787 G13 JU  MÉMOIRES H1ST0R1QUES ET AUTHENTIQUES S U R LA BASTILLE. T O M E S E C 0 N D.   MEMOIRES H ISTORIQUES ET AUTHENTIQUES S U R LA B AS T I L L E, Dans une Suite de prés de trois cents Emprifonnements, détaillés & conflatés par des Pieces , Notes , Lettres , Rapports , Procès-verbaux , trouvês dans cette Forterejfe , & rangés par époques depuis 143$ jufqua nos jours , &c. Avec une Planche format in-40., repréfentant la BaJlilU au moment de fa prife. TOME SECOND. A PARI S%™fM^ Et fe tromt A MAESTRICHT, Chez J. P. Roux & Compagnie, Imprimeurs- Libraires, affociés.   MÉMOIRES HISTORIQUES ET AUTHENTIQUES^ SUR LA BASTILLE. 1703 , z6 Février; Charles DE Ros SET, orlginaire de Quercy', agi de quarante-deux ans, efl entré a la Bajiille le. 26 Février 1703, en confêquencc ctun ordre da Roi, fignè par M. le Marquls de Torcy. Il fut arrêté, paree qu'on apprit qu'il avoii deffein de paffer parmi les révoltés des Sévennes. II avoua qu'il avoit eu ce projet, mais il dit que c'étoit le défefpoir qui le lui avoit fuggéré. I' étoit encore a la Baftille au mois de Mai 1714, & il paroit, par les notes qui nous font parvenues, que 1'inquiétude que lui caufoit fa A iij  6 Mhnolrts longue dérention lui tourna la tête, & qis'il devint fou a lier. II s'armoit ordinairement d'un baton, & il étoit très-dangereux de 1'approcher. II maigriffoit de jour en jour; de forte qu'on peut raifonnablement préfumer qu'il dut mourir bientöt. Comme 1'égarement o{i étoit fon efprit ne lui auroit jamais permis de fe conduire luimême, & qu'il regardoit la guerre ou la paix comme indifférentes pour fa fortie, il eft profcable que la Baftille eft le feul endroit oh il pouvoit finir fes jours. II fut transféré cependant en 1714 a Charenton. 1703 , 25 Mars. Stbajllen PlGEORY, agè de vingt-trois an.ff originaire du Val- de - Mercy , prés Coulange - laVineufe, ejl entrta la Bajlille le 25 Mars 1703» en vertu t£un ordre du Roi, Jlgnè par M. dc Pontchartrain. Il fut arrêté pour avoïr écrif une ïettre au Pere de la Chaize, par laquelle il lui déclaroit une prétendue confpiration faite contre le Roi. Ce deflein étoit imaginaire , & c'étoit lui qui 1'avoit dénoncé comme véritable, dans Pintention de s'en faire un mérite & de s'attirer quelque récompenfe. Ce prifonnier étoit un impofteur de la même efpece que la Dame de Bredeuille, maïs d'un  fur la Baftllk. 7 fcaraöere blen différent, car il étoit aufli fimple, auffi doux & auffi tranquille qu'elle étoit impétueufe , indocile & emportée. II défavoua long-temps fa faute, mais il finit cependant par la reconnoïtre : il reconnut auffii que Ia Tettre écrite au Pere de la Chaize pour 1'informer de eet attentat criminel, étoit entiérement écrite de fa main. La fincérité de fors repentir & Ia déclaration ingénue de fa faute, lui firent obtenir fa liberté au mois d'Avril 1704, a condition néanmoins qu'il ne reviendroit ja* mais a Paris ni a la fuite de la Cour. 1703 , 6 Juin. Jean Ha MARt, ariglnaire de Tours, dgê de foixante-on^e ans, ejl tntrl a la Bajlille te 6 Juin J703 , en exicution £un ordre du RoifJignipar M. de Ponchartrain. Il avoit été élevé dans la Religïon Proteftante, & fon pere (autrefois Receveur-général des rentes Provinciales de la Généralité de Tours) étoit mort dans la même Religion. II avoit acheté k fon fils une charge d'Exempt des Gardes du Corps. Mais la Religion P. R., dont il faifoit profeffion, empêcha qu'il n'y fut refu. Les Proteftants mal convertis le regardoient comme une efpece de Confeffeur, II paffoit k Chailiot, ou il avoit demeuré, pour un prédicant; & lorfqu'il fut arrêté dans fa maifon de Paffy 3 A iv.  '5 Mémoires oh il s'étoit retiré après avoir quitté Chaiiïot; le peuple étoit fur le point de 1'en chaffer a force ouverte, perfuadé qu'il n'étoit venu s'y loger qu'a deffein d'y tenir des affemblées de religion. Lorfqu'il fut arrêté ceux des Prétendus Réformés, dont la catholicité étoit la plus douteufe , parurent fort étonnés & fort inquiets. Ils s'intriguerent pour lui faire avoir fa liberté. Quelquesuns des plus riches offrirent même de répondre de fa ftabilité dans le Royaume. Sur le bon témoignage que le Pere Riquelet, Jéfuite, rendit du prifonnier qu'il croyoit difpofé a fe convertir, al fut arrêté que lorfqu'il auroit fait abjuration, on le feroit fortir de la Baöille, &qu'onlemettroit fous la garde d'un nommé Bareau, 1'un de fes neveux, qui étoit fur le point de retourner en fa Province , oh 1'on penfoit qu'il feroit beaucoup mieux qu'a Paris, attendu que Ie peu de bien qui lui reftoit, ne pouvoit 1'y faire fubfifter fans les aumönes des Proteftants mal convertis qui 1'auroient rappellé bientöt a fa première Religion, pour peu qu'il les eüt écoutés,  fur la Bajlllle. 5> 1703 , 18 Juiliet. Le Sleur Jean ConRADE de KöCQ, orlgt- naire du pays de Treves, dgé de cinquante - un ans, efientrè a la Baflille le 18 de Juiliet 17Ö3, en conféquence d'un ordre du Roi, fignê par Af. de Ponthcartrain. C E prifonnier avoit a la Cour de Madrid le cara£tere d'envoyé de Mayence, & 1'on croyoit qu'il y avoit la principale confiance de 1'Empereur. II affuroit cependant que le principal motif de fon féjour étoit un procés qui lui avoit été fufcité par rapport a la fucceffion du Comte de Hardon, Général de 1'Artilierie du Roi d'Efpagne, & fon parent très-proche : il n'avoit jamais eu (difoit-il) aucune relation particuliere avec 1'Amirante de Caftille, & M. de Torcy lui avoit écrit plufieurs fois fur ce fujet : i\ étoit prifonnier de guerre , pour s'être trouvé fur un des vaiffeaux Hollandois , dont M. de Choëlogon s'étoit rendu maitre. II dit tout ce qu'il favoit touchant le pillage des diamants, & il demanda fa liberté, qui lui fut accordée le 16 Avril 1704.  Mémoires 1703, 18 Juiliet. Cafimlr Leydecker , originalre de Mayenu, dgé de vingt-neuf ans, efi entré a la Bafiille le 18 Juiliet 1703 , en venu d'un ordre du Roi, figné par M. de Pontchartrain. Cet Allemand fervoit le Sieur Kocq en qua-iite de Valet-de-chambre : on trouva fur lui quelques diamanrs qui avoient été pillés fur la prife de M. Choëlogon, & fon Maitre en avoit auffi j mais il protefta qu'il ne favoit rien de fes liaifons a Ja Cour d'Efpagne , & que tout ce qu'il pouvoit en dire, c'eft que les Seigneurs que fon Maitre voyoit le plus fouvent, étoient le Marquis de Leganez, & le Duc de Sefte , devenu Marquis de Losbalbafez depuis quelque temps. II fortit de Ia Batfille en même temps que fon Maitre. 1703 , 18 Juiliet. Jacques Delfin o, originaire de Gênes ; dgè de trente - neuf ans, efi entré d la BafiilU U 18 Juiliet 1703 , en execution d'un ordre dti Roit figné par M. de Pontchartrain. T j- l etoit Secretaire de M. Ie Comte de Valftin j Ambafladeur de 1'Empereur auprès du Roi de Portugal. Ils furent pris enfensble fur un des  fur la Bafiille. r t vaiffeaux hollandois dont M. le Marquis de Choëlogon s'étoit rendu maitre. 11 ne favoit aucunes particularités de la prife ni du pillage des diaanants, étant toujours malade a la mer Sc hors d'état de vaquer a aucunes affaires, ni d'obferver ce qui fe paflbit a bord. II demandoit avec beaucoup d'empreflement des nouvelles de fon maitre, & il attendoit, en apparence, avec une grande tranquillité, ce qu'il plairoit au Roi de décider fur ce qui le regardoit perfonnellement. II fut mis en liberté au mois d'Ayril 1704. 1703 , 7 Septembre. Plerre Mi ge o n , originalre de Paris , dgê de trente-huit ans, efi entré a. la Bafiille le 7 Septembre 1703 , en confèquence d'un ordre du Roi, figné par M. de Pontchartrain, Il étoit Ebénifle de fon métier, & il tenoit, depuis long-temps, une boutique dans le fauxbourg de Saint - Antoine; fa femme étoit, ainfi que lui, nouvelle Catholique. On lui imputoif d'avoir tenu contre le Roi, contre le Pape , Sc contre PEglife Catholique, les difcours les plus infolents. II défavoua le fait, & protefta qu'il ne s'étoit jamais trouvé a aucune conférence ni affemblée, ainfi qu'il en avoit été injuftement accufé.  % % Mémoires 1703 , 7 Septembre. 'Frangols CoURTOls, originalre dCOrléans, dgi de quarante-quatre ans, efi entré, le 7 Septembre 1703 , d la Bafiille, en vertu d'un ordre du Roi, figné par M. de Pontchartrain. Ï l avoit été Religieux Bernardin en PAbbaye de Royaumont au Diocefe de Beauvais, & il avoit été ordonné Prêtre par M. 1'Evêque de Senlis. Après douze ans de Religion , il avoit quitté fon habit, fous prétexte d'un Prieuré de 1'Ordre de Saint-Benoit, d'environ 20 liv.de rente, fitué dans le Diocefe de Nevers , & M. 1'Abbé de Cïteaux lui ayant donné une efpece de démifToire en conféquence des provifions qu'il en avoit obtenues, il courut de Diocefe en Diocefe, & s'arrêta principalement dans ceux de Paris Sc de Rouen, oü il avoit deffervi plufieurs ParoifTes, tantöt comme Chapelain, Sc tantöt comme Vicaire ; toujours vêtu en Prêtre féculier, Sc fans avoir confervé aucunes marqués ni de Phabit de Saint-Bernard, quoiqu'il fut de 1'Etroite-Obfervance, ni de l'habit de Saint-Benoit, qu'il n'avoit jamais pris canoniquement. II avoit été auffi Chapelain des Dames de l'Abbaye de Leo, Sc il y avoit connu Mademoifelle de la Valliere, qui avoit dépuis époufé M.' Je Marquis du BrofTé; mais quelques intrigues 1'obügerent d'en fortir. II avoit voulu rentrer dans  fur la Bafiille. 13 fon ordre; mais fes Supérieurs qui le regardoient comme un vagabond qui ne pouvoit que déshonorer PEglife, refuferent de le recevoir. On trouva parmi fes papiers deux lettres, 1'une du Prieur de Royaumont , & Pautre , que Dom Robert, Religieux de la même Abbaye, lui écrivoit par fon ordre. Toutes deux contenoient des reproches de fa mauvaife conduite, & le lraitoient d'apoftat. La derniere ajoutoit qu'ils apprenoient avec douleur qu'il avoit contraöé Ia maladie infame que produit la débauche , mais que leur infirmerie n'étant pas faire pour des maux tels que ceux-lè, ils ne fouffriroient pas qu'il ajoutat encore ce fcandale a tous ceux qu'il leur avoit donnés. Au mois d'Avril 1704, on écrivit a M. PAbbé de Citeaux de le renfermer dans un Couvent de fon Ordre; ce qui fut exécuté au mois de Mai fuivant. II devoit être envoyé a Phópital fur le, «refus de fes Supérieurs. 1703 , 15 O&obre. Gafpard-Frangols Gr o mi s , originalre de Turln, dgé de vlngt-fept ans, ejl entré d la Bafiille, le 15 OHobre 1703 , en conféquence d'un ordre du Rol, figné par Af. de Pontchartrain. IL fut arrêté comme fujet du Duc de Savoie.' II avoit demeuré dix mois è Touloufe , & avoit fait une partie. du tour de la France, par un  Mémoires pur efprit de curiofité : fon delTein étoit d'entrer' dans 1'Etat Eccléfiaftique ; & il n'étoit arrivé a Paris, que depuis fort peu de jours, lorfqu'on donna ordre d'arrêter les Piemontois. Lui feul & le Comte de Saint-Chriftophle, furent mis a la Bafiille; le fecond , en étoit forti comme Sayoyard, en prêtant au Roi le ferment de Üdéhté ; mais le Sieur de Gromis ( qui fe difoit Gentilhomme, & dont toute la familie étoit établie a Turin) refla encore a la Bafiille, oü le Gouverneur du Chateau avoit pour lui toutes fortes d'égards. On lui permit d'écrire dans fon pays, pour voir s'il pouvoit être échangé. 1703 , 27 Oftobre. Frangols Qts e ru , originalre de Paris , dgé de folxante ans, efi entré d la Bafiille , U xj Oc~ tobre 1703 , en vertu d'un ordre du Roi, figné par M. de Pontchartrain, Ce Prifonnier avoit été Soldat aux Gardes dans la Compagnie de Balincourt; il palTa enfuite dans le Régiment de Sailly, d'oü il étoit encore revenu dans celui des Gardes, & il n'y avoit pa* plus de quatre ans, qu'il avoit quitté ce feryice. m II étoit né dans la Religion Proteftante; mais il avoit fait fon abjuration avant que le temple de Charenton fut détruit : il avoit époufé une femme de Thouars, d'oü étoit auffi fa familie;  fur la Bafiille. 15 maïs il Pavoit quittée des Pannée 1681; & depuis ce temps-la , il n'avoit paffé qu'un jour avec elle : il prétendoit favoir le métier de Chirur< gien, & il convint qu'a cette occafion , il avoit connu une nommée Landry, qui prétendoit avoir eu de lui plufieurs enfants, quoiqu'elle fut mariée avec le Valet du Curé de Charenton. II allégua, pour fa défenfe, que cette femme étoit publique, & qu'elle avoit été groffe trois fois, depuis qu'ils s'étoient connus ; mais que divers artifans du Fauxbourg Saint - Antoine la yoyoient comme lui. Les motifs de fa détention furent les impiétês idont il s'étoit rendu coupable, & qui avoient excité contre lui 1'indignation de tous les Caiholiques du Fauxbourg de Saint-Antoine, oü il demeuroit. II avoit dit , en parlant de Sainte Genevieve, que cette Sainte avoit vécu en mauvais commerce, & que Saint Marcel avoit été ie complice & le confident de fes débauches. On lui imputoit d'avoir ajouté a ce difcours quantité d'obfcénités qu'on ne pouvoit répéter fans horreur ; & il avoit parlé du Roi avec la même in-J folence. II fut transféré a 1'Höpital, le 16 Avril 1704, pour y refter jufqu'a la fin du mois d'Octobre, & enfuite être -chaffé de Paris, pour toujourj.  i 'Mémoires 1703 , 6 Novembre. Jfaie Led et , Seigneur de Segray , originalre de Petlviers, dans PIjle de France, dgé de quaranteclnq ans, efi entré d la Bafiille, le 6 Novembre 1703 , £/z conjéquence d'une lettre de cachet, ftgnée par M. de Pontchartrain. I l étoit né dans Ia Religion Proteftante, & I'avoit toujours profeffée jufqu'aumoisd'Avril 1701, qu'il 1'abjura entre les mains du Sieur de la Cofte, Curé de Saint-Pierre-des-Arcis. II avoit paffé en Angleterre, en 1696, pour y exercer librement fa Religion, & il y avoit laiffé fa femme & deux gargons qui y étoient nés. II feignit, en partant de Londres, de vouloir paffer au fervice de PEmpereur; &, dans cette vue, il prit des lettres de recommandation pour M. le Comte de la Lippè, & il accepta une Lieutenance de Cavalerie dans fon Régiment. Mais dès qu'il fut a Rotterdam , il fe rendit auprès de _AL Barre, Envoyé du Roi, & il ne fongea plus qu'a venir en France, oü il fe propofoit de rappeller fa familie. On trouva fur lui quelques feuilles imprimées, les unes contre Thonneur du Roi, compofées par des Moines apoftats; les autres pour exciter les Proteftants a paffer en Angleterre. On lui trouva auffi des livres contre Ia Religion Catholique. Ce prifonnier fe difoit Catholique; mais les lettres qu'il écriyoit a fa femme & les réponfes qu'il  fur la Bafiille. 17 qu'il en recevoit, faifoient affez connoitre qu'il étoit toujours Proteftant au fond du cceur. Les projets des unes & les originaux des autres s'étant trouvés parmi fes papiers, on fut perfuadé qu'il n'étoit venu, en France, que dans le deffein de fervir les ennemis en qualité d'efpion, cc répandre les libelles dont il s'étoit muni. Les excul'es qu'il allégua a eet égard étoient frivoles. II ne fe défendit pas mieux touchant les livres hérétiques qu'il retenoit toujours malgré fon abjuration. On ne put croire que les intentions de eet homme fuflënt innocentes. Un Moine apoftat Sc relaps , condamné aux galeres par Arrêt du Parlement, affura que eet homme étoit revenu, en France, accompagné du'n Miniftre , nommé Gillet, qui logeoit k Londresdansfa maifon avec quelques autres ; que même ce voyage avoit été concerté avec eux & qu'il n'affe&oit de demander de 1'emploi, dans le fervice, que pour être plus a portée d'apprendre &c d'écrire des nouvelles. II défavoua ces faits avec ferment, & affura qu'il étoit hon Francois & bon Catholique; mais toutes les apparences étoient contre lui, & la dénonciation du Moine qui Paccufoit, étoit auffi vraifemblable que fes réponfes 1'étoient peu. En conféquence, on ne regarda fon abjuration que comme une feinte; & on penfa que fes vues ne pouvoient être que criminelles, &c qu'il étoit bon de 1'oublier k la Bafiille, jufqu'a la paix. Tomé II. Cahier V. B  18 Mlmo'irti 1703, 8 Novembre. Frangois Hv mb e rt , priginaire de Noyers en Bourgogne , dgi de vingt-fepi ans, efi entré, le 8 Novembre 1703 , d la Bafiille, en exécution d'une lettre de cachet, jlgnée par M. de Pontchartrain. et homme fut arrêté fur deux mémoires qu'il avoit préfentés , par lefquels il annoncoit qu'il avoit un avis de la plus grande importance k donner au Roi & qu'il ne pouvoit communiquer qu'a fa Majefté. II s'opiniatra toujours a ne vouloir pas dire fon fecret. II déclara feulement qu'il ne s'agiffoit d'aucune confpiration contre le Roi, ni contre Ia Maifon Royale : que ce n'étoit point un deffein formé par les ennemis, ni un projet de révolte : il ajouta que eet avis ne regardoit point les finances & ne contenoit aucune dénonciation ni accufation. Cependant, il vou3oit qu'on le crüt très-important, & il protefta qu'il ne le diroit jamais qu'au Roi; ajoutant qu'il ne pouvoit néanmoins en expliquer la raifon , parcè que cette explication dévoileroit fon fecret; mais il affura (pour faire voir fon défintéïeffement) qu'il renoncoit de bon cceur a toutes les récompenfes que eet avis pouvoit mériter ; les éclairciffements négatifs qu'il donna, firent affez connoitre que fon avis n'étoit qu'une chimère, & que , quand il auroit eu un objet réel, eet ©bjet ne pourroit être confidérable,  fur la Bafiille. Cependant, quoiqu'on eüt pu méprifer Pavis, & celui qui le donnoit, en le chaffant de Paris, avec infamie , on crut qu'il étoit a propos de le punir par une plus longue détention, 6c de la continuer jufqu'au moi5 de Novembre 1704, afin que la peine fut plus proportionnée a Pinfolence. 1703 , 14 Décembre. Jean-Pierre M O LA l N , originalre de Saint-Marceau dans les Cevennes , dgè de 3 3 ans, efi entré d la Bafiille , le 14 Décembre 1703, en vertu cCun ordre du Rol, figné de M. le Marquis de Torcy. C'étoit un véritable fanatique qui," après avoir couru toute PEurope, retournoit dans fon pays; &, de fon propre aveu , couroit la pofte, & voyageoit fans argent. II commenca d'abord par dire qu'il étoit Proteftartt & qu'il s'en faifoit honneur ; mais il changea d'avis que-lque temps après, & il parut vouloir fe convertir. Toutes ces variations perfuaderent que eet homme étoit un véritable efpion, envoyé par les erinemis, pour porter a la révolte les NouveauxConvertis. Sa fanté paroiflbit fort mauvaife, & on croyoit qu'il avoit un abcès dans le foie, qui pourroit bien le conduire a la mort, B ij  Mémoires 1703, 14 Décembre. é Nlcolas Bu isso n des Tresorier^, entra d la Bajlllle , en vertu a"un ordre du Roi, en date du 14 Décembre 1703. I l fut arrêté dans 1'affaïre de Vinache, avec lequel il avoit des liaifons intimes; on verra a ia date du 17 Février 1704, ce qu'étoit Vinache. II avoit déplu d'ailleurs au Gouvernement a caufe de lettres infolentes qu'il avoit écrites a Samuël Bernard & a différentes perfonnes, pour faire tomber le crédit de Samuël Bernard , dans le Public. II obtint fa liberté de la Bafiille, le ij Septembre 1715 ; mais il fut exilé a Tours, fon pays. . 1703 , 15 Décembre. Chrljllan Creutzer, dgé de quarante-un ans, originalre de Saxe, ejl entré d la Bajlllle le 15 Décembre 1703 , en exécutlon d'un ordre du Roi, figné par M. de Pontchartrain. Oje prifonnier avoit été conduit une première fois è la Bafiille comme Saxon, & par conféquent comjne fujet d'un Prince ennemi. II difoit alors  fur la Bajlllle. M. fltrtl vouloït fe faire naturalifer Francois & s'inftruire dans la Religion Catholique. Le Pere de la ("haize parut perfuadé de la fincérité de fes fentiinents; & dans cette vue le Roi trouva bon de lui accorder un délai de trois mois pour refter en France. II laiiTa paffer néanmoins ce délai fans fonger a devenir Catholique, & il fut arrêté a Verfailles, oü il devoit moins aller que par-tout ailleurs. II prétendit qu'il avoit envoyé fa malle a Befancon par la voie du carroffe public, & il demanda inftamment qu'on la lui renvoyat. L'affeclation qu'avoit eu eet Etranger de refter a Paris après les trois mois qu'on lui avoit accordés de grace, le rendit fufpeft, & on prit la réfolution de le tenir en prifon, 1704, 24 Janvier. louis-Toufaint TeNEBRE DU MARAIS ] orlgU naire de Poitou, dgi de 36 ans; efi entré d la Bafiille le 14 Janvier 1704, en conféquence d'un ordre du Roi, figné par M. de Pontchartrain. E prifonnier fut arrêté a Chevreufe: il fe trouva faili d'un piftolet de poche & d'un poignard. II étoit a pied, vêtu d'une efpece de fouguenille, ayant a la main un fouet de poftillon , des bottines attachées a fa ceinture, & un chapeau bordé d'argent ; mais il ne portoit point d'épée, il I'avoit laiffée dans un cabaret de Ver- B iij  21 Mémoires failles, oü il devoit feize a dix-huit francs, & il y avoit auffi lailTé fon porte-manteau & fon habit. II y avoit plus de vingt-ans qu'il fervoit le Roi, d'abord én qualité de Cavalier, puis en celle de Maréchal-des - logis & de Cornette , & enfin comme Lieutenant au Régiment de RufFey qui étoit en Italië. II en étoit revenu fans congé, mais fur la parole de fon Colonel (ace qu'il difoit) a qui fes infirmités étoient connues. il avoit préfenté un placet au Roi & un autre è M. de Chamillart, pour obtenir une place de Capitaine réformé , qu'il efpéroit de fes fërvices. Un nommé M. de la Vienne, qui connoiffoit fa familie, lui avoit promis d'appuyer fa demande. Se voyant fans argent, ii réfolut d'aller au village de la Pauté prés Verneuil en Perche, chez ]e Sieur Dolendon, frere d'un des Lieutenants du Régiment oü il fervoit, pour lui demander quelques fecours; fil n'avoit cependant jamais vu le Sieur Dolendon, Sc il n'avoit pour lui aucune Lettre. II demeura d'accord que les apparences étoient contre lui, & avoua que fon traveftifïement, le piflolet 8c le poignard qu'il avoit dans fes poches, pouvoient exciter des foupoons; mais il protefla que fes intentions étoient innocentes, & témoigna qu'il efpéroit que le Roi voudroit bien lui faire grace. . On écrivit a M. 1'Intendant du Poitou, pour favoir quelle avoit été fa conduite au Port de Pille devant & après la. mort de fon pere, qui y lenoit hötellerie.  fur 'la Bafiille. 23 On écrivit auffi a fon Colonel, pour lui demander s'il étoit revenu en France par fa permiffion, & quelle étoit fa réputation parmi les troupes. • 1704, 25 Janvier. Antoine La va ut e , originalre des environs de Cafires, dgé de cinquantefept ans, efi entré, le 25 Janvier 1704, d la Bafiille, en vertu a"un ordre du Roi , figné par M. de Pontchartrain. I l étoit né Proteftant, & dans le temps de la révocation de 1'Edit de Nantes. II paffa dans les pays étrangers-, malgré les défenfes. II y prit parti dans un Régiment Anglois, & fervit contre le Roi pendant la derniere guerre. II fut fait prifonnier , mais le Roi lui fit grace , & a deux autres Francois réfugiés qui fe trouverent dans le même cas. M. PAbbé de Verneuil 1'amena a Paris, oü, après avoir recü fon abjuration, il lui fit époufer une veuve qui poffédoit deux maifons, dont Ie revenu étoit de 5 011600 livres. Le nommé Aumont, locataire de Lavaute, lui avoit malheureufement parlé de quelques bagues myftérieufes qui, felon lui, portoient bonheur & guériffoient de la colique. II fe trouva même dans les poches de Lavaute une infcription qui confiftoit en trois mots féparés par des croix , qu'il falloit inférer dans cette bague , & la foudure B iv  24 Mémoires s'en dêvoit faire par Ie moyen d'une poudre Manche, qu'Aumont difoit être de borax; mais il af-r ïura qu'il n'avoit jamais ajouté foi a tous ces prétendus myfteres : qu'il avoit fort blamé le nommé Aumont, & qu'il vouloit vivre & mourir bon Catholique; de quoi il efpéroit que M. 1'Abbé de Cordemois voudroit bien répondre. Eneffet, ce prifonnier avoit plutöt été la dupe du nommé Aumont que caphble de communiquer a d'autres fes vifions & fes chimères. Ainfi Ton prit le parti, au mois d'Avril 1704, de !e laiffer è fa propre conduite durant quelques mois, en prenant les précautions néceffaires pour obferver 1'ufage qu'il feroit de fa liberté. 1704, 15 Janvier. Plerre AvMON T originalre de Rechevllle en Normandie , dgéde treme-neuf ans , fut mis d la Baf tille le 25 Janvier 1704, en conféquence d'un ordre du Rol, figné par M. de Pontchartrain. C et homme faifoit fa principale occupation de chercher des dupes, & 1'efpérance d'en trouver étoit depuis long-temps toute fa reffource. II faifoit un prétendu commerce de talifmans, & fe vantoit d'avoir un fecret merveilleux pour faire une bague qui guériflbit de la migraine, & portoit bonheur. II avoit été Valet-de-chambre de M. de Fontenay, fils de M. de Chaulieu; enfuite il fut Sol-  Jut la Bajlllle. 25 dat aiix Gardes, puis il fe maria en Bretagne avec une Cabaretière , & il demeura cinq ans avec elle. N'ayant pas bien fait leurs affaires, ils revinrent k Paris, de-la ils allerent a Bordeaux & enfuite a Lyon, oü ils tinrent le cabaret du Cheval-blanc, dans la rue Raifin. Leur commerce n'ayant pas été heureux, ils retournerent encore a Bordeaux; & s'étant rendus a Nantes, Aumont y quitta fa femme pour aller chercher fortune a Lyon. A peine y fut-il arrivé, que le Sieur de Lafond, Marchand de Ia même Ville, lui propofa d'aller en Efpagne pour y fervir M. le Marquis d'Aytonne. Etant tombé malade a Madrid , après dix mois de féjour , il gagna le port d'Alicante & s'emb3rqua pour Conflantinople : de Conflantinople il alla a Venife, & de Venife il revint en France , oü il fut arrêté. La vie errante & vagabonde de eet homme, & cette longue fuite de voyages & d'aventures , ürent affez connoïtre qu'il avoit toujours fubfiflé par induftrie. II fut relégué en Normandie, d'oü il s'étoit déclaré originaire , & on lui défendit de reyenir a Paris fans une permifïion expreffe.  10 Mémoires 1704, 9 Février. Rtnée CA1LLE V originaire de Paris, dgée de cinquante ans, ejl entrée d la Bajlllle le 9 Janvur 1704, en veriu d'un ordre du Roi, figné par M. de Pontchartrain. Elle étoit veuve de Louis Rouffel de Gacourt, Procureur au Chatelet : fa tête, naturellement fort vive , s'étoit échaufFée depuis quelques mois par un amour ridicule qui lui aVoit fait perdre le peu de raifon qu'elle avoit. Elle difoit qu'un jeune homme, dont la figure étoit affez agréable lui avoit d'abord infpiré des mouvements li impélueux, qu'ils Pavoient portée a courir les rues; mais dans Ia fuite fa paffion étant devenue beaucoup plus ardente 6c plus générale, cinq ou fix Amants auroient voulu 1'époufer, 6c mouroient pour elle; qu'il falloitbien qu'elle en choisït un; mais elle craignoit que tous les autres fe défefpérafTent, & cette crainte 1'embarralToit. Les Pays véritablement heureux , felon elle , étoient ceux oii chacun fuivoit le penchant de fon cceur 6c faifoit ce qu'il vouloit. La Monarchie lui étoit infupportable, & fon averfion paflbit jufqu'au Monarque. C'étoit dans eet efprit qu'elle avoit chanté des chanfons impertinentes, pour lefquelles elle fut arrêtée. Cette femme qui étoit plus laide que vieille, ne méritoit guere de refter k la Bafiille, oü elle pafloit les nuits 6c les jours a étourdir les  fur la Bafiille. 27 autres perfonnes par fes cris & par fes chanfons. On obligea fa familie a lui choifir une retraite convenable, ou il lui fut facile de payer fa penfion ; car fon bien produifoit plus de trois mille livres de rente. 1704, 17 Février. Etienne VlNACHE, hallen, originalre de Naples, Méduln Empyrique , Chyrnlfie, homme dfecrets , cherchant la pierre phllofophale, accufé de fauffe monnoie & de faire le blllonnage, fut condu'u d la Bafiille , fur un ordre du Rol du 22 Février 1704. Ïl avoit trente-huit ans quand il fut arrêté; il étoit d'une naiffance obfcure & fans bien dans fon Pays; il ne favoit ni lire ni écrire ; il avoit feulement appris machinalenient k figner fon nom qu'il écrivoit fort mal. Cette circonftance doit d'autant plus furprendre , qu'on verra ci-après la fortune qu'il a faite & la réputation qu'il s'eft acquife dans le public, de Médecin habile, de fameux Chymifte, d'Auteur & Compofiteur de plufieurs fecrets admirables, & enfin d'avoir trouvé celui de la poudre de projeöion. De plus, il faifoit grand commerce a Geneve & ailleurs de matiere d'or 8C dargent, & faifoit le billonnage & la remarque des efpeces. II fut amené eri France fur la fin de 1689,  2.& Mémoires par M. le Duc de Chaülnes, qui étoit pour lors en Italië; &. a fon arrivée, il s'engagea Soïdat dans le Régiment Royal-RoufHllo,3, Infanterie, d'oii il déferta en 1691 pour vemr a Paris. En défertant, il vola le nommé Nicolle, Soldat dudit Régiment, qui étoit (on camarade de chambre & Tailleur de fon métier, auquel il emporta plufieurs habitsd'OfKciers qui les avoient donnés a raccommoder. Vinache fut arrêté en chemin, & mis en prifon comme déferteur. Son affaire fut accommodée par M. le Comte d'Auvergne, qui obtint fa grace & le fit fortir de prifon. Vinache arriva a Paris en 1691, fans un fol, & dénué de toutes chofes. II vint loger, rue Quincampoix, dans uneGargotte, h lEcu Dauphin , ne faifant alors ni métier ni commerce. Le Maitre de cette petite Auberge s'appelioit Bullot; il avoit eu auparavant une boutique de Chandelier, oii il avoit mal fait fes affaires; mais il étoit protégé de M. le Duc de Chaulnes, ainfï que fa fille qui étoit jeune & galante. Cinq ou fix mois après, Vinache jetta lesyeux fur cette fille pour Ie mariage; & le pere n'ayant point de bien a lui donner , & voulant d'ailleurs réhabiliter fa conduite, fe prêta volontiers a la demande de Vinache. Sa fille eut pour dot un contrat de 2500 liv. au principal, & Vinache continua de loger chez fon beau-pere, d'oii il alla quelque-temps après en Anjou, oü il fut pendant quelques mois, domeftique chez M. le Duc de Briffac, dans fes terres; après quoi il revint a Paris, chez le beau-pere. Depuis cette époque jufqu'en 1697, le mari  fut la Bajlllle. 29 & la femme menoient une vie obfcure, ne vivant que de charités & de quelques rèmedes que Vinache s'avifoit de diftribuer aux uns & aux autres. Peu-a-peu, faifant ainfi le Charlatan, il pnt goüt a la profemon. II difoit avoir principalement un remede infaillible pour les maux vénériens ; enfuite un remede admirable pour la fievre, & finalement qu'il avoit des fecrets pour guérir toutes fortes de maladies; il vantoit beaucoup fon paranejlon qui guériffoit, difoit-il, les fievres les plus opiniatres. Ses prétendus fecrets n'étoient autres que des recettes qu'il avoit prifes dans différents livres qu'il fe faifoit lire par fa femme, laquelle copioit les remedes qui lui convenoient le mieux. 11 les donnoit enfuite dans Ie public, comme le fruit de fes études & de fa compofition, leur appliquant des noms linguliers & ne parlant jamais que de fon grand génie pour la connoiffance des fimples & des minéraux. Dès 1694, ü avoit dit a un autre Vinache,' Napoütain comme lui, & Fondeur de fon mélier, lequel n'étoit pas de fes parents, que dans trois ou quatre ans, il feroit bien furpris de lui voir une grande fortune & un carroffe a fix chevaux. En effet, au retour d'un voyage de quatre ou cinq mois qu'il fit en Bretagne en 1698, on Ie vit arriver a Paris avec un petit carrofle & deux juments. II quitta le logis de fon beau-pere , rue Quincampoix , vint loger rue Bourg-FAbbé , oii ïl meubla un appartement magnifique, & prit deux laquais &C un valet-de-chambre,  30 Memoires Depuis 1698 jufqu'en 1700, il fit la chymie pour fes remedes avec grand fuccès. II fut aidé de 2000 écus par M. de Chaulnes, qui les lui prêta pour acheter des fourneaux, charbon &c autres ulienfiles. De la chymie, il paiTa bientöt a Ia recherche de Ia pierre phüofophale, de la tranfmutation des métaux & de la faclure de 1'or. II s'annonca pour avoir trouvé la poudre de projeclion; &? en 1701 , il avoit une grande réputation. Alors différentes perfonnes lui preferent a-peuprès 25000 liv. pour établir fes travaux & acheter des matieres. En 1702, il paffoit pourun homme qui favoit faire de 1'or; mais auparavant, il étoit déja recherché des gens a argent & a fyftême. Jufqu'ici on a pu faire, avec les notes qui nous font parvenues, une efpece d'hiftoire graduelle de ce qu'a été Vinache avant fa grande fortune; mais è commencer de 1'année 1700, jufqu'au jour qu'il a été arrêté, ce qui compofe environ quatre années, qui elt Ie temps oü il a le plus montré fon favoir faire, il n'eft pas poffible de le fuivre de même, par le manque des époques &z dates qui ne fe trouvent pas toujours exaclement dans lefdites notes ni dans les déclarations faites devant M. d'Argenfon , par douze perfonnes, la plupart Domeftiques ou Artiftes, aux gages de Vinache, ou par d'autres gens qui avoient travaillé, ou avec lui, ou pour lui. Ainfi on fe contentera des détails qui fuivent. Bref, il réfulte des premières notions données que Vinache faifoit des diftillations de drogues  fur la Bajlllle. 31 fufpefles pour des remedes, dont un de fes malades mourut. Les premiers biens fonds qu'ïl acheta vers 1'année 1700 , étoient une ferme & une maifon fituées au village de Coubron, a cinq lieues de Paris, qui lui coüterent 7 k 8000 livres, dont il fe fit de nouvelles acquifitions au domaine de 3000 livres de revenu. C'eft-la oü il établit des fourneaux & laboratoires pour travailler a la chymie & a la pierre philofophale , fans compter ceux qu'il avoit dans fa maifon de Paris. II difoit avoir un efprit familier, qu'il appelloit fon folet, qui le faifoit réuffir dans toutes fes entreprifes. II 1'attachoit dans une chevelure mêlée qu'il portoit derrière la tête. Vinache difoit avoir un ferpent très-bien marqué le long de 1'épine du dos, & que c'étoit la marqué que lui avoit fait fon folet. II avoit un compas conftellé, dont une branche étoit d'or & quarrée, & 1'autre d'argent k trois faces, avec lequel il pouvoit, difoit-il, tout entreprendre. II avoit fait a M. Defpontis, Chef d'Efcadre J la propofition fuivante : Que s'il vouloit faire avec lui, pendant un nombre de lunes, certaines cérémonies, ou lui donner un pouvoir d'agir pour lui, qu'il s'embarqueroit fur fon vaiffeau , & que par le moyen de fon efprit familier , il feroit périr ou prendroit autant de vaiffeaux ennemis qu'il en pourroitrencontrer ; a quoi M. Defpontis répondit que cette fcience étoit trop oppofée a fes principes pour vouloir en profiter.  3 ï Mémoires 11 fit Ia même propofition a M. de Beaubriant^ qui rejetta le commerce d'un tel homme. Le Duc de Nevers a dit que Vinache, avant fa grande opulence , lui avoit attrapé 800 liv. & un diamant de 15 louis pour lui développer les fciences occultes. Vinache avoit propofé a M. le Duc d'Orléans, depuis Régent, de lui confteller des diamants. Ce Prince s'eft fervi de lui pour faire conftruire Irois fourneaux de chymie. Vinache ayant confié au Sieur de Mareuil," Gentilhomme, rue Neuve des Petits-Champs, un diamant conftellé pour gagner toujours au jeu , moyennant 5000 liv. en efpece d'Italie, d'Efpagne , d'Angleterre , d'Allemagne 8c de France , par forme de nantilTement; le Sieur de Mareuil, pendant un an, ne perdoit point au jeu, mais il n'y gagnoit pas; & lui ayant pris unfcrupule, il rendit a Vinache fon diamant, 8c reprit fes efpeces. Ses plus familiers lui avoient entendu dire plufïeurs fois : que comme il avoit le fecret de la poudre de projection, s'il croyoit que le Roi Sc fes Miniilres fuffent d'affez bonne foi pour ne point exiger fon fecret, Sc qu'on lui laiiTat une entiere liberté pour aller Sc venir oü il voudroit, fe foumettant toutefois a être gardé par telle garde qu'on aviferoit, il donneroit 300 millions auffi facilement que trois louis d'or. Vinache, deux ans avant fa détention, étoit foupconné affez généralement de faire des fontes d'or Sc d'argent. Sa femme même, lors de l'Arrêt de fon mari, ayant été interrogée par M. d'Argenfon, chez elle-même (car elle ne fut pas arrêtée)  fur la Bajlllk. 33 arrêtée) convint, par fon interrogatoire, d'avoir vu faire a fon niari une fonte d'or. Cette femme avoit alors trente-cinq ans & étoit groffe de fon cinquieme enfant avec Vinache, & les quatre premiers vivoient. On portoit 1'or & 1'argent a hottées chez Vinache ; il altéroient les efpeces. Nicolas BuiiTon, Sieur Deftréforiers, arrêté dans 1'afFaire de Vinache, déclara que Tronchin , Caiffier de Samuel Bernard, & la Dame de la Rochebillard , fa maïtreffe , tous deuxgrands amis de confiance dudit Vinache , n'avoient jamais que des louis d'or nouvellement frappés dont ils payoient toutes leurs dépenfes. Que Tronchin ne faifoit autre chofe que de chercher & ramaffer les louis vieux. Que lui Sieur Deftréforiers, ayant été chargé un jour par cette femme , d'aller porter dix-fept louis au Sieur Soguin , Marchand de foie, fur le petit Pont, pour payer des étoffes qu'elle avoit achetées, il s'en trouva treize de légers au trébuchet qu'il rapporta a la Dame, & elle lui en donna d'autres. Que M. Bernard étoit convenu une fois que Tronchin pouvoit avoir fait bénéfice a Geneve dans la derniere fonte des efpeces, mais qu'il n'y en avoit plus a faire maintenant. Vinache qui fabriquoit de 1'or, en vendit a Salomon Jacob, Juif de Metz , & k d'autres Juifs, a raifon de 52, 53 & 54 liv. 1'once. II en vendit aux Orfévres d'une autre qualité, & a 68 , 69 & 70 liv. 1'once. II avoit deux perfonnes affidées en place qui Tomé II. Cahier V. C  j 4 Mémoires débitoient journellement des lirsgots d'or & d'argent pour fon compte. Tronchin, ami de Vinache, avoit fait plufieurs voyages a Geneve. Lorfqu'il partoit, il venoit la veille chez Vinache , paffoit la nuit avec lui têtea-tête, &c ils chargeoient enlëmble la chaife de pofte. C'étoit pour porter des matieres d'or que 1'on mêloit a Geneve avec le cuivre le meilleur du monde, & les Genevois le faifoient paffer pour or a bas titre. C'étoit M. Menager , Secretaire du Roi, intéreffé dans les affaires de Finance , & Député du commerce de Rouen; le Sieur Tronchin, Caiffier de M. Bernard , & Van-der-Hultz pere & fils, Banquiers, Négocianis Hollandois, ayant maifon a Rouen & a Paris qui fourniffoient a Vinache les matieres d'or & d'argent pour faire fes opérations de la fonte d'or & de billonnage. Le billonnage eft un crime puni de mort. C'eft 1'art de fubftituer des pieces défectueufes a celles qui font d'aloi pour 1'intrinfeque , ou pour la valeur courante. Le billonnage eft encore d'altérer ou de remarquer les monnoies. Vinache y excelloit, & en faifoit le commerce a Geneve, en Dauphiné, en Savoie & a Strasbourg. Un porteur d'argent déclara qu'il y avoit un grand commerce d'argent de chez Samuel Bernard chez Vinache, oü on le portoit, deux ou trois fois la femaine , a hottées; qu'il en portoit & rapportoit fouvent de chez Van-der-Hultz, & qu'il y avoit grand commerce de préfents de la part de Samuel Bernard chez Vinache. M, Ménager avoit prêté a Vinache, au mois  fur la Bajlllle. 3 5 de Mai 1701, quatorze mille francs pour les fraix de fes fourneaux. Outre Tronchin & Menager qui avoient la confiance de Vinache, il opéroit encore avec Georges Conrard Schultz, Allemand , pour fes fontes d'or, & celui-ci fut arrêté fans qu'on fache oti il a été mis. On répete encore que Vinache étoit très-lié avec le Chevalier Bernard & fes Gommis, & qu'avant fa difgrace, la divifton s'étoit mife entre eux. Les domeftiques de Vinache avoient fouvent trouvé clans les cbambres & foyers de fon appartement particulier, des morceaux d'or lingot, des morceaux de doublés - louis, de louis & demilouis qu'ils vendoient a des Juifs, & de 1'argent , ils en faifoient bombance oc grands repas; & Vinache, pour les dépayfer, leur difoit qu'il avoit permiffion du Roi de fondre de vieilles efpeces, & qu'il étoit Chevalier. La femme de Vinache les furprit un jour, qui jafoient des richeffes de leur maitre, & elle en fut fi frappée , qu'elle fe trouva mal en leur préfence; la conclufion fut de leur promettre leur fortune & de leur diftribuer quelques louis pour, fe taire. I!s avoient fept domeftiques en 1703 , & Vinache craignant 1'indifcrétion de ces gens-la, ils en envoyerent trois en lieux écartés, un a Rouen, un autre enFlandres, & 1'autre a Rome, cü on leur faifoit tenir de quoi fubfifler honnêtement. Vinache avoit encore deux hommes de confïance , les Sieur Dupin & Marconnel. Plufieurs de fes domeftiques déclarerent qu'ils avoient vu fouvent dans fon appartement beau- C ij  3 6 Mémoires coup de porcelaines pleines de mercure congelé. _ Au mois d'Aoüt 1701, Vinache prit a fon fervice un nommé Thuriat, en qualité d'artifte pour la chymie. II lui fit acheter deux fourneaux de fonte, des vaiffeaux de verre, Sc 1'envoya a Coubron. Vinache y arriva quinze jours après, Sc fit fondre a Thuriat quatre k cinq marcs d'argent en chaux qui étoient embarraffés avec du cuivre que Thuriat fépara , Sc mit en grenailles. Enfuite Vinache fit fondre une once Sc demie d'or qui étoit en chaux, que Thuriat mit en culot, Sc fur le culot une bouillitoire avec du fel ammoniac, Sc de 1'urine; puis plufieurs autres expériences pour des remedes, entr'autres fonparaneflan Sc antidote contre la fievre. Le 12 Décembre 1703 , le même Thuriat, en continuant fa déclaration devant M. d'Argenfon, fur le fait de Vinache , dit: Après ce temps il me fit confiruire un attanaure pareil a celui de Coubron , me fit acheter deux fourneaux de fonte qui furent apportés dans la chambre de la Boulaye fon valet-de-chambre, oü Vinache s'enferanoit tous les jours, y faifant porter quantité de charbon Sc beaucoup d'eau forte. Trois femaines après, il fit tranfporter les deux fourneaux a fonte dans 1'appartement oü il couche, & les laqualsy portoient Ie charbon & force eau de puits. Dans les trois derniers jours des quinze jours que 1'ouvrage dura , au mois de Février 1703, .Vinache refta enfermé fans fortir. II venoit prendre lui - même les feaux d'eau a la porte. PerÉbnne n'entroit, k 1'exception de Tronchin feul,  fur la Bafiille. 37 qui circuïoit plufieursfois dans le jour; &i les foirs il y tenoit plus long-temps de fuite. Le lendemain du troilieme jour, Martinon ,' la femme-de-chambre, & les Iaquais, me firent voir un morceau d'or pefantplus d'une livre , avec plufieurs grenailles d'or Sc petits morceaux d'argent qu'ils ont gardés cinq ou rix jours avec un double-louis d'or, un louis d'or, un demi-louis, Sc un demi-cours d'or a moitié fondu, que la Martinon avoit trouvé parmi les cendres Sc charbons. a cöté des fourneaux ; & Duboile, Iaquais, avoit pareillement trouvé un demi-louis moitié fondu dans un des fourneaux, parmi de la grenaille d'or. Moi, Thuriat, voyant que Vinache ne répétoit point ces matieres, parmi fes domeftiques^ j'eusla curiofité de prendre le temps que la femmede-chambre Sc deux Iaquais faifoient la chambre pour y entrer. Je vilitai les fourneaux, oü je trouvai encore de la grenaille d'or Sc des petits morceaux d'argent & grenaille d'argent qui avoient demi-teinte en or. Je vis auffi des porcelaines, les unes pleinps de mercure, les autres oü il y en avoit moins, Sc dans prefque toutes la matiere congelée : ce qui me donna lieu de dire a Vinache, en préfence de fa femme , que les domeftiques m'avoient donné a connoitre qu'ils iroient k ls Monnoie porter 1'or Sc 1'argent qu'ils avoient trouvé. Cela obligea Vinache Sc fa femme de les faire venir dans Ie moment pour leur redemander ees matieres. Vinache leur dit qu'il n'avoit eu d'autre deffein que de faire de Tor pptable; & en me citant comme Artifie pour Ie recliher, il tira de C iij  * 6 Mémoires fes poches, a pleines mains, quantité de pieces d'or, grandes comme des écits , pour faire voir que ce n'étoit pas des louis d'or, mais des pieces étrangeres, fur quoi ils eurent la hardieffe de lui répondre qu'ils favoient le contraire, fachant qu'il avoit fait de 1'or & de la monnoie avec M. Tronchin pendant les trois jours qu'il s'étoit enfermé; & que s'il ne faifoit pas leur fortune a tous , ils le dénonceroient a la Monnoie, Vinache lila doux, promit de les récompenfer , & fit tant, qu'a 1'inftant je vis qu'ils lui rendirent le gros morceau d'or avec quelques grenaiües, Le Ienclemain matin il me fit fondre ce morceau d'or avec les autres que j'avois vus , & que je mis en culot : après quoi je fondis prés de trois marcs d'argent qui étoient en petits morceaux, & il me les fit jetter en grenailles. Ce même jour il envoya chercher MM. Tronchin & Mcnager, qui fouperent avec lui; & fur les dix a onze heures du foir, on mit les chevaux au cörrolTe pour aller chercher le Commiffaire Socquart, qui étant arrivé au bout de demiheure, mit fa robe en entrant dans la maifon. On le fit monter au deuxieme, oü 1'on étoit a tahle, Vinache fit faire un fecond fervice de viandes nouvelles pour le Commiflaire, qui fe mit a table, oü 1'on refla prés d'une heure: enfuite Madame Vinache fortit, & appella de deffus Pefcalier tout fon monde. Eüa fit entrer d'abord dans 1'endroit oü étoit fon mari avec MM. Tronchin & Menager & le Commiflaire, la Martinon, Femme-de-chambre, qui rcfla prés d'une demi-heure ; enfuite 1'on me  fur la Bafiille. 39 £t entrer, en me difant qu'il falloit dire oui fur routes les queftions que 1'on me feroit ; qu'il falloit que je me diffe Jouaillier , & non Artifte, iinon que je me ferois des affaires; k quoi j'obéis, crainte que 1'on ne me jouat un mauvais tour. On fit entrer après moi un Iaquais; & le tout étant firn a une heure après minuit, le Commiffaire s'en retourna dans le même carroffe. Le lendemain les autres domeftiques aüerent dépofer chez le même Commiffaire Socquart. Alors Vinache fe raffura contre nous tous , nous harangua, & nous dit qu'il ne nous craignoit plus , faifant entendre que fi nous dépoïïons quelque chofe jamais autrement que nous 1'avions fait, il nous feroit pendre comme des fauffaires. Cette démarche du Commiffaire Socquart ayant paru depuis fort irréguliere, il fut mis a la Bafiille lors de 1'Arrêt de Vinache. Quinze jours après cette expédition du Commiffaire , nous vimes entrer chez Vinache, a la nuit tombante, un tombereau fort propre & bien m'eux conftruit que les voitures de cette efpece, tiré par un beau & fort cheval, prefqne tout rempli de facs comme des facs de mille livres. j'étois au troifieme avec Martino Polli, Itahen, occupé k conftruire des fourneaux d'une nouvelle invention. Nous vïmes, par les fenêtres de la cour, Vinache avec fon Valet-de-caambre, fon Cocher & fon Laquais, décharger le tombereau & porter les facs en haut. Enfuite Vinache vint oü nous étions : Polli lui demanda oü il ayoit pêché tant d'argent; il dit que c'e- C iv  4° Mémoires loit une voiture de fix cents mille livres qu'il alloit placer fur l'Hötel-de-Ville. Ce qu'il y a de fur, c'eft que je vis le lendemain cliarger un autre tombereau de facs qui reffembloient a ceux de la veille, mais j'ignore s'il y avoit un changement d'efpeces. En ce temps c'étoit chofe commune & ordinaire de voir arriver chez Vinache des porteurs chargés de hottes couvertes. Cependant Vinache ne faifoit rien pour ma fortune : & un jour que je m'en plaignois, M. Menager m'ofFrit de me faire paffer aux Ifles avec une pacotille, me promettoit que je m'en trouverois auffi-bien que 1'AlIemand que 1'on avoit envoyé a Rome. Je refufai la propofition , ayant une grande répugnance d'aller fur mer. ^ J'ai omis de dire que j'avois déclaré, dans ma dépofiticn devant le Commiffaire, que 1'or & 1'argent que j'avois fondus provenoient de bagues & joyaux défaits & rompus que Vinache m'avoit fournis. Je ne dois point taire non plus, que lorfque Ie Commiffaire interrogeoit les domeftiques dans Ia chambre de Vinache, celui-ci & le Sieur Menager étoient poftés dans Ie milieu de la gallerie, de facon qu'ils pouvoient entendre aifément ce que nous dépofions ; & que malgré cette intelJigence, Ie Commiffaire quittoit de temps en temps fa place pour aller prendre Iangue avec eux. Bref Ia befogne étoit fi bien cimentée a leur avantage, que depuis Vinache ne ceffoit de répéter h fes domeftiques que s'ils ne lui rapportoient a l avemr les matieres qu'ils trouveroient, il les feroit pendre.  fur la Bafiille. 41 Au mois d'Aoüt 1703 , les Officiers de la Monnoie , Au* 1'avis donné par un domeftique de Vinache , qu'il y avoit a Coubron un laboratoire & des fourneaux oü il fe faifoit de 1'or, fetranfporterent en ce lieu; mais M. Menager informé a temps, fe trouva a Coubron, fit enterrer & difparoitre les pieces de conviftion, & donna de fi bonnes raifons aux Officiers de la Monnoie , qu'après avoir beaucoup verbaliie , ils s'en revinrent a Paris fans avoir de preuves contre Vinache. Ce qui doit furprendre , c'eft que eet homme, qui avoit des correfpondances au dedans & au dehors du Royaume , qui faifoit un commerce confidérable par fes achats & fes ventes de matieres, qui avec cela débitoit des remedes au comptant éc a crédit, ne tenoit aucuns regiftres ni livres de comptes. C'étoit fa mémoire qui fuppléoit h tout, au moyen de quelques notes fur papiers volants qu'il ditloit a fa femme. Au commencement de fon opulence , le Soldat de Royal-Rouffillon, fon ancien camarade de chambrée, qu'il avoit volé en défertant, ayant fu que Vinache faifoit figure, 1'étoit venu trouver, & celui-ci le recut a bras ouvert, le régala, le fit habiller de pied en cap, & lui donna une poignée de louis pour lui & pour rembourfer quelques Officiers dont il avoit emporté les habits uniformes. En 1700, Vinache acheta, a 1'inventaire de feu Monfieur, Frere du Roi, une partie de diamants de foixante mille livres , & fit porter a fa femme une cordeliere & un coulant de fix mdle livres. Depuis il augmenta fes pierreries jufqu'è  42 Mémoires cent mille écus; & les jours d'ajuftement de fa femme, elle en avoit fur elle pour quarante mille livres. En Janvier 1704, un mois avant fa détention a la Bafiille, 1'or étoit fi commun chez Vinache, qu'on voyoir ca 6c la dans fes appartements des quinze 6c vingt facs gros comme des facs d'argent de mille livres, tous remplis de louis, négligemment laiffés fur fes bureaux pêle mêle & par habitude, avec du linge, porcelaines, 6c autres uflenfiles de ménage. Deux perfonnes de condition bien différente, alloient habituellement chez lui pour le voir: c'étoient le Duc de BrifTac, & Marion , Exempt du Prévöt de 1'Ifle. A mefure que fa fortune augmentoit, il prenoit de plus beaux logements. En 1700 , il quitta Ia rue Bourg-l'Abbé & vint demeurerrueFrepillon, dans une maifon entiere a porte cochere. Six mois après, fes liaifons avec Tronchin & Ménager étoient au plus haut degré ; enfuite avec Van-der-Hultz, pere 6c rils, le tout fous la correfpondanee commune de Samuel Bernard. Saint-Robert & le Sieur BuifTon des Tréforiers, étoient les agents fecrets de cette commune correfpondance. La chofe dura ainfi dans fa force environ deux ans 6c demi, mais après la divifion s'y mit; elle commenca par les Agents qui fe plaignirent dc M. Bernard. M. Bernard devenu plus puifTant qu'eux tous en crédit, leur en impofa. II n'étoit pas encore temps de faire éclat. Cependant Vinache menoit  fur la Bafiille. 43 fes affaires avec fplendeur, Menager fe confervoit; Tronchin fe ruinoit par fes folies amours & dépenfes de toutes efpeces. Les autres grondoient & rongeoient leur frein. Vinache ne fe trouvant pas encore bien loge , quitta la rue Frepillon, & prit une grande maifon rue Saint-Sauveur, qu'il meubla plus fuperbement que les précédentes, & y logea Vander-Hultz filsavez lui. II avoit fept domeftiques , un beau carroffe avec quatre chevaux, & trois chevaux de felle les plus beaux de Paris, avec des harnois de deux cents écus. II prêtoit fouvent ces chevaux de felle a Tronchin & aux autres Gommis de M. Bernard. Ce fut vers le mois de Septembre 1703 que 1'oraoe commenca k gronder fur Vinache, & le prélude fe manifefta fur Buiffon des Treforiers, qui fut arrêté au mois de Décembre de ladite année. . , Du mois de Septembre au mois düetobre, Saint-Robert, dont on a parlé ci-deffus, 1'un des aaents de la correfpondance commune, donna un avis fur Vinache a Madame de Mamtenon, qui en paria au Roi. * Van-der-Hultz fils, en dit auffi quelque chofe k M. de Chamillart, mais ces avis n'etoient pas des accufations de crimes contre Vinache; ces eens. la cherchoient plutót k fe rendre neceliaires au Gouvernement pour tirer quelque recompenfe d'un avis dont le Roi pouvoit faire fon profit; car parmi eux Vinache paffoit pour un homme qui très-réellement poffédoit le lecret ae faire de 1'or. . D Cependant il eft bon d'obferver que Saint-Ko-  44 Mémoires bert s'étoi'f brouille avec Tronchin & M. Bernard , ayec lefquels il avoit été affocié pour le projet d'une machine qui remontoit les bateaux Rhöne , ou qui devoit faire eet efFet ■ & i! pouvoit bien fe faire que fon deffein , en dénohcant Vinache, fut de fournir 1'occafion d'éclairer Ia conduite de Samuel Bernard , & faire retomber fur lui Ie crime de billonnage, dont Vinache pouvoit être convaincu par Ia fuiïe. Quoi qu'il en foit, Saint-Robert demanda , par fa denonciation , qu'on 1'arrêtat lui-même en même-temps que Vinache , & qu'on le confromat promptement k lui pour lui prouver la vérité de ce qu]il avoit avancé a fon fujet. II donnoit 1'alternative k Madame de Maintenon, que fi le Gouvernement ne vouloit pas faire ufage de fon avis on lui permït d'avertir Vinache qu'il étoit fufpeclé, paree qu'alors Vinache Ie récompenferoit bien furement de cent mille livres au moins. Malgré cette propofition , Saint - Robert ne fut point arrêté avec Vinache ni confronté avec hu. Van-der-Hultz , I'autre dénonciateur, celui qui avoit anciennement prêté 16000 liv. a Vinache dans Ie commencement de fes épreuves de Ia poudre de projeftion, & que Vinache lui avoit rendues peu. dc temps après, ne r.effok de pariera Madame de Chamillart des talents extraordinaires de eet homme & des avantages que le K01 & 1'Etat pouvoient retirer de fon fecret. De tous les différents avis donnés k Madame de Maintenon, au Roi & a M. de Chamillart, fur la fin de 1703 , il en réfulta de faire obferver fecretement, par M. d'Argenfon, la conduite  fur la Baf Uk. 45 de Vinache avant de prendre un parti définitif è Ion égard. Madame de Maintenon envoya auffi de fon cóté, Manceau fon Ecuyer , a la maifpn de Vinache rue Saint Sauveur , fous prétexte d'affortir des diamants pour une Princeffe étrangere. Manceau confidéra la maifon ; il trouva Vinache & fa femme tous deux en röbe-de-chambre, qui affembloient le linge pour la leffive. Vinache dit è 1'Ecuyer qu'il ne connoiffoit pas , qu'il ne vendoit point de diamants, quoiqu'il en eüt d'affez beaux ; qu'il les gardoit pour fon ufage & celui de fa femme, & pour certaines occafions qui furvenoient affez naturellement fans qu'il les allat chercher. LEcuyer remarqua que dans une galerie il y avoit bien pour 25 mille écus de tableaux ; vit un buffet de vaiflëlle d'argent & de vermei! pour au moins dix mille écus, &c de très-beaux chevaux clans Pécurie. II rendit compte a Madame de Maintenon. M. de Chamillart, peu de temps avant 1'Arrêtde Vinache, eut la curiofité de le voir,fous le prétexte de lui demander fon fentiment fur les remedes & compofitions dont il avoit les recettes. L'ayant mandé a Verfailles, M. de Chamillart le mit d'abord fur le pays de N,aples , &c lui demanda les raifons qui Tavoient engagé de venir en France. Vinache lui dit tout ce qu'il voulut dans la vue de fe faire valoir; qu'il étoit venu en France avec M. le Duc de Chaulnes, qui 1'honoroit de fon amitié; que c'étoit ce Seigneur qui 1'aYoit maricj, qu'il ayoit eu de fa  4& Mémoires femme quarante mille francs; qu'il étoit homme dequalité; né a Naples; que fon pere étoit grand Dataire du Pape a Rome; qu'il avoit acheté a 1'inventaire de feu Monsieur, pour 40 mille francs de diamants, fur lefquels il avoit bénéficié, quinze jours après, de 14,000 liv. Qu'il avoit gagné du bien a la Médecine & au commerce de Jouaillerie, & s'étendit beaucoup fur le fpécifique de fes remedes qu'il avoit rendus les plus fiïrs du monde, par fes travaux dans la chymie, dont il avoit toujours fait une étude particuliere. M. de Chamillart lui fit des quefiions fur cerfains remedes dont il lui montra les recettes, & le renvoya fans lui donner le moindre fotip£on fur fes fontes d'or & d'argent, &c. Quelques jours après, on fit arrêter Vinache, qui fut conduit k la Bafiille. II fut interrogé deux fois feulement par M. d'Argenfon ,- les 23 Février 1704 & Ie 10 Mars fuivant, & dix jours après, il fe coupa le col dans fa chambre. Les Sieurs Tronchin & Ménager, Van-derHultz & tant d'autres de fa confiance ne furent point arrêtés. Voici les biens-fonds de Vinache, indépendamment du mobilier qui étoit bien plus fort. Un bien a Coubron de 3000 livres de revenu. Une terre en Anjou, qui venoit du Duc de Briffac, de 3000 liv. de rente, oü il y a un chateau qui a coüté plus de deux cent mille livres a ceux qui Tont fait batir. Douze mille livres de rente fur Ia Ville.  fur la Bafiille. 47 De gros fonds placés a la Douane de Paris Sc a celle de Rouen. Lorfqu'il fut arrêté, il étoit en marché pour acheter la terre d'Ermenonville 250,000 livres. Immédiatement après fa mort, on remit fa veuve en poffeffion de tous fes biens Sc efTets, tartf ceux fous le fcellé, qu'autres , & on fe contenta de lui dire tout fimplemenf, que fon mari étoit mort d'apoplexie a la Bafiille. M. d'Argenfon s'explique ainfi dans le compte qu'il rend a M. de Chamillart de l'affaire de Vinache , après 1'avoir interrogé & vu fes papiers. Qu'il trouvoit dans les réponfes de eet homme un certain fonds d'incertitude & de contradiction, qui ne conviennent guere a la vérité. Que malgré les foins qu'il prenoit pouraffoiblir la jufte valeur de fes biens, il lui en voyoit pour quatre mille écus qu'il avoit gagnés en moins de treize années. Qu'il étoit bien fufpecl de s'être précautionné contre tous fes domeftiques, par les déclarations qu'il leur a fait faire d'office devant le Commiffaire Socquard; démarche auffi affeciée que ridicule pour cacher fon billonnage. Que cette fufpicion ne pouvoit qu'augmenter, par la fréquente arrivée chez Vinache, d'un courier k groffe valife qui fe cachoit du peuple Sc des domeftiques du Chevalier de Serignan, fon voifin. Bref, toutes les apparences contre Vinache femblent indiquer fon crime, malgré tous fes expédients, pour lui donner des tormes raifonnables. Sa fin tragique a la Baftille, un mois après y être emré; les précautions que M, d'Argen-  4* Mémoires fon a prifes pour coniiater, par lui-même, la mort de Vinache, après setre défait, au lieu d'y enyoyer un Commiffaire , comme c'étoit 1'ufage; la nouvelle démarche que fit M. d'Argenfon d'aller a la Bafiille deux jours après Ia mort pour reconnoitre la perfonne de Vinache avant qu'on le mit dans la biere; enfuite 1'ordre qu'il donna de Penterrer a Saint-Paul, fous le nom d'Etienne Durand , agé de foixante ans, au lieu de fon nom de Vinache, pour lors agé de trente-huit ans; toutes ces particularités qui annoncent un myfiere , qu'on n'a pas pu pénétrer , font tirées mot a mot du verbal de M. Dujonca, Lieutenant de Roi a la Bafiille , infcrit fur les Regiftres de la Salie du Confeil, en ces termes: Du Jeudi-Saint 20 Mars 1704, a une heure un quartdu matin, la nuit du Mercredi au JeudiSaint, M. de Vinache , Italien , détenu a Ia Bafiille, efi mort dans Ia troifïeme de la Bertaudiere.en préfence de la Boutoniere, Porte-Clef, & de Michel Hirlancle , Caporal de la Compagnie franche de la Bafiille ; après laquelle mort fes deux gardiens ont été avertir M. de Rofarges, qui s'eft levé pour aller dans la chambre du Sieur Vinache mort , lequel s'efi tué luijmême , s'étant coupé Ia gorge au-deffous du menton , d'une très-grande bleffure, & large ouveriure de hier Mercredi, a une heure ou deux de 1'après-midi, avec fon couteau; les bons fecours & panfements qu'il a eus a propos ne pouvant efpérer de le fauver. Etant revenu en quelque connoiffance comme ayant parlé, notre Aumönier a fait de fon mieux pour le confeffer, mais fort joutjlement i 6f k neuf heures du foir j'ai  Jut la Bafiille. ^ fai éts avertir M. d'Argenfon de ce malheur, lequel eft venu tout auffi-töt pour voir & parler au malheureux qui s'eft tué Sc qui n'a rien dit. Du Samedi 22 Mars , Air les fix heures du foir, on a fait enterrer le Sieur de Vinache, foïisle nom. d'Etienne Durand, qu'on a porté a la Paroiffe de Saint-Paul dans le Cimetiere ; Sc avant que de le mettre dans la biere, du même jour Samedi , fur les quatre heures de 1'après-midi, M. d'Argenfon eft encore venu pour le voir & examiner Sc reconnoïtre ce mort. Ne pourroit-on pas appliquer a Vinache Sc a de Plile ( V. 4 Avril 1711 ) ce qui eft dit dans Pétrone de PEmpereur Néron , dans fon repas de Trimalcion : » qu'un ouvrier qui faifoit des vafes de cryftal tranfparent, les plus beaux du monde, & fi folides, qu'ils ne fe caflbient non plus que ceux d'or Sc d'argent, en ayant préfenté un a Néron dans le milieu du repas, pour lui en faire un préfent, PEmpereur en loua la beauté, Sc pour faire Pépreuve de fa folidité, le jetta de toute fa force contre le pavé, fans autre dommage que d'être un peu enfoncé ; Sc 1'ouvrier, avec un marteau, 1'ayant redreffé fur le champ , comme fi c'eüt été un vafe d'airain, 1'aflêmblée fut remplie d'admiration ". »> Mais il en arriva tout autrement pour 1'ou-vrier qu'il ne penfoit; car PEmpereur lui ayant demandé fi quelqu'autre que lui favoit ce fecret , Sc 1'ouvrier ayant répondu que non, PEmpereur lui fit couper la tête, en difant que li ce fecret étoit divulgué, Por 6c 1'argent deviendroient vils comme la boue Tome II, Cahier V, D  J O Mémoires 1704, 17 Février. Toujfalnt S oc qua r d , Commljjaire au Chd~ telet agé de folxante-fix ans. Le nommé la B o v lay e , Valet-dechambre de Vinache. Et la femme de la boulaye furem mis d la Bajlllle pour Paffaire de Vinache. Le premier obtlnt fa llberté le 18 Avrll 1704 , & conti* nua fes foncllons de Commiffaire. La B o v la y e & fa femme ne fortlrent de la Bafiille que le 21 Aoüt fulvant. L e s domeftiques de Vinache avoient fait des déclarations en faveur de leur Maitre pour cacher fon billonnage. 1705, ii Févriet, Henry de la Cerde, Comte d'Albatalre, fils d'un Grand d'Efpagne , natlf de SalnteMarle en Andaloufie, fut mis d la Bajlllle, fur tin ordre du Roi du 11 Février 1706,  fur la Bafiille. |S 1705, 23 Mai. Le Comte de Tavanes, fis , fut mis d la Bajlllle, en venu d'un ordre du Rol dn 23 Mai Ï70J ; ll en fortlt le 20 Juiliet fulvant. 1706, 12 Aoüt. Edme MercieR, Secrétaire de M. Meunier, Confelller au Parlement, entra d la Bafiille le 11 Joiit 1706 , & fut mis en llbetté le 13 Novembre fulvant. 1706, 13 Octobre.' Louis \ Comte de Mon t gomery, fut conduit d la Bajlllle le 13 Oclobre 17 06 : il y mourut le 26 Mars 1710, & fut tnterré d Salnt-P aul. 1707, 25 Mars. Le Sleur B o stal, Lleutenant de Dragons au Régiment de Guethen pour le fervlce des HollanD ij  5 ï Mémoires dols, fut drrété & mis d la Bafiille le 1% Mars Ï7OJ. II nobtlnt Ja llberté quau mois de Julilet ijl}. 1707, 16 Novembre. Claude IE N o I li, originalre de Paris , Avocat au Parlement, Econome des Dames Rellgleufes de VAbbaye de Port-Roy al-des-Champs, fut mis d la Bafiille, le 16 Novembre 1707 , 6* y fut détenu juf quau mois de Novembre 1715. 1708 , 10 Mai. Plerre WéSLER, Baron de Broch , natlf de Duffeldorff, fut mis d la Bafiille en venu d'un or. dre du Rol du 10 Mal 1708 , & rien fortlt que le 16 Novembre 1714. Obfervatlon. II ne nous eft parvenu aucun renfeignement fur les motifs de la détention de ces lept Prifqnniers.  fur la Bafiille 1708, 20 Décembre. Frédéric-Charles JanNISSON de MonDevISE < agé de trente-fept ans, ejl entré d la Bafiille le 20 Décembre 1708 , en venu d'une lettre de cachet Jignée par M. le Marquis de Torcy. d/e prifonnier étoit un efpion des Hollandois; Le Roi décida qu'il refteroit a la Bafiille jufqu'a la paix générale. 1708 , 2.2 Décembre. Muley Benzak, ou Dom Pedro de Jesu , fe difant fils du Roi de Mequine^ en Afrique, fut mis d la Bafiille fur un ordre du Roi, du 22 Décembre 1708, contrefigné Phe~ lypeaux. 11 en fortit le 21 Mai 1710 , pour être transféré d Charenton. Cet avanturier fe difoit fils du Roi de Mequinez fur la cóte d'Afrique : il racontoit que fon pere le voulant fruftrer, lui & fon frere , de la fucceffion au Tröne, ils prirent la réfolutionde lui faire la guerre ; qu'il fe donna entr°eux & leur pere une grande bataille, qu'ils perdirent, & que fon frere ayant été fait prifonnier, Ie Roi^ D iij  Memoires leur pere, lui fit couper le bras droit 6c la jambe gauche. Muley Benzar avoit pris la pofte 6c s'étoit fauvé en Portugal 6c de-la a Madrid, oü il dit que le Roi d'Efpagne lui fit beaucoup d'accueil, par le moyen du Cardinal Porto Carrero, nui le préfenta a Sa Majefté Catholique. II refta deux mois a la Cour d'Efpagne; & ayant témoigné au Roi 1'envie de paffer en France, il dit que Sa Majeflé lui fit donner un équipage avec une efcorte, & 200 louis d'or, pour venir jufqu'a Bayonne, oü il refta deux jours 6c mangea avec M. le Duc de Grammont, qui en étoit pour lors Gouverneur : de-la il vint a Bordeaux , oü il refta encore quelque temps chez M. le Maréchal de Montrevel; enfuite il s'embarqua pour Blaye 8c vint defcendre a la Rochelle. Enfin il vint dans la Touraine, 8c refta quelque temps a Loches, d'oü il partit pour Verfailles, oü il fut arrêté 8c conduit a la Baftille. II a toujours foutenu qu'il étoit fils du Roi de Mequinez, quoiqu'on fut perfuadé du contraire. Ayant écrit a Maroc, en Portugal & en Efpagne, on apprit qu'il n'étoit que fimple Soldat dans les troupes Portugaifes , & qu'auparavant il n'étoit qu'un Valet d ecurie. Le Roi d'Efpagne s'étoit informé a des Peres de Ia Mercy s'il étoit vrai qu'il fut fils du Roi de Mequinez; & ayant reconnu que cela étoit faux, il avoit fait expédier un pafïeport a Muley Benzar, lui avoit fait donner dix ou douze piftoles , 6c chaffer du Royaume.  fur la Bafiille. 55 1709, 2 Janvier. Jacques La sou l la ie , Seigneur de la Forte » Commandant pour le Roi dans fon Chdteau a"Exilles, fut mis d la Bafiille au mois de Janvier 1709. 11 en efi forti le 12 Mars fuivant. I l ne nous eft rien tombé entre les mains de relatif a la caufe de la détention du Sieur Laboullaie. 1709, 20 Novembre. Louis-Renè-Jofeph Hac hart, natif de PèrU gord, Garde-du-Corps du Roi, & enfuite Capitaine d!lnfanterie au Regiment de Villequier , fut mis a la Bafiille fur un ordre du Roi du 20 Novembre 1709, 6- y fut détenu prifonnier jufqrfau 16 Novembre 1714. Les motifs de fa détention nous font pareilSement inconnus. D iv  5$ Mémoires 1711, ii Février. la Demoifelle Anne Ct/AROtr, fille dgée de foixante-un ans , demeurant d Paris, fut mis d la Bafiille en conféquence d'un ordre du Roi du ii Février 1711, & n'en fortit qu'au mois de Septembre. 1716. 1711, 9 Mars, Alexandre Be llef ONd , Officier de Marine , natif de Quebec en Canada. 11 a été mis d la Bafiille fur un ordre du Roi du 9 Mars 1711, & y a été détenu prifonnier juf quau 10 Septembre 171 j. N ous n'avons aucun renfeignement fur les motifs qui ont caufé la détention de ces deux perfonnes.  fur la Bafille; 57 1711, 4 Avril. Jean Tr ou in, dit de z''Is le , 'Armurler , öge , Memoires fa lettre d-deflus a M. de Nointel. Ce certificat eft des plus détaiüés & des plus authentiques en faveur de de 1'Ifle. II attefte qu'il a fait lui-même, au chateau de Saint-Alban en Provence , un lingot d'or pefant trois onces avec les préparations que de 1'Iile avoit faites , lequel lingot il a préfenté k M. Defmaretz. Qu'il a vu & examiné Ia poudre de de 1'Ifle ; que c'eft ce qu'on appelle poudre de projection. Qu'il a fait une feconde expérience fur trois onces de balles de plomb a piftolets & fur la moitié d'une cuiraffe de fer , avec les préparations de de 1'Ifle, & qu'il en eft réfulté unepetite plaque d'or & plufieurs morceaux d'or qui ont été préfentés a M. Defmaretz par lui Prélident de SaintMaurice. Qu'il a fait pareillement, audit lieu de SaintAuban, une expérience pour 1'argent, avec les préparations de de 1'Ifle, laquelle a eu fon entier & plein effet. Copie d'une lettre de de 1'Ifle a M. de Senez, datée a Grace le 10 Mars 1711 , par laquelle il lui donne avis qu'il vient d'être arrêté, par ordre du Roi, a Nice , & conduit a Marfeille a M. le Comte de Grignan qui doit le faire transférer a Paris. II le prie de s'y rendre avant lui, Ie regardant comme fon unique protecteur & appui, lui recommandant de porter la bouteille de fa poudre métallique, pour qu'il puifle faire voir au Roi Ia vérité de fon fecret. Lettre de M. de Senez a M. de Nointel, datée a Senez le 14 Mars 1711 , pour lui marquer la furprife 011 il efl des mauvais traitements qu'on  fur ld Baf ille. C fait efftiyer a de 1'Ifle, en le conduifant a Paris lié, garotté & chargé de chaïnes; que c'eft effaroucher eet efprit qui peut prendre un travers d'opiniatreté ; que c'eft faire mourir eet homme par un tranfport de chagrin ; que c'eft un caracfere fufceptible 6c ombrageux ; qu'il craint que cette facon de s'y prendre ne foit contraire aux intéréts du Roi; qu'il fe propofe de partir lui-même pour Paris dans les vingt-quatre heures, afin de courir après de 1'Ifle , & que faute de pouvoir fe fervir de voitures a caufe des neiges qui couvrent Ia terre , il fera ce long voyage a cheval, ne réfléchiffant a autre chofe qu'au bien du fervice du Roi, Sc a trouver le moyen d'appaifer 1'Artifte captif pour lui rendre fa docilité première 6c fa bonne volonté a obéir au Roi, 8c par-la 1'engager a donner k Sa Majefté fon fecret. De 1'Ifle entra k la Baftille Ie 4 Avril 171 r. II ne fut pas queftion alors de lui faire fubir interrogatoire; on le traitoit au contraire avec douceur. On le prévint qu'il fe rendroit agréable au Roi s'il travailloit dans la Baftille a fes expériences; que pour cela on lui donneroit tous moyens & facilités. En conféquence de 1'Ifle commenfa a faire fes préparations. M. de Nointel lui fit donner par M. de Bernaville, Gouverneur de Ia Baftille , 1'or & 1'argent a lui , qui étoit renfermé dans une boïte, & que M. de Senez demanda qu'on lui donnat. Le ier. Aoüt 1711 1'Artifte commen§a a travailler pour parvenir k la tranfmutation. Entr'autres drogues qu'il employoit, on remarquoit principalement le falpêtre, Ie vif-argent, 1'arfenic , le foufre 6c Vantimoine, E i;  68 Memoires Le 3 Aout \ il travailla en préfence de M. de Senez 6c du Sieur du Bourget, 6c auffi en préfence du Sieur de Launay, Secretaire du Roi Sc Directeur de la Monnoie des Médailles, par ordre de M. de Nointel. Le 5 Aoüt, autre travail en préfence du Sieur de Launay. Le 7, il travailla en préfence de M. de Senez 8c des Sieurs du Bourget 6c de Launay. Et ayant fait fes préparations 8c fes poudres, il les mit ioutes dans un panier 8c demanda a aller au jardin du Gouverneur , autrement le baftion. II y alla, accompagné de ces Meffieurs; il fit une foffe lui-même , & y dépofa le panier qu'il couvrit d'une planche , fur laquelle il remit la terre fortie du trou. Le 17 , de 1'Ifle & ces Meffieurs retournerent au jardin, 8c il jugea que les poudres n'avoient pas encore refté aflez de temps en terre. Elles y furent remifes en préfence de la compagnie. Le 18, il retira les poudres en préfence de ces Meffieurs. Le 19, il les travailla en préfence de ces Meffieurs , & M. de Senez en tira une certaine quantité d'eau qu'il mit dans une bouteille , qu'il cacheta de fon cachet , laquelle bouteille il placa dans le cabinet du jardin al'expofition du foleil. Tout le refte du mois d'Aoüt , continuation d'opérations de la part de de 1'Ifle & de ces Meffieurs ; 6c le Sieur de Launay retira 1'or de la matiere. Le 10 Septembre, fourni a de 1'Ifle quatre onces d'or.  'fur la Bafiille. 69 Le ai dudit mois, de 1'Ifle & ces Meffieurs firent ufage de la bouteille du jardin expofée au foleil, d'oü il réfulta une huile & un aimant, qu'on mit dans un vafe cacheté de M. de Senez & de M. de Bernaville. Le 26 Septembre , on décacheta le vafe en préfence des parties, oü il ne fe trouva plus d'huile, le foleil & 1'aimant 1'ayant confommée. Le 27, M. de Senez 6c M. du Bourget vinrent a la Baftille avec deux bouteilles de métallique & d'huile de foleil, 6c ils verferent, avec de 1'Ifle, fur fa matiere une portion d'huile & de métallique. Le 29 Oöobre fuivant, de 1'Ifle fe tranfporta dans l'appartement du Gouverneur, oü il accommoda un petit fourneau en préfence de M. de Senez, de M. de Nointel qui vint au chateau, & des Sieurs de Launay, du Bourget & Balin , Sc du Sieur Reilhe , Chirurgien de la Baftille; & la, en préfence de tous, il mit dans une cornue fa poudre métallique que M. de Senez avoit apportée, 6c mit la cornue fur fon fourneau. Après deux heures 6c demie de chaleur, de 1'Ifle, en retirant la cornue, trouva dans le récipient un demi-verre d'eau, au lieu de mercure qu'il efpéroit d'y trouver. La cornue fe caffa en la dégraiflant de fa terre, & M. de Senez ramafla la poudre métallique, 6c 1'emporta avec le demiverre d'eau. Le 1". Novembre , M. de Senez & du Bourget rapporterent è de 1'Ifle la poudre métallique ci-deffus, lui difant qu'il lui avoit donné le feu trop chaud, & qu'elle étoit brülée en partie. Ils convinrent tous que M. de Senez enverroit le E iij  yo Memoires foir ce qull avoit encore de poudre métallique, d'eau magiftrale, d'huile de foleil, & le demiverre d'eau; & avec cela de recommenca. le lendemain, enfuite prit quelques jours de repos , pendant quoi fes matieres fe confolidoienr. Le ii &c le 23 Novembre , nouveaux trava ux. Les 28 & 29 Novembre , pareille chofe. Le 11 Décembre, de 1'Ifle fit, en préfence de MM. de Senez, de Launay, & de Bernaville, Gouverneur, la même expérience qu'il avoit faite en préfence de M. de Nointel. Arriva mêmefüccès, c'eft-a-dire fuccès imparfait. M. de Bernaville étoit prefque toujours appellé aux travaux, paree que c'étoit lui, qui, par ordre de la Cour, fourniflbit a de 1'Ifle les matieres , denrées & uftenfiles dont i' avoit befoin; & a chaque féance , M. de Bernaville remettoit fous fon cachet dans des boïtes les ingrédients &z matieres dont on venoit de fe fervir, &* k chaque fois qu'on reprenoit le travail, il repréfentoit les boites cachetées , qui 1'étoient par fois du cachet de de 1'Ifle ; en écrivant chaque fois : Un tel jour , a telle heure , j'ai levé mon cachet, & j'ai livré les matieres renfermées fous icelui; &£ ledit jour, a une telle heure , j'ai remis fous mon cachet les matieres qui viennent de m'être confiées. Le tout pour accélérer & ne pas perdre le temps, & éviter des frais de Commiffaire. II eft auffi a remarquer que M. de Senez étoit fi perfuadé de la bonté du fecret de de 1'Ifle &c de fa bonne foi, que très-fouvent a la Bafiille , aux appartements oü i' travailloit, Ie Prélat ie  fur la Bafiille. 71 mettoït en prieres a genoux pendant les opérations, pour demander aDieu qu'il lui plüt bénir la befogne. Le 18 Janvier 1712, ouverture fut faite d'une boïte envoyée de Provence par 1'Abbé de SaintAuban a M. de Nointel. M. de Senez & du Bourget étoient préfents. II ne s'y trouva que des herbes de lunaria major comprimées avec du mercure ; ce qui étoit un refte de tranfmutation faite ci-devant par 1'Artifte. On en fit Pépreuve requife devant les perfonnes ci-deffus, & de Reilhe , le Chirurgien Apothicaire du Chateau; après quoi on remit le tout dans la boite, qu'on cacheta du cachet de M. de Senez. Le 20 Janvier, nouvelle ouverture de cette boïte par ordre de M. Nointel, en préfence de de 1'Ifle, de M. de Senez, du Bourget, de Launay & Reilhe, & il n'en réfulta qu'un débouilli defdites herbes , qui ne produifit qu'une trèspetite quantité de poudre qui s'attachoit au poëlon & a la jatte, & rien de plus. Le 27 dudit mois de Janvier, on prit enfin le parti de fdire fubir interrogatoire a de 1'Ifle, & M. d'Argenfon 1'interrogea. Dès ce moment , il prit un violent chagrin a de 1'Ifle, tk il ne difoit plus autre chofe, finon qu'il fouhaitoit mourir. Quatre jours après , c'eft-a-dire lé 31 Janvier , notre philofophe fut trouvé mort dans fon lit vers les dix heures du foir. II étoit tombé malade le matin, d'un vomiffement qui lui étoit affez ordinaire, & qui redoubla de deux heures en deux heures, jufqu'au foir qu'il lui prit une foibleffe qui lui fa perdre E iv;  7^ Mèmoirts ia paroleSc il paffa fans qu'on s'efi appercut. Ii avoit parlé toute la journee comme a fon ordinaire ; il avoit pris des bouillons Sc bu beaucoup, comme il avoit coutume de faire quand Jes vomiffements lui prenoient; en forte que le Gouverneur & les domeftiques regarderent fa mort comme une mort fubite. M. d'Argenfon vint a la Baftille le lendemain z huit heures du matin,pour voir le cadavre, & ordonna qu'il fut ouvert, Sc qu'on en drefferoit procés-verbal. A fix heures du foir, un Médecin ordinaire du Roi, a caufe de 1'abfence de la Carliere, Médecin du Chateau, & un Maitre Chirurgien de Paris, nommé Arnauld, avec le Sieur Reilhe, Chirurgien du Chateau, firent Pouverture du corps. Le rapport dit qu'il ne paroiffoit pas qu'il füt mort de poifon , & que les caufes de la mort étoient naturelles, Sc il en déduit les raifons. Ce qu'il y a cependant d'aflez fingulier, c'eft que par la minute de la lettre de M. d'Argenfon a M. de Nointel, du 3 Février 1711, en lui envoyant fon procés - verbal & le rapport des Médecins & Chirurgiens, M. d'Argenfon mande qu'il foupeonne toujours que la mort de de rille a été précipitée, Sc qu'il rendra compte de vive voix du motif de fes conjeftures. De plus, par le procés-verbal de M. d'Argenfon, il eft dit, en parlant du Sieur Arnauld , Chirurgien, que ledit Arnauld a panfé Sc guéri de Flfle de fes bleflures. S'il a panfé de 1'Ifle, c'eft a Paris. Or , on ne voit nulle part que de Flfle ait été blelTé a Paris ou è ia Baftille. BlelTé a Paris , cela ne  fur la Baf'ilk. 73 pouvoït gueres être, puifqu'il étoit conduit par la Maréchauffée, qui, a fon arrivée, 1'a dépofé tout de fuite au Chateau de la Baftille. Quoi qu'il en foit, c'eft ainfi qu'a fini de 1'Ifle, Sc avec lui fon fecret ou prétendu fecret de faire de 1'or Sc de 1'argent. Le ii Février 1712, douze jours après fa mort, M. d'Argenfon fe tranfporta a la Baftille, avec le Sieur de Launay, Directeur de la Monnoie des Médailles, pour faire la recherche des matériaux, drogues Sc compofttions de 1'Artifte, enfemble les matieres Sc réfidus en 1'état que le tout étoit; Sc la totalité en fut remife audit Sieur de Launay, qui en donna fon récépiffé fur le procés-verbal dreffé ledit jour par M. d'Argenfon. Le lendemain 12, autre procés-verbal de M. d'Argenfon, dreffé aux Galeries du Louvre , en 1 appartement du Sieur de Launay, qui conftate que ledit de Launay a fait travailler toute la journée fur deux réfidus commencés par de 1'Ifle, pour en tirer 1'or qui pouvoit y être; d'oü il eft réfulté qu'on en a tiré deux onces fix gros & demi d'or a vingt-deux karats, qui ont été envoyéspar M..d'Argenfon a M. Defmarets, Controleur Général, avec une lettre datée du 14 Février, oü ce Magiftrat qualifie d'impofteur Sc d'infigne frippon qui avoit fafciné les yeux & féduit Ia crédulité des perfonnes qui avoient pris confiance dans fes opérations. Au mois de Novembre de ladite année 1711, la veuve de de 1'Ifle, réclama les hardes Sc effets de fon mari, qui étoient reftés a la Baftille. Elle préfenta, a eet effet, des placets au Roi, en conféquence defquels M. Defmaretz écrivit a M.  74 Mémoires d'Argenfon de les lui remettre. On remit le tout , le 21 Novembre , au valet-de-chambre de M. 1'Evêque de Fréjus, qui étoit porteur d'une procuration de cette veuve, & il en fut dreffé procés-verbal par M. d'Argenfon. Ainfi finit l'hiftoire de de 1'Ifle , qui fit beaucoup de bruit dans ce temps-la. 1711, 10 Novembre. Interrog at oire , de f ordre du Rol, fait par nous Marc-René dt Voyer de Paulmy, Chevalier , Marquis d'Argenfon, Confelller d'Etat ordinaire, Lleutenant-Généralde Policede la Vllle, Prévóté & Vlcomté de Paris, Commiffaire du Rol en cette partle , au nommé G E n ay , dit duciiail, prifonnier , de l'ordre du Roi , au Grand-Chdtelet; d Üeffet duquel interrogatolre, nous avons pris pour Grtfjiir d'office , CharlesLéon le Normant, d qui nous avons fait préter le ferment en ce cas requis (*). Du 10 Décembre 1711. InterrogÉ de fon nom, furnom , age -j qualité , pays, demeure & religion. (1) L'interrogatoire que nous joignons a cette Colleftion , & qui a été trouvé a !a Baftille, eft une ■As ces pieces que 1'cn tranfponoit du Chatelet, par ordre  fur la Bafille. 75 A dit, après ferment par lui fait de dire vérité, qu'il fe nomme Michel-Elie Genay , Sieur Duchail agé de cinquante-trois ans, ou environ, originaire de Fonten.ay-le-Comte en Poitou, qu'il eft fans emploi ni profeffion ; qu'il eft né dans la Religion Proteftante, dont il fuit la doctrine, quoiqu'il ait fait fon abjuration; qu'au refte il demeuroit, lorfqu'il a été arrêté de 1'ordre du Roi, rue Boutebrie, chez la nommée Chenau , tenant chambre garnie. En quelle année il a fait ion abjuration? A dit, qu'en 1'année 1685 il fut mis en prifon dans la ville de Fontenay-le-Comte en Poitou ; qu'ayant été enfuite transféré au chateau de la Floflilliere, il y fut mis dans un cachot pendant trois jours , après lefquels il fit fon abjuration entre les mains de M. Martinot, Prieur de la Floflilliere. Ajoute que ce fut par force & violence & pour éviter les tourments qu'on vou« loit lui faire fouffrir, qu'il figna fon abjuration, quoique fon deflein fut de ne jamais changer de religion. Quels font les prétendus tourments dont on le menacoit, & dont la feule appréhenfion a porté le répondant k faire fon abjuration après trois jours de prifon feulement ? A dit, qu'on prenoit les p3uvres Religionnaires, qu'on les mettoit dans des cachots noirs infectés par des chiens &t des bêtes mortes qu'on dn Roi, a la Baftille, afin de ne rien laifler dans les Greffes publics qui put donner une idéé de la marche & des perfécutions de 1'intolérance reiigieufe Sc du Defp/jtüme monarchique.  7 fils du Sieur Arouet, Payeur de la Chambre des Comptes (/efi M. n e volt Ai re), mis d la Bafiille le 17 Mal 3717, pour avoir compofé des pieces de Poé/ie & Vers Infolents contre M. le Régent & Madame la Duchejfe de Berry, entf autres une Plecequl a pour infcrlptlon: Puero regnante. ï L avoit dit auffi devant plufieurs perfonnes que puifqu'il ne pouvoit fe venger de M. le Duc d'Orléans d'une certaine facon, il ne 1'épargneroit pas dans fes fatyres ; fur quoi quelqu'un lui ayant demandé ce que S. A R. lui avoit fait, il fe leva comme un furieux, & répondit: comment, vous re favcz pas ce que ce B m'afait? II m'aexile paree j'avois fait voir au Public que fa Meffaline de fille étoit une Put Le Sieur Arouet avoit été exilé k Tulles Ie 5 Mai 1716, S. A. R. accorda au Sieur Arouet pere, qu'au lieu de la ville de Tulles, oü fon fi!s étoit exilé, il le fut dans celle de SulIy-fur-Loire, oü il,avoit quelques parents dont on efpéroit que les infiruclions & les exemples pourroient corriger fon imprudence & tempérer fa vivacité. Ilfortit de Ia Bafiille ie 11 Avril 1718 , & il y fut remis Ie z8 Mars 1726 ; il en fortit Ie 29 Avril  fur la Bafille 105 fuivant. M. de Voltaire avoit été infulté par M. de Rohan-Chabot, & il fut arrêté & conduit a la Bafiille pour avoir cherché 1'occafion d'en tirer vengeance. » Jeremontre très-humblement (écrivoit-il au Miniflre du département de Paris) que j'ai été afiaffiné par le brave Chevalier de Rohan, aflifté de fix coupes-jarrets, derrière lefquels il étoit hardiment pofté. J'ai toujours cherché depuis ce temps-la h réparer, non mon honneur, mais le fien , ce qui étoit trop difïicile. Si je fuis venu dans Verfailles, il eft très-faux que j'aie fait demander le Chevalier de Rohan-. Chabot chez M. le Cardinal de Rohan, &c." Les douze pieces de Vers qui fuivent fous ces numéros, font de lui. Nous croyons faire plaifir au Public en les joignant a fon article, d'autant plus qu'elles pourroient n'être pas connues. A la Dlete de Pologne, pour Vèlecllon du Rol. T> jl euple guerrier, dont Ia vaillance Mérite un Roi de votre humeur, N'en cherchez point ailleurs qu'en France: C'eft le pays de la valeur. Aux appas de votre couronne Plus d'un héros fait les yeux doux; Si c'eft la vertu qui la donne , Conty dolt 1'ëmporter fur tous.  io6 Mémoires II eft brave, prudent & jufte, Univerfellement aimé ; II eft du fang de notre Augufte: Sur fon modele il eft formé. Quand nous diflïpames 1'oragê Prêt a fondre fur nos climats, Céfar eüt-il fait davantage Que ce qu'il fit dans nos combats? Depuis ce temps, la Renommee Vous a rapporté mille fois Que toute la France eft charmée De la grandeur de fes exploits. Steinkerque vit, par fa conduite j Que foutenoit fa noble ardeur, La rufe de Naffau détruite, Et retourner fur fon Auteur. Nerving, témoin de fa gloire , Lui fournit de nouveaux lauriers; Quand fon bras retint la vi&oire Qui fembloit quitter nos guerriers. Haute Noblefle & pofpolite , Si vos intéréts vous font chers , Donnez-vous un Roi qui mérite L'^mpire de tout 1'univers.  fur la Baftille. 107 H eureux Chamillart; Un coup de billard T'a mis dans la France Chef de la finance. Quel coup de hafard! Tu fus fur Ia terre Maitre de la guerre. N'es-tu point batard? A la loterie Tu n'as qu'a vouloir, Sans fupercherie , Le lot le plus noir. Mais dans l'abondance , Crains la décadence. Vois que 1'Ecureuil, Par trop d'opulence, Git dans le cercueil. JULII M.A Z ARINI E P ITAP HI V M. Hic iacet Julius Mazarinus Galias Rex Italus , Ecclefias Preful Laicus , Europae Prasdo purpuratus. Fortunam ambiit, omnem corrupis, /Erarium adminiftrayit & exhaufir.  io& ■ Mémoires Civile Belium compreflu, fed commovit, Regis jura tuitus eft & vendidit: Pacem dedit aliquando , diu abftulit. Arrivit paucis , irrifit plurimos , Omnibus nocuit. Negotiator in Templo, Tyrannus in Regno , Paedo in Minifterio. Vulpes in Confilio, graffator in bello, Solus nobis in pace, hofiis. Fortunam olim adverfam aut elufit, aut vicit. Et noftro faaculo vidimus, Adorari fugitivum Imperare Civibus exulem, Regnare profcriptum. Quid deinde egerit roges ? Paucis accipe Lufit, fefelit, rapuit: Quorundam capiti, Nullius fortunis pepercit. Homo crudeliter clemens, Pluribus tandem morbis elanguit Plures ei mortes coelo irrogante Cui Senatus olim unam decreverat; Nihil unquam nifi asgre reddidit , neque Conftanter tarnen vifus eft mori. Quid mirum ? Ut vixerat fic obiit, fimulans ; Ne morbum quidem ejus novere qui curabunt Hac una fraude nobis profuit Fefelit medicos, Obiit tandem nifi fallimur ? & moriens ? Rfgi Regnum, F>.egno Regsm reftiAuit.  fur la Baflik. Ï09 Prasfulibus peffima exempla reliquit Aulicis infida confilia Adoptivo ampliflïma fpolia. Paupertatem populis , < Succefforibus fuis omnes prasdandi artes Nullam materiam. Hasredes quos fpreverat fecït Pauperes quos fecerat fprevit. Immenfas opes lices projecerit ? In unum habuit ex Aio quod duret Nomen fuuml Peèlus illi poftquam exceffit Apertum eft , res mira 1 Tune primum patuit vafrum cor Mazarini. Quod nee precibus, nee lacrimis , nee injuriis quidem. Moveretur. Dluquè fivimus ? invenere medii Cor lapideum ? Quod mortuus adhuc commoveat, ne mireris, Stipendia in hunc annum accepit. Quo evaferit forfitan , roges, myfterium eft Coelum fi rapitur tenet. Si datur meritis longe ab eft. Plura funt qua; monerent, Sed abi viator & cavè Nam & hic tumulus, eft latronie fpecun.  Mémoires EPITAPHIUM. Mie jacet Julius Cardinaüs Ma^annus cujus ignota familia nota rayina folus dubia. Omnia vindebat vivens dum Julius effet, Omnia donabat cum moriturus erat. Si quaaris caufam tanti difcriminis , haac eft. Donavit quando vendere non potuit. Fata duos repuere duces regnique Miniftros. RlCHELlEU , MAZARIN, Suftulit ille bonos. Suftulit ille bona. AlR : De mon lan ld. C'est Cupidon qui m'infpire ; Tendres cceurs accourez tous: Jamais amoureufe lyre Ne rendit de fons fi doux, Pour un lan la lan derirette , &c. Iris , voici de la Fable Tous les myfteres fecrets : Ce carquois fi redoutable Dont 1'Amour tire fes traits : C'eft un lan la lan, &c. Ces bois, ces prés, ces rivages D'Amatonte & de Paphos,  fur la Bafille. j 11 Oü viennent faire naufrage Les Sages & les Héros: C'eft un lan la lan, &c. Ce beau Temple de Cythere Qu'encenfent même les Dieux } N'eft ni de bois, ni de pierre, II eft bien plus précieux: C'eft un lan la lan, &c. Si Troye fut réduite en cendre, Quelle en fut la caufe , hélas! C'eft que Paris alla prendre, De la femme a Ménélas, Le beau lan la lan, &c; Diane, trop inhumaine, Voulut punir Aétéon, Pour avoir dans la Fontaine Vu de trop prés, ce dit-on, Son beau lan la lan , &c. Ovide, loin d'Italie Alla finïr fon deftin Pour avoir fu de Julie Dérober un beau matin, Le beau lan la lan , &C; Connoiffez-vous cette fleche Dont fe fert 1'Amour vainqueflr, Quand il veut faire une brêche Dans un jeune & tendre coeurr C'eft un lan la lan, &c.  112. Memoires - Vénus, quoïque toute aimable , N'eüt pas remporté le prix, Si la Déeffe traitable N'eüt fait tater a Paris De fon lan la lan, &c. ladis fous même figure L'on vit defcendre les Dieux; Ces maitres de la Nature Se dégoütoient dans les Cieux Des vieux lan la, &c. Les jeux, les ris & les graces Vous accompagnent, Iris ; L'amour marche fur vos traces , Et pour fon tröne il a pris Votre lan la lan, &c. Mais peut-on fe fatisfaire Toujours de la fauffeté: Quittons la Fable , Bergère, Goütons la réalité De ton lan la lan, &c. Beaux lieux fi dignes de plaire C'eft fous vos ornbrages verds. Qu'enchanté de ma Bergère , J'oublirois tout 1'Univers, Pour fon lan la lan, &c, Lr I  far la Bafiille. 1x5 LES SOUHAITS RIDICULES, C O NT E. A MADEMOISELLE. S I vous étiez moins raifonnabie , Je me garderois bien de venir vous corner La folie & peu galante Fable Que je m'en vais vous débiter. Une aune de boudin en fournit. Ia matiere. Une aune de boudin , ma chere, Quelle pitié ! c'eft une horreut, S'écrieroit une précieufe, Qui toujours tendre & férieufe, Ne veut ouïr parler que d'affaires de coeur. Mais vous , qui mieux qu'ame qui vive , Savez charmer en racontant, Et dont l'expreflïon eft toujours fi naïve,' Que 1'on croit voir ce qu'on entend ; Qui favez que c'eft la maniere Dont quelque conté eft inventé, Qui beaucoup plus que la matiere, De tout récit fait la beauté : Vous aimerez ma Fable, & la moralité , J'en ai, j'ofe le dire, une aiTurance entiere. II étoit une fois un pauvre Bücheron, Qui, las de fa pénible vie, Avoit , difoit-il , grande envie De s'aller repofer aux bords de 1'Achéron : Tome II. Cahier VI. H  Ji.f Mémoires Repréfentant dans fa douleur profondés Que depuis qu'il étoit au monde, Le Ciel cruel n'avoit jamais Voulu remplir un feul de fes fouhaits. Un jour que dans le bois il fe mit a fe plaindre ; A lui, la foudre en main, Jupiter s'apparut. On auroit peine a dépeindre La peur que le bon-homme en eut. Je ne veux rien , dit-il, en fe jettant par terre, Point de fouhaits, point de tonnerre, Seigneur, demeurons but a but. Ceffe d'avoir aucune crainte, Je viens, dit Jupiter, touché de ta complainte, Te faire voir le tort que tu me fais. Ecoute donc, je te promets, Moi qui du monde entier fuis le fouverain maitre D'exaucer pleinement les trois premiers fouhaits Que tu voudras former fur quoi que ce puiffe être. Vois ce qui peut te rendre heureux ; Vois ce qui peut te fatisfaire; Et comme ton bonheur dépend tout de tes voeux, Songe-y bien avant que de les faire. 'A ces mots, Jupiter dans les cieux remonta; Kt le gai Bücheron, embraffant fa falourde, Pour retourner chez lui, fur fon dos la jetta. Cette charge jamais ne lui parut moins lourde. II ne faut pas , difoit-il en trottanr, Dans tout ceci rien faire a la légere; II faut, le cas eft important, En prendre avis de notre ménagere. Ca, dit-il, en entrarit fous fon toit de fougere, Faifqns, Fanchön, grand feu, grand'chere;  fur la Baf lilt. 11 y Nous fommes riches a jamais, Et nous n'avons qu'a faire des fouhaits. La-deffus tout au long tout le fait il lui conté; A ce récit, 1'époufe vive & prompte, Forma dans fon efprit mille vaftes projets; Mais confidérant 1'importance, De s'y conduire avec prudence : Blaife, mon cher ami, dit-elle a fon époux f Ne gatons rien par notre impatience: Examinons bien entre nous Ce qu'il faut faire en pareille occurrence. Remettons a demain notre premier fouhait, Et coufultons notre chevet. Je 1'entends bien ainfi. dit le bon-homme Blaife; Mais, va tirer du vin derrière ces fagots. A fon retour , il but, & goütant a fon aife , Prés d'un grand feu , la douceur du repos, 11 dit, en s'appuyant fur le dos de fa chaife, Pendant que nous avons une fi bonne braife , Qu'une aune de boudin viendroit bien a propos! A peine acheva-t-il de pronoricer ces mots, Que fa femme appercut, grandement étonnéé, Un boudin fort long , qui partant D'un des coins de la cheminée , S'approchoit d'elle en ferpentant, Elle fit un cri dans 1'inftant; Mais jugeant que cette avènture Avoit pour caufe le fouhait Que par bêtife toute purë Son homme imprudent avoit fait; II n'eft de pouilles ni d'injures, Que, de dépit & de courroux, H Ij  116 Mémoires Elle ne dit a fon époux. Quand on peut, difoit-elle , obtenir un empire,' De 1'or , des perles , des rubis , Des diamants, de beaux habits, Eft-ce alors du boudin qu'il faut que 1'on defire ? Hé bien, dit-il, j'ai tort, j'ai mal placé mon choix; J'ai commis une faute énorme; Je ferai rnieux une autre fois. Bon , bon , dit-elle , attendez-moi fous 1'orme. Pour faire un tel fouhait, il faut être bien boeuf. L'époux, plus d'une fois, emporté de colere, Penfa faire tout bas le fouhait detre veuf; Et peut-être entre nous ne pouvoit-il mieux faire. Les hommes , difoit-il, pour foufFrir font bien nés ? Pefte foit du boudin, & du boudin encore; Plüt a Dieu, maudite pécore, Qu'il te pendit au bout du nez! La priere auffi-töt du Ciel fut écoutée, Et dès que le mari la parole lacha, Au nez de 1'époufe irritée L'aune de boudin s'attacha. Ce prodige imprévu grandement Ie facha, Fanchon étoit jolie; elle avoit bonne grace , Et pour dire fans fard Ia vérité du fait., Cet ornement en certe place Ne faifoit pas un bon effet, Si ce n'eft qu'en pendant fur le bas du vifage, II 1'empêchoit de parler aifément. Pour un époux merveilleux avantage! Et fi grand, qu'il penfa, dans cet heureux moment, Ne fouhaiter rien davantage. Je pourrois, difoit-il, k part foi.  'fur ta BafdlU. 117 Pour me dédommager d'un malheur fi funeffe, Avec le fouhait qui me refte, Tout d'un plein faut, me faire Roi. Rien n'égale, il eft vrai, la grandeur fouveraine; Mais encore fa'it-il fonger Comment feroit faite la Reine , Et dans quel chagrin ce feroit la plonger, Que de la placer fur un tróne Avec un nez plus long qu'une aune». II faut 1'écouter fur cela, Et qu'elle-même en foit maitrefle ; De devenir une grande Princeffe, En confervant 1'horrible nez qu'elle a,. Ou de demeurer bücheronne Avec un nez comme une autre perfonne > Et tel qu'elle 1'avoit avant ce malheur-la. La chofe bien examinée , Quoiqu'elle fut d'un fceptre & la force & 1'effet, Et que quand on eft couronnée , On a toujours le nez bien fait. Comme au defir de plaire il n'eft rien qui ne cede , Elle aima mieux garder fon bavolet Que d'être Reine & detre laide. Ainfi ce Bucheron ne changea point d'état; II ne devint point Potentat; D'écus il n'emplit point fa bourfe i Trop heureux d'employer le fouhait qui reftoit,, 3 g Trifte bonheur , pauvre reffource! A remettre fa femme en 1'état qu'elle étort. Tant il eft vrai qu'aux hommes miférables Aveugles , inquiets, imprudents , variables, Pas n'appartient de faire des fouhaits, H üj  1 18 Mémoltes Et que peu d'autres font capables De bien ufer des dons que Ie Ciei leur a faits. LE CADENAS. Jeune Beauté, qui ne favez que plaire, A vos genoux, comme bien vous favez, En qualité de Prêtre de Cythere, J'ai débité, non morale févere , Mais bien Sermons par Vénus approuvés ; Tendres propos, & toutes les fornettes Dont Rochebrune orne fes chanfonnettes , De tels fermons votre coeur fut touché, Jurates lors de quhter Ie pêché, Que parmi nous on nomme indifférence , Même un baifer m'en donna 1'affurance. Mais votre époux , Iris, a tout gaté. Il craint 1'Amour : époux fexagénaire Contre ce Dieu fut toujours en colere , C'eft bien raifon; 1'Amour de fon cöté, Affez fouvent ne les épargne guere. Celui-ei donc tient de court vos appas , Plus ne venez fur les bords de Ia Seine, Dans ces jardins oü Silvains a centaine , Et le Dieu Pan vont prendre leurs ébats, Oü tous les foirs, Nymphes jeunes & Manches y Les Courcillons , Polignacs , Villefranches, Prés du baffin , devant plus d'un Paris , De Ia beauté vont difputer le prix. Plus ne venez au Palais des Francines? Dans ce Pays oü tout eft fi&ion.  fat la Bajlllïe. "9 Oü 1'amour feul fait mouvoir cent machines , Plaindre Théfée & fiffler Arion. Trop bien , hélas! a votre époux foumife, On ne vous voit tout au plus qu'a 1'Eglife, On dit par-tout qu'il a même attenté, Par cas nouveau a votre liberté. Pour éclaircir pleinement ce myftere, D'un peu plus haut reprenons notre affaires Vous connoiffez la Déeffe Cérès : Or, en fon temps, Cé.ès eut une fille Semblable a vous, a vos fcrupules prés, Belle & fenfible , honneur de fa familie , Brune fur-tout, partant pleine d'attraits. Ainfi que vous, par le Dieu d'hyménée, Le Roi des Morts fut fon barbare époux £ La pauvre enfant fut affez mal menée, II étoit louche, avare , hargneux, jaloux; II fut cocu , c'étoit bien la juftice. Pirritous , fon fortuné Rival , Beau , jeune , adroit, complaifant , libéra! % Au Dieu Pluton donna le benefice De cocuage. Or, ne demandez pas Comment un homme, avant fa derniere heure, Put pénétrer dans la fombre demeure : Cet homme ai mok; 1'Amour guida fes pas. , Mais des Enfers, comme aux lieux oü vous êtes, Voyez qu'il eft peu d'intrigues fecretes : Pluton fut tout. Certain de fon malheur Peftant, jurant, pénétré de douleur , Le Dieu donna fa femme a tous les diables. Premiers tranfports font toujours pardonnables. Bientêt après devant fon Tribunal, H iv  *to Mémoires II convoqua ïe Sénat infernal : A ion Confeil viennent les faintes ames De ces maris dévolus aux enfers , Qui dès long-temps en cocuage experts, Pendant leur vie ont tourmenté leurs femme*. L'un d'eux lui dit : Mon confrère & Seigneur, Pour détoumer la maligne influence Dont Votre Alteffe a fait 1'expérience, Occir fa femme eft toujours le meiüeur. Mais las! Seigneur, la votre eft immortelle: Je voudrois donc, pour votre füreté, Qu'un cadenas de ftru&ure nouvelle, Fut le garant de fa fidélité. A la vertu par la force affervie , Lors vos plaifirs borneront fon envie Plus ne fera d'Amant favorifé ; Et plüt aux Dieux que quand j etois en vie, D'un tel fecret je me fuffe avifé. A ce difcours les Parques applaudirent ; Et fur 1'airain les cocus 1'écrivirenr. En un moment, fer, enclumes , fourneaux, Sont préparés aux gouffres infernaux : Dame Aleclon , de ces lieux Serruriere, Au cadenas met la main la première ; Par quoi bientot , 1'impatient Pluton , A fa moitié porta le trifte don. On m'a conté qu'effayant fon ouvrage , Le cruel Dieu fut ému de pitié , Et tendrement il dit a fa moitié : Que je vous plains, vous allez être fage. Ce fecret donc aux enfers inventé, Chez les humains tot après fur potté;  fur la Bafille. ui Et depuïs ce, dans Venife & dans Rome, II n'eft pédant, Bourgeois , ni Gentilhomme , Qui, pour garder 1'honneur de fa maifon, De cadenas n'ait fa provifion. La, tout jaloux , fans crainte qu'on le blam? , Tient fous la clef les beautés de fa femme. Or , votre époux dans Rome a fréquenté : Chez les méchants on fe, gate fans pïine. Et le galant vit fort a la Romaine. Mais n'en craignez pour votre liberté : Tous fes effbrts feront pures vétilles, De par Vénus vous reprendrez vos droits, Et mon amour eft plus fort mille fois Que cadenas, verroux, portes , ni grilles. LE COCUAGE. Ja dis, Jupin de fa femme jaloux , Par cas plaifant fut pere de familie, De fon cerveau fit fortir une fille, Et dit du moïns cel!e-ci vient de nous. Le bon Vulcain , que la Cour Ethérée Fit pour fes maux époux de Cithérée , Voulut avoir auffi quelque poupon Dont il fut fur, & dont il fut le pere; Car de penfer que le beau Cupidon , Que les Amours, ornements de Cythere Fuffent le fils d'un fimple forgeron, Pas ne croyoit avoir fait telle affaire , De fon vacarme il remplit fa maifon; Soms & foucis,fon cerveau tenaiüerenr;  t%\ Mémoires Soupcons jaloux fans ceffe l'affiégerent* A fa moitié cent fois il reprocha Son trop d'appas, dangereux avantage. Le Dieu fi bien fit qu'enfin accoucha Par le cerveau, de quoi? de cocuage. C'eft-la le Dieu révéré dans Paris , Dieu mal-faifant, la terreur des maris: Dès qu'il fut né, fur le chef de fon pere II effaya fa naifïante colere : Sa main novice imprima fur fon front Les premiers traits d'un éternel affront. A peine encor eüt-il plume nouvelle, Qu'au bon hymen il fit guerre mortelle. Vous 1'eufliez vu 1'excédent en tous lieux- , Et de fon bien s'emparant a fes yeux, Se promener de ménage en ménage, Tantot porter la flamme & le ravage, Et des brandons allumés dans fes mains, Aux yeux de tout éclairer fes larcins. Tantöt rampant dans l'ombre & Ie filence , Le front couvert du voile d'innocence, Chez un époux le matois s'introdnit, Cornes lui met fans fcandale & fans brult. La défiance au tein fombre & livide, Et la malice a 1'oeil faux & perfide, Guident fes pas oü 1'amour Ie conduit. Nonchalemment la volupté le fuit, Pour mettre a bout quelque beauté cruelle 5 Car il en eft. Ses carquois font remplis: Flêches y font pour les coeurs des rebelles, Cornes y font pour les fronts des maris. Or, ce Dieu-la, mal-faifant ou propics,  fur la Bafille. ïi} Mérite bïeri qu'on chante fon office \ Ou par befoin , ou par précaution , On doit avoir a lui dévotion , Et lui donner encens & luminaire; Soit qu'on époufe ou qu'on n'époufe pas, Soit qu'on le faffe ou qu'on craigne le cas , De fa faveur on a toujours affaire. O vous, Iris, que j'aimeraï toujöurS , Quand de vos voeux vous étiez la maïtreffe? Et qu'un contrat traflquant la tendreffe, N'avoit encor affervi vos beaux jours: Je n'invoquois que le Dieu des Amours; Mais a préfent, pere de la trifteffe , L'Hymen, hélas! vous a mis fous fa loi A Cocuage il faut que je m'adreffe, C'eft le Dieu feul en qui j'ai de la foi. LE JANSÉNISTE ET LE MOLINISTE Pere Simon, doucereux Molinifte, Frere Auguftin , fauvage Janfénifte , Tous deux fuppots de la Religion, Alloient a Rome, au Pere des fideles, Solliciter quelque décifion Qui terminat leurs dévotes querelles; Nos deux Caffards difputoient en chemiri, Sur les cinq points de doftrine perverfe; Jeune tendron leur tombe fous la main; Dans Ie moment change Ia controverfe ; Le Rigorifte exploita fon derant;  124 Mémoires L Ignanen ayant fait fa priere, Dévotement prit la route contraire: Chacun le fit pour 1'honneur du Couvent. Ayant tous deux parfait leur entreprife, Un remord vint, non pas aux gens d'Eglife, Ils en ont peu, comme pouvez penfer; Car font de Dieu commis pour les chalTer ; Mais a la belle encor dans 1'ignorance. Simple & timide, & qui n'avoit alors Seize ans entiers, c'eft 1'age des remords, Si ce n'eft pas celui de 1'innocence. Donc a genoux, avec contrition, Elle leur dit, du Ciel vous êtes maïtres , D'une pauvrette, ayez compaffion : Vous pouvez tout, vous êtes tous deux Prêtres. Lors lui donnant fa bénédiclion , Le Loyolifte enflammé, plein de zele, Lui promit place en la fainte Sion ; L'autre, au rebours , chapitrant la donzelle, Lui refufa fon abfolution. A un Chanoine qui a perdu fa mahrzffs. To i qui fus des plaifirs le délicat arbitre, Tu languis, cher Abbé; je vois, malgré tes foins, Que ton triple ménton , 1'honneur de ton Chapitre » Aura bientöt deux étages de moins. Ta maitreffe n'eft plus, & de beaux feux éprife» Ton ame, avec la fienne, eft prête a s'envoler. Que 1'amour eft conftant dans un homme d'Eglife ! Et qu'un mondain bien mieux iauroit fe confoler!  fur la E'aflik. 115 Je fais que ta ifidelle amie Te laiffoit prendre en liberté De ces plaiftrs qui font qu'en cette courte vie, On defire affez peu ceux de 1'éternité. Mais fuivra au tombeau ce qu'on aime l Tu fais bien que c'eft un abus ; Car pour quelques plaifirs perdus l Pourquoi fe perdre encor foi-même. Ce qu'on perd en ce monde-ci , Le retrouvera-t-on dans une nnit profonde? Des myfteres de 1'autre monde On n'eff que trop tot éclairci. Attends qu'a tes amis la mort te réuniffe, Et vis par amitié pour toi. Mais vivre dans 1'ennui, ne chanter qu'a 1'office, Ce n'eft pas vivre, felon moi. Quelques femmes toujours badines i Quelques amis toujours joyeux , Peu de vêpres , point de matines.' En attendant mieux, Voila de quoi pouvoir fans ceffe Faire tête au fort irrité. La véritable fagiffe Eft de favoir fuir la trifteffe Dans les bras de la volupté. Il n'eft mortel qui ne forme des voeux; L'un de voifin convoite la puiffance , L'autre voudroit engloutir la finance Qu'accumula le beau-pere d'Evreux. Sur les quinze ans, un mignon de couchette  126 Mimoirts Demande a Dieu ce vifage impofteur, Minois friand, cuiffe ronde & douillette, Du beau de Gefvres, ami du Promoteur. Roi verfifie & veut fuivre Pindare; Du Bouffet chante & veut fuivre Lambert, En de tels voeux mon efprit ne s'égare: Je ne demande au grand Dieu Jupiter Que 1'eftomac du Marquis de la Farre, Et les c.«.ons de Monfieur d'Aremberg. PORTRAIT DE MADAME DE N(... A. fes écarts N... alüe L'amour du vrai, le goüt du bon ; En vérité, c'eft la raifon Sous le mafque de la folie. LE PARNASSE. Pour tous rimeurs, habitants du Parnaffe, De par Phoebus il eft plus d'une place : Les rangs n'y font confondus comme ici, Et c'eft raifon. Feroit beau voir auffi Le fade Auteur d'un fonnet ridicule, Sur même lit couché prés de Catulle, Ou bien Lamothe ayant 1'honneur du pas Sur le Harpeur, ami de Mécénas ! Trop bien Phoebus fait de fa république Régler les rangs & 1'ordre hiérarchique; Et difpenfant honneur & dignité , Rendre k chacun ce qu'il a mérité,  fur la BaflilU. ïiy Sous un ciel pur, au haut de Ia colline, On voit palais bati de main divine , Riants jardins, non tels qu'a Chatillon , En a planté 1'ami de Crébillon, Et dont 1'att feul a formé la parure ; Ce font jardins ornés par la nature : La font lauriers, orangers toujours verds ; La, féjournez, gentils faifeurs de vers: Anacréon, Virgile , Horace , Homere, Dieux qu'a genoux le bon Dacier révere , D'un beau laurier y ceignez votre front. Un peu plus bas, fur lè pènchant du mont \ Eft le féjour de ces efprits timides, De la raifon partifans infipides ; Qui, compafTés dans leurs vers Ianguiffants, A leurs Le&eurs font haïr le bon fens. A donc amis , fi quand ferez voyagè, Vous abordez la poétique plage , Et que Lamothe ayez defir de voir, Retenez bien qu'illec efi fon manoir. La , fes Conforts ont leurs têtes ornées De quelques fleurs prefqu'en naiffant fanées, D'un fol aride incultes nourriffons, Et dignes prix de leurs maigres chanfons. Cettuy pays n'eft pays de Cocagne. 11 eff enfia aux pieds de la montagne. D'un bourbier noir l'infecfe profondeur,' . Qui fait fentir fa mal-plaifante odeur, A tout chacun fors a la troupe imoure, Qui va nageant dans ce fleuve d'ordure.' Et qui font-ils , ces rimeurs difFamés ? Pas ne prétends que par moi foient nommés;  Il8 Mémolrts Mais quand verrez chanfonneurs, faifeurs d'odes, Rauques corneurs de leurs vers incommodes; Peintres , Abbés , brocanteurs, jettonniers , D'un vil café fuperbes cazanniers, Oü tous les jours, contre Rome & la Grece, De mal-difants fe tient bureau d'adreffe ; Direz alors , voyant tel gibier: Ceci paroit habitant du bourbier. De ces grimauds la croupiffante race En cettuy lac inceffamment croaffe Contre tous ceux qui, d'un vol affuré, Sont parvenus au haut du mont facré. En ce feul point cettuy peuple s'accorde, Et va cherchant la fange la plus orde , Pour en noircir les menins d'Hélicon, Et polluer le tröne d'Apollon. C'eft vainement; car cet impur nuage Que contre Homere, en fon aveugle rage* La gent moderne affembloit avec art, Eft retombé fur le Poëte Houdart. Houdart, ami de Ia troupe aquatique , Et de leurs vers approbateur unique , Comme eft auffi le Tiers-état auteur , Dudit Houdart unique admirateur ; Houdart enfin , qui, dans un coin du Pinde, Loin du fommet oü Pindare fe guinde, Non loin du lac eft affis , ce dit-on, Tout au-deffous de 1'Abbé Terraffon. i7'7>  Jur la Bafiille. i2Q J717, 13 Aoüt. Aymard P e li ss ier, Bourgeois de Paris , fti~ tra d la Bajlllle Jur un ordre du Rol du 13 Aoüt 1717 , & en Jortlt le 26 Novembre de l'annie 1720. 1717, 27 Septembre* Antoine de la Moth e-Cadi ll Ac, ci-dt* vant Gouverneur de la Louljiane d MlJfiJJipl , Jut mis d la Bajlllle en vertu d'un ordre du Rol du 27 Septembre ijij, & Jut mis en ll\ bene le 8 Février 1718. 1718, 6 Avril. Mlchel D i eu , dit L a c r o ix?, Laqüals diéBaron de Vettes, Allemand, Jut arrêté & mis a la Bajlllle en conjéquence £un ordre du Roi du 6 Avril 1718, il obtlnt Ja llbertê le 8 Aoüt Juivant. Tome 11. Cahier VI. i.  13 q Mémoires 1718 , 27 Mai. Jean-Frangois O bert de Chaulnes ,Cha- noine de fEglife Collegiale de l'Jfie en Flandre, entra d la Bafiille fur un ordre du Roi du 27 Mai 1718 , cv en fortit le 20 Juin fuivant. 1718 , 25 Aoüt. Jean-Baptifie Taphinon, Avocat en Parlement , natif de Montbar en Bourgogne, fut mis d la Bafiille en vtrtu d'un ordre du Roi 'ie 25 Aout 1718 , & n'en fortit que le 12 Mai 3719. Obfervation. Les Notes, qui font tombées dans nos maïns, ne nous inftruifent point des raotifs de la détention de ces cinq perfonnes.  fur la Baftille. ,131 1718, 28 Septembre. Nicolas Lenglet du Fr es n or , Prêtre du Diocefe de Paris , entré d la Bafille le 28 Septembre 1718 , fortit le 24 Décembre 1719. C e Prêtre vouloit brouiller les Princes & exciter une guerre civile dans le Royaume. II avoit fabriqué & préfenté un mémoire a M. le Duc, au nom du Parlement, pour exciter S. A. S. a demander le Commandement de Ia Maifon du Roi ; afin de brouiller M. le Régent avec M. le Duc, & enfanter des troubles dans le Royaume. L'Abbé Lenglet s'excufoit en difant que ce mémoire lui avoit été remis par Madame Ia Préfidente Ferrand. Mais cette derniere a nié le fait. Le mémoire eft joint h cet article. II avoit été apoftillé de la main de M. Ie Duc. II y a auffi une lettre écrite par ledit Sieur Abbé Lenglet, pour M. le Duc, concue en ces termes: Un inconnu , qui a cherché plus d'une fois a donner a V. A. S. des marqués de fon zele, fe trouve chargé depuis quelques jours de lui découvrir des chofes d'une extréme importance pour la füreté & la gloire de votre perfonne ; mais je n'ofe, Monfeigneur, m'hafarder de me préfenter devant V. A. S. fans en avoir aupa- lij  131 Memoires ravant obtenu la permiffion ; je fuis connu du Sieur Aymon , Officier de la Chambre de Sa Majefté; comme il eft pénétré d'un zele trèsfincere & très-vif pour V. A. S. , il rendroit témoignage jufqu'oü je fouhaiterois porter celui cfue j'ai toujours eu pour le plus refpecfable de nos Princes. Voici la copie du mémoire préfenté a S. A. S. M. le Duc. « La conjonöure préfenté eft trés - heureufe » pour Monfeigneur le Duc , paree qu'elle peut y> lui être très-glorieufe ; & que la gloire doit w être le principal objet d'un Prince de Condé. w L'Etat eft prés de ia chüte , par une dépré» dation des finances qui n'a point d'exempie; » par un mépris des loix & des ufages qui ont » été refpeöés des R.ois lès plus abfolus (*). S'il » fe préientoit un chef entreprenant, on ne doit *> pas douter, quand fes intentions ne feroient » pas bonnes, qu'un grand nombre de mécon» tents ne fe joigniflent a lui. y> Que ne doit-on pas efpérer de M. le Duc » lorfqu'il voudra remettre tout en regie , & que » foutenant 1'autorité des loix du Royaume, il » foutiendra en même temps la puiflance royale » dont elles font le plus ferme appui. On n'a » jamais douté de la droiture de fes intentions. » La démarche qu'il vient de faire en deman» dant 1'éducation du Roi, en eft une preuve: » mais elle ne le menera a rien de grand, ni (i) II paroït qne c'étoit alors comme avant la révolution du 13 Juiliet dernier. II étoit donc bien temps que cela finit.  fur la Bafille. 133 » d'utile, s'il ne penfe férieufement a réunir a » la Sur-Intendance le Commandement de la Mai» fon du Roi, qui en a été iéparé contre le droit » naturel, puifque celui qui eft chargé de fa per» fonne facrée, doit avoir les moyens de la dé» fendre. » Ce commzndement devient auffi un moyen » pour iauver 1'Etat; paree que quand on prou« vera qu'on donne de mauvais confeils k M. » le Régent, il fera obligé d'en fuivre de bons; » M. le Duc eft en état de les appuyer; Sc M. » le Régent ne pouvant alors lui rien oppofer » qui fut capable d'arrêter fes bons deffeins. » M. le Duc ne peut doutér de la difoofttion » du Parlement par 1'attachement que cette Comw pagnie a toujours eu pour la Séréniffime Mai» fon des Condé. Tous les vceux font pour lui , » Sc tous les yeux font tournés vers lui. S'il ne »> répond pas a 1'idée que 1'on a concue; s'il » trompe nos efpérances, il perdra un avantage » qu'il ne recouvrera jamais; Sc il fera regardé » comme complice d'un défordre qui parvien» dra aux plus grands excès, Sc qui détruiront » un grand Royaume, auquel fa naiftance lui » donne droit, Sc qu'il eft engagé par elle d'ai» mer & de défendre. » Nous penfons trop avantageufement d'un » Prince qui voit tant de héros, parmi fes aïeux, » pour croire qu'il foit détourné d'une entreprife » fi jufte & fi glorieufe par 1'amour des plaifirs. » II peut les accorder avec fa gloire ; c'eft ce » qu'a fu faire le Grand Condé, quand a dix»> neuf ans il gagnoit des batailles. » On ne foup^onne point non nlus M. le Duc, I iij  J 3 4 Mémoires » de fe laifTer féduire par des artifices & par nne » facilité a lui fournir de quoi fatisfaire fes goürs. » Law c'eft déja vanté qu'on 1'amufera agréable» ment avec de 1'argent. Si Monfieur le Duc en »> vouloit, il en auroit d'une maniere qui feroit » plus digne de lui, en prenant dans le Royaume » 1'autorité que lui donnent fa naiffance &c fes » grandes charges. II n'a pas même lieu de fe » flatter : s'il ne fe fait craindre, il ne difpofera *> de rien. » Si le mémoire étoit plus étendu , on entre» roit dans un detail qui prouveroit tout ce qu'il s> contient: mais pour peu que 1'on y réfléchiffe, » on y fuppléera aifément : & plus M. le Duc »> examinera la fituation des affaires & la fienne »» propre , plus il fe convaincra de la nécefiité »> d'entrer dans la connoiflance de toutes les af» faires d'une maniere convenable a fon rang. » A 1'égard des moyens, il faut les concerter avec » de bonnes têtes du Parlement; & ce petit mé» moiré ne s'étendra point fur cet article. Mais » on fupplie S. A. S. de faire attention que ceux »> qui approchent le plus de M. le Régent, font *» plus hardis & moins habiles que n'étoit le Car» dinal Jvlazarin. lis pourront bien fe permettre » ce qu'il n'a pas exécuté. Ainfi, il n'y a point » de temps a perdre. »» On doit ajouter ici une réflexion , c'eft que >> Ie Préfident de Novion très-habile & très-at» taché a la Maifon de Condé, ne peut cepen» dant donner Ie branie a cette affaire que four» dement. Le peu de contentement que fa Com» pagnie paroit avoir de fa conduite Ie rend pref» que inutile ; & il feroit k craindre que Ie Pre-  fur la Bafille. 13^ » mier Prélident ne fe raccommodat avec Ia Cour » pour fe mettre a couvert du crédit du Préfi» dent de Novion, auprès de M. le Duc; peut» être auffi qu'il pourroit être gagné. » II faut fur-tout que M. le Duc faffe attention » que le fecret eft 1'ame des grandes affaires. Un » Prince a plus de mefures a prendre qu'un aur> tre pour garder le fien. II a toujours dans fa » maifon des penfionnaires de la Cour. Ceux que » 1'on voit inaceffibles a 1'argent font pris a des » pieges moins groffiers. Ainfi, les Princes ne » doivent dans les affaires mettre dans leur con» fiance que ceux dont ils ne peuvent fe paffer. »> Si M. le Duc préfenté fa requête brufquement, » Sc fans que fon deffein foit connu, il fera exempt » de tant de contraintes Sc a couvert des infidéli» tés. C'eft de quoi j'ofe le fupplier par un pur » effet de zele pour S. A. S. ". L'Abbé Lenglet a été cinq fois a la Baftille, depuis 1718, jufqu'en 175 t; Sc de plus il a été renfermé a Vincennes, en 1724 ou 1725. Le première fois, pour le mémoire ci-deffus. La feconde fois , au mois de Juin 1725 , pour mémoire féditieux, au fujet de 1'affaire de M. le Blanc. Lafois, ( P°ur avoir imPr"'mer un Ouau mois dé} vrage contre les ordres de M. le Chanj\iars 1743. (celier. , Pour avoir fait paroitre un AlmaI nach ou il faifoit 1'éloge de la Maifon La4s fois, I (je Sjuard, Sl établiffoit que le Prince 1°7570>Jaav \ Edouard étoit le légitime héritier de 1 la couronne d'Angleterre, Sc le Roi NGeorge un ufurpateur. I iv  Mémoires La cinquieme fois, le 25 Décembre 1751, pour avoir écrit une lettre infolente a M. le Controleur-Général, En 1696, il avoit été impliqué dans 1'affaire de i'Abbé Feydit, qui fut mis a la Baftille, pour fait de Religion. Lenglet ne fut point emprifonné, mais fut interrogé, 11 avoit vingt-deux a vingttrois ans : étoit Clerc tonfuré. II étoit pour lors Domeftique de I'Abbé Pirot, Docteur de Sorbonne, 6c y demeurant avec lui. 1718, 9 Décembre. PÈTAIL fommaire trouvé d la Bafiille, concer7iant Ü affaire de Bretagne, arrivée fious la miriorité du Roi, durant la régence de M. Ie Dut (COrlêans, louis Brigavlt, Prêtre du Diocefe de Lyon, criginaire de la même Fille, mis d la Bafiille en venu d'un ordre du Roi du 9 Décembre 1713 , forti le 29 Septembre ijzi. I l fut arrêté pour 1'affaire de M. Ie Duc & de Madame la Ducheffe du Maine, dont le fond etoit: i°. De prendre la défenfe des Princes légitimes contre les Princes du Sang. 20. De diminuer 1'autorité du Régent, 8c de favonfer le Roi d'Efpagne, pour qu'il püt innuer dans le Gouvernement du Royaume.  fur la Baftille. 137 3°. De rétablir le Duc du Maine dsns le pouvoir que le feu Roi lui avoit donné par fon teftament. Toutes ces intrigues & ces manoeuvres occafionnerent, 1'année fuivante 1719, la guerre d'Efpagne & la confpiration de Bretagne. Cette confpiration avoit pour but de tranfporter la Régence au Roi Pbilippe V; de faire affembler les Etats-Généraux du Royaume, de les rétablir dans leurs anciens droits ; de rendre aux: Parlements leur liberté , &z de faire entrer la Na» tion entiere dans les vues du miniftere d'Efpagne. Une partie de la Noblefï'e de Bretagne fe fouleva contre le Roi, & s'oppofa k main armée a la levée des deniers de Sa Majefté. Tous ceux qui furent arrêtés pour cette révolte , furent détenus au Chateau de Nantes : on inftruifit leur procés, en vertu d'une commiffion établie a Nantes par Lettres patentes du 3 Ocfo-. bre 1719. Voici la teneur de ces Lettres patentes. Lettres patentes en forme de commiffion, du •3 Oftobre 1719, pour 1'établifïement d'une Chambre Royale féante k Nantes, a 1'effet d'informer des complots & cabales qui fe font tramés & faits depuis quelque temps dans la Province de Bretagne & lieux circonvoifins, contre le fervice du Roi & le repos de la Province; même d'attroupements de plufieurs Gentilshommes & affociation entre eux. Amas d'armes, poudre, munitions de guerre & de bouche : enrolements de Soldats, achats de chevaux : pratiques fecrettes dedans & dehors Ie Royaume, & projets de Traités avec une PuifTance étrangere. Oppofïtions, a  138 Memoires main armée, a la levée des deniers de Sa Majefté: afiemblées illicites; réfiftance a 1'exécution de fes ordres , & refus d'y obéir; tous préparatifs tenclants a révolter ; pour lefquels délits Sa Majefté, de 1'avis de S. A. R. M. Ie Duc d'Orléans Régent, a commis & établi une Chambre Royale au Chateau de Nantes, pour inftruire contre les coupables du crime de Lefe-Majefté, les décréter & leur faire & parfaire le procés jufqu'a jugement définitif inclufivement & en dernier reflbrt. II y eut .148 Accufés dans cette affaire, dont 4 ont été exécutés, & 16 condamnés par contumace & exécutés par effigie. Noms & qualltès de ceux qui ont été condamnés d mort & exécutés. Crifogon-Clément de Guer, Marquis de Pontcallec, demeurant au chateau de Ponrcallec. Thomas-Simeon de Montlouis, Ecuyer , demeurant a Placaer. Laurent le Moyne, appellé ordinairement Ie Chevalier de Thaïouet, demeurant en fa maifon de Barrach. Francois du Coedié, Ecuyer, demeurant dans une maifon appellée le Paradis. Tous les quatre ont eu la tête tranchée Ie 26 Mars 1720 , par Arrêt de la Chambre dudit jour, dans la place du Bouffay de la ville de Nantes, le marché y tenant,  fur la Bafille. 139 Noms & qualités des Accufés condamnés par contumace, & exécutés par ejfigie le 27 Mars 1720, dans la place du Bouffay de Nantes, ou tous les tableaux furent attachés d un poteau dreffé pour cet effet. Louis Thalouet de Bonnamour, Gentilhomme, demeurant a Lourmoy. M. de Lambilly, Confeillcr au Parlement de Bretagne. Jacques-Melac Hervieux Denis, demeurant ü JoffeÜn. Le Sieur de la Beraye , Gentilhomme. Le Sieur Thalouet de Boishorand, Gentil-; homme. Le Sieur Trevelec de Bourneuf, fils, Gentilhomme. Le Sieur Coquart de Rofconan , Gentilhomme. Le Comte de Polduc-Rohan. Le Chevalier de Polduc, fon frere. Le Sieur Francois-Augufte du Groefquerl'ainé, Gentilhomme. L'Abbé du Groefquer fon frere. Le Sieur de la Houffaye , pere, Gentilhomme. Le Sieur de la Boiffiere-Kerpedron, Gentilhomme. Le Chevalier du Crofco.  140 Mémoires Le Sieur Gouello de Kerantré, Gentilhomme. Le Sieur de Villegley, Gentilhomme. Deux de ces contumacés (le Sieur du Groefquer 6c le Sieur Grouello de Kerantré) ont obtenu des lettres d'amniftie ; favoir , le premier au mois de Mai 6c 1'autre au mois cl'Ocfobre 1723. Par le Jugement du 26 Mars 1720, il a été ordonné que les marqués de feigneuries & d'honneur qui étoient dans les maifons du Sieur Marquis de Pontrallet, de Montlouis , le Moyne , dit le Chevalier de Thalouet , 6c du Coedié, condamnés a avoir la tête tranchée & exécutés ledit jour , feroient abattues & effacées, les foffés comblés , les bois de hautes - futayes, comme avenues 6c autres fervant a décoration, feroient coupés a la hauteur de 9 pieds, 6c que les murailles nouvellement conftruites 6c fortifications faites a la maifon du chateau de Lourmoy, appartenant au Sieur de Bonnamour , condamné par contumace, feroient démolies &C abattues, & leurs biens réunis au Domaine 6c conhïqués au profit du Roi. II y eut des lettres d'amniftie générale, dont quelques-uns des Accufés furent exceptés, 6c entré ceux-ci plufieurs en ont obtenu depuis de particulieres. Lettres patentes du 14 Avril 1720 , de tranflation a 1'Arfenal de Paris de la Chambre Royale iéante a Nantes, pour y vaquer tant a 1'inftruction 6c au jugement des accufés qui ont été exceptés des lettres d'amniftie, qu'aux condamnés par contumace qui voudront la purger; a 1'effet  fur la Baf ille. 141 de quoi ils pourront fe mettre en état dans les prifons du Fort-l'Evêque- Le 3 Avril 1721 , le Roi accorda un Brevet & des Lettres patentes, fur les remontrances faites k Sa Majefté par les Députés & ProcureursGénéraux, Syndics des Etats de Bretagne, par lefquels Brevet &c Lettres patentes, le Roi fait don aux héritiers & fuccefleurs de ceux qui ont été condamnés par I'Arrêt de la Chambre du 26 Mars 1720, de tous les biens qui avoient été réunis au Domaine ou confifqués au profit de Sa Majefté, enfemble de tous les fiefs & autres biens meubles & immeubles des condamnés confïfqués au profit de Sa Majefté, &c. L'affaire de Bretagne a comtnencé en 1719 k Nantes, & a fini k la Chambre Royale de 1'Arfenal a Paris en 1714. On a faifi beaucoup de papiers k Brigault: que!ques-uns confiftent en plufieurs lettres amoureufes d'une Dame de Province, k laquelle il n'étoit pas indifférent. D'autres lettres d'amour non fignées, fans date d'années & fans adreffe, le Sieur Brigault les a reconnues pour être de fa main, & il a dit que c'étoit des lettres qu'il avoit écrites a une Dame qui les lui avoit rendues. Des titres & procédures de fa familie & autres papiers en latin, fermons , papiers'en langue Efpagnole, concernant des aflbciations de Marchands de Lyon & d'Efpagne.  143- Mémoires 1719, premier Février. Claude J an in , Ecuyer, Seigneur de Juïiennes , Doyen des Confelllers du Parlement de Domles, entra d la Bajlllle le premier Fèvrler 1719 , & en fonlt le 9 Juiliet fulvant. 1719 , 12 Avril. Pierre-Jofph de No iel de la Jo n quiere, Gentilhomme du Pays d'Artols , fut mis d la Baf ille au mots d'Avril 1719. 11 y mourut le premier Oclobre 1723. 1719 , 9 Juiliet. Claude Jovron de Mali n court, Mar. chand, demeurant d Salnte-Menehould, entra d la Bajlllle le 9 Juiliet 1719 , ' döient a la raifon & a la libïrts! " ';  144 Mimoïres Sieur de Montfleury l'accufoit de lui avoir fait des propofitions de la part de 1'Envoyé d'Efpagne , & d'avoir voulu lui faire donner une graiification a fa fortie de la Baftille. Le Sieur de Montfleury fit fa déclaration par* devant M. le Blanc, Mimftre du Département de la Guerre-, de ce qu'il favoit relativement a Fournier , contre le bien du fervice du Roi, pendant le temps qu'il étoit prifonnier au Chateau de la Baftille, &z depuis qu'il en étoit forti. II déclara (le 27 Mars 1721) que 'trois mois après ou environ qu'il étoit entré au Chateau , le nommé Fournier ayant été dans Ia chambre de lui Montfleury pour le rafer, s'informa de lui des raifons qui avoient donné lieu a fa détention ; qu'il lui dit que c'étoit pour avoir été foupconné d'avoir voulu paffer au fervice d'Efpagne, & qu'il étoit bien malheureux d'être compris dans de fi mauvaifes affaires, vu qu'il étoit né fujet du Roi; a quoi Fournier lui répondit, qu'il ne falloit pas s'effrayer, que fon affaire lui faifoit plus d'honneur que de tort; & que quand il feroit vrai qu'il auroit voulu paffer au fervice d'Efpagne , il n'auroit fait en cela que prouver la fidélité qu'il devoit a fon Prince. II ajouta que toute la France favoit bien que ce que le Roï d'Efpagne avoit entrepris, conjointement avec M. le Duc du Maine, n'étoit que pour conferver la vie au Roi, & non pas pour lui ravir fes Etats, comme fes ennemis avoient voulu Pen accufer. Ledit Fonrnier dit auffi au Sieur de Montfleury que le Roi fe fouviendroit, fans doute a fa majorité, des perfonnes qui lui auroient été fideles psndant la minorité, &c. Fournier'  fur la Bafille. k*f Fournier ayant été chaffé de la Baftille, entra chez M. le Duc de Richelieu, qui lui vouloit du bien & le protégeoit; il le raena avec lui a Vienne pendant fon ambaflade. 1721 , 2 Avril. Jean-Baptlfte A B A CY , Coureur de Madame la Ducheffe £Hanovre , fut mis d la Bafille k 2 Avril 1721 ; U en fortit le 9 du mime mois. 1721, 18 Aoüt. VAbbè B re mm er , Hongrols, A-gent des affaires du Prince de Ragosky , & fon Rèfident en France , entra d la Bafiille fur un ordre du Roi du 18 Aoüt 1721. // fe coupa la gorge d la Bafille ^25 Septembre fuivant- 1722, 22 Janvier. Jean la CoU K, Chanolne de Relms, fut mis d la Bafille le 22 Janvier 1722, & en fortit le 10 Aoüt fulvant. IVous n'avons rien fur Ia caufe de la détention des trois perfonnes dénommées ci-defftis, Tome II. Cahier VU. K  146 Mémoires 1723. DÉTAILS fur Üaffaire du vifa, trouvés d la Bafille. It, étoit queftion de plufieurs abus & malverfations , pratiqués dans Pexécution des différentes Commiffions émanées du Roi, a 1'occafion de la Jiquidation des effets repréfentés au vlfa & a la diftribution des certificats de liquidation déüvrés en conféquence , de la part de plufieurs de ceux qui y avoient été employés, au grand préjudice des finances du Roi & de 1'intérêt public. Pour lefquelsdélits, le Roi fit arrêter, par fes ordres particuliers , ceux qui les avoient commis , auxquels on a, par la fuite, inffruit le procés, en vertu d'une Commiffion féante a la Chambre Royale de PArfenal; ladite Commiffion établie par Lettres patentes du Roi du n Mai 1723 , & autres Arrêts & Lettres patentes fubféquentes pour ampliation de pouvoirs. COMMISSAIRES DU ROI. CONSEILLERS d'Et/AT. Meffieurs Meffieurs De Chateauneu£ D'Herbigny, De Harley, De Fortia.  fur la Bafille. ijfj Maitres des Requêtes. Meffieurs Meffieurs De Fremont d'Auneuil. De Bauffan. De Maupeou d'Ableiges. Angran. Rouillé. D'Argenfon. De Vaftan. De Pontcarré; Pajot. D'Ombreval. Le Gras du Luart. Meliand. De Vaftan, Procureur-Général de la Commiffion. D'Argenfon, Rapporteur. Jacques Paffelaigne, Greffier des Commiffions extraordinaires du Confeil , Greffier de ladite Commiffion. Noms des accufés qui ont été arrêtés. Jacques Daude, Controleur en chef des Caifles du vifa a la Banque. Jean-Francois Febvrier, Caiffier. Dominique Morin, premier Commis dudit Febvrier. Jean-Baptifte Gally, auffi Caiffier. Daniël Niples, premier Commis dudit Gally. Pierre Samfon, auffi Caiffier. Jean Raymond, foi-difant Agent-de-change. Etienne Flouret, ci-devant Commis dudit Daudé. Marie-Catherine Bernet, veuve Valence. K ij  Mémoires Gabriel Vigne. Le^Sieur Ia Pierre de Talhouet, Maitre des Requêtes. Jean-Charles Clément, Confeiller honoraire du Grand-Confeil. Le nommé Beauvais, ci-devant Laquais dudit Gally. Honoré le Houx, Sieur des Chateliers. En tout quatorze accufés dans cette affaire. Détail fur M. de Talhovet , mis d la Bafiille le 23 Mai 1723 ; & jugements qui ont été rendus par les Commijfaires contre les accufés dans taffaire, d'Argenfon s'eft tranfporté a la Baftüle le li Juiliet 1723 , pour y procéder aux interrogatoires de M. de Thalhouet, qui a refufé de répondre & de reconnoitre lefdits Commiffaires, fur le fondement des privileges attribués a la charge des Maïtres des Requêtes , fuivant lefquels il ne pouvoit être jugé que par le Parlement oii 3I requiéroit. Sur ce refus, M. d'Argenfon a donné une ordonnance, portant que M. de Talhouet feroit «nu de répondre dans le lendemain, autrement que fon procés lui feroit fait comme a un muet volontaire. Le lendemain 12 Juiliet, M. d'Argenfon s'efi tranfporté a la Baftille pour interrcger ce prifon-  fur la Bafille, 149 nier, qui témoigna Ie même refus de répondre. Le 26 Aoüt fuivant, ledit Talhouet a lubi un autre interrogatoire par-devant toute la Chambre affemblée; il a ref'ule de s'affeoir fur Ia fellette , de lever la main , dire fon nom , age, qualité Sc demeure, Sc" de répondre a toutes les demandes qui lui ont été faites par la Chambre, fur Ie fondement des raifons qu'il avoit ci-devant alléguées, Sc qui font expliquées plus haut dans cet extrait. La Chambre a déclaré M. de Thalouet, I'Abbé Clément, Gally Sc Daudé, atteints Sc convaincus d'avoir prévariqué dans lesfonctions de leurs commiffions & emplois ; enfemble d'avoir mal, fauffement & frauduleufementfabriquédivers fuppléments de liquidation d'actions, Sc d'en avoir partagé Ie produit entr'eux. Pour réparation de quoi, ils ont été condamnés par Arrêt de Ia Chambre du 27 Aoüt 1723. Savoir: les Sieurs de Talhouet & Clément a avoir la tête tranchée fur un échafaud , qui, pour cet effet, devoit être dreffé en la place de Ia Bafiille. Et lefdits Gally & Daudé, a être pendus & étranglés a des potences qui devoient être plantées pour cet effet dans ladite place de la Baftille. La charge de Maitre des Requêtes dont étoit pourvu le Sieur de Talhouet, vacante au profit du Roi & tous fes autres biens; enfemble ceux defdits Clément, Daudé & Gally, tant meubles qu'immeubles, acquis & confifqués au Roi, fur iceux préalablement pris la fommede 50,000 liv. d'amende envers Sa Majefté, Sc les fomm.es né- K iij  150 Mémoires ceffaires, a Peffet de retirer, au profit de Ia Compagnie des Indes, la quantité de fept cent foixanteonze aflions deux dixiemes, pour lui être remifes & délivrées avec quatre-vingt-quinze actions, dépofées au Greffe de la Chambre, dont quatre,-vingt-neuf provenantes des délits commis è 1'occalion defdites feuilles de fuppléments ou de licjuidations d'adtions & des partages qui avoient été frauduleufement faits des certificats expédiés en conféquence; & les fix autres adfions , prélendues appartenantes audit Clément, a caufe de la liquidation qui avoit été faite des effets par lui préfentés au vifa, lefquelles 771 actions deux dixiemes d'une part, & 95 actions d'autre part; enfemble 71 actions comprifes dans quatre certificats en nature, auffi dépofés au Greffe de Ia Chambre, font Ia quantité de 937 adfions deux dixiemes, jufqu'a concurrence defquelles il avoit «té expédié des faux certificats. Et lefdites feuilles de fuppléments & de liquidations dont il eft queftion , enfemble les inventaires Sc quelques bordereaux d'erfets joints auxdites feuilles : comme auffi les quatre certificats ci-deffus mentionnés, faifant partie de ceux expédiés fur lefdites feuilles, déclarés pareillement par ladite Chambre, fauffement Sc frauduleufement faits & fabriqués; Sc comme tels, nuls & fupprimés , & batonnés & biffés par Ie Greffier de la Chambre , en préfence de M. d'Argenfon qui cn a dreffé procés-verbal. Le famedi 28 Aoüt 1723 , cet Arrêt a été prononcé par le Greffier de la Chambre aux Sieurs de Talhouet Sc Clément, chacun en particulier , mie tête 6c a genoux, dans 1'une des ehambres  fur la Bafille. 151 de la Baftille, oü ils ont été amenés 1'un après 1'autre. Le Roi, par Lettres patentes du meme mois d'Aoüt 1723 , a commué 6c changé la peine de mort prononcée contre les Sieurs de Talhouet & Clément, en celle du banniffement a perpétmté hors du Royaume, Pays, Terres & Seigneuries de 1'obéiffance de Sa Majefté. Et le mardi 25 Avril 1724, fur les 11 heures du matin , ledit Arrêt a été prononcé auxdits Daudé & Gally , chacun en particulier, nue tête 6c a genoux, dans une des chambres de la BaftiilePar Lettres patentes du même mois d'Avril 1724, la peine de mort a laquelle lefdits Gally & Daudé ont été condamnés, a été commuée & changée en celle du banniffement a perpétuité hors du Royaume. Par le même jugement de la Chambre du 27 Aoüt 1723 , ordonné qu'il fera plus amplement informé contre Raymond; 6c cependant qu'il fera élargi des prifons. Morin & la femme Valence admonetés & condamnés chacun a 3 liv. envers les pauvres de la Paroiffe de Saint-Paul. Ordonné que le procés commencé contre Samfon fera continué, fait &c parfait jufqu'a jugement définitif inclufivement; 6c parM. d'Argenfon , dreffé procés-verbal 6c inventaire fommaire en préfence dudit Samfon , du Procureur Général ou de 1'un de fes Subftituts , de toutes les feuilles de fupplément de liquidations & autres pieces, étant dans la caiffe dudit Samfon, qui feroient indiquées comme devant fervir a la conviclion des délits dont il étoit prévenu. K iv  1 y1 Mémoires Nifple, Vigne & Beauvais déchargés des accufations contr'eux intentées. Flouret Sc le Houx des Chateliers mis hors de Cour. Febvrier, furfis a fon jugement. ■NOT ES hiftoriqius fur le fyfiême de Latt , & la dutte de ce fyfiême, qui a donnê lieu d Cexamen fi cêlebre connu, fous le nom de vifa. Lorfque le Duc d'Orléans prit les rênes du Gouvernement au mois de Septembre 1715, le défordre des affaires étoit a fon comble. ' Law , Ecoffois, grand calculateur , Sc doué en même-temps d'une imagination vive Sc ardente offrit au Régent des moyens pour rétablir les £nances , Sc propofa d'abord pour les tirer du défordre oii elles étoient tombées, detablir k Paris une Banque. Le projet de Law plüt a ce Prince, Sc Pétabliflement propofé prit naiffance dans le cours de Mai Ï716 : le fonds qui étoit de fix millions fut formé par 1200 actions de mille écus chacune. ; Ce nouvel établiffement eut le plus grand fuc' cès, & alla même au-dela des efpérances de fon fondateur. Son influence fe fit fentir dés les preaniers jours; une circulation rapide de 1'argent, qu'une défiance univerfelle retenoit dans Pinaction , redonna du mouvement a tout. Lorfque la Banque générale fut établie , M. Law Icua, pour Ia loger, 1'Hötel de Mefme, rue Sainte-Avoye; mais Lav ayant acheté au commencement de 1'année 17191'Hötel de Nevers, rue de Richelieu , il y fit  fur la Bafiille. jr 5 tranfporter cette Banque. On fit accommoder les écuries qui étoient fous le grand appartement Sc fous la galerie, pour y mettre toutes les caiffes Sc le tréfor de la Banque. La-w paffa le contrat d'acquifition de cet Hotel, devant Balin, fon Notaïre , Sc en même-temps il fit déclaration que c'étoit des deniers de la Banque, Sc c'eft en vertu de cette piece que cette maifon appartient au Roi, Sc qu'on y a placé la Bibliotheque. II y avoit dans Ie papier de chaque billet ces mots : Banque générale, ce qui fe faifoit dans la fabrication du papier, Sc il étoit frappé au bas de chaque billet un fceau oü étoit gravée une femme, le bras gauche appuyé fur un piédeftal, au bas duquel étoit une corne d'abondance renverfée, Sc qui tenoit de la main droite un compas ouverr. II y avoit autour de ce fceau pour légende : Rétablifjement du crédit, Sc pour Pexergue : Premier Mal 1716. Le 4 Décembre 1718 , Law voulut que la Banque qu'il avoit établie deux ans auparavant, Sc qui avoit été d'une fi grande utilité jufqu'alors , fut convertie en Banque Royale. Elle le fut au moyen de 1'acquifition faite par Ie Roi de toutes les actions que les particuliers y avoient. Les billets de cette Banque tinrent lieu de monnoie, & on les recut en payement dans toutes les caiffes royales. Ils prireat une fi grande faveur dans le public, que chacun recherchoit avec empreffement cette nouvelle monnoie , Sc 1'eftimoit autant que de 1'argent. Au mois d'Aoüt 1719, la Compagnie des Indes fit des propofitions très-avantageufes au Roi: elle lui offrxt de lui prêter 1200 millions de livres è  154 Mémoires 3 pour cent par an, pour fervir au rembourfement des rentes fur la Ville , fur les Tailles, fur les Recettes générales, fur le Controle des acies des Notaires, fur celui des Exploits & fur les Poftes; enfemble pour le rembourfement des actions fur les Fermes, des Billets de 1'Etat, des Billets de la Caiffe commune & de la finance des charges fupprimées ou a fupprimer qui n'avoient point d'afiïgnement particulier, fuppliant Sa Majefté d'autorifer la Compagnie a emprunter ces 1200 millions de livres, dont elle fourniroit fur elle des actions rentieres au Porteur, 011 des contrats de conftitution de rente a 3 pour cent. Elle fupplioit en même-temps le Roi de lui accorder le bail des Fermes générales pour neuf ans, en augmentant le prix de celui fait a Aimard Lambert, de trois millions cinq cent mille livres par chacune année; en forte qu'elle payeroit par an cinquante-deux millions. Le tout fut accepté & accordé a la Compagnie par Arrêt du 27 Aoüt 1719 ; & le rembourfement des rentes fur la Ville , des billets de 1'Etat, de la Caiffe commune, des actes fur les Fermes générales, des récépiffés du Sieur Hallé, & de toutes les charges fupprimées, fut ordonné par Arrêt du 31 du même mois. Le Public ne goüta point les aélions rentieres ni les contrats fur la Compagnie, & perfonne ne fe préfenta pour en prendre. II fallut, pour faire le prêt de 1200 millions , recourir a d'autres expédients: celui de création de nouvelles actions parut le plus certain , & Law crut qu'il le pouvoit mettre en ufage fans faire tomber les anciennes, qüi étoient montées jufqu'a mille pour un.  fur la Bafiille. 15 5 C'eft fur ce pied qu'il fut permis a la Compagnie d'en faire pour 50 millions, par Arrêt du 13 Septembre fuivant. Le Public s'y porta avec fureur; ik par autre Arrêt du 28 du même mois de Septembre, il fut permis a la Compagnie d'en faire encore pour 50 autres millions (1). Le nombre de ces actions fut encore augmenté, & la Compagnie eut permiffion , par Arrêt du 2 Oöobre fuivant, d'en faire pour une troifierne fomme de 50 millions, qui ne furent acquifes qu'en récépiffés pour rembourfement de rentes , ce qui fit gagner ce papier 2 , 3 , Ik même jufqu'a 5 pour cent fur 1'argent comptant tk fur les billets du banque. Ces trois créations d'actions faifoient le nombre de 140 mille actions, qui devoient produire a la Compagnie, de la part du Public, un payement de 1500 millions; & comme il étoit plus fort de 300 millions que le prêt qu'elle devoit faire au Roi, elle lui offrit de lui donner encore cette fomme a 3 pour cent, ce qui fut accepté par Arrêt du 12 du même mois d'O&obre. La Compagnie n'avoit cependant recu en ce temps que 75 millions fur les 1500 millions qu'elle devoit prêter au Roi. Ces nouvelles actions augmentoient tous les jours de prix dans le Public, elles étoient prefque les feules dans le commerce, fous le nom de foufcriptions, qui étoit un billet par lequel il étoit permis au Porteur de lui remettre une action de (1) Comme ce pauvre peuple Francois étoit aifé k leurrer!  15^ Memoires la Compagnie, en payant 4500 üvres. On n'achetoit prefque plus des anciennes, paree qu'il falloit un plus gros argent pour cela. Cesanciennes & ces nouvelles actions formoient le nombre de 300 mille, & il falloit que la Compagnie fit des profits bien confidérables pour en payer le revenu : a cet effet, il lui avoit été remis & donné prefque toutes les affaires qui produifoient des bénéfïces, & qui avoient été jufqu'aIors entre les mains des particuliers. On agit dans le même efprit, en lui donnant, par Arrêt du 12 du même mois d'Oöobre 1719 , 1'exercice de recette générale; avec les droits & émoluments y attribués , lequel fut öté aux Receveurs Généraux, qui furent fupprimés par ce même Arrêt. Par ce moyen, la Compagnie fe trouva avoir toute 1'adminiftration de la finance, & M. Lav, qui la gouvernoit, & en même-temps la Banque, devint Controleur Général des finances le 5 Janvier 1720 (i). Ce n'avoit pas été fon premier projet, il coniïftoit a faire des actions fur difFéréntes affaires,, afin d'établir par-la un jeu de papier qui put le faire foutenir 1'un par lautre, & empêchat le Public de réalifer. C'eft ce qui fe pratiquoit en Angleterre oh il y avoit des actions fur la Banque, fur la Compagnie des Indes, fur la mer du Sud, & des billets qui s'appelloient admite{. Tous ces différents papiers (1) Law avoit penfé a cette place , felon toutes les apparences3 dès 1'année 1719, puifqu'en ce temps iï changea de religion, & fit abjuration entre les raain* de lAbbe Tencin.  fur la Bafille. j^y rapportent du revenu ; & tel qui n'a plus de confiance a 1'un de fes papiers, fe rejette fur Pautre, & ne penfe pas a en garder 1'argent, paree qu'il ne lui rapporteroit aucun intérêt. II y a iieu de croire que M. Lav re changea ce projet que paree que 1'on s'étoit paffé de lui pour former les actions des Fermes, dont MM. Paris avoient été les inventetirs , & qui avoient étéapprouvés par M. d'Argenfon, Garde-de-Sceaux, qui étoit en ce temps chef du Confeil des hnances. Law voulut les anéantir, öter è MM. Piris la conduite des recettes générales dont ils fe mêloient depuis très-long-temps, &z a M. d'Argenfon toute connoiffance de la finance, a quoi il réuffit. Le fecond payement des nouvelles aétions ; qui devoit fe faire dans le mois d'Ocfobre , fut remis au mois de Décembre fuivant, & il devoit être fait tout d'un coup le payement de trois mois, qui étoit de ijoo liv. par adion , ce qui donna lieu a ces nouvelles aflions de monter a mille, en forte que pour 500 livres qu'on avoit donné, il fe trouvoit des gens qui donnoient 5000 livres. Le commerce de ce papier fe faifoit dans la rue Quincampoix , & toutes les maifons étoient remplies de gens qui tenoient des Bureaux d'achat & de vente d'aétions: il y en avoit même ou on les payoit tout en or. L'affluence du monde y étoit fi grande , qu'on fut obligé d'y établir une garde, & il y avoit une cloche que 1'on y fonnoit pour faire retirer tout le monde. Tous ceux qui prirent de ce papier devinrent riche en peu de temps : on venoit des Provin-  15 8 Mémoires ces & des pays étrangers pour faire fortune h Paris , & il fut mis fur pied une fi grande quantité de nouveaux équipages , qu'on ne pouvoit prefque paffer dans les rues; 6c lorfque par malheur on fe trouvoit dans un embarras, on y reftoit cinq ou fix heures avant que de pouvoir s'en tirer. II fembloit que tous les hommes euffent changé d'état; on ne fe reconnoiffoit plus, 6c on voyoit des perfonnes ayant carroffe , qui lix mois avant étoient fans aucun bien. Le mois d'Ocfobre 6c de Novembre 1719 furent le temps du triomphe des actions. M. Law fut un jour dans une maifon qui donnoit dans la rue Quincampoix, pour voir la maniere dont tout s'y paffoit, & il jetta de 1'argent au peuple, ce qui fut trouvé très-mauvais, n'y ayant que le Roi ou le Gouverneur d'une Ville, au nom du Roi, le jour d'une cérémonie, qui puiffe le faire. Le commerce des actions fe rallentit dans le mois de Décembre, par rapport au payement qu'il fallut faire, & il y eut plufieurs perfonnes a qui M. Lav fut obligé de faire un pret pour fatisfaire a payement. Plufieurs perfonnes commencerent auffi pendant ce mois, a tirer de 1'argent de la Banque, 6c il y en avoit d'autres dans la rue Quincampoix , qui offroient publiquement des billets de Banque pour de 1'argent. Tout cela pouvoit faire prévoir une chiïte de ces deux différents papiers; cependant ils trouvoient toujours grand nombre de préconifeurs, & on difoit publiquement qu'un homme qui poffédoit une adïion , auroit fuffifamment de quoi vivre du revenu qu'elle produiroit par la fuite , ce  fur la Bafille. 159 revenu devant augmenter beaucoup par les bénéfices que feroit la Compagnie : cette action ne produifoit cependant alorsque 360 liv. de revenu. En Juin 1720, les actions qui étoient portées I a la Compagnie des Indes pour y être vendues, épuiferent bientöt tous les billets de Banque; & I li cet achat avoit été difcontinué, il étoit hors de doute que ces actions ne fuffent tombées fur | le champ en non valeur. II en feroit arrivé de I même fi 1'on avoit ordonné, par des Arrêts du Confeil, la fabrication de nouveaux billets de I banque, paree que le Public auroit connu par-la: | que ce n'étoit qu'un jeu de papier qu'il faifoit par j cette vente, & que les billets de vente qui feroient I donnés, n'auroient aucuns fonds ni en argent nï I en billets fur 1'Etat, pour qu'on put efpérer qu'ils 1 fuffent payés. On crut prévenir ces inconvénients, en fai| fant faire des billets de Banque fans qu'ils fuffent j autorifés par des Arrêts, & il en fut fabriqué 1 de cette maniere pour plus d'un milliard, dont f les Arrêts furent fignés par M. d'Argenfon, GardeI des-Sceaux ; &c M. de la Vrilliere, Secretaire d'EI tat, après que 1'Arrêt du 21 Mai 1720 , qui avoit I diminué les billets de Banque, eüt été rendu, } paree qu'il falloit néceffairement mettre les choI fes en regie, & procurer une füreté a ceux qui j avoient fabriqué & fait fabriquer une pareille j monnoie fans aucun titre valable. On peut bien dire que tous les Francois étoient | aveugles une partie de 1'année 1718, 1'année 1 1719, & jufqu'au 21 Mai 1720, temps oü 1'Ar1 rêt qui diminuoit les billets de Banque parut. On eftimoit en ce temps une action au-deffus  i6o Mémoires de tout; on pre'féroit les billets de Banque k 1'argent; on ne pouvoit même en avoir qu'en donnant 5 pour cent de bénéfice. Ces richeffes imaginaires changerent bien k la fin de 1720 :on avoit pour 50 livres d'argent ( la monnoie fur le pied de 50 livres le mare) un billet de Banque de 1000 livres. 11 étoit temps de finir un fyftême qui produifoit dans les affaires un difcrédit auffi grand, que la confiance avoit été aveugle d'abord. Ajjemblée de la Compagnie des Indes, pour en difjoindre les affaires de finances, donnêes d cette Compagnie. M. le Duc d'Orléans vouloit öter a la Compagnie les affaires de finances qui y étoient jointes, excepté la Ferme du tabac, & il fouhaitoit en même-temps qu'il parut que c'étoit de fon confentement. II y eut une aflemblée indiquée , oü il fe trouva auffi-bien que M. le Duc ; & oü il amena M. de la Houfiaye, qui avoit été nommé a la place de Controleur Général lorfque Law eut pris la fuite. La chofe y fut agitée; elle trouva des oppofitions, mais enfin la difjoncfion fut réfolue comme S. A. R. le fouhaitoit, &c comme le bien des affaires du Royaume 1'exigeoit. II fut rendu des Arrêts en conféquence: celui du 5 Janvier 1711 défunit toutes les Fermes de la Compagnie des Indes, excepté la Ferme du fabac, & lui öta le bénéfice de Ia fabrication des monnoies qui lui avoit été accordé pour le terme de neuf ans; & un autre Artêt du 8 du même mois mit  fur la Bafille. ïSi mit les Receveurs Généraux des finances en poffeffion de leurs charges. La Compagnie des Indes fit des repréfentations fur PArrêt qui ordonnoit qu'elle rendroit compte de la Banque : elle préfenta fa requête en oppofition, ik. nomma neufSyndics, anxquels elle donna pouvoir de ligner les requêtes & procédures , & défendre les droits de la Compagnie. Le Roi nomma, le 6 Mars, quatre Commiffaires pour examiner les mémoires qui leur feroient fournis par les neuf Syndics. Ces Commiffaires étoient MM. Darmenonville , Bignon de Blangi, de Vaubour & de Ia Bourdonnoie. Les Syndics de la Compagnie des Indes s'affembloient fouvent, & ils traitoient, felon les apparences, entr'eux d'affaires qui ne plurent pas au Gouvernement; en forte que M. de Carligny , 1'un d'eux , qui étoit Intendant des armées navales, & qui avoit accepté une place de Syndic, fut mis a la Baftille, oü il refta huit jours. " M. Darmenonville fe trouva, par cette commiffion , 1'homme du Roi pour la Compagnie des Indes : & lorfqu'il y avoit quelques affaires è porter au Confeil de finance, oü cette Compagnie avoit intérêt, il y avoit féance. Abrégé de ce qui s'eft paffe au Confeil de Régence, en préfence du Roi, le 16 Janvier 1721 , au fujet des aSions & billets de banque. M. le Régent entra, Ie Dimanche 26 Janvier 1721 , au Confeil de Régence, <5c commenca a dire au Roi : Tome IJ, Cahier FII, L  161 Mémoires SIRE, 11 s'agit aujourd'hui d'une affaire très-importante, concernant la Compagnie des Indes Sc le papier , dont M. de la Houflaye va rendre compte a Votre Majefté. M. le Duc fe leva , & dit, S i R E, je n'ai entendu parler de cette affaire que ce matin , & j'a« vois réfolu de garder le filence , paree que je craignois que ce que je dirois, ne parut d'un homme ïntéreffé : j'ai accordé ma protection a la Compagnie des Indes, autant que j'ai cru qu'il étoit du fervice de Votre Majefté Sc du bien de vos fujets. J'ai dépofé 15 84 actions ; les 84 ne m'appartiennent pas, Sc je fais préfent a la Compagnie des autres, afin d'avoir la liberté d'opiner fans intérêt. J'ai paffé chez moi pour les prendre, Sc je les aurois apportées ici Sc jettées au feu en préfence du Confeil; mais celui qui en eft gardien, ne s'étant pas trouvé, je les porterai demain a M. le Régent pour les brüler. M. le Prince de Conty dit, tout le monde fait bien que depuis long-temps je n'ai point d'acfions; je n'en ai eu qu'après mon retour d'Efpagne, que je vendis a Law; je n'en ai eu d'autre bénéfice que la terre de Mercceur, j'offre de la remettre. M. le Duc répliqua , des ofFres vagues ne fuffifent pas, il faut la réalité Sc 1'exécution. M. le Comte de Touloufe offrit auffi fes actions. M. le Régent lui dit que cela n'étoit pas jufte, que 1'on favoit bien qu'elles venoient de rembourfements. M. le Duc d'Antin dit, que s'il lui étoit per-  fur la Bafille. iCy mis de fuivre fexemple de fi grands Princes, il offroit auffi de remettre les liennes. (II n'en avoit plus que 233. II en avoit eu 3000 livres). Aucun autre ne les offrit. M. de la Houflaye fit enfuite le rapport des comptes de la Compagnie au Roi , & conclut k ce que la Compagnie fut déclarée redevable de tous les billets de Banque, &c que ceux qui ne feroient pas éteints par les 1500 millions de récépiffés retirés par la Compagnie, elle en devroit 1'excédent au Roi, attendu que le Roi s'en chargeoit; que c'étoit une fuife naturelle de 1'union qui avoit- été faite de la Banque, a la Compagnie des Indes, au mois de Janvier 1720 , oü le Roi avoit donné k la Compagnie le bénéfice & la charge de la Banque. M. le Duc fe leva , prit la parole, & dit, que par la même affemblée, il avoit été régié qu'on ne feroit plus d'achat d'aélions, & qu'il ne feroit fait de billets de Banque, que par une affemblée générale ; que comme il n'y en avoit point eu , s'il avoit été fait des achats d'a&ions &de billets , c'étoit par ordre du Roi tk arrêté du Confeil, de fon propre mouvement; qu'ainfi c'étoit le Roï qui devoit en être tenu. M. le Régent répliqua que M. Law étoit 1'homme de Ia Compagnie, auffi bien que celui du Roi; que ce qu'il avoit fait, il le croyoit être le bien de la Compagnie; que cela étoit fi vrai, que dans 1'Arrêt qui a ordonné 1'achat des actions, il eft dit que le dividende accroitra aux autres acfionnaires ; que c'étoit auffi M. Law qui avoit fait faire des billets de Banque pour cet emploi, afin de faire valoir les actions. L ij  164 Memoires M. le Duc répliqua, que M. Lav ne pouvoit pas engager la Compagnie, puifqu'il étoit Phomme du Roi, comme Controleur Général; qu'il n'y avoit eu d'Arrêts que pour 1200 millions de billets de Banque; qu'il avoit même été dit dans 1'afTemblée générale, que 1'on fupprimeroit les billets de 10 livres, & que loin de cela, on en avoit fait pour plus de cent millions des mêmes, & qu'il y avoit dans le Public, pour plus de deux milliards trois cent millions de billets de Banque ; que cela ne pourroit jamais être regardé comme un fruit de la Compagnie (1). M. le Régent répliqua, que 1'incident des billets avoit été fait par des Arrêts du Confeil, rendus fous la cheminée; que même après 1'Arrêt du 21 Mai 1720, lorfque 1'on donna des Commiffaires a la Banque , il fe trouva pour fix cents millions de billets de Banque que M. Law avoit fait faire fans Arrêts, même cachés; que Law avoit mérité cinquante fois d'être pendu , & qu'il avoit été obligé de donner un Arrêt après coup , pour le fauver & valider fes biliets. M. le Duc a dit : il faut bien , Monfieur, qu'il les ait fait par vos ordres; car fans cela vous n'auriez pas couvert un crime capital de cette maniere, &z ne 1'auriez pas fait fortir hors du Royaume. M. le Régent lui dit, Monfieur, c'eft vous qui lui avez envoyé des pafleports. (1) Qu'on examine bien, dans 1'hiftoire de Law & du vifa que nous mettons ici fous les yeux du public , comment les Miniftres abufoient impunément de tout ; & que cette expérience nous ferve fur-tout k nous défier de toute efpece de papier-monnoie qui feroit 1'ouvrage des Miniftres,  fur la Baflik. 16^ I! eft vrai, dit M. le Duc , mais c'eft vous qui me les avez remis; je vous interpelle même de dire, fi je vous les ai demandés. Vous m'avez chargé de les lui envoyer, & avez fouhaité qu'i! fortit du Royaume. Je fais qu'on me vouloit jetter le chat aux jambes dans le Public , & je fuis bien aife d'expliquer au Roi & au Confeil, comme la chofe s'eft paffee; je n'ai jamais été d'avis que M. de Law fortit de France; j'ai fait même tout ce que j'ai pu pour qu'il y demeurat; mais je me fuis toujours oppofé qu'on le mit a la Baftille, & qu'on lui fit fon procés, comme on le vouloit, paree qu'on ne pouvoit rien faire contre lui, Monfieur, qui ne retombat fur vous: ce fut vous qui me donnates les paffeports , defquels je ne vous avois jamais parlé, & qui me chargeates de les lui envoyer. Ainfi on ne m'en doit point imputer fa fortie hors du Royaume. M. le Régent dit, fi je 1'ai fait fortir, c'eft qu'on m'avoit fait entendre que fa préfence en France nuiroit au crédit public , bt empêcheroit les opérations que 1'on voudroit faire (i). M. de la Houflaye continua enfuite fon rapport, & il fut décidé que la Compagnie des Indes feroit débitrice envers le Roi des billets de Banque; enfuite il propofa, comme il y avoit plufieurs particuliers qui avoient mis tout leur bien dans les actions , fur la foi publique, & qu'il ne (i) On vient de voir, par les reproches que M. le Dac faifoit a M. le Régent, de quelle maniere cette pauvra France étoit menée, & comment les frippons étoient toujours fürs de Pimpunité. Cette découverte eft tièsintéteffante pour l'h;ftoire. L iij  lót» Mémoires feroit pas jufte que par Ia dette immenfe de Ia Compagnie envers Ie Roi, ils fe trouvaffent minés, & réciproquement que ceux qui avoient converti leurs acl:ions en billets, ou qui les avoient achetés a vil prix fur la place, ou employés en rentes perpétuelles & viageres, actions rentieres ou comptes en banque, profitaffent du malheur des aftionnaires de bonne foi ; qu'ainfi il falloit nommer des Commiffaires pour liquider tous les papiers & parchemins, & annuller ceux qui ne procéderoient pas de converfion de biens réels. M. Ie Duc dit a cela : il y a 80 mille families au moins dont tout le bien confifie dans ces effets; de quoi vivront-elles pendant cette liquida tion? M. de la Houffaye répliqua , que 1'on nommeroit tant de Commiffaires, que cela feroit bienlöt fait. M. le Duc dit enfuite , que s'il y avoit des gens k liquider, ce n'étoit pas ceux qui étoient porteurs d'effets publics; que Ie difcrédit les ruinoit afftz, mais qu'il falloit rechercher ceux qui avoient réalifé en or, en argent, en terres & en maifons, ou qui avoient vendu leurs immeubles a des prix exorbitants, dont ils avoient arrangé leurs affaires aux dépens de leurs créanciers. M. de la Houffaie dit, qu'on les taxeroit auffi, par rapport a ceux qui avoient des immeubles; mais que par rapport a ceux qui avoient réalifé en argent , c'étoit une chofe facheufe , par la peine qu'il y avoit de les connoitre; qu'il arriveroit cependant un bien de Parrangement que Pon fe propofoit aujourd'hui, paree que le Roi,  Jur la Baf Uk. 167 reprenant un nouveau crédit par les liquidations, 6c abforbant une grande partie de fes dettes, les réalifants en argent, le mettroient au jour , pour le prêter au Roi, vu la facilité des billets au porteur. II continua fon difcours , & après qu'il eut nni, il fut arrêté qu'il feroit nommé des Commiffaires, pour liquider les rentes fur le Roi, tant perpétuelles que viageres, les actions entieres intéreffées , les comptes en banque 6c les billets de banque. M. le Régent dit, qu'il falloit faire un Régiement, qui feroit porté au Confeil de Régence , pour prefcrire aux Commiffaires les regies qu'on devoit fuivre ; après quoi il ne s'en mêleroit en aucune facon, renverroit tout aux Commiffaires, 6c ne feroit grace a perfonne. M. le Duc lui dit : » Monfieur, ce fera bien fait, 6c ce fera le moyen que tout fe paffe dans la regie ". Le vifa de tous les effets royaux, qui confiftoient en contrats de rentes , tant perpétuelles que viageres, 6c celui des actions, billets de banque , 6c de tous les papiers royaux, de quelque nature qu'ils fuffent, fut ordonné par Arrêt du 26 Janvier 1721. Tous ces papiers devoient être dépofés dans deux mois, 8c leur validité difcutée enfuite. Ón regarda ce vifa comme 1'ordredes créanciers de 1'Etat, & le projet en fut donné par M. Paris 1'ainé. L'idée en étoit belle 8c grande; mais comme c'étoit une affaire immenfe, il y fallut employer un nombre infini de fujets pour y travailler, 6c L iv  ï68 Mémoires il étoit bien difficile de s'imaginer qu'il put s'exécuter avec juftice & régularité. Cet objet comprenoit proprement tout le bien du Royaume; chacun de ceux qui poffédoient aucün des effets ci-deffus fpécifiés, devoit donner fa déclaration de tout le bien qu'il avoit & de fon origine, & pour être certain des acquifitions qu'il pouvoit avoir faites depuis le fyfiême, il fut ordonné a tous les Notaires du Royaume d'envoyer a ceux qui faifoient le vifa des extraits de tous les contrats qui portoient acquifition de bjen-fonds & de rentes, qu'il pouvoient avoir paffes depuis ce temps. On repréfentoit en même temps au vifa les effets royaux que 1'on avoit. Les Commiffaires qui avoient été choifis parmi les Confeillers d'Etat & les Maitres des Requêtes, vifoient les contrats fur la Ville & quittances de finance fur les Tailles. Ils vifoient auffi les aciions auxquelles on coupoit un coin, & les paquets de billets de banque fouffroient auffi Ia même opération. Tous ces effets étoient enfuite rendus au Notaire qui les avoit apportés, & on gardoit ioigneufement Ia déclaration de celui a qui ces effets appartenoient. , ,°n rfconnut, par cet examen, qu'il avoit été livré a la circulation pour deux milliards 696,400,000 livres de billets de banque (1). II en fut brülé pour 707,327,460 livres qui ne furent pas admis a la liquidation. Les agioteurs furent condamnés k une reftitution de 187,803,661 livres. (1) Quelle fripponnerie! Mais auffi, quelle lecon pour nous aujourd hui 1 * r *  fur la Bafille. j(5p 1724. s t ra r an et F o v r n e l. Pendant que M. Dombreval étoit a la Baftille , ces deux prifonniers ont fait leurs efforts pour fe fauver. Ils avoient fait une échelle avec le bois de leurs lits Sc des cordes avec leurs draps. On les a attrappés fur la Gallerie du cöté du magafin des armes de 1'Arfenal: des crevaffes qui étoient au mur de clöture du foffé avoient favorifé leur évajion. 1724, 23 Janvier. Le Sieur Comte i)e Tu b b1 l ly fut mis au Chateau de la Bafiille le 23 Janvier 172,4, & en fortit le 15 Juin fuivant. 1724, 11 Février. Antoine- Framgois d'Ant o in e, Confeiller au Parlement d'Aix, entra d la Bafille en vertu £un ordre du Roi du 11 Février 1724; Ü oh tint fa liberté le 22 Mars fuivant.  170 Mémoires 1724, 16 Juin. Antoine DESFOYES, Marchand de vin, originaire de Bourg, mis d la Bafiille le 10 Juin ij 24 ; fa liberté lui fut rendue le 24 Juiliet de la même année* 1724, 9 Décembre. Le Sieur le Roi, Poète, fut conduit d la Bafiille au mois de Décembre 1714, & y rifia jufqu'au 22 Mars 1725. Nous n'avons pas les motifs de la détention de ces quatre perfonnes. 1726, 20 Janvier. Jacques P R A D ES , natif de Bedarieux en Languedoc, Diocefe de Bellers , fut mis d la Bafille par ordre du Roi du 20 Janvier 1726, contrefigné Phelypeaux ; il efi forti le 3 Février fuivant, par dêcifion dé M. le Duc. ï l étoit accufé d'avoir fabriqué une lettre contre M. le Duc & Madame ia Marquife de Prie,fa  fur la Baf ille, 171 Maïtreffe, oü ii fe plaignoit du mauvais Gouvernement. II projettoit de faire enlever S„ A. S. Sc de Ia conduire fur les frontieres; il expofoit que la chofe étoit facile; que fa difgrace feroit certaine & que le Prince d'Orléans prendroit le deffus; que fa Maïtreffe feroit la première qui le trahiroit pour éviter fon exil, &c fe mettre k couvert des concuffions qu'elle avoit faites. 1726, 18 Février. Le Sieur Abbé de MarGon, Gentilhomme, fils d'un Colonel de Dragons, Brigadier des Armées du Roi, des environs de Béziers,fut mis d la BafiiUe3 fur un ordre du Roi, contrefigné Phelypeaux, le 18 Février 172.6, & en fortit le 9 Avril de la même annêe pour être transféré d l'Abbaye de Pontigny, enfuite d l'Abbaye de Loc-Dieu , Diocefe de VilUfranche de Rouergue , & finalement retirl de cette Abbaye pour être conduit & enfermê aux Ifies Sainte-Marguerite. ï l étoit accufé d'êfre 1'auteur de plufieurs Pieces fatyriques qui paroiffoient contre des perfonnes employées aux affaires du Roi & de 1'Etat. Cet Abbé étoit homme de beaucoup d'efprit, bon Poëte, mais pour des fatyres ; d'un caraclere méchant, & capable de tout pour faire fon chemin , a quelque prix que ce fut. A la mort du Régent, il deyint 1'efpion de M. Ie  172 Mémoires Duc contre M. Ie Blanc, le Maréchal de Bezons, M. d'Omberval & M. Hérault, Lieutenant de Police : il les rendoit fufpeéfs par fes faux rapports. Dans les derniers temps il fe joignit a M. Arnaud de Bouex, pour lors Maitre des Requêtes, qui ayant trouvé le fecret de 1'infinuer dans 1'efprit de M. le Duc, premier Miniftre, faifoit toutes fortes de manoeuvres pour être Lieutenant de Police a Ia place de M. Hérault. L'Abbé Margon devint le délateur de M. Ie Blanc dans fon procés au Parlement, & dépofa contre lui. II étoit efpion pour & contre, fuivant qu'il y trouvoit fon intérêt. Du temps de M. Ie Régent , il étoit efpion de M. le Blanc, enfuite il devint celui de M. de Breteuil contre M. Ie Blanc; en forte que fes fourberies ayant été découvertes, il devint Popprobre de tous les partis, fut arrêté & conduit a Vincennes en Avril 1724. Quand il y étoit prifonnier, M. d'Arnaud de Bouex Ie voyoit fort fouvent, & lui faifoit compofer des libelles & brevets de calotte , tant contre tous ceux qui étoient oppofés è M. le Duc , & principalement contre M. 1'ancien Evêque de Fréjus que contre le Miniftere même de M. le Duc. M. de Bouex en faifoit fa cour a M. le Duc, faifant valoir fa vigilance & fes prétendues découvertes. M. Arnaud de Bouex avoit alors un ordre du Roi, qui lui donnoit 1'entrée des Chateaux de la Bafiille & de Vincennes, & le pouvoir d'y interroger tous les prifonniers qu'il jugeroit a propos: c'étoit M. Ie Duc, premier Miniftre, qui lui avoit donné cet ordre, par la défiance que ledit Arnaud lui avoit.infpirée contre M. d'Omberval, & fucceffiyemem contre M, Hérault.  fur la Baf ille. 173 L'Abbé Margon arrêté; on vit, par fes papiers , fes manoeuvres de M. d'Arnaud de Bouex. M. !e Duc en fut aufTi-töt inftruit par M. Hérault: en conféquence ce premier Miniftre donna un ordre du Roi a ce Magiftrat, le 25 Février 1726, pour aller faire perquifition des papiers de M. d'Arnaud , & faifir & recevoir de fes mains tous ceux qui concerneroient les affaires extraordinaires. II y avoit auffi une lettre de cachet de la même date, qui enjoignoit a M. d'Arnaud de fe retirer a Angoulême. M. Hérault fe tranfporta chez lui, a 1'Hötel d'Hollande vieille rue du Temple , oü M. d'Arnaud avoit déja établi & fait conftruire différents Bureaux pour 1'adminiftration & le travail de la Police, croyant qu'il alloit être nommé Lieutenant de Police: & M. Hérault ayant trouvé chez M. d'Arnaud Ie Sieur Duval, Commandant du Guet, lui ordonna de notifier a 1'inftant audit Sieur d'Arnaud la lettre de cachet qui 1'exiloit a Angoulême ; ce qui fut fait fur le champ: après quoi M. Hérault lui exhiba Pordre dont il étoit portcur, & le pria de lui remettre tous les papiers concernant les affaires dont il avoit été chargé pour Sa Majefté. M. d'Arnaud conduifit M. Hérault dans fon cabinet. Perquifition faite, il fe trouva une prodigieufe quantité de papiers qu furent mis dans cinq caffettes, fermantes a clef ficelées ; puis M. d'Arnaud fit un paquet, oh il renferma les cinq clefs des cinq caffettes, cacheta le paquet de fon cachet, fur lequel il mit Padreffe a S. A. S. M. le Duc, avec mots : pour être ouvert par mondit Seigneur , ou par telle perfonne que S. A.S. jugera d propos de commettre, d Veffet de faire examiner mes papiers qui font fous ces clefs ,  j 74 Mémoires conformémem a fes Intentions , le tóut fans que ma perfonne y foit nécejfalre. Le paquet des cinq clefs fut envoyé a M. le Duc avec copie du procès-verbal. M. Ie Duc Ie renvoya, par M. de Maurepas, a M. Hérault le 4 Mars 1726, avec un ordre du Roi pour qu'il fit Pouverture des caffettes & qu'il inventoriat les papiers qui y étoient renfermés. L'inventaire étant fait, M. Hérault le préfenta a ce Prince ; & comme il fe trouva plufieurs efpeces de papiers qui appartenoient a différentes perfonnes de confidération , il les leur fit rendre. II y en avoit qui concernoient les mauvais fujets de Paris en tout genre ; M. le Duc les donna a M. Hérault; & quant aux papiers de confïance & d'efpionnage , ce Prince fe les fit remet«re & les brüla tous en préfence de M. Hérault, & il approuva de fa main , k la marge de l'inventaire , les différentes defiinations qui avoient été faites defdits papiers. M. d'Arnaud de Bouex eut ordre de vendre fa charge fous fix mois. L'Abbé de Margon étoit 1'efpion du Cardinal Dubois contre M. le Duc & M. le Blanc. Après la mort de Louis XIV, il offrit fes fervices a S. A. R. pour lui révéler des vérités importantes. II paroït que le Régent s'en méiïoit &C qu'il amufoit I'Abbé. II avoit une penfion du Régent de mille écus Öbfervation. On voit dans l'hiftorique de I'Abbé de Margon & du Sieur d'Arnaud, un combat d'efpionn?ge &  fur la Bafille. 175 d'intrigue entre les Miniftres qui n'eft pas indifférent , & qui peut nous expliquer bien des bafièffes ik des vengeances de la part de ces Miniftres & des Lieutenants de Police. 1726, 3 Juiliet. Francais - Louis Du chatelet, Ecuyer, ddevant Soldat aux Gardes, mis a la Baf ille ert venu d'un ordre du Rol, contrefigné Phelypeaux , expèiié le 3 Juiliet 1716, forti par ordre du Roi, contrefigné d'Argenfon, en date du 12 Mai 1749 f pour être transféré d Bicêtre. Il étoit complice de Cartouche, & coupable des plus grands crimes. II obtint fa grace , paree qu'il £t prendre Carthouche. La peine de mort contre lui prononcée fut commuée a une prifon perpétuelle, & il fut conduit a Bicêtre. S'en étant fauvé avec plufieurs autres, on inftruifit fon procés pour bris de prifon , & il fut repris. Mais comme dans I'inftruction un particulier qui étoit dans le même cachot a la Conciergerie , fit une déclaration de la confidence que Duchatelet lui avoit faite en préfence d'un autre criminel qui étoit dans Ie même lieu, de plufieurs crimes qu'il méditoit, même d'attenter a la perfonne du Roi, par des maléfices, on fuivit les perfonnes qui en pouvoient avoir connoiffance ; & n'ayant rien découyert de plus que la déclaration de ce  176 Memoires particulier, condamné lui-même aux galeres perpétuelles, le Parlement fe trouva embarraffé , & demanda fi 1'on continueroit fon procés avec auffi peu d'apparence de trouver des preuves convaincantes, d'autant plus que Duchatelet, interrogé a plufieurs reprifes , paria avec beaucoup d'égalité dans fes négatives. M. le Procureur- Général propofa de faire conduire a la Baftille ce méchant homme déja condamné, par grace, a une prifon perpétuelle, ce qui fut exécuté le 3 Juiliet 1716. 1727, 31 Janvier. Le V'icomte de Lim o ges, Capitaine au Rêgi~ ment Colonel-Général, Cavalerie, fut conduit d la Bafille, fur un ordre du Roi du 31 Janvier ijxj , &y fut détenu jufqu'au 6 Mai 1729. 1727 , 7 Mars. Alexis-Louis- Frangois DU BoULAY, E colier en ilfniverfité de Paris : il entra d la Bafille au mois de Mars 1727, 6* en fortit le 10 Oclobre fuivant. »7i7>  fur la Bafille. I77 1727, ii Mai. Jean D V S O I s , premier Commis de la Police , fut mis d la Bafiille au mois de Mai 1727 , & en fortit le 18 Aoüt 1728. Il ne nous eft parvenu aucun renfeignement fur Ia caufe de la détention de ces trois perfonnes. 1718. Détails fur taffaire du Janfénifme, trouvés d la Bafiille. Ïjes troubles qui arriverent dans Paris, de Ia part des Janféniftes, prirent naiffance fur les Paroiffes de Saint Etienne-du-Mont & de SaintMédard. De-Ia nous font venus les miracles de M. Paris 8c les convulfions; enfuite les chicanes faites pour refus de Sacrernents aux Janféniftes cabaleurs 8c aux Convulfionniftes, notoirement conntis pour tels. Lors du commencement de ces troubles de Religion, en 1730, rien n'eüt été plus facile ni plus fimple, difoit M. Hérault, Lieutenant de Police , pour arrêter le mal dans fa fource, que de faire quelques exemples féveres contre les boutefeux principaux qui ne vouloient pas reconnoitre Tome II. Cahier VII. M  178 Memoires les deux nouveaux Curés, en les mettant a la Baftille & les y tenant très-Iong-temps. Au lieu de cela, on a taté Sc héfité pour employer 1'autorité. On en a arrêté Sc exilé quelques-uns de loin en loin , Sc on les mettoit de hors ; Sc on accordoit le rappel au bout de quelques mois ; les Janféniftes par-la fe font imaginés qu'on les craignoit. Ils fe font fortifïés , enfuite, ont établi leurs miracles & convulfïons dans ces deux Paroiffes, maisprincipalement a Saint-Médard, On les a laiffés a Saint-Médard , prés d'un an , faire tout Ie fcandale imaginable, ainfi qu'a la maifon du Puits de M. Paris, rue des Bourguignons, oii ce Saint eft mort & oü 1'on vendoit 1'eau du Puits pour faire des neuvaines. On prit cependant le parti de faire fermer le petit cimetiere de Saint-Médard le 27 Janvier 11732, par Ordonnance du Roi; Sc on tarda jufqu'au 17 Février 1733 , a faire publier une autre Ordonnance du Roi contre les Convulfionnaires, & ceux qui les recevoient chez eux en affemJblées. Ordonnance qui n'a pas été exécutée avec plus de vigueur, dans fon commencement que par les fuites. On s'étoit contenté d'en arrêter quelques affemblées de temps en temps par ordres du Roi, fans rien dire aux Propriétaires ou principaux Locataires des maifons ; Sc on relachoit de la Baftille au bout de peu de temps les Convulfionnaires qu'on y avoit mis. D'un autre cöté le Parlement, a qui 1'affaire des Convulfionnaires fut depuis renvoyée , & qui en a eu grand nombre a la Conciergerie, en vertu de décrets de prife de corps que M. le Procureur-  fur la Baf lilt, Général faifoit exécuter par les Officiers de M. Ie Ligutenant de Police , ou par ordre du Roi même , que M. le Procureur du Roi faifoit demander par M. Hérault : le Parlement n'en a jugé aucuns; en forte que ces affaires & toutes ces difputes de Religion , de miracles , de convulfions, ont pullulé pendant long-temps, & le trouble a augmenté pour n'avoir pas tenu une conduite ferme Sc invariable dans Porigine. On doit fixer 1'époque des miracles de M. Paris , & des convulfions qui en ont été la fuite, a la mort de ce Diacre, arrivée le ier. Mai 1727. On peut mettre cet événement des convulfions, dont la capitale du Royaume a été témoin, an rang des événements les plus remarquables qui foient arrivés en France depuis 1'établiffement de la Monarchie , & Ia poftérité aura peine a croire que des Corps entiers & une multitude de gens d'efprit aient adopté comme vrai des extravagances,des illufions, des fauffetés, & les aient certifïées & données au Peuple & au Roi comme des vérités catholiques & des preuves éclatantes du Tout-Puiffant, qui manifeftoit ainfi fa volonté en faveur des Appellants de la Conftitution , afin d'indiquer, par une voie divine, que 1'erreur étoit du cöté du Pape, des Evêques Sc, des Conftitutionnaires. M. Paris étoit fils d'un Confeiller au Parlement de Paris, Sc l'aïné de fa familie ; mais pour fe confacrer a Dieu, il céda, a la mort de fon pere, hi charge de Confeiller a fon frere. II eft mort agé de trente-fix ans & dix mois , & a confirmé a fa mort tous les aftes qu'il avoit faits contre la Conftitutipn, M i)  180 Memoires A fa mort il a communie & recu PExfrêmeOnólion, mais il y avoit quatorze ans qu'il n'avoit fait fes Paques, fous prétexte qu'il n'en étoit pas affez digne. Pendant fa maladie c'étoit M. de Congis qui lui fervoit de Garde-malade. L'Abbé Bourlier étoit fon Confeffeur, & le Sieur Pommart, Curé de Saint-Médard, le vifitoit fouvent. La veille de fa mort il écrivit fon teftament, dont M. du Gué de Bagnols a été 1'Exécuteur. II dicfa fa profeffion de foi au Sieur Coliart, Eccléfiaftique, qui demeuroit dans fa maifon , &C il ordonna d'être enterré fans tenture , fonnerie ni luminaire, mais par la charité, 6c dans le cimetiere. II mourut a dix heures du foir le premier Mai } Sc le lendemain, de grand matin, il y eut grande affluence de peuple a fon lit, qui coupoit fes cheveux, faifoit toucher a fon corps des chapelets, images , livres, Sec. 6c tous fes habits &i meubles furent mis en pieces pour en faire des reüques. Le 3 Mai, il fut enterré dans le petit cimetiere de Saint-Médard qui eft derrière le grand aute!, 6c il fe trouva un concours prodigieux de Magiftrats, d'Eccléfiaftiques 6c de Dames de confidération : 8c ce même jour uneveuve, agée de foixante-deux ans, extrêmement incommodée d'un bras depuis vingt cinq ans, fut guérie tout d'un coup en s'ap. prochant de la biere; 6c de ce moment une infinité de miracles ont éclaté jour par jour è fon tombeau. Dès le mois de Janvier de 1'année 1727, il s'étoit opéré un miracle a Amfterdam fur une  fur la Bafille. \%\ fille paralytique & hydropique depuis douze ans, au moment que M. Barchman , Archeveque d'Utrecht , Appellant, Peut communiée a PEgüfe : & neuf jours après le décèsde M. Paris, M. Rouffe, Chanoine d'Avenay, Diocefe de Reims , autre Appellant, étant venu auffi k mourir , il s'eft opéré des miracles a fon tombeau , dont le premier s'eft fait le 8 Juiliet fuivant fur la perfonne d'Anne Augier. M. le Cardinal de Noailles ne tarda pas k conftater ceux de M. PÉris, puifque dans le mois de Juin 1718 il en a fait vérifier cinq, dont plufieurs arrivés peu de temps après la mort de ce Diacre , & les autres au commencement de 1728. M. le Cardinal de Fleury en ayant été inftruit, chargea M. le Garde - des-Sceaux Chavelin d'écrire au Cardinal de Noailles, pour lui marquer le mécontentement du Roi , de ce qu'il avoit fait une pareille démarche fans confulter auparavant Sa Majefté. Obfervatlon. Tels ont été dans tous les temps les effets de la fuperftition , de 1'intérêt particulier, de la paffion, du préjugé & de la haine des partis. Les Moliniftes de leur cöté cherchoient a prouver 1'infaillibilité du Pape & 1'abfurdité des miracles de Saint Paris, afin de parvenir a jouer feuls un grand röle dans le monde; mais peu k peu la raifon & la philofophie détruifirent 1'une & 1'autre fecte, & aujourd'hui on ne parle plus de toutes leurs difputes, ni en bien ni en mal : elles font tombées dans un profond mépris, C'eft leur avoir fait même M iij  18 z Mémoires irop d'honneur que d'avoir cru, comme quelques perfonnes Pont penfé,que les Janféniftes & les Moliniftes avoient également le projet, quoique par des moyens différents , de détruire le defpotifme des Rois : ils n'avoient que leur intérêt en vue, & c'étoit pour être defpotes eux-mêmes plutöt que jjour les détruire, qu'ils formoient des fettes & des partis. certif1cat remarqtiable, donné d Marie Sonnet, Convulfionnaire, le 12 Mai 1736 , par on^e Meffieurs ,partifans des convulfions , dont entr''autres font : Meffieurs Carré de Mongeron, Confeiller au Parlement, MylordEdouard Drummont, Comte de Perth; 'Arroüet, Tréforier de la Chambre desComptes; Francois Defvernay , Docfeur de Sorbonne; Pierre Jourdan, Chanoine de Bayeux; Alexandre-Robert Boindin, Ecuyer, Sieur de Baisbeflin; Jean-Baptifie Cornet, &c. Par lequel certificat, contrölé a Paris le 12 Mars 1740. Signé Pipereau, re£u 12 fois. Us atteftent avoir été préfents, & vu la convulfionnaire dans la même féance , fur un feu trèsardent, environnée de flammes pendant 1'efpace de deux heures un quart, a cinq reprifes différentes, compofant les deux heures un quart, fans que la convulfionnaire en ait été endommagée, ni même le drap dans lequel on Pavoit envelop-  fur la Bafille. 183 pee foute nue , pour qu'on ne put pas dire que fes harde* 1'avoient garantie. II y a une lettre du Pere Louis Floyrac ,Prieur de l'Abbaye de Saint-André Ville-neuve-d'Avignon , du iH Novembre 1737 , dans le temps que M. de Mongeron étoit détenu dans cette Abbaye , par ordre du Roi, qui eft bien remarquable , & qui dit que la fameufe convulfionnaire, dite la Sceur au feu, vient de mourir par fuite des épreuves oü elle avoit été expofée. Voici la copie de la lettre écrite a M. Hérault, Monsieur, » J'ai 1'honneur de vous donner avis felon vos ordres , que j'ai poncluellement exécuté ceux que vous m'avez fait 1'honneur de me prefcrire k 1'égard de M. de Mongeron. Je lui ai annoncé la mort de la fameufe convulfionnaire , dite la Sceur au, feu, & affuré qu'on 1'attribuoit k ceux de fon parti qui 1'avoient engagée k de violentes épreuves. II m'a d'abord dit qu'il y a trois ans que cette fille devroit être morte de fes incommodités naturelles , & qu'il favoit qu'elle étoit depuis deux mois k 1'Hötel-Dieu. Et comme je lui rabattois fortement les épreuves qu'on avoit faites par cette miférable fille , fans m'exprimer qu'il y eüt eu part, afin d'être plus libre dans mes expreffions , il m'a repliqué qu'en tout cela, & en bien d'autres, on laiffoit agir Pefprit de Dieu dans les convulfions; qu'il en avoit lui-même été plufieurs fois témoin; que 1'épreuve du feu avoit été M iv  Memoires leng-temps en ufage dans 1'Eglife, & il m'a rapporté la maniere ridicule dont cette fille ufoit dans fon épreuve. Je n'ai pas manqué de profiter de fa réponfe, pour lui faire remarquer que fi I'épreuve du feu étoit fupportée pendant qu'elle étoit en ufage dans 1'Eglife, on ne pouvoit plus en ufer fans crime, dés que 1'Eglife a défendu cet ufage, & qu'un tel badinage eft indigne de la majefté d'un Dieu, déshonorable a la Religion, & a été très-dommageable a la fille, & par conféquent très-criminel pour tous ceux qui y coopéToient; après quoi, nous avons , k 1'ordinaire , long-temps difputé fur toutes fes préventions,, defquelles il ne peut revenir, quelque folidité que je reconnoiffe dans les preuves dont je me ferspar fon refrain ordinaire , que Dieu parlant par les convulfions , & par tant de miracles, il devoit être écouté; & comme je lui avancois que Ia rnaia de Dieu ne paroiffoit pas en tout cela auffi évidemment qu'il le penfoit, &c que le démon pourroit bien y avoir quelque part, il a été un peu choqué, & il s'eft retranché dans fon idéé de Ia main de Dieu, fur laquelle je 1'ai prié derefléchir, en fufpendant un peu fes préventions, & que j'étois convaincu qu'il reconnoïtroit aifément que toutes leurs cérémonies ne conviennenr aucunement a la fageffe de Dieu, non plus que le choix d'une fille qu'il m'a avoué n'avoir pas été fort fage dans fa jeunefle, pour relever 1'Eglife ; & que le culte qu'ils rendent a leur nouveau faint, ne fauroit être infpiré par le SaintEfprit , puifque 1'on agit contre les Canons des Conciles. Tout cela ne m'a pasparu le convertir; & je crois que Dieu feul peut faire ce change-J  fur la Bafille 185 ment; nous ne manquons de le prier inftaniment dans notre Communauté, trés - édifiée d'ailleurs de fa conduite. J'ai 1'honneur d'être avec un profond refpeft, &c. SignêFR. J. Louis Floyrac, Prieur de Saint-André. A Saint-André-Vileneuve-d'Avignon , Ordre de Bènèdiüins, ce 28 Novembre 1737. 1737, 29 Juiliet. CARRÉ de MoNT ge RON, Confeiller au Parlement de Paris, mis d la Bafille le 29 Juiliet J737- JVÏ. de Monfgeron étoit un des plus fameux Janféniftes de fon temps ; il foutint publiquement les convulfions & les miracles de M. Paris; il y avoit déja long-temps qu'on cherchoit les moyens de s'en défaire, Iorfqu'on faifit trois imprimeries clandeftines qu'il foutenoit, &c qu'il paroit même qui lui appartenoient; il mettoit alatête de ces imprimeries des convulfionnaires qu'il protégeoit. Tous ceux qui travaiiloient a ces imprimeries furent arrêtés en 1736. On trouva chez eux nombre de manufcrits de M. de Montgeron qu'on n'arrêta cependant pas; &c ort ne fit point non plus le procés aux imprimeurs, paree qu'il auroit fallu le lui faire auffi. Enfin, comme il continuoit toujours d'écrire  iS6 Mémoires contre la Religion, on réfolut de le faire arrêter: On en cherchoit les moyens : quand il s'avifa de préfenterau Roi un livre qu'il avoit fait, difoit-il, pour inff ruire Sa Majefté, fur fes véritables intéréts, & découvrir les erreurs de la Religion ; ce livre étoit un libelle contre la conftitution , & en faveur des miracles & des convulfions. On fit aufïitöt arrêter M. de Montgeron, & on le mit a la Baftille ; on faifit fes papiers, & tous fes ouvrages qui furent par la fuite brülés dans les foffés de Ia Baftille. M. de Montgeron fortit de ce Chateau le 7 Octobre 1737, & fut exilé a l'Abbaye de Saint-André-les-Avignons, oü il fut conduit parM.de Charlary , Moufquefaire, & de-la transféré quelquetemps après a la Citadelle de Valence, oü il eft mort 16 ou 18 ans apès. Eplgramme fur M. de Mont g er on, U N Loyolifte a face étique, D'un air faintement furieux, Traitoit Montgeron d'héritique, Et de fujet féditieux. C'étoit un crime puniffable, D'ofer préfenter a fon Roi Un imprimé contre la Loi Et contre une Bulle adorable ! Mais que cet horrible attentat Eut pu partir des mains d'un Magiftrat! Certes le cas étoit pendable. Tout doux , dit quelqu'un au caffard ; Un livre n'eft pas un poignard.  fur la Bafiille. !t%y 1739, 4 Février. La Demolfelle Jacqueline D v b ol s fwt mlfe d la Bafille le 4 Février 1739, & en fortlt le 3 Novembre de la même annêe. 173 9 , 6 Septembre. Jacques C on ST ANT in de B RUAUDlNt Gentilhomme, natlf de Limerick en lrlande , Ca* pltalne au Régiment de Kloffi, au fervice de la Charme, fut mis d la Bafille fur un ordre du Roi du 6 Septembre 1739» & en fortit led Juin 1740» 1740, 8 Septembre. Frangols M at h i eu fut conduit d la Bafille au mois de Septembre 1740, & nen fortit que le 3 Avril 1741. 1741, 17 Févriei. Le Sleut Baculard d' Ar n au d fut mis d la Bafille , fur un ordre du Rol du 17 Février 1741 , pour avoir fait un écrit ordurier. II en fortit le 12 Mars fuivant,  l8S Mémoires 1741, premier Octobre. Georges Husquin Baudouin, Ecuyer, Sieur de Bellecoun. II fut mis d la Bafille tt premier OSobre 1741, & eut fa libené le 27 Ar ril 1741. 1742 , 30 Juiliet. Jacques HouBIGAUD, homme d! affaires de dlfférentes Malfons. 11 fut conduit d la Baftille au mois de Juiliet 1742, & en fortit le 9 Septembre fuivant. J743 > 5 AvriI« Le Sleur Nad ad a l de R a gn au die r dit le Comte Arn au d j n. II fut mis d la Baf. tllle le y Avril 1743 , &y refta jufquau 30 Siptembre 174$. 1745 , 27 Aoüt. Marlt-Madelalne-Jofeph BonAFOnds, fem°> me de chambre de Madame la Princeffe de Montauban , fut mlfe d la Baftille le 27 Aoüt 174 5 jufqu'au 25 Décembre 174$.  fur la Bafiille. j8$ 1746, ïz Juiliet. Marle-Marguerlte BeUVACHE, veuvt MARCOVX } elle entrad la Bafiille au mois de Juiliet 1746, & y refia jufqu'au 18 Septembre fuivant. 1747 , 19 Avril. Le Sleur Henrl BAVMEZ, cldevant Secretaln de M. le Comte de Sade, Mlnlftre plénlpotentiaire du Rol auprès de l'Elecleur de Cologne, & enfuite Secretaire de la Légation de France en la même Cour, fut condult d la Bafiille fur un ordre du Rol du 19 Avril 1747. IIy efi mort. Il nefi pas dit d quelle époque. I L ne nous eft parvenu aucun renfeignement fur les motifs de la détention de ces dix perfonnes.  vïcjO Memoires 1748, premier Mars. Ze Sieur Mahé de la B ou rd on n ai s, , Capitaine de Frégate, Gouverneur des IJles de France & de Bourbon, fut mis d la Bafille fur un ordre du Roi du premier Mars 1748 , figni de M. Phelyppeaux, forti en vertu d'un autre erdre du 5 Février 1751, figné d'Argenfon. M . de la Bourdonnais avoit commandé une Efcadre dans les Indes , & avoit pris Madras aux Anglois; il étoit accufé d'avoir commis des malyerfations dans les Indes pendant fon commandement. Nous n'avons trouvé aucune piece de la •procédure faite a ce fujet. Dans Partiele qui le .concerne, nous voyons feulement qu'une partie de fa flotte avoit péri par une tempête, devant Madras, peu de temps après 1'avoir pris. Nous n'avons aucun détail fur cette affaire ni fur fa nature des malverfations dont on 1'accufoit dans 1'Inde. Ce qu'il y a de fur , c'eft qu'il y a eu une Commiffion , par jugement de laquelle il a été déchargé des accufations contre lui intentées, & qui ordonné fa liberté de la Baftille, fous le bon plaifir du Roi. II paroït, d'un autre cöté , par d'autres notes , qu'il étoit riche de plus de 800,000 liv. de rente, nonobftant une reftitution qu'il avoit été obligé de faire au Roi de dix-huit millions.  fur la Bafille. 191 On 1'accufoit par conféquent de s'êire enrichï aux dépens du Roi. (On diroit, aujourd'hui, aux dépens de la Nation.) M. de la Bourdonnais, pendant fa détention , trouva Ie moyen d'entretenir une correfpondance au-dehors de la Baftille , par I'entremife du nommé Lamothe , 1'un des Bas-Officiers de la Compagnie, établie pour la garde de ce Chateau. L'intelligence qui régnoit entre le prifonnier & le Bas-Officier, fut découverte le 23 Janvier. 1750. Lamothe étant ce jour-la en fadfion a la cage de la porte inférieure du Chateau, fut appercu en conférence particuliere avec M. de la Bourdonnais, lequel, pendant le temps de fa promenade dans Ia cour inférieure , après plufieurs allées & venues & plufieurs fignes de fa part, avoit fait paffer a ladite Sentinelle, par les barreaux de la cage , un petit paquet, enveloppé de papier gris; L'un des portes clefs qui avoit été témoin oculaire du fait, en inftruifit fur le champ le Lieutenant du Roi qui venoit d'entrer, lequel retourna auffi-töt dans la cage, & y trouva le paquet derrière la guerite oü la Sentinelle 1'avoit poulTé avec fon pied. Sur le compte qui fut rendu a M. d'Argenfon de ce qui s'étoit paffé, ce Miniftre décida qu'il feroit procédé en forme , a 1'ouverture du paquet en quefiion , en préfence de M. de la Bourdonnais & dudit Lamothe; ce qui fut exécuté le 27 Janvier par M. Dufour de Villeneuve, Rapporteur du procés de M. de la Bourdonnais, en préfence de M. Lambert, du Sieur de la Bourdonnais &C du Bas-Officiers,  ïyz Mémoires II ne fe trouva , dans ce paquet, que des mémoires pour la défenfe de M. de la Bourdonnais, dont il avoit précédemment envoyé des copies a M. Lambert & a M. de Villeneuve. II y avoit §3 pages d'écriture aflez menue fur papier a lettre. Ce mémoire étoit accompagné d'un billet a fa femme, écrit fur un demi quarré de papier. Voici mot pour mot Ia copie de ce billet : » Sy joint font la copie des notes que j'ai envoyé h M. de Villeneuve & M. Lambert. Les lettres au net font un peu moins mal, mais c'eft toujours le même fens. Si cecy peut vous parvenir, ma chere Reine, je croit que tu fera bien de le donner a ton Avocat, pour qu'il en falie d'avance un petit mémoire pour être préfenté au Juge avant Ie jugement ; j'en ai gardé une copie, a deflein de Ie préfenter au Juge, s'il étoit abfolument entêté de ne me pas donner confeil. Mande-moi fi je ferois bien. J'ai donc cru vous devoir envoyer lefdites notes pour en faire tout ce que vous croirez convenable ; car je m'en rapporte a tout ce que vous ferez. » J'attant M. de Villeneuve; il m'a fait dire que cela va finir, a la bonne heure. » Tu peut-être tranquille fur mon affaire ; je ne crain que 1'innocence des Juges fur le local des Indes & de la Marine; car pour Ie refte il n'y a pas de quoi mettre un Officier aux arrêts 24 heures. » Tu peut-être auffi tranquille fur ma fanté. Quand je penfe que je te verrai encore avant de mourir, il n'y a rien que je ne faffe pour avoir foin de rrsoi, j'ai eu les jembles enflé, mais a mefure  fur la Baftille. ï95 mefure que je fait de i'exercice, cela diminue. Je vous avois demandé des remedes, mais M. dé Villeneuve n'a pas lailTé paffer ma lettre ; toutes mes lettres qui feroit capable, fi vous les montrés, de faire plaindre mon fort, il ne les laifie plus paffer, & il m'a déclaré que toute celle oh je dirois que je ne me porte pas bien, ne pafferont pas; mais vous favez le moyen que j'ai pour vous apprendre des nouvelle füre ; comtés fur celle-la, embrafles bien mes enfants; mais dit toi bien, ma chere amie, combien je fuis pénétré de tout ce que je fens pour toi. Adieu , je t'embraffe du meilleur de mon cceur. Le 14 Janvier 1750 ". M. de la Bourdonnais reconnut Ie billet écrit de fa main, mais il refufa de le parapher. Avant la découverte de fon intelligence avec ïe Bas-Officier , M. de la Bourdonnais avoit a la Baftille des facilités dont ne jouiffent point Ie commun des prifonniers. II avoit Ia Iiberté de faire apporter de chez lui des vivres qu'on lui faifoit apprêter a fon goüt a la Baftille! On lui permettoit plumes, encre, papiers & tous les livres qui lui faifoient plaifir. MM. les Commiffaires lui avoient même permis le Mercure & la Gazette de France. II avoit la permiffion de fe promener trois fois la femaine , & une heure & demie chaque fois. Mais toute faveur quelconque lui fut retranchée depuis cet événement. Le Bas-Officier fut caffé a Ia tête de la Compagnie affemblée, & biffé des regiftres de 1'Hötei Royal des Invalides. Tome 11. Cahier VII. N  ip^ Mémoires II devint fou pendant fa détention ] & il fut remis le 28 Février 175 1 entre les mains de la Dame Foucault, fa tante , Teinturiere a Lyon , qui s'en chargea. 1749, 10 Mai. Le Sieur le Bret, Avocat au Parlement, efi entré a la Bafiille le 10 Mai 1749 , & en eft forti le 1 5 Aoüt fuivant. 1749 , 3 Juin. Le Chevalier de Bov lens fut misd la Baftille le 3 Juin 1749 , & nen fortit que le 28 Juiliet 1752. N ous n'avons aucun renfeignement fur les raotifs de la détention de ces deux perfonnes.  fur la Bafiille. ^5 1749, 26 Juin. Frangois Bonis, Backelier en la Faculté de Médecine de Bordeaux , fut mis d U Bafiille le ió Juin 1749, en fortit le i Octohre ,749 . exilé enfuite d Montignac en Périgord; depuis en Bretagne, & en dernier lieu, encore d Montignac. }a, hélas ! nous pafTerons toute notre jeuneffe dans la captivité , Sc nous périrons ici. Voyons fi nous ne pourrions pas nous évader: mais en jettant les yeux fur les murs de la Baftille , qui ont plus de dix pieds d'épaiffeur, quatre grilles de fer aux fenêtres, Sc autant dans la cheminée, Sc en confidérant par combien de gens armés cette prifon eft gardée , la hauteur des murs qui entouroient le foiTé , fouvent plein d'eau, il fembloit mora'.ement impoffible a deux prifonniers enfermés dans une chambre, privés de toutes fortes de fecours humains, de pouvoir échapper: Sc M. Delaborde, ce fameux Banquier, avec Ion tréfor, ne viendroit pas a bout de corrompre les Ofticiers. Jugez donc ce que de fimples paroles auroient pu faire fur eux. 'Cependant avec un pm de génie on vient a bout de tout. Je vais vous démontrer tout ce qu'on peut at-  204 Mémoires tendre du courage , de Ia patience, & de Ia reffource qu'on trouve dans les Mathématiques. Nous étions deux dans une chambre. Vous remarquerez qu'a la Baftille on ne donnoit aux prifonniers ni cifeaux , ni couteaux, ni aucun autre inftrument tranchant; 6c" pour 100 louis votre Porte-clefs, c'eft-a-dire le Garcon qui vous porte k manger, ne vous donneroit point un quarïeron de lil; & bien calculé, il falloit quatorze cents pieds de corde, il nous falloit deux echelles, une de bois, de vingt a vingt-cinq pieds , 6c une échelle de corde de cent quatre-vingts pieds de longueur; il nous falloit arracher quatre grilles de fer dans la cheminée, percer, dans une feule nuit, un mur de quatre pieds 6c demi d'épaiffeur, dans 1'eau a la glacé jufqu'au cou, a la diftance de quinze k dix-huit pieds d'une fentinelle; il falloit créer; & pour faire ce que je viens de dire pour échapper , nous n'avions qv.e nos deux mains. Ce n'étoit pas la le pis; il nous falloit cacher 1'échelle de bois & celle de corde , avec deux cents cinquante échelons d'un pied de long & d'un pouce d'épaiffeur, ainfi qu'une ïnfinité d'autres chofes prohibées dans la chambre d'un prifonnier. Les Officiers, accompagnés de plufieurs Porte-clefs, venoient nous vifiter 8r fouiller plufieurs fois par femaine. Cependant j'étois fans ceffe occupé de ce projet; j'en avois parlé plufieurs fois a mon compagnon, qui avoi» beaucoup d'efprit, mais il me répondoit toujours que la chofe étoit impoflible , qu'il y avoit de la folie k y penfer. Ses raifons, au lieu de me rebuter, ne faifoient qu'animer mon imagi-, nation 6c mon courage.  fur la Bafille. 105 II faut avoir été prifonnier a Ia Baftille, pour favoir comme on eft traité dans cette prifon. Imaginez-vous que vous patTeriez dix ans dans une chambre, fans voir ni parler au prifonnier qui eft au-deffus ou au-deffous de vous. On y a mis plufieurs fois le mari, la femme & plufieurs enfants; ils y ont tous refté nombre d'années fans favoir qu'aucun de leurs parents y fut. On ne vousapprend jamais aucune nouvelle. Que le Roi meure , qu'il y ait du changement dans le Miniftere, on ne vous inftruit jamais de rien. Les Officiers, le Chirurgien, les Porte-clefs ne vous difent que, bon jour; bon foir : avez-vous befoin de quelque chofe ? & voila tout. II y a une Chapelle , ou , tous les jours, on dit une MeiTe, & les Fêtes Sc Dimanches, trois. Dans cette Chapelle , il y a quatre petits cabinets, ou 1'on met les prifonniers a qui le Magiftrat accorde Ia permiffion d'entendre la Meffe : tous ne Pont pas ; cela paffe pour une grace. Dans ces cabinets eft un vitrage avec des rideaux ; on ne les ouvre qu'a 1'élévation , Sc on a grand foin de les fermer après; de forte que jamais aucun Prêtre n'a vu le vifage d'aucun prifonnier, Sc ceux-ci ne voient que le dos du Prêtre. M. Berryer avoit eu la bonté de m'accorder la permiffion , ainfi qu'a mon compagnon d'infortune, d'entendre la Meffe les Dimanches Sc les Mercredis II avoit accordé la même permiffion au prifonnier qui étoit au-deffous de nous , c'eft-a-dire au N°. 3 de la Tour nommée la Comté. Cette Tour eft la première a droite en entrant de la Baftille. J'ayois déja occupé plufieurs autres chambres ,  206 Memoires Sc de temps a autre, j'entendois quelque brult des prifonniers qui étoient au-deffus & au-deffous de moi; Sc depuis que j'étois dans la chambre de Ia quatrieme Comté, j'entendois du bruit au-delTus, Sc jamais rien au-deffous ; j'étois certain pourtant qu'elle étoit occupée : la manque d'entendre du bruit, comme dans les autres, faifoit une impreffion extraordinaire fur moi, je ne favois a quoi attribuer ce myftere ; mon efprit toujours occupé de mon projet d'évafion , je dis k mon confrère, qu'au retour de Ia Meffe, j'avois envie de voir la chambre de notre voiiin, je !e priai de m'en faciliter le moyen. Pour cet effet, je lui dis de mettre fon étui dans fon mouchoir, & au retour de la Meffe , quand il feroit au lecond étage , de faire en forte qu'ij, tombat Ie long des degrés , en fortant fon mouchoir , Sc de dire enfuite au Porte-clefs d'aller le ramaffer. Ce qui fut dit, fut fait. Pendant que Ie Porte-clefs, nommé Daragon, qui vit encore aujourd'hui même cette année 1789 , couroit après 1'étui, je monte vïte , je tire Ie verrou, j'ouvre la porte du trois, je regarde la hauteur du plancher, je remarque qu'il n'avoit pas plus de dix pieds Sc demi de hauteur , je referme la porte au verrou, Sc de cette chambre a Ia notre, je compte trente-deux degrés; je mefure la hauteur d'un ; je cakule , je trouve qu'il y avoit une différence de cinq pieds Sc demi. Comme cela n'étoit pas une voute de pierre , je tirai cette conféquence, que ce plancher ne pouvoit pas avoir cinq pieds Sc demi d'épaiffeur, cela auroit fait un poids énorme ; que par conféquent il devoit y ayoir un tambour, c'eft-  fur la Ba fille. 207 a-dire deux planchers, a Ia diftance de quatre pieds 1'un de 1'autre. Je dis alors k mon confrère , d'un air joyeux ï ( car un moment auparavant je croyois que nous étions deux hommes perdus ) mon ami, ne défefpérons point; avec un peu de patience Sc" de. courage, nous échapperons d'ici. Voila mon calcul. II y a un tambour alïurément entre la troilieme chambre Sc Ia notre. Sans regarder mon papier, il me dit : eh ! quand il y auroit tous les tambours du Régiment des Gardes-Francoifes, comment diable voulez-vous que tous ces tambours puiffent nous faire évader ? Je repris : il n'eft pas befoin de tous ces tambours-la ; mais s'il eft vrai, comme je le crois, qu'il y a deux planchers entre le trois Sc le quatre, pour cacher nos cordes Sc tous les autres matériaux dont nous avons befoin, je vous réponds que nous échapperons. II me répliqua : mais, pour cacher nos cordes dans ce prétendu tambour , il faudroit en avoir, 8c nous n'en avons point; d'ailleurs,' •vous ne Pignorezpas, il nous eft impoffible d'en avoir feulement dix pieds. Pour des cordes, lui dis-je, n'en foyez point en peine, car dans Ia malle de ma chaife de pofte , que voila devanr vous, il y en a plus de mille pieds. Comme j'étois tranfporté de joie en lui parlant, il me regarda fixement, 8c me dit: je crois, par ma foi, qu'aujourd'hui vous avez perdu 1'efprit; je fais, auffi bien que vous, tout ce que vous avez dans votre malle & dans votre porte-manteau ; je vous défie de me faire voir un feul pied de corde, Sc cependant vous me dites qu'il y en a plus de jnille. Oui, ajoutai-je, dans cette malle il y a  2 O 8 Mémoires treize douzaines Sc demi de chemifes, deux douzaines de paires de bas de foie, dix-hu.it paires de chaullettes, trois douzaines de ferviettes ouvrées, &c. Sec. Or, en défilant mes chemifes, mes bas, mes chauffettes, mes ferviettes, mes coëffes de bonnet, mes mouchoirs, Sec. Sec. Sec. nous aurons de quoi faire plus de mille pieds de corde. Cela eft vrai, me dit-il ; mais avec quoi pourronsnous arracher toutes ces grilles de fer qui font dans notre cheminée ? car avec rien il nous eft impoffible de pouvoir faire quelque chofe, nous n'avons que nos mams, nous ne pouvons pas créer des outils pour venir a bout d'un auffi grand ouvrage. Mon ami, lui dis-je, la main eft rinftrument de tous les inftruments ; c'eft elle qui les forme lous, Sc les hommes qui favent faire travailler leurs têtes, ils y trouvent toutes fortes de reffources. Voyez-vous, lui dis-je, ces deux fiches de fer qui foutiennent notre pliante, je leur ferai un manche a chacune & je leur ferai un taillant en les repaflant fur un carreau de notre plancher: nous avons un briquet, en le caflant de telle maniere , en moins de deux heures j'en ferai un bon canif, avec lequel je ferai ces deux manches. Ce canif nous fervira encore a mille autres chofes. Ainfi avec ces deux fiches, je vous réponds fur ma tête, que je viendrai a bout d'arracher toutes ces grilles de fer. Un Ramonneur monte dans une cheminée ; je vous réponds fur ma vie , que moi j'y monterai. Toute la journée nous conférames de cela ; dès que nouseümes foupé, nous arrachames une fiche  fur la Bafille. 209 fiche de fer de notre table : avec cette fiche , nous levames un carreau de notre plancher, & nous nous mimes a creufer de telle forte, qu'en moins de fix heures de temps nous 1'eümes percé; & a notre grande fatisfacïion, nous trouvaWs qu'il y avoit deux planchers, è quatre pieds de diftance 1'un de 1'autre. De cet inftant nous regardSmes notre évafion comme certaine; nous remïrnes le carreau, qui ne paroiffoit pas avoir été enlevé. Le lendemain matin, je caffai le briquet; j'en fis un canif, ou petit couteau. Avec cet inftrument, nous fïmes des manches aux fiches de notre table; nous donnames un taillant a chacune. Après nous défilames deux de nos chemifes; c'eft-a-dire , qu'après les avoir découfues, & leurs ourlets auffi, nous lirames un fil 1'un après 1'autre ; nous nouames tous ces filets, nous en fitnes un certain nombre de pelotons: étant finis, nous les partage&mes en deux, nous en fitnes alors deux groffes pelottes; il y avoit cinquante filets a chacune , de foixante pieds de longueur. Enfuite nous les treffames , ce qui nous donna une corde de 55 pieds de long environ , avec laquelle nous f imes une échelle de 20 pieds de long. Cette échelle faite , nous commencames a faire le plus difficile , c'eft-adire a arracher les barres de fer de notre cheminée : pour cet effet, nous attachames dans la nuit notre échelle de corde a ces barres; par le moyen des échelons, nous nous loutenions en l'air dans le temps que nous dégradions les extrêmités de ces barres de fer : en moins de fix mois nous vïnmes a bout de les dégrader toutes, c'eft-a-dire de les arracher. Nous les re* Tornt IU Cahier FIL O  210 Memoires mimes de maniere k pouvoir les arracher toutes dans un inftant. Cet ouvrage nous coüta bien de la peine. Bon Dieu ! jamais nous ne deicendions fans avoir nos mains tout enfanglantées. Nos corps étoient dans une fituation fi pénible dans cette cheminée , qu'il nous étoit impoffible de travailler une heure entiere fans nous relever : a tout inftant il nous falloit fouffler de 1'eau avec notre bouche, dans les trous, pour ramolür le ciment qui étoit autour de ces barres de fer ; & nous étions trés fatisfaits quand , dans une nuit entiere, nous avions enlevé 1'épaifTeur d'une ligne de ce ciment. Cet ouvrage fini, nous fitnes une échelle de bois de vingt a vingt cinq pieds de longueur , pour monter du foffé fur le parapet oii les foldats de garde font poftés, &C de ce parapet dans le jardin du Gouvernement. On nous donnoit tous les jours plufieurs morceaux de buches pour nous chauffer, qui avoient dix-huit a vingt pouces de long. Ils nous fervirent è faire une échelle avec vingt échelons. Nous avions encore befoin de moufles & de beaucoup d'autres chofes; nos deux fichesn'étoient pas propres a faire cet ouvrage, & encore bien moins a fcier du bois. En moins de deux heures de temps, d'un chandelier de fer que nous avions, avec 1'autre morceau de briquet, j'en fis une excellente fcie, avec laquelle en moins d'un quartd'heure de temps, je me ferois vanté de couper en deux une büche auffi grofle que ma cuiffe; avec ce morceau de briquet, cette fcie & les fiches, nous dégrofiiffions nos buches, nous les polimes, nous leur f imes des charnieres, & des ïenons pour les emboiter les unes dans les autres ,  fut la Bafiille, % 11 avec deux tfous a chaque charnïere, & è fon tenon, pour y paffer un échelon, & deux chevilles pour Pempêcher de vaciller. A mefureque nous avions achevé & perfectionné un morceau de notre échelle , nous le cachions entre les deux planchers. C'eft avec ces outils que nous'fitnes un compas, une équerre , une regie , un devidoir, des moufles, des échelons, &c. &c. Comme quelquefois dans la journée les Officiers & les Porte-clefs entroient fouvent dans notre chambre a I'inftant que nous y penfions le moins, il nous falloit cacher non-feulement nos uftenfiles, mais encore les plus petits copeaux ou débris que nous faifions, & dont le plus petit nóus eut décelés; en outre, nous favions que quelquefois ces Meflieurs venoient doucement écouter ce que les prifonniers difent au travers des trous qu'ils font a leurs planchers. Pour éviter toute furprife, nous donnames un nom a toutes ces chofes. Par exemple, nous appellions la fcie, Faune; c'eft le nom d'une divinité des forêts. Le dividoir, Anubis; c'eft une divinité des Egyptiens , pour mefurer les accroiffements du Nil. Les fiches de fer, Tubalcain; c'eft le nom du premier homme qui trouva 1'art de fe fervir du fer. Le trou que nous avions fait a notre plancher pour cacher toutes nos affaires dans le tambour, c'eft-a-dire entre les deux planchers , Polyphême , faifant allufion a 1'antre de la Fable, dont les anciens ont fi fouvent parlé. L'échelle de bois , Jacob, au fujet de cette échelle dont 1'Ecriture-Sainte fait mention, Les échelons, Rejetons, Une corde, une O ij  UT Mémoires Colomh, paree qu'elles étoient Manches. Un peloton de fil, un pttlt frere. Le canif ou couteau, qui étoit le morceau du briquet, le toutou, Sic. &c. Quand quelqu'un entroit dans notre chambre , fi nous avions oublié quelque chofe,le plus éloigné difoit au plus proche le nom de la chofe, Faune , Anubls, Jacob , Tubalcaln , &c. Pautre, qui entendoit ce que cela fignifioit, jettoit deffus fon mouchoir, une ferviette; en un mot, il faifoit difparoïtre ce qui devoit être caché. Nous étions fans ceffe fur nos gardes. L'échelle de bois que nous fimes n'avoit qu'un bras, & vingt a vingt-cinq pieds de longueur; elle avoit vingt échelons, de quinze pouces de diametre, par conféquent chaque échelon excédoit ce bras de fix pouces de chaque cöté ; k chaque morceau de cette échelle, nous avions attaché fon échelon & fa cheville avec une ficelle, de maniere qu'il ne fut pas poflible de fe tromper, en la montant dans la nuit. Quand cette échelle fut finie, & après en avoir fait Peffai, nous la cachames dans Polyphême, c'eft-a-dire entre les deux planchers. Nous travaillames enfuite a faire les cordes de la grande échelle, qui avoit cent quatre-vingts pieds de longueur. Nous défilames nos chemifes, mos ferviettes, nos coëffes de bonnet, nos bas de foie, chauffeftes, calecons , nos mouchoirs, &c. A mefure que nous avions fait un peloton d'une étendue décidée, de peur de furprife, nous le cachions dans le tambour, c'eft-a-dire entre ïes deux planchers. Quand nous eümes fait le nombre fuffifant de pelotons, dans la nuit nous treffames cette magnifique corde; elle étoit blanche  fur la Bafille, 213 comme Ia neige, & j'ofe dire qu'un Cordier ne 1'auroit pas mieux faite. Autour de Ia Bafiille, è Ia partie fupérieure, eli un bord qui excede en-dehors de trois ou quatre pieds. Nous ne doutions pas qu'a chaque échelon que nousdefcendrions de cette échelle de corde , elle ne flottat de cöté & d'autre; ce font des inftants ou la meüleure tête peut manquer. Pour prévenir qu'un de nous deux ne tombat & ne s'écrafat, nous fimes une feconde corde, d'environ trois cents foixante pieds de longueur. Cette corde devoit être paffee dans une moufle que nous avions faite, c'eft-a dire, une efpece de poulie fans roue , pour éviter que cette corde ne s'engrenat entre Ia roue & les cötés de la poulie, & qu'un de nous deux ne fe trouvat fufpendu en 1'air, fans pouvoir defcendre davantage. Après ces deux cordes, nous en fimes plufieurs autres de moindre longueur, pour attacher notre échelle de corde a une piece de canon , & pour d'autres befoins imprévus. Quand toutes ces cordes furent faites , nous les mefurames. II y en avoit quatorze cents pieds; enfuite nous fimes deux cents échelons, tant pour 1'échelle de corde que pour celle de bois, &c pour empêcher que les échelons de 1'échelle de^ corde, en defcendant, ne fiffent du bruit en flottant, du bruit en heurtant contre Ia muraille , nous y fimes un fourreau a chacun, avec les doublures de nos robes-de-chambre, de nos vefles &C de nos gilets, &c. Nous travaillames, nuit & jour, pendant dixr huit mois, è préparer tous nos matériaux. Avec nos couvertures, nous fimes des four- O iij  214 Memoires reaux a nos deux barres de fer qui nous devoient fervir pour percer la muraille. On vient de voir tout ce qu'il falloit pour monter, par notre cheminée, furies tours de la Baftille, pour defcendre dans les folTés, pour monter fur le parapet, & de ce parapet dans le jardin du Gouvernement , & de ce jardin, defcendre, par le moyen de notre échelle de bois, dans le grand foffé de la porte Saint-Antoine, lieu oh nous devions être «n liberté. Nous devions choifir une nuit qui fut ©rageufe, qu'il tombat de la pluie, Sc qu'il n'y èut pas de Lune ; mais nous avions un malheur terrible a redouter; il pouvoit pleuvoir depuis cinq heures du foir jufqu'a neuf a dix heures, & puis le temps fe mettre au beau : alors toutes les fentinelles fe promenent tout autour de Ia Bafiille, c'eft-a-dire, d'un pofte a 1'autre : dans ce cas, 'toutes nos peines, tous nos matériaux étoient perdus , Sc afin de rendre cette fcene plus louchante , pour nous confoler, on nous auroit mis au cachot; Sc alors pendant tout Ie temps que la Marquife de Pompadour auroit refté en Cour, nous eufJions été refferrés d'une étrange maniere. Cette appréhenfion nous inquiétoit beaucoup. Je irouvai moyen d'éviter ce malheur; je fis aifément concevoir a d'Alegre, mon compagnon d'infortune , que depuis le temps que la muraille qui eft entre le Gouvernement Sc le jardin étoit faite, la Seine avoit débordé au moins plus de trois cents fois; qu'a chaque fois Peau avoit diffout le fel contenu dans le mortier ou le platre, au moins d'une ligne d'épaiffeur; Sc par conféquent il nous feroit facile d'y faire un trou pour fortir fans aucun rifque. Je lui fis com-  fur la Bafiille. 215 prendre que nous viendrions a bout de tout cela, en arrachant une fiche de nos lits , a laquelle nous mettrions un bon manche en croix , qui nous ferviroit de virole, par le moyen de laquelle nous ferions des trous dans le platre qui lie la pierre de cette muraille, pour engrener les deux pointes des deux barres de fer que nous prendrions dans notre cheminée ; qu'il étoit évident qu'entre nous deux, avec ces deux barres de fer , nous ferions un effort de plus de cent quintaux, par la raifon du lévier , & par conféquent venir très-aifément a bout de percer cette muraille , qui fait la féparation du foffé de la Baftille & de celui de la porte Saint-Antoine ; qu'il y avoit un million de fois moins de rifque de fortir par ce dernier moyen que par 1'autre. D'Alegre convint de cela , en me difant que fi ce dernier moyen manquoit, nous aurions recours a 1'autre; en conféquence nous fimes des fourreaux a ces deux barres de fer, nous tirames une fiche de fer d'un de nos lits; & nous en fimes une virole. Quand tout notre appareil fut fait, nous réfolümes de partir le lendemain, qui étoit un Mercredi 15 Février 1756, la veille du Jeudi gras. Alors la riviere étoit débordée, il y avoit trois ou quatre pieds d'eau dans le foffé de la Baftille & dans celui de la porte Saint-Antoine. Avec ina malle, j'avois encore un porte-manteau de cuir, c'eft-a-dire, de peau de veau ; ne doutant pas que les hardes que nous avions fur nos corps ne fuffent mouillées, nous mïmes dans ce grand porte-manteau un habillement complet pour chacun, avec tout ce qui nous reftoit de O iv  li 6 Mémoires jneilleur, jufqu'a ce qu'il fut plein. Le lendemain, a peine nous eut-on fervi notre diner , que nous montames notre grande échelle de corde , c'eft-adire , que nous y mimes les échelons; nous la cachames enfuite fous nos deux lits, afin que le porte-clef ne put Pappercevoir en nous apportant notre fouper. Nous accommodames après notre échelle de bois en trois morceaux , puis nous mïmes le reftant des autres chofes néceffaires en plufieurs paquets, bien certain que , felon la coutume, on ne viendroit pas, 1'après-diner, nous vifiter , faire des fouillades avant cinq heures. Nous avions déja arraché les deux barres de fer dont nous avions befoin pour percer la muraille , & mifes dans leurs fourreaux, pour empêcher qu'elles ne fiflent du bruit en les defcendant. Nous eümes foin de prendre une bouteille de fcubac pour nous réchauffer & nous donner de la force, fi nous étions réduits a travailler dans 1'eau jufqu'au cou. Ce fecours nous fut bien néceflaire; car fans cette liqueur, nous n'euffions jamais pu tenir pendant plus de neuf heures, dans Peau du dégel jufqu'au cou. Nous voici arrivés au moment périlleux. A peine eut-on porté notre fouper , que malgré un rhumatifme que j'avois au bras gauche, je me mis a grimper Ia cheminé. J'eus toutes les peines du monde a monter au faite. Je faillis a étouffer par Ia poulfiere de la fuie; car j'ignoroas les précautions que prennent les Ramonneurs. Je n'a vois pas mis de défenfives de cuir ni a mes coudes ni a mes genoux; mes coudes furent tout écorchés, Ie fang couloitfur mes mains, & celui de mes genoux le long de mes jambes.  fur la Bafille, xij Enfin l arrivé au haut de Ia cheminée, je me mis a califourchon; alors je fis couler dans Ia cheminée une pelotte de ficelle que j'avois prife dans ma poche, en en retenant un bout. Mon compagnon attacha a cette ficelle le bout d'une corde , oü mon porte-manteau étoit attaché. Ayant faiii le bout de cette corde, je le tirai a moi, je le déliai & le jettai fur la platte forme de la Bafiille ; je fis couler de nouveau cette corde dans Ia cheminée; mon compagnon y attacha 1'échelle de bois; enfuite je tirai de même les deux barres de fer & tous les autres paquets dont nous avions befoin ; après que tout fut monté, je jettai de nouveau ma corde, pour monter 1'échelle de corde ; j'en tirai le fuperflu, & ne laiflai en-dedans de la cheminée que ce qu'il en falloit pour monter. Je m'arrêtai au fignal qu'il m'en fit; alors avec une grolTe cheville que nous avions préparée exprès, que je fis paffer dans la corde , & pofai en croix fur le tuyau de la cheminée, mon confrère étant monté très-aifément , nous achevames de rstirer tout-a-fait cette échelle; nous jettames Ie dernier bout du cöté oppofé de Ia cheminée, & nous defcendïmes tous les deux a la fois fur la platte forme de la Baftille. Deux chevaux n'auroient pu porter cet attirail. Nous commencames par faire un rouleau de notre échelle de corde; ce qui fit une meule de quatre pieds de hauteur ou de diametre, & un pied d'épaiffeur ; nous fimes rouler cette meule fur la tour nommée du Tréfor, qui nous avoit paru la plus favorable pour faire notre defcente. Nous attachames bien cette échelle a une piece de canon, puis nous la fimes couler doucement dans le foffé;  2.18 Mémoires après, nous attachames notre moufle, Sc nous y paffames la corde qui avoit trois cents foixante pieds de long. Après avoir porté tous nos paquets fur la tour du Tréfor , /e m'attachai bien au milieu du corps, avec la corde que nous avions paffee dans la moufle : je me mis fur 1'échelle de corde, & a mefure que je defcendois dans le foffé, mon confrère lachoit a mefure: malgré cette précaution, a chaque échelon que je defcendois, mon corps fembloit être un cerf volant qui voltigeoit en 1'air. Si ce fut arrivé en plein jour, je crois que de milte perfonnes qui m'auroient vu flotter de Ia forte, il n'y en auroit pas eu une feule qui n'eüt fait des vceux au Ciel, pour que je ne m'écrafe point en tombant. Enfin, je defcendis fain Sc fauf dans le foffé. Sur le champ mon compagnon me defcendit mon porte-manteau , que je mis au pied de Ia tour, paree qu'il y avoit une petite éminence en dos d ane qui dominoit Peau du foffé; après il me defcendit les deux barres de fer, 1'échelle de bois avec tout le refle. Enfuite il s'attacha bien lui-meme au milieu du corps, avec la corde de Ia moufle , qui avoit deux fois en longeur la hauteur des tours. En fe mettant fur 1'échelle , j'eus foin ft? paffer une de mes cuiffes entre deux échelons , pour 1'empêcher de flotter jufqu'a ce qu'il fut en bas : je lachai doucement la corde qui 1'attachoit au milieu du corps. Pendant ce temps-Ia, comme il ne pleuvoit pas, la fentinelle fe promenoit fur le corridor ou parapet, tout au plus a fix toifes de nous; ce qui nous empêcha de monter fur le corridor, pour de-Ia monter dans le jardin; ainfi nous nous  fur la Bafille. ïï§ viffles forcés a nous fervir de nos barres de fer, c'étoit le parti le plus fur. J'en pris une fur mes épaulesavec la virole, & mon compagnon 1'autre. Je n'oubliai pas de mettre la bouteille de féu* bac dans ma poche; car, fans cette bouteille, nous aurions fuccombé : nous allames droit a la. muraille qui fépare le foffé de la Bafiille de celui de la porte Saint-Antoine, entre le Gouvernement & le jardin; dans cet endroit étoit anciennement un petit foffé d'une toife de largeur & d'un k deux pieds de profondeur. Comme la riviere étoit débordée, précifément a cet endroit , a caufe de ce petit foffé , nous avions de 1'eau jufques fous les aiffelles. Dans le moment qu'avec la virole j'allois faire un trou dans le platre entre deux pierres, pour engrener nos barres de fer, la Ronde-Major pafla avec fon grand falot, k dix ou douze pieds tout au plus au-detTus de nos têtes : pour 1'empêcher de nous découvrir, nous nous croupimes dans 1'eau jufqu'au menton. Quand cette Ronde fut paffée , avec ma virole , j'eus bientöt fait deux trous dans le platre, pour engrener nos deux barres de fer. Nous enlevames auffi-töt la groffe pierre que nous avions attaquée:dès 1'inftant, j'affurai mon confrère de la réuffite. Etant dans 1'eau de la fonte des glacés jufqu'au cou, nous n'avions pas chaud: pour nous réchauffer, nous bümes un bon coup de fcubac ; enfuite nous attaquèmes une feconde pierre qui céda a nos efforts avec la même facilité. Dans le moment que nous allions attaquer la troilieme, une feconde Ronde vint a paffer; nous nous mimes encore dans 1'eau jufqu'au menton: il nous fallut faire réguliérement cette cérémo-  110 Mémoires nie toutes les fois que la Ronde venoït a paffer a dix ou douze pieds au-deffus de nos têtes. Avant minuit, nous avions déja dégradé plus de deux tomberaHx de pierres. Ce que je vais dire eft la vérité pure ; je fuis bien éloigné de vouloir arracher un fourire. Ayant entendu que la Sentinelle venoit fe promener audeffus de nous, les décombres que nous avions faits au bord du trou , nous forcerent a nous accroupir dans 1'eau par-derriere : la Sentinelle s'arrêta tout court au-deffus de nous , nous crümes qu'elle avoit appercu ou entendu quelque chofe, & que nous étions perdus ; mais un inftant après , elle lacha de 1'eau précifément fur ma tête & le vifage ; en plein jour , avec deffein prémédité, elle n'auroit pas mieux réuffi; il ne s'en perdit pas une goutte. Quand elle fut partie, je dis a 1'oreille de mon compagnon: Cet infolent vient de lacher de 1'eau fur ma tête, fur mon vifage ; mais eüt-il fait tout autre chofe fur mon nez, il ne m'auroir pas fait rompre le filence : il me répondit : Je le crois. Mon bonnet étant tout mouillé, je le jettai dans 1'eau, & je lavai bien mes cheveux pour faire perdre 1'odeur de I'urine. Enfuite nous bümes chacun un bon coup de feubac, pour appaifer la peur qu'il nous avoit faite, & ranimer nos forces. L'un & 1'autre nous eümes moins de peur de la mort en defcendant de 1'échelle de corde, que de cette Sentinelle. Enfin , en moins de huit heures & demie de temps, nous percames cette muraille, qui, au rapport du Major, a quatre pieds & demi d'épaiffeur. Dès Pinftant, je dis k d'AIegre de fortir par ce trou; que fi malheureufement il m'arrivoit quel-  fur la Baftille, ï2i que chofe, en allant chercher le porte-manteau que j'avois laïffé au pied de la tour du Tréfor, de s'enfuir au moindre bruit : heureufement il n'arriva rien. Je fus chercher ce porte-manteau que je fis paffer par le trou, & je fortis après, abandonnant tous les matériaux qui nous avoient donné tant de peines, fans regret. Etant tous les deux dans le grand foffé de la Porte Saint-Antoine, nous crümes que nous étions hors de péril; je pris un bout de mon portemanteau, & d'Alegre 1'autre, pour traverfer le foffé, & gagner le chemin de Bercy. A peine eümes-nous fait vingt-cinq pas, que nous tombames tous les deux a la fois dans 1'aqueduc qui eft au milieu du grand foffé; nous avions trouvé au moins dix pieds d'eau au-deffus de nos têtes. Mon compagnon au-lieu de gagner 1'autre bord, car cet aqueduc n'a que fix pieds de large, quitte le porte-manteau pour s'accrocher a moi, quï avois de la bourbe jufqu'aux genoux : me fentant faifir , je lui donnai un grand coup de poing qui lui fit Ikher prife , & en même-temps je me cramponnai de 1'autre cöté de l'aqueduc. J'enfonce mon bras dans 1'eau, je le faifis par les cheveux, & le tirai de mon cöté. L'ayant placé de maniere que fa tête étoit au-deffus de 1'eau , il pouvoit refpirer fans en avaler. Je lui dis de refter la ferme , fans branler : je fus prendre mon porte-manteau , qui furnageoit fur 1'eau. C'eft: précifément a cet endroit que nous fümes hors dedanger, c'eft-Ia, dis je, oü cette terrible nuit fut finie. A trente pas de-la , comme ce foffé fait une pente , nous fümes tous les deux k pied fee : nous nous embraflames alors; nous nous  JU Mémoires rmrnes a genoux, pour remercïer Dieu de fa grace qu'il venoit de nous faire , de ce qu'un de nous deux, en defcendant de 1'échelle de corde , n'étoit point tombé & écrafé, & de Ia liberté qu'i'l venoit de nous rendre. Notre échelle de corde étoit fi jufle, qu'elle n'avoit pas un pied de trop ni de moins. En plein jour , du haut des tours de la Bafiille , on n'auroit pas été plus précis en prenant la mefure a favance, que je Ie fus par Ie moyen des Mathématiques. Nous avions fi bien arrangé tout, qu'il n'y eut pas un feul bout de corde embrouillé. Toutes les hardes que nous avions fur notre corps, étoient mouillées; j'avois prévu a ce malheur , comme je Pai dit ci-deffus , en mettant des hardes dans mon porte-manteau de cuir, avec des chemifes fales a 1'entrée; le tout étoit fi bien arrangé , que 1'eau n'avoit pu y pénétrer. A force d'avoir ébranlé & tiré des plerres du trou que nous venions de faire, nos mains étoient tout échorchées ; chofe que 1'on aura peut-être de la peine a croire , c'eft que nous avions moins froid, étant dans 1'eau de glacé fondue jufqu'au cou, que quand nous en fümes tout-a-fait dehors : le tremblement nous faifit alors dans tous les membres, & nos mains s'engourdirent. II fallut que je ferviffe de valet-dechambre a mon confrère pour le déshabiller & 1'habiller. Enfuite il m'en fervit a moi-même. Cinq heures fonnerent comme nous montions Ia rampe de ce foffé pour entrer dans le grand «hernin.  fur la Baflïlle. nj N. B. Le lendemain même de la prife de Ia Bafiille ( 15 Juiliet 1789) je m'y préfentai; & malgré les ordres de n'y laiffer entrer perfonne, en déclinant mon nom qui rappella ma longue captivité (35 ans), toutes les portes me furent ouvertes. Préfumant que mon échelle de cordes & les autres infiruments imaginés par moi, pour mon évafion ,- étoient trop précieux pour n'avoir pas été confervés, plufieurs Clercs de la Bafoche, de fentinelle alors k la Baftille , m'accompagnerent dans les archives , ou je fuppofai que mon échelle devoit fe trouver. En effet, après une longue recherche, ayant appercu au plancher une efpece de trape , je fis appeller plufieurs Gardes-Francoifes pour leur infinuer que ce doublé plancher pouvoit bien renfermer quelques perfonnes. On y monta , bien armé; mais on n'y trouva qu'un grand fac plein, qui, k ma priere, fut jetté en b3S k mes pieds. Quelle fut ma fatisfaftion deretrouver, après 33 ans, dans le fac mon échelle de cordes, celle de bois, & une grande partie de mes autres inftruments qui fervirent k mon évafion. Tous ces effets furent portés, fous bonne garde, a PHötel-de-Ville. Après avoir été examinés, M. Duverrier, Avocat au Parlement, & Secretaire du Comité des Elecieurs, obtint de 1'Affemblée que tout me fut rendu, comme chofe qui m'appartenoit a toute forte de titres. Je me ferai un plaifir de les faire voir aux perfonnes de confidération & de mérite qui le defireronf. Ma demeure eft maifon des Théatins, rue de Bourbon, N°. 36,  224 Mémoires Dans quelques mois paroitront mes Memoires, en plufieurs volumes, contenant tout cequi m'eft arrivé de plus intéreflant a la Baftille, a Vincennes, & dans les autres prifbns oü j'ai été fuccefiivement détenu pendant 1'efpace de trente-cinq ans. Ces Mémoires feront enrichis de plufieurs eftampes relatives aux diverfes fituations douloureufes oü je me fuis trouvé. Vers qui ont été mis au Louvre, au bas du Portralt de M. Masers , Chevalier de Latude , Ingénieur. Viftime d'un pouvoir injufte & criminel, Masers, dans les cachots eut terminé fa vie,. Si j'art du defpotifme , auffi fin que cruel, Avoit pu dans fes fers enchainer fon génie. C. de G. Avacat. Au defir du Public, 1'échelle de corde & de bois, les moufles, le morceau de couverture qui enveloppoit les deux barres de fer, le maillet, &c. &c. fignés le 27 Février 1756 par le Major de la Baftille, nommé Chevalier, & le Commiffaire Rochebrune : tout cela a été inftallé k 1'entrée du Sallon du Louvre, pendant les mois d'Aoüt Sc de Septembre dernier, 1780. '»750»  fur la Bafllk. 1750, 25 Aoüt. Mare Antoine - Jacques Roe non DE C u Ab an nes entra d la Bafiille au mois d'Aout 1750, ou il fut retenu jufqu'au 8 OBobre fuivant* 1750, 27 Aoüt. Charles Pecquet, Marchand Libraire, demeurant chei la veuve David , Imprimeur, rue de la Huchctte. 11 entra d la Bafiille au mois d'Aoüt 1750, CV en fortit le 8 Oclobre fuivant. 1750, 17 Septembre. Alain GODEFRIN, Marchand Gantier-Parfu~ meur, privilégié du Roi fuivant la Cour, fut arrêté & conduit d la Bafiille au mois de Décembre 1750, & y mourut le 30 Mai 1753. // étoit dgê de plus de 80 ans. Tome II. Cahier VIII.  22Ö Memoires 1751 , 18 Février. Jean-Jacques-Augufte de Th oV rott e , ancien Capitaine de Cavalerie , fut conduit d la Bajlille fur un ordre du Roi du 18 Février 17 51 , & obtint fa liberté le 28 Mars fuivant. 1751 , y Mai. Pierre Verit , Marchand Orfevre d'Agde en Languedoc, demeurant d Paris. II fut mis d la Bafiille au mois de Mai 175 i, & y fut retenu jufqu'au 25 Janvier 17 57. 1751 , 3 Oclobre. Jeannt-Genevieve Grav el le, native de Mayenne. Elle fut arrêtée & conduite d la Bajlille en vertu d'un ordre du Roi du 3 Oclobre 1751, & y rejla jufqu'au 17 Décembre 1752. Ij a caufe de la détention de ces fix perfannes ne nous eft point connue.  fur la Baftille, il7 J7yr > 17 Oétobre. la Dame Sauvé, première femme de chambre de M. le Duc de Bourgogne, fut mife d U Bafullefur un ordre du Roi, du 17 Oclobre 17c 1 TT yj n Samedi , Madame Ia Ducheffe de Tal. lard , Gouvernante des Enfants de France étanf allee au débotté du Roi qui arrivoit deChouV chez M. le Duc de Bourgogne, dit que le R0 alloit veair affifter au remué, & qil'on n'avoit qu a Je commencer. Le Roi arriva, & on fe mit a laver M. ,e Duc de Bourgogne. La Dame Sauvl a pretendu que dans ce moment-Ia elle appercut du mouvement aux pieds du Ik du Princ» & pied du lit, qui fe retira avec précipitation • que cette mam lm parut partir derrière le Roi & ne vu que cela. La Dame Sauvé, a qui Ia pré! cipitation de la main avoit paru Aifpec> fit part de ce qu elle avoit vu a Madame de: Tallard qui, lorfque Ie Roi fut forti, alla chercher au pied du berceau, & y trouva un paquet de papier qui fit du bruit, & mit les gens de la chamdans 1 inquiétude. La Dame Sauvé n'ayant pu dire qui pouvoit cn etre 1'auteur , fut, avec raifon ,fou£onnée d en etre feule coupable. FV"»"cc Quelques jours après cet événement, elle ïoua lempojfonnée, dit qu'elle étoit viflime de fon P ij  2Z3 Mémoires zele & de fa fidéltté; ce qui détermina le Roi a la faire arrêter, ainfi que fa femme de chambre , qui étoit foupconnée d'avoir mis dans une iatte' du vif argent, que la Dame Sauvé prétendoit avoir rendu en vomiflant. Le paquet en queftion étoit environ de la groffeur & largeur de Sa main. Un papier 1'excédoit en forme de cornet; il n'y avoit rien d'écrit fur le papier , & le relt e étoit brülé ; mais il y avoit dans ce paquet une once de poudre a canon mêlée avec un peu de charbon pulvérifé, & un charbon qui avoit encore de la chaleur. M. de Saint-Fiorentin fit faire 1'expérience de cette poudre, & prétendit qu'il n'y avoit rien k craindre pour la vie du Prince. 11 penfa qu'on avoit voulu faire une niche a Madame la Ducheffe de Tallard, ou a la Dame Sauvé. C'étoit auffi Popinion de Madame de Pompadour. Par les pieces qui nous font tombées entre les mains , relativemcnt a la Dame Sauvé, nous voyons qu'elle a fait un Mémoire pendant fa détention a la Baftille, pour prouver qu'elle n'a pu approcher du pied du berceau, ni être affez a portée d'y jetter le paquet. Elle parle d'un nommé Longy, protégé de Madame de Tallard, & jette quelques foupcoas fur lui. Elle cite auffi d'une certaine maniere, Madame de Butler, Sous-Gouvernante. II paroit que la Dame Sauvé étoit 1'enneroie jurée de Madame de Butler ; elle dit, dans ce Mémoire , que cette Dame s'enivroit très-fouvent, & qu'elle avoit la vé.... Elle veut auffi faire foupconner MM. de Noailles, en difant que Madame de Tallard lui fit des queftions fur eux ; que d'ail*  fur la Bafiille, 2,2.9 leurs iis avoient la réputation d'aimer a faire des niches, & que peut-être ils ont fu que M. le Maréchal de Noailles ayant un jour approché de très-près M. le Duc de Bourgogne, Madame de Tallard avoit dit: » Cette gueule galeufe, pourquoi met-il fon vifage fi prés de celui de fon maitre " ? Lorfque le paquet fut jetté dans le berceau , il y avoit dans la chambre le Roi, M. dé Luxembourg, M. le Duc de Fleury, M. de la Suze , M. le Maréchal de Noailles ,• & M. le Duc d'Ayen. Ces deux derniers vinrent un demi-quart d'heure après Parrivée du Roi. La Dame Sauvé a toujours foutenu qu'elle avoit vu jetter le paquet dans le berceau, & n'a jamais voulu avouer que ce fut elle-même qui 1'y eut jetté. Le Roi lui accorda néanmoins fa liberté le 6 Mars 1757; mais h condition qu'elle s'éloigneroit de Paris, & qu'elle fe retireroit en Province , foit dans fa familie , foit avec fon mari. Obfervation. Quelques jours après la naiffarjce de M. le Duc de Bourgogne , il vint, fur les cinq heures du foir, une Sceur-grife , qui fe dit de la maifon des Invalides; elle avoit quelques perfonnes avec elle. L'huiffier de la Chambre la refula d'abord, , paree qu'il étoit tard ; mais Madame de Butler, Sous-Gouvernante , dit qu'il falloit la laiffer entrer avec fa compagnie. Madame de Butler les conduifit dans la ruelle oii étoient les feromes de garde, Cette Sceur-grife paria beaucoup, fe mit P iij  -3° Mémoires a genoux, remercia de la faveur qu'on lui avoit faite , & s'ei\ alla. A 1'infrant même , une des Femmes-de-chambre voulant lever M. le Duc de Bourgogne, s'appercut qu'il y avoit du papier fur fon drap de berceau. Elle le donne a Madame de Butler. C'étoient des Mémoires d'une grace que 1'on demandoit, écrite fur du trés-grand papier. M. de Saint-Florentin a penfé que ce Mémoire jetté fur le berceau par la Sceur-grife avoit pu donner k la Dame Sauvé Pidée d'y jetter le paquet en queftion. La Dame Sauvé étoit intimement liée avec JM. le Comte de Croy, particuliérement protégée de M. d'Argenfon, & paffoit pour fon efpion. 175 i, ia Décembre. Launnt de Serre de Mokt red ok , Ecuyer, ci-dtvant Garde du Roi, Compagnie de Noailles, du Diocefe d'Alais en Languedoc. II fut mis d la Bafille, en conféquence d'un ordre du Roi du 12 Décembre 1751 , 6' y refa jufquau 23 Janvier 1752. T J-j e s notes qui nous font tombées dans les mains ne difent rien des motifs de fa détention.  fur la Baftille, *753 > 23 Avril. Détails fur le Sleur An Ghvie l de la Beaumelle, mis d la Baf ille fur un ordre du Roi du 23 Avril 1753. -Au mois de Janvier 1752, fur I'avis que Ia Beaumelle, Avocat k Paris, avoit diflribué un livre, compofé par fon frere, qui étoit alors a Coppenhague , intitulé : Mes Penfées, ou le Qu'en dtrd-t-on , oü il y avoit des portraits fort latyriques, on envoya chez lui un Commiffaire en perquifition , & il ne s'en trouva que deux exemplaires, les quarante-huit autres que fon frere lui avoit envoyés étant diftribués. Cette même année, 1'Auteur ne ceffa de demander la permifïion de revenir en France; ce qui lui fut conftamment refufé par M. d'Argenfon. Au mois d'Avril 175:3 , on fut informé que la Beaumelle étoit revenu a Paris avec des exemplaires d'une nouvelle édition qu'il avoit fait faire , du Siècle de Louis XlF, de Voltaire, dans laquelle il avoit inféré des notes critïques ofFenfantes pour la Maifon d'Orléans. On envoya en perquifition chez lui, oü 1'on en trouva huit exemplaires , & il fut conduit a la Baftille. Au mois d'Octobre de la même année, M. le Duc^ d'Orléans lui pardonna, & il fut mis en liberté, avec un exil a cinquante lieues de Paris, Pendant fon exil, il avoit fouvent des pcP iv  2 3 2 Mémoires miffions de venir a Paris, & il y venoit & alloit a Saint-Cyr continuellement. On fut inftruit au mois de Janvier 1754, que la Beaumelle étoit a Paris, travaiilant a la Vie de Madame de Maintenon, dont il y avoit déja «n premier volume imprimé. II fe propofoit de donner des Mémoires plus étendus encore fur la vie de cette Dame. On envoya chez lui un Comjniffaire, qui faifit tbutes les lettres, les manufcrits & le premier volume de Maintenon, mais on le laiffa übre ; & le 27 Aoüt fuivant, M. Berryer lui rendit tous fes papiers. Le premier Aoüt 1756, M. d'Argenfon fit expédier, de concert avec M. Rouülé, Miniftre des Affaires étrangeres , un ordre pour arrêter la Beaumelle & le conduire a la Baftille. Cet ordre fut exécuté, & perquifition faite chez la Beaujnelle, 011 1'on trouva plufieurs exemplaires d'une édition en 6 vol. des Mémoires de Maintenon. Nota. Lorfque la Beaumelle fut arrêté, il faifoit faire une nouvelle édition de fes Mémoires de Maintenon, par Defprez, Thibouft & Savoye, Imprimeurs affociés pour cela, &c avoit fait un traité avec eux. Le Commiffaire Rochebrune eut ordre de faire une vifite chez eux, oü 1'on trouva les feuilles fous-preffe, & le Commiffaire prit leur foumiffion de faire porter les feuilles déja imprimées a Ia Baftille, ce qui fut exécuté. La Beaumelle fut mis en liherté au mois de Septembre 1757, avec un exil en Languedoc.  fur la Bafille. a33 1757 , 7 Février. Le Sleur Tapin de CuillÉ, fis d'un Confeiller du Rol, fut mis d la Bafille le 7 Février 1757. Ce jeune homme avoit eu le malheur, par fes difïïpations , d'irriter fon pere , au point que celui-ci avoit follicité un ordre du Roi pour Ie faire mettre è Pierre-en-Cife, & enfuite au Mont SaintMichel.Pour fortirde cette feconde prifon, le Sieur Tapin fils s'avifa d'écrire en Cour qu'il avoit quelque connoitTance fur 1'horrible attentat commis fur Ia perfonne facrée du Roi; ce qui donna occafion de Ie faire transférer a la Baftille, oü il paroit avoir reflé fort long-temps. Comme cette affaire peut fervir de lecon aux enfants difïipés ék aux peres trop durs, & qu'en même-temps elle détnontre que c'étoit a la malheureufe facilité qu'on avoit d'obtenir des ordres pour les prifons d'Etat, qu'étoit dus fouvent Ie déshcnneur & la perte des families , plutöt que leur falut; nous donnerons ici une fuite de lettres qui nous font tombées entre les mains, & qui ne prouvent que trop notre opinion. Le Sieur Tapin étoit entré au Mont Saint-Mi« chel le 12 Février 1755 ; il fe fauva de cette prifon le z8 du même mois avec fept de fes cam-arades, & il fut repris avec eux le 7 Mai liiivaat.  ^34 Mémoirts Lettre écrite d M. de B ai n , par le Sleur Tatin de Cu ille. JV1 ONSIEUR, » La fcélératefle des Moines m'a obligé de me fauver du Mont Saint Michel le 28 de Février, & de m'expofer a Ja mort Ia plus crnelle, en defcendant de trois cents pieds de hauteur. Ce fept Mars, è Ernei, j'ai été arrêté par trente hommes , la baïonnette au bout du fufd , les valets des Moines & les Moines mêmes. Enfin je relourne dans leurs infames mains, ou je ne refïerai pas Jorg-temps, étant réfolu a tout facrifier pour avoir ma liberté , quitte même a perdre la vie qui ne me coüte plus, puifque je J'ai rifquée avec autant de courage. Acluellement je connois la mer; j'ai erré douze heures fur la greve, fans appréhender Paniffage. Vous m'obügerez donc d'en faire part; je facrifierai ma vie pour me fauver, & fi je n'y puis parvemr , je tuerai des Moines, préférant la roue d la captivité, étant fatigué de mourirde faim, d'être privé du jour & du chaufFage ; c'eft pourquoi déterminei mon pere d me laiffer fervir comme Volontaire dans la Marine ; a garder ma penfion pour payer mes dettes, s'il ne veut pas avoir des défagrements, & même êfe déshonoré, étant rêfout de tout facrifier pour me fauver. Je vous prie donc de lui parler fortement en ma faveur, car le temps preffé; d'autant que  fur la Baf Uk. je fuis livré au plus horrible défefpoir. J'ofe tout efperer de vos bontés, vous comptant toujours comme mon ami le plus chaud. Je fuis avec toute la confidération poffible, Monfieur, Votre très-humble, trèsobéiffant ferviteur, at DE Cuilié. A tougeres, ce 7 Mars 1755. Lettre écrite d Madame Varnier, femme du Procureur au Chatelet, du 8 Mars 1755. IVI a d a m e, Je me fuis fauvé de Saint-Micheï; j'ai defcendu trois cents pieds pour éviter la fureur des Moines Trois fois j'ai rifqué ma vie , pour jouir de ma hberte pendant fept jours. Ayant été pris Ie feptieme Mars par trente hommes, la baïonnette au bout du fufil, & Un qui m'a brulé 1'amorce de fon piftolet fur Ia poitrine, toutes ces intortunes ne me rebuttent pas; je me fauverai par ma mort. ou celle A, ': ■ Jws dej ejpere; le crime devient pour moi une venu; y. mon pere peut etre Jur, s'il ne m'accorde ma hbene Je porterai la flamme jufques fur 1'autel, s il Ie faut nour fmV r.nmm„n:^..^ /■__ timents a ma famdle; je ne demande qu'a ferf* dans ,a marinei il efi affreux qu'on me le  2.36 Mémoires refufe, d'autant que je ne demande qu'une place de Volontaire ; il eft vrai que mon pere paie fix cents livres pour ma penfion, & néanmoins je meurs de faim. C'eft pourquoi, Madame , parlez fortement pour moi; empêchez mes parents d'être déshonorés; car je deviens fcélérat a force d'avoir des fcélérats pour gardiens. J'ai 1'honneur d'être avec autant de refpecl: que de foumiffion, Madame, Votre obéiffant & dévoué ferviteur, Tapin de Cuillé. A Fougeres, ce 8 Mars 1755. Lettre du Sieur TA PIN pere. » L a lettre ci-jointe, écrite par mon malheureux fils , a la Dame Varnier, oii il lui peint toute la fureur d'un homme qui a perdu la tête, a la fin de fa lettre; il demandoit a fervir dans la Marine, lorfqu'il eft forti de Pierre-en-Cife , oü il a été renfermé. II me demanda a lervir le Royal-Artillerie ; je lui fit avoir une Commiffion de furnuméraire pour entrer dans ce Corps. II y fut recu le 15 Septembre 1754 par M. d'lnvilfier, Maréchal des Camps & Armées du Roi, Commandant 1'Ecole a Strasbourg. II n'y a pas été un mois qu'il fut mis en prifon , par ordre de fon Commandant, dont il n'en fortir que par lés foins de M. ie Marquis de Thiboutot, qui  Jur la Bajlille. 237 Ie fit partir par le courrier de Strasbourg , 011 il arriva a Paris Ie 19 Décembre fuivant; ce qui eft. prouvé par une lettre ci-jointe que mon fils lui écrit d'Orléans, oh il lui demande de 1'inftruire de ce qu'on dit dans la troupe, de fa fuite , Depuis 1750, il a été renfermé en différenies maifons; il n'a pas eu une année de liberté ; malgré le peu qu'il a été libre , il a contracté plus de 25,000 liv. de dettes dans différentes Villes du Royaume oü il a été. » Dans cette lettre, il menace de fe tuer ou de tuer quelques Moines du Mont Saint-Michel, fi on ne lui accorde fa liberté ". Lettre écrite d Mademoijelle Ta pin, par Jon Jrere, qui avoit été repris & remis au Mont Saint-Michel. ]Vf a c h er e Sieur, » Je ne refois point de vos nouvelles ; je n'en recois de perfonne; car je fuis mort pour Ia fociété ; graces aux foins infatigables d'un Prieur, geolier entendu, perfécuteur animé, quï prend le crime pour la vertu , quand faire un crime lui vaut de 1'argent. Mais, chere fceur, fans vous cela ne dureroit plus; fans vous ce monjlre enfrocqué, qui ne me parle que le piftolet en poche & pour me tourmenter, auroit été puni de fon audacité. Je vous ai refpeöée^ paree que je vous aime tendrement, & cejl ce qui ejl cauje que je nai pas femé la mort d tous les  2 3 8 Memoires Couvents du Mont Saint Michel, oh faurois rèpandu plus depintes de fang que mon pere n'a de cheveux Jur la tête. Hèlas ! que l'amitiê que j'ai pour vous me coüte de maux ! La vengeance qui, pour tous les hommes, a tant (Tappas, en auroit pour moi cl infinis, ïi en me vengeant il ne falloit que commettre un crime, & que je pus le commettre lans vous deshonorer ; mais par malheur en France , les fautes ne font pas perfonnelles; c'eft pourquoi il faut que je périffe fans me venger, puiTque je ne puis le faire fans vous être préjudiciable. Que mille maux m'accalknt; que la mort m'enleve, rien ne pourra me changer : je mordra't mon frein ; je fouffrirai tout avec courage ; ehjin , mafceur, je fuivrai tout ce que mon cceur m'ordonnera pour vous ; c'eft pourquoi foyez tranquille, & foyez certaine que jamais rien ne pourra altereer mes fentiments. J'exige auffi que vous me payiez d'un parfait retour, fi vous pouvez Ie faire fans offenfer vos parents; car fi pour leur complaire, il faut me haïr, haïffez-moi, & je ne vous en aimerai que mieux. Rendez-vous heureufe, c'eft toute la grace que je vous demande; & dès que je vous la faurai, je deviendrai moi-même heureux fur ma paille, en mangeant mon pain noir, buvant un cidre plus mauvais que le jus de coloquinte ou d'aloës, fur-tout que ma captivité ne vous irrite pas contre vos parents; leurs défauts font pour vous des fujéts de refpeÖ , & d'ailleurs la nature doit fe taire, quand le devair commande. Je me ferois fauvê trois fois depuis ma première évafion , fi mes camarades étoient des hraves gens; au rejle, ils peuvent le devtnir; c'efi pourquoi je pourrai me fauver, Si cela arrivé, j'irai en An-  fur la Baftille. x^ gleterre chercher un pere & une patrie ; je fuis certain a"y trouver du fervice. Adieu, chere fceur , porrez-vQus bien, ménagez votre fanté, ornez' vous 1'efprit tant que vous pourrez; donnez-vous je plus qu'il vous fera poffible è la leéture des bons hvres; car 1'efprit cultivé efi d'une grande reffource; fur-tout demeurez perfuadée que perfonne ne vous aime ni ne vous chérit davantage que celui qui fe dit votre ferviteur & votre frere, Tapin de Cuillé. Du premier Septembre 1755. &en des complicomphmenti a tous nos amis, attachez-vous pour toute grace M. & Madame Varnier, que j'efiime infiniment. II en coute en argent, hardes ou effets , plus d'un louis d'or chaque fois que 1'on ecrit ïci, paree que tout n'eft qu'impöt. Lettre du Pere Fresnel, Prieur du Mont Saint-Michel. JVI onsieur, » Je fuis obügé de vous donner avis que Monfieur votre fils eft parti cette nuit pour être tranfféré è Ia Baftille. II a trouvé le fecret d'écrire en Cour, qu'il avoit quelque connoiffance fur I norrible attentat commis fur la perfonne facrée de Sa Majefté ; & c'eft en conféquence que j'ai recu ordre de le mettre entre les mains des Sieurs Caftelnau Sc Liegut, Lieutenant de Robe-courte.  Mémoires Je ne pms pas maintenant entrer dans un plus grand détail, paree que le courrier preffé, je dois feulement vous ajouter qu'il eft parti avec la plus grande joie , dans 1'efpérance que cette tranflation lui procurera fa liberté ". J'ai 1'honneur d'être avec un profond refpect, Monfieur, Votrre très-humble & très- obéiffant ferviteur, Fr. G. Fresnel, Prieur. Du Mont Saint-Michel, le 2. Février 1757. Lettre du Sieur Tapin pere. Monsieur, mon cher Ami, » Vous trouverez ci-jointe deux lettres de mon malheureux fils, oü il y a autant de fcélérateffe que dans celles que vous avez. Je vous prie de me feconder a pouvoir parvenir a le faire renfermer le refte de fa vie. Le Gouvernement le doit avec juftice. Jugez combien la nature a fouffert chez moi depuis plufieurs années ; aufli je fuis abafourdi quand il me vient dans 1'idée. Adieu mon cher ami, je vous embraffe de tout mon cceur, je n'ai pas la force de vous en dire davantage. Tapin. az Février 1757. Je joindrai une quinzaine de lettres de ce malheureux qui font après, dans le même gout de celle que je vous enyoie. Lettre  fur la Bajlille, j4i Lettre du Sieur Tapin fils , datée de la Bafiille & adrejjée vraifemblablement au Lieutenant de, Police. jfyï o n s i e u r, Malgré les malheureufes impreffions que mori pere a pu vous donner fur mon compte, par des placets diciés par la fureur de fes pafïions, que je ne dois point ici vous peindre , me fuffifant de vous affurer que je ne fuis pas coupable, pour ofer enfuite tout efpérer de vos bontés. Vous connoiffez mon pere, Monfieur, mais vous êtes mon Juge ; c'eft pourquoi, fans craindre les effets de la prévention qui ne peuvent m'être que trèsdéfavorables, vu fes délations, je vais , fans rien céler, vous découvrir mes inquiétudes & les motifs qui m'ont décidé k agir dans 1'affaire qui eft caufe aujourd'hui que je fuis détenu au Chateau de la Baftille, oh j'aurois été flatté que vous euffiez pris la peine de m'interroger. Le Subdélégué d'Avranche, Monfieur, dans 1'interrogatoire qu'il me fit fubir, inféra une expreffion k 1'avant-dernier ou au dernier article de la deuxieme page, qui depuis ce temps n'a pas laiffé que de m'inquiéter, & dont voici la fubfiance. II me demanda fi j'étois lié étroitement avec le Sieur Baron de Vennac ; je lui répondis que la conformité de malheurs, la néceffité de fe voir, la contrainte même de fe faire une fociété , m'avoit fort lié avec le Baron de Vennac , ce qu'il Tome II. Cahier F!II. Q  241 Mémoires rendit très-mal dans fon expofé, par !e mot de particuliérement, qui fignifie être lié par même intérêt, intimité de cceur , conformité de fentiments, de paffions, de goïits, de plaifirs; chofes que je n'ai point prétendu faire entendre , d'autant que je n'ai connu le Sieur de Vennac que deux mois environ, ce qui n'eft pas fuffifant pour fe connoitre, s'aimer & être unis, comme Ie donne a penfer M. Angot, par fon expreffion de particuliérement. D'ailleurs le caracïere de M. le Baron eft tout différent du mien; fes goiits, fes pafïions & fes mceurs n'ont aucunes fimilitudes avec les miennes. Eh puis! quel eft I'homme fage & penfant, qui peut fe lier avec un autre qu'il n'a pas eu le temps de pénétrer, d'apprécier , d'approfondir enfin ? c'eft pourquoi il faut plus de deux mois. Ainfi donc 1'on cotera ledit article dudit interrogatoire , & Ion aura la bonté de mettre au-lieu du mot de particuliérement, comme Pa déja fait M. de Rochebrune dans celui du 26 de ce mois, que j'étois fort lié avec le Sieur de Vennac, uniquement par la conformité d'état, ne nous ayant point vu affez pour nous eftimer, a plus forte raifon pour nous aimer. Revenons maintenant, Monfieur, aux deux motifs qui m'ont décidé a écrire k M. le Gardedes-Sceaux le complot dont le Sieur de Vennac m'a fait part, que nous diftinguerons, s'il vous plait, 1'un par rnotif d'état, 1'autre par rnotif particulier, ayant rapport au Miniftre & a 1'Etat. Lorfqu'au 8 Janvier la renommée nous apprit, par un fon lugubre de fa trompette, 1'horrible attentat qu'on venoit de commettre fur 1'augufte perfonne du Roi , je fus des plus allarmés ; je  \ Jut la Bajlille. %M frémïs d'horreur, & Ia douleur fubite qui s'empara de mon ame, fut de ces douleurs caradérifiiques qui fe démontrent 6c fe manifeftent par les fignes les plus fenfibles : le Baron de Vennac, pénétré du coup que fon Maitre venoit de recevoir, me parut plus ému que furpris; & lui en ayant témoigné mon étonnement, il m'accorda dès-Iors Ia confiance , fut a fa table, prit fon porte-feuille, tira un cahier de grand papier, Sc me lut le commencement d'un complot, qui loin de calmer ma douleur, ne fit que 1'augmenter , puifqu'il m'annoncoit que des Officiers du plus beau régiment de France, des gens de condition, vivant, pour la plupart, de Ia folde de leur Prince , nourris de fes bienfaits , enrichis même, étoient affez fcélérats pour vouloir verfer le fang d'un Monarque qui ne vit que pour le bien de fon Peuple Sc fon bonheur. Je formai in petto le deffein d'en avertir M. le Garde-desSceaux, ayant 1'honneur d'être connu de lui, Sc non de M. d'Argenfon, penfant que le Sieur de Vennac m'accufoit vrai, & qu'il n'étoit pas homme, pour fon avancement , è prêter un crime auffi énorme a fes camarades. D'ailleurs Chevalier de Saint-Louis, bienfait de fon Prince, 6c qui n'eft dü qu'a Paöivité que ce grand Roi a de marquer è fes Sujets combien il fait de cas de ceux qui le fervent, devant animer le Sieur de Vennac a lui être dévoué, c'a me perfuada que le zele feul le faifoit parler, & que Ie même zele l'avoit porté a me déclarer ce projet pour que j'en donnaffe avis, eu égard qu'il étoit malade. Je le fis cependant fans lui communiquer; & comme j'avois oui dire a un de mes camara- Q 'n  244 Memoires des, qui lui avoit fervi de Secretaire pendant fa goutte, qu'il avoit écrit pour lui a M. le Comte d'Argenfon au fujet d'un complot formé contre tous les gens bien venus a la Cour, je mis en conféquence dans la mifïïve de M. le Garde-desSceaux que M. d'Argenfon en étoit inftruit, afin que, conjointement enfemble, ils puffent prendre les mefures néceffaires pour garantir déformais Sa Majefté d'un pareil événement a celui du 5 Janvier dernier. J'écrivis ma lettre le 13 du même mois, lorfque M. de Lancize confïrma 1'accident que jufqu'alors je m'étois efforcé , pour ma fatisfaflion , de regarder comme incertain: je la fis rendre par le Portier a I'Abbé de Durfort; & comme je le fufpeftois beaucoup d'intercepter les lettres qu'on lui confioit, je me flattai qu'il refpeéieroit celle-la, ou que du moins s'il ne la refpecfoit pas, qu'étant interceptée, elle feroit toujours renvoyée a M. le Garde-des-Sceaux ou a M. le Comte d'Argenfon; & que fa fidélité comme fa trahifon, me ferviroient également, puifqu'elle apprendroit a la Cour un projet qu'il étoit de Pintérêt de 1'Etat qu'elle fut au plutót. Paflbns a 1'autre motif. Le 13 Janvier au foir, renfermé dans ma chambre , je me promenai quelque temps; en*iuite m'affeyant vers ma table, je me recueillis, me difpofant a écrire a M. le Garde-des-Sceaux, malgré 1'ennuyeufe converfation de mon voifin. Que d'idées ne me vinrent point alors ? Je me rappellai que dans le courant de Décembre le Sieur de Vennac avoit écrit aux Archevêques d'Alby & de Touloufe, è 1'Evêque de Mende dans le Gévaudan , pour prendre la tonfure y  fur Li Bafille, qu'il avoit mandé la même chofe a M. de Peyrufe, fon Colonel, & a M. du Chayla. Quel parti pour un Officier de trente-cinq ans de fervice, pour le feptieme Fa&'ionnaire du Régiment de Normandie , pour un fujet fidele, qui fait un complot conrre fon maitre, qui, foi-difant, en a averti , & qui, au fortir d'un afte de fidélité , veut terminer fa carrière par un afle de dévotion, qu'on peut regarder comme un acte du défefpoir le plusdécidé! D'ailleurs, quelle apparence que, pour n'avoir pas campé fous le Havre-de-Grace, i! foit envoyé, par ordre du Roi, dans un cachot du Mont-Saint-Michel? II n'eft pas douteux qu'il n'eft point de petites fautes dans le fervice du Roi, mais il en eft qu'on excufe, fur - tout quand elles font occaiionnées par des malheurs comme la fienne étoit; puifque fon camarade, qui s'étoit chargé de fon argent pour lui faire faire une tente, s'étoit eftropié en route. De plus, il a confié le complot qu'il a découvert a M. le Comte d'Argenfon. II faut que M. le Comte d'Argenfon , après les informations que fon a&ivité 1'aura porté a faire, n'ait pas trouvé les chofes comme il les lui avoit annoncées, puifqu'elle ne s'eft point fait affurer des complices qu'il déclare lui avoir dénommés, d'autant que la fidélité de M. le Comte d'Argenfon ne peut pas être fufpecte; que le Roi ne 1'a fait fon Miniftre que paree qu'il 1'a connu fon fujet; & qu'en outre, on ne peut pas trouver un Secretaire d'Etat plus dévoué k ion maitre, & qui ait par-devers lui plus de belles & de grandes manoeuvres. Pourquoi, me difois-je encore a moi-même, le Baron de Vennac, qui veut fe faire tonfurer, écrit-il k Gand Q «j  1^6 Mémoires a Madame Ia Comteffe de Lanoi, qu'il adécouvert un complot formé contre la perfonne du Roi & contre la Familie Royale ; qu'il lui en «envoyoit un détail, pour communiquer a S. M. ie Roi Staniflas, en Pengageant de porter ce Prince 3 obtenir du Roi fon gendre une audience particuliere pour lui, afin qu'il puifTe lui découvrir verbalement ce complot, & lui rendre un compte exacf de fa conduite, au-lieu de s'adreffer pour toutes ces chofes a M le Comte d'Argenfon, fujet dévoué aux intéréts de fon maitre, Miniftre d'Etat, & infatigable quand il faut fervir 1'un & 1'autre. Quoi! ce complot feroit-il un enfant de 1'impofture & de 1'ambition? Le Baron 1'a-t-il formé pour perdre M. le Comte d'Argenfon , ou eft-il vrai ? Comment inftruire ce Miniftre ? Ne me connoiffant point, me croira-t-il? Cependant, que ne dois-je pas a fa familie? Monfieur fon pere a enrichi le mien : Comment faire ? Pour éviter la perte d'un fujet fidele , d'un Miniftre néceffaire ii fon Maitre &C a 1'Etat, il faut, me difois-je alors, inftruire de tout M. le Garde-desSceaux ; il avertira M. Ie Comte d'Argenfon; on approfondira 1'affaire; on écoutera les délations du Baron; 1'on fera exhibition de fes papiers; Pon diftinguera les coupables d'avec les innocents. Si le fait eft vrai, les conjurés feront punis févérement : fi au contraire il eft faux, le délateur le fera, & par ce moyen j'aurai la doublé fatisfaétion d'avoir, ou dérobé mon maitre aux coups cruels d'affaflins furieux, ou préfervé un Miniftre, a la familie duquel je dois une partie de mon bienêtre, d'être foupconné & accufé d'infidélité, & aurai, pour furcroit de bonheur, fait écheoir tous  fur la Bafille. 247 mauvais defleins contre mon Roi, Sz garder a 1'Etat un grand Secretaire d'Etat pour la partie de la guerre. Cela bien contrebalancé, je jugeai qu'il n'y avoit point de temps a perdre, & que je n'aurois rien de plus preffé que de donner a M. de Machaut, dont j'ai 1'honneur d'être connu, avis de toutes ces chofes, & lui écrivis pour cet effet Air le champ : & peu de jours après, comme je préfumois que M. le Garde-des-Sceaux pouvoit mander mon pere pour ce fujet, j'en touchai quelques chofes dans un poftfcrit d'une lettre du nouvel an que j'écrivois a une Dame , pour qu'en intime amie elle fit voir cette lettre a mon pere, qui pour lors auroit été en état de répondre; c'eft. pourquoi je ne me ferois pas adreffé a ladite Dame , nommée Vernier, fi le Prieur de la prifon ou j'étois, ne m'eut pas fait dire, le 29 Décembre, que mon pere ne vouloit plus entendre parler de moi; réfolution que j'attribuai au menfonge dont ce Prieur bercoit mon pere, pour le tromper plus fürement & m'éternifer dans fon colombier. Je vous fupplie, Monfieur, d'inffruire M. Ie Comte d'Argenfon des motifs qui m'ont déterminé a agir; de m'honorer auprès de lui de votre protection, afin , Monfieur, que de plus qu'a vos prédéceffeurs, je vous doive de la reconnoiffance, non-feulement pour le bien que vous avez fait k mon pere, mais pour celui que j'aurai recu de vous, pouvant être certain que fi je puis refpirer encore en liberté, je ne le ferai que pour m'attacher a vous , & vous prouver, par mon refpecl & mon fincere attachement, combien je fuis dévoué au vrai mérite, J'efpere tout de votre Q iv  14* Memoires protection. J'aurois defiré & defirerois que vous euffiez pu m'entendre au Chateau de la Baftille; mais en attendant cette faveur que je fouhaite, fans ofer 1'exiger, je vous fupplie, Monfieur, de confentir qu'on me donne des livres, d'ordonner a mon pere qu'il ait a m'habiller, tout me manquant, excepté la vie animale, qu'on me laiffe prendre, de même qu'aux quadrupedes, volatiles & rampants; néanmoins j'ai befoin d'un peu plus. Pardonnez fi j'ai été un peu prolixe , j'aurois encore beaucoup de chofes a vous dire, mais il faut que je termine; c'eft pourquoi je conclus par ce qui me flatte davantage, qui efi d'être avec foumiflion & un attachement des plus refpecl ueux, Monfieur, Votre très-humble, trésobéiffant ferviteur, Tapin de Cuillé, Du Chateau ds la Bafiille, ce 28 Février 1757»  fur la Baftille, 24c; Precis hiftorique de la détention du Comte D E L o RG E s d la Bajlille pendant trente - deux ans ; enfermé en 1757, du temps de Damiens , & mis en liberté le 14 Juiliet 1789 (1). Avis de l'Êditeur. Par m 1 les prifonniers que la Baftille renfermoit dans fes murs, Sc qui furent mis en liberté le 14 Juiliet dernier, on remarqua avec furprife un vieillard, dont Ia barbe defcendoit jufqu'a la ceinture , refpeclable par les maux qu'il a foufferts, & par la longueur de fa captivité. Cet infortuné étoit Ie Comte de Lorges; il fut conduit a l'Hötel-de-Ville après Ia prife de la Baftille. C'eft-la que je le vis pour la première fois, & j'eus la fatisfaciion de 1'accompagner jufqu'a 1'hötel, oü on le dépofa. Ses difcours fe refïentoient du trouble oü la révolution 1'avoit jetté; il maudiflbit de Sartines, prétendoit qu'il étoit fils d'un valet-de-chambre, Sc que c'étoit lui qui, pour de 1'argent, 1'avoit précipité dans cet abyme de maux d'oü on venoit de le tirer. II difoit auffi que le chateau de Vincennes étoit le lieu oü il avoit été détenu pen- (1) Ce Précis a paru imprimé quelques jours après la prife de Ia Baftille. Nous avons cru devoir le configner en entier dans ce Recceil, comme une piece effentielle.  1^0 Mémoires dant fi long-temps, & fon étonnement fut extréme , lorfqu'on lui eut appris que c'étoit de la Baftille qu'il venoit de fortir, & nous eümes de Ia peine a Pen perfuader ; ce qui nous fit foupconer qu'il exiftoit un fouterrein qui communiquoit de Vincennes a la Baftille, & qu'on auroit fort bien pu le transférer d'un Chateau dans un autre. J'obtins la permiffion d'aller le revoir; j'en profitai : il me raconta 1'hiftoire de fa détention , & me promit de me détailier les autres circonftances de fa vie. Des affaires m'appellelent a la campagne : de retour, je n'eus rien de plus preffé que d'aller voir le Comte de Lorges; j'appris avec douleur que las de vivre avec une génération qui lui étoit inconnue, il avoit demandé a la Nation une retraite oii il put finir paifiblement fa carrière , & que fa demande lui avoit été accordée ; & voila pourquoi je ne donne au Public que 1'hiftoire de fa détention. Le Prifonnier d la Bafille pendant trente-deux ansi Nation fenfible & généreufe, qui avez fait luire pour moi 1'aurore de la liberté, vous faurez les maux que j'ai foufferts, vous faurez comment, pour avoir eu le malheur d'offenfer une courtifane fameufe , maïtreffe du plus defpote des Rois, j'ai été jetté dans un noir cachot , comme le plus grand fcélérat. Vous avez brifé les chaines du defpotifme ; vous êtes libres , & jamais Peuple ne fut plus digne de letre. Pompadour régnoit en France; elle feule fai*  fur la Baf lik. 151 foit les Miniftres, nommoit les Généraux, Sc difpofoit généralement de toutes les places du Royaume. Un pofte venoit-il a vaquer, les Courtifans 1'obtenoient a force de baffeffes Sc d'humiliations. L'honnête homme aimoit mieux languir dans 1'obfcurité, que de venir au milieu d'une Cour corrompue, faire iachement fa cour , Sc mendier une grace a une proftituée. Bernis, pour un Quatrain infipide, eft parvenu aux dignités les plus éminentes de 1'Eglife. Un abus aviffi criant me révolta, mon ame s'en indigna, Sc j'ofai confïer au papier les fentiments qui m'animoient. La vérité, cette fille augufte du Ciel, bleffa des yeux qui n'étoient point accoutumés a la voir : mon écrit déplut; j'avois dévoilé les manoeuvres infidieufes de la Favorite, j'avois démafqué fes indignes partifans : tel fut mon crime, &C dès-lors ma perte fut affurée. Sartines, de glorieufe mémoire, fut chargé d'exécuter des ordres miniftériels ; il fut enchanté de la commiffion , paree que ma plume ne 1'avoit pas ménagé : auffi lacha-t-il contre moi une meute de sbires infernaux, qui vinrent fe faifir de ma perfonne. Je fortois d'entre les bras du fommeil; des fonges affreux en avoient altéré la douceur, Sc ne m'avoient laiffé jouir d'aucun repos; j'avois vu 1'ange de la mort planer fur ma tête, & me menacer de fon glaive étincellant; il étoit même prêt a.me frapper, lorfque je fus réveille en furfaut par les coups redoublés que j'entendis a ma porte. Un brigand, k la tête de fa troupe, s'élance, Sc au nom du Defpote, il ole porter fur  2 51 Mémoires moi une main facrilege. Je frémis! mon premier mouvement fut de réfifter, mais foible & fans armes, je vis qu'il étoit inutile de m'oppofer a Ja force. On m'entraine & on me force d'entrer dans une voiture qui me conduit a la fatale prifon. Quel étoit mon crime ? L'élan d'une ame Républicaine, qui fouffre de voir le vice triompher, 6c la vertu en bute aux traits de la perfécution. J'arrive a ce monument élevé par Ie defpotifme, j'y entre, le pont-levis s'abaiffe, & je me vois enterré tout vivant dans une prifon. J'étois recommandé au gouverneur; il avoit ordre de ne me laiffer parler a perfonne, & de me renfermer dans le cachot le plus noir. Deux jours fe patiënt fans voir aucun être vivant, fi ce n'eft le guichetier qui m'apportoit du pain & de 1'eau. Le troifieme jour, j'entends 1'énorme porte de mon cachot rouler fur fes gonds. Un friffon involontaire s'empare de tous mes fens. Ayant entendu parler des horreurs qui fe commettoient fecretement dans ce fort infernal, je crus que mes ennemis alloient terminer ma trifte carrière. On me conduit devant un tribunal de fang; Sartines fiégeoit fur les lys & m'interrogeoit. Jamais le menfonge n'a fouillé mes levres, & la vérité fortit toute pure de ma bouche. Sa première queftion fut de me demander fi véritablement je m'appellois le Comte de Lorges ? Je lui répondis que oui. La feconde, fi j'étois Pauteur d'un livre qu'il me repréfenta, ou 1'on fe permettoit, difoit-il,  fur la. Bafille, 253 les invectives les plus fanglantes contre la Cour & ceux qui la compofoient? Je lui répondis que oui; ajoutant qu'on ne devoit point appelier invectives des faits connus de tout Ie monde. La troifieme, quel étoit le nom de 1'imprimeur dudit livre ? Je lui répondis, que connoiffant 1'auteur, il lui étoit inutile de connoitre 1'imprimeur ; d'ailleurs, qu'ayant promis de ne jamais le nommer, aucune puifiance humaine ne me forceroit de Ie faire. Laquatrieme, pourquoi & dans quelle intention j'avois compofé ledit livre ? Réponfe. Que je n'avois de compte a rendre de mes intentions qu'a 1'Etre fuprême. Mon juge termina fon interrogatoire en me difant : Monfieur, vous ne vous plaindrez point, puifque vous-même vous venez de vous accufer coupable. Je ne daignai point répondre a ce qu'il venoit de me dire. Pendant qu'on rédigeoit le procés-verbal, je levai les yeux machinalement fur le plafond de la falie, j'y appercus une trappe.... Bien des perfonnes m'ont connu avant ma détention , quelques-unes exiftent encore; aucune, fans doute , n'a jamais foupconné mon courage, & ne m'a cru capable de lacheté : la nature a donc horreur de la deftruction, puifque j'avouerai que je ne fus pas maitre d'un tremblement univerfel a la vue de Ia trappe fatale; mon fang fe glaca dans mes veines, & mes cheveux fe drelferent fur matête. Le Magiftrat ne fit pas femblant de s'appercevoir de mon trouble, & me fit conduire dans mon cachor.  2 5 4 Mémoires Pendant deux mois j'attendis de jour en jour' Pheure de ma déüvrance , mais en vain : je croyois, dans la fimpücité de mon ame, que le féjour que j'avois fait dans ce fort redoutable , devoit plus qu'expier la faute d'avoir fait parler la vérité. Infortuné que j'étois, je ne favois pas que la moindre offenfe, faite au pouvoir arbitraire, eft toujours fuivie de la plus terrible vengeance. Trois ans s'étoient déja écoulés, & mes fers, loin de s'alléger, pefoient encore davantage fur mon individu ; le défefpoir dans le cceur, je tentai de les brifer : plus Pentreprife étoit périlleufe Sc difficile, plus je m'obftinai a vouloir la mettre en exécution. Toute communication au-dehors m'étoit fermée par une triple grille de fer, Sc une doublé porte, également de fer, me défendoit toute iffue pour le dedans. Ces difficultés, prefqu'invincibles, ne me rebuterent point, Sc ]e*ie défefpérai point de parvenir a me pratiquer une fortie a travers les redoutables barreaux. Des chevilles de fer tournées en vis, foutenoient le bois de mon lit; je les appercus , & j'en fis ufage de la maniere fuivante. Ces vis ayant des afpérités raboteufes, préfentent la forme d'une lime; je m'en fervis donc pour corroder les barreaux. Mes premières tentatives n'eurent pas beaucoup de fuccès, Sc 1'ouvrage n'avancoit que trèsioihlement : cependant avec de la patience on vient a bout de tout, & j'avois déja la fatisfaction de voir deux grilles percées, lorfque je fus furpris dans mon ouvrage par un porte-elef, qui me dénonca au gouverneur, Sc 1'on me transféra dans un autre cachot, ou 1'on m'öta toute efpece de reflburce pour brifer mes fers.  fur la Bafille. 255 Quel étoit donc votre deffein, me dira-t-on ; fi vous étiez parvenu a vous pratiquer une iflue a travers les grilles ? J'aurois fait une corde avec mes draps, ma couverture & mes vêtements; je 1 aurois attachée a un barreau, & je me ferois laiffé couler le long de la corde ; enfuite m'abandonnant a la Providence , je ferois tombé dans les foffés; peut-être ma chüte n'ayant point été dangereufe, j'aurois pu, m'évader a la faveur de la nuit. Peut-être auffi la mort auroit été la fuite de mon imprudence, mais alors mes fers étoient brifés & mes maux finis pour jamais. Les années s'écouloient & n'apportoient aucun changement a mon fort; trifle & abattu, je cculois mes jours dans Pamertume & le chagrin, maudiffant le defpotifme & fes cruels Miniftres. Après une captivité auffi longue & auffi rigoureufe , 1'Etre fuprême a pris en pitié ma deftinée malheureufe, & n'a pas permis que je finiffe ma carrière au fond d'un cachot: des décrets éternels avoient décidé que la Nation Francoife , après un fommeil léthargique de plus de quatre ftecles , fe réveilleroit, & qu'au bruit des chaïnes que briferoit Ia liberté, les Miniftres du defpotifme fuiroient, frappésdela profcription des Peup!es,5c couverts d'une infamie éternelle. Rappellez - vous ce jour è jamais mémorable dans les faftes de la France; la douzieme heure fonnoit, foudain un bruit fourd fe fait entendre & retentit jufqu'au fond de mon cachot. Les tubes d'airain tonnent & vomiffent la mort. Je tréfaillis; le Grand-Condé avoit affiégé autrefois cette fortereffe; des idees confufes agitent mon efprit, &  2 5 6 Memoires I'efpérance renait dans mon coeur. Le brult cefle, & bientöt des chants de triomphe & d'allégreffe viennent frapper mes oreilles. Les Soldats de la Liberté monïent en foule, les portes de mon cachot s'ébranlent, & tombent fous les coups redoublés des affaillants. Ils entrent: O vous ! leur disje, qui que vous foyez, délivrez un vieillard in-fortuné, qui gémit dans les fers depuis plus de trente ans. Le faififfement que j'éprouvai ne me permit pas de rien dire davantage. On me fait fortir de mon cachot; on m'apprend la révolution qui vient de s'opérer, &c comment les Francois font devenus libres. Un honnête Agent-de-Change fe charge de moi; il me fait monter dans une voiture,& m'accompagne jufqu'a 1'Hótel-de-Ville. Une foule immenfe aempliffoit la place de Greve, & demandoit k grands cris le traitre Gouverneur. II arrivé, des cris de joie fe font entendre, tout le monde veut le voir, & il n'eft déja plus; il a recu la jufte punition de tous fes crimes. Bientöt Fleffelle paie de fa tête fa lache complaifance : il entretient une correfpondance avec nos ennemis, & de concert avec eux, il veut amufer les citoyens jufqu'au moment terrible, oü 1'armée combinée devoit mettre en feu la Capitale. L'Ange tutélaire de la France n'a pas voulu que la Nation la plus floxiffante du monde entier reff at en proie aux horzeurs d'une guerre civile, n'a pas voulu que le pere s'armat contre le fils, Sc que les projets infernaux d'un Prince maudit a jamais & d'une femme fans pudeur eulfent un fuccès auffi barbare &c auffi funefte. L'exemple terrible de deux têtes coupables les ont  fur U Bafiilte. 257 ont fait trembler; üs ont fui, & la France a bént le jour oü fon fein n'a plus été fouillé de leur finiflre préfence. Pardon, généreux Francois, pardon, fi je vous rappelle des jours de fang Sc de malheurs; pour moi, le iouvenir m'en eft bien cher, puifque c'eft k cette époque , k jamais mérnorable, que ma hberté m'a été rendue. Je veux la célébrer a jamais : oui, je veux que le quatorzieme jour de Juiliet foit un jour de fête, & que les débris de ma fortune fervent a rendre tous les ans libres cinq prifonniers, qu'un engagement précipité auroit mis dans les fers. En relifant cet abrégé des maux que j'ai foufferts, je vois que j'ai omis une circonftance dans 1 mterrogatoire que 1'on me fit fubir lors de mon entrée a la Bafiille. De Sartines, avant de m'interroger, commenca par me dire qu'il étoit bien malheureux pour moi de me voir privé de ma liberté k la fleur de mon age ; que fans doute j'avois des ennemis fecrets qu: avoient fi bien épié ma conduite, que rien de ce que j'avois fait & de ce que j'avois dit ne leur étoit échappé, & qu'ainfi il me confeilloit de ne cacher dans mes réponfes aucune de mes actions ; qu'on ne m'avoit fait arrêter que pour avoir mon aveu, & que, auffi-töt que je 1'aurois donné, on ne tarderoit pas a me remettre en liberté. Lè perfide interrogateur n'eut pas plutot fait briller k mes yeux un rayon d'efpérance, que j avouai tout ce qui me concernoit. Cet aveu ne fut point fuffifant, il voulut connoitre ceux qu il appelloit mes complices, fauteurs 6c adhé- Tome II. Cahier Vlfl. R  2 j 8 Memoires rents. Voyant que les promeffes qu'il me faifoit d'une liberté prochaine , ne produifoient fur moi aucun effet, il me menaca de me jetter dans un cachot ténébreux, ou je n'aurois pour nourriture que du pain & de 1'eau, & de m'y faire refter pendant cent ans s'il le falloit, fi je perfiftois dans mon obftination. J'oppofai a toutes les rufes &c feintes de mon interrogateur , la fermeté d'un roe; rien ne put m'engager a manquer a ma parole &C a violer les loix de 1'honneur. Confus & défefpéré de n'avoir pu découvrir ce qu'il deftroit favoir, Sartines conféra un inftant avec le Gouverneur, enfuite me fit reconduire 'dans mon cachot. Huit jours fe pafterent fans que j'entendiffe parler de rien; le neuvieme je recus la vifite du Gouverneur, qui, avec une apparence de douceur & de bienveillance, me dit qu'enfin , graces a fes foins & fes follicitations, il étoit parvenu a me faire rendre ma liberté; & voila, ajoutoit-il, la lettre-de-cachet qui eft levée, & la fignature du Miniftre qui en fait foi. Je crus, fort innocemment, que le Gouverneur s'étoit véritablement employé pour moi auprès des fupérieurs. Mon erreur étoit bien grande ; j'ignorois ce tour infame d'agents miniftériels, qui ne faifoient aucun fcrupule de fe fërvir de toutes fortes de moyens pour tromper leurs malheureufes vicfimes, & les faire tomber dans leurs pieges. Je m'épuifois donc en remerciements pour les bontés de mon höte charitable. Ceffez, me ditil, de me remercier, j'ai fait ce que j'ai dü, &C vous ne devez m'en avoir aucune obligation. Le Miniftre a parlé au Roi eo votre faveur; le Roi eft  fur la Bafille. iy^ jufte Sc clément, il nva pas balancé a vous rendre la liberté, a condition toutefois que vous nommerez vos complices. Je vis alors la rufe, Sc ne pouvant retenir mon indignation, je lui dis: Sors, malheureux, retourne vers tes femblables, annonce-leur que je fouffrirai mille morts avant d'être affez lache pour devenir un vil dénonciateur. Ma réponfe déconcerta le Gouverneur, qui, en fortant, me lanca un regard foudroyant, Sc me dit : Malheureux, il te lied bien d'infulter& de braver tes maïtres; va, tu auras le temps de te repentir de ton obftination Sc de ton infolence. Je ne fis pas grande attention k ces paroles; mais un féjour de trente-deux ans dans un cachot, m'a fait voir malheureufement ,7*? fa prédiftion n'avoit été que trop accomplie. Nation généreufe, vous avez voulu connoïtre mes malheurs, ils vous intérefferont, j'en fuis fur, yotre cceur m'en efi garant. Mes maux font finis, j'en rends graces a 1'Eternel; ma captivité me paroït un fonge, Sc autant j'en reflentis jadis la rigueur, autant aujourd'hui j'éprouve de douceur k vivre a Pombre des loix, Sc fous le regne de Ia juftice Sc de la liberté. Rij  26q Mémoires 1661 , 22 Février. Claude - Jofeph TeRRIER DE Clairon, Préfident de la Chambre des Comptes de Dole , arrêté & mis d la Baftille pour avoir fait impri' mer & diflribuer, dans Paris, un Ouvrage en ■vers & en profe, intitulê : Hiftoire Allégorique de ce qui s'eft paffé de plus remarquable a Befancon, depuis 1'année 1756. CU e t t e Hiftoire contient une fatyre contre la plus grande partie des Membres du Parlement de Franche-Comté, & en particulier contre M. de Boyne, Intendant; & M. le Duc de Randan, Commandant de cette Province. On a foupconné le Sieur de Clairon, d'avoir faii imprimer ladite Hiftoire allégorique , pour fe venger de M. de Boyne , qui favoit fait exiler a Limoges, en 1757, lors du retour a Befancon des trente Magiftrats du Parlement qui avoient été cxilés pour s'être oppofés a 1'enregiftrement de la Déclaration du Roi, du 7 Juiliet 1756, qui ordonnoit la levée d'un fecond Vingtieme. Le Préfident de Clairon avoit été faire fon compliment aux exilés, lors de leur retour, & on craignoit qu'il ne continuat d'échauffer les efprits & qu'il cabalat avec les mal-intentionnés. Ce Préfident étoit fort pauvre; il logeoit k Paris, depuis deux ans & demi, dans un cabaret en chambre garnie avec une feryante.  Jur la Bajlille. 261 Pour vivre , il vendoit de 1'orviéfan & débitoit une poudre & une racine, pour la fievre &c les hémorrhoïdes. II a été exilé a Dole, lors de fa fortie de la Bafiille, qui arriva le 29 Mars 1761. Le nommé Michelin avoit imprimé Ie libelle de Befancon, & le nommé Kolman le diftribuoit. 1761 , 22 Février. Frangoije A lan o, dite LanceAU, native de Vannes, dgée de Joix ante-dix ans, Jille de houtique de la veuve Anclou , Libraire au Palais, mije d la Bajlille le 22 Février 1761. CZ> e t t e fille avoit remis le manufcrit d'un ouvrage impie & blafphématoire, intitulé : L'Oracle des anciens Fideles, au nommé Prudent de Roncours, Colporteur, pour le faire imprimer. On arrêta cette fille pour tacher de connoitre 1'Auteur de ce mauvais ouvrage; mais ayant conftamment foutenu qu'elle ne le connoiffoit pas, le manufcrit lui ayant été apporté par un homme è elle inconnu, on lui rendit fa liberté le 19 Avril 1761. II fut prouvé depuis que c'étoit Michelin, dont il eft parlé dans 1'affaire du Préfident de Clairon, qui avoit imprimé cet ouvrage. R iij  i6i Mémoires ij6i, 26 Février. Jean val ad e de Lav all et t e , Avocat au Parlement, demeurant d Paris, fut mis d la Baf ille le 26 Février 1761. ANT appris en 1756 qu'on avoit propofé a M. le Comte de Saint-Florentin Ia réunion de 1'Ordre du Saint-Efprit de Montpellier a celui de Saint-Lazare, il s'ingéra de dreffer des Mémoires fur cet objet; & k la faveur de M. le Maréchal de Belle-Ille, il parvint k faire préfenter au Roi, par M. de Champcenets, deux Mémoires , tendants k effe&uer cette réunion, & a régir les biens defdits ordres. Par ces Mémoires, Ie Sieur de Lavallette expofoit que, foit que 1'Ordre du Saint-Efprit de Montpellier fut réuni ou non k celui de SaintLazare, le Roi retireroit plufieurs millions , provenant de la réception des Chevaliers, des charges qui feroient vendues dans 1'Ordre , & dont un des fils de France feroit Grand-Maïtre. Sans attendre une décifion fur fa demande, il forma une Compagnie , dreffa un plan de fociété, donna des intéréts dans fon enireprife projettée & parvint a tirer de fes affociés plus de cinquante mille livres. Pour appuyer la prétendue réufïite de ce projet, il communiqua a fes affociés un billet écrit de la propre main du Roi, qu'il relata même dans  fur la Bafille. '163 Pafte de fbciété, & qui fut Ia bafe de la confïance que fes affociés prirent en lui. Dans le fecond Mémoire préfenté au Roi, Ie Sieur de Lavallette demandoit Ia permiffiori de comrnuniquer fes idéés a M. le Dauphin; c'eft ce qui donna lieu au billet dont il elf queflion. Voicï la copie de ce billet. II y a long-temps que fal cholfi Intérieurtment celui que le nommeral Grand-Maltre de Salnt-La^are ; quand je Vaural déclaré, le Sleur Valade de Lavallette pourra lui comrnuniquer ces projets, ou a celui qui s'en mélera pour lui. Mon fils n'a que faire d cela; ainfi 11 ne faut pas quil lui en parle. Du nfie, je loue fort les folns cv recherches qui ont été faites. II paroit que le Sieur de Lavallette avoit voulu fouffraire fon entreprife au département de M. le Comte de Saint - Florentin , que le Roi nomma par la fuite Vice-Gérend des Ordres Hofpitaliers & Müitaires du Saint-Efprit de Montpellier & de celui de Saint-Lazare , pour gouverner ces Ordres jufqu'a ce que M. le Duc de Berry, qui en étoit le Grand-Maitre, eut atteint 1'age de majorité, afin d'en revêtir M. le Maréchal de Belle-Me , qui prétendoit que 1'Ordre du Saint - Efprit de Montpellier étant Militaire, ne pouvoit regarder qu'un Militaire, & non M. de Saint - Florentin , qui n'en avoit que 1'adminiftration pure & fimple. Le projet du Sieur de Lavallette ayant échoué , & fes affociés ayant appris fon emprifonnement k la Baftille , plufieurs abandonnerent leur mife , 82 d'autres remirent des pieces a leurs Procureurs R iv  264 Mémoires pour faire afligner Lavallette en reftitution des fommes qu'il avoit touchées. Pour arrêter toute acfion & empêcher qu'une affaire de cette efpece qui ne regardoit que le Roi, ne fut plaidée dans les Tribunaux, il y eut un Arrêt d'attribution au Lieutenant-Général de Police , pour connoitre de toutes les coriteftations qui pourroient furvenir entre Lavallette Sc fes prétendus affociés, & pour être par lui jugées. Les affociés promirent de ne point redemander leur argent, Sc en donnerent même leur défiftement. Lors de fa fortie de la Baftille, le Sieur de Lavallette fut exilé a Mazamel en Languedoc, fon Pays; depuis relégué a Laval dans le BasMaine, oü il eft mort le 24 Juin 1763. Le Subdélégué de M. 1'Efcalopier , Intendant de Tours, qui avoit été chargé d'éclairerla conduite & les liaifons du Sieur de Lavallette, fit appofer les fcellés fur fes papiers & effets après fon décès, pour retirer tous ceux qui pourroient intéreffer le fervice du Roi Sc 1'Ordre du Saint-Efprit de Montpellier. , Dés 1'année 1757, le Sieur de Lavallette avoit été exilé a 50 lieues de Paris. Son exil ne dura que jufqu'au 10 Décembre fuivant, ayant été rappellé par la proteclion de M. le Maréchal de Belle-Me, qui 1'appuyoit pour plufieurs projets, & entr'autres pour celui du rétabliffement de 1'Ordre du Saint-Efprit de Montpellier. II avoit obtenu, en qualité de Confeil dudit Ordre, la permiftion d'en porter la croix ; Sc k 1'aide de cette décoration, il s'occupoit a faire des dupes dans Paris.  fur la Bajlllle. 265 Ce fut Ia Ie motif de I'ordre d'exü. Lors de fa fortie de la Baftille, il fut averti que fi on le trouvoit encore portant cette croix , il ftjroit mis en prifon. 1761 , 6 Juin. La 'Dame de B... première Femme-de-chambre de Madame la Dauphlne , fut arrêtêe d Vtrfallles , & amenie d la Bajlille le 3 Juin 1761 , envertu d'un ordre contrefigné Plulyppeaux; elle en ejl fortie. le 21 defdlts mois & an , en vertu d'un ordre du Rol contrefgnê par le même Mlnlfre. E lle avoit vendu des diamants & des bijoux de prix, appartenants a Madame la Dauphine. Elle a fait elle-même fa déclaration par écrit le 5 Juin 1761. La voici. Je déclare que c'eft mol qui al vendu la pendeloque & les diamants qui entourolent le Saint- Jean Nepomucene pour on{e mille francs ou envlron, fans befoin d'argent, aux Julfs & d Guldamour, Jouallller. Je m'en accufe avec le repentlr & la douleur la plus amere. J'avois trouvé la pendeloque entre la commode & la tollette ; & le Saint-Jean aux pieds du fauteuil ou on met les habits. II étoit caché en partie par le rideau. Je protefte n'être coupable que de ces deux crimes qui font j'ufftfants pour que je me faffe horreur , &  266 Mémoires de ri'avoir jamals pris aucuns deniers , nl nen al eu la tentatlon. Je demande pardon a Dieu CV a mes Maitres. Chaque Inflant qui me rejle d vivre fera employé d expler une aclion Ji abomlnable. Lors de fa fortie de la Baftille, Ia Dame de B....„ a été transférée a Guingamp en Bretagne , au Couvent des Dames de Montbareil, d'oü elle s'évada le ii Novembre 1761 , & revint a Paris, enfuite a Verfailles, oü elle fut arrêtée & amenée a Sainte-Pélagie. Elle y étoit encore en 1768. La Dame de B étoit fceur de Iait de M. le Dauphin. II eft qneftion dans une note fur fon affaire, d'un prétendu prêt de cent cinquante mille livres fait a Madame la Dauphine, par 1'entremife d'une Dame Aubert & de la Dame de B , Sc d'un Sieur Horutener, Négociant de Rouen. Ce particulier étoit des plus forts affociés du Sieur de Lavallette : ce dernier avoit probablement déterminé Horutener a prêter cette fomme , qu'on lui difoit être pour Madame la Dauphine, dans lëfpérance que cette Princeffe, dont la Dame Aubert lui avoit offert Ia proteclion par le canal de la Dame de B , s'intérefieroit a la réuffite de deux affaires qu'il avoit projettées. La première affaire étoit devant M. de Silhouette pour un plan général de finance. La feconde affaire devant M.'de Saint-Florentin pour la réunion des deux Ordres de SaintLazare & du Saint-Efprit de Montpellier. (Voyez Partiele de Lavallette 26 Février 1761),  Jur la Bafiille. 167 1761 , 5 Juin. Hetiri CoFINEAU , agé de vingt-fept ans, natij de Paris, ci-devant Secretaire de M. le Duc de Fronfac, mis d la Bafiille le 5 Juin 1761 , & forti le 30 Aoüt de la même année. IV1[. de Sartine ayant recu des plaintes contre Ie Sieur Copineau, chargea un Officier de Police de les vérifïer & de s'affurer de fa conduite. II réfulta des informations qui furent faites que Copineau étoit un intriguant très-dangereux; de forte qu'il fut arrêté & conduit a Ia Baftille. Non-feulement il fe permettoit les propos les plus indécents contre les Miniftres & la foibleffe de la Nation, critiquant fans retenue les opérations du Gouvernement; mais encore il fe difpofoit, ainfi qu'il en eft convenu , a paffer chez 1'Etranger. » - II difoit avoir le fecret de prétendues citadelles flottantes, dont M. Berryer avoit rejetté le projet inventé & préfenté par le Sieur Bazin pere, Ingénieur ScMachinifte, au moyen defquelles ondeviendroit, felon lui, les maitres de la mer. Son intention étoit de paffer en Hollande pour tacher de tirer parti de ce projet, ayant déja eu a ce fujet une correfpondance avec le Sieur Afker, Bourguemeftre d'Amfterdam. Ce fut le Sieur Bazin fils, qui porta des plaintes contre Copineau & qui fut caufe que 1'on s'affura de fa perfonne, Ils avoient été üés enfemble ,  2 68 Mémoires mais ils s'étoient brouillés, paree que Copineau fé vantoit d'être 1'auteur du projet en queftion, & qu'il cherchoit a en faire fon profir. Comme il promettoit d'abandonner totalement ce projet &£ de ne plus donner aucun fujet de plaintes contre lui, on lui accorda fa liberté. D'ailleurs, fon frere, Précepteur des enfants de M. le Duc de Fleury, offrit de veiller fur fa conduite & d'en répondre. 1761 , 15 Juin. Marie-Elifabeth-Charlotte valerie de Bruls , veuve Wasser, dite Dutille u l, foidifant Milady Mant{, mife d la Bajlille le 15 Juin 1761. C^ette femme étoit une aventuriere célebre & Ia plus grande menteufe qu'il y ait jamais eu. Elle fut arrêtée & conduite a Ia Bafiille pour avoir écrit h M. le Duc de Choifeul une lettre fignée du faux nom de Likinda , par laquelle elle «difoit avoir connoiffance d'un prétendu complot contre la perfonne du Roi, dans lequel complot fe trouvoient des gens du premier rang qui devoient exécuter eux-mêmes un attentat contre la vie de Sa Majefté, tic que ft la chofe n'étoit pas encore faite, c'eft que 1'on vouloit envelopper dans la conjuration toute Ia Familie Royale. Etant enfermée a la Baftille, elle a fait des écritures a 1'infiai pour 1'hiftoire de fa vie, Ro-  fur la Baftille. 269 man plein de fauffetés, fe difant tantöt Lorraine, tantöt de Vienne en Autriche , batarde de grands Seigneurs, puis légitime, prenant toutes fortes de noms. Cette aventuriere, dans une procuration que lui avoit donnée Madame la Marquife de Treftondon, pour faire un emprunt d'argent pour elle, fe qualifie de trïs - noble 6 trés - puiffante Dame Comteffe de Lobkowiti, nee Comtefe de Brul? des deux Monts, Dame Haute- Juficiere du Comtê de d'Hetehonde, nee Chevalier e de Malthe, par privilege accordé par le Pape Honorius P'., d la tres-Muftre familie de Jean de Brienne , premier Prince de Tyr & enfuite Empereur de Conflantinople, de laquelle ef ijj'ut ladite Dame de Lobkowiti, veuve de feu. Mejfire Joachim Waf er, Comte d'Herchoud, Capitaine Major dans le Regiment Suiffe de Vigier depuis Cafellas. Elle portoit la croix & le cordon de Malthe; mais elle difoit qu'on lui avoit volé è Paris, en 1753 , fes titres, en vertudefquelselle avoit droit, par fa naiffance, de les porter; qu'on lui avoit volé en même-temps fes titres qui lui donnent droit de porter la croix & le cordon de 1'Ordre de Saint-André, & qu'elle avoit perdu auffi tous les titres & papiers de fa familie. II n'y a point d'idées extravagantes, de fables & de fauffes hiftoires que fon imagination ne lui ait fuggérées. Elle eft fortie de la Baftille le 10 Mai 1762 , ayant fait fa foumiffion de quitter le Royaume & de n'y jamais rentrer que par permiffion du Roi. Elle fut conduite a la Diligence de Bntxelles,  a7° Mémoires & on ne Ia quitta point qu'elle ne fikt partie. Quoique fon exil n'ait point été révoqué, elle a ofé revenir. è Paris, en prenant la qualité de Milady Mantz, & fous ce faux titre , elle a efcroqué des diamants & différentes marchandifes. En conféquence , elle a été arrêtée une feconde fois & conduite a la Baftille le 18 Mars 1765 , d'oü elle eft fortie le 14 Juiliet fuivant, en lui faifant renouveller la foumiffion qu'elle avoit déja faite de fortir du Royaume, conformément a la lettre d'exil du mois de Mai 1762. Madame la Marquife de Treftondam, dont il eft parlé plus haut, avoit connu a Nancy la prétendue Milady Mantz, qui lui avoit efcroqué de 1'argent, & a qui elle avoit confié des papiers de familie fort importants, qui fe font trouvés dans ceux qu'on a faifis è ladite Dame Milady Mantz, & qui ont été rendus a Madame de Treftondam, 'fur la réclamation qu'elle en a faite. La Bruis avoit trente - cinq ans ou environ Iorfqu'elle a été mife a la Baftille pour la première fois.  fur la Bafille. 171 1761 , 29 Juiliet. Louis Comte a"H.... Chambellan de tlmpèratrice Reine de Hongrie, dge de vingt-quatre ans, natif de Prague en Bohème, mis d la Bafille, en venu d'un. ordre du Roi contrefgnl Phelyppeaux , en date du 29 Juiliet 1761, forti le 2 Aout fuivant, fur un ordre du Roi expédiè par le même Minifre. Ii, avoit été accufé d'avoir voulu empoifonner le Sieur G...., Banquier , de la femme duquel il étoit amoureux, & qu'il vouloit emmener avec lui a Vienne. II s'étoit adfeffé pour cela au nommé Pock, fon Valet-de-chambre, qui en fit fa déclaration. La Dame de G par des confidérations parti- culieres , ne fut pas arrêtée. Dans une lettre écrite a M. de Sartine, M. de Saint-FIorentin s'exprime ainfi : Si vous pouve{ èviter de faire arrêter la femme du Banquier, vous fere{ bien , vous fave{ quil y a ici des gens qui s'y intérejfent. Les lettres de la Dame G au Comte d'H..... ne font point mention de poifon ; il n'y eft quef* tion que de regrets fur le départ du Comte pour Vienne , ou il devoit fe rendre par ordre de 1'Impératrice , pour le temps du mariage de 1'Archiduc Jofeph , qui étoit fixé aux premiers jours du mois d'Oftobre 1761. En fortajit de la Baftille, le Comte d'H,.,. a été  ijl Mémoires remis au Sieur Buhot, Infpe&eur de Police, qui 1'a conduit jufques fur la frontiere pour fortir du Royaume. M. Ie Comte de Staremberg , Ambaffadeur de 1'Impératrice , qui s'étoit rendu garant de la liquidation & du payement des dettes qu'avoit contraclées ici le Comte d'H...., fit vendre , après fon départ , par un Huiffier-Prifeur, les chevaux & équipages qu'il avoit laiflés pour füreté de payement d'une partie defdites dettes. Nota. C'étoit un nommé Doucet qui devoit fournir le poifon avec lequel on devoit faire empoifonner le Sieur de G On fit des recherches pour faire arrêter ce particulier , mais inutilement; il y avoit plus de deux mois qu'il avoit difparu de Vaugirard, oü il demeuroit chez le nommé Duval. 1761. Détails fur Caffaire du Canada , trouvês d la Bafille. I l étoit queftion de malverfations, abus, fauffetés & infidélités, dans la partie des finances, tant pour 1'approvifionnement des Magafins du Roi, en marchandifes, que pour la fourniture des vivres faite dans les Villes, forts &c potles de la Colonie. On fit arrêter ceux qui les avoient commis; & on infiruifit leur procés, en vertu d'une Commiffion du Confeil de Police du Ghi- telet  fur la Bajlllle. 273 telet de Paris, ladite Commiffion établie par Lettres-Patentes du mois de Novembre 1761. Le Sieur Francois Bigot, Intendant en Canada, principal accufé, fut arrêté & conduit a la Baftille, le 17 Novembre 1761 , en vertu d'ordre du Roi du 13 dudit mois. II étoit convaincu d'avoir, pendant le temps de fon adminiftration dans la Colonie , favorifé les abus & commis lui-même des inridélités dans la partie des fïnances, 1'une des plus importantes de celles dont il étoit chargé; fur-tout, quant a 1'approvifionnement des magalins du Roi en marchandifes. Primo. D'avoir préparé les voies auxdits abus, en infinuant au Miniftre, par fes lettres, & notamment par celle du 8 Oétobre 1749 : » qu'il » y avoit 1'avantage pour Ie Roi, d'acheter a » Quebec les marchandifes pour fon fervice; Ia » colonie en étoit pourvue pour trois ans (1), » & qu'elles ne reviendroient peut-être pas fi » cher qu'a les prendre en France , en payant » la Commiffion & le frêt " : & par celle du 30 Septembre 1750 , » que ce qu'il avoit acheté » a Quebec ne revenoit pas auffi cher que ce qu'on » avoit envoyé de Rochefort; tout y étant a peu » de chofe prés , au prix de France "; & d'être (1) Faifons ici une obfervation, c'eft que tous les malverfateurs , chargés des approvifionnements d'une ville ou d'une province , commencent tous par dire qu'ils ont des approvifionnements pour long-temps; & après avoir endormi ainfi le peuple, ils font naitre tout d'un coup la difette & la cherté, afin de fe procurer de gros binéfices. Tornt II. Cahier VIII. S  t. 74 Mémoires s-rsii parvenu a innover a la maniere ancienne c approvifionner les magafins du Roi, & a en fubftituer jufqu'en 1756, une nouvelle, qui a été très-préjudiciable aux intéréts de Sa Majefté. Secunio. D'avoir fait recevoir, dans les magafins du Roi a Quebec, dés 1749, les marchandifes qui lui ont été envoyées fur le Navire la Renommee, en conféquence d'une police de fociété qu'il avoit formée , avant fon départ de France, en 1748 , avec une maifon de commerce de Bordeaux, dans laquelle fociété il avoit cinq dixiemes, dont a fon arrivée dans Ia Colonie , il a cédé deux dixiemes au Sieur Breard, Controleur de la Marine a Quebec, fuivant la nouvelle police de ladite Société , faite pour fix années , Sc fignée dans ladite Colonie , a la date du 30 Juiliet 1748; & d'avoir a la faveur de ladite innovation, continué 1'approvifionnement defdits magafins avec les marchandifes qui lui étoient envoyées chaque année, fur les états de demande qu'il adreffoit a ladite Maifon. Tertio. D'avoir favorifé Ia maifon de commerce du nommé Claverie a Quebec, connu dans la Colonie , fous Ie nom Ia Fripponne , en y faifant prendre par préférence les marchandifes néceffaires au fervice. Dans laquelle maifon, conftruite en 1750, par permiftion dudit Sieur Bigot, fur un terrein appartenant au Roi, 65c contigu a fes magafins, & qui a fubfifté depuis 1751, jufqu'en 1753 ; ledit Breard 6c le Sieur Eflebe, Gardemagafin 6c enfuite Négociant en Canada , étoient affociés, 8c le Sieur Bigot étoit fufpecté de 1'avoir été. Qiiano. D'avoir approvifionné Iefdits maga-  fur la Bafille, 275 fins du Roï, tant avec les pacotilles que ledit Breard faifoit venir chaque année de France, pour fon compte perfonnel, qu'avec la majeure partie des cargaifons du Navire le Saint- Mandé, dans lequel lefdits Sieurs Bigot, Breard, Eftebe & Pean, Aide-major des Troupes de la Marine en Canada, étoient intéf efies; ik de SAngéllque, dans lequel ledit Sieur Bigot étoit fufpect de Pavoir été avec les mêmes; & néanmoins d'avoir afluré le Miniftre par fa lettre du 12. Février 1756: » que »> les intéréts qu'il pouvoit avdir eus, n'avoient » regardé en rien le fervice du Roi, ni ne 1'aw voient détourné un inftant du zele qu'il de» voit avoir pour ceux de Sa Majefté"; & d'a* voir dénié au procés toutes les fociétés ci-deflus prouvées a fon égard; n'étant même connu de la plupart d'icelles que fur la repréfentation des pieces de lui fignées. Quinto, D'avoir fait entrer pareillement dans lefdits magafins du Roi, la plus confidérable partie des pacotilles qui lui étoient arrivées en 1757 Sc 1758, ainfi que d'autres marchandifes achetées par des particuliers dans la Colonie. Sexto. D'avoir auffi fait entrer dans les magafins du Roi, les marchandifes provenant defdites fociétés ik pacotilles, & des particuliers de la Colonie, a des prix fupérieurs a ceux que les marchandifes de même efpece étoient vendus par les Négociants de ladite Colonie; laquelle furvente, faite au préjudice de Sa Majefté , a eu lieu de différentes manieres: foit en donnant ou tolérant par ledit Bigot des prix & bénéfices au deffusdu cours du commerce; foit paree que du nombre desmarchés, fignéspar ledit Bigot, ils'entrouve S ij  276 Mémoires qui font datés d'un temps antérieur ou poftérieur aux fourniturcs, & rapprochés par ce moyen des époques, auxquelles les prix du commerce étoient plus forts ; foit enfin, paree que les marchandifes , achetées de 1'ordre dudit Bigot, dans la Colonie , ne font entrées dans lefdits magafins que de la feconde main; ce qui efi notamment arrivé en 1755 & 1756; que des marchandifes achetées de 1'ordre dudit Bigot, chez des Négociants de Quebec, au bénéfice par lui réglé, font entrées dans les magafins du Roi, fous d'autres noms que ceux des Négociants qui les avoient vendues, & ont été payées en partie a des prix beaucoup plus forts; fuivant au" cuns des marchés, fignés par ledit Bigot. Septimo. D'avoir tellement toléré 1'ufage des prête-noms (dont il s'eft fervi lui-même) dans la paffation des marchés, que prefqu'aucune des ventes qui fe font faites aux magafins du Roi, ne paroit fous les noms des véritables vendeurs; ce qui avoit pour but d'empêcher qu'il ne fuffent connus. Octavo. D'avoir a la faveur des fauffes déclarations qu'il a fait faire pendant plufieurs années au Bureau du Domaine, par les Gardes-magafins de Quebec , portant, » que les marchandifes » defdits navires, laRenommée, le Saint-Mandé, » VJngélique, ck autres, étoient pour le compte » du Roi"; exempté lefdites marchandifes des droits dus au Domaine , & d'avoir profité de cette exemption par rapport a aucunes defdites marchandifes; exemption dont il a paffé la reprife dans les comptes que le Receveur des Domaines lui rendoit.  fur la Bafille. 277 Nono. D'avoir, depuis 1'établiffement du tirage des lettres de change a trois termes, d'année en année, interverti 1'ordre qu'il avoit propofé lui-même , & que le Miniftre avoit approuvé, enfefaifant délivrer a lui-même, ou en accordant a fa fociété ou a ceux qu'il vouloit favorifer, une plus grande quantité de lettres de change du premier tenue qu'il ne le devoit, quoiqu'il eut promis au Miniftre , par fa lettre du 22 Juiliet 1753 , » d'avoir attention a traiter » tout le monde également & fans aucune pré-, » férence ". Decimo. D'avoir, fans obferver les formalités des publications & encheres prefcrites pour les adjudications des Pelleteries du Roi, vendu de gré a gré , lefdites pelleteries auditEftebe, avec lequel il étoit intéreffé, ainfi que ledit Breard, quoique par les procès-verbaux fignés dudit Bigot , & dont aucuns font fous des noms empruntés, il paroiffe que lefdites formalités ont été remplies. Undecimo. D'avoir, contre la teneur de fes inftruciions, qui lui prefcrivoient d'approvifionner les magafins du Roi a Montréal & ceux des forts , avec des marchandifes tirées des magafins de Quebec, ou achetées chez des Négociants de la même ville, autorifé le Sieur Varin, Commiffaire Ordonnateur de la Marine a Montréal, a acheter , a Montréal, les marchandifes néceffaires au fervice, a compter de 1756; temps auquel la fociété avec ladite maifon de commerce de Bordeaux étoit expiré; & d'avoir pareillement autorifé le Sieur Cadet, Munitionnaire pour le Roi en Canada, a faire paffer, tant a PAcadie S iij  Mémoires que dans les pays d'en-haut, des marchandifes; pour les vendre au Roi dans lefdits endroits; ce qui a caufé un préjudice confidérable aux intéréts de Sa Majefté. Duodecimo. D'avoir figné inconfidérément des états de marchandifes fournies aux poftes de la Chine & de Niagara, au bénéfice de deux cents pour cent, qu'il n'avoit accordé que comme les ayant deftinées aux poftes les plus éloignés, & d'avoir arrêté d'autres états de marchandifes fournies au pofte de Miramichy, qui avoient été refaits de fon ordre, & dans lefquels les quantités de marchandifes étant augmentées de moitié , & les prix diminués dans la même proportion, les totaux fe trouvoient être les mêmes que ceux portés dans les premiers états. Quant a la fourniture des vivres faite par ledit Cadet, Munitionnaire général,acompter de 1757, dans les villes, forts & poftes, (duquel Munitionnaire 1'établiffement n'avoit été confenti par Ie Miniftre que dans la vue d'arrêter le progrès des dépenfes exceflives de Ia régie qui étoient précédemment en ufage dans la colonie); ledit Bigot duement atteint & convaincu d'avoir favorifé ledit Munitionnaire général, qui étoit en fociété avec lefdits Pean & Maurin, Caiffier du Munitionnaire k Montréal; Corperon, Caiffier du Munitionnaire a Quebec, & Pennifiault, Commis du Munitionnaire, & d'avoir toléré les abus qui fe font pratiqués relativement è la fourniture defdits vivres, par la plus grande négligence) dans cette partie de fon adminiftration. Primo. En ce qu'il a accordé , avec trop de facilité, auditCadet, des indemnités, fans en fixer  fur la Bafiille. 279 Ie montant, & qu'il lui a laiffé la liberté de les faire convertir en diftributions de rations & vivres , dans les états de confommation qu'il fignoit lorfqu'ils lui étoient préfentés, & d'après lefquels il délivroit fes ordonnances en forme, pour en procurer le payement audit Cadet- Secundo. En ce que faute par ledit Bigot d'avoir donné connoiffanee fuffifante du marché dudit Munitionnaire, par les extraits envoyés aux différentes perfonnes chargées de concourir a fon exécution, il en eft réfulté , premierement, que les bateaux du Roi, dont ledit Cadet avoit, fuivant fon marché, la liberté de fe fervir pour le tranfport de fes vivres, k la charge de les entretenir , ont été néanmoins entretenus aux dépens de Sa Majefté; fecondement, que les rations diftribuées aux troupes en quartier d'hyver dans les campagnes, ont été employées dans les états de fournitures des forts ou la ration étoit payée prefque le doublé; troifiemement, que les billets de vivres a fournir , tant a Montréal qu'a la Chine, aux troupes, aux Miliciens & aux Sauvages, étoient, pour la plus grande partie, tirés fur le pofte de la Chine par les Officiers, & employés par les Gardes-magafins fur les états dudit pofte, quoique les prix de la Chine fuffent de vingt-trois fois en temps de paix, & de vingtfept fois en temps de guerre, pendant que ceux de Montréal n'étoient que de neuf fois en temps de paix, & de dix fois & demi en temps de guerre ; de tous lefquels abus font réfultés les gains énormes dudit Cadet & de fa fociété. Quant aux tranfports des effets du Roi , le Sieur Bigot a été convaincu d'avoir préjudicié S iv  2.8 O Mémoires aux intéréts de Sa Majefté, relativement aux prix qu'il a accordés pour le fret aux batiments qui ont tranfporté lefdits effets, dans partie defquels batiments il étoit intéreffé , ainfi que lefdits Pean Breard & Eftebe , tous lefquels abus, malverfations, prévarications & infidélités ont caufé un préjudice confidérable aux intéréts du Roi, & procuré des gains illégitimes , de partie defquels Ie Sieur Bigot k profité (i). Pour réparation de quoi, par Jugement du 10 Décembre 1763, le Sieur Bigot a été banni a perpétuité hors du Royaume ; fes biens acquis & confifqués au Roi; fur fes biens préalablement pris la fomme de mille livres d'amende envers le Roi, & quinze cent mille livres par forme de reftitution au profit de Sa Majefté. Le Roi donnoit 20 liv. par jour au Gouverneur de la Baftille, pour la nourriture du Sieur Bigot. 'Jacques-Mlchel Breard, Controleur de la Marine d Quebec, mis d la Bajlllle pour même affaire. II étoit convaincu d'avoir, pendant Ie temps qu'il faifoit les fonöions de Controleur de la (*). Lh'ft°'re du Sieur Bigot & de fes adhërants eft i niltoire de tous les frippons & monopoleurs de leur efpece Voila les véritables moyens dont ils fe fervent tous pour faire denormes fortunes. La feule difTérence entr'eux elt dans lart de cacher plus ou moins leurs manoeuvres ious les beaux noms de probité & d'humanité qu'ils font lans ceile repeter par des pröneurs.  fur la Bajlllle. l8t Marine a Quebec, favorifé les abus Sc commis lui-même des infklélités , tant pour les marchandifes que pour les vivres Sc denrées fournis aux magafins du Roi a Montréal. Condamné , par Jugement du 10 Décembre 1763 , au banniffement pour neuf ans, de la ville de Paris; en outre condamné en 500 liv. d'amende envers le Roi, & par forme de reftitufion au profit du Roi, en trois cent mille livres. II fut arrêté a la Rochelle, le 24 Avril 1762, en vertu d'un ordre du Roi du 17 dudit. De la R-Ochelle il fut conduit a la Baftille. Le Roi payoit fix francs par jour au Gouverneur, pour la nourriture de ce prifonnier. Jean-Vlclor VARIN~, Commiffaire Ordonnateur de la Marine d Montréal en Canada, arrêté & conduit d la Bajlllle le 16 Novembre 1761 , ert venu d'un ordre du Rol du 13 dudit. Convaincu d'avoir auffi toléré les abus, Sc commis lui-même des infidélités, tant dans 1'approvifionnement des magafins du Roi en marchandifes , que dans 1'approvifionnement des vivres,' & d'avoir été également infidele dans fon adminiftration , relativement aux tranfports des effets du Roi, de Montréal dans les Forts; en augmentant le prix defdits tranfports au préjudice du Roi, & en partageant avec les Sieurs Pean , Martel Sc d'Auterive, les profits illégitimes réfultants de ladite augmentation. Par jugement du 10 Décembre 1763, il fut  iSi Mémoires banni a perpétuité hors du Royaume: tous fes biens confifqués; mille livres d'amende envers le Roi, & par forme de reftitution ,1,500,000 livres au profit de Sa Majefté. Le Roi donnoit 10 liv. par jour pour la nourri«ure de ce prifonnier a la Baftille. Jtan-Baptifle Martel de St. Antoine, ci-devant Garde des Magafins du Roi d Montréal, arrêté & conduit d la Bafiille le 2 Novembre 1761, en vertu d''ordre du Roi du 13 dudit, 3 livres par jour pour fa nourriture. Par jugement du 10 Décembre 1763, mandé k Ia Chambre pour y être admonêté, en préfence des Juges, 6 livres d'aumöne, Sc en outre cent mille liv. par forme de reftitution envers le Roi, & jufqu'au payement des reftitutions prononcées, garder prifon au Chateau de la Baftille. Jfeph CADET, Munitionnaire gênêral des vivres en Canada , arrêté & conduit d la Bafiille le 2 5 Janvier 1761 , en vertu d'ordre du Roi du 21 dudit. Cet homme a exercé Padminiftration Ia plus infidele & la plus préjudiciable aux intéréts du Roi. Par jugement du 10 Décembre 1763 , il a été banni pour neuf ans de Ia Prévöté Sc Vicomté de Paris, condamné k 500 livres d'amende envers le Roi, & par forme de reftitution, au profit de S. M,, en fis millions.  fur la Bafiille. 283 II a été décharge de la peine du banniffement. Le Roi donnoit fix francs par jour pour fa nourriture a la Baftille. Louis- André- Antoine J O A C li I M P E N N l Js E AU L T , Commis du Munitionnaire en Canada , il a été arrêté & conduit d la Bafiille le 15 Novembre 1761 , en vertu d'ordre du Roi, du 13 dudit, 3 livres pour fa nourriture. Francois M AU Rl N , Caiffier du Munitionnaire d Montréal, arrêté le 25 Novembre 1761 , fur un ordre du Roi du 13 dudit, & conduit d la Bafiille, 3 livres pour fa nourriture. Jean CoRPRON, Caiffier du Munitionnaire i Quebec, arrêté le 23 Novembre 1761 , fur un. ordre du Roi du 13 dudit, & conduit d la Baftille, 3 livres pour fa nourriture. Penniffeault, Maurin & Corpron , ont coopéré aux abus qui fe pratiquoient, relativement aux fournitures de marchandifes faites dans les Villes , Forts & Poftes de la Colonie, & ont participé aux gains illégitimes, réfultants des prix trop haut accordés auxdites fournitures, ainfi qu'a ceux provenants de Pentreprife générale des vivres faite par le Sieur Cadet, avec lequel ils étoient affociés, a raifon d'un treizieme. Toutes lefquelles malverfations, encore qu'une partie ait été réparée, tant par Ia fuppreffion d'aucuns des états qui les contenoient, que par des  a§4 Memoires reftitutions; ont, quant a la feule partie des vivres, de 1'aveu des Sieurs Cadet, Penniffcault, Maurin& Corpron, porté jufqu'a douze millions le gain qu'ils ont fait en 1757 & 1758, fur une fourniture, montant, fuivant la déclaration de Cadet, a onze millions feulement de prix d'achat (1). Par jugement du 10 Décembre 1763, Penniffeault fut banni pour neuf ans de Ia Ville & Vicomté de Paris; condamné a 500 liv. d'amende, & en fix cents mille livres, par forme de reftitution , au profit du Roi. Maurin, par le même jugement, fut auffi banni pour neuf ans; condamné a 500 liv. d'amende &c fix cents mille livres par forme de reftitution, envers le Roi. Corpron mandé en la Chambre pour y être admoneté en préfence des Juges, condamné en fix livres d'aumöne & en fix cents mille livres au profit du Roi. Pierre-Jacques Payen d e No y an Chevalier de ÜOrdre Royal & Militaire de Saint- Louis, Lieutenant du Roi de la Fille des Trois-Rivieres, & Commandant au Fort-Frontenac en Canada , arrêté d Corheil le 5 Avril 1762, en vertu d'ordre du Roi du 21 Mars. Convaincu d'avoir vifé inconfidérément & fans (1) Quel appétit que lappétit des frippons! De fïmples commis, ils deviennent bientöt des milüonnaires, & 11 par hafard, ils échappent a la perfpicacité des obfervateurs, ils paffent bientöt pour des gens d'une haute probité & d'un grand génie.  fur la Bafille. 285 - examen, Pinventaire des vivres du Fort-Frontenac, cédés au Sieur Cadet, lequel inventaire avoit été refait & diminué de moitié au préjudice des intéréts de Sa Majefté ; comme auffi d'avoir , étant alors aux Trois - Rivieres ; pareillement vifé fans examen Pinventaire des vivres pris audit Fort 1'année précédente; lequel, de 1'aveu du Sieur Cadet, avoit été refait & confidérablement augmenté, & d'avoir gardé une fomme d'argent en ordonnances, que ledit Cadet avoit laiffée chez ledit de Noyan. Par jugement du 10 Décembre 1763, mande en la Chambre, pour y être admonêté en préfence des Juges, condamné en iix livres d'au- möne. 1 _ Le Roi donnoit au Gouverneur de la Baftille fix livres par jour pour la nourriture de ce prifonnier. Jean-Francois VASSAN, commandant lefecond Bataillon de la Marine au Fort de Niagara en Canada, arrêté & conduit a la Bafille le 7 Avril 1762, fur un ordre du Roi du 5 dudit, 6 liv. pour fa nourriture. Daniël JoN CAI RE CHABERT , Lieutenant des Troupes de la Marine , & ci-devant commandant au Portage de Niagara en Canada, arrêté & conduit d la Bafille It 27 Janvier 1762 en vertu d'ordre du Roi du 13 Novem* bre 1761 , 3 livres pour fa nourriture.  z26 Mémoires Francois-Paul Dvvergè De S t-B li n , Lieutenant fervant dans les Troupes de la Marine en Canada , ci-devant commandant au Fort de la Riviere au Bceuf, arrêté & conduit d la Bafflille le 16 Novembre 1761 en vertu d'un ordre du Roi du. 13 dudit, 3 livres pour fa nournture. Convaincu d'avoir vifé inconfïdérément & fans examen les inventaires des vivres qui fe trouvoient dans les Forts oü ils commandoient, 6c cédés au Sieur Cadet en conféquence de fon marché ; (lefquels inventaires avoient été refaits 6c réduits a moitié ) & avoir pareillement vifé fans examen les états de confommation des vivres 6c rations fournies auxdits Forts, ( lefquels états avoient été refaits & augmentés au-deffus de Ia fourniture réelle); défenfes a eux de récidiver fous telles peines qu'il appartiendra (parJugement du to Décembre 1763). Jean-Pierre Labarthe, Garde des Magafins du Roi d Montréal, arrêté & conduit d la Bafille le 16 Novembre 1761 , en vertu d'ordre du Roi du 13 dudit. Mis hors de Cour fur les plaintes & accufations intentées contre lui. (Jugement du i0 Décembre 1763) 3 livres pour fa nourriture.  fur la Bafiille. 287 Pierre RiGAU D, Marquis de Vav d reu i l, Gouverneur & Lieutenant Génèral pour le Roi en Canada , arrêté & conduit d la Bafille le 30 Mars, 1762, en vertu a"ordre du Roi du 21 dudit. Mis en liberté le 18 Mai 1762 , fur un jugement de la commiffion du 17, en état d'ajournement perfonnel, & en vertu d'un ordre du Roi dudit jour 17. , Décbargé de 1'accufation, par jugement du 10 Décembre 1763- . _ Le Roi donnoit 20 livres par jour au Gouverneur de la Baftille pour la nourriture de cc prifonnier. Charles d eschamp s de boishebert, tl-dtvant Commandant pour le Rol d Miramlchy en Canada , arrêté & conduit d la Bafiille le 10 Novembre 17 61, en vertu d'ordre du Rol, du 13 dudit. Mis en liberté le 18 Mai 1762 , fur tin jugement de la Commiffion du 17 , en état d'ajournement perfonnel, & en vertu d'un ordre du Roi dudit jour 17. . Déchargé de 1'accufation, par jugement du 10 Décembre 1763. Le Roi donnoit 15 livres par jour pour Ia nourriture de ce prifonnier.  2.88 Mémoires Frangois le Mercier, ci-devant Commandant de {Artillerie en Canada, arrêté CV mis d la Bajlllle le ij Novembre, en vertu d'ordre du Rol du 13 dudit. Décharge de 1'accufation, par jugement du 10 Décembre 1763.— 15 livres par jour pour fa nourriture. Nkolas desmeloizes, cl-devant Alde • Major des Troupes du Canada, arrêté le 6 Avril '1762, en vertu d'ordre du Rol du 5. Mis en liberté le 18 Mai, fur un jugement de la Commiffion du 17, en état d'ajournement perfonnel, & en vertu d'un ordre du Roi dudit jour. Déchargé de 1'accufation, par jugement du 10 Décembre 1763. — 6 livres par jour pour fa nourriture. Paul P e rra u lt , cl-devant Major Gênêral des Milices en Canada, arrêté &*mis d la Baftille fur un ordre du Rol du 5 Avril 1762. Déchargé de 1'accufation, par jugement du 10 Décembre 1763. Le Roi donnoit 6 francs par jour pour la nourriture de ce prifonnier, Claude-  fur la Bafiille. 189 Claude Nicolas FAYOLLE, ci-devant Ecrivain de la Marine en Canada, arrêté & mis d la Bajlille, fur un ordre du Roi du z Décembre 17Ó1. Déchargé de 1'accufation , par jugement du 10 Décembre 1763. — 3 livres par jour pour fa nourriture. Michel-Jean Hv GV ES P EAN , ci-devant AideMajor des Troupes de la Marine en Canada, arrêté le 17 Novembre 1761 , en vertu d'ordre du Roi du 13 dudit. Par jugement du 10 Décembre 1763 , plus amplement informé de fix mois, pendant lequet temps gardera prifon, les preuves demeurantes en leur entier. Par jugement du 25 Juin 1764, hors de Cour , & fix cents mille livres de reftitution envers le Roi. Le Roi donnoit au Gouverneur de la Baftille 15 livres par jour pour la nourriture du Sieur Pean. Guillaume E ST E B ES ,ci-devant Garde Magafins du Roi d Quebec , arrêté d Bordeaux , & conduit d la Bafiille ,fur un ordre du Roi du 17 Mai 1761. II avoit figné, de 1'ordre du Sieur Bigot, des déclarations faites au Bureau du Domaine de Quebec ,portant»que les marchandifes, chargées fur Tornt II. Cahier VUL T  2 po Mémoires » des Navires, dans aucuns defquels ledit Eftebt s> étoit intéreffé, étoient arrivés pour le compte » du Roi", lefquelles déclarations ont procuré auxdites marchandifes Pexemption des droits du Domaine , dont ledit Eitebes a profité en partie, & d'avoir pareillement profité des gains illégitimes réfultants des furventes des marchandifes fournies du Roi par les fociétés, dans lefquelles ai étoit intéreffé. Condamné par jugement du 10 Décembre 1763 , a être mandé en la Chambre pour y être admonêté en préfence des Juges, condamné en 6 livres d'aumöne & en outre par forme de reftitution , au profit de Sa Majefté , en trente mille livres. — 3 livres pour fa nourriture. 'Le Sieur 11 E VlLLERS, ci-devant Controleur de la Marine en Canada, & conduit d la Bajlille fur un ordre du Roi du z Décembre. ij6i. Mis en liberté pure & fimple Ie 15 Mai 1762 en vertu d'ordre du Roi du 28 Avril — 3 livres pour fa nourriture. Le Sieur BARBEL, ci-devant Ecrivain de la Ma* rine en Canada, arrêté en vertu d'ordre , de même date que celui ci-dejfus. Mis en liberté pure & fimple, le 16 Mai 1762, en vertu d'ordre du Roi du 28 Avril. — 3 livres pour fa nourriture. Vingt - trois perfonnes ont été mifes a Ia Baftille pour cette affaire.  fur la Bafille. '291 II en coütoit au Roi pour leur nourriture 164 livres par jour. Nota. M. de Sartine , pour fon travail dans 1'affaire du Canada , a eu une penfion, fa vie durant, de 6000 livres, a compter du premier Juin 1764 , par Brevet du Roi du 4 Mars 1764 , contrefigné Ducde Choifeul , payable ladite penfion fur les Tréforiers Généraux des Colonies (1). Tous les Confeillers & Officiers de Juftice qui ont eu part a 1'inftruéjon & au jugement, ont eu auffi des penfions ou gratifications. Le Major & 1'Aide-Major de la Baftille ont obtenu auffi des gratifications a 1'occafion de leur fervice particulier dans ladite affaire. 1762, 12 Janvier. D È,C LA RAT 1 ON du Sleur Paul' Renè D U T RU C HE DE LA C H AUX, d'etenu , de 1'ordre du Rol, au chateau de la Bafille. Xj'an mil fept cent foixante-deux, Ie douze Janvier, dix heures du matin, nous Agnan-Philippe Miché de Rochebrune, Avocat au Parle- (1) Cette penfion n'eft point comprife dans Pétat nominatif des penfions a 1'article Sartine, paree qu'il ne s'agit dans cet état, que des penfions fur le Tréfor-Royal. Ainfi , pour connoïtre toutes les penfions que les Vampires francois fe font adjugées, il ne faut pas s'en tenir a 1'état dut Tréfor-Royal, il faut examiner tous les autres Départe-i msnts, & c'eft-la oü 1'on fera de belles découvertes. T ij  2 01 Mémoires ment, Confeiller du Roi, Commiffaire au Chatelet de Paris. En exécution des ordres qui nous ont été adreffés hier par M. le Lieutenant-Général de Police, a Peffet de nous tranfporter au Chateau de la Baftille , pour y recevoir la déclaration du Sieur 'de la Chaux, Garde du Roi, & qui y efi détenu en vertu des ordres de Sa Majefté , & dref.fer procès-veraal de ce qui lui eft arrivé a Verfailles le fix du préfent mois. Sommes tranfportés au Chateau de Ia Baftille, dans la falie du Confeil, oii étant nous y avons fait venir de fa chambre ledit Sieur de la Chaux , ■ik après lui avoir fait entendre le fujet de notre tranfport au fujet de 1'événement du fix du préfent mois, nous avons recu fa déclaration, ainfi qu'il fuit : _ Dudit jour Mardi douze defdits mois, & an , dix heures un quart du matin. Paul-René du Truche de la Chaux, agé de vingt-neuf ans, de la Paroiffe de Saint-Vincent, Diocefe de Bazas, Ecuyer, Garde du Roi, de la Compagnie de Luxembourg , amené de Verfailles audit Chateau de Ia Baftille le Dimanche dix du préfent mois. Déclare, après ferment de dire vérité, que Tenant d'acheter du tabac rue des Récollets a Verfailles, le fix du préfent mois, vers les neuf heures du foir, il eft paffé dans Ia rue du Grand-Commun, & étant arrivé devant le batiment des Affaires étrangeres, a cöté du Bureau de la Guerre, 51 a appercu deux particuliers, 1'un haut de cinq pieds quatre pouces, vêtu d'un mêchant habit noir, & portant un collet d'cccléfiaftique, & 1'au-  fur la BaflUki 293 tre vêtu d'un jufte-au-corps verd bordé d'un galon d'or de la largeur d'un travers de doigt, ayant des bottes a fes jambes, & haut de cinq pieds de cinq a fix pouces; que ces deux particuliers, en faluant & accoftant le declarant vêtu du grand uniforme de Garde du Roi, lui ont dit: » Vous êtes « Garde du Roi, & comme on nous a dit qu'il y » avoit grand couvert, voudriez-vous bien avoir » la complaifance de nous y faire entrer " ? Que le declarant, en s'adreffant a 1'Eccléfiaftique, lui a dit : » Je ne puis vous rendre ce fervice; il fau» droit que vous fuffiez produit par quelqu'un , » &c avoir un billet du Capitaine de quartier. Au » iurplus, vous vous prenez trop tard pour ob» tenir un pareil billet. A 1'égard de Monfieur, » parlant du particulier vêtu du jufte-au-corps »> verd , il ne pourroit pas entrer au grand couvert » dans la décoration ou il fe trouve ". Que ces deux particuliers, en infiftant, lui ont répondu : » Mais malgré ces circonftances, ne pourrions» nous pas y entrer par votre moyen" ? Et en entendant le declarant leur répliquer : » Je ne puis » point vous obliger en cela ", ils lui ont répondu : » Mais Monfieur, vous qui êtes fi poli, pou»» vez-vous nous refufer cette fatisfaciion ? Nous » fommes des étrangers arrivés aujourd'hui aVer» failles, nous devons en partir demain, & s'il » nous eft abfolument impoffible d'entrer au grand » couvert, fuivant que vous nous le dites, au » moins nous vous prions de nous mettre a por» tée de voir le Pvoi & d'en approcher " : Et oii, s'eft écrié le déclarant ? » Dans le lieu, ont-ils » dit, oh doit pafier le Roi, foit pour entrer au » grand couvert, foit pour en fortir ". Que ces  2.94 Mémoires particuliers auxquels le declarant a repréfenté que ce qu'ils lui demandoient étoit fort extraordinaire, lui ont répondu : » Nous n'avons aucune mauvaife » intention; nous n'agiffons que pour donner a » une religion déja anéantie toute la force qu'il » convient, & a un peuple opprimé fa liberté. Si » vous nous faites ce plaifir, nous vous offrons » pour récompenfe notre reconnoitTance & tout »> ce que vous pouvez defirer " ; tous lefquels propos ont été tenus, partie en marchant, partie en s'arrêtant : que le declarant a été frappé d'étonnement fur une pareille ouverture, Sc'ils fe font appercus de la confternation oü étoit le déclarant, qui, pour les tranquillifer, leur a dit: » II n'y a » rien de plus jufte que ce que vous dites: fui5» vez-moi, Meffieurs, vos motifs font équita>> bles". Que 1'ayant fuivi encore quelques pas, ils fe font arrêtés en paroiffiant fe confulter enfemble pendant que le déclarant montoit la première marche de 1'efcalier qui conduit au corridor oü logent M. 1'Evêque d'Orléans & d'autres perfonnes : que le déclarant, qui s'eft retourné, leur a dit : » Eh bien, Meffieurs, vous ne me fuivez » point" ! Et s'étant approchés auffi-töt du déclarant , ils fe font écriés d'une voix ferme : » Quels » font vos deffeins"? Que le déclarant, qui eft monté quelques marchés & eft parvenu fur le premier carré , a fait réponfe : » Coquin, de t'arrê>> ter ", & en criant, au fecours, d moi la Maifon , il a mis 1'épée a Ia main, tk a faifi au coliet le particulier vêtu de verd, qui, s'étant dégagé des mains du déclarant, a tiré fon couteau de chaffe; qu'aïors le déclarant lui a porté au corps un coup de fon épée, laquelle s'eft caffée d'abord, paree qu'if  fur la Baftille. 295 étoit couvert; que ce particulier s'appercevant que le déclarant étoit fans défenfe, il a pourfuivi le déclarant, qui lui a porté au vifage un coup du troncon de Ion épée , Sc dans le moment, le déclarant s'eft fenti frappé a la tête, d'un coup qui lui a été porté par derrière, par FEccléliaftique, que le déclarant a faifi de la main gauche : qu'alors le particulier vêtu de verd a porté avec fon couteau de chaffe, un coup k la mamelle droite du déclarant qui a été renverfé par PEccléfiaftique qui 1'a pris aux cheveux : que le déclarant quï a crié de toutes fes forces, Sc avec la voix la plus ferme, au fecours, au fecours, d Cajfaffin, a été affailli par ces deux particuliers, qui, le voyant par terre, lui ont mis un mouchoir dans la bouche , pour I'empêcher de crier, Sc Pont accablé de coups : que le déclarant, qui a perdu connoiffance, a entendu dire, fans favoir par lequel des deux , » Bougre de mouche , tu fais des projets; mais tu n'en rendras point compte : que le déclarant , qui eft refté prés d'une demi-heure fans connoiffance , eft revenu enfin alui , & ayant eu la force de fe relever, il a fait quelques pas, Sc eft tombé par terre, oü il a été relevé par des Gardes du Roi qui font venus a paffer , Sc qui ont entendu les cris du déclarant qui demandoit du fecours , mais d'une voix baffe Sc plaintive k caufe de la foibleffe oü il fe trouvoit : que le déclarant a été conduit d'adord dans Pappartement de Madame de Saint-Sauveur, Sc enfuite tranfporté k 1'infirmerie des Sceurs de la charité de Verfailles, oü il a été mis dans la falie deftinée aux Gardes du Roi, qui eft tout ce qu'il a dit favoir,  2cj6 Mémoires fur la Bafiille. Leöure a lui faite de fa déclaration, a dit qu'elle contient vérité; de ce interpellé , a perfifté, & a figné avec nous Commiflaire. Signés la Chaux 6c Miché de Rochebrune, Win du Tome fecond.