L E CABINET ■ ■ DES FEE 5.  CE VOLUME CONTIENT » Hos.am m, d>mmar , A £ ^^„„„„„.^^ ^abh/Temens anglois dans linde 4 Ia cour du ,rand  A AMSTERDAM, Etfe trouve a PARIS, RUE ET HOTEL SERPENTE, M. DCC. LXXXVI. LE CABINET DES FÉES. o u COLLECTION CHOISIE DES CONTES DES FÉES, ET AUTRES CONTES MERVEILLEUX, Ornés de Figures. TOME VINGT-NEUVIÈME.   AVERTISSEMENT D E TÉDITEUR ANGLOIS. Quoiqüe £r Charles Mordl foit mort depuis long-tems, il n'eft pas furprenant que eet ouvrage foit refté inconnu au public, les papiers de eet ambafladeur ayant été remis a des perfonncs qui n'en connoiffbient pas la valeur. Peut-être n'auroit-il pas encore vu le jour, s'il ne m'avoit été confié avec pluiieurs autres papiers & titres de fa familie qui nj'a ehoiii pour arbitre de quelques diSérens. Maitre d'ufer a mon gré de fes ou- vrages littéraires, je les ai mis peu a peu en état d'être publiés. J'aurois dormé Tome XXIX, A . , - ji  z AVERTISSEMENT. depuis long-temps fa Relarion de ïlnde^ fi nous n'en avions pas déja. une autre qui, quoique moins parfaite & moins curieufe, rend pourtant celle-ci moins néceflaire. D'ailleurs , Jes planches qui doivent 1'enrichir, exigeant des frais de gravure alTez confidérables y peuc-être plus de cinq cent livres fterling , je me fuis vu forcé , malgré moi , d'en différer Ia publication. J'efpère que Ie public en fera dédommagé par 1'ouvrage que je lui préfenre aujourd'hui. S'il n'efl: pas auffi utile au commerce, il fera beaucoup plus amufant, & d'une inftruction propre a toutes fortes de perfonnes. Ceft une tradu&ion de Ia main de ilr Charles Morell, des GEuvres, ou plutot, ainfi que Ie titre le porte , des charmantes lecons óüHoram , fils d''Afmar ; lecons charmantes en vérité, foit pour  AfÈRTISSEMENT. 5 Je fujet, foit pour la forme & la morale qu'elles contiennent. Ces lecons font divifées en Contes ; 8? , pour les accommoder au goüt du fiècle, je les ai appelées les Contes des Génies- De tems en tems jen ai femé quelques lambeaux daus les papiers publiés , pour preflentir le goüt des connoifleurs. Us ont été fi bien accueillis , que je me fuis déterminé a en donnef une édition complette > n'épargnant ni foins, ni dépenfes pour l'embellir, employant les mains les plus adroites a graver les planches qui doivent 1'orner. J'efpère que, pour récompenfe de mes peines , ces Contes feront auffi utiles dans notre Europe, que mon ami fir Charles Morell m'a aiTuré qu'ils 1 etoient dans XInde oü ils amufent èc inftrui-  4 AVERTISS E ME NT. fent la jeunefTe des deux fexes: les favans les lifent encore avec cette fatiffaétion que donnent les plus excellenr.es produetions du génie , de 1'art öc de la anorale.  V I E D H O R A M, FÏLS D'ASMAR, É C R I T E PAR CHARLES MORELL*. ■Pendant ma longue & pénïble réfidence dans difFérentes parties de 1'Afie, tant fous la domination du Mogol que dans les états de 1'empire Uttoman, j'eus occafion de connoitre un ouvrage perfan incitulé : les charmantes Lecons d'Horam, fils d'AJmar, livre fort eftimé a Hifpaham & i Conjiantinople. Les docteurs de la loi de Mahom&t le lifent fouvent a leurs difciples > pour les exciter a la pratique de la vercu & a l'amour de la religion. i Tout occupé du cotnmeree, je n'avols guèrej* Aiij  6 Vied' Horam; de loiflr a confacrer a la le&ure dun tel livre , pour lequel d'ailleurs je ne me fenrois poinc de gour. Ce ne fuc qu'après 1'avoir entendu préconifer dar.s routes les parties de l'AJïe, que je me déterm:na: a le lire, & a voir par moi-même s'il méntoit les éloges excefufs qu'on lui donnoit. Quelques heures de leóture me firent repentir de mon peu de curiofité. J'y trouvai de 1'intérêt, de Hmagination, une morale pure, envelopée fous des images agréables & décentes. Je men procurai une édition des plus corre&es, & je iongeat férieufement a le traduire en anglois, comptant en faire un préfent agréable a ma femme & a ma familie, a mon retour en An-*gkterre. Quelques affaires m'appellèrent au fort S&int-George; & j'eus le malheur de lailTer une partie de mon manufcrit a Bombay* J'étois déja fort avancé dans la traduction. Cette pene m'affligea d'autant plus que, dans, la multitude d'affaires dont j'étois occupé,je n'avois guères d'efpérance de pouvoir recommencer ce rravail; de forte que je perdis de vue ma première penfce, me contentant de lire quelquefois l'on-> ginal qui me fembloit toujours plus charmant. Si mon voyage au ïouSaint-George me fit perdre un manufcrit que j'eftimois, il me procura la connoiflance d'un ami infiniment plus précieux.C'étoit Tauteur même du livre dont je rcgrettois la tra-  MIS D* ASMAR. 7 duction. Horam étoit également eftimé des Payens & des Mahométans, qui le regardoient comme un faint :il étoit intimement lié avec les anglois écablis au fort. Comme j'avois témoigné une extreme envie de le con-eïne, & que j'étois affidu a le voir, il eoncut pour moi une affection particulière. Nous nous promen:ons fouvent enfemble dans les jardins qui font derrière le fort \ je trouvois mille charmes dans fa converfation auffi amufante qu'inftrudtive. Je lui difois quelquefois, lorfque 1'occafion s'en préfentoit, que c'écoit dommage qu'une ame auffi droite & auffi jufte que la fienne, ne fut point inftmite des vérités du Chriftianifme. Les premières fois il m'écouta fans me répondre. Je remarquai feulement que, quand je ramenois le difcours fur ce point, il afteótoit de paroitre fort réfervé, & plus penfif qu'a. 1'ordinaire. L'objet étoit d'afTez grande importance , pour infifteE fouvent. Nous avions peu de convetfations parttculières oü je ne lui parlafle du Chriftianifme, de la fublimité de fes dogmes, de la fainteté de fa morale. Un jour enfin que j'exaltois avec plus de 7ele que jamais la puteté de notre fainte religion , il s'arrète tont-a-coup au milieu de notre promenade , fe profterne la face.contre terre, & d'une Voix forre il' prononce en perfan ces paroles qui font reftces gravées dans ma mémoire : A iv  S V I e Z>" H O R A M J « ö ^i/a.' être puiflant & miféricordieux £ » qui as étendu & mefuré Pirnrnentitc des cieux » avec ta main, & qui as fait la fourmi & l'abeille » avec une égale fagefle, daigne éclairerl'enten5» dement du reprite qui t'adore.O toi! qui peut « tirer !a lumière des ténèbres , fi c'eft ta volouté » que ceux la rendent hommage a la vérité par j> leurs difcouvs , qui 1'outtagent par leur conj> dutte, aye pitié de moi & d'eux; demoiqui » ai befoin de 1'exemple pour être convaincu du j5 précepte ; d'eux qui te renonccnc fous une » faatfc apparence de foi & dobéiffimce. O Alla, j> les vices des chrétiens ne fonr-ils pas plus >s odieux a tos yeux que 1'aveuglément des » payens? Les yeux de ceux qui fe vantent d'ètre » éelairés d'une lumière fupérieure, font- ils plus 3i aveugles que ceux des nations qu'ils difent » plongées dans les ténèbres de Terreur ? Ces » hommes qui font ii avides des biens de Ia »* terre, feroient-ils prodigues des tréfors du ciel? » Ces hommes qui viennent ramafler a grands » frais la pouflïère de Ylnde, nous offriront-ils des bi ens eternels en échange de nos poiTèffions » qu'ils ont envahies? Non, la plus pure & la s» plus fainre des religions ne fauroit être révélée » par un organe auffi impur que la bouche des n plus ingrars des hommes. La perle ne fera point » la ptoie de Tamma! immonde qui fe nourrit de  t I ï. s d' A s m a r". 9 'w fange : les enfans d'A/la ne feront point dén pouillés de leut héritage. Le ver ne dok point j> voler, 1'ignorant juger, ni la poullière s'enor" gueillir ». Après avoir prononcé ces paroles, dont je fus vivement frappé, il reita quelque tems en filence, profterné la face contie terre; pujs il ajouta , les larmes aux yeux, en fe relevant: « Que la volonté w A'Aiia foit la loi de fa créature ». Je fus quelques momens fans avoir Ia force de lui répondre. Ses reproches , quoique févèies , n'eu étoient pas moins vrais. Enfin, voyant qu'il continuoit a garder le filenee, atforbé dans une profonde mcditation, j'ofai 1'intertompre. « Mon ami, lui dis-je , Dieu eft jufte & » Phomme eft pécheur. La reltgion chréüenne yi eft profeffée pat des millions d'hommes ; mats » tous ne reffemblent pas aux marchands de .» Ylnde. Si ceux-ci preferent les richeues a la » religion, il y en a beauconp d'aatres qui ont » fouffertpourla caufe de chrifi, & qui onrmieux j> aimé mourir dans la foi, que d'acheter une » vie glorieufe au prix d être infid-Mes a leur » Dieu. Je n'ai garde de me croire aafli faint » qu'eux. Mais je puis atïiirer Haram, que ma » foi, quoique foible, ;n'eft point morre \ & j'ef» père que mon obéiffance , route imparfaits  '*® V i e d'Horam. » qu elle eft, fera agréable a mon Dien par les » mérites de celui que je fers ». » Si tous les chrétiens étoient comme mon » ami, me dit Horum, j'embraflerois avec joie » la foi de chrift. Mais en quoi les chrétiens fe » diftinguent-ils des infidèles parmi lefquels ils y vivent? Leurs jours font des jours de débauche, » &^ leurs nuits des nuits d'intempérunce. Ui » prêchentlavérité, bc pratiquent le menfonge. » Ilsfe nomment chrétiens, & leurs aótions font » dignes de payens >--. « 11 eft vrai, mon ami, lui répondis-je; mais » ceux que Ion envoye ici font, pour la pluparr, » des hommes perdus, efclaves de leurs paf» fions, livrés aux plus grands vices; encore ar» rive-t-il fouvent que ces gens fe convertiflènc » a la vertu & a la religion, & paflent les derw nières années de leur vie dans 1'exercice de la » piété ». « C'eft-a-dire, reprit Horam, qu'ils fervent » d'abord leurs paffions, & qu'ils donnent a Diett » les reftes d'une vie ufée. Al/a, que je fers, » ne veut point de tels adorateurs. II exige les * prémices du cceur; il exige des prières Sc des » adorations qui s'élèvent au ciel avant que la » rofée du matin difparoifle. Le fidéle adorareur ,y d'Alla doit fe profterner en fa préfence avant y> que Ie foleil 1'accufe de'pareiTe,par le retour de  rits d'Asmar. ii jj fa vive lumière, & continuer fes adorations » lorfque I'ceil du monde s'cft couvert des ombres » de Ia mric. II doit entrer dans la fociété des 3> fidèles, randis qu'il jouir de toure la force de » Page , & perfévérer dans fa marche comme les as rajaputas de I'Orient». » Horam, lui répliquai je, s'il falloit adorer » Oieu comme il le mérite, la plus longue vie 3) ne fuffiroit pas. Mais notre père célefte n'exige 33 pas de fes enfans ce qui eft évidemment au- 33 delTus de leurs forces. II eft vrai que nous de- 33 vons marcherfansceireen fa préfence,l'adorer, a le remercier, le prier tous les jours de notre 33 vie, a toure heure & a rout moment. Mais 33 lorfqn'on a eu le malheur de 1'oublier dans fa 33 jeuncfle , encore vaut il mieux revenir a lui fut " le rerour de lage, que de perfévérer dans fon 33 inffdélité. II vaut mieux fe mettre a 1'ouvrage a 33 1'onzième heure du jour, que de refter oilif 33 toure la journée, jufqu'a la fin de notre tems. » Dieu nous a promis le pardon de nos fautes 3) par les mérires de notre fauveur, qni n'eft pas 33 feulement un grand prophéte, comme Mahomec 33 le repréfentej mais le roi,le prêtre & le ré- 33 dempteur du genre humain». « Quel eft donc ce rcdempteur, dit Horam, >3 dont je vous enrends parler fi fouvent & avec « tant d'admiradon ? I/un peut-il préferver  12 Vie d'HoramJ » 1'autre de la colère de Dieu, tandis que voas » reconnoiflez vous même que les plus fages Sc » les meilleurs des hommes ne fcnt pas de dignes » adorateurs de la majefté divine » ? « Cc n'eft pas en tant qu'homme que notre » divin rédempteur a fauvé le genre humain, » lui dis-je, c'eft comme Dieu fait homme; en » cetre qualité, il a fatisfair pleinement, non» feulement pour mes péchés, mais auffi pour » les votres ». « II eft certain, dit Horam, que toute chair » eft foible & corrompue. Foibles comme nous » le fommes, nous ne pouvons pas fuppofer que » celui qui eft toute bonté & toure perfection, » puiiïe nous rendre capables de remplir de » nous mêmes nos devoirs envers Dieu & envers les hommes. Je conviens que nous avons be'- foin pour cela d'un pouvoir fumarurel; je ne » vois pas auffi qu'il faille abfoiument que ce » pouvoir foit divin „. " Si 1'offenfe eft contre Dieu feul, répondis» je, Dieu feul peut pardonner. Mais la créature » ne peut rendre a Dieu que les hommages » qu elle lui doit comme être entièrement dé» pendant de celui qui la faite. II n'y avoit donc » ni ange, ni faint, ni, prophéte qui put rachetet " les hommes, lis ne pouvoient tous s'acquitter » que pour eux feuls de ce qu'ils devoiem a leur  fus d' asmar. 13 h créateur. Leurs mérites & leurs vertus ne pou» voient fervir de médiation pour les pécheurs. a> Donnez a un homme toute lafainteté dont il » eft capable, fuppolez-le parfait, 1'ami de Dieu, &c revêtu de toute la puiffance qui puiiTe être »> accordée a une créature , dans eet état de per,» feótion, il n'adore Sc ne fert Dieu que pour ,> lui feul, & ne peut fatisfaire pour les péchés » d'un autre. Ce que je dis de 1'homme eft éga» lement applicable aux anges, zuxgénies, ou êtres j> fupérieurs a. 1'homme. Ils font auffi les créan tures cXAllct. Tout ce qu'ils peuvent lui rendre ,» d'hommages Sc d'adorations, n'eft qu'un tribuc » qu'ils doivent pour eux-mèmes. En confidérant »> la rédemption fous ce point de vue, il vous » fera aifé de concevoirque le rédempteur devoic » être égal a dieu. Suppofer qu'il y a plufieurs »> dieux, ce feroit déroger a la dignité de fa na» ture qui eft eflentieliement une. C'eft pour» quoi nous croyons que le fils de dieu, engendré ^ du père, le mejjit que David défiroit de voir, »> & que tous les prophètes des hébreux annon»» cèrent au monde , s'eft réellement incarné, n afin de pouvoir fouffrir, Sc fatisfaire par fes M fouffrances pour les péchés des hommes. Je u ne crois pas du refte que 1'on puiffe trouver i> quelqne chofe d'abfurde ou de dcraifonnable «n dans eet exemple merveilleux de miféricorde.  *4 V'ied'Horam; » Lorfquedieu condamne, qui peut abfoudre»" » finon dieu lui-même? Et i qui Ia gloire de la » rédemption du genre humain peut-elle êrre at» tribuée, fmon au père des miféricordes »? « M. Morell, me dit Horam, il y a de la rai» fon & du vrai dans ce que vous dires; mais je » doure que beaucoup de chrétiens réfléchifTent » auffi férieufement que vous fur ces matières. » Vos frères fe contenteut de profeifer une re» ligion fans la pratiquer, decroire en aveugles, » fans être cclairés, ni afFermis dans leur foi. Si » votte religion eft vraie, ó que les européens » font méchans! Je les compare a une femme » folie qui voudroit éclipfer la vive lumière du » foleil par la fombre lueur d'une lampe «.. J'eus plufieurs autres converfations femblables avec Horam; mais je misceile-ci par écrit auffitot que je J'eus quitté. Ses judicieufes remarques nrent une vive impreffion fur moi; & je crus que, freiles faifoient une égale impreffion fur les autres , la publication n'en feroit pas inutile. A préfent que j'ai la plume a la main, & que je m'occupe a tranfcrire les paffages les plus intéreflans de nos entretiens particuliers, je ne puis m'empêcher d'y en ajouter un qui concerne une confidence qu'il me fit. Nous difputions a notre ordinaire fur la religion. Horam prenoit vivement le parti de fon  FILS D* AsivtAR. I5 prophete Mahomet. Je lui dis : « mon ami, queüe » récompenfe avez-vous a promettre a ceux qui » embra'Tènt votre religion? Si, par exemple, » époufant votre zèle pour la foi mahome'tane, » j'avois deflein de me faire mufulman, quelle » récompenfe pourriez-vous m'aflurer » ? « O mon ami, me répondit Horam , je vois Ie r> but de votre demande captieufe. Si vous faifiez *? |* mème queftion a nos doéteurs, je fais qu ils " vcus promerrroient un nombreux férail dans 35 lauwe vie, avec toutes les délices de la voluptc. »3 Mais, 6 monfieur Morell! je n'oferois vous 3^ faire une telle promenè. Je fuis honteux, Sc 33 fcandalifé toutes -les fois que je les entends ne >' promettre que des plaifirs fenfuels a ceux quï 53 prendront le nom de Mahomet pour leur prow p'nère. II n'y a que des jeunes gens qui puilTent » faire de pareils contes, & il n'y a que des jeunes » gens qui puiffent s'y lailfer prendre. La volupté 35 fenfuelle n'eft guère propre a exciter dans 35 lame 1'amour cXAUa, & des embraflemens im33 purs caraótérifenr mal une foi pure. Si j'avoïs » une pierre précieufe, je ne la jeterois pas fur » un fumier; je n'irois pas 1'enterrerdansla fange » d'un grand chemin ». Plus je converfois avec Horam, plus j'avoïs fujet d'admirer fes talens & fes rares qualités. Quoique fort religieux, il avoit peu de préjugés.  itf V i e D' H o r A ivf ; Quoiqu'ii fit profeffion de la foi mahométane, h religion fe rapprochoit beaucoup de la religion naturelle. Je connus i ces difcours qu'il avoit beaucoup voyagé; & fa profonde fageiïe faifoit alTez voir qu'il avoir beaucoup profité de fes études & de fes voyages. Je lui ai témoigné une forte envie de favoir 1'hiffóïre de fa vie. II me fit Ie récit que je vais rapporter. « Je naquis, me dit il, vers les confins de la » mer Cafpïcnne. Mon père Adcnam, dit Afmar 3 » Iman de Ferabad, moürut lorfque j'étois en» corealamamelle. Ma mèrè eur recours a la » charité des amis de mon père. Leur eftime & » leur amitié pour Adcnam leur fit prendre foin » de fa veuve & de fon fils. Us n'épargnèrent rien •> pour mon éducation. » A douze ans je vins l Mouful étudier fous » Acham, le plus fa van t des doóbeurs de la loi » de Mahom:'. Je continuai pendant neuf ans a » recevoir -res lecons, & je fervis dansles mof» quées de Mouful, jufqu'a ce qiïAtöoun, Bacha » de Diarbcc, ayant eu quelque différent avec » notreCadi,marcha vers A/ü«/a/,qu'ilfaccagea, » & d'oü il emmena quarre eens des premiers »> habitans qu'il vendit comme efclaves. J'étois » de ce nombre. Quoiqu'Iman, je fus envoyé a » Aicp par le bacha, & vendu a un marchand » anglois. Le nom de mon manie étoit Wimbk- »ton.  FltS »' A S M A R*. ïj »» 'ton. Je vécus plufieurs années avec lui. J'appris i> aifément ÏAnglois, Sc je lui fervois d'inter» prète; 3» M. yfinibleton, me cönnoiuant de la fidé» lité Sc de l'induftrie, me fit fon commis, rn* *> chargeant de négocier pour lui dans 1'intérieuc s> dii pays. Je fis plufieurs voyages en diverfes 33 contrées de 1'Antajïe , de la Turcomanie, dn 33 Curdijlan Sc de la P la libetté j a condition néanmoins que je reftei> rois avec lui jufqu a fa mort, toujours chargé as des affaires de fon commerce. J'acceptai fes 33 offres, & Alla a abrégé le tems de mon efcla»> vage. 33 Mon maitre mourut au bout de deux ans. II « me fit appeler auprès de fon lit; me chargea » d'envoyer tous ces effers en Angleterre $ a. fon 33 fiére qui ne les méritoir pas, me dit-il, mals ■33 a. qui il vouloit faire autant de bien qu'il en ïj avoit recu de mal, afin que foii tombeau në fut 33 point ferme fur fa colère. Il me permit feulet> ment d'en prendre le quart pour moi. II me le 3> donnoit comme récompenfe, & de peur que 33 la pauvreté ne me donnat un nouveau maitre j3 auffi dar qu'il étoit bon. » Je fus très-fenfiblea la mort de M. Wint' Tome XXIX. g  18 Vie r>' H o r. a m i *j bleton. Je réfolus de pafler en Angleterre avec *» fes biens; & au lieu du quart qu'il m'avoit » donné, je jugeai que le dixième fuffifoit aux » befoins d'un homme né fans ambition , qui s> n'avoit point mis fon efpérance dans les plaiü firs & les richdïès de la vie. « Ayant raflemblé les effets de mon maitre, „ je in embarquai fur la Meditcrranee : après un *> trajet heureux , je defcendis a Leghorn , d'oü » je paflai a Paris, Sc der 14 a Caiais Sc a Londres. « Ce qui me frappa lé plus X mon atrivée en „ Europe, ce fut la magnihcence de la religion 'h romaine, oü je m'appercus que 1'oftentation » du culte remplacoic les devoirs de la morale, sj & que la faperftition éteit vêtue des riches »> habillemens de la foi. Ces abfurdités me furj> prir^nt, d'autaut plus que monfieur Wimblcton n m'avoit-annoncé que je trouverois en Europe, ti fi jamais j'y allois, les coutumes, les plus rai» fonhables, les mceurs les plus pures, Sc la plus » fainte religion. Une autre remarque.que je fis., » fut que le vifage des femmes ne peut fuppor- ter long-rems la nudité , Sc que les voiles de » YAJie conviendroient bien aux dames Eurq„ péennes. J'eus fouvent lieu d'obferver que les » prêtres Chrétiens font fort monorones dans leurs « priores, & que leur dévotion confifte fur-roiit » dans beaucoup de geftes Sc de grimaces. Nous p fommes plus férieux öc pius refpedueux en  r i t s d' A s m a t«> » préfence d'^/Az j au lieu que les Chrétkns font » auffi diffipés, même auffi babillards au templc , 3> que dans leurs maifons de rafraichiffiement;. B C'eft ce que j'ai remarqué en Angkterre plus » particulièrement que par-tour ailleurs. Én vé» mé , V Anglois fe conduit dans le temple, » comme s'il étoit au-deiïus de la Divinité qu'il » y vicnt adorer. II fert Dieu avec la plus grande » indifférence, au moins a en juger par 1'exté» rieur. Lorfque les Anglois s'alTemblent pour » adorer ia divinité, la religion eft la dernière » de leurs penfées. Peut-être auffi que la variété » des poftures & des grimaces eft une grand® » marqué d'adoration parmi les chrétiens. Si cela » eft , j'avoue que les Anglois font plus dévots » que tous les autres. Les mts font debout, les » autres affis : il y en a qui font appuyés, d'autres » qui rienr: jen ai vu qui regardoient la voute , r> d'autres dont la tête mobile tournoit de tous » les cötés : plufieurs dorment, & leurs voifïns » ne font occupés qu'a les réveüler. Cetre fcène » diverfifiée eft répétée dans chaque églife avee » beaucoup d'autres circonftances. Un étrano-er » doit fe faire une idéé bien peu raifonnable d'une » religion dont les feótateurs mettent fi peu de ;> décence dans leur culte. Mais je ne vous im» porwnerai pas davantage de mes obferva» nons qui font pour la plupart religieufes, mes Bij  '3w> 'Vie d' H o h a tx i si premières études m'ayant porté naturellemenf » a obferver les difFérentes religions en ufage »> parmi les hommes. » Arrivé a Londres, je me rendis chez le frère »> de M. Wimbleton, dont je lui remis les efFers, a> en lui difant que mon makre avoit eu la bonté i> de m'en donner le quart pour récompenfe de »> mes fervices. 35 M. Edouard Wimbleton changea de couleur » lorfque je lui parlai de la bonté de fon frère a >3 mon égard. La nouvelle de fa mort n'avoit pas >> fait tant d'impreflion fur lui. 3> Je fus faché de trouverde tels fentimens dans »> un chréüen. Je croyois que, dans le royaume le 33 plus éclairé de la terre, on devoit faire moins ,3 de cas des richeflès, & avoir plus d'afFedion » pour un frère. 33 Je me hatai de ie tirer d'inquiétude. Je me fuis fait une maxime de faire autant d'heureux 53 que je puis; il n'appartient qu'au puiflant Allo. 33 de juger & de faire juftice. MonfieurT lui diss3 je, quoique mon makte ait été fi libéral a mon h égard, je ne veux point proficer de 1'excès de 35 fa générofité. Je n'ai pris que le dixième de fes » biens, & j'ai apporté avec moi le refte, donc s3 vous pouvez prendre poflellion quand vous le «5 voudrez. » M. Edouard Wimbleton, charmé de ma ré-  ï i l $ d' A s m a"r. ï 1 » ponfe, me répondit obligeamment que la mo*> deftie Sc la décence convenoient a ceux qui 53 étoient nés oour fervir j que ma difcrétion érc ic 53 une juftice, Sc que je ne devois pas prendre 53 a la lettre un don que la maladie & un affoi33 büfiement d'efprit avoient armché a fon frère j 33 qu'il favoit 1'inrluence qu'un efclaveadroitpoii55 voit avoir fur fon maitre, dans ces momens 33 ou 1'homme n'eftprefque plus a lui. Mon frère, 33 ajouta-t-il, a toujours été trop généreux. Ceft 33 ce vice qui le forca de quitrer X Angleterre, 53 après y avoir prodigué fon bien. Ce fut auili 33 ce qui m'empêcha de lui prêter 1'argent qu'il 33 me demandoit pour rétablir fes affaires. Au5> lieu de me rendre a fes infrances, je lui con33 feülai d'aller chercher forrune ailleurs. Si je 33 i'avois afliftié ici, il ne feroit point allé a AUp, 53 Sc n'auroit point amafTé les richeflês qu'il a 33 laiffées en mourant. Après ce difcours, il me 33 recommanda d'honorer la mémoire de mon >5 maitre, cc de revenir le lendemain matin. 33 Je revins a 1'heure marquée, apporrant avec 55 moi le reftament de mon maitre, ou il me lé33 guoit le quart de fes biens. La dare du teftament >5 étoit anténeuré a fa demière maladie. Cecte s3 pièce me fervit au befoin. is M. Wimbleton me recut afféz mnl. II me fit 33 des reproches durs fur ia baflefie de ma n'aif- B iij  « V I E »' H O K A M i » fance, fur ma patrie & ma religion, me don» nant plufieurs noms de mépris relatifs a ces » objets. Je les foufFris patiemment, me rappel» lant d'avoir vu plufieurs makométans traiter auffi » mal les chrétiens. Ce n'étoient-Ia que les pré3> hides d'une fcène beaucoup plus révolrante. 5 Ouvrant la porte de fon comproir, il appella » une troupe de ruffiens qui fe dirent officiers ? de illflice- 11 le«r commanda de me metier en » prifon comme fon débiteur. Je leur dis que je « ne devois rien | eet liomme. II infifta, en di» fant que j'étois venu lui faire un compte,&que, » fous prétexte de modération & d'honnêteté, 8 ne voulanr pas prendre le quart des biens de » fon frère, que je prétendois qu'il m'avoit Iaifle, » je lui en dérobois la dixième partie contre » toute juftice, puifqu'ilnem'enappartenoitrien s> du tour. » A cela, je répondis fimplement que je pou.» yois rrosrrer le reftamenr de mon maitre qui » étoi: en forme & dument légalifé; que du refte » j avois un ami a Londres qui avoit long-tems » demeuré a Alep; qu'étant chargé de fes affaires, » je devois le trouver a deux heures a Ia bourfe; » qu'il favoit que j'étois venu ce matin chez » M. Wimbleton, & qu'il fauroit bien tirer raifon » de fes mauvais procédés a mon égard. ï Au même moment en frappa fextement a  rits d'Asmar. 2} „ la porte. M. Wimbleton palit, & les prétendus as officiers de la juftice parurent interdits. Je pro55 firai de leur trouble pour fortir. Je rencontrai 33 a la porte mon ami avec bonne compagnie. ,5 Monfieur, lui dis-je, vous venez a propos j5 pour me tirer des mains d'une troupe de gens 55 de mauvaife mine. M. Wimbleton me taxe de 35 vol} mais j'ai dans ma poche le teftament de 35 mon maitre. 35 Ou eft M. Wimbleton, dit mon ami? n'y a35 t-il point de valets au logis, ajouta-t il en frap55 pant fortement a la porte ? 53 Monfieur, voici la porte du comptoir, lui 35 répondis-je en la lui montrant; j'y ai laiffé 55 M. Wimbleton avec quelques gens qui fe difent 55 Officiers de juftice. 33 Mon ami voulut ouvrir la porte : on lui die 55 que M. Wimbleton ne pouvoit voir perfonne 55 ce jour-la , & qu'il n'étoit pas en état de parler 55 d'affaire. 55 C'eft ce qui m'inquiète afTez peu , répondit 55 mon ami; je luis content d'avoir fauvé un 55 honnête étranger du piège qu'il lui rendoit. 55 Nous forrimes auffi-tot pour nous rendre a 55 la bourfe oü mon ami publia les mauvaispro35 cédés de M. Wimbleton, en faifant voir que 55 j'avois réellement droit au quart de la fottune as de fon frère. Lpind'approuverma modératiou, B iv  $4 V r e d' H o r A m ; si on en fit un fujet de rifée. II ne mérite ni 1« s> quart, ni le dixième, difoient les uns, puifr v qu'il ne fait pas mieux faire valoir fes droits. 5> Sa conduite, difoient les autres, fait douter j> s'il a aucun droit naturel. Eft-il naturel qu'un 33 homme fe contente du dixième , lorfque le » quart lui appartient légitimement? » Enfin chacun voulut voir le reftament. II v courut de main en main; & chacun fut con» vaincu de la réalité de mon droit. sa Alors un bruit unanime s'éleva. Mon ami 3» & tous ceux qui étoient préfens me confeil-, 35 lèrent de faire valoir mes prétentions fur la 35 totalité du legs », « Meilieurs, leur dis-je, je n'ai jamais défiré 3? plus que je n'ai. Tput homme doit metrre des 33 bornes a fes fouhaits. Les miens font remplis, 33 graces au ciel. J'ai aflez pour mes beföins. De$ i» pluies trop abondantes font périr les fruits de 5» la terre, au lieu de les nourrir. II y a un vent 33 qrji fait toutner le moulin; il peut y avoir un s.3 vent trop violent qui le brife ». 53 Cet homme eft hors de lui-mênae, difoient? s> ils, il ne coimoit pas leprix des richeffes ». « Quoi qu'il en foit, meffieurs, ccntinuai jes *3 je qe pujs accepter une récompenfe qui me 55 femble au-delTus de mes fervices. Je fens que ,s la libéralité de mon maitre a été exceflive.  r i l s d' A s m a r» if| » & je ne dois pas en abufer. Du refte, il ne 35 feroit plus tems de fuivre des confeils dont je 33 vous ai obligation. J'ai déja remis les neuf di~ 33 xièmes au frère de mon maitre, en renoncant' » a toutes prétentions ultérieures ». « Vous avez mal fait, dirent-ils : mais avez33 vousfigné cerenoncement?y a-t-il des témoins " qui puiffent attefter que vous avez renonce au 33 quart qui vous eft du* M. Wimbleton a-t-il des as preuves juridiques de votre défiftement? S'il 33 n'ena point, vous pouvez 1'attaquer en toute 33 süreté. La juftice ne tient point compte de ce » qui s'eft dit 8c paffe entre vous & lui. >3 Les preuves de M. Wimbleton font de peu s? de conféquence pour moi, répliquai-je \ mais j3 je porte au fond de mon cceur un témoin de 33 mes adtions , qui ne me juftifieroit pas, quand 33 tous les moaarques de la terre me déclareroient 33 innocent. *» Ge pauvre homme, dirent-ils, a des idéés 3> bifarres : il ne fera jamais fortune. Quand il w n'auroit que le vingtième, au lieu du dixième, 33 ce feroit encore affez pour lui j car il ne faura 93 jamais le faire valoir «. 33 Alors ils me quittèrent, a. 1'exception d'un 33 perit nombre. Un d'eux me dit: j3 J'admire votre facon de penfer, votre défin« as téreffement & votre medeftie 3 mais permettez*  Vie r>' H o r a m; » moi de vous dire que vous négligez le bicn tp public, en renoncant a. votre intérét particulier. » Vous devez au public de dénoncer & faire pu33 nir quiconque viole les loix facrées de la pro» bité ; & le bien qu'il vous reftituera, vous pou33 vez lë faire tourner au profit du public , li vous 3» y renoncez pour vous-même. C'eft-la la grande 33 loi de la fociété. II vaut incomparablement » mieux faire du bien a la multitude, que de 3> mettre fon plaifir a boire & a manger pour )3 foi feul 33. « Vous avez raifon , lui répondis-je j mais, 33 dans le cas préfent, je ne puis faire ce que vous 33 me confeillez. Je fens que M. Wimbleton ne »3 mérite gucre la celïïon que je lui ai faite d'une » partie de ce qui m'étoit dü; je ne puis auffi « 1'appeler en juftice qu'en répétant un bien que 3j je lui ai déja cédé librement. Le public ne peut 33 pas exiger le facrifice de ma confcience; & ss la juftice n'eft point fondée fur les vices par» ticuliers ». « Monfieur , me dit-il , vous ferez ce que » vous voudrez. Je n'ai plus qu'un mot a vous 33 dire fur ce point. C'eft que la loi vous favorife as dans le cas préfent. M. Wimbleton eft en votre " puiffancej & vous avez torr, fi vous le laiffez v, échapper. Le public artend autre chofe de vous. « Celwi qui dérobe mi coupable aux pourfuites  rits d' A s m a r; 27 3» de la juftice, ne vaut guère plus que celui qui J3 a commis le crime ». w Alors chacun s'en alla de fon cóté. Je me 33 retirai tranquillementchezmoienréflechiflant 33 a la fcène étrange qui venoit de fe paffer >», « Les europe'ens font trop raffinés pour le gros »3 bon fens des afiaciques, me difois-je en moi33 même. Je me trompois lourdement en m'ima33 ginant que la vertu avoit les mêmes bornes par >s toute la terre. 33 Le commerce eft le prophéte des européens, >3 & lor eft leur dieu. Je veux néanmoins ap33 prendre leurs fciences, qui naquirenten^/fc, J3 mais qui ont fru&ifié en Europe. 33 Je m'appliquai férieufement a 1'étude de » ces fciences fi juftement eftimées dans l'Orient, 1, La fcience des figures fut une des premières »3 qui m'occupa avec celles des nombres. J'apptis 33 a mefurer avec neuf figures la grandeur du 33 globe qui produit la lumière, a calculer la dif33 tance des étoiles du ciel, a prédire les éclipfes 93 du foleil & de la lune , a annoncer aux nations 33 la perte de la lumière des cieux. Par ces talifJ3 mans fcientiriques je pus mefurer la haureur 33 inacceffible des montagnes, la vafte étendue 3) des mers, & menacer la terre de 1'apparition 33 effrayante des comètes. Je n'épargnai ni tems 33 ni peines pour pénétrer dans les profondeurs  'iSf V~I I d' H o r a m j 55 des mathématiques. Je converfai avec le grand « 8c fublime Newton, comme les orientaux conn verfent avec les génies. Je le vis faire defcendre « Ia lune des royaumes de la nuit, 8c produire a « fon gré Ie flux & le reflux de la mer; je 1'en» rendis lire dans fon livre les loix de 1'Océan v tumultueux; il rracoit avec fa baguette le cours 5> des éroiles, & foumettoit a fon fyftême les » orbes excentriques. Il rendoit la lumière pal55 pable 8c décompofoit fes rayons. Il donnoit » aux émanations du foleil des couleurs fpécij5 fiques, & un ordre fixe z 1'éclat du jour. II dé»5 veloppoit les loix éternelles de la nature , 55 & fembloit inftruit de tous les décrets da 53 ciel. 53 Les lecons de ce grand maitre me dédom33 magèrent amplement de toutes les peines 8c 3» fatigues de mon voyage en Anglcterre. Ce que » j'aurois vainement cherché dans les magafins 33 des marchands , je le trouvai dans les cabinets 35 des favans. 33 C'éroit un grand fujet de joie & d'admira33 tion pour un Afiaüque ignorant & bigot, de 33 perdre fes préjugés dans le vide immenfe ou >s nagent les planètes 8c les tnondes , d'envifager 53 avec mépris fur un globe arrificiel la mer Caf55 pienne qui avoit jufqn.es li borné ma vue , & » de mefurer a TèuvertLtfé ê i tómfas tous les  'f i t s d' A s m a kV 29 i> royaumes de la terre raiïemblés fous mes yeux j •> de confidérer ce grand aflfemblage de terre & »> de mer comme une planète abïmée dans le s> tourbillon du foleil, &c le foleil lui-même, » comme une étoile au milieu de mille autres » égales , finon fupérieures en grandenr. Quand » enfuite je ramenois ma penfée fur moi mème, »> alors je me regardois comme un atome invi» fible , perdu dans 1'immenfité d'un million de » mondes. » Mes recherches ne fe bornèrent pas la. Je » fuivis mon ami a Cambridge , oü j'eus le loifir » de m'appliquer a 1'étude de la phyfique. Je vis » avec fatisfa&ion préférer les faits aux hypo» thèfes, & la nature fe trahir elle même par fes »> opérations. Je tracai avec admiration les prino cipes des mécaniques. Je vis 1'échelle réguliere » de la multiplication des forces, qui faifoit dire » a Archïmede qu'il remueroit la terre avec ua » point d'appui & un levier aflez grand. Les fej> crets de la chymie me furent dévoüés. Je vis « la matière , pendant fon inertie naturelle , n s'agiter d'un mouvement inteftin , & le feu >j defcendre du ciel pour mon amufemenr. Cet >a amufement étoit inftruétif. J'avois occafion » d'entendre les philofophes difpurer enfemble, i> fe contredire les uns les autres, & appuyer » leurs fentimens oppofés fur les mêmes expé-  V t e d' H o r a m; » riences. Cette bifarrerie me montra dans toue » fon jour la beauté de la nature & la folie de » 1'homme. Je vis 1'ignorance naltre du fein de » Ia fcience; & les profondes méditations des fa» vans me ramenèrent oü elles m'avoient trouvé, » entre les bras de lmcertitude , avec cette dif• » férence que je m'érois convaincu de 1'igno» rance humaine , au lieu que je voyois les autres « difpofés a fe laifler tromper par une vaine ap» parence de fcience. Je terminai ce cours de » fciences par conclure que le favoir n'eft utile » qu'autant qu'il nous apprend a bien vivre ; & »> que favoir beaucoup fans pratiquer , c'eft ref» fembkr a un laboureur qui travailleroit beau» coup au tems des femailles, êc refteroit oifif » au tems de la moilïbn. » Ayant joint les connoilfances hiftoriques a a mes autres études, je fongeai g rentrer dans * ma patrie qui óffroit un vafte champ a 1'exer» cice de mon favoir. » La guerre atrèta mon voyage cYAlep. L'entree de YJfie } fermée par la Médicerranée , » reftoit encore ouverte par les Indes orientaks, » Une flotre alioit mettre rï la voile pour ces rén gions. Je m'embarquai comme paflager, fur un *\ vailTean de la compagnie ; & après un pafiage atilh pénibte .qu'ennuyeux, j'arrivai i la baie de >» Bengalc. i i  f I I S »' A S M A R.' 5 r » L'unique fatrsfadtion que j'eus dans mon » voyage, ce fut de voir mes connoilfances con- » firmées par l'expérience. Les merveilles de » 1'Océan ne me femblèrent pas moins magni- » fiques que l'afpeól majeftueux des montagnes. »> Les vagues foulevées par la tempête , en s'éle- >5 vant comme la cime orgueilleufe des Alpes , »> ni'infpiroient une femblable horreur. Mais » celui qui eft bien convaincu que fa vie n'eft » point a lui, eft tranquille au fort de la tem- » pête. II lui importc affez peu qu'il foit la pature 33 des vers de la terre , ou réduit en cendres par j3 la foudre. 33 Je reftai que'que tems a Bengale, attendant 33 une occafion pour pafter a la Cour du Mogol 33 oü j'avois defTeinde chetcher un établiffemenr, 33 Les monarques de 1'Orientfont curieux a 1'ex- » cès des fciences de YEurope. C'eft une des raifons 33 pour lefquelles ils ont accueilii les Jéfuitcs & to- 3' léré leur religion ,■ fe Batffant de tirer avantage -■> des favans travaux de cette fociété. Mais en gc- 33 néra!, ils ne font point favorables a la religion «• chrétienne j &c fi les miftionnaires n'avoient » d'autre appui que leur. religion , ils feroient 33 bienrót facrifiés aux do&eurs Mahométans & >3 aux brames Indiens. Maisa préfent, la religion 33 n'eft que le prétexte des voyages des Jefaifês >3 dans Ylnde; & peut-être font-ils aüfli peu zèlés  V i b r>' H o r A m , » pour la propagation du chriftianifme, que les » mahométans Sc les payens font peu difpofés a » 1'embraffër. Ils font bons mathématiciens Sc » mauvais faints, fi ce n'eft lorfque la prédication » de 1 evangile peut leur procurer quelques avan» tages temporels. » II n'y a donc que leur favoir utile qui pro» tège, a la cour des monarques de 1'Orient, des » hommes odieux a toute YAJie, Les machina» tions fecrettes des pères de la fociété, quoique » conduites avec art, ont été découvertes par )j ceux qui les ont étudiées Sc ob'fervées de prés. s> Leur fort eft décidé, dés que les AJiatïqucs » feronr auffi favans qu'eux. » Ces réflexions furent pour möi un nouveau j> motif de me perfecTionner dans les fciences & » les arts des Européens. Je ne doutois pas que » je ne me rendifte agréable k la cour du grand « Mogol. Mes efpérances ne furent pas vaines. » je me fis connoitre des Nababs & des Vizirs. »> Je m'étois pourvu des meilleurs inftrumens de n mathématique, & d'une bonne bibliothèque. v> Je fus fuivi & admiré. Ma réputation parvint » aux oreilles du Mogol. On m'appeloit le phi»> lofophe de 1'Orient. J'eus ordre de me rendre » a la cour, öu je fus admis a 1'audience du mo»> narque. » Mon favoir, Sc la facilité avec laquelle je parloïs  fits d' A s m a r." v parlois les langues de l'Europe, lui firent foup» conner que j'étois un Jéfuite déguifé. Les plus » habiles docteurs mahométans eurent crdre de » m'examiner. Je pratiquai devant eux les ablu-. » tions, purifications, Sc toutes les cérémonies » de ma religion. Je leur fis rhilïoire de ma vie, » Sc leur racontai ma naifïance, le nom de mes s> pareus, & de ceux qui m'avoient inftruit des » préceptes de la foi mahomélane, mon féjour a » Mouful, mon efclavage a Alep, mon voyage jï en Angleterre, Sc mes études dans le féjonr de j> la fcience. Je leur déclarai que mon delfein v> étoit de communiquer mes connoiiïances a ceux >3 qui voudroient bien m'écouter, afin de tranfjj planter le favoir de ÏEurope en Afie ■ je finis j> en les prianr de feconder mon entreprife. >3 Ils louèrent mon courage Sc apnrouvèrei c jj mes vues. Le Mogol inftruit de mes intei,» tions, s'emprefla de me témoigner combien >j elles lui étoientagréables. J'eus un appartement r> dans fon palais, oü il venoit fouvent admirer jj mes expériences. Je m'attachois furtouc aux » mathématiques Sc a 1'aftronomie, paree que jj c'étok le goüt du monarque. 33 Ayant repris aufli mon premier emploi de jj religion, je demandai la permiflion de faire les 3> fon&ions cXlman-s je prêchois au peuple, lorfj> que mes occupations me le permettoient, & Tqjrz XXIX» C  24 Vie d' Horam:; j> je lifois la loi de notre prophéte dans les mof- » quées. » Alld bénit mes travanx : ma réputation s'é35 tendit par toure XAjïe. Je répandois la fcience 33 d'une main, & de l'autre je recueillois toutes 33 fortes d'honneurs. 33 Aureng\tb, le grand conquéranr de la terre, 3j étoit mon ami: il m'avoit chargé de 1'éducation jj du fultan Ofmir, fon fils. 35 Ofmirriavoit encore que cinq ans, lorfque 35 le Mogol le confia a mes foins. 35 Que la vertu foit la bafe de la fcience; Sc jj que la fcience foit 1'efclave de la vertu. 55 Telles furent les paroles d''Aureng^eb , lorfs» qu'il me chargea de 1'éducation de fon fils. Je 53 me profternai devant lui, Sc m'appliquai a inf5> truire 1'augufte enfant. 35 Ce fut alors, ó Morell, que Je concus Ie 55 deffein de couvrir la morale la p!us pure du voile léger de 1'Allégorie, pour rendre 1'inf95 truófcion plus agréable & en même tems plus 35 utile. Mes yeux avoient vu les beautés variées 53 dont la nature ofTre le fpeótacle ravifïant dans 55 les différentes cbntrées de la terre. Mon ima99 gination me les reptéfentoit, & il m'étoit aifé ,5 de les peindre dans des defcriptions btillantes. 53 Cette idéé me plut. Je crus que la vertu s'infi-  r i t s »' H o r a Ü $5 ia nueroit doucement dans un cceur tendre , fous » les fleurs du langage. jj Mes lecons, deftinées au prince feul, furent *3 lues & admirées de tous les grands de la cour» 53 Ofmir, pour qui elles étoient faites, fut le feul »5 qui ne les goüta pas. II avoit 1'efprit léger & peu is» propre a. 1'étude de la fagefie. II maudilTbit les 95 momens qu'il pallbit avec moi. II ne profita »> point de mes lecons. A peine pouvoit-il fup»> porter le nom de la vertu ; au lieu que le vice 33 le charmoit, malgré fa difformité. Seulement s» lorfqu'on lui peignoit la vertu récompenfée , u il marquoit une forto d'amour pour elle : ou 35 plutot pour 1'avantage qu'elle procuroit; mais is 1'attrait du vice 1'emportoit bientót dans fon 35 cceur. « L'eftime de toute VAjïe ne confoloit point 35 le fils & Afmar du chagrin qu'il avoit du peu 33 de pront que fon illuftre pupille retiroit de fe* 55 lecons. D'ailleuts , 1'admiration de ceux qui 35 exaltoient le plus mes écrits, étoit une ad:r,i•3 ration ftérile. Ils admiroient la pureté de mes 33 lecons , fans en devenir plus vertueux. Cette sj penfée empoifonnoit les louanges qu'ils me •3 donnoient, & j appréhendois des maux que 3> je prévoyois feul. » Ofmir croifïbit en age , & j'avois le chagrin » d'êtte le précepteur du plus méchant des Cij  V i e d* H © r a m; » hommes. En peu danhées il reflembla plus l » un monftre, qua un homme.C'écoit Horam qui » étoit deftiné a reflentir le poids de fa méchanw ceté. » Aureng^eb s'appercut du caractère vicieux de 53 fon fils , &c craignir qu'il n'osat porter fes vues 55 fur le tróne de fon père. Le prudent monarque 3» lui óta toute fon autorité. Ofmir, fut enfermé » par ordre du Mogol, & on ne lailfa auprès de *> fa perfonne qu'un petit nombre d'ofüciers af- n fidés. » Le prince méchant me foupconna d'être « caufe de la févérité de fon père a fon égard. >5 II dit en confidence aux officiers qui le fer«5 voient, que je lui avois confeillé de détróner » Aurengieb. Le monarque en fut inftruit, Sc v 1'on me jeta dans les fers. Tous les grands fe >3 réjouirent de mon malheureux fort. Tant de » bafTefTe ne m'étonnoit point dans des cour» tifans. Mais la profonde malice cVOjmir me - révoltoit. 33 Au bout de quelques jours je fus tiré de mon 35 cachot pour paroirre devant Aurengieb. Le 33 monarque affedoit un air févère : je voyois >» néanmoins le fouris de Ia pitié percer au travers 33 de cette févérité affectée. II me fit óter mes .3 chaines, & ordonna aux courtifans ÖC a fes *> gardes de fe retirer.  fils d* A S M a r. ? -f » Lorfque nous fümes feuls , je meproflernai s> la face contre terre , perfiftant dans cette pofj» ture refpectueufe, fans rien dire. » Léve toi, Horam, me dit Aureng^eb, lève-toi, « ferviteur fidéle ; je ne te crois point coupable » des crimes dont iis t'accufent: dis feulement » que tu es innocent, & j'en ferai convaincu. » O maïtre du monde , qu''Horam ton efclave r> périffe plutót que d'accufer ton fils de menr> fonge. Oui, je le confefle , j'ai fouvent ex33 ciré Ofmir a la pratique de la vertu , a 1'amouc 33 de la vérité, de la fageffe , de la juftice , de la j3 modération , les plus précieux ornemens de » ton tróne. Je lui ai confeillé de te refïembler : 33 ma préfomption mérite la morr. Horam a eu 3» le malheur de voir tes efpérances fruftrées, &c 33 fes lecons diffamées. 33 Diffamées! oui, fans doute, reprit Aureng^ebs» car je me vois dans la néceffité d'accufer mon » fils de haffelle, ou mon fidéle efclave de réj» bellion. II n'y a point de milieu. Horam, reas tire-toi de la cour : fi tu es innocent, elle n'eft 3» pas digne de te pofféder : fi tu es coupable ,ce 3» que je ne penfe pas, tu es indigne de m'appro»j cher. Horam , retire-toi , je te donne mille fe3J quins dor; mais il faut que tu me promettes »j de ne pas quitter mes états : je ne puis ni te 33 garder , ni te perdre. Ciij  JS Vie p'Horam, sils d'Asmar.' » Je me jetai aux pieds cXAureng^eb : je lers-i » merciai de fa bonté, Sc je priai Alla de chan- » ger le cceur d'Ofmir. » Aurengieb me donna Panneau qu'il portoit w au doigt, & me dit de pattir dés la nuit mem© » pour me retirer vers les frontiètes les plus re» culées de fon empire. » J'obéfs. Le monarque avoit donné ordre a » un nabab, mon ami fmcère, d'avoir foin d© » moi, & de me faire efcorter jufqu'a Pembou»> chure du Gange. Je traverfai les mers, & j© » vins fixer ma demeure dans eet établiflement » de votre nation. Dés que ma difgrace eut éclaté » a Ia cour du mogol, on empoifonna mes lecons; s» on les interpréta malignement : on me fup» pofa des vues dont mon cceur & mon efprit 3> étoient bien éloignés. Je retirai toutes les co» pies que je pus trouver, & les emportai avec »> moi, dans la vue de les brüler & d'en faire un j5 facrifice au dieu des payens » Le manufcrit de fir Charles Morell ne va pas » plus loin. Voyez au refte la conclulion des * contes ï la fin du troifième rome.  LES CONTES DES GÉNIES, * O u LES CHARMANTES LECONS D'HORAM , FILS D'AS MAR. C? i u a l a r , ïman de Terki, avoit deux enfans, Patna & Coulor, qui faifoient la gloire de leuus n parens, & 1'admiration des habitans de Ma^anderan. Ce refpe&able vieillard les menoit tous les jours dans un bois planté d'orangers & de citronniers. La, après les avoir p'.ongés dans les eaux claires d'une fontaine qui couloit dans ee lieu charmant, pour les purirïer des mauvaifes impreffions du monde, jl les faifoit affeoir anprès de lui, fous 1'ombre de ces arbres odiriférens, 8c leur répétoit ces lecons inftru&ives: « O mes enfans, écoutez votre père, ouvrez 5> vos tendres cceurs aux inftruótions de la yieil33 lefle, lahTez-vous touche? par les fages au- Civ  Les Contes » ximes de 1'expérience. La jeune fourmi ne va r> point au travail qu'elle n'y fort conduite par les « plus anciennes ; Paiglon ne s'approche da jj foleil que fous les ailes de fa mère; ainfi les » enfans de 1'homme ne doivent agir que par w 1'imprefïïon de leurs parens : toutes leurs dé.3 marches doivent être tracées par la main paa ternelfe. » Mais Patna 8c Coulor apprendront de Giuan lar a adorer Alla, Ie premier des êtres, 8c a jj honorer Mahomet Ie prophère des croyans. » Les défirs de la chair ne font que bafteffè ; & les fils de Ia terre ont des penfées ram3» pantes. Ils tendent & roidiflent leurs nerfs 33 comme Ie mulet opiniatre : ils s'attachent a fa » pourfuite des bagatelles, comme le chameau 3» dans le défert. Le léopard faute fur fa proier •3 ainfi 1'homme fe réjouit dans fes richefles ; 33 &c, comme un lionceau, fe chaufte au foleil de jj la pare (Te. >3 Les corps du parefleux 8c de Pintempérant 33 flottent fur 1 océan de la vie, ainfi que les casi davres fur les vagues du Tigre. 3J Les vautours du ciel dévorent les cadavres, 33 8c 1'homme eft déchiré par les remords de fa 33 confcience. 33 Fuyez les hommes, mes enfans; imitez Ie « pélican qui fe retire dans les lieux inhabités,  lis GiMiïS. 41 h fuivez 1'anon fauvage dans les déferts de la » paix ». Un jour que Gïualar répétoit ces mots avec plus de vivacité qua 1'ordinaire, il apperc,ut tout a coup un baume d'une odeur fuave couler en abondance d'un citronnier plus grand que les autres, quréroit vis-a-vis de ce rendre père Sc de fes enfans attentifs : dans un moment toutes les feuilles de 1'arbre furent couvertes de cette douce rofée, le tronc prit de lui-même une forme humaine, ils virentla figure rayonnante d'une belle femme. » Giualar, dit le génie , vorre zide m'eft m asréable. j'aime a vous voir élever vous-mème » & former ces jeunes cceurs. Un père eft béni » dans la fagefté de fes enfans, Sc la langue de tt l'infenfé perce le cceur de fa mère. Mais pour'» quoi le fage Giualar infifte-t-il avec tant de force n fur 1'amour de la retraire. Alla a mis vos en3> fans dans le monde: leur prudente Sc leur tra33 vail j leurs confeils & leurs exemples font dus » a leurs concitoyens. Les entrainer dans les dé33 ferts, c'eft les réduire a la vie des fauvages & 33 des brutes. Les volontés d''Alla ne font point 33 vaines. L'homme n'eft pas maitre de lui33 même , il fe doit a la fociété; & c'eft une folie •» de prétendreéluder les décrets du ciel. Giualar 33 a raifon de précautionner fes enfans contre les  4* Les Contes » vices & les folies des hommes; mais qu'eft ce » qu'une vertu qui n'a jamais été expoféePElle » ne mérite ce nom facré, qu'après avoir palïé » par les épreuves de Ia tentation. Iman refpec» table, connez-moi vos enfans : qu'ils viennenc » recevoir des lecons d'humanité,de la bouche des » geaies immoreels & bienfaifans; qu'ils voient » de pres les vices & les vertus des hommes; » que ce contrafte leur apprenne a fe conduite » fagement dans les fentiers de la vie Giualar, charmé de Poffre dugénie fe profterne en fa préfence pour lui rendre un jufte hommage de prières & de Jouanges. « O Iman ! lève-töi, » dit \egénie; Alla feul mérite tes vceux : quoique »» fupéneurs aux hommes, nous fommes, comme » eux, I'ouvrage de fes mains. La lune eft a pré» feut entre nous & 1'ceil du jour : avant qu'elle »> ai fait le tour de la terre, Patna Sc Coulor fe» rontrendusa. leurs parens. Réjouis-toi des fa* veurs que le ciel leur fait, & repofe en paix » jufqua ce qu'une nouvelle lune les ramène " dans tes bras ». Ainfi paria\e génie Moang fous la figure d'une femme d'une beauté ravillante. II prend Patna Sc Coulor, fe plonge avec eux dans la fontaine, Sc difparoït aux yeux de Giualar. Bientöt ils fe trouvèrent dans une vafte plaine, au boutdelaquelleselevoitun palais magnifique. « C'eft ici, dit Moang, en leur faifant obferver ce  BES GÉNIE S. 45. »> fuperbe édifke t c'eft ici que Patna ScCoulor > » doivent diftinguer le bien du mal, lalumièr» }* des ténèbres. Mes enfans, que le filence tienne 55 vos lèvres fcellées; écoutez, voyez, apprenez: 55 mais que la voix profane des hommes ne fe » mêle point aux paroles faciées des génies 55. Dès qu'ils furent arrivés au palais, Moang introduifit les enfans de Giualar dans un vafte fallon, oü vingt-huit trönes dor étoient occupés par la race immortelle des bons génies. A leurs pieds, fur de riches tapis qui couvroient tout le falon, étoient d'autres génies d'un ordre inférieur. Chacun avoit fous fa garde deux croyans, ou davantage, a qui il étoit permis d'entendre les lecons inftruótives de ces êtres turelaires. Iracagem , dont le tróne étoit un peu plus élevé que celui des autres, paria le premieren ces termes : « Race des immorrels, proteóteurs deshommes ,5 confiés a vos foins céleftes, dites : quels fuccès 55 ont eu vos travaux? Quels vices avez-vous » punis? Quelles vertusavez-vous récompenfées?' 35 Quelles faufles lumières avez-vous diflipées? 55 Foibles morrels , que pourriez-vous fans notre 55 prote&ionr que vos eftorts feroient infruc53 tueux! que vos recherches feroient vaines ■» ! Puis s'adreffant en particulier au génie le plus prés de lui: « Vertueux compagnon, lui dit-il,  44 Les Contes » racontez-nous les heureux efFets de vos foins n bienfaifans ». A ces moes, le genie fe leva de fon trone, & dans cette pofture refpedueufe, il commenca ainfi modeftement le récit d'une aventure agréable. Puifque vous lordonnez, 6 fage Iracagem! ma voix fe feta entendre. Quoique peu habile dans 1'art divin de protéger le genre humain, j ai fait ce que j'ai pu pour fuivre les préceptes de Mahomet notre maitre; & 1'on connoiera les fucccs d© mes foins, par 1'hiftoire fuivante.  DES GÉNIES. 4J CONTÉ PREMIER. H IS 10 IR E DU MARCHAND ABUDAH; O V LE TALISMAN D'OROMANE .A. u milieu du quai de Bagdat, oü les biens de toute la terre viennent fe rallembier pour le bonbeur des croyans , vivoit le plus riche marchand de cette ville opulente. Abudah (c'éroit le nom de eet homme fortuné ) pofledoit a lui feul les richelïes de plufieurs nations , courtifé des grands qui lui portoient envie , béni du peuple indigent dont il foulageoit Ia misère. Chaque jour fa bienfaifance maguifique faifoit mille heureux, chaque jour il gagnoit mille cceurs par fa générolité. Mais ces jours fi beaux & fi déleótables pour le généreux Abudah, étoient fuivis de nuits cruelles & tercibles. Ni les carrelfes d'une tendre époufe, plus tjglle que les beautés de la CircaJJie, ni 1'amour de  40" Les Contes fes enfans , plus airmbles que ceux des fées, ni fes richeflès qui furpalToient les vaftes defirs dont 1'homme eft capable , ne pouvoient délivrer fon efprit des rerreurs de la nuic. Dès qu'il étoit retiré , une petite bolte qu'aucun art humain ne pouvoit rc muer de fa place, avancoit delle-même au milieu de 1'appartement ou il couchoit ; puis s'ouvrant, elle offroit, a la vue du marchand, la fïgure raccourcie d'une vieiile forcière toute con-trefaite qui, portée fur deux potences , s'approchoit de lui, &, avant qu'il fe mit au lit, lui adreffoit chaque nuit ces paroles fingulières : « O Abu» dah ! toi que Mahomet comble avec profufion » de toutes fortes de biens, a quoi t'occupes-tii ? » Pourquoi necherches-tu pas le talifman d'Oro» mane ? Celui qui le poflède ne connok ni cha» grin ni douleur , & ne craint ni 1'inconftance » de la fortune , ni la malice des hommes. Juf» qu'a ce que je voie ce tréfor dans ton pouvoir, » ó Abudah ! je ne cefierai de te reprocher chaque »> nuit ta r.égligence impardonnable ; & le coffre « qui me fert de demeure, ne quittera point Papas partement ou tu repofes. » Après ce difcours , la forcière rentroit dans fa boite en agitant fes potences, Sc la refermoit avec un cri finiftre , laiifant le pauvre Abudah fe mettre au lic , oii le trouble & 1'inquiétude le tourmentoient le refte de la nuit.  öes Génies. 47 Cette vifite importune répétée exaétement, a 1'heure précife , -.vee les mêmes menaces , &c les mêmes ens effrayans, lui rendoit la vie infupportab'ie. Les délices du jour étoient empoifonnces par Ie foüvenifc de la nuit. II n'ofoit confier a. perfonne le fujet de fon chagrin. L'aventure étoit fi extraordinaire, qu'il avoit lieu de craindre qu'elle n'excitat des ris moqueurs, au lieu de la tendre compaflion de fes amis. A la fin , excédé des iniportunités de la forcière impitoyable, il réfolut de vaincre fa répugnance. Dans un feftin oü il avoit ralïemblé fes amis , il fe hafarda de demander publiquement fi quelqu'un d'eux avoit connoiflance du talifman cXOromane , & du lieu oü on le gardoit. Perfonne ne put lui donnet une réponfe fatisr faifante. Ils avoient bien entendu parier des vernis furprenantes du talifman ; mais ils défefpéroient tous de le trouver. Ainfi, Abudah perdit les frais de la demande; & ne fachant oü aller chercher ce ttéfor incoanu, il fe vit contrahit de revenir entendre les reproches de la forcière nocturne. Le lendemam il fit crier publiquement dans les rues de Bagdat, que le marchand Abudah promettoit une récompenfe confidérable A celui qui lui apprendroit oü étoit le talifman cXOromane. On puhlia la même chofe pendant plu-  48 Les Contes fieurs jours confécutifs ; perfonne ne fe pré*- fentoit pour fatisfaire les defirs de 1'impatient Abudah. Cependant, un pauvre voyageur que les Arabes avoient dépouillé de tout ce qu'il avoit, traverfant les rues de Bagdat, entendit cette publication , & s'omit d'abord a mériter la récompenfe promife par le marchand , en lui faifant connoïtte oü étoit le talifman, Pcbjet de fes rc-r cherches. Les amis du riche Abudah, tranfportés de joie a cette nouvelle , conduifirent en pompe le voyageur, au palais de leur ami, & 1'introduifirenc avec grand bruit. Ils trouvèrent Abudah couché négligemment fur un fopha, entouré de fa femme & de fes enfans ; mais, ni leurs caTeifes innocentes , par lefquelles ils tachoient de diftraire fon chagrin, ni les délices d'un deflert auffi fplendide que délicatfervi a fes pieds, ni la douce harmonie d'un concert exécuté par les plus habiles muficiens, rien ne pouvoit le tirer de Paf-s fiiétion profonde oü il étoit abforbé. « Abudah , s'écrièrent fes amis, tous enfemble n & avec tranfport, recevez celui qui vient vous jj apprendre oü ell le talifman d'Oromane. » A ces cris, le marchand affligé leva les yeux ; comme un homme qui fort d'un rève effirayant. « Oui, ce pauvre voyageur que nous vous présj fentons, continuèrenc fes amis, s'engage a vous indiquer  "des Genie s. 4^ ï> mdiquer ou vous trouverez Ie tréfor après le» quel vous foupirez. » Le voyageur ouvroit la bouche pour parler j 'Abudah témoigna défirer qu'on les laifsat feuls. Sa familie fe retira , on congédia les muficiens , & fes amis le quittèrent. Le Voyageur, refté feul avec Abudah , lui adrefta ces paroles. « Votre forrune immenfe, 6 riche citoyen de Bagdat, rend votre ambition Iégitime, en vous :> mettant en état d'acqucrir Ie talifman d'Oro:» mane. Pour nous, hommes pauvres & mifés> rables , que la fortune accable de revers, nous 5» n'avons point 1'efpoir de faire cette découverre.' j> Nous avons beau errer & chercher, nos peines » font inutiles : elle eft au - deftiis de nos re» cherches. L'acquifition en eft trop coüteufe : » elle exige des dépenfes infinies. Celui qui veut » abfolument obtenir le talifman facré, doitfaire 53 des préfens immenfes a ceux qui 1'aideronr dans » la conqnète de ce tréfor. Moi- même, o mar» chand fortuné, j'ai travaillé toute ma viea amaf» fer affez de richeftes pour fuffire a cette grande » entreprife ; mais, depuis que Ie prophéte , en h' confondant mes defleins ambitieux, m'a réduir --■> a ma première misère, mes defirs m'ont quitté » avec mon or \ je tache de reflerrer mes affec» tions, & de vivre content au fein de 1'indi» gence.» i lome XXIX, £>  '$© L E S • C O N T H S' » Mon ami, dit Abudah, vous avez pro mis de j> m'indiquer oü eft le précieux talifman, ,> «II eft dans la vallée de Bocchim , reprit le sa voyageur. Des princes puiflans en font les gar55 diens. II eft au milieu des rieheftes de la terre ; 35 dans un lieu dont vous ne pouvez approcher , is fi vous n'y portez des préfens d'un prix infini , 33 Sc d'une magnificence vraiment royale, dignes 53 en un mot d'être offerts aux génies qui veillenc 33 a la garde de ce paradis terreftre, Si votre préis fen.t n'eft pas jugé fuffifant, vos peines font 53 perdues. 35 S'il ne tient qu'a cela, le talifman eft a. moi ± >3 s'écria Abudah. J'ai neuf mille acres de patu33 rages fur les bords fertiles des rivières de Bagss dat, J'ai douze mille héritages plantés de fruits » & de grains, d'oliviers & de bied. J'ai vingt53 deux mines de diamant , & fix eens vaifleaux si occupés pour moi a la pêcl:e des plus belles si perles de Porient. J'ai au-dela de huit eens ma53 gafins, & quatre eens autres places toutes rem. ss plies de balles précieufes de foie & de bro:ard. ss Outre cela, les biens de neuf vifirs me font 33 engagés pour cent ans ; j'en ai payé Ie prix > ss & les plus belles efclaves de la Circaflie font ss a ma difpofition. 53 O heureux, mille Sc mille fois heureux, ft Abudah ! dit le voyageur, le talifman eft 3  CES GÉNIES.' $Y h Voüs, vous feul pouvez entreprendte d'entrer i> dans la vallée de Bocchïm. » Puifque cela eft ainli, reprit vivement Abw *j dah, ne perdons pas un moment, conduifez»> moi d'abord a 1'entrée de cette vallée. » Hélas ! elle eft dans les défetts de XArahïe i s> a plufieurs journées d'ici, ajouta le voyageur ï » vos préfens ne font pas encore prêts, ni votre s* efcorre. Vóuléz-vous que ies Arabes voüs ensJ lèvent vos tichelles, avant que vous foyez paras vertu a. la vue de la vallée ? Souffrez que votré 93 ferviteur fe charge du foin des préfens, dont ss quelques-uns exigent des préparatifs un peu ji löngs , Sc derham a la pointe du jout, nous is fortitons de Bagdat\ j'efpère que vötre vóyage jj" aura roue Ie fuccès qüe vous défirez. ss L'impatient Abudah acquiefca auxpropofitions du voyageur , donna des ordres pour qu'on le laiftat difpofer a fa volollté de fes biens irhmenfes, & fe prépara lui - menie a partir le len» demain. Le pauvre Voyageur fe donna tous les rtioüvemens néceffaires pour préparer les préfens qu'il jügea les plus convenables. 11 arma auffi cincj mille archers, pour efcorter dans les défetts la magnifique caravane du marchand. Tout fut pret a 1'heure marquée. Abudah die un tendre adieu a fa ehère époufe, embraffa fes Dij  ji Lis Contes enfans, &c partitavec fon guide pour la vallée de Bocchiw. Avemui e du Marchand AbüDJH dans la vallée de Bocchïm. Ïje neuvième jour du troifième mois, avant que le foleil commencat a éclairer les mofquées de. Bagdat, la caravane fe mit en marche , rraverfant le quai, & paflant fous ies fenêtres $ Abudah, (d'oïi il la vit dénier. Cinq eens archers , montés fur des courfiers richement équipés, conduifoient 1'avant- garde. Elle étoit formée de donze mille bceufs, & de trente mille moutons , &c de deux eens des plus beaux chevaux d'Arabic Venoient enfuite cinq eens hommes armés de haches & de cimeretres, portam de riches bannières de foie, oü 1'on voyoit brodés en or des^ paturages couverts de toutes fortes de bétail, pour le fervice & la nourriture de 1'homme. Ils étoient fuivis par deux eens chameaux chargés de fruits fecs de toute efpèce , mille autres charges de grains; mille, des vins les plus recherchés , cinq eens, de 1'huile la plus pure, & cinq eens autres d'épicerie Sc de parfums precieus.  DES GÉNIES. 55 Mille lahoureurs armés fermoient cette avantgarde, celebrant les biens de la terre, brülant dans des caflblettes dor, les parfums les plus fuaves, & portant des bannières de lin Sc de foie, oü Pon avoit repréfenté en broderie d'argent les faiforis Sc les travaux annuels de la campagne. Ce fut tout ce qui put fortir de Bagdat le premier jour? Le jour fuivant, cinq eens mineurs armés dé piöches, Sc cinq eens forgerons armés de marteaux, ouvrirertt la marche : ils précédoient un char tiré par vingt bceufs, oü étoient toutes forres d'uftenfiles de fer. Au-devant du char paroiiïbit un hérault d'armes qui commandoit toute la cavalcade. Cinq eens ouvriers venoient enfuite avec un char tiré par vingt muiets, chargé d'une grandè quantité de plomb & d'étain , avec un artifan fameux dans fa profeffion, qui chantoit la naiffance Sc la perfedion des arts , les propriétés & les ufages des métaux. Un 'troifième char étoit pareillement conduit par cinq eens autres ouvriers, avec les inftrumens de leur art : celui-ci étoit chargé de buftes Sc de ftatues de bronze , des plus beaux ouvrages en cuivre, Sc du plus célèbre artifte de Bagdat. Mille autres ouvriers annoncoient un quatrième char bien plus riche que les precédens: il étoit attelé de douze licornes, & fourni de vaiffelle , de monnoies Sc de meubles d'argent. Le char étoit lui-mcme d'argent maflif , Diij  IJ 4 L I S C Q N T E S $c portoit rinrendant d''Abudah. II étoit fuivi d© pent chameaux chargés auffi d'argenterie, A quelque diftance on voyoit mille cavaliers armés de pied en cap, a la manière des Sarrafins ; pais fur des muiets richementcaparaconnés, einq eens marchands étrangers , les premiers de leur jration , &c tous remarquables par la magnihcencp '4e leurs équipages : les houlfés de leurs muiets étoient de velours : on y avoit brpdé en bolles 4'or les emblêmes du commerce. Suiyoit un char 4'or maffif tiré par quatre éléphans s il étoit chargé 4e meubles de même métal, travaiSlés avec toute la fineiTe & la perfedion imaginables. A}oïs le pauvre voyageur, qui étoit refté jufqu'a ce mo.r ment avec Abudah , prit congé de lui, Sc monta dans lechar, vetu lui-même d'pr Sc de pourr pre; il tenoit en main une baguette auffi d'or , pour montrer de loin le chemin de la vallée de Bocchimt Telle fut la marche du fecond jour, A la pointe du troifième jour, le refte de la ca-: ravane fortit des portes de Bagdat. Mille Archers commencoient la cérémonie : ils avoient a leut tcte un train de mufique guerrière : on voyoit flo, ter entre leurs rangs, des drapeaux ou eiifeignes, de foie, enrichis d'or, portant au perirre, les armes, de la familie cVAbudah. Cinquante charrio.ts étoient, chargés d'un nombre infini de balles, 4^  DES GÉNIES^ 5) fbine Sc de brocard : deux eens cavaliers qui les conduifoient, habillés tous différemment, fembloient de deux eens nations différeiites. Ils étoient fuivis par cinquante nègres , portant au cou de riches colliers de perles , & montés fur des dromadaires; puis, a quelques diftances, cent muets, Sc toutes les beautés de laCircafïïe dans deux eens Palanquins : chacune avoit quatre eunuques pour la garder : quant a leur parure , la nature Sc tous les arts fembloient y avoir contribué. Le marchand Abudah paroilfoit enfuite dans un char d'un ouvrage achevé, tout enrichi de perles Sc de pierredes, tiré par dix chevaux blancs, dont les harnois étoient d'or. La magnificence de fon habillement effacoit encore 1'éclat de la pompe qui 1'environnoit : il étoit couvert de diamans , de rubis, de topafes Sc d'éméraudes, dont 1'artangement imitoit toutes fortes de fleurs & de figures d'animaux. De chaque cóté du char, cent muficiens jouoient de divers inftrumens, & cinquante efclaves brüloient les parfums les plus doux. Deux eens des principaux habitans de Bagdat , amis d'Abudah, 1'accompagnoient par honneur, avec une brillante fuite. Enfin, mille archers qui efcortoient un nombre infini de chameaux, chargés de toutes fortes de rafraichifTemens Sc de previfions, de vins, de liqueurs, de fruits exceliens, fermoient cette pompeufe cavalcade, qui D iv  5^ Les Contes furpaffoit tout ce qu'on avoit jamais vu de pïu3 magnifique a la cour du Sophi. Le treizième jour du voyage on fit halte dans une plaine bornée d'un cöté, par une chaiue de hautes montagnes, Sc de 1'autre , par une forêt épaifle de cèdres Sc de palmiers. Ici, Abudah 8i fon guide defcendirent de leur char, Sc marchèrent a pied vers la forêr. Elle fembloit impénétrable : on n'y pouvoie entrer qu'au travers des buiffons : ils les fran^ chirent, & avancèrent avec peine dans un petit fentier étroit, obfcur & raboteux. Ils marchèrent ainfi jufqu'au foir, qu'étant parvenus a 1'entrée d'une caverne, le voyageur qui accompagnoit^WaA, y entra brufquement, Sc difparut aux yeux du marchand étonné. Abudah voulut le fuivre ; mais voyant que la caverne étoit un précipice afFreux fans fond, il n'ofa pas avancer. Le foleil n'éclairoit plus que le fommet des montagnes, & les arbres les plus élevés de la forêt recevoient feuls fes rayons affoiblis. Abudah. excédé de fatigues, inquiet de fe voir feul dans un lieu défert, ayant entre lui Sc fa caravane, une forêt épaifle Sc impraricable , monra fur un arbre oü il réfolut de pafler la nuit fans dormir. Mais il étoit fi épuifé, qu'il ne put réfifter au femmeil s quelques efForts qu'il fit peut s'en dé-  DES GÉNIES.' ' veille. Le dóme étoit d'or, porté fur trois eens coIonnes dont Ie fuft étoit d'une feule éméraude , lechapiceau d'un feul diamant, & le piédeftai d'un rubis. Une feule pièce de criftal remplifloit 1'intervalle d'une colonne a 1'autre, de forte que, quoique le dóme fut exaótement fermé, 1'intérieur en étoit pourtant vifible de tous les cótés. L'architrave étoit de Ia matière des perles , ornée d'emblêmes & de feftons d'améthiftes, de topafes, d'efcarboucles, de rubis, d'éméraudes, de faphirs Sc de brillans. Le plus riche des hommes fut frappé d'étonnement en voyant tant de riehéfies & de magnificence. Le dóme avoit quatre ouvertures , qui regardoient les quatre parties dü monde. Abudah entra parcelle de 1 oriënt. II appercut un vieillard refpeétable affis fur un tróne dont 1'éclat étoit trop vif pour que des yeux humains puflent en diftinguer la matière. Un grand nombre de rois & de potentats étoient autour de lui, prêts a recevoir & a exécuter fes ordres. Ceux-ci avoient fous eux des êtres inférieurs, tous fuperbement vêtus d'or & de pierreries. Le contour du dóme étoit par- tout orné des raretés de toutes les contrées de la terre, difpo-  DES GÉNIES. 5 fées dans 1'ordre le plus agréable. L'ceil les parcoutoit toutes avec ravitTement, fans favoir a quoi donner la préférepce. Un feul rapls couvroit le pavé qui étoit de marbre jafpé, & ce tapis de foie 6c d'or repréfentoit au naturel les diverfes produétions de la terre. Abudah oublia dans ce moment toutes fes richelTes \ & honteux du peu de valeur de fes préfens comparés a tant de magr.ificence, il fe retiroit, lorfqu'un des princes les plus proches du trone , s'approcha de lui, & le pria d'avancer. Abudah avanca en tremblant, &c fe profterna avec refped au pied du tróne. Le vieillard qui y étoit aflis le ralTura en ces termes ; « Ne crains point, 6 Abudah ; tu as toujours j? été le favori du dieu des richelTes. Je fuis ton »? ami ; le voyage que tu as entrepris en mon 55 honneur, dans 1'efpoir de trouver le talifman j? du grand Oromane, ne reftera point fans récomj5 penfe. Et vous, ( en s'adrelfant au génie qui jj lui ayoit préfenté le marchand ) promenez js Abudah dans tous mes palais; montrez lui des >? biens que tant de niilliers d hommes ont defiré »5 de voir .5, Le genie inférieur obéit, & prenant Abudah par la main, il le conduilit d'abord dans le palais qui étoit du cóté de 1'orient. Les myus de ce batiment étqient d'argent pur,  6° L E S C O N T E S & les fenêtres de criftal. Urgent y bnïloit de toutes parts fous ia ferme de branches & de rameaux d'arbre ; ce qui fembloit étonner Abudah. * Ce que vous voyez, M dit Ie génie, eft une * ^gatelle ■ I'amas de ces rameaux dargent def» eend en profondeur jufqu'au centre de la terre • * de f°rre lue ce 7 * ici de métal précieux > * vaut nueux que toutes les tichelles viiiblés du »> monde.» lis pafsèrent dans un fecond palais bid d'of fin , avec des vitrages comme le premier. Abudah y admira une égale quantité d'or qui y vegetoit du centre de la terre , comme 1'ar^ent dans le palais qu'il venoit de quitter. Le fuivant étoit un vafte édifice tout de diamans. On voyoit au milieu une cïterne remplie de routes fortes de pierres précieufes : on en tiroit fans cefie, & elle en fournilToit toujours fans s'épmfer , même fans diminurion. « Ces richeffes, dit k génie, ne fe terminent » auffi qu'au centre de la terre. Vous avez ob» fetvé que 1'argent & 1'or des deux premiers * Pda,s étoient d« branches & des rameaux torn" bés des arbres qui ctoilTent dans cette vallée * de ramafTés avec peine & travail; » car les riches n'en font pas exemprs. Comme » feores chefes font fujettes I dépérir, ces kar..  des GÉN es» 6t> 'v ches d'argent & d'or fe froiflent Sc fe heurr> tent agitées par 1'air ; elles fe brifent encore en » tombant: ce qui forme peu a peu une grande j> quantité de paillettes, de grains& de poufficre. 35 De même les diamans & les autres pierreries 33 précienfes qui viennent aux arbres comme des 53 fruits , & qui -s'en détachenr quand ils font ss mürs, tombent & fe brifent en petits frag35 mens. Nous négligeons toutes ces particules: 33 nous ne recueillons que les pierres d'un cer53 tain calibre, & tout le refte eft laifle fur la terre y au rebut. 33 Ce font ces fragmens de métaux & de pierres 33 précieufes avec la terre, qui répandus & chars» riés dans 1'intérieur du globe, au moyen des3J eaux fouterraines qui les entrainenr, font ar53 rétés par des lits de pierre & de rocher qu'ils 33 nepeuvent pénétrer, Sc s'amaffent ainfi dans 33 divers endroirs , ils forment avec le tems des 33 mines précieufes , d'ou 1'induftrie Sc Ie travail 33 de 1'homme les arrachent a grands frais. 35 Abudah ayant vifué ces biens immenfes , reparut devant Ie trone du génie des richefles, qui ordonna qu'on le menat au coftre oü 1'on gardoit le Tal ifman d'Oromane. Auffi tot dix des génies inférieurs Ie conduifent a un coffre énorme fermé avec cinquante ferrures. U étoit tout de fer, Sc renforcé de larges baudes  tfi Les Gontes d'un mécal particulier plus dur que le diamant* «' Abudah, voila ta récompenfe , lui dit le génie: » retourne a Bagdat, & vis en paix le fefte de tes » jours. » O génie bienfaifant * répohdit Abudah j » tranfporté de joie & de reconnöiffance, doisn je emponer le coffre même, ou m'eft-il per-» 9» mis d'en retirer le Talifman? » Quoi! répliqua le genie , voudtois-tu óter ce tréfor, du lieu feul oü il eft en füreté. « Dés que n tu as le coffre, le Talifman qu'il renferme eft a jj toi ; & tandis qn'il y reftera renfermé, per>j fonne au monde ne pourra te le ravir. La cu» riofité 1'emportera-t-elle fur les rifques qu'il / » auroit a 1'en tirer. Il eft écrit dans les faftes du » tems que celui qui poffède le Talifman d'O-1 j> romant fera heureux; ne t'expofe donc pas a le » perdre, jufqna ce qu'il perde lui-même fa » vertu. Voila pourtant les cinquante clefs, jj emporte - les: mais ne te laiffe pas tenter jj de curiofité : car qui peut t'affiirer qu'un jj morrel fupportera impunément 1'éelat du Tajj lifman ? jj Abudah remercia le génie; celui ci lui ordonni de fe coucher fur le coffre. Aufli-tót un fommeil profond le tira de ce lieu enchanté. Le lendemain au matin, en fe reveillant, il fe trouvat fous une tente, dans la même plaine oü il avok  DES GÉNIES* 6$ laïflc fa caravane. Mais elle avoit difparu , & il n'appercut'que quarante chameaux & quarante efclaves qui 1'attendoient. Abudah leur demanda ce qu'étoit devenu le train magnifique qu'il avoit amené avec lui de Bagdat. Ils ne purent lui en donner des nouvelles. Ils répondirent feulement qu'ils avoient entendu parler de cecte caravane porrspeufe, mais qu'ils ne 1'avoient jamais vue ; que depuis quelque tems leur maitre s'étoit abfenté de Bagdat, fans qu'on füt ce qu'il étoit devenu : que fes efclaves 1'avoient cherché inutilement : qu'une nuit, lorfqu'ils repofoient tranquillement dans fon palais de Bagdat, ils s'étoient trouvés tranfportés fans favoir comment, avec leurs bagages & quarante chameaux chargés de provifions, dans cette même plaine , & qu'étant entrés dans fa tente , ils 1'avoient vu couché fur un grand coffre de fer , d'oü ils 1'avoient tiré pour le mettre fur un fopha. >■> Le coffre eft-ilici, demanda vivement Abuj> dah ? Oui, magnifique feigneur , répondit le >j ptemier des efclaves. C'eft un coffre de fer j> d'une grandeur prodigieufe, fermé avec cic« quante clefs. >3 Le marchand fe leva d'abord ; & , quoiqu'il ne put concevoir les évènemens merveilleux de ce voyage , quand il vit le coffre & les cin-  £4 Les Contes quante clefs , il parut fatisfait 5 ordomia de plier les tentes , & de prendre le chemin de Bagdat. Le coffre éroit porté fur un long brancard par quatre chameaux au centre de fa caravane , bien moins brillante que la première. II craignoit que, malgré l'atïurance du Génie ^ les Arabes ne le furprifTenr avec le peu de monde qu'il avoit , &c ne lui enlevailent fon tréfor. Le premier jour , la caravane s arrêta fur les bords d'un étang, oü Abudah ordonnade tendre, & dorer aux chameaux leurs charges & leurs harnois. II placa quacre'efclaves en fentinelle aux quatre coins de fon camp , fit enfouir le coffre fousle fobie dans fa tcnte, 6V fe jeta fur un fopha pour y prendre du repos, ou rêver a fon aife a fon voyage finguiier. Ses craintes n'étoient pas touta fait vaines. Vers minuit les fentinelles appercurent un petit parti d''Arabes qui venoit a eux, foit pour les piller , feit que la commodité de Feau les attirat en eet endroit pour y camper le reftc de la nuk. Abudah, averti de leur approche par un efclave, qui lui dit en même tems que Ie nombre des voleurs ne paroifToit pas fort confidérable, trembla pour fa vie & pour fon tréfor. Dans eet étaï de crainte & d'irréfolution, ne fachant s'il  i> E S GÉ NIES. (S*J ssii devoit fuir ou attaquer , il refta dans 1'inaction. Tandis que le maitre, en proie a la crainte, étoit indécis fur le parti qu'il avoit a prendre, le chef des efclaves , plus réfolu que les autres , affcmble fes camarades, les anime , & les mène en bon ordre a la rencontre des voleurs. Les Arabes, qui n'étoient pas plus d'une ving-' taine, ne voulurent point fe mefurer a des forces fi fupérieures aux leurs ; ils fe mirent a. fuir, laiflant les efclaves cY Abudah paifibles poffeffeurs de leur camp. Le chef des efclaves, fier de fon fuccès , fur que ces Arabes ne reviendroient pas a la charge, plus für encore de la lacheté de fon maitre, excité d'ailleurs par 1'inquiétude indifcrette c\'Abudah , s'adrefla a fes camarades , leur déclara que ce coffre receloit quelque tréfor d'un trés-grand prix , puifqu'il étoit fermé avec cinquante ferrures; qu'Abudah avoit quitté fécrettement Bagdat pour le venir chercher, n'en ofant confier la commiffion a perfonne, & que d'ailleurs il témoignoit tant de peur de le perdre. II ajouta qu'ils étoient maïtres du coffre & de la perfonne même d'Abudah , quand ils voudroient; qu'il falloit enlever le tréfor & s'enfuir dans quelque contrée étrangère, oü ils jouiroient impunément du fruit de leur rapine. Tome XXIX. £  66 LesContes". Des efclaves goütenc aifément ces fortes de propofitions. Ils marchent donc en corps vers la, tente de leur maitre qui les recoit avec de grandes démonftrations de reconnoiffance; &c leur lémoigne combien il eft fatisfait de leur bravoure. Le chef des efclaves répondit aip.fi a fes remerj cimens : « Abudah, nous expofons notre vie pour dés> fendre tes richeffes, & nous n'y avons aucune 5> part. Tu trembles lachernenc fous la tente, » tandis que nous pourfuivons a outrance tes » ennemis. Puifque nous avons toute Ia peine , jj 1'équité veut que nous ayons part au profit. 5> Mais nous fommes raifonnables. La moitié du a> tréfor renfermé dans le coffre de fer a. cinj> quante ferrures eft pour toi : il faut auffi que tu 3> nous cèdes 1'autre moitié , elle nous appartiene 3> a titre de récompenfe , pour t'avoir préfervé »> d'un fi grand péril.» Abudah , étonné de 1'audace de fes efclaves ^ tenta en vain de les fléchir par des prières & des promeffes , mais, fans 1'écouter , ils fe mirent en devoir de déterrer le coffre , & fe faifirent des clefs. Le marchand leur demanda feulement un jour pour penfer a leur propofition. « Un jour ! réj» pliqua brufquement 1'efclave téméraire; un  t> e s G i n i t s, gf h jour pent té cóuter la vie & a nous auffi. Ne> » crains-tu pas que ces Arabes , que nous veii nons 'de me'ttre en fuite, ne reviennent nou» * affaillir avec une troupe dix fois plus nom* *> breufe. Alórs que deviendras - tu , toi 8c » les tréfors ineftimables què renferme toit » coffre. n Abudah les affura qu'il n'y avoit darts ce coffie> qu'ün pauvre Talifman , dont les vertus ne fe déployeroient point pour eux ; qu'ainfi ils hé pouvoient tirer aucun fruit de leur trahifon; quê> cependant, pour leur marquer fa génétofité , il leur pröriiettoit la libetté 8c de grandes richeffes i is'ils le reconduifoient a Bagdat fain & fauf aved le coffre. Ils lui avoient manqué d'urte manière frop audacieufe pour fe fier a une promeffe dé cette nature. Tout ce qu'il put dire fuü inutilej' Cependant le chef des efclaves voulut bien lui donner une demi-heure pout fe réfoudre a ac~' cepter leur propofition. Ils fe rètirèrent 8c le laiffèrent feul dans fa tente. Abudah fe jeta fur le coffre de fer, commê un homme qui embraflè pour la dernière fois cé qu'il a de plus cher au monde. II gémit, il f richelfes. Tu as le coffre, mais tu n'as ni le » pouvoir, ni les moyens de l'ouvrir , pour en jV renref lettéfor qu'il renferme. Tu le poffèdes Eiij  Les Contes *» fans en jouir. Es-u; plus.heureux que Ie coffrS »,» même ? C'eft cependant ce tréfor qui do.it te s> procurer le repos & le bqnhepr que tu ch.er? v ches; au lieu que tu es en proie a une inquié39 tude d'autant plus cruelle, que tu crains de s> perdre un bien dont tu ne jouis pas. Va donc w chercher les clefs des cinquante ferrures, Ne ié fois pas affez fimple pour r'iraaginer que le s> Génie fe feroit défait d'un tréfor dont il eüt n pu faire ufage. Les clefs n'étoient pas en fa »> puiffance , 8c le Talifman lui devepoit auffi s» inutile qu'a toi. Elles font dans une contrée s« bien différente , 8c trés- éloigné de la vallée de, sj Bocchim , dans une contrée délicieufe , ou ï? règne un bonheur éternel, fous un ciel tousj jours ferein, 33 Pars dés ce moment; profïte du peu de répii que je te laiffe; mais donne-moi des, v preuves de ton a&ivité induftrieufe, avant la ;> fin de la Jung , oü j'inventerai de nouvelles ?> tortures pour te tourmenter. La forcjère ayant prononcé ces menaces d'un air barbare , rentra dans fa boite ; 8c dans un Jnftam, Abudah la vit montée fur un coffre de fer. II auroit e-ffayé en vain de 1'en déloger ou de la fajre chaffer de chez lui. Alors Selima (e révgilla furprife de reyoirAbudah cpuché i fon cqté, plus affligéc de le voir  DES GÉNIES. 71 répandre un torrent de larmes. Elle le preifoit tendremenc entre fes bras, & lui demanda avec tranfport quel événement heureux le rendoit a fes embralfemens, & quel écrange malheur caufoit fon affliction. « Quoi! lui répondit Abudah, d'une voix en« jj trecoupce de fanglots, ne vous rappelez-vous " pas 1'arrivée du pauvre voyageur , & la cara» vane magnifique qu'il ordonna? Ne vous fou» vient-il plus de 1'avoir vu paffer fous mes fes> nêtres pendant trois jours, & que le troifième jj au matin , je montai tout brillant d'or & de jj pierreries dans un char de diamans ?... 33 O cher Abudah, dit Selima en 1'interromjj paut, quel enchanteur déreftable s'empara alors ji de votre efprit! De quel char, de quels équi33 pages, de quelle caravane me parlez-vous, fei33 gneur ? Je me rappelle d'avoir vu ici un mifé33 rable, introduit par ceux qui fe difoient vos jj amis : il a diffipé la plus grande partie de vos 33 richeifes : il vous entretenoit fouvent en par33 riculier. Pendant prés de deux mois qu'il a de)3 meuré ici, vous en étiez tellement obfedé, 33 que perfonne ne pouvoit vous approcher ni »3 vous parler. Enfin vous palTates un jour avec 35 lui dans 1'appartement donr les fenetres donj3 nent fur les portes de la ville : vous y reftates »3 deux jours entiers, comme dans une efpèce E iv  7* LesContes 53 d'enchantement, regardant ton jours par les 53 fenêtres , fans qu'il fut poffible de vous en ar» racher , & parlant fans cefle de magnificence , 33 de pompe & de charriots d'or 8c de diamans ; 33 8c quoique nous ne viffions abfolument rien 33 dans la rue, vous y voyiez plus de tichelles 33 qu'il n'y en a dans le monde entier. Le troi»j fième jour 1'impofteur étoit encore avec vous, 33 & vous nous fouteniez qu'il étoit parti la veille» 33 II partit a la fin, 8c vous le fuivkes; vous mon33 tates tous les deux dans une petite voiture de 33 peu d'apparence; 8c depuis ce départ fatal» 35 votre familie pleuroit votre abfence. 53 Abudah avoit écouté ce difcours avec attention. II fe trouva le vifage contre le fopha , 8c y refta plufieurs heures, dans un profond filence. Sélimct n'ofoit 1'interrompre. 11 fe léve & s'écrie : « Que j'étois infenfé de m me fier a. ce miférable impofteur, 8c de croire ss que le Talifman cXOromanc pouvoit s'acheter 53 a force de préfens ! " Seigneur, répliqua Sélima, fans tant de fraïs,' 33 vous auriez trouvé la paix au fein d'une ville 3» qui vous honore, & d'une familie qui vous m aime. « C'étoit la ce que je me flattois de trouver; ■jj mais, ö Sélima , la fatiété , finon le dégout, jj me donne de 1'indifférence pour des plaifirs  DES GÉNIE S. 75! '» qui ne me rendent point heureux. Un efprit » infernal vient chaque nuit troubler mon repos, » 8c s'obftine a me tourmenter jufqüa ce que jj je fois poffeffëur du Talifman d'Oromane. 53 C'eft déja quelque chofe que de reconnoitre 55 fon etreur. Si mon voyage ne m'a point mis ss en poffefïion de ce tréfor, je puis me croire 55 néanmoins plus prés de 1'obtenir , puifque ce 35 même voyage m'a procuré les moyens de 33 l'avoir. » Le marchand parut fe tranquillifer un peu, 8c fe réfigner au fort que le deftin lui préparoit. Soit force d'efprit ou complaifance , il diffimula fon chagrin, & tacha, par fes carelfes, de confolerla tendre Sélima. Cependant la lune avoit fait trente fois le tour de la terre : Abudah, livré aux douceurs de la paix domeftique , auroit oublié la perte de fes richeffes, 8c le prétendu tréfor auquel il les avoit facriflées. A minuit la vieille forcière 1'éveille, & lui commande de fe mettre en voyage pour aller chercher le talifman d'Oromane. 11 alloit répliquer, lorfqu'une mufique raviffante fe fait entendre : 1'appattement eft rempli d'un parfum délicieux. Un petitnuage defcend du plafond, il s'ouvre, une beauté charmanre paroït: elle étoit belle comme les houris du paradis, & »'avoit pour parure qu'une guirlande de fleurs  74 Les Contes immortels : elle tèrióit d'une main une coupe de criftal, de 1'autre elle y exprimoit le jus d'un raifm délicieux. « Yidèk Abudah, lui"dit-ëlfè, recois des mains P de ta fervante la coupe qui contient la fcience »» du talifman d'Oromane. Bois ce nectar prén cieux, couche-toi fur le coffre de fer, & ce » tréfor ineftimable te rranfporrera fans danger » dans ces contrées heureufes ou tu ttouveras les » clefs de tous les plaifirs ». Après avoir prononcé ces mots avec une grace infinie, elle s'approcha du marchand : celui-ci, tranfportéde joie,recutde fes mains plus blanches que I'ivoire, la liqueur célefte, & la but avec délice. La belle Houri difparüt auffi-tot. Abudah tomba affoupi fur le coffre: le fommeil le préparoit a une feconde aventure. IIe Aventure du marchand AbüdAH dans les bocages de Sadaski. A . , -T&.BUDAH le reveiüa au doux ramage d'un nombre infini d'oifeaux, dont les accords gracieux formoient une harmonie célefte dans un bofquet agréable, au milieu des rofes & des lys.    DES GÉNIES." 7J L'air étoit embaumé des parfums les plus fuaves, Le marchand, couché mollement fur un fopha de foie, travaillé avec toute la finelfe imaginable, ne pouvoit fe laffer den admirer Pouvrage. L'arc y avoitübien imité la nature, que lesfleurs, dont il étoit couvert, avoient des- couleurs auffi vives, dc fembloient auffi naturelles que celles dont la terre étoit émaillée. L'afpeét du foleil levant, dont les ptemiers rayons doroient le fommet des montagnes, &£ annoncoient le plus beau jour; les concerts mélo" dieux des habitans des bois, joints au doux frérnilfement de l'air ; la beauté du bofquet, qui fembloit être formé par le charme de 1'harmonie; les parfums délicieux dont l'air étoit rempli: tout concouroit a exciter dans l'ame d''Abudah les fenfations les plus voluptueufes. II doutoit prefque de fon exiitence. II fe croyoit encore dans 1'enchantemem de la vifion qu'il avoit eu la nuit précédente. H regarde autour de lui : nouveaux fpectacles, nouveaux plaifirsl De tous cótés la délicateffe du travail & la richeffe de la matière ij'uninent pour former des chefs-d'ceuvres; Malgré ce raviffement, Abudah ne doute bien? tót pliis de la réalité de ces merveilles, lorfque fg levant & fortant du hofquet, il vit partout 1'art fecondé par Ja nature, & Ja nature embeüie Par 1'art,  ?s Les Contes Lebofquetoccupoitla cirri© d'une möritagne| au milieu d'un boulingrin le plus charmant '& le plus frais qu'il fut poffible de voir. De grands palmiers ie couvroienr de leur ombre ; & 3 etoit environné de rous córés par un bolS planté d'orangers & de cirronmers difpofés avec fymmétrie pour ménager des vues fur la campagne des environs, ou plutót fur ce paradis de déiices. Du centre du bofquet on découvroit une vafte plaine oü sélevoient de cóté &z d'autre de belles touffes de verdure. Les arbres étoient chargés de fruits de toute efpèce. La fleur & le coloris de ces fruits contraftoient agréablement avec le vert des feuillesi La nature étaloit dans ce lieu tous fes tréfors en ce genre de productions. Ici la vignemariée au jeune' ormeau lui faifoit porter le poids de ces grappes jauniffantes; la les rpfes entremêlées au chevrefeuille 1'embellilfoient de leur éclat; tandis qu'une multitude prodigieufe d'oifeaux auffi remarquables par la beauté de leur plumage que par Ia douceur de leurs chants, les uns perchés fur les branches des arbres, les autres fe jouant fur ie' gazon, égayoient cette fcène féduifante. Au fond de la plaine couloit une rivière dont ' les bords étoient toujours fleuris : 1'eau pure & tranfparente qui les arrofoit, y entretenoit un gazon éternel.  DES GÉNIES. 77 DePautre córé, un beis de myrthes, de rollers & d'autres arbriffeaux fleuris formoir un labyrinthe , du centre duqüel on dccouvroit les fommets de plufieurs cabinets de verdure diftribués avec art a certaines diftances les uns des autres. II yen avoit fur le bord de la rivière; d'autres terminoient de longues allées; d'autres auffi étoient abfolument cachés dans 1'épaifleur du bois. Abudah s'avanca vers la rivière, oü il appercut une joiie barque conduite par dix jeunes hommes d'une grande beauté , lïabiliés de Jongs vêtemens couleur d'azur a franges d'or. Ils faluèrent le marchand forruné, & le recurent civilement dans leur barque. Dés qu'il y fut entré , ils fe mirent a ramer de toutes leurs forces : 1 onde argentine écumoit fous les coups redoublés de leurs rames. La barque voguoit leftement, & dans fa marche rapide elle découvroit & chaque inftant aux yeux d'Abudah, des fpeétacles agréables qui lui eaufoient toujours un nouveau plaifir : des rochers de. diverfes couleurs, qui feihbloient fufpendus aux nues; des forêts plantés d'arbres odoriférans dont on refpiroit les parfums jufques fur la plaine liquide; des fruits réfléchis par le criftal des eaux, pour doubler le plaifir des yeux; mille arbnfleaux qui répandoient les fleurs fur les paflans qui córoyoient le rivage; toutes fortes d'oifeaux dont les uns fembloient fe mirer dans Peau, ga-.  7^ LïsCöNTES zouillant a 1'afped de leur propre image : ïeS aurres fe défalteroient ou rafoienc Peau d'une alle légere; d'autres auffi voltigeoient dans la plaine, ou fe pourfuivoient entre les branches des arbres. Après un grand nombre de détours , Ia rivière s'élargit tk forme un lac fpacieux, qui dans toute fa largeur baigne le pied d'une haute montagne couronnéed'uneinfinité de bofquets, de temples, de palais, de dömes, d'amphitéatres, d'obélifques 4' de galeries, de tours , & d'autres batimens, tous d'une architecture magnifique & noble, qui an* nonce également la délicatefie & Ia magnificence du luxe. Le lac eft couvert d'une infinité de barques &: de gondoles d'un goüt exquis : les pavillons flottent au gré du vent, & la variété de leurs couleurs fait un coup-d'ceil agréable. On eüt dit que ces nacelles portoient le plaifir & la volupté mêmes. Dans Pune on entend un concert raviftant: dans une autre des convives joyeux fe livrent au plaifir de la bonne-chère : une troifième offre un deffert des fruits les plus rares $ des glacés , des liqueurs. L'allégrefle la plus vive régne par-> tout, &c tous les acteurs de ces fêtes voluptueufes relfemblent moins a. des hommes qu'aux fils des génies, ou aux filles des fées. Une eau pure tombe en cafcades fur le penchant de la montage vers fes extrémités oppofées. Au milieu un riche vi-  BES G É K I ! S(' 7Jr gnoble s'élève en amphithéatre : les feuilles modeftes s'efForcent en vain d'en couvrir les grappes dorées, & de les dérober aux yeux avides des paflans. Le lac coule fur un fable d'or que la rranfparence des flots laifle appercevoir : après avoir baigné le pied de la monragne, qu'il femble quitter a regeer, il fe partage en deux courans a droite & a gauche, & va fe perdre au milieu des bpis, des plaines, des paturages, & des vallons de cette contrée délicieufe. Des pyramides fomptueufes, des dömes & d'autres travaux, monumens fuperbes de 1'art, dont les uns reftenr cachés dans la profondeur du rerrein, & les autres font réfléebis dans 1'azur des nuages, terminent la perfpe&ive des bocages de Sadaski, qui s'érendent jufqu'a 1'horifon oü le ciel femble toucher a la terre. Déja les beaux bateliers, dontleschantsjoyeux d'accord avec le mouvement de leurs rames, faifoient un genre de mufique nouveau pour Abudah, avoient ttaverfé le lac : ils approchoient des bords de la montagne oü le marchand avoit découvert de loin un fi bel aflemblage de temples, de bofquets, & de pavillons. Ils devoient le débarquer fur une efpèce de petit quai bordé de myrthes & de cédres. La dix beautés charmantes, dix fées, vêtues comme les nymphes des bois, & venues a fa rencontre, lua  8c> Les Contes faifoient de loin des geiles & des fignes gracieitXj & fe difpofoient a le recevoir de la manière la plus aflable. Dès qü'Abudah eut mis pièd a terre , la barque s'enfuit avec rapidité, 8c fe mêla aux bateaux & gondoles de toute efpèce qui voguoient fur la furface du lac. Les belles étrangères recureuc leur nouvel hóte avec mille démonftrations de la plus tendre amitié, 8c 1'invitèrent aparcourir avec elles les beautés 8c les magnificences de leur féjour. Après 1'avoir fait paiTer par des avenues odoriférantes plantées d'arbres qui, portant a-la-fois des fleurs 8c des fruits, fembloient deftinés a flatter en mcme tems la vue, le goüt & 1'odorat, elles le conduifirent vers un palais élégant qui étoit en face du lac. Au devant étoit un vafte parterre en compartimens, oü les plus belles fleurs recevoient un nouvel éclat de 1'ordre agréable dans lequel elles étoient difpofées. Le palais offroit des richefles d'un aütre genre. L'art de la fculpture y avoit déployé toute fon adrefle. Des plafonds élégans, des lambris travaillés avec délicateflè, des devifes galantes, dés emblêmes fpirituels en étoient les principaux ornemens. On y avoit mis plus de goüt que de magnificence, l'art s'y cachoit fous les traits fimples de la nature , 8c ce lieu étoit plutöt fait pour infpirer le plaifir que pour fatisfaire ia grandeur ambirfeufe. Abudah  -DES G E N I È Si jff ■Abudah fut introduit dans une grande & belle galerie ornée de ftatues d'un travail achevé, dans mille attitudes & aétions différentes. Les unes «oient groupées de la manière la plus naturelle d'autres étoient ifolées; mais 1'expreffion étoi't par-tout la même. II y en avoit qui repréfentcienr les nymphes amoureufes des bois; d'autres repréfentoient les belles naïades; d'autres des amans téméraires; d'autres encore des vierges qui leur refirtoienr foiblement i la pudeur alarmée, les defirs fecrets du cceur, le feu du plaifir & le ravilfement de la volupté , tout étoit vivement expnmé fur le marbre & 1'ivoire que le cifeau avoit animés. . Entre ces ftatues, il y avoit des tableaux égaement eftimables par la beauté de la peinture & e choix des fujets. C'étoient des felims ioyeux les tranfports de 1 ivreffe, les agrémens variés del laifons, les occupations de tous les Ws les danfes & les amours des bergers, des bak & desfetes de toute efpèce, un férail, des beautés féduifantes, des entretiens paflionnés, & rous les myftères de 1'amour. Ces différents fujets étoient traites avec tant de naturel & de vérité, qu'Aiu dah s'en étant approché du plus prés qu'il lui fUC poffible, doutoit encore fi ces figures étoient peintes ou réelies. ■ Les belles qui accompagnoient le marchand Tome XXIXi "j?  3 z Les Contes le menèrentde cette galerie, dans un appartement intérieur, au centre du palais, meublé de fofas qui refpiroient la molleffe. Les murailles couvertes de trumeauxqui en rempliffoientla hauteur &: la largeur, réfiéchiffoient de toutes parts les dix nymphes; & 1'amoureux Abudah, dont les yeux enchantés erroient voluptueufement de 1'une a 1'autre, étoit dans un raviflement qu'on ne fauroit exprimer, l'ivreffe du plaifir tranfportoit fes fens. Cet appartement communiquoit dans une rotonde fpacieufe, qui ne recevo'it de jour que par en-haut. Les cótés étoient foutenus par des piliers de granir, chargés d'emblêmes. Au milieu étoit un bain, & autout du bain onze porres qui conduifoienta autant de fofas dreffés dans de petits appartemens d'une élégance &c d'une propreté audefTus de tout ce qu'on peut dire. Les nymphes conduilirent Abudah dans un de ces appartemens oü elles le ptéparèrent a entrer dans le bain: elles palfèrent elles-mêmes chactine dans un des dix autres oü elles quirrérent leurs vétemens, & revinrenta leur nouvel héte qu'elles prirent entre leurs bras, & plongèrent dans un bain chaud & parfumé. Abudah ne put réfifter a la force des parfums: il fuccomba de langueur: il s'evanouït entre les bras des Nymphes. qui le fervoient. Elles le traaQ  BES GÉNIES.' Sj' porcèrent de 1'autre cóté de la rotonde, dans une garde-robe richement fournie des habits les plus magnifiques. II y avoit de quoi fatifaire tous les goüts. Elles lui en préfentèrent un qui furpaflbit les autres par la richelfe de la matière Sc la iinefle de 1'ouvrage. C'etoit une robe d'un fond rofe, a ramage d'or & d'argent, avec un travail en perles imitant des guirlandes de fleurs. Avant de 1'en revètir, elles le parfumèrent d'effences douces Sc onébueules, dont Ia vertu ranima fes forces, Sc lui donna une feconde jeunefle. Les Nymphes fe parfumèrenr auffi en fa préfence, Sc leur beauté en recut un nouvel éclat: elles prirent enfuite des habits galans & avantageux a. leur taille. De Ia garderobe Abuiak fut conduit dans un vafte fallon oü un banquet délicieux 1'attendoit lui Sc fon aimable compagnie. Abudah fe placa le premier fur un fofa préparé pour lui feul, Sc les dix nymphes fe placèrent autour de leur favori. Des génies invifibles les fervoient , leur offrant rour-a-tour ce qu'il y avoit de plus rare Sc de plus exquis, juleps, quinteffences, gelées fucculeutes, fruits de toutes les fortes, oranges., pbmmes de pin, grenades, ananas, railins, poires fondanres, Sc mille autres ayec une prodigalité plus propre peut-être a. étouf-  ?4 Les Contes fer Pappétit qua le fatisfaire , s'ils n'avoienc pi$, eu la vertu particuliere de le faire renaïtre, pouif entretenir le plaifir de le contenrer de nouveau. On leur fervoir auffi du vin exquis, üqueur chat^ mante, nectar précieux défendu par Mahomet, mais permis dans les bocages de Sadaski; il y avoit auffi. des confitures sèches & liquides, des conferves, en un mot tout ce que la délicatsiré a ïnventé pour exciter le goüt & prolonger les plaifirs de la bonne chère au-dela de l'ssigsnce du befoin. Pendant le repas, les beautés chargées d'amufer Abudah , ne cefsèrent de chanter tour-a-tour les plus jolies chanfons , des chanfons qui refpitoient 1'efprit & la volupté. Le marchand , que le vin & les appas de fes convives commengoient a égayer, les regardoit toutes avec un tranfport égal, & fon cceur également amoureux de toutes leurs graces, ne pouvoit fe décider pour aucune en particulier. Le feftin fut prolongé iufqu'au foir : le jour commencpit a tomber : on fe leva. Les aimables compagnes d'Abudah 1'égarèrent dans les jardins du palais. Après avoir erré par mille détours, rencontrant a chaque pas des fontaines , des cafcades , des grottes, des berceaux, des ftatues, des gazons fleuris & d'autres ornemens de cette efpèce ,  B F. S GÉNIES.' ?5 ils parvinrent a une tetraffë magnifique, oü un nombre infini de jeunes gens des deux fexes, formoient une mafcarade la plus belle & la plus fingulière qu'il fut poffible de voir. On eüt 'dit que toutes les nations de la terre avoient raflemblé dans ce lieu, 1'élire de leur jeunefle. On y comptoit plus de dix mille jeunes hommes 8c plus de dix mille filles d'une beauté raviffante. La loi du plaifir étoit la feule qu'on fuivoit dans ce lieu. Le goüt feul décidoit les liaifons , 8c chacun y cédoit fans trouble a 1'attrait de la volupté. Des glacés, des fruits, des crèmes, des gateaux, des vins 8c des liqueurs , étoient fervis fur des tapis de verdure des deux cotés de la terraffe, & en d'autres endroits fous 1'ombre des orangers, des myrthes & des jafmins; chacun alloit s'y rafraichir quand il le fouhaitoir. II y avoit auffi de diftance en diftance , fous le couvert des plus grands arbres , des troupes de muficiens dont .'harmonie tantót vive & tantèt plus douce, infpiroit fucceffivement le tranfport 8c la langueur. Le foleil éroit couché, \orfc\\\ Abudah arriva au centre de cette terralfe qui étoit d'une étendue prodigieufe. Ses compagnes 1'avoieut abandonné a lui-même , le laiflant libre de fe joindre a la compagnie qui lui plairoit davantage. La, au milieu d'un vafte boulingtin plahté dc Füj  ^ Les Contes grands palmiers qui couvroient de leur ombré un bois épais d'arbrifleaux, il appercut un batiment de fonne oblongue porté fur mille colonnes torfes ornées de feftons , oü fe rendoient en foule les jeunes gens dont la terrafle étoit couvette. Le marchand entra avec les autres dans une falie d'une étsndue immenfe , éclairée par un nombre infini de luftres, & ornée de tous cotés de pavillons de foie, fous lefquels étoient des fcfas de velours. Ici la jeuneffe brillante formoit des danfes agréables au fon des inftrumens dont jouoient des muficiens placés fur les galeries qui regnoient tout autour de la falie. Abudah ne pouvoit aflez repaïtte fes yeux d'un fpeótacle fi charmant -y mais il ne comprenoit pas comment les danfeuts &c les danfeufes pouyoient faire des mouvemens fi vifs qu'il fe fatiguoit a les regarder. Ainfi fe pafsèrent quelques heures délicieufes, jufqu'a ce que eet exercice violent réveillat 1'appétit de cette troupe joyeufe. Tout-a-coup dés que chaque beauté , accompagnée de fon amant, fe fut retirée fous les pavillons dreflés a 1'entour de la falie pour s'y déiaffer, les Génies invifibles fervirent un repas fplendide. Abudah fe préparoit a fatisfaire fon appétit : fa compagne Pavertit d'attendre 1'arrivée de ja. reine des plaifirs, qui alloit honorer de fa préfence leur brillante alfemblée.  T> E S G E N I E 5. S7 Déja une fymphonie douce s'étoit fait eiitendre : cent chanteurs mafqués entrèrent en célébrant dans leurs chanfons les piaiürs de la fociéré, de la table & de 1'amour. Ils étoient fuivis par vingt bergères portant des corbeilles remplies derofes& de violettes qu'elles femoient par-tout fur leur paflage. Puis on vit paroitre la reine des plaifirs, fous un dais porté par douzeJeunes hommes d'une beauté charmante. A fa préfence toute la compagnie fe leva & fe profterna en figne d'adoration. Lorfque la reine fut affife fur fon tróne, au ha ut de la falie, avant de commencer le banquet, elle ordonna a fes fuivantes de chercher fctranger qui avoit abordé la veille dans fon empire , & de le lui amener. Elles lui préfentèrent Abudah qui, faiti de refpeót & d'amour, fe profterna a fes pieds. La reine le releva d'un air gracieux, en lui préfentant la main. >■> O heureux Abudah! lui dit-elle d'un tor* » de voix féduifant , ó mortel fortuné a qui jj les deftins ont ordonné de rranfporter, dans 53 ces climats délicieux, le coffre de la vallée de » Bocchim. Les Génies fupérieurs , jaloux du j» bonheur dont nous jouiffons nous autres Gé' » nies libres, avoient formé le projet de tenir w les cinquantes clefs féparées du coffre qui, » felon une ancienne tradition , renferme le. Fiv  *8 LssC<9ntes » talifman d'Oromane. Et vous. ö Abudah ƒ vouS » êres 1'hcmme deftiné a les réunir : fervice » fignalé qui vous rend digne de 1'amour de vos » efclaves. Approche, roi de mon cceur & de » toutes mes affecttions, partage avec moi les « délices de ces bocages fortunés ». Elle ordonna a toute la compagnie de rendre a 1 etranger les honneurs qu'on lui rendoit a ellemême; 8c pour première marqué de fa tendrelfe, elle 1'obligéa de s'afleoir auprès d'elle furie tróne des plaifirs. Abudah fe crut alors le plus heureux des mortels. Les charmes de la reine , dont il pouvoit i peine fupporter I'éclar, le tranfportoient d'admiration & d'amour. Mais lorfque la reine ellemème , comme une maitreiïe idolatre de fon amant, le prit par la main 8c le regarda avec des yeux enflammés, alors perfuadé que leurs cceurs, d'inteiligcnce, étoient agités des mêmes defirs, il céda a. la violence de fa paflion excitée par ces avances. II fit ceder auifi-töt le feftin, 8c entraina précipitamment la reine complaifante fous le pavillon le plus fecret. L'alfémblée imita lëxemple de la reine. Chaque amant conduifit fon amante fous un pavilJon. Dans un inftant la falie fut vide , & un grand filence regna par-tout. Airtfi fe palfa cette •uit dclicieufe dans les bocages de Sadaski.  DES GÉNIE S. 89 Le lendemain Abudah , revenu des premiers emportemens de fa paflion , craignit que cette feconde aventure n'eut une fin auffi malheureufe que la première. La jouiffance produit la fatiété, & la fatiété amène la réflexion. Il pria la reine avec quelque forte d'inquiétude de lui remettre les clefs du coffre. » Mon roi, lui répondit-elle affettueufernenr, s> mon cher Sc bien-aimé Abudah , le coffre eft » au milieu de mon temple, Sc voila les clefs » réfervées au plus célèbre des héros. Allez , » mortel fortuné, poflédez le talifman du génc>5 reux Oromane, qui fera pour vous une fource » intariflable de plaifirs ; goutez 1'immortalité s' dans ces bras dont la beauté ne paffeta point ». Abudah fe faifit des clefs avec empreflement: il quitte la reine, Sc marche a pas précipités vets le milieu du temple 011 étoit le coffre de fer. Rien n'égale fon impatience ; & comme un homme qui fe hate de jouir d'un bonheur longtems attendu , il paffe précipitamment les clefs dans les ferrures. Leur facilité i s'ouvrir fecondoit heureufement fes defirs. Déja il a futmonté quaranteneuf des obftacles qui s'oppofoient a fon bonheur. II touche au moment ou le tréfor va s'offiir a fa vue : il ne lui refte plus qu'une ferrure a cuvrir. » O reine charmante, s'écrie-t-ii ! foyez  '96 Les Contes » témoïri de mon triomphe, voyez-moi achever » glorieufement mon illuftre conquète ,<. La dernière ferrure s'ouvrit au moment que la reine arrivoit, & que le joyeux Abudah 1'invitoit i partager avec lui le plaifir de retirer le talifman du coffre. Le marchand levoit Ie couvercle Tout- a-coup il eft environné de ténèbres épaifTes : le tonnerre gronde ,avec un bruit efFroyable , au milieu des éclairs qui étincèlent de toutes parts : des Hammes horribles enveloppent Abudah ; il eft faifi d'effroi. Toute 1'afiemblée eft en tumulte. L'épouvante fuccède a la joie; ce ne font plus que des cris affreux, des hurlemens horribles. Les uns courent ca & la, a la lueur des éclairs, & plufieurs font écrafés fous les ruines du temple qui croule; d'autres fe livrent a la rage & au défefpoir -y ils s'entretuent, ou fe dcchirent eux-mêmes de leurs propres mains. Abudah , plus efrrayé que les autres, jette autour de lui des regards confternés, cherchant a reconnoïtre Ia reine, au feu des éclairs. Mais, ó fpeétacle épouvantable ! fes graces ont difparu. Son beau corps a moitié confumé par les flammes, fe refferre & diminue par degrés , & a la place de cette beauté prefque divine , dont les yeux languiffans d'amour 1'avoient regardé fi ten-  DES G J N II ?I 'drement, il revoit fa vieille perire forcière. La fureur eft dans fes regards , & fa bouche vomit ces mors épouvantables: » Infenfé, comment as m ofé te fiarter de " trouver le talifman d'Oromane, au fein de la »> folie intempérance qui regnè dans ce bocage s> infeóté d'un air impur. C'étoit bien la qu'il » falloit aller chercher ce tréfor précimx 1 35 Mais je te Iaiffë jouir du fort que trj as 33 fouhai té avec tant d'empreffement. Que ce lieu 33 foit ta prifon : égare-roi dans les détours de 33 ce labyrinthe : contemple les vains plaifirs que 33 tu as recherchés ». En achevant ces mots , elle frappa le marchand, de I'une des potences fur lefquelles elle étoit appuyée, &c difparut, Abudah reffentit auftitót les doujeurs les plus aignës dans toutes les parties de fon corps ; effet cruel du coup qu'il venoit de recevoir. Le tonnerre avoit ceffé de gronder , les ténèbres étoient difllpces : Abudah étoit feul au milieu d'un tas de cadavres & de corps expirans. Saifi d'horreur & de défefpoir il veut fuir de ce temple affreux. La feule iffue qu'il rencontre le précipite dans une caverne obfcure ou il erre long-tcms a 1'a» venture. Cette caverne avoit encore queiq'ie chofe de plus horrible que le temple ; elle étoit peuplée de reptiles venimeux. A chaque pas  Les Contes qu'il fait, il marche fur des ferpens , des era-peaux, des afpics, & routes fortes d'autres animaux femblables, qui le piquent, le déchirent & le couvrent de leur venin. II eft encore affaillis par une nuce d'infectes volans auffi cruels. Tout couvert de plaies, il erre ca & M comme un furieux, encore plus tourmenté intérieurement par les remords, Ia rage & le défefpoir. Tandis qu'il cherche au hafard a fortir de cette caverne ténébreufe , repaire d'animaux immondes , il fe fent faifi a. Ia jambe par quelque chofe de plus grand que ce qu'il avoit fenti jufqua ce moment. II ne doute pas que ce ne foit la grifte de quelque énorme ferpenr. La crainte lui fait pouffêr un cri affreux, auquel r^pond une voix lugubre, en ces termes : » Qui es-tu, malheureux, qui peut refter en w vie dans cette caverne de défolation, d'hor» reur & de mort » ? Abudah, quoiqu'épouvanté, refTéntit quelque foulagement de trouver un compagnon dans fes misères : il lui répliqua ainfi : » Hélas! il n'eft que trop vrai; je fuis un »» malheureux qui me fuis cruellement abufé en s> cherchant le talifman d'Oromane ». » Quoi! dit la voix inconnue , es-tu parvenu » a ce degré de folie , de t'imaginer que des » plaifirs infames te mettroient en poffeffion de  DES GÉNIES.' sj ce tréfor ineftimable ? Si cela étoit , la conn quète en feroit facile; mais le talifman eft ö bien loin des lieux de délices oü tu t'es égaré. 53 II eft fur le fommet d'une montagne d'un » abord prefque inaccefllble >j. 33 Que me fert «le favoir oü eft le talifman, j3 répondit triftement Abudah , s'il ne m'eft pas 33 permis de 'fortir de la vallée de douleur ? Cette y> connoiffance augmente mon infortune ». ss II eft difficik de mouter fur ce roe efcarpé, 33 répartit Ia voix; mais lorfqu'on y eft une fois 33 engagé , ii n'eft pas poffible d'en redefcendre. 33 Souvent les terreins les plus ftériles font ceux 33 qui produifent les mines les plus riches. Cou33 rage donc, mortel infortuné; Cl tu veux fran33 chir ces fentiers pénibles & tortueux ; fi leur 33 difficulré ne te rebute point, & que tu fois 33 réfolu a' la furmonter généreufement, je te 3) montrerai dans quel endroit de cette caverne ss s'ouvre le chemin qui conduit a la montagne s» du talifman 33. 33 Ami, ou Génie, dit Abudah, qui que tu ss fois, qui daignes ainfi compatir a mon mal»3 heur , & m'offrir ton affiftance, mets - moi 33 dans la voie , Ie danger ne m'épouvantera 33 point. Que peut craindre un malheureux qui 33 n'a rien a efpérer » ? » Prends donc ce chemin, dit 1'inconnu, def-  54 Les Contes « cencls au plus bas de la caverne. Que fa pro^ jj fondeur ne t'effraye point. Defcends toujours j jj quand tu feras parvenu julqu'au fond, tu y » trouveras l'entrée de la montagne jj. Ces paroles mirent le citoyen de Bagdat a fon aife y 8c redoublant de courage , il fe hata d'atteindre le fond de la caverne. A mefure qu'il defcendoit, il rencontroit de nnuveaux fujets de patience. L'infedion du lieu, 1'épaifleur des ténèbres , la multitude effroyable de reptiles venimeux , il fupporte tout avec courage. Tantót il marchoit dans un bourbier épais d'oü il avoit peine a fortir , tantót il étoit obligé de ramper fur les mains 8c fur les genoux pour palfer fous des efpèces d'arcades exrrêmement balfcs 8c étroites. II atteignit enfin 1'endroit le plus profond de la caverne qui étoit li raboteux qu'il eut peine a.s'y foutenir, & infeéfé d'une vapeur fi infupportable qu'il en fut prefque fuffoqué. Quant a. l'entrée de la montagne , elle étoit fi difficile, fi embatraffée, fi couverte d'immondices &c de décombres, que le marchand, avec tout fon courage, pouvoit a. peine faire trois ou quatre pas en une heure. II travailloit comme une taupe laboure fous terre. A force de conftance bc d'induftrie , il gagne quelque terrein} 8c il en auroit gagné davantage j mais  » i s Génies!' 9j ïorfqu'il avoit fait quelques pas , des pierres énormes fe détachoient du rocher, le couvroient de terre & de boue , & 1'entraïnoient dans leur chüte jufqua ce quelles trouvalfent quelque arrêt. L'excès du malheur & la force du défefpoir pouvoient feuls lui faire furmonter les difficultés de cette entreprife. La misère Sc la haffelle ne connoiffent point de plus grands maux qu'ellesmêmes. Après une longue continuité de travaux fi tudes, Abudah parvint a uneefpèce de petite terraffe oü il prir un moment de relache. II marcha enfmte par un fentier qui s'élargiffbit par degrés Sc devenoit moins difEcultueux : il y appercuc aufli quelques rayons de lumière qui paffbienc par-deffus fa tête, fans pénétrer jufqua lui. II entendit un bruit confus de voix qui retentiffoient au haut de la montagne. Le bruit augmentoit & s'éclairciffoit a mefure qu'il montoit. Il ne lui fut pas difficile de comprendre que ces fons tumultueux provenoient de 1'affluence du peuple affemblé fur le fommet de la montagne.Cette idéé ranima fon courage. Lorfqu'il eut gravi un pas plus efcarpé que les eutres, d entra dans une caverne dont la fortie éioit fort étroite : un homme pouvoit a peine y fauer en rampant. En prêtancl'oreille, il entendit  24 Les Contes » cends au plus bas de la caverne. Que fa pro-* i> fondeur ne t'effraye point. Defcendstoujours J n quand tu feras parvenu julqu'au fond, tu y „ trouveras l'entrée de la montagne ». Ces paroles mirent le citoyen de Bagdat a fon aife, & redoublant de courage, il fe hata d'atteindre le fond de la caverne. A mefure qu'il defcendoit, il rencontroit de nouveaux fujets de patience. L'infeéHon du lieu, répaifleür des ténèbres, la multitude effroyable de reptiles venimeux, il fupporte tout avec courage. Tantbt il marchoit dans un bourbier épais d'oü il avoit peine a fortir , tantbt il étoit obligé de ramper fur les mains & fur les genoux pour paffer fous des efpèces d'arcades extrêmement baffcs & étroites. II atteignit enfin 1'endroit le plus profond de la caverne qui étoit fi raboteux qu'il eut peine a.s'y foutenir, & infeéfé d'une vapeur fi inXupportable qu'il en fut prefque fuf> foqüé. Quant a l'entrée de la montagne , elle étoit fi difficile, fi embarraffée, fi couverte d'immondices & de décombres, que le marchand, avec tout fon courage, pouvoit a peine faire trois ou quatre pas en une heure. II travailloit comme une taupe laboure fous terre. A force de conftance bz d'induftrië , il gagne quelque \errein 3 Sc il en auroit gagné davantage j mais  des génies.' 9j lorfqu'il avoit fait quelques pas , des pierres cnormes fe dérachoient du rocher, le couvroient de^terre & deboue, & lerttrairioient dans leur chute jufqu'a ce quelles trouvaffient quelque arrêt. L'excès du malheur & Ja force du défefpoir pouvoiem feuls lui faire furmonterles difficultéf de cette entreprife. La misère & la baflefle ne connoiflent point de plus grands maux quellesmêmes. Après une longue continuité de travaux li rudes, Abudah parvint a uneefpèce de petite terlaflè oü il prit un moment de relache. II marcha «nfirite par un fentier qui s elargifloit par degrés & devenoit moins dinicultueux : il y appercut auffi quelques rayons de lumière qui pauoie.it par-deffiis fa tête, fans pénétrer jufqu'd lui. II entendit un bruit confus de voix qui retentiffoient au haut de Ia montagne. Le bruit augmentoit & s'éclairciffoit a mefure qu'il montoit. 11 ne lui fut pas difficile de comprendre que ces fans tumultueux provenoient de 1'affluence du peuple affiemblé fur le fommet de la montagne.. Cette idéé ranima fon courage. Lorfqu'il eut gravi un pas plus efcarpé que les autres, il entra dans une caverne dont la forti* hoxt fort étroite : un homme pouvoit a peine y 4>« mènent! » . °n ordo™e de faire filencè. Alors le grand vizir, accompagnée d'une fuitë auffi nombreufe que brillante, avance vers Abudah en fe pröfternant a plufieurs reprifes. Le peuple imite fon txempIe.Le vifir adrefife ces paröles au marchand i « Voici, 6 töi, devant qui lè foleil n'eft óüè » ténèbres! toi, la merveille du mortde, illuftre >> & facré rejeton de la familie des Tafgi ■ roi » o prodige de beauté; toi, miroir dé perfec' «On) toi, fultan Ie plus glorieux & Ie plu4 « grand éntre tous lesprincës de la terre • Éi * dlamant de la nature, laperle du monde,'an^ë » tutélaire de l'univers; voici tes efclaves proff ternés en ta préfence. Tout leur defir eft de te « ferm de marche-pled , & d'être föulés fous » tes pas comme la pöuffière de cette plaine 1 »> toi feul, 6 magnifique fultan ! apparcient tout » e bonheur de la terre ♦ toi feul pofièdes toute » beauté du corps , toute qualité de 1'efprit » toute vertu de 1'ame ; a toi feul appartient' * ^S1™* & tout pouvoir dans le royaumë P de ton illuftre père , le grand « immorte! Terne XXIX. Q  gers l'entrée des états de notre giorieux 8C jj invincible fultan. Gouverue donc tes efclaves jj a ton gré 8c felon leurs djfirs , car ils n'ont j> d'aurre volonté que Ia tienne. Que ton plaifir jj "foit ton unique loi. Tes efclaves n'en recon» noilfent point d'aurre, dans les villes 8c dans 39 les campagnes de ton empire. C'eft par ta per3) miifion qu'ils refpirent -y c'eft par ta bonté 33 qu'ils rampent fur cette terre : ils t'adorent sj avec crainte , 8c attendent en tremblant tes »j ordres facrés. » Le grand vifir ayant achevé fa barangue, fe profterna de nouveau avec tout le peuple, en prononcant ces patoles que la foule répéta d'une voix unanime : « O fultan, b feigneur , que les jj montagnes de Tasgi nous ramènenr, gouverne >j tes efclaves felon la loi de ton plaifir ! » Abudah , flatté de ces hommages', fe livra a 1'oro-ueil & a la préfomption la plus vaine : il oubüa dans un inftant toutes les peines , les fatigues 8c les douleurs dont la vue de fes plaies auroit dü lui rappeler le fouvenir. II mit fon pied fur le cou du grand vifir, avec une hauteur majeftueufe qui marquoit combien fon difcours lui avoit été agrcable , 8c lui commanda de le couduire au férail de fes ancêtres»  besGenjis*. 55 Des efclaves & des euhuques fuperbement habillés , apportèrent d'dbord un magnifique tröne d'ivo;re, couronhé d'un dais brodé en of, touc enrichi dé pierredes. Abudah s'affit fur le tröne qui fut porté fur les épaules des vifirs & des grands de fon nouveau royaume. Le cortège pompeux fit le tour de la mohtagnej, & s'arrêra dans un camp très-vafte, pour procurer au fultan la vue de fes armées. Les troupes étoient habillées a 1'orientale , avec de riches uniformes de dirférentes couleurs qui, joints ï I'éclat de leurs armes , faifoient un coup - d'ceil tout-a-fait agréable : les uns étoient jaunes, d'auttes bleus, d'autres rouges. II y en avoit de verts* de blancs, de deux , Sc de plufieurs couleurs} tous étoient relevés par un travail dot Sc dargenti Les teutes étoient drefiees : Ia variété dé leurs couleurs , la richelfe des étorTes , Sc leur fymmérrie fotmoient uri nouveau fpectacle auffi charmant que Ie premier. La tente royale s'élevoit au centre , beaucoup au - delfus des autres; fon éclat Sc fa grandeur la faifoient remarquer. Elle étoit de velours bleu , brodé en or, Sc enrichi de perles. Elle avoir plus l'air d'un palais que d'une rente. Abudah, ayant recu les hommages de 1'armég & des nobles de foa royaume , ordonna qu$ Gij  Ho Lts Conti s tout Ie monde fe retirat, a 1'exception du grind vifir. On obéit : tous les courtifans fe retirèrent k feculons, en fe proftemant plufieurs fois. Legrand Vifir refta que'q^e tems la face contre terre , &C dit avec refpeft& tremblement: «Que mon feï-1 *> gneur & maitre , le fultan de Tafgi, règne a n jamais fur Harran , fon efclave. » Lève-toi, Hanan , dit Abudah , lève-toi , »> & apprends-moi quel fujec ralïemble dans cette »> plaine les armées de Tasgi. » Magnifique feignenr, répondit le vifir HarVj ran , le fultan Rammafin avoit coutume de n venir camper dans certe plaine , tous les étés » feulemertt, pour contenir fes ennemis dans les ü bornes de la crainte & du refpedl: que toutes ,> les nations doivent aux rois de Tafgi. Mais » cette année , les puifiances invifib'es qui pré» fident fur ces montagnes , nous 1'ont enlevé .» au milieu de la campagne , pour nous faire »> jouir de la préfence de mon feigneur, qui veut »> bien me permettre de me profterner a fes >■> pieds. Car depuis que les defcendans de Mas> hornet enveloppèrent notte pays dans les horis reurs d'une guerre fanglante , & que nous >> primes cette occafion de fecouer leur joug bar'j3 bare , les oracles de Tafgi nous ont toujours »3 .promis un roi qui fortiroit du centre de Ia mor*;  DES GÉNÏES. 10 ï 4>* ttgne , en nous aifurant que ces royaumes for» lishét jouiroienc d'une paix inaltérable , fans »» être inquiétés au dehors par Ia guerre, ni trou» blés au dedans par aucune div.fion de familie , r> ni aucune difpute entre frères. Nous avons » goücé jufqu'ici le calme de la paix, & le grand » Abudah vient accomplir la dernière partie de » 1'oracle. » Et qui font les peuples voifins de mon « royaume , reprit Abudah ? quelles font les » nations qui habitent au - dela de ces monj» tagnes ? » Un peuple honnête & pauvre , répondit Ie j> vifir , dont mon feigneur n'aura pas plus de » mécontentement que les fultans fes prédécef» leurs. C'eft pourquoi ï'illuftre Rammafin, de » glorieufe mémoire , n'a jamais voulu les in» quiéter, quoique leur territoire s'étende au »♦ loin jufqu a la mer , & qu'il put aifément en » aggrandir les états des rois de Tafgi. » Rammafin fe piquoit donc de générofité , » répliqua le nouveau fultan. II facrifioit a 1'opi» nion des hommes. II vouloit qu'on die chez » les peuples voifins , que fes defirs étoient au » deffous de fa puiffance , & qu'il favoit fe con» tenter d'un empire borné par ces montagnes , » lorfqu'ilpouvoitenreculerleslimites jufqu'aux » ebtes de la mer. Pour moi, votre fultan actuel „ G ii;  ;iot Les Contes »> je ne me repais point d'un vain nom. Cesi 9> peuples , malgré leur honnêteté & leut indiu gence , ne trouveront point grace devant moi, s» Pourquoi leurs ancêtres font-ils venus s'étas> blir dans des contrées a ma difpofition ? Je sj vous déclare donc que leur pays fera donné >3 aux efclaves de Tasgi, & que j'étendrai mon m royaume au-dela des flots &c de la tem-» »3 pête. sj Mon fouverain feigneur va gagner 1'arTec-! jj tion de tous fes foldats par cette glorieufe dé»s marche , répliqua le vifir. Ils languilfent dans » une honteufe inadtion ; ils ne refpirent que la « guerre & le carnage, II y a long-rems qu'ils 33 contemplent, avec une fecrere envie , le ter» ritoire de ce pauvre peuple , qui le leur ahan-? as donnera a la moindre alarme. Et quelle gloire ss pour mon feigneur, d'avoir fait difparoitre de » deffus la terre, une nation dont 1'indigence s,s déshonore un li beau climat. Notre glorieux sj fultan ne fauroit mieux fignaler Igs cpmmen^ m cemens de fon règne, 33 Allez donc, dit vivement Abudah. Notifiejs ss mes volontés a toute 1'armée. Faites publier ss dans tout le camp, au fon des trompertes, que 3> votre fultan Abudah a réfolu de veng^r les, ss dommages & les affronts que leshabjtans de « Tafgi gut recus de leurs perfides voifins. Allez ,  DES GÉNIES. IÓJ' »» "Harran , allez publier une déclaration de guerre s> contre ? » Contre les Sakarahs, ajouta le vilir, qui ont * infulté les montagnes de Tafgi. . Abudah auroit voulu prendre le chemin de la capitale ; mais les douleurs & 1'épuifement ne lui permirent pas d'avancer plus loin ; il n'eut pas même la force de traverfer le camp pour atteindre la tente royale ; il en ht dreiïer une a la hate , oü il fe retira , fuivi des favoris de 1'ancienne cour j & d'ailleurs , il vouloit faire la campagne. Tandis que les eunuques & les efclaves s'empreiïbient a fervir leur fultan , Harran faifoit publier fes ordres dans rout le camp ; il commandaaux chefs de 1'armée de s'affembler en conlëil de guerre, & de fe préparer a 1'expédition ordonnéé par le grand Abudah. ■ La nouvelle 'de cette gïorieufe entreprife fe répandit bientót dans tout le royaume de Tafgi-, EI!e fut recue par-tout avec la même joie & le même applaudiffement. Tout le monde fe faifoit un fujet de, triomphe d ecrafer les foibles & innocens Sakarahs. Tant il eft vrai qu'on fe livre aux fureurs de la guerre, fans en pefer les qaufes ! Les vieillards décrépits fembloienr fe ranimer : ils n'étoient plus en état de porter les armes; mais on les voyoit exciter leurs enfans , & les G iv  ï©4 Les Contes remplir de ces fentimens de rage & de cruauté ,'• auxquels ils donnoientles beaux iioms d héroïfme cV de patriocifme. Avant que le foleil eut éclairé les moiflbns des, Sakarahs, les tentes d''Abudah s'éeoienc ébeanlées; pour aller les détruire. L'air rerentiifoit au loin 3 du bmit des cymbales , & des éclats bruyans des trompettes. Leurs accords , mêlés aux chants jqyeux de toute 1'armée , fembloient annoncer plutöt 1'allégrefTe d'un triomphe , que les horreurs du carnage. La bonne difcipline des troupes, 1'ordre de leur marche , la vivaciré de leurs re-, gards, leurs cris & leurgaieté, cachoientles noirs defleins , 8c 1'ame barbare d'un illuftre brigand qui, mal ree d'un vatte royaume , s'en faifoit un, prétexre pour en envahir un fecond, facrifiant la vie de fes propres fujets a fon ambitio.n 3 8c les forcant de franchir des mqnts efcarpés , que la nature avoit éleyés comme des barrières a fa fii-r mW ph . ; -.- ' . ' .i ' jij : Dès que les Sakarahs furene 1 approche de 1'armée des Tafgites , ils envoyèrent une ambaifade nu fultan, pour lui demander la Gaufe de ces mou-f vemens inattendus ; lui renouveiant l'afïurance de la paix & de la bonne intelligence qui avoit toujours régné entre fes glorieux aucêtres, & leur foible répubiique ; le fupplianc, de leur déclarer fi quelqu'un d'entre eux lui avqie donné quelque  CBS GÉNIE S? IQ ƒ fuiet de reiécontentement, a lui, ou au moindre de fes fujets , & offrant de lui en faire telle fatiffadion qu'il exigeroit. Ils le conjuroient de détourner loin d'eux, le poids de fa colère & de fa puilfance, Sc de ne point faire Ia guerre a une ha* tion toujours affectionnée aux Tafgites , qui ne 1'avoient jamais traitée en ennemie. Ces humbles fuppliques étoient concues dans les termes les plus refpectueux : la vérité leur donnoit un nouveau poids. Abudah écouta les ambaflTadeurs avec impatience , & leur répondit avec une fierté féroce, qu'il n'avoit rien a apprendre d'un peuple d'efclaves, tel que les Sakarahs ; qu'il ne leur convenoit pas de vouloir controler, ni diriger fes démarches; que fa volonté fe portoit librement par-tout oit il vouloit, fans qu'il füt permis, ni a eux , ni a perfonne, de s'y oppofer; qu'il avoit réfulu d'entter dans leur pays Sc de s'en rendre maitre ; & que , s'ils en vouloient favoir la raifon , d n'en avoit point d'autre a leur dire, linon, qu'il venoit punir 1'infolence d'un peuple aiTez préfomptueux pour envoyer une telle ambatTade au fultan de Tafgi, II fit chaffer les ambafladeurs de fon camp, & ordonna audi-tót que 1'on enrrat fur les terres des Sakarahs, Sc qu'on j mh tout a feu Sc a (Mg,  de toutes parts, pour en retirer un coffre de  BIS GÉNIES. ic?f 95 fer a cinquante ferrures, qui doit être dans »> Pendroit le plus profond. jj Le grand vifir entendant eet ordre , s'inclim devant fon maitre , & lui dit: « 'Mon feigneur »3 ofera-t-il envoyer les vils Sakarahs dans les jj profondeurs de Tasgi, oü fes fujets même »j n'ofent pénétter ? « Qu'on prenne donc le rebelle Harran, dit »» Abudah , qu'on lui arrache la langue en pu»j nition de fon infolence , qu'elle foit jetée ^j aux chiens ; qu'il foit décapité enfuite , 8c »» que fon exemple apprenne a. refpe&er mes jj ordres.» Harran fut puni: les autres vifirs jouirent avec plaifir de fon fupplice. Son orgueil le leur avoit rendu infupportable. Ils exaltèrent en ces termes la jufte indignation du fultan. « Un monarque de Porient fera-t-il gouverné jj par fes efclaves ? Ils ne refpirent que par lui 8c jj pour lui. S'abailfera-t-il jufqu'a fuivre leurs jj confeils ? N'a-t-il pas lui feul toute la prujj dence 8c toute la fagelfe ? Que la volonté da " fultan Abudah foit accomplie par les travaux j» des Sakarahs dans les montagnes de Tasgi, jj comme elle J'eft par la mort du traïtre Har*» ran. 3s Le tyran en voyoit de tems en tems fes vifirs vers les mineurs, pour yoir leurs travaux 8c lui  to$ Les Contes en rendre compte. Ces miférables périffoient par milliers : ils étoient écrafés fous les débris de la montagne , ou englouris par les précipices qui s'ouvro ent de tous cótés fous les coups des travailleurs. Les Tasgites aufli , peuple fort faperftitieux au fujet de cette monragne regardée comme un lieu facré , & le féjour des Génies prorecfeuts du pays, murmurèrent hautement de 1'impiété du fultan Abudah le fut, Sc lts fit chatier par les chefs de fon armée. II fit faifir tous les mutins, & ordonna qu'on les décimat. Cet excès de cruauté fut appelé générofité par ceux qui échappèrent au fort. Enfin les Sakirahs découvrirent le coffre de fer, le portèrent avec des peines infinies au fommet de la mont&gne , & le préfenrèrenr a Abu. dahy qui, pour delalfement de tant de fatigues, leur ordonnaou de mettre le coffre en pièces , ou de forcer les ferrures. Ils ne purent ni 1'un, ni 1'autre , quelques efforts qu'ils fiffent , Sc quelques inftrumens qu'ils employaffent ; ni fjrce, ni art ne pouvoit rien contre la dureté de cette machine. Alors le fultan fit publier une récompenfe pour celui qui forgeroit des clefs qui puffent ouvrir les cinquante ferrures. Plufieurs tentèrent 1'aventute , & réuffirent jufqua un certain point. Mais  DES G E N I È S.' i(3i) dés qne t'ouvrier avoit ouvert une des fertures-, & qu'il pafloit a une amre, la première fe re-* fermoit d'elle-même , tandis qu'il ouvroit la feconde , laquelle fe refermoit a' fon tour, lorfqu'il procédoit a une troifième ; de forfe qu'il en reftoit toujours quarante - neuf de fer* mees. L'orgueilleux Abudah étoit fürieüx de fe vöir vaincu paf le pouvoir invifible qui s'oppofoit £ fes volontés. II ordonna a cinquante hommes de prendre chicun une def, de les mettre toutes au même mftant dans les cinquante ferrures, & de les ouvrir enfemble. Il comptoit que cette méthode lui réuffiroit mieux. Mais au moment qrt» les cinquante hommes fe difpofoient a lui obéir, ils tombèrent morts devant le coffre. Le tyran donna lê même ordre a cinquante autres; mais toute la foule d'efclaves, d'eunuques & de Sakarahs qui étoient aufout de lui , difparut a i'inftant de fa préfence , comme la poufiière que le vent enlève, & qui fe diflïpe dans l'air. Abudah , réduit ï fon armée, appela cinquante foldats. Les chefs excedés de cette cruauté énorme , & ne doutant pas qu'il ne fut réfolu de facriSer fon armée, & puis le refte de fes fujets, comme il venoit d'en facrifier une partie, fe réVoltèrent contre ce tyran barbare, & marchètent en bon otdre vers lui, déterminés a mettre  Ho Les Contes fin a fa tyrannie, en l'imraolant a leur vengeance. Abudah connut leur deffein ; Sc n'en efpérant aucune grace , il fe jeta fur le coffre de fer dont il avoit déja. éptouvé 1'aftiftance k fon retour de la vallée de Bocchim , dans une occafion femblable. Auffi-tót le coffre s'éleva dans les airs. Abudah f ftupéfait & hots de lui-même, s'aifoupit profondément, Sc fut tranfporté bien loin de 1'armée & du royaume de Tasg'u IV* Aventure du marchand AbüDAH parmi les Sages de Nema. BV D AH fe trouva couché fut le coffre de fer, au pied d'un rocher fufpendu au-deffus de fa tête, & couvert d'une forêt de palmiers, dont 1'ombre defcendoit jufques dans la plaine. A quelque diftance, un petit ruifleau qui prenoit fa fource dans la montagne , couloir avec un doux murmure, fur un lit de fable mêlé de cailloux, Sc alloit arrofer de fes eaux pures, une Vallée refferrée entre deux chaines de collines toujours verdoyantes. L'afpeét d'un lieu champêtte invite a la refter jrion. Abudah fongeoit ala manière extraordinaire  *> £ S GÉNIES. Ut 'é>W il écoir forti du royaume de Tasgi. II ap. percoir dans la vallée un vieillard refoeótable, qaï femblóit diriger fa marche vers lui, au moins vers le rocher fous Iequel il étoit. Son maintien ctoir grave fans affeéfcation , fa marche n'avoit nen de trop lent ni de précipité. La confciencé & Abudah fut alarmée 4 la vue d'une figure immaine. Elle lui reprocha fon règne tyrannique, & fes excès barbares contre 1'llumanité. Son pi^I mier mouvement fut de prendre la fuite pour evirer ia préfence de ce fage vénérable. Mais celui-ci approchant toujours d'un ait modefte 3C aifé, Abudah fe raimra & fottffiric qu'il bord at. L'ancien roi de Tasgi, couvert de la pourpre avoit eneore le turban royal fur la tête. Lefa4 le falue avec un refpecfc mêlé de grandeur. «O » pnnce , lui dit il, qui daignes vinter eet afyle " de la fcience & de la philofophie ! qui que m » fois, ou le roi dont les connoilfances étoient » univetfelles, la gloire de 1'orient, le fage d -s » fages, 1'infatigable Salomon; ou bien le maïrre » de quelque royaume voifin, que 1'amour de » la fcience amène dans ces lieux , permets » quun de fes fils t'introduife dans fon tem» ple : temple augulle élevé dans ces défertspar - les ordres & fous la direition du grand Sah» mon , oü les fages de la terre s'occupent üus  Les £ Ö n t e s » relache de la recherche du vrai, & des fe» crers de la nature. Gette vallée eft une écóle » de vertü : le vice n'ofe en approcher. L'im»> menfité des deferts qui 1'envirounenf en désa fend 1'entréej On y enfeigne la vérité , Sz $ toutes les fources du favoir y font ouvertes. » Abudah confus fuivoit en filence le fage qui le conduifoit ; mais tout occupé de fes premières penfées , il difoit en lui - même : « O prö» phète \ que le hafard m'a bien fetvi! Que je » me fuis heureufement égaré ! Caf fürenïent, y> c'eft parnii ces fources de fcience & de vé» rité que je dois trouver le Talifman cl'Oro± i» mane. » lis anivcrenr au haut de la vallée, en face du temple de la philofophie. Un grand portiqtie d'une belle architecture grecque , fe préfenta d'abord aux yeux cY Abudah. II y monte avec fon guide par un grand perron ouvert de forme ronde. Au fond du portique s'ouvre une porte qui 1'inttoduit dans une grande falie fort élevée. Le fage lui dit 3 « Les rois même forit obligés 0 d'attendre ici qué le gouverneur de ee palais j> foit inftruit de leur arrivée. II n'eft permis a s> aucun étranget d'aller plus avant, qu'il n'ait ij fait connoitre le fujet de fon voyage, & les >» motifs qu'il a de défirer d'avoir entrée dans Ie v temple augufte de la fcienee*» Abudah  O E S GÉNIES.' Abudah n'avoit pas oublié fa grandeur prétendue, & il s'en falloit bien que fon orgueil 1'eüt quitté avec fa royauté, il eu avoit conferv*é les marqués & 1'efprit. II répondit au fage avec une, forte d'impatience : « Eh ! bien donc, aiiez dire » a vctre gouverneur, que le fultan de fasgiy » ami de la fcience & de la vérité , vient cher>> cher dans ces retraites philofophiques le prési cieux Talifman d'Oromane. » Le fage ayant recu les ordres du faux fulran , alla en rendre compte au gouverneur. Abudah Lattendit dans la falie oü fe trouvoient beaucoup d'autres candidats de tous les rangs, qui défiroient d ecre admis dans le collége des fages : chacun avoit fon inrroduóteur particulier. Le guide d'Abudah revint avec cetce réponfe. '* Norre gouverneur eft charmé de trouver dans un fi grand monarque une paflion fi forte pour lavénté. II m'ordonne de déclarer (comme » a 1'ordinaire ) que le Talifman d'Oromane eft » la fin de routes nos recherches. II invite donc » le magnifique fultan de Tasgi a faire tous fes » eflörts pour rrouver ce rréfor précieux, &c a » le cherclicr dans teile fcience qua jugera le » contenir. Mais, heureufement pour le oj0»> rieux fultan , il a remonrré Abraharad qui j' peut lui découvrir les fecrers les plus cachés » de la nature , & lui apprendre quels lieux. Tornt XXIX. " h  ïi4 Les Contes » récèlent le talifman fi defiré &c fi digne de jj 1'être.» jj Vous êtes donc, répliqua le roi de Tafgi, j, ce fameux Abraharad que mes fujets m'ont tant „ vanté comme un prodige de favoir, comme jj un philofophe univerfel qui cormoït les projj prictés de toutes les piantes, cv de tous les w minéraux de la terre ? jj O prince ! dit Abraharad, ces connoiflances „ font les moindres : ce ne font que les fimples sj élémens de la fcience de la nature. Mais je veux jj vous réveler quelques-uns de ces myftères rejj gardés jufqu'ici comme impénétrables, 3c que jj perfonne au monde h'a connus depuis le fage &c » glorieux Salomon. Car qu'étoit-ce quütomane, „ 1'inventeur du talifman qui porte fon nom ? Le jj magicien du feu, le grand atchymifte du pre,j mier, du plus aótif & du plus puiflant des „ élémens, & rien de plus. Mais je ne veux pas » vous amufer de paroles, tandis que je puis r> vous convaincre par des prodiges. Que le ma,j gnihque fultan de Tafgi daigne defcendre avec 3j moi fous les voütes fouterraines de ce temple, „ oü chaque fcience a fes appartemens & fes „ laboraroires particuliers, C'eft la que vous ferez „ iniiié aux myitères de la nature &c aux fecrets jj de l'art >j. Abudah étoit au comble de Sa joie. II remet-  DES GÉNIES. Ij^ clöit ie prophéte, il fe félicitoit d'avoir rencontré fi a propos le favant Abraharad. II le fuivit dans óae grande cour foutcrraine, èhtourée de portiques, fous chacun defquels ii vir plufieurs fages & un grand nombre de difciples qui recevoiènt leurs lecons. Abraharad cóndaifn le fultan fon éiève fous fon portique particulier. Ce n'étoit que le veftibülé de fon Iaboratoire. II étoit rempli d'apprenrifs fages qui s'e'xercoient dans les dilférentes parties de fcn art l Sans aller plus loin, dit Abranarad, » je pourrois étdrinet le fultan de Tafgi, par le » favoir feul du moindre de mes difciples • mais » j'ai d'autres myftcres ï lui révéler ». En prononcant ces mots il öuvre une petite porte : ils entrenr fous une voute afiez obfcure,,& I'alchymifte referme la porte. t Abudah regarda avec des yeux furpris 8t attentifs le nombre prodigieux d'outils, d'mftrumens & d'uftenfiles de toutes les fortes, dont la voute, les murailles & le pavé éroient garnïs. II n'en falie pas moins a l'art pour comrefaire les produchons de la nature. Abraharad commence pat préparer toutes fes matières; il les mer dans des vafes; il allume fes fourneaux : il combine les fels, les rerres, les efprirs, variant les dofes Sc mtfltipliant les expériences fuivant 1'indication. « Patience & perfévérance, ó fultan , s'écrie Palli ij  ik* Les Contes' » chymifte avec emphaië! Patience & perfévé3> rance! Ce font-la les premiers inftrumens d'un jj fage. Sans eux il ne peut opérer, tant il y a de jj caufes cachces qui traverfent fes opérations 1 jj Le fccret que je prépare a cette heure, eft le jj grand Démogorgon, ou le diffblvant univerfel. jj Le procédé eft long & ennuyeux : les manipu>j lations font difficiles & rebutantes. Mais pour jj ne vous point faire trop attendre, & quokjue jj le fourneau ne foir encore qu'au troifième degré sj de chaleur, je vais vous montrer quels effets 3J prodigieux produifent les caufes les plus toibles. 33 Rien d'ailleurs ne fera plus propre a vous faire jj perdre mille préjugés que la coutume enrrejj nenr contre quelques modificarions particu» iières de la matière, & dont 1'efprir du fulran jj de Tafgi n'eft peur-être pas tout-a-fait exempt. jj La terre que vous voyez eft un amas de j» principes qui, par des fcparations, conjoncsj tions, affimilations, unions, disjonctions, 8c 3J autres manipulations, peuvent former tous les jj êtres de ce monde vifible, & un plus grand sj nombre d'autres fubftances que nos yeux n'ap3j percoivenr point, ou que la nature rerjenr en3.j <:ore dans 1'état de non-exiftence. Vous voyez jj la femence, aufii fubtile que Tatouie , donr les jj particules volatiles s'attirent réciproquement: 3,3, e'eft cette femence qui produit les arbres, le  BES G É N T E S." '117 j> bois j les feuilles & le fruit. D'abord elle de vient » terre par la condenfation. Enfuire ce qu'elle a » de plus groftier fe durcit & végete en fe rarai35 riant. Les parties les plus fubtiles montent par 3' toutes les ramifications, oü par leur a&ivitc J3 elles fe creufent des canaux tubulaires, tandis w que les branches font encore tendres : ce fuc 33 s'amafle en divers endroits des ramificarions: w il s'y étend en feuilles, &c s'y accumule en 33 grains attachés a la même tige. Jufques-la il a 33 encore fa forme de principe terreux & fans 33 faveur. En voila, vous pouvez le gouter, il eft >3 infipide; mais peu-a-peu il devient acre, aigre, s> pms doux. Ainfi fe forme le raifin qui croic 3' dans différens pays, cuit, amélioré & perfec» tionné par le foleil, le premier & ie plus fubtil 33 des alchymiftes. Tous les végétaux font pro»' duits de la même manière; & quoiqu'il y a« » des fruits amers, aigres, ou fucrés, ces difte» rentes faveurs font roures le produit d'une » mcme terre, la terre première qui fe modifïe 33 difléremmenr, felon les couloirs oü elle pafte 33 en s'élaborant. II y a plus, öglorieux fultan! Je >3 regarde comme très-vraifemblable que la na33 rure procédé d'une manière uniforme dans ia 33 génération de routes chofes j de forre que je « me figure la femence des chofes comme un =3 étendart par-tout fembiable qui couvre la na» Hiij  'ïi8 Les Contes jj ture entière , quoique chaque être paroifTe 33 y avoit fon enveloppe ou bannière particu*j lière. 35 Comme en vertu des affeéKons, des fym53 pathies de fotme 8c de qualité, toutes chofes 35 font liées par ces caufes d'union & de conjonc35 tion; elles ont anul leurs averfions & leurs 35 antipathies, c'eft-a-dire des principes difcor35 dans qui font qu'elles font féparabies, & fe 33 divifent en effer, lorfque la caufe de leur union, 35 cohéfion, ou fubftance, eft détruite. Alors la 35 continuité ceffe, 8c ces êtres font réfolubles 33 en leurs atomes conftitutifs. Ainfi fe fait ce^ 33 qu'on appelle corruption , qui n'eft qu'une nou>3 veile modincation de la matière. 33 II faut remarquer que nous avons donné 33 divers noms a la même matière, pour expri35 mer les formes variées fous lefqueiles elle 5-3 affecte nos fens, &r les idéés qui proviennent ss de ces fenfatiöns. Ahili quand le jus du raifin 33 écrafé fermente dans la cuve, nous difons que 35 le vin fe fait; & quand le ferment des végé35 taux fe réfout en une eipèce de mucoiïté glai33 reufe, nous appelons cela putréfaétion, quoique ss la nature agiiTe d'une manière femblable dans 35 ces deux procédés. De même encore nous ap55 pelons la méramorphofe de 1'ceuf en poulet, sj la nahTance de ce: anima!, 8c quand le poulet  BES GÉNIES. I19 s> mort eft changé lui-même en une fourmiliière jj de vers, nous donnons le nom de corruption jj a cetre nouvelle tranfmutation. Mais quelles 55 que foient nos idéés, & les noms qui les ex55 priment, rien n'eft réellement détruit; ce que sj le vulgaire regarde comme une deftrucVion, 55 n'eft qu'un changement de forme. Tous les 55 ctres rerournent au lit commun de la nature > 55 oü ils dorment quelque temps, jufqu'a ce que 33 des caufes fuffifantes les réveillent, & les faffent ss reparoitre fous d'autres formes. 35 C'eft pourquoi, ö fuiran de Tafgi, 1'alchy53 mifte prend ce lit univerfel pour le fondement 55 de fa fcience fublime j a 1'imitation de Ia nature, » il emploie dans fes opérations la force aétive 55 du plus noble des élémens, du feu vivifiant: 59 par cette méthode, la feule profitable, il apj5 prend aux hommes la puilfance fecrette de la » compofition & de la réfolution; enfin quand ss il tient cette clef de la fcience de la nature, &c » qu'il fcait s'en fervir, il eft capable d'opérer 55 tout ce qu'il veut. Maitre abfolu de fes opéra3> tions, il les gouverne a fon gré, les précipire, ss les ralentit, ou les fixe , comme bon lui femble. 35 La matière prend dans fes mains routes les 55 formes qu'il juge a propos de lui donner, pour33 vu qu'il nemanque point de patience, car on >3 peut égaler la nature j mais on ne peut pas U Hiv  [ii'ö Les C o n t e s forcer. On ne peut pas aller d'une extrémittS 33 a l'aütrë fans pa'ffer par le milieu. 3J Vous voyez, öptïnce! ces deux bouteilles 33 pleines d'une liqueur tranfparénte comme du » criftal. En les mêlant, elles deviennent rouges j 33 aiufi la plante que vous metrez dans 1'eau, 33 quoiqu'elle ne fe nourriifé que de eet élément, 33 pouffedes feuilles vertes, Sc donne des fleurs 33 d'une autre couleur. Maintenant je puis rendre 33 a. ces liqueurs rouges leur première tranfparence 33 cnftalline, au moyen d'un diflolvant qui les 33 féparera. Je puis encore leur donner une cou3> leur différente, foit bleue , verre ou jaune, a 33 te! degré de vivaciré que vous défirerez. 3» Toutes ces métamorphofes s'opèrent par un » petit nombre d'agens fimples & naturels >». Alors Abraharad changea fubitemenr fon laboratoire en une chambre obfeure. Une grande lumière fuccède aux ténèbres ; & Abudah lit fur la muraille ces mots écrits en lettres de feu : le fultan de Tafgi fera fatisfait. Cependant le fultan de Tafgi fut effrayé. Abraharad le raffura. » Prince 3> magnifique , lui dit-il , ne vous laiffez pas 33 troubler par cette apparence lumineufe. Ces 33 prodiges doivent plutót vous encourager que j3 vous rebuter dans vos recherches. Du refte, »3 cette lumière fi belle & fi vive, eft un phof?3 phore naturel extrait d'un réfidu d'excrémens;  BES GÉNIES. III » ce qui fert a prouver que les formes les plus » viles de la matière peuvent enfantër des mer- » veilles ... Mais quelles Hammes brillantes j'ap- » percois au-deilus du fourneau! Quel éclat! » Quelles couleurs! Le beau rouge! Quel agréab'e 3» mélange de bleu, de verr, derofe,de jamie 33 &deblanclO fultanÜes rubis &i les émeraudes »3 de ron empire n'ont pas un éclat fi vif & li 33 pUr )3. Abudah voyoit en efFet un riche afTernblage des couleurs les plus belles, qui couronnoit les creufets d''Abraharad. " Voila , dit Ie Sage avec complaifance, voila. 33 les fignesglorieux du fuccès de mon opérarion. 33 Le menfiruc univerfel touche a fa perfecrion . » & tous les tréfors de la nature vont m'être 33 öüverts. O fultan! louez Ie prophete qui « » permis que vous fuffiez témoin de ce ebrand 33 oeuvre ». « Mais, demanda Abudah, cette ccmp:.fuion » que vous venez d'obrenir, eft ei ie le qraid 33 démogorgon, le diffolvant univerfel »? » Oui, magnifique fultan, répondit Abra3> harad, c'eft-la le dilfoivant univerfel de toute »3 fubftance, quelque dure & compacte queue 33 foit )3. " En ce cas, reprit ie fultan, Ie talifma» « d'Oromane fera bientöt en ma puiifance );, .-  iz2 Les Cbntes » Peut-ctre, feigneur j car il faut du tems » pour découvrir oü ce tréfor eft caché ». " Je vous tiens quitte de cette découverte, fage »» Abraharad. Je fais ou eft le talifman, II eft » enfermé dans le coffre de fer fur lequel vous » m'avez vu affis au pied du roeher oü j'ai eu le » bonheur de vous rencontrer. 11 eft dans ce » coffre qui, jufqu'ici, a refifté aux plus grands » efforts , mais qui ne tiendra sürement pas » contre 1'acYiviré de votre diffolvant jj- Quoi! ó prince, b fultan de Ta'gi! s'éctia le » phiiofophe, tu a en ta puiffxnce le coffre de » diamant a cinquante ferrures, que Ion dit » contenir ce précieux bijou, ce talifman phi»j lofophique qui donne la vie , l'immortaïité» » les richeffes, la gloire & le bonheur a celui »> qui le poffède?... Mais voici, mon ceuvre eft jj achevéj une vapeur bleuatre s'éiève dn creufer. » Le menfirue eft parfait, je tiens la clef de la •» nature, Harons-nous d'ailer rejoindre le coffre, » & d'en tirer le tréfor de mon glorieux fei3> gneur ». « Non répliqüa Abudah; il eft plus a propos » de faire tranlporter ici le coffre. Je connois fa n vertu \ il fuffit que je m'affeye deffiis, pour 53 qu'il foit auili-tbt tranfporté avec moi par-tout ss oü je le fouhaite. Quand il fera ici, le fage &: 3* le favant Abraharad poutra exercer a. fon aife  DES GÉNIE JZj s> la farce de fon art fur cette fubftance dure, 33 & la réfoudre en fes atömes primirifs ». Abudah, en finiffant ces paro'es, quitte brufquement 1'alchymifte, retrouve fon coffre au pied du rocher, s'aftied deffus, & au gré de fes defirs il eff tranfpotté , lui & fon tréfor, dans le laboratoire cY Abraharad. Le philofophe ayant envifagéavec raviffëment le coffre énorme, prend fon creufet plein du menftrue univerfel. « Hélas! s'écria Ie fultan : fage Abraharad, 53 tu t'abufes! Ce qui diffout toute fubftance 33 peut-il être contenu dans un creufet » ? Le fage palit a ce difcours, & de dépit il jeta le menftrue par terre , oü k liqueur refta fans s'altérer, & fans miner la terre qui la portoit. " Kélas! s'écria de nouveau Abudah , oü eft a 33 préfent 1'alcliymie ? tout eft perdu » ? » J'ai une fufion froide, répondit aigrement ss Abraharadt & je trt'en fervirai au défaut de Ia 33 funon ardenre que je viens de perdre par votre 33 faute. Je ferai paffer au travers de cette fubf35 tancé dure, la foudre qui fond 1'épée fans en53 dommager le fourreau ». En effet, il prépare une nouvelle compofition & 1'applique fur le coffre. Déja des étincelles jailliflent de plufieurs cótés : elles deviennent plus fortes, plus vives Srplus fréquentes, Aèra-  ;ïi4 Les Contes harad, au comble de la joïe, & impatient dé hater 1'effet de fon tonnetre artificiel, s'approche plus pies du coffre. Tout-a-coup une aigrerce de feu change de dire&ion, le frappe a la tempé, Sc le réduit en cendres. A cetre terrible cataftrophe , Abudah dont 1'efpérance étoit montée au plus haut degrë,iort comme un furïeux du laboratoire, & erre dans Ia cour qu'il remplit de cris & de hurlemens affreux. • Après avoir ainfi exhalé fa fureur Sc fon défefpoir, il appercoit un fage qui avoit quitté le portique oü il travailloit pour venir a lui. Il ap-1 prochoit d'un pas modéré, 8c avec un air fort compofé. Qand il fut prés d''Abudah, il lui dit avec un grand'fang froid : « Malheureux! pour33 quoi négligez-vous la conqucte du talifman 33 cVOromane, qui fera en vorre puiffance, quand 33 vous voudrez prendre la peine d'en jouir 33, 33 En êtes-vous sür, répliqua Abudah avec 33 tranfport 33 ? 33 Je vous affure, pourfuivit le fage, qu'a pre33 fent vous êtes abfolument incapable de faire 33 aucun ufage de ce tréfor 33. « Et c'eft pour cela, fans doute, dit triftement 33 Abudah, que j'ai roujours éré trornpé dans mon 33 attente, lorfque je me fuis cru le plus orès de 33 1'obtenir 33 ?  BES GÉNIES. I2j . «* Rien n'eft plus vrai, répartit vivement le $> fage ». « Eh bien donc? ó véncrable fage, ö philo» iophe qui favezmieux que moi-mêmece que » je puis! procurez-moi la vraie jouiflance de ce » tréfor ineftimable que j'ai cherché fi long-tems » en vain ». ii Di tes-moi, Abudah, le bonheur doit-il être » dans l'efprir ou dans les fens ? » II doir être dans l'efprir. Je le confefle a » ma home ; j'ai négligé mon ame pour me li» vrer a ;l'attrait des fens. O le plus fage des » hommes, ó le plus grand des philofoph.es , » quelle vériré vous me faires comprendre ! » Quelle nouvelle fcène vous ouvrez devant » moi! Mais continuez vos inftructions célcftes, « achevez la guérifon que vous avez commen» cée. n » Vous n'y êtes pas encore aflez bien pré» paré , reprit le fage Gherar. Je vous laifle la >; nuit pour vous tranquillifer, & vous remetrre » du trouble oü je vous ai furpris , & dont vous » n'êtes pas revenu. Demain au mariu , fi je » vous trouve d'un fens raffis & Jibre de toure » paflion , j'acheverai de délivrer votre efprit du 5' jong ty rannique des vains plaifirs qui le tiennent « aflervi. Le phüofophe conduifit Abudah parmi fes  ii£ Les C o n t e s élcves , & lui affigna enfaite un appartement particulier fous fon portique , pour y pafter la nuit feul. Le lendeoain de grand matin, le fage Gherar vint prendre fon nouveau difciplc , & ils allèrent enfemble fe promener dans la vallée qui fervoit d'avenue au temple dédiée a. la fcience & a la fage (Te. « Que 1'afpeét du foleil levant eft agréable , „ dit Ghérar! Quel doux plaifir Pon goüte a con» templer fes premiers rayons qui , du fommet » de ces collines , defcendent lentement dans la 5> vallée ! Les bocages femblent auffi fenfibles' » que Phomme au fiience & a la fraicheur d'une » belle nuit. L'herbe des champs jo'uit comme » nous, de ce bienfait de la nature. Ce ga» zon , detféché par la chaleur du midi , fe » renouvelle & fe ranime pendant la nuit, pour' „ lutter de nouveau , contre les feux brulans du » jour. » En vérité , reprit Jb-udah , un beau matin „ rellëmble i une nouvelle créatión. Quand » Paftre du jour commence a paroitre fur 1'ho„ rifon , Pceil qui contemple la nature fe déga„ ger des ombres de la nuit , eft porté a croire „ que le monde fort du néant, öubliant qu'il „ exifte depuis une infinité de fiècles. Heureux, » mille fois heureux, celui qui pafte fa vie dans  DES GÉNIES. * ces retraites paifibles! Comme la rofée pénètre » le fein de la terre, ainfi la douceur de la joi« » s'infinue mollement dans fon cceur. II eft libre » de foin & d'inquiétudes. Que la tempète dc" f°le les mers, que la guerre ravage les cirés 3» ni la rempête, ni la guerre, ne trbüblent fi,n » repos. m O Abudah l répüqua le fage , les projcs s> de 1'ambitieux, les preftiges des fens, les de» fïrs de 1'avare, & lamour déréglé des plaifirs, » font encore plus a craindre pour 1'homme , que » les feux de la rempête ou les ravages de la » guerre. Conrièiflant votre foibleffë, je vous ai » conauir dans ces lieüx pnur vous convaihcre , » par certe fcène délicieufe , combien vous êtes » incapable de jouir jamais d'un folide bonheur. » Si le doux éclat du foleil levant, & la fraicheur » du matin vous aftectent fi voluptueufement, » la privatión doit vous en être égalemeat affli-e ante. Dans la jouilTance de ces biens ss 1'ame rotalement paffive eft émue, affeétée Sc » gouvernée par les fens , comme elle eft déss licieufement affeétée pat les objets doux Sc » agréables au toucher , par 1'odeur fuave des ss fleurs , par les ondulations fonores de l'air, ss par les faveurs des méts exquis , ou par cette jj foule d'objets dont les couleurs Sc la fyms» métrie flattent la vue.  jtzS Les Contes « Mais refpfit s'élève au-defius du corps: lei jj délices de 1'ame font conformes a fon eftence 33 fpirituelle, & ptoportionnées a. fon immortaïs lité. Le vrai philofophe cultive plus fon efprit 33 que fon corps, & ne penner jamais que celui» ci maïrrife le premier. Il foule d'un pied égal, 33 les biens & les maux de cette vie , paree qu'il »> fait que les uns & les autres fonr paftagers. Sür j3 de fon immortalité , plein de la haute idee de 33 la perfe&ion de fon être, il verroit d'un ceil j> tranquille, la confufion des élémens , lachüte 33 du monde, & 1'anéantiflement de la nature 33 vifible. 11 la verroit rentrer dans le chaos, dont 33 v.n pouvoir éternel la fit fortir, fans qu'il crai33 snit de 1'y fuivre. Si la deftrucftion du monde j> n'eft pas capable dcbranler fon ame intréprde, sj jugez combien il eft peu affecté des misères 33 temporelies de la vie. Au milieu de la maladie 3) la plus aiguc , lorfque fon corps rongé d'ul33 cères , tombe en lambeaux , fon ame entière 33 & indeftruclible fe réjouit , dans 1'efpérance ,j de fortir bientót de fa prifon de chair. S'il 33 fouffre la faim, fon ame , roujours contente, 3> contemple la juftice & la vérité. S'il eft en bute « aux caprices du fort, a la malice des hommes, 33 au mépris des infenfés , il fupporte tout cela 33 avec une conftance égale : fon ame eft au33 deflus de la bonne & de la mauvaife fortune i plus  DES GÉNIES. iié i> plus forte que Ia faveur & Ia cruauté des tyrans , >» elle fe rit encore des louanges & du blame des » fots. En un mot, ó Abudah ! Ie vrai philo» fophe trouve dans lui la fource de tous les >> plaifirs , & un bouclier a 1 epreuve de tous les s> maux. La beauté de la vertu pofsède toutes fes » affeclions. II fait fe rendre maitre des évène» mens par fon indifférence. Exempt de crainte, » il ne fe livre point a 1'illufion de 1'efpoir. Libre s» du fentiment importun de la haine , il ignore » les foibleifes de 1'amour. Il n'admire rien, ne >> blame rien & foufFre tout. Il fe prête a tout, » feulement autantque le befom 1'exige , & ne >> fe donne qu'a lui-même. Le contentement eft >> au fond de fon cceur , patce qu'il eft vide *> de defirs, de projets , & de toutes les paffions s» qu'engendre la foif des plaifirs & des tréforS >» de la terre* >> Le fage Gherar prononca eet éloquent difcours avec une complaifance mêlée d'orgueü. Abudah , frappé de la fublimité de cette doctrine, reftöie immobile, fans parler. Un tigre furieux defcend de la montagne voifine : fa gueule ardente vomiè le feu parmi des flors d'écume. Il s'clance avec rage vers le fage & fon difciple , comme pour les faifir tous les deux a la fois & les dévorer. Abudah, que les lecons de Gherar n'avoient pas encore perTomt XXIX. I  i jo Les Contes fuadé au point de lui faire oublier les expédiens auxquels les profanes ont tecours dans un danger fi preflant, fe précipire dans le courant qui couloir au milieu de la vallée , perfuadé que le tigre ne 1'y fuivroit pas. II gagne , en nageanr, 1'autre bord, & voir de loin le fage Gherar qui fuyoit a perte d'haleine devant le tigre furieux qui le pourfuivoit. Le monftre leut bientot atteint ; Sc avec fes dents Sc fes griffes aiguës , il déchire ie philofophe infortuné qui remplit les bois Sc les cbteaux du bruit de fes cris lamentables & inuriles. Abudah, témoin de la fin malheureufe du fage, ne peut s'empêcher de s'écrier en foupirant: « Hé>, las! qu'il eft ridicule Sc vain a la foibleffe, d'af» feéter de la force ! Qu'il eft ridicule & vain a „ 1'homme imbécile , de ne pas convenir de fa » misère 1 Je comprends a ce moment, que le „ but de la phiiofophie eft d'affeéter un empire » abfolu fur toute la nature. Mais cette fcience » orgueilleufe devroic fe bomer a contempler s, avec admrratiön , des merveilles quelle ne „ peut pas même compiendre , loin de les pou„ voir imker. L'homme qui rampe fur la pouf„ fiére, devroit-ii porter la préfomption jrffqü'a ,5 fe ctoire fupérieur aux biens Sc aux maux , s, aux récompenfes Sc aux peines que lui en-  des Genie s. ij r • \ oie la main puiffante de I'arbirre du monde ? » L'efprit plein de ces réflexions, & de la terreur que dut lui Ciufer la fcène emrayante qui venoit de fe palier fur 1'autre bord du courant, Abudah fe léve , traverfe une allee fombre , continuée entre deux montagnes , qui le conduit d une vatte plaine, oü un grand nombre de bergers' &de bergères faifoient paitre leurs innocens troupeaux. « Ici, dit Abudah en lui - même , il n'y a nï ss pompe , ni luxe, ni vanité \ c'eft une trann quillité champètre, une paix douce Sc naturelle, 33 fans fafte, fans prétention , fans foucis & fans 33 inquiétude. » Abudah avancoit toujours vers les bergers , dont le fort lui fembloit fi digne d'envie. Un d'eux, palfant par bafard auprcs de lui, recule de frayeur comme a 1'afpect d'un monftre, &c courant a pas précipités vers le refte de la troupe, il leur crie de toutes fes forces: <: Fuyons, ?mis, » fuyons la préfence du tyran de Ta/gr. Non »> content de nous avoir chaffés de notre pays j> de Sakarah , il vient encore nous enlevet nos 33 troupeaux. 33 Le tyran fut touché de la confulion & de 1'épouvante que fa préfence venoit de mettre parmi ce peuple de bergers, il détefta fa cruauté , & les  ï | * LÉS CoNTÏg ara de demeurer, leur proteftant qu'il ne ve* iiuir point troubler le bonheur paifible dont ils jouilfoient. Sa patole n'étoit pas un garant sur. II les vit fuir devant lui en défordre , traïnant après eux leurs troupeaux, & regardant de tems en tems derrière eux, dans la crainte qu'ils avoient d'être pourfuivis par les armées cruelles des Tafgites. Un vénérable Bramin , que fon grand age rendoit incapable de fuivre les bons Sakarahs qui, depuis tant d'années, recevoient fes inftructions , ëc qu'il auroit voulu ne pas abandonner dans leur fuite, étoit affis d'un airmajeftueux fur unepierre , a l'entrée de fa celluie. II fe leva , quand Abudah fut prés de lui, & le falua refpeétueufement. « O » fultan ! lui dit-il d'un ton noble & fimple, ce r> n'eft pas le tyran de Tafgi que je falue , c'eft » celui qu'il a plu a la colère cYAlla d'établir fur » fon peuple. Mais pourquoi cherches-tu le mal 33 quand tu peux faire le bien ? Crois - tu que les >3 méchantes actions puilfent procuter une bonne » fin ? Crois-tu trouver le bonheur oü la malice .3 triomphe ? O fultan ! ne te fiatte pas d'ob33 tenir a prix de fang 8c d'injuftice , le talif33 man du grand Oromane. La pureté & la per33 feétion , la vertu 8c la fageffe , 1'humanité »3 8c Ia bienfaifance , la piété & la religion,  des Gentss. i $ j si font lés feuls moyens d'obtenir ce précieux tréfor. » Hate-toi donc, 6 homme ! hate-toi d'aller fur le rombeau du prophéte , confeffèr avec sj componétion tes iniquités. Va reconnoitre tes n égaremens, Sc la vaniré de tes folies recherches. >s Va puifer la fageffë a. la fource pure de la vé5J riré. Va apprendre de 1'oracle infaillible, quelle 35 eft la volonté de celui qui a confondu jufqu'ici 3} tes pro jets. 55 Bon & pieux Bramin , répondit Abudah', 33 j'ai offenfé la providence, vous , & votre nas5 tion innocente. Je 1'avoue dans les fentimens 33 d'un vrai repenrir. Daignez me diriger dans 33 mon voyage de Médine ; car il m'a femblé 33 que jufqu'ici j'errois dans des lieux enchantés. 35 Le coffre de diamant vous portera lui-même 33 a Médine , répliqua le Bramin. 33 Je 1'aï laiffé dans !e palais de la philofophie,' 35 dit Abudah. Pour 1'aller chercher , il faut tra33 verfer le courant , & s'expofer a la fureur du 33 tigre qui rode fur Pautre rive. 35 II y a un fentier qui tourne le ruiffeau vers 35 1'orient : fuivez cette toute qui vous conduira 33 fans danger derrière le palais , Sc en face du 33 batiment, vous trouverez un petit pont étroic jj fur lequel vous pafferez le ruiffeau. C u refte , Hij  J34 Les Contes « que Mahomet protégé votre pieufe entrejj prife! Abudah remercia le Bramin , prit congé de lui & lui affura que les Tafgites n'ayant pas connoiffance de la plaine oü les Sakarahs menoient paitre leurs troupeaux, ils ne viendroient pas les y inquiéter. Le Bramin fouhaita mille bénédiótions a Abudah. Le marchand de Bagdat, faux fultan de Tafgi* prend la route que lui avoit indiquée le faint homme, paffe le pont, arrivé au palais , entre fous le portique & Abraharad, pénètre dans le laboratoire, trouve fon coffre , s'étend deffus , s'endort dans la fotte perfiiafion qu'il fe réveillera dans le temple de Médine. Dans un inflant , Abudah fe trouve fous Ia voute fpacieufe d'une mofquée , couché fur le coffre de diamant. En ouvrant les yeux , il voit prés de lui5 d'un coté, la boïte de 1'impitoyable forcière , qu'il avoit encore rerrouvée dans les bocages de Sadashi; de 1'autre cöté, étoit une grande citerne pleine d'eau. Au milieu de cette vifion , le génie Barhaddan lui apparoit & dit. « Abudah, re5ois enfin les véritables clefs du » coffre de diamant, jj  DES GÉNIES. IJ 5 Le marchand fe léve , approche du génie, fe profterne a fespieds , & recent les clefs fortunées qu'il cherchoit depuis fi long tems. « Ouvre , dit Barhaddan , ouvre le coffre , &£ » prends le tréfor. » Abudah s'emprefTe d'obéir , & dans un moment le coffre eft ouverr. Quelque foi qu'il eut dans les paroles du génie , une fatale expérience lui avoit appris a craindre , quelque prés qu'd fut de la poffeffion du ralifman. 11 léve le couvercle en tremblant , & non fans déhance. Auffi-tot fort une nuée de plumes qui eurent bienrbt couvert tout le pavé de la mofquée. Sa défiance redoubla a ce prodige; mais le génie le raffura en ces termes. cc Abudah , mets h préfeht ta main dans le » coffre , & tires-en les tréfors qui y font. » Abudah obéit, & tire d'abord un beau bras enfanglanté tk garni d'un riche bracelet de diamans. « Ce bras, dit Barhaddan , a été inhumaine» ment coupé du corps d'une belle fulrane par » un efclave qui n'en pouvoir arracher le brace» let. Crois-ru , Abudah , queda princefle qui le » portoit, ait été heureufe par la poffeffion de ce >j bijou? » Iiv  i*f* Les Contes Abudah, qui ne voyoit pas encore Ie Talifman, continue i tirer du coffre tout ce que fa main rencontre. Un pauvre malheureux fe préfenre, chargé de facs d'or dont le poids 1'acca-r hluit; ü trembloit & baiffoit les yeux. Un jeune homme furvient d'un air emporté,' & plonge un poignard dans le fein du miférable, chargé d'or. Auffi tót plufieurs femmes parées fort indécemment accueillent le meurtrier, partagent avec lui Ie fruit de fon crime, & fe mettent & danfer & a chanter. Une foule de peuple accourt enfuire : un roi paroit accompagné d;une armée nombreufe •, il ordonne qu'on égorge tout ce peuple ; mais une force fupérieure paffe un cordon autour du cou 4u roi, & la couronne lui eft enlcvée de deffiis la tête. A cette fcène fuccède un fpeéhcle plus plai. fapt, C'étoit une centaine de fouxavec des man, teaux fur leurs épaules: les uns avec des ailes attachés au dos, les autres avec des roues qu'ils faifoient tourner fans ceffe. II y en avoit dont les yeux étoient toujours fi>;és au firmament; d'autres tracoient des cercles en l'air avec des pailles 5 d'autres répétoient fans ceffe qu'üi, tout étoit en même tems plus grand & plus petit que lui-même, öc publipient nombr?  ses génies. 137 id'abfurdités femblables , comme d'utiles déconvertes. Après que Barhaddan euc laiiïe au marchand ïe loifir de confidérer ce fpeótacle , il lui demanda : « comprenez-vous ces chofes. » « Elles m'apprennent, répondit Abudah , ce i> que mes voyages ne m'onr déja que trop ap3J pris ; que les richeffes, ni les plaifirs, ni les 33 honneurs, ni la puüTance , ni la fcience, ni 3? 1'ignorance ne mettent point 1'homme a 1'abri 33 des malheurs; & que par conféquent toutes ces 33 chofes, dont on fait tant de cas, font abfolu3; ment incapables de procurer la pofleilion du 33 Talifman d'Oromane. 33 Que croyez vous que fignifient les plumes , •w reprit Barhaddan ? 33 J'ignore ce quelles veulent dite , répondit ss Abudah, 33 Eh bien , continua le Génie, ce font les »3 defïrs indifcrets, les vaines attentes, les pro33 jets ridicules ; en un mot, les rèves trompeurs » dont fe repait 1'efprit de 1'homme qui a quel33 que envie de parvenir a la jouiffance du Ta33 lifman : c'eft pourquoi elles fe font préfentées 53 a 1'ouverture du coffre j & cetre éxplicatiori m doit vous donnet 1'intelligence de tout le ïefte.  tjS Les Contes » Vous devez reconnoitre le malheureux chargé » d'or & dépouillé par un aventurïer, ainfi que » Ie voluptueux couronné roi, & dépoffiidé pour j> fes cruautcs. » A préfent , Abudah, pourfuivir Ie Génie „ » puifque vous êtes convaincu que le Talifman » d'Oromane ne peut pas fe rrouver parmi des » bagatelles & des folies de cette efpèce, cefflz » vos recherches , fermez le coffre , & attendez » en filence la fcène qui va fuivre. » Abudah referme le coffre, & reffe debout les bras crcifés devant lui, fans prononcer une feule parole. Barhaddan fe toarne vers la boite, & dit: « maudite forcière, démon implacabie ; toi qui 33 te plais a tourmenter le genre humain , fors a 33 Pinftanc de ta retraite. » Ia boite fe brife auffi-tbt en mille pièces, & Ia vieilie forcière1, porree fur fes potences, s'avance en tremblant vers Barhaddan. « Je fais, lui dit il, que fuivant les loix de ta 33 méchanceté naturelle , tu ne te plais que dans 33 le mal. Je te connois , je fais ton acharne33 ment a porter les hommes au crime pour avoir 33 le plaifir barbare de les toutmenter enfuite par 33 les remords. Je fais auffi, que , foumife au  DES GÉNIE Sé 139 j? pouvoir de ceux qui protègent le genre hu» main , tu redoutes leur jufte indignation. 3j Tremble donc , & vois moi dabord purifier » eet homme infbmmé que tu as rempli de » defirs impurs , & captivé fous Fefclavage hon35 teux des paflions.» Alors Barhaddan ordonna au marchand de fe lavet dans la citerne; ce qu'il fit incontinent. Quand il fut purifié , le Génie lui dit de rouvrir le coffre de diamant. Akudah 1'ouvrit fans peine, & en retira un petit livre , que Barhaddan lui dit de lire. Le marchand y lut ces paroles. " Apfends, ó homme ! que la nature humaine « imparfaite par effènce, ne peut atteindre a la 53 perfeclion ; que le vrai bonheur eft le Talijman 33 ^'Oromane \ que ce bonheur incorruptible ejl le 35 privilege des êtres irnmortels ; que 1'homme, 55 créature fragïh , doit fe foumettre aux orires de 53 fon créateur ; que le premier devoir & la fin de 33 toutes les recherches de 1'homme doivent être de 33 connoicre & d'ac:o;nplir la volonté de celui par 33 qui il cxljie '} jufqua ce qu'il plaife a ce prin3> cipe éternel de le retirerdt la misère de ce monde, 33 pour le faire jouir d'un bonheur fans fin dans le n fijour de l'immortaluéglorieufe. »  Ï4° Les Cgntes Qmnc\ Abudah eüt achevé de lire ces parole»' facrées ; pénétré d'un faint refpecfc, il fe profterne & adore en filence le principe éternel d'en haut: ce que le Génie lui recommande de faire plufieurs fois le jour. Barhaddan fe rournant enfuire vers la forcière effrayée , il lui dit d'un ton impérieux : « Va, dé» mon maudir, entre dans le coffre, & la , con33 temple pendant cinquante ans le bonheur dont 35 tu fais fi bien infpirer le defir par tes vaines 33 illufions. 33 La forcière obéit en frémiffant de rage. Le couvercle du coffre retombe aufti tót avec violence , les ferrures fe referment d'elles-mêmes avec un bruit rerrible, & le tout difparoir comme. une vapeur noire qui fe diflipe enfin en s'élevant dans l'air. Abudah tend les mains vers le Génie pour le remercier. II avoit difparu ; tk ce qui furprit davantage le marchand, c'eft qu'il fe trouva couché fur fon lit dans fon palais de Bagdat, entouré de fa femme & de fes enfans qui fondoient en larmes. Des que Sélima , qui avoit les yeux fixés fur fon cher époux , s'appercut qu'il faifoit quelque mouvement j elle fe prccipite ayec tranf-  ©ES GÉNIES. 14! port fur le Iic, 8c lui demande s il refpire encore. « Si je refpire , dit Abudah ! Comment! » femme, je fuis plein de fanté. Je voyage de» puis trois mois ; j'ai vu bien du pays , des »» déferts, des plaines, des montagnes, des villes, jj des royaumes. J'ai même été courpnné fultan ; » mais ce n'eft pas la ie plus bel endroit de mes » aventures.... » Mon feigneur rêve encore , s'écrie Sélima. « en 1'interrompant. Vos enfans & vos efclaves » favent, ö Abudah ! que depuis quatre jours s» que vous dormez fur ce fopha, fans donner » aucun figne de vie, nous avons craint que vous jj ne fufliez mort. » Ce que j'ai vu n'eft donc qu'un fonge, teprit t> le marchand. Le prophéte foit loué de m'avoir j» appris la fagefte, 8c de m'avoir préfervé de j> tous les crimes que j'ai cru avoir commis, » 8c de tous les maux que je m'imaginois foufu frir ! jj Oui, ma chère Sélima, vous me voyez guéri * des vaines terreurs & des inquiétudes défo» lantes qui jufqu'ici m'ont rendu .i charge a jj vous & a moi-mème. J'ai appris a me foum mettre a la volouté cYAlla, 8c i me contenter  14* Les Contes » du fort qu'il m'envoie. J'ai appris a vivre » rtanquille au fein de ma familie , a. 1'aimet j> comme elle-m'aime, a faire du bien aux hom» mes ; en un mot, a être aufli heureux qu'un » mortel peut 1'être fur la terre. » Abudah prononca ces mots avec un air de contentement, & un ton de douceur qui annonccient la tranquiMicé de fon ame. 11 embrafla tendrement fa temme , & recut les innocentes 'ca-^ •reiïes de fes enfans. Le refte du jour fe pafla dans les déiices d'une joie décente. Depuis ce moment, il n'y eut point dans toute la ville de Bagdat de familie plus unie, plus réfignée & plus heureufe , que celle du marchand Abudah. Quand le Génie Barhaddan eut achevé fon conté, Iracagemie leva de fon troffë , & lui fit figne de s'alfeoir. Puis fe tournant vers 1'augufté aflernblée , il adrefta ces paroles aux difciples dé la race immortelle des Genies. " Écoutez , vils reptiles, dont la vie eft un 5» fouffle > & la derneure comme le fable que le » vent emporte vous qui avez les yeux fixés » vers la terre, & qui ne voyez pas la pouftièt'e js dont end eft couverte ; vous qui élevez quel» quefois vos regards timides vers le «iel dont  DES GÉNIES. 14} " les nuages vous dérobent la vue ; n'efpére* n pas trouver des plaifirs durables au fein de i» 1'inconftance. Le bonheur dn monde relTemble 3» aux lettres que 1'enfant tracé fur le fable aii sj bord de la mer : le vent fouffle , elles difpa- j3 roilfent. L'ceil mortel ne peut voir ce qui ne ss change point ; & ce qui change ne rempiit «3 point les delirs de 1'homme. Attendez donc, 53 enfans de la terre , attendez avec patience le 3» moment oü vous ferez admis dans les jardins 33 forrunés oü règne un printems éternel, dans »» les palais que la foudre n'écrafe point, dans ss les retraites heureufes que le tems refpedera jj a jamais.. Sachez que le bonheur eft avec Alla ♦3 & fon prophéte Mahomet ; que le Talifman »3 d'Oromane eft l'obéiifance a Dieu & 1'amour j» de (a loi. >3 Vos foins & votre induftrie font lpuables, ss infatigable Barhaddan, ajouta Iracagem : les ss mortels vous doivent des remercïmens , pour 33 les lecons de fagelfe & de vérité que vous leur ij donnez. Et vous , ö mon généreux frère ! dit »3 le même Génie a Mamlouk , qu'avez-vous fait js pour Ie genre humain? Comment avez- vous j> mérité le glorieux titre de protedeur des 33 hommes ? » Je leur ai enfeigné la fagelfe & la vérité,  144 Les Cohtes »> comme mon frère Barhaddan , répondit Mam* » louk : le conté du Dervis Alfouran eft la » preuve du fuccès dont mes foins ont été » fuivis. » AlFOÜRAï?  bes G t n i e s. 14$ CONTÉ S E CO ND. LE DERVIS ALFOURAN, .A. lfou n ah avoit gagné 1'aiTcótion de toute la province cVEyraca , par la fainteté de fes mceurs, & 1'auftérité de fa vie. Mais perfonne n'étoit plus attaché au faintDervis, que Sanbaliad, fils de Sami, marchand de Bajfora , que fon père avoit deuein d elever dans fon commerce. L'hommage cYAlfouran , enfoncé dans 1'épai^ feur d'un bois au-dela du fauxbourg de la ville, écoit creufé dans Ie roe, fur le penchant d'une montagne qui s'élevoit a peu prés au milieu da .bois. II y avoit deux cellules, dont ia première étoit deftinée aux ufagès ordinaires de la vie. La plus recülée fervoit de temple au Dervis : ü, il prioit & s'acquittoit des autres devoirs de la religion, & des -pratiques de fa dévotion particulière. Une petite fource qui couloic de la montagne Tome XXIX. K  146 Les Contes avec un doux murmure, lui fourniiïok Ia plus belle eau. L'ingénieux hermite avoit creufé de fes mams, un petit bafiiu dans le roe, ou cette eau pure venoit fe rendre. De-la elle defcendoit en forme de cafcade dans le bois dont elle alloit arrofer les arbres , formant ca & la de petites nappes d'eau , & fe perdant enfin , après s'être divifée en une infinité de moindres ruiffeaux. Devant la porte de la celluie , il y avoit un petit gazon, qui, fous 1'ombre des arbres qui 1'environnoienr, & par 1'attention du Dervis a 1'arrofer fouvent, formoit le plus beau tapis de verdure. Un plant épais de cèdres Sc de palmiers, dont les branches couvroienr cette retraire agréable, &c formoient au-deflus une efpèce de voute impénétrable aux rayons du foleil, lui donnoit un air grand & majeftueux. Ceux qui en approchoient, étoient faifis de tefpecl & d'une fainte frayeur. On accouroit de toutes patts fous cette voute champêtre,poury recevoir lesinftruétionscéleftes d'Alföuran. 11 avoit le don de perfuader, & fa bouche diuilloit la douceur du miel. Le matin, au lever du foleil, une foule de gens venoient i'entendre, & ils s'en retournoient plus gais a leurs travaux. D'autres quittoient au milieu du  O E S GÉNIES. I47 jour leurs occupations les plus prelfantes, pour recueillir fes divinesparoles: ces hommesfimples & dévots négligeoient tout aütre foin, & malgré la pauvreté oü leur négligence les réduifoit, ils ne pouvoient réfifter i 1'attrait impérieux de 1'éloquence A'Jlfouran. Le fils de Sami étoit le plus aflidu aux lecons féduifantes du dervis de Bajfora, & celui fur qui elles faifoient de plus fortes impreffions. Son ame, frappée des difcours &de 1'exemple de ce fage , fembloit avoir perdu toute autre penfée. Une vie auitère Sc retirée, telle quecelle d'A/fouran, étoit 1'unique objet de fes vceux. La fociété lui devenoit a charge ; les dignités, les plaifirs & toutes les couditions du monde lui paroiiToient vaines & méprifables. II ne voyoit de grand que le dervis, & le bonheur de vivre avec lui dans fa folitude. Un jour que le dervis avoit difcouru avec fon éloquence ordinaire fur le mépris du monde, le détachement de foi-même, la vanité des foins Sc des peines que Pon fe donne pour les biens Sc les commodités de cette vie mortelle, Sanballai alla trouver le faint homme, le falua avec un profond refpeót, Sc le fupplia de vouloir bien 1'initier aux myftères de fa vie fainte & heureufe. ^//o«ra«regardaattentivementlejeune homme, fon air délicat, fa beauté modeOe, fralche comme Kij  148 Les Contes • la rofée du matin, fes yeux humides des larmes de la pénitence, fa bouche vermeiüe qui s'entrouvoit pour exhaler les foupirs de compondtion dont fon cceur étoit plein. « Et tu peux quitter les vanités de la vie, 6 33 jeune homme ! lui dit Alfouran ? Tu peux 33 palier dans la retraite & 1'abftinence les plus 33 beaux jours de ta jeuneffe? Tu peux quitter si pour toujours res connoilfances, tes amis, tes 33 parens, tes liaifons, tes affaires, tes piaïfirsB >3 Tu peux détacher ton ame de tous ces biens, 33 Sc leur préférer la vie dure , folitaire Sc 33 pénitente d'un vieux dervis ? Si tu te crois ss affëz de courage pour cela, laiffe-moi éprouver is auparavant ta foi Sc ton obéiffance. Monte fur 33 ce roe efcarpé , par le fentier que j'ai taillé 33 dans la pierre vive fur fa pente, Sc va t'aiïëoir 33 fur la pierre qui eft dédiée au feu put du foleil. 33 Refte-la trois jours & trois nuits. Laiffe-toi 33 fondre par 1'ardeur bruiante du foleil pendant 33 lejout ,& mouiller la nuit, paria rofée du ciel. 33 J'aurai foin de te porter les mets les plus exi3 quis,que les riches de Baffora m'envoient cha33 que jour pour exciter mon appétir. Je les fer33 virai devant toi; mais li tu y touches, ou li tu 33 ofes même permettre a ton efpnt de les con33 voiter, que la malédiétion du dieu du feu foit 33 far toi! 33    DBS GÉNIES.' 149 Le préfomptueux Sanballad fe léve plein de joie, & monte fur la fainte montagne. II trouve la pierre confacrée au foleil, & s'y affied felon 1'ordrc du dervis. Il palfa le premier jour dans un grand fdence, 8c avec une conftance merveilleufe, les yeux fixés a tetre, fans ofer changer de' pöfture , & implorant en fecret ï'alfiftance puhfante de celui qui donne la foi, & qui peut la faire triompher de tout obftacle. Le fecond jour, Alfouran fit fervir devant Sanballad un banquet fomptueux qu'il avoit commandé exprès, %c qu'on lui envoya de la ville. Car le dervis avoit coutume de recevoir chaque jour de pareils préfens de fes difciples; ce n'étoit pas pour fon ufage, ainlï qu'il le difoit, mais plutbt pour augmenter le prix de fon abftinence rigoureufe, par 1'attrait de la tentation, 8c fon courage a la vaincre. Ces mets délicats reftoient toute la journée expofés fur une table de pierre dans fa celluie, fans qu'il y touchat, & a midi il les portoit fur le haut de la montagne, oü il les olfroit en facrifice, les faifant confumer par le feu facré, qu'il tiroit des rayons du foleil. Sanballad ne jeta pas même un regard fur les viandes délicates qu'on fervit devant lui. Le dervis voyant fa conftapce religieufe, exalta fa foi, & 1'encouragea a y perfifter jufqu'a la firn « Cou» rage, jeune homme, lui dit-il, vous êtes aux Küj  *5* Les Contes jj deux tiers de votre épreuve •, mais fongez que » chaque moment va vous couter plus que les >s deux jours entiers que vous avez palfés avec jj tant de réfolution. Ne vous manquez pas a vousjj meme ; la force du ciel ne vous manquera j> pas ». Cependant Sanballad, excédé de veille & de fatigue, patut plus fort le troifième jour que le pré.édent. On eut dit que, par un effet contraire aux loix de la nature, Pabftinence lui donnoit une nouvelle vigueur. II ne fe montra pas plus fenfible aux tenrations que le dervis mit en oeuvre pour ébranler fa fermeté. Le pieux jeune homme triompha de tout, & fortit avec gloire de cette péaible épreuve. Ainfi initié, au moins en partie , aux myftères qu'il avoir défiré de connoitre, il defcendit de la montagne avec Alfouran qui le mena dans fa celluie, ou il lui apprêra un repas frugal, & l exhorta a prendre du repos, tandis qu'il retourneroir porter fes offrandes accoutumées fur 1'autel du feu. Alfouran palfa le refte du jour dans eet acte de dévotion, & pendant tout le tems que dura le facrifice, le jeune homme entendit une mufiqueraviflantequi fembloit defcendre de la montagne, & qui remplilfoit tout 1'hermitage de fon harmonie enchantereife.  DES GÉNIES. UI Ainfi vivoit le dervis de Bajfora. Le matin il prèchoit au peuple, tandis que Sanballadtecevoiz leurs offrandes, & les laiffoit fut la table de pierre dans la première celluie. Au milieu du jour, le faint homme montoit avec les offrandes, pour en faire un facrifice. Le fils de Sami fatisfaifoit alors a fa dévotion particuliere dans la celluie intérieure, Sc une mufique célefte lui apprenoit quand ces prières étoient agréables au ciel. Dès que le foleil quittoic 1'horifon, Alfouran defcendoit vers Sanballad qui fervoit quelques racines fur le gafon prés de la fontaine; le dervis Sc fon pieux élève prenoient ce repas fimple apprêté par la nature & l'abftinence. Le jeune dervis étoit chaque jout plus édifié de la doctrine & de la fainteté de fon maitre. Les habitans de BajJ'ora continuoient a leut ap-r porter les vains objets de leur luxe &de leur délicateffe, c\\x Alfouran tecewoit comme des marqués de leut attacbement, & qu'il facrifioit enfuite comme des v.mités fenfuelles Scpropres aenflammer les paflions. Les prières de Sanballad étoient tou jours agréables au pouvoir fuprcme qu'il adoroit. Chaque jour il en recevoit le témoignage fiatteur ; chaque jour les doux fons d'une harmonie divine venoient frapper fes oreilies. Le vieux Alfouran, Sc le fils délicat de Sami Kiv  'iS1 Les Contes véeurent ainfi, fidèles adorateurs da feu , jufqu'ü ce que touce Ia ville de Baffora, abandonnant entièrement les affairesde fon commerce, embrafla la religion du dervis. Tout ce que Sanballad trouvpir a redire dans la fainteté de fon maitre, c'éroit qu'il s'obftinat a lui refufer la permiflion de l'acccmpagner fur la montagne dufacrifice. Cetrepenfée le chagrinoit. II croyoit que fa fetveur pouvoir le rendre digne de ce divin emploi, & il ne favoit a quoi attribuer le refus conftant du faint homme. II lui en demandoit quelquefois la raifon : Alfouran lui dórinoit toirours la même réponfe. « O jeune homme 1 lui difoit-il, fache que >■> celui-li feul eft digne d'offrir un tel facrifice » au feu , qui, par une longue abftinence, a fanc>■> tifié fon efpi.it , en le purifiant de tout delir » terreftre. Non, Sanballad, il s'en faut bien en» core que vous foyez parvenu au fublime degré jj de fainteté qu'exige ce miniftère facré. Vous j» avez encore plufieurs années a pafler dans •>•> les exercices Sc les épreuves d'une vie pénitente, vous y devez perfifter pendant un » grand nombre de foleils , avant que d'être ad53 mis a 1'emploi le plus noble & le plus grand 33 dont 1'homme foit capable. Attendez donc ;s avec une humble réfignation , que le tems de 33 vorre épreuve foit accompli. Ne doutez pas  BES GÉNIES. 15} » que la divinité du feu ne vous appeüe au « fervice de fes autels , lorfqu'elle vous jugera » digne de lui offrir des facririces qu'elle puifle agréer ». L'emprelfemeiit du jeune homme pour être admis avec fon maitre dans les fonótions les plus faintes du miniltère des autels, n'avoit rien d'étonnant après Ia première démarche qu'il avoit faire contre 1'avis de fes parens,& malgré leurs ordres. S'il avoir pu réfifter aux tendres prières d'une mère qui I'adoroit, & a toute 1'aurorité paternelle, pour aller vivre fous la direöion & dans la retraite du dervis, il étoit bien capable de murmurer contre 1'oblHnation d' Alfouran a s'oppofer a fes defirs. Sanballad repofoit ordinairement fur la table de pierre dans la celluie extérieure. Alfouran couchoit dans le même endroit fur un lit de eailioux aigus. Vers minuit, lorfque Sanballad étoit Ie plus violemment tourmenté par le defir indifcret qui ne le quittoit prefque jamais, il entend un vent léger qui agitoit les arbres de la forêt. La lune brilloit fur la furface liquide du baffin. Le jeune folitaire appercoit tout-a-coup'a la porte de la celluie, un petit homme vieux. Son premier mouvement futd'appeler Alfouran. II veutcrier , mais fa langue refte glacée dans fa bouche,. fans  r54 Les Contes qu'il puifte prononcer une parole. Cependant le fpettre entre , approche de Sanballad, & lui parle ainfi a voix bafte : « Je fuis Ie bon Génie qui préfide a tes jours. 53 Alfouran } ton maitre hypocrite, a réfölu cette 33 nuit ta mort; il doit te facrifier a fon dieu bar33 bare. Sanballad eft d'un efptit trop curieux 8c 33 trop pénétranr pour une religion myftérieufe 33 qui demande une foi aveugle. Mais ta jeu53 nefte & ta confiance m'ont touché ; & je 3» veux venger la fainteté du prophéte outragé. 33 Je viens donc t'avertir du danger oü tu es , 33 & t'en délivrer, tandis qu'Alfouran eft encore 35 dans la force du premier fommeil. J'y ajouterai 33 un fecond bienfait. Le dervis pofsède le cachet 33 du génie Nadoe. II le vola a un bramin d'une 33 haute piété. Je veux te le donner. Si tu te fens 33 alïez de courage pour le lui ravir, lève-toi 33 d'abord, mets la main dans fon fein, car il le 33 porte toujours fur fa poitrine. Si tu peux Ie 33 faifir, tu n'a rien a craindre. Car au moment 33 que tu le tiendras, il déployera fes vertus en ta 33 faveur, & tout ce que tu defireras fera aufli-tót. 33 Courage donc , aie confiance en la parole de 33 celui qui vient te fauver, 8c quand tu fëntiras 33 le cachet dans ta main, n'oublie pas d'en faire 33 ufage 33. « Et comment dois - je m'en fervir , répon-  DES GÉNIES." 1)5 » dit Sanballad, flottant entre la crainte Sc 1'ef3» pérance. jj Souhaite tout ce que tu voudras , répliqua jj le genie; ton fouhait fera auffi-tót accom'3 pli. Mais hare toi, ne perds pas un moment , 3i car je prévois que dans quelques minutes , Al33 fouran fe réveillera. 33 Sanballad fe léve précipitamment , approche doucement du Dervis , gliffë la main dans fon fein , fent le cachet, Sc s'en faifit. Alfouran fe réveille •, mais le jeune homme fouhaite que le Dervis fe rendorme, pour lui lailfer le tems de fortir de la celluie. AuiTi-tót Alfouran retombe dans un profond fommeil. Sanballad connut alors la vertu du cachet du génie Nadoe, bénit Alla. Sc Mahomet fon prophéte, Sc s'enfuit, fans s'inquiéter, quand le Santon fe réveilleroir. A peine forti de la celluie , il rencontre Ie fidéle génie Mamlouk qui Pattendoit, Sc qui lui dit en le voyant. " Jeconnoisapréfent, 6 courageux Sanballad, »3 que tu as triomphé de Ia méchanceté cYAlfou33 ran. Montons enfemble fur la montagne , je 3» veux te convaincre, par tes yeux 5 de la folie 3» du Dervis, Sc du culte qu'il rend au feu. 33 Parvenus au fommet de la montagne , ils trouvent Pautel du facrifice, <  *$6 Les Conté» « Remue cette pierre , dit le génie Mamlouk, i» au fils de «Sa/72/. » O Mamlouk, répondit naïvement le jeune » homme , vous me demandez une chofe im» po/fible. Vous ignorez peut-êrre que j'aipaffé » trois jours entiers fur cette pierre, en contem» plation , & dans une auftère abftinence ? c'étoit » Ia première épreuve par laquelle je devois être » initié a la religion du foleil. J'ai fait bien » des efforts pour 1'ótet de fa place , & tou» jours en vain : cette entreprife furpalfe mes »> forces. Mamlouk répliqua: « Lorfque Ie Dervis, muni » du cachet du génie Nadoe lui commandoit de » refter ferme & inébranlable dans fa place , » vous n'aviez garde de Pen pouvoir óter. Mais » a cette heure, Alfouran n'a plus d'empire fur » cette pietre. » En effet, dès Ie premier effort que fit Sanballad, pout mouvoir la pierre , il 1 'bta facilement de fa place. Alors il appercut un efcafier fombre , taillé dans le roe vif, qui defcendoit au centre de Ia montagne. Mamlouk lui ordonna de defcendre & de ne point craindre; » car , ajouta le génie , je vous » y fuivrai. Quoique inviiible , je ferai toujours >> avec vous; je vous inftruirai de quelle ma-  des génies. 157 s> nière vous devez vous comporter dans cc lieu. » Je vous recommande feulement de ne pas perdre le cachet du génie Nadoe , & d'être s> déterminé a. faire tout au monde pour le con« ferver. » Suite du conté du Dervis Alfouran* JL/ e fils de Sami furpris , mais encouragé par la préfence & la promeiTe du génie Mamlouk , defcend dans le vafte & profond abime de Ia montagne , pat un efcalier tournanr, foutenu par un piher de pierre qui en faifoit 1'r.xe. Après avoir defcendu trois eens degrés , il rencontre une porte bafle qui Teut arrêté, fans le cachet de Nadoe. Mais elle s'ouvre a fon commandement, Sc il continue fon chemin au travers d'un fentier fombre & étroit, coupé dans le roe vif. L'ilfue de ce paffage étoit fermée par une autre porte de fer : elle s'ouvre , comme la première , a 1'approche de Sanballad, & montre a fa vue , une caverne immenfe , éclairée par une feule ef~ carboucle placée au milieu. La voute & le contour étoient ornés de toures les richelfes que 1'hypocrite Alfouran avoit recues des habitausde Baf,  Les Contes fora, Sc qu'il difoit avoir offertes en facrifice k fa prétendue diyinité. " Eh quoi ! dit Sanballad , a fon guide invi» fible , quel étoit donc le delfein du Dervis ? » Pourquoi amalfer des richeffes dont il ne fit » jamais aucun ufage ? » Avancez & voyez j répondit le génie. „ Sanballad appercoit un enfoncement a un des coins de la caverne. C'étoit l'entrée d'un fecond paffage , taillé dans le roe comme 1'autre* mais beaucoup plus large, foutenu par un grand nombre de piliers , Sc éclairé par aurant d'efcarboucles placées dans 1'entre-deuX. 11 entre : un fon lugubre frappe fes oreilles: divers inftrumens font retentir ces lieuxde leurs accords plaintifs. II avance au bruit de cette harmonie funèbre , & voir au loin une multitude de matrones voilées , qui fe promenoient gravement & en filence. « O Mamlouk, s'écria le voyageur, fouhai» terai-je que ces femmes me recoivent, comme »■ elles ont coutume de recevoir Alfouran, luist meme? » Oui, répliqua Mamlouk; Sc je m'appercois » déja que le fouhait eft formé dans ton cceur j « car elles s'avancent vers toi avec un air de cons> noiffance. » Le génie parloit encore. Déja toutes les ma-  DES GÉNIES. Ijt) trones s'emprelTent autour de Sanballad ; les •unes lui baifenr les mains , les aucres embralTent fes geuoux : d'autres fe proftement devant lui; Sc dans 1'excès de leur vénération, elles s'eftiment heureufes li elles peuvent feulement toucher les bords de fa robe. Le feint Alfouran, accompagné de ce nombreux cortège, arrivé au bout du palfage , entre fous un grand portail qui I'introduit dans ua temple fpacicux , tout de diamant. Au milieu étoit un autel en forme de cceur, dont la pointe étoit appuyée fur le pavé. Un feu de bois aromatiques, & de parfums odoriférans brüloit jour &c nuit fur 1'autel. II étoit entretenu des huiles, de 1'encens , & des. autres aromates que les ha'bitans de Baffora apportoient en abondance au Dervis, qui favoit fi bien abufer de leur fimplicité. Dès que Sanballad fe fut avancé vers 1'autel du feu , les Orgies commencèrenr. Alors les dévotes matrones , faifïes d'un enthouliafme frénétique, & comme tranfportées hors d'elles ^ mêmes., fe mirent a courir ca & Ü en gémiiïant, en pleurant , en criant de la maniète la plus fmiftre. Puis, elles fe dépouilloient jufqua la ceinture, & fe fouettoient cruellemenr. II y en avoit qui faifoient mille poftures & mille contorfions extravagantes, comme fi. elles euflent été poffédées  tSo Les Cortes de quelque mauvais génie. Excédées enfin de fa» tigues & de peines, elles tombèreut dans un profond fommeil j éténdues fur le pavé du cemple , autour du feu quelles avoient adoré. Telles étoient les annonces d'une fcène bien plus profane. » Sanballad, dit Mamlouk, c'eft a préfent que n vous avez befoin de coutage & de fermeté. 11 Vous fentez-vous aflez de force pour réfifter 33 a. la tentation , quelle qu'elle puilfe être ? 11 Hélas! répondit le fils de Sami, je n'ai eu 33 que trop de préfomption , mais elle avoit j3 pour principe, 1'orgueil qu'infpire une fauife 33 religion. 33 Votre défiance eft raifonnable & prudente , 33 répartit le génie: elle annonce un efprit humb'e j 33 elle eft encore le préfage de la viétoire. Ce33 pendant , comme la tentation feroit trop forte j3 pour un Néophite , j'ai obtenu du prophéte , 33 que nous changerions ici de perfonnage. Je j3 vais repréfenter Alfouran ; & devenu invifible, 33 vous m'accompagnerez dans ce labyrinthe d'er33 reurs déplorables. >3 En achevant ces paroles, Mamlouk parut fous les traits du Dervis : Sanballad fouhaita d'être invifible , &t fe tint a cóté du génie travefti. Alors Mamlouk frappa des mains en les éjevant en haut. A ce bruit, les matrones fe ré> veillèrent  des G i n i e fs tSit veillèrent, & entourèrent le feint Alfouran ; qui leur commanda de lui apporter la coupe d'aïuour. Auffi-tot, les quatre plus anciennes allèrent quérir , dans 1'endroit le plus fecret du temple , une grande coupe de criftal qu'elles lui préfentèrenr. II en but le premier , Sc toutes en firent autant après lui. La liqueut opéra d'abord. Gesfemmesiemïrent a cbanter les chanfons les plus profanes, Sc a témoigner par leurs g-ftes indécens, lés defirs dont elles étoient tranfpoftées : tranfports qui dégénérèrent bientot en une efpèce de fureur. Elles quittent leurs habüïemens, & courent toutes nues dans le temple , découvrant des marqués noit équivoques de leur proftitution, qu'elles avoient cachée jufqu'a ce moment fous une vaine apparence de fainteté-. "Le génie ne crilt pas devoir pouifer plus loin le perfonnage cYAlfouran , en Ie contrefaifant jufqu'au bout. Sanballad avoit affez vu de ces myftères d'horreur. Mamlouk le prit par la main : ils remontètent vers le fommet de la montagne. Déja. le foleil diflipoir les ombres de la nuit , Sc a mefure qu'ils s'élevoient de la caverne , ils voyoient fes rayons briller au-deiïus de leut tere. «< Et qui font ces femmes impudiques, de-; lome XXIX. t  löi LïS Contes jS tnanda le fils de i^ffzi a fon guide, tandis qu'ils » remontoient ertfetnble ? >j Ce font, répondit Mamlouk, des femmes* » fimples & créduies qu'Alfouran abufa. EHes 3) venoient 1'entendre dans le filence de la nuit, 33 & peu a peu il fut fi bien les féduirc , qu'il 33 leur perfuada qu'elles honoroient la divinité 53 par ces cérémonies infames. Mais taifons35 nous ; je vois la foule qui fort des portes de jj Baffora, pour recevoir les lecons du Dervis jj hypocrite , 8c lui prodiguer leurs hommages, sj Alfouran va-t-il fe réveiller & les inftruire »j a fon ordinaire , dit Sanballad au génie ? 33 Non , répliqua Mamlouk. Le prophéte eft jj itrité : il ne peut plus fupporrer la vue de ces jj infamies. Mais barons-nous de joindre les créjs dules feébateurs d''Alfouran. >■> Mamlouk toujours déguifé fous les trairs 8c les habits du Santon , defcend de la montagne , 8c va fe mettre 4 la porte de la celluie extérieure. La foule s'aiTemble autour de lui : les uns le combloient de mille bénédictious , en verfant des Iarmes de pénitence ; d'autres lui donnoient les noms les plus faints, pouffant leurs refpeéls jufqu'a 1'adoration. Au milieu de ce culte fi mal placé, Mamlouk élève fa voix qui relfembloit au bruit du tonnerre ; 8c ces pareles eifrayantes frappent les  des GÉNIES. 165 örellles des habitans de BaJJbra. « O hommes » infenfés ! infames idolatres ! Pourquoi avez« vous abandomié le culce que le prophéte vous j> enfëigria , pour fuivre les impoftures de 1'enj> chanteur Alfouran ? >■> Après avoir prononcé ces mots, le génie qüitta Ja figure du Dervis , & fe montra aü peuple dans tout 1'éclat de fon origine célefte. Tout le monde fut étoriné de ce changement fubit. Le génie condnua de la forre. « Je fuis Mamlouk , 1'ange protecfteur de votre a ville. Je n'ai pu voir, fans la douleur la plus « fenfible , combien vous vous êtes écarrés de j> Ia doctrine & du culre du prophéte. » Les deftins avoient réfolu de metrre votre »> foi a Tépreuve. Voüs deviez être tentés par sj les preftiges d'Alfouran ; il vint habiter pour j> eet effèt, daris ce bois qu'il rendra a jamais s> célèbre. Sous Ie mafque trompeur d'une fains» teté affectie , il fut gagner tous vos coiürs. j> Vous 1'écoutiez comme un Oracle; voüs Ie ré» vériez comme un faint. Le defir de 1'entendre >> vous faifoit négliget vos occupations les plus » importantes, tous les travaux étoient fufpenj> dus : le commeree languifloit : les devoirs les » plus indifpenfables de la fociété étoient violés: » vous vous oubliez vous-mêmes, pour ne penfer i> qua. lui : vous vous ptiviez de tout pour !« L ij  M4 Les Contes » lui offrir. Hommes imbéciles ! hommes aveti» » gles ! moreels trop crédnles! « Alfouran poffédoit le cachet du Génie Nadoe. » II s'en fervit ponr faire creufer aux efclaves » foumis a fon pouvoir , un vafte fouterrain »> dans les entrailles de cette montagne. C'eft la* »» que font les monumens affreux de fa méchan» ceré tk de fon hypoerhie. Je vais les montrer a j> vos yeux.» Le Génie ayant fini de parler , ordonna au fils de Sami d'éveiller fon ancien maitre, ce qu'il fit. Le Dervis , épouvanté lui-même de 1'énormité de fa faute , parut tremblant & confus devant Mamlouk, & ceux qu'il avoit rendus complices de fon idolatrie. Dès que le peuple vit Alfouran, a peine peut-i! rélifter au charme de fa préfence , foutenu par la grande idéé qu'on en avoit toujours eue, & que les reproches de Mamlouk n'avoient point entiérement effacée. Tel eft l'empire de la luperftition. Ces fanatiques furent tentés de fe profterr ner & de 1'adorer. L'éclat glorieux qui envirorinoit le Génie put a peine les contenir. Mamlouk qui lifoit dans leurs ames, s'écria avec indignation : « O habitans de Bajfora ! eft-ce donc ea n vain que je vous rappelle au culte de Maho» mee ? Mes peines & mes inftruélions feront33 elles inutiles ? Eh bien donc! fi vous êtes  »ES GÉNIES. I(?5 » fourds i ma voix , tegardez dans les entrailles n de cette montagne , & apprenez a connokre n qui des deux mérite la préférence , Alfouran 3> on Mahomet.» Les yeux du peuple fe fixent fur le coté de !a montagne, qui, s'ouvrant tout a coup , découvre les cavetnes & le temple. Les habitans de Baffbra virent avec furprife les riches offrandes qu'ils avoient apportées au Dervis pour les brüler en facrifice fur 1'autel de feu. Mais ils furent épouvantés , lorfque cegouffre de la plus infame dcbauche vomit ces femm^s proftituées, dont la nudité découvroit 1'opprobre aux yeux de leurs concitoyens qui les avoient regardées jufques alors comme des modèles de chafteté , & qui n'en pouvoient plus fuppoitcr 1'indécence. Ce qui les irritoit davantage , c'eft qu'ils reconnurent parmi ces vils inftrumens de rintempérance du Dervis, les uns, leurs femmes, les autres , leurs filles qu'ils croyoient avoir per-, dn es. Ils rcfolurent de maffacrer le monftre Alfouran, &c de le mettre en mille pièces pour multiplier les marqués de leur vengeance. Tel eft le fort que méritent les importeurs qui abufent de la ftupide crédulité des paroles. Ils s'en faililfent & le déchirent impitoyablement : c'étoit a qui Liifj  %66 Les Contes fignaleroit le mieux fa jufte colère. Tous, jufqaes aux femmes, vouloient avoir la gioire de le faire fouffrir. Après cetre fanglante exécutiori a laquelle Mamlouk ne s'étoic point oppofé , il les exhorta a fulvre fidèlement la loi du grand prophete, a ne plus écouter les faux doéteurs qui pourroient venir dans la fuite leur prêcher une religion myfté-r rieufe , inintelligible , impie & déshonnêre j fur-tour a ne plus abandonner les occupations, les devoirs de la vie fociale , & le foin de leut fubfiftance , pour fuivre les direótions d'un importeur adroit a cacher la plus infame débauche fous les dehors de la fainteté. Comme Mamlouk nnilfoit fon conté, une vive lumière fembla defcendre du plafond da la falie : le prophéte Mahomet parut au milieu de 1'augufte aflemblée. II avoit un air de divinité y la douceur & la majefté brilioient fur fon front. « Je vous remercie , fage Mamlouk , dit le, >j prophéte au fidéle Génie ; je vous remercie s,5 du foin que vous avez pris de retirer mon » peuple de Ba fora des pièges de Terreur, II ne s> quittera plus les fentiers de la vérité, Ma lu* 53 mière éclairera déformais fes pas. Mon efprif ss le dirigera, & le portera a chercher la, ver-ui  DES GÉNIES. 167 » & la paix , loin des preftiges de Terreur &. n de Tenthoufiafme. Et vous, favoris du ciel, » révérez les faintes inftructions des Génies, » fuivez la morale divine qu'ils vous enfei» gnent.» Toute TalTemblée fe profterna en préfence du prophéte, tk d'une voix unanime ils chantèrent cette hymne de louange. « La gloire environne le prote&eur de Ia » foi & le défenfeur des croyans. Alla! Alla! Alla! » Louange, honneur tk adoration a celui qui » éclaire Taveugle , & qui donne la paix aux fils » de la prudence. Alla ! n Ton règne foit immortel , o prophéte du » jufte ! Ton pouvoir foit fans hornes , ainfi >j que ta miféricorde , ó envoyé ! ó lieutenant » 8Alla! Alla ! Alla ! Alla ! » Heureux font tes ferviteurs qui fuivent la s» volonté de leur maitre. Alla ! » Heureux tes ferviteurs qui écoutent la voix '■ de leur prophéte. Alla ! » Heureux ceux qui ne marcheut*| point dans >■> Terreur, mais qui font fidèles a ta loi. Alla ! Alla ! Alla ! » Quand les Gèiües & leurs difciples eurent achevé ce cant-ique , Mahomet s'éleva au milieu d'eux dans un nuage d'azur :out éclatant de lu- Liv  :s6$ Eis Contïs mière, difparur a leurs yeux , laütant tous les efpiits dans ce ravilfement delicieux que caufe la préfence de la divinité, ou celle de fes pro- phères. Lorfqu'ils furent revenus de cette extafe, Iracagem , adrelfant la parole au Génie Omphram , lui dit: «Omphram, Mahomet vous infpire : racon» tez*nous les fuccès de votte proteótion fur les, v hommes, » Je m'eftimerai heuteux , répondit le Génie t v fi Iracagem daigne approuver ma conduite en-; u vers le fultan Hajfan JJfar, >»  BBS GÉNIES. idf CONTÉ TROISIÈ ME. HASSAN ASSAR, O V HISTOIRE DU CALIFE DE BAGDAT. s long-tems la cour du Calife Tfajfan Ajfar languilïbit dans la plus profonde affliction. Un morne filence régnoit dans fon palais, d'oü les ris & les jeux étoient exilés. Le front févère du Calife ne fe déridoit jamais : fes yeux ftm-. bloient voués a la trifteue. La ftérilité de fon ferrai! nombreux étoit la caufe de fa mélancoKe. Parmi la multitude des beautés de la Circajfie , auxquelles il prodiguoit fes carelTes, il reftoit fans poftérité. Ni leur jeuneffe, ni 1'ardeur du climat, ni tous les fecours de l'art ne pouvoient remplir fes vceux. Le Calife de Bagdat n'avoit point de fucceffeur ; il en dérnandoit un au prophéte, & défefpéroit prefque de lobtenir.  iyo Les Contes Ompkram, le Génie rurélzire de fon royaume ; connoiflant la volonté du deftm , ne pouvoit s'y oppofer, ni changer fes décrets immuables. II avoit lu dans le livre immortel des deftinées, qne. Hajfan Affar demanderoit en vain un fils, tandis qu'il Ie chercheroit dans les embraffèmens des femmes- de fon ferrail. II ne voyoit ponrtant aucune impoffibilité a I'accompliflement de fes vceux. Il pouvoit même prévoir que, sil portoit fon affection aillenrs, il feroit exaucé; mais le jour de ce grand événement reftoit couvert du voile de 1'avenir, & il ne pouvoit découvrir quel objet étoit deftiné a procurer ce bonheur Qii Calife de Bagdat. Haffan rendoit la juftice dans le Divan : Ie trone ou il étois affis fut foudainemene ébranlé par une fecoufte violente de tremblement de .terre. Les portes du Divan s'ouvrirent d'ellesmêmes. Le tonnerre commenca a gronder j le feu des éclairs rempliffbit la falie. Dans cette confufion générale de la terre & de l'air, Cmphram parut fur un char de feu trainé par des lions, au fort de la tempête que fon pouvoir avoit excitée. Hafjan s'inclina a fon approche , fans montrer aucun figne de frayeur. Pourquoi auroit-il rremblé ? Sa confcience ne lui reprochoit point de crime.  » E S GÉNIES. 171 Le Génie lui dit : <- Haffan , je vois votre » alfurance & ne puis m'empccher de 1'approup ver. Vous n etes refponfable que des a&ions s> de vos fujets : vous ne leur devez que le bien » que vous pouvez leur procurer. Vous voyez M fans trouble la confufion des élémens , Sc les » autres malheurs de cette efpèce fur lefquels » vous n'avez point d'empire , ni pour les pre8> venir, ni pour en arrêter 1'effer quand ils arn,5 vent. La confiance que vous avez dans les j? douces Sc bénignes influences du foleil, vous ,3 rend inébranlable au fort de la tempête. Vous sj demandez feulement au prophéte qu'il vous sj donne un fils, Sc multiplie votre poftérité. » Tout le refte yous eft indifférent, II a enrendü jj vos paroles; il va les exaucer. II vous comjj mande donc par ma voix, de renvoyer toutes » les beautés de votre ferrail, & d'attendre 53 Peffet de fes promefïes, de la jeune & char» mante Houri, qu'il vous a deftinée pour faire " le bonheur de votre vie, Sc être 1'unique objet de votre tendrelTe. >s Ompkram parloit encore : déja les murs du palais fe font écroulés , & n'offrent plus qu'un amas de terre Sc de pierres qui ont repris leur première forme , de forte qu'ils reffemblent moins aux décombres dun édifice, qua des matériaux qui n'ont point encore fervi, La foule  'l7£ Les Contes da peuple ralïemblé dans le Divan a difparu. La v.Ue flonflknte de Bagdat n'eft plas. Le Calife ie vo.t dans un défert oü la nature inculte ne prélente a fa vue que des produétions fauvages. Les lions attelés au char A'Omphram rugiflent en fuyant, & les échos répètent leurs rugifte»ens Le Génie obferve de loin la fermeté * Hafjan, fount, & lui crie de perfévérer dans ia confiance, que rien ne fauroit empêcher 1'accomphflement des promeiTes du prophéte , qu'il «7 a m danger, ni revers capables d'arrêter le cours de fes bénédieftions fur lui, & fur la poftente qu'il lui a promife. Cependant le Calife n'appercoit autour de lui qu un grand vide. D'un cöté il découvre dans Ie ™' des touffe* de grands arbtes qui femblo.ent former des temples naturels aux divinités champetres de ces lieux. De 1'autre cóté s'élevoit une montagne oü quelques arbres étoient femés irreguhèrement de diftance en diftance, fur un rocher d'ailleurs afleZ nud. Un torrent, qui fe precipitoic du fommet de la montagne , s'étoit creufé un lit fur fa pente, par la rapidité de fon cours. Les eaux de ce torrent formoient un lac fpacieux au bas de la montagne , qui la féparoit des bois antiques dont on vient de parler. Les bords du lac offroient tout ce qui peut charmer k VllS * flatrer je gotk. Des fruits de toutes les  DES GÉNIES. 17$ efpèces pendoient aux branches des arbres courbées fous leur poids ; fruits exquis , trop délicieux pour 1'endroit oü ils croifloient. La terre étoit émaillée de fleurs, dont la variéré des couleurs embellies par les rayons du foleil qui leur donnoient un nouvel éclat, formoit le coupd'ceil le plus agréable. Tandis que Kaffan admiroit les produétions charmantes de ce lieu inculte, il vit une femme d'une beauté raviflante s'avancer vers lui au travers des avenues irrégulières d'un vafte bofquet oü il avoit pénétré. « O prophéte ! s'écria le Calife dans 1'excès de » fa joie, que de délices tu m'as préparées dans 53 cette vallée fertile ! Sans doute 'je fuis déja » dans ton paradis, & voici la célefte Houri que n tu mets dans mes bras,pour recevoir mes em» braflèmens. » En difant ces paroles , il fe hate d'aller a k rencontre de knymphe divine , dont 1'habillement léger découvroit les graces de fa taille, C'étoit une délicatefle , une fraicheut, une pnreté , une fleur de jeunelfe qui caracférifoient fa nature célefte. Enivrée des mêmes delirs que Haffan, elle volo au-devant de lui pour 1'embrauer. Mais, hélas! au moment de leur rencontre, la terre envieufe gémit fous leurs pas, s'entrouYre avec  174 Les Contes Un brult affreux , & les féparë Tun de 1'autre pat un gouffre épouvantable. Tandis que faifi's d'une égale fnrprife , ils fe regardent des bords de 1'abime ouvert devant eux , s'appellent & fe tendenr les bras , un bruit guerrier fe fait entendre du fond de la caverne qui vomit parmi un tourbillon d'une vapeur enrlammée , un éléphant énorme chargé d'une tourelle. Dés que 1'éléphant fut forti de la caverne , elle fe referma auffi-tot. Un nègre monté fur eet anitnal s'approcha de la tourelle , la frappa d'une baguette qu'il tenoit en main. La tour fe btifa en mille pièces , Sc a fa place parut une petite hutre d'oü fortit une négreffe alfez proprement équipée en guerre. La nymphe effrayée s'évanouit: Haffan court a fon fecours. Le nègre qui tenoit la baguette, lui crie d'une voix de tonnerre. « Haffan Affar ! arrêre ! prends garde! mais9 ,> non. Je vois bien qn'Omphram m'a trompé, tu » n'es pas digne de la faveur du ciel, ni de la 3» promeffe que t'a fait Mahomet. Le Génie me >> difoit que tu étois infenlible a la vaine appap rence des chofes de la terre \ Sc il me femble » pourtant que tu préfères une foible beauté a h. » forte & robufte Nakin Palata , qui t'eft deftij> née pout époufe.»  CES G ï S ! ! S. ff ■ Ces paroles affligèrent cruellement le Ca/i/I'. Pénérré de dépit, il s'écria: « Eh quoil dois-je « être privé des plaifirs que me promertoit la vue » de cetre beauté parfaite ? Faut-il donc que ff ,1 renonce pour me prêter aux carelfes de cetre » nc^relle dégoutante? Eft-ce-da la célefte Bourï » que le Genie m'a promife ? >» A ces mots Nakin Palam , tranfportée de fa* .reur , faifit fon are, prend fa flèche la plus aiguS, «5c d'un bras vigoureux elle la lance au feindelta belle nymphe. Ha fan, qui la vit, ne put parer le coup. Lm nymphe bleffée peut a peine fe foutenir \ ion. beau fang coule le long de fon corps •, fes yeits fe ferment, & une paleur mortelle remplace les rofes de fon reint. Elle tombe. Le Calife arrache le trait crnel, applique fes 4èvres fur la plaie, tache en vain de rappeler I la vie fon ame fugitive. Le nègre , témoin de fon emprelfement, faute de delfus l'énormo animal , court a Haffan , & lui commande tk cetTer des foins fuperflus , s'il ne veut pas perdre fans retour la proteclion de Mahomet. I Hafjan , étonné de eet ordre ■, fe détourne po jr voir qui le lui donnoit: fa furprife augmente ett voyant la noirceur de eet homme difparoïrre Sc fe transformer en 1'éclat radieux des traitsdst Génie Omphram, fon protecteur.  '7^ Les Contes « O Haffan AJfar! lui die Omphram, n'avez» vous donc pas encore appris que les plaifirs dé » ce monde ne doivent point captiver votre » cceur, ni vous empêcher de fuivre la volönté j> du ciel ? » Lof fque vous demahdiez au prophère de vous s> donner un fucceffeur, & de maintenir votr« i» poftérité fur le tröne de vos ancctres, ne lui » ptomettiez-vous pas de renoncer a tous les » autres avantages , pourvu qu'il vous accordat » en dédommagement la feule grace que votre » cceur defiroit ? « Eh! qu'eft - ce que cette beauté que vous » femblez adorer , comparée a celle qui doit » donner des defcendans au Calife de Bagdat ? *> N'êtiez-vous pas malheureux, lorfque toutes » les beautés de la Circaffie étoient a vos ordres? » Ne méprifiez-vous pas alors ces vains enthaófr » temens ? Ne demandiez • vous pas au ciel un » bonheur plus folide ? Celle qui doit rempür » vos defirs Sc la promeffe du prophéte , fe » montre a. vos yeux , & Vous la fuyez ; vous k » déteftez. pour retourner aux voluptés aux>» quelles vous aviez fi folemnellement renoncé! » Ne te natte pas , ö Haffan ! que Mahomet kille >» ton ingraritude impunie. Non. Jouïs de k >> compagnie de ta belle Houri: ton amour eft fi fott  DES GÉNIES. I77 »» fort que tu la fuivras fans doute dans le torn» beau. i> Haffan ne I'écoutoit pas: il s'occupoit a fecouiir la nymphe mourante*, Le" Génie frappe la terre de fa baguerte, & en fait fortir un nombre prodigieux d'efclaves, de pierres & de tous les matérkux propres a^batir un édifice. Omphrarn dit aux efclaves : « Enfermez ce corps expirant d'un mo33 nument folide, & voyons jufques a quand 1'a33 mour du Calife le tiendra colié fur le corps de 3> fa maitreffe. 33 Les efclaves obéirent ; c'étoient des Génies d'un ordre inférieur : ils eurent plutót élevé Ie monument fous la direótion de celui qui le leur commandoit, que des ouvriers humains n'euffent pu en creufer les fondemens. ■ Haffan ne prit pas garde a. ce qui fe paffoit au-« tour de lui, & fe laiiTa enfermer avec fa maïtrefTe , ayant toujours les lèvres appliquées fur fa bleiïure. Avant que le tombeau fütentiérement couvert d'une feule & grande pierre, qu'aucune forcehumaine ne pouvoit remuer , Omphrarn appela le Calife, & lui ordonna de tourner la tête , & de fortir. Le Calife étoit foutd a la voix qui 1'appeloit. II n'avoit de fentiment que poui fa chère Houri. Alors donc les Génies achevèrent leur ou-j Tonte XXIX. M  lyjj Les Contes vrage. Omphrarn fe lalïa d'appeler en vain le CdA. life : on 1'enferma dans le maufolée, avec le cadavre de fa belle maitrefle. Le tombeau avoic une doublé enceinte. La première étoir formée d'une grille de fer qui ferroit de toutes parts le prince amoureux. La feconde enceinte étoit un mur fort épais, avec quelques petites ouvertures , par oü la lumière réfléchie au travers de la grille, fur le corps de la nymphe , procuroit a fon amant la douce fatisfaófcion de contempler fes charmes : volupté qu'il avoit préférée a la volonré du prophéte. Hajfan perfifta plufieurs jours dans fon amour infenfé, toujours collé fur Ie corps de fon amante. Enfin les ravages de la mort firent bientbt de cette beauté raviflante, unfpeótacle d'horreur. Plus les chaïrs étoient tendres & délicate* , plus elles devinrent hideufes par la corruption. Une odeur infecte s'exhaloit du cadavre qui tomboit en pourriture. Le prince fut alors auffi épouvanté qu'il avoit été charmé quelques jours auparavant. Son amour n'avoit pout but que les plaifirs des fens. Voyant 1'objet de fes defits ainfi défiguré, il en eut horreur. Sa fituation cruelle le remplit de défefpoir. Enfermé avec eet amas d'infeétion , devenu Ia proie des vers , il déteftoit la paffion extravagante ^ui 1'avoit porté a défobéir aux ordres du. ciel»  ö e 5 Gén i s? ïiy$ « Eft-ce donc la, s'écria-t-il dans les tranf-> S> ports de fa rage ; eft-ce donc la 1'effet de la t» morr fur la beauté ? Cette beauté qui nous}■> enchante tk nous ravit d'amour , n'eft donc s> qu'une combinaifon différente des élémens » de la matière; & la laideur, qui nous infpire is tant d'averfion eft de même un aurre arranges> ment des mêmes particules matérielles! Quoit >s les plus pures déiices de ce monde fe transjj forment en douleurs ! Ce qui nous caufe aujj jourd'hui tant de plaifir , peut devenir demain jj 1'objet de notre haine ! O prophéte ! tu me »> punis juftement. Je reconnois 1'équité de tes « jugemens févères. Je fens a cette heure la dif« férence du bien que tu voulois me faire, au » mal que j'ai choifi. » En achevant ces mots, il tombe accablé de veilles , de fatigues, d'effroi; &c d'horreur, appelant la mort comme I'unique remède a fon état déplorable. La négreffe parut au-deffus de la grille , & le voyant ainfi étendu par terre , elle 1'accabla de reproches : « Prince aveugleCalife infenfé , »> dit-elle, combien de tems contempleras - tu » encore 1'objet charmant de ton choix ? Ne » fens-tu pas enfin que tu ne peux te fouftraire jj a la volonté du ciel ? Tu 1'accomplis malgré jj toi, Vois oü t'a réduit ta folie. Le prophéte j» te prometcoit la poftéritc que tu défirois; Sc, Mij  ïSq Les Contes a> tu as préféré a 1'accompliflement de fes pro53 mefles , la volupté qu'il ce commandoir de s» fuir ! II douroit de la fincérité de ton cceur ; ss 1'évènement a fait voir que fes doutes étoient 35 bien fondés. II t'a mis a 1'épreuve : il t'a con33 duit a. la tentation la plus délicate , celle de 33 la volupté. Homme lache , comment y as-tu 35 réfifté ? 5> O Calife ! étoit - ce la vertu , ou le plaifir >5 qui te donnoit tant d'amour pour cette jeune ss beauté ? Tu 1'as vue & aimée, fans connoitre 35 les perfections ou les imperfeétions de fon 53 ame , fans t'informer fi elle étoit aufli ver33 tueufe que belle. Cédant en aveugle a 1'at33 trait des fens, tu n'aimas en elle que les char55 mes qui flattoient tes delirs profanes. Ta paflion feule Sc fa beauté lui fervóient de sj recommandation. La volonté du prophéte 35 parloit en ma faveur. Tu as porté Faveugle,3 ment jufqu'a te faire un fupplice d'obéit a fa 53 voix célefte, Sc un plaifir de fuivre ta paflion» 53 Tu pofsèdes 1'objet de tes defirs : il eft en ta 35 puiflance , & tu peux te convaincre a loilir oü 55 eft le vrai bonheur, dans la foumiflion aux 33 ordres d'en - haut, ou dans la pourfuite des » vains plaifirs de la terre. Savoure a longs 53 traits 1'amertume qui infecle la volupté. is Tu fais que la vie eft courte, incertaine^  DES GÉNIES. ÏS* » périlleufe : c'eft un étar d'épreuve Sc nort'de » jouiftance. Les plaifirs terreftres nons y font « öfFerts, moins pour nous y livrer que pour » nous en faire un fujet de mérite en y renonr> canr. Lorfque le ciel ordonne expreffément de »> s'èn abftenir,- leur privation fait notre bori53 heur , & eft le gage-d'une jouiftance bien plus 33 délicieufe après cette vie.. >3 Ne penfe pas, ó Calife ! que je te parle dé sj . moi-même. Tout ce que je dis m'eft infpiré » par le prophéte. 11 m'a choiiie entre mille au1 3J tres de ma nation ; il m'a tirée d'entre 'les jj bras d'un jeune Noirque j'avois préféré a tout •-> autre, & caufe de fa force & de fon adrefte dans tous les exercices du corps. sj Nakin Palata , me dit une voix dont les » fons m'étoient nouveaux : écoute les orclres 33 du ciel, 8c fache que tu es faire pour accorr.«3 plir fa volonté. J'étois alors occupée a admi33 rer la force de mon jeune amant , dans ces 33 jeux en ufage chez notre narion, pour exerbet '33 le corps, le rendre plus agile 8c plus vigonreux. 33 Aufir-tót je fentis un pouvoir invifible qui me famt, la terre s'ouvrit fous mes pas^ j'y j) fus précipitée-, j'entrai dans une pètit'e tour,, » Sc de-la , fous une hutte qui en occupoit ie centre; le tout étoit porté fur un êléphant, -.-> comme vous 1'avez vu. M üj  .(*S"z.' L 3 S CoNTEsj j> Le nègre qui 'le conduifoit me dévoila Ie' ff myftère de eet enlèvemenr. Vous êtes defti» nee , me dit-il , a être la mère d'une race » royale : votre modeftie, votre humilité , vtotte » foumiffion au pouvoir d'en-haut, vous ont j> fait choifir entre mille pour cette glorieufe 3> fonótion. Un grand roi fera mis entre vos 33 bras. Mais vous devez renoncer pour tou33 jours a. votre jeune amant Sc a votre patrie , jj votre cceur ne doit plus former de deftrs cfui 33 fe rapportent a 1'un ou a 1'autre. ss Ces paroles, ó Haffan! me remplirent du 3j chagrin le plus vif; je préférois mon coffre a, 33 toutes les grandeurs, a tous les tréfors de la 33 terre. L'éclat de l'or Sc de la pourpre me plai33 foient moins que fa noirceur. 33 Quoi! m'écriai-je , ne reverrai-je donc plus 33 mon cher caffre, 1'idole de mon ame ? Ec quels 33 biens m'offre-t-on qui compenfent fa force, sj fon agilitéjfon adrelfe ? 33 Oui, répliqua mon guide, vous le reverrez 33 encore , pour vous couvaincre par votre pro33 pre expérience combien votre choix eft aveu33 gle , Sc ce que c'eft que cette force Sc cette is adrelfe qui vous rendent li fortement amou33 reufe de ce jeune noir. Mon guide me prit par le bras, Sc nous nous jg trouvam.es auffi-tot fur la terre, après avoir  „. e s Génies: iS5 é traverfé rapidement une profonde caverne qui * s'élevoit du centre de la terre , & s'ouvroit » dans un bois que je reconnus pour celui oui » étoit afleï ptès de 1'habitation de mon caffre.^ * Alors le nègre me quitta, & me dit de póft nétrer dans 1'épaiiTeur du bois. J'obéis. Quelle „ fut ma furprife, lorfque je vis mon perfide „ amant dans les bras de la femme de mon frère 1 » Mon fang fe glaca dans mes veines, & je reC» tai immobite devant le caffre adultère. » Mon guide revint a moi. Témoin de mon * embarras & de ma peine , il me reprit par le ,i bras. La terre fe rouvrit , & nous rentrames „ dans fon fein ou je trouvai 1'éléphant & 1* r> tout qu'il portoit. „ Eh bien, me dit le nègre, après m'avok remis dans la hutte, êtes - vous encore auffi * amoureufe de ce caffre agile ? Leconuoiffez„ vous a préfent? Etes-vous plus réfignée a la *> volonté du prophéte de la Mecque ? » Oui, répondis-je , toute pleine encore de », 1'effroi que m'avoit caufé la vue de 1'infanie N caffre. Oui, je fens combien je fuis incapable » de faire moi-mème un choix qui me foit ayatf» « tageux. Que le prophéte difpofe de moi felon » fa volonté ! Je ne fuis pas affez éclairée poutf ft favoir diftinguer le" bien réel de ce qui nen a ?> queTapparence. M iv  ,84 Les Contes « Cela eft bien, répliqua le conducteur. Vous » êtes dans la difpofition requife pour accomplir » digne ment la volonté du prophéte. » pL-euez, continua-til, votre are 8c vos flè» ches, & quand vous verrez le calife Haffan " Ajfar préférer la volupté fenfuelle, 8c la jouif9'. fance d'une vaine beauté, aux ordres du pro» prophéte, lancez votre dard le plus aigu au » fein de fa maittelTe. Ne craigffez point de la w faire moarir. Ce n'eft qu'un corps d'air, un H fantóme paré de routes les graces de la beauté, 4» pour convaincre Haffan Afar de la foiblefle » de fon cceur , 8c de 1'eftime immodérée qu'il » a pour des plaifirs périiTables, » Après cette inftruóHon , nous remontames •»; encore versla terre qui s'entrouvrit au mo« ment même oü vous alliez èmbralTer cette » beauté fantaftique. Voila, ö Calife! ce que v vous ignoriez. Reconnohfez votre faute , 8c v admirez-laproteétion du prophéte, qui em» ploie des voies fi merveilleufes pour vous apv prendre la fageiïe ». Lorfque Nakin Palata eut achevé ce difcours , a Hafjan fe profterna le vifage contre terre, f adora trois fois & fon glorieux prophéte, * 8c répéra a plufieurs reprifes ces paroles de la V négrefie. » Que le prophéte difpofe de moi »> felon fa volonté. O prophéte ! fais de moi ce  des Genie s. i$5 v que tu voudras, je fuis- $ tes ordres til Un bruit de tonnerre fe fit entendre : le Génie Omphrarn defcendit du ciel. A fa préfence le tombeau s'ouvrit , la grille de fer fe brifa en éclats. Haffan reconnut fon Génie tutélaire, & fe profterna pour le remercier de fa protedtion. - » Heureux ! heureux Calife ! ó prince trois u fois heureux , dit Omphrarn ! 'je te vois enfin » féfigné a la volonté du prophéte. Tu es heu5, reux dans ton choix , paifqu'il vient du ciel „ même. Tu recois des mains du prophéte une » femme vertueufe qüi échange de fon ebté un » fauvage ] un barbare, contre un monarque » fage, prudent & religieux. » Ne dis plus que les ordres de Mahomet font „ trop durs a exécuter. O Haffa'n Haffar ! con-» temple a prëfent ta nouvelle époufe ; vois ce s>' que peut un amour vertueux. T'infpire-t-elle 03' encore la même tépugnancé ? La déteftable ^Niikin Pdlatané vanf-elle pas bien. la douce *> & tendre 'Houri quelle a percée d'un trait »» empoifonné i» ? • A ces mots le Calife fe téva ; il he vit plus la négrefte, mais la plus belle femme qui' eut jamais frappé fa vue. Ravi d'éfbnnement & de crainte , tranfporté d'amour ]bour cette nouvelle beauté, & de r§fpe£t pourle prophéte , il ne  iS£ Les Contes*1 favoit s'il devoit fe livrer aux rendres fentimenf qu'il éprouvoir. » Calife, reprit Omphrarn, ne foyez point fur» pns de ce grand changement. Vous donnez » trop a 1'apparence des chofes. Sachez que » Nakin Palata ne-vous femble fi belle, que » paree quelle vous aime. Votre amour pour » elle , vous rend également aimable a fes yeux.' » C'eft 1'effet naturel de votre affedion récipro» que. Vous continuerez a. vous trouver daar» mans 1'un 1'autre , tant que votre amour du» rera. Mais dès que le caprice , le fort irféfifti» ble, le malheur de votre nature imparfaite, *> ou 1'attrait d'une paflion nouvelle refroidira » votre première tendrefte pour cette aimable » compagne; alors vous perdrez a fes yeux toute » 1'amabilité quelle trouve en vous , & vous .» ferez devant elle comme un tyran cruel de» vant fon efclave. Lorfqu'aufli elle ceffera d'a» voir ppur vous les attentions & la foumiflion » qu'une femme doit a fon mari , tous fes char« mes la quitteront, & elle reprendra fa prejj mière laideur, cette noirceur hideufe & dégour » tante qui vous a rebuté a fon premier abord Omphrarn leur ayant donné cette lecon , les fit monter 1'un & 1'autre dans fon char attelé de deux lions majeftueux ,. & les conduifit par la plaine des airs au palais du Calife a Bagdat.  des Génies! 187 Ses fujets accoururent en foule pour le féhciter de fonarrivce, & lui témoigner la joie qne leur caufoit fa préfence. II étoit adoré de fon peuple & méritoit de lecre. Les grands & les petits défiroient également de lui voir un héritier de fes états & de fes vertus. II leur préfenta fa nouvelle époufe qu'il déclara la feule fultane de fon royaume. Toute la cour la reent avec de grandes acclamations de joie. La nouvelle en fut également agréable 'a la rille & dans les provinces. Par-tout on fouhaita mille profpérités a 1'aimable fultane Nakin Palara. Le Génie déclara aux courtifans aflemblés autour du Calife , les raifons de fon nouveau choix , & leur promit, au nom du prophéte , un fuccefleur du fang royal Cette promeffe remplit tous les cceurs d'une nouvelle joie. Ce n'étoient qu'exclamations, louanges , vceux les plus ardens. L'air retentiffbit des noms auguftes de Haffan Afar Sc de Nakin Palata : Haffan Afar, leur bon, fage & religieux Calife ! Nakin Palata, la gloire 6c laconfolation du meilleur des princes! s t Omphram avoit fmi fon, conté. Le fage Iraeagem ordonna a 1'alfemblée des croyans confiés a lmftruaion des Génies, de s'alfeoir fur les tapis étendus pour leur fervir de fiéges. A un  188 Les Contes figne qu'il fit avec la baguette qu'il tenoit en main, on leur fervit une légère collation digne des favoris du prophete. Un nombre infini de Génies inférieurs leur fervirent du ris Sc du lait. » La nourriture des croyans eft fimple &: na-1 j> tuteile comme 1'inftruction qu'ils recoivent, » dit Iracagem. Ils ne défirent Doint des viaiides n délicieufes, & apprêrées i grands frais. Ils ne >> foupirent qu'après 1'aliment immortel de 1'ef- prit. Comme un courfier dédaigne les meilleurs « parura'gés', lorfqu'il eft engagé dans la carrière; jj ainii les ëlus du ciel méprifent les délices des 3> enfans de la terre. ; » Contenter fefprit, 1'éciairer des rayons de 33 la vraie fagefle, lui faire gourer la vérité, c'eft33 la leut unique affaire'. Ils puifent 1'une Sc 1'arltre 33 'dans leur fouirce, &c ils font heureux. O mes 3s enfans! raffafiez votre faim : c'eft un befoin naturel a votre être. Réparez les forces qu'une 33 abftinence prólongée affoibliroit exceffivémenr. jj Mais ne fouffrez pas quun'bêfoin du corps air sj la préférence fur les defirs ccleftes de 1'efpritr si qu'il contient 33. Les difciples dés Génies ayant achevé leur repas frugal , Haffarack eut ordre de leur raconter 1'hiftoire de KélkunSc de Guftarate, •  pis Génies. 183 CONTÉ Q UA TRIÈ ME. K É L A U N ET GUZZARATE, j\ u pied d'un rocher efcarpé, dans les montagnes de Gabel-el-ared, vivoit un bon & fimple payfan. Son occupation étoit de conduire un petit troupeau, au travers des paflages des montagnes , d'une vallée a 1'autre, dans de fertiles paturages, prés des ruifleaux, &c des cafcades formées par les eaux qui fe précipitoient avec grand bruit de tous cotés du haut du rocher. • Canfu ménoit cette vie paftorale depuis fon enfance. Tout fon bien confiftoit en douze brebis dont il avcit foin lui-même, & quatre chèvres. cue fa femme trayoit chaque jour pour leur fubfiftance & celle de leur fils. . Si Canfu formoit quelque deur au-dela de fon état aétuel, il fouhaitoit feulement que Kelaun fon rils devint bientöt 1'époux de la rille de  ■!i5>o Les Contes liaask, un de fes voifins qui-défiroit auffi ce mariage. Dans cette intention, les deux enfans avoient été élevés enfemble dés leur plus bas age : lis avoient les mêmes amufemens; on leur affignoit le même endroit de la prairie pour jouer & fauter comme font les enfans de la campagne, pour tendre des filets, ou faire retentir 1'écho des montagnes, du fon de leurs ruftiques inftrumens. Mais Rélaun Sc fa compagne Gu^arate étoient d'un caraótère incompatible. L'un impétueux & fier ne pouvoit fupporter 1'humeur contrariante & impérieufe de 1'autre. Ils étoient fans celfe en difpute; & loin de s'aimer au gré des vceux ühammes de leurs parens, ils fe portoient une haïne opmiatre. Leur averfion avoit crü avec Ie tems i elle étoit montée au fouverain degré, lorfqu'ils furent en age d'être unis. Canfu, témoin de leur antipathie, Ia jugeoit un obftacle invincible a fes deffieins, l moins qHe le prophéte ne daignat changer leur cceur, Sc y mettre 1'amour a la place de la haine. II l'en conjutoit les larmes aux yeux; mais fa prière n'étoit point exaucée. II fe défoloit chaque jour davantage. Soncha-' gnn eclata en mutmures. Au-heu de fe foumettre aux décrets de la providence, il acCufoit le ciel  BES GÉNIES. Ip 1 de fe faire un plaifir barbare de le tourmenter en s'oppofant a fes defirs. Un jour qu'étanr aflis fur une pierre au bord du torrent, il gardoir fon troupeau, &c faifoic retentir les montagnes de fes murmures indifcrets, il appercut quelque chofe de blanc qui fuivoit le cours de 1'eau. C'étoit un corps nud que le torreiit emportoit, & qui lui fembla mort. Cependant, comme le cadavre étoit alTez prés du rivage, il crut pouvoir le tirer de 1'eau : il fe fer vit de fa houlette pour 1'approcher encore davantage &, quoique le torrent fut très-rapide j comme le lit en étoit étroit, & 1'eau fort haute dans ce paflage, il 1'en tira heureufement. Quand il 1'eüt amené fur le fable, il reconnut que c'étoit le corps d'une belle femme qui donna des fignes de vie dés qu'elle fut hors de 1'eau, &C recouvra affez vïte 1'ufage de fes fens. Le modefte Canfu la couvrit de fes propres vêtemens, & la porra fur le gazon de la prairie • pour y être plus commodément que fur le fable. Elle étoit déja entièrement revenue, & il ne fut pas peu furpris de voir fortir de chacune des, épaules de cette belle étrangère une efpèce de tnembrane étendue en forme d'aïles, au moyen defquelles elle s'éleva dans les airs, comme un aïgle qui va regarder fixement le foleil. Canfu fuivit des yeux le monftre ailé qui $'ei\$  ijl Les Contes vola au-deffus des rochers, vers 1'endroit ou ii 1'avoir retiré du torrent: le nouvel oifeau fit plu* fieurs fois le tour des montagnes, femblant chercher quelque proie. Bientöt après il appercut une autre figure dans l'air, que la femme attaqua; mais elle fut vivement repoufiee, & tomba une feconde fois dans le lac, oü le conducteur de troupeaux la vit encore fans mouvement, emportée par le cours rapide de 1'eau. Canfu , touché de compaflïon, vola a. fon fecours, & 1'ayant retirée aufli aifément que la première fois, elle reprit aulfi promptement le mouvement & la vie. » O Canfu! lui dit-elle, c'eft en vain que 3> je réfifte a un Génie d'une race fupérieure a Ia s> mienne. Sans vous, j'a-llois périr. Telle eft la 3> nature de mon être, qu'il fe diftbut dans 1'eau, 3> en moins de tems qu'il n'en faut au foleil pour n faire le tour de la terre. Je fuis de la race des » Genies, de ces Génies audacieux & indépenj> dans qui violèrent le fceau de Salomon, ik •> défobéirent aux ordres de Mahomet ». « Mon plaifir eft de m'oppofera Ia volonté du n prophéte. Vous m'avez vu toüt-a-l'heure aux 3> prifes avec le génie Nadoe qui s'acquittoit d'un 3» ordre dont Mahomet 1'avoit chargé. Nadoe, i> connoifiant l'imperfedion de ma nature, ne m'a  D E s GÉNIES. 19$ » ma attaquée que 1'orfqu'il m'a vu voler au » deftus du lac, oü il m'a précipitéc pour me » faire périr. Auffi j'aurois évité fa rencontre 35 dans un lieu dangereux pour moi, fi je n'avois 33 fu qu'il y avoit quelqu'un auprès du torrent qui 33 feroit aftez complaifant pour m'en retirer. Je 35 n'ignore pas que vous avez fujet d'être mecönsj tent du prophéte que je détefte. II rejette vos « prières ; il a mis une inimitié irréconciliable j3 entre votre fils & la fille de votre voilin. Eh 3: bien! ce qu'il vous refufe fi obftinément, je le sj ferai pour vous, a la feule condition que vous 33 acceptiez mes fervices. Car, fans votre confen33 tement, je ne puis rien en votre faveur. Mon jj pouvoir eft limité : il ne nous eft pas poffible 53 de tien faire, ni pour , ni contre les hommes , 3> fans le concours de leur volonré 33. « O Génie charmant! ó Génie fecourable! ré33 pondit Canfu tranfporté de joie & d'efpérance , 33 vous avez mon confentement. Uniifez mon 35 fils Kélaun a Gu^arate : faitesque leur mariage 33 foit heureux & fécond. J'accepte tout ce que 33 vous ferez en ma faveurtje ferai éternelle33 ment foumis a vos ordres 53. « Retournez donc gaiement a votre hutte, dit 3» Guiaraha : une partie de votre fouhait eft; m déja remplie 33. En achevant ces mots, elle étendit fes allesj TomeXXJX. N  ïj4 Lss Contes &c d'un vol rapide elle difparut aux yeux de Canfu. Le payfan étoit fort loin de fa cabanne; fon troupeau ne pouvoit pas aller auffi vite qu'il eut voulu. Il n'arrive au pied de fon rocher natal, que lorfque le foleil étoit déja. caché derrière les montagnes de Gabel-el-ared. Ses douze brebis tk les quatre chèvres marchoient devant lui. Sa femme qui avoit entendu & reconnu le bêlement de fon troupeau, vint a la rencontre de fon mari, avec d'aurant plus d'empreflement qu'il revenoit plus tard qu'a 1'ordinaire. « Le nombre de tes brebis eft complet, Iui» dit-elle, celui des chèvres 1'eft auffi. Mais, » a Canfu! oü eft ton fils? oü a-tu laiffé Kéj> laun »? « Kélaun ? répondit le père étonné, il n'eft pas » venu avec moi. Le chemin étoit trop difficile, » trop long, & la chaleur trop grande; je n'ai pas » voulu qu'il m'accompagnat >>. « Je le fai!5, fépartit fa femme; mais après la » grande chaleur , lorfque les ombres commen55 coient a croitre dans les vallées, Kélaun eft ss forti pout aller au devant de toi — >5. A ces mots, Canfu, interdit, fe rappela que c'étoit précifémenta cette heure qu'il avoit donné  DES GÉNIE Si 195 fon confentement a la belle Guiaraha pour le mariage de fon fils. « N'eft il pas chez GuftarttC) fille de Raaskt » répliqua le père irtquiet? Je vais y aller de ces ii pas is. La demeure de Raask n'écoirpas fort éloignée de la fienne ; il y arriva en peu de tems; mais Kélaun n'y écoit pas. Le pauve berger , accablé de fatigne, de chagrin & de retnofds , réfolut néanmoins de ne, prendre aucun repos qu'il neut retrouvé fon fils, iaiffa fon troupeau fous la garde de fa femme , &C alla chcrcher Kélaun dans les montagnes. ïl chercha toute la nuit, fans le trouven II re» vint a fa cabanne , le défefpoir dans le cceur. « Hélas! s'écrioit ce père défolé, j'ai moii> mêmeordonné mon malheur; j'y ai confenti, s> je Tai voulu. Guiaraha m'a fans doute enlevé » mon nis, mon nnique confolation, monunique „ bien. O coupable aveug'ement!.... Prophéte* » divin prophéte!... mais je n'ofe plus te prier. » Le malheureux Canfu s'eft ligué avec tes en„ nemis, & tu 1'as juftement livté a la perverfité » de fon cceur, a 1'indifcrétion de fes defirs Laiftons le coupable Canfu p'eurer fon crime & fon malheur; & fuivons les traces du jeune Kélaun dans les montagnes. Kelaun connoiftbit toutes les vallées & tous les Nij  19 e s G i n i b tl 197 plaifir a contempler la grande flame qui brilloit devant fes yeux. L'air rerentit foudain de cris percans ; & la monragne de feu fut environnée des Génies qui préfidoient a ce lieu. Guiaraha, la fiére Guiaraha, fupérieure aux autres en dignité, quoique de la même race, commanda que 1'on fit filence , & ouvrit la célébration de leurs myftères nocturnes, par la harangue fuivante. « O vous! Génies invincibles, qui réfiftez a » tour, excepté a I'élément deftrucftif de 1'eau, » voyez parmi vous un jeune enfant livré au pou» voir de votre art. J'ai le confentement de fon » père : j'ai tout pouvoir fur lui. Kélaun, fils de » Canfu, eft confié aux foins des Genies ennemis ,7 de Mahomet. Effayons, o race illuftre! eflayons » jufqu'a quel degré de petverfiré le cceur humain » peut parvenir fous notre diredtion. Conduifons» le dans notre palais, au centre de la terre; » enfeignons lui tous les crimes; inftruifons-le » dans toutes forres de vices. Qu'il foit le fiéau » des humbles fujets du prophéte de la Mecque». L'aftemblée entière applaudit a ce difcours. La vallée s'abbaiffa par degrès, defcendir avec les Génies & leur proie vers le centre de la tetre, laiftant les montagnes fufpendues par leurs en- chantemens. i Niij  ipS Les Contes Kélaun, furpris&interdit a cette vue , remplit l'air de fes cris inutiles. Son fort eft décidé. Son Coupable père 1'a livré aux mauvais Génies. Mahomet ne le tirera point des mains de ceux qui troublent fon empire, & haïïfent fon nom. La vallée s! arrêra a une cerraine profondeur. & par une fecoulTe violente, femblable a un tremblement de terre, elle fe placa elle-même au centre du globe. La vallée ne fur pas plutot fixée que les rochers qui 1'environnoient fe fendirent en plufieurs endroits pour former des efpèces d'arcades &d'ave-» nues irrégulières qui conduifoient aux différentes parties iutérieures de la terre. Dans un inftant, une armée horrible de mauvais Génies entra par toutes ces ouvertures; 1'endroit fut rempli de ces efprits malfaifans qui fe plaifent a tourmenter les hommes. Ils avoient pour chef le fier & prudent Allahoara, 1'auteur de leur rébelüon, le moteur de toutes leurs machinarions contre le genre humain. Sa voix reffembloit au bruit épouvantable du tonnerre , lorfquil retentit dans les montagnes : fes yeux enflamés ccinceloient comme les feux de 1'éclair, Le jeune Kélaun penfa mourir de frayeur en le voyant, La cruelle Guiaraha fe plaifoit a le voir  DES GÉNIES. T99 tremblant comme la feuille des peupliers que Ie vent agite. Allaohara, qui n'ignoroit pas le préfent que lui avoit apporté fa fee ar Guiaraha, loua beaucoup fa fidélité, & la ptopofa pour exemple aux autres Génies; puis il donna ordre qu'on élevat convenablement le jeune homme , & qu'on fe hatat de le former \ 1'emploi dont il avoit deffein de lè charger, dès qu'il feroit en état de le remphr. Guiaraha fut nommée fa gouvernante. Cet honneur lui appartenoit de droit. Elle le conduifoit elle-même aux diverfes écoles de ces êtres méchans,felon 1'ordre cYAllohara : il y avoit des maitres pour tous les crimes. Après ces arrangemens, la troupe immonde fe difpetfa de tous cctés dans les entrailles de la terre, pour aller vaquer chacun a. fes fon&ions particulières , bien réfolu de ne rien épargner pour former promptement le nouveau néophyte. Guiaraha reftée feule avec fon cher difciple, le conduifit par un chemin voüté dans un magnifique appartement richement meublé : toutes les richeffes y étoient prodiguées : elle s'attachoit a lui en vanter le prix. Elle lui infpiroit encore plus d'orgueil en lui répétant fans ceffe qu'il étoit un petit dieu, & que tous les Génies le regardoient ainfi. Kélaun fe plaifoit dans ce lieu brillantdor & de pierreries. II écoutoit avidement les balfes Niv  aoo Les Contis flatteries de fa gouvernante, & commencoit a U croire. Sa vanité croilToit chaque jour. II étoit plein de fa propre excellence : toutes ces penfées étoient concentrées dans lui-même; les Génies de la terre n'étoient plus pour lui que des efclaves fairs pour Ie fervir. Guiaraha le concha mollement fur un fopha, oü elle 1'abandonna au fommeil, & préfenta a. fon imagination une vifion de la nuit. Kélaun vit en fonge fon père Canfu fur les rochers de Gabel-el-ared. Son vifage avoit la forme d'une abime ténébreux : fa voix fortoit de ce gouffre avec le bruit des vagues qui fe précipitent de profondes cavernes. II reprochoit a fon fils fa vaine rriagnincence, fon prgueil, fa préfomption, & lui ordonnoit de reprendrefon habit de berger, & de fuivre fes douze brebis jufqu'au prochain ruiiïeau. Le jeune Kélaun fe réveilla, tout effrayé de cette vifion qu'il raconta auffi-tbt a 1'artificieufe Guiaraha. « Père fimple & groffier, s'écria Ie Génie! » pauvre & ruftique Canfu ! berger trop fimple; » Kélaun, le favori des Génies, le dieu Kélaun » doit-il fe laiffer ébranler par un fonge? Doit-il » encore s'inquiétet des paroles d'un père mortel ? » Doit-il fonger qu'il y ait au monde un homme  BES GÉNIES. iOl » tel que le pauvre berger Canfu ? Non mon » fils; oubliez les lecons que vous donna ce con» duóteur de chèvres : oubliez les contes de vos » indignes parens. Vous êtes appelé a de plus » brillantes deftinées. Kélaun eft né pour com,■> mander. Un roi doit-il recevoir des inftruc33 tions de la pauvreté & de 1'ignorance » ? Guiaraha prit alors le glorieux fils de Canfu par la main : après 1'avoir habillé plus fuperbement encore qu'il ne 1'étoit, elle le mena dans une perite prairie, oü il vit un nombre prefque infini de lutins Sc d'efprirs follets qui jouoient enfemble. Ils le faluèrent avec beaucoup de refpeét, louèrent 1'élégante beauté des plumes qui ornoient fa tête, Sc la richefTe de la robe dont il étoit revêtuï Ils firent mille jeux Sc mille tours pour Pamufer. Les uns apportèrent a fes pieds de petits animaux de toutes les fortes, qu'ils tourmentèrent en mille manières, fe faifanr un plaifir méchant de les voir fouffrir, Sc encourageant le jeune Kélaun a en rire comme eux. D'autres abattoient Sc brifoient tout ce qui fe rencontroir devant eux. II y avoit un peut lutin dans la troupe, beaucoup plus malin que tous les autres, il exercoit fon humeur cruelle fur fes camarades, Sc vouloitque Kélaun 1'imitat. Le difciple entra aifémenr dans les fentiniens fcroces de eet efprit deftrudeur; comme s'il fut  i®i Les Contes tout-a-coup devenu maitre en fait de méchanceté, il commenca par effayer fon humeur barbare fur celui même qui lui avoit donné ce confeil. II 1'auroit peut-être même exercée fur la perfonne de fa gouvernante, fi elle n'avoit jugé a. propos de la réprimer par le pouvoir de fon arr magique. Enchanrée des progrès qu'il avoit faits en fi peu de tems, elle le mena dans un antre qu'habitoit une vieille forcière maicreffe confommée dans toutes fortes de fcclératefles & d'abominations. «< Morad, dit le Génie, je vous amène un élève » qui demeurera quelque tems avec vous. Je » vous prie de Pinftruire dans toutes les rufes de » votre art. Qu'il devienne un inftrument propte » a tourmenter Ie genre-humain ». La forcière Morad frappale jeune Kélaun d'une de fes potences. Il tomba rudement par terre, cria & pleura. Sa compatiffante conductrice le releva & difparut. « Petit miférable, lui dit la forcière, quitte » d'abord ces vains ornemens, prends cette » ciuche, & va - t-en me chercher de 1'eau au s> ruiffeau : j'ai foif ». Kélaun étoit trop bien éduqué pour obéir. Guiaraha 1'avoir guéri en le touchant, du coup que lui avoit donné Morad : il refufa de faire ce qu'elle vouloit, & appela fa gouvernante a fon fecours. Ce fut en vain. La vieille forcière, faifant  DES GÉNIES. ÏOJ mille imprécations, le traïna par les cheveux dans iin folfé fangeux, d'oü elle lui ordonna de tiret de 1'eau pour elle & pour lui, Le pauvre Kélaun, fentant qu'il réfifteroit en vain a un pareil caracfère, remplit la cruche de 1'eau bourbeufe de ce fofle, Sc Tapporra & i'antre de la forcière qui le régala d'un rr.orceau de charogne. « Les lecons de la pauvreté & de la néceffité» » ont deux effets oppofés, lui dit-elle. Elles, » rendent les hommes compatiiïans, ou elles les » rendent cruels. Le chien qui fouffre eft foumis » & careftanr : le tigre bleflfé devient furieux, v remplit les bois de carnage, & s'abreuve de » fang jj. '< Que la fureur du tigre foit mon partage, 35 dit Kélaun; Sc Morad en reflentira les effets35. « Les vceux de Morad fonr des imprécations 53 horribles , répliqua la forcière, Apprends a me 55 connoitre ». ' Elle prend aufli-rbt le malheureux fils de Canfu, Sc le jetce dans une cave remplie de corps morts, en lui difant: « Va apprendre a te repaitre de chair humaine. sj Tu pafleras la nuir au milieu de ces cadavres 3» enfanglantés. Prépare-toi a fouffrir demain de 53 nouvelles tortures >5. Quoique le cceur de Kélaun fut déja fait aux  2e>4 Les Contes horreurs du crime, au moins jufqu'a un certain point, il recula de frayeur a. la vue de ces cadavres entaffés, victimes de la rage de Morad. II veut fortir de la cave, & préfente ia tête a l'ouverture. La forcière le faific par les cheveux, & 1'y précipite avec plus de violence que la première fois. Elle prononce quelques paroles magiques; & par la force de fon enchantement il refte fans mouvement, Ie vifage collé fur celui du cadavre le plus infect. Le petit lutin s'accoutumabientot a cette étrange fituation : il put même fe repaitre de ce corps fanglant dont il dévora une partie. Morad le croyant fuffifamment inftruir, le renvoyaau Génie Guiaraha. « Morad eft-elle contente de fon élève, den manda Ie Génie ». « Oui, répondit la forcière. Je fuis contente »» de Kélaun : il eft en état de recevoir des lecons y> de fraude & d'hypocrifie ». Guiaraha le conduifit alors dans 1'épaiffeur d'un bois, au milieu duquel vivoit le vieux & décrépit Nervan. « Nervan, ami conftant des Génies indépenj> dans, dit Guiaraha en lui préfentant Kélaun; jj recevez ce jeune homme pour votre difciple: ■>■> donnez-Iui des le$ons de fraude &c d'hypor s> crilie )?.  DES GÉNIES. 20J Nervan remetcia le Génie Sc lui promit de former en peu de tem-s le jeune homme confié a fes inftru&ions. ii conduific Kélaun dans fa celluie qui étoic toute batie d'os & de cranes. " (Ja , dit le vieillard, le petit lutin mortel » eft-il content de ma demeure? Que lui en » femble ». « ii me femble, répliqua le difciple , que >j Morad a dévoré le cadavre, Sc quelle en a » laifle les os a Nervan ». " Ainfi penfenc les fous, continua le veillard. >» Ce que 1'ceil juge, ils le croient : leurs efprits » fe lailfent aveuglément conduire par les fena. n Une telle route ne t'élevera pas au-deifus des >■> autres mortels, prends cette éponge, Sc la palfe » fur res yeux ». Kélaun prit 1'éponge que Nervan tira de delfous fa robe, Sc Fazant paifée fur fes yeux, felon 1'ordre du veillard, la celluie mortuaire difparur, Sc fut lotidainement remplacée par une grande & fuperbe mofquée, omée de riches tombeaux de fulrans Sc de prophètes. Nervan fe profterna devant un des tombeaux, Sc avertit le fils de Canfu den faire autant. Kéiaun ignoroit quelle étoit cette efpèce de culte, & a qui il le rendoit, Cependant il imita la dévote cérémonie de Nervan. Quand le vieillard eut achevé fa prière, &  io6 Les Contes qu'il fe fut levé, le jeune homme lui demanda pourquoi le fervitear des Génies ennemis de Ma** kornet adoroir dans ce temple. « Ainfi parient les fous, répondit Nervan. Ce » que i'ceil juge, ils le croient ft upitlement: leurs » efprirs fe laitTent avtuglément conduire par les s> apparences fenlibles .j. « Sache donc, homme ftupide, qui nages fur jj la fur face du lac, & ne vois pas ce qu'il y a de jj caché dans le centre des rochers, fache que la jj fuperftirion eft ce qui offenfe le plus Alla &c jj fon prophéte, & que 1'hypocrifie eft de tous >> les vices le plus dangereux, le plus propre a j> porter des coups terribles au genre-humain. jj Que les crédules feöareurs de Mahomet te jj croient plus dévöt qu'eux; qu'ils te voient te » proftemer fouvent devant le tombeau du proj> phète. Ce vernis de religion transformera tes jj vices en vertus. Animé d'un fougueux enthou-* jj fiafme tu feras paffer les plus noires aótions jj pour des infpirations facrées ». « La crainte fuperftitieufe affervit les efprits jj foibles. Celui qui croit fans raifon, aveuglé»j ment, & paree qu'on lui dit de croire, eft jj comme le fable du tivage qui fuit tous les jj mouvemens du vent qui 1'emporte jj. A ces mots, Guiaraha parut, & dit: « C'eft aftez, Kélaun} c'eft aftez : te voila  DES GÉNIES. I07 53 fuffifammenr inftruit. Tu recus de la nature » un cceur porté au crime. Tes parens ont permis que nous cultivaffions ce mauvais penchant. s> Nous avons appris a t'y livrer fans mefure. Te ss voila propre a faire le malheur üu monde. Tu 33 viendfas dés aujourd'hui avec moi dans les 33 états du calife de Bagdat, pour y faire tes »3 premiers elfais ». Elle le pric par le bras, & dans un moment ils furent tranfportés au milieu du palais de Bagdat. Ils étoient dans le plus bel appartement da palais : Kélaun appercut un jeune homme qui repofoit fur un fopha. ■ « Kelaun, dit le génie , tu vois 1'unique hé33 titier du Calife. jj Oui, répliqua-t-il ; mais je a'ai point j3 de poiion pour 1'endormir d'un fommeil éter33 nel. Que j'aurois de joie a commencer par »3 ce forfait , 1'exercice de mon glorieux em>j ploi ! 33 Notre pouvoir ne s'étend pas jufques-la; 33 réparcit fa conductrice. S'il nous étoit permis 33 de goUverner a notre gré les hommes foumis 3> a. nos machinations, fi nous pouvions tout33 menter les croyans, felon notre bon plaifir , >3 nous aurions mille fortes de poifons au lieu is d'une, 3c bien d'auttes moyens de nous en  aoS Les Contes » défaire ; mais comme nous contrarions en » tout Mahomet, que nous déteftons , il s'op» pofe auffi de fon cóté a nos defieins , & arrête » fouvent les efFets de notre méchanceté. Kélaun » n'auroit point eu 1'enrrée de ce palais, fi » Raai cour, le hls du Calife n'avoit pas négligé » de faire fon pélerinage au tombeau du pro» phète. Sa faute le livre en vos mains , a con» dirion toutefois que vous n'attenterez pas a » fes jours. C'eft pourqnoi je le protégerai, & je » vous donnerai fa iïj Le génie s'enfuit, fans rien répondre. II recoiv üut que l'efprit du prophéte parloit par la bouche de Kélaun. Öutré de dépit, tranfpotté de rage, il fe précipite dans les abimes de la terre, vallées ténébreufes de la mort, Cependant, les muets & les eunuques ouVrirentl'appartement oürepofoit Paalcour. Trompés par 1'apparence , ils fe profternèrent devant celui qui tenoit fa place. Les eunuques lui dirent: « La mort a fermé jj les yeux de Zimphrah. Le Calife de Bagdat., M ton illuftre père , eft monté au neuvième cieh » Les Houris lavent fon précieux corps dans une >j rivière de lait. A fon approche, les vierges jj immortelles ont orné le paradis de guirlandes j> nouvelles. II a paffe le gouffre de feu , fans en jj recevoir aucune atteinte. II eft honoré comme jj le chef de la race des croyans. jj Kélaun entendoir la voix des eunuques , mais il ne les voyoit point. De leur cóté , ils furent furpris de voir le feinr Raalcour fnarcher a tatons, comme un homme qui a perdu la vue. Tome XXIX. O  ïto Les Contes « Hélas! s'écrièrent-ils, quel funefte accident n afflige notre feigneur ! Pourquoi refufe-t-il de j> laifler tomber fes regards fur fes efclaves prof»j ternés ? Toute la ville airemblée autour de ce 39 palais, appellc le nouveau Calife ; & Raalcour j9 ne voit point fes efclaves qui le nomment »j leur mairre. 39 Je recois leurs hommages , dit Kélaun ; »3 pour première marqué de leur attachement , » qu'ils fafient leurs efforts pour rendre la vue a. »3 leur nouveau Calife. Dites que je promets les 99 plus grandes récompenfes a ceux qui pourront 33 me rendre ce fervice. 39 L'ordre fut exécuté. Pendant fept jours les héraults proclamèrent au fon des trompettes & des tymbales , les grandes récompenfes que le Calife de Bagdat promettoit a celui qui pourroic lui rendre la vue. Les médecins accoururent en foule au palais. Les plus habiles oculiftes promirent de guérir le Calife aveugle. Mais après bien des opérations répétées , Raalcour ne vit pas mieux qu'aupatavant. Le Calife, outté de colère, ordonna qu'on mït a mort tous ceux qui avoient enrrepris de lui' rendre la vue, fans pouvoir y réuflir. Ainfi furent payés leurs fervices. Chaque jeur voyoit de nouvelles exécutions..  des Genie $. in La ville défolée pleuroit la mort de fes fages. Les yeux du Calife étoient toujours couverts des I mêmes ténèbres. Perfonne ne s'offroic plus pouc j le fecourir. Au bout de quelque tems , un jeune homme en habit de médecin fe préfenta a la porte dii palais , demandant que le Calife voulut bien éprouver fon favoir. Les efclaves du férail furent fachés de la demande de ce nouveau prétendant. Lalfés de voir couler le fang des plus habiles dans l'art de guérir, ils lui confeillèrent de ne pas entreprendrö | cette cure, ajoutaiit que la mort feroir la récompenfe de fa témérité , que la ville étoit inoiidéè j du fang de fes pareils. Le jeune médecin ne répondit que pat un I foutire. Il les pria de ne fe point défiet de fon 1 favoir , & de le préfenter incontinent au Calife. II fallut fe rendre a fes inftances. Les eunuques I le firent entrer dans 1'appartement du Calife , i avec le même chagrin que s'ils 1'eulfent conduit ; a la mort. Le médecin falua Ie Calife fuppofé. Celui-ci, fans répondre a fon compliment , lui ordonna I d'opérer fans délai, de lui rendre la vue a Pjnf| tant, ou de préfenter fa tête aux bourreaux qui I 1'a'ttendoient. Ces mots firent frémir l'a(femblée. Le jeune O ij  iii Les Contes' homme tira tranquillement de fa poche une pe* tice boite remplie d'une poudre qu'il foufïla fut le vifage du Calife , & il fut guéri. Les courtifans jetèrent un grand cri de joie.' Le Calife , furpris Sc charmé de revoir la lumière , regarde avec une joie mêlee de refpecï celui qui venoit de lui rendre la vue, Sc lui ea rharqua fa reconnoiuance en ces termes. cc Que ce médecin foit honoré de tous mes 'j> fujets. Qu'il commande aux vifirs Sc aux grands » de mon royaume. Que fon nom foit pro„ noncé avec louauges , avec mille bénédiclions, „ Que chaque jour ajoute a fa gloire. Mon ami „ continua-t-il, en lui adteffant la patole, quelle » récompenfe exigez-vous de moi ? Que defire » votre ame ? Parlez , demandez - moi ce que » vous voudrez. La moitié de mon royaume « eft a vous , fi vous voulez 1'accepter pour j> prix du fervice que vous venez de me rendre.' „ O Calife ! répondit modeftement le jeune „ médecin, je fuis bien éloigné de défiter les » honneurs, ni les richeffes. II n'appartient point „ i une fimple payfanne comme moi , de figu» rer parmi des courtifans. Pardonne • moi feu„ lement un déguifement que je n'ai pris que » pour te rendre la vue. Le fuccès de mon en„ treprife me fuffit pour récompenfe. » En prononcant ces derniers mots, le faux mé?  BES GÉNIE SÜ 2IJ' üecin fe découvrit le fein , & Kélaun reccnnut qu'il parloi: a une belle femme. " Que je m'eftime heureux , dit le Calife, de » pouvoir récompenfer dignement mon aimable » médecin ! Oui, belle étrangère , qui que vous r foyez, vous ferez la fult-ane de mon cceur. Pat< n tagez avec moi la gloire Sc les plaifirs attachés jj au diadême. » La belle étrangère tomba aux pieds du Calife, « & après un moment de filence, elle lui adrefla » ces paroles. » Que je fois la dernière de tes efclaves, ö n magnifique feigneur ! C'eft oü afpire Punique n fouhait de Gu^arate , fille du payfan Raask , » qui habite dans les montagnes de Gabeln el-ared. » Je ne connois pas les montagnes dont y> vous parlez , répondit Kélaun. Mais le pa» radis feroit honoré d'avoir donné naiffance jj a mon aimable fultane. Pourquoi laiffé-je plus jj long - tems a terre un précieux bijou dont jj j'ai téfolu d'embellir ma couronne. Oui , »j charmante bienfaitrice, foyez dés ce moment jj la mairreffe de mon cceur , Sc la reine de j> Bagdat. »» Seigneur , dit Gu^arate , il eft étonnant jj que le ptince Raalcour ne connoilfe pas les jj montagnes de Gabel-el- ared, oü je I'ai vu fi Oiij  2i4 Les Contes >, fouvent chafler le tigre féroce au travers des » rochers qui dominent la demeure de mon père , & les vallées ou il va paitre fes brebis, ss O prince ! comme mon ceil avide fuivoit la >> tracé de vos pas divins ! Ne vous föuvient - il i, plus du jour oir, plus fatigué que de cou» tume , vous demandates a ma mère un peu i5 d'eau pout étancher 1'ardeur de votre foif, >» Alors elle envoya votre efclave Gu^arate chec« cher du lait de fes chèvres. Oui, feigneur, s> je vous vis fourire a mon approche, & vous sj me priates de me hater de vous fervir. » Le fils de Canfu ne comprenoit rien a ce dik cours. Le génie Guiaraha lui avoit óté le fouvenir du paffe; ou plutbt, il n'avoit jamais fu ce que le vrai Raaicour ayoit fait avant fa métamorphofe. ft Hélas ! ma princefle , répondit Kélaun, je 33 perdis , avec la vue , la mémoire du paffe. 11 » n'eft pas étonnant que je ne me fouvienne 3, plus de mes courfes dans les montagnes dont 53 vous parlez. J'avois oublié mon état même , 33 lorfque mes efclaves vinrent m'annoncer mon, 3, avènement au tróne des Califes, mes ancêtres ? 33 mon fidéle eunuque fut obligé de m'apprendre sj mes titres. Mais, foit que vous foyez née a 33 1'ombre du tróne , ou fous un tolt ruftique; 3> foit que vous, (oyez une précieufe. éméraude  DES GÉNIES. H5 n arrachée des entrailles de la terre , ou 1'éroile » du matin foftie du palais brillant du foleil , „ vous êtes digne de moi. Vous tirez votre éclat « de vous-même , & navez pas befoin d'une » grandeur étrangère. Mais , dires-moi , pat » quel arr avez-vous pu me rendre la vue ? Vous » avez fait un prodige que les plus habiles més> decins de mon royaume avoient renté inuti» lement. Qui vous a ouvert les tréfors de la » médecine ? Ou une fimple villageoife comme » vous , a t-elle puifé des connoilfances qui fur« palfent celles des fages qui ont étudié tout» » leur vie dans les cités. » GuT&arate répondit : « Le Calife de Bagdat » entendra fon efclave lui dévoiler tous les fe» crets de fa fcience. « Plufieurs lunes s'étoient palfées depuis que » j'avois vu mon prince , le glorieux Raalcour, » chalfant dans les montagnes, lorfque j'appris, 5> par une caravanne qui voyageoir par nos can» tons, que le calife Zimphrah n'étoit plus, Sc » que fon fils venoit d'ètre proclamé fon fuccef» feut. Les voyageurs ajoutèrent que ceux qui » lui avoient annoncé cette nouvelle , 1'avoient » trouvé privé de 1'ufage des yeux, & qu'il pro» mettoit de grandes récompenfes a quiconque s> pourroit lui rendre la vue. » Je délirai de pouvoir opérer cette guérifon : OLv  *ï qua-felle ? Éft-tu folie de fotmer un pareil fou. ft hair ? Pourquoi voudrois-tu avoit la fcience » des fages ? » Alors |e demandai a ma mère fi elle ignoi wroit que le Calife, notre maitre , languiflbie « dans les réhèbres de 1'aveuglement ; & qu'il « avoit promis de récompenfer magnifiquement ft celui qui le guériroir. « Fille orgueilleufe ! Vaine Gu^arate l me ft répondit le femme de Raask , comment une « pauvre payfanne peur elle s'occuperdes pompes ft & des grandeurs de la cour j Hélas ! je vois " bien que ma fille renonce au bonheur, depuis ft qu'elle a vu le train magnifique du prince * Baaicour; peut-être ofe-t-elle porter fes dev firs ambitieux jufqu'd fa perfonne royale. Va, j» Petice orgueilleufe , fouviens toi de ta baf-, » feife , & de 1'état de tes parens ; va paitre » Ifs chèvres dans les montagnes de Gabel-eb » ared, n  DES G'É N I E S." "7 i> Ma mère irritée , m'ordonna d'aller garder » les chèvres de mon père , de peur quelles » ne s'égaraflent dans les détours des monsj tagnes. « J'obéis a ma mère. Mes pieds obéirent a fa „ voix; mais mon cceur lui réfiftoit. Je m'enfuis „ comme un léopard fur les rochers ; 1'image du „ Calife, toujours préfente a mon efprir, me ss fuivoit par-tout. 33 La vue des chèvres de mon père ne me fit „ fouvenir de la baiTe condition de mes parens, » que pour en avoir home. Pourquoi , difois-je » en foupirant , pourquoi la nature a-t-elle mis » les ames ambitieufes fous le joug de la vied» leffe & de 1'autorité ? Pourquoi 1'aótivité de la „ jeuneffe & 1'amour du plaifir, qui lui eft fi na» rurel, font ils éteints par les apres lecons de 5, 1'infirmité ? Le lionceau ne fe précipite-t-il pas »3 avec plus de fureur fur fa proie , que le roi *, des bois affoibli par le nombre des années ? ,s Le jeune poulain précède fa mère a la chafle. 3s Pourquoi donc Gu-tfarate confumeroit-elle les belles années de fa vie dans les viles occupaj> rions de la femme de Raask ? » Lorfque je m'occupois de ces penfées, j'ap>, percus une jeune bergère qui s'avancoit vers „ moi d'un pas alerte. Elle avoit un chapeau de „ fleurs fur la tète, & des guirlandes ornoient  MS Les Contes » fa parare. Elle danfoit aux accords charuians » d'un haurbois dont elle jouoit divinement, 35 Sc auxquels fuccédoit par intervatjes la douce »3 mélodie de fa voix. Son troupeau, fenfible a 33 fes accens harmonieux , fembloit pactager fa * gaieté. jj Quand la bergère fut a une certaiue diftance 33 de moi, je me levai pour danfer avec elle. Elle 33 fourit en me voyant, Sc commenca ainfi fes 33 railleries piquanres : ss O compagne élégante des brebis Sc des chè>3 vres! comment peux-tu te plaire ainfi dans le 33 fein faftueux de tes nobles parens ? 33 Heureufe villageoife ! beureufe monra33 gnarde ! heureufe Gu\^arate ! qui met fon 33 bonheur dans 1'obéiffance. Mais plus heu33 reufe la femme de Raask d'avoir une fille fi >i douce ! ss Ce difcours fut accompagné d'un fourire 33 malin ; puis elle ajouta : Gu^arate , humble 33 Sc docile Gu\\arace , fuis tes chèvres , prends 33 garde qu'elles ne s'égarenr , vois une de tes 33 compagnes prête a tomber dans un précipice. si Je vis en eftet une des chèvres qui éroit 33 tombée daus un fofte profond. Mais le dif33 cours de la bergère m'avoit piquée. Belle érran3» gère , lui dis-je , tachez plutót d'adoucir mes 33 malheurs que de les augmenter par vos raille-  BES GÉNIES. 119 »» ries amères. Ayez pitiez de mon ennui. Aia» dez-moi de vos confeils. Montrez - moi les v moyens de parvenir a une vie plus brillante , " telle que mon cceur la defire. j> Elle me fit promettre de fuivre fans reftricj> tion les confeils qu'elle me donneroit, Jurezj> moi, dit-elle, d'obéir a. ma voix, comme sj vous avez fuivi jufqu'ici les ordres de la ss femme du pauvre Raask, »3 Je le jure , lui dis-je : délivrez-moi feule3j ment de cette miférable condition. Je n'ou33 blierai jamais les graces que j'attends de ;j vous. » Eh bien ! répliqua la bergère, retournez a. ss la maifon de votre mère, & n'exécutez aucun 35 des ordres qu'elle vous donnera. Si vous êtes 33 fidelle a. ce premier précepte , revenez me 33 trouver dans trois jours. Je ferai ici dan? ce 33 même lieu ou je vous parle. 53 Ayant dit ces mots, elle reprit fon hautbois 33 & s'enfuit dans les rochers , comme elle étoit 33 venue, en danfant & en chantanr. 33 Je revins a la nuit, chez ma mère. Elle m'or53 donna de préparer un chevreuil pour notre 33 fouper. Je la laiffè dire & n'en tins aucun » compte. Je me piquai de tenir parole a la belle sa bergère qui m'avoit fi bien inftruite. 33 Mon père étoit abfent. Sa digne moitié fe  fcio' Les Contes ij mit dans une furieufe colère contre moi. Elle 33 appela fon voifin Canfu , pour Paider a s* dompter Pobftination de fa fille défobéifj3 fante. 33 Ce monftre des montagnes prit plaifir a me » tourmenter. 11 me traina par les cheveux hors jj de la maifon de ma mère , 8c m'attacha a. un :3 tronc d'atbre , devant la porte. » lei le Calife indigné interrompit le récit de Gu\\arate , pour lui demander qui étoit ce miférable Canfu, qui avoit ofé traiter fi cruellement fa chère 8c belle fultane. Elle pourfuivit ainfi : « O prince de ma vie ! jj n'avez-vous donc jamais ouï parler des cruautés 3» de ce Canfu, ce vil payfan des montagnes 33 de Gabel-el-Ared ? Peu fatisfait de m'avoir fi mal traitée , il porta plus loin fa mé33 chanceté , digne du plus cruel habitant des 33 forêts. 33 II irrita mon père contre moi. Raask de re33 tour , apprenaot mon obftination, fit revenir Canfu pour me mettre a la raifon, ainfi qu'il 33 parloit. Je lui dis que les tourmens qu'on me 33 faifoit fouffrir étoient inutiles; que j'étois en33 nuyée d'une vie ruftique 8c groflière ; que je « voulois vivre comme les dames de la ville. Je »3 fus indomptable fur ce point. 3* Mon père fe mit dans une furieufe colère  ©ES GÉNIES. 221 ** contre moi. La furenr étoit dans fes yeux : il « me reprocha mon orgueil en ces termes: com» ment ! fille dénaturée , tu méprifes la vie de » tes parens qui te nourriffènt, & de tes amis qui » te recherchent. Eh bien! pour t'en punir , 1'a» mitié que j'ai eue pour toi va fe tournet en « haine, & les bontés que notre volïin Canfu ce » témoigna, fe changeront en malédiótions, en » fureurs , fur ta tête coupable. Nous verft rons ■s'il n'y a pas moyen de dompter ton arro» gance. » Le cruel Canfu ajoura : oui, mon ami, je » faurai bien vaincre 1'obftination de cette mau» dite fille. Le cceur des parens fe laiffe toucher » par les larmes de leurs enfans. Un ami eft plus » propre a les corriger. » Mon père me livra aux mains du monftre w Canfu qui me traïna dans fa chambre , hors » de la préfence de mes parens. » Dés que j'y fus arrivée , il me préfenta a fa » femme, en 1'exhortant a me traiter comme » mon caraétère impétieux le méritoit. Car cette » ame de boue n'avoit aucun fentiment de la » grandeur, & mes nobles défirs lui fembloient » des crimes. » Tiens, ma femme, dit Canfu, je t'amène » la fille défobéiffante de Raask : venge-toi fur » elle de la perte de ton fils. C'eft elle qui l'a  irz Les C otites „ perdu. Ce font fes manières dates & tapé* » rieufes qui Tont fait fuir. „ Sa femme auffi méchante que lui, com„ menca par vomir mille imprécations contre „ moi: elle rri'accabla de coups, & fa rage ne » fe ralencir que lorfquelle me vit tornber a terre « oü je nageois dans mon fang. » J'en jure par les mauvais Génies , dit le faux i, Calife, Canfu, le cruel Canfui & fadéteftable « femme, expireront dans les tourmefts. J'm» venterai de nouveaux fuppüces, pour leur faire 5> expier leur barbatte* Puis adreffimt la patole a fes eunuques, il ajouta : « Qu'on traine par les cheveux ces miü férables, le long des montagnes, jufqua la ville, „ qu'ils comparoiffient demain au Divan , qu'on „ dreffe un échaffaud, que tous les habitans » de Bagdat foient té moins de leur chati35 ment. „ Ils le méritent, répondit Gu^arate, en fe „ profternant devant le faux Raalcour. „ Ainfi doivent être traités les ennemis des „ juftes, qu'ils périffent. 53 Continuez votre récit, aimable Gu^arate, „ dit le Calife en la relevant. Je frémis l la pen, ,,'fée des tourmens auxquels vous êtes échap55 pée; mais j'efpère vous les faire oublier par - des douceurs qui les furpaueront.  DES GÉNIES. 2l| " * Gu\\arate reprit ainfi: « Canfu Sc fa femme » me malttaitètent pendant deux jours. J'avois 53 formé des projets de vengeance, pendant la » nuit qui précéda la troifième. Canfu fortir dés 33 la pointe du jour pour paitre fes brebis. Sa ^3 femme fe leva pour me battre , comme a 1'or33 dinaire. Je lui réfiftai, Sc ma rage augmentant '33 ma force, je lui rendis avec ufure les coups ss qu'elle m'avoit donnés. Elle appela au fecours, 33 Perfonne ne vint. L'ayant laiffé ademi-morte-, » jem'enfuis dans les rochers, vers Pendroit oü 33 j'avois vu auparavant 1'aimable bergère qui sj m'avoit promis de revenir dans trois jours. 33 J'ignorois oü Canfu gardoit fon troupeau, Sc 9' je craignois de le rencontrer. Je fus affez 33 heureufe pour 1'évirer. 33 Le foleil commencoit a palir. J'appercus ma 33 bergère , elle tenoit en main une petite boite, 33 Sc un paquet de hardes. 35 Dès qu'elle fut auprès de moi, elle me dit j3 d'un air gai : ma chère pupille , puifque vous j3 avez eu 1'efprit de fortir des mains cruelles 53 qui vous tourmentoient, prenez eet habit, 33 c'eft celui d'un fage de Bagdat; Sc cette boite, 33 templie d'une poudre falutaire. Allez a la ville, 33 demandez a parler au Calife. Soufflez un peu '? de cette poudre fur fes yeux, Sc il recouvrera Ia 33 vue.  3.24 Les Contes ,y Auffi tot elle m ota mes habits de payfanne? ,1 me déguifa en médecin , me donna la boite &C „ me toucha. En un clin-d'oeil je fus tranfportée » dans les mes de Bagdat, devant le palais de » mon feigneur. „ Une foule de peuple s'affembla autour de » moi. Ces gens étonnés de me voir, crioient de .« toutes leurs forces: es-tu donc refté feul de „ nos fages, ou bien es-tu étranger ? Si tu l'es„ & fi tu ne fais pas rendre la vue a un aveugle, „ fors de la ville, ou prépare-toi a mourir. „ Je réponds tranquillement que je venois „ rendre Raalcourï fes efclaves; qu'ils alloient „ revoir fes beaus yeax fermés a la lumière. J'entrai dans le palais de mon feigneur, &C „ les eunuques m'introduifirent devant le glorieus „ Calife de Bagdat. » Le prince fatisfait , dit a Ga-Karate que ce jour étoit doublement cher a fon cceur, paree qu'il recouvrolt la vuë , & qu'il recevoit un objet digne de fon affedtion. II prit la princeffe par la main, &la fille ambitieufe de Raask fo proclamée fultane de Bagdat. En même tems les eunuques exéentoient les otdres du Calife, On élevoit un échafaud devant le palais, 6c une troupe de gens armés étoit for- tie  x> i s G i n t e s; tie de la ville, pour fe faifir de Canfu & de fa femme. Les foldats n'arrivèrent a la cabanne que bieri avant dans la nuit. Ils ftappèrent a la porte, ea appelant Canfu. Celui-ci ayant regardé au travers du treillis avant que d'ouvrir, appercut les foldats du Calife. Saifi de frayeur a cette vue, il s 'écria : « Gé» niesde l'air, oü eft mon fils Kélaun? Sont-ce » la vos promelfes ? Hatez-vous de fecourir 1'in»» fortuné Canfu. Je fuis perdu fi vous ne venez i » mon fecours. » A la voix tremblante dü payfan , Guiaraha. parut & lui dit; « Que demande mon fidele ferviteur Canfu? » Hélas! répondit-il, les foldats du Calife font » i ma porte ; tu fais , 6 Génie bienfaifalit, que » ce font des inftrumens de mort. » Ne ctains point, répliqua le Génie ; je n'oü» blie pas mes promeffes : mes paroles ne feront » point vaines. Tu verras tón fils Kélaun dans les » bras de 1'impérieufe Guftarate. Ne m'en de» mande pas davantage. Souviens-toi que tes » defits fe font bornés a voir Kélaun ton fils , n matié i Ia fille de ton voifin Raask. C'eft auffi » tout ce que tont promis les Génies de l'air. Si » ton fouhait eft accompli, quas-ru a defirer dart vantage ? Que les defirs des mortels viennenr Tome. XXIX. p  2ij de folie oa de prudence , c'eft de quoi notre jj race immortelle ne s'inquiète guère , pas plus jj que des moyens qu'elle emploie pour les remjj plir. jj Après ce difcours, Guiaraha , regardant Canfu avec un ris méprifant, déploya fes ailes Sc s'enfuic. Les foldats forcèrent la porte de la cabanne, fe faifirent de Canfu Sc de fa femme, Sc les trainèrent a la ville. Avant que le foleil parut fur l'horifon , ces deux miférables furent chatgés de fets & conduits dans la cour du palais. Au lever du Calife t les eunuques vinrent lui dire que les prifonniers étoient dans les fers. A ces mots Gu-^arate fentit renaitre toute fa fureur : le Calife aulfi indigné fe leva pour aller voir les barbares qui avoient maltraité fa divine princelfe. On avoit élevé un trbne a quelque diftance de 1'écharfaud. Le Calife Sc Gu^arate y montèrent: tous les grands de la cour de Bagdat entouroient le tróne. Les rues étoient pleines de peuple. Perfonne nVnoroit la méchanceté des ctiminels. On demandoit leur mort. On jouiftbit d'avance de cë fpectacle fanglant. Le feint Raalcour commanda de ménagef. leut vie, pour leur faire fouffrir raille mores.  BES GÉNIES. XZ-f 3ans une feule. Son règne avoit déja été plein de cruautés , cette dernière exécution devoit toaifer tout ce qu'on avoit jamais vu de plus cruel. Vingt officiets noirs , la tête chauve , les jambes 8c les cuifles nues jufqu'a la ceinturé étoient devant 1'échafFaud, tenant une tête de mott dans la main droite , & une totche allumée dans la gauche. La torche répandoit une odeur infeéte. Six autres étoient habillés d'une toile légère, d'un blanc livide , ferrant le corps par tout, 8c peinte en forme de fquelette. II y en avoit d'auttes qui reflembloient a des fpectres hideux. Ces momtres tenoient un morceau de chair liumaine qu'ils dévoroient a belles dents; le fang couloir le long de leur corps. Venoient enfuite douze figures gigantefques: c'étoient des hommes les plus grands & les plus forts qu'on püt trouver. Ils étoient rehaulfés fur des échafles; une fumée épaifle fembloit fortir de leurs narines , le feu fortoit de leurs bouches. Chacun tenoit dans fes bras un enfant auquel il faifoir fouffrir des tortures affreufes : car telle étoit laférocitédu Calife , que , pour rendre cette fcène plus horrible . il avoit ordonné qu'on lui livrat douze enfans de la ville, pour ce fpeótacle iidiumain. Pij  txt Les Contes Les cris de ces tendres vidimes percoient lö cceur de tout le peuple , 8c faifoient preffentit au malheureux Canfu Sc a fa femme , a quels fupplices ils étoient réfervés. Les deux criminels fuivoient les douze géants2 La femme paroifloit d'abotd. Deux noirs, armés de tenailles rougies , la tourmentoient dans toutes les parties de fon corps. Ses cris aigus attendrifloient tous les cceuts, excepté ceux de Kélaun 8c de la fultane GuTpcarate, qui, ne trouvant pas même que les bourreaux s'acquittaffent a fon gré de leur ernploi, defcendit de fon tróne pour les excitet. On tourmentoit Canfu d'une manière encore plus horrible. Huit efclaves couverts de peaux de tigre le harceloient devant eux, avec desfourches armées de pointes qu'ils lui enfoncoient dans le corps , mettant quelque diftance entre leurs coups, pour lui laifler le tems de reflentir toute k vivacité de la douleur. Les hurlemens affreux que leur arrachoit la cruauté des toutmens qu'ils enduroient, mêlés aux cris que pouffbient les Génies de Fait, ennemis de Mahomet, qui prenoient plaifir a voir fouffrir ces malheureufes vidimes de leur maHce, retentirent au loin. Toute la ville de Bagdat étoit épouvantée de la cruauté du tyran, 5c de k joie barbare de la fultane.  des Génies: Tandis que cette ptocelfion fanglante marchoit du férail a 1'échaffaud , un bruit confus de gens atrnés fe fit entendre a 1'autre bout de la ville. •Le Calife effrayé , fit fufpendre l'exécution , &C demanda ce que c'étoit, qui excitoit ce tumulte. Petfonne ne put le fatisfaire. La populace éton* née, ignoroit la caufe de ce bruit; Sc ne pouvoit pas mème imaginer d'oü il venoit. L'incertitude de Kélaun ne dura pas long-tems. Le génie Hajfarak parut couvert d'une brillante armure d'or. Mille plumes ornoient fon cafque; un petit oifeau étoit perché fut fa main gauche , 8c dans fa droite btilloit une baguette de diamant. Une atmée de cent mille hommes le fuivoit. La garde de Kélaun fut confternée a cette vue. Le tyran étoit fi univerfellement haï , que pas un de fes fujets ne fe préfenta pout le fecoutit. Le génie , parvenu au pied du ttone , le toucha de fa baguette de diamant: le faux calife &C fa cruelle fultane reftèrent immobiles , comme s'ils euffent été fubitement changés en ftatues de pierre. Alors le génie fe toutnant vets le malheureux Canfu , que fes bourreaux tourmentoient encore avec leuts fourches, il lui dit»  (rtf Les Contes « C'eft ainfi que font tourmentées les ames barbares qui fe fivrent a la férocité de leuï » caraétère. » Auffi - tot, tous les acteurs de cette fcène fan- glante devinrent la proie des fïammes. Dans un inftant Canfu Sc fa femme furent réduits en 'cendres. Le payfan de Gabel-elarei, étoit prés de la mort, fes veux alloient fe fermer a la lumière dn jour , quand le génie Haf arak avoit paru. II ne tui refta qu'autant de vie qu'il lui en falloit pour comprendre le fens de ce qui lui étoit artivé depuis la rencontre de Guiaraha. c< La loi du prophéte étoit trop dure pour r> Canfu, dit le génie ; les voies impénétrables „ A'Al'a lui paroitront fans dóute trop févères 35 & iniuftes. Mais les foibles conceptions de 33 1'homme doivent-elles cenfurer les fublimes 33 penfées du principe de toure juftice ? La main n cle celui qui fit le foleil & toute 1'armée des 55 aftres , doit-elle fuivre les vaines imagina33 tions d'un vil reptile ? « O Canfu ! homme imbécille, efprit incré33 dule ! Qu'as-tu gagné a renoncer au culte de 33 Mahomet, pour fuivre les traces des génies pré„ varicateurs ? Si le prophéte s'oppofoit a tes 35 defirs , c'eft paree qu'il fobie quels maux 33 devoit caufet ïamour de Gu^arate Sc de Ké-  DES G i N I ï s. „ C'étoit pour prolonger la vie de Canfu „ & de fa femme , qu'il avoit mis une forte „ d'antipathie entre leur fils & la fille de Raask. „ Mais depuis le moment que tu t'es Hé avec fes « ennemis , le favoti 8Alla a permis qu'ils exé„ cutaifent leurs noirs deffeins , pour lefquels ils » t'ont demandé ton confentement. Tes vceux « font templis : vois par quels épouvantables « moyens ils le font. Adorateur fervile des mau„ vais génies , déferteur infame de la loi du „ prophéte , blafphémateur impie , contemple « ce terrible événement, le fruit de tes defirs »> indifctets. » Hajfarak tourna fa baguette , & auffi - tot le Calife , quittant les traits & les habillemens de Raalcour , redevint Kélaun, le fils du pauvre Canfu. Le payfan oublia dans ce moment toutes fes douleurs : ou plutbt , fon plus grand fupplice fut de reconnoitre fon fils pour 1'auteur des tourmens qu'il fouffroir. Kélaun, de fon coté ,' fut confondu en fe voyant dans fes premiers habits , & en reconnoitfant que c'étoient fon père & fa mère qu'il faifoit moutir d'une manière fi barbare. « O maudite Guiaraha ! dit le coupable Canfu ; „ avant que de rendre le dernier foupir , tu as » rempli ta promefle. Tu as uni Kélaun a 1'un- Piv  '*3 * Le$ Contes » périeufe Gu\\arate. Je meurs viótime de mes s> fouhaits infen fés. » Le payfan expira en pronongant ces paroles. II avoit les yeux fixés fur Kélaun & fur fa cruelle maicrelfe. Sa femme le fuivit dans les vallées de la mort. GuTgarate fut étrangement humiliée de ne trouver ï la place du calife Raalcour, que fon voifin Kélaun ; & de quitter le tróne de Bagdat pour redevenir payfanne de Gabel-el-ared. Sa langue étoit chargée de malédictions , & fes yeux enflammés de colère ; mais Hajfarak ufafde fon pouvoit magique, pour modérer fes emporcemens. Le peuple de Bagdat, alfemblé en foule autour de 1'échaffaud , que le feint Calife avoit fait éleverpour 1'exécution de Canfu & de fa femme, admiroit avec effroi le changement opéré par le génie HaJJarak , & dans fa furprife , qui égaloit celle des acfeurs mêmes de cette métamotphofe , il s'applaudiffoit de fe voir délivré d'un tyran, fans pouvoir comprendie comment Kélaun avoit fu fi bien contrefaire le prince Raalcour, Hajfarak , qui voyoit ce qui fe paflbit dans 1'ame des fpecfareurs , les tira d'inquiétude. « Ou eft votre calife Raalcour? 6 habitans de Bag» dat ! Oü eft le fils de Zimphrah ? 11 eft caché n fous le plumage de eet oifeau foumis a la ma-  DIS G I N I I s! ZJJ » lice des rnauvais génies. Mais ne croyez pas » que Mahomet eut permis cetre étrange méta« morphofe , fi Raalcour füt demeuré fidéle obm fervateur de la loi du prophéte. En négligeant jj de faire le voyage de la Mecque, il s'eft attiré 33 la colère d''Alla. Son crime eft expié, Sc je vais 33 vous rendre votre Calife. » En difant ces mots , Hajfarak toucha légèrement de fa baguette, 1'oifeau perché fur fa mainj, Sc Raalcour reprit fa première forme. Les habitans de Bagdat, tranfportés de joie Sc de reconnoiffance , remercièrènt Maho- ' Sc HaJJarak , de les avoir délivrés de la tyrannie de Kélaun , Sc de leur avoir rendu leur vrai Calife. Dès que Raalcour reconnut le merveilleux changement arrivé dans fa perfonne , il monta fur Téchaffaud , Sc s'étant profterné a la vue de tout fon peuple, il s'écria : « C'eft ainfi, ö mes 33 fujets ! que je demande pardon au prophéte. » Qu'il daigne rentret en grace avec moi ! 33 Gloire a Alla , a 1'èrre puilfant Sc jufte , qui 33 mérite nos adorations Sc notre obéilfance ! 33 Que nous fommes vils , lorfque nous refufons 33 de lui rendre le culte qui lui eft du ! Qu'eft»» ce que la vie , fi nous ne 1'employons a. jj louer , a. fervir, a glorifier celui qui nous 1'a » donnée ?  *34 Les Contes j» Je vois avec plaifir les premiers mouve-« ?> mens de votre reconnoiffance envers le ciel, » ó Calife ! dit le génie Hajfarak. C'eft un pré» fage affuré de la juftice & de la piété qui ré» gneront avec vous fur les habitans de Bagdat. >■> Après vous ctre humilié fur 1'échaffaud , mon3> tez fur le tróne , & commencez votre règne 33 par faire juftice de ces deux criminels qui ont 33 offenfé Alla & fon peuple. 33 PuifqueM^Ztomerlordonne par votre bouche, 53 répondit le calife Raalcour, que Kélaun & Gu%33 parate montent fur 1'échaffaud élevé par leur 33 ordre. Mais que le genre de leur mort annonce 35 1'humanité de leur juge , plutót que la ven33 geance d'un ennemi irriré. 33 Equitable Calife , répliqua Hajfarak, que 33 tous vos jugemens reffemblent au premier! 35 Vos fujets vous aimeront , & vous obéiront 55 avec joie.Mahomet, le rémunérateur des fidèles 55 croyans , vous recevra dans les demeures for35 runées de fon paradis éternel. 33 Le génie difparut. Les bourreaux fe faifirent du fils de Canfu, & de fa femme orgueilleufe. Kélaun monta avec répugnance fur 1'échaffaud. Gu\iarate fembloit préfcrer la mort a un époux tel que le fils d'un fimple conducteur de chèvres. La hache étoit levée fut la tète du méchant  ©ES GÉNIES. ï 5 S Kélaun; il regardoit fixement la terre qui 1'avoit fupporté malgré fes crimes, il la frappi du pied, Sc dans fon défefpoir , il vomit ces dernières paroles pleines de rage. « J'ai fait Ie mal tous les jours de ma vie. J'ai » fui le travail & la peine. J'ai recherché i'oifi„ veté 5 Sc jamais il n'y a eu de bonheur pour » moi. J'ai empoifonné celui des autres. Détefté » parmi les enfans des hommes, la tracé de mes pas étoit maudite. Mes forfaits deviennent des » vautours cruels qui me déchirent le cceur , je » vois les mauvais génies qui m'attendcnt dans » les régions maudites. frappe, 6 hache ! frappe , n puifque la foudre 8Alla tarde a m'ccrafer. Que » mon corps foit fouté fous les pieds des croyans, » comme le talon du voyageur écrafe le ferpent j> venimeux.» Quand Hajfarak eut fini fon conté, le fage ïracagem fe leva de fon trbne, Sc dit. « Les paroles de ma fceur font pleines d'inf» trudion. A peine les enfans des hommes au33 roient - ils befoin de notre proteétion , s ils 33 n'étoient fans ceffe obfédés par les génies mal»3 faifans, ces ennemis irréconciliables du faint S3 prophéte , &: de fes pieux ferviteurs. Mais leur 33 malice ne peut rien contre ceux qui rellent 3» fidèles a la loi de Mahomet. II n'y a qus ceux  Les Contes » qui refufent de le connoitte pour le favorï » 8Alla , ou qui, reconnoiffant fa muiion di»> vine, & fon pouvoir au ciel & fur la terre , » violent fes commandemens, il n'y a que ceux » la qui foient livrés a la méchanceté de ces erft pnts immondes. « Mais , 6 ma fceur! continua le chef des bons » génies, en adrelfant la parole a Hajfarak, 1'oeil » du jour commence a fe fermer. La nuit va cou» vrir de fes ombres, la nature livrée aux charmes » du fommeil. Ne violons point les loix de la » création. Alla a fait le jour pour le travail , j> Sc Ia nuit pour le repos. Les ceuvres d'Alla font »» grandes & bonnes. » A ces mots Paffemblée fe fépara. Les enfans de la terre fuivirent leurs génies ptotedleurs, qui les conduilirent dans des appartemens retirés, oü, après un repas frugal , ils fe livrèrent aux douceurs innocentes d'un fommeil tranquille. Au lever du foleil, les enfans de la terre ; conduits pat leurs génies protecteurs , allèrent fe purifier & prier dans Ia mofquée oü la race immortelle de ces êtres bienfaifans avoient coutume de rendre leurs hommages au grand & puilfant Alla , & au prophéte. Ils revinrent enfuite dans Ia falie d'inftruction, oü le fage Jracagem les voyant alfemblés Sc alfis a leuts places ordinaires, ©uvrit ainfi la féance.  BES GÉNIES." 137 « Les lecons que mes frères donnèrenc hier a » leurs difciples, avoient pour but de les diriger »» dans la recherche du vrai bonheur que la reli» gion feule peut donner , ainfi que le comprit >» le marchand Abudah, par fes différentes aven»5 tures. 35 Le premier, 8c le plus grand de nos devoirs, ss eft de fe foumettre humblement aux décrets >5 fuprêmes è! Alla, de le fervir en efprit 8c en »s vérité , avec confiance 8c droiture de cceur; 8c sj non pas de mettre la créature a la place du 33 créateur, comme Alfouran; ni de négliger , a 33 1'exemple de Sanballad, les obligations les plus 33 indifpenfables de la vie fociable , pour fuivre 33 un vain phantbme de fainteté dans les ca53 vernes de la terre, ou dans les antres des ro • 55 chers ; encore moins de couvrir Fhypocrifie du 33 mafque de la dévotion , offenfant Alla pour sj tromper les hommes; c'eft de préférer Ia vo33 lonté de l'être des êtres, a toutes chofes, a 35 tous les plaifirs, a tous les biens de la terre , au 3> lieu d'ajouter la préfomption aux autres crimes, 3» comme fit le fultan Haffan Affar , en refufant »3 obftinément de remplir nos devoirs, quoïj3 que nous en connoiffions 1'étendue 8c 1'imjj portance. 33 La foumiffion aux ordres cYAlla rend tout ts aifé. Elle donna la beauté a Nakin Palata. Elle  i}3 Lbs Contes '?3 remplit de joie le cceur des croyans, & les porte 33 avec allégrefle a tout ce que le ciel exige deux. •» Elle ne s'inquiète point, comme Canfu, fi c'eft »> par fagefte ou par bonté que le ciel refufe d'ac>3 complir nos defirs indifcrets. Elle adore la pros> vidence en tout, & comprend la nécelfité de sj fe foumettre a des évènemens que nous ne pou* 33 vons éluder. Adorer Alla, le fervir, le louer, 33 avoir confiance en lui , voila. pour quelle fin ss 1'homme a été créé. 33 Mais la foiblefle a befoin d'un appui. C'eft 33 pourquoi le grand Alla a donné a fes enfans des principes de moralité que 1'exemple gravé 33 profondément dans leuts tendtes efprits : ce 33 font ces inftruétions céleftes que nous ne ceftbns jj de leur préfentet de la manière la plus fenfible. 33 Ma fceur, continua Iracagem , en s'adreflant a 33 celle des puijfances dont le trbne étoit le plus 33 proche de celui 8 Hajfarak, faites part a cette 33 illuftre aflemblée, de vos le$ons amufantes , »3 en joignant 1'exemple au précepte. Le génie fe leva , & commenca les aventures d'Urad, ou de la belle voyageufe.  DES GÉNIES. 239 CONTÉ CINQUIÈME. LES AVENTUR.ES D'URAD, o u LA BELLE VOYAGEUSE. S v k les bords du Tigre, au-deflus de la grande Sc fuperbe ville des croyans, vivoit une pauvre veuve nommée Nouri, qui paflbit fa vie a. élever ces vers précieux , dont la foie habille les nches Sc les belles. Son mari avoit long-tems efcoitéles caravanes des marchands. II avoit perdu la vie dans une rencontre avec des voleurs Arabes. Sa pauvre veuve n'avoit point d'autre moyen depourvoir i fa fubfiftance Sc a celle d'Urad fa fille qui étoit encoie enfant , que le travail de fes mains. Elle dcvidoit la foie de fes vers. Cette occupation fournifibit, un peu au - dela des befoins de la inature , paree qu'elle fe mettoit a. louvrage dès la pointe du jour, pour ne le quitter que lorfqu'elle voyoit la lumièie ttemblante des étoiles du fitmaoieac, téfléchie daiw les eaux di»  440 Les Contes Telle étoit la vie de 1'infatigable veuve dont 1* fille fecondoit le travail autant que la foiblene dè fon enfance le lui permettoit, lorfque le voluptueus Almurah fut proclamé fultan. II ne tardapas a faire fentir a fes fujets le poids de fa puilfance. Ayant réfolu d'enclorre un vafte tetrein, pour fes plaifirs, pour en faire des chalfes, il ordonna aux habitans de quatorze-cens villages de quitter leurs maifons, leurs terres Sc leurs biens. Ces families ruinées Sc défolées, forcées d'obéir aux ordres de leur mairre barbare, quittèrent en un feul jour l'héritagede leurs pères, la terre qui les avoit vu naitre , pour chercher un afyle an milieu des forèts, dans les déferts arides & inculres qui s'étendent des deux cbtés du Tigre. Quelques uns de ces fugitifs infortunés pafsèrent par 1'habitation de Nouri. La veuve compatilfante leur donna ce qui lui reftoit de fa provifion de la veille, Sc ce qu'elle réfervoit pour le lendemain. N'ayant plus rien a donner, elle combla les derniers venus, de vceux , de fouhaits Sc de bénédiclrions. Parmi ceux qui pafsèrent chez elle, il y avoit un jeune homme qui marchoit a pas lents, portant fur fes épaules une femme vieille Sc infirme. Excedé de fatigue, il la mit a. tetre a Ia porte de la veuve Nouri qu'il pria de lui donner une goutte d'eau pour étancher la foif ardente qui Ie bruloit. Nouri  des Gb-nies»' . ■Nouri avoit déja vidé plufieurs fois fa cruche pour défaltérer tous ceux qui avoient précédé le jeune homme. Elle fe hata d'aller puifer de saouvelle eau, & en même tems elle alla demander quelque provifion a une de fes voifines qui habitoit fur le penchant d'une colline prés du fleuve, pour 1'apporter a ce fils généreux & a fa vieille mère. Elle revient avec fa provifion d'eau & de riz. Elle retrouva la femme. Le jeune homme n'y étoit plus. . >■> Étrangère infortunée, dit la bonne Nouri, js oü eft votre fils , votre pieux &c généreux fils , » qui vous a portée fur fes épauies »? » Hélas ! répondit la vieille , mon fils m'a j> fauvée de la tyrannie KAlmurah • mais il me » laifie péririci dans les déferts du Tigre. A peine, sj étiez-vous fortie pour aller puifer de 1'eau , js qu'une troupe de jeunes filles a paffe par ici. 33 Elles 1 ont enlevé a fa mère expiran'te. Mais je 3» vous en conjure, ó femme généreufe ! donnez35 moi une goutte d'eau a boire, ou je vais mouu rir : la foif, la faim , le troubie, le chagrin 35 ne tatderont pas a terminerles jours de la mal» heureufe Houadlr. >> La tendre & compatilfante Nouri fit entrer Houadlr dans fa maifon, la mit fur un lit de Tome XXIX. r>  $4* Les Conté f' paille , & lui fervit les rafraichilfemens qu'elfö avoit apportés. Houadir ayant pris quelque nourriture, apprk a fa bienfaitrice le cruel décret d' Almarah , qui avoit obligé fon fils de quitter le petit patrimonie qu'il cuitivoit pour leur fubfiftance. Jufqu'a ce jour, il n avoit jamais manqué a 1'amour, a 1'obéiffance , aux devoirs d'un fils envers fa mère. Elle tonclut par fouhaiter fon retour. La veuve Nouri fit tout ce qu'elle put pour cönfoler Houadir, elle 1'engagea a prendre dit repos , &c fe remit eïle-même a fon travail journalier. Quand fa tache fut achevée, elle alla chercber fa petite provifion a la ville, prit enfuite fon frugal repas avec fa fille Urad, après en avok diftribué une partie aux malheureux fugitifs qui fe préfentètent a fa porte. Tandis que Nouri donnoit un morceau a Ia petite Urad , Houadir s'éveilla , fe plaignant de la faim, & priant fon hótelfe de vouloir bien lui donnet a manger. Avant que Nouri fe fut levée , Urad courut as lit de la vieille, & lui offrit ce que fa mère venoit de lui donner, Houadir prit avec reconnoiffance le morceau que 1'enfant lui offroit, perfuadée que fa mèrê, té'moin de la charité de fa  des Genie Si 24J $He , ne la laiflerok pas fans récompenfe & fans dédommagenient. Houadir demeura plufieurs jours chez la veuve Nouri, attendant toujours Ie retour de fon fils Perdant enfin I'efpéranre de le revoir, & (entam combien elle étoit I charge a celle qui 1'avoit fi généreufement accueillie & ïiourrie jufqu'a ce jour , elle lui paria ainfi, un foir , après fon travail. •« Je vois , ïita bonne Sc charitable Nouri ,' i> je vois que mon fils m'a öubliéé & abandon>> née. Je vöus dérobe une panie de Votre fub* fifiance , & de celle de votre pauvre petite fille^ qui imire fi bien la charité de fa mère. Je eon» fume le fruir de votre traVail, fans efpoir dé »> pouvoir vous en dédommager. Ecoutez ma pro» pofition , Sc jugez fi elle eft convenable. Il f h a uné partie de vos occupations journalières 3 » que je crois pouvoir rempür, quelque vieillé » qüe je fois. je puis dévider votre foie, fci» gner vos vers. Faires-moi faire ce dont vouS » me jugetez capable : je ni'acquitrerai avec zèïe » de tout ce qui ne fera pas au deiïus de mes i> forces. Le foir encore , lorfqu'après votre tras> vail du jour , vöus ferez occupée aux foins « domeftiques du ménage, je me chargé "d'inf»> ttuire Tinnocente Urad , & de lui apprendr* *> comment elle fe doit conduire , quand Ie cidi  2.44 Les Contes jj jugera bon de vous titer de ce monde , oat n il n'y a que misère & méchanceté. Vorre fille » a les-plus belles difpofititions a la verru : je » vois avec peine , qu'obligée de fuffire a toüt, « vous n'ayez plus de tems pour les cultiver. «a La veuve étoit enchantée du difcours de la vieille Houadir. « V otre penfée me charme, lui répondit Nouri. ft II eft vrai que j'ai bien de la peine a gagner $ « par mon travail, la fubfiftance de trois, & je » ne puis donner de tems a 1'inftruéHon de nu m chère Urad, que je ne le prenne fur mes oc-. » cupations du jour. Je vois aufli que très-peu cle »,chofe vous fufht. II me femble même que de-, jj puis que vous êtes ici, les denrées me coütenx « moins cher qu'auparavant. Je ne.fais pourquoi ft j'eu ai beaucoup plus pour le même prix. C'eft. ft fans doute une bénédictkm du ciel dont je vous. jj fuis redevable. » Je n'ai garde de laifler ma bienfaitrice dans, « Terreur, dit Houadir, Alla me preferve de m'at» tribuer un mérite que je n'ai point. C'eft la dift fette d'babitans , occafionnée par la tyrannie » cï'Almurah , qui, diminuant la confommation^ » fait néceffairement baifter les denrées. Mais. » j'infifte a partager les travaux du jour, puifqu^ ,> j'en partage le profit. L'inftruócion d'Urad fer$ « ma douce occupation du foii. >>.  T> E S GÉNIES. i4J Dès ce moment, Houadir fut regardée comme érant de Ia familie de Nouri. Elle inftrulut Urad, Tüi infpira Pamour de la vertu & 1'horreur du vice , lui apprit a fe conrencer de la pure fatisfacnon qui accompagne une vie innocente, & a craindre les remords & les inquiétudes infépa'rables d'une vie criminelle. L'enfant prenoit un goüt particulier aux lecons de fa vieille maïtreffe. Les heures les plus 'agréables pour elle, étoient celles oü elle recevoit fes douces & charmantes inftruftions. A chaque Iecon que Houadir donnoit a fa jeune élève , elle avoit coutume de lui donner un grain 'de poivre, en lui recommandant de le.regarder fouvent, & de fe rappeler , en le vbyaut, fa lecon qui 1'avoit accompagné. Ainli, la petite Urad croiifoir en vertu comme en beauté. Inftruite des plus pures maximes de ïa moraie & de la religion , elle donnoit chaque jour des preuves de fa pieufe éducation , tant par fes actions, que par fes difcours. Elle atteignic 1'age depuberté. Nouri h voyant fi belle, fi vertueufe , fi accomplie en routes fortes de perfecnons , croyoit a peine qu'elle fut la mère d'une file fi aimable. Urad &voh , dans un égal degré d'habileté , tout ce qui concemoit le métier de fa mère ; quand Nouri fut vieille &c malade , elle lui rendit les foins tk les fervices qu'elle  Les Contes en avoit reais pendant les jours de fon enfanee, Un foir que Houadir inftruifoit fon elève atten-r. tive , Nouri, qui éroit étendue fur un peu de paille, oü elle atcendoic la more, appela fa fille & lui dir. « Ma chère Urad, ma fille bien aimée, je » vous piains beaucoup plus que moi - même. » Tandis que Houadir vivra , vous aurez en elle 3 » une mère auffi tendre, & plus capable de vous »> inftruire que moi-même. Mais que deviendrezr » vous , ma chère 8c innocente Urad, que dev Yiendrez-vous, lorfque voüs n'aurez plus nielle » ni moi ? Je crains que vous ne deyeniez la proie. » de la force, de Ia tyrannie, ou de la volupté, » Confidérez , mon enfant , quAlla ne vous a » pas envoyée dans ce monde pour y être nécef» fairement & inévitablement méchante. Vous « pouvez toujours faire le bien avec l'afliftance dii » faint prophéte qui 11e manque point a ceux p qui le fervent. Dans quelque circonftance qu§ »> vous vous trouviez , fouvenez vous qu'il dér » pend toujours de vous, de refter fidéle aux pré» ceptes de la religieufe Houadir , aux maximes ?s faintes & chaftes qu'elle vous répète chaque «> jour, & auxquelles vous trouvez tarit de doii. ceuCj Puifle. Alla , & le prophéte des croyans, « protéger , bénir, & conferver ma chère Ura.4 « dans J'innocence & la venu!»  des Genie s. 247 Ce furent les dernières paroles de Nouri. Elle mouruc en béniiTant fa fille. Son corps fut enfcveli dans les eaux du Tigre. L'inconfolable Urad pleura long tems fa tendre mère. Houadir lui donna des lecons de patience Scde réfignation: lecons z\\\Urad trouva plus difficiles que les précédentes. Elle eut toutes les peines du monde a modérer la violence de fon chagrin. » O Urad ! dit Houadir, la douleur qui ac» compagne le repentir, le chagrin que caufe le « fentiment de fes mauvaifes actions eft vain , r> s'il n'eft pas fuivi de 1'amendement. L'ame r> alors eft juftement afïligée. Elle doit recon>■> noitre la grandeur de fes fautes avant que de r> s'en cortiger, & cette connoiffance eft défon lante. J'efpère que ma chère pupille n'éprou» vera jamais de ces fortes de chagrins. Mais *> 1'aftliction que produit 1$ perte de nos amis » ou de nos parens, eft un devoir de piété en« vers eux, pourvu qu'elle foit modérée. Nous 33 devons apprendre a quitter ou perdre ce qu'il » n'eft pas en notre pouvoir de conferver. Notre » attachement pour les chofes les plus précieufes » de la vie, doit crre fubordonné a la volonté » de celui qui eft 1'arbirre de notre être, & de » tout ce que nous pofledons par fa bonté. O ma 55 chère Urad! ne vous laiftez point abatrre par s> le chagrin. Pourquoi vous affliger , randis que Qiv  LisContes j' vous êtes innocente ?!Souvenez-vous que la paft tience , la réfignation aux ordres du ciel, eft » une vertu auffi néceflaite a notre bonheur , que » toutes les autres. Ce n'eft pas que je n'eftime » des larmes que fait répandre la reconnoiffance » filiale. Je ne vous dis point d'être infenfible a » la perte des perlonnes qui vous font les plus » chères, ou même , de fupporter fans peine ft leur abfence. II convient de regrerter tendre« ment une mère qui prir tant de foin de votre » enfance , qui vous aima tant, qui vous apprit » Ia vertu, après vous avoir donné la vie. Mais « vorre jufte douleur doit êtte raifonnable & rc» fignée. Soumettez-vous humblemeut aux dé» crets du ciel qui vous I'enlèvent. Vous 1'hoft norerez davantage par cette vertueufe réfigna» tion, que par des larmes indifcretes. Alla orft donne tout , felon les vues de fa bonté in» finie. C'eft a nous a I'adorer jufques dans nos « malheurs. » «• O fage Houadlr! répondir Urad, vos pré■a ceptes font juftes & vrais. C'eft Alla qui créa la » meilleure des mères, & qui me la conferva jnf»> cjtr'a ce jour. C'eft lui qui me 1'a ótée. Qa'Alla « me préferve de murmurer jamais contre fa » fainte volonté! La plaie eft profonde : je redens » vivement ce coup. Je taeherai de Ie fupporter » avec réfignation n. ■  DES GÉNIES. 249 Houadir continus, de fervir de mère, a 1'aimable Vrad qui avoit pour elle rourc forte de refpeéc Sc de déférence. La vieille éroir fi charmée de voir fructifier heureufement les femences de vertu qu'elle avoit-mifes dans le cceur de fa pupiile, Sc fi füre de fon amour pour 1'innocence & la religion, qu'elle commenca a la livrer un peu plus a elle-même. Eile dinanua Ja longueur de fes inftru&ions, exhortant Urad a y iuppléer par des prières ferveires faites au prophéte, pour attirer les bénédicftions du ciel, par de fréquentes méditations fur les régies de conduite qu'elle lui avoit données, afin que , s'érant bien pénctrée de 1'tmportance Sc de la nécefliré de ces préceptes vertueux, elle n'en perdit jamais le fouvenir, & s'en rendit la pratique chaque jour plus aifée Sc plus ;douce : « Car, lui difoitla prévoyante Houadir, ' j) quand le prophère voudra que je quitte ma » chère Urad, elle n'aura plus pour réflbutce » que fes grains de poivre ». « Ah ! ma bonne, dit Urad, comment ces j> grains de poivre pourront ils m etre de quel« que fecours » ? " Je vous 1'ai dit, répliqua Houadir, chaque jj graiu vous rappeilera une des lecons, un ces 33 préceptes que je vous ai donnés. C'eft ainfi 33 qu'ils vous feront d'un grand fecours au be33 foin >3.  *5° Les Contes Urad fe preta avec peine aux nouveaux arrangemens de fa bonne. Sevrée d'une partie de fes inftruótions auxquelles elle prenoit tant de goüt, elle ne trouvoit point Ie même plaifir a contempler des grains de poivre, qui lui rappeloient bien les lecons de Houadir, mais qui ne leur donnoient pas ce ton de douceur & de perfuafion qu'elles avoient dans la bouche de fa vieille gouvernanre. Cette perte raffligeoit. Son ame encore foible, ne trouvoit plus la même fatisfa&ion a méditer des legons de prudence , de chafteté, de vertu, qu'a les recevoir de la fage Houadir. Cependant la bonne, courbée fous le poids des ans , devenoit chaque jour plus infirme. Un beau matin Urad, toujours diligente, ayant achevé fon premier travail du jour, vint au lit de Houadir pour Péveiller & 1'aider a fe lever, comme a 1'ordinaire , fes infirmités ne lui permettant plus de fe lever fans aide : elle ne la trouva plus. La jeune fille en fut d'autant plus étonnée, qu'elle ne concevoit pas oü fa bonne avoit retrouvé alTez de force pour fe lever, s'habiller & fortir, e'le qui pouvoit a peine fe remuer fans afiiftance. Elle 1'avoit cherchée par-tout autour de la maifon . elle alla chez les voifins, perfonne ne Pavoit vue, perfonne ne put lui en dire des nouvelles. Urad, inquiette, continua fes recherches, parcourant les bois, les forèts & les montagnes du  BES G E N I E S. i-S* 7%r<;.- elle craignoit qu'il ne lui füt arrivé quelqu'accident. Ses recherches furent inuciles. Elle employa tout le jour a eourir de cbté & d'aurre, appellant Houadir, fa bonne Houadir. La nuit vint, qui 1'obligea de rentrer dans fa chaumière. Elle s'y enferma & palTa la nuit dans les larmes Sc les lamentations. Urad fe livra entièrement au chagrin. Le fouvenir de fa mère vint ajoutet a fa douleur. Le matin la retrouva dans le même accablement. Sa porte refta fermée : elle n'alla point a fon travail accoutumé. Plufieurs jours fe pafsèrent ainfi dans la même ttifteffe. Urad avoit quelques provifions auxquelles elle toucha peu, ne fe nourriffant que de larmes Sc de douleur : elle déploroit la perte de Houadir, fa bonne Sc chère gouvernante, de Nouri fa tendre & bonne mère, Les voifines cVUrad ne la voyant plus venit depuis quelques jours a fes travaux accoutumés, obferyant en outre que fa maifon ruftique demenroit toujours fermée, vinrent frapper a la porte demandant fi Urad, la fille de Nouri, étoit encore en vie. Urad, entendant ce concours de peuple, ouyrit la porte en pleurant & en tremblant, & leut demanda ce qu'elles defiroient. f? O Urad ! répondirent-elles d'une voix una-? p nime ? tious i]e yous voyons plus depuis long-  ij* Les Contes jj tems, depuis que vous avez perdu votre amie jj Houadir. Nous craignions que vous na fulfiez " auffi perdue ou morte. Vous ne venez plus » travailler avec nous. Les vers, dont vous aviez "« foin, périftent dans votre abfence, & votre » foie fe gate fur fes échevaux » ? « O mes amies, répondit la trifte Urad! laiffez « une fille infortunée pleurerdans les ténèbres la 5> perte de ce qu'elle eut de plus cher au monde. » Nouri, qui me donna la vie, qui me nourrir « du lait de fon fein, eft a préfent la proie des » vautours fur les bords du Tigre ; & Houadir, « dont je recus les douces & fages inftruétions', » s'eft évanouie comme un fonge de la nuit ». Les jeunes filles, fes compagnes , fe mocquèrent cXUrad, au-lieu de paroitre fenfibles a fa douleur. « Hélas! difoit 1'une , le grand malheur de '■>•> n'avoir plus a. travailler que pour une au-lieci jj de trois! En vérité, Urad eft bien a plaindre s> de fe voir délivrée d'une vieille qui devoit 'jj 1'ennuyer a la mort » ! jj Un autre difoit: Je voudrois bien que pareil 53 malheur m'arrivat! J'aime aftez mes parens 33 pour défirer qu'ils aillent jouir promptement 53 de la vue du prophère >s. « Et moi, difoit une troifième , j'attends avec jj impatience que notre cabanne foit vide de  DES GÉNrES. z^jf h toutes ces vieilles gens qui la meublent, y •> compris mon père & ma mère, pour les rem» placer par un jeune berger que j'aime, & une » troupe de petits bergers ». « Alions, ajoutèrenr plufieurs autres en femble, » cherchons un confolateur pour Urad. Elle eft » jolie, elle mérite un amant auffi bien fait, auffi » adroit qu'elle eft belle. Qui lui donnerons« nous »? « Je fais ce qu'il lui faut, dit une vieille fille , » fameufe pour ces fortes de ncgociations j je v vais lui envoyer Darandu. II fera ici avant la v nuit. C'eft un grand garcon alerte, bien taillé, » qui, je crois, s'enrend a merveüle a confoler *i une fille ». « Que vous en femble, belle Urad, direnr« elles toutes a-la-fois? Que vous dit le cceur? » Darandu va venir vous confoler. 11 efta pêcher >z fur les bords du Tigre. Puifque le fleuve vous « a ravi une de vos compagnes, il eft jufte qu'il .> vous Ia rende avec ufure. Vous aurez un jeune v homme pour une vieille femme. Que vous ' *?. êtes heureufe ». Urad, pleine de mépris pour les raiileries inful* tantes de fes voifines, fe fentit pouttant cmue au nom de Darandu. C'éroit le plus beau des bergers, d'un air engageant, & outre cela le plus ïiche de tous ceux qui habitoienc fur les bords da  ij4 Les Contes Tigre. « Mais, ö Houadir! o Nouri! s'écria la i, belle aiftigée : non, jamais Urad ne chercbera b a oublier, entre les bras d'un amant, les bontéfi i> d'une li tendre mère, les irfftfü&ions d'une li i> fage gouvernante jj. Ces réflexions replongèrent Urad dans fa première amiction. Elle palfa le refte du jour dans la ttifteffe tk dans les larmes, appelant tour-a-tour JrVoon' &c Houadir, Houadir & Nouri; demandant au propbète de terminer fes jours, de la retirer de ce monde ou il n'y avoit ni paix ni confolation pour elle. Au milieu de ces triftes méditationS ,• elle cwend frapper a fa porte. Elle fe léve en tremblant, tk demande avec inquiétude, qui eft-la? Une voix douce lui répond d'un ton bas : t, C'eft quelqu un qui fouffrc, & qui cherche » a fes maux un remède qu'il ne fauroit trou„ ver. 11 cherche la paix, tk la paix f uit loin de i» lui j'. vous fouhaitez d'être délivré ». tc Ah! dit la voix, les maux de la belle Urad  bes Genie s. i^j ö font les miens. Je les redens auffi vivement » qu'elle. Les chagrins qui 1'affligent rendent jj Darandu malheureux ». « Darandu, répondit Urad un peu froublée, *> quel que foitle motif de votre charitable vifite, » éloignez-vous, laiffiez-moi pleurer feule dans » la nuit & le filence. II ne convient point a une n fille affligée d'admettre pour confolateur un « jeune garcon. Allez, berger, retirez-vous. Les « filles du voifinage n'approuveroient pas votre * conduite : toutes les bergères qui habitent les » bords du Tigre me mépriferoient jj-. * Eh bien! dit le berger Darandu, pour conjj vaincre 1'aimable Urad comoien je ferois fiché >j de lui faire Ia moindre peine, combien je fub jj fenfible aux pertes qu'elle a faites, & que je jj n'ai appiifes que ce foir, je vais lui obéir : je >j quitte ce lieu qui renferme mon bien, mon jj tréfor, l'amour de mon cceur. Quelque ciuelle jj que foit pout moi cette féparation, il rne fuffit « que vous 1'ordonniez. La paix de celle qui jj regne fur mon ame, m'eft plus chere qu'une jj pomme dé grenade dans la chaleur brülante du jj midi, plus précieufe que les écailles argentées »r de dix milles poifibns pris dans les filets de mes jj compagnons de pêche jj. Darandu feteüzz. La belle affligée fe mit au lit. Le fommeil donna du relaché a fon chagrin, fuf-  zt6 Les Contes pendant pour quelques heures la triftelTè indif- crette a laquelle elle fe livroit. Le lendemain Urad, devancant 1'aurore , vint errer fur les rochers du Tigre, foit que la mélancolie du lieu Py attirat,pour donner un libre cours a fes larmes , 8c faire retentir au loin les accens de fa douleur; foit qa'un charme plus doux y conduisit la bergère imprudente , pour y voir de plus prés le beau Darandu , fans en être appercue. Darandu vit de loin la fille de Nouri. Les yeux de Pamour font clairvoyans. Il alloit mettre fa barque u Peau. 11 étoit trop habile en amour , pour faire femblant de la voir. Au contraire , il fe tourna du cóté de Peau , s'éloignant du rivage, pour lui mieux perfuader qu'il ne l'avoit point vue. C'étoir affez pour lui, de favoir qu'il n'étoit, pas indifférent a la bergère. Urad, fachant a peirae pourquoi elle avoit quitté fi matin fa cabanne, ni ce qu'elle venoitchercher fur des rochers efcarpés, avancoit toujours, lorfqu'elle appergut Darandu au milieu d'une troupe de pêcheurs qui jetoient leurs filets dans le fieuve. . A cette vue, elle rebroufla chemin, 8c revint chez elle plus irréfolue, plus inquiéte qu'auparavant , 8c moins difpofée que jamais a continuei' le métier de fa mère. Le  DES G É N I E Si' Le foir rappela dans fon efprit, la vifite de Dafandu. Elle commenca a s'inquiérer fi le berger' reviendroit , foit qu'elle le craigmt ou 1'efpérat. Ses provifions étoieiir épuifées. II ne lui reftoif de refloutce pour fubfiiter, que de reprendre fes premiers rravaux. Mais fon dégout cröilfoit chaque jour pour un genre de vie qui lui rappeloic fes chagrins , en lui rerracant les occupations de fa mère & de fa bonne amie. Tandis qu'elle s'occupoit de ces penfées , on frappa a la porte. Elle fe troubla ; fon coeu-t palpitoit. Elle étoit encore plus tourmentée par Ia faim , & par 1'ennui que lui caufoit la vie folitaire qu'elle rflenoit depuis plufieurs joursi Elle refta quelque tems fans avoir le courage de répondre. On frappa une feconde fois* Alors elle demanda doucement qui étoit i la porte. « C'eft Lahnar, votre voitine, lui répondit» »> on. Je viens confoler Urad, s'il eft poftible, » ou pleurer avec elle la meilleure des mères , n & la plus rendre des amies* » C'eft donc vous , Lahnar , reprit Urad » vous êtes bien bonne d'avoir quelque amitié » pour les malheureux. Vous êtes bien charitable » de venir fonlager les chagrins Sc ia douleur de j> 1'infortunée Uraa. » En difant ces mots , elle ouvrit fa paree» Terne XXIX, &  ijS Les Contes Lahnar entra : elle avoit un panier fur la tête.' « Lahnar, dit la belle affligée , laiffez votre » panier a la porte , tk entrez dans cette de- meure de la douleur. Hélas ! hélas ! voici la n place qu'occupoitma chère &refpectable mère} » voila celle de la fage Houadir , ma bonne » amie, celle qui prit foin de mon éducation* „ A préfent ces deux places font vides. La dou» leur feule & le chagrin habiten: avec la mal» heureufe Urad! ,> Vos malheurs font grands, répondit lahnar ? „ mais vous devez les fupporter avec patience. ,■> Ce font des pertes auxquelles vous deviez vous » attendre , puifqu'elles tiennent au cours cr» dinaire des chofes. Nous ne fommes pas irn» morrelles. Votre bonne mère Nouri a vécu, h jufqu a un age fort avancé : vous pouvez aifé» ment remplacer Houadir. La perte de cette » bonne & douce amie n'eft pas irréparable. »> Mais , b Urad ! combien ne dois-je pas être » allarmée de votre nouveau genre de vie ? Que » faites-vous a. préfent ? Nous ne vous voyons » plus partager nos travaux; vous ne venez plus » cueillir des feuilles de murier, foigner nos « précieux infeétes, ni dcvider leur foie. Vous h fuyez notre fociété. Semblable a la taupe qui vit 33 fous terre; vous ne voulez ni voir ni être vue. 33 U eft vrai, dit Urad, jufqu'a ce moment  fis" G i N i i s. ij9 mon chagrin m'a fait oublier mes occupa» tions ordinaires. Je compte retourner a mon » travail, Dès demain vous me reverrez pafmi 33 vous. " Mais, reprit Lahnar, attendrez-vous auffi X « demain pour prendre quelque nourrirure? Votre ■33 chagrin ne vous a pas fait feulement oublier vos 3> travaux accoutumés ; il vous a encore fait né33 gliger le foin de votre fubfiftance. Je vous 33 ai apporté quelques provifions , un peu de ■» ris bouilli, & du poiflbn que mon frère Da33 randu a pêché ce foir dans Ia rivière du Tigre. » Voulez-vous parrager avec moi ce léger re33 pas ? 3' Je vous prie de m'en difpenfer, répondit 33 Urad, je ne vous en ai pas moins d'obliga33 tion. Le chagrin m'a oré 1'appétit, 8c m'errt33 pêche d'accepter votre offre obligeanre. 3' Au moins, répartic Lahnar, vous voudrez jj bien me permettre de m'affeoir ici, de m'y 33 repofer un inftant, & de manger un morceau j3 en votre préfence. Peut-être que 1'appétit vous 33 viendra en me voyant manger. 33 Sans autre compliment , elle prit fon panier, en tira le ris & le poiffion , en fervit une partie devant Urad, 8c 1'autre partie devant elle, & fe mit a manger a belles dents , invitant la belle affligée a fuivre fon exemple. Rij  ■X€ó Les Contes» Urad fut tentée par la faim , & auffi par 1'exemple de lahnar. Elle avoit fur-tout envie de goüter du poiffon de Darandu. Cependant, elle prit d'abord un peu de ris , & mangea enfuitè du poiffon , d'auffi bon appétit que fa voifine. Quoiqu'elle eüt dit que la douleur lui avoit êté la faim , il fe trouva néanmoins quelle mangea tout autant qüe lahnar, de 1'un Sc 1'autre méts. Lahnar, ayant fini fon repas, engagea Urad a n'ètre plus fi folitaire, Sc prit congé d'elle , la laiffant méditer a loifir fur les motifs de cetre étrange vifite. Quelle qu en fut la raifon , Ia fille de Nouri ne put s'empêcher d'en ètre bien aife. La fociété a des charmes pour ceux mêmes qui dédaignent fes douceurs. Une amie qui vient vous confoler après une longue affliótion , eft un baume falutaire répandu fur une plaie doulou- reufe. > Cependant Urad, toute charmee qu elle avoit été de la vifite charitable de Lahnar , fut furprife de 1'entendre revenir fur fes pas au bout de quelques minutes, & la prier de lui r'ouvrir fa porre. & la nuit eft fi fombre que je n'ofe la paffèr a 3> l'air. 53 Urad y confencir. Cependant, avant que de fe mettre au lit, elle eut la curiofité de pafler la main fous le menton de Lahnar ; &c ne 1'ayant pas trouvé aula poli que celui d'une vierge , elle recula de frayeur, en criant de toutes fes forces : Darandu , la feinte Lahnar, la prit auflï-tót entre fes bras , Sc lui dit. « O charmante Urad ! je meursfi vous n'avez 33 compaffion de moi. Je meurs fi vous ne vous jj rendez a la vivacité de mon amour. Vos pleurs 55 & vos cris fonr inutiies. Cette maifon eft ifo33 lée. 11 ne paffe point de voyageur a cette heure. ss Perfonne ne vous entendra. Rendez-vous aux défirs de Darandu : paffbns la nuit dans les dé33 lices de 1'amour. 35 Urad tremblantë , confufe , défefpérée , tache en vain de fortir de fes bras. II la preffe davantage , & fait tout fes effbrts pour I'ctendre fur le lit. Urad réfifte toujours avec un nouveau courage. L'image de Houadir s'offre a fa penfée ; elle fe reffbuvient des grains de poivre, Elle en prend un qu'elle laiffé tomber z terre. Auffi-tbc on frappe un grand coup a la porte de Riij  iéz Les Conté?? Ia cabanne. Urad redouble fes cris. Darandu épott* vanté, quitte fa maïcrefle, Sc regarde en tremblanr ve'rs la potte. La fille court précipitamment ouvrir. Le fils de Houadir paroit, Sc demande a Urad le fujet de fes cris. « Ange proteóteut ! ange du ciel ! dit Urad n encore palpitante , eet infame féducteur , dé» guifé fous les habits de fa fceur , eft venu fuift prendre la trop crédule Urad. Sans vous j'étois >j perdue. » Darandu étoit déja bien loin. La crainte Sc Ia balfeflTe font le partage du coupable. Le fils de Houadir dit d'un ton févère : « Avant » qaUrad r'ouvre fa porte a un autre homme , » je vais reprendre devant elle ma première » forme. Si Darandu éroit un homme déguifé » fous 1'habit d'une femme , moi je fuis une » femme fous la figure d'un homme. » Urad le regarde , Sc voit la vieille Houadir, fa bonne amie Houadir. A cette vue, la jeune fille rougit, tranfportée d'étonnement, Sc couverte de confufion. De quoi rougit Urad, demande Houadir ? v5 Cette rougeur annonce-t-elle fon innocence, » ou fon crime ? » O génie ! répondit Urad, je ne fuis point 5> coupable, J'en jure pat votre préfence. Je n'ai  DES GÉNIES. %6% » point appelé Darandu. Je n'ai point defiré qu'il » vint. « Prenez garde a ce que vous dites , répliqua » Houadir. Si vous ne 1'avez pas appelé , vous » ne 1'avez pas non plus banni de votre préfence. j> Saus votre imprudence, il ne vous auroit point s> attaquée. Votre cceur trelTaillk la première fois 33 qu'on vous ^arla de lui. Vous le renvoyates fi w foiblement, quand il vint frapper a votre porte, ■33 qu'il connut aifément votre foibleflè. Qu'als3 liez-vous faire fur les bords du fleuve, vers ss l'endroit oü vous faviez qu'il avoit coutume de 33 jeter fes filets ? »3 Qu'avez - vous fait depuis que je vous ai » quittée ? Avez-vous continué votre vie labo33 rieufe ? Avez-vous répété les lecons que je 33 vous donnai , ou bien , avez - vous perdu sj votre tems dans une lache oiliveté ? Urad 33 a -1 - elle honoré la mémoire de fa mère Sc » de fon arnie, par une fidélité conftante a leurs ss préceptes , ou bien , s'eft-elle révoltée contre 33 les difpofitions du ciel , Sc la volonté de Ma~ 33 kornet, en s'abandonnant a une douleur im>j modérée ? 33 Hélas ! répondit la belle Urad , il n'eft que ss trop vrai, je fuis coupable. Je fens ma faute. »» Ne rae la reprochez plus, b fage Sc refpe&abl» ss Houadir ! Sous un vain mafque d'amour Sc d'at- Rir  AiS"4 Les Contss >j rachement, je me fuis laiffé aller a la lacheté sj & a 1'indolence. Je reconnois la vérité de vos » fages inftruótions. La parefTe eft la mère des » vices. Oui , ma chère Houadir, fi j'avois ére s> fidelle u. vos bonnes lecons , j'aurois évké le n piège que Darandu me tendoit ; ou plutót , >3 je ne lui aurois point donné occafion de venir » ici. II me femble pourtant que j'avois quelque » raifön de m'affliger après de telles perres. La » mort d'une mère comme Nouri, la pene d'une « amie comme Houadir, méritent bien quelques » larmes. jj Le chagrin procédant du cceur , dit Koua+ » dir, il eft néceffaire qu'il le change & en al« tére les difpotitions , lorfqu'on s'y livre indif» crettement. Ce changement eft fabtil, & fou» vent il eft déja. bien avancé avant que 1'on s'en ii appercoive, Toute entière a votre douleur, ia vous ne vous apperceviez pas que vos piedi 33 vous conduifoient, a votre infu , vers le Irère is de Lahnar : votre ame , deja attendrie par is une longue aftliétion, n'en éroitque plus propre 33 d fe laiifer touchet par les douces paroles de sj ce féduóteur, 33 Ceci vous rappelle une maxime que je vous 33 répéterai encore. c'eft qu'il eft important pour 3» les filles j de bien garder les avenues de leur n cceur, Les hommes adroits out miüe ru-f€s»  CES GÉNIE S.' 265' n mille ftratagêmes pour s'y inlinuer, fans être jj appercus. Ils ne propofent d'abord rien de crijj minel: ils favent ménager la délicateife d'une jj fille chafte. Le premier pas eft innocent; c'eft sj pourquoi les filles peu défiantes le leur laiifent jj faire impunémenr. Mais ils fe fervent enfuire sj de ce premier avantage pout les attaquer plus sj ouvertement; & ils ne celïènt leurs pourfuires »3 que lorfqu'ils font parvenus a fatisfaire leurs sa defirs. 33 Défiez - vous de votre foibleiïè , 6 Urad! u Defiez - vous d'un cceur qui confpire contre sj vous , lors même que vous croyez être sure 33 de lui, qui fe fait fouvent 1'avocat de vos en33 nemis, & dont vous avez tout a craindre, ainfi w que de 1'homme tentateur. j3 Fuyez 1'ombre du mal. La fuite eft Je feul ss parti sur. Craignez le danger j évitez 1 occafion 33 avant qu'elle foit venue. On n'a plus la force " de fuir, quand un objet charmant nous folliss cite. Méditez fouvent les lecons de votre bonne sj amie. Faites ufage de vos grains de poivre. jj Abandonnez cette cabanne qui fera fans celTe sj aifiégée par un homme trop fenfible a verre u innocence , pour ne pas employer toutes les sj rufes imaginables pour vous eriléver un bien fi js précieux. jj La belle Urad fe hata d'obéir a fa vieille &  %66 Lis Contes prudente amie. Elle fit un paquet de ce qu'elle avoit de plus précieux, Sc s'enfonca dans Ia forêt, fans favoir oü ditiger fes pas. Saifie de frayeur & d'inquiétude, elle prit la route Ia plus étroite, comme la plus süre. Son premier foin fut de répéter les fages inttructions de Houadir. Elle marcha jufqua ce que les forces lui manqualfent, regardant de tems en tems derrière elle: car elle craignoit que Darandu ne Ia pourfuivit. Aptès avoir erré dans la forêt pendant une gtande panie du jout, elle fe trouva fur une petite colline, au pied de laquelle étoit une vallée charmante, plantée d'arbres qui la couvroient de leur ombre. L'afpeót du lieu 1'attira. Elle defcendit, Sc fe promena fur un gafon entouré de montagnes & de bois. D'un cbté, cculoit une fource d'eau pure : elle fe baüffa pour étancher 1'ardeur de fa foif. Comme elle fe levoit pour continuer fa route s elle entendit un bruit confus de voix qui, fortant du bois , retentilfoient fur le fommet des montagnes oppofées a celles d'oü elle venoit de defcendre. Elle fut alarmée : elle eut néanmoins alfea de préfence d'efprit pour fe reflouvenir des confeils de la vieille. Elle répéta fes inftructions. Elle ne tarda pas a voir au travers des arbres,  DES GÉNIES. XCf ime troupe de gens qui accouroient eu hare vers elle , jetant de grands cris, & s'empretfant de fe devancer les uns les aurres, pour s'afiurer de leur proie. Dans ce danger prelfant, Urad tremblante ," n'eut que la force de prendre un grain de poivre. A 1'inftant elle fe trouva changée en fourmi. Elle vic un petit trou dans la terre oü elle fe glilfa. Les voleuts , patvenus au fond de la vallée, furent furpris de ne plus trouver 1'étrangère qu'ils avoient vue de loin. Ils fe féparcrent en différentes bandes, pour aller a la découverte, ne pouvant pas ctoire qu'elle fut loin, ni qu'elle püt leur échapper. Ils affignèrent cette même vallée pour le lieu du rendez-vous. Urad, voyant qu'ils avoient quitté la place, foühaita de reprendre fa première forme. Hélas ! fon fouhait ne fut point rempli. La belle Urad , continua d'être un miférable infeéte. Les voleuts revinrent bien avant dans la nuit; la lune réfléchilfoit fes pales rayons fur leurs vifages cruels. A cette vue , Urad fe renfonca dan9 fon trou, ne pouvant fe croire trop en süreté, tant elte avoit peine a revenir de fa première trayeur. La troupe de brigands réfolut de palfer Ie refte de la nuit dans ce même lieu : en conféquence,  ■i<58 Les C © n t e s ils ouvrirent leurs malles, prirent leurs provifions* de pain Sc de vin, Sc fe mirent a boire & a manger au bord de la fonraine, jurant & blafphémant de n'avoir pu rejoindre la nymphe qu'ils avoient vue. « O Alla, difoit 1'un, que ne 1'ai-je attrappée »! j'en aurois tiré bon parri. « Toi, ours mal léché, difoit un autre , tn lui sj aurois fait peur. Elle feroir morre avant de ré» pondre a tes défirs. Mais fi elle éroit tombée » entre mes mains , oh — » ! " Oui, difoit un troifième, avec ces mains .» fang'antes qui ont déja tué deux filles aujour» d'hui —■ » ! « Eh bien! réponcloit Ie fecond, après en avoir ft joui, je lui aurois fait fubir le fort des deux 3> autres ». « Oh! difoit le capitaine de la bande, elle 3» avoir l'aird'êrre un morceau friand. J'en aurois 33 pris les prémices, puis je vous 1'aurois aban33 donnée. Vous auriez tiré au fort pour le rang ». Urad frémiffoit d'horreur a ces propos affreux qu'elle entendoit de fon trou, fans ofer remuer. Elle remercioit le prophéte Sc fon Génie protecteur, de l'avoir délivrée des mains de ces hommes £éroces. Ils pafsèrent une partie de la nui: a boire Sc a chanter , en attendant leurs compagnons qui  t> Ë S GÉNIES, ifjf) 'étoient allés faire leur caravanne de 1'autre cóté de la forêt. Enfin ils s'endormirent a moitié ivres : leur méchanceté alfoupie laiifoit le monde en paix. Urad, n'entendant plus de bruit, fort de fon trou , les voit afioupis, 8c par un mouvement de bienveillance pour le genre humain, ellegrimpe fur le capiraine , dont elle va piquer les yeux avec fon aiguillon : ce qu'elle fait enfuite a. tous les autres. Le poifon de la petite fourmi ne tarda pas 1 opérer. Ils fe réveillèrent par lavivacité des douleurs qu'ils relfentoient. lis étoient aveugleS. Comme les méchans font naturellement foupconneux, chacun fuppofa que fon camarade 1'avoit aveuglé pour jouir feul du butin qu'ils avoient fait : ce qui les irrita tellement, que, pour fe venger , ils fe malfacrèrent les uns les autres, fur la place : en peu de tems toute la bande fut détruite. Urad contemploit avec étonnement 1'effet de la piqüre qu'elle leur avoit faite. Elle reprit fa première forme; & s'appercevant de fon nouveau changement, elle dit en elle même : « Je fens a >■> préfent que la providence a des moyens ex•> traordinaires pour parvenïr a. fes vues >». Elle conrinua fon voyage au ttavers de Ia forêt, craignant de rencontrer une feconde bande de  2jo Les Contes voleurs: ce qui lui fit diriger fa marche avec tout le fecret Sc toute la précaution imaginables. Elle marchoit en jetant de cbté Sc d'aurre des regards inquiets , fignes non équivoqnes de fa frayeur. Le bruit du vent redoubloit fes alarmes. Tout - a - coup le fils de Houadir fe préfente a la belle voyageufe. Urad vola vers lui, priant avec tranfport fon ancienne gouvernante de ne point luicacherfes vérirables traits, Sc de lui continuer fes bonnes inftrudtions. « Ma chère enfant, répondit le fils de Houadir, „ je ne puis pas encore fatisfaire a votre première » demande. Le tems n'en eft pas venu. A préfent » que vous avez été éprouvée, je dois vous con» duire au palais des Génies de cette forêt, Sc » leur préfenter votre ame pure Sc innocente, „ comme 1'hommage le plus agréable au pro» phète. O ma chère Urad ! b mon aimable puft pille ! votre vertu a triomphé du danger Sc de » la tentation. Vous êtes vraiment digne des le» cons que je vous donnai. Je ptévoyois les maux » auxquels vous feriez expofée , j'eus pitié de „ votre innocence, je vins vivre auprès de vous « avec Nouri votre bonne mère , afin d'avoir „ occafion de prémunir votre vertu contre les N dangers qu'elle devoit couiir. L'événement a » répondu i mes vceux. Fidelle a mes préceptes,  DES GÉNIES, I7I, 3> vons avez confervé votre cceur pur & intacTv « Urad va jouir du bonheur des Génies >». Le fils de Houadir preifoit Uradenvis fes bras, lui donnant mille baifers. La jeune fille fe prêtoit avec répugnance aux carefles de Houadir, cachée fous 1'apparence d'un homme. Cependant elle le remercia de fes bons foins & de fa proteclion. Ils prirent dans un petit fentier, fi couvert & fi étroit qu'il étoit impoflible den re/ronnoitre, l'entrée , ni de découvrir leur marche. Après avoir fait plufieurs tours Sc dérours par des fenriers tous plus difficiles Sc plus cachés les uns que les autres , ils parvinrent a une petite ca 'üie , oü le fils de Houadir entra le premier: la belle Urad le fuivit. II frappa le plancher avec fa baguette : auflitbt une flamme brillante parut au milieu d'eux. II prit plufieurs herbes ditférentes qu'il y jeta, répétant quelques paroles magiques. Le fond de la cabanne s'ouvrit, & montraa la vue d'Urad, un dbme magnifique fous lequel éroit une table, Sc autour de la table une nombreufe aflemblée de convives joyeux, de l'un Sc de l'autre fexe. Le fils de Houadir, prenant Urad par la main,' lui dit: « Ma chète pupille , vous voyez l'af» femblée des Génies de la fora..» II la préfent*  ayt Les Contes l la troupe divine, en difant: « Voici la belle & » vertueufe Urad , dont la vertu éprouvée eft „ dignes de plus douces récompenfes, Aimable >, fille , vous pouvez oublier ici la réferve qui » fit votre gloire pendant le tems de votre » épreuve , & favourer avec délices les plaifirs j> innocens des Génies de la förêt. » Le fils de Houadir la fit afleoir a la table , SC s'aflit prés d'elle fur le même föpha. Ce joyeux feftin remplit agréablement le refte du jour. Elle vit avec quelle complaifance les Génies de fon fexe fe prètoient aux carefles des Génies , leurs arhans. Urad, qui n'avoit rien vu de fi charmant, de fi engageartt Sc de fi magnifique , que la compagnie agréable de ce fuperbe fallon , eut moins de répugnance a. recevöir les baifers de Houadir, Sc a y répondre. Après le feftin, Urad fut conduite dans un richö appartement, ou le fils de Houadir la fuivit SC refta feul avec elle. Alors Urad lui dit: « Ma chère Houadir; ss quand vous verrai-je fous vos véritables traits? ii Quand pourrai-je vous appeler ma proteétrice, ,> ma bonne & fage maurefle?i Ma'chère Urad, ne vous alarmez; poirtt de ï» ces apparences, lui répondit le Génie ; je vous v protégerai fous toutes les formes. Les Génies tien  » E S GÉNIES. i^j . h n'en ont point de pzrticulières. Celle que j'ai >> a préfent n'eft pas plus la mienne que celle fous » laquelle je parus a vos yeux pour Ia première " fois. Je ne fuis «Tdfa jeune homme j ni une. »» vieille femme. Je vais vous dévoiler nn fecret » qui vous enchantera; Je fuis de la race des Gé» nies. Au moment de votre naiiffance, je téfo» lus de prendre la belle Uraa' pour ma femme. » Je vous vis croitre fous les yeux de vos verft tueux parens. Vous avanciez en age. Je vins » vous infpirer 1'horreur du vice j 1'amaur » de la vertu. O vierge pure & belle ! vencz> ft dans.mes bras, fouifrez que je recueille le fruit « de mes longs rravaux. Livrez-moi des tréfors ft que j'ai fi bien mérités. » Urad, étonnée , ne favoit que répondre au fils de Houadir. La timidité naturelle i fon fexe,-1 errangepropofition qu'il lui faifoit, & a laquelle ellé ne s'attendoit pas , firent naïrre dans fon efprit mille craintes différentes. Elle conjura le Génie de vouloir bien la laifter feule quelque tems , & de nepas augmenter par fa préfence la honte dont elle étoit couverre. «< Non , ma chère Urad, lui dir-il, jamais fön » fidéle Genie ne te lailfera feule , que ru ne lui » aies accordé une faveur qu'il eftime plus que ft la dignité de fon eftence fpirituelle. » Pourquoi donc, reprit Urad, m'avez-vous Tome XXIX. s  i74 Les Contes „ donné tant de grains de poivre, s'il me de- „ viennent inutiles a cetre heure ? » Non, Urad, ils ne vous ont pas été tout i „ fait inutiles, répondit le hls de Houadir; ce» pendant ils ne valent pas a beaucoup prés des ,, femences de meions que j'ai, & dont je puis „ vous merite en polfeffion : elles vous préfer„ veront de toute forte de mal, quel qu'd foit. „ Fidelle Urad, prenez ces femences , lorfque „ vous craindrez quelque danger , vous en „ avalerez une,& bufli>iöt vous fetez déh- 3> vrée. i> ' . " Urad les prit avec reconnoiffiance , en hu difant: « Et que dois-je faire des grains de poi»> vre ? „ Rendez-les moi, reprit-il, j'en augmenterai „ la vertu. Je leur donnerai le pouvoir de tnom„ pher de toutes les autres puiffimces. » Urad, la fimple Urad, tira les grams de poivre, du fac qui les contenoit , & les donna au ptétendu hls de Houadir. Celui-ci les prit, & au lieu de les rendre doués d'une nouvelle vertu, il les mit dans les plis de fon habit. , _ „ O fils de Houadir! que faites vous, s'ecna Urad ? „ Je m'affure la poffeffion de 1'aimable Urad , „ répondit le Génie; &C a ptéfent je vais m'offrir » a elle, fous ma forme vcritable, ainfi qu'elle  t> e s GÊNlfcs* ï?9 * Pa fou"aité. » En achevant ces paroles, il prit fa fignre naturelle , celle d'un fatyte des bois. » O belle Urad! dit il , je fuis 1'encbanteur » Répah , qui rode dans la folirude de cette fo» rêt. J'y tends des pièges a toutes les beautés * 'e rencontre. C'eft 1'occupation de ma vie. » J'ai fu que vous ériez fous la proreófcion du * Gf"le Hmadir > c'eft pourquoi il ma fallu ufer » d'arnfice pour réuffir dans mes deffeins fur » vous. Mais pourquoi perdre le tems en pa» roles, tandis que votre beauté enflamme mes » defirs. » L'infime fatyre fe jeta aufti-töt fur la tendre Urad, qu'il accabla de fes carreiTps brutales. En vain elle imnlore fa pitié : el!e gémit, elle pleure ; il fe rit de fes larmes , en lui difant que ies yeux humides en font plus beaux. » Quoi, dit 1'enchanteur , défirerois-je de voir » fimr des plaintes qui me charment, des foa»< pits qui font auffi doux pour moi que les Par* famS de XArabk? Non , non ; j'aime ï jouir » de la nature dans ce qu'elle a de plus tou» chant 5 de plus pénible. Je me plais a exciter Ia » plus furieufe rempête dans le fein paifible de « la belle innocente. Le caime a pour moi moins jj d attrai ts. » II prend Urad entre fes bras4 & s'efforce de la Sij  ftjï Les Contes jeter fur ün fopha. La pauvre fille réfifte a fes emportemens furieux , rempliifant toute la chambre de fes cris fuperflus. L'enchanteur redouble fes efforrs. La fille, au défefpoir , remet la main dans le fac , en mvoquant fon Génie tutelaire. Hélas! fon tréfor n y étoit plus, le Génie n'entendoit pas fes cris. Cependant n'ayant point d'aurre rcffourcc , elle cherche dans tous les recoins du fac; elle fent. ün feul grain de poivre qui étoit échappe a fes premières recherches. Elle s'én faifit , & le jette fur le planchet. Auffi-tbt 1'enchanteur quitte fa ptife , & refte immobile devant elle. La chambre & le dbme s'évanouilfent. Elle fe trouve avec le fatyre fous Une hutte fombre, meubléede divers inftrumens de nécromancie. Urad, excédée de frayeur & de fatigue, ayant fi loncr tems combattu contre les efforrs de 1'enchanteur, .tomba a terre prefque évanouie. Henreufement pour elle , la vecru du gram de poivre leretenoitdans fon état d'immobilité, & 1'empechoit d'abufer de fa foibleffe. „ Ris a préfent de ma fottife , lui dit il, en la „ vovant étendue pat terte. En vérité, je fuis ui* „ crrand fot de ne t'avoir pas demandé le fac „ même qui renfermoit ta force & la proteótion „ du Génie Houadir. Son aimable pupille auroit  DES GÉNIES. 177 « été facrifiée a mes defirs, en dépit des lecons ■n qu'il lui donna, fous la forme d'une vieille en» thoufiafte. Mais ne re glorifie pas de ta viótoire. C'eft le hafard , & non ta verru , ni ton heuft renfe éducation, qui te délivre de mon férail » ou le vice règne avec fierté, d'oü la modeftie « & la froide chafteré font exclues pour faire « place au badinage délicieux que les dévots » appellent les emportemens de la débauche. Je ,> fuis encore moins faché de perdre une auili » jolie fille, que de me voir vaincu par un pou« vorr irréfiftible, qui me condamne a te décla» rer ici la caufe de ton erreur. » Écoute, Urad: ce n'eft plus moi qui te parle; » c'eft celui qui fait tirer le bien du mal, qui me » force a re dire que les cceurs vraiment verft tueux fe défient des apparences. La malice » n'eft jamais plus a craindre que lorfqu'eile fe « cache fous le voile de Pamitié. Pourquoi donc » Uradz-i-dh eu la préfomption indifcretre de « fe livrer fi aveuglément au fils de Houadir, ft ou plurbt a. fa vaine image ? Pourquoi n'a» t-el!e pas confulté fes fidèles monireurs, fes » fages confeillers ? Un grain de poivre jeté pat » terre lui auroit appris a ne fe pas conlïer fi ai19 fément a une faulïe apparence \ a ne fe pas dé» faire de fon tréfor, même en faveur de Houa>t dir; a ne pas renoncer aux fentimens de vertu, S iij  *78 Les Contes » de chafteté Sc d'honneur, fous quelque pré» texte que ce fut; Sc pourtant Urad a été fur le h point de céder a la tentation.,Elle a balancé un ■jj inftant entre 1'innocence Sc le crime. Undon» neur d'avis eft un trompeur, s'il viole d'un posé » les inftruéfcions qu'il donne de 1'autre. Il n'y a » point de préfomption qui daive faire regarder » comme vrai Sc faint ce que la vertu & la reli» gion s'accordenc a profcrire. Quel profit Urad » a-t-elle donc retiré des lecons de Houadir? '» Comment les a-t-elle comprifes ? Si Houadir ^ » ne 1'avoit réellement élevée que pour la faire „ fervir a fes defirs voluptueux , s'il ne lui avoit j) enfeigné la vertu que pour la préferver des 5> pièges des autres, Sc la faire tombei dans '.es » fiens, ne feroit-il pas auffi coupable que ces » hypocrites qui s'arrogenr le droit de cultiver >, 1'efprit des jeunes filles & de former leur cceur, A pour abufer enfuite de leur" fimplicité , de la ft confiance qu'ils infpirent, de Pafcendantqu'ils ;5 prennent fur leur volonté. Ces féduéteurs font » les plus vils , les plus dangereux , ceux dont » on doit fe garder avec plus de précaution. » Ainfi paria Penchanteur. Sa bouche fe ferma êc ilrefta fans mouvement. Ce difcours rappela Urad | fes premiers fentimens. Elle fe remitde fa frayeur, fortit de la hutte du fatyre , Sc s'apper■ §üt qu'il étoit déja jour.  BES GÉNIES. 27v Elle n avoit plus de grains de poivre pour la préferver des nouveaux dangers auxquels elle pouvoit étre expofée. Elle appela plufieurs fois Houadir, fa chère Houadir. Le Génie étoit fourd a fes cris. » Malheureufe que je fuis 1 dit-elle en elle» même, que vais-je devenir? Errante dans une » forêt dont j'ignore les chemins ! Livrée a la w merci du premier venu , homme ou béte, qui » m'attaque ! Mais, pourfuivit-elle , pourquoi » n'ai-je pas eu le courage de reprendre mes » grains de poivre ? L'enchanteur immobile neut „ pu m'en empêcher. Je retournerai a fa caban» ne, je fouillerai dans les plis de fon habit, je » prendrai mes grains de poivte , je les rem erft trai dans le fac , & ils me préferveront de .> tout mal. ij En difant ces mots, elle retouma a la cabanne du fatyre qu'elle trouva dans le même étar d'immobiiité oü elle 1'avcit laiffé. Mais fon afpect étoit fi effrayant qu'elle recula plufieurs fois avant d'ofer 1'approcher. Enhardie néanmoins par la néceffité de ravoir fes grains de poivre, elle eut le courage de mettre la main dans les plis de fon habit, & d'en retirer fon cher tréfor. Elle s'enfuir auffi-tbtavec larapidité de 1'éciair. Elle courut jufqua ce qu'elle eut regagnc le chemin donc l'enchanteur 1'avoit détournée. S iv  i8o Les Conté, s Elle cowtinua fon voyage pendant fept jours j fe nourriffant des fruits de la forêt, fe défaltérant au bord des ruiffeaux qu'elle rencontroit fur fa route , & dormant fous le couvett des atbres les plus rourfus. - Le huitième jour de fa marche , comme elle alloit palier un gué , dans un endroit- de la forêt ou la pliue avoit formé un petir ruiffeau , elle appercut un corps d'hommes a cheval qui avancoient au grand galop : elle ne douta pas que ce ne fut le refte' de la bande de voleurs qu'elle avoit renconrrés auparavant. Urad étoit en quelque forte aguerrie. Elle ne craignoit plus le danger : elle prit un grain de poivre, le laiffa tomher j & comptafur un prompt fecours, Cependant le grain de poivre reftcir a terre; la horde des voleurs approchoir j & perfonne ne fe ptéfentoit pour la fecourit, " Hélas ! dit Urad, Houadlr, ma chère Houaft dir, m'avez-vous oubliée ? Ni vos fages con" feils, ni le pouvoir magique de vos grains de » poivre, ne peuvent me délivrer des mains bar" bares £c impures de ces voleurs, II eut mieux »' valu pour moi d'être Ja vicïime de Darandu t »i ou même de fervk aux plaifirs d'un enchan-r jj?-reu,r, que de me voir livrée a la bmïalité de sj tant de mpflft tes, Q Génie, Génie i m'as- tu.  DES GÉNIES. 28l is abandonnée dans la circonftance la plus terv rible de ma vie ? » Pendant qu'elle parloit ainfi , les voleurs arrivèrent, charmés de faire une fi bonne prife. » Voila ce qu'il nous falloit , dit leur chef, 3' une vierge d'un beauté & d'une innocence 3> comme celle-ei eft un tégal ; nous gouterons »' tous de ce friand morceau. Mes amis, le fulran 33 Almurah n'a rien de fi beau dans fon vafte 33 férail. II ne goute point une volupté fem■ 3-3 blable a celle donr nous allons jouir. Les cent 3» femmes deftinées a fes plaifirs, ne valent pas 33 celle que nous offre cette forêt. Nous en joui33 rons tous, & moi le premier. 33 A la bonne heure, dit un voleur, mais com33 mencons par lui donner chacun un baifer. II y 33 a long-tems que je n'ai eu le bonheur de collér 3' mes lèvres fur celles d'une vierge. Je n'ai pas 33 goüté ce plaifir depuis celle que je poignardai 33 pour mon apprentiiïage. 33 Le même defcendit auffi-tor de chevai. Urad tremblante jeta un cri percant auquel on enrendic les lions de la fprêt répondre par leurs rugiflemens. « O Alla! s'écria Ie chef, les lions vont nous j3 dévbrer ! =3 Cela peut être , répliqua froidement celui t» cuu étoit defeendu de cheval , mais quand  iSi Les Contes j> I'univers s'éleveroit contre moi , je com- » mencerai toujours par fauver ma proie , &C » puis je fongerai a ma propre sureté ? » En parlant ainfi il prit Urad pour la mettre fur fon cheval. Le rugiffement des lions continuoit. Plufïeuts fortirent de 1 'épaiffeur du bois. Les voleurs fe mirent a fuir. Mais celui qui, plus inrrépide qua les autres, s'étoit faifi de la belle Urad, étoit qccupé a la mettre fur fon cheval. Un lion s'élanga fur lui (Si le mit en pièces." Urad, témoin de ce fpeótacle fauglant, attendoit le même fort. Elle étoit au milieu d'une armee de lions rugiffans. « Plutót la mort que le » déshonneur , difoit-elle , j'aime mieux tom» ber entre les griffes d'un lion affamc, qu'enrre » les mains d'un voleur brutal. » L'animal fuperbe avoit dévoré fa proie. II vint lècher les pieds cl'Urad, la regardant avec un air de douceur qui la furprir. Elle fut bien plus étonnée , lorfqu'elle entendit ces patoles fortir de fa gueule enfanglantée. « O vierge ! ( car il n'y a qu'une vierge qui »> puiffe mériter notre fecours , & échapper a 3> notre fureur,) je fuis le roi de ces forêts. C'eft » le Génie Houadir qui m'envoie vers toi, pour te • délivrer. Mais pourquoi Urad s'eft-elle livrée » au défefpoir ? Pourquoi a-t-elle accufé Ia pro-  DES GÉNIES. IS5 s> vidence de 1'avoir abandonnée? Elle auroit da s> plurót attendre patiemment fa délivrance de la » main qui 1'avoit protégée dans tant d'autres »9 occafions , Sc ne pas accufer fon protecteur de » mauvaife volonté. » II eft vrai , 6 magnifique lion ! répondit »> Urad j mais on n'eft pas maitre de la peur. Les » enfans des hommes ne font que foiblefïe Sc » ingratitude. Béni foit Alla , qui, au lieu de fe ai rebuter de mon impatience , envoie a mon » fecours le gardien de 1'innocence. Mais com» ment fe peut il que vous, qui êtes naturelle» ment fier & cruel , moncriez tant de comj> paflion , de douceur tk de tendrefïe pour une » pauvre fille que vous pourriez dévórer en un » inftant ? Le lion répondit: « Les ames grandes & no» bles mettent leur gloire a fecourir i'innocence »> opprimée. Apprenez de-la, belle Urad, qu'il » n'y a d'homme vraiment noble , grand tk ver>» tueux, que celui qui fait commander d fes >3 defirs, tk réfifter a la tentation de perdre une » fille innocente qui tombe en fa puifTancc. Que » devez-vous donc penfer de ces miférables qui i?3 cherchent a corrompre votre vertu , a. ébranler M) vos pieufes réfolutions, qui cherchent a vous » féduire fous le voile d'une fainte afTection, Sc 9 qui vous difent enfuite , s'ils ne réuflin'ent pas  a$4 Les Contes n dans leurs vues profanes , qu'ils vouloient feu» lement vous éprouver ? Tout hypocrice eft vil, „ méprifable, & indigne des affedions chaftes » d'une fille vertueufe. C'eft pourquoi, b Urad! » fuyez un homme de ce caraétère. Ne vous fiez » point a fon extérieur vertueux , ni a 1'eftime » qu'on fait de lui. H ufurpe des honneurs qu'il » ne mérite pas. 11 fair profeflion de refpecter » votre innocence : fes refpeéts font démentis ,» par fes defirs. C'eft pour vous tromper qu'il » afFeclte cette faufte apparence de fainteté. C'eft *> paree qu'il eft méchant, qu'il prend le mafque » de la bontéi S'il eft vrai , s'il eft fincère, il eft » lache , impudent, téméraire ; il vous invite au » crime. » Urad, accompagné du lion fon libérateur, traverfoit la forêt en écoutamt avec refpect les fages lecons qu'il lui faifoir. Ils entendirent un grand bruit, des aboyemens, des henniflemens, Sc une mufique de chaffe. « Hélas! dit la belle Urad, qu'eft cela? Qu'en» tends-je encore? Suis-je réfervée a de nou» veaux malheurs » ? « Vous prenez aifément 1'allarme, répondit » le lion. Vous entendez le bruit d'une chaffb. » Ces gens-la ne vous cherchent point; ils n'en s5 veulent qu'a moi. Vous appelez le lion cruel, » paree qu'il devote fa proie, c'eft-a-dire, paree  i> qu'il fe nourrit de ce qu'il rencontre : il ne me si que pour fubfifter. Que devez vous donc pens» fer de ceux qui fe font un plaifir de tuer avsc s> art des ètres dónt ils ne peuvent fe repaitre? j* Mais 1'homme eft le monarque de tous les anijs maux: voyez comment il les gouverne » ! « O mon illuftre protedteur, répondit Uradl js laiflez moi j fongez a votre sureté. Houadir j» faura me fecourir s'il y a du danger pour moi. ss Fuyez, les chafteurs vonr nous atreindre «. « Non, belle étrangère, répliqua le lion, ss Houadir m'a ordonné de ne vous point quitter j» que je ne la voie. A quoi puis-je mieux facrijs - fier ma vie, qu'au fervke de 1'innocence & de sj la chafteté ? Les chafteurs arrivèrent ; mais au lieu d'attaquer le lion, ils pafsèrént a cóté , & fembloient pourfuivre quelqu'autre bêre. II n'y en eut qu'un qui marcha vers Urad en la regardant fixement: il avoit l'air plus diftingué que les autres \ il étoit fuivi d'un grand nombre d'eunuques. Le lion drefle fa crinière, enfle fes nafeaux \ fes yeux lancent des éclairs ; fa queue élevée frappe fes vaftes flancs. Avec un front hérilfé, une gueule écumanre & des yeux irrités, il s'élance fur celui qui commandoit la troupe. Le c avalier voyant fon deflein, prend fa Iance $c poulfe fon fier courfier contre 1'animal furieux.  Lhs Conté* A peine le lion a-t-il atteint le cavalier , qüscelui-ci lui porte un coup vigoureux. La lanc® lui perce une des pattes de devant qui refte attachée a terre. Le lion en eut bientót détaché fa patte, mais la lance relte enfoncée dans le pied de 1'ahimal t la douleur que lui caufe cette bleffure, lui fait pouifer des rugiifemens qui remplilfent la forêt d cpouvanre. Alors 1 ctranger s'approcha de la belle Urad; Sc la voyant de plus pres, ü s'écria tranfporté de joie ! » Par Alla, tu es digne des embraflernens » du vifir MuJJ'apulta. Eunuques, qu'on la prenne, j» qu'on en ait foin , qu'on Ia potte, au travers » de la forêt de Bagdat, dans Ie ferail de mes » ancêtres ». Le \ifir fut cbéi. Les eunuques fe faifirent ÜUrad, qui jeta en vain un grain de poivre a terre. Cependant elle eut confiance en Houadir, Sc ne perdit pas cette fois 1'efpoir d etre fecou-^ rue. . ; - óns Mu(fapul:a ordonna enfuite a fes efclaves d'achever le lion , d'en enfouir le cadavre en terre, de peur de laifler aucun veftige de ce meurrre •* car Almurah avoit dcfendu de tuer aucun lion de fes fjrêts, fous peine de morr. Les • eunuques amenèrent Urad au ferail du vifir, & la logèrent dans 1'appartement Ie plus retiré du palais, de peur qu'on entendit fes cris»  BES GÉNIES. 187 Mujjapuka les fuivit a quelque diftance, lailTant fes efclaves maffacrer le lion fidéle & infortuné. Le vifir Sc le refte de fa fuite arrivèrent bientbt au palais. On revêtit Urad des plus rnagnifi». que habits, Sc on lui dit que Mujjapuka viendroit la voir cette nuit. La fille de Nouri s'évanouit a cette nouvelle Elle craignit que ie Génie ne 1'eüt oubliée. Elle réfolut d'eifayer un nouveau grain de poivre , dés que les eunuques fe feroient retirés. Mais ils emportèrent fes habits de payfanne, Sc la pauvre fille oublia d'en óter le fac qui renfermoir fon tréfor. Urad acheva de fe défefpérer a ce nouveau :s' malheur. Suremenr Houadir m'oubliera , di» foit-elle , puifque je me fuis oubliée moi« mème,». Elle paffa la nuit entiète dans les pleurs Sc dans des ttanfes cruelles. Le vifir ne vint point. Le lendemain les eunuques entrèrent dans fon appartement , Sc lui dirent que le fultan avoit envoyé la veille Muffapulta appaifet une émeute qui s'étoit élevée dans une province éloignée, de forte qu'ils ne 1'attendoient pas avant vingt jours. Pendant eet intervalle , on n'épargna rien pour réconcilier Urad avec fon nouveau fort, & lui rendre fa nouvelle demeure agréable. Quoi-  288 Les Contes qu'elle déteftat ce lieu, elle ne put s'empêcHeï d'en admirer la magnihcence , & bientót elle en connut tous les agrémens , quoiqu'elle n'y pric aucun plaifir, Le vifir s'étant acquitté de fa commiffion , revint a Bagdat. II n'avoit pas oublié fa belle captive.U donna fes ordres pour qu'on la préparat a receVoir fa vifite dès le même foir. Urad fut magnifiquement parée de brocards," de perles Sc de bijoux. Elle eftacoit toutes les beautés de la Circafjie. L'air de candeur & d'innocence répandu fur toute fa perfonne , relevoir 1'éclat de fes charmes. Les eunuques n'ofoient la regarder. Mujjapuka vint au ferail. On le conduifit a P-appartement de la belle captive qu'il trouva dans Ia plus profonde affliélion. 31 Quoi! lui dit-il, depuis le tems que vous 33 habitez dans ce palais, n'avez-vous point alfez ii verfé de larmes? Les beaurés de ce lieu n'ont33 elles pu vous faire oublier vos chagrins ? Re33 jouilTez-vous , Urad; fachez que le vifir Mujja33 pulta vous euime plus que toutes fes fem33 mes J3 ? 33 L'eftime d'un voleur Sc d'an chafieur inss jufte ne flatte point la vertu , répondit Urddi 33 Le ciel préferve mon corps d être fouillé par33 un monftre tel que toi 1 II n'y a point de puif- fance  DES GÉNIES." iSe» » fance capable de me faire aimer le meurtrier » de mon ami. Je ne me réjouirai point dans la * préfence d'un infame ». ^ Muffapulta, irricé de cette réponfe , lui répartit : » Quoi ! vous refufez les offres de rnon » amour ? Miférable villageoife 4 oui, je vais » commencer par cueillir cette fleur dont tu fem" b!es faire tant de c« i & puis je t'abandonnerai » a mes efclaves. Je fuis en poffeffion .de ton » corps , j'en ferai tel ufage que la tache de ta m vertu deshonorée paffera jufqu'a ton ame.. J'au» rai des témoins de mon triomphe & de ta » honte. Je vais afTembler mon férail ■ toutes ft mes femmes vont venir 5 elles riront de tes » cris , tandis que je jouirai de toi fur le lit de » mes defirs, d'oü tu ne releveras qu'aprés que » tous mes efclaves auront fuivi 1'exemple de » leur maitre »ï » Eunuques , continua-t - il, qu'on prenne » cette verrueufe fille, qu'on 1'attache fur ce » fora; qu'on appelle mes femmes 5 que tous ft mes efclaves viennent. Orez a Urad ces vaius ft ornemens qu'elle dédaigne. Qu'elle nous mon» tre la beauté de ce corps dont elle chérit tant » la pureté ». Les eunuques sapprochèrent de la belle Urad, & fe mettent en devoit d'exécuter les ordres de' leur maïtre. En vain 1'innoce.nte fille fait retentie Tomé XXIX. j  490 Les Conte^s le palais de fes cris lamentables , appelant Alla; ■Mahomet Sc Houadir. Les femmes du vifir arrivèrenr. Muffapulta leur dit: pourquoi il les faifoit venir. Elles s'approchèrenr de la belle pleureufe , 'Sc fe moquèrenrdeTon chagrin , dans les termes les plus durs Sc les plus indécens. Les efclaves parurent auffi. Urad, expofée prefque nue a leurs yeux, fut contrainte de fupporter leurs railleries bnuales. » Pourquoi retarder plus long-tems nos plaiji firs , die le viiir orgueilleux ? Eunuques , qu'on « fe hare d'expofer a la vwe publique cette tenw dre innocence, cecte vertu pure , cetre vertu jj virgihale qui va devenir la proie du volup» tueux Muffapulta ». A peine eut-il achevé ces mots , qu'un hétos du gtand feigneur arriva en bate , en criant a haute voix : » Place, place, le fultan, legrand jj fultan Almurah approche ». Toute la falie fut remplie de confufion. Muffapulta , pale Sc tremblant, ordonna de revétir Urad, des ornemens donc on 1'avoit dépouillée. Le fidéle lion entraavec le fultan. L'animal glorieux fe faifit du vifir ; Sc le mit en pièces 3 a la vue de toute fa maifon qu'il avoit affi;rnblée- pour un autre fpeótacle , pour Être témoin de fa barbaiie Sc de fa brutalité. Cepen-  des Génies. 291 'dant le lion dédaigna de fe répaitre des membres d'un monftre : il les jeta au milieu de fes femmes épouvantées de cette fcène fanglante. Ahnurah fit approcher Urad ; & la voyant fi belle , il dit au lion : jj animal généreux, je ne. » fuis point furpris que vous n'ayez pu me pein5) dre les beautés de cette aimable fille , je la 5> contemple Sc j'en fuis moi-même ravi d'admi5? racion jj. . jj Fille vertueufe , continua le fultan en adrefjj fant la parole a la belle Urad, votre libérateur n m'a tant dit de merveilles de vous , de vorre jj perfonne, de vos perfeótions, que je m'eftijj merois le plus heureux des hommes, fi vous jj. daigniez agréer le cceur & Ahnurah. Mais je le =j jure (& mon ferment eft inviolable) fi vous jj me refufez, je plaindrai mon malheur,. Sc në jj chercherai point a obtenir par force ce que je' jj 'veux devoir a un fentimenr plus doux jj. jj O Sultan! dit Urad avec un foupir refpecjj tueux, vous faites trop d'honneur a vorre ef» clave. Cependant que je ferois heureufe, li jj Houadir éroit ici » ! Aufli rót le Génie Houadir parut. II avoit encore la figured'une vieille femme, fous laquelle il avoit donné tant d'utiles inftructions a Urad; mais il étoit environné d'une gloire éclarante :fa démarche avoit un air majeftueux 8c divin. Tij  43i Les 'Contes Almurah s'inclina jufqu'a terre ; Uradku témoigna fon refpecl & fa foumiffion; le refte de ralTemblée fe profterna en fa préfence. Le Génie paria ainfi : » O Urad, c'eft a préfent » que mes confeils vous font néceffaires. La 3» propofuion du fultan mérite réflexion. II ne sj convient pas a une fille de prendre de reis èhjj gagemens, quelque flatteurs tk magnifiques 3s qu'ils foient, fans confulter ceux qui peuvent js la diriger dans une démarche auffi importante, o Moi, qui connois !e cceur d''Almurah, le ferjs viteur fidéle de Mahomet, je fais qu'il eft versj tueux. II eft vrai qu'il s'eft rcndu coupable de » quelques excès. Il eft certain auifi que fes fau3» tes doivent moins lui être imputées qu'a fon ss méchant vifir Muffapulta ». A ce mot le lion poufta un rugiftement terrible. jj Almurah , continua Houadir, le vifir a frappé, jj malgré mes ordres , ce fuperbe animal que jj j'avois donné pour proteébeur a la belle voyajj geufe, afin de lui apprendre que c'eft le pro»3 pre des grandes ames de fecourir 1'innocence jj opprimée. Muffapulta , 1'ayant bleffé , comjj manda a un de fes efclaves de le mettre a sj mort, tk d'enfouir fon cadavre, de peur que j> ce crime ne parvint a votre connoiffance. J'ai jj ému de compaflion 1'efclave du vifir , il a con-  DES GÉNIES. *9J « duit chez lui lahimal blefle, il a panfé fa blef» fure, il Fa guéri. Sur ces entrefaites vous êtes » venu chaffér dans la forêt, le lion fidéle s'eft » préfenté a vous , & vous a fait conrioitre la » méchanceté de Muffapulta ; mais il n'eft plus: « oublions qu'il fut i>. » a préfent, Urad, fi vous avez de 1'inclination » pour Almurah, recevez fes voeux, mais ne lui j> donnez pas votre main fans votre cceur. II n'y >> a point de grandeur qui puille fuppléer au dé» faut de FafTeófcion. L'amout feul peut rendre j> votre iihioii heureufe ». Urad répondit : « Si mon gracieux feigneur « veut me jurer de m'accorder trois chofes que » je lui demanderai , je m'eftimerai heureufe » d'etre a lui ». « Belle Urad, reprit vivement Almurah , de» mandez-moi, non pas trois,' mais trois mille « chofes, & je vous les accorderai, fi elles dé»> pendent de moi »; « Et qu'eft-ce donc que Ia fille de Nouri defire j> fi ardemment du fultan de Bagdat demanda ft Houadir » ? « Quoi que ce foit, gracieux Génie, dit Almu» rah, la maitrefle de mon cceur eft süre de 1'ob» tenit. Elle peut me comniander ce qu'elle vou« dra, elle fera obéie »?. Alors Urad die avec un air aulfi grand que tef- Tiij  294 Les Contes pecftueux : « Le premier de mes defirs, c'eft-quö » les habitans de la forêt & des environs dti j> Tigre rentrent dans les terres donr ils ont été » chaftés contre toute juftice «. « Alla! s'écria le fultan , b Mahomet! faint » prophéte des juftes , vous le favez , ce fut le j> vifir Muffapulta qui donna eet ordre crue!. 33 Oui, belle Urad, vos defirs feront fatisfaits js dès aujourd'hui ». 33 Mais , avant de continuer a me faire con« 33 noitre vos intentions, permettez que je vous 33 rende a. vous-même une juftice qui vous eft •33 due. Je veux facrifier en même tems a 1'équité 33 & a la chafteté, en faifant vceu, devant le bon 33 Génie Houadir, de renvoyer toutes les femmes 33 de mon férail, pour n'être qu'a vous 33, « Généreux fultan , dit Urad y un fi noble fa33 crifice ne me laifte plus rien a. defirer. Puif33 que vous favez fi bien lire dans mon cceur, 39 & prévenir mes fouhaits, fouftrez que je me 33 difpenfe de vous les déclarer 33 Oui, reprit Almurah, je lis encore dans les 33 yeux de la charmanre Urad, qu'elle eft péné33 ttée de teconnoiftance pout 1'animal bienfai33 fant qui Fa délivrée des mains de 1'infame 33 vifir, & de Popprobre qu'il lui deftinoit. Vous 33 m'alliez demander quelque grace pour ce lion 3> généreux. Qu'il foit honoré comme le pro-  des -génies. 295- 33 tecbeiir d'Urad, & 1'ami cY Almurah ! Qu'il » vive dans mon palais! Qu'il ait des efclaves 3> pour le fervir. Afin que les jours de fon repos 33 ne foient point fansgloire, pour conferver le 33 fouvenir de ce qu'il a fait pour vous, itous les 33 ans on facrifiera a fa jufte colère tous les ravif33 feurs coupables de viol. Ainfi il fera le ven33 geur de 1'innocence dans les jours de fa vieil33 leiTe 33. Urad fe jeta aux pieds du fultan , & le remer-. cia des marqués d'affeótion qu'il lui donnoit. Le Génie Houadir approuva également & les demandes de la belle voyageufe, & les promefles du généreux fultan. Le lion s'approcha &c lécha les pieds de fon bienfaiteut, en figne de fa reconnoilTalice. Le Génie bénit les illuftres époux &c difparut. 33 Garder le fexe foible des artifices du 33 fexe trompeur, c'eft un emploi digne de norre 33 race immorrelle , dit Iracagem. Le fage Houa33 dir a judicieufement mêlé la prudence & la 33 chafteté dans fes charmantes inftructions. La 33 foiblelTe d'une jeune fille, qui, fans expérience 33 fe trouve comme livrée aux enrreprifes d'une 33 foule de féduóteurs, rend trop inégal le com33 bat de 1'innocence contre la méchanceté, a ss moins quelle ne foit affiftée d'un fecours fupé- Tiv  l93 les émeraudes de Ganï. La fagefle eft le vrai n foutient de la gloire. La puiflance du fultan de j> \Tnde eft fondée fur les confeils de fes fages. » O vous ! dont la prudence eft le fruit d'une 33 longue expétience , apprenez a Mifnar ce qu'il ss doit faire pour remplir dignement le tróne du >3 puiffant Dabulcombar, pour faire le bonheur 33 de fes peuples, & vivre lui-même heureux js au milieu des embarras, des foins, des dangers 33 inféparables de la royauté. Celui qui m'appren33 dra a bien régner, fera honoré comme mon 33 bienfaiteur & mon père 33. Les fages , aflemblés , furent étonnés &c ravis de la condefcendance de leur jeune fultan. L'un deux fe profterna devant le tróne, les autres fuivirent fon exemple, & tous enfemble dirent d'une voix unanime : « Que la fagelfe guide les pas de Filluftre 33 Mifnar! que Fefprit de notre glorieux fultan 33 foir comme 1'ceil du jour 33! Après ce fouhait, le prophéte Z'euramaund fe leva & dit:  •2Ö» Les Contes « Je vois les fombres nuages du malheur s'af» fembler pour troubler les jours de 1'avenir. O " fultan de {'Inde '■ les efprits des méchans trament » dans 1'obfcurité leurs noirs complots contre toi. » La tempête eft prête d fondre fur ra tere. Mais, » le livre immenfe du deftin s'ouvre devant moi; » & jy lis la fin heureufe & glorieufe de ces » troubles ». Ainfi paria Zeuramaund. L'efprit cVAlla parloit par fa bouche; il avoit l'air infpiré. Tous les fages le regardoient avec éronnement, lorfqu'il prononcoit cette prédi&Iöh. Quand il eut ceiTé de parler, ils fe profternèrent le fronr contre terre en préfence de la divinité qui 1'infpiroit. Mifnar ne fut point troublé des malheurs qu'on lui annoncoir. Son ame étoir préparée aux revers. Le fort , quel qu'il füt , ne pouvoit 1'abattre. " O mes amis! dit-il d'un air tranquille, Ia » rofe ne fleurit point fans épines. La vie ne fe » paffe point fans quelques calamités. Les nuages » de l'air doivent fe fondre en pluie fur nos « campagnes , avant que le ris y germe. La » femme entend les cris de 1'enfant qu'elle vient » de mettre au monde, dès qu'elle fent le plaifir » d ètre mère. Ne vous affligez donc pas, mes » amis, des malheurs qui menacent votre fultan. » Je les envifage d'un ceil intrépide, dans l'efpé-  BES GÉNIES. jol » rance que vorre fagefle & vos confeils m'ai» deront a les fupporter, & a corriger la maligne » mfluence da fort, amant qu'il dépendra de » moi. La vertu nous rend fupérieura a la for*> tune ». A ces mots, les fages fe levèrent, regardant avec admiration l'air ferein & tranquille de leur fultan. Ils admiroient tant de prudence & de force dans un cceur fi jeune. Un profond lilence régna pendant quelque tems. Un des plus anciens de 1'aflemblée s'avanca vers le prince intrépide, & lui donna ce confeil. * ° vive lumière de Ia terre! dit-il d'un ton » refpectueux! toi dont Ia vertu & 1'innocence » n'ont point encore été en bute aux artitices des » méchans, aux piéges de 1'impofture: roi dont » 1'efprit pur & droit ignore les détours tortueux, « les replis cachés du cceur humain, ne compte » point fur le hafard , lorfque ton bras peut » t'affermir fur le trène de tón pére. La prudence » veut qu'on ne rifque point ce que 1'on peuc « s'alfurer par foi-même. O fultan! tu as un » frère : un fang royal Coule dans fes veines. Son » cceur eft auffi grand que fa naiflance. Si donc » Ahubal étoit moiffbnné dans Ia fleur de fon p age, avant qu'il fftt en état de rien machiner » contre toi j fi tu 1'écrafois, comme Ie payfaa  3oa LesContes » arrache tk détruit le lacar des prairies » (i) « Quels foupcons indignes ofes-tu m'infpner, „ die le jeune Sulran ? Quel confeil vil & déref» table ofes-tu me donner? N'y a-t il donc pas „ d'aurre moyen de s'afFermir fur le trbne de la „ juftice tk de la bonté, que le meurtre tk le fra» tricide? La prudence, qui fe baigne dans le „ fang, ceffe d'être venu : elle dégénéré bientót ,5 en méchanceté & en lacheté. Non, jamais celui » qui eft né pour rendre la juftice, n'aflurera fa „ puiftance par la cruauté & 1'oppreffion. Alla, le „ jufte , le faint par excellence, ne m'a point mis » fur la terre pour étendte une ombre mortelle „ fur la poftériré de fon prophéte Mahomet. Si la „ crainte & la foumiliion eft la vertu d'un fujet, » la bonté eft la perfeeftion cYAlla; tk ceux qui „ tiennent fa place fur la terre, doivent imirer „ l'amour univerfel qu'il a pour toutes fes créa„ tures. Mais, pour toi, ame vile, qui as ofé me „ confeiller d'écrafer un rejeton de la race du „ grand Dabulcombar, que la vengeance du fang. 3J de mon fiére tombe fur toi! Que ta mort expie. » ton crime ». Les gardes du Divan, ayant entendu prononcer (i) Le lacar eft «ne forte de plante vemmcufe fort abondante dans quelques «es des Indes, mais peu ou point comine en Europc.  DES GÉNIES. joj cette fentence, alloient fe mettre en devoir de rexécuter. Us fe faifirerit du faux fage, & levant leurs cimeterres fur fa tête coupable , ils 1'auroient frappé fut- le champ, fi Mifnar'ne les eutarrêrés par ces paroles : • « Qu'aucun de mes fujets n'ofe violer la fain» teté de ce refuge de 1'innocence opprimé! Le » fiin&uaire de la juftice eft un lieu facré qu'oa s> ne doit point fouiller de fang. Cependant orez » ce monftre de ma vue , & que fes defirs cruels » s'éteignent dans fon propre fang ». A peine avoit-il fini de parler, que les gardes vouiurent fe faifir du fage ; mais dès qu'ils fe furent approchés de lui, un torrent de flammes fortit de fa gueule ardente; il n'avoit plus la figure d'un homme, c'éroit un dragonfurieux. Toute 1'aflèmblée, faifie d'épouvante, fe mit5 fuir devant ce monftre terrible. Mifnar feul refte intrépide furie ttöne. II rire'fon cimeterre, pret a fe défendre conrre le dragon, s'il 1'attaquoir. Au travers des flammes qu'il vomilfoir de toutes p u ts, il appercut fur le dos du monftre un vieux magicien qui lui paria en ces termes : « C'eft en vain, foible enfant de Mahomet, » c'eft en vain que ton bras s'arme contre le »! pouvoir de mon art. Tu ferois Ia victime de » ma rage, fi tu n'étois foutenu par une force inj? vifible, Sc fupérieure a la miemie. Mais tremble  304 Las Contes j> fous le diadême. Ecoute ta fentence. Huit de: jj mesfrères fe font ligués contre toi. La couronne jj de Dabulcombar chancelle fur ta tête. Son tróne » fous tes pieds. La crainte , la méfiance & la foijj bleffe de ton cceur, que les crédules adotateurs jj du prophéte Mahomet appellent prudence, fajj geffe, modétation, t'ont préfervé en ce moment jj du piége que je t'avois tendu j mais les efprits j> de ténèbres font déchainés. Le pouvoir de jj 1'enchantement va prévaloir jj. Ainfi paria le vieux magicien. Son fier dragon s'éleva en rugiifant j & percant la voute de lafalle, il difparut. Mifnar, qui avoit toujours confervé fa première tranquillité, rcmit fon cimeterre dans le fottrreau, tk dit aux fages reftés affemblés autour de lui : « C'eft ainfi que 1'intrépidité de la jj foi fait évanouir les vains preftiges des ennemis jj de Mahomet. Ces vils importeurs font déconjj certés en préfence de la vertu. Mais dites-moi, jj amis de la fagelfe, comment eet enchanteur jj a-t-il pu s'introduire ici parmi vous, fous les jj traits d'un de vos frères jj ? Balihu, 1'hermire des croyans de Que'da, prit la parole, tk répondit au fultan:« Que le feigneur jj de Ylnde, tk de toutes mes volontés, triomphe jj de fes ennemis. Je traverfois les montagnes de j» Que'da, oü je ne vis ni le vol des oifeaux, ni les  DES G É N ï e S.' ?,öj fe les traces d'aücun animal • je paflai, pat hafard, »» auprès d'une caverne qui s'enfonce bien avant » dans le toe, je vis a la porte ce faux fage dont » Papparence m'en impofa. Ne me défiant d'aui> cune impofture, je Finvitai a faire le Voyage » avec möi, & a fe rendre aux ordres du glo>> rieux Mifnar. Nous arrivames heurfeufement k » la porte du divan. Comme j'y entrois, il m'ar» rêta, & me dit : Mets ta main en avant, & » pouffe - moi devant toi dans le temple de la » juftice, en invoquant le nom de Mahomet, car » les mauvais efptits font fur moi, Sc me tourj> mentent ». Quand Phermite Èalihu eut parlé, Mangélo fö leva. « Que la puilfance du fultan de 1'Orienc » s etende jufqu'aux extrémitésde la terre, dit-ilj » mais fache, ó prince magnifique, qu'il n'y a j> ni enchanteur ni mauvais Génie qui puifTc en» trer dans le temple de la juftice, fi ce n'eft au j> nom de Mahomet ». « Si cela eft ainfi, reprit Mifnar, ils ne peuvenc » donc aufii cacher long - tems leut méchanceté » aux yeux de la juftice; cat c'eft toi, 6 Alla} » foutce éternelle de toute droiture, qui es affis » fur les tribunaux que tu as établis fur ia terre : « tufaisfuirlemenfongedevantceluiquicherch® i» fincèrement la vérité. TomeXXJX. y  j0 moi ieur malice Auffi-tot une odeur de foufre embrafé remplit Ja falie, & d'un nuage épais d'une fumée noire , fortirent fept fpeélres d'une forme hideufe. Le premier, l'enchanteur Tafnar, prit 1'effot fur les alles d'un yaurour , & s'éleva jufqu'a la route. 11 reiffembloit a un Indien qu'on empalle : fa peau noire & brulée romboit en lambeaux dè fon cops enfanglanté. Le fecond fe traïnoit'fur un énorme fcorpiondont la queue couvroit de fon venin mortel la route qu'elle tracoit. C'étoit Ahaback ; fes yeux ardens lancoient des regards furieux fur le jeune fultan. Happuck le fuivoit, Happuch le plus fubtil desmagiciens. II époit inonté fur un tigre dont la crinière érou hériffée de ferpens, &c la queue formée de vipères entortillces. Hupacufan, cette vieille & décrépite forcière qui avoit pris les traits du fage Sallafalfor de Nee  des Genie s: 307: £a/,confonduede voir fon hypocrifie découverte, parut anx yeux de 1'affemblée, auffi hideufe qu'elle étoit. Chacun frémir d'horreur en la voyant. Ses os, qui percoient au travers de fa peau jaunatre &. ridée , repréfentoiènt au naturel ces antiques momies d'Egypre. Elle étoit montée fur le fquelette de la mort. Sa figure étoit celle d'une araignée, mais la maffe de fon corps éroir auffi énorme que celle d'un éléphant des bois.Ses longues pattes décharnées éroient couvertes de poils en forme de toile d'araignée, & de la partie poftérieure de fon corps couloir une matière de couleur blancharre, un poifon infeét qui répandoit au loin fa maligne influence. ULïn, la méchante fceur de Hupacufan, parut enfuite, portée fur un crapaud affreux, donr la gueule énorme vomifloit la pefte : pefte aufli terrible que celle qui fit périr les malheureux habitans de Dély. Un ferpenr long Sc gros ccrrtme les cèdres des montagnes, s'élanca au milieu de 1'aifemblée , formant mille replis tortueux , Sc rempliiïant la falie de fes fifflemens horribles; il portoit 1'enchanterefTe Defect, dont les oreilles épouvantables couvroient a plufieurs doublés une tête d'iniquité, & dont les longues mamelies defféchces &ridées pendoient fur un cceur de rocher. Le dernier des enchanteurs, le géant Kifri, Vij .  'ja? Les Contes' s'avanca enfuite comme une montagne ambulante. Sa vue remplit Fafïemblée d'épouvante. Sa tête fembloit portee Ia voüte de la falie, il étoit porté fur un crocodile d'une grandeur immenfe , qui gémilToit fous cette charge énorme. Chacun® de fes écailles fembloit une gueule qui vomifloit un fang corrompu. Le géant tenoit dans fa main une torcheallumée, qu'ilagitoitde coté &d'autre. II la fecoua fur 1'intrépide Mifnar, en lui difant avec une voix de tonnère : « Tremble, vil reptile, tremble devant un » géant. Crains fa colère , crains le pouvoir ma» gique de mes frères, fi toutefois ce nom peut . » convenir a notte race qui ne reconnoit tk ne n refpecte aucun lien de la nature. Tremble , » vil reptile, ton fort eft décidé , ta pene eft » réfolue. » A ces mots, la troupe infernale fit retentir la voüte, de fes cris aigus, tk tous, d'une voix una* nime, répétèrent avec Kifri cette menace infolente : « Tremble, tremble , vil reptile : ton „ fort eft décidé, ta perte eft réfolue. » Les enchanteurs étoient enveloppés d'un nuage cpais de fumée, d'oü fortoient des traits de feu femblables a la foudre. Le nuage s'éleva au milieu du divan , tk difparut. Quand 1'enchantement fut diffipé , Mifnar ft profterna la face contre terre , en difant: «IJ  DES GÉNIES. JOt) .»• n'y a ni fagefle , ni prudence , ni force , » que la fagefle, la prudence & la force qui « viennent cYAlla , & que donne le prophete s> des croyans ! O protecfteur des mufulmans ! 55 fi tu daignes aftermir mes pas, dans la route » que ta loi m'a tracée, la crainte du mal ne ■>•> viendra point fur moi; jamais on ne verra » ton humble adorateur trembler devant les » méchans , ni s'eftiayer de leurs vains prefj» tiges. » Heureux, s'écria Candufa , Iman de Lahor» 33 profterné aufli jufqu'a terre, heureux le prince » qui a mis fa confiance dans Alla , & dont la 33 fagefle vient du treizième ciel! >3 Toute 1'aflemblée des fages s'inclina profondement devant Mifnar, en répétant plufieurs fois cette exclamation : « Heureux , mille fois 33 heureux , notre augufte fultan , le favori 33 cx Alla ! jj O fages ! répliqua Mifnar, c'en eft trop : 33 le fultan de 1'orient ne peut entend re des 33 louanges exagérées qu'il eft bien loin de me33 riter, au moins dans toute leur étendue. Mais 33 <±n4lla, l auteur de toute fainteté , approuve sj mes penfées & mes acftions. Les méchans péri»3 ront par les puiflances infernales quils mettent 33 en oeuvre pour nuire aux bons; & les flèches 33 empoifonnées rebroufleront chemin pour venir Vüj  I 3 IO Les Contes » percér ceux qui les foufflenr (i). O fages * » quoique cette affemblée foit moins nombreufe s' qu'elle n'étoit il n'y a qu'un moment , elle » en eft plus prudente, plus propre a inftruire » Mifnar votie fultan qui vous demande vos » confeils , dans le deilin de les fuivre. Dites» moi ce que je dois faire de mon frère Akubal,, » iiïii, comme moi, du glorieux Dabulcombar ? » Qu'exigent de moi, dans la conjonóture pré» fente , la paix tk Ia sureté de mon tróne. ? » Le fage Carnakan répondit le premier en ces termes : « Qa'Al/a me préferve de donner a mon 53 maitre, mes paroles pour des oracles. Mais il 53 ne feroit pas prudent que le prince , ton frère» 55 eut un pouvoir égal a celui du fultan , mon 33 feigneur & le fien pouvant faire , a fon 35 exemple , toutce qu'il jugeroit a propos. II doit 53 être efclave ou maitre. Puifque le droit de la 33 nailTance te place fur le tróne de 1'orienr, il 33 doit être a tes pieds. Tous les princes ne font35 ils pas les valfaux du fultan de ITnds ? Qu'il 55 jouilTe donc de la vie & de tous fes agrémens ; 55 mais qu'on lui óte les moyens de troubler Ie 55 règne du fulran Mifnar. Sur les rochers efcar- (i) Dans plufieurs parties de 1'Afie les habitans ont de pctits traits empoifonnés qu'ils foufflent fur leurs ennemis, au travers d'une efpèce de rofeau creujc.  des Genie s. $ 11 m pcs cXAboulfakem , oü XAva prend fa fource , *> il y a un vatte & magnifique chateau,bati par les >■> ordres du fage Illfakircki qui en donna lui» même le plan. Il n'a d'autre iiTue qu'une val» léeétroice , que Ton peur faire garder par une » poignée d efclaves. Qu'on y ccnduife le prince , » qu'on lui donne un férail nombreux , qu'd y « jouiffe de tous les plaifirs de la vie, fans pou» voir rien entreprendre contre la tranquillité » glorieufe de ton règne. » L'avis de Carnakan fut agréé du fulran & de ralfemblée des fages. Mifnar donna ordre aux muets de conduire le prince fon frère , avec toute fa fuice, fes femmes & fes efclaves , au chateau royal d'' Aboulfakem. II congédia enfuite les fages , en leur ordonnant de fe trouver une fois la femaine au divan. Quelques jours après , les muets & les gardes que Mifnar avoit envoyé prendre le prince Ahabal, fe préfentèrent au palais du fulran-, & érant admis en fa préfence, ils fe proftemenr la face contre terre, en s'écriant. " Que la colère du fultan de Xlndc ne tombe n point fur fes efclaves. Tes efclaves accomplif» foient ta parole facrée \ ils traverfoient les dé» y> ferts , conduifant le prince ton frère , au j> cbateau cXAboulfakcm , lorfqu'ils rencontrèrent tt un parti de cinq mille chevaux qui les ar- Viv  3« Les Contes j» rêta , & leur ordonna de livrer le prince » Ahubal, qu de le défendre au péril de leur »> vie. » En vain tes efclaves auroient choifi ce derft nier parti. Ils le vouloient. Mais , hélas ! que w pouvoient quatre eens gardes, & vingt muets, » contre une armée entière. Cependant, tes eC? ft claves , réfolus de facrifier leur vie pour accom-' »> plir tes ordres , délibéroient fur les moyenï j< de réiïfter a cette troupe nombreufe, lorfque « le prince , tirant fon cimeterre, fait tomber ft ceux qui étoient prés de lui , & frappant da >j ebté & d'autre, avec une rage indomptable , ft il fe fait un paffage au travers des gardes , ft jufqu'a fes amis , qui le recoivent & nous » Penlèvent. « Ils alloient nous mettre en pièces , fi leut »j chef ne les en eüt empêchés en leur difant: « LailTbns vivre ces efclaves: qu'ils aillent porter » au fultan Mifnar, la nouvelle de Penlèveft ment du prince. Puis , en nous adreffant la ?» parole , il ajouta : Allez , vils efclaves , allez v dire a votre maitre , qu''Ahubal a des amis qui » fauronr punir Mifnar de fes procédés envers •» un frère. « A ces mots, Mifnar pouffa un profond foiiipir, & dit, « La prudence humaine n'eft pas capable feule  dis Genie sr 313 » d'éluder les piéges des méchans. Mais Alla eft j> plus puiflant que 1'homme. J'enverrai vers les jj prophères , & je leur demanderai ce que je jj dois faire pour me procurer les fecours de Majj hornet contre mes ennemis. jj Sans perdre de tems , Mifnar fit venir Zeuramaund avec fon collége : le prophete Mangélo eut auffi ordrg de quitter les montagnes de Caxol. II leur dit ce qui étoit arrivé & leur demanda ce qu'il devoit faire pour fe procurer 1'affiftance du prophéte & la protedfion cYAlla, contre les ennemis qui cherchoient a ébranler fon tröne, Alors Zeuramaundrépondit ainfi a la demande du fultan, ff Sut le tombeau du prophéte de la Mecque t> eft le cachet de Mahomet. Perfonne jufqu'ici « n'a pu 1'enlever; aucune force humaine n'eft »> capable de 1'öter de fa place, mais fi le pro»' phète des croyans veut écouter la prière du jj fultan , il lui laiflera prendre ce gage précieux « de fa proteétion. jj Oui, reprit Mangélo, le prophéte des mon»> tagnes de Caxol, le fceau de Mahomet bien j' capable de défendre le prince qui Ie pofsède » contre toute forte. d'enchantement. Mais cela jj ne fuffit pas. II faut de plus, qu'il s'empare de P la cejnture cVOyakka , que porte le géant  314 Lis Contes >> Kïfri , 1'ennemi juré da trène de 1'orïenr. Car, quoique le cachet de Mahomet puilfé jj préferver le fultan de tour mal, la ceincuté jj cXOpakka peut feule 1'empêcher d'ëtre trompé.. » C'eft elle qui lui fera reconnoitre l'impbf" « ture. j> Le fultan Mifnar, frappé de ces difcours, pada la nuit dans une perplexité caufée par les différentes réflexions qu'ils lui fournirent. II n'efpéroit guères qu'il lui fïïé accordé de prendre le cachet de Mahomet qui, depuis rant de lièdes., étoit immobile fur le tombeau du prophéte» D'un autre ebté , il lui fembloit impoffible d'arracher la ceinture cXOpakka , des reins d'un enchanreur qui , par la force de fon art , pouvoit détruire en un inftant 1'année la plus nombre ufe. Cependant, plein de confiance & de ferveur, il fe dérermina , fur la foi de fon confeil, a partir dèsle lendemain avec fa cour y pour le pélerinage de la Mecque. Le fultan fortit de grand matin de fon férarl, & donna ordre qu'on préparac tout pouc ce voyage folemnel. 11 vouloit partit fur le champ. Tandis que Mifnar faifoit favoir fes intentions, un meffager dépêché par le gouverneur des provinces du midi, vint en hate au palais du fultan,  DES GÉNIES- JIJ Sc demanda audience. II dit que le royaume du midi étoit révolté , que les rebelles avoient a leur tête, une héroïne qui déclaroit hautemenc qu'elle vouloit mettre Ahubal, frère du fultan, fur le trbne de Ylnde. Mifnar ne douta pas que cette révolte ne füt excitée par les enchanteurs. II défefpéra de Pappaifer a force ouverte. Mais de peur que les aucres royaumes, voyant qu'on ne s'oppofoit point aux rebelles , ne fulfent encoutagés a fuivre leuE exemple par 1'efpoir de 1'impunité , il affembla les armées de Dély , &c leva de nouvelles troupes, dont il donna le commandemeut au vilir Horam. II le fit venir pour lui donner les inftructions relatives a fa commillion : il lui ordonna furtout , d'envoyer chaque jour des mefTagers a la capitale , porter des nouvelles de fes fuccès. Le vifir Horam accepta avec reconnoiffance 1'honneur que le fultan lui faifoit , mais il prit la liberré de lui faire les repréfentations fuivantes au fujet du dernier ordre. " Que le fultan , mon feigneur, ne fe mette « pas en colère contre fon efclave. Si mon fei» gneur 1'ordonne , j'enverrai mille mefTagers m chaque jour. Mais c'eft une peine fuperdue. » Si le fultan , mon maitre , daigne accepter ces 55 tablettes, elles 1'inftniiront de nos' fuccès ,  Les Contes s> chaque fois que mon feigneur voudra en fa» voir des nouvelles. Nousfoumettrons les enne»> mis de ton glotieux règne, quelque nombreux m qu'ils foient. » Mifnar prit les tablettes du vifir, & lui dit avec furprife: « Par quelle vertu ces tablettes peuvents> elles m'initruire en un inftant de ce qui fe pafj> fera fi loin de moi ? O fultan! répondit Horam, lorfque mon père, sj victime de la méchanceté de fes ennemis , fut » banni de la préfence du grand Dabulcombar , jj qui jouit a préfent de la compagnie de Ma» hornet, ik des faveurs des céleftes Houris , ce >j fage exilé m'appela , & me dit : O Horam ! «j les méchans ont prévalu, ton père eft facrifié j» aux ennemis de la vérité. Non , mon fils , je sj ne verrat plus les enfans de ma force, je ne » verrai plus la gloire & la fplendeur de la cour » du fultan. J'ignore oü 1'on m'envoie. Mais » prends ces tablettes, 6 mon fils , & quelque jj part que je fois , tu liras fur les feuilles de ce jj livre , tout ce que je voudrai te faire favoir, js Après ma mort, Horam pourra faire le même jj préfent a un ami, & eet ami y lira de même jj tout ce que tu voudras lui faire connoitre. Mon ss refpeótable père a terminé fa carrière, ik je sj confervois précieufement ces tablettes pour jj une occafion importante.  des Génies. » Fidéle vifir, répondit le fultan , le préfent que tu me fais eft d'un prix ineftimable. Pour récompenfe , fe te donne la première placé dans mon eftime. Sache donc, ó fidéle Horam ! que les enchanteurs ont conjuré contre mi perfonne & ma couronne. J'ai confulté les prophètes & les fages. Je ne puis rien contre eux, fi je n'ai le cachet de Mahtmet, tk la ceinture d'Opakka. Je n'ai d'autre patti a prendre pour Ie préfent, que d'ailer a la Mecque , prier Ié prophéte qu'il daigne me laifler prendre fon cachet; & j'avois deflein de partir dès ce moment avec ma cour. Cependant, le nombre des rebelles s'accroit, leur parti fe fortifie. Le train d'un fultan ne peut aller qua petites journées. Mes ennemis auroient le tems de me détrbner avant que je pufte arriver fur le tombeaii du prophéte, fi je voulois attendre ma cour. Je m'avancerai donc vers la Mecque, en fecret & en hate, fans aucune fuite. Au conttaire, je ferai publier que Mifnar marche contre les rebelles, a la tête de fes armées, laiflant la pompe de mon train me fuivre lentement: car le prophete n'a pas befoin de ce fafte pour m'exaucer. Alla ne regarde qua ia ferveur, a la pureté , a la foi du cceur. Ma rente royale fera dreflee au milieu de mes foldats, il ne fera permis qu'i Horam d'y entrer. Mes ef-  31S Les Contes »> claves croiront que le fulran eft. avec eux ; » Sc leurs cceurs feront plelns de force Sc de s> courage. 5> Que la volonré du fultan foit accomplie, 3> dit Horam ; mais mon feigneur ne fe fera-t-il j> pas accompagner d'une garde pour la süreté du 33 voyage ? Il y a des montagnes & des déss ferrs a traverfer , des mers a paffer : tous ces 33 palTages , tant de terre que de mer, font dani3 gereux. « Non , dit le fultan , je ne veux ni fuite, nï 33 garde. Ceux qui font ici mes efclaves devien» droient mes maitres dans le défert. La con33 fiance augmente le danger. J'ai des gardes au ss cceur de mes états, au milieu de mes fidèles 33 fujets, Sc je confierois ma vie a un efclave dans 33 des lieux inhabités oü je rifquerois de n'être ss ni connu , ni refpeété ! Le diamant brut eft 33 libre dans la mine , fans qu'on Pinquière: on js le travail dès qüil eft forti des entrailles de la »3 terre. 33 Horam ne répliqua point, il fe retira en filence , admirant la prudence de fon jeune fultan. Cependant les troupes nombreufes de Ylndg s'aÜemblèrenr. Leurs tentes couvroient la campagne , Sc le pavillon royal s'élevoit bien audeflüs des autres. Horam fut déclaré le chef gé-  ï> E S GÉNIES. 3tf, néral des armées du fultan. Mifnar en tra dans fa rente au milieu d'une pompe éclatante. Horam feul 1'y fuivit. II fut défendu ï tout autre d'en approcher. Le vifir avoit eu foin d'y faire mettre un habit de déguifement, felon 1'ordre qu'il en avoir. A minuit il conduifit fon maitre déguifé en berger, hors du camp , & le fuivit dans un bois épais* oi fe jetant d fes pieds il le conjura de confidérer quel danger il alloit courir. « Horam , lui dit le fultan, je connois & ap» prouve la bonté de ton cceur. Ta crainte eft » fille de ton amour. Je fens tous les rifques de « mon pélerinage. Aux grands maux li faut de » grands remèdes. Si les hommes feuls s'étoient » élevés contre moi , je leur oppoferois des » hommes. xMais des puiffances plus qu'humai■ » nes ont juré ma perte: je dois attendre un fe> » cours plus qu'humain , on me réfoudre d périr. ! •» A qui aurai-je recours, finon au prophéte des' » fidèles ? Je fuis sür que les enohantemens ne » prévaudront point contre 1'innocence de mon » cceur , tandis que je matcherai vers la Mecque m Telle eft Ia force de la foi. Les vrais croyans » peuvent être toutmentés & traverfés dans leurs * PIeufes entreprifes: c'eft un orage qui paffe, ,» ik triomphenr d la fin. Horam, il n'y a point .» d'autre reflburce.  Jio Les Cöntes » II eft Vfai, répondit le vifiir, farts Alla toute? i> la ptudeiicé des hömtiies eft vaine \ rnais , ö » fultan ! Alla n'eft-il pas par-tout, & toujours i> ptêt a fecourir les enfans de la foi ? » Oui, dit Mifnar , Alla eft tout-puilfant. ii Cependant ce n'eft pas a fes humbles adora» teurs a vouloir conduire I'arbitre fouverain de »> toutes chofes. Si rtoüs Voulons iriériter fa proi-> tection, il hous faut obéir a fes commandemens-.' » La parole du ptophète nous allure que la prieft a des fidèles fera écautée a la Mecque, Ainfi Ho» ram, mon ami, & non plus uton efclave, con>> duis mes armées avec foi & confiance, ne >> doute point que celui qui chaque jout fait t> briller le foleil d'un nouvel éclat, ne rétabliiTe 33 bientót Mifnar fut le tróne de fes ancêtres. 13 Le fultan fe fépara du vifir qui le Voyoit s'éloignet a regret, fans gardes, a la rrterci des brigands, dont la forêt étoit peuplée. Un profond filence régnoit dans teute la nature couverte de fombres voiles. Seulement la fultane de la nuit brilloit d'un fombre éclat au travers des nuages qui paffoient devant elle. Sa pale lueur, qui s'éclipfoit par intervalles , ne fervoit qu'a rendre l'afpect de la forêt plus li*r gubre & plus erfrayant. L'intrépide Mifnar la traverfoit en fdence^ abforbé dans ces profondes réflexiotls. P J$  v> E S GÉNIE si J21 « Je me connois mieux que jamais , depuis j> que j'erre foliraire dans cette retraite obfcure }i & filencieufe. A la cour de nies ancêtres , on » me nommoit la lumière du monde , la gloire » de 1'Orient, 1'ceil du jour. Dans la forêt de j> Tarapajan, je ne fuis qu'un vil reptile qui fe >» traine dans les ténèbres au pied des cèdres qui » le couvrent & lui dérobent 1'éclat de la lune. La gloire de 1'homme n'eft: que vanité : les 3> grandeurs de la terre ne font qu'illufion & ap33 parence frompeufe. J'avois plus a craindre des js enchantemens fur le tróne de Dabulcombar , 33 que dans les horreurs de cetre forêr noire. Ici 33 les bêtes farouches ne me flatteront point : le 33 fier lion ne me recormoïtra pas pour le maitre 3) de fon domaine fauvage. 53 En quoi 1'homme foible & imbécille doit-il 33 donc mertre fa confiance ? Sur quelle pierre 3> pofera-t-il le pied pour ne point craindre de »3 tomber ? Sur quel rocher le fils de Ia terre 33 batira-t-il pour y vivre en sureté ? Grace a la >3 foi que j'ai en Mahomet, le faint prophéte des 33 Arabes , je fuis tranquille , je ne crains rien. 33 J'ai mis ma confiance dans Alla. Sa main con■93 duit les pas de fes enfans. II eft maitre fur les 33 repaires des bêtes fauves , comme fur les de33 meures des hommes. >s Le fultan yoyagea plufieurs jours de fuite, Tomc XXIX, X  312 Les Contes s'enrretenant avec lui-même de ces fages penfées. Une nuit il appercut une lumière refiécjrtie au firmament, puis plufieurs feux. Mille cris confus vinrent frapper fes oreilles. C étoient des Indienx qui fe divertiftoient dans le bois. Mifnar fe détourna pour les éviter. Mais ;m des payfans Indiens 1'ayant appercu a la lumière de leurs feux, il 1'appela fon frère, 8c 1'in» vita , au nom de rous, a partager leur joie & leur feftin. Le fultan déguifé auroit voulu s'en défendre; ils parurent difpofés a. infifter, ,& il failut con-. defcendre a leur invitation. II trouva dix a douze feux avec une nom? breufe troupe d'hommes & de femmes : les uns étoient aflis, les autres danfoient autour des premiers. Une mufique ruftique animoit leurs danfes. La joie éclatoit dans leurs yeux. Mifnar demanda quelle étoit la caufe de cette fète extraordinaire. « Quoi! répondit une vieille femme , êtes» vous donc fi étranger dans Tatapajan, que 33 vous ne facliiez pas qu'on célèbre la fête du ss Tigre. par ces feux nocturnes. Sachez que tout 53 paffager qui entre dans ce bois pendant la 33 célébration de cette fête, doit y prendre part, 33 & ne peut s'en aller que quand les feux font 33 éteinss.  DÈS GÉNIE S* 323 » Combicn la fête dure-1-elle, demanda »» Mifnar* » II y a trois nuits, dit la vieille , que ces feux » font allumés , & ils doivent brider encore » pendant onze nuits & onze jours. Pendant » toutce tems on ne voit point la coignée dans » la main du bucheron : on ne rite pas une feule » fieche dans les bois de Tarapajan ; & celui » qui a été admis a voir la célébrarion de ces » jeux , ne peut partir avant qu'ils foient » finis. ft Mifnar fut également furpris & faché de cette réponfe. Avant qu'il put dire une feule parole, la troupe des Indiens 1'entoura , de forte qu'il lui étoit impoffible de leur échapper. « Allons, dit leur chef, inicions eet érranger » a nos myftères. Qu'on apporte la peau du ti<*re, ft la griffe du lion , avec la lance , & 1'arc qui ne » retentit point dans les bois de Tarapajan du« raut ces fêtes nocturnes. » En effet, un de la bande apporta une peau de tigre & la jeta fur les épaules de Mifnar. Un autre vint avec une patte de lion armée de fes griffes & la paffa au cou de 1'étranger, de forte qu'elle pendoit fur fa poitrine. Un troifième apporta la lance qu'il mit dans la main droite de Mifnar. Un quatrième enfin 1'arma d'un are. Alors ils poufsèrent de longs hurlemens & fe Xij  314 Les Contes mirent tous a danfet autour du fultan étonné. Quand la danfe fur tinie, le chef dir: " Qu'on fade retenrir a préfent les inftrumens j> d'airain , pour avertir la lune & les étoiles que jj eet étranger va jurer de ne jamais révéler nos jj myftères. jj Puis s'adreflanr a Mifnar , il ajouta : « Mets ta main fur ta tête, 6c ton doigt jj dans ta bouche en difant: « Comme la nuit fans étoiles eft obfeure, jj comme 1'antre de la mort eft ténébreux , ainfi jj mes penfées & mes paroles feronr d'une obfjj curité impénétrable concernant la folemnité jj des tigres. j> Mais, demanda Mifnar, pourquoi ce ferjj menr ? Pourquoi exige-t-on le fecrer ? Qu'en jj arriveroit-il a celui qui ne le garderoit pas? jj L'efptit de 1'homme n'eft-il pas hbre ? Qui » eft-ce qui peut nuire a celui qui ne cherche jj poinr a nuire aux aurres ? jj Quiconqne voyage dans un pays , répondit jj le chef, doit fuivre les courumes & s'accom>j moder aux moeurs du peuple chez qui il eft jj regu. jj A la bonne heure , continue Mifnar - je jj ferai ce que vous exigerez de moi, fous deux jj conditions : la première , que vous me jurerez jj tous qüaprès les onze jours je ferai libre de »j póurfuivre mon voyage : la feconde , qu2  DES GÉNIES. 31J » vous ne me demanderez rien qui foit con» traire a la loi de Mahomet. » Etranger, répüque le chef, tu partiras quand » tu voudras après la célébration de cette fère. » Mais pendant cette folemnité que nous célé» brons en 1'honneur de notre glorieux ancètre » qui employa quatorze jours a dëtruire les tigres » qui infeftoient cette forêt, quieonque arrivé " ici, doit y refter jufqu'a ce que les feux foient » éreints. Car ce fut par le feu qu'il détruifit les » bêtes féroces , & c'eft par des feux que nous » honorons la mémoire de fes glorieux exp'oirs. a Ceci eft une fête civile qui n'a rien de con» traire a Ia loi de Mahomet. Nous ne pouvons » pas non plus révéler nos myftères, fi ce n'eft » a ceux qui les découvrent par hafard. C'eft Ia » circonftance oü nous nous trouvons a ton » égard; c'eft pourquoi nous nous fommes en» gagés a t'admerrre dans notre fociéré. Mais » nous exigeons le fecret de tous ceux que nous « initions. m Si telle eft vorre coutume , dit Mifnar , je » jure donc de plein gré que , comme la nuit » fans étodes eft obfcure, comme 1'antre de la ft mort eft ténébreux, ainfi mes penfées & mes j> paroles feronr d'une obfcurité impcnérrable »> concemant la folemnité des tigres. » A peine Mifnar eut-il achevé ce ferment, que X iij  3i£ Les Contes les danfes & les cris recommencèrent. On Strak fonner enfuire les inftrumens d'airain, & les habitans de la forêt eurent ordre de recevoir 1'étranger pour leur frère , avec les cérémonies ordinaires. Alors donc les hommes pafsèrent un a un devant Mifnar, en lui mettant la main fur la poitrine. Les femmes pafsèrenr enfuite, en donnant un baifer a leur nouveau frère. Mifnar les laiffa palier , fans y faire beaucoup d'attenrion , jufqu'a ce que parmi les plus jeunes, il en vit une qui fembloit rougir de la liberté que la coutume exigeoit d'elle. Elle avoit l'air d'une vierge modefte & innocente. Le fultan , déguifé, ne put voir cette aimable fille fans en être épris. II oublia dar.s ce moment fon pélerinage & fa couronne. II étoir impatient de recevoir de cette jeune indienne le tendre gage de fraternité prefcrit par le cérémonial. Quand elle fut dans fes bras , il eut voulu qu'elle n'en forrit jamais. Toure l'alïemblée s'appercut de la prédilection de 1'érranger. Le chef s'approcha de Noradin ; c'éroit le nom de la belle indienne que Mifnar adoroit. « Eh bien! lui dit-il, vous n'avez point encore » d'amant ? Oü fixerez-vous votre choix — ? » Ici, continua-t-il, en adrelfant la parole a 3? Mifnar, on ne gêne perfeane : chaque fexe  D E" S" G É N 'I 'E S. J 17 n jouit d'une .liBerté enrière. L'amour feul donne *> des chaïnes , & fes chaines font des fleurs rou/» joars fraiches. II y a trois jours que Noradin » voir toure notre tribu a fes pieds , languir •d'amour pour elle. Cette fille infenfible refufe toutes leurs avances. Si elle vous aime, notre . » joie fera complette. Perfonne alors ne fera fans j> compagne ». Mifnar atrendoit avec impatience la réponfe de Ü belle Noradin. Son cceur, incertatn entre la crainte & '1'efpoir, étoit plus aflèétéqu'il ne 1'avo'it été par lés ench ante mens de fes ennemis. Enfin la fille innocente répondit ëri rougiffant & d'une voix mal afllitée « Que, la joje de mes « frères foit complette » ! Mifnar, ravi de la préférence que Noradin lui donnoit,lui prit la main, & danfa avec elle au fon des ruftiques inftrumens qui fe firent entendre pour la trioifième-fois, pour annoncer le choix de Noradin, la belle & charmante Noradin. A la pointe du jour, 011 batiê a la bate une cabanne pour Mifnar & Noradin. On la eouvrit de feuilles de platane. Le chef y.conduifit les deux amans , & fe retira. Les Indiens rentrèrent auul chacun dans leur cabanne. . Quand Noradin fe vit feule avec Mifnar, elle lui demanda amoureufement s'il agréoit le chob*. Xir  31? Les Contes qu'elle avoit fait, fi elle pouvoit s'attendre a un amour conftant de fa paft. Mifnar qui donnoit plus de fignificatiön a cetre demande qu'elle n'en avoit dans la bouche de Noradin, lui demanda de fon coté quels étoient les ufages de fa nation. . «Je refterai dix jours avec toi, dit Paimable » Noradin, & ]e onzième; fi nous nous aimons aflez pour vouloir vivre enfemble, Ie chef nous » conduira a celui qui lit le Koran, pour recevoir » nos voeux, & la promefle que nous nous ferons « réciproquement en fa préfence. Pendant eet «■ mtervalle, les amis de mon père nous accom» pagneronr par-rout, afin que je rerourne vierge » dans leurs bras, fi je ne te fuis pas agréable. » C'eft pourquoi ils font r.ctueüement occupés a » batir des hutres autour de nous pour nous obft fer ver ». Mifnar fut très-affligc. de cette réponfe. Il croyoit pouvoir joiür d'abord de fa belle m£fi trefle. Ce contre-tems rappela dans fon efprit le fouvenir des affaires plus importantes quidevoient 1'occnper. « Mais, „ difoit-il en lui-même, « qu'ai-je befoin de m'inquiéter déformais de » mon royaume & de mon pélérinage! Je fuis » ici au milieu d'une nation de Sauvages qui ne » connoiffent d'autre loi que leur volonté. II eft » de la prudence de fouffrir patiemment les mi-  BES GÉNIES. 3 IJ » fcres de la vie, & de tacher de s'en confoler » par la jouiffance des agrémens dont fes peines "» font entremêlées. Je pafferai !e refte de mes " jours dans les bras de ma belle Indienne, jufw qu'a ce que les jours de mon exil fur la terre » foient accomplis ft. Puis fe tournant tout-acoup vers la belle Noradin, comme un homme qui fort d'une profonde méditation, il lui dit: « O la joie de ma vie, que ces dix jours vont » me paroirre longs! Que je voudrois bien qu'il " fur poffible de les abréger? J'attendrai pour» tant. Mais hélas ! je fouhaiterois que 1'aftre de 35 mon bonheur brillat dès ce moment jj. « Dis-moi, reprir Noradin, roi a qui fe rap55 portent toutes mes penfées ; 1'amour de ta 3) compagne aura-t il le pouvoir de fixer dans 35 mes bras mon aimable voyageur >j ? Cette queftion preflante confondit le fultan." Le remords commenca t s'élever dans fon cceurAu-lieu de répondre, il fit en lui - même ces réflexions. « Quoi! une paflion indifcrette pour une inw connue me fera-t-elle renoncer & la gloire de 35 régner fur le tróne de mon père,& d'yremplir jj la place de Mahomet? Serai-je aifez bas pour » trompet cette aimable perfonne, pour 1'aban13 donner, après avoir joui de fes atrraits ; pour « empoifonner le refte de fes jours, aprèsjui  33<5 Les Contes » avoir fait connoltre le plaifir? Non, ma belle » Sc chère Noradin, un homme droit ne doit » point abufer de la crédulité d'un cceur fimple & » innocent qui cherche a le rendre heureux. Le s> livre du deftin s'ouvre devant moi, Le prophéte. » ne me penner pas de me livrer a 1'attrait qui »> me follicite en ta faveur. Quoi qu'il en coute >i a ton efclave, il faut qu'il parte lorfque les feux » éteints 1'avertiront que vos fêtes font finies. p Piaignez-moi fans me blamer 33. A ces mots, l'enchantement s'évanouit. Mifnar reconnut 1'enchanrereffe Ulin a la place de la belle Noradin : « Homme vil, lache, foible, infen» fible, lui dir-elle, n'appelle point vertu ce qui » n'eft que 1'effet de ton imbécillité, Sc de ta » jeuneffè fans expérience. La beauté fut toujours » fupérieure a la prudence. Le pouvoir del'amour » triompha toujours de la force de la raifon. Mais >> tu n'es pas encore capable d'amour, tu ne fens » pas encore les traits de la beauté. Ce n'eft pas jj ta prudence qui te fauve du piége que je te » tendois. C'eft 1'efpèce même de eet appat 5 Sc » je devois favoir qu'il n'avoit pas d'empire fut 35 un cceur aufii neuf, auffi imbécille que le tien. 9 Cependant j'ai obtenu tout ce que 1'imperfec33 tion de ta nature pouvoit permetrre. Quoique 33 tu fortes de cette forêt, tu y as redend mon * pouvoir magique; j'ai foulevé contre toi le  BES GÉNIES. 33I » royaume du Midi. Va chercher un remède »> aux maux dont je t'accable. Pourfuis , fuperfti5' rieux reptile , pourfuis ron pclerinage a la >■> Mecque, tandis qu Horam éprouve ma venj3 geance dans les déferts incultes cVAha/ah jj. Tandis qu'elle parloit, elle étendit fa baguette & tout difparut, les feux & les bucherons de la forêt, & la forcière Ulin elle-même. Le fultan fe prolterna le vifage contre terre, il adora Alla , 8c fon prophéte Mahomet, qui le délivroit miraculeufement des embuches de fes ennemis. II continua fon voyage dans la forêt immenfe de Tarapajan. Il y avoit deux lunes qu'il avoit quitté fa tente royal. 11 ouvroit chaque jour les tablettes cVHoram. Toujours elles lui annoncoient de bonnes nouvelles, Ce fuccès conftant lui donna des foupcons. jj Hélas ! dit-il, accablé de chagrin , peut-être jj me fuis-je confié a un homme fans foi, qui " pronte de ma crédulité, pour mettre ma coujj ronne fur la tête de mon frère. Il n'étoit pas jj nécelfaire d'un pouvoir furnaturel pour me » détroner, puifque mon imprudence me trahir, jj & livre mon royaume a la difcrétion de mes >j ennemis. jj Mifnar donc, réfolut de revenir a De'ly fans  31l Les Contes fe faire eonnoitre , & d'y apprendre par la vois pubhque , ccmment Horam fe Conduifoit dans le commandement de fes armées , qu'il lui avoie confié. Cependant , il confultoit chaque jour les tablettes du vifir. La fatigue 1'obÜgea de fe repofer fous 1'ombre d'un palmier. II ouvrit les tablettes , & il y kt l'adrelfe fuivante. Horam , fidéle efclave du Sultan de - l'Inde t a Mis nar, le feigneur de toutes fes votontés. " Quelque tems après que j'eus quitté le maft gnifique fultan , mon maitre , lorfque mon >» cceur étoit encore onpreffé de la douleur de » l'avoir Uitte dans la forêt de Tarapajan , 8c » que mes yeux étoient encore humides des » larmes que je répandis en fa préfence , quand » il m'obligea de me féparer de lui, un meflager » vint m'annoncer en hare 1'approche des enne» mis. Les révoltés avoient gagné toutes les pro» vinces qu'ils avoient ttaverfées. Leur parti » étoit confidcrablement accru & fortifié. Lorf» que ton efclave fe fut affuré de la vérité de » ces bruits , pat la botiche de tous ceux qui » arnvoient au camp , je fis lever de nouvelles  toEs Genie s. jjj ft troupes que je joignis aux armées de 1'Inde. Je « fis obferver la plus exacte difcipline dans tout ft le camp. Je ne doutois pas que 1'ennemi ne fe « préfentat bientót pour livter bataille. De mon » cbté , je tins 1'armée en bon ordre , mais je » n'avancois qu'a très-petites journées, pour ne » point fatiguer les foldats de mon feigneur, &; ft ménager leurs forces pour une vigoureufe ré» fiftance. Souvent l'indifcrétion d'une marche « dans le défert fait plus périrrde monde qu'un » combat fartglant. Je les conduifis auffi par des » campagnes ferriles oü ils pulTent trou ver com» modément le néceftaire, & fe réjouir en dé» ployant leurs tentes. Mais , hélas ! ton peuple « eft privé de ta préfence. Ils demandenr a voir » leur fulran. lis murmurenr hauremenr, en di» fant que 1'ceil de leur maitre ne les éclaire » poinr. lis font irrirés contre Horam , ton ef« clave. Les capitaines demandent a toute force « a être adrnis dans la tente de mon feigneur. »? Ils ofeut même accufer ton vifir d'un attentat ft horrible fur ta perfonne facrée. Quand le fultan eut lit ces nouvelles affligeantes , les rablettes lui tombèrent des mains, fon cceur s'abandonna au chagrin , les lafmes coulèrent de fes yeux. «O Mifnar, Mifnar! s'écria -1-il, 1'efprit » de ténèbres eft déchainé contre toi. Le pou-  334 Les Contes » voir des enchanremens prévaudra. Ta perteelt: jj sure ! 33 Oui, ra perte eft infaillible , dit la forcière 3> Ulin qui lui apparut auiïi-tót. Le pouvoir 53 des enchanremens prévaudra. Mifnar, le fidéle 53 ferviteur de Mahomet, eft foumis a mon pour 33 voir. Alla ie livre a ma vengeance , puifque le 35 malheureux a ofé fe défier de fa protecftion, 8$ 3j révoquer en doute la vérité de fes pronielfës, 33 Poar premier-chatiment, rampe , vil reptile, 33 rampe fur la rerre. Deviens crapaud, fuce de 33 fa rerre une vapeur venimeufe , & tire du »3 foleil un feu empoifonné. >3 A la voix puiiTante de la forcière , le fultari Mifnar quitta fa figure naturelle , pour revêtir celle d'un reptile. Il trainoit fon ventre jaune &c taehiere', furla poullière; fa gueule béante vomiffoit un poifon impur. Mijnar ne perdit point , avec fa première forme , le fouvenir de ce qu'il avoit éré. II fenroit fcn étrange métamorphofe , il reconnoiffoit 1'équité de fon chatiment. Quoiqu'il ne put fe fuir lui-même , il s'enfonca fous terre, ne pouvant fupporter la lumière du jour après une telle difgrace. La néceffité de fatisfaire aux befoins de la nature le fit bientöc forrir de fa retraite fouterraine. Il fe trainoit ca & la dans le défert,    DES GÉNIES. 535 cherchant fa nourriture. II rencontra un fentiet oü ü rampoit avec plaifir. Une odeur flattok fon odorat, 8c fon vencre délicat étoit porté fur une moulTe tendre Sc molle. « Sürement, dit-il, au fond de fon cceur, la n bonté cYAlla ne laifle point fes moindres créa- ; ;;:es fans plaifirs & fans confolation. Dans » mon état de crapaud , je refpire une odeur de » rofes 8c de violettes qui m'enchante , je jouis » d'une fan té & d'une vigueur , qui font le » plus doux charme de la vie. » Occupé de ces penfées, il fe trainoit vers un buiffon ou un inftinct invincible fembloit le poufler. Mais il fe fentit faifi d'horreur a la vue d'un cadavre a demi pourri, qu'il ttouva fous ce même buifTon. Un reprile de fon efpèce fembloit, comme lui , défirer de fe repaicre de cette charogne infeéte, & détefter en même tems un fi horrible repas. Mifnar , oubüant dans ce moment fa métamorphofe , eut horreur du reptile fon femblablc, 8c du cadavre qu'il appercevoit. II vouloit fuir : 1'autre crapaud 1'arrête, en lui parlant ainfi dans la langue des habitans de Dély. " Arrêre , qui que tu fois , arrête : foit qu'un w enchantcment t'ait réduit comme moi a  3JÖ Les Contes » la vile condirion d'un reptile , ou que tü 33 fois réellemenr ce que ta forme préfente an33 nonce... >3 Mifnar fut étónné de ce difcours. II coimur qu'il n'étoit pas le feul malheureux de fon efpèce. II demanda a fon compagnon d'inforrune , par quel accident il fe trouvoit ainli tranfformé. Le reptile répondit : « Puifque je vois a ton » difcours que nous fommes tous deux la vic33 time d'un enchantement , je n'aurai poinr de jj répugnance a te déclarer la caufe de ma méta33 morphofe. J'efpère aufii que ma confiance fera >s payée d'un jufte retour , &c qu'après que je » t'aurai raconré mon hiftoire , tu ne me refu33 feras pas de me dire la tienne. s> Nous fommes frères , reprit Mifnar , &c ss par la reiTemblance de notre fort, & par notre jj efpèce , & j'aurois rort de re demander une 33 gra.ce que jene voudroispas reconnoitre comme a» elle le mérite. 33 Eh bien ! dit 1'autre , éloignons - nous douc jj de la vue horrible de ce cadavre. Allons nous jj retirer fous un autre buiftorf oü nous pniilions jj nous confier librement nos avenrures étranges: as car, quoique la forcière Ulln ait le pouvoir j» de changer notre première forme , & que , js pour nous faire fentir plus vivement notre lai- deur  DES G É N I E '3£3 Je 1'ai réveille il vient. 3» En effet , le dernier crapaud arriva au bout de quelques minures. Alors , ils quittèrent Ie buiflon du cadavre , pour en chercher un autre. « Nous pouvons nous arrêter ici , dit le pre33 mier a Mifnar, nous y ferons en sureté : nous 33 n'y craindrons point la dent cruelle du fer33 pent; car nous fommes fous 1'ombre odorifé?> rante du cinnamone, Tome XXIX, y  -jjS Les Contes « Votre précaution eft bonne , dit Mifnar, Sc » nous vous en fommes obligés. Mais il me » tarde d'apprendre 1'hiftoire de votre rnétamar» phofe.»  DES GÉNIES.' 559 CONTÉ SEPTIÈME. HISTOIRE DE MAHOUD. Je fuis fils d'un joaillier de Dé'y , dit Ie crapaud ; mon nom eft Mahoud. Mon père, prés de terminer une vie induftrieufe & econome, me fit approcher de fon lit, Sc me dit: » O mon » fils! mes jours ont été des jours de travail & »> de peine. Le fuccès a couronné toutes mes s» entreprifes. J'ai femé & tu peux recueillir : » j'ai amaffé & tu peux prodiguer : j'ai travaillé " & tu peux jouir du fruit de mes travaux. C'eft » pour toi que je me fuis donné tant de peines. » J'ai facrifié ma paix Sc ma tranquillité pour 53 te mettre dans 1'abondance. Je meurs , süc 33 que mon cher Mahoud n'éprouvera jamais la ss gêne & les misères de la pauvreté.. Heureux 35 les pères fages & prévoyans qui voyent la 35 mort en fourianr, comme moi, paree qu'ils 35 laiflent après eux des enfans afiez riches pour >» n'avoir befoin de perfonne 55!  'J4° L £ S C 0 N T E "s Ce furent les dernières paroles que me dit mon père expirant : elles furent accompagnées de larmes. II me bénit & rendit 1'ame. A peine eut-il les yeux fermcs , que j'eus la curiofité d'examiner les immenfes richeffes qu'il me laiffoir. Tranfporcé de joie, je me hatai d'ouvrir les cofFres & les armoires. J'y trouvai une multitude infinie d'écrits, & plus de richeffes qu'il n'en falloit pour fatisfaire les defirs d'un jeune homme ardent pour le plaifir. Il y avoit un grand nombre de diamans qui paffoient la mefure (i) royale , & plufieurs autres d'un prix ineftimable; & de plus , des monceaux d'or &C d'argent. Je crus ces richeffes inépuifables. Devenu tont-a-coup le polfèffeur de tant de biens, je me livrai a. 1'attrait du plaifir. Ma maiibn étoit ouverre a tous les jeunes gens du même age que moi. Nous paiïions les jours & les nuits dans la joie des feftins &c de la débauche. La loi févère de Mahomet n'éroit point obfervée. Nous buvions, jufqu'a 1'ivreffe, du vin le plus exquis. Les Houris ne nous manquoient pas. Si elles (i ) Tous les diamans d'une certaine grolTeur appartiennent de droit au M'ogol. Ceux de fes fujets qui en crouv'ent de pareils dans les mines, fout obligés dc lui en faire hommage.  tjes G i n i ! s.' 54* n'étoient pas auffi pures que celles de Mahomet, au moins elles étoient auffi belles. Lorfque nos verres étoient pleins de vin , nous ne portions point envie aux rivières de lait que le prophéte a promifes aux fiièles mufulmans. Je vivois ainfi dans la compagnie de ceux pou? qui la religion eft un objet de raillerie , Sc qui méprifent les régies de la prudence & de la fobriété. L'heure vint bientót oü ma folie joie fe changea en triftefïe, Sc je ne tardai pas a. comptendre que toute la prudence d'un père laboneux n'étoit pas capable de préferver un fils mé? chant, du chagrin & de la douleur. Mes richeffes, quelque confidérables qu'elles fulfent, furent bientót épuifées. Je vendis tous mes bijoux les uns après les autres. Comme j'en Jgnorois la valeur, je les donnai a vil prix. Chacun me trompa. Mon étourderie'm'expofoit a être la dupe de tout le monde. Mon or & mon argent étoient a mes amis comme a moi. Quand j'eus tout diffipé, j'eus recours a ceux qui m'avoient été le plus attachés , tk a qui j'avois tout prodigué. Mais ils furent auffi avares envers moi que j'avois éré prodigue pour eux. Les marchands qui avoient tant gagné avec moi , eurent bien de Ia peine a me prêter quelques légères fommes d'argent; ils me les firent redemander peu a. prés; & quand ils me trouvè- YUj  54- Les Contes rent infolvable , ils eurent la cruauté de fe faiiTr de mes meubles , de mes habits même , tk de les faire vendre a 1'encan. Ainfi je fus chalTé de chez moi, par ceux que j'y avois recu mille fois a bras ouverts. Ceux que j'avois preffés contre mon fein me rejetèrent comme un chien- Accablé de remords , abandonné de tout Ie monde, ne fachant a qui avoir recours, je me couvris de quelques haillons que 1'on m'avoit laiffcs ou donnés par charité, tk je m'affis a la porte d'un jeune homme trés riche, & qui me fembloit prodiguer fon bien, comme j'avois fait moi-même. Bennaskar (c'eft ainfi qu'il fe nommcir) le riche ik joyeux Bennaskar fortit accompagné d'une troupe de jeunes gens , de mufïciens & de danfeurs. Voyant un pauvre malheureux fe plaindre a. fa porte, il demanda qui j'étois , ce que j'avois. Je lui dis que je m'étois livré, comme lui, a toutes fortes de plaifirs , a la danfe, a. la vclupté, a la bonne chète, mais que le défaut de prévoyance étoit la caufe de ma ruine, tk encore plus la confiance indifcrète que j'avois eue en dc faux amis qui ne Ia méritoient pas. Plufieurs de fes amis m'entendant parler avec tant & liberté, voulurent me chaffer de fa pré-  des Génies. 545 fence , en difant qu'un miférable comme moi ne métitoit pas feulement de refpirer l'air ni de voir la lumière. Bennaskar s'y oppofa, & me demanda fi 1'infidélité de mes amis m'avoit appris a être lincère envers les autres. Je lui répondis que j'avois toujours été fincère «Srvrai, même envers ceux qui me trompoient, & que j'aurois mieux aimé mourir que de tromper mes amis. » Je faurai li vous dites vrai, me répondit » Bennaskar ; foyez mon ami. Dites a mes gens » qu'ils vous ouvrent ma garderobe. Choififfez « les habits qui vous conviendront, & vivez « avec moi. Je ne vous demande qu'une grace , » c'eft de ne rien révéler de ce qui fe paffera « dans ma maifon , de tout ce que vous y verft rez & entendrez ». » Votre offre gracieufe annonce la générofiré » de vorre ceeur , lui dis-je. Mais je ne puis 55 vivre aux dépens de perfonne fans lui être »5 utile. Donnez-moi le moyen de mériter vos » bontés , fi vous voulez que je les accepte ». 55 Vous les mérirerez , me répondit Bennaf» kar t fi vous êtes fincère avec moi. 11 y a longft tems que je cherche un véritable ami, un ami ft a qui je puiffe me confier. Si je le trouve en » vous, ce tréfor vaut plus que tous mes biens. ss Ce fera moi qui vous ferai redevable : ce que Yiv  344 Les Contes » je ferai pour vous fera plutöt un de voir de' » reconnoiffance qu'un effet de générofiré ». Les amis de Bennaskar, rongés d'envie entourèrent leur protecfteur, & lui direnr qu'il pouvoit compter autant de vrais amis qu'il y avoit de perfonnes autour de lui. " Non, leur dit le jeune homme , quoique je » vous paroiffe auffi étourdi que vous, croyez » que toutes mes penfées ne font pas vaine?; » Vous n'êtes que de vils flarteurs, plus attachés » a la fortune qua la perfonne de celui qui vous ft fait du bien. Je vous ai rous mis a 1'épreuve: » je vous ai tous trouvés faux & ingrats. Cet ft homme que vous méprifez eft le feul qui ait » refufé mon amirié, a moins qu'il ne put y ft répondre par un retour de bons offices. Lai « feul mérite mon eftime Les amis de Bennaskar , frappés de ces paroles , voulurent renouveler les proteftations de leur attachement & de leur fincérité. II les connoiflbit trop bien pour fe fier a leurs vains difcours : il les fit ehaifer de chez lui, &, me prenant par la main , il me fit entrer dans un fuperbe appartement. Dès que je me vis feul avec lui, je me jetai a. fes pieds en difant : « Que mon feigneur ne « fe fache point contte fon ferviteur. Mais. » j'ignore encore quel fervice il attend de moi».  des Génies» 545 « Je vous l'al dit , reprit Bennaskar ; tout ce » que je vous demande, c'eft de ne rien révi H « de tout ce qui fe palfera dans ma maifon , de » tout ce que vous y verrez & entendrez ». « Mon feigneur , lui dis-;; , de quelle utilné •» peut être pour vous une telle condeicendance, 33 qui peut me coüter cher? Si je ne parle pr.s, >3 vos efclaves parleront , & je deviendrai ref33 ponfable de leur mauvaife foi. Rendez-mci, 33 je vous prie , mes haillons. J'aime mieux ma 33 pauvreté qu'une place ou votre maifon entière 33 confpireroir contre moi pour me faire perdre 3> votre eftime & votre faveur 33. « Votre réponfe , dit Bennaskar , eft ce'le 33 dün homme prudent; mais ne craignez point33 Je ne puis vivre fans un ami tel que vous ; 33 & j'efpère que ce que vous verrez , aucun 33 autre ne Ie verra , & conféquemment aucun 33 autre ne peut manquer de fincérité a mju 33 égard 33. Après cette affurance , je ne pus refufer 1es bontés de Bennaskar. Ses efclaves me conduilirerat au bain, me lavèrent, me parfumèrent, & ras revêtirent des plus riches habirs de leur maitre. Bennaskar étoit impatient de me revoir. Quand j'entrai dans fon appartement, le jeune hemme fe hata de venir au-devant moi; &, me prenant entre fes bras, il me dit : « Enfin j'ai trouyé au  54^ Les Contes j» ami} un véritable ami ». — Je répondis, par cefouhair,« que Mahoud foit 1'ami de ton cceur »« Bennaskar me fit pafter dans un autre appartement, oü 1'on nous fervit un repas délicieux. 11 rit venir des mificiennes & des danfeufes pour nous amufer pendant le repas. « Les femmes, dit-il, font le charme de la » vie : j'aime fur-tout a. entendre leur voix douce y> & flatteufe dans la joie des feftins ». — « Dires plutöt, repris-je, que les femmes font »> la pefte de la vie. Mais, graces a Alla Sc a fon » prophéte, jufqu'ici Mahoud s'eft gardé de leurs » piéges, & en cela, la volonté de fon père a été » accomplie ». " Quoi! dit Bennaskar, étonné d'un tel difj> cours , mon ami auroir-il un cceur a 1'épreuve » des traits de la beauté ? Seroit il au-deflus des 35 foibleffes de 1'humanité ? Alors je Fen eftime»5 rois bien davantage; car celui qui fait com»j mander a 1'amour , mérite de gouverner 33 i'univers enrier 55. t! Non, répondis je, je ne fuis pas infenfible. 55 Au contraire, j'ai reflenti vivement les trairs 33 de 1'amour. L'homme blefté craint la lance &c 33 1'épée jj. « Mais, dit Bennaskar, ce que vous voyez ici, 33 font des figures ordinaires, dont il eft aifé de 33 fe défendre. Je vais vous en montrer d'autres  des Génies. 347 » auxqnelles il n'eft pas poffible de redder » Ne me les montrez pas , ö Bennaskar! lui » dis-je, ne me les montrez pas. Je verrois fans » plaifir les fultanes de Dély, & celles que vous jj aimez, feroient choquées de mon indiftéreuce. jj Je ne veux point vous chagriner, dir Bennasjj kar en fouriant. Je n'avois deflein que de vous » éprouver. Cesdanfeufes fuffifenc pour ce mo>j ment; & je ne veux ni faire parade de mes » femmes, ni m'en fervir pour tourmenter un " ami. Je vois que vous êtes un peu troublé. jj Allons prendre le frais dans ces allées plantées jj d'oranaers jj. Je paftai ainfi quelque tems dans la compagnie de Bennaskar. C'étoient, chaque jour , nouvelles fêres , & nouveaux plaifirs. Nous nous plaifions enfemble ; nous étions trés - fausfaits 1'un de 1'aurre. II y avoit dix - huit jours que j'étois chez mon ami, fans qu'aucun nuage eüt troublé la tranquillité dont nous jouiffions fous les aufpices de 1'amitié. Le dix - neuvième jour au matin, Bennaskar m'aborda avec un vifage fombre & trifte. " Qu'avez-vous, 6 mon feigneur! lui dis-je? « Quel chagrin rrouble la férénité de votre ame ? jj Mahoud ne partagera-t-il pas avec vous les biens sj & les maux, les plaifirs & les peines, les faveur* jj les difgraces qu''Alla vous envoie » ?  548 Les Contes « O Mahoud! me dit Bennaskar, ne fommes» nous pas dans la pleine lune » ? « Oui, répondis-je en fouriant. Mais qu'eft-cê que les phafes de eet aftre inconftant ont de >3 commun avec le bonheur de mon ami ss ? « O Mahoud ! réplique Bennaskar en foupirant, ss le fort de ton ami dépend du caprice des 55 étoiles. Je dois mettre cette nuit ton amitié a 53 1'épreuve. Si la fincériré de Mahoud fe dément, 35 Bennaskar eft le plus malheureux des hommes. 55 Si ton cceur n'eft pas aflez fort pour réfifter a la » tentation la plus féduifante, fuis, ó mon ami! »> tandis qu'il en eft tems. Mais pourquoi doute35 rois-je de 1'amitié de Mahoud f Mahoud me 35 fera fidéle. Pourquoi dirois-je ? éloigne-toi, >■> Mahoud, éloigne-toi? Si tu me fuis, oü trou>3 verai-je ton femblable? Et cependant je fens 35 que je ne puis vivre fans un ami en qui je puiffe 35 me confier 33. « Soyez tranquille, Bennaskar, lui dis-je d'un 33 ton ferme, foyez tranquille: Mahoud peut être 33 malheureux; mais il ne fera ni injufte, ni perr> fide. Quelle eft donc cette épreuve terrible qui 3* vous fait trembler pour la fidélité de votre ami ? « Sans doute, dit-il, Mahoud ne mérite aucun 53 foupgon. Attendons le cou.cher du foleil, juf55 qu'a. ce que nous voyions la lumière étincelante 3» des étoiles 53.  DES GÉNIES. J49 Bennaskar alla au bain, & fe fir habiller magnifiquemenr. II m'ordonna d'en faire aurant. Je lui obéis. Nous nous retrouvames bientbc ■enfemble dans le fallon. " Hélas! dir Bennaskar en me voyant, com» ment prier mon ami de prendre 1'image de la » laideur, & de la porter quelques heures » ? « Comment, répliquai - je! quelle image de » laideur dois-je porter? Mahoud eft toujours j> femblable a lui-même : mettez votre ami a une » plus forte épreuve ». Alors Bennaskar me préfentant un petit pot d'onguent noir avec un pinceau, me dit: « II faut » que Mahoud fouffre que je déguife fa couleur » avec eet onguent. 11 doit faire cette nuit le peri> fonnage d'un efclave noir ». . « N'eft-ce que cela, repris-je ? donnez - moi » ce pinceau , & me faites un habit d'efclave. >> Une telle épreuve ne méritoit pas tant de u frayeurs de votre part ». " L'habit eft prêt, dit Bennaskar, tout eft préf» paré. Mais vous ne pourriez pas vous déguifer »' ici, fans que mes efclaves ne s'enappercuftent. »» Attendons Ia nuit, & alors Bennaskar fe repo•* fera fur 1'amitié de Mahoud ». On nous fervit un magnifique feftin. Je mangeai de bon appétit. Bennaskar étoit penfif, & ne  -jo Les Contes fembloit prendre aucun goüt a ce qu'on lui fef> voir. Je fis ce que je pus pour le tirer de fa mélancolie. Je piaifantai fur fes vaines frayeurs : je me mis a chanter & a rire devant lui. Je fis venir fa mufique ordinaire avec fes danfeufes pour Ie diftraire des penfées chagrinantes qui 1'occupoient. Bennaskar refta muet: rien ne put 1'égayer. Le repas & la mufique furent prolongés jufqu'a la nuit. Alors Bennaskar commanda aux efclaves de fe retirer. II prit une lampe & me conduifit par une multitude d'apparremens qui m'étoient inconnus. « Mahoud, dit-il, lorfque nous eümes fait » plufieurs touts & détours dans fon vafte palais : » Mahoud n'a jamais vu les merveilles de ces n lieux ». « II eflvrai, répondis-je, & je m'eftime heu» reux d'admirer aujourd'hui les richeffes de mon » feigneur. Mais je n'avois point follicité cette » grace. Mahoud refpeaoit affez les fecrets de » fon ami, pour ne pas défirer de les favoir». Nous arrivames dans une petite chambre voü-f tée, au milieu de laquelle pendoit une lampe que Bennaskar alluma. Puis il éteignit celle qu'il te* noit en main. « Mahoud, me dit-il, entrez dans ce cabinet » que vous yoyez devant vous; prenez-y un ha-  bes Genie s. 351 s> bit d'efclave que vous y trouverez, & peignez35 vous le vifage & les mains avec eet onguenc 3> noir J3. Jefisd'abord ce que Bennaskar me dit, & bientót je repréfentai un efclave noir. « Mon cher Mahoud, reprit Bennaskar en me 33 voyant : te voila parfaitement bien déguifé. A 33 préfent obéis-moi en filence : fois comme un 33 muet devant fon maitre 33. Je luis fis une profonde inclination , & les geftes dont fe fert un muet pour marquer fa foumiiïion a fon maitre. Bennaskar fourit. « Mahoud, dit-il, prends & léve eet anneau 33 de fer qui eft attaché au milieu du plan33 cher 33. Je prends 1'anneau, & j'appercois une femme d'une grande beauté a moitié enterrée. Frappé de cette apparition, je reculai de frayeur, & penfai tomber en arrière. Bennaskar me donna un coup de chabouc (1), qu'il tira de deffous fa robe , en me difanr : « Si tu btonches, je te trai33 terai en efclave 33. Quoiqu'irrité du coup que je venois de recevoir , je me reflbuvins de ma promelFe, & revins a la trappe. Efclave, continua Bennaskar, achève de dé- (1) C'eft un grand fouet.  3^1 Les Contes terrer cette femme, tu trouvetas la bêche & la pelle clans le caveau. Je ciefcendis, pris les inftrumens & me mis a travailler. Mais ni la crainte , ni le travail ne purent m'empêcher de jetet des regards fréquens fur 1'aimable femme que je déterrois, Sc qui, quoiqu'elle femblat morte, avoit toute la beauté d'une nymphe en fanté. Quand j'eus bré toute la terre qui lacouvroit, ceque je fis avec complaifance, découvrautchaque fois de nouveaux appas , il me donna une petite fiole d'une liqueur bleue dont il m'ordonna de répandre quelques gouttes fur les lèvres de la fr.mme morte , quand il feroit entré dans le cabi-. net voifin. Quand Bennaskar fut retiré, je pris la fiole, en verfai quelques gouttes fur les lèvres vermeilles de 1'aimable morte, avecun preffentiment de ce qui arriva. Aulfi-tbt elle refiiifcita \ fes yeux s'ouvrirent j &c portant fes regards de cóté & d'aurre, elle fut effrayée en me voyant. Ellè s'écria: « O Alla L >» défends-moi de ce monftre ». En même tems Bennaskar, fans fe montrer, dit du cabinet ou il étoit caché. « Hemjuhae, êtes - vous difpofée a faire la vo» lonté de Bennaskar, ou uferons-nous encore » de la voie des enchanremens póur dompter votre  des Genie s. 355 s> votre obftination? Quoique Macoma ile me » permette pas de vous voir fans vous priver de j> I'ufage de vos fens, Sc moi de mes défirs, ce» pendant Uün vous foumettra a fa voionté puif» fan te ». « Infame, répondit la belle étrangère, je ne » crains point le pouvoir de ta magie. Macoma jj ne me trompe point: tu ne peux avoit aucuii 33 empire fur moi, fans mon confentement. Ma55 hornet, qui permet que je fois pendant qttel53 que tems le jouet de tes preftiges, me délivrera is enfin de tes mains barbares 33, « Puifque tu perfiftes, reprit Êennaskar, il 33 faut effayer le fouet dans la contrainte. Efclave, 33 qu'on donne cinquante coups de fouet a cette 33 femme obftinée Sc tebelle 33. Je pris le chaboüc, Sc me mis eh devoir d'ac* complir 1'ordre fivère de Bennaskar, maudiffant intérieurement la promefle que je lui avois faire. Je 1'avois faite a. un ami Sc non pas a un monftrei Dès que la belle Hemjunah fentit le fouet, elle remplit la voute de fes cris. Chaque coup que je lui donUois m'étolt auffi fentible qu'a elle-même.J'en modérois la violence. Les larmes couloient de mes yeux , Sc je fouhaitois ardemmcnt d etre délivré de cette taehe cruelle. Je m'eftimaï heureux, lorfque le nombre de cinquante fuc rempli. Terne XXIX, Z  354 Les Cortes « Eh bien ! dit alors Bennaskar, toujours ens» fermé dans le cabinet , que penfe a préfent sj Hemjunah ? Eft - elle dérerminée a fe rendre jj a mes defirs ? jj Rien n'eft moins propre a gagner raffection jj d'une femme, que la barbarie, reprit foiblejj ment Hemjunah. Que je meure plutöi. que de sj conféntir jamais a appartenir au vil Sc cruel sj Bennaskar ! jj Meurs donc, dit-il avec fureur en fortant 35 du cabinet ; meure , & que Macoma te vore jj rentrer dans la terre doit je t'avöis fait ti-. jj rer. jj En effet, dès que Bennaskar parut aux yeux de Hemjunah , elle perdit tout fentiment , tout mouvement, un bruit fouterrain fe fit entendre.' Un nain fortit de la ttappe, fe faifit du corps de Hemjunah, & le remit dans la tetre. La trappe fe referma avec un bruit qui fit tetentir la! voüte. Bennaskar me dit alots de le fuivre. II me conduifit au bain , Sc me dit de me lavet furtout les mains Sc le vifage, de teprendre mes vètemens ordinaires , Sc de revenir dans le fallon. J'étois fi ftupcfair de ce que je venois de voir que je favois a peine ce que je faifois. Cependant , quand je fus feul au bain, je tachai de me-  DES Ge nies. jcj remercie de mon étonnement. Mais la'réflexion angmentoir ma furprife & mon inquiétude, au lieu de les diminuer. Tantot je vouiois aller trouver le Cadi, & lui déclarer 1'horrible aVenture dont j'avois été témoin. Un moment après j'avois honte de moi-même, & cependant je n'ofois violer le fecret que j'avois promis de garden «' Bennaskar, difois-je en moi ~ même , m'a v> femblé un ange pendant prés d'un mois. Ce » dernier trait le perd dans mon efprir. Cette *• nuit me 1'a montré fous 1'image d'un monftre. « Commenr accorderces apparences contraires? B Le plus tendre & le meiileur des amis peut-if. *> être en même tems le plus féroce Sc le plus » méchant des hommes ? Seronr-ils vicfimes dë » quelque enchantement ? Le Bennaskar de » cette horrible nuit eft-il bien le même d'hier » Sc des jours précédens ? Quelque efprit més> chant a-t-il pris fa figure pour le perdre ? Mais * non , je cherche en vain a. excufer la plus » affreufe cruauté exercée fur la plus belle des » femmes. Quelle horrible fcène j'ai vue ! Que U dis-je ? j'ai été forcé den être facteur ! Com» bien mon cceur étoit attendri! Combien elle a s> detefté les mains barbares qui exécutoient les » ordres cruels de fon tyran ! Ai-je bien pu me « prêter a eet indigne miuiftère ? Tourmenter * une innocente qui appeloit Alla a fon fecours? Z ij  353 Je pris la réfolution d'inftruire d'abord le Cadi des fortiléges & des enchantemens de Bennaskar. Je fortis du bain, repris mes vêtemens,& m'a-; vancai vers la porte. « Mais , dis-je en moi>■> même , que vais - je faire ? A quoi aboutira 33 cette démarche? Je violerai ma foi, fans fervic 33 la pauvre infortunée qui excite ma pitié. Ben33 naskar mattend dans le fallon. Lorfqü'il me 33 verra fortir , il aura quelque foupcon , & par 33 le pouvoir de fon art, il faura cacher la belle „ Hemjunah aux yeux du Cadi. II y a un mois 33 que je fuis avec Bennaskar ; & je n'avois pas ,3 encore vu la chambre affreufe oü s'eft palfée ,3 cette fanglante exécution. 11 a été obligé lui» même de me fuivre. Perfonne que lui ne con„ noit ces lieux fouterrains. D'ailleurs , il s'eft 33 plaint lui-même du retour de la pleine lune. II >3 s'eft levé accablé de trifteffe & de chagrin. ,3 Non, il ne prend point plaifir a faire fouffrir „ 1'innocent. C'eft pour moi un myftère que >3 je ne comprends pas. Je rerournerai donc 33 vers mon ami avec un vifage ferein , & je ne ?) témoignerai rien de 1'inquiétude qui m'agite.33,  DES GÉNIES. '557* Bennaskar vint au-devant de moi. « D'oiï vient Mahoud, demanda -t-il avec r> empreflement ? » Je fors du bain, répondis-je, & je viens re» joindre mon ami Bennaskar. » Oui, Bennaskar eft votre ami, reprit-il; mais 53 Makoud eft-il fincère , me fera t-il toujours 33 fidéle ? )3 Ces paroles m'embarrafsèrent. Le fouvenir de la nuit me fit héfiter un moment. Cependant n'ofant répondre autrement, je lui dis: « Pour35 quoi douteriez - vous de la fincérité de mon ss cceur ? ss Makoud m'eft donc fidéle , répliqua-t-il i3 avec une exclamation qui marquoit fes foup33 cons ? 33 Oui, répondis-je a contre cceur , Mahoud sj vous eft fidéle. jj Je le veux croire , continua Bennaskar, sj mais mon ami na-t-il pas été furpris de la 55 fcène dont il vient d'être témoin ? II a du 35 1'èrre. Néanmoins , garde-toi de me deman3> der aucune explication, ou de révéler ce fe33 cret. — 33 Vous doutez donc de ma fidélité , répon33 dis-je. Autrement vous ne feriez aucune difj3 üculté de m'expliquer cette fcène étrange. Qui Z iij  *$8 Les Contes ïi peut garder un fecret, en peut bien gardes »> deux. » II n'y a qu'un mois que tu es mon ami, me s> die Bennaskar, 8c tu voudrois être admis » dans la confidence de tous mes fecrets. Jeune >» homme inconfidéré , prends garde de te brüler jj !es aiies au foleil, en volant au-deffus des plus jj hautes montagnes. Un ami bien éprouvé eft jj le tréfor qui charme Bennaskar; mais la majj lédiétion & la mort font le partage de fes enjj nemis, » En achevant ces mots, Bennaskar me jeta un regard févère, & me quitta brufquement. Je me retirai dans mon appartement, fort irréfolu fut le parri que j'avois a prendre. En regardant de córé 8c d'autre dans ma chambre j'appercus un petit livre ouvett fur une efpèce de pupitre, devant la lampe allumée. C'étoit le koran de notre fainte loi. N"ayant pas envie de dormir, je me mis a lire 4 1'endroit ouvert. C'étoit le chapitre ou il eft parlé de ia vache fainte. 11 me fembla voir le «om de Maoud écrir dans le livre facré. Cette merveille me furnrit. Je regardai avec une nouvelle atrention. Je lus diftinctement ce^ mot \ Mahoud ! Mahoud ! Mahoud ! IIy a beaucoup de kien dans le monde, mais il y a encore plus cfe  BES GÉNIES.' 35? mal. Le bien eft un don d'Alh, le mal eft l'ouvrage de fes créatures. Paree que F homme a pêché, & qu'il marche dans les ténèbres de l'ignorance, la méchanceté des Génies malfaifans , & la puiffance des enchantemens triomphent de la fageffe des juf es. A ce mot, Mahoud eft dans la maifon d'un ma~ gicien auquel il s'eft malheureufement lié par des engagemens d'honneur. Manquer a fa parole, c'eft bvJJ'-Jfe i (* ienir, c'eft un crime. Quand les hommes s'abandonnent au mal, ils deviennent foumis au pouvoir des mauvais Génies : alors nous autres, les protecleurs du genre humain , nous ne pouvons plus ni nous intéreffer en leur faveur, ni leur prêter notre fecours contre les dangers qu'ils courent, qua proportion de leurs remords. Ton ame facile, trompée par la profonde dijfimulation de Bennaskar, s'eft laijjé prendre aux pièges qu'il lui tendoit; la voix de Ja bouche a recu ta prudence. Tu as promis a tout événement, de ne point révéler les fecrets de fa maifon , & par cette promejfe imprudente tu t'es afocié, fans le vouloir, a la méchanceté de ton faux ami. Mais 1'homme attaché au fervice d'Alla par une loi inviolable & immuable, peut-il difpofer de lui-même contre la volonté de fon auteur ? Le vermijfeau qui rampe fur la terre, ojera-t il fe révolter contre la main qui L'a formé} Si Mahoud , en promettant de ne rien dirè de ce qui fe paftferoit dans la maifon de Bennaskar, en Ziv  j£o Les Contes avoit excepté tout ce que la loi de Mahomet tul cidonnoit de révéler , il eut agi prudemment. Celui qui marche dans les ténèbres tombera infaillibk^ ment dans le précipice qu'il ne voit pa?. A ces mots, reconnois le Génie Macoma qui emprunte la reffemblance du koran pour t'infiruire. Je vois les maux qui t'attendent, ft' tu entreprends de délivrer la princeffe de Caffimir ; & cependant cette entreprije eft le feul moyen qui te refte pour fecouerle jong de la cruauté & de l'opprejfton. Choifts donc: fi ton cozur. fe fent ému de compajfion pour l'innoüence opprimée, prépare-toi a foujfrir pour la cattfe de la vérité & de la vertu , prends dans ton fein ce livre qui pourra te faire voir la princeffe toutes les fois que.tu voudras ; finon fois toujours l'efclave de l'cnnemi du prophéte. Je voulus continuer de lire ; mais je ne vis plus rien d'écrit. Je réfohis fur le champ de prendre la défenfe de la princelTe, & de faire tour au monde pour la délivrer, quoiqu'il düem'en couter. Je mis le livre fur ma poirrine, je pris la lampe dans ma main , & vins dans le falIon, ne doutanr pas que Bennaskar ne fe fut reciré dans fon férail. Je m'engageai dans differens appartemens que je reconnus pour être ceux par lefquels j'avois déja paffe. Je me trouvai bientót dans la peritg chambre voütée,  des Génies.' 361 Je levai vïce la trappe , je touchai la princefte Hemjunah avec le livre-, ne fongeant qu'aux nioyens de la tirer de cette horrible prifon. La princefle s'éveilla au toucher du livre. Dès qu'elle me vit, elle jeta un grand cri qui m'alarma. Je craignois qu'elle n 'éveiliat Bennaskar; pu quelqu'un de fes efclaves. Je lui dis pout la raflurer, que j etois envoyé par le Génie Macoma , pour la délivrer; que je déteftois 1'horrible cruauté aVec laquelle je 1'avois traitée la nuit précédente. « Vous, 1'envoyé du Génie Macoma , me dit» elle en foupirant & criant par intervalle ? Vos » paroles décèlent la faufleté de votte cceur. Je » ne vous ai jamais vu, a. moins que vous ne 3) foyez le magicien Bennaskar deguifé fous une apparence érrangère, ainfi que je le foupconne. 33 Quoi qu'il en foit, homme vil, monftre im33 placable, tes rufes n'auront pas plus de pou93 voir que ta cruauté, Rien n'eft capable de me 33 faire confentir a 'ce que tu exiges de moi. Je ?3 perfifterai éternellement dans ma haine conrre 93 un monftre tel que Bennaskar: je fuis süre (3 qu'il ne peut ni me détruire, pi me déshono»3 rer fans mon confentement. 33 Adorable Hemjunah , divine princeffe, lui ss dis-je en me jetant a fes pieds, je vous con- jurg de m'écouter un inftant, Je ne fuis rji Ben-  3 raire a exécuter fes ordres barbares. O char» mante princeffe ! pardonnez un crime invo» lontaire. » Un crime involontaire, reprit la belle Hern» junah ? Je reconnois a ton difcours ra noir» ceur & ta perfidie. En fuppofant ton récit vrai, j> quel ferment peut autorifer une mauvaife ac« tion, un emportement féroce ? Ne devois-tu » pas t'expofer a toutes fortes de hafards, pluj» tót que de faire fouffrir cruellement une fille » innocente ? Si tu es téellement le ferviteur » fidéle du Génie Macoma , comme tu le dis, je » le faurai a cette marqué. Sors a ce moment de >3 la maifon de Bennaskar, & va inftruire le Cadi » de fes cruautés & de fes enchantemens. 35 O ma princeffe ! lui dis-je , laiffez moi plu-  BES GÉNIES. J^J k> tót vous tirer de ce tombeau affreux. Nous s» pouvons fuir fans être appercus. y> C'eft ce que tu ne peux faire, a moins que » tu ne fois le ctuel Bennaskar, comme je le 5' foupconne encore. Je ne puis fortir de ce ca« veau que par fon ordre. Infenfée que je fuis, « continua-t-elle en verfant un torrent de larv mes, qu'elle folie d'écouter les impoftures s> d'un homme tel que toi! 33 O aimable Hemjunah ƒ répliquai-je , puifque >> vous efpérez quelque fuccès de la démarche 33 que vous m'ordonnez , je vais dès ce moment 33 inftruire le Cadi de votte état & de la cruauté 53 de votre perfécuteur. j> J'avois été jufqu'alors profterné devant le tombeau de la belle Hemjunah ; quand je me leval pour exécuter ma pieufe réfolution , j'appercus Bennaskar qui marchoit dans 1'appartement voiiin. II entra dans la chambre voütée. A fa vue , la princeffe jeta un grand cri , & refta fins mouvement. Je penfai m'évanouir de frayeur. Quoique mes intentions fuffent droires &r pures, la préfence d'un enchanteur me glaca d'effroi; je me rappelai la promeffe que je lui avois faire, & que j'allois violer. Je m'attendois a éprouver la force de fon pouvoir magique, Je me cpuvris le vifage de mes mains, n'ofant  '5^4 Les Contes lever les yeux. Ma frayeur fut bientót calmée. Bennaskar fe jeta a mes pieds. Je fus furpris ; mais je ne doutai pas alors que Ie génie Macoma ne me protégeat , & j'attribuai l'humiliation du magicien a. un pouvoir fupérieur. « O Mahoud ! me dit Bennaskar, pardonne « i un malheureux qui t'a trompé , qui t'a of»» fenfé. » Si tu veux que je te pardonne, lui répon» dis - je , ceffe de perfécuter la princefle de » CaJJimir ; mets-la en Iiberté; car tandis qu'elle » reftera dans la terre , tes prières feront inu3» tiles. » O Mahoud ! reprit - il , ó 1'ami de mon 3> cceur , Ie confident de mes fecrets ! quoique 3» tu n'aies point relTenti le pouvoir de 1'amour, 3» aies pitié de ceux qu'il captive. Si 1'aimable prin3» cefTe de CaJJimir connoilToit la puteté de mon 3> cceur, fi ... . — 33 Envoyé de Macoma, s'écria la princeffe en >3 interrompant Bennaskar , n'écoute point le 33 traitre avant qu'il ne m'ait mife en liberté. II 33 m'a trompée. Profite de mon erreur , tu feras 33 foumis a fon pouvoir , fi 1'efprit de prudence 33 ne t'éclaire & ne te dirige. 33 Al ors Bennaskar fe Ieva brufquement ; Sc, fe découvrant la poitrine , il me dit : « Frappe , j> Mahoud, finis mes tourmens, & les malheurs  DES GÉNIES. j£f »» de Hemjunah ; car Bennaskar ferlt qu'il ne peur >» renoncer au tréfor de fon cceur. » II ne m'ett pas permis de t'óter la vie, ré» pondis je ; mais je te livrerai au pouvoir da » cadi, qui tient fur la terre la place du grand » Alla, pour punir les méchans qui oppriment » 1'innocence. >j La princeffe de CaJJimir me demanda alors le livre du génie Macoma, afin qu'il lui fervir de défenfe contre les infuites & les embüches da cru el Bennaskar. « Sa demande me parut fi raifonnable , que » je ne pus la refufer, je lui remis fur le champ » Ie livre du génie protecteur. » Lorfque je quittai la chambre voütée, accompagné de Bennaskar, il me conjura de ne pas perdre un ami qui avoit en tant de confiance en moi. Je lui dis qu'il étoit jufte d'obéir a Alla préférablement a 1'homme. Je me préfentai a la porte du cadi. II étok nuit. Ses officiers me dirent que je ne pouvois pas lui parler a cette heure. Je leur appris Ie fujet de ma vifite nocturne. Quand ils furenrqtie j'avois en ma puiflance le magicien barbare qui avoit enlevé Ia princelTe de CaJJimir, ils allèrent avertir le cadi. Ce vigilant magiftrat fe leva en hate , & me fuivit avec une forte garde a k maifon de Bennaskar.  $66 Les Contes Le magicien nous attendoit a fa porte, avec: une lampe en main. Son affurance me furprit* & me fit craindre le pouvoir de fon art. Mais dès que le cadi entra , Bennaskar fe jeta a fes pieds , confeflant fon crime , tk demandanc pardon. Le cadi ordonna aux gardes de fe faifir de fa perfonne , & dit a Bennaskar de nous conduite dans Fappartement oü il retenoit la princefle captive. Bennaskar obéit. Ën traverfant les différens appartemens qui conduifoient a la chambre voütée , il me dit : « Mahoud, vous favez que le :> corps de la princefle Hemjunah eft a moitié j> enfeveli dans la terre, fans être couvert. Ob>■> tenez du cadi , qu'il nous permette d'aller jj feuls la tirer de eet état, afin de lui cpargner ■>■> la peine de paroirrè ainfi devant lui. De mort 33 cóté , la vue de mes péchés me fait horreur, 33 le remords m'accable, tk je veux fincèrement 33 délivrer cette princefle innocente. 33 Si vous me promettez, lui dis-je de tirer 33 la princelfe de eet horrible tombeau, je taï3 cherai d'obtenir du cadi ce que vous me de)■> mandez. Autrement , je veux que tout le 33 monde foit témoin de votre malice détef33 table. « O mon ami ! repartit Bennaskar , ne m«  & 2 S G É N I E S. ^7 * fakes plus de reproches 5 mon cceur m'en » fait aflez, Oui, Makoud, je vous Ie promets • - je nrerai Ia princefle de eet état cruel, comme " vous le défirez. Je ne me repofe plus que " k b°mé & ,a Pi«é du cadi. Je nimpb«■ rerai plus déformais k puiftance des mauvais l Soyez en sur 5 je renonce a leurs en- » chantemens. » Je croyois le repentk de Bennaskar fincère &]emWjouiffbis.Je priai donc le cadi quii nous permk de le dévancer dans la chambre vutee , pour délivrer la princeffe de 1 enchantement auquel elle étoit foumife. Le cadi confentic i ma demande. En même tems d ordonna i fes gardes de refter i l'entrée de 1 appartement t tandis que j'y ferois avec Bennaskar. Dès. nous fü™* entrés , fe magici^ ^ pntparles cheveux , mentraina brufque- mSnC dans Je «binet,&ferma la porte fur nous. r « Perfide, me dit-il, recois la jufte récom" Penfede t0n ParFre.„ Sansme donner le remsdercpondre,ilm, cracha au vifage , me renverfa par terre, me foula fous fes pieds, * Sen(m e» ^rmant Ia porte du cabinet. Je fus quelques minutes fairs mouvement, étourdi de machure , du traitement indigne que  j ÓS Les Contes je venois de recevoir , 5: encore plus des fuires que j'en appréhendois. Je me levai enfin , j'ouvris la porte, mais je ne vis plus, ni la princeffe de Cajimifi , ni le cruel Bennaskar. Ma furprife fut extrêmé. Cependant le cadi , & fes gardes impatiens d'attendre fi long - tems , entrèrent dans la chambre. Le cadi me fit faifir par fes foldats , en me difant : « Malheureux , oü eft la prin,i ceffe ? Oü eft celui qui nous a révélé ta mén chanceté. „ O comble du malheur ! m'écriai-je , ó déi, fefpoir ! » Je m'appercus que ma voix étoifi comme la voix de Bennaskar. Je regardai mes vêtemens s c'étoient ceux du magicien. En un mot, je ne pouvois plus douter que , pour me punir de lui avoir manqué de foi, il ne m'eüt donné fes traits & fa figure. Je tombai aux pieds du cadi, en le füpplianC de m'écouter un moment. Je lui racontai toute mon aventure depuis que j'étois entré dans la maifon de Bennaskar , jufqu'a l'inftant préfent. II traira mon difcours de fable. Ses gardes en rirent. Néanmoins , après un moment de réfléxion , il me regarda fixément, & m'ordonna de délivrer la princefle & mon ami de 1'enchantement oü je les retenois. J'eus beau attefter le ciel de la vérité de mes paroles  DES GÉNIES,' 56*5 paroles, Le cadi, indigné de mon obftinarion prétendue , me fic donner cent coups de cha-, bouc par fes gardes. Pour comble d'infortune, Bennaskar m'appa.rut au bout de la chambre. Je criii : « Le voila, » le Makte qui me fait fi cruellement fouf» frir ! » — Le cadi regarde de tous cbtés ; &c, ne voyant perfonne, il s'imagina que je mé moquois de lui. II me fit encore donner une centaine de coups de fouet. Accablé de défefpoir, Sc fuccombant i Ia violence d'un tel chatiment , je tombai par t;rre, prefque fans vie Les gatdes me trainèrent en pnfon. On me mie dans un cachot profond Sc obfeut , oü 1'on me chargea de chaines. Dès le lendemain , je reparus devant Ie cadi, dans la falie publique de juftice. On me fit mon procés. Je fus condamné a être brülé vif le jour fuivant , a moins que je ne délivrafte avant ce tems , la princefle de Cajfimir Sc Mahoud. II eut été inutile de répéter mes proteftations." Quand j'aurois juré mille & mille fois par Alla, que j'étois le vérirable Mahoud, Sc que tout ce que je fouffrois étoit un effet des enchantemens de Bennaskar, on étoit déterminé a ne me pas croire. Je pris donc le parti de ne rien répondre. Mon filence fut mal inrerprété. On 1'attribua a une obftination indomptable. Pour me faire, Tomé XXIX. Aa  '3 7 o Les Contes parler, on ordonna aux bourreaux de me donner une baftonnade de cinq eens coups, Alors , je priai le cadi de confidérer fi j'avois quelque chofe a répliquer dans la fituation ou je me trouvois. « Mon hiftoire eft vraie dans routes fes circonfa> tances, ajoutai-je , je fouffre pour la promeffe s> réméraire que je fis a Bennaskar ; je dois me 3j foumettre avec réfignation k la rigueur de mon » forr. » Le cadi outré, me fit recondifire au cachot; On dreffa un bucher fur le marché public , & 1'on prépara tout pour me faire bruler le lendemain en préfence de tout le peuple. Je paffai une nuit cruelle. Je fouhaitois que le foleil ne fe levat plus jamais. Vain fouhait ! Cette nuit affreufe ne me parut qüun momer.t. Les étoiles difparurenr, comme a l'orclinaire , en préfence du jour , & je vis approcher le moment de mon exécution. La prifon étoit entourée d'une foule de peuple répandu dans toutes les rues des environs , jufqu'a la place oü étoit drefté le bucher. Quand je paffai , les uns m'accabloient d'injures , les autres me crachoient au vifage , quelques - uns mème me lapidèrent. En avancant vers le bucher , j'appercus le cadi &c fes officiers affis fur une efpèce d'amphithéatre couvert, qu'on avoit clévé devant le  te E S G É N I E S. Ducher. Ii me fit venir devant lui, Sc me dit. • « Infame magicien , je veux bien encore re » buffer mairre de ton forr : rends la princeffe » Sc ton ami que tu caches par le pouvoir de » ton arr, ou la femence que la loi pcrte conrre i> toi Sc tes femblables , va êtte exécutée dans »> toute fa rigueur. » O cadi, ó mon juge ! lui dis-je, puifi-ue »> vous ne voulez pas croire ce que je vous ai dir, " faites-moi au moins favoir qui m'a dénoncé » a votre tribunal , qui m'a;cufe de nn?ie ou « de forcellerie ? Ne fuis-je pas Bennaskar, riche » marchand de Dély ? Oü font^ceux qui oftnt » s'élever contre moi Sc rhe calon-nier ? Vous a» êtes venu cetre nuit dans ma maifon. Vous i> vous êres failï de ma perfonne. Vous m'avez n fait conduïre en prifon , & jeter dans un ca» chot oü l'on m'a trairé comme un vil efclave. w Vous me condamnez a être brülé vif : tout » cela fans témoin , fans aucune preuve du c i 1 e ó dont vous me punilfez. C'eft pourquoi , ö 6 cadi ! j'en appelle i 1'équiré du fulran de j» 1'onent, Sc j'efpère que mes concitoyens ne '» permettront pas qu'on m'exécure ainii, fans i» avoir conftaté mon crime. » Jeune homme, répliqua le cadi', votre ap5> pel n'eft pas néceffaire. Je fuis bi?n éloigns »> de condamner, fans raifon valable , aucun des A a ij  57* Les Cöntes » habitans de Dely. Vous auriez raifoiï de voüs? 33 plaindre , & je ferois le premier a vous écouter, 33 fi vos propres paroles ne vous condamnoienc33 pas el!es-mêm-es. Hier vous proreftiez que vous 33 n'étiez pas Bennaskar; aujourd'hui vous dires 33 que vous 1'êtes. Vous voila convaincu de fauf3J feté par votre propre bouche. Si vous n'étiez, 33 pas un magicien , qu'aviez-vous befoin de nier 33 hier que vous étiez le marchand Bennaskar? 3* Le peuple applauditau difcours du juge. Chacun cria que j'étois un magicien , & que je mêV: ritois le feu. Les gardes me lièrent fur le bucher avec les chaines que j'avois toujours portées aux pieds & aux mains, depuis le moment que j'avois étépris. Le peuple jeta un grand cri de joie. On mit le feu au bucher : bientbt la fumée & la flamme enveloppèrent le malheureux Mahoud. En un moment, je ne vis plus ni le ciel ni la foule du peuple qui rempliffoit la place : mais je me trouvai au cenrre du bucher fous la forme d'un crapaud. Je tachai de fortir du milieu des flammes. Je me traïnai avec quelque peine fous une pierre de la rue. Le peuple refta fur la place jufqu'a ce que le: bucher fut entièrement confumé. On porta les cendres hors de la ville , oü on les jeta au vent, Je reflai fous la pierre jufqua la nuit.  des Génies'.' 375 j'avois deflein de fortir de la ville dès qu'il feroit affez fombre, pour le faire en süreté. Mais ,]e fommeil viut fur moi , au tems oü les animaux fe rerirenrpour tepofer; Sc en m'éveillant -je' me trouvai dans cette forêt oü je vivois depuis uh mois , lorfque je fis la rencontre de ces deux compagnons , de ma folitude Sc de mon malheur. « Vos aventures font furprenantes , ó Man houd ! dit le fultan de \Tnde ; elle nous ap3) prennent combien la prudence nous eft nén ceffaire, a nous qui fommes enveloppés dans » le même malheur que vous. Je vois que nos maux, a 1'un Sc a. 1'aurre , viennent d'un dé33 faur de confiance en la proteclion c\\41la. Je 33 dois avouer que eet êtte tout-puilfant eft tou33 jours pret a fecourir ceux qui ne fe manquent 33 peint a eux-mêmes. 33 Mais , ó Mahoud ! fouffrez que je vous 33 fiüfe part de mon inquictude. Qu'eft devenue >3 la belle Hemjunah , princeffe de CaJJimir. Ne 33 rous étonnez pas de ma deaaande , ce nom 33 rappelle a mon efprit des idéés qui ne s'erfa33 ceront jamais. Comment une fi aimable per33 fonne , une princeffe fi belle Sc li innocente, 33 a-t-elle pu être foumife au pouvoir d'un en33 chanteur ? Mais dois-je m'en étonner , moi Aaiij  $74 Les Contes » qui éprouve le même fort ? Surement, notre « compagnon que vous décorez du ritre de priu» ceffe, ne p:ut pas être la fille de Zebeneier., jj fultan de Cvjimb. - » C'eft ell e-mème, .répondit Makoud: elle a jj été métamorphofée comme nous ; eet autre »' llue tt°»S vcy_z a Bfl aio'te, eft // quoique je ne puffe aflifter d ton confeil. Je  ©es Genie sr 377 » priois pour toi dans le fecret de ma foütude. js Je conjurois celui qui eft plus fort que la furent » des méchans, de déroumer de toi les maux » dont ils re menacoienr. Alla a exaucé ma » prière. Il m'a vu profterné dans ma celluie, &c sj il m'a envoyé le Génie Bahoudl, qui m'a or>j donné de re chercher dans la forêr de Tarajj pajan , oii ta nouvelle forme te forcoit de jj ramper. jj J'ai dit a Bahoudl : O Génie ! comment jj puis - je accomplir tes ordres ? Mes pieds rejj fufent de me porrer. Les inrirmirés m'acjj cablent. 55 Va , reprit Bahoudl , en me touchant du jj bout du doigt. Le ciel t'envoie la force néjj celTaire pour exécuter ce qu'il t'ordonne. La jj forcière Uiln a métamorphofé ton prince en le jj plus hideux reptile de Ia terre : ce qui ne doit jj point t'étonner j car rel eft le deftin des hom» mes les plus éminens en vertu & en dignité, jj Quand leurs ennemis ttouvent 1'occafion de jj leur faire fentir leur pouvoir, ils les réduifenr jj a la condition des ètres les plus vils. Tu troujj veras le fulran au milieu de trois autres maljj heureux comme lui. Te ne peux délivrer que jj le prince de \Tnde. Les trois autres doivent jj refter dans 1'enchantement, jufqu a la mort de jj la forcière Ulin.  'j 7 8 Les Contes » Mais , ó fultan ! continua le Dervis, avant »« que je détruife le charme qui re captive, le « Génie m'a commandé de te répéter ces jj mots : >3 La religion , ó Mifnar ! eft le premier & 53 le plus grands des devoirs ds 1'homme. Ado55 rer Alla , fuivre la loi de ia» prophete , c'eft 55 le plus noble hommage d'un cceur reconnoif55 fant. Celui qui a inftitué les cérémonies pieuj5 fes , & les pratiques de dévotion, a auffi établi 33 les diffcrenres condirions de la fociété , avec 55 leurs devoi-rs Sc leurs obligarions. Eft-ce donc 55 honorer Alla, que de négliger les devoirs les 55 plus indifpenfables de 1'état oü il nous a placé, 33 pour faire des pélérinages ? O prince! le ca55 cher de Mahomet que t'a vanré le Prophéte 53 Ma>:géio, n'eft il pas ce fceau ineftacable que 55 tous les fidèles portent imprimé fur le front, 55 Sc qui nous donne la force d'obéir a la voix de 35 la raifon & de la religion? La ceinture cYOpak53 ka , que porre l'enchanteur Kifri, n'eft autre ss chofe que la- prévoyance Sc la prudence, qui 53 font les meilleurs alliés que puiffent avoir le 35 fultan de l'orienr. Mifnar abandonnne fon 55 peuple pour le fauver , Sc livre a la difcrétion 33 de fes ennemis, fes états qu'il veut confer33 ver! Puifqu\4i7tf t'a fait affeoir fur le tröne :3 de ïlnde, c'eft de la que tu dois lui adreffer  des G é n i b s.' 579 » tes prières. Mais le cielapitié des foibleffés » qui viennent plurot de 1'ignorance que de la » mauvaife volonté. C'eft pourquoi, je te com» mande de te lever, ö fultan! ajouta Ie Dervis » tn le touchant; leve-toi de la pouflière oü tu » rampes. Reprends I'éclat dont Alla t'avoit rev veru. Sache & fouviens-toi que Mahomet te » protégé, qu'il a appefanti fon bras fur res en» nemis, qu'il t'ordonne de marcher contre eux , i> en t'alTuranr que leurs enchanremens ne pour» ront renverfer res projets , que leur pouvoir » mag:que cédera toujours a ta prudence , a » moins que tii ne te je-ttes indifcrettcment dans * leurs piègèfij Sois vigilant & pru lent, & ne » crains rien. Tout ce'qu'ils peuvent, c'eft de fe » fouftraire a tes coups par la puilfance de leur * air ; & rune faii'-ois rien tenter contre eux, •V dont ils ne foienr inftéuias auparavant. C'eft » de cette prévoyance qu'ils rirent leur plus » grande force. Sois ferme dans res refolurions, » vif & courageux dans rexécurion, mais pruv dent & circonfpect avanr 1 enrreprife. Car, * quand la force leur manque, ils emploient la V rufe pour re perdre. » Q-iand Shanshclnar eut fini de parler, Mifnar fc leva majtftueufement, & reparur fous fes véntables traits. Mais avant de oéporadbre au faint Dervis qui 1'avoit déiivré, li fe profterna & adora  5 S<* Les Contes' k bonte d'Alla 8c de fon prophéte, qui avóiréclaté en fa faveur , en détruifanr 1'enchantement fous lequel ii gémilïbit par le pouvoir tyranniquc d'Uiin. Après eet acte de religion, il remercia Slumshelnar de fes fages confeils, & de k libei té qu'il venoit de lui rendre. Le Dervis lui répondit: « Vous faites bien ,' 33 ó Mifnar ! d'adorer 8c de remercier Alla avant 3> toutes chofes. A lui feul apparrient teute gloire « & tout hommage , Shemshelnar n'eft que l'ef* » ckve de Mahomet, ton prophéte 8c le mien. 33 Et, reprit le fultan, n'y a-t-il pas lieu d'efpérer qu'il plaira au grand prophère des 3> fidèles de rendre auffi la liberté a ceux qui 33 fouffrent encore le fatal changement dont je 33 fuis déüvré par fa bonré ? " 33 Mifnar peut feul les délivrer , répliqua le >3 Dervis. Fais périr Ulin , & ces infortunés, 33 victimes de fon. pouvoir, te feront rendus , a 33 roi & a eux-mêmes. Mais en attendant ils 3S doivent apprendre par 1'exemple de ta déli33 vrance, a ne pas fuccomber fous le poids de 33 leurs malheurs , a efpérer, 8c a prier pour ta 33 süreté. Le chemin de Dély eft par cette forêt, 33 & le palais cl'UUn eft vers la gauche. Elle fait 33 déja. ton rétabliffement; & elle s'occupe des 33 moyens de te tromper une feconde fois. Tiens93 toi fur tes gardes. Aies plus de prévoyance que  des G É n i e s. 381 4> pat le paffe. Si elle triomphe une autrefois , ta » perte eft süre : tu mourras. » Mifnar, ayant recu les inftructions du Dervis^, prit congé de fes compagnons, en les affurant qu'il fouhairoit de renconrrer au plus vue la forcière Ulin , pour faire valoir fes prétentions , recouvrer fon royaume, & délivrer fes fidèles fujets , fes chers amis, des mains de cette cruelle enchantereiTe. Suite du conté des Enchinteurs , ou Misnjr, Sultan de l'fnde. XjE fultan de Ylndc traverfoit la forêr, machant quelques feuilles que le dervis Shemshdnar lui avoit données, pour le foutenir contre la violence de la faim, jufqua ce qu'il arrivat a. fon palais. Après deux jours de marche, qui fe pafsèrent fans aucune avenrure, il enrendit les cris d'une femme qu'on maltrairoit. II avance , & voit de loin quatre brigands qui frappoienr cruellement une femme qui avoit l'air d'une perfonne de diftinction. Mifnar3 indigné, vóle l fon fecours, &c défis les quatre brigands. Mais ceux-ci n'ofant combattre Mifnar, ptirent  382 Les Contes la fuita , laiftant la dame a demi-morre. Le fuïtaft s'approcha d'elle, & lui demanda par quel accident elle étoit tombée dans les mains de ces voleurs , & pourquoi ils la maltraitoient ainfi. « o illuftre érranger! luidit-elle, en verfant 55 un torrent de larmes, votre air m'annonce un ss homme au-deftus du vulgaire, & votre généj» rofité mérite toute ma confiance. Mon fort 35 étoit d'ctre aimée du plus beau des enfans des ss croyans. Je fuis fille d'un émir, je vivois a. 35 Dé.y dans la maifon de mon père. Ua\ar 33 m'aima. Ha^ar commandoit mille hommes 33 dans les armées de M/ftiar\ notte magnifique 33 fultan. Hélas! fon amour a fait mon malheur. 35 Le fecond fils du grand Dabukombar, aidé du ss pouvoir magique de 1'enchantere'fte Win, afpi33 roit au tróne de fon frère. Les foldars qui 33 aiment a courir les hafards de la guerre, défer3j toient chaque jour, quittant le camp du princfe 33 de 1'Orient, pour s'aller joindre a fes ennemis33 Ha\ar fe révolra avec fa rroupe. J'éus beau 1'en 33 diftiiader, il méprifa mes confeils, & perfifta 3» dans fa révolte. « On n'a point d'occafions de s'avancer fous 33 le règne pacifique de Mifnar, me difoit-il, 33 je veux fuivre les étendarrs de fon frère, & 55 tenter la fortune fous les-Ordres d'un prince que la guerre elevera fur le tróne de YInde<  DES GÉNIES. jgj » J'employai tout ce que 1'amour & la raifbn ss ont de pouvoir pour le diffuader d'uu crime fi sj déteftable. Ha^ar, éblouï par un fol efpoir de ss grandeur, me répondoit avec enrhoufiafme: 33 Mon amour eft conftant. Ne crains pas que je ss change de mairreife comme de fultan. Bientót 55 tu me reverras, favori d'un nouveau monarque, ss occuper a fa cour le premier rang, & t'élever 35 avec moi au-delliis de ton père. ss Ha^ar me quitta pendant la nuit, & bientót ss après j'appris qu'il étoit allé fe joindre aux ss rebelles. Mais, ó généreux étranger! quel fut 35 mon chagrin , lorfque je fus qü.'17/in , cette ss enchantereifeabominable, devenue amoureufe ss de lui, 1'avoit invité a partager fon lit, & le ss pouvoir qu'elle a fur les foibles morrels? Outrée js de dépit, je m'abandonnai au défefpoir. Je ss quittai d'abord le camp ; & loin de 1'armée de s. Mifnar, je m'enfoncai dans 1'épauTèur de ce 3» bois , fuivie de quatre efclaves. Dès le fecond 35 jour de marche, je fus enlevée par deux fatyres ss du bois. Ma fuite me fut inutile : mes efclaves js me cherchèrent & ne me trouvèrent plus. v Les fatyres, favorifés par la nuir, me con55 duifirent par des fentiers cachés & embar3s raffés , jufqu'a un palais éclairé de dix mille 3) lampes. ss Ils me dirent en entraut: fille orgueilleufe.  384 Les Contes n qui afpiras a 1'amourcXHa\_ar} viens contempler » tori amant. » Je fus conduite dans une falie magnifique, jj & de-la dans un appartement aufii riche oü n s'élevoit un trone d'argent. J'y vis Ea\ar, le ,j perfide Haizar, alfisa. cöté A'Ulin3 la déteftable jj Vim. jj Ma colère fut fi grande, qu'oubliant au poujj voir de qui j'étois, j'éclatai en reproches contre 3j mon amant infidèle. Ha^ar, lui dis-je, homme jj rebelle a 1'amour & a ton prince, ofes-tü „ préférer les embraffemens impurs d'une vile jj enchanterefie, aux carefles innocentes de celle ,j qui a recu ta foi ? „ Ulin, témoin de mon dépit, écouta mes ,j plaintes avec froideur, & y répondit avec un jj ris infultant. Courage, me dit-elle; courage, sj ó douce maïtrefle cYHa^ar ! je vous ai fait jj conduire ici pour me divertir : vous répondez jj a. merveille a mon attente. La paflion de eet jj aimable jeune homme neut été rien pour moi, jj fi je ne me fuffe aflurée, par mes propres yeux, sj qu'il préféré les plaifirs fubftantiels qu'il goute »j avec moi, aux chimériques délices dont fon jj imagination fe repaifloit auprès de vous. Oui> jj belle créature, approchez, raflafliez vos yeux; u du plaifir de voir celui que vous aimez avec :» tant de paflion jj, m En  DES G £ N I E S. jgj « Eu achèvant ces mots, 1'infême forcière >i embraffoit Ha^ar, & je vis Ie traïtre répondre » a fes carefles. » Je ne pus fupporter la vue de tant de mè* sj chanceté. Je m'évanouïs aux pieds du tróne. 33 Quand je revins a moi, je me ttouvai feule » dans un appartement rempli d'ordtires, oü je » fuppofai que 1 on m'avoit mife par les ordres s» de la cruelle enchanterefïè. 33 Le lendemain on me ramena devant ie tróne 33 zXUlin, pour y entendre fesrailleriespiquantes, .3 & y contempler 1'homme le plus perfide de fon ij fexe. » J'étois curieufe de favoir corhment & par " quels ordres, & par oü Ton m'avoit tranfportée » de eet appartement dans celui que je venois >3 de quitter. Je fis femblant de m'évanouïr une »3 feconde fois. Je rombai, des efclaves s'em.3 prefsèrent de me, fecourin J'entendis Vlln, ft qüi leur difoit : que petfonrte ne s'approchs v pour la faire revenir. Qu'on la laifie dans cec »3 état jufqu a ce que nous foyous fortis, 1 aimable i3 Ha\ar &c moi. •> Alors vous la cqnduirez dans le petit cavea« 5> qui eft föus mon palais. » Je perfiftai dans mon évanouiffement fup-i >. pofé. Quand Ulin & ffa{ar futèht fortis de 1'appartement, les efclaves me portèrent dan» Teme XXIX, j$b  Les Contés » le caveau fouterrain , oü ils m'abandonnèrenï « a mon malheureux fort. » Dès qu'ils furent partis , je cherchai de >■> tous les cótés le palTage pat oü 1'on m'avoit » defcendae; car je n'avois pas ofé ouvrir les » yeux jufqu'a ce moment. Hélas! je 1'aurob t» fait inutilement \ ces Iieux étoient ténébreux » » jamais 1'ceil du jour n'y pénérroit. Après bien » des peines & des inqutérudes, je traverfai en r> tatonnant plufieurs fentiers auffi fombres que » la caverne, & j'arrivai enfin au pied d'un efcan lier. Je monrai en tremblant, & me trouvai 33 dans une cour du palais. 11 étoit encote jouc *> Je redefcendis quelques degrés, & je m'affisjj en attendant la nuit. Dès que je crus I'heure *> favorable a ma fuïte , je réfolus de chercher » une iffue, aimant mieux mourir que de de33 meurer dans ce lieu déteftable ». 33 Ayant traverfé la cour, je parvins au bord 33 d'un foffe profond, dont 1'eau- me fembloit 33 couler autout du chateau. Je ne doutai pas 33 qu'il y eut d'autre entrée & d'autre iflue atF ss palais j qu'un pont gardé par les fatyres du j3 bois, comme je 1'avois pu voir lorfqu'ils m'y ss avoient conduite.- 33 Je favois nager,- je Tavois appris dans les 33 bains des femmes de mon père. Je me déterp minai a traverfer le canal a la nage : je préfé-  des Genie s. 3S7 IS rois la more au forr de demeurer plus longh tems prifortnière cXUlin. Je mfe jetai dans le =5 canal : la peut mé donna des forces, j'atrei« gnis bienröt 1'autre bord. » Echappée de ce premier danger, j'entrai 33 dans la forêt oü j'errai tout le refte de la nuit, j> fans favoir oü j'allois; Ce matin, a la pointe 3> du jour, j'ai entendu un btuit confus au tra33 vers des arbres; 33 Dans un inftant je rrië fuis vu ènvironnée >3 de quatre brigands; & fans votre favorablë 3> afliftance , j aurois fouffert la mort la plus 3. cruelle, oü pëut-êtie cè qui eft pis què la 33 mort même >3. Mifnar racha de confoler la belle étrangèré. 11 lui demanda fi elle croyoit qu'il füt poffible a un hömme courageux de forcer l'entrée du palais dUUn, & de 1'aller combattre jufques fut fon tróne d'argent. a Si j'ai pu en fortir auffi heureufement qué 33 j'ai fait, répondit - elle, he doutez pas qué 33 vous ne puifïiez y entrer par la même voie ». Cependant le fultan Mifnar patoiffoit iiidécis ou même méfiant. » Sultan, ajouta-t-elle, fouffrez que jé vous i' accompagne dans cette noble entteorife. Jé ji vous en affurerai le fuccès 33. Mifnar parut quitter auffi-tót toute dcfiancèrf Bbi;  'j 88 Lis Comtes 11 beu 1'étrangère de le précéder , pour lui mon- trer le chemin du palais. » Volontiers, dit-elle. Mais nous attendrofts jj la nuir, pour paffèr le canal. Son ombte favo- , jj rable nous fera d'un grand fecours jj. Mifnar fuivoit les pas de la belle étrangère. Ils entendirent du bruit. Mifnar dit : « Je ti- • 3j. rerai mon cimeterre , car nous pouvons être : jj furpris par les voleurs qui rodent dans la fo- • jj rêt jj. » Fort bien , répondit fa conductrice, la préw-camion eft bonne. Armez-vous du ciraetere jj redoutable de vos ancêtres jj. Le fultan tenoit fon cimeterre levé. II ferre . Ie? pas de la belle inconnue j & au moment qu'elle s'y attendoit le moins , il lui porte un grand coup entre l'épaule & le cou : elle tombe. i Auffi-tot elle change de figure. Ses joues pleines & vermeilles fe creufent comme celles d'une j vieille femme décharnée. Son front fe ride en fe relfferrant} fon menton s'approche de fon nez j Sa gorge tombe, & n'offre plus qu'une peau jaunitre donante fur un fquelette. Mifnar reconnut les traits hideux de 1'enehanterelfe Ulin, qui, quoiqu'elle répandit beaucoup de fang par fi bletfure, eut encore alfez de force pour vomir ces imprécations contre celui qui avoit triomphé: de fon art.  t> t s € e n i e s. 3S9 33 Que la colère de notre fexe tombe fur toi , m ó le plus traïrre des hommes ! puifque ton 53 cccut barbare n'a pu fe laiffer atrendrir ni or.t 53 les charmes , ni par les malheurs de la beauté 35. affligée. Tu as évité mes piéges en violant le 33 plus beau fentiment de rhumaniré, & les loix =5 les plus facrées de 1'hofpiralité. Infenfée que sj j'étois de me fier a un monftre tel que toi 1 j5 De quel fecours 1'apparence de la vertu & du 33 malheur pouvoit-elle m'être contre une ame >3 barbare comme la tienne ? Tu as beau te faire 33 appeler le lieutenant cXAlla fur la tetre , & 53 'Farm de 1'innocence opprimée. C'eft un vain 35 titre que tu ne méritas jamais. Non, les mal33 heureux ne trouvent point de protection fous 33 ton règne. Sous 1'apparence de la verru perfé33 curée, je meurs viótime de ton perfide cceur. » Puifqu'^f/Az protégé de pareils hypocrites, j'ai 35 plus de raifon que jamais de rejeter fon anto33 rité fur le même principe qui me fit braver 33 fa vengeance, & refufer de fuivre fes loix >3. '3 Déreftable enchantereffe , répliqua Mifnar , ft vil iuftrument du crime , rends juftice a 1'être » que tu ofes blafphcmer. Avant de quitter 3' cette demeure mortelle du vice & de l'fflfct*33 mie, recortnois la fainteté cYAila. Apprcnls » par quels moyens j'ai découvert ton artifke. 33 La fuite précinitée des quatre brigands'qui Bbiij  jp3 Les. Conti* jj te maltraitoient quand j'ai paru , eft la prs.>j mière chofe qui m'a fait foupconner ta ras» lice. Un homme feul peut-il pn faire tremble? » quatre autres? Je les ai défiés. Je m'attendois j» au moins a les voir revenir fur moi. Quand j'ai vu qu'aucun d'eux ne reparoiïïbit , mes foupcons ont augmenté , 1'hiftoire que tu viens. >» de me faire ne m'a paru qu'une fable controu>> vée, pour furprendre ma crédulité. Ton conté, » tout artificieux qu'il eft, fe contredir, & n'a i> ftrvi qu'a me confirmer ron hypocrifie. Le s» défordre. de ta parure fembloit prémédiré s >s moins pour exciter la compaiïion que le defir. ?> Tw m'as dit que tu ayois traverfé le canal a la nage , & tes vêtemens étoient fecs & propres. v Tout cela fortifioit mes foupcons jufqu'au mor< moment ou tu m'as donné le titre de fultan. « Alots je n'ai plus douté que tu ne fulfes la »? fprcière Ulin , ou qtieiqu'iin de fes fuppöts. >> Quelle apparence qu'une femme infortunée, j» échappée heureufement de fon palais , eut n voulu y canduire un étranger qu'elle ne con» noilfoit pas. L'évidence prenant donc la place H du dpute , j'ai réfolu de me venger. Je t'ai fait marcher devant moi pour mieux exécuter paorj & projer. Tu fens comment dlla a conduit moq 5? bras—03. Mifnar n'acheva pas , car U vit que 1'efprit  DES GÉNIES. 59I immonde cVUün avoit quitté fon corps hideux. ï'l lailfa ce cadavre défiguré fervir de pature aux ours & aux tigres de la forêt. Le fuitan revint fur fes pas. La forcière étoit morte. 11 pouvoit déformais délivrer fes compagnons. 11 les cherchoit pour leur rendre leur première forme. 11 vint a. 1'endroit oü il les avoit lailTes; il ne les tróuva plus. Alors il fuppofa que leur enchanrement avoit celTé a la mort d'Ulin. II reprit le chemin de Dély, fubfiftant des feuilles que le dervis lui avoit données, 8c de quelques fruits qu'il cucillit fur fon palTage. Après douze jours de marche, il arriva dans une petite ville de fes érats. II logea dans une maifon alfez pauvre , oü il trouva une vieille femme & fon fils. 11 leur demanda s'ils pouvoienr lui procurer des chevaux ou des muiets pour le conduire le lendemain a Dély. >j Hélas ! répondit la vieille , nous n'avons '» plus ni chevaux , ni muiets, ni aucune autre -33 monture. L'atmée nous a tout enlevé jj. « Quoi! dit Mifnar étonné, 1'armée des rebelss les eft-elle donc venue fi prés de Dely ? 33 Je crois, répondit la bonne femme, que jj toute armée efr pour nous une armée de rejj belles, Cependant les foldats nous difoient jj qu'ils étoient de 1'armée du fultan, qu'ils ve- B b iv  3 94 Les Contes m. noienc nous défendre contre les rebelles ; maïs. » toute leur protection s'eft réduite a nous enle» vet nos bêtes & nos provifions, fans nous rien » payer. En nous dépouillant ainfi de nos biens, « ils proteftoient qu'ils étoient nos meilleurs m amis. Si c'eft-la toute 1'amitié que 1'on doiï » attendre des grands , nous les en tenons quit? ii tes : il eft meilleur, pour nous autres petits, w qu'ils n'approchent jamais de nous ». Le fultan fut fenfible a 1'aftliction de la veuve & a la folidité de fes plaintes. Elle fortit : elle alla chercher quelque peu de bois pour faire du feu , 8c préparer quelque nourrirure a fon nouvel hote. Pendanr ce tems la Mifnar adreffbit au ciel cette fervente prière : « O Alla! être jufte & bon par excelfence, 8c » toi, ó prophéte des croyans! je vous prends i i> témoins de la fincérité de mon cceur.Vous favez >» avec qu'elle répugnance je m'engageai dans cette v guerre, & combien j'aurois défiré de gouverner » toujours mes fujets en paix, non par aucun mos>. tif de crainte perfonneile , mais uniquement » pour 1'amour que je porte a mes fujets. Ce font « mes enfans : leur bonheur eft entre mes mains. » Je n'ai point de plus ardent défir que de leur » procurer toutes forres de profpérirés. O Alla! » préferve mon cceur de 1'avarice & de 1'ambi« tion. Tandis que les grands de ma cour ^  DES GÉNIES. *> enivrcs de la gloire militaire} me confeillent la m guerre & le carnage, fais que je n'oublie jamais 'jj la misère du peuple, Sc que je pretere la douce ?> fatisfaétion de foulager un malheureux que s> rindigen.ce accable, a 1'éclatdes bienfaits, dont jj je ne puis combler les emirs de ma cour qu'aux jj dépéns de mon peuple ?s. Dès que la vieille fut rentree, le fultan déguifé lui dit, qu'elle feroit bien de fe plaindre au fultan , de concert avec fes voifins, & de lui faire préfenter une requéte dans 1'aiTemblée du divan. tf Une requête, reprit la bonne femme, Sc ss pourquoi »? « Pour obtenir ijn dédommagemént, dit Mif}j nar >?. « Hélas', répliqua la vieille, nous n'attendons » de dédommagemént & de confolation que » cXAlla ! Quel autre poiirroit avoir pitic de * notre misère jj ? « Mais, dit Mifnar, croyez • vous donc que "jj votre fultan, le ridèle adorateur cXAlla, füt jj infenfible a. vos maux jj ? « Quoi! pourfuivir la vieille, le fulran peut-il jj me rendre mon fils , l'.uné de mes enfans, jj 1'unique confolation de fa mère, Ie foutien de jj ma vieilleffe ? Ils ine Font enlévé, & Font forcé jj de fervir dans 1'armée royale. Qui fait ce qu'il y eft devenu ? Le fultan peut-il rappeTer a la vie  ï?4 Les Contes » une foule de braves hommes facrifiés au fort » de Ja guerre ? Peut-il faire renairre la joie dans » le cceur des veuves & des mères de !'ƒ«$; fS'ÏI » Ie peut, qu'il fe hate de confoler fes fujets af» fligés,& qu'il foit comme un dieu fur la terre », Le fufan Mifnar, frappé des paroles de la VJeille, fentoit combien fes obfervarions éroient juftes. Elie parloit de 1'abondance du cceur : fes plaintes étoient 1'expreffion naïve des fentimens dont elie étoit pénétrée. f Qüii eft rare, difoit-il en lui-même, qu'il » eft rare que le riche fente la misère du pauvre! » Quel eft Ie conquérant qui, au milieu des ac« clamations de fes flatteurs, entende les pleurs » tk les gémifTemens de ceux qui ont perdu leurs » plus chers amis pour fa défenfe » ? Mifnar paffa la nuit chez la veuve. Il fe leva le lendemain de grand matin, & pria le jeune fils de fon hórefle de le conduire a la ville la plus proche, qui n'étoit qu'a une demi-journée de chemin. Le jeune homme fe fit un plaifir de 1'accompagner. Le fulran y trouva des muiets, tk le jour fuivant, il arriva a Dély, capitale de fes états. II entra dans un Caravanferai, oü il rrouva plufieurs marchands qui vaquoient aux affaires de leur négoce. U leur demanda comment ils ofoienf s'occuper de commerce, tandis que les armées des rebelles couvroient la face de Ylnde ?  DES GÉNIIS. 39S 'Ün des marchands lui répondit:« Ce qui vous s> parcit un fi grapd inconvénient ne nous inw quiète guère. Nousattendons le fort des armes. » Quel que foit le parti qui 1'emporte, nous ;> nous foucions aftez peu quel maitre nous ferw vions, pouryu que le commerce foit encouv tagé. Quant au patti du fultan , il étoit défefj» péré jufquM ces derniers jours. Le jeune rao» narque avoit abandonné fon none & fes erats , ?» de peur de tomber aux mains de fes ennemis , j> & les capiraines de 1'armée s'étoient défait du j3 vifir Horam, prefque le feul qui lui fut refté jj fidéle. Mais la fortune a changé >■>. « Et quelle eft la caufe de eet heureux chan}3 gement, demanda Mifnar » ? Le même marchand répondit : « Depuis dix 3> jours le yiiir Horam, que nous croyions tous 33 mort, a reparu a la tête de 1'armée , au grand 33 étonnement de tout le monde. 11 a dit aux of33 ficiers que Mifnar, leur jeune fultan, étoit en vie, qu'il avoit tué l'enchanterefle Ulin, la js proreétrice de fon frère Ahubal; que la nou33 veile de cette mort avoit jeté 1'épouvante & la .3 confufion dans 1'armée des rebelles qui s'étoit dilfipée \ & que dans peu ils reverroient leur ;> maitre glorieux & jufte, aftermi fur le ttöne i3 de linde jj.  ?5>£ L 1 $ C Ó N T I S Mifnar apprit ces nouvelles avec une joie f<* - cretce. Sans s'arrêter davamage dans le Caravan- • ferai, il fe rendir d'abord au palais du vifir. Les efclaves de Horam, qui ne le connoiiToient "fk<\ lui demandèrent ce qu'il défiroit de leur " rnaitre. H répondit qu'il venoit lui donner des hdü-j " velles du fulta» de \Tnde. « A ces mots , les efclaves 1'introduifirenr en « préfence de Horam. Le vifir reconnut fon maitre , ; fe profterna la face contre terre , & le félicira de fon heureux retour. « Mon-fidéle Horam , dit Mifnar, léve - roi. W Le jour n'eft pas encore fort avancé. Fais af» fembler ma cour. Donne les ordres néceffaires * Pour mes troupes foient fous les atmes. : » Envoie tes efclaves a mon palais; qu'ils m'ap- » portent la pourpre impériale, & les aurres at» tributs de la royauré. Je veux me monrrer a ft mon pèuple. II défire ma préfertce, & il me » rarde de voir les défenfeurs de mon tróne „. Le vifir fe leva. Mifnar 1'embralFa ■ en lui •'•difant : Jptp'l inej n'ovfi nomwïz ?b slfyv c« " ^/n, je fuis curieux de favoir vos aven» tures depuis que je vous quittai dans la forér; ft mais le bien public mérite la préférence. Nous » goüterons enfuite les charmes d'un entretien ft particulier ».  9 ï 5 Génies." 397 I Le fidele Horam fi: alTembler lesprinces, les vifirs & les grands de la cour de Dély. L'armée eur ordre de fe mettre fous les acmes devant le divan., Le fultan Mifnar, orné de la pourpre royale ,. & accompagné düne pompe brillante, fe montras a fon peuple. Dès qu'il fut appercu, tous fes fujets, tranfportés d'une vive allégrelTe, s'écrièrent unanimement : « Vive, vive le fultan de nos w coeurs, la gloire & la force de YInde, le feul »> capable de triompher du pouvoir des enchan--. •> tetnens » ? ,t Mifnar goüta le bonheur pur d'un grand prince, i celui d'être adoré Sc aimé de fes fujets. II fit deslargeffës au peuple & a fon armée. ' Les vifirs Sc les officiers du divan aflemblés ,attendoient 1'attivéede leur glorieux Mtzn.Mi/har ■ monta fur fon trbne, & demanda a fon fidèlet vifir des nouvelles de l'armée de fes ennemis. : Horam fe leva, Sc aflura fon maicre que l'armée des rebelles étoit difperfée, qaAhubal sézolt retiré avec les chefs de fon parti, vers les rivages. de 1'océan de YInde. Sur ce rapport, le fultan commanda a fes: troupes de camper autour de Dély, a-peu-près a une j®urnée de la ville. L'armée fut réduite. On réforma une partie des officiers Sc des,foldats que l'on renvoya vers leur familie. On proclama la paix dèsle jout fuivant.  3 98 t is Contes Quand l'affemblée des vifirs tk des prirfces fat congédiée, Mifnar fe retira dans fon palais, accompagnée de fon fidele Horam, auquêl il demanda le récit de ce qui lui étoit arrivé depuis foii départ de l'armée. • Magnifique feigrieür, répondit Horam ^ dès ii que vous fütes parti, i'apportai cous mes foins v pour maintenir 1'ordre, la difcipline tk la fanté s> parmi vos rroupes. Je chercKai lés moyens les ss plus commodes & les möins difpendieux pour ss approvifionrier cünvenablement l'armée. Je' jj chargeai de ce foin des officiers affidés. Je jj donnai a d'aüttês 1'infpection des tentes, afin js qu'elles fuflent toutes en bon éraf. Je diftribuat u les quartiers. Je fis toujours camper dans des jj terreins fecs & bièri aérés a portée des rivières,js tk de bonnes fources, loin des marécages tk de jj l'air contagieux des forêts. jj Tout cela fut exécuté avec toute 1'habileté « imaginable de la part des officiers de mon feiss gneur. Je n'entrerai pas dans un plüs grand dé* tail a ce fujet, je dois feulement en tendre jufss tice a ceux qui font reftés fidèles. ss L'atmée des révoltés étoit afTez tranquille, sj Son éloignement nous empêchoit de I'attaquer; « Un meffager vint en diligence nous informer ss que toutes les provinces méridionales s'étoienc w foulevéesj que 1'enchantereffe UUn étoit caufê  tJES G É N i E * de leur défection , qu'elle conduifolt leurs » rroupes; qu'elle avoit fait proclamer Ahubat >■> fulran de YInde, & qu'elle étoit déterminée a » le foutenir de tout fon pouvoir » Je fouhaitai alors que le fulran mon mafrré » lüt cette trifte nouvelle fur mes tablettes, & je » ne doutai pas qu'il ne 1'apprit. Mais dès la nuit » Anvante nous eümes une feconde allarme plus » facheufe que la première. Un efpion vint dire » que 1'aimée des ennemis n'étoit qua une demï» marche de notre camp. Ce qui ne pouvoit être » que 1'effet de 1'enchantement, vu la diftance » oü ils étoient peu d'heures auparavant. » Cette nouvelle jeta Ia confternation parmi » les officiers. Ils s'affiemblèrent en corps, & ac*? cour"rent a la tente royale, demandant a voir » le fultan , & declarant qu'ils fe joindroient au » parti ennemi, fi vous ne vous mettiez vous-, » même a leut tête pour les conduire contre les » rebelles, » J'écrivois des dépêches dans la tente de mon » feigneut , j'entendis leurs cris tumultueux. r> Jugez de mon embarras. II n'étoit pas prudent « de refter. Ne vous trouvant point, ils n'autoient » pas manqué de m'accufet du plus grand des » crimes, de celui que mon ame a le plus en hor;> reur.Tandis qu'ils crioienta l'entrée de la tente,  4o» Les Contes » j'eus le tems de prendre un habit d'efclave, Sü „ de m'échapper fans être reconnu. » Je forti du camp avec préeipitation. Je fus k arrêté par plufieurs fentinelles. Je dis que je i. portois des ordres du vifir, Sc je montrai mort » propre cachet. >j Dès que je fus a quelque diftance de l'armée, s> je me repentis de ma folie. Qu'ai- je fait, dij» fois-je en moi-même? J'ai abandonné mon » pofte, & les intéréts de mon mairre. 11 eut été » plus glorieux pour moi de mourir a la tête de i> fes troupes, ou viótime de leur rage, que de » m'expofer, comme j'ai fait, i une mort obf» cure; car je périrai infailliblement dans ce dé» fert. D'ailleurs, peut-être, ai-je pris vainement jj 1'allarme. Peut-être l'armée ennemie n'eft-elle i> pas auffi prés que je le crains. J'aurois dü ref* ter,- parler aux officiers, Sc tacher de les ap>i paifer par de bonnes paroles. » J'étois incertain fi je retoutnetois au camp," v ou fi, pénétrant plus avant, je chercherois a jj m'inftruire par mes yeux , de la pofition réelle >i des ennemis. Je pris ce dernier parti: j'avan-^ ji cai auffi fecrettement Sc auffi promptement » que je pus, vers 1'endroit oü leur armée de- voit camper, füivant le rapport des efpions. » J'arrivai a. 1'endroit défigné ; je n'y vis ni »ji fentinelles, ni camp. J'en fus furpris. Je paffat outre  DES GÉNIES. 4©I ft outre , Sc marchai tout le jour Sc le fuivanc » fans rencontrer d'armée, ni rien qui annoncat ft fon approche. ft je me reprochai ma folie Sc ma crédulité. ft Kélas ! Horam , me difois-je a moi - même , » combien tu es peu digne de la confiance de » ton maitre ! Cependanr, il vaut encore mieux » que ru fois rrompé , que de voir 1'armée én« nemie fi prés de la notre 5 ce qui h eut pu fe » faire fans un pouvoir furnaturel. » Pénérré de ma faute, je fongeai aux moyens « de la réparer. J'allois retourner au camp, dans » 1'efpoif de ralTurer les troupes, d'appaifer les » officiers, en leur difant que je m'ctois moi» même déguifé pour aller rècóhnóirre les en3>' nemis, & que je favois par mes yeux, que » la dernière aiarme éroir abfolument faufle. » Mais au moment que je voulus me tourner » pour prendre le chemin du camp , je fentis » mes pieds immobiles , réfifter a ma volonté. » La terre rrembla , & je vis 1'enchanteielTe 3> Ulïn portée fur un énorme Crapaud. » Sage S: pénétrant vifir , me dit-elle , d'un » ton infultant, j'admire votre prudence ëc vorre » difcrétiou. Quoique Mahomet Sc ia troupe fidel'e « de fes Génies ne nous permettent pas o*avoir » aucun pouvoir fur vous, ni fur votre illuftre » maitre , a moins que par votre imprudence, TomeXXIX. Cc  4oz Les Contes i) vous ne tombiez dans nos pièges, cependant, » vous voyez que cette reftriétion ne nous in5J quiète guères , Sc qu'avec toute votre fagefTe , >i Sc l'affiftance cxAlla , vous êtes encore aftez s» aifément les dupes de nos artifices. L'armée 35 que je conduis contre celle de ton miférable 53 fultan qui rampe dans la pouflière, n'eft pas 33 a moins de quarante journées d'ici; les mon35 tagnes Sc les forêts arrêtent fa marche, & ce53 pendant, le crédule vifir abandonne fon pofte 33 a la moindre alarme, a une faufte nouvelle 35 dépourvue de toute probabilité. 11 fuir, & vient 55 fe jeter étourdiment dans les mains de celle 55 qui faura récompenfer dignement fa pru35 dence Sc fa fermeté. Lache vifir , deviens a. 55 1'inftant , comme le reptile qui me porte. » Je vais te ttanfporter, dans un clin d'ceil , 55 dans la forêt de Tarapajan, oü tu verras plu53 fieurs de tes fages frères venir au devant de 35 toi. 55 A ces mots , la forcière infame fouffla fur »3 moi. Son haleine empeftée opéra mon étrange 35 métamorphofe. Je tombai par terre, Sc rampai 35 devant elle comme un crapaud. 55 Ulin me toucha enfuite de fa baguette. Je 53 m'endormis; Sc quand je me réveillai, j'étois ,5 dans la forêr de Tarapajan, entre le marchand 33 de Bély Sc la princefle de Ca£im:r qui, vrai-  BES GÉNIES. 40J s> femblablement, étoient auffi transformés par jj un effet de la vengeance de cette même for» cière. » C'étoit une confolation pour nous , de jouir » encore de 1'ufage de la parole : nous nous ra» contames mutuellement nos malheurs. Ce fuc » une récréarion dans 1'état oü nous étions. » Makoud me demanda le premier , le récit » des avencnres de ma vie , & je les lui contai jj la veille du jour , ou le glorieux fulcan de jj YInde, méramorphofé comme nous, vint nous » honoter de fa préfence. jj Mahoud nous faifoit alors fon hifioire. Votre n voix frappa mes oreilles. Je craignis que mon jj cher maitre ne fubit un fort pareil a celui de jj fon efclave. Ma crainte n'éroir pas vaine. jj Quand le vifir eut fini 1'hiltoire de fa métamorphofe, Mifnar lui demanda fi Hemjunah, la princeffe de Caffimir , leur avoit aulfi conté fes aventures. « Non , glorieux fulran , répondit Horam j >j elle en alloit faire le récit, lorfque vous paj'j rures. Et lorfque Shemshelnar vous eut déjo livré , & que le même dervis nous eut afiurés jj d'une prompte délivrance , elle jugea a pEójj pos de différer a nous les apprendre, jufqu'a jj ce que nous eufiions repris notre première jj forme. .... ..; Cc ij  4©4 Les Contes » Cependant, le bon dervis Shemshelnar refta » avec nous, pour nous confoler dans notre aflik» tion. Deux jours après que vous nous eütes 5» quittés , nous appercumes tout-a-coup une ii vive lumière , comme un éclair , un grand j> coup de tonnerre fe fit entendre , & tandis que »j nous nous regardions 1'un & 1'autre, le bois jj s'évanouit, &c je me trouvai dans mon palais jj de Dély. J'iguore ce que font devenus Mahoud jj & la princefle de CaJJimir; mais je ne doure « pas qu'il n'aient reflenti comme moi , par une même délivrance , le pouvoir que vous avez jj eu de détruire les enchantemens A'Ulin , en jj Timmolant a vorre jufte colère. jj J'allai trouver auffi-tot les vifirs & les émirs jj aflemblés au divan, lis furent étonnés de me » voir. Ils alloienr procéder a l'éleétion d'un fuljj tan. Car les nouvelles de l'armée leur apprejj noient que Mifnar , le glorieux Mijnar, &c jj fon efclave le vifir, avoient quitté fecrétemer.t jj le camp pour chercher leur süreté dans la fuite. jj Les créatures A'Ahubal 1'avoient fait propofer ,j pour fuccefleur de fon frère. Toutes les voix jj s'étoient réunies en fa faveur. 11 alloit être j, proclamé fultan de YInde y lorfque j'entrai au s» divan. jj lnflruit de la réfolution des vifirs & des s, émirs, je leur dis que Mifnar , notre glorieux  DES g É N I E Si 405. » maitre, vivoit; qu'il n'étoit forti du camp-que » pour aller combartre 1'enchanterefle Ulin qui jj prorégeoit Ahubal; & qu'elle étoit tombée fous » fes coups , en reconnoiftant malgré elle , la » juftice du bras qui 1'écrafoit. » A cette nouvelle, les vifirs & les émirs fe » profternèrent en préfence cYAlla , le remer» ciant de fa protecftion fignalée. Les trómpettes 33 annoncèrent, dans les rues de Dély , le re3' tour cYHoram, & la victoire que Mijhar avoit 3' remportée fur l'enchanterefTe Ulin. 33 Avant que 1'aflemblée fe féparat, j'envoyai 33 des expres a l'armée , annoncer vos glorieux 33 fuccès. Je donnai ordre de ramener une partie 33 des troupes vers Dély , ne laiftant en cam33 pagne qu'autant de monde qu'il étoit nécef33 faite pour obferver les mouvemens des enne33 mis , & les conrenir au cas qu'ils vouluftent fe 33 rallier; car je favois que la mort d'Ulin avoit 33 difperfé leur armée confternée. 33 Je fus content de voir les affaires de mon 33 maitre ainfi rétablies. J'appris bientót après , 33 que le magnifique fultan de YInde approchoit ^ s> &c Horam , ton efclave, jouit encore de la vue 33 de fon feigneur. 3» Quand le vifir eut fini ce difcours, il fe profterna devant Mifnar , &c lui demanda fi 1'on enverroit un anibafladeur au fultan de Cafii- Cc iij  40$ L 3 s Contes mir ponr s'informer du fort de la princefle Hem» JufLati. ' ■'r: ■ ) « Horam , répondit le fultan , tandis que Ia « guerre eft dans le fein de mes états , il n'eft j> pas a propos de fonger a un bonheur dont jj je puis être privé, dans un moment, par un jj revers inopiné, Attendons un tems plus fa»j vorable. >* On recut incontinent, courriers fur courriers, qui apportoient la nouvelle de la mort d'UIin, de la retraite d''Ahubal, & du retour de dix provinces qui avoient abandonné fon parti. Bientót ^jj)n vit les députés des provinces rébelles , qui venoient implorer la clémence du fultan , le prier d'oublier leur défobéiflance, & protefter de leur foumiflion, Mifnar' leur pardonna. La feule vengeance qu'il tira de leur révolte , fut de faire garder leurs frontières par des troupes affidées, propres a les contenir dans le devoir, en cas de befoin. C'étoit moins une vengeance , qu'une précaution jugée néceflaire, après ce qui venoit d'arriver. • ' Le fultan tépara enfuite , autant qu'il put , tous les dommages que fes troupes avoient caufés dans les places & les campagnes de leur paflage ëc de leur féjour. 11 fit une réforme ; c'eft-adire , qu'il permit a ceux qui voudroient quitter  DES GÉNIES. 407 le fervice, de fe retirer , formant du refte , des troupes de bonne volonté qui veillaflent a la süreté de fes états. Mifnar fentoit qu'il devoit craindre que les enchanteurs, fes ennemis jurés, ne donnafïent bientót de 1'exetcice a fa prudence Sc a fon courage. Ses preffentimens ne furent pas vains. Ahubal, quoique déiailTé par les provinces méridionales, avoit encore pour lui le magicien Happuck qui > apprenant la mort de fa fceur , réfolut de la venger. En effet, le fultan fut informé que eet enchanteur avoit voulu entrainer dans une feconde révolte , les provinces qu'Uün avoit foulevées auparavant , & qui étoient rentrées dans 1'obéiffance; mais que la crainte des troupes de Mifnar les avoit retenues , Sc que , malgré leur inclination pour Ahubal, elles avoient été contraintes de refufer les offres cXRappuck. Sur eet avis, le fultan jugea convenable de s'affurer de nouveau de leur foumiflion , en renfor^ant les troupes qu'il y avoit, & en entretenant une fréquente correfpondance entre elles , Sc le refte de fes vaftes dominations. Happuck jugea a ce trait de prudence, que la force ouverte lui feroit inutile : il ctut plus convenable d'employet la rufe Sc la diftimulation. Cc iv  4oS Les Contes Le magicien avoit travaillé pres d'un an 1 révolter les fujets de YInde contre leur fulran. II n'avoit pu engager que deux provinces dans le parti cYAhubal. Tout le refte perfiftoit conframment dans fa fidélité , a fon légitime fouverain. Les deux provinces révoltées, s'étoient prefque . épuifées pour former une armée de quarante mille brigands qui, par des courfes fréquenres, harceloient & ravageoient les provinces voifines. Trois mille cavaliers quittèrent brufquement le gros de l'armée; Sc par des routes détournées, traverfant des déferts inculres , & des forêrs peu fréquentées , ils arrivèrent fecrétement a deux journées de Dély. Ils campèrent dans Ia plaine , Sc envoyèrent leurs principaux officiers a Dély , afturer le fultan que, pénérrés de repenrir pour leur défobéiffance , ils venoient fe jeter a fes pièds, implorer fa bonté, prêts a quitter les armes, s'il vouloit bien les recevoir a merci. Horam recut les fupplians, & après avoir conféré avec le fulran , fur 1'objet de leur requêre, il leur donna ordre de rejoindre les troupes de Mifnar. En mcme tems, il éctivit au général de les faire démonter Sc défarmer, & de les camper de telle manière , qu'üs ne puffent échapper, ni  BES GÉNIES. 4O9 encore moins nuire a fon armée , s'ils vouloienc fe révolter. Happuck étoit au nombre des officiers qui vinrenr a Dély. II rramoit une trahifon. II defiroit de voir le fultan lui-même; & il fut fort faché de n'avoir audience que du vifir, fans pouvoir être admis en la préfence de Mifnar. II diffimula, vint trouver fes trois mille cavaliers, êc marcha vers la grande armée du fultan, felon 1 'ordre qu'il en avoir. Le fulran avoir courume de faire une revue générale de fes troupes une fois 1'an. Le magicien déguifé arriva rrois jours avant cette revue. II fe réjouit d'avoir été fi bien fervi par le hafard. II attendoir avec impatience le moment favorable a fon deffein. «Ilrac, dit il a 1'officier qui commandoit fa » troupe , la fortune nous ofTre 1'occafion de » venger la mort de ma foeur Ulin. L'habit d'un » officier ne me déguife pas encore afiez bien. Je » veux defcendre au dernier rang, pour donner » encore moins de foupcon. Lorfque Mifnar » paffera entre le rang oü je ferai, je tirerai un » couteau que je tiens caché fous ma ceinture, & » je lui percerai le cceur. Puis je me rendrai in» vifible. Qans la confternation générale, vous » proclamérez Ahubal, fultan de YInde ». " Très-puifranr magicien, répondit Ibrac,  4I<5 Les Contes » qu'avez-vous befoin de cette rufe? Puifqtte » vous pouvez vous rendre invifible, il doit vous. jj être aifé de pénétrer dans le palais de Mifnar, >» & de le poignarder, fans que vous craigniez -y d'être appercu, ni de lui ni de perfonne ». « Fidéle Ibrac, répartit l'enchanteur, tu ne » fais pas qu'elle puiflance protégé ce vil reptile. jj Bahoudl, dont le nom fait trembler notre jj race , eft fon Génie tutélaire. II m'empêche jj d'approcher de Mifnar. Il eftécrit dansle livte j» du deftin que 1'enchantement n'aura point de jj pouvoir fur Mifnar qu'autant qu'il lui en donjj nera en s'expofant a nos furprifes. Autrement » ne crois pas, Ibrac, qu'il fut néceftaire que m tous mes frères, dont un feul peut ébranler les jj montagnes & foulever les flots de 1'Océan, fe jj liguaflent contre un enfant. Mifnar leroit injj digne de notre vengeance, s'il n'étoit foutenu jj par Mahomet, 8c par fes humbles valfaux, les jj Génies prote&eurs des hommes. Mais tandis jj que eet enfant aura pour lui une force qui bajj lance la notre, il nous fera glorieux de le faire » tomber dans nos piéges, pour montrer que les » hommes nous appartiennent, a nous, 8c non j» pas aux puiffances céleftes». Alors Ibrac donna au magicien un habit de foldat, 8c il fe mêla aux derniers rangs. Le matin du jour de la revue, le fultan qui  DES GÉNIES. 41 ï avoit peu repofépendant la nuit, fit appeler le vifir Horam par les efclaves qui veilloienta l'entrée de fa tente. « Horam, lui dit Mifnar, j'ai un foupgon que » je veux vous confier. Je me défie du magicien » Happuck. Je ne doute pas qu'il ne foit dans mon „ camp , patmi mes troupes, fous une forme emi> pruntée. Si je m'expofe a fa trahifon, je crains » qu'il ne profite de mon imprudence,pour mettre jj lacouronnedelTWefurlatête cX Ahubal». « Votre foupcon peut être fondé, répondit j» Horam, Sc il vous eft fans doute infpiré par jj une puiffance fupérieure. Souffrez donc que jj votre efclave faffe proclamer une récompenfe „ confidérable pour celui qui découvrira le ma» gicien. Celui qui vous rendra un tel fervice jj mérite d'occuper la feconde place dans votre jj empire ». « Cet expédient ne me paroit pas auffi sur qu a » vous, reprit le fultan. Happuck faura bien échapj» per a nos recherches en fe transformant en jj quelque infeéte , Sc il aura recours a une autre j* rufe pour me tromper. — Non, Horam, s'il » eft au milieu de nous, il faut a toute force nous jj affurer de lui, il y auroir de la folie a le laiffer jj échapper. Ce feroit nous rendre indig'nes de la jj protection cXAlla jj. « II eft vrai, dit Horam 3 mais comment nous  4IZ Les Contes » affiirer de fa perfonne, commentlereconnoitre » au milieu de trois eens mille hommes? II n'y » a pas un feul de vos officiers qui connoilfe la » cinquantième partie de vos foldats. II arrivé »» journellement de nouvelles recrues. Comment « faire certe recherche fans donner d'allarme? » Et parda, nous retombons dans 1'inconvénient » que vous voulez éviter ». « Sur combien de rangs l'armée eft-elle dif» pöfée, demanda le fultan »? « La plaine ou fe fera la revue, ditle vifir, » peut bien contenir une ligne de trois mille » hommes ». « Eh bien ! interrompit Ie fultan , faites-mol » venir deux eens des meilleurs archers de mon » armée. Prenez - les parmi les troupes qui » ont quitté mes ennemis pour fe joindre aux » miennes >■>. Le vifir obéït aux ordres du fultan. Les deux eens archers vinrent devant la tente royale. « A préfent, dit Mifnar z fon fidéle Horam, » faites difpofer les troupes pour Ia revue ». « Elles font déja. affemblées dans la plaine s » répondit Ie vifir ». « Prenez les archers avec vous, continua Ie » fultan $ mettez-en un a chaque extrémrté des » rangs, & un autre fur la droite de chaque rang. » Avant cette difpofition, donnez-leur un ordre  DES GÉNIES. 41:$ jj fecret de tenir leurs arcs tendus & leurs meil» leurs fleches prêtes pour rirer fur celui des fol» datsou officiers qui fe profternera ledernier, » lorfqu'on en donnera le fignal a mon arrivée ». L'ordre fut exadament exécuté. Les rangs étoient alignés : les archers furent placés felon la difpofition du fulran. Mifnar forrit de fa tente, 8c s'avanca vers la plaine au milieu de fes eunuques, des vifirs, des émirs tk de fes gardes. Les trompetres & les clairons firent retentir l'air de leurs fons aigus que foutenoient les tons plus gtaves des tymbales. Le magicien, impatient d'executer fon noir deffein , éroir ravi d'entendre cetre mufique guerrière qui lui fembloit célébrer d avance fa victöire. II vir le fulran Mifnar au milieu de la pompe qui 1'accompagnoit, avec la même joie que 1'aigle reflent lorfque du haut des airs il voit la toifon des moutons blanchir les plaines de Hom ah. Le fulran étant arrivé a la tête de fon armée, dont il favoir que les premiers rangs étoient compofés de fes plus fidelles troupes, il ordonna que 1'on fit filence, & leur adrelfa ce difcours : - « Braves foldats, quoique vous ne manquiez » ni de courage ni d'habileté pour achever de j> réduire mes provinces révoltées 5 cependant jj c'eft a Alla 8c i fon prophéte Mahomet que  4i4 Les Contes ,> vous devez la gloire & les fuccès de vos armes. » Ainfi faites courir l'ordre de rang en rang, » que chacun fe profterne dans la préfence 6.'Alla » qui voit tout & peut tout. Adotons eet être, » modérateur fuprême de 1'univers, qui difpofe p a fon gré des royaumes & des couronnes ». Quand l'ordre fut parvenu jufqu'au dernier rang, on donna le fignal, & tous les foldats fe profternèrent enfemble devant Alla. II n'y eut que le magicien Happuck qui, étonné de eet ordre qu'il n'avoit pas prévu, ne favoit ce qu'il devoit faire. On ne lui lailfa pas le tems d'y fonger. Car dès que les foldats le furent profternés la face contre rerre, il fut atteint de cóté & d'autre de deux flèches qui lui percèrent le cceur. Le magicien, devenu la feule vi&ime de fa propre méchanceré, fentit que les envoyés de la mort avoient étendu leurs mains fur lui, &C fe fervit du peu de forces qui lui reftoit pour blafphémer le nom cXAlla & de Mahomet fon prophéte. Mais fa vie s'éteignit en un inftant, & fes blafphêmes devintent plus foibles jufqu'a ce qu'ils fe perdirent dans le filence de la mott. Les partifans cX'Happuck, le voyant mort, fe doutèrent bien que leur complot étoit découvert. Ils commencèrent a fuir. Ibrac, fe mettant a leur tête, voulut en vain les rallier. Mais la confufion fe mit parmi ces cavaliers qui n'étoient pas ac-  bïs GÉniis. 415 coutumés a marcher, ni a combattre a pied. Cette poignée de gens fut écrafée par l'armée du fultan. Mifnar, voyant de la confufion au centre de fon armée, comprit qu'on avoit découvert Sc tué le magicien. II envoya Horam avec quelques gens d'élite pout favoit qui caufoit le défordre de fes troupes. Le vifir vit, en arrivant, plufieuts foldats qui portoient un corps mort. C'étoit celui de l'enchanteur Happuck. La mort le montroit fous fes véritables traits. Horam demanda les deux archers qui avoient tué le monftre. Ils parurent devant le vifir qui loua leur fidélité Sc leur adreffe. II leur dit de ptendre le corps, & de 1'aller préfenter au fultan qui les récompenferoit. Les archers obéirent. L'armée s'ouvrit pour leur faire un paffage. Ils mirentle corps aux pieds du fultan. Mifnar, voyant fon ennemi mort, fit donner aux deux archers dix bourfes contenant chacune cent pièces d'or , Si a chacun des auttes archers une bourfe pareille contenant cent pièces d'or. Celui qui apporta la tête A'Ibrac eut cinq bourfes de la même valeur. Alors le fultan reparut a la tête de fon atmée , Sc ordonna que Fon fe  4i£ Les Contes profternat de nouveau pour remercier Alla de les avoir dclivrés des mains de leurs cruels ennemis. Des trois mille cavaliers d' Ibrac 8c cYAppuck, il n'y en eut que deux qui échnppèrent pour aller porter a Ahubal la fatale nouvelle de leur défaite. Abuhal, confterné, s'enfuit dans les montagnes. 11 craignit que fes propres foldats ne le trahilTent, 8c ne le livralfent a fon frère. De quoj ne font pas capables des rebelles ? L'enchanteur Ollomand, celui qui dans la première alTemblée des fages avoit confeillé au jeune fultan d'affermir fon trone en fe fouillant du fang de fon frère , ne défefpéra pas de la caufe cYAhubal. 11 1'alla trouver dans les montagnes, au fond d'une caverne oü la fatigue d'une longue courfe 1'avoir obligé de s'arrêter, & oü la crainte retenoit ce prince révolté. La caverne qui fervoit de retraite au fugitif Ahubal étoit i l'entrée d'une longue vallée qui traverfoit une chaine de montagnes. Les montagnes s'élevoient de cbté & d'autre de la caverne qui y éroit comme perdue 8c inacceffible. Ahubal, ayant pris un peu de repos dans la caverne, fe leva pour continuer fa route au travers de la vallée. II marcha jufqu a 1'autre extrémité qu'il trcuva fermée par un roe efcarpé fur le haut  CES GÉNIE 9.' 417 Jiaut duquel il appercut un magnifique palais donc les murs réfléchilïoient les rayons du foleil, comme s'ils eulTent été couverts de lames d'or oii de quelqu'autre métal poli. Le frère de Mifnar regarda quelquè tems lé partie du chateau qui étoit dans 1'ombte \ car, pour la facade qui recevoit la lumière du foleil , elle jetoitun éclat trop ébloitiflant pour qu'il put! y fixer les yeux. II vit s'ouvtir une efpèce de petit guichet d'oü fortit un moment aptès un ■petit nain d'aflez rrauvaife mine. Ahubal perdit bientót la vue du nain, dans eet amas de rochers qui le couvroient. Cependant il téfolut d'attendre , pour voir s'il trouveroi: urs palfage qui le conduisit dans la vallée. Le nain reparut après quelque tems. II fembloit toutnoyer autour des rochers, Sc defcendre par un fentier en fpirale. Quand le nain fut parvenu a l'entrée de la vallée , il s'avanca vers Ahubal, Sc lui prélenta Uil peloton de fil, en lui difant que, s'il voulolt monter au chateau cVOllcmand, fon maitre, il 11'avoit qua fuivre ce fil qui Ie conduiroit dans le fentiei tortueux, Sc le feul praticable, par oü il put gravir le roe efcarpé. Ahubal avoit cuï pader d'Öllomand. Il fe foüyenoit d'avoir entendu dire a Ulin Sc a Happuc^, Tornt XXIX, Dd  4iS 1 t s Contes qu'il étoit leur ami. 11 prit le peloton du nain, 8è en fuivit la tracé en le tirant devant lui. Quand il I'eut pelotonné en marchant, le bout 1'introduiflt au centre des rochers, oü il décou** Vrit un efcalier régulier éclairé de part & d'autre , par des fenêtres. 11 monta, & parvint bientöt att fommet de la montagne. L'enchanteur Ollomand vint recevoir Ahubal a l'entrée du chateau qui étoit gardé par quatre dragons. 11 lui fit travetfer une vafte cour , pour le conduire dans une falie fpacieufe dont les mu' rallies étoient garnies d'offemens humains deiTéchés & blanchis au foleil. «< Favori de norre puiffante race, dit Ollomand » au prince, vois les cranes & les os de ceux qui 0 ont ofé porter les armes contre toi. J?y en ajou3J terai encore d'autres chaque jour jufqu'a ce is que le chateau en foit plein ». . « Hélas! répondit Ahubal, Ulin n'eft plus, &£ 33 les vautours fe repaitFent des membres fan5, glans cYHappuck. Dix provinces m'ont aban,3 donné, & mes tréfots font épuifés ». Ollomand répliqua : « Happuck, méprifant le „ fecours des tichelles & de la force, s'eft trop ' 3, fié fur fon adrefle & les artifices de la rufe ; „ c'eft pourquoi il a tombé.. Les provinces n'ont „ pas ofé fe révolter, tandis qu'elles étoient garV dées par les troupes de Mifnar; mais elles con-  D S S GÉNïEif, Éi Je remplirai tes coffres. Ollomand fera rout ad éi monde pour corrompre les chefs mêmes de ■» l'armée du fultan, & les attirer a ron parti. Ce >> chateau contient plus darmes & de richeffes j' qu'il n'en faut pour armer tous les habitans dé j> \Afic; tk lorfqu'elles feront épuifées, nous ne a manquerons pas encore de reffources. Pharefa~ » /ze/2, Hypamfan, tk rarït d'autres chefs de notre ss race nous prêreront leur affiftance au befoiri. » Ne crains donc point, 6 Ahubal! mon arr me j> fait connoitre que le fultan Mifnar fuira deis vant la face de fes ennemis ss. Les affurances cYOllomand ranimèrent le cöti*age du prince fugitif, L'enchanteur lui fit part dé fes projets, & 1'invita a voir une partie des ri•cheffes de fon chateau. ■ De la falie des os, ils defcenditent dans une •cour beaucoup plus vafte que la première. 11 y avoit au milieu de la cour un puits large & profond. Ahubal, jetant les yeux de cöté & d'autre, vit .quatre eens portes d'airain maffif montées chacune fur neuf gonds cnormes de même métal. ( Quand Ollomand entra dans cette cour en te'hant le prince Ahubal par la main, il éleva fa "-■voix formidable qui retentie comrne un tonnerre. Les touts du chateau tremblèrent, & fes fonde^.'mens furent ébranlés. 11 ordonna a fes efclaves d'ex- Ddij  419 Les Contes pofet aux yeux cl''Ahubal les tréfors de leur mairrsj Le prince , qui n'avoit encore vu dans le cha-; teau que le nain & l'enchanteur, étoit affez cu-; rieux de voit d'oü fortiroient les efclaves. Bien-i tot fa curiofité fe changea en crainte. Un géant monftrueux, noir comme un maure , armé düne maiTue d'ébenne de quarante pieds de longueur fortit du puits qui étoit au milieu de la cour. Ahubal fat épouvanté : fa frayeut fut bien plus gtande, lorfqu'après cette figure gigantefque, il vit fortir du puits une longue fuite de monftres fern* blables, au nombre de quatre eens. Chacun alla s'emparer d'une des quatre eens portes d'airain. Quand Ollomand vit les efclaves devant les portes d'airain , il leur ordonna de les frapper, avec leurs mafïues. Les efclaves obéirent aux ordres de 1'enchanH teur. lis levèrent leurs lourdes maflues d'ébenne» & en frappèrent les quatre eens portes. Elles re»i tentirent avec un fi grand bruit fous les coups des géans, qu''Ahubal fut contraint de fe fermer les oreilles pour ne pas s'expofer a devenir fourd. U penfa tomber de furprife & de frayeur. Les portes commencèrent a tourner fur leurS gonds, Sc le bruit qu'elles firent, eut été capable de renverfer toute l'armée de Mifnar, fi elle 1'eüt entendu. Le bruit continua jufqu'a ce que les efclave^  bes Génies.' 4zi fcuvrïrent avec de grands efforts les quatre eens portes d'airain. Mais Ahubal étoit li étourdi de ce fon aigu, qu'il n'ofoit lever les yeux; l'enchanteur Ollomand le tira rudement par les oreilles, pour le faire re venir de fa frayeur, en lui difant d'ouvrir les yeux, & de contempler les richelTes de fon ami. Ahubal leva la tête & jeta les yeux autour de lui. Les portes d'airain éroient ouverres. Celles de la droite découvrirent a fa vue des millions de lingots d'or & d'argent entaffés les uns fur les autres fous le vafte cintre d'une voüte foutenue par des colonnes de marbre. De 1'autre cóté, cent chambres aufli voütées contenoient des monnoies d'or Sr d'argent de toutes les nations. Cent autres portes ouvertes devant le frère de Mifnar, lui firent voir un arfenal immenfe fourni de routes fortes d'armures & d'habirs de guerre pour équiper dix mille peuples, & un nombre proportionné d'inftrumens de mort inventés par la malice des hommes : d'abord un monceau de pierres ou plutót de fragmens de rochers, avec des pierriers & autres machines pour lancer ces malfes én pr mes; puis des flèches, des lances, des javelöts armés de fer trempé, avec des carquois & des ares; il y avoit encore un grand nombre de ces armes d'un ufage incertain, dont la première deftination fut d'être utile aux hommes, SC Ddiij  jiis. Les Contes donc leur malice perverrit 1'ufage pour 4épeaplc£ la rerre de fes habitans , tels les (filets , les poincons, les couteaux 8c les haches; avec des épées, des dagues, des poignards, des cimeterres. La quatrième partie de la cour, qui étoit derrière Ahubal, étoit remplie d'armes propres a détruire des corps enriers d'hommes a la fois , armes inyentées par la barbarie raffinée des européens • c'éroient des moufquets, des piftolets , des canons, des mortiers, avec des amas énormes de bouiers & de bombes , des tonneaux de poudre , de balles, c\e grenades, de limaille de fer. Ahubal, qui connoiffoit peu ces dernières armes , en admira la ftruéture, demanda pouc quel ufage ces monftres deftrucleurs, enfans de 1'art, avoient été formés. Ollomand lui répondit: « Ce font les armes de ?> YEurope, partie de la terre remplie de voleurs m jnduftrieux, de brigauds adroits, de bourreaux >j ingénieux , occupés fans ceffe 4 inventer de ss nouveaux moyens de fe faire fouffrir les uns as les autres. \\ y a un million de ces hommes jj méchans établis fur les cbtes maritimes de nos ss provinces méridionales. Je les acrirerai a notre s>. parti, parl'infpirarion du dieu qu'ils adorent ss, « Subiime 8c puiffant enchanteur, reprit le 3j prince Ahubal, tu as donc les dieux de 1'Europe s> en ton pouvoir » ?  DES GÉNIES. 41J , « Les européens, dit Ollomand, ne recon,- t> noiftent qüun dieu dont ils placent le tróne au « plus haut des cieux. Mais il eft vcrirablement i> au centre de la terre, le dieu qu'ils adorent. s> L'or eft leur dieu. C'eft a lui qu'ils facrihent. ss C'eft pour lui qu'ils ofent tout entreprendre. jj C'eft pour lui qu'ils trompent & trahiftent ss leurs meilleurs amis. Tu n'as qu'a leur envoyer 33 des préfens, & leur promettre des richeftes, tu 33 les verras voler a ron fecours: ne doute pas que , 33 par leurs machinations, Mifnar ne foit enfin ss forcéde reconnoitre ta fupériorité 33. 33 Mais , dit le prince Ahubal, qu'ai-je befoin >s de recourir a ces gens & a leurs machines ss meurtrières, puifque mon puiffant ami a une jj armée de géa'nts dont dix fuftifent pour dé- 33 rruire en un moment toutes les troupes du 33 fulran mon frère ? 33 Hélas! s'écria Ollomand, les efclaves pro- 33 öuirs par le pouvoir de 1'enchantement s'éva- js nouiftent devant les enfans de ia foi. Quoique >3 nous refulions de reconnoitre Mahomet & de jj 1'adorer, nous ne pouvons cependanr réfiftet ss a une puiflance néceftaitemeuc fupérieure a la m notre. Si 1'univers étoic a notre difcrétion , les )3 humbles adorateurs cVAlla auroient lieu de sj trembler. Mais, hélas ! Mahomet nous a bri- » dés comme des animaux indomptés, nous Ddiv  '424 Les Contïs u rongeons notre frein, Sc notre bouche écums jj de rage. Nous ne pouvons ni nous foumettre, sj ni 1'empotter fur lui. jj Loin de nous ces penfées chagrinantes. Les * provinces qui nous reftent attachées dans le jj cceur, ont befoin de notre préfence Sc de notte 1» foutien pout fe déclarer. Les ttoupes de Mif»» nar gardent leurs frontières pout les intimijj der. Déguifons nous en marchands. Allons i jj Orlxa , nous y aurons occafion de travailler »j sürement a la perte de Mifnar , 1'indigne ful11 tan de YInde. » ■ En acbevant ces mots , Ollomand frappa du pied. A ce fignal, un char attelé de quatre dragons, fortit du puits. Ahubal Sc l'enchanteur y rnontèrenr. Un nuage épais les enveloppa. lis eurent bientót franchi les montagnes Sc Ia forêt, Sc arrivèrenr derrière la ville cYOrixa, Quand le char cYOllomand quitta la plaine des airs pour rouler fur la terre, l'enchanteur toucha les dtagons avec fa baguette. Ils furent changés en quatre chameaux chargés de marchandifes précieufes, Le char devint un éléphant fur lequel étoit 'Ahubal en habit de matchand, l'enchanteur déguifé en efclave noir conduifoit 1'éléphant. Ils entrèrent dans la ville fur le fbir, Sc dès 1©  DES GÉNIES.' 4iJ lendemain ils étalèrent leurs marchanclifes fur la place du marché public. Les ballots du faux marchand furenr ouverts; ils renfermoient de riches éteffes propres a habiller les officiers de l'armée du fultan. Auffi, dès que le bruit s'en fut répandu , ils ne manquèrenc pas de fe rendre en foule fur Ie marché; Sc comme Abuhal leur donnoit fes marchandifes a bon compte, il eut bientóc fait connoiffimce avec tous les officiers de la gamifon d'Orèxa. Abuhal eut de fréquens entretiens avec eux , dans lefquels ils fe conduifit toujours par les confeils de 1'enehanteur. II leur parloit fur-tout de Ia paie modique qu'ils recevoient de Ia Cour. Ils en convenoient tous, Sc bientót il les amena jufqu'au point de defiter un fervice plus lucratif. II leut laiiTa entrevoir qu'ils feroient beaucoup mieux récompenlés, s'ils alloient fe rendre fous les drapeaux cX Ahubal. Les officiers qui, pour Ia plupart, fervoient beaucoup plus par néceffité Sc par amour du gain, que par devoir ou par honneur , écoutèrent avidement les propofuions du marchand. Par ces menées artificieufes, Abuhal reconquit en dix jours la province d'Orixa. Le jeune prince , enflé de ce premier fuccés , bruloic d'envie de fe faire connoïtre. Ollomand,  Les G © n t.i,s .plus prudent, modéra fa vanicé en lui faifant conf Êdérer combien il avoit encore de provinces a g^gner avant qu'il fut en état de tenir tête a fon fiére. Le prince fe rendit aux confeils de l'enchanteur, Ils envoyèrent quelques officiers les plus attachés a leurs intéréts , dans les provinces du midi, pour tacher de corrompre les gouverneurs & les commandans. Comme ils ne manquoient ni d'argent, ni d'adreffe, il leur fut plus aifé de débaucher pat cette voie , les troupes Sc les fujets du fultan, qu'ils n'euffent pu faire pat la force de leurs bras. En peu de mois toutes les provinces méridionales fe révolrèrent , & les troupes qu'on avoit envoyées pour les contenir dans le de voir, confpirant avec elles contre leur légitime fouvejrain , ne demandoient qu'a. ouvrir la campagne & a élever Abuhal fur le tróne de Mifnar. On fit propofer des récompenfes a. deux cenrs ingénieurs étrangers , pour les engager a fervir dans l'armée du prince révolté. Du refte l'enchanteur Cllomand eut foin de faire payer exactemenr &c largement les ttoupes. Les troupes des provinces rebelles furent toutes en campagne au jour marqué. Elles arborèrent 1'étendart d'Ahubal. Elles invitèrent les  9 t s Génies." 4*? provinces limitrophes a enrrer dans leut révolte, Plufieurs milliers d'hommes arrivoient chaque jour a l'armée. Quelques amis reftés fidèles au fultan écrivirent a Dély ce qui fe paffbit. Le vifir Horam porta a fon maitre la terrible nouvelle d'uné révolte générale , non-feulement des provinces du midi, mais encore des troupes qui y étoient en garnifon. « Les ennemis de Mifnar font en grand » nombre, s'écria le fultan, 8c Mifnar n'a qu'uri sj ami! Horam s'inclina profondément a ces mots. sj Mon fidéle vifit, continua le fultan , je sj vous honore 8c vous eftime , mais je ne pré^ jj fère pas mon vifir a mon Dieu. Non, Ho>5 ram , Alla feul eft 1'ami de Mifnar, un ami jj plus fort que les armées d;'Ahubal, plus puif>3 fant que les preftiges magiques des enchanjj teurs. sj . Mifnar afTembla fes troupes, fe mit lui- même a leur tête , & marcha a petires journées vers les frontières méridionales de fes érats, Cependant les armées cXAhubal devenoient tous les jours plus fortes 8c plus nombreufes, Déja Cambaya 1'avoit reconnu pour fon fultan. _|I arriva aygc fes forces , a Naryar o^. il campay  Les Contes II avoit avec lui fept lignes de déferteurs dei troupes de Mifnar. Quoique Ie prince eut quitté I'habit de marchand , l'enchanteur Ollomand perfiftoit dans fon déguifemenr. Sous les traits d'un efclave »oir il jouhToit de la confiance la plus intime de fon maïtre , jufqu a donner de la jaloufie aux officiers de fon armée , témoins de cette préférence. L'enchanteur s'en appercut. En conféquence il dit i Ahubal de lui donner cinq mille hommes de fes troupes avec les ingénieurs européens , pour aller au devant des ennemis , & fe fignaler par le coup qu'il méditoit depuis longtems. Ahubal ne réfifcoit jamais a 1'avis $ Ollomand. ïl ordonna a. cinq mille hommes de Ie fuivre & de hu obéir. II joignit de plus a ce détachetoent les deux eens ingénieuts , qu'il avoit dejmandés. L'enchanteur marcha avec fa troupe choifie Vers un bois épais que l'armée de Mifnar devoit abfolument traverfer pour venir aux ennemis. Son deffein étoit de s'y retrancher, d'y placer fes ingénieurs & leur artillerie avec avantage , pour en défendre l'entrée aux troupes du fuitan. II fit diligence toute la nuit, furprit les gardes avancées de Mifnar, s'empara du bois, & y porta  des Genie tl 41^ les ingénieurs avant que le foleil frappat de fes rayons les arbres les plus hauts de la forêc de IVarvar. Cette action hardie eut ruiné infailliblemenC toutes les efpérances du fulran , qui fe flartoit d'être le lendemain au-dela du bois, fi les in°-émeurs etrangers fuiïent reftés fidèles a Ahubal 84 a. fon parti. Mais avant le jour, 1'un deux, favo-; rifé par 1'obfcurité de la nuit, quitta fon pofte; Sc alla découvrir a Mifnar tout le projet de l'enchanteur. Le fultan profita de eet avis. Sachanr fes erc-i nemis engagés dans le bois , il fit montet u« nombre fuffifant de foldats fut les montagnes qui étoient a. la droite du bois , pour gagner 1'autre cóté. Ils avoient ordre de porter uti grand nombre de torches allumées dans le bois, Sc d'j mettre le feu en plufieurs endroits a la fois ; ce qui fut exécuré fi a propos & avec un fuccès fi complet, que, quand Ollomand fut avancé dans le bois, il vit qüune partie de la forêt embrafée mettoit une barrière impénétrable entre fa troupe Sc l'armée cVAhubal. Dans ce malheur imprévu , il chercha a faire la meilleure difpofition poflible de fes troupes Sc des ingénieurs, fe propofant d'ailleurs de s'afliirer une retraite commode pat le pouvoit de fon art. Mais tandis que 1'enchanteut fubtil donnoit  43© Les Contes fes ordres aux officiers d'artiiierie pour la difpofitiort de leur train, le feu gagnoit fes derrières , & un canon que la fiamvne avoir obligé ceux •quile conduifoient, d'abandonner, prit feu, &c cira avec un grand fracas. Le bouiet dont il étoit chargé vint frapper l'enchanteur Ollomand dont il jeta la tête jufques dans le camp dit fultan. Cet accident confterna la ttoupe entière don* une partie accoutut au camp de Mifnar, en difant qu'ils avoient petdu leur chef. Le refte aima .mieux fe rendre, a 1'exemple des premiers , que* de périr par le fer, ou par le feu, car la mort étoit inévitable. Cependant le prince rebelle vit de loin, d'un pofte élevé, la forêt en feu entre fon armée Ss -celle de fon frère. II fut d'abord alarmé. II s'imagina enfuite axxOllomand avoit enfermé dans lé bois les troupes du fultan, Sc qu'elles y étoient la •proie des flammes. Puis ne recevant point d'avis de fon ami, fes craintes recommencèrent 3 elles redoubloient a chaque inftant. Enfin le feu s'éteignit faute de matière. Le bois confumé ne lailfa plus" qu'une plaine ouverte : Ahubal apprit par fes efpions que l'armée de Mifnar s'ébranloit pour le venir attaquer. Ahubal, ayant petdu fon ami, perdit toute efpérance de vaincre. II voulut fuir. Mais fes  e s ' G i n i t s. 4?r génefaux, révoltés comme lui, craignant le jufte' chatiment de leur rebellion, s'ils avoient le malheur d'être pris, réfolurent de vaincre oa de mourir. Le prince fut donc obligé de mettrefoo armee en état de défenfe. De fon coté , le fultan, perfuadé que le maavais fuccès de 1'expédition d'OIhmand avoit ïetê 1 epouvante parmi les troupes de fon frère , fe iiara de le joindre pour livrer bataille , avasst qu'elles fulfent revenues de leur confternatioa. Iï fit diligence avec le gros de fon armée. II alok droit a 1'ennemi, toujours en bon ordre, raradis que le vifir Horam , a la tête d'un mokdre corps , tachoit de prendre 1'ennemi en fiarac. Les éléphans avancoient des deux obtés, & faifoient voler la poufiière de la plaine , raaadas que, des tours dont ils étoient chargés, partk une nuée de traits dont chacun porrok an coap mortel. Les cris des foldats, joints aux fous ai^os des trompettes, & aux accens plus graves des tymbales , rempliifoient l'air d'un bruit guerrïerv -Les foldats de Mifnar étoient pleins de courage -& de confiance , ceux d'Ahubal étoient tranfpor,tés de fureur & de défefpok. Tous les cimeterres .tirés frappoient de toutes parts les têtesdes com'batrans. Les éléphans marchoient fut des mon*ceaux de cadavres, & le fang des blefies & des morts étoit comme les rivières d'Arvar. Mais les  43*- Les Contei troupes du fultan, qui ne s'étoient pas attendue* a tant de réfiftance, flottoient entte 1'efpétance Sc la ctainte. L'épouvante faifit Ahubal Sc fe* guerriers. Le prince fonna lui-même la tetraite, Alots fes troupes préfentèrent le dos aux traits des ennemis. Ta/nar, l'enchanteur Ta/nar, parut au haut des airs porté lur un vautour. « Laches fuyards , cria-t-il aux foldats cXA» n hubal j ralliez-voust retournez a 1'ennemi, « ne craignez rien; Tafnar eft votre ami Sc votre » foutien. Les troupes de Mifnar font épuifées de j> fatigue, Sc vous fuyez au moment qu'elles al» loient fuccomber fous vos coups! Eft-ce ainfi » que vous renoncez tout-a-coup aux tréfors de » Dély ? Un moment de crainte vous fait perdre >» le fruit de tant de marches pénibles que vous » avez faites dans les déferts. \JInde\a. être votre »» conquête Sc la récompenfe de vos glorieux tran vaux; Sc vous préférez la honte Sc lJignominie, » a. 1'honneur d'une viótoire éclatante »! Les troupes cV Ahubal entendirent ces mots, St furent encouragées par une vifion fi furprenante. Elles s'arrêtèrent dans leur fuite, ne fachant quel parti prendre. Tafnar, voyant leur irréfolution , defcend de delfus fon vautour, fe met a leur tête, prend un javelot, Sc s'écrie: « que tous les braves j» foutiennent celui qui vient effacer la honte des s> laches ». L'armée  BES-6ÉNIES. 434 L'armée du fultan avoit pourfuivi en défordre les ennemis fuyans & difperfés. Elle en étoit moins en état d'eftuyer une feconde attaque. Tafnar, & ceux qui le fourenoient, revinrent X la charge , Sc süremenr ilseuiïent eu bon marché des rroupes du fultan Mifnar, li le vilir Horam qui s'appeixut que les fuyards s'étoient rallies., ixeut foutenul'armée de fon maitre, par le detachement de troupes fraïches q ui commandoit. Ce fecond comhar, quoique moins général que le premier, fur auffi fanglant Sc plus opimatre. Le vilir chercha en vain a frapper de fon cimererela tére de l'enchanteur, mais Tafnar fut toujours repouifé par 1'invincible vifir. Ainli le «ourage Sc 1'adrefle de celui ci balancoit le pouvoir magique de 1'aurve. Le combat conrinuaavec acharnement de cóté Sc d'autre, jufqu'a ce que la nuit qui répare les forces épuifées de 1'homme, obhgea les deux armées de fe féparer. Après que le vifir Horam eut fait en bon ordre la retraite de fes guerriers, il entra dans ia tente du fultan, & lui dit qu'il avoit vu l'enchanteur Tafnar a la tête de fes ennemis, qu'il l'avoit combattu fans pouvoir 1'entamer. . « Hélas! s'écria Mifnar, c'eft envain que i'épée eft tirée conrre les puilfances de la magie. »> N,on, cher Horam, mon fidéle vilir, ce n'eft » pas a. force ouverte , qu'il nous faut combarcre Tornt XXVUI. Ee  454 Les Contes „ les enchanteurs. Il n'y a qu'un moyen de les dé» truire; c'eft de les furprendre. Tafnar confpire )> pour mon perfide frère. II eft dans le camp » d''Ahubal. Ne fe trouvera-t-il point parmi mes j> troupes quelqu'efclave affidé qui, fous pré» texte de défertion ou même de trahifon , fe sj rende chez mon ennemi, furprennne 1'enchan33 teut endormi, & m'apporre fa tête. li faut 33 qu'Horam me trouve ce fidéle efclave avant . 3> que le foleil voye le fang qui coule a grands 33 flots fur les plaines de mes états 33. Horam s'inclina jufqu'a terre, & quitta le fultan pour lui obéir. 11 étoit dans la plus grande inquiétude. L'ordre de Mifnar étoit le fujet de fon embarras. II difoit en lui-même : « oü le puiffant trouvera-t-il ss un ami? Quel efclave refteta fidéle a. celui qui 33 lui óta la liberré, le premier & le plus grand 33 des biens ? II eut mieux valu pout moi de périr ss par la main de Tafnar, que de me charger 33 d'une telle commiffion au rifque d'être trahi 3> par la méchanceté de mes efclaves 33. Le vifit ne fachant donc a qui fe fier, rentra dans fa tente, accablé de douleur. 11 appercut en ;entrantune vieille efclave qui 1'attendoit pour lui •parler de la part d'une des femmes de fon férail, qui étoit fous une autre tente voifine de la -fienne.  DES GÉNIES. 435 Horam ne fit aucune attention a cette vieille; il fe jeta fur un fopha, plaignant le forc de celui a qui 1'on ordonnoit de trouver un efclave fidéle. La vieille femme, voyant fon maitre fe lamenter pour un tel fujet, fe jeta a fes pieds, en prenant Alia i témoin de fa fidélité, de fon cbéiflance , & proreftant qu'elle étoit prête a facrifier fa vie pour luu Horam, touché de fes proteftations, n'en étoit pas moins alarmé §( inquiet. « Hélas 1 lui difoit il d'un air confte mé, pauvre ,3 femme décrépite qui peux a peine te foutenir, » qui es-tu pour aller combattre l'enchanteur, » 1'ennemi de ton maitre )>. « Les fauterelles & les vers de la terre, dit » 1'efclave, font les infttumens de la vengeance y> cYAlla fur les grands de la terre. Et Mahomet y> peut fê fervir de ma foiblelTe pour fauver mon ,3 feigneur du danger qui le menace • Horam, Voy'ant la dérêrmination de 1'efclave, lui dit: « mais comment prérendez-vöus triöni>3 pher d' Ahubal &c du magicien Tafnar s) ? « J'irai au camp cVAhubal, répondit-elle ; je so demanderai i parler au prince &c au général de » fes armées. Je leur propoferai d'empoifonner 33 le vifir, mon maitre ,& Mifnar notre magni,3 fique fultan. Je leur demanderai quelle récom3» penfe ils me donneront pour un tel exploit, Ee ij  4J£» Les Contes »> J'apporterai Ie poifon prétendu, & tandis que >* d'une main je le préfenteraia Tafnar, de 1'autre >» j'enfoncerai dans fon caïur Ie poignard mor» tel qui doit nous délivrer de fes enchantei> mens •-. » Mais, fais-tu, reprit Horam, que lamoit n fera la fuite nécedaire de ton audace » ? « Seigneur, répondit 1'efclave, lorfque j'étois » encore jeune, je fus élevée dans les cavernes » de Ds.nrad.iin, par une prophéreiïe qui m'ap» prit ce qui m'arriveroir pendant tout le cours j> de ma vie. Jufqu'ici tout ce qu'elle m'a prédit » s'eft vérifié a la lettre. Elle Iut un jour dans 1'ar3» rangemenr des afttes du ciel, que je délivrerois ss le fultan de l'Jnde de fes ennemis ». Le vifir, ravi de cette nouvelle, & charmé de la réfolution de 1'efclave, lui dit de fe préparer a paroure devanr le fultan. La vieille femme prit fon voile, fuivit Horam, &c entra avec lui dans la rente du fulran. MiJnar la voyant enrrer avec le vifir, dit : « Quelle nouvelle efpèce de guerrier mon fidéle 33 Horam m'amène-t il » ? « Lumière de mes yeux, répondit le vifir, >3 vous voyez une vieille femme prête a exécuter s» vos ordres.] Cerre efclave alfure que les fages 33 des cavernes de Denraddin ont lu dans les aftres  des Genie s. 437 » du ciel qu'ellé délivreroit le fulran de YInde de jj fes ennemis 33. « Qu'elle aille donc, dit le fultan \ que le pro33 phète guide fes pas & affure le fuccès de fon 33 emreprife. Horam eft incapable de donner les 33 mains a un projet téméraire ou d'une exécution 33 incertaine. Je me livre donc a fa direction, tk 33 mon fort eft entre les mains de fa fidelle ef33 clave >3. L'efclave fe profterna devant Mifnar, tk lui demanda quelques papiers & mandats , afin qu'elle prétendir les avoir enlevés de la tente du fulran pour les porter aux pieds de Tafnar &C d''Ahubal. A/i/fltfrapprouva la rufe propofée par la vieille. En conféquence il fait expédier des dépêches, tk autres écrits relatifs aux mouvemens que l'armée étoit fuppofée devoir faire le jour fuivant, pour mieux donner le change. L'efclave les prit, tk fe mit en chemin pour pafter dans l'armée ennemie. Le vifir Paccompagna jufqu'aux gardes les plus avancées du camp de Mifnar. L'efclave pafta oratie. Les fentinelles cYAhubal 1'arrêrèrent. On la faifit: on la conduifit au commandant. Celui-ci foupconna d'abord quelque ftratagême. Puis, ayant reconnu que ce n'étoit qu'une vieille efclave, il fe contenta de lui demander E e iij  4)8 Les Contes pourquoi elle avoit quitté le camp du ful&an, feule & fans ordre. jj Conduifez moi en préfence de votre prince, M répondit-elle. J'ai des chofes imporrantes i *> lui communiquer, pour le fervice de fon ar>• mée Le commandant lui donna une garde pourl'efcorter jufqu'au pavillon royal , oü Ahubal Sc ' l'enchanteur Tafnar étoient en conférence fecrette. Dès que l'efclave fut en leur préfence, elle fe profterna aux pieds d''Ahubal. Aufli-tót Tafnar la fit prendre par deux gardes, en difant : « Voyons d'abord quel fervice cette efclave jj peut nous rendre avant de lui permettre d'ap» procher fi prés de nous. jj La vieille , faifie par les gardes , fembloit Var terdite , Sc ne favoit a quoi fe réfoudre. « Que dois-je penfer de ton embarras Sc de s> ta confufion , lui dit l'enchanteur ? Viens-tü i> de ton gté , nous révéler quelque fecret im>j portant ? Ou bien, es-tu un vil efpion qui »j cherche a trahir les confeils des braves ? jj Je vous apporte des papiers de conféquence , j, répondit l'efclave. Je les ai dérobés dans la „ tente du fultan , Sc je viens les mettre aux „ pieds d'Ahubal, le feigneur Sc le roi de tous js les cceurs de YInde, i>  DES GÉNIES.' 45? Alors , l'efclave dra de deflous fa robe, les papiers que les gardes mirenr aux pieds d'Ahubal. L'enchanteur les préfenta au prince qui les lut, Sc les remit a Tafnar , en difant : « Ces paft piers font vraiment d'un grand prix. Nous en » pouvons tirer avantage , Sc celle qui a nfquc » fa vie pour nous les apporter , mérite ré» compenfe. » La vieille, flattée de eet éloge, s'inclina auffi profondément que le lui permirent les gardes qui la tenoient. « Puiffant fils de Dalulcombar, dit 1'enchan» teur, ordonnez que 1'on garde cette femme s) dans une tente voifine de la votre , jufqu'a ce n qu'on air délibéré quelle forte de récompenfe » elle mérite. » Dès que l'efclave fut fortie , Tafnar dit au prince Ahubal : « Magnifique feigneur , il eft » d'un bon politique de récompenfer ceux qui » nous rendent des fetvices effentiels , Sc nous » ne faurions trop bien accueilhr ceux qui tra» hiffent nos ennemis. Il faut des appats pour » attirer ces oifeaux imbécilles dans les filets de » 1'état. Mais , continua-t-il , lorfque nous pou» vons parvenir auffi surement a notre but, en „ faifant mourir les traitres , qüen les récoms, penfanr , il n'y a plus a délibérer , il faut les „ facrifier a. notre süreté. Cette efclave a déj.i E c iv  44® Les Contes » rifqué fa vie pour nous fervir , lorfque nous » ne Pen avons pas priée : sürement elle ne nous » refufera pas la même grace , lorfque nous la » lui demanderons. » L'enchanteur n'attendit pas la réponfe du prince. II ordonna aux gardes de faire revenir la vieille , & d'apporter le faral lacet. Les gardes obéirent : l'efclave approcha d'un air triomphant, ne foupconnant pas Pintention de Tafnar. « Efclave fetviable , lui dit-il , tu nous as » déja rendu un fervice fi elfentiel , que nous » ofons t'en demander un fecond. SoufFre qu© » les muers te patent au cou ce lacer. Le prince » Ahubal demande ta vie que tu as expofée pour » fon fervice. » Les muets pafsèrenr le lacet fatal au cou de la vieille femme , 6V 1'étranglèrent fur le champ en préfence de l'enchanteur & du prince , qui ne comprenoit rien a la conduite de Tafnar. Après cette exécution , les muets fe retirèrent 5 jaiffant Ie corps mort étendu fur la place , felon l'ordre qu'ils en eurent. Ahubal, refté feul avec l'enchanteur , lui demanda avec étonnement: « O Tafnar ! qüas-tu n fait ? Que lignifie cette étrange conduite ? » Je me fuis défié de cetre efclave } répondir  DES G E N I E S. 441 »• l'enchanteur. J'ai craint qu'elle ne fut tm ?f~ r> pion envoyé par nos ennemis pour nous perdre. » Nous pouvons nous en éclaircir en vifitant ft fes habits. Voyez , prince , continua-t-il ; » voyez fi ma conjecfure étoit vaine. Voila Ie » glaive de la mort qui devoit nous frapper. >» En difant ces mots , il tira le poignard que l'efclave avoit caché dans fon fein , pour frapper l'enchanteur. « Prudent Tafnar, dit le prince , j'admire » votre fageffe & votre prévoyance. Mais quel « avanrage tirerons-nous a préfenr de la mort de » cette femme ? En lui laiffant la vie , après ft avoir découvert fa fourberie , nous eufïions « pu en tirer des éclaircifTemens utiles. ft Prince, répondit Tafnar, j'ai de plus grandes ft vues. L'habic de cette femme me donnera enj> trée dans le camp du fultan Mifnar, & le 33 même poignard defltioé a m'óter la vie, lui *> donnera le coup de la mort. II n'y a point « de tems a perdre. Le jour va paroïtre. « L'enchanteur prit auffi-tót les vêtemens de l'efclave avec fes rrairs, de forte op Ahubal eüt cru la vieille refTufcitée , s'il n'avoit vu fon cadavre érendu a fes pieds. II coupa enfuite la tête de la même femme , il lui donna fes propres ■traits , par la vertu d'un onguenr blanc dont il J'oignit. öans cec équipage , il fe fit conduire  44* Les Coktes par Ie commandant des gardes avancées juf- qu'aux dernières fentinelles de l'armée. II atteignit bientót le camp du fultan. Les fentinelles , trompés par 1'apparence , crarent que c'étoit la même femme qu'Horam avoit lui-même accompagnée quelques heures auparavant. Ils la laifsèrent patfer fans lui rien dire. L'enchanteur, arrivé au pavillon royal, fit demander audience au fultan. Le vifir Horam , qui Pattendoit, reconnut la voix de la vieille efclave , &c vint la recevoir. « Eh bien ! fidelle efclave, lui dit-il, as-W s> réufïi ? Tafnar eft-il la proie de la mort ? » Horam, répondit-elle, conduis-moid'abo rd »> devant le fultan, je veux mettre a fes pieds » la tête de fon ennemi. » Le vifir fit entrer l'enchanteur déguifé dans 1'appartement le plus fecret de la tente royale , oü Mifnar , affis fur fon trbne, attendoit avec impatience des nouvelles de 1'action hatdie de l'efclave. L'enchanteut avance , tenant d'une main le poignard , de 1'autre , il portoit la fauffe tête. II alloit monter les degrés du trbne. Le vifir Parrête , & lui ordonne de commencer par fe profterner devant le fultan de YInde. La fauffe efclave obéit. Le vifir, la voyant profternée la face contte le dernier degré du tróne 4  ©es Génies; '44J1 tïre fon cimeterre & la frappe , au grand étonnement de Mifnar. ^ ; cc Qu'as tu fait, malheureux vifir , s'ecna le „ fultan ? Envies-tu 1'aftion glorieufe de cette „ fidelle efclave ? » — Le fultan eüt fans doute continué de s'emporter en reproches & en inveftives contre fon vifir , s'il neut vu 1'enchantement diffipé , & le corps mort de Tafnar patoïtre fous fes véritables traits , ainfi que la tête de la vieille femme. Alors, il comprit la jufte indignation de Ho-, ram qui lui fauvoit la vie en immolant Tafnar. 11 defcendit précipitamment de fon trbne, fe jeta au cou du vilir, & dit, en le tenant étroitement embraflé. c O mon fidéle Horam ! pardoane-moi ma r, vivacité. J'ai fait un crime a mon ami, d'une B aftion qui me fauve la vie ! Ta prudence eft „ grande , 6 vifir ! mais comment as-tu pu te„ connoïtte 1'enchanteut fous les traits de ton „ efclave ? Comment ta fagefle a-t-elle dévoilé '33 fa méchanceté ? „ Roi de mon cceur , fouverain de mes vo„ lontés , répondit Horam , lorfque je traverfois „ le camp avec ma fidelle efclave, dont cette w tête nous apprend le trifte fort, je lui dis qu'au „ cas qu'elle re vint, elle devoit, en s'approchant  • 444 Les Contes " de moi, dès qu'elle me verroit, me répéter * ces mots a 1'oreille : Alla ejl le dieu du ciel'. '* Mahomet ejl fon prophhe ; & Mifnar e ff fon » lieutenant fur la terre. Je jugeai cette précau» tion nécefTaire , au cas que Tafnar , ne don» nant pas dans le piège que nous lui tendions, » voidutle tournerconrrenous-mèmes. D'abord, » j'avois peine a croire que l'efclave revint : il » étoit difficile qu'elle les frappat to is les deux » impunémenr. Quand je I'ai vu revenir , j'ai » eu quelque foupcon. Quan 1 elle s'eft appro» chee de moi , fans me répéter les mots dont » nous étions convenus , je n'ai plus douté que » ce ne fut l'enchanteur déguifé. La rapidité avec » laquelle il vouloit monter fur le tróne, a achevé " de me convaincre. Et je "'ai pas cru de voir » manquer le moment oü , piofterné Ia face ■>■> contre terre , il ne pouvoit échappet aux coups « de ton fidéle vifir. » Mifnar, tranfporré de joie, exalta de nouveau Ia fagefle profonde de Horam , Sc lui témoigna , de la manière la plus vive , qu'il fentoit tout le >' prix de ce fervice fignalé. Dès que le jour parut, Ie premier fpedlacle qui fe préfenta aux ennemis , fut Ia tête de Tafnar, au haut d'une lance fichée en terre , devant Ie camp du fultan. Ahubal, impatient, fe leva de grand marin. II s'avanca a Ia ttte de fon camp , attendanr  DES GÉNIES. 445 d'heureufes nouvelles, Sc fe difpofanr a taiHer en pièces l'armée de YInde. Qu'elle fut fa confternation , lorfque , toumant fes regards triomphans vers le camp de fon frère , il appercut aux premiers rayons du foleil la rêre fanglante «5c déiigurée de Ion proreofceur , élevée en rrophée avec le poignard , Sc 1'habillement de la vieille efclave ! L'épouvante le faifir. Les larmes coulèrent de fes yeux. II entra dans fa tente accablé du plus cruel chagrin. Le vifir Horam, voyant la lampe éternelle du monde éclairer le fommet des montagnes , eut defiré conduire les troupes de fon maitre i une feconde attaque ; mais Mifnar jugea plus convenable de leur donner un jour de repos après les fatigues qu'elles avoient efluyées. ï.a mort inattendu des quatre enchanteurs , Ulin, Happuck, Ollomand Sc Tafnar , alarma le refte de cette race déteftable. Le fultan les avoit vaincus féparément. Peut-être que , s'ils euflenr «ni leurs forces & leur méchanceté, ils euflènt mieux réufli. Ahaback Sc Defra réfolurent donc de fe liguer contre Mifnar. Tandis que 1'un, commandant l'armée puilfanre d''Ahubal, tiendroit tête au fultan , 1'autre devoit aller exciter une nouvelle révolte dans les provinces du nord.  54^ Les Contes Cependant les deux armées campées 1'une visa-vis de 1'autre , reftoient encore dans 1'inactiom Un exprès vint dire au fultan c\\\Ahabaïk amenoit a grandes journées neuf mille efcadrons au fecours de fon ennemi, & que De/ra rraverf jit les plaines cXAmbracan , avec trois mille élér phans & cent mille hommes de troupes des provinces occidentales de fon empire. Mifnar étoit d'avis d'atraquer Ahubal avant que ce fecours put joindre. Mais le vifir fe jeta aux pieds de fon maitre , & le conjura de ne pas facrifier fon armée qui fuccomberoit infailliblement fous les coups de celle de fon ennemi beaucoup plus nombreufe. IU'engagea a la fortifier par de bonnes recrues. Le fultan, quoique d'un avis contraire, céda néanmois aufentiment du vifir. Lorfque chacun s'attendoit a marcher au combat, Horam donna des ordres pour faire de nouvelles recrues; il alla lui-même au nord de Dély lever une feconde armée pour fon maitre. Ahubal étoit dans le derniet abattement. La mort de fes amis les enchanteuts le réduifoit ptefque au défefpoit. Ses officiers , un peu plus déterminés, voyant que l'armée du fultan ne fe difpofoit pas a une nouvelle attaque , tachèrent de diffiper fon chagrin, en lui faifant efpérer un plus heureux fuccès. Les provinces du midi,  des Génies; 447 voulant faire diverfion a fa douleur, en flattant fa vanité , demandérent Ja permiflion de lui dreifer une tente digne de lui. Le prince s'étoit contenté jufqu'alors d'un pavillon femblable a. celui de fes généraux, fans aucune diftindlion particulière. Le prince Ahubal n'étoit pas naturellement guerrier. S'il avoit pris les armes contre fon fiére, c'étoit moins de fon propre mouvement que par les fuggeftions des enchanteurs. II confentit volontiers aux offres de fes troupes. Cent ouvriers des plus habiles fe mirent a 1'ouvrage. Les provinces qui reconnoiffoient 1'autorité d''Ahubal, envoyèrent avec profufion les matériaux nécelfaires pour dreffer la plus magnifique tente qu'on vit jamais, diamans, perles, brocards d'or & d'argenr. Tous les grands & les riches faifirent cette occafion de marquer a leur prince combien ils lui étoient attachés. Tandis que 1'on travailloit au fomptueux pavillon cXAhubal, les efcadrons de l'enchanteur Ahaback avancoient en diligence , & les éléphans de Defra n'étoient plus qu'a trente journées du camp. De fon cbté le vifir Horam ne négligeoit rien pour la levée & 1'équipement des nouvelles troi*. pes. Déja. les recrues avoient joint. Horam alla  44^ Les Contes trouver Ie fultan , lui rendit compte de fa commilfio.'i, & lui demanda la dheótion entière de fon armée pont quaranre jours feuiement. « Horam, lui dit Mifnar , j'ai alfez de con» fiance en vous pour vous accorder ce que ij vous fouhaitez, fans vous demander les raij> fons qui vous le fout defirer ». Aufii-tot le vifir envoya vers Ahubal pour demander une ttêve de quarante jours , qui fur exactement obfervée de part Sc d'autre. Le prince, charmé de cette propofition , n'héfita pas un moment a. 1'accepter. Dès que le vifir eut la réponfe cYAhubal, il fit proclamer a fon de trompe une trève de quarante jours -y de forte que, tandis que Mifnar s'attendoit a voir Horam attaquer fes ennemis avec un nombre de foldars plus que doublé du leur , il apprit que les trompettes proclamoient une trêve. Une conduite qui fembloit fi contraire a la raifon, alarma le, fultan. II manda le vifir & lui marqua fa furprife , en lui demandant quelles raifons il pouvoit avoir de killer fes ennemis tranquiiles, randis qu'il pouvoit les combattre avec avantage. « Magnifique feigneur , répondit Horam , » j'ai appris que les provinces du midi élevoient au  dés Génies; 44,^ s* aü prince Ahubal un pavillon , dont la fplen* deur & la magnificence doivent furpafTer de i> beaucoup la gloire de ton palais de Dély, >5 J'ai craint que 1'éclat de ce pavillon glorieux 55 n'éblouir les villes voifines du camp d''Ahubal, » &. ne les attirat a fon parti; car je fais que tes » fujets font plus épris du fafte & de Pappass rence , qu'ils rie font dociles a la voix du de»> voir. C'eft pourquoi j'ai fupplié monfeigneur » qu'il m'accordat le commandement de fori » armée, poür quarante jours. J'ai fait deman« der une trève pour ce tems , & je veux 1'emjj ployer a te drelfer un pavillon qui efFacé s> de beaucoup celui qu'on élève a ton frère» jj Toutes les richeffes de la terre y feront fafjj femblées. Le foleil n'aura jamais rien vil dé jj fi grand >j. » Horam, irépartit lé fultan, je t'ai tout conü fié, mon fort & celui de mes fujets fidèles. Je i> te prie d'avoir foin d'un pareil dépbt ». Le vifir fe retira pour faire exécuter fon projet, 11 fit venir des ouvriers de Dély ; il donna des ordres pour que 1'on raflemblat de toutes parts les richeffes qui devoient ornér eet édifice dé gloire* II fit toifer un vafte terrein* II donna lui - même le plan du pavillon; Tout alloit za gté de fon zèle. Les ouvriers travailloient dans Tome XXIX, Ff  '45° Les C g n f é ï le fecret ; car il fit ehclorre le terrein ou ils étoient occupés, chacun felon fon genre , & oii ne devoit 1'oüvrir que lorfque Pouvrage feroit achevé. - Tandis que les deux armées, celle du fultan & celle de fon frère Ahubal, s'adonnoient ï des foins plus convenables a des jours de paix qifaÊ •lui rems de guerre, les renfons cVAhaback 8c de De/ra arrivèrent. Les chefs de l'armée de Mifnar en furent informés : ils s'indignèrent contre Horam qui, en s'amufant avec fes habiles ouvriers , avoit donné le tems aux ennemis de fe renforcer. lis s'en plaignirent au fulran, & lui dirent hautement de leur donner pour généraliffime un homme qui préférar les travaux de la guerre, aux occupations des femmes 8c des enfans. Le fultan a qui les chefs de fon armée fifent comprendre que la conduite de Horam étoit plus capable de ruiner fes affaires que de les avancer, fit dire au vifir de fe rendre auprès de lui; & en préfence des officiers fes accufateurs , il lui demanda pourquoi il différoit de combattre les en-, nemis. Le vifir Horam ne répondit point a la queftion du fultan , il le pria feulemenr de veiür voir le pavillon glorieux qu'il lui avoit drefïé, £c de s!f  ces Génies. 45-i. faire fiiivre par les chefs qui murmiiroient conti e lui. Dès que le fultan parut, on abattit les paliflades qui cachoient le pavillon. Mifnar &z les chefs qui 1'accompagnoient, contemplèrent avec admiration le plus magnifique fpectacle que l'art put produire fous les aufpices du génie. Le pavillon plut au fultan & a toutes fes troupes. 11 n'y eut que les chefs qui, perfiftant dans leur premier fentiment, dirent avec alfez d'aigreur que 1'on y avoit employé, fans raifon & en pure pene, laplus grande partie des richeffes de YInde. Ce pavillon , vraiment royal , étoit élevé a une des extrémités du camp , affez prés d'une montagne, au milieu d'un plant de palmiersque le vifir avoit fait éclaircir , en faifant couper une partie pour donner plus d'air & de liberté au refte. Il étoit de velours cramoifi , brodé a fleurs d'or , avec un ramage d'or & d'argent tout a fentour. Au centre de chacune des quatre faces qui regardoient les quatre points du monde, on avoit tiflu en or la mort des quatre enchanteurs , Ulin, Happuk , Ollomand & Tafnar. Un drap d'or formoit le ciel du pavillon foutenu en dedans par quatre piliers d'or maffif & tout brillant d'un nombre infini de diamans Ff ij  45* Les Contes bes Génies,' & d'autres pierres précieufes. II y avoit au-def* fous deux fofas d'une richeife & d'une perfection de trayail qui furpauoit tout ce qu'on ayoi? jamais vu. Fin du vingt-neuvièmc Volume*  45 3 Les Contes p e s Géniïs. i/lvERTISSEMENT de l'Editeur Anglois , p. !. Vie d''Horam , fils d'Afmar , 5. Les Contes des Génies , o« les charmantes Lecons d'Horam ,fls d''Afmar , 39. Conté premier. Hifloire du marchand Abudah , ou le Talifman d'Oromane , 45. Aventure du marchand Abudah dans la vallée de Bocfhim, 52. Seconde Aventure du marchand Abudah dans les boccages de Sadaski, 74. Troifieme Aventure du marchand Abudah dans le royaume de Targi, 5; 6, Quairième Aventure du marchand Abudah parmi les S"ges de Néma s j 1 o. Conté segond. Le dervis Alfouran s 145, Suite du conté du Dervis Alfouran, 15 7, TABLE DES CONTES, TOME Vl N GT-N E V VIÈ M E.  4H TABLE DES CONTES. Cpnte troisiÈme. Haffan AJfar, ou Hifloire du. Calife de Bagdat, 169, Conté quatriÈmh. Kélaun & Gu^arate , 186, Conté CinquiÈme. Les Aventures d'Urad> ou la belle Voyageufe , % 3 9. Conté sixiÈme. Les Enchanteurs, ou Mifnar, Sultan de l'Inde , CoNTE septiÈme. Hifloire de Mahoud, 339, Suite du conté des Enchanteurs, ou Mifnar, Sultan del'Inde, 7f[T, Fin de la Table.