans 1'efprir, qu'ils crurent ne devoir pas fe lailfer prévenir pat un homme tel que lui. Ils partirent donc avec un emprelfemenr infini. Courtebotte a fon retour j apprit leut dépaft avec grand chagrin; & quoique ce füt pour les intéréts de la princene qu'il eut retardé 1'exécution de fa grande entreprife , cette même princene , qui ne connoilfoit point le mérite des facrifices, ne lui en füt pas le moindre gré; & bien loin de le confölet d'une peine qü'il n'éprouvoit que pour k gloire de- fes armes, il ne recut  et la PrINCESSE Z i b e 11 n E. 159 d'elle que He ces éloges oü 1'efprit a parr, & qui ne flattent que la vanité , fans tien témoigrter au cceur. Courtebotce étoit trop amoureux , Sc il avoit Ie cceur trop délicar, pour ne pas reflentir yivement toute la froideur de Zibeline. II fallut donc qu'il fe contenrat d'ëtre loué froidement par la plus belle bouche de Tunivers. Pour les éloges qu'il recut du roi, ils furent proportionnés aux obligations qu'il avoit a notre héros. Tous les poëtes célébrèrenr a 1'envi un homme qui leur avoit donné, pat fes conquêres Sc fa victoire, le plus beau champ pour la poéfie-, mais il y en eut dans ce nombre d'affez poëtes pour exalter la majeflé de fa taille. Quoi qu'il en foir, Courtebotte , occupé dé fon amour & de fon projet, fit cent mille auef» tions au fidelle Moufta. Ce fut en vain qu'il Ie retourna de toutes les facons poflibles, pour trouver quelque rayon d'efpérance, Moufta ne lui put apprendre fur les fentimens de la princefle, autre chofe que ce dont il n'étoit que ttop cenvaincu par lui-même ; mais il éprouva du moins par toutes fes queftions , la confolation d'ëtre parfaitement sur que le cceur de Zibeline étoir abfolument indifférent; car la première idéé des amans , quand ils ne font point aimés , eft toujours de s'imaginer que le cceur de 1'objer qu'ils adorent, eft prévenu de paflion pour un autre.  'l'So Le Prince Courtebotte Ils ont quelquefois raifon, mais il n'ert étoit pas* ainfi de Zibeline. Courtebotte, ne pouvant téfifter au défir de tenter 1'aventure de la montagne , animé pat 1'amout Sc pat la gloire , détermina fon départs te roi Sc toute la cour firent tout leur poffible non feulement pout le retarder^ mais encore pour 1'empëchet; cat tout le monde étoit au défefpoir de le voir s'expofer a un péril auquel tant de princes & de hérös avoient déji fuccombé. Courtebotte fut inébrarilable dans fa réfolution. U apprit du moins, pour fe corifoler des retardemens qu'on avoit exigés de lui, que fadaffe, tout fon grand train, SC les autres princes qui, depuis peu , s'étoient expofés a 1'aventute, il apprit, dis-je, qu'ils avoient en le fort de ceux qui les avoient précédés * & qu'ils avoient péri dans les glacés. Cet exemple récent auroit dégoüté tout autre que Courtebotte; mais il fentit, aa contraire , a cette nouvelle , redoubler fon défir. 11 fut donc prendre congé du roi & de la reine qui lui dirent adieu en fondant en larmes. II fut" enfuite baifet la main de la belle Zibeline, qui la lui donna du même fang froid qu'elle la lui avoit donnée le premier jour de fon arrivée. II la baifa , cette belle main , non fans éprouvet une émotion infinie. Le roi étoit préfent a cet adieu j Sc toute la cour, hommes 6t femmes, les der- nières,  ït la FrincesSe Zibeline. 165 nières fur-tout hauffoient les épaules, Sc voyoient avec indignation la froideur de la princefle , tant Courtebotte avoit captivé les inclinations de tout le monde. Enfin le roi lui adreflantla parole, lui dit: « prince, vdus avez conftamment refufé tout 33 ce que j'ai voulu vous offrir; les plus grands ji rois de la terre en euffent été téntés, mais au » moiris vous ne refuferez pas une galanterie >> que je veux que la princefle vous fafle »j c'étoit une mante de Maitre, dont la princefle étoit ördhiairement parée. Elle étoit admirable corttre le froid; mais la beauté de la fourruré rehaufloit admirablement l'éclat du teint de Zibeline, & ce n'étoit pas fans raifon qu'elle étoit fa parure favorite. Courtebotte fut honoré Sc charmé de la propofnicn du roi. La princefle y joignit un compliment poli, & Courtebotte partit avee cette fuperbe fourture, un petit fagot de toutes fortes de bois, accompagné feulement de deux batbets les plus béaux que l'on put voir, &-aui étoient le capitaine Sc le lieutenant des cinquante gardes qu'il avoit retenus des troupes du roi Biby. II n'avoit jamais voulu, par modeftie, qué la compagnie entière parut a fes cötés j il 1'avoit toujours tenu canronnée dans divers qiiartiers dé la ville , Sc n'avoit jamais eu avec lui que Iétar major de la petite troüpe; il avoit donné renden ,vous aux autres fur la frontière a jour nohimé s Sc Tornt XXIF, L  i6S Le Prince Courtebotte leur avoir. otdonné de dériler par un ou par deus au plus, afin de ne fe point faire remarquer fur la route. Quel équipage pour un homme qui venoit d'ajouter un grand royaume a celui duquel il partoit adoté Sc refpecté de toutle monde! Plufieurs perfonnes des plus confidérables voulurent non feulement le conduire, mais encore 1'accompagner; il conjura qu'on lui laifsat avec, fon cheval, ce qu'on appelle un briquet pour faire du feu, fon fagot moitiéfee Sc moitié vert, Sc fes deux chiens. On lui obéit avec peine; Sc malgré la fimplicité de fon équipage, il fut recu dans toute 1'étendue du royaume avec une magnificence infinie, Sc des marqués d'amour Sc de confidération du peuple, plus flatteufes certainement pour les grands hommes, que les monumens élevés par la feule flatterie, a 1'honneur des princes. Enfin il arriva a la frontière, c'eft.a-dire , au dernier village habité,- & ce fut 11 qu'il laiffa fon cheval en dépot, au cas qu'il fut affez heureux pour revenir d'une entreprife oü tant d'autres avoient échoué. A quelques pas du village ,* il fe trouva fur la neige, fans appercevoir, tant que la vue peut s'étendre , aucun autre objet. Ces immenfités de neiges ont en elles-mêmes une forte de beauté, mais c'eft une beauté pleine d'horreur. 11 trouva les quarantehuit barbets auxquels il avoit donné rendez-vouss  ïf ia Princessb Zibeline. iè-f , avoir des confidences, ne fe trouvoit au fait, que des minuties & des bagatelles qu'il avoit raffemblées ; mais comme rien n'eft bagatelle pour un amant bien emprelfé , Courtebotte lifoit avec avidité jufqu'a la moindre circonftance. Moufta avoit été frappé fur toutes chofes , des amitiés particulières qu'il avoit recues de la belle Zibe^ Jine , & dont le genie étoit devenu bien difv férent de celles qui les avoient préccdées, Courtebotte recut un courier du roi & de la reine; il avoit été dépêche auifi-tót que l'on avoit appris fes heureux fuccès , & la princeffe lui fit faire des complimens par le courier, A deux journées de la ville , les équipages du roi vinrent au-devant de Courtebotte : tous les peuples le regardèrent déja comme leur maitre , &( yQuloient lui rendre les honneurs qu'ils lui  17+ Le Prince Courtebotte devoient en cette qualité. Non-feulement il les recevoit avec modeftie, mais encore avec répugnance. 11 ordonna a Moufta de le rendre auprès de Zibeline quelques jours avant fon arrivée, & l'on ne peut exprimer la joie avec laquelle il fut ramené a la princeffe. Quelque rare mérite qu'eüt ce fidéle barbet, Courtebotte 1'avoit donné , & c'étoit ce qui depuis un tems , le lui avoit rendu cher. Enfin , notre héros arriva dans la grande ville de Trelintin. Je paffe fous filence les magnificences de la réception qui lui fut faite , pout ne m'attacher qu'aux fentimens patticulieis. Courtebotte en atrivant, voulut baifer les mains de Farda-Kinbras & de Birbantine ; mais 1'un & 1'autte lui firent 1'honneut de 1'embrafler, en lui difant qu'ils le regardoient comme le maitre de leurs états , & le pofleffeur de leur fille. Courtebotte leur dit que fur cet article il avoit bien des chofes a leur déclarer. 11 paffa enfuite chez la princefle, qui rougit en le voyant, Sc qui i pout la ptemière fois de fa vie, ne put ttouver rien a dire. Ce filence élégant de l'amour fut exprimé entre eux , Sc fe trouva accompagnc de tout ce qu'il peut avoit de plus agréable. Enfin , le prince tita de fon fein le gros diamant qu'il avoit ptis dans le palais de glacé , Sc le remettant entre les mains de Zibeline } il lui dit:  ET IA PrinCESSE ZlBElXNE, I7J « Voi'a , madame , ee que je n'ai pas encore j» acheté par affez de penis, ni par une aflez » grande quantité de travaux. Hélas ! prince , » dit - elle, vous ne 1'avez conquis que pour »> vous : & fi je 1'acceptois de vos mains , ce »> ne feroit que pour avoir le plaifir de vous en » rendre de nouveau poffeffeur. •» Le roi & la reine entrèrent i cet inftant de leur converfation , & 1'interrompirent pour lui faire toutes les queflions imaginables, & fouvent lui redemandèrent les mêmes chofes auxquelles il avoit déja répondu pluueurs fois. Mais comme il y a toujours un propos favori fur un événement , celui de ce jour-la , qui lui fuf, je crois , tenu par plus de mille perfonnes , fut : Vous avez donc eu bien frojd ? Le roi n'étoit venu chez la princefle fa fille, que pour mener Courtebotte au confeil, & le déclarer tout a la fois fon gendre & fon fucceffeur, Courtebotte fuivit Ie roi fans favoit fon deflein. Quand il fe vit en préfence de tous les grands qu'on avoit affemblés, & de tous les états du royaume , il prir la liberté d'intetrompre le roi au commencement de fa harangue, & lui dit a haute voix : « Si j'ayois pu » prévoir les bontés de votre majefté, je 1'aum rois prévenue, mais puifque l'exa&itude a renir p fa parole 1'a fait agir avec autant d'emprefle»> ment, je lui déclarerai que je fuis indigne de  i7<£ Le Prince Courtebotte » toutes les bontés dont elle veut m'honorer pat » le malheur de ma naiffance. » Alors il conta tout ce qu'il en favoit , Sc ne cacha point qu'il étoit le fils d'un païfan. Quand il eut tranche ie mot, le ciel tout a coup s'obfcurcir , le tonnère fe fit entendre , & les éclairs brillèrenr. Au bruit de cet orage on vit fuccédet une grande lumière , c'étoit la bonne fée Guerlinguin qui defcendit de fon char, a la fenëtre de la falie du confeil. Elle étoit in fiochi , c'eft-i dire dans le plus brillant équipage de la fée^e , Sc portoit fous fon bras le plus joli barbet du monde. Elle adreffa la parole a Courtebotte , en lui difant ; « Je fuis » contente de votte modération , Sc fur-tout de » votre bonne foi ; » puis fe tournant vers le roi, elle déclara la naiffance de ce prince, conta Phiftoire de fa vie, & lui dit : « Votte veitu » vous a mis au comble de vos vceux , non« feulement du cöté de l'amour & de la gloite , » mais encore du cóté de 1'amitié , puifque vous » allez revoir le roi Biby , &c tous fes fujets, » reprendre leur état naturel, qu'ils ne devront »> qu'a vous; je vous ai fait paffer par toutes les »j épreuves qui contribuent a former un roi jufte » 8c grand ; je vous ai mis en état de trouver » des refTources en vous même. Je vous ai fait ,» connoitre 1'amitié , & telfentir non-feulement »> les plaifirs qu'elle procure , mais encore les  £ t t A V RI NCESSE ZlBËLINE. I77 ï> véritables fecours qu'elle feule pent faire frou» ver dans Ie cours de la vie. VoilA , je crois, la » meiüeure éducation que l'on puiffe donner a » un homme qui doit comtnattder aux autres. ,» II ne vous refte plus déformais qu'4 prariquet »»- fur le trone , les vertus que vous aVez fait » paroitre pendant que vous ne connoiffiez en » vous qu tin homme obfeur. Je fais que c'eft » un point qui n'eft pas faris difficulté , mais » je lefpère de la bonté de votre cceur. » Pour lors on vit arriver un char tiré par des aigles qui, par les ordres de la fée, conduifoient le roi & ia reine, defquels Courtebotte avoit recu la naiffance. Ils embrafsèrent leur cher enfant avec des mouvemens de joie infinis, & le trouvèrent en effet, comme leut avoit prédif Guerlinguin , tout couvert de fourrure. Pendant qu'ils carefïoieut auffi Zibeline , & qu'ils lui prenoient les mains a fofce , ( car j'ai remarqué que c'eft Ia careffe que les fors font affez volontiers) on vit arriver de tous les córés de la terre , & l'on déeouvrir a chaque inftant fur 1'horizon , des chars de toutes les efpèces , qui conduifoient un nombre infini de fées. « Sire, dit Guerlinguin au roi Farda»> Kinbras , j'ai donné rendez-vous dans votre » cour a toutes les fées , que des affaires pre^ » fantes n'occupoient pas indifpenfablement »> j'ai cru que vous ne le rrouveriez pas mau-  178 Le Pb-Ince Courtebotte u vais, Sc que vous feriez bien aife de donnet » chez vous le grand bal , auquel nous nous » trouvons pour 1'ordinaire tous lés cent ans. * Le roi répondit, comme il le devoit, a cette faveut. On fit la paix entre lui Sc Guirlangandino , & ce fut le roi Sc elle qui menèrent le grand branie. Marfontine rendit fa première forme au roi Biby , & tous fes fujets épröuvèrent la même faveur; ce prince parut alors auffi beau prince , qu'il avoit été beau barbet, Sc époufa ce jout la même lateine des Indes, a laquelle on avoit envoyé un des équipages de ces dames. Enfin , jamais nóces nefe firent avec tartt d'éclat que celles de Couttebotte Sc de Zibeline ï ils vécutent heureuxdeuts enfans pattagèrent tous leuts royaumesj Sc Courtebotte en reconnoifTance de la fourrure de martre, dont la princeffe lui avoit fait préfent pour fon voyage, donna le nom de Zibeline aux plus belles martres , pour les diftinguer des auttesj & ce furnom s'eft tranfmis jufqu'i nous.  17? ROS ANIE, CONTÉ. P , , ST ersonne dans le monden'ignoreque toutes les fées , quoiqu'elles vivent plufieurs fiècles , font fujetes £ la mort & a toutes les infirmités de 1'animal dont elles font obligées de prendre la figure un jour de la femaine. Ce fut dans une pareille circonftance que périt malheureufemenr la reine des fées. On prononca les éloges de la défunte; l'on convoqua (fuivant 1'ufage) l'affenv blée génétale des fées , & l'on procéda a 1'élection d'une nouvelle reine; après bien des débars, toutes les voix fe téunitent enfin fur deux d'entre elles. L'une fe nommoit Paridamie, & 1'autre Surcantine. Elles étoient célèbres par leurs talens, 8z recommandables par leur capacité. Leur mérite étoit fi patfaitement égal, que malgré les lumières des dames qui compofoient l'a(fem« blée, il n'étoit pas poffible de faire un choix ' & de donner la préférence, fans commettre mie injuftice. Enfin, pout accordet tout Ie monde ,  ï8o R O S A N ï E. l'on convint d'une voix unanime , que celle des deux qui produiroit aux yeux dés Hommes quelque chofe dé plus fingulier que fa concurrente feroit dès ce moment recönnue pour Ia reine. L'affemblée décida (avant que de fé féparer) que 1'admifation que l'on cauferoit aux hommes, n'auroit;point pour principe le bouleverfemeut des élémens, non plus que tout le fracas devenu fi commun dans les hiftoires de féerie. Elle déclara authentiquement qu'elle ne Vouloit ni montagne tranfportée, ni métamorphöfe de cette efpèce; Sutcantine , en conféquenee de ces réfolutions * forma le projet d'élever un prince que rien ne pouvoit tendre conftant; & Paridamie entreprit de faire voir aux mortels une princeffe qui foumettroit a elle tous ceux qui la vertoient un moment. On ne limita point le tems qu'elles devoiertt employet a 1'exécution de leur ouvragei Le royaume fut remis entte les mains des quatre plus vieilles du corps, que leur grand age éloignoit de toute ambition. Paridamie avoit depuis long-tems un grand fond d'amitié pour le roi Bardondon; ce princè étoit doué de talens & d'efprit; & fa cour maelle , que ma fille étoit devenue tout a coup un bouquet de rofes , & dans le tems que j'en examinois les fleurs avec autant de curiofité que de tendreffe , un oifeau , charmant a la véiïté , eft venu fondre fur moi , & me 1'a enlevée. Que l'on aille au plutot, continua-t-elle , favoir comment fe porte ma fille : on courut a fon appt;rtement, mais que devinrent le roi', la reine & toute la cour, quand ils apprirent que Rofanie TomeXXiy. M  1§1 R O S A N I E.' n'étoit pas dans fon berceau ? Plus les recherches que l'on fit pour en avoir des nouvelles , furent inutiies , & phis la reine devint inconfolabie ; Bardondon n'étoit pas moins affligé; mais en homme ferme, il favoit renfermer fa douleur. Le roi propofa a Balanice d'aller paffer. quelques jours dans une maifon de campagne affez retirée , qu'ils avoient fait batir auprès de leur capitale. Elle y coiifentit avec plaifir ; car la douleur en: amie de la retraite. Un jour qu'ils fe repofoient au milieu d'une étoile formée par douze allées , ils appercurent dans chacune une païfane qui venoit a 1'endroit ou ils étoient affis , leur gentiilefie, leur fraicheur Sc leur propreté attirèrent leurs regards: plus elles s'approchèrent de leurs majeftés, & plus elles trouvèrent qu'elles méritoient leur attention. Chacune d'elles portoit une corbeille fort agréable , & dont elles paroiffoient fort occupées , elles les posèrent aux pieds de Balanice , & lui ditent: charmante reine, ( car on n'a jamais parlé autrement a une reine , quelque laide qu'elle ait été) recevez cette confolation dans vos malheurs. Après ce compliment , elles difparurent: la reine ouvrit les corbeilles avec emprelfement, & trouva que chacune renfermoit une petite fille de Page a peu prés de celle qui caufoit fon afflidion. Cette  R O S A N t E.' l8Ï première vue ranima les douleurs; mais enfin ïes graces de ces jolis enfans la calmèrenr peu a peu , Sc finirent par la confoler tout-a-fait; Ion ordonna fur le champ des mies, des femmes de chambre , des filles de garderobe, on envoya chercher des charretées de poupées & de jouets,' & l'on fit venir des hottes pleines de dragées Sc de confitures de la rue des Lombards. L'on appercut qu'elles avoient toutes au même endroit de la gorge une très-petire rofe , mais parfaite-, ment bien coloriée. La reine avoit trop d'efprit pour ne pas fentic la difficulté qu'il y avoit a trouver tout a la fois douze jolis noms pour ces douze petites filles j elle avoit au2i trop d'ufage du monde pour ne pas prévoir que la chofe exigeoit du moins un tems confidérable , fur-tout en calculant les jours que nous voyons paffer a une femme pour donner un nom a un feul petit chien ; elle prit donc le fage parti de les diftinguer par le nom des couleurs qu'elle leur atrribua, Sc dont elle ordonna qu'elles fuffent toujouts parées. Son ordre fut exécuté, Sc quand elles étoient chez la reine, elles fcrmoient le plus agréable , comme le plus fingulier des partères. A mefure qu'elles avancoient en age , on déeouvrir en elles, premiè, rement un fond d'efprit infini, qu'une éducation admirable dont elles avoient parfitement pro- M ij  184 R O S A N I E. nté , avoit orné de tous fes agrémens. On vit auffi que leurs caraóbères différoient abfölWrtlénc Ainfi , perdant les noms de gris de lin , de blanc, &x. Elles prirent a jufte titre ceux de douce , de belle , de. jolie , de vive , de cauftique, de délicate , de complaifante , d'enjouce , de férieufe , d'agréable , de fine & de difficile. L'on croira fans peine qu'en voyant naitre leurs agrémens qui fe trouvoient fort au-delfus de toute defcription, l'on voyoit en même tems naitre l'amour de tous les jeunes gens de la cour tk celui de tous les princes étrangers attirés par le bruit de tant de beautés • mais les filles de la reine ( car l'on m'a fort afluré que ce fut celleci qui créa la première cette charge dans fa maifon) ces belles filles, dis-je, étoient auffi fages que jolies , & l'amour leur étoit abfolument inconnu; elles ne faifoient donc que des paffions malheureufes, articlè fur lequel j'ai entendtt dire que les autres filles des reines qui leur ont fuccédé ne les ont pas toujours imitées. Tant de différens caractères, & tous foutenus par les agrémens de 1'efprit, enlevoient donc tous les cceurs, non feulement a 1'indifférence, mais encore aux paffions qui paroiffoient les plus vives. Telles étoient les douze plus jolies créatures qu'il füt poffible de rencontrer fur la terre. Surcantine , pour fotmer 1'inconftant auquel  ROSANIE. 185 elle s'étoit engagé, jeta les yeux fur le fils d'un roi, coufm - germain de Bardondon. 11 étoir agé de fept ou huir ans, lors du reglement des fées pour la fucceffion a la couronne. Elle avoit doué Ie jeune prince Mirliflore (car c'eft ainfi qu'il fe nornmoit) de tous les talens de 1'efprit; mais elle n'oublia rien pour les redoubler encore, &c ne négligea aucuns foins pour embellir fa figure & 1'orner de toutes les gtaces féduifantes qui font tant d'amans dangereux & d'amantes, malheureufes. Non-feulement fa figure devint fingulicrement agréable, mais fon efprit doux & vif tont enfemble, produifoit avec autant de facilité que d'agrémens, ces chofes frivoles qui amufent & qui féduifent fi parfaitement les femmes ; le négligé comme la parure convenoient également aux charmes de fa figure , les plus beaux cheveux du monde ornoient fa tête; cette bouche féduifante de laquelle il fortoit fans ceffe , & fans aucune fadeur, les difcours les plus flatteurs : cette bouche, dis-je , étoit ornée des plus belles dents du monde. 11 avoit encore une voix féduifante & qui portoit au cceur. Sa beauté étoit male, & l'on ne pouvoit avoir plus d'adreffe pour tous les exercices du corps; il avoit une valeur naturelle que les femmes aimables , dont il avoit toujours été environné, avoient encore redoublé (car les femmes de ce tems aimoient de préférence les Miij  lS£ R O S A N I £. hommes courageux un peu plus qu'elles ne les aimentaujourd'hui). Ce fut encore pourl'éducation du charmant Mirliflore , que Surcantine inventa les romans; il ne faut pas croire qu'une chofe qui entretient ala fois la valeur Sc Ia tendreffe dans le cceur, puiffe avoir été inventée par les hommes. La fée infpira a ce jeune prince les meilleurs fentimens du monde fur tous les articles, excepté fur les femmes; elles lui repréfenta les langueurs d'un attachement véritable , en lui peignant les agrémens &c les vivacités de la coquetterie fi flatteufe pour l'amour propre. Enfin elle joignit a toutes les féduótions dont elle avoit fu 1'orner, ce faux fentiment que nos jeunes gens n'ont que trop aujourd'hui, & qui leur perfuade que plus ils ont eu de femmes ( même fans les aimer) Sc plus ils font recommandables. Mirliflore, alage de dix-huit ans , ne trouva plus rien dans la cour du roi fon père, qu'il put facnfier a fon inconftance. Il en partit donc , Sc dans tous les pays oü il alla, il éprouva le pouvoir de fes agrémens , & fut employer avec fuccès la féduction. 11 fit des malheureufes fans nombre; mais comme l'amour fait tirer parti de tout, quelque affligées que puflent êtte celles qui le perdoient, elles avoient du moins la confolation d'avoir été prcfirées; c'étoit dans cette foute 6c dans ce défordre de plaifirs, que Mirli-  R O S A' N I E. I§7 flore avoit paffe fa vie, quand il arriva ala cour de fon grand oncle le roi Bardondon. Quel plaifir pour un homme coquet & de plus accoutumé a plaire, de la trouver parée de cent bautés! Mais que devint-il, en appercevant les douze plus jolies perfonnes que la nature eut jamais formées ? De leur cöté , elles fentirent toutes beaucoup de göut pour lui, Sc ce gout égal en elle redoubla la lituation embarraffante dans laquelle il fe trouva; enfin il en vint au point de ne pouvoir être un moment fans elles. La douce 1'engageoit par des propos charmans, que la vivacité de 1'autre lui faifoit oublier. L'enjouée le charmoit, mais il n'en étoit pas pour cela moins fenfible a la folidité des difcours de la férieufe; la fine piquoit fon gout, Sc la délicate le faifoit rougir. II fe confoloit avec la complaifante des plaifanteries qu'il avoit eiTuyées de la cauflique; Ia belle occupoit des regards que la jolie lui enlevoit auffitót. Enfin 1'agréable le féduifoit, Sc fa vanité étoit piquée du plaifir de plaire a la difficile. Une telle fituation rendit le beau Mirliflore infenfible a toutes les autres beautés de la cour; les agaceries, les billets, les lorgneries, les facrifices, toutes chofes qui jufqu'alors avoient fait fes délices Sc fa feule occupation, toutes ces chofes, dis-je , ne Ie purent animer , il reffentit l'amour pour ia première fois, quoique douze M> iv  i8S Rosanie. perfcnnes en fuif nr 1'objet, & Surcantine elle— mê ne fa| trompée a ce fentiment Cer act rchement po fr un li grand nombre, lui p irut la perfc ;>.i de L' lu-ouftance au'elle ave-it entrepr.s de produire : e le rriomphoic- donc, & Pandamie ne ctifoit mot- ; „ . , .,; ^ .,_.rj I e jère de Mirliflore écrivir, mais inutilernent a fon fil>> , qu'il défiroit fon retour : ce fut avec li mime iputilité qu'il lui propofa un mariage trés ayantageux. Le prince neput accepter aucune de ce,s propoiitions : lien dans le monde ne pouvoir 1'cng-iger a fe féparer de fes douze fouveraines. Un jour que Balanice donnoit une fère dans les jardins , & que le prince ne favojt a laquelle entendre , on entendoit bourdonner quelques mouches a miel; les belles filles en craignirent les piquures, elles coururenr en fplatrant enfemble pour les éviter, & par couféquent elles fe féparèrent de la compagnie, Pour lors les mouches s'accrurent en un moment, & devinrent fuffifamment grandes pout enlever ces douze beautés; leurs cris & ceux des fpectateurs fe perdirent dans les airs. Cette étonnante aventare fit éprouver a toute la cour une affliélion bien fincère, Pour Mirliflore, après les premiers momens d'un dcfefpcir qui faifoit tout craindre pour fes jours , ii tomba dans une laegueur exceffive, Surcan-  R O S A N I E. Ï89 tioe acconrut en toute diligence pour lui donner du fecours, & le rerirer d'un état fi peu conforme a réducatton qu'elle lui avoir do:mée. Elle lui apporra trois romans manufcrits qu'elle n'avoit pas encore eu le tems de faire imprimer, mais il ne daigna pas feulement les ouviir; il rejeta les portraits des plus jolies femmes qu'elle lui préferifa, & dont il avoit autrefois fait un amas, connne un trophée a fa vanité. Enfin Mirliflore trifte , fombre, & n'aimant que la folitude, faifoit craindre pour fa vie. Un jour qu'il étoit Ie plus abandonné a fes triftes regrets , il entenclit de tous cötés des cris de joie, & fur-tout d'admiration; fa cutiofité n'en fut point émue; 1 étonhement que tout le monde exprimoit, étoit affurément bien fondé •, l'on voyoit un char de criftal qui s'avancoit lentement dans les airs, les rayons du foleil rèndöient la voiture éblouilfante, un nombre infini de demoifclles dont les ailes brillahres naturellement produifoient un éclat merveilleux , portoient mille & mille guirlandes qui formoient un thcatre de fleurs. Six autres demoifelles étoient attelées au char ; une jeune perfonne les menoit avec une adreffe & une grace infinie , avec des rnbans de couleur de ro!e ; cette marche, ou plutot cette pompe , étoit auffi btillante que galante, mais tout ce fpe&acle ne fe fit plus admirer, auffi-tot qu'il fut  19° R O S A N i E. poflible de diftinguer la beauté qui defcendoit des cieux. Péridamie étoit aflrfe a fes cötés, elles mirent pied a terre 1'une & 1'autre au bas du grand efcalier du palais, & montèrenr chez la reine ; elles y arrivèrent enfin malgré la foule qui les environnoit, les Suifles eurent même une peine infinie a leur faire faire place, & le refpedf. que l'on devoit au palais , ne put empêcher les exch". mations que l'on faifoit fur la beauté dont on ctoit ébloui. Grande reine , lui dit la fée , voila vorre fille que je vous amène , cette même Rofanie qui vous a été enlevée au berceau. Après les premièrs tranfports d'une joie pareille a celle que Balanice reflentit : & mes douze filles, ne les verrai-je plus, en fuis-je pour toujours féparée , dit-elle tendrement a la fée ? Bientöt vous ne me les demanderez plus, lui répondit la bonne Péridamie ; mais elle prononca ces paroles du ton qui fait fentir que l'on ne veut pas être pouffé de queftions ; pour lors elle difparut de I'appartement de Ia teine, & remontant dans le char d'une vitefte égale a 1'éclair , elle fut perdue de vue dans 1'immenfité du ciel. L'on courut annoncer ces événemens a Mirliflore ; tout ce qu'on lui rapporta de la beauté de Rofanie , ne fit pas la moindre impreflion fur fon efprit; l'on eut même beaucoup de peine a le réfoudre a yenir rendre vifite a fa belle cou-  R O S A N I E. T«yt -nne , la politetfe & la bienféance forerit les feules chofes qui le déterminèrent a faire cetce démarche. II fut frappé de toutes fes beautés , fa délicateife même étoit venue au point de lui reprocher de ce qu'il trouvoit encore quelque chofe de beau dans le monde, après la perte qu'il avoit faire. La beauté toute feule n'a jamaisifait un inconftant; mais a chaque inftant de convetfation ; il découvroit dans le cara&ère & dans 1'efprit de Rofanie , tantót un agrément, tantót une grace , tantót enfin une des féductions qui 1'avoient enchanté dans les douze perfonnes dont il regretr toit la perte ; enfin il trouva dans le caraótère de Rofanie tous les divers agrémens, comme il étoit frappé de tous les traits que fon vifage lui retracoit a la fois, un amant auffi éclairé, auffi tendre'que 1'croit Mirliflore, pouvoit-il s'y méprendre ? Toutes fes autres connoiffances , la parole de la fée, tous les difcours de Rofanie elle-même n'éroient que de foibles preuves auprès de celles que l'amour prononcoit; Mirliflore , plus amoureux qu'on ne le fut jamais , obtint aifément fa belle coufine en mariage. Au moment qu'il en fit la demande, Peridamie parut triomphante , elle étoit dans le plus beau des chars, defliné a la reine des fées, car elle en étoit déja la reine ; Surcantine, a la feule vue de Rofanie , s'étoit départie de fes prétentions. Petidamie rendh un  icji ROSAMIE. compte ttès-exaót du plus grand miracle de Ia féerie qu'elle avoit produit; elle apprit, 8c de quelle facon elle avoit enlevé Rofanie, & comment elle avoit féparé les douze caracrores , afin de les pouvoir plus aifément rendre parfaits, & détruire en même tems Tinconftance de Mirliflore d'une facon qui ne lui füt point fufpecle , 8c qui cependant füt certaine au moment de la réunion d'un auffi grand nombre de rares talens. Les nóces furent célébrées , & les charmes de Rofanie avoient fi fort le don de la féduótion , que Surcantine elle-même voulut faire un préfent auxnouveaux manés. Rofanie reffentoit elle feule autant d'amour qu'en avoient éprouvé les douze beautés. Pour Mirliflore , il fut conftant toute fa vie ( eh ! qui ne 1'eüt pas été ?), quoique fon règne & fa vie ayent été de la plus longue durée.  *9* LE PRINCE M U G U E T E T LA PRINCES SE te ZAZA, T .1 l y avoit une fois un roi & une reine qui donnoient tout ce qu'ils avoient, paree qu'ils étoient les meilleurs gens du monde , & qu'ils ne pouvoient laiffer fouffrir perfonne. Le roi Bambou , leur voifin , fachant qu'ils n'avoient plus de tréfors, entra dans leur pays avec une grande armée , & s'en empara. Le pauvre.roi n'ayant rien pour fe défendre ni pour fubfifter, fut obligé de mettre une fauffe barbe , & de s'en aller a pied avec la reine fa femme, emportant fur fes bras, avec beaucoup de peiue , le petit Muguet, leur  t94 La Prince Mügöeï fils unique , agé de trois ans , & dont la figure étoit charmante. Ces malheureux princes eurent au moins le bonheur dans leur infortune, d'éviter les pourfuites du méchant roi Bambou, qui vouloit les faire mourir. lis traversèrent les déferts , & fe trouvèrent, après des fatigues incroyables, dans une belle vallée coupée par un torrent, dont la fraicheur entretenoit des prairies admirables. Pendant qu'ils confidéroient les beautés de la nature , qui feules ont le droit de nous charmer véricablement, ils entendirent une voix qui dit: Pêches , & tu trouveras. Ces paroles firent d'autant plus d'impreflion fur 1'efprit du roi, qu'il avoir route fa vie fort aimé la pêche , Sc qu'il portoit toujours des hamecons dans fa poche : cette ptécaution lui devint alors fort utile, car il les attacha au bout d'un défefpoir que la reine avoit heureufement confervé , & prit en un moment de gros poilfons avec lefquels il fit un tresbon repas, car les pauvres princes n'avoient mangé dans le défert que des fruits fauvages & des racines ; fenfibles a ce foible fecours , & touchés de la beauté du lieu, ils firent une feuillée pour fe mettre a 1'abri; ils ramafièrent des feuilles Sc de la mouffe dont ils fe firent un bon lit. Tout eft comparaifon. Cette petite habitation leut parut donc bientbt pleine de délices ; cependant , ;ls trouvèrent que des troupeaux manquoient a  ET IA PRINCESSE Z A Z A 195 leur bonheur , & la reine imagina qu'elle pourroitles garder avec le petir prince , pendant que le roi iroit a la pêche , car elle continuoit nonfeulement a être très-abondante , mais les poiffons qu'il pêchoit étoient d'une beauté raviffante, Sc les coulcurs de leurs écailles étoient auffi vives que brillanres , fouvent même il s'en trouvoit d'arlequins. Ce n'eft pas tout encore , : ils s'apprivoifoient aifément; Sc le roi s'étant appercu de cette parricularité, remarqua qu'ils ap-" prenoient a parler Sc a fiffler plus vlte qu'aucun perroquer. Cette découverte lui fit prendre la réfolution d'en aller vendre a une ville afTez voifine de fa retraite. II y fut en effet, Sc voyant qu'il n'y avoit dans le marché aucun poiiïbn de cette même efpèce , il expofa les fiens, Sc fit remarquer ce qu'ils favoient faire Sc dire , en affurant qu'ils étoient jeunes; qu'il ne les avoit inftruits que depuis peu de tems; & qu'ainfi, leurs talens ne pouvoient qu'augmenter. Une chofe auffi fingulière auroit réuffi dan* tous les pays ; mais elle ne pouvoit manquet de faire un grand effet dans une ville oü le luxe étoit en fi grande lecommandation; auffi tout le monde s'emprefla pour acheter les poiffons du roi , on lui donna tout ce qu'il demanda de ceux qu'il avoit apportés, Sc même on lui fit promettte de revenir avec d'autres j en peu de tems l^s poiffons des  i>)6 Le Prince Muguet. vinrent fort 4 la mode; on les metroit dans de grands vafes de criftal pleins d'eau, que l'on pendoit comme des cages dans les appartemens \ leurs belles couleurs parodioi'ent 4 découverr, Sc l'on pouvoit aifément le-> alTbrtk aux meubles. Avec 1'argenr que Ie roi retira de ces beaux poiffons , il fut en etat d'acheter des troupeaux , 8c d'embelür fi retraite de toutes les chofes néceflakes : il' fentit bienrot après les douceurs de la vie qu'il menok , Sc ne regretta plui fon beau royaume. La fee du Hêrre, touchée de la firuation de ces princes malheureux , habitoit la vallée ou le hafard les avoit conduks; c'étoit elle qui leur avoit fait entendre la voix qui leur confeillok de pêcher, & qui les pik fous fa próteófion, paree qu'elle aimoit beaucoup les enraus , & que le petit Muguet, qui ne pleurok jamais, deven.) t tous les jours plus joli. II eft très-aifé de plaire aux gens afTiigés, en compatiifant 4 leurs malheurs ; aullï , fans avouer d'abord fon écat de f e, elle fit connoidance avec le roi Pècheur & la reine Bergère, qui prkenten ttès-peu de tems une fort grande amkié pour elle, Sc lui confièrent même le beau Muguet, leur unique efpérance : elle le menok dans fon palais, & c'étoit avec un grand plaifir de fa part , car elle lui donnok fans ceffe des tartes , des gateaux Sc de la bonne crème  et IA PriNCESSB ZazA. I97 crème : elle employa d'abord. ces moyens pour s'en faire aimer; mais dans la fuite, elle fit ufage du goüt qu'il avoit pout elle , & s'en f_rvit pour lui infpirer des fentimens convenables a fa naiffance, & lui donner des connoiffmces néceffaires a tous les hommes; mais encore plus a un prince. Malgré reut le foin de la fée , la vanité 1'eraporta, &c eorrompit les bons fentimens que la nature avoir établies dans fon cceur; & lorfqu'il eut atteint fa quinzième année , la vie champêtre le dégoütae, cette ville voiiine , oü le luxe & la mollede régnoient a Tenvi, le féduifit; &c fe livtant a tous les charmes de l'inconftance , il fit autant de conquëtes qu'il eut defiein d'en faire , car il étoit charmant. Le roi & la reine éroienc forr affligés de ce genre de vie ; mais ils he favoient comment s'y oppofer ; car, entre nous , la fée du Hêtre étoit un peu trop bonne. Sur ces entrefaites , elle recut la vifite de Saradine, une de fes compagnes ; elle étoit fi fort en colère , qu'elle ne pouvoit parler. Eh mon dieu ! qu'avez, vous donc , lui dit avec douceur la fée du Hêtre ? Hélas ! vous en allez juger , lui répondit-elle. Vous favez que non contente d'avoir doué Zaza, héritière de 1 ile des Rofes , de tout ce qu'une princeffe peut efpérer pour plaire, je 1'élevois auprès de moi avec des foins infinis; que croyezvous qu'elle m'a fait ? non, je n'en faurois reTome XXIF. N  198 Le Prince Muguet venir , continua-t elie En me Faifant plus de carefTes & d'amitiés qu'a fon ordinaire , elle m'a fait promettre de lui acoider une grav.e. Ses manières m'ont féduite , & j'avoue que j'at juré; enfin, voici ce qu'elle m'a demandé: Vous m'avez accablée de b >ntés, a-:-elle ajouté, je fuiscomblée de vos dons, mais je vous con;u>e de me les oter ; car enfin , fi j'ai le bonheur de vous plaire , je ne fais fi c'eft par moi même , i: je ferai toute ma vie dans la même fituation avec tous ceux que je dois reucontier ; voyez donc cmel dé<*oüt vos bontés, dont jt ne fuis point ingrate , ont répandu fur ma vie. J'ai fait ïnutilement toutce que j'ai pu , continuaSaradine, pour la faire changer d'avis, mes erforts ont été inutiles ; n'ai- je pas raifon , continua t-ebe en colère, de lui faire fouffrir aurant de peines que je comp^ tois lui procurer de plaifirs & de fatisfaction ? Après avoir fait la cérémonie néceffaire pour lui bter tous mes dons, je viens, continua-t-elle, me repofer avec vous, & chercher dans votre folitude une diffipatiori dont j'avoue quej'ai grand befoin: mais dans le fond, que lui ai-je bté, a cette Zaza que j'aime peut-être encore ? La nature 1'a formée fi belle , & lui a donné tant d'efprit, qu'elle n'a befoin que d'elle-même pour plaire. J'ai voulu commencer, pourfuivit Saradine, par lui faire éprouver les peines du corps , & je 1'ai  Et LA PRINCESSE 2 A 2 A. X99 tranfportée dans ces déferts oü je viens de la laiffer. Quoi ! fans aücun fecours, lui demanda la bonne fee ? Oui , repric Saradine ; hé bien , continua la fée du Hêtre , donnez-la moi, je n'augure. poinr mal de ce qu'elle vous a demandé, il faut punir fa vanité , & la corriger par l'amour : i! 7 a plus d'efprit dans fon procédé , que n'en ont d'ordinaire toutes ces petkes fottes que nous avons la bonté de douer. Saradine accepta la propofition , & laiffa la fée dit Hêtre dans la forêt. Son premier foin fut d'ccarter tout ce qui pouvoit incommoder la belle Zaza, & de former devanr elle un petit fentier d'une herbe molle , qui la conduilit avec une ombre charmante a 1'habkation du roi Pêcheur & de la reine Bergère. Ils furent furpris en la voyant ; mais ils furenr encore plus touchés de 1'état déplotable oü les ronces & les épines 1'avoient réduite avant que Saradine en eüt pris foin , & quoique les agrémens de Ia figure augmenten: roujours 1'intérêt ; plus on a fouffert, & plus on eft fenfible aux malheuts des autres. Ces bons princes étoient affis fur le bord du tofrent ; ils laiifoient paffer la plus orande chaleur du jour , & fe repofoient du travail de la matinée , en attendant un repas convenable a leur érat préfent. Le roi fut au-devant de Zaza , qui n'ofoit s'approcher; la candeur qui régnoit fur fon vifage, & quelques mots polis, fimcles Nij L  loo Le Prince Muguet remplis d'intérêt, que Pufage du monde peut feul apprendre a prononcer, 1'eurent bientót raffurée; & 1'ayant conduite dans fa cabane , elle accepta fans peine le repas & le couvert. Zaza leur conra tout ce qui lui étoit arrivé fans aucun déguifement. Le roi fut charmé de fon efprir, & ia reine trouva qu'elle avoit été bien hardie d'ofer conttedire une fée. Vos bontés , madame, lui répondit Zaza , m'empêchent de regretter ce que j'ai fait; car enfin , ce que j'ai mérité jufqu'ici , je ne le dois qu'a moi-même , & ma conduite & ma reconnoiffance me feront obtenir encore plus dans la fuite , par les foins que j'apporterai a vous plaire , fi vous me permettez de faire ici quelque féjour ; de femblables difcours charmèrent également le roi & la reine ; ils regardèrent Zaza comme un préfent du ciel , & comme une confolation dans la peine que leur caufoit 1'abfence prefque conrinuelle du prince Maguer , car il étoit fans ceffe a la ville, oü la fée lui entretenoit une maifon magnifique , & toutes les commodités pofiibles. Zaza s'établit donc dans la cabane , & paitageant les foins du ménage avec la reine, elle ne fut bientót extrêmement aimée. On la préfenta a la fée du Hêtre , a laquelle on conta fon hiftoire qu'elle favoit auffi bien que perfonne ; mais elle ne fit pas femblant den être infttuite; & fe laiffant aller au goüt qu'elle avoit  ET LA PRINCESSE ZAZA. 2© I pour la jeuneffe aimable, il ne lui fuc pas rlifficile den être aimée y elle la fit venit fouvent dans fa retraite ou dans fon palais de feuil'es ; il éroit formé par les plus beaux arbres & les plus anciens du monde ; 1'enlacement de leurs branches formoit plufieurs appartemens & pluficurs étages , dont la déeffe Aftrée de mefiire Honoré Durfé, n'étoit qu'une copie très-imoarfaite, mais que le fentiment rendra toujours préférabie. La fée lui montroit tous les jcurs quelques-unes des raretés qu'elle avoit rauemblées pour fon amufement. Mais Zaza préféroit a tous les autres endrcits, le cabiner des romans. II eft vrai que cette pièce étoit fort agréable; l'on y voyoir, dans un ordre charmant, les morceaux les plus rares, qui ont été la bafe ou le plus grand ornement des romans , comme l'épée de Lifvart, la lance de Roger, le modèle de 1'arc des loyaux amans, un parfaitement beau rableau de la gloire de Niquée; en un mot tous les plus beaux livres que 1'imagination a fu créer pour plaire & pour amufer , ils charmoient Zaza. Mais comme elle vouloit être parfaite , elle s'inftruifoit auffi de tous les contes des fées qu'elle pouvoit appreudre ; non contente de la rnener dans le cabinet des romans , elle la faifoit fouvent entrer dans un autre , oü lui montrant les plus grandes raretés , elle difoit a chaque'pièce , c'eft poar' Niij  201 Le Prince Muguet celui qui Pépoufera ; tantót c'étoit un beau chapeau d'or ; tantót un vaiffeau qui voguoit entre deux eaux, nn eer de chaffe fait d'un rubis , deux cierges de cire bleue qui ne fe confommoient point, des diamans qui en produifoient d'autres , & mille autres chofes auffi belles que fingulicres dont le détail feroit trop long. Comment ne pas aimer a la folie quelqu'un qui ajoutoit aux charmes de la fociéré 1'efpérance de faire d'aufli beaux préfens ; car la belle Zaza ne doutoit point que ces raretés ne fuffent un jour les préfens de fa nóce. II eft vrai que la fée du Hêtre ne lui avoit jamais rien dit de plus pofitif. Mais pourquoi les lui auroit-elle montrés , s'ils ne lui avoient été deftinés? 11 y auroit eu de 1'impoliteffe & de la dureté dans le procédé de la fée. Mais elle n'en agiffoit avec cette douceur apparenre , que pour la punir plus effentiellement. Pour y parvenir , elle je.a les yeux fur lc beau Muguer. J'ai déja dit , ce me femble , qu'il avoit ptis autant d'éloignement pour la campagne , que de gout pour la ville dont j'ai parlé. Le luxe & les plaifirs fufhfoient pour occuper pleinement un jeune homme doué de la beauté , mais qui fort attaché a. fa figure , la croyoit encore plus parfaite. Quelqu'un blamera peut-être la fée du Hêtte de fon indulgence 'f rna,is elle afmoit ce jeune prince , & ne  ET LA PRINCESSE ZaZA, 30$ vouloit ie corriger des plaifirs que par les plailirs mêmes. Ce remcde eft encore plus doux qu'il ii'eft sur; mais enfin par bonté elle n'en avoit po:nt imaginé d'autres. Muguet, le mocèle cv 1'exemple de nos petits maitres , vouloit en e par-rout, connoitre tout le monde , pafter pour avoir eu routes les jolles femmes , & pouvoir les mettre fur un catalogue qu'il tiroit a vanité d'augmenter. Des projers auffi beaux 1'empèchoient de rendre vihte a la fée, encore moins a. fes pareus; la campagne 1'ennuyoit, difoit-U.,, & ces bonnes gens trop limples n'enrendoient point fa langue , & n'admiroient point les récits qu'd leur faifoir de fes prétendues proueffes. II étoit Ie plus occupé de ces belles réflexions fi communes a la jeuneffe , lorfque la fée du Hêtre le jugea trés propre a morrifier la belle Zaza. Elle lui en paria fouvent comme d'un jeune homme charmant, & dont la naiffance, égale a la fienne, pourroit être un parti convenable pour elle, Ci leurs fentimens fe trouvoient conformes. Elle annonca le retour de Muguet quelques jours avant fon arrivée. Zaza fe prépara a cette vue par mille attentions fur fa parure, & quoiqu'elle ne doutat point du fuccès, elle étoit agitée de mille idéés qui toutes lui promettoient une conqoête affutée. Mais la fée du Hêtre qui ne doutoit point que le piince, par goiit, par nouveauté Niv  204 Le Prince Muguet ou par vanité , ne s'enflammat pour elle au premier coup d'ceÜ, avoir trouvé moyen d'y merrie ordre; car elle avoit répandu fur toute la perfonne de Zaza un air gauche & une altétation furies traits de fon vifage qui ne paroilfoient qu'aux yeux du beau Muguet. 11 entra dans le palais des Feuilles, plus agréable encore que la fée ne 1'avoit repréfenté ; mais regardant a peine Zaza , il fit cent queftions a la fée , & pour le moins autant de récits. La princeffe fut très-étonnée du peu d'effet de fes charmes, & par un dépit qui n'efl que trop naturel , &c qui fe fait fentir en un moment, elle ne répondit au compliment, qu'il ne lui fit que par égard pour la fée , qu'avec beaucoup de dédain ; mais fes dédains furertt inutiles , on ne les remarqua feulement pas. Zaza piquée , ne douta point que les charmes de fon efprit ne méritaflent fon attention , & quoiqu'elle eüt grand foin de les faite patoitre, cette dernière reffource ne-lui fut pas plus utile. Connoit-on 1'efprit a un certain age ? La beauté fait cent conquêtes contre une que fait 1'efprit; celuici ne fert ordinairement qu'a les conferver. Les réponfes du prince étoient polies , mais elles n'étoient point accompagnées de cette vivacité qui donne envie de dire quelque chofe d'aufli agréable que ce que l'on vienr d'enrendre , non plus que de cette furprife &c ds cette fagon  ET LA PRINCESSE Z A Z A. 105 d'écouter qui découvre jufqres dans le.fdence le contentement que l'on infpire : plufieurs vifires conntmèrent le malheur de Zaza; car le prince avoi: touché fon cceur , Sc malgré tous les ridicules qu'elle lui avoit trouvées fans peine , elle n'avoir pu rélifter aux charmes de fa figure) après s'ètre dit a elle-même tout ce que nous lifons dans les romans, Sc ce que l'on peut dire dans une fituation pareille , elle regretta mille fois les dons qu'elle n'avoit pas voulu conferver. Muguet, de fon t óté, étoit furpris des éloges que la fée, le roi Sc la reine faifoienr continuellemenc de la figure de Zaza : ils fervoient a le confirmer dans 1'idée du peu de gout qu'il trouvoit aux gens de la campagne ; Sc pour leur prouver finement 1'opinion qu'il en avoit, il leur faifoit a tout moment le pottrait des beautés de la ville qu'il aimoit, qu'il avoit aimées, ou qu'il comptoit aimer. Ces prcpos étoienr autant de coups de poignard pour Zaza, qui fouvent en étoit témoin. La fée vouloit cependant le corriger auffi du commerce de ces femmes connues fous le nom de caillettes : elle avoir affurément raifon , car elles rendent prefque toujours un homme infupportable , Sc sfiremenc ridicule. Pour venir a bout de fon deffein , elle lui fit remettre par un inconnu qui fit fon meffage avec beaucoup de myftère , un paquet qui renfermcit un portrait de Zaza , telle  iot> Lu Prince Muguet qu'elle étoit en effet ; il étoit accompagné de eetce lctcre. Cette beauté, beaucoup d'efpr't, un cozur tout neuf avtc un grand royaume, auroitnt cnmhle les. de[irs du beau Muguet j mais Jon incvnjlame ejl tedoutable. Ce billet fit moins d'impreffion fur 1'efprit du prince, que le porrrait n'en fit a fes yeux. Il s'écria fouvent, ne pouvanr s'en empêcher que jamais il n'avoir rien vu qui tut a la fois fi beau & fi joli; il n'eft pas poffible, condnuoit.il , qu'une telle phyfionomie foit trompeufe , Sc que 1'efprit ne réponde a tant de charmes. Après ces premiers tranfports , il fit un rerour fur lui-même , & courut a la ville pour éviter le ridicule d'ëtre amoureux d'un portrait, & pour chaffer promptement toutes les idees qu'il en avoit pu recevoir ; mais il ne trouva plus dans les beautés qu'il croyoit les plus piquantes, les attraits qu'il y avoit laiffës:celle-ci, difoit-il, n'apas cette fineffe dans les yeux ; cette autre n'a point autant de graces dans le fourire; le uez de celle-la n'eft pas li bien faconné ; en un mot, tout ce qu'il appercut ne reffembloir point au portrait, dont, malgré lui même, il fe trouvoit occupé. La ville , bientót après, lui devint importune; &c comme  ET la PriNCESSE ZAZA. ZO7 il ne favoir plus s'occuper, ni ricanner de ces minuties qui compolent ordinairement le commerce des femmes du monde, lui-même il leur parut moinsaimable ; Ie féjour de la fée du Hêtre, & Ia rerraite de fes pareus commencèrenr a lui paroïtre plus agréables. La fée ne fit pas femblant de s'appercevoir de ce changement; & voulant, au contraire, le traiter comme elle avoit toujours fait, & contribuer a. fes plaifirs, elle alfembladans fon palais toutes les femmes que le prince avoit aimées, & leur donna un grand diné, oü Muguet, qui feul en faifoit les honneurs , jouoit un role trcs-embarraffant. La vue de tant d'objets, les uns quittés fort mal, les aurres tournés en ridicule, ou facrifiés, & que même il ne voyoit plus que par leur mauvais cóté, lui firent une relleimpreffion, que jamais fêtenefut plusennuyeufe; car il étoit 1'objet des regards tendres, mécontens, piqués, jaloux, ironiques, fades, ou fottement animés. Cette fête , compofée d'une vingtaine de femmes , qui, dans tout autre tems, auroit été fon triomphe, devint alors une fource de remors & de réflexions qui le conduifirent encore au dégout de fa vie paffee. Pendant ce tems, Ia malheureufe Zaza étoit chez le roi pêcheur & Ia reine bergère, humiliée, c'eft tout dire pour une jolie femme. Elle croyoit que 1'abfence détruiroit a Ia fin des fentimens qu'elle ne pouvoit  aoS Le Prince Muguet fe pardonner. Mais que peut-on propofer a une paflion qui réfifte au mépris ? Muguet, s'adonnant a la retraite, & commencant a en éprouver les douceurs , fit renaitre non pas de 1'efpérance dans Ie cceur de Zaza, mais au moins quelque curiofité \ car elle voulut favoir ce qui caufoit le changement qu' elle remarquoit en lui. Plus elle l'examinoiü, plus elle voyoit les apparences de l'amour. Eh ! qui le connoit mieux que ceux qui le reflentent? Mais auffi plus elle croyoit reconnoitre les apparences du fentiment, Sc plus elle voyoit avec douleur qu'elle éroit bien éloignée de 1'infpirer. Aucune des démarches du prince ne pouvoit être prife pour cette timidité, qui fouvent rerarde les confolations que l'amour eft au moment de donner. Zaza, douce & timide ( car une femme ne devient fiére Sc haute que par les foumiffions & la déférence qu'on a pour elle) Zaza, dis-je, voulant au moins voit Ie prince, cherchoit les occafions de 1'entretenir j Sc lui, de fon coté, loin d'éviter fa converfation, la cherchoir; il ne put même luicacherfon amour , mais il convint qu'il n'ofoit fe 1'avouer a. lui-même, tant il avoit occafion d'en rougir! Cet aveu, que la princeffe ne pouvoit s'attribuer, lui fut infiniment fenfible ; mais enfin , comme elle étoit accoutumce a. furmonter fa douleur, elle ne laiffa rien échapper qui put déeouvrir le  ET LA PrINCESSE ZazA. 209 malheureux état de fon cceur. Un jour que Ie prince étoit endormi au pied d'un arbre, elle s'en approcha doucemenr, pour jcuir fans trouble du plaifir de le voir : quelle fut fa furprife , quand appercevant un portrait a fes cotés, elle le reconnut pour le fien ! Sc quoiqu'en 1'examinant, elle n'en füt pas trop contente, la joie & le faififfément d'un bonheut inefpéré la firent prefque éclater; mais quand elle fe rappela la facon dont il vivoit avec elle, la diftraction, les idéés tendres qu'il avoit en fa préfence, Sc dont elle n'étoit point 1'objet, elle tomba dans de nouveaux embarras ; mais toutce qui foulage la jalöufjtë, étant un bonheur, Sc ne pouvant plus être jaloufe de tous les foins qu'il donnoit a ce portrait, elle ne penfa plus qu'aux moyens de le faire déclarer : fes efforts furent inutiles; auffi plus elle y penfoit, moins elle pouvoit comprendre comment il fe pouvoit faire que le prince adotat fon portrait , & eut en même tems une fi grande indifference pour elle : il convenoit cependant qu'elle avoit beaucoup d'efprit; fouvent même il défiroit a 1'objet pour lequel il foupiroit un caracfère fembiable a celui qu'il aimoit en elle. C'étoit bien peu mériter pour un auffi grand amour, il en faut convenir. La vue de fon portrait 1'avoit cependant rendue plus hardie : auffi fe hafardar- elle un jour de lui demander le nom de 1'heu-  zio Le Prince Muguet reufe princefle dont il étoit occupé. Hélas! je voudrois pouvoir vous le dire, lui répondit tfiltement le prince. Eh! feigneur, qui vous en erripêche, reprit Ia tendre Zaza? Que pouvez-vous craindre ? tout, hélas! interrompit Muguet , puifqu'elle m'éft inconnue, mais je ne demeurerai pas long tems dans le trouble oü je fuis ; Sc fi 1'univers la renferme , elle ne peur échapper a mes recherches. Zaza, furprife au deruier poinr, vouloit douter de ce quelle avoit entendu; mais enfin 1'envie de plaire étant toujours accompagnée de patience Sc de douceur, elle le conjura de lui montrer ce portrait; & pour 1 obtenir, elle ne lui déguifa point de quelle facon elle l'avoit déja vu. Le prince y confentit, Sc Zaza, 1'ayantexaminé quelque tems, lui dit d'un air modefte en le lui remettant, qu'il étoit affez bien. Un éloge auffi foible fut mal interprété par le prince , qui ne pur s'empêcher de lui dire: je vous avoue, Zaza, que je croyois vorre efpnt au-deffus de ces petiteffes fi communes dans les femmes; croyez-vous, continua-t-il vivement, que l'on puiffe trouver ailleurs cet éclat mêlé de tant de douceur Sc de graces ? Je crois, feigneur, lui répondit Zaza en rougiffant, que cette princefle doit êtte contente du peintre. C'eft a- dire, dit Muguet, que vous la croyiez flattée. Sans doute, mais cependant on la peut reconnoïtre,  et LA princesse ZazA 21! reprit Zaza en baïffant les yeux, Quoi! vous la connoiflez , s'écria le prince; de grace, rirezmoi de peine, dit il en fe jttant a fes genoui; comptez que je vous devrai la vie, fi je p'uis voir! par vos foins, un objet fi parfait. Eh bien , feigneur, reprit la princeffe avec les yeux baignés de larmes, n'avois je pas raifon de vous dire qu'if étoit Harre ; pourquoi voulez - vous mobfigerl vous en faire convenir ? Le prince eut alors"befoin de toute fa politeffe pour ne lui rien répondre. Pcnfanr comme il faifoit, toute réponfe eüt été choquante; mais voyant que Zaza s'attribuoitcerre peinture, & ne voulant pas lui faire fenrir 1 quel point il la trouvoit aveuglée par fa vanité, il fe leva d'un air froid & réfervé, fans proférer une feule parole; & jamais une converfation vive na fini fi brufquemenrj car, par d'autres raifons faciles i imaginer, Zaza, de fon éóré, ne penfa point a la foutenir; & le prince s'ctant retiré, partit quelques heures après. Ce départ mir Ia princefle au défefpoir; car enfin elie ne pouvoit fe croire aimée; & 1'abfence du prince lui fe voir avec rant d'horreur les lieux témoins du mépris que l'on avoit fait de fes charmes, qu'elle réfolut de s'en éloigner, & qu'elle partit fans témoignet fa reconnoiflance au roi, a la reine & a la fée, ne pouvant fe décerminer a faire 1'aveu de fes malheurs : ils inrétefioient trop fon amour  nz Le Prince Müguet propre pour avoir befoin cie confiders. Quand elle eut ïtiarché quelque tems, acciblée de fa douleur, elle appercut de très-loih une petite maifon , vers laquelle elle adrefla léntement fes pas ( car elle étoit extrêmement fatiguée ); plus elle en approchoit, Sc moins le batiment lui paJ roifloit ccmfidérable ; enfin elle diftingua une petite vieille aflife fur le pas de la porte , qui, la regardant d'un air affez refrogné, je parie, lui dit-elle, quand elle la put entendre, que voili de mes demandeufes que la pareffe engage a courir le pays. Hélas! madame, lui répondit Zaza en pleurant, une trifte deftinée m'oblige a vous demander le couvert Eh bien! ne 1'avois-je pas dit, qu'elle me demanderoir quelque chofe? Du couvert, elle viendra au fouper; du fouper, on voudra de 1'argent pour continuer fon chemin ; vraiment, vraiment, fi 1'ontrouvoit rous'les jours fa dupe , je ne voudrois pas vivre autrement; mais, pour moi, je ne la fuis pas \ on batira , on achetera des provifions , ce fera pour vous ? Nenni, ce fera pour les palfans; je parie qu'une' jeuneffe comme ca a plus d'argent que moi, il faut que je la fouille, dit-elle en fe levant, & s'appuyant fur fon baton. Hélas! madame , reprit Zaza, je voudrois en avoir, vous me feriez grand plaifir de 1'acceprer. Mais vous êtes bien vêtue , continua la vieille , pour la vie que vous menez. Quoi I  ZT IA P rincesse ZAZA. 2, i 3 Quoi ! vous croyez, reprit Zaza, que je vous demande Paumöne. Je ne fais pas ce que vous fakes, lui répondit la vieille, mais je fais bien que vous n'apportez rien. Au refte, continuat-elle, en regardant toujours fes habits , que me voulez-vous? le couvert, n'eft-ce pas? encore paffe , cela ne coüte guère ; mais de la vous viendrez au fcuper : nenni, nenni, je ji'entends pas cela; car a votre age, on a 1'appétit toujours ouVett; de plus, vous avez marché , & je parie que vous mourez de faim. Hélas! madame, lui répondit Zaza , quand on a du chagrin , on n'eft pas difficile a nournr. Eh bien, dit elle, en fe déridant un peu, fi vous me promettez d'ëtre bien trifte , vous pafferez la nuit avec moi : j'y confens : pour lors elle fit affeoir Zaza a fes cótés; 8c frappée de la beauté de fes habits qui cependant étoient des plus fimples, elle difoit toujours avec étonnement : cote deflus, cote deffous, voyez combien tout cela vous a coüté , ne valoit- il pas mieux garder de quoi manger a vos dépens , que d'en demander aux autres ? Si l'on étoit sür d'en trouver, comme je vous Pai déja dit, cela feroit fort commode; mais dans ce tems-ci, on ne donne rien, on vend tout, & l'on a bien rai£on , car on ne fait pas ce qui peut arriver, le tems eft fi duf. Ces habits font bien chers, ajoutaTemeXXIF O  u4 Le Prince Muguet t-elle. Hélas! madame , répondit la princefle , ils ne m'ont rien coüré , & je n'ai jamais fu ce que c'étoit que 1'argent. Qu'avez-vous donc appris, s'il vous plait, reprit la vieille? Ah! je le vois bien , vous ctes de ces petites demoifelles du monde qui méprifent le ménage, & qu'un amant aura fans doute abandonnée. Non , madme , répondit Zaza., je fuis plus a plaindre & plus fage que vous ne le foupconnez ; mais puifque mon état ne peut vous toucher , continua-t-elle , en fondant en larmes , fi mes fetvices pouvoient vous convenir , vous pourriez.... Moi! des fervices , reprit la vieille , il faudroit les payer , & je ne fuis pas trop bonne pour me fervir moimême , une fervante coüteroit trop dargent , une fervante ne me laifleroit rien , elle mangeroit tout. Madame , lui dit Zaza , réduite au fort le plus déplorable , je ne vous demanderois rien , je vous foulagerois dans vos peines, je ferois , en un mot , tout ce qui dépendroit de moi pour vivre dans un lieu aufli retiré que celui~ci. C'eft pour m'attraper , reprit la vieille , que vous dites que vous me fervirez pour rien ; cependant je concois que vous le pouvez faire; mais comment voulez-vous que ma fervante foit mieux v'ctue que moi? Cela n'eft pas poflible : Uy.a cependant remède a tout, je vous donnerai d'auttes  è t u Püncess'e Z a 'z a. i rj habits, fi vous voulez me laiflèr les vótres. Allons, voila qui eft fait, je n'y regarderai pas de fi prés, & je vous prendrai a mon fervice, car dans le fond je fuis bien vieille, & il pourroit m'arriver quelque accident. La paüvre Zaza qui ne cherchoit qu'un afyle a 1'abri de tous les regards , confentic a rout, & la vieille ayant été chetchet un petit paquet , vint 1'aider a fe defhabiller j difant toujours : comme cela eft doublé ? Ah! bons dieux j que d'ampleur ? & mefurant la juppe fur fon bras , elle s'écrioit : il y a pour le moins quatre juppes dans celle - U , vous n'auriez jamais pu marcher avec tout cet attirail , mon enfant t ni vous toutner dans ma maifon. En difant cela , elle plioit avec une grande propreté toutes ces étoffes pour lefquelles elle avoit une véritable confidération , & Zaza fe couvroit des vieux haillons que la vieille lui avoit appottés. Quand elle la vit ainfi vêtue, elle lui dit: vous êtes a merveille , & je vous aime beaucoup mieux avec ces habits, comment vous appelez vous ? Madame, reprit la trifte princefle, je m'appelle Zaza. Eh bien ! Zaza, voyez quelle eft ma bonne foi, que de gens a préfent feroient capables de ne vous pas tenir parole & de vous renvoyer ! Convenez au moins que je fuis bonne femme. Hélas ! madame , lui répondit Zaza, O ij  xi-6 Le Prince Mugvét que pourrois-je regretter ? Ne fuis-je pas a préfent dans un état pius convenabie a la fuuation de mon casur. La vieille attribuant fon infenfibilitc aux chagtins qu'elle éprouvoit, ne laiffa pas que d'êrre frappée de fon peu d'attachement pout des ehofes dont elle faifoit tant de cas j car elle comptoit avoir gagné des habits pour le refte de fa vie. Quand 1'heure du fouper fut venue, elle entra dans fa maifon , ne voulant pas que Zaza la fuivit, & revint, en lui difant; foupons a préfent. Pour lors , elle lui donna un très-petit morceau de pain noir , & fervit deux pruneaux fur une petite planche tres -propre : alions, mangeons , dit-elle, favez-vous bien que j'ai doublé A'ordinaire ? Vous m'en faurez le gré qu'il vous plaira. Alors elle en prit un & dit : partageons celui - ei, ce qu'elle fit en effet; & comme vous êtes une nouvelle venue , ajouta t-elle, vous aurez le cóté du noyau , mais prenez garde de 1'avaler, car je les amafle avec grand foin, & vous n'imaginez pas le bon feu que j'en fais pendant 1'hiver : ainfi apprenez de moi , (cela ne vous coütera rien ) qu'il faut toujours acheter les fruits a noyau de préférence a tous les autres. Zaza , peu fenftble a ces bons confeils , mangea fon petit moreeau de pain & but un peu d'eau , fans toucher a f*  ET IA PR ÏN CES SE Z A Z A. 21(9 moitié de pruneau que la vieille eut grand foin de reprendre & de garder pour fon déjeüné. Charmée de fon procédé , elle ne put s'empfccher de lui dire: je fuis trés-contente de vos fervices, Zaza , fi. vous continuez , nous vivrons long-tems enfemble , & vous n'aurez pas lieu de vous en repenrir , car je vous apprendraï des chofes connues de forr peu de gens ; par exemple , lui dir-elle, voyez-vous ma maifon ? C'eft moi qui 1'ai batie ; devineriez - vous bien ave<2 quoi ? C'eft avec les pierres de toutes les poires que j'ai mangées , tout le monde les jette , mais dieu ne fait rien d'inurile , 8c quand on a de la patience 8c de 1'intelligence , pourfuivit-elle , on n'imagine pas tout ce que l'on peut faire. Zaza , peu fenfible a de femblables confeils , ne lui répondit point, & d'abord que le foleil fut couché , l'ait du foir donne de 1'appétit, dit la vieille ; de plus , le ferein eft dangereux , couchons-nous de bonne heure, c'eft mon ufage imoi, & je demeure long-tems dans le lit, on yi diffipe moins , 8c par conféquent il ne faut pas tant réparer. Zaza paffa toute la nuit dans une cruelle agitation , & quand la vieille voulut' fe lever, elle lui dit: je vous ai bien entendüé , vous avea pafté une bonne nuit, & je fuis süre que vous n'avez pas env-ie de déjeuner. Hélas ! Oiij  z 18 Lh Prince Muguet non , madame , reprit Zaza, n'avez-vous befoin de rien ? Demeurez au lit, lui dit-elle , tachez de dormir , cela fait du bien , pour moi , je m'en vais faire le ménage , je ne me fie pas encore alfez a vous pour vous le confier , rouc ceia me-connoit , & jamais je n'ai rien calfé , voila comme il faut être ; j'irai demain a la ville , c'eft jour de marché , & j'apporterai pourun fou de pain pour notre femaine. Elle tint cent autres propos de cette force a la pauvre Zaza qui ne 1'écoutoit pas , Sc qui s'étant levée, fut dans ces beaux déferts rêver a fon infortune; mais comme un régime aufli terrible que celui de la vieille auroit affurément ruiné fa fanté , la fée du Hètre, qui ne vouloit que diminuer fon orgueil, lui envoya des fecours dont elle ne pouvoit démêler la fource. Ce fut une belle vache blanche qui la vint carreffer , & qui la fuivant fans ceffe , rewint avec elle a la maifon de la vieille. Quand celle-ci 1'appercut, fa joie fut extréme \ mais bientót craignant que ceux a qui elle appartenoit, ne la vinffent réclamer r elle dit a Zaza : tirons-la toujours , nous mangerons un peu de lait, nous en garderons pour demain, nous en ferons du fromage; cela eft fi bon, du lair, c'eft dommage que cela foit auffi cher. Avec ces belles réflexions la vache fut tirée ; elles lu j  ït la Princessb Zaza. 119 firent un petit abri au pied d'un arbre avec des herbes sèches , & la vieille ne pouvoit fe laffer d'admirer par quel bonheur elle avoit trouvé un fi bel-animal. Zaza habitoit depuis quelque tems ce trifte féjour qui n'étoit fufceptible d'aucune variété , lotfque rêvant au bord d'un ruiffeau , pendant que fa belle vache paiffoit, elle appercut un jeune homme dans la prairie. Elle fe leva promptemenr & voulut fuir , lorfque le beau Muguet (car c'étoit lui-même) 1'appercat a fon tour : il courut au-devant de Zaza avec d'autant plus d'emprelfement , qu'il la reconnut , non pour cette Zaza qu'il avoit méprifée , mais pour 1'original du portrait qu'il adoroit. La fée du Hêtre trouvant la vanité de Zaza aiTez humiliée , voulut employer le même remède contre Muguet , qui n'en avoit pas moins befoin ; la fée rendit a Zaza fes véritables traits , & priva dans 1'inftant Muguet de la beauté qui avoit été la fource de fon inconftance. Muguet fe jeta au-devant de Zaza pour 1'empècher de fuir. On peut juger quels difcours il devoit tenir a un objet dont il avoit le cceur rempli , & qu'il retrouvoit après des recherches infinies. II employa des rermes fi humbles & fi touchans, que Zaza confentit a 1'écouter par Oiv  no Li Princ.e Muguet compaffion. Muguet voulut la fuivte , mais elle le lui défendit; elle lui permit feulement de venir quelquefois dans le même lieu partager fa folitude, L'amout malheureux &c méprifé , eft ordinairement foumis : il lui obéit ; mais il ne manquoit pas un jour de venit dans la prairie chercher celle qu il adoroit, & tacher de la fléchit. Que je fuis heureux , lui difoit-il, de vous avoir trouvée. Je fuis déja trop enchanté de mon fort pour ofei m'en plaindre ; décidez en , vous en ètes fouveraine. Ce fut dans une de ces conveifations que Muguet, qui s'é oit attaché a mériter la confiance de Zaza , apprit avec une douleur extréme qu'elle avoit difpofé de fon cccurj Je ne puis, lui dit elle un jour, recevoir vos vceux : J'ai aimé , & j'aime encore pour mon malheur , un prince léger , inconftant, plein d'orgueil, qui n'aimoit que lui, qui n'étoit fenfïble qu'aux faux airs; que fes bonnes fortunes avoient rendu ridicule; que les femmes avoient gaté ; qui par conféquent éroit incapable de connoitre l'amour , & qui , pour comble de maux, m'a méprifée. Mus c'eft un fat que vous me dépeignez , reprenoit le prince : Se peut il, avec 1'efpntque vous avez, qu'un tel homme vous ait féduite ? II n'eft que trop vrai, reprenoit la belle Zaza , en verfant un torrent de larmes. Ainfi , le  ET IA PRINCESSE 7. A Z K. til prince pénétré , lui difoit contre lui - même , tout ce que 1'idée de rival préfente a 1'efprir. Comment, ajoutoit-il, avec la beauté dont vous ctes ornée , avez-vous pu trouver un infenfible ? Si 1' amour m'eut accordé le bonheur de toucher votre cceur , je vous aurois facrifié le monde entier. J'ai couru 1'univers , j'ai renoncé a tous les plaifirs , par la feule vue d'un portrait : Que cet aveu m'eut été humiliant autrefois ; mais vous êtes plus belle que votre portrait: Je vous ai vue, je ne me féparerai jamais de vous; Quoi! mon portrait, teprit Zaza avec une vivacité dictée ? Par un mouvement de jaloufie, Muguet 1'autoit-il facrifié ? II ne le quittera qu'avec la vie , ce précieux portrait, reprit alors le prince, avec i'éloquence d'un coeur pénétré d'amour; mais d'oü pouvez-vous favoir mon nom ? L'embarras de Muguet &c de Zaza n'auroit fait qu'augmenter par leurs difcours fi, dans ce moment, la fée du Hêtre , qui avoit affez éprouvé leurs cceurs, n'eüt permis que Muguet parut aux yeux de Zaza fous fes véritables traits , & tel que la feelle princeffe 1'aimoit : tous les reproches qu'il avoit effuyés fur fes ridicuies paffes, tout le mal qu'il en avoit dit lui-même ; & plus que tout cela, le degré d'amour auquel il étoit parvenu, avoit oécruit la vanité qui faifoit le feui obflacle a fon  2iz Le Prince Muguet bonheur ; qui pourroit décrire le plaifir qu'ils éprouvèrent ? Ces récits font au-deffus de 1'expreflion. Contens, charmés 1'un de 1'autre , ils prirent le chemin de la petire maifon oü Zaza avoit été recue •, ce fut alors qu'elle fe reprocha les haillons dont elle étoit couverte ; elle s'en inquiétoit, le prince n'y penfoit pas ; Sc quand il s'en appercut, il fut attendri & flatté de rout ce qu'elle avoit fouffert. Ils ne furent pas longtems fans fe trouver chez la vieille , qui , les voyant atriver , s'écria : On a vraiment bien raifon de dire : plantez-la des filles, il y viendra des garcons ; ce que vous faites eft fort joli pour «ne fille , dit-elle a Zaza ; je ne veux point de tout ce train dans ma maifon; vous comptezbien n'y pas fentrer , vrament, vrament, il y feroit beau voir; mais ma bonne , lui dit le prince , vous n'y penfez pas. Si-fait, vrament, j'y penfe ; c'eft pour y avoir bien penfé , Sc je ne penferai poinr autrement. Mais voyez cette belle barb» avec fa bonne , a qui croit-il parler? Muguer fut au moment de fe facher, voyant 1'injuftice de la vieille Sc 1'infulte qu'elle faifoit a Zaza , auffi lui laTffa-t-it cette querelle a démêler, mais elle n'en tïra pas meilleur parti, car les cris , les pleurs Sc les fermens de ne les point avoir , s'exhalèrent au feul mot d'habits qu'elle pronon^a. Cepen-    ït la Princesse Zaza; 225 dant la princefle infifta , car depuis qu'elle étoit aimée, fes foaillons lui étoient infupportables. La vieille cependant crioit comme fi on 1'avoit égor- | gée : voila ce que c'eft que de rendre fervice aux gens , ils vous pillent, ils vous emportent votre bien ; a les entendre , ne diroit-on pas qu'ils ont raifon ? Si je n'étois pas éloignée du fecours, des voleurs ne viendroient pas abufer , comme ils ! font , de ma foibleffe. Enfin , elle attefta tous les dieux qu'elle n'avoit point fes habits , que c'étoit elle au contraire qui, touchée de compaf- ; fion pour Zaza , qui n'en avoit point , lui avoit donné les fiens , que tout le monde reconnoïtroit aifément , puifqu'elle les avoit toujours portés. Mais enfin , après des faux fermens, elle fe radoucit un peu , quand la princeffe lui dit: Mais je ne vous les demande pas ces habits pour rien , je compte vous les acheter. Le prince pour lors lui jeta fa bourfe , qu'elle ramaffa promptement, en difant, je vais voir fi par hafard je ne me ferois pas trompée. Avant que d'entrer dans la maifon, elle revint fur fes pas , & demanda au prince Sc a la princefle, s'il étoit bien vrai que la bourfe füt a elle ; non content de cette queftion , elle les fit jurer 1'un & 1'autre, qu'ils ne la lui demanderoieut jamais ; car, voyez vous , leur dit- elle , vous êtes plus forts que moi, &c  Ü4. Le Prince Mbcjei qui vous empêcheroit de reprendre vorre argent * ii vous, étiez d'affez mauvaife foi pour eek ? Ils lui jurèrent tout ce qu'elle voulut , & la vieille rapporta une partie de ce qu'elle avoit pris. Zaza s'ëtanr habillée dans la maifon de la vieille, qui la gardoit a vue, dans la crainte qu'elle ne lui emportat quelque chofe, reparut aux yeux de fon amant, plus belle mille fois que tout ce qu'il avoit vu. Après une converfation raviffante , ils eurentbien befoin de manger, car malheureufement on ne vit ni d'aïr, ni d'amour, & ce fut alors que la vieille recommenca fes doléances. Nourrit, difoit-elle en pleurant, des gens de ce conrentement la. Mais quoi qu'elle en dit, comme le prince n'avoit plus dargent, & qu'iL commencoit a fe facher , la peur lui fit donner un morceau de pain & iïx pruneaux , qui lui coütèrent chacun douze fotipirs ; l'on joignit a cela du lait de Ia belle vache ; & malgré le befoin , nos amans mangèrent peu, car 1'avidité de leurs regards,, & le conrentement, renaplifloient toute leur ame ; au milieu des fermens & des plus rendres affurances, ils fatisfaifoient leur curiofité réciproque. La princeffe inftruifit le prince de tont ce qu'elle avoit éprouvé chez la fée du Hêtre , & fon récit fut longa caufe de toutes les interruptions du prince, qui tantót dctefloit fon  8T tA Princesse Zaza. 2ij aveuglemenr, & tantöt demandoit un pardon , qu'il failoit obtenir avant que de laider pourfuivre. Quand la princelTe eat fini un détail intéreffant par lui-même, & délicieux par tour ce qui 1'avoit accompagné , le prince lui raconra que 1'embarras oü eile 1'avoit mis en lui déeouvraiir fes fentimens , la juftice qu'il rendoit d fon efpnt, & le defir de rencontrer un objet fi néceffaire i fon bonheur , 1'avoient obligé de partir; qu'il avoit parcouru , comme un infenfe , pk,' fieurs royaumes , tantót feul, tanrót avec foh équipage, toujouts entretenu par la fée du Hêtre qu'il n'avoit point eu d'autre occup.uion , que" celle de s'informer des beautés qui faifoient di bruit dansle monde } que fes recherches avoient été inutiles ; que rien n'avoit répondu a fidce que fon portrait lui avoit donné des gracês & de la beauté , & qu'il !ui ^rttifcl! toujours que l'on ne parloit point affez d'aucune femme, Pó«f lm perfuader que ce put être celle dont il hoït frappé; car, ajouta-t-il, les plus grands éloges fe réuniffoient fur Zaza, a laquelle on me renvoyoit d'une voix unanime; mais comme jen avois jugé fi diffétemment, je difoh toujours, je 1'avoue , quelle prévention 1 & que pourfoiton dire, fi l'on avoit vu celle que je ne connois qu'en peinture ? On ne parleroit pas autremei*.  2i  ij© Tourlou Dès Ia plus tendre enfance, Tourlou cherchoit Rirette , Sc Riretre ne s'amufoit point quand Tourlou ne 1'avoit point rencontrée. Leur occupation étoit la garde de leurs troupeaux. C'eu: un des premiers foins de 1'humanité quelesgens du monde , même les plus ambitieux , ne fauroient imaginer fans le regretter. Quoique jeunes, on leur confia donc de trésbonne heure ce que leurs parens avoient de plus cher; mais ce ne fut pas fans leut défendre de fe rencontrer. Ce ne fut point 1'envie que la défenfe d'une chofe a toujours infpirée , qui leur faifoit défirer de fe trouver, leur penchant naturel les conduifoit toujours aux mêmes lieux, & fans avoir jamais éprouvé d'autres fentimens , ni connu la moindre diftracrion dans leur cceur ni dans leur efprit , l'amour dont ils ignoroient même le nom , n'avoit point de plus vifs Sc de plus zélés fujets que Tourlou Sc Rirette. La fée des Prés s'étoit intérelfée a leur fortune dès leur plus tendre enfance , par le feul attrait que les jolies phyfionomies ont toujours infpiré. Plus ils croifloient en age, plus ils habitoient les lieux de fon empire , & plus chaque jour ils lui devenoienr chers. Les fentimens de cette bonne fée étoient de la nature de ceux qui aiment a donner des preuves effedives y ceux-ci pour lordinaire ne font point accom-  et Rirette. 3,3 ï pagnés de doutes. Elle leur faifoir toujours trouver , & cela par hafard , ou dans Ie hameau*, ou dans les prairies , ce qu'ils pouvoient délïret run pour 1'autre, car pour eux ils ne connoif» foient point de defirs perfonnels. C'étoit affez que 1'un des deux eüt fait la rencontre des atteutions de la fée , pour que 1'autre a 1'inftant les partagear ; ils étoient donc réciproquement parés de tout ce qu'ils s'étoientdonné 1'un a 1'autre , Sc de ce qu'ils avoient défiré de fe donner. Indépendamment de ces petits préfens , la fée des Prés aimoit, comme je ï'ai déja dit, a plaire Sc a obliger ; elle avoir donc toujours le foin de leur faire trouver , tantót les meilleurs petits gateaux dit monde, tantót des confitures , Sc très-communément des dragées , le tout pour leur collation. Quand ils eurent atteint un certain age, la bonne fée voulut fe faire connoïtre a eux. Un jour qu'ils prenoient le frais a 1'ombre d'une haie vive Sc neurie, ils appercurent une grande dame vêtue de vert, Sc coiffée de fleurs fimplement , mais avec grace. Us virent qu'elle tournoit fes pas de leur cóté; ils fe levèrent en la faluant avec politeffe , dans le delfein de 1'éviter ; mais cette belle dame les remit de leur furprife Sc de leurembarras par les propos doux & fiatteurs dont elle accompagna fon abord; elle leur dit qu'ils étoient les plus jolis enfans du monde, qu'elle les Pij  2,^2, Tourlou aimoit depuis long tems, & que, pour leur témoigner 1'amitié qu'elle avoit pour eux, c'étoit elle qui leur donnoit d'auffi bonnes collations que celles qu'ils trouvoient tous les jours, tantot dans un endroit, tantbt dans un autre. Mais pour vous donner des preuves de ce que je vous dis , aujourd'hui, par exemplë, ajouta-t-elle, vous n'avez rien trouvé, foyez toujours fages, aimezvous bien , je vous apporte de quoi faire collation; pour lors elle leur donna un petit panier rempli de chofes meilleures encore que toutes celles qu'ils avoient mangées jufqu'alors. Les remercimens furent proportionnés a la bonté des préfens. La fée les quitta quelques momens après, en leur difant adieu, Sc leur recommandant de ne parler d'elle que quand ils fe ttouveroient têt£ a. tête. Vous me verrez fouvent, leur ajoutat-elle; mais fouvenez-vous que je vous vois, quand même vous ne me voyez pas. Cette vifite ne fut pas la feule qu'elle leur rendit; elle prenoit plaifir a les voir, Sc s'occupoit du foin de former a la vertu les cceurs du monde les mieux. nés. Elle voyoit avec joie , par la candeur Sc la fimplicité de leurs réponfes, ou par celle de leurs demandes, combien le naturel du cceur & de 1'efprit font aimables. Plus cette fage fée aima Tourlou Sc Rirette ; plus elle voulut orner 1'efprit de ces deux joli«  et Rirette llèves. Elle fe fervit habilement des fentimens qu'ils avoient 1'un pour 1'autre. Pour réuflirdans ce projet , elle leur conta fouvent de petites hiftoires qui toutes avoient un objet. lis fentirent d'eux-mêmes que la lecture & 1'écriture font d'un grand foulagement dans les plus couttes abfences de ce que l'on aime. Le fentiment donc leur apprir avec une promprirude incroyable a lire Sc écrire. Les premiers mots qu'ils tracèrent Sc qu'ils fe donnèrent a lire, furent ceux-ci: je vous aime. Tourlou écrivoit de tous cótés le nom de Rirette, Sc lifoit auffi de tous les cótés fon nom écrit de la main de fa bien-aimée. La mufique & la poéfie leur devinrent enfuite familières. Ils n'eurent d'autre maitre que 1'auteur de leurs défirs. La peinture de la vie délicieufe qu'ils paffoient dans 1'innocence, 1'hiftoire de leurs petits événemens, & le détail de leurs premiers amufemens, ont été les premiers exemples, comme les premiers principes de 1'églogue; mais il s'en faut beaucoup qu'ils aient été fouvent imités. L'efprit a tout gaté dans ce genre , en prenant la place de la fimplicité du fentiment. Rirette fut convaincue, par des exemples qui ne trouvèrent rien a combattre dans fon cceur , que la fageffe Sc la vertu font néceffaires a une jeune perfonne de fon fexe ; & Tourlou Iuimême, tout vif qu'il étoit en effet, fut obligé Piij  ïj4 Tourlou de convenir que cette même vertu eft un des plus forts Hens de l'amour. Quand leur efprit fut bien formé du cöté des chofes agréables & du cóté des talens, la fée des Prés voulut exiger d'eux, & les accoutumer a une légère attention, non pas pour elle , car ils 1'aimoiént de tout leur cceur , & quand on aime on eft toujours attentif. J'exige, leur dit-elle un jour al'un & a 1'autre , que vous donniez vos foins a une chofe qui m'eft chère. Vous connoilfez la fontaine que j'appelle ma Favorite, & qui mérite ce nom foit par la fraicheur, foit par la clarté de fes eaux. Promettez moi que tous les matins avant que les rayons du foleil aient pu 1'échauffer , vous aurez 1'attention de la nétoyer, & d'bier les pierres & tout ce qui pourroit troubier fa pureté : j'attache a ce foin innocent une preuve de votte amitié pour moi. Sachez de plus que le bonheur de vous voir & celui de n'êtte jamais féparés, dépend abfolument de 1'exaólitude avec laquelle vous remplirez 1'engagement que vous prenez avec moi. Pour témoigner leur reconnoiffance & 1'amitié qu'ils reffentoient, & fur-tout pour n'être jamais féparés, ils trouvèrent qu'ils n'étoient pas chargés d'un foin affez confidérable. Us repréfentèrent le peu de peine qu'ils auroient a s'acquitter d'une chofe fi facile a exéeuters 6i dont la récompenfe étoit fi confidé-  et Rirette. 235 rable ; mais la fée n'exigea que cette condition. Pendant un très-long tems la fontaine la plus propte fut , fans contredit, la favorite. Nos amans s'envioient le bonheur de lui rendre leurs premiers foins , & le plaifir d'avoir fatisfair 1'un avant 1'autre a la preuve de tous leurs fenrimens; mais l'excès de l'amour Sc celui de la délicatelfe ont fouvent fait commettre bien des fautes. Un matin que 1'un & 1'autre avoient devancé 1'aurore, & qu'elle découvroit dans le plus beau jour du printems toutes les fleurs qu'elle venoit elle-même de faire éciorre, nos amans enchantés de cet afpect, Sc qui favoient fi bien rapporter tout a ce qu'ils aimoient, fe perfuadèrent chacun, de leur coté, qu'ils avoient affez de tems , 1'un , pour cueillir un bouquet, Sc 1'autre, pour faire une couronne a 1'objet de fon amour. La multiplicité des fleurs leur préfentoit de quoi fe fa'tisfaire en un moment \ mais le fentiment rend difficile pour les chofes que l'on defline a ce que l'on aime ; une fleur paroiffant plus belle que celle que l'on venoit de cueillir avec joie comme la plus rare de la prairie; une autre arrirant la vue par la nouveauté ou par 1'agrément de fon odeur. A ce choix fi fimple en apparence , Sc qui ne devoit occuper qu'un inftant, les momens s'envolèrent, les rayons du foleil les avertirentde leur faute y ils coururent avec ardeur a la favorite, ils Piv  'xf& ToüRLOtr k trouvèrent déja dorée par 1'aftre qu'üs étoient engagés par ferment a prévenir. Ils arrivèrent précifément enfemble, mais par différens cbemins, & s'appercurent qu'elle bouillonnoit de la manière la plus effroyable. Un grand fleuve terrible par fa largeur & pat fa grande rapidiré , vint engloutir a leurs yeux la favorite qui leur ctoit fi précifémenrrecommandée. Le terrein qui portoit nos deux amans, fe retira de chaque cbré, Sc devint le bord de ce fleuve redoutabie dont la largeur permettoit a peine a la vue, de diftinguer 1'objet qui fe trouvoit de 1'autre cöté. Cet événement fe pafla avec tant de prompritude, que nos amans, en faifant un cri de douleur, n'eurent que le tems de fe montrer la couronne Sc le bouquet; un fimple coup - d'ceil exprime bien des chofes quand le cceur eft attentif, & cette tendre exclamation ne fervit encore qu'a redoubler leur malheur. Tourlou vingt fois fe mit a la nage pout rejoindre , ou du moins pour revoir de plus prés fa chère Rirette; mais toujours une force invincible le rapporra au bord d'oü il s'étoit clancé. Rirette trouva plufieurs bateaux, plufieurs arbres même que le fleuve entrainoit par fa rapidité ; mais les efforts qu'elle fit de fon cbté , pour rejoindre fon amant, ne furent pas plus heureux que ceux qu'il avoit faits. Ils fuivirent donc avec une peine infinie les bords de ce fleuve, dans  et Rirette. 2.5.7 i'efpérance de pouvoir a Ia fin Ie traverfer. Les nuits étoient terribles a paffèr; mais Ia lumière du jour leur ramenoit du moins le plaifir de s'appercevoir des montagnes , des rivières qui venoienr mêler leurs eaux a ce fleuve qui les féparoir; enfin tout ce que la furface de la terre préfenre d'inégalités, leur caufa non feulement des fatigues infinies, mais les priva de la confolation qu'ils avoient en fe voyant, quoique de bien loin. Ils fuivirenr le cours de ce prodigieux fleuve pendant 1'efpace de plus de trois ans. lis arrivèrent enfin au bord de la mer, dans laquelle il venoit perdre fon orgueil & fon nom. Cette immenfe étendue d'eau, leur caufa d'abord la furprife que le premier afpeét de cet élément imprime a tous les hommes; mais aptès quelques réflexions, ils ne doutèrent point que la fée mécontente, ne leur préfenrat cet objet pour terminer leur deftinée, & ne pouvant réfifler davantage a une fépatation a laquelle ils fe croyoient éternellement condamnés , ils fe regardèrent tous deux, fe firent des fignes d'adieux infpirés par le plus tendre amour, & rous deux d'un comrnun accord, fe précipitèrent dans la mer. La bonne fée des Prés, qui les avoit toujours fuivis , qui n'avoit pu s'accoutumer elle-mêmea la folitude des lieux qui lui retracoienr a tous les momens les tableaux agréables de Tourlou Sc de,  ijS Tourlou Rirette, & qui n'avoit jamais eu d'autre defTein que celui de les rendre attentifs, ne foufrcit pas que ni 1'un ni 1'autre tombat dans la mer : elle les retint donc en 1'air; & les pofant a cbté 1'un de 1'autre fur le même fable , elle leur laiffa quelque tems le fenfible plaifir de fe retrouver. Elle fit plus, elle attendit qu'ils euffent exprimé d'euxmêmes les regrèts de leur défobéiffance, elle ne fit point Ia délicate mal-a-propos; elle recut pour elle le chagrin de ce que leur défobéiffance avoit fait fouffrir a ce qu'ils aimoienr. Quand ils eurent abondamment conté leurs plaifirspréfens, & leurs peines paflées, & qu'ils eurent eu le tems de faire quelques réflexions fur 1'éloignement oü ils fe trouvoient de leur hameau, & fur 1'embarras de leur retour, la bonne fée parut au milieu d'eux ; ils tombèrent a fes genonx, & lui demandèrenr tant de pafdons , que la fée des Prés, en pleurant de tendreffe, les releva, les embraffa tous deux, les affufant du pardon qu'elle leur accordoit : elle leur promit en même tems de leur donner toujours des marqués de fon amitié. D'un coup de fa baguette, elle fit arriver fon petit carroffe de jonc vert, clouté &orné partout: des perles de 1'aurore du mois de Mai, qu'elle confervoit avec foin comme les plus rares; elle fit placer Rirette a coté d'elle, & Tourlou fe mit fur le devant: elle ordonna a fes fix taupes a courte  ET RlRUTTE. 239 queue, de la mener chez elle; en un quartd'heure au plus, elle fe trouvadans les belles prairies dont elle éroitlafée, &nos amans revirenc avectranfport les témoins de leur enfance & de leur amour. Tout muets que foient ces témoins, ils parleut aux amans, ils faventles entretenir. La fée avoit réfolu de faire leur bonheur, ils n'en défiroient aucun que celui d'une éternelle uKiion ; elle rctablit la paix dans les families défunies; 8c le jour qu'elle avoit deftiné pour leur mariage, elle conduifit Tourlou 8c Rirette dans une petite maifon baffe & bien batie ; elle étoit ruftique, foüde & propre. La favorite, qui avoit repris fa première forme, avoit recu un ordre auquel elle avoit obéi, de faire la cloture de la maifon & du verger; enfin tout ce que l'on pouvoit defirer pour les maitres 8c pour les troupeaux, fe trouvoit dans ce féjour champêtre. La fée les fitaffeoir 1'un 8c 1'autre a fes cótés, après qu'ils eurent obfèrvé avec foin toutes les recherches utiles de cette agréable demeure; & comme la bonne fée aimoir un peu a raconter, elle leur dit: vous ne pouvez douter , par les marqués de mon pouvoir, & par celles de mes bontés, que je ne fois une fée } j'ai trouvé dans nos anciennes annales un conté que j e veux vous faire.  L'OISEAU JAUNE. Une fée dont la conduite n'avoit pas été parfaitement réguliere , fut condamnée par le confeil fupérieur , a. fouffrir la peine de foutenit pendant quelques années la métamorphofe d'un animal dont on lui laiffa le choix; mais en même tems , on lui ordonna de faire la fortune de deux hommes au moment qu'elle reprendroit fa figure ordinaire, pour mériter fa grace & fatisfaire a fes engagemens : comme elle aimoit beaucoup le jaune, elle fe transforma en un oifeau jaune , dont la vivacité de la couleur & la beauté du corfage ne pouvoient fe comparer a aucuns de ceux que les hommes ont jamais connus. Quand le tems auquel fa métamorphofe devoit finir fut arrivé , le bel oifeau vola prés de Bagdad , & fe laiffa prendre par un oifeleur , au moment que Badi al Zaman * fe promenoit auprès de fa fuperbe maifon de campagne. Ce Badi al Zaman étoit regardé dans Bagdad comme 1'homme le plus heureux & le plus aimable ; & pourquoi cela , paree qu'il étoir le plus riche : En effet, fes richefies étoient innombrables , fon commerce lui avoit toujours réuffi, & fes heureux vaiffeaux fans nombre n'avoienr jamais éprouvé ni nau- * Ge mot Yeut dire en arabe meiYeille du monde.  et Rirette. 241 frage ni rerardement. Son opulence étoit accompagnée des dégoüts qui k fuivent toujours; Pinquiétude , l'ennui , auffi bien que 1'humeur , n'abandonnoient jamais un feul moment ce héros de Bagdad. II étoit donc a Ia maifon de campagne qu'il avoit fait batir pour fe retirer, difoitil , du grand monde , & dont il avoit fait dans ce deffein , un pakis que cent maïttes pouvoient habiter , & qu'iis habitoient en effet : ennuyé de fes jardins oü Part contraignoit a chaque inftant la nature, il fe promenoit dans la campagne pour fe diffiper. Le feul infHncc le conduifoit dans les lieux que le philofophe cherche avec goüt. L'oifeleur qui venoit de prendre 1'oifeau jaune Pappercur , & rrouvant Poccafion favorable de lui préfenter un oifeau qu'il lui avoit deftiné du moment qu'il en avoit fait la prife , il en eut bientót conclu le marrhé , d'autant plus que Badi al Zaman , en confidrran: Poifeau , s'appercur que ces mors étoient écrits fous fon aïle droite: Celui qui mangera ma the fera roi, & celui qui mangera mon cceur aura tous les matins, a fon lever, cent pièces d'or . étoient écrits de la même écriture fous fon aiie gauche : Badi al Zaman enchanté de cette nouvelle faveur de la fortune, réfolut d'en profiter ; mais prefque tous les gens riches ont encore le malheur de ne pas connoitre la con-: fiance. Dans le nombre prodigieux de fes valets,  24» Tourlou il n'en imagina pas un feul auquel il fe put livfer dans une occafion de cette importance. II demanda donc a 1'oifeleur s'il étoit marié , il lui répondit que oui. Eh bien, lui dit-il, allons chez roi , fi ta femme veut me faire un ragout tout fimple de cet oifeau , je lui donnerai cent piftoles, cet oifeau me rendra peut-être un appétit que j'ai perdu depuis long-tems. L'oifeleur charmé , confentit a fa propolition ; ils arrivèrent peu de tems après , dans la chaumière de 1'homme aux filets ; on tua 1'oifeau , on le pluma , on fit la fricaffée, on fervir ; mais quelle devinr la fureur de Badi al Zaman , quand il ne trouva pas la tète dans le plat, & qu'en cherchant le cceur de 1'oifeau pour fe confoler du moins de Ia perte de Ia tête , il ne le trouva pas non plus. La femme de l'oifeleur fe mit a fes genoux , & lui confeffa que pendanr 1'inftant qu'il étoit forti de leur maifon , fes deux enfans 1'avoient tant tourmentée , qu'elle avoit donné a 1'un la tête , & a 1'autre un morceau des entrailles , deux chofes qui pour 1'ordinaire ne fe mangeoient point. Badi al Zaman fortit plein de fureur en les menacant en général, & leurs enfans en particulier , qu'ils ne furvivroient -pas a fa fureur. Tout homme riche eft a redouter; dans tous les pays, fes injuftices pour 1'ordinaire fonr révérées; l'oifeleur & fa femme jugèrent qu'ils n'avoient  et Rirette. 241 point d'autre parti a prendre , que celui de faire éloigner leurs enfans; mais la femme pour confoler fon mari, lui apprir qu'ils ne devoient point en être inquiets; pour lors, elle lui conta quelles étoient les promelTes de 1'oifeau dont elle s'éroic appercu en le plumant, & lui avoua qu'elie en avoit privé Badi al Zaman, dans le deffein de faire la fortune de leurs enfans. lis les embrafsèrent, leur donnèrent ce qu'ils avoient pour fe mettre en chemin , leur recommandèrenr de s'éloigner & de fe féparer , & leur firent promettre de leur donner de leurs nouvelles. Pour eux ils demeurèrent cachés & déguifés dans la ville, 8c trouvèrenr le moyen d'éviter la colère d'un homme riche & méchant, ce qui m'a toujours paru n'être pas maladroit a eux. Badi al Zaman peu content de la fortune immenfe dont il jouiifoit, mourut de la douleur & du chagrin d'avoir manqué celle qui s'étoit préfenrée a lui , & l'oifeleur 8c fa femme revinrent dans leur maifon attendre des nouvelles de leurs enfans. Le cadet qui avoit mangé le cceur de 1'oifeau jaune , ne fut pas long-tems a s'appercevoir du tréfor qu'il portoit avec lui, car effectivement tous les matins a fon réveil, il trouvoit la boutfe de cent pièces d'or fous fa tête. Pour la confolation de ceux qui ne font pas riches, rien au monde n'exige autant de conduite 8c de précau:  i44 T O U R L O ü tions que les tichelles. Le vil amas d'un tréfor fait non-feulement méprifer celui qui le conferve , mais encore il expofe la vie de celui qui le pofsède; la diffipation de ces mêmes rich. [fes produit les mêmes inconvéniens , expofe ; ÜX mêmes accidens. Le cadet de l'oifeleur employa fon revenu avec profufion , & fut foupconné d'avoir un tréfor inépuifable. Dans la vue de fes richefles, on attenta fur fa vie , & fi bien qu'il fuccomba. Son frère ainé , celui qui avoit mangé la tête de 1'oifeau jaune,fans qu'il lui fut arrivé aucune aventure remarquable , arriva enfin dans une des grandes villes de 1'Afie. 11 trouva tout en rumeur, l'on procédoit a. 1 election d'un émir , mais les partis de ceux qui prétendoient a 1'autorité étant divifés, tout le monde étoit unanimement demeuré d'accord que celui auquel il arriveroit quelque chofe de fingulier , feroit déclaré émir, & cela fans aucun appel ; notre jeune homme affez mal mis, encore plus mal moiv.é , paré fimplement de la figure qu'il avoit affez agréable , fentit touta-coup que quelque chofe fe pofoit fur fa tête , & pour lors il vit que tout le monde avoit les yeux tournés fur lui, & qu'a. 1'étonnement qu'il remarqua fuccédoient les acclamar tiorts. Un pigeon blanc qui s'éroit pofé fur fa tête, étoit 1'occafion des applaudiffemens qu'on lui donna; il fut conduit au palais, & reconnu pour cmic  ê tp* Rirette. 245 émir , non , comme on peut le croire , fans un grand étonnement de fa parr. Comme il n'y a rien de fi doux que de commander aux autres, il n'y a rien non plus a quoi on s'accoutume plus aifément, mais 1'agrément d'une chofe n'en corrige pas toujours la difficulté; le jeune émir commanda donc & gouverna, il fit des fautes de toures les efpèces , tk ceux dont le parri éroit puiifant avant fon élection , fe révoltèrenr &: le privèrenr a la fois de la vie & de 1'autorité. Cha\timent qu'il méritoit d'autant plus , qu'il n'avoit pas voulu reconnoitre l'oifeleur & fa femme pour fes père & mère , & qu'il les avoit laiffés périr dans la mifère. Cet homme riche & ce roi auroient peut-être été de fort bons oifeleuts , peutêtre même d'honnêtes gens , fi 1'ambition de leur mère ne les avoit pas fait changer d'étac. Je vous ai conté cette hiftoire, reprit alors Ia bonne fée des Prés , pour vous dire , mon cher Tourlou & ma chère Rirette, que les préfens que je vous fais de cette maifon ruftique font préférables a tous ceux que je pourrois vous faire* Promettez-moi de travailler a ia culture de vos champs &c a 1'entretien de vos troupeaux , & renez-moi parole plus que vous n'avez fair pour les foins de la favorite ; ne vous lailfez accabler , ni par la négligence, ni par la parefle, & je vous promets que 1'abondance des feuls bieas a déJome XXIV. Q  146 Tourlou st Roette firer ne vous manquera jamais. Je vous puis répondre que vous y réunirez la fanté du corps , l'amufement de 1'efpric , & la conftance du cceur. Après cette coutte harangue , la bonne fée des Prés affembla rous les parens & tous les amis de Tourlou & de Rirette, & fit une noce comme au bon vieux tems. L'on coucha les mariés a leur grande fatisfection. Ce fut a cette occafion que l'on chaiita , &c que l'on fit les couplets de Tourloutirette, dont le refrein a paffé jufqua nous. C'eft la feule preuve qui nous foit reftée pendant un trés-long-tems de cette véritable hiftoire. Tourlou & Rirette s'aimèrent bien, fuivirent exaótement les confeils de la bonne fée ; & ce qui eft trés-rare, ils eurentbeaucoup d'enfans qui firent le bonheur de leut vie, & la confolation de leur vieilleffe.  247 LAPRINCESSE PIMPRENELLE ET LE PRINCE R O M A R I N, CONTÉ. ï l y avoir autrefois un roi & une reine, qui vi* voient , ( quoiqu'il y a bien long - tems qu'ils ioient morts) a-peu-prés comme les princes vivent aujourd'hui, c'eft-a-dire , en fuivant leurs goüts. Le roi qui fe nommoit Giroflée , aimoit beaucoup la chatfe , cependant il éroit occupé des affaires de fon royaume tout autant qu'il le pouvoit être, Sc fans ceffe il arrangeoit & dérangeoit fes papiers. Pour la reine elle avoit été très-belle ; mais comme elle aimoit beaucoup a 1'être , elle étoit perfuadée qu'elle 1'étoit encore , quoiqu'elle eüt plus de cinquante ans. II eft bien vrai que les  24S La Princesse Pimprenellë princefles Sc les filles de théatre joignent également au privilege d'ëtre plus long tems jeunes & belles, celui d'ëtre traitées comme telles plus long-tems que toutes les autres femmes. La reine fe nommoit Filigrane , nom que le hafard lui avoit donné, Sc que l'on a cru depuis être un fobriquet, tant elle étoit feche & maigre; elle ne penfoit qua imaginer des fêtes , des bals Sc des mafcarades; enfin, rout ce que le luxe & la galanterie réunis ont invemé pour le divertilfement des cours. L'on peut s'imaginer comment un auffi beau royaume étoit gouverné ; auffi prenoit des provinces qui vouloir , pourvu qu'on laiffat des forêts au roi, Sc des violons a la reiné; tous ces événemens ne faifoient aucune impteffion fur leur efprit. La reine Filigrane Sc le roi Giroflée n'avoient eu de leur mariage qu'une fille; elle promettoit dès 1'enfance une fi grande beauté , qu'a quatte ans Filigrane en devint effentiellement jaloufe ; Sc que prévoyant le tort qu'elle pourroir faire un jour a fes appas , e^e réfolut de la fouftraire aux yeux de toute la cour. Pour exécuter ce deffein , elle inventa quelque prédiction , quelque pauvreté qui, telle qu'elle füt, ne manqua pas d'ëtre applaudie de tout ce qui l'environmdr, elle fit encloire fur les bords d'une petite rivière qui traverfoic les jardins du palais, un affez  et le Prince Romarin 249 grand terrein , elle y fit batir une petite maifon dans laquelle elle renferma la charmante Pimprenelle (c'eft le nom de la princefle). On lui donnoir par un tour toutes les chofes néceffaires a la vie, & une muette étoit chargée du foin de la fervir. Un corps de garde placé a cinquante pas du tour avoit ordre , fous peine de la vie , de ne laiffer approcher qui que ce füt de la maifon , & cet ordre avoit été exécu.te dans tout fon entier pour la reine , elle ne parloit jamais qu'avec une faufle douleut des défauts qu'elle donnoit libéralemenr a la pauvre Pimprenelle. Elle avoir li fouvent répété ces mauvais propos , qu'elle en avoit perfuadé tout le monde, Sc que l'on ne s'en formoir d'autre idéé que celle d'un monftre fouftrait avec raifon aux regards de la Cour. Cette cour étoit dans la fituation que je viens de décrire , & la princeffe pouvoit avoit quinze ans , lorfque le prince Romarin, agé de dix huir, plus beau que le jour , & un tant foit peu moins étourdi que fon agene le comportoit, y parut attiré par le bruit des fées &: des plaifirs dont Filigrane étoit fans ceflb environnée : mais il eft bon de favoir ce qu'étoit Romarin. II étoit fils d'un roi & d'une reine , qui peut-être font le commencement d'un autre conté ; les bonnes gens moururent prefque en même tems'; its  150 LA FRIN6E8SE PlMPRENELlE laifsèrent leur royaume a 1'aïné de leurs enfans, comme de raifon; pour Romarin , leur cader , celui dont il s'agir, ils le laifsèrent par teftament a la fée Melinette , afin , je crois , de n'avoit pas leur confcience chargée de ne rien laiffer a cet aimable enfant. II eft conftant qu'ils firent en cela une action d'efprit; car Melinette étoit auffi puiffante que bonne. Elle éleva donc le petit ptinee avec tous les foins imaginables , elle lui apprit même quelques-unsdesfecretsde la féerie, & ne négligea rien des connoiffances dont 1'efprit d'un prince devroit être toujours orné ; mais elle avoit elle-même trop d'efprit, pour ne pas favoir que tout homme ne peut employer fes talens qu'autant qu'il eft inftruit de 1'ufage du monde , elle favoit encore que les meilleurs princes font ceux qui ont été confondus avec les fujers. Toutes ces confidérations engagèrent Melinette a faire voyager Romarin, & a le laiffer en un fens maitre d'une conduite a laquelle elle veilloit toujours invifiblement. A propos d'invifibilité , elle donna au prince , en le quittant , une bague qui pouvoit le rendre invifible en la mettant au doigt; ces bagues-la font fort communes, on en voit dans beaucoup d'autres contes. Je crois que voici toute l'expolition faire , & que le leóteur fait 4 peu prés qsels font les gens a qui U va avoir a faire,  et le Prince Romarin. 251 Romarin arriva donc a la cour de Filigrane, il fur 1'objet de 1'attention & delacoquetterie de toures les dames. 11 fut préfenté au roi Giroflée qui le recut a merveille ; il fut encore mieux recu de Filigrane & de fa cour, a laquelle il fe livra avec cet air de galanterie & cette coquetterie de 1'efprit que l'on ne peut avoir qu'avec la liberté du cceur. Après quelque tems d'un féjour qui ne produifit rien'qui mérite attention, Romarin entendit parler de Pimprenelle ; mais comme les récits font toujours exceffifs, on la lui dépeignit d'une facon fi hideufe , & en même tems fi fingulière, qu'on excita en lui une curiofité qu'il ne déclara point, mais qu'il réfolut de fatisfaire. II fe fouvint de fa bague. La petite vanité de fe montrer avoit empêché jufqu'ici le prince de s'en fervir. II s'en fouvint donc, il réfolut d'en faire ufage, pour juger, par lui-même, de ce qu'on lui avoit dit, & des effets qu'une folitude auffi complette auroit pu produire. II partit invifible, il traverfa facilement la garde , & franchir le mur qui renfermoit la plus charmante créarure du monde; il la voyoit, & il cherchoit encore le monftre qu'on lui avoit décrit, tant la prévention a d'empire fur notre efprit, II s'appercut enfin de fon erreur, & la nouva belle comme la rofe du matin, parée des otnemens fimples que la modeftie & la coquetts- Qiv  252 La Princesse Pimpreneile rie naturelles peuvent indiquer: fa parure ne dépendoif d'aucune mode , c'étoit la fimple & la belle nature tout enfemble. Romarin fut fi frappé de rout ce qu'il remarqua, que le trait de l'amour égala le coup de la foudre; & quoique dans le fonds, il fut un peu petit maitre, & qu'il en eüt la confiance, il n'ofa cependant ceffer d'ëtre invifible , & fe contenta d'admirer. Pimprenelle éroit affife fur le bord du ruiffeau qui traverfoit fa retraite , elle étoit occupée du foin de renouer les plus beaux & les plus longs cheveux que l'on puiffe imaginer. Après cette attention perfonnelle, elle fut arrofer quelques fleurs; la compaffion la porta enfuite'a vifiter un nid d'oifeaux pour foulager la mère dans fes befoins: car, en tout les mouvemens de notre cceur fe déploient, & les plus petites bagatelles nous en dévoilent les replis, la douceur & la bonté de Pimprenelle avoient féduit ce qui compofoit fon empire. Les oifeaux avoient eu jufqu'ici le pouvoir de 1'admirer; elle les avoit tous apprivoifés, ou plutót féduits; elle s'étoit donc formce une petite cour, peu brillante a la vérité •, mais cette cour avoit du moins auprès d'elle le mérite de lui facrifier une liberté connue. Au moindre figne, au moindre mor, ils arrivoient a elle pour exécuter tous fes ordres \ enfin elle en étoit adotée. Romarin fut quelque tems témoin de ces  et le Prince Romarin. 253 clouces occupations; enfuite il la fuivit dans fon petit appartement-, la propreté y régnoit, la lectute , un des plus grands délaffemens qu'elle püt avoir , lui avoit été d'un grand fecours. Romarin, enchanté de tout ce qui prouvoit un efprit qui répondoit a la beauté dont il étoit enchanté, perfifta dans fon invifibiliré. La timidité qui naquit autrefois avec l'amour, eft toujours une de fes compagnes inféparables : elle 1'empêcha donc non feulemènt de paroitre aux yeux de la belle & fimple Pimprenelle , mais elle le contraignit encore de retourner au palais, dans la crainte que fon abfence ne donnat du foupcon. Cette crainte eft un fentiment que je fuis bien éloigné de blamer 5 mais fouvent elle a fait déeouvrir ce que l'on avoit le plus d'envie de tenir caché. Ce ne fut plus dès-lors ce Romarin, qui, n'ayant rien dans le cceur, faififlbit avec efprit tout ce qui fe préfentoit d'agréable a dire ou a répondre •, ce fut un homme diftrait & rêveur; on peut croire que, dans une cour auffi frivole que celle de Filigrane, on ne fut pas long tems a s'appercevoir qu'il avoit une paffion dans le cceur. On le plaifanta, & fon embarras confirma ces foupcons, fans que l'on pür déeouvrir, quelque peinéque l'on fe donnar, 1'heureux objet qui avoit fait une fi belle conquête. Le prince, occupé de la belle Pimprenelle, ne fe repentit point de fa retenue,  *54 La Princesse Pimprenelle fon cceur & fon efprit approuvèrent, au contraire, la délicateffe qui 1'avoit fait agir; ils applaudirent 1'un & 1'autre a une timidité qui nah autant du bon cceur que du véritable amour. II paffa les premiers jours a fatisfaire aux moindres défirs de la beauté qu'il adoroit, 1'in.iocence de fon cceur, la droiture & la jufteffe de fon efprit achevèrentde le charmer; 1'occupation d'une fleur, celle de 1'affórtiment d'une foie, le lien d'un panier de jonc, loin de le révolter, 1'attachoient par les plus forres chaines; enfin plus les défirs de Pimprenelle étoient fimples, plus les fentimens de Romarin étoient redoublés. Après quelques jours d'un pareil examen, il conjura Melinette de l'entretenir par les fonges les plus agréables. L'on peut ctoire qu'il lui demanda, & qu'il obtint d'en être le feul objet, & rien ne 1'engageoit alors ane pas laifTef voir fon aimable figure. Les idéés agréables dont il rempliffoit 1'efprit, & peu-apeule cceut de la belle Pimptenelle, lui firent en peu de jours, regarder le fommeil comme le fouverain de tous les biens. Pimprenelle, infenfiblement accoutumée par les fonges, fut plus en état de tecevoir les déclarations invifibles de Romarin , qui fatisfit alors a fes innocens défirs avec plus de hardiefle j tantot il faifoit arriver a elle la bagatelle dont elle étoit éloignée, ik qu'elle défiroit: ces démarches lui causèrent au com-  et le Prince Romarin. 255 mencement, des mouvemens de ftayeur donc la déiicateffe de 1'amant fe défefpéroit. II lui fit entendre quelques foupirs, enfuite il 1'accoutumaa un fon de voix, que la figure auroit bien embelli. La folitude fair faire du chemin en peu de tems. Pimprenelle vint a êtte fenfible , quoiqu'elle ignorat encore & le nom de l'amour, 8c la figure de fon amant. Tant de révolutions fi fingulières en elles-mëmes, auroient embarrafle des perfonnesplusexpérimentées que notre jeune beauté. Romarin lifoit avec tranfport dans fon cceur & dans fon efprit les effets de fa propre figure , quoiepi'elle ne la connut qu'en fonge. Il remarquoit cependant en elle les troubles, le défir, les agitations, enfin la tendre émotion que l'amour feul peut caufer. Pimprenelle défiroit de voir celui dont la converfiuion & 1'obéiffante attention faifoient une imprelfion auffi agréable que féduifante fur fon efprit; mais elle n'ofoit avouet a celui qui 1'entretenoit, 1'impreffion que la figure qu'elle avoit vu en fonge, avoit fait fur fon cceur; elle craignoit fans ceffe de les trouver féparés, cV la curiofité, cette mère de tant de dif~ graces, la tourmentoit fouvent. Romarin , lui difoit-elle un jour, je crois que je vous aime, Vos attentions me charment, elles flattent, il eft vrai, ma vanité, & votre efprit me féduit. Vous m'affurez que vous n'êtes point difforrae, je le  i$6 La Princesse Pimprenelle veux croire; mais fi vous n'êtes pas fait comme ce que j'imagine , je fens que ne pourrai vous aimer II eft un dieu, lui répondit Romarin , que tous les hommes fervent a la vérité, mais que je fers encore plus parfaitement que jamais on ne 1'a fervi. Ce dieu fe nomme Amour , vous le favez, mes fentimens vous en ont donné 1'idée; mais cet amour a pour fille une autre déelfe, dont les attributs & les agrémens font a 1'infini; elle fe nomme la Déiicateffe, & c'eft elle qui m'empêche de me déeouvrir a vos yeux. Maiscette déeffe vous aime-t-elle , ajoutaPimprenelle ? Que deviendrai - je , fi cela eft ? Que d'avantages elle a fur moi! Ces témoignages de vos fentimens re loublent encore les miens, reprit avec hardeur le charmanr Romarin ; mais cette déeffe ne doit vous caufer aucune inquiétude , elle vous connoir, bien loin de 1'emporter fur vous, elle vous eft foumife. Elle m'ordonne rout ce que je fais pour vous ; elle me reproche même de n'en pas faire encore affez. Mais elle vous défend de paroitre a mes yeux, interrompit Pimprenelle avec vivacité &c vous lui obéiffez plutöt qu'a moi. Satisfaites encore pour quelque tems a mon invifibilité, lui dit alors le prince Romarin , croyez qu'elle me coüte infiniment; mais laiffez-moi vous plaire avec certitude; laiffez moi vous convaincre, pat la feule vivacité de  et le Prince Romarin. tj7 mes fentimens, d'une pafiion qui ne veut pas employer fur votre cceur les etters de la figure. Toutes ces raifons parurent foibles, Pimprenelle infifta , & la bague tomba du doigt Quelle joie, pour la princefle, de voir que 1'efprit & que le caractère qu'elle aimoit étoient réunis dans 1'objet de tous fes fonges! La fée Melinette étoit du tems paffe; elle croyoit la convenance des caractères & les épreuves des fentimens néceffaircs pour former ce terrible nceud de mariage. Elle s'appercut donc avec plaifir des fentimens vifs & purs qui naiflbient dans le cceur de ces aimables enfans. Pendant que nos jeunes amans, livrés a toute la vivacité de leuts cceurs, ne voyoient qu'eux fur la terre, & qu'ils ne pouvoienr concevoir la plus foible idéé du malheur, ils étoient au moment d'éprouver ces troubles & ces chagrins qui, malgré 1'auftérité & le férieux des philofophes , font les plus fenfibles de la vie. Pimprenelle étoit aflife fur le bord de fon petit ruiffeau, dans la place que fon amant avoit occupée , le murmure de 1'eau, le mouvement de fon cours , entrainent, malgré eux , les amans a la rêverie ; il n'eft donc pas néceflaire de dire qu'elle penfoit a lui de toute fon ame. Quand en traverfant les airs dans une' bouffée de vent pleine de pouflière & de paille, Ie génie Grumedan  i53 La Prihcesse Pimprenelle 1'appercut. Une taille de nymphe, ou plut&t ds déeffe des yeux admirables d'un bleu foncé , que des paupières d'un noir parfait rendoient encore plus vifs, des cheveux qui defcendoientplus bas que la ceinture , un teint charmant, une bouche accompagnce de fourires & de graces, toutes ces beautés, dis-je, frappèrent le génie. Eh! qui n'en eüt été faifi d'admiration! 11 abat fon vol tout auprès de Pimprenelle, il la regarde quelque tems, fon cceur s'enflamme, & les défirs augmentent; il reffentit quelques momens la honte°de paroitre en habit de chalfe; il eut quelque envie de demeurer invifible, mais une telle réfolution pour un être qui reffent de l'amour , ne fe peut foutenir que dans un cceur bien faif, car enfin quel chagrin de n'ofer fe montrer fous fa propre figure, quand on éprouve une pafiion fondée prefque toute entière fur l'amour propre & la bonne opinion que l'on a de foi ? Lorgueil de Grumedan prévalut donc , il parut tout a coup aux yeux de Pimprenelle , qui fit un cri de frayeur & de furprife. L'une & 1'autre étoient fondées, car il n'étoit pas beau; & fa grande taille ruftique & groffière , étoit 1'image de fon ame \ de plus, il étoit borgne. L'on m'a fort affuré qu'il avoit perdu fon ceil droit il y avoit prés de neufcens ans,dans un combat finguliet contre un de fes coufins, aToccafion de  et le Prince Romarin. 2j9 quelques bordages de tetres; les fées & les génies accommodèrent 1'affaire, les combattans étoient demeurés amis , & 1'ceil étoit demeuré perdu. II étoit donc borgne, un peu bègue, les cheveux crépus, & les dents alfez belles, mais iongues. Malgré Ie cri de la princeffe, qu'il n'artribua qua la furprife, il lui fit un compliment très-long par lui-même, & de plus allongé par fa difficulté naturelle de parler.Tel qu'il fut, il s'en applaudit, & Pimprenelle s'écria : ah ! mon cher Romarin. Grumedan lui répondit avec autant de vivacité qu'il lui fut poffible : vous enaurez, madame, cela n'eft pas rare. II eft conftant qu'elle eüt alots découvert le fecret de fon cceur , fi la bonne Melinette , toujours attentive a ce cjui pouvoit intérefler fon pupille, ne füt accourue. Elle fe rendit. invifible; & prenant le fon de la voix de Romarin, elle lui dit : nous fommes expofés au plus grand de tous les dangers; je ne fuis allarmée que pour vous, ma chère Pimprenelle, déguifez vos fentimens , efpérons en l'amour, il ne nous abandonnera pas. Melinette eut le tems de dire tout bas ces mots, qui laifsèrent Pimprenelle dans un trouble & dans une agitation extréme , pendant que Grumedan , qui étoit ie plus grand preneur de pied de la lettre que l'on air jamais vu, conjura tous les romarins de la contrée de venir a fes ordres. Cette petite attention toucha  i£o La Prikcesse Pi mï-HeneLlê peu 1'objet aimé : elle le pria très-troidement de vouloir bien les renvoyer. 11 le fir avec affez de peine •, & comme il étoit toujours content de tout ce qu'il produifoit, il voulut affez infolemment prendre la main de Pimprenelle, qu'il croyoit avoir mérité de refte , par 1'aveu de l'amour qu'il venoir de déclarer, & par 1'attention qu'il avoit témoignée. Pour lors Melinette parut avec toute la fplendeur de la féerie. Arrête, Grumedan, arrête : cerre beauté eft fous ma proteófclon; la moindre infolence re coütera mille ans de captivhé. Si tu peux obtenir le cceur de la belle Pimprenelle par les voies honnêtes Sc convenables, je ne m'oppofe point a tes démarches; mais détrompes-toi, fi tu te flattes de pouvoir mettre a exécution tes enlevemens, & enfin tes démarches ordinaires. Cette déclaration fut un coup terrible pour Grumedan; mais il n'y avoir point de remède a apporrer, il fa'Uut donc tourner toutes fes idéés du coté des attentions; Sc quoiqu'il fut très-peu dans 1'habitude d'en avoir, ia beauté qui 1'avoit frappé étoit de celles auxquelles onne peut fe difpenfer de tout facrifier. Melinette, bien certaine de la fauve-garde qu'elle avoit établie, courut avertir Romarin de tout ce qui fe paffoit. Au premier mot de rival Sc de génie, fon cceur s'enflamma ; & fans Melinette, il eüt été fur-lej champ fe livrer a toutes les folies d'une jeune tête:  it tE Prince Romarin. ±6% tête: heureufement elle fut le contenir. Elle lui repréfenta 1'autorité du génie, & le danger auquel fa vivacité pouvoit même expofer Pobjet de tous fes vceux; elle lui promit que Grumedan n entreprendroit rien qui pütglui déplaire, pourva qu'il fut toujours invifible, quand il feroit auprès de Pimprenelle. Quand elle eut exigé fa parole, elle lui dit que Gtumedan éroic le génie le plus ruftre & le plus injufte que l'on eüt jamais vu; elle lui apprit encore que fouvent il avoit été puni de fes iniuftices par le confeil fouverain des fées & des génies j que tantót il avoit été enfermé dans un arbre, pour n'en fortir que quand 1'arbre feroit abattu ou détruit par 1'injure des tems, que d'autres fois, il avoit été mis fous une groffe pierre au fond d'une rivière, fans pouvoir être délivré que par le dérangement de cette même pierre; enfin elle le mit au fait de cent punitions dont le détail feroit trop long, & qui n'avoient jamais pu 1'amenera cette douceur fi cecommandable a un génie. GrumeJan , qui craignoit les menaces de Melinette, fut donc obligé de cherclier a plaire, & d'imaginer des amufemens pour engager & féduire Pimpr^prenelle : il ne douta point de Ia réufiite. Pendant que la fée contenoit Grumedan, elle avoirrimpofè au prince Romarin la dure nécefficé de 1'invifibilité, elle 1'avoit averti que de cet af * Tome XXI n R  tél LA PrIWCESSE PlMFRENSLtE ticle dépendoic fa confervation; mais elle 1'avoit afTuré pour le confoler, qu'attendu 'la flupidité du génie , il pourroir avoir la confolation de .voir & d'entretenir Pimprenelle a rous les momens. Ce fut a quoU'un & 1'autre ne manquèrent point: mais que fait une défenfe en amour? Elle empèche de jouir de ce qui nous eft accordé, 8C notre cruelle imagination n'eft plus occupée que de ce qui nous eft défendu. Grumedan & Romarin, celui-ci fous le nom de Melinette, a 1'envi 1'un de 1'autre, donnoient a tous momens des divertiffemens a 1'objet de leur amour, & cherchoient a lui prouver tous les fentimens dont ils étoient animés. Romarin fe fervit d'abord de ces oifeaux dont j'ai parlé, il leur fit a tous prononcer le nom de Pimprenelle, il Ie leur fit chanter dès le matin ; & réglant avec foin les fons les plus heureux de leur gofier, tout Pair retentiftbit a Ia fois du nora de la plus rare beauté, & tous chantoient l'amour difcret & conftant. Grumedan trouva que cette idéé n'avoit tien de nouveau \ que les oifeaux avoient toujours chanté depuis que le monde étoit monde, & que les amans avoient tous entendu les hbtes des bois ne parler que de 1'objet de leur amour. II avoit lu quelques opéras nouveaux pour le malheur de Pimprenelle; & le pett de gout ou la préfomption qu'il avoit, il 1'avoit  ÏT iS PRINCB R0MAlUNk 4f pris dans ces bons ouvrages; il voulut donc faire éclorre quelque chofe qui füt abfolument neuf} cat le hóuveaü dans le genre des amufemens, a des charmes inconcevablesj rel qu'il foit, quand on peut direj cela na pas encore paru, tdue eft dit, Sc la chofe doit être admirable. II iniagina fort agréablement de former un concert qui n'eut jamais été entendu, & qui lui fit d lui un plaifir infini. Ce fut la réunion de dix mille grenouilles que fon grand pouvoir raflembla. II leur infpira le peu qu'il imaginoit de 1'harmonie, & cé qu'ii croyoit favoir du gout du chant. Ce bruit affreux* ce croaifement mille fois répété, lui causèrertt un conrentement que je ne puis décrire. II ne pouvoit cacher la farisfaction qu'il éprouvoit; & tanrot fur le choix des concertans, tantöt le cournou> veau des paroles, mais toujours d'un ton importun, il répéta mille fois fon propre éloge. Les paroles dont il faifoit tant de cas j lui avoient fait fuer fang & eau pour venir a bout de les produire t elles étoient cependant toutes des plus tnviales; les voici i peu prés, Sc telles qu'on mé les a redites. Adorable Pimprênèllè i Toujours plus belle, Ah J que vous allume^ de feux Dans mon casur amoureux. . Un gros génie tel que Grumedan, ne fait pdinr Rij  X£4 La PRINCESSE PlMPRENEtLE donner des bomes a fon amour - propre , ni metrre une fin i ce dont il eft flatté. Le concert fut donc auffi long qu'un opéra italien 1'eft ordinairement, c'eft-a di-e, qu'il dura prés de cinq grandes heures j fans qu'd y eüt la moindre variété dans les paroles. Pimprenelle , comme on peutcroire,en feroit morte d'ennui, & du concert, & de la longueur des répétitions, fi Romarin n'eüt été préfent! II 1'entretenoit avec ardeur pendant Ie tems que Grumedan étoit occupé a faite effouftler fes grenouilles auxquelles il ne donna pas le moindre relache; l'on m'a fort afluré même qu'il périt un grand nombre des concertans. Romarin, pour amufer la princefle, fe fervit heureufement de la petite rivière dont j'ai pari*. II fit paroitre (a la vérité en petit) toute la flotte de Cléopatre, précifément telle SC tout auffi magnifique que 1'hiftoire nous la dépeint. Tous les vaiffeaux avec les voiles de pourpre fe découvrirent de loin, en faifant toutes la manoeuvres de 1'ancienne navigation. Sur le plus beau & le plus riche de ces bemens, Cléopatre fe diftmguoit par fa beauté ainfi que par fa magnificence J quand elle fut vis-a-vis de 1'endroit oü Pimprenelle étoit affife, tous les vaiffeaux fe mirent en ligne; & cette reine fi fiere débarqua, & vrat préfenter i la princefle cette fuperbe perle dont il eft tant patlé dans 1'hiftoire , en lui difant:  et le Prince Romarin. 165 vous êtes plus belle que je ne le fus jamais •, que mon exemple vous ferve a faire un meilleur ufage de votre beauté. Pour lors elle fe rembarqua, Sc toute fa petite flotte, dont 1'afpect étoit charmant, pourfuivit fa route, Sc fut appercue jufqu'a 1'exttémité du petit jardin de la princeffe. Grumedan étoit préfent a ce petit divertiffemen:: je ne trouve rien de joli, dir-il, a toutes ces petites figures, ce font des marionettes ; voila bien des facons pour donner une perle: que ne dites-vous, madame, que vous les aimez? Auffi-tót il tira de fa poche un grand fifflet, Sc l'on vit a 1'inftant même 1'eau de la petite rivière fe groffir, Sc devenir roure bourbeufe , dans un moment, il parut plus de cent mille huirres a écailles qui s'oitrvrirent devantPimprenelle, & dégorgérent toutes a fes pieds, qui plus, qui moins, de perles, mais toutes admirables. Voila. des perles , cela, s'écria Grumedan, il eft réel qu'il y en eut affez pour fabler tout le jardin. Romarin, le lendemain , conftruifit tout-a-coup , pendant la ptomenade de la princeffe, Sc lorfqu'elle y penfok le moins, un cabinet de verdure fimplement mêlé de fleurs qui compofoient le chiffre de Pimprenelle : par refpeót, plus que par la crainte du génie , il n'ofa pas y joindte le fien; des fiéges de moufle & de gazon, des fources qui couloient dans les angles Sc qui formoient un ornement R isj  %66 La Princesse Pimprenïhï naturel, fans être affervis a une fimétrie exa£té \ Sc dont le murmure & la fraicheur étoient chatmans, rendoient ce féjour délicieux. Le repas fur champêrre , mais les fruits les plus rares Sc le plus agréablement arrangés, en faifoienr le prin-? cipal ornemenr. Quelques mufettes invifibles chantoient l'amour, & ne fe faifoient entendre qu'a propos. Romarin lifoit fi bien dans le cceur de Pimprenelle, qu'a la moindre apparence de longueur, toute la mufique celfoit. Un roffignol des favoris de la princeffe, & qui réellement avoit la plus belle voix du monde, vola fur le fruit, Sc chanta des brunettes Sc des chanfons i danfer. Eh! qui t'en a tant appris, mon cher Rigdi, lui dit Pimprenelle ? L'oifeau bien inftruit , lui répondit tout fimplement , c'eft l'amour. Grumedan eut de 1'humeur pendant cette fête , il la trouva platte; il déclara que les mufettes ne faifoient pas affez de btuit; il critiqua les oifeaux. Quoi, je verrai toujours des oifeaux! De plus, dit-il, qu'eft-ce qu'une collation fans vailfelle Sc fans buffet? Effectivement il en donna une le lendemain dans un autre coin du jardin. 11 avoit bati pendant la nuit, un cabinet d'or maffif. Les chiffres de la princeffe & du génie n'étoienr point publiés; car le dedans Sc le dehors en étoient cgalement femés. 11 ayoit encore eu phis de foin dene pas publier les buffers j il y en ayoit en effet  et le PrinCe Romarin. 267 deux fi prodigieufement chargés de richefles 8c de chofes inutiles, que 1'ceil ne les pouvoit regarder. Le repas fut compofé de viandes chaudes , feiviesfort pefammenr; toutétoitde la vieille cuifine. Gtumedan mangea comme un diable, quoique Pimprenelle ne prït gout a rien. Au fruit , dans lequel il n'y avoit de remarquable que des affiettes vo'antes de diamans brillantés, il dit: pour des chanreurs Sc de la mufique, vous n'en aurez point, je n'aime le bruit que quand je le fais; mais vos beautés n'en feront pas pour cela moins célébrées. Pour lors , avec un fourire campagnard , il chanta les belles paroles qu'il avoit faites pour le concert des grenouilles : du moins il fir pour cette fois grace de 1'accompagnement. Romarin , dans 1'envie de vatier les amufemens de Pimprenelle (il eft vrai que c'étoit la première Sc la feule de fes intentions, la feconde pouvoit bien avoit pour objet les ridicules donr Grumedan favoit toujouts fefaifir quand on lui préfentoit une nouvelle idéé ) Romarin donc imagina de donner une fète pendant la nuit, 8c quoiqu'en eüt dit Grumedan, il fe fervit encore des oifeaux, mais il employa tous ceux du pays , tant les grands que les petits; il les chargea de lampions diverfement coloriés , Sc, fuivant les ordres,qu'il leur donna, ils partirent a la fois , 8c lorfqu'on y penfoit le moins, Sc fe réuniffant Riv  iê% La Princesse Pimprenelle dans 1'air, ils formèrent en planant un temple ou tous les otdtes fe diftinguoient a metveille , de plus , on y lifoit fans peine dans le fronton : a la divine Pimprenelle. Quand ce temple eüt éte furnfamment remarqué, tous les oifeaux fe divisèrent fans ordre dans le ciel qu'ils remplirent d'une quantité infinie de lumièies très-agréables a 1'ceil. Ils revinrent enfuite, fuivant les ordres qu'ils en avoient recus, a différens points de réunion, & formèrent un bouquet oü toutes les fleurs étoient faciles a diftinguer, foit par la précifion du trait, foit enfin par les couleurs dont les lampions étoient chargés. Pendant le tems que le bouquet parut, d'autres oifeaux, qui ne pouvoient êtte appercus, paree qu'ils n'étoient chatgés d'aucune lumière, répandoient dans l'air les eaux diftilées des fleurs qui fe deflinoient a 1'ceil, ce qui produifit une pluie délicieufe nonfeulement pour le féjour de Pimprenelle, mais encore pour toute la ville attirée par un fpectacle auffi nouveau de rout point. Grumedan étoit fpedateur de cette fête , il 1'avoit affez méprifée. Une jambe croifée fur 1'autre, le nez en l'air dans un fauteuil, il ne put s'empêcher de dire : Oh! pour des effets de feu, fi Vous en voulez, belle Pimprenelle, vous n'avez qu'a parler, vous en verrez demain de ma facon. Ce demain produifit une affemblé e de toutes  et le Prince Romarin. i<;9 les exhalaifons que l'on appelle communément des feux folecs; il leur fit faire 1'exercice dans une grande plaine que Pimprenelle voyoit de fes fenêtres, après que Grumedan eut bien dit cent fois: cela eft joli, ma princefle, n'eft- ce pas? tout-d-coup il fit fortir de terre un volcan qui jeta feu & flamme, & qui répandit des torrens de feu dans la plaine ; il orna cet agréable Sc galant fpectacle de quelques fecouffes de tremblement de terre. Le gros rire qui lui prit de la frayeur de tout le peuple ne fe peut exprimer; il n'eft pas poflible non plus de répétet toutes les fotifes qu'il dit d ce fujet. Mais enfin, continua-t-il, la fête d'hier n'a pas été terminée. Tous les feux de 1'hótel-de-ville font coutonnés pat un bal, n'eft-ce pas ? donc Melinette n'a rien entendu au divertiflement qu'elle vous a donné. A ces mots il fit paroitre le nombre de feux folers néceffaire pour éclairer le jardin de la princefle , & Grumedan enchanté de fon imagination, fit commencet un bal formé par tous les ifs du jardin. II dura, pour fon propre plaifir , fort longtems même après le départ de Pimprenelle, qui s'étoit retirée tout aufli-tèc que fuivant les confeils de Melinette il lui avoit été poflible Sc honnête de le faire, Voild quels étoient d-peu-près les amufemens que l'on donnoit d Pimprenelle ; Ia pauvre prin-  z/o La Princesse Pimprenelib ceffe fe défoloic de 1'importunité de Grumedan J & du chagrin de ne pas voir le beau Romarin , qui , de fon cóté , féchoit fur pied de la contrainte oü le réduifoit le plus gros des génies* Perfonne enfin n'étoit content^, car Grumedan, tout fot Sc tout gtolïier qu'il éton^étant amoureux , voyoit bien qu'il importunoit; il fentoit encore qu'il ne faifoit aucun progrès dans le cceur de Pimprenelle , Sc ce même amour ne lui laiffoit point ignorer que tout ce qu'il voyoit étoit bien vif Sc bien attentif, pour n'ètre que les marqués d'amitié d'une fée auffi fage que Melinette. 11 devint donc jaloux, un peu tard a la vérité, mais enfin il le devint. La jaloufie, cette barbare déeffe , ne fe nourrir que de fentiment , 1'efprit ne lui eft point néceffaire ; de plus, elle reffemble a l'amour , pour trouver les moyens d'arriver a fon but. Ceux qui ont recu le plus d'efprit en naiffant , font fouvent ceux qui font la dupe des panneaux les plus groffiers. Grumedan , pour s'éclaircir des foupcons dont il étoit frappé , prétexta un départ pour des affaires de conféquence. II parut affligé d'ëtre obligé de fe féparer de Pimprenelle \ enfin, il fit des adieux qui furent très-bien recus. Quand on le crut bien éloigné , Romarin fut obligé de céder a la douee violence que lui fit la princeffe de ceffer d'ëtre invifible- A peine s'enyvroient-ils du plaifir de fe  et ie Prince Ro'marik. 171 revoir & de celui de s'aimer, que Grumedan fortic tout-a-coup d'une platte-bande du jardin qu'il entr'ouvrir. La vue de Romarin aurorifa fa jaloufie, & fit naitre fa fureur. Quelle fatisfaction pour un homme brutal, que de voir fa haine & fon humeur fondées! J'ai vu quelques maris outrés de leurs découvertes, éprouver cependant une fotte de plaifir d'avoir eu raifon. Grumedan leva fa maflue avec fureur , & donna un coup dont il eut alfommé Romarin. Pimprenelle ne douta point que fon defTein n'eüt été exécuté , & tomba évanouie. Pout le ptince , il ne put échapper au trifte fort qui le menacoit, que par les foins de Melinette qui fut habilement le fouftraire aux fureurs de Grumedan , & qui le tranfporta dans fon palais des nues. Les foins du génie rappelèrent Pimprenelle a la vie, quoiqu'avec bien de la peine : mais que la connoiffance qui lui re1 vint fut douloureufe, &c pour 1'un & pour 1'autre! Pimprenelle ne voyant point Romarin , après s'être accufée elle-même du comble de malheurs qu'elle éprouvoit, ne déguifa rien au génie de la haine qu'elle lui portoit , & de l'amour qu'elle reffentoir pour fon cher Romarin. Mille fois elle eüt attenté fur fes jours , mais le génie étoit trop attentif a tous fes mouvemens , pour qu'il lui füt poflible de rien entreprendre fur fa vie. Mon cher Romarin, s'écrioit douloureufe-  ijl La Princesse Pimprenelle ment Pimprenel'e, vous n'êtes plus, & mon trop d'amour a caufé votre malheur. J'ai voulu vous voir , il vous en a coüté la vie , Sc pour comble de maux , on me fotcè a vous furvivre ; Grumedan fe glorifie da votre mort, & je ne puis, hélas, douter de mon malheur! fi vous voyiez le jour, vous ne me le laifleriez pas ignorer , mon défefpoir vous perceroit le cceur, vous que j'ai vu mille fois peiné, pour le mal le plus léger que je reffentois. Votre délicarefle , votre parfait amour, vous permettroient-ils de m'abandonner au plus horuible des génies. L'abfence de Melinette me nrouve encore plus mon malheur , elle m'abandonne, elle qui ne m'aimoir que par rapport a vous, ie fuis pour elle un objet adieu». Que je vous pardonne bien , divine fée, de me détefter, je me d 'tefte moi même ! Sc pour me punir plus long tems, vous ne voulez pas me donner la morr. Ces propos étoient ceux que Pimprenelle répétoit fans ceffe, Sc la préfencede Grumedan en rendoit la vivacité plus éloquente. II a pu paroitre jufqu'ici dans cette véritable hiftoite , que Grumedan étoit auffi groffier Sc auffi amoureux qu'il lui étoit poflible de 1'être , par conféquent, la btutalité tenoit dans fon cceÉr la place que la déiicateffe occupoit dans le cceur de Romarin. Le génie fouffroit au commencement ces reproches, avec une forte d'impauence j  et le Prince Romarin. a?j mais enfin il s'y accoutuma, & forma le projet le plus digne de fon caractère. Vous faites mon malheur , petite Pimprenelle , je fuis décerminé a faire le vótre, n'en doutez poinc ; vous aimerez , ou vous n'aimerez plus votre colifichet de Romarin , mais vous ferez ma femme , foyez de plus certaine que vous ne mourrez pas. La malheureufe Pimprenell»; n'ayant qu'un évanouiffemeiït a oppofer a ces paroles, perdit connoiffance. Le génie prolongea la durée de cet évanouiffement jufqu'a fon retour. II fqrtit de la retraite de Pimprenelle , & voulut faite une entrée dans le palais de Giroflée , digne du cas qu'il faifoit de luimème. Tout lourd qu'il étoit , il s'appefantit encore, & monta fut un char fait en efpèce de charrette, les roues étoient pleines &c maflives, & les brancards étoient gros comme les plus groschênes; mais a la vérité toitte la machine étoit d'or. 11 commanda quarante-huit bceufs d'Auvergne les plus grands & les plus forts que ce pays air jamais produit. Ils paroiflbient fufh're a peine pout le tirer, & le char, tout maflif qu'il étoit , fembloit fuccomber fous fon poids. II étoit appuyé fur une maffue , & rênoit fur fes genoux , avetf une forte de négligence , un des plus grands lions de 1'Afrique, comme bien des hommes a Paris ont coutume de tenit de petits chiens dans leurcarrofle pour leur tenir compagnie. Cet équipage  174 LA PRIKCES SB PlMPRINEtlê parut a ia porte de la ville , & prit le ehëmna du palais environ fur les fept heures du matin ; Giroflée étoit déja botté pour aller a la chafle pour Filagrane , il s'en falloit bien qu'elle füt éveillée 5 a peine éroir-elle dans fon premier fommeil , & qui que ce foit a la cour, & le ro* moins que tout autre n'auroit ofé la réveiller. L« roi fe crut obligé d'attendre la vifite , &c fe débotta avec une peine extreme. La ville etott gtande , ainfi la marche fut longue , d'autant plus que 1'afTfuence du peuple la retardoit i chaque pas.Quand les quarante-huit beeufs eurent pris leur tournant dans la grande cour du palais t Grumedan cria d'une voix déja rauque naturellement , 6c dont il redoubloit encore le fon : oü eft il donc ce roi 5 que je lui parie , qu'on appelle fa femme. Giroflée ne perdit pas un mot de ces paroles , elles lui parurent un peu rudes j mais ayant cönfulté fon piqueur favori, qui dans le fond étoit un affez bon diable , il prit le parti de defcendre de fon appartement , & de venit lui-même voir ce qu'on lui vouloit. Quand il fut auprès de la voiture : touchez - la., lui dit Grumedan , en lui tendant la main ; touchezild, Giroflée , mon ami , me connoiflez-vous ? non , dit le roi , d'une .voix affez embarralfée.' Je fuis, dit-il, le génie Grumedan, je viens pour faire votre fortune j montons la-haut, je  et ie Prince Romarin; 275 vous parlerai. Pour lors il mit pied a terre , il ordonna aux bceufs de retourner a leurs affaires; ils fe dérelèrent d'eux-mêmes ; Sc plus légers que des cerfs, ils s'enfuirent fi promptement, qu'en un inftant on les perdit de vue ; pour lors , il donna un coup de fa maffue fur fon char, qui fe convertit en un monceau de petite monnoie d'or qui a eu bien long - tems cours dans le royaume, & dont on voit encore quelques-unes dans les cabinets des curieux. Je donne cela , dit il , pour boire a vos valets, Bref, ilnegarda de fon équipage , que le lion dont j'ai parlé. Les cris de tous ceux qui s'étouffoient pour avoir des pièces d'or, éveillèrent Ia reine; elle fonna pour faire tirer fur ceux qui lui portoient auffi peu de refpect ; mais quand on lui dit qu'il y avoit un rtonfieur qui demandoit d lni parler, elle crut que tout le monde avoit perdu 1'efprit, d'autant plus qu'on lui parloit tout a la fois de bceufs, d'or, de maffiie , de grand homme, de lion ,enfin , toutes fes femmes vouloient corner chacune une particularité de ce qu'elles n'avoient point vu, Sc de ce qu'on leut avoit confuféftiewt conté. Pendant ce tems, Ie roi entretenoit le génie , & trouvoit fa converfation fort a fon gré. Giroflée avoit inutilement demande au génie ce qui pouvoit 1'attirer a fa cour, mais il lui avoit toujours répondu qu'il ne ne lui vouloit  ïj6 La Princesse Pimprenelle' dire qu'en préfence de la reine. On étoit donc venu plufieurs fois la prier de pafier chez le roi, mais on ne pouvoit la déterminer a paroitre; elle n'avoit point dormi,elle avoit la migraine. Comment ofer fe montrer, elle étoit faite comme un chien fou. Toutes ces minauderies ne touchèrent point lé géant,il dit toujours qu'il étoit néceffait e qu'il 1'entrerint; mais comme il avoit envie de lui plaire, il pria quelques courtifans , qui étoient debout dans la chambre , de lui porter fa maffue , en la priant de vouloir bien la fentir, ce qui étoit , difoit-il, un remède éprouvé & fouverain, pour guérir la plus forte migraine. Ils furent obligés de la potter a quatre. Les chofes exttaordinaires trouvent grace quelquefois auprès des dames. Filigrane , avec un air i la fois de mépris & de complaifance , fe fit approcher la maffue ; elle la fentit, & fa migraine fut diffipée fur le champ. L'on eft en doute de favoit fi ce fut précifément 1'odeur de ce bois qui opéra ce miracle , ou bien s'il le faut atttibuer a la vue d'un grand nombre de parures qui tombèrent de la maffue au moment que Filigrane s'en appröcha : quoi qu'il en foit, un prodige aufli agtéable détermina la reine, elle pafla promptement fon manteau royal pardeffus une robe a peigner , elle coëffa fon vieux diadême de diamans de karat par-deffus fon bonnet de nuit, elle mit promptement une taffe de rouge  |et le Prince Romarin. ij* 'rouge fur chacune de fes joues , c'eft-a dire de» pms la paupière jufqu'au plus bas du vifage , 8c dans cet équipage, fe cachant encore le nez avec un grand évenrail a caufe du grand jour, elle arriva dans la falie du trbne, en tenant toutes fortes de mauvais petits propos. Le génie fut audevant d'ellepluspoliment qu'alui n'appartenoir. llfeplacaaumilieudu roi & de la reine;toute la cour fe letira^par refpect, & le génie leur die alors : je m'appelle Grumedan, & je fuis de la meilleure & de la plus ancienne maifon des gémes , mon pouvoir eft mille fois au - deffus de ma force; cependant un fi grand nombre d'avanrages que je réunis en moi ont fuccombé, 8c n'ont pa réfifter aux charmes de Pimprenelle votre fille, je 1'aime éperdument; je fais bien qu'elle ne m'aime point, mais je ne puis vivre fans elle. Ün certain freluquet de Romarin que vous avez eonnu, a fu lui plaire , je crois qu'il ne fera plus un obftacle k mes défirs, vu la facon dont je 1'ai traité il y a quelques jours. C'eft le fils cadet d'un petit roi qui n'a pas feulement une mine de cuivre dans fes états. Quoi qu'il en foit, j'en ai purgé le monde. Vous croyiez que, fi je le vou~ iois abfolument, je n'ai pas befoin de votre confentement pour époufer votre fille, mais il eft nécelfaire que je 1'obtienne a caufe d'une ter-, taine bégueule de Melinette qui ptotégeoit le Torris XXIF, ' $  178 ia Prin'cesje PiNELte petit Romarin, & que j'ai quelque raifo» de ménager. Filigrane & Giroflée redoutoient égaiement tin gendte aufli terrible que celui qui fe propofoit; cependant avec un air affez embarraffé, ils dirent au génie que fon alliance leur faifoit beaucoup d'honneur, mais qu'ils feroient bien aifes de le connoirre un peu davantage, afin que leurs fujets n'euflent point de reproches i leur faire de mariei a un génie qu'ils ne connoiffoient point, 1'héritière préfomptive de la coüronne. Grumedan leur répondit a cela : je veux bien vous accotder quelques jours pour faire connoiflance avec moi \ mais j'ai démêlé dans votre efprit que la crainte de perdre votre royaume, vous inquiétoit plus que ce que vous m'avez allégué; allez, foyez tranquilles, je vous en donnerai foixanre autres, fi vous les aimez. En attendant, je vais envoyer chercher votre fille , afin que vous la déterminiez vous - même a me donner la main. A ces mots, il tira de fa poche le grand fifflet dontil s'étoir fervi pour appeler les huïtres (c'étoit fon inftrument favori) , au bruit qu'il jfit , fon grand lion qui 1'attendoit tranquillement a la porte de la rue , arriva a fes pieds. U ne craignoit pas qu'on le lui volat, car il avoit un colier a fes armes, fur lequel fon nom étoit écrit: ce qui, joint a de petits grelots, rendoit fa parure complette. Mirtil, lui dit-il, allez  st tE Prince Romarin. ehercher la princefle, amenez-labien doucémeni: ici tout-a- 1'heure. A ces mots, Mirtil, d'une courfe légère, fut bien-töt a 1'extrémité des jardinsi 11 fe fit jour a travers des troupes cjui gardoient la retraite de la princeffe. D'un coup dë queue, il enfoncala porre, & chargeant la princeffe toujours évanduie , fur fon dos qu'il rendit canapé fout autartt qu'il put, & tenant les habits dans fa gueule, il revint en moins d'un demiquart-d'heure, dans la chambre du rróne oü Grumedan , Giroflée & Filigrane avoient une converfation dans le fortd affez triviale. Ce fut un fpeétacle affez finguliet que celui de voir arriver cette malheureufe princeffe qui rendoit ainfi fa première vifite a fes pareus; Grumedan lui fit alors fentir le bout de fa maffue j a peine eut-elle ouvert fes beaux yeux , qu'en appercevant Grumedan, elle fit urt cri de dduleur, & feroit infaillement tetombée dans 1'état donc elle fortoit fans le fecouts du flacon de Grumedan j c'eft-adire celui de fa maffue. Les cris & les pleuts de Pimprenelle continuèrent, malgré les inconnus dont elle fe voyoit environnée, car les grandes douleurs ne ménagent qui que ce foit au monde. Filigrane , malgré la douleur dont la princeffe fa fille étoit aecablée, futoutré de 1'excefnVe beauté dont elle lui parut a elle - même, avec un faux air d'amitié & d'intétêt qui n'eft que trop com- Sij  iSo LA PrINCESSE PlMPRENElIE mun dans le monde j elle propofa de 1'emmenet dans fon appartement, & de la faire mettre au lit pour la laiffer repofer, promettant de plus de lui parler de 1'affaire dont Grumedan venoit de les entretenir •, mais c'étoit bien plutór pour fe rendre maitrefle de fa perfonne, & pour 1'empêcher d'ëtre admirée de toute la cour; elle lui mit nn stand mouchoir fur le vifage, la prit par deflous le bras, 5c la conduifit elle-mëme dans fon apparrement, elle fit tendre un lit de camp dans fa garde-robe, & ne voulut pas que perfonne la fervit, & fous le prétexte de Ia laiffer repofer, elle empêcha tout le monde de la voir. Pour le roi, il adrelfa la parole au génie, & lui dit : nous n'avons plus rien a faire ici d'aujourd'hui, voulez-vous que nous allions a la chaffe ? mon équipage eft prêt, & j'ai connoiffance d'un des plus gros fangliers; le génie accepta la propofition, l'on équipa, pour fon ufage , tout au plus vïte les plus gtands chevaux de carroffe de Ia petite écurie, & nos gens partirent enfemble^ Laiffon's-les chaffer , prendre ou ne pas prendre, & revenons au beau Romarin. Le leóteur fe fouvient de 1'obligation réelle qu'il eut a la bonne Melinette, quand le génie le furprit avec Pimprenelle. Elle ne l'eut pas plutot'fouftrait a la fureur du génie, que le mettant fcïx fon char, elle le conduifit dans fon palais  3-t kt le Prince Romarin. 2S1 des nues , comme je 1'ai déji dit, mais on ignore quel étoit ce chateau. C'étoit une efpèce de. retraite qu'elle avoit fait batir, & qu'elle préféroit fouvent a 1'habitation de la terre. La elle n'étoit détoutnée par aucun bruir, elle y travailloit, elle s'y repofoit, elle y faifoit enfin tout ce que bon lui fembloit, le palais étoit fuperbe} Sc comme il étoit fituéfut les nues les plus élevées, le foleil, dont les rayons n'étoient jamais obfcurcis, y brilloit fans celïe dans toute fa pureté. Ce fut donc la que Melinette conduifit Romarin. II ne fut fenfible, comme on peut le croire, iaucune des beautés , non plus qu'a la fingulariré du palais. Quoi, difoit-il fans ceffe a Melinette, quoi , vous m'aimez, Sc je ne verrai plus Pimprenelle! Quoi, vous me confervez la vie, Sc vous abandonnez une fi rare beauté a toutes les fureurs de Grumedan! Raffurez-vous, mon cher Romarin, kii ■ dit alors la bonne Melinette , tout étendu que peut être-le pouvoir des fées, il eft, vous le favez , borné par quelques decrets du deftin. Croyez que tout ce que je pourrai faire pour vous , certainement je le mettrai a exécution. Je vous laiffe ici le maitre,, rien ne vous y peut manquer; mes papillons & les hirondelles mes favorites , ont ordre de n'obéir qu'a vous. Adieu, je vous quitte-, que mon amitié vous falie efpérer. Romarin ne trouva point que Melinette lui S iij  1-81 LaPrincessePimprehille eüt parlé d'un ton aflez pofuif; il ne trouva dans les mots de confolation qu'elle lui ayoit dit que tout ce qu'd falloit pour s'affliger; car la trifteffe 8c le chagrin ont bien de 1'arr pour fe nourrir. U s'abandonna donc a toutes les idéés les plus funeftes. D'abord que la fée 1'eut quitté, il ne douta point qu'il ne füt pour jamais féparé de tout co qu'il adoroit; 8c ne pouvant furvivre a fa douleur, il fe précipira mille fois, mais en vain, des fenêtres les plus hautes du palais ; il s'élanca du haut de toutes les terraffes. Les nues avoient ordre de veillet a fa confetvation, elles n'eurent garde d'ëtre fans attention, Romarin , bien convaincu qu'il ne lui étoit pas poffible d'attentet £ fa vie , donna cent fois les épithètes de cruelle & de barbare a Melinette ; 8c ttouvant la clatté du foleil trop brillante pout la trifte fituation de fon cceut, il abandonna les appattemens les plus agtéables Sc les plus magnifiques : ce qui fe voit rarement dans les grands palais ornés 8c meublés avec le plus de gout; il dédaigna, dis-je, ces fuperbes lambris, 8c choifit pour fon habitation une des caves du palais, dans laquelle, a la vérité, 1'obfcurité n'étoit point répandue; mais ce n'étoit affurément pas fa faute, fi le jour le fuivoit. La clarté que l'on y voyoit, 8c l'air que l'on y refpiroit, imitoient les brouillards épais de 1'hiver, je n'en puis donner une plus jufte  et le Prince RomaJrin. z8j idee, Sc ce fut la qu'il gémifloit a fon gré, qu'il nommoit Pimprenelle, & qu'il appeloit fans cefTe la mort a fon fecours. Un jour que , plus affligé que jamais, il penfoit a fa trifte deftinée; en fe rappelanr les beautés & 1'efprit de Pimprenelle, Sc qu'il fe retracoit le fouvenir de fon bonheur pafté, il entendit chanter une voix qui ne lui étoit pas inconnue. Le fon de cette voix le frappa, moins encore cependant que les paroles Sc quele nom de Pimprenelle, c'étoit, en effet, un des couplets qu'il avoit faits pour fon adorable maitrene, il forrit avec ardeur de fa fombre retraite. Au même inftant le fidelle Sc charmant Rigdi parut a lui. La joie de Romarin ne fe peut concevoir. Le fidelle roflignol lui apprit qu'une hirondelle du paiais qu'il habitoit, avoit prié devant lui une de fes coufines de faire une commiflion pour elle; qu'il avoit entendu dans leur converfation que Melinette avoit doublé le fervice de fon palais pour la garde du prince Romarin; qu'il avoit donc apptis le lieu de fa demeure; qu'il avoit efpéré d'en inftruire Pimprenelle, Sc apporter ce foulagement a fes peines; mais que, dans ce même moment, elle étoit cvanouie , & qu'elle avoit été plus de vingt-quatre heures fans connoiffance. II apprit alors au prince tout ce qui s'étoit paffé depuis fon départ, Sc tout ce qu'on a déja lu. Fondant en larmes a cet Siv  ;£$4 LA Princesse Pi mprenelie endroit de fon récit, il lui conta que, toute évanouie qu'elle étoit, un grand lion 1'étoit venue enlever; qu'il n'avoit pu favoir ce qu'elle étoit devenue& qu'il avoit pris le parti de venir pleurer, s'affliger & mourir auprès de fon cher maitre. L'arrivée de Rigdi avoit été d'abord un des grands conrentemens que Romarin put avoir, les nouvelles qu'il apportamirent le comble afes malheurs. Ses défirs de mourir rcdoublèrent j mais la douce converfation de cet aimable oifeau étoit du moins une confolation pour ce malheureux amant. Voila quel écoit au jufte 1'état de 1'habitant du palais des nues. II me femble que nous avons laifFé Grumedan & le roi Giroflée allant a chafle de compagnie ; ils y furent, en effet, le roi fort joliment monté , & le génie trottant fur un grand cheval de carrofle , la chafle commenca. Grumedan lacha fon grand lion Mirtil, & dans le même inftanr, le fanglier fut tetrafle 8c mis en pièces. Le roi avoit beau crier : vous ne chaffez pas dans les régies. Qu'importe, difoit Grumedan, pourvu que je le prenne.Les piqueurs levoienr les épaules a de telles facons d'agir & de parler, & le roi leur répondoit ( quand Grumedan ne les regardoit pas) & leur faifoit figne qu'il falloit pardonner quelque chofe a un homme qui n'étoit pas encore au fait, & qui n'étoit qu'd fa première  et le Prince Romarin. 285 chrfle. Ils revirirent au palais, ils foupèrent; comme font d'ordinaire tous les chaffeurs, fans parler d'autre chofe que de grandes bêres, de chiens, de piqueurs , de chevaux, &c. Le génie propofa pour le lendemain une chaffe a 1'Ogre: il lui fut aifé d'en faire fentir 1'utiliré; & la nouveauté du divertiffemenc piqua le gout de tous les chaffeurs. Malgré 1'exadtitude de ceux qui ïr/ont donné des mémoires, & le foin que j'ai eu d'en raffëm* bier, je fuis obligé d'avouer que le détail de cette jolie partie n'eft pas venu jufqu'a moi; je fais feulement qu'il y eüt un page de 1'équipage qui fut rharigé , Sc que 1'ogre qui fut couru, n'en feroit pas demeuré en fi beau chemin, fi Gremudan ne 1'eüt alfommé d'un coup de fa maffue. Après une auffi belle chaffe que Ie fut celle-ci, Je génie, de retout au palais, fut voit la reine pour la prier de fe déterminer promptement, Sc d'engager Pimprenelle a fuivre fes volontés, 11 trouva Filigrane fort adoucie en fa faveur j 1'eunui de voir fa fille auffi belle qu'elle étoit, avoit confidérablement avancé le mariage. Ils en donnèrent les paroles a cette dernière entrevue, Sc les artjcles fecrets furent que le royaume appartiendroit a Giroflée, Sc a elle, pendant tout le . cours de leur vie, Sc que Pimprenelle ne paroir : trok jamais, dans aucun endroic oü elle fe ïroilr  lts La Princesse Pimprenelle veroit. Grumedan confentit a tout; pour achever de le contenter, on fixa le jour des nóces au furlendemain; & pour donner quelque certitude a 1'engagement que l'on prenoit, on ne trouva point de parti plus doux que celui de donner a la pauvre princeffe le choix de 1'époux , ou celui d'une coupe empoifonnée qui feroit fur 1'autel dreffëe pour le mariage. Cette nouvelle n'effraya point Pimprenelle. Quelques gens de la cour qui s'imaginent toujours que l'on ne peut fe déterminer ala mort, attribuèrent la gaité avec laquelle elle recut cette nouvelle a la plate joie des filles quand on les marie. Grumedan, pour témoigner le contentement qu'il éptouvoit, fachant que Filigrane aimoit les fêtes, réfolut de lui en donner une a elle & a toute la cour : il prit jour pour le lendemain, veille de fes nóces ; on ignoroit abfolument quel feroit le divertiffement, cat le génie n'avoit confulté perfonne; il n'avoit pas voulu que fa production put être foupconnée, 1'effet du plus léger avis. On arriva dans la falie des fpectacles au moment qu'il en donna la permiffion ; quand on fut placé , & que la toile fut levée, on vit avec une forte de furprife le théatre fermé par de gros barreaux de fer qui Iaiffbient cependant alfez d'efpace pour diftinguer & pour voir le jeu des acteurs .Quel futleconnementde toutei'affemblée,  et ie Prince Romarin. a$7 quand on vit paroitre de grands ours qui, matchant fur les pieds de derrière, vinrent réciter une paftorale avec des habillemens & des parures tels qu'on les voit a 1'opéra. On peut juger que le deffus > qui chantoit les premiers róles de bergères , étoit une tetrible baffe-taille. Tout étoit complet, quant au nombre, & les chceurs étoient affurément bien remplis. Le premier adfe fut exécuté alfez tranquillement de la part des acteurs ; mais, pour les fpedfareurs, il eft réel qu'ils ne favoient ou fe metfre. Le balet qui fuivit lade, - fut même affez agtéable, car il fut exécuté pat de grands finges rrès-favans Sc très-adroits. Lafuite ne fut pas rout-a-fait auffi bien repréfentée. ILy avoit dans la parole une fcène de rivalité, les ours prirent la chofe au perfonnel, Sc le combat a mort commenca dès ce moment. H fut d'autant plus terrible , que les chceurs prirent parti , Sc que prefque tous les muficiens périrent; pout lors on fit grand cas des grilles dont on s'étoit mocqué en arrivanr, 11 n'y a rien de fi commun dans le monde que de voir des gens qui non feulement font des fottifes, mais encore qui les foutiennent après les avoir faites fans en vouloir démordre, Grumedan étoit de ce nombre, il foutint toujours que c'étoit par une réflexion auffi fine que judicieufe , 0 plus il faifoit d'efforts pour y parvenir , & plus iL « lui paroifloit qu'elle s'éloignoit, les inégalités du 1 terrein & 1'épaiffeur du bois , la déroboient foun vent a fes yeux : quelle lituation pour un prince 1 extrêmement vif qui n'étoit jamais forti d'une 1 cour, & dont par conféquent on avoit toujoursj prévenu les delirs! Auffi l'on peut dire qu'il f0uj tint cette traverfe avec une impatience extreme. 1 Enfin n'en pouvanr plus de faim & de laffitude, il arriva rout auprès de cette lumière, vers lad quelle il dreffoit depuis fi long tems fes pas : elle I le conduifit a une méchante chaumière, il y frapi parudement, une vieille femme lui répondit; 1 mais comme elle ne venoit point affez prompteI ment, il redoubla lés coups, & paria d'un ton d'auI torité (car c'eft avec peine que l'on en perd 1'hai| bitude) : la vieille cependant n'en alloit pas plus vue , elle répondoit toujours fimplement Sc avec j douceur a toutce qu'il difoit en dehors,patience : \ elle paroiffoit déterminée a lui ouvrir; mais elle 1 fut encore long tems avant que de lui faire ce. | plaifir; il 1'entendoit qui chalfoit fon chat, dans 1 la crainte qu'il ne fortit en ouvrant la porte : il k diftinguoitclairement, par la converfation qu'elle I ^voic avec elle-même, qu'elle retoijrnoit fur fes  jo8 Nonchalant! pas pour moucher fa Iatripe, afiri de mieux diftinguer celui qui frappoit i fa potte ;■ & s'appercevant alors qu'il ne fe tróuvoit pas affez d'hiule dans la lampe , elle fe crut obligée d'en remettrè \ en un mot, elle fit mille autres chofes femblables en tépondant tou\oxxTS, patience ; quelquefois elle ajoutoit feulement, eh! mon Dieu, patience, Sc ce ne fut enfin qu'après bien du tems, que cette porte s'ouvrit. Le prince ne trouva dans cette cabanne que 1'image de la pauvreté , Sc pas Ia moindre apparence de nourriture. Cet afpedt le mit prefqu'au défefpoir j il témoigria a la bonne vieille fon extréme fatigue Sc 1'excès de fon appétit, mais elle ne lui répondit point autre chofe que ce trifte mot de patience; cependant venanÉ a Tezamen des fecours qu'elle pouvoir lui donner, vous aurez, lui dit- elle d'un ton doux, une botte de paille pour vous coucher : la voila, continuat-elle derrière la porte (qu'elle avoit eu grand foin de refefmer ) , & de quoi manger, répondit brufquement Papillon? Attendez, lui repliquat-elle , patience, je vais cueillir des pois dans le jardin; nous les écoffetons paifibiement, enfuite nous allumerons du feu, Sc puis quand nous les aurons bien fait euire , nous les mangerons fan» nous preffer; &c puis >e fetois mort, ajouta le prince : dame , je ne vais pas plus vite , moi, reprit doucemeut la vieille, non fans ajouter encore felon  ST PAPi!Lt»N. JO^ jCelon fa touable coutume, donnez»vous patience, qai pour rette fois fut fuivi du proverbe ; tout ■ vïïht a point c/iti peut mtendrt; routes ces chofes étoient bien dures a fouffrir, a-.ffi Papillon étoit-il dans fin état violent; mais que faire, il falloit bien en paffer par-la ; allons cueill r 'es pois, dit alors la bonne femme, prenez la lampe pout ni'éclaifcr; le prime lui obéir, mais fa promptil tude éteignit plufieuts fois la lumière, il faüut I ta rallumer a deux petits chatbons pref ju'éteints I & couverts d'un peu de cendre proprement ra! maffée dans ie miüeu de la cheminéc; & enfin I après bien des peines , les pois furent cueülis; on 1 revint a la maifon, on parvint a les.écoffer, &t : quand le feu fut allumé, ce qui fut encore trés,; long, il fatlüc les compter, car la vieille ne vou? ; lut abfolument en faire cuire que cinquante; quatre 5 le prince eut beau reprcfenter la médio: crité de ce nombre, & combien un pois de plus I ou de moins étoit de peu d'importance. ïl faffat i encore en paifer pnr-la; les pois tombèrent pkfè 4 fieurs fcHs par la vivacité du prince , par conféi quent il fallut non-feulement les raniafibr, mais i encore en vériher le compte; enfin on les mit fut i le feu , & quand ils furent prefque cuits , Ia i bonne femme tira des balances d'une vieille arrj moite, prit un petit morcsau de pain & fe mit u en devoir de le partager & de le pefer, nuis PaTome XXir. » V  jio Nonchalante pillon ne lui en donna pas le tems; il fe jeta delfus, le mangea, Sc lui dit a fon tour, patience. « Vous croyiez plaifanter, lui dit-elle toujours si doucement, mais non ; vous me nommez ve» ritablement, & vous apprendrez bientót a me >♦ connoitre ». Ils foupèrenr c-pendant, & les » vingt fept pois qu'il eut pour fa part, & qu'elle lui donna bien exa clement , joints a quelques Verres d'une eau très-claire, le nourrirent a merveille, Sc il dormit du fommeil le plus tranquille fur la paille qu'elle lui avoit promife ; le lendemain matin, elle lui donna pour dijeüner du pain bis & du lait qu'il mangea de tout fon cceur, enchanté qu'il ne fe trouvat a ce repas ni rien a cueillir; ni rien a comprer, enfuire il la pria de lui apprendre qui elle étoir. J'y confens, lui répondit-elle, mais cela fera bien long. Eh bien, reprit le prince, fi cela eft, je vous en quitte ; mais , continua la vieille, il faut a. votre age écouter les vieillards, Sc vous accoutumer a la patience ; mais, mais, dit-il, d'un ton d'impatience, il ne faut pas non plus que les vieillards nous excèdent; dites-moi feulement, continuat-il, quel eft Ie pays oü je me ttouve? Volontiers, lui répondit la vieille, vous êtes dans la forêt de 1'Oifeau noir, Sc c'eft la qu'il rend fes oracles. Un oracle, dit le prince, je vais le confulter; il voulut donner quelqu'argent a. la vieille; mais  ET PaPILLSN. 511 elle le refufa, il le jeta fur la table , Sc partir comme un éclair fans avoir demandé le chemin de ce qu'il avoir envie de voir; il prir a tour hafard le premier fermer qui fe préfenta devant lui, Sc roujours courant, Sc fe perdant fouvent j il s'éloigna fans regret d'une maifon qui lui avoic encore moins déplu que le caractère de celle qui 1'habicoit; il marcha quelques tems au hafard , mais enfin il appercut dans 1'éloignement un grand hatimenr qui dominoit fur toute la forêt, Sc dont la couleur étoit noire : cet objet, auffi lugubre que fingulier, lui parut le temple oü fe rendoit loracle qui le faifoit courir; il marcha cependant encore long tems, & fort peu avant le coucher du foleil, il arriva aux premières grilles du palais noir, il étoit environné de plufieurs enceintes de batimens Sc de foffés dont les eaux Sc les pierres qui les revêciffoieiit étoient de couleur alfortilfanre au temple; quand il fut a la première porte, il lut fans peine une infcription écrite en gros caraófère de fer rouge, qui contenoit ces parolos : mortel curieux de ta deftinée, frappe fur le timbre noir, & fois foumis a. mon culte. Le prince, pour exécuter cet ordre, ramaffa une grolfe pierre , & la lanca contre le timbre qui rendit un fon terrible & caverneux; a ce bruit, la porte s'ouvrit Sc fe referma avec une rapidité prodigieufe dès qu'il fut entré j dans le même inf- w  j 1 i Nonchalante tant il partit des batimens voifins , plufieurs mdlions de chauve-fouris dont les cris Sc i'obfcuriré qu'elles répandirent dans l'air, augmentèrent infiniment i'horreur de ce lieu : toute autre que Papiüon en eut été effrayé; mais il marcha d'un pas ferme Sc déterminé jufqu'a la fecpnde grille que foixante nègres couverts de grands voiles noirs lui vinrent ouvrir; il voulut leur parler, mais il reconnut que fon langage leur étoit touta-fait étranger : ce tourment qu'il ne connoiffoic pas encore, de penfer vivement Sc de ne pouvoit fe faire entendre, lui rappela triflement le fouvenir de la bonne femme,patience, mais ce ne fut pas tout, car il fut encore obligé de fe foumettre a ces foixante nègres qui le défarmèrent j après cette affligeante cérémonie , il fut conduit ttès-civilement par les miniftres noirs, dans un appartement magnifique ou 1'ébène, le jai Sc les tentures noires brilloient a 1'envi: réduit a patier par fignes, il exprima le befoin qu'il avoir de manger, Sc par fignes auffi on lui fit entendre que , dans quelques heures, il feroit fatisfait: en eifet, on vint le prendre (toujouts avec autant de refpecl que de lenteur) pour le conduire dans une efpèce de réfe&oire; il s'y placa auffi bien que tous les nègres a 1'endroit qui lui étoit deftiné, il vit quelques plats pofés devant lui, jls étoient de drfiérentes couleurs, mais tirant tour  ET P A P I L 1 O N. 31-3 jours fur le noir; il en voulut prendre un pour fatisfaire au plutót fa faim, mais il s'appercut qu'il étoit comme tous les autres attachés a la table, & il remarqua que fa nouvelle, mais lugubre compagnie, fe fervoit d'un chalumeau , Sc que le plus doucement du monde chacun fu§qit fa portion ; il fallut donc employer le chalumeau qu'il trouva devant lui 3 Sc manger d'une facon fi peu conforme a fa vivacité. Après le foupé, on palfa dans une falie oü les nègres deux a deux, s'établirent a un jeu d'échers dont il fut obligé d'ëtre le témoin • quand on eut fini la dernière partie qui fut très-difputée , & par conféquentinfinimentlongue,on le conduifit dans fon appartement, toujours avec la même lenteur Sc toujours avec le même refpecf. L'efpérance de confultet 1'otacle & celle de fortir de ce trifte féjour, 1'éveillèrent de grand matin , il témoigna 1'envie qu'il avoit d'aller au temple; mais fans lui rien répondre , on le conduifit aux bains , en lui faifant entendre qu'il falloit fe purifier; il fe déshabilla promptement, Sc voulut fe précipiter dans 1'eau, mais tous les nègres 1'arrêtèrent, & 11e lui permirent d'y entrer qua la hauteur d'un pouce, & ce fut avec bien de la peine Sc beaucoup de chagrin pour lui qu'on lui fit entendre que fon bain augmenteroit tous les jours d'une pareiiie mefure. Quand il fur conyaincu de, cette Vlij  314 Nonchalante trifte néceffité, il perdit abfolumenr patience; il conjura, preffa par fignes, & par la même , öuoiqü'ïl füt bien affuré que Ton n'entendoit rien de ce qu'il difoit ; mais tout fut inutile , il fallut fe füLimertre, & foixante jours fe pafsètént a rendre fon bain complet. Toujours mangeant avec un chalumeau , toujours obfervant le filence , toujours conduit Sc complimenté lentement, & toujours voyant jouer aux échets, le jen qui de tous lui étoit le plus antipathique : enfin , il parvint au bonheur d'avoir de 1'eau jufqu'au menton , & le lendemain de cet heureux jour, les nègres revêtus de leurs voiles noirs, ayant chacun une chauve - fouris fur la tète, marchèrent a petits pas , en chautant du nez un cantique des plus lugubres, ils arrivèrent avec le prince , a la grille qui les féparoit de 1'intérieur du temple. 'A leurs chants , une autre troupe dc nègres , mais qui marchoit beaucoup plus lentement encore , vint recevoir le malheureux Papitlon j toute la différence qu'il püt remarquer entre ce dernier cortège Sc le premier, c'eft que ceux qui compofoient celui-ci , avoient chacun un corbeau fur le poing, dont le croaffement devenoit infupportable ; on prit. alors fe prince fous les bras , moins pour lui faire honneur que pour le contenir. Après une trés longue marche, on arriva aux premiers degrés du temple ;  ET PAPIEION. 315 le prince crut être a la fin de fes peines; mais on fut encore plus de deux heures a lui donner le voile noir \ après quoi il parvint enfin dans le temple, oü il fut encore au moins autant de tems fpectateur des différentes prières que l'on y fit : 1'impatience du prince s'étoit convettie il y avoit déja long-tems , en des baillemens continuels & vraifemblablement fcandaleux; mais rien n'étoit capable d'interrompre 1'ordre des cérémonies ; & qnoiqu'i! en füt le principal objet, on ne s'étoit point du tout occupé de 1'ennui qu'il témoignoit avec fi peu de modération. L'intérieur du temple étoit comme 1'extérieur , revêtu du marbre le plus noir ; un grand rideau tout auffi noir que le refte , le féparoit en deux parties : après les fumigations les plus épailfes ; ce rideau fut rité, & 1'oifeau noir parut dans toute fa majefté -y c'étoit une efpèce d'aigle, mais beaucoup plus gros qu'un rock; il étoit perché fur une barre de fer qui ttaverfoit le temple. A fon afpeóc , tous les nègres fe profteinèrent, n'ofant foutenir fes regards \ quand il eut trois fois battu des ailes , & que trois fois le tems fe fut éclairci , il prononca diftinórement ces mots dans la langue de Papillon : Prince , tu ne peux être heureux que par ce qui t'efl oppofé. Auffi tot que ces paroles eurent été prononcées , le rideau fe referma , & tous les nègres , tant de l'intérieur que de 1'éïr Yir  }i<£ Nonchalants térieur du temple, vinrent très-refpeóbueufement le baifer des deux cótés. Après cette longue cérémonie , on lui donna un corbeau noir fur Ie poing , & on le reconduifit tout auffi lentement a. la grille qui s'ouvrit comme la première fois. li , i! rendu fon corbeau, & fut remis entre les mams des pr miers nègres j une chauve-fouris fe placa d'elle-même fur fa tere , & cette efcorce le ramena a fon premier gite , pont prendre autant de bains en rétrogradant, qu'il en avoit déj.i pris. Pour lors il fut embraflé par les derniers nègres qui le conduifirent fort civilement a la grille d# timbre noir , & lui rendirenr fes armes avec tous les fignes & toutes les démonftrations d'amitié poflibles ; il répondit très-mal a leurs politelfes, car la porte ne fut pas plutóc ouverte , qu'il fe mit a courir de toutes fes forces , fans autre dcffein que celui de s'éloigner d'un lieu dans lequel il ne concevoit pas qu'il eüt pu vivre ; il fe repentit mille fois de la curiofité qui 1'avoit engagé A venir confulter un auffi rrifle oracle qui ne lui avoir rien appris il fit quelques réflexions (fort ceurtes a la vérité) fur l'iiiutilicé & les inconvéniens de la curiofité. Après plufieurs jours d'une vie très-dure & très-pénible , il fortit de la forêt, &fe trouva fut les bords d'un grand fleuve donc il fuivit le cours, dans 1'efpérance de rencontre* «juelque moyen de le traverfer; il étoit dans cet  et Paï'illon. 317 •mbarras, lorfqu'un jour au lever du foleil, il appercut un objet d'une blancheur ébloudfante , fon empreffement redoubla a cet afpeót. II reconnut que c'croir un vaiffeau le plus blanc , le mieux fait Sc le plus joli du monde ; il étoit mouillé dans le grand fleuve, Sc fa chaloupe étoit a terre : le prince ne pur réfifter long-tems a 1'envie d'en faire ufage, non plus qu'a celle de vifirer le batïment : il cria inutilement pour en faire fortir quelqu'un ; Sc impatienté du filence qu'on y gardoit, il fauta légèrement dans la chaloupe , Sc fe conduifit avec une extreme facilité; car cetre chaloupe ne pefoit rien, puifqu'elle étoit de papier blanc, auffi bien que le vaifleau; le prince y monta fans aucune difficulté , & n'y trouvant perfonne, il examina fans obftacles tout ce qu'il eut envie de voir , & remarquant qu'il y avoit non-feulement un bon lit, mais encore roures les chofes néceflaires a la vie, il réfolut d'en profiter jufqu'a nou vel ordre. Comme il avoit été fort bien élevé a la cour de Gris de lin , il favoit un peu de tout , & la néceflité jointe aux connoiffances qu'il avoit aequifes , lui firent trouver une partie des manoeuvres Jes plus néceflaires. Le vaiffeau , le fleuve, les campagnes , tout ce qui f« préfenta afes yeux lui parut inhabité ; la légéreté dont étoit fon bariment, répondant a. fa viva*ité, Is dédommagea de i'ennui qu'auroit pu lui  %\% Nonchalante caufer une auffi grande folicude ; enfin , après quelques jours de navigation, Ie courant du fleuve 1'entrainant toujours vers fon embouchure , i! fe trouva prefque fans s'en être appercu dans la grande mer; il ne l'avoir jamais vue : 1'afpect de cette immenfité d'eau 1'étonna ; tout courageux qu'il étoit, il fut efFrayé, & voulut rentrer dans la rivière ; mais les courans plus forts que lui > 1'emportèrent au large, & le vent le prenant alora en poupe , lui fit perdre la terre en fort peu de tems ; il fe fouvint alors de la défenfe qu'on lui avoit faite dans fon enfance , de badiner avec 1'eau, mais il n'étoit plus tems ; il fentit toute 1'horreur de fa fituation , & ne favoit comment fe garantit du péril oü fon peu de réflexion 1'avoit expofé; tout ce qu'il put faire, fut de s'impatienter & de s'ennuyer, deux chofes dont il s'acquittoit merveilleufement bien; pour comble de maux , il fut pris par des calmes , & l'on n'a jamais pu comprendre comment il avoit réfifté a un état qui déplair même aux plus patiens, auffi regretta-t'il alors le temple de 1'oifeau noir; car il y voyoit au moins des hommes; il leur faifoit des fignes, & 1'efpérance d'en fortir le foutenoit dans fes chagrins; au lieu que dans fon navire de papier blanc , il n'avoit aucune efpèce de fociété, & ne pouvoit ptévoir comment il feroit délivré de cette ennuyeufe prifon. Sa na-  IT PAPILtON. 519 vigatión fuc extrêmement longue, Sc il ne decouvroit aucune terre ; la première qu'il reconnut , & dont fon navire approcha , lui caufa une fi grande joie , & fon empreflement pout débarquer fut fi fort , qu'il fe jeta a la mer , réfolu de gagner Ia cote a la nage ; mais fon projet fut inutile, car fon vaiffeau fe trouva toujours fous fes pieds toutes les fois qu'aptès s'être précipité dans la mer, il revenoit au-deffus de 1'eau. II fut donc obligé , malgré lui, de fe foumettre aux vents, de fe tenir enfermé dans fa chambre, Sc de fécher fes habits au feu d'un réchaud a 1'efprir de vin , qui lui fervoit pour accommoder les vivres qu'il ttouvoit en abondance , Sc dont il ne manqua jamais ; cette dernière impatiencene fut pas de longue durée; le vaifleau arriva de luimême dans un port formé par la nature , Sc bordé des plus grands arbres. Cette vue enchanta le prince, Sc quand il fut auprès de tetre il y fauta légèrement, Sc contre fon efpérance il fe vit enfin délivré de la perfécution de fon vaifleau; il marcha pout ne le plus voir , traverfa promptement la plus belle forêt du monde, & s'atrêtaau bord d'une fontaine délicieufe , par la pureté de fon eau Sc par la beauté des cèdres dont elle étoit ombragée ; a peine y für-il arrivé , qu'il vit une gazelle prefque aux abois qui vint tombet a fes ti;ds, en prononcant ces paroles: Ah! Papilion ,  $Z® NoNBHALANTE fecourez-moi. Le prince éronné & touché de Ia beauté Sc de la déiicateffe de ce petit animal, ramafla fes armes , Sc fut au devant d'un lion vert qui pourfuivoit la gazelle avec ardeur. L'intrépide Papilion 1'attaqua; le combat fut vif, mais enfin Papillon demeura vainqueur. Le lion en tombant, fiffla trois fois avec tant de force , que la forêt en retentie, & que le bruit s'en fit entendre a plus de deux Iieues a la ronde , après quoi ce lion expira , n'ayant apparemment plus rien a faire dans ce monde. Papillon s'embarraffant auffi peu de lui que de fon fifflet, fe tourna du coté de Ia belle gazelle , Sc lui dit: Eh bien , êtes-vous contente a préfent ? Puifque vous favez patier , dites-moi promptement ce que c'eft que tout ceci , Sc pourquoi vous me connoiffez ? 11 faut que je me repofe long-tems , lui répliquat'ëlle , & de plus vous n'avez pas le loifir de m'écourer, car cette affaire n'eft pas finie ; vous étes ttop preffé, régardez, continua-t-elle3 ( fans s'échauffer davantage ) régardez derrière vous. Papillon fe tourna promptement, Sc vit en effet un géant qui marchoit droit a lui a grands pas. Qui diable, s'écria le géant d'une voix formidable, a donc fait fiffler mon lion ? C'eft moi, répandic fierement le prince ; mais regarde , il ne fifffera plus fur ma parole. Ah ! mon pauvre Bibi, répliqua le géant, quel malheur ! mon cher petit and.  ET PAPlttON. jjY mais au moins je puis venger ca mort: A ces mors il préfenre a Papillon le grand fetpenr qu'il tenoit a fa main , & la feule arme qu'il eüt apportée. Le prince , fans s'étonner , porte au ferpent uncoop mortel, & dans le moment ii devint géant, & Ie géant devint ferpent j fes coups de Papillon firent jufqu'a fir fois une femblable métamorphofe ; mais enfin ie prince donna un fi grand coup de fabre , qu'il coup» le ferpent en deux , en ramaïla un morceau, & le jeta au nez du géant qui toraba fans coimciffance dans les patres du lion ; dans ce moment , un nuage épais les déroba a la vue da jeur.e prmce , & les enleva avec une extréme rapid té. Papillon, fans fe donner Ie tems de remetcre fon épée , s'adreffant a Ia gazelle , lui dit: Vous avez a préfent repris vos fens, vous ne craignez plus rien; expliquez-moi donc ce que vous cres & ce que veulent dire ce lion , ce vilain qéant & fon camarade le ferpent. mais fur-tout déoêchez-vous ? Vous ferez fatisfait , lui répondicelle , mais rien ne preffe : je voudrois vous mener au chateau vert, & je voudrois bien auffi ne pas aller a pied , c'eft une chofe fi farigante , de plus le chateau ne laifTe pas d'ëtre éloigné 5 mertons-nous donc tout-a-l'heure en chemin pour nous y rendre , reprit le prince avec impadence, ou bien je vous laifferai la , vous & votte hiftoite; n'eft-ce pas une chofe honteufe qu'ana  jiz Nonchalante jeune & jolie gazelle comme vous ne pullis mai-cher i pied ? Partons donc promptement, cat plus le chateau.eft éloigné , & plus nous devons faire diligence : Allons , allons , continua-t'il , nous irons doucement, c'eft tout ce que je puis vous accorder 3 d'ailleurs , nous cauferons en chemin ; faifons mieux , reprit elle, portez-moi fur vos épaules3 mais comme je n'aime point que les autres fe donnent de la peine (Sc vous moins qu'un autre) vous me portere/., il eft vrai , mais vous monterezfurce iimacen 3 en effet , elle lui en montra uil ( en étendant a peine la plus johe patte du monde) qu'il prit pour un gros quartier de pierre , tant 11 étoit d'une taille énorme 3 moi , que je monte fur un limacon , reprit Papillon , vous moquez-vous, c'eft donc pour n'arriver que dans un an ? Eh bien , ne le faites pas, lui répondit la gazelle , nous demeurerons ici , pour moi je m'y trouve fort bien, la fontaine eft fraiche Sc 1'herbe eft tendre 3 mais croyez moi, fuivez le confeil que je vous donne & montez. Toute oppofée que la chofe étoit au caraétère de Papillon, elle lui parut fi ridicule qu'il obéit, & après avoir mis la jolie gazelle fur fes épaules, le limacon d fes ordres, & aux coups de talon qu'il lui donnoit fans ceffe , gliffoit affez paffabtement. La gazelle lui difoit inutilement que cette voiture étoit la plus douce qu'elle eut en-  et Papillon. 3 ij cöre trouvée; i! n'en fentoit que la ienteur. Enfin , après une très-longue marche, ils arrivèrenr au chateau vert; tous ceux qui 1'habitoient furent attnés par la fingulariré de la marche & de la voiture. La gazelle ayanr bien voulu qu'on la mit a terre , reprit fur les degrés du périftile , une forme auffi douce qu'aimable , 6V fit connoi'rcea Papillon fa belle Coufine. La joie & la'teconnoifTance que la princefle lui témoigna fut tranqudie & fort douce ; celle du prince au contraire fut auffi vive qu'animée ; toutes les ferhmes avec lefquelles Nonchalante vivoit depuis quelques tems , accourumées a deviner > apprirent par deux ou trois paroles, que 1'emportemenr de fa joie lui fit prononcer , la défaite du géant, & les ptodiges de valeut de fon coufin. Nonchalante marcha lentement pour fe fepofer dans le grand appartement du chateau. Papillon la fuivit pour obtenir promptement le récit qu'il avoit déja demande ; la vue de fa coufine le lui faifoit infiniment defirer ; mais il fallut encore , avanr que de fatisfaire fa curiofité, qu'il recut les complimens des habitans des terres vertes , qui, par la mort du géant, venóient le reconnoïtre pour leur fouveratn.'II coupa court a Ia moitié des harangues qui étoient toujours trop longues ; les complimenteurs furent congédiés tout auffi-tót que la chofe fiK poflible, Sc Pa*-  324 Nonchalant* pillon obtint enfin de Nonchalante le rédt ds fes aventures, qu'elle cornmenca de cstce forte. Après votre départ, ennuycé des fatigues du gouvernement donc on voulut abfolument m'inftruire , je conjurai la bonne Lolotte que vous avez connue , de m'emmener chez elle 3 ce fut avec beaucoup de peine qu'elle m'accorda cette faveur , mais enfin elle y confentit: ede m'enleva fur mon canapé, & je p-iffai quelques jours délicieux dans fa grotte , oü tout étoit auffi commode que tranquille : elle fut obligée d'aller i Paffe mblée des fées , mais elle m'apprit a foa retour , en fondant en larmes , que les complaifances qu'elle avoit eues pour moi lui avoient coüté bien cher; qu'on 1'en avoit grondée avec beaucoup de vivacité , & que le confeil lui avoit ordonné de me mettre entre les mains de Mirlifiche , déja chargée du foin de votre perfonne , & dont la conduite étoit trés bonne a votre égard. Oh oui, fort bonne , interrompit Papillon , fi c'eft elle qui m'a caufé tous les ennuis que j'ai éprouvés. Vous en jugerez touc a 1'heure : continuez , continuez , ma belle coufine , cat je fais ce qui m'eft arrivé a moi , mais j'ignore tout ce qui vous regarde. Je fus d'abord très-afïligée, repric Nonchalance , des pleurs de la bonne Lolotce, mais je me confolai enfuite par 1'idée des reffoutces que foutnit la tranquillité ; je ne rardai pas  £t Papillon.' 32$ pas a voir arriver la fée Mirlifiche, montée fur fa grande licorne ; elle s'arrêta devant la grorte que nous habirions , & me demanda a la bonne Lolotte , dont les pleurs redoublèrent dans cet inftant ; mais ne pouvant me refufer, elle me prit dans fes bras , me donna plufieurs baifers de nourrice , & me mit elle-même en croupe derrière la fée : tenez-vous bien, petite fille, me dit Mirlifiche, fi vous ne voulez' pas vous caffer le cou ; effecfivement j'eus befoin de toutes mes forces pour ne pas tomber ; car fa vilaine monfure alloit un trot fi rude, que fouvent je perdois haleine. Nous trotames cependant un trèslong-tems , & quand nous fumes arrivées a une groffe ferme , le fermier & la fetmiere accou. rurenr au-devanr de la fée , d'aufïi lom qu'ils la virent, & 1'aidèrent a defcendre de fa licorne; j'ai fu depuis qu'ils étoient rois & reines , & que les fées les avoient réduits a cet état, autant pout les punir de leur ignorance & de leur pareffe, que pour tacher de les en corriger. Quand Adlirliriche fut defcendue , 8c que l'on m'eut portée a terre prefque morte de fatigue , elle voulut abfolument que je donnaffe les foins nécelTaires a fa licorne. Pour cet effet, elle m'ordonna de monter au grenier au foin , oü l'on n'alloit que par une échelle, & de lui apporter 1'une après'1'autre quatre-vingt poignées de foin pour la nuir de fa Tomé XXIK X  jaiï Nonchalante monture J je n'ai jamais reffenti une auffi grande laffitude, & je frémis encore quand j'y penfe; cependanc j'obéis j j'apportai devant elle les quatre. yingtpoignées de foin, je les reportai enfuite par fon&ordre , de la même facon dans 1'écurie ; ce ne fut pas tout, on me fit travailler au fouper, & quand il fut achevé , je crus en être quitte & pouvoir jouir paifiblement d'un petit lit que la fée avoit fait apporter auprès du fien. Point du tout, je fus non-feulementobligée de le préparer (car il n'étoit pas fait) mais encore celui que l'on avoit apporté pour Mirlifiche ; j'aurois cent fois prcféré le fommeil que j'aurois pris fur une chaife, plutot que dans un lit qui me coutoit tant de peine; mais il fallut obéir, fermer les rideaux de la fée , & lui rendre mille fervices qui ne finiffoient point, & auxquels je n'étois point du tout accoutumée; enfin , n'en pouvant plus, Sc ne fachant pas encote me déshabiller toute feule , je me jetai fur mon lit dans Pétaf ou j'étois; la fée qui s'en appercut, me tira des charmes d'un premier fommeil, pour me faire déshabiller ; mais malgré fes menaces , je ne laiffai pas d'en garder une portie ; je fus affez heureufe pour qu'elle ne s'en appercut pas; Sc je vous dirai confidemment que je me fuis toujours affez bien trouvée de la défobéiffance : on ejï » il eft vrai, fouvent grondée , mais on gagne tou-  2 T P A p 1 t t o N. jows quelque chofe du cóti de la peine. Dès Ie point du jour, Mirlifiche me réveilla, & m'obligea de me lever pour aller favoir comment fe portoit fa licorne, & pour lui rendre compte du \ foin qui lui reftoit i manger ; elle réitéra fes erdres , & me contraignit de faire plufieurs voyages , tantöt peur l'inftruire du tems qu'il faifoit, tantót pour 1'informer de 1'heure ; je m'acquittai fi mal, & j'exécutai fi lentement fes t ordres , qu'avant de partir elle appela le roi & la reine qui 1'avoient recue avec le plus profond refpeéc. Princes, leur dit elle , en montant fur fa licorne, continuez a faire bien valoir votre ferme, fi vous voulez remonter fur le tróne; je fuis plus conrente de vous cette année ; mais je vous laiffe cette petite princeffe , en me montrant a eux , faites la moi travailler d'importance ', & que je la trouve corrigée ? Autremenr Elle n'en dit pas davantage, piqua fa monture, & dans un inflant difparut a nos yeux ; le roi Sc la reine fe tournant alors de mon córé, me demandèrent ce que je favois faire, rien du tout, répondis-je d'un air qui devoit affurément les perfuader : malgré certe réponfe , ils enrrèrent dans le détail & le choix des occupations , pour favoir laquelle feroit plus de mon gout; mais je les affiirai toujours que je n'en avois point d'autre que ; celui de ne rien faire, & je fiius par les conjurer Xij  31g Nonchalante de me laiffer dormir. Ils eurent non - feulement la bonté d'y confentir, mais encore celle de m'apporter a mangel dans mon lit, dont je ne voulus pas fortir de tout le jour , le lendemain au matin , la bonne reine me vint trouver , & me du d'un air embarraffé : ma belle enfant, il faut néceffairement vous réfoudre i vous lever, je fais bien que c'eft une jolie chofe que de ne rien faire , telle que vous me voyez , je le fais par moimème, car enfin , quand nous écions roi & reine, nous ne faifions rien , mon mari & moi, mais je dis , rien du tout, & j'efpère bien qu'un jour viendra que nous en ferons tout autanf; mais nous n'en fommes pas II, bi vous ni nous; vous avez entendu ce que la fée nous a dit en partant, vous nous feriez gronder , & peut-être vous nous expoferiez a pis encore , fi nous ne vous faifions pas rravailler : ainfi , levez-vous , mon enfant, car mon mari l'a réfolu comme cela, nous n'avons parlé que de vous hier au foir, & même toute la nuit * allons, venez déjeuner , j'ai de la bonne crème qui vous attend ; ce ne fut pas encore fans peine que je fuivis fon confeil, & tout atla bien jufqu'au déjeuné. Quand il fut achevé, l'on agita de nouveau ce que l'on me donneroit k faire; mais je difois toujours, croyezxnoi, ne me chargez de rien : enfin, la reine accommoda plus de quatre livres de chanVre autour  et Papillon.' $19 d'une groffè quenouille qu'elle accompagna d'un fuleau, en m'envoyant garder les moutons , Sc en m'affurant que cet ouvrage étoit d'autant plus agréable, que je me repoferois tant que je le voudrois , quelque féduifante que pür être fa promeffe, je fis encore de nouvelles repréfentations, mais elles furent inntiles , Sc je fus obligé de partir, je ne marchai pas long-tems fans trouver une ombre charmante; 1'endroit me parut délicieux ; je m'aflis fur wne herbe tendre ; Sc me faifant un chevet de ma quenouille , je me couchai comme j'aurois fair, s'il n'y avoit point eu de mouton dans le monde ; pour eux , ils fe conduifirent comme s'il n'y avoit eu perfonne pour les garder ; ils fe répandirent a leur volonté dans la campagne , en fourrageant tous les grains; les païfans du canton étoient trop intéreifés au dégat pour le paffer fous filence : au bruit qu'ils firent, le roi & la reine fortirent de leur ferme, & voyant ce qui fe paffoit, ils fe mirent a courir après leurs moutons, avec d'autant plus de raifon , qu'on vouloit leur faire payer le défordre. Pour moi j'étois tranquille , je les regardois courir, & j'y ferois encore (car j'étois fort a mon aife ) li le roi & la reine , tout effoufflés de leur courfe, ne m'euflent appQrcue dans cette fituation , ils m'obligèrent a. me lever , le m'ordonuèrent de les fuivre, ce qui ne fe paffa pas fans Xiij  33® Nonchalants éprouver beaucoup de reproches de leur parr; on me chargea par la fuite , comme vous pouvez penfer, de toute autre chofe que du foin de garder les moutons , mais je m'en acquittai toujours de la même facon; enfin, je fus fi bien mettre au défefpoir les gens du monde les plus patiens , que craignant un jour que la reine ne me bartit, je fortis de la ferme pour éviter fa colère, Sc je trouvai devant moi le bateau qui fervoit a pêcher dans la petite rivière qui traverfoit la ferme ; a peine y fus-je afifife , que le courant de Peau m'emmena tout doucement ; je ne m'y oppofai poinr, Sc je m'embarraffai fort peude la reine qui me fuivoit, en ctiant comme une aigle : Eh ! mon bateau , mon bateau ; venez donc mon mari, la petite fille Pemmène ; elle fe laffa a la fin de le fuivre Sc de crier; & moi je mé laiffai aller au gré du courant de la rivière ; je trouvai la chofe fi douce Sc fi jolie , que je paffai la nuit dans cette fituation ; j'y autois paffé ma vie fi , au lever du foleil, mon bateau ne fe füt arrêté fur les bords d'une prairie charmante ; le befoin , plus que la curiofité , me contraignit a m'approcher de quelques maifons d'une forme trés fingulière ; quand j'eus marché quelques pas ; j'appercus en l'air un nombre infini de chofes briliantes qui n'étoient attachées k rien s Sc qui cependant demeuroient fixes ; je  et Papillon. 331 marchai de ce cöté , & je me trouvai tont auprès d'un cordon de foie qui pendoit jufqu'i terte ; je le pris paree qu'il fe trouva fous ma main, & dans un inftant toutes les fonnettes d'argent, (car c'étoit ce que j'avois appercu de brillant ) formèrent le plus joli & le plus agtéable de tous les carillons; je m'aflis pour 1'écouter, & quand il eut ceffé , il vint autant d'oifeaux qu'il y avoit de fonnettes , fe pofer fur chacune d'elles ; ils chantèrent d'une facon raviffante , &c quand cet agréable concert fut fini, je vis venir a moi une grande & majeftueufe femme d'un age affez avancé , & d'un embonpoint confidérable ; elle étoit fuivie de tous les oifeaux de 1'univers , les unit groffiffoient fa cour, & 'es autres étoient occupés auprès d'elle a toutes les foncHons , donc la vanité a fait un fetvice ordinaire. Dès qu'elle fut auprès de moi , elle me dit : Qui vous a donné la hardieffè , petite fille que vous êtes , de venir ici oü je ne fouffre pas un habirant a plus de cent lieues a la ronde, dans la crainte d'effaroucher mes oifeaiu ? Encore fi vous étiez. bonne a quelque chofe, continua-t-elle , en me regardant , je verrois a quoi je pourrois vous employer : madame, lui dis-je en me relevant, vous pouvez me laiffer ici en toute süreté , cettainement je n'irai pas dénicher vos oifeaux j mais par pitié , daignez me faire donner a man-» Xir  3,2} Nonchalante ger : J'y confens, me répondit-elle , avant que de vous traiter comme vous le méritez •, pout lors, une demi-douzaine de geais que je jugeai être fes pages , volèrent a la grande volière qu'elle habitoit, & revinrent chargés de toutes fortes de bifcuits que je trouvai parfairement bons, en un mot, je fus fervie" a merveille, mais avec trop depromptitude Sc de vivacité, car je n'aimé point a me preffer ; je trouvai fur toutes chofes le fruit charmant & délicieux, car les oifeaux s'y connoiffent a merveille : je me fentis une fi grande envie de demeurer dans ce pays, que je ne pus m'empêcher de la témoignet encore une fois a la dame qui me traitoit li bien. Vous! me répondir-elle, avec unair de mépris Sc d'ironie : Vous 1 demeurer ici dans un pays oü tout eft auffi vif. Vraiment non, vous n'y penfez pas , continuat-elle, & ce n'eft pas la non plus ce que je veux faire de vous , j'ai rempli les devoirs de 1'hofpitalité , Sc c'eft tout ce que vous aurez de moi. Alors elle tira avec beaucoup de vivacité le cordon de foie dont j'ai déja parlé , & bien loin de produire ces fons enchanteurs qui m'avoient fait un fi grand plaifir , elle mit en branie une cloclie dont le fon tetrible m'épouvanta; un inftant après je vis paroitre un oifeau noir d'une taille monftrueufe , qui abbatit fon vol aux pieds de la fée , Sc qui lui dit avec une voix proportionnée a. fa  et Papillon. 333 taille : Qae voulez-vous , ma fceur ? je veux, lui dit- elle , que vous emportiez tout-aTheure cette belle Nonchalante a mon coufm le géant du Chateau vert, vous lui direz de ma part de la faire travaiiler jour & nuit aux belles tapitiéries qu'il fait faire. A. ces mots, malgré mes cris, l'oiieau noir m'enleva, & parrir d'un vol rapide. Bon, dit Papillon , vous vous moquez, ma coufine, dites donc des plus ients , je le connois ce vilain oifeau noir , & jamais lenteur n'cgala celle dont il eft environné , il en fera tout ce que vous voudrez, répliqua Nonchalante , je n'ainje pas a difputer , ce n'eft peut être pas le même que vous connoiffez , mais enfin, celui-la m'emporta prodigieufement vite , & me pofa fort doucement dans ce chateau dont vous êtes a préfent le maitre , nous enrrames par une des fenêcres qu'il trouva ou verte, & quand il m'eut préfenré de la part de la fée des oifeaux , au géant dont vous avez eu la bonté de me défaire , il partit en difant: adieu , coufin , jufqu'au re voir ; a peine avois- je eu le tems de confidérer le lieu dans lequel je me trouvois, que le géant me dit , vous êtes donc une pareffeufe , puifque l'on vous envoye ici: nous en avons fait travaiiler d'autres ? Voyez, ajoutat-il, comme tout cela eft occupé; je levai les yeux pour lors , & je vis dans une galerie immenfe, des métiets,' des dévidoirs, des laines.  354 Nonchalante des deffeins, &c. II y avoit tel métier fur lequel plus de douze perfonnes étoient occupées, cet afpeéc me fit évanouir , quand j'eus repris mes fens, on me demanda ce que je favois faire: ce fut en vain qu'avec une extreme bonne foi, & la plus grande envie de perfuader , je répondis comme j'avois fait dans la ferme , rien. Le géant me dit a cela que l'on m'inftruiroit , & qu'il y avoit de Pouvtage pour tout le monde. On travailloit dans le chateau a faire des tentures de tapifferies de tous les contes nouveaux que les fées approuvoient le plus. Le roi Guillemor, Nabottine , Silentieux , & Babillarde Viollette , paroiffoient dans tout leut éclat. On voulut me faire travaiiler; mais des premières claffes ou l'on m'avoit mife en arrivant, on me fit toujours defcendte jufqu'aux ouvrages les plus fimples; on me donna vainement les pénitences qui réuffiffoient le plus ordinairement fur les autres, & ce fut aufli vainement que le géant me fit voir fa ménagerie ; elle étoit prodigieufement grande , & compofée de tous les enfans qui n'avoienc pas voulu travaiiler, tout cela ne me fit aucune impteffion , & je fus enfin réduite a tirer de 1'eau pour la teintute des laines \ comme je ne m'en fuis pas mieux aequittée que des aurres chofes, le géant s'eft emporté ce matin contre moi , & m'a fsit psendre la forme d'une gazelle ; teut de  et Papielon. 335 fuite il m'a conduite a fa menagerie , Sc la timidité naturelle de cet animal 1'a emporté en moi, fur le goüt que j'ai pour le repos , la vue d'un chien m'a fait prendre la fuite , Sc je fuis fortie de la cour du chateau ; le géant a craint de me perdre , il a laché fon lion vert après moi, avec ordre de me ramener a quelque prix que ce fut; mais cependant je me ferois peut-être laiffé prendre ou dévorer , plutot que de courir li long-tems , fi mon bonheur ne m'eüc fait vous rencontrer a la fontaine. La princeffe termina le récit de fes aventures par 1'éloge du repos & d'une vie douce Sc tranquille ; mais Papillon 1'alfura qu'il n'étoit que trop demeuré en place , Sc que depuis qu'il ne 1'avoit vue, il avoit éprouvé des fituations qui ne 1'avoient point du tout amufé , Sc tout de fuite il lui conta fort vite 1'hiftoire de la bonne femme , celle de 1'oifeau noir , & lui fit le récit de fon voyage dans le vaiffeau de papier blanc; enfuite , ils donnèrent 1'un Sc 1'autre la liberté a tout ce qui fe trouva dans le chateau & dans la ménagerie , donr les animaux avoient repris leurs premières formes de princes Sc de princeffes, au moment du combat du géant. Ils partirent en leur donuant mille bénédiélions; Nonchalante les conjura de ne plus travaiiler, Sc fit bruler tous les métiers y eüe accompagna la liberté qu'elle leur ac~  }}6 Nonchalante coiaa , de préfens magnifiques qu'une de fes femmes leur diff.ribua. Cependant Nonchrdante & Papillon n'étoient pas d'accord fur 1'exécution de leurs projets ; & quoique tout leur füt foumis dans le chateau vert, on obéifloit lentement a tout ce que Papillon ordonnoit , &z l'on alloit très-vite au-devant de ce que Nonchalante ne défiroir fouvent pas ; mais enfin , ils s'accoutumèrent a fe confier leurs peines, & condamncrent fans s'en appercevoir, tout ce qui déplaifoit afun & a. 1'autre , enfuite , ils en vinrent a s'en confoler , & ils ne furent pas long-tems fans fe prêter réciproquementau caractère 1'un de 1'aütre : ils parvinrent aifément a 1'applaudiffement, & de 1'applaudiffement au fentiment ; ils n'eurent qu'un pas a faire ; car c'eft ainfi que le cceur féduit toujours 1'efprit, on croit aimer , & l'on aime en effer ce qui nous étoit naturellement oppofé , les progrès de leur fentiment futent' fi prompts , que Papillon , demeuré vif pour la feule Nonchalante , étoit indifférent pour tout le refte de la nature , & que Nonchalante ne 1'étoit plus pour aucun objet; Papillon fit conftruire une feuillée dans un des bofquets du pare & comme il avoit long-tems parcouru les forcts 3 il avoit remarqué 1'antipathie que tous les oifeaux ont pour le hibou , car les gens vifs retrouvent tót ou tard les idéés dont ils ont été frappés.,  et Papillon. 337 fans y faire aucune attention ; il imagina donc le premier , le plaifir d'une pipée qui , fans donner aucune peine, pouvoit plaire a fa belle coufine , & lui procurer en même-tems la fatisfaction de donner la liberté aux malheureux oifeaux qui venoient de Ia perdre. Nonchalance de fon cóté , propofa le prix des courfes de chevaux dont elle varia infiniment les efpèces, Papillon ne penfant plus qu'aux plaifirs rranquilles , faifoit planter des bofquets , donnoit des fêces fur 1'eau , qu'il faifoit terminer par des pêches magnifiques & galanres, & la princeffe imaginoit des chaffes, des danfes , Sc tout ce que le mouvement pouvoit infpirer d'agréable , non fans y trouver des plaifirs infinis , & fans partager les peines & les fatigues dont ils font toufours accompagnés ; l'on peut croire aifément que leurs fentimens, joints a la folitude du chateau vert Sc a 1'aucorité dont ils jouiffoient dans un age auffi peu avancé, auroieut peut-êrre conduir leurs affaires avec une diligence peu convenable , fi les fées toujours artentives a leurs démarches Sc a leurs intéréts particuliers , ne fuffent arrivées pour en ralentir les progrès; elles furent piquées que l'amour eür fait en un inftant ce que tout leur art & leurs réflexions n'avoient pu produire; elles réfolurent donc, d'un commun accord , de mettre leurs fentimens a de dures  3jg NONCHAtANTE épreuves, & de tourmenter ces jeunes amans 5 c'eft ainfi que les fées ne poitvant plus éprouvec les douceurs de l'amour , & faifant leur poffible pour le décruire, malgré 1'expérience du contraire, travaillent toujours a l'animer. Pour réuffir dans leur nouveau projet, elles donnèrent a Nonchalante l'apparence de la fièvre la plus ardente , & a Papillon, celle de la langueur la plus exceffive ; elles leur perfuadèrent aifément la grandeur du danger auquel ils étoient expofés, &c leur causèrent la plus vive des inquiétudes. Pour lors Mirlifiche attentive au moment de les trouver féparés leur apparur, & s'adreffant d'abord a Nonchalante t Papillon, lui dit-elle, me patoit bien malade ; hélas oui, madame , lui répondit la princeffe fondant en larmes , il fe meurt, envoyez-moi chez le roi fermier , faites revivre le géant , 6V vous verrez comment je faurai leur obéir; me voila foumife a tout; mais guériffezle , je vous en conjure ; fi vous voulez , lui répliqua gravement la fée , fauver la vie a Papillon , il ne tient qua vous, partez dans le moment , & ne négligez rien pour trouver la fouris qui trotte & le pincon qui vole , apportez-les moi, & fongez que le tems prelfe : a peine eut, elle achevé de parler, que Nonchalante étoit déja fortie du chateau vert. Peu de tems après , la fée eut une femblable converfation avec le prince,  et Papillon. 339 qui Ia conjura le plus tendrement du monde, de lui faire tout fouffrir , pourvu qu'elle fecourüt fa belle coufine ; il l'affura que les oracles noirs , les n'avires de papier blanc , ne feroient plus des obftacles fi, par ce moyen, il obtenoit d'elle Ia grace qu'il lui demandoit avec rant d'ardeur; Mirlifiche convint de l'état dangereux auquel la princeffe étoit réduite ; mais en même tems , elle l'affura que s'il lui pouvoit donnec la taupe couleur de rofe, elle fe fktroir de Ia guérir : Papillon ne voyanc que le danger de Nonchalante, forrit aufli du chateau, & prit par hafatd une route oppofée a celle que fuivoit fa belle coufine : voila donc nos amans différemment occupés , la princeffe ne cherchant que les bois, toujours courant &c roujours écoutant, fe donnoit un mouvement continuel pour trouver , Sc qui plus eft, pour attraper deux animaux qui lui paroiffoient bien difficiies a furprendre ; mais elle cherchoir cependaur avec empreffement Sc fans relache : le prince au contraire avoit les yeux continuellement fixés fur les prairies, & toujours attentif au mouvement de toutes les taupes , il marchoit lentement fur la pointe des pieds, en retenant fon haleine ; très-fouvenr il étoit immobile , au point qu'on 1'auroic pris pour une belle ftatue. Si le defir de réuffir n'a pas toujours donné les talens , 011 peut affurer qu'au moins c'eft a  340 Nonchalante lui que Ton en doit la perfe&ion. Auffi dans un efpace de tems fort médiocre , aucune taupe n cchappok au prince, mais quelle éroir fa douleur , & combien fon inquiétude fe trouvoitelle augmentée, en voyant celles qu'il prenoit avec tant de peines , noires comme elles le font otdinairement ? Bien loin de s'impatienter , il fembloit a chaque inftant prendre de nouvelles forces pour continuer une chaffe auffi trifte. Mais ces traits de patience Sc de vivacité qu'ils pouffoient 1'un & 1'autre a 1'excès, font les miracles ordinaires de l'amour. La recherche qu'ils faifoient d'une facon fi fort oppofée a leur caractère, ne fut intetrompue par aucun événement ils ne reconnurent pas même le pays ou ils étoient parvenus. Quand on eft occupé pour ce que l'on aime, & fur-tout , pour fe fauver d'un danger qüe l'on croit imminent, que voit-on? ou qu'arrive t-il qui puitfe caufer la moindre diftraótion ? Auffi le prince Sc la princeffe n'en éprouvèrentils aucune : lis s'écrièrent tous deux au même inftant: A la fin je vous tiens , tout ce que j'aime ne fera plus en danger. Au fon de leuts voix dont ils furent frappés, ils toumèrent la tête , & fe reconnurenr. Pour lors ne penfant plus qu'au plaifir de fe voir , ils abandonnéren! 1'idée de ce quils cherchoient avec tant de peines Sc tant de foins, ils oublièrent toutes les chofes qu'ils avoient  et Papiiion. 34i avoient a fe dire , & la furprife qu'ils éprouvèrent, les empêcha de prononcer une feide parole , mais pencfant le délicieux filence qu'ils obfervoient , le bon roi Gris-de Lin qui fe promenoit triftement feul , & comme a fon ordinaire (car c'étoir auprès de fon pare que nos amans étoient arrivés , fans qa'ils s'en fuffenc appercus) le bon roi, dis je, les reconnut , & courant a eux, il fnfpcndit pour quelques momens le charme avec lequel ils fe voyoient; quelque grande que füt leur joie en rerrouvant »nfi bon père (en effet Papillon n'en connoiffoic point d'autre), elle ne les empêcha pas de fentir dans le moment la perte qu'ils vem ient de faire j car au lieu de retrouver auprès d'eux le Pincon , la Souris & la belle Taupe , ils n'appercurent qu'une belle femme qu'ils ne connoiffoient pas, 1'Oifeau noir & le géant ; i la vue de cecce beauté, Gris-de-Lin tomba évanoui dans fes bras , c'étoit la belle Santoiée qui n'avoit été qu'enlevée , & dont 1'enlèvement fait peut-être partie de quelqu'autre conté : enfin ne pouvant réfifter au bonheur qu'elle i prouvoit, après une fi longue & fi crue! e féparation , elle perdic auffi connoilfance. Dans le tems que leurs enfans fe donnoient auprès d eux des foins dignes de la bonté de leur cceur, i'Oifeau noir & le Géant reprirent leur ahcienue figure de génies, & ce lome XXIV. Y  342- Nonchalante.et Papilon. même inftant, marqué par les deftinées pour d'auffi grands événemens, vit accourir dans leurs chars Mirlifiche & Lolotte : elle% firent revenir les princes de leur évanouiffement; tk cette compagnie , contente de retrouver ce qu'ils aimoient ( car les génies étoient fort attachés a leur figure naturelle), fe rend.it au palais , oü l'on célébra les nöces de Nonchalante & de Papillon. Les fces & les génies n'épargnèrent rien pour les rendre magnifiques & brillantes : ils employèrent, pour y réuffir , tous leuts fecrets & leut efprit, mais ce qui fut préférable a ce prodigieux éclat , dont le cceur ne peut être que foiblement touché , c'eft que l'amour les rendit charmantes par fes plaifirs. Après une auffi belle union, la belle Santorée & Gris-de-Lin ne voulurent plus fe mêler d'aucune affaire , & fe retirèrent dans un lieu tranquille; fuffifamment occupés pendant le cours de leur vie , de tous les fentimens de 1'eftime la mieux fondée, & de la plus vive tendreffe , leurs enfans les imitèrent dans leur facon d'aimer, c'eft-a-dire , qu'ils rendirent leurs peuples heureux , & par conféquent le furent eux mêmes.  34? LEPALAIS DES IDEES, CONTÉ. Jll y avoit autrefois un roi ik une reine qui lalfsèrenc un fils ik un royaume fous Ia tütèffe de la fée Minafine'. Elle étoit bonne & bienfaifante ; le royaume fut donc très-bien gouverné , tk le prince nomméConftant, très-bien élevé. : Quand il eut atteiut un certain age, la fée confè'ntif au défir qu'il eut de voyager. Cette école ou tout Ie monde fe dévoile en aclion , eft peutétré la plus lïtiie de toutes; les princes font ceux' qui en auroient le plus de befoin , & qui en font' le moins d'ufage. Quand le jour rixé pour le départ du prince fut arrivé, Minatine fe fépara de lui avec une douleur infinie ; elle ne lui recommanda nulle autre' chofe que celle d'éviter les charmes de Rofanie. Conftant Ie promit a* fa bonne amie, & partit bien perfuadé que rien au monde ne pourroit lui faire manquer de parole. Le nom de Conffanr ,.' Yij  344 Li P a i 'a i s mais plus encore les agrémens de fa figure, lui firent éprouver les bontés d'un grand nombre de jolies femmes dans les pays qu'il parcourut. il avoit cru connoitre l'amour, mais il n'en connoiffoit que 1'abus que l'on en fait, & que la vanité dpnt. on eft fufceptible a un certain age. Content des conquêtes qu'il avoit faites, enflé de fes fuccès, il oublia infenfiblement la parole qu'il avoit donnée a Minatine; tout ce qu'il apprenoit de metveilleux & de charmant de Rofanie , le détermina a juger par lui -même de la vérité des récits qu'il en avoit entendu faire, &C qu'il croyoit au-deffus de la nature humaine. 11 laiffa la nombreufe fuite qui 1'accompagnoit a quelques journées de la ville capitale oü Rofanie faifoit fon féjour. II s'y rendit incognito ■ il arriva précifément le jour que l'on célébroit la fête des fleurs. L'ufage du pays ordonnoit a 1'héritière de 1'empire, ou bien a la première princeffe du fang, de préfider a la fête du prinrems, & de paroitre a la tête de toutes les jolies perfonncs que l'on raffembloic avec foin dans le royaume ; car dans ce pays ( la feule familie royale exceptée) 1'adreife & la valeur étoient la nobleffe des hommes; les graces & la beauté des femmes étoient leurs titres & leur dot. Celles qui compofoienr la fuite de la princeffe , ne pouvoient avoir ui plus de feize ans, ni moins  D E S I D é E S. 345 de douze. II y avoit une femaine fixée pour cette fête, & dans cette femaine, on choififlbit Ie plus beau jour pour la célébrer. On jugeoit au lever de 1'aurore de la féreniré de l'air ; les hauts-bois, les mufettes avertiffbient toute la ville par des chantstendres & gais que la cérémonie fe devoit faire. Gonftant arriva donc au moment que route la ville fortoit pour voir un fpeéfacle préférabie a röus ceux de 1'univers, puifque celui ci avoit tous les printems de la nature pour objer. Le prince fuivit la foule, & s'arrêta comme tout Ie monde, quand il fut arrivé dans une prairie qui' selevoit par une pente douce; Ie plus élevé de ee terrein étoit örné d'une décoration de fleurs , au milieu de laquelle paroiffbit un tróne de pareille ftruófure, fur lequel Conftant apprit que Rofanie étoit aflife. A proporrion de leur beauté, les filles étoient affifës plus ou moins pres de Ia princefle, toutes les autres qui compofoient cette aimable fête au nombre deplus de deux mille, formoient fur des gradins femés de fleurs, un amphithéatre , dont le milieu étoit fuflïfamment efpacé. Toutes ces beautés parées de leurscheveux , vêtues de ^azes & de toutes les chofes fimples.qui pouvoient les rendre agréables, étoient coïffées de fleurs ; en forte que tout a la fois l'odeur de ces parfums naturels, & la vue de tant d'agtéables objets enchan- Yiij  $4£ Le Palais toient les regards,& répandoienr dans !e cceur cette .yoluptéfihien connue fousle nom de fille du ciel, .& que !es hommes doivent rechercher avec un ü grand.foin'.Conftantparcourut des yeux une affemblée plus brillante que 1'Olympe ne put jamais 1'êne. II fit le tour intérieur de 1'enceinte; & quand i!'/fut en face de Rofanie , il en futébloni. Elie joignoit a toutes les gcaces de fa figure , ce contentement que donne la certiturle de ne pouvoir être eftacée par aucune autre beauté , & cette tranquillité de 1'ame qui fied fi bien au vifage,elle s'appercut aifément de 1'impreflion qu'elle faifoit fur le jeune étranger. La moins coquette des femmes, n'ignora jr.mais les effets de fa beauté. Les app.ls d'un héraur retirèrent le prince de 1'admiration , oü la vue de tant de charmes le tenoient comme enfeveli. Le héraut proclama les excercices de la jeuneffe, & cria que la beauté a laquelle on étoit attaché, ou celle qui paroitroit la plus agréable , feroit le prix de la force ou de J'adreffe que l'on alloit montrcr aux yeux de Faffemblée , en fe foumettant cependant aux ufages du pays, & a la décifion de la princeffe, qui feule pouvoit en ordonner. Par un mouvement dont il ne fe donna pas le tems de fe rendre compte a lui-même, Conftant fe préfenta le premier fur les rangs avec cerre vivacité que l'amour & la jeuneffe peuvent feules infpirer. II gagna tous  desIdées. 347 les pnx, mais avec une fupériorité & une diftinclion dont tous les fpeftateurs furent auffi furpris que les vaincus confternés. II vint aux genoux de Rofanie recevoir les prix qu'il avoit gagnés d'une facon fi diftinguée , pour lors la voyant de plus prés, fon admiration ne lui laiffa que 1'ufnge de la vue. Quand il fut aux pieds du tióne, Rofanie lui dit qu'il pouvoit choifir celle de toutes les beautés qui J'environnoient. Confhnt lui répondit avec empreffement: je nefuisflatté detre vainqueur, que paree que je vais étre couronné de votre main j & je ne fuis fenfible a la victoire, qu'aurant que 1'avantage que je viens de remporrer peut me mettre a portée d'être votre efclave. Vousignorez les ufages de ce pays, lui répondit la charmante Rofanie; les princeffes ne choifilfent pas plus dans ce pays que dans les autres : il ne leur convient d'êrre préférées qu a leurs femblables, vous oubliez votte rang & Ie mien; elle prononca ces dernières paroles avec autant de fierté que de hauteur. Cette aigreur qui commencoit leur première entrevue, a fouvent été le coramencement des plus gtands attachemens. Le prince rougit de 1'état de fimplicité dans lequel il paroiffoit aux yeux de celle qui 1'adoroit déja. L'amour propre 1'engagea prefque a fe déclarer. ■ Rofanie, furprife a fon tour de la rapidicé de Yiv  34s LbPaiais fes triomphes, lui dir (en le couronnant de fa propre couror.ne de fleurs, paree que le maitre des cérémonies n'avoit point trouvé fur fes regilfies ni 1'exemple d'un vainqueur aufli défintereflc , ou piutot auffi téméraire , ni celui de toutes les vietoires remportées par Ie même homme, & qu'une demi - douzaine de couronnes auroient un peu trop chargé la tête du vainqueur); Rofanie donc en accordant une telle faveur au prince, lui dit : Choififlez de toutes ces beautés, il n en eft point qui ne puiffe être a vous dans ce même moment. Cette offre eft infultante , s ectia le prince. Que vous favez mêler d'amertumes aux bontés que vous avez pour moi! Je n'aurois pas difputé le prix, fi je n'avois cru que ce prix étoit un moyen de vous acquérir; & fans le fecours de cette idéé, il eft certain que je n'aurois pas triomphé. Difputez entre vous 1'honneur de pofféder ces beautés, dit-il a 1'alfemblée, je n'ai combattu que pour 1'honneur, il dit ces mots en fe retirant, & les prononca avec cette aigreur de l'amour mécontent & révolté. Les exercices ayant recommencé par fon défiftement, il ne put s'empêcher de fe mêler dans la foule , ni réfiffer au defir de venir s'enivter de nouveau du plaifir de regarder Rofanie. Quand la cérémonie fut finie, & que les ma- f  des Idéés. 349 riages eurent été célébrés felon 1'ufage ordinaire , le prince fe retira, & vint chercher une retraite dans le fauxbourg le moins fréquente de la ville. II envoya fut-le-champ 1'écuyer, qui feul 1'avoit fuivi, chercher fon équipage & fes gens. II eft aifé de croire que l'on paria du bel étranger dans toute la ville; fon adreffe & fa force furent le fujet des converfations. Les beautés qu'il avoit méprifées trouvoient routes des raifons pour blamer la froideur de fon procédé: on étoit piqué contre lui. C'étoit, il eft vrai, Ie Iouer plus qu'on n'en avoit la volonté; l'on difoit a chaque moment que l'on ne vouloit plus en parler, öc cependant la converfation tomboit touiours fur fon chapitre. On fe demandoit fans ceffe : mais d'oü eft-il venu? quand eft-il arrivé ? & vous, ne le connoiifez - vous point? On recommencoit ces queftions ou de femblables , quoiqu'a Pinftant on fe füt répondu. Enfin l'on faifoit toutes les queftions poffibles, elles étoient accompagnées de toutes les répétitions imaginables, tantot ayant 1'aigreur, rantbt 1'admiration pour motifs. Tous ces propos , comme je 1'ai déja dit, tels qu'ils fuffent, étoient un élogebien réel; enfin toutes les perquifitions furent inutiles. Dans les grandes villes, les'propos font vifs, mais ils ne font pas de durée; fon commencoit ss ne plus parlsr du prince, lorfque trois jours  5 5 dérables dans fes coffres. Cette cour, fuivant 1'ufage, étoit gouvernéc par deux. fées d'un cara&ère bien différent; 1'un©  Lumineus ï» 'fSt fe nommoit Batfamine; elle étoit bonne flaturellement, & la juftelfe de fon efprit étoit intinie ; elle blamoit beaucoup le gout déclaré du roi & de la reine pour le jeu, Sc cette facon de titer 1'argent de fes fujets, & voulut fouvent faire honte au roi, non feulement de ce qu'il tenoic la banque , mais encore de ce qu'il étoit de partavec les banquiers; mais fes remontrances furent inutiles. L'autre fée , qui poffédoit bien plus la faveur Sc la confiartce de Biribi, paree que la conformité des goüts les rapprochoit, fe nommoit la fée Sansdent. C'étoit une vieille joueufe, qui, dans de certains cas de perte, auroit été capable de jouer jufquit fa baguette. Elle étoit have &c sèche •, les veilles & 1'altération du jeu lui avoient brülé le fang, & le fang brülé lui donnoit une humeur épouvantable, Sc lui faifoit très-fouvent tenir des propos que tout autre qu'un banquier de Biribi nauroit pas foutenu. Elle joignoit a cette altération le malheur de n'aimer pas ttop le plaifir des autres, Sc d'ëtre un rant foit peu envieufe : voila fon caraétère. Quant a la facon de fe mettre, jamais elle n'étoit achevée de coiffer , Sc l'on ne pouvoit être plus mal vêtue; car tout ce qu'elle tiroit de fes appointemens de fée, ar* Keu d'aller a. fon entretien , fe fondoit dans la banque. L'on iguore peut-être que, malgré le Z iij  rJfj2 La Prinsesje grand pouvoir des fées, elles font foumifes a uö confeil qui leur demande un compte exact de 1'emploi qu'elles ont fait de 1'argent du tréfor, Sans ce réglemenr, il n'eft pas douteux que Sansdent n'eüt joué, & par conféquent perdu tout 1'argent que les fées pouvoient avoir, quelque confidérables que leurs richeffes euffent été. La reine étoit une bonne femme affez fimple » qui pontoit toute la journée avec un zèle Sc une patience fans exemple. Le roi, qui connoiffoi.c parfaitement la force de fon jeu, donnoit des fommes immenfes a la reine pour fes menus plaifirs & pour fon entretien , fachant très-bien ce que deviendroit cet argent. En effet, elle perdoir tout ce qu'on lui donnoit, Sc n'étoit pas. mieux parée que Sansdent. Elles fe fervoienï d'excufes 1'une a 1'autre. Biribi, toujours attentif a. donner de bons exemples , avoit exprefféinen? défendu que l'on marquat la reine elle-même R c'étoit tout dire pour les autres. Quant le roi tenoit la banque , la bonne Marjolaine lui fervoic de; croupier, &c qui donnoit les jetons, a la véïité , dans une cuillier d'or garnie de diamans; & le gentilhomme de la chambre, qui étoit d'anpée, préfentoit le fac;, car il faut convenir qu'on sie pouvoit tenir Biribi avec plus de dignité que ce grand prince le tenoit. 11 ne quittoit le jeu que Bout recevoit 1'argent de tous fes banquiers gé-  Lumineus e. 365 néraux, vérifier leuts compces, renvoysr de 1'argent a ceux qui, par hafard, avoient été débanqués; enfin il étoit occupé a tenir en ordre un auffi grand nombre de banques; il ne négligeoit pas non plus de faire punir les families qui n'avoient pas tiré de boules fuivant 1'ordonnance. 11 faifoit mettre dans les gazettes tous les pleins qui avoient été gagnés dans la femaine, avec les noms des prédeftinés; & fur toutes chofes, il faifoit citer avec un peu d'augmenratation les pertes que les banques avoient faites. Voila quel étoit au jufte 1'état de la cour de ce roi, lorfque la reine Marjolaine fe trouva groffe. Les veilles non plus que le jeu ne 1'empêchèrent point de fe bien porter pendant le couts de fa grofleffe, & d'accoucher fort heureufement d'une princeffe qui parut aux yeux de tout le monde belle comme le plus beau jour. Balfamine fe chargea du foin de fon éducation, & la nomma Lumineufe. Pour Sansdent qui s'appercutde tous les charmes qui paroiffoient déja dans cet admirable enfant, elle relfentit une envie qui, comme je 1'ai déja dit, lui étoit naturelle , & qui fut encore redoublée , paree qu'elle prévit qu'une petite princeffe dont elle s'étoit chargée depuis deux ans, qu'elle aimoit autant qu'elle pouvoit aimer, Sc qui fe nommoit Pivoine , feroit d'une figure bien différente de celle Ziv  '3 4 ■ a Princesse de Lumineufe, & que fon efprit feroit très-inférieur au fien. Toutes ces raifons i'engagèrent a foumettre Lumineufe a tous les inconvéniens qui ne font que trop ordinaires dans le monde , de facon même qu'aucun pouvoir des fées ne pourroit les lui faire éviter.Balfamine n'avoit encore en que le tems d'excepter des malheurs de la vie de Lumineufe que la perite vérole y mais hélas ! il en eft beaucoup d'autres encore , & la princeffe, malgré 1'amirié de la fée, ne s'y trouva que rrop foumife. Balfamine s'appercut de la méchanceté de fa comnagne ; mais comme il n'étoit plus ponible d'y remédier , elle prit fur cette affaire le fage parti du filence. La taille & la figure de Lumineufe qui ne pouvoient être plus parfaites , étoient encore furpalfées par la vivacité & la jufteffe d'un efprit également porté a la douceur & a Ia pareffe. Balfamine ne lui donna pas le moindre confeil fur le jeu dont elle défapprouvoit les excès ; elle favoit ttès-bien que les enfans n'ont prefque jamais de gout pour les chofes que leurs parens ont trop aimées ; auffi eut-elle toute fa vie un éloignement inrini pour cette pafnon. Quand Lumineufe eut atteint lage de quinze ans, elle en'chantoit- par fes regards, Sc charmois yar fon efprit'j elle eüt effacé bien d'autres beautés que celle de la princeffe Pivoine que  Lumineuss. 365 Sansdent avoit auprès d'elle a !a cour du roi Biiibi. Sa raille étoit courte & groffe, Sc jamais aucune fille a fon age n'avoit eu une fi prodigieufe gorge. Elle n'avoit point d'autre efprit que celui du jeu , & répétoit de mémoire les plaifanteries qu'elle avoir ente.ndu faire fur les cafés du tableau. Jamais Sansdent ne 1'avoic grondée que paree qu'elle ne filoit pas bien fon argent , ou paree qu'elle ne demeuroit pas a la fin des partiés pour parer la rable , Sc retenir plus long-rems les joueurs. Lumineufe Sc elle ne s'annoient pas beaucoup , quoiqu'elles euffent paflé leur jeuneffe enfemble. Le roi ni la reine n'aimoient pas beaucoup leur fdle ; la raifon en étoit bien fimple, leurs goüts étoient différens. Marjolaine ayant plufieurs fois fait venir la princeffe fa fille a fon jeu pour la diffiper & 1'amufer, elle avoit toujours fair des baillemens excellifs pour lefquels on 1'avoit renvoyée , en la traitant de petite fotte , Sec. Ces reprimandes engageoient toujours Pivoine a fe rengorger , paree qu'elle les regardoit comme une louange indirecte que l'on donnoit a fon caraclère. Balfamine étant fort confidérée dans tout le corps de la féerie , fut mandée pour traiter d'affaires importantes ; ce fut le tems de cette abfence que Sansdent choifit pour propofer au  §66 La Princessi roi & a la reine de marier Lumineufe. Sansdent leur propofa donc le roi des Brouillards pour être leur gendre, Elle leur fit valoir non feulement la grandeur de fon alüance, en leur difant qu'il étoit un peu parent de la Nuit , & fort aimé des médecins; mais encore elle leur reptéfenta que la beauté de Lumineufe leur attireroit infailliblement des guerres pendant lefquelles il leut feroit très-difficile de pouvoir jouer, tk dont les dépenfes diminuetoient confidérablement le fonds des banques. Le roi des Brouillards eft un bon homme qui n'a pas a Ia vérité un gtand commerce dans le monde , il n'eft pas recu dans beaucoup de maifons; mais il emmenera votre fille, & vous ferez au moins certains de la voir pendant les hivers. D'auffi bonnes raifons dérerminèrent le roi 8c la reine. La demande de Lumineufe fut faite dès le même jour avec toutes les cérémonies ordinaires; le contrat fut figné fur le champ , & dès le foir même les nóces furent célébrées. Lumineufe étoit douce , Balfamine étoit abfente ; que peut faire une princeffe qui n'a que quinze ans, & qui n'ofe s'oppofer a la volonté de fes parens ? Elle fe foumit, tk c'étoit tout ce qu'elle pouvoit faire. Les nóces furent obfcures , malgré la quamiié des bougies qui rem*  Lumineuss, 367 plilTblenr les appattemens. Le roi des Brouillards & fa fuite , qu'il avoit fort diminuce par confidération, faifoient tott aux lumières. Toute la Cout fut enrhumée , paree que tous ces brouilj lards répandoient une fort grande humidité. Le trop heureux époux de Ia belle Lumineufe étoit I un grand Sc gros homme agé pour le moins de foixante ans; il avoit la voix rauque ; il parloic peu , mais ce qu'il difoit étoit infiniment diffus. I II parut vêtu comme le font les petits enfans I voués au blanc ; toute fa cour portoit le même I uniforme, auflï-bien que celui des cheveux plats I qui ne relevoient ni leut figure, ni leur bonne ■ mine. Le lendemain des nóces, le marié parut, I comme il arrivé ordinairement, fort amoureux, I Sc Lumineufe toute auffi froide qu'elle étoit la j veille de fon mariage, Sc ne fut point animée I pat toutes les mauvaifes plaifanteiies que l'on I fait dans les nóces. Le roi fon mari, après avoir fait fes groffes j plaifanteries , voulut conduire la nouvelle reine | dans urie portion de fes états qu'il avoit établis j dans une prairie voifine de la capitale du roi fon 1 beau-père , & pour donner une idee de fa maj gnincence, il invita toute la cour du roi Biribi I a un grand foupé. Les exhalaifons formoient 1 fon palais , mais le gout de l'architectute étoit i un peu gothique , Sc la porte d'entrée étoit yéri-  51>8 La Princessï nblement fi bafle, qu'il fallut que tout le monde; baifsat la tête pour entrer dans le palais. Quand toute la compagnie fut affemblée , l'on ferma une efpèce de trappe , de facon que l'on ne favoir plus, ni par oü l'on étoit entré , ni par oü l'on reffortiroir. .Le Roi Provincial par nature Sc par habitude,: en inféra que l'on devoit boire bien long-tems. Le mets qui dominoit le plus dans ce feftin, Sc dont la profufioii fut extréme , fut celui des bccaffes. Quoique toute la cour du roi Biribi füt venue a ce repas en redingottes Sc en capottes, quoique le roi des Brouillards eüt eu Pattention de faire donner, comme a 1'audience du grand feigneur , des cafferans de toile cirée, 1'humidité de fon palais incommoda tout Ie monde ; Sc malgré 1'envie qu'il eut de prolonger le repas ,. Sc les mauvais propos qu'il tint pour en venir a bout, le foupé fut court ; Sc tout le monde s'étant retiré, Lumineufe fut laiffée dans les états duro: fon mari, abandonnée a fes pleurs. Le roi Biribi Sc la reine Marjolaine ayant fini la feule affaire qui 'pouvoit les diftraire du jeu , retournèrent chez eux avec leur bonne amie Sansdenr. Elle avoit toujours eu le projer de couronner les foins qu'elle avoit pris de la princefle Pivoine par un mariage avantageux 7 pour  Lumineus e. 369 Cet effet, elle avoit jeté les yeux fur le prince Grenadin , dont les états étoient voifins de ceux du roi Biribi, Sc dont la figure &de mérite faifoient grand bruit dans le monde. Ce prince étoit un fi bon parti , que Balfamine, toute fage Sc toute éclairée qu'elle étoit , n'en avoit jamais défiré d'autre pour la princeffe Lumineufe. Quand certe bonne fée revint, qu'elle fut fa douleur de ne plus trouver fa chère Lumineufe'* La converfation fut vive entre les fées \ le roi Sc la reine répondirent aux reproches qu'elle leur fit, qu'ils avoient fait une bonne alliance ; qu'ils avoient déféré aux confeils de leur amie Sansdent. Balfamine fut piquée du peu de confidération que l'on avoit eue pour elle : elle partit, Sc fut de ce pas chez la belle Lumineufe qu'elle trouva feule dans fon boudoir. Leut entrevue auroit attendti les témoins dont le cceur ' auroit été le plus dur. Lumineufe 1'embralfa mille fois en lui difant, pourquoi m'avez-vous quittée , ma bonne amie , Vous favez que je n'ai de reffources qu'en vous: 11e me quhtez donc jamais. Balfamine lui répondit avec tendreffe, n'ayez point d'inquiétude, tot ou tard je vous vengerai de Sansdenr: hélas t lui répondit la princefle , je palferai toute ma vie dans une obfcurité infupporrable , je ne pourrai jamais accoutumer mon tempérament a 1'hu-,  '37© t a Princessë midité qui règne dans ces fombres lieux. Je con3 fens volontiers a vivre fans aucune fociété , pourvu que vous ne m'abandonniez pas , ma chère Balfamine : le roi mon mari, pour mon malheur, relfent de l'amour pour moi , Sc je n'ai poür lui qu'une indifférence bien digne de lui & de fes triftes étars. Efpérez lui dit Balfamine , une fituation plus heureufe , ne vous laiffez poinr aller au défefpoir; comptez que je ne vous abandonnerai point, Sc qu'au moins je vous tiendrai fidelle Compagnie , puifque Sansdent m'a mis hors d'érat de vous donner d'autres preuves de mon amirié. Lumineufe reffentit ce foulagement que donnent les fecoufs de 1'amitié. Le roi des Brouillards qui s'appercut de quel fecours la compagnie de Balfamine étoit k la reine fa femme , la combla de routes les amitiés poffibles. Quoiqu'il füt naturellement d'un tempéramment froid, il reffentoit vivement l'iridifférence que Lumineufe avoit pour lui. Auffi-tot que la nbce de Lumineufe eut été terminée,&: que la nouvelle reine eut été remife entre les mains du vieux roi fon mari, j'ai dit, s'il m'en fouvient , que Sansdent , Marjolaine & le roi Biribi retournèrent promptement fe mettre a une table de jeu; les jours fuivans la mème chofe fe répéta, Sc Ton reprit le même train de vie que celui qui ayoit précédé les noces. Sansdent qui ne -  Lumineus e.' jjt perdoit point fon projet de vue pout fa groffe fa-; vorite Pivoine, s'occupa férieufement du mariage de Grenadin avec fa protégée. Ce prince charmant étoit demeuté jeune fous la tutelle de la reine Brillante fa mère ; le roi fon père avoit gagné une pleurefie a la chaffe du Papillon, dont il mourut fort regretté de fes fujets^ Brillante fur donc déclarée régente ; elle éleva Grenadin avec tous les foins imaginables. Ce prince avoit un éloignement marqué pour le mariage ; mais il avoit une galanterie réelle dans 1'efprit , avec laquelle il faifoit les délices de la cour de la reine fa mère. Teile étoit la difpofition de cette cour lorfque Sansdent envoya plufieurs fois le même fonge a la reine Brillante , qui 1'entretenoit de 1'éloignement que Grenadin avoit pour le mariage, & Faffuroir que cette averfion ne finiroitque dans les états du roi Biribi, dans lefquels il trouveroir la fée Sansdenr, a laquelle il pouvoit s'adreffer en toute süreté; ce fonge fut envoyé fi fouvent a la reine, & toujours fi fort accompagné des mêmes circonftances , qu'enfin elle fe détetmina a fuivre l'avertiffement qu'il lui donnoit. Le prince partit donc avec un équipage digne de fa naiffance Sc de fon goüt natutel. II fut recu par le roi Biribi avec tous les honneurs dus a fon rang; & comme l'on croit affez ordinairement a tout le monde le même goüt que celui que l'on a.  372 La Pringesse l'on redoubla les panies de jeu, dans le defTeirï de lui faire plus d'honneur. Sansdent s'appercut avec chagrin du dégout de Grenadin pour le jeu. Elle ne vouloit cependant pas avoir le démenti de fon projer , elle réfolut donc de donner au prince , ce que l'on appelle une fête dans toutes les formes. Elle conftruifit avec fa baguette dans les jardins du paiais , qui n'étoient pas trop bien entretenus, une falie d'un gout d'architeéture admirable , elle réfolut d'y donner un bal oü toute la cour fut invitée. Mais hélas ! perfonne dans le pays ne favoit plus danfer. Pivoine fe trouva la feule qui fut a peu pres faire le pas de menuet j encore comment le faifoit-elle ? Mais elle n'avoit point du tout d'oreille ; & fans les attentions dtl prince , &c fon exceffive politede, elle étoit fi maladroite, que plus de dix fois elle feroit tombée £ la renverfe , fa queue fe mettant toujours entre fes jambes, ou bien s'embarraffant dans fes pan* toufles. Un bal oü il y avoit auffi peu de danfeurs , fe trouva nécetfairement très-court. Que faire en attendant le fouper? Ilfallut donc fe mettKe au jeu. Voila donc Ia partie établie , & Grenadin, a coté de la groffe Pivoine, obligé par politefle de jouer. On fit une fois 1'éloge de la nobleffe a/ës laquelle il perdoit fon argent ; Pivoine lui dit mille gentillelïes de celles qu'elle avoit entendu faire au jeu ; elle lui confeilloit bien férieufe- ment  Lüminiüse. 57$ ment de prendre tantór 1'arlequin, tantör une autre figure : 11 y a quatre jours qu'il n'eft venu , lui difoit-elie , je 1'ai marqué fur mes rablertes. Elle lm dem.mdoitengrace de prendre les chiffres de 15 , de 7 , ou de 51, ik lui rendoit un compre très-exact de la cabale, a laquelle le prince ne put comprendre un mot, malgré 1'explication de la princeffe; tk comme il plaifanroit avec graces fur ces propos , dont il ne pouvoit Être la dupe avec 1'efprit qu'il avoit, Pivoine lui dit, cependant ce font de ces chofes qu'il faut favoir, uon-feulement paree qu'elles réufSffent au jeu, mais encore paree qu'elles en donnent l'air. Croiriez-vous bien même , ajoutoit-elle , que je leur ai 1'obligacion de m'avoir fair obtenir la préférence fur une princefle avec laquelle j'ai été élevée dans cette cour, ik qui jamais n'a pu en retenir un mot, tant elle avoit 1'efprit bouché. Le fouper fut fervi long-tems avant que l'on fe mit a table ; les joueurs étoient piqués , on 1'avoit retardé plufieurs fois, ik quand il fut fervi, on le laiffa longtems refroidir encore. Pendant le fouper, on voulut mettre quelques converfations agréables furie tapis, mais elles retombèrent toujours fur le jeu. Sur un coup piquant, fur la noblelfe du jeu d'un tel, fut fon exactitude a payer; enfin, ces agréables propos occupèrent tout le tems du fouper, A peine le fruit fut-il fervi, que l'on courut fe Tomé XXIV- A a  374- La P r i n c e s s e remeure au jeu; la politefTe du prince le fic fout* feit beaucoup incécieuremenc, & 1'engagea a s'entretenir avec la grote Pivoine , affez pour s'en dégoüter pour coujours , & fuffifamment pour qu'elle fe prit pour lui d'un goüt rrès-vif. 1 La converfarion tomba fur Lumineufe, & Pivoine die tout ce qu'elle en imagina de plus mal, ce oui fit un effet oppofé dans 1'efprit du prince. Pivoine voulut tourner en ridicule 1'averfion de Lumineufe pour le jeu, & U facon.dont elle favoit s'occuper dansfonappartement & demeurer feule. Ces détails, contre fon intention , firent une impreffion favorable fur 1'efprit de Grenadin, & il fuc touché de la facon dont on avoit facrifié une auffi belle princete a un roi tel que celui que Pivoine lui avoit dépeint. Le. prmce reffentit une efpèce de chagrin de ce que Lumineufe avoit époufé un femblable man ; ce chagrin fut fuivi du déplaifir d'imaginer qu'elle füt mariée ; enfuite il forma des regrets de ce qu'il n'avoit pas été plut&t inftruit de toutes les perfeftions de la princeffe ; il s'affligea de n'avoir pasvoyagél'annéed'auparavant, & fe repentit de ne s'ëtre pas propofé lui - mème pour 1'époukr Un portrait de Lumineufe que la reine lui montra par hafard, fortifia toutes fes idéés, &C lui en donna de nouvelles. Occupé de toutes ces chofes, fans prefque croire y penfer, que comme  Luminsuse. 375 en eft frappé des événemens finguliers , d'abord qu'ü appercevoit du brouillard, il fortoit du pakis , eu fe fetvant du précexte d'aller a la chaffe. il efpéroic qu'a force de chercher, un jour peutêtre il la venoit elle-même. II en vint, pour fatnfaire fa curiofité, jufqu'au point de courir les brouillards , comme au prinrems l'on cherche les premiers rayons du foleil, ou comme en été l'on recherche la fraicheur de 1'ombrc. II paffa quelque tems dans une auffi trifte occupation. Enfin , il appercut un jour dans une prairie fort étendue, un grand brouillard des plus épais, avec le mouvement que l'on remarqué quelquefois dans ces fortes d'exhalaifons. Le foleil venoit de fe lever , & doroit tout le refte de la campagne. Le prince accourur a ce brouillard. (On ne pourra jamais rendre un compte bien précis de cette efpèce d'inftinctquiconduit & qui frappe les amans.) En effet, fes efpérances ne furent pc int décue^ Ce brouillard étoit un des petits palus de la reine , & le plus léger de ceux qu'elle habitoit. Le roi des Brouillards le faifoit marcher dan* des lieux plus maré-.ageux , dans le deffein de faire des recrues pour un projet qu'il méditoit vers le nord. La reine étoit fur une efpèce de terraffe , on pour mieux dire, a 1'extrémité du brouillard, pour voir le foleil , & refpirer un air plus pur & plus féreiu. Le prince la reconnuc aifément, & ne put A a ij  37Ó La Princesse s'empêcher de s'écrier : Enfin donc , belle Lumineufe , j'ai pu vous voir '. La reine frappée de ce compliment, le regarda avec 1'attention que fa figure pouvoit mériter, 8c fans rien répondre qui put la commettre , elle témoigna par un regard que le compliment lui étoic agréable. Qu'un amant entend aifément ce langage ! Le palais pourfuivant fon chemin, laiffa le prince enchanté de ce ciu'il avoit vu , tz la reine courut promptement inftruire Balfamine de cette petite aveuture. La fée confulta fon livre d'heures, Sc lui dit en foupiraut : Hélas ! ma chère princeffe, vous ?vez vu ïe prince Grenadin , celui que j'efpérois de vous faire époufer. La reine, en apprenant que celui qu'elle venoit de voir, étoit un prince , fa figure lui parut encore plus agréable , par le rapport des conduions. Elle fit la comparaifon de Grenadin 8c du roi fon mari. L'efprit fait tout ce chemin en un moment, Sc la vertu la plus auftère ne peut empêcher les premières impreflions. Enfin , la foütude , 1'amitié , Sc plus encore , la plénitude du cceur , enga«èrent la princeffe a faire 1'aveu de tous fes fentimens a Balfamine. Ce ne fut d'abord que pour avoir le fimple plaifir d'en parler. La fée ne pouvant fe refufer a une converfation auffi naturelle , s'y liv ra avec toute Ia patience qu'il faut qu'un confident apporte, pour effuyer toutes les répétitions  Lumineus e. j.77 Sc les redites d'un cceur amoureux. Elle lui devoit d'autant plus cette complaifance, que fuivant la loi que Sansdent avoit impofée au moment de la naiffance de Lumineufe , Balfamine ne pouvoit lui prédire 1'avenir, cequi, dans le fond, n'éroit point un fi grand mal ? car l'efpérance de l'amour prédirfuffif?.mment des chofes aux amans.U ne lui étoit donc poflible que de lui repréfenter le paflé Sc le préfenr. Après avoir fait une conjuration fimple, elle lut tout haut dans fon petit livre d'heures , paree que tout ce que l'on défiroit favoir du paflé Sc du préfent, s'y trouvoit écrit. Elle lut donc tout ce que j'ai rapporté de 1'indifférence & de la galanterie de Grenadin , lorfqu'il étoit a la cour de la reine fa mère. Enfuite elle lut le fonge que Sansdent avoit envoyé, le dépatt Sc 1'atrivée du prince a la cour du roi Biribi , fon ennui pour le jeu , le détail de la danfe & celui des groffes gentilleffes de Pivoine. Balfamine entra dans le détail le plus exact de tout ce qui s'étoit paffe. La reine ne cefloit de lire dans les heures de la fée. Elles étoient ornées deminiarures fur velin , Sc ces charmantes peintures exprimoient au naturel tous les événemens qui pouvoient intéreder on amufer. Lumineufe y vit avec plaifir le prince' retourner chez le roi Biribi aptès la rencontre qu'elle en avoit faite. Elle s'appercut du redou- Aaiij  373 La Prïncesse blement de fon ennui, & de la recherche exacte qu'il faifoit de tous ies brouillatds les plus épais; elle craignit mille fois pour fa poitrine. Elle fut témoin de tous les foins qu'il fe donna pour avoir une copie de fon portrait. Ce fut avec contentement qu'elle remarqua tout ce que la princeffe Pivoine fouffroit de fon indifférence pour elle. Enfin elle lut que, comme il y avoit des brouillards dans fes états, & qu'il avoit autant d'efpérance de la pouvoir trouver dans ce pays, que par-toutailleurs , il prenoit le parti d'y retourner, après avoir conftamment refufé toutes les offes avantageufes que Sansdent lui avoit faites pour le mariage de Pivoine, & après avoir perdu le plus noblement du monde, des fommes trèsconfidérables k la banque du roi, Lumineufe s'appercut que Sansdent vouloit punir le prince, & venger Pivoine du peu de cas qu'il avoit fait de fa perfonne. Elle courut a Balfamine, en lui difant : fauvez-le, ma chère amie, elle va peutêtre le métamorphofer; quau moins il ne perdre pas fa figure. Soyez rranquille, lui répondit la bonne fée , j'en ai eu foin. En effer, il ne lui arriva pas le Moindre accident, & la reine le vit partir fans obftacle. Grenadin s'abandonnoit aveuglément a fa pafnon; il déclamoit quelquefois contre ladeftinée, & fur-tout contre le fonge de la reine Brillante.  Lumineus e. 379 Pour la reine Lumineufe, elle avoit du moins fon petit livre, mais elle n'en étoit pas pour cela plus heureufe. Quand on aime bien , on ne penfe que médiocrement aux fecours que l'on a, Sc l'on n'eft jamais occupé que du regret de ce dont on eft ptivé. Le roi des Brouillards, agité Sc tourmenté de 1'indirférence de Lumineufe, & dont lage étoit en effet , affez avancé, tomba dans une efpèce de langueur. Les médecins confeillèrent au roi de prendre quelquefois un air plus vif que celui qu'il refpiroic ordinairement. II obéit a cette ordonnance , Sc malheureufement ( pour lui, s'entend) il recut un coup de foleil dont il mourut quelques jours après.La reine lui avoit donné tous les foins imaginables; en un mot, fes procédés furent admirables en cette trifte occafion , & tous les brouillards en furent enchamés. Quand on eut rendu les derniers devoirs au roi, Sc qu'on l'eut porré dans un grand lac, le tombeau des rois fes prédéceffeurs, Lumineufe forma la réfolution de quitter cette trifte demeute, Sc de retourner dans les étars du roi fon père , a qui elle 1'écrivir. Le roi Biribi répondit a fa fille qu'elle n'avoit qu'a fe dénuttre harcliment de toute 1'autorité qu'elle avoit fur fes peuples, Sc qu'elle trouveroit toujours un afyle dans fes état*. Après cette réponfe, Lumineufe A a iv  jSo La Princessh ficrous fes paquers avec une diligence incroyable; teus les brouillards ne vouloient point abandonner leur reine; ils reiïèntoient pour elle un véritable attachement. Toutes les inftances qu'ils firent pour engager la reine a ne les point abandonner, furent inutiles. Elle les dégagea du ferment de fidélité, & les quitta; ik c'eft la raifon pour laquelle ils errent de différens cótés. Perfonne depuis ce tems , ne s'étant voulu donnet la peine de les réunir, non plus que celle de les gouverner. Tout ce que j'ai fu de particulier fur Ja divifion de ce grand étar, c'eft que la plus grande partie fe retira en Angleterre. Lumineufe parut a la cour du roi fon père, plus belle encore qu'elle n'en éroit partie. La fraicheur & la beauté de fon teint, étoient encore augmentées : elle n'étoit nullement halée en venant d'un femblable pays. Le grand denil avec lequel elle arriva, lui fervit de prétexte pour ne point faire la partie du roi, ik pour s'éloigner peu a peu d'un genre de vie qui lui convenoit auffi peu. Ce grand deuil fe portoit tout en blanc, fuivant 1'ufage des veuves des Brouillards; & ce qui peut-être eüt déparé beaucoup d'autres beautés, ne la rendoic que plus belle encore. Quelque tems après fon arrivée, de 1'avis de la bonne Balfamine, elle demanda un terrein au roi Biribi, dans lequel, avec le fecours  LüMINHUSI. 381 de la fée, elle batit un palais magnifique, dont la fimpücité extérieure, & dont l'intérieur réuniffoient le goüt & Ia mngnificence. Ce fut la qu'elle raffembloit une cour de perfonnes choifies de 1'un & de 1'aurre fexe. Les jardins répondoient a la magnilicence du palais; mais le bofquet de la vérné dont Balfamine lui avoit fait un préfent particulier, étoit Ia chofe Ia plus utile a une perfonne qui ne vouloit être environnée que de gens fincères. Ce bofquet renfermoir les plus admirables ftatues de marbre blanc; Ja vériré, toute nue, dominoit fur toutes les autres, Sc c'étoit aulTi fur elle, que, par la difpofition du plan , les regards étoient d'abord attachés. La candeur étoit expriméee fur fon vifage, Sc l'on y voyoir en même tems les impreffions que les vices favent tui faire reffentir. Ce grand bofquet dans lequel la vérité parohTbit toute feule , fe divifoit en plufieurs efnaces qui renfermoient les diflérentes vertus que les hommes doivent fuivre. Ces efpaces formoient des temples de verdure confacrés a chacune de ces divinités. L'amour fe vovoit dans 1'un, avec la déiicateffe Sc la fidélité. La valeur paroiffoit dans un autre, accompagnée de Ia douceur Sc du fang froid. La reconnoiffance des bienfaits avoit pour compagnes la mémoire & la fenfibilité. L'hönneur des femmes étoit placé entre la pudeur & la  La Frincesse modeftie. Le temple de la religion étoit orné de la bonne foi Sc de la perfuafion. Ce fupetbe bofquet étoit ouvert a tout le monde; un vieillard accompagnoit ceux que la curiofité y conduifoir. Que de gens fe préfentèrent a ce bofquet avec la hardielfe Sc la fufïifance qui ne font que trop communes a la cour! Combien de courtifans virent la vérité, qui, tout d'un coup a leur afpect, paroiffant couverte de lambeaux dotés, fe déroboit a leurs yeux, fans leur laiffer voir que le mafque du menfonge , Sc 1'horreur de fa figure ! Que d'amans de 1'un Sc de 1'autre fexe obligèrent la figure de l'amour a prendre celle de la fauffeté ; Sc cette même fidélité , tant de fois atteftée, devenir a 1'inftant 1'inconftance au pied léger, ou la coquetterie aux yeux pervers ! Combien d'autres, au lieu de voir paroitre a leurs yeux l'amour tel qu'ils efpéroient de le trouver, ne furent frappés que du faux air! Que de fauffes valeurs parurent tantbt avec le vifage de la peur , Sc les geftes de 1'épouvante, & tantbt dépourvues du fang froid, ayant befoin de 1'aótion pour fe foutenir; d'autres enfin que l'on n'appercevoit point fans la férocité! L'ingratirude a tous les momens paroiffoit a la place de la reconnoiffance. L'oubli prenoit celle de la mémoire, Sc la fenfibiiité s'évanouiffoit .avec la mémoire. Que de  Lumineuss. 383 femmes dont le maintien de prude chaffalamo* dcftie pont y fubftituer la débauche , & dont l'afpect fit évanouir !a pudeur ! Que d'l-vpocnfie 6c de projers humains ne voyoit-on point dans le temple de la ftatue de Ia religiën ! Ce bofquet fervit beaucoup a Lumineufe, auffi bien que fes lumières naturelles, pour ne raffembler autour d'elle que des gens fincères: fa cour n'étoit pas nombreufe, mais elle étoit charmante. La princeffe n'étoit intérieurement occupée que de Grenadin. Elle avoit vu dans le petit livre de Balfamine que le prince, ennuyé de tout ce qui fe préfenroir a lui, n'avoit pu faire un plus long féjour a la cour de la reine Brillante; que touiours occupé du défir de la voir, il étoic parti pour faire la recherche des plus épais brouil. lards , 6c que, pour cet effet, il avoit marché tout feul vers les pays les plus affreux du nord. II ne lulfut plus poflible alors de réfifter au plaifir de le tirer d'inquiétude, de lui faire favoir la mort du roi fon mari, 1'état de liberté dont elle jouiffbit, 6c le lieu de fon féjour; mais elle ne pouvoit efpérer aucun des fecours que les fées donnent aux jeunes princelfes qu'elles protègent. Ce fut a l'amour a lui faciliter ce qu'elle défiroir. Elle ouvrit une des fenêtres de fon palais, 6c fit venir k elle nn brouillard léger qu'elle appercut  384 La Princesse dans fes jardins. Elle Ie reconnut pour être rempli de vivncité Sc du défir d'obliger, & pour favoir fervi avec beaucoup d'attacbement ; il étoit naturel'ement grand voyageur. Elle lui dit Ie lieu dans lequel il trouveroit Ie prince Grena-i din , Sc lui donna fes ordres. Dès 1'inftant que Grenadin eut appris le lieu du féjour de Lumineufe , il évita les brouillards avec amant de foin qu'il les avoit recherchés, il reprit avec empreffement Ie chemin des états du roi Biribi. L'on peut fe fouvenir des procédés de Sansdent; ils avoient, par toutes fortes de raifons, déplu a Balfamine. Cette bonne fée fage jufques dans fa colère, ne voulut point éclater qu'elle n'eut établi Lumineufe d'une facon auffi agréable que folide. Quelque tems après, les deux fées eurent une converfation des plus vives. La difpute s'échauffa fi fort, qu'elle ne pouvoit plus fe tetminer que par un combat fingulier, & dont Ia fin eüt été peut-être le bouleverfement de l'état; mais Ie confeil des fées en ayant été averti dans ie même moment, elles furent mandées I'une Sc 1'autre. Les fées étant arrivées devant ce fa^e tribunal, racontèrent tout ce qui leur étoit arrivé. Sansdent fut condamnée fur tous les chefs, Sc fut envoyée chez les fauvages Iroquois, fous erétexce de les civilifer, mais dans le fond pour  LuMlNEUSE. j3j la punir par un hónncte exil qui lui fur d'auranc plus fenfible, qu'il n'y avoir pas dans ce pays la plus foiblë reiTource du córé du jeu. On envoya chercher Pivoine, fans vouloir donner a Sansdent la permiffion de faire fe.s adieux au roi Biribi Sc a la reine Marjolaine. On lui donna en partaiu celle de roarier la princeffe Pivoine d quelque roi des Sauvages , Sc pour lors le confeil les congédia 1'une Sc 1'autre, fans qu'il füt atteridii par leurs larmes. Balfamine, a fon retour, trouva le roi Biribi Sc la reine Marjolaine, qui, tout trides qu'ils éroienr de Pabfence dc Sansdent, & de i'inquiétude de ne la plus revoir, jouoienr en attendant la décifion des événemens. üs vinrent au-devant de la fée avec la démarche embarraffee que dcnnent les torts. Ils furent fort étonnés de voir qu'elle les pria de ne fe point déranger, Sc de continuer leur partie; mais elle vouloit les punir d'une facon qui, fans faire d'éclat, ne leur füt pas pour cela moins fenfible. Toutes les banques fureur détruites par la fortune des pontes, Sc cette fortune fe trouva li fagemenr départie, que tous les joueurs du royaume regagnèrent précifément ce qu'ils avoient petdu, Sc fe trouvèrent au même, dcgré d'opulence oü les régiemens du jeu les avoient trouvés. II étoit tems que cette répartition fütfaite, car prefque toutes les families de  3S£ La Princessë ce grand écac étoient abfolumenr rainées. Balfamine voulut confoler le roi des pertes confidérables qu'il venoit de faire, en lui faifant envifager quels étoient les inconvéniens & la honte de la vie qu'il avoit menée jufqu'alors; elle lui confeilla la facon dont on otdonne, de fe rapporter , pourle gouvernement de fon état, aaX confeils de Lumineufe ; & fon incapacité fe joignant aux autres raifons , le déterminèrcnt k fuivre 1'ordre ou le confeil de la fée. Lumineufe indépendamment de 1'efpvit infini qu'elle avoit, & des connoidances dont elle étoit ornée , aidée desfages confeils de Balfamine , rétablit la police, 1'ordre, & fit enfin fleurir le commerce dans un royaume dont les affaires étoient depuis long tems bien dérangées; & ces changemens avantageux fe firent en trés-peu de tems. Le choix des hommes étant la partie la plus effentielle d'un gouvernement, le bofquet de Ia vérité lui fervit utilement pour connoitr* le fond des cceurs, le degré des vertus de ceux qu'elle employoit. Balfamine inventa, pour l'amufement du roi Bitibi, de la reine Marjolaine, üc pour celui de leur petite cout, tous les jeux de commerce, comme 1'oie, le rrou-madame, & mille autres, dont une partie eft paffee jufqu'a nous, fans compter le jeu du roman, & ceux qui mettent au fait de 1'orrographe &c de la géo-  Lumineus e. 137 graphie : jeux qui pour lors étoient abfolumenr néceffaites pour 1'oubli que l'on avoir fait de ces connoiffauces. Balfamine, au nom de Lumineufe, défendir expreffément, & fous les peines les plus rigoureufes, tous les jeux de refte, Sc fur-tout le Biribi. Elle fic brüler dans la grande place tous les tableaux, les facs & les boules qu'elle avoit fait revenir de tous les coins du royaume ; & je ne comprenspas comment, avec toutes ces précautions , ce jeu a pa paffer jufqu'a nous, fur-tout après un auffi longefpace de tems. Grenadin averti, comme nous 1'avons rapporté, par le brouillard , partir auffi-tot qu'il eut appns routes ces heureufes nouvelles; mais il étoit filoin, fi loin, que Lumineufe & Balfamine avoient eu le tems de faire tout ce qui vienr d'ëtre rapporté, avant qu'il eüt eu celui d'arriver. Le ptince , qui croyoit trouver encore les états da roi Biribi dans la fituation dans laquelle il les avoit laiffés, craignoit non-feulement de revoir Sansdent, paree qu'il 1'avoit laiflee furieufe contre lui, Sc qu'il étoit naturel qu'il en redoutat les menaces; mais" il craignoit encore plus de revoir Pivoine, paree qu'elle 1'aimoit, & que rien ne déplait autant a un homme bien amoureux , que l'amour d'un objet défagréable, le prince prit Ie parti d'arriver déguifé dans la capitale.  388 La. Princessh Quelle joie pour un amant, de recevoir en réponfe de chaque queftion, un éloge de ce qu'il aime ! Le récit d'une vertil, un exemple de douceur, un trait d'efprit '& de fageffe, enfin de voir l'amour de tout un peuple qui ne fe laffe point de répondre aux queftions réirérées de la curiofité que donne l'amour ! Le prince Grenadin, enchanté de tant de récits flatteurs, ne garda plus {'incognito ; & déclarant fa naiffance & fon nom, il fe fit conduite chez la fée qui faifoit les fonctions de premier miniftre. Leur entr^vue fut courte, paree que la fée le conduifit auffi-tot chez la princeffe qui, par fon livre, avoit étc témoin de toutes les impreuibns qu'avoir recues fon amant, & qui jugeoit de tous les inltans qui le conduifoient a elle. Si Balfamine ne fe fut pas heureufement trouvée en tiers, la converfation n'eut pas été vive du coté dés'.pafólés , pour avbir trop de chofes a fe dire : pour en penfer trop, ils ne pouvoient fe parler. Et qui ne voudroit fe taire ace prix, öc faire l'épreuve d'un pareil filence 1 Grenadin demanda la permilfion d'être fon premier courtifan, en 1'affurant que puifqu'elle étoic libte, & que fa déiicateffe n'avoit plus a. fouffrir, il s'eftimoit trop heureux de la voir & de 1'admtter. Cette permiffion lui fut aifément aceordée. Grenadin avoua a Lumineufe un amour dont «Ile ne doutoic- pas. Elle convint elle-même du goüt  Lumineus e. 5 89 gout -qu'elle avoit pour lui. Grenadin fe jeta a fes genoux , la cönjitranr de couronner fon amour, Sc de lui pennettre d'afpirer a riionneur de fa main. Certe princeffe adorable fe rendir & confentit aux defirs de fon amant; mais afin de n'avoit rien a fe reprocher, & de pouvoir pleinemenc fatisfaire fa raifon, elle voulut exiger du prince de faire I'épreuve du bofquet de la vérité. Grenadin fut très-offenfé de fa propofirion. Tout ce que vous m'ordonnerez, lui dic-il, peur vous prouver 1'atfachement le plus tendre Sc le plus fincère, il eft certain que je le ferai. Mais fe peut il que vous doutiez de moi, de la fincériré de mes fentimens? Se peut-il que je vous doive a toute autre chofe qua votre confentement , qua mon amour? Enfin Grenadin prononca c«s paroles avec la vivacité de la déiicateffe offenfée, Sc d'une facon fi touchante, que Lumineufe, frappée de fon amour, lui demanda pardon de lui avoir fait une telle propofirion, & la défavoua pleinement, en le faifant maitre de fa perfonne Sc de fes états. C'eft a préfeut que I'épreuve me convient, lui dit le prince, en lui baifant la main avec tranfport, & c'eft a préfent que j'y cours fans la redouter. En effet, Grenadin s'éloignant de la princeffe avec ardeur, courut au bofquet. Lumineufe le fuivit agicée de tous.les rroubics , TomeXXIV. Bb  39o La Princesse. Lumineuss de toutes les inquiétudes, & de toutes les efpé\rances de l'amour. Mais quelle fut la joie de cettetendre amante, quand elle appercut la vcuté qui, s'embellilToit i ia vue de fon amant, l'amour qui accouroit alui fuivid'un nombre mfini d atmbuts prefqu'inconnus dans le monde, de voir l lionneur Sc la valeur, enfin toutes les vernis fe mettre a fa fuite , &de préfenrer a l'amour. Quel tranfport pour Grenadin de vcir qu'il avoit été fmvi par Lumineufe, a laquelle la pudeur Sc la modeftie étoient accourues, Sc quelle fatisfadion ue diftinguer 1'embarcas de l'amour & de fon aimable" fuite, qui nefavoient auquel des deax,de la princefle ou de lui, il étoit plus jufte de dcférer 1 L'amour enfin Sc la vérité formèrent euxmèmes dans le bofquet 1'union éternelle des deux plus parfaits amans, & ces deux divimtes ne les quittèrent jamais pendant le cours d'une vie qui fut auffi longue que fortunée.  t9t b L h U Jll I i tL E T COQUELICOTj C O .V T E. 11 y avoit une fois une fee nommée Bonneboune , qui fe dégonta des grands emplois de la féerie , auxquels fon caraócère & fes ralens 1'avoient élevée ; e!!e choifit póur fa retraite une de placée au milieu d'un trèfbeau lap dcnt les cótes étoient formces par Ie pays le plus riche , le plus riant & Ie plus fertile. Cetre heureufe retiaite fut nommée 1'ile du Bonheur; l'on fdt qu'elle a exifté , l'on fe perfuacle même qu'elle eft toujours dans le pays dont on eft voifin ; mais les géographes ne 1'ont encore placée furaucune carte, & je n'ai point lu qu'aucun voyage.ii'rV foit jamais abordé : il nous fuffit que les annale's des fées nous en ayent donné gonnoiffance. Eoonebonne dégoütée du monde, & n'aimarit B b ij  j?l Blüuettb rtptnt i faire fa cour , demandai la reine des fées la permiffion de fe retirer : elle fe rendit dans 111e du Bonheur ; & ce fut li qu'avec la plus belle bibliothèque , & toutes les cortnoiffances qu'elle avoit acquifes dans le monde , elle devint la plus habile de toutes les fées. Elle faifoit le bonheur de tous fes voifins, & la reconnoiffance étoit le fondement de fon autorité. Indépendamment de ce que fon goüt la portoit a obliger, &c que 1'éloignemenc du grand monde ne diminue point le fentiment, c'eft une grande fatisfadtlon que celle de voir tout ce qui nous environne heureux. Pour fatisfaire a ce véricable plaifir, & ft'être pas en même tems accablée de toutes les ridicules demandes, elle avoit placé a fort peu de diftance Tune de 1'autre , fur les bords du lac , des colonnes de marbre blanc , auxquelles s'adrelfoient ceux qui avoient des demandes ou des plaintes i lui faire. Ces colonnes étoient conftruites de facon qu'en parlant fort bas , elles reportoient diftinctement le fon de la voix dans un cabinet du chateau. Bonnebonne y faifoit demeurer ordinairement une nièce qu'elle élevoit pour être fée , Sc qui lui rendoit compte le foir de tont ce que les colonnes avoient rapporté ; la fée pour lors en décidoir. La principale occupation de Bonnebonne étoit d'élever & de rendre heureux des enfaas; elle donnoit a déjeuner , comme i col-  et Coquelïcot. 393 lation , tout ce que l'on pouvoit défirer de fucre & de patifferie; mais quand on avoir habité quinze jours cette heureufe demeure , on ne fe foucioic plus de dragees, on paflbit la journée a fe promener fur 1'herbe, a cueillir des noifettes dans le bois , ou des fleurs dans les parterres ; on alloir fur le lac dans de jolis bateaux , on les menoic foi-même ; enfin , l'on faifoit tout le jour ce que l'on avoit envie de faire , & le bonheur confifte principalement dans la liberté ; il eft vrai qu'il y avoi: des mies & des précepteurs, mais ils étoient invifibles; ils averti.fioient Bonnebonne deceque l'on avoit fait de mal; & pout lors elle faifoit une reprimande , mais toujours avec douceur, paree qu'elle étoit la meilleure femme du monde. Quelquefois les mies & les précepteurs celfoient d'être invifibles, & pour lors on les voyoit fouper enfemble fur 1'herbe , ou bien danfer aux chanfons, ou s'amufer a. faire des jouets & des poupées ; enfin , rien n'avoit l'air de la févérité dans cette heureufe habitation , auffi tout le monde fouhaitoit de 1'habiter , & l'on n'en fortoit jamais fans éprouver la plus grande des afflidions ; mais comme tout eft foumis a la deftinée, & que les fées elles-mêmes lui doivent obéir, quand on étoit parvenua un certain age, c'eft-i-dire , depui.s douze uifqu'a quinze ans , & lorfque les lecons de la fee avoient fait une forte d'imprefuon fur Bbiij  fBlEUETTE 1'efprit de fes élèves, & qu'elle les trouvoit affea formés pour entrer dans le monde, elle éroit obhgée de les renvoyer, ce qu'elle faifoit en les combJafit de careffes & de préfens , Sc les affurant d'une amitié dont elle leur donnoit fouvent des preuves dans le cours de leur vie. Dans le nombre des enfans qu'elle avoit obtenu de la èonfiance de leurs pareus, il fe trouvoit une petite fille nommée Bleuette, fi jolie Sc fi fage , que Bonnebonne la préféroit a routes les autres, Sc qu'elle 1'aimoit a la folie ; elle étoit careflante fans être incommode, & vive fans être importune ; fa figure annoncoit la douceur de fon caraétère ; fa beauté s'accrüt avec 1'age ; Bleuette poifédoit encore cet éclat qui produit léblouiffement, Sc c'eft a fa rare beauté que nous devons cette facon de parler, encore ufitée dans le langage familier \ ou pour parler de ce qui nous a ébloui, l'on dit, j'ai vu des Bleuettes. Un jeune enfant, plus agé qu'elle de deux ans ou environ , habitoit aufti 1'ïle du Bonheur, il fe nommoit Coquelicot; fa figure étoit charmante , elle étoit auffi vive que fon efprit, Sc fes gentilleffes naturelles plaifoierit également a Bonnebonne ; ce qui les rendoit bien plus charmans 1'un & Fautre, c'eft que dès leur enfance ils devi'hieht inféparables, Sc que la vivacité de 1'un , fe foumettant a la douceur Sc a la tendreffe de  ET COQUELICOT. 395 1'autre, rendoit leuts caractères plus modérés Sc plus aimables. Bonnebonne jouifloit fans ceffe de 1'impreffion Sc du progrès que le véritable amour faifoir fur 1'innocence & fur 1'ingénuité; elle en étoit continuellement occupée, & tous les autres bonheurs qu'elle favoit fi parfaitement procurer , ne pouvoient être comparés a celui-ci; en effet, quelle félicité peut être mife en balance avec celle que produit 1'union de deux cceurs que l'amour unit par la convenance Sc le rapport des humeurs ? Coquelicot vif comme il étoit, peut être mêrne Urt peu emporté , n'étoit modéré Sc n'avoit de douceur, que pour ce qui regardoit Bleuette qui, de fon cbté , n'étoit animée & n'avoit de viva- 1 cité que par rapport a Coquelicot. La naiffance & le progrès de leurs fentimens avoient fait leurs délices ; la douce fituation qu'ils éprouvoient, faifoit les charmes de la vie de Bonnebonne , car elle difoit cent fois : mon'Dieu qu'ils font jolis, ces pauvres enfans , qu'ils s'aiment bien , qu'ils font heureux , ils ne penfent point a fortir de mon ile , jamais plus heureux fujets n'ont habité mon empire. Un jour que fur le foir d'un des plus beaux jours de l'été , tous les aimables enfans jouoient Sc s'amufoienr dans les différens lieux de ce féjour enchanté , il parut tout-a-coup dans les airs un char trainé par fix griffons couleur de feu \ le Bbiv  39 Bleuette char étoit de la même couleur, relevée par des ornemens noirs ; il portoit la fée Arganto coïffée en brune, avec un ou deux pieds de rouge , fa parure étoit affortiffante a fon char. Ses griffons abattitent leur vol au perron du chateau, oü Bonnebonne & fa nièce fe trouvèrent pour faire les honneurs a la fée , & lui donner la main pour defcendre. Après les premiers complimens, Arganto témoigna a Bonnebonne , que ne pouvant comprendre les plaifirs de la retraite, & dégoütée par quelques mécontentemens, de la cour, elle avoit voulu juger par elle-même des agrémens & des peines d'une femblable vie, & que pour en être parfaitement éclaircie, elle venoit dans la réfolution de paffer quelques jours avec elle. Bonnebonne lui répondit avec douceur , qu'elle la fatisferoit volontiers, & qu'elle n'auroit rien de caché pour elle. Les beautés de la nature , ajouta t-elle , font les tableaux dont je fuis occupée ; fes fruits font mes tréfors; fes fecrets , 1'objet de mes recherches , & ma diflipation n'eft auachée qu'au bonheur des autres ; 1'enfance eft l'état de 1'humanité qui peut être rendu le plus heureux; vous ne me trouverez donc environnée que des plus jolis enfans que la nature air produits s en difant cela, elles s'avancèrenr dans 1'ile, en trouvant a chaque pas des troupes de petits enfans de tout fexe &c de tout age , dont les iraits  et Coquelicot. 397 naturels infpiroient une véritable gayeré; les uns danfoient, les autres jouoient a colin maiiiard ceux-la s'amufoient a la madame , enfin, ils paffoient fubitement d'une fantaifie a une autre; leurs caraótères fe développoient , & l'on pouvoit aifément imaginer celui qu'ils devoient avoir dans un age plus avancé ; Arganto trouva que ce délaflement de Bonnebonne étoit alfez médiocre, elle en jugea en perfonne du monde, c'eft a-dire , avec mépris : elle dit a fa compagne qu'elle ne concevoit ces fortes de plaifirs qu'autant que l'on employoit fon efprit a les faire valoir; ce fut en vain que Bonnebonne en voulut faire 1'éloge, elle ne la perfuada point; enfin, en continuant leur promenade , elles appercurent Bleuette & Coquelicot qui s'entretenoient , qui ne voyoient qu'eux feuls dans la nature , qui n'attendoient lenrs plaifirs, leurs défirs , leurs occupations & leur volonté, que d'eux feuls. Bonnebonne les appela, ils accoururent a elle avec cette confiance & cette amitié que les bontés & la reconnoiflance favent infpirer. Arganto fut frappée de 1'agrément de leur figure , elïe le leur témoigna, ils en rougitent & remercièrent la fée 1'un pour 1'autre; je concois , dit-elle a Bonnebonne , que la nature ne peut pas préfenter un plus agréable tableau que celui de ces aimables enfans ; mais , continua-t-eile , cac-ils autaut d'efprit que leur  598 BlEUETTF. phyfionomie en promet ? Ils en ont affurément, répondit Bonnebonne , il ne vous plaira peutêtre pas, car il n'eft que natutel ; de plus, lts s'aiment trop pour en montrer , fur-tout a quelqu'un qu'il* ne connoifTent point ; les fées leur firent mille carefles , & les laifsèrent enfemble. Bonnebonne convint avec Arganto qu'elle ne fe conrraindroit point pendant leur féjour , & qu'elle pourroit fe livrer a fes études ordinaires; mais comme cette dernière ne pouvoit fe raire de l'impreftion que Bleuette & Coquelicot avoient fait fur elle , elle voulut qu'ils lui tinffent compagnie. Arganto étoit née méchante , & la méchanceté ne fouffre qu'avec impatience le bonheur des autres, & n'eft occupée que du foin de le dé» truire , fans autre motif que celui de nuire. Sur ces funeftes principes , elle employa le tems de fon féjour a leur dépeindre la froideur & 11 nfipidité du lieu qu'ils habitoient y eux que la nature avoit formés pour les délices &z 1'ornement des cours les plus brillantes : pour lors elle leur faifoir une defcription avantageufe du féjour des rois. Vous êtes enchantés , leur difoic - elle fans ceffe , de la vie que vous menez ; mais en connoiflez-vous quelqu'aurre? Lebrillant du monde , les fêtes qui font données a la feule beauté , les préférences qui lui font a tous les momens accor-  et Coqueeicot. 3 9f dées , font les véritables triomphes d'une jolie perfonne; c'eft ainfi qu'elle parloit a Bleuette. Et, vous , s'adreffanr a Coquelicot , avec de 1'efprit comme vous en avez , que ne ferez-vous point dans une cour ? Vous devez certainement avoir de la valeur ; de quoi votre mérite ne fera t-il pas capable ? Ces difcours pervers firenr peu-a-peu rimpreffion qu'Arganto défiroit fur 1'efprit de ces aimables enfans. Ils fe cherchoient a leur ordinaire, mais ils fe furprenoient , occupés d'autre chofe que d'euxmêmes; ils commencèrent par s'en faire quelques reproches , enfuite ils fe firent des aveux réciproques, car ils ne pouvoienr prefque plus fe parler d'aurre chofe que des idéés de la fée ; l'amour & 1'efpérance de ne fe point quitter , étoient encore,il eft vrai, le fondement de leurs projets; mais enfin , la curiofité , la nouveauté de tout ce que leur avoit dit Arganto , & plus que toutes ces chofes , 1'amour-propre, le poifon de la vie , féduifit a la fin leur innocence; ils s'abandonnèrenr a la méchante fée qui, pour les faire tomber plus aifémenr dans le piege qu'elle leut tendoit, n'oublia pas de détruire le refpect, 1'ami tic & la reconnoilfance qu'ils avoient pour Bonne benne, cn leur difanr , c'eft une fee de province dont les goüts font peu élevés ; fon caracière ne eonven?nt pas a la cour, elle eft trop heureufe de  40(9 Bleuette pouvoir vous garder auprès d'elle , elle facrifié votre fortune a I'agrément & d 1'uttlité dont vous lui êtes. Ce fut par de femblables difcours qu'elle préparoit 1'ingratitude de ces enfans ; elle leur promit encore de ne les point abandonner , Sc les affura qu'étant fée plus puiflante que Bonnebonne , ils ne devoient s'inquiéter de rien ; elle fit plus , elle prévint dans leur efprit tous les difcours que cette fage fée pourroir leur tenit quand elle feroit inftruite de la réfolution qu'ils prenoient; enfin , ils lui promirent de la fuivre après qu'elle leur eut encore donné fa parole de ne les point féparer. Quand Arganto fut bien affurée du parti qu'ils avoient pris , elle dit a Bonnebonne qu'il étoit tems qu'elle cefsat de 1'incommoder dans fa retraite , elle la pria en même tems de trouver bon qu'elle emmenat avec elle Bleuette & Coquelicot j la bonne fée qui ne s'étoit nullement appercue , & qui n'avoit aucun foupcon des deffeins d'Arganto , paree qu'elle leur avoit elle-même ordonné de faire leur cour & d'obéir a la fée pendant qu'elle étoit retirée dans fon cabinet, & furtout paree que le bon cceur ne prévoit point 1'ingratitude j Bonnebonne , dis je , confentit a la demande qu'elle lui fit, au cas cependant que la propofirion leur conviendroit , bien perfuadée qu'ils ne voudroient jamais la quitter; on les fit  Et Coquelicot. 40f avertir fur le champ. Quel fut 1'étonnement de Bonnebonne quand ils acceptèrent la propofirion de fuivre la fée & de 1'abandonner ? Elle leur tint inutilement tous les propos les plus refnplis d'amitié & de bon confeil j ils étoient prévenus: Bonnebonne leur dit alors avec douceur, c'eft h perfuafion qui fait le bonheur. Vous cefferiez d'ëtre heureux dans ce féjour , puifque vous imagineï une plus grande félicité dans un autre pays ; partez , que rien ne vous retienne , leur dit-elle , les larmes aux yeux , puiffiez-vous être conreas • Bleuette & Coquelicot fe trouvèrent émus pu ce tendre difcours, au point de tomber aux genoux de cette adorable fée , & de Ia conjurer d« vouloir bien oublier qu'ils euffent eu feutemen> 1'idée de fe féparer d'elle ; le faififfement qu'ds éprouvèrent en ce moment, les fit 1'un & 1'aurre tomber en foibleffe ; ainfi, les méchancetés d'A . ganto devenoient inutiles par ce retour de leur cceur; elle-même fut touchée d'un fpecfecle auffi tendre , & fe vit prefqu'au moment de fe repentir du chagrin qu'elle caufoita trois perfonne' qui n'étoient a plaindre que pour avoir eu trop de confiance en elle ; ne fachant quel parti prendre , elle fe préparoit i partir toute feule , quand Bonnebonne lui dit: Je poutrois me plaindre de la facon dont vous avez abufé de 1'accueil qUe je vws ai fait ; mais le plus grand fruit de 1'étude  4©t Bleuette & de la folitude , eft celui de pardonner : Je ne fuis donc nullement rouchée pour moi, je le fms du malheur de ces jeunes enfans. Je les aimois pour eux ; je nc veux plus les emmenef , lui repondic Arganto, vous voyez cjuils m'onr remfée, & vous nc pouvez dotiter de 1'attachemenc qu'ib ont pour vous • non , lui répliqua Bonnebonne , je me trouve forcée a vous prier d'emmener cè que j'aimóis le mieux dans ma retraite, vous les avez pervertis, leur cceur n'eft plus tel qu'il étoit, ils ne demeuréroient plus avec moi que par com.plaifance. Quand ils auroient affez d'art pour me fa déguifer , pourrois-je ignorer leurs penfées i Emmenez-les donc , je vous conjure , fic ménaVez-les au moins dans les malheurs auXquels vous avez voulu les üvrer. Puifque vous le voulez abfolument, reprit Arganto, je vais Vous fatisfaire; pour lors on les portal'un & 1'autre dans fon char, tout évanouis qu ils étoient. Les griffons d'Arganto volèrent avec rapidité, fic arrivèrentpromp'tement dans le royaume des erreurs. Le m qui le gouvernoit alors , fe croyoit le rplus grand de rous les princes. La flatterie hfï avoit^erfiiadé qu'il étoit du fang des dieux. En •conféquence de cette idéé , il fe faifoit adorer par fes fujets. Son rrone d'or & de pierredes fur lequel il ne paroiffoit qu'une fois par mois , étoit environné de tigres, de lions & d'éléphans  ét Coquelicot. 4oj enchamés avec des ehaïnes du même métal , & couverts des broderies les pips fuperbes. S?.ns entrer dans un plus grand détail de letiquette de cette cour, le roi pratiquoit i chaque inftant tout ce que 1'orgueil du diadême pe.ut mfpirer. Arganto étoit fa bonne amie , elle partageoit fes plaifirs , & ce fut dans ie fuperbe palais qu'elle avoit £ fa_cour, qu'elle conduiüc Bleuette 6c Coquelicot.. Dans 1'inftant qu'ils revinrcnt £ la vie, ils eurent le plaifir de fe tevoir. La richefle du'lieu dans lequel ils fe trouvèrent, les cconna, Leurincertitucle ne fut pas longue.; Arganto vinc pour les en tirer. llslui demandèrent en labordant des nouvelles de Bonnebonne. La fée leur appric qu'elle avoit confenti £ leur fortune, 6c qu'elle 1'avoit conjurée elle - mème de les emmeuer. Bleuette & Coquelicot fe trouvèrent foulagés par ce récit, car ils avoient craint de lui déplaire. Arganto leur dit enfuite : Pour vous, belle Bleuette, voici 1'appartement que je vous deftine, votre maifon fera faire ce foir : en attendant, voici vos femmes que je vous préfente. A ces mors, il en parut une douzaine, toutes bien faites, Sc chargées des chofes frivoles devenues fi néceffaires au luxe 6c £ la parure. Elles furent fuivies par un pareil nombre de valets de chambre qui portoient des coffres & des caffettes, & qui drefsèrenr en  4@4 Bleuett* un moment la plus fuperbe toilctte. Les habits de la faifon parurent enfuite avec une ft grande profufion , qu'ils occupoient les chaifes , les lus Sc les canapés de ce grand appartement. Quand tout fut atrangé au gré de la fée , elle dit a Bleuette ï Ceci vous appattient, vous n'avez point d autre étude S faire que celle d'apprendre d vous en fervir. Enfuite elle lui montra une corbeille remplie de bijous, & un quarré tout rempli de pierreries, aufli parfaites en elles-mêmes, qu'agreablement montées. Elle lui dit , Belle Bleuette, ce petit écrin vous amufera. Paffons S prefent dansrapparteme.it que je deftine a Coquelicot. Bleuette fuivit la fée , fans être en état de pouvoir répondre j fa furprife Sc fon étonnement lui paroiffoient un beau fonge. lis pafsèrent tous les trois dans un autre appartement. II étoit fimple , mais propre. Quatre valets de chambre qui fe „ouvèrent dans la feconde pièce, vinrent lui préfenter des habits auffi galans que fuperbes , afin qu'il choislt celui dont il vouloit être paré ce jour ld. L'on ouvrit enfuite fa porte d'un fort grand cabinet, dans lequel on vit toutes fortes d'inftrumens de mufique. Ce même cabinet étoit ome d'une bibliothèque remplie de livres d'hiftoires, & fur-tout de romans Sc de contes des fées. V 01U, lui dit Arganto , de quoi vous délaffer quand vous aurez envie de donner quelque relache * vos plaifirs ,  et Coquelicot. 405 fïrs, oü de vous repofer de vos exercices. Enfuite elle ordonna a celui qu'elle avoit thoifi pour être fon écuyer, de pareine. Vous pouvez, dit-el'e a Coquelicot, prendre de fes confeds ; c'eft un homme sür &c de fort bonne compagnie : fdces Voir , continua t-el!e j monfieur, les chof.s douf vous êtes chargé. II parut alors des gens dt hvrée qui portoient les atmes les plus magninques Sc -les plus parfaites pour la guerre & pour la chaffe. Ce n'eft pas tout encore ; mertons, dit Arganto, la tête a la fenêcre. Ils lui obiirent, & ils appercurent cinquante chevaux de main, tenus par vingt-cinq palfreniers fuperbement veEus & trés» bien montés. Voila , dit-elle, vos chevaux de chaffe 8c de manége. Enfuite elle ordonna aux carroffes de paroitre ; berlines, burlingots , visa-vis, calèches de toutes les erpèces,-déiïloienc fous les fenêtres , attelés des plus joüs chevaux du monde, & les mieux nattés. Coquelicot éprouvant la même fatisfacfcion que Bleuette , obfervoitauffile même filence. Apprenez 1'un & 1'autre a faire ufage de ce que je viens de vous donner,-, leut dit Atganto , vous êtes charmans 1'nn &c 1'autre ; mais, croyez-moi , la parure eft néceffaire a la beauté. Pour lors, elle les laiffa.chacun dans leur appartement , queftionnant leurs nouveaux domeftiques fur 1'uciliré de rout ce dont ils étoient environnés , car ils n'ofoient encore leur Tomé XXIf. Cc  4s6 Bleuette donner des ordres. Ils s'hablllèrent enfin, & Coquelicor ayant paflé chez Bleuette , ils furent étonnés de 1'effet agréable de la parure, en fe récriant cent fois fur le bon goüt d'Arganto , ils fe perfuadèrenr d'autant plus aifément tout ce qu'elle leur avoit dit de Bonnebonne , dont la fimplicité commencoit a les faire rougir. Toute la cour inftruire de 1'arrivée de Bleuette Sc de Coquelicot, foit par curiofité, foir par enrie de plaire a la fée , vint chez elle avec empreffement. Le roi, lui-même, lui fit cet honneur. Les éloges des hommes pour Bleutte, Sc ceux des femmes pour Coquelicot, les fatisfirent égalemenr. lis trouvèrent que le langage dont on fe fervoit dans ce pays, avoit un tour agréable qiu leur étoit inconnu j ils en furent frappés, Sc ne fongèrent plus qua 1'imiter. Bleuette, dès le premier jour, s'appercut que Coquelicot n'étoit pas fait pour fes habits, Sc qu'il avoit un air emprunté que n'avoient point les autres jeunes gens dont elle étoit environnée; enfin 1'un Sc 1'autre fe trouvèrent occupés de mille idéés nouvelles. Ils fe voyoient tous les jours, il eft vrai, mais ils fe cherchoient moins ; Sc les tendres converfations , oir la naïveté , 1'ingénuité , la candeur Sc la vcrité avoient autrefois tant de part, n'étoientplus en ufage parmi eux; ils cherchoient . feulement a placet les mots Sc les tours de phtafe  ET CoQÜELICÓT. 4Ö7 qui les avoient frappés dans ce nouveau féjour. La parure, la magrtificence & 1'éclat avec lequel ils éblouirent toute la cour, eng:igèrent tout le monde a leur donner les titres de prince & de princefle. Ils favoient bien qu'ils ne le méritoienfi pas, par labaffeffe de leur naiffance; mais Terreur des autres fatisfaifant leur vanité, ils convinrent entr'eux de tenir le cas fecret, & chacun efpéra, dans fon particulier , que la beauté &z le mérite les conduiroient en effet a patvenir a cet état; Coquelicot étoit parfairement joli, & fa taille étoit charmante. II fit fes exercices avec un mer* veilleux fuccès; prefque routes les dames fe 1 ac* rachoient. Bleuette n'étoit en aucune facon jaijoule de fes conquêtes ; & quoique dans ces fortes de fituations l'on ne foit pas toujours équitable, elle avoit du moins la jnftice de ne lui pas faire le moindre reproche, elle en auroit ellemême cependant mérité; car la cour & les grands airs leur avoient également dérangé & le cceur & 1'efprit. Bleuette, de fon cbté, ne cherchanc qua plaire & qua 1'emporter fur toutes les autres beautés de la cour, fuivir le penchant flaneur de la coquetterie. L'on peut juger fi penfant comme je viens de le dire, elle fur long-tems a faire ufage de tous les préfens de Ja fée, Bientót elleinventa des modes, que routes les autres belles ou laides étoient, malgré elles, obligées de fuiyre. Pen- 1 Cc ij  4o? Bleuette' dant quelque temps cette coquetterie fatisfaifant fa vaatte, ne préfentoit a fes yeux que des rivales jaloufes , que des hommes enivrés & féduits, flatjes ou délefpérés, psr des regards & des difcours trompeurs & pervers; mais Bleuette étoit belle; elle avoit tant d'efprit & de graces, qu'en faifant leur malheur, elle étoit 1'objet de tous les éloges, & celui de tous les emptelfe.nens des gens les mieux faits de la Cour; elle s'étoit même fi bien gouvernée, qu'il étoit impoffible de faire le moindre reproche a fa vertu. Coquelicot, de fon coté , volage adorateur de mille objets divers, flatta fa vanité, fans jamais fatisfaire fon ccxar. Telle étoit la véricable & malheureufe fituation qu'éprouvoient les deux perfonnes autrefois les plus tendrts & les plus aimables, lorfque cette même vanité, 1'écueil de bien des fortunes, fut elle-même vivement offenfée. L'on peut fe fouvenir qu'éblouis 1'un & 1'autre de 1'écla: dont ils étoient environnés , ils avoient recu avec plaifir les titres de princes , rien n'eft ignoré dans le monde , & cette vanité devroit feule infpirer du dégoüt pour le menfonge , fi la vèrru n'étoit pas fuffifante. Un enfant élevé, comme ils 1'avoient été , dans 1'ile du Bonheur, s'en étant écarté comme tant d'autres avoient fait, en parcourant divers pays, fut attiré a la cour  et Coquelicot. 409 qu'habitoient Bleuette & Coquelicot. II fut étonné de trouver les grands titres de princes ajoutés a leurs véntables noms. II coutut cependant au palais de la fée pour les aller embraffer ; mais loin de le bien recevoir , ils ne daignèrent feulement pas le reconnoïtre. Il en fit fes plaintes a qui voulut les entendre, Si toute la cour fut promptemenr inflruire que les princes Bleuette Si Coquelicot étoient fils de deux honnèces gens a la vérité , mais qui étoient de pauvres bergers. La cour eft un pays oü l'on ne pnrdonne rien , Si oü les ridicules font recherchés avec un foin extréme ; ainfi , Ton profita de ceux-ci. Les chanfons & les épigrammes coururent en un moment; il ne leur fur pas poflible même d'en ignorer ; car, felon la louable coutume des auteurs de ces fortes d'ouvrages, la première copie eft adreffée a la perfonne intéreffée. Coquelicot fut plaifanté par quelques-uns des agréables de la cour; mais il en tira une prompte fatisfaclion , & le combat dans lequel il tua fon adverfaire, lui fit honneur ■dans un pays oü la vérité eft fi rare, mais dans lequel on ne pardonne cependant point au menfonge. L'on rendir juftice a fa valeur, mais on ne lui fit plus le même accueil; car enfin , quoique les richeifes falfent tout obtenir , le ridicule d'une baffe naiffance qui s'eft montrée avec vanité, s'oublie rarement a la cour. Pour Bleuette, que fon Cc iij  410 Bleuette orgueil Wette rendoit plus fiére encore , & qui comptoit réparer par fa beauté & par fes agrémens les bruirs défagréables qui fe répandoienc de. fa bergerie paflée , Bleuette , dis-je , eut en furplus la douleur de voir facrifier quelques lettres qa'eüe avoit eu l'imprudence d'écrire. Ses attraits humiliés , & fa répuration commife ( quoiqu'injuftement) lui causèrent un véritable chagrin , 8i 1'engagèrem a faire des réflexions. Se rappelant »1 es le fouvenir de fon bonheur paffe , les difr cours de Bonnebonne fe préfentèrent a fon efprit. j - ( Bleuetse étant donc agitée de toutes ces idees qui la conduifoient a fes premiers ientimens pour Coquelicot, ne vit plus qu'avec regret tout ce qu'elle avoit fait depuis qu'elle étoit a la cour. Elle en fut honteufe ; mais il ne lui fut pas poffible de fe déterminer a lui parler a cceur ouvert, II prendra ,-difoit-elle , pour'coquetterie ou dé' pit , le retour le plus fincère, & je ne pourrai m'en plaindre. Il croira que ma naiffance connue, & devenue publique dans ce pays, a dérangé mes projets de fortune , & qu'elle me ramène a lui par honte & par nécettité. Non , concinua-t-elle , je ne le rendrai pas le témoin de toute la foibleffe de mon cceur , & de toutes les peines que me font éprouver les fauffes bontés d'Arganto. De femblaWes idéés agitoient Coquelicot de  ST CoQUEtlCOT. 4 1 I fon coté. II croyoit que tous ceux qui le ttaitoient en prince, comme ils avoienc fait auparavant, ie faifoient par dérifion , & pour fe moquer de lui. I! ne doutoit pas que ceux fur qui le bruir qui s'étoit fépandu, avoient changé de conduite a fon égard, ne lui donnaffent des démentis continuels: cette fituation , toute affligeanre qu'elle puiffe êtte , n'étoit pas le feul des maux donr il étoit accablé. Le fouvenir de Bleuette, tendre, fidelle, fimple & naïve , les idéés du féjour de Bonnebonne , Si celles des graces Si de la douceur de fon commerce , répandirent un fi grand dégout fur tout ce qu'on appelle dans Ie monde des plaifirs , & qu'il avoit pris lui-même pour la félicité, qu'il prit le patti de fuir la cour. Ils n'avoient qu'a fe pafier 1'un Si 1'autre , ils fe feroient perfuadés & confolés ; mais jeunes encore , ils fe déterminèrent a la chofe du monde que l'on doit le plus éviter en amour comme en amitié , c'eft le filence. Car enfin, il augmente , il empoifonne le tort que l'on a , auffi-bien que celui que l'on donne aux autres: ainfi donc, n'ofant fe regarder, (tant la honte de leurs procédés avoit fait d'impreffion fur leurs cceurs) ils prirent féparémenr, & fans fe rien communiquer , le parti de la retraite. La folitude leut paroidant la fituation la plus capable de les confoler, ils partirent le même matin, comme ils auroienr pu faire s'ils C c iv  Bleuette avdient agï de cpncerr. lis cfioifrent 1'habit le plus fimple , non fans regretter celui qu'ils avoient appQi'té a. la cour. 11 les auroit rapprochés de leur première innocence , en leur mppelant toutes les idees de leur félicité paflée. Ils n'emportèrent que leurs portrairs qu'Arganto avoit fait peindre en miniature , tels qu'ils étoient au fortir de 1'ile du Bonheur. lis prirent des chemins fort oppofés \ mais a mefure qu'ils s'ék-ignoient de la cour, la nature parloir a. leur cceur. Le chant des oifeaux , la férénité de l'air , la vue de la campagne , cette deuce liberté qu'elle infpire, tout leur rappeloit leur hoineur palfé , tout les atrendriffoit Si les ramenoit 1'un a 1'autre, Mais comment nous retrouverons nous, fe difoient ils fans ceffe a euxmêmes? Je 1'aurois convaincu , il m'auroit pardonné ; retournons a la cour. Mais comment y ponrrois je reparoitre (car chacun d'eux croyoit que 1'autre n'en avoit point abandonné le féjour) ; clans un état auffi trifte que celui qu'ils éprouvoient. Le fouvenir de Bonnebonne fe préfenta a leur efprit : c'eft 1'amitié que l'on implore dans les adverfités. Ils réfolurent donc de recouivt a fes bontés. Quand ils n'auroient pas connu par §ux-mêmes les délices de 1'ile du Bonheur ; quand ils n'auroient pas été flattés de revoir les lieux témoins-de leur bonheur pafte, il eft fi.ua-  et Coquelicot. 41 $ turel de rechercher une femblable habitarion , que l'on fe met fouvent en marche fur la parole des autres ; ils partirent donc. II leur fut bien aifé d'en retrouver le chemin , eux qui 1'avoient fi dignemenr habité. Leut delTein étoit de s'adretfer a une des colonnes dont j'ai parlé , Sc qui portoient les demandes que l'on vouloit faire a la fée. Quelle fut leur furprife , ou plutot quel fut leui raviffèment, de fe retrou\er, de fe voir dans un lieu , dans un habillement qui leur difoit tout! Après les premiers tranfporrs oü les yeux fuffifent d peine a 1'ame pour fe fatisfaire , la première parole qu'ils prononcèrent, fut : pardnnne^ - moi! je ne puis vivre fans vous. Une chofe qui fe trouve a la fois demandée & défirée , eft ordinairement bientót accordée ; il ne leur fut pas néceffaire d'imploier plus longtems le fecours de la fée. L'union de leurs défirs les avoit déja tranfpottés dans les plus beaux éndroits de 1'ile. Ils voulurent fe juitiaer Sc demander pardon a Bonnebonne ; mais elle les en empêcha. Je fais tout ce qui vous eft arrivé , leur dit elle , j'ai parcagé vos peines, quoiqu'elles fuffent mérirées \ jouiffez du bonheur de mon empire , vous êtes d préfent plus en état d'en conno'itre les délices, Ils vécurent heureux puifqu'ils ne cefsètent  414 Bleuette et Coquelicot.' point de s'aimer , & qu'ils moururent au même inftant. Bonnebonne donna leurs noms a des fleurs champêtres, dans le deflein de rendre leurs noms immoreels.  4M MIGNON NETTE, CONTÉ. Il y avoit une fois un roi & une reine qui régnoient bonnement Sc fimplement fur des fujets auffi bonnes geus qu'eux , de facon qu'ils étoient également heureux ; mais comme il n'y a point d'état dans le monde qui n'ait fes peines, le bonheur du roi Sc de la reine étoit troublé par 1'humeur d'une fée qui les protégeoit depuis leur enfance. Madame Grognbn , c'eft ainfi qu'elle fe nommoit , marmotoit toujours quelque chofe entre fes dents , Sc répétoit cent fois la même chofe, trouvant a redire a tout ce que l'on faifoit , ou pour mieux dire , a tout ce qui s'étoit jamais fait. 11 eft vrai qu'elle n'avoit que ce feul petit défaut, & que du refte , elle étoit la meilleure femme du monde ; car , a dire les chofes comme elles étoient , elle obligeoit fouvent. Le roi Sc la reine la prioienr très-fouvent de leur accorder des enfans , & madame Grognon leur répondoit toujours : vraiment oui, des enfans; §c  4,\6 Mignon b-tti pourquoi faire ? pour les entendre crier, pour vous faire enrager Sc moi aufh ? A quoi cela fertil, des enfans ? on ne fait qu'en faire. Les filles four difficiles a garder auffi bien qu'a marier, & les garcons deviennent des libertins. Ce difcours, Sc mille autres femblables , éroient les feules réponfes quelle faifoit aux inflantes prières de leurs majeités. Le ton d'humeur avec lequel elles étoient faites, Sc la ficon de parler du nez, les rendoir infupportables. Cependant, le roi Sc la reine les écoutoient avec une patience admirable. Enfin, foit par un effet du hafard , foit par la permillion de la fée, car elle avoir quelquefois de bons momens, la reine devint groffe \ Sc comme de raifon, on fit auffi tót parr a madame Grognon d'un événement auffi heureux pour le roi & pour 1'état. Elle arriva donc aufii tót, non pour en faire fon compliment, ni pour prendre part a la joie c\n toute la cour, mais pour demander a la reine pourquoi elle étoit grofTe , Sc lui reprocher en même tems de ne Favoir pas éré plulót; elle dit enfin ce jour la , tant de chofes défagréables a la reine , que cette pauvre princeffe ne put retenir fes larmes ; elles coulèrent en fi grande abondance , que le roi qui 1'aimoit beaucoup , Be dont la tendreffe étoit augmentée par la fituation oü elle fe tronvoit, ne put s'empêcher de fe mettre en colère , Sc de lui répondre des chofes un peu  M. I G N O N E T T E. 4 ij trop fortes , & malheureufemenr il tui reprocha fon humeur. Dieu fait combien madame Gu-gnon tira parti de cette converfation , & combien voyanr que l'on avoit fort avec elle : car ef.fectivemeut le roi en avoit un peu trop dit, elle en profita pour rappeler tous les torcs qu'elle prétendoit avoir recus en fa vie. Elle témoi^na par une grande abondance de paroles ia jnie d'avoir raifon pour Ia première fois, & jkftfc ptr fa baguetre & par fon clavier , de fe venger du peu de déférence que l'on avoir pour eile... Le roi lui répondit encore , tant il étoit aveuglé par fa colère , qu'il ne craignoit rien , & que lés rois étoient indépendans. Oui, vous êtes roi , dit madame Grognon , mais vraim#nr vous êtes un beau grand roi, bien docile, & VPlls ave2, bien profité de 1'éducation que je vous ai donne'. : vous êtes roi, continua-t-elle , nous favons bien graces a qui vous 1'êtes devenu; mais vous alkz être père, puifque vous en aveztant d'envie : vous le ferez , j'en jure , plus que vous ne le voudrez. Je fuis bien aife de voir de quelle facoh vous me répondrez, & nous verrons comment vous vous en trouverez. Enfuite elle le quirta brufquement pour aller gronder tous ceux qu'elle renconrra. La reine fut alarmée de' cette aventure & des menaces de la fée5 elle rit feutir au roi, quand fa colère fut paffe , les fuites- facheufes  418 M I G N 9 NN « T T !< qu'elle poüvoit avoir; mais ne fachant quel remede y apporter, ils demeurèrenr 1'un & 1'autre dans une grande inquiérude, Ceux qui ont deS humeurs , ne font pas toujours dans les mèmös accès, fouvent. même ils fe repentent d'en avoir fait fouffrir les autres. Soit que madame Grognon fut dans ce cas , oü qu'elle fut plus a fon aife dans cette cour pour y gronder , elle y reparut , fans parler de ce qui s'étoit pafTé, mais de plus mauvaife humeur que jamais, non feulement paree qu'elle avoit eu tort , mais paree que le roi & la reine furent plus foumis qüits ne 1'avoient encore été. Cependant la reine étant devenue groffe a 1'excès , mit au monde fept beaux enfans \ & quand elle dit a la fée avec une douleur extréme : madame, voiU bien des enfans. Madame Grognon lui répondit j dame auffi , vous en avez voulu, des enfans, en voila : a vous entendre , je croyois que vous n'en auriez jamais affez ; c'eft votre affaire , aecommodezvous • mais vous n'y êtes pas encore , je vous en avertis, & vous verrez bien autre chofe. Si vous aviez été foumife i ma prudence, & fi vous m'aviez lailfé faire , vous auriez eu des enfans comme tout le monde j mais vous en avez voulu , oh ! vous en attrez , fur ma parole. Mais, madame , lui répondit la reine, j'en ai déjd, ce me femble , un nombre fuffifanc. Bon, bon , c'eft  MlGNONNETTE. y une bagatelle que fept, lui dit madame Grognon. En effet la Reine s'écant abfolument rétabüe , devint grolfe en très-peu de tems , Sc accoucha , comme la première fois , de' fept princes ou princeffes qu'il fallur recevoir fans fe plaindre , dans la crainte d'en avoir encore davantage. Madame Grognon , après favoir grondée de ce nombre prodigieux d'enfans , tout autant que fi la chofe avoit dépendu d'elle , lui promit, touchée par fes larmes & par fa docihté , qu'elle n'en auroit plus. Mais quarorze . princes du fang font très-embarraffans dans un état, & quelque riche que l'on foit, un fi grand nombre d'enfans coütent a nourrir, d élever, Sc puis après d établir. Madame Grognon oublia , comme tous ceux qui ont de 1'humeur , qu'elle s'étoit mife elfe-même dans 1'embarras d'une fi nombreufe familie ; & jufqu d ce que les petits enfans fuffent en age d'ëtre grands, elle ne fuc point fachée d'avoir d reprendxe toutes les mies & les nonrrices qu'il falluc avoir en grand nombre pour les élever. C'étoit un train quand elle étoit dans la chambre des enfans , fi grand que l'on ne favoir oü fe fourrer. La fimplicité des cours d'autrefois étoit exttême , & les enfans des rois jouoiem tous les jours avec ceux des particuliers, ce qui n'étoit pas éronnant, puifqu'ils alloient enfemble d la même école ; la politique trouvait  4*0 MlGNONETTÉ. alors des raifons pour aurorifer cet ufage qu'elle ne trouve plus aujourd'hut. 11 y avoit töut auprès du palais un bon charbonnier qui vivoit train qnillement dans fa petite maifon , du charbon qu'il vendoic ; tous fes voifins le confidéroient„ paree qu'il étoit, le plus honnête homme du monde \ le roi lui-même avoit une grande coufiance en fa capacité , & le eonfultoit fur les affaires de 1'état ; on le nommoit le Charbonnier tout court, & l'on ne vouloit point, a plus de deux lieues a la ronde , avoir d'autre charbon que le hen II en portoit dans toutes les maifons des grands feigneurs & des fées , Sc pat tout on le recevoit a merveille , fi bien même que les petitS-enfans n'en avoient aucune peur, & que l'on ne leur difoit point de lui : foycZ fages , voili le Charbonnier qui va vous emporrer. Quand il avoit travaillé tout le jour , il revenoit dans fa petite maifon gc&téfc le repos Sc ia liberté , car il étoit le maitre chez lui. Ü étoit veuf depuis long tems , & fa femme, avec laquelle il avoit vécu , ne 4ui avoit laiffé qu'une , perire-fille nommée Mignonerre qu'il aimoit 4 la folie ; la régularitéde fes traits percoit a travers la vapeur dü charbon dont la maifon de fon père éroit remplie| & malgré les mauvais habits dont elle étoit, vêtue , on étoit frappé de toutes les graces dont la nature 1'avoit combiée. Le  M I G N O N N E T T E. Le petit Pincon , le dernier des enfans du roi, étoit auffi vif que joli, & pat fon infant naturel) H cherchoit toujours Mignonette, la préférant a tous les autres petits-enfims pour jou er avec êüe , fi bien même qu'on ne voyoit prefque jamais 1'un fans 1'aurre. Le charbonnier cepencUat fentoit qu'il avancoit en age , Sc il étoit inquiët fur Ie fort de Mignoïlettê quand il ne feiv.'.r plus. La bonté que le roi avoit pour lui, ne lui paroiffoit pas une reffouree pour elle. Bon , cKToit-il tout haut, en rêvant i cette affaire , il dtaccablé de familie , ce roi-M; il a tant de chofes a'deman der a madame Grognon, pour lui - même , Sc cette madame Grognon eft fi difficile a vivre» qu'il n'oferoir jamais lui dire un mot pour ml fille ; & quand il me pfomettroit de le faire , je ne m'y fierois pas , continuoic-il, & finiffoit toujours fes réflexions par trouver Ie roi plus malheureux que lui. Mais enfin , après y avoir bien penfé , il ne favoir quel parti prendre , Sc rien ne fbulageoit fon inquiétude. II allo.it donc dans toutes les maifons du voifinage 5 mais il étoit encore mieux recu dans celle d'une fée bien* faifanre , qui fe nommoir ia bonne Praline , Sc c'eft elle en effet qui a donné fon nom aux dragees que nous connoiffons, paree qu'elle les avoit jnvenrées. Cette bonne fée appercut un jour I*. charbönnife, dans la cour de ion cMteau, elle TomeXXlK £) j  + 1% MlGNONNETTE. lui fit plufieurs queftions, auxquelles il répondit d'une facon qui la contenta; 1'inquiérude qu'il lui témoigna fur le fort de Mignonecte , 1'attendric, au point qu'elle réfolut d'en prendre foin. Elle lui ordonna donc de la lui amener le dimanctie fuivant ; le bon homme , tout a la fois charmé de 1'établilfement de fa fille, Sc fiché de s'en féparer, exécuta 1'ordre qu'il avoir recu: il lui fit mettre du linge blanc &porter fes fabots neufs qu'il lui avoit achetés la veille , avec de beaux defiins deffus. Mignonnette fautoit autour de lui, couroit devant, revenoit lui prendre la main , en difant toujours , nous allons au chateau : c'étoit en effet tout ce que le charbonnier lui avoit dit de leur voyage. Praline les recut i merveille ; Sc malgré les beaurés du chateau, Sc tout le fucre Sc les dragées qu'on lui donna , Mignonnette ne vouloit point quitter fon cher papa j Sc quand elle ne le vit plus , elle pleura pour la première fois de fa vie. Ce bon fentiment toucha la fée qui ne 1'en aima que davantage. Tous ceux qui furent témoins de cette féparation , difoient : ma petite-fille n'en feroit pas autant pour moi; mais enfin petit a petit Mignonnette ceffa de pleurer, Sc la fée qui en faifoit tout ce qu'elle vouloit , fans ètre a la peine ni de la gronder , ni de lui dire deux fois la même chofe, la rendit, en ttès-peu de tems,  Mignonnette. 413 k plus jolie enfant du monde, & qui couroic toujours les bras ouverts pour embraffer fon papa, & cela du plus loin qu'elle le voyoit, au rifque même de noircir & de gatet les beaux habits que la fée lui donnoit fans ceffe. Après avoir fait des caireifes a fon papa , elle lui demandoit toujours des nouvelles de Pincon , & hii donnoit fes plus beaux jouets & fes meilleures dragees pour lui porrer. Le charbonnier s'acquittoit de fa commiffion; &c le petit prince de fon córé , demandoit toujours des nouvelles de Mignonette , & difoit qu'il voudroit bien la revoir. Mignonnette , toujours plus aimée de la fée , paivint a 1'age de douze ans, & ce fut dans ce tems que Praline fit un jout monter le charbonnier dans fon cabinet; elle étoit fi bonne qu'elle ne voulut jamais 1'entretenir debout; & ce ne fut pas fms peine qu'elle le fic aifeoir : il eft vrai qu'il étoit affez fingulier de voir le charbonnier dans un fauteuil de fatin blanc brodé , qui ne favoit quelle contenance tenir. Quand il fut affis, la fée lui dir: bon homme, j'aime votre fille ; madame, c'eft votre grace , lui répondit le charbonnier ; mais vous avez bien raifon , elle eft fi genrille ; & je veux , reprit la bonne Praline , vous confulter fur ce que j'en ferai; vous favez, ou vous ne favez pas, continua t-elle , que je ferai bientót obligée d'aller habiter un Ddij  '414 Mignonnette^ autre pays : eh bien! madame , dit le charbon-nier , vous l'emmenerez avec vous , fi vous avez; rant de bonte ; c'eft ce que je ne puis faire , répliqua la fee , mais je la puis bien ctablir , voyez ce que vous defirez pour elle; eh bien ! madame , lui répondit le charbonnier, faitesda reine d'un auffi petit royaume qu'il vous plaira. La fée furprife de cette propofirion , lui repréfenta que plus on étoit élevé , plus on avoit de peine : le chatbonnier l'affura roujours qu'il avoit entendü dire qu'il y avoit des peines par tout s & que celles de la royauté avoient au moins plus de confolations ; ce n'eft pas, ajouta t-il, que je vous prie de me faire roi; moi'. non , je veux demeurer charbonnier , c'eft un métier que je fais, fi: je ne fais peut-être pas 1'autre ; mais Mignonnette eft jeune , il ne lui fera pas difficile d'apprendre celui que je vous propofe ; je fais bien a peu prés comme il fe fait, car je le vois faire rous les jours. Nous verrons lui dit Praline» en le renvoyant, ce qui me fera poflible ; mais je vous avertis d'avance qu'elle aura beaucoup a. fouffrir. Bon , madame , lui répondit-U , j'ai fouffert, pour n'attraper pas grand chofe ; ayez. feulement la bonté de la faire reine, voila. tout ce que je vous demande, continua-t-il en s'en allant. Pendant ce tems madame Grognon avoit éta-  Mignonnette. 413 ï>ïi prefque tous les enfans du roi Sc de ia reine; «He avoit envoyé les uns chercher fortune, & ils avoient trouvé des royaumes ; les princefTes -avoient éré bien mariées , fans que l'on air jamais fu prccifémenr le détail de leurs aventures. Le cadet des quatorze , le petit Pincon, étoit le feul pour lequel elle n'avoit rien fait. Un jour elle arriva a la cour du roi & de la reine dans fes difpofitions ordinaires 5 & trouvant le petit prince que fon père & ,fa mère carreffoient, elle leur dit: voihl bien un enfant gaté , «'eft vraiment li Je moyen d'en faire quelque chofe ; je parie toutes chofes au monde que cela ne fait rien du tout: voyons , continua-t-elle, en s'adrelfant au jeune prince , dites-moi vos lecons tout a 1'heure, & fi vous y manquez d'un mor, je vous donnerai le fouet; Pincon dif fes lecons i merveille , paree qu'il les favoit toujours fur ie bout du do;gr : il ajouta même beaucoup de chofes très-furprenantes pour fon age. Le roi & la reine n'ofoient lui témoigner leur joie, dans la crainte de redoubler 1'humeur de madame Grognon , qui répétoit toujours que les lecons qu'on lui donnoit , ne valoient rien , & qu'elles étoient trop favantes & trop fortes pour un enfant ; & fe rerournant vers le roi Sc la reine , elle leur dit; mais pourquoi ne m'avez vous encore rien demandé pour celui-ci ? Voiia comme vous êtes D d iij  4i(? Mignonnette. toujours vous autres ; vous m'avez fait phcer tous vos benets d'enfans, qui feront les plus fors rois du monde ; & paree que celui ci peut valoir quelque chofe, vous le voulez gater tout a votre aife ; car je le vois clairement, c'eft la votre bien aimé; oh bien ! je vous déclare qu'il n'en fera pas ainfi , & que je veux moi, le faire partir tout a 1'heure: il eft bien fait cet enfant, continua-telle, ce feroit un meurtre que de vous le laiffer plus long-tems j & je ne veux pas avoir cela a me reprocher ,on ne fait que trop dans le monde que je fuis de vos amis , & je ne fouffrirai pas que Ton me jette la pierre pour une fantaifïe mufquée comme la votre. Ah ca , point tant de facons, voyons enfemble ce que nous en ferons , car je prens volontiers confeil. Le roi & la reine lui répondirent avec douceur, que c'étoit a elle a en décider , & qu'ils n'avoient point de volonté. Eh bien , dit madame Grognon, il faut le faire voyager ; c'eft bien dit, madame, reprirent a la fois le roi & la reine , mais daignez penfer, continua cette dernière , que nos autres enfans ont épuifé tous nos tréfors; & que ne pouvant le faire voyager d'une facon convenable a fon rang , voyez quel défagrément ce feroit pour nous , pourfuivit-elle , s'il alloit dire tout le long du chemin, étant en mauvais équipage : je fuis fils du roi Sc de la reine. Ah ! vous avez de la  Mignonnette. 417 vanité , s'écria madame Grognon , elle eft vraiment bien placée; c'eft un beau meuble que la vanité , quand on a quarorze enfans \ mais après tout, il ne vous en a guères coüté que la peine de les faire ; ah ! je fuis bien aife de vous enrendre parler comme vous faites, & d'appfendre a vous connoitre. Vous dites que vos enfans vous ont ruinés, & c'eft ainfi que vous êtes méconnoiffans de tout ce que j'ai fait pour eux^ je vous 1'ai toujours bien dit que vous aviez un mauvais cceur. Madame, lui répondit la reine , nous avons toutes nos dépenfes écrires dans un livre de la main de mon mari; c'eft une chofe fort convenable que celle-la , interrompit madame Grognon ; jamais a-t-on parlé d'un roi qui ait fait des chofes femblables ? j'en ai vu par centaine, des rois; mais aucun n'a fenlement imaginé rien d'auffi miférable : affurément je n"ai pas a me reprocher de ne vous rien dire , & de ne vous pas avertir de tout ce que vous faites de mal ; mais puifque vous ne tirez aucun parti de mes confeils, je vois que je fuis trop bonne , & je me corrigerai de vous en donner. Allons, finiffons cette affaire , car rout ceci commence a m'échauffer la bile ; ce petit garcon eft vif comme un papillon, vous 1'avez toujours applaudi, & certainement il ira dire rout le long du chemin ; je fuis fils du roi & de la reine ; & lui adreffant Dd iv  ^2.8 Mignonnette. la parole , elle lui die : pourquoi irez-vous dire une chofe comme celle-la? Madame, lui répondit Pincon , je ne dirai que ce que vous m'ordonnerez. Ce n'eft pas cela dont il s'agit, répliqua madame .Grognon , répondez a ce que je vous demande; pourquoi direz-vous une chofe que vous favez qui n'eft pas bien ? car vous n'y manquefez pas, puifque votte père & votre mère qui vous connoilfenr bien , & qui vqus-excufent encore davantage, m'en ont fait leurs playates ? Madame , lui répondit le petit Pincon,'ils vous ont dit qu'ils le craignoient ; mais je vcnis promets de n'en rien faire. Ah ah ! comme cela raifonne déja ; mais je n'en fuis pas furprife, il a de qui tenir pour répondre Sc pour être indocile ; on fe reffemble de plus loin , Sc bon chien chaffe de race ; mais je vous jure que vous ne le clirez pas le long du chemin , j'y mettrai bon ordre. Dans ce moment elle le toucha de fa baguette , Sc il devint le petit Oifeau , qui potte encore aujourd'hui fon nom. Le roi Sc la reine qui voulurent 1'embrafler, ne touchèrent plus, qu'un Pincon , car le changement fe fit en un clin d'eeil : ils le prirent 1'un après 1'autre fur leur doigt; mais a peine eurent ils le tems de le baifer , car il prit fon vol en obéiffant aux ordres de la fée , qui prononca ces terribles parolcs : F as ou tu peux ^fais cc que tu dois ; les  Mignonnette. 419 larmes da roi & de la reine attendiirent un peu madame Grognon ; cependant elle les quitca , eii leur difant : auffi c'eft votre faute , voili comme vous êtes , & vous voyez ce que vous me faites faire ; en rognonant dans fa vinaigrette , tirée par fix pies , & par autant de geais, qui faifoient un bruit épouvantable en trainant la voiture. Madame Grognon fort échauffée de tout ce qui venoit de lui arriver , fe rendit au .confeil des fées qui fe tenoit ce jour la : elle fe trouva par hafard aux cótés de la bonne Praline; Sc comme il eft naturel de parler de ce. dont on eft occupé , elle 1'entretint de toutes les affaires du roi & de la reine , &c des peines qu'elle avoit eues pour établir quatorze enfans ; mais roujours en accufant le roi & la reine qu'elle grondoit, & auxquels elle parloient comme s'ils, avoient été préfens : elle finit par demander a Pialine fi elle n'auroit point a fa difpofition quelque royaume ou quelque princeffe qui put convenir au petit Pincon. Praline qui étoit la meilleure femme du monde , & qui condamnoit en elle même 1'humeur de madame Grognon , l'affura qu'elle s'en chargeroit volontiers , pjurvu qu'elle ne s'en mê'iat plus , & qu'elle lui petmït d'éprouver fon caractère & fes fentimens.Faites-. en tout ce qu'il vous plaira, lui répondit-elle , en parlant du nez plus que jamais, faites-en tout ce  4jó Mignonnette. qu'il vous plaira , pourvu que je n'en entende plus parler, & pour lors elle céda avec joie a madame Praline tous fes droits de féerie fur le petit Pincon : elles en pafsèrent même un aóte des plus authentiques. Praline frappée des rapports que la nature avoit mis entre Mignonnette 8c Pincon, réfolut de les examiner avec plus d'artention , dans le deffein de faire la fortune 8c le bonheur de cette petite fille; mais elle étoit preffée par le tems j car Ie jour de fon départ approchoit ; il falloit cependant ttouver Ie moyen de les laiffer fans inconvénient fur leur bonne-foi, ttavailler euxmêmes a leur établiflement. Son ptemier foin fut de courir après Pincon, qui, charmé de voler, & naturellement vif, paroifloit difficile a prendre , mais un jeune oifeau peut - il réfifter au pouvoir d'une fée ? Praline le prit aifément dans un trébuchet : elle le mit auffi-tót dans une belle cage , 8c le porta dans fon chateau; d'abord que le prince appercut Mignonnette , il reprit fa ptemière gaieté ; il battit des ailes, il fe mit aux barreaux de fa cage , faifant tous fas efforts pour les rompre &pours'approcher d'elle, quel plaifir pour lui de s'entendre dire par Mignonette : bonjour mon fils, bonjour mon petit ami; mon dieu , 'qu'il eft joli, & quel chagrin de ne pouvoir lui répcncke que par fon ramage;  Mignonnette. 431 mais il 1'adouciffoit, il le rendoit charmant, & lui donnoit toutes les marqués de tendreffe que peut donner un oifeau. Mignonette en fut touchée , fans avoir aucune idéé de la vérité , & dit (i naturellement a Praline qu'elle avoit toujours aimé les Pincons , en demandant celui ci avec emprefiement, que la féé le lui donna en fourianr. Touchée des impreflions de la nature , elle' lui recommanda feulement d'en avoit un grand foin ; Mignonnette le promit fans peine , Sc 1'exécuta avec plaifir. Le jour du départ de la fée étant arrivé , elle dit adieu a Mignonnette: ayez foin du Pincon , lui dit-elle , Sc fur-tout qu'il ne forte point de fa cage ; car s'il venoit a s'envoler , je me brouillerois avec vous , Sc vous feriez bien malheureufe. Pour lors Praline monra dans fon char de papier gris; fon chateau , fes domeftiques , fes chevaux & fes jardtns prirent avec elle le chemin des airs, Sc Mignonnette fe trouva feule Sc bien trifte dans une petire maifon de porcelaine , charmante a la vérité , mais quand on a du chagtin , a quoi fert une belle habitation. Le jardin préfentoit a tous les momens des cerifes , des grofeilles Sc des oranges , enfin tous les fruits imaginables , toujours murs & délicieux a manger. Le four , des petits gateaux , des bifcuits & des macarons, Sc 1'offïee étoir garni de toutes les  4} 1 M I G N Ö N N E T T E. conhtures que nous connoiifons;' tant de bonnes chofes étoient cap.ibles de confoler &c d'amufer; mais e'le s'appercut que le Pincon qui lui étoit fi cher , étoit toujours endormi dans fa cage. Elle alloit le voir a tous momens, fans qu'il donnat la moindre marqué de réveil. Elle faifoit en ellemême de fecrets reproches a la fée , de la priver d'une auffi douce confolation. Enfin après avoit tenté tous les moyens de le réveiller , elle prit fon parti , & voulut regarder 1'oifeau de plus pres, pour voir fi elle ne pourroit déeouvrir le myftère que devoit renfermer Ia conduite de la fée. Ce ne fut pas fans peine qu'elle forma cette refolution , 8c fans éprouver les remors 8c les craintes que l'on a toujours quand on fait quelque chofe qui nous eft expreffément défendu. Elle ouvrit plus d'une fois la cage , mais elle la refer~ moit auffi-tot : enfuite elle fe reprocha fa timidité , & devenant plus hardie, elle prit 1'oifeau dans fa jolie petite main ; mais d p"eine fut-il forti de fa cage qu'il s'envola , & fe pofa fur le bord d'une fenêtre que , pour comble de maux, elle avoit laiffée ouverte , tant elle étoit éloignée de prévoir cet accident. Saifie de trouble 8c de douleur , elle courut pour le reprendre ; mais le Pincon volant d quelques pas dans le jardin , elle le fuivit en fautant par la fenêtre , qui n'étoit d la vérité qu'au rez-de-chauffée ; mais elle étoit fi  Mignonnette. 433' trduhlée , qu'elle en auroit Fait atrfant d'un quatrième étage. Les difcours qu'elle lui tcnoit pour le reprendre , étoient auffi tendres que naïfs. Cependant le .pincon voloit toujours , d'aborcl qu'elle fe croyoit au moment de i'attraper. Nóft feulement il fortir de 1'enceinte de la maifon''; mais après avoir parcouru la campagne, il arriva fur le bord d'une grande forêt que Mignonnette n'nppercut qu'avec une douleur extreme , perfnadée qu'il étoit impoffible de rerrouver un Pincon dans une forêt. Cette inquictude ne 1'agira pas long tems, car roife.au fur lequel elle avoit toujours les yeux , devint en un moment; le prince qu'elle avoit vu dans fon enfance : quoi! c'eft vous, s'ccria-t - elle , & vous me fuyez ? Oui , c'eft moi , charmante Migndnnette , lui répondit-il; mais un pouvoir furnaturel m'obligeoit' a. vous éviter; je veux m'approcher de vous , & je fens qu'il m'en emnêche; en effet ils reconnurent qu'ils étoient obiigés d'être au moins éioignés de quatre pas. Mignonnette charmée , oublia promprement qu'elle avoit défobéi a la fée, 6c fes craintes fe calmèrent a mefure que l'amour s'empara dé fon cceur. N'ofant 1'un & 1'autre rerourner a la maifon dont ils venoient de partir, & de plus, n'en fachant pas trop le chemin , ils entrèrent dans la forêt; oü cueilllaut des noifettes, 6c fe faifant  4J4 Mignonnette. mille queftions fur ce qui leur étoit arrivé depuis" qu'ils ne s'étoient vus, fur la joie de fe revoir SC {at 1'efpérance de ne fe point quitter, 1'innocence de leur coeur auroit pu rendre leur entrevue dangereufe , fans la diftance qui leur étoit impofée. lis appercurent une maifon de payfan, Sc marchèrent de ce cuté pout y demander retraite pendant la nuit, en attendant le parti qu'ils prendroienr pour le lendemain. Ils ne furent pas long tems fans y arriver ; mais le prince, qui ne vouloit pas expofer Mignonnette, lui dit:attendez-moi fous ce grand arbre, je vais examiner la maifon , Sc voir qui fonr les gens qui 1'habitent. II quitta donc Mignonnette pour approcher d'une bonne femme qui balayoit le devant de fa porte ; il |ui demanda fi elle voudroitle recevoir pendant la «uitlui & Mignonnette; la vieille lui répondit : vous m'avez bien l'air d'ètre 1'un Sc 1'autre des enfans défobéiffans qui fuyez vos patens, & qui ne méritez pas que l'on ait aucune pitié de vous. Pincon rougit d'abord, mais il lui dit enfuite les chofes du monde les plus féduifantes; il lui offrit de travaiiler pour la foulager, il paria enfin comme un homme touché pour ce qu'il aime, & qui craignoit que Mignonnette ne pafsat la nuit dans le bois, expofée aux loups Sc aux ogres dont il avoit fouvent entendu parler. Pendant qu'il faifoit fon poffible pour fléchir la    Mignonnette. 435 vieille, le géant Chicottin, qui ehaffoit Tours dans la forêt, pa/Ta tout auprès de Mignonnette; il étoit le roi, ou plutót le tyran du pays. Mignon• nette lui parut charmante; mais il fut furprisdene •la pas trouver charmée de le voir; & fans lui dire autre chofe, il donna ordre a ceux qui le fuivoient, de prendre cette petite fille, & de la lui donner fous fon bras; il fut obéi, & piquant des deux, il gagna promptement le chemin de fa capitale; les cris ■de Mignonnette ne le purent attendrir, & ce fut alors qu'elle fe repentit d'avoir été défobéifante , -mais il n'étoit plus tems; ces mêmes cris inrerrompirent la converfation de Pincon & de la vieille; il la quitta brufquement; & courant au lieu oü il avoit fatfie Mignonnette , quelle fut fa douleur quand il la vit fous le bras du géant? II eft très-sür •que s'il avoit été avec elle au moment de cette •violence, qu'il auroit péri mille fois plutót que de fouffrir, mais il perdit proriiptement de vue -Chicottin & fa fuite ; & fans regarder autre chofe que la tracé dès chevaux, il matcha fur leurs pas. Le jour qui finir, ne lui permit pas d'aller plus loin, & Tobfcuriré de la nuit le plongea dans un état de douleur qui ne fe peut comprendre, il eft a croire même qu'il n'auroit pas eu la force d'y réfifter; mais s'étant' affis, il appercut a fes cotés une petite lumière qu'il prit d'abord pour un ver luifant auquel il ne fit pas  43 6 Mignonnette.' d'attention. Cette Iumièïe augmenta fi confidcrablement dans la fuite, quelle devint al-fez grande pour renfermer une femme vêtue de brun , qui lui dit : confolez - vous, Pincon, ne vous abandonnez point au défefpoir ; prenez cette gourde & cette pannetière, vous les trouverez toujours remplies de ce que vous aurez envie de boire 8c de manger; gardez encore cette petite baguette de noifeder , & mertez-!a fous votre pied gauche •, nommez - moi toutes les fois que vous aurez befoin de moi, & je viendrai a verre fecours; ce chien qui m'accompagne a ordre de ne vous point quitter, vous pourrez en avoir befoin ; adieu, Pincon, coutinua-t-el!e, je fuis la bonne Praline. Tant de bontés & de préfens n'avoient que foiblement touché le prince; mais a ce nom dont Mignonnette 1'avoit entretenu , il embraffa les genoux de la fée, en lui difant : ah! madame, on enlève Mignonnette ; fe peut-il que vous foyez occupée d'autre chofe que du fecours que vous lui devez : je fais ce qui vient de lui arriver, pourfuivit la fée; mais elle m'a défobéi, je n'en veux plus entendre parler, vous feul la pouvez fecourir. A ces mots la lumière s'éteignit, 8c Pincon ne vit plus rien. Au milieu de fa douleur, il fe trouva flatté d'ëtre le feul qui put être a Mignonnerre; cependant mille idéés de jaloufie & d'inquiétude le tourmentèrent, 8c les  MtGNÓNNÈtTè; 437 les carreffes de fon nouveau chien ne furent pas capables de difliper un feul moment fa douleur. Le jour qu'il attendoit avec tant d'impatience arriva; il continua fon chemin avec une fi gtandö ardeur, qu'il arriva le foir même a Ia capitale du géant, oü tout le monde ne parloit quë de la beauté de Mignonnette * & de l'amour que Chi~ cottin avoit pour elle. On difoit que le roi 1'épouferoit incelfamment; on ajoütöit que l'on faifoit déja la maifon de la nouvelle reine; car le peuple entaffe les faits, & les augmente avec aurant de facilité qu'un amant inquiet fe les perfuadei Ces nouvelles percoient Ie cceur de Pincon; &ceux avec lefquels il s'étoit entcetenu, le voyant avec la pannetière, difoient tous : vcila un joli bef ger; que ne va-t-il garder les moutons du roi* aufli bien en a-t-il befoin d'un, &c cettainement On lui donneroit cette charge fi Pon favoit feulement qu'il füt a louer; ees difcours joints a 1'envie qu'il avoit de s'approchet de Mignonnette , 1'engagètent a s'aller préfenter au roi pour garder fes moutons; en effet, Chicottin 1'ayantexaminé, 1'en trouva très-capable; & comme il ne fit au»* enne difncuhé fur ce qu'on lui donneroit pour fes peines, il fut recu berger du roi; mais cette charge ne 1'appfochant pas beaucoup des appartemens, il n'en fut pas beaucoup plus avancé; il entendoit feulement dire dans la maifon qu* Tomé XXIF. £ e  45S Mignonnette. Chicottin étoit fort trifte, paree que Mignonnettó 'ne 1'aimoit point. Ces nouvelles le confoloient uu peu j mais quelques jours après, eu conduifant fon troupeau.ü vit fortir du palais unchar d toute bride , dans lequel il reconnut Mignonnette, environnée de douze nègres a cheval qui tous avoient de grands fabres d la main j oucourezvous,ieur crja Pincon, le plus inutitement du monde , en leur prélentant le fe: de fa houlettc ? Mignonnette , appercevant Pincon dans un fi «rand pérü, pe?4it connoiifauce, & Pincon demeura fans aucun fentiment. Quand il eut repris fes fens, il eut recours a fa baguette , & Praline arriva. tont auffi-tot. Ah! madame, lm dit - il , Mignonnette eft perdue, peut-êcre elle ne v.t plus. Non, lui répondit la fée; Chicottin, mccontentde la facon dont elle lui répondoit, & de la fidélité qu'elle vous garde, la fait conduite dans la tour fombre, c'eft d vous a trouver les moyens d'y entrer; imaginez, & je vous feconderai; fongez feulement qu'ayant été déja oifeau, je ne puis vous donner cette forme; au refte', je vous avertis que Mignonnette aura ' beaucoup a fouffrir, car cette tour eft une terrible prifonymais elle eft traitée comme elle le mérite , pourquoi m'a-t elle défobéi, dit - elle, & elle'difparut. Le prince, ou plutot fon chien , conduifit. triftement les. moutons du roi fur le  Mignonnette. 4^ chemin qu'avoit pris le char de Mignonnette ; li ne fut pas long rems fans appercevoir cene funefte tour; elle étoit au milieu d'une plaine, & n'avoit ni potte ni fenêtre; on n'y pouvoir entrer que par un chemin pratiqué fous terre, dont 1'ouverture étoit cachée dans la montagne voifine, & dont il falloit favoir le fecrer. Pincon fut bien heureux d avoir un chien auffi hahile que celui que la fée lui avoir donné, car il faifoit route la befogne, & pour lui fes yeux étoient continuellemeut attachés fur la tour fombre. Plus i! 1'examinoit, & plus il éroit convaincu de 1'impoffibilité de s'y pouvoir introduire ; mais l'amour, qui vient a bout de tout, lui en foutuit enfin les moyens. Après avoir mille fois regretté fon ancien état de Pincon, dont il n'avoit jamais fut d'autre ufage que celui de voler indifféremmenr, il conjura la bonne fée Praline de le changer en cerf-volant; elle y confentir , & donna le pouvoir a fon chien de 1'exécuter. Après avoir aboyé trois fois, il prenoit la baguette de Noifctier dans faguenle; & touchant ie prince , il devenoit cerf-volant , ou ceffoit de 1'être, fuivant 1'occafion; enfuite, par le fecours de ce' même chien, dont 1'adreffe & la fidéiité étoient extrêmes, il fe fitenkver, & parvint aifément fur la rour. Quelle joie pour lui que celle de fe voir auprès de Mignonnette, dentendreles af- Ee ij  440 M I « N O N N S T T I. furances de fon amour •, & quel plaifir il reffcn^ toir (car il avoit confervé 1'ufage de la parole ) 4 lui témoignec fa reconnoiifance des fentimens qu'elle avoit pour lui, & de la couronne qu'elle avoit refufée pour l'amour de lui. Il auroit aifément oublié qu'il ne pouvoit pas toujours demeurer fur la tour, & qu'il étoit obligé de mener fon troupeau, fi le chien plus attentif 1 fon devoir qu'il ne 1'étoit lui-même, n'avoit eu le foin de retirer la corde quand il en étoit tems. Pour lors Pincon étant arrivé a terre , reprenoit fa jolie figure , & conduifoit fes moutons au palais du roi, n'étant occupé q«e de 1'inftanl heureux qui 1'amenoit auprès de Mignonnette ; aufli les jours qu'il n'y avoit point de vent pour 1'enlever, fa douleur étoit-elle extréme, mais il avoit du moins la confolation de penfer que Mignonnette partageoit fon cbagrin. Ils fe virent, & fe parlèrent quelques tems de cette forte; mais enfin , comme il y a toujours des gens qui fe mêlent de ce qui ne les regarde pas, d'autres qui veulent être inftruits, & qu'il s'en ttouve encore en plus grand nombre de ceux qui veulent faire leur cour , le cerf-volant fut remarqué-, on le vit s'arrêtet fur la tour fombte, & l'on en rendit compte 4 Chicottin, qui vint au plutbt dans la plaine, téfolu de punir les téméraires qui ofoient par cette voie , faire tenit des lettres a Mtgnon-r  Mignonnette. 441 nette ; car il n'imaginoit pas que le cerf - volant püt être utile a aucune autre chofe. Mignonnette Sc Pincon s'entretenoient alors le plus tendrement du monde, & cette converfation fi douce fut interrompue par la vivacité avec laquelle le chien fidelle enleva promptement le prince; il en agiffoit ainfi, paree que Chicottin couroit a lui après avoir crié plufieurs fois : oü eft le berger? oü eft le berger? II faut que je le tue, puif» qu'il ne m'a p.js avetti de tout ce qui fe paffe ici ; 8c le chien craignanr avec raifon que le géant en lui prenant la corde qu'il tenoit dans fa gueule, ne difposat a fon gré du prince auquel il étoit fott attaché, prit le jarti de la lacher, & d'abandonner le cerf-volant a 1'effort du vent, qui ce jour la, fe trouvoit d'une grande force. Le cerf-volant alla tomber a plus d'une lieue fut la montagne, & le chien eut encore le tems de fe charger de la gourde, de la pannetière & de la baguette de fon maitre, avant que Chicottin 1'eüt approché : il lui fut aifé d'éviter fa pourfuite; 8c remarquant le lieu oü le prince étoit tombé, il le joignit en un inftant, 8c il lui fit aufli-tot reprendre fa première forme. Ils fe cachèrent Pim 8c 1'autre fans peine dans la montagne, a la faveur de la nuit qui furvint, tandis que Chicottin , écumant de colère , fut obligé de ramener lui-mëme fes moutons a fon palais j 8c pour em- Ee iij  44* Mignonnette. pêcher que perfonne n'approchat de Mignoiv nette, il fit venir toutes fes armées dans la plaine, en leur ordonnant de faire fentinelle jour Si nuit, -& d'empécherqui que ce put ëtre d'approcher de la tour fombre. Pincon voyoit tout cela de la montagne oü il étoit demeuré; & ne penfant qu'aux moyens dele délivrer de Mignonnette, il invoqua de nouveau le fecours de Praline; mais quand le prince lui eut demande des armées pour combartre celles du roi Chicottin, elle difparut fans lui rien dire, en lui laiifant feuiement une poignée de verges &. un grand fac de dragées. 11 eft bien difficile d'entendre raillerie quand on fe croir plaifmté fur la chofe qui touche le plus; cependant le prince ne témoigna aucune humeur du ridicule de ce préfent; mais avec cette confiance que l'on doit avoir pour les fées, & rempli de celle que l'amour fait donner, il prir le fac fous fon bras gauche, mit a fa main droite fa poignée de verges , Sc fuivi de fon chien, il marcha fiéremenc aux ennemis. A mefure qu'il en approchoir, il voyoit que leur taille -diminuoit, & que leurs rangs s'ébranioient; furpris de cet événement, quand il fut a portée de fe faire entendre , & qu'il reconnut clairement que tous ces grands foldats Sc tous ces grenadiers! mouftaches étoient devenus des enfans de quatre ans , il leur cria en faifan: la gtoffe voix : ren-  Mignonnette; 443- dez-vous tout-ad'heure , ou le fouter; pour lors prefque toute l'armée plia devant lui, & s'enfuit en pleurant. Le chien qui courut après , acheva ds les merrre en défordre, & de les épouvanter. II donna des dragées a tous ceux qu'il put joindre; 6z, par ce moyen, ils devinrent foumis a fes ordres, & dérerminés a le fuivre par - tout. L'exemple de ceux-ci en ramena plufieurs de ceux qui avoient pris la fuite; de facon que non feulement Chicottin n'eüt plus d'armée pour fe défendre, mais que Pincon en commandoit une formidable , car rous ceux qui s'étoient donnés a lui de bonne foi, reprenoient leur taille 8c leur force. Chicottin arriva fur la tin de 1'affaire, pour être témoin de la perte de fon armée; 8c malgré fa force & fa grande taille, a la vue de Pincon, il devint non feulement tout an!Ti enfant que les autres, mais encore un tres petit nain , avec les jambes croches; le prince lui rit fidre un bonnet a. la dragonne , & un habir de livrée Wéé des manches pendantes, pour le mettre en état de porter la queue de Mignonnette dans les cpparremens. Le premier foin de Pincon , après eefre grande viétoiro, fut celui de courir promotement a lëntrée de la tour fombre, Sc de délivrer Mignonnette. \lors 1'éloignemcnt auqnel ils étoient condamnés , ne fübliftoit plus; les inquiétudes qu'elle avoit eues en dér nier Iten pour £e iv  444 MlSKOKNETT*.' Ie cerf volant l'avoient fi prodigieufement abafe tue, qu'elle n'étoit pas reconnoiffable; mais le plaifir de retrouyer la liberté, & celui de la de-* •yoir d un amant aimé, la rendirent en un moment plus jolie qu'elle ne 1'avoit jamais été. Mignon-» nette & Pincon commencoient d sëntretenir, qu-md ils furent arrivés dans la ville avec cette joie que l'on éprouve après les heureux événemens, lorfque Praline 8c madame Grognon arrivèrent de différem cbtés, & chacune dans leur voiture, Ces heureux amans marquèrent aux fées leur re-? connoiffance, & les prièrent de décider de leut fort, Madame Grognon leur répondit : pout moi, je vous déclare que je ne me fuis point mêlé de vous; il faudroit être folie pour fe char-? ger de pareille marchandife, auffi je n'en prendrai pas le moindre foin; eft-ce que je n'en ai pas alfea de toute votre familie, ajouta t-elle? Qui jamais a eu tant de parens que vous en avez, en pregnant Pincon a parti ? Encore quels parens ? Ma foeur, ki dit Praline avec douceur, vous favez Ros conventions, ayez feutement la bonté d'en" voyer chercher le roi & la reine, & mandez leur d'amener le charbonnier, je me charge de toni le refte ; c'eft-a-dire , lui répondit madame Gro» gnon, que je fuis ici le fiacre de la nóce. Eh non, ma foeur, lui repliqna Praline; mais fi vous ne youlezpas vqus charger de ce foin, ayez feu'e?  Mignonnette. 445 ment Ia bonté de le dire, Sc j'irai s'il le faut. Madame Grognon en difant toujours, voila une belle commiflion, voila une belle chienne de commiffion, ordonna a fa Vinaigrette (qui s'élargiflbit fuivant le befoin) d'aller chercher le roi, la reine &le charbonnier; Sc pendant que Praline embraffott & carreiToit ces aimables enfans, elle rencontra Chicottin , devenu petit laquais; car pour gronder, tout lui étoit bon, Sc dieu fait tout ce qu'elle lui dit, combien elle lui reprocha d'avoir eu de 1'humeur & de la vanité; vous en voila puni, lui dit-elle, & c'eft bien fair, car perfonne ne vous plaint, & tous vos fujets fe moquent a préfent de vous; ils s'en font bien toujours moqués, mais c'étoit tout bas; a préfent vous n'avez qua les écouter. Elle profita de cette diffipation que le hafard lui avoit donnée jufqu'a 1'arrivée du roi Sc de la reine, auxquels elle dit en débarquant : ce n'eft pas moi toujours qui vous fait venir ici, & je fuis bien fachée de vous y voir, car vous allez devenir plus difficiles a vivre que vous ne 1'avez jamais été: on ne pourra plus vous parler; oh bien, ce ne fera pas moi qui vous donnerai des confeils; ils feroient jolimenc écoutés , vous en donnera qui youdra; mais peu m'importe, voila ce que j'y trouve de meilleur. AHons, pafTez la^dedans, vous en mourez d'envie, Sc je vois cjairement que je vous fuis infup-  44 Mignonnette7. portable ; mais tout cela fe retrouvera fur ma parole. Et regardant le charbonnier : ne voila r-il pas, dit elle , un bel objet, pour être k la noce d'un prince? II n'étoit pas homme a demeurer fans replique, non plus qu'a fe contraindre fur la vérité; mais heureufement la bonne Praline intetrompit la converfation, en prianr la compa4gnie d'entrer dans le palais. Elle ne put jamais obtenir de madame Grognon de demeurer dans un lieu oü la joie éclattoit de toutes parts; en effet, en nazillant, en marmotant k voix baffe plufieuts chofes a la fois , elle remonta dans fa voiture, & quitta la compagnie. Mignonnette embraffa mille fois fon cher papa, a qui rien n'avoir manqué ; car Praline lui avoir donné la maifon de porcelaine, dans laquelle il avoit fouvent recu & régalé le roi & la reine. Ils embrafsèrent leut cher petit Pincon , & confentirent au mariage de Mignonnette que Praline leur propofa. Après avoir difpenfé les fujets de Chicottin du ferment qu'ils lui avoient prêté , elle fit teconnoitre Pincon, qui fe trouva par ce moyen , roi d'un beau & grand royaume, & mari de la jolie Mignonnette dont il eut de beaux enfans bien fages qui furent auffi rois & reines, tant il eft vrai qu'une fille bien fage & bien jolie fait fa fortune & celle de fes parens.  447 1/ E N CHA NT EMENT IMPOSSIBLE, CONTÉ ' Ïl étoit une fois un roi fort aimé de fes fujets, & qui de fon cóté les aimoit beaucoup. Ce prince avoit une répugnance infinie pour le mariage, & ce qui eft encore de plus étonnant, l'amour n'avoit jamais fait la plus foible impreflion fur fon cceur. Ses fujets lui repréfentèrent avec tantd'inftance la néceftité de fe donner un fuccefleur, que le bon roi confentit a leur demande. Mais comme toutes les femmes qu'il avoit vues jufqu'alors ne lui avoient pas infpiré le plus foible déiir, il réfolut d'aller chercher dans les pays étrangers ce que le fien n'avoit pu lui préfenter; & malgré les plaifanteries aigres & piquantes des belles & des laides femmes de fon pays, il entrenrir fes voyages, après avoir donné une forme auffi tranquille que foüde au gouvernement de fes états. 11 ne voulut être accompjgné que d'un  4+8 L' Enchanté mint feul écuyer , homme de très-bon fens, mais qut n'avoit pas beaucoup de brillant dans 1'efprit. Ces fortes de compagnies ne font pas les plus mauvaifes en voyage. Le roi patcourut inutilement plufieurs royaiimes, en faifant tous fes efforts pour devenir amoureux, mais fon heure n'étant pas encote venue , il reprenoit le chemin de fes états, après deux ans d'abfence & de fatigues , 8c revenoit avec la même indifférence qu'il avoit emportée de fon pays. Quoi qu'il en foit, en traverfant une forêt, il entendit un miaulement de chats épouvantable. Le bon écuyct ne favoit que penfer du commencement d'une telle aventure. Toutes les hiftoires de forciers qu'il avoit entendu raconter lui revinrent alors dans 1'efprit. Pour le roi, il fut affez ferme : le courage & la curiofité 1'engagèrent a attendre quelle feroit la fin d'un bruit auffi éttange que défagréable. Enfin , le bruit s'approchant toujouts du lieu ou ils étoient , ils virent paffer cent chats d'Efpagne qui traversèrent la forêt fous leurs ,syeux. On les auroit couverts d'un manteau , tant ils étoient bien ameutés , & tant ils étoient bien fur la voie. Ils étoient appuyés par deux des plus grands finges que l'on ait jamais vus. lis portoient des furtouts de couleur amaranre ; leurs bottes étoient les plus jolies du monde , & les mieux faites. ils étoient montés fur deux fu-  1 M P O S S I B L H. 4^ psrbes dogues d'Angleterre, & piquoienr a toute bride en foufflant dans de petites trompettes de la fóire. Le roi furpris dun telfpectacle* les regafdoit avec attention , quand il vit paroïtre une vingtaine de petits nains, les uns montés fur des loups cerviers , & menant des relais; d'autres k pied, qui conduifoient différens couples de chats, Ils étoient vetus d'amaranre comme les piqueurs; cette couleur étoit la livrée de Icquipage. Un moment après il appercut une jeune perfonne charmante par fa beauté, & l'air fier avec lequel elle monroit un grand tigre, dont les alures éroienr admuables. Elle paffa devant le roi, courant 4 toute bride, fans s'arrêter & fans menie le faluer; mais quoiqu'elle eüt k peine jeté les yeux fur lui, il fut enchanté d'elle, & fa hberté difparut comme un éclair. Dans le trouble qui le faifit alors , il appercut un nain écarté de 1'équipage, & demeuré derrière les autres ; ce fut a lui qu'il s'adreffa, avec cette prévenance que donne la curiofité de 1'amou* pour s'infrruire de ce qui le touche. Le nain lui apprit que la perfonne qu'il venoit de voir, étoit la princeffe Mutine, fille du roi Prudent, dans les états duquel il fe trouvoit. II lui apprit encoro que cette princeffe aimoit beaucoup la chaffe, & qu'd venoit de voir paffèr fon équipage du lapin, Le roi ne s'informa plus que du chemin qu'il de;  450 L' Enchanté ment voir prendre pour fe rendre a la cour. Le nain le lui montra , &c piqua des deux pour rejoindre la chafle; & le roi, par une impacience qui accompagne toujours un amour nailfant, piqua de fon cóté , & fe trouva en moins de deux heures dans Ia capitale des états du roi Prudent. II fe fit préfenter au roi & a la reine , qui le rccurenr a bras ouverts, d'autant mieux qu'il déclara fon nom & celui de fes états. La belle Mutine revinc de la chaffe quelque tems après cette préfentation. Ayant appris cjue ce jourda elle avoit forcé deux lapins, il voulut la complimentet fur une chaffe auffi heureufe ; mais la princefle ne lui répondit pa; un mot. Il fut un peu furpris de ce filence ; cependant , il le fut encore plus, quand il vit que pendant le fouper elle n'en dit pas davantage. Il s'apper^ut feulement qu'il y avoit des momens oir il fembloit qu'elle vouloit dire quelque chofe ; mais il remarqua que le roi Prudent ou la reine fa femme ( ne buvant jamais en même tems ) prenoient auffi-tbt la parole. Ce filence n'empêcha pas fon amour d'augmenter pour Mutine. Le roi fe retira dans le bel appartement qu'on lui avoit deftiné , & ce fut la que le bon écuyet ne fut point emporté par la joie de voir fon maitre amoureux II ne cacha point au roi qu'il en étoit faché. Et pourquoi ce chagrin, lui répondit le roi ? Ia princefle eft fi belle; c'elt afsurément tout ce que  IMPOSSIBLï. j* pouvois défirer. Elle eft belle, dit le bon écuyer; mais pour être heureux, il faut autre chofe en amour que de la beauté. Tenez, fue, ajoura-t-il, elle a quelque chofe de dur dans la phyfionomie! C'eft de la fierté, s'écria le roi, & rien ne fied mieux d une belle perfonne. Fierté , dureté, coiirmuaPécuyer, tont comme vous levoudrez; mais le choix qu'elle a fait pour fes plaifirs, de tanr d'ammaux malfaifans, eftamon fens, unepreuve convaincante de fa férocité naturelle. De plus , Fattention avec laquelle on lëmpêche de parler' men fort fufpecte: le roi fon père n'eft pas nommé Prudent pour rien : je me dcfie même de ce nom 4e Mutine ; il ne peut être qu'un adouciffemenn ou qu'un diminutif des impreflions qu'elle a données : car vous le favez mieux que moi, il n'eft que trop d'ufage de flatter les défauts des perfonnes de fon rang. . Les réflexions du bon écuyer étoient fenfées 5 mais comme les difficultés ne font qu'augmenter l'amour dans le cceur de tous les hommes , 8c fur-tout dans celui des rois , qui n'aiment point 4 Être conrredirs.celui-ci, dès le lendemain , demanda la princeffe en mariage. Comme l'on avoit été mftruit de 1'indifférence du roi, le triomphe étoit complet pour les charmes de Mutine. La princefle lui fut accordée , mais-a deux conditions : la première , que le maiiagefe feroit dès-  '451 L' Enchanté ment le lendemain: la fecor.de, qu'il ne parleroit póiriC a la princeffe qu'elle ne fut fa femme. L'on donna pour cette fois a ce filence, le ptétexte du prefnier vceu qui vint en penfée, &C ce vceu fut trouvé par le toi, la pretive d'un cceur véritableitlent rein gieux. Ces grandes ptécüutions furent encore 1'oc^ cafion de fort grands difcours que tint 1'écuyef, mais ils ne firent pas une plus grande impreffiori que ceux qui les avoient précédés. Le roi finir ; après les avoir écoutés, en lui difant: J'ai eu tant de peine a devenir amoureux , je le fuis , que diable veux-tu ? Je m'y tiendrai. Le refte dü jour fe paffa comme le lendemain , en bals & en feftins. La priricefTe affifta a tout, fans profet er une feule parole, & le premier mot qu'il lui entendir prononcer, ce fut ce oui fatal qui 1'attachoit a lui pour toute fa vie. Dès qu'elle füt mariée , elle ne fe contraignit plus, & la première journée ne fe paffa pas fans qu'elle eut fait une diftribution d'injures & de fottifes trés - étoffées a fes dames d'honneur. Enfin , les paroles les plus douces dont elle accompagnoit le fervise du monde le plus difficile , n'avoient point d'autre caradtère que celui de 1'humeur & de la brnfquerie. Le roi fon mari ne fut pas plus exempt que les autres de ces facons de patier; mais comme tl étoit amoureux, & que d'ailleurs il étoit bon homme , il fouffrit tout patiemmenti Peu  I M P 0 S S I B L E. Pea de jours après leur mariage, les nouveaux mariés prirent le chemin de leur royaume, Sc Mutine ne fut regrettée de perfonne dans les états du roi fon père. L'accueil que Prudent avoit toujours fait aux étrangers, n'avoit eu pour motif que 1'efpérance d'un amour parci! a celui que fa fille venoit d'infpirer , Sc celle d'une paffion qui fut affez forte pour faire paffer par-deffus la connoiffance de 1'efprit Sc du caractère. Le bon écuyer n'avoit eu que trop de raifon dans fes remontrances , Sc le roi s'en appercut trop tard. Tout le tems que la nouvelle reine fut en chemin , elle fit éprouver a toute fa fuite le défefpoir, la douleur Sc 1'impatience; mais quand une fois elle fut arrivée dans fon rovaume, fon humeur & fa méchanceté redoublèrent encore. Au bout d'un mois de féjout dans fes états , fa réputation fut parfaite; il n'y eut plus qu'une voix pour la regarder comme la plus méchante reine du monde. Un jour qu'elle monta a cheval', Sc qu'elle fe promenoit dans un bois voifin de fon palais , elle appercut une vieille femme qui marchoit a pied, Sc qui fuivoit le grand chemin; elle étoit iimplement vêtue. Cette bonne femme , après hu avoir fait la révérence de fon mieux, continua fa route y mais la reine qui ne cherchoir qu'une TomsXXfK Ff  454 U Enchanté ment occafion pour exhaler fon humeur , erivoya un de fes pages courir après elie, & fe la fit amener, Quand elle fur en fa préfence , elle lui dit: je te trouve bien impertinente , de ne m'avoir pas fait une révérence plus profonde ? Sais-tu que je fuis la reine ? Peu s'en faut que je ne te falfe donner cent coups d'étrivières. Madame , tüi dir la vieille , je n'ai jamais trop fu qu'elle étoit la mefure des révérences j il eft affez app.irent que je n'ai pas voulu vous manquer. Comment, reprit la reine , elle ofe répondre ; qu'on latfache tout a 1'heure a la queue de mon cheval , je vais la mener bon train chez le meilleur maitre a danfer de la ville , pour lui montrer a me faire la révérence. On exécuta 1'ordre de la reine. La vieille cvioit miféricorde pendant qu'on 1'attachoit; ce fut en vain qu'elle fe vanta de la prorection des fées , la reine ne tint pas plus de compte de ce dernier propos que des autres \ j'en fais autant de cas quedetoi, lui dit-elle, & quand toi-meme tu ferois unc fée , j'en agirois comme je fais. La vieille fe lailfa patieinment attacher a la queue du cheval , & quand la reine voulut donner un coup d'éperon, il devint immobile: ce fut ihfitïlement qu'elle redoubia les coups de talon , il étoit devenu cheval de bronze. Les cordes qui attachoient la vieille , fe changèrent  IMPOSSIBLIE. 4^ en un moment en guirlandes de fleurs , & la vieille elie-même parut tout d'un coup haute de hdit pieds. Pour lors regardant Mutine avec des yeux fiérs & dédaigneux , elle lui dit : méchante femme , indigne du nom de reine que tu porres , j'ai voulu juger par moi-même fi ut méritois la maüvaïfe réputation que l'on fa donnée dans ie monde. J'en luis convaincue ; tu vas juger fi les fées font auffi peu redourables que tu viens de ie dire. Auffi -tot la fée Paifible ( car c'étoit eile - même) fiffla dans les deux doigt de fa main , & l'on vit arriver un charrior tiré par fix aurruches les plus belles du monde , & dans ce charrior l'on reconnut la fée Grave , plus grave eycore que fon nom. Elle ét.iit alors ia doyenne des fées, & préiidoir. aux affaires qui regardoient le corps de la féerie. Son efcorte étoit compofée d'une douzaine d'autres fées montées fur des dragons a courte queue. Malgré 1'étonnement que lui caufa 1'arrivée des fées , la reine Mutine ne perdit rien de l'air orgueiiieux & méchant qui lui éroit fi naturel. Quand cette brillante compagnie eut mis pied a terre , la fée paifible leur raconra toute fon aventure. La fée Grave qui faifoit fa charge avec beaucoup de févérité , approuva la conduite de Paifible; enfuite elle opina pour que la reine fur transformée dans le même métal que fon  •45 £ L' Enchanté ment cheval ; mais la fée Paifible ne fut point de cet avis, par une bonté fans exemple. Elle adoucit toutes les voies rigoureufes qui tendoient a la punition de la reine. Enfin graces a cette bonne fee , elle fut feulement condamnée a devenir fon efclave jüfqu'a ce qu'elle fut accouchée , car j'avois oublié de dire qu'elle étoit au commencement d'une groffeffe. Ce même arrèt qui fat rendu en plein champ , ordonnoir que 1'enfanc qu'elle mettroit au monde , demeureroit efclave de la fée, en fa place, & qu'après fes couches la reine auroit la liberté de retourner auprès du roi fon mari. On eur la politede de faire fignifiee au roi l'airêt qui venoit d'ëtre rendu. 11 fut obligé d'y confentir; mais quand il s'y feroit oppofé , qu'eut pu faire le bon prince ? Après cette juflice, les fées retournèrent chacune a leurs affaires , & Paifible attendit un inftant fon équipage qu'elle avoit envoyé chercher. C'étoit un petit char de Jais de plufieurs couleurs, tiré par fix biches blanches comme la neige , parées de houffes de fatin vert brodé d'or. D'un coup de fa baguette les habits de la reine furent changés en,vêtemens d'efclave. Dans cet équipage on la fit monter fur une mule quinteufe , & ce fut au grand rrot qu'elle fuivit le char de la fée. Au bout d'une heure de rrot, la reine arriva dans la maifon de Paifible. Elle étoit, comme  TMPOSSIBÏ.E. 457 t>n 1c peut croire , dans une grande afinction , mais fon orgüeil Pempêcha de verfer une feule larme. La fée 1'envóya a la cuifine pour y travaiiler , après lui avoir donné le nom de Furieufe , celui de Mutine étant trop délicat pour les méchancetés auxquelles elle éroit portee. Furieufe, lui dit la fée Paifible , je vous ai fauvé la vie , &c peut-être ma confcience en fera-t-elle chargée ; je ne veux pas vous accabler de travail, a caufe de Fenfant dont vous ètes groffe , 8c qui, comme vous le favez , doit être mon efclave ; je tous retire de la cuifine , 8c je vous charge du foin de balayer mon appartement, 8c de celui de ne pas laiffer une puce a ma petite ehienne Chriftine. Furieufe comprit aifément qu'il n'y avoit point a appeler d'une telle ordonnance ; elle prit donc le fage parti de s'acquitter exadtement de ce dont on 1'avoit chargée pendant le tems de fa grodeffe. Quand ce tems fut fini, elle accoucha fort heureufement d'une princeffe belle comme le jour, & lorfque fa fanté fut rétabüe, la fée lui fit un grand fermon fur fa vie paffee , lui fit promettre d'ëtre plus fage a 1'avenir, 8c la renvoya au roi fon mari. L'on peut juger par les bontés que la fée Paifible avoit eues pour une fi méchante reine , de toutes les attentions qu'elle eut pour la jeune princeffe qui lui étoit demeurée entre les mains. Elle Ffiij  45 8 L'Enchantement en vint jufqu'a Paimer a la folie , c'eft ce qui Fengagea a la faire douer par deux autres fées. Elle fut long-tems en balance fur le choix des deux marraines auxquelles elle prendroit confiance, car elle craignoir que le reffentiment qu'elles avoient toutes contre la mère , ne s'étendit jufques fur la fille. Enfin , elle penfa que les fées Divertiifante & Eveillée n'avoient pas naturellement autant d'humeur qtie les autres. D'abord qu'elle les eut fait avertit, elles arrivèrent dans une berline de fleurs d'Iralie , tirée par fix bidets gris, dont les crins étoient du plus beau couleur de feu. L'Eveillée étoit habiliée de plumes de perroquet, & coitfée en chien fou. Pour la fée Divertiifante , elle avoit une robe de peau de caméleon qui la faifoit paroifre de toutes les couleurs imaginables. Paifible les recut 1'une & 1'autrc a merveille, & pour les engager a faire ce qu'elle attendoit d'elles, l'on m'a fort affuré qu'elle les mit (dans le bon foupé qu'elle leur donna) un peu en pointe de vin. Après de fi fages précautions , elle leur fit apporter ce bel enfanr. II étoit dans un berceau de criftal de toche ; fes langes étoient d'écarlate brodés d'or ; mais fa beauté brilloit cent fois plus que fon ajuftement. La petite princefle fourit devant les fées, & leur fit de petites careffes qui la rendirent fi agréable, qu'elles réfolurent de la mettre a 1'abti, autant qu'elles le pourtoient, de la colère de leurs  IMPOSSIBLE. 45 5> anciennes. Elles commencèrent par lui c'onner le nom de Galantine. La fée Paifible leur dit enfuite : vous favez que les chltimens que nous employons le plus ordinairement parmi nous & qui font le plus en ufage , confifrent a cbanger la beauté en laideur, 1'efprit en imbécillité, & le plus fouvent , d'avoir recours a la métamorphofe ; comme il ne nous eft pas poflible a chacune de douer de plus d'un don, celle que nous voulons obliger , mon avis eft qu'une de nous donne a ce bel enfant la beauté, que 1'autre lui donne 1'efprit , & quant a moi, que je la doue de ne pouvoir jamais changer deforme. Cet avis fut trouvé bon , & s'exécuta fur le champ. Lorfque Galantine eut été douée , les deux fées s'en retournèrent , & Paifible employa tous fes foins a I'éducation de la petite princeffe. Jamais foins ne furent employés plus heureufement ; car a quatre ans, fa grace & fa beauté faifoient déja grand bruit dans le monde. Elle n'en fit que trop ; car cette affaire ayant été rapporrée au confeil cL?s fées , Paifible vit un jour arriver dans la cour de fon palais la fée Grave montée fur un lion. Elle portoit une robe longue fort ampie, & par conféquent forr plilfée , dont la couleur étoit bleue célefte. Elle étoit coiffée d'un bonnet quarré de brocard d'or. Paifible Ia reconnat avec autant d'inquiétude que de chagrin , car fon habdiement & ï f iv  '4 L' Enchanté ment fa monture lui prouvoient qu'elle vouloit rendre* quelque arrêt; mais quand elle appercut que la fée Réveufe la fuivoit montée fur une licorne, & qu'elle éroir habillée de maroquin noir doublé de tafferas changeant, &c pareillement coiffée d'un bonnet quarré , elle ne douta plus que cene vifite n'eüt quelque morif bien férieux. En efftr, la fée Grave premnt la parole, lui dit: Je fuis fort furprife de la conduite que vous avez tenue a 1'égard de Mutine 5 c'eft au nom de tout le corps des fées qu'elle a offenfé que je viens vous en faire des rèproches. Vous pouvez pardonner vos offenfes particulières , mais vous n'avez pas le même droit fur celles quiregardent tout le corps 'y cependant , vous Favez traitée avec douceur & avec bonté pendant tout le tems qu'elle a été chez. vous y ainfi, je viens pour exécuter un ordre equïtable , & punir une fille innocente des torts d'une mère coupable. Vous avez voulu qu'elle füt belle & fpirituelle , & d'un autre coté vous avez mis ©bftacle aux métamorphofes , je faurai bien 1'empëcher de jouir pendant toute fa vie de ces avantages dont vous Favez ornée , & que je ne puis lui óter. Elle ne pourra fortir d'une prifon enchantée que je vais lui conftruire, qu'elle ne fe foit rendue aux defirs d'un amant aimé. C'eft mon affaire d'empêcher que la chofe ne puiffe arriver. L'enchantement confiftoit dans une tout fott  ÏMPOSSIBtE. ^(Jl haute & fort Iargë, batie de coquillages de toutes les couleurs, au milieu de la mer. Au rez-dcchaiuTée il y avoit une grande falie pour les bams , oü l'on faifoit entrer lëau quand on fe vouloit. Cette falie étoit entourée de gradins &t de tablettes fur lefquels on pouvoit fe prbmenet a pied fee. Le premier étage compofoit 1'appartement de la princeffe , & c'étoit véritablement une chofe magnifique. Le fecond fe diftribaoit en pfufieurs pièces. Dans 1'une , on voyoit une belle bibliothèque ; dans une autre , une garderobe pleine de linge fuperbe & d'habits pour tous les ages , plus magnifiques les uns que les autres; une autre pièce étoit deftinée a la mufique 5 une autre n'étoit templie qué de liqueurs & des vins les .plus agréables ; une autre enfin (& c'étoit la plus grande de toutes ) ne préfentoit a la vue que toutes fbrtes de confitures feches & liquides, que des dragées • & toutes les patifferies imaginables qui, par la force de 1'enchantement, devoient toujours demeurer chaudes comme a la fortie du four. L'exrrémité de la tour étoit terminée par une plate-forme fur laquelle il y avoit un parterre oü les fleurs les plus agréables fe renouveloient &'fe fuccédoient fans ceffè. L'on trouvoit dans ce même jardin un arbre fruitier de chaque efpèce , oü toutes les fois que l'o» cuedloit un fruit, un autre venoitaufli-tot prendre  tfZ L' E N C H A N T E M E W T la place. Ce beau lieu étoit orné de cabinets de verdure, que 1'ombre & les arbufles odoriférans rendoient délicieux, & ces agrémens étoient encote redoublés par le chant de mille oifeaux enchantés. Quand les fées eurent conduit dans la tour, Galantine avec une gouvernante nommée Bonnette , elles rcmontèrent fur leur baleine; & s'éloignant a une cerraine diftance de ce grand édifice, la fée Grave, d'un coup de fa baguette fit venir deux mille requins des plus méclians de la mer, & leur ordonna de faire une garde des plus exaétes , enfin , de ne laiffer approcher aucun homme de la rour , & de mettre en pièces tous ceux qui feroient affez hardis pour en approcher; mais comme les batimens ne craignent pas beaucoup les requins , elle fit venir auifi quantité de Remora , auxquels elle ordonna de fe remr l 1'avancée , & d'arreter indifféremment tous les batimens que le hafard ou leur volonté conduiroient vers la tour. La fée Grave fe trouva fi fatiguée d'avoir fait autant de chofes en auffi peu de tems, qu'elle pria Rêveufe de volet au haut de la tour, & de 1'enchanter du cbté de l'air avec tant d'exactitude , qu'un oifeau même ne pur en approcher. La fée obéit ; mais comme elle étoit infiniment diftraite , elle fe brouilla dans fes cérémonies, & ne laiffa pas de faire quelques fautes. Si 1'enchantcment de 1'eau n'avoit pas été plus  IMPOSSIBLK. 4 Je ne perJrois pas 1'efpérance De finir 1'enchantement, Armé d'amour & de conftance , Rien ne rebute ua tendre amant. Le pigeon fe mit donc en campagne, chargé de ces vers & du portrait; la princeffe n'étant pas certaine qu'il dut arriver, 1'attendoit cependant ; elle étoit dans le jardin, & n'avoit rien conté a fa gouvernante de cette derniere aventure; car elle commencoit a reffentir le myiière, & cette réferve que les premiers fentimens infpirent a une jeune perfonne. Elle prit avec empreifement le portrait dont le pigeon étoit chargé, Sc fa furprife fut infinie, quand en otivrant la boite , elle trouva que le portrair du prince Blondin reffèmbloir parfaitement a celui que Bonnette avoit peint. Par un de ces hafards heureux dont on ne peut rendre compte, la joie de Galanrine fut exttême en faifant cette agréable découverte; Sc pour exprimer d'une manière galante toüt ce qu'elle relfentoit elle-même, elle öta le portrait du prince de la boite qui le renfermoit, mit a fa place celui qu'elle aimoit le plus de tous ceux que Bonnette avoit peints, Sc renvoya fur-lechamp le pigeon qui commencoit un peu a fe £*tiguer, Sc qui n'auroit pu réfifter a fervir bien long tems des amans dont le commerce étoit auffi vif. Le prince Blondin avoit toujours les yeux  ï M P O S S I B l ■ E. 479 tournes vers la tour dans 1'atttente de fon courier. 11 vit enfin arriver le bienheureux pigeon; mais que de vint-il quand il reconnut a fon cou la même boire dont il 1'avoit chargé ? Il en penfa mourir de douleur. La fée, quine le quittoit point, le confola de fon mieux; elle prit elle-même cette boire qu'il ne daignoit feulement pas regarder; elle 1'ouvrit, & lui fit voir combien il avoit tort de s'affliger. Dans un moment il paffa dans une extremité de joie qui ne pouvoit être comparée qu'a celle de fon chagrin. Ne perdons point de tems, lui dit alors Commode; je ne puis vous rendre heureux qu'en vous changeant en oifeau ; je vous rendrai votre première forme quand il en fera tems. Le prince fans balancer fe foumit au déguifement, & a tout ce qui pouvoit 1'approcher de ce qu'il adoroit. Pour lors la bonne Commode 'le toucha de fa baguette, & il devint en un inftant le plus joli Colibri du monde, qui joignoir aux agrémens que la natute a départis a ce charmant oifeau , celui de parler le plus agrcablement du monde. Le pigeon fut encore chargé de le conduite. Galantine fut étonnée de voir un oifeau qu'elle ne connoidbit pas; mais le voyant arriver avec le pigeon, fon cceur fut ému ; &z le Colibri en volant a elle, lui dit: bon jour, belle princeffe; elle n'avoit jamais entendu parler d'oifeaux ; cette nouveauté redoubla le  4S0 L'Enchantement plaifir avec lequel elle reent celui-ci; elle le prit fur fon doigt, & tout auffi-tot il lui dit : baifez , baifez Colibri; elle y confentit avec joie , & lui fit mille carreffes. Je laiflè a penfer fi le prince étoit content, & s'il n'étoit pas en même - tems faché de n'être qu'un Colibri; car les amans font les feuls dans le monde qui éprouvent les contraires en même tems. Quand la princeffe, enchantée de fon nouvel oifeau , fe fut long-tems ptomenée avec lui, elle vint fe repofer dans un des cabinets de verdure du jardin, Sc fe coucha fur un lit de rofes fans épine; elle étoit alors dans le plus aimable négligé; tout ce qui lui étoit arrivé, tout ce que fon cceur avoit éptouvé dans le jour, ne lui avoit pas donné le tems de fonger feulement qu'il y eüt une toilette dans le monde. La chaleut 1'avoit engagé a ne point renfermer des beautés que feule elle pouvoit montrer. Elle placa Colibri dans fon fein, Sc commencoit a fe livrer aux charmes d'un doux fommeil, lorfque Commode trouva bien le moyen de la réveiller en rendant au prince fa première forme; ce qui s'exécuta fi promptement , qu'en ouvrant les yeux, elle fe ttouva dans les bras d'un amant qu'elle aimoit. L'étonnement, 1'agitation du cceur, 1'ignorance même. dans laquelle elle avoit vécu, & le premier embarras de cette efpèce, n'étoienc  I M P O S S I É L E. 48I guères capables de la défendre contre I'amantle plus tendre : auffi 1'enchanrement fut- il détruit. Dans ce moment la tour fut agitée, elle trembla, Sc commencoit même a s'entr'ouvrir ; Bonnette allarmée, & qui étoit dans 1'appartement d'en bas, monta fut la terraffe, pour périr du moins auprès de la princefle. Les fecouffes violentes dont la tour étoit agitée, redoubloient d chaque moment; mais quand elle arriva fur le haut de la tour, & qu'elle la vit penchée & prête a s ecrouler dans la mer, elle s'évanouitau moment que les deux fées Paifible & Commode arrivèrent dans un char de glacé de Venife, tiré par fix des plus gros aigles. Sauvez - vous promptement, dirent - elles aux deux amans , cette tour va' tomber, Sc vous périrez avec elle. Ils montèrent dans le char des fées, fans avoir le tems de leur faire le moindre compliment. Le prince eut cependant celui de jetet la gouvernante, route évanouie qu'elle étoit, dans le fond de la voiture. A peine commencèrent-ils a s'élever dans l'air, que la tour s'abima avec un bruit effroyable • car la fée Marine, Gluantin Sc fes amis étoient ceux qui , pour fe venger de la princeffe , avoient fappé les fondemens de la tout. La fée Marine, voyant que le fecours des fées s'oppofoit d fes deffeins, voulut voir fi, par une guerre ouverte, «11e ne pourroitpas s'emparer de Galantine. Elle'  4S1 L' Enchanté ment forma tout d'un coup une grande voiture d'exhalaifons, dans laquelle elle feplaca avec toute fa familie, Sc la remplit d'huitres a 1'écaille, de rochers, de pierres, Sc d'autres bagatelles de cette efpèce. Avec cette voiture Sc ces munitions , elle fe fit conduire par un grand vent du coté de la terre, & coupa le chemin a la voiture de glacé. La fée Tviarine fit plus , elle ordonna a tout ce qui fe trouva a dix lieues a la ronde , de canards fauvages , de macreufes, Sc autres oifeaux» dépendans de la mer, de venir obfcurcir l'air, Sc s'oppofer au débarquement des fées : ce qui fut exécuté avec un nazillcment infupportable. Nos deux amans fe crurent perdus. Comme ils étoient dans le goüt de détruire des enchantemens, ils auroient encore bien volontiers pris des mefures contre celui-ci; mais les fées ne le jugèrent pas a propos. Commode tira du coffre de la voirure une grande quantité de pécards Sc de fufées qu'elle avoit apportés, dans le deffein de faire apparemment un petit feu d'artifice.Quoi qu'il en foit, elle s'en fervit utilement; car elle en jeta un fi grand nombre contre cette imporrune volatile , qu'elle fut obligée de s'écarter. Alors le chariot ennemi mit fa dernière relfource en ceuvre. Tous les marins ne doutoient poinr qu'avec les pierres & les huitres, ils n'eufient bientót abïmé Sc mis en pièces le char de glacés. Le projet n'étoit poinc '  IMPOSSIBIE. ^jjg mauvais, il eft même a préfumer qu'il auroir eu rout 1'effet qu'il en attendeit; mais la fée Paifible tira de fa poche un miroir atdent qu'elle portoic toujours avec elle. II faut être de bonne foi, je n'ai jamais trop fa pour quel deffein elle s'étoit chargé de cet uftenfile. Elle placa fon miroir de manière qu'elle chauffa fes ennemis d'une facon qui leur étoit auffi importune qu'inconnue. Ils jetètent des cris épouvantables 3 & les exhalaifons s'étant fondues dans le moment, toute la familie Marine , & la fée elle-même, furent précipitées pêle-mêle dans Ia mer. Nos fées viótorieufes continuèrent leur chemin dans le deffein d'arriver dans les états de la reine Mutine. Ils trouvètent qu'eile nevivoit plus; elle avoit voulu moitié par la crainte d'une nouvelle punition, moitié par raifon contraindre Ia dureté de fon caractcre ; elle avoit pour cet effet tant ravalé de méchancetés & de noirceurs; elle s'étoit fi prodigieufement contrainte , qu'après avoir eu pluficurs grandes maladies, elle avoit a la fin fuccombé j il y avoit même déja quelques années. Le bon roi qui 1'avoit époufée, goüta bien aifément les douceurs du veuvage; & quoiqu'il n'eüt point eu d'autres enfans que la fille qu'il n'efpéroit pas de revoir , rien dans le monde n'auroit pu l'engager i fe remarier une feconde fois. II gouvernoit fes états fort paifiblement; & le bon roi Prudena, le  L'EnCHANTEMINT ljlI*OSSl8LÏ.' grand père de Galantine, venoit d'arriver chez lui, malgré fon grand age, dans le deffein de paffer les vacances avec lui. Qaelle joie ces bons princes éprouvèrent-ils'. Elle fe communiqua a toute leur cour, en voyant artiver les fées qui xamenoient une princeffe charmante , la fille de leur roi. L'on ordonna que les nóces des deux amans feroient eélébrées dès le lendemain. On dépècha dans le moment même des courriers de tous les cótés pour prier les fées de vouloir bien les honorer de leur préfence. On n'onblia pas , comme l'on peut ctoire, de prier la fée Grave. Elles arrivèrent, en effet, de toutes parts. Les fêtes, les bals, les tournois, les grands feffins conrinuèrent trèsdong tems. On fit la guerre , en même tems que beaucoup de remercimens, a la fée Rèveufe, des fautes qu'elle avoit commifes dans fon enchantement. Elle en fut quitte pour dire que les amans étoient toujours plus adroits , que les enchantemens n'étoient pas exacts, &c qu'il n'étoit pas poflible qu'il s'en trouvat pout eux. J'oubliois de dire que la gouvernante revint de fon évanouiffement, lorfqu'elle fut arrivée au palais. Enfin tout le monde fut content; & les fées ayant pris part pendant plufieurs jours a la joie publique , retournèrent a leuts affaires, ou bien a d'autres plaifirs. Nos amans s'aimèrent toujours, #c furent les plus heureux princes de la terre. LA  4S5 LA PRINCESSE M ï N ü T I E ET L E ROI FLORIDOR, CONTÉ. Il y avoit une fois un roi & une reine qai moururenr affez jeunes, & qui laifsèrent un fort beau royaume aIaprinceifeleur fille unique, qui n'avoit alors tout au plus que treize ans. Elle s'imagina qu'elle favoit régner, & tous fes bons fujets fe le perfuaderent auffi, fans trop favoir pourquoi \ e-spendant c'eft une profeflion qui ne laiffe pas d'avoir fa difficulté. Le roi & la reine eurent du moins en mourant la confolation de laiffer la princeffe leur fille fous la protection d'une fée de leurs amies. Elle s'appeloit Mirdandenne : c'étoit une trés - bonne Tome XXIF. Hh  4S6' La Princesse Minutie femme; mais elle joignoit au défaut de fe laiffer prévenir, celui de n'en jamais revenir. Quant a la petite reine, elle étoit fi petite, qu'on 1'avoit appelée Minutie. Voila donc ce beau Royaume gouverné par la prévention & par la minutie. Jamais la princeffe n'avoit été corrigée du goüt qu'elle témoignoit pour les bagatelles; ce fut pour elle qu'elle inventa ces petites étrennes, tous ces colifichets, qui depuis nous ont accabiés. Cette princeffe fignala la grandeur de fes idéés, par un trait que je choifis entre mille. Elle ne voulut pas garder pour général de fes armées, Sc même elle exila de fa cour un vieillard recommandable par les fervices qu'il avoit rendus a 1'état. Et pourquoi? Paree qu'il étoit venu chez elle avec un chapeau bordé dargent, dans le même tems qu'il portoit un habit galonné d'or. Elle trouva qu'un homme capable d'une celle négligence a la cour , feroit auffi très-capable, par la même raifon, de fe laiffer furprendre par 1'ennemi. Le difcernement qu'elle fe flatta d'avoit montré dans cette occafion, Sc la folidité que la fée trouvoit dans fes plus petites idéés, auroient dérangé une tête bien plus forte. Affez prés de ce grand pays il y avoit un petit royaume, mais fi petit, que je ne fais a quoi le comparer. Une reine mère 1'avoit long-tems  et le Roi Floridor. 487 gotiverné au nom du prince Floridor; mais cette bonne reine mourut. Floridor, le fils le plus tendre que Fon ait connu, reffentit vivement cette perte, Sc conferva toujours la reconnoiffance des obligations qu'il lui avoit. Une des plus grandes étoit une éducation parfaite, la plus dure du coté du corps, ce qui Favoit rendu auffi robufte que difpos; & la plus douce du coté de 1'efprit, ce qui lui en avoit donné les agrémens Sc la folidité. Ce jeune prince étoit beau & bien fait. II gouvernoit fagement, fans abufer d'une autorité defporique. Ses defirs étoient réglés; en un mot,il eut été un patticulier aimable. Ses fujets Fadoroient, & les étrangers qui paffoient a fa cour, convenoient qu'il eut fait le bonheur du plus grand des empires : mais ce que l'on ïgnoroit, c'eft qu'il devoit a une Fourmi charmanre un auffi grand nombre d'avantages. Elle s'étoit attachée a lui dès fon enfance. A la mort de la reine, la bonne Fourmi fut la feule confolation ;i laquelle il put avoir recours. II ne faifoit aucune démarche fans aller auparavanr confulter la Fourmi dans un bois des jardins du palais qu'elle avoit choifi pour fa réfidence. Souvent il abandonnoit fa cout Sc les plaifirs pour aller chercher fa converfation. Aucune faifon ne 1'empcchoit de paroitre a fes yeux, Sc quelque rigoureux que püt ctre Fhiver, elle fortoit toujours de la fourmil- H h ij  488 La Princesse Minutie lière la mieux réglée qui füt a cent lieues a la ronde. Elle lui donnoit des confeils auffi remplis de prudence que de fagelfe. L'on concoit aifément que la jolie Fourmi dont nous parions, étcit une fée; fon hiftoire arrivée il y a plus de fept mille ans , fe trouve rapportée 1'an vingtdeux mille du monde, a la page quatre eens foixante du volume de cette année. 11 eüt donc été aifé k la Fourmi de donner au roi qu'elle aimoit, quelques toyaumes; les fées en difpolent k leur fantaifie : mais la Fourmi étoifprudente, & la prudence conduit toujours a la juftice. Ce n'eft pas qu'elle ne fouhaitat avec ardeur 1'avancement de Floridor; mais elle vouloit qu'il n'employat pour 1'obtenir que des moyens qui pailïènt flatter la véritable gloire qu'elle avoit imprimée dans fon cceur. La Fourmi eft naturellement patiënte; elle attendit donc les occafions de mettre dans tout leur jour, les vertus de fon élève. La conduite de Minutie , & la prévention de Mirdandenne, lui en fournirent bientót les moyens. L'on apprit que le feu de la révolte s'étoit allumc dans le grand royaume de Minutie. Quand cette nouvelle eut été confirmée par toutes les gazettes, la bonne fée Fourmi voulut que le roi Floridor partit avec un fimple écuyer pour aller fecourir la reine fa voifine. Elle ie raflura fur le gouvernement de fes états pendant fon abfence, en lui  et le Roi Floridor. 489 promettant de ne les point abandonner. Elle ne lui donna en partant qu'un franc moineau, un petit couteau, que Fon appelle communément une Jambette, & une coquille de noix. Les préfens que je vous fais, luidit-elle, vous paroiffent médiocres; mais foyez tranquiile avec eux, ils vous ferviront au befoin, & j'efpère que vous vous en trouverez bien. II lui promit fans peine une confiance qu'elle avoit bien méritée dans fon efprit; & quand il lui eut fait de tendres adieux , il fe mit en chemin, regretté de rout fon petit peuple, comme s'il eüt été le frère, le fils, ou 1'ami de chacun de fes fujets. II arriva dans la capitale des états de Minutie; il la trouva toute en rumeur, paree que l'on venoit d'apprendre qu'un roi voifm s'avancoit a grandes journces, fuivi d'une des plus terribles armées. I! venoit a deffein de s'emparer du royaume. Floridor apprit que la reine s'étoit retirée dans une maifon délicieufe qu'elle avoit auprès de fa capitale, oü tous les coiifichers brilloient a 1'envi. Cette retraite avoit cependant un nutif-, elle vouloit méditer bien férieufemenr, & décider fans être interrompue, fi les troupes que la fée avoir ordonné qu'on levat pour s'oppofer a 1'ufurpateur, porteroient ou des cocardes ble tes oa des cocardes rouges. Cependant la reioe avoit-adors viugt aus. Le roi il •ridor s'étauc Hhuj  49° La Princessb Minotis informé du chemin qui conduifoit a cette maifon de campagne, y courut avec empreffetnenr. Sa belle figure prévint Mirdandenne en fa faveur Le complimenr qu'il fit a la reine & a elle, ne fit qu'augmenter la bonne opinion que fon abord avoit infpirée, & les offres de fes fervices furent d'autant mieux recues, que 1'état étoit dans une fituation fort embaraffante. Minutie parut charmante a Floridor. Dès ce moment le roi en devint éperdument amoureux; pour lors le zèle & cette vivacité toujours inféparables de l'amour, éclata dans fes difcours & dans fes actions, comme il btilla dans fes yeux, Sc ce fut avec un foin extréme qu'il fe mit au fait de la fituation préfente des affaires. II voulut avoir recours au pouvoir de la féerie; mais 1'aveugle prévention de Mirdandenne Favoit engagée depuis long-tems a donner fa baguette a Minutie, dans le deffein de la divertir, & cette princeffe en avoit fait un ufage fi prodigieux, qu'elle étoit ufée, Sc qu'elle n'avoit plus de force ni de verru, fur-tout pour les chofes férieufes. Floridor alla dans Ia capitale; mais il ne trouva ni fortifications, ni munitions. Cependant Fufurpateur approchoit de plus en plus; Floridor ne vit qu'un rival dans la perfonne du roi ennemi; Sc ne trouvant aucune redburce, il fut obligé de propofer a la reine le parti de Ia fuite, en lui offrant fièrement nn afile dans fes  et le Roi Floridor. '491 états. La prudence lui confeilloit alors un parti que fon courage démentoit, mais il s'agilfoit de fauver une princeffe malheureufe ; cependant il ne fit cette propofirion qu'aux conditions de revenir lui-même s'expofet a tous les dangers, 8c faire tous fes efforts pour rendre a la reine un trone qui lui appartenoit auffi légitimement, tout auffi - tót qu'il autoit mis fa perfonne en füreté dans fon petit royaume. Mirdandenne convaincue par tout ce que le roi lui repréfenta, accepta la propofirion du prince, & la reine ne confentit au déparr, que lorfqu'on lui eut promis que le cheval dont elle devoit fe fervir pendant le voyage, auroit un harnois couleur de rofe, 8c que Floridor ne lui eüt fait préfent du moineau que la fée lui avoit donné en pattant. L'oifeau fut bientót donné; mais quoique le départ preffat, il fallut attenclre que Fon eür fait venir de la ville un harnois de cheval, tel que la reine le défiroit; il vint enfin, & Floridor & Minutie fans autre fuite que Mirdandenne, prirent la route des états du roi. Floridor étoit enchanté de conduire Minutie chez lui, 8c d'imaginer qu'il étoit utile a ce qu'il adoroit; être amoureux & voyageur, ce font des chofes qui fouvent en font beaucoup dire; Floridor en annoncant la petiteffe de fes états, dont il rougiifoit quelquefois, ne pur fe t aite des obligations qu'il avoit a la bonne Four- HUiv  49* La Princessé Minutie mi; cependant en venantau détail de fon départ, la noix, le petit couteau & le moineait, parurent a la reine des préfens fort finguliers. Elle eut envie de voir la noix, le roi la lui donna fans peine; d'abord qu'elle fut entre fes mains, elle s'écria : bons dieux, qu'eft-ce que j'entends; elle prêta 1'oreiile avec plus d'attention, & pour lors elle dit avec une furprife mêlée de curiofité : j'entends (mais diftinótement) des petites voix d'hoinmes, des henniflemens de chevaux, des trompettes, enfin un murmure fort fingnlier; voila la plus jolie chofe du monde, continuat-elle; dans le tems que le prince étoit occupé lui-même de ce qui faifoit 1'amufement de cé qu'il aimoit, il appercut les coureurs de l'armée des révoltés, prêts a les joindre, & parconféquent prêts a les arrêter; pour lors dans ce péril, par un mouvement machinal, il calfa la noix, & il en vit forrir trente mille homme effectifs, tant cavalerie , infanterie, que dragons, avec 1'arrillerie & les munitions néceffiires. 11 fe mit a leur tête; & faifanr face a 1'ennemi, il fit (fans jimais fe laiffer entamer) la plus belle retraite du monde; il s'empara par ce moyen des montagnes qui fe rrouvoient fur fon paflage, & fauva la reine des mains de fes fujers révolrés, Après cette belle manoeuvre de guerre, qui ne laiffa pas d'ëtre fatigante , & 1'ailarme du danger que la reine  et li Roi Floridor. 495 avoir coaru , ils fe repofèrent quelques jours fur la montagne; mais comme tout le pays étoit en armes, en avancant pour continuer leur route, ils appercurent une autre armee bien plus nombreufe que celle qu'ils avoient évitée, & qu'ils ne pouvoient attaquer fans rémérité. Dans cette cruelle fituation, la reine lui dernanda le petit couteau que la fourmi lui avoit donné , pour s'en fervir a quelque bagatelle dont elle s'amufoit; mais trouvant qu'il ne coupoit pas a fa fantaifie, elle le jeta, en difant: voila un plaifant couteau; auffitót qu'il eut touché la terre, il fit un trou rrèsconfidérable; le roi fut frappé du ralent de fa Jambette, & fur le champ rraca tout au tour de la montagne des retranchemens profonds qui la rendoient imprenable; quand cette opération fut faite, & qui ne 1'occupa que le tems néceffaire pour en faire le tour, le moineau dont il avoit fait préfent a Minutie, prenant fon vol, faifir le fommet de la montagne; & batrant des ailes, s'écria d'une voix terrible : laiffez-moi faire, vous aliez voir beau jeu ; fortez tous de detfus la montagne, marchez a 1'ennemi, & ne vous embarraffez de rien. II fut obéi fur le champ , & le moineau enleva la montagne tout auffi facilement qu'il auroir fait un brin de paille, & parcourant les airs, il la lailfa tomber fur l'armée ennemie , dont il écrafa, fans doute , une grande partie; le  •494 La princesse Minutie refte prit la fuite, & laiffa le paffage libre. Le prince qui n'étoit occupé que du défir de voir la reine en fureté, fouhaita de pouvoir fe livrer a la vitefle de fes chevaux; mais comme une marche d'armé conduit néceffairement a la lenteur, il eüt bien voulu qu'elle fe trouvat rentree dans fa coquille; a peine en eüt-il formé le fouhait, qu'en effet elle s'y trouva renfermée; il la remit dans fa poche, ils arrivèrent dans le petit royaume, oü la bonne Fourmi les recut avec toutes les marqués de la pure amitié. Quand Floridor eut donné tous fes foins pour que Minutie füt a fon aife, & qu'elle ne manquat de rien dans fon palais , il ne fongea plus qu'a fon déparr , d'autant plus aifément, que 1'amitié de la bonne Fourmi le rafTuroit fur tout ce qui pouvoit regarder la reine. Pendant le voyage qu'il venoit de faire, & le peu de tems qu'il avoit palfé dans fes états , il eut la libetté de faire a Minutie 1'aveu d'un amour qu'elle eut la douceur de fe laiffer perfuader; enfin il fallut fe féparer , leur adieu fut tendre , & Floridor parrit fans aucun fecours que celui d'une lettre de Minutie , adreffée a tous fes bons & fidelles fujets, par laquelle elle leur demandoit d'obéir au roi Floridor en tout ce qu'il leur ordonneroit. La bonne Fourmi ne lui donna ni la noix , ni le petit coüteau qui lui avoient été remis a fon  et le Roi Floridor." 495 retour; la reine voulut feulement qu'il recut de fes mains le moineau qu'il lui avoit donné, en le priant de le porter toujours fur lui, auifi bien qu'une écharpe de nompareille qu'elle avoit fait elle-même. Le roi fuivir exa&ement la même route qu'il avoit tenue pour conduire la reine , non feulement paree que les amans font touchés de revoir les lieux embellis par ce qu'ils aiment mais encore paree que c'éroit le chemin le plus court. Lotfqu'il fut auprès de la montagne tranfplantée, le moineau s'élevant dans les airs , partit pout la prendre avec la même facilité que celle qu'il avoit employee quelques jours auparavant, & la reporta dans le même endroit qu'elle habitoit auparavant. Le moineau faifant ufage de la terrible voix dont il favoit fe fervir quand il le vouloit , dit a tous ceux qui s'étoient trouvés enfermés fous la montagne : foye$ fidéle* a Minutie , fakes ce que le roi Floridor vous commandera de fa part, & pour lors ce fingulier moineau difparur; la montagne étoit creufe; ainfi tous ceux qui fe trouvèrent pris , étoient comme fous une cloche ; il ne leur manqua rien pendant le tems qu'ils y furent renfermés ; tous les foldats & les officiers qui revoyoient le jout avec un fi grand plaifir, frappés de ee qu'ils venoient d'encendre, coururent en foule au-devant de Floridor, dont la belle figure étoit intérelfame; 6c le regardant  49<£ La Princesse Minutie, Sec. comme un dieu, ils le voulurent adorer. Le roi touché de leur obéilfance Si du nouveau ferment de fidélité qu'ils jurèrent entre fes mains, pour leur légitime reine , recut leurs refpects , Si non leur adoration , après leur avoir montré la lettre dont il étoit chargé. II fit la revue de cette armée, il en choifitcinquante mille des plus beaux, & de ceux dont la bonne volonté fait toujours* réuflir les projets des généraux. II établit dans fa nouvelle armée une difcipline trés-exacte dont il étoit 1'auteur Si 1'exemple , & ce fut avec ces ttoupes qu'il rendit invincibles , qu'il défit les troupes innombrables d'un ufurpateur qu'il tua lui-mème dans un des derniers combats. Sa mort rendit a Minutie un royaume qu'elle avoit abfolument perdu. Floridor parcourut toutes les provinces de ce grand état, & rétablit 1'autorité de Minutie qu'il vint retrouver. Mais quel changement ne trouve-t-il point dans le caractère & dans 1'efprit de cette jolie reine ? Les confeils de la bonne Fourmi , Si plus que tout, l'amour & 1'envie de plaire , Sc d'ëtre digne de Floridor , Favoient corrigée. Elle fut honteufe d'avoir roujours fait de petites chofes avec de grands fecours , pendant que fon amant en avoit fait de fi grandes avec de fi petits. Ils fe rnarièrent & vécurent heureux.  497 LA BELLE HERMINE E T L E PRINCE COLIBRI, CONTÉ (i). 11 étoit une fois un roi que l'on avoit fort mal élevé, ce qui furprenoit tout le monde , car la mauvaife éducation n'étoit pas autrefois li commune ; jamais on n'avoit ofé le contredire \ en un mot, on avoit li bien fait, que je ne crois pas qu'il füt lire : auffi , rous fes fujets fe moquoient de lui, comme on fera toujours de tous ceux qui ne voudtont rien apprendre. Un roi li fort igno- (i) Ce conté n'eft qu'un fragment, on ne faitpounpei Facteur ne 1'a pas achevé.  498 La belle Hermine rant n'auroit cerrainement pas gardé long - tems fon royaume, fi les fées ne 1'avoient protégé ; il eft vrai cependant qu'il faifoit le bonheur de fes fujers autant qu'il le pouvoit; & comme il aimoit beaucoup les plaifirs , il leur donnoit continuellement des fètes qui les confoloient de la perte des provinces qu'il cédoit a fes voifins , plutót que d'avoir la moindre guerre. Il avoit été marié fort jeune avec une fort belle princeffe qui mourut ttès-peu de tems aptès , Sc qui le laiffa père d'une fille belle comme !e plus beau jour, Sc que l'on connoit dans 1'hiftoire fous le nom de belle Hermine. A peine avoit-elle fept ans , qu'on admiroit fa taille , fes graces Sc fa beauté ; elle ne pafloit point dans les falies du palais , que tout le monde ne s'écriat , malgré le refpeót qu'on lui devoit : Qu'elle eft belle , qu'elle a de graces ; mais la princeffe, loin d'en devenir plus fiére, n'en étoit que plus douce Sc plus honncte. La vénérable Anémone , qui étoit une fée du premier ordre, ayant entendu parler d'une femblable merveille, voulut en juger par elle-mème; elle prit la figure d'une bonne petite vieille qui marchoit avec beaucoup de peine, appuyée fur un gros baton d'Epine, Sc vint au grand puits du palais attendre la princeffe , qui devoit paffer auprès en venant de la laiterie; elle portoit un petit pot templi de la  et le Prince Colibri. 499 meilleure crème du monde , qu'elle avoit été chercher pour fon déjeüné. Elle appercut cette bonne vieille qui fembloit défirer de 1'eau, mais qui n'ofoit s'expofer a remuer feulement la chahie Sc Ie feau pour en tirer. La princeffe démêla 1'embarras de cette pauvre femme ; & s'approchant d'elle , elle lui dit : Je voudrois pouvoir vous aider, ma bonne mère; nous ne ferions pas affez fortes toutes deux pour tirer de 1'eau, n'eft-ce pas ? Hélas ! non , mademoifelle , répondit la vieille ; attendez un moment, teprit la princetfe , Sc je vais vous envoyer quelqu'un pour vous aider ; mais il eft bien matin , je ne rrouverai perfonne; je crois qu'il n'eft encore que midi, & les valets ne fe leveront pas avant deux heures. Hélas! mademoifelle, continua la vieille , je me meurs de foif; tenez , lui dit la belle Hermine , buvez ceci; pour lors elle lui donna fon petit pot, je crois que cela vous fera plus de bien, c'eft le deffus de toutes les tetrines de la laiterie du roi; la vieille 1'accepta , en difant : Qui ne peut voir fouffrir , mérite d'ëtre heureux ; Sc pour lors, reprenant fa première figure, elle parut aux yeux de la princeffe. Anenome dans tout fon naturel , ne fit point de peut a la princefle en changeant de figuie. Je veux , dit Anemone , avoir foin de vous; mais comme vous êtes environnée de fées qui ne m'aiment point, priez le rei de  500 La eeus HermiS! metrre auprès de vous la première petite pay-> fanne qui vous paroitra jolie \ ne vous embarraffez pas d'autre chofe , reprenez votre crème , & ne parlez de ceci a perfonne. Anemone difparut auffi-tót, & laiffa la princeffe fort étonnée. Le palais du roi étoit magninqne ; & toutes les recherches dont il étoit rempli, étoient en plus grand nombre que celles qu'infpire la volupté. Celle-ci eft fondée fur les befoins, au lieu que la molleffe les prévient fans ceffe. On ne pouvoit fentir un repos qui n'avoit jamais eu befoin de défirer ; on en étoit venu au point de regarder la vivacité de la converfation , comme une des fatigues du corps. On y murmuroit continuellemeut contre les faifons , & mille efclaves réparoient fans celfe, avec une peine extréme, 1'inconvénient que l'on reprochoit au tems. Les mêmes délicatefles régnoient dans les repas; la faim étoit toujours preventie ; en un mot, une éternelle fociété régnoit fur tout. Parmi les fêtes qui fe donnoient continuellement, celle desfoibleflès étoit la plus confidétable ; on n'avoit rien négligé pout la rendre folemneile , & le peuple s'étoit aifément perfuadé qu'il étoit bien plus doux de les adorer que de s'en garantir. Les prètres même y rrouvoient leur avantage ; c'étoit le jour qu'on la célébroit qu'Anemone avoit fait connoiflance avec la belle Hermine. Le foir (car on  ït i! Prince Colibri. jeu on ne connoiffoic point Ie matin) on fe faifoit portet cowché fur un lit; beaucoup degens étoient même entre deux draps , & l'on venoit faire fes prières dans le temple dédié d tous les dieux, ou plutèt a tous les goüts, car les foiblefles fonr générales ; mais dans la crainte d'offenfer celle de quelqu'un , on ne faifoit aucun facrifice, & l'on ne bruloit aucun parfum pour ménager avec grand lom les vapeurs , maladie trés-commune dans ce pays. La belle Hermine, en fuivant fur fon petit lit le grand lit du monarque fon père , appercut une petite payfanne qui regardoit paflei la cour avec ja curiofité que peut donner une nouveauté magnifique & fingulière. Elle fit figne que l'on 1'arrêtat: car en ce lieu , on ne donnoit aucun ordre que par figne. Le lit de la princeffe s'arrêta donc , elle confidéra cette petite fille avec attention, & quelques regards modeftes & fpirituels lui perfaadèrent aifément qu'elle étoit 1'objet de fa recherche. Elle lui demanda fon nom, & fut qu'elles'appeloicBirette. Elle voulut lafaire metcre fur fon lit, mais la petite fille l'affura que pour recevoir fes ordres , eIle|feroit un chemin plus confidérable ; en effet , la diftance n'étoit pas grande , & l'on portoit trèsdentement, dans la crainte de fariguer ceux qui étoient dans les lits. Birette fuivit donc la princeffe ; & paroiffant a la cérémonie dans le lieu le plus éminent, elle fut Torna XXLV. ij  joi La BEttE Hermin* remarquée de tout le monde. Le roi lui même envoya pour s'en infotmer, & la princeffe lui fit dire que cette petite fille qu'elle avoit trouvée en chemin lui avoit plu, & qu'elle le prioit de la lui donner auprès d'elle. Ce prince y confentir, Sc dit : Puifque la princeffe 1'aime, qu'on la rende heureufe, & qu'on la mette bien & fon aife; on détacha fur le champ quelques porteurs du relais du roi, pour aller chercher un lit dans la facriftie, qu'ils apportèrent~auffi-tbt a Birette ; mais elle le refufa, ce qui fut blamé de tout le monde , & l'on fe difoit : Voyez ce que c'eft que les gens de Ia campagne , ils ne veulent pas fe coucher dans le temple \ d'autres cherchoient a; 1'excufer. Comment voulez-vous,difoient-ils, qu'elle fache fa religion, & qu'elle connoiffe fes commodités , la pauvre fille ne s'eft peut-être jamais eouchée que la nuit, & mille autres propos de cette efpèce. Le fervice commenca, il confiftoit en une mufique tendre & voluptueufe : les paroles célébroient Ie repos; on y chantoit encore que la mort étoit un repos qui leur feroit phis ou moins affiité , felon qu'ils 1'auroient obtenWdans ce monde ; & pour ne point fe fatiguer 1'efprit par des idéés défagréables , on ne faifoit aucune mention de la peine & du travail. Après la cérémonie , tout le monde pénétré de Ia mélodie de Cette hymne , fe fic potter chez foi; le peuple que l'on plaignoit de  t-f tÈ Prince Cdiiuf. j0j rie pouvoir joüir d'une pareüle commodité, trouVoit des lits dans le temple fur lefquels il afliftoit aux priètes, 1'attitude la plus commode étanr en ce pays la plus dévore. Le roi fit venir Birette 4 fon retour; i! en fut très-eontent, quciqu'elle tui dit plufieurs chofes qui lui donnèrent la peine d'écrire , qu'il fupporra avec bonté ; cet aimable enfant employa le tour fimple Sc naïf poür conduire la belle Hermine a des réflexions t pour lui faire fentir au milieu des objers les plus féduifans, les erreurs de ce royaume , & les prévenrions dans lefqüelles il étoit plongé. Elle faifoit rematquer a la princefle tous les ridicules de fa cour Sc du gouvernement; Sc feigUant de trouver tout nouveau , elle avoit un prétexte fuffifant pour faire paffer fur ie compte de f011 ignorance, lea critiques de töut ce qu'on lui faifoit remarquer. Elle fuppofa même que fon pèie avoit beaucoup Voyagé; & racontant ce qu'elle lui avoit enrendil dire, elle ne citoit que la vertu, la valeur & la générofité. De femblabies difcours paroiilbient ridicules Sc barbares a tous les eourtifans. Un de ceux qui avoit le plus d'efprit dit au roi, un jour que Birette avoit pronöncé le mot de guerre , Sc qu'il fe 1'étoit fait expliquei : jamais il n'y a rien eu, pourfuivit-il , de plus öppofé a la taifon Sc a 1'humanité. La valèur n'eft qu'une brutalité conttaire i 1'enyie de fe oonferver. On veut en li ij  504 La belle Hermine vain lui donner le nom de verru , car !es mêmes hommes qui l'admettent & qui la révèrenr, font obligés de dire qu'elle cloit êrre accompagnée de la générofité qui veur, nar exemple, que l'on pardonne a fon ennemi, & que, par exemple , on ne le tue point a terre; n'eft-il pas plus fimple de n'avoir point d'ennemi , & de n'avoir aucune enyie de détruire fon femblable ? Pourquoi ne pas commencer par être généreux, fans faire ufage de la valeur ? C'eft ce que nous faifons dans les états de notre grand monarque. Les canons, par exemple , & 1'ufage pervers de la poudre, inventés pour la deftrucftion des hommes, ne nous fervent a nous , que pour notre amufement & notre fatisfaótion ; nous en faifons des fufées» les feux d'artifices embelliffent nos fètes &c nos nuits , & nos canons ne font jamais chargés que d'une compofition d'ambre & de canelle, que l'on tire tous les jours plufieurs fois, dans le delfein de parfumer l'air que nous refpirons. On difoir tous les jours devant ce prince mille autres chofes inutiles a rappotrer, mais toujours dans ■le même gout , qui faifoit la critique de Birette. Jïlle auroit aifément trouvé de quoi répondre a des propos fi miférables , mais elle n'étoit occupée que de la belle Hermine ; & contente des lumiètes de fon efprit, elle y femoit les principes de toutes les vertus héroïques. Quand elle  et le Prince Colibri. 505 la trouva fuffifamment perfuadée de beaucoup d'idces juftes , elle jugea qu'il éroit tems de lui faire voir des pays dans lefquels elle pourroitvoir, prariquer , & faire cas des chofes qu'elle lui avoit vantées, 8c fur-tout , 1'éloigner des objets qu'elle avoit devant les yeux ; elle efpéroit en même tems prévenir les dangers de l'amour par un choix fi bon , qu'il püt être éternel. Elle défiroit qu'il pat tomber fur un petit ptince dont elle avoit protégé toute la familie, & qui fe nommoit Colibri. Ses bonnes qualités le rendoient digne d'une auffi belle princeffe; mais il falloit que l'amour sen melat , car tout le pouvoir des fées ne peut iii le fake naitrè, ni le faire ceffer. Birette fit confentir Ja belle Hermine a quitter la cour du roi fon père; & la faifant monter fur fon char, elle la conduifit chez les Pallantins , peuples femblables a ceux que Pinjuftice de ces derniers tems a fait nommer fauvages, quoique Ia pureré des mceurs, 1'innocence & la valeur brillaffent a 1'envi parmi eux. La propriété étoit ignorée dans Ie pays, ou du moins elle ceffoit d'ëtre connue a la feule idéé du befoin d'un autre homme. La princeffe fut bien étonnée, quand a fon arrivée- elle appercut un nombre prodigieux d'hommes prefque nuds armés d'arcs , de flêches, qui, faifant confifter leur principal mérite dans les forces da corps, u'étoient occupés que du moyen de les en- l i iij  jog La belle Hermik! tretenir , & d'augmenter leur adreffe. Anemone les prutégeoit depuis long-tems 5 Sc comme elle préféroit Sc tefpectoit les fentimens de la belle nature, elle avoit confié 1'éducation du prince Colibri a ces peuples , heureux par la douceur Si la fituation de leur climaf, & plus encore par celle de leur cara&ère, fans en rien dire a la princeffe •, elle lui ayoit donné le don d'entendre le langage de ces peuples , & celui d'en être entendue, Elle fentit donc avec étonnement la différence d'une converfation aulfi fimple qu'énergique , Sc de laquelle on avoit retranché tous les mots pleins d'affeétation fi fort en ufiige a la cour du roi fon père. Doué de cette facilité, le jeune prince qui fe croyoit un jeune Pallantin , qui avoit d'autres moyens que l'adreffeck la vertu pour s'élever au delfus des autres , fut nommé par ces peuples pour faire un compliment a la belle amie d'Anemone ; & voici ce qu'il lui dit: Tes yeux font plus beaux que les aftres qui dominent dans le ciel j fans doute que tes veitus répondent a tes beautés ; demeure dans nos pays pout nous en donner de nouveaux exemples, & nous char•mer par la candeur de ton ame , comme tu nous éblouis par la douceur de ton vifage. La princeffe ne laiffa pas d'ëtre flattée d'un éloge auffi fimple, & lui répondit avec douceur, qu'elle venoit ellemême pour s'inftruire dar.s un pays aulfi fage que  et le Prince Colibri. 507 celui des Pallantins. Anemone avoir une maifon abfolument femblable a. celle que chaque particulier devoit avoir} elles étoient balles & propres, Sc toutes avoient un jatdin bordé d'un ruiffeau , Sc le luxe ne pouvoit s'introduire dans un pays dont on avoit banni la propriété, & les triftes idéés du tien Sc du mien. Quoique la chaffe füt la plus grande richefTe des Pallantins, elle fe faifoit en commnn, auffi bien que la culture des terres; 6c le travail , toujours fi trifte dans les autres pays, n'étoit en celui-ci qu'un amufement, il fe faifoit en chantant. Les femmes étoient occupées aux travaux domeftiques, & ces ocenpations ne les empêchoienr pas de fe voir & d'attendre enfemble leurs maris, donr le rerourfatisfaifoit tous les foirs leur impatience. Les enfans étoient élevés en commun; les femmes qui n'avoienr point d'efprir, étoient défignées pour être nourrices, Sc leur état étoit fort adouci j mais celles qui avoient le plus mérité dans cet état étoient; a 50 ans, chatgées de 1'éducation des filles jufqu'au tems du mariage général, oüleschoix particuliers étoient toujours préférés. Les exercices du corps fe faifoient en public, Sc fervoient de fpeótacle. L'étude des Pallantins ne confiftoit que dans la connoiffance Sc 1'examen de la nature. Anemone leur en avoit pour ainfi dire, ouvert les livres ; ils appvenoient non-feulement ce qu'elle leur avoit enfeigné, liiv  5©8 La belle Hermine mais elle favoit beaucoup de gré a. ceux qui faifoient la plus petite découverte; leur teligion étoit fimple, Sc n'étoit point défigurée par la fuperftition. La belle Hermine paroiffoit trop fimple Sc trop naturelle dans la cour du roi fon père; cependant elle parut chez les Pallantins fi compofée , qu'elle en fut frappée elle même , Sc qu'elle en rougir plufieurs fois ; ce fut alors qu'elle fentitla vérité des confeils d'Anemone , Sc la jufleffe des eritiques qu'elle avoit faites de la cour du roi fon père. Cependant, frappée de tant d'exempies, elle fe livra fans réferve a 1'étude ordonnée dans ce pays , & fur-tout , a la pratique d'une reügion dont la fociété eft le temple, Sc chaque particulier le facrificateur. Colibri ne perdoit pas une occafion de la voir Sc de l'admir;jr; il cherchoit a fe diftinguer au milieu de rant d'hommes vertueux. Heureux pays, ou l'on faifoit de femblables déclararions! C'écoir 1'ufage de ne faire connoitre fon amour que par une conduite agréable, jufqit'au mariage, que l'on célébroit le premier jour du printems. Quand une perfonne en avoir touché piufietus , le choix appartenoit a celle qui étoit aimée, & la loi étoit en ce point égale pour les hommes & pour les femmes. (1 eft cependant vrai que bien loin de' rirer vanité de la pluralité des hommages , comme on fait par-tout ailleurs , on étoit  et ie Prince Colibri. 509. perfnadé que l'on avoit employé la coquetterie pour les engager , ainfi l'on étoit plus biamé qu'applaudi. Les rivaux ne cherchoient jamais a mériter Ia préférence que par leur vertu , Sc ne témoignoient point le reffentiment inféparable de l'amour mécontent , qu'en fe rendant plus aimables dans la fociété, Sc faifant voit 1'injuftice qu'on leut avoit faite en ne les choififfant pas. Ils pouvoient devenir plus heureux par la fuite , car les mariages étoient tompus auffi-tót que 1'humeur ou 1'aigreur furvenoit dans leurs alliances ; cependant les divorces étoient fort rares. On peur juger quelle étoit la conduite de ces peuples fur les aurres fentimens , puifque 1'équité régloit ainfi la plus vive des paffions. Colibri après avoir attendu la fête des mariages, parut un des premiers fur le grand amphithéatre de gazon oü l'on faifoit cette cérémonie. Les filles occupoient un coté du carré vis-a-vis les jeunes gens; Sc les vieillards de 1'un & 1'autre fexe qui décidoient des différends, au cas qu'il en furvint, étoient en face des geus mariés. Les fiiles auparavant que de prendre leurs places , paroiffoient chargées de différens ouvrages qu'elles avoient fairs. Elles portoient avec grace ceux même qui fembloient les plus vils , Sc qui n'étoient pas les moins confidérés dans cet état. Mais pour en rendre le coup d'ceil plus agréable,  510 La belle Hermin? ils étoient parés de plumes & de fleurs, dont les différentes couleurs formoient une piquante variété. Les jeunes gens paroifloient enfuite ; leurs armes étoient omées de fleurs & de plumes ; après quoi, pour faire voir leur adrefle , ils couroient & luttoient les uns contre les autres. On ne donnoit aucun prix au vainqueur ; il n'en attendoit ce jour-la que de 1'objet aimé. Les filles s'avancoient enfuite; & pour marquer le ehoix qu'elles faifoient , elles préfentoient aux jeunes gens louvrage qui les avoit fair briller aux yeux de 1'affemblée , & recevoient leurs armes , ce qui produifoit un changement de fcène très-agréable. Celles qui par hafard n'étoient point acceptées, & les hommes que l'on n'avoit point choifis, rerournoient a leurs places pour artendre la décifion des anciens , qui les exhortoient ordinairement a chercher a plaire & a corriger les défauts qui les avoient empêchés de réuffir. Cette exhortation ne fe faifoit qu'après un ballet général, danfé avec beaucoup de graces par les heureux amans. Les chants en étoient fimples , les pas qui tendoient tous a 1'objet aimé , ou qui ne s'en éloignoient que pour exprimer le plaifir de s'en rapprocher, infpiroient les défirs & lavolupté, Colibri vit avec étonnement que la belle Hermine n'étoit point a la tète des autres filles; elle étoit affife avec Anemone dans la place  et l e Prince Coiibri. jii diftinguée qu'elle occupoir au milieu des vieillards. Un mariage pareil a celui que l'on célébroir, ne lui convenoir point, & le divorce qui régnoit dans ce pays , convenoir encore moins i la fiené de fon cceur. Colibri de fon córé qui ne connoiffoit que les ufages des Pallantins, regarda fon procédé comme une impiété , & jugea facilement que les projets qu'il avoit faits pour témoigner fa force & fon adreffe, devenoient inuules, & que toutes les efpérances d'un boidieur aufli prochain que celui dont il s'étoit flatté, étoient renverfées. La vue de 1'amphithéatre & de la félicité de tant d'amans, lui devint impoffible a foutenir. II feignit donc de fe trouver mal pour en fortir ; il erra par la ville, La folirude que l'on y trouvoit convenoit a la trifte fituation de fon cceur ; mais tout lui rappeloit auffi la belle Hermine , qu'il av©it fi fouvent cherchée dans ces mêmes endroits ; & bientót ne confervant plus d'efpérance, il s'éloigna de ces lieux , dont le féjour avoit fait fes délices. II fuivit des chemins détournés ; & fe jetant dans les montagnes, il arriya fur les bords de la rivière Froide. Ce nom lui fit efpérer qu'il pourroit trouver fur fes bords -une liberté qu'il regrettoü fans ceffe. Le pays arrofé par cette trifte rivière , eft prodigieufement peuplé , & le gouvernement eft républicain. L'ayarice y domine ; auffi les habitans ont le vifage  2 e Palais des Idees , » . * Lumineufe, J59> Bleuette & Coquelicot, j^i.  Si5) T A B L E. Mignonnette, 4M' L'enchantcmcnt impojfible 447* Minutie, 4§5« Eermine , fragment , 4.97* Fin de la Tabla,,