L £ C ABINE T D Ë\ FÊ E S.  CE VOLUME C O NTIE NT * Lis aventures merveilleuses de ioN Silvio de Rosalva, traduites de l'allemand d/ M. Wicland, par madame p'Ussieux,  M/U 184 G-l LE CABINET DES F É E S > o u COLLECTION CHOISIE DES CONTES DES FÉES, ET AUTRES CONTES MERVEILLEUX, Ornés de Figures. TOME TRENTE-SIXIÈME. A AMSTERDAM, Et ft trouve a PARIS, RUE ET HOTEL SERPENT E, M. DCC. LXXXV!.   AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR. ■LouvuAGEpar lequel nous terminons ce recueil, eft une critique des Conces de Fées. Don Sllvio de Rofalva, héros de ce roman, efl un jeunehomme qui n'ayanc lu que des Contes dé Fées, a fini par croire k I'exiftence de ces êtres chimériques. Son imaginacion s'eft échauffée; il fe cw[z perfécucé par une fée ennemie. Un portrait quele hafard fair rrouver fur fes pas, e^tceluid'uneprince^leinforcunée,objer>, ainfi que lui, des perfécutions & de Ja haine d'une fée laide, vieille & maligne. On fenc combien un pareil cadre efl: heureux. L'auteur en a tiré parti. On regrerce feulemenr, qu'ayant pris pour modèle le roman ingéuieux de Michel de. 'TomeXXXFI, A •  i AVERTISSEMENT. Cervantes,il fe foit trainé un peu trop fervilement fur fes traces; & quelque agréable que foir ce roman moderne, la comparaifon que 1'on ne peut s'empêcher de faire, n'eft point 3 fon avantage. Comme l'extravagance de don Silvio éflt un peu trifte, 1'auteur a cherché a égayer fon ouvrage, en mettant fur la fcène un certain Pedrilloy qui eft le vrai portrait de 1'écuyer du chevalier de la Trifte Figure, mais portrait inferieur» fon original : on n'y retrouve point la gaieté naïve ni les faillies piquantes de Sancho-Panca, Quoi quil en foit, le roman de don Silvio plaira \ nos ledeurs, même k ceux qui auront lu le roman de Cervantes; il termine naturellement une collectie» complette de féerie: il apprend aux jeune* perfonnes qui lifent ces fortes douvrages,  AV E RTIS S E M E NT. r dans quel efpric elles doivent les lire, & commcnt elies peu vent s'en amufer, fans égarer leur imagination. Un conté épifodique \nttm\é: le prince Biribinquer, ren ferme tout ce quela féerie a enfanté de plus extravagant ] 1'auteur a mis a contnbution Jes contes Jes plus connus, & a entaffé tout Ie merveilleux dont ils font remplis. Ce conté eft récité, a don Silvio par un de fes amis, & com_ pofé pour détromper notre héros , en laffant fa crédulité. ^ 1 original de eet ouvrage efl: Allemand ; il cn a paru deux traduclions.- Ia première en 1769, fous Ie titre que nous lui ccnfervons, d'Aventures mervetlUufes de den S'dvw de Rofalva. La feconde efl: de madame d'Uffieux, & a paru en -,77I. Le nouveautradudeurainciruléfonouvrage: k Don Quichoue Moderne.  4 afertissement: La première traduction eft, dit-on» plus conforme a 1'original; mais elle eft fi mal écrite & chargée de tant de longueurs, que nous avons cru devoir préférer celle de madame d'Uffieux. Cettedernière fe fait lire avec plaifir, & les retranchemens que le traducteur seft permis de faire, rendent la tnarche du roman plus rapide. Nous avops feulement confervé le premier titre qui eft plus convenable.öC qui diftingue eet ouvrage d'un roman de M. de Marivaux, intitulé : le Nouveau Don Quickotte. L'auteur du roman de don Silvio, eft M. Wieland, avantageufement connu dans la littérature allemande. Cet auteur a donné plufieurs ouvrages qui lui ont acquis la plus grande réputation dans fa patrie. Quelques - uns de ces ouvra ;es ont été traduits en francois, tels que  rAVERTISSE ME NT. s Phiftoire d'Agathon & les mémoires de mademoifelle de Scernheim. M. Wiélandeft néén 1731 aBiberach, ville impériale de la Souabe. Deftiné d'abord a la magiftrature, il en a rempli quelque rems une place dans fa patrie, mais il la quittée bientót pour cultiver les Mufes. II s'eft retiré a Zurich, y a vécu dans le commerce des gens de lettres, fes compatriotes; il étoit lié intimément avec M. Gefner, qui a bien voulu donner fes foins a une édition de fes ceuvres imprimées a Zurich, en 1765, en cinq vol. in-8°. : depuis, M. Wiéland a été appelé a. la cour de Saxe-Weimar, oü peut-être il eft encore. Les autres ouvrages que nous connoif- fons de M. Wiéland, font un Poëme, intitulé : de la Nature; des Epitres Mo- rales; des Lettres des Morts aux Vivans, A iij  6 A VE RTISSEMENT. ouvrage imité de 1'Anglois, qui porte le mêmetitre^'Epreuved' Abraham, poëme; des Conces en vers; Cyrus, poëme en cinq chanrs; Jeanne Gray, tragédie; Clémentine de Porrete, drame, dont le fujet efl: tiré du roman de Grandiflon; l'hiftoire des Graces; Alcefte, opéra; Socrate en déiire; la Sympathie des Ames; Ydris, poëme héroï -comique; le nouvel Amadis, poëme; le Miroir d'or, roman politique &c moral, & plufieurs Epitres morales, & autres poëües fugitives. M. Huber a traduit en francois, le poëme intitulé: 1'Epreuve dAbraham, & plufieurs Contes & autres Poëfles quil a inférées dans fon choix de Poëfies Allemandes.  LES AVENTURES MERVEILLEUSES DE DON SILVIO DE R O S A LVA. PREMIÈRE PART IE. CHAPITRE PREMIER. Caraclère d'une certaine tante. "\J n e dame de qualité, nommée dona Mencia de Rofalva , habitoit, il y a quelque tems, un vieux chateau délabré , fitué dans le royaume de Valence , en Efpagne. Elle étoic plus que fexagénaire dans le tems qu'elle jouoic fon röle dans 1'hiftoire que nous écrivons. Ai*  S Don Silvio Depuis la guerre de fuccefïion, dona Mencïa avoit renonce a. 1'efpérance de fe diftinguer par fes graces perfonnelles. El!e auroit été afTez tendre , dans fa jeuneiïe , pour combler les vceux d'un amant digne de fon cceur ; mais elle rencontra des hommes lï ingrats , & elle éprouva, de leur part, tant de froideurs, qu'eüe fut mille fois fur le point de fe confacrer au ciel dans un couvent. Elle fe feroit fans doute conformée aux imprefiions de la grace , fi fa fagelTe ne lui eut repréfenté qu'on trouve rarement le calme & le bonheur dans une retraite oü Ton n'a été conduit que par le dépit & la "vengeance. Un autre expédient vint a fon fecours ; il lui coüta bien moins, & il répondit mieux au delTein qu'elle avoit de punir 1'ingratitude des hommes. Elle embraffa le parti de la pruderie , & réfolut de venger le mépris qu'on avoit fait de fes attraits fur routes les femmes d\ine figure agréable. Elle les regardoit comme autant de nuages qui avoient intcrcepté ou anéanti Téclat de fes charmes. En fe declarant ennemie jurée de 1'amour & de la beauté , elle voulut s'ériger en protectrice de ces \eftales refpeótables que la narure a doué d'ime chafteté éminente. Un feul de leurs regs*rds défarme le fatyre le plus intrépide. Dona Mencia employa fes premiers foins a  5 ! R O 5 A I T 9 fe choifir une fociété parmi quelques dames qu'elle avoit autrefois connues a Valence, oü elle avoit été élevée. Son union avec ces femmesqui avoient aufll acquis le droit d'ètre prudes , ne fe borna pas a une liaifon ordinaire. Elles formèrent enfemble une efpèce de confraternité , qui étoit précifément, parmi le beau fexe, ce que font les ordres religieux dans le monde politique : un état au milieu de Pérat, dont 1'intérêt eft de fc faire tort tnutuellement. Les dames de cette confrairie méritèrent le furnom d'Antigraces , paree qu'elies faifoient ouverrement la guerre a. tout 1'empire de 1'amour. Pour que leurs affemblées piuTent devenir utiles a 1'humanité, elles fe propofèrent de travailler généreufement aux prcgrès de la vertu & au rétabliiTement des bonnes moeurs. A leur avis , la corruption s'étoit fi fort infinuée parmi les jolies femmes , qu'on devoit les regarder comme Punique fource des défaftres qui inondoient le monde. Les bigotes affociées établirent pour principe de leur morale, que lescharmes Sc la vertu étoient abfolument incompatibles. D'après ce point fondamental, elles jngèrent des adrions 6c du mérite de chaqne perfonne de leur fexe. Une femme qui plaifoi: par les agrémens de fa figure étoit, felon elles , la plus jmalheureufe des créatiues : elle étoit le fléaa  ïo DonSilvio de la fociété , un vafe empoifonné , 1'inftrume nt des efprits malins , une harpie , une firène , un hydre , & plus encore, a proponion quelle avoit d'appas : venin contagieux qui, felon lefyftème de ces moraliftes , étoit aufli dangereux pour la vertu, qu'il eft flatteur pour 1'amour-propre, Sc redoutable a 1'innocence des hommes. Dona Mencia de Rofalva avoit fait éprouver, pendant quinze ans , aux dames de Valence la févérité de fa vertu & toute la bizarrerie de fon cara&ère, lorfque don Pédro de Rofalva , fon frère, réfolut de quitter Madrid. Ce gentilhomme , qui étoit plein d'honneur , avoit loyalement facrifié la plus grande partie de fon bien au fervice du nouveau roi d'Efpagne. Il dépenfa le refte a Madrid oü il follicita long-tems une penfion qu'il n'obtint pas. II fe répentit trop tard de n'avoir pas plutöt employé fon argent a faire réparer la charpente d'un vieux petit chateau qu'il pofledoit a trois lieues de Telva : c'étoit le feul bien qui lui reftoit de fes ancêtres. Don Pédro de Rofalva venoit de perdre fon époufe qui lui avoit laiflé un fils & une fille. II étoit trop prudent pour fe charger de 1 educarion de fes enfans; & il avoit trop peu d'expérience pour entreprendre de conduire fon petit ménage. II crut devoir 'conférer a fa fceur ces brillans emplois. Dona Mencia fe détermina  deRosalva. ii Volontiers a changer les humiliations qu'elle elïiiyoit a Valence , pour 1'agiément d etre la dame principale dans un village. Ii eft claic qu'elle penfoit auffi noblement que Céfar, qui, en paflanc dans un hameau des Pyrenees , déclara a fes amis qu'il aimeroit mieux être le premier dans ce petit village, que le fecond dans Rome. Don Pédro ne jouitpas long tems des charmes de la liberté & de la vie champcrre. Le chagrin qu'il eut d'avoir inutilement dcpenfé fes bien's, le conduifita une maladie dontil mourur. II lailla a fon rils don Silvio un arbre ocnéalooique , qui remontoir jufqu'au tems de Gareoris & de Habides , un chateau délabré a trois tours, quelques métairies , & 1'efpérance d'hcrirer , après la mort de dona Mencia , de quelques bijoux antiques , de plufieurs paites de lunettes, de beaucoup de chapelets , & de partager , avec fa fceur, une nombreufe colle<£Hon de livres de chevalerie & de romans. Don Pédro mourut avec une entière réfignation a la volonté de Dieu. Son fils n'avoit pas tout a fait dix aa»mais il le laifloit entre les mains d'une dame fage & vertueufe. On faura que le vieux chevahet avoit concu une rrès-haute opinion de fa faeur. Dona Mencia avoit lu une quanticé prodigieufe de chroniques. Tous les liyres de cbe-  ïi Don SitViO valerielui étoientconnus. Elle éraloit ordinaire* ment a table fon éloquence , & ce qu'elle favoit de politique & de morale. II n'eft pas étonnant que don Pédro admirat le favoir de fa fceur, paree qu'il avoir prefque toujours éré militaire , & que fon genre de vie ne lui avcit pas laiffe alfez de tems pour acquérir ce qu'on appelle des connoilTances profondes. CHAP1TRE II. Quelle fut Véducation que don Silvio recut de fa tante. 13 oka Mencia feconda , le mieux qu'elle put, les vues de feu fon frère. Elle employa fes foins & fon habileté a éduquer fon neveu. Dès que le jeune don Silvio eut appris, du vicaire de fa paroifle , afTez de latin pour comprendre les Métamorphofes d'Ovide , & que le barbier du village lui eut enfeigné autant de mufique qu'il en falloit pour accompagner, fur la guittare , quelques vieilles romances , dona Mencia pric fur elle même le foin de le former. Elle prérendoit connoïtre-, mieux que perfonne , ce qut caraótérife un cavalier parfait. Tous ces principes  beRosalvaJ ■} d'éducation étoient malheureufement tirés da Pharamond , de la Clélie , du grand Cyrus , & de beaucoup d'autres livres de cette efpèce qui, avec les aventures des douze pairs de france 8c des chevaliers de la Table Ronde , faifoienc le plus bel ornement de fa bibliothèque. C'eft dans ces livres, difoit- elle , qu'eft caché le favoir le plus fublime & les connoiflances vraiment unies. Elle s'imagina quelemoyen d'inftruire fon neveu, d'une manière digne de fa naiflance , étoit de lui infpirer le goüt, les idéés & les fentimens qu'elle avoit puifés dans ces fources. Les difpofitions du jeune don Silvio répondirent fi bien a fes vues , qu'avant qu'il eut atteint fa quinzième année , il étoit auffi favant que madame fa tante. II en favoit déja autant fur 1'Hiftoire, la Phylique, la Théologie , la Morale , la Politique , les Antiquités Sc les Beaux Arts , qu'aucun des plus favans héros du grand Cyrus. Il répondoit aux queftions les plus fubtiles, avec tant d'éloquence & de précifion , que les domeftiques, le vicaire , Ie maïtre d'école , le barbier & les autres perfonnes de diftinction qui avoient accès dans le chateau, ne pouvoient alfez admirer, & les heureufes difpofitions du jeune feigneur, & les fages principes d'éducation de madame. Ce qui flattoit le plus dona Mencia , c'eft que fon élève donnöic a chaque inftant des preuves.  i4 D o n S r t v i o du délir qu'il avoir d'imiter les grands modèfe? qu'on lui propofoit. La leéture des exploirs finguliers & des faits furprenans le raviifoit. Son lmaginatJbn étoit fi remplie de chofes étonnantes , qu'il fe les imaginoit antli aifées a exécuter , qu'il avoit de facilité a s'en faire une idee. Sa tante ne doutoit point qts'avec fa noblene d'ame & lesrares qualités qu'elle lui connoiiloit, il ne jouar un grand röle dans le monde. Elle s'imaginöit que fon neveu imiteroit en g?oire Sc en profpéritc 'es héros qu'elle admiroit le plus , comme i! les égaloit en beauté 2c en charmes perfonnels. CHAPITRE III. Obfervarions PJyckoIogiques. Il n'eft pas éronnant que 1'efprit de don Silvio fe prétar, auffi aifément, a routes les bizarreries que fa tante mettoit en jeu pour 1'élever , paree qu'il étoit né très-fenfible , & qu'd avoit de forres difpofitions a la tendrefTe. 7'ous les- jeunes gens de cette efpèce s'attachent facilement a ce qui fait de vives impref(ions fur leiirs ccsurs. Les paffions qui ne fonc qu'aiToiipies fe réveillent au moindre fignal.  deRosaiva. ij L'idée du merveilleux porte une empreinre inefFacable fur Ie cceur d'une jeune perfonne élevée loin du monde , au milieu 'des rians ohjets de la campagne, lorfqu'elle n'eft alTujettic a aucuns rravaux. On cherche a. reinplir le vide de fon ame : une uniformité condnuelle devient infipide. Peu a peu 1'imagination fe confond avec Ie fenrimenr j Ie merveilleux s'unit au naturel ; bientöt le faux & Ie vrai ne font plus qu'un. L'ame qui fe' conforme a un inftinót aveugle , agit avec autant de force fur les chimères que fur les vérités. Tel étoit, a peu prés, Ia fituation du jeune don Silvio. La pureté de fon cceur 1'empêchoic de croire qu'il put être trompé. Son efprit ne trouvoit pas plus de difficulté a croire 1'exiflence des êtres chimériques, que fes fens n'ea rrouvoientarecevoir les impreffions des chofes naturelles. II feperfuadoit 1'extraordinairea proportion qu'il lui paroiifoit agréable. Rien ne lui fembloit impofhble. Ainfi il aime mieux croire au monde poétique & enchanté , qu'au monde réel. Les aftres , les efprits élémenraires , les forciers & les fées étoient auüi politivement , felon lui , les moteurs de la nnture, que Ia gravité, 1'attra&ion , lelafticité , le feu éle&rique , &c. ie fonc, felon le fyftême d'un philofophe moderne»  iS Don Silvio Les fenfations agréables qu'on éprouve erl entrantdans un boisobfcur Sc touffu, furent fans' doute l'origine de 1'opinion générale qui prévaloic jadis parmi nos pères. lis écoient perfuadés que les forêts étoienc habitées par des dieux. Ce doux friflonnemenc qui nous faifit Sc qui fembleélever notre être au delfus de lui-même,; lorfque , dans une nuk claire Sc paifible, nous contemplons les -aftres brillans qui roulenr fur nos tètes , donna lieu de croire que ce que nous appelons le firmament, étoit la demeure des êtres immortels. Les payfans, qui n ont pas le loifir de tirer des connoiffances claires des différentes impreffions que la nature fait fur eux, font, en général, tiès fuperftitieux. De la confufion de leurs idees , naït leur croyance aux chaffes invilibles dans les bois , aux fées qui danfent la nuit dans^ les prairies, aux génies bienfaifans ou méchans, aucochemar qui tourmenteles filles,aux fnènes, aux efprits folets , Sc a je ne fais combien d'autres fantomes dont ils racontent rtombre d'hiftoires. Si nous raflemblons tous ces points qui fe réunitToient pour former 1'éducation romanefque de notre jeune chevaliér, nous concevrons aifément qu'il ne devoic avoir que quelques pas a feire pour fe forger ces idéés monftrueufes quiy depuis  D ï R O S A t V A,' ij depuis le tems de fon compatriote , Pimmortel chevalier de la Manche, netoient entrees dans aucune têce bien organifée. CHAPITRE IV. Comment don Silvio fit connoijfance avec les fées. Ii y avoit dans le chateau , une grande chambre remplie de livres de route efpèce rangés par ordre ; mais la clafle des contes des fées étoic la dominante. Don Pédro avoit aimé a ia folie la lefttire de ces bagatelles. C'étoit en vain que fa prudente fceur lui faifoit fouvenc Ia guerre fur le gout qu'il prenoit d ces fadaifes : c'eft ainfi qu'elle les appetok. Elle avoit autant de refpecl pour ks livres de chevalerie qu'elle mettoit au rang des chroniques , des hiftoires & des voyages, qu'elle avoit de mépris pour rous ces petits jeux d'efprk qu'on n'écrir que pour occuper les enfans ou pour égayer les vieiüardf. Don Pédro convenoit ingénument que ce n'étoient que des frivolités j mais elles m'amufent, difoit-il: plus Pauteur a 1'art d'y répandre de faillies, plus je ris j & voila rout ce que j'y cherche. Jomi XXXVI. B  i8 Don Silvio Quoique dona Mencia, qui étoit fort entêtéei ne trouvat pas la réponfe de monfieur fon frère bien plaufible , les Contes arabes & perfans , les Mille & un quarr-d'heures & les Mille 5c une Nüit reftèrenr égalemenr en potTeifion de la place qu'ils occupoient dans la bibliothèque. Comme les livres de cette efpèce n etoient que brochés , & qu'on ne vouloit pas qu'ils nuiliifenc au brillant appareil des autres , ils reftèrent cachés derrière les vénérables & poudreux In-folio de dona Mencia. Après la mort du vieux chevalier don Pédro , ils furent entièrement oubliés. II y a apparence que la fée qui s'intérelfoic au fort du jeune don Silvio , ne voulur pas permettre qu'il manquat a fa vocarion. Le férieux & la morale de madame fa rante commencoient a. lui déplaire. Un jour qu'elle étoit abfente, il s'avifa de fouiller dans la bibliothèque. Son deffein étoit d'y chercher quelque chofe qui put 1'amufer. Soit par hafard ou par i'inftigation fecrète de la fée, il tomba fur un gros volume de contes. Enchanté, il fe retira bien vite dans le jardin poury examiner rranquillement le prix; de fa dccouverte. II préfagea , au feul titre , que ce devoit être quelque chofe de fort agréable. D'abord , la briéveté de chaque hiftoire le prévint extrêmement en faveur de tout le livre , paree qu'il étoit dégouté des ledtuijes que ia  óëRosalva: 19 tante 1'obligeoit de faire tous les jours dans des in-folio d'une épanTeur prodigieufe. Rien n'égale Je plaifir qu'il eut a parcourir les trois ou quatre premiers contes: il dévora tous les autres avec une avidité furprenante. Un certain inftindfc qui apprend aux jeunes gens les moins expérimentés ce qu'ils doivent avouer ou taire a. ceux qui les gouvernent , avertit don Silvio qu'il ne falloit pas killen découvrir l fa tante la trouvaille qu'il avoit faire. La réferve qu'il étoit obligé d'avoir, ne faifoit qu'augmenter fa tendrefle pour les fées, &c fon goör pour les conres. 11 auroir paffe les nuits entières a lire , fï, comme le défiroit autrefois le Tafle , il eüt pu lire aux yeux d'un chat: car dona Mencia , foit pour ménager les chandellesj foit par précaution pour la fanté d'un neveu qui lui étoit cher, avoit, depuis leng-tems , öté a don Silvio les moyens d'employer les nuits a letude. II fe réveïlloir a la pointe du jour; & aulTi-tót il tiroit fon volume de deflous fon chevet: de forre qu'en peu de tems il fe trouva au bout du recüeil qu'il recommenca cent fois \ & toujours avec «n plaifir nouveau» Dès qu'il pouvoit s'échapper , il fe retiroit avec fes contes, dans le jardin ou dans un bois qui f étoit attenant > & la , il mettoit fes momens ï profit. Son imagination failiuoit avec facilitê Bij  IA DoNSlIVlO tous les détails que lui préfentoit fon livre : il ne Hfoit pas; il voyoit, il entendoit , il fentoir. Une nouvelle nature s'orTroit a fes yeux : le mélange du merveilleux & du naturel porta 1'enthoufiafme dans fon cceur. Et il prit 1'enchantement qü il étoit pour une marqué infaillible de la vérité. Le genre de vie qu'il avoit mene jufqualors , avoit préparé fes efprits a cette fingulière révolution. Ses études avoient commencé par les Métamorphofes d'Ovide; & il n'avoit encore lu aucun autre livre qui eut pu lui donner des idéés plus juftes & plus vraies. Plufieurs écrivains des tems oü la philofophie cabaliftique étoit a la mode dans toute 1'Europe, fervoient a le eonvaincre de la folidité de fes opinions. II croyoit aux fonges fyftématiques , aux efprits élémentaires & planéraires, aux conjurations, aux nombreS myfüques , aux talifmans & i la magie. II concevoit aifément comment la noix de Babiole pouvoit opérer des chofes merveilleufes. II ne irouvoit pas impoffible que la pièce de roile de quatre eens annes , repliée fix fois , palfat par le trou de la plus fine éguilie, ni qu'elle eüe cré tiree d'un grain dorge par 1'amant de la Chatte blanche. Rien ne l'empêcha de fe livrer entièrement au plaifir qu'il prenoit a la ledute des Games  deRosalva. il de Fées. II en déterra, pen a peu , un grand nombre de volumes de delfous les paperafles qui couvroient le ptancher de la bibliothèque. 11 prir les mefures les plus prudentes pour que fa tanre , qui étoit févère & un peu rufée, ne découvrit pas les raifons qu'il avoit de fe promener fi fouvent dans le bois. Si elle s'étoit appercue de quelque chofe, il eft cerrain qu'elle lui auroit fait de très-fortes, de très-favantes & de très-ennuyeufes repréfenrations. Mais don Silvio ufa de tant de réferve, que perfonne ne pur découvrir ni fes inclinarions , ni les valles projets qu'il commencoit a former. 11 faut même convenir que le jeune Chevalier avoit toujours beaucoup plus craint fa tante qu'il ne l'avoit aimée. Depuis que fon imagination n'étoit occupée que de Florines, de Rofettes, de Brillantines, de Criftalines, & de mille autres beautés de cette efpèce, il fut fouvent tenté de croire que fa bonne vieille tante étoir une forte de fée Caraboflê , dont le gouvernement lui paroiffoir devenir tous les jours plus infupportable. Elle eut beau lui parler chronique , philofophie & méraphyfique, il s'occupa toujours d'enchantemens, de chateaux, de rubis, de princelfes rnétamorphofées ou enfermées dans des tours ou dans des palais fourerrains. Il fe repréfentoit le bonheui de ces arnaus qui, fous la protetbion B ii]  ü DonSiiviö d'une fée bienfaifante, échappent aux pourfuite» d'tm efprit malin. Son imagination étoit imbue de toutes ces chimères. II y penfoit le jour, S? la nuit il y rèvoit. . CHAPITRE V. Idéé plaifante de don Silvio. II devient amoureux d'une princejje. On trouvera pas écrange que don Silvio, dont 1'efprit étoit fi bifarre , voulut avoit des, aventures femblables a celles qu'il lifoit dans les contes. II tranfportoit toutes les facultés de fon ame au milieu du monde des fées. II donna ï tous Jes objets qui Ventouroient des nams tirés de ces contes. II avoit un joli petit épagneul qu'on appelloit Amourel: il voulut le nommer Pimpim , en mémoire du chien de la princetfe Mirabelle. Un chat gris a. pattes, Manche?, tomba dans fa clifgrace, & les faveurs qu'on lui prodiguoit, furent réunies fur 1'individu d'une charte blanche qu'on combloit de carelfes & d'honnêtetcs, a Vhonneur de la princf OTe qui porte ce nom. Soir & matin don Silvio alloit examiner la pcimure de quelques, vitrages dans une yieille  »eRosaiva; zj galerie da chateau. II efpéroir y découvrir quelques fignes qui lui feroient connoitre fon fort a venir, paree que c'étoit ainli que le prince Raboreux s'y éroir pris pour deviner difFérentes anecdotes de fa vie future. Le jeune chevalier Efpagnol parcourut plus de vingt fois rous les coins & recoins de"; appartemens, dn grenier St de la cave de fii maifon, dans 1'efpoir de trouver une armoire enchantée, ou une tiape qui le conduiroir a quelques palais fouterrains. II eft vrai qu'il n'y decouvroit rien , Sc que les vitres ne lui firent «jamais voir deux armées qui combattoienE depuis deux fiècles,avec une valeur prodigieufe, fans que la vi&oire fe für décidée pour aucun parti, mais il fut s'en confoler. Il n'avoit pas tout a fait dix-huit ans : Sc il avoit lu dans fes contes qu'u» prince ou chevalier doit avoir eet age révolu, pour pouvoir prétendre a des aventures. Notre héros conftruifit, dans un coin du jardia une efpèce de cabinet de verdure qui devoit reffembler au chateau de fleurs ou la fée Belline cachoir aux yeux de fa cour les momens heureux qu'elle paftoit dans les bras de fon berger favori. Don Silvio fit tranfplanter quelques tilleuls qu'il trouva propres a fon enrreprife. Les troncs de ces arbres lui paroilfoient être les colonnes fondamentales de 1'édifice ,les branches inférieures, le plancher Si le fommetj le ton de ce pavüloa B iv  24 Don Silvio fïngulier. Les parois étoient de myrthes enrrelacés de rofes & chevrefeuille. On avoit pratiqué, derrière un arbre, un petit efcalier dérobé, de gazon. Dans ce chateau de verdure , c'eft ainfi que don Silvio 1'appeloit, on avoit élevé un peti cabinet. Pour lui donner uk afpect enchanté,!' jeune feigneur avoit eu foin de le tapilfer des plu beaux papillens qu'il avoit pris dans le bois voifin & fur les bords du Guadalavier qui couloir a urn petite diftance du jardin. C'eft dans ce cabinet que don Silvio pafloi ordinairement la moirié des nuits a. rêver au? cvènemens finguliers qu'il artendoit Peu a pei il s'endormoit dans des penfées chimériques, &C des fonges agréables venoient feconder fes defirs. II fe perdoir dans fes rêves myftérieux dont une belle princelfe qu'il aimoit, étoit toujours 1'objet. Malheureufemenr, il croyoit la voir fous la puifTance de Ia fée Fanfreluche, ou de quelque vieille forcière jaloufe, qui mettoit fans ceiïe des obftacles a fon amour & a fon bonheur. Tantot c étoient des dragons & des chats aïlés qu'il falloit combattre ; tantot on trouvoit les avenues du palais ou cette belle princelfe étoit détenue, femées de ronces & d'épines qui, au moment qu'on les touchoir, fe rransformoient en aucant de géants qui, arniés denormes malfues d'aci r,  deRosalva. ij difputoient les avenues a 1'amant qui vouloit paffer. Don Silvio les atraqua plufieurs fois en brave chevalier : & il efl: a préfumer que, d un feul coup de fabre, il fendit la tête a plufieurs. Auili-tót qu'il les avoit tous vaincus ou dérruirs, il entroit en triomphe dans le palais; & la, 6 fpectacle affreux! onenlevoit devantlui, a fes propres yeux, & fans qu'il put 1'empêcher, fa chère amante montée fur un char que trainoient des chauve-fouris; elle palfoir , rout-a coup , par la cheminée. D'autres fois , il la trouvoit aflife fur un gazon de fleurs, au bord d'une fontaine. II fe jetoit a fes pieds; il lui difoit les plus jolies chofes du monde; & au moment qu'il vouloit 1'embrafler, car on fait qu'en fonge, 1'amour n'obferve pas routes les gradations qui fonr prefcrites aux bergers de 1'Arcadie; il s'appercevoit, avec horreur, que la figure, qu'il preffoit tendrement fur fon fein, étoit celle de la grolfe Maritorne, fervante de fa baffe cour. Ces levres qui, un inftant auparavanr, fjmbloient exhaler le nectar & 1'ambroilie, ne répandoient que des odeurs dégoürantes. Quoique ces malheurs ne fuflent qu'imagina;res , ils portoient la douleur & 1'allarme dans le cceur de notre jeune Héros. II envifageoit fes fonges comme de très-mauvais p'réfagés. II ne doutoit pas du tout qu'il neut une eftnemie puif-  z6 Don Silvio fante, attentive a rraverfer les fentimens qu'il &voit concus pour la charmante inconnue qu'il devoit aimer felon les décrets de fon deftin. CHAPITRE VI. Av enture de la Grenouille: pourquoi don Silvio ne la prit pas pour une fée. Ï)on Silvio étoit perfuadé qu'il avoit une ennemie invilible fort puifTante ; & cecre idéé lui donnoit beaucoup d'inquiétude. Cependant, comme il n'avoit vu dans fes contes aucun prince perfécuté par des fées ou des magiciennes, fans qu'il fut protégé par quelqu'autre efprir bien» faifant, 1'efpérance d'avoir auffi un foutien ou une proreétion, ranima fon courage. 11 eft ordinaire parmi les fées, comme parmi Jes mortels , que quand on rend un petit fervice a quelqu'un , on en exige bientot après un plus grand de la part de la perfoftne qu'on a foiblementobligée. Don Silvio ne défira rien tant que de mériter la reconnoiiTance de quelque fée gén ére Life. Un jour qu'occnpé de fes projets , il fe promenoic dans le jardin , le hafard voulut qu'il  paflat auprès d'un foffé-. II appercut fur 1'autre bord de ce foffe , une cigogne prète a avalec une jolie petire grenouille qui fautilloit en croaffanr. II eft bien fur que don Silvio dont le cceur éroit excellent , auroit été natt/rellement porté a fecourir 1'innocente viétime. Mais 1'idée que ce pourroit bien être une fée , ou même , cette grenouille bienfaifante qui avoir rendu de fi grands fervices a la princeffe Muffere, redoubla le zèle du jeune chevalier. II franchit le foffe & chaffa le deftrufteur des grenouilles. La cigogne*, en s'envolant, lailTa tomber fa proie, j& l'infede fauta précipitamment dans le folfé, fans témoigner aucune reccnnoiffance a celui qui avoit fi généreufement travaillé pour fa liberté. Don Silvio refta fur le folfé , & attendit que la grenouille reparür fous la forme d'une nymphe , pour le remercier du fervice qu'il lui avoit rendu. Il ne fe lalfa d'attendre qu'au bout d'une heurej & alors , il fut très-furpris de n'avoir vu reparoïtre ni nymphe, ni grenouille. Le jeune homme ne concevoit pas comment une fée pouvoit avoir autant d'ingraritude. Quand bien même , fe difoit-il, cette fée n'auroit ét« que la petire Magotine, Ia vieille Ragote ou Ja fée Concombre, il me femble qu'elle auroit du être fenlible a un bienfait de cette nature. j^Drè§ c|uelques réflexions, il lui vint eu efprit  18 DonSilvio qu'il n'avoit peut- êrre pas dépendu de cette grenouille de fe montrer fous fa véritable forme, ou qu'elle différoir a lui témoigner plus erïïcacement fa gratitude dans une autre occafion. Plein de cette idee qui s'accordoit tres - bien avec fes vceux chimériques, il retournagaiemenc dans fon chateau de verdure. Cette aventure devoit opérer, felon lui , un changement elfentiel dans fon état. II nous femble entendre le lefteur fe récrier contre la grande fimplicité de don Silvio , qui n'avoit pas pu fe convaincre que cette grenouille étoit réellement une grenouille & non pas une fée. Que ne peut le préjugé! Que ne peuvent les paflions ! Un vieux fon qui croir acherer la fidélité de fa makrefle avec de 1'argent , attribue la gaieté de fa belle, a la joie qu'elle retfent de le voir venir. Penfée fauffe. Elle fourit a 1'argenr, & elle éprouve déja une parne da plaifir qu'e'le aura de le parrager avec fon jeune amant qui eft caché dans le cabinet voifin. Un Indien achète de fon Bonze des amulettes qui doivent être un remède fouverain a routes les maladies. L'Indien tombe malade; & les amulettes lui deviennent inutiles. Qu'en conelut-il ? II fe donne bien de garde de penfer que ces petites images n'ont pas la vertu de le guérir, ou que le Bonze qui les lui a vendues, eft  CïRoSALVA. 29 un impofteur. Mais il rejette fur la foiblelfe de fa foi 1'impuiifance de fes amulettes. CHAPITRE VII. Comment don Silvio trouve le portrait de la princejfe dont il tfl amoureux. C^uelo_ues jours après 1'avenrure de Ia grenouille, don Silvio fe rendit un matin dans le bois, pour y attraper des papillons qu'il deftinoir a compléter 1'ameublement de fon cabiner. 11 étoit déja a plus d'une lieue de fon chateau, lorfqu'il apper$ut un papilion magnirique qui fe repofoit fur une fleur. Les ailes de ce petit infecte étoient d'azur & bordées de pourpre» Au foleil, ces couleurs avoient 1'éclat de l'or. Don Silvio tendit fon chapeau de paille. II crue avoir attrapé 1'animal; mais celui-ci fe gliila jmperceptiblement, & fe cacha dans un buiflon ïouffu. Oh ! s'écria le chevalier, il faut que tu fois a moi, dulfai-je te pourfuivre jufques dans le royaume fourerrain du roi Hammei, ou il pleut des petits patés, & oü les perdrix roties croilfenc fur les arbres. Le papilion qui fe floic fut  DonSilvio 1'a t antage que lui donnoient fes ailes, fembldit vouloir le difpenfer d'un fi long voyage. A peine don Silvio 1'eut-il perdu de vue qu'il le retrouva ; a quelques pas de lui, fur un romarin. II eflaya encore de le prendre ; mais il ne fur pas plus heureuK que la prémière fois. Le beau papillon j d'un air moqueur, faifoic des petirs cerclos aütour de Silvio , & fe repofoit de tems eri tems. II avoit 1'adreue de s'efquiver toutes les fois qu'il étoit fur le point d'être pris. Ce jeu dura jufqua ce que le chevalier s'appercut qu'il étoit égaré. Il fe repentit alors d'avoir rant fait 'de chemin pour un petit infcdte. Mais la chofe s étoit commencée: il ne falloit pas que ce fut én vain. Le papillon fut powrtant arrrapé, après avoir donné plus de peiné a Silvio que n'ea a ün jeune homme a féduire un prude. La joi'e du chevalier répondit a la beauté de fa capture; la confidéra long - rems 8c avec d'autant plus de plaifir qu'il avoit eu bien de la pei/iea la faire. 11 étoit pret a la mettre dans une petite böite , lorfque le papillon caprif le regarda d'un air . ttendrilfant & les ailes bahffées. Dorl Silvio crut même 1'avoir enrendu foupirer aufii fort qu'il eft pofiible a un papillon de foupirer. 11 n ui falktt pas davantage pour lui perfuader que eet ^nfede pouvoit bien êrre une fée ou quelque princeflc métamorphofée. Si la princefie  Barzeline a été fauterelle , une perfonne du même rang peut bien être papillon. II ne fit aucune difficulté de lui rendre la liberté qu'il avoit paru demander d'une manière li touchante. Le papillon forti de 1'efelavage , s'envola gaiemenr. Don Silvio , qui le fuivoit des yeux, le vit pafler prés de quelque chofe qui brilloit dans 1'herbe. Sa curiofité le conduifit vers eet endroir. II y rrouva une efpèce de bijou, garni de gros diamans, qui étoit attaché a un filet de perles fines. II 1'examina & le tourna de tous cótés. Ciell quelle fut fa furprife, lorfqu'en ferrant, par hafard , un refiort qu'il n'&voit pas remarqué, il vit la turquoife du milieu faire place a une petite miniature en émail, qui repréfentoit une femme d'une beauté, d'une beauté...; on ne peut 1'exprimer. Le chevalier refta immobile pendant quelque* momens. Son efprit & fes fens éroient dans Ie délire. Qu'on fe metre dans fa place, & on jugera de fa firuation. Enfin , un peu revena de fon extafe , il regarda & toucha plufieurs fois ce qu'il tenoit, pour fe convaincre que ce qu'il éprouvoit n'étoit pas 1'effet d'une imagination frappée. Plus il examinoit ce portrait, plus il fe perfuadoit que c'étoit celui de quelque déefie , ou au moins de la plus belle des mortelles.  ?1 DonSilvio II faut cependanc avoner que don Silvio ne devoit guère fe connoitre en beauté, paree que fa tante , pour des railons qu'on peutdeviner, avoit cu foin de 1'cloigner de tout ce qui eut pu le féduire : de forte qu'il n'avoit jamais vu d'autres femmes que dona Mencia & fa femme de chambre, qui fe difoit agée de trente-cinq ans, la grofle Maritorne & quelques viüageoifes . Mademoifelle fa feeur qui auroit été une fort jolie petire fille, fi elle n'avoit difparu a lage de cinq ans: on foupconna qu'elle avoit été enlevée par une Egyptienne qu'une perfonne digne de foi, avoit vu roder dans ce tems-la, aux environs du chateau. Don Silvio fut très-fennble aux charmes de la belle qu'il polfédoir en peinture. Traniporté de joie & d'arnour, il s'écrioir: Je viens enfin, de la trouver, celle que j'ai cherchée avec tanr d'ardeur, celle que je dois aimer a jamais, celle qui eft deftinée i me faire goüter des délices donr ne jouiflent que les dieux. Ah ! fée bienfaifime qui t'intéreffes a mon fort Qui que ca fois, c'eft itoi feule que je doisce bonheurimprévu. Quelle autre que roi a pu me faire rrouver ce divin portrait dans un défert, cü peut ètre aucun mortel n'a mis le pied avant moi. Comble con bienfait j parois a mes yeux; que je puifle me jerer ï tes genoux, Sc apprendre de roi oü je pourrai rrouver celle  p e R O S A L. V a. |i «elle dom le portrait a fuffi pour allumer dans mon cceur un amourécernel, Duifé-jelachercher dans la mer de vif-argent, au milieu des monf- tres de la fée Liohne, ou même dans J'anneau de Sarurne; je jure, par tous les dieux qui font propices a lamour, de ne pas gouter les douceurs du fommeil que je ne 1'aie trouvée. CHAPITRE VIII. ■Réfiexions qu'on peut lire fans s'ennuyer, i ■ i I e t compte prendre des poiifuns, & ne prend que des écrevifles, difoit a fon maïtre le prudent Who. Rien n'eft plus commun que de chercher une chofe Sc den rrouver une autre. Saul eii cherchant les anelfes de fon pere, rrouva une eouronne. Don Silvio cherchoir des papillons ■ & trouva une belle fille, ou, du moins, fon porrrait. . N°tre chevalier étoit amoureux, amoureux a lexcès. 11 n'étoir occupé que du moyen de rencontrer 1 'original de fa miniature. Quoiquil connüt les traits de fon amanre, il ne favoit ni •qui elle étoir, ni ou elle réfidoit. II efl: aifé de deviner ce qu'une autre perfonne Tome. XXXFL q  ?4 D o « S i t Y t » out fe facit trouvée a k place de don Sïlvid< auroit fait ou penfé. Mais notre Héros ne refléckifloit & n'agitfoit jamais comme le commuitt des hommes. . , Cette miniatare ne poavoit elle pas avotr eté une fimple idéé de peinrre, ou ne pouvoit-elle pas repréfenter une perfonne morte depuis bngtems Cette dernière fuppofition admife, don Silvio auroit été alors dans le cas du prmce Seifel-Mulouc qui, deux mille ans trop tard devinc amoureux d'une des maïrrelfes du roi Salomon. De telles idéés n'occupèrent point notre chevalier. Plus il réfléchiOoit a la rencontre da portrair, plus il étoit perfuadé qu'elle devoit etre le commencement de k plus fmgulière des aven- Mais que faire en pareille occafion ? Oü rrouver kbelle princefle? A quikdemander? Le papiUon bleu, qui auroit pu lui en dire des nouvelle» etolt xnalheureufement difparu. S'enfoncer,auhafard, dans k forêt, pour 1'y chercher, lui paroiiïott tt„e témérité , paree qu'il avoit lieu de fe rnefier desméchancetés d'une de fes ennemies mvifibles qui auroit pu auffi aifément le détourner du vrat chemin , que fa bonne forrune pouvoit le con-; duire fur le bom Après beaucoup de réflexions qu-il interrotripit fouvent s pour regarder le portrait qu'il pollcdoifi  • i ... b E * O S A r. y A? W fagahe* è devoir faire aucurie avaftt de s etre mforrric au p.ipillon bleu du ^ ^ne fee & comme il avoit défd éprouvé des ^rauesdefa retonnoi^„ce,il J paroiiro ^7 — «-e d lui en faL fenrir «e plus en plus les effers. Pendant - foUioque, fon petit chien Pimpint 1^ ^yaêpirIerpèjne|e genuIe^menefpHtautoUroudeiapnn^ Mnabelle., ««contra fon mairre après laTOic long-tems cherclié dans la forêt. A leur rencontre, l'an & Pautré-m ég4j aegre de ole. Don Siivi9 qui commencoifi f-r harme d avoir uh guide pour Jn du bois - ne t jamais ^ ch F^nt il penfaqae la fée qui lui avoit fai rrouverleportrair.avoiUudefleindefavoirS eprouvero.t quelque émotion d fafpecf de ft %ure ventable: Je fuis aimé dune fe^ s,crioit ■ l.Eh ben- Cen'eft pas la première fois qu'Un rr;e Iaj°UldeGeth^..;Qu"importe^ luis-je trio-ris héureux ? Cette trouvaille donna üri air fi diftrait i nottè ^^ch.valier.ueftranreauroitcertai^ foupconne quelque cliofe.fi de fon cöré elle * AVOlt eu de férie^ occupacions qui lui êt'oien* G ij  s Dom Si i v i o neveu Mais elle ne le tenoit plus fous des lo r neveu. w« Wtième annee ?„blLoi. a fe rendre tó-fcuven. tos la peu e Lvoi. fa» d'une g»nde impo«*nc,, pree oue Lnd elle tev=noi., elle ave., con..e fon o.d. ' «„ al. penfif: elle nefalfol.P.efque plas tt fel & ne dlfol. mot en compagn.e. Quand ^te .n,e chofe pon. l'au«e. EXcep.e fonve„ «nu ee« 1»' 1'en.omo.en. voyotent, cette 1™ " volnnon « ne ponvoien. en teven. • O, fe U-WE» to«e fo..e de eonjeau.es; ma s k LnfpealondeDonaMeneia &kd,fere- fe* 1» dame Bea..iee, fa femme de chamb e, toe„ „nsleplns P.ofondfec.e.. Non, ga.de- ' s "nfe le Be«« i""** C\q°e "s q„ldkonv.e.out,al.po..élesehofeSa tems, qu mrare leut pctfeaion. Les lecie.s o ^ «sniffen, o.dinaitement eux-memes.  ©e Rosaiva; 37 CHAPITRE IX. Suite de l'aventure du papillon. Onfait connoitre un nouveau perfonnagc. ILie fidéle Pimpim avoit fi bien pris .fon tems que fon maitre & lui arrivèrent pré. i c i 1'heure qu'on re mettoit a table. Un pro : filence pcgna pendant le diner. On n'aw^r pas lieu de craindre que der. il io le rom premier : ii étoit rrupocupé de . afLLes de fon cceur , pour remarquer-combien fa ta: tf> paroiffoit avoir de chofes dans 1'efprit. Il ne vit pas qu'elle étoit plus parée qua fon ordi" ire , &c qu'elle fe regardoir de tems en tems, en f&fant de petites minauderies, dans une glacé qui étoit vis-a-vis d elle. Pédrillo , qui fervoit a rable , trouvoit ce jeu-ü fi piaifant , qu'il fe mordoit les lèvres pour ne pas éclarer de rire. Après le diner , dona Mencia annonca a fon neveu que fes affaires 1'obligeoient d'aller en ville & d'y pafler la nuit. Don Silvio étoit trop honnète pour témoigner la moindre marqué de curiofité. Ils fe féparèrent très-contens 1'un de 1'autre. Le chevalier difparut d'abord après le départ de fa tante, fans,que perfonne s'appetv C iij  p E) O S S I T. V I O cut ou il alloit. Comme il avoit ffbutume de fair?' la fiefte dans fon chateau de verdure , on ne fi? attention a fon abfence qua 1'heure du fouper, On le chercha alors dans la maifon , dans le jardin , dans le bois, dans les champs voifinsj & toujours iiuitilement. On fit retentir dans les environs le nom de don Silvio mais il ne donna point de réponfe. Le Pédrillo dont nous avons parlé , étoit un jeune gargon du village qu'on avoit donné pour laquais a don Silyio. II formoit, avec une cuifin/ière , un palfrenier & la belle Maritorne , toutle domeftique du chateau , quand la dame Béa* trice en étoit abfente. Les quatre bonnes gen$ étoient inquiets & confternés de ne pas volt* revenir leur jeune maitre qu'ils aimoient beaucoup. Enedivement , le chevalier avoit uil cceur excellent & le catadtère très-doux. Après. gu'ils 1'eurent cherché au clair de la lune jufquNi pnze heures ou minuit, ils s'imaginèrent qu'il ppuvoit être allé trpuver fa tante. La viüe n'étojc éloignée du chateau que de trois lieues, lis fe couehèrent tranquillement, Pédrillo étoit affidu auprès de fon maitre, & n'ignoroir pas toiit a fait fon penchant pour les fées,. Ce fidéle domeftique réfléchu murement, èc penfa que quelque aventure pouvoir avoir fait fgargr fon rnait-e dans le bois pu il fe promg7  *» E R O S A I V A? 37 «tok ordinairement. II fe leva le lendemain de très-bonne heure, & parcourut encore touce la fbrêt fans plus de fuccès que la veille. II étoirprêt i s'en rerourner , lorfqu'il appergut, dans un rocher , une caverne couverce de lauriers fauvages & de chèvrefeuille. > Quoique Pédrillo eür un extérieur trés fimple, li ne manquoit pas d'efprit: il étoit prefque aufll verfé que fon maïtre dans les livres de chevalerie. Après avoir examiné de loin la caverne, i! la trouva afTez propre a être le féjour d un partifan des fées , pour efpérer d'y rrouver fon imïtre. Pédrillo ne fe trompa pas. A peine fut-il a 1'entrée de Ia grotte, qu'il vit don Silvio endorrm fur un lit de moulTe couvert de fleurs. f e petit Pimpim dormoit i fes pieds, une guit* tare étoit fufpendue au deffus de fa tête* Sc Ie portrait de la princeiTe ou du papillon é'toit attaché a fon cou. Pédrillo, qui n'avoit pas encore vu ce bijou ; fut cbloni par 1'éclat des pierreries qui 1'ornoient. Quoiqu'il ne fe connüt pas beaucoup en bijou«ene, il jugea pourtant que les diamans qu'il voyoit valoient au moins dix villages comme celui de fon maitre. II examina long-tems ces raretés fans comprendre oïi don Silvio les avoit rrouvées. Sa curioiité devint fi preifante , qu'il put a peine s'empêcher de réveilier le cheva- C iv  4o- D O N S I 1 v t o lier. 11 eft certain qu'il 1'auroic fait , s'il n'eutf été le payfan le plus maniéré de route la Valence, II prit cependant la guitrare , en pinca, & chanta de routes fes forces fans parvenir a fon but. Eh! morbleu! dit-il, par un mouvement d'impatience , cela n'eft pas naturel. Si ce fommeil n eft pas un fommeil enchanté , je fuis au bout de mon favoir. Peut-ètre que ce joyau eft enchanté. ... Si cela éroit, il vaudroit mieux que je le lui otafle, ou même que je le cailalTe, que de le laiiTer ainft ronfler.... qui fait?.. pendant des fiècles. En difant ces mots , il étendit la main fur le portrait, & donna , par hafard , un coup de coude a fon mairre qui s'en éveilla. Silvio no put pas d'abord ouvrir tout a fait les yeux. Il ne reconnut pas Pédrillo , & ne vit qu'unefigure humaine qui vouloit lui ravir le tréfor de fon creur... Maudite magicienne , s'écria t-il, ne te fuffit-ü pas d'avoir dépouillé cette princefle de fa divine beauté , & de l'avoir transformée en papillon? Veux-tu encore m'enlever 1'unique chofe qui puifle me faire fupporter 1'excès de mon malheur. Mais, apprends qu'avant de me h ravir , tu dois m'arracher ce cceur ce Cömr ovï elle eft gravée avec des trairs de fhmme. ' Pe gvace, mcnfeur , dit Pédviiio, en fatianc    D E R o S A I V A.' 41 un faut' en arrièrë vers le'ntréfe de Ia grotte , expliqüez-moi' ces paredes. Je ne fuis niVorcier' ni magicien je fuis un des bons chrétiens de notre pareine. Je fuis au défefpoir de vous trouver ici, & dans un pareil étar. Que dites^ vous de r ,-giciennes , d'excès , de papillens transformés ?n princefies, Sec. Vous rrouver endormi iet*?., l Je n'en augure rien de bon. Fs-tu Pédrillo, reparcit le chevalier qui pendant ce tems - la s'étoit frotté les yeux. Si tu es Pédrillo, comme ra figiue femble 1'artef-' tfr, je me tranquillife. Les reproches • que je viens de faire ne te regardent pas: je te prenois pour un autre.... Mais, que voulois-tu faire de ce portrait ? De quel portrait, monfieur ? , De ce portrait, coquin , que tu' étois fur Ie point de m'enlever , Iorfqu'une rriain "invllible ma tiré du fommeil, pour prévenir eet affreux défaltre ? Sur mon honneür , ■ feigneur. Silvio , je crois que vous revez, pour ne pas'dire pis.' Nous vous cherchames hier route la foirée ,. jufqu'.i fheare que les revenans ont coutume de fe montrer aux hommes. J'ai ce matin parcóufu le börs tont feul; &, après metre donné bien de Ia peme , je vous ai rrouvé endormi dans cette caverne.. Quand j'ai vu que vous étiez  '4*' ü O M S I 1 V I Ö enfeveli dans un fi profond fommeil, j'aï eft» que ce bijou pouvoit être un talifman qui vous retiendrcir aifoupi jufqu'a ce que quelqu'un le brifat. J'ai lu beaucoup de ces exemples dans les livres qui compofentla bibliothèque de madame votre tanre. Paree que vous m'êtes cher, monfieur , je vous plaignois: j'étois faché de vous voir fubir le fort de Démoniou qne la déefle Diné fit dormir cent ans de fuire pour pouvoir 1'embrafier autant de fois qu'elle le défireroit. Que le diable empoifonne cette vieilie amoureufe! Vous favez fon hiftoire, monfieur: elle fe trouve dans un vieux livre, fans couverture & fans titre, dont j'ai hérité, pour trois piècettes, a la mort de ma grand mère. Si vous ne l'avez pas lu , je vous le prêterai: vous y verrez des chofes bien intéreffantes Pour en revenir, monfieur , je ne pouvois me réfoudre a vous voir dormir pendant des fièdes : je me préparois a brifer le talifman , Sc voili tour. Je ne foupconne pas que ma bonne volonté ait du rnériter votte courroux, Quelqu'envie qu'eut don Silvio de fe facher, il ne put s'empêcher de fe radoucir Sc de rirc au difcours de fon domeftique Ecoute , Pédrillo, lui die - il; ton intention n'étoit pas abfolument repréhenfible. Je t'aifure cependant que tu étois fur le point de me jemer un  V> E R O S A t y A." 4$* jnauvais tour. II eft cercain que je fuis enchanté par ee bijou que tu as pris pour un talifman ; mais j'aimerois mieux perdre mille vies , que de ïouffrir que eet enchantement fut levé: j'ai appris cette nuit des chofes de la dernière importance. Ne demande pas ee que c'eft ; tu Ie fauras quand il en fera tems. J'ai befoin de tes fervices: voila tout ce que je peux te dire en ce moment. Pédrillo ne cemprir pas un mot de ce que fon maitre venoit de lui dire. II n'en fut que plus curieux : mais il ne vouloit pas qu'on s'en appercöt, puifqu'en venant au chateau , il tint a peu prés ce difcours d don Silvio Je ne vous demanderai rien , monfieur , je ne vous feraf aucune queftion, puifque vous me 1'avez défendu. Je connois 1'étendue de mes devoirs, je fais eombien je dois être foumis. Premièrement, vous êtes men feigneur , paree que je fuis de' vorre village, En fecond lieu , vous êres mon maïtre , paree que je fuis a votre fervice & a vos gages. Quoique ce foir madame qui règle la maifon , je fais bien que c'eft a vos dépens. J'ai 1'alr nigaud; mais Pour en revenir, monfieur, a notre premier propos , je vous cercifie que je ne témoignerai aucune envie de favoir ce que vous ne pouvez m'apprendre Mais je me rrouve 8ulli dans de fingulières difpofitjons. Je me crois  44 D o n S i l v i o enchanré comme vous. Autrefois je comprenow tout ce que vous me difiez i & depuis que jat touché cette efpèce de talifman , je ne vous entends non plus que fi vous parliez arabe. Je veux moutir tout a 1'heure, fi j'ai faifi un feul mot de la converfation que nous venons davoir enfemble.... Si Ion favoit oü vous étiez cette nuk , lorfque nous vous cherchions avec tant de foins , on pourroit peut être deviner Je u'en dis pas davantage: car vous pourriez vous imaginer que je.... Si j'eufie été curieux , j'aurois pu favoir pourquoi madame fait, depuis hun jours , de fi fréquens voyages a la ville.... Entte nous , monfieur.... j'ai quelque crédit auprès de la dame Beatrice. Hem ! Vous ne vous en fenez pas douté ?.... Je vous promers que, quoiqu'eüe art un long chapelet pendu a fa ceinture, Sc que fa démarche relfemble a celle d'une bigote, elle en fait long. Je palfai hier devant fa chambre^. la porte étoit entr'ouverte : elle m'appercut, m'appela & me dit de lui attaché* fon fichu. Je fus fouvent traité de mal-adroit; mais le ton qu elle mettoit a me dire de petires injures, me fit bien fentir qu'elle avoit envie de m'agacer tendrement, C'étoit, fans contredit, le moment de tout favoir, fi jen avois eu envie Oh 1 Ne voüi-t-il pas ?Vous croyez que je veux vous tirer les vets du nez Eh bien, Je me tairai,  DE RoSALVA. 4J monfieur... Non, monfieur, je ne dirai plus mot. Pédrillo promir de fe taire & ne ceffa de parler, que quand ils furenc arrivés au chateau. Silvio ne favoit pas écouté : fon efprit étoit occupé de fes affaires parriculières. A leurarrivée, la 'cuifinière fit une omelette, une fricaffée de poulers & une friture d'efcargots pour le déjeuner de fon maitre qui mangea de fi bon appétit, que Pédrillo en eut beaucoup meilleure opinion que le matin ou il l'avoit entretenu d'enchantement, de princeffes & de papillons. CHAPITRE X. Dans lequel il eft queftion de Fées, de Salamandres \ de Princejfes & de Nains verts, s que la plus grande chaleur du jour fut pafïée , don Silvio fe rendit, avec fon domeftique , dans le jardin. Après s'être affis , 1'un & 1'autre , fous un berceau de jafmih, le chevalier recommandaa Pédrillo de lecouter fans 1'interrompre. II lui raconta tout ce qui s'étoit paffé, depuis qu'il avoit rendu la liberté a la grenouille, jufqu'au moment qu'il avoit été trouvé endormi dans Ia caverne,  4 o n § i t v i <* chapitre xiii. Portrait a la maniere de Callot. Uon Silvio qui s'occupoit du papillon bleu & du nain vert, ne pouvoit guère prévoit le coup dont il étoit menacc. On aVoit bien eu de la peine a lui perfuader que fa tante avoit réfolu de Ie marier a une petite bourgeoife, pendant qu'il étoit déterminé a patcoutir le monde pour trouver une princefiè aïlée qui étoit deftinée a être fon époufe. Ciel! quelle fut fa furprife, lorfqu'il vit arriver dona Mencia accompagnée d'un monfieur & d'une demoifelle qu'il ne connoilfok pas du tout. Oü fuir? ou fe cachet? comment éviter cette tante dont on craignoit tant le retour? Que ferai-}e? que deviendrai-je? 1 Partirai-je feul?... Mais, par oü fortirai-je ?... Malheureux Pédrillo \ C'eft toi Ce font tes préparatifs qui me perdront Ce font eux qui cxpoferont 1'adorable papillon bleu a!...... SÜ y fuccomboit Si quelqu'autre avoit la tèmérité Je n'ofe y penfer fans frémir. ,..■} Net'avois-je pas dit, Pédrillo, que tes provifions étoient inutiles. La fee qui me protégé en a bien  DE R O S A £ V Av plus a notre fervice que nous n'en pourrons con-^ fommer...... L'inforruné don Silvio n'eut pas plutöt achevêV fon monolögue , qu'il vit ouvrir la porte de la. falie oü il étoit. Sa tante entra. Elle lui dit d'allei^ au devant des aimables étrangers qui arrivoientJ Silvio pénétré de douleur, obéit. Pendant ce terras-la, Pédrillo qui revenoit de la cave & de 1'office, étoit allé aider Ie monfieur & la dame at defcendre de leur voiture. II eut toutes les peiness du monde a s'empêcher d'écrater de rire, lorfqu'it vit M. Rodrigue, & fur-tout mademoifelle Mer> géline. Don Silvio qui étoit naturellement doux SC poli, fut fi effrayé de leur afped, qu'il fit trois oui quatte pas en arrière. Son embarras lui öta la faculté de remarquer les fentimens de joie qut éclatoient dans les yeux de Mergéline lorfqu'ella le vit. Pour faire connoitre au le&eur quelle devoïe être la fituarion de notre jeune chevalier, nouö donnerons une efquilfe du portrait de celle qu'orafc lui deftinoit pour femme.. Elle avoit environ trois pieds de haut. La dif-' tance d'une de fes épaules a 1'autre étoit égale afk hauteur. Son corps étoit firégulièrement conftruir,; que fa tète en faifoit i peu prés la quatrième, Ei%  7« DonSilvio partie. Son cou , fa gorge, & fon eftomac fe perdoient infenfiblement Tun dans 1'autre. Son vifage. formoit un quarré parfait. II manquoit en hauteur a fon fronr, ce que fon menton avoit de trop en longueur. Venons en a fon ajuftement.il étoit compofé d'une robe de firtin fouci, brodée en argenr. Son corcet, qu'elle laiffoit entrevoir , étoit yert & noué avec de larges rubans d'un gros bleu. Une plume couleur de feu ornoit fa chevelure. Elle avoic des bas mordorés a coins d'argenr, & des fouliers cramoifis brodés en or. Ce fut a cette aimable perfonne que Silvio tendit une main tremblante pour la conduire dans la falie. Apeine y fut-elle, qu'elle courut a une glacé pour réparer le défordre que le voyage pouvoit avoir mis dans fa parure. Après beaucoup de complimens qui n'étoient pas des complimens ordinaires, chacun fe placa, On gardoir, un profond filence, on fe regardoir, tous paroilfoient embarraffés. Mergéline avoit eu foiu de fe placet devanr un miroir, dans lequel elle conremploit, d'un air de fatisfaction , & les graces de fa perfonne & la fymétrie de fa parure. Elle jouoit avec fon évcntail. Elle couvroit de revns en tems fon vifage , avec une.mpdeftie qui auroit enchanté tout autre que Silvio. M. Rodrigue jetoic des regards entlamraés fur dona. Mencia. Silvio  Rofalva. 71 ouvroit des grands yeux, paroiffbit difttaic Sc confus. Sa tante ouvroit fouvent la bouche pour parler ; mais elle ne favoit que dire. Bèatrice vint les titer d'ernbafras. Elle fervit un gouré délicar. La maïtrelïe de la maifon en fit les honneurs avec une dignitéquiredoublalerefpeét que les étrangers avoient peur elle. Mergéline profita du cérémonial pour étaler les graces de fa perfonne Sc les agrémens de fon efprit. On paria beaucoup de la faveur des fruirs Sc du fucré des confitures. Dona Mencia fe mit a détailler d'une manière circonftanciée tout ce qui a rapport a 1'art du confifeur- Cette converfation n'amufoit pas du tout M. le procureur. II n'étoit occupé que de fon contrat de mariage Sc d'un procés dont le gain devoitlui tapporter des dommages Sc intéréts confidérables. II prenoit tant, de plaifir a y penfer , qu'il tourna infenfiblement la converfation fur la chicane. Don Silvio ne voyoit Sc n'entendoit rien. Toutes les faculiés de fon ame étoient reünies fur le papillon bleu. E iv  'fi D ó* n Silvio' CHAPITRE XIV, Prbpojitio.n de manage, ,A. p r I s qu'on eut parlé du procés deux heures entières ; Ia dame Beatrice porta des vins étran-r gers & des liqueurs : on en verfa avec prodigalité. Dona Mencia profita d'un infiant ou mademoi'felle Mergéline & M- Rodrigue queftionnoient fa femme de chambre fur différentes chofes, pour tirer fon neveu dans le cabinet voifin. Elle raf-? fembla tous fes efprits pour lui rcvéler le grand fecret. Elle ne favoit comment s'y prendre. Elle -tegardoit fon neveu, arrangeoit fon fichu, ötoir & remettoit fes gans: enfin.... elle paria. Don Silvio! vous êtes plus paré qu'a 1'ordinaire." Saviez-vous que j'amenois compagnie ? Non, madame, répondit Silvio, en rougilfant, Mais.... je ne favois... je foupconnois, Vous n'avez befoin de chercher aucune ex-? cufe : vous ne pouyiez vous habiller pour une meilleure occafion..... Plus je réfléchis, Sc plus je crois que nous étions prédeftinés 1'un Sc 1'autre ^ quelque chofe de fingulier...... En difant ces mots, elle fe placa. a cóté de fon neveu, prit une ip*ifs i&. ^b^c, Sc fit un préambule qui la coi**  DE R O S A 1 V A« 7J duifit peu a peu a fon fujet. Elle déclara enfin en tremblant, qu'elle avoit réfolu de perdre fa liberté en faveur de M. Rodrigue , qui eft , difoit-elle i un homme d'un rare mérite. Silvio apprit en même tems qu'on avoit promis fa main a made-, moifelle Mergéline. Dona-Mencia vouloit lui perfuader qu'il réfulteroit de trés grands avantages de cette doublé alliance. Elle s'attendoita recevoic beaucoup de remerciemens de la part de fon neveu , pour qui elle s'intéretToic rant. Don Silvio ne fut pas fenfible a cetre faveur.1 Le difcours qu'il venoir d'enrendre , lui óta pen» dant quelque tems 1'ufage de la parole..... Il témoïgna par fa réponfe moins d'indignation que d'étonnement. Je vous avoue, madame , que je ne concois rien a ce que vous venez de me dire. J'ai dixJiuit ans. Ma nailfance & 1'éducarion que vous m'avez donnéem'invitent a quitter incelfamment la vie oifive & retirée de la eampagne. J'ai réfolu de chercher dans le monde 1'occafion de me diftinguer. Un jeune homme comme moi doit voyager; il doit avoir des aventures: vous même, madame, m'avez infpiré ces nobles fentimens. Vous m'avez toujours dirqu'un hom me de qualité devoit tout facrifier a la gloire & a fa naiflance. Ces le5ons, que je fuivrai a la letre, ne s'ac» cordent pa? du tour avec rétabliflement que vous  74 DonSilvio me propofez. Je vous déclare, dès ce moment; q-ue je n'y foufcrirai jamais. D'ailleurs, je ne crois pas que la fortune de celle que vous me propofez, puilïe tentet le cceur le plus avide de biens. Comment avez-vous pu concevoir 1'idée de m'enrichir a ce prix ? c-eft-a-dire, que vous voudriez me concentrer pbur le refte de mes jours dans cerre folitude, ayanE pour route fociété utie femme que je n'ofe envifager : elle m'infpire autant d'horreur que d'effroi. Le moyen de cacher enfuite mon malheur & ma honte aux yeux de filmvers Oubliez-vous, monfieur, le refpeét que vous me devez? je m'atrendois a. plus de foumiffion. De la foumiffion! reprit vivement Silvio , quand vous vou'ez m'enchainer a un monftre. Je vous prorefte, madame, que je n'héliterois pas a, *ne jerer dans le Guadalavar , pour éviter un Lui regard de mademüifelle Mergéline. On fait que vous étes inftniment prévenu en votre faveur. Je vous promets que vous vous repentirez derablir fur vorre prétendue bonna mine, 1'cdifice de votre bonheur. Je ne me donnerai pas Ia peine d'entrer endifcuffion avec vous. Mais, apprenez, monfieur, que dona Mergélina n'eft pas faire pour eiïiiyer vos dédains. C'eft une demoife'le digne des plus affeérueux fenrimens.... Quand elle n'auroit pas toutes les bonnes qiialités  deRosalvA. 75 que je lui connois, fachez qu'un fimple gentilhomme qui a tour au plus cent piftoles de revenu, ne doir pas rejeter en étourdi, un parti de cent mille ducats. Vous n'appréciïez pas autrefois, reprit ironiquement don Silvio, un homme de qualité felon fa fortune. Cent mille ducats ne m'éblouiront jamais en faveur de celle que Vous me deftinez pour époufe. Toutes les puilfances réunies ne fau«< reient impofer a mon cceur de fi. dures loix. Je vous ai 1'obligation, madame, de m'avoir infpiré le mépris des richefles. Je prends le ciel a. cérnoin que je n'en acquerrai de ma vie par aucune baffeffe. . Quelle balfelfe trouvez-vous a époufer dona Mergélina? des malheurs imprévus ont forcé fes ancêrres a déroger a leur noblelfe qui éroit une des plus diftinguées du royaume Je fais Se que je dis, don Silvio Malgré les plus fiorf- tres événemens, cette vertueufe familie a rrouvé les moyens de fe relever; & elle eft prêtea rendre a ma maifon 1'éclat qu'une honteufe inuigence alloit lui ravir. La pauvreté qu'on n'a pas méritée n'eft point honteufe, reprit vivement don Silvio. Ccmptez fur moi, madame. Je vous promets de conferver a ma familie tout 1'éclat de fon nom. Je me feris alfez de force pour triömpher des périls dont elle  "7$ Dow Sitvi© efl: ménacée. Dona Mergélina peut être noble tant qu'il vous plaira; mais düt-elle defcendre du Cid; düt-elle me donner tout 1'or du Pérou, je ne 1'épouferai pas. - Comment! Tu ne 1'épouferas pas ? s'écria dona Mencia, d'un ton foudroyant. Je te dis, moi, que tu 1'épouferas. Oui, tu 1'épouferas , ou tu verras fi dona Mencia fait faire valoir les droits que la nature Sc ton père lui ont donnés fur toi... . Tu 1'épouferas , te dis-je, ou Point d'inutiles menaces, interrompit Silvio, avec une fermeté qui déconcerta la vieille dame. Je connois 1'étendue de mes devoirs envers vous ; Sc je connois aufli les hornes de vos droits fur moi. Mariezvous tant Sc aufli fouvent que bon vous femblera, avec monfieur Rodrigue Sanchez; je n'y trouverai, rien a redire; mais vous me permet^rez, a lage oü je fuis , de ne pas m'immoler ; ou de ne pas confentir a 1'engagement dont vous m'avez fait 1'honneur de me parler. A ces mots, la vieille tante devint toute en feu.... Je t'entends, s'écria-t-elle, en ferrant le refte de fes dents. Je commence a deviner ce que tu médites. Je connois la noirceur de ton caractère. Tu attends avec plaifir le moment de me voir feule 1'objet de tes reproches. Dès a préfent, je méprife tout ce que tu pourrois dire. Quoi'. Un jeune homme a votre age, monfieur, vou-  de R o s a i v "a" ff 'droit favoir mieux que moi ce qui lui convientJt je ne veux pas m'échauffer davantage. Puifque ton inexpérience eft 1'unique fource de ton ingratitude, je veux bien oublier toutes tes vivacités..; Mon neveu!... II n'en fera plus queftion; mais je ne confentirai pas que tu fois la victime de ton frivole entêtement. Sans moi, pareille occafion ne fe feroit jamais offerte. Tu es encore trap jeune pour fecouer un joug que je puis appefantir a mon gré. Souviens-toi que tu es fous mon autorité, Sc que je faurais te faire obéir, fi Votre conduite, madame, eft une preuve certaine que les cheveux gris ne font pas toujours Ia marqué infaillible de la fageffe. Je ne fuis, ni affez jeune , ni affez vieux, pour m'offrir en facrifice £ vos ridicules penchans. Je vous difpenfe des foins que vous voulez prendre de ma fortune. Si je rejette les vceux de mademoifelle Mergéline & fes cent mille ducats , c'eft que j'ai de fortes raifons pour le faire Je vois aufli ce que je dis, dona Mencia Avec la protedlion que j'ai, je puis hardiment méprifer routes vos menaces.... En difant ces mots, il fortit vite du cabinet Sc courut dans le jardin. II étoit au défefpoir ; il ne favoit que devenir; il couroit ca Sc la, en attendant, avec la dernière impatience, 1'arrivée d$ Pédrillo.  ji D O k S i t V i O CHATITRE XV. Soupcons de don Silvio. II concerte fa fuite avec Pédrillo. Pédrillo étoir cürteisc & bavard. II avois écouté a une petite porte du cabinet 1'cntretieii que fon maitre avoit eu avec dona Mencia. Il 1'aVoit vu fortir & 1'avoit fuivi fans faire de bruir. 11 le regardoit fe promener dans une allée de marronniers-d'inde. Don Silvio marchoit a grands pas; il avoir les mains derrière le dos & parioit a haute voix. Son air & fes geftes annoncoient tanC de colére que fon domeftique n'ofoit Tapprocher. Silvio 1'apper^ur & lui fit figne de venir. Tu crains les juftes reproches que j'aurois a re faire fur tes inutiles préparatifs Peut être caufeTont-ils mon malheur & celui du papillon bleu» Si tu avois fuivi mes ordres & mes confeils, nous ferions aótuelfement bien loin de ce chateau. Je jie me flatte plus d en pouvoir fortir, fans le puiffant fecours de la fée Rayonante. Tu vois combien j'aurois fujet de te gronder, mais ne crains -rien , mon ami. Tu as fait le mal malgré toi; je pe fuis pas alfez injufte pour te faire porrer k peine de ces contretems. Je ne dois les imputer  deRösalva. 79 qu'a la bizarrerie de mon fort Sc a la méchanceté de ma mortelle ennemie. Silvio prir la main de fon domeftique & lui dit de regarder de rous cótés li perfonne ne pouvoit les entendre. Après avoir promené autour d'eux des regards inquiets, ils s'afiirent. Ecoute , Pédrillo : je veux te découvrir mes plus fecreres penfées. Je fuis convaincu que cette vieille fille ou femme que tu as vue fortir de la voirure, avec deux monftres, n'eft pas ma tante dona Mencia de Rofalva. II eft vrai qu a fon abord j'ai pris 1'une pour 1'autre. Mais a cette .heure, je ne doute plus que ce ne foit la fée Fanfreiuche qui a pris la figure de ma tante pour s'oppofer a mon bonheur. J'ai la-defTus des notions qui ne me laiffent aucun doute. Malgré les efforts qu'elle faifoit pour fe déguifer, j'ai vu dans fes yeux quelque chofe d'égaré, que je n'ai jamais appercu dans ceux de ma tante. Je ne puis te détailler tout ce que j'ai vu d'extraordinaire dans fa figure; mais je fuis für de mon fair. Fanfreiuche a lürement appris la métamorphofe du Nain-vert. Elle a cru pouvoir mettre obftacle au bien que la fée Rayonnante me veur. Elle s'oppofera , fi elle peut, i mon bonheur Sc a celui du papillon bleu. Tel étoit fon delfein quand elle eft venue dans ce chateau. Croyez-vouscela? monfieur, répondit Pédrillo»  8o Dón Sitvio qui avoit écouté fon maitre avec attentioti. Cette* idee m'eft déja venue. Dès qu'elle eft arrivée, il rn'a femblé voir en elle quelque chofe qui n'étoit pas naturel. Depuis que vous m'avez découvetE Votre facon de penfer> je parieroisque mademoifelle Mergéline eft fceur du Nairt-vert, fi elle n'eft pas quelque chofe de pis. Je veux être dés-, honoré, fi j'ai jamais vu un pareil monftre. Eh ! bien Ce monftre la avoit des prétentions.J II vouloit être ma femme».... Votre femme! monfieur, Vous, fépoufer! Il faudroit que vous eufliez perdu 1'efptit; Pardonnez-moi, fi je m'exprime fi naturelleiiient : c'eft que je fais bien que monfieur n'en fera rien... ii Diantre !.... Vous nous la donnez belle, ma mignone Vous n'avez qua direQuellê ambirion! pour une figure telle que la votre, «.** Ah! qu'il feroit dommage qu'un fi beau chevalier trouve, ens'éveillant, cettenainedans fes bras!..;. 11 n'en fera rien 5 mademöifelle Mergéline. Vous pouvez rengainer vos prétentions......;.Si vous voulez abfoiument être e'poufée, que n'allez-vous trouver le nain Mignonet j il fera votre affaire.;.. Hi, hi, hi, le beau couple!... Ouf da, on vous époufera..... Attende^-moi fous l'atme...,... J'ai ouï dire que cette Mergéline étoit fort riche. Je ne fuis qu'un pauvre diable \ mais fur-elle d'or, je .n'ea voudroispas.,.,... Un peu moins dargenti madame  D E R o S A L V A.' Si madame Fanfreiuche, & beaucoup plus de beauté* 6c.... Sc puis fon verra. Silvio rit de tout fon cceur de la franchife dë fon valet; mais il commencoit a 1'impatienter : il finterrompit Sc lui dit.... . Mon cher Péddüo , le cas eft peur-être plus & neux que tu ne le penfes. Je te l'ai déja dit: Fanfreiuche eft méchante & vindicative. Je fab que fon pouvoir eft étendu. Si c'eft elle qui eft venue cê foir, fous la figure de ma tante, pour me chargef de ce laidron -„. Par fcifat Jacques! interrompic Pédrillo, fi madame n'eft nas...... fi elle nVfl- i^c f 11 cue n elt pas vorie tante s Sc qu'elle foit, comme vous le dites, la fée Fanfreiuche, il ne nous. lefte qu'a invoquer le cieh Comment voudriez-vous réfifter i cks enehanteurs, d des magiciennes ?... Doucemenr, mon ami, reprit Silvio. Le feul part. qui nous refte, eft de décamper cette nuit Cette nuit! s'écria Pédrillo, 1'effroi dans 1'ame Eh! monfieur y penfez-vous! Premièrement la nuit n'eft 1'amie de perfonne. Secondemenr. tenez, monfieur, je ne mettrois pas le pied'hórs de la porre pour autant de quadruples qu'il y a de cheveux fur ma tcte. Nöus rencontrerions a chaque pas des revenans, des forciers, des Joup garous. Je vous fupplie , je vous conjure i maiL joimes, monfieur don Silvio..., Tomé XXXrtt «  8i DonSilvio Tais-toi! ne fuis-je pas muni du portrait de la belle princeffe? fon feul afpe£t infpireroit de la vénération aux fpefttes les plas hideux de 1 Afcique. En cas d'événemenr, la fée Rayonnante ne m'a-t-elle pas promis fa pcoteftion? Tiens , Pédrillo , il y a apparence que la lune nous ecialren cette nuit: & dut-elle s'obfcurcir, je ne doute pas que ma prote«-W ne nous envoie une ou Plufieurs de fes falamandres, avec des flambeaux, pour nous éclairer. Elles diffiperont toutes les embuches que Fanfreiuche pourroit nous tendre..., Mon ami! fi ru m'aimes, aide-moi a executec mon deffein. Si nous échappons une fi belle occafion, dieu fait fi nous la retrouverons jamais. Sois affuré, Pédrillo, que je ferai reconnoiffant. Je ne promets pas plus que je ne peux temt V mais des quejautaitrouyémachatmanteprinceffe compte LmaParole....tafortuneeftfaite Vors fi tu veux me fuivre fi tu m'abandonnes, je pararat feul J'aimerois mieux mounr que de palier cncóre une nuit dans eet abominable chateau. Pédrillo n'avoit d'autre défaut que beaucoup de poltronerie. Quand il entendic fon maitre parler de parrir & de s'expofer feul, les larmes lui vintent aux yeux. 11 fe dérermina, en jetant autorit de lui des regards ou la terreur étoit pemte, de braver tous les monftres, & de partir en depit de Fanfreiuche.  beRosaiva. 8? Je confens, monfieur, cKc-il a Silvio d'une voix tremblante, je confens a partir avec vous & a queile heure de de la nuit vous le iuoe'rez a propos. ö CHAPITRE XV L Une promenade. Rufe de don Silvio. A SX p e i n £ eurent-i!s fixé le moment de leur départ que la voix foudroyante de dona Mencia fe fit entendre. Elle venoit prendre le frais dans le jardm avec fes convives. Cfel! monfieur, s'écria Pédrillo, madame Fanf reluche!... Mon faint pacron, protégez-moi Que le faint ange gardien. Mais la fceur du Nain-vert Poltron ! Tu vas me perdre. Retire-toi vire * prends-garde qu'on „e t'apperSoive. Je veux refter lur ce banc & y attendre tout ce monde. ^ Pédrillo frémit i ces mots. Il leva les mains au ciel, recommanda fon maitre a tous les faints du paradis, & s'enfuit de toutes fes forces. Don Silvio , malgré toute fa fimpliciti , étoit «pielquefois ingénieux. II imagina un expédient pour tromper fa tante f«r tout ce qu'il projetoit*  g4 DonSilvio Je veux, difoit-ïl, la tenir dans une incertitude qui fufpendra tout ce quelle pourroit faire pour me nnlre. Je n'affeóterai ni trop de réfiftance a fes vues ■ ni beaucoup de penchant pour Mergéline. comme cela, elle ne preffera pas les chofes. Je laifferai entre voir, de tems en tems,qua la longue on pourroit gagner quelque chofe fur mon efprit & mon cceur. En faifant ces réflexions, il s'avanca a penis pas ver _ II n'avoit befoin de prendre aucune precaution ponr laiiTer ignorer fes projets a fa tante 5 quoique les derniéres paroles de leur tére a tête auroient pu donner des foupcons. Quand elle reflechiffou que fon neveu manquoit de tout, & quiLnT ftbtt perfonne dans les environs qui put 1'aider, elle fe tranquillifoit. Elle s'informa dans la maifon ' «ai ne s'iioït rien paffe de nouveau pendant fon  beRosalva. 85 abfence : on lui répondit qne non; & een fut affez pour la tranquillifer. Eile prit pour une r?émJance qui convenoit a fon age, la chaleur qü'll avoit mife clans fon difcours. Et les hormêtetés qu'il fit dans la füite a Mergéline perfuadèrent a dona Mencia qu'il fe rendroit immanqaabiement. CHAPITRE XVII. Ravijfemcnt de don Silvio dans les jardins de la fée Rayonnante. Le quiproquo qui en réfultë. Suite défagréable. INF os dames trouverent la promenade fi agréable, qu'elles firent femblant de ne pas s'appercevok que la nuir venoir. Cette nuit paroifioit faite pour favorifer l'amaur. Elle étoit aüfii paifible que celles que Diane choififfoit, pour aller furprendre dans le fommeil fon fidéle Endymion. II fembioit queVénus avoit invoqué le dieudu repos, pour que fon cher Adonis goütat le fouverain bonheur, fans être intetrompu. La tendre aona Mencia s'éloigna peu l peu avec fon favor ,de fon neveu & de mademoifellg F iij  86 DonSiivio Mergéline. Elle gagna un petit berceau de charmille, ou la moindre lueur ne pouvoir pénétrer. Malgré la grande obfcurité, elle vouloit faire remarquer a M. Rodrigue mille rarerés que la nature avoit produixes pour la commodité de ceux qui vouloient fe repofer. II ne dépendit pas enrièrcment du praticien de n'en pas profiter... Mergéline fe trouva a fon aife avec Silvio. Elle hafardoit de tems en tems de petites matques de tendrelfe. Elle ferroit affe&ueufement les mains de fon compagnon, qu'elle conduifit peu a peu dans un petit cabinet de verdure qu'elle avoit remarqué pendant la journée. Silvio recevoit fes agaceries. On fe flittoit de le faire fortir ainfi de fa profonde rêverie. Plus Mergéline elfayoit dé faire imprelfion fur fon efprit, plus il s'égaroit dans fes fonges. Les charmes de la nature alfoupie fembloient captiver toutes les facultés de fon ame. II croyoit n'appercevoir le clair de la lune qu'a travers un paravent de gaze. Il voyoit un fopha de fatin couleur de rofe & blanc éloigné de Ia clartc. Dans ce raviflemenr, il oublia qui étoit avec lui. II étoit dans les jardins enchantés de la fée Rayonnante. II ne voyoit que des allées de jafmin & de chèvrefeuille. Des fleurs immortelles s'épanouilfoient a fes yeux. LeS étoiles étoient autant de falamandres qui danfoient feus la voute azurée du firmament. Le croafle*  deRosalva; 87 ment des grenouilles, habitantes des marais voifins, étoit un concert mélodieux dans lequel on rendoit hommage a fa divine princeffe. On y célébroit aufli la gloire de fon triomphe. II étoit fi hors de lui-même , qu'il s'écria tout a coup.... Dois-je en croire mes yeux! ciel eft-ce un fonge? Mon cceur eft enivré des plus pures délices.... Voila donc 1'inftant fortuné.... dieu! ne m'abufai-je pas, ou eft ce bien elle que je vois? C'en eft donc fait, adorable princeffe! J'ai donc furmonté tous les obftacles qui me privoient de la gloire & du bonheur de vous pofféder! Ah! Silvio, forruné morrel! comment as-tu pu anéantir la malice de tes enne- mis? C'eft bien elle : c'eft mon amante. L'éclat du rang fuprême brille dans route fa perfonne. Elle répand fur la nature entière mille agrémens nouveaux. Silvio continua encore quelque tems fur le même ton. Mergéline romba des nues. Elle ne eomprenoit rien au langage de don Silvio qui lui avoit ému les entrailles, par lachaleur & la véhémence qu'il y avoir mifes. Elle ne connoiffoit en beau ftyle que ce qu'elle avoit lu dans quelques romans. On lui avoit parlé fi avanrageufemenr de 1'éducation du chevalier, qu'elle crur qu'il lui avoit fait une délaration d'amour felon le ton de la bonne E iv  SS DonSilvio compagnie, II ne lui vint pas dans 1'efprk qu'on eur voulu fe moquer d'elle : elle étoit trop préfomprueufe. Elle n'interrompit pas Silvio, dans I'efpérance qu'il expliqueroir d'une manière plus inrelligible, les belles chofes qu'elle avoit entemdues. Mergéline n'ctoit pas tout a fait fans expérience en amour. Avant de favoir quelle feroit un jour fa fortune, elle avoit bien voulu s'abaiffer jufqu'a écourer les galanreries d'un garcon de boutiqne de fon voifinage. Elle fir a don Silvio, paree qu'il étoit un homme de qualité, les avances qu'on lui avoit faires autrefois a elle-mème. Elle le regarda avec des yeux étincelans & le prelfa tendrement fur fon fein, Soir que 1'imagination de notre héros ne fut pas alfez échauffée, foir que la fée Rayonnante ne permït pas que fon dé'.ire durat plus long-tems, }1 fortit tout a coup de fon premier accès de lethargie. Quoi! s'écria-t il avec le mème effoi qu'éprouva ia princeffe Laidronene, lorfqu'elle vit dans fes praS le Serpent vert, au lieu de fon époux. . .,. Quoi!.... les dieux 1'ont-ils pu permettre! Quel affreux changement! cruelle Fanfreiuche, que t'ai-je fait? Les rnaux que tu m'envpie, depuis fi jong-tems , iicnt dope pu affpuvir ra haine & tx feaffearieeiQuêl ma] tai-je fan? Pcurquoi me per-.  deRosalva. 8 i R.O S A L y A ^ Dona Mencia parut fatisfaire de eet atrangt ment. Elle fortit au grand conrenrement de Pédrillo qui n'avoit celle de faire des fi^es de crolx avec fa langue, fur la prétendue Fanfreluche. Les convives attendoient des nouveües du malade. Ils furent bien aifes d'apprendre qu'il repofoit, & que fon évanouiflement n'auroiè aucune fuite facheufe. Dans quelles cruelles inquiétudes tu vieiis dé ine jeter! dit Silvio a fon vdet, dès qu'ils furent leuls. N'apprendras-tu donc jamais a te uiodérer ? Sens-tu tout le mal qui auroit pu réfultef de ton imprudence? Si elle avoit quelque connoilfance des foupcons que nous avorts fur fort compte, oü en ferois-je? que deviendrionsnous ?... Divine princeffe! pardonnes eet affreus fetard: il n'a pas dépendu de moi de 1'éviter Mais neil ne peut plus m'arrêten . ... ImpmJ dent Pédrillo !...oü éroit tonefprit, kufque tu as appele cette vieille Fanfreiuche ? II eft vrai, monfieur . . .. je cönvieris de mort torr.... Daignez m'excufer, paree que j'ai réparé ma faute. Tout autre que moi ne s'en feroit Pas tiré, On fe feroit coupé a chaque queftion, La terreur qu'infpire I'afpeél d'un être furnafurël aurou faK évanouir> _ i t parIez.moi d,uo . determiné. Cent boulets de canon ne me feroient Gij  ^oo Dos SitVió3 pasdécoumer la tére. Ce que c eft que d'avoit 1'efr.rit préfent ! Vive le courage , vive 1 amout & le papillon bleu. Ce n'eft pas peu que de favoit tourner les cWes , de facon qu'on ne s'anpercoive pas de nos petits defauts. Le cure, en ohaite, dit fouvent une chofe pour 1 autre; xnais il patle d'un ton fr aïïuré, & avec tant d'onction, qu'on ne cherche pas a pénétrer le tond de fa morale. Si on épiloguoit tout, que fait-on. 3'ai fouvent ouï dire 1 madame que le meilleur d* tou< les généraux étoit celui qui commettoit leplusde fautes^ ... ou le moms At- tendez .. Je ne m'en fouviens pas trop. Ah . monfieur , qu'il eft dommage que Pédrillo n'aic pas étudié ! Jarrii! j'appüquerois fi bien les paf-, fases du vieux teftament. Tu bats la campagne. Les momens fe palfent. Toutes les minutes font précieufes.Defcends doucement parle petit efcalier.Vois fi toutle monde eft couché. Pendant que tu feras ta ronde, je m'habiUerai bien vltfe. H f uit abfolument que BOus foyons partis avant 1'arrivée du chirurgien Oui fait fi je le pourrois mettre dans mes interets? Oui, monfieur, le cas eft preflkut. Marirorne Be tardera pas ï venir : il y aplus d'une heure cu'eile eft partie. Si elle a trouvé le chirurgien chez lui, elle 1'aménera, il nous faignera, nous ferons maladesi Sc adieu le voyage.  DE R O S A I V A'. IOï ïl faut efpérer que tout ira bien, difoit le jeune' ecuyer en mettant fes bas Si on eft au lit tu iras m'attendre dans le jardin auprès de mon chateau de verdure. Nous poutrons aifément franchit le mur : il n'eft pas haut dans eet endroit-la. Les vents qui ont voulu m'être favorables, en ont renverfé la plus grande parrie. Tu vois qu'il ne faut méprifer la proteétion dé rien de ce qui fe meur. Oü eft donc votre clef, Monfieur ?..". Ha ha/L ha! je me rappelle maintenant qu'on vous a óté dans le jardin, tous les meubles en métal que vous aviez. On craignoit que vous n'en fiffiez un mauvais ufage fur vous ou fur ceux qui vous; entouroient. Fanfreiuche a fait prendre votre épée , votre coureau , vos clefs & votre tire— bouchon. Qui fair adtuellement oütout cela fera. fourré? 11 faudroit pourtant avoir.... N'importe; fais ce que je t'ai dit. Je pour** voirai a tout. Pédrillo obéit enfin. Un quart-d'heure après/ fon maitre le vit fortir d'une galerie qui aboutilfoit au jardin , & enfiler une allée qui con4 duifoit au chateau de verdure. Norre héros éroit prêt a. aller joindre fon valèt ^ lorfqu'il s'appercut qu'il étoit fans épée. Voyager inarmé fous un ciel étranger,ce feroit une témérhé.. Silvio s'attendoit a trouver mille obftacléa; G ii j  iel Don Silvio ïl eft vrai, difoit-il, que je peux beaucoup comtv ter fur la protection de la fée Rayonante. En cas de befoin , elle me donnera de 1'or , des diamans , &c. Mais j'aurois un air embarralfé , fi je ne ponois que des armes enchantées. Après avoir cherché un expédient qui le mit a portée de fe défendre en brave chevalier , il fe relfouvint qu'il y avoit dans une chambre voifine quef? ques vieilles armures. II y trouva un grand &c vieux fabre couvert- de rouille , qui n'avoit été d'aucune utilité depuis le règne de FerdinanddeCatholique. Don Silvio s'en accommoda , erj réfolvant de le changer pour une légère & gaJanre épée , düt-il même donner quelque chofe de retour, dès que 1'occafion fe préfenteroir. II conjectura , par le profond lilence qui règnoit, que Fanfreiuche, fes convives & fes domeftiques , étoient couchés. 11 partit pour le rendez-vous avec ces fentimens de crainte & d'efpérance qu'on éprouve dans 1'attente des événemens incertains. Pédrillo 1'attendoit en tremblant. Chaque feconde lui paroilfoit un fiècle. Il prenoit pour autant de fpeétres qui étoient prêts a. 1'enlever, pour le tranfporter dans le féjour des démous, toutes les feuilles que le zéphire agitoit. Mon maitre n'arrive pas , fe difoit-il, qui peuf le retarder ? Si Majitprne étoit d§ retpvw  DE R.09ALVA. IOJ avant notre déparr, nous aurions tout a craindre de la malicieufe Fanfreiuche. La bonne forrune de notre jeune héros , avoit pourvu au contretems que redoutoit Pédrillo. Soit que la groffe Marirorne craignit les revenans, ou qu'elle aimat la bonne compagnie, elle avoit permis au palefrenier de venir avec elle. Ils s'entretinrent, chemin faifant , de 1'accident arrivé a don Silvio , & des circonftances qui 1'avoient précédé. Ils parlèrent beaucoup , marchèrenr lentement, & furent affez tendres pour fe laiffer féduire par les agrémens d'une nuit paifible. On devoit traverfer une petite forêt dans laquelle on s'afiïed au pied d'une arbre , pour contempler , plus a fon aife , les différenres nuances que formoit fur le feuillage la reverbération de la lune. Après s'êrre entrerenus des beautés de la nature , que faire? L'occafion étoit favorable, le tems calme, le fol déiicieux, le galanr hardi & la belle foible & fans défenfe. La fatigue du voyage & la fraicheur de la rofée, la conduifirent a quelques diftractions dont elle ne fortit que pour fe livrer a un profond fommeil. Maritorne fut bien étonnée le lendemain matin , quand elle fentit que les rayons du foleil dardoienr fur fes grofïes joues rubicondes. 0 amour! fe dit-elle alors, tu es un traitre, je ne me fierai plus a toi. Qui croyoit dormir fi long G iv  t me fuis-je Batte ea vain' N*avois-je pas raifon de me repofer entièrement fur les bontés de filluftre fée Rayo, nante? . , Que dois-je appefcevoir, monfieur , demanda Pédrillo f t Comment ofe-tu me faire un pareille queltlon ? Tu ne vois pas cette falamandre qui a plus d'éclat que tous les aftres du firmament, & qui yient poliment au-devant de nous ? Une falamandre! oü eft-elle donc? .. . PouC moi, Je ne vois qu'un homme de feu qui nous aura bientót atteint, s'il continue i marcher au pas redoublé. ... Je devine bien pourquoi il fe trouve lei i... Monfieur , c'eft un mort qui, de fonvivanr, a attaché quelques bomes dans ce canton, pour aggrandir fes terres aux dépens de fes voifins. Par punition, peut-ètre ródera-t il ie» des fiècles entiers. Efclave de la fuperfthion! tu ne verras donc jamais que des objets hideux. Regarde fixement ëc d'un ceil alfuré ; Si tu verras que ce que tu prends pour un homme de feu eft précifèmenC une falamandre : oui, une falamandre , te dis-  DE ROSALVA. je, & une des plus belles: mie de celles qui donnenr dela fplendeur au cortège de la puifTanrë fée , ma proteétrice. Examine toutes lei parties de fon corps. Vois fa briliante cheveiure flotter fur fes épaules, & defcendre en boucles fur fes ailes azuiées. Vois fes yeux qui ont nut.mt dëclac que Iccoile du maat) Vois fon air majeftueux! ne diroit cn pas que c'eft une immortelle qui prend fon vol vers 1'Ethérée. Ma foi, feigneur don Silvio, ou je fuis feu, ou vous n'êtes pas de fang froid. Je ne vois aucun des objets que vous venez de détailler ; mais je diftingue trés-bien une maife de feu qui s'élève dans les airs ; tantöt elle s'approche, tantöt elle s'éloigne. Vous pouvez lui donner tel nom que vous jugerez d propos, mais il eft certainque j'ai fouvent vu dans ma vie des hommes de feu du? avoient précifément... Pédrillo, fi ra fimpliciré & ta bonne foi ne m'infpiroient dela compaffion, je parlerois de manière .1 mettre fin d res vinons. Je n'aurois jamais penfé que M. Pédrillo s'obftineroit d me difputer quelque chofe defi clair. Tudevrois avoir alTez bonne oplnion de mon difcernement pour croire que je pourrois diftinguer une falamandre d'un homme de feu, puifque jën ai vu plus de mdle a la fuite de la fée Rayonanre. Celle qui fe préfenre a suremènt été députée pour traireravee Tome XXXVI. H  ït4 Don S r l v i o moi de quelque affaire importante. Il fe pourroit auffi qu'elle eüt été fimplement employee pour nous fervir de guide dans notre voyage. Quoi qu'il en foit, nous la fuivrons j & le refte fe développera. AUons, monfieur, ce fera donc une falama* dre , puifque vous le voulez ainfi. II eft a préfumer que vous vous connoiflez mieux que moi en chofes fublimes. Monfieur eft fans doute né un dimanche; car on dit que ceux qui naiffent ce jour-la., voient des efprirs en plein jour. Ce que tu dis n'eft pas impoffible. Peut-être .qu'une fée a voulu m'ètre favorable dès 1'inftant de ma naiffance ... Oui, Pédrillo , tu as raifon. Les efprits élémentaires font invifibles aux perfonnes ordinaires; & moi, je les puis voir, puifque je diftingue parfaitement cette falamandre. Mais, monfieur, je ne fuis donc pas une perfonne ordinaire : car je vois aufli quelque chofe. La feule différence qu'il y ait entre vous & moi, c'eft que cette maffe de feu vous paroir être une falamandre plus belle qu'un chérub'm , & qu'i mes yeux , elle n'a que 1'apparence d'un homme de feu. C'eft lëffet d'une imagination frappée, te-disje. Tu réitères ce qui s'eft paffé il y a une heure, As-tu oublié que tu ptenois un chêne pout un géant.  i)É ïl Ö S A L V A» Uy Doucement, monfieur, ne parions plus de cela. Oubiions ce qui eft fait. Si je vous laiffe votre falamandre, voüs pouvez bien me pafier mon géant: qui fait a quel degré ils font parens Eh! monfieur, le terrein fur lequel nous conduit votre falamandre me femble baifien nous marchons comme dans lëau Que le diable émporte 1'homme de feu qui nous guide! Ces' droles-la prennent plailir d conduire les Voyageurs dans des déferts, ou d les faire tomber dan&s des précipices. Silvio nè faifoit plus attention a ce que difoit fon valer. II marchoit devant lui d grands pas, fuivant roujours la prétendue falamandre. Pédrillo eut a peine achevé de parler, que fon makte tomba jufqu'aux genouxdans un trou niarécageux. Auffi-tör que Pédrillo eut entendu le brui: de la chüre, il vola au fecours, mais avec fi peu de précaution, qu'il fe trouva dans un plus grand embarras que fon maitre. II étoit fut une petite hauteur, d'oü il prit un élan qui lëntraina au milieu d'un bourbier. Ses plaintes & fes cris donnèrcnt a penfer qu'il s'étoit calfé un bras ou une jambe. Que c'eft-il arrivé, mon pauvre Pédrillo j s'écria le chevalier qui rravailloit inürilerhent d fottif de fon föffé, parcé que fon grand fabre l'ineöttmodok beaucoup r Hij  ié D O K S < ^ V , . Gl etes-vous donc , mon cber ma.tre, repotf,Pédrillo d'une voix —.e r... Avez-vou 1 c» ene ie fomm m ™e autre f? - f i i fWrmtes fes ailes azurees, fc£ les yeux LemalnCS ce n'eft pas la feate de la falafommes tombes, ce n eit p j „ One ne reeatd ons-noiis mieux? elle mltS d i "é pour „ons faire «irerce ^rtnepuisa.Lbuercen.Ureur.u, s-tanrédelabone/Jenairévaer.ucv.„dS feloue vous „a'ave-ondés^ vous „e pon- "cénéftalfo. Dans u„v„,aSe rel'que «lui nsavo„s enrrePris,on do.r sWrea ^ fone doemens. C'eft inous iles preverTrens.WdriUo.iecom-aaenceaa.o.rquelrs-Ceneftpasqoejenefoisbrenaffure  de Rosalva; 117 d'avoir vu une falamandre ; mais peut-Être que nos ennemis, pour fe venger de n'avoir pas fur nous un pouvoir abfolu, ont voulu nous tendre quelques piéges pour nous faire renoncer a notre entreprife. Si j'ofois parler , je fais bien ce que je dirois. Et que dirois- ru ? ' Que nos ennemis n'ont peut-être pas eu tant de torr que vous le croyez. Pourquoi? C'eft qu'il me femble que c'eft une grande imprudence de norre part de nous expofer ainfi Ia nuit, en courant les bois & les montagnes fans c'onnoitre le chemin & fans favoir ou nous allons. Nous rifquons a chaque pas de nous rompre la rête en nous heurtant contre les arbres, ou a èrre engloutis dans des marais remplis de grenouilles. Et fout cela, monfieur, pour fair un fac de cent mille ducats qu'il ne tiendroir qu'a nous d'époufer fans qu'il nous en coute autre chofe qu'un fimple oui. Le folfé de grenouille a fait une étrange révolutiö'n dans ta faoon de penfer... Avant dëntrer plus avant dans cette matière, donne-moi du linge, afin que j'en puifle changer. 1 Vous avez moins lieu que moi d'ètre mécontent de la falamandre. Je fuis couvert de boue de Ia téte auxpieds. II me faudra une journée enrière pour me fccher. Je crois voir prés d'ici un endroir Hnj  31S Don Silvio' ou nous pourrions nous alfeoir Remarquez-» monfieur, ajouta Pédrillo, en ouvrant fon havrefac, que la prévoyance n'eft pas une fortife. Ou en ferions-nous, s'il nous falloir attendre que la fée Rayonante nous envoyat du linge ? Je crois que nous fommes achiellement alfëz a notre aife pour pouvoir parler de fang froid. Si nous nous repofions ici jufqu'a 1'arrivée du jour, & qu'alors nous repriflions le chemin du chateau.. .. Seroit- ce un mal? .. 11 me femble que nous avonscommencé une chofe dont nous ne verrons jamais, la fin. J'aimeroi-s mieux chercher une épingle dans, un grenier a foin, qu'un papillon dans ce grand monde. On ne pourroit rien faire de plus pour labelle Danaë des grecs. 11 efl: vrai que le papillon eft princelTe de naiflance, & par conféquent, un animal d'importance; mais tandis qu'elle n'eft que papillon, elle eft bien moins qu'une marionnette. Quand la princelle Cacamacha paroit, on eft fur de trouver Lolotre derrière la toile.. C'eft une fatisfacftion pour le domeftique du galant, Mais un papillon n'a pas de Lolotte a fa fuite...» Vous riez , monfieur, vous ttouvez mon raifonnement dtóle ? il n'eft pourtant pas fi fot...... Je conviens que madame Rayonante vous a promis de grandes chofes. Mais promettre eft un atticle, Sc tenir en eft un autre x difoit Jean a, Pérette.... Dona MergéUna n'eft pas wuï a dédaigner, paree que  DE R O S A L V A. II9 cent mille ducats font toujoursappétiffans. Quand il y en auroit quelques-uns de moins, qui fait fi cela ne vaudroit pas encore mieux que la principauté que le papillon bleu doit vous apporrer en mariage ? Si cn examinoit les chofes de bien prés , on verroir peut être que dona Mergélina eft une nièce de la fee Fanfreiuche. Er quoique certe Fanfreiuche foit la plus vieille, la plus décharnée 5c la plus méchantè de toutes les fées, elle peut pourrajit d'un feul coup de baguette, changer en rubis toutes les tuiles de votre chateau. Cela peut être vrai, mais conviens a ton tour que Mergéline eft trop laide pour qu'on puiffe lui accorder le moindre fentimènt d'amour. J'avoue qu'elle n'eft pas laplus belle defon fexe. Cependant fi vous 1'avez examinée de bien prés » vous devez avoir appenju fur fon vifage Beaucoup de dames, de roufteurs & de marqués de petite verole.. Ah ! monfieur, vous n'examinez; que la fuperficie des chofes. La beauté reflemble a une fleur qui fe fanne d'abord après le printems. La violette qui na q.u'une rrès-médiocre apparence , vaut mieux que" Ie pafle-velours... Vous êtes prévenu; contre mademoifelle Mergéline. Elle n'eft pas fi défagréable que vous vous 1'imaginez.. Je conviens qu'elle eft un peu boflue ^& qu au-premier abord on cioiroit que fes cheveux font rougesj H iv.  ixo Don Silvio fi on les confidère dins un cerrain jour, ils paroiffent piutór couleur de rofe ; & certe couleur ne lui fied pas mal. Bref, fi j'étois a la place de monfieur, je ferois comme le borgne. J'ouvrirois un eed du córé des cent mille ducats, & je fermerois celui qui fe trouveroir visa-vis de mademoifelle Mor-* .géline. L'ai gent clnige ï'univers entier. Point d'argent, point de fuilfe : voiia ou je m'en tiens. Les ■foixante-dix fages de 1'Orient viendroient me dire le contraire que je n'en démordrois pas. Don Silvio avoit eu la complaifince d'écouter une parrie du babi} de fon domeftique qui jafa des heures enrières. II calculoit davance ce qai lui reviendroit du mariage que fon maitre contracteroir avec la nièce de la fée Fanfreiuche. Aux dépens des cent mille ducats de Mergéline , il batilfoit les plus beaux chaceaux qui aient été faits en Eipagne. I! étoit fi occupé de fes projets , qu'il paria long-tems lans s'appercevoir que Silvio s'étoit endormi. Comme il n'étoit pas habitué a s'entretenir avec lui-mên;e, il fe tut, tiraun flacon de fon havrefac, but un coup, & fuivic 1'exemple de fon maitre.  DE RoS AtV A. UI CHAPITRE XXL Réveil défagréable de Pédrillo. Pi DR.1LL0 ronfloir encore, lorfqne fon maitre forrant d'un fommeil oü il avoit été très-agité, s'élanca fur lui rout a coup, & lui dit, en le prenant a la gorge... Maudit nain ! rends moi mon porrrair, ou tu es morr. Hai! Au fecours ! Au meurtre! Au feu! Au voleur! On m'aflaffine ! S'écria Pédrillo en donriant des coups de pieds & des coups de poing. II ne devinoit pas pourqaioi on le réveilloit de la foire. Ren's-moi ma princeffe , te dis je , ou.... Eh ! Par tous les diables! Je crois que c'eft vous, monheur don Silvio! Eres-vous donc poffédé de 1'efprit rriafin? Pourquoi attenter ainfi a ma vie? Avec vous, on n'eft pas sur un inftant de fon exifterice. Comment! Quëft-ce donc , demanda Silvio, honteux & confterné. . .. Eft - ce toi , Pédiillo ? ... Ce n'eft pas de jeu , monfieur mon maitre. Vous faites femblant de ne me pasconnoitre. Oü avez-vous appris a furprendre les gens dans le fommeil? Si vous.prenez les chofes furcepied la,  Ui Don Silvio je me démets dès ce moment de mofi emploi. Aidera qui voudra votre grandeur a chercher le papillon bleu. Ou fuis-je ? Qu'entends-je ? Eft-ce un fonge ? Non. II eft bien vrai que je retrouve ici... mon ami Pédrillo. Je vousrends grace, monfieur le gentilhomme. Pédrillo eft bien fenfible a 1'honneur que vous lui frites. Mais fi c'eft ainfi que vous rrauez vos amis , vous ne trouverez pas mauvais... Oh ! Je parie qu'il y a encore des nains & des falamandres en jeu. Calmes-toi , mon cher Pédrillo , tu n'as rien a craindre. Je jute, par ma belle princelfe , que mon intention n'étoit pas de te faire mal... Je ne fais comment le Nfin-vert m'a échappé au moment qu'il étoit en mon pouvoir, ni comment il a pu te fubftituer. Ne 1'avois-je pas dit ? Nous y voila... le Nainvert. 11 y a long-tems que j'ai penfé que dès que nous ferions hors du chateau , Ie diable nous feroit pourfuivre par tous les dragons , les géans 8c les nains-verts de 1'enfer. Mais a propos , monfieur, il me femfele que le Nain-vert a été métamorphofé en curedent. La reine des falamandres n'eft guère jaloufe de tenir fa parole. On ne doit médite de perfonne ; mais je veux être un menteur fi vous n'êtes pas fa dupe.  be R o s a l v a." iij Et vous , vous êtes un infolent M.. Pédrillo. Apprenezque vous pourriez vous repentir d'avoir parlé avec tanr d'irrévérence ... II n'y a pas cinq minutes que vous éciez fur le point de m'étrangler, paree que, comme vous le dites vous même, vous me preniez pour le Nainverr. Je dis, ou le Nain-vert eft curedent, ou il n'eft pas curedent. S'il eft. curedent, vous n'avez pu vouloir 1'étrangler, paree qu'on n'étranglepas un curedent: & vous n'avez pu me prendre pouc le Nain-vert, paree que je n'ai pas 1'air d'un curedent. J'ajoute que fi le Nain-vert n'eft pas curedent , la fée Rayonante en a , &c... Ma conclulion nëft-elle pas jufte ? Monfieur a-t-il quelque chofe a répliquer ? Tu es bien habile , Pédrillo. Mais écoute-moï a ton tour \ & puis nous verrons quelle confé-, quence nous aurons a tirer. CHAPITRE XXII. Que ne peut l'illufion! .A. pres que Pédrillo eut promis de fe rairej Silvio commenca ainfi. —'Tu écois a peine endormi que...  H4 Don Silvio Un petit moment, monfieur, vous étiez endormi vous même long tems avant moi. Je te dis, moi, que j'érois éveillé : & cela te doit fuflïre. . . Après avoir réfléchi a rout ce qui nous étoir arrivé , une fylphide a paru devant moi.—-Une fylphide! s-'écria Pédrillo, en rega'rdant fixement fon maïrre. — Oui, une fylphide conrinua tranquillement notre héros; &c une des plus belles qui ait jamais paru aux yeux d'un mortel. .» Don Silvio , m'a-t elle dit, je fais qui » tu cherches.Viehs avec moi: je te ptéfenterai » a 1'objet qui captive ton cceur; mais a condi» tion que tu ne feras pas infenlible a ce bienfair". Je ferai tout ce que vous exigerez de moi , m'écriai-je , en me jerant a fes pieds , pour vous témoigner ma reconnoilfance » Je ne te » demanderai rien que tu ne puilfes faire, reprit » la fylphide ; mais , avant tout , allons voir ta » belle princelTe. Nous ferons bientot d'accord 5) furie refte «. En difant cela , elle détacha une rofedu bouquet qui couvroit fon fein, & la. jeta par terre Au même moment, cette rofe fe changea en un char de nacte de perle, parfemé d'émeraudes: il étoit artelé de douze oifeaux du paradis. Je me placai a fes cörés , & quelques minutes après , nous defcendimes dans uri lieu enchanté. Je ne finirois jamais , fi je voulois t'en détailler tous les agrémens.  DE ROSALVA. -Ii.5 , Oh! monfieur , je vous prie de continuet*. Je me palferois de man'ger route la journée pour vous entendre raccnter. Repréfente-toi une plaine immenfe , oü 1'art des fees a rcuni rout ce que 1'imagination la plus briilante peut fe jjgurer d'agréable. La beauté de ces lieux furpalfoir rour ce que les poctes ont dit de Tarante, de laThelfalie & de 1'aimable réduic de Daphné. Des ruifleaux argentés ferpentoient agréablen.ent dans des prés émailiés de fleürs. On alloir dans de petits labyrinthes entrelacés de myrthe , de jafmin & de chevrefeuille , par- des aljées rouffues de tilleuls & d'orangers. Ah ƒ Pédrillo , tout ce qui annonce la félicité fe trouvoit réuni dans cette délicieufe folitude qui paroilfoit n'être confacrée qua 1'amour & aux amans. Des troupes de jeunes nymphes , en habits de gaze, folatroient dglfous les myrthes,ou danfoient avec de petits amours fur des rapis de fieurs, ou fe baignoient voluptueufement dans des fources de criftal. , Monfieur, il y a lieu de croire que vous êtes né fous une heureufe éroile. Tubleu ! Vive la fylphide. C'eft un être bien différent- de cette maligne falamandre qui fe plaifoir a nous mettre dans 1'embarras , & a nous faire romber dans les folfés de grenouilles. Encore fi vous m'avigz emmené avec vous!.. Lorfqu'il eft queftion de  nS Don Sitvió quelque panie agtéable , perfonne ne penfe 1 moi. Ce n'eft pas tout, continua Silvio. Il ne faut pas annoncer la vidoire avant la fin du combat , difoit le fage Solon., ... Mes regards fe fixoient fur tous les obiets qui concourüient a donner de l'agrément a ce féjour enchanté. J'appercus une nymphe aflife fur un banc. Elle jouoir avec un papillon qu'un fil d'or prefqu'imperceptibletenoit attaché a fon bras. Ciel! Que devins-je, quand en m'approchant plus prés, je vis que ce papillon étoit ma belle princelTe. Oui, c'étoit précifément ce papillon bleu aux ailes d'azur que nous cherchons .... » Es-tu le jeune chevalier , me dit Ia »> nymphe , qui voyage fous la proteétion de la i> fée Rayonanre , dans le deifein de rendre au » papillon bleu fa forme naturelle » ? C'eft moimème , répondis-je, belle nymphe. Oui, c'eft moi; & je fuis pret a vous facrifier ma vie , fi.... » Oh! Je ne te demande pas fa vie, me ditj> elle , en m'interrompant. Si tu peux me prou» ver que tues téellement Don Silvio de Rofalva , „ le papillon bleu eft a toi « Parlez divine jj nymphe, quelle preuveexigez-vous?..» Faites y moi voir le portrait de la princelTe. Si tu es j> Don Silvio tul'as... Je n'exige aucune autre », preuve ». — Ah! malheureux ! oü étoit dans ce fatal moment, la fée bienfaifante ? Ou étoit  DB R O S A I V Al 117 |na protedtrice ?.... Je lui ai donné le portrait. A peine 1'a-t-elle eu que j'ai vu: pourrai-je le» dire ! j'ai vu , au lieu de la belle nymphe ; 1'épouvantable Nain-vert. Ce petit monftre! Il étoit tranfporté de joie; il fautoit & danfoit de plaifir. 11 tournoit & retournoit mon tréfor dans fes affreufes mains. II me monttoit les dents Sc me difoit d'un ton moqueur > Je pofsède » enfin ce que je defirois. Apprens , foible » rival , que la pofTefïion de la belle princefTe » n'eft duequ'a celui qui fera muni de ce portrait. » II ne te refte plus aucun efpoir. Va : ce n'eft » qua ma joie & a mon raviflement que tu dois » la confervation de ta vie; mais fouviens roi » que j'obferverai rigoureufement tes démarches. » Je faurai pénétrer tous tes defTeins Sc les traver» fer. Si tu entreprends quelques témérités au» prés de mon amante, ta perte eft aflurée «. Juge, Pédrillo , jugede mafureur.Cedifcours me tranfporta de colère. Je voyois mon chet portrait au pouvoir de ce déteftable nain. Je m'élancai tout a coup fur lui, réfolu, ou de perdre la vie, ou de ravoir ma princeffe. Votre projet étoit louable , monfieur ; maïs pourquoi falloit il que je fuffe mis en jeu; & au moment qu'il fut queftion d'étrangler ? C'eft ce que je ne puis moi-même concevoir,  U8 Don Silvio je terralToisle Nain , & quand j'ai été fur le'poin? de legoraer , j'ai.reconnu ra voix ; Sc mes yeux me conhrment que c'étoir toi qui te débattoisfous mes mains. Le Nain avoir difparu^ & je me retrouvai dans lëndrok ou la iylphide étoit venue me chercher. ' Oü étoitdonc certe fylphide , pendant que vous yous quere'iiiez avec le Nain vert ? Te l'knore. A peine étois - jc defcendu du char que la fylphide Sf tout l'équipag: ont dif- F VoiU une hiftoïre bien défagyéable fflle c-,mmencoit fi bien! Qu'il eft: dommage qu'elle „e hnilTe pas mieux \ Mais. . . s'U m'éroit permis de faire une queftion... Croyez-vous, mor.Geur, que la chofe... que toutes ces circonibnces foient véritablement arrivées ? En puis-je doiuer ? J'étois éveillé quand la fylphide eft venue : je l\i vue de mes propres yeux. J'avois 1'ufage de mes fens & de la fame. raifon. Oh! oui, je crois qn'il eft très-vrai que j'étois éveillé ; Scfi cela eft... . Voila précifiment la queftion. Je penfe , moi... Enfin je penfe ce que je penfe. ' Tu penfes que ce n'eft qu'un rêve ? Plut i Dieu! Mais.... :, oqtfbap liftli'op.a moja Loifque vous me dites que vous aviez vu Ia  Fee Rayonante, je crus d'abord que te n'étoic qu un fonge. Mais quand vous mëütes fait vois Ie portrait de la princelTe, je me rendis , on n. peut pas aller contre de fi fortes preuve*. Si voug poüviez me montret aótuellemenrune pWe de ces oifeaux du paradis qui traïnoient vötr* char, ,e dlrois que tout ce que vous vehcr d* taconter eft vrai.... Mais.... Oui, c'eft cel. SfT Quen°us fommes-^«e je fuis imbé. ale...Tourn32-vousUnpéu, monfieur le ch«H valier... Ne 1'ai-je pas deviné ? Ne voila-t-il na* ie portrait que le Nain-vert vous a enlevé r O ravinemertt! s'écria Silvio , lorfqa'H trouv* le potttaic dans Iëndrolt ou ii ie poltoit ordi-. mirement. -Tu as raifon, Pédrillo. Oufuis-j^ Eft-ce bien vrai ?. Nëft-ce pas Une illufión > com-'' ment as-tupu faire cette heureufe décoüvertej mon cher Pédrillo > Tes yeux ont été guidés p^ JapuuTante fée Rayonante. Pour cette fois, monfieur , ]e ctoU que vou* faites trop dhonneuri votre fée Rayonante. Je parierois tout ce que j'ai que le nain n'a vu ni le papillon bleu, ni votre portrait. Au tefte , quand iVousyous difpofereza dormir, j'aurai foin de m eloignerde votre perfonne, paree qu'il n'eft point amufant de terminer, étant éveillé , Ie8 fiaetdles que vous aveZ en £|y« ayecle^  p D o M S I i v I o * Silvio enchanté de polféder fon portrait 5 applaudir, en fouriant, au badinage de fon valet. Après s'ëtre entretenus quelques tems de reves finguliers, ils s'enfoncèrent dans la forèt, pour s'y repofer i i'ombre.  SECONDE PART IE. CHAPITRE PREMIER, Cc quife pajfoh k Rofalva N l>i ou s interromprons *„ inftant le fil fi» nque du voyage de notre jeune héros ] p0Ur ra- Nous en etions i Mariro'rne qui fut effrayée deferrouverdanslehoisaulevetdufoleil,^ quon attendort au village fon rerour & l^ivée du chuurg.en. Elle chercha longtems queIqi e excufe qui puc au moins palhët fa négli^nL lorfquon laqueftionneroicfurles morffs dé fort tetard mais elle n'en trouva point. Elle étoit F«. a fe hvrer aux fureurs du défefpoir , forfque Jacob fon amant s'éveilla. II detnanda avec viva ene a fa maitrelfe,quel pouvoit être lefujer de fes lamentanons.La tendre Matitorne détailla d'uné inanicre bien touchante 1'embarras ou elle étoit & la repugnance quëlle avoit a retournet che* *>na Mencia dont la commilïïon n'étoit pu  Dom Sitvxci feite, Nëft-ce que cela, ma mie ? lui dit Jacob. Tiï nedoispas techagriner pour cette bagatelle. J'autai bientótimaginéun expediënt quite tirera d'affa'ue; Je connois patticutierement maitre Bias le «hirurgieu. II eftamoureux dune fille frakhe Si jolie comme tol, qui demeure dans une ferme fmiée ï un quartde lieuede fon village. Le chirurgien Bias qui pincetrès-bien la guittare , va toutes les nuits chanterfoüs lesfenêtres de famaltrelfe. Coursaftuellement chez lui, & tudiras quetues venue lechercher v-ersminuir, mais qu'il n'y éföff pas Tu feras la mêmehiftoueidona Mencia, .86 tout ira bien.... Ecoute! Maritorne, ma mie, ne t'égare pas dans le bois avec maitre Bias. 11 en fai* affez pour faire prendre le mauvais chemin i une jeune fille. Sambleu 1 Si j'apprenois quelque $hofe... Je neme polféderois plus..... Maritorne tranquillifa fon amant le mieux, Welle le put.lis fe'féparèrent après s'ètre donné de nouveaux témoignages d'amour, & que Jacob «utprouvéifa maïtrelfe qu ii étoit digne de toutC ia conftance; < 11 étoit environ fix heures du maan, Iorfquc dona Mencia s'évêilla. Son impatience avoit hat6 le terme de fon fommeil. Elle attendoit avec une tendreagitationle moment qui devoit 1'enchaïnet par les Hens facrés de 1'hyménée. L'avenir lui pro« Jnawit d«s réveils bien plus doux, Après s'ckc,  PB R O S A L v A. 'ij 'mouchée & regardée dans un petit miroir qu? reftoit ordinairement fur fa tab Ie de nuit, elle offrit fon ame a dieu & fortit de fon iit. Elle fe relfouvint alors de 1'accèsdefièvreque fon neveu 'avoit eu la veille. La crainte que eer accident ne mït quelques obftacles a fon mariage', ou au moins ne retardatfaccomplilfementde fes chaffes defirs, lui donna un moment de triftefle & d'agitation... Elle prit un déshabillé galant, un peignoir dèmouffeline fine attaché fous fon menton avec un, ruban fauci, & volaa 1'appartement de fon neveu. II eft difficile de fe peindre la furprife de la vieille, dame, lorfqu'elle ne trouvani dón Silvio-ni foit domeftique. Elle parcourut dès yeux tous les recoins de la chambre ou ellecroyoit qu'un violent tranfport auroit pu les jeter luh & 1'autre.'. Elle vifira en défefpérée, toute la maifon, fit affèmbler ceux qui s'y trouvoient, & feta Ia confternation.dans leurs efprits, en leur apprenantque don Silvio fon neveu s'étoit enfui. O vous ames fenfibles! Vous, qui fütés enchaihés fous les loix. dè 1'amour! repréfentez-vons la fituation de la tendre & malh'eureufe Mergéline. Cette nouvelle déchïrafon cceur. Ses yeux annoncoient Ié trouble. & 1'inquiérudé qui regnqient dans fon ame-Dona, Mencia refta longterm- immobile. On n'entendoit retentie tout Ie chateau que de foupirs; «Tamertume, de gémifleniens &Z de fangloss^  nri D o v S t t v i d La dame Béatrice paroilfoit cependant moinj troublée que les autres. Elle avoit depuis longtems des vues fut Pédrillo auquel elle ne croyoit pas être indifferente. Elle ne pouvoit s'imaginer qu'il auroit eu la cruauté de partir pour un fi long voyage fans lui faire fes tendres adienx. Je parie, dit-elle, qu'ils font dans Ie cabinet de verdure, ou qu'ils fe promènent dans le pare. A ces mors, tout le monde fortit comme un éclair. Chacun allafaire des recherches d'un coté oppofé. On parcourut le jardin & les bois fans qu'on put même découvrir aucune tracé. La grofle Maritorne, qui arriva pendant le trouble, fe mêla, ainfi que maitre Bias, parmi ceux qui cherchoient. Elle faifoit femblant de n'ètre occupée que du jeune feigneur don Silvio. Elle avoit mis le chirurgien dans fa confidence pour ce qui lui étoit arrivé pendant la nuit: & ce chirurgien avoit reeu d'avance le paiement de fa difcrétion. Maritorne ne pouvoit rien refufer pour fe fouftraire aux dures réprimandes de fa maitrefle. Le nombre des affligés en apparence étant ainfi augmenté, on vifita non feulement le cabinet de verdure, le jardin & le pare, mais on parcourut les bois & les champs voifins. Quand on fut obligé de reprendre le chemin du chateau, le défefpoif & les fanglots redoublèrent. Dona Mencia fit entter la troupe dans une grande fale pour tenu:  D £ R O $ i t ? Af "JJJ confell fur une aventure fi extraordinaire. Or» agha cent matières différentes. Chacun tiroit des conjeótures Sc étoit d'un avis oppofé. Tout le monde parloit a Ia fois. Le bruit devint fi grand , que perfonne ne s'entendit plus. Cependant la préfence Sc le ton de monfieur Rodrigue en im« posèrent j fon avis fut qu'on réfléchit un moment, Sc qu'enfuire, on expliqueroit 1'un après Tantra avec modération, a haute & intelligible voix, fon fentiment Sc le parti qu'il y avoit a prendre dans un événement de cette importance. Monfieur Rodrigue étoit gtand orateur, Sc joignoit a la faciliré de s'énoncer, une voix qui auroit été une alfez bonne haute-contre dans- le choeur d'une cathédrale. Maitre Bias & lui furent élus chefs du tribunal. La féance dura jufqu'a deux heures après-midi. Lorfqu'il fut queftion de recueillir les voix, le tumulte recornmenca; chacun vouloit foutenir fa thèfe j Sc ce ne fut qu'après que la dame Béatrice Sc maitre Bias eurent rétabli le calme, qu'on conclut : quil étoit impojjible de Javoir ce que don Silvio & fon domèjlique étoient devenus ; & que, comme il étoit trois heurespajfées, & que tout le monde étoit exténué defaim & de fatigut^ en ferv'iroit le diner; fauf a s'avifr ctl'iffue d'icelui fur de nouvelles recherches , & prendre toutes les, mefures conyenables en pareil cas.  #j Dom $ t i v ï é CHAP1TRE IX Déjeuner. Jaloujie de don Silvio: (Tanpis que nos voyageurs fe repofoient, Pé<* Sdrillo fit fentir a fon maitre qu'il étoit de 1'avis 'd'Afclépiade & de plufieurs autres célèbres natutaliftes qui penfoient que pour pouvoir foutenir les fatigues d'un long voyage , il falloit chaque Jour fe conforter 1'eftomac par un bon repas. Lorfque nous fommes partis, nous n'avions pas ïe tems de nous ébattre i table ; ainfi, monfieur Ie chevalier, j'efpère que vous ne trouverez pas snauvais que nous reprenions ici des forces & du Courage, Don Silvio n'eut rien a objedter a 1'avis de fort valet. Celui-ci, après avoir choifi une place com» «>ode pour le repas, ouvrit fon havrefac, & en fortit un bon gros paté bien conditionné que I» dame Béatrice afoit apporté de Xelva pour faire Un plat d'entre-mets au repas de noce.... Je. vois votre furprife, monfieur; & je devine » votre air que vous ne pouvez comprendre eomaaent ce paté eft tombé entre mes mains. La pau* mt dame Béatrice!.,.,. Ha, ha, ha comme fera. êtomée quand elle s'appercevra que les  » i R o s 'a' x, v a: Jwfeaux font dénichés ? Vous voyez, feigneur don Silvio, qu'il eft fouvent eflentiel de fe faire aimer de toutes les perfonnes qu'on fréquente. Si je n'avois pas mérité I'eftime & la confiance de la dame Béatrice, nous pourrions adtuellement contenter notre appétit avec des glands & des faines ï ce qui ne me femble pas fort appétilfant. Elle t'a donc donné ce paté elle-même ? Non pas précifément; mais je paffai hier au foir prés d'elle quand elle alla a 1'office. Elle me fit figne d'y venir. Nous jafames quelque tems enfemble, Sc pendant la converfation Non, je ne puis feindre avec vous, monfieur Hé bien! Je vous avouerai donc ingénument que je voulus lui voler un baifer. Elle détourna vite la tête comme pour 1'éviter Sc me dit des injures analogues i ma témérité : elle tendit même fon bras pour me donner un foufflet. J'ai employé tout mon favoir pour 1'appaifer & j'y fuis parvenu. Pour fceller notre réconciliation, elle m'a donné une cuiffe de dinde. Au moment que je recus ce bienfait, j'appergus dans 1'armoire le p^té fur lequel je jetai un ceil de convoirife, Remarquez bien , je vous prie, monfieur, de quelle manière je fuis venu a bout de m'en emparer. Vous ne vous feriez pas douté de mon adreffe; mais quand il eft queftion de vous fervir, il n'eft rien que je ne falfe. Oui, s'il 'le failoit, j'irois a Rome voler k mule du pape.  'i 5 S Don S i t v i o Béatrice ne s'eft-elle pas munie de la clef dé Torrice ? Vdila précifément ce qui rendoit le refte difficile. Après m'être bien alfuré que tous ceux qui étoient dans le chateau dormoient, j'ai été, fans faire de bruit, a la potte de fa chambre. J 'ai mis mon oreille au trou de la ferrure ; & quand je l'ai entendue ronfler, j'ai ouvert la porrebiendoucement, bien doucementjemefuisgliffé ducoré defonchevet oü j'ai trouvé,en tatonanr, 1'anneau qui ralfemble fes clefs; la clef de 1'office en mon pouvoir, le paré étoit a moi. Ah! Seigneur don Silvio, quel plaifir d'empaqueter un paté dontle parfum porte au nez de fi douces fenfations Voila, pour vous montrer que je n'ai rien oublié, ajouta-t-il, en tirant de fon havrefac un gros flacon de vin de Canarie S'il n'eft pas le uieilleur de fon efpèce, je confens a ne boire que de 1'eau—. Pédrillo cefla quelque tems de parler pour mieux manger. Le tiers du paté fut bientót mangé. II décoiffa fon flacon, & but plufieurs fois a la fanté de la dame Béatrice. 11 devint peu a peu fi gai, qu'il fe mit a chanter de toutes fes forces. II faifoit fauter fa bouteille , en s'écriant ^ vivent les fées, vivent les princefles & les papillons. Qu'il eft agréable de voyager quand on eft muni d'un havrefac bien lardé —. Pour en revenir, je difois que Mais Z  D E R © S A L V A," f39. quoi!... Qu'avez-vous donc, monfieur ?.. .. Vous ne paroilfez guère difpofé a vous réjouir. Vous ne buvez ni ne mangez... Allons , allons. Vertubieu ! point de mélancolie. A quoi cela conduit-il ? a rien. Profitons de la vie. Réjouiffons-nous randis que nous fommes garcons. Qui fait, fi nos femmes ne nous priveront pas du plaifir de boire.... A ta fanté ma chère Béatrice , a ta fanté.... Allons donc , monfieur. On aura affez le tems de baifler les oreilles quand il n'y aura plus rien dans la bouceille. Mon cher Pédrillo, réjouis-toi tanr que tu le pourras ; mais ne fais aucune artention a moi. Je te félicite de ta gaieté. Si tu étois a ma place, tu en aurois moins. Pourquoi, monfieur ? Que vous eft-il encore arrivé de facheux ? Ah ! Pédrillo, pourrois-je oublier que Ie terme de mon bonheur eft encore éloigné. Qui fait combien j'ai d'obftacles a furmonter ! Je t'alfure que fi les promelfes de la fée Rayonante ne me foutenoient, je fuccomberois a mon défefpoir & a la trifteffe de mes penfées. Nous en préferve lè ciel & notre dame de Guadeloupe , s ecria Pédrillo, en lailianr tor ober fa bouteille! Réfléchilfez-vous a Ia terreur qu ; ce langage peut m'infpirer? Puifque vos malheurs ne font que dans 1'imagination, vous pouvez les  $4* Dón S i £ v i e icvirer. Pourquoi prendre plaifir a fe cfiagriner; Pour moi, quand je me porte bien, & que j'ai de quoi boire «Sc manger, je fuis alerte, gai & coutenr. Je ne m'occupe jamais de 1'avenir, quand il ne m'offre pas de riantes images. Je ne m'inquiète pas plus du tems qu'il fera demain, que fi je n'euffe jamais éré ni crotté ni mouillé. Comment peux-tu exiger que je me livre a Ia gaieté, oü que j'éprouve mêmeun inftantde repos* Jorfque mon efprit &c mon cceur ne font occupés que des dangers auxquels ma chère princeffe efl expofée? Hélas! ru fais, Pédrillo, tu fais qu'elle erre dans le monde fous la forme d'un papillon...; Qui fait? .... Cette forme eft peut-être la plus funefte a 1'amour & Ia plus dangereufe pour moi. Dangereufe, monfieur? Quels dangers peut yous faire courir un papillon? Vous m'avez dit qu'il étoit a 1'abri de la voracité des hiron* delles, II eft bien vraï que Ia fée m*a affuré que j'e-: toxs aimé de la princeffe; mais.... qui peut mé répondre de la conftance de fon amour; qui peut me répondre de fa fidelité? Qui peut m'affurer que fes feux fi rapidement allumés ne s*ereindront pas de même, ou que (& c'eft ce qui me fait frérnir) je ne perde tout-a-coup le fruit de Timpreinon que je dois avoir fait fur elle, lorfqu'elle voltigeok légèrement autour de moi? Rien na  to e R © s x t v Kl »4f ïpeut diflïper mes inquiétudes Sc mes allarmes. Grands dieux! aura-c-elle atfez de force pou* ïéfifter a la féduction ? Ne fuccombera-t-elle pas aux guerres qu'on lui livrera fans celfe? Cruelle penfée! Que ne fuis-je a portee d'écartet les té~ méraires qui Pour Ie coup, feigneur don Silvio, j'y perds mon latin C'eft un fait, vous dis je..... Ce^ pendant, j'ai de la peine a comprendre...Er» vérité, monfieur, on s'y perd : on ne fait plus ai quoi s'en tenir. La forme de papillon eft une forme dangereufe, dites-vous: & vous craïgnez la féduction. Vous avez peur qu'on furprenne fon cceur, tandis qu'elle eft papillon. C'eft en vérité pénétrer bien avant dans la matière.... II xiy a plus a en douter... C'eft de la jaloufie... Oui, vous craignez que d'autres papillons n'approehent le vótre de trop pres.... Hi, hi, hi. Etre jaloux d'un papillon! C'eft une efpèce de jaloufie inouïe. U y a apparence que quand elle fera princelTe, vous ferez aufiï jaloux des pucey qui fe promeneront par-ci par-la dans fes cotil-j |ons. Ecoute, Pédrillo, dit le chevalier d'un aft ïérieux, je m'appercois que tu veux faire le plaifant, Sc rien n'eft pluj infoutenable que lei plaifanteries déplacées.... N'as-tu jamais lu 1'hif^, |ok§ du Bourgeonou celle de 1 eiernei Pii§|Sfi$i  14* Don Silvio Du^rince Bourgeon? Nenni ma foi5 je ne le connois pas. C'eft la première fois que je 1'entends Hommer. En ce cas-la, tu ne connois pas non plus 111e 'des papillons? Des papillons qui reflemblent au votre ? Oui... Apprends que ces papillons font une cfpèce de génies ailés. Leur beauté furpaffe celle des divinités. lis font aufli tendres que 1'amour, mais aufli légers & aufli inconftans. Ils volent 'de conquêtes en conquêtes. A peine tel papillon a t-il juré a fa belle , une fidéliré éternelle, qu'on le voit emprelfé prés d'une nouvelle maitrefle a qui il protefte qu'il n'a jamais aimé qu'elle. En un mot, le mème jour, la même heure, le même inftant voit naitte fa flamme, la voit croitre & s'éteindre. Voila une plaifante manière d'aimer Ces papillons parient donc ? Ne t'ai-je pas dit que ce ne font pas des papillons ordinairës ; mais une efpèce de fylphes qui, au fentiment d'un certain naturalifte Arabe, pro-;viennent dés amours fecrets d'une fylphide & d'un jeune faune. Ces petits individus tiennent de leurs mcres la beauté & une jeunefle éternelle ; 1'inconftance leur vient de 1'héritage paternel. S Ah, ah, je me rappelle, s'éciia Pédrillo..,.:  ©ï Rosalva: 145- Oui, c'eft cela même, je comprends a merveille. J'ai fouvent vu dans le cabinet de madame, de ces poupées ailées dont vous patlez. On lit au bas de leur pcrtrait.... Amours de Flore & dè Zéphire.... Je n'ai jamais rien vu de fi beau -y mais je n'ai pas ofé les examiner a mon aife , paree cjue notre vicaire dit que c'eft pécher que d'arrêter fes yeux fur de pareils objets... Celui qui a la hardielfe de parler feul a toujours bon droit. ... Entre-nous, monfieur, ce vicaire n'eft pas plus froid qu'un autre. Devineriez - vous avec qui je le trouvsi dernièrement ?... Avec li grolfe Maritorne. Tubleu! ils ne difoienr pas enfemble des Patenotres.... Vous pouvez m'en croire, le fait eft certain.... Le diable m'emporte fi j'en dis davuntage.... Malheur a celii! qui parle fur le compte de ces meftieurs. Je t'en conjure, cher Pédrillo. . Confiemoi ce que tu as vu : je te jure un fecrer inyiolable. , Patdonnez-moi, monfieur. Je n'oferois vous le dire.... Si c'eüt été la dame Béatrice. . .. encore cela pourroit palfer.... Mais.... Maritorne ! la grolfe Maritorne! Fi! M. 1'abbé, c'eft indigne. Q'en eftaflez, interrompit Silvio en rougifCant, je n'en veux pas fayoir dayantage.... <;  'i44 Dom Sttvtd Parles-moi de ce que tu as vu en peintare daitf Je cabinet de ma tante. / C'eft bien dit. Pourrois-je m*en reiTouvenlr ?. 'Cela me vient... Je n'ofois donc pas regarder fïxement ces peintures; mais j'eritrevis, du coin jde 1'ceil, que mademoifelle Flore étoit repréfentée jlans un bain a mi-corps. Comme elle fe croyoit leule, elle étoit nue comme un ver. Monfieuc JZéphire fon amant étoit affis au deffus d'elle fut .Un nuage, & lui lancoit des regards fi vifs qu'on auroit dit qu'il alloit Ia dévorer des yeux. Une troupe de petits bons hommes ailés voltigeoient ■utour d'eux Sc s'entrebattoient k coups de jofes. Apprends que ces papillons font captifs par iin erlchantement que la jaloufie de 1'amour leur attiré. Ils perdent leur forme aufll-töt qu'ils jont 1'imprudence de fortir de 1'ile ou ils font nés : ïls devienncnt papillons, fe mêlent &c fe conïondent avec tous les infecfes qui portent ce nom, leur penchant infurmontable pour les querelles tamoureufes les a fouvent rendus bien redoutables j car lorfqu'ils parient.. • Ils parient donc? Que cela doit être plaifant!..? Un papillon qui parle!..: Par S. Bonaventure; que non ai-je un feul en mon pouvoir! J'auroïs bientör fait une fortune brillante,.,, II eft vrat  os Rösalva; que dans de pareilles circonftatices, monfieur ne dolt pas être bien tranquille. Vous n'ave2 pas tant de tort qu oli 1'auroit pu penfer. Un papillon qui parle, qui eft un fylphe & qui peutjaU moment qu'on y'penfe le ïïioins, devenir un beau gareon..... Pefte ! II n'y a pas la a badiner. II eft très-poffible que la princelTe falTe connoiiTaHce avec un de ces petis Lutins. Et puis ils fe repofe*" ront fur un arbrilféau. lis jaferont enfemble..... Un difcours en amene un autre. On fe rapprochg infenfiblemenr, On fe ti ouve fi prés. Et ainfi de fil en éguille ou en vient.... Vous ine comprenez?..» L'humanieé eft fragile. Si le pauvre petit animal oubiioit qu'il eft votre amanre, un inftant fuffiroit Si je ne fiivois, répondit Silvio avéc emportê* ment, fi je' ne favois que tu ne comprends pas la force de tes expreflions, je te puniróis fur ie champ , d'avoir eu la témérité de foupconner la vertude toon incomparable princelTe. Infolent! De quel droit oLs- tu infulter un être fi refpee- table & fi augufte ? Si je fuivois tnon pen- chanr Ahi pardon, feignèur don Silvio, pardon ! jK je vois apréfenrce que c'eft... Hi hi I", une bohémienne, monfieur. Examinez-Ia atcennvement, vous verre, que c'en eft une. Elle vient a propos pour nous dire notre bonne aventure. K ij  M8 D o n S i t v i * Ne te déconcertès pas; lui dit Silvio i 1'oreilte je t'adure que c'eft une fée. En tout cas ü faut ptendre le patti le plus fage. Quelle qu'elle foit ,-nous agirons comme fi elle étoit fee : * nous ne rifquons rien. Pendant cerre converfation , la prerendue fee sWochoit toujours. C'étoit, comme 1'avort dit Pédrillo , une vieille bohémienne qui ne rodois point fans raifon dans cette forér. Elle At tafl We que nos voyageurs , lorfqu'elle vit un jeune homme de qualité parcourir ces deferts avec fi peu de fuite. , i r——-—* CHAPITRE III. Ce qui fe pajf* ™cc U Bohémienne. D i s qa'elle fut prés d'eux , don Silvio fe le-va » Ia falua poliment, Sc lui demanda sil pouvoit faire quelque chofe pour fon fei vice. Sainte Barbel s'éxria-r-elle, que fait un fibeau Monfieur, dans ce bois Vous etes-vou* éeatés, ou cherchez-vous ?... Ehl madame la bohémienne, inrerrompit Bédriüo,pas tant de curiofité s'il vous phit.. Nous ne vous avons Kt aucune queftion, W* lailfez  » j . R e u i t Ai 149 Tais-roi, impertinent! s'écria don Silvio, en jetanr un coup d'oril furieux fur fon valer. II eft certain , ma bonne vieille, que la renconrre que vous faites, auroit lieu de vous étonner, fi vous ne faviez d'avance quel eft Tobjer que je cherche. Hem ! grand'mère, n'eft-il pas vrai que vous f.tvez dire la bonne aventure ? Regardez un peu dans la main de monfieur, & dites-moi s'il a une phyfionomie heureufe. Je n'ai que faire de fa main, répondir la vieille, je vois cela dans fes yeux Mon beau monfieur, tout jeurie que vous êtes , je parie que vous connoilfez déja 1'amour Vous rougiffez ?.. "N'ai-je pas deviné? Tubleu'. la mère, vous lifez dans les yeux? Cela étant, vous voyez fans doute aulli que la princelTe que monfieur aime, eft un papillon? Un papillon , reprit la bohémienne? Je n'ai pas de peine a le croire Eft-il bien grand, mon beau monfieur ? M.inge- t-il déja feul ? Je me connois alfez en papillons de cette efpèce. II futun tems ou j'en avois un bon nombre en cage i Séville 11 y a npparence que celui dont vous êtes amoureux, s'eft évadé, puifque vous le cherchez ? Il me femble , la vieille, que vous en favez la deffus plus que nous, reprit Pédrillo. Oh! ca, Kiij  15© De» Snvio puifque vous lifez tant de chofes dans les yeux de monfieur le chevalier , regardez dans fes mains & je parie que vous en lirez encore plus. öuvrez la main, monfieur, fi vous voulez bien.... Eh bien ! commère, que dites- vous de ces lincamens? Ma foi, répondit la bohémienne , voila une main bien blanche & bien potelée. Un moment, mon beau monfieur .... Si vous vouliez y metrre un ducat, je vous dirois des vérités qui vous feroient grand plaifir. ' Un ducat, demanda Pédrillo? Pefte! quelle commère... Je crois que vous avez envie de vous amulet a nos dépens , & de boire quelques coups 4 la fanté de mon mairre Un ducat ? Si vous eufiiez encore dit un réal, on pourroit le rifquer Me comprenez-vous bien • Nous favons fans vous ce que Oh! Je parie bien que non, reprit la vieille. Tenez , ma bonne , voici un ducat. Ne faires pas attention aux propos de eet imbécille qui ne fait ce qu'il dit. Mon jeune monfieur, répondit la bohémienne, vous ètes fi noble , fi grand & fi généreux dans tout ce que vous faites, que fi j'etois encore ce que je fus jadis.... J'ai eu mon tems comme une autre. On vieillit. Je me rappelle qu'on ne mappeloit que la belle bohémienne, & que les jeunes    de RoSALVAT ijï meflieurs de Tolède fe difputoienc 1'avanrage de me tenir compagnie & de me donner des férénades. Alors, les doublons me venoient fans que je menapperculfe. Bha, Bha , que nous imporcela manière dont vous paiïates vos quarts-d'heures, il y a cent ans. Quand le diable n'étoit encore qu'un enfant, vous aviez des dents dans la bouche Mais vous tenez notre ducat & vous n'avez encore rien dit—. Votre main feigneur don Silvio ........ Un feul petit ducat de plus, mon beau monfieur & je vous apprendrai tout ce que vous defirez de favoir. Le voici, lui dit Silvio,— fans faire attention au mécontentement de fon valer. Prenez-ie, ma bonne. En difant ce dernier mot, le chevalier préfenta fa main & le fecond ducat. Oh! la belle main! Qu'elle annonce de prof- P<-"r"és! • Ne re 1'avois-je pas dit? Tu es amoureux, mon petit ami; tu es amoureux. Ah 1 le bon petit cceur. Va, n'en rougis pas. Tu es a un age ou il faut entretenir fon cceur. La belle chofe que 1'amour!.., Comment ?. ... Iaifle , laiffe-moi bien examiner.... Une gentille petite peifonne.... Oui, vraiment tu es amoureux d une jolie enfant. L'y voila Elle a ma foi déviné, s ecria Pédnllo .. . Gentille & petite comme une marionnette.  Ijl Don S r t v i o Eüe eft bien jeune , ajoura la bohémienne & un pen volagt. Volage ? En effer, dit Pédrillo : car elle voltige tabtot delïusles builfons, tantót dans les plaines, & fur les montagnes, & dans les forêts, fans qu'il nous foit pofiible de 1'atteindre. Tout cela fe palfera. On vieillit: le tems ap- prend a penfer foüdement Quoiqu'elle foit. légere, elle ne laiiTe pas de r'aimer, n'eft-ce pas ? Voila précifément ce que nous voudrions favoir , répondit Pédrillo : paree que nous avons certains doutes, certains petits foupcons qui font... que nous ne fommes pas bien fürs de fa fa Arrëte, interrompit don Silvio, en le regardant avec dépit, Je t'impofe fdence. Qu'elle en aime un autre, continua la vieille ? U petite rufée? Un autre!... Cela eft terrible-; mais non pas impollible. Voila pourrant, voila comment font toutes ces jeunes fillettes. Aptès cela, fiez.vous a elles.... Et elles en aiment un autre ?.... Je gagerois que c'eft un de ces petits étourdis a coüfichets, un de ces papillons qui volent autour de mille belles fleurs fans pouvoir fe fixer fur aucune..,. Hola' madame la bohémienne, s'écria Pédnllo qui vit paür fon maltte. Vous en dites plus q»e nous n'en voulons favo.ir,  BE RoSAlV/ï I5 5 En voila aflez, dit Silvio en retirant fon bras... Laiifez-moi... Mon malheur c-ft alfuré : elle Ta lu même dans ma main. Qu'importe,pourvu qu'on ne lelife pas fnr votre front? Oh ca, grand'mère, nous voulons dranger de converfation. Que dites-vous de ma main ? Voila une piècette. Je crois que vous pouvez me dire de^ölies chofes. Sous quelle éroile font nés ces gens-Ia, s'écria la vieille en regardant dans la main de Pédrillo. Vous êtes amoureux comme je ne faurois le dire ... Hai, hai, voila cinq ou fix femmes d'un trait. Cinq ou fix femmes ? Ne vous trompez- voas pas? Bon dieu ! Que ferai-je de toutes ces femmes ? Si elles ne font pas pour toi, elles feronr pour les autres. J'en vois une ici qui, je crois , te procurera des amis. Quoi ? Vous voyez dans ce moment la perfonne que j'ai dans 1'imagination ? & vous la voyez dans ma main ? Sans doute. C'eft c; que nous allons voir.. . EU elle grande ou petite ? vieille ou jeune ? maigre ou épaiifé ? Répondez-moi ü-delTus. Elle n'eft ni grande ni petite. Bon.  ij4 Don S i i v ï e Ni vieille ni jeune. Vertubleu! Et on peut ajouter qu'elle a plus d'embonpoint que de maigreur. Comment pouvez-vous voir tout cela dans ma main? Ne voyez-vous pas aufli fes deux grands yeux noirs? En effet. Oui , ils font beaux; mais un peu frippons. Sa chevelure eft noire aufli ; & fa bouche eft garnie d'un ratelier d'ivoire. En vérité, vous la connoiflez mieux que moi- mème. Mais allons plus loin Et que dites-vous de fa gorge ? Elle eft charmante. Et de fes jambes ? Ha, peut-être que fes cotillons vous empêchent de les voir; mais vous pouvez m'en croire, il y en a peu d'aufli fines. Tu as raifon. Elle eft tout-a-fait gentille; mais elle n'en eft que plus dangereufe pour toi. Pourquoi, dangereufe ? Oh! Ce n'eft pas une queftion a faire. Tu 1'apprendras a tes dépens. Tu fauras que la pofleflion d'une jolie femme rire fouvent a conféquence Allons, je ne dis plus rien. Diable ! En voila affez, a. moins que vous ne. veuilliez dire tout a-fait que je ferai co... Je ne veux pas précifément dire cela ; mais quelque chofe qui en approche ... Mais je m'ap-  BE RoSAlVA: 155 percois que je percis ici mon tems. Je penfe que vous en avez affez pour votre argent.J'ai des affaires ailleurs. Adieu , mes enfans, portez-vous bien : au revoir. La bohémienne fe retira Sc laiffa Pédrillo dans de cruelles incertitudes. Il ne favoit que penfer fur le compte de la difeufe de bonne aventure Je vous garantis, difoit-il en courant du cóté ou étoit fon maitre, je vous garantis que je n'y concois rien ... Si cette vieille forcière n'eft pas une fée , il y a rout lieu de croire que c'eft un efprit malin qui parie par fa bouche. Elle ne peut favoir natureilement toures les vérités qu'elle vient de me dire. Comment a t elle pu favoir que vous étiezamoureux d'une princeffe, Sc que cette princeffe eft un papillon. Elle rri'adcpeinc la dame Béatrice comme fi elle eut été préfente ... II eft pourtant bien vrai que nous Pavèris vue aujourd'hui pour Ia première fois de notre vie. Que penfe monfieur de tout cela? Quelque effort que faffe mon efprit,ü ne peut fortir de ce labyrinthe. Tout me paroir obfcur Sc embrouillc. Don Silvio étoit triftement appuyé fur le tronc d'un arbre. 11 paroiffoit ne faire aucune attention aux propos de fon valet. Enfin , il fe leva tout a eoup, comme fortant d'une efpèce de lethargie, Sc dit. ... Ecoute, Pédrillo. Je te dirai mafac.cn de penfer  15 eT Don Silvio fur cette aventure fingulière : & je fuis sur de ne pas me tromper ; mais avant, dis-moi ce qu'eft deveuue la bohémienne. Elle a difparu , monfieur, Sc je ne fais comment. (Ja été Parïaire d'un inftant. Je n'ai fait que regarder derrière moi pour voir oü vous étiez , Sc je ne l'ai plus vue. Je t'avoue , Pédrillo, que j'ai eu bien de la peine a me retenir au moment qu'elle m'a annoncé , en termes ambigus, 1'infidélité de ma princeffe. Ce qu'elle m'a ditd'abord n'a fair aucune impreflion fur moi , paree que tu lui dccouvrois , inconfi Jérémenr une partie de la chofe; mais quand elle a ajouré que j'étois facrifié a un papillon , je me fuis fenri tout hors de moimême : je n'aurois pu me contenir, & j'ai pris le fageparti de m'éloigner pourréfléchir folidement a tout ce qui venoit de m'arriver... Fais bien arrention a tout ce que je vais te dire. Par la mine , les geftes , le ton & 1'équivoque des paroles de cette vieille femme , j'augure que ce que nous cvons pris ce matin pour une fylphide ent une falamandre , éroit précifémenr cette bohémienne fous dirféremes formes. Toutes ces apparitions ne fonr que des effais de mechanceté. On voudroit, en me faifanr peur , me forcer a renoncer a mes defTeins. Je fuis moralement sür que cette vieille bohémienne eft la fée CarabolTe elle-mtms : car elle en avoit la démarche , le  DE RoSALY-A. I5? ton & le maintien. Quoi qu'il en foit, rien ne fera capable d'ébranler les fermes réfolutions que j'ai prifes. >' Non, ma chère princelTe , cominua» r-il, en élevant la voix & fixant les yeux fur le » porrrait qu'il avoit, rien ne pourra éteindre la » flamme que votre beauté a allumée dans mon » cceur! Duiïiez vous avoir de i'indifférence , ii êrre inconftante , ou naême infidèle , je ne » pourrai ceder de vous adorer! Loin de moi, n la peufée qui pourroit vous repréfenrer ingrate, » lorfque b fée bitnfaifanre qui nous protégé » m'a alfuré de toute votre teiidreffe',.. Héias ! » peut-êtie êtes-vous retenue foin d ici •, dans une » folitudeoü vos douleurs & votre deiiince vous » ont entrainées. Peut-être cachée dansle cenrre » d'une rofe prête a s'épanouir , humedes tu fis » tendies feuilles de tes larmes. Peut-êtregém.;*» tu dj te voir abandonnée de ton amant.... » Ciel! moi, t'abandonner ! Ah! diViiie prii b ceife, ainublefouveraine de mon ame! Dadct:t » nies ennemis rrancher mes jours par ia mort 2a » plus affreufe , üs ne pourront empêchcr qu quelque circonftance & en quelque événement « que tu puiifes te trouver. Sans envier le féjon? » des dkmx , j'irai dans ton rein cfeercher uii «■ nouve-l hhfée <■'.  158 Don Silvio Don Silvio prononca ces mots avectant d'cnergie , avec un ton fi touchant & fi pathétique , que Pédrillo ne put retenir fes larmes. Par ma foi, monfieur, s'écria-t- il, en s'effuyant les yeux, vous avez merveilleufement 1'arc d'attendrir. Comment , toutes les belles chofes que vous venez de dire , ont elles pu venir dans votre imagination? Il eft bien dommage que vous ne foyez ni curé ni vicaire. Si vous eufliez prêché avec ce pathétique , vos auditeurs vous auroient fouvent interrompu par leurs fanglots. Je voudrois bien avoir rc-renu rout ce que vous avez dit. Je ne me rappelle que de la rofe épanouie , des larmes, des.ombres quidoivent être immortelles. Vous avez aufii parlé des dieux, de leur féjour, de la tendrtfle & de Sainte Elifabeth. Je ne compreudspas comment vous avez pu ralTembler tout cela. Mais pour en revenir au principal... Le principal & même le feul ob,'et qui doit nous qccuper, c'eft le papillon bleu. Il fiiut le chercher E & O S A L y A!< CS' Un v°yo" au loin des eo^e* fó„ i 4luifij£: Liv  l6$ Don Silvio croire que fon jeune maitre triompheroit dan* peu de rous !es nains fes ennemis, & qu'il deviendroit !e plus fortuné de tous les princes. Qcccpe de fi tiatreufes efpiranees, il fe glifia tout doucement du cóté des fées. Quand il vit qu'elles fe parloient, il s'arrlta a quelques pas d'elles, fe eacha deflbtis des feuiliages, & prêta une oreille atentive, comme un jeune fiuine qui épig Ie rendez^-vous de quelques nymphes qui doivent dans une belle nuit, prtndie le plaifir du bain..,. Convenez, difoit la petite qui étoit une brune piquante que Pédrillo ne put fixer fans fentir ces batiemens de cceur qu'il n'avoit jamais éprouvcs, convenez que vous ne fixez pas ce beau jeune homme fans émorion. Que cette attitude lui eft avantageufe! Que fa chevelure eft belle! Que fa phyfionjmie eft féduifante ! Quel teint! C'eft la blancheur du lys & la couleur de la rofe. Je vous protefte qu'Endimion n'étqit pas fi beau,.... Ne defireriez-yous pas en ce moment, être une autre Diane ? Que tu es folie , répondit la prétendue fée! D'oupeuvent te venir Je 1'avouerai, cependant .... Laure ! en effer il eft beau.,.. mais s'il s'éveilloit..,. partons, Laure,.... C'eft bien dit. Madame a raifon , répondit malignement la petit?. 11 peut d'un inftani a 1'avUïC  »E RoSAlVA. tV) e'éveiller; & que penferoit-ii s'il nous furprenoic Cl prés de lui ? Mais, reprit h fee , s le voifinage une terre tics eonfidé- rable  fi t Rösaiva; tjf Irable Sc forr bien fituée. Nous ne devons pas oubfer quece frère palfoit pour un gentilhomme plein d honne ir Si de mérite. Dona Félicia avoir fait conftruirè dans fa terre üne efpèce de bergerie dont elie vouloit faire une nouvelle Arcadie. C'étoit le lieu favori ou elle alloir de tems en tems faite des parries de plaifir. Elle revenoit précifément de ce perk hermitage j accompagnée de fa fidéle Laure» lorfqa'elle palfa au milieu de ce riant bolquet ou don Silvio s'étoit endormi La fraïcheur qu'on y refpirok 1'engagea a mettre pied a terre pour y cueillir des roies fauvages. Un bouquet de ces fleurs qui viennent fans foin & fans culture au milieu des champs, lui paroifioit préférable a ceux qu'on forme^ dans des parterres foigneu* fement cultivés, Quelque magiqite oU myftique qile paroifTe aux fages la fympathie , nous en e-nploierons le mot pour exprimer la fource ou les effers deS mouvemens qu'on éprouve au premier abord d'une perfonne inconnue. Quaraflte jeune cavaliers s'étoient donnés toutes les peines im.tginab'es pour toucher le crEiir de la be'lï Félicia , fans qu'un feul eüt été pféféré, ou même regardé d'un meilleur ceih Dans ce grand uombre , il y en avoir ctrtainement quef» ques-uus qui avoient du mérite : Eh bien 1 dona Tornt XXXFL M  ',78 Don Silvio Félicia avoit du difcernement: elle leur rendoït juftice, les eftimoit & les confidéroit a proportion de leur vertu.... mais rien de plus.... Peut'-être que dans certain lieu , dans de certaines circonftances, a certains jours, a cerraines heures.... dans de certaines dilpofitions, auroit-elle eu certaines foiblefles: car, felon le favant Avicenne qui fuivoit a la lettre la morale du R. P. Efcobar, il y a dans la vie des événemens heureux qui viennent a propos au fecours de la vertu chancelante. Quoi. qu'il en foit, il eft certain que les galans dont nous venons de pariet, auroient foupiré auprès de dona Félicia autant de tems que les Céladons en employèrent a gémir tendrement aux pieds de leurs divinités, qu'ils n'auroient pas ému fon cceur, il étoit réfervé a don Silvio , enfeveli dans le fommeil, d'infpirer a la belle veuve ce fentiment qu'on fent & qu'on ne peut décrire. Les fenfations qu'elle éprouva dans le court efpace d'une minute , firent fur fon cceur des impreiïions plus douces que tout le beau langage de fes adorateurs de Valenee. Si 1'état extatique oü elle étoit, lui eut permis de réflechir fur elle-même , elle auroit fenti qu'elle ne pouvoit goüter le bonheur fuprème qu'en donnant fon cceur a ce jeune inconnu, & en partageant avec lui fa fpttune.  t> is R O S A 1 v A.' 1791 Nous nous éloignerions trop du fil de notre fciftoire, fi nous voulions chercher la véritable fource de la fympathie. Nous lailfons a nos lecTeurs le foin de faire la-delfus les hypothèfes qu'ils jugeront a propos. Soit donc que dona Félicia & don Silvio fe foient aimés avant de fe rencontrer , foit qu'il y eut un rapport inné entre leurs ames , foic que leurs génies aient eu une liaifon particulière Fun avec 1'autre, ii eft cettain que la fympathie éxifta aufli réellement dans leut nature, qu'il eft vrai que la pefanteur, 1'élafticité & la force magnétique réfident dans toutes les chofes exiftantes. Ainfi , on ne peut faire un crime a la belle dona Félicia d'avoir renend pour notre jeune héros ce qu'elle n'avoit jamais éprouvé pour perfonne. Nous avons eu recours a toutes ces comparaifons pour ne blelfer la délicatelfe de perfonne. Si on eft curieux de favoir notte fentiment fur la fympathie , nous croyons en avoir dit autanc qu'il en faut pour mettre nos lecTeurs a portée de nous commenrer facilement. Sans nous occuper plus long-tems de ces fubtilités, nous reviendrons a nos belles que nous avons laiflees dans le chemin de Lirias. Mij  iSo Don Silvio CHAPITRE VIL Qu'on ne doit pas omettre. Les goüts font fi différens que nous ne répondrons pas qu'il n'y ait de nos leéteurs qui s'inrérelferont plus vivement pour Laure , quoiqu'elle ne fut qu'une belle de la feconde clafle , que pour fa maïtrefle. Quoi qu'il en foit, nous avons des raifons pour ne pas faire ici le détail de fes aventures. On voudra bien fe reflouvenir que nous avons dit de cette brunerte tout ce qui eft nécelfaire pour la repréfenter aimable, vive, jolie & fpirituelle. Le fameux père Sanchez rernarque dans fon cbafte &z favanr livre de Matrimonio , ou du Mariage , que 1'amour agit différemment fur une jeune veuve & fur une jeune fille. La première , dir il, devient gaievive , enjouée & pétillante. L'autre, au contraire , conferve un air réfervé , une efpèce de mélancolie qui eft, ajoute-t-il , 1'effet de la fecrète horreur qu'éprouve 1'ame , quand elle eft fur le point d'être arrachée de 1'état célefte des anges pour fe trouver enfevelie dans un abyme de plaifirs grofliers &c charnels qui entraine cette défa-  • iRosaiva: i8i gréable incorporation qui peuple 1'univers par le pêché. Le profbnd refped que nous avons pour la faince inquifitiori nous impofe filence. Nous ne taxerons point d'erreur le grand Sanchez : mais nous blamerons la nature qui, fans avoir aucun égard a 1'autorité de celui-ci, qui a inventé de nouveaux péchés , s'eft écarrée de fa route ordinaire vis a-vis de dona Félicia & de fa joüe confidente. Chemin faifanr, la première gardoit un profond filence ; & la jeune fille , fans fonger au danger ou elle étoit de perdre fon innocence, fe livroit a tant de gaieté , que la fceur d'un Séraphin auroit voulu être a fa place pour fuccomber a Ia tentation. Elle avoit fait une partie du chemin , n'avoit fait entendre que quelques foupirs qui n'étoient, pour mieux dire , que des fragmens de foupirs , paree que dès qu'elle les remarquoit, elle les renfermoir dans fon fein. Enfin , la pérulante Laure ne put plus fe taire: ellecrut même avoir gardé trop long-tems le filence. Elle entama la converfation par une queftion qui en devoit produire une autre , &C peu a peu elle forma un entretien fuivi. M iij  ifi Don Snviei CHAPITRE VIII. - Entretien entre dona Félicia & fa conjidente. L"Vo os êtes bien mélancolique , madame? Mélancolique ? Oui, & même un peu penfive... Je ne fais; quel terme on doit employer pour dire qu'on remarque fur la figure de quelqu'un uu trouble charmant .... 'Un trouble qui plait. Je ne fais ce que tu veux dire ».. Je fuis tel"le> que j'ai été toute la journée» Pas tout-a-fait, madame. Poutquoi n'aurois-je pas la même férénité ? Je n'en fais rien ... Mais il me femble avoir entendu dans le moment un petit foupir. Un foupir ? Oui ... II relfembloit a celui que lailferoit échapper un jeune demoifelle de quatorze ans qui feroit témoin des emprelTemens qu'auroit uit beau cavalier pour fa fceur ainée. Tu rêves. Quelle fingulière comparaifon ! Tu prends pour un foupir le mouvement innocent de la refpiration. Et tout cela pour converfer fut unfujet que tu médites depuis un quart-d'heure»  DE R O S A L V A'! 'iSj' Je vous remercie, madame, vous augurez 'trop bien de mon ingénuité... Puifque vous n'avez pas 1'air inquiet, & que vous ne voulez pas avoir foupiré 3 nous changerons de converfation. La tête me fait un peu de mal. II faut avouer que 1'endroit oü vous 'avez; cueilli ces rofes eft un lieu bien agréable. Trcs-agréable. Un féjour charmant. . . Je crois que madame n'eft pas fachée d'y avoir mis pied a terre. Convenez que le petit Endimion, que nous y avons trouvé endormi, furpalfoit en agrémens perfonnels la plus élégante jeunefle de Valenee. Tu parles de ce jeune homme avec bien de l'intérét ? Je pourrois croire.. Madame pourroit le conje&urer fi je n'en parlois point du tout. Je t'entends... Mais je ne puis dire avoir trouvé en fa perfonne cette beauté furnaturelle que tu parois y avoir remarquée. Je n'ai pas parlé de beauté furnaturelle, Madame ... Je m'entends très-peu en chofes furnaturelle.s... Vous lui accorderez au moins quelque chofe de féduifanr que n'a pas don Alexis qui palfe pour le phénix du royaume. Je ne fais fi c'eft faire 1'éloge de quelqu'un que de le comparer a don Alexis. Je n'ai jamais, Miv  1S4 DonSilvio regardé ce jeune homme que comme un étourdi & un petit fat dont le plus grand merite eft d'avoir les mains douces & potelées, les dent tf fiches, & de favoir enttetenir les femmes qui penfent comme lui de modes & de colifichers. Je ne fiis pourquoi ce don Alexis eft venu fe préfenter a mon imaginatinn. Je crois qu'il ne feroit pas long rems le courtifan favori, fi notre don Silvio s'avifoit de faire un petit voyage a Valenee. Si ma fuppofition s'effecTuoir, le bel Alexis pourroit bien fe borner a faire fa cour aux fuivantes de celles qui fe difputent aótuellement fa eonquête. Je ne fais de quel ceil tu as regardé ce don Silvio *, mais tu me parois bien prévenue en fa faveur. Je le crois aimable. Je ne fais s'il eft beau ou laid .. A'mable... Oui, voilal'expreftion : c'eft ce que je vodois dire. Quant a fa beauté.,. Elle n'eft pas accomplie. Par exemple, des cheveux blonds ,. Tu veux dire chatains ? Oui, chatains. Mais comme il a un teint extrêmemenr dclicar... un reinr de femme , je croirois que des cheveux blonds.., II me femble que Ia nature a mieux dirigé les chofes que tu n'aurois fair. Ses cheveux s'accordent a merveille avec la couleur de fon vifage,  BI RoSAtVA; iSj Je crois pourtant qne s'il avoit qnelque chofe deplus male dans la phylionomie, il n'en feroit que mieux. Je m'imagine que fi on 1'habilloir en femme , Dona Leonore qui cenainement eft conno>fleu E R • 5 A 1 V 1*7 ce jeune homme... Si fon domeftique dit vrai, il eft évident que la tête lui tourne 11 faudroit donc que Pédrillo füt aufïi fon que fon maitre ; car je vous protefte qu'il a parlé de papillons, de princefles, de nains, de fées Sc de marquifats , avec autant de fang froid que s'il eut parlé des chofes les plus ordinaires. 11 y a la-deflous de ï'incompréhenfible : cependant on peut deviner, pat le difcours confus de ce laquais , que fon maitre eft parti de chez lui fecrétement, Sc que c'eft une aventure amoureufe qui a occafionné cette fuite. N'as-tu pas eompris aulli qu'il éroit obfédé par une vieilte tante qui traverfoit fon penchant ? Peut-être que les duretés de cette vieille tante l'ont rendu fou. II eft toujours dangereux de réfifter aux grandes paflions. Rien n'eft plus ordinaire que de voir 1'amour Sc la raifon fe contrarier. Si nous ne convenons que Pédrillo eft aufli amoureux ou aufli frénétique que fon maitre, toutes nos diflertations feront inutiles.... II eft bien affligeant de fe repréfenrer un fi beau cavalier dénué de bon fens... Une penfée aufli trifte eft bien capable de produire te foupir qui vous eft échappé ... Pour cette fois, madame, vous ne le nierez pas. C'eft un de ces foupirs fibien étouftes qu'on ne peut les nier. Je l'ai yu naitre, croitre Sc s'élever. II faifoit moii-  i S 8 Don Silvio voir la gazs qui couvre votre gorge. Vos lèvres fe font entr'ouvertes, 8c il s'eft envolé fur ies ailes de 1'amour. Que tu es folie, ma chère Laure ! Je ne fuis poinr folie; & je penfe que don Silvio peut être attaqué d'une efpèce de folie , fans être précifément fou . fans avoir ce degré de frénéfie qui rient de la fureur, Sc qui effraie. Peutêtre que fa maladie ne produit aucun autre mauvais effer que de le faire róder ca & la. Pour cela, il peut n'en être pas moins aimable Sc digne de capriver le cceur d'une jeune dame qui le rrouveroit endormi fous des rofiers, dans un lieu tel que celui oü nous venons de le rencontrer. Te voila perfuadée que je dois abfolument aimet ce jeune inconnu... Dénnis-moi cette forte de folie qui fait courir le monde a 1'aventure. II me femble que don Silvio pourroit êrre une efpèce de don Quichotte qui, pour me fervir de 1'expreuion de Pédrillo , voyage en féerie, comme faifoir aarrefois le chevalier de la Manche. Un jeune homme, né vif & pétulant, élevé a la campagne, qui n'auroit jamais vu le monde ni aucun objet qui put fitisfaire la délicareffe de fon goür, ne pourroit-d pas avoir la fantaifie de róder ainii a 1'aventure ; & , s'il avoit lu des romans & des contes de fées , ne pourtoit-il pas fe perfnader  D £ ROSALVA. 189 que les palais enchanrés & routes les magnificences qu'ils renferment exiftent réellement, &c que les fées, les nains, les ceintures bleues &c les baguettes magiques font dans la nature ? Ce feroit une fingulière erreur. Mais il me femble qu'en effet elle efl polfïble. Dans ce cas , que devons-nous conjecturer de fon amour pour une princeffe qui eft métamorphofée en papillon ? Jeparierois, madame , que cette princeffe eft une jeune payfanne qui a fafciné fes yeux. Son imagination échauftée l'a élevée au rang de princeffe y & enfin , par I'enchantement imaginaire de quelque nain ou de quelque magotine, elle a été métamorphofée en papillon. Je fuis perfuadée que fi don Silvio voyoit une jeune dame qui eut PadrefFe de toucher fon cceur , le papillon dont il eft amoureux, reprendroit aufli-tót fa forme naturelle fans le fecours d'aucune baguette magique ni d'aucun talifman. Ma curiofité me réveille. Je fuis fachée de n'avoir pas attendu le terme de fon fommeil. Puifque fon chateau n'eft éloigné que de quelques milles de celui de Lirias. II fera facile d'apprendre des détails fur rout ce qui le concerne. Qui fait fi le génie qui prend foin de fa deftinée ne le conduira pas a notre demeure,  ipo Don S i t. v i o puifque les notres ont tourné nos pas dans le lieu oü il fe repofoit. Quand Laure eut prononcé ces mots » elles >tteignirent la cour du chateau de Lirias, ou nous les laiflerons mettre picd a terre & continuer aufli long-tems qu'elles le defireront, leur «ntretien fur le jeune inconnu qui paroiuoit avóir donné de 1'émotion a la belle veuve. CHAPITRE IX. Myfthes ontologiques. Si jamais humain s'eft trouvé dans de ctuelleS alternatives, c'eft Pédrillo, lorfqu'il eut perdu de vue les beautés dont nous venons de parler. Nous ferions dans un aufli grand embarras que lui,li nous entreprenions de peindre fa furprife. II fe fit mille queftionsala fois fans être plus éclairci. Etois-je éveillé ou rêvois-je,fe difoit-U ? Les dames quej'ai vuesfont-elles desfées ou des morrelles? Se font-elles envolées, ou ont-elles difparu? Jout cela étoit autant- de problêmes qu'il ne pouvoit réfoudre. Après avoir long-tems combattu en lui-même, il renonca 11'efpérance de  DE ROSAIVA. 19I découvrirla vérité, & fe laifla aller a une triftefle qui fut la fuite de fes doutes fur fa propre exiftence. Douter des chofes qui nous affe&ent le plus ; c'eft fans contredir, la plus cruelle fituation de la vie. L'homme eft trop foible pour s'arrêter longtems a cette idée. Aufli Pédrillo crut-il fentir la dilfolution de fon être. S'il eut été cartéfien, il auroit pu réfoudre fes doutes en fe faifant eet argument : je penfe, donc j'exlfle. Quoi qu'il en foit, le fameux Defcartes lui-même auroit peut-être été aufli embarrafle que le pauvre Pédrillo, s'il fe fut trouvé dans les mêmes circonflances. II eft a préfumer que fi le domeftique de don Silvio eut eté métaphyficien , il feroit devenu dans le moment oü nous le repréfentons, a force d'analyfes , de diftin&ions & de combinaifons, fondateur d'un nouveau fyftême philofophique qui auroir détruit dans peu ceux des dualiftes, des matérialifles, des idéaliftes, des platoniciens, des péripatéticiens, des arifrotéliciens, des ftoïciens, des épicuriens, des réaliftes, des paracléfiftes, des machiaveüftes, des rofe-croix, des cartéfiens, des ne-wtoniens, &c. Nous ne pouvons penfer fans frémir aux fuites funeftes qu'auroit entrainé, dans la fociété, le fyftême de Pédrillo qui auroit été établi fur 1'idée  rji Don S i l v i ö de la non-exiftence de toutes chofes. Dela,pïa$ de mceurs, plus de loix, plus de reiigion.Comment les curés pourtoiént-ils exiger des offrandes & la dïme d'un homme qui n'cufleroit pas? comment pourroit-on juger & condamner un accufé qui prouveroit } pat un long raifonnement, qu'il n'étoit pas, dans le tems qu'on 1'accufe d'avoif commis le crime pour lequel on veut le punir? 11 eft heureux pour fhumanité, que Pédrillo n'eüt pas une teinture de philofophie fpéculative. Au lieu de raifonner long tems fur la cruauté de fa fituation, il s'occupa des moyens den fortir... Mon maïtre, fe dit-il enfin, doit être d'autant plus impartial dans cette affaire, qu'il a dormi tout le tems qu'a duré 1'aventure; il pourra mieux que perfonne me rirer de ce labyrinrhe. Nous n'examinerons point fi le remède que trouva Pédrillo convenoit a fa fituation. Pour éviter toutes les recherches que nous pourrions faire fut 1'efprit agiffant & fouffrant, nous ferons une petite paufe pour palfer a un chapitre plus intelligible. CHAPITRE  » B R O S A t V A. I5J CHAPITRE X. L'illufwn peut être avanta/reufc 1 «DAiuo fe détermina a éveilïer fon maitre, qax devoKfaiderd fortir de Ia perpfexité o* i fe trouvoir. Le valer prit mal fon tems. Don Silvio étoit occupé d'un têveaagréable qu'il n'en auroit ,ama.s voul„ fortir-. Malheureux - s'écriaMl en s évedlanr, dans quelle circonftance vienstn me rroubler ? Par tous les diables! Seigneur don SiIvio.il " eft pas queft10„ de rêver aétuellement. II y a des hiftoires bien réelles fur lerapis JeX P"e mon chermaitre.je vousconiure.au nom des bontes quevous avez toujours eues pour moi, deme direbjen nneèremenr fi je ^ ^ blement Pédrillo ou non. Ceux qui 0„r dit cue tout etoit au mieux, ont dit une fottife. Tu extravagues, mon cher Pédrillo. Qui peuc te faire penfer que tu fois un aurre que toi même? Dnes-moi feulement, avant toute chofe fi fe fms oien moi. Les raifons de ma demande vous ferontdeveloppées avec Ie tems; mais il fatK dabordrepondreama queftion, & répondre Tornt XXXFL y  i94 Don Silvio direótemenr. Vous verrez que l'affaire eft plus importante que vous ne vous 1'imaginez. Pourquoi, imbécille, ne ferois tu plus Pédrillo? II y a vingr-cinq ans que tu 1'es fans avoir perdu ta forme ordinaire. Regardez-moi bien, monfieur, confidérez- moi de la rère aux pieds , &c atteftez-moi la vérité de mon exiftence avec autant de franchife que j'ai attefté que vous étiez gentilhomme. II eft aüifti certain, re dis j ?, que tu es Pédrillo, qu'il eft vrai que je fuis gentilhomme. Allons, puifque vous le dites, il faut le croire. Tout eft dans l'ordre. A vous dire vrai, monfieur, j'ai bien une efpèce de prelfentimeur, de certaines norions qui me confitment que vous avez dit la vériré. Mais il m'eft arrivé des chofes fi fingulières , fi éronnanres , qu'il ne feroir pas érrange que j'eulfe oublié jufquau nom que je porte. Que t'eft-il donc arrivé ? Sois bref: je t'en fup- plie. . Monfieur, reprit Pédrillo d'un air grave, cela ne fe raconte pas fi vite. 11 eft plus aifé a un docteur de faire cent queftions dans une minute, qu'il ne l'eft a un écolier d'y répondre dans un jour. Si vous m'aceordez du tems, je vous promets de vous raconrer clairement tout ce qui s'eft pafte. J'ai encore tout cela bien piéfent a la  DE R O S A L V A. jcjj mémoire. II me femble vous voir dormir; il me femble voir cette petite brunette vous contempler en fouriant, vous fixer d'un air fripon, Sc me lancer des coups d'ceil d'une vivaciré. Ah ! feu fais tour pétrifié Au moment qu'elles font montées fur leurs muiets que je meure fi je ne croyois pas que cette même petite brunette portoit mon cceur en croupe.. N'abufes pas de'ma patience, lui dit Silvio' qui n'entendoit rien a tous ces propos. Racontesmoi avec ordre rout ce qui r'eft arrivé depuis 1'inftant oü je me fuis endormi. Voila précifémenr mon delfein ; mais a condition que vous ne vous impatienterez pas. J'ai tant de chofes a raconter, que je ne fais en vérité par oü commencer. Mon eförit eft fi plei„ de ce que j'ai vu Mais puifque vous voulez que je commence, apprenez donc, monfieur, qu'il n'y avoit pas long-tems que vous étiez endormi, que j'ai été furpris par des baillemens, aaaah, des baillemens, aaaah,-fi ennuyeux, que j'étois obligé de chercher a me dlftraire, paree que je ne voulois pas m'endormir. Mon projet étoit de veillet pendant le fommeil de monfieur. J'ai lutté long-tems, mais en vain. Enfin, j'ai pris' le parri de boire encore trois ou quarre coups de Malaga. Peu a' peu le flacon diminuoit fans que mon envie de dormir fe diflipat. Je fentois mes Nij  ,,«- Don Silvio yeux s'appefantir. Fatigué de refter tant de tems a capituler avec le fommeil Eu vérité, fi tu ne viens plus vite au tait, ie mourtai avant d'avoir entendu la fin de ton hiftoire. Allons, tu as dormi;&pais éveillé : ou bien n'as-tu vu qu'en fonge toutes les fingularités que tu veux me racontér? Tu aurois pu dire tout cela en trois mots. Avancons. Oui, vraiment, avancons. Le moyen d avancer fi vous m'intetrompez a chaque mor!... Ou en étoiHe?..Ha,ah,c'eftoüjem'endormo1S. Pourquoi donc t'arrèrer a Farticle du fommerl, puifque te voila réveillé? P Ne faut-ü Pas s'endormir pour fe revedler. Puifque vous le voulez ainfi, continuons. Je me donc enfin réveillé; & a vous dire vrai, je aormitois peut-être encore, fi je n'euffe etc inierr0mpu par de certaines chofes... qu, preuorenr.. Je „e fais comment tournet cela pour le dire poliment. Vite, vite. , Chique chofe en fon tems , monfieur; or donc «e ne pouvois me débarralfer du fommeil. Je me ournois&me retournors, tantot d un cote tantot de 1'aurre.... Ma foi je me fuis avife de xnefrotter les yeux... Tu me fais mourir. Falloit-Ü que ma mathcureufe deftinée me donnar pour compagnon...  r>ï Rosalva; 197 Je ferois faché, monfieur, d'abufer de votre patience. Les chofes viennent peu a peu. Pour raconter mon hiifoire d'une manière intelligible , je ne puis omettre aucune des circonftances qui lont précédée, paree que vous jugerez de la que je jouiïfois de toute ma raifon. Mais puifque cela vous ennuie , j'abrégerai pour venir au fair. A merveille, Pédrillo, je t'écoute avec plaifir. Apprenez donc , mon cher mairre, qu'au fortir de mon fommeil, au moment que je me propofois d'aller découvrir ce que vous faifiez, j'ai vu... Devinez ce que j'ai vu? Tu as vu dans une fontaine le plus fot, le plus imbécille, 8c le plus infupportable valet qui 'ait exifté en Efpagne. Vous n'y ëtes pas, monfieur. J'ai vu.». J'ai vu... une fée... Mais la plus belle fée qui. ait habité dans le monde des fées. Elle étoit mille fois plus belle que madame Rayonante, fi ce n'ctoit elle-même. Elle furpalfoit tout ce que vous m'avez dit des Bellines , des Charmantines, &c. Une fée, dis tu?Et d'oüpeux-tu favoir qu'elle étoit fée ? D'oü je peux le favoir ? Vertubleu? monlieur, me prenez-vous pour un ignare, pour un homme qui n'a jamais rien vu ? Quoi! je ferois depuis tant de tems a votre fervice, Sc je 'ne faurois pas Niij  198 Don Silvio diftinguer une fée d'avec un autre être? Pédrillo ne connoïr pas une fée! je vous dis, monfieur, que fon vifage étoit aufli refplendilfant que s'il eut été taillé tout entier dans une efcarboucle. Elle répandoit tant de clarté a deux ou trois milles a la ronde, qu'on auroir dit que le ciel étoit parfemé de foleils. Si ce n'étoit pas une fée, vous pouvez hardiment jeter au feu tous vos contes de fées, & dire qu'il n'en fut jamais & que jamais il n'y en aura. Cela fuffit. Dans quel endroit 1'as tu vue, Sc que faifoit-elle? Ce qu'elle faifoit? Tubleu ! Elle vous regardoit, vous obfervoit, vous examinoit Sc vous fixoit. Elle étoit debout tout prés de vous. Elle fe baiflbit de tems en tems, Sc vous regardoit toujours avec complaifance. Étoit-elle feule? Oh! voila la principale circonftance. Si elle eut été feule, le cas n'auroit pas été fiembarraiïant} Sc je crois que j'aurois depuis long-tems fini mon hiftoite. Avec cette fée étoit une autre perite fée ou nymphe qui me regardoit toujours, Sc mes regards étoient fixés fut fa jolie petite taille. Ne pourrois-tupas me dire a-peu-près comment étoit fa figure, ou a qui elle reflembloit? Je poutrai peut-être deviner qui elle elt.  BE ROSALVA. Ï99 C'eft une drole de petite nymphe, fes yeux font noirs comme du jais. Je te demande comment étoit faite la fée, s'écria don Silvio d'un air impatient. C'eft ce que je difois, monfieur. Elle éroir tout a-fair gentille. Ni trop graffe ni trop maigre; mais d'un embonpoit appétilfant; fraiche comme les rofes qui 1'entouroient j un teint d'incarnat, fleuri comme les prairies que vous voyez... Une gorge... des bras... Ah', monfieur, comme tout cela me paroilfoir potelé. Je ne puis vous dire quel'e étoit ma fituation : je 1'ignore moi-même. La dame Bearrice comparée a cette nymphe n'eft qu'une pagode. Si j'avois vu la brunette la première , la femme de chambre de madame votre tante n'auroir jamais fait faire tic tac dans mon cceur. Je veux, te dis-je, que tu me parles de la fée; & tu ne penfes qu'a celle qui 1'accompagnoit. Eh'.De quelle aurre pourrois-je vousparler, monfieur? Je n'ai pas même eu le tems de la confidérera mon aife. Je donnerois toutes chofes au monde que vous l'eunicz vue vous-même. Je 1'aurois regardée des années entières fans ras lafler... Mais la fée? La fée ? Oui. N iv  200 D O N S I t V I o Pour ce qui regardé la fée , elle étoit debout vis-a-vis de vous, comme j'avois 1'honneur de vous le dire tout-a-l'heure. La petite alloit & venoit. Je decouvrois a chaque inftam dans fa figure, quelque chofe de joli qui me donnoit des diftractions.. . Ne vous ai-je pas dit, dès le commencement que la fée étoit d'une beauté furprenante! Je penfe que les diamans & les efcarboucles qui étoient parfemés dans fa frifure, yalent au moins deux ou trois royaumes. Sa tête jetoit tant d'éclat qu'on ne "pouvoit la regarder fans être ébloui... mais la plus petite... Bon. Mais. N'a-tu rien ouïr Ne fe parloientelles pas? Que difoit la fée? Elles difoient de bien belles chofes. J'ai retenu mot a mot toute leur converfation. — II faut convenir, difoit une d'elles, que le jeune cavalier qui s'eft endormi fous ces rollers a une figure bien prévenante. — Cela eft vrai, madame, répondoit 1 autre. II n'y a pas a Valenee un feul homme d'aufii bonne mine. [— Mais , qui hwirroir-il être, a ajouté la fée? — Madame, a répondu la petite , il y a apparence qu'il a été tranfporté ici par quelque pouvoir magique. Nous connoifions tous les meflieurs du voifinage, «Sc il n'y en a aucun d'auffi bien fait.. Si elles ont dit tout cela, mon cher Pédrillo , il y a a parier que ce n'étoient pas des fées. Ce  DE R O S A L V A.' 101 font des aventurières. Les fées ne s'exprimèrent jamais ainfi. Je l'ai foupconné comme vous, monfieur, 8c c'eft ce qui m'a enhardi a les approchet & a leur parler; mais les grands yeux de la petite & les diamans de la fée m'ont ébloui... A propos, j'oubliois une circonftance elfentielle : c'eft qu'il y avoit des falamandres qui les attendoient dans Je chemin que vous voyez la-bas. Dès falamandres ? Tu m'étonnes. Oui, monfieur, des falamandres habillés de fèpt a huit couleurs. Elles étoient auprès des m ulets qui devoient tranfporter les fées. Tu te trompes : ce n'étoient pas des falamandres. Jé vous promets quefi, monfieur; des falamandres vivans en corps 8c ame. Dès que les deux dames ont été remontées fur leurs muiets, ils fe font envolés & ont difpatu dans un clin d'ceil. Pédrillo, ou tu veux t'amufer aux dépens de ton maitre, ou les vapeurs du malaga ont fafciné tes yeux au point de te faire prendre pour des vérités les chimères que tu me racontes. Depuis qu'on lit les hiftoires des fées, 8c depuis que les fées elles-mêmes exiftent, on n'a jamais lu ni oüi dire qu'elles voyageaffenr fur des muiets. Si tu difois encore, qu'elles étoient dans une voiture d'or oufurun char d'ivoire trainé par des muiets ailés, a la bonne heure, on te croiroic fans difii»  i°i Don Silvio culré. Mais , quand tu me diras qu'une fée ne voyage pas avec plus d'appareil qu'une femme ordinaire, on te répondra que ru ne t'y connois pas. Ta prétendue fée eft furement une dame qui pofsède que'ques terres d?.ns ce cantun, Ta nymphe aux yeux noirs eft fa femme de chambre. Et ceux que ru as pris pour des falamandres étoient quelques laquais ou quelques piqueurs qui feroient, je te jure, bien embarrafies s'il leur falloit courir d'un po'e a 1'autre dans 1'efpace de quatre ou cinq minures. Monfieur , reprit triftemenr Pédrillo, je me flarrois de mériter plus de confiance de votre parr. Je n'aurois pas penfé que vous me croiiiez capable de vous en impofer. Si les falamandres que j'ai vu auprès des muiets n'étoienr pas des falamandres , peu m'importe ; mais pourquoi voudrois-je vous tromper & dire une chofe pour 1'autre, L'homme de feu que vous avez pris la nuit dernière pour une falamandre, n'éroit pas la dixième parrie aufli falamandre que celles que j'ai vues ici. La dame étoit pofitivement une fée , fi ce n'étoit même votre princelfe ; car elle reffembloit beaucoup au portrait que la fée Rayonante vous a donné. Tu rêves encore, mon cher Pédrillo. Ma foi, monfieur la chofe eft telle que j'ai 1'honneut de vous le dire... Faires-moi voir, s'il  DE ROSALVA. 2.0$ vous plaïr, le portrait de la princelTe... Pefte! elles fe relTemblent comme deux goutres d'eau. II n'y a de difFérence que dans la grandeur, car il eft certain que ce portrait ne couvriroit pas même la main de celle que je viens de voir... Je jurerois que c'eft elle-même. Pédnllo, fi routes les chimères qui accompagttenr ton hiftoire , ne fuffifent pas pour te convaincre que ru n'as vu qu'en fonge tout ce que ru viens de me raconter, tu n'as qu'a m'écouter, & ton illufion fe diflipera... Je fuis aufti certain qu'il eft vrai que j'exifte que ce portrait ne reflemble a perfonne qu'a ma princelTe. Or, il eftimpoftible qu'elle puiffe celfer d'être papillon avant que je 1'aie ttouvée & que je lui aie arraché la tête & les ailes; donc il eft également impoffible que , la perfonne que tu as vue foit ma princefle. Voila le plus clair des argumens pollibles. Euclide ne 1'auroit pas propofé avec plus de netreté. Je n'entends rien aux argumens , monfieur „ mais ce que j'ai vu , je l'ai vu. Lorfque je tiens un oignon, tous les licèncics & bacheliers de 1'univerfiré de Salamanque voudroienr me perfunder que eet oignon eft un gigot de mouton , que je ne les croirois pas. Pourquoi cela ? Paree que mes yeux font mes yeux , & que perfonne ne peur mieux favoir que moi que ce que je vois, eft ce que je vois. Monfieur croira ce qu'd jugetai  io4 Don Silvio propos de 1'hiftoire que Je viens de lui raconter. Le rems développera qui de nous deux a raifon. Je penfe que la fée ne's'en tiendra pas a une feule vifire. Elle m'a paru faire une petite mine qui fignifioit qu'elle méditoit quelque chofe ; & je ctois qu'elle a été fachée d'apprendre que vous étiez amoureux d'un papillon enchanté. Tu lui as donc confié que j'étois amoureux? Si je ne devois pas le dire , répondit Pédrillo effrayé , je vous en demande mille pardons, monfieur. Je ne fais moi-même comment cela m'eft échappé. Mais la petite brune avoit un ton fi mielleux , qu'elle m'a féduit La friponne! il y a apparence qu'elle m'avoit enchanté. J'ai penfé que puifqu'elle étoit une fée, elle favoit d'avance de quoi il étoit queftion; & qu'il feroit dangereux de ne pas répondre pofitivement 4 toutes fes queftions. Elle t'a donc queftionné ?... Et tu lui as tout avoué? Oui, monfieur, mais feulement en gros, fans entrer dans aucun détail. J'ai même fi bien brodé les chofes qu'elle n'y auroit rien compris, fi elle neut été une fée. Mais comme j'ai déja dit, la petite avoit 1'airde tout favoir avant que j'eufle ouvert la bouche. Je parie qu'elle ne m'a queftionné que pour voir fi je lui répondrois fincèrement Que difoit a tout cela celle que tu croyois être uiae fée ?  DE R O S A L .V A. 205 Elle paroilfoir inquiète 8c vouloit s'en retourner. Que penfera mon frère, difoit-elle de norre longue abfence? Il eft raid, parrons. En difanr cela, elle a jeté fur vous un regard plein de vivaciré, 8c elle paroilTbit avoir des inquiétudes O ciel! s'écria Silvio en palidanr. Il me femble voir tomber un voile de devant mes yeux. Pédrillo, j'ai un fecret preflenriment que cette fée eft la fceur du Nain-vert. Faflent les -dieux que vous n'ayez pa's deviné! Je me rapelle pour furcroir de malheur que fon juppondedeifous éroir de tafetas verr, &c que fon corfet étoit doublé d'une étoffe de la même couleur. Parbleu! Je fuis un grandnigaud de lui avoir dit rant de chofes. Mon intention n'éroit pas mauvaife Mais ce petit minois frippon .... Qui pourroir-il être ? Plus je réfléchis aux circonftances qui accompagnent ton récit, mieux je vois que mes conjectures fqnt vraifemblables. Non, je ne puis plus douter que ce ne fut cette déteftabie Mergéline. Mais , monfieur, cette fée étoit plus brillanre quel'Aurore,plus belle que Vénus; & Mergéline, fuif le refpeét que je vous dois, eft la plus laide de toutes les créatures. Comment accorder cela? La fée Fanfreiuche, fa tante, a alfez de pouvoir pour lui donner la forme qu'elle juge a propos; & ce n'eft pas fans delTein qu'elle lui a donné,  ioS Don Silvio comme tu me 1'aiTares, de Ia relTemblance avec mon adorable princelTe. Cet article eft très-vrai, monfieur.S'il dépend de cetre tante Fanfreiuche de' donner a fa nièce le degré de gentülefte qui lui plaït, pourquoi ne la rendit-elle pas belle le jour qu'elle vinta Rofalva. Elle vous croyoit fans doute partifan des bodes & des cheveux couleur de feu. C'étoit en vérité avoir bien mauvaife opinion de votre gout. On a eu des raifons pour tout cela, reprit don Silvio. Crois-tu que cerre laide ne s'imagine pas êrre une beauté accompli e ? Elle ne penfe pas que ma belle princeffe air fur elle le moindre avanrage. L'amour-propre eft la paffion dominante des fées. II a i'art de métamorphofer fans avoir recours aux baguettes ni aux talifmans. Quand je me rappelle ce qui s'eft paffe dans le jardin de Ia fée Rayonante , & que je me relfouviens de 1'aventure que j'ai eue avec la fylphide : j'ai tout lieu de craindre Fort bien, monfieur, interrompit Pédrillo. Si la belle dame qui vous a regardé fi artentivement eft dona Mergelina, ce n'eft pas ma faure; je n'ai pu I'empêcher; mais je vous demande grace pour la petite aux yeux noirs qui 1'accompagnoit Je ne fais de quel ceil je l'ai regardée mon cceur me dit tout bas que la forme fous laquelle je l'ai vue étoit véritablement fa forme naturelle.  DE ROSALVA. Z07 Je confens a me laifTer couper les oreilles s'il eft poflible de trouver dans 1'univers deux yeux, une bouche , un pent nez qui lui aillent aufli bien que ceux qu'elle avoit. En un mot, je ne foufhirai jamais qu'on lui joue un mauvais tour. Si vous voulez la faire métamorphofer, je confens qu'elle devier.ne oranger & rien autre chofe : encore y mers-je cette condicion qu'on me changera en abeiüe, & qu'aucun autre inle&e de cette efpèce, foit frélon , guèpe, ou bourdon, n'aura le privilege de 1'approcher au moins de cent pieds cubes a la ronde. Que 1'amour eft ingénieux! Je te confeille cependant , mon ami, de ne pas te rep.ucre d'efpérances chimériques. Le Nain-vert a fouvent pi is la forme d'une belle nymphe. N'oublie pas ce qui m'tft arrivé ce matin a moi-même. La feule chofe qui me confole , c'eft qu'elles m oiit lailfé le portrait de ma princelfe. Je penfe , monfieur, que c'eft a moi que vous devez en avoir 1'obligation. Quand elle fe font approchées de vous, elies avoient iurement projeté de vous 1'enlever ; mais je tuis venu a tems. Le petit lutin me faifoit des mines Elles chuchotoient enrr'elles fans vous perdre de vue. Mais elles ont été ftupéfaires quand je me fuis avancé- Un autre n'auroit peut être pas eu tant de hardietfe au moins ?  io8 Don Silvio Fort bien, reprit Silvio en fe levant pour continuer fa roure. Je fuis heureuxde m'en être li bien rité.. .La foitée me paroiragréable, nous pourrons faire quelques milles avant 1'obfcuriré. Nous découvrirons peut- être dans peu ce que lignifie 1'apparition que tu as eue. Pédrillo qui n'étoit jamais court dans la converfation , faific 1'occafion que lui préfenroit le mot Jïgnijzépouï dilferter en chemin fur-tout ce qu'on appelle fignification & prelfentiment. II rappela toutes les hiftoires qu'il avoit ouï racontet dans fon enfance , fans remarquer que fon maitre ne 1'écoutoit pas. Pourvu qu'il pür fatisfaire fon envie de parler, il ne fe foucioir guère qu'on ne 1'écoutat pas. Il avoit cela de commun avec cerrains pcctes qui, quand ils vont voir leurs amis, commencent a fe placer , tirent leurs manufcrirs & les lifent fans remarquer qu'ils ennuient leurs auditeurs, que l'un d'entr'eux dort , que 1'autre baille , Sc que tous font infenfibles a leur enthoufiafme. GHAPÏTRE  ö e R o s a t v -a; 209 CHAPITRE XI. Dans lequel don Silvio parott avantageufe ment* 3NTo s-voyageurs avoient a peine fair une demi-' lieue, qu'ils entendirenr partir affez prés d'eux, deux coups de piftolets qui furent immédiatement fuivis de plufieurs cris de défefpoir. J'entends une voix qui appelle du fecours , dit don Silvio': il faut y aller, & voir fi nous pourrons rendre quelque fervice au malheureux. Pédrillo éroit aufli courageux 6c aufïï intrépids au grand jour, qu'il étoit poltron pendant la nuit. 11 fuivit courageufement fon maitre. Dès qu'ils eurent fait foixante pas,- ils appercurent dans un champ bordé de haies , trois jeunes cavaliers i cheval, qui étoient pourfuivis a perre d'haleine, par fept autres donr les quatre premiers étoient bien montés. Don Silvio , fans faire attention au danger, vola hardiment au fecouts des plus foibles. II jeta aufli-tót les yeux fur un jeune homme de bonne mine qui combattoit conrre trois avec' la valeur qui efl naturelle a un efpagnol, lorfdu'il eq vient aux mains pour fa maitreffe. Un moment Tome XXXFI. Q  no Don Silvio plus tard , la bonne volonté de notre héros eüc été inutile. Un des adverfaires du. jeune cavalier étoit fur le point de porter un coup mortel k fon ennemi, lorfque don Silvio feprécipita entre les deux combattans , & détourna adroitementle glaive qui alloirdécapitet le jeune écuyer. Quoique notre jeune chevalier fur de fang froid, & qu'il ne parut nullement avide de carnage , il combattit avec tant de bravoure , & vainquit avec tant de facilité , qu'il infpira du refped & de la rerreur a fon adverfaire. Pédrillo de fon cóté , n'étoit pas oilif. II eft vrai qu'il n'avoit pour route arme qu'un gros baton d'épine, mais il fut s'en fetvir avec tant de dextérité , qu'il eut la fatisfadion de voir tombet a fes pieds deux de fes ennemis. La vidoire fe déclara tout-a-fait en faveur duparti quarfoutenoient nos' voyageurs. Les ennemis abandonnèrent deux de leurs camarades dangereufement blelfés , &c fe fauvèrent par une prompre fuire. Dès que le combat fut fini, don Silvio chercha 'des yeux le jeune cavalier pour qui il s'étoit ft généreufemerit inrérelfé , afin de le féliciter fur fon triomphe; mais celui-ci avoit coutu vers une jeune dame qui s'étoit évanouie a peu de diftance duchampdebataille, dans les bras de fes femmes. II eut mille peines a la faire revenir a elle-mème. On n'auroit pu deviner , a la conduite du jeun»  i> e R o s A r. v A; 'ixp homme, & par les fqhtó qu'il prenoit pour cetre dame, fi die écoit fa fceur oii fon amanre. Aufli toe qu'elle eut repris 1'ufage de fes fens, il lui dit: „ma chère Hiacinté | fi votre überté & k vie de votre amionr quelque prixa vos yeux, rend-^z grace a cé brave chevalier: il efl: mon hbéfateur : nou» devorts tout a fa gériérofité. A ces mors , don Silvio s'approchadeladame avec un air noble & honnete. Son maihtien étoit celui d'un héros modefte & généreux qui jouit intérieurementdu plaifird'avoir fervi 1'humanité; Après avoir falué refpedueufement Ia jeune dame, il lui témoigna, en termes que nous ne pouvons rendre, fa fatisfadion d'avoir contribué a fa délivrance. La belle étoit foibie , & ie pouvoir encore répondre que par fes geftes : rnais don Eugenio, c'eft ainfi que s'appeloit le jeune cavalier, & don Gabriel, fon ami, quj & devoient Pun & Paurre Ia vie, lui témbignèrenc leur reconnoiflance avec la plus grande énergie. Don Silvio confidéra attentivement la jeune dame, & fut étonné de fentir a fon afped une tertaine émótiön, paree qu'il étoit fortement perfuadé qu'aucune femme au monde ne pouvoit faire impreflion fur fon cceur, oü la belle princeffe régnoir avec tant d'empire. La jeune perfonne ne paroifioit avoir que dix-huit ou dixtoeuf ans. Elle n'écoirpas d'une beauté accomplie; ' Oij  'au Don Silvio mais elle avoit dans la phyfionomie un air de candeur & d'honnètété qui fait plus d'imprefïïon fur les ames fenfibles que la parfaite régulariré des traits. Au premier abord, on ne pouvoit s'empechet de s'inréreffer a elle. Son regavd étoit touchant, fa voix flexible & fonore. Le nuage de ttiftelfe qui couvroit fon vifage ne pouvoit dérober aux yeux du fpeófcatéur le fourire d'innoeence qui fe formoit fur fes levres demi-clofes Don Silvio parut fentir 1'effet que devoient produire ces charmes. Eugenio s'en feroir infaifliblemenr appercu, & en auroir pris de 1'oir.brage, fi la douleur des blelfures qu'il avoit revues au combar, ne 1'eüt tout-a-fait ablorbé. On travailla fur le lieu même A metre ie premier appareil. Speétacle cruel pour une amanre ! Hiacinte ne levoit pas les yeux de deflus don Eugenio. Dieux! Quel fut fon effroi, lorfqu'elle vk couler le fang a gros bouillons. On auroit dit que fon ame s'anéantilfoit. Son cceur trop fenfible ne put réfiftera ce fpeétacle; Elle fit un effort pour prononcer le nom d'Eugenio , & perdit une feconde fois connoilïance. D'oiï notre jeune Héros préfuma que Eugenio & la belle Hiacinre s'aimoient tendremenr. II fe perfuada que cerre dame étoit une princelfe , & que fon amanr avoit un rival qui avoir voulu lui brer la vie pour fe rendre maitre de fa maitrelTe. Cette idéé re-  DE R O S A L V A? tl 5 tloubla 1'intérêt qu'il avoit pris au fort de ces jeunes inconnus. Les deux blelfés & les autres témoins de 1'évanouilfement d'Hiacinte volèrent a fon fecours. Ils oublière-nr le danget oü ils étoient pour ne penfer qu'a foigner la belle. Ce ne fut qu'a force de refpirer du fel d'Angleterre, qu'elle recouvra fes efprirs". Après s'ëtre livrés a la joie, don Eugenio Sc don Gabriel firent panfer leurs plaies. Dès que cette douloureufe opération fut faite, on paria de partir. Le jour commencoit a bailfer; &c pour ne pas s'expofer, on réfolut de paffer la nuit dans la première auberge qu'on rencontreroit. D'ailleurs la dame étoit encore fi foible, qu'on n'auroit pu lui faire 'faire un mille fans s'expofer a alrérer fa fanté. Elle Sc les deux blelfés n'avoient befoin que de repos. Don Silvio leut offrir de les accompagner pour plus de fureté. Eugenio recut avec joie cette marqué d'amirié & d'honnêreré. II étoit inquiet de favoir qui étoit le brave chevalier auquel il devoit la vie. Après beaucoup de complimens, don Eugenio fe placa dans Ia voirure a coté d'Hiacinte, & donna fon cheval de monture a notre jeune chevalier. Pédrillo qui n'avoit pas ouverr la bouche depuis la fin du combat, paroilfoit fiupéfait. Il promenoit fes yeux étonnés fur tous les objets qui 1'environnoient, Sc recevoit d'un air fatisfais O hj  '^,14 Don Sïtrio tous les complimens que lui faifoit don Eugentó fur fa bravoure. Ce ne fut qu'a force de follicitaïions qu'il confentit a monter dans une feconde voiture oü il y avoit des femmes qui lui impofoient du refpect & qui reftreignoient l'envie, qu'il avoit de pariet. CHAPITRE XI L Ils arrivent dans une auberge. O n avoit marché fi lentement qu'il éroir dis; heures lorfqu'on arriva devant une auberge dont la porte étoit fermée. Nos yoyageuts firent tant de carillon que 1'hote fe douta que c'étoit des gens-de qualité qui , fe trouvant trop tard eri route , vouloient palfer la nuit dans fa maifon. Lorfqu'on lui demanda a fouper, il répondit que tout fon gibier avoit été confommé la veille, que, les oifeaux de proie avoient dépeuplé fon co.lombier , que les belertts avoient détruit fa volaille & mangé les ceufs qu'il conlervoit; mais que le lendemain a 1'heure du diner il auroit de la viande de boucherie toute frakhe. J'aurai 1'honiieur, a)outa-t il, de vous fervir un repas délicat tel que des perfonnes de votre état le métitena,  b 5 R o s a l v a:. iif Ma maifon eft toujours la retraire des voyageurs de qualité.. Avant-hier nous eümes 1'honneuc de loger monlieut le comte de Leyra, & lundi dernier madame la duchelTe de Medina. Sidoniaavec toute fa fuire. Monfieur 1'aubergifte auroit parlé toute la nuit fi on eut été difpofé a 1'écouter; mais la per* fonne la plus intérelfante de la compagnie avoit befoin de repos ; & on fe confola des défaftress. arrivés dans la bafle-cour de 1'lïore. Pédrillo & le valet de chambre de don Eugenio allèrent a 1'écurie pour faire panfer les chevaux & les muiets de leurs maitres. II n'y trouvèrent aucune efpèce de fourrage : 1'année avoit été plu-, vieufe. Dona Hiacinte demanda la permiffion de fe coucher après avoir renouvelé fes remercimens aux défenfeurs de fa vie. Don Silvio accompagna les deux blelTés dans leur chambre , leur fouhaita une bonne nuit 8C: fe retira. Eugenio & fon ami don Gabriel étoient in-quiets de favoir qui étoit Silvio. Ils avoient hafardé , autant que la bienféance le leur avoie permis de petites queftions auquel notre héros n'avoit jamais répondu qua. doublé fens. Ils con» jeéturèrent que ce jeune homme étoit un aventu». rier d'une efpèce fingulière. Sa bonne mine 8c fa. Oiv.  -Mij Don Silvio valeur parloient en faveur de fa naiffance ; maïs il n'avoit pas eet air aifé , maniéré & prévenant qu'on appelle le ton de la bonne compagnie , dc dont les jeunes gens de qualité font ufage aans les principales villes d'Efpagne. Nos gentilshommes remarquèrent encore la fingulariré de l'accoutrement de don Silvio. Le grand fabre qu'il porroit a fon cöté n'échappa pas a leur vue. Tout cela forraoit un alfemblage fi burlefque qu'ils ne favoient guère a quoi s'en tenir. Pendant que les deux cavaliers prenoient des mefures pour fatisfaire leur curiofité, notre héros s'applaudifloit d'avoir pu rendre quelque fervice a une des plus aimables princelfes du monde , & aux jeunes princes ou chevaliers qui 1'accompagnoient. Comme don Silvio ne doutoit pas qu'il n'y eut dans le voifinage quelque puiffante fée qui s'inrérelfoit au fort de ceux, qu'il avoit fecourus, il fe flatta que cette immortelle lui accorderoit fa proteótion, & qu'elle prendroit quelque part a fa deftinée. Ces ré-« flexions le conduifuent infenfiblement a penfer a fa chcre princelfe. II embralfa fon divin portrait , réfléchic a fa trifte méramorphofe & aux pièges que lui tendoit la fée Fanfreiuche, U paffadeux heures a gémir & a déplorer fon infortune. Des fonges agréables fuccédèrent peu a peu a ces finiftres penfées, & il s'affou^jic daas. «ne meilleuse affictte.  BE R O S A L V A: ZIT CHAPITRE XIII. Ttte-a-tète. JL andis que la princelTe dormoit ainfi que les jeunes cavaliers de fa fuire , Pédrillo , que , comme nous 1'avons déja remarqué , toutes les circonftances préfentes intriguoienr, ne put refiirer1 a 1'envie de faire connoüTance avec mademoifelle Thérèfe. Heureufement qu'il n'y avoit alors perfonne dans 1'hotellerie qui fut en état de lui difpiuer 1'avantage d'un rête-a-tête. Pédrillo profira de 1'occafion &c fe lia avec la femme de chambre de la belle Hiacinte. 11 fut la trouver a la cuifine , oü elle éroit allée voir le fouper frugal qu'on lui préparoit. Tandis qu'on lui réjchauffoit un vieux civet de lièvre, il entama la converfarion. D'abord mademoifelle Thérèfe ne parur pas faire atrenrion a ce. que difoit Pédrillo. En affeófcant un air indifférent, elle avoit pour but de favoir peu a peu du valet qui éroir fon maitre. Pédrillo éroit aufli rufé qu'elle. II réfolut de lui faire acheter aufli cher qu'il le pourroit le fecrer qu'elle avoit envie de pénétrer. II combina bien les chofes , & fe pronw » lui-mème de ne rien dévoiler jufqu'i ce  li § Don Silvio qu'elle lui eut raconté 1'liiftoire de dona Hia» cinte. Je n'enfreindrai pas, fe difoit-il, la lol que mon maitre m'a impofée. Je ferai difcrer. La belle Thérèfe s'appercut qu'elle avoit affaire a un garcon déterminé , & qu'il feroit impénétrable jufqu'a ce qu'elle 1'eüt inftruit , la première , des aventures de fa maitrefle. EUe perdit, par degré , de fon férieux, de fon flegme & de fa réferve. Elle fatisfit la curiofité de Pédrillo en racontant, d'une manière circonftanciée, tout ce qui regardoit la belle inconnue. Le valet apprit donc que dona Hiacinte ne poffédoit rien au monde que des charmes. Sa beauté lui tenoit lieu de richeffes & de naiffance. On foup^onnoic mcme qu'elle avoit été trouvée. La perfonne aV qui elle devoit fa première éducation , n'avoit pu lui donner aucune connoiffance fur les auteurs de fes jours. Pédrillo apprit avec étonne« mept que la belle Hiacinte avoit joué la comédie pendant quelques années fur le théarre de Grenade. Tous ceux qui 1'avoient vue avoient été épris de fes charmes. On pouvoit compter au nombre de fes adorateurs 1'élégant Ferdinand s, comte de Mazora. Ce jeune feigneur , dit Thérèfe , a fait toutes les démarches poffibles & des dépenfes infinies pour captiver le cceur de ma maitreffe. Mais elle y a été infenfible. Don Eugenio de Lirias eft le feul cavalier qui ait pii  de Rosaiva; ëmoir-cn fon cceur. Elle l'aime palfionnément.' II y aheu de croire qu'ils fe marierontenfemble. Le projet de don Ejgenio étoit, en faifant qu-trer le théatre a ma maitrefle, de la mettre pour quelques mois au couyent a Valenee. Ce tems la révolu, il 1'aflroit hr enfiblemenr produite dans le monde fous un autre nom. Don Ferdinand, donr le cceur ft toujours agité, apprit, quelques jours avanr leur exécution, les projets de 1'amanc de ma maïtretTe. 11 fut informé du temsdu déparc de dona Hiacinte. II quitta Grenade, réfolut de pourfuivre don Eugenio, & de fe rendre poffelfeurde ma mairreiTe.Toures fes mefures étoienc li bien combinées, qu'il nous a atteint aux envifons de Monrafa. Son projet n'a pas réulii. Notre bonne fortune a voulu que don Eugenio que nous croyions a Valenee, vint au devanr de nous avec fon ami don Gabriel. II ne s'imaginoit pas trouver fon amanre entre les mains de fon rival. A peine fut-il prés de nous, qu'il déclara hardiment qu'il confemiroir plutót a perdre la vie que la belle Hiacinte. II auroit y.raifemblablemenrperdul'une & 1'autre, fi fa bonne fortune ne lui eut fufcité *m puilTant fecours dans la perfonne du jeune chevalier, & dans celle de 1'intrépide Pédrillo. Après que la complaifante Therefe qut achevé 1'hiftoire de la belle Hiacinte , elle exigea que Pédrillo lui racontat a fon tour les aventures de  'ito Don Silvio fon maitre. Celui- ci avoit préparé des exctifes.' II fe prévaloir de 1'importance du myftére ; il alléguoit la fidélité qu'il devoit a fon mairre & le danger qu'il encourroit s'il commettoit une indifcrétion de cette nature. Therefe déploya inutilement toute fon éloquence. Elle eut recours a. mille expédiens qui auroient dü exciter la reconnoilfance de Pédrillo. Celui-ci répondoit toujours qu'un fecret de 1'importance du lien ne pouvoit, tout au plus, être confié qu'a une feule perfonne pour laquelle on n'avoit rien de caché. II exigea un prix li conlidérable, pour dévoiler fon fecret, que mademoifelle Therefe , fans être une Lucréce , 1'auroit pu trouver exceflif. Elle fe trouva effeétivement emharralfée. Elle oppofa fes réflexions a celles de Pédrillo , &C n'omit rien pour 1'amener a un accommodement plus raifbnnable. Le valet perfifta a dire qu'il ne pouvoit détailler les avenrures de fon maitre que dans un tête-a-tête. La demoifelle fut obligée de facrifier fes fcrupules aux defirs qu'elle avoit d'apprendre 1'hiftoire de don Silvio. Après avoir fait promettre au valet qu'il n'abuferoit pas de fa confiance, ilsfe renfermèrent enfemble dans un cabiner, oü on ne fait s'ils tinrent confcientieufement leurs paroles.  de R O s A 1 T Al llt CHAPITRE XIV. Examen remarquable. X^oi-j Silvio avoit a peine dormi deux heures qu'il fut éveillé, ainfi que le tapporte 1'hiftoire, .par des légions de puces. Le leéteur ne nous aocufera-t-il point d'écrire des furilités? II n'eüt dépendu que de nous d'employer quelque caufe plus noble & plus élevée pour rirer norre héros :du fommeil •, mais nous aimons mieux facrifier norre gloire, que de nous écarrer de la vérité. Tandis que norre héros s'occupoit a faire la •guerre a ces infupporrables infecles, il crut entendre dans la chambre voifine de la fienne, & qui n'en étoit féparée que par une mince cloifon, la voix d'une femme. II préra 1'oreille & enrendic trés - diftindement ces mots : je n'y confentiraï ■qu'a condiüon que vous me fere^ voir le portrait de la princeffe. Mais comment cela pourroit-il êtrepof'.Jible, répondit une autre voix. Suppoft^ que je me hafarde a aller dans fa chambre, pourrai-je arrachèr "te portrait qui ejl attaché a fon cou , fans L'évtillef. £iel\ que deviendrois-je! ou en ferions-nous ? Oh! point d'excujè je n'aurois pas cru. Je vous le répète : je veux avoir le portrait; ou ne ryous imagine\pas-que je  Xit Don S i t v i o Ici les voix fe baifsèreilt, & don Silvio qui eri avoit trop entendu ne pat fe réfoudre A écoutef plus long tems...... Quoi! s'écria-t-il, en fe lailfanr tomber fur fon chevët: on rrame quèlqué chofe de fecret contre moi, comre c. qui m'eft mille fois plus cher que la vie! Ah ! R. yonanre j hare-roi de venir A mon fecours, finon, maperté eft aflurée. Don Silvio prononca ces mots d'urt ton fi élevt% que Pédrillo &c Thé.éfe fe turenr.' La demoifelle, après avoir enrëndu appelet rroié fois fon cónfident, crut qUe le parti le plus fage étoit de fe temet. Elle ouvrit un petit cabinet attenant a fa chambre pour s'y cacher Elle n'autoit pas voulu, pour les chofes les plus précieufes, qu'on 1'eüt trouvée tête-a-tête avec un homme. Thérèfe ne fut pas alfez adroite pour fe dérober a la vue de don Sivio, qui entta tout a coup dans f appartement oü étoit fon domeftique. Le génie le plus fubtil auroit été embarraiïé s'il fe fut trouvé dans la place de Pédrillo. Tsus les argu-: mens qu'il auroit pu pouflér, tant in fejlino qu'i/z baroco lui eulfent été inutiles. Le flmple inftinét tira notre valet d'affaire. Eft-ce vous, monfieur, s'écria-t-il, en faifant femblant de fortir d'un profond fommeil Que vous eft-il arrivé ? Pourquoi vous vois-je de fi bonne heure fur pied? Habille-toi promptement Sc fuis-moi dans mi  DE ROSALVA. ü£ chambre, répondit le chevalier, d'un air qui fit trembler fon domeftique Don Silvio ferma a cleflaporte parlaquelle mademoifelle Thérèfe étoit fortie. Si vous me laiflez feul, dit Pédrillo après avoir réfléchi un inftant, je ferai prêt dans un clia d'oen1. Ne perds pas de tems fi tu ne veux pas encourit ma difgrace. Pédrillo ne douta plus que fon maitre n'eüt entendu 1'entretien qu'il avoit eu avec Thérèfe. II jura conrre cette demoifelle, & maudit mille fois le jour oü il l'avoit vue pour la première fois. Cette Thérèfe qui lui paroilfoir, deux heures auparavant, fous un afpeét enchanteur, ne préfentoit plus a fon imagination qu'un objet odieux. 11 prit le parti d'en impofer a fon maitre, a force de menfonges. Après avoir pris Ia ferme réfolution de fe laiffer plutot écorcher vif que de convenir du moindre mot, il entra dans la chambre du chevalier. Dès que don Silvio 1'appercur, il lui dit de fermer la porte au verrou. Et il commenca fon interrogation avec le ton dur & férieux d'un préfident de 1'inquifition. Qui eft la perfonne qui étoit avee vous dans Votre chambre, il y a un inftant? Quelleperfonne; monfieur, répondit Pédrillo^1  ■U4 D o W S I L V I.O qui faifoit femblant de ne rien comprendre a ta queftion de fon maitre ? Coquin, s'écria Silvio, c'eft précifément ce que je veux favoir. Je n'ai vu aucune aütre perfonne que la votre, monfieur, lorfque vous avez ouvert la pörte pour m'éveiller; car j'imagine que vous ne voulez pas parler des punaifes qui m'onr afliégé. Les mandjes infeótes! je veux ne pas être honnête garCon, s ils n'onr pas fair un tintamare dont je fuis encore érourdi. Une demi-douzaine de maroux s'étoient donné rendez-vous au-deffous de mes fenêrres, pour donner des férénades k la jefine cliatte de 1'hotellejie... II n'eft pas queftion de plaifanter. J'ai vu fortir une perfonne de votre chambre: je l'ai entendue converfer avec vous; & je veux favoir qui elle eft. Monfieur, reprit rriftement Pédrillo , je veux mourir rout-a-l'heure li je fais que répondre l vos queftions. Je ne vous conrredirai pas. Si vous, avez vu quelque chofe, c'eft que vous êres le bien-aimé des fées, & qu'elle vous ont favorifej au point que vous voyez fouvent beaucoup oü les. autres ne voient riew Si j'ai vu quelques chofes, ce n'éroit qu'en rêve... Maraud, dit don Silvio. en tirant fon fabre, ne  DE RoSALVA; 225 ne crois pas que ton effronterie! conviens fur le champ cle la vérité , ou tu es mort. Ah! mon cher bon maitre, s'écria Pédrillo, en fe jetant a fes genoux; au nom de dieu, épargnez ma jeunelfe, je confens a vous dire tout ce que je fais... Pourquoi me trairer avec cette cruauté?... Je vous fers depuis tant d'années..* J'aurois traverfé les dammes pour vous plaire.. □ Je vous conjure, a mains jointes, de rengainer eet effroyable fabre. Je vous avouerai tout... II eft pourtant bien rrifte de mourir pour n'avoir rien vu! Oh! bienheureux faint Jacques, fi je mentois cette fcis-ci... En vérité, monfieur quand vous m'auriez trouvé couché auprès de la femme de chambre de madame Hiacinte, vous ne me traiteriez pas avec plus d'inhumanité. Vain détour. Me crois-ru aflez infenfé pour m'imaginer que la femme de chambre d'une princelfe, voulut fe familiarifer avec un garcon de ron efpèce ? Je re répère pour la dernière fois que le feul moven de fauver ta vie, eft de m'avouer tout ce que tu fais. Sois fincère, je ne te ferai aucun mal. Mais je ne veux pas être trompé. Je ne puis que vous répéter, monfieur,-que je ne fais rien. ., Réponds a mes queftions... N'y avoit-il perfonne avec toi dans Ia chambre ? Tome XXXFI. p  ti6 Don S i t v i o Dix mille efcadrons de punaifes , comme j'ai déja eu 1'honneur de le dire a monfieur, & pas une ame de plus. Qui eft donc la perfonne qui s'eft efquivée quand j'ai entr'ouvert la porre? Je 1'ignore, feigneur don Silvio, paree que j'étois encore endormi lorfque vous m'avez appelé. Ii m'a femblé voir une femme; mais je n'ai pu fixer fes traits... Morbleu! monfieur , c'étoit donc un efprit. Il n'y a rien d'impoflible. En entrant dans cette maifon je me fuis méfié de quelque chofe. Si vous avez véritablement vu quelque chofe, & que cette chofe ait difparu, ce ne peut être qu'un revenant qui a été alfafliné dans cette chambre. Je ne voudrois pas pour un royaume en avoir vu autant. Je ferois mort a 1'inftant. Pédrillo paria d'un air fi naïf & fi fimple que don Silvio penfa qu'il le foupconnoit mal-apropos... Mais, continua-t-il, fi tu n'as rien vu, tu peux avoir entendu. Vous favez, monfieur, que quand on eft feul dans le coin d'une maifon étrangère, on occupe fon imagination de différentes chofes. Quand bien même, j'aurois entendu quelque bruit, je iie m'y fetois pas anèté. Je n'oublierai jamais  O E R o S A l V A.' 2z7 tombien vous vous moquares hier de moi, paree que je voyois le géant a qui vous coupates bras &c jambes. Mais puifque vous convenez vous-mème que ce cabaret n'eft pas une retraite bien alTurée-, je ne rougirai pas de vous dire que j'ai fenti, pendant une grande partie de Ia nuit, une pefanteur fur mon eftomac. II me fembloit que je portois un poids de cinquante livres, qui m oroir I'ufage de la refpiration. Quelque tems après, j'ai cru entendre parler plufieurs perfonnes a voix balfe. J'aurois volontiers prêté 1'oreiile £ ce qu'elles difoient: mais j'ai eu tant de frayeur, que je me fuis enfoncé fous ma couverture oü le fommeil eft venu a mon fecours...Si je fais autre chofe que ce que je viens de vous dire, vous pouvez me tuer, me faire tout ce que vous jugerez a propos... Pédrillo, mon ami, répondit le chevalier, avec un ton qui ralTura fon valet, je fuis fatisfait... Je n'exige rien de plus. Si tu favois quelle eft la cruauré, la malice & la noirceur de certaines perfonnes, que je ne peux pas nommer , tu ne feras pas éronné du courroux que je viens d'avoir. Apprends que j'ai entendu former un complot contre moi dans ta chambre. On fe propofoit de me ravir le portrait de mon adorable princelfe. Je fuis alfuré que tu n'es pas coupable d'une fi noire trahifon; mais je te jure par mon fabre, Pij  ^| Don Silvio que j'ai entendu ta voix. II y a apparence quê I'une de celles qui veulent ma perte contrefaifoit ta voix afin de te faire palier dans men efprit pour le plus fcélérat des hommes. Voila qui eft diabolique, monfieur : c'eft potter la raillerie rrop loin. Un honnêre garcon qui fe repofe innocemment n'eft donc pas en füreré.Un impertinent Nain-vert ou quelqu'autre magicien na qu'a prendFe la forme & la figure d'un galant homme , & aller ainfi commettre des vols & des aftaflinats jufqu'A ce que 1'innocent foit toué ou pendu... Mais, monfieur, que difoit le forcier qui conrrefaifoir ma voix. Tranquillife-toi, Pédrillo. Je fuis convaincu de ron innocence. Nous fommes parvenus 1'un & 1'autre a faire échouer leurs detfeins. Referme vite ton havrefac : je ne veux pas refter une heure de plus dans cerre maifon. Voudriez-vous partir fans prendre congé de la dame &'des cavaliers a qui nous fauvames hier la vie. Ils étoient fi occupés de leurs bleftures qu'ils n'ont pas eu le tems de nous remercier en regie. 11 me femble que la noble aótion de fauver la vie a quelqu'un mérite au moins un dieu vous le rende. ^ , Je n'exige aucune reconnoilfance de ce que j'ai du faire. J'ai 1'honneur d'être chevalier : mais quand je ne ferois que d'une naifiance ordinaire,  DE ROSALYA. il$ je réitérerois tous les jours la même action pour un turc, pour un juif, ou pour un païen, fi l'occafion s'en préfentoit. Quoique je fois curieux de connoitre ces étrangers, 8c que j'eufïe projeté d'attendre leur réveil, je fuis obligé de changer de refolution... Que je fuis heureux de m'êcre éveillé allez-töt pour prévenir les défaftres que j'allois effuyer! Je fuis fur qu'une main invifible m'a tiré du fommeil. Je ne fuis pas a mon aife dans cette maifon. La fée Rayonante ne m'a promis fa protection qu'a condition que je chercherois ma princelTe. Rappelles-toi que nous n'avons effuyé de contre-rems que lorfque nous avons été dans l'inaction. Exceptez le trou aux grenouilles, oü votre falamandre nous a fait cheoir. Jj crois que tous ces défaftres ne nous font arrivés que paree que je n'ai pas ftrittement obfervé le voeu que j'ai fait de ne prendre aucun repos avant d'avoir retrouvé ma chère princeffe. Enfin, Pédrillo, je ne puis me déterminer a refter une heure de plus dans cette maifon oü Fanfreiuche a peut être des amis. Efquivonsrnous le plus doucement qu'il nous fera pofEble. L'aurore va paroitre. Tout le monde dort encore. Si nos ennemis font fur pied, la fée Rayonante nous enveloppera d'un nuage au travers duquel ils ne pourrontnous appercevoir. P iij  230 Dow SitVïo Comme il vous plaira, monfieur, répondir Pédrillo , enchanté d'en être quitre a li bon compre Je parie bien que les puces qui nous ont tant inquiétés, ne font pas des puces naturelles, mais autant d'hérilfons enchantés qui avoient otdre de nous écorcher vifs. Le valet qui ne vouloit pas donner a fon maitre le moment de laréflexion, fe hara de fermer fon havrefac. lis fortirent doucemenr du cabaret fans fe mettre en peine du paiement de leur écot. Ils prirent tant de précaution, que perfonne ne les entendir. Mademoifelle Thérèfe s'étoit mife au lit fans fe douter qu'elle ne reverroit pas Pédrillo a fon réveil.  1 E R O S A 1 v" A . IJl CHAPITRE XV. Ce qui fe pajfoit a Lirias. Don Silvio ne fe trouvoit jamais au milieu de plufieurs chemins qu'il ne gemit fur la perre de Pimpim qui étoit li bon guide. II fut obligé de fe déterminer lui même a choifir fa route : il prit celle qui l'avoit conduit au cabaret. Puifque nos voyageurs marchèrent pendant quelque tems fans qu'il leur arrivat rien de remarquable, nous les lailferons fuivre paifibiement leur chemin, pour raconter te qui fe palfoit a Lirias. Dona Félicia ne trouva pas fon frère au chateau. Elle queftiona les domeftiques qui lui dirent que don Eugénio étoit monté a cheval avec fon ami don Gabriel, & qu'ils n'avoient emmené pour toute fuite que le valet de chambre du premier. II étoit déja tard : les cavaliers n'arrivoient point : dona Félicia en fut éxtrêmement inquiete. La prudente Laure fit ingénieufement tomber la converfation fur don Silvio. Ce fouvenir charmoit toujours fa maitrelfe. L'amoue que fon afpect lui avoit infpiré ne lui permettoit Piv.  ij* Don Silvio' plus de taire fes fentimens a Laure , qui avoit alfez d'efprit & de difcrérion pour mérirer fa confiance. La grande affaire étoit de favoir fi la nailfance, les mceurs & le goüt de don Sdvio répondoient aux fentimens de la belle Félicia, que mille doutes agitoient : elle en fit pair a fa confidente. L'une & 1'autre conclurenr qu'il n'étoit pas poflible que la nature eut pris plaifir a donner a don Silvio un exrérieur fi féduifant, fans l'avoir doué des qualirés du cceur. On tourna même a 1'avantage de notre héros les petits aveux qu'avoit faits fon valer. On ne favoit cependant que penfer de 1'enchantement dont Pédrillo avoit parlé, non plus que du papillon, de la princelTe & du nain-verr. Que devoit-on penfer delefprit d'un jeune homme qui raconre avec franchife & d'un air de bonne foi que fon maitre étoit amoureux d'un papillon qui, avec le fecours d'une fée, devoir changer de forme ? Cet article étoit au-delfus de 1'intelligence de dona Félicia : mais Laure eut 1'adrelte d'en tirer affez d'avautage pour tranquillifer fa maïtrelTe. File difoit que Pédrillo devoit avoir beaucoup de rhétorique, puifqu'il employoit 1'allégorie dans fes difcours. Laure rematqua que fa maürefie auroit mieux aimé que Silvio fut atteint d'un peu de folie, que de favoir qu'il aimoit une autre perfonne qu'elle. La confidente fut chargce de.  DE R O S A L V A? 23 3 s'informer qui pouvoit être celui qui fe donnoit le nom de don Silvio de Rofalva. Un hafard heureux ou malheureux lui évita Ia peine de faire beaucoup de perquiikions. II y avoir quelque tems qu'un -laquais du chateau.de Lirias s'étoir cafle la jambe ; & maitre Bias, donc nous avons déja parlé comme du plus habiie chirurgien des environs, venoit fouvenr panfer le malade. Mademoifelle Laure entroit précifément dans une chambre oü il étoit, lorfqu'il finifloir de raconrer l'hiftoire de don Silvio qui avoit fair beaucoup de bruir dans le voilinage de Rofalva. Elle neut aucune peine d'apprendre tour ce qu'elle vouloit favoir fur le compte de notre héros. Bias dépeignit au naturel le caradère de dona Mencia. II paria de 1'éducation & de la manière de vivre du jeune chevalier; il dit que Ia vieille tante projeroit de le marier avec un petit monftre nommé Mergéline Sanchez; & que c'étoir fans doute pour évirer une alliance fi défagréable, qu'il s'étoit évadé avec un valer nommé Pédrillo. Le chirurgien alïura qu'aucün homme ne furpalToit le jeune chevalier en vertu , en favoir & en beauté. C'eft moi, ajouta-t-il, qui lui a enfeigné la mufique. Après un mois de leeonS j il auroit pu être mon maitre. Le chirurgien ne parut pas être informé que don Silvio eüc une  ij4 Don Silvio intrigue amoureufe; mais il n'oublia pas de dire qu'il avoit toujours remarqué dans fa cond.uite quelque chofe de fingulier & de romanefque; que dans une converfation qu'ils avoient ene en» femble il y avoitquelques fermines, il s'étoit appergu que le chevalier croyoic a 1'exiftence des fées. Maitre Bias rapporra rout ce qui pouvoit concourir a tranquillifer dona Félicia. Elle étoit d'autant plus fatisfaite, qu'elle voyoit que le penchant de don Silvio s'accordoit alfez bien avec le fien—. Peut-être, fe difoit-elle, eft - il amoureux d'une princelfe qu'il n'a jamais vue? I! fe fera perfuadé que cette princelfe a été métamorphofée en papillon par une fée qui s'intérelfe au fort de fon rival. Cette idéé parut extravagante a dona Félicia. Elle ch-ercha avec Laure les moyen^ de connoïrre particulièrement don Silvio. Mille obftacles fe préfentoient. Leur pis aller fut de s'abandonner au hafard &c d'atcendre.  DE ROJALVA. Z ? C CHAP'ITRE X V L Comment don Silvio fut battu par des bergères. Do n Silvio continuoit fa marche avec fon compagnon , en parlant des événemens qui anéantilloient les efforts de fes ennemis. lis s'arrêtoient de tems en tems dans des lieux agréables , pour y renouveler leurs forces. Ayant trouvé a 1'entrée d'un petit bois de cyptès un fiège de mouiïe qui étoit a couvert des rayons du foleil, i!s s'y reposèrent. Leurs yeux fe promenoient fur des prairies immenfes, qu'arrofe le Guadalaviar , lorque Pédrillo fit tout-a-coup une exclamation, qui fembloit annoncer a notre Héros le rerme de fes malheurs---. Vive la joie, feigneur don Silvio ! Nous avons trouvé notre princelfe. Voyez-vous ce papillon bleu qui folatre autour de ces rofiers fauvages? Pédrillo ne fe trompoit pas tout-a fait. II voyoit effeótivement un papillon bleu \ & Silvio ne douta pas que ce ne fut fon amante. Je palferai de ce cóté-la, monfieur, tandis que vous irez bien doucement de celui-ci. II ne nous. i  r^G Don Silvio échapperapas.Mais pourquoirant deprécautions? Dès que la princefle vous appercevra elle volera dans vos mains. Le papillon parut fe conformer a 1'opinion de Pédrillo. II voloit en formant de petits cercles au devant du chevalier qui ouvroit fes mains tremblanres pour le recevoir. Quel fut fon érar, lorfqu'il appercut un autre papillon gris-blanc qui voloit dire&ement du cóté de fa princelfe avec une erfronrerie peu commune. Silvio devint furieux. II ne favoit comment s'y prendre pour punir le réméraire. Après un moment de reflexion , il fe précipira entre les deux infeétes, & eur aflez d'adrefle pour abattre d'un coup de baguette fon audacieux rival. La princefle prit la fuite. Plus elle étoit pourfuivie, & plus vite elle s'envoloit. II arriva par hafard que deux ou trois filles du village voifln, étoient affifes furie bord du fleuve, oü elles fe repofoient apparemment des fangues de la journée. L'une d'elles cueilloit des fleurs fauvaoes, dont les autres s'amufoit a former des guirlandes. Le papillon voltigea fi long-tems d'une fleur a 1'autre, qu'il tomba entre les mains d'une des bergères. Ceile-ci lui lia les pieds avec un brio de fil, & s'amufa a le faire voler devant elle. Silvio qui étoit alfez pres pour obferveE tout cela-,.  DE RoSAL VA.' 237 dit a fon valer Voila enfin 1'explication du rêve que j'eus hier matin. Ne vois-tu pas une nymphe qui joue avec le papillon bleu? Une nymphe, monfieur? c'eft une fille qui vient couper de 1'herbe aufli bien que celles qui font aflïfes a córé d'elle. Nos voyageurs firent une longue diflertation pour favoir fi cette fille étoit une nymphe ou une morrelle. Notre héros étoit entêté : il fallut que Pédrillo fit femblant de penfer comme lui. Le chevalier s'avanca a grands pas du cóté de la prétendue nymphe, & exigea qu'elle lui rendit le papillon. Que me donnerez-vous, jeune chevalier, lui dit la payfanne en riant ? Tout ce que tu voudras, répondit Silvio. Fort bien, reprit la nymphe. Eh bien! donnezmoi le petit étui qui eft pendu a vorre cou. Joignez-y un demi réal, & le papillon eft a vous. Maudit Nain-verr, s'écria Silvio ttanfporté de colère , en rirant fon vieux fabre } ne crois pas te mocquer de moi impunément! dufle-ie verfer jufqu'a la dernière goutte de monfang, tu me rendras ce papillon. Quel fur 1'erfroi de la bergère, lorfqu'elle fe vit menacée d'un coup de fabre! Pédrillo fentoic bien que toutes fes repréfentarions feroienr inutiles. II fe jeta précipitamment fur fon maitre  23* Don Silvio pohr ariêter le coup qui alloic être porté. Les autres bergères accoururent au fecours de leur campagne, fe jetèrent en furie fur Silvio & fur fon valet, & les alfommèrent a coups de poing. L'amant de celle qui avoit été prife pour le Nainverr, labouroit dans un champ voifm. Il enrendit les cris de fa maitrelfe, vola a elle &c s'élanga fur nos deux voyageurs qu'on laiffa étendus, demimorts, fur le champ de bataille.  DE RoSALVA." 11* TROISIÈ ME PARTJE. CHAPITRE PREMIER. Dans lequel Vauteur parie du plan de cette hijloire. Depuis que les contes exiftent, nous doutons qu'il y ait jamais eu un protégé des fées, foit prince, gentilhomme ou payfan qui fe foit trouvé dans une fituation aufli cririque que notre chevalier. II efl: bien vrai qu'on a fair ordinairement efluyer des calamités aux héros des contes des fées. Ils font fouvent obligés de fe battre avec des dragons, des rigres, des ours, des léopards, &c. Ils fonr expofés a êrre dévorés par des popances. Des fées édentées leur font perdre leur chemin, mettent leur vertu aux plus terribles épreuves , & après route forre de revers , les changent en perroqnets, en matous, en gril. lons, tkc. On feuilleteroit roures les hiftoires qui commencent par : il y avoit une fois ; on parcourroit tous les écrits de ce genre qu'on ne trouveroitpas un feul exemple que le favori d'une  240 Don Silvio reine des falamandres & 1'amanr d'un papillon enchanté, ait éré rompu de coups par des bergères & par un vigoureux laboureur. Le lecfteur érudit en tirera des confcquences a 1'avantage de notre difcernemenr. 11 ne' dépendoit que de nous de faire voyager norre héros fur un char de faphirs atrelé d'oifesux du paradis. Nous aurions pu lui faire rhettre , tous les foirs, pied a terre dans des palais enchanrés pour y êrre fplendidement fervi par la main des gfaces. Si nous lui eufllons donné le chapeau rouge du prince Robolt ou la mnie de la fée Mouftache, ou la bague de Gigès, ou enfin, la baguette de la fée Crulio pour le tirer de rous les périls qu'il renconrreroit, une jeune perfonne de dix ans auroit penfé que nous écrivions un conté. Mais norre hiftoire eft originale. On ne pourra nous reprocher d'y avoir fair entrer une feule anecdoie qui ne foit dans 1'ordL-e de la nature, & qui ne puilfe arriver journellemenr. Par exemple, il eft très-poftible qu'une o-renouille foir avalée par une cigogne. II n'eft pas furprenant qu on trouve un portrair dans un endroir oü il eft a préfumer que quelqu'un 1'a perdu. Nous avons laifte voyager norre héros a pied, fans nous inquiérer de fon adreffe a franchit les folfés, & a évirer les marais. II n'a d'autre lir que la terre & d'autre gïre qu'un mauvais cabaret de village oüles puces le meurtriffenr. Au lieu  DE RöSAtVA; 'ijfjf. lieu de lui faire boire du nectar ou de 1'arhbroifie dans des vafes de criftal de roche; au lieu de lë faire combattre eonrre des géans ou des nègres enchanrés, nous venons de lui faire donner les érrivières par de grofliers payfans. Telle eft Ja fimpliciré de la mafche de norre hiftoire. II feroic a fouhaiter que rous les écrivains pulfent fe flatter avec juftice de n'avoir pas facrifié les tfaits dii crayon a 1'éclat du vernis. Notre bur j en décrivarit ces aventures dignes de foi, n'a pas feulement été d'égayer 1'efprir, ainfi que pourroient fe 1'imaginer qüelques leéteurs fuperficiels qui auront de la peine a concevoir a queile aurre fin pourra fervir 1'hiftoire de don Silvio de Rofalva. Nous pourrions démontrer ^ en cirant les ouvrageS des plus habiles hommes que, depuis l age de quatorze ans jufqu'aux années climatériques » 1'homme eft atteint d'une certaine fièvre qui ne fe difftpe que par les violentes fecouflês du diaphragme. Le fang s'éclairciffant ainfi, ranime les efprits vitaux. Cette maladie a, a peu, prés les mêmes propriérés que le vënin de la tarentulë qui agit fur celui qui a été piqué par eet infëéte jufquM ce que les muficiens jouent une certaina danfe dont la vertil fympathique rétablit le inalade. Nous attendöns la feconde édition de eet ouvrage, a laquelle le bon goiit du public donnera lieu, pour placer ici une longue dilferTome XXXIVK Q  £4* Don Silvio tation fur les m&tières dont nous vehons de parler. En attendant , nous defirerions qu'on établit en Europe une académie de plus, & que cette compagnie de gens lettrés propofat un prix de cinquante ducats pour celui qui traiteroit le mieux la queftion fuivante : s'il ne feroit pas plus avantageux pour les hommes en général Sc pour la librairie qui, de 1'aveu des politiques , eft une des branches les plusconfidérables ducommerce, de compofet des livres dans le goüt de ceux du bachelier de Salamanque , de Gargantua, Sec. ou on peint d'après nature, les fourbes, les hypocrites , les fots & les fripons, que de couvrir beaucoup de papier de penfées morales, qui feroient un trés-grand tort a la fociété, li on ne les employoit ordinairement a emballer les bons livres. Nous aurions voulu faire faire ces remarques a quelques-uns de nos perfonnages: par exemple, a Pédrillo, qui a la permiffion de rout dire; mais 1'occafion ne s'en eft pas préfentée. Nous nous fommes impofé ce joug. Si quelqu'un y trouve a redire, nous lui faifons très-poliment nos excufes.  DE RCSAIVA. CHAPITRE II. Dans lequel Pédrillo parou a fon avantage. P;?-■■'■'■ ■ ■ 1 ■: tw ! ../y 7 -ü;q••' é dril 1.0 fut le plus maltraité dans 1'affaire que fon maïrre & lui eurent avec les bergères' II rella prés d'un quart-d'heure coucbé fur 1'herbe fans connoiffance. Le premier ufagé de fes fens fur employé a fouhairer que toutes les nymphes, fylphides, faumes, nains, princeffes & papillons, ainfi que tous les contes des fées qui ont été écrits depuis la création du monde, & ceux qui pour- roient être fairs dans 1'intervalle qui doit précéder Ja fin de 1'univers, fulfent a tous les diables avec les auteurs, les imprimeurs, les lecteurs & les Mécènes de ces forres d'ouvrages. II maudit même les oies qui avoient produit les plumes dont on. s'étoit fervi pour écrire ces hiltoires. II jura contre la fonte qui avoit fervi a la conffruc- Jfjqjn des caractères & conrre la couleur qui avoit teint le papier. Plüt a dieu, s'écria-t-il, que la fainte inquifition fit brüler ce fatras d'écnts diaboliques qui a fait tourner la tête au plus ;noble & au plus brave gentilhomme defEfpagne! Oui, ajouta-t-il, ce fout ces infames rapfodies QU  244 Don S i t v i o qui ont expofé mon jeune maitre a recevoir tant de coups de baton pour un vil infecte, pour un papillon bleu. II ïentit alors que tout ce que don Silvio lui avoit dit de la fée Rayonante &c de 1'enchantement de fa prétendue princelfe n'étoit qu'illufion. Par Lucifer'. Oü a-t-on jamais oui' dire qu'une fée ait laiiïe roller jufqu'a la mort fon protégé paf des bergères & de grofliers habirans de village ? Encore /fl c'eüt été pat des popances (1) oit par des dragons... je n'èn ferois pas fi faché ... Mais, par de pareils perfonnages 1 Je veux être dévoré fur le champ, fi votre maudire Rayonante, qui nous acaufé ces maudits contre rems, n'eft pas une fée de i'efpèce de celles... Ah ! fi je voulois parler ... Pédrillo continua a jurer jufqu'a ce qu'il s'appercut que fon maitre, qui étoit étendu prés de lui, avoit perdu connoilfance. Ce fpettacle effraya le timide valet, & lui fit oubiier toutes fes douleurs corporelles. U appela don Silvio , le fecoua & lui tata le pouls. Après s'être appercu qu'il ne donnoit aucun figne de vie , il fit rerenrir dans Ia plaine des cris plus pitoyables que ceux du prince Boffu lorfque la Dindonnière refufa de 1'époufer^ (i) Popances, efpèce de monftres ou d'ogres qni vivoisst de chair humaiBS.  D E R O S A L V A; 14? Pédrillo fe rappella dans fa frayeur qu'il avoit encore dans fon havrefac , qu'heureufemenr fes ennemis n'avoient pas appercu , un flacon de vin de Madère. II courut le chercher & le répandit fur fon maitre fans regrettet la liqueur qui. fe perdoit. Cette effufion rappela les efprks de don Silvio. Son évanouiflement n'avoit été caufé que par un. rude coup qu'il avoit recu fur 1'eftomac, quoiqu'il eut déja plufieurs contufions a la tête. II ouvrit les yeux a demi, & dit, d'une voix prête a expirer : oü füis-je? Es-tu encore en vie, Pédrillo ? Oui, mon cher maitre, répondit le valet, qui fembla reprendre une nouvelle exiftence... Vous vivez aufli!.. Dieu en foit loué! Si vous fufliez mort, ainfi que je commencois a le craindre, je me ferois je.té dansle fleuve pour ne pas voas furvivre. Fafle le ciel que je puifle récompenfer ton zèle & ta fidélité. Mais,... O ciel! Dis-moi li tu fais.ce qu'eft devenue ma cbère princefle ? La princefle? répondit Pédrillo ; elle eft allee au diable : je l'ai vu s'envoler avec autant de rapidité qu'un aigle Morbleu! je voudrois qu'elle nous eut Mais qu'avez-vous donc, monfteur ? Mon cher maitre ,. que vous arri- ve-t-il encore? Dieux fecourez-nous! Que* faire! Abominablea fées 1 QJi!  24^ Don Silvio Pédrillo renouvela fes exclamations , paree que le chevalier ayant cherché le portrait de fon amanre, ne le trouva pas & retomba évanoui. On ne put le faire revenir qu'avec beaucoup de peine. Sa douleur étoit fans bornes. II s'y livra enrièrement dès qu'il eut recouvre fes efprits Sc fa raifon. Pédrillo, qui, un inftanc auparavant, s'étoit déchainé contre Rayonanre Sc toutes les fées pofiibles, Sc qui avoit réfolu deteindre, a force de raifons, 1'amour que fon maitre avoit pour un papillon, ne favoit plus comment s'y prendre, quand don Silvio dit qu'il ne lui reftoir plus d'autre relfource pour terminer fes malheurs , que de fe jeter dans le Guadalaviar. Cette dure extrémité faint Pédrillo. II fit un effort pour rappeler fon courage; il embralfa les genoux de fon maitre, les arrofa de fes larmes, Sc proféra'millejuremens contre les fées& les féenes. Quand il vit que fes paroles ne produifoient aucun effet, il fe mir a pleuret Sc a s'arracher les cheveux: c'éroit a qui crieroit le plus. II fit fon polïible pour fiirpalTer fon maitre. II s'imaginoic que don Silvio fe laiferoir enfin , Sc que lorfque le premier accès de fon défefpoir feroit palfé, il pourroit gagner quelque chofe fur fon efprit. Dès qu'il remarqua que le chevalier commencoir « fe tranquillifer, il employa rout ce quii put imagiuer pour técablir le cahne dans  3 i R o s A l V a: *47 le cceur de fon jeune maitre. 11 1'afiura que fi, contre fon attente , le portrait étoit tombe entte les mains du nain-vert, la princelfe n en étoit pas moins en süreté. Je l'ai vue s'envoler, ajoura-t-ü. Elle enrraïnoit le fil qui hoit fes pieds. La fée Rayonante veut éptouvet votre patience , & rien de plus. Reprenez courage; ne défefperons de rien-, les chofes peuvent tourner différemment. 11 ne faut pas fe lailfer abattre tandis qu'on a un fouffle de vie. Les autres princes & chevahers ont eu des peines telles que les vóttes, & même qui les furpalfenr. Que n'a pas fouffert 1'oifeau bleu jufqu'a ce qu'il fe foit débarralfe de la laide Truirone, & qu'il foit devenu poflefleur de fa chère florine ? Que n'en a-t-il pas coute au prince Hekerik pour devenir 1'époux de Brillantine , que le magicien noir avoit métamorphofée en fauterelle , quoiqu'elle fut la meilleure de toutes les princeifes? Vous n'avez pas encore été renfermé dans un cachot; on ne vous a pas rerenu , comme le frère de la princelfe Rofetre , dans un cloaque rempli de crapauds & de lézards. Vous n'avez pas été méramorphofé en infefte comme le prince de Hile-heureufe. Vous n'avez pas encore elfuyé le danger d'èrre mangé par des popances. Réfléchilfez un peu, monfieur, & vous verrez que j'ai autanc Qiv  M8 Don Siiviq de ïajet de me plaindre que vous. Je ne fais pourquoi , étant auffi-bien que vous Van des favoris de la fée Rayonante, j'ai r,ecu cei;t fois plus de coups que vous. Je crois que la princefte qui m'en dédommagera eft encore a nairre. Vous, monfieur, vous recevez des coups, & vous en favez la raifon; mais perfonne ne me donne une définition raifonnable de ceux que j'elTuie, Pauvre Pédrillo! lelie eft ra deftinée. Je me foumets a tout , pourvu que je vous voie content. Je refterai a vorre fervice jufqu'a ce que la dernière de mes cotes foit fracalfée. Cette repréfentation dictée par Ie bon cceur de Pédrillo , eut fon effer. La certitude que la princelfe vivoit encore & jouiffoit de (a. liberté, ranima l.'efpéranee de notre héros. 1.1 reprit fes efprirs & rémoigna a, fon yalet combien il étoit fenfible a fon affeéHpn. II lui. jura qu'aufti - tot que fes voeux feroient combjés , il le récompenferoit libéralement de tous les maux qu'il auroit foufferts pour lui. Les circonftances préfentes, ne faifoient envifager que dans un, grand loi.n,tain raccompliffcmeni; de tout.es ces proraelfes. Pédrillo n'en fut pas rnoins, touché. II auroit volontiers oublié tous les. coups de baton qu'il avoit recu,s, ft da yivacité des douleurs eut ag* ay^c moifli? de force, Ilrappela tout fon,. courage  DE RoSAtvA^ 249 pour égayer fon maitre. Quand ils eurent trouvé une place a 1'ombre, ils s'y arrêtèrem afin de fe remettre des vives ftcouffes qu'ils venoient d'éprouver. Les regrets qu'avoit don Silvio d'avoir perdu le portrait de fa maitrelfe, lui faifoient publier fes autres malheurs. A chaque inftant U renouveloit fes plaintes fur 1'objet qui lui étoit le plus a cceur. Ses foupirs augmentoient a me^ fure que fes larmes fe tatilfoient. Certe anxiété dura jufqu'a ce que 1'exemple de Pédrillo & fon appétit, 1'invitèrent a goüter des provifions qui reftoient dans le havrefac. Dans de li triftes conjonótures, une boureille de Malaga parut fort a propos. Ce jus divin excira la gaieté du pauvre Pédrillo, qui envifageoit avec inquiétude la triftefïe de fon maitre. Seigneur don Silvio j dit-il, c'eft dans le malheur que fe montre une belle ame : c'eft alors qu'il faut favoir fe réfigner. Il n'y a aucun mérite a paroitre joyeux & conrent quand tout va felo» nos defirs. Courage! monfieur. Un lache ne mérita jamais de poneder une jcuie femme. La fortune roule comme une boule j elle va tantót a 1'un & tantót a 1'autre. Ce jour étoit le jour de la tempête j nous avons éré roués de coups. Demain nous aurons un ciel fereiii, nous boirons, nous nous égaierons. Ainfi va le monde. Le tems amène la fin des revers,, quand onpeut le  ito Don Silvio voir coiiler fans murmurer. Le même champ produit les rofes & le chardon. On parie fi longtems de la fête du village qu'elle arrivé enfin. Nous nous ennetenons fi fouvent du moment oü nous polTcderons notre chère princefle, que nous en ferons sürement un jour paifibles pofTeffeurs. Je goüre une partie du plaifir que vous aurez lorfque vous verrez votre charmante mairreffë , non plus fous la forme d'un papillon, fous 1'enveloppe d'un vil infecle , mais dans route fa grandeur, comme une vraie princeffe. Sa tête fera eouverte d'une riche eouronne d'or, & fon corps fera vêtu d'une robe tramante, parfemee de perles & de rubis qui lui donneront plus d'eclatque n'en répand le foleil lorfqu'il nous paroit au milieu de fa courfe. Vive 1'efpérance! C'eft alors qu'on goütera des plaifirs. Les environs de fon palais feronr couverts de joueurs de violons. Tous les jours feront des jours de fêre; on ne fera occupé qu'a danfer, a faurer, a boire , a manger & a jouer. On fe divertira tant que les Franfreluches Sc les Caraboifes en mourront de dépit. De la gaicté! Point de mélancolie, vous dis-je. Par la fimbleu 1 Quand nous aurons la princelfe elle-même, que nous importera fon portrait! Si j'étois a votre place, voila comme je penferois. Je pourrois vous certifïer que le Nainvert na pas plus votre portrait que je pourrois  D-E RoSALVA. 151 .vous jurer qu'il ne trouvera jamais a curer les dents d'une pucelleoótogénaire. Votre prérendue nymphe n'étoit qu'une bergère, qu'une fimple payfanne. Si vous ne voulez pas m'en croire, nous pouvons nous informer. Le village n'eft: peut-êrre qu'a une lieue d'ici. Allons-y dès ce foir. Nous heurterons de porte en porte , jufqu'a. ce que nous 1'ayons trouvée: & alors il faudra qu'elle nous rende notre portrair, ou il n'y aura pas de juftice dans le pays. Si les chofes étoient relles que ru me les raconres , d'oü pourroit venir 1'étrange rapport qu'il y a entre 1'aventurequi vient de nous arriver, & le rève que je fis hier au matin ? Vocre rève, monfieur , efl: encore aufli préfeiK a. ma mémoire que fi je l'eulfe fait moi-même. Je n'y vois rien qui fe rappone a la fcène qui vienr de fe palfer. Oü eft la fylphide qui vous eft apparue? Oü eft le char formé de douze éméraudes & attelé de fix oifeaux du paradis, fur lequel vous avez été tranfporté dans un palais enchanté? Les circonftances qui font les principales, ne fe trouvent point dans norre aventure. Vous avez vu en fonge que le papillon éroir attaché avec un fil d'or au bras de la nymphe, & nous venons d'être témoins que le fil qui lioit le papilIon, étoit un gros brin de chanvre que la payfanne deftinoit a raccornaioder fes corillons. Le  i %$i Don Sitvio teint de votre nymphe étoit blanc comme Pal-s batre, & notre bergère étoit noire comme une égyprienne. J'ai ouï dire toute ma vie que le vifage des nymphes étoit formé de lys & de rofes. Quelle qu'elle fou, je fuis fur que ce n'eft pas en rêve que j'ai recu cent coups de baton. Mais qu'y faire ? la chofe eft paffee : il faut fe taire. A la fanré de la princeffe. J'efpère qu'elle aura affez de reconnoiffance pour nous tenir compte en tems & lieu de tout ce que nous avóns fouffect pour elle, CHAPITRE tl h Situation critique. N o t r e héros, qui ne pouvoit plus foutenir le babil de fon valet, prétexta, pour le faire taire, qu'il avoit envie de dormir quelques heures. jufqu'a ce que le fort de la chaleur fut paffé. 11 attrapa fi bien le ton de ronfler natureliementj. que Pédrillo s'endormit tout de bon. Le chevalier avoit 1'efprit trop agité pour goüter un inftant de repos. Mille idéés différentes agitoient fon cceur & fon efprit. II commenca a foupconner que tout ce qui favoit occupé julqu!a  t)Ê RosAIVA." 153 ee moment, n'étoit que chimère... Mais difoitil, fi 1'apparitiön que j'ai cru avoir de la fée Rayonante, étoit feulement 1'effet d'une imagination frappée? Je ferois bien fou ; plus il réfléchilfoit, plus il croyoit s'être nourri de futilités. II ne trouvoir pas vraifemblable que Ia fée Rayonante eüt aflez de mauvaife foi pour le livrer a la difcrétion de quelques vils payfans, après lui avoir promis fa haute protecfion. Ces doutes le jetèrent dans une frayeurinexprimable, &mirenc. tant de défordre dans fa tête, qu'il fut fut le point de perdre le refte de bon fens que les fées &c les féeries lui avoient lailfé. La réalité du porttait qu'il avoit pofledé étoit 1'unique foutien de fon cceur & le fondement de fes efpérances. Si tout ce que j'ai vu n'eft qu'illufion, s'écriat-il, je fuis enrièrement convaincu, e» adorable. inconnue, que 1'amour que j'ai pour toi n'eft pas une chimère. Que ce foit une fée qui ait placé ton portrair dans mon chemin, ou que je 1'y aie trouvé par hafard; que ru fois princelfe ou fimple villageoife; que tu me fois deftinée ou que tu doive combler les voeux d'un mortel plus heureux que moi, rien ne pourra arracher de mon cceur ton image chérie. Tu me parois plus belle que toutes les nymphes. Qui pourroit m'attacher au monde, fi fon plus bel ornement eft perdu pous  *54 D O' N 'S I '1 V I Ö': mói! Sans toi, ma vie ne feroit qu'un tiffu de' malheurs : je ne puis goürer de plaifirs qu'a t'adorer. Ces réflexions qui patoilfent peut-être infenfées au le&eur, produifirent fur notre héros ün effer merveilleux. II s'aifoupit fans s'en appercevoir : c'eft ce qui pouvoit lui arriver de plas heu-? reux dans la liruation oü il étoir alors. Don Silvio rrouva deux avantages dans fon fommeil. II oubliafes malheurs & jouit du plaifir de faire un rêve agréable. Sa chère princelfe fe préfenra a lui fous fa forme naturelle. Elle étoit parée comme une divinité. Un nuage couleur de rofe lui fervoit de liège. Elle s'entretint pendant quelque tems avec le chevaliet: elle ranima fon courage, & 1'invira a braver généreufement tóus les obftacles que fufciteroient leurs ennemis communs. Elle l'alfura que le rerme de fa mctamorphofe étoit prochain, & que bienrót elle ne lui apparoitroit que fous fa forme naturelle. Cette charmante 'princefle dir X fon amant d'un ren tendre & affechieux, qiv'elle voudroit être mille fois plus a'imable pour le dédofnmager de routes les peines qu'il fe donnoit pout' parvenir a être fon époux. Don Silvio alloit lui rémoi^ner fa 'reconnoiilance en beaux termes lorfqu'elle difparur. ": 1 ' ' ■ -"J - Le reve n'eut-rien de défagréable que cettè  D E R O S A L V A. 255, dernière circonftance. Mais le plaifir d'avoir va fa princelfe, les manières douces & honnètes qu'elle avoic employees pour confoler fon amant le rendirentinfenlible a toure efpèce de chagrin. II oublia le palfé, & forma la réfolution de braver tout ce qui pourroit lui arriver de funefte. II ne delira rien tant que de continuer fon voyage pour arriver peu a peu a 1'époque de fon bonheur. Pédrillo fut éveillé. Dès qu'il eut appris le rêvje qu'avoir fait fon maitre, il paria en ces termes. Par faint Pantaleon : voila qui eft plaifant! Comme nos rcves s'accordent! . . . Vous avez eu l'apparirion de la princeffe, & moi, j'ai eu celle d'une très-jolie fylphide. II m'a femblé Ia rencontrer fous ces rollers oü vous dormiez hier. La dame ou la fée n'y éroit pas. Nous avions tant de chofes a nous dire que j'ai oublié de lui demander fon nom. Ah! comme le tems s'éco-uloit! Le foleil s'eft couché fans que nous nous en foyons appercus. Je me croyois un fylphe. Dans 1'univers entier je ne pourrois vous faire la defcriprion de mon étar. J'étois dans un en- chantement dans une extafe..... dans uir délire... En un mor, je n'avois jamais été dans. une fi agréable pontion. Navois-je pas dit que le fort fe lalferoir de nous perfécurer, qu'il viendroit un tems oü la fortune nous fouriroit. Les: revers que nous avons elTuyés ne font fürement  iyrj DónSilvio pas venüs par hafard. Qui fait ce qui nous attehd: La fée Rayonante veut peut-être réparer fes terts. Je vous allure, monfieur, que fi le Nain-vert tombe entre mes mains, centime je 1'efpère , les coups de batons que nous avons recus j lui feront rendus avec ufure^ CHAPITRE IV* Les prédicliorts de Pédrillo commeneeni a syaccomphr. A. f r e s avoir marché quëlqite terns j noS voyageuts eritrèrent dalis un bois de charatgniers.A mefure qu'ils avancoient, ils croyoient être dans un pare. On voyoit de diftance en diftauee* des cabanes de fen1Usige» j des jets d'eau, des grortes & des débris d'édihces; lis fe trouvèrent, peu a peu, dans un labyrinthe formé de rdfiers j de myrthes & de chevrefeuilles; Lafpect de tout cela étoit fi agréable qüe nos voyagsurs fe crurent aux environs de quelque palais de fées, & par conféquent a la veille d'éprouver quelque chofe de fingulien Pédrillo s'écriöit fouvent* n'avois-je pas dit, n'avois-je pas dit que Rayö-i. nante fe comporteroit a 1'avenir avec plus d'hon-- nêteté?  DE RoSALVA? 'z^j nèteté. Voyez, monfieur, fi nous n'aurions pas eu rort de nous jeter dans 1'eau pour combler les vcèux de nos ennemis. Heureux! fi nous n'y euflions été changés qu'en crocodiles ou en cochons de mer. Au lieu que nous avons Pefpérance depafler la nuit dans un chateau de criftal ou de diamans, oü nous ferons couchés fur des matelaS de foie, & fetvis par des fylphides couvertes de pierredes. En difant ces mots, il arrivèrent dans une allee d'orangers au bout de laquelle s'élevoir un fuperbe corps de logis. Les croifées des balcons étoient entr'ouverres, & lailïbient voir une partie des ornemens intérieurs^de quelques falies magnifiquement meublées. Le foleii^lardoit fes rayons fur les glacés, & la reverbération formoit un éclat dont les yeux de Pédrillo furent éblouis. Ma'.gré la joie qu'il relfenroit d'approcher un fi belle édifice, il ne pouvoit furmonrer une certaine crainte intérieure. Tout ce que je vois, fe difoit-il, n'a-t-il point été opéré par magie? A mefure que nos voyageurs s'approchoient du pavillon , les battemens de cceur de Pédrillo redoubïoient. Don Silvio que rien n'intimidoit, douta quelques momens de ce qu'il devoit fiire. Ses ennemis lui avoient déja tendu tant de picges Tome XXXFL R  258 DonSiivio qu'il craignit que routes ces pompeufes apparences ne fulfent de nouveaux efTais de rhéchanceté, & qu'on ne lui refervat des cataftrophes encore plus funeftes que celles qu'il avoir éprouvées jufqu'alors. Cependant les promelfes que fa chère princelfe venoit de lui faire , calmèrent «n peu fes inquiètudes. II avoit jeté quelques coups d'ceil fur une falie oü il n'avoit pu appercevoir aucune autre efpèce d'êtres vivans que quelques perroquets quifepromenoienr fur les baguettesdoréesqui encadroient les tapifferies. Après quelques réflexions il réfolut d'y entrer & d'attendre patiemment 1'ilfue de fa découverre. Quel fut fon étonnement lorfqu'en metrant le pied dans cette falie dont la richeffe des ameublemens fembloit annoncer la demeure de la plus grande des fées, il vit une quanticé de chats de toutes les couleurs, dont une partie éroit étendue fut des coufïins de brocard dor! Ces animaux prencient leurs commodités comme s'ils eulfent été les maïtres de ce fuperbe édifict; & de tout ce qui y éroit conrenu. Les tros fe promenoient tranquillement entre des vafes de porcelaine remplis de fleurs, & pafloient avec adrelfe fur les pagodes qui ornoient la cheminée , les autres paroufoient emprelfés autour d'une belle  B E R O S A L V Al 2$$ chatte blanche qui avoit au cou un doublé rang de perles. Elle étoit nonchalamment couchée fut! un fopha couleur de rofe, brodé en argenr, Quelqu un plus habile que don Silvio fe feroit alors rappeléle conté de lachatfe blanche. Notre chevalier ne fut pas plurót entre dans la falie que les chars lui firent entendre , par leurs miaulemens , qu'il étoit le bien-venu, Jl crut être dans ' le même palais oü un certain prince dont 1'hiftoire ne rapporte pas le nom , avoit paffe trois ans duns la fociété d'un très-favante, rrès-tendre, trés-belle & trés vertueufe chatte blanche qui 4 après un certain tems, devint la plus belle princeffe du monde. Nous ne dirons point quelle étoit la joie de don Silvio. Il fe nattoit d'avoir une réception felle qu'il la mérirdit Ses efpérances étoient fondées fur ce qu'il favoit du bon ccêur & de Ia générofité de la chatte blanche. Cela fuffifoif pour lui perfuader qu'elle prendroit part a tout ce qui fe regardoit, Le clievalief s'approchoit du fopha fur lequel Ja chatte blanche fe repofoit dans 1'inrention de lui parler avec rout le refpeét dü ï une charta d'une fi grande rtaiffance & douée de tantde belles qualités, lörfqu'une porte s'étant tout a coup ouverre, laifïa voir, au grand étonnement de Pédrillo, la petite fylphide qu'il avoit rencontrée Rij  4&> Don Sitviö dans le bois, le jout: précédent. Si cette apparition imprévue jeca l'étonnement dans 1'efprit de Pédrillo, il faut convenir que la jeune fylphide ne fut pas moins furprife de revoir ce valet. Elle eut a peine jeté un coup d'eeil fur nos voyageurs qu'elle ferma la porte avec précipirarion, & s'enfuit en jetant les hauts cris, comme fi elle eut rencontré des fant6m.es. Don Silvio ne favoit que penfer de cette manière fingulière de paroirre & de difparoitre au méme inftant; mais Pédrillo le tira fur le champ d'embarras. Nous y voila, s'écria ce dernier. Notre rève eft accompli. Je vous en félicite, monfieur. N'ayez aucune inquiétude, Elle ne s'eft énfuie fi vite que pour inftruire la fée de notre arrivée. De qui parles-tu donc, lui demanda Silvio, a voix bafte. Je parie de la fylphide qui vient d'entt'ouvrir la porte. C'eft précifément celle que je furpris hier a vous conrempler, tandis que vous dormiez. C'eft encore elle que j'ai vue ce matin en fonge. Pédrillo! je m'abufe , ou nous fommes dans le palais de la chatte blanche. Cette chatte eft en même tems une gtande princelfe & une bonne fée. Si la fylphide que tu viens de voir eft employee dans ce chateau, il y a apparence quel^  se Rosalva; i£r fée que tu vis hier avec elle j. étoit la chatteblanche elle-roême. Vous vous trompez,.monfieur. Ne crpyezpas. que cette chatte q.ue vous. voyez. couchée fur ce canapé, foit la fée Ne parie pas fi haut. Et fouviens-toi qu'on ne peut avoir trop de circonfpeótion lorfqu'on fe trouvé dans des endroits qu'on ne eonnoit pas. Don Silvio ïvavoit pas fini de parler , que fon valet fit un grand cri en fe débattant. Un des perroquers de la falie, auquel apparemment la phyfionomie de Pédrillo étoit inconnue, ou par des raifons qu'on n'a jamais découvertes, lanca en palfant un coup de griffe fur la jóue de ce valet. Nos voyageurs qui n'avoient pas vu l'animal, conjeóturèrenr, après un moment de réflexion, que le coup avoit été donné par un ma— gicien ou quelqu'ètre invifible. Re9ois ce. petit fouffiet comme une correction qu'on ta voulu donner. Apprends a modérer ton ca'quet. Cette main invifible a eu. intention dete rendre fervice» Voila- une étrange manière d'obliger les gens.". Si c'eft une main qui m'a frappé, il y. a apparence qu'elle. ne s'eft pas coupée les ongles depuis fept ans. Si pour chaque. mot qu'on dit ici on recoit une cicatrice, il faut que je me réierve a faire R ii)  %6i Don Silvio coudre ma bouche ou a avoir le grand & le peilt alphabet imprimés fur ma figure. Tu ferois trés-bien de mettre de la modération dans tes difcours. Si ru re conduis ici avec ton imprudence ordinaire , je ne te réponds pas qu'il ne t'arrive des cataftrophes encore plus défa» gréables. Cela fuffit, monfieur, puifque vous le trouvez bon , je jouerai le role d'un muet, d'un muet parfait ... Mais... Hem,., Qu'as tu donc ? Attendez ... J'entends quelqu'un... Eh ? Ne J'avois-je pas dit ?,. Oui, ma foi.. La fée, la fée §Ue-même... • CH AP I T R E V. Apparition de la fée. II eft dangereux de rencontrer quelqu'un qui rejfemble a fa. maürejfe. Jl y aune demi-heure que nous cherchons des exprelïïons alfez fortes pour rendre au naturel Pérat d un homme que le plus haut degré de furprife a frappé. Malheureufement tous le termes qui nous vic-nnent ont été mille fois em-  DE RoSAtVA. 26 J ployés depuis qüHomère écrivoit fonlliade; Sc il n'y en a aucun qui puilfe rendre ce que nous fentons. Pour donner une idéé de ce que nous cprouvons, nous fommes obligés de faire quelques lourdes comparaifons. Nous dirons donc qu'un jeune homme qui, par imprudence, auroit mis fa main dans le trou d'une caverne oü elle auroit été emportée par un coup de foudre, ou qu'un jeune marié qui, le lendemam de fes noces, trouveroit a. fes cötés un monftre., au lieu de fa jeune & belle époufe, feroit moins éronné que le fur don Silvio , lorfqu'il appercut dans ce palais enchanté 1'image de fa belle princeffe qu'il croyoit encore papillon. II ne pouvoir concevoir pourquoi il y avoit une reffemblance fi frappante entre fon amante & la fée. Dona Félicia: (nous ne tairons pas plus longtems que c.'étoit la prétendü fée que notre héros voyoit a Lirias) avoit eu foin de fe parer a fon avanrage. Son ajuftement, en développant fes charmes , lui donnoir un air li fingulier, que (i elle avoit eu une baguette d'ébène , une perfonne de fang froid 1'auroitprife pour la fée Lumineufe. Elle étoit a fa roilette lorfqüe Laure vint lui annoncer que don Silvio étoit venu a Lirias , fans qu'on fut comment; Sc qu'il étoit entré dans Vun des appartemens. Dona Félicia crut ne pouvoir trop imiter dans fa manière de fe mettre l'air Riv  '*0'4 Don Silvio enchanté qui règne cliez les fées, pour hater 1'im^ preffion qu'elle vouloir faire fur le cceur du chevalier, i Elle faborda avec beaucoup de noblelfe & d'honnêreté, quoiqu'elleeut ï peine alfez de force pour cacher le trouble qui s'élevoit dans fon cceur. Elle fe félicira hautement fur le hafard qui avoit condtiir dans fon chateau un jeune cavalier donc tout 1'extérieur annoncoit beaucoup d'éducation. Elle lui fit entendre que fon frère, qu'elle atrendoit de moment en moment feroit enchanté de faire connoillance avec lui. Si don Silvio n'avoit eu a combattre que 1'étonnement oü il étoit de trouver tant de reffemblance entre la fée & fa princeffe, il 1'auroir peut-être vaincu; mais la nature qui jamais ne perd fes droits, lui joua un tour dont il ne put fe tirer. Le trop crédule Silvio avoit pris pour de 1'amour & les imprefïïons que le portrait avoit faites fur lui, & les defirs qu'il lui avoit infpirés. II fe tiompoit. Tous les mouvemens qu'il avoit éprouvés n'étoient que les foibles préfages de 1'amour que 1'original devoit lui faire nairre. La première rencontre de leurs yeux fembla être le moment oü leurs ames s'unirent pour jamais. La puiffance de cette uuion fympathique s'empara de toute 1'exiftence de notre héros. Ses premiers projets parurent s'évanouïr. II crut    de Rosalva. 2?5 prendre une nouvelle vie. En un mot, ii étoit fi hors de lui-même, qu'il ne put repondre que par des monofyllabes aux politelfes de la prétendue fée. t Dona Félicia auroit éprouvé bien moïns de fatisfaóHon, fi don Silvio eut étudié les complimens qu'il lui faifoit. Ce qui fe palfoit dans fon cceur fuppléoit a ce qui manquoit d'énergie dans les repliques de notre héros. Paree qu'elle étoit femme & qu'elle avoit beaucoup d'empire fur elle-même il ne lui en cofira prefque rien pour diffimuler. Elle eutl'adrelfe de cacher fon trouble, & 1'attention de donner a don Silvio Ie tems de' fe remettrede fon agitation. Après avoir avancé un fauteuil pour le chevalier, elle s'aflit fur le canapé, mit la petite chatte fur fes genoux, 8c paria de la récréation que lui donnoient lesanimaux qui étoient dans 1'appartemenr. Convenez, monfieur, que le premier afpeèt des courtifans de mimi vous a fait penfer que vous entnez dans le palais de lacharte blanche? Belle fée, on ne fauroit être trompé plus avan- rageufemenr, répondit Silvio puiffiez vous penétrer les replis de mon ame & y lire, ce que j> n'aurai, ni la forces ni la témérité de vous exprimer. ; D°na Félicia ne pas a propos de répondre * cette tendre & refpecfueufe déclaration. Elle  i66 Don Silvio aima mieux parlerde la facon de vivre & des belles qualités de la petite chatte blanche. Quelque pucrile que fut eet entretien, il paroiftoit très-important a don Silvio qui écoutoit avec la plus grande attention tout ce que proféroit cette bouche de rofe. Chaque regard de la jeune veuve, les mouvemens qu'elle faifoir, toutes les paroles. qu'elle proféroit augmentoient le ravilfement dans lequel il paroifloir énre plongé. Son imagination ne pouvoit lui repréfenter rien de plus parfait que 1'objet qui étoit fous fes yeux. Il fut privé dans un feu! inftant du pouvoir de fixerfon cceur fur le papillon. Tous I js fantómes qui occupoienr fon imagination, avant fon entree dans le chateau de Lirias, fe diffipèrent. II ne fe rappelloit plus fa f tuation palfée que comme un fonge dont 1'illufion finit avec le fommeil. II oublia 1'infeóte qu'il avoit aimé, & tout ce qu'il avoit dit, penfé, crainr & efpéré quelques heures auparavant. Tandis que la belle dona félicia fut préfente, il ne vit qu'elle. Don Silvio pouvoir fe plaire dans cette fituation; mais la jeune veuve commencoit a. ctre embarralfée. Le fujet de leur entretien étoit épuifé. Les perroquets defcendirent fur le perron, & fe mêlèrent heureufement de la converfation qui, fans eux, eut été languiffaute.  de R o s a l V a. %6-f CHAPITRE VI. Retour de don Eugenio. ï)ona FÉticiA parloit de fon frère & de Tinquiétude qu'elle commencoit a avoir de ne le pas voir revenir , lorfqu'on ouvrit la porre qui éroit au fond de la fale. Don Eugenio de Lirias, la belle Hiacinte, & don Gabriel, entrèrenr. La jeune veuve Cöuriit au devant de fon frère, en faifant une exclamation qui peignoir le plaifir qu'elle avoir de le revoir. Elle fe tourna enfuite du cóté de don Silvio pour lui préfenter don Eugenio. Notre héros fut enchanté d'apprendre que ce jeune feigneur étoit le frère de fon adorable fée. Certe rencontre imprévue fut trés - agréable de part & d'autre. Après que don Eugenio eut préfenté a fafceur la belle Hiacinte, il témoigna a notre héros le plaifir quil avoir de le revoir"... Vous ne favez peut-etre pas encore, dir-il a fa fceur V' tdvB? ce que nous devons a ce jeune chevalier? Vous apprendrez bientoc ce qui concerne certe hiftoire qui ne cicit plus être un myftère pour vous. Je ine c'ontenrerai de vous dire en ce moment, que vous' vovez dans la per-.  z6§ Don S i z v i o- fonne de eet aimable inconnu , quelqu'un qut a eu le courage & la générolïté d'expofer fa vie pour fauver celle de vorre frère. Vous devez ajouter, reprit notre héros , que votre valeur & celle de votre ami a prévenu la générolité dont vous parlez, & en a rendu les effets inutiles. Si j'avois prévu tout ce que j'ai appris dans ce moment fortuné, & que j'eulfe eu mille vies, je les aurois facrifiées pour fauver la votre. Don Eugenio auroit répondu a un compliment fi flatteur, s'il n'eüt été curieux d'obferver quelle imprelfion faifoit fur fa fceur 1'afpeét de la belle Hiacinte. Dona Félicia s'occupoit depuis une demi-heure de la manière dont elle s'y prendroit pour faire agréer a fon frère le penchant qu'elle avoit pour don Silvio. Après quelques réflexions, elle drelfa le plan de fa confidence. 11 étoit ingénieux : 1'amour l'avoit di&é. Elle fut tranfpqrrée de. joie ,' lorfqu'elle apprit combien norre cheyalier s'éroit acquis de droit fur 1'efprit de don Eugenio. Silvio avoit été le libérateur d'un jffère qu'elle aimoit tendrement. C'en étoit alfez pour juftifier fon affedion; elle efpéroit encore rirer avanrage des myftères qu'on avoit promis de lui révéler au fujet de la belle Hiacinte. Dona Félicia fe flattoit d'obtenir fans peine le confentement d'Eu-  de RoSALVA: l6j genio , paree qu'elle préfumoit que eélui-ci feroit bien aife d'avoir fon agrément , fnppofé qu'il eut quelque vue fur la belle inconnue qu'on lui avoit préfentée. Dès qu'elle s'appercur de 1'amour de fon frère , elle ne celfa de louer Hiacinte. Eugenio en fut fi flatté, qu'il ne put attendre fans imparience le moment oü il devoit répandre dans le fein de fa fceur , les myftères qu'il fe propofoit de lui communiquer. II eft inoüi qu'il ait regné dans une fociété autant de fympathie que dans celle-ci, quoique ceux qui la compofoient ne fe connulfent pour ainfi dire qu'indire&ement, & qu'ils fulfent tous liés par des intérêrs différens : 1'amour agit avec tant d'hatmonie , qu'il produifir dans un feul moment, cette confiance mutuelle qui ne s'acquiert ordinairement qu'après des années de peines, de foins & d'alïiduiré. Don Gabriel prenoit parr a Ia fatisfaétion commune , fans aucun intérêt perfonnel. Le calme qui regnoit dans fon ame lui permertoit de contempler les autres , avec le difcernement d'un fage & la bonté d'un ami. Tout ce qu'il voyoit lui patoilfoit énigmatique , mais il fe promettoit d'êrre furpris agréablement, lorfque les myftères fe développeroient. Quand chacun fut remis de fon trouble & de fa furprife, on prit place. Deux petits nègres.  Jtyo Don S i l v i © richemerst vêtus, portèrent des rafraichilfemeris. Don Gabriel, rfes-aniufant dan? la fociété , avoit foin de foutenir la converfation par le récit de toute forte de jolies hiftoires. Quand il en étoit tems, il avoit 1'attention de faire un tour de jardin pour ménager des tête-a-tète aux amans. Don Eugenio fe prévenoit de plus en plus pour notre héros. Celui-ci prononcoit a chaque inftant Ie nom de féerie. Le maicre du chateau lui fit les plus viyes inftances pour fengager a denieurer quelque Pems 1 Lirias. 11 lui fit entendre, de Ia manière ia plus obligeanre , qu'il feroit enchanré de fe lier étroiremenr avec une perfonne dont 1'époque de la connoilfance avoit quelque chofe de fingnlier. Silvio accepra fes offres avec joie, & fe conforma a la faeon d'agit de rous les héros des con* tes des fées, qui ne rerusèrent jamais de s'arrêcer dans un palais enchanté. Dona Félicia fe retira avec Ia belle Hiacinte, .& don Eugenio conduifit fon convive dans un appartement fuperbe qu'il le pria d'occuper pen-' dant le féjour qu'il vouloit faire a Lirias. 11 fe retira & laiifa notre chevalier en liberté jufqu'au fouper. Don Eugenio attendoit avec imparience que mademoifelle Laure vint lui dire que dona Félicia étoit feule dans fon cabinet.  BE ROSALVA. 271 CHAPITRE VIL Rcciprocité. Aristote a remarqué qu'une des pofitions les plus défagréables de la vie, eft celle oü fe trouve un amoureux qui doit mettre un trees dans faconlidence, & lui découvrit fon penchant. Dona Félicia & don Eugenio fon frère , fe rrotivèrenr dans cette fituation critique. Ils auroient eu l'un & 1'aurre bien des obftacles a furmontër, fi les circonftances eulfent éré différentes. On fe feroit débattu fur certe maxime : Si tu étois dans ma place, tu penferois comme moi. Mais la douceur de leur caractère bannit tous les obftacles qu'ils auroient pu fe fufciter l'un & 1'antre. Dona Félicia n'avoit nas abfok-.ment befoin du confentement de fon frère pour époufer don Silvio ; Sc elle pouvoit obietter a don Eugenio que fon amour étoit déplacé, paree que celle a qui il donnoit fon aftection, n'avoit ni naiifance, ni titre , ni fortune, & peut-ètre, ni bonnes qualités : il l'avoit connue lorfqu'elle éroit comédienne. — Je conviens de tour ce que vous me dites,auroir fans doure répondu don Eugenio. Tous mes ajga, & ie monde ehtiet, pcuveofi  17?- Dón Silvio me faire les mêmes objecVions : & ils ne me repéteront jamais que ce que ma raifon m'a dit mille fois. Tout infenfé quë je paroilfe a. vos yeux, je ne le fuis pas au point de croire qu'ils ont tort. Mais que peuvent toutes les repréfentations contte la voix de mon cceur, contre un penchant dont je ne fuis ni peux fouhaiter d'être le maitre ? La moitié de ces raifons, feroit de trop pour arrêrer un fentiment d'habitude ; mais 1'em- pire de la fympathie, ma chère fceur . il faut 1'éprouver pour fentir fa puilfance. Dona Félicia auroit trouvé ce raifonnement très-peu plaufible, fi. elle neut connu par expérience , cette même fympathie que fon frère auroit employée pour juftifier une démarche que les faux délicars appelient étourderie ou foiblelfe. Pour 1'avantage de leur rendrelfe , ils fe trouvèrent l'un & 1'autre dans le même cas. L'affection qu'avoit dona Félicia pour Silvio , i'inftruifit qu'une fympathie irréliftible régnoit entre fon frère & Hiacinte. Eugenio n'étoit pas alfez injufte pour exiger que fa fceur étouffat des fentimens dont il connoilfoit le pouvoir, Ainfi, ils ne s'occupèrent que du moyen d'applanir les difficultés qui pourroient s'élever, & de remettre 1'efprit de don Silvio dans fon afliette naturelle. Les nouvelles qu'on avoit apprifes du chirur-*' gieu Blas? fur le coinpte de notre héros, firent penfer  SB RoSAtVA. lj$ penfer a. don Eugenio qu'on feroit revenir, fans beaucoup de peine, le jeune homme a lui-même. Ce font les occalïons, dit*il a fa fceur, qui 1'ont conduit a tant d'extravagances. Je crois m'être appercu que vous ne lui êtes pas indifférente. Vous avez a la vérité une rivale ; mais elle n'eft pas dangereufe : elle n'eft que papillon. V»us n'aurez pas a. lui difputer long-tems la viétoire. Ce n'eft pas qu'il faille d'abord heurter de fronc les chimères du jeune homme. II eft queftion de gagner fa confiance : la nature & 1'amour feront le refte. La ferifibiliré s'emparera peu a peu de fon ame, & en bannira les préjugés dont elle eft actuelle ment nourrie. Dona Félicia trouva le raifonnement de fon frère très-jufte. Elle avoit rracé le même plan pour ramener fon amant a lui-même. Après avoir témoigné fa reconnoiffance i don Eugenio , elle fit 1'éloge de Hiacinte, & dit, avec le ton de candeur & d'honnêteté qui lui étoit ordinaire, qu'il n'étoit pas poffible que cette belle inconnue fut d'une naiffance obfcure. Eugenio n'eut garde de la contredire. Quand ils furent convenus de confier a Hiacinte & a don Gabriel une partie de leurs fecrers, ils fe féparèrent, enchantés l'un de 1'autre & allèrenr tenir compagnie a leurs convives en attendant le fouper. Tomc XXXVL S  174 Don S i i v i o CHAPITRE VIII. Qui Vemponera ? Xj'é cl at que repandoient les meubles de la falie a manger, la quantité de bougies qui y étoient allumées, la magnificence dufervice, la faveur des mets, le bon choix & la variété des vins auroient pu caufer de 1'étonnement a don Silvio, s'il ne fe fut pas cru dans le palais des fées. Son cceur &C fon efprit n'étoientoccupés que de la bells Félicia. Elle feule avoit droitde captiver fes regards. Une limple chaumière lui auroit paru aulfi brillante que 1'étoit dansce momentda le chateau de Lirias, lï elle eut été habitée par la veuve. Toute la fociété s'appercut du défordre qui régnoit dans 1'ame de notre héros. Son amour n'échappa a perfonne. Dona Félicia qui ne pouvoit être trop alTurée de fa viétoire, réfolut de ne rien épargner pour faire palfer au chevalier une foirée agréable. On avoit eu foin de placet les muficiens qui devoient donner un concert pendant le fouper, de facon qu'ils ne fulfent pas apper$us. On avoit ordonné aux fymphoniltes de ne jouer que des  i>e Rösalva"ï I7J ■pièces choifies s ce qui fut exécuté a fouhait; Jamais ton ne mangea avec plus d'appétic. Tous les convives furentgais. Chacun fembloit fe difputer 1'a* Vintage de paroitre aimable. Don Silvio qui ne voyoit pas les muficiens, attribuoit aux raleris des fylphides, habitantes ordinaires des palais des fées, la mélodie qui frappoit fon oreille. II parut prendre tant de plaifir a la mufique, que dona Félicia, fir faire bien vite les préparatifs d'un grand concerr. Au fortir de table, on parfa dans une fale de concert oü tout étoit difpofé de facon k faire reflortit avec avantage, les fons de chaque inftrument. On auroit dit que les plus grands artiftes avoient travaillé aux décorations de eet appartement: 1'afpedF des tableux porroit a l'ahie lts plus agréables fenfations. Dès que la compaguié entra, les muficiens commencèrmt Ie concert pat 1'exécution de quelques morceaux d grands effers qu'ils eurent foin de modérer pour en venic infenfiblement a des exprefilons moins bruyantes, mais plus douces & plus fenfibies4 Oh pria dona Félicia de jouer fur ie 'clavecin quelque chofe de fa compoficio». Élk étoit trop honnête pour refufer a fes amis la fatisfaéfcion de 1'apnlaudin Tant de belles qualités extafièrent Silvio. Don Eugenio ne pouvoit voir de fang froid qu'on ne prodJguaê des applaudiffemens qu'a fa fceur. II connoitfoif-  Don Silvio les talens de fon amante. Félicia fat priée par fort frère d'engager la jeune Hiacinte a jouer de concert avec elle. Celle-ci y confentir Quel duo! Chacune tfétoit occupée qua donner de 1'éclat au gout de fa rivale & & faire relfortir fon talent. Don Gabriel que la prévenrion n'aveugloit pas, fut rendre juftice 8 la beauté de leurs voix. Elles employoient tour a tour le vif Sc le touchant, le gai & le pathétique. On jugea avec raifon que Paris eut été embarralfé dans le choix, s'il eut du donner la pomme k lune de ces deux muficiennes. Hiacinte ne pouvoit être furpalfée que par dona Félicia, & celle-ci-ne pouvoit 1'être que par Hiacinte. Les dames eurent tant de complaifances, & les fpeftateurs trouvèrent le tems fi court, que le lever du foleil averrir qu'il étoit tems de fe rerirer. ; " On fe fépara après s'être mutuellement fouhaite un paifible fommeil. Nous ne favons pas fi don Gabriel, qui avoit atteint la cinquantième année de fon age, & qui avoit vécu pendant tout ce tems 11 comme un ftoïcien qui envifage de fang froidle tumulte des paffions orageufes, pa (fa la nuit fans agiration. Mais nous pouvons atteftec que don Silvio ne s'étoit jamais trouvé moins difpofé a dormir. U étoir fi préoccupé de fon enchanremenr, qu'il ne s'apper9ut pas qu'au heit ,de rencontrer dans fon appartement fon hdèle  » E ROSALVA. ^77 Pédrillo , il y trouva deux jeunes valets -dechambre qui s'emprefsèrent a le déshabiller. I! étoit pret a fe mettre au lit, lorfqu'il fe rappela que ce n'étoit pas fon intention. Quand les deux jeunes gens qu'il avoit pris pour des fylphes furent fortis, il reprir fes habits, placa un fauteuil au milieu de la chambre & s'y affit, ayant 1'orienc en perfpective, pour y rêver a fon aife fur tout ce qui avoit fait de fi vives impreiïions fur lui. II croyoit fenrir en refpirant la fenfation d'un air magique. II fortit peu a peu d'une efpèce d'engourdilfement, & quand il fut revenu a luimême , il fe demanda ce qu'il devoit penfet de tout ce qui lui étoit arrivé dans ce palais. II étoit bien perfuadé qu'il n'avoit rien vu qui eut rapport aux rêves qu'il avoit faits & aux apparitions qu'il avoit eues avant d'aborder le chateau de Lirias ; mais quelle idéé devoit-il fe faire de la maitrelfe de cette maifon? Eft-ce une fée , une mottelle, une diviniré 3 ou la princelfe ellemême ? Si je compare fa figure aux traits du portrait qui me font toujouts préfens a 1'efprit, je ne peux m'y tromper .Cependant Comment feroir il polfible Peut être n'eft- elle qu'une parente de ma princelfe; ou, peutêtre eft-elle née fous la même étoile & avec la même conftitution N'a-t-elle point eu des raifons fecrètes pour en prendre la reffemblance..^ c (  3.78 Don Silvio Si je m'érois trompé ? Si une douce erreur m'avoU féduit? Quand on cherche un objet qu'on aime, on croit fouvent le voir ou il n'eft pas.... Après avoir pefé toutes les raifons du pour & du contre , il s'en tint a cette dernière réflexion, qui lui parut la plus fenfée, & qui s'accordoir le mieux avec la foi qu'il avoit jarée a fon amanre. 11 réfolur de 1'admirer dans la perfonne de dona Félicia. Ma princelfe, ajoutoit-il, doit avoir plus de perfeftions que les divinifés, puifque celle qui n'en eft qu'une foible image -réunir toutes les qualités des mortelles les plus accomplies. Malgré la vénérarion qu'il avoit pour fon amanre, il ne piuvoir s'empccher de trouver du plaifir a penfec 3 dona Félicia. II commenca a fe méfier de luimême & des charmes de la belle, quoiqu'il ne crut rien appercevoir dans fon cceur qui altérac fon amour pour la princelfe. II lui venoit nombre d'idées fingulières qu'il approuvoit & rejetoic ïour a tour, Après avoir long-rems réfiéchi fur ce qu'il devoir faire, il crut que le parti le pltis fur étoit de s'éloigner de ce dangereux chateau, dès qu'il le pourroit, fans manquer aux devoirs. 4e 1'honnêteté»  t> E RoSAtVA. 179 CHAPITRE IX. Ce que peut un fage. Il y avoit déja quelques heures que le folei! éroit levé lorfque notre héros fe reffouvint qu'il ne s'étoit pas couché. Elfayer de dormir ayant 1'efprit fi agité , ce feroit inutile. Ainfi, pour donner une plus ample carrière a fon imagination, il defcendit dans le jardin. Nous ne favons pas a. quoi fes réflexions 1'auroient conduit, fi don Grabriel qui éroit accoutumé d'aller tous les matins refpirer la fraicheur, ne 1'eüt rencontré dans une allée. 11 tenoit par hafard un ouvrage de métaphyfique. Ce livre le conduifit a un entretien fur 1'exiftence des êtres invifibles. Don Silvio en taifonna avec chaleur, & donna tout i la fois des preuves d'une imagination fi vive & fi embrouillée que don Gabriel admiroit, en menie tems, fon efprit & fes erreurs. Si don Gabriel eut éré du nombre de ces philofophes opiniatres, qui veulent que tout le monde cède a leur opinion & fe conforme a leut fyftême , Silvio auroit pafte d'un fophifme a 1'autre } mais il étoit doux, honnète & fenfé. Il S iv  aSo Don Sitvi* fut paroitre fe conformer a quelques-unes des erreurs de notte chevalier, pour mériter fa confiance Sc Ie faire renoncer a fes préjugés les plus abfurdës & les plus dangereux. Le Iecteur ne nous fauroit aucun gré, fi nous rappottions ici la converfation des deux perfonnages qu'on vient de nomm»r. Nous dirons feu-i lement que leur entretien roula fur des thèfes de métaphyfique, & qu'elle dura jufqu'au moment oü on fe réunit dans un petit cabinet de verdure, artenant a 1'appartement de dona Félicia, pour y déjeuner au frais. Si don Gabriel ne put pas difliper tout-a coup les chimères du jeune chevalier, il les ébranla vivement. Ceiui-ci promit de fe former un nouveau fyftême qui feroit fondé fur les Iecons qu'il venoit de recevoir, Sc fur les véricés qui Ie frapperoient a 1'avenir,  » e rosalva l8l CHAPITRE X. L'amour l'emporte toujours. D om Silvio s'étoit propofé d'oppofer beaucoup de fermeté a tout ce qui pourroit porter atteinte a fes fentimens pour le papillon bleu Je laurai bien réfifter, difoit il, aux impreffious que pourroit faire fur mon cceur la reifemblance que je crois trouver enrre ma princefle & dona félicia. Certe réfolution lui donna un air fi gêné, quand ilfe préienta devant la belle veuve, qu'elle s'en appergut au premier coup-d'ceil , fuis paroitre cependant y faire beaucoup d'attention. Elle en devina la caufe avec cette précipitation qui eft naturelle a l'amour, & fe flatta que fa préfence difliperoit bientót le nuage qui fembloit envelopper le cceur de don Silvio. Les- moraliftes ont fouvent dit, & répéteront encore long tems, qu'ils ne connoiflent d'autre remède contre l'amour que de fuir aufli vite qu'il eft poflible, lorfque 1'on s'en fent ntnqué, ou que 1'on fe croit sür de 1'êrre. Ce remède eft fans doute excellent; mais on ignore la méthode de  2?i Don Silvio s'en fervir avec fuccès : c'eft ce qu'il auroit fallu décrire. On remarque qu'il n'eft pas dans le pouvoir d'une perfonne enclinée a l'amour, d'en éviter les atteintes. On foutient même, en s'appuyant d'un nombre infini d'aurorités, qu'il n'eft pas poflible qu'un êtte qui a de 1'aptitude a aimer , defire d'avoir des ailes pour en éviter les occafions. 11 eft vrai que don Silvio avoit réfolu de partir de Lirias aufli-tót qu'il le pourroit; mais cette rcfolution n'étoit que conditionnelle. L'amour avoit droit de 1'interpréter. La belle Félicia communiquoit a 1'air dont elle étoit environnée, une efpèce de force attractive qui faifit fi fort notre héros, dès qu'il fe trouva dans le tourbillon , qu'il en éprouva un faififle- ment qui Nous lailfons a nos le&eurs le foin de porter 1'allégorie auifi loin qu'ils le jugeront a propos. Nous ajourerons que cette force magnétique , cpi prend fa fource dans les traits d'une jolie femme, a la vertu de bannir toutes les penfées , les opinions & les fouvenirs qui pourroient s'oppofer a fes effets. Don Silvio fournir dans 1'efpace de quelques minutes , un exemple de cette obfervation. 11 s'étoit propofé de ne pas lever les yeux fur dona Félicia. Après un inftant de réflexion, il crut ne pas pouvoir fe difpenfer de la regarder du coia  t> E R O 5 A l v Al 1?5 de fök Bientót il hafarda un regard en ligne direde. Cet elfai fut fouvent réitéré. Sa timidité s'évanouït, il contempla la veuve a fon aife, & fe livta fans réferve a tout ce que l'afped avoit d'agtéable & de féduifant. II gouta le plaifir d'aimer • oublia toutes les réfolucions qu'il avoit prifes, ne penfa plus a la protedion de la fée Rayonante, & ne crut plus qu'il exiftat un papillon ou une princefle enchantée qui eut quelques droits fur lui. Dona Félicia fe trouvoit a peu prés dans la même fituation. La force magnétrque qui entrainoit don Silvio vers elle, agifloit aufli puiflamment fur la belle que fur notre héros. Si nous devons nous en rapporter a l'opinion de quelques favans qui ont pénétré plus avanr que nous dans les replis de la nature, nous devons ajouter que Ja puiflance attradive agitfoit encore plus fortement fur dona Félicia que fur le chevalier. C'eft ce penchant réciproque qui hara le moment de la eoadunarion de leurs ames- Elles fe confondirent furie dans 1'autre dès le moment que leurs yeux fe rencontrèrent. 11 auroit été aufli difficilc de les démêler, qu'il le feroit de féparerdeux goutres de rofée qui fe trouvent réunies dans le fein d'une rofe prête a s'épanouïr. Pendant que la fociété fut réunie, la converfation ne tarit point. On en vint infenfiblement  1S4 Don Silvio a 1'époque oü don Eugenio & notre héros fe rencontrèrent. On paria de la part qu'avoit la belle Hiacinte a cette connoiffance. Chacun vouloit être inftruit d'un myftère qui intérelfoit, pour ainfi dire, autant les amis que les amans. On pria la jeune inconnue de raconrer rhiftoire de fa vie. Quoique don Silvio dür être infenfible fur tout ce qui n'avoit pas un rapporr immédiat a dona Félicia, il ne put réfifter a la fecrète émorion qui fe fit fentir en lui, lorfqu'on paria des aventures de Hiacinte. Mais fon trouble paroilfoir moins provenir de l'amour, que d'un fentiment de tendrelfe Sc d'amirié. Hiacinte n'avoit aucune raifon pour taire a ceux qui étoient préfens les circonftances de fa vie, quoiqu'elle eut des chofes importantes a leur découvrir. La paflion de don Eugenio, Sc tout ce que ce jeune feigneur avoit fait pour elle, devinrent les principaux événemens de fon hiftoire. Elle céda aux inftances de fon amant; & notte héros écouta fon récit avec d'autant plus d'attention, qu'il ne doutoit pas que les fées n'eulfent beaucoup de part a tout ce qui lui étoit arrivé.  de RosalvaT 28 CHAPITRE XI. Hiftoire de Hiacinte. Il eft vrai , & je fuis trés difpofée a le croire , dit la belle Hiacinte, que moins une femme fait parler d'elle, plus elle mérire d'être eltimée. Mais je ferois bien a plaindre fi cette regie étoit fans reftriétion. Je confens a raconrer les aventures de ma vie dans un age oü la plus grande partie de mon fexe commence a peine a fortir de deffous les ailes d'une mère fage Sc bienfaifante. Je ferois inconfolable, fi j'avois donné lieu a. mon premier elfor. Je réclame votre indulgence en faveur d'une perfonne qui ne connoit que la vérité, & qui vous racontera tout ce qui lui eft atrivé avec cette bonne foi que les perfonnes de mon état facrifient ordinairement a leur amour-propre. Je ne vous parlerai point de mon origine, paree qu'elle m'eft inconnüe. Je ne fais a qui je dois mon exiftence ; mais je me rappelle d'être tombée trés jeune entre les mains d'une bohémienne d'un certain age qui m'a élevée. Je me reflouviens confufément d'avoir habité dans une  z%6 Don Silvio' grande maifon ou j'érois entourée d e femme£ Un petit garcon de ma taille fe récréoit avec moi. Je ne fais s'il étoit mon frère, ou s'il ne venoit dans 1'endroit oü on m'élevolt que pour y jouer avec un autre enfant. Toutes ces circönftances fe retracent fi foiblement a mon efprit , que je n'ofe les donner pour des vérirés. La bohémienne fedifoir ma grand-mère; mais je ne fentois aucun mouvement dans mon cceur qui m'attachat a elle. Cette vieille n'omettoit r;en pour me donner une éducation relative aux; vues qu'elle avoit fur moi. J'avois a peine fepc ans qu'on difoit que je danfois tres - jolimenr les bafques. La naïveré avec laquelle je répondois i toutes les queltions qu'on me faifoit , & 1'adrelfe que je mettois a èxécuter toure forte de jeux, m'attirèrenr la bienveillance des perfonnes' chez lefquelles elle me menoit pour' gagner de 1'argent. Mes premiers fuccès engagèrent ma prétendue grand-mère a ne rien épargner pour développer les talens qu'elle croyoit voir naitre en moi. A lage de douze ans, je jouois de la guirtare &z du théorbe. Je chantois la mufique a; livre ouvert. Je prophérifois 1'aVenir a de certaines perfonnes , en eXaminant le dedails de leurs mains ou du mare de café< Quoique je parulfe n'être occupée que de frivoütés, j'obfervois cependant avec laplus grande  db R O S a i v a! 1S7 atrention tout ce qui fe paflbit aucour de moi* par-tout oü je me trouvois. Un jour que nous alfiftions a une fête de Tolède, oü, de concert avec mes camarades, j'amufois une nombreufe fociété par mon chant & ma danfe, j'appercus dans la compagnie deux meffieurs de bonne mine qui me fixoient avec attenrion. Quel dommage, difoit l'un, qu'elle falfe le métier de bohémienne! Avant qu'elle fe connoifle elle-même, elle fera la vicYime de la fédudYion. Croyez-moi, répondoit 1'autre , elle a plutót la mine de féduire les autres que d'en être féduire. Elle n'en fera que plus a plaindre, répondit le ptemier. La vertu, qui eft précieufe dans tous les états, eft un défaut dans le fien. Ce difcours que j'entendis fans qu'ils s'en appercuflent, fit une grande impreffion fur mon ame. Plus j'avois de peine a en conccyoir lefens, - plus je m'efforcois de le pénétrer. La vieille bohémienne qui n'étoit occupée qu'a donner de 1'éclat a ma gentillelfe, ne fe mettoit guère en peine de me faire connoïtre la vertu. Elle ne la connoidoit pas elle-même. Malgré cela, je n'ignorois pas tous les points de la faine morale. Un certain inftind qui me rendoic attentive a obfetver les mceurs, la conduite de mes camarades Sc les mouvemens de mon propre cceur, me fit diftinguer le bien d'ayec le mal.  i88 Don SilVio Les contes & les romans étoient les feules lburces oü je pufte puifer le goüt des mceurs. Cette légere connoiftance de moi même , & le fouvenir du difcours que les deux meflieurs de Tolède avoient renu fur mon compre , me donnèrent une fecrète horreur de mon état,'& beaucoup de mépris pour ceux qui le fuivoient. Je fuis fans doure bien malheureufe, me dilbis-je, puifque les perfonnes fenfces me trouvent a phindre. Comment ne le ferois je pas, puifque pour un vil falaire, je me donne en fpeétacle aux gens de la lie du peuple, & que je fuis deftinée a fervir de jouer aux perfonnes de toute condition? Ces penfées me rendirenr (i méprifable a. moi-même, que je perdis rout a. fait le goüt de mes occuparioris ordinaires. J'étois précifément occupée de ces fages réflexions, lorfque la vieille me conduifit dans un chateau oü elle- avoit courame d'aller tous les ans. La maitreiTe de cette maifon étoit une veuve d'environ trente ans, qui faifoit fon occupation principale de l'éducation d'une fille fort aimable qui éco;i. .\ pè"Ö prés de fon age. Cette dame parut touchée ue mon extréme jeunelfe, de mon innocence & lu trouble qui obfcurcilfoit mes yeux. Elle me pnt a 1'écart, me fit différentes queltions, Sc me parut très-fatistaite de mes réponfes. Elle me demanda fi je n'avois pas envie de refter avec  be RosAtvA? &S$ kvec elle. Sa férénité, fon air doux & compatif-, fanc me captivèrent. Elle lut ma féponfe dans mes yeux. La joie étoit peinte fur tous les traits de mon vifage. Mon cceur étoit fi ferré par le plaifir, que je ne pus proférer un feul mot pour exprimer ma reconnoilfance. Cette vertueufe femme fit fes propofitions a la bohémienne, 8c n'oublia rien de ce qui pouvoit la décerniiner I confenrir a notre féparation. La vieille avoit des Vues bien différentes Sc fut ihébranlable. Elle dit a la dame que je lui étois fi utile j, qu'elle né pouvoit fe palfer de moi que moyennant une Comme eonfidérable; La fortune de cette dame he répondoit pas a fa généröfité. Elle ne put fatisfaire 1'extrême avidité de la bohémienne. Quand je fus fur le point de quitter la maïrrefTè de cé chateau, mes pleurs inondèrent mon vifage. EHë fut fi touchée delafenfibilité de mon ame, qu'elle fe déterminoit a faire ce qu'on appelle 1'impolïïble poiir me garder. La vieille fit de nouvelles repréfentations; Après avoir fait valoir les droirs de la tendrelfe marernelle qu'elle devoit mtconnoitre* elle allégua d'auttes raifons que je n'ofois eontrêdire. II fallut fe réfoudre a partir. La vieille qüï craignoit d'être poufuivie $ me fit traverfér les plus épailfes forêts & les mohtagnes les plus ef* Carpées. Elle fe reconnoilTbit dans les routes les moins frequenties, tant elle avoit la routine d$ lome XXXVh t  i9o Dok Sitvicf fon état. Nous arrivames pendant la nuit a Sévllle* J'étois inconfolable. Mes larmes couloient nuit SC jour. La bohémienne fut obligée de lailfer un libre cours & ma douleur , avant de me faire envifager nia deftinée fous un point de vue qui, felon elle, devoit êtte fort agréable. Dès norre arrivée a Séville, on changea notre facon de vivre. La vieille loua une alTez jolie maifon dans laquelle elle fit meubler un appartement que joccupai feule. Elle n'oublia rien de ce qui pouvoit contribuera mes plaifus. Jerecevois tous les jouts des préfens en colifichets. On me donna des maitres pour me perfeótionner dans 1'art de la mufique. Un matin s la bohémienne , munie de nouveaux préfens, vint dans ma chambre, Sc me tint ce langage. Ma fille, me dit elle, voici le tems oü j'ofe me promettrederecueillirles fruits des dépenfes que j'ai faites pour vous donner de 1'éducation. Après avoir employé les termes de laflatterie pour élevet mes charmes fort au delfus de ce qüils étoient , elle m'aflura que mafélicité dépendoit de 1'ufage que j'en ferois. Tu vois par moi, ajouta-t-elle , que la vieillelfe Sc la décrépitude font les plus terribles fléaux de la vie. On ne peut tirer avantage que de la jeunefle. Je ne puis re lailfer aucune fortune j mais tes graces Sc tes talens te tiendron*  DE R o 8 ï t v Al 'lest lieu d'une mine d'or, fi toutefois tu én Fais un bon ufage. Ce préambule fut fuivi d'une converfation fur les fenrimens du cceur. Elle croyoit que fes confeils feroient d'autant plus dimpreffion fur moi, que j'étois fans expérience. Elle rappela toute la vivaciré de fon imaginarion pour animer la mienhe. Mon filence lui apprit que fes tentatives ne faifoient aucune imprelïïon fur moi. La bohémienne attribuoir plutót mon indifférence i la timidité qu'a 1'infenfibilité. Elle crut que le tête-a-tête d'un jeune homme feroit plus perfuafif que fes infames lecons. Elle ne tarda pas a me préfenter un petir fat qui palfoit pour l'un des plus aimables cavaliers de Séville.Ce monfieur, me dit ma maratre, brigue de puis long-rems i'avantage de vous connoitre. Vous ferez charmée de vous lier intimement avec lui. Elle prétexta des occupations Sc rtous lailfa feuls. Lë jeune homme débuta par me faire de pompeux complimens qui furent fuivis d'une longue déclaration d'amour. Je n'y répondis pas unfeul mot. Croyant que je ne 1'avois pas comptis, il voulut fe permettre quelques liberrés qui lui attirèrent mon courroux. Je lui dis, d'un ton impofant, qu'il me fembloit qu'il avoit concu bien vite de 1'inclination pour moi, pour une perfonne qu'il ne connoilfoit pas. Votre manière d'aimer, ajoutai-je, ne s'accorde pas avec mes fentimens. Je vous Tij  i9t D o « S i i. v i o déclareque les gens de votre efpèce ne me paroitronr jamais dignes d'avoir des droits fur mon cceur. En difant ces mots, j'allai prendre ma guitare & je chantai quelques vieilles romances. Le jeu dura long-tems, &déplur a mon courtifar» qui , après avoir beaucoup baillé, prit fon chapeau, me fit une profonde révérence & fe retira. Bientot aptès le départ de eet original, je vis entrer la bohémienne dans ma chambre. Elle étoit gaie Avec de telles difpofitions, me dit-elle, je préfume que tu feras mon bonheur. On n'eft pas forcé d'aimer ceux qui ont du penchant pour nous ; au contraire, rien n'eft plus dangereux pour une jeune perfonne qui doit conftruire elle-mème 1'édifice de fon bonheur, qu'une paffion férieufe. Ma chère fille, on ne vous demande que de la complaifance. Vous faites bien de mettre a un haut prix la bienveillance que vous voulez accorder plutot a l'un qua 1'autre. C'eft aftuellement le bon tems; fachez en profiter. Votre quatorzième année fera bientot révolae Elle continua fur le mème ton fans que j'eufle la force de lui répondre. On diroit a vous enrendre parler, interrompisje enfin , après bien des mouvemens d'impatience, que je dois revoir ce jeune homme ? Pourquoi non ? Oui, ma petite amie g  BE R O S A- L V A. tale verras encore Je t'en préfenterai vingc aurres qui te plairont davantage. Au.lieu de répondre.a ce difcours odieux, je verfai un torrent de larmes. Ce n'eft qu'après un quart-d'heure de filence que je lui dis, enfansglortant, que, quoique jö fuffè bien jeune, la mort me répugnaroit moins que les bafTefles.auxquelles elle.vouloit que je me livraffe. Après ces mors elle me quitta brufquement.fans paroitre s'appercevoir que les difcours qu'elle m'a voit tenus , m'avoient pénérrée de honte & de défefpoir. Eperdue, je me jetai fut. une chaifej je levai le$ mains au ciel & le. conjurai de. ne pas m'abandonner. La bonne dame que j'avois. vue au chateau , fe ptéfentoit toujours a mon imaginarion, Elle me reyerra avec plaifir, me drfois-je;~ elle me rece.vra. J'ignorois les moyens de m'évader... Je, ne favois ni le nom de cette dame, ni celui de fa. demente. La bohémienne avoit toujours refufé de me le dire. Elle éviroit même d'en parler en ma préfence.'Je me reffouvins enfin confufémenr que le chateau dónr j'aurois voulu.favoir le nom, éroit fitué a quelques milles de Caiatrava. Je ne dourai pas que , fi j etcis une föis dans cette ville, on ne. mlindiquat la demeute que jé cherchois. Cetre penfée remit un pen de calme dans mon ame ; & jé téfolus d'ex.écutqr mon projët auffi-tót que je Ie pourrois... Tii|  294 Don Silvio H - ii———. . i ii. CHAP1TRE XII. Suite de l'hiftoire d'Hiacinte. X'ai eu lieu de préfumer dans la fuite, que mes compagnes, que je ne voyois prefque plus» s'étoient prètées avec plus de docilité que moi, aux vues de la vieille. On affeétoit depuis quelque tems de me taire tout ce qui fe paiïbit dans la maifon. Je ne voyois que du myftérieux \ je n'entendois que deschuchottemens.Ladéteftable bohémienne leva pourrant le mafque. Les jeunes viétimes s'accommodoient très-bien de leut nouvelle facon de vivre. Elles ne purent me vanter alfez la félicité dont elles jouilfoient. La plus agée avoit porté le défordre au point de me badinet' fut ce qu'elle appeloit ma cruauté, Sc d'infulter a ma continence. J'étois gênée; je jouois le role de la vertu fur le théatre de la débauche. Le moyen de rompre mes chaines ! La vieille ne me quittoit prefque pas. Elle me dit un foir, qu'il falloit que je palfalle une partie de la nuit dans fon appartement; qu'il y auroit bonne compagnie; & que c'étoitun cadeau a me faire que de me procurer des connoifllmcQS  DE R O S A. I■ V A. 195 qui pourroient a 1'avenir m'èrre utiles. Elle paria long-tems : je fis peu d'atrention a ce qu'elle dit, paree que je n'étois occupée que de ma fuite. Jefus bien furprife de voir entrer chez moi fept a. huit jeunes gens qui me faluèrent avec plus de familiarité que s'ils eulTent été mes frères. Comme ma phyfionomie leur éroit inconnue, ils s'affemblèrent autour.de moi , & me fixèrent d'un air effronté..La vieille qui s'appercut de mon trouble, me tira a 1'écartpour me dire que tous ces jeunes meflieurs étoient des perfonnes de qualité, qui lui faifoient 1'honneur de venir quelquefois paffer la foirée chez elle , & qu'ils n'avoient d'autres vues que de s'amufer innocemmeht. Ils veulent fe recréer entr'eux, ajouta-t-elle\ faire un petit: fouper & danfer jufqu'a dix ou onze heures. Ils paient bien. Ma maifon eft une demeure honnête. Perfonne ne trouvera mauvais, que j'y, re^oive bonne compagnie. Je parus croire ce qu'elle venoit de me dire. Je lui répondis par unligne de tête. On fe conduilit jufqu'au fouper avec affez de ménagement. Je crus, pour la première fois, que la vieille n'avoir pas voulu me tromper. Jechantai. On fe mit a table. A mefure que le repas avancoit >. la converfation devenoit deshonnête. Epargnezmoi la honte de faire le récit de cette. horrible fqènej II me feroit impoflible de vous peindiet T 3T  4jèf Don Silvio ma fituation,. Ma rougeur & mon embarras de-? vinrent le fujet de leurs. farcafmes. Quel fut mon effroi, lorfque j'entendis deux de ces élegan.s fe dire j nous furmonterons fa rigueur. Je voulu? fuir , mais on m'arrèta. Je courus vers ia bohémienne , je me jetai a fes genoux & la conjurai d'épargner mon innocence. Elle ne fit que rire de mes allarmes. Va, me dit-elle, jeune étou.rdie, tu ne connois pas le bonheur& tu ne le connoitras de ta vie. Venez, don Fernand, venez confóler cette pauvre enfant..... Ces mots chan-r gerent mon inquiétude en un. défefpoir affreux^ je me précipitai du cóté de la table , & m'emparai, d'un coüteau en m'écriant que je le plongerois. dans nion fein fi quelqu'un avoit la hardielfe de m'approcher. Cette réfolution, donna lieu a mille fades plaifanteries que je n'ai pas le courage de ïépéter. Accablé par la douleur , je me laiflaï toraber fur une chaife. Oh! pour le coup, ditr malignement l'un des fcélerats, voila du tragiquel II faut tirer au fort celui qui domptera ce dragon, furieux. Je n'étois plus a moi. Je me flatrois que 1'ètrange réyolution. que cette fcène opéroit dans tout mon être, hatetoit le moment de ma def-. trucFion. Mes vceux auroient fans doute été comblés, fi l'un des cavaliers qui étoient dans J'appartement, pour lequel tous les autres fenv bloient avoir des égards, neut dit, d'un tpi\  i>E Rosalva!1 497 fermeque je ne méritois pas un pareil traitement. Ces mots produifirenr 1'effet que j'en actendois. La même perfonne fit figne a la vieille de me faire fortir. On me conduifit dans une petire chambre. Je me jetai promptement fur un lit de repos, en donnant un libre cours a mes larmes. On me lailfa feule 1'efpace d'une heure. Dès que j'eus recouvré l'ufage de mes efprits, je penfai férieufement a ma fuite. Tous les obftacles me fembloient levés. Mes vceux fe bornoient a être éloignée d'un féjour fi coupable. II étoit nuit. Mon impatience redoubloit. Je ne voulois pas retarder davantage 1'exécution de mon projet. Sans favoir pofitivement-oü fe fournoient mes pas, j'allai vers la potte. Elle étoit fermée a clef. La crainte ne peut rien contre le défelpoir. J'ouvre ma fenêtre : je veux fortir au péril de perdre ma vie; des barres de fer s'oppofent- a mon palfage. Abimée dans le plus noir chagrin, je retombe fur mon lir. Mes gémilfemens redoublent. J'accufe le ciel d'injuftice* Grand dieu! m'écriai-je, ce peut-il que je fois la fille d'une mère fi criminelle, d'un monftre d'opprobEe & d'ignominie! cela n'eft pas polTible. Ah! peut-être dois-je le jout a une mère tendre &c vemieule qui pleure encore la perte d'une fille qui devoit faire fa. félicicé, qui devoit la  2£>S Don Siivio fecourir, foutenir fes vieux jours & hériter de toutes fes vertus \ Je goütois un plaifir cruel a faire cesréflexions. De moment en moment ma fituation me devenoit plus infupportable. Je cherchai dans ma, mémoire a. confirmer mes conjedures; mais je n'y trouvai que des chofes obfcures & vides de fens. II ne fe préfenta rien a mon imagination qui put me faire chérir mon exiftence. Je me confirmai a mol-même la réfolution que j'avois faite de réfifter forrement a tout ce qui pourroit, portet mon cceut a la corruption. Telle étoit la fituation de mon ame,.lorfque ia bohémienne revint. Elle me dit, avec un ton d'affabilité qui m'étonna, que je devois me préparer a Ia fuivre dans une autre demeure,' paree que, felon les apparences, la fienne me déplaifoit. Elle ajouta qu'oü elle me meneroit, bien loin de dépendre de quelqu'un, je donnerois des loix. Je lui entendis dire beaucoup d'autres chofes qui devoient me donner une haute idéé du bonheur qui m'attendoit. Après avoir voulu me perfuader qu'elle n'avoit eu d'autre delfeinque d'éprouverma vertu, elle me dit que c'étoit a ma fagelfe que j'étois redevable des bienfaits que j'allois recevoir. Je me relfouvins aufli tot de la perfonne qui avoit paru être touché?  P 1 R O S A L v A; 299 de mes peines. J'en voulus parler a la vieille; «nais elle ne me fic que des réponfes vagues auxquelles je ne pus rien comprendre. Le deur que •j'avois de m'éloigner de cette maifon fte me permit pas de réfléchir aux dangers qui pouvoient m'attendre. Au refte, les réfiftances que j'aurois faites pour ne Ia pas fuivre auroient été inutiles. Elle jeta a la hate un voile fur ma tète. Et me conduifit hors de fa maifon. II étoit minuit. Aucun nuage n'obfcurcilfqit les rayons de la lune. Après avoir traverfé a pied quelques petites rues écartées, nous montames dans un carrolfe qui nous attendoit. Je fus furprife d'y trouver une de mes camarades. J'appris qu'elle étoit deftinée a me fervir. Après avoir marché prés d'une heure, la voiture s'arrêra devant une petite maifon de peu d'apparence. Nsus defcendimes & fümes revues a la porte, par une femme d'un certain age qui tenoit une bougie allumée. Elle étoit vêtue d'une longue robe de gros drap gris. Une paire de lunette couvroit fon nez. Un long chapelet pendoit a fa ceinture. C'étoit le véritable accoütrement d'une Béate (i). Je crus d'abord entrer dans un couvent.Mais cette idéé s'évanouit, lorfque la foi-difant béate, m'ayant fait entrer (i ) On appelle Béates, en Efpagne, des femmes qui, fans être enrölées dans aucun ordre particulier, font les Vceux de religion, & viveat dans la retraite»  fOO D O N S I t V I O dafis un appartement de cinq pièces de ptainpied y me dit que cetoit-la la demeure qui m'étoit deftinée, Chaque pièce qui compofoit ma demeure?* étoit magnifiquement meublée. On y voyoit des glacés de venife , des pagodes de porcelaine de la chine & des tableaux des plus grands maitres. Jé n'avois pas eu le tems de revenit de ma furprife que la bohémienne entra & me dit: je te lailfe livrée a roi-même, ma chère Hiacinte. Tu es aimable & jolie; tu as de la difpofition a être vertueufe , je t'en félicite. Si tu profites des-bienfaits dont la nature t'a comblée, tu pourras te faire un fort plus avantageux que celui que j'aurois pa retirer de tes fervices. Elle me quita fans attendre ma réponfe. La béate la fuivit après m'avoir fait une profonde révérence & fouhaité une bonne nuit. A peine me trouvai-je. feule avec Stella, que je réfléchis fur certe étrange aventure. J'interrogeai ma campagne qui me dit, pour toute réponfe, que le marquis de Villa-Hermofa (c'eft le nom.de la perfonne qui avoit paru s'intérelfer a moi au moment de la crife) étoit forti avec la bohémienne, après que je fus renfermée dans ma chambre;. & qu'il n'étoit revenu qu'après une heure d'inrervalle. C'en fut affez pour m'apprendre que la malheureufe bohémienne m'avoit ïïvrée a ce jeune feigneur. Je paffat le, refte de  » B ROSALVA.' JOI' cette cruelle nuit fur un fopha. Mille affreufes penfées rouloient dans mon efprit. Je tracai ie plan d'une conduite qui put infpirei de 1'indulgence, des égards, delapitié Sc dela vénération. Si le marquis m'aime, me difois-je, je n'ai rien a redouter de fa part. S'il efpère me gagner par des préfens, il fe trompe. Malheur a celui que Pavidité conduit au crime ! La feule idéé qu'il y eutquelquechofe.au monde capabledeme féduire, de me faire oublier ce que je me devois a moi même, révolta mes efprits. Je me flarraï d'avoir affez de force pour triompher de la féduöion. Si mon cceur fe laiffe furprendre; s'il efl: vrai que l'amour ait fur nous un empire defpotique, je faurai me taire, je renfermerai en moi le feu qui me dévorera; je ne manquerai pas a la vertu. Tendres & vertueux auteurs de mes jours! qui que vous foiez, ma confcience m'attefte que je ne ferai jamais indigne de porter le nom de votre fille. De toutes les idees que j'avois, celle-ci me parut la plus flatteufe. Elle élevoit mon ame au deffus de 1'état vil oü je me rrouvois; elle me donnoit unecertaine force d'efprirque jene pouvois attendre de mon age. C'eft dans ces difpofirions que me trouva le marquis. Dès fa première vifite, il me découvrit fes vues. Quoique, quelques heures avant, il eut paru prendre part a ma def-  jol' Dom S i t v i o tinée , je ne refferitis rien en moi-même qui mé parlat en fa faveur. II étoit bien fait. Sa figure mé parut noble; mais fon air de prétention affez naturel aux hommes de bonne mine* me donna du mépris pour lui. II n'avoit peut-êrre jamais penfé qu'une femme put s'oppofera fes vceux. Tant de préfomprion bleffa mon amour-proprei Comment, urie jeune perfonne,qui n'étoit connue que pour la fille d'une bohémienne, pouvoit-elle crre fufceptible des fentimens qui caraóririfent la nobleffe de 1'ame.- Je n'abuferai point de votre complaifance pour vous répéter les déclarations qu'il me fit & ce que je lui répondis. La franchife avez laquelle je lui déclarai mon indifférence fembla renverfer fes projets. Jelui dis naïvement qu'il ne pouvoit mériter de reconnoiffance de ma part, qu'en me procurant du fervice chez une honnête dame. Il eut de la peine a concilier cette demande avec mon ton de fierté. Le marquis de Villa-Hermofa réitéra fouvent fes vifites. II fut toujours froidement recu. J'infiftois fur ce qu'il me donnar la liberté ... Que ferois-tu de ta liberté, me dit-il une fois d'un ait de mépris? Elle me fouftraira aux efforts des méchans. Ecoute , Hiacinte , puifque tu es fi franche ; je te parlerai a mon tour avec 'naïveté. Je t'ai trouvée dans une maifon abominable. J'aurois cru  BH R O S a t V a: te faire une injuftice, fi je t'eulTe comparée d tes compagnes. Tu m'as plu. Ton innocence m'a prévenu en ta faveur. J'ai cru que ton carattère répondroir d tes charmes. Je t'ai achetée... Achetée monfieut ?... Oui. A qui appartenoit le droir de me negocier ? Save*- vous que certe bohémienne qm le dit ma grand-mère ne 1'eft pas... Qui font donc tes pareus ? Je 1'ignore, monfieur, mais mon cceur m'attefte que je dois le jour d des perfonnes honnetes. Quelque ridicules que vous paroilfenc mes idéés, elles ont atfez d'empire fur moi pour que les tréfors les plus précieux, & les menaces les plus cruelles, ne falfent aucun changement dans ma fa$on de penfer. Hiacinte, rends-toi. Je ne crois pas d la fagefie d une falie de quinze ans. Celfe de jouer la vertu ou- crains... Je me jette d fes genoux, je Ie conjure au nom du ciel de me donner la liberté, de m'abandonner a ma defhnée. II me relève , fe profterne luimême d mes pieds, & me dit tout ce que la paffion peut fufcirer de plus vif. II e(Tayoit de pleurer Son efpoir éroit fondé fur mon inexpérience, fur ma jeunelfe, fur ma pauvreté. 11 employa toute lorte d'artifices pour me toucher ou pour rn'in. timider. La pureté de mon cceur fembloit avoir penetre fon ame. II me quitta, en medifant d'un, ajr de bonne foi, qu'il me iaiffoit trois jours  3o4 D O N S I L Y I O pour réfléchir, & que fi après ce tems-la, je perfiftois a vouloir le quitter , il ne s'oppoferoit pas a mon étoigriement. Le refte de la foirée fe palfa tranquillement. Je m'applaudis mille fois de ma vidoire. Le fouper me fut agréable. Je jouilfois d'un calme que je n'avois pas cortnu jufqu'alors, Le bonheur de me voir bientót libre occupoit mon efprit, lorfque j'entendis ouvrir la porte avec violence. C'étoit le marquis. Il étoit en robe de chambre. Son regard avoit quelque chofe de fi farouche que j'eus peur. Je jetai un cri eflroyable qui attira Srella dans mon appartement. Le marquis, fans dire mot, fit figne a ma camaradc de le fuivre. Je réfolus de profiter de cö moment pour m'évader. Après avoir pris toutes les précautions nécelfaires pour qu'on ne menrendit pas, je me tranfporrai * la port, de la r««. Elle étoit fermée i clef. Mes inquiétudes rede*blèrent... Le hafard me conduiüt par une petite allee, dans une chambre féparée d'un grand corps delcxds, dont les fenètres donnoient fur la rue. Des grilles de fer s'oppofoient a mon panage. Je me débarralfai des habits qui pouvoienr contra buer a groffir le volume de mon corps * & apres biendespebesjemetrouvaidehors.Jenevous peindrai point la joie que je relfentis en ce moment. Jamais le ciel ne m'avoit Paru fi ferein, Après m'être recommandée aux protedteurs v Vinnocence,  RosAtVAi $o$ 1 mnocehce, je me mis i cdaVk fans favoir oü j'allois. La maifon que javois habitée en dernier lieu étoit fituée a 1'une des extrémicés d'un fauxbourg; de forte que je me trouvai bientót dans tine grande route & en pleine campagne. Avec quelle vïteiTe je marchois ! Au lever du foleil, je me trouvai k trois milles de Séville. En entrant dahs le premier village qui fe rertcontra fur ma route« je demandai du pain & du lalt qui furent payés avec quelques-uns de mes ajuftemerts. Je continuai ainfi mon vöyage, en me repofant de tems en tems fous les builfons qui pouVöient me mettre k couvert des rayons du foleih A 1'enrrée de la nuit je cherclïai un gïre. Je le trouvai a Calatrava, oü j'efpérai qu'on mWiqüeroit la demente d'üne dame fur qui toutes mes efpérances étoient fondées. J'arriVai au chareau que je chefchöis, fans qu'il marrivat rien de remarquable. Je crus être deftinée k un éternel malheur , lorfque j'appris qUg la demoifelle du chateau étöit motte , depuis quelques femaines , de la petite vérole , & que fa mère ayant perdu 1'tinique objet qui 1'attackk au monde , s'étoit retirée dans un monaftère audela de Tolède. Cette nouvelle fut pour moi un coup de foudre. Je tombai malade. Ma fituation etoitcruelle. Manquant de tout, fans argent, fans connoilïances, fans aucunerelfourcej ouedevenir?' TomeXXXVL " y  }o6 D o n S i t v i • Je crus n'avoir d'autre parti a prendre que du fi** »ice chez quelqu'un d'honnête 5 mais oü trouyer «ne perfonne qui voulut recommander une m- connue ? . Pendant que je réfléehiffois fur la bifarrene de madeftmée, je vis arriver dans 1'hbrellene une troupe de eomédiens. La direftrice étoit une femme de bonne mine, dont le premier abord prévenoit en fa faveur. Elle chercha mentor loccanon de me patier & de faire eonnoiffance avec moi. Elle gagna ma confiance. J'ignorois I'art de feindre vis-a-vis de qui que ce für. Ma mi*ereactuelleétok encore un motif qui m'engageoit a ne rien taire de ce qui pouvoit intéreffer en ma faveur. Je lui fis de bonne foi le détail de tous les événemens de ma vie. Elle m'écouta artentivement • & après m'avoir donné toute forte de marqu'es d'amitié, elle me dit qu'il lui manquoit une adrice dont je pouvois remplir la place, h>e le jugeois a propos. Elle n'omit rien de ce qui pouvoir me donner du goüt pour le theatre , & me fit des propofuions très-avanrageufes. 11 eroit affez naturel qu'une fille qui, jufques-la , n avoit été employee qua la fuite d'une bohémienne , fe trouv^t fiattée de jouer des rbles de reines _ Arfénie redoubla fes inftauces pour me faire embraffer un état qui, felon elle , n'étoit en luiméme, ni méprifable * ni indécent. Elle ajouta  i> i R ó s A i y Al 5oj qü'il n'étoit tombé dans «ne efpèce d'aviliflemenf, que depuis que quelques comédiennes s'étoient impofé la loi dé renoncer a la vertu, & de rourner en ridicule celles qui en font profeffion. Je ne vous cache pas , me dit-elle , qu'une aótrice qui a des talens & de la figure , ne foit plus expofée au danger qu'une femme ordinaire ; mais elle eft plus digne d'eftime quand elle confervela pureté des méeurs au milieu de la féduction. Enfin , les difcours d'Arfénie, les marques d aminé qu'elle me donna, & 1'afpeót de ma fituation préfenre, me déterminèrent d prendre un état poür lequel elle me crut quelques difpofitions. Lorfque je fus recue dans la troupe, on dé-' termina que j'irois débüter i Cortuba. Les fpeetateurs eürent la bonté de me recevok favorablement. Ils jugèrenr de mes talens comme Arfen.e en aVoit préfumé. Les appIaudiflWns quon prodigue a une jeune actrice qui parok pour Ja première fois fur la fcène , font aulfi flatteurs que dangereux pour 1'amour-propre. Quoi qu'il en fok, mon cceur ne fut pas Ia dupe du plaifir que j eprouvai tout Ie tems que dura le fpedacle. Je crus ne devok artnbuer les applaudiflemens du public qu'a 1'impreflion q,ie pouvoit avoir fait fur lui une figure nouvelle Je «oubliois jamais de rentrer en moi-même , dès que ,'avois fini de jouer les rdles d'Aricie ou de Vij  '3o8 Don S i t v i o Roxelane. La feule idéé d'avoir paru en public me chagrinoit. Je craignois d'avoir excité , fous Une forme empruntée, des palfions qui fembloient devoir faire croire aux fpeéfcateurs que j'autonfois les leurs. Ma conduite n'en fut que plus réfervee. Mon cceur fe mir fans peine fous 1'égide de a Vertu; mais il me fur impoffible de prevenir la calomnie. Je dois avouer qu'Arfénie, qui merite toujours mon eftime * ma confiance m aida a feconder mes vues. Elle m'a fervi de mere Sc d'amie. Sa conduite fl'a jamais démenti le premier difcours qu'elle m'a tenu. Je me fuis toujours fait un devoit de feconder fes vues & de fuivre fes confeils. Nous logions enfemble ; nous ne „ous quittions pas. La douceur de fon caradere & la pureté de fes mceurs ont été 1'appui de mon innocence. v Nous quittames Cortuba pour nous rendre a Grenade5oünousobtinmespendantl'efpacedun anquenousyreftamesjesapplaudilfemensdupu. blic. C'eft Ik que j'eus le bonheur de faire connoiffance avec don Eugénio. 11 jouiftoit de 1 eftime de tous les fages. On le donnoit pour exemple a la jeune nobletfe de Grenade. Arfenie fe fit un vrai plaifir de 1'admertre dans fa fociere Je ne puis taire combien les belles quaüres de don Eugénio lui donnèrent de droits fur mon coeur J'ajouterai même que peu après 1 epoque de notre  DE R O S A l V il! 509 eonnoilfance , j'éprouvai pour lui des fentimens qu'aucuu homme ne m'avoitinfpirés. S'il eft dans ma vie un événement dont je dois m'applaudir, c'eft fans doute de celui d'avoir acquis fa tendrelTe. Le monde, qui ne juge fouvent que fur de faulfes apparences , m'a attribué des fautes que je n'ai jamais commifes. Je me fuis flatrée que don Eugénio fauroit rendre juftice a ma fitrrplicité & a ma bonne foi. Je crois que le tems &C les circonftances lui prouveront que je n'étois pas indigne de fon attachement. CHAPITRE XIII. Don Eugénio continue Vhiftoire d' Hiacinte. TI XIiacinte fut fi émue en prononcant ces demières paroles, que malgré 1'effort qu'elle fit pour cachet fon trouble, elle fut obligée de faire une paufe. Permertez-rnoi, belle Hiacinre, lui dit don Eugénio, de continuer votre hiftoire, puifque veus en êres a 1'époque ou les événemens de votre vie commencèrent a être unis a ceux de la mienne. 11 y a pres d'un an, continua le feigneur de V ii;  5io pon Snvifl Lirias , que mes affaires m'obligèrent d'aller ï Grenade. Don Gabriel, vous frites du voyage, J'allai au fpeétacle, ou je vis Hiacinte pour la première fois. Elle me plut & me toucha. Ce furent les effers naturels que durent produire les agrémens de fa perfonne & la vérité de fon jeu. Les applaudiffemens que lui donnoit }e public ne m'aveuglèrent point fur fon compte. Dans les fcènes froides , affez communes fur notre théarre, je ne vis qu'une actrice ordinaire, Mais lorfqu'il étoit queftion de dévejopper une ame noble & généreufe , d'exprimer le fentiment, de faire mouvok les feuls refforts de la nature, Hiacinte me parut inimitable. Je fortis de la comédie , frappé des talens de cette belle actrice, Son image me fuivoit par rout. Les fons touchansdefa voix retentiffoienrfans ceffe dans mes oreiües. Ni la fociété de mes amis, ni les parties bruyantes que nous fimes, ne purent détruire rjmpreffion qüHiacinte avoit faite fur mon cceur. Je m'erforcai en vain d'éloigner le fouvenir de fes charmes. 11 me frappoit au milieu des plus imporrantes occuparions. Après quelques jours d'inrervalle , je retournai a la comédie, Hiacinte ne parur pas. De 1'avis de tous les fpec-r tajeurs, fon role fur fupérieurement exécuté par une de fes camarades. Si j'euffe été de fang froid? j'aurois pu, comm? un autrp , rendre juf-?  DB R O S A I T Ai' KIS tice a fes talens. Mais dans la fituation ou j'érois, comment m'auroit-elle plu ? Elle n'étoit pas Hiacinte. En convc-rfanr avec un de mes voifins, le hafard voulut que nous parlaflions d'Arfénie, qui paftoit pour latanre de mon actrice favorite. Ce jeune homme me paria avec tant d'éloge de la facon de vivre & de 1'honnêteté de ces dames, que je téfolus de leur faire une vifite. Je m'appercus bientot qu'on ne m'en avoit pas impofé. C'eft a. vous a juger fi je fus attentif a obferver Hiacinte. Son air d'innocence fembioit devoir la merrre a couvert de toute idéé fufpeóte. II étoit impoflible de la voir d'un ceil indifférent. Sa fimpliciré , fa franchife Sc fa bonne foi, lui interdirent 1'ufage de tous les artifices que les belles mettent ordinairement en jeu , pour fubjuguer les hommes d'un certain ér-at. Elle plaifoir fans chercher a plaire. Ses paroles, fes geftes & fes regards , annoncoient le calme de fon cceur. Ses charmes fe développoient affez d'eux-mêmes..... Votre préfence , Hiacinte, me difpenle de donner plus d'étendue a votre portrait. La nature ne peut être copiée qu'imparfaitement Je néfois plus maitre de mon cceur, & je ne favois pas jufqu'oü mes fentimens pouvoient me conduite. Je m'habituai a la voir journellemenr. Tout ce qui me paroiffoit agréablc avant de la connoitre , me Viv  ïllj Don S i t V i o devint infipide. Je me retirai de toutes les fo« ciétés. Les quart-d'heures que je paffois éloigné d'Hiacinte, me fembloient avoit la durée des fiècles, Les reproches de mes amis me forcèrent I leur découvrir le fecret de mon ame. En difcutant avec eux, je fenris que le penchanr qui me lioir a la belle comédienne, devoit faire le bonheur ou le malheur de ma vie. Ceux qui croient qu'on peur fe roidir contre l'amour, ne le connurent jamais. Je fais qu'on voit naitre , fe refroidir & ceffer d'un oeil indifférent, un attachemenr contraété par vaniré, par défceuvrement, par caprice , par habirude ou par convenance. Mais les liens d'une véritable tendreffe , font jndiffolubles. Je me dis a moi-même tout ce qu'un fage auroit pu m'objecTer fur ma paffion. Je ne favois que trop qu'on ne bravoit pas ïmpunément les préjugés qui condamnoient mon amour ; mais quand on aime comme j'aime , un regard, une feule larme de tendreffe dédommagent un amant tendre & délicat des plus grands facrifices, ou plutor il n'en fait point. Ma liaifon avec Hiacinte dura plufieurs mois fans qu'elle s'appergut des fentimens qui m'attachoient a elle. Je voulus voir fe développer d'elle-même , cette fympathie qui devoit regner dan§ nos cesurs. Quelque réfervse que fut ma  DE RoSALVAr JIJ conduite, Arfénie lut dans les replis de mon ame. Quoiqu'elle dut juger avantageufement de ma facon de penfer & de mes principes, elle ne me crur ni afTez d'amour, ni affez de courage pour vaincre les préjugés du tems. Elle voyoit une barrière infurmontable entre fon amie & moi. J'ai vu depuis combien elle en avoit été allarmée. Pendant que j'ctois a Grenade , le fort, jaloux de mon bonheur, y conduifit don Fernand de Zamora. Dès qu'il vit Hiacinte, il en fut éprir. Un tel rival mauroit donné mille inquiétudes , fi j'euffe moins connu le caractère de mon amante. Je laiffai Hiacinte livrée a elle-même dans les momens les plus critiques. Son indifférence pour don Fernand mit le comble a ma fatisfadion. J'erois fur le point de mettre Arfénie dans ma confidence, lorfqu'elle fut attaquée d'une fiévre maligne qui fit défefpérer de fa vie. Cet événement 1'engagea a me prévenir fur ce«que je me propofois de lui dire. Elle me fir prier de lui accorder une heure d'entretien particulier, pour me donner quelque éclairciflement fur fa deftinée, & pour me parler d'Hiacinte Je 1'aime comme fi elle éroit ma fille , me dir Arfénie, Je ferai peut-êrre forcée de la buffer dans des circonftances épineufes. C'eft cette feule idéé qui pourroit me faire regretter une vie tiffue d'évér  3 14 Dow S i i T i i nemens malheureux que je ne puis efpérer de voir finir qu'en ceflant d'être. Mon artachement pour Hiacinte n'eft fondé que fur les rares qualités de fon ame. U me feroit bien doux (mais je n'ofe 1'efpérer) de voir fa deftinée unie a la votre. Elle fe rrouve dans la fituation la plus épineufe de la vie. La jeunelfe & 1'innocence unies a la beauté font des préfens funeftesa mon fexe , lorfqu'on a eu le malheur de naitre dans la Hittere & fans nom. Telle paro'it être la deftinée d'Hiacinte- Celui qui ne rougiroit pas de tomber aujourd'hui a fes pieds pour lui jurer un amour crernel, fe trouveroit offenfé , s'il foupconnoit que fes amis ou fes parens cruflent fes démarches fincères. Jugez fi je dois être inquiète fur le fort de ma nièce. Je ne l'ai jamais cruenée pour 1'état qu'elle a embralfé. Elle eft aimable & vertueufe. Elle ne peut êrte infenfible. Je defirerois qu'elle trouvat un honnête homme qui ne rougit pas de rc-vérer la vertu par-tout ou elle fe trouve ... Don Eugenio! J'ai peut-ètre déja lieu de craindre ou de m'applaudir qu'elle ait rencontré un mortel tel que je viens de vous le peindre Pardonnez, homme généreux! Ma fituation autorife mon ingcnuité. Une perfonne qui bientot n'aura plus rien a. craindre ni a efpérer des hommes, voit a. travers le nuage épais des préjugés Vous ne doutez pas que je ne me fois appercue de ves fenti-  *> * Rosai.va; 315 mens pour Hiacinte; & vous favez mieux que qui que ce foit, que perfonne n'en eft plus digne. Je vous eftime infinimenr, den Eugénio, mais que dois-je penfer de vorre penchanr pour ma jeune amie? Je vous conjure les larmes aux yeux d'avoir égard d fon innocence & a fa ieuneffe. Je découvris d Arfénie tout ce qui s'étoit pafte dans mon cceur, depuis 1'inftant que j'avois vu Hiacinte. Je lui dis combien j'avois de courage pour fiïcrifier route fauffe home a notre commune féheité. Arfénie fe chargea de préparer mon amante d recevoir 1'oifrande de mon cceur. Hiacinte m'écoura avec bonré, & me dir que Ia conftance qu'elle avoir en moi, prouvoir que fon ame n'croit pas indigne de ma générofité. Mais c'eft ld, ajouta-t-elle, la feule marqué de retour que je puifle vous donner. Les événemens de ma vie ne me permettent pas de fotifcrire aux bontés que vous avez pour moi. Taudis que je ferai incerrame de ma naiftance, je ne pourrai, fans me croire cnmjnelle, confenrirdune union qui feroit Je bonheur de ma vie. Ce fut en vain qu'Arfénie joigeit fes prières aux m.ennes pour faire confenrir Hiacinte d prendre des mefures relatives d ma tendreffe. Elle perfifta d vouloir s'enfevelir dans ia retraite fi elle WWf Ie malheur de perdre fon aimabie tante. Nou*  DoM S i t V i o obtïnmes feulement qu'elle lailferoit le choix des lieux a ma difpofuion , & qu'elle ne contraderolt aucun vceu fans mon confentemenr. J'écrivis fur le champ a un de mes amis a Séville, pour qu'on apprit de la bohémienne quelle étoit la nailfance de Hiacinte. On me répondit que la vieille femme dont je parlois avoit pris la fuite pour échappet aux charimens de la police , qu'elle avoit mérirés par le déréglement de fa conduite. Sur ces entrefaires, je fus obligé de quitter Grenade pour aller a Valenee oü les affaires de ma fceur m'appeloienr. Je lailfai mon amanre auprès de fa digne ' amie dont la mort feule put la féparer.  be R o s a l v a." 3 17 CHAPITRE XIV. SoupQons de don Silvio. jHiactnte reprit le fil de fon hiftoire a lepoqus de la mort d'Arfénie, & raconta tout ce qui lui étoit arrivé , depuis ce moment jufqu'a celui oü notre héros rencontra don Eugénio , Sc lui prêta un fecours généreux pour arracher fa maïrrelfe des mains ravilfantes de don Fernand de Zamora. Thérèfe convint que c'étoit par elle que don Fernand avoit appris le jour du départ d'Hiacinte. Elle convint encore que ce chevalier Efpagnol avoit fait toutes les démarches pofiibles pour la mettre dans fes intérêrs, Sc lui procurer les moyens d'enlever fa mairrelTe. Le hafard , comme on le fait, amena don Eugénio , fon ami don Gabrié'l Sc notre héros qui renversèrent les projets du ravilfeur. La belle Hiacinte n'oublia pas deréitérerfes remerciemens a notre héros, qui avoit bien voulu s'expofer pour la fauver. Don Silvio répondit a ce compliment avec toute 1'honnêteté d'un Chevalier de la rable ronde. Je fuis très-flarté, ajoutat-il, très-magnifique Hiacinte, d'avoir été l'un des auditeurs de votre hiftoire. Quant a vos doutes  Don Sitvid fur votre naiflance, je puis vous répondre quê vous n'avez qua vous montrer & parler pour ccirvaincre qu'elle eft aufli diftinguée que votre mérite. Mais ce qui m'étonne , c'eft que vous n'ayez nullement parlé des fées. Eft il impoflible' que les enchantemens n'aienr eu aucune part aux événemens de votre vie ? Cette queftion faite avec le plus grand fang froid, excita les fpeétateurs a rire. Voudriez-vous , lui répondit Hiacinte r que' j'eufle fait un conté de fée de mon hiftoire? Si j'eufle cru vous faire rrouver plus d'agrément il m'eüt été facile de faire une Carabofle de la bohémienne, une Lumineufe de la dame du chateau de Caiatrava & un Nain-vert de donFefcnand. Selon moi , reprit dona Félicia , votre recit y auroir gagné. Si un poéte s'avifoit de dire tout uniment: Daphnis s'aflit al'ombre pour refpjter le frais. II prit del'eau qui couloir a fes corcspoat étancher fa foif, on lui riroit au nez. Mais quand ildirqueladéeftedes jardins, ordonnaaux fteurs decroitre pour fervir d'oreiller au beau Celadon, Les zéphirs parfemèrent leurs ailes de feuilles odoriférantes pour 1'embaumer. La jeune Hébé lui offrir i boire d'une onde pure dans un vafe de criftal ou de nacre de perle : alors nous croH rons que ce poé'ce aura rempli fa tache.  »ï RoSAtVA.' ?i9 Don Gabriel qui s'appercevoir de 1'embarras de Silvio, dir que la belle Hiacinte n'avoit faic que l'abrégé de fa vie. Les fées, continua-t-il, peuvenr avoir opéré les événemens extraordinaires; & plus j'y rédéchis—. Pardonnez - moi, don Gabriel, interrompit Hiacinte. Je n'ai jamais fu que les fées fe fóieht iméreffées a mon fort. Je ne crois pas que vous Teuillez me perfuader que routes les chimères qu'on lit dans les contes des fées, foient des réalités? Ce peut-il que vous en doutiez, s'écria don Silvio! II faudroit ceder d'ajouter foi a tout ce qu'ont écrit les hiftoriens. Ne vous échauffez pas, interrompit don Gabriel en fouriant. Hiacinte ne dit cela que par plaifanterie. Si elle parie férieufemenr, je me charge de changer fa facen de penfer Mademoifelle ne connoit peut-êrre que les contes de la Barbe bleue, du Chaperon rouge ou de Ia petite Souris? Vous n'avez jamais oui' raconter 1'hiftoire du prince BiribinkerPLes fairs qui y font rapportés , font trés dignes de foi, paree qu'ils fonr tirés du fixième livre des événemens incroyables du fameux Palaphatus. Le prince dont vous parlez, monfieur, m'eft tout a fait inconnu. Je ferois curieux de Et vous le feriez bian plus, fi vous faviez  ?10 D O N S 1 t V I O combien cette hiftoire eft intéreffaiite : je puis vous affuter qu'elle iarpafle tout ce qoi eft ccrit dans les contes des fées, Vous excirez autant ma ouriofité qué celle de don Silvio, reprit le chevalier de Lirias Je fa.s que perfonne ne peut révoquer en doute les kus cue rapporte un écrivain plus ancien quHorUe Malheureufemenr pour les perfonnes qui aiment i s'inftruire s le fixième livre des tfuvres de Palaphatus s'eft perdu, & il contenoit 1 hiftoire du prince Biribinker. Si vous fufpeftez 1'aUthenticité des fairs que je raconterai, je vous citerai au mbunal de don Silvio. Chacun parut curieui d'entendte une hrftorre dont le nom feul annoncoit quelque chofe d onginal. On convint de fe raftembler vers le foir dans le petit bois de myrrhes. Le foleil commencoit a devenit chaud. On enfila une aüée couverte, pour regagner le cha"- 46 L'hiftoire d'Hiacinte avoit fait nattre quel^sfoupconsadon Silvio. 11 n'attendit que,1e loment d'un tête a tète pour les conftet au chevalier de Lirias. Que diriez-vous, don Eugénio, fi Hiacinte éroit ma faur?  » E RoSALVA. 31 f Votre fceur! une de vos fceurs s'efl-elle donc pefdue? J'en ai une qui a difparu a lage de trois ans. Ciel! que je ferois hëüreux fi vos foupcóns étoient fondés! En effet je fuis étonne de n avoir pas eu Ia même penfée, car il règne une reflemblance frappante entre vos deux phyfioncmies. Mais ne vous rappelez-vous aucune circonftance qui ait fuivi ou précédé Ie moment oü votre fceur s eft perdue ? N'êtes-vous fondé fur aucun indice a croire vos conjeétures vraies? Si 1'inftinét n'étoit pas trompeur, je penferois volontiers que les fenfationsque j'éprouvai, lorfque je la vis pour la première fois, éroient la voix de la nature Mais Don Eugénio, ne nous arrêrons pas d'avaritage a cette idée. Nous nous flarrerions mal-a-propos. Eh! Pourquoi ? ^ II fe trouve une circonftance dans I'hiftoire d'Hiacinte que je ne puis conciiier avec mes premiers foupcóns, oü plutót., qüi les dérruit totalement. De grace, expliquez-vous. Hiacinte a été élevée par une bohémienne. Elle dit que cette bohémienne fa enlevée a fes PatensMa fceur avoit trois ans Iorfqu'elle difparut; & aéruellement elle doit être de Page Terne XXXFl, x ö  3 ii Don Silvio d'Hiacinte Quant au nom , ha ! Il efl différent; car ma fceur s'appeloit Séraphina Le nom ne fait rien a la chofe; on peut favoir changé. Mais 1'idée qu'elle a d'avoir été enlevée par une bohémienne, détruit routes mes conjectures, paree que je fuis affuré, perfuadé & convaincu que ma véritable fceur a été enlevée par une vérirable fée. Ce difcours faillit faire perdre patience a don Eugénio. II eut beaucoup de peine a fe contenir. Si ce font la toutes les preuves que vous avez a me cirer pour me perfuader qu'Hiacinre n'eft pas votre fceur, j'ofe encore efpérer le contraire. Ne difcurons pas fur les noras, & croyez que la bohémienne mérire autant d'être appelée fée , qu'une Fanfreiuche, qu'une Caraboffe ou une Magotine. Pendant que chacun étoit occupé de fes idéés particulières, & qu'Hiacinte faifoir fa roilette , dona Félicia s'étoit retirée feule dans fon boudoir, oü elle s'abandonnoir aux plus. charmantes réflexions. Elle s'applaudilfoit de fesavantages fur don Silvio. Mais l'amour eft fi timide que la plus légère incerrirude 1'effraie. C'eft fouvent quand il touche au moment de fa félicité qu'il craint le plus. Dona Félicia crur devoir faire agit tous fes charmes pour bannir le papillon bleu du cceur de  BE R o S A t V A. 32$ ttotre héros. Elle voulut lui permettre d'affiftera fa toilerre. On fit enrendre a Laure qu'elle pou-> voir d.re a don Silvio que madame étoit vifible; Si nous n'avions donné plufieurs fois des. preuves de norre favoir faire, nous profirerions de cette occafion pour décrire la plus agréable de towes; les fcènes. Que pouvoit le fouvenir d'un vd infedte, d'un chétif papillon fur don Silvio qui fe trouvoit vis-d-vis d'une belle veuve aeée de dix huit ans? ' ü Si dona Félicia eut occafion d fa toilette de faire relforrir tous les charmes de fa figure, elle noubha pas a rable de donner des preuves de fon efprit & de Ia vivacité de fon imagination. L apres-dme fur fi doux qu'on oublia de faire Ia fiefte; chacun pritpart d une converfation oü regnoient 1'amirié, l'amour & la confianoe. Doit Silvio ne cefloit de rendre hommage d fa nouvelle divinité. II aurolr même oublié qu'on devoit lui raconter l'hiffoire du prince Birlbinker fi Hiacinre ne 1'en eür fait fouvenir, Comme don Gabriel n'avoit en vue, en racontanr cerre hiftoire que de dérruire les chimères & les pré/u^és de notre héros, il prévint fes aurres auditeurs mr la fingularitéde fanarration. Cet aveu piquaencore p us la curiofite des dames. A peine Hiacinte eütelle prononcé le mot de Biribinker, qu'on fomma Xi;  Dok S i t V i » don Gabriel de tenir fa parole. Silvio ne fortir de fes douces rêveries que lorfqu'il apprit qu'il etoit queftion d'un conté de fées. On fe rendit dans 1'endroit matqué. Chacun prit place dans mie hollandoife de jafmin , & 1'ami commun couvmenca fon récit par un court, mais pompeus sloge de 1'hiftorien Palaphatus.  * E R © S A ï. V A . 'i%< QUATRIÈME PART IE. CHAPITRE PREMIER, Hiftoire du prince Biribinker. D ans un pays dont Strabon ni la Martiniére nont parlé, vivoit jadis un roi dont les aétions furent fi peu mémorables , que les niftoriens n'eurent rien a écrire fous fon règne. Malgré les précautions que prirent les auteurs pour rendre doureufe a la poftérité 1'exifrence de leur fouverain, ils n'ont pu empêcher que nous n'appriffions, par des mémoires dignes de foi-, certains détails qui concernent le caractère & la manière de vivre de ce monarque. II étoit bon. II faifoit quarre repas par jour , dormoit bien, & aimoit fi-paffionnémenrla paix & le repos; qu'il étoit défendu, fous les peines les p.!us rigoureufes, de prononcer devant lui les mots d'épée, de fufil, de canon, &c. L'énorme circonférence de fon ventre lui donnoir un air fi majeftueüx, que rous les fouverains de fon rems étoient obligés de lui céder le pas. On n'a pu favoir pofitivement fi le . Xiij  ji6 Don Sitvi© furnom de grand qa'il portoit lui avoit été donné pour faire allufiön a fa taille, ou pour quelqu'autre raifon fecrètte. Ce que je puis certifier, c'eft qu'aucün de fes fujets ne paya ce furnom d'une feul goutte de fang. Lorfqu'on crut qu'il étoit tems de marier fa majefté , pour maintenir la couronne dans fa familie , 1'Académie M fciences & belles-lert-res fut chargée de dépeindre la figure & de tracer le caradère de la princefle qu'on jugeroir digne de remplir les vceux de toute la nation. Après un grand nombre da féances, meflieurs de 1'Académie parvinrent a finir leur modèle.On envoya des ambalfadeurs dans roures les cours de 1'Afie; &. on trouva , après beaucoup de recherches , une princefle qui reffembloit parfaitement a la perfonne qu'on vouloit avoir pour reine. Son arrivée caufi une joie inexprimable a tous les habitans de 1'empire.'Les noces furent célébrées avec rant de magnificence, que cinquante mille couples des fujets de fa majefté furent obligés de refter célibataires.pour fubveuir plus aifément aux frais immenfes qu'exigea la pompe des fêtes. Le préfident de 1'Académie qui étoit, fans contredit, le plus mauvais géometre de fon tems, eut 1'adreife de fe faire attnbuer tout ce qu'on avoit imaginé de beau & d'agréable pour le mariage du roi, il crut que fon bonheur & fa réputation ne dépendoienc plus que de la  SlRoSALVA. 327 fécondité dela reine; & comme il étoit beaucoup plus verfé dans la phyfique expérimentale que dans la métaphyfique, il employa des moyens fecrets pour que la reine accouchat dans le tems qu'il avoit défigné, du plus beau prince qui fut jamais, Le roi en fut d'une fi grande joie, qu'il nomma auffi-tot le préfident fon grand vifir. Dès que 1'héritier ptéfomptif de la couronne fut né, on affembla vingt mille jeunes filles de la plus rare beauté, pour choifir parmi elles Ia nourrice du prince. Chacune fe ftattoit de parvenir a ce pofte honorable & lucrarif, paree que le médecin avoit expreffément ordonné qu'on choisït la plus belle. M. Ie doóteur ne fentoit pas la difficulté d'exécuter un pareil ordre :auffifut-il forr embarrafle lui-même dans le choix. Il ne favoit guère pourquoi il. donnoit la préférence plutot a 1'une qu'a 1'autre. II avoit palfé trois jours entiers a faire fon examen, qu'il n'éroit encore parvenu qu'a réduire au nombre de vingt-quatre les vingt mille afpirantes. Cependant Ie cas étoit urgenr, le jeune prince jeünoit; & M. le médecin eroit prêr a fe dérerminer en faveur d'une grande brunette , paree qu'elle avoit Ia bouche plus petite & la gorge plus belle qu'aucune de fes compagnes , lorfqu'on vit arriver inopinément , une abeiile d'une groffeur prodigieufe avec une Xiv  328 Don Silvio, chèvre nolre. Elles demandèrent linie & 1'autre a parler a la reine. « Grande reine , dit 1'abeille , j'ai appris 3; que vous cherchiez une nourrice pour votre »> fils, le plus beau de rous les princes. Si vous » avez affez de confiance en moi pour me préw férer a toutes ces créaturesa deux pieds, vous v n'aurez pas lieu de vous en repentir. Je ne „ nourrirai votre fils que de miel de fleurs 3> d'orange. Vous le verrez croitre, embellir, &C » prendre un embonpoint qui vous enchantera. » Son haleine répandra un parfum plus agréable n que celui du jafmin : fa falive fera plus douce » que du vin de Canarie, & fes langes ».. « Puilfante reine , interrompit la chèvre, mé» fiez-vous de cette abeille. Je vous donne ce » confeil en amie. 11 eft vrai que fi vous êres ja^ ,j loufe, que votre jeune prince foit un douce-. » reux, vous pouvez le lui confier; mais le fer» pent eft caché fous les fleurs. Elle le pourvoira jj d'un. aiguillon qui lui attirera des malheurs in>} finis. Je ne fuis qu'une chèvre; mais je jure^ » par ma barbe , que mon lair lui fera plus falu» taire que fon miel. II ne prodüira en effer, ni » nedar, ni ambroifie. Je vous promets en rea3 yanche qüil fera le plus yigoureux, le plus „ fage & le plus heureux des princes qui fuveut s> jamais allaités de lait de chèvre ».  t> e R O s A i y A. 319 - Tous les fpeótareurs étoient étonnés d'entendre parler ainfi une chèvre & une abeille. La reine s'appercut la première qu'elle avoit a faire d deux fées : ce qui la rendit quelque tems incertaine fur le parti qu'elle devroit prendre. Comme elle étoit un peu avare, elle fe déclara en faveur de 1'abeille y fi 1'abeille tient fa parole, difoit-elle, le prince répandra tant de douceurs, qu'on pourra économifer le fucre qui fe confomme a 1'office. La chèvre irritée de ce qu'on dédaignoit feS fervices , proféra quelques mots dont on ne put comprendre le fens, & 1'on vit paroïtre auffi-tót un char magnifique, trainé par huir phénix. La chèvre noire difparut, Sdaifia paroitre une petite vieille qui s'éleva dans les airs, en faifant d la reine & au jeune prince les plus terribles meUaces. Le médecin ne fut pas moins mécontent que la chèvre du choix qu'on avoit fait d'une abedle pour nourrir le fils de fa majefté. II crut indemnifer la belle brunette en lui propofant de devenir fa gouvernante. Mais il attendit trop a1 lui faire certe propofition : elle avoit déja rrouvé une place plus lucrative. Le doéteur fut obligé d'en choifir une aurre parmi les dix-neuf mille neuf cent foixante & feize, paree que les vingtquarre plus belles étoient retenties par les principaux feigneurs de la cour. Les menaces de la chèvre noire firent tant de  ?5o Don S i ! v i o peur au roi, que le même foir il fit aflèmbler fon confeil d'état, pour délibérer fur le pam qu'on devoit prendre dans une citconftance fi critique. Sa majefté qui étoit habiruée i fe faire lire tous les foirs des contes, connoiffoit le caractère des fées, & n'ignoroit pas que leurs menaces font a craindre. Après que les plus fameux jürifconfukes du pays furent aftemblés, & que chacun eut propofé fon avis, il fe trouva que trente fix confeillers éroient de trente-fix opinions différenres, & que chacune de ces opinions avoit trente - fix difficultés. On tint plufieurs féances dans lefquelles on difputa avec beaucoup de vivacité. Le jeune prince auroit infailliblement attemt ltgè de viriiité avant qu'on eut pu être d'accord fur ce qu'on devoit faire, fi le bouffon de la cour n'eüt confeillé au roi d'envoyer une ambaffade au grand magicien Caramoulfal , qui demeuroit fur le fommet dümont Atlas , & qu'on y venoit confulter, comme un oracle , de routes les parties du monde. Comme ce bouffon pafloic pour le perfonnage le plus fenfé de la cour, il avoit 1'oreiUe du roi, & fon avis fut recu. Quelques jours après, on fit partir 1'ambalfadeur qui,. pour ménager les fonds du tréfor royal, fit fi peu de diligence, qu'il narriva qu'après fix mois de marche k la demeure de celui qu'il venoit con-  be Rosalva? 5 5! fulter, quoiqu'elle ne fut éloignée que de deux eens lieues de Ja ville capitale des états de fon maitre. A peine 1'ambalfadeur eut-il mit pied a terre» qu'il fut admis, avec fa fuire, a faudience du grand Caramouffal, qui le recut affis fur un tröne d'ébène. L'ambalfadeur, après avoir relevé fa mouftache &craché trois fois, ouvrit une grande bouche pour réciter une harangue que fon fecrétaire avoit compofée, lorfque Caramoulfal le prévint & lui dit: «monfieur l'ambalfadeur, je » vous difpenfe de votre harangue, je devine a » votre figure qu'elle eft trés-éloquente; mais » j'ai, moi-même, tant a parler, qu'il ne me » refte pas un inftant pour écouter les autres. Je » fais d'avance ce qui vous amène ici. Dites au " ro1 votre maitre qu'il s'eft artiré une puilfante » ennemie dans la perfonne de la fée Gaprofine. » On pourra cependant mettre Ie jeune prince a i> 1'abri des malheurs dont elle 1'a menacé, fi » on a foin d'empêcher qu'il ne voie aucune lai» nère avanr qu'il ait atreinr lage de dix huit » ans. Mais comme on ne peut prendre rrop de » précautions, & qu'il eft prefque impoftible qu'on» » échappe a fa deftinée, je fuis d'avis qu'on donne « au fils du roi le nom de Biribinker. Les vertus » myftèrieufes de ce nom le tireront heureufe» ment de tous les dangers auxquels il pourroit  Dok S i i t i ö „ être expofé... Après avoir dit ces mots, Cara* mouffal congédia l'ambalfadeur qui atriva dans fa patrie au bruit des acclamations de fes concitoyens. Le roi parur très-mécontent de k reponle du grand Caramoutfal. Pour mon ventre,s'écria-t il, je crois que le magicien du mont Atlas fe moque de noUS Biribinker!.. Quel diablede nom! A-t-on jamais ouï dire qüun prince s'appelat Biribinker ? L'ordre de ne pas lailfer voir de laitière a mon fils avant qu'il ait atteint fa dix-humème année, ne me parolt guère plus raifonnable que le nom qüon veut lui faire porter. Depuis quand la vue des laitières eft-elle plus a redouter que celle des autres perfonnes de leur fexe. Encore, s'il eut recommandé qu'on ne lui laiflat voir ni danfeufe , ni dame d'honneur de la reine , je n'y trouverois pas a redire.... Mais, des laitières! . Cependant, toutes réflexions faires, puifque le grand Carmoulfal le veut, que le prince s'appelle donc Biribinker. II fera du moins le premier de ce nom : ce que je crois fuffifant pour lui donner du reliëf dans 1'hiftoire. Je prendrai toutes les précautions nécelfaires pour qu'a cinquanre lieues l la ronde de ma réfidence , il ne fe trouve, ni vache , ni chèvre , ni laitière. Le roi, qui ne réfléchilfoit pas aux fuites defagréables qui réfulteroie.nt de 1'exécution d'un  BE ROSALVA. pareil projet, étoit fur le point de faire publier fon édit, lorfque le confeil aulique lui repréfenta qu'on ne pouvoit, fans une efpèce de tyrannie , forcer les fidèles fujets de fa majefté a prendre leur café fans crème. Le premier bruit de certe ordonnance avoir déja exciré les murmures dn peuple. II commencoir a crier hautement a Vin» jufiice. Le roi fut obligé, a 1'exemple de beaucoup d'autres rois, dont on litl'hiftoire dans les contes des fées, d'éloigner de fa réfidence le prince héréditaire , qui fut cQnfié aux foins & a la vigilance de 1'abeille, fa nourrice , avec prière de ne rien épargnerpourle préferverdes emhüchesquepourroient lui tendre, & la fée Caprofine &c les laitières. L'abeille tranfporta le jeune prince au milieu d'une forêt qui avoit au moins deux cent lieues de circonférence. Le bois étois fi défert qu'il n'y avoit pas une feule taupe dans route fon enceinre. La nourrice conftruifir une rrès-grande ruche de marbre rouge, autour de laquelle elle planta de longues allées d'orangers. Elle éroir reine d'un elfaim de cenr mille abeilles qui étoient fans ceffe occupées a faire du miel pour la nourriture de fon ferrail & pour celle du prince. Elle placa autour de la forêt des eflaims de guèpes, éloignés l'un de 1'autre de cinq eens pas, qui avoient oirdre de veiller foigueufement a la garde des fromicres,  334 Don Silvio Le prince grandifloir a vue d'ceil, & furpafiok en beauté & en rares qualités tout ce qui a jamais exifté. II ne crachoit que du firop, ne piflbit que de Petrol de fleurs d'oranges, & fes langes contenoient des chofes fi délicieufes, qu'on les envoyoit a la reine fa mère, pour en rirer de quoi perfecYionner les delferts de la cour, les jours de gala. Dès qu'il commenca a parietil bégaya des fonnates & des épigrammes. Son efprit devint peu a peu fi mordant & fi fubtil qu'aucune abeille de la ruche n'étoit en état de difputer avec lui. Lorfque ce jeune feigneur eut atteint lage dö dix-fept ans, il écouta un cerrain inftinct qui lui dit qu'il n'étoit pas fait pour palfer fa vie dans une ruche d'abeilles. La fée Melifotte, (c'eft le nom de fa nourrice) fit fon poflible pour 1'égayer & pour le diftraire. De très-habiles chats étoient obligés de lui miauler rous les foirs un concert Italien, ou un opéra de Lulli. Il avoit un petit chien qui danfoit fur la corde. Une douzaine de perroquets, & autant de pies, avoient ordre de lui réciter des contes & de le récréer par leurs faillies. Tous ces amufemens devinrent infipides a Biribinker qui ne fongea plus qu'aux moyens de fe procurer la liberté. Mais comment tromper la vigilance de ces fiers fatellites, que Mélifotte a commis a la garde des frontièrei ? Ces fen-  DE ROSALVA. tmelles ne font a la vérité que des guèpes, mais des guèpes qui repandroient la terreur dans 1'ame d'un Hercule. Leur taille répond a celle d'un jeune éléphanr, & leur aiguillon eft aufli grand & plus dangereux qu'une hallebarde. Ces réflexions accablent Biribinker : fa captivité le défefpère: fes jambes n'ont plus la force de le foutenir; il fe jetre au pied d'un arbre. Un bourdon prefque aufli gros qu'un ours s'approche de fa perfonne & lui parie en ces tetmes: Prince Biribinker, votre triftefTe m'annonce que ce féjour vous déplair. Je vous protefte que je fuis mille fois plus malheureux que vous. II y a quelques femaines que la fée Melifotte me fit 1'honneur de me choilir pour fon favori • mais je vous avoue que je fuis hors d'érat de m'acquirter encore de cerre digniré. Soit dit entre nous, Ie ferrail de notre reine eft compofé de plus de cinq mille bourdons qui ne font certainement pas défouvrés. Je ne me plaindrois pas fi elle me traitoic comme mes camarades • mais la préférence qu'elle me donne, me devient infupportable. II n'y a pas moyen d'y tenir davantage. Prince , il ne dépendroit que de vous de nous procurer la libetté a l'un & a 1'autre. Comment cela? Je n'ai pas toujours été bourdon; & vous feul pouvez me rendre ma forme naturelle. Le jour  j3« Don Silvio Gommence a baiffer. La reine eft occupée dans* fon cabinet a des affaires de la plus grande importance: mettez-vous en califourchon fur mon dos, £c puis je m'envolerai; mais avant toutes chofes y promettez-moi de faire ce que je vous demanderai. Le prince le lui premat & fe placa fur le dos du bourdon, qui fendit les airs avec rant de rapidité, qu'avant fept minutes, ils furent hors de la forêt. Aftuellement vous êtes en füreté, dit 1'animal au cavalier. Le pouvoir du vieux magicien Padamnaba, qui m'a mis dans 1'érar oü vous me voyez, ne me permet pas de vous accompagner plus loin. Mais écourez bien , & obfervez ce que je vais vous dire. Si vous fuivez le chemin qui eft a gauche, vous arriverez dans une vafte prairie , au milieu de laquelle vous verrez un troupeau de chèvres bleues qui püfc autour d'une perite chaumière. Si vous entrez dans certe cabane, vous êtes perdu. Prenez toujours le chemin qui fera a votre gauche, & marchez jufqu'a ce que vous découvriez un chareau a moitié écroulé. Ce quil en refte fuffira pour vous retracer ce qu'il fut autrefois. Après avoir traverfé plufieurs cours % vous appercevrez un grand efcalier de marbre blanc qui vous conduira dans un long corridor, Vous. y verrez a droite & a gauche, nombre.de falies magninquement ornées ik illuminées avec goüt  i> E R O S A L V A. goüt. Jè vous avertis que fi vous entrez dans quel-> qu'un de ces appartemens la porte s'en fermer;* auflï-tót d'elle-mcme; & qu'aucun humain n'aura le pouvoir de vous rendre la liberré. Allez jufqu'a 1'extrêmité du corridor : vous y verrez une porte fermée qui s'ouvrira d votre approche, fi vous prononcez le nom de Biribinker. Entrez dans eer appartement, & paffez-y la nuit : voila ce que je vous demande, Seigneur, je vous fouhaite un bon voyage, Si vous avez lieu de vous applaudir d'avoir fuivi mon confeil, n'oubliezpas que vous me devez de la reconnoilTance. A ces mots le bourdon s'envola, laifTant Ie prince étonné de ce qu'il veiioit d'entendre. Impatiënt de voir vérifier les merveilles qu'on lm" avoit prédites : il marche toute la nuit - c'éroir en été, & il faifoit uil très-beau clair de lam. Dés la pointe du jour, il appergur le pré, Ia chaumière & les chèvres bleues. Biribinker fe reffbuvint très-bien de la défenfe que lui avoir faire Ie bourdon ; mais, a I'afpeét de la chaumière, il 1U| fut impoffible de fe conformer d 1'avis de celui qui l'avoit fagement confeillé. II enrra dans la cabane, oü il ne trouva qu'une jeune laitière vêtue d'un corcet & d'un.cotilion plus blancs que 1'albatre. Elle étoit fur le point de traire quelques chèvres qui étoient attachées a une crèche de diamans. Le vafe qu'elle tenoit étoit formé d'ai% Tome XXXVI* Y  ?5S D o w S r t v ï o' feul rubls. Au lieu de paüle, 1'étable étoit jonchée de fleurs de jafmin. La rareté de ces bijoux auroic dü fixer, au moins un inftant, 1'attention du jeune prince; mais fes yeux n'étoient fixés que fur la jeune iuconnue. En effet, Venus n'éroit pas plus beile ,: lors même que les zéphyrs^ Ia tranfportèrent fur le rivage de Paphos, Sc Hébé étoit moins féduifante au moment qu'elle verfoit du nectar aux dieux. Les joues de la laitière étoient plus fraiches & plus vermeilles que la rofe qui vient d'éclorre. Le rang de perles qu'elle portoit au cou, rehauftbir encore la blancheur de fa gorge. Tous les traits de fon vifage, qui étoient parfaitementbien proportionnés, annoncoient de 1'efprit & de la bienfaifance ; fon fourire étoit laviffant. Un feul de fes geft.es auroit eaptivé un cceur. L'expreflion de la tendreffe & de 1'innocence, éroit répandue fur tout fon être. Cette charmante perfonne parut agréablement furprife de la rencontre du prince Biribinker, indécife fur ce qu'elle devoit faire, elle s'arrêra & le contempla d'un regard mèlé de pudeur, de timidité , de plaifir cW'innocence. Oui, oui, s'écria-t-elle, au moment que le prince tourna a fes génoux, c'eft lui; je n'en puis douter Quoi! s'écria le prince tranfporté de joie, qui conjeduroir, par les mots qu'elle venoit de prononcer, qu'il étoit connu, & qu'on ne le regardoit pas d'un &i  i>e R o s a t v a; $3$) Indifférent, eft-ce que le trop heureux Biribinker. ... Dieux! s'écria la laitière, en reculanl deffroi, quel nom odieux viens-je d'entendre ! comment mes yëux & mon cceur onr-ils pu me tromper jufques-Lh Inforrunée GalaóHne !... A peine eut-elïe achevé de parler qu'e'de fortit de h cabane, & s'enfuit avec une vïteffe furprenante. Le prince refa un moment immobile & confterné. 11 ne pouvoit comprendre pourquoi fon nom avoir infpiré tant dWreur k la belle laitière. Toure réflexion faire, il prend le parti de la pourfuivre; mais fes efforts font vains : la fugirive court avec tant de légèreté, que fes pieds ne font qu'effleurer I'herbe• & bientót un bois touffu la dérobe entièrement aux yeux du malheureux Biribinker. II pénètre dans le bois, parcourt vingt fentiers divers, & paffe la journée k chercher mutilement les traces de celle qui a ravi fon cceur. Le foleil étoit déja couché, lorfque le prince fe troiiva opinément k la porre d'un vieux chateau a momé écroulé. II voyoir ca & H des reftes de murs de marbre, & des colonnes renverfées incruftées de diamans. II fe heurtoit k tout moment contre des efcarboucles & des rubis. Tout contribuoit k faire connoitre a Biribinker qu'il étoit k la porte du palais dont fon ami ie bourdon lui avoit parlé. L'efpérance de rerrouver fa YiJ  '340 Don Silvio laitière, dans cette fuperbe mafure, 1'enhardit i y entrer. Après avoir traverfé rrois grandes cours, il fe rrouva au pied de 1'efcalier de marbre blanc qu'on lui avoit indiqué. Sur chaque marchre de cec efcalier étoient deux lions qui, toutes les fois qu'ils refpiroient, jetoient tant de dammes par les yeux & les narines, qu'on y voyoit comme en plein jour. Mais a peines ces animaux féroces appercurent-ils le jeune prince, qu'il* s'enfuirent en faifant des rugiflemens hombles. Biribinker monta avec intrépidiré, & arnva dans une longue galerie. II y vit, en palfant, les falies dont on lui avoit parlé; mais il fe donna bien de garde d'y entrer. Chacune de ces falies qui étoit magnifiquement ornée, conduifoit a des apparternens encore plus fuperbes. A 1'extrémité du corridor, le prince trouva une porte d'ébéne fermée. Le rrou de la ferrnre étoit remplie par une clé d'or , qu'il effaya inutilement de toumer. Mais dè^ qu'il eut prononcé le nom de Biribinker, la porte s'ouvrir d'elle-même. II entra dans un grand falon donr les mnrs étoient couverts de 'glacés. Un luftre de diamanr, garni de cinq eens lampions , remplis d'huile de cannelle, étoit fufpendu au delfus d'une table d'ivoire, de forme ovale, foutenue par des tréteaux d'émeraude. On voyoit deux.buffers d'azur, couverts d'affiettes d'or, de gobelets & de coupes du même métal. Quand le  DE R O S A L V AÜ 34I' prince eut confidéré avec arrenrion tout ce qui s'offroit a fes regards, il appercut une porre qui le conduifit dans plufieurs autres appartemens, qui fe furpaffoienr tous en magnificence. Tant de beautés l'exrafioient., rl ne pouvoit celfer de les admirer. Les avenues du chateau, lui avoient annoncé un édifice abandonné ; mais fintérieur ne lui permettoit pas de douter qu'il ne fut habité: cependant il ne voyoit ni n'entendoit ame qui vive. II levaun peu de tapifferie dans la dernière chambre, fous laquelle il trouva une perite porre qui donnoit dans uh cabinet, oü Part même des fées, paroiuoit être furpaffé. On y éroit éclairé par un mélange agréable d'ombre &c de lumière , & il n'y avoit pas moyen de découvrir d'oü venoit ce crépufcule enchanré. Les murs de granit nok & poli, repréfentoient différenres fcènes de 1'hiftoire de Vénus & d'Adonis. Une odeur délicieufe femblable a celle qu'on refpire dans un parrerre , lorfque Zéphyr vienr ranimer les fleurs que le foleil a delféchées, étoit répandue dans tout le cabinet. Une douce harmonie frappoir agréablemenr 1'oreille, comme fi elle eut été produite par an concerr , affez avanrageufement placé pour ne laiffer entendre que ces fons touchans qui fubjuguent les cceurs fenfibies. L'unique meuble de ce cabinet, éroit un lit de repos, le plus voluptueus qüon puiffe imaginer, dont Yfij  14* Don Silvio les rideaux entr'ouverts étoient foutenus par un petit amout de marbre blanc & noir ; on peut aflurer qu'il ne lui manquoit que la parole. Cet afpe& excita un trouble fecret dans 1'ame de notre jeune prince. L'image de la belle laitière vim frapper fon imagination, avec une nouvelle force. 11 exprime en termes pathétiques , la douleur qu'il reflent de l'avoir perdue. II gémit, il 1'appelle , il renouvelle fes recherches; mais tout eft inutile. Excédé de fatigueil retourne dans le cabinet, & fe réfout a profiter du lit de repos pour rérablir fes forces. A peine eft-il dèshabillé qu'un befoin indifpenfable Ie force de regarder fous le lit. Il y trouve un vafe de criftal de roche qui porre encore les marqués de 1'ufage auquel on 1'a autrefois employé. Le prince commence a y. répandre de 1'eau de fleurs d'orange ; & aufli-tot le vafe lui tombe des mains, difparoit, & il le voit remplacé par une jeune nymphe d'une beauté ïavilfante. Elle fourit a ce jeune héros, s'appercut du trouble que lui avoit caufé cette étonnante métamorphofe, & lui dit, foyez le bien venu r prince Biribinker! N'ayez aucun regret d'avoir obligé une jeune fée qui, depuis detix eens ans , eft 1'införtunée victime de la jaloufie d'un batbare. Parlez moi fincèrement : ne croyez-vous pas que la nature m'a deftinée a un ufage bien plus noble que celui auquel vous étiez ptêt a  T) ï R o s A l v A.' 34 5 m'employer ? Elle exprima ces mots en langant un regard dont la direction acheva de déconcerter Biribinker. Il avoit, comme nous avons dit, beaucoup d'efprir & d'intelligence, mais autant d'étourderie. Ilfentit bien qu'il éroit de fon devoir de répondre quelque chofe d'obligeant a la fée. Etant accoutumé de donner une tournure iingulière a rout ce qüil difoit, fon imagination ne put le prélerver de dire une fottife. II eft beu* reux pour vous, belle Nymphe, répondit-il, que )"e n'aie pas cuinrention de vousobliger, dans le tems que je vous ai rendu un fervice fi important, Je fcais rrop bien ce que la bienféance.... Oh! trève de complimens, répliqua la fée. Ils font déplacés dans un moment ou tout m'engage a vous donner des preuves de ma gratitude. Je me dois entièrement a vous. Nous n'avons que cette nuit a refter enfemble. Vous avez befoin de repos. Vous êtes déja dèshabillé : couchez-vous. II y a dans la grande falie un canapé fur lequel je pafferai commodément la nuit. Madame, reprit le prince , fans favoir ce qu'il alloit dire : je ferois en ce moment le plus heureux des morrels , fi je n'étois pas le plus malheureux. Je vous avoue que j'ai trouvé ce que je ne cherchois pas , en cherchant ce que j'avois perdu. Et fi la douleur de vous avoir ttouvée pouvoit... ... Non la joie, voulois-je dire.... Yir,  $44 Don Silvio En vérité, interrompit la fée, je crois que vous rèvez. Je ne concois rien a vorre manière de faire des complimens... Convenez, prince Biribinker ? que vous êtes amoureux d'une laitière ? Puifque vous avez le talent de déviner, repon» dit le prince, je ne puis vous nier que Vous êtes amoureux d'une laitière que vous avez trouvée ce matin dans une chaumière , ou plutot dans uneétable. Mais d'ou vient, je vous prie Comment pouvez-vous...? Elle étoir fur le point de traire une chèvre bleue qui fe repofoit fur une litière de fleurs de jafmin,. Lé vafe qu'elle deftinoit a. recevoir le lait, étoit de rubis .. .Tout cela n'eft-il pas vrai ? Comment fe peut-il, s'écria lé prince, qu'une perfonne qui, il n'y a qu'un quart d'heure (pardonnez-moi le mot) étoit encore .... Je ne puis me déterminec a le dire.... Vous me concevezs fürement. Et la laitière s'enfuit, lorfqu'elle entcndit le jiom de Biribinker. Comment pouvez-vous favoir toutes ces parti-. cularités? II y avoit deux eens ans, felon votre ealcul, que vous étiez dans 1'érat oii je vous ai trouvée , lorfque j'ai eu 1'honneur de faire inopinément connoiflance avec vous. De mon cóté, cette enttevue n'étoit pas ino-  BE R O S A L V A." pinée. Mais différez encore quelque tems votre curiofité. Vous êtes fatigué , & vous n'avez rien pns d'aujourd'hui. Venez avec moi dans le falon. Le couvert y eft mis pour nous deux. Je me flatte que vorre fidélité pour la belle lairière ne vous empêchera pas de me tenir compagnie, au moins a table. Biribinker fentit très-bien ce reproche • mais il fit femblant de ne pas s'en appercevoir. Après avoir fait une profonde révérence, ilendolfaquelques habits & accompagna la fée dans le falon. Dès qu'ils y furent, la belle Criftalline (c'eft: ainfi que fe nommoit la fée) s'approche de la cheminée, prit une baguette de bois d'ébène, garnie aux deux bouts d'un talifman de pierres précieufes, & dit je n'ai plus rien a craindre. Je fuis a&uellement maitrelfe de ce palais qu'un grand enchanteur conftruifit, il y a cinq eens atis. Je regne fur quarante mille efprits élémentaires , que le même magicien deftïna a le fervir. Criftalline frappa rrois fois fur la table; & Biribinker vit au même moment cette table couverte de mets délicats & recherchés. Les flacons du buffet fe rempliflbient d'eux-mêmes. Je fais, dit Ia fée , que vous ne mangez que du miel. Goütez, je vous prie de celui-ei; & dires-moi, fi vous en avez jamais mangé de niedleur—, Le prince jura que ce ne pouvoit être  $4^ Don Silvio que de rambroifie des dieux. On le prépare, répondit - elle , des exhalaifons les plus pures de certaines fleurs qui ne fe fannent jamais, & qui n'éclofent que dans les jardins des fylphes..... Que dites-vous de ce vin, conrinua-t-elle, en lui en offrant une coupe ? Je vous protefte, s'écria le jeune prince, tout hors de lui-même, que la belle Ariane n'en verfa jamais de meilleur a Bacchus—. On le prefle, repliqua la fée, des raifins qui croiflènt dans les jardins des fylphes. C'eft a. ce jus délicieux dont ces efprits font un ufage continuel, qu'ils doivent leur jeunefle Sc leur gaieté immortelle, La fée ne paria pas d'une des propriétés de ce nectar; mais le prince en reflentit bientot les effets. Plus il en buvoit, plus il trouvoit de charmes a fa compagne. Après le premier coup, il s'appercut qu'elle avoir des cheveux du plus beau blond; au fecond , il fut frappé de la beauté de fon bras; le troifieme lui fir découvrir une foflette a la joue gauche; Sc le quatrième conduifit fes regards fur une gorge donr la blancheur & le contour 1'enchanrèrenr. Cette belle perfpeótive 8c 1'attrait de porter a la bouche une coupe qui fe rempliflbit d'elle - même , a mefure qu'il la vidoit, le conduifirent infenfiblement a une douce rêverie , qui lui fit oubliet toutes les laitières du monde. Que dirons-nous ? Biribinker étoit trop  beRosaiva. 347 poli pour lailfer coucher une fi belle fée fur un fopha; & la fée écoit trop reconnoilfante pour lailfer le prince feul dans un des appartemens d'un vafte palais; oü quarante mille efprits ródoient nuit & jour. En un mot, Ia politelfe & la recon-. noilfance furent poulfées a 1'excès de part & d'autre ; & Biribinker fe montra digne de la bonne opinion que la fée avoit concue de lui , dès le premier moment qu'elle l'avoit vu. Criftalline , dit 1'hiftoire, s'éveillala première, & rougit de voir un prince fi extraordinaire en bonne compagnie. Seigneur Biribinker, lui ditelle, je vous ai de grandes obligations. J'ai été délivrée par vous, du plus défagréable de tous les enchantemens. Vous m'avez vengée d'un jaloux. II ne refte plus qu'une feule chofe a faire; &C après cela, vous pouvez compter fur 1'éternelle reconnoilfance de Ia fée Criftalline. Qu'exigez - vous donc encore , demanda le prince, en fe frottant les yeux ? Ce palais , répondit la fée, appartenoit, comme je vous ai dit, a un enchanteur. 11 avoit un pouvoir prefque illimité fur tous les élémens. Mais il ne polfédoit aucun droit fur les cceurs. Malgré fon age & fa longue barbe , qui lui defcendoit jufqu'a la ceinture, il étoit 1'être le plus amoureux qui fut jamais. II s'éprit de moi. Et je puis dire, que s'il n'eut pas le talent de fe faire aimer;  34S Don Silvio il eut celui de fe faire craindre. Remarquez, s'il vousplair, labizarrerie du forr. Jelui refufai mon cceur, qu'il s'efforca inurilemenr de gagner•, Sc je lui abandonnai ma petfonne qui ne lui étoit bonne a rien. 11 devinr jaloux par ennui, mais li jaloux, qu'il étoir infupporrable. Son domeftique étoit compofé de fylphes de la plus grande beauré. Si je prenois avec eux quelques innocentes libertés, le magicien étoit tranfporté de colère Sc de rage.'Si par hafard il en trouvoit un dans mon appartement ou fut mon fopha, le fylphe Sc moi étions rigoureufement punis. J'exigeois du cruel magicien qu'il fe fiat a, ma vertu & a ma bonne foi y mais elles ne lui paroilfoieht pas un garant alfez für de ma fidélité. 11 fe déric de tous fes fylphes pour n'être fervi que par des gnomes Sc des nains contrefaits , dont 1'afped feul me faifoit trouver mal, tant il m'infpiroit de répugnance. Cependant, comme 1'habitude rend tout fupportable , je me fis peu a peu i leur figure : de faeon que je trouvai palfable ce qui d'abord m'av.oit paru horrible. Chacun d'eux avoit quelque chofe de révoltant dans fa configuration. L'un portoit une boffe femblable a celle d'un chameau; 1'autre avoit un nez qui defcendoit en forme d'arc, jufqu'au defious de fon menton. La bouche d'un troifiéme reffembloit a celle d'un faune , Sc divifcit fa tets en deux hémifphères, En un mot, une  de R o s a t v a. 349 imagination chinoife ne fauroit inventer rien de plus grorefque que la figure de ces nains. Cependant le vieux Padmanaba ne s'appercevoir pas que parmi ces gnomes il s'en trouvoir un plus dangereux que le fylphe le plus accompli. Ce n'eft pas qu'il'fut moins hidsux que les autres; mais la nature, en fe jouant, 1'avoit doué d'une forte de mérite , d'une certaine qualité qui lui feyoit autant qu'elle déparoir fes confrères Je ne fais fi vous me comprenez, prince Biribinker? Pas rrop , répliqua le prince; mais conrinuez : peut-être ferez-vous plus inrelligible dans la fuite. Grigri ( c'eft ainfi que s'apeloit le gnome) ne tarda pas a croire qu'il me déplaifoit moins que fes camarades. II eft tout fimple qu'on cherche a fe recréer quand on s'ennuie; & Grigri avoit un talent merveilleux pour amufer les dames. Padmanaba s'appercut bientot de Ia féréniré & de 1'air de contentement qui régnoient fur mon vifirge : & il ne doura pas qu'ils ne fuffent occafionnés par des plaifirs différens de ceux qu'il me procuroir perfonnellement. Malheureufement il parvfnr, par une fuite de calculs & de fyllogifmes, a découvrir les myftères. Après nöus avoir épiés pendanr long-rems, il prit fi bien fes mefures, qu'il nous furprir enfemble dans ce même eabiner. Grigri y étoit occupé a me faire fes agaceries &c  $5<* Don S i t v t o fes carelfes ordinaires. Prince, vous ne faurieüS vous faire une idéé de la colère de Padmanaba : il écumoit de rage. Qu'il fe facha contre lui-même de n'avoir pas le mérite de Grigri: a la bonne heure. Mais il étoit injufte de nous en punir. En effer, reprit Biribinker, rien de plus déplacé. Je parie que s'il eut eu les bonnes qualités de Grigri , vous 1'euffiez préféré a un nain Un moment. Vous allez apprendre la fuite* Après qu'il nous eut fait tous les reproches que lui dictoit fa cruelle jaloufie , il me changea.... Vous favez en quoi...... Et le pauvre Grigri eri bourdon. En bourdon? s'écria Biribinker. Voila qui eft fingulier 11 fe pourroit trcs-bien que je connulfe monfieur Grigri. A condition , continua la belle Criftalline, que je ne reprendrois ma forme naturelle que lorfque le prince Biribinker auroit verfé.... Pardonnez, fi ma pudeur m'empêche de m'exprimer plus clairement Et au moment que j'eus Ie bonheur de vous connoitre je vous pris pour Grigri. Vous me faites trop d'honneur, repliqua le prince. Si j'avois fu que votre cceur fut épris d'un objet fi Vos complimens me gênent 8c démentent la bonne opinion que j'ai concue de votre efprit 8c  T> e R o s a l v Al jj» 'de vos talens. Je ne fais pourquoi j'ai tant de confiance en vous. Je me repofe entièrement fur votre difcrérion. Mais comment s'eft-t-il fait que nous foyons devenus fi familiers ? La joie que j'ai eue de vous rencontrer, & la fatisfadiort que m'a procurée votte fociété m'ont peut-êrre entrainée a vider une coupe de plus qua mon ordinaire. Je me flatte cependant que vous ne pafferez pas les bornes que prefcrit la décence. Réellemenr, belle Criftalline, vos propos me paroilfent finguliers. Que votre mémoire eft courte! Je ne fuis plus étonné que vos prérentions allaffent jufqu'a vouloir que le vieux Padmanaba fe repofat entièremenr fur votre verru. Mais ne parions plus de cela. Certe converfation vous déplaït. Dites-moi ce qu'eft devenu le bourdon. A propos, j'allois 1'oublier. Le cruel Padmanaba a prononcé d'une manière fi inintelligible fur la délivrance du pauvre Grigri, que je ne fais comment vous 1'expliquer. Mais enfin , a quel prix a-t-il mis fa liberté? Je ne fais, répondit Criftalline, ce que vous avez fait a eet enchanteur, ni pourquoi il vous a-compromis dans un tems oü votre bifaïeule n'étoit pas même nee. Quoi qu'il en foit, Grigri ne doit recouvrer fa première forme que lorfque Non Je ne puis achever Ma délica-  35* Don Silvio tefle ne me le permet pas... Si vous ne ponVê* me deviner Que fur le champ je fois moi-même changé en bourdon, fi je devine un feul mot de ce que vous voulez dire. Achevez promptement, je vous prie : il fait grand jour ; & je ne puis m'arrêter. Comment, s'écria la fée, vous vous ennuyez avec moi! Ne pourrai-je, pour quelques heures, vous faire oublier une laitière? Votre intérêt exige que vous me fafliez Ia cour : fachez que ie puis, plus que perfonne, conrribuer a votre bonheur. Que dois-je donc faire, repliqua Biribinker? Le pauvre Grigri ne redeviendra Grigri qu'a condirion que le prince Biribinker... Eh bien! devinez donc S'il n'étoit pas queftion de la dclivrance d'un ancien ami, je ne pourrois me xéfoudre a devenir le facrifice Je m'imagine que Padmanaba n'a pas exigé que je vous örafle la vie? Que vous concevez difficilement!... un amant fincère n'aimeroit-il pas mieux mourir que de voir fa belle dans les bras d'un autre ? Ah, ah, je vous comprends, madame, dit froidement Biribinker. Je fuis tout-a-fait convaincu de la délicatelfe de vos fentimens. Mais permettez-moi de vous faire reflbuvenir que fi. la  BE ROSALVA. Ia délivrance de Grigri ne tenoit qu a ce que vous Voulez dire, il doit être défenchanté. Quant au furplus, je fuis Ie très-humble ferviteur de meOieurs Grigri & Padmanaba. II y a dans ce palais dix-mille gnomes, parmi lefquels on en peur choifir un qui remplira la commiffion mieux que moi... Mais vous voyez combien cette matinee efl: belle. Daignez, ó vous don: 1'ame eft totalement défintéreffée, m'indiquer la route que je dois fuivre , pour rerrouver ma chère GalacHne! Je publierai par-tout que vous êtes la plus généreufe, & même , fi vous le voulez, la plus grande de toutes les fées. Vous ferez fatisfait, répondit Criftalline. Ailez chercher votre laitière , puifque c'eft Ia votre deftinée. J'aurois peut être fujet de me plaindre dé votre conduite : mais en faveur de votre palfion, on peut vous pardonner bien des chofes. Partez, prince. Vous rrouverez dans la cour une mule qui ne ceffera de trorrer que lorfque vous aurez rencontré vorre Galactine. Etfi, conti e mon attente, il vous arrivoir quelques contierems, vous rrouverez dans cette gouifè de pois, uii remède infaiilible contre tous les malheurs. Que je fuis enchanté, dit don Eugénio, en interiompant fon ami, que vous ririez Biribinker de ce maudit chateau. Quel infipide perfonnage que cette Criftalline! Tomc XXXFI. 7  JJ4 Don Silvio En vous apprenant que c'étoit une fée, je voüS en clifois affez , repliqua don Gabriel. Je n'imagine pas, dit don Silvio , d'un grand férieux, que vous veuillez nier qu'il y ait des fées eftimables. Oui, meffieurs, il y en a qui font dignes de toute notre vénération. Je fais qu'il y a quelque chofe de fuigulier dans leur conduite, qui les diftingue des mortels : mais pour cela, en font-elles moins refpe&ables? Mais que dites-vous, reprit don Eugénio, de la délicatelfe Sc de la vertu de Criftalline? Que ce n'eft pas a nous a jugerles fées, répondit don Silvio : Sc fur-tont dans cette occafion. L'hiftoire du prince Biribinker eft le conté le plus extraordinaire que j'aie jamais lu. Vous m'avouerez cependant, ajouta don Gabriel . , que la conduite de Criftalline eft un peu repréhenfible. Au refte , fi vous vous mettez a la place du prince, vous ne rrouverez pas la converfation de la fée aufti infipide qu'elle vous 1'a paru dans ma bouche. On aime a entendre parler une belle perfonne , dont le fon de la voix eft agréable. Elle perfuade, elle touche fans qu'on faffe attention a ce qu'elle dit. Si vous n'avez rien de plus gracieux a dire de mon fexe, répondit dona Félicia, vous ferez mieux de continuet votre hiftoire, que lqueeunuyeufe qu'elle foit,  i>E RosalvA. x^ Biribinker, continuadonGabriel, mit lagouffe de pois dans fapoche, remercia la fée, & defcendit dans la cour. Voila, lui dir Criftalline qui 1'avoie. accompagné, la mule la plus extraordinaire qui fut jamais. Elle defcend en droite ligne, du fameux cheval de Troie & de 1 anëfle de Silène. Du cöté paternel, elle a la qualité detre de bois, & par conféquenr, de n'a voir befoin ni de nourrirure» ni de repofer fur ia lirière, ni detre étrillée; du coré maternel, elleacellede marcher légéremenr, fans incómmoder fon cavalier, & d'être aufli douce qu'un agneau. Vous pouvez monter deflus , 8c ia lailfer aller a fon gré. Elle vous portera auprès de votre lairiète; & fi vous n'y êtes pas aufli heureux que vous le defirez, vous n'en pourrez imputer la faure qu'a vous-même. Le prince examina de tous les cötés ce courtier extraordinaire. II auroit pu dourer de fes rares qualités, li rout ce qu'il avoit vu dans ie palais eut été moins merveilleux. Pendant qu'il mon* tolt, Criftalline voulut lui donner une preuve de fa puiflance. Elle fendit trois fois fait avec fa baguette; & aufli-töt, les dix mille fylphes que le vieux Padmanaba avoit foumis a fon obéiflanceparurent. La cour, 1'efcalièï, la galerie, & même fair, étoient remplis de jeunes hommes aïlés, dont le plus laid futpaffoit en beauté 1'Apoiloa du Vatican. Par toutes les fées, s'écria Biri- Zv  356 Don Sitvio binker, quelle brillante cour vous avez-la, madame! Grigri peur refter bourdon tant qu'il vous plaira. Vous avez dans cette charmante légion de quoi vous dédommager de fon abfence. Vous voyez au moins, répliqua Criftalline , que ma cour n'eft pas dépeuplée. En difanr ces mots, elle lui fouhaita un bon voyage, & Biribinker partir au trot fur une mule de bois, en réfléchiflant a tout ce qui lui étoit arrivé de merveilleux dans le chateau qu'il venoit de quitter. CHAPITRE IL Suite de Vhiftoire du prince Biribinker. J'omettrai routes les réflexions que fit Biribinker fur fa mule, conrinua don Gabriel, pour vous dire* que la chaleur devint fi forte vers midi, que ce prince fur obligé de mettre pied a terre a 1'enrrée d'une forêt, & qu'il s'y repofa fur le bord d'un ruilfeau que quelques arbres touffus mettoient a couvert des rayons du foleil. 11 y avoit tout au plus un quart-d'heure que notre voyageur prenoit le frais, lorfqu'il appercut une bergère qui conduifoit devant elle un troupeau de chèvres couleur de rofes : fon projet paroifloit être de  »i R o s a l v M. 5 57 I'abreuver dans le ruifleau dont nous venons de parler. Faires - vous une idéé, don Silvio, du plaifir que dut éprouver Biribinker, quand il reconnut fa belle laitière dans la perfonne de celle qui conduifoit les chèvres. Elle lui parut cent fois plus belle que lorfqu'il la vit pour la première fois. Galaat-ine, au lieu de fuir, s'approchoit peu a peu du héros de mon cente. Elle s'alïit enfin fur 1'herbe, prés de lui, fans faire femblant de 1'appercevoir. Le prince n'ofa 1'aborder •, mais il lui lanca des regards fi ennammés , que les cailloux du ruiffeau en furent prefque virrifiés. La bergère, d'un air indifférent, s'amufoit agarnir fa houlette de guirlandes. Si elle tournoit quelqucfois les yeux de fon cöté, c'étoit comme par hafard. Le prince obfervoit alternativement les geftes de fon amanre, & les interprétoit tous a 1'avantage des mouvemens de fon cceur. On ne fair ce qui 1'enhardir; mais il s'approcha de GalacFine, fans en erre appercu , paree qu'elle éroit occupée a careffer une jeune chèvre. Les yeux de nos amans fe rencontrent. Biribinker n'eft plus mairre de lui„ même. II va fe jeter aux geroux de fa belle, Sc lui fait un difcours aufli éloquent que pathétique. Lorfqu'il 1'eut fini, la bergère lui dit d'un ton honnête : je ne fais fi je Z iv  j£o Don Silvio riture de fes petits. Biribinker ayant formé ce généreux projet, ouvrit fon petit couteau , fur lequel éroit gravé un taüfman, & travailla avec tanr d'activité qüen peu de tems, il fit une affez grande ouverrure dans le fac, quoique chaque brin de hl qui formoit la toile fut plus gros qu'un cable. Ils paffoient précifément alors dans une forêt. Le prince crut devoir profirer de ce moment pour s'échapper. II efpéroit de pouvoit s'accrocher a quelques branches des plus hauts arbres. Ce projet formé, il fe Iaiffe aller fans que ls géant s'en appercoive, attrape une branche; mais elle fe rompt, & le pauvre Biribinker tombe dans un grand baflin de marbre, qui fe trouve par bonheur perpendiculairement au-deffous de lui. Ce qu'il avoit pris pour une forêt, étoit un fort beau pare, auquel attenoit un magnifique chateau. Le prince crut être tombé au moins au milieu de la mer Cafpienne; ou, pour parler avec plus de vérité, il ne crut rien du ;oat. La frayeur l'avoit tellement faifi qu'il refta immobile; & il y a apparence qu'il n'auroit jamais revu le continent, fi une nymphe, qui fe baignoit précifément alors , ne fut venue le fecourir. Le danger oü elle le vit, lui fit oublier Pétat dan* lequel elle étoit. En effet, il auroit eu le rems de fe noyer tandis qu'elle fe feroit habillée. Biribinker, en reprenant fes efprits, fentit que fon  DE RoSALVA. 361 vifage étoit collé fur le plus beau fein qui fut jamais; & lorfqu'il put ouvrir les yeux, il le vit au bord d'un grand baflin, enrre les bras d'une nymphe dont le défordre & la beauté réveillèrent le trouble de fon ame. Cette fituation lui parut fi agréable qu'il ne put profeter un feul mot. Mais dès que la nymphe s'appercut qu'il étoit hors de danget, elle fe dégagea & fe précipita dans 1'eau. Biribinker qui croit qu'elle veut le fuir, fait retentir l'air de cris de défefpoir. La nymphe compatiifante élève fa tere. Ses yeux rencontrent ceux du prince : ils rougilfent l'un & 1'autre : elle fait le plongeon & nage entre deux eaux jufqu'a 1'autre córé du baflin oü étoient fes habits. Le prince la luit;—Prince, que vous êtes indiferet! Pardonnez-moi, belle nymphe, vous venez de me rendre un fi grand fervice que je croyois... Voili les hommes! de purs fentimens de pirié ou de géncrofiré nous cohduifent quelquefois k les obüger : & cela fuffir felon eux pour les au- torifer d nous manquer paree que je vous ai fauvé la vie ' Qae vous êres crueile! Vous atrribuez a ia témérité ce qui efl 1'effer de 1'impreffion qu'ont 'faite fut moi vos charmes. Si vous voulez mepriver de la vie que vous venez de me rendre, immolez-moi a vos traits, faites que je devienne !a  3 & que d'autres accouchèrent avant-rerme; mais comme les fraudes douleurs ne fout pas de longue durée, mes chagrins cefsèrent dès que je me rappelai que Padmanaba m'avoit lailfé les moyens de conferver mon honheur & ma vertu. J'ai vu dans ce pare une quantité innombrable de princes & de clievaliers qui ont eu la douleur mortelle de ne plus Tornt XXXVI, A a  Ijq Don Silvio voir qu'un crocodile hideux, lorfqu'iis vouloient aborder une affez belle fée. Leurs pleurs ont tellemenr grodi le volume d'eau contenu jadis dans ce bafTin , qu'il relfemble actuellemenr a un petit lac. Plufieurs d'enrr'eux qui, par défefpoir, fe font précipités dans eet élément, y auroient trouvé la morr, fi mes nymphes ne les en euflent retirés- Vous feul, trop heureux Biribinker, vous •feul aviez le pouvoir de détruire un enchantement qui m'a expofée a voir tant de témoins de mon malheur Au refte , prince , que le fou- venir de ma confiance ne vous fcandalife jamais. Lucrèce n'auroit pas été propofée comme un modèle de vertu , fi elle eut mis Tarquin dans 1'impoflibilité d'attenter a fon honneur. Une femme d'une fagelfe ordinaire auroir fermé fon appartement au verrou. Lucrèce le laiffe ouvert:elle fait plus, elle fe rend; mais c'eft pourapprendre a 1'univers que la plus légere taehe qui ternit 1'éclat de la vertu , ne doit être lavée que dans le fang. Voila comme penfent les grandes ames. L'idée d'obtenir ma liberté & 1'efpoir de rriompher déformais de toures les diflicultès, ont été mes guides dans la conduite que j'ai tenue avec vous.... A la bonne heure, madame, répondit Biribinker Je me démets aétuellement de toutes mes prérogatiyes en faveur des falamandres , des  DE R O S' -A L V Ai J 7 I fylphes, des gno.m'es, des faunes & des tritons qui lont a même de tenir votre vertu en haleine. Paar moi, je vous demande la permiffion de me retirer, & je vous fuppüe de m'accorder votre puilfanre protedtion. Partez quand il vous plaira. Je ne vous ai pas priéde venir en ces lieux. Quant a la protedtion que vous me demandez , ie ne faurois vous cacher que votre bonheur dépend de vous même Sa vous vous comportez comme vous avez fait jufqu ici, toutes les fées du monde vous protégeroiem oue cela n'aboutiroit a rien. A-r-on jamais vu un amant tel que vous! Vous courez les champs pendant le jour, pour chercher vurre maicrelfe , & la nuir vous 1'oubliez. Chaque matin votre amour recommence, & chaque foir voit renaïtre votre infidélité. A quoi peut vous mener unepareille conduite? II faudroir que votre beigère fut un modèie dedociüté , pourfe fansfaire de cette facon d'aimer... Le tems preffe , reprit Biribinker Dites-moi, degrace, comment je pourrai dc'livrer ma chère Galaétine des mams du maudit géant qui me ia ravie hier.., Ne nous inquiétez pas du géant, répondit la Nymphe. Un riva! qui fe cure les denrs avec un orme, n'eft guère redoutable. Je connois un gnome qui, tout petit qu'il eft, pourroit vous Aaij  J7i D O N S I L V I o faire plus de tort que Caraculiamborix. Ne vous occupez que des moyens d adoucir votre bergère; le refte viendra de foi même. S'il vous arrivoic d'avoir befoin de mon fecours, caffcz l'ceuf d'autruche que voici : & je vous promets qüd vous rendra autant de fervices que la gouffe de la fée Criftalline, Mirabelle eut a peine achevé ces dermeres paroles qu'elle difparut, ainfi que le cabinet & le palais. Biribinker fe trouva,fans favoir commenr, dans .1'endroit oü il avoit éré enlevé par le geant Caraculiamborix. On ne peut être plus éronné que le fut Biribinker de toutes les chofes extraordinaires qu'il avoit vues depuis fon évafion de la grande ruche. 11 fe frotta les yeux, fe pmca les btas , fe tira le nez , & malgré tout cela, ne put encore deviner s'il étoit bien véritablement le prince Biribinker. Plus il y réfléchilfoit, & plusd fembloit que toutes ces merveilles ne lm étoient , atrivées qu'en fonge. Il étoit pree i croire fon opinion bien fondé , lorfqu'il vit fortir au bolouet une chalferefte dont l'air, la taille & les Lees annoncoienr Diane. Elle étoit vêtue d'une longue robede taffetasverr, parfemée d'abeilles d'or. Cet habit relevé jufqu'aux genoux, fecroifeh fur 1'eftomac par le moyen d'une ceinture de diamans. üne partie de fes beaux cheveux étoit nouée avec un rang de perles, Sc le refte  DE RoSALVA. J7J flottoic en petites boucles fur fes épaules. Elle porroit une javeline dans fa main, & un carquois d'or pendok fur fon dos Pour le coup, dit Biribinker, je fuis fur que je ne rêve pas. La belle s'approcha fi prés de lui, qu'il la reconnut pour être fa chère Galactine. Elle ne lui avoit jamais paru fi ravilfante, que dans eet ajuftement qui lui donnoit en effet un air de déelfe. Notre héros oublia tout-a-coup les fées Criftalline & Mkabelie, pour fe jeter aux pieds de fon amante , & lui témoigner, dans les tenues les plus vifs , le plaifir qu'il éprouvoit de 1'avoir retrouvée. Mais Galactine étoit mieux inftruite de fes aventures qu'il ne fe 1'imaginoir. Comment, dit elle, en détournant fes yeux avec une efpèce d'indignation qui ne faifoit qu'ajouter a fes charmes, comment ofes-tu parokre devanr moi, après t'être rendu indigne, par des offenfes réitérées, du pardon que j'ai bien voulu t'accorder une fois ? Divine Galaótine, que je ne fois pas 1'objec de votre courroux! Si vous m'abandonnez, je meurs. Va prodiguer ailleurs des expreflions qui te fon t fi familières ! Vas! ingrat! Perfide!... Tu ne m'aimas jamais. Jamais ? s'écria Biribinker les larmes aux yeux! jamais, au contraire, je n'aimai que vous. Cela Aaiij ,  374 Don Silvio eft fi vrai, que je jurerois par tout ce que j'ai de plus cher , par vous, que tout ce qui m'eft arrivé dans un certain chateau , n'étoit que 1'efFet de rillufion. Je puis vous atTurer que les diftrattions que vous interprétez a rnon défavantage, n'étoient qu'un jeu auquel mon cceur neut pas la moindre parr. Quelles diftra&ions! Je ne veux p.is d'un amant fujet a des pareilles abfences. Je n'ai jamais étndié la philofophie d'Averro'és , & je ne faurois comprendre comment le cceur de mon amant peut être innocent , lorfque .... Pardonnez-moi encore une fois, madame, dit Biribinker en fanglottant. Moi, vous pardonner! Ces parolesdites d'un ron ferme, réduinrent le prince au défefpoir—. Qu'entends-je, cruelle, vous voulez donc ma mort ? Mes larmes ne fauroienr vous fléchir ? Eh bien ! Je jute par toutes les divinités que je ne ibuifrirai pas qu'un autre que Biribinker Oh! le plus odieux de tous les monftres, s'écria Gala&ine en fureur, tu m'as fait encore eutendre ce déteftable nom! Fuis pour toujours de dev..:,; moi, ou compte fur les eftets les plus terribles de la haine que je te jure. La colère de GalacFine fil trembler Biribinker  DE RöSALVA. J7S jufqu'au fond du fiège de fon ame. 11 maudit mille fois fon nom & celui qui le lui avoit donné. Peut -être fe feroit-ilfracalfélatête contre le chêne le plus voifin, fi dans le même inftant, il n'eüt vu fix ogres qui s'emparèrent devant lui de fa belle Galaóhne. Ces ogres étoient d'une grandeur plus qu'humaine. Autour de la rêre & des reins, ils porroient des branches de chênes en forme de guirlandes, & fur 1'épaule gauche une maffue d'acier. Biribinker les crut fi redoutables, que malgié fa vaieur ordinaire, il défefpera de pouvoir dégager fon amante. Il fe reftbuvinr alors que la fée Mirabelle lui avoit donné un ceuf. II le calfa en tremblant, & fut plus étonné que jamais den voir fortir une infinité de petites nymphes, de tritons & de dauphins , qui grandilfoient a vue d'ceil. Les nymphes firent jaillir tant d'eau de leurs urnes, & les tritons de leurs narines, qu'en moins d'une minure, il fe forma un lac qui n'étoit bomé que par 1'horifon. Biribinker lui-même fe rrouva fur le dos d'un dauphin qui nageoit avec tant de légéteté , que le prince ne fe fenroit pas mouvoir. Tous ces êrres aquatiques fe rangèrent autour de lui, & firent leur pofiible pour le diyerrir par leur mulique & par leurs jeux. Mais Biribinker étoit occupé de la perte de fa maiirefie, fes yeux A a iv  iyS Don Stxvio étoient continueüemenr tournes vers 1'endroit on les ogres la lui avoient enlevée. Dans fa douleur profonde, combien de fois ne feit il pas tentéde fe lailfer aller dans 1'eau : & il 1'auroit fait indubitablement, s'il n'eüt été retenu par la crainte de romber entre les bras de quelques-unes des nymphes qui nageoient autour de fon dauphin. II y avoit prés de deux heures qu'il voyageoir, lorfqu'il s'appercut que fa compagnie éroit difparue. On entrevoyoir quelque chofe dans le lointain qui fortoit de 1'eau & qui relfembloit affez a une monragne. Cependant le lac devenoit extrêmement oragenx \ &c en peu de rems, il s'éleva un otiragan fi furieux, & il tomba une pluie fi violente, que Biribinker s'attendoit a tout moment a voir rerminer fes malheurs avec fa vie. Certe tempête étoit occafionnée pat le mouvement d'une baleine mille fois plus gtoffe que celles que 1'on pêche fur les cötes de Groenland, Cet animal extraordinaire ne refpiroit que de quatre heures en quatre heures : mais il s'clevoic chaque fois, unorage fi terible qu'ilauroir dcconcerté le pilote le plus expénmenté. Biribinker battu par les flots du lac, ne put plus fe tenir fut fon dauphin, II s'abandonna aux vagues, & devint leur jouet jufqu'a ce qu'étant attiréavec fair que refpiroit la baleine, il entra par une des narines  *4 CE R O S A L V A. 377 'dans le corps du monftre. Le prince tomba pendant quelques heures, fans favoir fur quel corps il s'arrêreroir. 11 vit enfin de fort haut que fa longue chute alloit être terminée dans un lac de dix ou douze lieues de circuir, qui fe trouvoit dans Tune des cavités du ventre de la baleine. 11 auroit apparemmenr rrouvé la fin de toutes fes aventures dans eet amas d'eau , fans le voifinage d'une ifie dont le rivage n'étoit qua deux eens pas de lui. La nécefiïté, mère de tous' les arts, lui apprit a nager. Heureufement arrivé a terre, il s'aflir fur un roe qui éroit a la vérité de pierre comme tous les aurres roes., & malgré cela aufli mou qu'un couffin de duvet. Pendant que feshabits féchoienr, il refpiroit un parfum délicieux que répandoit une forêt de bois de carinclle qui bordoit le rivage. Curieux de voir le pays, de s'informer s'il éroit habiré, & pat qui, Biribinker defcendit de fon roe, dès qu'il fe fur un peu remis de fes rerreurs & de fes fatigues. Après avoir rode dans la forêt 1'efpace d'une demi-heure, ii entra dans un grand jardin, oü toutes les efpèces d'atbres, d'arbriffeaux, de plantos, de fleurs & d'herbes, étoient cönfondues dans le plus beau dé ford re. L'arr y éroit fi raffiné que le plus bei arrangement ne paroifloit être qu'un fimpie jeu de la nature, On voyoit par-ci pat-la des nymphfs d'une beauté  $7% Don Silvio ravilfante. Couchées a 1'ombre des builfons oa dans des grottes, elles faifoient jaillir de leurs urnes de petits ruilfeaux qui, après avoir parcouru le jardin en ferpentant, formoient des jets d'un coté , tomboient en cafcade d'un autre, &c fe réunilfoient dans des balïins revêrus de marbre. Chaque pièce d'eau éroit habitée par différentes fortes de poilfons qui, contre 1'ufage ordinaire des animaux de cette nature , chantoient avec tant de mélodie, que leurs concerts firent éprouver aux oreilles de Biribinker les fenfarions les plus agréables. On entendoit, entr'autres, une carpe qui faifoit le deffus a ravir : fes roulemens auroient fait honneur au premier Cajlre de 1'opéra P Notre héros 1'écouta long-tems avec plaifir. Plus il voyoit de merveilles, plus fa curiofiré éroit piquée. Inquiet de favoir a qui appartenoit cette ifle enchantée, & fi, comme il le croyoit, elle étoit fituée dans un monde fouterrain, il interrogea les poilfons : car, fe dit-il a lui-même, puifqu'ils chantent, a plus forte raifon parleront-ils.' Ses queftions furent inutiles. Les poilfons chantèrent toujours, fans fe mettre en peine de lui répondre. Biribinker, ennuyé d'attendre, pourfuivitfon chemin & fe trouva dans un grand jardin porager. Tous les légumes paroitfoienr y croitre en abondance &c fans culture. En fe frayant un chemin  DE ROSALVA. 379 dans cette efpèce de défert, le prince heurta, par hafard, fon pied droir contre un gros concombre. Seigneur Biribinker, lui die le concombre, frites attention une autre fois oü vous poferes les pieds. Pardon, refpe&able concombre , lui répondit Biribinker. Je ne l'ai pas fait a deffein. J'aurois certainement été fur mes gardes , ft j'eulfe pu m'imaginer que les concombres de certe ifle fuffent des perfonnages fi importans. Je me félicite, cependant, de ce que cette petite inadverrance me procure le plaifir de te connoïtre. J'efpère que tu voudras bien m'apprendre oü je fuis, & nve dire ce que je dois penfer de tout ce qut vient frapper ici mes yeux & mes creilles. Prince Biribinker, répondit le concombre, votre préfence ro'eft extrêmement agréable. Je goürerai le plus grand plaifir a vous rendre tous les fervices qui dépendront de moi, Apprenez donc que vous ètes ici, dans le ventre d'une baleine , & que cette ifle .... üans le ventre d'une baleine ? interrompit Biribinker Cela furpaffe tour ce qui m'efl: arrivé jufqu'a préfent. Je ne ferai plus étonné de rien. Ma foi, li on trouve dans le ventre d'une baleine de l'air, de 1'eau, des iiles , des jardins , un folsil, une lune & des étoiles.,..... fi tes  ?So Don Silvio rochers y font aufli mous que le duvet; fi les poilfons y chantent, fi ies concombres y parient... Oh! ne foyez pas étonné de m'entendre pariet. Le don de la parole me diftingue des autres concombres, citrouilles & meions de ce jardin. Vous auriez marché fur cenr autres concombres, fans qu'ils euffent proféré une feule fyllabe .... Je te demande pardon encore un coup, répliqua Biribinker. Point de pardon. Je ferois faché que cela ne me fur pas arrivé. 11 y avoit long- tems que je vous atrendois ici; & je commencois a. défefpérer de vous voir arriver. Je vous protefte qu'il efl: fort défagréable d'être concombre pendant cent ans lorfqu'on n'eft pas né pour cela, & qu'on eft.accoutumé a voir bonne compagnie. Enfin le téms eft venu. j'efpère que vous ne refuferez pas de me venger du maudit Padmanaba. Que dites-vous de Padmanaba ? Parlez-vous de ce magicien qui métamorphofa la belle Criftaline , & qui condamna la charmante Mirabelïe a devenir crocodile toutes les fois que.... Précifément. Plus de la moirié des enchantemens qu'a occafionnés ce vieux fou , eft détruite : & j'efpère reprendre bientot ma forme naturelle. Vous avez donc aufli a vous plaindre de lui ? Excufez moi, répondir le concombre, fi cette queftion me fait rire... Ne remarquez-yous pas  V DE ROSALVA. 38* que je clois être d'une condition plus relevée que les concombres ordinaires ? Mirabelïe ne vous a-t elle rien dit d'un cerrain falamandre que le vieux Padmanaba furprit dans des certaines cjrconftances ?... Eh, mais, elle m'a parlé d'un amant, d'un être qui Doucement, vous en favez plus qu'il ne faalt. Je fuis précifément ce falamandre , ce Flox dont on vous a faconté 1'hiftoire... Padmanaba, ourré de la fcène donr il avoit été témoin, jura de ne plus habiter fon palais. II ne fe fioit pas plus aux mortels qu'aux demi-dieux. Les gnomes, les fylphes, les falamandres & les tritons lui devinrent également fufpeóts. II ne fe crut en füreté que dans une folitude parfairement inaccelfible. Après beaucoup de projets qu'il rejetoit prefqu'aufli tot qu'il les avoit formés, il s'avifa de fe retirer dans le ventre de cette baleine, oüil crut que perfonne ne viendroir le chercher. Des falamandres lui conflruifirent un palais; & , pour éviter de leur parr, toute efpèce de trahifon, il les changea, ainfi que moi, en autant de concombres, a condition qu'ils refleroient tels jufqu'a ce que le prince Biribinker vint leur rendre leur forme naturelle. Je fuis le feul a qui il ait laillé l'ufa<*e de la raifon & la facilité de parler. 11 a cru que le fouvenir de ma félicité palfée, ue  $tt Dom S i l v i ö feroiEqu'aggravermesmaux.Quelque'défagréable que foit la figure d'un concombre, &C quelque épaiffeur que puiffent avoir fes organes, j'ai foit des obfervarions, pendant centannées, qui m'onc conduit a des raïfonnemens jitftes. En un mor, je connois les affaires du feigneur Padmanaba, beaucoup mieux qu'il ne fe Timagine. Je vocs inftruirai de manière que vous pourrez rendre mutiles routes les précautions qu'il a prifes pour vous échapper. Je vcus en aurai la plus grande obügarion, répliqua le prince. Je me fens une ccrtaine inftigationajouer des tours au ben Padmanaba. C'eft, fans doute, ma deftinée qui m'y entraine; car je n'ai recu perfonnellemenr aucune offenfe de fa part. Comment! vous ignorez donc qu'il eft caufe que Ie grand Caramouffal qui demente a lacime du monr Arlas, vous a donné le nom de Biribinker? Et n'eft-ce pas ce nom qui vous a été deux fois fi fatal? N'eft-ce pas lui qui a reburé vorre belle lairière, qui l'a mife enrre les griffes Quoi? c'eft au vieux Padmanaba que je dois le nom de Biribinker? Quelle connexion peut-il y avoir entre le prince Biribinker & ce vieux magicien? De grace, expliquez-moi ce myftère. Je commence a croire que mon nom feul m'a artiré toutes les chcfes extraordinaires que j'ai éprou-  DE R O S A L V A.' j8} vees. Je voudrois favoir fur tout, pourquoi tous ceux que je rencontre, pour la première fois, & jufqu'aux concombres , m'appellent par mon nom, &c paroilfent aufli inftruirs que moi-même de toutes les circonftances de ma vie. Il ne m'efl- pas encore permis de fatisfaire votre curiofité fur ce point. Dès que notre entretien fera achevé, il ne dépendra que de vous de connoïtre la vérité. La plus gtande difficulté efl; furmonrée. Padmanaba ne s'eft jamais imaginé que vous viendriez le trouver dans le ventre d'une baleine. Je vous avoue fincèrement que j'y penfois encore moins que lui. Convenez qu'il a fait 1'impoflible pour échapper a fa deftinée. Mais vous me parliez, il n'y a qu'un moment, d'un palais que ce vieillard a fait conftruire dans cette ifle , par des falamandres? Je m'imagine que nous fommes ici dans les jardins qui Pentourent. D'oü vient que je promène inurilement mes yeux de tous les cbtés, pour 1'appercevoir? La raifon en eft très-fimple. Vous le verriez infailliblement, s'il n'étoit pas invifible. Invifible? J'efpère, au moins, qu'il ne fera pas impalpable. Non} mais, comme il eft conftruit de Hammes compaótes Vous me patlez-la d'un fingulier palais. S'il eft  384 Don Silvio conftruit de dammes, comment peut-il are invifible? Voila le merveilleux de 1'affaire. Vous ne pouvez voir le palais dans 1'érat oü Vous êtes acfcaelmenr. Avancez environ deux eens pas de plus.; & la chalettr que vous relfenrirez , vous convaincra que je vous aurai die vrai. Aorès avoir vu tant de chofes exrraordinaires dans le ventre de la baleine, Biribinker auroitil dü douter des merveilles dont le concombre lui parloir? lndécis, il s'avance vers le palais invifible. A peine a-r Ü fait cenr pas, qu'il fent un deeré de chaleur : plus il avance plus la etaleur augmente. II revient fur fes pas, & cherche fon ami le concombre qui, dès qu'il i'entend lui ene : eb bien! prince Biribinker , m'en croirez vous a. 1'avcnir, fur ma parole? Vous devez être convaincu, aftuellement, de lexiSence du palais de dammes dont je vous ai parlé ? Je fais qu'il fublifte; mais j'ignore de qnëlle manière j'y pourrai entrer. Je ne faurois re taire que j'ai une envie irréfiftible de pénétrer dans fon enceinte; & dür-il m'en coüter la vie Vous ne paierez pas fi cher 1'accomplilfement de votre defir. Si vous voulez fair^-tout ce que je vous dirai, le palais deviendra vifible peur vous, Sc vous pourrez y enrrer en toute füreté.... 11 ne vous en coütera qu'un faut. Quelque  ce R b s a t v a'2 585' Quelque périlleux qu'il puifle être, je le hafar-? derai. Eh bien, a foixarïte pas d'ici , derrière ces grenadiers, vous rrouverez, au milieu d'un petir labyrinrhe de jafmins & d'orangers, un baf-* fin rempli de feu. Allez-vous y plonger; &, un quart-d'heure après, revenez me dire 1'efFec qu'aura produir le bain. ■ Rien de plus ? Je crois que vous radotêz, monfieur du concombre Je dois me baigner? dans un baffin de feu, & venir enfuite voüs faire part des effets de ce bain ? Rien n'eft plus extravagant. Ne vous fachez pas. II dépend de vous d'entref dans le palais invifible ou de ne pas 1'aborder. Si vous m'aviez paru moins détermhié a faire cette démarche, je ne Vous en auröis pas dit un mot; je ne me ferois jamais avifé de voüs faire une pareille propofition. Le bain de feu, dont je vous parie,n'eft pas fi dangereux que vous vous 1'imaginez. Padmanaba, lui-rriême, en fait ufage de trois en trois jours. Sans cela, il ne pourroit pas plus que vous habiter un palais de Hammes. Quoiqu'après le grand Caramouffal, ii foit le premier magicien de la terre, il eft fujet comme vous' aux maux attachés a 1'humanité. Sans 1'ufage de ce bain, il feroit le plus malheureux des hommes, ïl ne pourroit pas jouir en paix des plaifirs ques Tornt XXXTL B b  3 ScT Don SilViö lui procure la fociéré de fa belle falamandre. II vit donc avec une falamandre ? Sans doute. CroyeZ-vous donc qu'on fe confme pour rien, dans le ventre d'une baleine? Et Eft-elle jolie? Pour faire une pareille queftion, il faut n'avoir jamais vu de falamandre. Ignorez-vous qu'une mortelle accomplie n'eft qu'une guenon en comparaifon de nos belles? Je connois, a la vérité, une ondine qui en fait de beauté, pourroit difputer le pas a. la plus belle falamandre : mais ajifli, il n'y a qu'une Mirabelïe parmi routes les. ondines. Oh! li la falamandre du vieux Padmanaba n'eft pas plus belle que Mirabelïe, vous pouviez. vous difpenfer de tant déprifer les beautés mortelles. Je conviens qu'elle a des charmes; mais je connois une certaine laitière Dont vous êtes tant amoureux que vous avez j.uré a Mirabelïe que vous ne la connoiffiez pas, Si 1'on vouloit juger de votre paffion par vosf principes Celfez de philofopher, Sc dites-moi comment je pourrai pénétrer dans le palais invifible. Ne puis-je donc me difpenfer de prendre ce maudit/ bain de feu? Non. Ah! je ferai roti, grille, confumé, Sc...°  D E R ó S A L "V A.; \ S7 Que vous êtes fingulier! Je vous ai déja dit qu'il m'imp'orte extrêmement, a moi-même j que vous ènrriez dans Ie palais invifible oü^ fil j'en dois juger par lè nombre de circonftances;... Je me tais;...... Depuis combien de tems ng gémis-je pas fur mon état de concombre! combien ne fouhaitois-jé pas d'êrre débarrafTé de certei lourde enveloppe qui lied fi peu a un efprit aüllï fpéculatif que le mien ! EfTayez le bain pendant quelques minutes feulement. Allons , voyons donc ce qu'il en adviendra. Peut être ne devröis je pas avoir tant de confiance en vous; mais ma deftinée 1'emporte fur ma raifon. Je pars; & fi dans un quart-d'heure Vous n'apprenez pas de mes nouvelles, réfignezvous patiemrrient a refter concombre jufqu'an tems que Padmanaba ceifera, de fongré, d'êcre Amoureux ou jaloux. En difant ces mots, le prince fit une profvjnde révérence au concombre, & pénétra dans le labyrinthe. II y vit un grand baffln rond , revêtu de pierres de diamans, öc rempli d'urï feu qui ne paroilfoit être entretenu par aucune matière combuftible. Les Hammes qui s'élevoient en ferpentant , touchoient les myrthes 6c les rofiers, fans leur caufer le moindre dommage. La fumée qu'elles produifoient n'étoit qu'une iégère exhalaifon, qui répaudoit 1'odeut la plu? Bbij  ?8S Don Silvio délicieufe. Biribinker confidéra ces prodïges pendant quelque tems, & fe trouva dans un érat d'irréfolution qui ne faifoit guère d'honneur a un héros de féerie. Peut être feroit-il encore au bord du bafïin, fi une puiÜance invifible ne 1'eüt jeté au milieu des Hammes, au moment qu'il s'y attendoit le moins. Cetre chute lui fir tant de peur, qu'il ne put appeler de fecours. Mais dès qu'il s'appercur que ce feu, bien loinMe lui caufer de la douleur, pénétroit tout fon être d'une chaleur vobptueufe , il revint de fa frayeur 8c goüta tant de délices dans ce bain , qu'il y auroit pafte le tems prefcrir, fi la chaleur qui augmentoir toujours ne 1'en eut chalfé. A peine fut il hors du baffin , qu'il fe fentit aulïi léger qu'un zéphir. La déeouverre du palais mir le comble a fa joie. L'éclat de eet édifice furpalfoit tout ce que 1'ceil de 1'homme^ jamais vu. Biiibinker fe faifoir une idéé très-avantageufe de la beauré que devoit renfermer un fi magnifique chateau. Puis , fe difoit il, que les rubis & les diamans , comparés aux matériaux qui ont fervi a la confrruétion de ce palais , ne me paroiffent que comme les pierres les plus communes , il eft a préfumer que la falamandre dont le feigneur concombre m'a parlé , doir 1'emporrer infiniment fur routes les beautés que j'ai connues» Qn croit avoir clevé aux fées de fuperbes édifi-.  BE RoSALVA. $89 ces, quand on cn a fait les muts de faphks ou d'émeraudes* les toks de rubis & les planchers de perles. En comparaifon de ce palais de feu, que font-ils autre chofe que de viles chaumières'. Le prince avoit déja traverfé la première cour du chateau , dont la porre rayonnante s'étoit ouverte d'elle-mème , lorfqu'il fe reflouvint que le concombre lui avoit exprctfcment recommandé de revenir le rrouver au fortir duban-u Apparemment [c'eft le prince qui parie) a-t d des inftruétions a me donner, fans lefquelles d y auroit peut-ètre de la témérité a vouloir pénétrer dans un tel palais. Puifque je me fuis fi bien trouvé de fes confeiis, il ne feroit pas prudent de ma part, de croire que je puis actuellemenc me palfer de lui. Biribinker rerourna vers fon ami. Eh! lui cria le concombre aufli-röt qu'il l'ap> percut, le bain a fait fur vous un effet merveilleflx. Je vous jure, par la vertu de ma charmante Mirabelïe, qu'il n'y a point de falamandre qui puiffe vous réfifter. Mais que deviendra votre fidélité pour la laitière? Mon cher concombre, dans ma fituation actuelle , vos remontraoces deviennent inutiles. Je voulois dire feulement Bon , bon, je vous devine a. merveille, & je Bbiij  39° Don Silvio vous rcponds que vos exhortations offenfent ma tfermeté. Vous vous défiez de mon courage ; 8c moi, je vous affure que le fouvenir de ma divine Laitière me prémunit auranc contre les charmes réunis de vos beautés, que ii elles n'étoient que d'horrihles gnomides'. Nous verrons fi votre générofïté , fi votre déli- • patefle.... en un mot, fi vos fentimens.... Après tout ce qui s'eft paffé dans un certain chateau, je ne puis qu'avoir très-bonne opinion de vous $ mais , rhalgré tout cela, je ne faurois vous cacher que je vois votre fidélité en trés grand danger. Au refte, vous êtes encore le maitre d'entrer ou non dans le palais. Penfez-y. Réfléchiffez-y murement Pourquoi as-tu donc voulu que je me baignaffe,; s'il ne m'efl: pas permis d'y entrer. Encore un coup, ami, ne crains rien pour ma fidélité : elle efl: a toute épreuve. Dites-moi ce que j'aurai a faire lorfque j'y ferai. Vous ne trouverez de réfiftance nulle part. Toutes les portes s'ouvriront d'elles-mêmes. Si vous avez quelque chofe a craindre, ce n'eft que du cóté de vetre cceur. Mais queUe mine crois-tu que me fera le vieux Padmanaba ? Si je dois jager des heures par le mouvement «des aftres, jl eft dcjj i minuir, tems auquel hf  pïRosalva 391 Vieillard eft enfeveli dans un profond fommeil. Mais, fuppofé qu'il s'éveillat, vous n'avez rien i craindre de fa colère. Tout fon pouvoir doit céder i la vertu enchanterefte de votre nom. Er, puifque vous avez remponé rant d'avantages tui lui, il y a rout lieu d'efpérer que vous ne ferez pas moins heureux cette fois-ci. . Qu'd en arrivé ce qu'il voudra, je fuis réfolu de tentet 1'aventure. Je ne fuis pas pour nen dans le ventre d'une baleine. Adieu, cher concombre, au plaifir de te revoir. Bien du bonheur au vaillant & aimable Biribinker. Que la profpérité t'accompagne, tol, qui es la fleur & 1'ornement dc tous les chevaliers des fées. Que 1'aventure, au-devant de laquelle tu cours avec tant de courage , puifie fe •terminet avantageufement. Vas, fage fils de roi, porte tes pas ou ta deftinée t'appellej mais gatde-toi de ncdiger les avis d'un concombre qui eft ton ami,Ö& qui peut-ëtre pénè*tre plus avant dans 1'avenir qu'aucun faifeur d'almanachs. Cer éloquent adieu terminé, le concombre s'appercur que fon protégé avoit déja enfilé la première cour du chateau. Biribinker n'étoit occupé que de ce qu'il alloit voir. Son imagination exhaltée par le bain dont il s'éroit fervi, tut repréfentoit la belle falamandre qu'il efpéroic voir bientot, fous-des trits fi enchanteurs, quil Bb iv  5 9i D o n S i i v ï o' defira d'obrenir encore la permiffion d'être inJ fidéle a fa belle laitière. Lorfqu'il eut gagné le premier veftibule, mx bmt épouvantable vinc frapper fes oreilles. II earrêra un moment pour écouter « plufieurs femmes fe difputoient. Biribinker curieux de fon paf titel, voulut favoir quel éroit le motif de leur comeftarion. II ouvre la porte d'une grande falie ou il trouvé cinquanre ruines dont la laideur furpalfe rout ce que fimagination d'un Calot ou d'un Hogarth peut produire de plus burlefque. Au premier coup d'ceil, Biribinker crut être au fabbat. II feroit certainement tombé en dé* faillauce , fi les fingeries de ces naines ne 1'euffent forcé \ éclater de rire. A peine ces gno^ mides , dont la plus jeune pouvoit avoir quatrevingt ans, 1'appercurent-elles, qu'elles coururent toutes au devant de lui, avec autant de célérité que leurs jambes torfes pouvoient le leur perr' rnettre. Vous venez fort a propos , prince Biribinker, lm cria une des plus laides, pour termiuer une difpute qui a failli nous faire venir aux mains. Voiis querellez-vous pour favoir laquelle den* fre vous eft la plus belle? Prédféinent: vo-is 1'ayez deviné du premier gpup,  Oï Rosaiya. ?9) ' ïmaginez-vous, mon beau prince, qu'après les avoir toutes forcées a me rendre la juftice qui m'eft düe; cette guenon, cette petite pagode que voila , ofé me difputer la pomme. O ! le plus agréable & le plus jufte de tous les princes, s'écria 1'accufée, en lui pincant les jambes, je m'en rapporte a votre décifion. Regardez-nous atrentivement 1'une & 1'autre confidérez-nous trait par trait, & prononcez en confcience. Peut être me flatterois-je trop, fi je difois tout ce que je penfe. Eft-il poflible , prince Biribinker, dit la première , qu'on pouffe 1'impudence jufques-la? Premièrement, elle n'eft pas d'un pouce entier plus petite que moi : & vous m'avouerez que cela ne fair pas un objet. En fecond lieu , je me flate que ma bofte ofera toujours fe montrer a cöré de la fienne. Mes pieds , comme vous voyez, font aufli larges & même plus longs que les fiens. Elle fe prévaut de la groffeur 8c de la noirceur de fa gorge; mais vous conviendrez pourtant, ajoura-t elle en ötant fon fichu, que la mienne , fi elle n'a pas aurant d'étendue, eft au moins plus noire que la fienne. Soit, s'écria la rivale. Je re cède ce frivole avantage , puifque je 1'emporte fur toi dans tous Jes autres poinrs Vous riez j mon beau prince ? Je n'en fijis pas  £94 Don Silvio étonnée. Rien n'eft effectivement plus rifibleque Ja vaniré de cette guenon. J'ai honte de vanter moi-mëme mes artraits; mais remarquez combien mes jambes font plus torfes que les fiennes. Je ne vous parlerai pas du refte. Oh voit que fes yeux fout beaucoup plus fendus que les miens, que Bies joues font plus bourfouflées que les fiennes, & que fa lèvre inférieure Enfin , je puis me flatter que la nature a prodigué fes plus rares faveurs pour former chacune des parties qui entrent dans la compofition de mon être. Mademoifelle, lui répliqua Biribinker, auflitot que fes éclats de rire lui permirent de parler , je ne fuis pas un grand connoitfeur, mais il me femble que votre compagne ne fait que plaifanter, lorfqu'elle s'avife de vouloir paffer pour plus belle que vous. Les grands avantages que vous avez fur elle fautent aux yeux, & je ne doute pas que fe bon goüt de meflieurs les gnomes ne vous rende la juftice qui vous eft düe. La première gnomide parur très-choquée de cette décifion ; mais Biribinker qui. avoit une envie demefurée de voir la belle falamandre , n'ëcouta point les reproches qu'elle lui fit. 11 fe retira après avoir fouhaité le bon foir a tout ce cercle de gnenons qui, au lieu de lui répondre , fe mit a rire a gorge déployée* Le pr2nce forti dg chez les gnomides, fe trou-  DE R O 5 A t V Al 39$ tva vis-a-vis dun grand portail qui s'ouvnt de luimême. II regarda ce phénomenc comme un préfage alluré du bonheur qui 1'attendoit. Plein de courage & d'efpérance , il iraverfe une galerie ; monte un grand efcalier, entre dans une vafte anti-chambre qui le conduit d'un appartement a 1'autre. Malgré le changement que le bain de feu avoit opéré dans fa nature, il fur cent fois fur le point d'être ébloui par 1'éclat de 1'ameuble* ment. Quelque diverfifiées & extraordinaires que fulfent les chofes qui brilloient a fes yeux, il les oublia toutes pour contempler quelques tableaux qui reptéfentoient une jeune falamandre d'une beauté merveilleufe. II ne douta point que ce ne fulfent des portraitsde 1'amante du vieux Padmanaba. Elle étoit repréfentée fous routes fortes d'ajuftemens & dans toutes les attitudes imaginables. On la voyoit quelquefois endormie, & quelquefois évgillée, tantöt en Diane , tantot en Vénus , ici en Flore, & la en Hébé : en un mot, les diffcrens points de vue, fous lefquels on la voyoit dans ces portraits , donnoient une fi haute idéé de fa perfonne, que le prince goutoit déja les prémices du plus parfait honheur. Il étoit fouvent incertain, de ce qu'il devoit le plus ad-r mirer, ou la beauré del'objer, ou le grand ar; du peintre. U avoua qu? le Tuien & Rembrand  39 Don Silvio n'étoient que des barbouilleurs, en comparaifon des peintres falamandres. L'afpeófcdeces tableaus fit une fi vive imprefïïon fur 1'efprit du jeune héros, qu'il attendit avec la plus grande impatience le moment de voir Poriginal de ce qu'ils retracoient. Après avoir parcouru beaucoup de chambres fans rrouver perfonne, il appercut une porte entr'ouverte, qui le conduifit dans le jatdin le plus extraordinaire qui exifta jamais. Les arbres, Iesplantes, les fleurs, les cabiiiets étoient de feu. Biribinker ne jeta qu'un léger regard fur ce fpeétacle majeftueux, paree qu'il voyoit au bout d'une allee un pavillon dans lequel il efpéroit trouver fa belle falamandre. Il y vole : la porre s'ouvre encore d'elle-même. II entre dans une grande fale, Sc de la dans un cabinet oü il ne voit qu'un vieillard, d'une figure majeftueufe, qui efl: couché fur un fopha & enfeveli dans un profond fommeil. Le prince ne doute pas que ce ne foit le vieux Padmanaba. Quoiqu'alfuré de n'avoir aucune violence a. craindre de fa part, il ne peut s'empêcher de treflaillir, lorfqu'il fait attenrion qu'il eft fi prés de eet enchanteut, Sc dans un endroit oü tout eft magique. Mais le fouvenir qu'il a été choifi par le deftin pour détruire les enchantemens de Padmanaba, joinr au defir de voir la belle falamandre, ranime fon cou* rage.  DE ROSALVA. if$ 11 s'approchoit du fopha pour s'emparer d'un fabre qui étoir fur un couflin a cbté du vieillard, lorfqu'il crut donner du pied contre quelque chofe de mouvanr. Curieux de favoir quel eft 1'objet invifible qui s'oppofe a fa marche, il cherche, il examine, & porte la main fur un petit pied charmant. Selon le cours ordinaire de la nature, ce pied doit appartenir a une jambe; cette jambe doit même répondre a une autre partie du corps, & ainfi du refte EffecTrivemenr, de point en point, Biribinker parviur a découvrir, par le fecours du taót, le corps invifible d'une femme qui ne peut être que Vénus ou la belle falamandre. Au moment qu'il fair cette découvette, la plus agréable fymphonie frappe fes oreilles, fans qu'il puifle appercevoir ni muficiens ni inftrumens. Au premier coup d'archet, Biribinker effrayé s'éloigne de fa belle invifible. 11 craint que le bruit n'éveille le magicien. Mais fon étonnement & fa terreur redoublent, lorfqu'il remarque que Pad-, manabaeft difparu. Cet enchanteur avoit alfez d'expérience pour fe conduire prudemment dans toutes les occafions. II favoit depuis longtems combien Biribinker lui feroir un jour dangereux. Et Ie feul defir d'évirer la préfence d'un prince qui ne paroiffoit être né que pour rompre fes enchantemens,  'jjrS Dom Silvio fut le feul motif qui le détermina a fixer fon féjout dans le ventre d'une baleine. Mais comme cette rlemeure ne lui parut pas encore un afyle affez fur pour lui & pour fa belle falamandre qui étoit 1'unrque objet de fes foins,il la munit d'un talifman qui avoit deux grandes qualités r celle de la rendre invifible z tous les yeux, ex-r cepté aux fiens, & de produire , dès qu'on le touchoit, une mUfiquè magique. Si Biribinker ( c'eft ainfi que raifonnoit le vieux Padmanaba) fi Biribinker furmonte tous les obftacles qu'il rencontrera pour entrer dans le ventre de la baleine, & mcme pour pénétrer jufques dans i'enceinte du palais, je faurai fouftraire a fes regards la belle; & s'il la découvre , quoiqu'elle foit invifible, la mufique qui fe fera entendrey aufli-tót qu'il portera les mains fur le talifman 4 le déconcertera, & me mettra en état de prévenif tout défaftre. Cette précaution étoit d'autant plus néceffaire, que le bon vieillard étoit fujet a une efpèce de lethargie qui le faifoit dormir feize heures par jour. La mauvaife opinion qu'il avoit concue du beau fexe, depuis les tours qu'il avoit eftuyés de la part des fées Criftalline & Mirabelïe, fut le motif qui 1'engagea a enfevelir la belle falamandre , pendant tous le tems qu'il dormoit, dans un fommeil «nchanté. dont perfonne que lui ne la  d e R o s a l v a: 399 pouvoit tirer. Le feul Biribinker avoit le même droit, mais a de certaines conditions, 8c feulement dans de certaines circonftances; 8c Padmanaba (c'eft ainfx que le vouloit le fort) perdoic dans un feul moment tous fes droits fur la belle falamandre. 11 eft a préfumer que le prince chercba a découvrir la jambe de qui dépendoit le beau pied dont nous avons parlé. Et pour peu qu'on lui fuppofe de curiofité, on conviendra qu'il dut toucher le talifman que portoit la falamandre: Sc on n'en peut plus douter, dès qu'on fait que la mufique qui devoit êtte 1'eftet de ce toucher fe fit entendre. Ici, don Silvio neput s'empêcherd'interrompre don Gabriel, pour le prier de s'expliquer un peu plus clairement fut ce qui concerne le talifman. Je vous trouve depuis quelque tems un peu obfcur , ajouta-t-il; je n'ai prefque riencompris de ce que vous avez raconté depuis le réveil du viëux Padmanaba. Toute la fociété, fans en excepter la belle Hiacinte, rit des remarques de don Silvio Sc le feigneur Gabriel ne put fe tirer d'aflaire qu'eu difant que toute 1'obfcurité dont fe plaignoit dca Silvio, fe trouvoit dans la chofe même, 8c qu'ea général, il y avoir peu de contes de fées qui fulfent, d'un bout a 1'autre , exempts de chofes inintelligibles. Le chevalier parut être fatisfaic  4°0 D o u S i t V i o de cette réponfe, & don Gabriel continna ainfi fon récit. Dès que Biribinker eur touché Ie talifman, le bruit de la mufique éveilla le vieux Padmanaba. On ne doute pas qü'il ne lancat un regard furieu* fur le prince; mais comme fa force ne pouvoit igir fur fon rival, il ne lui reftoit d'autre partia prendre que de fe rendre invifible fur le champ, & de traverfer avec promptitude tous les delfeins de Biribinker. Le prince qui avoit eu le tems de revenir du trouble oü 1'avoient jeté le concert invifible & Ia difparition de Padmanaba, voulut cependant fi voir ce qu'éroit devenu ce magicien. II parcourut tous les apartemens du chateau , mimi du fabre que le vieillard avoit oublié dans fa fuite précipitée. Sur ce fabre- éroient gravées différentes figures magiques. Le priacene pouvantretrouver ïii fenchanreur, ni aucune autre perfonne, ne doura point que Padmanaba ne feut laiiïë maitre abfolu de fon chateau & de fa belle. Triomphanr, il retourne dans Ie pavillon, jerte fon fabre furie canapé, & court feprécipirer aux pieds de la belle invifible. Elle dormoit encore, quoique la mufique continuat, tan'tör en Andante, & tantot en Allegro. L'éclat que répandoient les meubles de I'appartement, la beauté des peintures & les fons touchans  de RoSALVAï 4Qt touchans & variés de la mufique enrrainèrent le prince dans une efpèce de délire. II ne favoir fi fon efprit devoit s'en rapporter aux mouvemens de Ion cceur. II croyoir avoir trouvé une beauté incomparable fur Ie fopha ; rnais cette découverre pouvoit n'ètre quïllufoire , ainfi que la plupart de celles qu'on fait dans des palais enchantés. Ce doure embarralfa quelque tems Binbmker. Enfin, appuyé de quelques raifons feCretes, il fe crut d cóté de certe belle falamandre dont le portrait avoit fan une fi vive imprefiion fur Ion ame. Cette idéé lui fit oubiiet fa belle laraère , ainfi que les avis du concombre. Peu i peu 1'obfcurité augmentoit, & la mufique devenott plus touchante. Ces momens n'étoient guère propres d modérer le raviffemént du prince!.... (ici fe trouvé une petite lacune dans L'oriaina\ de cette hijtoire. Sans hafarder La moindre conjeclure, nous laifjons aux auteurs de notre tems lefoin de la rempLr) Le printe, continué 1 hiftonen , fortit de fon exrafe , & s'appercw avec furprife, que la beiie invifible fecondoitles vceux qu'il lui adrefioir; d'oü il conclut qu'elle devoit être évedlée. Ii ne manqua pas de hu faire, dans le langage fubiime auquel il avoit été accoutumé dans la ruche de la fée Mélifotte , les mêmes complimens qu'il avoit adrefies en pareiüe occafion d Crifialline & d Mirabelle.Lïnvifibie Tome XXXFl. Q c  4 CHAPITRE  CHAPITRE iy. Découvene remarquable. Difcrétion de ! Pédrillo. SI le leéteur a quelque chofe de défobligeant a nous dire, paree que nous avons perdu de vue Pédrillo, depuis que notre héros eft a Lirias, nous le prions de nous pardonner. Une partie de ce. chapitre fera employée a réparer nos ■torts. On doit fe relfouvenir encore que la première fois que la belle Laure apparut a Pédrillo , fous la figure d'une fylphide, elle lui déroba fon cceur , •fans qu'il fut comment. Le lendemain de 1'arrivée de don Silvio a Lirias , mademoifelle Laure defcendit dans le jardin , pendant que tous ceux qui étoient dans 1c chdteau faifoient la fiefte. Elle alla dans un cabineE de feuillages dans le deiïein de s'y repofer. On ne fait par quel hafard Pédrillo qui avoir la même intention , choifir précifément la même folitude. Nos deux perfonnages fe renconrrètent donc aufli inopinément que Didon & ie héros de Troye. II ;ne fut point queftion de fommeil: on s'aflit poux Temt XXX FL . D d © Ê R O SA L V Al 417  418 Don 5 i i t i o jafer. Pédrillo profita de cette circonftance pour déclarer fa pafiion a la belle Laure qui, contre Ia coutume des foubrettes efpagnoles , n'étoit ni prude ni galante. On n'acquiert de droits fur mon cceur, lui dit-elle, que par beaucoup de bonne foi. Elle tourna Pédrillo de tant de manières, & lui fit tant de queftions, que celui-ci lui raconta tout ee qu'il favoit de 1'hiftoire de fon maitre. Laure apprit comment le portrait de la princelfe enchantée s'étoit trouvé; Sc elle vir par la defcription détaillée que lui fit le valet de don Silvio , que ce bijou étoit précifément le même que fa mairrefle avoit perdu en allant a fon hermitage. Elle fit patt de fes conjeémres a fon ami; & fur le récit que lui fit Pédrillo de la manière dont ce portrait avoit été enlevé a fon maitre , ils fe mirent l'un & 1'autre en chemin pour aller Ie revendiquer. Ils ne doutèrent pas que ce bijou ne fut entre les mains d'une des payfannes qui travailloient aux environs du chateau; Sc leur fuppofition fe trouva jufte. Le portrait fut rendu pour quelque maravédis ; & dès le même foir , on le livra a dona Félicia. Cette dame apprit en même tems tout ce que Pédrillo avoit confié a fa femme de chambre. Elle crut pofléder alors le talifman qui devoit défenchanter fon cher don Silvio de Rofalva. Laure défendit a Pédrillo, fous les peines les  O E Ë. O S A L V A. 41$ plus rigoilreufeS, de ne rien révéler a fon maitre de tout ee qui s'étoit pafTéi II n'en fallut pas daVan tage pour exciter 1'impatience de Pédrillo; Il eut toutes les peines du monde a artendre loc-» cafiori de fuftifier cette remarque : que le moyen le pltis für d'exciter certaines perfonnes a être indifcréres, eft de leur recommander de fe taire* Certe Occafion s'offrit dès le lendeniaim Le maitre & le valet étoient tous les deux amoureux; Sc par tonféquent s ils dormirent très-peu. Dès Ia pointe du jour, Pédrillo vit fon maitre fe promener dans Ie jardin d'un air rêveun II fortit tout doucement de fa chambre & 1'aIIa trouver. Don Silvio avoit palfê une grande partie de I* nuit a faire des réflexions peu avantageufes aux fées. Depuis qu'il avoit oui faconrer 1'hiftoire da prince Biribinker * il n'ajoutoit plus foi a ces fortes d'éctitsj Ces réflexions 1'entrainèrent dans des rêves qui roulèrent prefque tous fut le chimérique des contes de fées, & fur les charmes de dona Fédcia. La fraicheur de la matinee 1'invita a jouir de la promenade. Pédrillo chercha long-tems fon mairre avant de le trouver. Pendant qu'il s'étoit habillé^ dort Silvio s'étoit enfoncé dans les allées du labyrinthe. On ne pouvoit riem voir de plus agréabhï que cette folitude , tant par fon étendue que pat la diverfité de fes ornemens. Les bofquets, ie? Ddij  4ib Don Silvio' cafcades , les temples grecs, les pagodes, les ffatues, &c., la faifoient parfaitement rèlfembler i ces jardins enchantés dont on lit la defcription dans les romans. Notre héros ne pouvoit plus douter que routes ces beautés ne" fulTent, malgré leur apparence magique, 1'ouvrage de Tart: d'ou il éorrcüt que i'imagination feule produit ce merveilleux qu'il avoit pris jufqu'alors pour la narure même. II goutoit, a faire ces folides réflexions, le plaifir que reftent un efprit acfif au moment d'une nouvelle découverte , lorfque rout-a-coup il appercut Pédrillo au travers d'une haie de lauriers fauvages qui entouroir les ruines d'un vieux temple.Ce fidéle valet couroit a lui d'un air d'allégreffe. Oh ! bon jour , feigneur don Silvio, lui cria-t-il, du plus loin qu'ii le vir. Etes vous encore en vie? Motbleu! on ne vous voit pas un feul inftant pendant toute la journée. Si je n'avois appris de mademoifelle Laure que vous ériez encore ici , j'aurois cru que les fées vous avoient enlevé. J'ai bien plus a me plaindre de toi, répliqua 'don Silvio en riant. II faut que ta fylphide t'ait itout-a-fait enchanté , puifque je ne t'ai pas revu , depuis que tu fortis de la falie, lorfque dona Fél c:a y entra. Seigneur, je crois que vous parlez jufte , quand ^rous dites qrê e fuis enchanté. Ce qui me le  BE R O S A L V A'Ü 41 ï fait croire, c'eft qu'on die que les enchantés ne boivent, ni ne mangent, fans maigrir. Je veux perdre mon nom , fi depuis avant-hier, j'ai mangé la valeur de ce qu'une mouche peut emporter fut fes ailes. Tenez , quand nous fommes a table , je fuis toujours ailis vis-a-vis de mademoifelle Laure» Me voila a la regarder continuellement: c'eft tantót d'un cóté, rantót de 1'autre. Je vois comment elle mange ; je regardé dans fa petite bouche. Ses dents font plus Manches que 1'albatre , & mieux rangées qu'une file de perles. Elle m'agace fans ceife ) elle me fait des petites mines, me marche fur le pied , ou rajufte fon fichu; Sc moi dans ces circonftances, j'oublierois, ma foi, de boire Sc de manger, fi elle ne me mettoit de tems en tems quelques morceaux furies lévres. Malgré tout cela je fuis, mordie , fier & difpos. Voila ce que produit la bonne compagnie. 11 me femble, feigneur, que vous vous portez aufli bien cjue moi? Vous êtes li frais, vous avez de fi belles couleurs .. Je gagerois pourrant que vous n'avez dormi que trèspeu la nuir dernière? Ces infomnies, comme tu dis bien, font une fuite des effets que produit la bonne compagnie. Mais comment te trouves-tu dans ce chateau, Pédrillo ? Ne penfons-nous pas bientot a nous remestre en chemin? En chemin ? s'écria Pédrillo en faifant un faut Dd iij  Ait Don S i t v i o en arrière, tk regardant fon maitre d'uw air malin? Sambleu! Avanr de fonger a partir, lailfez-nous arriver comme il faur, 11 n'y a rien qui prefTe , feigneur. On ne trouve pas par-rour des gires comme celui ci. Que les fées difent tout ce qu'il leur plaira ! Je m'imagine qu'il vaut beaucoup mieux vivre parmi des chrétiens, qüau milieu d'une nation d'encbanreurs , oü 1'on eft fans celfe enrouré de lutins & d'efprits fans favoir a qui 1'on a a faire. La belle Laure fit ma conquête dès le moment que je la vis , quoique je la prilfe alors psur une fylphide; mais depuis ce tems-la,j'ai appris qu'elle eft Laure, de la même pare que nous,chrétienne comme nous; & qüau lieu d'être une fylphide ou une gnomide , elle eft mademoifelle Laure, femme de chambre de 1'illuftre dona Félicia de Cardena; & je Fen aime mille fois davantage, Vous badiniez fans doure , feigneuc don Silvio , quand vous m'avez dit que votre intention étoit de quitter ce chateau , ce chateau ou 1'on n'a rien a defirer. Quoiqüil ne foit ni de faphirs ni de diamans , il eft cependant, a ce que m'a dir Laure, l'un des plus beaux qu'il y ait dans la province. Si j'étois i votre place, je ne defirerois jamais d'autre habitacion. Quoique je ne fafle femblant de rien , je fais bien ce que je fais : ou rrouve fouvent plus qu'on ne cherche. Relfou-' venez-vous en tems & lieu, feigneur, de ce que  RosaivvaC 4*5 Je vais avoir 1'honneur de vous dire : nous ne fortirons pas de ce chateau que nous n'ayons été temoins de deux ou trois noces : c'eft moi qui vous en aflure. Je voudrcis bien favoir quelle efpèce de fecret on t'a confié! Vous me prenez donc pour un bavard? Vous mériteriez que je ne dife rien du tout. J'ai mes raifons particulières pour me taire , & je penfe que Laure a les fiennes aufli, puifqu'elle m'a fi févérement défendu de vous dire que la princefle Diantre! J'allois découvrir le myftère. Heureufement je me fuis retenu alfez-ror. Un peu de patience , feigneur -y les fruits tombent d'eux mèmes quand ils font murs. On verra, dans peu, des chofes extraordinaires.Convenons pourtant, feigneur , que vous ètes né fous une heureufe étoile ! Vivent les fées & les papillons enchantés! Il eft certain que fi nous n'avions pas eu la folie de chercher le papillon bleu Je n'en dis pas davantage. Vous voyez , feigneur, que je ne puis me raire. Si j'étois unindifcret, ainfi que vous me 1'avez fouvent reproché , comment pourrois-je vous cacher que nous avons trouvé le portrait & la princefle ? Que dis-tu? Tu as trouvé le portrait de ma princelfe? Oü eft-il? Oü 1'as-tu mis? Pardonnez-moi, feigneur, répondit Pédrillo Ddiv  Don j i £ t i d'un grand fang froid. Je n'ai point de portrair.' Je n'ai pas dit que j'avois trouvé le portrait de votre princefle, & je mentirois fi je le difois. Que dis-tu donc d'un potrrait & d'une princefle qu'on a trouvés? Vous ne m'avez pas compris, feigneur. Je n'ai pas dit ce que vous ctoyez avoir entendu; car voici le myftère tel qu'il eft Mais puifque j'ai promis de n'en rien dire, je ne puis, fans indifcrérion Je vous conjure, feigneur, de ne pas me queftionner. Le diable eft malin. Je poutrois m'échapper fans m'en appercevoir. Je vous dirai feulement que fi nous avions fu ce que je fais a préfent, la fée Rayonante ne nous auroit pas expofés a recevoir des coups de baton, & nous n'aurions pas pourfuivile papillon bleu...; Mais je fuis fou! Alors nous n'aurions pas trouvé notre princefle, quoiqu'elle ne foit que Cela efl: vrai. Oh! pour cela , oui. Qu'on en dife ce qu'on voudra Doucement. Le myftère éroit fur le point de m'échapper i Infipide maraud, s'éctia don Silvio, parie donc de manière qu'on puiffe te comprendre! Dites que je fuis un ane, feigneur; mais, mol qui vous parie, je n'y cómprends pas plus que vous. A examiner la chofe de bien prés, on diroi't que la fée s'eft moquée de vous, & cependant il eft uès-für qu'elle vous a tenu parole, paree  ii e R o s a i v a! 4ij ijue le portrait & la princelTe fonttrouvés, quoique celle-ci ne foit pas un papillon bleu, ni une princelTe, a proprement parler Tout cela eft fi embrouillé, que le diable n'y démêleroit rien II faut pourtant que 1'on foit quelque chofe; &: fi le portrair Je ne fais oü j'en fuis. La tête me tourne a force de réfléchir fur ros aventures. On ne m'ótera jamais la féerie de 1'efprir. Car il eft clair qu'un fimple hafard ne pouvoit arranger tout cela comme cela Mais , fi je ne me trompe, je vois venir la pritig ceftè....... Dona Félicia, voulois-je dire. Elle vient fort a propos. Une minute plus tard, mon fecrer feroit éventé. A ces mots, il s'éloigna de don Silvio qui, dès qu'il appercut dona Félicia , ne penfa plus a la curioliré que le myftérieux Pédrillo lui avoit infpirée. Notre héros enfila une aurre allée dans 1'elpérance de renconrrer la belle veuve. CHAPITRE V. Pan ie du denoüment. Dès que dona Félicia vit norre héros, elle prit une allée oppofée a. celle oü il étoit. Les regards inquiets qu'elle jetoitde tems en tems  4*tf Don Siivref autour d'elle, annoncoient le trouble qui rëgnoÏÉ dans fon ame. Elle defiroit que don Sdvio allat a fa rencontre \ Sc celui ci n'étoit occupé que du moyen de la rejoindre. Nos amans parurent furpris l'un & 1'autre de fe trouver de fi bonne heure dans le jardin. La belle veuve, moins fincère que le chevalier, prit pour ptétexte 1'envie qu'elle avoit eue de profiter de la fraicheur de la matinée. Don Silvio avoua ingénument qu'il n'éroit venu dans le jatdin que pour fe livrer avec plus de liberté a tout ce qui 1'occupoit depuis fon arrivée dans ce féjour enchanteur. Le regard qu'il lanca en même rems fur dona Félicia , & le foupir qui lui échappa, fuppléèrenta ce qu'il y avoit d'obfcur dans ce difcours. La belle fit femblant de ne pas s'en appercevoir, Sc tourna la converfation fur 1'hiftoire qu'on avoit racontée la veille. Elle lui demanda s'il n'y avoit pas rêvé pendant la nuit. Pour moi, ajouta-t-elle , je vous avoue que je n'ai fait que voyager dans le ventre de la baleine \ Sc fi vous êtes curieux de favoir quelques détails de plus fur ce conté, je pourrai vous en faire, qui ne vous feront peut-être pas indifférens. Don Silvio répondit a 1'aimable veuve, avec toute la franchife d'un amant de dix-fept ans, que comme depuis qu'il 1'avoitvue, il ne penfoir qua elle en veillant, il étoit tout naturel que fes efprits s'en occupalfenc encore, tandis que  t> ï RosAtvA." 4*T fes fens repofoient. II ajouta que depuis qu'd avoit 1'honneur de la connoitre, il étoit entièrement convaincu , par tout ce qui fe paffoit en lui, qüil ne pouvoit y avoir d'autre enchanteraent que celui que produifoit l'amour Ah! (ce font fes paroles) que ne puis-je vous peindre ma fituarion! Vous me donnez une nouvelle exiftence. Votte afped répand un nouvel éclat fur tout ce qui m'environne , & communiqué un nouveau degré de perfeótion aux beautés touchantes de la nature Don Silvio, interrompit la bslle veuve, en jetant fur le chevalier un regard plein de tendrelfe , qu'elle voulut cacher fous un fourire malin, fi votre intention éroit de vous attirer un compliment, je vous dirois que vous èces aufli éloquent que le prince N'achevez pas, madame, reprit vivement norre héros qui fut fi fenfible a cc propos , que fes yeux fe remplirent de larmes, n'offe.niez pas la fincérité de mon ame par une comparaifon que je mérite fi peu. Je vous dis ce que jc fens; & je voudrois pouvoir vous le dire d'une manière qui gxprimar mes fentimens. Dès que je vous ai vue, tous les fmtómes qui s'étoient emparés dc mon efprit fe font diflipés. Je n'envifage plus ma vie palfée que comme un vain fonge. Jcj, Ie jeune-homme trop timide s'arrêca. Ce  4t8 Don SitVioi qu'il vouloit dire fut interprété par un coup d'oeti qui pénétra 1'ame de la belle Félicia. Elle garda le filence pendant un moment. Vous m'avez fait 1'honneur, don Silvio, de me prendre pour une fée. Permertez que je vous prouve que je relfemble au moins en un point a. votre Rayonante. Venez, voici le portrait que vous avez perdu : je penfe que c'eft celui de la perlonne que vous aimez. Je vous le rends tel que vous 1'avez recu de fes mains. En difant cela, elle lui donna le portrait avee «n rang de perles , & s'amufa beaucoup de 1'embarras dans lequel le mit ce préfent inattendu. II 1'accepta d'une main tremblante , le contempla, regarda dona Félicia, revint au porrrait & s'écria... Dequelque part que puilfe venir ce portrait, quelle que foit la perfonne qu'il repréfente , mes yeux me difent que c'eft le vótre, madame, & mon cceur fent qu'il n'eut de pouvoir fur moi que paree qu'il relfemble a la belle Félicia. Je ne l'ai pas recu des mains d'une fée, comme vous venez de le dire : je l'ai trouvé dans le bois, attenant au pare de Rofalva. Ce portrait avoit fans doute été perdu : je l'ai trouvé. On me 1'a volé : il eft revenu entre vos mains. Tout cela m'annonce un . myftère que je vous prie de m'expliquer. Je n'en puis douter; c'eft votre portrait : dès que je le vis, il occupa entièrement mon ame. Je fentis  DE R O S A t V Al qu'il devoit repréfentet la feule perfonne qui puilfe faire mon bonheur. Mon cceur y reconnut 1'objet de tous fes vceux : mais ces fentimens fe ranimèrent encore , lorfque j'appercus 1'origi-: 11 al Prenez-garde, lui dit dona Félicia en riant: votre cceur pourroit vous avoir trompé. Ce portrait me relfemble peut-être beaucoup *, mais ce n'eft pas le mien. lis arrivèrent infenfiblement devant la porte de l'un des pavillons du chateau. Dona Félicia avoit remarqué le trouble de notre héros, lorfqu'elle lui dit que ce portrait n'étoit pas le lien. U ne celfa d'alfurer qu'il n'avoit jamais aimé qu'elle dans cette image. Dona Félicia ne put être alfez truelle pour le lailfer plus long tems dans 1'embarras. Elle le conduifit, par une falie, dans un cabinet, oii il vit deux pottraits de grandeur naturelle , placés a cöté l'un de 1'autre > & qui fe relfembloient fi parfaitement, qu'un grand connoilfeur auroit eu de la peine a découvrir en quoi ils différoient l'un de 1'autre. Lequel de ces portraits eft le mien , Don Silvio? Tous les deux, répondit Silvio. II eft vifibie que l'un eft la copie de 1'autre. Vous vous trompez. Celui-ci eft au moins de foixante ans plus vieux que celui-la; car il repréx  4?o Don S i t v i 6 fenre ma grand'mère, dona Dororhea de jufétfij qui fe fit peindre a 1'age de feize ans. Vous eri voyez un ici, continua-felle, en lui montran* une miniature qui fe troüvoit au deffous du grand portrait, qui a été fait a peu prés dans Ie même tems : c'eft celui-U qui a été eopié,$ & cefte copie a donné lieu a cette intrigue firtgulière. Mon père trouvoit tant de reffemblance entre dona Dorothea & rrioij qu'il me fit peindre a feize ans, dans les mêmes ajufterftens & dans la même attitude. Mon grand'père qui aimoit extrêmement fon époufe, fit faire le petit porrrait qui vous eft tombé entre les mains. II Ie portoit < felon 1'ufage de fon tems , attaché a une chaïne dor. II le lailfa k ma mère de qui je Ie riens. Je l'ai toujours porté au cou jufqu'au tems que je l'ai perdu dans Ie bois oü vous devez favoir rrouvé. Voila le dénoüment de cette hiftoire. Actnellement, ajouta-t-elie en riant, décidez-vous , ou pour la grand'mère ou pour la petite-fille, puifque 1'une & 1'autre ont les mêmes droits a votre indination. II feroit difficile d'exprimer tont ce qui fe paffa alors dans 1'ame de notre héros. II alloit fe jeter aux pieds de 1'aimable veuve pour lui témoigner toute fa recohnoiffance lorfqu'on vint avertir que le chocolat éroit prêr. Ils allèrent déjeuner. Don Gabriel ik don Eugénio parursnÉ  fl £ ROSAIVA." 4Jt étonnés du changement qui s'étoit fait dans le maintien & dans les difcours de notre chevalier. Le premier avoit projeté de combattre encore 1'inclination de fon ami, pour la féerie; mais les argumens, qu'il avoit préparés, devinrent inutiles. Convenez que deux beaux yeux, qu'une belle bouche , en un mot, qu'une jolie femme elt infiniment plus perfuafiveque le fyftême le mieux raifonné. CHAPITRE VI. Nouvelles dêcouvertes* avoir déjeüné , toute la fociété fe rendit a la bibliothèque ou don Gabriel s'anvufa a faire voir aux dames & a fon ami toutes fortes d'expériences de phyfique. II y avoit tout au plus une heure qu'ils y étoient, lorfqu'ils furent interrompus parie bruit d'une efpèce de carrolfe qui entroit dans la cour du chateau. II eft aifé de fe faire une idéé de la confternation de don Silvio, lorfqu'il vit dóna Mencia fortir d'une vieille défcbligeante, tirée avec peine par deux haridelles. Elle avoit appris, par le chirurgen Bias qui avoit été la veille a Lirias  431 DonSilvio y panfer Ie bleffé, que fon neveu étoit chez laf feigneur de ce village. Ce chirurgien avoic ajouté que Pédrillo annoncoir des événemens remarquables. Ces nouvelles répandirent a la fois la joie & le trouble dans le cceur de dona Mencia. L'une des principales claufes ducontrat de mariage paflé entr'elle & le fieur Rodrigue Sanchez, porroit expreffément que don Silvio épouferoit Mergéline. La tante jugea qu'il étoit de la dernière conféquence qu'elle allac en perfonne a Lirias, réclamer fon neveu. La penfée de le trouver dans une habitarion magnifique & parmi des dames féduifantes par leurs charmes, la rendit furieufe. II fuffifoit qu'elle fut parente de don Silvio, pour qu'on eut pout elle toutes les attentions imaginables. Après les premiers complimens, elle dérailla le motif de fa vifite. Je fuis fort étonnée, ajouta-t-elle, que mon neveu fe trouve a Lirias. Don Eugénio lui répondit qu'il devoit cette faveur au hafard, & lui racontatoutcequ'avoient fait la valeur & la générofité de fon neveu. Dona Mencia fur enchantée d'apprendre que fon neveu s'étoit rendu digne, dans une fi belle occafion, du fang illuftre dont il étoit iffu. Cette orgueilleufe tante s'abaiffa pour la première fois jufqu'a jeter un coup d'ceil fur dona Félicia & fur Hiacinte, «quoique, felon fon fyftême, des femmes de cette •»^:empe  B 6 ROSALVA. trempe ne méritafTent pas 1'attention d'un crre penfanr. Après nn moment de filence, elle dir, cn adreffant la parole a Hiacinre, qu'elle n'avoit jamais vu perfonne qui lui retracat avec autanc de vérité tous les traits de feue fa belle-fceur, dona Ifidoria. Elle parloit encore a Hiacinre , lorfque don Silvio qui s'étoir retiré un inftant, pour lailfer paffer la première colère de fa tante , entra avec don Gabriel. Les éloges qu'on venoit de donner a fon courage, la manière douce & honnéte avec laquelle il falua dona Mencia, peut-être aufli la bonne mine de fon conducteur, firent un fi bon effet, qu'il fur mieux recu qu'il ne s'y artendoic. Don Gabriel qui connoiffoir déja le caractère de la vieille dame , eut la malice de lui dire de jolies chofes. II joua auprès d'elle le role du plus parfair adorateur. On s'éroit entfetenu pendant quelque tems de propos agréables, quand rout acoup, on entendic dans 1'efcaher de grand cris & des acclamations de joie : la voix de Pédrillo fur reconnue. Peu après, on le vit entrer dans i'appartement en s'écriant: joie! bonheur! profpérité ! plaifir fur plaifir! Seigneur don Silvio, Pinpim eft retrouvé! Pinpim eft de retour Sujmon honneür, j'ai reconnu la fée Caraboffe a cinquanre pas. Elle ne veut pas rendre le petit chien : elle dit qu'elle ne 1'a pas volé. Elle me dit une foule d'inTome XXXri, Ee  434 DonSily'io jures queje n'oferois répéter devant unedaugufte affemblée; mais tubleu! je ne fuis pas en refte. Je lui ai bien rendu fottife pour fottife. Comme je lui ai lavé la tète! La vieille forcière!.... Elle veut, par tous les diables, qüon la laiffe paroirre devant le feigneur don Eugénio. Je lui ai répondu qu'il y avoit du monde, qüon n'avoit pas lc tems de fe lailfer lire dans la main; que nous favions tout ce que nous voulions favoir Rends-moi Pinpim & décampe, ou je te Oui, ou je te rendrai au centuple tous les coups de batons que ta comère la vieille Fanfreiuche m'a fait donner. Tout cela n'aboutilfoit a rien; & elle feroir enrrée par force dans 1'apparrement, li je ne 1'euffe prife par un bras & jetée du haut de 1'efcalier en bas. De qui parlez-vous donc, mon ami, demanda doa Gabriel ? Qui eft cette vieille femme ? Monfieur, reprit Pédrillo, elle pourra mieux que perfonne dire qui elle eft. Mon maitre a toujours foutenu que c'étoit la fée Caraboffèi mais fi je dois parler vrai, je crois qu'elle n'eft, fuif votre refpecF, qu'une bohémienne. Don Eugénj^peut a peine entendu cette derniere parole, qu'il fortit avec précipitation de 1'appartement, dans fefpérarice de retrouver la vieille femme qu'il cherchoit. Certe prérendue Caraboffe étoit effe&ivement  DÉ RoSAtVAi 44 5 la perfonne que don Silvio avoit renconrrée dans le bois, le lendemain de fon départ de Rofalva. Cette bohémienne étjir un des principaux perfonnages de 1'hiftoire d'Hiacinte. On doit fe rappeler que le directeur de la ville de Séville forca ' certevieilledefortirdelacapicalede l'Andaloufie, Comme fa réputaiion s'étoit tépandue dans toutes lesprovmees voifine.s, elle ne favoit plus oü porter fes paSi Au milieu de fes défaftres, elle fe reffouvint d'Hiacinte. Une comédienne lui apprit l'hiftoira de fa fille fuppofée. Elle efpéra dès-lors de trouver un proreóteur & un appui dans la perfonne de don Eugénio. Le hafard voulut qu'elle arrivat a Lirias en même tems que dona Mencia qui étoit feule a même de vérifier ce qu'elle alioic révéler. Dont Eugénio revinr au bout de quelques minutes, accompagné de la bohémienne. Je vous amène, madame, dit-il a dona Mencia, une femme qui prétend vous faire tecouvrer une nièce que vous avez perdue. La belle Hiacinte fit un grand cri dès qu'elle appercut la bohémienne. Celle-ci couruc fe jeter aux pieds de dena Mencia, pour obrenir le pardon d'un crime qu'elle difoit avoircemmiscontre cette dame. Elle raconta d'une maniène trés détafHée comment elle avoit enlevé dona Séraphhia qu'elle avoit le bonheur de retrouver ici, fous le nom d'Hiacinte, Elle cita le tems, le lieu, 3c Eeij  43 Don Silvio toutes les circonftances qui avoient rapport a ce vol. Pour preuve de ce qu'elle avancoit, elle tira de fa poche une perire chaine d'or, qüelle dit avoir trouvée au cou de la jeune Séraphine. Il eft plas facile de fe repréfenter la joie que produifir dans rous les cceurs une pareille découverte que de la décrire. Don Eugénio éroit ravi, tranfporté d'allégreffe. 11 auroit volontiers fait grace a. la bohémienne de tous les reproches & de toutes les informations que fembloit exiger un événement de cette nature ; mais doim Mencia ne fut pas fi indulgente. Elle examina la forcière avec la plus févère attention, elle la queftionna fur les plus petites circonftances, & lorfqu'elle fut fatisfaite de fes réponfes , elle regarda la chaine de trés - prés & la reconnut effecVivemenr, pour être celle qüelle avoit donnée a fa petite nièce, lorfque don Pédrillo lui confia fon éducarion. Enfin, après les plus exactes recherches, Hiacinte fut reconnue pour être dona Séraphina de Rofalva. Sa rante & notre héros 1'embraflèrent ■avec route la tendreffe poffible. Certe découverte répandit une joie univerfelle dans tout le chateau. Don Eugénio auroit voulu partager la fienne avec la nature entière. 11 donna ordre, dès ce moment, qüon préparat les chofes néceffaites a la fêce qui dura plufieurs jours.  DE R O S A L V A? 4J7 CHAPITRE VII. Somme totale. D on Silvio qui, enfin, ne reconnoit pius d'autre fée que fon adorable dona Félicia, ni d'autre enchantement que celui que produifent de beaux yeux , eft au centre du bonheur. Don Eugénio & notre héros déclarèrent le même jour leur penchant a dona Mencia. L'amour-propre de cette vieille tante fut trop flatté pour qu'elle ne fe prêrar pas a cette doublé alliance. Elle rougit intérieurement d'avoir eu la penfée de facrifier fon neveu & fa nobleffe pour cent mille ducars. Et comme elle aimoit a caiculer , elle trouva que foixante mille doublons de rentes, dont jouiffoit dona Félicia, pouvoient bien rendre a fa maifon toure fa première fplendeur. On lui alfura, par le contrat de mariage, une penfion de fix mille ducats. Elle penfa que ce revenu pouvoit réparer, en cas de befoin , la perte de M. Rodrigue-Sanchez. Dona Félicia & dona Sérauhina confentirenc enfin a. faire le bonheur de deux amans qui les adoroient & qu'elles chérifloienr. Pédrillo obtinc pour récompenfe de fa bonne foi & de fa fidélité,  438 Don Silvio de Rosalva. la belle Laure a laquelle on joignit 1'emploi de maïtre d'hörel, qu'il occupe probablemenr encore chez les époux les plus fortunés de route 1'Efpagne. Fin du trente-Jixième Volume.  43? TABLE DES CONTES, Tqme Trente-sixième. jtlrERTlSSEMENT DE L'ÊDITEUR, page ï. DON SILVIO DE ROSALVA PREMIÈRE PARTIE. Chapitre premier. Caraclère d'une certaint tante, yt Chapitre II. Qüelle fut l'éducaüon que don Silvio recut de fa tante, i ze Cha pitre III. Obfervations Pfychologiques, 14. Cha pitre IV- Comment don Silvio fit connoiffance avec les fées, \jm Chapitre V. Idéé plaifante de don Silvio. II devient amoureux d'une princeffe, 21. Chapitre VI. Aventure de la grenouille : pourquoi don Silvio ne la prit pas pour une fée, 2.6. Chapitre VII. Comment don Silvio trouve le portrait de la princeffe dont il efl amoureux, 19.  _ r 44° Table Chapitre VIII. Réflexions qu'on peut lire fans s'ennuyer, )Jt Chapitre IX. Suite de 1'aventure du papillon, On fait connoure un nouveau perjonnage, 37. Chapitre X. Dans lequel il eft quefiion de fées, de falamandres, de princeffes & de nains verts, 45- Chapitre XI. Converfation de don Silvio avec fon domeflique. Ils fe préparent a voyager, 53. Chapitre XII. Quelles étoient les affaires que dona Mencia avoit dans la petite ville, 61, Chapitre XIII. Portrait a. la maniere de Callot, 6S. Chapitre XIV. Propofaion de mariage, 72. Chapitre XV. Soupcons de don Silvio. II concerte fa fuite avec Pédrillo, 78. Chapitre XVI. Une promenade. Rufe de don Silvio, g, Chapitre XVI I. Ravijfement de don Silvio dans les jardins de la fée Rayonante. Le quipro» quo qui en réfulte. Suite déj'agréable , 85. Ch apitre XVIII. Silvio revient a lui. IIcherche avec Pédrillo, le moyen de tromper la prétendue fée Fanfreiuche, ^o. Chapitre XIX. Oépart fecret de don Silvio. Comment Pédrillo prit un arbre pour un géant, 104. Chapitre  des ChApitrbs. 441 Chapitre XX. Ce qui fe paffa dans un fojfe', a l'occafion d'une falamandre, 111 • Chapitre XXI. Réveil defagréable de Pédrillo, 12.1. Chapitre XXII. Que ne peut l'illufion! 115. SECONDE PARTIE. Chapitre premier. Ce qui fe paffoit h Rofalva , * 5 * • Chapitre II. Déjeuner. Jaloufie de don Silvio, *J6. Chapitre III. Ce quife pajfa avec labohémienney 148. Chapitre IV. Don Silvio fe laffe de chercher le papillon bleu : il s'endort après un bon goüté champêtre, 161. Chapitre V. Plaifante aventurey 166. Chapitre VI. Qui étoient les dames que Pédrillo prit pour des fées, 174» Chapitre VII. Qu'on ne doit pas omettre, 1 8c. Chapitre VIII. Entretien entre dona Félicia & fa confidente y 1 § i■ Chapitre IX. Myftères ontologiques , 190. Chapitre X. L'illufion peut être avantageufe, Tome XXXVh F f  44i T a b 1 e Chapitre XI. Dans lequel don Silvio paroh avantageufement, 2°9« Chapitre XII. Ils arrivent dans une auberge, 214. Chapitre, XIII. Tets d tcte, 117» Chapitre XIV- Examen remarquabie, 1*1. Chapitre XV. Ce lyai/ê f<#>« a Lirias, 131. Chapitre XVI. Comment don Silvio fut battu par des bergères, *35" TROISIÈME PARTIE. C/ha pitre premier. Dans lequel t'auteur parie du plan de ceae hiftoire, f $f« Chapitre II, Dans lequel Pédrillo paroü a fon avantage, i43Chapitre III. Situation critique, X$X» Chapitre IV. Les prédiclions de Pédrillo com- mencent d s'accomplir, 15 Chapitre V. Apparition de la fée. II eft dangereux de rencontrer quelquun qui rejjemble dfa maïtrejje, 2<*l° Chapitre VI. Retour de don Eugénio, 267. Chapitre VII. Résiprocuê, %7}> Chapitré VIII. Qui l'emportera ? *74< ChaPvtrb IX. Ce que peut nnf ge, %7ï  des Chapitre. 443 Chapitre X. L'amour l'emporte toujours, 28 r. Chapitre XI. Hiftoire d'Hiacinte, 285. Chapitre XII. Suite de l hiftoire d'Hiacinte, 294. Chapitre XIII. Don Eugénio continue 1'hiftoire d'Hiacinte, 3®9« Chapitre XIV. Soupqons de don Silvio, 3 17. QUATRIÈME PARTIE. Chapitre premier. Hiftoire du prince Biribinker-> 325. Chapitre 11. Suite de 1'hiftoire du prirïce Biribinker, 3 5<»- Chapitre III. Remarques fur 1'hiftoire précédente, 409. Chapitre IV. Découverte remarquable. Difcrédon de Pédrillo, 417. Chapitre V. Partie du dénoüment, 425. Chapitre VI. Nouvelles découvertes, 431. Chapitre VII. Somme totale, 437. Fin de Ia Tabl« des Chapitres,