IE CABINET DES F Ê E Si  CE FOLUME CONTIENT FUNBSTINE, par BEADcrfABPJ, NOUVEAÜX CONTES DE FÉES. S a v o i r : La petit# Grenoaille Verte. Les Pèrröquets. Ie Navire Volant. Le prince Perinet ou 1'origine des Pagodes. Incarnat Blanc & Noir. Le Bui/Ton d'Épines fleuries. Alphinge ou lé Singe Vert. Kadour. Le Medecin de Satin. Le prince ArCen-ciel. Le Loïïp Gaihbx et Beiiinetts.  LE CABINET DES FÉES, o u COLLECTION CHOISIE DES CONTES DES FÉES, ET AUTRES CONTES MERVEILLEUX, Ornés de Figures. TOME TRENTE-UN1ÈME. A AMSTERDAM, Etfe trouve a PARIS» RUE ET HOTEL SERPENTE, 11 ■ > M. DCC. LXXXVI.   1 ■ AVERTXSSEMEMT DE L'ÉDITEUR, Les Ouvrages qui compofent cette continuation , «Sc fervent a rendre cora• plette la collecfcion des meiüeurs Contes de fées, ne.feront pas trouvés inférieurs a ceux qui ont été précédemment imprimés ils font Ie fruicd'une recherché plus exacte ; & pour trouver de quoi ; compofer lés h*x volumes que nous donnons au public , il nous. a fallu dévorer 1'ennüi de la ledure^une quantité con.fidérab|e de Ccntes échappés aux pre mier es. recherfches. les Auteurs de-chacun de ceux que nous allons.donner, font tous avantageufement connus dans la république des - lettrés; mais leur rëputation n'a pas fuffi feule pour nous déterminer; il n'eft poinc de Conté que nous n'ayons lu avec attention, & ce n'eft qu'après nous être alTurés XomeXXXL . A  z AFERTISSEMENT. qu'ils pourroienc être agréables au lecteur, que nous nous fommes décerminés a en faire ufage. Funejïine, Conté de Fee par Beauchamps , a échappé aux premières recherches , &c mérite, a toutes fortfes de titres , de trouver ici fa place; ce Conté, a. quelques longueurs prés , eft un de ceux qu'on lira avec le plus de plaiür. Pierre - Francois Godard de Beau champs , hè a Paris en 1689, décéaé dans la même vïlle en 1761 , eft connu par plufieurs pièces de théatre qui onc joui de quelque fuccès ; mais ce qui lui a acquis le plus de. réputation , eft 1'ouvrage intitulé Recherches fur les thédires de la France : il eft auteur de quelques romans , entr'autres , d'une Tradu&ion eftimée du roman d'lfmène & Ifmenias , écrit en grec par Euftatius, 8c du Conté de Funejune. Nous croyons inutile de donner un analyfe de ce conté , on l'imprime ici dans fon entier ; il a eu du fuccès dans  A VER TIS SE ME NT. 3 Ie tems, & nous croyons que ce fuccè* écoic mérité ; nous n'en connoiflons néanmoins quune édicion , celle fait® chez Prauit en 1737; les exemplaires en iont rares & recherchés. Nous ne connoilTons pas 1'Auteur du recueil que nous employons enfuite , incirulé nouveau Recueilde,Contes defées: il renferme dix Contes qui font tous trèsagréables & aflèz bien écrits. Ce Recueil a ca du fuccès dans fpn origine; il en a été fait deux éditions , J'une en 1718 &c 1'autre en 1731. Depuis, eet ouvrage eft devenu rare & recherché, & nous croyons qu'on nous faura gré de le reproduire ici, Nous ne nommerons pas non plus 1'Auteur des deux Contes qui terminenc ce volume, \e Loup galleux &Z Bellineue: on les a attribués d'abord a madame de Villeneuve, mais ils onc été inférés depuis dans un recueil incitule, cinq Contes defées, &c attribués au comte de Gaylus. Quoi qu'il en foit, il y a de la gaieté dans ces deux contes, & le ton  4 AVE RT IS SE ME NT. qui y règne, nous porte a croire qu'ils appartiennent aux charmans Auteurs des Féeries nouvelles , & du recueil de ces Meffieurs.  FUNESTINE, PREMIÈRE PARTIE. F unestine, princelfe d'Auftralie, vint au monde fous la plus maligne conliellation. Les fées, qui préfidèrent a fa naiiïance, étoient toutes vieilles , ou malfaifantes ; elles ne la douèrent que de qualités haïïfables. Tremblemens de terre,' phénomènes dans le ciel, to'ut feconda leur raauvaife humeur : une aurore boreale fit lire diftino tement en lettres lumineufes, fi groffes, qu'elles fuient vues des quatre parties du monde, ces paroles terribles : Tous les monfircs ne font poinc en Afrique. Le roi fon père fut ft épouvanté de fa laideur, & des fuites quelle pourroit avoir, que ne voulant pas donner a la reine le chagrin d'élever une créature fi difforme, il la fitexpofer aux bêtes de fa menagerie. Les panthères & les tigres de none continent font des agneaux au ptix des animr.ux auftraliens j fi par malheur il s'en échappe un feul de fa loge, il dcvafte vingt licues de pays en un quart d'heure. Le roi de A üj  £ FüNESTINE. Suède a moins mé de Mofcovites, qu:il ne dévore d'hommes en un feul déjeuner. A l'afpecl: de Ia proie, qu'on leur jette, i!s reculent efFrayés. L'année fuivante, la reine a qui on avoit dit que fa première fille écoir morre en nourrice, accoucha d'une feconcie. E!le ctoit belle , comparée a fa fceur; mais elle n'avoit ni graces ni gentilleues : c'étoit une de ces créatures humaines qui végètent, & de qui 1'on ne dit ni bien ni mal. A peu prés comme quantité d'autres que vous trouvez tous les jours aux fpeétacles, ou aux tuileries. Le génie Clair-obfcur parcouroit les airs. II Int avec furprife 1'infcriptiou cciefte. Parunecuriofité heureufe pour Funeftine, il voulut voir de quelle efpèce éroit le monftre nouveau nc. La jeune princefle, couchée par rerre, jetoit des cris horribles, qui 1'attirètent dans la ménagene. II a dit depuis qua Ia vue d'un objet Ci hideux, il fut tenté de prendre la fuite. Un mouvement de compaffion 1'arrêta. Ce génie étoit un bon homme accoutuméa faire le bien, habirudedontonfedcfait plus difficilementque de celle de faire le mal, paree qu'on y trouve plus de plaifir, quoi qu'en difent les pbilofophes modernes qui prétendent connoïtre le cceur, & qui fe mêlent d en donner des définitions métaphynquement alambiquées. II mit Funeftine dans ün pan de fa robe, & la porta  FUNESTINE. 7 dans fon palais, a vingt mille lieues d'Auftralie; elle fut confiée a des nourrices & a des gouvernantes, qui furent plus d'une fois fur le poinf de 1'étrangler, tant elle étoit dégoutante & revêche. Au bout de trois mois elle eut des dents & des ongles, dont elle fe fervoit pour mordre les unes, ou pour égratigner les autres. 11 venoit de naitre a. Clair-obfcur un fils aufll beau que Funeftine étoit laide j comme il étoit formé du fang d'une mortelle, & que les femmes des génies influent fur la nature & fur la deftinée de teurs enfans, le patit prince fut foumis at mis les évènemens de 1'efpèce humaine, fujet a la mort, & condamné, malgré fon ambition, a ne récmer que fur les deux tiers de Ia terre: miférable partage, dont il fe plaignit dans la fuite avec autant d'amertume, que le fils de Philippe le fit dans fon tems. Le génie, par un caprice, dont il auroit eu peine a rendre raifon, fe mit dans la tète d'umr un jour Funeftine & Formofe , (c'étoit le nom de fon fils.) II neut garde de communiquer a perfonne un projet fi bizarre, on fe feroit mocqué de fa majefté élémentaire; mais il prit fecrétement routes les mefures qui pouvoient le faire réuiTu-, ou le rendre moins ridicule. Tel eft 1'empiie de la raifon fur routes les créatures que les plus fantafques Sc les plus defpotiques dansleurs Aiv  FuNESTINE. volontés, s'efForcent de leur dormer un air de juftice. Ce prince irifehfé, qui difoit: qu'on me hailTe, pourvu qu'on me craigne, expüquoit mal fa .penfée , il vouloit êcre craint, & approuvé. La rriêre de Formofe le chargea de fon éducation, elie avoit un frère, grand philofophé, qui i'avoit. initiée dès fon enfance dans les myftères les plus profonds de la cabale : elle s'étoit fervie pendant fa groflelTe, des lumières qu'elle avoit' acquifes, pour empêcher les fées d'affifter a la nailTance de fon fils; elles en furent très-offenfées, mais elles avoient manqué le moment de lui faire du mal, 8c ce fut fans retour. L'uu & 1'autre s'appliquèrent rout entiers a former au jeune prince ftn caradère digne des grandes deftinées qui 1'attendoient, mais voyant que le fuccès ne répondoit que médiocrement a leurs foins, ils eurent recours a un remède, qui auröit réufli, malgré tous les obftacles, fi, par une fatalité commune d toutes les chofes d'ici bas, la tendreue mal entendue de cette nouvelle Théns, n'en eüt détruit, ou du moins rendu inutile toute 1'efficacité. Beau fujet de morale pour quelque efprit réfléchilfeur. Dans Ia partie occidentale du mont Caucafe, fe trouve une vafte caverne oü les enfans de la terre s'étoient alfemblés, lorfqu'ils formèrent le fage ptoje: d'efcalader le ciel, & d;en chalfer les  FüNESTINE. 9 dieux. Au fond de cetce caverne prenoit fa fource un fleuve dont 1'eau plus tranfparenté & plus forte que celle des Batbades, avoit la vertu de dimper toütès les foiblefles humaines, & de faire des héros de rous ceux qui s'y baignoient. II falloit s'y rouler huit jours de fuite fur un fable aigu qui, s'infinuant dans toute la capacité du corps, y formoit un nouveau fang & de nouvelles chairs : 1'épreuve éroit douloureufe , mais infaillible. Pendant une nuit obfcure la reine tenant Formele fur fes genoux, monte avec le prince fon frère fur un char traïné par des tortues aériennes, auffi vites que les terreftres font lentes. Déja toutes les cérémonies, fcrupuleufementobfervées, promettoient une heureufe réuffire. Déja le frère & Ia fccur fe flattóïent, l'un, d'avoir un neveu, Pautre, un fils, qui alloit être 1'ornement & les délrces de Punivers. En effet le prince avoit foutenu le bain fatal pendant fept jours, il en étoit forti plus beau, plus vigoureux, & prefque parfait. Les ch.eux, qui fe rient des vaines efpérances des mortels, 1'attendoient auhuitième. Tout fembloit achevé, Ioifque Formofe pouffe des cris percatTS dont la grotte & la montagnc retentiffent au loin. Sa mère alarmée court a lui, fon frère fait devains efForts pour la retenir; enrraïnéepar nne force fupérieure, elle fe précipite clans Ie fieuve, elle trouve fon fils les yeux fërmés, &  I* FUNESTINT. fans mouvement} elle gémit, elle s'arrache les cheveux, elle le croit mort; pour s'en affurer , elle lui porre la main fur le ceeur, dans le moment meme, que les deux derniers vices, qui s'y étoient concentrés, alloienr en fortir. Son adion arrêta leur fuite, & rien ne fut capable dans la fuite de les en chaffer entièrement. Trop heureufe de remporter fon chère prince en bonne fanté, elle fit peu d'attention a ce qui manquoit a fon ouvrage; elle fut même alTez aveuglée pour croire que ces deux vices qui devoient un jour dcfigurer 1'excellence defesautres qualirés, paroitroient des perfeóHons, ou que du moins, ils ferbient rachetcs par tantde vertus, qu'ils échapperoient aux yeux les plus clairvoyans. Que de mères lui reffemblent! On devine fans peine que je veux parler de 1'orgueil, &de 1'amour des !ouanges,monftres qui femblent oppofés, mais qui s'entretiennent &: s'augmentent par la conrradiótion qui devroit les détruire. Comment concilier le mépris qu'on a pour les hemmes, avec la pafïïon d'en être joué? Tel ne le comprend pas, qui peut en fervir dVxemple. La beauté de Formofe fe proportionnoit a fon age. De jour en jour elle devenoit plus raviffante. Sa pénctration & fa vivacité ne laifioiem Hen a faire a fes maures qui s'iniLruifoienr eux-mêmes; par fes queftions ou par fes réponfes. Faifoit il  FuNESTINE, n fes extrcices ? l'adre£fe, les graces & la force voloienr autour de lui. Tanr de merveilles n'étoient faites ni pour fon bonheur , ni pour celui du genre humain \ fa fierré croiiloir avec fes talens; elle n'eut bientót plus de bornes; fes flatreurs les plas outtés n'en pouvoient diffimuler 1'excès. Ne lui rien demander, c'étoit lui manquerderefpecl:; recourir a fa prote&ion , c'étoit fe rendre importun. Peut-ètre étoit- il plus traitable lorfqu'on le louoit? Non. Quoiqu'il aimat démefurément les louanges, par une bifarrerie inconcevable 3 les plus fines, les plus délicates Ie révoltoient; elles lui paroiiïbient groffières , infipicles, indignes de lui. Les pocres déconcertcs, crurent que, s'il étoit infenfibie a. leur encens , il feroit flatté par leurs fatyres, ils en composcrent de toure efpèce, & contre rout le monde- Bien en prit a quelquesuns de n'avoir point fuivi le torrent. Le prince plus jutte encore que fuperbe , fit battre de verges les plus emportcs, Sc envoya 'es autres travailler aux mines avec un ceil de moins. Plus acceflible envers les étrangcrs, il fe conrraignoit pour les gagnerj fauf a fe dédommager, lorfqu'il feroit leur maitre. A 1'égard de fes fujers, il les regardoit comme des efclaves nés pour obéir, a qui c'étoit faire grace que de ne point leur oter la vie, mêmeinjuftement: ce mépris ne febornoitpoint aux hommes. Le fexe en étoit aufïi i ob-  12. FUNESTINE. jet. Les femmes les plus charmanres., les plus vertueufes , & les plus refpectables, étoietit, difoit il, des peftes publiques contre lefqueiles on ne pouvoit être trop en garde; fon cceur ne lui parlant point en leur faveur, fon efprit, aidé de fa mémoire, lui fourniflbit contr'elles les traits les plus piquans & les plus amers. Le bon Clair - obfcur, étonné du caractère de. fon fils, apprit avec chagrin q ie la reine en étoit la caufe innocente, il 1'en punit comme coupable, & la répudia; il fit a Formofe quelques remontrances qui furent mal recues. Ne voulant point 1'aigrir , il le lailfa vivre a fa fantaifie. Peutêtre fe flattoit-il que le tems adouciroit une humeur fi alrière ; peut - être mêm'e la regardoit - il comme une noble fierté qui, dans 1'opinion des princes, eft un fentiment fublime, & 1'apanage le plus glorieux de leur nanfance & de leur rang. Formofe eut a peine feize ans, qu'on le vit fe difpofer a la conquète du monde, avec d'autant plus d'ardeur, qu'il vouloit punir les hommes d'avoir pénétré fes défauts , & d'ofer en parler. 11 eft vrai qu'après fes conquêtes, lorfque Tage eut fait place a la rérlexion , il faifoit de fréquens retours furlui-même, qui 1'humilioient , il tachoit alocs de faire oublier, par fes bienfaits, par fa clémence & par fa juftice , la dureté de fes premières marjrs; il éprouva plus d'une fois avec  FWNÏSTIKE. IJ douleur, qu'il eft plus aifé d'aliéner le cceur des hommes , que de le regagner ; mais j'anticipe trop fur 1'ordre des tems. Je reviens a Funeftine. Elle croiffoit en laideur & en indocilité. On fe demandoit les uns aux autres, que veut-on faire de ce monftre? Le génie feul, au grand étonnement de route fa cour, 1'aimoit, & redoubloit pour elle a chaque inftant, de foins & de tendrelFe. II lifoit dans 1'avenir, quoique d'une manière confufe \ & voyant, ou croyant voir ce qui devoit être un jour , il s'afFermiffoit dans fes deffeins. Pour accoutumer Formofe a la vue de Funeftine, il les faifoic venir quelquefois dans 1'apparment 1'un de 1'autre. Tentative infruchieufe: le jeune prince jetoit les hauts cris, Sc fuyoit en pleurant. La princeffe , de fon cóté, ne s'efforcoit de 1'approcher que pour le pincer, ou pour lui arracher les cheveux. Une antipathie fi marquée mettoit Clair-obfcur au défefpoir; mais il diftimuloit de fon mieux. Un nouvel incident lui fit encore plus de peine; il s'apper^ut que la reine fa femme qu'il aimoit alors paffionnément, fouffroit avec impatience fes attentions pour Funeftine, Sc que, s'imaginant qu'elle étoit le fruit de quelque intrigue fecrette, elle cherchoit a fe venp-er d'une rivale qu'elle ne connoiffoit point, fur 1'objet qui  r4 FuNESTINE. lui rerragoit fans ce(Te I'infidélité de fon mari. Des murmures fecrets, elle en vint aux plainres ouverres, & bientot les menaces fuccëdèrènt aux plaintes. 11 découvrit Sc diffipa plufieurs confpiratlons, dont la derniète étoit la plus dangereufe. La princelTe, qui n'étoit flattée que de chofes bifarres, ne regardoit comme plaifirs que ce qui n'éii étoit pour perfonne. Un grand lac baignoit les murs du palais : ce lac étoit fouvent agité. D'ordinaire elle choifilToit pour s'y promener le tems ou les vagues s'élevoientavec le plus de violence.Les efclaves qui conduifoientla chaloupe furent gagnés, par qui? C'eft ce qu'on ignore; le frère de la reine en fut accufé; mais il étoit trop habile , pour prendre fi mal fes mefures. lis percèrenr en plufieurs endroits le petit batiment qui fut bientót pret a périr. Funeftine vit avec des tranfports de rage que fes femmes même, imimidées par le danger, préféroient, en fe précipitanr au milieu des flots, une mort certaine a un naufrage qui pouvóit ne pas arriver. La chaloupe prefque fubmergée , errcit a 1'aventuLe entre des rochers efcarpés , le mugiflemént des aquilons irrités, le fracas du tonnerre qui la couvroit de foufre Sc de Hammes, 1'horreur de la ri'uit que la pale lueur des éclairs rendoit plus affreufe , Ia mort meme dont elle alloit être la proie, aug-  FüNESTINE. 15 menroient fa fureur, & ne 1'efFrayoient pas. Cependant elle entroit a peine dans fa dixième année. II y avoit dans le cabinet de Clair- obfcur un ttütoit merveilleux , auquel 1'ouvrier prévenu par la mort, n'avoit point eu le tems de mettre la dernière main. Ce miroir, quoiqu'imparfait, préfentoit aux yeux une image de tour ce qui fe pafloit fur la terre ; a Ia vérité , en ne pouvoit diftinguer ni les lieux, ni les perfonnes; mais Ie génie y fuppléoit par un grand ufage du monde , plutot que par la force de fon efpric : il vit une perfonne fur le point de faire naufrage } qui regardoit le danger d'un ceil intrépide. Toujours occupé de Funeftine , il vole a fon appartement, il lacherche,il endemande en vain des nou velles I fes femmes qui fe cachenr, pleurent s & fe taifent. II ne doute plus que ce ne foit Ie cher objet de fes complaifances , qui va perdre Ia vie. II envoie a fon fecours le plus léger des zephirs qui, redoublant d'agüité pour lui plaire , trouve la prmceife fans connoiifance, couchée fur une planche de la chaloupe brifée contr'un écueil; 111'arrache a la mort qui déja la faifiifoit, & la porte fur fes ailes dans le palais des événemens. Ce palais étoit 1'ouvrage de Clair - obfcur, il 1'avoit bati pour Funeftine, dès qu'il s'étoit appercu qu'elle mettoit toute fa cour en combuftion. II y avoit a 1'extrémité de fes états, une ile  l6 FUNESTINE, déferte d'environ fepc eens trente-cinq lieues dé circuit. Pour en rendre 1'abord inaccefïible, il élève tout autour un volume immenfe d'eau qui, condenfée & durcie, paroiflbit a la vue une montagne héritTée de glagons. Il n'avqit lailFé qu'un feul paffage défendu par deux forterelles , qui fervoient d'entrée & de fortie a un port dont le bafïïn large & commode, pouvoit contenir ^leux mille vaifFeaux de cent pièces de canon. Cela fait, il ordonne aux génies fubalternes, qui le reconnoiffoient pour leur fouverain, d'y tranfporter de toutes les parties du monde ce qui peut la rendre agréable & fertile. lis obéiiTent, & de la vient que les différens cantons de la terre manquent encore aujourd'hui des chofes dont ilc les dépouillèrem alors. La nature étonnée voit cronre des forêts, & des prairies dans les lieux les plus arides j les précipices les plus affreux fe changent en campagnes délicieufes, terminées par des vallons qui flattent la vue, coupées par des ruifleaux qui font 1'ornement & la tichelle des lieux qu'ils arrofent; des fleuves majeftueux , qui ne débordent jamais, font couverts de vaiffeaux qui portent par tout Fabondance. Jamais la grêleou les frimats n'y detruifent inopinément 1'efpérance prochaine du laboureur avide ; les faifons ne s'y font fentir que par leurs agrémens, nul froid dévorant, nul chaud exceffif. L'air tou- jours  FuNESTÏNE» f« Jours ferain, toujonrs tempéré, n'y eft point takt a ces variations facheufes & fubites , qui cauferit les orages & les défolations. Les langueurs accablantes , les maladies aiguës en font bannies, !a mort eft un terme qu'on n'y connoït point, on n'y cefferoit jamais de vivre, fi 1'on ne fe metroic dans la tête au bout de quelques fiècles, qu'il eft une vie plus voluptueufe que celle qu'on abandonne. Les prêtres du pays n'ont point recours a de pieux artifices pour faire goüter leurs dogmes, la vérité qui les guide, les rend perfuafifs, ils font délintéréflés, ils s'aiment les uns les aurres. Le centre de 1'ifle fut choill pour y conftruire 1'admirable édifice dont je vais m'efforcer de donner une idée. La defcription que j'en ferai d'après un voyageur irréprochable, pato-tra peurêtre au-deffus de la vraifemblance ; mais je prie Je ledleur de ne point croire qu'il n'y a rien audela de ce qu'il comprend , ou de ce qu'il imagine. Accoutumés i ne voir que de periteschofes , renfermés dans les bornes étroites d'une éducation proporrionnce a la foiblefTe de nos lumiéres , nous traitons d'impofture & de chimère tout ce qui ne tombe pas fous nos fens; reis a peu prés, dit un auteur Arabe, qu'un ciron q„i n'auroit jamais vu d'éléphant , jugeroir fur fa propre petirefle , qu'il n'y a polm dans l'llniTome XXXI. B  -i§ FUNESTINE. vers de maffe de chair fi lourd» , & fi fpirltuelle. Une avenue longue 8c fpacieufe, une peloufe fine & toujours verte, plantéede quatte rangs de cédres,conduifoit fur une vafte efplanade pavee de jafpe oriental, autour régnoit une baluftrade d'agateonix: au-deffous , deux larges canaux, ï e vêtus de porphire, offiroient aux yeux des oifeaux de toute efpèce, 8c des poiiïbns de toute grofleur; en face, s'élevoient neuf cours 1'une fur 1'autre , qui formoient une perfpeótive, dont le veftibule du palais étoit le point de vue. On enttoit dans la prémière par une grille da bronze doré d'or moulu , pofée fur un bas reliëf d'albatre; elle étoit rlanquée aux quatre coins, de gros pavillons de marbre blanc , dont les toits étoient de plomb laminé doré a. fond. Dans les ailes du même marbre , & de la même architecture, étoient au rez-de chauflee deux grands corps de garde , & au-defTus, des chambres pour les foldats, & pour les officiers de fervice ; les premiers avoient de paye, un diamant d'une once 8c deux marcs d'or par jour, les auttes a proportion. Tous étoient nourris& entretenus d'armes, d'habits, & de linge. On renouveloit, chaque année cette garde compofée de quatre mille hommes; ca chafioit avec ignominie ceux qui s'étoient ruinés par le jeu, ou par d'autres dépenfes; les bons mé~  f ü t) è s t : n' i; \$ fragers étoient placés dans les finances , ou dans les places de guerre ; ils avoient le choix. La feconde, plus exhauflee que la première ; mais a peu prés de la même forme , étoit de lapis azuli; ellefervoit aux gatdes du corps , au nom^ bre de fix mille , qui n'étoient point foudovés. On auroir cru faire injure a des genttls-hommes, tels qit'ils étoient, ou tels qu'ilsfe difoienttousj que de leur donnet des gages : ils étoient a récompenfe; ceft-a-dire , qu'après deux ans, ceux qui vouloientfe retirer, pouvoient le faire librerhent; on leur donnoitdes certificars les plus avantageux, vingt mille pièces d'or , un boiffèau de diamans , & unererre bien batie, les chefs avoient desgouvernemens, des principautés & autant de femmes qu'ils vouloient en choifir dans les families les plus illuftres de 1'ifle , a qui 1'état faifoit une dot d'un million de fultanins* Dans la troifième revêtue de turquoifes & de ropafes enchalTées avec art, étoient les écutiesdu palais, dans lefquelles on nourrinbit douze mille chevaux qui ne fervoient qu'aux écuyers & au* pages. La princefle ne fortant jamais que dans un charattelé de licornes blanches, ou de loups cerviers: on ne la vit qu'une feule fois aller a la chafTe , montce fur une m'artre zibeline , encore fut elle fi mécontente de fon allure qu'elle la fic Uier devant elle. Bij  2© FuNESTINE. Les dedans étoient d'un fine merveillenx don! on a perdu le fecret , & dont tien ne pouvoit ternir la blancheur. Le plafond peint a frefque par les meilleurs maitres, repréfentoit des chafles, des tournois, ou des combats de cavalerie. Les parquets , les piliers , les lambris, les rateliers , & les mangeoires étoient de bois de fandal; les brides , les felles 8c les harnois étoient enrichis de pierredes, les fers étoient d'or, les pelles , les fourches 8c les étrilles d'argent, 8c les licous treffés d'or 8c de foie. Au dehors étoient des abreuvoirs de granit, & des appartemens fuperbes pour les écuyers, & pourles pages; ces chevaux, Turcs, Arabes, Danois, Napolitains, ou Perfans ont été la tige de ces races célèbres dans 1'hiftoire dont quelques peuples confervent encorela filiation. La quatriéme , de corail chargée de feuillages d'or fin,fervoit aux officiers fubalternes, tous vêtus d'habits d'écarlate brodés en argent , & fi bien difciplinés qu'il ne leur étoit permis de fe faire entendre que par fignes. Lacinquiéme, d"airaindeCorinthe, d'un travail fupérieur a la matière , quoique la plus préeieufe de 1'univers , étoit diftribuée en plufieurs chambres oü 1'on rendoit la jufiice dans le plus pompeux appareil; les marchandes affedueufes n'y furfaifoient point de moitié d'iuutiles colifiV;  FUNESTINH. 11 chets. Les libraires avides de gain, n'y étourdiiïoient point les palTans du titre empoulé d'une hiftorietre faftidieufe qu'un auteur affamé venoit de metrre au jour. Les plaideurs , chofe incroyable, y gardoientle fdence en plein midi. Comme les procés ne duroient qu'une minute , £c que les habirans de l'ifle étoient ennemis de toute chicane, les juges ne s'aflembloient que tous les quinze ans. Qu'on ne s'imagine pas cependant que ces juges en fulTënt moins occupés, ils fe paroient, ils inventoient des modes, & ils faifoient des découpures. Dans la fixiéme, la plus fimple de toutes, quoique de marbre vert campan , étoient les volières dont les treillis étoient d'éméraudes & de faphirs. La feptiéme, de nacre de perles incruftrée de rubis , étoit pour les dames d'honneur , & pour les femmes de chambre de la princelfe ; 011 comptoit quinze eens des premières , qui toutes avoient leur ménage compofé de quatre eens domeftiques , & treize mille des fecondes , qui étoient fervies , chacune par trois muets, & trois eunuques noirs. C'étoit dans la huitiéme toute d'aventurine qu'étoient les différens oratoites du palais. Dans la principale chapelle étoit repréfenté fous la figured'un Rhinoceros d'une feule pierre d'aiman, Biij  tX FuNESTINE.' Xifiquinima , dieu tutélaire de l'ifle , de la hau« teur de feize pieds , il y avoit dans les autres „ douze eens pagodes d'une coudée , d'un feul diamant. La neuviéme, féparée des huit autres par une baluftrade d'ormafïif, dont chaque baluftre étoit un génie habilié en cent Suifle, étoit propremenc la cour du palais ; le pavé étoit d'une mofaïque de toutes fortes de pierres précieufes , ou Clairobfeur avoit tracé dans des hiéroglipKes , 1'hiftoire de tous les tenas : le plus curieux étoit une figure finguliére; regardée d'un certain fens, elle repréfentoit un bouc avec des pieds de mulet, Ia tcte d'un chat-huant, & la gueule d'un dogue affamé qui mordoit ceux mêmes qui lui don-» noient a. manger. Regardée fous un autre point de vue, c'étoit un Bonze Japonnois3 tenant d'une main , un coq , & de 1'autre, un brafier d'ou fbrtoit une épauTe fumée. Douze piliers d'amethifte foutenoient unvafte falon de criftal de roche , dont les portes & les fenêtres étoient d'efcarbotrcles. Ce falon ouvroie fur deuxgrandes enfilades du même criftal, meublées avec encore plus de goüt que de luxe. A droite , étoit 1'appartement de Funeftine, compofé de vingt pièces de plain pied , toutes garnies de glacés d'une feule piéce , & également feparées par des borduren de diamans, A gauchf  F 'V N E S T I N E.' 2 f étoient fes bains 5 comme elle aimoit les odeurs, les cuves & les meubles en étoient d'ambre gris. Je ne dois point oublier fa bibliothéque , plus riche par la qualité que par le nombre des livres qui la compofoient, quoi qu'il y en eut prés de trois eens mille. La, fe trouvoient lesoriginaux des ouvrages que devoient faire les d'AuInoy, les Murat, les Durand , & tant d'autres , qui fe font donnédans la fuite le ridicule de les imiter ; on y voit les portraits de tous ces Auteurs , celles que j'ai nommées, étoient couronnées de rayons de lumiére \ ceux, dont je tais le nom, d'ailes de chauve-fouris. L'hiftoriographe Albupipargaaios , du journa! duquel j'ai fidèlement extraic ce que je viens d» rapporter, continue ainli : « A 1'égard des jardins, ils me parurent fi » merveilleux, ii furprenans, & fi fort au-delfus n du palais, qu'ivre d'admiration, je n'imaginai » pas même qu'on püt les décrire. Je ne dirai » qu'un mot d'une fontaine de perles liquides » de la plus belle eau du monde, qui s'arrondif« foient en tombant dans un baifin de porcelaine n de vieux japon. J'en vis charger trois eens » vaifleaux, fans que la fource en fut affoiblie3 j» ou diminuée. » Ces jardins fubfiftoient encore du tems de i9 Cyrus, qui s'y promena plufieurs fois avea Biv  *4 Funestini. » Arafpe. Je ne fins point éconné que Pauteur de » fes voyages n'en ait pas fait mention, il étoit »» trop ennemi du merveilleux pour en parler; » mais je fuis furpris qu'ils ayent échappé au fubli me Sethos ». Funeftme, a fon réveil, jette de tous cótés, des regards diftraits & méprifans; peu touchée des merveilles qui l'environnent.elle fe contente de demander froidement fi le palais oü elle fe tiouve, n'eft pointi elle, & fi toutes les perfonnes qu'elle voit ne fonr pas faites pour lui obéir. Sa premièiedamed'honneur.s'affublantd'unelongue cape de plumes de colibri, fe met a genoux, Sc lui répond en bégayant, que maitreffe abfolue de leurs vies, elle pouvoit en difpofer a fon gré comme de fes jouets Sc de fes poupées : que ' Clair-obfcur non feulement lui avoit donné le palais, Sc tous les tréfors qu'il renferme; mais encore.... Elle alloir enfiler un long difcours, . lorfque la princeffe qui ne les aimoit pas, la fit taire. Qu'on m'habille, je veux aller me promener. Celle qui devoit lui donner fes nvules ne fe trouve pas, Sc perfonne n'ofe empiéter fur les droits de fa charge. Funeftine impatiente fe jete pieds nuds en bas du lit, & fait une glilfade peu modefte : aiure cérémonjal aufti impertinent, pour lui metcre un peu d'eau-de-vie de lavande fiirune légere écorciiuxe qu'elle s'étoit.faite au    FUNESTINE. -15 coade. Enfuite oh la prie humblement de cholfic parmi vingr robes a peigner qu'on étale a fa vue 1'une après 1'autre. Qu'on me donne la première venue, dit-elle avec colère, 8c qu'on fe dépêche. Alors on apporte une toilette, la même que les graces avoienr faite pour Vénus. Elle la renverfe, ajoutant d'un air dépité, qu'elle ne veut point fe coïffer, & qu'on eft bien hardi de ne pas attendre fes ordres. Elle pafte par une galerie dans laquelle plufieurs ouvrières lui brodoient un ameublement, elle en trouve le gout déteftable, les chafle, 8c fait jeter 1'étoffe au feu. Oefcendue dans les jardins, une odeur de cédrats, &c de ber-. gamotes, délicieufe pour tóute autre, la met hors d'elle-même. Elle fait venir le jardinier. Miférable, lui dit-elle, veux-tu me faire expirer? Qu'on arrache tout-a-l'heure ces arbres que je détefte, 8c qu'on mette a leur place des pots detubéreufes. Cet homme fimple, mais habile dans fon art, ne connoiflant point le caraclère de Funeftine, lui repréfente modeftement que 1'odeur des rubéreufes étoit eiacore plus forte que cellc des cédrats, & qu'elle porteroit avec plus de violence a la tête de fon altefle. II eut mieux fait. d'obéir que de répliquer. Je crois, dit-elle , qu'on meréfifte? Qu'on enferme ce vieux radoteur dont la phylionomie me déplait. Elle fit d'autres changemens li bifarres, 8c donna des ordres fi étranges  que fi I'heure du diner n'eüt fini fa promenade, •eile auroic tour bouleverfé. Sa fuite, quoiquc prévemie fur fon humeur, par Clair-obfcur, ne laifïa pas d'en êrre épouvantée. Elle paffe brufquement a travers une foule de courtifans qu'elle ne daigne pas regarder, elle entre dans la falie amanger, &fe jete avec précipitation dans un fauteuil placé prés d'une table fervie en vaiffelle d'or, ouvrage du Germain de ce tems-ü. Sa ferviette a peine dépliée, elle découvre le premier plat qui lui tombe fous la main, léve le couverele d'un fecond, d'un troifième, & fucceffivement de tous ceux oü elle peut atteindre; mais n'y rrouvant que du millet; eh quoi! s'écria-t-elle, fe moquet-on de moi, ou me prend-on pourun ferm de Canarie ? Le maïtre d'hótel de quartier, ótant de deffus fa tête un large chapeau d'écorce d'amandier couvert de fonnettes, attribut de fa charge, fe profterne en terre, Sc dit: Très-débonnaire, très-tranquille Sc très-vertueufe fouveraine, vos tres-humbles fujets font attentifs a leurs devoirs, Sc les fentimens de I'admiration refpedueufe que leur infpirent les divines qualités de votre alteffe, font trop intimement gravés au fond de leurs cceurs, pour ofer même concevoir la criminelle idéé de lui déplaire. Le génie Clair-obfcur voulant que ce palais fut pour vous une fource féconde de délices, a pris.  F ü N 1 S T I N E.' *7 foin d'en écarter tout ce qui pouvoic blefler votre délicatefle ; & craignant que 1'odeur ou 1'afpecT: d'une cuifine ne vous fit quelque peine, jl en a banni le défagtéable appareil •, mais fa tendrefle pour vous !e rendant ingénieux, il a communiqué i ces grains, vils en apparenee, la vertu de devenir des mets délicats, Sc les plus propres a flatter votre goüt. Me punifTe a. vos yeux le grand, le terrible Xifiquinima, fi j'en impofe a vorre ahefle & qu'ainfi ne foit: millet, changez-vous en méringues , en tartelettes, & en blanc manger. Funeftine les aimoit beaucoup; mais étourdie par le bruit que faifoient les fonnettes, & piquée au yif de n'avoir point deviné le myftère qu'on venoit de lui expliquer, elle jette fa ferviette au nez du harangtieur , & courc fe cacher dans fendroit le plus reculé de fon appartement. On employa le refte du jour a lacalmer.La faim, plus perfuafive que les difcours les plus éloquens , lui fit entendre raifon. Elle foupa fans bonder, & fans faire d'incartades. Pour la première fpis de fa vie elle parut avoir quelque plaifir. Elle trouvoit fi amufante la méramorphofe du millet qu'elle ne pouvoit fe lafler de la renouyeler. Jamais on n'avoit vu, jamais on n'a vu depuis, tant de tartelettes & tant de méringues enfemble, &c jamais elle n'en avoit tant mangé.  2 8 FuNESTINE. Son médecin vint mal-a- propos troubler fa joie paria grave obfervation que 1'excès desmeilleures chofes étoit nuiiible. Elle étoit extreme dans fes patfions, mais elle s'aimoit, & la crainte d'une indigeftion fut capable de la contenir. Elle diftribua elle - même a fes pages quatre eens bauins de blanc manger, & fortit de table. Après le fouper elle joua au quinze, elle perdit de mauvaife grace, paya de plus mauvaife grace encore , & fe coucha de fort méchante humeur. Le premier jour & les fuivans furent a\ peu prés les mêmes. Que fait-on a la cout? On va, on vient, on manége, on joue, on ne fait rien, on s'ennuye. Environnée des plus belles perfonnes, elle n'en étoit point jaloufe , paree que n'ayant aucune idéé de laideur, ni de beauté, lorfqu'elle fe regardoit dans un miroir, fe trouvant 1'unique de fon efpèce, Ia bonne opinion qu'on a de foi-meme, lui faifoit croire que toutes celles qui ne lui reffembloient pa», étoient des monftres, & que pour elle feule, prodigue d'agrémens, la nature avoit épuifé fes rréfors. Combien voit-on tous les jours de Funeftines qui, contentes d'elles - mêmes , étalent; avec complaifance une figure grotefque, oü Calot auroit trouvé des modèles plus bifarres que ceux qui nous reftent de lui? Le tems a'pprochoic ou fon illufioii devoit fe  FuNESTINE. 2f> diffiper. Que ne m'eft-il permis de dévoiler 1'avenir, qui fe découvre a moi dans l'inftant! Le dieu qui m'éclaire, me défend de communiquer fes faveurs; obéiflbns a fes mouvemens, Sc n'apprenons que par degrés aux mortels curieux la profbndeur Sc 1'économie de fes deffeins. II y avoit dans le palais un cerrain petit homme appelé Quart- d'heure, moitié courtifan, moitic bel-efprit, fur-tout grand faifeur de contes, qu'il embelliflbit de toutes les fades mignardifes qui lui paffbient par la tête. Les femmes en étoient folies, elles le font de tout ce qui les amufej il étoit amoureux d'Imaé, jeune circafïienne que Funeftine aimoit autant qu'alors elle étoit capable d'aimer, c'eft-a-dire, qu'elle la traitoit moins mal que fes compagnes. C'étoit une de ces créarures privilégiées, que les dieux dans leur loifir pvennent quelquefois a tache de rendre accomplies. Quart-d'heure, voulant que 1'amour fervït fo» ambirion , fit tant pat fes intrigues, que Funeftine apprit fon nom,& qu'elle voulut 1'entendre.On le cherche, il arrivé, on l'inttoduit dans le cabiner de la piincefte. On prétend, lui dit-elle, que vous contez agréablement, commencez fans préambule, afin que je puilfeen juger. Quart-d'heure, après une profonde révérence, qu'il fit d'aflez bonne gtace, prit un fiège, car on ne conta ja-  5)0 F u n e s t i n e: mais de bout, a moins de vouloir endormir fes auditeurs, & commeuca de Ia forte. II y a dans une partie du monde un royaume, anciennementconnu fous Ie nom des Ulages (i) , & maintenant fous celui de Facner (2), pays qui, par fes propres richefles, pourroit fe paffer de tous les autres ; mais qui, par 1'induftrie de fes Fiabitans, porte fon commerce jufqu'aux extrémités de Ia terre. Le genre d'hommes qui 1'occupenr, defcend de ces peuples belliqueux, dont Ia valeur fut fi funefte aux tyrans de 1'univers. On lesaccufed'inconftance; mais ce ne peut être tout au plus que dans leurs modes. Treize eens ans d'obéilfance a leurs rois, montrent affez qu'ils n'aiment pas le changement dans les chofes effentielles. Ils font braves, vifs, fpiritnels. Peut-être ont-ils dans le cceur un germe de fupériorité qui fe fait trop fentir a leurs voifins. Ce qui les rend 1'objet de leur envie, les rend en même tems celui de leur imitation. Ils ne font jaloux que d'eux-mêmes; un efprit de critique & de raffinement , auffi nuifible aux arts qu'aux lettres, s'eft emparé de la nation. Celui qui dit le plus de mal des autres, eft celui qui trouve le plus de partifans & de prote&eurs. A cela pres, fi je n etois C 1) Gaules. (1) France,  F U N E S T I N f; Jï point ns fujet de votre altefle, je voudrois lette du monarque qui gouverne ces peuples heureux. C'eft un jeune prince a qui 1'on ne trouve de défauts que de n'en point avoir. Venueux par tempérament, & par religion, le vice eft banni de fa cour, paree qu'il eft banni de fon cceur, & que 1'exemple du maïtre eft une loi vivante qui fe fait obferver d'elle - même. II vient de terminer glorieufement une guerre qu'il n'avoit entreprife que pour affermir la paix. Des fuccès inefpérés ont couronné fa modération, & lui ont rendu Ie cceur & 1'eftime de fes ennemis follement prévenus qu'un long repos avoit énervé le courage de fes foldats , & détruit la fagacité de fes miniftres. Eft-il marié? demanda Funeftine, en in-terrompant Quart-d'heure. Oui, madame, re^ prit -il, mais fon fils unique, 1'amour & 1'efpérance de fon empire, eft a peu prés de lage de votre altefle. Pourquoi ne me vient-il pas voir, continua-t-elle ? Je doute qu'il ait un aufli beau palais que le mien; je lui en donnerois la moicié, 6c aflëz de tréfors, pour foumettre un jour toutes les nations qui n'obéilfent pas a fon pète. Continuez. Je n'ai rien dit & votte altefle, des dames de Facner, elle les connoitra par la fuite de mon difcours. La princefle Blancbe - incarnate, qui eft l'héroïne de mon hiftoire, fortoit a. peiae de Ten*  «i. FuNESTlNË. fance , que, viftime de la polirique , elle fut obligée de quitter fa patrie pour aller faire le bonheur d'un royaume étranger. Je dois,madame,vous en donner une idéé, pour vous faire voir quelle devoit être la félicité du prince a qui on la deftinoir. Quart-d'heure, enrrainé par fa paflion, regarde tendrement Imaé qui étoit préfente, & qu'il crue pouvoir peindre fans que Funeftine s'en appergüt, après un moment de filence , il poutfuit: a quatorze ans fa taille étoit d'une fineffe & d'une élégance qui ne laifToient rien a défirer. Une douceur enchantereffe qui tempéroit la vivacité de deux grands yenx noirs, dont 1'éclat portoit dans les cceurs le trouble & 1'admiration ; un teint de lys & de rofes, a. 1'abri de Ia plus opiniatre infomnie, un nez faconné par les graces, une bouche, ouvrage des mêmes graces, qui ne s'ouvroit que pour faire voir des denrs admirables, que pour diredeschofesfpirituelles&obligeantes, dont un fourire flatreur augmenroit Ie charme; une gorge, des bras , des mains Par malheur ce por- trait avoit trop de rapport a Imaé, & trop peu a\ Funeftine. Elle éroit donc laide cette Blancheincarnate, intetrompit-elle avec émotion, puifqu'elle reflembloit fi fort a mon efclave ? Pardonnez moi, madame, reprit étourdimentle conteur, c'étoit la plus belle perfonne du monde. Et vous ofez me le dire, ajouta-t-elle, en jetant fur lui un  F Ü H É S ± J K E, 8h regard de fureur! li fentit alors toute fonimprudence ; & craignant pour fa vie, & pour celle de fa maïtrefle; il èut rfecours aiax larmes- elles ne touchèrenr- pöint Funeftine qui les fit enfermef tous deux féparémènt dans une prifon obfcure. La maiheureufé princelTe, livrée aux réflexions lesplus amères,nepeutfoutenirlepdids defadotis leur, elle s'abandortne au plus afFreux défefpoin Il eft donc vrai , s'écrioir-elle , en fe frappant Ie vifage, en fe roulant par terre, il eft dönc Vrai que je fuis laide! Je fuis laide,& je le fais! Je ne m'étonne plus de 1'horreur que j'infpire a tous eeux qui me voyerit. Leurs rc-gards diftraits & tu muLs aunsient du me 1'apprendrë. Dieux cruels! Faut-il que j'avoue qu'elle eft jufte! Faut-il que , peu fatisfaits que ma kideur foit votre ouvrage j vous men fa.ffiez fentir toute la difformité ! Jouiflbz de votre haine, Funeftine 6h eft aceablée^ Que dis-je?.Elle s'eft trompée, cette haine barbare , elle ne fert qua redoubler Ia mienne pour vous, Alors jetant par hafard les yeux fur les glacés de fon appartemënt, elle fe voit, elle frémit, elle n'eft plus makrefle dè fes tranfports j elle les brife en mille morceaux : calmée en apparence par leut deftrudion, & he trouvant plus d'objet fur qui elle puiffe exercer fa fureur \ elle va chereher dans le fömmeil qui fuit loin de fej brülantespaupièresjun adoudnement qu'elle ne Tome XXXU Q  |4 FuNESTÏNÉ. devoit pas trouver, Sc que peut être elle n'efpérok pas„ Le lendemain, elle fait venir fes femmes, elles entrent en tremblant, & recoivent toutes a la fois 1'ordre abfolu de ne jamais fe montrer devant elle, Je ne veux plus, leur dit - elle , être fervie que par mes écuyers & par mes pages, qu'on leuE apprenne mes volontés, Sc qu'on me laifle. Ciair- obfcur lut dans fon miroir ce qui fe paffbit dans le palais des événemens; il y vints répara le défordre, Sc pafla chez Funeftine. II la trouva dans cette douleur ftupide, qui fuccède aux grandes agitations. A la vue du génie, fes larmes 8c fes fanglots recommencèrent avec plus de violence. II épuifa toute fa réthorique en vaines confolations, & en confeils encore plus inutiles; elle étoit incapable de rien entendre , laffe de s'en prendre aux dieux qui lui refufen? jufqua la mort, elle s'adreffe au génie, & lui demande le fupplice de Quart - d'heute & d'Imaé» Plus aigrie qu'humiliée par fon refus , elle lui reproche qn'il eft le funefte auteur de toutes fes difgraces , Sc ferme les yeux pour ne point le voir. Peu s'en fallut que, faché a fon tour de la perre de fon éloquence, & de 1'injuftiee de cette petite Mégère, il ne détruisit le palais de fond en comble, Sc ne la reportat fur le champ en Aufr  FVNÈSTINÈ; 35 tralie. La bonte de fon cceur lui fit chan^er dé •deflein, il favoit qu'on fc repent prefque toujours des réfolutions préeipitées, & qu'il ne fa ut recourir aux remèdes extrêmes, qu'après avoir employé tous les autres. A force de rêver aux plus efficaces , il lui vint une idéé qui le flatta fi fort, que, la regardant commo-infaillible, il ne perdit point de tems a la réalifer. II aimoit au commencement du monde une jeune perfonnè auïfi charmante qu'ambitieufe; plus touchée du pouvoir du génie , que fenfiblé a fa tendrefie , elle n'avoit paru répondre a 1'une, que pour tirer parti de 1'autre. Dans un de ces momens imprévus oü I'efprit d'une coquette fliic adroitement employer le langage du cceut ; je vous aime, lui dit-elle, & 1'aveu de ma foibleffe ne vous a couté que le defir d'en triompher. Je veux en vain mbccuper toute entière du bon* heur de vous plaire 5 deux idéés également & cheufes me troublent & m'agitent. Je crains votre inconftance, paree que je crains la fin de mes charmes; je me plaindrois de votre peu de délicatere, fi Ton pouvoit fe plaindre dece qu'on adore. Vous pouvez ralfurer votre amante, vous pouvez la rendre heureufe , & vous attendez qu'elle vous en prie! Clair-obfcur, qui tout ha, bile qu'il étoit, ou qu'il croyoit I'être, I'étoit moins que fa maitrelfe, illuijura par le déluge, Cij  F Ü N E S T I Ü E. ferment facré parmi les génies , qu'il l'aimört éperdument, & qu'il étoir prêt de lui en dort* lie*r toutes les preuves qu'elle voudroit exiger. £h bien , dit-elle , fans lui donnet le tems de la réflexion , faites-moi fée : vous voyez par certe demande que je fonge plus a vous qua moimème j votre félicité fera le pfix du don que vous ïn'accorderez. Sur de mon cceur, vous le ferez de ma beauté. Le génie, pris pour dupe, fit de bonne grace ce qu'il ne pouvoit refufer ; il y rnit feulement une petite reftriclion mentale, dont elle ne fongea point a prévenir 1'erfet. Quand on obtient plus qu'on n'efpère, on regarde les chofes du feul coté qui flatte. Peu de tems après elle accoucha d'une petite fée qui fut mère, grand'mère & bifayeule d'une autre. Et de li font forties ces innombrables immortelles qui ont fait dans 1'univers tant de merveilles en bien & en mal. Clair-obfcur, par la réferve dotfï j'ai parlé; étoit maitre d'öter, ou de conferver aux fées 1'immorraliré qu'il leur avoit accordée en la perfonne de fa maitrelfe : elles ignoroient ce privilége , lui-même 1'avoit oublié , ou ne s'en étoit point fervi, paree que jufqu'alors elles s'étoient rarement écartées de la reconnoiifance qu'elles lui devoient. .11 s'en fouvint , & ne doutant point que 1'efpoir ou la crainte qu'il fe promettok  FuNESTlNE. 37 d'employer a propos , ne les difposat a concourir au changement de Funeftine , il réfolut de les convoquer. J'entends ici trois ou quatre de ces connoiffeurs tranfcendans a qui rien n'échappe , 8c qui donnent le ton dansles ruelles de ces imbécilles précieufes dont ils font les oracles, me faire une objection qu'ils croyent fans réplique. A quoi bon, s'écrieront-ils, en lifant eet endroit, a quoi bon 1'auteur défceuvré de ce conté infipide fait-il recourir aux fées fon benêt de génie! Qui peut donner 1'immortaüté , peut défenlaidir une mortelle. 'Doucement, meffieurs. Qui vous a dit que 1'un eft auffi facile que 1'autre? Que vous ai-je dit moi-même? que Clair-obfcur avoit du pouvoir. Je m'en fuis tenu la ; je n'en ai poinc fait un dieu, tout au plus je n'en ai fait qu'un dieu de 1'Iliade. Vous faites bien voir que vous n'avez guère feuilleté le livre des deftinées. Paffez outre, mes négligences fourniront une plus vafte matière a votre critique, exercez-la tout a votre aife; je vous permets d'en rire, je ne vous promets pas d'être plus exact. Etes-vous contens? Non, vous ne 1'êtes pas. Vous cherchez moins a nuire a 1'ouvrage qu'a 1'aureur. Votre malignité ne trouve point fon compte avec moi, rien de fufpect dans mes allégories , rien qui foit fufceptible de finiftres appiications , rien C iij  FüNESTINE, dans mes portraits qui puifle blefler la religion , ou la délicatelle des grands que je refpefte. Calomniez, je ne vous crains pas. Quoi qu'il en foit , il leur fit ordonner, fous peine d'encourir fon indignation , de fe rendre le même jour dans le palais des évènemens, elles étoient alors toutes enfemble, paree que dans ce moment il ne fe pafioit rien dans le monde qui demandat leur préfence ; nulle reine prète d'accoucher, par conféquent nul prince, nulle prin^ cefTe a douer de bonnes ou de mauvaifes quaIjtés. Elles fe doutèrent du fujet pour lequel on les mandoit. Fachées d'une citation fi impérieufe s fi précipitée , elles auroient bien voulu ne poinE obéir : ce fur leur première idéé; mais ne pour Vant pas s'en difpenfer , elles vinrent , après, s'être mutuellement juré de ne rien accorder aux priéres, ni aux menaces du génie. Si 1'on nous avoit confultées, difoient-elles, en traverfant les cours qu'elles critiquoient 1'une après 1'autre, eet édifice ne feroit pas fi ridicule. Pour faire du grand , il ne fuffit pas de prodiguer 1'or & les, pierreries, il faur de 1'entente. Quel amas con, fus de beautés qui fe nuifent ! Quelle lourde archite&ure! Quelle mauflade diltribution! (Tous cela n'étoit point vrai; mais elles étoient fachées). Détruifons tout-a-l'heure ce batiment qui  Funestike; 39 nous choque, précipitons-en les ruines au fond de la mer. II ne nous faut qu'un moment pour en élever un nouveau, qui fan*e fentir a. notre tyran que notte .goüt répond a notre puidance. Elles alloient mettre la main a 1'ceuvre, lorfque Clair obfcur , averti de leur arrivée , les fit entrer au confeil. Le maitre des cérémonies, revêtu d'une fimarre de peau de caméléon , ouvre uri gros régiftre, les appellc toutes par leurs noms & par leurs attributs , & les place chacune felon fon rang. On s'appergut qu'il en manquoit deux des plus puilfantes & des plus modérées. Comme elles ne demeuroient point dans 1'empire des autres, & qu'on avoit oublié de les faire avertir, Clair-obfcur ne dit mot; il comptoit même fi foibfement fur la complaifance des premières, qu'il fut bien aife de fe ménager une relfource dans 1'amicié de celles-ci. Trait de ptudence que 1'évènement juftifia dans la fuite. On entendit pendant une demi-heure un bourdonnement femblable a celui que font les abeilles qui fortent de leurs ruches. Les huiffiers e urent beau crier qu'on falfe filence , on ne put en impofer a ces caufeufes, qui ne cefsèrent que lorfqu'elles furent laiïes de babiller. Le génie plus véhément que Démofthène , plus diffus que Cicéron, leur dit : Je ne me plains pas qu'irritées, fansdoute contre la mère Civ  4? ÏUNESTINE,' de Funeftine, vousayez vengé vos injures, fur fa fille , yous ignoriez a fa najftance que je !a defti-? nerois un jour au prince Formofe. Je me piains feulement que la connoiflance de mes deïTeins fur cette princefle , n'ait rien pris fur votre haine, Sc que jufqu'a préfent vous n'ayez répandu fur elle aucun de ces dons favorables que vous prodiguez ailleurs fans rhoix Sc fans mefure. Je ne doutp point que la démarche a laquelle je m'a-r baifle aujourd'hui , ne vous faiTe renner dans vous-même. II y va de votre intérêt & de votre gloire de ne point mécontenter un fouverain a, qui vous ayez les obljgations les plus eflentielles, yn fouverain qui veut bien tenir a titre de giace ce qu'il pourroit exiger comme un devoir. Ne jn'obligez point, par votre ingratitude , ou par votre obftination , a me repentir de mes bien, faits, Que celles d'entre vous, qui n'ont ppinn contribué a la laideur & aux défauts de Funefr tine, trayaillent a. les effacer, Je veux bien pas? condefcendance pour les autres ne les point for-r eer a détruire leur ouvrage. Je fais plus, je leurpardonne en faveur des bien intentionnées. Jugez routes.de ma bonté, par un difcours fi affeótueux, Je prie, je n'ordonne pas •, pefez ce ferme, Cemez-. en toute Ja force & féparons nous bons amis, A ces mots, il s'éleva dans 1'aiTemblée un fré* miifenientgénéral, dontle Génie tira un mauvajs;  F U N E S T I N E. 41 augure. Une Fée aigre & précieufe marqua par un gefte de la main, qu'elle vouloit parler, on fe tuc pour 1'écouter. On nous affemble , dit-elle , a grand bruir. A quoife termine la peinequ'on nous donne d'abandonner nos foyers ? A des reproches, a des menaces. On.ya plus loin, on nous demande compte de 1'ufage que nous faifons de notre puiflance. •treprife inouïe , & dont ce jour fourrjit le premier exemple. Nous fommes libres. Voili quelle pourroit être notre unique réponfe. Mais afin qu'on ne nous accufe pas d'agir par caprice dans' la difpenfation de notre autorité , entrons dans Je détail, & réfutons article par article le difcours peu mefuré qu'on vient de nous faire. La princefle eft laide , elle eft haïflable , donc nous en fommes caufe. $s peut-elle fans nous , être Van & 1'autre ? Convenons cependaut que nous nous fommes prifes^de haine pour elle. Ce qui paroit une injuftice i Clair - obfcur , eft un cffet de notre fagefle. Nous favions que fa beauté porteroit par-toutle trouble & le défefpoir. Nous 3vous garanti milleinfortunés, d'une mort prémafurée. Formofe doit 1'époufer. Donc nous fommes obügées de faire un iniracle pour la rendre digne de lui. Peut-être ne 1'eft-elle que trop. Ce pcre , fi prévenu pour fon fils , ignore-t il qu'il &oi\ être }a terreur de l'uiiiyers j &c notre plus  41 F B S E 5 T I H !, mortel enneroi ? Nous corïnolc-il aflez mal, ponr imaginerque la crainte de lui déplaire nous force a rechercher fes bonnes graces ? Qu'd apprenné qu'inébranlables dans nos averfious & dans iios amitiés, elles font immortelles comme nous. Aü rede , ajouta-t-elle, en s'adreflant au Génie, pour vous montrer que nous fommes capables de générofité , lorfqu'on ne veut point nous contraindre , nous vous offrons de fervir votre tendrelTe pour Formofe , en lui proeurant une belle femme, puifque vous voulez fifonement qu'il en ait une. Funeftine a une fceur , nous épuiferons toute notre puiflance pour la rendre accomplie. N'attendez rien de plus. L'effort que nous voulons bien nous faire eft aflez grand , pour n'en point exiger d'autre. Voyez Non , interrompit Clair-obfcur enflammé de colère , non , je ne change point mes arrangemens , ce feroit recevoir la \oi, quand je puis la donner. Croyez-moi, n'abufez point de ma douceur , fi une fois. . . 11 vouloit ne point achever par bonté de cceur ; mais une rifée infultame émüt fabile. Je fens que je me fache , continuat-il, prenez-y garde, je vous avertis que ma colère aura des fuites terribles. Je veux bien encore vous accorder deux minutes, profitez en pour prendre une réfolution plus raifonnable 5 après quoi je n'écoute plus rien.  FuNESTINE. 4j II n'eft pas befoin d'une plus longue délibération , répartit une jeune étourdie, en badinant avec fon éventail, voiis ne voulez rien changer dans vos idéés, nous ne voulons rien changer dans les norres; & pour yous faire voir combien nous fommes peu fufceptibles de crainte , ou d'inconftance , je vous déclare, au nom de mes compagnes , que Funeftine reftera laide, paree que vous fouhaitez qu'elle cefte de 1'être , & que Rêveufe fa fceur, i laquelle vous ne vous intéreffez point, eft déja la plus belle perfonne du monde. L'arrêt, que je viens de prononcer eft jrrévocable. La Fée n'ignoroit point qu'il y avoit un moyen d'embellir 1'ame & le corps de Funeftine ; mais elle eut la malice de n'en point parler. Elle fe flattoit même d'avoir le tems d'y mettre un obftacle invincible. Cette impertinente harangue fut univerfellement applaudie. Clair-obfcur y fit une réponfe a laquelle cette tumultueufe alfemblée ne s'attendoit pas. Hé bien , s'écria-r-il hors de lui même, pmfque la perfuafion ne peur aniollir 1'inflexibilitéde votre haine, il fautrecourirala vengeance, Tremblez , ingrates, la foudre va partir. Je vous avois gratifiées du don précieux de 1'immortalité , je vous en privé ; ahez loin de mes yeux jouir de votre folie indépendance, & du plaifir de mal faire, ce ne feta pas potir Jong tems, je  44. F U N E S T I N E.' vous dévoue a la mort, & a toutes les frayeürs qu'elle infpire. L'alTembiéerompue,les fées rerournèrentchez elles , plus fatisfaites d'avoir bravé le Génie, qu'alarmées de fes menaces qu'elles regafdóient moins comme 1'effet de fon pouvoir, que comme 1'expreflion d'un vain reftentiment. La mort de quelques-unes diflipa Terreur des autres; mais leur entière deftrudion étoit réfervée a Formofe. Clair-obfcur, mortiné du peu de fuccès da fon entreprife , partit fans revoir Funeftine. Qu'auroit-il pu luidire ? Un mouvement de curiofné lui fit prendre la route d'Auftralie, il trouva la cour dans les premiers tranfports deradmiranou, & de la jaloufie que caufoit le changement qui venoitde fefaite dans la perfonne de Rèveufe.11 la vit, & ne put réfifter a tant de charmes; il eut beau fe dire , que fa beauté merveilleufe étoit un préfent de fes ennemics, il ne 1'en trouva , ni moins belle, ni moins féduifante. Ce Génie, comme on a pu le remarquer , n'avoit guète plus d'efprit que de bon fens. L'amour détruifit 1'un, & n'auc;menta point 1'autre. 11 voulut fur le champ découvrir fa paffion ; la timidité lui ferma la bouche , les regards & les foupirs ne lui fervirent de rien. Rêveufe ne s'en appercut point. 11 fut deux jours a s'enhardir. Enfin il paria , fans être inretrompu , mais fans obtenir de réponfe.  F u n e s t I n i. 45 La nonchalante princefle rêvoit profondément en brodanc une manchetre , il épuifa tous lés beaux fenrimens qu'il avoit vus dans les brochures modernes. Les mots de tendrefle , de coiiftance , de rigueur , de mépris & de défefpoir furent déplacés & confondus. Rêveufe , qui ne comprenoit rien a ce langage , le regardoit avec diftra&ion , répondoit de travers , Sc fourioit, fans connoitre le prix d'un fourire. Laiffons-le s'oublier auprès de Rêveufe , Sc retournons au palais des évenemens. Funeftine, inftruite de ce qui s'étoit paflë entre les Fées & Clair-obfcur , en fut irritée : bientót la colère fit place a 1'indignation ; de jout en jour elle paroiffbit moins agitée, moins aigre , moins fufieufe. II y avoit de certains momens ou 1'on eüz dit qu'elle n'étoit plus fenfible a. fa faideur. Ce calme n'étoit point un effört de raifon , mais une fuite d'épuifement. Les douleurs les plus exceflïves ont leur période , elles s'affoibliffent d'elles-mêmes , elles deviennent fupportable?. Confultez les gens heureux , examinez ce qui fe paffe dans leur cceur, lorfque la bonne fortune les enivre, ils frémitTent a I'idée feule de fon inconftance, ils ne pourroienr lafupporter fans mourir; les a-r-elle abandonnés? Ils feplaignent, il eft vrai, mais ils ne meurent point, Le tems agit fur eux d'une manière imperceptible, ks regrets  4m s ennuye. 11 faut moins s'en prendre aux auteurs qu'au gout général. Tel ne fait que des bagatelles \ qui feroit capable de faire d'excellentes chofes j mais il veut être lu, peut-être aufli veut4l vivre! Un ouvrage férieux n'eft guère connft q«e de fon auteur; les feules frivoütés font ï la mode, Ie fexe les aime & les dévore, le petit maitre les aoprend & les débite, le magiftrat en fait fon étude, le guerrier s'en délalTe, le philofophe.... j j bonte de Ie dire , le philofophe s'en amufe. Je fuis entraïné par le torrent, je hh un conté de «e. Je le donne, fauf i ne pas attendre qu'on me  48 FüNESTIHI» blame, en me blamant moi-même le premier-, Revenons. II y a vers les quarante-neuf degrés de latitude méridionale, un pays délicieux qu'on nömme' Thyas. La, dans un palais bati fur une éminence, font leur demeure les deux fées dont j'ai parlé plus haut. L'une eft Vertu, 1'autre, lmaginationj unies par les liens charmans de 1'amitié la plus tendre, elles paflent leurs jours a s'aimer & a fe le dire, Vertu joint aux graces d'une phyfionomie flatteufe &c fpirituelle , la douceur du cara&ère, 8c la folidité des fentimens, on fe prévient pour elle a. la première vue. On 1'adore &c 1'on ne cefle jamais de 1'adorer, quand on la eonnoit. Trop modefte pour tirer avantage dc mille qualités brillantes qui frappent tout le monde, elle paroit les ign'orer. La bonté de fon cceur, qui ne s'eft ja^ mais démentie, égale ou-furpafle la juftefle & 1'étendue de fon efprit: fenfible, mais courageufe , elle #fu de boniie heure fe fortifier contrê tous les foibles de fon fexe; inébranlable dans les épreuves les plus accablantes , la fortune ne peut rien contre elle. Ses amis ladmirent, & n'ofent la louer , leurs intéréts lui font chers , leurs plaifirs font les frens. Telle eft Vertu; je me trompey je.n'ai qu'ébauché fon portait. Imagination a pour elle ces dehors brdlans qui  F tf N E S T I N E« 49 qui éblouiflent, on ne 1'approche point fans émotton, on ne la regarde point fans danger, elle fait eprouver tont Ie pouvoirdu je ne fais quoi. Les fons melodieus de fa voix paflent rapidement des oreiIIes,au cceur de ceux qui lëcoutent j généreufe & compatilTante , elle nattend pas qu'on IafolHcitej être malheureux, c'eftavoir droitafes biehfaits; conte-t-e!le Ia plus frivole hiftoriette, les nens dans fa bouche deviennent des chofes, elle attaché autant qu'elle amufe, Ies termes heureux qui feuls peuventrendre fapenfée, fe préfenrenc & s'arrangent d'eux-mêmes. Qui jugeroit d'elle fans IVoir examinée, la croiroir amoureufe de 1'impoffible; il eft vrai que fa vivacité Ia potte au merveilleux, mais Ia raifon Ja ramène toujours aufimple. Belle, fans faire ufage de fa beauté, 1'amour qui ne la quitte point, Vkrrêra dans fes yeux, leur éloquence eft trompeufe. Son cceur n'eft jamais de moirié des défirs qu'ils font nafcre; mais ce qu'elle pofsède éminemmenr,c'eftl3 talent rare de 1'imitation, elle fe transforme en ceux qu'elle imite, on les voit, ce font eux-mêmes; ellene s'en fert jamais que dans les bagatelles\ loin de bleiTer perfonne , les originaux fe recou' noilfent en riant dans leuts copies. Pendant une de ces délicieufes nuits d'été, qaremportent fur 1'éclat du plus beau jour , eli'es fê promenoien t feules fur ujtó terraue planrée d'oran Tonic XXXL D  J.g> F V N E S T I N E. gers, au bas de laquelle coule en ferpenrant le plus beau fleuve du monde. Vertu s'écoit atrêtée, & la regardoit fans parler. A quoi rêvez-vous, lui demanda fon amie? J'admire, lui féponditelle , les -accidens de lumière que produifent les rayons de la lune, 1'effet m'en paroït admirable; vous favez que j'aime ces fortes d'objets., & que je m'en occupe avec plaifir. N'y a-t-il point de danger, reprit ïmagination, de s'y trop arrêter? On pafte d'une idéé a. une autte, on va plus loin qu'on ne voudroir, & fouvent, lorfqu'on revient a foi-même, on eft furpris de fe trouver moins fenlible pour les chofes qu'on voit,que pour celles qu'on ne voic pas. J'ignore, dit Vertu, ce qu'a de dangereux la vue d'une rivière; nous en fommes éloignées ; fi j'étois fur un bareau, je fuis timide, j'avoue que le calme qui règne ne me raflureroit pas, mais Elle vous rend rêveufe, pourfuivit ïmagination, &c c'eft beaucoup. Vous me faites une guerre injufte, reprit Vertu, pourquoi me reprochez-vous une rêverie imaginaire? Me foup. connez-vous?... Non, pourfuivit encore ïmagination , je ne vous foupcorme point de foiblefle; mais je ne vous cache pas qu'il y a long-tems que je fais violence a macuriofité, je brüle de connoïtre le fond de votre cceur. Votre mérite vous a fait mille adorateurs, aucun ne vous a-r-i. parudigne du plus foible retour? Vertu peut être  Fütt ESTINÉ. J J fenfible fans crime, quel que foit votre choix , il ne vous fera point rougir. Parlez, je ne cherche a m'en inftruire que pour 1'approuver, nommezmoi votre vainqueur, vous ferez deux heureuxa la fois, votre amie, & votre amant. Je fais, rcpondit Vertu, qu'il y a des engagemens qu'on peut prendre fans offenfer fon devoir, je fais qu'il y en a que ce devoir autorife, & qu'il jufrifie; mais je ne fuis point dans le cas; on me croit févère , peut-être le fuis-je en effet. Les hommes ne fe livrenr guère a 1'amour, quand ils ne voyent pas 1'efperance a la fuite. On m'a rendu des foins, a qui n'en rend-on pas ? On m'a juré quelquefois uneconftance a lepreuve de tous lesobftacles que je lui pourrois oppofe.-. On cherchoit a me tromper, ou 1'on fe trompoit foi mcme. La retraite des plus emprefles ne m'a point furprife, j erois trop indifférente, trop en garde contre les hom me? pourregretter leurs hommages. Ils n'intéreflbient ni mon cceur , ni mon amour propre. Mais vous, charmante ïmagination, objet du cuite & des vceux de tout ce qui refpire; que vous auriez de chofes a m'apprendre, fi votre confiance égaloit mon amitié! Vous allez voir, lui répondit-eile en TembrafTanr, que je fuis plus fincère, ou moins railbnnable que vous. II y a peu de génies qui n'ayenr foupiré pour moi; née vive & curieufe, je les recevois avec complai- Pif  U FuNESTlNE. fance ; mais fans myftère. J'en avois quelquefois dix ou douze dans ma chambre, c'étoit la volière de madame d'Uffé, je profitois de leurs talens & de leurs lumfères 5 mon efprit s'éclairoit, fans qu'U encoutat rien i mon cceur. MaitrelTe alors de mes fentimens, je traitois ces rivaux avec une ègaliti qui fufpendoit leur inquiétude , & leur jaloufie 5 le plaifir de me voir, la cramte de s'en priver par un éclat indifcret, entretenoit entr'eux une union apparente dont je ne me donnois pas la peine d'approfondit la fincérité. Ce genre de vie avoit fes agrémens; mais il avoit fes vides, ie 1'abandonnai, fans croire que je dulTe jamais le re-tetter, je me faifois illufion 5 je me repentis bieittbt de mon inconRance-, & fans vous, aimable Vertu, je m'en repentirois encore. II y avoir a la cour de mon père une jeune perfonne appellée Nouveauté. Je fis connoilTapoe avec elle : la fympathie nous épatgna le fom de „ous étudier 5 nous nous goutames dès que nous „ous vimes, & nous devïnmes inféparables. Nous ctions convenues de nous confier fans réferve toutes les idéés qui nous pafleroient par la tête. Les plus fingulières, les plus bizarres nous paroiffoient les plus amufantes, & pour ainfi dire, les feules qui puffent nous amufer. Nouveauté touïours ingénieufe, toujours occupée du defir de me plaire, fembloit fe reproduire a chaque inftant.  Funest'ine. 5? Que de feu! Que de faillies! Que de projets! C'éroit un prothée qui prenoit mille formes différentes. Elle avoit une amie dont elle me dit tant de bien que je ne lui donnai point de repos qu'elle ne me ï'eut amenée. Fabuleufe, c'eft fon nom, aufii prévenue pour moi que je 1'étois pour elle, répondit a mes emprelTemens. Jc la vois entrer dans ma chambre, je vole au devant d'e'le, je la carrefTe, je 1'admire, je me félicite. Nouveauté ne 1'avoit point ftattée, elle pofsède ce qu'a de plus fcduifant 1'art d'inventer, & de bien dire ; les graces préfident a tous fes difcours; on ne peut fe laffer de 1'entendre : les fidions les plus incroyables prennent dans fes mains un air de vraifemblance qui manque quelquefois a la vérité même. Le commerce enjoué de ces deux files charmantes, me fit oublier rous mes foupirans, ils voulurent fe plaindre, je ne les écoutai point. Les reproches les plus juftes nous fatiguent, quand ils touchent aux plaifits que nous goütons ailleurs. L'amour .... ïmagination, s'interrompant tout d'un coup, fe mit a rêver, puis reprenant la parole, non, Funeftine, s'éciia-t-elle, vous ne ferez pas toujours malheureufe, la rigueur de votre fort m'attendrit, & la haine de vos ennemis me révolte. Voulez vous, pourfuit-elle, en s'adreflant a Vertu, furprife de cette fubite apofttophe, voulez-vohs Diii  54 Fun'estine; m'aider a faire une adrion cligne de vous & de moi? Allons arracher la princelTe d'Auftralie a fes malheurs, & a fes imperfe&ions. Je vous conterai fon hiftoire en chemin, votre fecours me répond du fuccès de mes idéés. Vertu, qui na jamais laiiTé ëchapper 1'occafion d'être utile aux malheureux, faifit avec plaifir celle qui fe préfente, elles monrent enfemble dans un char de coque de ver a foie, thé par deux aigues marines, & partent. Pendant qu'elles fe rendent au palais des évènemens, Rêveufe , importunée par Clair-obfcur, foitit enfin de fa léchargie; mais ce fut pour lui dire naïvement, qu'elle ne vouloit ni aimer, ni être aimée. Le génie, qui ne 1'en crut pas, fe répandit en nouvelles ptoteftations , elle lui impofa filence avec une hauteur dont il fut déconterté ; fon indolence n'étoit qu'apparente; lorfque quelque paflion la remuoit, ce n'étoir plus la même perfonne, on découvroit en elle beaucoup d'efprit, & beaucoup de fermere. Honteux d'une pafiicn fi déplacée, il en fentit tout le ridicule, He revint chez lui, pour dire adieu a fon fils qu'il trouva occupé de fes préparatifs, il affifta a la revue de fes troupes, par complaifance, car il n'étoit pas guerrier, elles étoient peu nombreufes, mais leftes & bien difciplinées. Prince, lux dit-il, lorfque tout fut difpofc pour fon départ, vous  FUNESTINE. 5/ allez fervir de rnodèle a tous ceux qui dans la fuite des fiècles voudront s'criger en conquérans; vous régnerez fur Ia plus grande partie de 1'univers, que votre bonté vous gagne le cceur de ceux que vous aurez foumis pat la force de vos armes. Je profiterai, répondit Formofe, des confeils de modération dont vous m'honotez. Je fonge , aiouta Clair-obfcur, aux pétils qui menacent vos jours, raiTurez ma tendreffe alarmée, recevez ces armes, elles font a 1 epreuve du canon , & de la foudre. Hé quoi, répartit le prince, indigné de la foiblelfe du génie, vous tremblez autant pour moi, que le foleil rrembla pour Phaëton? Qu'avons nous de commun ? Je rends graces aux dieux, d'avoir un père immortel; mais je fuis charmé de ne le pas être, gardez vos funeftes préfens. De quel prix eft une vie qu'on expofe impunément? II faur favoir qu'on peut mourir a chaque, inftant pour affronter la mort avec honneur. Je ne veux devoir mes fuccès qu'a men courage , & qua la valeur de mes foldats. A vaincre fans péril, on triomphe fans gloirc. A ce trair d'érudition, Clair-obfcur n'eur rien a dire, il embrafle fon fils, ils fe féparenr, il le fuit des yeux, &c le perd dans 1'éloignement. Après le déoart de Formofe, Clair - obfcur Div  5tf F ü N E S T I N E, conrut confulter fon miroir, il n'y trouva que des objets fi brouillés, que, malgré fa vafte pénétration , il s'imagina lire une énigme du mercure : ce qui le troubla plus que rout le refte, fut la vue de deux jeunes perfonnes prêtes a defcendre dans fon He favorite. Sa rendrefie, pour Funeftine , lui fit craindre que ce ne fulfent des fées qui profitoient de fon abfcence pour lui nuire, ou pour 1'enlever. Découragé par rant d'obftacles qu'il n'avoit pu vaincre, il ne favoit plus quel parti prendre.L'idée d'Imagination & de Vertu fit renaïtre 1'efpérance dans fon cceur. Sans perdre de tems, il vole a leur palais, il apprend qu'elles font parties pour celui des événemens, il les fait a rire d'aïles, c'étoit le génie du monde qui faifoit le plus de chemin. II arrivé a propos pour leur donner la main a la defcente de leur char. Tout eflbufflé de fa courfe, il leur dit qu'il ne doutoit plus du bonheur de Funeftine, puifqu'elles paroiftbient s'y intérefler : elles lui répondirenc qu'elles feroient de leur mieux pour y conrribuer, mais qu'il falloit prendre des mefures pour réuftir. Le génie, qui n'éroit point heureux en confeils , auroit bien voulu ne point courir 1'événement de celui-ci. ïmagination paria la première , elle fe chargea de i'efprit de la princefle. Vertu fe chargea de fon cceur, mais elle dir qu'elle avoit befoin d'être aidée par Docilité. Docilité! intec-  Funestine: 5? rompit Clair - obfcur, j'en ai fouvent entendu parler, mais je ne 1'ai jamais vue. Les jeunes geris la craignent, les hommes la méprifent, je crois qu'elle n'eft plus dans le monde. C'eft mon affaire de la trouver, continua-r-elle,je m'offredel'aller chercher. Et moi, dit le genie, je m'offre de vous accompagner, vous allez peut-être loin, quand on voyage feul, on s'ennuye. La fée le remercia poliment, & lui confeilla de batir, pendant fon abfence, une petite maifon ou Funeftine, moins diftraite par la diverfité des objets , feroit plus capable d'attention & de recueillcmenr. II gouta fi fort la fageffe de cette propofition, qu'il fit faire par de nouveaux architecles , un b&timent ftmple, mais fi commode, qu'il n'y avoit rien a y critiquer. Vertu prit la route des régions hyperborces. La vivoit Docilité parmi quelques illuftres malheureux qui, ne préfumant rien d'eux-mêmes , foutenoient fans murmurer, le renverfement de leur fortune , & 1'injuftice de leurs perfécureurs. En paffant au-deflus d'une cabane, elle vit un jeune homme qui, d'un air modefte & tranquille, cultivoit des légumes que fon induftrie avoit préfervés des rigueurs du climat. Elle prit la figure d'un vieillard , & 1'aborda. Mon fils , lui dit-elle, je cherche Docilité, n'eft-elle point avec vous?  '5* FuNESTINE. Hélas, répondit le folitaire, elle a fait quelque tems toute la confolation de ma vie; mais je Tai perdue, & je n'efpère plus qu'elle revienne. Pourquoi vous a-t-elle quitté, reprit Vertu?Par ma faure, ajoata Ie jeune hom me en retenant fes larmes , mais vous avez, fans doute , befoin de repos. Voila, mon père, pourfuivit-il, en monrrant fa cabane, le feul palais que je puifle vous ofFrir, honorez-le de votre préfence,& daignez-y recevoir un repas frugal, tel que me le permet ma fortune préfente. Vertu le fuivit, elle mangea , ou fit femblant de manger des fruits qu'il lui prefenta dans une corbeille de jonc; pendant qu'elle admiroit 1'arrangement & ia propreté de fa celluie oü tout fe refientoit du bon efprit du maitre, il étoit furpris de Ia douceur & de la majefté de fon hóte ; il le regardoit en foupirant, il s'attendriiToit, il n'étoit plus en état de réfifter a fon cceur. Vertu remarqua fon trouble , & lui dit : Vous n'étiez pas fait pour le genre de vie o,ue vous menez; tout annonce en vous une éducation digne d'une grande naiflance ; une difgrace non méritée vous a fans doute conduit dans cette folïtude , vous avez cru vous y mettre a couvert de la malice des hemmes perfides. Ne vous êtes vous point trompé? N'entre- t-il pbim dans cette retraite précipitée autant de dépit que de raifon? Ne me déguifez point vos chagrins:  peut-être ferai je aflez heureux pour en adoucir ramertutne. Quelque dégnifement qu'emprunte Vertu, fon pouvoir eft toujours le même, on en fent 1'erFet par la confiance qu'elle infpire. Le jeune homme lui répondit: je fuis né dans le royaume de Camor, Tlübec eft mon nom; je defcens des premiers fouverains qui régnèrent dans les Indes. Avantage trop frivole pour m'en glorifier. Un homme nouveau , foutenu par le crime & par la fortune , s'empara du tröne de mes ancêtres, ils furent contrahits de chercher un afile dans une terre étrangère. Leurs fujets, depuis quatre fiècles, gémiflent fous la tyrannie, & n'onr pu s'en afFrartchir. Mon père, fe conformant a fon état, vint s'établir a Camor. Le roi, père de celui-ci, foutenoit depuis quelques années, une guerre facheufe contre fes voifins, trois batailles perdues , & d'autres difgraces encore plus funeftes , avoient ouvert a fes ennemis fes provinces dévaftées. Fiers de leurs fuccès & de fes malheurs, ils menacoient de mettre le fiège devant fa capitale. Mon père trouva le moyen de les défunir, il les battit féparément, & les forca de confentir a la paix. Une des premières charges du royaume fut le prix de fes fervices, il m'clevoit dans la vue de me la remettre un jour, & n'éteit occupé qüeda  6° F UNESTINE. foin de m'en rendre digne. Ufebor (i), mon beau-frère, avoit quatre ans plus que moi; cette difFérence n'en mettoit point dans nos fentimens, je 1'avois aimé dès mon enfance, il répondoit a mon amitié, j'en étois d'autant plus flatté, que je le croyois vertueux, & que j'afpirois a le devemr. Ma fceur étoit aimable, elle augmentoit, par fa douceur, 1'agrément d'une union qui paroifioit hors d'atteinte. De fi belles apparences n'avoient rien de folide; mon père mourut trop tot pour elle & pour moi, nous fentimes certe perte dans toute fon étendue; nous lui donnames des pleurs & des regrets dont rien ne devoit tanr la fource ; les dieux y avoient attaché la fin de notre bouheur. Ufebor, pour me tirer de mon abattement, vint me faire fonger a ma forrune, d me dit que je devois folliciter la charge de mon pere. A ce nom chéri mes Iarmes coulèrent avee plus d'abondance. Je n'ai que vingt ans, lui répondis-je; cette charge demande des détails, elle veut de 1'expérience, je né me fens pas capable d en remplir les devoirs, ne m'expofez pas a un refus qui me fermeroit 1'entrée a d'autres graces, fi j'ai quelque jour alfez de vertus pour enmériter; il me fit honte d'un fentiment, danslequel il y avoit, difoit-il, plus de défiance que de vraie (0 Fourbc.  F u n i s t i n a. 6t rnodeftie , il ajouta qu'il alloit, malgré moi, travailler a. foutenir 1'éclat de ma maifon. L'innocence n'eft point foupconneufe, je le remerciai de fon zèle, je lui confiai mes intétêts. II avoit de« amis, il étoit connu du roi, il demanda la charge pour lui-même, & 1'obtint, il couronna fa mauvaife foi par une nouvelle perfidie. Le roi, me dit-il, vous a trouvé trop jeune, il m'a revêtu de votre charge jufqu'a ce que vous foyez en état de I'exercer. Plus farisfait de vous la rendre, mon cher LJlibec , que de la polféder, je le prelferai d'accepter ma démiftion en vorre faveur, le plutot qu'il me fera poffible. Séduit par cette fautlê fincérité, je vivois tranquille; mes amis me difoient quelquefois qu'Ufebor me trompoit; je 1'aimois , j'étois prévenu, je ne pouvois les croire. j'ouvris enfin les yeux; mais il n'étoit plus tems. II avoit autant d'efprit que d'ambition , fa charge le mettoit a portée de parler fouvent au roi, il connut fes foibles, il fut en profiter. Sa faveur & fon crédit devinrent immenfes. II ré fidèles. Algée apprit le danger qui la menacoir j elle courut chez le roi qui refufa de la voir. Sou courage ne 1'abandonna point dans une co«jon n rains, je la rends a votre innocence, reveuez , sa Ulibee , vos perfécuteurs font morts y Algée  FUNESTINE. 75 w règne , vous favez qu'elle aime le mérite Sc la *» vertu !». Tout ee qu'une ame rendre Sc paflionnce peuc éprouver de délices & de raviffement f Ulibee le fentit k la ledture de cette lettre. Algée ne m'a point oublié, difoit-il avec tranfport; Algée aime la vertu. Que ne vous dois-je point, mon père ? Vous avez fauvé la mienne du naufrage, fans vous je ne ferois plus digne de paroin e devant la reine de Camor. Tour a coup, par un retour de défiance, ordinaire a ceux qui aimenr, il retomboit dans fes premières inquiétudes, il doutoit de fon bonheur, il craignoit celui de Cimure. De grace, dit-il au courrier apprenez-moi ce que fait Algée; je fuis informé de rout ce qui a précédé la tenue des états, commencez votre recit a la difgrace d'Ufebor. Cet homme, a qui la reine avoit ordonné de ne rien cacher a Ulibee, le fatisht en ces termes : Après la découverte & Ia punitioii des crimes d'Ufebor, le calme Sc 1'ordre fe rétablirent dans toutes les parties du royaume. La princefle , qui s'érait réfervé la difpenfation des graces, ufa de clémence envers les coupables; le repos de 1'état ne couta de fang a perfonne. Le roi, prenant des fentimens dignes de lui, fe redonnoir aux affaires, il afïiftoit aux confeils, Sc vouloit, difoit- il, fe mettre a la tére de fes troupes: en un mot, il  74 FUNESTINB." commencoit a régner. Ce changement n'eut point de fuites : entrainé par fon penchant ou par fa foiblefle, il difparut. Nous apprimes fa mort prefque auffi-töt que fa mala.die ; le peuple toujours extreme, difoit hautement qu'elle étoit 1'erTet d un poifon lent qu'Ufebor lui avoit donné. Quoi qu'il en foit, on lui fit de magnifiques obsèques. La princefle a été portée fur le trone par tous les vceux de la nation. Sa fageffe & fa bonté s'étendent a tout, on 1'aime , on la refpeóte. Heureux les peuples qui peuvent aimer & refpeóter leurs maitres! Votre fceur a été le premier objet de 1'attention de la reine; mais, feigneur, elle a cru ne devoir point encore paroïtre a la cour; elle s'eft retirée dans une ville qui eft fur votre paflage, vous pourrez la voir en vous en retoutnant. Cimure n'eft point encore marié. Le plus grand feigneur d'Ichionie eft venu complimenter la reine fur fon avénement a la couronne. Ce n'étoit qu'un prétexte , le mariage d'Algée avec ce prince étoit le véritable motif de cette ambaflade. Les tems étoient changés : elle lui dit fans détouc qu'elle avoit obéi a fon frère 3 paree qu'alors elle étoit fujette; mais que la princefle de Camor devenue reine, ne pouvoit difpofer de fa perfonne fans le confentement de fes peuples, dont ce feroit mal pavet le zèle Sc la fidélité que de les  FüNESTINE. 75 foumettrea une domination étrangère. Monfieur 1'ambafladeur, ajouta-t-elle, eet obftacle ne diminue point mon eftime pour votre maïtre; je vous prie de 1'en afturer, & de lui dire que je compte vivre avec lui en bonne intelligence. Cependant, pour ne rien négliger, la reine S'eft mife en état de prévenir les fuites de ce refus; tout étoit tranquille, lorfqu'elle m'a fait partir pour vous chercher; je vous rrouve, feigneur , Sc je loue ies dieux du fuccès de mon voyage, je ne m'arrêtet ai pas a vous répéteftout ce qu'on dit a Camor : cela n'eft point de ma commiflion j mais je puis vous afturer que quels que foient fur vous les deftêins de la reine, elle fera obcie aveuglémenr. A peine eut - il celfé de parler , que Vertu, quittant la figure de vieillard, parut dans tous fes charmes. Dociliré 1'embrafte, Ulibee fe profterne Sc 1'adore. Venez, lui dit-elle, je veux vous préfenter moi-meme a la reine de Camor. ïls arrivent. Algée recut UHbec en fouveraine , c'eft i-dire, fans marquer trop d'emprelfement, Sc fans affeder trop de froideur. L'amour, arfêté par la préfence de Vertu, garda toutes les bienféances; mais il ne perdit rien de fes droits. Dus qu'elle eut afturé le bonheur de ces ïlluftres amans, elle pria Docjlité de Paccompagner, Sc reviat aupres de funeftine. Difons en peu de  7^ F U N E S T I N E.' mots ce qui s'étoit paffe dans le palais des évé-< nemens. La princeffe s'occupoit a fe garantir des pourfuires de la fée Mouche , lorfque Clair - obfcur vint lui préfentet ïmagination , elle les recut comme elle recevoit tous ceux qui venoient lui rendre vifite, c'eft-a-dire, fans les regarder iri Fun ni 1'autre. Ou délivrez - moi, dit-elle brufquement au génie, de cette mouche importune, ou je vais me jeter par la fenêtre. II eut peur qu'elle ne tffit parole, & fit pour la prendre, plufieurs tentatives fi mal-adroites, qu'il en couta quelques meurtriffures a 1'impatiënte princeffe qui lui jeta a la tête tout ce qu'elle trouva fous fa main. ïmagination ne put s'empêcher de foutire ; mais voyanr que la querelle commencoit a s'échauffer , elle fit figne a Clair - obfcur de fe retirer. II faut avouer, dit-il, en fortanr, que voila une mauffade petite créarure. Reftées feules, ïmagination lui dit avec douceur, que Pemportement eft une chofe affreufe dans une jeune perfonne ; Funeftine étoit peu faite aux remontrances, elle voulut répondre avec fierté , mais retentie par un pouvoir invifible, elle s'arrête, les yeux attachés fur ïmagination, dont l'air majeftueux & flatteur lui caufe des mouvemens qu'elle n'avoit point encore éprouvés. La fée s'en appercut j & pour achever de la gaguer, elle  FüNESTINE. 77 guetta la cruelle mouche, qui continuoit de k lutiner; elle Ia faifit, & l'immola fur-Ie-champ. Eh! qui êtes vous, lui demanda Funeftine d'un ton de furprife & de reconnoiftance ? Vous me donnez des confeils qui ne me révoltentpoint, vous me rendez attentive, fenfible , & vous débutez avec moi pat un fervice que je n'oublierai jamais. Quel dieu vous envoie a mon fecours? N'en êtes-vous point un vous-même? Elle lui ré-1 pondit: je fuis Ïmagination, je viens Vous de-1 mander votre amitié, & vous offrir rout ce qui dépend de la mienne. Vous êtes ïmagination, répliqua k princeffe avec dépït ? Vous n'êtes donci point mon amie, & je ne puis être la votre. Mon fort eft d'êcre bifarre & malhetireufe : je commencois a me prévenir pour vous fans vous atmer,quand je fais qui vous êtes. Je fuis laide, je n'ai que des idéés triftes, je ne puis en avoit d'autres , n'aigriffezpoint les maux que je fouftre par 1'image de ceux que je dois fouffirir un jour. Je ne fuis que trop ingénieufe a me tourmenter. Le plus grand bien qui puifle m'arriver , c'eft de' ne point penfer, ou de ne rien fentir • laiflez-moi, s'il eft pofTible , oublier que je fais autant d'horreur aux auttes que ja m'en fais a moi - même, portez ailleuts les charmes de vos illufions, leur doueeur n'eft point faite pour une infortunée qui craint tour, & qui ne dok rien efpérer. Née fille  7& FüNESTINE. d'un grand roi, ma vue le rend barbare, il m'expofe a des bêres fauvages. Clair - obfcur s que ne me lailToit-il dévorer! Clair-obfcur, par une pitié cruelle, m'arrache a la mort. II s'eftorce de corriger 1'influence qui me perfécute j fes foins & fon pouvoir font inutiles, rien n'en peut vaincre la malignité, les dieux om épuifé fur moi'route leur colère. Je fuis injufte, facheufe, intraitable , tout me déplaït, tout m'irrite. Formofe, qu'on me deftine , eft 1'objet de ma haine, je fuis 1'objet de la (ienne; le fafte de ce palais m'importune, je 1'ai rempli de mes extravagancCs, chaque inftant de ma vie eft une nouvelle difgrace. Tout m'afflige, me nuit & confpire a me nuire, Cet aveu (incère de mes défauts vous étonne, iï m'étonne moi-mème: pourquoi vous 1'ai-je fair* puifqu'il doit me rendre plus malheureufe? Le calme rrompeur qui fufpend ma violence , va bientot fe diftiper, & 1'augmenter.-, oui, je fens plus vivement que jamais que je fuis haïlfable j pour comble de maüx, je fens que je ne puis rien faire pour cefter de 1'être. Fuyez, ïmagination, & s'il eft vrai que vous foyez fenfible aux peines de Funeftine, envoyez-lui par pitié la mort ou 1* üupidité. ïmagination fut touchée d'un-difcouts qui mat'  FüNESTINE. 79 quoit moins de fureur que d'attendriflemenr. Non, lui dit-elle, en effiiyant fes larmes, vous n'êtes point aufti malheureufe que vous eroyez letre, ceffez de me craindre, & de vous défeftpérer. Au lieu d'accufer les dieu'x d'injuftice vous devez leur rendre des graces. Calmez-vous, & ne m'interrompez point. Vous avez de l'efprit.ce don feul vaut tous ceux qui.-femblent vous manquer. Commencez a vous en fervir. Modérez cette impétuofité qui fait votre fupplice 8c celui des autres. Songez, pour adoucir vos regrets, que cette beauté dont la privation vous met de fi mauvaife humeur, eft une chimère qui depend duhafard, ou de 1'opinion. Ceffez de regarder comme le fouverain bien, un avantage que vous n'avez pu vous donner, & que vous nepourriez conferver. Maïs dites-moi, Funeftine, en quoi faites-vous confifter cette beauté, qui eft l'objer de tous vos défirs? Avouez que, vous la placez toute entière dans un certain arrangement de traits, dans je ne fais quel éclat qui vous a frappée dans Imaé ? Vous n'en avez point d'idée plus diftinóte. Sortez d'erreur. II en eft une autre plus précieufe, plus dénrable qu'on peut acquérir, & qu'on ne perd jamais. Elle eft au-dedans de vous, travaillez a la développer; elle fe laiffe ttouver quand on'la cherche, elle aime a fe communiquer j il ne faut pour la fixer que de la douceur, que de la fimoli-  8o FÜNESTINE* cité; elle éiève les fentimensj eile perfectionneles talens, & les met dans tout leuf joüi; elle fait pafter de la juftefle d'efprit l la droiture du cceur;* Je ne puis que vous montrer le cherrün qui con-1 duit a fon remple, Vertu vous en ouvnra le fanctuaire, fi vous fuivez fes confeils, attendez roüt des dieux , & de vous-même, je ne vous révèle point 1'avenir, mais je vous permets de vous oecuper d'objets agréables , & de porter vos vues fur ce qui peut vous flatter aufli loin qu'elles pourront s'étendre. Cé difcours fit une fi vive imptélfion fur Funeftine , qu'elle étoit comme hors d'elle - même. On ne paffe point fans agitation d'un état a un autre ; la joie imprévue affecte autant que la douleur, la fienne étoit remplie de trouble &d'inquiétude , elle regardoit ïmagination, elle en détournoit les yeux ; elle foupiroit, elle lui baifoit les mainsavec tranfport, elle vouloit kimarquer fa reconnoiffance , elle ne trouvoit point de tetmes pour 1'exprimer; fes penfées fe confondoient, elles reffemblaient aux rêves d'un malade, ïmagination s'applaudifloit des mouvemens que fa préfence excitoit dans 1'ame de Funeftine , elle voyoit avec plaifir toute 1'étendue de fa fenfibilité •, quand elle eut alfez joui de fon ttiomphe, elle la rendit a elle même. La princeffe lui dit alors: vous avez commencé mot» bonheur, ache- vèz  F V H £ S T I M £. 3r *2z votre ouvrage, faites-moi connoitre cette Vertu t dont je ne fais encore que Ie nom , mais pour la.melle je me fens aurant d'empréifcment que vous m'avez infpiré de tendrelfe pour vou f Ïmagination Iona fon imparience , & promit de la fatisfaire, fans lui dire le jour ; elle avoit fes vues. L'auteur qüe je fraduits, s'écrie en cet endroit. Trop heureufe Funeftine, vous u'avez plus de retour facheux i craindre , vos maux font finis, Ie calme dont vous jouifTez n'eft qa>une foible image du bonheur que 1'avenir vous prépare. r Un fonge myftérieux I'occtipa toure Ia hult, elle netoit point encoreéveillée.quand ïmagination la rirant par le bras, 1'avertit qu'il étoit tems de fe rendre auprès de Vertu; Divine fée lui du la princeffe, je fuis prête a vous fuivremais, s'il eft vrai, comme je n'en doute pas, que' nennevousfoitcaché, joignez d rous les bienfci» que , ai deja recus de vous, la compla.fance de mexphquer le fens d'un rêve trop bien fuivi pour netrequ'une illufïon. Le fommeil, que je ne connoiffois plus, revint desquevousm'eatesquittée. On dit que les id^es du jout le retracent pendant la nuit, tien de femblable ne m'eft amte. Quelque prefente que Tomé XXXL F  $2 F U N E S T I N E." vous fufliez I mon cceur, je vous avois oubliée. A peine étois-je endormie , que je me trouvai dan-s une vallée 6 profonde que ma vue ne pouvoir atteindre au fommet des montagnes qui m'environnoient, je rnarchois furdes flenrs qui m'étoient mconnuesje n'en avois jamais vu de femblables,. elles parfumoient Pair, & 1'enmelliftbient, j'en fis une guirlande , elles perdoient leurs conleurs , elles fe fanoient i mefure que je les arrangeois; cependanr j.e ne fentois pas moins de plaifir i m'en parer. J'étois dans un chemin qui tbndtfSJ foit a un fleuve que je voyois dans 1'éloignement, je le fuivis; une voix que j'entendis derrière moi, me cria, Funeftine, arrêtez, vous aller, trouver des monftres dont vous ferez dévorée , je vous oftre un afile contr'eux f un mouvement in* volontaire me fit tourner la tête , dieux! que visje? Un dragon qui me pourfuivoit, fes fiflemenshorribles me glacèrent de frayeur, un bruit épouvantable 1'augmenta, je me mis * fuir de toutesmes farces, j'arrivai hors d'haleine au bord du fleuve, fy trouvai un petit bateau dans lequel je me jerai 5 U y avoit une femme d'une phyfionomie équivoque, je la priai de me pafler de 1'autre cbté , la perfide fir femblant d'y confentir } mais elle m'enveloppa de filets prefqu'imperceptibles, qui me ferroient fi éttoitement gue je na  £ Ü N E S T I N E. ^ pouvois remner , elle me remic a terre ; elle difparut, & revint fuivie d'une foule demonftres de toute efpèce qu'elle animoit contre moi, je crus que j'aüois en être la proie, Ia mort me parut inévitable,je 1'attendis, fans m'abaiffer a pnermon ennemie, & fans qu'il m'échappac tin foupir. L'affreux dragon ouvroitdéja lagueule pour m'engloutir • j'étois dans eet état Iorfqu'uü oifeau du plus beau plumage du monde vint becqueter mes ifenx; je reftois immobile, fans fonger mêmea le feconder; il vint i bout de les rompre, & s'envola fur un arbre ; j'avois un afc & des flèchesj je m'en fervis, le dragon fut rna première victime, tous mes coups portoient,' les monflxes étoient moins ardens a iri'arttcfirtér* Inais j'épmfai mon earqüois (ans pouvoir les détmife'; le bel oifeau vint encore a mon fecours, il leur crevoit les yeux a coups de bec, enfin ïfe prirent la fuite. Je ris a mon libérateur des remercieniens que je m'efforcois de proporrionner au fervice qu'il venoit de me rendre; au lieu de me répondre, il me prit fut fes ailes, & me trarifi porra d'un vol rapide fur une de ces montagnes dont je vous ai parlé, C'eft ld, Funeftine, me dit-il, en me montrant un temple fitué fur une tnontagne encore plus haute ; c'eftdd que vous devez chercher la fin de vos peines, je ne puis Fi/  jU ï V K ï « t ï « B? vous y conduite. Vous ne pouvez m'y conduirej lui'répondis-je en foupirant, qui m'aidera donc a me débarrarter des ronces épaiflbs qui m'envirunneut? Nul chemirt ne s'orTre a mes regardsj je périm dansce défevt. Hélas! je le vis s'envoler, je fentis toute la bizarrerie, toute la rigueur de ma deftinée qui ne m'avoit délivrée d'un danget que pour m'expofet a un autre. Mon courage s'affoiblit; incertaine de ce que je devois faire, je m'appercus que je traincis encore un refte de mes liens, je m'endébarraflai; ma fermetépnt le detrus5jefranchislesobftacles-,j'arrivaial'enceiiite dutemple,le vifage meurtri, les mains & les pieds tout en fang j je fouffrois des douleurs mexprimables, je pleurois amèrement, je ne pouvois plus me foutenir, je me couchai fous un arbre, fon ombre m'avoit raffraichie, je commencois a refpiver , mes forces étoient revenues, je me levois pour frapper a la porte, lorfqu'une jeune perfonne admirablement belle vint m'arrêter, je je la regardois de eet air pénétré, qui marqué fi bien le plaifir qu'on relTent. j e me trouvois fi laide auprès d'eUe, que j'étois furprife qu'elle ne füt point choquéede ma laideur,je lui en favois gré, je n'étois plus makrem; de mon cceur, il m'échap-. Poli:' j' Ou allez-vous? me demanda-t-elle, du4  FüNESTINE. 3$ ton de voix dont la douceur augmentoit encore le pouvoir de fes charmes. DéefTe , lui répondis - je, car , mes yeux ne me trompent poinr, vous êtes une divinité , je vais dans le temple voifin chercher un remède au trouble qui m'agite. Donnez-vous en bien de garde, reprit-elle, la déelfe qu'on y adore, eft une prude fauvage, d'un accès difEcile , & d'un commerce facheux. Vous ne parviendrez a fon fanctuaire qu'après les épreuves les plus rudesj quand vous y ferez parvenue , elle vous traitera comme une efclave; fans moi vous alliez faire une imprudence , qui eut empoifonnc le refte de vos jours : rendez grace a. votre bon genie, c'eft 1 ui qui m'envoye a votte fecours ; venez dans mon palais, vous y trouverez le vrai bonheur. Je 1'écoutois avec plaifir, mais je n'ofois la croire. Je me rappelois le dtfeoufs de mon hdèle oifeau, je lui avois trop d'obligation, pour le foupconner d'avoir voulu me tromper; cependant je ne réfiftois que foiblement, je me femois entrainée. Une femme de la fuite de 1'inconnue , prefque auflï charmaute que fa maitrefte, m'offrit une robe galante, mes habits étoient dans un trop grand défordre pour la refufer. J'étois prêre a m'en revêtir, lorfque deux prêtreftes forti rent du temple. L'uneportoit un voile, qui la cachoit Fiij  FüNESTINE. entièrement, 1'autre, d'une beauté male, mofitroit dans fa démarche une force au-deffus de fort fexe y elles avoient des fouers armés de pointes de fer,. dont elles frappèrent impitoyablement la maitrelfe Sc la fuivante. Emue de compaffion je blamois en moi-même une ff grande inhumanité. Jugez de ma furprife, ces ferames, dont les charmes m'avoient féduite, me parurent alors, des fqueletes hideux Sc décharnés,dontla laideur me fait encore frémir. Quand elles eurent pris la fuite,. les prêtreffes me donncrent la main fans me parler, elles m'introduifirent dans l'enceinte, elles écattèrent un nombre infini de fpectres effrayans qui me feimoient le paflage; ils difparoilfioienr, ils revenoient , enfin ils s'évanouirent. J'entrat dans un fentier ff étroit, fi fcabreux que , fans, un fecours furnaturel, je ferois tombée mille fois dans des précipices qui le bordoient a droite Sc a gauche, J'en fortis. J-'arrivai fans accident art bas du temple; on- y monroit par tant de degrés ,; ils étoient fi gliffans, que je doutai du fuccès de mon entreprife. Un homme couché par rerre augmenta ma défiance; ia trifteffe & la langueur étoient peintes fur fon vifage. Ëfpérez - vous, me dit - il d'une voix mal articulée, jeune & foible comme vous 1'êtes, vaincre des difficultéï qui m'ont rqbuté ? Vous y fuceomberez. Que  1 B » 't S T 1 N E. $7 mon exemple vous apprenne a mefuter vos forces) croyez-moi, retournez fut vos pas Ce ccnftil timide m anêta'quelque tems; mais un defir de gloire me fit paffer outre. J'efluyai tant de fatigues, tant de contradiflions dans cette marche pénible, que je crus y avoir employé une année entière. La porte du temple étoit fermée £ je frappai doucement, on ne me répondit point, je redoublai mes coups, je ne vis perfonne , je m'armai de patience ; j'invoquai la déefTe , je joignis les larmes aux prières, enfin après une longue attente, la porte s'ouvrit d'ellemême. Les dedans du temple ont autant de magnificence que les dehors ont de fimplicité. Il eff orné de grands tableaus qui repréfentent des allégories myltórieufes. Je les confidérois avec atrention , fans pouvoir en pénétrer le fens. Un vieillard afiis fur un globe voulut me 1'expliquer. je ne 1'écoutai point. Le fanctuaire sbfTrit a mes yeux , j'y courus avec ardeur; mais je n'étois pas encore a la fin de mes épreuves. Une femme éclatante de lumière, me prit paria main , elle me fit palfer dans une chambre voifine, on m'óta mes habits, on me plongea dans une cuve pleine d'une liqueur fi forte & fi fpiritueufe, que je n'en pus foutenir 1'effet , un feu dévorant me «onfumoix, je crus qu'une flèche me percoit le F i v  SS PüïfïSTlN*." cceur, je perdis connoiifance j vous êtes venuej je me fuis réveillée. Ce rève, dit ïmagination, n'aara bientot plus d'obfcurité pour vous. Je veux vous laiflet le plaifir de vous y reconnoitre, fi cependant il en échappoit q ïelques traits a votre pénétration , Docilité vous découvrira fes rapports avec la fituation 011 vous êtes. C'eft elle , entre les rnains de qui je vais vous remettre pour quelques jours, c'eft elle qui doit vous ptéfenter a Verta. Eh, quoi! lui demauda Funeftine , vous allez donc rn'abandonner ? Vous rravez plus befojn de rnoi, lui répondit ïmagination, vous fupportez le préfent, vous efpérez bien de 1'avenir, vos inquiétudes font dillipées, les objets agréables ont pris leur place, le récit que je viens d'entendre nie fait voit toute la jufteffe de votre efprit, mor? pouvoir ne s'étend point au-de la de ce que j'ai fait pour vous Je vous ai fait entrevoir le ban^ beur, Vertu feule peut vous Ie procurer, Adieu , Funeftine. Quand vous ferez heureufe, c'eft-.i mais vous tremblerez pour la fienne.  FüNESTINEi IJl La paflïon d'acquérir irend téméraire, celle dé eonferver rend circönfpecl, on Té fonvient malgré foi qu'on eft amant heureux dans 1'inftant ou 1'ori rie doit être que héros. Je connois urt fouterrairt qui donne dans un bois au-dela des ligriès des aftiégeans, j'en fais tous les détours; fi la garnifoii avoit été plus nombreufe, je vous Paurois propofée pour faire des förties; mais loin d'être ert érat d'atraquer, a peine pouvons-nous fuffire a gamir nos remparts. Confiez-moi Néodie, je Vous répohs d'elle fur ma tête, je ne demande que dix folddts pour la conduire daris Embarcide, j'efpère même que je ferai de retour aflez-töt pour mourir a vos cotés* Le roi goüta la pfopofition, ce n'éroit pas aflez, il faüoit la faire goüter a la reine, qui penfa le défefpérer par fes larmes & par fa réfiftance. Dès qu'elle s'eft rendue, on la déguife, la nuit étoit avancée, Ie temps preflbit, Sévaris la met au milieu de fon efcorte, ils defcendent, les ténèbres & le filence les favorifenr, ils ont franchi i'ilfue, & fe croyent hors de danger, lorfque par un de ces coups de hafard fi communs a la guerre, Formofe a qui 1'on avoit montré ce même fouterrain, étoit pret d'y entrer a Ia têtê de cent hommes. Que peut la valeur contre Ie nombre? Sévaris eft tué avec deux de fes compagnons, les autres blefles la plupart, & ne fachant point que Néodie eft parmi eux, fe dif- lij  J?1 FÜNESTINE. pofent a fuir. II s'élève une voix qui crie, camarades, fauvez la reine, & laiftez-moi fouten!t 1'effott de \'enneini. Ce peu de paroles eft enrendu par Formofe, qui donne ordre qu'on fufpende Ie combat, & qu'on ne fafle que des prifonniêrs. ^ Cependanr 1'inconnu 1'attaque avec une vigueur, qui letonne, Le deftrudeur de tant de nations eft obligé de difputer fa vle contre üh fimple foldat. lis s'animent, ils fe portent des coups terribles, leurs armes volent eh pièces, Ie fang coule de toutes les parties de leur corps. Embarcès tombe couvert de bleflures. Quel autre qu'Embarcès euc pu tenir contre Formofe! 11 faifoit affez de jour pourdiftlnguer lesobjets. O ciel, s'écrie un des ftens, le roi eft mort. Formofe le reconnoïc, le fait potter dans fa rente, & fans fonger ï 1'ètat ou il eft lui même, il chefche la reine. Empreflement inutile! On la trouve expiraiite a cóté de Sévaris; il aide a la relever, elle ouvre a peine les yeux; elle demande d'une voix foible oü eft le roi; elle apprend qu'il n'eft point én danger. Je meurs donc contente, ajoute-t-elle, & elle rend ie dernier fonpir entre les bras de • ceux qui la fouciennent. Embarcès guérit, on lui avoit caché la mort de fon époufe. Prince , lui dit Formofe , un ennemi dicrne de moi, les armes a la main, a des droits facrés fur mon cceur, quand il eft défarmé. Ce  ï U N E S I I K E. I?) n'eft pas moi qui vous ai vaincu, c'eft la fortune qui vous a trahi. Je vous rends vos états. Plut aux dieux que mon amitié püt vous rendre Ah'. feigneur, interrompit Embarcès, vous ne m'en dites que ttop ! La reine n'eft plus. De quel ufage peuvent être vos bienfaits pour un malheureux qui ne fonge qu'a fe réunir ace qu'il aime? Quelle eft ma deftmée! L'auteur de tous mes maux m'infpire de la reconnoiffance, &c je mourrai fans le haïr. Non , non, reprit Formofe, vous vivrez pour être aimé de moi, peut-être pour m'aimer vous-même. Prince, mettez le plus grand prix a cette amitié que je vous demande, mon cceur ne trouvera rien d'impoflible pour 1'obtenir. Formofe étoit trop fier pour diffimuler, Embarcès trop généreux pour être ingrat; leur union devint auflï célèbte que leur valeur. L'idée de la reine devint moins vive, elle s'effaca tout a fait, la tendre Néodie fut oubliée. Sur les alles du tems la tiiftefl'e s'envole. Peut-être ce nouvel Enée ne trouva-t-il point de Didon fur fon patfage; mais nous le verrons fe confoler auprès de Rêveufe, comme le premier s'étoit confolé auprès de Lavinie. L'hiftoire d'Embarcès parottra dcplacée, elle me le paroit a moi-même. Nous fommes bifarres 1 iij.  IJ4 FüNESTINE. nous autres auteurs, Tim donne ce qu'il n'a point promis , 1'autre ne donne pas ce qu'il promec, il faut nous pafler quelque chofe. Ce fut a peu prés dans ce remps-la que les Thuvariens vinrent fe plaindte a Formofe de 1'orgueil infupportable des Médoncires. Ce prince ne croy airt pas qu'il fut de fa dignité d'entrer dans une querelle aiifti peu importante , &C qui ne troubloit point la tranquillité de fes autres fujets, les renvoya fans rien décider. Le récit de leurs démêlés n'auroit rien d'intéreflant pour le lecteur qui n'entend parler d'autre chofe tous les jours. On ne s'amufe plus aujourd'hui des fcènes bifarres que ces deux nations donnent au public, elles reviennent trop fouvent. On voit, fans étonnement, que malgré le mépris & la haine qu'elles ont 1'une pour 1'autre, elles vivent enfemble, paree qu'on fait que L'iatérèf eft plus fort que 1'antipathie. Les Thuvariens ont beau dire que les Médoncires ont fecoué leur joug, on ne les éccute point, paree que ces nouveaux Uotes, malgré 1'obfcurité de leur origine & la baftefle de leursoccupations, prennent, avec leurs anciens mahres, un ton de fupériotiré qu'ils foutiennem avec tant de hauteur, qu'on ne fait plus qui font les efclaves. Les Médoncires, inftruits que les Thuvariens; avoient en vain réclamé leurs droits, cruten?  FüNESTINE. IJ devoir un remerciment a Formofe. Ils députerent un d'entreux, qui rénfermoit en lui feul tour le précis de la narion. Ce naodeme orateur, s'imaginanr qu'unefigure paffable étoit untitre d'efprit, fe prélenta d'un air de confiance qui furprit Formofe accoutumé a voir trembler tout le monde. Son difcours, quoique doucereux, fut alfezbon, grace a la plume d'un Thuvarien qui facrifia 1'honneur de fes frères a l'amour qu'il avoit pour la fille du harangueur. Le prince lecoutoit avec quelque forte de plaifir, & peut être alloit-il juger en fa faveur , li 1'imprudent Médoncire Ne fe fut avifé d'unir mal a propos, Les louanges d'un fat a celles d'un héros. II fut congédié fans réponfe. A 1'exemple du maitre, les courtifans lui tournèrent le dos pour n'être pasfurpris en lui faifant de faulfescarrelfes. Tout cela n'étoit rien pour fon amour propre a. 1'épreuve des difgraces; a peine fut-U humilie par Ie difcours d'Embarcès, qu'il entendit diftinctement. Cette efpèce d'hommes, difoit-il, n'a de confiftance que lorfqu'ils font parler les autres, &c qu'ils en ont les habics. II ne reftoit plus a Formofe qu'un royaume a conquérir, il ne pouvoit s'en rendre mairre qu'en traverfant 1'empire des fées. ïl députe Embarcès liv  tjö FÜNESTINE. pour leur demander parage. Cette démarche eut de facheufes fuites. Le prince parric avec un train lefte & fuperbe; les mervèilles qui s'ofFroient a fa vue, faifoient une agréable diverfion a fa douleur; il étoit dans le pays des fées, c'eft tout dire. Tant d'autres en onr parlé, que je ne veux point être plagiaire. Le bruit fe répand que Formofe leur envoye un ambaffadeur. On s'affemble, on délibère i\ 1'on doit le recevoir & 1'entendre; les avis fe partagent, 1'aflirmative l'emporte,on fe réunit pour dccider qu'on ne lui accordera rien, avant le retour de Pacifique. Embarcès arrivé, & dcmande audience. II effuie un cérémonial épineux avant de 1'obtenir; on le logea dans un palais fi vafte, & dont les appartemens étoient fi exbauffés, qu'il lui fallut prés de trente mille aunes de damas jonquille pour le meubler; on le chicana fur fes prérogatives, fur fes équipages, fur fa dépenfe , fur tout. Enfin , on lui donna jour, il entre dans le confeil, & dit: Formofe, maitre de toute la terre, ou du moins de la plus grande partie, m'envoye vous dire qu'il vous laiffe la libre jouiffance de vos états. J'ai pouvoir de traiter avec vous, mefdames, comme avec des fouveraines, & de vous offrjr, de fa part, tout ce qui peut dépendre de  FüNESTINE. 137 Parnitié d'un conquérant, qui ne connoit de loix & d'obftacles que fa modération; il nattend de vous qu'une légère complaifance , c'eft de lui donnet paffage pour aller contre les Apicholes, qui ne veulent point fe foumettre. Je vous promets, foi de prince, que fes troupes ne feront aucun défordre fur vos rerres , & qu'on payera jufqu'a 1'eau des rivières, fi vousTexigez. On lui répondit durement que , n'étant petmis a aucun mortel d'entrer dans leur empire, fans leur permiflion , il éroit heureux qu'elles voulufTent bien ne pas violer le droit des gens. Qu'il avoit fans doute oublié que tous les rois du monde font leurs fujets, qu'autrement il n'auroic point eu la témérité de prendre devant elles le titre de prince. Qua l'égard du hls de Clairobfcur, c'étoit un petit glorieux, dont elles méprifoient égalërhent la haine & l'amitié ; que les Apicholes étoient leurs alliés, & qu'elles ne fouffriroient jamais qu'il entreprit de les opprimer. Mais, reprit Embarcès , fongez-vous bien que vous irritez Formofe? A ce mot le plafond de la falie s'entr'ouvre , un monftre épouvantable Ia remplit de fouffre & de fumée, le prince qui le voir selancer fur lui la gueule bcante , fe met en défenfe, fon épée fe brife dans fes mains , il appelle a fon fecours fes gens qui ne pouvoient 1'en-  *38 FüNESTINE. tendre , ils étoient péttifiés. Comment clonc, mefdames, leur dit-il, vous en venez aux ades d'hoftilité ? Croyez - vous m'intimider par de vaines illufions? Vous allez voir que l'ami de Formofe ne craint point les preftiges. Alors débouchant une phiole, qu'il tire de fa poche , il la porte au nez du dragon , qui vienten rampanc lui lécher les pieds. Après cette marqué de refped, le monftre prend fon vol, & la voute fe referme. Le prince aufii-tot court a fes gens, dont les différentes attitudes le réjouirent beaucoup. A peine eurent-ils refpiré le précieux elixir, que le charme ceffa. Les fées furprifes de eet événement, difparurent 1'une après 1'autre. Embarcès revint auprès de Formofe, & lui rendit compte de fa commiffion. Je fuis faché de ce contre-tems , lui dit-il, j'aurois voulu n'avoir rien a démêler avecelles, de peur qu'on ne dife dans le monde que j'ai fait la guerre a des femmes; mais ce font des extravagantes qui ne doivent point nous arréter: nous en ferons quittes pour eifuyer quelques injures. Le lendemain les couriers de 1'armée rapportèrent qu'ils avoient été poufFés par quelques partis de cavalerie; d'autres dirent qu'ils avoient vu des troupes fe former & fe retrancher fur une colline a trois lieues du camp. Les princes trou-  FunÉstine. ij 9 verent fi peu de vraifemblance dans ce récit, qu'ils voulurent voir par eux-mêmes ce qui en étoit. Ils fe mirent en marche a la tête de trente maitres, A peine avoient-ils fait mille pas , que tous, hors Formofe, qui étoit le plus avancé, s'écrièrent s feigneur, vous allez vous noyer, le fleuve eft rapide & paroit très-profond. 11 crut qu'ils avoienrperdu Pefprir, paree qu'il ne voyoit qu'une campagne devantlui. Par une prérogative, qu'ilignoroit lui-même, lesenchantemens, quels qu'ils fuflent, ne pouvoient changer a fes yeux 1'ordre naturel des chofes. 11 continue fa route; fon détachement le fuit, fort étonné d'être dans Peau fans fe mouiller. Embarcès jeta dans le fleuve quelques goiites de fon élixir : nouveau prodige! On fe trouva dans une vafte forêt, remplie d'une quantité prodigieufe de loups, dont la vue & les hurlemens épouvantèrent fi fort les chevaux, que toute la ttoupe fe mit a la débandade, Les princes auroienteu le memefort, s'ils ne fe fuflent promptement jetés par terre. Que fignifie cette tetreur pawique, demandaFormofe? C'eft, répondit Embatcès, en riant, une galanterie des fces, qui nous envoyent des loups pouc 'nous dévorer. Des loups! reprit Formofe prefque en colère, parlez-vous férietifemenc? Quoi, feigneur, vpu$ ne voyez point de loups, &z vous ne  '4°" FüNESTINE. croyez point être dans un bois ? Non , en vérité, dit Formofe ,& toutes cesbadineriescommencenr a m'ennuyer. Embarcès comprit que Formofe n'étoient point fujet aux enchamemens, & Formofe connuc qu'Emb-arcès avoit le don de les diftiper. Us réfolurent de retourner au camp, Sc de faire marcher 1'armée que le prince précéderoir, pour détruire les fantómes, qui fe préfenreroient. II neut pas une petite occupation; mais il en vinta fon honneur. Les fées voyant que leurs artifices ne réuffilfoient point, changèrent de batterie. Le fecond jour on vit de loin une armée qui venoit en bon ordre fe mettre eiibataille dans uneplaine. Formofe crut que c'étoit des Apicholes, qui venoient a fa rencontre. II fondit fur eux. Le combat dura prés de quatre heitres, fans avantage fenfible. Formofe irrité de la réfiftance opiniatre qu'il rencontre par-tout, fait une dernière charge, Embarcès le feconde, tout céde a leurs eftorts. L'ennemi s'ébranle, les rangs fe confondent; ce n'eft plus qu'horreur Sc carnage; aucun ne prend la fuite, aucun ne vent fe rendre , tous pa entretien. 11 quitta fon ami pour donner fes ordres dans le palais, dont il s'ctoit mis en polfeffion par droit deconquête ou de bienféance, il y régla toutes chofes avec eet air de fouverain, qui 1'ac- 'compagnoit dans fes moindresdémarches, furpris de ne point voit Funeftine, il en demanda des nouvelles. Seigneur, lui dit une de ces*efpèces d'hommes qui fe font fète de parler de ce qu'ils favent, & de ce qu'ils ne favent pas; la princefle occupoit ^appartement de criftal; mais elle étoit fi laide & fi méchante, que Clair-obfcur 1'a mife dans une prifon pour y faire pénitence le refte de fes jours. Elle n'eft donc plus dans 1'ifle? Pardonnez-moi feigneur, & c'eft dans cette petite maifon qu'elle eft enfermée. N'y peut-on point entrer? Non, feigneur, la porte en eft interdite a tous ceux qui s'y prefentent, mais je ne crois pas  F u n e s t i n t; i pas qu'ori la refufe a votré majefté; vbulez-voué que jVaüe m'en informer? Non, j'irai moi-même. Embaicès rioit des queftions de Formofe, & deg réponfts du cournfan ; le premier ne fe laflbit point d'imerroger, le fecond ne fe lalfoit poinc de répondre, - Cepend,mt Vertu va trouver Funeftine, elle 1'inftruir de Tarrivée de Formofe, & la prépare i le rece.voir. Vos ordres font facrés pour moi^ lui dit la pr ncefte, lo'iii d'y réfifter, je voudrois pouvoir les' prévemr; iria laideur ne me fait poinc ' de peine, je ne crains point de me mofrtrer & Formofe; maiS dieux! quel objet pour lui qué Funeftine! Eh quoi, reprit Vertu, s'il vouloit Vous époufer telle qué vous êtes, refuferiez-vous; d'y cönfentir? Vons-même ; déeffe j ajouta Funeftine, y confentiriez-vous? Vertui fans lui répondre , paffa dans 1'appartement de Rêveufe. Princefle , lui dit-elle , la perte d'une beauté paflagèré voüs afflige trop; Vous en regardez la privatibn comme uh èffet de la colère des dieux. Défabufez - voüs , ils vous deftinent a un prince aimable dont vous ferez le bonheur , & qui fera le vótre ; bientê't vous n'ertvierez plus le fort de Funeftine. Les princes fe promenoient dans le jardin dé la petite maifqn ; ils appercurent de loin deujTome XXXh J£  ,^5 FüNESTINE. jeunes perfonnes qui venoient a leur rencontref Seigneur, dit Embarcès a Formofe, en lui monirant la plus belle; voila une inconnue qui m'a bien l'air de rallentir votre emprelTement pour Funeftine ; 1'attention avec laquelle vous la i|gardez, me fait foupconner qu'elle ne vous fefl| pas long-tems indifférente. Avez-vous jamais rien vu qui reflemble a ces yeux , a ces traits, a cette grace? Mais j'ai tort de vous la peindre, vous ne 1'avez que rrop bien remarquée. Votre ■choix eft fair , j'en fuis bien aife , il s'accorde avec mon refpeót Sc mon amour ; 1'autre me plaït , fa phyfionomie me charme , elle eft moins belle que fa compagne; tant mieux, fa beauté neme rappellera point celle de Néodie, Sc je ne veux rien aimer qui puifle m'en retracer 1'image. Les princefles avancoient & ne pouvoient les éviter ; elles pafferent auprès d'eux. Formofe i 1'intrépide Formofe refte interdit, les falue Sc n'ofe les aborder. Funeftine le reconnur, Sc prir fon trouble pour une marqué de mépris , elle en foupira : l'amour propre plus fort que la réflexion lui arracha quelques larmes qui remplirent fes yeux. Rêveufe n'en vit rien, elle étoit occupée de 1'inconnu qui 1'avoit regardée 4'une manière dont elle étoit contente. Elle crus  FüNESTINE.' & ne fe trompa pas, que c'étoit la le prince dona Vertu lui avoit parlé. Que viens-je de voir , dit Formofe? Si jen crois la fimpliciré de fes habits, ce n'eft qu'une fuivante de Funeftine. Et 1'autre , répondit Embarcès , feigneur, pour qui la prenez-vous ? Elle eft tout au moins fa dame d'honneur. II feroit plaifant que le maitre du monde n'aimat qu'une afFranchie , & que fon confident eut mieux choifi que lui. Formofe ne 1'écoutoit point. Je lui fais ton, pourfuivoit-il, je dois juger par fa beauté merveilleufe , & plus encore par 1'impreffion qu'elle a faite fur mon cceur, qu'elle eft née pour commander & toute la terre , puifqu'elle règne fur moi. Pendant qu'il parloit de la forte , il fuivoit des yeux Funeftine qui rentroit dans fon appartement. Jamais il n'y eut de nnit moins tranq iille que la fuivante. Pour développer les mouvemens qu'éprouvèrent ces quatre perfonnes , il faudroit connoitre tous les reftbrts du cceur ; il faudroit plus, il faudroit aimer. Formofe adore une inconnue , Sc feut malgré lui que fon idéé ne peut chaffer celle de Funeftine qu'il croit haïr. Quelle bifarrerie de fentimens ! De fon cöté Funeftine eft prévenue pour Formofe de cette première eftime qui ptécède l'amour, elle ne peut douter Kij  t4g F U N E S T I « ï? qu'il ne foit prévenu de haine pour elle. Quell* fituarion! Rêveufe efpère, Embarcès defire. Hl he font point a plaindre , ils nmtéreffenr plus. Formofe, fuivi par Embarcès , alla chez Funeftine. Le premier objet qu'il renconrra, ce fus encore fon ineonnue. Madame, lui dit U d'un air embarraffé , je venois ici rendre une vifite de bienféance, je ne comptois pas Seigneur , interrompit la princeffe , je fens ce que dolt vous corner la violence que vous vous faites. Funeftine n'eft pas un objet affez agréable pour k mériter. Eh, madame , reprit le ptince , qui craignoit au moindre bruit que ce ne fut elle qu'on alloit annoncer , fans un devoir indifpenfable, croyez Seigneur, interrompit encore Funeftine, cette vifite eft aufti douloureufe pour elle que pour vous, quelque différens qu'er* foient les motifs. Souffrez..... Elle neut pas k force d'achever. O Vertu , s'écria-t-elle en fe retirant, eft ce ici k dernière épreuve ou, vous mettrez mon cceur? Formofe fe trouve feut , & ne fait quel partï prendre. Embarcès qui s'étoit expliqué avec Rêveufe, vinta lui. Bonnes nouvelles , feigneur, lui dit-il, vous venez d'entretenir Qui? de- manda t-il avec précipitation, parlez, ne me faites point knguir. Donnez-moi le tems de vouS  FüNESTINE? ï^ij' parler, reprit Embarcès. La perfonne que j'aime eft la princefle Rêveufe fceur de Funeftine, Sc Funeftine eft votre incoiïnue. Prince , répondit Formofe, je fuis dans un état, ou rout autre que vous ne me plaifanreroit pas impunémenr. Moi, feigneur, dit Embarcès. Brifons ladeffus, pourfuivit Formofe, fans donner a fon ami le tems de le défabufer. Vous manquez aux droits de famitié , ne me forcez pas d'y manquer moimême. La-deflus il le quitte & s'enfonce dans un bois pour y rêver en liberté. Vertu, qui vouloit termincr cette aventure, avoit envoyé chercher le roi d'Auftralie ; fon extreme vieillefle ne lui permit pas d'entreprendre un fi long voyage, Clair-obfcur , la reine avec laquelle il s'étoit réuni, 1'Amour Sc 1'Hymen furent aufli mandés. L'Amour arriva le premier. Vous pouvez , lui dit la déeïïe , rendre Funeftine fenfible, je vous livre fon cceur, vous n'aurez pas le tems d'y faire de grands ravages, je ne vous le confie que pour le remettre ce foir i votre frère. Enfuite fe montrant a Formofe: Prince, lui dit-elle, je fuis Vertu. Pendant que vous rendiez votre nom célèbre, je vous formois une époufe digne de vous, vos yeux vous répondent déja de fes charmes , l'amour & I'hymen vous répondront de fon ccsur. Cette époufe Kiij  FtTNESTÏNB» eft Funeftine. Je vous étonne , vous ne pouveft . croire fur 1'idée que vous vous en êtes faite , qu'elle foit la même perfonne dont la vue a fait naitre en vous une paflion fi prompte & fi violente; elle ignore elle-même ce qu'elle eft, j'ai voulu vous laifter le plaifir, en lui apprenant que vous 1'aimez, de lui apprendre qu'elle eft belle^; Recevez ce rriiroir, faires qu'elle s'y regarde. Il eft iufte que vous jouifliez le premier des tranfports de fa furprife , de fa joie , & de fa reconnoiflance. Allez, prince, ne retardez point votre bonheur par des remercimens dont je vous difpenfe. Pénétré d'amour, occupé des idees les plus flatteufes, il vole chez Funeftine. Ah , madame , lui dit-il, en l'abordant, pardonnez fi je vous aiméconnue , quelle autre que Funeftine l...Eh quoi , feigneur , interrompit-elle avec douceur, fuis-je encore plus honible aüjourd'hui que je ne 1'étois hier? Dites plutór, ajoutaFormofe, que vous êtes mille fois plus charmante, mille fois plus adorable. Eft-ce ainfi , reprit-elle, que le plus généreux de tous les hommes fe fait un plaifir cruel d'infulter une malheureufe princefle? Je fais que je fuis laide, je le dis aqui veut m'entendre; mais, feigneur , je vous avoue ma foiblefle, je n'ai point encore aflez de vertu, pour vous entendre me le  FÜNESTINE.' dire ; je devrois être moins fenfible, ou mienx cacher ma fenfibilité ; mais je me plains de vous dans le moment, pour ne m'en piaindre jamais. C'eft trop, répliqua Formofe , c'eft trop longtems vous lailfer ignorer ce que vous êtes. Tenez & jugez. Funeftine fe regarde. O dieux , s'écria-r-elle, que vois-je? Le miroir s'échappe de fes mains, il fe brife en éclats. Prince, pourfuivit elle, les glacés ne font pas heureufes avec 'moi, je les cafte par dépit ou par furprife. S'il eft vrai que je fois telle que je viens de me le parohre , c'eft 1'ouvrage de Vertu , c'eft elle que vous devez en remercier, elle a voulu me rendre moins indigne de vous. Et c'eft elle, dit le prince , en lui baifant les mains ,8c c'eft elle qui vous donne a moi. Fort bien , mes enfans, fort bien, dit Clair^ obfcur, en entrant, embraflez-moi \ je dourèque vous foyez aufli aifes que je le fuis; je fa» vois bien , moi, que je viendrois & bout de ce mariage. Avois-je tort, madame, continua-t-il,. en s'adreflant a la mère de Formofe , avois-je tort de deftiner cette princefle a votre fils? Vertu furvint, & leur dit: Princes , tout eft; prêt pout vous unir; Embarcès & Rêveufe vous attendent dans le temple, vivez tous heureux &C ne m'oubliez jamais»- Kiv,  »f 5$' f B M E t T IS l! La cérémonie achevée, Vertu reprit avec Tma« gination le chemin de Thyas. Docilité retourna auprès de fes chers'malheureux. je ne fais fi ces déefles fe font rendues invifibles ; mais je n'aj lu dans aucune hiftoirs qu'elles ayent fait depui? ppur perfonne ce qu'elles avoient fait pour F$i &eftuie»  NOUVEAUX CONTES f> E FÉES,   LA PETITE GRENOUILLE VERTE. CONTÉ. D** ans un continent, dont Ie nom n'eft pas venu jufqua moi, il y avoit deux rois coufins germains & voilins , Pun nommé Petidor , Sc 1'autre Diamantin. Ils étoient protégés par des fées; mais il faut toujours dire les chofes comme elles font; les fées les aimoient beaucoup moins que les princefies qu'elles leur firent époufer. Les princes trouvent ordinairement tant de facilité pour fatisfaire leurs paflions , qu ils ont befoin de plus de vertu que les particuliers , pour être fimplement honnêtes gens , Sc les dames de la cour d'un roi, lui font difficile- ment mielies. Diamantin fut plus criminel, felon les fées. II s'abandonna avec plus d'em- portement i fes defirs ; Sc ce qu'il y eut dans  156 La petite Grenouille Verte; le fond de plus mal, c'eft qu'il téoioigna plus de mépris pour la reine fa femme qui fe nommoit Aglanrine. Qu'en arriva t il? Les fées le punirent en le faifant mounr, Une fille unique, qu'il laifloit au berceau, hérita de fon royaume j & comme elle étoit dans un age a ne pouvoir gouvemer elle-même, la régence fut décernée du confentement de tous les ordres de l'écat, X la teine douairière, veuve de Diamantin. Cette vertueufe princefle s'en acquitta avec amant de fagelfe que d'efprit ; & ne faifant ufage de fon autorité, que pour le bonheur de fes peuples, elle ne prohta£>de 1'heureux érat du veuvage ( dont favent fi bien profiter tant de bonnes perforanes , a qui dieu donne longue vie ) que pour vivre avec plus de retenue. Une fituation aufli douce, ne fut troublée que par 1'abfence de fa rille; les fées, pour des raifons a elles connues, ne voulurenr point lui laifler élever cette aimable fille, qu'elles nommèrent Serpentine; ce fut un foia dont elles fe chargèrent. Quant a 1'autre prince , il eft bien vrai, que malgré l'amour qu'il portoit a la reine Conftance, & quoiqu'il n'tut jamais ceflé d'avoir pour elle les meilleurs procédés , il ne put éviter d'être foupcjonné de quelques petites galanteries. La faute, s'il y en eut, n'étoit pas moins pardonnable qu'elle étoit légere; aufli ne fut-il puni  La petite Grenouille Verte, ijf qu'indireétement : mais ne lui eut - il pas été mille fois plus doux de mourir , que de fe voir privé de ce qu'il aimoit le plus ? La mort lui enleva Précipiramment la reine fa femme ; dans un même inftant, il vit difparoitre fobfet de fa joie Sc de fon bonheur , & fentit renaitre dans fon cceur des fentimens d'amour pour Ia reine „ plus vifs que tous ceux qu'il avoit jamais éprouvés. Sa fituation devint cruelle. 11 ne lui reftoic de confolation , que dans un fils unique agé de trois ans , que la reine lui laiffoit pour gage de fon amour. II s'y attacha uniquement j le foin de fon éducation, & celui des affairesdu royaume, devinrent fes feules occupations. Mais, a parler fïncèremenr, fa douleur ne lui permit jamais d'être un moment fans avoir, préfence a 1'efprit, la pcrte qu'il avoit faite de la reine Conftancej & méritant de fon peuple les furnoms de bon 8c de jufte , on ne put lui refufer celui de roi trifte. H eft conftant que perfonne n'a pu croire qu'il fut poflible de vivre pendant quinze ans dans une triftefle égale a la fienne. Pour moi, j'ai tqa* jours été perfuadé que les fées lui fourniffoiencfous main, des moyens pour n'y pas fuccomber. Le prince fon fils, nommé Saphir , avoit par-' faitement répondu a 1'éducation que le trifte Peïidor lui avóit donnce : II étoit, a parleE fan-s  158 La petite Grenouijlle Verte. aucune prévention & fans aucune habitude des belles épithèces que 1'on ajoute ordinairement au nom de prince^ il écoit, dis-je, accompli. Sa figure, toute charmante qu'elle étoit, méritoit encore moins d'élogés que fon caraétère. 11 étoit né doux ; &c fon efprit, orné de beaucoup de connoiffances, éroit accompagné d'une imagination vive & agréable. Quand il eut atteint Page de quinze ans, les fées craignirent que la tendrelfe a laque'le il étoit naturellement porté , ne fut un obftacle aux defleins qu'elles avoient fut lui. Elles placèrent donc & fans affe&ation , dans un cabinet très-agréable , oü Saphir fe retiroit fouvent, un miroir tout fimple en apparence , puifqu'il n'étoit bordé que d'un cadre noir , tel que ceax qui venoient autrefois de Venife, & dont nos pères faifoient un fi grand cas. Le prince fut quelque rems fans faire atEention a ce nouveau meuble. Le jour qu'il en fit la remarque , la fimple furprife 1'engagea a le regarder. Avec quel étonnement appercut-il dans cette glacé , au lieu de fa figure , celle d'une jeune perfonne belle comme le plus beau jour ! Elle fortoit de 1'enfance , & cette belle fleur de la jeuneflb couvroit les traits du monde les plus agréables. Le beau Saphir en fut frappé j eh ! qui ne Peut pas été ? £e charme de cette merveilleufe glacé ne  La petite Grenouille Verte. 159 Êonfiftoit pas feulement a rendre fidèlement un aufli beau portraitj elle peignoir encore, avec la même exaétitude, toutes les actions de cette incomparable beauté, & produifoita chaque inftant des tableaux d'autant plus agréables , que la plus |o!ie perfonne du monde en étoit la figure dominante. Ce miracle féduifit, comme on peut croire le cceur du jeune prince. II devint éperduemenc amoureux de tant d'agtémens , de tant de douceur, & de tant de fageflej toutes fes oempatians cédèrent a celle d'être, a tous les inftans j le témoin des plus frivoles occupations de la belle inconnue ; on ne pouvoit 1'arracher de fon cabinet. C'étoit , il faut en convenir , un grand foulagement i fes peines, que de voir a toute heure ce qu'il aimoit; mais enfin , il ne pouvoit imaginer quelle feroit la fin d'une telle avenrure j Sc fouvent fon efprit fe révoltoit contre les fentimens dont fon cceur étoit enivré ; mais que produifent les réflexions de 1'efprit contre les fentimens du cceur ? Quelque fenfible que lui fut cette incertitude; lm nouveau fujet d'inquiétude le tourmentoit encore bien plus cruellement. Une année s'étoit a peine écoulée depuis qu'il jouilfoit de fon fidéle miroir, qu'un jour, en le confidérant avec plus d'attention, il crut y découvrir un fecond mi-  i6o La petite Grevouille Verte.' roir parfaiternent femblable au fïerl , & qui a'voie la même propriété. II ne fe txompoit pas; la belle inconnue le pofTédoit depuis peu, & ri'étöié plus occupée que du foin de le regarder. Que ne voyent point les yeux d'un aitiant ! Saphit avoit démêlé que le cceur de la belle étoit devenu fenfible ; il avoit appercu chez elle de Ces changemens que l'amour feul a Ie pouvoir d'opérer fur les perfonnes auparavahr indifférentes. II né lui avoit pas été diflïcile de deviner la caufe de ce miracle , ni pourquoi le nouveau miroir étoit confulté li fouvent \ mais quelque peine qu'il fe donnet, il ne lui avoit pas éhcore été poflible de diftinguer ce qui s'y paffoit. Le miroir fe trouvoit toujours difpofé de facon que 1'aimable perfonne, dont il étoit enchanté, étoit placée en le regardant, entre lui & 1'objet dont elle s'occupoit, & par conféquent, elle le lui cachoit tout entier. II en avoit feulement alfez diftingué, pour ne pouvoir douter que la figure d'un homme fe peignoir a elle \ & c'en étoit aflez, pour allumes dans fon cceur laplus noire jaloufie. Faut il qu'une paflion pour laquelle nous fommes fi véritablement nés , qu'une paflion autórifée & avouée par la nature , ait bëfoin de chofes triftes & pénibles pour ne fe point éteindre ? Hélas ! il n'eft que trop vrai; & 1'on m'a fort afliiré, que malgré tous  Lx PETITE GrENOUILIiE VeRTE. I «~~, réfifter aux charmes de Ticie ; il en étoit éperdft. ment amoureux depuis quelques années. C'étoit un des plus grand* magiciens de fon rems; ce fut i lui que Ticie eut recours. Elle lui confiaTornt XXXI, q  zio Le prince Perinet fon fecrer , 5c lui promit que s'il vouloit l'aider k la venger des mépris du prince , fon cceur feroit la récompenfe de fes fervices. Le prince de Pile Bleue recut les propofuions de Ticie, avec tonos Ia joie que peut donner 1'efpérance a uu homme amoureux. 11 falloit attirer Perinet hors du royaume de la Fée , car on ne pouvoit lm nutte dans fes états, & Perinet éroit garde a/ec une extréme artention. Njrt.mdoie fe flatta de furmonter les difficultés. Le prince alloit fouvent k lachalfe ; un jour qu'il courroit un cerf, un animal plus tetrible & plus lingulier que tout ce que Pon peut décrire , fe préfentaalui. Ce monftre étoit grand comme un ours, il avoit ttois têtes aufli grolfes que celle d'un bceuf, &5 ferpens qui faifoient des iiflemens affreus , capables d'épouvanter les plus déterminés, formoient fes fix queues. Cette effroyable béte fe jeta fur les chiens, & les dévora tous en un inftant. Une frayeur mortelle faifit tous ceux qui fuivoien: le prince, ils 1'abandonnèrent; mais lui, ne confultant que fon courage , s'approcha du fnonftre avec intrépidué, & lui lanca fon javeloc d'une main süre. Le monftre , quoiqu'it.vulnérable, prit aufli-:ót la fuite. Perinet ne le perdic point de vue, <5c s'attacha S fa pourfuite , charmé d'avoir trouvé une occafion digne de fa valeur.  ou l'okIsinï des Pagodes, I-'affreux animal l'aureit fans doute conduit hots des états de fa tante, dans 1'endroit oü 1'attendoit i'enchanteur ; mais une autre merveille i'anêta, lorfqu'il étoit prêt den fortir. II ap. percur auprès d'un chateau , dans un petit bois de genievre , pluiieurs femmes qui fe promenoient. II y en avoit une £ qui les autres fembloient rendre des refpeéh ; ce fut ceHe qui ar_ ma fes regards , & dont 1'extréme beauté le fit palfer en un moment, de 1'admirarion la plus vive a des mouvemens fecrets qui 1» étoient abfulument mconnus. II s'approcha de cette aimable compagnie; Ja princefle Zainzinette, (car c'étoit elle-même qu'd avoit remarquée ) regarda £ fon tour Ie prince, avec un étonnement dom il s'appercuc. Ils avoient trop d'efprit 1'un & rautre > pour ne pas connoure ce qui fe paflbit dans leurs' cceurs. Ils crurent donc qu'il étoit inutile de s'en faire un my ftère; ils fe dirent tout ce que le commencement d'une paflion violente peut infpirer & pnrent leurs mefures pour fe voir tous les ip«r« dans le même endroit. Ces deux amans goütèrent pendant quelque tems toutes les douceurs de l'amour, fans en reffeuar les peines; mais , hélas ! il n'y a point de piaifirs durables. Un jour que Perinet venoit de rendre vifite £ Zainzinette, & qu'il fortoit de cfe«r elle , plus amoureux qu'il ne 1'avoit jamais O ij  ui Lz prince Perinet été , Ia reine des fées lui vint annoncer qu'Almidor töuchoit a fon terme fatal, & qu'il fou» haitoit avoir la confolation d'embrafler fon rilsavant que de mouvir. Le prince , affiigé comme il le devoit, partit fur le champ. La fée lui avoic donné une liqueur, dont l'effet étoit fi merveilleux , que dès qu'Almidor en eut fait ufage, fa fanté fe rétablit d'une manière furprenante. Indépendamment de la bonté du remède qu'il avoit pris, la joie de revoir un fils qu'il aimoit, ne contribua pas peu a fon rétablilfement. II étoit fur le point de renvoyer ce cher fils ,■ pour évirer le malheur dont il étoit menacé y mais il s'en falloit fi peu , que le prince ne touchat a fa quinzième année, qu'il ne put fe réfoudre a fe féparer de lui. II crut fuffifanr de le faire garder avec un foin extreme. Enfin , le jouc de la naiflance du prince arriva-, & le roi, charmé dé voir que le terme des malheurs qu'on lui avoit prédir étoit accompli , voulut célébrer une joiunée aufli heureufe. II donna fur la mer , la plus brillante & la plus galante fète dont on ait jamaisouï parler. # Les divertiflemens n'étoient pas encore fims, que Perinet fous le prétexte de la pêche , mais en éffet pour fe dérober aux imporruns de la cour , & rèver en liberté a fa chère Zainzinette , fe mie feul dans un petit batceau. II avoit déja pris plu-  ou r.' origine des'Pagodes. 213 fieurs poiflbns, fans y faire une grande atcention, quand il en appercut un d'une figure extraordinaire. Ses écailles étoient or & bleu , & fes yeux paroifloient deux efcarboucles. Ce poiflbn vint mordre fon hamecon ; mais ne s'y prit pas : le prince auroit donné tout ce qu'il avoit au monde pour 1'avoir. 11 fe faifoit un plaifir d'en pouvoir faire préfenr a Zainzinette : déji il étoit réfolu de le lui envoyer en pofte. Mais le beau poifton s'éloignoit a mefure qu'il le fuivoit, &C 1'éloigna lui-même fi bien du rivage , qu'il perdit de vue tous fes gens qui, fuivant 1'ufage des courtifans , s'éroient occupés au même exercice. Alors , il fentit fon batteau s'enfoncer dans la ffier. 11 falloit être aufli courageux que Perinet, pour n'être pas elïrayé d'un pareil accident; mais ii ne connoifloit point la peur. 11 fe mit a la nage, fcfclu de gagner le rivage. Quel fut fon étonnement! quand il vit approcher de lui un homme, dont Ia figure étoit horrible, & qui montoit un gros crapaud. Cct homme affrenx le faifit, il le placa devant lui , fur 1'arcon de la felle, fans prononcer une feule parole , & aufii-tör, le crapaud nagea avec une vitefle extréme. Quelques momens après, ils arrrvèrent tous rrois dans une ile, qui ne lui parut habitée que par des bêtes effroyables. La garde en étoit confiée a deux lions , deux ours, deux éléphans &c quatre tigres. Le Oiij  ii4 Le prince Perinet maicre du crapaud, après avoir marmotté quelques paroles entre fes dents, mit la main fur la tête du prince , & dans le même inftant, il fur changé en pot a thé. Il eft aifé de concevoir que ce grand vilain monfieur , étoit le prince de 1'ile Bleue qui, pour plaire a Ticie, & fe défaire d'un rival, venoit de donner cette forme a Periner. Dans le moment il vola pour recevoir le prix de la méchanceté qu'il venoit de commettre-, mais Ticie qui n'avoit pu bannir le beau Perinet de fon cceur, ne voulut pas feulement !e regarder. Elle le bannit de fa préfence, en 1'accablant d'injures. Le trifte pot a thé, abandonné dans 1'ile pal Nortandofe, s'avanca quelques pas fans faire aucune rencontre; mais, en entrant dans un petit bois qu'il trouva fur fa route, il entendit des voix qui lui prouvèrent que ce lieu étoit habité. La fociété eft une confolation dans le malheur. Le prince continua-donc fa route, mais rien ne put égaler fa furprife, quand il appercut des jattes de porcelaine, des urnes, des rouleaux & des talles qui s'entretenoient enfemble. Dans le moment qu'il s'avancoit pour écouter ce que de tels perfonnages pouvoient dire, il fut appercu pair toutes les porcelaines qui vinrent au-devant de lui. Elles demandèrenc au poe a thé quel malheur Pavaic réduic en eet étatj Sc ii leur raconta qu'il avoit  ou l'oricime des Pagodes. 2*.$ été pris fur mer pat un grand vilain Iiomme, qu'il ne connoiflbit pas 5 que ce grand vilain 1'avoir fait monter fur un crapaud, 8t 1'avoit métamorphofé comme elles le voyoient, en arrivant dans 1'ile. Au portrait qu'il fit de fon perfécuteur, un rouleau prit la parole, 8c lui apprit que fon ennemi écoit Nortandofe, un génie de la plus grofie e£ïi pèce, qui aimoir paflionnément les porcelaines, 8c qu'il transformoit de la forre tous ceux qui avoient le malheur de lui déplaire dans le monde. Cependanr Almidor ne voyant point revenir fon fils de la pêche, relTentit tout ce que 1'inquiétude 8c la. douleur peuvent faire éprouver; & toute la cour 1'imira. Le bon roi mit tout le monde en campagne, & lui-même il courut de différens cótés, pour chercher Ie prince; mais tous fes foins furent inutiles. Il ent recours a fa fceur. Quoique fans contredir elle eut un grand pouvoir, il ne s'étendoit point jufqu'a faire fortir le prince de 1'endroit oü il étoit. Elle lui promit cependanr de lui donner tous les fecours qui dépendroient d'elle. Sur le champ élle fe tranfporta dans 1'ile Bleue, ou plutót celle des Porcelaines (cette ïle portoit 1'un 8c 1'autre nom ). Malgré fes grandes connoiflances, elle n'ent jamais reconnu Ie malheureux Perinet, fi le beau pot a thé jaune ne lui eut dit tout bas: je fuis votre infortimé Oiv  iitE DES PAGOOES. 221 mon cher Perinet; car elle ne doutoit point que ce ne füt la le lieu qui le devoit montrer a fes yeux. Quand elle eüt ttaverfé plufieurs pièces , elle fut arrêrée par une femme plus petite encore, que 1'enfant qui venoit de lui fervir de cocher. Cetre efpèce de Naine lui cria; arrêtez, belle Zainzinette, écoutez-moi, vous chetchez inutilement Periner. Mon père, le prince de 1'ifle Bleue, SC maitre de ce royaume, m'a chargé de venir audevant de vous, pour vöus affurer de fa part, de la plus violente paflion que vous infpirerez jamais. La crainte de vous déplaire, 1'a empêché de fe préfenter lui-rhême ; il n'a ofé paroitre devant vous, après la fupercherie qu'il vient de vous faire; car c'eft lui qui vient de prendre la figure de 1'enfant, pour vous conduite ici & vous empêcher d'arriver au palais des porcelaines. La princefle fentit a ce difcours la douleur la plus vive. Elle ne put fe contraindre, & dans fa colère, elle dit tout ce aue l'amour au défefpoir fait fi bien prononcer : aptès quoi elle s'évanouit entre les bras de la Naine, qui la fit porter fur un lic magnifique. Nortandofe fut tout autant affligé qu'il le pouvoit êcre, ded'état oü il trouva Zainzinette. II fe reprocha fa cruaucé, & fut même fi»r le point de ramener la princefle au lieu oü il 1'avoit trouvée  zzz Le prince Pkrinet mais par malheur il fe fouvint alors de Ia bonne grace avec laquelle elle s'étoit embarquée, de la beaucé merveilleufe donc il avoit été cbloui Ia première fois qu'il 1'avoit vue; enfin il fe rappela dans ce moment tout ce que l'amour lui avoit fait fentir;car malheureufement pour Zainzinette, il fe promenoit fur mer quand elle s'étoit embarquée pour aller délivrer le beau Perinet. Après qu'il eut fait toutes ces réflexions, ce qui 1'occupa alfez long-rems (car 1'hiftoire rapporte qu'il lui falloit du tems pour réfléchir) il décida qu'il ne pouvoit fe féparer d'une perfonne qui lui avoit paru fi belle «5c qui lui étoit devenue aufli chère. La naine fa fille, employa tous fes foins pour faire revenir la princefle de fon évanouiflement. Elle étoit aufli bonne & aufli douce, que fon père étoit cruel «Sc méchanr. Belle Zainzinette, lui difoit-elle, quand elle eut repris fes efprits , modérez votre afflidion, calmcz vos pleurs; mon père (je pourrois vous en citer mille exemples) eft le plus inconftant des hommes; fouvent il regarde le foir avec indifférence ce qu'il a aims cperdument le matin : cela feul ne doit-il pas vous raflurer? Si cependanc il perfiftoit dans fes mauvais deflcins; je veux bien vous fecourir, je k puis, comptez fur moi. Mais rien ne confoloit  ou l'origine des Pagodes, uj Zainzinette, elle n'ouvroit la bouche que pouc dire laiflez-moi mourir, puifque je ne puis voir Periner. Elle pafTa quelques jours dans ce cruel état, Sc ce qui paroitra difficile a croire, Nortandofe eut le ménage ment de ne fe point préfenter devant elle,'dans la crainte de 1'irriter. Cette retenue eft auftï peut-être la feule qu'il ait eue de fa vie. Pour la naine, elle fut fi touchée des malheurs de la princefle, qu'elle ha proinit de la tirerdes mains de fon père, pourvu qu'elle voulut bien donnet quelque relache a fa do u-leur. Zainzinette reconnut qu'elle lui patloit avec finccrité; elle fuivit donc fes confeils, & fe livrant a 1'efpérance, elle modéra fes pleurs & fes gémiflemens. Elles convinrent enfemble qu'elle permettroit a Nortandofe de lui rendre vifite, & qu'elle feroit tous fes efforts pour ne lui point faire appercevoic 1'exeès de fon averfion. Le prince de 1'ile Bleue prit aifémenr le change : il partit tranfporté des bontés qu'il s'imaginoit recevoir de la princeffe. Tous les jours il lui dounoit des divertiflemens magnihques & lui préparoit de nouvelles fêtes. Soa amour propte lui perfuadoit aifémenr qu'il feroit inceflamment 1'homme du .monde le pkis heureux. 11 fut enfin obligé d'aller mettrs ordrs a des différens furvenus entre quelques  224 LE prince Perinet grands de fon royaume; & fa fille , a qui la garde de la princefle éroir confiée, profica de ce tems d'abfence pour s'acquitter de fa promefle. Avant que de fe féparer de Zainzinette, elle lui fit préfent d'une robe toute bleue, qui la couvroit depuis la tête jufques aux pieds. Ce déguifement, quoique fimple, facdita fa fuite; cac tous les habitans de i'ifle Bleue ne portoient point d'autre couleur. Elle accompagna ce préfent, dé celui d'une petite baguette blanche qui la devoit conduire en droite ligne au palais des porcelaines j elle la conjura de s'y confier enrièrement, 1'env brafla tendrément & lui dit : j'efpère que votre voyage fera aufli heureux que je le d-fire. Zainzinette, fans fa voir oü elle alloit, f uivit exactement fa baguette qui la précédoit toujours a. unó médiocre diftance. Elle marcha pendant fix mois, non fanséprouver toutes lesfatigues imaginables, & fans défefpérer quelquefois de jamais retrouver fon amant. Enfin elle appercut un jour un chateaufur lequel les rayons du foleil donnoient a plomb. 11 étoit fi brillant, que fes yeuX n'en pouvoient foutenir 1 eclat: cette merveille redoubla fa curiofité. Quand elle fut a. une cevtaine diftance, fon étonnement devint encore plus grand. Des porcelaines de toutes les efpèces vinrent audevant d'elle, deux rouleaux lui préfeutèrent Ia main,  ou l'origihe dês Pagodes, mam, deux taftes lui portèrent la robe, une foule de jattes la précédoient, la fuivoient & lui ftufment leur cour. Au milieu des honneurs f 6lle reCevok» u" Pot « thé jaune perca la foulo dont elle étoit environnée, & s'arrêrant devant elle, lui dit d'un ton de voix des plus paffionnés : ceft donc vous, ma chère Zainzinette, qui voulez bien voir Perinet dans le déplorable état oü il fe trouve. Elle ne put méconnoitre la voix de ion amant; elle le prit entre fes bras avec des tranfports de joie infinis. Le prince étoit honteux de paroitre devant fa maitrefte fous une forme fi baroque; il n'ofoit proférer une feule parole , & il ne faifoit entendre que des foupirs. Zainzinette s en appercut, (car les amans s'appercoivent de tout). Quoi, mon cher Perinet, lui dit-elle vous ne témoignez pas plus de plaifir de me revoir:n'a.-je point i craindre de vous d'autre changement que celui de votre figure? Quand on vous arme, hu répondit le prince, en peut-ii arnver d autres? Rien n'égale la honte& la douleur ou je fuis. Vous jugez mal de ma tendreffe, mon cher Penner, repartitla princefte, fous quef que figure que vous foyez, vous m'êtes tou/ours egalement cher. Ce difcours de Zainzinette raffuralepotathé^ & lui fit dire tout ce que Pamout * la reconnoiftance peuvent infpirer a un amant. lome XXXI, p  al fet, elle voulut fe fervir du fard de jeuneiTe, & reparer ce que la douleur avoit pu effacer de fa beauté naturelle; mais il ne s'en trouva point dans ie rréfor. La fée Princeffe a laquelle on avoit confie, comme je 1'ai dit, eet important dépot en avoit donné a toutes celles qui lui en avoient demandé. Sa bonté fut caufe de routes fes iufortunes. Que eet accident eut jeté la reine dans une colere epouvantable, je n'en ferois point furorismais il lui donna de 1'humeur, ce qui fans contredit eft mille fois plus difficile a foutenir je men rapporte a quiconque en a fourfert. Ble chaffa la princeffe de fa préfence; elle lui óta les clers qu elle hu avoit confiées, & ne voulut plus Tome XXXI, ^ F *  24-i LE Buisson que 1'on continuat a lui donner les lecons de féerie , fcience profonde , myftères inconnus, auxquels ont avoit déja commencé de 1'initier : & comme l'amour mécontent eft toujours injufte, elle la menaca de 1'enfermer pour dix ans dans une tour, fi le roi fon père étoit encore fix mois fans revenir a fa cour. Ces meuaces accablèrent de douleur la fée Princefle. Elle s'enferma dans fon cabinet & ne voulut point paroïtre a 1'audience que la reine donnoit aux ambafladeurs. Il eft bien vrai qu'elle étoit dans une trop grande afflichon , &c 1'on fait bien dans de pareilles firuations , de ne point paroitre en public. Son abfence, dans une occafion fi célèbre, étonna toute la cour, & les perfonnes les plus conhdérables ayant été informées des raifons de leur brouillerie, vinrent en foule orfrir a la jeune Fée leurs fervices. Car 1'on a toujours vu & 1'on verra toujours des courtifans, ou des gens portés z 1'intrigue , venir fe préfenter pour être utiles aux princes mécontens. L'aimable Princefle les remercia de I'attachement qu'ils lui témoignoient, elle les pria de fufpendre leur empreflbment, & leur demanda le refte du jour pour fe déterminer fur le parti qu'elle avoit a prendre. La Fée Menodie interrompit cette ccnverfation. Elle venoit de quitter  D* É P INE S F 1 E U R I E 5. 14J Ia reine , c'étoit inutilement qu'elle avoit taché Je 1'attendrir. Quand toute la cour fe fut retitée, elle mêla fes larmes avec celles de Ia princeffe qui lui confia fes craintes , lui fit le récit des meriaces de la reine, lui avoua que 1'idée de la prifon avoit quelque chofe de fi effrayant pour elle , qu'elle éroit réfolue d'aller phuöt voyager partout le monde , que de fe foumettre d une felle peine. La bonne gouvernante (comme elles font prefque toutes) aimoit la princefle, avec une tendreffe qui lui faifoit parrager fes malheurs. La dernière converfrtion qu'elle avoit eue avec Ia reine , les déterminèrent a partir fur le champ; elle arrangea dans trois perles tour ce qui étoit néceffaire pour le voyage , & quand Je paqHet: fut fiit, elles montèrenrfur deux Scrins, qui s'envolereut avec beaucoup de rapidité. La reine n'apprit leur déparr que lorfqu'eües étoient déja forties de fon royaume. Elle fe repentit d'avoir pouflé fi loin fa colère ; elle en futd'autant plus morrifiée, qu'il ne lui éroit plus pofïible de faire revenirla piincefTe fa fille malgré elle. Mais elle Ia féa de nepouvoir être vue que de vingt pas, efpéranr que 1'ennui d'êrre toujours feule 1'engageroit au retour. Cependant le voyage de la Fée PrificefTe fe conrinuoit fans obftacles; §te s'éloignoit en dili-  Ï44 LeBwisson gence , & quand elle fut bien certaine d'avoir faitun chemin fi confidérable, que je n'ofe nontbrer les lieues , elle voulut prendre un moment de repos dans un lieu dont 1'afpect lui parut agréable : ce fut, fans doute , dans un un vallon délicieux , arrofé par un ruiffeau charmant. Menodie ouvrit alors une des perles. 11 en fortit une tente d'étoffepourpre brodée d'or,un lir, des canapés & tout ce qui pouvoit être nécelfaire pour leur commodité. Enfuite la Fée ouvrit la feconde perle, dans laquelle il fe trouva une table couverte des mets les plus délicats ; la princeffe foupa tout comme une autre perfonne, & quand elle fut couchée , le murmure du ruilfeau 1'endormit agréablement. Elle étoit arrivée , fans le favoir , dans le royaume du prince le plus galant & le plus aimable qui fut dans tout le monde habité. II fenommoit Zelindor. II ne lui manquoit pour être parfaitemem heureux, que d'êrre amoureux; car il fi'éfoit pas poffible qu'il ne mt aimé. Sa figure & fon efprit étoient infmiment agréables. Son courage l'avoit rendu a vingt-ans redoutable a fes ennermV.il avoit gagné des batailles en fortant de 1'enfance , & par fa douceur & fa fageife , il rendoit fes peuples heureux: auffi enétoit-ilpafftonnément aimé. L'ardeur de pouiTcr un cerf, 1'avoit éloigné de  DEPINES fLEURIES. 245 fa fuite. IJ ne reconmn pas d'abord 1'endroitoü il s'éroit égarë , & cherchant aretrouver , fmon la chilfe, tout au moins fon chemin , il arriva au bord du ruiffeau, ou la jeune Fée étoit endormie. II fut ébloui de fa beauté.Après avoir donné le s premiers momens a 1'éronnement ; il voulut entree dans la tente pour attendre le réveil de cette belle perfonne, & lui offrir de Ia conduire a fa cour, ou dans tel lieu qu'il lui plairoit d'aller. Dans ce deffein, il traverfale ruiffeau; mais qu'elle fut fa futpnfe , de ne plus voir ce qui lui avoit caufé tant d'admiration ! Il retourna fur fes pas, & dèsqu'il fut revenu a la première diftance, il appercut la Fée Princeffe éveillée , & qui le regardoit avec Ia même attention dont il étoit occupé pour Le bruit qu'il avoit fait en traverfant Ie ruiffeau avoit éveillé cette rare beauté. Elle ignoroit le charme que la Fée fa mère avoit attaché a fa perfonne. Ce fut donc ave.' raifon qu'elle fut furpiire de voir le prince venir aufïi prés d'elle qu'd avoit fait , & de lui voir enïuite repaffer le ruifTeau , fans lui avoir fait la momdre honnêreté. Les regards du prince lui perluadóieijc qu'il fe repentoit de fon impolirefle. II s'avanca de nouveau vers elle ; mais cette feconde démarche ne lui ayant pas été plus heureufe que la première, & la princeffe difpajoiflani encore, Qhj  t4<» Le Buisson le prince éprouva un étonnement impoflïble 1 ■repréf enter. 11 demeura quelques momens immobile. Ses yeux cherchoient fon aimable inconnue, mals ne la vovanr plus , il repafla le ruiffeau , accablé de tnfteffe , & s éloigna pour toujours ct'un lieu fi fatal a fa liberté, ik qui lui avoit repréfenté une illufion d'autant plus douloureufe, qu'ed\ avoit été agréable. La fée , de fon < óté , fut offenfée du procédé méprifant que 1'on avoit eu pour elle. Elle éprouva une colère plus forte qu'elle ne devoit i'ètre naturellement x contre un homme qui lui etoit inconnu. Son premier mouvement fut d'ouvrir la troilième perl 2 qui fervoit de cage aux deux ferms, & d'abandonner un lieu oü l'amour venoic cle lui donner le plus illuftre captif qu'il pouvoit lui föumettre. Menodie eut foin deplierlebag-ge: 1'une & 1'autre reprirent leurs jolies montürés , Sc la nuit les furprit dans une forêt fort qloignée de 1'endroit oü le prince Zelindor les avo;t rencontrées. Mais il eft des fentimens contre lefquels la fuite eft inutile. Cette aventure avoit jeté la jeune f e dans une frifteffe profonde. Elle avoit oublié la difgrace qui lui faifoita bandonner la cour de la reine fa mère; elle n'éroit plus occupée que de finconnu. Elle fe rappeloit non-feulement tous les traits de fa charmante figure , mais encore  !>' ÉPIKES FLEUPvIES." Ï47 la douceur de fes regards. Enfuite , en faifant réflexion a la fingularité du procédé qu'il avoit eu avec elle , elle faifoit tous fes efforts pour le haïr : elle croyoit même quelquefois qu'elle étoit parvenue a le détefter. La fée Menodie qui reconnut d'abord la caufe de fon trouble , réfolut d'employer fon favoir pour la garantir de tout ce qu'une grande jeunefle, joinre a une paflion violenre , pouvoit lui faire exécuter d'imprudent; elle conftruifit une tour avec les trois perles dont j'ai parlé, après en avoir tiré , comme 1'on peut croire , tout ce qu'elles renfermoient de néceflaire. L'une fut employée a former les murailles , les deux autres plafonnèrent & parquetèrent le nouveau batiment. Quand il fut en état, Menodie & la princefle s'y retirèrent, 8c celle-ci pafla. la nuit fur un canapé, occupée fans cefle des cruelles penfées dont elle étoit agitée. L'aurore parut avant qu'elle eut donné un feul moment au repos. D'un coup de baguette , elle ouvrit la tour dans le deflein de fe promener feule dans la forêt, efpérant en changeant de lieu, de changer aufli de penfées. C'eft; un mouvement de la machine dont on ne peut fe guérir. Tout inutiie que 1'on connoifle ce remède , quel eft celui qui n'en fait pas ufage ? A peine la jeune Qiv  24$ Le Buisson fée eut-elle fait quelques pas , que le bruit d'un équipage de chafle frappa fes oreilles. Elle cóutut promptement fe renfermer dans la tour, bien réfolue de n'avoir jamais aucun commerce tel qu'il put être avec les hommes. Pour en trouver tin trop aimable , elle déteftoit tous les autres* Ces abus de fentimens ne font encore, hélas! que trop fréquens. La tour fut en un moment environnée de chaffeurs qui regardoient dans un profond filence la mérveille qui s'offroita leurs regards.La beauté de la fée étoit aufli furprenante , que la fingularité de fon palais. La beauté , quand elle eft extréme, infpire naturellementaux hommes le refpect; par refpe&ceux-cife tenoient donc aflez éloignés de la jeune fée, pourne pas fentir le charme qui la rendoit invifible. Ils ne doutèrent pas que ce ne fut une dés fle , & cette idéé lesconduifit aifcment a 1'adoration. Elufieurs coururent avertir leur roi qui n'étoit pas fort éloigné , de ce qu'ils avoient rencontré de merveüleux. Toute cette multitude étcit comme enchantée, tant elle étoit ravie d'admiration. Pendant ce tems, la princefle étoit abimée dans une profonde rêverie, & peut-être ne fe feroit-elle pas appercue de ce qui fe paflbit de flatteur pour elle, fans la fée Menedie qui, d'un coup de baguette , éleva la  t)' ÉPINES FLEUPvIES. 2.49 tour a une diftance confidërable de la terre, Sc qui ne lailfoit plus voir que tres imparfaitemenc les charmes de cette beauté célefte. La princefïê , infenfible a 1'admiration qu'elle infpiroit, formoit le deflein de seloigner de ces lieux , quand elle entendit encore le fon d'inftrumens de chalTe , & qu'elle vit avancer vers elle vingt chaiTeurs des mieux fairs. Ils formèrent une danfe agréable & champêtre dont la figure imitoit celle qui eft confacrée aux facrifices. Ces chafleurs étoient fuivis de cinquante ?utres; ceuxci lui préfenrèrent des fleurs & des fruits , [tels qu'ils avoient pu les ramafter dans le moment même : un jeune prince , dont la phyfionomie étoit très-agréable , s'avanCa au pied de la tour , & fupplia la nouvelle déelïe de recevoir fes préfens. La jeune fée qui jufqu'alors avoit paru fi peu fenfiblea tout ce qui venoit defepaffer, le devint a ce triomphe de fa beauté. Son humeur bienfaifante lui fit defirerde donner des marqués de fareconnoiflance,& la fée Menodie, qui n'ignorok aucun des mouvemens de fon cceur, la fit. avancer fur les creneau i de la tour , & les premiers regards changcrent en or tous les fruits qui lui étoient préfentés, Sc toutes les fleurs, enpierres précieufes. Après cette métamorphofe , la tour s'éleva fi haut,fi haut dans les airs, qu'on la perdit bientöt de vue.  z$o Le Buisson Menodie qui connoiflbic le fujet de 1'inquiétude de Ia princefle, penfoit avec raifon , qu'elle auroit parcouru le monde entier, avant de retrouver le repos qu'elle avoit perdu. Elle lui paria donc la première de 1'inconnu dont elle étoit occupée. Je ne puis croire , iui dit-elle, que votre beauté n'ait fait fur lui le même eftet qu'elle a coutume de faire fur tous ceux qui vous voyent; il faut, fi vous m'en croyez , retourner dans les mêmes lieux ou nous 1'avons appercu , &c s'il fe trouve conpable , je vous promets de vous venger des chagrins qu'il vous caufe. La fée Princefle trembla de la feule penfée, que 1'on menacoit fon aimable inconnu , le mal qu'elle éprouvoit lui étoit devenu plus cher que fa propre vie. Elle craignoit que Menodie ne fe laifsat emporter a fon reflentiment; mais la propofition qu'elle lui faifoit de le revoir, la combloitdejoie. Je le veux bien, lui répondit-elle, allons découvrir ce myftère. Cerrainement nous ignorons quelque circonftance , je ne puis me réfoudre a le croire coupable. Quand le cceur eft infenfible, les yeux ne peuvent exprimer une aufli vive rendrefle que celle que j'ai remarquée en lui. Peut-être la reine ma mère me punit-elle de mon départ d'une facon fi cruelle , & peut-être eftelle la caufe des peines que je reflens. La princefle accufoit la reine fa mère pour  DEPINES FLEURIES. 25 I excufer fon amant. Ces forres d'accufations tout injutfes qu'elles foient, font, hélas! bien pardonnables , paree qu'elles font bien naturelles. Menodie trouva cette idéé vraifemblable , & faifant arrêrer la tour fur la cime d'une montagne , elle paffa toute la nuit a étudier pour découvrir ce que la reine des fées avoit pratiqué contre fa rille. Son travai! ne fut point perdu , la vérité lui fut dévoilée , & 1'enchantement démontré. 11 ne lui étoit pas poflible de le détruire, elle enrreprit du moins den modérer 1'effet. Ses livres lui apprirent aufli que 1'inconnu fe nommoit Zelindor , qu'il étoit .fouverain d'un grand rov-.ume , & qu'il reflentoit pour la fée Princefle tout ce que l'amour le plus tendre peut infpirer. Cette conformité de fentimens perfuada la fée Ménodie que leur amour étoit un arrêt du deftin. Le prince éroit digne de la princeffe, & elle ne pouvoit manquer detre heureufe en époufanr un grand roi qui reflentoit pour elle une violente paflion. Elle réfolut donc de fervir leur amour; mais une difKYulté prefque infurmontable traverfoit fon projet. Le prince Zelindor étoit promis a la fille unique du fouverain de 1'ile Funefte. C'étoit un géant cruel & d'une force furprenante, contre lequel Zélindor venoit de foutenir une guerre dès plus fanglantes , qui ne s'étoit terminée que par ce mariage. Le prince  251 Le Btjisson n'y avoit confenti qu'avec peine, Sc uniquement par déférence pour fes fujets , qui , voyant avec qu'elle intrépidité il affronroit les plus grand's périls , avoient appréhendé qu'il n'y fuccortfbat, Sz 1'avoient en quelque facon contramr de former eet engagement. La princefle fiancée ne reffembloit point au géant fon père. Elle n'avoit aucune de jes mauvaifes qualités. Heureufement ePe tenoir de fa mère qui avoit été une belle princelfe que le géant avoit autrefois enlev^e. Cette fille de géant étoit atren lue dans fesétats de Zelindor ; tous les prépararirs pour la recevoir étoient faits, & le géant lui-mêmedevoit Paccompagner, & être préfent a fon coironnement. Menodie fit part de tou;es fes découvertes a la fée Printeife. Les embarras & les dangers ne fe préfentèrent point a fon efprit dms 'e premier moment ; elle ne penfa qu'a Pamour de Zelindor. Quelle jcie nereffentit elle pas en apprentnr qu'elle étoit adorée de ce prince charmant dont la première vue avoit fait une fi vive impp ffi 'ii dans fon cceur. Elle embrafTa mille fois Menodie , en lui demandant fun fecours pour le prince Sc pour elle. L'amour vous fert mieux que je ne le faurois faire , lui dit la fée ; Zelindoi va s'expofer a de grands dangers: il aura befoin de notre fecours : ne perdons point de tems, partons, allons le trouver , & lui ap-  D' ÉPINES FtEURIES. 1$} prendre que vous 1'avez jugé digne de vocre proteótion & de votre tendreffe; il la mérite , puifqu'il ne s'expofe qae par rapport a vous. La fée & Menodie arrivenr en peu d'heures au palais de Zelindor. Elles defcendirent dans les jardins. Menodie prit la figure d'une petite vieille; fon habilement étoit antique ; mais fi chargé de pierreries, que les gardes & les courtifans la laifsèrenr arriver jufqua la chambre du prince , fans former le moindre obftacle. Tant il eff vrai que les richefies& la parure ont des prérogatives dont les hommes n'auront jamais la force de les dépouiller. Zelindor pi ia la fée d'entrer dans fon cabinet, en lui difant avec beaucoup de politelTe , qu'il alloit lui donner audience dans un moment. II fut aifé a Menodie d'entendre les derniers ordres que Zelindor donnoir ades ambaffsdeurs quilenvoyouaugéantderileFunefte, pourretirer fa parole & rompre fon mariage avec ia princeffe fa fille. Ses courtifans s'oppoffient a cette réfolution ; ils fe jetoient 5 fes pieds pour 1'en déronrner ; mais leurs pt-ièus furent inutdes. Le prince ne connoiffoit point d'autres malheurs que celui d'ètreféparé de la beaut é q Vil adoroit: firn am >ur éroit d'autmt plus vif, qu'il n'ofoit fe flatter da bonheur de la revoir. II n'a/o.t confié a perfonne 1'aventure qui lui étoit arrivce , il fut fur^ns en entrant dans fon  2J4 L E Buisson cabinet, quand Menodie tui apprit qu'elle venoit, non feulement pour lui donner des nouvelle» de la perfonne qui lui faifoit manquer de parole au géant, mais encore pour lui offrir fes fervices dans la guerre que fon refus alloit lui attirer. Le prince fut tranfporté de joie d'entendre parler de la belle inconnue. Quoi , dit il , feroit-il poftible qu'il me fut encore permis de revoir cette charmante perfonne ? Elle eft dans votre palais, lui répondit la Fée ; mais par une cruelle fatalité, vous ne la verrez point, fi vous n'en êtes éloigné d'une certaine diftance. Ce malheur, tout grand qu'il vous paroit, n'eft pas le feul que vous éprouverez. Te prévois bien d'auttes difficultés que vous aurez a furmonter , ft vous perfévérez dans vos fentimens. Allons commencer mes viéloires , par la córiquête du cceur de celle que j'adore , s'écria le prince. Mon courage & 1'efpérance d'êrre aimé , me feront aifément furmonter mes autres ennemis. Je vais vous y conduire & vous en abréger le chemin, lui dit la fée ; & le prenant alors par le bras, elle 1'enleva & le foutint en 1'air , jufqu'au lieu , oü la jeune fée 1'attendoit. Zelindor ne fit prefque pas d'attention a cette furprenante manière de voyager. L'efpérance de revoir la princeffe avoir répandu dans fon ame une joie mêlee de trouble, qui ne laiflbit en lui  d' épines fleurigs. I55 aucune place a d'autres penfées. Ménodie le fk arrêter a la diftance que la fée reine avoit fixée. II trouva la princefle appuyée contte un grenadier , li belle & fi charmante , qu'il voulut courir a elle pour fe jetter a fes genoux: arrêtez, s'écria la fée Ménodie. Vous allez cefler de voir ce que vous aimez. Cette cruelle menace le rendit immobile. Le defir de plaire a fon amant avoit encore augmenté les charmes naturels de la princefle: une agréable férénité, mêlée d'une joie pure étoit répandue fur fon vifage & faifoit éclater fa fatiffaction. Sa parure n'avoit rien d'affe&é; elle n'étoit vêtue que d'une fimple gaze ; la facon dont eet ajuftement étoit mis , en faifoit feule 1'ornement: il eft pourtant vrai que la couleur n'avoit pas été choifie indifteremment ; fes cheveux n'étoient attachés qu'avec des fleurs. Après avoir donné les premiers momens a. 1'admiration mutuelle , les regards des deux amans devinrent fi tendres, que malgré route 1'éloquence des yeux, ils defirèrent de pouvoir fe parler. Ménodie qui favoit que la princefle remplifloic une deftinée inévitable , voulut lui épargner toutes les peines qu'il étoit en fon pouvoir de lui faire éviter. Elle fit naitre a ce deffein un berceau de jafmins & de chevrefeuils, aflez long pour renfermer les deux amans dans la diftance que la fée reine avoit ordonnée. Elle toucha le berceau  Le Buisson de fa baguette ; pour lors tout ce que le prince Sc la jeune fée avoient befoin de fe dite, quoiqua voix bafle , étoit entendu très-diftinc'temqnt de 1'autre extrémité du berceau. Cet aimable fecours fut bien recu , comme on le peut croire , car les amans n'aiment point a parler haut. lndépendamment de ce qu'ils font fagement d'en ufer ainfi , pour empêcher les indirférens d'entendre beaucoup de chofes, fouvent très-plattes &: cependant très-délicieufes pour ceux qui les prononcent; il me femble que ces mots, je vous aime, je vous adore , je vous aimerai toute ma vie , Si mille autres femblables ne peuvent fe crier a cue-tere , comme il eut néceffairement fallu que Zelindor & la princefle euflent fait par la fuite. Quoi qu'il en foit, cette idéé de la bonne gouvernante donna naiflance a cette (ingularité , que 1'on remarque en plulieurs batimens. Nos deux amans furent li fatisfaits de leur converfation, que la princefle obtint de Ménodie qu'il feroit pollible aux hommes d'imiter quelquefois un prodige fi favorable a l'amour; Sc 1'on dir, je ne fais pas trop fur quel fondement, que 1'Italie fut le ptemier pays oü 1'on connut Pufage de cet aimable écho. La fée Princefle apprit a fon amant fon rang Sc fa naiflance ; elle lui fit le détail de ce qui 1'avoit obligée de quitter la cour de la reine fa mère j elle  d'épines fleuries. 2.57 elle ajouta avec une élégance & une rendrefle ïnfiniés, quelle devoit a ce malheur, le plus ■ grand des biens, & qu'elle ne le regarderoit déformais que comme la iburce de tous fes plaifirs. Elle lui avoua le penchant qu'elle avoit eu pour lui, dès le premier moment quelle 1'avoit vu 5 enfin elle lui raconta tout ce qui s'étoit pafte dans fon cceur, quand elle avoit cru s'appercevoir qu'il n'avoit que de 1'indifFérence pour eile. Ils fe jurèrent cent fois de s'aimer toujours , & de forcer par leur conftance, tout ce qui s'oppoferoit i leur union. Ils pafsèrent pl.ufieurs jours dans cet heureux état. Le prince ne paroiftbit plus que des momens dans fon palais. il abandonnoit le foin de 1'on empire & n'étoit plus occupé que de celui de fon amour; quand la fée Ménodie vint lui dire i prince il faut voüs priver pour quelque tems d'une converfation fi pleiue de charmes; le géant de 1'ifle funefte doit entrer aujourd'hui dans vbtrè royaume, demain il doit attaquervos troupes , la viétoire eft cettaine pour lui, fi vous ne combattez a. leur tête. La capitale du royaume oü ils étoient alors j ctoit éloignée de trois cent lieue-s de la frontière ; mais la fée Ménodie faifoit, quand elle en avoit la volonté , encore plus de chemin en une heure. Elle pria le prince de ne fe point inquiéter , &c 1'alfura qu'elle auroit foin de le faire trouver ftvs Temt XXXh E  4 '£ P I N E S F t ï U R I E s. ifp tfpéroit rirer de fon abfence, & fes troupes épouvantées de ce nouveau prodige, tomberent dans une conftérnation , qui fur encore augmentóe par les cris de joie que poufla larfnée de Zélindor, & par la vue d'une nuée brillante, qui renfermoic la princefle & Ménodie. ^ Le prince , rranfporté d'amour & de joie , s'approcha de cetre charmante princefle ; mais il la perdit encore de vue. C'eft Coujours'béaucoup d'entendre ce que 1'on aime. Je n al pu ' lui dit-elle , être plus long tems fans vous fuivre', je vous apporte des armes avec lefquelles vous combactrez le géant, & je ferai préfente ï votre combat. Quelle valeur, tant de bontés & la préfence de ce que 1'on adore, ne doivent-elles pas infpirer ? Les armes que la princefle avoit apporrées avec tant de foin, étoient un boucliër d'un feul diamant & une épée d'un métal enchanté, donc il s'arma fur le champ; & il roarcha en cet état au devant du géanr: A 1'inftant de fon embarquement, & avant même que d être armé des faveurs de la princefle, il 1'avoit envoyé défier, afin d'épargner, par un combat fingulier.le fang' de fes fujets. Zelindor avoit befoin de toute fa valeur & de toute fon intrépidité pour fe mefurer contre un monftre, tel qu'étoit le géant. A peine fa gtandeur laiflbit-elle voir la diftormité de fon Rij  a?o Le Buxss©?? vifage, tout fon corps étoit couvert d'une armuf^: d'acier d'un pied d'épailfeur. Sans 1'épée enchantée & encore plus fans Ia préfence de la princeffe, Zelindor auroit vraifemblabletnent fuccombé contre un tel adverfaire. Le combat fut vif , le bouclier para des coups mortels; enfin le prince en porta heureu-, fement un dans le défaut des armes de fon ennemi. Au même inftant le feu prit au géant &C le brula tout entier en moins d'un quart d'heure* Zelindor, dans le premier mouvement, ordonna qu'on le fecourut, mais il ne fut pas pouible de lui obéir. Dans toute autre occafion, Ie prince n'eut pas été fatisfait d'une viétoire qui lui avoit couté li peu; ce fut un facrifice que fa vanité eut a faire a fon amour. 11 levoit les yeux vers la nuée bril-, knte, St cherchoir les regards de la fée Princelfej pour la remercier, lorfqu'il parut dans Pair un Eléphanr tout couvert d'écailles d'or : il étoit porté par fix ailes violettes qui couvroient un grand efpace de pays. II prit le prince avec fa trompe, le chargea fur fon dos , & s'étant élevé dans les airs avec une rapidité prefque inconce» vable, il fur bientot perdu de vue. Les cris de douleur & Pétonnement général de toute 1'armée,' ne peuvent fe repréfenter. Ces troupes un mo-; lïienc auparavant fi fières de la valeur &c dufiicy  fe' É P I N I S FLEURIS S. 1(31' èês de leur roi, ne penfèrent plus h proftter de la ■viétoire. La fée Princeffe témoin du malheur qui venoit d'arriver & qui lui étoit commun avec fon amant, tomba évanouie entre les bras de Ménodie. La fage fée la tranfporta tont au plus vite dans une petite ïle inhabitée, & après lui avoir fait reprendre fes efprits, elle tacha de la confoler, en lui faifanr entrevoir quëlque lueur d'efpérance. Je ne doute point, lui dit-elle, que 1'enlèvemenc de Zelindor ne foit une fuite de la haine de la reine votre mere; elle ne peut voir fans indignation, que nous ayons furmonté les eifets de fon injufte couroux, ni vous favoir heureufe avec un prince fi digne de vorre tendreffe; mais je vais employer tout mon favoir, pour ia vaincre eneore une fois. Hélas! dans quelle circonftance je te perds, mon cher Zelindor, s'écria la jeune fée, lorfque mon amour n'avoit plus de périls a redouter, au moment que vainqueur du plus formidable de tous les géants, nous efpérions de ne nous quitter jamais : 1'excès de ma tendreffe te coüte la liberté & peut - être la vie. Ces' paroles étoient enttecoupées de miile fanglots; chaqué moment ajoutoit quelque chofe a fon défefpoir. Cent fois elle fe feroit jetée dans la mer, li la fée Ménodie ne Pen eut empêchéé. Votre amant eft vivant, pourquoi pouffer fi loin , lui dit-elle, votre défefpoir. Si vous voulez me promettre de Rüj  i-Si L i Buisson le calmer, & fi vous pouvez attendre mon retour, j'irai chercher le prince de tous cötés, &c je me Harre de le retrouver. Dans Pimpatience de voir exécuter un deflein, dont la feule efpérance de la réuffite pouvoit 1'attacher a la vie, la princefle promit a Ménodie tout ce qu'elle voulut exiger. Cette fage fée craignant que la reine ne profitat de fon abfence pour enlever la princefie fa fille, réfolut de 1 'enfermer dans cette ile avec des charmes fi forts, qu'il étoit impoifible a quelque être que ce fut, de lui venir rendre viflte fans fon propre confentement. Elle y batit une petite maifon de bois de CèJre & de Calambourg, qu'elle entoura d'un bofquet de A'lirrhes &c d'Orangers, arrofé par des ruilfeaux d'une eau plus brillante que le criftal, &: qui ferpentoir au pied des arbres bordés de gazons & de fleurs. Ce fut dans ce lieu que la princefle & Ménodie s'embrafsèrent mille fois, qu'elles versèrent de nouvelles larmes, & que Ménodie monta fur fon char rrainé par des ferpens ailés pour aller a la recherche de Zélindor. Quand la fée Princefle fe trouva feule, abandonnée a Ia triftefle de l'amour 5 car il faur convenir que les chagrins de cette paflion font bien cuifans, elle s'abandonna a tout ce que la mélancolie peut avoir de plus noir. Elle fut un mois fans fortir de fa chambre; mais Pimpatience fe mêlant 2. fes autres maux, au bout de ce tems,  I)' ÉPIKES PLEURIES. 2^5 elle fe détermina a fe promener quelquefeis dans le bois qui touchoit a fon habitation, & fur le bord de la mer. Souvenr elle paftbit les nuits, fans fermer fes beaux yeux, couchée fur le gtifon, occupée a fe plaindre de fes inforrunes. Sa douleur n'avoit que de trop juftes caufes, le prince Zélindor éroit encore plus malheureux qu'elle ne fe 1'imaginoit. La reine, (car c'étoit elle en effer dont 1'humeur avoit voulu fe fatisfaire) après 1'avoir fait enlever , l'avoit fait portee fur un rocher efcarpé , au milieu de la mer. L'éléphant le pofa dans cette affreufe folitude & difparut. Le prince fe trouva pour lors entouré de monftres qui fembloient a tous momens vouloir le dévorer. U avoit eu le malheur de laiffer tomber cette épée enchantée, avec laquelle il avoit combattu le géant. La furprife de fon enlévement la lui avoit fait échapper de la main; il n'avoit confervé que le bouclier de diamant. Son courage ne 1'abandonna point dans un fi grand péril; quoique fans armes, il s'avanca avec cette intrépidité qui lui étoit fi naturelle. Le bouclier eut la vertu d'empêcher les monftres d'approcher : fans ce fecours, rien dans la nature ne Feut dérobé a leur fureur. Quelquefois il les frappoit de fon bouclier, pour lors ils étoient métamotphofés e» une eau qui produifoit a 1'inftant de nouveaux monftres, fouvent plus terribles que ceux qui les avoient précédés. Riv  '04 Le Buisson Zélindor paffoit les journées dans ce pénible exercice; quand la nuk étoit venue, la laffitude obligeoit a fe rétker' dans une caverne, oü fe eouchant fur la rerre, il s'abandonnoir aux plus cruelles réflexions. ïl ne doutoit pas que la mort ne dut bientór terminer toutes fes infortunes, il 1'attendoit fans crainte, la perte de fa maitreffë 1'occupoit bien plus que celle de fa vie, Au milieu d'une nuk obfcure, il vit apparoitre une grande lumière a la faveur de laquelle il appercut une femme d'une grandeur extraordinaire. Ses regards avoient- quelque chofe de terrible. Elle fe jeta fur lui, & lui arrachant le bouclier de diamant, elle le menaca d'augmenter encore les malheurs dont il étoit accablé. Je fuis, lui ditelle , la reine des fées, vous ne pouvez jamais vous fouftraire a mon pouvoir, & je vais exercer fur vous une vengeance fi cruelle, que la pofté* rité en fera épouvantée. Mais fi vous voulez con«fentir a ne voir jamais la fée Princeffe; fi pour süreté de votre parole, vous voulez époufer dans deux heures la fille du géant de 1'ile funefte, je vous tranfporterai dans vos états, j'y conduir&i cette princeffe, & je vous comblerai de toutes fortes de biens. Je vois bien, lui répondit le prince, que vous êtes maitreffe de ma deftinée, mais vous ne pouvez m'en faire une plus cruelle , que de me fé4>arer & pour toujours de la préfence de la belle  ©s É P ï N E S F L E U R. I E S.' i€f fée que j'adore. J'aime mieux perdre la vie, que de la pafler fans la voir. Tu re repentiras de ca conftance, lui dit alors ia reine des fées. Pour lors elle le toucha de fa baguette, difparut, & le prince fe trouva feul dans un jardin délicieux. Au moment que 1'aurore commenca a paroitre , les rayons de la lumière découvrirent a. fes yeux tous les ornemens donc il étoit embelli: la nature & 1'art fembloienr avoir fait tous leurs efforts pour en augmenter la magnificence. Zélindor fe promenoit triftement dans une allee terminée par un baflin de marbre blanc, rempli d'une eau cranfparente. Une baluftrade d'or émaillé entouroit ce baflin. 11 s'en approcha & voulut étancher dans fa main , la foif ardente qui le confumoit; mais quel fut fon étonnement, de voir au milieu du baflin le portrait de la fée Princefle, dans la ftatue de Vénus, qui faifoit f ornement de cette fuperbe pièce d'eau. Cette ftatue étoit de matbre blanc : les graces & les plaifirs étoient différemment occupés a lui faire leur cour. Le prince demeura li tranfporté d'amour a cette vue, qu'elle fufpenflit pendant quelques momens, le fouvenir de fes malheurs. Tant de chofes furprenantes lui étoient fucceflivement arrivées depuis un efpaee de tems bien court, qu'il ne favoit plus que penfer de fa propre defïinée, lorfqu'il appercut dans les airs la fée M4«  166 Le Buissom nodie, qui laiffa tomber une bague a fes pieds. 11 Ia vit tomber en effet, mais au moment que cet aimable prince fe bailfoit pout la ramafler, il fut changé en un Bui (fon d'épines fleuries. Ménodie fut témoin de cette métamorphofe , mais elle ne put 1'empêcher. La reine étoit naturellement plus puiftante qu'elle par tout ailleurs, encore plus dans fon propte palais. Le malheur du prince avoir prevenu d'un moment le don qu'elle lui faifoit de la bague qui pouvoit 1'en garantir. Elle ne s'abandonna point a des regrets inutiles; elle prit fur le champ le parti d'aller retrouver la fée Princefie, réfolue de ne rien négliger pour la déterminer a revenir a la cour. II lui parut, avec raifon, que le pardon de la reine des fées & le retour de fon amitié pour fa fille, étoient feuls capables de mettre fin a 1'enchantement & au malheur de Zélindor. En un inftant elle parcourut 1'efpace qui féparoit le palais de la reine & 1'ile déferte oü Ia princelfe étoit retirée. Leurs premiers embraflemens furent mélés de larmes. On pleureroit a moins. La bonne fée revenoit feule, & 1'efpérance des amans eft fouvent injufte pour ceux qui s'emploient a les fervir. Ménodie crut qu'il étoit de la prudence de lui déguifer la vérité; elle lui dit donc qu'elle n'avoit pu découvrir le lieu que Zélindor hibitoit, mais qu'elle pouvoit 1'aflurer, foi de fée, qu'il refpiroit encore; elle ajcuta qu'il  d'épiuis flexjries. 267 falloir , puifqu'clle 1'avoit cherché inutilernent par toute la terre, que la reine Peut enférmé dans fon palais, qu'elle favoir bien élle-même que c'étoit un lieu qu'il ne lui étoit pas poflibie de vifiter, & qu'elle n'avoit plus d'autre confeil i lui donner, que celui de retourner a la cour, ou felon toutes les apparences, elle pourroit en avoir des nouvelles. La confiance que la jeune fée avoit en Méno-» die, lui fit reprendre quelque efpérance. La feule idéé d'apprendre la deftinée de fon amant, la détermina a s'expofer a la colère de la reine fa mère, ainfi qua tous les mauvais traitemens, que fon humeur pourroit lui fuggérer. Elle fe mit donc en chemin, Ménodie 1'accompagna jnfques fnr les frontières des états de la fée reine. Leur féparation fut tendre. Une gouvernante qui prend le parti d'un amant, contre celui d'une mère, n'eft pas ordinairement brouillée avec fa pupille. D'abord que la princefie parut, tout le monde courut au-devant d'elle, on la fuivit en foule au palais. Elle fe préfenta a la reine, baignée de larmes & dans un faififlement qui Pempkha de pouvoir proférer une feule parole. La févérite avec laquelle elle fut recue , la fit trembler mille fois pour la vie de fon amant; cependant a la hn de 1'audience, la reine lui témoigna plus de bonté qu'elle ne 1'avoit efpéré. L'humeur & la colère écouftent les fentimens, mais elles ne les éteignSnt  'i68 L * B u i s s © n" pas, & dans le fond de fon cceur la reine aimoltl la princeffe. Notre infortunée reent les complimens de toute Ia cour, & s'ennuya beaucoup en les recevant. Quand elle pouvoit avoir un moment de folitude, elle en étoit charmée, & le plus fouvent qu'il lui étoit poflibie, elle fe promenoir feule dans les jardins du palais. Elle fe repofoit quelquefois furlegafon, & pour fe garantir du foleil, elle fe mettoit auprès d'un Buiifon d'épines fleuries, qui lui plaifoit plus que tous les autres arbres du jardin. Quel eft le phyficien qui peut rendre raifon de ces inftinéts dont l'amour eft rempli ? Zélindor voyoit donc la princefle, car fon en» ehantement préfent avoit détruit le premier, & c'étoit avec un grand plaifir de fa part, qu'il Pembraüoit & qu'il la ferroit quelquefois entre fes branches. Excepté la parole & la figure, il n'avoit rien perdu de fon premier état. Avec quelle fennbilité vit-il cent fois fa chère princeffe aller eile-même chercher de 1'eau pour arrofer le Buif. fon d'épines fleuries fon favori ? Elle fut un jour furprife par la reine fa mère, lorfqu'elle étoit occupée de ce foin charitable. La fée fentit en ce moment redoub'fer fa haine contre ie prince, & s'adreflant a la fée Princeffe : allez, lui dit-elle, me cueillir une branche de cette cpine fleurie. fa princeffe trembla a ces paroles, mais s'ac-  O' É ï> I N E S F L E U R. I E S, 2.6$ feufant elle-même d'une foibleffe , qu'elle ne pouvoic tronver raifonnable, elle exécuta cet ordre. Le fang coula aufli-tot de la branche qu'elle venoit de rompre, & la fée reine ayant renda au même inftant 1'ufage de la parole a Zélindor, il fit un grand cri & prononca ces paroles : quoi! c'eft vous, ma Princefle, qui me donnez la mort ? II eft impoflible de repréfenter ce que fentit la fée Princefle dans cet effroyable moment. Elle fe laifla tomber a terre auprès du Buiflon , & mêlant fes larmes avec le fang du malhenreux prince, elle feroit morte d'excès de douleur, s'ü ne lui fut arrivé le fecours le moins attenclu. Mille voix (car les courtifans font toujours empreflés) s'écrièrent dans le jardin : voila b roi. La fée reine qui croyoit ne le plus aimer, fé trouva fenfible a cette nouvelle. Un moment de fa préfence lui rendit toute la tendreffe de la reine fa femme, & dans les premiers embraflemens, il lui demanda la grace de la princefle leur fille Sz celle de Zélindor. Cette gtace lui fut accordée fur le champ. Zélindor recouvra fa figure naturelle; mais comme la perte de fon fang 1'avoit réduit a la dernière extrémité, la reine répandtt fur lui une liqueur qui le guérit non-feulement de fa bleflure, mais encore lui redonna toutes fes forces & rous fes charmes. Yous ctes caufe de tous ces malheurs,dit-elle,  zjo Le Buisson d'épines fleüries. au roi. Votre inconftance ma donné une fi grande averfion pour tous les hommes, que je voulois punk Zélindor de l'amour que ma fille a pour lui; mais vous avez repris tous vos droits fur mon cceur, & je confens a les rendre heureux, puifqu'ils m'ont procuré le plaifir de vous revoir. Je fais que c'eft l'amitié que vous avez pour votre fille, qui vous ramène auprès de moi. Le roi vouloit lui cacher que la fée Ménodie étoit venue le prier de fecourir la jeune princeffe Sc le prince fon amant : mais voyant qu'elle n'ignoroit aucune circonftance de ce cui s'étoit pafte, il 1'affura dans les termes les plus tendres, que fon amitié pour fa fille n'avoit pour premier principe , que celui d'être le gage de l'amour qu'elle avoir pour lui. II embrafla mille fois le prince Zélindor Sc la fée Princeffe. On prit le chemin du palais, & 1'on y paffa plufieurs jours dans les fètes, pour célébrer ie mariage de ces deux heureux amans dont la paflion paroiffoit s'ètre encore augmentée, depuis la certitude qu'ils avoient de leur bonheur. On déciara en même tems le mariage du roi Sc de la reine. Quelque tems après leurs nöces, nos amans furent regner enfemble dans le royaume de Zélindor, oü les peuples qui étoient demeurés fidèles, les recurent avec les démonftrations de joie,'qui font fi juftement attachés a l'amour qu'on a pour les bons rois.  17t A L P H I N G E OU LE SINGE VERT. CONTÉ. ï L y avoit autrefois un roi, qui fut marié deux fois : fa première femme étoit douée d'une beauté & d'un mérite infini, malheureufement elle mourut peu de tems après fon mariage, en mettanc au monde un petit prince. Le roi fut fenfiblement touché de la mort de la reine , & ne recevoit de confolation dans fa douleur, que celle de voir &c d embrafler le prince fon fils. II méritoit fon attachement, non-feulement par Ia reffemblance qu'il avoit avec la reine fa mère; mais encore paree que c'étoit en lui-même Ia plus belle & la plus aimable créature du monde. C'étoit 1'ufage dans ce pays , de faire donner un nom aux enfans, par quelque perfonne confidérable. Le roi choifit pour cette cérémonie , une princefle de fes voifines, renommée par toute la terre, pour fon 'efprir & fa grande fagefle. On la notnmoit communément Ia bonne Reine. Elle vint donc a. la cour du roi, elle donna au petit prince le nom d'Alphinge , &c concut dès ce m©-  27l Alphingé ment pour lui, une amitié qui lui fut avantó? geufe dans Ia fuite. Le tems efface les plus grandes douleurs; A peine une année fe füt-elle écoulée depuis la mort de la reine, que le roi, non-feulement eut envie de fe remariér, mais qu'il mit cette envie a exécution. II époufa une princeffe, a laquelle on ne pouvoit refufer la beauté; mais il s'en falloit beaucoup, qu'elle poffédat toutes les vertus dont la défunte reine étoit ornce. La nouvelle mariée devint groffe quelques mois après fon mariage, & accoucha fort heureu»* fement d'un garcon. A peine fe vit-elle mère , qu'elle devint belle-mère d'une facon complette, puifqu'elle concut une extreme averfion pour Ie petit prince Alphinge qui ajoutoit tous les jours aux charmes de fa perfonne, ceux d'un efprit merveilleux. Les applaudiffemens qu'on lui donnoit redoubloient encore dans la reine cette baffe jaloufie que jamais un cceur bienfait n'a reffentie. Elle diffimula cependant fi bien fes fenti-' mens, que le roi n'en eut aucune connoiffance.' Mais enfin n'étant prefque plus maitreffe d'elle-; même, elle envoya fecrettement un de fes plus fidéles domeftiques, trouver la fée de la Montagne. Cette fée avec laquelle elle étoit en grande liaifon, lui avoit promis de la feconder dans tous fes proj'ets, tels qu'ils pufient être. La reine lui mandois  O V XE S ï N 6 E V I R T. inandoit, par fon courier, qu'elle la conjufoit de la défaire du prince Alphinge, que fa haine pour lui étoit venue au comble, d'autant qu'il. étoit un öbftacle infurmontable a fon fils, pour parvenir a la couronne. Tóur ce qu'une bellemère en fureur Sc née méchante peut éerire fur ce fujet, étoit dans fa lettre. La fée lui répondit^ que quelqu'envie qu'elle eut de fatisfaire fes' defirs, il lui étoit impofiible de rien attenter contre Alphinge; qu'une force fupérieure4 plu», puiflante que la fienne, protégeoit ce prince J qu'elle n'en connöilïbit pas le principe,mais qu'ell© he pouvoit douter de 1'inutilicé de fon favoir en*; cette occafiorti En effet, la bonnë reine veilloit avéc plus d'at-i; tention que jamais, i laconfetvation d'Alphingei ÈUe demeuroit dans des états ébignés; mais tomme fes eonnoiflances s'étendoient fur tout ce< qui fe paffoit de plus fecret dans 1'univers, Sc qu'abfol urnent rien ne lui étoit caché, elle n'ignoiroit aucun des mauvais delfeins de la reine. Elleï avoit donc envoyé au prince un rubis d'une groffeur Sc d'une beauté extraordinaites, en lui recom», mandant de le porter jour & nuit : fes ordres ctoi«nt fuivis exadtement* Sc par ce moyen le prince étöit a couvert de tout ce que 1'on auroic pu enrreprendre contre lui. Mais ce Talifmari. n'avoit de vertu, qu'autant qu'Alphinge devoiï Terne XXXI* 5  1 274 A t ï'H I H 8 KJ refter dans 1 nats du roi fon père. Par tour ailleurs il étoit fans force : la fée de la Montagne en fit avertir la reine. Dês-lors cette princefle ne fon^ea plus qu'a trouver les moyens d'éloigner l'aimable Al &ins - fit plufieurs tenratives qui furenr toutes utiles •, enfin le hafard fit pour elk i e qué toute fon intrigue n'avoit pu produire. I i roi avoit une fceur mariée a un prince puiffant qui regnok dans des étars aflez éloignés des fiens Cette fcpur confervok pour fon frèse une imitié trés tendre; elle en recevoir fouvenc des nouvelles, & fe faifoit conter avec un plaifir infini, tout ce qui fe paflok a fa cour. Les récits qu'on lui faifoit du princeAlphinge larempliflbient d'admiration; ils lui firent naitre une fi grande envie de voir fon aimable neveu, qu'elle fupplia le roi fon frère de trouver bon, qu'il vint palfer quelque tems avec elle. Elle accompagnoit fa prière-, d'inftances les plus vives. Le roi par des intéréts de potkique, plus que par fentiment, ne lui auroit jamais accordé cette grace; mais la reine fut fi bien ménager fon efprit, fans qu'il put avoir le moindre foupcon du motif qui la faifoit agir, qu'il confentit enfin a ce voyage, &c ne fongea plus qu'a déterminer le jour du départ," &aordonner un équipage convenable a la naiffance du prince fon fils. II avoit alors quatorze  ö ü i fi S i n c i Ver*; j7j ans, Sc 1'on peut dire fans aucune flarterie, qu® 1'on n'avoit jamais rien vu qui lui füt comparable. C'étoit 1'ufage de ces terris-la, que les dames de la plus haute condition fuffènt les nourrices des enfans des rois. Le prince Alphinge avoit été nourri par une dame qui joignoit d la grandeur de fa nahfance, une vertd folide autant qu'aimable, Sc qui la diftinguoit de toutes les femmes de fon tems. Elle avoit non-feulement nourri le prince, mais même elle 1'avoit élevé jufqu'aii tems qu'on lui avoit öté les femmes; & pour lors ce fut fon mari qu'on lui donna pour gouverneur. Ainfi elle n'avoit jamais été féparée du prince Alphinge : elle 1'aimoit donc avec une rendrelTe égale a celle qu'elle reffentoit pour fa fille unique nommée Zayde. Les grdces Sc les vertus de cette charmante perfonne faifoient le bonheur des parens que Ia nature lui avoit donnés. Le prince de fon cöté n'étoit pas méconnoilfant de lamme de fa nourrice; il avoit pour elle tous les fentimens qu'il auroit eus pout la reine fa mère. ^ Quand il fut queftion du voyage, 1'on croic aifément que cette aimable familie voulut fuivre le prince; il partit donc accompagné des gens du monde qui lui étoient le plus attachés. II voyagea dans les états du roi fon père, fans qu'il lui arrivat aucun accident j mais après qu'il euC  l7g %- l * H l N G B pafté les frontières, & qu'il eut traverfé une' plaine de fable par une chaleur mfuportableil entra dans un bois qui fe trouva fur la route. Le prince fe pkignir alors d'une foif qui le tourjnentoit depuis quelques heures. Malgré la rareté dont étoient les fontaines, on en trouva une, &£ 1'on apporta de Peau au prince. Oès le moment qu'il en eüt goitté, il fauta en bas du cartolTe fc difparuï aux yeux de toute fa cour. Ce fur inutilemenr que fondans en larmes, tous ceux de fa fuite le cherchèrent de tous cötés. lis faifoient retentii les bois & les rockers de leurs cris, quand un grand & gros Singe noir parut fut la pointe d'un rocher efcarpé, & leur dit: c'eft en vain , pauvres gens défolés, que vous cherchez le prince Arphinge; retoumez au pays que vous quitrez, & n'efpérez de le voir qu'après l'avoir long-tems méconnu. lis ne compnrent rien a ces patoles, & s'en retournèrent avec une douleur incroyable, Quand le roi eut appris cette nouvelle, 'il en tut fi touché, que peu de tems. après il mourut. La reine avoit une ambition démefurée, elle fut ravie de voir la couronne fur la tête de fon fils, fans qu'on la lui püt difputer. Elle gouverna I'état avec lui; &c comme 1'autorité ne fait point admettre la contrainte, fon mauvais naturel fe développa bientót, & Pon ne put douter dan?  © LE SlNCE V E R T. I77 tout le royaume qu'elle n'eüt fait périr le prince Alphinge. II eft certain même que fans la confidération que 1'on avoit pour le roi fon fils, qui étoit un prince fort bien né, la révolte eut été générale. Cependant Ia nourrice du malheureux Alphinge vivoit retirée chez elle & dans une trifreffe profondej fa fille étoit pour lors agée de quarorze ans, & devenoit tous les jours fi belle, qu'elle caufoit de 1'admiration a tous ceux qui la voyoient. Elle regrettoit le prince quelle avoit aimé depuis qu'elle avoit commencé de le connoïtre, & fe rappeloir avec plaifir les retours de tendreffe qu'elle en avoit recus. A ce plaifir fuccédoit la trifteffe, & j'ai fu de bonne part, qu'elle paflbit les journées entières a pleurer avec fa mère. Pour la reine, elle ne fongeoir qu'a procurer des divertiffèmens au jeune roi fon fils. Ce prince aimoit extrêmement la chafte, &C c'étoit un plaifir qu'il prenoit fort fouvent, accompagné de toute la jeuneffe du royaume. Un jour qu'il avoit fait une grande parrie, pour donner des marqués de fon courage & de fon adreffe contre des lions, des tigres & les animaux les plus furieux dont les forêts de ce pays étoient remplies; après avoir chaffe toute la matinée , il vint fe repofer dans un bois au bord d'une petite fivière, ©ü le retour de chafle éc©it préparé fous S iij  1J% AtPHINGE unetente magnifique. Pendant qu'il étoit a table, il vit fur un arbre un Singe du plus beau vett du monde, qui le regardoit fixement & d'une manière fi tendre, qu'elle lui fit impreffion. 11 défendit a fes gens de rien faire qui le put effaroucher. Le Singe Voyant 1'attention que 1'on avoit pour lui, fauta de btanches en branches, & de fi bonne grace, que tout le monde en fut occupé. On obfervoit le plus grand filence, dans Ia crainte qu'il ne voulut point fe laifler prendre. 11 s'approchoit cependant toujours peu a peu de la compagnie, 8c plus on le vit de prés, plus on lui trouva le regard & le maintien agréable. Le roi Jui préfenta a manger, il en prit avec grace, 6c fe mit même a table; enfin le roi le recut fur fes genoux 8c il 1'emporta charmé d'avoir fait une telle découverte. II n'en voulut confier la garde qua lui-même, il en eut tous les foins imaginables, & ce que 1'on croira fans peine, c'eft qu'on ne parloit plus a Ia cour que du beau Singe Verr. La nourrice du prince Alphinge étoit un matin dans fon appartement avec la belle Zayde, le petit Singe y entra par une fenêtre qu'il trouva heureufement ouverte; il s'étoit échappé de chez le roi. Leur premier mouvement fut d'avoir peur; mais le petit animal vint a elles d'une manière fi douce & fi infinuante, qu'elles furent bientoc remifes de leur frayeur, Sc un moment  OU t E SlNGE VERT. I79 après elles fe trouvèreirt attendries fans en pouvoir deviner la raifon. II y avoit déja quelque tems que le beau Singe Vert étoit avec elles 8c qu'il leur faifoit toutes fortes de carefles; quand on vint le redemander de la part du roi. On le voulut prendre, mais il fit des cris fi pitoyableri que Zayde 8c fa mère en furent touchées. Elles firent fupplier le roi de le leur laifler encore quelque-tems, 8c il le leur accorda. II demeuradonc encore auprès d'elles, il y revint fort fouvent dans la fuite, & toutes les fois qu'on l'emportoit, il témoignoit une douleur cxceflive. Un foir qu'elles étoient dans le jatdin aflifes au bord d'une fontaine a prendre le frais, le petit Singe regardoit Zayde dont la beauté étoit incomparable, avec un air fi trifte & fi paflionné, qu'elles ne favoient que penfer. Leur furprife fut bien plus grande, quand elles virent tomber des larmes de fes petits yeux; elles en furent émues. Zayde ne pouvoit être d'accord avec elle-même, fur ce qui fe paflbit dans fon cceur, & malgré tout le fecours de fa raifon, elle fe fentoit entrainée par un fentiment dont elle n'étoit pas maïtrefle. Elle fe promcnoir un jour avec la mère; apsès avoir marché quelque tems, elles fe reposèrent dans un cabinet de jafmin, 8c la converfatiou tomba naturellement fur tout ce qu'elles avoient remarqué du petit Singe. La mère dit a Zayde , Siv  *S que mon difcours vous a plus flattee, qu'il ne vous a offenfée- & c'eft ce qui me fait defefpérer du fuccès des propofitions qui me reftent a vous faire. Je vais cependant les hafarder; voulez-vous avoir de 1'efprit? oui, lui ré- ' pondit Kadour. A la vérité, elle fit cette réponfe du même air & du mêmeton que 1'on employé } Pour parler de ce que 1'on ne connoït pas: ce oui etoit prononcéfans défir, d peine étoit-il arriculé. He bien! ajouta-t-il, en voici les moyens. II Tome XXXI, T ~.  i^O K A D O V R~i aim'er Paratinparatos, c'eft ainfi que j'e m'appellé, & vous préparer a m'époufer dans un an. A cette condition vous aurez de 1'efprit; mais fur-tout n'oubiiez jamais ni 1'engagement que vous prenez avec moi, ni le nom que je porte. Lifez ce qui eft écrit fur ce papier que je vous donne , apprenezle par cceur,- & vous ne ferez pas long-tems fans penfer : voici les paroles qui vont chafter votre indolence Sc difliper votre imbécillité : O toi qui peus tout animer , Amour, fi pour n'être plus béte , 11 nc faur. que favoir aimer, Je fuis prête. Après la leórure de ces vers, Paratinparatcw difparut. Kadour fut a peine remife de fon étonnement, qu'elle voulut eftayer de faire la même leéhire. A chaque vers qu'elle prononcoit, les graces , les fourires naiflbient fur fon vifage; fesyeux fi bètes Sc fi trainans s'animoient de la plus grande vivacité; fa taille, fa démarche, fon maintien, tout enfin fe reflentit des promefles du monftre. Elle s'appercut elle-même du changement avantageux qui fe faifoit en elle; tant de graces Sc d'agrémens ne fe développent pas fans être accompagnés de l'amour propre. L'on peut me croire, quand je dirai qu'elle répéta mille fois ces heureux vers. Elle reyint i la hate trouver  Kadour.' {£fj fon père : non-feulement elle commenca par lui dire des chofes fuivies; elle s'exprima même fenfemenr Sc finir. en peu de tems par témoignet beaucoup d'efprin Un changement fi fübir Sc fi fingulier, ne pouvoit être ignoré long-rems dans Cachemire, de ceux qui y étoient lés plus intérelfés : c'éroienc fans doute les jeunes gens de la ville. Les galans vinrent dönc fe ranger en foule auprès de Kadour: cette aimable fille n'étoit plus cómme autrefois folitaire au bal ainfi qu'a la promenade, les chofeS avoient pris toute une autre face. Les amans quittoient fans peine la main de. leurs maïtreflesi pour avoir feulement le plaifir de regarder cette nouvelle beauté; les rivaux fe batroient, & routes les femmes en fureur éprouvóient tout ce que la jaIoufiepeutinfpirerdehaine,dedéfefpoir&d'envie. Enfin il n'étoit bruit que de la belle Kadour. Parmi le grand nombre de ceux qui la trouvèrent aimable, il n'étoit pas pofliblè qu'elle ne rencontré une figure qui lui fit impreffion. II étoit encore plus aifé d'oublier celle de Paratinparatos. Malheureufement pour lui, il avoit fait don de 1'efprit d la belle Kadour, Sc les paroles qu'elle répétoit avec autant d'attention que de zèle, lui infpiroient de l'amour. Les donneurs de lecons font prefque toujours abufés; ce fut en effet ce qui arriva a Paratinparatos, d Ja vérité ce Tij  zqi Kadour! fut contre fes intentions; cet amour naifloit; mais il ne naifloit pas pour lui. Le mieux fait & le plus agréable de ceux qui foupirèrent pour Kadour,fut aufli celui quiremporta fur fes rivaux. Il s'en falloir beaucoup qu'étant doué des graces de la figure, comme il 1'étöit en eftet, il le fut encote des dons de la fortune. II n'avoit réellement aucun bien, aufli le père & la mère de la belle Kadour trouvèrent le choix qu'elle avoit fait fort mauvais, le défapprouvèrent hautement, & fe repentirent plus d'une fois des fouhaits quMs avoient faits, en défirant de 1'efprit i leur fille. Ils trouvoient que ce don du cïeï faifoit lèur malheur; car ils n'avoient pas eux-mêmes aflez d'efprit, pour répondre aux objeéHons vives & féduifantes qu'elle favoit oppofer a leurs remontrances. Ne pouVant la priver de 1'efprit qu'elle avoit acquis, ils lui firent art moins (fuivant 1'ufage ordinaire) des lecons fans nombre contre l'amour. Mais c'eft en vain que 1'on veut défendre d'aimer a une jeune & jolie perfonne. Les oppofitions qu'elle éprouva, ne fervirent donc qu'a lui faire aimer un peu davantage Arada (c'étoit le nom de fon amant). Elles lui donnèrent mème fouvent le plaifir d'en enrendre parler . ceux avec lefquels elle neut ofé ntretenir. , jn imagine aifcment qu'elle n'avoit dit a  Kadour. *>93 perfonne au monde, comment 1'efprit lui étoit venu; & depuis cette aventure, elle a été foigneufement imitée fur ce genre de fecrer. Elle fut difcrete, même avec fon amant. Ce fecret eft peut-être le fe.ul qu'il foit permis de garder a ce que 1'on aime. En effer, fa vanité étoit ttop intéreflée a cacher fon hiftoire dans L'oubli le plus profond. Ayant de Pefprir, pouvoit - elle avouer qu'elle le devoit a quelqu'autre qua elle? Cependant 1'année que lui avoit fixé Paratinparatos, pour apprendre a penfer & pour fe ré-' foudre a 1'époufec, étoit prefque expirée. Elle; voyoit avec une douleur exrrême que le terme fatal s'approchoir. Son efprit lui devenoit alors un préfent funefte ;,car il lui préfentoit fans ceffe toutes lescirconftancesaffligeantes de fa fituation. Perdre fon amant pour jamais, fe voir a tout autre qu'a lui, devenir la femme de quelqu'un dont elle ne connoiftbit que la diftbrmué, ce qui peut être encore étoit fon moindre défaut; je n'entreprendrai point d'écrire toutes les réflexions qu'elle faifoit. Une jeune perfonne qui joint l'amour a. beaucoup d'efprit, fait bien du chemin en peu de tems. De telles ou femblablgs réflexions la mettoient au défefpoir. EHe étoit frappée de la parole qu'elle avoit donnée, & fur toutes chofes, elle n'oublioit pas qu'en acceptant le monftre pour époux, elle en avoit recu des dons Tüj  ^94 K a d © u ïu 'donc elle ne vouloit point fe dépouiller. II eft conftant que rien n'égaloit le toutmentdont elle étoit agitée; car plus nous avons d'efptit, plus il fett a augmenter nos malheurs. Un jour que pleinement occupée de fa cruelle 'deftinée, elle s'étoit infenfiblement écartée, & qu'elle étoit feule, elle entendit un grand bruit, Sc diftingua des voix fouterraines qui chantoient les paroles que Paratinparatos lui avoit données, par écrit. Elle en frémit; c'étoit en effet le fignal de fon malheur. Aufli-tot la terre s'ouvrit, Sc (fort doucement a la vérité) elle fut defcendue 'dans le gouffre qui venoit de fe former a fes yeux. Paratinparatos environné d'hommes aufli diftbrmes que lui, tenoit alors fa cour. Quel fpec tacle pour une perfonne qui n'aguères étoit fuivie de tout ce qu'il y avoit de plus aimable dans fa pattie, & qui de plus reflentoit les premiers feux de 1'amour! Sa douleur fut plus grande encore que fa furprife, elle n'eut pas la force de parler, elle verfa un torrent de larmes ; & ce fut le feul ufage qu'elle fit de 1'efprit que Paratinparatos lui avoit 'donné, & que 1'on avoit fi fort admité dans Cachemire. Paratinparatos la regarda de fon cöté avec tout l'amour Sc toute la douleur imaginables.Madame, lui dit-il, je mappercois aifément que je voas déplais encore plus que la première fois que j'ai  Kadour. 195 paru devant vous. Je reconnois , mais trop tatd, que je me fuis perdu moi-même, en vous faifanfi un préfent li funefte pour moi; mais enfin, vous êtes encore libre, & je vous laifle le choix entre ma main & votre premier état. Je vous promets de vous remettre chez vos parens,telle que je vous ai trouvée. C'eft a vous de choifir ou de retourner auprès d'eux avec votre première ftupidité, ou d'être avec beaucoup d'efprit „la reine de ce royaume. Je fuis le roi des Gnomes; c'eft aflez vous déclarer quel eft votre pouvoir dans cet empire. Si vous voulez facrifier le plaifir de vos yeux» tous les autres vous feront prodiguez. Nul homme, fans mon aveu, ne peut avoir la plus foible partie de 1'or & des richelfes que la terre enferme dans fon féin, il ne tient qu'a vous den difpofer fouverainement. Avec de 1'or & de 1'efprit, qui peut être malheureux, mérite afiurément fon malheur. II y a trés peu d'hommes & de femmes fur la terre qui ne convinflent de cette propofition; mais je crains, ajouta-t il, d'être la feule de toutes les chofes que je vous offre, qui ne yous puille être agréable. Dites un mot, votre retour eft ordoHné. Oui, lui dit-il avec tranfport, je ne veux pas que rien puifle troubler le bonheur que j'efpère dans la pofleflion de votre cceur. Je vous donne deux jours pour examiner cette demeure» & pour décider de mou fort &c du votre. Jamais Tij  -9* Kadour.; gnome n'a peut être été aufli délicat que celui et.' Après ce difcours, Paratinparatos quitta la belle Kadour. On la conduifit dans un apparrement magnifique, elle fut fervie avec un foin extréme par des gnomes femelles, dont la laideur étoit moins choquante que celle des hommes de cette efpèce; mais pour dire les chofes dans l'exaóte vérité, les plus jolies étoient bien mauflades. On lui fervit un repas magnifique; mais qu'eft-ce qu un repas , fans bonne compagnie ? L'aprèsdinée on repréfenta devant elle une comédie*. mais le fujet ne put intérefler fon cceur. Quand elle auroit eu la liberté de fon efprit, qu'elle impreflion des gnomes pouvoient-ils faire fur la fcène ? Le foir on lui donna le bal; elle s'y trouva fans le défir de plaire, & le ridicule des pas formés par les gnomes males & femelles ne la put amufer. Elle éprouva donc un dégout général pour tous les divertiflemens qu'on cherchoit a lui piocurer. Elle n'eut pas différé un moment a remercier Paratinparatos de fes richefles & de fes plaifirs; mais la certitude de fe trouver fans efprit, méritoit quelque confidération de fa part. Pour fe délivrer d'un époux haïflable, elle auroit repris mille fois fon ancienne ftupidité y mais elle avoit un amant, c'étoit Ie perdre fans reffource & de la manière la plus fenfible. D'un aurre c&té, en époufant le gnome, elle »e pouvoit  • K A D O U KA. lpj efpérer de revoir jamais fon cher Arada; il falloit renoncer a lui donner de fes nouvelles; de plus il feroit en droit de la foupconner d'infidélkéj & cette crainte eft de toutes la plus affreufe pour un cceur bien épris. Enfin, il s'agiflbit d epoufer un mari qui lui auroit toujours paru odieux, quand il eut été aimable, puifquilla féparoit de ce qu'elle aimoir; & ce mari, pour comble de maux, étoit un monftre. Le parti étoit fans contredit trés - difficile ai prendre. Quand les deux jours, qu'on lui avoit accordés pour fe confulter, furent écoulés, il eft bien vrai de dire qu'elle n'étoit pas moins incertaine que le premier moment. Elle dit au gnome. qu'il ne lui étoit pas poflibie de faire un choix. C'eft décider contre moi, madame, lui réponditil, je vais donc vous rendre votre ancien état, puifque vous n'ofez vous déterminer. A ces mots, elle frémit & devint tremblante. L'idée de perdre fon amant, par Ie mépris qu'il auroit pout elle, la toucha aflez pour lui faire prendre fon parti. Eh bien, dit-elle au gnome, il faut être a vous, vous en avez décidé. Paratinparatos ne fit point le difficile, il époufa Kadour, & 1'efprit de Kadour fut encote augmenté par le mariage; mais fon malheur fit en elle les mêmes progrès que faifoit fon efprit. Elle fut effrayée de s'être don•née a uo monftre & d'avoir quitté 1'amanc le plus  298 Kadour. aimé. Elle éprouvoit de fi grands ferremens de cceur & de fi grandes palpitations, qu'elle efpéroit a chaque inftant toucher au dernier de fa vie. Le gnome s'appercevoit bien de la haine & de 1'éloignement que fa femme avoit pour lui-, 8c" quoiqu'il fe piquat de force d'elprit, il étoit ou-* tté de tout ce qui pouvoit le convaiucre qu'il n'étoit pas aimé. Cet éloignement dont ilne s'appercevoir que trop, lui reprochoit fans cefie fa dirformité; Sc lui faifoit pafier les jours a détefter les femmes, le mariage & la curiofité qui 1'avoit engagé a fortir de fes états. Rempli de ces triftes penfées, il laiflbit fouvent Kadour feule» Sc cette folitude étoit le plus heureux tems de fa vie. Elle n'avoit d'autre plaifir que celui de s'occuper de fes idéés; & les conduifant aufli loirt qu'elles pouvoient aller, elle imagina bientót qu'elle devoit donner de fes nouvelles a Arada, le convaincre par fes propres yeux qu'elle n'étoit pas inconftante, Sc qu'il falloit 1'inftruire au plu» tot de la violence que lui avoit fait le gnome, qui feule étoit la caufe de fon abfence. Elle fe perfuada aifément que, puifqu'elle étoit parvenue fans obftacle dans fon trifte palais, fon amant pouvoit bien y aborder. Elle ne fongea donc plus qua exécuter un projer fi flatteur. II n'eft rien d'impoflible a une femme qui aimei  Kadour. 199 Kadour féduifit un gnome, qui n'étoit a la vérité que le froteur du palais, mais qu'im porte fa qua-r lité; il porra de fes nouvelles i Arada (par bonheur le tems auquel cette hiftoire eft arrivée, eft celui des amans fidèles), Le malheureux Arada fe défefpéroir de 1'abfence de Kadour; mais fon défefpoir n eroir mêlé d'aucune aigreur; les foupcons injurieux n'entroient point dans fon efprit; il fe plaignoit, il s'affligeoit, il mouroit fans avoir une penfée qui put oftenfer fa maitrefle, Sc fans chercher a fe guérir. 11 eft aifé de croire que penfant de cette forto, il fuivit ayeuglément le froteur du palais, Sc qu'il alla trouver Kadour, a quelque péril qu'il expofat fes jours, fur-tout en apprenant que le voyage ne lui étoit pas indifférent. II arriva dans ces lieux fputerrains avec cette intrépidité que l'amour fait fi bien donner. II vit Kadour, fe jeta a fes pieds Sc lui dit des chofes plus tendres encore que fpirituelles; il obtint d'elle la permiffqn de renoncer au monde pour vivre avec elle & ne la point quitter. II eft beau de potter dïttels fentimens a cent pieds fous terre. La gayeté de Kadour revint infenfiblement» au grand avantage de fa beauté; mais l'amour du gnome en fut allarmé. II avoit trop d'efprit, Sc il étoit trop convaincu du dégout que teflentoit. Kadour, (cette convidion eft une de celles que  o o Kadour. toute femme qui époufera un gnome, ne doit jamais lui laiffer prendre). II étoit donc trop inftruit, pour croire que 1'habirude püt avoir adouci fa peine. II n'étoit pas moins perfuadé qu'il ne pouvoit être 1'objer du moindre ajuftement de fa femme; & Kadour avoit L'imprudence de fe parer plus qu'a 1'ordinaire. La jaloulie n'eft fouvent que trop éclairée. Paratinparatos fit tant & tant de perquifitions , qu'il découvrit qu'il y avoit dans fon palais un homme qui fe tenoit caché; Sc que cet homme ëtoit bien fait. D'abord qu'il fut inftruit, il médita une vengeance plus délicate qu'a lui n'appartciioit. II alla trouver Kadour : je ne m'amufe poinr a faire des plaintes, non plus qua me lailfer aller a des emportemens, lui dit il; c'eft une forte de confolation dans le malheur, que j'abandonne aux hommes. Quand je vous ai donné de 1'efprit, c'étoit pour moi que je vous avois fait ce préfent, Sc je comptois en recueillir le fruit; vous en avez fait ufage contre moi; quelqu'irrité que je fois, je ne puis cependant vous 1'óter abfolumenr, puifque vous avez fubi, en m'époufant, la loi qui vous étoit impofée; mais convenez avec moi, que li vous n'avez pas rompu notre traité, vous ne 1'avez pas du moins fuivi a la rigueur. Je vais donc partager le difterend, vous n'aurez d efprit que la nuk; car je ne veux point ayoir auprès de  Kadour; jót tnoiune femme ftupide; pour le jour vous n'aurez pas le fens commun, & vous ferez ce qu'il vous plaira. Kadour dans le moment même fentit une pefanteur d'efprit, que bientót elle ne fentic même plus. Quand la nuit fut venue, fes idees fe réveillèrent, elle envifagea fon malheur, elle pleura, fans pouvoir ni fe confoler, ni chercher les expédiens que fes lumières lui pouvoientfouc» nir; elle avoit cependant 1'efprit bien repofé. La nuit fuivante, elle s'appercur que fon mari avoit lefommeil très-dur, &pourprofiter encore mieux de cette heureufe circonftance, elle lui mit fous le nez une racine qui non-feulement augmentoit le fommeil, mais qui le faifoir encore durer tout autant de tems que le dormeur la refpiroit. Paratinparatos lui en avoit autrefois enfeigné les propriétés; car les maris font prefque toujours les inftrumens de leurs malheurs. Quand elle s'appercur qu'il étoit plongé dans le plus profond fommeil, elle fe leva d'auprès de lui, fans autre deflein dans le premier moment, que de s'éloignet de 1'objet de fa haine. Ses réveries Ia conduifirent, fans trap s'en appercevoir, dans les lieux qui d'ordinaire lui préfentoient Arada. Elle ne comptoit pas le chercher; mais elle fe flatta qu'il la chercheroit. En effet, elle le trouva dans une allee des jardins, c'étoit un lieu oü mille fois ils s'étoient juré un amour éternel. Arada Ia  jOX K A D O Ü R. demandoit alors a toute la nature. Kadoiir lui fit le récit de fes nouveaux malheurs; ils furent adoucis en les lui contant. La nuit fuivante, ils fe rencontrèrent au riième endroit, quoiqu'ils n'en fuflent cependant pas convenus, Sc ces rendezvous contiriuèrent fi long-tems Sc avec tant de fuccès, que leur difgrace fervit a leur faire goutet une nouvelle efpèce de bonheur. L'efprit Sc l'amour de Kadour lui fournifloient chaque nuit mille reflburces plus agréables les unes que les autres, pour amufer & s'attacher fon amant. Elles empêchoient qu'Aradaj quand même il n'aufoit pas reffenti aurant d'amoUr, put s'ima-^ giner que fa maitrefle n'avoit pas le fens commun Ia moitié du tems. A 1'approche du jour nös amans fe féparoient, pour lors Kadour alloit réveiller le gnome, après avoir eu foin d'óter la racine afloupiflante, Sc de la bien cacher. Le jour arrivoit, elle devenoit imbécille j mais elle s'en cortfoloit aifément , puifqu'elle employoit ce tems au fommeil. Quïpeut fe vanter de n'avoir pas éprouvé 1'inconftance de la fortune? Plus on eft heureux plus on eft expofé a fes coups; la médiocrité du bonheur n'eft pas exempte elle-même de fes viciflïtudes. La racine aifoupiflante avoit un inconvénient; car toutes les propriétés en font accompagnées. Elle ayoic celui de faire beaucoup  Kadour. jój ronfler. Ün gnome domeftique du palais qui n'éroit un jour, ni bien endormi, ni bien éveillé, interprêra mal le plus beau ronflemenr du monde. II ne douta pas que fon maitre ne fe plaignit & qu'il ne fut malade : fon attachement le fit aller a fon fecours, il appercut la racine dans fa place triomphante, fon foin le plus prefle fut de la déranger. Que ce foin devint funefte a trois perfonnes ! Le gnome a 1'inftant s'éveilla; fon premier mouvement lui fit chercher fa femme j &c la folitude oü il fe trouva, excitant fa fureur Sc fon emportement, le fit fortir de fon lir. Le hafard, ou plutót fon mauvais deftin le conduifirent au lieu oü les deux amans ne pouvoient fe lafier de fe jurer un éternel amour. Paratinparatos ne s'exala point en injures, il ne leur fit aucuns reproches; mais il rouchai'amant d'une baguette: pour lors il devint d'une figure abfolument femblable a la fienne, & la reflemblance fut fi parfaite, que Kadour elle-meme, la tendre Kadour, ne put abfolument difiinguer fon amant de fon époux, & vêcut la plus malheuteufe femme du monde. Car elle ne put jamais fe confoler de la reflemblance affreufe que teut ce qu'elle aimoit dans le monde , venoit de prendre avec tout ce qu'elle abhorroit; & jamais il ne lui fut poflibie de favoir auquel adrefler fes plaintes, dans la crainte de prendre I'objet de fa haine, pout 1'objet  5 ©4' K a d o rj r'! de fon amour. Nous avons bien vu depuis ce refrisi des amans devenir a la longue des maris, mais jamais la févérité des époux ne les a conduits que cette fois a une femblable mécamorphofe.  3 of IE MÉDEC1N DE SA TIN. CONTÉ. Il y avoit une fois un roi fort riche, qui n'avoit que deux filles de tous fes mariages. l'ainée étoit d'une figure choquante j elle étoit louche & bolTue • en récompenfe elle avoit beaucoup defprit; mais c etoit un efprit artificieux & niéchant; & ce qui ne fera pas difficile a croire, fa flatterie & fa complaifance lui avoient enticrement aaa„é h confiance & les bonnes graces du roi fon père La cadette étoit au contraire d'une beauté admirable, fon caraótère étoit charmant. Bien des aens (ce ne font, ni des courtifans, ni des amans au*quels je m'en fuis rapporté) ne favoient auquel donner la préférence, ou de 1'agrément de fon efprit, ou des graces de fa figure. Un jeune empereur étoit voifin de ce pays li n avoitque vingtans; maisacet dge fi peu avancé d avoit fait des actions de grand capitaine & de ioldat, fi hardies, & en même tems fibrillames qu d fe feroit aifément rendu maitre du monde! Heureufement pour le repos de la terre, la mo dcranon fe préfenta d lui par fon beau cöté II accorda la paix a fes voifins, & fes fujet* le TomeXXXI. y 1  jo d'elles, mais chapeau bas & dans une attitude refpectueufe & fuppliante; ils s.'appercurent que Mimi Sc la fee des Brouffailles parloienr avec beaucoup de vivacité. Je confens d'oublier 1'injure que vous m'avez faire & les mauvais deffei-is qui vous ont animée contre moi, difoif Mimi , je vous promets de n'en faire aucune plainte fi vous avez quelques douceurs pour ces bonnes gens , Sc fur-tout li vous leur accordez un enfant. Leur royaume me convient , tout petit qu'il eft , pour un de mes amis, lui répondit la fée des Broufiaüles ; j'attends patiemment leur mort, puis-je mieux faire r II eft vrai que je m'oppofe a leur poftérité : d'ailleurs comment pourrois-je accorder un enfant a des gens qui n'ont pas de quoi Ie nourrir ? C'eft un fervice que je leur rends en les refufant , & dont vous devriez me favoir gre, ft vous prenez quejqu'iutérêt a ce qui les regarde. Le roi Sc la reine tirèrent alors Mimi par la manche Sc lui dirent : Je vous afture que des gens moins riches que nous nourriflent tous les jouts leurs enfans, & que nous fommes en état d en avoir un , nous n'en demandons pas davantage ; voyez vousmême fi nous en pouvons moins demander. Mimi fit alors de nouvelles inftances auxquelles la fée hnit par répondre avec une extréme colère : ils auront un enfant, j'y confens, mais il leur coütera  G A t I E Ü ï, 3^3 courera cher. Le roi & la reine, fans s'embartafler du prix & de Ia menace, fe mirent.a fauref en répétant encore, nous aurons un enfant, j'efpère au moins , dit madame des Brouffailles en fe retournanr du cóté de Ia bonne Mimi , que vous me faurez gré de ma complaifance, & fans attendre fa réponfe , elle lui tourna fiérement Ie dos, revint a fon tas de pierres & difparut. Cependant le roi & la reine , qui ne voyoient pas plus loinque leur nez, n étoient occupés que de leur joie & de leur fatisfaclion. Aufli Mimi finelle a peine écoiitée quand elle voulut prendre part aux chagrins qu'ils alloient éprouver , & voyant qu'elle ne pouvoit leur faire ente'ndre raifon, elle leur donna un fiftlet, en leur difant i toutes les fois que vous aurez befoin de moi, lun ou 1'autre, foufflez li-dedans & je paroïtrai; cependant fervez-vous-en avec modération. Adieu , foyez toujours fages & raifonnables ; comptez fur moi, leur dit-elle, en faifaht naroïtre fon char trainé par deux petits moutóns blancs, dans Iequel elle monta. ^ Quelque tems après la reine s'appercur qu'elle étoit gtcffe ; cet événement fit autant de plaifir au père & a- la mère , que fi la chofe par ellemême eut été impofïible , & qlie les fées n'y euffent pas donné leur confenrement. Le roi en fut peut-être encore plus flatté que la reine • OB Tome XXXI. z '  454 L e L o u p auroit imaginé eu le voyant , qu'il avoit feul le fecret d'avoir des enfans : cependant fe moindre perit mal de cceur, le plus foible dégout , la plus legere incommodité, qui n'étoient qu'une fuite néceftaire de fa groiïelfe, raffoient courir le roi a fon fiffiet ; Sc la bonne fée arrivoit auflitot. Elle leur dit plufieurs fois avec douceur , qu'd ne fa11o.it la faire venir qua propos; mais le roi & la reine ne fe connoiffoient pas plus en a propos que mille gens que l'on voit tous les jours : ênfin quoique la bonne Mimi éprouvat qu'il y a des cas oü la reconnoiftance eft extrêmement fatigante, la bontéde fon cceur 1'émpêcha toujours d'en donner Ia moindre preuve. La groifefte de la reine fut très-heureufe, mais d'abord que les premières douleurs fe firent fentir pour accoucher, la tete tourna au roi, d fiffla plus d'un quart d'heure de fuite : la fée'étoit même arrivée qu'il fiffïoit encore. Pour cette fois elle ne lui fit aucun reproche , fa préfence étant néeelfaire pour douer 1'enfant que la reine mit au monde quelques momens après fon arrivée-, c'ctoir une petite princelfe charmante : Mimi la prit fur fes genoux , & voulant la douer t tête repofée , en gros ainii qu'en detail , elle commenca par les mains & dit, elle aura les mains blanches & belles. Dans ce moment la fee des Brouffailles parut dans la chambre : elle  G A L L E U X. j ■ j aura tour ce que vous voudrez ■ mais on n'en verra rien que je n'y confente. Douez, Mimi, douez rout d votre aife , je n'en aurai pas le démenti, gpurfuivit elle , en montant avec futeur dans fon char nré par d'époavantables cluuvefouris. Ce compliment mit la compagnie en défarroi; la fée raffura de fon mieux les bonnes gens qui demeurèrent étunnés comme des fondeurs de cloche : elle leur prom'it de ne les point abandonner Sc de les foujager dans leurs peines. Elle doua tout b*s le bel enfant, & voulut renaporter le fifflet qui lui avoit fait faire tant de courfes inutiles , les alhirant qu'il ne leur étoit plus néceflaire , & qu'elle veilleroit fufoYamment a leurs intéréts. Cependant la petite princefle , fuivant le don de Mimi, avoit les mains ft blanches Sc fi belles , qu'on lui donna le nom de princefle aux blanches mains, quand on les avoit vues, on ne pouvoit la nommer autremenr. II n'eft pas même certain qu'on lui air jamais donné d'autre nom ; mais il eft sur qu'on ne 1'a counue dnisle monde fous aucun aurre. Son enfinee n'eut rien de reeommandable. Le roi Sc la reine 1'élevèrent felon leur pouvoir Sc leur capacité; ce n'eft pas beaucoup dire, mais fon bon naturel y fuppléa. Quand la fée des Brouflailles paflbit devant Ia porte. du roi Sc de la reine, ce qui arrivoit très-fouvent a caufe Zij  3S6 L e L o v p du voifmage, elle faifoit peur des efprits a la petite princefle, ou lui arrachoit fon poupard; & tous ces vilains procédés étoient accompagnés d'une paire de foufflets qu'elle lui donnoit en s'écriant : Ah qu'elle eft laide ! ce que la petite princefle n'entendoit point fans pleurer; mak elle éroit confolée par le roi & la reine qui 1'aimoient a la folie, & qui lui difolent toujours en lui frappant fur le dos, mais tout bas a la vérité; elle en a menti la fée, ne pleure point mon enfant, tu es bien jolie. Cependant ce bon père & cette bonne mère qui n'avoient point oublié les menaces de la fée des Brouflailles , fe ïépétoient fans cefle ; fans doute elle nous permet de la voir comme elle eft; 1'enchantement n'eft pas fait pour nous : ne la trouves-tu pas charmante, ma femme, difoit le roi; oui, mon mari, difoit la reine. Cependant, a dite le vrai, elle auroit du leur paroitre laide comme a tous ceux qui la vöyoient; mais 1'aveuglement des pètes &c des mères durera tant qu'il y aura des enfans. Il eft cependant vrai que la fée des Brouffailles , par une méchanceté rafinée, permettoic 1 tous les bolTus & a tous les gens contrefaits de la voir telle que la nature l'avoit produite, c'efta-dire , charmante; aufli tous ceux de cette efpèce qui la virent en devinrent paflionnément amouscux , Sc quand un boflu paflok dans le village,  Galieux. 357 toutes les petites filles difoient, cejl pour la fille du roi. Elle avoit beau fe trouver fêtée & careffée par rous ces bancroches, loin de s'accoutumer a leur figure, elle leur faifoit fans celTe toutes fortes de niches \ la plus grande étoit de leur parler conrinuellement de leur bolfe, fans jamais leur laifler croire un moment qu'il leur fut poflibie de 1'effacer ou de 1'efcamoter a fes yeux. Elle les queftionnoit encore fur 1'accident qui les avoit contrefairs, Sc comparoit fans cefle la bofle de i'un a celle de 1'autre, & cela toujours en préfence des boflès intéreflees. Ce fut ainfi qu'elle coula a fond tous les ptinces & autres gentilshommes bofliis, qui fe donnoient dés ce tems reculé 1'épithète d'incommodés} Sc quelle vint a bout de s'en délivrer abfolument. Tous les boflus étoient donc partis, quand un Prince fils d'un roi voifin, que fes pareus envoyoient voyager, appercut un jout cette princelfe, fans y faire plus d'arrention a la vérité que ne le mériroit fon peu de beauté -y mais prefle d'une foif ardente , il lui dit : ma bonne enfant, ne pourrois-je avoir de i'eau? Blanches-mains qui n'étoit pas accoutumée a de plus grands refpecls, & qui trouvoir ce prince fort joli, s'orfrit de le conduire a Ia fontaine, avec tant de politefle Sc tant de graces, qu'il en fut enchanté. Sa converfation ne diminua point les impreflions favorables que fa douceur & fa poli- Z iii  3 58 LeLoup $efle lui avoient déja données \ il fut étonné Sc ravi d'apprendre qu'elle étoit la fille du roi. La fïmpliciré de fon habillement ne lui avoit point donné l'idée d'un rang aulfi élevé-, elle lui fervit aufli d'excufe fur la liberté qu'il avoit prife. La princefle aux blanches mains lui répondir avec une merveilleufe fagefle, que la fortune donnoin l'opulence, & le bon naturel les fentimens. Ce lieu commun fi bien placé, infpira pour elle plus de refpeót au prince que fi elle eut paru a fes yeux aflife fur un tróne d'or, couverte de diamans , Sc environnée de la cour la plus brillanre. Mais quand ils furent arrivés a la fontaine , Sc que póur lui donner a boire elle tira fa tafle de fa poche & fir paroirre fes belles mains, car elle les avoir toujours tenues cachées fous fon tablier, par modeftie ou plutöt par 1'envie de les conferver & de les garantir du hale; le prince demeura ébioui Sc confondu; les exclamarions Sc les arlmirations ne finirent point fur leur beauté : c'étoit lui dire que fes mains étoient ce qu'elle avoit de plus beau; mais la louange que le cceur & 1'efprit avouent, ne donne pasle tems de penfer au refte, & ce qui plak commence toujours par fufnre. Enfin , en un moment l'amour fut fi bien établi dans le cceur du prince, qu'il réfolut de Faimer toute fa vie; auffi lui fit-il 1'aveu des plus tendree fentimens. Blanches-mains qui le trou-  G A L L E VJ X. volt d'autant plus a fon gré, que jamais perfonne de bien fait ne l'avoit feulement regardée, ne favoit que répondre. Le filence eft prefque toujours une faveur pour les amans. Ils étoient dans ce rendre embarras quand la fee des Brouffailles, que la méclianceté empêchok de demeurer longtems dans la même place, les furprit. Comment tu l'aflnes , dit-elle au prince, &z tu n'es pas boftu! ron exemple alarmera & corrigera tous les gens bien faits. En difant ces mots, elle le toucha de fa baguette & il devint le plus joli cabri blanc que l'on ent encore vu; il éroit fans'cornes, & n'avoit point de barbe. Le prince bien éloigné de changer de fentimens en prenant une nouvelle forme, ne fut que plus attaché a Ia princeffe; car il la vit dés le premier inftanr de fa métamorphofe avec routes les beautés qu'elle avoit recues de la narure : ainli loin de la qmtter, loin de lui reprocber fon malheur, il la regardoit fans cefTe, il bondilToit dans la plaine, il jouoit avec les chiens, il animoit les troupeaux qui, quoique l'on dife , paroiflent toujours plus attachés a leurs befoins qu'a leurs plaifirs. Enfin il ne négligeoit rien pour lui plaire, & pour enrretenir fon idéé dans fon cceur; car en tout, moins on a, plus on donne. L'impreftion qu'il avoit fake étoit trop bien giavée dans le cceur de Bianches-mains pour craindre de la voir effacée; mais la crainte de Ziv  3 6® LeLoup perdre , ou plutót 1'avarice de l'amour, flr toujours la confervation de fon exiftence. Mimi continuellemenr attentive , n'ignora point ces événemens; elle accourut pour confoler la princeffe , elle 1'exhorta a la conftance & la quitta en levant les épaules fur les injuftes procédés qu'elle rougilToit de voir a une de fes compagnes. Cependant le roi & la reine , a qui la princelfe préfenta le perit Cabri fans dire ce qu'il étoit, le recurent a merveille. Bientót ils en furent charmés , & ils auroient palfé toute leur journée a jouer avec lui, fi la princeffe qui le vouloir garder pour elle, ne leur avoit dit fouvent, étant même prête a pleurer , qu'elle vouloit qu'il n'y eüc qu'elle dans le monde qui le fit jouer. Le roi & la reine eurent pour elle cette complaifance qui leur parut raifon nable. Les méchans de 1'efpèce redoutable ont ordinairement de 1'efprit, ils favent en faire ufage pour connoïtre les fituations, dérruire celles qui font heureufes & agréables, & faire naïtre , ainfi qu'entretenir celles qui font facheufes & déplaifantes. Ainfi la fée des Brouffaille? trouva bientót que la princeffe Blanches - mains & le prince Cabri éroient mille fois trop heureux. Se voir &c s'aimer fans obftacle &c fans rivaux, c'en étoit trop pour le goür de la perfécution qui la dominoit, & pour les chagiins que les plaifirs des  G A L 1 E V X. 3 6"t avrtres lui cauTóiént. De plus elle étoit inconfolable de ne pouvoir empêcher les agrémens de la princefle de briller aux yeux du prince; mais c'étoit une néceflïré de féerie. Pour ne leur pas laifler une aufli douce confólation, elle réfolut de les féparer ; ils s'aimoient, 1'abfence étoic donc un tourment déja certain; elle commenca par enlever la princefle, & laifla Cabri avec le rot & la reine qui, fans le connoïtre 1'aimant comme leur enfant, en eurent plus de foins que la fée ne l auroit défiré. Ces attentions lui étoient néceflaires; car dès qu'il ne vit plus la princefle il ne voulut plus manger, il ne fautoit plus, il allou bêlanr par tout, ne pouvant la demander m fe plaindré autrement du malheur qu'il avoit d'en être féparé. Cependant d'abord que la fée eut enlevé la princefle Blanches-mains, elle lui colla une paire de gants fur fe, beauxbras, & les colla fi bien, que rien ne les lui pouvoit êter. Enfuite elle la cpnduifit dans fon palais de puces • les méchancetés complettes & bien conditrónnées doivent avoir 1'apparence de la bonté-, tous les plaifirs, tout le fafte des cours rempliffoient ce palais. Cependant c'étoit un tourment réel que la fée avoit imaginé, & qui répondoit a fon caraétère; car la bienféance vouloit que malgré les piqfires & les demangeaifons cruelles que l'on éprouvoit fans cefle, on fe contraignït les  3 plaindre au confeil des fées. La franchife & Ia bonté de fon caractère étoient fi connues, que l'on ajouta foi fans peine a fon récit: non-feulement on trouva qu'elle méritoir juftice; mais on lui donna tous les pouvoirs néceflaires pour la punition de la fée des Broulfailles, & l'on approuva tout ce qu'il lui plairoit de faire; car on n'avoit point encore vu d'esemple d'un pareil attentat, commis par une fée contre une de fes compagnes. Mimi fatisfaite & contente des procédés que l'on avoir pour elle, fit figne a. fes petits moutons d'aller Ie plus vite qu'ils pourroienr, & bientót elle arrivadans Ia trifte habitation de la méchante fée; car en vertu de fes pouvoirs, il lui fut permis d'y entrer; & lui dit: je veux bien encore vous pardonner, je confens a oublier tout ce qui s'eft paffé; mais promettez-moi de ne plus tourmenrer Cabri & Blanches-mains. La douceur & 1'honnêteté rendent toujours les vrais méchans plus infolens; aufli la fée des Broulfailles lui répondit avec dédain : quoi, c'eft pour cela, ma commère, que vous venez ici! quoi, vous vous déplacez pour une bagatelle de cette efpèce ! ah, vraiment vous n'y êtes pas; je n'ai pas encore commencé a les tourmenrer vos benêts d'enfans ; vous verrez, vous verrez par la fuite. Je ne verrai que ta punition, lui répliqua Mimi; apprends donc que j'en aile pouvoir, & que ton fort eft dans mes mains.  G A I I E V t $6$ Tu ne peux tn'óter la vie, lui dit-elle, que me feras-tu? Tu ne faurois toi, ni ta belle autorité m'obliger a confentir au mariage de tes vilains protégés. C'eit ce qu'il faudra voir , repliqua Mimi; je te punirai, j'en jure, jufqu'a ce que tu rrfayes fatisfaite : & pour commencer, deviens loup, lui dit-elle, en la touchant de fa baguette. Pour lors elle s'éloigtia du loup & fe rendit avec diligence au palais pour engourdir les puces j enfuite elle alla chercher Cabri qui ne favoit que devenir; car la fée des BroulTailies venoit, quel4ques momens auparavant, de méramophofer le roi & la reine en dindons. La méchanceté n'étoit pas grande, elle altéroit peu leur caraótère ; mais c'en étoit une de plus, & qui fit encore de la peine a Mimi. Cette bonne fée ne pouvant faire autre chofe, leur fit donner de la bonne patée pour les confoler & fatisfaire au moins la gourmandife de leur état. Après certe marqué d'attention, elle prit dans fes bras le joli petit Cabri 8c Ie porra a la princeffe Blanches-mains. Quand ce petit animal 1'appercut, il lui fit tant de careffes, il fit tant de fauts & de bonds pour marquer fa joie, que l'on ne peut entreprendre de les décrire. La fée les laifTa conrens de fe voir, 8c les quitta en leur difant: prenez garde au loup. Cependant la fée des Brouffailles ne fe trouva pas mal de fon nouvel état de loup; je puis  l^G L e Loup mordre, je puis mordre, je puis faire du mal, difoic-elle en elle même : Mimi eft une imbécille, elle devoir pour fe venger, me faire Poule ou quelqu'autre animal pacifique, j'aurois plus foufferr, j'aurois été plus embaraffée de ma perfonj|e: les cara&eres foibles comme le fien ne favent pas faire de la peine. Cependant, continua-r-elle, j'ai plus d'efprit que les autres loups; jen ai vu devenir les favoris des rois : pourquoine joueroisje pas le même róle? Auffi-tot elle fe mit en marche, & n'eut pas de peine a trouver un roi, car il y en avoit beaucoup dans ce tems-la; elle en rencontra juftement un qüi chaffoit, Sc fe donna a lui : bien aife d'éviter par fa proteétion que l'on criat toujours après elle : au loup, au loup, comme on avoit déja fait; ce qui réeilement eft trés - incommode pour quelqu'un qui voyage. Le roi 1'ayant accueiüie , elle fat trèsbien recue afa cour; elle\y vécut flatteufe pour le roi, mais mordant & faifant tout le mal qu'elle pouvoit faire, fur-tout au petit peuple. Mimi qui Ia faifoit fuivre Sc qui obfervoit fa conduite, dans la crainte qu'elle n'allat manger le petit cabri, fe crut obligée de faire ceffer les défordres qu'elle caufoit, & ne trouva point de meilleurexpédient pour lui faire perdre la protection du roi, que de rendre galleux ce vilain loup contre lequel rout Je nïonde étoit fiché. Le moyen réuftit, & d'abord'  Galleux. 3 £7 que la galle fut déclarée, tout le monde s'en éloigna : on réfolut même de le tuer; ce que le loup ayant entendu, il fe vit obligé de quitte.r la. cour, ce qu'il rit tout au plutot. Sa rage & fa méchanceté naturelle redoublèrent encore par la facon dont on crioit dès qu'on la voyoit, noi\feulement au loup; mais on ajouteit l'éoirhère de galleux : chofe fort défagréable a s'entendre reprocher. La fée n'eut donc point d'autre parti i prendre, que celui de courir la campagne, &C d'atraquer les hommes tk |es animaux; mais furtout les petits enfans qu'elle mangeoit tour crus; en un mor, elle devint la malle béte qui faifoit trembier rout le monde. Mimi inflruite de tous les maux qu'elle caufoir, lui voyanr prendre le chemin de fon palais de puces, la fit an eter 6c metrre dans_ une cage de fer que Ton piaca au milieu d'une "place publique, ou tous les petits garcons alloient fans celle lui dire .des injures, lui jeter des pierres, & lui faire tout le mal que leurs forces pouvoieut leur permettre. Enfin la fée des Broulfailles excédée de tous les maux qu'elle s'étoit attirés , confentit a tout ce que Mimi déliroit d'elle, promit d'être plus fage, demanda que la galle lui fur ótée & la iibené rendue, promerranr de plus d'aller palfer dans les forêrs de Molcovie tout le tems qu'elle devoit être loup. Ces graces lui furent accordées j alors  3^8 Le Loup G a t i. i u x. Mimi rendit la figure au prince, fit reparoitre la princefie aux blanches-mains aufii belle, atout le monde indifféremment, que la nature l'avoit formée : il lui fut poflibie d oter fes vieux gants, & le mariage des jeunes princes fut célébré avec écla'r, après que la bonne fée eut rendu au roi & a la reine leur première figure. II faut convenir qu'ils fe fentirent toujours un peu de leur métamorphofe, & que toutes les cours ont gardé une imprefiion des puces que l'on reconnoit fenfiblement par 1'agitation contiuuelle que tout le monde y éprouve. BELLINETTE  BELLINETTE O u LA JEUNE VIEILLE, C Ö N T E. t ± L f avöit une Fois une fée digne par fon efprit du furnom qtii lui avoir été donné dans le tóffe des rees: elle n> étoit connue que fous le nom d&e Subhme Malgré toutes les affaires de Iunivers dont elle étoit continuellement occupée, elle » ecoit encore chargée de féducation de la petite pnnceffeBel.inêtteJ&dela conduite des Ca" royaumes qui lui appartënoient depuis Ia mort du roi & de Ia reine qui lui avoient donné le jour Les premières années del enfance de la petite reine furent employées avec les plus grands fuccès a fon inftruéfion. La fée ne la quittoitprefque jamais, affectant tous les dehors du fervice & de h fouminion; mais cOnfervant réellement toute autorite. E ledemandoitlbrdrea la teine dahl le tems qu elle en donnoit un tout oppdféj üfagè que les premiersminiftres ontfort bien fuivi depuis. Belhnette rtop jeune encofé pour Wri Tornt XXXh A S  ?70 B E L L I N E T T E gouverner, fe contentoit d'acquérir tous les jours de nouveaux charmes | elle répondoit fi parfaitement aux foins de la fée, que fes fujets aimoient déja leur petite reine a la folie , & fa cour qui la voyoit encore de plus prés, en perdok 1'efprit. Sublime étoit enchantée des progrès de fon élèye, & fur tout de 1'attachement qu'elle avoit fu mfpirer-, cependant elle prévit qu'il étoit encore des écueils pour la princefle : elle craignit 1'impreffion que des appiaudiflemens continuels, & des louanges repétées fans cefle, devoient produire fur 1'efprit d'une jeune perfonne née fur le trone, c'efl-a-dire, loin de toute vérité. Elle commencoit ï s'appetcevoir que la certitude de réuflir, 1'habitude de n'ètre jamais contredite, 1'approbation qu'elle ne pouvoit s'empêcher elle-même de donner a Bellinette, lui infpiroient un amour propre des plus violens. Ce fentiment que l'on cherche a faire naïtre, a étendre, i fortiher dans les enfans, que l'on fe plak i confondre avec 1'émulation, devient dans un age plus avance la caufe de toutes les erreurs. 11 ne faut pas être fée pour en juger ainfi. Ce n'étoit cependant poinc encore le feul défaut que l'on püt repcocher a la petite reine; une envie de plaire naturelle, qui jufqu'alors avoit ajouté a fes charmes, commencoit infenfiblement a degénérer en coquettene; !. Ao 11 aereux. aue les nuances deraut a auuim > ±  'öü tA Jeune Vieille." 37x1 en font impercepribles. Sublime, qui voüloic rendre fon éducatión parfaite, & qui craignoic d'ailleurs que fa trop grande tendreffe pour Belli'nette në fütcapable de 1'aveugter elle-même, fe. détermirta, non fans peine, a prendre un parti vio-* lent, mais nécelfaire. Beliinette étoit parvenüe a fa quinzième arinée,1 Ibrfqu un matin après s'être trouvée a fatoilettei' encore plus jolie que de coutume, elle couruta l'appartemeiit de Sublime; elle y entra avec k confiaiice & Ia gaieté d'une jeune perfonne accourumée a être carelfée. Occupée d'une nouvelle friode qu'elle avoit imaginée ce jour-la, elle ne prit pas garde au férieux de k fée, & lui demanda avec emprelfement comment elle la trouvoit; mais Sublime fans lui répondre, fe contenta dé lui montrer une gkce qui éroit auprès d'elle. La jeune reine peirfuadée que c'étoit une facon détoumée de lui dire, mon dieu, que vous êtes jolie aujourd'hui ! que cette parure vous fied bien ! qu'elle eft bien imaginée ! enfin tout ce qu'elle s'étoit dita elle-même, nemanquapasdbbéit avec emprelfement. La figure qu'elle appercut dansce miroir lui fit faire d'abord des rires immodefés 9 enfuite elle fe retourna promprement pour confidérer de plus prés cette vieille fi ridicule : mais voyant avec futprife qu'il n'y avoit petfonhe derrière elle, elle fe rapprocha de kglace avec vrva- A a ij  372 B ! I I I N tl T I cité. Quel fut fon étonnement en s'appercevatit que cette vieille qui l'avoit tant divertie n'étoitautre qu'elle-même! Elle fit un cri percant, laifta tomber la glacé & s'évanouic. La fée avoit pris fes précautions pour n'avoir point de témoins de cette fcène j elle fut d'abord attendrie, mais déterminée a fuivre fon projet, elle fongea feulement a la faire revenir. Quand la princeffe eut repris avec fes fens une nouvelle confinnation de fon malheur, la fée voulut en vain effayer de iacalmer; toute fa fcience, & fon grand efprit fe trouvèrent bien médiocres pour confoler une jeune perfonne d'avoir auffi fubitement perdu fa jeuneffe & fa beauté. Perfonne ne me verra, s'écria Bellinette pénétrée de la plus amère douleur, jamais je ne me montrerai -> le plus affreux défert, 1'obfcurité la plus prcfonde conviennent feuls au malheureux état que j'éprouve. A ce défefpoir fuccédoient les larmes les plus tendres, & les difcours les plus flaneurs. Quoi, madame, dit elle encore, je ne ferai donc plus pour vous qu'un objet d'horreur! eft-il poflibie que vous puiffiez vous réfoudre a me voir dans la cruelle fituation oü je fuis réduite ! je dois a préfent vous infpirec le dégout le plus aftreux, Sc vous faire la plus horrible peine a regarder. Quoi vous qui me rendriez jeune & jolie fi j'avois lë malheur d'être vieille, c'eft. vous, c'eft Sublime elle-même qui me laifte  ou la Jeune Vieille. 375 précipiter, ou qui me précipice dans lecombledu malheur? Quel exemple pour vorre juftice & pour la bonré de votre cceur! Que dira t on, quand on verra le malheur que j'éprouve, moi que vous avez tant aimée ! ne fera t on pas en droit de me foupconner des plus gran Is crimes ! en eft il même qai puifle méricer une femblable punition! L'efpérance d'obtenir grace lui fit encore a?ourec mille autres chofes. Sublime, touchééde compafiion eut peine a fe vaincre elle même; mais fans vouloir apprendre a la princefie, fi cette cruelle métamorphofe étoit fon ouvrage , elle fe contenta de lui dire avec fermeté qu'il falloit fe foumectre al'ordre du deftin. Otez-moi donc la vie, s'écria Bellinette, d'une fa$on fi déterminée, que la fée fut allarmée de fon défefpoir; alors pour tachec d'adoucir fa peine, elle lui dit avec tendreffe: tout ce que je puis faire pour vous, machere enfant, eft de vous rendre alternativement jeune &c vieille. Ce projet avoit toujours été celui de Sublime; mais dans 1'idée de lui faire trouver fon malheur plus fupportable, elle avoit été bien aife de lui en faire appréhender un plus grand.La princefie bien perfuadée qu'elle ne pourroit rien obtemr, ne voulut cependant point avoir rien 4 fe reprocher dans une fi cruelle extrémité; elle fic donc encore a la fée toutes les objeétions fur lefquelles l'amour propte peut infifter. Comment Aaiij  374 Bei-l-in-bttb-, voulez-vous, lui difoit-elle, que je paroifte vieille.^ avant le tems, aux yeux d'unpeuple & de toute une cour dont je fuis fans cefie environnée ? Quels ridicules & pour vous & pour moi qu'un pareit changement! Mais Sublime qui avoit tout prévü,, lui répondit : je confens encore a. vous ménager fur ce point ■, je vous ferai palfer pour votre grande tante que l'on fait avoir été enlevée auttefois par Grondine laméchante, & dont depuis ce tems on n'a point entendu parler: je dirai que touchée du récit que je vous ai fait de fes malheurs, la bonte de votre cceur vous a fait défirer de lui céder votre trone de deux jours 1'un, pour lui donner au moins quelques jours heureux avant fa mort que fon grand age ne peut permetre de croire éloignée. J'ajouterai que vous m'avez même engagée aobtenircette gr-ce de Grondine; acondition toutefois d'allër occuper fa place- Ce trait de générofité ne peut manquer de vous faire honneur : & ce ne fera pas, encore, ajouta-t-elle le feul ayantage que vous. pourrez tirer de votre difgrace. Vous allez voir a découvert le cceur de tous les gens qui vous environnent. V°us ^erez erfrayée du peu de fin-* cerité que vous trouverez parmi cette foule de courtifans que vous avez vus jufqua ce. moment uniquement occupés a. vous plaite , & a. vous admner. La facon. naturelle dont ils vous parleront de. vous-rmêmg, a la faveur de votre. déguife-  ou ia Jeune Vieiile. 375 ment, en démafquant a vos yeux leur caraétère, fervira encore a vous donner les moyens de vous corriger. Eli, madame, reprit Bellinetre avec vivacité, une amie telle que vous laifle-t-elle quelque chofe a défirer ! L'envie de me rendre digne de vous n'auroit-elle pas fufii pour me rendre parfaite ! La voix d'une amie fincère a bien peu de pouvoir contre une multitude , lui répondit la fée. Au furplus, c'en eft aflez, je ne veux plus rien entendre. Je ne vous recommande point le fecret j vous avez trop d'intérêt *a le garder. Je vais fonger a établir dans la cour le retour de votre grand'tante. Pendant ce tems qui m'eft néceffaire, je confens encore a vous rendre vorre jeunefle Sc vos charmes; mais quand j'aurai tout préparé, vous vous foumettrez a prendre la figure que vous avez vue. Alors elle larouchade fa baguette , & fortit de fon appartement. Bellinette fe faifit d'un miroir, elle s'y regarda mille fois , craignant toujours que la vieilleffè n'eüt laiffé quelque imprelfion fur fon vifage. Quand elle fut pleinement raflurée , elle reparur a la cour. Sublime la laifla quelques jours dans ce prétendu repos, fi Ton peutappeler ainfi I'état qu'elle éprouvoit; car fi d'un coté elle jouiffoit du plaifir de fe rerrouver jeune & jolie, elle trembloit en fongeant qu'il faudroir cefler de Pêrre;. Une des chofes qui fervit le plus a la rourmenter fut la A a iv  J7 cure ne font qu'une fatigue outrée, auxqueües le corps ne peut réfifter, fans jamais donner aucune fatifaétion a 1'efprit; enfin, cette enfance éternelle d laquelle il falloit fe foumettre, étoit le combi© de 1'humiliation pour une cour éclairée. Audi de ce moment, continuoit-on, on commencoit a vivre & a refpirer. Belline ne pouvoit revenir de fa furprife. La fcène du lendemain, ajouta cependant encore a fon étonnemenr, car elle fut recue avec toutes les marqués de 1'artachemcnt le plus véritable. II fembloit que fon retour eut fait J'unique occupation pendant le jour de fon abfence, On n'étoit point encore revenu de 1'enniuquel'on avoit éprouvé la veille. On ne comprenoit pas comment on avoit le courage de fe montrer dans pn tel excès de décrépirude ; il étoit même aifé de s'appercevoir que la vieille reine n'avoit point été jolie; fon efprit étoit encore plus baific que fon age ne le comportoit; en un mot, c'étoit un radotage parfait. Si d'un cöté, il étoit cruel pour Bellinette de pafter fa vie 1 s'entendre déchirer fous toutes les formes, cette fituation ne laiflbit pas aufli que d'avoir fon embarras pour les courtifans; car il falloit précifément pafler en un jour-du blanc au noir, contredire ce que l'on avoit admiré la veille; applaudir ce que l'on avoit critiqué; s'habüler d'une freon toute oppofée. Cette métamorphofe contiauelle devint bientót une excellente  j8° Bellinette Iecon pour une jeune princefle née avec un efprit ÏUpérieur; elle découvrit tlairement Ie peu de cas qu'elle devoit fure des éloges qui iui étoient fans cefle prodigués. Mais les criciques amères qu'elle efluyoit étoient d'autant plus piquantes qu'elles étoient acompagnées de toute la malignité que l'envie de féduire infpiroit alternativement pour la jeune & pour Ia vieille..Ainfi Iaprinceflj après avoir éprouvé le tourment Ie plus affreux, apprit a connoïtre la cour en particulier, & les hommes en général. Telle étoit donc alors la fituation de la cour de Bellinette. La curiofité de voir une chofe fi fingulière y avoit attiré plufieurs princes étrangers; car dans ces tems de féerie les rois mêmes cherchoient a s'inftruire; mais le ridicule d'uue cour oü Ton pafibit alternativement du colin maillard , a 1'embarras d'ofer encore fe montrer fans bequille, ne pouvoit engager a y faire un long féjour. Le prince Brillant guidé par la bonne fée Cotte Blanche qui avoit préfidé a fon éducation, & qui 1'aimoit fi fort qu'elle ne pouvoit s'en féparer; ce prince, dis-je , parut a cette cour avec un équipage digne de fon rang. Il étoit bien fait; fon abord étoit agréable; fa convetfation vive & enjouée répondoit parfaitement au nom qu'il portoit. Si Bellinette lui parut charmante, il ne fut pas long tems fans faire  oü la Jeune Vieiils. }tt une égale impreflion fur fon efprit. Cette impreflion eft une des routes les plus süres dont l'amour fe puifle fervir pour exercer fon empire» On fe plan enfemblej on fe communiqué fet idees, le cceur s'ouvre, la tête fe remplit , & cette tendre habitude devient enfin la plus folide occupation. Brillant n'étoit pas fans défaut; mais en eft-il, ou du moins peut-on les appercevoir, quand les graces de la jeunelfe, de 1'efprit & de la figure fe trouvent réunies! De plus, c'eft Ia jeunelfe elle-même qui juge & qui décide ; elle fait ce qui lui convient. Bellinette avoit cependant perdu une partie de fa gaieré & de fon enjouement depuis fes malheurs. La vieillelfe qui 1'attendoit tous les jours 1'affligeoit plus fenfiblement que le retour de fa jeunelfe ne lui donnoit de fatisfa&ion. Ces idéés mortifiantes , fans altérer fes charmes, répandoient feulement un air de langueur & de retentie dans toute fa perfonne. Sublime lui en tenoit compte; elle regardoit fa vivacité diminuée comme un commencement de fageflë. L'amour que Brillant fut lui infpirer, changea encore en bien fon caraétère ; mais il lui fit aufli éprouver de violentes inquiétudes. Ne voir fon amant que de deux jours 1'un , ce n'eft: aflureme.nt point aflez ; il eft cependant des malheureux en amour , qui feroient encore leur bonheur d'un pareil régime. Bellinette avoit fur-  ;SSz B t l t I k H T f J tout défendit au prince de paroïtre jamais chez Belline ; elle ne Vouloit Ie Voir, que füre de lui plaire: independamment de toute coquetterie , on n'aime point a paroïtte vieille aux yeux de fon amant. Elle avoit été obéïe dans les commertcemcns ; mais la défenfe devint bientót pour lui tin puiflant attrait; & Brillant n'étoit point encore aflez, amoureux pour connoïtre le prix d'un facrifice: il avoit les erreurs de fon état & celles de fon age , c'eft tout dire. II fe fit donc une idéé délicieufe de plaire a Belline ; & de n'aimer que Bellinette. Aux yeux de la même cour, c'étoit réunir tout ce qu'un homme a bonnes fortunes peut défirer, & de plus il fe croyoit a 1'abri de tout éctairciftemenr. La première fois que la princefle 1'appercut fous la figure de vieille, elle le recut avec 1'air du monde le plus froid, & bien f éfolue de ne lui point parler. Le prince perfuadé qu'il ne devoit cetaccueilqu'au mécontentemenc de Belline du peu d'empfeflemenr qu'il lui avoit témoigné , ne fongea qu'a le réparer: il mit tout en' ufage pour la féduire. La princefle en fut piquée ; les hommages que l'on rendoit a fa beauté pouvoient feuls la toucher: elle ignoroit qu'il fut encore d'autres moyens de plaire; mais la coquetterie lui fervit bientót de lecon. L'efprie étoit fon unique relfource ; elle fut 1'employefy &z le prince en fortit enchanté. Le lendemain ü  ö u ia Jeune V r e i l i e; j S x' Bellinette la fontaine des Rofes; ce lieu champêtre & ruf tique préfentoit a la vue 8c d 1'odorat tout ce que la nature a de féduifant. Toute jeune qu'étoit la petite reine, elle fut frappée des beautés qu'elle y découvrit; car il eft des ages confacrésd de certaines fenfibihtés. Bellinette fut amufée par la quantité des papillons qui voltigeoient dans ce beau lieu, la variété de leurs plumages, leur vol & leur agitation animoient ce bel endroit de Ia terre. La princelfe réfolut d'y demeurer quelque tems. Un plaifir fecret, un charme qui n'eft point développé, nous arrête fouvent fans pouvoirdiftinguer le motif qui nous retient. C'eft l'amour qui nous parle, c'eft lui qui nous engage , lelieu lui plait & lui convient. Bellinette fe repofa donc au bord de cette délicieufe fontaine, chatmée de fon ombre & de fa fraïcheur; la fatigue & les rendres réflexions la plongèrent bientót dans un profond fommeil. Sublime qui vouloit profiter des favorables difpofitions de fon cceur, lui envoya un fonge myftérieux; tous les papillons qui .1 avoieiit occupée avec tant de plaifir pendant Ie jour, fe préfentèrent a fon imagination, & par Ie pouvoir de la fée, ces animaux, fymboles de 1'inconftance, de la légéreté & de la coquetterie, lui parurent avoir des têtes charmantes qui la féduifirent avec raifon, paree qu'ils avoient tous celle de ramour de tous les ages; mais après un long examen,  ou la' Jeune Vieille'; ^i-j] <éxamen, elle reconnuc que ces belles têtes males èc femelles avoient des corps de tigres, de fouines, de chats, de bléreaux, Sc autres animaux de cette méchante efpèce. Sublime lui fitfentit encore par la legereté despapillons, que l'inconftance & la coquetterie ne pouvant avoir dé temple fixe, tous leurs adorateuts n'aVoient point de féjoun déterminé; ce qui devertoit la caufe de leuts plus grands chagrins. Ces idéés femées dahs 1'efprit de la petite teine, devinrent a fon réveil la matière de plufieurs réflexions, & déja mécontente du peu d'impreflion que fes charmes avoient fait a la cour du prince des Plumes; elle commenca a avoit quelque doute de leur peu de valeur. Cette partie de l'amour propre diminuée dans une femme, eft un grand point; dès-lors la conftance Sc le véri* table amour, fans aucune diftracbion, fe préfentèrent a elle avec leur mérite; fon imagination lui f epréfenta encore plus fortement lé prince Brillant, & lui fit régretet plus vivement d'en être féparée; elle eut même du chagrin de n'avoir plus rien a lui facrifier. Tous les facrifices dont ellefe croyoit fi riche quelques jours auparavant, ces ouvrages de l'amour propre, ces preuves d'un goüt médiocre éroient évanouis par fes nouvelles idéés ; elle fe détermina a quitter promptement un liea quiluidéplaifoiten lui rappelant fans cefle 1'idée de l'inconftance Sc de la coquetterie. Bellinette Tome XXXI. D 4  4is Bellinette plus délkate & plus rendre, abandonna fans pein.e cette fontaine qui lui avoit fait un fi grand plaifir a rencontrer; c'eft ainfi que tout prend le caraótère de l'amour & fejfoumet a fes idéés: elle partit avec vivacité pour chercher le prince , dont elle fentok que 1'attachement lui étoit plus néceflake que jamak 1'inquiétude de fon abfence, celle de fa conftance, le partage de fes peines s'emparèrent de fon cceur, & furent la feule occupation de fon efprit. Elle ne marcha pas long - tems fans rencontrer les bords de la mer; cet élément la fit rêver, après lui avoir rendu le tribut d'étonnement que l'on doit a fon immenfité pour la première fois qu'on Pappercoit. Cette princefie dont 1'extrème vivacité ne la laiflbit pas un moment en repos , alors roure abfocbée dans fes réflexions, auroit éronné rous ceux qui la connoiflbient, fes fens même étoient fi fort fufpendus qu'elle laifla romber fon panier, fon panier d'une fi jolie forme, fon panier qui la nouriflbit, fon panier qui portoit tout ce qui lui étoit néceflake, enfin tout ce qu'elle pofledoit & tout ce qui la mettoit en étac de chercher le prince Brillant. Elle ne balanca point a courir après la yague qUi emportoit tous fes tréfors; a peine eut-elle fait un pas dans la mer , que le panier devint une barque charmanre ou la princefle monta avec rant de facilkc qu'elle ne fut prefque point mouillée : cette barque lui,  ■gü LA JeUNÈ VlEltlÉ. '4t^ Örfrit toutes les commodirés dont elle pouvoit avoir befoin, & la conduifir par le plus beau tems du monde aux tues fortunées, oü elle s'arrêta. La petite reine voyant fon batiment immobile * mit jpied a terre, Sc la barque redevinr aiulkot le même petit panier. Bellinetre élevée par des fées, ne fut point étonnée de tous ces prodiges ; mais ehgagéö par la beauté du pays, elle avanga dans les terres. Jïlle eut a peine fait quelques pas que Fidéle Sc Belline qui 1'avoient appercue, vinrent au devant d'elle, & lui offrirent tout ce qui dépendoit deux, avec lafmcerité Sc lacandeutqui engagenÊ a recevoin Bellinette fenfible a leurs orTres les fuivit j & prit avec eux le chemin de leur habiration. Ils rencontrèrent le ptince Brillant qui rêvoit affis au pied d'ün palmier, la petite reine rougif en 1'appercevant, & Voulut coutit a lui, emportéö par fon amour & fa vivacité; mais Belline 1'arrèta en lui difant: laifTet-le rëver, la liberté regne dans cet heuteux féjour , il a plus de plaifir fans doute a fonger a Bellinette qu'il n'en auroit a nouS voir. Laprincelfe charmée de ce qu'elle entendoit, fe reprocha la démarche qu'elle avoit voulu faire,&: réfolut de mcnager a fon amant le plaifir de la fur* prife •, mais fes projets agréables ne furent pas dö longue durée. Le bruir qu'ils firentobligeale prince de fe lever & de les venir joindre; il s'approeh* avec un air d'intetêt Sc d'arnitié pour les vieillards t Ddij  4* B E l l I K B T T ï' quife convertit en froid & en férieux a la vue d'une perfonne qui lui étoit inconnue. Bellinette furprife d'un tel accueil, lui en fit quelques reproches auxquels il ne répondit que par des plaifanteries douces & legères: elles ne furent pas longues; car ils arrivèrent aux cabanes. Bellinette après les avoir vifitées demeuta feule un moment dans celle de Belline, difant en elle-même avec inquiétude : quoi,-ne ferois-je plus jolie! Serois-je méconnoiflable ! Elle regarda promptement fon miroir , & fe trouvant aufli bien qu'elle s'en étoit flattée , l'inconftance qu'elle fuppofa au prince & le mépris dont elle lui parut accompagnée, la firent tomber évanouie; elle fut même aflez long-tems dans cet état. Mais Belline & le prince Fidéle inquiets de fa longue abfence, la vinrent trouver & la fecoururent^ ils la portètent dans la cabane du prince Brillant,qui confenttt aifément a la lui ceder. Elle étoit tapiflée de toutes les dépouillesdes oifeaux du plus riche plumage qui fe trouvoient fans nombre dans cet heureux féjour. Brillant qui avoit beaucoup de goüx naturel & qui deflinoit alTez biea pour un prince, s'étoit non-feulement amufé a donner un arrangement merveilleux a ces plumes ; mais il avoit encore defliné les plus belles fleurs q^inaifibient a chaque pas dans ce délicieux cli- ■ ■mat: ces delfeins fe trouvoient arrangés au milieu de les chiffres & de ceux de Bf'linette, tout en-  ÖÜ t% JéUMB VlEILtE. 4iA fin y retracoit fon amour. Quand la petite reine fut revenue a elle, le prince Brillant fe trouva le premier objet dont fes yeux furent frappés; mais elle ne vit dans les fiens qu'une indifférence 8c un froid qui la mirent au défefpoir. Elle remercia Belline & Fidéle de leurs foins , & les pria de la laiifer feule, fous prétexte de prendre quelque repos; mais en effet pour s'abandonner a la douleur. Ses beaux yeux répandirent des torrens de larmes. Son imagination lui rappela vainement les difcours de Belline quand elle avoit appercu le prince, elle ne pur 1'artribuer qu a un cruel raps port de noms. Ses regards tombèrent fur les chiffres dont la cabane étoit remplie : fe peutil, s'écria-r-elle, que tant de marqués d'amouc du prince foient pour une autre ! Mais aufli pouvoit-elle les accorder, s'ils étoient pour elle, avec 1'inci'fetence que Brillant lui avoit témoignée. Il faut s'en éclaircir, dit-elle en fe levant avec précipitation, une plus longue incertitude ne fe peut foutenir: fi le prince m'aimoit, il ne pourroit affecber de me méconnoitre; de plus quelle raifon auroit-il? Voyons tout, examinons avec foin & fur-tout ne nous nommons point; cachons a ces vieillards refpecfables ma honte 8c mon humiliation : elle fortit en effer. Le prince s'étant déja éloigné pour rêver a fon aife, elle eut la liberté de faire a Belline & a. Fidéle toutes les quefftons qui pouvoient intéteffet fon amour: elle  4ü Bell t nette appritque le prince qui leur avoit fouvent conté' fon hiftoire, n'avoir que Bellinette pour objet, 77 9* Le Navire Volant; *9T» Ie ^rin« Perinet oa 1'origine des Pagodes» io f J. Incarnat Blanc & Noir, 2 3 3 * Xe i?az0ön d'Epines fleuries , 2 3 9» Alphinge ou le Singe V8. *7llotne XXXI, M TABLE f) Q O 7 M ? Q ?'rT DES CONTES, X O ME TRENTE-V NIEME.  4*6- TABLE DES CONTES; Kadour, page z$yZ Le Médecin de Satin, Ta 3°** 4.e prince Arc-en-ciel, ^ , CONTES DE M, L, C, D. C. i ZJE Zo«p Galleux , ^ 4 j , Bellinette ou la Jeune Vieille, 3^9, jBj/Zpw de Belline, 3 ?ïn de la Table,