THÉORIE ■■WS'ijifia D E L'ART DES JARDÏNS f a r C. C. L. HIRSCHFELD, Confeiller de Jujlice de S. M. Danoife & Pvofejfeur de Philofophie & des Beanx • Arts dans l' Univerjitê de Kiel. TRADUIT DE L'ALLEMAND. TOMÉ PREMIER. LEIPZIG Chez lks HERITIERS DE M. G. WEIDMANN ET REICH. 1779. 1 s ë&ipe   PRÉFACE DE L'AUTEUR. J'offre ici aux amis de 1'art des jardins le commencement d'un ou. vrage déja annoncé depuis quelque temps, & auquel j'avois préparé la voie, ily a plufieurs années, par deux autres écrits moins confidérables. *) Dans le premier je m'étois fur-tout propofé de découvrir les différents préjugés qui dominent parmi nous a 1'égard des jardins, & les écarts auxquels on s'y livre, & d'oppofer quelques principes a ce goüt dépravé. Dans le fecond je m'efforcois d'exécuter ce qui reftoit a faire après eet effai, c'eft è dire, de développer plus exaaement les regies a fuivre en général dans la formation des jardins pour qu'ils puiflent paflèr pour beaux. Ces deux petits traités, qui vu leur rapport, doivent être regardés comme parties d'un mê'me tout, pourront toujours être utiles & fervir comme de manuel a 1'arni de 1'art 'qui fe contente des connoiflances les plus indifpen- fables. . L'approbation que le public a bien voulu accorder a ces eflhis, les invitations de quelques hommes iUuftrcs d'Allemagne, lesbefoins d'un art encore dans 1'enfance & qui ne peut parvenir a quelque perfeaion qu'a force de travaux réitérés, le charme féduifant qui en propre aux objets de cette efpece, tout m'engageoit a publier eet ouvrage détaillé fur 1'art des jardins. II n'eft point deffiné a opérer une révolution fubite dans nos jardins, quoique la plüpart paroiffent en a 2 avoir *) Anmerkungen Über die Landhciufer und die Gartenkunft. 8. Lêipzig tfft. Theorie der Gartenkmfi. 8- Ebendaf. i?75- c'eft d dire: Remarques fur les maifons de campagne & 1'art des jardins. 8- Leipzig I773Théorie de 1'art des jardins. 8- Leipzig l775Ces deux ouvrages u'ont pas été traduits en Francois.  ïv Préface de f Auteur. avoir befoin, mais a faire réfléchir d'une maniere agréable fur ce fujet, a mettre 1'amateur avide de favoir dans le cas d'en juger avec jufteffe, & s'il en a 1'occafion de fe créer un jardin qui ne foit pas dénué de goüt. L'art des jardins eft encore presqu'entiérement négligé par nos écrivains; il eft tyranïiifé en nombre d'endroits par la mode & le préjugé. Cependant on forme fouvent de nouveaux jardins oü 1'on eft le maïtre d'agir a fa volonté, & Pon ne confulte guere que des jardiniers ordinaires. Le polfeflèur d'une terre, ou tout autre propriétaire qui fe fait un jardin, ne devroit-il pas auffi s'informer de ce qu'ont écrit fur la maniere de 1'ordonner 1'un ou 1'autre de ces hommes a qui il dok fuppofer plus de goüt & de connoilfances qu'a un limple cultivateur? S'il exiftait un ouvrage qui fatisfit parfaitement a ce qu'exige l'art des jardins tel que me 1'offre le modele idéal & relevé que j'entrevois, la peine & la dépenfe qu'on facrüie ici feroient fort inutiles. Dans les écrits peu nombreux des étrangers, on n'a pas toujours pu faire attention aux befoins qui nous font particuliers, aux avantages de notre climat, aux propriétés de notre pays. On a fouvent été trop partial envers Ie goüt de fa nation. On n'a pas foigneufement difhngué, ou plutöt on a totalement oublié de confidérer les diverfes fortes de jardins qui réfultent de la nature des différents cümats, des fituations du terrein, & des faifons; qui font formés par quelques perfonnesfuivantleur caprice ou leurs befoins; jardins qui peuvent réellement exifter, Scdelademnation particuliere desquelsnous traiterons dans la fuite de eet ouvrage. Ce volume ne contient guere que les premiers principes généraux de l'art des jardins; principes qui demandoientun développement exact, quoiqu'on paroiffe l'avoir cru peu néceffaire. Le plan de tout 1'ouvrage s'expofera de lui -même dans lafuite. Ufaut cependant que je prévienne ici qu'on doit dimnguer l'art des jardins du jardi-  Préface de tAuteur. v jardinage botanique, & économique, &que tout ce qu'on dit du premier dans eet ouvrage ne fe rapporte qu'au beau & au bon goüt. Ce qui regarde 1'éducation & Ia culture des arbres & des plantes, a déja été enfeigné dans mille écrits, & eft hors de ma fphere. Une Théorie parfaite de l'art des jardins n'eft pas 1'ouvrage d'un feul écrivain. Elle demande 1'afliftance des Princes & d'autres Grands pour parvenir au degré de perfeclion dont elle eft fufceptible. Dans mon annonce publique je me fuis borné a defirer la communication des defcriptions intéreiïantes de beaux jardins réellement exiftants, fans lesquelles une Théorie de eet art ne fauroit être ni aflèz complette, ni affez inftruótive. Je répete cette priere avec tout le zele que j'ai confacré a eet art. Je ne fouhaite pas feulement des defcriptions de jardins, mais auffi des defleins demaifons de campagne, & de toutes fortes d'édifices propres aux jardins, comme temples, pavillons, cabinets, hermitages &c., qui, foit comme ouvrages réellement exiftants, foit comme fimples projets, montrent un goüt fain & fupérieur d'architeclure. En me les communiquant obligeamment on feroit connoïtre de nouvelles inventions nationnales &bien des monuments eftimables de l'art des jardins, qui fouvent languiffent ca & la ignorés, & qui alors s'attireroient de la réputation & exciteroient 1'émulation. Je promets de ne faire qu'ua bon ufage de ce qui pourra être employé, Sc en tout cas une reconnoiffance qui ne demande qu'a fe manifener. Aurbis-je a craindre de faire une priere inutile pour une entreprife qui eft la première de cette efpece parmi nous, 8c qui regarde fi dire&ement les plaifirs des Princes & de la Nobleffe? Je publierai fldélement dans le dernier volume, tant ce qu'on aura fait, que ce qu'on n'aura pas fait en faveur de eet ouvrage. Ce Ier Volume ofTre déja la defcription que j'ai faite d'un des Iieux de plaifance de ma patrie. Je tacherai dans la fuite de préfen- a 3 ter  Préface de l'Juteur. t»r amon lecteur quelques tableaus d'autres jardins Migenes, & que auraitracésmoi-mêmeou quim'auront été eommumques. Les relations imprimées de jardins allemands nous manquent eneore entiérement a une on deux prés. On ménagera dans chacun des voümes fuiv-ants une place pour les defcriptions de jardms qui en euxXes ferment un certain enfemble, ou qui ne pourront pas com„odément fervir d'exempks & déclairciflements aux regie». Parmilesplanches quidécorent eet ouvrage fetrouvent dabord des eopicsutiles demaifons de campagne & dédifces etrangerspro„ es Lx jardins, en partie batis par les plus célebres aremteaes, & cToife dns plufieurs ouvrages de prix & fouvent rares : ces deffems Svent a enfeigner le bon gont dans cette parne de . eTfur-toutfmportant d'apprendre a connoitre labeautedela ferme & de fapparenee exterieure de ces batiments uivant kurs dtverfa„andeurs&kurs d.vers carafleres; quant a la dupofmon mteri „re eUe dépend de la commodité, de la volonté, & des dtférents tesdspropriétaires, & dailleurs on n enfeigne point ia llarchttecta, « D'antres planehes offrent des projets de maifons de campagne Wédifices propres aux jardins qui attendent rexeennon, & font ! omWarehkeaes habiles. On trouvera raffemblé & cop.é te. & te la feite, comme dans nne petite gallerie, tont ce qu, mente tok ion on du moins fattention, & eft exécuté on deffine dans ce genre dédifice chez ks différentes nations qui font en poffeftion dU b°Lesgr™réfenta.ions champêtres plus grandes, & qui offrent des fcenes namrelles ifolées, on des cantons') carafterubques fon t le routes dües au zek généreux d'un homme qu, s'eft ,o.nt amicakmentamoidès la première annonce de eet ouvrage. Ne > „ PnfPnd ici, & dans la fuite de eet ouvrage, par canton, *) Voyez ce qu on entend ici, page 317.  Préface de P Auteur, vu avec les talents d'un payfagifte, il fuivit des fa jeuneflê la vocation de la nature; mais la peinture en portrait, nourrice plus féconde de Partiftei ravit encore a la peinture en payfage un génie qui paroifibit créé pour elle. 11 retourne cependant dans des moments fereins a cette derniere, fceur chérie de l'art des jardins, dans lequel il a des connoüTances fi utiles, réunies a tant de goüt, que je regarderois comme unavantage pour eet art Foccafion qu'on fourniroit a eet habile d'homme d'exercer les talents en ce genre. Je livrerai dans la fuite des cantons & des fcenes champêtres de eet artifte plus parfaites, qui a ce que j'efpere, perdront moins fous le burin que celles qu'on trouve ici, & qui fe rapprocheront plus des principes expofes. Je poffede plufieurs delTeins repréfentant des jardins defoninvention, qui égalent les meilleures gravures angloifes de Windfor, de Kew & autres; parmi ces delTeins il s'en trouve quelques-uns oü les objets font fi fupérieurement animés par les couleurs, qu'on croit voir la nature même, & que je regrette qu'il n'y ait pas un moyen de les communiquer tels quels aux acquéreurs de eet ouvrage. Cet artifte, a qui je ne fais que rendre juftice, eft Monfieur Jean Henri Brandt a Hanovre. J'ai déja remarqué *) combien les gravures font défe£hieufes en général quand il s'agit de repréfentations champêtres. Cependant dans des ouvrages tels que celui-ei, elles donnent une idee de plus, ou relevent 6c éclairent 1'idée qu'on tache de réveiller par des mots; elles occupent encore agréablement 1'imagination. Dans les anciens traités d'architeclure on a prodigué les gravures pour mieux étayer la faufle maniere fymmétrique des jardins. La gravure ne s'occuperoit-elle pas auffi en faveur des fcenes nobles & aifées que la nature peut étaler dans ces mêmes jardins? Je *) Page 216.  vm Préface de tAuteur. Je préférerois les delTeins de quelques parties ifolées des jardins qui exiftent au fimple plan de 1'enfemble. Des jardins heureulement fitués & ordonnés avec goüt auront toujours quelques cantons, ou quelques parties de cantons, qui fe diftinguent & méritent plus d'être obfervés que les autres. Un recueil de parties cara&ériftiques femblables, eft bien plus inftruótif& plus amufant, qu'un morne plan géométral, oü le rapport des parties entr'elles, les relations réciproques des mafles & des formes, des enfoncements & des élévations, la variété des afpecls & de leurs effets, & mille autre circonftances importantes ne font jamais viiïbles. La tradudion francoife de cette théorie paroitra conftamment en même temps que 1'original. Je ne faurois finir cette Préface fans rendre mille aclions de grace a Monfieur Sulzer pour lequel ma vénération eft un fentiment également doux & ancien. C'eft lui qui le premier en Allemagne donna a l'art des jardins une place honorable parmi les autres beaux arts, a Pavancement desquels il veilla avec tant de dignité; & c'eft aufïï a lui que je confacre les premières fleurs de ce printems f fleurs dont je parfeme 1'autel du Dieu de la fanté en accompagnant cette oftrande de voeux pour la confervation de ce favant. *) *) Vceux malheureufement inutiles! Sulzer mourut le 25 Février, après une maladie douloureufe de fept ans, également regretté du Grand Fréderic, & de tous ceux qui, comme ce Héros, favoient apprécier fon mérite. Note du Tradufteur. AVER-  AVERTISSEMENT D U TRADUCTEUR. Le Leéïeur vient de voir dans la Préface de Monfieur Hirfchfeld que L'original & la traduclion de cette Théorie paroiftent en même temps, ce qui ne peut fe faire qu'autant qu'on envoye au traduéteur les feuilles originales a mefure qu'on les imprime. Cette méthode, excellente pour le Libraire en ce qu'elle empêche fes confrères de partager le pront avec lui en s'emparant de la traduéïion, n'efl: pas a beaucoup pres aulli avantageufe pour le traducteur: elle entraïne bien des inconvénients que je demande la permifïïon de détailier ici, afin qu'on foit d'autantplus porté a pardonnerles défauts qu'on pourra trouver dans mon ouvrage. D'abord il faut traduire un traité qu'on n'a point lu, & dont par conféquent on ne peut que deviner 1'enfemble. 11 faut, furtout dans une théorie nouvelle comme celle-ci, créer des termes d'art nouveaux, ou du moins transformer en termes d'art des mots qui ne 1'étoient pas encore: li l'on favoit d'avance toutes les idéés acceffoires dont Pauteur accompagnera ces termes d'art, on pourroit choifir ceux qui conviennent a la pluralité des cas; ici cela devient impoiïible; il faut fe contenter d'être littéral pour le moment, aurisque de faire cent mauvaifes phrafes dans lafuite, ou d'eflropier fon original. N'ayant pu 1'étudic.r d'avance & fe pénétrer de fes principes, privé d'ailleurs de la facilité de comparer différents paiTages entr'eux, b le  x Jivertijfement du Traduïïeur. le tradu&eur eft fujet a mal interpréter des phrafes, ou tout au moins il eft forcé a les rendre fi littéralement que 1'élégance en foufFre beaucoup» La preffe une fois en mouvement ne s'arrête plus; il faut faire tant de feuilles par femaine. On n'a donc ni Ie temps de confulter 1'auteur, ni celui de faire venir les livres cités dans le cours de 1'ouvrage, ü malheureufement ils ne fe trouvent pas dans le lieu qu'on habite ou dans les environs. C'eft a eet inconvénient que je prie mes Lecleurs d'attribuer toutes les nouvelles traductions de morceaux déja traduits en francais, tels que le paftage du poëme de la liberté deThompfon (Page 17), & celui des lettres dePline le jeune (Page 17. 18. 27- 28). Parmi les tradu&ions de morceaux déja traduits il ne faut pas oublier Ia defcription du pare de Hagley (Page 72-79). Elle fe trouve dans 1'art de former les jardins anglois, ouvrage dont j'ai tiré toutela defcription de Dovedale, & dont par conféquent j'aurois auffi pu tirer 1'autre, fi j'avois fu alors que 1'ouvrage exiftoit en francais, ce que 1'auteur ne dit qu'a la page 128 defon ouvrage (&Ia defcription de Hagley commence a la page 62), ou ft j'avois eu le temps de m'en informer. Outre cela j'ai été obligé de traduire Ia traduclion allemande, ce qui pourroit bien m'avoir entramé aftèz loin de l'original anglois. Indépendamment des traduclions fuperflues dont je viens de parler, j'ai encore été contraint de traduire de 1'Allemanddes extraits que fait 1'auteur de plufieurs ouvrages francois ou traduits en francais, & oü j'aurois pu employer lès phrafes mêmes des originaux ou des traduclions, en les relTerrant comme dans mon texte, ü j'avois eu le temps de me les procurer: de ce nombre font i.Voya-  Avertijfement du TraduSteur. Xl li Voyages dans le Levant, dans les années 1749, 1750,1751, & 1752, contenant des obfervations fur l'hiftoire naturelle, la Medecine 8cc. par Fréderic Haffelquift, Docleur en Medecine &c. &c. Traduits de 1'Allemand par M... Paris chez Delalain 1769. 2 Volumes. (Voyez P. 119.) 2. Voyages de Richard Pococke, Membre de la Société Royale & de celle des antiquités de Londres &c. &c. en Oriënt, dans 1'Egypte &c. &c. contenant une defcription exaéte de 1'Orient 8c de plufieurs autres contrées &c. des obfervations intéreffantes fur les moeurs &c. traduits de 1'Anglois fur la 2de Edition. 5 Vol. in 12. A Paris chez J. P. Coftard 1772. (Voyez P. 120. 121.) 3. Thevenot, Suite du voyage au Levant. Paris 1689- Cet ouvrage eft originairement franqois. (Voyez P. 121.) 4. Voyages en Barbarie & dans le Levant 8cc. par le Doéteur Shaw. II parut en 1743 a la Haye une traduétion franqoife de cet ouvrage; cette traduélion eft plus recherchée encore que l'original, le Docleur Shaw ayant communiqué au traduéteur des additions 6c des correöions confidérables. (Voyez P. 123.) Je crois pouvoir ranger parmi ceux-ci 1'ouvrage fuivant: Bruin, Reizen over Mofcovie, over Perfie &c. folio. Amfterdam 1711. C'eft a dire: Bruin voyages en Mofcovie, en Perfe &c. quoique je n'aie pu parvenir a voir la traduclion même. ( Voyez P. 121. 122.) En parlant du pare de Hagley," j'ai déja infinué que faute de temps, je me fuis vu forcé de traduire d'après 1'Allemand des patTages tirés d'ouvrages qui originairement ne font pas allemands; en voici les titres : i. ASix months tour through the North of England: containing an account of the prefent ftate of agriculture 8cc. 8cc. &cc. illuftrated b 2 with  £I1 Avertiffement du TraduEfeur. with copperplates of fuch implements of husbandry as deferve to be generaUy known, and views of fome piélurefque fcenes which occurredinthecourfeofthe journey. Second Edition. 1771. 4 Vol. (Voyez Pag. 64-71. & P. 237. 238-) 2. A Six weeks tour through the Southern countries of England and Wales &c. &c. in feveral Letters to a Friend. By the author of the Farmers Letters (ArthurYoung). 8- 1768. (Voyez P. 238.) 3. Chambers DüTertation on Oriental Gardening. 4. London 1772. (Voyez P. 100-108O 4. The Poems of M. Gray &c. &c. London 1775. 4. Cet ouvrage publié par Mr. Guill. Mafon, contient des Mémoires furla vie & les écrits de.Mr. Gray, '& n'eft pas tout compofé depoéftes, mais auffi de morceaux en profe. (Voyez P. 139. 140.) 5. Temple's Mifcellanies. (Voyez P. 143. 144.) 6. Home, ElTai fur l'hiftoire de 1'homme. (Voyez P. 139.) 7. Thikneiïes, Voyage enFrance & dans une partie de la Catalogne. (Voyez P. 255-261.) Si j'avois pu me procurer ces ouvrages j'aurois traduit d'après les originaux, & ne m'en ferois pas écarté, comme je 1'ai peut-être fait fans qu'il y ait de ma faute. Je n'ai pas même réufïï a me procurer les titres anglois des deux derniers. Quant aux paftages tirés des Elements of Criticifm de Home, je les ai traduits de 1'Anglois. L'Auteur fait encore des extraits de livres que je n'ai pas pu trouver, & qui, ainfi queceux que je viens de citer, n'ont pas encore été traduits en franqois; au moins je n'ai pas pu le découvrir malgré toutes mes diligences a ce fujet. Je ne parlerai pas ici de ceux de ces ouvrages qui font allemands; il eft fort indifférent que j'en aie traduit les extraits d'après 1'auteur même, ou d'après Mr. Hirfchfeld: voiciles titres des autres : i.P.  'AvertiJJement du Tradu&eur. xm i. P. Caimö Lettere d'un Vago Italiatoo. (Voyez P. 35.) f. Topham, Legers from Edimburgti.. &c. &c. &c. 1776. Londres chez Dodsley. (Voyez P. 81.) 3. Chandler Travels in Afia minor &c. Londres chez Dodsley. 1775. (Voyez P. 119. 120.) 4. The Hiftory of the Difcovery and conqueft of the Canary Islands &c. by George Glafs. in 4. (Voyez P. 123. 124.) 5. Travels through the middle fettlements in North-America, by M. Andrews Burnaby &c. London 1775. (Voyez P. 129.) 6. OlofToreen&Eckeberg, Appendice au voyage d'Osbeck aux Indes Orientales & a la Chine. Ouvrage originairement Suédois & dont il a paru une tradudion allemande en 1765. (Voyez P. 117.) Tous les autres paflages cités ont été traduits ou copiés des originaux. Avant de finir ce qui regarde les citations je crois de mon devoir d'avertir, qu'outre la traduaion en profe du Poème de Mr. Zacharie, intitulé les quatreparties du jour, dont je parle p. 245. 246. il en exifte une imitation en vers libres, publiée a Paris en 1773, & qui eft deMr.i'Abbé Aleaume Secretaire interprête deMonfeigneur: que le morceau de poéiie angloife cité p. 133. 134- eft tiré du Poëme de Mr. Mafon intitulé The Englifch Garden: & enfin, que s'il en faut croire la Gazette littéraire de 1'Europe (année 1765, mois de Mars), la traduaion des recherches philofophiques fur 1'origine des idéés que nous avons du Beau &c. eft, non comme je 1'ai avancé p. 190. de 1'Abbé des Fontaines, mais de Mr. 1'Abbé des Frangois. b 3 Eloigné  xiv AvertiJJement du Traduclcur. Eloigné comme je le fuis lieu oü s'imprime ma traduétiori, je crois pouvoir compter fur 1'indulgence de mes Lecleurs par rapport aux irrégularités qui pourroient régner dans la poncluation & les accents: j'aurai foin de faire un errata pour les fautesun peuconfidérables; mais un errata qui s'étendroit atoutes les petites négligences feroit plutöt fatiguant qu'utile. Au refte on promet de prendre toutes les précautions polTibles pour rendre la traduótion du fecond Volume meilleure a tous égards que celle dn premier.  / XV Spêcification des gravures contetiues dans ce Volume. No. i. 4. 5. 6. Projets de Pavillons. Pages 6. ir. 15. 33, No. 3. 3. — de Cabinets. P. 8- 9. No. 7. 8- 11. — de Rotondes. P. 29. 32. 45. No. 9. 10. — d'édifices propres a placer dans un jardin, tirés de l'architeélure de Morris. P. 38. 40. No. ia. 13. 14. Maifons de campagne francoifes; inventies par Brifeux dans 1'art de batir des maifons de campagne. P. 54. 58. 61. No. 15. Maifon de campagne de Stowe, vue du cöté du pare; d'après un nouveau deiïein. P. 63. No. 16. Maifon de campagne de Luton, vue du cöté du couchant. P. 68No. 17. La même du cöté du Levant. P. 71. No. 18. Facade de la maifon de campagne de Kenwood: ces trois derniers morceaux font tirés des ouvrages des deux Adam intitulés: Works in Architeéture. P. 79. No. 19. 30. Cabinets, P. 81. 85* No. 31. 32. 23. & Pavillons; projets tirés du détail des nouveaux jardins. P. 92. 108. 118. No. 34. Canton *) de 1'invention de Brandt. P. 134. No. 35. 36. 27. 28. 29. Grandes & petites maifons de campagne de Palladio dans les états de Venife. P. 129. 149. 155. 158. 163. No. 30. Maifon de campagne de Blondel, tirée de fa diftribution des maifons de plaifance. P. 166. No. 31. Canton de Brandt. P. 176. No. 32. 33. 34. 35. 36. Maifons de campagne Italiennes baties par Scamozzi. P. 182. 189- 199. 202. 206. No. 37. Canton de Brandt. P. 213. No. ») Voyez p. 317 ce qu'on entend par canton dans cet ouvrage.  xVI Spêcifaation des gravures. No. 38-- Rotonde de Stowe. Page 217. No. 39. 40. Cantons de Brandt. P. 228. 230. No. 41. Temple de 1'ancienne vertu a Stowe. P. 24c. No. 43. 43. Cantons de Brandt. P. 243. 245. No. 44. Le Staubbach de Lauterbrunn, deffiné d'après' nature par Abërli. P. 351. No. 45. 46. Cantons de Brandt. P. 254- 264. REFLE-  RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES. Tornt 4 A  PREMIÈRE SECTION. Coup ctceiljetté fur les jardins anciens & modernes. SECONDE SECTION. Recherches fur le goüt ancien & moderne en fait de jardins. TROISIEME SECTION. De tart des jardins, conjidêrê comme tun des beaux arts. QUATRIEME SECTION. De la defiination & de la dignité des jardins.  & ■ "' ifr PREMIÈRE SECTION. Coup d'ceil jettê fur les jardins anciens & modemes. I Origine des jardins. La nature avoit formé 1'homme pour goüter les plaifirs de Ia belle faifon, 8c il ne tarda pas a favourer les agrémens de la vie champètre. II ne faut cependant chercher les tracés de l'art des jardins que dans des fiécles civilifés, éclairés 8c tranquilles. Que pourroit-on efpérer de trouver chez des peuples qui vivent encore dans la barbarie primitive, qui bornent toute leur aclivité a fatisfaire leurs befoins phyfiques, & qui font forcés par Ia néceffité a s'occuper de la chaffe, 8c a mener une vie errante ? Les jardins ne peuvent non plus fe perfeétionner chez un peuple toujours fous les armes, avide de troubles, & trouvant plus de plaïfir a faire des incurfions, a mener une vie vagabonde, qu'a cultiver 8c a défendre une contrée. Lors même que 1'homme commence a fe dégoüter de la viefauvage 8c a aimer fa füreté 8c fes aifes, lorsqu'au fein de la paix, il apprend a cultiver fon patrimoine 8c a s'y plaire, il eft encore hors d'état de faire des jardins de plaifance, dignes de quelque attention; il faut de plus pour cela que 1'exercice ait dégrofn 8c raffiné, jusqu'a un certain point, fes fens extérieurs 8c fon goüt: il faut que 1'efprit fe foit accoütumé a ces fcénes tranquilles, ou la nature étale fes beautés fimples; que 1'oeil ait appris a faifir les attraits épars de Ia campagne, 8c que le cceur s'ouvre facilement 8c avec plailir aux impreflions douces. L'expérience nous montre que dans les fiécles même oü le goüt avoit déja fait des progrès, on vit bien plutót de beaux batimens, 8c d'excellents tableaux, que de beaux jardins: comme fi cet art qui tient de fi prés a la nature), étoit environné de plus de difficultés que les autres. Un climat qui invite l'hom- A 2 me  4 Première Settion. Coup d'ceil jettéfur les jardins mealagaitê, & les agréments d'un pays, font des circonftances favorables a la culture des jardins, quoiqu'elles n'aient pas toujours produit cet effet. La profpérité, le fuperflu, qui fouvent ont conduit a une magnificence inutile & au mépris des beautés réelles, contribuent encore k former l'art des jardins, qui fe perfedtionnera furtout lorsque des moeurs adoucies & un goüt épuré infpireront 1'amour des plainrs de Ia campagne. Les premiers jardins, ou plutöt les premiers terreins que 1'on défricha, ne furent fans doute deftinés d'ab.ord qu'al'utile. L'homme raflembla, autour de fon habitation, les arbres & les plantes qui lui offroient des aliments d'un goüt agréable. Le befoin & un penchant naturel pour la fraicheur le porterent a chercher 1'ombrage & les eaux. La nature faifoit éclorre k fes yeux, dans les vallées & fur les collines, une multitude de fleurs différemment colorées, qui récréoient fa vue; il les transplanta dans fon voifinage, & les rendit plus belles en les cultivant foigneufement. II recueillit nombre d'obfervations qui, en étendant fes connoiflances, piquerent fon goüt. Et tout en fatisfaifant amplement fes befoins, il s'appercjut, fans peine, combien les objets de la nature étoient propres k flatter fes fens & fon imagination. L'amour de Ia folitude, le dégoüt du tumulte & des incommodités qu'entrainent après elles les fociétés nombreufes, 1'apparence de pouvoir fubvenir plus facilement k fes befoins, augrnentoient le goüt naturel de l'homme pour la vie champètre. Le loifir & Ia réflexion, foutenus par 1'expérience journaliere, lui fïrentdécouvrir Ie fécret des charmes puiflants de la nature, & il tócha de réunir & de fixer ces charmes k un endroit favori, afin d'en jouir plus Iong-tems. Telle fut a. peu prés 1'origine des jardins d'agrément, que 1'imagination échauffée du poê'te réufllra mieux a d'écrire que de froides conjedures : car lorsque l'hiflioire fe tait, (& 1'origine des jardins a précédé 1'hiftoire,) on ne peut plus fe livrer qu'a des conjeétures. Les premiers jardins étoient fans contredit très-informes, & bien éloignés de cette belle ordonnance, que le tems, Ie goüt & la réflexion pouvoient feuls leur donner. On ne fait guere ce que 1'on veut quand on demande  anciens & modernes. 5 demande comment les'premiers jardins étoient faits. On pourroit a toute force s'en faire une idee générale; mais veut-on en favoir d'avantage? que 1'on commence par donner une réponfe fatisfaifante a cette quemon: quel air avoit prëcifément le premier tableau? On verra, dans la fuite, que l'art des jardins n'avoit pas atteint chez les anciens le même degré de perfeélion que les autres beaux arts. Les climats delaGrece & de PItalie égayoient également la campagne & 1'efprit: ils enfantoient une foule de beautés naturelles, & augmentoient la faculté d'en jouïr avec une forte de volupté. Mais il manquoit a l'art des jardins ies puiiTants refrorts, qui agiffoient avec tant d'énergie dans quelques uns des beaux arts. Ceux-ci s'élevoient a proportion des puiffants efforts que faifoit 1'efprit républicain, 1'amour de la Iiberté, 1'envie de dominer, le délir de la gloire & la certitude d'être récompenfé par la patrie. Ainü fe perfeétionnerent 1'éloquence, Ia poéfie & la fculpture. La culture des jardins demandoit au contraire une faqon de penfer toute oppofée a 1'héroïsme: elle exigeoit le filence des paffions, 1'amour de la tranquillité & des plaiürs qu'offre la campagne. Si quelquefois un fage étoit chafTé du tumulte des villes, ou s'en écartoit volontairement, & préféroit aux occupations bruyantes la douce tranquillité d'une maifon de campagne écartée, fon efprit, ni fon goüt n'êtoient pas toujours difpofés k s'occuper du foin d'embellir une place, propre k devenir jardin. Plus on s'éloigna des tems héroiques, & plus le goüt des jardins s'étendit réellement. Les Romains qui créerent cëtte multitude de maifons de campagne & des jardins, étoient les contemporains non de Fabricius, mais de Lucullus. Ce n'étoit plus les occupations utiles, ni les plaifirs fimples & doux de Ia viechampétre, mais les voluptés raffinées, qu'on recherchoit. II n'eft guere de nation policée qui n'ait planté des jardins pour fon amufement. Les attraits de Ia belle nature ont une influence presque générale: Ü religion, & les préjugés nationnaux nela diminuent point. Le Moine Romain aime autant k s'égayer dans les jardins de fon couvent, que le Mufulman k courir dans fes maifons de campagne refpirer aux bords de la mer, 1'air fraix que Conftantinople lui refufe. A 3 Déja  5 Première Seïïion. Coup d'ceil jetté fur les jardins Déja depuis löng-tems les jardins font un des objets de dépenfe dont s'occupent non feulement les Princes, mais encore les membres les plus riches des nations civilifées. Le befoin forqoit a cultiver, avec aétivité autour des villes, toutes les plantes alimentaires: bientót s'éleverent fur ca même terrein des jardins confacrés i jouïr de la Iiberté, de 1'air pur & des plaifirs. On voit encore communément des jardins autour des grandes villes oü le négoce a produit 1'aifance, ou les richeffes ont enfanté le luxe. On peut confidérer les jardins qui font partie des monuments' publics d'une nation, fous tant de points de vue intéreffants, qu'on ne fauroit que blamer la négligence totale ou 1'indifférence des voyageurs fur cet article. Les jardins font I'objet non feulement de la culture & du bien-être d'un pays, mais encore de fon goüt; & lorsqu'ils ne font pas fimplement huiles, mais qu'ils font plantés fuivant les propres idees d'une nation, ils peuvent faire connoitre fon caraélere, qui certainement s'y peint. Les nouveaux parcs d'Angleterre annoncent au voyageur une nation dont le génie s'élance au devant des beautés les plus relevées, qui faifit tout ce qui eft grand & noble, & qui s'occupe volontiers d'entreprifes hardies. Le goüt du joli & du fpirituel qui s'allie fi aifément avec 1'efprit de bagatelle, régnoit vifiblement dans les anciens jardins francais.  anciens & moderne*. ^ II. jardins de l'Antiquitê. T esRomains font de tous les peuples anciens ceux dont les jardins & les -L^ maifons de campagne ont eu le plus de réputation. Cependant Iong-tems avant eux il eft fait mention de jardins chez des peuples plus anciens, jardins qui peuvent avoir eu leur prix fuivant le goüt de ce temsla, mais qui n'ont été excefiivement loués par quelques écrivains modernes, que parcequ'ils ont trouvé plus commode de répéter ces louanges que d'examiner fi elles étoient fondées. i. jardins fufpendus des Babylontens. ■ On n'a jamais parlé des jardins de Rabylone fans tomber dans une efpéce d'extafe dont on ignoroit la caufe. Le célébre Temple lui-même ne balance pas k foutenir que c'étoient les plus fuperbes jardins qui euffent exifté. Mais en examinant de plus prés ces jardins fufpendus, on voit s'évanouir une grande partie de leur étonnante magnificence. Suppofons pour un moment que les defcriptions de Diodore, *) de Strabon**) & de Q. Curce***) foient hiftoriquement. vraies. Suivant ces écrivains c'étoient des élévations artificielles, foutenues par des piliers & divifées en terraffes, fur lesquelles étoient plantés des arbres arrofés par le moven de machines k eau. Je ne vois ici que 1'ouvrage d'un génie hardi, qui voulut faire une entreprife finguliere, fans felaifler guider par unjugementfain: ouvrage deftiné pour ainfi dire adéfier la nature, ouvrage ifolé, hazardé & peu fufceptible d'imitation. On ne fait guere comment lui accorder le nom de jardin, ft ce n'eft dans un fens trèspeu ufité. Mais la véracité de ces écrivains eft fort douteufe. Le feul Berofe, écrivain fufpecl & qui ne demande pas mieux qu'a vanter les raretés de fa patrie aux dépens de la verité, le feul Berofe parle de ces jardins pour les *) Libr. 2. cap. 4. **) Libr. 15. ***) Libr. 5. cap. 1.  g Première Seïïion. Coup d'ceil jettéfur les jardins les avoir vus; les autres n'en parient que d'après d'autres encore. Curce mème paroit douter de leur exiftence, les appellant vulgatum Graecorum fabulis miraculum. Probablement il fe trouvoit k Babylone une colline, divifée en plufieurs terraffes & garnie d'arbres. La rareté de cet objet, dans un pays plat, frappa une imagination exaltée, & la renommee en fit une merveille en'forme. Ce qui rend plus probable cette conjeélure, c'eft le filence d'Herodote. II avoit examiné Babylone avec foin, il en décrit au long toutes les curiofités; mais il ne dit mot des jardins fufpendus: & ce ne font que des écrivains jjIus modernes que lui, qui en parient. 2. jardins des Perfes. Les jardins des anciens Perfes, que 1'antiquité n'a pas peu vantés, méritent réellement plus le nom de jardins que ceux de Babylone. II paroit' cependant que c'étoient moins des jardins plantés k deffein que des places naturellement agréables, des terreins oü poufibient d'eux-mêmes les arbres fruitiers, les plantés & les fleurs. Le climat & le fol favorifoient beaucoup les excellents végéteaux & les fruits délicieux, particuliers k ce pays.  anciens & modemes. 9 pays. L'étranger ne les^ ayant jamais vus dans fa patrie en étoit d'autant plus enchanté, qu'ils étoient également nouveaux & féduifants pour fes yeux & pour fon palais, & bientót la réputation des jardins Perfes fut répandue partout. Les defcriptions qui nous en font parvenues, ont le défaut commun a d'autres defcriptions antiques de jardins', de nommer fimplement les objets fans dire un mot de leur difpofition. Xenophon même ne faitjnention que de terreins ou jardins riants en général, auxquelsil donne les épithetes de fertiles & de beaux, ne parlant que de Ieurs arbres fruitiers & de leurs eaux, d'oü Carlencas & d'autres écrivains de fa forte ont , tiré des fallons & des fontaines magnifiques dans le goüt francpis. La feule tracé du commencement de l'art qu'on appercpive dans Xenophon*) c'eft le jardin du jeune Cyrus k Sardes en Lydie, dans lequel Lyfandre admire la beauté & 1'ordonnance réguliere des arbres plantés en quinconce parcequ'il n'avoit probablement vu rien de femblable k Sparte oü la culture des terres étoit abandonnée aux efclaves. En comparant entr'eux les paffages qui nous reftent des anciens écrivains on ne peut rien conclure avec certitude, fi ce n'eft que les jardins ou Paradis tant vantés des Perfes, étoient des vergers qui ne durent leur réputation qu'a 1'agrément naturel de la fituation & a la beauté des végétaux. *) Dans les Oeconom. Totne I. B 3- &ar-  I0 Première Seftion. Coup iceil jetti fur les jardins 3- jardins des Grecs. Les Grecs habitoient des contrées qui par leur difpofition naturelle ' invitoient a la culture des jardins: le génie vif de ce peuple, fon extreme fenfibilité pour toutes les impreffions agréables, fon penchant au plaifir & a la variété, ne devoient pas moins connïbuer a les leur faire aimer; auffi n'ëtoient-ils pas plus indifférents a cet égard, qu'aux grandes. beautés de la nature même, beautés que leurs poëtes nous ont fi bien dépeintes. II paroit cependant que dans les premiers tems ils furent trop furchargés de befoins preflants, enfuite trop accablés de politique & deguerres, enfin trop fortement préoccupés d'autres arts, & furtout de plaifirsplus animës, pour trouverle tems & le repos, fans lesquels les attraits plus douxdes jardins ne penvcnt ètre bien fentis. La multitude de ftatues, de temples, de diéatres, & d'autres batiments, qui dans laGrece remplifToient non feulement les villes, mais encore en partie la campagne, les bosquets & les plaines, fourniffoient affez d'occupations a 1'ceil avide de beautés. Tant de merveilles fembloient ne laiffer aucune place aux fcénes champêtres pleines d'innocence & de charmes tranquilles. Dela vient que les jardins n'ont jamais atteint chez les Grecs le même point de perfeélion que les autres beaux arts. Homere *) décrit les jardins d'Alcinous, que 1'on a fouvent auffi immodérément exaltés que ceux de Babylone, quoique les plus anciens écrivains mèmes n'aient pu que copier Homere. La beauté de ces jardins confiftoit en ce qu'ils étoient ornés de grénadiers, defiguiers, d'oliviers & d'autres efpéces d'arbres rcpartis de maniere que les arbres fruitiers, les ceps de vignes, & les plantés potageres avoient chacun leurs emplacements particuliers, & en ce qu'ils étoient arrofés par des eaüx diftxibuées qa & la de faqon a fertilifer le terrein. II paroit auffi qu'on avoit obfervé une efpéce d'ordre & de fymmétrie en plantant les arbres & les autres végétaux, fymmétrie qui a été & devoit ètre presque partout le commence- ment *) Odyffi Lib. 7.  anciens & modernes. ll inent de 1'art, fans que cependant il dut s'en tenir la. On découvre dans cette defcription les premiers dévcloppemens d'un jardin, qui confiftent a faire un choix d'arbres & de plantés, a foigner leur culture & k les ranger dans un certain ordre, & qui font autant de tentatives faites pour s'éloigner de la nature inculte. Mais cette defcription, telle qu'elle eft, ne nous donne pas une grande idee d'un jardin royat de plaifance: onn'apperqoit ici qu'un terrein fertile arrangé en potager & ifolé exprès pour cet ufage. Ce modéle de jardins fimples & utiles, s'offroit perpétuellement aux yeuxdes Grecs poftérieurs comme une régie, dont ils s'écartoient d'autant moins qu'Homere étoit pour eux le législateur des arts. De hauts platanes qui jettoientde 1'ombre, une eau courante, qui rafraichhToit 1'air & quelques ftatues faifoient presque tout 1'ornement des jardins oü fe raffembloient les philofophes d'Athenes. Les defcriptions parfemées dans les romans d'Hëliodore, d'Achille Tatius & d'Euftathius, écrivains des derniers tems de la littérature Grecque, prouvent que même alors les jardins étoient peu foigneufement deflinés, fans variété & fans ornements. *) *) Dans ie fecond volume des Pitture planche,' un tableau découvert prés o;> antiche ctErcolano fe trouve, a la 2ome Portici qui ne repréfente pas un jardin grec  12 Première SetHion. Coup d'ceil jetti fur les jardins 4. Maifons de Campagne & jardins des Romains. Si les Grecs fe plaifoient aux beautés naturelles 8c a la fimplicité dans leurs jardins, les Romains au contraire croyoient ne pouvoir fe fatisfaire qu'a force d'art, de magnificence & de profufion dans leurs maifons de campagne. Ce n'eft que de chez eux qu'on peut jetter un regard alïuré dans les jardins de plaifance des anciens. Dans les fiécles barbares la plus tranquille des fenfations, 'celle du beau, étouffée par des paffions bien plus fortes 8c par une inquiétude d'efprit continuelle, ne pouvoit percer. IIfalloit qu'auparavant le penchant k Ia violence 8c au pillage fut éteint, 8c 1'amour du repos affermi; & Plutarque obferve expreflement dans la vie de Numa, que rien n'accéléra tant ces effets, chez les anciensplomains, que la culture des terres 8c Phabitude de la vie champêtre. Au milieu de pareilles occupations 8c des agrémens de la paix, les fenfations délicates, néceffaires pour faifir 8c goüter ce qui eft beau, pouvoient commencer k fe développer. Après avoir fatisfait aux premiers befoins, on commenca fans doute bientót h rendre les cabanes champêtres plus commodes, en confervant long-tems encore une fimplicité dénuée de tout art. Telles étoient les maifons de campagne des anciens Romains, avant qu'ils fe fufTent familiarifés avec 1'abondance 8c les arts: en élevant une villa rufica, ils penfoient peu a ce que feroit un jour une villa urbana; *) 8c il ne pouvoit en ètre autrement, tant qu'ils ne grec réel, comme on 1'a cru', mais n'eft Comme il y a des oifeaux perchés fur qu'un exercice de 1'artifte a qui il plai- ces berceaux, on les a pris pour des vofoit de tracer un jardin, comme le font lieres, ce qui eft contredit par leur diffouvent les peintres modernes. Ce ta- pofition même. Au travers du grillage bleau offre quatre berceaux fymmétri- on appenjoit des plantés & des fleurs. — quement difpofés, & joints enfemble Probablement ce tableau eft du moyen par un grillage orné de vafes. Les deux age & une fimple fantaifie de 1'artifte. berceaux des extrêmités ont la même On peut dire la même chofe de ce qui forme & les mêmes proportions, ainfi eft repréfenté presque dans le même que les deux du milieu. On voit un goüt, fur la 49me planche. jet d'eau dans chacun de ces derniers. *) Varro Lib. 1. cap. 13.  anciens & modernes. s^ ne demeurerent a la "campagne que pour veiller fur leurs champs 8c fur leurs troupeaux, & qu'ils ne connurent d'autre plaifir que celui de fe livrer a un travail foutenu. Leur goüt pour la vie champêtre fe rafina, k méfure que leur efprit fe développa, que leurs richefTes & leur paffion pour l'arcmtecïüre s'augmentercnt Mais enfuite, 8c furtout vers la fin de la République, énervés par les tréfors conquis & par la moleiïe des mceurs étrangeres, ils fe livrerent a une magnificence 8c k un luxe que condamneroit le bon goüt, fi Ia politique ne le condamnoit pas. L'amour de la campagne devint une paffion effrénée. La jouïffance tranquille 8c noble que fourniffent les beautés de la nature fut traverfée par le luxe: 8c la multitude & 1'étendue des palais, transportés aux champs, ne deroboient que trop [fouvent k la charue un terrein utile. *) II faudroit avoir lu bien légérement les ëcrits des Romains, pour ne pas connoitre leur enthoufiasme pour la campagne. Non feulement les petits bourgeois, qui étoient parttculiérement attachés ala vie champêtre par les avantages qu'ils retiroient de la culture de leurs terres, mais auffi les families diftinguées recherchoienft'air de la campagne, comme s'il leur étoit abfolument néceffaire. Le tems employé k goüter la tranquillité 8c les plaifirs des champs, parut même important, au point de s'en fervir pour méfurer la véritable durée de la vie. Le Conful M. Plautiusjretranchoit de Ia fienne toutes les années de fes charges confidérablesidans 1'état, 8c a 1'armée, 8c ne comptoit avoir vecu que les neuf ans qu'il avoit panes a fa maifon de campagne, ainfi que le prouve I'infcription de fon monument, confervé jusqu'a préfent prés de Tivoli. L'Empereur Dioclétien lui - même penfoit ainfi avec plufieurs nobles citoyens. Les meilleurs écrivains, furtout les poëtes, s'efforgoient k I'envi d'éléver les beautés de la nature qu'ils aimoient tant, 8c d'échauffer 1'imagination de leurs concitoyens par des defcriptions pittoresques. Le tumulte de Rome, ville très-peuplée, & les affaires de 1'état qui n'occupoient pas Ie Sénat feul, B 3 mais *) Varro Lib. i. cap. 13. & Lib. 3. cap. 2. Horat. Lib. 2. od. 15.  Première Seëtion. Coup d'ceil jettéfur les jardins mais encore les autres citoyens, les fatiguoient & rendoiént plus vif le deur du repos & de la Iiberté déja fi naturel a 1'homme. A tout cela fe joignoit encore 1'influence puifïante du cümat & des beautés naturelles de ritalie Quels attraits ne durent pas avoir, furtout alors, les contrees dont lés vues firent 1'étude chérie des meilleurs payfagiftes modernes, d'un Pouffin, d'un Breenberg, d'un Schwanevelt, & d'autres! Si Bajes & d'autres endroits délicieux attiroient leurs hótes pour les pioneer dans la volupté, il y avoit auffi d'autres lieux, oü les plusfages Romains partageoient leur temps entre les foins de 1'agriculture, la phLlofophie & les plaifvrs modérés de .la table. Ils préferoient la maifon de campagne, qu'ils pouvoient, comme Ciceron, appelier leur Académie. L/a ils écrivoient, s'entretenoient, obfervoient affiduement la belle nature & inftruifoient la jeunelTe la plus diftinguée, qui fouvent les accomnagnoit dans leur retraite. Tantót ils s'occupoient de leur bibliotheque qui leur manquoit rarement, & tantót des affaires de la patrie qui les rappelloient fouvent de la tranquillité des campagnes au tumulte du Senat. Fatigués de la fevere philofophie, üfpuifoient de nouvelles forces dans la poéfie & dans la mufique. Quelquefois la pêche, la chaffe, le bain> dont les effets immédiats fur le corps influent auffi fur 1'efprit, les amufoient tour a tour. Souvent la vifite d'un ami fincere & un foupé fait en bonne compagnie les egayoient; & mèmeCaton, s'il en faut croire Plutarque n'étoit pas infenlible k cette efpéce de plaifir. A table on fe repandoit en louanges fur les grands hommes; en les louant on oublioit tout ce que le monde a dè facheux, & on ne fe croyoit jamais plus digne de la vie champêtre, que lorsqu'on s'occupoit d'objets & de difcours importants, ainfi que le fit autrefois M. Varron. *) Le genre de vie de Pline **) dans fes maifons de plaifance, & qu'Ü nous a décrit allez exaéte- ment, *) Cicero Orat. Phil. II. **) Lib. i. epift. 9. lib. 9. epift. 36. conf. Martial. lib. 4- eP'gr- 9Q-  anciens & modernes. 15 ment", eft Ie vrai modele de la vie fage & heureufe quemenoient quantité de noblcs Romains a la campagne. a. Des Maifons de Campagne. Les'maifons de campagne prirent naiflance des les premiers fiécles de la République, lorsqu'on diftribua aux citoyens des terres a cultiver. Ils portoient leurs grains dans ces maifons:'une certaine indigence étoit encore réunie a la fimplicité. Nulle magnificence; nul ornement; mais partout des cabanes pour les bergers 8c pour les laboureurs. On ne pla'ntoit encore rien autour de foi pour fatisfaire les yeux ou 1'odorat, mais on s'attachoit uniquement k I'utile. Dans Ia fuite on confacra un plus grand terrein aux maifons de campagne, non feulement pour les rendre plus commodes, mais auffi pour leur donner un certain dégré de grandeur 8c de magnificence. Les principales families de Rome choifirent les plus belles contrées, pour y batir leurs nombreufes maifons de' campagne. Les Romains aimoient Setia *) k caufe de la fertilité de fes champs, de Ia chaffe, de la pêche 8c du bon vin. L'Albanie ne fe recommandoit pas moins par la douceur de fon climat 8c les beautés de fes payfages. Les collines de Tibur, faines, riantes, 8c enrichies du meilleur raifrn ont été célébrées k 1'envi *) Aujourd'hui Sezzo daas Ia Campagne de Rome.  j5 Première SeSiion. Coup d'ceil jetté fur les jardins 1'envi par les poè'tes, les hiftoriens & les Rhéteurs. Horace fouhaitè d'y finir fes jours. Properce, Quintilien, Catulle & d'autres beaux efprits y choifirent leurs retraites champêtres, 8c 1'on regardoit l'air de Tibur comme ü fain que Martial s'étonne que Curiace y ait pu mourir. Eloignée du tumulte des villes la campagne de Prénefte offroit fur fes collines une fraicheur délicieufe. Des fources pures 8c de fuperbes canaux, de l'agrément, des fruits 8c des buiffons de rofes en abondance 8c de la meilleure efpece, qui répandoient partout leur parfum, caraétérifoient ce payfage; a droite étoit une plaine immenfe, 8c par devant une grande chaine de montagnes faifoit avec les vallons qu'elle formoit a gauche, uncontrafte charmant. Que la pofition de Tufculanum étoit raviffante! Des collines d'une pente douce, 8c des vallons presqu' infenfibles fe fuccédant tour k töur; tous les fruits en profufion dans la plaine 8c fur les hauteurs; un ciel falubre, doux 8c toujours ferein; au couchant la vue de Rome, la méditerranée 8c en particulier la mer de Tofcane; au levant les montagnes d'Albano, *) les forèts de Colonna **) 8c celles d'Aglio J ***) au feptentrion les plaines riantes de Tibur 8c des Sabins, 8c les hauteurs de Prénefte. Les beautés champêtres 8c la fomptuofité des batiments de marbre de toute efpece, fe réuniflbient pour embellir cette contrée, furtout dans les plantations fertiles, formées du cóté de Rome; 8c les maifons de campagne vraiment royales qui s'offroient aux yeux de toutes parts, lui ont acquis dans les écrivains anciens une rénommée auffi immortelle que celle des exploits faits par les Héros de Rome. Ces payfages, cette multitude de collines, de promontoires, de rivages 8c de golfes agréables étoient tellement remplis de maifons de campagne, que tout le terrein en étoit couvert. Plufieurs des principaux Romains avoient plus d'une maifon de campagne; 8c leur multiplicité, ainfi que leur fomptuofité, donnoit du reliëf a leurs polïefieurs. Encore aujourd'hui 1'image raviffante de toutes les maifons de plaifance qui animoient jadis 1'Italie Romaine nous *) Aujourd'hui Monte Cavo, autrefois Mons cavus ou Mons albanus. **) Quelques Géographes croyent que c'eft Val monte. ***) Aujourd'hui même la Selva d'Aglio.  anciens & modernes. ^ nous enchante. „Voyez," ainfi nous la dépeint Thompfon, *) „voyez comme ces maifons de campagne répandent la joye fur les plaines & offrent un coup d'ceil animé en s'élevant, ici, vers Ia chüte cachée de ruiffeaux maintenant perdus, & de fieuves illuftres par les chants des poëtes; la, dans 1'étroite vallée de 1'Ombrie, ou fur les fommets de fes fombres collines qui font refpirer un air parfumë; ici, fur les cótes de Baïes abondantes en vignes, oü Ia mer paifible, ridée par le doux vent d'Oueft, baife fans cefTe le rivage, oü le foleil toujours radieux éclaire 1'air le plus pur; la, dans la vafte campagne de Rome. Voyez comme elles brillent au loin jusqu'aux montagnes des Sabins, jusqu'au bruïant Anio, jusqu'a Tibur ombragé d'oliviers; jusques la oü Prénefte éleve fon front dans les airs ; ou comme baüïant infenfiblement, elles s'étendent enfuite jusqu'au rivage doré des rayons du foleil, la oü Albe fe rafraichiï dans les eaux." U paroit, foit par les defcriptions des anciens écrivains, foit par les nouvelles découvertes, que les Romains fe difputoient k qui trouveroit Ia fituation la plus agréable pour fa maifon de campagne. Les tableaux que nous fait Pline **) de fon Laurentin'& de Tufci, furpaffent presque tout ce que Pantiquité vante en ce genre. Les vues toujours variées de la première de ces maifons, & qui tantót offroient la mer, tantót des forèts ekdes montagnes éloignées, tantót des maifons de campagne agréables, fituées au bord de 1'Océan, tantót des prairies & des troupeaux, faifoient un Elyfée de ce féjour, heureufement habité par un génie capable d'en fentir les agrémens. Les chambres auffi étoient difpofées avec la même attention pour égayer 1'ceil & 1'efprit. Dans les unes on pouvoit s'amufer k Ia vuë & au bruiftement de la mer; dans d'autres, plus voifines du milieu du jardin, on n'entendoit ce bruit que de loin, comme un doux murmure; & dans d'autres encore on étoit livré au plus profond filence. La fituation de 1'autre maifon de campagne fameufe de Pline, prés des monts *) Poé'me fur la Liberté. **) Lib. 2. epift. 17. Lib. 5. epift. 6. Tome I. C  Ig Première Seiïion. Coup d'aeil jettéfur les ja; dim monts Apennins/n'étoit pas moins belle. „Que 1'on fe repréfente," dit-il, „un amphithéatre immenfe," tel que la nature feule en peut produire. •Une vafte plaine eft ceinte de montagnes dont le fommet eft couronné de hautes & antiques forèts. La on peut continuellement s'amufer a toutes fortes de chaffes; dela aufti defcendent fur Ie penchant de la montagne des bois taillis, entre lesquels fe trouvent des collines d'une terre grafie qui ne le cedent pas en fertilité aux plaines les plus unies, & oü une abon•dantc moiflbn parvient, un peu tard il eft vrai, a une parfaite maturité. Plus bas paroifTent de tout cóté des vignes. Les prairies émaillées de fleurs, font pleines de trefle & d'autres plantés tendres, qui arrofées par des ruifieaux intariffables confervent toujours leur fraicheur. Au milieu du payfage coule le Tibre, qui porte a Rome fur fes vaiffeaux les grains de la campagne. Mais la vuë de tout cela donne encore plus de plaifir, quand on eft fur une montagne. Alors on croit voir, non un payfage réel, mais un payfage peint d'après Ia plus haute idee qu'on puifle fe faire de fa beauté; tant eft grande la variété, tant eft belle 1'ordonnance des objets qui charment les yeux de quelque cóté qu'on les tourne. La maifon de campagne fituëe au pied'd'une colline, a la vuë aufli agréable que ft elle étoit fituée au fommet. La colline s'éleve d'une pente fi douce & fi peu fenfible qu'on eft furpris de fe trouver en haut, tandisqu'on ne croit pas encore avoir commencé a monter. Derrière Ia maifon font les monts Apennins a une certaine diftance. Mème dans des jours fereins & tranquilles, il vient de ces monts un air fraix qui n'eft pourtant ni fort ni piquant, parcequ'il eft affoibli par la diftance des lieux d'oü il foufHe."( Pline continue encore a dépeindre les agrémens de ce fite champêtre. Les Romains batiflbient une partie de leurs maifons de campagne non feulement au bord de la mer, mais fouvent dans la mer même, afin de jouïr de la fraicheur & d'une belle vuë. Sans parler de la maifon dc campagne de Dioclétien aj Spalatre en Dalmatie, *) les maifons de plai- fance *) L'ouvrage fuivant eft tres bon pour donner une idee des ruines de ce buciment: The Ruins of the Paiace of the Emperor Diocletian at Spalatro in Dalmatia, by R.Adam, fol. London 1764.  anciens & modernes. IQ fance de toutes les villes, aujourd'hui englouties, s'avanqoient dans la mer, j'excepte celles de Pompeji baties fur une hauteur. La maifon de campagne de Ciceron prés d'Afeura *) fe baignoit dans les flots. Lucullus **) auffi batit prés de Baïes des appartements, qui s'étendoient depuis fa maifon jusques dans Ia méditerranée. C'efc cette coütume dont parle Horace, ***) & qui donna lieu a Stace ****) de décrire une charmante foirée champêtre : Quum iam feffa dies, et in aequora montis opaci Vmbra cadit, vitreoque natant praetoria ponto, D'autres Romains illultres, tels que Lucullus, Marius, Pompée, Cëfar, batirent autour de Baïes des maifons de plaifance fur le fommet des plus hautes montagnes, foit par orgueil, foit pour avoir une vuë bien étendue, foit pour fe procurer des échauguettes avantageufes en cas de guerre. f) Cette coütume paroit être devenue plus ordinaire, a méfure que la magnificence & le luxe s'augmentecent. Le marbre blanc dont on batiffoit les maifons de campagne romaines, fourtout dans les derniers tems de la République, devoit donner k ces édifices un air animé, & faire de loin un bel effet. Enfin on ne fe contentaplus des marbres du pays, on en fut chercher en Grece, &en d'autres contrées éloignées, & 1'on tacha de furpaffer de ce cóté la beauté même des temples, ff) Les maifons de la ville n'étoient communément que de deux étages; mais aux champs on fe contentoit ordipirement d'un rez-de-chaufTëe, quoique 1'on trouve quelques exemples du contraire, dans les nouvelles découvertes que 1'on a faites. fff) Au rapport de Valere Maxi- C 2 me, *) Ad Atticum Libr. 12. epift. 20. chitefture des anciens p. 34. II décrit **) Plutarch. in vita Luculli. quelques maifons de campagne nouvel- ***) Lib. 3. od. 1. lement retrouvées, dans fes lettres fur ****) Lib. 2. fylv. les découvertes faites k Herculanum pag. |) Seneca epift. $1. 27 - 29. & dans farélation des découver- tt) IuvenaJ. Satyr. 14. tes faites k Herculanum p. 24. 25. On tft) Winkelmann, remarques fur 1'ar- trouve une quantité d'autres ruines de maifons  c0 Première Setïïon. Coup d'ceil jettê fur les jardins me, *) M. iïmilius Porcina fut condamné a Tarnende pour avoir bati, dans les environs de Rome, une maifon de campagne trop haute. On revêtoit les murs intérieurs de marbres diverfement colorés, tant pour 1'ornement que pour la fraicheur. On ménageoit même dans les appartemens des eaux jailliffantes. 1 An pi&urata lucentia marmora vena Mirer? an emifïas per cunfta cubiJia lymphas? **) On avoit des appartemens différemment arrangés, pour les diïïërentes faifons de 1'année, 8c la falie a manger étoit le plus fouvent placée de faqon a fournir la plus belle vuë aux convives. On multiplioit les fenètres non feulement pour éclairer 8c égayer 1'intérieur, mais encore pour fe procurer tour a tour de la chaleur ou du fraix. Les ornemens en marbre, en mofaïque, en ivoire, en or, en tableaux 8c en fcatues, (qui cependant étoient en partie les ftatues d'ancètres fameux, ou d'autres grands hommes, dont le fouvenir excitoit 1'émulation*) ces ornements furent enfin prodigués au point de n'ètre plus les objets du bon goüt 8c de la recréatión, mais du luxe le plus rafiné.***) Tout autour régnoient des portiques omes de fuperbes colonnes; ia beauté de ces portiques étoit augmentée par leur longueur, 8c 1'on y trouvoit une promenade commode, pendant Ia pluie, oula chaleur: on rencontroit encore d'autres allées, les unes découvertes, les autres couvertes 8c ombragées par des arbjgs 8c des buiflbns. Les environs, voiüns 8c éloignés, offroient des D?nns, des volières, des parcs, des étangs, 8c d'amples refervoirs, des vignes, des berceaux, des jardins. Quelquefois même la nature étoit obligée de fe foumettre au goüt, ou au caprice. Mons erat hic, vbi plana vides; haec luftra fuerunt, , Quae nunc tecla fubis; vbi nunc nemora ardua cernis, Hic nee terra foit, Domuit poffeffor et illum Forman- tnaifons de campagne romaines/ dans *) Lib. 8. cap. r. les relations d'Italie de Volkmann. ( Tous **) Statins in Tiburt. Manl. Vopifc. les ouvrages cités font en aliemand.) ***) Senec. Epift. 86. Stat. i. 3. fylv.  mciens & modemes. 21 Formantem rupes,'expugnantemque fecuta Gaudet humus. *) Une des maifons de campagne les plus fuperbes & les plus fameufes dans des tems plus modernes, fut celle qu'Adrien baat a. Tibur au retour de fes longs voyages, & dans Iaquelle il expofa tous les ouvrages de 1'art qu*xl avoit trouvés en Afie & en" Grece. On eft encore furpris de Tétendue des ruines de ce batiment: elles fcmblent plutót annoncer une petite ville qu'un palais champêtre; & en dépofant en faveur du bon goüt qui régnoitalors dans ParchitecTxire, elies prouvent que les plus grands artiftes en ce genre y furent employés. Théatres, falies immenfes, cours, bains, refervoirs, ftatues, colonades, temples & enfin 1'imitation des lieux les plus fameux de la Grece, **) fe difputoient a qui augmenteroit le plus C3 la *) Stat. 2. 2. de Pollii villa. fon Latium, ne peuvent être regardés **) Aelius Spartianus in vitaHadriani: que comme les enfants de fon imagina- Tiburtinam villam mire exaedificauit, ita tion. Enfuite Havercamp publia la de- vt in ea et prouinciarum et locorum cele- fcription Italienne de Ligorio en y joi- berrima nomina infcriberet: velut Ly- gnant une traducïion latine qui fe trou- ceum, Academiam, Prytaneum, Canopum, ve dans Graevii Thefauro Antiqu. et Hi- Poecilen et Tempé vocaret, et, vt nihil flor. Ital. Tom. 8. Part. 4. On y trouve praetermitteret, etiam inferos finxit. Le encore la defcription de cette maifon de célébre architefte Italien Ligorio en a campagne par Antoine del Ré qui tache publié une defcription & un deffein tres par ci par la dans fes Antiqu. Tiburtinge fautif & trop peu exaft. Après lui plu- de compléter & de redrefler Ligorio. fieurs antiquaires Italiens, & entr'autres L'architette francois Peyre a auffi levé le Pere Kircher qui dans fon Latium a le plan de cette maifon de campagne — donné le plan de Ligorio, ont auffi trai- Mais elle eft tellement tomb'ée en rüine té de cette maifon de campagne. Kir- qu'il eft trés difficile de reconnoïtre dans cher répete en grande partie la defcri- ces décombres la difpofition du tout. ption de Ligorio, parceque de fon tems, Les Antiquaires & les Architeftes elle n'étoit pas encore publique, mais ont déja tant écrit fur les maifons de confervée dans les archives du Cardinal campagne des anciens que pour éviter Francois Barberini. Au refte tous les la répétition, il ne me reftoit qu'a gla- deffeins d'anciennes maifons de cam- ner & a repréfenter la chofe fous un pagne, livrés par le pere Kircher dans point de vuëun peu différent. La plupart  22 Première Settion. Cottp ttceiljetté fur les jardins la magnificence de cette maifon de campagne, laquelle cependant ne fubfifia euere que quatre-vingts ans, & fut pillée & iaiffée déferte par les & Empe- part des écrivains n'onfc cependant confidéré cet objet qu'en antiquaires, & fe font plus occupés de notns & de pofitions que de ce qui regarde 1'art & le bon goüt. Voici le catalogue de ceux de ces ouvrages que j'ai aftuellement devant moi & que je diflribue en deux claffes. La, première eft celle des écrivains dont lesantiquités fontl'objetprincipal; la feconde celle des écrivains qui envifagent leur matiere comme un objet de goüt. Première Claffe. Corradini vetus Latium 4.. Rom. 1705. Tom. 2. lib. 2. cap. 18. 19. lib. 3- cap. 7. oü il parle des maifons de campagne des environs de Settine & de Circeje (aujourd'hui Sezzeèc Monte Cir cello). Vulpii vetus Latium Tom. 6. Patavii 1734. lib. 10. cap. 3- et 4. & furtout de la fituation du Laurentin de Pline. Tom. 7. Patavii 1736. lib. 12. cap. 6. des maifons de campagne de 1'Albanië. Tom. 8Rom. 1742. Hb. H- cap. 3- 4-5- des maifons de campagne deTufculum, & dans le chap. 4. de celles de Luculle en particulier. Tom. 9. Rom. 174.3- J*r l6-™P-9des maifons de campagne de Prénefte. Tom. jo. Rom. 174-5- P*rt- >'lib-xS' ca?7. 8.9.10. des maifons de campagne de Tibur. Antonii del Rê Antiqu. Tiburtinae in Graevii Thef. Antiqu. et Bijlor. Ral. Tom. 8- Part. 4. Dans le même fe trouve encore: Matthaei memoriae Hifloriae Antiqui Tufculi, quod nunc dicitur Frafcati; item lofephi Mariae Suarefii Praenejle antiqu. lib. I. cap. XI. et XII. Loffredi et Mazzeliae Situs et Antiquitas Puteolorum etc. in Graevii Thef. Tom. 9. Part. 4. Camilli Peregrini dijfertationes de Campania felice in Graevii Thef. Tom. 9. Part. 2. Georg. Greenii de Rujlicatione Romanoruth et de villarum antiqu. JïruSÈura apud eosdem comment. Lipf. 1667. Ce traité fe retrouve dans la ire Partie du Novi Thefauri Antiqu. Roman. cong. ab A. B. de Sallengre, Hagae Com. 1716. Découverte de la maifon de campagne d'Horace &c. par Mr. 1'Abbé Capmartin de Chaupy, 8- Rome. 3 Tom. 1767 & 1769. Dans cet ouvrage on trouve plufieurs recherches non feulement fur la maifon de campagne d'Horace, mais auffi fur la fituation de quelques autres maifons de campagne & villes de 1'ancienne Italië, & fur leurs ruines aftuelles. Ces recherches faites avec beaucoup d'exa&itude & d'érudition redrelfent quelquefois les autres antiquaires. L'auteur eft cependant trop diffus, & s'occupe trop d'acceffoires. II prétend qu'Horace n'avoit qu'une maifon de campagne. Dijfertazione fopra la villa di Orazio Flaceo dell\ Abb.A Bomen, de SantYis, Rom.  Rom. jf6i. Elle ne regarde que la fituation. Dijfertazioni due d'una cmtica villa fcoperta ful dojjfo del Tufcolo, 4. Venez. 174.6. L'auteur nommé Zuggeri traite de la fituation de la maifon de campagne de Ciceron k Tufculum, & la place fur une montagne contre Pavis de Kircher & de VuIpL Gittfeppe Rocco Volpi differtazione in. torno alla villa Tiburtina di Manlio Vopifco. (V. nelle Dijfertazioni dell' Acad. Etrufca di Cortonct, 4. Tom.II.pag.163192. Rom. 1738.) On a encore du méme auteur: Commentario della Villa di Manlio Vopifco in Tivoli. (V. nella Raceolta d'Opufcoli fcientif. e filolog. Tom. XXVI. p. 1 • J14. Venez. 1742.12.) Trinckkufii dijfertatio de hortis et villis Ciceronis, 4. Gerae 1673. Io. Fried. Chriftii Villaticmn, 8. Lipf. J746. L'auteur traite occafionnellement de la maifon de campagne du poete Stace. On peut en quelque facon ranger parmi ceux-ci, un ouvrage dont je parle principalement parceque dans tous les catalogues de livres rares on le met au nombre de ces livres trés - rares que plufieurs favants ont vainement taché de voir. Cet ouvrage a pour tïtre: Hortorum tibri triginta. Auïïore BenedikYo Curtio, Symphoriano equite in ecclefia Lugdutienji, Lugduni. fol. 1560. 683 pages. L'auteur avoue lui-méme que quoiqu'il ait tiré plufieurs obfervations de fon propre fonds, il en a cependant tiré un plus grand nombre encore des écrivains anciens & contemporains. EfFeftive. ment tout 1'ouvrage n'eft presque qu'une fimple compilation. Les paffages des écrivains Grecs &Latins, recueilljs avec beaucoup de foin & d'érudition font jettés fur le papier fans choix, fans or- dre  24 Première Seïïion. Coup d'ceil jettéfur les jardins b. Des jardins. II faut diftinguer les maifons de campagne des jardins, quoiqu'on les confonde fouvent. Dans les tems plus modernes les Romains eux- mêmes Les plans & les defcriptions de deux maifons de campagne de Pline. Paris 1699. Londres 1707. g. Dans cet ouvrage Félibien eft un peu plus exaft que Scamozzi, quoiqu'il s'écarte auffi. de Pline j & s'accommode trop au goüt framjois moderne. The Villas of the Ancicnts illuftrated by Robert Cajïell, London 1728. gr. fol. Cet ouvrage fuperbement imprimé & orné contieut, en 3 Seftions, la traduftion de la defcription que fait Pline de fes deux maifons de campagne, des remarques fur leurs parties & leurs diftributions , des plans & des profils de ces deux batimens, & des obfervations mêlées fur les maifons de campagne des Romains en général. Cet écrivain auffi n'a pas fuivi affez exaftement le Romain, ce qu'a déja démontré le célébre Ioh. Matth. Gesner ( Aiïa Eruditorum Lipf. ann. 1731. pag. zxx.). Délices des maifons de campagne appellées le Lanrentin & la maifon de Tofcane, 8- Amflerdam 1736. C'eft 1'ouvrage de Félibien déja cité plus haut: on y trouve la defcription de Scamozzi accompagnée d'une critique, de plans, & de quelques remarques traduites de Pline. Krub- dre & fans aucune liaifon entre les matieres. On trouve peu de jugemens portés par l'auteur même: & les fources oü il a puifé, ne font presque jamais citées exaftement. Les connoiffances phyfiques & économiques de l'auteur ne paffent guere les limites que ces fciences avoient chez les anciens. De plus, le fabuleux eft mêlé au vrai, le commUn a l'important, 1'utile k 1'inutile. C'eft au refte un ramas de vérités, d'opinions & d'obfervations des anciens touchant 1'agriculture, furtout la culture des arbres, des plantés &c. Ce qui eft dit dans quelques chapïtres fur les jardins des anciens, n'eft qu'un recueil fait fans jugetnent des paffages qui y ont du rapport. Seconde Claffe. Les ouvrages fuivants fe diftinguent parmi ceux oü 1'on confidere les maifons de campagne des anciens principalemeut du cóté de 1'archite&ure & du goüt. Scamozzi, Ideadell' Architettura univerfale, donne dans le 12 Chapïtre du 3me livre un deffein du Laurentin de Pline; mais il s'eft fort écarté de la defcription du Romain, & a trop manifeftement fubftitué le goüt de fon pays en fait d'architefture a celui des anciens.  anciens & modemes. 2- i mêmes remarquerent la différence qui fe trouve effeétivemeht entre ces deux chofes. *) Comme les defcriptions des anciens écrivains nous font mieux connoïtre les maifons de campagne que les jardins, & que les premières paroiiïent plutót que les derniers foumifes a de certaines regies, on a quelquefois attribué aux jardins la réputation qui réellement convenoit aux maifons de campagne, 8c donné k ceux la une valeur qui n'appartenoit qu'a celles - ci. Lorsqu'on a loué les jardins, ce n'étoit presque jamais qu'en faveur des maifons de campagne dont ils étoient une appartenance: & il paroit qu'on les a moins févérement examinés, précifement pour pouvoir mieux les vanter en général. La maniere différente dont les anciens écrivains parient des maifons de campagne 8c des jardins, peut nous conduire k juger, Iequel de ces deux objets avoit atteint le plus haut dégré de perfeétion. Les defcriptions des premières font non feulement beaucoup plus nombreufes que celles des derniers, mais encore plus détaillées. On ne fait mention des jardins qu'en gros, 8c on fe contente de louer en général leur fertilité 8c leurs agrémens. Chaque maifon de campagne avoit vraifemblablement fon jardin, au moins du tems de Pline: **) cet écrivain 8c d'autres le donnent affez clairement a entendre. II paroït donc qu'on peut hafarder la conjeclure, quelmême fuivant les Romains, leurs jardins étoient proportionellement beaucoup moins parfaits que leurs maifons de campagne. Sans doute Krubfacius wahrfcheinlicher Entwurf Pline, & fon plan s'approche probablevon des jüngern Plinius Landhaufe und ment le plus de la vérité. Après avoir Garten, Laurentin. 8- Leipzig, 1760. traduit la defcription de Pline, il éclairDans cet ouvrage (dont le titre traduit cit les différentes parties de la maifon en francois eft: conjeótures vraifembla- de campagne par des remarques foiides, bles fur la maifon de campagne & le dans lesquelles il redreffe & réfute queljardin de Pline le jeune, appellés le Lau- quefois Félibien. rentin;) 1'Auteur, Mr. Krubfacius, *) Columella lib.2. cap. 3. Plin. Nat. Architefte & Profefleur a Dresden, s'en Hiftor. lib. 19. cap. 20. eft exa&ement tenu a la defcription de **),Plin. Nat. Hift. 1. c. Tome I. D  26 Premiert Seftion. Coup ctml jettéfur les jardins doute que les écrivains deRome, fi attentifs k relever la gloire de leur fiecle en tout ce qui concernoit les beaux arts, fe feroient plus étendus fur cet objet, s'ils avoient eu quelque chofe d'important k en dire. Juger de la perfeétion d'un des arts chez une nation par la perfeétion d'un autre, c'elt porter un jugement hafardé; faute qu'on a déja commife k 1'égard de la mufique des anciens, 8c qu'ilfaut fe garder de commettre de nouveau a 1'égard de l'art des jardins. Les Romains paroiffent en général avoir toume leur attention yers tout ce qui porte une empreinte de grandeur 8c de magnificence; dela leur paffion pour les batimcns, les bains, les cirques, les colonnades les ftatues, les refervoirs & les autres objets qui frappent la vuë. D'ailleurs ce eoüt étoitplus facilek fatisfaire,8ck fatisfairepluspromptement, que le gout pour les plantations qui demandent plus de tems 8c de patience, gout deja fubjugué en partie par le premier. Luculle *) s'attachoit plus aux tableau* qu'aux fleurs & aux fruits, & on n'ignore pas combien il trouva d'inutateurs. Peut ètre crut-on pouvoir fe contenter dela fertilite du termn & de la beauté des vuës, furtout de celles qu'avoient les maifons de campagne fituées fur des hauteurs ou au bord de la mer 8c devoir rnoms de foins k 1'embelliffement des jardins: 8c lorsque dans la fmte la mumtude de maifons de campagne commenca k rétrecir le terrein, on manqua dans plufieurs endroits de place pour des jardins d'une vafte ecendue. Au tems d'Augufle onvoyoit dé,k de fuperbes maifons de campagne, cependant les jardins étoient encore bien éloignés de pouvoir pretendre au tkre de jardins de plaifance. Virgile -) ne place dans un jarchn que Lachicorée, des concombres, dulierre, ^'^J^^Jt narciffès 8c des rofiers. Columelle remarque expreffement ) que h culture des jardins avoit été fort négligée par es anoens qu'elle n'avoit recu quelqu'accroiffement que de fon tems. II savanca Zo dans une cLere que Virgile lui avoit laifiee ouverte; ma, lespre- *) Varro: Hortos Luculli, cuius villa erat in Tufculano, non floribns fruftibusque, fed tabulis fuiffe infignes. ^ fc ^ **) Gtorg. lib. 4. v. I2i. • > rï*  anciens & modemes. 2^ ceptesqu'il donne dans fon petitpoëme, quelqu'utiles qu'ils foyent d'ailleurs, ne regardent que la culture économique des jardins. II *) parle cependant de quelques fleurs qui peu vent les embellir, de la violette, des rofes, du lys, des hyacinthes & de la giroflée; mais pour ce qui regarde 1'ordonnance & la diftribution d'un jardin de plaifance, Columelle n'en dit pas plus que tous les autres écrivains Romains qui traitent de 1'agriculture. & des maifons de campagne. L'Italie ne s'enrichit que peu a peu de ces beaux arbres qui de Ia farent enfuite transplantés dans les autres pays de 1'Europe. Les Romains allerent chercher ces arbres dans des contrées la plupart très-éloignées: en Syrië les figues, dans la Médie les citrons, en Perfe les pêches, en Afrique les grénades, en Chypre les lauriers, en Grece les myrdies, en Epire les abricots & toutes fortes de pommes & de poires, en Arménie les prunes, dans le Pont les cérifes &c. La rarité & la beauté naturelle de ces arbres, jointes au goüt délicieux de leurs fruits, durent enchanter les Romains, furtout au commencement, & rendre raviflants k leurs yeux des jardins qui s'embelliflbient infenfiblement & de ces végétaux, & des nouvelles fleurs que leur livroient la Grece, 1'Aüe & 1'Afrique. Les notices qui nous fontreftées touchant les anciens jardins Romains, font fi vagues & fi peu completes, qu'elles ne peuvent fervir qu'a nous en faire connoitre plufieurs parties ifolées, non l'art avec Iequel ils étoient diftribués, ce qui pourtant eft 1'objet principal: & fi Pline le jeune ne nous avoit pas laifle de fes jardins une defcription affez exaéte, **) quoique moins circonftanciée que celle de fes maifons de campagne, nous n'aurions pas même 1'idée d'un ancien jardin de Rome. Celui du Laurentin étoit environné d'une allee d'arbres, bordée tantót de buis, tantót de rómarin. En dedans de cette allee s'offroit une vigne nouvelle & touffue, dont le fol étoit mou & commode pour la promenade. Le jardin étoit orné de figuiers & de müriers, parceque le ter- D 2 rein *) Lib. io. **) Epift. 17. lib. 2. Epift. 6. lib. 5.  28 Première Seftion. - Coup d'ceil jetté fur les jardins rein leur-itoit plus favorable, qu'a d'autres arbres. On y 'trouvoit une falie a manger qui jouïfïoit d'une trés belle vuë, quoique non de celle de la mer. Dans le refte de la defcription, oü Pline s'attache furtout aux batimens qui étoient dans le jardin 8c autour de la demeure principale, il parle encore d'une terrafle, ou élévation de terre, parfemée de violettes odorantes. Pline nous a dépeint moins vaguement fon jardin de Tufcum, fans doute parcequ'il étoit plus agréable afes yeux, 1'ayant planté lui-mème, ainfi que le remarque expreffément cet auteur. Une place ouverte 8c dégagée, ou un parterre divifé en compartiments de différentes figures de buis, faifoit partie de ce jardin. Un peu plus lóin s'étendoit en pente douce un tapis de verdure, fur lequel fe trouvoient également en buis plufieurs animaux repréfentés vis avis 1'un del'autre: 1'origine des ornemens puerils de quelques jardins! le bas de ce terrein étoit couvert d'Acanthe. Tout autour s'étendoit une promenade de verdure taillée de diverfes manieres. II venoit enfuite une allee d'arbres en forme de cirque qui renfermoit du buis figuré différemment, 8c des arbriffeaux foigneufement taillés. Le tout étoit environné d'un mur dérobé aux yeux par le buis qui le recouvroit. Enfuite Pline parle tantót des batimens, tantót des autres parties qu'on peut regarder comme appartenant au jardin. Parmi les premiers fe dillinguent le manege, les bains, la falie a manger, 8c la chambre a coucher, oü le foleil ni le bralt ne pouvoient pénétrer. Au dehors les farments de la vigne s'élevoient en ferpentant jusqu'aux fenêtres; en dedans le mur étoit orné de marbres 8c de tableaux repréfentant des oifeaux perchés fur des branches: au deffous une fource d'eau s'annoncoit par fon murmure; décoration heureufe pour un batiment champêtre. Le réfte du jardin offroit tantót des bains de marbre qui invitoient au repos, & autour desquels ruilTeloit une eau claire, dirigée de maniere a entretenir la fraicheur du gazon; tantót des eaux jaillifTantes ou des fontaines dont on attribue l tort 1'invention auxmodernes, 8c qui fe repandoient dans des baffins de marbre; tantót des allées entrecoupées 8cbordéesde buis.  anciens & modernes. %g buis. Outre les vuè's que fourniffoient Ie dedans même de ce jardin, on jouiffoit encore de celles des vignes, desplaines, des prairies, des montagnes Sc des forèts des environs: vues qui fourmilloient de beautés naturelles, & rendoient d'autant plus agréable ce féjour, fans que Ponpuiffe cependant propofer fon ordonnance même comme un modele k fuivre, ainfi qu'on Pa fait inconfidérément. Quiconque s'eft donné Ia peine de Peffayer, avouera certainement qu'il efi trés - difficile de fe faire une idéé nette de Ia difpofition de toutes les parties qui compofoient ce jardin, 8c de Ia maniere dont elles étoient üées entr'elles; k moins que comme Félibien, on ne veuille en juger d'après le modele qu'on s'eft forgé foi-même, 8c qu'on ne change k volonté la forme 8c 1'emplacement des chofes. D 3 III. Jw-  30 Première Section. Coup d'ceii jettéfur les jardins HL jardins des Modernes. T^lle eft évanouïe, cette magnificence des maifons de campagne qui déJl/ coroient ci devant 1'Italie Romaine. Le tems, les tremblements de terre la mer, les ravages des Volcans & des barbares, ne nous en ont laiffé que quelques ruines-, & de cette multitude de palais champêtres aucun n'a été épargné. Ces contrées oü jadis de fuperbes maifons couvroient la plus agréable & la plus fertile des campagnes, aujourd'hui incultes défertes, & infeétées par un air malfain, n'offrent que le plus tnfte afpeél' La d'agréables bosquets repandirent autrefois de douces odeurs; maintenant les volcans y vomiffent des tourbillons de fumée: un peuple pauvre dénué de tout, languit dans fa cabane a la memeplace, oudans des palais brillants d'or Luculle dévoroit dans un feul foupé les revenues d'une province entiere. Partagé entre la vénération qu'infpire 1'antiquite, &la trifteffe que.donne i'afpedl des ruines de ces fomptueux édifices, le voyageur contemple les reftes qui s'offrent encore ga & la a fes yeux, & qui déplacés en partie par des mains ignorantes, en parüe employés nar ces mêmes mains k d'autres batimens, n'en font que plus méconnoiffables Ni les defcriptions qui nous font reftées de ces chef- d'ceuvres, quelques claires qu'elles fuffent jadis, ni le nombre de delTeins qu'on nous en a donnés d'après des conje&ures, ne peuvent reparer cette perte. Les fiécles qui fuivirent la décadence de la république, les violences commifes par plufieurs Empereurs, les invafions des barbares, & la férocité introduite de nouveau par les troubles, étoufferent le goüt de la vie champêtre, kméfure que 1'on dévaftoit & la belle nature, & ces maifons de campagne fi riantes autrefois. Tant de ravages qui aflailiirent coup fur coup 1'Italie, détruifirent bientót toutes ces fcenes agréables & bien d'autres Le barbare triompha de l'homme & des arts. Les armes devinrent de nouveau 1'occupation dominante; & la fuperftition s'alliant aux inclinations guerrieres, il fe repandit unefaqondepenfer très-eloignee de la noble fimplicité & des plaifirs purs qu'oftre la nature. Le melange de  anciens & modernes. 31 de tant de différents peuples ne contribua pas peu k gater le goüt. Les poffeffions reftées fans défenfe furent pillées 8c ravagées, 8c 1'on ne cultiva plus la terre que forcé par le befoin. Bientót on regarda comme les plus belles contrées celles oü s'élevoit un couvent k cóté de I'autre. L'architeéture fembloit vouloir fe fanélifier en ne batiffant que des chapelles 8c des églifes. S'occupoit-elle d'autres batimens, c'étoient de lourds chateaux gothiques, plutót faits pour la défenfe que pour Pagrément, plutót effrayants que beaux, 8c entaffés fur des rochers efcarpés dans des contrées fauvages. * Jusqu'au douzieme fiecle les moines furent presque les feuls qui s'occuperent de 1'agriculture abandonnée. Plufieurs d'entre eux, emportés par leur zêle, fuyant la corruption du fiecle, 8c cherchant k dompter leurs paffions, fe retirerent dans des déferts folitaires, dans des contrées malfaines, dans des bois 8c fur des montagnes. La ils labourerent de leurs mains 8c rendirent fertiles des terreins incultes. Les Souverains recompenferent leur acTivké par les terres, les habitations 8c les ferfs qu'ils leur donnerent en propre. Les moines de St. Bafile 8c de Si. Bénoit furtout eurent en Italië le mérite de rendre féconde par la culture une terre qu'avoient rendu fferile les incurfions des barbares. Les moines furent également en France, en Angleterre 8c en Ecoffe les premiers k améliorer le fol: fans leur utile travail plufieurs provinces qui nourriffent aujourd'hui des milliers d'hommes, ne feroient que des déferts, des marais ou le repaire » des bètes féroces. Mais la barbarie du fiecle étoit encore trop grande, pour que le bon goüt en fait de jardins d'agrément püt naitre k cóté de 1'amour de 1'agriculture: ceux qui s'en approcherent d'avantage, furent les ordres religieux fondés plus tard, qui, dans le deffein de fe livrer entiérement aux occupations commodes qu'offrent les fciences, choifirent pour leurs féjours les contrées les plus tranquilles 8c les plus riantcs. A méfure que Ia paix, la raifon 8c les arts reparoiffoient 8c reprenoient le deffus, l'homme auffi rentroit quelquefois en lui-même 8c fe rapprochoit des douceurs de la vie champêtre. La belle architeéture re- naiffoit  32 Première Settion. Coup $ oeil jettè fur les jardins naiffoit pour ainfi dire, au fein des anciennes ruines en même temps que les autres beaux arts retournoient en Italië: elle commengoit peu a peu a s'étendre même fur les maifons de campagne. Le contentement habita de nouveau le pays, & le foleil fe leva plus radieux fur des contrées ou l'homme voyoit revenir le bonheur. i. jardins d'ltalie. L'Italie affoiblie, & déchue de fon ancienne fplendeur pendant les troubles & les ravages qu'elle eiluya durant tant d'années, commengo* enfin a goüter les douceurs de la paix. La Iiberté, qu'avoient fu s acquerir de nouveau plufieurs villes, les richefïes que produifoit le negoce, les lumieres & la générofité de quelques Papes & de quelques Princes réveilloient infenfiblement 1'amour affoupi des beaux arts, & repandoient plus de férénité dans les efprits, & plus de délicateffe dans les fentimens. Une fois dégagés des anciennes ténébres qui les environnoient, ces aits s'avangoient pas a pas vers la perfeéUon; l'art des jardins feul languit encore long-tems ignoré au milieu dece réveil général. En  anciens & modernes. 3-3 En apparehce rien n'elt plus facile que de trouver les traces du vrai beau dans les jardins, & cependant il falut bien du temps pour les découvrir. Déja mille tableaux fourniffoient des modeles du beau & de 1'harmonie en peinture, & les mêmes nations qui avoient produit ces tableaux, ne fachant que faire de leurs jardins, les abandonnoient aux faillies ridicules de 1'ignorance ou d'un raffinement outré. Ce qui rend cette remarque plus frappante, c'eft que 1'on avoit des payfages charmants en peinture: nombre d'artiftes ditalie, des Pays-bas &deFrance, ayant étudié la nature & faifi fes plus beaux cótés, les avoient repréfenté avec toute 1'exaétitude que permettoient les limites de l'art; & perfonne encore n'avoit fait réflexion qu'un jardin n'eft qu'un payfage en petit, feparé de la grande maffe d'une province, & dont la beauté naturelle ett rehauffée par les fecours officieux de l'art. Addifon *) penfoit que les Franqois avoient pris la première difpofition de leurs jardins chez les Italiens; opinion dont il nous doit encore Ia preuve. On pourroit foutenir, au contraire, que les Franqois ont communiqué leur goüt aux Italiens; au moins elt-il für que le Noftre alla en Itaüe, y planta plufieurs jardins, & y laüla des traces vifibles de fa maniere dans plufieurs endroits. D'un autre cóté il faut avouer auffi que les Italiens avoient des jardins de plaifance avant le Noftre. Le célébre Montaigne, qui.'voyageoit en Italië vers la fin du feizieme fiecle, nous a laiffé une relation de quelques uns de ces jardins qui prouve affez combien cet art étoit encore défeclueux, tandisque les plus grands génies travailloient a rétablir les autres arts dans leur ancienne fplendeur. Et cependant le bon Montaigne trouvoit ces jardins fort beaux; auffi. étoient-ils fi fameux alors qu'on en avoit fait le fujet de plufieurs ouvrages, & publié des delTeins qui les repréfentoient. **) Volk- *) Remarques fur 1'Italie. ja, & 1'autre a Tivoli: le premier ap- **) Un de ces jardins étoit a Bagna- partenoit au Cardinal Gambara, & le feTomi I. E cond  Q, Première Seiïion. Coup d'ceil jettéfur les jardins Volkmann,*) dont le: jugement mérite qu'on y ajoüte foi," nous affure que les jardins aftuels des Italiens ne font pas a beaucoup pres ce qu'ils imaginent. Lordonnance, dit-il, en eft plus fimple que celle des jardins franqois, mais auffi n'y trouve-t-on pas de fifuperbes allees de fi hautes charmilles, tant de petits cabinets, ni autant de variété Cependant ils plaifentfans doute a la plupart des voyageurs du Nord de l'Europe & leur plaifent furtout par la nouveauté des plantés qu'ils offrent, & qu'on chercheroit envain chez nous, & parmi lesquelles on diftingue cette variété d'arbres toujours verds. La plupart de leurs machines hy- drau- cond au Cardinal de Ferrare. Citons auffi quelques paffages de Montaigne, dans fon ftyle furanné & naïf, qui s'accorde ici trés - bien avec les objets. „La mufique des orgues, qui eft une vraie mufique & d'orgues naturelles, fonans toufiours toutefois une mesme chofe, fe faift par le moien de 1'eau qui tumbe aveq grand violance dans une cave ronde, voutée, & agite l'air qui y eft, & le contreint de gaigner, pour fortir, les tuyaus des orgues & luifournit de vent. Un' autre eau pouflant une rouea tout ( avec) certeines dents, faift batre par certein ordre le clavier des orgues; on y oit auffi le fon de Trompetes contrefaift. Ailleurs on oit le chant des oifeaus, qui font des petites flutes de bronfe qu'on voit aus regales, & randent le fon pareil a ces petits pots de terre pleins d'eau que les petits enfants fouflent par le bec, cela par artifice, pareil aus orgues; & puis par autres reflbrts on faift rémuer un hibou, qui, fe prefantant fur le haut de la roche, faift foudein ceffer cete harmonie, ies oifeaus étant effraïés de fa prefance, & puis leur faift encore place: cela fe conduift ainfi alternativement, tant qu'on veut. Ailleurs il fort come un bruit de coups de canon; ailleurs un bruit plus dru & menu, come des harquebufades: cela fe faift par une chute d'eau foudeine dans des canaux, & l'air fe travaillant en mesme tamps d'en fortir, enjandre ce bruit." (Journal du voyage de Michel de Montaigne en Italië. Rome 1774. 12. Tome H. pag. 67 - 69.) — »On voit une pyramide fort élevée qui jette de 1'eau de plufieurs manieres difierentes. — Autour de la pyramide font quatre petits lacs; — au milieu de chacun eft une gondole de pierre, montée par deux arquebufiers, qui, après avoir pompé 1'eau, la lancent avec leurs arbalëtes contre la pyramide, & par une trompete qui tire auffi de 1'eau &c. &c." Même voyage. Tom. IL page 497. *) Nachrichten t on Italien, ifter Band; c. k d. Mémoires fur 1'Italie, I« Volume.  anciens & modernes. 35 drauliques ne font au fond que des jouets, quoique les Italiens, ne connoiffant rien de mieux, les croyent fans défauts. Elles conültent ordinairement en jets d'eau minces & peu hauts qu'on peut varier de différentes manieres, en petites cafcades mal fournies, Sc en d'autres pieces femblables. Plufieurs grands jardins fe diftinguent cependant parmi les autres, au rapport de ce même écrivain. Autour de Turin font ceux des cMteaux de plaifance nommés Venerie, Stupigni 8c Vigne de Ia Reine; a Florence fe trouve le Boboli; k Rome on voit les jardins du Vatican, le vafte jardin Ludovifi, 8c ceux des maifons de campagne de Corfini & de Medicis, qui tous tirent leur beauté de leurs fites agréables, de la maniere variée dont ils font coupés par des allées, & de ces allées mêmes de leurs vues. pittoresques, de leurs petits bois, de leurs grottes, deleursftatues. Ces différents objets, quoique encore plus furchargés de babioles que dans 1'ancien gout franqois, en décélent cependant presque partouf 1'imitation. L'Italie ne Iaiffe pas "que d'ètre pleine de maifons de campagne d'une belle architeéfure, 8c de vignes, ou petites maifons de plaifance, fituées hors de la ville, pour pouvoir y refpirer un air fraix, & environnées de jolis vignobles. Le génie des plus fameux architecles, furtout de Palladio & de Scamozzi, a fait nakre autour de Turin, de Milan, de Vicence, de Padoue, de Venife 8c de Rome des édifices champêtres, *) qui fe difünguent E 2 par •) Voyez les deffeins de plufieurs 1694.. Voyez auffi les plans & profïls maifons de campagne fuperbes apparte- des maifons de campagne que Scamozzi nant a la nobleffe Venitienne & baties a baties en partie, & en partie perfe- par Palladio, dans fon Arckitettura, & ftionnées aux environs de Vicence, de dans 1'ouvrage de Sandrat: Palatiorum Padoue & de Venife, & qui fe trouvent Roman. Pars II. cui accej/erunt Andreae dans fon Idea dell' Architettura univer- Palladii praedia aedesque korten/es in fale. Les maifons de campagne des Ve- flatu Veneto exjïruiïae. Fol. Nuriéerg nitiens fur les rives de la Brenta ont été gravées  36 Première SeStion. Coup d'ceil jettê fur les jardins par leur belle architecTure, 8c rappellent agréablement le fouvenir des maifons de campagne romaines. Les rives de la Brenta font couvertes de maifons de plaifance. Celles des environs de Florence, toutes blanches, & difperfées en grand nombre fur des collines cultivées, & dans la plaine couverte de verdure, font un effet charmant. Dans plufieurs contrées de la Tofcane les collines font partout chargées de maifons de campagne, entremèlées quelquefois de chateaux de plaifance; de ces hauteurs couvertes de vignobles, d'oliviers & de toutes fortes d'arbres fruitiers on jouït de plufieurs points de vuë raviffants, & on refpire un air pur 8c fain. Prés de Genes les deux rivages de la mer font ornés de fuperbes maifons de plaifance. Les payfages vraiment poétiques du golfe depuis Naples jusqui Portici, 8c mème plufieurs diftricls de la Sicile, font embellis de rnaifons 8c de jardins de plaifance. Avant que de quitter ces pays enchantés, jettons un 'coup d'ceil fur Ie jardin de 1'Ifola Bella, la plus célébre des iles Borromées. Planté fur un roe autrefois ftérile, ce jardin *) presque auffi unique dans fon genre que celui de Babylone, a de loin Tapparence d'une pyramide, parcequ'il eft com- gravées par 1'architeéte & peintre Cofta, finguliere, chargées de toutes fortes & pubiiées en deux volumes in folio a d'ornements; quelques unes ne font Venife depuis 1750 jusqu'a 1756 fous que d'informes maffes gothiques. La letitre: Delizie del fiume di Brenta, cioè gravure eft de duTérents maïtres, & vedute de' Palazzi e cafini, cke fi vedono inégale. tungo la Brenta fino a Padua, difegnate *y Volkmanns Nachrichten von Italien, td inci/e da Gianfr. Cofla. &c. jjier Band; c. a d. Mémoires fur 1'Italie II exifte encore un ouvrage fur les par Volkmann, Ier Volume. Le defiein maifons de campagne de la Tofcane en de cette ile fe trouve dans les voyages particulier: Vedute delle Ville e daltri de Keysler, Ierl Yolum. Mare Antoine luoghi della Tofcana. Pol. Florence 1757. del Ré, graveur Milanois, a publié une 50 feui'les. Peu. des maifons de cam- grande planche repréfentant 1'lfola Bella, pagne ici repréfentées font de bon & huit autres pianches plus petites regout; la plupart font d'une architefture préfentant les deux iles.  anciens & modernes. ^ compofé de dix terranes qui vont toujours en dimlnuant. Le plus fuperbe coup d'ceil fe préfente k la vuë du haut de la terraffe fupérieure, été vee de foixante aunes au deffus de Ia mer, longue de quarante cinq pas, & toute paree de pierres de taille, afin de recevoir Ia pluïe qui fe ramaffe dans des dternes cachées, d'oü conduite par des tuyaux, elle va faire jouer différentes machines hydraubques. De grandes ftatues de pierre ornent les quatre coins des terraffes tant inférieure que fupérieure. Les neuf terraffes d'en bas font chacune ornée d'une large promenade entourée de citroniers, d'orangers & d'autres arbres pareils qui produifent des fleurs & des fruits toute 1'année. Les myrthes, les lauriers & les pêchers reftent lhyver en plein air. Tout le jardin eft tourné vers Ie midi. Aux deux cótés fe trouvent deux beaux pavillons en forme de tours, & dont les appartements de plein pied font au niveau du Iac & enrichis de marbre rouge & noir. A gauche du jardin on appercoit une allée couverte, fc-utenue par des colonnes de pierre, & garnie cle citroniers. De 1'autre cóté eft une promenade bordée de cinq rangées de gros orangers. La maifon méme eft vafte, d'une bonne architeéture, & décorée de quantité de tableaux: les chambres d'en bas incruftées comme des grottes de coquilles & d'ouvrages de marbre, & continuellement baignées par les flots, font un féjour délicieux en été. Du milieu d'une grotte de boffage on monte par un doublé efcalier ala terraffe fupérieure, d'oü 1'on jouït d'un afpeét tel qu'il s'en trouve peu. D'un cóté fe préfentent les Alpes qui s'élevent en trois étages: celui d'en bas foigneufement cultivé, celui du milieu occupé par des forêts, & celui d'en haut toujours couvert de neiges & de glaqons. Le matin furtout, les premiers rayons du foleil refléchis par les fommets glacés des monts, forment un fpe&acle enchanteur. De 1'autre cóté on voit la vafte furface du lac s'étendre jusqu'a fa rive oriëntale, & vers le nord on appercjoit un fertile bord parfemé de vignobles, de villages & de petites villes. L'afpeél du Iac méme n'eft pas moins beau; outre la Iimpidité de 1'eau & Ia multitude d'oifeaux aquatiquesquirecréentlavuë, on eft encore amufé pendant tout le jour E 3 par  38 Première Setiion. Coup d'ceil jetté fur les jardins nar les barques de pècheürs, & par les petits batimens qui trahfportent des marchandifes dltalie en Suiffe, & de SuiiTe en feite 2. ffardint de Suiffe. Les Alpes nous invitent a paffer en Suiffe. Si jamais 0 fut un pays oü la grandeur & la variété d'objets qu'on pourroit appeüer heroiques, fe IrfffL a la beauté des points de vuë, c'eft celui-ci. On d^t que Ia ^™töe d'ètre vraiment originale, tant fa touche eft harche, ^guliere & frappante: auffi les payfagiftes étrangers qui entrepnrent de clier ees contrées, fentirent bientöt avec furprife combzen le genre de payfages qu'offre fHelvétie, eft au deffus des autres. Je ne parle pas 1C, deycesendroits fauvages oü la nature n'a entaffé que des objets;de^terreur &d'effroi, mais de ces régions plus heureufes qui decorees de tous les attraits que peuvent offrirderiantes campagnes, font ecarté» de ces monts ormidables oune voyent que de loin leurs fommets glacees selever fur Vhorizon avec une majefté qui faifit 1'ame. Les hauteurs & les plames qui fefuecedent tour a tour; les collines, un peu plus loin les montagnes.  anciens & modernes. ^ puis les Alpes, objets' variés & décorés refpe&ivement de belles forêts devaftespaturages, de fommets grifatres 8c efcarpés, de précipices&decafcades, de villages 8c de terres cultivées; les lacs & les rivieres de la plaine; les jacheres couvertes de troupeaux; les cabanes difperfées, afyles de la Iiberté; les fituations, la plupart hardies, des villes 8c des anciens chiteaux; la beauté des vergers 8c des vignobles: tout concour k former une fi' grande variété de vuè's pittoresques que peu de pays peuvent fe vanter d'en offrir autant. L'Amateur de la vie champêtre trouve donc ici une partie elTentielle des délices de la campagne, une multitude de coups d'ceil raviffants dontil peut jouïr fans fortir de fon jardin, 8c dont I'afpecT m'invita autrefois, k en tracer quelques tableaux. Ajoutez - y *) encore les pentes douces des montagnes qui fourniffent les plus belles fituations pour des maifons de campagne, & des ruilfeaux de 1'eau la plus pure qui defcendant des hauteurs, viennent d'eux-mêmes s'offrir au propriétaire. La nature ayant été fi libérale envers les habitans de ce pays, ils en ont fagement profité. Presque tous les jardins font les théatres de vrayes beautés dépouillées de vains ornements & de décorations artificielles. Des vues très-étendues & les plus belles prairies font tout autour; au dedans beaucoup d'eaux jaillifiantes, des arbres fruitiers, des vignes, quelquefois un carreau de fleurs, des bancs de gazon élévés d'oü 1'ceil peut facilement parcourir les contrées voifines, quelques cabinets touflus, rarement une ftatue. — La nature & 1 induftrie s'empreffant k I'envi d'embellir Ie payfage, fon heureux habitant fe contente de fes attraits, 8c méprife les vains efforts qui remplitfent les jardins de babioles. Dans les maifons de campagne regne, non la magnificence, mais la commodité; & c'eft plutót lajïtuation favorable 8c falubre que I'architeclure qui dillingue ces batiments. Que de régions riantes de ce pays font couvertes de maifons de campagne 8c de jardins! Les deux bords du lac deZurich, bords dont la beauté ne *) Das Landleben. Vierte Auflage. 8. tion. 8- Leipzig 1776. & lettres fur la Leipzig 1776. und Brief e, die Schweiz be- Suiffe, -nouvelle édition. 8- Leipzig 1776. treffend. Neue Ausgake. 8- Leipzig i~~ó. deux ouvrages de notre Auteur non traCeftadire: La vie champêtre, 4111e édi- duits en francois.  ,0 Prmitn StSion. Coup M jtttefrr let jariim „e peut être dépeinte que par Gesner dans fe idylles par Aberli dans SïïLux, font couverts de maifons de plaifanee & de jardms toes lle d non^breux & riehes viltages. Derrière s'éteve une longue chame dê montagnes couvertes de vignobles ferüles: un peu plus hau, fe fucceluou a tour des champs & des prés; enfin des forêts de fapms erm,t „ le fombre horifon. Les environs du lae de Géneve auffi font rem1 d maifons de campagne pittoresquement embellies par les objets vast? es entourent^ qui de loin préfenten, un afpeft charmant aux veux du voyageur. De quelque cóté qu'on porte fes regards on eft nchanté p^ la vue, ici du lac fuperbe & des voiles qu il porte la des belles tuSes quienvironnent fes bords; lk enfin d'un amphitheatre de montaenl blanchtoes quid'un cêté du lac fe perdent dans les nuêj Je: paffepat X les contrées qui font entreMoratStLaufanue, le diftriét de B.eune fe k rives du lac deNeufchatel, oi 1'on rencontre mille maifonsde campagne entourées des attraits les plus doux dont jamais le ciel ait ome un payfage Les Suifies habitants de ces heureufes provtaces, ne meconnodïent nas les avantages de la vie champêtre. En été les villes font presque deN'eüt-on qn'un bien modique, on lemploie l hcha. d'une »a, L de campagne ou d'un pavillon que 1'on habite avec a famdle pendant les plus beaux mois de Vannée, jusqui ce que fe vendanges fefefetes joyeufe qui lui font propres, foyent finies.  anciens & modernes. 3- 4* jardins de France. Legoüt national des Francais, goüt qui recherche principalement ce qui eft léger & brillant, a presqu' entierement étouffé dans cette nation I'inclination pour la vie rurale. D'ailleurs des terres mal cultivées presque partout, & 1'oppreJTion, la pauvreté & Ia malpropreté des payfans n'ont guere d'attraits. L'amour du gain attire les hommes dans les villes; la galanterie & les plaifirs de Ia fociété occupent les meilleures families; & celles de la première clafle s'empreiTent a 1'envi de parvenir a Ia cour & d'y fatisfaire leur vain orgueil. Le faux - brillant de la grandeur éblouït les yeux de la nation au point qu'un miniftre d'Etót ne paroit connoifre de malheur plus accablant que celui de fe rétirer dans PherÉkge de fes peres quand les intrigues du cabinet 1'y forcent. De la vient que les Francjois ont peu de maifons de campagnes & de jardins confidérables, en proportion des autres nations policées au même degré: car les fameux jardins de Verfailles, deMarly, de Fontainebleau &c. font au Roi non a la nation. Les defcriptions *) de ces jardins *) Quelques unes des principales font: Defcription de Paris, de Verfailles, de Marly, de Meudon, de St. Cloud, de Fontainebleau&c. parPiganiol de laForce. Paris 1736. 1742. 8 Volumes in 12. Lesdélices de Verfailles, deTrianon & de Marly par Edelinck. Paris 1713. in 12. 1751. in 8- 2 Vol. Nouvelle defcription de Verfailles & deMarly. 8< Paris 1738. On a deplus une defcription de Verfailles par Monicard avec des planches. 4. 2 Vol. Paris 1720. & plufieurs autres plans & vuê's en perfpectives de le Pautre, Perelle, Menaut, La Noue, Salie, Girard &c. Les ftatues, fontaines, Tomé I. grottes &c. ont auffi été décrites fouvent chacune ne en particulier; entr'autres dans les deux ouvrages fuivants: Recueil des Figures, Groupes, Termes, Fontaines, Vafes, Statues & autres ornemens de Verfailles, gravé par Sim. Thomaffin. IV Tom. Amfterdam. 4. 1695. avec 218 Planches. Architefture des Jardins. Paris 1762. petit Folio, avec 70 Planches. Ou trouve auffi un grand nombre de defieins repréfentant des chateaux de plaifance & des jardins francois dans la Géométrie practique de Mallet, gr. 8. 4 Tom. Paris 1702. & furtout dans le Ier Volume. F  42 Première Seiïion. Coup d'ceil jetté fur les jardins dins auffi bien que leurs delTeins font en fi grand nombre qu'on ne peut plus en hafarder la répetition. Avant Louis quatorze les jardins de France n'etoient qu un rendez vous d'arbres, de fleurs, de gazons & de pieces d'eau, le tout denue de goüt & de but au point que fuivant les Franqois, on ne pouvoit voir rien de 'plus fauvage & de plus négligé. Cependant ces jardins, auxquels i nemanquoitpeut-ètrequerefpritd-ordonnance, étoient plus conform s .lanature que ceux plaudiffements. Verfailles, Marly, St. Germain ChanUlly, Meudon &c abondoient en carreaux de fleurs élégamment deffinés en terraffes, en iets d'eau, en grandes machines hydrauliques, en charmilles elevee en Slages en labyrinthes, engrottes, en ftatues, en ornementsfculp.es l a mefure que ces décorations naiffoient, la nature «*^-*^ pompe & leur magnificence. Tous ces objets étoient fans doute autant de beautés pour des fpeétateurs légers, mais fuivant les vrais principes de l'art, ce n'étoient que des rafinements outres & deplaces en partie. dy régnoit quelque goüt, mais du mauvais; quelque genie mais de celui qu faute de bonnes direélions prodigue inutilement fes forces. i etendue & la magnificence de ces jardins, ni les riches promeffes que Louis rei ^Todfe k le Noftre dans 1'enthoufiafme que les plans de cet ar ifte •foient naitre k mefure que 1'efprit du Roi les faififfoit, ne donnoient: l? k 1'art le droit d'étouffer les beautés naturelles. La reflexion de Home) a ce fujet eft presque mortifiante. „On feroit tente de croire,' dit cet auteur „que 1'on eftimoit la nature trop peu de chofe pour 1'imiter dans de ou , ges que faifoit faire un grand monarque, & que c'eft par cette raLqu'onpréféroitdesmonftres, fans doute, comme etant plus etonnants« Le plus grand abus de l'art que 1'on puiffe commettre eft certainement de vouloir forcer les objets naturels k fe foumettre a des lo^u, ne leur conviennent en aucun fens. La coütume & les prejuges léduifoént quelques écrivains **) jusqu'k leur faire recommander publique- , r, ■ • t, i. Ae citer Pluche dans fon Spedacle *^ Princines de laCritique, 2 Partie. nous de cicei r ) rllllL1l,c:> u ^ , M..hire ouvrase fi peneralemenfc **) Parmi des centaines contentons- de la Nature, ouvrag b  anciens & modernes. 43 ment ce goüt qu'ils tachoient d'ériger en Ioi générale: d'autres, il n'y a pas long-temps, ne rougirent pas de dire, & même en forme de louange, que cet art colifichet en fait de jardins étoit le feul de tous les arts, qui fut affez heureux pour ne s'ètre pas altéré, c'eft a dire perfeélionné, dans leur patrie. II eft vrai que dans quelques jardins du Roi de France on a fait des merveilles, mais des merveilles qui fi 1'on avoit fu profiter de ce que la nature offrit d'elle-mème dans d'autres lieux, auroient été inutiles & qui tendent a un but qu'on auroit eftedtivement pu atteindre avec beaucoup plus de facilité par d'autres voyes. Ces fameux jardins de Verfailles auxquels on a d'ailleurs fait déja plus d'un reproche, frappent d'abord d'étonnement & d'admiration, bientót ils ennuyent; & peu après ils infpirent le dégoüt. Leur réputation cependant accrue par celle que s'eft généralement acquis 1'efprit frangois, fut caufe que ce goüt s'étendit, ou du moins fe fortifia dans quelques nations. Non feulement les Francais mais encore les étrangers furent enchainés par le préjugé que rien n'étoit beau hors ce qu'avoit fait exécuter ce Louis presque déiné. La régularité fut partout a la mode; mais elle devenoit plus ennuyante a mefure qu'elle étoit abandonnée par la grandeur & la magnjficence qu'on tachoit en vain de remplacer par mille colifichets. F 2 Les lu: l'auteur des articles de 1'EncycIo- tire toutes fes regies, & fi 1'on eft cu- pédie qui regardent les jardins: d'Ar- rieux de voir l'ancien gout francois en genville dans fa Théorie & Praftique du ce genre reduit en principes, on trou- jardinage, ou 1'on traite a fond des beaux vera de quoi fe fatisfaire dans fon ouvra- jardins&c. 4. 3me Edition, a la Haye ge. Presque tous les anciens architeftes 1739. avec beaucoup de planches. Les peuvent encore trouver place ici, & préceptes de ce dernier font un peu plus méme le célebre Blondel dans les cha- réfléchis que ceux des autres écrivains, pitres de fon traité de la diftribution des & 1'on s'appercoit qu'il s'eft appliqué maifons de plaifance &c. 2 Tom. in 4. avec fruit a la lefture: cependant les Paris 1737 -1738. qui traitent de 1'orne. jardins francois font le modele d'oü il ment des jardins.  44 Première Seiïion. Coup d'ceil jettê fur les jardins Les jardins fymmétriques & décorés fe feroient peut ètre foutenus, non comme des modeles a fuivre, mais comme un genre particulier, fi au lieu de les combler de louanges immoderées, on s'étoit d'abord occupé a difcuter leur caraélere, & li 1'on avoit eu la prudence de ne pas donner pour des beautés tous les raffinements futiles qu'on y pratiquoit. Plus le goüt anglois ft conforme a la nature, s'étendoit, plus les applaudiffements outrés d'admirateurs aveugles qui regardoient comme de ventables beautés ce quin'en étoit point, devoient réveiller les connoiffeurs. Ce que Laugier *) & d'autres ont déja dit, n'eft point une vaine cnttque, leurs objeélions font très-fondées, & telles que doivent en faire tous ceux qui font capables de juger en pareille matiere. ^ ^ De nos jours la véritable Théorie de l'art des jardins paroit etre paiTée d'Angleterre en France. On s'eft apperqu que cet art fouffre aufli peu que les autres beaux arts tout ce qui manque de convenance, ou eit trop uniforme ou guindé; mais que pour s'élever a fon véritable point de perfeéuon, il faut qu'il foit dirigé par un vrai fentiment du beau & par un ugement fain. On s'eft apperqu que dans cet art auffi 1'obfervation des différentes impreffions que produifent les objets, & 1'examen critique du beau étoient d'un grand fecours. Ces remarques firent bientöt comprendre qu'une diftribution négligée plait bien plus qu'une régularite peniblement étudiée; que 1'ennui & le dégoüt font les fuites immanquables de la géne & du défaut de variété; que les points de vuë agréables & fans hornes, les changements de décorations, un certainair fauvage méme font préférables h des mefures compaffées & aune exaétitude pointilleufe; .en un mot que la nature modeftement embellie par l'art a feule le droit de produire des fenfations vraiment agréables & d'égayer la raifon méme. Les plus beaux efprits de la nation franqoife commencent a fe moquef de 1'ancienne maniere fymmétrique; les enthoufiaft.es élevent jusqu'auxnuesleprétendugoütChinois; les connoiffeurs cherchent fur les traces des Britons & de la nature les vrais principes propres k former des jardins plus beaux que ceux de leurs peres. On s'occupe aujourdliui a con- *) Effai fur 1'Architefture. Paris 1753. Page 376 & fuivantes.  anciens & modernes. 45 conftruire des jardins d'un meilleur genre, ou k perfeétionner les anciens. Un ami des beaux-arts dont la philofophie & Ie bon goüt embelliiTent également la vie & les écrits, nous a fait une defcription fi agréable de fon jardin que les amateurs feront fans doute charmés de la retrouver ici. Ce jardin fimple mais orné de tous les attraits champêtres, eft un vrai modele pour la nation. Un beau jour de printems pafte dans ce lieu enchanté k converfer avec Ie maitre, me fatisferoit plus que toute la pompe & toutes les fêtes de Verfailles. jardin de Monfiew Watelei, aupres de Paris. A une heure de diftance de la ville, vers 1'oueft, Ia riviere' baigne des prairies agréables, & forme en fe partgaeant en plufieurs bras, un nombre d'iles, qu'ombragent des faules touffus, &des peupliers élévés. Les bords de ces canaux qui ferpentent, offrent partout de 1'ombre, & une verdure qu'entretient la fraicheur des eaux. Les afpecls pittorefques, & les lointains ornés de villages 8c de chateaux flattent de tous cötés la vuë. Enfin dans un efpace peu confidérable, la variété des plans, 1'irrégularite des terrains, les finuofités des rives, 1'afpecl: fans fymmétrie des F 3 arbres,  4q Première Seclion. toup d'ceil jettéfur les jardins arbres des pentes, des Hes 8c des digues qui en font la communication, caufen't une aiverfité fi piquante, qu'on ne defire point de fortir de la petite enceinte oü Ion fe trouve, arrèté plutot qu'enferme par une haie daube-épine, & par les bords de différens canaux. . Ce fite peu commun avoit été long - temps negbge. Les beautés dont il étoit fufceptible, n'exiftoient que dans la poffibilité de les mettre en oeuvre; lorsqu'un jour du printems, il y a environ vingt annees, je découvris eette charmante pofition. Je traverfois le fleuve pour me rendre a la VÜle; immobile dans un bac, occupe de mes amis 8c des arts, deux nenfées pour moi fi douces, que je leur ai donne, comme vous Ie Lés le droit de dominer fur toutes les autres, je laifiois errer mes resards' Le bocage dont je viens d'ébaucher la peinture les arreta. II moffrit l la diftance dun demi-quart de lieue, un afpeét affez agréable oour me faire defirer den jouïr plus parfaitement. Une prairie, des eaux des ombrages! Voilk dis-je en moi-mème, oü loin de ce mouvement fi Luant &fi ftérile des grandes fociétés, loin de ces agitations fi puenies 8c fffuneftes des hommes qui cherchent en vain le bonheurdont ds s ebignent, ü faudroit goüter en paix 8c les délices de 1'etude, 8c les beautés de la ^er-efifta. pdnt ^ cett£ impreffion. A peine débarqué, je m'acheminai vers un lieu qui par 1'effet d'une fecrette fympathie, m'appelloit a Z Marchant dans un petit fentier a travers une prairie couverte de fleurs je fuivois les bords du fleuve, qui dans ce canton, lom detre eSrpés, s'inclinent jusqu'k la furface de 1'eau par une pente mfenfible; e parvins k un chemin bordé de tilleuls. Mors des iles ombragees par de vieux faules, s'offrent a moi; une petite habitation champêtre realife l mes yeux, les idéés que je m'étois formées. Le domicile qui s'elevoit cóté de la prairie reffembloit dans fa fimplicité au presbytere d'un cure. Près de la maifon, un quinquonce de grands peupbers 8c de tilleuls offrmt, l donne encore un couvert que le foleil ne peut penetrer dans fes plus crandes ardeurs. Et cet ombrage s étend jusqu'au bord d'un canal naIrrel formé par des iles 8c des petites chauffées a moitie rompues, ou Ie tui ci, iu r courant  anciens & modernes. ^ courant qui fe brife 8c bouillonne en s'échappant, prêfente aux payfagiftes des accidens faits pour les intéreiTer. Autour de la maifon, vers la prairie émaillée fur laquelle elle eft placée, comme fur un magnifique tapte, étoit un petit verger; 8c du cóté oü la riviere fuit fon cours, quatre rangs de tilleuls négligés, mais donnant beaucoup d'ombre, préfentoient 1'idée d'une avenue préparée, dont jusques la on ne s'étoit pas foucié de faire ufage. Quant aux afpeéts, lorsque je fixai les yeux entre le midi 8cIe couchant, il m'offrirent laplus vafte perfpeétive. La riviere s'y prolonge enbordant la prairie qu'elle arrofe, 1'efpace de deux ou trois lieues; elle va fe perdre enfuite vers des cóteaux ornés qui bornent 1'horifon. Le long de 1'autre rive a peu de diftance, un village animé par le paffage d'un bac, plus loin d'autres villages encore, 8c de petites bourgades embelliffent la fcene; 8c ces objets diverfifiés conduifent lesregards jusqu'a des montagnes plus éloignées que furmonte un aqueduc. Du cóté du midi, des bourgs aflez confidérables forment d'autres variétés; 8c le vafte efpace qu'on découvre eft meublé de cultures de toute efpece 8c d'arbres fruitiers. Au deflus de cette plaine s'éleve dans 1'éloignement un monticule ifolé qui rompt 1'uniformité des plans. En face vers la maifon, fi 1'on détourne la vue vers Ie levant, un petit cóteau de vignes fert d'appui au vallon 8c préfente afix eens toifes un amphithéatre, qui n'a rien de desagréable. En effet lür ce tertre fe prolonge un village dont 1'extérieur eft orné par 1'afpecT de quelques maifons confidérables, 8c leurs jardins inclinés vers le vallon, conduifent la vue Ie long de Ja prairie; elle ne paroit plus bornée que par des hauteurs éloignées, au deflus desquelles des montagnes plus élévées encore dominent 1'horifon. Enfin de 1'autre cóté du canaï, plufieurs iles, alors incultes 8c indépendantes de ce petit établiflement, infpiroient le defir d'y prolonger des promenades, 8c d'y chercher des afpeéts qui devoient être aflbrtis a ceux que je viens de tracer. En  4g Première Seötion. Coup d'ceil jetté fur les jardins En effet, au nord, une petite vüle couronnée de montagnes environnée de cérifiers & de figuiers qui s'étendent jusqu'aux bords du fleuve, foL avee timmenfe étendue d'eau qu'on appercoit, & de jolies habtations entourées d'arbres, un des plus beaux afpeéts de cette,eharmante f°ÜtUUene découverte auffi heureufe ne demeura point inutile. En ètre enchanté, fermer le projet d'en partager lajouïflance avec des am.s, les v conduire, leur communiquer fes impreffions, en devenir avec eux poffefleur & habitant} tout cela fut 1'ouvrage de peu de tems Bientótles arts agréables, fans violer cette fimplicite, qui s'accorde fi bien avec la nature, donnerent quelques commodites & quelques agre- ^Sor^SSm * les dedans. Un ardfle célèbre par les plus grandes entreprifes dela peinture fe fit comme on vit autrefois fe fermer un peintre par amour. Enfin les talens dont"ufage fait fi bien connoitre le prix des beautés naturelles, & les fentimens qiS en rendent la jouiffance fi douce, fe réunirent pour achever pouvoit'elle fe refufer k des foins qui 1'honorent? Non fans doute. Auffi les ombrages fe font élévés & multipliés a 1'envi Les Ss fe font développés dans les endroits qui leur étoient plus favoraH des ponts fe font établis, dont les uns élévés dans les arbres & n olongés k travers les Hes &.les canaux procurent de valles promenades. Te autes portés k fleur d'eau fur de petits bateaux, furent ornes des fleur de toutes les faifons. Des routes ombragées de peupüers, ont linvi les Lofités des rivages, & ferment en s'unifiant aux ponts, aux digues & lTe petits fentiers qui femblent 1'effet du hazard, la ceinture de cet agreable töour Des cabinets pofés avec choix ont offert des abris neceffaires & de tableaux qui arrètent & attachent les regards; des fieges menages dans es arbres, des bel-veders établis en faillies fur 1'eau, pour en mieux SerlafraichU furent difpofés de toute part. Un fallon decafte trouva fa place fous le couvert 11 bien ombragé par de vieux arbres qm touchent la  anciens & modernes, 49 maifon. C'eft Ik qu'on trouve écrit fur 1'écoree de celui qui éleve Ie plus fa cime dans les airs, ces mots empruntés en partie d'un de nos plus aimables poëtes: Antiques peupliers, 1'honneur de nos bocages, Ne portez point envie aux cedres orgueüleux. Leur fort eft d'embellir les lambris des faux fages; Le vótre eft d'ombrager 1'afyle des heureux. Une menagerie qu'on placa proche du caffé, offrit avec I'ufile, des variétés & du mouvement dans le tableau général. Une presque'-ile tapiiTée du plus frais gazon renferma des moutons qui animerent le payfage: & dans 1'avenue que forme un berceau de grands tilleuls, terminé par la riviere, une étable bien meublée, fournit k la laiterie proprement ornée qui I'avoifine, une partie des tréfors & des déÜces de la campagne. II refteroit k vous faire connoitre quelques détails de nos promenades,' & a vous offrir encore quelques infcriptions tracées dans les endroits pittorefques oü 1'on s arréte le plus ordinairement; mais ne dois-je pas craindre que la févérité de'votre goüt ne 1'emporte fur 1'indulgence de votre amitié? Quelques mots fe trouventici accordés fur nos fites, comme les paroies qu'on joint k des airs qui plaifent. Ifolés, ils perdront fans doute autant que les parodies qu'on ne chante point. Cependant fi 1'arntëê fe plait dans les détails, & fi 1'imagination qui réalife dans votre efprit ce qui a des droits fur votre cceur, vous a transporté dans celieu, oü nous defirons de vous poneder, je puis hazarder de vous promener dans quelques uns de ces endroits oü nous nous entretenons avec nos Hamadriades. Ici c'elt un vieux faule qui fe préfente au milieu d'un'fentier ombragé dont les détours fuivent presque au niveau de 1'eau Ie canal qui ferpente. Cet arbre a l'air d'avoir vu fe renouveller plus d'une fois les habitans dé ce rivage. Son tronc noueux eft encore couronné de rameaux & de feuillagesa la hauteur oü fe portent naturellement les regards, une efpece de bouche rappelie i'idéedes oracles qui fe faifoient autrefois entendre, fans doute ' Tome I. G ^ pour  50 Première SeUion. Coup d'ceil jettêfur les jardins pour donner aux hommes des confeils dont ils ont tant de befoin. ils ne parient plus aujourd'hui: mais danscelieu, ils ecnvent ^J"0» ce quel'Hamadriade veut perfuader k ceux qm paiïent pres de fa retraite. Vivez pour peu d'amis; occupez peu d'efpace; Faites du bien furtout; formez peu de projets. Vos jours feront heureux; & fi ce bonheur paffe, II ne vous laiffera ni remords, ni regrets. A peu de diftance du vieux faule fe trouve une efpece de cabinet en faillie fur le courant de 1'eau, il eft appuyé fur un arbre plarite au deftou. dont Ia cime furmontée de branches, difpofées en rond, a donn 1eu^ faire un fiége commode. On y eft entoure des rameaux qui couron nent 1'arbre, & qui fervent d'appuis de tous cótes, en ne aiffant de libre que 1'efpace néceffaire pour s'y place, Rien de fi propre a medite ;que ce réduit oü la vuë, voïlée pour ainfi dire, pënétre cependant a tra ers e feuiHage oü 1'on entrevoit le mouvement des eaux, & oü leur brtut fe fait affez entendre pour conduire k la rêverie. Des deux cotes du fiege, les branches femblent s'approcher pour qu'on life ce qui eft tracé fur leur écorce. L'une dans 1'incertitude de la fituation ou peut fe trouver celui a qui elle parle, s'exprime ainfi: De ce riant féjour, de ce paifible ombrage Eprouvez les charmes fecrets. Infortunés, retrouvez - y la paix; Heureux, foyez - le davantage! Un autre prend un ton plus réfléchi: Confacrer dans 1'obfcurité Ses loifirs a 1'étude, a 1'amitié fa vie, Voila des jours dignes d'envie. Etre chéri, vaut mieux qu'étre vanté. Si rèvant k cette maxime dont le coeur eft meilleur juge que ?#t|£OUS continuez de parcourir le fentier oü vous vous trouvez engage, vous appercevrez bientót un de ces ponts dont je vous ai parle. * Douze  anciens & modernes. ^t Douze petits bateaux foutiennent k quelques pouces de la furface de 1'eau, un plancher de cents pieds de longueur, affez large pour donner place a deux perfonnes. Des caiffes garnies de fleurs font difpofées, par intervalles, des deux cótés. Les intervalles font remplis par des treillages affemblés en lozange, qui en laiffant appercevoir 1'eau, raffurent les regards. Le pont peint en blanc, émaillé de fleurs, invite k y defcendre : les afpeéls y font a chaque pas variés; 8c vers le milieu, 1'efpace qui s'élargit, fe trouve garni de fiéges. On s'y arrête pour jouïr du tableau paüoral qui s'offre de toutes parts. On y refpire le parfum des fleurs avec la fraicheur des eaux, qu'on voit de pres secouier fous le plancher fur lequel on elf aflïs. C'eft Ik que vos amis paiïent quelques foirées agréables en s'entretenant de leurs occupations, de leurs goüts, de leurs voyages : 8c 1'un d'eux y a tracé ces vers: Des jours heureux voici 1'image. Les Dieux fur nous verfent - ils leurs faveurs? Ils offrent fur notre paffage Quelques afpedts riants du repos & des fleurs. Mais revenons fur nos pas, 8c portons-les jusqu'a 1'extrëmité dela plus grande ile, dont nous avons déja parcouru quelques parties. C'eft en traverfant un bois de faules, qu'on pénétre par des routes tortueufes & ombragées, jusqu'a 1'endroit oü la riviere forme des canaux qui embraffent cet efpace avant que de rejoindre le lit de la riviere. A cette pointe fe préfente un afpeél fauvage. Une ile déferte s'éleve a peu de diftance, 8c arrète la vue; une digue rompue donne du mouvement k 1'eau en réfiftant au courant qui s'efforce de la détruire; 8c lorsque la riviere eft plus haute, il fe forme en cet endroit une cafcade qui fied trés-bien k ce lieu folitaire. L'ile voifine n'eft point meublée d'arbres qui bornent les regards; auffi s'étendent-ils au dela.: ils s'arrêtent k des édiflces qui font partie d'une petite ville peu diftante. Parmi ces édifices, il en eft un qui fe fait remarquer en dominant les autres: c'eft un objet peu intéreffant par lui - même; mais il fut habité par Heloïfe. A ce nom qui ne s'arrêteroit k le confidérer! Qui ne parleroit un moment de cette déli- G 2 cate  j2 Première Setïïon. Coup d'ceUjettê fur les jardins cate & trop malheureufe amante! Après fa funefte avanture elle fe retira dans un monaftere, dont le favant, 1'inquiet, 1'exigeant, le jaloux Abelard étoit curecleur; 8c c'elt ce monaftere que vous voyez. Si lorsqu'on fait ce récit, quelques jeunes perfonnes fe trouvent prefentes, on peut penfer qu'elles fentent s'éléver dans leur fein un mouvevement plus précipité qu'a 1'ordinaire; leur regard devient incertain 8c embaralïé; elles détournent les yeux, 8c reneontrent alors ces mots qui (fi le climat le permettoit) feroient fans doute tracés fur un myrte: Ces toits élevés dans les airs Couvrent 1'afyle oü vecut Héloïfe. Cceurs tendres, foupirez & retenez mes vers. Elle honora 1'Amour, & 1'Amour 1'immortalife. Pour quitter cette agréable pontion, on peut choifir encore plufieurs routes qui conduifent hors du bois des faules, 8c vers le grand lit du fleuve. La les afpeéts font trop découverts pour la méditation 8c la poéfie. L'ame qui s'étend avec les regards, jouït a la vérité, mais d'une maniere vague, des beautés qui 1'égarent trop loin d'elle. II faut qu'elle foit entourée deplus prés, pour ètre infpirée; ilfaut que moins diftraite, elle éprouve dans une douce rêverie, des fenfations dont elle prenne plaiiir a fe rendre compte. C'elt. donc d'un pas plus rapide que je vous ferai parcourir une route en terraffe de plufieurs centaines de toifes, qui fuit les contours de l'ile du cóté du canal de la navigation. Les bateaux qui viennent fans celïe des provinces maritimes, animent cette magnifique fcène: mais elle n'infpire que 1'admiration ; auffi on aime a la quitter pour revenir encore dans cet intérieur de canaux 8c de promenades que traverfe un pont de bois d'une longueur confidérable. Par la difpofition de tröis iles, plus bafTes que le refte du terrein, ce pont fe trouve élévé a la hauteur de la tête des arbres, 8c les tiges qui les couronnent, fournifient une ombre qui transforme ce paffage en une allee couverte. On s'y promene fans craindre les ardeurs du foleil; 8c d'efpace en efpace on apperqoit, a 1'aide du débouché des divers canaux, les points de vue que cette fituation rare rend infiniment pittorefques. D'efpace en efpace auffi le pont s'elar-  anciens & moderner. ^ s'ëlargit au -deflus des canaux, de manière k recevoir des fieges pours'y repofer, y goüter la fraicheur & jouïr des agrémens de la vue. C'elt dela qu'on découvre plus parfaitement ces finuofités agréables que forment les eaux dans leur libre cours; & ces repréfentations f: piquantes & ft fidéles que produit le réflet des objets qui s'y peignent. II étoit naturel de parler un inflant de ces beaux effets a ceux a qui ils peuvent plaire. Voici ce qu'on leur adrefle : Ici Tonde, avec Iiberté, Serpente & réfléchit Tobjet qui Tenvironne. De fa franchife elle tient fa beauté; Son cryftal plaït, & ne flatte perfonne. Un moulin fe 'préfente a Tune des extrémités de ce pont. Sa vue ne manque guere d'attirer ceux qui ont rarement obfervé d'aufli prés ces fortes de machines. On approche & Ton fe trouve dominer la roue: le bruit qu'elle produit, le battement mefuré qu'elle occafionne & fon mouvement égal & fucceffif, invitent a quelques momens de rêverie. On regarde avec une at tention qui attaché, ces aubes fortant du courant Tune après Tautre, s'élévant peu a peu au plus haut dégré de leur orbite, pour redefcendre, fe replonger & difparoitre. Cet objet eft propre fans doute a infpirer des réflexions; mais celles dont les nuances feroient trop fombres, fe trouveroient moins aflbrties au coloris du tableau que celle-ci. Ah! connoiffez le prix du tems, Tandis que Tonde s'écoule, Que la roue obéït a fes prompts mouvemens; De vos beaux jours le fufeau roule. Jou'uTez, joui'ilez, ne perdez pas d'infcans. Vous feriez encore tenté de defcendre dans des petites iles a fleur d'eau qui fe trouvent foutenir différentes parties du pont; des efcaliers y conduifent. On y trouve de Tombre, des bancs & des promenades agréables, mais elles font quelquefois couvertes par la riviere; auffi les peupliers antiques qui les ombragent, portent fur leur écorce des marqués de différentes inondations, qui ne les ont point empêchés d'élever leur cime G 3 dans  54 Première Settion. Coup d'ceil jctté fur les jardins dans les airs.' Cependant un d'entre eux plus fenfible que les autres k ces accidens, s'exprime ainfi: Dans ces climats plus d'un orage A troublé le Ciel & les cceurs. L'onde, franchiffant fon rivage, A fubmergé nos vergers & nos fleurs. Dieux bienfaifans, réparez ces malheurs! Et que les habitans d'un modelte bocage Par vos faveurs trouvent fous nos rameaux, Quelqu'abri pour un doux repos. A qui tient peu de place, il faut fi peu d'ombrage! Ce feroit abufer des droits de 1'amitié que de vous conduire partout oü fe trouveroient encore de jolis afpedts & quelques mauvais vers. D'heureux loifirs ont produit ceux-ci, comme dans nos prairies un doux printemsféme les fleurs; mais vous favez qu'on les regarde fans qu elles enfoientplusfieres, & qu'on leur.réfufe fon attention fans qu'elles sen offenfent.  anciens & modernes. 55 4- jardins d'Efpagn e. L'Efpagnol n'aime pas Ia campagne; ce n'eft pourtant ni la légêreté ni le mauvais goüt qui lui infpirent cet éloignement, mais une efpece d'indolence, a laquelle on ne peut donner de meilleure épithete que celle d'efpagnole, & qui paroit réfulter du tempérament naturel & des préjugés de la nation. Les attraits de la nature font fi peu d'imprefïion fur elle, qu'elle ne connoit d'autres plaifirs que ceux de la capitale; les maifons de campagne, les plantations d'arbres, même les retraites champêtres qui font ailleurs autour des villes, font autant d'objets inconnus en Efpagne. Cette nonchalance eft d'aucant plus incompréhenfible que ce pays réunit une foule d'agréments naturels, & cependant tout y eft inculte & défert; dans plufieurs provinces on fait] des lieues entieres fans trouver un arbre a 1'ombre duquel on puiffe fe rafraichir. Les environs de Madrid même n'offrent ni pavillons, ni jardins; & ce n'eft que depuis quelques années, au rapport de Puente *) qu'on a commencé a réparer & a border d'arbres les chemins qui font autour de la capitale. Les Jardins du Roi font donc les feuls qui méritent quelque attention. Ceux de 1'Efcurial, célèbres par leur pofition avantageufe, leurs grandes terraffes, leurs jets d'eau toujours jailliflants, & le vafte pare rempli d'arbres fruitiers rares qui les avoifine, font cependant inférieurs au jardin du chateau de plaifance nommé St. Ildephonfe. **) La nature & l'art dit le P. Caïmo s'empreflent k 1'envi d'y répandre des beautés & de rendre en même tems ce jardin auffi fuperbe qu'agréable. Eaux jailliffantes, cafcades, canaux, repofoirs, cabinets, berceaux, grottes, labyrinthes, parterres & hayes de myrthes & de lauriers, tout s'y trouve diftribué de maniere k produire Ie meilleur eftët. L'eau que fourmfient les montagnes des *) Voyage d'Efpagne, 2Partie, iere appeüée le bain de Diane a été payée Lettre. 3oo,OCO piaftres. Employez feulement **) Lettre d'un vago Italiario du Pere une petite partie de cette fomme immenCaïmo. On prétend que ce jardin coüte fe a un pare anglois, & vous verrez 4,ooo,coo de piaftres; Ja feule fontaine toute autre chofe.  5Ö Première Setlion. Coup d'ceil jetté fur les jardins des environs forme a 1'endroit oü elle fe raffemble, une efpece de torrent qui tombe dans un grand refervoir. Nombre de fontaines & de pieces d'eau artificielles embelliffent ce jardin. Les allées font trés - longues, quelques unes même ont trois quarts de lieue: elles font presque toutes garnies de charmilles hautes & épaiffes qui offrent un ombrage rafraichiffant & font ornées de ftarues modernes qui repréfentent les mufes, les faifons &c. S'il faut s'en rapporter a la defcription de Baretti *), rien ne furpaiie en Efpagne le jardin ou pare d'Aranjuez. „Un poëte diroit," ce font fes paroles, „que Venus & 1'Amour confulterent ici avec Catulle & Pétrarque pour y conftruire une demeure champêtre digne de Pfyché, de Lesbie, de Laure, ou de quelque Infante Efpagnole. Repréfentez-vous un pare qui a plufieurs lieues de tour, coupe en différents endroits par des allées qui ont deux, trois, & même quatre milles de longueur. Chacune de ces allées eft formée par deux doublés rangées d'ormeauxj Pune de ces rangées a la droite & 1'autre a la gauche, rendentl'ombrage plus épais. Les allées font affez larges pour y paffer quatre caroffes de front, & entre chaque doublé rangée eft un canal étroit, au travers duquel coule un ruiffeau d'eau vive, de forte que les arbres, ne manquant jamais d'humidité font trés - haute, & trés - touffus. Entre ces allées ily ades bosquets fort épais compofés d'arbres moins élevés de différentes efpeces, des milliers de biches & de fangliers s'y promenenttout a leur aife, outre un grand nombre de lièvres, de lapins, de faifans, de perdrix & plufieurs autres fortes d'oifeaux. Cependant les fangliers n'y font pas auffi fauvages qu'ils le font ordinairement dans les forèts. Ici on les a accoütumés a fe rendre a des heures réglées dans certains endroits oü on leur diftribue de 1'avoine en abondance; la vofx de celui qui eft chargé de les nourrir leur eft ft familiere, qu'ils accourent a lui au moment qu'il les appelle. Ce *) Voyage de Londres a Gênes. Paffant par 1'Angleterre, le Portugal, 1'Efpagne & laFrance, par Jofeph Baretti &c. traduit de 1'Anglois. Amfterdam 1777. chez M. M. Rey. 4 Tomes in 8- Tome 2.  anciens & modernes. ^ Ce pare n'eft point environné de murailles, il auroit fallu une trop grande quantité de briques pour dorre un pareil efpace de terrein. Cependant les différens animaux qui s'y trouvent ne fauroient être tentés de 1'abandonner, le pays voifinétant trés-mal partagé en bois & en paturages." Le Tage divife Je pare en deux parties inégales. Le palais qu'environne en partie Ie jardin eft au centre du pare. L'entrée principale fe trouve ètre a travers d'un parterre coupé en différens compartiments dont les bordures font de buis 8c de myrthes. Ils contiennent une variété furprenante des plus belles fleurs d'Europe 8c d'Amérique. „II y a cinq pieces d'eau dans ce parterre. •— Au dela du parterre a main droite, on voit une cafcade artificielle du Tage parmi des rochers artificiels: — le murmure de 1'eau flatte agréablement 1'oreille." D'autres endroits du jardin font ornés de fontaines. D'une d'entr'elles „on découvre quatre enclos deftinés a des arbres fruitiers, parmi lesquels on trouve acTuellement une fi grande , quantité d'orangers 8c de citrons pendus a leurs branches, que les Hefpérides mêmes feroient dans le cas de les envier. On arrivé a ces enclos par des paffages ft bien ombragés par d'épais taillis qu'il n'eft pas plus poffible aux rayons du foleil de vous incommoder que ft vous étiez fous terre." — De ces enclos d'arbres fruitiers on parvient a Ia fontaine nommée le Bain de Venus. „La Déeffe y eft repréfentée comme en fortant: il dégoutte de 1'eau de fes 'cheveux; elle tombe dans un beau baffin de marbre foutenu par des amours." Plufieurs ftatues 8c autres ouvrages de fculpture embelliffent les fontaines. Prés de Ia fontaine de Neptune „eft le Terrao, c'eft a dire un gazon vafte 8c presque circulaire, orné au milieu de quatre arbres trés-gros 8c fort élevés, dont 1'ombrage joint a celui de la haye haute 8c épaiffe qui regne tout autour de ce gazon, le rend frais 8c agréable. Au cóté droit de ce Terrao eft un beau pont compofé de cinq arches, conftruit fur le Tage, 8c a I'extrémité oriëntale de ce pont un autre enclos d'arbres fruitiers." De deffus un autre pont jetté fur un petit bras du Tage on a la vue charmante d'une forèt fauvage telle qu'en produit la naTomel. H ture.  58 Première Seïïion. Coup d'ceil jettêfur les jardins ture. Avant d'arriver a ce pont on trouve un pavillon qu'on a rendu délicieux en ornant d'arbres irréguliérement plantés les deux cótés de la riviere qui eoule avec quelque impétuofité a travers les rochers 8c y forme un murmure affez agréable. Du pavillon on paffe k un large berceau de citronniers. — A quelques pas d'un parterre émaillé de mille fleurs étrangeres „fe trouve le logement du jardinier: c'elt un joli batiment, vis - a - vis duqueï eft une agréable prairie, parfaitement ombragée par quelques arbres auffi touffus 8c auffi élevés que j'en aie jamais vu." — „On rencontre par delk la maifon du jardinier une feconde cafcade du Tage, qui ne charme pas moins la vue par la transparence de fes eaux, que 1'oreille par la diverflté du bruit qu'elle fait ; ce bruit eft pendant un tems fort & vif, le moment d'après doux 8c lent« - On rencontre un autre pavillon qui n'eft pas moins bien fttué que 1'autre, il a derrière lui la cafcade 8c devant la fontaine d'Hercule la plus grande de tout le jardin. , Baretti qui.a tant vu, allure n'avoir jamais rencontre un plus beau féjour. 5- jardins des Paijs-bas. Dans les Pays-bas les vues font peu variées, 8c la plüpart bornées par des arbres n'offrent, a 1'ceil qu'une petite étendue fans aucune hauteur:  anciens & modernes. ^ voila d'oü vient que plufieurs payfagiftes fameux ont cherché des perfpeciives pittorefques aux environs de Liege, de Maftricht 8c du Rhin. Cependant Ie pays eft animé par les prairies, les paturages, les canaux couverts de barques, les moulins, le négoce & Paclivité extraordinaire des habitants, objets qui préfentent une foule de fcenes agréables. „Certainement rien de plus joli que de voyager en Hollande:" écrivoit Miladi Montague. *) „Tout le païs offre le coup d'ceil d'un vafte jardin; les chemins font bien pavés, ombragés de part 8c d'autre d'arbres, 8c bordés de grands canaux remplis de barques qui vont 8c viennent. A chaque vingtaine de pas vous trouvés quelque maifon de campagne, 8c après quatre lieues une petite ville, mais fi propre que vous en feriés charmée." Un voyageur plus moderne**) remarque auffi les beautés du payfage qu'on voit en allant dAmfterdam a Utrecht par le canal appellé le Vecht. Les maifons de campagne 8c les jardins fitués fur les rives rendent, dit-il, la route, qu'on fait fur ce canal auffi belle que 1'imagination peut fe Ia repréfenter. A chaque inftant fe fuccedent tour a tour des labyrinthes des hayes, de tilleuls, d'ormeaux ou d'ifs taillés artiftement en mille formes difïérentes, 8c des longues allées de tilleuls 8c de maronniers. Tantót deux jardins font féparés par un petit canal, tantót par une petite prairie. Un autre jardin préfente des cabinets agréables 8c touffus, 8c de longues allées en berceau. Quelquefois une jolie maifon de campagne eft batie en briques tout prés du rivage, d'autrefois les jardins font entourés d'un grillage de fer. On voit des allées 8c des jardins ornés de ftatues, 8c le long du rivage des carreaux de fleurs, parmi lesquelles fe diftinguoient les belles tulipes qui les bordoient alors. Ces coups d'ceil riants embellis encore par Ia verdure nouvelle, continuent fans interruption jusqu'a Breukelen pen- H 2 dant *) Lettres de Me. Wortley Montague Deutfchland, Frankriich, England imd écrites pendant fes voyages en Europe, Holland, ster Theil. 1775. c. a d. Remar- en Afie, en Afrique &c. 8- Berlin 1763. ques d'un Voyageur fur 1'Allemagne, Lettre II. la France, 1'Angleterre, la Hollande &c. . **) Bemerkungen eines Rei/enden durch 3111e Part. 1775.  60 Première Seëtion. Coup d'ceil jettê fur les jardins dant plus d'une heure, en forte qu'un jardin de plaifance touchoit immédiatement 1'autre. Uh peu plus loin recommencerent de nouveau ces contrées poétiques & ces jardins ;& lorsqu'ils étoient interrompus en quelques endroits par des canaux, des prairies, & quelques champs labourés, cen'étoit pas pour long-temps & ils revenoient bientót égayer la route pendant plus de trois heures. Ces jardins plaifent furtout au voyageur parcequ'en paffant rapidement il n'eft affeélé que par leur variété & leur fucceftion continuelle, fans pouvoir remarquer 1'uniformité &larégularité fatiguante de chacun en particulier. Les contrées entre Haarlem & Amfterdam, & entre Catwyk & Woerden font furtout remarquables par leurs maifons de campagne. Ces édifices qui fouvent paroiffent conduits jusques dans les canaux, font élégants fans être magnifiques. Le genre de vie qu'y mène le plus riche poffefieur eft décent & commode fans prodigalité. Au refte les jardins Hollandois ne préfentent que des Iignes droites & une profufion de fymmétrie & de régularité tout k fait dans Tanden goüt francois. On a prétendu quelquefois qu'en fait de jardins la Hollande avoit un goüt k elle, mais il n'eft pas facile de découvrir en quoi il différe de celui deFrance: le caradere de tous deux eft la fymmétrie & Tabondance des ornements, ou plutót ce caraélere commun les réunit en un. L'unique différence qu'on pourroit remarquer c'eft que les jardins d'Hollande font plus referrés, plus couverts de petits colifichets & d'ornements, & plus entrecoupés d'eaux dormantes ou dont le courant eft infenfible. D'ailleurs les fameux jardins mêmes de Ryswick, Houslaerdyk & Sorgvliet font pleins de defleins élégamment compaffés. II eft ftngulier que les Hollandois aiment tant a couper leurs jardins par des canaux ou des foffés dans lesquels croupit une eau profonde & trouble qui ne peut fournir auctin agrément, mais qui faute de mouvement & d'écoulement remplit l'air de vapeurs mal - faines. Les Goths mêmes n'auroient pas pu introduire un goüt plus mauvais que celui-ei, qu'a fans doute fait naïtre la nature du pays, & que la coütume a rendu refpeclable auxhabitants qui lont porté aux Indes Orientales. Les environs de  anciens & modernes. 61 de Batavia du 'cóté des terres font pleins de maifons de campagne, & de jardins, qui s'étendent Pefpace de quelques lieues; ces jardins font tous arrofés de canaux, comme pour rendre plus dangereux un air naturellement mal-faifant; chaque champ même eft traverfé parun canal, qui augmente encore les marais bourbeux: on a fait pis; on a fouvent entouré a grands frais d'un folïé un pavillon ou un jardin fitués fur une hauteur. On fait que les fleurs les plus rares ont donné pendant long-tems une certaine préférence aux jardins Hollandois. On ne trouvoit belle que la fleur qu'on avoit fait venir d'un climat éloigné a force d'argent. La culture des fleurs étoit une branche du commerce confidérable, & ce goüt s'étendit même en Allemagne, furtout dans les villes maritimes & dans les pro vinces voifines des Pays-bas, il paroit déchoir aujourd'hui, apparemment paree que dégénéré en paffion efTrénée il coüte trop pour pouvoir fe foutenir. *) H 3 6.>- *) Les régïtres de la ville d'Alkmaar feule de ces fleurs nommée le Vice- font foi qu'en 1'année iÖ37onvendit pu- Roi fut vendue quatre mille deux eens bliquement & au profit de la maifon des trois florins; & une autre 1'Amiral orphelins cent vingt tulipes avec leurs d'Enkhuyfen cinq mille deux eens flo- rejettons pour neuf mille florins. Une rins.  62 Première SeUion. Coup d'ceil jttté fur les jardins 6. jardins d'Angleterre. Le bon goüt des Anglois leur rend la vie champêtre prëcieufe, auffi employent-ils al'annobür les fommes que d'autres nations diffipent dans leurs capitales. Ce n'eft pas k Londres qu'on doit juger des richeffes, de la magnificence & du goüt d'un Lord, c'eft dans fon chateau fttué en province. Un climat tempéré, un pays naturellement riant & fertile, Pabondance qui regne dans les champs, une heureufe Iiberté, ne font pas de foibles attraits pour cette nation, dont la plus grande partie aime la campagne autant que le font les Suiffes. La fituation & le mélange des chaines de montagnes & des montagnes ifolées, des vallées, desrivieres, des cafcades & furtout de fuperbes forêts & des prairies, des plantations, des métairies & des villages font de plufieurs provinces les plus beaux tableaux en fait de payfages. La culture n'a pas peu contribué a rendre de nos jours 1'Angleterre agréable. Partout 1'on apperqoit des chateaux & des maifons de campagne baties dans le goüt noble de larchiteéture *) grecque qui fe manifefte en particulier dans les édinces élevés depuis le commencement de ce fiecle. Autour de ces habitations s'étendent les plus beaux parcs qui occupent des lieues entiéres & réuniffent tous les agrémens que peut fournir la nature aidée modeftement par Tart. Aucune nation *) On peut apprendre aconnoltre Tar- conftru&ions des nouvelles maifons de chitefture des nouvelles maifons de cam- campagne de plufieurs Lords: Texplicapao-ne angloifes dans les planches pu- tion de ces planches eft en Anglois & Wiées par Canot, Miller, Newton, Viva- en Francois. Les trois premiers cahiers res, White, Roberts, Paftorini, Zucchi & regardent la maifon de campagne duDuc par d'autres; & de plus dans Touvrage de Northumberland a Sion dans leComté , . t de Middlefex; celle du Lord Mansfield fuivant: , t a Kenwood dans le meme Lomte; oc The Works in Architeiïure of Robert ^ ^ Comte de Bufce < Luton dang le and games Adam, Efquires. Number I. Comté deBedford> Le IV Cahier publié i7. III. London fol. 1773- W4~ l775- en 1777 ne renferme que les deffeins de Ce fuperbe ouvrage offre en plufieurs quelques édifices publics de Londres & planches trés - bien gravées les plans & d'Edimbourg.  anciens & modernes. 63 nation n'a autant de parcs'que les Anglois qui en "plantent encore tous les jours de nouveaux. Le caraétere dominant des jardins ou parcs Anglois c'eft Ie naturel 8c la grandeur; je dis jardins 8c parcs, parceque quand ils font dans les principes du bon goüt, les premiers font aux feconds ce qu'eft un petit tableau en payfage a un grand. L'Anglois exige une vafte étendue afin de pouvoir s'abandonner librement a fon génie. II commence par examiner quels effets font fur 1'ame les eaux, les rochers, les montagnes, les collines, les forêts 8c les batimens; puis il recherche comment l'art peut donner une meilleure direétion, plus de force 8c furtout plus d'harmonie a ces effets. Comme le payfagifte, il fait attention au mélange total des impreffions que produifent la fituation, 1'étendue, 1'éloignement, lafucceftion de la lumiere 8c des ombres 8c les différentes parties du jour: il ne laiffe pas même échapper les plus petites circonftances qui peuvent influer avantageufement fur le tout. Voici les defcriptions des quelques uns des plus beaux parcs d'Angleterre, qui en occupant agréablement 1'imagination, donneront une idéé du caraélere de l'art des jardins dans ce pays. *j A.Le *) La plupart des étrangers, an moins les Allemands, ne connohTent guere que les jardins de Ke\v & de Stowe; & cependant il y en a beaucoup d'autres plus remarquables en ce qu'ils fe rapprochent d'avantage de la nature. Le Pare de Kew eft orné de fuperbes monuments & de temples, mais desquels, fi 1'on en excepte  64 Première Seciion. Coup ttoeil jettêfur les jardins a. Le Pare de Wentworth.*) Le Pare & les environs de Wentworth font de toute beauté. De quelque cóté qu'on s'approchede ce lieu, on rencontre de fuperbes forèts, des pieces d'eau d'une grande étendue, ck des temples bien décorés. Les coups d'ceil font -fi variés qu'il eft presque impoffible de les décrirefans confufion. -■. ■ ■ v L'avenué principale par laquelle on arnve de Rotherham a Wentworth eft la plus favorable pour embrafTer plus d'objets a la fois. Le premier afpeét méme qu'elle offre eft raviffant: on apperqoit devant foi une fuite de collines, de vallées, de lacs & de bois, dont la maifon occupe le centre. L'ceil fe porte de lui-méme dans la vallée fituée devant lui, & y fuit 'les détours de 1'eau qui i'arrofe. Vis-a-vis un vafte cóteau garni d'arbres conduit au chateau qui eft ifolé & jouït de la vue libre de tous les environs. D'ici on voit la forèt s'étendre majeftueufement de tout cóté: a gauche s'éleve entre les arbres une pyramide; & de la le chemin conduit au penchant d'une colline qui contient encore un bois de plus de cent acres, & offre le plus bel amphithéatre. Un temple d'ordre ruftique fe trouve fur une colline qui s'éleve par ondes & un autre temple d'une architeéture légere & d'ordre Ionique occupe excepte la feule Pagode, on ne jouït on y trouve auffi de trés-belles parties point de la vue des plus heureufes con- & parmi celles - ci les champs élifées trées d'Angleterre que parcourt la Ta- qui font une impreffion finguliere; la mife. Les regards, bornés a 1'intérieur vue peut fouvent s'étendre hors du jardu jardin, ne peuvent fe porter que dun din. Malgré tout cela on s'appercoit temple a 1'autre. Ce pare renferme encore que 1'on a métamorphofé a grands d'ailleurs tous les arbres étrangers qui fraix des deneins francois en des delTeins fupportent le climat du pays, & font anglois. ainfi que le plus beau gafon, parfaite- ment bien entretenus, & c'efta qui méri- *) Dans le Yorkf hire. Voyez les voyate d'être vu. Le Pare de Stowe beau- ges d'Arthur Young dans les provincoup plus vafte, a une furabondance de ces feptentrionales d'Angleterre. 1771. temples magnifiques & de monuments; 5 e Vol.  . anciens & modernes. ^ occupe'une feconde colline & releve les bocages des environs. C'eft; d'ici que la maifon qui fous les autres points de vue paroit placée trop bas, fe préfente de la maniere la plus avantageufe; car elle eft fituée au milieu d'une pente douce qui derrière Pédifice devient une hauteur efcarpée. Si le batiment étoit au fommet de cette hauteur, il mafqueroit toutes les belles plantations qui font au dela. On jouït d'une jolie perfpeélive lorsqu'on defcend de cet endroit dans le bois par oü paffe le chemin. On apperqoit d'abord 1'eau qui ferpente d'une maniere agréable dans le vallon, & enfuite la colline qui porte Ie temple d'ordre ruftique adoffé contre un bois touffu. A droite eft une éminence couverte de buiffons, furmontée d'une pyramide dont le fommet s'élance du milieu d'une épaiffe touffe d'arbres; Penfemble produit un grand effet. Au milieu de cette perfpeétive on appercoit la maifon entre des collines. Un peu plus vers la gauche une foule de chênes, qui vus d'autres cótés ne préfentent que des groupes éparfes d'arbres, paroiffent d'ici une forêt confidérable qui s'étend fur le penchant du cóteau depuis le bord de Peau jusque vers le cóté gauche de la maifon; enfin on voit Ie temple d'ordre ïonique dont la fituation charmante embellittout le payfage. De la le chemin conduit au travers du bois dont nous avons déja parlé, & qui eft coupé par plufieurs allées très-variées. Une maifon batie fur un terrein dont le gafon eft tondu ras, & dans laquelle onprend les repas quand le temps eft chaud, occupe une partie de ce bois. De cette maifon le même chemin mêne a une jolie volière dans le goüt Chinois; cette volière eft peuplée de canaris & de quelques autres oifeaux. Dans un autre endroit on apperqoit au milieu d'une clairiere un temple oétogone d'oü Ie chemin conduit a un pont de pierre jetté par deflus une piece d'eau environnée d'arbres épais. Au fortir du bois l'ceil eft frappé par une multitude de points de vue a la fois. Les arbres font difperfés, mais n'en font pas moins un bel effet. On apperqoit devant foi une partie du bois, & le temple d'ordre ïonique qui femble placé par la main des Graces dans un endroit qu'on ne pourroit mieux choifir. Tomé I. I Le  66 Première Seïlion. Coup d'ceil jettê fur les jardins Le chemin paffe de'nouveau par deffus la colline 8c defcend obliquement vers le temple odtogone. De cette fabrique, agréablement fituée dans la vallée, on peut porter fes regards au dela de 1'eau 8c entre les bosquets 8c les arbres qui couvrent les collines voifines. Le pare ne natte pas moins la vue quand on y arrivé par 1'ayénue baffe qui eft auffi du cóté de Rotherham. A droite s'offre la grande pyramide, 8c vis-a-visie temple d'ordre ruftique qui s'éleve d^une maniere trés - pittoresque par deffus le bosquet. A gauche le lac s etend dans la vallée en y formant des anfes faites par l'art pour imiter la nature 8c pour 1'embellir. Ce point de vue eft interrompu par quelques bouquets d'arbres qui s'avancent jusqu'au rivage. Environ. a cent toifes au dela fe prefente le temple odtogone. De 1'autre cóté on apperqoit une grande partie du pare, qui tantót eft parfemé d'arbres épars 8c tantót de touffes d'arbres. Des collines cultivées occupent agréablement la vue de tout cóté. Cette avenue baffe mèneaun petit pavillon, des fenètres duquel on voit des collines efcarpées 8c couronnées d'arbres s'élever du rivage oppofé. Ici le chemin tourne la colline furmontée du temple d'ordre ruftique, 8c 1'on fe trouve tout a coup devant la maifon, ce qui fait un contrafte charmant avec les autres avenues qui préfentent toujours 1'édifice de loin. D'une colline fituée vers le fud on a encore un 'coup d'ceil enchanteur. De cette hauteur les regards fe portent dans la vallée fur Rotherham 8c fur toute la contrée des environs parfemée de villages, tandisque des deux cótés les collines s'élevent vers les nues. La maifon domme fur neuf a dix autres colünes 8c quelques bosquets, ce qui lui donne un air majeftueux. La pyramide 8c les temples difperfés ca 8c la varient la fcene, ce qui étoit néceffaire dans un terrein auffi vafte. Cette perfpe&ive eft peut-ètrela plus belle du Yorkfhire; car lebatiment, le pare 8c les bois forment un payfage dont toutes les parties liées entr'elles font un grand cercle, 8c les contrées d'alentour préfentent a perte de vue des terres cultivées 8c des fcenes cügnes de 1'Arcadie. Si  anciens & modernes. (jy Si d'ici 1'on prend a gauche, le payfage varie a chaque pas & plaiÉ toujours également. On traverfe un vallon arrofé d'eaux qui mène k Ia pointe occidentale du pare d'oü Ton apperqoit un nouveau coup d'ceil qui ne le cede en rien aux auttes. On voit par deffus une élévation le lac qui paroit k travers les arbres, & fur fon rivage le temple o&ogone qui contrafle joliment avec les autres fabriques fituées fur des hauteurs. A gauche le bois s'éleve & va fe réunir k celui qui eft auprès de la maifon. Visa-vis eft le temple d'ordre ruftique & derrière une fombre forêt: plus haut que ce temple s'offre au milieu d'un bois peu tóüffu Ia pyramide qui forme avec le refte un tout charmant. A droite font plufieurs collines cultivées. La pyramide dont nous avons fi fouvent parlë mérite une defcription particuliere. Elle eft triangulaire, haute, d'environ deux cent pieds, & batie fur une éminence; on monte au fommet par un efcalier en limaqon & quand on y eft parvenu on eft frappé d'un point de vue étonnant. D'un coup d'ceil on parcourt la maifon, les collines qui 1'environnent lesforèts, les eaux, les temples &e., & dans 1'éloignemenf une plaine immenfe renfermant des champs cultivés & des enclos. A peu de diftance de la pyramide on a conftruit une arcade qui fert de perfpedive au temple d'ordre ïonique. De ce temple on jouït encore d'un payfage charmant: le lac fitué dans la vallée s'offre a la vue en plufieurs endroits, & d'un cóté on apperqoit tous les bosquets dont nous avons déja parlé, & enfin la forèt de cent acres d'étendue. Auprés de ce méme temple & vis-a-vis dela ferre fe trouve Iaménagerie peuplée d'une quantité de faifans dorés, de cacadous, & d'autres oifeaux rares. D'ici on defcend une terraffe, & en la defcendant l'ceil eft égayé par les collines, les vallées, les eaux, les bois & les temples qui fe fuccedent tour k tour. En un mot, Wentworth eft k tous égards un des plus beaux endroits du royaume. Dans d'autres campagnes on admire tantót Ia maifon & ce qu'elle a de remarquable, tantót le pare, tantót les fabriques qui 1'ornent, tantót les points de vue qu'il offre: ici tout eft réuni. Le batiment 1 2 eft  6g Première Seclion. Coup d'ceil jetté fur les jardins eft un des plus grands d'Angleterre: Ie pare renferme tous les charmes que peuvent fournir l'art & la nature: les forèts font au deffus de toute defcription: les temples font d'une belle architeélure & fi bien fttués qu'ils relevent encore les attraits qui embelliffent 1'enfemble: joignez a tout cela ia beauté des environs qui confiftent en collines cultivées, en villages & en villes. b. Le Pare de Duncombe. *) Le Pare de Duncombe eft fans contredit un des plus beaux d'Angleterre. Le jardin attenant la maifon, a une terraffe d'oü la vue fe porte fur les environs mieux qu'on ne peut le décrire. A une des extrèmités eft un temple d'ordre ïonique d'oü le coup d'ceil eft raviffant; k gauche font de grands arbres, & un peu plus a droite un payfage d'une vafte étendue. Une vallée fait le tour d'une forèt qui forme un amphithéatre fur le penchant de la colline. D'un cóté de la terraffe eft un temple d'ordre Tofcan avec une colonnade. La forêt fituée vis - a - vis fe prolonge par deffus une colline conüdérable jusqu'au rivage d'une belle riviere qui ferpente dans le vallon: au milieu de cette riviere eft une grande cafcade recouverte d'arbres qui ont un air fauvage. Des hayes partagent la vallée en plufieurs prairies. Les finuofités de Ia riviere font un bel effet 6c font entrecoupées par des arbres ifolés. Cet afpedl offre tout ce qu'on peut fouhaiter dans un pays varié: on en jouït tout le long de la terraffe jusqu'au temple d'ordre Tofcan. Ce *) Dans le YorkfMre. Voyez Young loc. cit. 7e Volume.  cmciensi & modernes. 6q Ce' temple eft pour ainfi dire fur la cime d'une haute montagne, d'oü Ia vue devient encore plus étendue: on découvre une nouvelle terraffe 8c une multitude de fcenes variées dignes du meilleur pinceau. La vallée dont nous avons parlé fe préfente ici a gauche 8c plus favorablement que la première fois, parcequ'on apperqoit une plus grande partie de la forêt qui defcend le long de la colline. On voit comme au deffous de foi, la vallée avec tous fes enclos, 8c le fleuve avec fa cafcade. Le rivage bordé d'arbres fait un coude vers le jardin. Droit devant foi on apperqoit dans le lointain au travers d'un vallon fitué entre des cóteaux 8c qui va en s'élargiffant, une vieille tour 8c Ie clocher de 1'églife de Helmsley. Unpeu plus a droite, le vallon s'allongeant conduit pour ainfi dire l'ceil dans un fond entouré d'autres collines qui repandent fur toute la décoration quelque chofe de terrible 8c de majeitueux. L'ombre épaiffe de la forèt fait un contrafte frappant avec la limpidité de la riviere; elle elt ici beaucoup plus large, 8c la cafcade qu'on a devant foi flatte également l'ceil 8c 1'oreille. La perfpeélive qui fe préfente depuis le temple d'ordre Tofcan confifte donc principalement en deux vallées, 1'une a droite 8c 1'autre a gauche qu'on n'apperqoit que d'ici, mais non du premier temple. Les bois oppofés donnent a chaque vallée Tafpeét d'un amphithéatre & font partagés par une colline fituée vis-a-vis de la fabrique 8c couverte defougere 8c de toutes fortes de brouffailles, ce qui la diltingue de toutes les autres éminences. Le temple même eft une falie ronde furmontée d'une coupole 8c ornée d'ouvrage de marquetterie 8c de quatre ftatues dans leurs niches. Ce ne font pas la les feules beautés de ceparc: a deux milles angloifes de diftance on rencontre un endroit tout auffi enchanteur, qui y appartient encore 8c fe nommeRyewalls- Abbey d'après une vieille abbaye ruinée. Ici 1'on voit s'étendre au bord d'un vafte cóteau une terraffe qui forme plufieurs finuofités; d'un cóté eft une profonde vallée, 8c de 1'autre une plantation touffue bordée de toutes fortes d'arbriflêaux. A une des extrèmités de la terraffe s'éleve un temple rond avec une colonnade d'ordre Tofcan, 8c a 1'autre un temple d'ordre ïonique avec un portique. I 3 Du  ?0 Première Setlion. Coup d'ceil jettéfur les jardins Du premier de ces temples on découvre de très-beaux environs: en face fe préfente un vallon tortueux garni d'arbres ifolés & d'eau; au dela de ce vallon fe déploye une valte forèt qui couvre plufieurs collines; & ces collines offrent un mélange de hauteurs efcarpées, de creux, & de précipices. Par ci par Ik les bois font interrompus par des enclos cultivés. Au bout du vallon, & au pied de la forèt, fe trouve une petite cabane qui introduit dans cl tableau un changement de décoration du plus bel effet. Les hauteurs plus éloignées qui couronnent Ie tout, font la plupart incultes & pleines de brouffailles; elles renferment pour ainfi dire ce petit paradis & en relevent les attraits par leur contrafte. En fe tournant un peu vers la droite on jouït de la vue d'une autre charmante vallée qui fait plufieurs coudes: la colline qui la termine du cöté oppofé eft garnie d'arbres jusqu'k fon fommet. La vallée même confilte en prairies féparées 1'une de 1'autre par des hayes vives & parfemées de grands arbres ifolés: enfin elle va fe perdre entre des collines dont quelques-unes font couvertes d'arbres, quelques autres incultes & quelques autres défertes. En fe promenant le long de la terraffe on voit les points de vue ie changer. Rien n'elt plus beau que la vallée au milieu de laquelie ferpente la riviere ombragée par les arbres qui en ornent les bords & de lk fe prolongent par deffus une file de collines entremélées de prairies enclofes par des hayes. ; A mefure que 1'on avance, le payfage s'elargit & préfente plus de beautés. La vallée s'évafe; les enclos fe multiplient. Le verd riant des prairies, quelques arbres difperfés, &un rapide torrent forment un coup d'ceil raviffant, rendu plus vafié par une ferme fituée fous de grands arbres. Un peu plus loin (toujours fur Ia terraffe) s'offre une vue qui furpaffe toutes les précédentes. Au milieu d'un épais bosquet planté au bord d'un précipice, eft une ouverture au travers de laquelie fe préfentent les ruines d'une vieille abbaye qui occupe le milieu d'un job petit vallon; quelques arbres s'élevent entre ces ruines & leur donnent un afbeet pittoresque qu'on ne fauroit décrire. Enfuite  anciens & modernes. ^T Enfuite Ia terraffe fait un crochet, paffe lequel les objets fe préfentent fous un tout autre point de vue. On voit en plein les ruines difperfées de 1'abbaye, & on a devant foi la belle & large vallée qui va fe perdre en partie entre des collines ombragées par des bois. Vis - k - vis, la forèt étale toute fa beauté, & 1'abbaye forme avec quelques maifons ifolées un tableau d'un trés-bel effet. Les enclos de Ia vallée, les arbres détachés & difperfés, & les hayes compofent un payfage_ charmant terminé enfin par deux collines trés-éloignées. En avanqant encore un peu on parvient a. une éminence efcarpée d'oü 1'on voit pour ainfi dire droit dans les ruines dont nous venons de parler: en parcourant le chemin qui mène k cette éminence on découvre la vallée, & on a derrière foi unpont de trois arcades qui traverfe la riviere dont Ie rivage oppofé eft couvert de bois que dorriinent des collines toutes nu es. Parvenu au temple d'ordre ïonique on jouït d'un coup d'ceil tout différent des autres, & non moins agréable. Un précipice qui commence a ce temple s'éleve peu a peu fuivant la direcfion de la terraffe vers le temple Tofcan placé fur le fommet de Ia hauteur. L'abbaye offre un nouvel afpeél, & le pont paroit entouré d'arbres penchés. Le temple mème a un portique & une falie; celle - ci efi décorée de tableauxo, d'uvrages en fculpture & de dorures, le tout de fort bon goüt. c.Lt  ?2 Première Settion. Coup d'ceil jetté fur les jardins c. Le Pare de Hagley. *) Hagley eft fitué entre les montagnes de Clent & de Witchberry au milieu d'une contrée fertile & agréable. Les montagnes de Witchberry font partagées en trois éminences: 1'une eft ombragée par des bois; la feconde eft un paturage pour le menu bétail & porte un obeÜfque a fon fommet; 6c la troifieme préfente au fpeétateur le portique du temple de Théfée, parfaitement femblable & presque égal en grandeur a celui d'Athenes.' Ce portique, hardiment placé au haut de la montagne, apour fond une fombre forèt de fapins, qui, avec les précipices qu'offrent le devant & les cótés du mont, donne au tout un air de grandeur. De ces hauteurs on voit la maifon tout- a-fait a fon avantage, & a chaque pas on découvre quelque nouveau point de vue. Au bas eft Stourbridge, ville très-animée; les ruines du chateau de Dudley fe préfentent d'affez prés; toute la contrée eft pleine d'habitants & de marqués de leur induftrie; & un petit diltriét de cette contrée, lequel commence a 1'endroit d'oü 1'on tireles minéraux mis en oeuvre dans le voifinage & s'étend jusqu'au dela de 1'horifon, dépofe en faveur de fa richeffe fans faire tort a la beauté du payfage. Du haut des montagnes de Clent les vues font encore plus valles. D'un cóté elles ne font terminées que par les montagnes du pays de Galles diftantes de foixante milles d'Angleterre & qu'on apperqoit au travers d'un efpace de trente milles qui fépare le fommet ifolé du mont Wrekin des montagnes raboteufes & énormes de Malvern également éloignées de trente milles de cellès de Clent, ainfi que les unes des autres. Le pays entremèlé de hauteurs & de vallées eft fort renfermé, excepte dans un feul endroit oü une bruyere variée par des éminences, des étangs & plufieurs autres *ï Prés de Stourbridge dans le Wor- intitulé: Hagley a de/criptive Poem. + cefterfhire Voyez un ouvrage anglois London i776; & de plus une nouvelle dont le titre rendu en francois eft: Ré- defcription de ce pare dans 1'ouvrage de flexions fur les jardins d'aujourd'hui. Mr. JofephHeely intitulé: Letters on the On a encore un beau poëme de Maurice beauties of Hagley &c. 8> s Vol. im>  anciens & modemes. autres objets, contrarie heureufement avecle champ Iabourê qu'elle entoure. La vue eft moins étendue de 1'autre cóté des montagnes de Clent. Le terrein, beaucoup plus rompu & inégal, eft couvert en plufieurs endroits de grandes 8c belles forêts, 8c le payfage eft embelli par les chateaux de la nobleffe 8c d'autres perfonnes de diftinélion. Les montagnes mêmes étant très-irrégulieres, elles arrêtent fouvent les yeux par leurs pointes qui s'avancent au loin & changent ainfi la décoration. En d'autres endroits lesprofondes vallées qui vont fe perdre infenfiblement dans'la contrée, produifent différents accidents de lumiere fur les objets qu'elles renferment. Une jolie maifon de payfan, batie dans une de ces vallées fous le faillant d'une hauteur, 8c environnée de bois par derrière & des deux cótéfe, réveille Tidée d'un hermitage au milieu d'une région découverte. Des hauteurs qui 1'entourent on appercoit la même fcene qui s'offroit des montagnes de Witchberry, & qui d'ici fe montre au dela du pare de Hagley: le pare, beau en lui-même, fournit au tableau un plan de devant excellent 8c remplit le payfage. Quoique la maifon du pare foit peu ëlevée, elle domine cependant les environs au point de fournir un horizon affez éloigné. Elle eft au milieu d'une laie dont le fol inégal eft garni d'arbres difpofés tantót en mafïifs affez gros, tantót enbosquets, 8c tantót ifolés. La vue eft libre devant la maifon; mais d'un cóté elle eft terminée par les montagnes de Witchberry, 8c de 1'autre par les hauteurs du pare qui environnent aufli le batiment par derrière, 8c font élevées, rapides, 8c toutes couvertes de bois de haute fütaye. La laie s'étend quelquefois au pied de la montagne 8c quelquefois fur des hauteurs; d'autrefois elle s'enfonce dans la forêt en tournoyant le long des clairieres, 8c préfente partout une fcene champêtre charmante, déja richement décorée par le feuillage touffu 8c le jet fuperbe des arbres. Quoique la forèt paroiffe continue, elle s'ouvre fouvent pour former plufieurs laies qui occupent la plus grande partie de fon intérieur. Leur multitude, leur variété 8c leur beauté, 8c celle des bocages épais qui les féparent, ont fait la réputation de Hagley. On n'en trouve pas deux qui Tome I. K fe  74 Première Setlion. Coup d'ceil jettê fur les jardins fe reffemblent en grandeur, en figure ou en caraélere. Quelques-unes s'allongenc extrèmement; d'autres s'élargifTent de tout cöté. Elles fe diftinguent auffi par leurs batiments, par leurs points de vue, & par 1'efpece de bois dont elles font bordées. Des rangées d'arbres négligées entourent eelle-ci, tandis qu'une autre eft terminée par plufieurs parties différentes & irrégulieres. Le fol n'eft égal nulle part; tantót il defcend brusquement une pente efcarpée, tantót il ne forme que des hauteurs infenfibles, tantót il fait le tour de petites collines, & tantót allant par ondes il prend une apparence interrompue qui change a 1'infini. Au fommet d'une hauteur efcarpée eft un pavillon oétogone, confacré k la mémoire du célebre Thompfon qui fe plaifoit k vifiter ce lieu. Une prairie qui fe perd des deux cótés derrière quelques arbres, s'étend dans la vallée fituée au bas, ck vis-a-vis eft une haute montagne ovale que couronne une forèt confidérable. Cette forèt defcendant k droite & k gauche jusqu'au pied du mont, laiffe voir d'un cóté le payfage éloigné qui fe déploye k mefure que la cime des arbres baiffe, & de 1'autre les montagnes de Clent. Une tour antique, fituée au bas de la montagne, termine la forèt, tandisqu'un portique d'ordre dorique & devant lequel paffe une partie de la laie, en occupe le milieu. La fcene en elle - même eft fimple; les objets principaux font grands, & attirent les regards plus que les acceffoires; enfin ils font étroitement liés enfemble. Une colline furmontée d'une rotonde, occupe la laie fuivante qui n'eft guere grande. Les arbres qui 1'entourent font élevés, mais leur feuillage eft peu touffu: leurs troncs paroiffant au deffous des groffes branches & leurs rameaux au travers de celles-ei, fontnaitre une foule d'accidents finguliers & récréatifs dans un lieu d'auffi peu d'étendue. Cette laie eft ifolée, privée de perfpeftive, & n'a qu'une feule fortie vifible; & cette fortie courte & étroite mene a un pont orné d'un portique & qui traverfe un canal. Un bocage fépare la rotonde d'une grande clairiere Iibre, environnée d'un petit bois clair-femé, ornée négligemment, & toute couverte de fougere. Cette efpece de defert, fitué entre plufieurs. laies élégam- ment  anciens & modernes. ment décorées, fait dans ce tableau une ombre du meilleur effet. L'endroit en lui-même eft agréable, & n'eft borné nulle part: au bout eft un batiment gothique d'oü 1'on apperqoit en perfpeétive la forèt & la tour que 1'on appercevoit auparavant toutes deux a la fois 8c par devant avec les montagnes de Witchberry, Sc une vafte étendue de pays. La tour paroit dans tous les afpeéls tenir k des bois; cependant elle eft dans une petite plaine qui traverfe en Iargeur Ie haut d'une montagne, 8c forme enfuite de cóté 8c d'autre une courte pente cachée derrière d'épais bosquets. A droite la laie s'inclinant va bientót fe perdre entre les arbres ; mais la defcente de Ia gauche eft plus rapide, en forte qu'on peut la fuivre de l'ceil jusqu'au bas. La tour domine le tout, 8c paroit le refte d'un chateau en partie ruiné 8c en partie couvert de buiffons, 8c dont Ia fituation eft la plus avantageufe poftible: il eft dans un lieu découvert 8c folitairej il fournit une vue trés - étendue 8c eft un objet remarquable par - tout. Un hermitage, conftruit de racines d'arbres 8c de moufle, occupe un coin fombre 8c dépourvu de perfpeétive qui termine la vallée au deflous du chateau. De hauts cóteaux 8c un bocage épais de maronniers renferment cet endroit ifolé: un petit ruiffeau le traverfe en murmurant; 8c deux étangs peu confidérables fe forment au fond. D'un cóté ces étangs paroiflent au travers d'arbres grouppés; 8c de 1'autre ils font a découvert, mais leurs bords font garnis de fougere. Cette vallée, touchant aux montagnes irrégulieres de Clent, termine le pare de ce cóté. De 1'autre cóté du chateau eft une longue pente, ombragée comme tout le refte de fuperbes foréts qu'environnent des laies abfolument différentes de toutes les précédentes. Le fol de Tune eft trés-raboteux, tk fes bornes uniquement défignées par les tiges des arbres qui s'élevent fort haut avant que les branches commencent, font fort interrompues. La fuivante eft bien plus fimple; elle tombe d'une hauteur unie dans un creux profond qui fe prolonge obliquement vers la vallée oü il fe perd dans les bois. Un court chemin qui traverfe deux bosquets réunit cette laie k une troifieme, appellée la laie de Tinian a caufe de la reffemblance qu'on lui K 2 attribue  ^6 Première Seclion. Coup d'ceil jetté fur les jardins attribue avec les clairieres de cette ile fameufe. Cette troifieme laie eft bordee d'arbres fuperbes & fi couverts d'un feuillage épais, fraix & riant, qu'on n'appercjoit ni troncs ni rameaux, mais feulement des maffifs ondoyants de verdure. Ce n'eft pas pourtant que les branches fe penchent jusqu'a terre; elles paroiffent ne commencer qu'a la hauteur de quelques pieds, & s'étendent horizontalement a une diftance étonnante, ce qui produit un ombrage oü 1'on peut fe réfugier a toutes les heures du jour. Le verd gazon eft ici tout auffi beau que dans la plaine. Le terrein de ces deux dernieres laies fe prolonge par deffus des hauts & des bas qui fe fuccédant infenfiblement, lui donnent de la variété fans le couper. Onne voit ici nilignesfortementprononcées, ni objets étonnants; tout eft dans un jufte milieu, doux, paifible, ferein, n'infpirant dans les plus belles heures du jour qu'une' gayeté modérée & amufante, & dans les tranquilles heures de la nuit qu'une melancholie touchante fans trifteffe. Cette decoration s'accorde furtout avec le calme qui regne lorsque la lumiere de la lune femble repofer fur 1'épais feuillage du bosquet, & marqué diftinélement 1'ombre de chaque rameau. C'eft alors un plaifir raviffant de fe promener ici; d'y voir briller la rofée fur 1'herbe tendre & fur la toilede 1'araignée des champs dont elle eft tiffue; de prèter 1'oreille fans entendre d'autre brult que celui que fait de temps en temps une feuille flétrie qui tombe Ientement de branche en branche; & de refpirer Pair fraix de la foirée fans éprouver le froid. Une urne folitaire, autrefois deftinée par Pope a orner cet endroit, et aujourd'hui confacrée a ce grand Poëte par une infcription, fe découvre entre les arbres quand la lune 1'éclaire, & entretient Pame dans la fituation & dans les réflexions que lui ont infpirées infenfiblement les objets qui compofent cette fcene enchantereffe. Le portique d'ordre dorique qui porte auffi le nom de Pope, n'eft guere loin, quoiqu'on ne 1'apperqoive pas d'abord. II eft fur le penchant d'une montagne; & le pavillon de Thompfon avec fes bosquets eft un des objets agréables qu'offre d'ici le lointain. On a ménagé dans la vallée qui eft au deffous, un banc d'oü Ton voit plufieurs perfpeélives bomées. L'une  anciens & modernes. ^ I/une eft celle de la colline furmontêe du portique; & d'autres s'étendent au travers des ouvertures du bois jusqu'au pont & jusqu'a la rotonde. La laie fuivante eft grande; fon fol inégal 8c raboteux a cependant toujours la même direétion en pente. Ses contours font variés par plufieurs groupes d'arbres plantés fur les hauteurs, au travers desquelles on apperqoit fouvent des points de vue pittorefques. Une maifon couronne la hauteur fupérieure, & ala plus belle fituation de tout le pare. D'ici 1'on jouït de la vue des finuofités hardies que fait la laie en defcendant les hauteurs 8c traverfant une vallée entiere, toute couverte d'arbres fuperbes jusqu'aux montagnes qui la terminent. Une de ces montagnes porte une forêt prolongée fur fa pente, & qui n'a d'ouverture que pour laiffer voir le pavillon de Thompfon, 8c les bosquets & les éminences qui 1'environnent. Les autres font les montagnes de Witchberry qui femblent pénétrer comme par force dans Ie payfage. Les cimes touffues des arbres n'offrent qu'une furface continue dans la vallée, 8c fourniffant un large plan de devant au temple de Thefée; elles mafquent la hauteur qui le porte, & s'étendent jusqu'au dela du terrein oü il efl bati. Plus en arriere eft un obelifque précédé d'un paturage dont la forêt de Witchberry forme le fonds; le derrière du temple eft occupé par des fapins. Ces deux forêts font liées a la vafte décoration d'arbres qui fe déploye par deflus 1'autre montagne 8c toute la vallée d'entre d'eux. Des bois de cette étendue 8c plantés avec tant de variété; des objets qui déja fuperbes d'eux-mèmes, font encore embellis par leur pofition, qui contraftent 1'un avec 1'autre, qui font tous différents 8c tous heureufement liés entr'eux; ces parties d'un grand enfemble qu'on apperqoit d'un endroit raviffant 8c qui eft environné d'une contrée agréable: tout cela réuni, fait une fcene vraiment grande 8c magnifique. Les diverfes laies font feparées 1'une de 1'autre par de beaux arbres qui quelquefois forment des bosquets clair-femés oü pénéttent de toutes parts la lumiere 8c les plus légers Zephyrs, mais qui le plus fouvent, entrelaffant leurs ramaux, fourniffent un ombrage impénétrable. La vue eft fréquemment interceptée par de longues branches penchées vers la K 3 terre.  *g Premiers Seclion. Coup d'oeiljetté far les jardins terre. On rencontre par fois un efpace qui n'eft rempli que de buiffons, de noifettiers, de brouflailles 8c de charmes dont les tètes touffues fe mèlent au feuillage des autres arbres, 8c dont les minces rejettons raffemblés en foule autour des troncs, épaififient 8c obfcurciffent le bois. Les féparations ne conftftent dans quelques endroits qu'en des buiffons femblables, qui moins preffés 8c non étouffés s'élevent beaucoup plus, s'étendent plus au loin, 8c fe réuniffent par leiiaut en berceau peu élevé. En d'autres endroits de grands frènes qui forment comme des arcades, ou bien des chènes majeftueux qui déployent leurs branches de tout cóté, jettent une ombre épaiffe: ces derniers ont toutes les formes que peu vent avoir des arbres. Le terrein eft tantót presque uni, tantót un peu rehauffé, ordinairement trés-irrégulier 8c trés-inégal. Souvent de grands ravins, lavés depuis plufieurs fiécles par les torrents qui dans les mois pluvieux fe précipitent du haut de la montagne, en fillonnent les flancs: de vieux chènes qui croifient au milieu de ces crévafles, en prouvent 1'antiquité. Quel.ques-unes font arides toute 1'année; tandisque des ruiffeaux ferpentent dans d'autres mème en été: toutes font larges 8c profondes, 8c ont des bords ordinairement efcarpés, 8c qui fouvent tombent tout a fait a plomb ou font mème excavés: il n'eft pas rare d'y rencontrer des arbres dont les racines couvertes de mouffe fe prolongent au deffus de 1'eau jusqu'au bord oppofé. Au fond d'une de ces fentes eft un tertre plat a 1'ombre de maronniers fauvages touftüs, 8c au milieu de plufieurs petits torrents 8c de cafcades qui murmurent entre des pierres détachées 8c des troncs d'arbres morts qui embarraflent le chemin. Au bord d'un autre de ces canaux, diftingué par une abondante niehée de corneilles choucas, fe trouve dans un fite encore plus fauvage une cabane, placée a cóté d'un profond précipice 8c dans un ombrage épais: ici les cafcades font presque perpendiculairs; les racines de plufieurs arbres d'alentour, lavées par les eaux, font a nud; d'énormes branches cédant a leur propre poids, femblent a chaque inltant prètes a fe féparer de leurs troncs; 8c de beaux frènes encore en pleine vigueur fe penchent par deffus le foffé, qui par fon humidité rafraichit l'air des environs. Des  anciens & modernes. Des fentiers recouverts de gravier, &, quoique presque toujours dérobés a la vue, difpofés de facjon a entretenir Ia liaifon des différents objets, & a ramener toujours aux fcenes principales, traverfent les ravins, les bois, les bosquets & les épais buiffons & longent les laies. La beauté de toutes les promenades, Ia multiplicité & la variété des fabriques, & le bon état dans lequel Ie tout eft entretenu, donnent au pare de Hagley un afpect fuperbe. *) En *) Les deux ouvrages que nous avons cités, & les voyages d'Arthur Young dans les provinces orientales d'Angleterre, & qui font la continuation des premiersp renferment encore la defcription de plufieurs parcs d'Angleterre. On a quelquefois demande, pourquoi les Anglois ne publioient pas des deil'eins de leurs parcs, puisqu'ils font fi beaux? Je réponds: Canot & Mafon ont publié quelques planches repréfentant le pare du Comte de Weftmoreland. Le grand pare de Windfor a été après fes derniers embelliffements repréfenté en 8 vues, gravées parSandby, Mafon, Vivarez, Canot, Roocker & Auftin. Je connois deux ouvrages touchant Ie vieux & le nouveau pare de Stowe: A general plan of the Woods, Park and Gardens of Stowet by Bridgemann. Fol. 1739. Stowe: a defcription of the magnificent Houfe and Gardens &c. a new edition. 8. London 1766. Le premier offre le jardin dans toute fon ancienne régularité, le fecond tel qu'il a été nouveliement décoré. Ce dernier contient encore les deffeins des temples, colonnes, monuments, inferiptions, & la defcription de ia maifon & fes tableaux &c. mais les planches font trop petites & médiocres. Quant  go Première Seclion. Coup d'ail jettéfur les jardins En Ecoffe auffi la partie la plus diftinguée des habitans connok les délices de la vie champêtre. Le cümat ne lui eft pas favorable a la vérité; & peu de fruits atteignent naturellement leur maturité. Plufieurs régions font défertes, au point que rien ne s'y préfente a la vue qu'un troupeau dë moutons, 1'entrée fombre d'une mine de charbon, ou la pointe pélée d'une montagne lointaine. S'il faut en croire les plaintes de Johnfon, *) on ifnore ici ce que c'eft que de fe mettre a couvert des rayons du foleil fous fombrage d'un arbre; le pays eft partout uniformément nud, & dégarni pendant plufieurs milles de fuite de buiffons & d'arbres, que par une négli- gence Quant a Kew, outre les quatre gran- plufieurs parcs Anglois: mais il feroit des planches de Mafon, Elliot & Canot, a fouhaiter qu'on fit un meilleur choix d'après les delTeins deWoollet, & qui de jardins & qu'on eut plus foin du repréfentent plufieurs parties de ce pare, burin. on a encore: Flans, Elevations, Seclions Plufieurs des plus beaux parcs d'Anand Perfpeïïive Views of the Gardens and gleterre font encore trop nouveaux pour Buildings at Kero in Surry, by William pouvoir être gravés; & d'ailleurs on les Chambers. Fol. London 1763. On trou- embellit tous les jours. Enfuite, il elt ve dans cet ouvrage les plans & les bien plus difficile de copier un pare deffeins des temples & autres fabriques, qu'un jardin de plaifance fymmétrique; & 8 belles parties du pare gravées par on peut facilement multiplier les deffeins Woollet Major, Sandby, Grignion & de ces derniers qui fe reffemblent presRoocker. L'édition originale d'Arthur que tous. Enfin, les artiftes fe trouvent Young: The fix months Tour tkrough the dans la capitale, & les parcs en ProNorth of England. Second Edit. 1771. vince. 4 Vol eft auffi ornée de quelques fcenes Touchant les plans de pavillons, on naturelles qu'offrent des parcs, furtout a, outre les ceuvres des architeftes Wilde cafcades. liam & John Halfpenny, 1'ouvrage fui- Détail des nouveaux jardins a la mo- vant de Robert Morris: de. Fol. Paris 1775. Ce recueil monte Architetture improved in a colletïion déja a quelques cahiers enrichis de plu- of Defmgs front Lodges and other Decofieurs planches, & fe continue toujours. rations in Parks, Gardens &c. 8- LonII doit auffi être mis au rang des quvra- don 1757. ges dont nous parions ici, & offre des *) Ajoumey to the IVefternIslands of parties détachées & des fabriques de Scotland. 8. London 1775.  anciens & modernes. gi gence impardonnable, on ne penfe pas même a planter. Cependant quelques contrées font empreintes d'un cara&ere de grandeur & de majefté qui paroit leur être propre. On voit en Ecoffe plufieurs maifons de campagne bien baties & bien entretenues. Celles furtout qui font aux environs d'Edimbourg, offrent un afpeél pittorefque que leur donne Ia dilpofition variée 8c romanefque du pays. Topham *) qui fait cette remarque, ajoüte que les propriétaires méritent des louanges a. caufe du bon goüt & du jugement qu'ils montrent dans ces batiments. Autrefois 1'efprit de révolte 8c les diffenfions empêchoient qu'on ne s'attacbit aux plaifirs 8c a 1'embelliffement des campagnes. Aujourd'hui 1'on encourage cette récréation utile. Mais les jardins de plaifance ne font pas auffi bien plantés; ils fuivent encore trop 1'uniforme ligne droite, 8c 1'on n'y découvre paslanoble Iiberté 8c la variété d'objets champêtres qui rendent les parcs d'Angleterre fi célebres. Enlrlandeméme, au rapport de Twifs,**) fetrouvent plufieurs maifons de campagne 8c jardins agréables, 8c la plüpart dans le goüt Anglois moderne. *) Lettres écrites d'Edimbourg pendantles années f774 & 1775. 28me Lettre. **) Voyage d'lrlande en 1775. Tornt 1 L  g2 Première Section. Coup d'ceil jetté fur les jardins 7- jardins d'Allemagne. Les jardins d'Allemagne ont long - temps été foumis a la' maniere fymmétrique que 1'on croyoit, parmi nous comme ailleurs, la feule bonne. Nos architeétes répandirent ce préjugé en s'emparant des jardins & leur prefcrivant la régularité. La Gallomanie, maladie linguliere qui travailla Ia nation Allemande depuis le Prince jusqu'a 1'artifan, & que ni Tironie des patriotes, ni les monuments qui prouvent la force & 1'élevaflon de notre •génie nationnal, ne paroiflbient pouvoir détruire, la Gallomanie furtout accréditoit ce ftyle guindé. „Ainfi font les Francois: voila ce que j'ai vu en France." Ces paroles fuffifoient pour réduire le Germain au róle de fimple imitateur. Nous eümes des jardins francois comme nous avions des modes Parifiennes. Nos Grands, pour rendre apparemment 1'efprit d'imitation plus général, en donnerent le premier exemple; ils firent exécuter des petit Verfailles, des petit Marly, des petit Trianon, mais modeftement en miniature. Tantót nous entafilons dans nos jardins au lieu d'arbres, de miférables morceaux de bois & de pierres décorés du nom de ftatues; tantót nous les métamorphofions' en parterres pompeux émaillés d'une profufion de fleurs a 1'exemple des Hollandois. Aujourd'hui 1'aurore du bon gout & du jugement commence a fe lever fur nos jardins. Une nation, peut - ètre plus fenfible que toute autre aux beautés de la nature & a cette efpece d'Idylle qu'on pourroit nommer pittorefque, ne pouvoit ètre que pour un tems féduite au point d'adopter un genre fi fort oppofé afes penchants naturels. L'imitation devoit ceffer, d'abord qu'on fe fut apperqu qu'elle écartoit du bon chemin. II faut 1'avouer, les recits des heureux changements faits en Angleterre dans les jardins ont préparé la méme révolution en Allemagne. ^ Cependant nous aurions tort de nous plaindre que cette révolution a été trop fubke, que l'imitation du goüt Anglois s'étend trop rapidement j il paroit au  anciens & modernes. au contraire que nous commenqons aréfléchir nous-mêmes; & la réflexion va bien moins vite que la fimple imitation. On rencontrera peutêtre qa & la des copies ferviles de la maniere brirannique, peut - être même du baroque Chinois; mais il paroit qu'on peut fe flatter de voir 1'efprit de Ia nation Allemande fe livrer lui - même k Ia combinaifon & k 1'aétivité, & produire des jardins empreints des marqués du génie germanique. Nous avons plus que des effais; nous avons déja exécuré heureufement des plans qui, quoique cachés fous le nom de jardins anglois, pour les diftinguer des anciens, font réellement allemands. Pourquoi ne les pas appelier, comme il conviendroit, du nom du pays oü ils fe trouvent, ou du nom de celui qui les ainventés? Les manieres Hollandoife, Franqoife & Angloife font déterminées; & quand on en parle on fe repréfente d'abord les différences qui les caraélérifent: qui peut nous engager a donner des titres étrangers & qui marquent l'imitation, a une invention nationnale ? Un jardin anglois honoreroit-il plus qu'un jardin allemand un Prince Allemand lui-même? Ou bien, ne fauroit-on imaginer & introduire un flyle affez germain pour mériter ce furnom? Au moins eft-il für qu'il exifle effeétivement quelques jardins qui, k la vérité font en partie dans le goüt anglois, qui peut-être même n'en font qu'une imitation; mais dont 1'enfemble prouve cependant un génie différent du génie britannique. Quelques nobles Allemands, même quelques princes illuftres, ont manifeflé la fineffe de leur goüt en fourniffant les preuves de mon affertion. Et pourquoi ne pas nommer ici avec une tendre vénération les Princes régnants deGotha, deDeffau & deBade-Dourlach réhdant a Carls-rouhe, eux qui répandent autant d'embelliffements fur la nature inanimée que de bienfaits fur leurs fujets; eux qui arrondiffent, pour ainfi dire, de leurs propres mains les riants berceaux fous lesquels ils ne fe repofent qu'afin de travailler a\'ec de nouvelles forces au bonheur du genre humai#. L 2 L'Alle-  34. Première Seclion. Coup d'ceil jettéfur les jardins L'Allemagne, oü 1'honneur des jardins eft foutenu par des connoiffeurs auffi illuftres, PAllemagne pourroit aifément donner naiffance a une foule de fuperbes maifons de campagne. Quel nombre de contrées délicieufes depuis les montagnes de Ia Saxe jusqu'au bord de la mer du Nord, dans la plüpait des pro vinces en général, 8c furtout aux rives de l Elbe, du Rhin & du Mayn! Contrées qui renferment une infinité de beautés naturelles! Ma chere Patrie, Ie Holftein, n'eft pas moins riche de ces attraits qui frappent 1'étranger 8c échappent aux yeux fouvent fafcinés de 1'habitant. On n'y voit point de roes, point de chaines de montagnes, point d'objets enfin, propres h infpirer 1'étonnement, hors les deux mers qui mouillent les paifibles rivages de cette province & préfentent une perfpeétive a perte de vue, tandisque leurs vagues. animées par les vaiffeaux qui les fendent, roulent jusqu'a 1'horifon. Mais en revanche les beautés champêtres font repandues en foule fur Ie fol le plus fertile. Des hauteurs & des defcentes douces; un mélange agréable de champs de blés, de prairies, de paturages, de bosquets, de bois, de lacs de plufieurs Iieues detendue, dont la furface unie comme un miroir réfléchit le riant payfage; enfin au lieu de cóteaux chargés de vignes, ce font des collines, couvertes de troupeaux qui paiflent en Iiberté 1'herbe neurie. Les beaux jours de printems 8c d'été n'y font pas inconnus, mais ce font furtout ceux de 1'abondante automne qui repandent une gayeté douce fur le pays & y prolongent les plaifirs champêtres. Ces provinces font habitées par une nobleffe qui depuis long-temps jouït paifiblement de 1'héritage de fes ancètres, qui gouverne elle-même fes valtes domaines 8c eft affez riche pour pouvoir exécuter les projets infpirés par lebon goüt: auffi 1'embellinêment commence -1 - il a fe répandre dans les campagnes. Les bois s'ouvrent en labyrinthes propres a la promenade, en cabinets de verdure, 8c enpieces de gafon: on cherche avidement des perfpeétives riantes 8c des décora- tions  anciens & modernes. 85 tions naturelles; & ca & la on voit naïtre un enfemble de beautés inconnu jusqu'a préfent. Defcription d'Afchberg'. Afchberg eft fans contredit un des plus beaux lieux du Holftein. Le lac de Pion fur lequel eft fituée cette maifon de campagne, lui donne des attraits que 1'on trouve rarement réunis. Le lac en lui-même eft une de plus belles pieces d'eau qui ornent notre terre: de loin fon afpeél éleve & égaye déja 1'ame; 8c fes rivages 8c fes iles offrent aux payfagiftes des perfpeétives naturelles auxquelles 1'imaginarion même ne trouve rien a ajoüter. Ce lac préfente une longue 8c large furface d'eau, mais non étendue au point qu'on ne puiffe pas en découvrir a la fois tout le rivage, 8c c'eft précifément ce qui en augmente 1'agrément. Rien n'eft plus beau 8c plus varié que fes bords qui confinent tantót a un village, tantót a un pré, tantót a une métairie, tantót a une forèt 8c tantót a une colline. Rare- L 3 ment  §5 Première Settion. Coup d'ceil jettè fur les jardins ment fe rehauffent-ils d'une maniere fenfible, en forte que 1'eau va fe perdre de tout cóté dans la campagne. Les anfes font diverfifiées Sc forment des douces finuofités. Par ci par la des bras du lac pénétrent avant dans les terres, 8c ouvrent une foule de nouvelles perfpeétives encore embellies par les arbres, les bocages 8c les bosquets qui les bordent. D'un autre cóté d'étroites langues de terre, couvertes de gafon, de bocages ou d'arbres épars, s'avancent dans 1'eau 8c femblent y nager. Plufieurs petites iles répandues dans le lac lui donnent un nouvel agrément. Elles n'enchantent pas feulement par leur riante verdure quife conferve long-tems fraiche, mais encore par des bocages 8c des arbres ifolés qui font avec 1'eau limpide un coup d'ceil très-pittorefque. Ces iles font fi petites 8c fi unies qu'on les découvre d'un bout a 1'autre, 8c fi peu élevées qu'elles paroiflent ne faire qu'une furface avec 1'eau, 8c qu'on diroit qu'elles font flottantes. Le lac eft animé par les barques de pècheurs qui le traverfent a la rame, 8c par les oifeaux aquatiques qui planent au deffus en criant. Quelques collines parfemées alentour Sc couronnées de buiffons 8c de petits enclos de champs, les forêts & les iles fourniffent a 1'eau claire une ombre délicieufe; les figures Sc les couleurs variées des nuages Sc des bords du Iac, produifent une quantité de refleéts qui repandent de tout cóté des beautés mimitables. De hauts bouleaux entremèlés de cliènes, qui formant un berceau touffu s'étendent prés du rivage fur le montant d'une petite hauteur, Sc jettent de la une ombre épaiffe fur les fiots voifins, tandisque les plus éloignés font éclairés par le foleil, offrent auprès de quelques anfes une décoration charmante compofée de forèt Sc d'eau. Tous ces attraits furent encore rehauffés par une fcene accidentelle qui vint nous furprendre le foir a une des pointes arrondies du lac oü nous étions, après le coucher du foleil, 8c qui eft fituée vis-a~ vis d'une partie du rivage que borne uri fombre bosquet. Le foleil couchant lanqoit un large rayon pourpré, derrière ce bosquet; la oü fon ombre peu longue finiffoit, Peau brilloit de la couleur du ciel, Sc les rives obfeures du lac fe miroient dans fes ondes enflammées. Jamais la lumiere Sc les tenebres ne formerent un contrafte plus romanesque. Le refte du lac qui s'étendoit de notre cóté, préfentoit un  anciens & modemes, un mélange fingulier de blanc, de noir, de rouge, de bleu & de jaune fuivant la lumiere que rênvoyoient les nuages colorés par la rougeur du foir. Par - tout régnoit un profond filence, interrompu de temps en temps par le foible croafferftent d'une grenouille. D'un coin obfcur fortit une petite barque arames qui, yifible k I'inftant qu'elle traverfa 1'efpace éelairé, fe perdit de nouveau fubitement dans 1'ombre 8c ne laiffa d'autres traces que le mouvement tremblottant de 1'eau, 8c un fouvenir douteux de cette apparition illufoire. Mais une fcene auffi rare 8c auffi enchantereffe s'évanou'it dans une defcription, ainfi qu'elle difparut k nos yeux après quelques minutes. Autour de ce lac un payfage riant 8c fertile offre tous les attraits de la diverfité. II eft compofé de plaines entrecoupées de collines, de petites éminences, de bosquets, de forêts, de prairies, de champs de bleds entourés de haies, de quelques villages 8c métairies. Des troupeaux de peut 8c de gros bétail, 8c le chant varié des oifeaux qui rempliffent l'air 8c les arbres, augmentent les agréments de ce féjour. La route qui mene de Pion k Afchberg s'étend 1'efpace d'un petit mille presque toujours Ie long du lac, d'oü elle s'écarte quelquefois pour aller fe perdre fur des monticules 8c aux bords de bocages touffus. L'ceil eft enchanté par la variété infinie des vues qu'offrent le rivage, fes anfes, leurs différentes bordures 8c la vafte contrée. L'alouette frédonnoit fa chanfon au deffus de nous: dans les bosquets que traverfoit quelquefois notre voiture, le roffignol 8c d'autres chanteurs moins habiles fe faifoient entendre k 1'envi; quelquefois I'oreille étoit flattée par le murmure de petits ruiffeaux qu i couloient dans le Iac, 8c par le bruit un peu plus fort des flóts qui fe brifoient autour des bannetonsplacés k 1'embouchure de ces courants d'eau. Une montagne confidérable couronnée de forèts 8c qui fe diftingue au milieu de toute la contrée, captive 1'attention de loin: cette montagne eft le lieu de plaifance que vintent toutes les années beaucoup d'étrangers 8c dont je donne ici une foible copie. Prés de 1'édifice qu'habite Ie poffeffeur du fief noble d'Afchberg, eft un jardin, au fortir duquel on commence a gravir contre la montagne. Ce  gg Première Settic*. Coup d'ceil jetté fur les jardins Ce jardin eft dans l'ancien ftyle, fymmétrique, orné de courtes haies, coupé par des canaux pleins d'eau ftagnante a la Hollandoife, & ayant au milieu un joli falon & plufieurs petits pavillons. Ce qu'il y a de mieux, c'eft une allee fituée a cóté de Ia maifon & formée par quatre rangées de tilleuls hauts & touffus, de laquelie on voit devant foi & d'un cóté la montagne & le lac, 1'autre cóté du batiment étant occupé par un mélange de bois & d'eau. On oublie bientót ce petit jardin artificiel pour jouïr fur la montagne des beautés nobles & libres de Ia nature. Cette éminence n'eft pas efcarpée, mais ronde & large, & par-tout ombragée par des bois: les hètres, les chènes & les frènes font entremêlés de pins, de cMtaigmers, de cérifiers & d'autres plantations; quelquefois un efpace n'eft occupé que par des arbres fauvages fans aucun mélange. A I'inftant que 1'on commence a monter, on entre dans 1'ombre que jettent de grands & beaux arbres fous lesquels regnent des buiffons. Le terrein eft quelquefois trop négligé & embarraffé d'orties & d'autres arbuftes rarapants. Le ramier, Ie coucou, le roflignol, le pinqon, la grive & d'autres oifeaux qui fifflent ou chantent, nous faluerent du concert varié de leurs ramages. L'avenue principale qui mene au haut du mont eft unie, commode, & va en ferpentant. Les allées font en général d'un trés - bon goüt; elles s'accommodent toujours a la nature du fol, & fe prolongent en finuofités variées fans affeétation. On perd d'abord la vue du lac. En continuanta monter, on s'attend toujours a voir s'ouvrir quelque perfpeétive, & cette attente eft toujours trompée. L'avenue tourne autour de la hauteur en s'élevant infenfiblement. Les arbres, hauts & touffus, jettent un ombre qui remplit tout, & ne laiffe paffer que quelques foibles rayons du foleil. A gauche 1'on voit dans le fond deux allées fombres & paralleles, & un peu plus loin quelques autres fentiers qui fe rencontrent. Les arbres séclairciffent un peu, mais 1'on n'apperqoit encore que quelques échappées d'eau ou de rivage. L'attente de jouïr plus haut de la vue complette du lac augmente, & le chemin tournoyant autour de la montagne mene du cóté oppofé, d'oü l'ceil apperqoit quelquefois la contrée a travers le feuillage. Ici,  anciens & modernes. Ici, 8c peu loin du fommet, on rencontre une cabane pyramidale recouverte de chaume, d'une architeéture très-iïmple &garnie en dedans d'écorce d'arbres. Deux bancs en font tout 1'ornement. La vue affez bornée porte fur le payfage, 8c offre un village 8c quelques enclos. Prés de Pentrée elt un enfoncement brusque de Ia montagne couvert de jeunes chènes & de buiffons, féjour chéri des oifeaux. Cette cabane ouverte 8c fituée fur le chemin, ne femble être la que pour inviter le promeneur fatigué a prendre un inftant de repos. Quelque tems après qu'on a quitté cette fabrique, on atteint la cime du mont. Ici des hètres, des chènes, des fapins, des charmes 8c des frènes environnent une place ouverte, ronde, 8c unie, d'environ foixante pas de circonférence, ombragée par les arbres qui 1'entourent, 8c uniquement ornée de quelques bancs. A cet endroit on jouït d'un point de vue trés - étendu 8c fuperbe, mais qui feroit encore un meilleur effet fi Pon élargiffoit 1'ouverture par laquelie il fe préfente. Le devant du tableau eft occupé par une partie obfcure de la forèt: on découvre enfuite presque tout le lac, 8c 1'horifon eft terminé par une petite partie de la ville de Plón 8c par fon chateau, qui valte 8c nérement fitué fur une éminence, domine tous les objets qui s'offrent aux yeux. L'afpeét de ce chateau, d'ailleurs remarquable par les grands mafTifs de maqonnerie 8c par les tours qui de compofent 8c lui donnent un air antique, fait le plus bel effet au milieu d'un payfage riant 8c ouvert. Lorsque Pon eft en face du chateau, on a presque derrière foi une demi-ouverture par oü paroit la contrée qu'anime un moulin fur une éminence. L'ouverture principale, tournée vers lelac 8c le chateau, préfente un lointain charmant, 8c rend cette hauteur tres-agréable, quoiqu'on n'en ait pas tiré tout le parti polïible quant aux points de vue. L'on avoit projetté, dit - on, de batir un temple au fommet de la montagne, 8c il eft fur que ia fituation eft des plus favorables. A mon avis ce temple devroit êtte confacré k quelque grande divinité, au foleil par exemple, dont Ie temple fe trouve contre Pattente du bon goüt dans un pare royal au milieu d'une plaine peu remarquable. Pour que cette fabrique fit imprefïion de loin, il faudroit que Tarchiteéture en fut Tornt I. M coloffa-  go Première Seetion. Coup d'ceil jettéfur les jardins coloffale, & qu'on abattit la partie fupérieure de la forêt. Mais fi 1'on vouloit fe contenter d'en voir la coupole s'élever au deffus des arbres, on pourroit en oonfervant la beauté des proportions, fournir un afpeét raviffant a appercevoir de loin aux environs: pour cet effet il faudroit élever le temple fur un perron & écourter la cime des arbres, & on verroit naitre un ouvrage unique dans ce pays. A quelque diftance de l'ouverture principale que nous avons décrite, eft un fentier commode, qui defcend en tournoyant de 1'autre cóté de la montagne. Un peu plus loin deux autres fentiers vous ramenent en arriere. Le ramage continuel des oifeaux vous accompagne quand vous fuivez le chemin qui defcend latéralement en ferpentant; a droite font des enfoncements confidérables & ombragés, & a gauche des bocages d'oü s'élancent quelques arbres. La vue eft toujours bouchée de tout cóté. Ce lieu de plaifance a un caraétere décidé que lui donnent ces diverfes interceptions de vue, foit que le hazard feul les ait produites, foit que Ia réflexion y ait eu part. Le dernier cas paroit le vrai: car une tète ordinaire n'auroit pas manqué d'ouvrir par-tout des allées. Maintenant ce féjour fe diftingue du relte par fon caraétere naturel que 1'art n'a point gaté; c'eft un bel enfemble, ifolé & orné des feuls attraits qui lui font propres. Le payfage des environs eft par - tout libre, ouvert, égayé: la montagne au contraire eft toute couvertede bois, & n'offre qu'un doux crépufcule & de la fraicheur. Ici on erre dans la folitude, tandisque la contrée d'alentour eft animée par les aétifs laboureurs & les troupeaux: on fe repofe ou fe promene fous un fombre feuillage, & 1'on fait qu'au dehors tout eft éclairé & riant. | En pourfuivant fa marche, on parvient a un endroit ouvert oü un banc invite a jouïr d'une vue trés-étendue qui fe préfente fubitement a droite. On voit de nouveau le chateau de Pion, la grande plaine d'eau dont les bords font parfemés de petites éminences & de bois, & quelques petites iles couvertes de verdure: a gauche paroit fur le devant, & dans un profond enfoncement, la maifon du proprié:aire, a moitié dérobée par des bocages & des arbres, que dépaffe feulement le toit rougeatre, derrière lequel  ancitns & modernes. lequel brille une anfe du lac. Ce fite elt trés - pittorefque, & le plan de devant, qui couvert de bois que percent les cimes de quelques fapins va toujours en baiflant jusqu'au fond, fait une décoration bocagere fuperbe. Ici le chemin s'élevant doucement fe fléchit vers ce plan de devant ombragé. La vue du lac & de fes iles devient plus belle; une partie de Pallée fituée dans le fond a cóté de la maifon paroit flotter fur 1'eau, & fi Pon fe retourne en avanqant on voit ce fpeétacle s'aggrandir. C'efc d'ici qu'on découvre Ia plus vafte & la plus belle partie du lac, qu'on n'apperqoit que de cet endroit & du fommet de la hauteur. Ces deux ouvertures de la forêt du cóté de 1'eau, & furtout la derniere, raniment pour ainfi dire la vue agréablement & augmentent une attente que rien ne doit plus fatisfaire, fans cependant changer le caraétere de 1'enfemble. * En quittant cette pl?.ce découverte il faut prendre, non par le chemin qui longe le bord fupérieur du plan de devant, mais par un fentier étroit ombragé de jeunes chènes. L'on eft de nouveau au milieu des bois & des buiffons; la vue eft bornée; un doux crépufcule regne tout autour. Quelques fentiers defcendent a gauche dans Ia contrée. Alors on entre dans un labyrinthe enchanteur oü l'on ne court point risque de s'égarer; 1'imagination briljante d'un Gefner, a I'inftant que la Mufe champêtre 1'initioit a fes myfteres, n'auroit pu en dépeindreun plus féduifant. De jeunes arbres touffus & peu élevés, & de différentes efpeces, forment ce labyrinthe & lenuancent de plufieurs teintes de verds; qa ckla des jours doux fe jouent fur la voute du berceau: le terrein eft trés-net, & l'on voit chaque arbre fortir du fein de la terre; une multitude variée d'oifeaux nichent ici en füreté, & voltigent en chantant dans les bois & au deflus du chemin. Tranfporté inopinément au milieu d'une fcene auffi. raviflante & de la folitude qui y regne, on prend d'abord part a la joye & a la tendrefie de ces petits animaux; on fent que Pon fe promene dans un monde créé par 1'amour, & les doux fentiments propres aPhumanité heureufe, & quele grand monde étouffe toujours, reviennent ici fans obftacle prendre leur place dans les cceurs. — Le fentier tournoyant d'une maniere M 2 infen-  Q2 Première Seition. Coup d'ceil jettê fur les jardins infenfible, mene long-temps au travers de ce féjour délicieux oü 1'amour refpire fur chaque rameau. Cette plantation d'arbres différents fe change enfuite en un bosquet de chènes. Après avoir goüté tant de douceurs champêtres a peine s'apperqoit-on des agréments qu'offrent les endroits fuivants. De hauts chènes, au travers desquels on apperqoit le ciel, bordent la route, dont les deux cótés font fermés par des hayes; enfuite fuccedent de jeunes hètres de haute taille, & le chemin conduit fous un berceau vers le pied de Ia montagne. A droite eft un bois charmant oü regne une ombre épaiffe, quelquefois égayée par les rayons qui percent le feuillage, tandisque le terrein forme des pentes agréables. Vers la fortie un fentier raboteux mene du cóté droit a une cabane fituée dans un lieu obfcur, & qui femble vouloir fe dérober modeftement aux yeux des paffants: elle ne contient que des inltruments propres au jardinage, & mériteroit une deftination plus noble a caufe de 1'afpeét fous lequel elle fe préfente d'en haut au travers des arbres. La fortie conduit dans le méme jardin artificiel d'oü l'on étoit parti.  anciens & modernes* g^ 8- jardins de la Chine. Entte tous les jardins que peuvent renfermer les trois autres' parties du monde, aucuns ne fe font depuis quelque temps acquis plus de réputation que les jardins Chinois, ou du moins ceux qu'on nous a dépeints fous ce nom d'une maniere fi pleine d'attraits. On les a non feulement admirés, mais encore imités. La réflexion & le génie n'avoient fans doute pas befoin d'exemples particuliers pour découvrir la nouvelle maniere adoptée en Angleterre, &qui de la commence afe répandre partout: il eft cependant probable que les rélations qu'on a faites des jardins Chinois, y ont beaucoup contribué. Au moins eft-il für que les Anglois font fortement préoccupés en leur faveur, & que ce préjugé gagne infenfiblement les Franqois & les Allemands. On ne deüre plus aujourd'hui des jardins mieux diftribués & d'un meilleur goüt que les anciens: on en veut de Chinois, ou dAnglo-Chinois. Et que feroit- ce fi ce délire, ainfi que presque tous ceux de la mode, n'avoit qu'un fondement mal afluré? fi ces jardins Chinois dont on eft fiengoué, qu'on s'efforce tant d'imiter, n'exiftoient point, ou du moins n'exiftoient pas tels qu'on fe les %ure? II feroit bien fingulier fans doute, & encore plus ridicule, d'avoir choifi un modele qu'on peut fe convaincre n'avoir jamais eu de réalité. Plufieurs écrivains modernes ont loué les jardins Chinois d'une maniere trop] partiale & outrée. On a fait des defcriptions d'après d'autres defcriptions, & on y a fouvent ajoüté ce que diéloit une imagination favorablement échauffée. Chambers, architeéte du Roi d'Angleterre, eftle premier auteur de ces rélations féduifantes & de la réputation des jardins Chinois. Cet homme qui réunit le favoir, le goüt & le génie, fe diftingue furtout comme panégyrifte entre tous les voyageurs qui ont décrit les jardins de ce peuple. On peut regarder fes defcriptions comme la fource commune oü l'on a puifé toutes les autres, en y faifant plus ou moins d'additions & de changements. II en paria pour la première fois dans fon M 3 grand  Première Setlipn. Coup d'ceil jetté fur les jardins grand ouvrage, *') oü s'occupant principalement des édifïces, des machines & des meubles des Chinois, il ne dit que peu de chofe de leurs jardins. On loua on admira le goüt que Chambers leur attribuoit; puis Ton fe mit a Timiter. ' L'applaudiffement que trouva cette defcription fut fans doute un aiguillon de plus pour engager l'auteur a publier un nouveau traité **) oü il étendit & développa fon premier plan abrégé, en appellant a fon'fecours le génie & le bon goüt afin de livrer un tableau également attrayant par fa beauté, fa variété & fa nouveauté. L'idèe que l'on a généralement de la beauté des jardins Chinois, & l'imitation fmguliere que Ton s'eftorce d'en faire en quelques endroits, femblent juffifier des recherches circonftanciées a cet égard. Citons d'abord les defcriptions de Chambers: la première en entier, paree qu'elle eft courte; lafecondeenfubftance, parcequ'elle eft plus étendue & plus connue pa'rmi nous. Après ces defcriptions, qui font les rélations originales, nous expoferons les doutes & les obje&ions que nous croyons pouvoir y oppofer. I. Defcription des jardins Chinois par Chambers. La nature eft le modele des Chinois, & leur but eft de 1'imiter dans toutes fes belles irrégularités. D'abord ils examinent la forme du terrein: • s'il *) Deffeins des Edifices, Meubles, te, a quelques retranchements prés qui Habits, Machines & uftenciles des Chi- n'avoient rien de commun avec notre nois. Gravés fur les originaux deffinés objet principal. Mr. Hirfchfeld dit qu'on a la Chine par Mr. Chambers, Architeéte, en publia une édition a Paris, en 1776 Membre de TAcadémie Impériale des & en petit folio; & c'eft cette édition Arts de Florence. Auxquels eft ajoutée qu'il paroit avoir fuivie. Nous avons une defcription de leurs temples, de préféré 1'édition originale, quoique le leurs maifons, de leurs jardins, &c. a ftyle en foit un peu négligé. Note du Londres 1757. Cet ouvrage parut en Traduéleur. Francois & en Anglois dans un feul **) Ditfertation on oriental GardeningVolume in folio: nous en avons trans- London. 4. 1772. C'eft k dire: Differtacrit mot pour mot la defcription fuivan- tion fur les jardins orientaux.  anciens & modernes. 05 s'il eft uni ou en pente; s'il y a des collines ou des montagnes; s'il eft étendu ou referré, fee ou marécageux; s'il abonde en rivieres & en fources, ou fi Ie manque d'eau s'y fait fentir. Ils font une grande attention a ces diverfes circonftances, & choififfent les arrangements qui conviennent le mieux avec la nature du terrein, exigent Ie moins de frais, cachent fes défauts & mettent dans Ie plus beau jour tous fes avantages. Comme les Chinois n'aiment pas la promenade, l'on trouve rarement chez eux les avenues ou les allées fpécieufes des jardins de 1'Europe. Tout le terrein eft diftribué en une variété de fcenes, & des paffages tournans ouverts au milieu des bosquets vous font arriver aux différents points de vue, chacun desquels eftindiqué parunfiege, par un.édifice, ou par quelque autre objet. La perfeélion de leurs jardins confifte dans le nombre, dans Ia beauté & dans la diverfité de ces fcenes. Les jardiniers Chinois, comme les peintres Européens, ramaffent dans la nature les objets les plus agréables, & tachent de les combiner de maniere que non feulement ils paroiffent féparément avec le plus d'éclat, mais mème que par leur union ils forment un tout agréable & frappant. Leurs artiftes diftinguent trois différentes efpeces de fcenes, auxquelIes ils donnent les noms de riantes, d'horribles, & d'enchantées. Cette derniere dénomination répond a ce qu'on nomme fcene de roman, & nos Chinois fe fervent de divers artifices pour y exciter la furprife. Quelquefois ils font paffer fous terre une riviere ou un torrent rapide, qui par fon bruit turbulent frappe 1'oreille du furvenant, incapable de comprendre d'oü il vient. D'autrefois ils difpofent les roes, les batiments, & les autres objets qui entrent dans la compofition, de maniere que le vent paffant au travers des interftices & des concavités qui y font ménagées pour cet effet, forme des fons étranges & finguliers. Ils mettent dans ces compofitions les efpeces les plus extraordinaires d'arbres, de plantés, & de fleurs; ils y forment des échos artificiels & compliqués, & y tiennent différentes fortes d'oifeaux & d'animaux monftrueux. Les  g(j Première Stclion. Coup d'ceil jetté.fur les jardins Les fcenes d'horreur préfentent des roes fufpendus, des ca vernes ohfcures, & d'impétueufes cataraétes, qui fe précipitent de tous les cótés du haut des montagnes. Les arbres font difformes, 8c femblent brifés par la violence des tempètes.- Ici l'on en voit de renverfés, qui interceptent le cours des torrens, & paroiffent avoir été emportés par la fureur des eaux. La il femble que frappés de la foudre ils ont été brülés & fendus en pieces. Quelques uns de ces édihoes font en ruines; quelques autres confumés a demi par le feu; & quelques chétives cabanes difperfées qa 8c la fur les montagnes femblent indiquer a la fois l'exiftence 8c la mifere des habitans. A ces fcenes il en fuccede communément de riantes. Les artiftes Chinois favent avec quelle force 1'ame eft affeétée par les contraftes, 8c ils ne manquent jamais de ménager des tranfitions fubites 8c de frappantes oppofitiöns de formes, de couleurs 8c d'ombres. Ainfi de vues bornées vous font -ils paffer a des perfpeélives étendues; des objets d'horreur aux fcenes agréables, & des lacs 8c des rivieres aux plaines, aux cóteaux & aux bois. Aux couleurs fombres 8c triftes, ils en oppofent de brillantes, 8c des formes fimples aux compbquées; diftribuant par un arrangement judicieux les diverfes mafles d'ombre 8c de lumiere de telle forte, que la compofttion paroit diftinéle dans fes parties 8c frappante en fon tout. Lorsque le terrein eft étendu, & qu'on y peut faire entrer une multitude de fcenes, chacune eft ordinairement appropriée k un feul point de vue. Mais quand 1'efpace eft borné, & ne permet pas affez de variété, on tache de remédier a ce défaut, en difpofant les objets de maniere qu'ils produifent des repréfentations différentes fuivant les divers points de vue; & fouvent 1'artifice eft poufle au point que ces repréfentations n'ont entr'elles aucune reffemblance. Dans les jardins qui font grands, les Chinois fe ménagent des fcenes différentes pour lematin, le midi 6c le foir , 6c ils élevent aux points de vue convenables des édifices propres aux divertiftements de chaque partie du jour. Les petits jardins, oü, comme nous 1'avonsvu, un feul arrangement produit plufieurs repréfentations, préfentent de la même maniere aux  anciens CJ modernes. gy aux divers points de vue des batiments, qui par leur ufage indiq uen le tems du jour le plus propre a jouïr de la fcene dans fa perfeétion. Comme le climat de la Chine eft exceftivement chaud, les habitans employent beaucoup d'eau dans leurs jardins. Lorsqu'ils font petits & que la fituation le permet, fouvent tout le terrein eft mis fous 1'eau, & il n'y refte qu'un petit nombre d'iles & de roes. On fait entrer dans les jardins fpacieux des lacs étendus, des rivieres & des canaux. On imite la nature en diverfifiant a fon exemple les bords des rivieres & des lacs. Tantót ces bords font arides & graveleux, & tantót couverts de bois jusqu'au bord de 1'eau. Plats en quelques endroits, & ornés d'arbrüTeaux & de fleurs, ils fe changent en d'autres en roes efcarpés, qui forment des cavernes oü une partie de Teau fe jette avec autant de bruit que de violence. Quelquefois vous voyez des prairies remplies de bétail, ou.des champs de ris qui s'avancent dans des lacs, & laiflent entre eux des paflages pour des vaifleaux: d'autrefois ce font des bosquets pénétrés en divers endroits par des rivieres & des ruifleaux capables de porter des barques. Les rivages en font couverts d'arbres, dont les branches s'étendent, fe joignent, & forment en quelques endroits des berceaux, fous lesquels les bateaux paflent. Vous êtes ainfi d'ordinaire conduit a quelque objet intéreffant; k un fuperbe batiment placé au fommet d'une montagne coupée en terrafles, a une caffine fituée au milieu d'un lac, a une cafcade, k une grotte divifée en divers appartemens, k un rocher artificiel, oü k quelque autre compofition femblable. Les rivieres fuivent rarement Ia droite ligne; elles ferpentent, & font interrompues par diverfes irrégularités. Tantót elles font étroites, bruyantes & rapides; & tantót lentes, larges Scprofondes. Des rofeaux & d'autres plantés & fleurs aquatiques, fe voyent & dans les rivieres & dans les lacs. Les Chinois y conftruifent fouvent des moulins, & d'autres machines hydrauliques dont le mouvement fert a animer la fcene. Ils ont auffi un grand nombre de bateaux de forme & de grandeur différentes. Leurs lacs fontfemés d'iles; les unes ftériles, & entourées de rochers & d'écueils, les autres enrichies de tout ce que la nature & l'art peuvent Tome I. N fournir  gg Première Seclion, Coup d'ceil jetté fur les jardins fournir de plus parfait. Ils y introduifent auffi des roes artificiels, & fur* paffent dans ce genre de compofition toutes les autres nations. La pierre dont ils fe fervent, vient des cótes méridionales de 1'Empire. Elle eft bleuatre, & ufée par 1'aétion des ondes en formes irrégulières. Les morceaux choifis s'employent dans les payfages des appartemens. Les plus groffiers fervent aux jardins, & joints par le moyen d'un ciment bleuatre ils forment des roes d'une grandeur conftdérable. Lorsque ces roes font grands, on y creufe descavernes &desgrottes, avec des ouvertures au travers desquelles on découvre des lointains. On y voit en divers endroits des arbres, des arbriffeaux, des ronces &des mouffes, & fur leurs fommets l'on place de petits temples & d'autres batiments, oü l'on monte par le moyen de dégrés raboteux & irréguliers taillés dans le roe. Lorsqu'ilfe trouve affez d'eau, & que le terrein eft convenable, les Chinois ne manquent point de former des cafcades dans leurs jardins. Ils y évitent toute forte de régularité, imitant les opérations de la nature dans ces païs montagneux. Les eaux jailliffent des cavernes & des finuofités des rochers. Ici paroit une grande & impétueufe cataraéte; la c'eft une multitude de petites chütes. Quelquefois la vue de la cafcade eft interceptée par des arbres, dont les feuilles & les branches ne permettent que par intervalles de voir les eaux qui tombent le long des cótés de la montagne. Quelquefois au deflus de la partie la plus rapide de la cafcade font jettés d'un roe a 1'autre des ponts de bois groffiérementfaits, & fouvent le courant des eaux eft ïnterrompu par des arbres & des monceaux de pierre, que la violence du torrent femble y avoir transportés. Dans les bosquets les Chinois varient toujours les formes & les couleurs des arbres, joignant ceux dont les branches font grandes & touffues, avec ceux qui selevent en pyramide, & les verds foncés avec les verds gaïs; ils y entremêlent des arbres qui portent des fleurs, parmi lesquels il y en a plufieurs qui fleuriffent la plus grande partie de 1'année. Les Chinois introduifent auffi des troncs d'arbres, tantót en pied, & tantót couchés fur la terre, & ils pouffent fort loin la délicatefle fur leurs formes, fur la couleur de leur écorce, & mème fur leur moufle. Rien  anciens & modernes. - • - ' Rien de plus varié que les rnoyens qu'ils employent pour exciter Ia furprife. Ils vous conduifent quelquefois au travers de cavernes & d'allées fombres, au fortir desquelles vous vous trouvez fubitement frappé de la vue d'un payfage délicieux, enrichi de tout ce que la nature peut fournir de plus beau. D'autrefois on vous mene par des avenues & par des allées qui diminuent, & qui deviennent raboteufes peu a peu. Le paffage eft enfin tout a fait interrompu; des buiffons, des ronces & des pierres le rendent impraticable, lorsque tout d'un coup s'ouvre a vos yeux une perfpeétive riante & étendue, qui vous plait d'autant plus que vous vous y étiés moins attendu. Un autre artifice de ces peuples c'eft de cacher une partie de la compofition par le moyen d'arbres & d'autres objets intermédiaires. Ceci excite Ia curiofité du fpeétateur; il veut voir de prés, & fe trouve en approchant agréablement furpris par quelque fcene inattendue, ou par quelque repréfentation totalement oppofée a ce qu'il cherchoit. La terminaifon des lacs eft toujours cachée, pour laiffer a 1'imagination de quoi s'exercerj & la mème regie s'obferve, autant qu'il fe peut, dans toutes les autres compofitions Chinoifes. Quoique les Chinois ne foient pas fort habiles en optique, Texpérience leur a cependant appris que la grandeur apparente des objets diminue, & que leurs couleurs s'affoibliftent a mefure qu'ils s'éloignent de l'ceil du fpeétateur. Ces obfervations ont donné lieu a un artifice qu'ils mettent quelquefois en ceuvre. Ils forment des vues en perfpeétive en intro* duifant des batimens, des vailfeaux, & d'autres objets diminués a proportionde leur diftance du point de vue; & pour rendre I'illufion 'plus frappante, ils donnent des teintes grifatres aux parties éloignées de la compofition, & plantent dans les lointains des arbres d'une couleur moins vive & d'une hauteur plus petite que ceux qui paroiffent fur le devant. De cette maniere ce qui en foi-mème eftborné & peu confidérable, devient en apparence grand & étendu. D'ordinaire les Chinois évitent les lignes droites; mais ne les rejettent pas toujours. Ils font quelquefois des avenues, lorsqu'ils ont quel- N 2 que  ico Première SeUion. Coup dail jetté fur les jardins que objet intéreflant a mettre en vue. Les chemins font conftamment taillés en ligne droite, a moins que 1'inégalité du terrein ou quelque autre obftacle ne fournilTe au moins un prétexte pour agir autrement. Lorsque le terrein eft entiéremènt uni, il leur paroit abfurde de faire une route qui ferpente; car, difent-ils, c'eft ou l'art ou le paffage conftant des voyageurs qui 1'a faire, & dans Pun ou 1'autre cas il n'eft pas naturel de fuppofer que les hommes vouluflent choifir la ligne courbe quand ils peuvent aller par ia droite. Ce qu'on nomme en Anglois Clumps, c'eft a dire pelotons d'arbres, n'eft point inconnu aux Chinois: mais ils ne les mettent pas en oeuvre aufïi fouvent que nous. Jamais ils n'en occupent tout le terrein; leurs jardiniers confiderent un jardin comme nos peintres confiderent un tableau ; & les premiers groupent leurs arbres de la mème maniere que les derniers groupeift leurs figures, les uns & les autres ayant leurs maffes principales & fecondaires. Jusqu'ici Chambers dans fa première defcription. La feconde contient en partie un développement de celle - ci avec quelques répétitions, tk en partie quelques additions dont nous nous bornerons a rapporter les principales. Les Chinois, continue Chambers, *) prennent a la vérité la nature pour modele, mais ils ne Pimitent pas affez exaétement pour éviter toute apparence d'art. Celui-ci doit fuppléer k celle-la, & n'être pas deftiné a produire uniquement ladiverfité, mais encore la nouveauté & 1'émotion; car les difpofitions fimples de la nature fe rencontrent par-tout dans les champs jusqu'a un certain point de perfeélion, & font par conféquent trop connues pour pouvoir faire des impreftions fortes fur le fpeétateur. Ils entourent communément leurs batiments réguliers de terraffes artificielles, de pentes & de beaucoup d'efcaliers dont les coins font ornés de *) N'ayant pas pu nous procurer a forcés de traduire ce morceau, tiré de temps 1'Original de Chambers, (qui, au- la DhTertation furies jardins orientaux, tant que nous en favons, n'a pas encore d'après la verfion allemande. Note du été traduit en francois,) nous avons été TraduÉteur.  anciens & modernes. 101 de groupes en fculpture 8c de vafes entremèlés de toutes fortes de machines hydrauliques, qui jointes a 1'architeéture leur donnent un air de conféquence 8c fervent k ajouter 1'éclat 8c le bruit au plaifir du fpeétacle. Autour de la demeure principale le terrein elt trés-régulier 8c ouvert, 8c on 1'entretient foigneufement. On n'y fouffre aucune plante qui puiffe empècher la vue depuis fedifice. Le batiment elt-il champêtre, la décoration qui 1'environne elt fauvage; le batiment elt-il noble, la décoration elt mélancolique; le batiment enfin elt-il d'un afpeét gai 8c riant, la décoration elt voluptueufe; en un mot, les Chinois font exaéts a faire régner un feul 8c même caraétere dans les différentes parties de leur compofition. lis tirent tout 1'avantage poflible des objets qui font hors de leur diftriét. Ils tachent de mettre une liaifon apparente entre leur jardin 8c les foréts, les champs 8c les rivieres éloignés; 8c lorsqu'ils ont des villes, des chateaux, des tours 8c d'autres objets confidérables aleur portée, ils favent s'en fervir fi artiltement qu3on les apperqoit fous tous les points de vue 8c dans toutes les direétions imaginables. Ils en font autant des rivieres navigables, des grands chemins, des fentiers, des moulins 8c des autres objets mouvants qui peuvent animer 8c varier le payfage. Ils ont des décorations pour toutes les faifons de 1'année. Les décorations de printems font les arbres toujours verds 8c les tilleuls, les mélefes, les épines doublés, 1'amandier, Iepècher, les rofes odorantes fauvages 8c hatives 8c Ie chevre - feuille. Le fol 8c les bords des bosquets 8c des bocages font ornés de hyacinthes fauvages, de giroflées, de narciffes, de violettes, de primeveres, de tubereufes, defaffran, de campanelles 8c de plufieurs fortes de glayeuls, avec d'autres fleurs qui viennent en Mars 8c en Avril. Comme ces décorations font pauvres en produits naturels, on entremèle les places cultivées de parcs pour toutes fortes de bètes privées 8c fauvages 8c d'oifeaux de proïe: ailleurs font des nichées d'oifeaux, 8c des endroits accommodés pour y faire couver de la volaille; enfin de belles laiteries, 8c des batiments deftinés k s'exercer a la lutte, au pugilat, a tirer des armes 8c a d'autres exercices connus k la Chine. Dans les bois on ménage encore a 1'écart de grandes places découvertes propres k des jeux N 3 mili-  102 Première Sdtion. Coup ctmljetté fur les jardins ïnilitaires, comme monter a cheval, voltiger, tirer des armes 8c de 1'arc, êc faire des courfes. Pour 1'été les Chinois choififfent les parties les plus riches 8c les plus foignées de leurs jardins. Ces parties font remplies de toutes fortes d'eaux, étangs, rivieres 8c machines hydrauliques; de barques de différentes conftruétions, propres a aller a la voile 8c a Ia rame, a s'amufer a la pêche 8c a la chalfe aux oifeaux, ou a un combat naval. Les bois font formés de chènes, de hètres, de maronniers, d'ormeaux, de frènes, deplatanes8c de plufieurs efpeces d'érables 8c de peupliers. Les bosquets font de toutes fortes de jolis arbuftes qui perdent leurs feuilles en hyver 8c que ce climat produit, 8c des fleurs 8c des plantés qui fleuriffent en été; 1'enfemble offre le plus beau verd, 8c le mélange de couleurs le plus fuperbe 8c le plus harmonieux qu'on puiffe imaginer. Les édifices font vaftes, briljants 8c nombreux. Chaque décoration en offre un ou plufieurs, dont une partie fert aux feftins, aux bals, au concerts, aux entretiens philofophiques, aux jeux, a danfer fur Ia corde 8c a toutes fortes d'exercices corporels; 8c les autres a fe baigner, k nager, k monter k cheval, 8c k dormir ou k méditer. Au milieu de ces plantations d'été fe trouve ordinairement une grande place féparée du refle pour fervir ala jouïffance desplaifirs fecrets: cette place eft coupée par une infinité d'allées, de colonnades 8c de paffages cachés 8c faifant mille finuofités entortillées oü les promeneurs s'égarent aifément, 8c qui font diftinguées 1'une de 1'autre tantót par des bocages & de petits bosquets mèlés d'arbres qui s'étendent au loin, tantót par des plantations plus élevées, ou par un amas de rofiers 8c d'autres arbuftes qui croiffent en hauteur. L'enfemble eft un défert rendu délicieux par toute forte de plantés odorantes 8c colorées. Les faifans, les paons, les perdrix, les pintades, les cailles 8c les oifeaux de toute efpece fourmillent dans les bois: des pigeons, des roffignols 8c mille autres oifeaux mélodieux font perchés fur les branches: des cerfs, des antelopes, des buffles bigarrés, des moutons 8c des chevaux tartares fautent dans la plaine. Chaque promenade conduit a un objet flatteur: k des bocages d'orangers 8c de  anciens & modernes. > 103 de myrtes; a. des ruifleaux dont les bords font revétus de rofiers, de clématite & de jasrnins j a des fources gazouillantes, ornées de flatues qui repréfentent des nymphes 8c des Dieux marins endormis; a des cabinets de verdure garnis de Hts de plantés aromatiques 8c de fleurs; a des grottes ménagées dans des roes 8c toutes incruftées de coraux, de metaux, de pierres précieufes & de criftaux, 8c rafraichies par de petites fources d'une eau parfumée 8c par de doux Zephyrs artificiels qui répandent de fuaves odeurs. Parmi les pavillons 8c les autres batiments que renferment les jardins, fe diftinguent furtout des fales voutées en hémifphere. L'intérieur en elt peint avec beaucoup d'art 8c repréfente le ciel pendant Ia nuit; la voute eft percée d'une multitude de petites fenétres de verre coloré, figurées comme la lune 8c les étoiles, 8c qui ne laiffent paffer que la lumiere néceftaire pour répandre dans l'intérieur de 1'édifice la douce lueur d'une belle nuit d'été. Quelquefois le plancher de ces fales eft incrufté de fleurs, comme un parterre; par ci par la font pratiqués des fieges champêtres de branches délicatement travaillées & vernies en rouge qui imitent le corail. Le plus fouvent une fource d'eau claire jaillit du pavé, & coule des flancs d'un rocher vers le centre de 1'appartement. De petites iles flottent fur 1'eau 8c fe tournent 8c retournent a fon gré: quelques-unes font munies de tables pour les feftins; d'autres de fieges pour les muficiens; 8c d'autres encore d'arbres fous lesquels fe trouvent des lits de repos, des fophas, des bancs de gafon 8c mille autres commodités a divers ufages. Les plantations d'automne font compofées de différentes fortes de chènes, de hètres 8c d'autres arbres dont les feuilles fe confervent longtëmps avant de tomber, & produifent un coloris très-varié en féchant infenfiblement. Ils y entremélent quelques arbres toujours verds, pu quelques arbres fruitiers, & le peu de buiffons & de fleurs qui fleuriflent tard: enfin des arbres morts & endommagés 8c des troncs d'une forme pittorefque, 8c couverts de moufle 8c de lierre. Les batiments qui décorent ces fcenes d'automne infpirent ordinairement 1'idée de décadence, 8c rappellent aux paflants leur mortalité. Quel-  104 Première Setlion. Cov.jj d'ceil jettéfur les jardins Quelques -uns font des hermitages 8c des hópitaux oü les vieux 8c fideles ferviteurs de la maifon paiïent en paix le refte de leur vie au milieu des tombeaux de leurs peres enterrés dans les environs. D'autres font des ruines de chateaux, de palais, de temples 8c de chapelles défertes; ou bien cefont des arcs de triomphe a moitié démolis, 8c de fuperbes monuments confacrés jadis a la mémoire d'anciens héros, mais dont les infcriptions font effacées; ou bien encore ce font les cimetieres de leurs ancètres, les foftes & les fépulcres de leurs animaux domeftiques, ou enfin , tout autre objet qui peut fervir a marquer la caducité, les adverfités 8c lamortalité des chofes de ce monde. Ce fpeétacle encore rembruni par Ie morne afpeél 8c par l'air piquant de 1'automne, remplit 1'ame de mélancolie 8c la porte a des réflexions graves. Les différentes fcenes 8c autres parties des jardins Chinois tiennent enfemble par des allées, de grands chemins, desfentiers, des rivieres navigables, des lacs 8c des canaux. Les artiftes favent donner toute la variété poffible a ces objets, non feulement quant a leur forme 8c a leurs proportions, mais encore quant a leurs décorations, 8c n'en évitent pas moins les incongruités qu'on rencontre en fi grand nombre dans nos anciens jardins d'Europe. Les allées, tant droites que tortueufes des Chinois, font dans quelques endroits affez éloignées Tune de Tautre, 8c féparées par d'épais bosquets qui cachent tous les objets extérieurs, 8c cela non feulement pour empècher ceux qui fe promenent de porter leurs regards au loin, mais encore pour réveiller en eux cette mélancolie qui s'empare naturellement de Tame quand on parcourt le labyrinthe d'un fombre bocage. Dans d'autres endroits les allées fe rapprochent; infenfiblement les arbres s'éclairciffent 8c deviennent moins élévés; Toreille eft frappée par la voix de ceux qui parcourent les avenues oppofées; 8c l'ceil eft recréé par i'afpeél incertain des perfonnes qui paroiffent au travers des arbres 8c des rameaux. Tout-a- coup les plantations redeviennent touffues; les objets dilparoiffent, 8c les voix fe perdent en un murmure confus. Enfuite les allées fe fléchiffent inopinément vers les mêmes places découvertes, 8c les diverfes  ancims & modernes. diverfes compagnies font agréablement furprifes de fe rencontrer dans un endroit oü elles. peuvent fe voir & fafisfaire fans obltacle leur curiofité. Le fol des allées elt de gazon ou de gravier; le gazon ni le gravier ne fe borne pas au fentier, mais s'enfonce d'efpace en efpace des deux cótés dans iesbois, dans les bocages ou dansles buiffons, afin d'imiter plus exacleinent la nature, & d'éviter cette régularité 8c cette roideur qu'une pratique contraire introduit dans nos plantations. Dans les grands jardins chaque vallon a fon ruiffeau ou fa petite riviere qui tournoye aux pieds des collines, & va fe jetter dans de plus grandes rivieres ou dans des lacs. Les Chinois foutiennent que les jardins, furtout les grands, ne fauroient être parfaits fans eau, cet élément auquel on peut donner tant de formes. Dans les faifons, difent les Chinois, oü l'on vifite le plus la campagne, 1'eau ranime 8c enchante lesfens, 8c eft une des fources principales de la diverfité, a caufe des formes 8c des métamorphofes variées dont elle eft fufceptible, 8c parceou'on peut toujours la combiner avec d'autres objets. Les impreffions qu'elle fait fur Ie cceur humain font trés -nombreufes & très-profondes; 8c comme on peut la diriger de plufieurs manieres, elle donne a 1'artifte de quoi renforcer Ie caraétere de chaque fcene; elle rend plus énergique la tranquillité des décorations paifibles, 8c ajoute de la trilteffe aux mélancobques, de la gaïeté aux riantes, de la majefté aux nobles, 8c de la terreur aux effrayantes. Ils obfervent que les différents jeux fur I'eau, tels que ramer, aller a la voile, nager, pêcher 8c chaffer, font une fource inépuifable de récréations; que les habitants des eaux fourniffent un noble amufement, furtout aux Phyficiens; que les barques 8c les vaiffeaux qu'elles portent, 8c qui tantót font rapidement entrainés par la tempête, tantót gliffent doucement fur leur furface, forment par leur réunion un tableau qui change a chaque inftant, 8c anime 8c embellit toutes les perfpeétives. Ils comparent un lac limpide pendant un beau jour ferein a un riche tableau qui répand le plus haut dégré de perfeétion fur tout ce qui I'environne; a un trou fait dans la terre, 8c au travers duquel on apperqoit un autre monde, un autre fo-» leil 8c un autre firmament. Tome I. O Les  ioö Première Settion. Coup d'ceil jettê fur les jardins Les Chinois donnent a leurs lacs toute Tétendue que permet le terrein, & fouvent mème quelques milles de circonférence. Ils les difpofent en forte que d'aucun point de vue on ne puiffe en découvrir tout le rivage, & qu'ainfi le fpeétateur ne puilTe favoir oü ils finiffent. Ca & la s'élevent des iles, qui donnent a 1'enfemble une apparence plus compliquée, en cachent les hornes, & décorent la fcene. Quelques - unes de ces iles font petites, & d'autres grandes: ces dernieres font rehauffées, cultivées, & garnies de plaines verdoyantes, deronces, de bosquets & de fabriques; ou bien elles font inégales, monftrueufes, entourées de rochers & de bancs de fable, & couvertes de fougere, de gazon fort haut & de grands arbres parfemés qa & la dans les vallées. II eft encore d'autres iles qui s'élevent de terraffe en terraffe jusqu'a une ,;hauteur confidérable. Aux coins de ces terraffes, qui tiennent enfemble par plufieurs èfcaliers fuperbes, & aux deux cótés de ces èfcaliers font plufieurs trépieds d'airain oü fome de 1'encens: les terraffes les plus élevées font ordinairèment occupées par de hautes tours deftinées aux obfervations altronomiques, par des temples ornés d'idoles, par la ftatue coloffale d'un Dieu, ou par quelque autre ouvrage confidérable qui eft 1'ornement du jardin & un objet remarquable pour toute la contrée. Les Chinois placent auffi dans leurs lacs de grands rochers farces de toutes fortes de pierres fupérieurement coloréës, & qui font arrangées avec beaucoup de goüt. Ces rochers font percés de plufieurs ouvertures qui laiffent voir des perfpeétives lokitaines, & leur furface eft couverte de toutes les efpeces de gazon, de plantés & d'arbuftes rempants qui peuvent y croitre. Au fommet ils placent des hermitages & des pagodes oü l'on monte par un efcalier inégal & tortueux. Les artiftes Chinois favent difpofer leurs édifices avec tant de jugement qu'ils enrichiffent & embelliffent les points de vue en particulier, fans altérer pourtant 1'afped de Tenfemble en général, dans lequel la nature régne presque par-tout. Car quoique leurs jardins foient pleins de fabriques & d'autres ouvrages de l'art, on ne les apperqoit cependant point du tout de plufieurs endroits, ou l'on n'en apperqoit que deux ou trois  anciens* & modernes. i07 trois tout au plus; tant ils font habilement cachés dans des vallées, ou derrière des roes & des montagnes, des bois 8c d'épais buiffons. Mais on n'en trouve pas moins dans la plupart des jardins Chinois des places qui pour varier le fpeélacle, font deftinées k offrir des décorations extraordinaires a la nature; d'ici on apperqoit d'un coup d'ceil 1'en-» femble ou du moins Ia plus grande partie des édifices qui fe préfentent k la file en forme d'amphithéatre, s'étendent affez loin, 8c produifent par les moyens finguliers qui les tiennent enfemble, le plus magnifique défordre imaginable. Les places ouvertes 8c ombragées d'arbres touffus font au nombre des parties les plus intéreffantes des plantations Chinoifes. On tache de leur donner la fituation la plus agréable & de les décorer de toutes les beautés naturelles. Le fol de ces bosquets eft ordinairement inégal, mais non raboteux, 8c fait partie, ou d'une plaine parfemée de monticules, ou du penchant d'une montagne qui*domine de riches lointains, ou d'une vallée entourée de bois 8c arrofée de fources 8c de ruiffeaux. Ceux de ces bosquets qui font ifolés, font le plus fouvent environnés de prés émaillés de; fleurs, de vaftes champs de bleds, ou de lacs. Les Chinois penfent que ées objets gais & riants eontraitent agréablement avec 1'obfcurité du bosquet, 8c quand celui - ci elt'entouré dehaïes vives ou de bois clair-femés, la plantation elt difpofée de forte que par quelque avenue qu'on arrivé, une partie du bosquet elt mafquée 8c ne fe découvre que peu a peu k l'ceil du fpeétateur, dont Ia curiofité elt ainfi fatisfaite fucceflivement. Les arbres, entremêlés de buiffons fleuris, ne font pas prefles, mais fuffifamment efpacés pour qu'on puifle commodément s'afleoir ou fe promener fur le gazon, qui vu fa pofition ombragée, demeure toujours verd 8c elt decoré au printems d'une foule de fleurs hatives, telles que la violette, le faffran, la tubereufe, la primevere, la hyacindie, 1'oreille d'ours, la campanelle, 8c le narcifle. Quelquefois ces bosquets ifolés ne font compofés que de limonniers, d'orangers, de citronniers, de myrtes: d'autrefois de toutes fortes des plus beaux arbres fruitiers qui, lorsqu'ils font en fleurs, 8c que leurs fruits meuriffent, offrent un fpeétacle enchanteur. Pour aug- O 2 menter  io8 Première Section. Coup d'ceil jetté fur les jardins rnenter la volupté de ces décorations, ils plantent a cóté des arbres des vignes dont les raifins font de diverfes couleurs, & dont les farments rampent le long des tiges & pendent en feitons d'un arbre a 1'autre. Dans ces bosquets clair-femés ils mettent des faifandeaux, des perdreaux, des paonneaux, des poulets d'Inde & des volailles privées de toute efpece, qui fe raffemblent a certaines heures du jour pour prendre leur nourriture. II. Objeclions coiitre la réalitè des jardins Chinois tels que Chambers les décrit. Lorsque je lus'ces defcriptions pour la première fois, il m'arriva ce qui eft arrivé fans doute a bien d'autres leéleurs: j'y découvris les beautés vrayes & grandes de la nature, abftraélion faite cependant de tout ce qui appartient au goüt outré & raffiné a 1'excès des Orientaux, & que j'ai retranché en grande partie dans mes citations. Tranfporté par des fcenes auffi ravifiantes j'oubliai d'examinerfi elles étoient réelles. Une leélure répé-  anciens & modernes. ico. répétée ne me caufant plus un plaifir auffi vif, me permit la réflexion. Je commenqai a former des doutes contre 1'exiftence effeétive de ces jardins, & ne pus m'empècher d'en manifeiter une partie il y a quelque temps. En comparant entr'eux plufieurs écrivains éclairés qui parient de la Chine, j'ai découvert de nouvelles raifons de foupqonner la réalité de jardins tels que Chambers les décrit, & je les offre a 1'examen du leéteur. Suivant le témoignage digne de foi des voyageurs, Ia Chine n'eft pas a beaucoup prés auffi cultivée qu'on le prétend. On trouve encore dans le voifinage mème de Pekin des déferts & des marais de plufieurs lieues d'étendue. Les pro vinces éloignées font presque toutes incultes; & incultes au point qu'une partie en eft infeftée de tigres & d'autres bètes féroces qui y errent en foule. Le commerce raffemble les habitants dans la capitale & autour des grandes rivieres, ce qui occafionne fouvent des famines qui font d'horribles ravages. C'eft dans ces contrées oü 1'aétivité de la nation s'exerce le plus, qu'il faudroit chercher ces jardins tant vantés, s'il étoit vrai que le travail indifpenfable pour fuffire par 1'agriculture aux befoins les plus prefïants, laiflat le temps & le repos néceffaires a la conftruélion de lieux de jplaifance champêtres. Plus on pénétre dans les provinces , moins on trouve de champs cultivés; on n'emploie pas Ia moitié du terrein; rarement paroit un village. On fait de plus que les Cliinois ont peu de goüt pour la campagne, goüt qui d'ailleurs ne s'allie guere avec 1'efprit d'ufure qui domine presque généralement Ia nation. Le Comte, du Halde, & d'autres témoins croyables louent k Ia vérité Ia maniere dont on cultive a la Chine les plantés potageres, qui ne manquent jamais dans les jardins, parceque le peuple fur-tout s'en nourrit. Mais ils remarquent auffi que la bonté du fol contribue plus que 1'adreffe des habitants a produire cette quantité de végétaux & de fruits différents. Laplüpart des fruits, ajoutent-ils, n'égalent pas les nótres, parceque les Chinois ignorent Tart de les ameliorer êkde leur donner un goüt plus agréable, ou qu'ils ne veulent pas s'en donner la peine. Tous leurs foins fe bornent de ce cóté k cultiver le bied & le ris. Ils ne connoiffent presque pas la botanique. O 3 II  110 Première SeUion. Coup d'ceil jeitéfur les jardins II eft prouvé qu'aucun des beaux arts n'a atteint la perfection chez les Chinois. *) „Hs n'eurent jamais la moindre idee de la perfpeétive. — En peinture ils font des payfages oü il n'y a ni point de vue ni lointain. Les lignes fuyantes leurs font auffi inconnues que le point oü il faut qu'elles fe réuniffent. Ils n'ont aucune notion des regies auxqueiles les effets de la lumiere font invariablement foumis, & ignorent la pratique des repouffoirs ou des grandes maffes d'ombre qu'on met fur les devants. Ils ne favent ni rompre ni dégrader le couleurs. — De tels peintres doivent être bien embaraffés lorsqu'ils veulent repréfenter la vue d'un jardin Chinois." On fait combien ce peuple defïine mal, 8c mème au point d'ètre incapable de repréfenter exaélement les fleurs qu'on defline pourtant tous les jours. L'imagination fauvage des Chinois les détourne de 1'étude de la nature, qui exige un examen tranquille 8c réfléchi dont ils font auffi peu capables que les autres Orientaux. Après ces remarques générales on ne s'attend fans doute pas a voir les Chinois aimer & pratiquer avec fuccès l'art des jardins, 8c encore moins pofféder des jardins aufll fuperbes qu'on veut nous le perfuader. La Chine n'eft pas un Empire vifité depuis peu par les Européens, ou parcouru feulement par des gens fans goüt 8c fans jugement. D'oü vient donc qu'un ft grand nombre de voyageurs ont tant 8c depuis ft longtemps parlé de la Chine, fans dire un mot de fes fuperbes jardins, 8c que ce n'eft que vers la moitié de ce fiecle qu'on a commencé a les exalter avec un efpece d'enthoufiafme? Peut-ètre n'exiftoient-ils pas encore cidevant, pas mème par ci par la en ébauche. Mais au moins doivent-ils dater du commencement de ce fiecle. On prétend que ce font des jardins ordinaires a la nation, non des jardins appartenant a tel ou tel grand; des jardins produits fans fecours, fans exemple par le génie Chinois. On ne peut guere penfer que ces jardins foyent ft nouveaux, ou ayent été ft cachés, qu'ils n'ayent pu être obfervés qu'environ depuis trente ans par un voyageur. II feut abfolument qu'ils fuffent depuis long - temps quelque part. *) Recherches philofophiques fur les Egyptiens & les Chinois, par Mr. de P. Berlin 1773. 8- Tomé 1. Section 4.  anciens & modernes. i1 ï part. La nation Chinoife n'eft pas de celles oü les arts & les fciences font des progrès rapides: fon génie s'eft toujours trainé péfamment 6c n'a jamais pris un vol hardi; 8c le préjugé qu'elle a en faveur de tout ce qui efl ancien, augmente encore fa lenteur naturelle. Ces jardins délicieux auroient donc dü fleurir depuis long-temps 8c étaler des beautés fi frappantes 8c des attraits fi piquants que tout oeii étranger eüt dü les regarder avec admiration. Et cependant quel profond filence de la part de tant de voyageurs qui pouvoient 8c devoient les voir! Peut - être n'étoient- ils pas tous connoiffeurs. La plus grande partie des favants qui vifiterent la Chine, étoient des Jéfuites franqois qui peut - ètre n'entendoient rien a l'art des jardins, ou étoient entichés de la maniere en vogue dans leur pays. Soit; mais ils auroient du moins pu remarquer ce qui caraétérifoit*le goüt Chinois, 8c en quoi il s'écartoit de celui deFrance. D'ailleurs plufieurs de ces Alifnonnaires étoient architeétes 8c peintres habiles. Ces grandes beautés de la nature que devoient ofïrir les jardins de la Chine font fenfibles pour tous les yeux. Enfin la qualité méme de Jéfuite franqois eüt dü faire exception. On fait combien ces Mifïïonnaires étoient attentifs a obferver toutes les curiofités de la Chine 8c a en faire part a leur cour: on fait avec qu'elle éloquence une partie d'entr'eux raconte, 8c combien ils aiment k embellir. Ils décrivent trés-en détail la nature du terrein, de l'agriculture, des plantés potageres 8c des différents fruits; 8c lorsque tout les mene a parler des jardins de plaifance, ou ils fe taifent, *) ou ils n'en font qu'une mention vague, bien éloignée de 1'idée que Ton fe fait des miracles qu'étalent les jardins Chinois. C'elt Chambers qui, k fon retour de la Chine, en mit les jardins en réputation. On aime k entendre les récits d'un voyageur revenant d'une contrée lointaine, oü d'ailleurs peu d'Anglois ont pénétré. Plus il fait captiver *) II faut pourtant excepter la fmgu- une admiration aveugle pour une plaliere defcription que fait dn jardin lm- ce presque toute remplie d'édifices & périal a Peking, le Pere Attivet (Let- de canaux, que de bon goüt & des tres édifiantes Recueil XXVII. publié en connoüTances dans Tart des jar1749). Ce bon Pere décele plutöt dins.  j j 2 Première Seclion. Coup cfail jettéfur les jardins captiver 1'admiration par des récits nouveaux & inattendus, plus on 1'écoute attentivement. On lui prète 1'oreille avec conliance quand il raconte enhomme d'efprit, & avec plaifir quand il raconte en homme de gout. Chambers devoit trouver créance quoiqu'il eüt plutót 1'agrément que la vérité de fon cóté. Je comprends qu'un homme doué de moins de talents & d'un efprit moins obfervateur que Chambers, pouvoit être féduit au point de voir des jardins a la Chine la oü réellement il n'y en avoit point. Au rapport du P. le Comte *) quelques -ünes des pro vinces les plus fertiles font remplies de canaux & de collines agréables. „Ils les coupent (les collines) par étages & par dégrez depuis le pied jusqu'au fommet, afin que les pluies fe répandant également par-tout, n'entrainent pas avec elles les femences ck les terres." Cette forme donnée aux éminences fait un effet charmant quand il s'en rencontre plufieurs de fuite. Les canaux qui traverfent les plaines font d'une beauté peu commune, tant a caufe de 1'eau qui „en eft claire, profonde, & coule ft doucement qu'on abien de la peine a s'en appercevöir," qu'a caufe des bords & des ponts dont ils font munis. Ordinairement ces canaux coulent „entre deux petites levées, revêtues de pierres plattes ou de tables de marbre groftier, & font couverts d'une infinité de ponts pour la communication des terres: ils font de trois, de cinq, & de fept arches; celle du milieu eft extraordinairement haute, afin que les barques en paffant ne foient pas obligées d'abaiffer leurs mats: les voutes qu'on a baties de grands quartiers de pierre ou de marbre en font trés bien cintrées, les appuis trés-propres & les piles fi étroites que toutes les arches font en l'air. On en voit ainfi presque par-tout d'efpace en efpace j & quand le canal eltdroit comme ill'eftordinairement, cette longue fuite de ponts fait une efpece d'allée qui a quelque chofe d'agréable & de magnifique." Le grand canal de la Province „fe décharge a droite & a gauche en plufieurs autres plus petits, qui fe divifent en un grand nombre de ruiffeaux, lesquels vont aboutir ade gros villages, ou même a des villes confidérables. Quelque- *) Nouveaux mémoires fur 1'état préfenfc de la Chine. Paris 1697. Tome E. Lettre IV.  anciens & modernes. Quelquefois ils forment de grands bafïïns, des étangs, des lacs dont les terres voifines font arrofées. De forte que cette eau fi pure 8c fi abondante, embellie de tant de ponts, referrée par des levées fi propres 8c fi commodes, diitribuée également dans de valles plaines, couverte d'une infinité de batteaux 8c de barques, 8c couronnée, fi j'ofe ainfi parler, d'un prodigieux nombre de vülages 8c de villes, dont elle va remplir les fofies," offre fans contredit le plus riant tableau champêtre. „Que feroit - ce," ajoute le P. le Comte, „fi l'art qui fouvent en France embellit les lieux les plus fauvages par la magnificence des palais, des jardins, 8c des bois, avoit été employé dans ces riches campagnes oü la nature n'a rien épargné?" II eft vrai qu'un payfage femblable n'eft pas un jardin, mais un voyageur qui fe livre a 1'enthoufiafme que lui infpire ce fpeétacle peut aifément s'y trompen Cqiendant ce n'eft pas la exaétement le cas de Chambers. II affure s'ètre foigneufement enquis des Chinois quels principes ils fuivoient dans la conltruétion de leurs jardins: il nomme fur-tout Ie peintre Lepqua dans les récits duquel il a beaucoup puifé. Si l'on ne veut pas admettre que Chambers lë foit laiffé tromper par les fauffes relations des Chinois qui aiment tant a outrer 8c k grofïir tout ce qui les regarde, voici une autre folution de cette difficulté. Chambers avoit remarqué que dans fa patrie on étoit trop attaché k Panden flyle, ou fujet a manquer d'invention 8c k donner dans I'extravagance lorsqu'on faifoit de nouveaux effais. II voyoit avec chagrin chacun des autres beaux-arts avoir des maitres pour les enfeigner, tandisque l'art des jardins feul reltoit orphelin 8c fans perfonne qui fit valoir fes droits. II trouvoit dans fon efprit 8c dans fon imagination des idéés qu'il croyoit plus convenables a Ia nature 8c a la deflination des jardins que celles qu'on fuit ordinairement. II crut que ces idéés exciteroient plus d'attention, feroient mieux rèques, s'il les attribuoit k une nation éloignée qui les eüt déja mifes en pratique. II eüt affez de prudence pour y mêler des chofes propres au génie nationnal des Chinois. En un mot, il 'lome I. P planta  114 Première Settion. Coup d'ceil jetfê fur les jardins planta des idees angloifes dans un terrein Chinois, afin de leur donner unè apparence plus frappante, 8c de les rendre plus féduifantes. Cette conjeéture paroitra moins hafardée, fi après tout ce que l'on vient de dire des Chinois, & qui ne donne pas une idee avantageufe de leurs jardins, on examine de plus prés la defcription mème de Chambers. Cet auteur ne dit point oü font fitués les fuperbes jardins qu'il dépeint, il ne dit pas non plus que ce fuffent ceux de 1'Empereur ou de quelque Grand. II les nomme en général jardins Chinois, 8c paroit vouloir nous perfuader que ce font des jardins nationnaux, des jardins auffi ordinaires k la Chine que les jardins franqois en Europe. Qui plus eft, il avoue hii-mème dans fa première relatiou n'en avoir vu que de petits dans cet empire; 8c cependant fes defcriptions ne conviennent qu'a de grands jardins. Enfuite il déclare pofitivement qu'il n'eft content ni du ftyle maniéré, ni du ftyle fimple en fait de jardins: le premier s'écartant beaucoup de la nature, 8c le fecond au contraire Timitant trop fervilement. II ajoute que la réunion réfléchie de ces deux ftyles en produiroit un troifieme qui feroit certainement plus parfait. — Et il eft manifefte qu'il a cette réunion pour but dans le dernier traité détaillé qu'il a publié fur les jardins Chinois. . . . Si quelqu'un, dit-il encore, étoit affez hardi pour tenter ce deffein, ü s'expoferoit a la critique des deux partis fans en corriger aucun; il fe nuiroit k lui-même fans rendre aucun fervice k Tart. Cependant il ne fera pas inutile de faire connoitre le fyftême d'un peuple étranger. Je le peux fans m'expofer en rien, 8c fans offenfer qui que ce foit, au moins je i'efpere. — Cette tournure de Chambers découvre affez clairement quelle étoit fa fituation & fon deffein. Tout Touvrage mème eft la plus forte preuve de ce que nous avanqons. Si Ton ne pofe pas en fait que Chambers a prèté aux Chinois fa philofophie, fa connoifïance des arts, 8c fon imagination brillante, on ne pourra  anciens & modernes. " pourra jamais accorder ce qu'il nous dit des jardins de la Chine avec les relations dignes de foi que nous avons de cet Empire & du génie de cette nation. Notre auteur lui donne libéralement des louanges qu'elle ne mérite en aucune faqon. Lorsqu'il dit, dés le commencement, que fes jardiniers font non feulement botaniftes, mais encore peintres & philofophes; qu'ils ont du cceur humain & des arts une connoifïance profonde par le moyen de laquelie on peut caufer les plus vives fenfations; que le bel art des jardins eft un des objets de Pattention du legislateur; il avance une propofition inouïe. Dans fa defcription on trouve quelquefois les tableaux de fantaifie les plus ingénieux, & les enchantements de féerie les plus étonnants qui ne font pas d'après nature, & dont j'ai omis les plus finguliers: quelquefois un choix réfléchi & un fens droit fuccede a ces écarts de Pimagination; enfin Ie tout prouve fuffifamment que Chambers eft fur-tout occupé a expofer fes principes, tandisqu'il ne paroit occupé que de louer ceux des Chinois. Mais fon ouvrage, en perdant la vérité hiftorique ne perdpas tout; il fera toujours eftimable comme forti de la plume d'un homme plein de connoiffance, de goüt, & de génie, & très-utile par plufieurs endroits a l'art des jardins; ce fera une belle fantaifie a qui il ne manque rien finon que probablement elle ne fe réalifera jamais. On me comprendroit bien mal fi l'on croyoit que par tout ce 'que je viens de dire je veuille rendre douteufe 1'exiftence des jardins Chinois en général, ce qui feroit réellement une prétenfion linguliere. Mon but eft uniquement de prouver que la Chine ne poffede pas des jardins tels que les décrit Chambers, tels que les fait imaginer le préjugé général, & tels que ceux que la manie déque d'imiter tache de copier. Auffi, en faifant les progrès qu'elle a faits, l'imitation a plutót fuivi le tableau d'imagination d'un Anglois que le modele réel tracé par un Chinois. A la Chine pas plus qu'ailleurs, ni les jardins ni un des beaux-arts quelconque ne peuvent s'écarter du génie & du goüt dominant de la nation. Le P. le Comte *) fait une relation des jardins Chinois qui s'ac- P 2 corde *) Lettre VI.  116 Première Seclion. Coup d'ceil jettê fur les jardins corde mieux avec ce que nous favons d'ailleurs de ce peuple, & qui paroit auffi s'approcher plus de Ia vérité que celle de Chambers. „Les Chinois," dit le P. le Comte, „paroiffent encore plus négligés dans leurs jardins" (que dans leurs maifons); „ils ont mesme en cela des idéés fort différentes des noftres. — Ils croiroient manquer au bon fens d'occupcr uniquement la terre en parterres, a cultiver des fleurs, a dreffer des allées, a planter des bosquets. — Ils cultivent li mal leurs fleurs qu'on a de la peine a les reconnoiffre. On voit néanmoins en quelques endroits des arbres qui feroient un fort grand ornement dans les jardins s'ils fcjavoient les y bien placer. Au lieu de fruits, ils font presque toute 1'année chargez de fleur d'un rouge vif & incarnat. — Si l'on en formoit des allées, en ymeslant, comme on le peut facilement,-des orangers, ce feroit la plus belle chofe du monde ; mais comme les Chinois fe promenent rarement, les allées ne font guere de leur goufl." „Les Chinois qui s'appliquent fi'peu a ordonner leurs jardins, & a y ménagerde veritables ornemens, ne laiffent pas de s'y plaire & d'y faire mesme de la dépenfe. Ils y pratiquent des grottes; ils y élevent de petites collines artificielles; ils y tranfportent par pieces des rochers entiers, qu'ils entaffent les uns fur les autres fans autre deffein que d'imiter la nature. S'ils peuvent outre cela trouver autant d'eau qu'il elf néceffaire pour arrofer leurs choux & leurs legumes, ils croyent qu'en cette matiere ils n'ont rien plus a defirer. L'Empereur a des jets d'eau *) de Tinvention des Européens, mais les particuliers fe contentent de leurs étangs 8c de leurs puits." Deux *) Placons ici une anecdote lingu- leux & en crut 1'exécution au deffus des liere du P. Benoit, difciple du célebre de forces humaines. Lorsque le P. eut la Caille. Lorsque ce Pere fut arrivé déclaré qu'il en étoit capable, ion lui a. Peking pour y occuper la place d'a- ordonna d'orner les jardins impériaux ftronome, il fit préfent a 1'Empereur de jets d'eau & de cafcades. Le pred'une taille-douce qui repréfentoit des mier jet d'eau mit 1'Empereur dans une eaux jailliffantes. L'Empereur voulut forte d'extafe: il fit garder ie religieux favoir ce qu'elle fignifioit. Benoit le a vue, & le for^a de troquer fon obferlui dit; 1'Empereur trouva cela miracu- vatoire contre la charge de fontainier.  anciens & modernes. Deux favants Suédois, Olof Toreen *) & Eckeberg, **) dont Ie dernier a fait fur 1'économie rurale des Chinois un traité particulier publié par 1'Académie des Sciences de Stockholm, donnent Ia même idéé des jardins de la Chine. On n'y voit, dit le premier, ni arbres artiftement cultivés, ni allées, ni parterres de fleurs fïgurés, mais tout fe trouve dans la confufion de la nature. Au lieu de grottes les CMnois entafient en forme de montagnes et de roes des monceaux d'une efpece de pierres. — Le Capitaine Eckeberg raconte que ces peuples s'embaraffent peu de jardins de plaifance, de hayes, de berceaux & de fymmétrie: une place nue & ornée de pierres de différentes couleurs & grandeurs, arrangées en fleurs & en dragons, leur plait plus que fi les intervalles étoient garnis de plantés ou de gazon. Ordinairement leurs avenues ne font pas ouvertes mais fermées des deux cótés de murailles, le long desquelles font des vignes ou d'autres végétaux rampants qui, s'entorfillant autour de quelques perches, traverfent & couvrent 1'allée. Les bancs bordent des avenues non murées, & font par la dilpofition des pierres qui les forment munis de plufieurs ouvertures dans lesquelles on place des pots a fleurs de différentes efpeces. Les allées décrivent plufieurs finuofités; tantót elles traverfent une petite plaine couverte de pierres, & fituée devant un pavillon ouvert furmonté de pots a fleurs; tantót elles paffent fous des arcades que forme du bambou mince treffé doublé mais inégalement, fous lequel eft planté une efpece de buiffon toujours verd qui s'entrelaffe dans ce bambou & donne a 1'enfemble l'air d'une muraille de verdure percée d'un grand trou. Tout ce qu'Eckeberg dit encore, & qui pourroit ne devoir pas être enrierement rejetté, eft fi fort au deffous du fyftème de Chambers que celui-ci ne fauroit en tirer aucun appui. — La pompe & la magnificence dont font entourés les Grands de la Chine lorsqu'ils paroiflent en public, ne s'étendent nullement jusque fur leur vie privée & leurs jardins de plaifance, qui, dénués de ces attraits enchanteurs que l'on imagine, P 3 n'offrent *) Dans 1'appendice au voyage d'Osbek aux Indes Orientales & a la Chine. Ouvrage in 8> traduit du Suédois en Allemand. 1761. **) Ibid.  u8 Première Setlion. Coup d'ceil jetté fur les jardins n'offrent que beaucoup de ftêrilité 6c une fimplicité dépourvue de goüt, 6c qui confidérés de plus prés, ne caufent ni aclmiration ni furprife. 9- jardins & lieux de plaifance de quelques autres pays èloigms. Les jardins Turcs ne paroiflent pas mériter que nous les négligions entiérement, quelque peu de droits qu'ils ayent d'ailleurs a paffer pour beaux. Les agréments du canal auprès de Conftantinople font fi féduifants pour les Turcs „que toutes leurs maifons de plaifance font baties fur fes rives, oü ils ont a la fois les plus belles perfpedives du cóté de 1'Europe 6: de celui de 1'Afie. *) — A quelques miles autour d'AndrinopIe on ne voit que des jardins; les rivieres font bordées d'arbres fruitiers, fous lesquels le beau monde va fe divertir tous les foirs, non pas a fe promener, ce n'eft pas un plaifir Turc, mais on fe réunit fur un gazon verd, ombragé d'un feuillage épais, 6c la on étend un tapis oü l'on prend Ie caffé; *) Lettres de He. Wortley Montague &c. traduites de 1'Anglois fur la feconde édition. Berlin 1773. Lettre 43.  anciens & modernes. IIp caffé; il y a ordinairement quelqu'efclave qui amufe Ia compagnie par une belle voix, ou qui joue de quelque inftrument. *) — Les Harams ou appartements des femmes Turques font toujours écartés, de forte qu'on ne peut les appercevoir; ils donnent fur les jardins qui ont une enceinte de murs fort élevés. On n'y voit point de nos parterres, mais de grands arbres dont 1'ombrage eft délicieux, 8c qui font un trés-bel effet. Au centre du jardin fe trouve ce qu'on nomme le Chiosk; c'eft une grande falie ordinairement ornée de belles fontaines au milieu; elle eft élevée dé neuf ou dix marches, 8c environnée d'un treillis doré, couvert par-tout de feps de vigne, de jasmin, 8c de chevrefeuille, ce qui forme une efpece de muraille de verdure. De grands arbres entourent ce lieu qui eft pour les Turcs, la fcene de leurs plus grands plaifirs, 8c oü les femmes paffent la meilieure partie de leur temps occupées de leur mufique 8c d'ouvrage de broderie." **) Au rapport de Haffelquift, ***) l'art n'a guere mis Ia main aux jardins des environs de Smyrne, hors pour y planter des orangers, qui n'y viennent pas d'eux -mêmes, quoiqu'il s'en trouve en quantité. Ici Ia nature eft belle 8c libérale: fi on la fecondoit on feroit naitre des jardins bien plus beaux que ceux qui décorent notre Europe feptentrionale. On trouve a Smyrne une foule d'orangers; les figuiers, les oliviers 8c les grenadiers font entremèlés fans aucun ordre; les peupliers y font communs. Ci 8c la croiffent des cyprès qui s'élancent vers les nues comme de fuperbes pyramides, 8c font fans doute leplus bel ornement dont la nature a doué ces contrées. — Chandler ****) ne vante pas moins les attraits naturels des environs de Smyrne. En Décembre la verdure étoit auffi belle qu'il l'eut jamais vue: les foucis 8c les anemones croiffoient en foule entre le gazon 8c fous des oliviers. Des bosquets entiers de myrtes fleuris ornoient Ia contrée inculte, 8c dans les jardins les fruits dorés brilloient au travers du feuillage *) Leur» 30. *«) Lettre32. ***) Voyage fait en Paleftine pendant les années 1749-1752, ouvrage originai- rement Suédois. ****) Voyages en Afie mineure. L'original eft Anglois.  ! 20 Première Seïïion. Coup d'ceil jettê fur les jardins feuillage foncè des orangers. On voyoit une multitude de narcifTes Sc d-hyacinthes. Les amandiers étoient en fleurs dés le mois de Févner; les rofes Sc les ceillets étoient déja communs, Sc on les vendoit par les rues. \ quelques jours prés, Chandler jouït toujours d'un ciel ferein Sc d'un air tempéré impoffible k décrire. Au refte il ne dit mot de la beauté des jardULa plaine de'Scio (la fameufe Chios des Grecs) fituée au nord de la ville n'eft compofée au rapport de Pocok, *) que de jardins avec des pavillons Ce font ordinairement des bosquets d'orangers Sc de hmonniers dont les plus beaux ont au milieu Sc des deux cótés une allée pour la promenade; ces allées font bordées de pilaftres entremêles de bancs 8c de pierre de taille. Quelques propriétaires ont dans leurs jardins des chapelles 8c au defibus des caveaux oü l'on enfevelit les morts de la familie. Presque tous les habitants quittent en été la ville pour ces réduits champêtres qu'ils abandonnent en hyver. - Chandler-) fait auffi un petit tableau charmant de cette ile dont l'air eft parfumé par les fleurs des limonniers des orangers 8c des citronniers, plantés régulierement en bosquets, tandisque leurs fruits dorés charment la vue: les myrtes Sc les jafmms croiffent pèle-mèle fous ces arbres entremèlés d'oliviers, de palmiers, & de CypocQk ***) parle encore des jardins qui rendent Damas célébre: leur beauté principale vient de la quantité d'eau dont on peut difpofer ici; Us font remplis de quantité d'arbres de plufieurs efpeces, Sc doivent ètre mis au rang des plus beaux jardins de ces contrées. II ajoute que les jardins orientaux nefont au fond que des vergers, d'arbres fruitiers ou autres qui ne font pas régulierement plantés, mais fimplement difpofes par rangées étroites. Plufieurs de ces jardins font traverfés par de petits ruifïeaux- d'autres font ornés de refervoirs, ou de jets d'eau, 8c d'autres machines hydrauliques, qui, avec d'agréables pavillons en font fur-tout la beauté. Le peuple y paffe fouvent le jour entier, 8c. c'eft pourquoi il ya *) Defcription da Levant. Ouvrage **) Voyages en Afie mineure. originairement Anglois. 3-Partie. ***) Defcripüon du Levant. 3deTome.  anciens & modernes. I2l y a toujours quelques uns de ces jardins pris en ferme, 8c oü les hótes peuvent manger gratis des fruits qu'ils leur plaifent. Ceux qui ont une maifon dans leur jardin y palTent fréquemment quelques jours en été. — II eft au refte facile d'imaginer que dans tous les climats auffi expofés que ceux-ci aux rayons ardents du foleil, le propriétaire fe contente de trouver de Pombre, des eaux 8c des fruits rafraichiffants dans fon jardin, 8c ne demande rien de plus quand il jouït de ces avantages. Thevenot, Tournefort 8c d'autres voyageurs ne nous donnent pas de plus grandes idéés de l'art ou des beautés qui regnent dans les jardins orientaux. Thevenot *) 8c Bruin **) ne décrivent pas les jardins de Perfe auffi exaétement que Chardin. ***) Suivant Thevenot Ie jardin royal prés d'Ifpahan ne confiftoit qu'en une quantité de jeunes arbres fruitiers, 8c de grands érables, qui plantés au cordeau en faifoient tout Pornement. Les jardins font tous dans le même goüt: de grandes allées droites; une multitude d'érables, de rofters 8c d'arbres fruitiers font leur beauté, 8c c'eft furtout au temps des fruits un plaifir de les vifiter. Bruin, qui fe borne aux jardins du Souverain a Cafian 8c a Ifpahan, vante les fleurs, les canaux, les fontaines, les batiments, les cyprès 8c les grenadiers qu'on y trouve: dit que toutes les difpofitions y font vaftes 8c belles, mais fa defcription ne nous en donne pas une idéé fuffifante. — „Les jardins des Perfans," dit Chardin, „confiftent d'orclinaire en une grande allée qui partage Ie jardin, tirée a la ligne 8c bordée de platanes, avec un baffin d'eau au milieu, d'v-n? grandeur proportionnée au jardin; 8c deux autres plus petits fur les cótés. L'efpace entre deux eft femé de fleurs confufément, 8c planté d'arbres fruitiers, 8c de rofiers, 8c c'en eft la toute Ia décoration. On ne fait ce que c'eft que parterres 8c cabinets de verdure, que labyrinthes 8c terraffes, *) Suite du voyage au Levant. II. Partie. 8. Paris i68u fentiment, & il paroit qu'effeélivement Whately a trop peu fait attention a celui-ci. De plus il eft fouvent non feulement obfcur, ce qui provient du trop grand ufage Tlie Works of Shenflone, Efqu. 8- 1'origine de Tart & la defcription du pare Edimbourg, 1764; le fecond Volume, de Stowe. pages 74- 88. EJfay on the different natural Si- The Rife and Progrefs of the prefent tuations of Gardens. 4. London 1774. Tajie in Planting Parks, Pleafure - Letters on the beauties of Hagley, EnGrounds, Gardens&c. hi a poetic Epiflle vill and the Leaforves: with critical re4.1767. marks and obfervations on the modem Ta- Ejfay on Defign in Gardening. 8- fle in Gardening, by gfofephHeely, Efqu. 176S. 8' 2 VoL Obfervations on modern Gardening, Sans parler ici des poëmes qui renillufirated by defcriptions. The fourth ferment la defcription de quelque pare. Édition. London 8-1777. Cet ouvrage Mafon a commencé fur Tart des jardins de Mr. Whately a été traduit en Alle- un beau poé'me didaftique qui eft jusmand ( a Leipzig 1771. 80 & en Fran- qu'ici le feul: il eft intitulé: cois fous le titre: 1'Art de former les The Englifh Garden, London 4.1773. jardins moderrtes, ou Tart des jardins 2^e Édition. En 1773 il en parut unetraAnglois. Paris. 8-1771- Le Traducteur duction Allemande. Le fecond Livre de cè y a joint une courte introduftion fur poè'me a été publié a Londres en 1777.  en fait de jardint. ufage des termes tecniques,' mais encore trop partial, car il ne s'occupe que des valles parcs de fa patrie; il ne puife fes principes que la, & n'en fait 1'application qu'a ces mèmes parcs. Et comme les préceptes répandus dans fon ouvrage, ne font pas affez détachés du raifonnement, 1'artifte n'y trouve pas pour la pratique les fecours auxquels il s'attendoit fans doute. 2. Le célebre citoyen de Geneve fut Ie premier des écrivains franqois qui s'éleva contre le mauvais goüt des jardins. L'Elifée, ou le verger de fa Julie, *) étoit champêtre, négligé en quelque faqon, & cependant plein d'attraits. Les remarques dont Rouffeau parfeme fa defcription, partent d'unjugementfifain, & d'un goüt fi délicat qu'elles auroient dü dés lors exciter Tattention, qui paroit n'avoir été réveiilée en France que plus tard par la rénommée des jardins Anglois. Voici quelques uns des plus beaux traits de cette defcription. „Je me mis aparcourir avecextafe ce verger ainfi mëtamorphofé j „& fi je ne trouvai point de plantés exotiques & de produélions des Indes, T 3 „je *) Julie ou la nouvelle Heloïfe. Partie IV. Lettre 40.  i50 Seconde Settion. Recherches fur le goüt ancien & moderne ie trouvai celles du pays difpofées & réunies de maniere a produire un ' effetplus riant & plus agréable. Le gazon verdoyant, épais, mais court & ferré étoit mèlé de ferpolet, debaume, dethin, de marjolaine, & "d'autres'herbes odorantés. On y voyoit briller mille fleurs des champs, "narmi lesquelics l'ceil en démèloit avec furprife quelques unes des jardir*, qui fembloient croitre naturellement avec les autres. Je rencontrois de "tems en tems des touffes obfcures, impénétrables aux rayons du foleil "comme dans la plus épaiffe forèt; ces touffes étoient formées des arbres "du bois le plus fexible, dont on avoit fait recourber les branches, pendre "en terre & prendre racine, par un art femblable a ce que font naturelle"ment les mangles en Amérique. Dans des lieux plus découvert*, je "voyois qa & la fans ordre & fans fymmétrie des brouffailles de rofes, de "framboifiers, de grofeilles, desfourrés de lilac, de noifettier, de fureau, "deferinga, de genét, detrifo'üum, qui paroient la terre en lui donnant "fair d'ètre en friche. Je fulvois des allées tortueufes & irrégulieres bor"dées de ces bocages fleuris, & couvertes de mille guirlandes de houblon, "de liferon, de couleuvrée, de clématite, & d'autres plantés de cette efpece "parmi le^ueHeS le chevrefeuil & le jafmin daignoient fe confondre. "Ces guirlandes fêmbloient jettées négligemment d'un arbre a 1'autre, "comme fenavoisremarqué quelquefois dans les forêts, & formoient fur "nous des efpeces de draperies qui nous garantiffoient du foleil, tandisque "nous avionsfous nos pieds un marcher doux, commode, ckfecfur une "mouffe fine fans fable, fans herbe, & fans rejettons rabotteux. Alors "feulement je découvris, non fans furprife, que ces ombrages verds & "touffus qui m'en avoient tant impofé de loin, n'étoient formés que de ces "plantés rampantes & parafites qui, guidées le long des arbres, environ"noient leurs tètes du plus épais feuillage & leurs pieds d'ombre & de fraicheur J'obfervai mème qu'au moyen d'une induftrie affez limple "on avoit fait prendre racine fur les troncs des arbres a plufieurs de ces ",plantes, de forte qu'elles s'étendoient davantage en failant moins de „chemin. „Toutes  en fait de jardins. 151 „Toutes ces petites routes étoient bordées 8c traverfées d'une eau „limpide 8e claire, tantót circulant parmi Pherbe 8c les fleurs en filets pres„que imperceptibles, tantót en plus grands ruiffeaux courans fur ungra„vier pur 8e marqueté qui rendoit Peau plus brillante. On voyoit des „fources bouillonner 8c fortir de la terre, & quelquefois des canaux plus „profonds dans lesquels 1'eau calme 8c paifible réfléchiflbit a. Pceil les ob„jets. Je comprends a préfent tout le refte, dis-je k Julie 5 mais ces eaux „que je vois de toutes parts — elles viennent de la, reprit-elle en me „montrant le cóté oüj étoit la terraffe de fon jardin. C'eft ce même ruif„feau qui fournit k grands ffais dans le parterre un jet d'eau dont perfonne „ne fe foucie. Mr. de Wolmar ne veut pas le détruire, par refpeéf pour „mon pere qui Pa fait faire; mais avec quel plaifir nous venons tous les „jours voir courir dans ce verger cette eau dont nous n'approchons guére „au jardin! Le jet-d'eau joue pour les étrangers, le ruiffeau coule ici „pour nous. „Je vis alors qu'il n'avoit été qüeftion que de faire ferpenter ces eaux „avec économie, en les divifant 8e réuniffant apropos, en épargnant Ia „pente le plus qu'il étoit poffible, pour prolonger le circuit 8c fe ménager „le murmure de quelques petites chutes. Une couche de glaife, couverte „d'un pouce de gra\ïer du lac & parfemée de coquillages, formoit le lit des „ruiffeaux. Ces mêmes ruiffeaux courant par intervalles fous quelques „larges tuiles recouvertes de terre 8c de gazon au niveau du fol formoient „a leur iffue autant de fources artificielles. Quelques filets s'en élevoient „par des fiphons fur des lieux rabotteux 8c bouillonnoient en retombant. „Enfin la terre ainfi raff aichie 8c humeéfée donnoit fans ceffe de nouvelles „fleurs 8c entretenoit Pherbe toujours verdoyante 8c belle. — Tout eft „Verdoyant, frais, vigoureux, 8c la main du jardinier ne fe montre point.—\ j,On fait femer du foin fur tous les endroits labourés, 8c 1'herbe cache „bientót les veftiges dn travailj on fait couvrir 1'hiver de quelques couches „d'engrais les lieux maigres 8carides; 1'engrais mange la moufle, ranime „1'herbe 8c les plantés; les arbres eux - mêmes ne s'en trou vent pas plus „mal, 8c 1'été il n'y paroit plus. = Ces deux cótés étoient fermés par des „murs;  152 Seconde Seblion. Recherches fur legoét ancien & moderne „murs; les murs ont été masqués, non par des efpaliers, mais par d'épais „arbrifleaux qui font prendre les bornes du lieu pour le commencement • „d'un bois. Des deux autres .cótés regnent de fortes haies vives, bien „garnies d'érable, d'aubépine, dehoux, de troè'sne 8c d'autres arbrifleaux „mèlangés qui leur ótent Tapparence de haies 8c leur donnent celle d'un „taillis. Vous ne voyez rien d'aligné, rien de nivellé; jamais le cordeau „n'entra dans ce lieu; la nature ne plante rien au cordeau; les finuofités „dans leur feinte irrégularité font ménagées avec art pour prolonger la „promenade, cacher les bords de l'ile, 8c en aggrandir Pétendue apparen„te, fans faire des détours incommodes 8c trop fréquents." Après cette defcription Roufleau fait unejpetite digreflion, oü il parle de 1'ancienne maniere franqoife, 8c critique amérement fes arbres ordinairement défigurés, fa fymmétrie outrée 8c fes ornements ennuyeux. „On „croiroit," dit-il en note, „on croiroit/que la]nature eft faite en France „autrement que dans tout le refte du monde, tant on y prend foin de la „défigurer. Les parcs n'y font plantés que de longues perches; ce font „des forêts de mats ou de mays, 8c 1'on s'y promene au milieu des bois „fans trouver d'ombre. — On fait un trés-beau lieu dans lequel on n'ira „gueres, 8c dont on fortira toujours avec émpreflement pour aller cher„cher la campagne: un lieu trifte oü l'on ne fe promenera point, mais par „oü l'on paffera pour s'aller promener. — L'erreur des prétendus gens de „goüt eft de vouloir de l'art par-tout, 8c de n'étre jamais contens que l'art „ne paroiffe; au lieu que c'eft a le cacher que confifte le véritable goüt; „fur-tout quand il eft queftion des ouvrages de la nature. — Que fera „donc l'homme de goüt qui vit pour vivre, qui fait jouirde lui-même, qui „cherche les plaiiïrs vrais 8c fimples, 8c qui veut fe faire une promenade „a la porte de fa maifon ? II la fera fi commode 8c fi agréable qu'il s'y „puifie plaire a toutes les heures de la journée, 8c pourtant fi fimple 8c fi „naturelle qu'il femble n'avoir rien fait. II raflemblera 1'eau, la verdure, „1'ombre 8c la fraicheur; car la nature aufli raflemble toutes ces chofes. „II ne donnera a rien de la fymmétrie; elle eft ennemie de la nature 8c de „la variété." Malgré  en fait de jardins. Malgré cet exemple & ces exhortations, Ie bon goüt recommandé par un écrivain fi célebre ne paroit pas avoir fait de grands progrès. La révolution fubite, caufée quelque temps après par la manie d'imiter, ne pouvoit apparemment pas être une fuite de la réflexion. Quelques écrivains mêmes qui cherchoient le bon chemin s'en écartoient de temps en temps. Ceflieres tenta un poëme didaétique. *) Long-temps avant lui Rapin **) 8c Vanieres ***) avoient tenté quelque chofe defemblable; mais ils s'étoient arrètés k 1'utile, au jardinage économique, 8c a 1'économie morale, fans pafler jusqu'aux jardins d'agréments, fans s'éleverau deffus du goüt du temps dans le peu d'endroits qui pouvoient les regarder. Ceffieres voulut mettre k profit la partie d'agrément que fes prédéceffeurs lui avoient abandonnée. II entra dans fa carrière accompagné du bon goüt, mais non de 1'imagination hardie 8c brülante d'un Mafon, peut-ètre auffi avec une modeftie trop craintive. Quelquefois il rencontra la bonne route; quelquefois ils'éleva 8c avec raifon contre lamauvaife maniere qui s'offroit k fes yeux; 8c cependant fes fcenes ont quelque chofe de mefquin, paree qu'il tiroit fon modele idéal des jardins de fa patrie. Les difpofitions ordinaires, 8c fur-tout les lits de fleurs plaifoient k fa Mufe, qui ne paroit pas avoir eu affez de force pour atteindre jusqu'aux beautés champêtres plus relevées. Mais depuis quelques années, que les rélations 8c les defcriptions des nouveaux parcs anglois font plus répandues, 8c que I'ouvrage connu de Whately fur cette matiere a été traduit en franqois, ce peuple commence a faire lui-même des recherches fur le bon goüt en fait de jardins. Cette attention de la part des écrivains méritoit d'être applaudie; car k peine la plus grande partie de Ia nation connut Ia nouvelle maniere, qu'elle donna dans 1'excès 8c s'abandonna tellement k l'imitation outrée des jardins anglois que l'on fe plaignit hautement de cette Anglomanie, comme 1'on nom- *) Les jardins d'ornement ou les Géorgiques francoifes. Nouveau poëme en quatre chants. Paris 1758. par M. George de Ceflieres. 8**) Horti. ***) Praediumrufiicum. Tome I. U  154 Seconde SecTion. Recherches fur le gout linden & moderne nommoit alors cette paffion déréglée. Watelet, *) artifte & poëte d'un rang diftingué, fut le premier écrivain qui dans un ouvrage fait expres foumit les jardins aux regies du bon fens & du goüt. Ses principes font le refultat d'un examen qui, quoique réfléchi, n'eft point dénue des attraits d'une imagination brillante. Pénétré des maximes & des effets de la peinture, il fit autant que cela fe pouvoit 1'application des regies de cet art a celui des jardins; & cette application fut plus heureufe que celle des architeétes lorsqu'iis tranfporterent autrefois la fymmétrie de leurs édiiïces dans les jardins. L'ordre dans lequel il expofe fes principes eft un peu découfu il eft vrai, mais naturel. L'art dont il s'occupoit n ayant encore jamais été traité fcientifïquement, paroiffant mème k peine affez mür pour fe transformer en fcience, il trouva peut-être plus commode de donner fur fes différentes parties des principes détachés & accompagnés d'éclairciffements, & de reveiller en même temps 1'efprit & le cceur de fes compatriotes. Le prix de fon traité eft encore rehauffé par une maniere vive & fentie d'envifager les objets, & par un ftyle délicat & pittorefque. A Watelet fuccéderent bientót deux autres écrivains**) qui parierent des jardins avec beaucoup de jugement, de favoir & d'agrément. Leurs écrits portent en général le fceau de la vérité & du bon goüt; quoique l'on ne puifie foufcrire k tous leurs jugements & k toutes leurs demandes, & fe diftinguerent toujours d'une maniere trés-particuliere parmi ceux qu'on peut avoir publiés dans le mème temps, ou qu'on publiera encore. — Les trois ouvrages dont nous venons de parler font feuls fuffifants pour appaiferle Génie des jardins offenfé des anciens affronts qu'il recut en France, pour corriger le goüt de la nation, & pour impofer ftlence aux *) Eflai fur les jardins par Mr. Wate- De la compofxtion des payfages oa -let de 1'Académie francoife, & Hono- des moyens d'embellir la nature auraire de 1'Académie Royale de peinture tour des habitations en joignant 1'agréa& de fculpture. 8- Paris . 774- H en pa- ble i 1'utile. Par R. L. Gerardin, Meftre m une traduaion Allemande k Leipzig de Camp de Dragons, Chevaher de 1 Orin8> ,7?6> dre Royal& militaire de S. Louis, Vi- comte d'Ereneneuville. Geneve & fe **) Théorie des jardins. 8. Paris 1776. trouve a Paris 1777- 8-  m fait de jar dim. 155 aux adorateurs de randen ftyle qui font encore quelques efforts fourds en fa faveur. 3- Tandis qu'en Allemagne auffi les maitres d'architeéfure continuoient a fa\'orifer la fymmétrie introduite dans les jardins, aucun d'entre ceux de nos écrivains élégants qui commenqoient as'échauffer pour les beaux-arts, ne penfoit a l'art des jardins; a peine méme daignoit - on lui accorder une place parmi fes freres. Entre tant de nos bons poëtes qui fe plaifoient a chanter fi fouvent les beautés de la nature, presque pas un ne fongeoit k les ramener dans nos jardins. Gefsner *) fut k peu prés le feul qui fit quelque effort inftructif. Son chaffeur Efchine, qui par reconnoiffance invite le jeune berger Menalque a fe rendre a la ville, veut entre autre lui vanter les jardins. „On a auffi a la ville," lui dit-il, „des ar„bres & des fleurs. L'art aplanté ceux - la en allées bien étroites, & raffem„blé celles - ci dans des parterres fymmétriques. On y voit auffi des fontaines que des hommes & des Nymphes de marbre verfent dans des baf- U 2 „fins *) Idylles & Poëmes champêtres de Mr. Huber. LaHayei773. 12. Idylle M. Gefsner traduits de 1'Allemand par 16 & le Souhait.  156 Seconde Seiïion. Recherches fur te gout ancien & moderne „fins magnifïques." Menalque ami de la fimple nature répond: „Nos „bois ombragés par la fimple nature font encore plus beaux avec leur rou„tes tortueufes; nos prairies parées de mille fleurs femées au hazard Tont „encore plus agréables. J'ai aufli planté des fleurs autour de ma cabane, „de lamarjolaine, des lys & des rofes. O que nos fontaines font belles! „lorsqu'elles fortent en bouillonnant du creux des rochers, ou lorsqu'elles „tombent du haut des collines a travers les buiffons, pour ferpenter enfuite „dans les prés.fleuris." Le poëte fidele a la nature peint de mème Ie jardin champêtre qui entre dans le plan de félicité que foühaite fa Mufe. „Derrière la maifon feroit placé mon jardin fpacieux, oü l'art fimple „fe prêteroit avec docilité a feconder les agréables caprices de la nature. ,,On ne le verroit point fe révolter contre elle, regarderfes prodüctions "comme une matiere fervile, & les plier a des formes bizarres &grotefques. „Un mur de noifettiers forméroit ce jardin; a chacun des coins il y auroit „une tonnelle de vigne fauvage. La fouvent je me déroberois aux rayons „brüians du foleil, & je verrois le jardinier halé retourner la terre des plan"ches pour y femer des légumes favoureux. Souvent excité par fon ar",deur au travail, je prendrois de fes mains Ia bêche pour labourer moi"mème, tandisque debout a mes cótés, il riroit de mon peu de force. ^Quelquefois je 1'aiderois tantót a Her contre des baguettes les tiges pen"chées des plantés, tantót a prendre foin des rofiers, des ceillets & des lys „difperfés. „Hors du jardin un clair ruiffeau arroferoit mes prés couverts d'une „herbe épaiffe; de la il ferpenteroit a 1'ombre d'un bocage d'arbres fruitiers, "entremèlés detendres rejettons que je cultiverois moi-même avec foin. 'Vers le milieu je raffemblerois fes eaux pour former un petit êtang dans "lequel je ménagerois une petite ile, ck fur cette ile j'éleverois un berceau ",de verdure. Oh fi je pouvois voir encore un petit cóteau de vigne, s'étendre le long de la plaine, fi je poffédois encore un petit champ, couvert ','d'épis ondoyans, le plus riche des Rois pourroit - il me paroitre digne d'envie' — Qiioi de plus raviffant en effet que la belle nature, lorsque „fes  en fait de jardins. 15^ „fes beautés diverfinees a 1'infini fe confondent dans un mélange plein „dliarmonie? Homme audacieux! comment ofes-tu entreprendre d'or„ner la nature par des arts qui ne peuvent que 1'imiter de loin? Conftruis „des labyrinthes avec des murailles de verdure; préfcris a 1'if terminé en „pyramide la hauteur a laquelie il doit s'élever; que tes allées foient cou„vertes d'un fable pur, afin qu'aucune broufiaille n'embaraffe les pas de „ceux qui fe promenent. Pour moi j'aime les prés ruftiques & les bois „fauvages. La nature fait régner dans leur variété confufe un ordre caché, „conforme aux regies fecrettes de Pharmonie & du beau, dont 1'effet fe „fait fentir a notre ame par le plus doux faififfement." Le bel art des jardins demeuroit cependant toujours abandonné de nos écrivains. Un coup d'ceil jetté fur lui de cóté & en paffant, ou une plainte fur Ie mauvais gout qui y regne, étoit tout ce que l'on faifoit en fa faveur jusqu'a ce que Sulzer *) le premier le plaqa au rang des beaux-arts. II ne fit a fon fujet que peu de remarques a la vérité, & mème en grande partie générales; mais elles font très-jufies & très-fertiles en conféquences: d'ailleurs Pattention. feule du fage pere nourricier des beaux-arts en Allemagne fuffifoit pour recommander un fi nouveau & fi peu connu encore. — Ma paffion dominante pour les jardins & leurs befoins prefTants me porterent enfuite k hazarder auffi quelques efiais préüminaires dans ce genre. **) II ne parok pas que hors de 1'Angleterre, de la France & de I'Allemagne, on eftime affez, mème aujourd'hui, cet art Ie plus agréable de tous; U 3 fi tou- *) Allgemeine Theorie der feh'ónenKün- Theorie der Gartenkunfl. 8. Leipzig. fle. Artikel: Gartenkunfl. C'eft a dire: C'eft k dire: Théorie générale des beaux arts en for- Remarques fur les maifons de cam- medeDiftionnaire. Article: Art des jar- pagne & Vavt des jardins. g. Leipzig dins. Cet excellent ouvrage de Mr. Sul- 1773. zer n'a pas encore été traduit, ou du »»»..« , . ,. , . . . . »., 1 theorie de 1 art des jardins. R. Leip- moins pubhe en francois, quoiqml le J r mérite k tous égards. **) Anmerkungen über die Landhaufer Ces deux ouvrages n'ont pas encore und die Gartenkunfl. 8- Leipzig 1773. été traduits en francais.  ï 5 8 Seconde Seiïion. Recherches fur le goüt ancien & moderne fi toutefois on peut tirer cette conclufion du profond filence que gardent k fon fujet les écrivains des autres nations policées. iii. Remarques fur le goüt ancien & moderne, i. Dans Ia fuite nous ferons quelquefois obiigés de relever les incongruités de fancien goüt, & les extravagances du moderne; avant d'en venir la quelques remarques générales nous paroiffent bien placées ici Lorsque nous difons que la fymmétrie eft le caraétere dilbnéhf de lancienne maniere, on comprend fans peine qu'une régularite dominante dans les jardins eft en général contraire aux préceptes de la nature & a la loi que nous impofe la variété. Et quoique nous avouions que 1 homme fe plait k la fymmétrie, cependant ce n'eft pas dans un jardin qu'il dolt éprouver ce genre de plaifir. - . , , j Les premiers jardins éfant la plupart conftruits- a cote des maifons, on étoit facilementinduitacroire que ceux - ci devoient être difpofes daprés les mêmes principes que celles-la. II n'eft donc pas etonnant que  en fait de jardins. 159 cette erreur naquit, mais il eft étonnant qu'elle fe foit étendue fi loin & foutenue fi long - temps. La fymmétrie, une fois introduite dans quelques jardins devenus célebres, 8c préfcrite par quelques fameux architeétes, bientót tyrans de l'art des jardins, fut aifément favorifée par la coütume 8c protégëe par Ie préjugé. L'efprit imitateur trouva les 'difpofïtions régulieres fort commodes. II fumfoit d'avoir fous les yeux un modele quelconque pour le copier fans grande peine. Et tous les changements qu'on fit a Tanden ftyle roide 8c guindé furent ft légers, ft peu remarquables que d'un bout de 1'Europe a Tautre les jardins 8c leurs plans étoient presque aufli reflemblants que s'ils avoient été tracés dans la même école 8c d'après le même original. Suppofé que le gout pour Tinvariable fymmétrie fe foutienne encore, une des raifons qui y contribueront eft indubitablement qu'il peut aifément fe pafler de ce qu'exige le gout conforme a la nature, c'eft a dire de jugement, de fentiment 8c de génie. • Rarement l'efprit humain fait fe contenir dans de juftes bornes. On fit bien réflexion qu'une place fituée prés d'une habitation doit ètre plus en ordre, plus réguliere, qu'une plus éloignée; mais on oublia que lorsque cette premire place s'étend 8c fe change en jardin, elle cefle d'ètre foumife aux regies de la fymmétrie. Cependant autre chofe eft une place libre & découverte, voifine de Tédifice, 8c autre chofe une place deftinée a devenir jardin. La première, libre 8c combinée avec des ouvrages d'architeéture, dont elle eft pour ainfi dire une partie ou du moins une continuation, doit être diftribuée 8c difpofée fymmétriquement; elle peut de plus être décorée de tous les ornements 8c de toute la pompe que permettent le caraétere 8c •la deitination du batiment. Mais un emplacement deftiné aun jardin, fe foultrait par la même aux regies de Tarchiteéture pour fe rapprocher de 1'arrangement fans gêne de Ia nature. Pour mieux voir combien Tartifte jardinier s'écarte de 1'architeéte, 8c ■combien peu ils peuvent fuivre les mèmes principes, il fufht d'obferver que Ie premier s'occupe de Tembelliffement d'une furface horizontale, 8c le fecond de Tembelliffement d'une furface verticale. De cette diverfité manifefte des furfaces que ces deux artiftes mettent en oeuvre, réfulte aufli une diver-  i6o Seconde Seclion. Recherches fur le goüt ancien & moderne diverfitê de'but & de plan. L'architeéle veut contenter l'ceil tout d'un coup, lui faire faifir tout d'un coup la difpofition harmonieufe de fon ouvrage : l'artifte jardinier veut occuper par une fuite infenfibie 8c fuccelïïve d'objets. L'architeéce doit faire un plan auffi fimple qu'il eft poffible, afin qu'on puiffe 1'embrafter fans peine 8c fans embarras; il faut qu'il donne a fes parties des formes également régulieres 8c proportïonnées, afin qu'on apperqoive d'abord leur rapport a l'enfemble. L'artifte jardinier, au contraire, ayant de tout autres vues doit auffi faire un autre plan, il cherche a cacher fes difpofitions, 8c ay rêpandre une certaine complication amufante; il tolere des inégalités 8c des objets accidentels 8c irréguliers; en un mot il s'y prend de maniere a ne pas raffaffier tout d'un coup le fpeétateur, mais a 1'occuper fucceffivement 8c a 1'amufer long- temps. A force de régularité 8c de fymmétrie 1'architeéfe produit 1'effet défiré, 8c le jardinier le manque. Tendant a des buts fi différents, ils doivent auffi parcourir des chemins différens: l'artifte jardinier réuffira heureufement, en faifant presque en tout le contraire de 1'architeéte. Auffi, a-t-il un autre modele: Ia nature telle qu'elle s'offre aux yeux dans les plus belles contrées. La nature difpofe tous les objets avec bberté 8c fans géne dans un payfage. Elle n'employé ni égalité fymmétrique, ni mefures artiftement compaffées, ni uniformité de contours, en créant 8c formant les précipices, les collines, 8c les plaines, les plantés, les fleurs, les ronces 8c les forêts, les ruiffeaux, les rivieres 8c les lacs. Tout paroit fous un afpeél plein d'aifance, de variété, 8c méme de cette agréable négligence 8c de cette confufion préférables a 1'exaétitude la plus foignée. Voila le modele que la nature offre a l'artifte jardinier, qui fe propofant d'égayer 8c de récréer l'homme par les mêmes objets par lesquels elle les recrée, doit auffi les préfenter dans le mème arrangement qu'elle. Elle eft en mème temps regie 8c modele; l'artifte ne peut réuffir qu'en Pimitant avec fidélité. Un beau jardin eft celui qui eft copié avec goüt 8c avec jugement d'après la belle nature. Un autre mauvais effet de la fymmétrie c'eft Puniformité 8c 1'ennui qui en eft inféparable, 8c qui eft direétement oppofé a Ia fenfation que doit faire  en fait de jardins. ; jgj faire un jardin. Objets naturels, öbjets artificiels, toüt fe refTemble ; nullé variété, nulle diftractiort agréable; on a tout vu, tout faifi' du premier coup d'ceil. Nous fentons les imprelïïons s'affoiblir, 8e perdre leur énergie; nous voulons être occupés, 8c nous ne trouvons rien qui nous remue; nous échappons k 1'ennui en fortant des bornes étroites du jardin pour parcourir ces contrées oü regne Ia hberté, 8c oü la nature nous charme de nouveau par cette diverfitê de fcenes raviffantes qui lui elt propre. Quoique ces remarques rendent bien fenfible Ia diffërence qui eft entre l'art du jardinier 8c celui de 1'architeéte, il s'eft cependant écoulé prés d'un fiecle avant qu'on s'en foit appercu, avant qu'on ait pu fe défaire de Terreur qui foumettoit les jardins a Ia fymmétrie. Méme aujourd'hui qu'on a répandu tant de Iumieres fur cet art, qu'on a travaillé heureufement dans plus d'un pays a détruire les vieux préjugés, il fe trouve encore des efprits, d'ailleurs éclairés, qui entrainés par une longue habitude, ne veulent pas convenir des défauts des jardins fymmétriques. On a même tente leur apologie, mais d'une maniere qui ne foutient pas* Texamen. *) II eft cependant des cas oü Ton peut fe permetrre, par exception, des jardins fymmétriques; 8c fi Ton ne veut pas honorer ceux-ci du nom de jardins, il faudra leur en chercher un autre. La maniere fymmétrique fera donc de mife dans les jardins fitués derrière les maifons de la ville ou des fauxbourgs, dans les places qui environnent des palais, 8c dans les promenades publiques. Dans presque toutes les villes on aime a fe ménager un efpace dégagé derrière les maifons, afin de pouvoir y aller prendre fair 8c s'y promener; de la Tancienne coütume encore en vogue de conftruire dans cet emplacement de petits jardins ou lieux de plaifance. Cet ufage eft moins choquant que *) Voyés entr' autres Touvrage intitulé: Sur la formation des jardins. 8. Paris 1775- .Tome I. X  i6a Seconde Setöion. Recherches fur le goüt ancien & moderne que celui de tranfporter la campagne en ville, en plantant dans les mes & devant les maifons des arbres, qui a la vérité fourniffent de 1'ombre, mais qui empèchent auffi la libre circulation de l'air, nuifent aux édifices par leur humidité, 8e en diminuent 1'apparence. Les jardins qui accompagnent les maifons n'ont guere d'autre deftination que de faire refpirer l'air fraix, de procurer une promenade, ou un repofoir k 1'ombre, 8c d'offrir la vue de la verdure & du ciel; 8e leur but elt rempli quand on y jouit avec fatisfaétion de ces avantages. L'efpace étroit ne permet ici ni richeffe ni variété de fcenes. Les batimens voifins peuvent étendre leur fymmétrie jusque la; la régularité de 1'enfemble, les couches 8c les plantations d'arbres fervent ici a la commodité, & permettent au propriétaire d'appercevoir d'autant mieux fa petite poffeffion. Qu'un mur épais y renferme 8e protégé fes plantés contre le vent; qu'un cabinet fitué dans un coin ait fon pendant k Tautre, ne fut - ce que pour ne pas laiffer la place vuide; qu'une petite fontaine artificielle coule 8c gazouille vis k vis d'une autre puisqu'il n'y a point d'eau courante pour les chaffet. Dans un lieu d'une fi petite étendue on doit plus penfer au befoin 8c a Ia commodité qu'a natter 1'imagination. Ici la nature renonce aux droits qu'elle fe rëferve dans de grandes contrées, 8c le goüt elt fatisfait pourvu qu'on ne le choque pas. La même chofe a lieu pour les jardins autour des villes, qui font fouvent a cóté les uns des autres, 8t renfermés en d'étroites Umites. Les grandes places qui envlronnent des édifices, 8c fur-toüt des palais, demandent une difpofition 8c des omements fymmétriques, a caufe de leur liaifon intime avec les ouvrages cTarchite&ure dont elles font une appartenance, 8c nous Tavons déja remarqué. Leur fol mème étant üni les y prépare: d'ailleurs parfemées de plantations fans ordre elles oteroient au batiment fa lumiere 8c fon afpeét noble qu'elles font deftinées a augmenter de loin. L'importance ou la dignité d'un édifice doit ètre annoncé par tout ce qui Tentoure. C'elt très-improprement qu'on donne k ces places Ie nom de jardins; on devroit les nommer, d'après ce qu'elles font effeéti- vement,  en fait de jardins.. ... tfy vement, places décorées, avant-cours, anti-cours, ou comme l'on voudra. Toutes les autres places fituées au milieu des villes exigent de même la fymmétrie dans leurs plantations 8c leurs décorations. Nous aurons dans la fuite occafion de parler des jardins publics. Nous nous contenterons de remarquer aétuellement que ces fortes de promenades permettent également la fymmétrie. On ne s'y propofe pas précifément de jouir des fcenes agréables de la nature; on s'y raffemble pour fe donner du mouvement & pour gouter en fe promenant les plaiürs de Ia fociété 8t de la converfation. On veut s'y voir & s'y retrouver: des avenues & des allées unies, découvertes, larges 8c allignées, favorifent ce deffein 8c empêchent de plus tout défordre dans une foule fi mêlee. Tous les autres jardins, je Ie répete, ne fouffrent pas Ia fymmétrie; elle eft oppofée a leur deftination 8c a la nature. Situés au fein de la campagne, oü nous fuyons pour éviter la gêne 8c Ia morgue des villes, ils doivent nous enchanter par une aifance champêtre, par toutes les fcenes nobles 8c variées que les preftiges de la belle nature, guidée difcretement par l'art, peut offrir k nos fens 8c a notre imagination. X 2 a Ce  io"4 Seconde Seclion. Recherches fur-le gout ancien & moderne 2. Ce 'que nous avons dit du goüt anglois, en racontant comment il s'eft introduit, prouve qu'il eft en général conforme a la nature & au bon fens, & direcf ement oppofé aux colifichets 8e aux faux -brillants dé 1'ancien ftyle. Cependant malgré le choix qu'il fait des plus beaux tableaux de la nature, tableaux qui par leur vérité 8c leur fimplicité parient au cceur, malgré les décorations 8e les difpofitions aifées, animées 8c nobles qui lui font propres, ce goüt n'eft pas abfolument exempt de caprice & d'extravagance. Voici quelques réflexions k ce fujet; d'autres trouveront place ailleurs. On auroit presque raifon de dire que dans le goüt anglois on outre la nature, comme dans lè franqois l'art. L'amour excefïif du naturel eft non feulement ennemi des embelliffements artificiels, mais encore de plufieurs objets qu'offre la nature. On préfere avec trop d'affeélation des arbres fauvages k des arbres fruitiers, des plantés'exotiques a des buiffons du pays. On cherche trop k laiffer prendre a 1'enfemble un air de défert, 8e fouvent les jardins font peu différents de la campagne inculte. Toujours en voulant imiter trop fervilement la nature on rejette ce qui pourroit décéler la main officieufe de l'homme; on ne veut voir que des lignes tortueufes; on profcrit les avenues, les allées droites, les couches de fleurs, tous objets, qui bien difpofés 8e dans de juftes bornes, n'ont cependant rien qui répugne a la nature. On outre enfuite l'art, mais d'un autre cóté. Toutes fortes d'édifices anciens 8c modernes font requs fans diftinélion dans les parcs anglois: il n'eft pas rare d'y voir du mème lieu un obélifque égyptien, une rotonde grecque, un monument romain, une églife gothique, une mofquée turque & un temple chinois. En mélangeant tant de genres différents d'architeéture étrangere, on oublie qu'ils font fur 1'ame des impreffions peu convenables 8c qui fe contredifent réciproquement. On oublie que les fabriques ne doivent pas uniquement occuper un emplacement, indiquer ; - • •" -8c em-  • - en fait de jardins. , & embélfir un point de vue, ce qui dans le fond feroit une mince deftination, qu'elles ne doivent pas être de fimples décorations, mais des décorations dont la fignification 8c Ie caraétere s'accordent avec celui du pays 8c du lieu en particulier. ■ ■ Cet attachement trop tendre pour Ia nouvelle maniere caufe encore un effet trés - nuifible: il conduit k des dévaltations. Sous prétexte de ramener tout au chemin de Ia nature, il détruit fouvent la nature mème, ou du moins des plantations qu'elle faifoit profpérer. „La hache," dit .Chambers, „Ia hache a fouvent renverfé en un jour ce que plufieurs fiécles avoient vu croitre; elle a enlevé mille plantés refpeétables, abattu des forêts entieres, pour faire place a un fimple gazon, 8c a quelque peu de mauvaife herbe américaine. Nos artiltes ont k peine laiflé de Landsend jusqu'a la Twend, un acre d'ombre ou trois arbres allignés; 8c fi cette fantaifie deltruétive continue fes ravages,. on ne trouvera plus dans Ie royaume d'arbre de haute futaye." Cette plainte eft fans doute un peu outrée, mais toujours eft-il certain que la propogation du goüt anglois a fait détruire aveuglement en quelques endroits 8c particuliérement en France, quantité de belles plantations. On a méme commencé d'abattre les allées du jardin de Verfailles, qu'on auroit dü épargner, puisqu'elles y étoient, 8c qu'elles Ie méritoient comme étant dans un jardin public, 8c comme modeles du ftyle fymmétrique. Tant on fait peu s'arrêter k propos quand on eft pouffé par la manie de 1'imitation. On ne trouvera pas ces reproches outrés. Je refpeéte le génie des Anglois jusques dans leurs parcs; je reconnois leur mérite éminent quant k la perfeétion de l'art des jardins; 8c je ne fuis rien moins que porté a approuver la critique peu méfurée, 8c peu fondée que continuent k en faire quelques zélés défenfeurs de Tanden ftyle; mais qu'il me foit permis de terminer par une réflexion qui regarde mes compatriotes. II n'eft pas féant a 1'Allemand d'ètre fimple imitateur dans fes jardins, lui qui furpaffe les autres nations dans tant d'arts Sc de fciences. Je fuis • • X 3 donc  !Ö6 Seconde Seilion. Recherches fur le goüt ancien & moderne &f. donc bien éloigné de lui confeiller l'imitation aveugle; il a affez de génie & d'invention pour fe frayer une route a lui. Imiter fans examen, fans être convaincu que ce qu'on imite eft vrai & beau, & uniquement paree que d'autres font ainfi, c'eft copier fervilement. Mais emprunter d'une autre nation ce qu'après müre réflexion on eft forcé d'approuver 8c de trouver beau 8c convenable au climat qu'on habite, a la maniere dont eft difpofée la campagne qu'on poffede, 8c a fes befoins, c'eft faire un ufage fenfé de fes connoiffances. Ainfi dans l'art des jardins nous pouvons profiter de bien des chofes que nous offrent les autres nations. Point d'imitation fervile donc, ni du ftyle anglois, ni du ftyle franqois, quoique s'il falloit abfolument imiter, le premier en valüt feul la peine. Nous trouverons dans la fuite un milieu entre les deux goüts dominants; ce milieu, en abandonnant Tanden ftyle, n'ira pas fe perdre entiérement dans le moderne, mais tout en fe pliant quelquefois a ce dernier, ilfuivra le plus fouvent fa propre direétion. TftOISIEME  i6ï TROISIEME SECTrON. De tart des jardins, conjidérê comme un des beaux-arts. On eut des jardins long-temps avant qu'on penfat a l'art de les faire, tout comme on eut des batiments plufieurs fiécles avant de connoitre la belle architecture. D'abord les jardins ne furent defkinés qu'a 1'utile, & cette première deftination elt encore celle des jardins potagers 8c des vergers. En introduifant infenfiblement a cóté de 1'utile 1'ornement & 1'élégance, on a fait paifer les jardins fous la domination du beau, 6c mis ainfi une différence efientielle entre un jardin ordinaire & un jardin de plaifance; en forte qu'aujourd'hui l'art dont nous traitons eftfoumis en partie aux regies générales du bon gout, 8c en partie aux regies particulieres qui découlent de la deftination des jardins. Avant d'aller plus loin il faut que par une remarque, qu'on ne doit jamais perdre de vue dans tout le cours de cet ouvrage, je prévienne une erreur que 1'expreffion art des jardins pourroit aifément occafionner. Cette exprelïïon ne fignifie pas qu'on a pour but d'embellir, de furpafler 8c de foumettre Ia nature a des formes 8c a des difpofitions artificielles, 8c d'en exiger des effets qui lui font étrangers 8cc., 8c le tout fans aucun égard pour ce qu'elle nous offre d'elie - mème. Le mot art ne fignifie ici que l'art de réunir ce que la nature a d'agréable 8c d'intéreffant en employant la mème maniere 8c les mêmes moyens qu'elle, 8c de ramaffer dans un même endroit les beautés qu'elle rëpand dans fes payfages; de produire un nouvel enfemble, auquel ne manque ni harmonie ni unité; de créer en combinant 8c difpofant les objets, fans pourtant s'écarter de la nature; de renforcer le caraétere des contrées qu'elle offre, 8c d'en multiplier les effets enplantant, en perfeétionnant, en ordonnant, en formant des contraftes;. de rehauffer les attraits de la nature en les alliant convenablement a ceux de l'art. Les expreffions, art des jardins, artifte jardinier, ne font fans doute pas des meilleures; mais celles-ci, jardinage, architeéte de jardin, valent  lög' Troifmne Seclion. De l'art des jardins, valent 'encore' moins & pourroient plus aifément donner lieu a l'ëquivoque. Comme nous 'nous occuperons dans la fuite k dëvelopper avec exaétitude les principes de cet art, nous nous bornerons'ici'a 1'examifter en tant qu'il tient une place parmi les autres arts libéraux. Aucun de ceux - ci ne lui eft allié d'aufti prés que da pèinture. Aveuglé par le préjugé, & fubftituant 1'architeclure k celle-ci, on acependant méconnu long-temps cette liaifon ft forte & ft naturelle. Mais fi, comme nous 1'avons déja démontré, ce n'eft pas auxloixde 1'arcbiteélure qu'eft foumis 1'art des jardins; fi ces deux arts font trop différents de nature & de but pour pouvoir fe réunir fous les mêmes regies & les mêmes maximes; il eft inconteftable qu'il ne refte plus parmi les beaux - arts que la peinture, & la peinture en payfage, qui puiffe tenir k l'art des jardins. Ces deux arts ont cependant des limites déterminées oü ils commencent a différer effentiellement: outre ces limites générales, il fe trouve encore quelques circonftances oü 1'un des deux gagne du cóté de la,facilité & de 1'énergie, tandisque 1'autre perd. C'eft ainfi que les beautés des nua-' ges & de 1'arc-en-ciel, que les phénomenes enchanteurs qui accompagnent le lever & le Coucher du foleil, que les effets de la lumiere entre les roes & les monts, que 1'agrément caufé par les jours & les ombres accidentels, que les doux attraits d'une perfpeétive aè'rienne &c. échappent au jardinier: il ne peut pas comme le peintre les fixer; il ne peut qu'en profiter quand la nature libérale veut bien en embellir fon ouvrage. — L'aétion eft Ie domaine du peintre, non de l'artifte jardinier. Toute 1'énergie que le premier peut donner a fon tableau en y traqant une aétion intéreffante eft perdue pour le fecond. Dans la peinture le payfage ne paroit ètre la qu'a caufe de Paction qui s'y paffe: dans l'art des jardins le payfage privé d'aétion n'eft la que pour lui-même. Afin de lui donner de la vie & de 1'intérét, Watelet propofe de faire paroitre auprès „des temples, des autels, des ares de triomphe, une troupe de pantomimes vètus fuivant le coftume néceffaire, — & imitant des cérémonies, faifant des facrifices, allant porter des offrandes &c." Si cette idéé paroiffoit trop recherchée & trop éloignée de  confidérê comme un des beaux-arts. de la deftination d'un jardin; on pourroit y fubftituer les fètes & les occupations plus convenables de 1'Arcadie. Ces fcenes aétives animent fans doute ladécoration, mais on ne peur les exécuter qu'a de certains moments; ce font des acceflbires inftantanés, non des appartenances continuelles. — La toile fe prête avec complaifance a toutes les combinaifo:,s que peut enfanter 1'imagination du peintre. L'artifte jardinier eft fouvent arrêté par la réfiftance que lui oppofe le terrein, & par les formes & les fituations fantafques de la contrée. II ne peut pas toujours triompher des obftacles. II n'a pas pour créer 1'aifance, la facilité du payfagifte. Souvent il eft forcé d'obéïr a la nature, & de fe laiffer guider par ce qu'elle a produit. Cependant Ie payfagifte & l'artifte jardinier fe rencontrent fréquemment. Tous deux ont fous leurs yeux une variété infïnie de fites, d'objets êkde caraéleres que la nature leurdévoile dans fes payfages: tous deux doivent commencer par obferver & choiftr. Les grands payfagiftes ont tous regardé 1'étude de la nature comme leur .premier devoir. Lucas de Uden dévance 1'aurore dans les champs afin d'obferver les fucceftions rapides d'accidents que produit le point du jour. Claude Gillée paffoit fouvent des journées & des nuits entieres a Ia campagne toujours attentif aux différents phénomenes qu'offre Ia nature au lever & au coucher du foleil, & lorsqu'il fait de la pluye ou de I'orage: il ne deffinoit qu'en plein air, puis il fe hatoit d'aller mettre en tableau ce qu'd avoit vu de plus remarquable. A peine le jour commenqoit a éclairer les contrées, que Bernard Graat parcouroit les plaines, les forêts, ou le rivage des ruiffeaux pour remplir fon génie obfervateur des attraits de la nature; & de retour il les fixoit fur la toile. Le mème efprit pouffoit Pierre Breugel & Felix Meyer a graver, le premier les montagnes du Tyrol, le fecond les Alpes pour épier la nature & lui emprunter fes belles cafcades, fes chaines de montagnes hautes & rabotteufes, fes fommets cachés dans les nues, fes voiles de brouillard. A la chaffe & a Ia pêche, Metelli & Bianchi faifoient une attention continuelle aux fcenes variées de la nature, pour lesquelles ils avoient'toujours un Iivre de deffein pret. Tome I. Y Afin  i-jQ Troifieme Seclion. De l'art des jardins, Afin de fe procurer plus d'occafion d'étudier la nature dans fes oeuvres, le Pouffin loue quatre logements a la fois; deux dans les endroits les plus élevés de Rome; le troifieme a Tivoli; le quatrieme k Frafcati. Ce fut au chateau agréable de Bentheim, dans le voifinage de la Haye, & oü Berghem paffa une partie de fa vie, qu'il s'inftruitit des effets charmants que produifent les points de vue en perfpeétive & les frais paturages. En un mot tous les payfagiftes fameux étudierent foigneufement la nature qu'ils devoient imiter. Ils ne peignoient que lorsqu'ils avoient vu avec émotion & obfervé avec jugement; & l'on avoit droit 'de s'attendre k d'heureux tableaux. L'artifte jardinier doit également dommeneer par former fon ceil & fon efprit aux beautés de la nature. Regarder les décorations d'un payfage avec un plaifir fenfuel, & les confidérer d'un ceil critique, font deux chofes fort différentes. L'artifte jardinier qui veut travailler ayec fuccès, doit pofféder un tréfor d'idées champêtres; & il ne peut 1'acquërir que par I'obfervation exaéle & foutenue de la nature. II doit avoir une connoiffance étendue non feulement des différents fttes, objets & caraderes du pay&ge, mais encore des impreffions que font fur 1'ame ces fttes, ces objets, ces caraéleres tant ifolés, que combinés, comme ils peuvent 1'être, d'une infinité de manieres différentes. Voila la véritable étude de la nature, étude qui eftl'ouvrage non de quelques jours, mais de plufieurs annëes, quine peut s'achever dans des contrées nues & uniformes, mais qui demande des. payfages enrichis de variété & de contraftes; qui enfin, exige un ceil perqant&délicat, une vive fenfibilité, un génie capable de faiftr toutes les parties d'un enfemble bien ordonné. La compagnie d'un payfagifte qui döué des talents néceffaires, copie les plus belles vues, eft d'une grande utilité au jeune artifte jardinier. On ne peut trop recommander k celui - ci d'obferver attentivement la nature. Comment difpofera -1 - il les hauteurs & les'enfoncements, comment ordonnera-t-il les plantés, les buiffons & les arbres, comment diftribuera-t-il & conduira-t-Ü les eaux, comment tirera-t-il parti d'un défert, s'il ne connoifpas a fond le pouvoir & les effets de ces objets ifolés & cómbinés? Dans les feuls jardins fymmétriques  confidéré commè un des beaux-arts. j^j métriques des architeétes on pouvoit fe pafler de faire attention a la belle nature; au moins trouva-t-on a propos de la négliger. Veut-on des jardins qui méritent ce nom en offrant aux fpeétateursia nature embellie? il faut que l'artifte avant que de s'y hazarder ait beaucoup obfervé & en payfagifte; qu'il ait enrichi fon imagination d'images champêtres. Sans ces avantages il fera fouvent embarrafle, ou du moins ftérile; il ne fera que copier fans fuccès des imitations lorsque lui-même en auroit pu faire de belles; & chaque nouvel ouvrage, dégénerant toujours, prouvera Tepuifement de fon génie. Kent racontoit fouvent qu'il devoit le goüt avec lequel il ordonnoit fes jardins, a la leélure aftidue des defcriptions pittoresques de Spencer. La nature elle-même doit inftruire bien mieux & bien plus facilement. Après 1'obfervation vient le choix pour Ie peintre tout comme pour l'artifte jardinier. Naturam pinxiffe parum eft, nifi pifta venufte Rideat et laetos oftendat fplendida vultus. II vaudroit autant n'avoir jamais obfervé que d'imiter tout ce qu'on apperqoit. Le payfagifte accompli eft plus que copifte fervile de la nature: il travaille en artifte, en honlme de goüt & de jugement, & ne peint qu'une nature choifte. II dépouille les objets dont il s'occupe, de tout ce que Ia nature peut leur avoir laiffé de trivial & d'oifif dans fon plan fublime, plutót dirigé vers Ia perfeétion que vers la beauté. II tire de la vafte maffe du payfage les parties les plus belles, les plus riantes, les plus piquantes, & en fait un nouvel enfemble, qui fans ceffer d'être naturel eft au deflus de la nature ordinaire. II perfeétionne les difpofitions & les objets, fans transformer leur caraétere; il les change fans les rendre méconnoiflables. II étend ou reflèrre, il ajoute ou retranche, fans défigurer ou troubler 1'harmonie. Son ouvrage achevé, une nouvelle nature fe dévoile a Ia vue: Ie tout eft vrai, & cependant l'original n'eft nulle part; letout offre une création plus belle, tant 1'obfervation & le génie ont cherché & choift avec foin fes diverfes parties. II en eft de même de l'artifte jardinier. v ü Dan&  Troifieme SetKion. De l'art des jardins. Dans la compofition encore l'artifte jardinier fe rapproche du payfagifte, ■.■. Elle permet a.tous deux de fuivre en Iiberté dans leurs combinaifons & dans 1'élargiffement des furfaces & 1'allongement des lointains, dans le mélange &la forme des arbres, du gafon, & des eaux, dans les plantations &les embelliffements, dans les fites libres ou limités, montueux ou unis, riants ou déferts, la variété infinie dont fe fert la nature avec un art inëpuifable pour caufer du plaifir. Elle exige de tous deux une égale connoiffance des loix de la perfpeétive, afin qu'ils fachent ordonner les objets de maniere a paroitre dans une jufte proportion & a produire par leur forme & leurs couleurs un effet avantageux fur la vue; une difpofition fage, qui prévienne ckla fatigue & la diftraétion de l'ceil, qui le conduife fucceffivement aux plus belles parties de 1'enfemble, tandisqu'ici une enceinte de collines, de bois, ou d'édifices 1'empèche de s'égarer dans des perfpeétives ingrates & nues, ou d'ètre détourn'é par des objets étrangers, & que la il fe répofe fur des places incultes. Enfin elle exige de tous deux l'art d'accorder toutes les parties en forte qu'elles compofent un enfemble harmonieux, & cela avec toute la variété, avec toutes les irrégularités, & avec tous les acceflbires poffibles. La réunion des objets champêtres n'attire jamais plus que quand elle eft animée par le mouvement. Le payfagifte & l'artifte jardinier parviennent a produire cet effet par le fecours de la ligne ondoyante, qu'ils devroient s'efforcer de furprendre a la nature. Quoique l'on ait peut-ètre eu raifon de ne pas adopter comme un principe général en peinture la ligne que Hogarth donne pour modele de la beauté, cependant il eft indubitable que le payfagifte, en tant qu'il peint les objets qu'offre un payfage naturel, ne peut la négüger. Les formes & les contours du payfage la lui montrent trop diftinélement pour qu'il puiffe la méconnoitre; donc elle eft donnée par la nature. Cette ligne eft propre a la mobilité, tout comme la ligne droite a 1'immobilité. Enfin elle produit un effet dont l'artifte jardinier ne peut pas plus fe paffer que le payfagifte. Ce dernier a encore d'autres moyens plus frappans de donner a fes tableaux'1'apparence du mouvement & dela vie, en les enrichiffant de fïgures, de paturages, de fontaines, d'édifices  confidêrê comme un des beaux-arts. fices & de ruines; en y plaqant tout ce qui annonce ou fait deviner Ia prëfence de l'homme; en y exprimant les effets du vent fur les arbres 8c les eaux; & en y traqant des cafcades écumantes. L'artifte jardinier peut, presque par les mêmes moyens, communiquer a fes ouvrages le mouvement, qui eft 1'ame de la nature; il a de plus 1'avantage confidérable que tout eft réalité pour lui. Qelques-uns de ces moyens d'animer un jardin font naturels, d'autres artinciels. Le mouvement du feuillage 8c celui des nuages, dont le jardinier n'a 1'ufage que quand il plait a la nature, eft accidentel & ne fe trouve pas toujours la a point nommé pour renforcer ou augmenter 1'impreftion produite par d'autres objets. Le mouvement des eaux 8c leurs modifications variées font plus au pouvoir de l'artifte. Enfin la peinture en payfages 8c l'art des jardins fe rencontrent quant au coloris. La première loi de la belle nature eft, non d'aflbupir par des couleurs ternes 8c monotones, mais de réveiller par des teintes vives 8c variées. Lorsque la mème nuance de verd regne dans un payfage ou dans un jardin, comme dans les tableaux du Bourdon, comme dans les anciens parcs, ou dans les jardins aéfuels des Turcs, ou même dans ceux de Ver? failles, elle lui communiqué un air de trifteffe & pénetred'ame d'ennui. Les objets naturels ne montrent jamais une plus grande richeffe de couleurs variées qu'au printems 8c en été: même dans une petite étendue de terrein, le verd eft nuancé a Pinfini. C'eft par la que la nature enchante 8c récrée la vue. Elle avertit le payfagifte 8c l'artifte jardinier d'ètre attentifs a fes produétions. Mais, de mème qu'ils ne doivent pas imiter tout ce que le hafard leur offre, de méme ils ne doivent pas copier fans difcernement toutes les couleurs qui fe préfentent: il faut qu'ils choififfent celles qui produifent 8c dans 1'enfemble 8c dans chacune de fes parties 1'effet le plus favorable a leur deffein. Les couleurs gayes 8c claires doivent dominer, mais des parties ifolées, par exemple, les grottes 8c les ruines, peuvent ètre décorées d'arbres 8c de buiffons d'une teinte plus foncée. Outre la diverfitê qui fe trouve entre les efpeces mêmes d'arbres différents, il en eft encore une plus grande qui réfulte de la direétión variée des rameaux, du plus ou moins de feuillage, de 1'abondance ou de Ia rareté des feuilles, Y 3 de  Troifieme Seblion. De l'art des jardins, 174 J de leurs teintes vertes, jaun&tres, bleuatres, rougeatres & des nuances fnfiS de ces teintes. Cette variation Sc ce melange de couleurs iVeft pas ££vmble dans toutes les families des plante, La difpofiüon es «, £e &de,Plantes fuivant que leurs couleurs s'accordent enfemble, ou tranchent, eft au pouvoir de l'artifte jardinier. En les plantant 8c les comSant il peut produire un tableau auffi parfait qu'un payfagüte un tableau dont feflt fera plus prompt 8e plus ravifïant quoique moms durable. II peu , en menageant de douces gradations de teintes foibles Sc fortes, de iouÏs & d'ombres, en mariant 8c fondant les couleurs d'une maniere p;ouante offrir k la nature des tableaux qu'elle-mème n'a peut-etre cree Tetement 8c dans un moment d'heureufe fantaifie; 8c ce qu'd peut, ü dok le faire. Si le fol n'eft pas rebelle k fes efforts, il trouve en quelque fin plus de facilités que le payfagifte; il acquiert en meme temps les ob- ts & leurs couleurs, 8c il n'a plus qu'k choiftr 8c k combmer. Max co mme le changement continu 8c fucceffif qui fe fait dans le regne vegetal arïïle auffi les teintes, l'artifte a befoin de beaucoup de difcernement pour entretenir la beauté 8c 1'harmonie de fon tableau, au moins pendant quelnues mois. II faut donc qu'il s'attache non feulement a obferver ce qui Lfte aauellement, mais encore k prévoir ce qui peut arriver pendant une ZTe Plus ou moins grande de la faifon agréab e pour laquelie d travadle Quoi de plus riant 8c de plus gracieux que de combmer judiaeufement ces teintes, de maniere que le clair-obfcur y fut presque auffi exaél 8c auffi feduifant que dans un beau tableau? II faudroit qu'un jardinier fut un excellent peintre ou du moins qu'il poffedat éminemment cette parne de la ueinture qui confifte kbien connoïtre la fympathie des couleurs differenL 8c les différens tons de la même couleur: alors il affortiroit la verdure de maniere k caufer des furprifes, 8c k nous fake goüter des plaifirs extraordinaires « Tel eft le jugement d'un maitre d'architeélure diftingue, ) qm dans fes digreffions fur les jardins, eut affez de pénétration pour les juger d'après les principes qui leur font propres 8c pour. appercevoir leur affimte avec la peinture. ^ *) Effai fur 1'architefture (par Mr. Laugier). 8- Paris 1753- Page 387*  confidérê comme un des beaux-arts. 175 L'art des jardiniers 8c celui des peintres n'ont pas toujours été féparés en forte que quelques habiles gens d'entre ces derniers n'ayent pas conltruit des jardins avec fuccès. Le Dominiquin batit non feulement la maifon de campagne du Cardinal Aldobrandini a Frafcati, il en ordonna encore les avenues, les fontaines 8c les points de vue, d'une maniere pittorefque 8c pleine de goüt. Pierre de Cortone en fit autant pour le Cardinal Sacclietti. Plufieurs jardins agréables des environs de Florence 8c de Mantoue ont été conftruits par des peintres avec autant de bon goüt que pouvoit le permettre leur fiecle, oü l'art des jardins étoit encore fi peu formé. On y trouve plus d'attraits pittorefques 8c champêtres que dans nombre d'autres jardins. Peut-être même des peintres, ou du moins des architeéles qui joindroient k leur art celui du payfagifte, feroient les plus propres a exécuter des édifices champêtres 8c des pavillons dont le caraétere dominant eft la fimplicité 8c 1'agrément. Après la comparaifon que nous venons de faire de ces deux arts, il eft manifefte que celui du jardinier furpaffe autant celui du peintre, que la nature furpaffe la copie. Aucun des arts imitateurs n'eft plus intimément lié k la nature, ou plutót n'eft plus la nature méme que celui des jardins. Tout devient ici réalité. La mobilité des objets n'eft pas fimplement indiquée, mais effeétive. L'eau qui, dans un tableau en payfage, ne paroit animée que par fes refleéts, fait appercevoir fa préfence par fon afpeét 8c par fon murmure. Les couleurs brillent a l'ceil avec un éclat, une vivacité, une chaleur que le pinceau magique du Titien s'efforce en vain d'atteindre. Le développement fucceffif des différentes fcenes d'un jardin fournit un plaifir plus foutenu, plus amufant que le tableau en payfage le plus vafte8c le plus beau, dont l'ceil a bientót embraffé Penfemble; les mouvements progreftifs font plutót du reffort des jardins que de celui de la peinture. De plus l'artifte jardinier gagne confidérablement en étendue, tandisque fur la toile il n'y a pas place pour toute la variété poffible, 8c que les plus petites ombres qui fouvent font 1'effet le plus riant, ne peuvent y être exprimées. Bien des objets, beaux en nature, perdent a Timitation, même entre les mains du payfagifte le plus habile 8c le plus attentif. x D'autres,  176 Troif. Seclion. De l'art des jardins, confidêrecomme un des beaux-arts. D'autres, qu'il elt obligé de refferrer dans un petit efpace, fe perdent facilement en une maffe informe, malgré 1'obfervation la plus exaéte des regies de la perfpeétive. Enfin la compofition d'un tableau en payfage refte toujours la mème, de quelque cóté qu'on Texamine j l'artifte ne peut pas plus que le fpeétateur changer 1'ordre une fois adopté; & par conféquent fon effet eft tout auffi invariable. Mais l'artifte jardinier eft pour ainfi dire, maitre de multiplier fes compofitions en les faifant confidérer fous différents afpeéts. II peut par la difpoütion de fes allées défigner plufieurs points de vue au fpeétateur, qui doit naturellement s'y arrèter pour examiner le plan d'un autre cóté. II peut donc par la variété & la fucceffion des vues, qu'il dirige conformément a fon but, produire une fuite de mouvements qui fe renforcent réciproquement par leur propre énergie, & qui offrent a 1'ame une jouiffance qu'elle cherchoit en vain, mème dans les chefs d'ceuvres d'un Sachleven & d'un Elzheimer. QUATRIEME  QUATRIEME SECTION. deftination & de la dignité des jardins. Un jardin eft un lieu deftiné k faire jouir tranquillement l'homme de tous les avantages de la vie rurale & de tous les agréments des faifons. Tous les avantages, tous les plaifirs que Ia nature réferve a fes amis fenfibles, peuvent fe trouver dans Penceinte d'un vafte jardin bien ordonné. Difons plus: ces avantages, ces plaifirs augmentent de prix & fe multiplient k mefure que le jugement & le bon goüt s'efforcent de rehaufler les attraits d'un jardin par la culture, 8e de le mettre au deflus d'une contrée abandonnée a elle-même. Qui ne connoit pas ces plaifirs champêtres qu'ont chanté les poé'tes de tous les fiécles, qu'ont fi fouvent loué les philofophes, que l'on fe fouhaite fi fréquemment, que l'homme qui n'eft pas encore aflez dégénéré pour ne plus favoir jouir de lui - mème, faveure avec tant de délices? Plaifirs que Bacon mème regardoit comme les plus purs; qu'Addifon trour voit fi refpeétables qu'il appelloit le goüt qu'on y trouve une habituele vertueufe de Pame. Tenter de nouveau d'en tracer un tableau détaillé, ce feroit vouloir décrire ce qu'il faut fentir, vouloir recommander ce que tout le monde eftime. II faudroit parler de ces douces jouiflances qu'offrent la Iiberté, les lointains, les promenades, les avenues, l'air, Ia fraicheur, les odeurs douces qu'exhalent les plantés, & de tous les avantages qui en réfultent pour l'efprit & pour lafanté; de ces promenades oü l'on erre a, 1'aventure & de ces agréables diftraétions que Pon éprouve, de cette fatisfaétion répandue dans tous les fens, de cette tranquille complaifance qu'infpirent au cceur les fcenes champêtres de la nature, de cet oubli charmant de tous les foucis 8c de toutes les inquiétudes du monde, de cette élévation paifible de Pame vers fon créateur 8c celui de tous les êtres, de ces élans enchanteurs de 1'imagination qui pafle légérement en revue le beau, le grand, le varié, la vie, le mouvement 8c les joyes de la création: fentiments vrais 8c innocents fur lesquels le pere même de la nature laifle Tome I. Z tomber  ■178 Qiiatrieme Se&ion. De la deftination tomber un regard d'approbation. Effe&ivement un jardin n'eft pas uniquement fait pour ètre le féjour du plaifir, quoique le plaifir foit le principe de l'art du jardinier: il doit ètre le domicile du foulagement après le cbagrin, celui du repos des paffions, du délaffement des travaux, & le théatre des occupations lés plus gracieufes de l'homme. II doit être la fcene favorite oü l'on va contempler la nature, 1'afyle oü fe refugié la philofophie, le temple oü l'on adore la fuprème fageffe. La deftination générale des jardins fe déduit des forces qu'exercent fur l'homme les fcenes féduifantes de la nature champêtre. Un jardin doit, al'aide des objets qu'il renferme, faire des impreffions très-fenfibles fur les fens & fur 1'imagination, & caufer par la une fuite de fenfations vives & agréables. En fuppofant ici que la fenfation que caufe une impreffion agréable foit I'objet principal de l'art des jardins, nous ne prétendons pas dire qu'elle ne puifte pas ètre mèlée, adoucie, ou mème remarquablement altérée par quelqu'autre impreffion analogue. Ainfi qu'une fenfation fatigue a la longue, quand elle demeure toujours la même; pareillement la jouiflance de la plus douce volupté nous endort quand elle nous enivre trop longtemps. C'eft lorsque d'autres impreffions analogues fe fuccedent, ou viennent fe perdre dans la dominante, que la fenfation conferve toute fa fraicheur, toute fa faveur. La modification de nos fenfations, modification quidépend du concours des caufes extérieures, paroit fi néceffaire a l'ame, que fon abfence feroit une perte effentielle pour notre nature. La deftination générale de l'art des jardins fera donc de faire naitre des fenfations agréables, auxquelles il peut joindre celles que caufent des contrées fohtaires, mélancoliques, fombres, romanefques, folemnelles &c. La vocation de l'artifte jardinier eft d'amufer par un enchainement harmonieux d'émotions diverfes caufées par le varié, le neuf, le beau, le fauvage, le mélancolique &c. Les objets que renferment les jardins ne font autres que ceux que préfente la belle nature elle-mème dans les champs. L'artifte jardinier choifira donc & ramaffera parmi ces derniers tous ceux qui agiffent parti- culié-  & de la dignité des jardins, culiérement fur la facultc fenfitive & rimagination: puis il les faqonnera, les cornbinera 8c les difpofera en forte que leur énergie foit augmentée. C'eft ainfi qu'un lieu changeant de nature commence a différer d'une contrée abandonnée a elle-même, 8c a fe transformer en jardin. Première hoi générale de l'art des jardins. Mais un jardin étant 1'ouvrage de Tapplication & du génie, il doit émouvoir plus fortement 1'imagination & le cceur qu'une fimple contrée naturelle. L'artifte tachera donc de renforcer 1'impreffion que caufent les objets naturels qu'il a choifis, faqonnés, 8c combinés avec jugement 8c avec goüt, en y mèlant des objets artificiels 8c analogues, 8c en faifant un enfemble du tout. Seconde Loi générale de 1'art des jardins. Ces deux Lois capitales jailliffent, comme deux ruiffeaux, d'une même fource, 8c coulent 1'une a cóté de l'autre. La fource, c'eft. le principe: Remue fortement al'aide des jardins 1'imagination & le fentiment, & remueles plus fortement encore que ne le fait une contrée naturellement belle. Appelle donc a ton fecours les attraits que t'offre de lui-même le payfage; 8c n'oublie pas l'art, afin qu'il puiffe les rehauffer. Chaque efpece particuliere de jardin qu'on imaginera fera naitre aufli une deftination particuliere, qui fera la fource des regies a obferver dans fon arrangement. En compofant un jardin on peut avoir différentes vues; on peut même en réunir plufieurs; mais il faut que toujours on fuive la nature, que toujours on fe propofe de récréer 8c d'amufer 1'homme. Cette deftination plus relevée des jardins étend 8c ennoblit en quelque faqon le point de vue fous lequel on peut les confidérer; elle les éleve jufqu'a la claffe des ouvrages eftimables de l'art, 8c les foumet par conféquent aux regies du bon goüt 8c du vrai beau, auxquelles ils n'étoient point foumis tant qu'ils demeuroient entre les mains d'un jardinier ordinaire. Par ce moyen il eft clair que des jardins dignes de ce nom feront arrachés a la mode 8c k la fimple fantaifie. II n'eft plus queltion de favoir ce qu'ils ont été ou font encore, mais ce qu'ils doivent être pour faire 1'heureux effet dont ils font capables quand ils font ordonnés avec jugement. Z z Que  igo Qiiatrieme SeÏÏion. De la deftination Que l'on fe joue tant qu'on voudra des petits jardins artifïciels des ville & des faux-bourgs: de véritables jardins s'élevent au deffus de 1'aveugle caprice & du fantaftique raffinement, 8c ne fuivent que la voix du bon fens & du bon goüt. Sous cet afpeél l'art des jardins devient Ia philofophie des objets variés de la nature, de leur pouvoir 8e de leurs aétions fur l'homme, 8c de la maniere de renforcer les impreffions qu'elles font fur lui; cet art ceffe d'être uniquement 1'amufement des fens externes, & devient une fource de vrai contentement intérieur pour l'ame, de richeffes pour 1'imagination, de délicateffe pour le fentiment: il étend le domainedu bon goüt 8c de 1'art; il applique l'efprit créateur de l'homme a une chofe fur laquelie il n'avoit vencore que peu agi; il ennoblit les ceuvres de la nature, & embellit cette terre, notre féjour pour un temps. Au moins telle peut être 1'étendue Sc la deftination qu'il doit s'efforcer d'atteindre. L'art des jardins peut en quelque faqon fe vanter d'avoir un avantage remarquable fur les autres beaux-arts. C'eft un art, 8c cependant il elt, pour ainfi dire, amalgamé avec la nature, 8c plus qu'aucun de fes freres. II nous fait jouir de toute la variété, de tous les plaifirs de la campagne dont la peinture en payfage ne nous offre qu'une partie: il produit tout d'un coup des impreffions que la poéfie defcriptive ne réveille que fucceffivement par une progreffion d'images. II n'émeut pas par une imitation éloignée, mais faifit, frappe immédiatement les fens paria préfence réelle des objets fans avoir recours a la mémoire ou a 1'imagination. II fournit un plaifir plus long 8c plus durable que les ftatues, les tableaux 8c les édifices ; car 1'accroiffement continu, le changement des faifons 8c du temps, le mouvement des nuages 8c des eaux, 1'intervention des oifeaux 8c des ihfeétes, 8c mille petits accidents caufés par la contrée 8c les lointains, enrichiffent un jardin d'une variété de fpeétacles qui charme fans ceffe 8c ne fatigue jamais. Le goüt de la fculpture, de la peinture, 8c de 1'architeéture n'eft pas généralement répandu; il faut ici de 1'étude pour admirer; la fatisfaétion occafionnée par les ouvrages de ces arts ne devient vraiment in„téreffante qu'après un certain efpace de temps confacré ay faire des recherches.  & de la dignité des jardins. jg I ches. Mais les attraits d'un jardin bien ordonné n'ont befoin d'inflruclion ni d'explication pour fe fake fentir au connoiffeur 8c a 1'ignorant. L'art des jardins touche toujours au but, fon pouvoir eft univerfel. Nous nous féjouiffons tous en voyant les décorations riantes de 1'été: nous nous affligeons tous en voyant les champs qu'il abandonne refter vuides 8c déferts. Une contrée cultivée 8c agréable flatte tous les yeux; une contrée apre 8c inculte nous arrache des plaintes fur la dureté de la nature, ou nous irrite contre 1'indolence de l'homme. Les maifons de campagne 8c les jardins font preuve du goüt public, 8c ne devroient jamais être indifférents a la politique, pas tant paree que de leur conftruétion dépend en partie I'eftime ou la critique que s'attire une nation, que paree que ces objets ont une influence morale fur les citoyens. Combien une province décorée de belles maifons de campagne 8c de riants jardins n'enchante-t-elle pas, ne prévient-elle pas en faveur de 1'état 8c de fes habitants! Ces décorations confidérées journellement contribuent a faire connoitre 8c aimerlapropreté, 1'harmonie, ladécence, le beau 8c 1'agréable, chofes fi importantes a la culture du cceur 8c de l'efprit. „En Ecoffe," dit Home, *) „la régularité 8c 1'applaniffement même d'un fentier a quelque influence de cette nature fur le petit peuple du voifinage. Ils prennent goüt ala régularité 8c a la propreté, dont ils font ufage d'abord dans leurs cours 8c leurs petits enclos, 8c puis dans leurs maifons. Ce goüt de régularité 8c de propreté une fois acquis s'étend fucceffivement fur les habits, 8c méme fur la conduite 8c les mceurs." L'art des jardins ne fe borne pas k copier Ia nature en embellifTant le domicile de l'homme; il augmente encore le fentiment qu'il a de Ia bonté divine, il favorife la gaieté 8c 1'agrément de fon efprit, 8c mème fa bienveillance pour fes femblables; c'eft ainfi que les habitants d'un beau pays font plus humains que ceux que le fort a relégués dans de miférables contrées. Les déferts nuds de la Lapponie 8c de la Sibérie ne fatiguent 8c n'effrayent pas feulement Ie voyageur; ils étouffent auffi le génie 8c Ie fenti- Z 3 ment *) Elements de Critique, lid Volume, Chap. 24. ou il eft queftion d'architefture & de jardinage.  l82 Quatrieme Setlion. De la deftination & de la dignitè des jardins. ment de fhabitanfen infpirant Tindolence, le mécontentement, lamauvaife humeur & 1'abattement. Dans des régions bien cultivées & ornées de jardins on verra les hommes s'accoutumer de préférence aux plaifirs décents & tranquilles de la nature, & oublier infenfiblement les paffetemps groffiers ckcoüteux. Entourés de tant d'objets enchanteurs, leur erprit deviendra ferein & gai, & leurs fentiments plus doux & plus'polis. Ils fentiront tout leur naturel porté a développer plus promptement & avec fuccès fes plus belles facultés. II elt certain que les fcenes riantes qu'offrent la campagne & les jardins, font fur 1'imagination & la fenfibiüté des hommes un effet bien plus important que ne le croient les efprits ordinaires. La penfée, que ces fcenes étendent & enrichiffent, ne s'y bornera pas; elle apprendra'a s'élever légérement d'une fuite d'images nouvelles a 1'autre, jusqu'a ce que abandonnant les objets connus d'oü die s'eft élancée, elle éprouve des tranfports caufés par la confidération du beau & du grand primitif, tranfports infiniment au deffus des impreffions ordinaires que fait la nature fur les organes de nos fenfations. THÉORIE  THEORIE DE L'ART DES JARDINS.  PREMIÈRE PARTIE. PREMIÈRE SECTION. Des objets de la belle nature champêtre en général SECONDE SECTION Des différents caraiïeres du payfage & de leurs effets.  185 PREMIÈRE SECTION. Des objets de la belle nature champêtre en général. L'art des jardins étant fi étroitement Iié a Ia nature qu'il paroit n'itre que la nature même fous une forme un peu changée, fa première & principale vocation fera de s'occuper des objets de la belle nature. Ceux-ci font d'efpeces & deforces différ,entes: ils feront par conféquent auffi différentes impreffions fur l'homme; 1'expérience & le fentiment nous en convainquent, &le créateur de tout devoit, fuivant le'plan formé par fa fuprême fageffe, leur donner les direétions néceffaires pour produire cet effet. Les objets de la belle nature font étalés aux yeux de l'homme; les organes de fes fens font difpofésde maniere a recevoir leurs impreffions, a émouvoir 1'imagination en les lui transmettant, & a animer le fentiment en lui offrant des images agréables. Les objets de la nature champêtre ont plus d'un chemin pour faire parvenir a 1'ame les impreffions qui leur font propres, & exciter fa fenfibilité. Le principal eft la Vue, ce fens le plus parfait & le plus amufant de tous. L'ceil nous fait appercevoir la Pofition des objets, leur Configuration ou Forme, leurs Couleurs & leur Mobilité: & toutes les beautés fenfibles qui y font attachées font de fon reffort. Entre les autres fens formés pour les agréments de la nature, fe diltingue enfuite ïOuïe, qui faifit les fons harmonieux. VOdorat, qui reqoit les douces exhalaifons des plantés & des végétaux, paroit être Ie dernier, a moins qu'on ne veuille lui joindre le fens plus groflier du Tacl, qui éprouve I'aétion rafraichiffante de l'air. C'elt par toutes ces entrées que les beautés champêtres & les agréments de la nature pénetrent plus ou moins jusqu'a l'ame. L'impreffion faite par les objets fur un des fens peut être renforcée parle mouvement fimultané d'un ou de plus d'un autre fens. Les perceptions correfpondantes de plufieurs fens rehauffent le prix de 1'objet qui en elt la fource. Un bocage décoré d'un feuillage nouveau & de riants lointains charme encore plus quand nous y entendons en mème temps le chant du roffignol, le Tome I. A a murmure  j 36 Première Seclion. Des objets murmure d'une cafcade, & que nous y refpirons 1'odeur douce de la violette. II eft.au pouvoir de l'artifte jardinier de flatter la vue, Youïe & Yodorat. Mais comme la récréation de tous ces fens au mème point, en partie ne dépend pas de lui, & en partie ne doit pas feulement être recherchée, a caufe de la différence qui regne dans la perfeétion interne des fens mêmes, il doit, fans cependant négliger entiérement l'odorat, travailler pour l'ceil & pour 1'oreille, & fur - tout pour. l'ceil. Le jardinier s'efforcera donc principalement d'expofer les Beautés vifibles de la nature champêtre. E De la Grandeur, & de la Variété. T7ntre les qualités qui rendent les objets naturels propres aux jardins, & JSlJ qu'il nous faut aétuellement déterminer plus exaétement, la grandeur demande d'abord notre attention. Nous haïffons tout ce qui eft borné, & nous aimons 1'étendue & Faifance; ce penchant de 1'ame, fans contredit originel, elt affez prouvé par 1'expérience. Lafpeét de petits objets renfermés dans un étroit efpace nous raffafie & nous dégoüte bien vke. Au contraire, la vue de tout un payfage, de montagnes', de roes, de larges eaux, de forêts nous ranime. Combien 1'ame ne s'élargit - elle pas, ne tend - elle pas toutes fes forces, ne fe travaille-t-elle pas pour tout embraffer, lorsque 1'Océan fe découvre a elle en perfpeétive, ou lorsque, dans une belle nuit d'hyver, la création paroit fe dévélopper fans bornes a nos yeux, & fe montre a nous avec toutes fes luifantes planètes & fes brillantes étoiles. L'amour de l'homme pour le grand, agit fi fortement & fi vifiblement, qu'on ne peut plus douter de la réalité de ce penchant qui femble annoncer la noble deftination de 1'efpece humaine. La jouiffance de la grandeur donne a 1'imagination & a l'efprit un aliment qui fatisfait en quelque forte complétement; on s'élance de fa ftation ordinaire & peu élevée vers une fphere plus fublime d'images & de feniations; on fent que l'on n'elt plus un homme  de la belle nature champêtre en général. igy homme vulgaire, maisun ètre dont 1'énergie &lavocation font bien au deffus du centre qu'il occupe. Un payfage plutót qu'un jardin eft deftiné par Ia nature a nous fournir les plaifirs qui réfultent de la grandeur. Mais un jardin auffi doit tendre a nous donner ces plaifirs, & d'autant plus que fon but particulier eft d'occuper l'homme d'une maniere conforme a fa dignité. Un jardin eft fans doute plus borné qu'un payfage; cependant il peut, au moins en partie, nous faifir par le fentiment noble de la grandeur. La grandeur, dans le fens dans lequel on doit prendre ce mot en parlant des payfages, comprend en foi 1'étendue des objets naturels, & celle de la place oü ils fe trouvent. On pourroit encore diftinguer le grand de la grandeur; c'eft ainfi qu'un bosquet de chènes auroit quelque chofe de grand caufé par les arbres mèmes qui le forment, tandisqu'un petit bois de faules feroit toujours mesquin, quoiqu'il s'étendit plus au loin. La variété eft alliée a la grandeur. L'étendue des parties conftitue celle-ci, leur diverfitê & leurs différentes formes celle-la. Enmariant harmonieufement la grandeur a la variété, il en réfulte la perfeétion en fait de payfages & de jardins. La variété paroit presque plus indifpenfable aux befoins de l'efprit que Ia grandeur. Les mèmes objets, toujours offerts aux yeux & dans Ia même pofition, une éternelle monotonie, une conftante uniformité de teintes, ne fatiguent pas feulement, mais caufent une efpece de martyre fecret. Que l'on aille 6k vienne entre des hayes uniformes: que l'on recommence encore une fois cet exercice, & ennuié de ces allées & venues invariables, on occupera avec plaifir le premier banc qui s'offrira, quoique Fon ne foit pas encore étourdi par ce tournoyement perpétuel. Comme les différentes parties diverfifiées d'oü réfulte Ia variété, peuvent en même temps avoir une certaine étendue, la grandeur & la variété font fufceptibles d'une union affez intime. Cependant ces deux qualités demeurent toujours trop efTentiellement différentes pour qu'on puiffe les confondre. Deux tableaux tracés par un grand poè'te paroiffent mettre la chofe dans tout fon jour; je tranfcris ces tableaux fans défigner en Aa 2 parti-  j gg Première Seëtion. Des objets particulier leurs traits caradériltiques affez vifibles a de bons yeux. Voici le tableau de la grandeur. „Un mélange de montagnes, de lacs & de rochers, s'offre diftinéte„ment a la vue, quoique fous des couleurs par degrés affoiblies. Dans le „fond azuré de la perfpeétive, des hauteurs couvertes de fombres forêts „réfléchiffent les derniers rayons. Une Alpe peu éloignée préfente des „terraffes en pente douce, couvertes de troupeaux, dont le mugiffement „fait au loin réfonner les vallons. Un lac, étendu entre les rochers, offre „un miroir immenfe; une flamme tremblante brille fur fes flots unis. „La des vallons tapiffés de verdure s'ouvrent a la vue, en formant des „replis, qui fe rétréciffent dans 1'éloignement." *) Le tableau fuivant de la variété paroit avoir été tracé fur une montagne voifine de Berne patrie de l'auteur, car il repréfente d'après nature 1'afpeét dont on jóuit depuis cette hauteur. „La verdure des bois fur ces cóteaux étoit enluminée par la couleur „blonde des champs. L'Aare, dans fa courfe tortueufe Scvariée, réfté'chiffoit fur des ondes pures une lumiere flottante. Prés d'elle la capitale ,jde laNuitonie, **) féjour de la paix & de la confiance, préfente fes rem„parts, qu'aucun ennemi n'a forcé. Aufli loin que porte la vue, on voit ,régner la tranquillité & 1'abondance. Sous fa chaumiere couverte de moufle le pauvre jouit ici de la Iiberté & du fruit de fes travaux. D'un „cóté la terre étoit couverte debrebis, qui broutoient avecavidité, pen„dant que d'un autre des boeufs péfans, mollement étendus fur 1'herbe, „ranimoient leur goüt, en ruminant le treflè fleuri. Le cheval délivré „du frein & du travaif, fautoit fur l'herbe naiffante des champs qu'il avoit „fouvent labouré. Les bois n'offroient pas un fpeétacle moins agréable. „Deshiètres presque dépouillés, brilloient la d'une rougeur ardente; ail.Jeurs des fapins épais jettoient leurs ombres fur la mouffe plus pale; les „rayons du foleil répandoient, au travers des branches obfeures, leur lu- „miere *) Poénes de Mr. Haller traduites de **) Anciennement Ia contrée oü eft ba1'Allemand. Berne 1760. 2 Vol. in 8- tie la ville de Berne étoit appelléeAtóo. Poëme intitulé les Alpes. ' nie. Notetirée delatraduftion de Haller.  de la belle nature champêtre en général. 189 „miere tremblante, & une ombre verte jouoit en différentes nuances avec „le feu du jour. L'aimable filence de ces bocages! Et quel charme enco„re plus doux dans la voix de 1'écho, quand une troupe d'heureufes créa„tures, dans le repos 8c dans 1'abondance, réunilfent leurs voix pour chan„ter leurs plaifirs. Un ruiffeau voifin tantót coule fes foibles ondes en „murmurant fur le gazon, & tantót changées en neige 8e en perles, il les „verfe avec bruit dans les abymes des rochers." *) Au relte la variété ne fe borne pas fimplement aux objets, mais s'étend auffi aux différents cótés d'oü on les confidere, & aux différents points de vue fous lesquels bn les confidere. Un feul édifice, un feul groupe, quelquefois méme un feul arbre, peut ètre pour ainfi dire multiplié par la maniere de le préfenter. D'après Ia loi feule de la variété la place la plus convenable pour un jardin elt celle oü des collines, des terraffes, des enfoncements, offrent les objets fous divers afpeéts 8c fourniffent des lointains variés. II faut que le découvert fuccede au renfermé, le clair a iob'fcur, l'attrayant au mélan- colique, le paifible au fublime, le fauvage & le romanefque k 1'élégant: il faut remplir de plantations les places vuides, & animer les collines par des buiffons, des cafcades 8c des fabriques: 8c même plufieurs objets d'une feule efpece doivent paroitre différents par leur caraétere, par leur forme, 8c par leur fituation. n Aas HDe *) Poéfies de Mr. Haller traduites &c. Effai fur 1'origine du Mal, 1 Chant.  jg0 Première Seiïion. Des objets II. De la Beauté. La beauté met la derniere main a la grandeur & la variété. L'artifte jardinier penfera donc a imiter la nature, en donnant aux parties étendues & variées de fon enfemble toute la beauté dont elles font fufceptibles. Si, fuivant 1'opinion de quelques critiques, la beauté confiftoit dans les qualités par lesquelles les objets caufent un plaifir fenfuel, il elt clair qu'une partie de cet.attribut refidéroit déja dans la grandeur 8e dans la variété. Mais la beauté peut ètre conüdérée en elle-même, & abftraétion faite de la grandeur 8e de la variété. Tachons de nous frayer ici un chemin a nous, & diftinguons la beauté champêtre, qui elt en même temps celle des jardins, de toutes les autres efpeces de beauté qu'on pourroit encore établir. II paroit que la beauté champêtre peut fe réduire a deux chefs principaux, couleur 8e mouvement. La Proportion en général peut auffi offrir quelque beauté, mais celle du regne végétal ne paroit pas déterminée néceffairement par la proportion. Un célebre critique anglois, en combattant la première de ces propofitions, rend la feconde fi probable, que fon fentiment mérite une place ici. „Jettons les yeux," dit-il, „fur le monde végétal, nous n'y trouverons rien de fi beau que les fleurs; mais les fleurs font de presque toutes les grandeurs; les unes font droites, les autres inclinées, d'autres droites & inclinées tout enfemble; elles ont de plus une infinité de formes différentes; & c'eft d'après ces formes que les Botaniftes leur ont donné les noms qu'elles portent, 8e qui font presqu'auffi variés que les formes mêmes. Quelle proportions découvrons-nous entre les tiges 8e les feuilles des fleurs, ou entre les feuilles 8c les piltils? **) Admirons comment la foible tige de la rofe *) Recherches philofophiques fur l'o- de Mr. Burke par 1'Abbé D. F. rigiue des idéés que nous avons du beau (DesFontaines) 3 Vol. 8. Londres 1765. &dufublime, précédées d'une Diflerta- **) Centre de la fleur qui renferme tion fur le goüt, traduites de TAnglois la femence.  de la belle nature champêtre en général. jqj rofe s'aecorde bien avec le Iarge bouton fous lequel elle fe courbe. Perfonne ne peut nier que la rofe foit une belle fleur. Qui pourroit avancer qu'elle ne doit pas une grande partie de fa beauté a cette même difproportion? La rofe eft une fleur fort grande, 8c elle vient fur des branches fort minces. La fleur d'une pomme eft trés-petite, 8c elle vient fur un grand arbre. Cependant la rofe ainfi que la fleur d'une pomme eft belle. L'arbriffeau qui nous donne la rofe, i'arbre qui porte les fleurs des pommes, ont malgré leur difproportion refpeétive, une parure fort agréable. Tout le monde ne convient-il pas généralement qu'il n'y a point de plus bel objet qu'un oranger chargé en même temps de fleurs, de feuilles 8c de fruits? Ce feroit en vain que nous chercherions ici de la proportion entre la hauteur 8c la largeur, ou tout ce qui peut regarder, ou les dimenfions du tout, ou bien les rapports que les parties particulieres ont les unes aux autres. II faut pourtant que je convienne que l'on peut obferver dans bien des fleurs que leurs formes ont quelque chofe de régulier, 8c que leurs feuilles font en partie arrangées méthodiquement; 8c telle eft la forme, tel elt 1'arrangement de la rofe dans fes pétales. *) Mais quand on la voit oblique-' ment, 8c que cette forme fe trouve en partie perdue, 8c 1'ordre de fes feuilles confondu, elle conferve toujours fa beauté. La rofe eft mème plus belle avant que d'ètre entiérement épanouie, lorsqu'elle eft en bouton, avant qu'elle ait pris cette forme exaéte." Malgré cette exception dans le regne végétal la beauté champêtre peut encore, quoique dans un fens un peu altéré, réfulter de la Forme qui dans les arts du deffein détermine une partie fi eflêntielle de la beauté. La nature, a Ia vérité, obfervé une proportion exaéte entre toutes les parties 8c 1'enfemble du corps humain, objet principal de l'artifte deflinateur, 8c en préfcrit l'imitation a ce dernier. Mais dans 1'ordonnance des riants payfages, oü travaillant fur de grandes maffes elle pouvoit fe livrer a plus de Iiberté que dans des ouvrages ifolés qu'elle vouloit rendre parfaits, la nature *) Feuilles qui fervent d'enveloppe au piftil. Ces deux notes font tirées de ls Traduftion citée.  2 Première SetTwn. Des objets nature n'a pas fi foigneufement obfervé Texaétitude des rapports Pourroit-on avancer que dans la garniture d'un roe, ici couvert de hauts fantas la de petits buiffons, fa encore de mouffe, il regne une exaéte obfervation des proportions, ou que dans les arbres d'une forèt, dans la maniere dont ils déployent & étendent leurs rameaux, dans les couleurs du feuillage, domine un rapport tel qu'on puiffe par-tout rendre radon pourquoi ces fituations & ces formes doivent ètre ainfi & non autrement? II paroit fans contredit vrai, qu'en compofant les payfages, la nature na pas prétendu en général produire la beauté en donnant aux objets une Forme déterminée, paree que des objets d'une mème efpece, offerts fous des formes trés - différentes & oppofées, paroiffent toujours beaux aun fentiment non dépravé encore. Nous trouvons beau un bocage dont les arbres font hauts & élancés, & de même un autre qui n'eft compote que de tiges peu élevées; que le bocage fe voüte en épais ombrage, ou qu'il laiffe paffer le jour a travers de fpacieufes ouvertures, toujours il nous fera plaifir. Qu'une riviere étende fon vafte lit dans la vallée, ou que divifant fes eaux, elle tombe du haut de la colline, elle pourra pretendre a la beauté dans 1'un & Tautre cas. Si donc les objets champêtres doivent acquérir la beauté par la forme, il paroit que ce ne peut ètre que par des lignes courbes ou ondoijantes. La ligne droite n'eft pas abfolument dépourvue de beauté dans un payfage, mais il eft fur que les lignes courbes offrent une beauté plus fenfible, & font une impreffion qui occupe plus long-temps. Une forèt qui fe prolonge au deffus de quelques collines & dans quelques vallées, & fe deborde de cóté tantót ci tanfót fa, eft k coup fur plus belle qu'une autre qui tirée au cordeau répofe pour ainfi dire dans une plaine. On objeétera peut-ètre: la beauté réfulte ici de la variété; mais c'eft précifément Ia ligne courbe qui produit la variété. II eft plus évident que la couleur & le mouvement font des parties effentielles de la beauté champêtre. i. Coii'  de la belle nature xhampêtre en général. 103 1. - » Couleur. La nature vouloit que l'homme ne confidérat pas fes ceuvres avec indifférence. Elle donna donc aux furfaces des corps, par le moyen de la lumiere & des couleurs, un attrait qui excite le plaifir & la complaifance & invite a une contemplation réitérée. Si tout étoit d'une mème teinte dans la nature, l'ceil fe fatigueroit bientót a Ia confidérer, & l'efprit fentiroit le dégout & 1'ennui; le défaut de vivacité & de gaieté dans les couleurs auroit les mêmes fuites. Les couleurs intéreffent plus généralement l'homme que les formes: il fuffit qu'il ouvre les yeux pour les premières; pour les fecondes cela ne fuffit pas, il faut encore comparer & juger, c'eft a dire faire une opération de l'efprit. La couleur eft comme une efpece de langage que parient a l'ceil les objets inanimés de ia nature, langage univerfel & compris dans tous les recoins du monde. La couleur donne aux objets un grand pouvoir fur la fenfibilité; par fon fecours ils réveillent le fentiment de la joye, de 1'amour, du repos, & excitent d'autres émotions, & fi puiffamment qu'on s'apperqoit fans peine que l'art des jardins peut auffi bien tirer des couleurs un parti avantageux que Ia nature, qui s'en fert dans la même vue. II eft certain que Ia nature étale une variété étonnante de couleurs, qui par leurs teintes fortes ou modérées, par leur feu ou leur douce clarté, par leur mélange & leur fonte, par des coups de jour diverfifiés & inattendus, par leur jeu & leur refiêt, offrent un fpeétacle tel que l'ceil ne fauroit en trouver dans la vafte création de plus magnifique ou de plus beau» La nature dévoile ce théatre des plaifirs caufés par les couleurs non au payfagifte feul, mais encore a fon rival, l'artifte jardinier. Jettons les yeux fur un parterre abondant en fleurs, fur-tout lorsque regne la royale tulipe. Quelle variété étonnante des plus riches couleurs! On comprend a peine que 1'Anglois, fi fenfible d'ailleurs, fafle moins de cas de cette efpece de beauté, tandisque le Hollandois la regarde comme le plus grand attrait d'un jardin. Quoique un jardin ou un pare Tome I. B b fans  ig^ Première Seëtion. Des objets fans fleurs.puiffe ètre beau, & qu'une place émaillée des plus fuperbes fleurs ne foit pas pour cela un jardin, il n'en eft pas moins vrai que la nature nous offre tant de charmes dans leur feul coloris, fans même faire attention a leurs exhalaifons balfamiques, qu'on ne fauroit fans injuftice les négliger entiérement dans les jardins. Quelque grande que foit la magnificence des couleurs que les fleurs étalent, elle elt cependant furpaffée par un autre fpeétacle, le plus fublime & le plus beau que nous offre la nature auffi par rapport aux couleurs; c'eft celui de 1'aurore 8c du foleil couchant, avec les accidents de lumiere variés a l'infini qui les accompagnent: fpeétacle qui raviffant les plus grands poètes, leur en infpira les plus belles defcriptions, & qui anima Lucas van Uden, Claude Gillée 8e tant d'autres génies pittorefques a 1'imiter autant que le permettent les hornes de l'art; fpeétacle fenfible même pour des yeux peu délicats. J'ai toujours confidéré avec un fentiment fecret de compaflïon ces maifons de campagne 8c ces jardins entourés de batiments, de murs ou d'arbres élevés qui leur dérobent la vue du plus noble fpeétacle de la nature. Puiffent 1'architeéte 8e l'artifte jardinier ne jamais oublier de ménager a l'ceil une ouverture qui lui permette la jouisfance de Pafpeét le plus fuperbe qu'ofïfe la création! Mais outre cette pompe de courte durée que déployent les couleurs dans les fleurs, 8c au lever 8c au coucher du foleil, la nature nous préfente encore dans la décoration générale des payfages une beauté de coloris moins grande mais plus durable. Le verd, couleur bienfaifante 8c rafraichiffante pour l'ceil, eft aufli celle qui domine dans la belle campagne. Quelle variété infinie cette feule couleur n'offre-t-elle pas, même dans une feule contrée, en fe renforqant, fe dégradant 8c fe fondant, 8c cela non pas uniquement par les effets du lointain aérien qui fuit infenfiblement, mais encore par les effets du jour aétuel fur les objets plus ou moins voifins, fur les herbes rempantes, fur les plantés plus élevées, fur les buiffons, 8c fur les arbres. La nature ne permet pas feulement ici a l'artifte jardinier de charmer par la même diverfitê 8c la mème fucceffion de verd qu'elle; elle lui permet aufli de furpaffer par un mélange plus foigneux de  de la belle nature champêtre en général. iq^ de nuances, Ie deffein négligé qui regne dans fes ouvrages grands 8c aifés, & en réuniffant les objets d'une maniere nouvelle, de produire un nouvel enïemble, qui préfente pour ainfi dire Ie tableau d'une perfeétion plus relevée. La beauté particuliere des couleurs dépend de ce qu'elles foyent claires ou vives; douces comme le bleu mourant, le couleur de rofe, le violet 8c le verd clair; enfin variées, fe nuanqant infenfiblement, 8e fe mariant enfemble par des gradations bien ménagées. L'artifte jardinier ne peut atteindre a 1'éclat dés couleurs qu'en plantant quelques efpeces particulieres de fleurs, mais en revanche il peut prévenir l'ceil par des couleurs claires 8c pures. Les couleurs éclatantes infpirent de la gaieté; les couleurs pures 8c claires de la férénité. Les couleurs douces ou modérées nous raniment, nous font éprouver un fentiment agréable de repos, comme le violet, ou nous infpirent une gaieté tempérée comme le bleu clair 8c le couleur de rofe. La variété nous amufe, en nous faifant paffer de plaifir en plaifir, 8c prévient le dégout. De ces remarques, qui doivent fervir de fil a l'artifte jardinier dans festravaux, réfultent quelques Ioix générales 8c capitales qu'il obfervera dans fon coloris. 1. II évitera 1'uniformité, 8c fe fouviendra qu'il agit direétemenf contre les préceptes de la nature lorsqu'il ne fe fert que d'un feul verd. 2. II ne s'imaginera pas qu'il eft indifférent de meier au hafard les couleurs de fes plantés, de fes buiffons 8c de fes arbres, mais il fe fouviendra qu'il faut de la réflexion 8c du choix pour produire fur l'ceil un heureux effet a 1'aide des couleurs. 3. II aura foin fur-tout d'employer des couhurs claires 8c vives, afin de réveiller la férénité d'efprit. Les couleurs de cette efpece n'animeront donc pas feulement 8c principalement les objets les plus voifins, mais feront auffi les couleurs capitales de fon tableau champêtre. 4. II diltinguera les parties de fon emplacement qui, foit par leur fituation 8c leur difpofition naturelle, foit par la deftination 8c le caraétere qu'on veut leur donner en les mettant en oeuvre, ou en y plaqant Bb 2 des  igQ Première Setlion. Des objets des fabriques 8ec, exigent une autre couleur que Ie refte. Un chemin de traverfe qui conduit dans les bois pourra être ombragé d'une verdure moins gaie. Les grottes 8c les hermitages veulent ètre voilés d'un feuillage fombre 8c mélancolique. 5. II étudiera la fympathie des couleurs, & s'appliquera a marier 8c a fondre enfemble celles qui font amies de maniere qu'il en réfulte une harmonie parfaite. II ne fera pas feulement attention a 1'effet que produit aétuellement 8c de prés 1'union des couleurs, mais auffi a celui qu'elle produira de loin, dans la fucceffion des faifons, 8c même après quelques années. 6. II donnera, autant qu'il fera poffible, a fes objets naturels 8c artiliciels un emplacement & une pontion propres a en relever la beauté, éclairant ces objets par un jour direct ou par des coups de" jour interrompus, fuivant que leur fituation ou leur deftination 1'exige ou le permet: cette regie eft de conféquence, & cependant onl'enfreint presque tous les jours. II expofera les carreaux de fleurs humides de rofée aux regards du matin, 8c difpofera le bain caché dans les bois en forte que le foleil couchant le dore de fes rayons. La Iumiere du foleil offre une infinité de beautés méconnues dont on pourroit décorer les objets du reffort des jardins. On fe contente de favoir qu'on peut détourner fes rayons & fe mettre a couvert de leur ardeur; on penfe a la commodité avec une efpece d'inquiétude vulgaire qui tient de 1'inftinét, & qu'éprouve auffi 1'habitant des bois; mais on oublie qu'on peut employer 8e diflribuer la Iumiere adoucie de maniere a embellir les objets, art que le jardinier ne devroit pas abandonner abfolument au payfagifte. ) 2. Mo uv em ent. Le mouvement en général peut préfenter quelque beauté, paree qu'il eft accompagné de variété 8c de changement. Le mouvement elt indifpen- fable  de la belle nature champêtre en général. 197 fable pour que les objets champêtres faffent une impreffion durable. La vue de la plus raviffante des contrées commence bientót a nous intéreffer plus foiblement lorsqu'elle ne nous préfente que des objets en repos 8c immobiles, lorsqu'il n'y paroit rien qui rompe cette uniforme tranquillité 8c annonce une exiftence animée. Cette remarque n'eft pas échappée aux plus grands payfagiites, qui cependant reltent bien enarriere de l'artifte jardinier quand il s'agit de produire du mouvement que les premiers ne peuvent qu'indiquer fimplement, 8c non rendre fenfible. Ces peintres animent donc leurs payfages tantót par des bergers, tantót par des voyageurs, tantót par des troupeaux errant a Paventure, tantót par Ie vol des oifeaux: ils font fouffler le vent au travers du feuillage, ils répréfentent des cafcades qui fe précipitent, 8c la fumée qui s'éléve au deffus des cabanes: bref, ils n'oublient rien de ce qui peut réveiller 1'idée de mouvement & de vie dans leurs payfages faétices. L'artifte jardinier doit bien plus encore s'efforcer de fe procurer un mouvement réel dans fon emplacement; Pexemple que lui donne la nature, Sc les befoins del'ouvrage dont H s'occupe Py invitent, pour peu qu'il veuille atteindre a un certain degré d'énergie. Ordinairement on trouve, mème dans le plus petit jardin, des eaux jailliffantes 5 non, a ce que je penfe, pour imiter toujours en cela les grands jardins, mais paree que l'on fent réellement combien le mouvement anime 8c fait plaifir. Rien ne récrée effeétivement plus que le mouvement dans les objets champêtres; le plus bel arbre paroit encore plus beau lorsqu'un léger zéphir fe joue dans fon feuillage. Pour obtenir Pagrément que produit le mouvement, il femble que Partifte jardinier doit tourner fon attention vers les points fuivants. 1. Tant qu'il pourra il choifira un emplacement oü Ia contrée des environs lui fournit des vues mouvantes, comme des villages, des collines, des champs 8c des prairies, oü paiffent des troupeaux 8c travaillent des Iaboureurs, des lacs 8c des rivieres qu'animent des bateaux a la voile 8c des pècheurs, des grands chemins dans le lointain couverts de fïgures qui vont 8c viennent 8cc. Bb 3 2.Veut-  JQg Première Seiïion. Des objets 2 Veut-U fe ménager du mouvement dans le jardin même, il emnloyera pour cet effet des objets mobiles de leur nature. II évitera donc les enfantillages & les raffinements ordinaires a 1'aide desquels on cherche a mettre en mouvement des objets immobiles, dans la faulTe idéé de fournir aux jardins un ornement qui leur foit propre. 3. Trop de mouvement & un mouvement outré diltraient ou etourdiffent: l'artifte jardinier s'efforcera donc den'avoir qu'un mouvement modéré. Une cafcade mugiffante, qui rétentit dans tout le jardin, trouble le fentiment des beautés douces infpiré par les autres objets. Les machines hydrauliques bruyantes font fouvent devenues des efpeces de monftres dans les jardins. Une chüte d'eau fuave au contraire flatte l'ceil & 1'oreille. 4. II examinera par quel moyen il peut produire le mouvement & la vie La nature ne lui a pas tout abandonné; d'ailleurs tout ce qu'il pouvoit offrir n'elt pas également convenable. La nature s'eft referve le mouvement de l'air & des nuages, a 1'aide duquel elle anime fi puiifamment la création; mais elle permet a l'artifte jardinier de donner de la vie l fon emplacement par d'autres moyens. II peut faire couler 1'eau tantót plus vite tantót plus lentement; il peut la faire tomber de terraffe en terraffe, ou la faire précipiter du fommet d'une hauteur efcarpée; il peut la conduire & la diltribuer a fa volonté. II peut expofer au vent fes arbres minces & flexibles & fes buiffons. II peut attirer par fes fleurs des troupes d'infedes bigarrés, & par fes ombrages des families entieres d'oifeaux, qui par leur vol & leur chant animeront fon jardin. II eft un mouvement pour l'ceil, & un autre pour 1'oreille; & l'artifte jardinier peut non feulement les obtenir tous deux, mais encore les réunir dans un mème efpace de temps. C'eft fur-tout des animaux que fe fert Ia nature pour vivifier fes riants payfages; l'artifte jardinier n'oubliera pas de 1'imiter. Qu'il attire principalement les fauvages habitants des airs par 1'appat de 1'ombrage & des eaux, & en empèchant qu'on ne les inquiete. Le roftignol, la caille, 1'alouette & tant d'autres oifeaux naturels au climat, ne demandent pas mieux  de la belle nature champêtre en général. 109 mieux qu'a jouir dans nos jardins des droits de Phofpitalité, a y pondre leur couvée, 8c a s'y multiplier en nombreufes families. Peut-on avoir une compagnie plus agréable 8c une meilleure récréation que celle que fournit une foule de chanteurs mélodieux ou d'oifeaux qui nous amufent par leurs formes 8c leurs couleurs, en voltigeant gayement autour de nous ? Ceux qui banniffent les muficiens ailés, ou qui du moins ne leur fourniffent ni appat ni retraite affurée, ne doivent avoir aucune idéé de la volupté qu'offfe le mouvement 8c la vie, 8c dont ils privent volontairement leurs jardins. Ce n'eft pas uniquement un plaifir, mais encore un honneur pour le propriétairp, d'a^pri". oifer jusqu'a un certain point les timides oifeaux, en les traitant amicaiement. III. De tagrément & de l'amênité. Que Ia beauté réfulte du coloris ou du mouvement, toujours fon effet eft deréveiller un plaifir vif a I'inftant oü elle agit fur 1'imagination. Mais dans les objets, leur fituation, 8c leur liaifon, réfident encore des propriétés qui nous caufent une fatisfaétion moins grande, qui nous prévien-  200 Première Seclion. Des objets préviennent en leur faveur fans nous enchanter: ces propriétés font 1'agrêment & 1'aménité. Elles font alliées de fi prés a la beauté qu'il eft difficile de développer affez leurs traits de familie pour diftinguer chacune d'elles par des caraéteres déterminés. Cependant la beauté n'eft ni 1'agrément ni 1'aménité, qui a leur tour ne font pas la beauté; le fentiment le décide avec plus de promptitude, & mème a ce qu'il paroit avec plus de füreté que le raifonnement. La différence des effets produits fur le fentiment, femble ètre ce qui rend le mieux fenfibles les caraéteres diftinétifs du beau & de 1'agréable. Entre 1'agrément & 1'aménité Ia diltance elt fi peu remarquable qu'a peine peut-on la défigner: le fentiment gliffe fi fubitement de 1'un a 1'autre qu'il elt en apparence inutile de vouloir 1'arrèter pour examiner oü finit 1'agrément & commence 1'aménité. La voix fecrete du fentiment le plus délicat paroit pourtant nous dire que 1'aménité eft un plus haut degré d'agrément, & qu'elle pénetre plus avant dans le fens interne; que 1'agrément touche plus 1'imagination, 1'aménité plus la faculté ferifitive. Comme on ne peut indiquer ici aucune différence remarquable, nous comprendrons la même chofe fous les mots agrément & aménité. L'effet de 1'agrément differe de celui de la beauté. Celle-ci nous occafionne un plaifir vif, grand, quelquefois même mèlé d'enthoufiafme; celle-la caufe une émotion douce deTame, une inclination tranquille de l'efprit pour 1'objet, une complaifance paifible & durable a le contefnpler. L'agréable eft donc différent du grand, du fublime, du pompeux, & du beau. Ses impreffions font de beaucoup plus foibles, mais fuaues & gracieufes: il ne fortifie pas comme un aliment nourriffant, mais il rafraichit, comme le fait a une table bien fervie une pyramide de fruits: il n'eft fenfible qu'aux ames dont la faqon de penfer elt calme, & le fentiment d'une délicateffe particuliere; il ne pénetre pas jusqu'a celles dont le fentiment eft pour ainfi dire entouré d'une écorce épaiffe. La beauté eft impérieufe; 1'agrément infinuant. L'agréable fe fonde donc fur une efpece de modération: modération dans la Iumiere &le coloris, modération dans le mouvement, tant pour l'ceil que  de la belle nature champêtre en général. 201 que pour 1'oreïlle. L'arc - en - ciel eft beau quand fes couleurs brillent de tout leur éclat; il eft agréable quand elles fe perdent infenfiblement. Les rayons libres & dégagés du foleil levant font beaux; ils deviennent agréables lorsqu'ils percent le verd feuillage d'un berceau qui les intercepte. L'or brülant du foleil a fon coucher elt beau confidéré au ciel d'occident ; les réfleéfs, les jeux de la Iumiere a travers les vapeurs qu'éleve cet aftre dans la campagne, tout cela eft agréable. La tulipe diaprée eft belle, la modeite violette agréable; la cafcade eft belle, la fource qui murmure agréable; le chant gai du roffignol elt beau, fes accents pendant le crépufcule du foir font agréables. J'ignore fi Ie fentiment d'autrui eft en ceci conforme au mien, mais j'oferois presque pofer en fait que la différence qui fe trouve entre les comparaifons que nous venons de faire, eft réellement telle que le fentiment la détermine, & la déterminera, au moins pour nous, jusqu'a ce qu'une notion plus nette nous prouve le contraire. Pour nous rapprocher de l'art des jardins il faudra faire une remarque qui nous fournira un principe général a 1'égard de l'agréable. Nous voyons rarement la nature compofer tout un tableau d'objets qui n'ont que de 1'agrément & de 1'aménité; nous Ia voyons plutót mèler ces objets a d'autres qui ont de la grandeur, de la variété & de la beauté. Nous obfervons encore que ces poètes défignés en particulier par Pépithete de pittorefques, & qui nous dépeignent les faifons de 1'année & les fcenes champêtres, ne s'en tiennent pas uniquement aux décorations agréables de la nature, mais qu'ils en parfement leur enfemble: Ia nature eft en cela leur maitreffe. Elle ne négligé pas l'agréable, paree qu'il fait fon effet; mais elle ne 1'employe pas uniquement, paree qu'alors cet effet s'affoibliroit; elle 1'allie a des objets d'une plus grande énergie, afin de faire par ce mélange une impreffion d'autant plus variée & d'autant plus fatisfaifante. D'après cette inftruétion l'artifte jardinier cherchera dans la nature des objets pleins d'agrément & d'aménité pour en décorer fon emplacement; il ne confidérera pas ces objets comme Penfemble-, mais comme parties de 1'enfemble, & il les réunira comme tels aux autres objets qu'il fe fera ménagés & dont il veut compofer fon ouvrage. Tome I. Cc Les  202 Première Sedtion. Des objets Les Poé'tes fupérieurs qui peignent d'après nature obéiffant a fes préceptes, Ü eft difficile de citer des paffages de leurs écrits oü l'agréable nefoit pasmèléaubeau, quoique quelques-uns d'entre eux, comme Thompfon, ayent plus employé le beau, & d'autres, comme Gefsner, préféré l'agréable. Voici cependant un tableau de l'agréable champêtre tracé par ce dernier. *) „Des noyers cintrés en berceaux couvriroient de leur ombrage ma „maifon folitaire. Sous leurs feuÜlages verds habiteroient devant ma fe"nêtre le doux zéphyr, 1'aimable fraicheur & le repos tranquille. Devant ^l'entrée, dans une petite enceinte, formée par une haye vive, une fource "dimpide murmureroit fous un treillage de pampre. Dans le courant de „cette onde pure, la canne fe joueroit avec fes petits. Les douces colom',bes defcendroient pour s'y désalterer de leur toit ombragé, elles fe pro„meneroient fur le gazon en redreffant leur col nuancé de mille couleurs: "tandisque le coq majeftueux affembleroit autour de lui dans la cour fes ",poules glapiffantes. Tous enfemble accouroient au fon de ma voix, & ^viendroient en foule demander d'un air carelfant la pature a leur maitre. „Les oifeaux, dont la Iiberté ne feroit jamais troublée, habiteroient „le feuillage touffu des arbres voifins, & s'appelleroient familiérement d'un „arbre a 1'autre par leurs chants." ^ *) Le Souhait. Voyez la traduftioa des oeuvres de Gefsner par Huber. A la Haye 1761.  de la belle nature champêtre en général. 203 IV. De la nouveauté & de l'inattendu. La nouveauté occafionne un mouvement des plus vifs, 8c frappe presque plus que la beauté 8c la grandeur. La nouveauté peut fe trouver en partie dans 1'objet mème, & en partie dans la maniere dont il fe préfente. Les objets champêtres ne peuvent guere n'avoir que du neuf pour un homme d'un certain age; il femble donc qu'ici il faut fur-tout chercher la nouveauté dans la fituation 8c dans la liaifon, lesquelles donnent a 1'objet un degré de 1'attrait qu'a pour nous la nouveauté. Mais comme femotion que produit celle-ci eft de courte durée, il faudra y joindre la grandeur ou la beauté. Les imprellions particulieres a ces dernieres relevent 1'émotion que caufe la nouveauté en s'y réuniffant, 8c continuent a faire effet lors même que cette émotion s'affoiblit 8c s'évanouit infenfiblement. Si l'on diftingue la nouveauté de 1'enfemble de celle des parties 8c des changements accidentels, on s'appercevra facilement que l'on peut a bon droit, 8c dans un fens plusfétendu, attribuer aux objets champêtres 1'émotion que fait nakre la nouveauté. II eft hors de doute qu'un objet entiérement neuf pour nous nous touche davantage qu'un autre oü la nouveauté ne réfide que dans les parties, ou dans quelques altérations; mais cette derniere fait pourtant toujours fon effet. Une forêt n'eft rien moins qu'une rareté, 8c cependant le jeune feuillage dont elle fe pare au printems lui donne 1'attrait de la nouveauté. Une rofe n'a rien d'extraordinaire a nos yeux; cependant quel plaifir ne nous fait pas le premier bouton épanoui que nous appercevons fur le rofier! La nature fait journellement paroitre des changements aux objets que nous avons journellement fous les yeux, 8c la nouveauté de ces changements conferve aux objets une force attraétive. Quelle foule d'apparitions nouvelles nous offre toufi le regne végétal, 8c même une feule fleur! L'artifte jardinier cherchera donc de ces objets dans lesquels la nature produit fans ceffe des variations nouvelles par une aétion perpetuelle. Ne font-ils pas bien au deffus de Cc 2 ces  204 Première Seblion. Des objets ces ouvrages inanimés de l'art, auxquels on a d'ordinaire recours pour donner a un jardin le charme de la nouveauté? Un objet pouvant paroitre neuf a 1'aide du point de vue fous lequel on 1'apperqoit, 8c la nature produifant auffi de la nouveauté par cette voie, l'artifte jardinier ne regardera pas avec indifférence cette fource de plaifirs. De combien de cótés ne peut-on pas conlidérer un objet, en forte qu'il paroiffe fous tout autant d'afpeéfs différents? Vu tantót de prés & tantót de loin, tantót a. découvert & tantót a moitié dérobé, tantót dans telle fituation, dans telle liaifon, & tantót dans une autre, ilpeut, au moins pendant quelques inftants, faire illufion comme ft c'étoit chaque fois un nouvel objet. L'art de rendre les chofes neuves en leur donnant des afpeéts différents, fait un des plus grands avantages du jardinier. — II fuffit non de développer, mais fimplement de remarquer que la variété 8c le mouvement peuvent aufli. produire de la nouveauté. L'inattendu n'eft pas la même chofe que le nouveau, mais il lui eft allié de prés. Dans les objets agréables 1'effet de la nouveauté eft 1'admiration qui amufe, 8c celui de l'inattendu la furprife, fentiment plus vif 8c qui amufe encore plus. II eft clair que pour qu'un objet furprenne agréablement il faut qu'il ait les propriétés requifes; 8c l'on conviendra fans peine que ces feuls objets s'accordent avec la deftination des jardins, 8c non ceux qui furprennent d'une maniere désagréable, rebutante 8c effrayante. Puisque la furprife réfulte de 1'apparition inattendue ou fubite d'un objet, 8c qu'interrompant tout d'un coup la fuite ordinaire de nos idéés, elle fe manifefte par une émotion vive, on doit la regarder comme un excellent moyen de rehaufler 1'impreflion d'un jardin, qui, pour cet effet, exige a la vérité beaucoup d'étendue 8c de difpofition naturelle. A force de revoir les mêmes objets 8c de fe familiarifer avec eux, le gout qu'on y prenoit s'affoiblit infenfiblement, même dans les plus belles contrées; c'eft une fuite de notre nature, non de celle des chofes, 8c l'inattendu doit y remédier en ranimant Ie gout. L'obfervation de cette loi n'eft pas fans dïfficulté; ce qui la première fois étoit inattendu, 8c furprenoit comme tel, ne 1'eft plus la feconde ou la troifieme, ou du moins ne 1'eft  de la belle nature champêtre en général. 205 1'eft plus'autant. C'eft la nature créatrice & admirable dans fes produétions qui fait éprouver toute 1'abondance de la furprife au voyageur qui parcourt de vaftes payfages, 8c fur-tout des contrées pleines de collines & de montagnes comme la Suiffe. Cependant, puisque l'artifte jardinier doit travailler non feulement a donner a fes objets un intérêt attachant, mais encore a les rendre capables d'occuper long-temps & fortement, il ne négligera aucune occafion de furprendre agréablement. A ceci fe joint encore la réflexion, que bien que le premier mouvement fe perde, il s'en réveille un fouvenir fatisfaifant chaque. fois qu'on revient a 1'endroit oü naquit la furprife, ou qu'on revoit 1'objet qui la caufa. Etlorsqu'on peut faire toutes les années une certaine dépenfe, il ne fera pas clifficile de fe conferver par plufieurs changements 1'effet de la furprife, fans altérer le caraétere même du jardin. De ces remarques réfultent les regies générales fuivantes pour l'artifte jardinier. 1. II ne difpofera jamais fon plan de maniere que l'on en puiffe faifir Penfemble du premier coup d'ceil. II ne laiffera appercevoir ni deviner quelle fcene va fuivre la précédente. Plus il cachera fes difpofitions, plus leur apparition fubite frappera. Lorsque l'on ne s'attend a rien, la furprife en eft d'autant plus agréable. 2. II fera attention aux objets, auxfites, aux lointains 8cc., parle moyen desquels il veut furprendre. Ce n'eft pas affez qu'ils foyent agréables, 8c en général capables de réveiller des fentiments analogues aux jardins, il faut de plus qu'ils foyent importants, choifis, diftingués. Une chofe commune, quelque fubitement qu'elle fe montre, ne fait qu'une foible impreffion. 3. Sans variété 8c fans changement 1'effet ne fera jamais que peu confidérable. Lorsque après un objet qui nous a furpris, le même objet, ou un autre femblable s'offre de nouveau, il a déja exercé fa plus grande force fur nous, 8c nous paffons avec peu d'émotion, ou méme avec indifférence. Beaucoup-d'objets, 8c trés-différents, qui nous apparoiffent tous a l'improvifte, créent une fuite continue d'émotions des Cc 3 plus  20(5 Première Setlian. Bes objets plus agréables qui élevent notre ame bien au deffus de fa fphere ordinaire de fenfibilité. 4. Mais l'artifte jardinier prendra bien garde a ne pas tomber, par amour pour l'inattendu, dans des rafinements outrés, & dans des colifichets & des chofes au defibus de la dignité d'un jardin oü doit régner, comme dans tout ouvrage de 1'art, un jugement fain & du bon goüt. V. Du Contrajie. Le contrafte, efpece de changement qui réfulte de la comparaifon d'un objet avec un autre diffemblable, eft un moyen de produire des émotions très-vives, & de rendre plus énergiques les impreflions des objets. La nature s'en fert dans fes plus fuperbes payfages, & d'habiles peintres Pont imité avec fuccès dans des tableaux d'une certaine étendue. On ne trouvera guere une plus belle defcription d'un vafte payfage oü les objets contraftent fortement, que celle que nous fait Brydone*) des environs de Naples. „Nous *) Voyage en Sicile & a Malthe, tra- bre de la Société Royale des Sciences de duit de 1'Anglois de Mr. Brydone, Mem- Londres, par Mr. Demeunier. Édition foigneu-  de la belle nature champêtre en général. 207 „Nous nous fommes bientót trouvés au milieu de la baie de Naples, jouiffant de tous cótés de la vue la plus pittoresque. Le calme qui a duré pendant une heure, nous a laiffé le tems de contempler toutes les beautés de ce fpeétacle. „La baie eft d'une forme circulaire; elle a plus de vingt milles de diametre; de forte qu'en y comprenant les inégalités ck les détours, elle a beaucoup plus de foixante milles de circonférence. Toutes les richeffes de la nature & de l'art embelliffent cette cóte d'une maniere fi admirable, qu'il n'y manque presque rien pour en rendre le coup d'ceil accompli. II elt difficile de déterminer fi cet afpeét eft plus enehanteur par la fingularité des objets que par leur incroyable variété. Vous y appercevez un mélange furprenant de I'antique & du moderne; des édifices qui s'élevent, & d'autres qui tombent en ruine; des palais élevés fur le fake d'autres palais, & Ia magnificence des anciens foulée aux pieds par 1'extravagance des modernes. On y voit des montagnes & des iles, célebres autrefois par leur fertilité, qui ne font plus que des déferts Itériles ; des champs jadis incultes, qui ont été convertis en prairies fécondes & en riches vignobles; des montagnes changées en plaines, & des plaines devenues des montagnes; des lacs deféchés par les volcans, & des volcans éteints qui ont formé des lacs; la terre toujours fumante en plufieurs endroits & en d'autres vomilfant des flammes. En un mot, la nature femble avoir produit toute cette cóte dans un moment de caprice; chaque objet qui s'y préfente elt un de fes jeux, & elle ne parok pas y avoir jamais travaillé férieufement. „L'ile de Caprée, fi célebre par le féjour d'Augufte, & fi infame par celui de Tibere, fe trouve entre cette baie & la méditerranée. Un peu a 1'oueft, on rencontre celles d'Ifchia, de Procida & de Nifida; le fameux promontoire de Micene, oü Enée débarqua; les campagnes fi renommées deBaies, deCumes, dePouzzole, & cette fcene variée oü l'on voyoit réunis le Tartare, & 1'Elyfée des anciens; les champs Phlégréens, & les plaines foigneufementcorrigéefurlafecondeédi- dres & fe trouve a Neufchatel au magation Angloife par M.B. P. A. N. A. Lon- fin de la fociété typographique 1776. 8-  20g Première Setlion. Des objets plaines brütantes oü Jupiter terraffa les géans; le Monte -Nuovo, produit depuis peu par le feu; le mont Barbara; la ville pittoresque de Pouzzole, 8c un peu au deffus la Solfotare toujours fumante; le promontoire de Panfilippe, qui préfente le plus beau fpeétacle qu'on puiffe imaginer- la vafte & opulente cité de Naples, avec fes trois chateaux, fon havre rempli de vaiffeaux de toutes les nations, fes palais, fes églifes 8c fes couvens innombrables. De la jusqu'a Portici, la campagne couverte des maifons 8e des jardins de la nobleffe paroit ètre une continuation de la ville. On découvre le palais du Roi, ainfi que plufieurs autres qui 1'entourent, tousbatis fur les toits de ceux d'Herculanum, enfevebs par une éruption du Vefuve a prés de cent pieds fous terre. Autour de ces édifices on diltingue des champs noirs, formés par la lave fortie de cette montagne, 8c entremèlés de jardins, de vignobles & de vergers; enfin au fond de la fcene, le Véfuve lui-mème, vomiffant des torrens de feu 8c de fumée, formant dans l'air, au deffus de nos tètes, une large trainée qui s'étend fans interruption jusqu'a 1'extrèmitê de 1'horizon. Le pied de la montagne eft environné d'un grand nombre de belles villes, de bourgs 8c de villages, dont les habitants ne fongent pas au danger qui les menace a chaque inftant. Quelques-unes de ces iles font conftruites au deffus des maifons de Pompeia 8c de Stabia, oü périt Pline; 8c leurs fondemens aboutiffent aux tombeaux facrés des anciens Romains, qui, viétimes de cette inexorable montagne, y font enterrés par milliers. On découvre enfuite Ia cóte valte 8c pittoresque de Caltello-Mare, de Sorrentum 8c de Mola, dont la nature a fait une contrée de délices." Que l'on fe repréfente ces vues telles que les appercut Brydone du milieu du golfe, pendant un calme, dans une après-dinée fereine du mois de Mai, a des heures oü le foleil s'approche infenfiblement de fon coucher 8c répand une Iumiere plus belle fur toutes ces fcenes, ces vues qui s'étendent dans un payfage fi vafte 8c rempli du grand contrafté de tant d'objets, 8c que l'on goüte autant que le peut 1'imagination, toute la jouiffance des émotions qu'elles durent faire naitre. La  de la belle nature champêtre en général. 200 La nature'fournit peu de payfages oü le contralte foit auffi frappant que dans celui dont nous venons de parler. Cependant elle amufe dans tous les diftriéts un peu étendus par quelques degrés de contrafte; 8e de mème que le payfagifte fuit cet indice, de méme l'artifte jardinier ne doit pas le négliger. D'abord il faut faire attention aux remarques fuivantes touchant Ia produélion des contraftes. 1. Ce n'eft proprement que dans de grands payfages, non dans une contrée champêtre circonfcrite, que Ia nature nous charme par le contrafte des objets. Le jardin oü l'on en voudra ménager ne fera donc pas d'une médiocre étendue; 8e il faut que la nature 1'ait déja préparé d'avance, ou que du moins l'on puiffe y faire aifément les difpofitions néceffaires. Chercher a produire du contrafte dans un petit emplacement, ce feroit le furcharger 8c par conféquent 1'embaraffer. 2. On ne s'occupera pas péniblement du foin de pratiquer le contrafte dans les jardins, ni de le pratiquer par-tout. En obfervant la nature on s'apperqoit qu'elle s'abandonne a une efpece de négligence réfléchie quand elle fait contrafter des objets, 8c qu'elle ne fe fatigue pas a mettre par-tout de 1'inégalité & des oppofitions frappantes, mais que plutót elle fait fouvent fe fuccéder une file de décorations femblables. Le contraire meneroit droit a Ia bifarrerie 8c a Paffeétation. 3. Le contrafte peut avoir lieu entre des objets d'efpece 8c de nature différentes, ou entre des objets de même nature, 8c qui ne différent que par leurs propriétés. Le premier de ces contraftes fait fans contredit le plus d'effet, mais il ne faut 1'employer qu'avec beaucoup de précaution dans un jardin, paree que l'artifte jardinier peut facilement être induit a préfenter des objets qui ne s'accordent pas avec 1'enfemble, ou mème troublent l'impreffion principale. Cette forte de contrafte regne fur-tout dans les payfages, 8c peut tres-bien trouver place dans de vaftes parcs. L'autre forte eft plus ordinaire dans des jardins moins grands, 8c produit un effet plus foible. On tachera de réunir habile- Tome I. D d ment  2I0 Première Settion. Des objets ment ces deux fortes de contraftes, autant que pourront le permettre 1'étendue & la deftination du jardin qu'on ne doit jamais perdre de vue. , 4. A force d'être attaché au premier de ces contraftes, on eft tombe dans les excès les plus étranges. On voulut imiter quelques - unes de ces fcenes romanefques que la nature erée quelquefois enfejouant, & l'on donna dans le ridicule, & principalement lorsqu'on commenqa k fe faire une occupation capitale de ce que la nature n'offre que rarement. Cette critique ne regarde pas nos jardins ordinaires, encöre bien éloignés de cedéfaut, mais quelques parcs anglois, & fur-toutles jardins chinois, tels au moins qu'on nous les décrit. II n'eft pas furprenant que dans ces derniers on ait outré le contrafte avec toute la licence effrenee du goüt oriental; mais Ü eft furprenant que Chambers approuve cette extravagance. * , - ■ ., .. ,Les Chinois," dit-il, „oppofent aux fcenes agréables les tembles. Ce font des compofés de fombres forêts, de profondes vallées inacceffibles aux rayons du foleil, de roes ftériles & fufpendus, d'obfcures cavernes, & d'impétueufes cataraftes qui fe précipitent de tout cóté du haut des montagnes. Les arbres font mal conformés; leur végétation naturelle a ete altérée par force, & ils paroiffent gercés par la violence de 1'orage. Quelques-uns font déracinés & embaraffent le courant des eaux; d'autres font comme brülés ck ffacaffés par la foudre. Les fabriques font en ruine, ou k demi confumées par le feu, ou entrainées par la violence des flots." — Jusqu'ici cela paffe encore, ck en partie l'imitation en eft déja venue la. Mais k préfent! „Les ehauve-fouris, les hiboux, les vautours, & toute ' forte d'oifeaux de proie voltigent dans les bois 5 les loups & les tigres heurlent dans les forêts; des animaux k demi morts de faim fe trainent fur la bruiere; depuis le grand chemin on apperqoit des potences, des croix, des roues, & tous les inftruments propres k la torture. Dans l'intérieur effrayant des forêts, lk oü les fentiers font rabotteux & embarafles de ronces, fe trouvent des temples confacrés au Dieu de la vengeance. A cóté l'on voit des pifiers de pierre avec des mfcriptions contenant des événe- ments  de la belle nature champêtre en général. 211 ments tragiques, 8c toutes fortes d'aétes de cruauté. Enfuite viennent des lieux écartés remplis de fïgures colofïales de dragons, de furies infernales 8c d'autres formes hideufes." — Ce que Chambers dit encore prouve, ainfi que ce qu'on vient de citer, une extravagance qui ne fauroit peutêtre aller plus loin. La fingularité de tout cela c'eft que ces fcenes d'horreur ne font faites que pour relever par leur contrafte 1'effet des fcenes agréables. Si tout étoit réellement conforme a cette defcription, qui pourroit encore avoir 1'envie ou le courage d'entrer dans ces affreufes contrées ? Et quel homme de gout pourroit prendre plaifir k voir ainfi défigurer Ia terre que Dieu nous a donné ft belle ? Qiioiqu'il ne foit guere k préfumer que notre imagination pareffeufe, ou plus modérée, s'égare jusqu'a de pareils écarts, il ne fera pas hors de propos de remarquer ici que tout objet de terreur ne s'accorde point avec Ia deftination des jardins, foit qu'on 1'employe par pure fantaifie, foit qu'on Ie faffe par amour pour la nouveauté 8c pour le contrafte. Même dans un emplacement vafte, les objets qui n'ont qu'une foible teinte de terrible fontfi difficiles a lier heureufement avec 1'enfemble, qu'il vaut mieux les déconfeiller que les permettre. Nous avons dans la plupart de nos jardins des décorations, qui, fans appartenir au terrible, font rebutantes, comme les imitations de monftres terreftres 8c aquatiques, degéants, d'Hercule, de dragons, de Iions qui vomiffent de 1'eau, de baleines 8cc. Lorsqu'on les introduifit on étoit bien éloigné de penfer a un contrafte quelconque; on les faifit paree que l'on n'avoit alors rien de mieux, ou paree que l'on penfoit que dans un baftinilfalloitnéceffairementunebaleine: toujours étoit-ce faire un pas, non feulement vers le difparate, mais encore vers la deftruélion des nobles impreffions que peut faire une place agréable. Revenons au vrai contrafte entre les objets du reffort des jardins. Home *) ayant donné avant moi k cet égard des préceptes fains qui renfer- Dd 2 ment *) Elements of criticifm. Edimbourg iTóg. C'eft adire: Elements de critique, Chap. &  212 Première Setlion. Des objets ment tout ce que je pourrois en dire, je n'ai qu'a le tranfcrire ici. „Les émotions," dit-il, „caufées par l'art des jardins, font fi foibles de leur nature qu'il faut employer tous les artifices poffibles pour leur donner leur plus grand degré de vigueur. On peut diftribuer un terrein en fcenes, majeftueufes, douces, gaies, élégantes, fauvages & mélancoliques; ck quand on les fait fucceder 1'une a 1'autre, on doit oppofer le majeftueux •a 1'élégant, le régulier au fauvage, le gai au mélancolique, en forte que chaque émotion foit fuivie de fon émotion contraire. Bien plus, on augmente le plaifir en entremêlant cette fucceffion d'objets de places incultes ck ftériles, & de points de vue non terminés, qui en eux-mêmes font désagréables, mais qui dans cette fucceffion rehauffent le fentiment des objets agréables. Ici nous avons pour guide la nature qui parfeme fouvent fes plus riants payfages de rochers rabotteux, de marais fangeux ck de bruyeres nues & pierreufes." Jusque - la Home a raifon. Mais peu après fa théorie 1'entraine a propofer des chofes outrées. II veut „que les jardins auprès des grandes villes ayent un air de folitude, tandisqu'au contraire la folitude d'une contrée déferte doit être contraftée par le jardin qu'on y conftruit; point de temple ni de fentiers obfcurs ici, mais des jets d'eau, des cafcades, des objets animés, gais ck brillants. En quelque faqon mème il faut qu'un tel jardin évite d'imiter la nature, en fe revètant d'une apparence extraordinaire de régularité & d'art, afin de montrer en tout la main aélive de l'homme." *) — Ceci eft une de ces prétentions éblouirïantes & arbitraires que forme Home pour faire pafler Tapplication de fa théorie, d'ailleurs fi profonde. Non feulement il fe trouve ici en contradiétion avec fes autres principes de 1'art des jardins, mais il avance encore une propofition, qui quoique fpécieufe eft combattue par d'autres principes. Tout auffi peu qu'un ouvrage quelconque de l'art exiftant pour foi-même, doit s'écarter entiérement de 1'ordonnance qui lui eft propre pour fe foumettre aux regies d'un autre ouvrage avec lequel il fe trouve enliaifon accidentelle, tout aufli peu le voifinage d'une ville, ou *) Ibid.  ' de la belle nature champêtre en général. 213 ou Ia nature d'une contrée, doit-elle occafionner un pareil changement dans le caraétere d'un jardin. Si l'on ne conltruifoit les jardins que pour décorer un diitricT ou un payfage, ou pour amufer le voyageur, & qu'on leur donnat une telle étendue qu'il n'y eüt que les feules impreffions d'une contrée qui fufTent effacées par un feul jardin, alors ces propofitions feroient juftes. Mais alors auffi il ne faudroit confidérer ce jardin que comme un moyen d'orner le payfage, non comme un ouvrage exiftant pour foimême. Si les jardins font foumis a des principes qui leur font propres, ils ne peuvent pas altérer leur ordonnance intérieure en faveur d'un objet voifin. Oü faudroit - il chercher les véritables regies de l'art, fi on I'abandonnoit a la volonté arbitraire de chacun? Un jardin n'eft pas uniquement la pour la contrée d'alentour; lorsqu'il eft bien ordonné c'eft un ouvrage qui fe décrit une fphere a lui, & y embraffe le caraétere & la valeur qui lui font propres. Dd3 SECONDE  2 j4 Seconde SeUion. Des différents carableres SECONDE SECTION. Des différents carableres du payfage & de leurs effets. La nature, qui fait régner dans tous fes ouvrages une belle variété, rénand auffi cet attrait fur la furface de la terre. Elle a imprime aux navfaocs une fi grande diverfitê de fituation 8c de configuration, que deux contrées parfaitement conforme* feroient un phénomene auffi rare que celui de deux rivages abfolument femblables par leurs contours leurs traits. m-, ~ Le fentiment des impreffions que font fur 1'ame les différentes fituations du payfage, n'eft pas auffi général que feit la fimple obfervationde cette variété. Le fentiment dont nous parions ne peut percer la groffiereté 8c l'inattention: pour pouvoir fe manifelter il fuppofe un certain degre de pénétration 8c d'attention dans le fens externe de la vue; une certame facUité a faifir les images 8c \ les retenir, afin qu'elles puiffent toucher oü ébranler 1'imagination 8c faire naitre 1'émotion interne; une certame complaifance de 1'ame pour les impreffions douces de la nature. Si en faifant un voyage un peu long pendant les beaux mois de 1'année on s'obferve foi-mème, 8c qu'exempt de dïftraaion, on foit difpofe a fe livrer aux impreffions des contrées qui s'offrent fucceffivement, le JenLent interne nous fera diftinguer les différentes forces des objets 8c des fituations champêtres avec autant de certitude que l'ceil apperqoit la vanete Ts formes 8c des couleurs. Chaque promenade tranquille 8c reflechie, feite au milieu des fcenes diverfifiées que préfente la campagne, confirmera cette obfervation. L'homme eft donc dans une rélatlon fi intime avec la nature qu'il ne neut nier 1'ato de celle-ci fur fon ame. Le beau, 1'aimable, le nouveau le grand, 1'admirable qu'étale la nature lui caufent des emotions multtoliéês II eft des contrées qui nous invitent, tantót a une gaiete we, tantót k un plaifir tranquille, tantót k une douce mélancoüe, tantotala  du payfage & de leurs effets. 215 vénération, a I'admiration & a une élévation grave de 1'ame qui touche a la dévotion; mais il en eft auffi d'autres qui nous infpirent un fentiment accablant de notre foibleffe & de nos befoins, & nous rempliffent de trifteffe, de crainte, de terreur & d'effroi. Dans les Alpes j'éprouvai des fentiments qui m'étoient encore inconnus; jamais je n'aurois cru leur trouver une énergie ii extraordinaire pour élever le cceur humain au deffus de lui-même: fouvent je fouhaitois a mes cótés le petit nombre de mes amis abfents, afin de les voir ainfi que moi remplis de ces fenfations nouvelles qui étendent, exaltent, ébranlent l'efprit, & qu'on ne fauroitque favourer non décrire. Et lorsque defcendu de ces monts, dont les fommets couverts d'une glacé & d'une neige éternelles bravent le feu du foleil, on elt parvenu au fein des tranquilles vallées qui repofent au deffous dans toute la plénitude de la fertilité, quelles fenfations toutes différentes! Iln'en coüte pas beaucoup pour fe convaincre que les décorations de la nature inanimée peu vent réveiller tous les fentiments. Peut-on douter de leur énergie, quand on voit qu'elles font leur effet méme dans les imitations de l'art, dans les payfages peints par un Poufïin, un Salvator Rofa, & d'autres maitres dluftres ? L'artifte jardinier doit connoitre tous les effets des fites naturels du payfage, afin de choifir ceux qui produifent des émotions conformes a Ia deftination d'un jardin, & de les ordonner & lier enfemble de maniere que ces émotions fe fuccedent harmonieufement. C'eft un des points principaux de l'art des jardins, & précifément un de ceux qui attendent encore une foigneufe recherche. Des recherches de cette nature font a Ia vérité accompagnées de difficultés presque infurmontables. II s'agit de donner par des mots & des defcriptions une idéé de la diverfitê des fites du payfage, & l'art de repréfenter la nature eft encore trop nouveau pour que le langage aye déja une provifion fuffifante d'expreflïons propres a indiquer chaque objet en particulier, chaque lieu, chaque pofition, les différences infiniment petites & les écarts qui fe trouvent entre les fituations & les formes. Qu'on effaye de décrire une plaine, une vallée. Lorsqu'il s'agira d'expliquer fa longueur ou  l6. Seconde Setlion. Des différents carableres ou fa largeur, fon élévation ou fon abaiffement, fa garniture ou le voifinase des objets Mmitrophes, fera-t-il poflïble de révelller par des mots une idéé affez exaéte, affez ftable, pour qu'on reconnoiffe précifément cett- plaine, cette vallée, telle qu'elle eft, fans la confondre avec une femblable qu'on a vue, ou avec une autre que lui fubftitue 1'imagination? On décrit une colline j fon pied, fes cótés, fon fommet, voila fes parties principales. Mais cette anatomie fuffira-t-eUe? Quelle variété ne regne-til pas dans les formes arrondies, allongées, rétrécies, applaties, échancrées, comprimées, dévéloppées de nouveau! Et oü font les mots néceffaires pour indiquer exaétement ces formes? De mème l'on peut décrire la hauteur ou la grandeur d'une plante ou d'une fleur, fes feuilles & fa racine; comment déterminer fa pofition, le mélange particulier de fes couleurs, lélégance de fes feuilles, & ce qui la rend agréable ou désagréable? Et cependant la reffemblance d'un objet dépend de 1'harmonie de toutes fes parties. Suppofé que le language offrït affez d'expreffions, elles ne pourroient préfenter qu'une image trés - imparfaite de la Iiaifon de tous les détails. Combien ne fera-t-il pas aifé de fe tromper dans la foule de parties ifolées indiqués fucceffivement par des paroles, ou d'en former un tout autre enfemble que celui que 1'écrivain a fous les yeux ? Les périphrafes, auxquelles on tache d'avoir recours, font plus propres a caufer de nouvelles difficultés qu'a lever les anciennes. — La peinture & la gravure nous offrent leur fecours, en préfentant aux yeux non feulement les fituations , & les difpofitions de toutes les parties qui font 1'une a cóté de 1'autre, mais encore mille nuances & mille accidents qui paroiffent mème hors de la portée des expreffions pittoresques du Poëte. Malgré ces avantages les repréfentations de fcenes champêtres que nous livrent ces arts, ont leurs inconvénients & leurs défauts. Les plus beaux lointains en nature font presque toujours les moins intéreffants en tableau. La variété d'afpeds attrayants qu'offre fouvent une feule & même fcene, ne peut fe renfermer dans une imitation; 1'efpace étroit auquel elle elt bornée, diminue beaucoup 1'effet que produit la nature même pleine d'aifance & d'étendue; il faut prodiguer la peine êkladépenfe fans enretirer un pront qui envaillela peine. De  du payfage & de leurs effets. 217 Deplus, le löcalperd presque toujours a l'imitation; &avec Pouvrageleplus parfait, il faut fecontenter de voir une fcene qui n'a que quelque reffemblance avec ce qu'elle doit repréfenter. Ce qui fe trouve de plus fuperbe dans le payfage c'elt le pittoresque des couleurs, les effets des jours & des ombres, & mille petits accidents hors de la portée du graveur. Malgré tous les inconvénients que nous venons de rapporter, voyons jusqu'oü nous menera cet efTai. En féparant de 1'immenfe furface de la terre des grandes parties qui forment en elles-mêmes tout autant d'enfembles, on a des payfages; & en divifant encore ces payfages en petites parties, on obtient des cantons*) En conféquence de cette idéé le payfage confifte en plufieurs cantons, qui ont plus ou moins d'étendue, de variété & de beauté, & quifont enliaifon entr'eux. Chaque canton, confidéré comme partie du payfage, a auffi fes parties individuelies, dont la nature & la réunion le rendent fufceptible d'un caraétere k foi. Le caraétere de tout un payfage eft déterminé par Ie plus ou moins de perfeétion & d'harmonie qui regne dans les divers caraéteres des cantons particuliers. Le payfage doit donc fa beauté & 1'énergie de 1'imprefïlon qu'il fait, aux différents diftriéts réunis pour le former; & non feulement les caraéteres particuliers de chaque fcene ifolée, mais encore la liaifon de toutes ces fcenes enfemble, décideront de fon effet. I. Bes *) Le mot Canton eft employé ici dans le fens le plus borné; dans le fens dans lequel on dit: un tel canton de la ville. Au refte le traduéteur ne s'eft fervi de ce mot que faute de mieux. Tome I. E e  a l 8 Seconde Seftion. Des différents caraüeres I. Des Parties individuelies du Canton. E\ d'abord ce qui conftitue la Situation ou la Forme du terrein, Plaine, 'J Éminence, Enfoncement; enfuite ce qui le perfeétionne 8c 1'anime, Rockers, Collines, Montagnes, Bois, Eaux, Prairies, Lointains, ei&n Accident*. i. Plaine. Les Plaines, les Éminences 8e les Enfoncements, tantót limitent la vuë des objets, tantót 1'étendent, tantót la multiplient 8e la rehaufient. Ces diverfes efpeces de fituations ne peuvent pas plus ètre indifférentes a l arti11e jardinier, qu'elles ne le font au payfagifte 8c a la nature mème. La plaine n'eft guere fufceptible de variété; cependant la nature 1'employe, 8e elle peut quelquefois faire une des parties agréables d un jardin, mais jamais le tout. Une plaine infpire 1'idée de commodité, de Iiberté, d'aifance; elle permet 1'examen tranquille 8c prolongé des décorations qu'elle renferme. Mais pour qu'une plaine puiffe plaire il faut en partie qu'elle ait une certaine étendue de tout cóté, 8c en partie qu'elle n'oflfre pas une furface vuide 8c inanimée. Une langue de terre longue 8c étroite n'a rien de prévenant en elle - mème. Lorsque la plaine s'étend, fans aucune interruption, affez loin pour que l'ceil ne puiffe en atteindre les bornes, elle fatigue bientót. il faut que la vue y trouve de 1'occupation 8c de 1'amufement; ft elle eft vuide ou d'une mème couleur, elle caufera du dégout 8c de 1'ennui. Mème une plaine couverte d épics ondoyants, 8c dénuée d'autres objets, ne fiatte que peu de temps. Mais que d'attraits dans une plaine entrecoupée de champs clos 8c de potagers qui déployentune variété de fcenes 8c de couleurs! La plaine eft encore plus animée par les eaux, qui tantót brillent des rayons du foleil, 8c tantót répetent 1'afped du ciel azuré 8c des tableaux divers que forment les nuages. La  du payfage & de leun effets.. 2ÏQ La plaine étant en elle-mème peu intéreffante, fes limites 8c fes entours pourront en augmenter 1'impreffion. Elle eft plus agréable Iorsqu'elle fe perd dans un bocage a travers de quelques groupes d'arbres, ou qu'elle s'enfie en colline boifée, que lorsqu'elles'évanouit dans un lointain tout nud; mais elle devient plus agréable encore lorsqu'un mont s'éleve a cóté d'elle, ou qu'une haute forèt, un village bien habité, ou quelqu'autre objet confidérable, marqué fes limites par un doux crépufcule. 2. Éminence. L'éminence offre plus d'aifance', de gaieté, d'agrément que Ia plaine; de fa nature elle elt découverte 8e réjouiffante. L'éminence termine des points de vue, tandisqu'elle en ouvre de nouveaux; pendant qu'on monte, elle amufe par la multiplication des afpeéts; furprend lorsqü'on eft parvenu au fommet, 8c infpire a 1'ame un fentiment agréable d'élévation, qui la tranfporteen quelque faqon au deffus desfoucis 8c des occupations indignes d'elle, 8c Ia rapproche de fa noble deftination. L'éminence donne de la dignité, de la majelté aux édifices qu'elle porte fur fa cime, 8c leur offre fur fes penchants des fituations plus aifées, plus douces, 8c plus agréables. La beauté de l'éminence dépend fur-tout de fa figure. Tout ce qui eft anguleux, coupé net, excavé ou pointu, bleffe l'ceil. Des lignes doucement ondoyantes, des penchants infenfibles, de la variété dans les contours des terraffes, un fommet joliment arrondi 8c fe terminant par une plaine, donnent a l'éminence Ia forme la plus flatteufe. Mème nue l'éminence plait, pourvu que fa figure foit avantageufe: mais garnie elle acquiert de nouveaux attraits. Une verdure fraiche qui couvre toute la hauteur, un riant feuillage 8c des buiffons fleuris difperfés fans régularité fur les pentes, de petits poupes, des arbres d'une forme noble qui s'elancent des flancs ou qui ombragent une partie du faite, un troupeau graviffant, une maifon de campagne d'une jolie architeéture, font les décorations les plus belles de l'éminence. Ee 2 3.£«.  220 Seconde Seiïion. Des différents caraUeres 3- Enfoncement. L'enfoncementeftla demeure de la folitude & du repos; elle favorife fcsarrangements&les fcenes mélancoliques, & s'accommode tres-bien de tout ce qu'on peut appeller clóture & ombrage. L'Hermite, 1'ami des réflexions pailïbles, celui qui aime a defcendre en lui-meme, trouvent ici un domicile convenable. Des buiffons rétentiffant du chant des oifeaux, qui s'aiment & mchent ici en paix; une eau qui coule en filence, ou du moins avec un doux murmure; le gazouillement d'un ruiffeau qu'on n'appergoit pas; quelquefois unebruyante cafcade; des allées en berceaux, paroiffent les objets les plus propres a vivifier naturellement & agréablement cette efpece de lite. _ L'enfoncement plait moins au milieu d'une plaine que pres d'un bois, & a cóté d'une montagne, oü la nature le place le plus fouvent. Des creux brusques & a pic frappent, & quelquefois epouvantent; mais destalus en pente douce& infenfible font engageants. Unbelenfoncement fuit dans la nature toute régularité & toute forme compaffee; ü en fera de mème dans 1'ordonnance d'un fage artilte jardinier. C'eft par le mélange des plaines, des éminences & des enfoncements, que la nature met dans les payfages une variété enchantereffe; l'artifte jardinier doit fuivre fon exemple, & ne négliger aucune de ces difpohtions capitales du terrein. C'étoit une preuve certaine que l'on manquoit la nature, lorsquefuivant legoütde le Noftre, on métamorphofoit tout en plaine tirée au cordeau, que l'on rafoit toute éminence naturelle, & que des terraffes de pierres étoient les feules élévations de quelque hauteur que l'on vouloit fouffrir. Dans les plaines, les éminences & les enfoncements, ü peut regner beaucoup de différence & de variété, caufées en partie par leur étendue & leur grandeur, en partie par leurs relations réciproques, & en partie par leur liaifon. Déterminer les vraies proportions de ces objets, & les lier convenablement, elt fans contredit le combiede l'art dans les jardins, pre- cifément  du payfage & de leurs effets. 221 cifément paree qtfici presque tout dépend de cacher l'art. Lorsque la nature n'a pas préparé 1'ordonnance, mais qu'il faut Ia créer, il n'eft rien de plus aifé que de donner dans le guindé, & rien de plus difficile que de Péviter. II faut cacher les lignes de féparation, obferver la variété des parties malgré Ie petit efpace oü eft renfermé un jardin plutót qu'un payfage, & le tout fur un fol oü le temps feul peut effacer les traces que laiffent les efforts de l'art. Le jardinier occupé a mettre en ceuvre un emplacement déterminé, doit réfléchir & comparer attentivement; cette réflexion & cette comparaifon lui fourniront des inftruétions plus utiles que les préceptes généraux qu'on pourroit lui donner. 4- Rochers. Des rochers" rabotteux & dégarnis ont quelque chofe de désagréable, paree qu'ils font empreints d'un caraétere naturellement fauvage & défert, & n'intéreffent que foiblement. Cependant ils peuvent dans le payfage former par leur hauteur, leur étendue & leur apreté, des fcenes particulieres, qui, fans mème faire attention a leur contrafte avec les parties adjacentes & voifines, font fur-tout propres a infpirer de 1'étonnement, dela vénération, de 1'effroi & de la terreur. Lorsque la nature a mis des rochers dans un vafte emplacement deftiné a un jardin, il faut tacher d'en tirer tout le parti poflible pour 1'enfemble. Mais des rochers artificiels ne font guere que de foibles imitations fans interêt; ils trahiflent presque toujours la main & le travail de l'homme; enfin ils s'accordent rarement avec les autres parties auxquelles ils doivent être liés. Dans de vaftes diftriéls les rochers font fouvent des objets dominants en répandant une impreffion de force ckdedignité, & en communiquant au payfage un caraétere héroïque. Mais d'ordinaire, fur-tout dans des parcs plus bornés, on ne peut guere les envifager que comme des acceflbires, toujours utiles cependant. Ils fervent a jetter de Pinterruption ckde 1'ombre dans le tableau; on peut en tirer un grand parti dans des fites foli- Ee 3 taires,  222 Seconde Seiïion. Des différents caratteres taires déferts, mélanooliques. Ils font le féjour naturel des grottes, des. du caract jre b naturellement. Une cabane,- c!t Srt Le défert le plus ficheu* s'embellit a nos yens, d'abord qui f l, nueloue marqué de la préfence de l'homme i au moms lim^on de SS qui reWorce encore cette de ce qui eft fauvage, en eft dE "ZsTstn^s romanefques les rochers fon, djm grand effet * ,« effe depend de leur fituation & de leurs formes. Kus ces formes & ceteffetdepena entortillées, fingulieres, ^Tm e~i:„tavecles'partiesvoifines &P,us*sFoSt d effet Les formes mêmes qui blefferoient dans une éminence, T le rfme qui font direaement oppofées i toute idee de beauté, "^ Z ^ énergie pour caufer Pimpreffion du romanefque. ont ia pms difformités, enchainement dans les rochers; ^^C^fa* * ^ régülarité des lignes b de la difpontion ZZZTZZ tout ce qui tire Pimagination d= fa fphere ordmaire rZ a mettre au nalieu d'une fuite de nouvelles images, pour Ia tranfporrdans unlonde enchanté, pour la ramener aux fiécles des plus etranges fortileges, eft ici a fa place. 5- Collines- Entantque les collines font des éminences, elles ont lesmWpronriétóquecelles-ci, & nous en avons déja parle. Les cottmes dennen, 1 ■ fnrmp la nlus agréable au terrein. ef~Ues féparent, par la beauté de la ligne qu'ettes fuivent en fe fucP- la variété de leurs penchants & de leurs ^«tures. On  du payfage & de leurs effets. 223 póuira les'animer avantageufement par des jacheres, des cabanes, des fentiers, & d'autres traces de culture & d'habitation. Elles offrent, au lever. 8c au coucher du foleil, des fpeétacles charmants caufés par les effets du jour & des ombres; fpeétacles qui s'attirerent toujours 1'attention des payfagiltes habiles. 6. Montagnes. En général toutes les remarques que nous avons faites a 1'égard des éminences 8c des collines, font applicables aux montagnes. Le caraétere des montagnes eft l'élévation 8c la majefté folemnelle, dont elles répandent, en proportion de leur hauteur 8c de leur étendue, 1'influence fur le payfage oü elles repofent. Elles font en elles - mêmes des objets de tant de conféquence, que feules elles peuvent rehauffer la contrée au point de la rendre héroïque. Tout ce qui peut abfolument fe trouver de hardi 8c de majeftueux dans des maffes auffi grandes, auffi élevées, auffi étendues, détermine leur caraétere. L'afpeét apre 8c fauvage qui s'y préfente ordinairement, les maffes de neige qui couvrent leur cime, les terraffes crevaffées, les précipices menaqants, les larges déchirures du terrein avec leurs creux 8c leurs abymes, concourent même a en renforcer 1'impreffion. Les montagnes rendent a I'inftant l'ceil attentif; elles émeuvent, élevent 8c rempliffent l'ame du fpeétateur; elles infpirent du refpeét, de 1'admiration, de Ia furprife; fouvent même elles produifent une émotion, qui, fi elle n'eft pas de 1'effroi oü de la" terreur, en approche du moins beaucoup. Les montagnes font la patrie des fources 8c des rivieres; elles offrent des minéraux 8c des plantés, 8c nourriffent des milliers d'infeétes 8c d'oifeaux moins connus dans la plaine; elles offrent les délices d'une tranquille folitude 8c de I'innocence champêtre, qui habite ici plus long-tems 8c en pleine fécurité: tous ces avantages rehaufient encore la jouiffance de leurs charmes. ■• . . Mais  224_ Seconde Setlion. Des différents caracferes Mais c'eft leur fommet qui caufe les émotions les plus fublimes & les plus énergiques 5 celles qui réfultent de 1'éloignement & de 1'immenfité des points de vue, des fpeétacles qu'étalent la Iumiere du foleil & les nuages dans les fonds & autour des pointes des monts, de la variété infinie 8c du mélange des objets oü vont fe perdre 8c l'ceil & 1'imagination. L'afpeét du ciel qui paroit tout prés de nos têtes; celui des'nues 8c des éclairs a nos pieds; des enfoncements 8e d'un demi-monde, qui s'élargiffant au loin de tout cóté, paroit en miniature 8e comme plongé dans une vallée, 8c fe termine par un doux crépufcule; — le fentiment de grandeur & de nouveauté qu'augmente encore la folitude & le filence dont on eft environné; —. la Iiberté, 8e 1'aifance'avec laquelie 1'ame agit dans ces régions, oü elle femble en quelque faqon participer a la pureté de 1'étber qu'elle habite; — fon élévation au deffus de la fphere ordinaire de fes penfées & de fes occupations, defesfoins&defesinquiétudes, qu'elle a laiffés en bas; — une forte de fatisfaétion furabondante qui 1'élargit 8c Ia rempüt; — que de fentiments réunis pour faire éprouver une jouiffance qui ne fauroit aller plus loin! . „, En effet," dit le célebre philofophe de Geneve, „c'elt une impreiiion générale qu'éprouvent tous les hommes, quoiqu'ils ne 1'obfervent pas tous, que fur les hautes montagnes oü l'air eft pur 8c fubtil, on fe fent plus de facilité dans la refpiration, plus de légéreté dans le corps, plus de férénité dans l'efprit; les plaifirs y font moins ardens, les paffions plus modérées. Les méditations y prennent je ne fais quel caraétere grand 8c fublime, proportionné aux objets qui nous frappent, je ne fais quelle volupté tranquille qui n'a rien d'acre 8c de fenfuel. II femble qu'en s'élevant au deffus du féjour des hommes on y laiffe tous les fentiments bas 8c terreftres, 8c qu'a mefure qu'on approche des régions éthérées 1'ame contrafte quelque chofe de leur inaltérable pureté. On y eft grave fans mélancolie, paifible fans indolence, content d'ètre 8c de penfer: tous les defirstrop vifs s'émouffent: ils perdent cette pointe aiguè" qui les rend douloureux, ilsne laiffent au fond du cceur qu'une émotion légere 8c douce, 8c c'eft ainfi qu'un heureux climatfait fervir a la félicité de l'homme les paffions qui font ailleurs fon tourment."  du payfage & de leurs effets. 225 ment" — Toute la beauté de mille étonnants fpeaacles eft encore augmentée fur les montagnes „par la fubtilité de Pair qui rend les couleurs plus vives, les traits plus marqués, rapproche tous les points de vue; les diitances paroiffent moindres que dans les plaines, oü 1'épaiffeur de'l'air couvre la terre d'un voile; 1'horifon préfente aux yeux plus d'objets qu'il femble n'en pouvoir contenir: enfin, le fpeétacle ajenefai quoide magique, de furnaturel qui ravit l'efprit & les fens; on oublie tout, on s'oublie foimême, on ne fait plus oü 1'on eft." *) Un autre citoyen de Geneve, obfervafeur philofophe de Ia nature, a épié avec une égale vérité de fentiment Pétat de Pame fur les montagnes' & y a remarqué des fenfations en partie femblables & en partie nouvelles! Je ne faurois m'empècher de placer ici la defcription qu'il fait de fon voyage a la montagne de Chaumont prés de Neufchatel, tant a caufe des obfervations qu'a caufe du tableau riant qu'elle renferme. „Nous montions," dit-il, „en ferpentant fur le penchant d'une montagne couverte de bois, oü quelquefois notre route fembloit s'enfoncer dans de fombres déferts; puis revenant au jour, nous nous trouvions guindés de plus en plus au deffus du lac de Neufchatel, qui fembloit a nos pieds. Dans ces moments nous jouiffions d'un fort fingulier fpeétacle. La furface de celac, légérement agitée, réfléchiffoit fi parfaitement le bleu du ciel, qu'elle paroiffoit Ie ciel mème. Les arbres qui étoient au deffous du chemin dans la pente, portoient leur feuillage fur 1'horizon par rapport a nos yeux, & nous cachoient ainfi tout le terrein au-de-la du lac & mème les montagnes: mais nous appercevions le Iac entre les troncs de ces arbres, en même tems que nous voyions le ciel au deffus de leurs branches; & la teinte de 1'un & de 1'autre étoit fi parfaitement femblable, qu'il nous paroiffoit, fans que rien püt détruire 1'illufion, que c'étoit le ciel même qui paffoit au deffous de nous, comme fi nous euffions été fufpendus dans 1'efpace fur quelque petit fatellite. C'eft *) Nouvelle Héloife. Part. I. Lettre XXIII. Tome l. Ff  22Ö Seconde StUion. Des différents eamSeres „C'eft par ces chemins amufans que nous atteigrimes fans nous en apper evoir le fommet de la montagne. Alors le coup dcc, s agranrk en tor ftns Nous avions a l Orient les lacs de Neufchate, de Morat & d" Bienne, 'renfermés dans un baffin commun dont les Alpes bordo.ent orès de la moitié. A loccident étoient ces vallées toujours fi charmante* p leur bïï«ta* ,eurpopu.a.ion. Au Nord & au S„ s'etendo.t L cbalne du Jura, fi agréablement entrecoupée de rochers & de peloufes En un mot, c étöit a la lettre une profufion de fuperbes points de vue qm couvroient tout 1'horifon. „Nous admirames quelque tems hm 8c découvris ehez Mlle. S. eet effet que j'attendois de fa enfibdite & *n£& mon attente: elle devint rêverie, elle ne regardoit plus nen; elle retooit de tems en tems fon haleine avee 1'avidité d'une perfonne akreeq,eta, che fa fitf, puis elle fermoit presque fes yeux 8c reftoit dans le fdenc • Je 1'obfervois 8c gardois le füenee moi-mème; on n'eft poiiu tene d> F« Ier pour exprimer ce qu'on éprouve, car on ne faurolt trouver des mots, quePon eft bien! diroit tout, ft cette expreffion etoit encore ntendue Mlle. S. en eut une autre, qui m'émut fans m'étonner rêverie les larmes fe firent jour au travers de fes paupieres a demi ferme* 8c le fouris fut auffitót fur fes levres pour les juftifier Qu'en ce que ceci> dit-elle enfuite avec furprife} c'eft réellement de bonheur que je pleu- re fuis-je donc tout-a-coup retournée en arriere dans ma vie?. Jamais je n'éprouvai, fans caufe apparente, rien de femblable a 1 etat ou je me trouve, que dans les jours les plus fereins de ma première jeuneffe. Nous étions debout, Scnousnous promenions lentement fur unegazonnade affez étendue, quand nous commencames a éprouver cette douce maniere d'être. Nous nous approchames de quelques petits rochers, qui dans une pente infenfible s'élevant au deftus du gazon, offroient ga 8c la des fieges fort commodes. Nous nous affimes 8c nous paffames la pres de deux heures fans nous en appercevoir, & presque toujours en fdence. MUe. S. fe fentoit comme en Paradis 8c eüt voulu ne redefcendre jamais  du paufage & de leurs effets. 227 fur Ia terre, lorsqu'un petit vent frais fe Ieva & fe renforca k mefure que le foleil s'abaiiToit. II commence a. faire froid, dit-elle; allons-nous en. Et nous quittames ainfi le paradis, ou plutót Ie paradis nous quitta. —■ C'eft ce calme, ce filence parfait des organes qu'éprouvoit Mlle. S. qui Ia rendit fi heureufe fur la montagne de Neufchatel. II y avoit bien longtems que l'air n'avoit circulé fi imperceptiblement dans fes poumons, qu'elle ne s'étoit fentie comme alors nifaim, ni foif, ni dégout, ni froid, ni chaud, ni foibleffe, ni befoin de fe repofer ou de fe mouvoir, ni crainte, ni defir que celui de ne fortir jamais de cet état, defir même qu'elle ne fentit enfin que paree que fa fituation commenqoit a changer. — Je ne faurois en effet comprendre d'aucune autre maniere ce que j'ai éprouvé tant de fois fur les fommets ifolés des montagnes, quand l'air y eft calme 8t ferein. II n'eft aucune fituation que je me rappelle avec plus de délice. Mr. Rouffeau a fenti exaétement comme moi; & j'ai eu même le bonheur d'en jouir une fois avec lui. II me tranfporte encore fur les montagnes, quand je relis ces paroles magiques—„on y eft" content d'ètre & de penfer. Ah que ces mots retentiffent au fond de mon ame! Combien ils me frapperent lorsque je les lus! C'étoit ainfi réellement que je m'étois toujours expliqué mon état a moi-mème: tous mes organes font alors dans un calme fi entier qu'ils difparr;q"ent; je ne les apperqois plus. Je fuis moi, un être incompréhenfible, mais qui fent fon exiftence, & pour qui toute feule elle elt un bien. Je fuis ce villageois, heureux paree qu'il vit, & a qui il ne faut pas d'autre apprêt. Je fuis ... mais oferai-je exprimer ainfi cette anticipation de la Iiberté de mon ame, qui dégagée des chaines qui 1'entravoient, selance vers les régions céleftes, & goüte d'avance les douceurs du trépas?... Je fuis mort, & je fens que la mort eft un bonheur; que je ne quitte rien de ce que je pourrois regretter fur la terre; que mon ame n'attend que la durée de cet état, pour remercier fans ceffe l'auteur de fon exiftence. „Que j'exifte, oh mon Dieu! & que je te loue! Que je dépouille „réellement cette enveloppe corporelle! Je n'ai befoin de me figurer rien „deplus, pour concevoir le parfait bonheur." Ff 2 „Voila  22g Seconde SecTion. Des différents cara&eres „Voila les extafes oü je me trouve fouvent quand je fuis fur les montagnes ; & oü je puife plus d'argumens fur la fpiritualité de mon ame, que dans tous les écrits des Philofophes." *) Bois. Sans les bois & les eaux les plus belles formes du terrein manqueroient de vie & d'interèt. Les bois plaifent & charment de diverfes facjons. Leur hauteur & leur étendue, leur contour, leur fituation, leur plus ou moins d'épaiffeur, les différentes nuances claires ou foncées de leur feuillage, font d abondantes fources de variété & d'amufement. De loin même les bois font des objets attrayants, & fourniffent des ombres au payfage: de *) Lettres plryfiques & morales, fur les montagnes & fur l'hiftoire de la terre & de l'homme, par J. A. de Luc, citoyen de Geneve &c. &c. A la Haye, chez Detune libraire. 1778- 8- Lettre 13.  du payfage & de leurs effets. 22^ de prés ils égayent en rafraïchiffant & ranimant les forces, en réveillant 1'idée de 1'abri qu'ils accordent au gibier & aux oifeaux, en faifant entendre Ie chant de leurs habitants ailés, en offrant les jeux du jour & des ornbres, en exhalant 1'odeur fuave des fleurs & des plantés. Une forêt peut, par fa Iargeur, fa longueur & fon élévation, devenir un objet très-héroïque dans le payfage. Confifte-t-elle de plus en arbres agés & s'élangant vers les nues, êka-t-elle un feuillage touffu & foncé, fon caraétere fera celui de tegravité, & d'une certaine dignité majeftueufe qui infpire une forte de vénération. Un fentiment de repos pénetre 1'ame, & la fait nager fans réfolution préméditée de fa part, dans une rêverie tranquille, dans une douce admiration. Rarement fon étendue & fon obfcurité font affez grandes ou extraordinaires pour exciter 1'étonnement ou Ia furprife, a moins qu'une violente tempète n'y concoure accidentellement; un fentiment profond & délicieux eft ordinairement 1'effet que produit une forêt. La vivacité, la férénité & la gayeté font propres a un petit bois peu touffu, ou au bosquet dont les arbres font d'un jet noble, délié, peu haut mais élégant, dont la verdure eft frai'che & riante, dont les interftices font tranfparents, & le fol uni & débaraffé de taillis & de brouffailles. Les ondulations du feuillage, que met en mouvement Ie léger zéphyr, les jeux du jour & des ornbres entre les feuilles & fur le terrein, le foleil levant & le foleil couchant qui dorent Ie bosquet en le pénétrant, Ia lueur incertaine de la lune qui fe gliffe doucement a travers les cimes des arbres, font les accidents les plus favorables a I'embelliffement d'un bocage. La nature fe fert au refte des bois comme d'un moyen efficace pour former des fcenes de différents caraéteres, comme fcenes paifibles, folitaires, défertes, mélancoliques, gaies, agréables, fereines, fuivant Ia difpofition, 1'ordonnance & la liaifon diverfes des tiges, du cru, du Ff3 verd  Seconde Stiïion. Des différente caraSera veld & du feuiilage des arbres, «fi ,* nous le verrons ailleurs dans la fuite. r «, d,ns Ie navfage ce que font les mlroirs dans une maiLes eaux font dans le payiage 4 de b fon, les yeux dans le " menade en bateau & de la pêche eles prérence.plait par-tout, & qu onregretteleur ablence 0 Seconde Seblion. Des différents carableres nance, les mouvements & les tableaux divers des nuages, fur-tout'pendant les orages&les foirées; le foleil dardant fes rayons par échappées; les coups de jour fubits 8cles ornbres; la lueur incertaine de la lune voiléed'un nuage paflager; les clairs 8c les obfcurs du lointain, aiTujetti a 1'état du ciel qui y entremèle fes formes 8c fes jours; la vapeur légere 8c bleuatre qui nage autour des points de vue éloignés; le jeu des couleurs dans 1'arc-en-ciel; les perles de la rofée matinale brillant fur le verd des prairies; les fïgures bifarresdu brouillardflottant; les mouvements aifés du feuillage 8e des eaux; les refleéts agréables, qui font plus flatteurs 8c plus féduifants que les rayons de la Iumiere primitive—toutes ces variations de la nature en un mot, que nous comprenons ici fous le nom d'accidents, paroiflent fbrmer de nouvelles fituations, fouvent mème de nouveaux objets. Elles raniment en changeant continuellement les jours ck les ornbres des décorations, les jeux de la Iumiere 8c des couleurs; elles font pourle payfage une fource des plus fertiles de diverfitê 8c de vie. Elles furprennent fouvent l'ceil étonné par des apparitions qu'aucune imaginationnefauroitfe repréfenter plus éblouiffantes, plus magiques, 8c plus rapides a difparoitre. Pour imiter, autant que le peut l'art foible de l'homme, les accidents qui font particuliers a la nature, le payfagifte épie fes voyes les plus fecrettes. Cette reffburce n'eft pas au pouvoir de l'artifte jardinier, il faut qu'il attende patiemment jusqu'a qu'il plaife a la nature d'en embellir fes contrées. II. Cara-  du payfage &'de leurs effets. II. Caraclérijliques de divers Cantons, i. TTtons de vaftes payfages on trouve des cantons desquels on peut dire qu'ils font communs, fans fignihcation, fans caraétere; qui n'ont aucun attrait pour l'efprit ni pour les yeux; ou qui mème caufent un déplaifir fenfible, 8c par conféquent demeurent bannis de Penceinte d'un jardin. Des plaines abfolument vuides 8c uniformes font fans aucun interêt, 8c fatiguent enfin quand on les regarde quelque temps. Des Iandes 8c des tourbieres, telles qu'on en voit dans Ia baffe Allemagne, déplaifent par leur trifte ftéribté. Les déferts fablonneux de 1'Arabie ou du Perou effrayent de plus par 1'image des difficultés 8c des périls que court Ie voyageur. Des déferts vaftes, embaraffés de routes fortes de plantés, entrecoifpés de marais 8c de bourbiers, couverts de ténebres, comme ceux d'Amérique; des régions entieres d'écueils rabotteux 8c de rochers incultes, comme on en trouve dans quelques endroits de 1'Islande 8c du Groenland, infpirent le découragement, la crainte, I'effroi. Ces objets n'offrent que 1'image du befoin, de la mifere 8c du danger: ici 1'idée de folitude fe change en celle d'épouvante, 8c un fentiment accablant de fa foiblefté faifit l'homme. L'invocation d'un de nos plus grands Poê'tes: *) „Sombres forêts, oü la Iumiere ne pénétre jamais a travers I'ombrage „des fapins, oü chaque bocage nouspeint la nuit du tombeau! vieux ro„chers, oü égarés dans les buiffons, les oifeaux folitaires font entendre „leurs triftes concerts! ruiffeaux, quitramez Ientement, entre ces cöteaux „arides, vos ondes languiffantes,.pour les verfer dans des marais fans cul„ture! plaines ftériles! vallons pleins d'horreur, puiftiez-vous me peindre „les couleurs de la mort! Entretenez mon deuil par une froide terreur 8c „par une noire mélancolie." Cette fublime invocation k I'inftant oü il veut décri- *) Haller, Fragment d'une Ode fur 1'éternité. Voyez les Poélies de Mr. Haller traduites de 1'Allemand, a Berne. 1760. Tome I. Hh  242 Seconde Seiïion. Des différents caraéteres décrire 1'éternité, fe fonde fur un fentiment vrai, fuite des impreffions naturelles que font les fcenes dont nous parions. Cependant un objet effrayant .& terrible peut paroitre dans un beau payfage, fans que 1'effet agréable de ce dernier en foit altéré; il peut mème y gagner par Pinfluence du contrafte. C'eft ce que prouvent en Suiffe bien des chaines de riants vallons dominéés par les Alpes menaqantes du voiftnage recouvertes de glacés & de neige: c'eft ce que prouve, dans l'ile romanefque de la Sicile, le Volcan vomiffant des tourbillons de fumée. L'artifte jardinier ayant un efpace beaucoup plus borné que la nature, ne hafardera pas trop légérement de 1'imiter en ce point. 2. Les cantons propres aux jardins, font d'abord les agréables, les gais 8c ceux ou regnent la férénité 8e qu'on peut appeller riants ou attrauants. Ils font en général compofés d'une fucceffion variée de petits enfoncements 8c d'éminences; de plufieurs ftnuofités 8c inégalités du terrein; de prairies, cle brouffailles 8c de bosquets, de fleurs, d'eaux 8c de petites collines, raffemblées d'une maniere libre, aifée, 8c féduifante. Les roes, les chaines de montagnes, 8c les grandes cafcades en font exclues. Plus les diverfes compofïtions de ces objets font variées 8c entortillées, plus elles ont de charmes. La fraicheur 8c la vivacité de la verdure qu'étalent Ia peloufe 8c les arbres, la limpidité de 1'eau, le miroir clair 8c tranquille qu'elle offre, ou le gafouillement de fa courfe, 8c 1'efpece de cliquetis qu'elle produit en bondiffant, une foule de ruiffeaux 8c de petites rigoles qui fe jouent, des fleurs diaprées de couleurs vives, de douces collines couronnées de bois 8c de buiffons fleuris, des ombrages qui s'éclairciffent d'une maniere flatteufe, Ie jeu des refleéls incertains, des lointains pleins de vie 8c de mouvement, déterminentle caraétere de ces cantons, fuivant leurs différents degrés qui s'élevent du purement agréable au gai, 8c de la au riant. La nature crée des cantons de ce caraétere avec une variété infinie, 8c avec une abondante diverfitê de grandeur, de formes, cle couleurs, d'ordonnance 8c de combinaifon; 8c paree que la nature les livre en fi grande quantité, on les retrouve mille fois dans les imitations des poètes 8c des payfagiltes. Leur  du payfage & de teurs effets. 243 Leur impreffion eft modérée. Une complaifance tranquille; une effervefcence de plaifir qui échauffe; une douce rêverie de Pame nageant dans des fentiments qui lui femblent connus, & qui cependant la raniment par de nouveaux attraits, voila les effets que des cantons agréables, gais, riants, font fur des fens non dépravés encore. 3- Les cantons oü regne une douce mélancolie, le romanefque ou Ja folemnité, font plus rares dans la nature, mais auffi ont-ils bien plus d'énergie. Les cantons agréables gliffent légérement fur Pame en faifant une foible impreffion : ceux dont nous parions faififfent Pame, la fixent. Ils 1'attirent, 1'enchantent, Pébranlent & 1'élevent: impreffions, qui, pour des gens de goüt & a fentiment délicat, font infiniment plus intéreffantes que mille amufements ordinaires. Un canton oü domine Ia douce mélancolie fe produit par Pexclufion totale des lointains; par des fonds & des abaiffements; par des buiffons & des bois épais, fouvent mème par de fimples groupes d'arbres élevés, touffus 6c ferrés, au fommet desquels un fourd mugiffement fe fait entendre; par Hh 2 des  244- Seconde Seblion. Des différents carableres des eaux dormantes, ou qui, dérobées aux yeux, produifent un murmure étouffé; par un feuillage d'un verd fombre ou noiratre, par des feuilles pendantes, & une ombre qui s'étend par-tout; par 1'abfence de tout ce qui peut annoncer la vie & 1'aétivité. Dans ces cantons des jours rares ne fe montrent que pour défendre 1'influence de 1'obfcurité de celle de Ia trifteffe ou de 1'efïroi. Le filence & la folitude habitent ici. Un oifeau qui voltige ifolé, le gazouillement confus d'animaux inconnus, un ramier qui roucoule dans Ie fommet creux d'un chène effeuillé, un rojfïïgnol égaré qui conté fes peines au défert, fuffifent pour rehauffer la fcene. Un canton „oü l'on „n'entend que le murmure des feuilles & du ruiffeau qui arrofe des prés fo„litaires; — oü les carelïes des zéphyrs animant les feuilles entretiennent „1'ame dans une douce mélancolie; oü aucune douleur ne peut refifter au „calme de ces fonds impénétrables aux rayons du foleil;" *) ce canton n'a rien qui puiffe réveiller des fentiments desagréables; il vient mème trés-a propos pour de certains befoins du cceur & de l'efprit. II offre Ia douce jouiffance du repos & de la folitude , 1'image flatteufe de 1'idée qu'on fe fuffit a foi-mème, 1'oubli paifible des chofes qui troubloient notre paix intérieure. II attire & recrée 1'ame, qui retirée des foucis & des affaires du monde, veut jouir un inftant d'elle-mème. Confident de 1'amour, ce canton entretient Ia tendreffe cachée du cceur, & careffe le chagrin jusqu'a ce qu'il ne fe faffe plus fentir. L'efprit s'abandonne a des réflexions plus libres & dignes de lui; toutes fesforces fe raffemblent &augmentent d'aétivité. L'imagination s'éleve d'un vol extraordinaire jusqu'a une nouvelle fphere d'idées, au milieu desquelles elle erre avec un fecret enthoufiafme. Qui pourroit être affez peu philofophe pour ne pas fe ménager dans fon vafte jardin oü regne Ia férénité, un canton propre a infpirer une douce mélancolie? A qui ces impreffions pourroient - elles ètre abfolument étrangeres; étrangeres au point de ne les avoir jamais obfervées dans Ia nature même, ou de ne les pas retrouver dans le poete qui les a chantées ? „Tourne tes pas vers ces lieux oü des hauteurs couronnées d'arbres „êtalent leur dos bleuatre, tandisqu'un zéphyre raffaichiffant fouffle du „haut *) Poédes de Mr. Haller traduites de 1'Allemand &c., dans Ia piece intitulée: Defir de revoir fa patrie.  du payfage & de leurs effets. 245 „haut de leur faite. Suis toujours le fraix vallon qui s'enfonce profonde„ment dans le fein ombragé des montagnes, jusqu'a ce que des finuofités „recouvertes de feuillages te conduifent au théatre folitaire de la nature „fauvage. Ici, oü les feuilles argentées du frêne croilTant fur Ie rocher ,,fremiffent agréablement dans le vallon, oü des builTons pittorefquement ,-,fufpendus fe penchent du pied de la montagne vers Ie miroir des Hots, „ici le défert t'offre un fiege de moutte fleurie, 8c te déploye un fpeétacle „grave 8c paifible. —- Les fombres prairies qu'humeéte la rofée fe revêtent „d'un verd plus foncé, elles exhalent les plus fortes odeurs. Aucun vent „ne plane fur les étangs: immobiles, füencieux, femblables a des glacés „ternes, ils s'étendent au loin dans les plaines. Le couvent folitaire envi„ronné de la pompe auftere de 1'antiquité git au fein caché des forêts: ,,éloigné du tumulte il repofe dans les bras des bouleaux 8c des tilleuls. Me „trompé -je! II t'appelie. Un friiïon religieux me faifit; il m'entraine avec „une force magique dans ce lieu confacré." *) Hh 3 4.Le *) Traduit du poè'me allemand deMonfienr Ztwfaarie intitjtfé l«sQuatre parties du jour,  2,g Steende SeSon. Des différents caraSens Le IMW «• fe ^ï»^ un W** réfu"eftde ^£"2" „aire & du fingulL qui domine dans les formes, les contraftes & es ka,tas O rencontre fur-tout ce caraaeredans des cantons femes de montn'es & de roes, dans des déferts renfermés, ou Ia main aftve de 1W Sa nas encor pénétré: des rochers & des cafcades contnbuen. beau^iKuk», amf. que nous 1'avons déjaremarqué. Ma,s outre k orm ce font encore des contraftes frappants, & des rapprochements fo aux qui errent enfuite étincellantes entre les vertes feud.es ou les pXes cZves d'un roe blanc percent la vonte dune belle fore. - la caprice quXhever Joigneufement: ee font des touches acceffmres harto&gJte», tantes, qui échappent a fa main dans fes tableaux rutues Le romanefque caufe de 1'admiration, de la furpnfe, un etonnement agréable, & fait rentrer profondement en foi-meme. , La defcription dun canton des plus romanefques que nous a donnee un excellent connoiffeur,«) mettra mieux au jour ce caraftere. Ce canT M I» fameufe Dowedale dans le Derbyfhire en Angleterre. '°ne CeftTtïbn de deuxmil.es delongueur, profond 8c tooit; fa deux"cW. fon. bordés de rochers; & la riviere Dove, en le traverfan, dait dePAnEloi». A Paris, dies C. A. Jombert pets* .77-8- »» pta.  du payfage & de leurs effets. 247 change perpétuellement fon cours, fon mouvement & fa figure. Elle n'a jamais moins de trente pieds, ni plus de foixante pieds de largeur, 8c fa profondeur eft en général de quatre pieds: mais elle eft tranfparente jusqu'au fond, excepté dans les endroits oü elle eft couverte d'une écume blanche comme Ia neige; ce qui eft 1'effet de plufieurs cafcades très-brillantes. Ces cafcades font auffi diverfifiées que nombreufes. Dans certains endroits elles croifent entiérement la riviere, foit direélement foit obliquement; dans d'autres elles ne latraverfent qu'en partie; & leurs eaux ou viennent fe brifer contre les rochers, 8e s'élancent enfuite au deffus avec impétuofité, ou fe précipitent en bas 8c rejailliffent en écume: quelquefois elles fe frayent rapidement un paffage a travers les ouvertures des rochers; quelquefois elles tombent trés-doucement, 8c fouvent elles font repouffées 8ereviennent en tournant fur elles-mêmes. Dans un endroit trés-remarquable, le vallon devient ft ferré que la riviere ne peut y paffer que très-difficilement. L'agitation, la fureur, le mugiffement, 1'écume des eaux, tout annonce la grandeur de 1'obftacle qu'elles ont a vaincre. Ailleurs le courant eft doux fans être languiffant; il fe partage pour environner une petite ile déferte, coule parmi des touffes de jonc, de gafon 8e de mouffe, s'agite un peu autour des plantés aquatiques dont les racines font affermïes dans le limon, 8c fe joue avec les filets entrelacés de celles qui flottent fur fa furface. Les rochers qui bordent le vallon varient autant dans leur ftruéture que la riviere dans fon cours 8c fes mouvements. Ici vous voyez une grande maffe qui diminue par degrés depuis fa large bafe jusqu'a fa pointe; la un fommet très-lourd, qui par une faillie des plus hardiés couvre de fon ombre les objets qui font au deffous de lui; tantót c'eft un mélange confus des ftruémres les plus finguliérement diverfifiées; tantót ce font des grouppes de deux ou de trois rochers, fouvent d'un plus grand nombre, fort tranchans, peu larges 8c trés - élevés. Ils font en général nuds d'un cóté du vallon; mais de 1'autre ils font mèlés de bois. Leur extréme élévation de toutes parts, 8c le peu de largeur du vallon, produiferit encore une autre variété. Les rayons du foleil, lancés de derrière un des deux cótés, viennent ff apper diftinélement 8c avec force les rochers du cóté  2^§- Seconde SeUion. Des differents carableres cóté oppoie: 1'inêgalité & les afpêrités des fu-rfaces qui les réfléchinent, diverfifient les teintes de lumieres; & fouvent 1'éclat le plus vif elt a cóté des ténebres les plus épaüïes. Les rochers changent perpétuellement de figure ou de fituation, & font très-féparés les uns des autres. „Quelquefois les bords du vallon ne préfentent que précipices ou rochers a pic, & en forme d'amphithéatre; quelquefois les rochers naiffent du fond & s'appuient obliquement fur la colline: fouvent ils font entiérement ifolés, & s'élevent en forme de tours ou de pyramides, jusqu'a cent pieds de hauteur. Quelques - uns font entiers & folides dans la totalité de leur maffe; d'autres font crevaffées; & d'autres, quoique fendus dans leur longueur, & minés par leur bafe, font merveilleufement foutenus par des fragmens inférieurs en apparence au poids qu'ils fupportent. Leur difpofition varie a 1'infini, & l'on découvre a chaque pas quelque nouvelle combinaifon: ils avancent, reculent, & fe croifent fans ceffe. La largeur du vallon elt presque auffi variée que les rochers. Au paffage étroit que j'ai déja fait remarquer, les rochers fe joignent presquek leur fommet, & l'on ne voit le ciel qu'a travers le petit intervalle qui les fépare. Au fortir de cet abime ténébreux, la fcene change tout a coup & le vallon n'eft nulle part plus étendu, plus éclairé, plus verd, plus charmant. Les fïgures & les fituations des rochers ne forment pas toutes leurs variétés. II y en a plufieurs qui font percés de grandes cavités naturelles; quelques - uns le font a jour; d'autres fe terminent en cavernes profondes & ténébreufes; d'autres charment la vue par une fuite d'arcades & de colonnes ruftiques, toutes bien détachées & bien éclairées. Un rocher fort éloigné au-dela de ces colonnes termine la perfpeétive. Le bruit des cafcades elt réfiéchï dans les cavités, & forme des échos; de forte que nous pouvons fouvent entendre en mème tems le gazouillement des eaux qui font prés de nous, &le mugiffement de celles qui font peu éloignées. Rien d'ailleurs ne trouble le filence profond qui regne dans cette folitude. La feule tracé d'hommes qu'on y puiffe voir, eft un fentier caché, & légérement frayé par le petit nombre de curieux que les merveilles publiées par la renommée du vallon de Dovedale y attirent quelquefois. Ce féjour femble avoir été formé pour  du payfage & de leurs effets. , 249 pour des efprits aériens, & peut nous donner quelque idee d'un enchantement. Ce changement continuel de perfpeétives entiérement diffemblables; ces paflages fubits de 1'une a 1'autre; cette fmgularité de formes auffi bifarres, auffi fauvages & auffi variées que le hazard, la nature & 1'imagination peuvent les créer; cette force étonnante qui femble avoir été mife en ufage pour placer folidement quantité de rochers d'un poids énorme au point d'élévation oü ils fe trouvent; cet art magique qui femble tenir fufpendues d'autres maffes effrayantes; ces cavernes obfcures; ces fouterrains éclairés; ces ornbres incertaines que percent de vifs rayons de Iumiere; ces eaux pures & brillantes, oü 1'image flottante du foleil fe réfléchit de mille manieres; cette folitude oü regne un calme & un filence profond: tous ces objets extraordinaires réunis frappent notre imagination, & la tranfportent dans ces régions merveilleufes qui ne furent jamais connues que dans les romans & les ouvrages des poètes." Un autre canton remarquable par fon caraétere romanefque eft la vallée de Lauterbrunn avec fa fameufe cafcade, le Staubbach, fituée dans les Alpes du canton de Berne. En voici la defcription la plus récente faite par un obfervateur exaél des montagnes, Mr. de Luc; *) cette defcription me renouvelle toutes les fcenes magiques que j'eus autrefois le plaifir de voir moi-méme. „Le chemin qui conduit a Lauterbrunn eft quelque chofe d'inexprimable; fi du moins on veut faire comprendre ce que 1'arrangement des objets fait fentir. C'étoit le matin; le foleil ne s'appercevoit encore que fur les cimes des montagnes qui pendoient en quelque forte fur nos tètes. Les rochers étoient referrés autour de nous; nous avancions dansle fond d'une vallée qui s'étoit ouverte entre des montagnes oü peu de tems auparavant nous ne découvrions aucun chemin. En quelques endroits ces montagnes étoient coupées par d'autres vallées; des torrens de Iumiere fembloient s'y faire jour, les partager de haut en bas, & couler jusqu'au fond, tant les rayons du foleil, éclairant de légeres vapeurs, marquoient diftinétement leur route *) Lettres Phyfiques & Morales &c. Lettre 5 & 7. Le morceau tranfcrit ici eft tiré de la Lettre 5me, Tome I. I i  250 Seconde Seiïion. Des différents carableres route entre les rochers au travers de l'air. En d'autres endroits au contraire nous appercevions encore les arriere-gardes de la nuit: aucun objet ne pouvoit y être difcerné. Une maffe d'ombre, d'autant plus obfcure a nos yeux que les objets fupérieurs recevoient déja une Iumiere plus vive, y couvroit tout d'un voile que nous ne pouvions pénétrer. „Ces vallées font bordées qa & la de rochers immenfes qui s'élevent k pic, & qui n'ayant que Ie ciel pour fond aux yeux du voyageur lui femblent ■être les montagnes entieres, tandisqu'ils n'en font qu'une bien petite partie. Lorsqu'on peut s'éloigner de ces rochers inférieurs, on voit fucceffivement de nouveaux rochers, des bois ou des paturages; & bien fouvent même des terres cultivées & parfemées de hameaux s'élevent au deffus d'eux en amphithéatre, jusqu'a d'autres rochers nuds ou couverts de glacé qui font les vrais fommets. De ces rochers qui arrêtent les nues, & des terreins inférieurs, partent de toute part des ruiffeaux, qui fe réuniffant peu a peu, arrivent pour 1'ordinaire dans les grandes vallées par des coupures qui divifent les rochers inférieurs. Ces ruiffeaux, dans leurs routes les moins entrecoupées, éprouvent cependant bien des chütes. Ainfi dans ces amphithéatres fi variés, tout elf parfemé de petites cafcades ; ce qui contribue ü leur donner un coup d'ceil trés - pittorefque. „Ces cafcades font comme des ruiffeaux de poufïïere;" au bord ils ne font plus „qu'une pluie menue dont les gouttelettes fe difperfent de plus en plus en tombant, & que le moindre vent promene fort loin a la ronde; & c'eft 1'étymologie du Staubbach que nous aliïons vifiter. Quand le rideau qui nous cachoit la vallée oü il fe précipite vint a s'ouvrir, nous fumes frappés de 1'enfemble le plus pittorefque. Des rochers a pic d'une hauteur prodigieufe, qui fur la droite formoient une barrière fans coupure, & fur la gauche étoient entrecoupés de talus couverts de paturages & de bois, conduifoient l'ceil au fond de la vallée fur des glacés immenfes & trés-voifines qui s'élevoient en amphithéatre. — Vingt ruiffeaux, arrivés du haut des montagnes jusqu'au bord des rochers de la droite, fe précipitoient en pluie de ce cóté de la vallée: le fameux Staubbach fur-tout que le foleil commenqoit a éclairer, frappoit par fa blancheur éclatante parmi les rochers encore obfcurs." C'eft  du payfage & de leun effets. 251 C'eft la même cafcade que nous peint le poëte des Alpes: „Du haut des pointes élevées d'une montagne efcarpée un torrent fort „rapidement entre les rochers; une chüte fuit Tautre; fes flots écumeux „s'élancent avec une force impétueufe au-dela du roe; 1'eau, difperfée par „la vkeffe de fa chüte profonde, forme une vapeur grife & mobile, qui elt „fufpendue dans un air épaifïï. Un are-en-ciel brille au travers de ces „gouttes légeres, & la vallée éloignée s'abreuve d'une rofée continuelle. „L'étranger voit avec furprife des rivieres couler dans les airs, fortir des „nues, & fe transformer elles-mêmes en nuages."*) Le tableau fuivant d'un canton romanefque dans un genre plus doux eft animé de fentiments plus faits pour le cceur. „A traversies ombrages noiratres des fapins, & les amphithéatres de rochers, la riviere limpide defcend de cafcades en cafcades jufques dans la vallée tranquille; c'eft la qu'elle femble s'étendre avec plaifir pour former un lac entre la chaine des rochers majeltueux, dont les intervalles laiffent li 2 apper*) Poéfies de Mr. Haller, traduites de 1'Allemand &c. Poëme intitulé les Alpes.  252 Seconde Seblion. Des différents carableres appercevoir dans le lointain, ces refpeélables montagnes, dont les cimes couvertes de glacés & de neiges éternelles reilemblent a cette diftance a d'énormes maffes d'agathe 8c d'albatre, qui réfléchilTent comme autant de prifmes, toutes les couleurs de la Iumiere. Les eaux du lac font d'une couleur bleu-célefte tel que 1'azur du plus beau jour; 8c tranfparentes comme le criftal le plus pur, l'ceil y peut fuivre jufques au fond les jeux de la truite fur des marbres de toutes couleurs. Une ile s'éleve au milieu des eaux, comme pour fervir de théatre aux plaifirs champêtres; cette ile charmante eft entremélée de vignes 8c de prairies, 8c de diftance en diftance des ombrages variés y forment d'agréables bocages; la vache y pature Ia fraife qui rougit la peloufe; d'heureux époux que 1'interèt n'a pas unisy font aftis fur 1'herbe tendre au milieu de tous leurs enfans; c'eft la qu'ils font un fouper délicieux avec la crème qui a la faveur de la fraife, Sc la couleur de Ia rofe. Plus loin, au clair de la lune argentée, 1'eau du lac frémit fous la barque légere qui porte les jeunes nllesdu voifin hameau; un corfet blanc marqué leur taille bien proportionnée, de longues trcffes flottent fur leurs épaules, un joli chapeau de paille, orné des plus belles fleurs de la faifon, eft la parure d'un vifage riant oü brille 1'éclat de la fanté, 8c la férénité de 1'innocence; leurs voix fonores n'eurent jamais de maitres que les oifeaux & la confonance de 1'harmonie naturelle; 8c les échos de ces cantons qui ne connurent jamais les charivaris de la mufique chromatique, n'y répetent que les airs de la gaieté, les chants de la nature, 8c les fons naifs du haut-bois. „La riviere enfortant du lac, s'enfonce dans un vallon referré & profond; de hautes montagnes, 8c des rochers fourcilleux, femblent féparer cet afyle du refte de Punivers. Les cimes en font couronnées de fapins oü ne toucha jamais la coignée; fur les peloufes de thym 8c de ferpolet, des chevres blanches s'élancent gaiement de rochers en rochers; leur fécurité dans un lieu auffi défert, raflüre fur la crainte des animaux farouches, 8c bannit la penfée d'un abandon total, en annonqant le voifinage d'une habitation tranquille. Après quelques chütes précipitées par 1'oppofttion des rochers qui fe croifent fur fon cours, la riviere trouve enfin dans ce vallon étroit, un petit efpace oü fes eaux écumantes 8c contrariées peuvent jouir d'un moment de repos. Un bois de chènes verds antiques s'avance fur les rives  du payfage & de leurs effets. 253 rives' adoucies: fous leur ombrage myftérieux eft un tapis d'une moulTe fine. Les eaux limpides & peu profondes, s'entremêlent avec les tiges tortueufes, & leurs ondes qui fe jouent fur un gravier de toutes les couleurs, invitent a s'y raffaichir; les fimples aromatiques, les herbes falutaires, & la réfine des pins odorants, y parfument l'air d'une odeur balfamique qui dilate les poumons. A 1'extrémité du bois de chènes, a travers un verger dont les arbres font entortillés de vignes & chargés de fruits de toutes efpeces, on entrevoit une cabane; fontoit de chaume y met a 1'abri, fous une grande faillie, tous les uftenfiles du ménage ruftique. La cabane eft formée de planches de fapin affemblées par fon maitre: au lieu d'ordres d'architeéfure, une treille en forme le périftile & les portiques; mais l'intérieur en eft plus propre que le palais du Prince. Si les mets n'y font pas apprètés avec les poifons de 1'Inde, ils y font d'une qualité exquife, & d'un goüt pur & falutaire: cette retraite fut trouvée par Pamour, elle eft habitée par le bonheur." *) Telles font les fcenes romanefques; fcenes que la nature n'a coütume de créer que rarement & dans des lieux reculés, oü elle referve a l'homme un afyle pour goüter le repos & la Iiberté: fcenes qu'il faut voir en nature, paree qu'elles perdent dans une defcription quelque bonne qu'elle foit, & fe fouftraient même a Pimitation de Part. 5- La grandeur & Pobfcurité produifent les cantons folemnels (graves,fublimef, mctjejlueux). II eft hors de doute que la première de ces proprietés eft indifpenfable pour déterminer ce caraétere; quant a la feconde, elle renforce Pimprefïïon de la grandeur, ainfi que l'éprouvoientjdéja les Grecs dans leurs temples, les Druides dans leurs forêts de chènes. La] tranquillité qui environne un objet fublime en augmente Ia majefté. Mais un bruit véhément, celui de Ia tempète dans les bois ou fur Ia mer, & du mugiffement des cataraétes, réveille auffi des fentiments relevés, & concourt tout comme un profond filence a exprimer Ie caraétere dont il eft queftion. Des chaines de montagnes, des roes, fur-tout lorsqu'ils font chauves ou li 3 rem*) De la compofition des payfages &c. par R. L. Gérardin &c. Chapitre XV.  254_ Seconde Seblhn. Des différents carableres rembrunis 8c noirs, de hautes forêts & des grouppes d'arbres éleyes, de rapides torrents, d'impétueufes cafcades, des lointains qui préfentent 1'océan, des monts couverts de neiges, des volcans, des abimes immenfes — 1'obfcurité du feuillage, des ornbres fortes, les ténebres de lanuitrépandues partout, ou éclairées par les rayons rares de la lune, qui perce les nuages errants' — une tranquillité, une folitude profondes tout autour, qui donnent a 1'ame la Iiberté de fe prêter aux impreffions de ces objets 8e de s'abandonner entiérement aux idéés 8c aux rêveries qu'elles occafionnent •— tout cela plus ou moins raffemblé compofe un canton majeftueux, fublime. Les effets qu'il produit font 1'admiration, le refpeél, & une élévation de l'ame qui n'eft pas au deffous de la dévotion. Des émotions de cette efpece, 8c fur-tout le fentiment fi puiffant de la grandeur 8c de la toutepréfence du pere de la nature, ne peuvent que plaire a un efprit qui n'a pas encore oublié d'eftimer fa propre dignité au milieu du tumulte du monde. Des cantons diftingués de ce caraétere font rares dans la nature, 8c ne fe rencontrent qu'autour des promontoires fur le rivage de la mer, dans les  du payfage & de leurs effets. 255 ies Alpes, les Pyrenees & les autres chaines de montagnes élevées, dans d'antiques forêts, dans des déferts oü dominent d'impétueux torrents ou des volcans. II feroit difficile de trouver, & dans la nature, & dans des defcriptions, un canton plus fortement empreint de ce caraétere que le Mont-Serrat en Catalogne tel que le dépeint Thikneffes. *) „Ce mont elt fitué dans une vafte plaine, a fept lieues de Barcelone, & précifément au milieu de la principauté de Catalogne. II confifte en une quantité innombrable de pointes coniques, qui de loin paroiffent partir de Ia main de l'homme; mais en s'approchant on s'appercjoit bientót qu'elles font 1'ceuvre de celui a qui rien n'elt impoffible. La montagne femble a la vérité n'être que la première ébauche d'un ouvrage divin; mais Ie plan en eft fi grand & Pexécution telle, que tous ceux qui s'en approchent font portés a s'écrier en élevant les mains & les yeux au ciel: O Dieu! que toutes tes ceuvres font admirables! II n'elt donc pas étonnant que des hommes pieux ayent établi leur féjour dans ce lieu; car il n'en eit certainement aucun, dans toute la terre habitable, qui foit plus propre a la folitude & a la méditation. Depuis plufieurs fiécles le Mont-Serrat n'elt habité que par des moines &des hermites qui commencent par faire vceude ne 1'abandonner jamais, vceu que je ferois fans craindre le repentir, quoique je ne fois ni moine ni hermite. — Au premier abord ce mont préfentoit 1'afpeét d'une foule infinie de rochers, taillés en cones, & entaffés les uns fur les autres jusqu'a une hauteur étonnante. En les examinant de plus prés, chaque cone en particulier me parut;un mont; 1'enfemble forme une maffe immenfe de quatorze milles (anglois) en circonférence. De même quele Mont-Serrat ne reffemble a aucune autre montagne, de même auffi en eftil entiérement féparé. Le couvent majeftueux vers Iequel des pelerins accourent des extrêmités les plus reculées de 1'Europe nous préfentoit 1'afpeét de fes murs vénérables; quelques cellules d'hermite s'offroient plus haut en s'avancant fur des abimes profonds en forme de redans. Pleins d'étonnement, & comme étourdis d'admiration & de joie, nous portames les yeux *) Voyez fes voyages en France & dans une partie de la Catalogne, lettre 2025. Cet ouvrage eft anglois & n'a pas encore été traduit en Francois que je fache.  05Ö Seconde Sebl'ion. Des différents carableres veux vers le Dieu qui créa cet amas de rochers 8c vers les faints hommes L les habitent. Après avoir encore gravi pendant deux heures & demie nous parvinmes k une plaine fituée fur le flanc, 8c a peu prés au milieu de la montagne, & fur laquelie le couvent eft bati. Cette plaine eft un ouvrase de l'art 8c a coüté des fommes immenfes. Ici nous nous trouvames affez al'aifepour nous retourner fans rifque; & grand Dieu! quelle vafte étendue de terre, d'air 8c de mer fe déployoit a nos yeux! Quoique la chambre qu'on nous donna dans le couvent, fut dans un angle profond du rocher nous avions néanmoins devant nous une vue tres-grande qui offroit la partie du monde fituée au deffous 8e la méditerranée eneore plus éloignée. La lune luifoit, 8c malgré le froid il étoit impoffible de ne pas ietter un coup d'ceil fur la Iumiere enchantereffe que fes rayons argentes répandoient au deffus 5c au deffous de nous, 8e de tout cóté fur les roes rabotteux Tout autour régnoit un profond filence femblable a celui de la mort qu'interrompit la cloche réfonnantedu couvent en appellantles moines k matines. - J'attendois avec impatience le retour du foleil pour monter plus haut: le déjeuné fini nous mïmes avidement le pied fur la première marche de 1'efcalier des hermites; cet efcalier étoit de pierre, mais par-tout horriblement efcarpé. Après ètre grimpé dans une large fente du rocher rempüe d'arbres 8c de buiffons, 8c longue d'environ mille pas, 8c a 1'mltant oü très-fatigués nous defirions un repofoir für, nous parvinmes a une petite caverne que nous traverfames en rampant. II fallut monter un fecond efcaüer moins effrayant, mais beaucoup plus long que le premier; alors nous nous trouvames dans des fentiers ferpentants 8c parfemes de fleurs, cui conduifoient k deux ou trois des hermitages les plus voifins lesquels étoient maintenant vifibles pour nous 8c peu éloignés: un de ces hermitages fufpendu fur unabime des plus effrayants, préfentoit un afpeét également terrible8cpittorefque. A mon avis nous étions alors dans le jardin d'Eden. Jefuisconvaincuqu'Edennepouvoitètremieuxdecore; canci encore Dieu a été le jardinier, 8c par conféquent tout ce qui peut fatisfaire la vue, 1'odorat, 8c 1'imagination, croiffoit abondamment autour de nous. Le myrthe, le rofier fauvage, le jafmin 8c toutes fortes de plantés 8c de fleurs aromatiques, fleuriffoient d'elles-mèmes 8cavec profufion autour de nous,  du payfage & de leurs effets. 257 nous, 8c nos pieds répandoient 1'odeur de Ia lavande, du römarin 8c da thym, jusqu'a ce que nous fulfions arrivés au premier hermitage paifible de St. Jaques. Nous examinames le petit jardin du faint habitant de ce lieu, & fümes enchantés de la propreté & de 1'humble fimplicité qui Ie caraélérifoient en tout. Sa petite chapelle, fa fontaine, fon berceau de pampres, fes hauts cyprès, 8e les murs de fa celluie tout tapifles d'arbres toujours verds 8e décorés de fleurs, donnoient a cet endroit un agrément admirable, même abftraétion faite du fite. La porte étoit fermée & un morne filence régnoit au dedans; mais a peine eus-je frappé que Ie refpeétable folitaire ouvrit. Son habit étoit de drap brun, fa barbe fort longue, fon vifage pale, fes manieres polies: il étoit trop occupé de la contemplation du monde a venir, pour perdre fon temps aux mêmes chofes que nous; nous nous contentames donc de jetter les yeux dans fon appartement 8c de recevoir fa bénédiélion. Alors il nous quitta, en nous abandonnant tout ce qu'il pofledoit, hors fa paillafle, fes livres 8e fon rofaire. Cet hermitage eft renfermé entre deux pointes de roes & a peu d'étendue; mais il eft difpofé avec beaucoup d'art 8c jouit a midi des lointains les plus raviflants vers 1'orient 8c le nord. Quoiqu'éloigné d'environ deux mille trois cent pas du couvent, il eft cependant fufpendu fi direétement au deffus que les rochers lui transmettent, non feulement Ie retentiffement des orgues 8c les voix des moines chantants au chceur, maïs encore le fon que forment ceux qui parient en bas dans la place oü le couvent eft fitué. „Le fecond hermitage, celui de SteCatherine, git dans un vallon folitaire 8c profond, 8c préfente cependant a midi une vafte 8c agréable perfpeétive vers 1'orient 8c Ie couchant. Le batiment, le jardin 8cc. font trèsbornés 8cfitués au pied d'une des plus hautes pointes, dans un angle des plus fürs 8c des plus pittorefques. Si dans un féjour aufli folitaire 8c aufli écarté, 1'hermite n'eft guere accoutuméa entendre des voix humaines, il en eft richement récompenfé par les doux fons des oifeaux; car aucune partie du mont n'en eft autant remplie que cet endroit charmant. Ici le roflignol, la linote, le merle, 8c uneinfinité de petits chanteurs, vivent dans la plus étroite intimité avec leur proteéleur. II les a enhardis 8c apTome I. K k privoi-  258 Seconde Seblion, Des différents carableres privoifés au point qui fon appel toute la bande muficale abandonne les ra•meaux & entoure la perfonne de fon bienfaiteur journalier. Quelques - uns fe perchent fur fa tète; d'autres entortülent leurs pieds dans fa barbe, & lui becquetent Ie pain dans fa bouche; telle eft leur fécurité que même un étranger a part a leurs careffes. Le folitaire ne fait que de fobres repas, mais la mufique les accompagne, & le roflïgnol 1'endort par fes accents. Si de plus nous nous rappellons que peu de jours dans 1'année font plus mauvais pour lui que nos plus beaux jours deMai & de Juin nelefont pour nous, on imaginera fans peine qu'un homme qui refpire un air fi pur, qui fe nourrit d'aliments fi légers, qui maintient fon fang clans une libre circuIation par un mouvement modéré, qui n'a jamais 1'ame troublée par les affaires du monde, qui dort peu mais d'un fommeil doux & rafraichiffant, & qui enfin vit dans la confiance d'habiter le ciel après fa mort, mene une vie bien plus digne d'envie que de pitié. Comme les hermites ne mangent jamais de viande, je ne pus m'empècher de remarquer combien cette circonftance étoit favorable a la füreté de fes petits amis ailés, ainfi que 1'abfence des enfants qui dénichent les petits, & des chaffeurs qui tuent les vieux. A Dieu ne plaife, repliqua -1 - il, qu'aucun d'eux ne tombe que par la main de celui qyi leur accorda la vie. Donnez - moi votre main, lui dis je, & votre bénédiélion. II le fit & cela abrégea ma vifite: j'entrai dans fa grotte, je mis en cachette une livre de chocolat fur fa table de pierre, & m'efquivai. S'il eft un homme heureux au monde j'ai vu cet être extraordinaire, & c'eft ici qu'il habite: toutes fes manieres & fes aéfions le prouvent, & cependant il n'avoit pas unmaravedis enpoche; 1'argent lui eft auffi inutile qu'a fes merles. — A quatre cents pas de cet hermitage eft la celluie qui porte le nom de St. Jean, au cóté oriental de laquelie on voit 1'abime le plus épouvantable. A midi la celluie offre un beau coup d'ceil vers 1'eft; des marches commodes menent a cette habitation. Pas loin de la, au bord du chemin, eft une petite chapelle a laquelie on donne le nom de St. Michel, & qui eft auffi antique que le couvent. Tous les hermitages, même les moindres, ont chacun leur chapelle, leur citerne, & la plupart un petit jardin.  du payfage' & de leurs effets. 259 jardin. Le batiment confifte en une ou deux petites chambres, un petit refeétoire, 8c la cuifine: plufieurs de ces domiciles ont au dedans 8c au dehors toutes les commodités que peut defirer un homme feul; a moins qu'il ne defire de ces chofes auxquelles il a renonce en prenant poffeffion de fon' hermitage. De la, un chemin plutót admirable que fürou agréable, mene par deffus une chaine de montagnes a la celluie élevée appellée St. Onuphre. Elle elt dans la fente d'une des pointes a trente-fix pieds du fol, 8c préfente un afpeét effeéfivement étonnant, car elle paroit fufpendue dans les airs. On monte un efcalier trés-difficile de foixante marches; enfuite il faut traverfer un pont de bois jetté d'un roe a Tautre fur un précipice fi effroyable qu'a peine conferve-t-on affez de contenance pour ne pasy tomber. L'hermitage n'occupe d'autre efpace que celui qui eft; fous Ie toit, 8c n'a d'autre vue que vers le fud. Son habitant nous dit que fouvent il voyoit les iles de Majorque, deMinorque, d'Ivica, 8c les royaumes de Valence 8c de Murcie. — Après ètre monté un efcalier de cent cinquante pas depuis la mème pointe oü fe trouve St. Onuphre nous arrivames au cinquieme hermitage, la Madelaine. II eft fur quelques rochers élevés entre deux hautes pointes, 8c préfente autour de midi, de beaux lointains vers 1'eft 8c 1'oueft. Prés, de l'hermitage, 8c fur une pointe encore plus élevée, eft la chapelle, d'oü — coup d'ceil effrayant! — Ton apperejoit au bas d'un affreux abime 8c d'une colline efcarpée, le couvent éloigné de deux milles (anglois). — Ici le chemin s'éleve vers la partie la plus haute de la montagne: il conduit depuis la derniere celluie 1'efpace de trois mille cinq eens pas 8c par un fol rabotteux a l'hermitage de St. Jérome. Du haut de fes deux tourrelles fe découvre une fcene immenfe, 8c qu'un habitant du plat pays ne fauroit fupporter. L'on volt non feulement une grande partie de la montagne inférieure, mais encore les royaumes d'Arragon 8c de Valence, la Méditerranée 8c fes iles, 8c pour ainfi dire 1'hémifphere entier. Cet hermitage domine une forèt de plus d'une lieue efpagnole en circonférence, qu'habitoient jadis quelques folitaires, 8c qui maintenant eft le paturage des beftiaux du couvent. — Le feptieme hermitage qui por- Kk 2 te  26o Seconde Seclion. Des différents caraéteres te le nom de St. Antoine pere des Anachoretes, eft defibus une des plus hautes pointes. La vue eft trés-belle vers 1'eft & le nord, mais on voit auffi a cent quatre - vingt toifes perpendiculairement'au deffous de foi le plus horrible précipice 6k la riviere Lobregat. A moins d'ètre accoutumé a un fpeétacle auffi horrible, on ne fauroit regarder ce lieu fans effroi & fans étonnement. — Environ a une portée de fufil d'ici s'éleve la plus haute pointe du mont: elle furpaffe toutes les autres de quatre-vingt toifes, & eft a trois mille trois cents pas du couvent fitué dans le fond. En] cótoyant cette pointe on arrivé a l'hermitage de St. Sauveur, diftant de huit cent pas de St. Antoine. St. Sauveur a deux chapelles, dont 1'une eft taillée dans Ie cceur de la pointe du roe, & a par conféquent une belle coupole naturelle. L'accès de cette celluie eft très-pénible; Ia vue eft belle vers lefudek 1'eft.— Après une defcente de fix a fept cents pas on parvient a St. Bénoit neuvieme hermitage: fon fite eft trés-agréable, fon accès facile, & le coup d'ceil d'une beauté au deffus de toute defcription. — Lorsque venant de St. Bénoit on traverfe un ruiffeau qui defcend par le milieu de la montagne, on trouve a fix cents pas de la l'hermitage de Ste Anne qui eft fur un emplacement étendu, & eft beaucoup plus grand que les autres. II eft fuperbement décoré de grands arbres7 l'on voit ici le chène toujours verd, le üege, le cyprès, le figuier qui s'étend au loin, & une foule d'autres. — A huit cent cinquante pas eft la celluie de la Ste Trinité dans un bois touffu & folitaire. Toutes les parties du batiment font élégantes, & la fimplicité de 1'enfemble perce par-tout. On rencontre dans ce lieu une fombre allee, longue d'une portée de fufil, que presque rien ne furpaffe en beauté. C'eft un berceau touffu, formé par de grands arbres, & terminé par 1'afpeét d'une chaine confidérable de pointes de roes rangées réguliérement les unes a cóté des autres, & dont les flancs brülés & jaunis a force de réfiéchir les rayons du foleil, font polis par la main du temps au point de reffembler a des tuyaux d'orgues. —A cent foixantepas de diftance fe trouve l'hermitage de laSteCroix, fitué au pied d'une des plus petites pointes, & qui eft le plus proche du couvent.—Le dernier hermitage, qui elt auffi le plus confidérable, pour  du payfage & de leurs effets. 261 pour ne pas dire Ie plus beau, eft St. Dimas. Environné par - tout de précipices efcarpés & terribles, on ne peut y arriver que du cóté de 1'eft par un pontlevis; 8e celui - ci levé, 1'abord eft inacceftible. Cet hermitage eft presque fufpendu fur le batiment du cloitre, 8c offre des vues fuperbes & étendues vers le fud 8c le nord. — Les pluies abondantes qui fe font écoulées le long de ce mont depuis la création, ont formé autour de fon pied une tranchée extrêmement large 8e profonde qui reffemble au lit defféché d'une grande riviere. Dans cette tranchée fe trouve une immenfe quantité de morceaux détachés de la montagne qui s'y font précipités d'un fiecle a 1'autre: de la vient que la circonférence inférieure du mont eft tout auffi pleine de pointes fingulieres que la fupérieure. On voit de plus en bas 8c a cóté de la montagne plufieurs petites places fi bien ornées de grands arbres 8e de fontaines naturelles, qu'on ne fait a quelle partie de ce canton enchanteur donner la préférence. Une femaine ne fuffiroit pas pour examiner la moitié des petites beautés qu'offre de tout cóté, 8c depuis fon fake le plus élevé jusqu'a fes fondements, cette vafte 8c admirable montagne." Ces énormes maffes de pointes de rochers 8c d'abimes, ces fites hardis 8c ces valles lointains, ce mélange d'hermitages variés, forment ici un canton majeftueux 8c fublime, 8c qui n'eft peut - être furpaffé par nul autre fur la terre entiere. 6. Nous voyons comment la nature forme des cantons de caraéteres différents, 8c propres auffi a faire des impreffions différentes. Ces caraéteres naturels peuvent encore être renforcés de plufieurs manieres par Ia main de l'homme. C'eft ainfi qu'un canton riant, décoré d'une cabane paltorale ou d'une maifon de campagne, un mélancolique d'un couvent ou d'une urne, un romanefque de ruines gothiques, un majeftueux d'un temple ou d'une foule d'hermitages, comme nous venons de voir a MontSerrat, gagne beaucoup du cóté de 1'impreffion. Lorsque ces édifices 8c Kk 3 ces  62. Seconde Seblion. Des différents carableres ces monuments font combinés avec les cantons auxquels ils Conviennentnar leur nature, les fabriques 8c les cantons fe font mutuellement part de L énergie, leurs caraderes devlennent plus fenfibles, & il en réfulte une réunion didées 8c dlmages qui agiffent fur 1'ame avec une force abfolument déterminée 8c d'autant plus grande. Le caradere naturel d'un canton peut encore fe dranger & fe transc rmrr en un autre. Un canton mélancolique, par exemple, peut deve"Xn Ouvrez des lointains al* éclairciffez le bois s donnez de Ia DTneU;eau&faites la murmureren jailliffant; diminuez 1'ombre par des clis, troublez le filence par le bèlement d'un troupeau paiffant aux environs, ou par le chant de quelques oifeaux - auffitót la fcene mélancolique fait place a la riante. On peut transformer un canton qui ne fignifie rien en un autre d'un caradere Us-décidé. ChoififTez un terrein plat, fans forme, fans beautTfans fertilité mème: changez-le en colline garnie de gafon de broufSles ou d'arbres ifolés, 8c bientót vous aurez une des parties dun canton ÏT Souvent on apperqoit dans un champ des chènes rares, difformes, fLbés par le temps 8c 1'orage, déja morts au fommet, qui, repandus qa tl Préfentent un afpeét trifte: imaginons a leur place de petits groupes de jeunes arbres, d'un beau cru, verdoyants, 8e le champ prendra d abord un air riant. Fn tant que le payfage eft un mélange de plufieurs cantons, il gagne a ètre varié. Ainfi un jardin compofé de plufieurs cantons d'un caraaere déc dï réunira plufieurs impreffions; mais dans ce cas la fucceffion 8c Ia Sn de ces impreffions auront une grande influence. Premierement il r^examiner quel effet fimple produifent en particuüer chaque objet natr 1 fa fituation 8c fa difpofitioi, Enfuite il faut faire attention aux pro™«ons qu'ont entr'eux les effets des objets ifo es, aleur plus ou moins d'accord auxlimites oücommence 1'harmoniedes emoüons homogenes  du payfage & de leurs effets. 263 ou amies, & oü commence leur écart. Regies importantes, mais qu'on n'obfervera pas fans difficulté, Sc qui veulent un fentiment fur Sc un jugement infaillible. La oü I on obfervé en même temps des objets dont les énergies d'impreffion font différentes, la auffi réfulte une émotion compofée. On peut la manquer plus aifément qu'une fimple; mais lorsqu'elle réuffit bien, elle eft beaucoup plus vive. L'artifte jardinier, qui expofe des objets. dont les forces font confidérables & diverfes, ne doit pas moins tacher que les autres artiftes de produire des émotions renforcées. En choififiant fes objets il fera donc attentif a n'employer, foit fucceffivement, foit tous k la fois, que ceux dont les impreffions ne fe détriment Sc ne fe contredifent pas réciproquement, mais plutót fe marient bien enfemble. Chaque objet doit ètre tel par lui-même, & dirigé de maniere que, malgré la préfence 8c la variété d'autres objets qu'on apperqoit en mème temps, les impreffions de tous, fuivant pour ainfi dire une ligne non interrompue, aillent fe réunir en un feul point, oü elles fe rehaufient Sc fe renforcent mutuellement par leur mélange. Les buts particuliers de cette harmonie peuvent ètre auffi variés dans un jardin que dans un beau payfage naturel. Mais fi l'on n'a pas foin de ramaffer les différentes impreffions Sc les réunir pour en faire un enfemble, un jardin n'aura jamais la perfeétion qu'il doit avoir comme ouvrage du goüt dirigé par la raifon, c'eft k dire funite, fans laquelie toute variété eft accablante Sc fans fignification. Encore une remarque, qui me parok de conféquence pour mieux diftinguer les différentes efpeces de jardins qu'on peut effeétivement conftruire. On peut compofer un vafte jardin de plufieurs cantons, mais on peut auffi imaginer trés-bien un beau jardin qui ne confifte qu'en un feul canton d'un caraétere Sc d'un effet fimple Sc déterminé. Ainfi l'on peut avoir des jardins qui ne font que gais, d'autres oü il ne regne qu'une douce mélancolie, d'autres encore quine font que romanefques, d'autres enfin qui ne font que majejueux, fuivant la difpofition variée du canton oü ils fe trouvent, Sc qui déterminé leurs caraéteres. Cette différence devient encore  264 Seconde Seblion. Des différents carableres du payfage &c. core plus confidérable par 1'ufage qu'on peut faire -de ces jardins. Une petite maifon de campagne, oü l'on veut jouir des premiers mois de 1'été, une académie, demandent un jardin gai: un couvent, un hermitage, une chapelle ou un cimetiere, exigent un jardin oü domine la douce mélancolie; un vieux chateau, un jardin romanefque. Chacun de ces jardins pourroit avoir une étendue confidérable fans rien perdre de la fimplicité de fon caraétere, pourvu que le canton qui le compofe reftat toujours le même.