THEORIE D E L'ART BES JARDINS p a a C. C. L. HIRSCHFELD, ConfeilUr de Juflue de S. M. Danoife & Profejfeur de Phihfophie & der Beaux-Arts dans 1'UniverJïté de Kiel. TRADUIT DE L'ALLEMAND. TO ME S ECO ND. LEIPZIG chez les HERITIERS DE M. G. WEIDMAN.N ET REICH. 1780.   PRÈFACE DE L'AUTEUR. En publiant ce fecond Volume je m'en rapporte a ce que j'ai dit dans la préface du premier, tant a 1'égard du plan qua 1'égard des chofes néceffaires a mon entreprife. II faut feulement que j'ajoute ici une remarque a la Seétion qui traite des arbres & des arbriflèaux. On fait que 1'ouvrage du défunt DrofTart provincial de Munchhaufen, intitulé: le Pere de familie {der Hausvater), 8c celui de Monfieur du Roi, intitulé: Defcription de la culture des arbres fauvages a Harbke {Befchreibung der Harbkefchen wilden Baunu zucht), nous onrent d'excellents préceptes fondés fur 1'obfervation & 1'expérience, touchant la culture des arbres 8c des arbuftes en Allemagne, objet étranger au plan de cette Théorie. Ces préceptes nous font plus utiles que ceux de Miller, paree qu'ils déterminent en même temps les plantes' qui s'accommodent de notre climat; aufli ai-je fur-tout fait attention aux remarques de ces deux obfervateurs en tragant la nouvelle maniere de cara£lérifer les arbres & les arbufles qu'exigeoit Ie bel art des jardins. U ne manque pas non plus parmi nous de bonnes pépinieres, même pour les plantes de TAmérique feptentrionale 8c autres exotiques, 8c les amateurs y peuvent achêter des femences 8c des jeunes arbres. Le plantage de Monfieur Jean Nicolas Buek, Marchand jardinier a Hambourg, mérite une attention particuliere en ce qu'il eft un des plus complets qu'on puifle trouver, 8c renferme une foule d'arbres Sc d'arbudes étrangers des plus rares 8c des plus beaux, Ce Négociant en publia en 1779 un Catalogue oü regnent également l'exaöitude 2 botani-  xv Priface de t Auteur* botanique & la plus grande briéveté, & qui, quoique de 13 feuilles in 8- ne fek Pas niention de quelques centaines de plantes qu'oCfre fon jardin. Ce catalogue, dans lequel les noms & les cara&cres font en grande partie d'après Linné, & quelquefois d'après d'autres fameux botaniftes, range les arbres & les arbriüeaux en différentes claffes fuivant leur cru, & fuivant la culture & le degré de chaleur qu'ils exigent, Sc Pamateur reconnoït d'un coup d'oeil a la feétion Sc aux fignes employés, les plantes qui viennent chez nous en plein vent ou non, celles qui doivent être confervées dans des ferres 011 fimplement a Pabri, celles dont la racine pouffe hors de terre un jet droit Sc uniqne ou plufieurs rejetons branchus, celles qui fe rendent propres aux jardins de plaifance par leurs belles fleurs ou par quelqu'autre qualité &c. Un homme, qui fans aucun encouragement public, forme par lui-même un affortiment auffi riche, Sc Pentretient avec autant dezele que de connoiffances botaniques, mérite non feulement notre edime mais encore nos fecours. Si les provinces voifines, Sc fur-tout le Holftein, oü la noblelfe poflède tant de campagnes vaftes & fertiles & naturellement fi bien difpofées, vouloient faire ufage d'une femblable plantation, elles verroient les plus beaux jardins fleuris dans peu Sc avec des fraix modiques. Le catalogue dont nous parions efl; beaucoup plus complet que 1'ouvrage publié a Londres par Meader fur le mêmeTujet Sc dans la même annéc, fous le titre: The Planter's guide: or Pleafure gar^ dener's companion &c. THEO-  THEORIE DE L ART DES JARDINS. Tom II. A  SECONDE PARTIE. PREMIÈRE SECTION. De t emplacement. SECONDE SECTION. Des arbres & des arbrijfeaux, ou ctrbuftes. TROISIEME SECTION. r Des fleurs. QUATRIEME SECTION. Des gazons. CINQUIEME SECTION. Des eaux. SIXIEME SECTION. Des /entiers. APPENDICE. Defcriptions de quelqiies jardins.  La nature livre a 1'artiile jardinier l'emplacement fur lequel il travaille; elle lui donne de plus pour matériaux, des arbres detoute efpece, desfleurs, des gazons, & des enfin, entre les parties cultivées & nues il faut des fentiers qui conduifent aux différentes fcenes du jardin. II convient donc, avant tout, de rechercher ce que doit obferver 1'artifte jardinier endifpofant& faqonnant ces objets naturels, en leur donnant de la liaifon, & enprofitant des emplois multipliés dont ils font fusceptibles; nous pafferons enfuite a un examen particulier des objets artificiels, avant d'en venir aux divers genres rnêmes des jardins. On s'appercoit fans peine que c'eft par la qu'il faut commencer pour parvenir au développement des regies particulieres aux jardins, attendu qu'on découvre ici pas a pas les obfervations & les opérations ifolées que doit faire l'artilk fans jamais perdre de vue la nature & la deftination des jardins. De pareilles difcuflions, "qui ne peuvent'que s'êtendre fur le vafte regne de la nature n'offrent pas feulement la première fource d'inftrudlion a 1'artifte jardinier, elles fervent encore a entretenir & occuper agréablement 1'imagination de quiconque aime la nature, (& quel homme raifonnable pourroit avoir afiez peu d' élévation pour ne 1'aimer pas ?) en 1'ac- A 2 courumant  4 coutumant a rendre compfe, pour ainfi dire, de fes fenfations k fon jugernent. EUes peuvent aufïï animer la verve d'un poete naifTant & fur-tout donner au payfagifte des indices & des apperqus très-utiles a fon art; ceci n'efl; pas tant Ie mérite de Pécrivain, que celui de Ia matiere même dont il traite. PREMIE-  PREMIÈRE SECTION. De Vemplacement. r. L' emplacement eft comme Ia toile fur Iaquelle doit peindre Partifte jardinier; Ia première recherche regarde donc Ia nature de eet emplacement II eft inutile de rappeller ici qu'il ne faut pas choifir pour jardin un lieu qui n'offre a refpirer qu'un air mal-fain; qui eft empoifonné par le voifinage de bourbiers & de marais croupiffants; qui git tput entier dans un fond, ou n'eft qu'un fable ftérile; qui ne peut être embelli jusqu'a un certain point qui force de travail & de dépenfe; qui ne peut point acquérir de vues libres, ou neft entouré que de miférables bruyeres, ou de brouffailles qui dépériffent. Ce qu'exigent la fanté, la commodité & Pagrément le moins recherché, eft trop frappant pour qu'on put y manquer uniquement faute de fens commun. Le choix de 1'emplacement demande peu de préceptes, fi Pon fuppofe ce qu'enfeigne Péconomie ruftique commune; par exemple qu'il faut un fol fertile, de Peau dans le voifinage, &c. 9. Par plus d'une raifon il faut chercher pour un jardin une place qui en elle-mème ait des beautés naturelles. Elle enflamme le génie de 1'artifte jardinier, lequel travaille, pour ainfi dire, fous les yeux de la belle nature qui eft fon modele, & qu'il doit s'efforcer de furpaffer. Elle diminue ies peines & les dépenfes de Yarrangement, dont Ie fol, les arbres, les buiftons &les eaux fourniiTent plus abondamment les matériaux. Elle releve Peffet de la diftribution intérieure par les impreffions que produifent les vues d'alentour, qui ne paroiftent jamais plus belles que lorsqu'on peut A 3 les 5  6 Première Seïïion. les confidérer d'un lieu'agréable par lui-même. Ainfi, autant'que cela fe peut, & que le permettent d'autres loix, tachez d'avoir dans les environs de votre jardin des perfpeclives libres, riantes &variées. Mais il ne faut pas que 1'ceil les voie par-tout en entier, les apperqoive dans toute leur étendue de chaque partie du jardin; dans ce cas eiles interromproient 1'acÜon des différentes fcenes deftinées a produire tout Peftet poftible. Les lointains doivent donc être tantót voilés, tantöt dé voilés, tantöt préfentés fous ce point de vue tantót fous eet autre, enforte que par ce moyen leur propre impreffion foit non feulement rehauffée & multipliée, mais encore s'accorde avec les différentes décorations du jardin. Cette regie eft effentielle, & Partifte ne' doit jamais 1'enfreindre. La oü doit régner la douce mélancolie, la méditation & le repos, oü 1'ceil doit être occupé a confidérer une feule fcene étaiée, une perfpe&ive riante ne feroit pas a fa place. Mais en difpofant les fcenes même du jardin, il faut faire attention au cara&erede I'afpeél qu'offrent les environs; fur-tout vü qu'il eft plus facile d'accommoder le jardin au payfage, que celui-ci au jardin, amoins d'entreprendre fur les objets d'alentour des changements aulli forcés que ceux que 1'on rencontre quelquefois dans les pares anglois. En général tout dépend de Part de lier tellement les vues intérieures du jardin avec les extérieures du payfage, qu'H n'y ait point de contradi&ion entr'elles, mais qu* elles produifent plutót uneffet unique & renforcé. 3- L'étendue de Pemplacement aide a déterminer toute Pordonnan-ce intérieure & la difpofition des fcenes: plus il eft vafte, plus on s'attend que le génie & le favoir de Partifte en fauront tirer parti. Tout diftriél deftiné a un bon jardin doit être fpacieux, afin que les décorations ne s'y trouvent pas entaflees, mais fe fuccedent a la file, & ne troublent pas les mouvemens de Pame, mais en faffent naitre une fuite fucceffive & harmonique. Une  De l'emplacement. tj Une place trop étroite, quoique continuée long-tems en ligne droite, abien des incommodités pour un beau jardin: autant qu'il eft poffible il faut qu'elle s'étende en tout fens. 4- Un terrein qui ne confifte qu'en plaine*) n'eft guere 'propre a un jardin, paree qu'il eft trop uniforme en lui-même, & que les variations artificielles coüteroient trop. Choififfez un canton qui ne foit pas totalement dépourvu de plaine, car elle eft toujours utile, mais qui renferme auffi des élévations, des enfoncements & plufieurs changemens. Un terrein femblable n'offre pas feulement de lui-même de ladiverfité; il concourt encore beaucoup a communiquer plus de variété & d'effet aux fcenes champêtres que I'on y place. II eft fage & prudent de profïter de tous les avantages que nous offre la nature pour Ia perfeétion d'un jardin. Les fleurs, les buiffons, les arbres, les eaux & les troupeaux font des moyens propres a rompre 1'uniformité d'une plaine nue; mais un payfage montueux ou parfemé de collines **) a été fait par la nature même plus *) Voyez: Théorie del'art des jardins, i. Vol. pages 2j8« 219. **) Ibid. pages 219. 220. 221. 232 &c.  g Première Seïïion. plus fufceptible de variété & de mouvement II offre plus de diverfité dans lesinégalités, les coudes &les penchants du terrein , plus de grandeur & de variété dans les afpe&s, plus de liberté, de hardieffe & de frappant dans les ütuations des arbres, plus de vie dans fes ruiffeaux &fes cafcades qui ne fe repofent jamais. Un pare, ou jardin trés- étendu exige fur-tout un "payfage oü fe trouvent une riche fucceffion de cantons variés, de vallons, de collines, d'enfoncements, de montagnes, de pentes douces & de chütes rapides: ici les vues fe multiplient d'elles-mêmes; elles font autres fur leshauteurs, autres dans les fonds; chaque pas mène vers un nouveau fite, vers un nouveau tableau, malgré 1'immobilité des objets. Les fcenes s'évanouiffent, & reparoiffent} de nouvelles cachent les anciennes; les fituations changent pernétuellement. On monte & 1'horizon s'étend de tout cóté; plus on s'éleve, plus on voit les cantons s'enfoncer & fe perdre,la voute azurée du ciel fe déploie a l'infini, & k fes bords Ia lumiere du jour va s'affoiblir dans les vapeurs lointaines; 1'étonnement & 1'admiration rempliffent 1'ame. Bientót leur fuccedent des émotions plus douces k mefure que 1'on redefcend. Le ciel paroit fe reculer: au moins une partie du beau fpe&acle qu'il offre fe cache derrière les hauteurs: les pentes conduifent a des prairies, k des bois, k des lacs. La nature même du fol fournit toutes ces diverfités qui rehaufTent encore celle des objets & des perfpeétives même. Les inégalités du terrein animent en grande partie la nature: fans elles 1'eau dormiroit dans les lacs & les étangs, nous ne verrions pas les ruiffeaux fe jouer en mille manieres, nous n'entendrions paslebruiffement de la rapide cafcade. La nature eft infinie dans la maniere dont elle réunit les différentes difpofitions du fol; & dans cette réunion toujours nouvelle git une des fources méconnuesde fon inépuifable attrait. Que l'artifte jardinier ne perde jamais de vue cette inititutrice, & lorsqu'il eft dans le cas de distribuer, de rehaulïer ou de rabajlfer fon terrein, ou de eréer une nouvelle liaifon  Première Setlion. - ^ liaifon entre les parties, qu'il ne hafarde jamais un pas fans avoir atfentivernent obfervé la nature. 5- II faut principalement rechercher quel eft le caractere naturel du canton que 1'on veut cbanger en jardin, afin de s'accommoder a ce caraart des jardins- s-écarte, dans fa maniere de partager en claffes les arbres 8c les arbuftes, des caracteres 8c des marqués dilhn&ives de la botanique. Ne jugeant des families 8c des efpeces que par les variétés extérieures qui frappent le plus la vue, 8c par les divers ufages qu'on en peut faire dans les jardins, il les range dans un nouvel ordre indépendant de la vertu intérieure 8c des différences effentielles des plantes. Les arbres 8c les arbuftes, dont nous tent-ons ici une nouvelle efpece de diftribution relative a 1'art des jardins, font en partie naturels au fol de 1'Allemagne, en partie transplantés parmi nous d'autres pays, fur-tout de 1'Amerique feptentrionale. Ces derniers font recommandables,^ tant paree qu'ils fe font faits a notre dimat, que paree qu'ils fourniffent \ nos plantations de la diverfité 8c un prompt accroiffement. Ce feroit un étrange préjugé que celui qui nous porteroit a les préférer a nos plantes indigcnes, ou a les méprifer entiérement: peut-étre a-t-on plus pêché jusqu'a préfent du premier cöté que de 1'autre. Cependant, que.nous ferions pauvres fi nous ne poflédions que les arbres 8c les plantes qu'offroit i'inculte Germanie du temps de Tacïte; fi 1'Orient, la Grece, HtaUe 8c la France revendiquoient tous les tréfors du regne vëgétal dont elles ont depuis enriclii peu a peu nos jardins1. Nous nous bornerons néanmoins aux families 8c aux efpeces qui n'exigeant nila chaleur ni les foins de k ferre, cequi en rendroit 1'entretien trés-coüteux, moins général, 8c même moins amufant, fupportent nos hyvers en plein vent, ou ne demandent qu'un emplacement abrité. x.Avorts. Secotide Section.  Des arbres & des arbrijfeanx, ou arbujles. \ Le  Des arbres & des arbrijfeaux, on arbujles. 23 Le Bouleau Nain, (Betula nana. L.) qui cependant dans les jardins at- teint a une hauteur confidérable. Et le Laurier, ou Laurier Royal (Laurus nobilis. L.) tr La variété pktoresque des couleurs dans le feuillage de quelques arbres, forme une nouvelle claffe, a. laquelle appartiennent, outre nombre d'autres a feuilles panachées, ou, comme 1'on dit quelquefois, dorées, Quelques efpeces d'Erables qui ont un feuillage panaché & joliment tacheté de nuances vertes claires & foncées, jaunatres & bleuatres. Sur- tout 1'Erable de Virginie ou Erable Plane de Canada, Plante ou Plaine (Acer rubrum. L.), dont la feuille, d'un verd fombre & luftré en deffus, eft en deffous d'un verd de mer blancbitre qui lui donne un air argenté. Le Chêne ordinaire a feuilles panachées de blar.c, (Quercus vulgaris foliis ex albo variegatis. L.) dont non feulement les feuilles font panachées de blanc, mais dont auffi les jeunes rameaux font ornés de raies jaunatres & rougeatres. Le Chataignier cultivé k feuilles panachées, ou dorées (Caftanea foliis ex aureo eleganter variegatis, L.) L'Aune, ou Aulne k feuilles blanehatres (Alnus incana. L.) a des feuilles pour ainfi dire tachetées de farine. Le Cornouiller, ou Cornouillier ordinaire, quelquefois Cornïer ou Acurnier, (Cornus mas. L.) dont il y a une variété a feuilles panachées en or, D"autres arbres ne vanent la couleur de leur feuillage qu'en automne; alors le verd fe change d'ordinaire en beau rouge. Tels font Le Chêne rouge de Virginie ou de Canada (Quercus rubra. L.) L'Erable rouge de Virginie ou Erable Plane de Canada (Acer rubrum. L.) Le Storax, ou Styrax d'Amërique, Liquidambar ou Copalme (Liquidambar ftyracifol. L.) Le  Seconde SebTion. 24 Le Sanguin ou Sanguen ordinaire desbois, ou Boispunais, (Cornus fanguinea.L.) arbriffeau ligneux qui s'éleve aflez haut, & dont Pautomne femble abreuver les feuilles de fang. Le Sumac ou Sumach, ou encore Vinaigrier, (Rhus coriaria. L.) dont les piftills rouges relevent encore la couleur des feuilles. LeHoux (Ilex aquifolium. L.) dont les feuilles fe dorent enautomne. On en a encore des variétés dont les feuilles font conftamment panachées ^UGrifaille de Hollande, franc Picard a grandes feuilles &c. ou Peuplier blanc, offre un changement total de décoration, fes feuilles fe retournant vers Pautomne & montrant leur fuperficie inférieure, qui eft blanchatre & fait paroïtretout Parbre comme couvert de neige. Toutes ces efpeces font principalement un bon effet dans les fcenes d automne & offrent un afped agréable, fur-tout lorsqu'on les entre-mele adro'itement d'autres arbres encore couverts de leur verdure. Au rerte les arbres a feuillage variable conviennent aux plantations qui doivent fe diftinguer par leur diverfité, aux cantons romanesques qui demandent une apparence étrange & étonnante, & oü Pon veut furprendre ou faire une impreffion frappante par le contrafte. h. La durie du feuillage propre k plufieurs arbres, les rend très-convenables aux jardins d'hyver, & k Paide de cette claffe, la bienfaifante nature pourvoit k une faifon, oütout fe fane, tombe & dépérit dans le regne végétal. Les arbres toujours verds fuivants confervent leur feuillage. . Le Sapin ordinaire, ou Sapin femelle (Pinus abies. L.) Le Pignet, Pece ou Peffe & quelquefois Sapin male (Pinus picea. L.) Le Pin fauvage, Pinafter, Pin de Haguenau (Pinus fylveftris. L.) Le Pin ou Epinette blanche de Canada (Pinus Canadenfis. L.) Le  Des arbres & des arbrijfeaux, ou arbuftes. 25 Le Pin de Marais a trois feuilles'trés-longues, ou Epineux de Canada, ou encore Franc -Encens (Pinus taeda. L.) L'Alviez Briangonnois. (Pinus cembro. L.) Le Pin blanc de Canada, ou Pin de Lord Weymouth (Pinus Strobus. L.) Le Baumier de Gilead (Pinus balfamea. L.) Le Thuya de Canada, de Siberië, 1'Arbre de vie, oudu Paradis ter- reftre (Thuja occidentalis. L.) Le Thuya ou Arbre de vie de la Chine (Thuja orientalis. L.) Le Laurier (Laurus fylveftris. L.); il elt un peu délicat mais d'un bel afpecl, 8t a des feuilles luifantes. Le Cedre du Liban, ou Melefe a gros fruit rond & obtus (Pinus Ce- drus. L.) Le Cedre rouge de Virginie ou de la Caroline, (Juniperus Virginiana. L.) dont les feuilles d'un verd foncé deviennent pourpres 8c presque violettes a 1'approche du froid, 8c reftent ainfi jusqu'au printemps. Le Cyprès de Canada a feuilles dArbre de vie (Cupreffus Thyoides. L.) Le Cedre des Barbades (Juniperus Barbadenfis. L.) Le Génévrier ou Cedre des Bermudes (Juniperus Bermudiana. L.) Le grand Génévrier a fruits rougeatres, Ie Cadé de Provence 8t de Languedoc (Juniperus oxycedrus. L.) Le grand Cedre a feuilles de Cyprès & a fruit jaune (Juniperus Phoe- nicia. L.) LaSabine, Savine, ou le Savinier (Juniperus Sabina. L.) Le Cedre de moyenne grandeur a feuilles de Cyprès 8c a gros fruit (Juniperus Lycia. L.) Le Buis, ou Bouis (Buxus fempervirens. L.) Le Houx, (Ilex aquifolium. L.) qui peut facilement atteindre a la hauteur d'un arbre, 8c dont la tige eft déliée 8c Iiffe, le feuillage roide, bruyant quand on le remue, 8cbrillant mais d'un verd foncé, avec des baies luifantes 8c rouges ou d'un beau jaune, même quelquefois blanches. 'Tornt IL & Le  26 Seconde Seiïiori, Le Laurier-cerife, (Prunus Lauro-cerafus. L.) a, feuilles larges, épaiffes, & d'un verd foncé & luifant; il répand de plus une très-bonne odeur. L'Arboufier a feuilles dentelées, Arbre a Fraifes, ou Fraifier en arbre, (Arbutus unedo. L.) qui croit en buiffon, & dont les feuilles font longuettes, luifantes en deffus, & dentelées tout autour. II fteurit en automne & en même temps que meurit fon fruit, qui pouffe dès 1'année précédente: fes baies écarlates brillent au travers de fes fleurs difpofées en grappes, & forment un trés-beau coup d'ceil. L'If ordinaire (Taxus. L.) d'un verd mat, morne & tirant fur le brunatre. i. A1'égard dtsjkurs le mérite des arbres dépend en partie de la beauté de la couleur, qui doit être ciaire, vive & variée, & en partie de la bonté de l'odeur. Ces qualités rendent les fleurs propres en général aux fcenes agréables & riantes. Le temps de la floraifon détermine les efpeces d'arbres propres a une fcene de printemps, ou a une fcene d'été. Cependant c'eft dans la jeune faifon que 1'année fe pare fur-tout de ce genre d'attraits. La plupart des arbres fruitiers plaifent plutót que les fauvages par Ia beauté & la douceur de leurs fleurs. Le Pêcher qui fleurit fi joliment, l'Abricotier & PAmandier font hatifs: ils font fuivis par le Cerifier couvert de fes fleurs blanches, par les Pommiers, & les autres efpeces, chacune k fon tour & dans fon temps. L'afpecl: de leurs fleurs, dont Ia beauté feule porteroit k planter les Pèchers & les Pommiers, réjouit d'autant plus qu'il eft 1'avant-coureur d'une multitude de fruits favoureux. Plufieurs arbres fauvages égayent encore la vue par leurs fleurs, fans flatter de eet efpoir agréable. Outre nos Tilleuls & nos Maronniers d'Inde qui font connus, il faut remarquer Le Magnolia k grandes fleurs blanches, Laurier Tulipier de la Louifiane, ou Tulipier k feuilles de Laurier (Magnolia grandiflora. L.). Cet arbre, ainfi que le Tulipier & Ia Plumeria (Frangipanier, Arbre  Bes arbres & des arbrifeaux, ou arbujles. Arbre a jasmin), appartiennent, amon avis, au nombre des plus fuperbes arbres d'Amérique qui mériteroient d'être cultivés parmi nous. Toutes les variétés du Magnolia font de beaux arbres a grandes fleurs blanches. Le Magnolia, ou Laurier Tulipier de la Caroline, (Magnolia grandifiora foliis lanceolatis. L.) porte les plus grandes: elles font presque d'un pied de diamètre, exhalent les plus douces odeurs aflez abondamment pour parfumer tout un canton, qui en Amérique s'étend jusqu'a un quart de mille, 8c durent quelques femaines. Ses feuilles font d'un verd de pré en deffus, 8c d'un bleu blanchatre en deffous. Ordinairement eet arbre a une belle tête 8c tellement couverte de feuilles, que le foleil ni la pluie ne fcjauroient y pénétrer. C'eft dommage que! cette efpece foit fi difEcile a cultiver chez nous. Le petit Magnolia, Magnolia bleu ou Magnolia de Virginie, le Laurier Tulipier des Iroquois, (Magnolia glauca. L.) réuffit mieux; il eft le plus petit, 8c fes feuilles ont une nuance de blanc bleuatre. La Plumeria a fleurs rouges, Frangipanier mufqué, ou Arbre a Jasmin a fleur rofe, (Plumeria rubra. L. Trew Decur. Ehret. Tab. 41.) arbre américain peu connu encore, que fes grandes 8c magnifiques fleurs couleur de rofe 8c exhalant uneforte odeur de jasmin, rendent bien digne d'être cultivé. Le Maronnier d'Inde a, fleurs rouges, ou Pa vie, (Aefculus Pavia. L.) dont les fleurs rouges ou jaunatres 8c difpofées par bouquets, font trés - agréables. L'Ebénier ou Cytife des Alpes, ou fauffe Ebene, nommé par quelques-uns Aubor & Chêne des Alpes, (Cytifus laburnum. L.) k fleurs d'un beau jaune clair 8c pendantes en longs bouquets. Le Genét ou Geneft épineux du Mont Ventou (Genifta Hifpanica. L.), qui presque dénué de feuilles porte des fleurs odorantes, jaunes 8c légumineufes. Le Bonduc (Guilandina dioica. L.), arbre du Canada, touflu 8c k fu> perbes fleurs bleues. D 2 La  Sg Seconde Seïïion. La Kalmia (Kalmia latifolia & anguftifolia. L.) I feuilles larges, ou étroites, 8c k-belles fleurs qui durent ia plus grande partie de 1'été. Le Faux-Acacia, Acacia d'Amérique k feuilles heriffees. (Robinia mfpida. L.) Ses fleurs pourpres lui donnentun afpeét fuperbe, 8c fes branches font toutes couvertes d'épines rougeatres 8c pliantes. Le Faux-Acacia de Siberië Caragana, (Robinia Caraganna. L.) petit arbre k feuilles verd clair, 8c k fleurs jaunes qui paroifient dés la fin d'Avril. Le Faux-Acacia, ou Acacia d'Amérique ordinaire, (Robinia pfeudoacacia. L.) arbre qui croit vite, atteint une affez grande hauteur, 8c dont la tige eft déliée. Ses feuilles rangées par grappes 8c exhalant une odeur de jasmin, fon feuillage légérement ailé 8c d'un verd agréable 8c fes goufles enflées 8c rouges, qui viennent changer joliment la décoration, lui donnent un trés-bel afpecl. L'Alifier a feuilles arrondies, dentelées 8c blanches, Alouche de Bourgogne, Sorbier des Alpes, ou Arbre k feuilles blanches, (Crataegus Aria. L.) grand arbre dont les feuilles font comme parfemées de farine, 8c dont les petites fleurs pendantes en grands bouquets exhalent une douce odeur. L'Olivier fauvage du Levant (Elaeagnus anguftifolia 8c latifolia. L.) a des feuilles blanches, argentées 8c luifantes,' 8c fe couvre partout de petites fleurs jannes, dont 1'odeur forte quoique douce remplit tous les environs. L'Alizier ou Aiifier k feuilles découpées (Crataegus torminalis. L.), qui pouffe une foule de fleurs blanches raffemblées en grands bouquets. LeCormier, Cornier ou Sorbier fauvage ou des oifeleurs, Cochesne ou Cochène Corretier, Cormïer des Bois, en Suiffe Thymier, Sorbus aucuparia. L.) recommandable par fes grands bouquets de fleurs blanches 8c odorantes. Le  Des arbres &■ des arbrifeaux, ou arbuftes. 29 Le Cerifier a grappes, dont Ie fruit n'eft pas mangeable, Cerifier ou Bois de Ste.Lucie, Padus, (Prunus Padus.L.) a Iongues grappes de fleurs blanches. L'Obier a fleurs doublés, Rofe de Gueldres, Fuzeau ou Sureau Royal, Obier ftérile, Petote de Neige, Pain móllet, Pain blanc, Caillebotte 8cc. 8cc. (Viburnum Opulus rofeum. L.) qui porte une foule de fleurs difpofées en boule. Tous ces arbres font propres a décorer les plantations printannieres. La beauté de leur coloris les rend agréables dans toutes les places oü Ia gaieté doit régner, qui font fur-fout confacrëes au plaifir. Leur bonne odeur fait qu'on aime a les renContrer dans toutes les fcenes de repos, les cabinets de verdure oü 1'on s'arréte fouvent, les fallons a manger, les cabinets d'étude, lesbains. k. La beauté extérieure des fruits, ce qui les rend agréables a Ia vue, dépend en partie de leur configuration ou forme, 8c en partie de leur couleur, 8c principalement de cette derniere. Les fruits d'un verd de pré, comme quelques efpeces de prunes, d'une couleur foncée brune ou grife, comme quelques efpeces de pommes 8c de poires, ne font pas un bel effet aux arbres. Au contraire 1'ceil eft attiré par les fruits d'une teinte riante pure 8c animée, comme couleur de chair, jaune, rouge, 8c rougeatre avec leurs nuances 8c leurs mélanges variés, 8c tels que les offrent p. e. les abricots, les pèches, les cerifes, 8c plufieurs efpeces de poires 8c de pommes, qui brillent au travers du verd feuillage. Le temps de Ia maturité dëtermine la faifon de la fcene dans laquelle on doit planter les arbres fruitiers; la plupart appartiennent a des fcenes d'été 8c d'automne. D 3 ' Au  £0 Seconde Seïïion. Au refte la "nature elle-mème a pourvu auxplaifirs de lhommepar la multitude prodigue de fruits fains & délicieux dont elle gouvre les arbres. *) 2. Des arbrifj'eaux ou arbujles. Les arbriffeaux different principalement des arbres, cn ce qu'ils pouffent hors de terre plus d'une tige, portent leurs rameaux de tout cóté & font d'une taille moins élévée. La nature en fournit une grande abondance dans toutes les parties du monde, & on peut en faire une multitude d'ufages dans les jardins. Les arbuftes fe rendent recommandables, tantót par leurs feuilles, tantót par leurs fleurs, tantót par leur bonne odeur, & par d'autres bonnes qualités. Les *) Le Catalogue des plas excellents Pommes, tout autant de Prunes,"40 de fruits, qui fe cultivent dans les Pépi- Pêches & ico de Poires ;& encore ce rinieres des Chartreux, Paris. 8- 1767» che Catalogue eft - ü trés - incomplet. oifre jusqu'a 39 efpeces differentes de  Bes arbres & des arbrifeaux, ou arbujles. 31 Les arbriffeaux, fervent premiërement a varier Ie tableau en'compofant de petits bocages 8c des plantations peu élevées; ils fervent k tapiffer les murs, les pavillons 8c les petits cabinets; k former des berceaux; k donner de 1'ombre & de Ia bonne odeur aux repofoirs; aparer les bofquets; k garnir & encadrer les promenades; enfin k décorer 8c h caraétérifer le différentes fcenes, printannieres, eftivales, automnales. Quelques arbriffeaux portent des fruits bons a manger; d'autres ne méritent une place que par leurs fleurs & leur odeur balfamique. Les arbuftes fauvages peuvent s'entre-meier de mille manieres avec les fruitiers, & quoique fouvent ils foient en eux-mêmes des objets peu confidéraDles, ils font cependant d'exCellents moyens d'embelliffement pour 1'enfemble. Le petit catalogue fuivant 8c qui, vu fa deftination, peut trés - bien refter incomplet, n'eft placé ici que pour enfeigner aux amateurs peu exercés quelle eft la variété & 1'ufage des arbriffeaux. En voici d'abord différentes efpeces. Le Rofier Eglantier a feuilles odorantes (Rofa eglanteria. L.) 8c a fleurs jaunes, qui, de même que les feuilles, répandent au loin une odeur douce 8c agréable. Le Rofier eglantier (Rofa rubiginofa. L.) a fleurs couleur de chair Sz k feuillage agréable, odorant 8c luifant. Le Petit-Rofier très-épineux (Rofa fpinofiffima. L.). C'eft un Sous-arbriffeau k fleurs blanches, jaunatres vers le bas, 8c quelquefois rouges 8c odorantes. Le Rofier fauvage, Eglantier, Rofe de Chien, Rofier de Buiffon (Rofa canina. L.). Ordinairement fes fleurs font blanches, quelquefois couleur de chair claire, ou rougeatres fans odeur. Le grand Rofier fauvage k gros fruits épineux, (Rofa villófa. L.) k fleurs d'un rouge clair 8c k feuilles velues. Le Rofier fécond de la Baffe - Saxe, k fleurs doublés 8c abondantes (Rofa foecundiffima. Munchh.). Cet arbriffeau atteint jusqu'a la hauteur de quatorze pieds: fes fleurs, que cette efpece de Rofier porte  Seconde Seïïion. 32 porte fur-tout en grande quantité, paroifient de bonne heure, font d'un rouge clair, doublés, 6c d'une odeur douce quoique peu forte. . Te Roiier fans épine, ou non-épineux des Alpes, qui fleurit deux fots fan (Rofa inermis. L.). H porte deux fois ran, au printemps & en Aoüt, une fleur fimple d'un rouge clair. Le Rofier verd (Rofa fempervirens. L.), efpece de Rofier a feuilles d'un verd clair 6c qui demeurent en hyver. Sa fleur fimple, blanche & tres-odorante paroit en bouquets depuis Aoüt jus- qu'en Octobre. Le Rofier a fleurs doublés jaunes (Rofa lutea multiplex. Bauh.), variété a jolies fleurs jaunes moins grandes, mais fans odeur. Le Rofier d'Afrique (Rofa punicea. MUL). Les feuilles de la fleur font jaunes en dehors 8c en dedans couleur de feu, 8c donnent vivement dans la vue. Le Rofier a fleur qui fent la canelle, (Rofa cinnamomea. L.) tant a fleurs fimples que doublés: elles font purpurines, peu grandes, 8c exhalent une odeur de canelle. Le grand Rofier fimple pourpre dit de Provins, ou Pavonné, (Rofa provincialis. MUL) a grandes fleurs d'un rouge trés - foncé 8c d'une odeur forte 8c agréable. Le Rofier a fleur rouge foncé, (Rofa holofericea. Du Roi.) tant Ümple que doublé, d'un pourpre foncé, fèmblable a du velours, & odorante. Le Rofier fauvage de Virginie (Rofa Virginiana. MUI.) a fleur rouge pale, fans odeur. Le Rofier de la Caroline (Rofa Carolina. L.) a belles fleurs doublés, d'un rouge clair, & odorantes, qui ne paroiffent que tard en Aoüt. . LeRofier afeuilles de pimprenelle (Rofa pimpinellifolia. L.). Sa tige ne furpaffe guere la hauteur d'un pied, porte une multitude de fleurs fimples & d'un rouge pale, 6c a un épais feuillage. Le  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. Le "grand Rofier a fleur blanche (Rofa alba. L.) fimple & doublé, & généralement connu. N Le Rofier a cent feuilles (Rofa Belgica. Mill.). Ses fleurs, qui couvrent tout I'arbrifleau, font médiocrement doublés, répandent 'une •odeur douce, & ont des feuilles blanchatres en dehors & couleur de chair en dedans. Legrand Rofier k fleur mufquëe, ouRofe Mufcade (Rofa mofchata. Mill.) de couleur rouge pale, doublé & odorante. Le Rofier k cent feuilles ordinaire (Rofa centifolia. L.), ainfi nommé , k caufe de fon grand nombre de fleurs rouge clair. Le Rofier de Damas (Rofa Damafcena. Mill.) ; hative 8t d'un verd jaunatre paroit entre les feuilles brillantes 8c d'un verd foncé. Le Spirée, ou Spiraea a feuilles de Saule (Spiraea falicifolia. L.) a grappes longues 8c épaifles de fleurs couleur de chair qui paroiflent en Juin 8c durent. jusqu'en automne. Le petit Spirée, ou Spiraea de Virginie k feuilles entieres, dentelées 8c blanches par deffous (Spiraea tomentofa. L.) a. fleurs couleur de chair, 8c difpofées par longs épis épais. Le Spirée a feuille de Mille-pertuis (Spiraea hypericifolia. L.), un des plus jolis fous-arbriffeaux, couvert au printemps de petites rofes blanches tachetées de jaune fouffré. Le Spirée k feuilles d'Obier (Spiraea opulifolia. L.). Ses feuilles font confidérables, 8c fes fleurs blanches 8c abondantes paroiflent au printemps. Le Fufain ordinaire, Bonnet de Prètre, 8c en quelques endroits Garas ou Garais, 8c Arbre aux poux, (Evonymus Europaeus. L.) tout couvert en automne de fuperbes capfules rouges. Le Fufain k large feuille (Evonymus latifolius. L.) k fleurs rouges & vertes, 8c portant un grand fruit pourpre. Le Fufain de Virginie (Evonymus Americanus. L.) toujours verd, k feuille épaiffe, luifante, 8c d'un verd clair. Le Fuftet, ou Fuftel des Corroyeurs, (Rhus Cotinus. L.) a' des fruits blancs 8c comme couverts de plumes, ce qui lui donne en automne un fingulier afpeét. Le grand Genet épineux, Joncmarin, Jonc-épineux, Jomarin 8c par corruption Romarin, dans quelques provinces: Genét blanc, Sainfoin d'hyver, Agion, Ajonc, Lande, Brufc ou Brufque en Provence, 8c improprement par quelques-uns Sainfoin d'Efpagne E 2 (Ulex  36 Seconde Seclion. (Utex Europaeus. L.). II fe diftingue par fes fleurs jaunes qui pouffent presque toute I'année. L'Althea-Frutex, Guimaure Royale des jardiniers, Ketmia ou Ketmie, (Hibifcus Syriacus. L.) produit en automne des fleurs confidérables 8c blanches a fond pourpre, ou bien des fleurs d'un rouge clair. La Viorne ordinaire, Coudre Moinfienne ou Manlienne, Bourdaine blanche, Hardeau (Viburnum Lantana. L.). Ses fleurs en ombelle 8c blanches, paroiflent en automne, demeurent Phyver fans accroiffement, 8c s'épanouiflent au printemps fuivant. Le Nefflier Pyracanthe, ou Buiffon-ardent (Mefpilus Pyracantha. L.), arbriffeau toujours verd, dont les feuilles lirTes & luifantes d'un verd foncé, 8t les baies abondantes qui meuriflent en hyver, font une garniture charmante. Le petit Chataignier de Virginie (Fagus caftanea pumila. L.) a jolles feuilles tout-a-fait femblables a celles du Chataignier. Le Baguenaudier a veffies rouges que quelques-uns nommentFauxSéné, ou Séné fauvage (Colutea arborefcens. L.). Son feuillage eft clair-femé & verd clair, fes fleurs jaunes en grappes, 8c fes veffies enfles 6c rougeatres. Le Baguenaudier oriental ou du Levant (Colutea orientalis. L.) a feuilles d'un verd de mer ou argenté, 6c fleurs d'un brun rougeatre tirant fur le jaune. L'Amandier nain des Indes (Amygdalus nana. L.), dont les fleurs couleur de rofe 8c abondantes font une trés-belle décoration. L'Epine Vinette, ou Vinetier, (Berberis vulgaris. L.) mérite d'être plantée a caufe de fes fleurs jaunes hatives, 8c de fes fruits rouges. Le Caflier ou Caneficier de Maryland (Caffia Marylandica. L.), propre a orner une plantation d'automne, a caufe de fes belles fleurs jaunes qui paroiflent tard 8c durent long-temps. . Le Ceanothus de Virginie a petit fruit, Thé de Ia nouvelle Jerfey (Ceanothus Americanus. L-), arbufle ligneux, a belles feuilles d'un verd  Des arbres $3 des arbriffeaux, ou arbujles. 37 verd gai, 8c a fleurs blanches en gros épis quidurent de Juillet jusqu'en Septembre. Le Chamsecerafus ou petit Cerifier de Tartarie (Lonicera Tartarica. L.), arbufte élevé a feuilles liffes & verd clair, a fleurs couleur de chair & a belles baies rouges. Le Chamaecerafus ou petit Cerifier des montagnes a fruit bleu & unique (Lonicera caerulea. L.). II pouffe au printemps une foule de belles fleurs blanches, 8c enfuite des baies bleues. Le Mille -pertuis de Virginie k feuilles de Romarin (Hypericum Kalmia- num. L.) & k belles fleurs jaunes. Le Nez-coupé de Virginie (Sfaphylea trifolia. L.) a fleurs blanches. Le Faux-Piftachier, Piftachier fauvage ou Nez-coupé (Staphylea pinna- ta. L.) k feuille d'un verd clair 8c k fleurs blanches qui paroiflent au printemps. Le Chionanthus, Amelanchier de Virginie, Arbre de neige, Snaudrap des Anglois (Chionanthus Virginica. L.) k feuilles d'un verd clair 8c k fleurs blanches 8c abondantes qui reflemblentades flocons de neige. Le Cephalanthus, Button-Wood des Anglois, (Cephalanthus occidentalis. L.) d'un verd vif 8c a fleurs odorantes. Le Ptelea k fruit d'orme 8c k trois feuilles (Ptelea trifoliata. L.), arbufte confidérable de 1'Amérique feptentrionale, k feuilles liffes 8c d'un verd clair, 8c a grappes de fleurs d'un jaune verdatre 8c d'une odeur délicieufe femblable k celle de Ia Julienne, Julianne, ou Giroflée d'Angleterre. Le Cerifier des bois k fruit amer, Mahaleb (Prunus Mahaleb. L.) k feuilles luifantes 8c fleurs "blanches. Le Cerifier nain, Cerifier a fruit rond précoce (Prunus nana. Du Roi.) k belles grappes de fleurs blanches 8c odorantes. Le Nefflier k feuille ronde 8c k fruit rouge, Amelanchier velu, Petit Amelanchier que quelques - uns nomment Cotonafter, (Mefpüus cotoneafter. L.) k feuilles cotonnées, k fleurs rougeatres 8c abondantes, 8c a fruits rouges. E 3 Le  g8 Seconde Seciïon, Le Troêne toujours verd, originaire d'Italie (Liguftrum Italicum. L.) La Potentille, Pentaphylloides d'Angleterre en arbre (PotentiUa fruti- cofa. L.) a belles fleurs jaunes. Le Genet, ou Geneft-Cytife ordinaire (Spartium fcoparium, L.) a longues branches vertes, & belles fleurs jaunes. Le Bulneria a fleur d'Anemone (Calycanthus floridus. L.). Cet arbufte répand une odeur très-bonne & trés-forte. Différentes efpeces de Cifies (Ciftus) a fleurs rouges, purpurines, blanches & jaunatres qui la plupart durent presque tout 1'été. La Vigne, le Lierre des poètes (Hedera helix. L.), la Vigne vierge ou Vigne de Canada a cinq feuilles (Hedera'.quinquefolia. L.), le Chevrefeuilïe d'Italie & d'Allemagne (Lonicera caprifolium & periclymenum. L.), plufieurs efpeces de Clématite (Herbe aux gueux, Viorne des pauvres) (Clematis L.) a fleurs odorantes, le Troène (Liguftrum. L.), & d'autres plantes femblables font en particulier propres a tapiffer les murs & les rochers. Outre les arbiffeaux, nombre de pla»tes farmenteufes & grimpantes font encore bonnes k cet ufage. U.DiJlru  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. 30, II. Dijlribution des arbres, arbriffeaux &c. Ïp» caradérifant, comme 1'on vient de faire, les arbres & les arbriffeaux, J on a remarqué non feulement la riche & admirable profufion que la nature étale a cet égard, mais auffi une partie des divers emplois qu'on en peut faire. La nature va plus loin encore en nous offrant des exemples a fuivre. Elle nous montre les arbres & les arbuftes tantót ifolés & tantót rafftmbtês d'une manierevariée, ici en plus petit & la en plus grand nombre: avec les arbres elle compofé des grouppes, des bofquets, des bois, Aesforêts; & avec les arbriffeaux des buiffons & des landes *): & outre tous ces divers affemblages, elle permet encore a 1'art une multitude de combinaifons & de dispofitions différentes, dont les arbres & les arbuftes offrent les matériaux, & la nature les modeles, au moins en grande partie. 1. , Arbre & arbriffeau ifolé. Un arbre quoiquefeul & ifolé peut être remarquable, tant comme objet particulier que par le caradere qui lui eft propre: il peut s'attirer 1'attention, tantót par fa hauteur finguliere & fon jet délié, tantót par la nature de fes branches & de fon feuillage, tantót par fes fleurs. Plus 1'arbre eft ifolé, moins 1'ceil eft diftraitj il fe repofe pour ainfi dire fur cet objet, il trouve tout Ie loifir néceffaire pour s'arrèter a Ie contempler, & en obferve plus exaclement chaque proprieté peu ordinaire. Un artifte jardinier intelligent n'offrira donc pas aifément un arbre feul, a moins qu'il ne mérite un régard attentif par un caradere diftingué quelconque; & ici I'artifte aura plutót égard a la forme de Ia tige & des branches, & a la nature du feuillage qu'a Ia beauté moins durable des fleurs. Sa *) On verra quelques pages plus faas conlocutions, Pidée que préfente le mot Ie fens que nous'attachons a cemor, qui allemand. Note .du Tradu&eur. nous a paru réveiller le mieux, fans cir-  .~ Seconde SecTton. 40 Sa pofition peut rendre un arbre ifolé tout auffi remarquable que fon caradere propre. Un haut tilleul qui couvre une cabane de fon ombrage, un vieux chêne creux & menaqant ruine qui étend fes derniers rameaux fur le toit d'un hermitage, un tremble placé fur la pointe d'une hauteur, tout arbre délié & a feuillage épais qui contrafte avec un monticule tapiffé d'un verd différent, avec une eau claire, avec 1'azur du ciel, un nuage lumineux, la rougeur enflammée du couchant, ou quelqu'autre objet accidentel, prouvent la vérité de cette remarque. Mais un arbre tout feul peut encore fervir de moyen a 1'artifte jardinier pour atteindre a fes différents buts, tantót en mettant de la Iiaifon & du rapprochement entre des parties féparées, .tantót en interrompant les lignesdroites, tantót en nuanqant, tantót en voilantentiérement un point de vue. Quelquefois cet arbre détacbé peut être utile en conduifant 1'ceil vers un endroit oü il doit trouver quelque occupation intéreffante. Qiielquefois, mis entre des bofquets & des grouppes, il y jette une agréable variété, & alors il faut faire attention non feulement a fa pofition, mais encore a la différence de fa forme & de fa verdure. Placé dans un pré, fur un gazon libre & découvert, il fournit un moyen d'embelliffement fimple & fouvent plus heureux qu'un grouppe. Des arbres ifolés environnent encore d'une maniere attrayante, des places rondes, des laies & des pieces d'eau; & ici, outre 1'effet de leur forme, ils peuvent encore en acquérir un nouveau par la relation vifible qu'ils ont entr'eux, & par laquelle ils forment en quelque faqon un enfemble. Plufieurs arbres.ifolés, bien que plantés en différents arrangements & en différentes direétions, font encore fufceptibles d'une apparence naturelle pourvu qu'on évite toute régularité trop exacle. La nature nous enfeigne que dans une forèt les arbres paroiflent croitre plus réguliérement qu'en plein champ & détachés. Cependant Ia ligne droite n'eft pas entiérement a rejetter, même lorsqu'il s'agit d'arbres ifolés; mais lorsqu'elle continue trop long-temps, elle donne l la plantation un air d'apprèt qu'on ne fauroit faire difparoitre même en entre-mèlant la file d'arbres de places rafes. Une ligne courbe .formée d'arbres ifolés peut s'étendre plus  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbiffles. ^r p!us au Ioin; Ia nature ne refufe pas d'y reconnoitre fon ouvrage. Mais toujours Iorsque Ia ligne eft droite, il faut difpofer les afpeéts de maniere que, confidérés fous différents points de vue, ils faffent naitre I'idée de variété. On y parvient fur-tout en efpaqant inégalement les arbres. Tous ces avantages fournis 'par les arbres ifolés font perdus pour un arbufte feul 8c détaché. Celui-ci n'eft recommandable ni par fa hauteur, ni par fa taille élancée, ni par fa figure: fa beauté feborne, presque abfolument a la nature de fes feuilles, de fa verdure, 8c de fes fleurs: fon effet eft foible dans le lointain, 8c ne s'étend guere plus Ioin que le Iieu d'oü le confidéreroit un ceil obfervateur. Mais vu de prés, un arbriffeau peut fouvent devenir un objet trés-agréable par la beauté de fes fleurs, 8c par les attraits qu'offrent fa verdure 6c fon feuillage; 8c même, dans un endroit peu vafte, prés d'un ruifleau, fur un petit gazon, il eft propre a fervir d'embelliffement. Mais il ne faut attendre aucun effet important d'un feul arbufte: il n'acquiert un certain prix qu'en fe réuniffant a d'autres pour former un grouppe qui s'attire 1'ceil du fpeétateur, foit par fes propriétés naturelles, foit par la maniere dont il eft compofé. Tome IL F 2. Grouppe  43 Seconde Seclion. 2. Grouppe ou maflif cfarbreK C'eft "par Ie grouppe que la nature commence la' combinaifon des arbres: il peut être plus ou moins confidérable, de deux jusqu'a une trentaine: mais le grouppe paroït ne pouvoir furpafier ce nombre fans empiéter fur le caractere du bofquet. Un grouppe, confidéré en lui-même, fait un petit bois, ou un petit bofquet; il n'en differe que par lemoindre nombre d'arbres, dont il fupporte la même diverfité Sc la même variété, mais avec cette reftriction, que fuivant les regies de convenance Sc de beauté prefcrite a cette forte de plantation, il ne faut pas réunir enfemble des efpeces d'arbres, dont les branches, le feuillage ou la tige font des effets oppofés, comme par exemple, le fapin Sc le faule du Levant, Rf & le peuplier blanc, le platane Sc le fumach. Le grouppe jouit de la même liberté en ordonnant Pefpace de fes arbres que le bofquet Sc le bois. Whately *j a fait plufieurs remarques 8c donné plufieurs regies touchant la.formation des grouppes ou maffifs, qui font depuis long-temps une partie importante de la beauté des parcs britanniques. Ces remarques 8c ces regies méritent d'être placées ici, paree qu'elles renferment tout ce que 1'on peut dire de vrai fur ce fujet. „Les maffifs font ifolés ou dépendants. Lorsqu'ils font ifolés, on „n'examine ieur beauté que comme objets particuliers; lorsqu'ils font „dépendants, les beautés de leut parties doivent être facrifiées a 1'effet „du tout, qui elt ce qui mérite le plus de confidération. „Le plus petit maffif doit être de deux arbres au moins; 8c Ie meil„leur effet qu'ils puiffent avoir, eft que leurs têtes unies paroiffent ne for„mer qu'un feul gros arbre: ainfi deux arbres d'efpece différente, ou „bien fept ou huit arbres dont les formes ne s'uniffent pas aifément, fe- „ront *) L'Art de former les jardins modernes, ou 1'Art des jardins anglois. Traduit de 1'Anglois. Paris 1771. 8«  Des arbres & des arbriffeaux, ou'arbuftes. 43 „ront difficilement un beau grouppe, four-tout s'ils tendent Vers Ia for„me circulaire. De pareils maffifs, compofés de fapins, quoique très„communs, font rarement agréables; ils ne font jamais un feul tout, & „leurs cimes font toujours mêlées confufément: on peut cependant évi„ter Ia confufion, en les difpofant par files, & non par grouppes circulai„resj un maffif d'arbres de cette elpece étant beaucoup plus agréable, „ïorsqu'il s'étend en Iongueur qu'en' largeur. „Trois arbres réunis forment une ligne droite ou un triangle. Pour „cacher la régularité, il faut extrèmement varier les diftances. On parvien„dra au même but, en variant les., formes, & fur-tout les grandeurs. „Lorsqu'une ligne droite eft formëe 'par deux arbres presque femblables, „& un troifieme un peu plus petit, a peine peut-on difcerner s'ils fe trou„vent dans la même direction. „Si des arbres plus petits, placés aux extrèmités, peuvent marquer „la plus parfaite régularité, on doit en faire ufage dans d'autres circon„flances; la variété dans Ia grandeur, eft celle qui convient particuliére„ment aux maffifs. Lorsque Pouvrage de Part eft trop fenfible dans les „objets de la nature, il devient faftidieux. Or les maffifs font des ob„jets fi marqués, fi propres a faire naitre Ie foupcjon qu'ils ont été dis„pofës de telle maniere pour produire tel effet particulier, que pour em„pècher 1'attention de fe porter fur Part, 1'irrégularité dans la compofi,^ion eft ici plus importante que dans un bois ou un bocage; d'ailleurs „un maffif étant moins étendu, "ne peut être fufceptible d'autant de va„rieté dans les contours: des grandeurs variées font plus remarquables „dans un petit efpace; & de nombreufes gradations peuvent fouvent „deffiner les plus belles formes. „L'étendue & la ligne extérieure d'un bois ou d'un bocage, s5atti„rent beaucoup plus d'attention que les extrèmités; mais dans les maffifs, celles-ci font de la plus grande importance: elles déterminent Ia „forme de 1'enfemble, & toutes les deux s'apperqoivent en mêmetems. „II faut donc s'attacher particuliérement \ les rendre agréables & a les „diverfifier. La facilité aveclaquelle on peut les comparer, ne permet pas F 2 „qu'el-  44 Seconde Seffion. „qu'elles fe reffemblent: car la plus petice 'apparence d'égalité réveille „1'idée de 1'art. Ainfi un maffif dont la largeur eft égale k la longueur, „paroit moins 1'ouvrage de la nature, que celui oü la longueur 1'empor- „te de beaucoup „11 y a un grand nombre de fituations qui permettent ou qui de„mandent des maffifs ifolés. On doit les employer fouvent comme ob„jets beaux par eux-mêmes, & quelquefois il font néceffaires pour rom„pre 1'étendue trop vafte d'une piece de gazon, ou d'une ligne trop uniforme, foit d'un terrein, foit d'une plantation Quoique les élévations „préfentent les maffifs fous le jour le plus avantageux, une éminence „qui paroitroit clairement n'avoir ëté créée que pour ètfe couronnêe „d'un maffif, deviendroit faftidieufe, tant 1'art fe montreroit k dccouvert. „On plantera donc fur les cótés quelques arbres, pour faire illufion. „On peut employer le mème expédient k 1'égard des maffifs placés fur „le fommet d'une colline, afin d'en diminuer 1'uniformité: 1'effet en paroi„tra plus naturel encore, fi les grouppes s'étendent en partie fur le pen„chant „Cependant, malgré tous les avantages attachés k cette efpece de „plantation, il faut fouvent 1'exclure, lorsqu'elle eft commandëe par une „éminence voifine. Des maffifs vus d'en haut, perdent quelques-unes de „leurs principales beautés; & lorsqu'ils^font nombreux, ils décelent 1'art „dont on les foupqonne toujours. Ils ne préfentent plus la furface d'un „bois; & tous les effets réfultants de leurs rapports font entiérement per„dus." Jusqu'ici Whately. Plufieurs grouppes placés dans un même endroit doivent avoir entr'eux un rapport réciproque, enforte qu'ils forment un certain enfemble. Ils peuvent fe diftinguer par leur grandeur, leur contour, & leurs dehors; la variété peut régner dans la taille & 1'efpacement des arbres; même Ie feuillage peut être un moyen de diverfité; mais malgré tout cela, I'ordonnance totale doit offrir un tout harmonieux. Un  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. 45 Un afiémblage de grouppes ne prëfente presque jamais un plus beau coup d'ceil que Iorsque ces maffifs font entre -mélés de places rafes & verdoyantes qui contraftent avec leur feuillage. Cependant c'eft en Iiaifon avec des pieces d'eau, qui empruntent d'eux 1'agrément animé des reflèts, que les grouppes forment Ia décoration la plus riante. Le penchant des collines leur offre encore des fites pittoresques. Comme 1'on peut confidérer les maffifs fous différents afpeéts, & relativement aux rapports qu'ils ont les uns aux autres, ils renferment une plus grande variété de coups d'ceil qu'un bofquet, ou uneforèt. Leur transparence même fert a multiplier les points de vue. Le raviffant fpeclacle que celui d'une riviere qui fait reluire fes fiots argentés entre des arbres d'une taille fuperbe & d'une verdure animée, & dont chaque tige déiiée s'embellit du contrafte qu'elle forme avec la Iumiere mobile de 1'eau, tandis que des reflèts fe jouent dans leurs intervalles! Le plaifir même de la promenade augmente quand on le prend entre des grouppes d'arbres. Chaque compagnie offre a i*autre un fpeclacle: au lieu de reffernbler, comme dans les Iongues & larges avenues, a une garde qui marche en parade, la foule femble fe difperfer en autant de couples d'amants; les fentiers tortueux préfentent les promeneurs tantót dun cóté, tantót de 1'autre; ici les arbres les cachent-ils un inftant? la une ouverture inopinée les rend a la vue dans une autre fituation. La nature différente des tiges, des branches, & fur-tout du feuillage, donne auffi différents caracteres au grouppe. II peut fe revêtir d'un caractere noble, fublime, dégagë, gai, ferein, mëlancolique, romanesque: toujours cependant avec la reftriétion, que dans un grouppe il ne peut régner qu'un feul caradtere fimple, au lieu qu'un bofquet, & encore plus un bois, eft fufceptible d'un caractere compofé. Tout maffif donc qui annonce un caraélere gai ou trifte, dégagé ou mafqué, élégant ou ruftique, doit auffi le conferver fans mélange & fans interruption dans toute fon ordonnance. Le peu d'ëtendue du terrein, & le nombre modique d'arbres qui caractérifent le grouppe, eombattroit toutes les vai- F 3 nes  46 Seconde SeBion. nes tentatives qu'on voudroit faire pour y introduire plus d'une foite de caraclere Sc d'effef. Bofquet. Le bofquet tient le milieu entre le grouppe 8c le bois. Plufieurs grouppes joints enfemble forment le bofquet. Le bois fe diftingue par fa grandeur; le bofquet par fa beauté. La première regie de cette efpece de plantation c'efi que les arbres n'aillent pas fe perdre loin 1'un de 1'autre, ce qui en feroit une colleétion d'arbres ifolés, non un tout lié comme il doit 1'ètre. Afin de faire fur la vue des impreffions agréables, il faut ménager dans la pofition des arbres une variété accompagnée d'un certain ordre, mais non de régularité, non d'une égalité vifible 8ccontre nature dans les efpaces. Que les arbres tantót fe refferrent, tantót s'écIaircilTent; que leurs pofitions Sc leurs jets offrent tantót une figure, tantót une autre; enfin que leurs troncs mèmes deffinent entr'eux des places différemment formées: 1'aifance 8c la variété doit dominer jusque dans leurs contours extérieurs. Les arbres doivent être liés entr'eux de maniere a fournir tantót un ombrage épais, tantót un paffage libre aux rayons de la lumiere, & tantót  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. 47 tanót un coup de foleii rompu qui Iutte avec le crépufcule 8c fe joue fur le terrein. La promenade étant trés - agréable 'dans un bofquet, il ne faut pas que les facilités néceffaires manquent au fol. II faut qu'on foit libre de paffer par-tout. Un fentier de verdure, 'convient mieux ici qu'une altée fablée & foigneufement décorée: le gazon conferve ordinairernent toute fa beauté dans un pareil endroit. Par le moyen des finuofkés du fentier on' peut mener le promeneur tantót k des clairieres riantes & k des perfpeétives lointaine3, tantót k des lieux ombragés; on peut tantót lui faire refpirer le repos 8c lui faire éprouver un doux amufement, tantót le réveiller par une furprife frappante. Les arbres & leurs figures variées, les formes & les couleurs du feuillage qui fe croifent, la fuceeffion des jours 8c des ombres, les rayons aimables de la lune qui tombent a travers les arbres, les doux reflèts, la compagnie de créatures heureufes &c le chant varié des oifeaux, le parfum des plantes, 8c d'autres accidents, offrent mème a. 1'ami folitaire de la nature une récrëation qui 1'enchaine tout entier dans ces retraites. L'inégalité du fol augmente Ia beauté du bofquet, non feulement pour 1'seil du fpectateur, mais auffi pour Ie promeneur. Un bofquet qui s'éleve de la bafe arrondie d'un mont efcarpé, ou qui defcend vers une riviere ou un lac le long d'une pente douce, ou encore qui s'étend par deffus une file de petites collines ondoyantes, devient bien plus agréable par^ cette fituation qui renferme une plus grande richeffe de lointains, que s'il fe déployoit dans une plaine. Cependant un terrein uni, & encore plus un'enfoncement total du fol, peut fouvent concourir trés-heureufement k mieux déterminer le caraclere d'un bofquet. Que celui qui eft confaeré a Ia mélancolie s'enféveliffe dans une vallée, tandis qu'un autte defliné au plaifir couronnera le fommet d'un cöteau. Le moyen principal de déterminer le caraétere d'un bofquet confifte dans la diverfité naturelle des arbres. En les choififfant convenablement on leur peut donner un caraclere degravité, dc mélancolie, 8c même de triftefle j on peut les revêtir d'un air d'élégancej de légéreté, de  Seconde SeÏÏion. de gayeté, de férénitë, de dignité, de romanesque. Que 1'on fe rappelIe ce qu'on a dit plus haut des caraétériftiques des arbres. Un bofquet qui annonce de la dignité & de la majefté, fe forme d'arbres ï haute futaie, a tiges fortes & a larges branches, & dont le feuillage offre une voüte épaiffe. Un bofquet élégant & noble fe diftingue par fes arbres déliés, d'un cm avantageux, d'une hauteur médiocre, & d'un beau feuillage. Des rameaux multipliés, des branches pendantes, un feuillage fombre & touffu, compofent un bofquet mélancolique, oh 1'amour pleure affis auprès d'une urne. Des arbres qui s'élancent hardiment, un branchage qui s'étend en s'élevant, un feuillage léger, aérien, ou riant & luifant, des ouvertures transparentes, des coups de jours non interceptés, & un fol net & dêbarraffé de ronces rampantes, font le caraftere d'un bofquet de plaifance. Un bofquet romanesque eft produit tant par la fingularité & 1'extraordinaire qui regne dans les formes mémes des arbres & dans les couleurs des feuilles & des fleurs, que par le mélange des différentes efpeces. Ces remarques feront fuffifantes pour indiquer a Tami des jardins la diverfité de caractere dont les bosquetsfontfufceptibles, & la maniere dont elle prend naiffance, & pour lui en infpirer des plans auxquels on a peu penfé jusqu'a préfent. Un bofquet pourroit l la rigueur s'étendre au point d'admettre un caraélere compofé; cependant il paroit préférable, pour éviter toute confufion, de ne lui donner qu'un cara&ere fimple afin d'en rendrel'effet plus déterminé & plus direft. Veut - on obtenir une fuite plus longue d'impreflions toutes du mème genre, ou cequi vaut bien mieux, d'impreffions contraftées? on choifira pour celaun bois, dont 1'étendue plus vafte permet des deffeins variés. La décoration d'un bofquet ne fgauroit être arbitraire", fi i'on fait attention que celui-ci eft fufceptible d'un caradere déterminé: car dans ce cas,' on doit ordonner cette décoration fuivant la nature du caraétere qu'e'lle doit tendre a renforcer. Des arbuftes fleuris plantes^ qk & la fous les arbres, des fleurs élevées & brillantes, des fabriques élégantes, tous objets qui embeliiffent un bofquet de plaifance, s'accorderoient trésmal  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. ^ mal avec un bofquet mélancolique qui demande des hermitages, descabanes folitaires & couvertes de mouffe, des monuments de deuil, des ruines & des tombeaux. 4- Bois. Outre la grandeur, par laquelle nous avons' déja remarqué que le bois fe dilüngue du bofquet, il s'en diftingue encore en ce qu'il n'exige pas néceffairement, comme ce dernier, des arbres bien choifis & d'une taille noble. Ceux d'un bois peuvent être plus négligés, plus incultes; & fon fol embaraffé de fous-bois, dont le bofquet, qui demande plus de culture, doit être exempt. Le bois fe contente encore d'arbres d'une efpece ordinaire: mais le bofquet, étant plutót une plantation de la main de l'homme, demande des arbres qui fe diiünguent par quelques parties douêes d'une beauté éminente. Outre fa grandeur, un bois peut encore avoir un caractere trésfenfible d'agrément. L'élévation & la grandeur de fes arbres, la diverTome II. G flté  Seconde Seïïion. 5° fité «ie leurs figures & de leurs diftances, l'alternative de rareté & d'épaiffeur des branches, les changements du feuillage, la décoration des arbriffeaux, des plantes, & des fleurs qui parent le terrein, les places clofes & découvertes, la transparence des intervalles, les jeux des jours & des ombres, font les moyens ordinaires qui caufent de la variété dans 1'intérieur d'un bois. Les différentes fltuations d'un bois ne concourent pas peu a Paugmentation de cette variété. De ce nombre font, outre les inégalités & les coudes du fol, les pofitions agréables, nobles, hardies, romanesques, folemnelles que peut avoir un bois. II eft agréable, lorsqu'il s'étend fur des collines douces & ondoyantes ou bien le long de prairies ou de rivier'és; noble, lorsqu'il s'éleve fur des montagnes d'ou la vue domine le payfage; harcli, lorsqu'il fe fufpend en menacant k des pointes de rochers éfcarpés & impraticables; romanesque, lorsqu'il parok fortir du milieu d'un lac, ou qu'il s'incline fur des parois de roes, fous lesquelles mugit un torrent; folemnel, lorsque placé fur une chaine de montagnes comme fur un thróne, il yöit rouler les nuages .a fes pieds. Et quelle abondance prodigue de liaifons & de variations pofflbles dans ces fituations, fur-tout lorsque des eaux & des hauteurs viennent s'y joindre! On peut, il eft vrai, indiquer ici la diverfité infinie de la nature, mais envain tenteroit-on de Ia décrire. Un majeftueux repos & un fentiment noble & délicieux fe répandent dans'un vafte payfage par-tout environné de bois. Cependant le diftridt plus referré d'un feul bois n'eft pas privé d'effets attrayants. Un fentiment de tranquillité champétre & celui du bonheur dont on jouit dans une retraite paifible, s'empare de nous, lorsque dans la folitude d'un bois nous rencontrons une cabane k cóté de laquelle nous voyons paitre du bétail fur un gazon découvert, tandis que les bergers k lombre s'occupent de petits ouvrages, & que non loin d'eux la poule conduit en glouffant fa jeune couvée. Les fcenes mémes purement naturelles font ici une impreffion profonde. Une prairie ne flatte presque jamais davantage que lorsqu'elle eft fituée k cóté, & encore plus au milieu d'un  Des arbres & des 'arbriffeaux, ou arbujles. cgj d'un bois; uné verte peloufe étendue Sc découverte y plait, quand elle eft entourée de grands arbres, 8c décorée de petits grouppes debuiffons. Non moins flatteurs font de petits champs de blé brillants a travers les ombrages. De douces élevations du fol du haut desquelles le regard plonge dans d'épaiffes refuites, 8c des perfpeétives qui s'ouvrent au travers d'une longue rangée d'arbres jusqu'a ce qu'elles aillent enfin fe perdre dans le demi-jour dü feuillage lointain; des amphithéatres formés par des hauteurs boifées; des collines qui s'élevent Tune derrière I'autre, & qui tantót couvertes de grains jauniffants, tantót de petits grouppes d'arbres, tantót de paturages abondants, ont pour fonds de hautes & fombres forêts qui bornent la vue, font tout autant de fpectacles agréables dans un bois. Les points de vue qui d'un lieu clos 8c couvert donnent dans un payfage découvert, qui fortant, pour ainfi dire, du repos des bois, vont aboutir a des fcenes pleines de mouvement 8c d'aéiivité, a Ia mer, a. des villes, paroiflent ici devenir encore plus intéreffants. Vu fa grandeur Sc fon circuit, un bois permet une multiplicitë de fcenes que ne permet pas un bofquet: fouvent ce premier confifle, par fa difpofition naturelle même, en un melange de divers cantons dont chacun fe diflingue par fon caraclere particulier. En obfervant attentivement cette variété naturelle, rartifte jardinier trouvera Poccafion de former les fcenes les plus engageantes Sc qui s'embelliront réciproquement par leur diverfité 8c par leur contrafte. II rencontrera fous fes 'pas des paffages fubits du renfermé au découvert, du fombre au clair, du folitaire a 1'animé, du mélancolique au gai, Sc par leur moyen il pourra produire une fuite d'émotions qui réchauffent le cceur par leurs puiflants attraits. Rien ne paroit plus deftiné par la nature même a produire ces effets qu'un bois, qui d'ailleurs doit toujours être regardé comme une partie presque indifpenfable d'un pare étendu. Mais Pextërieur même d'un bois peut en plufieurs cas offrir ae la récréation a 1'ceil. *) Le bois eft-il trop grand, cette impreffion fe perd G 2 8t *) Voyez i.Vol. pages 228-229.  £fi Seconde SecTiori. & 1'uniformité continuelle fatigue la vue: il doit préfenter une circonférence variée dans fa figure, fes rentrees & fes faillies: il doit nous offrir cette liberté, cette agréable négligence qui rend la nature fi féduifante: il doit ètre diverfifié fans confufion, grand fansexcès, noble fans pêcher contre la fimplicité. Un bois qui monte Ie long d'une hauteur 8c eft terminé en haut par 1'horizon azuré, paroit plus grand a 1'ceil: mais il perd beaucoup de fon effet lorsque la pointe peléede lamontagne lefurmonte; iifaut qu'il 1'occupe toute entiere. II peut même la rehauffer noblement enla couronnant d'arbres de haute-futaie. L'afpect. pompeux de ce bois s'augmente encore , quand un lac limpide s'étend a fes pieds: 8c cette fcene s'embellit fmguliérement au lever de 1'aurore 8c au crépufcule du foir, la couleur rembrunie du bois formant alors avec la rougeur du ciel 8c fa reverbération difperfée fur les flots, un contrafte fuperbe, que les doux reflèts de la lumiere parent de nouveaux attraits. La beauté de fa furface fait auffi un meilleur effet lorsque le bois va en montant. Cette efpece de beauté eft inféparable de Ia variété, 8c les inégalités du fol, la diverfité des jets & des feuillages, Ia font naitre naturellement. Un affemblage d'arbres, dont toutes les têtes n'offriroient qu'un plan uni, feroit un afpect, peu naturel 8c désagréable; 8c voila pourquoi rien ne dëgoüte plus que de jetter Ia vue d'une hauteur fur un jardin franqois a. 1'antique tout rempli de haies bien tondues. Les arbres qui s'élevent qk 8c la au deffus des autres produifent une nuance agréable a 1'ceil, 8c a laquelle la différence des verdures ne contrlbv e pas peu. On réuffira très-heureufement a donner de la beauté a Ia fuperficie ondoyante d'un bois, en employant des arbres a fortes branches 8c a feuilles touffues comme font nos chênes 8c nos hêtres, ceux a feuillage 8carameaux minces ou h cimes pointues étant moins con- venablesj  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. 53 venables; 8t cette beauté ne fe fera jamais plus fentir que quand on Ia confidérera d'un certain éloignement, 8: fur-tout du fommet d'une colline oppofée. Un bois devant former 'un feul enfemble, il faut que'toutes fes parties, les différents grouppes ou maffifs qui le compofent, foient liés, 8c que leur Iiaifon s'apperqoive diltinétement; fans cela ce ne fera plus un bois, mais un ramas confus de grouppes 8t de plantations. II faut encore qu'il fe diftingue comme s'il n'étoit qu'un objet fimple; il faut donc qu'a, 1'ceil il femble détaché des autres parties du payfage. Lorsque dans de vaftes campagnes, plufieurs bois tiennent 1'un a 1'autre 8c forment une forêt continue qui limite une grande partie de 1'horizon, la vue eft délivrée de 1'ennui que pourroit caufer cette uniformité par les intervalles plus clairs que préfentent les montagnes 8c les champs de grains. De petites collines qui s'enfïent doucement garnies d'un verd plus clair, font une charmante décoration a 1'entrée d'un bois placé fur une hauteur: il en eft de même de petits grouppes transparents ou d'arbres ifolés qui, mis a une certaine diftance, rompent par des couleurs plus claires Pobfcurité du bois, 8c qui, en laiffant paroitre k travers leurs tiges 1'efpace vuide fitué. derrière eux, deffinent une perfpeétive raviffante. Un bois fupporte toute forte de fabriques, depuis I'hermitage tombé en ruine jusqu'au plus fuperbe temple, paree qu'il permet la variété des cantons. Ces fabriques peuvent concourir k en déterminer 8c renforcer Ie caraétere, pourvu qu'on les marie habilement avec les diftriéts qui leur conviennent. Même une habitation propre 8c riante placée k 1'entrée d'un bois, interrompt fon afpect fom- G 3 bre,  „. Seconde Seffion. 54- ... bre, & annonce de ïoin le doux repos qui regne dans cet heureux fite. 5- F o r ê t. Par forèt nous entendons un affemblage irrégulier de bois, de grouppes, d'arbres ifolés & de buiffons. Comme elle confifte plutót en arbres qu'en arbriffeaux & en buiffons, elle eft différente de la lande dont elle s'approche le plus. Elle fe diftingue du bois en ce que celui-ci eft plutót compofé de maffifs réguliers & d'arbres a haute-futaie &a belle apparence, tandis - que la forèt offre des troncs tortus &difformes, d'épais buiffons, des labyrinthes d'arbuftes entre-mêlés d'arbres dont te Jet eft droit & 1'afpeét agréable: peu dejolis grouppes, &d'autant plus de fous - arbriffeaux qui embarraffent les tiges plus grandes &leur donnent un air inculte, d'autant moins  Des arbres & des arbriffeaux,'ou arbuftes. 55 moins de places libres & découvertes. Des concavités brusques & des coupures efcarpées du terrein paroiflent encore faire partie du caraclere de la forèt. Elle eft Ie fêjour chéri du gibier & des oifeaux amis de Ia retraite, & ceux-ci diminuent 1'efpece de friffon mélancolique caufé par les voütes profondes & affaiffées du feuillage, les vues interceptées, & 1'obfcurité qui enveloppe Ie tout. Les mélanges variés du feuillage offrent auffi de la récréation a. 1'ceil du promeneur. Son imagination occupée s'anime en appercevant les entrelacements confus des arbres & des buiffons, & les ténebres qui en defcendent: elle transforme les objets qui s'offrent en apparitions bifarres, quinaiffent, inquietent, réjouiffent & difparoiffent. D'après le caraétere indiqué, une forèt eft fertile en diftricts fauvages & romanesques, & fur-tout quand elle contient des enfoncements rapides du fol, & des hauteurs efcarpées qui fe furmontent & s'entafTent les unes fur lesautres: cette fituation eft encore propre a lui fournir des torrents qui renforcent les fcenes dont nous avons parlé. Comme les promenades font rarement commodes dans une forèt^ même lorsqu'elle eff en plaine, on a depuis long-temps penfé a pereer ies bois pour avoir des routes &des vues: mais jusqu'a préfent on 1'a fait fans beaucoup confulter les regies que prefcrit la beauté. Ordinairement toutes les allées font en ligne droite & aboutiffent a un centre commun d'oü 1'ceil peut lesappercevoirdetout cóté: en formant cette foi-difante & oi'/? on fe fatigue a donner parfaitement la même largeur, la mème longueur, la mème apparence a chaque allée, & 1'emploi de cette forte de deffein eft auffi général que roide & guindé. II eft contradictoire de vouloir mettt-e de Ia régularité & de I'uniformité dans I*ouvrage de Ia nature qui fe prête le moins a cette gêne. La fymmëtrie qu'on rencontre au milieu d'une forèt, peut k la vérité furprendre un moment paree qu'on ne s'y attend pas; mais bientót elle produit fes effets ordinaires, I'ennui & Ie dégoüt. Connoit- on unefois cette difpofition réguliere, on 1'efquive volontiers en fe gliffant de cóté k travers les buiffons; on fuit une ordonnance qui raffafie tout d'uu coup, & on cherche dans les fentiers de Ia nature un plaifir qüe des grada-  ^5 Seconde Secilon. gradations lentes rendent plus durables & que des changements continuels afiaifonnent. Un chemin en ligne droite au milieu d'une forèt n'eft pas entiérement a rejetter: mais d'abord qu'il continue long-temps il ceffe d'être dans la nature, & la multiplicité de ces chemins eft 1'attentat le plus téméraire contre les droits de celle-ci. Lors mème que ni le terrein, ni les efpacements des arbres ne s'oppofent a l'allée en ligne droite, il faut cependant que le choix qu'on en fait foit juftifie par quelque intention valable , comme par exemple celle de diriger 1'ceil vers un batiment remarquable ou vers unlointain intéreffant, ou de 1'égayer par une jolie perfoective intérieure de fcenes bocageres ou de petits bofquets, qui, fitués 1'un derrière l'autre, font percés chacun d'une ouverture au travers de laquelle la vue eft attirée entre diverfes nuances & fucceffions de jours & de crépufcules jusqu'a ce qu'elle aille fe repofer dans une fombre obfcuritë. Enfuite l'allée en ligne droite ne doit pas garder par-tout la mème largeur; les arbres & les buiffons qui la bordent doivent fe diftinguer tant par leurs hauteurs variées que par la maniere naturelle dont ils déployent leur feuillage, bien entendupourtantque la néceffité de procurer desafpe&s libres ne s*y oppofe point. Des allées qui tantót s'élevent, tantót fe penchent, tantót font uncoude,tantótunautre,fontnonfeulementdiverfifiées enelles-mèmes j elles font encore prefcrites par la nature, dont la main les tracé d'avance dans une forèt par les inégalités du fol & les fituations des arbres. Ce qui les rend encore plus importantes, c'eft qu'elles font fentir plus vivement 1'effet des ouvertures imprévues & des fabriques qui apparoiffent a 1'improvifte, & augmentent 1'impreffion que caufe toute fingularité prévenante, tout contrafte frappant. Cependant par - tout oü i*on ouvre des perfpeclives il faut être attentif a la difpofition des environs. Quelquefois les beautés feules d'un ciel azuré ou diapré de nuages demandent une ouverture: mais des villages, des villes, des cbiteaux, des lacs, de grandes rivieres, un couronnement de hauteurs, une chaine de montagnes d'un caraclere noble & hardi, des bois qui vontfe perdre dans un lointain bleuafre, offrent tous dans leurs formes & leurs fituations variées les points de vue les plus a préférer & dont la jouiflance éleve 1'ame. L'artifte jardinier n'ex-  Des arbres & des arbriffeaux} ou arbujles. ^ n'expofera pas ces objets 6c d'autres femblables tous a lafois,ni mème Iorsqu'on s'y attend: mais les montrant peu a peu, dans une gradation infenfible, 8c après des intervalles obfcurs durant lesquels 1'ame rumine, pour ainfi dire, le plaifir qu*êlle vient d'avoir 8c ne prévoit point encore de nouvelle fcene, il les fera paroitre ici dans toute leur beauté, 8c la. voilés, les embellifïant de tous les attraits de la variété 8c les renforqant par tout 1'inattendu de la furprife. II faut que par ce moyen, il exifte dans 1'ame une fucceffion de tranquiilité 8c d'émotion, d'impreffions agréables, tantót plus douces, tantót plus vives, de complaifance, dejoie, de raviffement, d'admiration, d'étonnement. Après ces remarques on s'appercevra que 1'opération de percer les bois n'eft pas uniquement 1'ouvrage mécanique d'un journalier, 8c qu'un homme de goüt lui-même doit commencer parréfléchir Iongtemps 8c par s'approprier, pour ainfi dire, le caraétere du payfage 8c fon action fur 1'ame, avant de procéder a 1'exécution. 6. B u iff o n. Suivant notre répartition le buiffon eft la première efpece de combinaifon que peuvent éprouver les arbriffeaux, qui détachés ne font pas Tome IL H grand  . Seconde Sectïott. «rand'effet, aïnfi qu'on I'aremarqué plus haut, mals qui paria Iiaifon deviennent plus remarquable». Le buiffon peut, fans changer beaucoup de caraaere, permettre qk & la quelques arbres ifolés qui le furmontent & le décorent; cependant ia combinaifon des arbriffeaux en fait la partie effentielïe. Les buiffons dépendent fur- tout de Ia nature des fïgures, & des nuances tant des feuiües que des fleurs: & c'eft ce qui meneahifage qu'on en peut faire, & aux cum-iéts oü il les faut planter. Les buiffons offrent une garniture des plus agréables aux monttcules: ici, tout comme en rafe campagne oü ils fervent k rompre la ligne droite , ils peuvent former des grouppes trés - pittoresques, bien entendu qu'on ne iesjette pas fans choix 1'tm parmi l'autre, mais qu'on les difpofe fuivant la variété de leurs élevations, & les nuances multipliées de leurs feuilles & de leurs fleurs. Par leur épais ombrage & leurs fruits ils attirent plutót que les grouppes uniquement formés d'arbres droits, des families entieres d'oifeaux, & deviennent par ia mème un moyen de porter dans les cours la vie & le plaifir. Répandus avec goüt & économie dans les prés & les bois, & fur les gazons, ils offrent une charmante décoration. La bonne odeur de leurs fleurs en rend quelques efpeces propres k garnir les pavillons, k border les repofoirs, & a.former des berceaux. 7. Lm-  Des arbres & des arbrifeaux, ouarbnjles, ,5a Ij a n des. Les landes fe diftinguent des buiffons, quoïque les uns & les autres foient compofés d'arbriffeaux. Les buiffons préfentent des grouppes épars, font diftribués 8c faqonnés avec un certain choix: les landes offrent un amas irrégulier de plufieurs buiffons 8c de fous-arbriffeaux mèlés par fois de quelques arbres, le tout fans culture, 8c entiérement abandonné a la nature ruftique 8c au désordre de la liberté. Un défaut total d'harmonie dans les arbuftes, 8c même des cantradiétions dans la maniere de les entaffer font ici de mife. Quoique 1'on puiffe y percer des fentierscependant les landes ne font guere deftinées a Ia promenade: elles fervent principalement k rompre Ie tableau, 8c k y jetter du contrarie. C'elt après une fuite de fcenes agréables, pleines de culture, de goüt 8c d'élégance qu'elles produifent tout leur effet; mais il faut qu'elles naiffent fans contrainte de la difpofition naturelle du canton, ou du moins qu'elles paroiffent plutót venues d'elles-mêmes que plantéesavec choix 8c k deffein. Ainfiplacezles non k des endroits fertiles, mais dans des lieux incultes 8c écartés, au bord d'une eau qui coule lentement, 8c qui par quelques chütes cachées caufe un murmure fourd. Au refte les landes font du genre romanesque. II ne faut pas confondre la lande 8c Ie defert. La oü brülent des fables arides, oü s'entaffent des roes pelés 8c des monceaux depierres, oü rampe une eau croupiffante 8c empeftée féjour des ferpents 8c des lézards, oü le loup caché dans des creux reculés guette fa proie, 8c s'épouvante k fon tour des rugiffements nofturnes que pouffent les monftres plus forts que lui, oü la nature fauvage 8c délaiffée porte le deuil tout k Pentour, oü jamais la voix de I'homme ne trouble 1'éternel filence qui regne dans ces lieux, la eft le défert. H 2 Les  is Seconde Seclion» Les recherches que nous venons de faire montrent de quelle foule de liaifons, & d'ordonnances variées les arbres & les arbuftes font fusceptibles en fuivant les préceptes de la nature. Cette fage inltitutrice va plus loin: non feulement elle nous montre les riants tableaux que 1'artifte jardinier préfente a la vue par le mélange des feuillages: elle nous indique encore dans les grouppes, les bofquets & les bois des fcenes multipliées de récréations & d'occupations plus délicates de 1'ame. a. Art de peindre avec les feuillages. II eft inutile de répéter combien de variété & de "mélanges furprenants la nature a répandus dans la verdure de fes arbres & de fes arbriffeaux. La forme, la grandeur, la denfité & la rarcté des branches, la pefanteur & Ialégéreté, la roideur & Ia mobilité des feuilles, concourent de différentes manieres a en multiplier les nuances. Outre nos arbres foreftiers ordinaires, les arbres fruitiers, que 1'on bannit quelquefois des plantations, non fans bleffer leurs prérogatives, ou que du moins 1'on a coutume de réléguer en des lieux écartés, nous offrent la diverfité de leurs couleurs. Pourquoi un cerifier ne fe préfenteroit-il pas tout auffi hardiment qu'un charme? Nombre d'arbres fruitiers  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. 61 fruitiers plaifent non feulement par la beauté de leurs fleurs & de leurs fruits, mais encore par leur feuillage, qui.du moins fournit un changement de décoration. Qiielle belle variété ne trouvons-nous pas uniquement dans les arbres ordinaires'que 1'on cultivé dans nos jardins d'AL lemagne! Et quel tableau, quel agréable contrafte n'offrent-ils pas quand on les entre - mêle avec goüt 8c avec jugement aux arbres fauvages! Mais fi 1'on n'a pas exactement égard au temps 8c a Ia durée de la pouffe 8c du féjour des feuilles des'arbres fauvages, 8c au temps 8c ala durée des fleurs 8c des fruits des arbres fruitiers qui s'y trouvent mêlés, une confufion finguliere 8c révoltante prendra la place d'une union harmonieufe. — Les arbres de YAmérique feptentrionale, qui déja depuis plufieurs années 8c en plufieurs endroits augmentent nos plantations, nous offrent encore une nouvelle richeffe de feuillage. Pendant long-temps on n'a regardé les arbres que comme un moyen de fe procurer de Pombrage, 8c ce befoin fatisfait on étoit content. Auffi le plus petit jardin offre-t-il une contradiction lorsqu'il eft dénué d'ombre;, 8c cependant celle - ci n'eft pas tout ce que le goüt exige. L'ombre encore ne convient pas toujours la oü fa fraicheur ranime; c'eft la nature de Pemplacement 8c de la fcene qui en décide. Jettée, par exemple, fur un lit de fleurs elle feroit trés - déplacée: mais on la defire autour des grottes, des hermitages 8c des bains. Trop ou trop peu d'ombrage peut devenir un défaut,tant dans les parties ifolées que dans 1'enfemble. L'excès offre un afpect. trop uniforme 8c trop trifte. Mais un ombrage modéré favorife 1'agrément, non de 1'ceil feulement, mais auffi de Poreille, en offrant un féjour chéri aux oifeaux, dont la compagnie 8c les chants ont tant d'attraits qu'on ne comprend pas comment plufieurs propriétaires de jardins peuvent s'en priver en écartant toute feuillée. Les degrés, le plus 8c le moins d'ombrage, ne fqauroient fe déterminer qu"a 1'aide du caraélere de chaque jardin 8c de fes divers diftricls. De plus, 1'ceil ne doit pas uniquement s'arrèter k Papparence actuelle, mais fe porter encore fur Paccroiffement futur, 8c calculer les effets qui auront lieu dans la fuite. . . « , H 3 L'art  g.3 Seconde Seüion. L'art de peindre avec le feuillage, art qu'exige'celui des jardins, eft bien plus relevé que 1'adreffe adiftribuer 1'ombrage: le premier eft, pour ainfi dire, une réquifition de la beauté; lafeconde plutöt une loi prefcrite par la commodité. : - > Uniquement en étalant diverfes; efpeces d'arbres, I'aröfte jardinier neut fans peine offrir de la variété; mais en les alliant avec goüt il produit une variété, qui eft a plus jufte titre fon ouvrage. Lors donc que différentes efpeces d'arbres 8c d'arbuftes .font réunis de maniere a iaire fouir 1'ceil d'un plaifir plus exquis caufé par Ia relation des formes & des • couleurs, 1'artifte jardinier fait un pas de plus que la fimple nature inculte; Uagit en homme dégout. ■ - Suivant cette vocation, par-tout oü 1'artifte jardinier place du feuillage ou le facpnne, il doit avec le payfagifte furprendre a la nature les avantages' du jour & des ombres; il doit faire attention, non uniquement aux objets & aux points de vue ifolés, mais a 1'harmonie de toutes les parties, au fuccès de 1'enfemble; il doit calculer 1'effet des couleurs & des nuances, tant dans le voifinage des fcenes prifes en particulier, que dans les points d'afped d'oü 1'on apperqoit de Ioin & tout d'un coup des maffes entieres. Nous voyons que jamais la nature ne revèt ni la furface du fol, ni le contour des bois, d'un feul verd fans le varier & le rompre: 8c fi elle agiffoit autrement, que fon impreffion fur 1'ceil. de 1'homme feroit foible! Telle qu'elle eft, elle récrée & ne ceffe jamais de récréer tant par le mariage harmonieux que par le contrafte des verdures. Eu égard a la réunion pittoresque, il faut que le verd nuancé de blanc 6c de jaune fe préfente le premier; enfuite le verd clair, puis le brun, 8c enfin fucceffivement le foncé 6c le noiratre. Le verd foncé fe déplo'yera donc dans le lointain, 6c le verd clair occupera fur-tout les devants; 6c entre deux pourront fetrouver toutes les nuances mitoyennes de verd fuivant leurs gradations 8c tirant tantöt fur 1'un 8c tantót fur l'autre. Le verd clair eft trés-bien entre le verd jaunatre 8c le brundtre; 8c ce dernier femble préparer Ie verd foncé & 1'obfcur. Wha- tely  Des arhres & des arbrijfemx, ou arhufie:. 63 tely*) a déja obfervér „que Ie verd jaune & Ie verd blanc s'uniffent aifé„ment, rnais que de grandes pieces de verd clair, jaune ou blanc, ne „fe mêlent pas fort heureufement avec une grande quantité de verd fon„cé; que pour former une compofition agréable, le verd foncé doit être „réduit a une fimple bordure, & qu'un verd brun ou un verd moyen „doivent être interpofés; que les verds rougeatres, bruns & moyens „s'accordent fort bien, & que chacune de ces couleurs fe mêle a 1'autrej „mais que le verd a teinte rouge fupportera une bien plus grande quan„tité de verd clair que de verd foncé, & nefemêle pas fi bien, cefem- „ble, avec le verd blanc qu'avec les autres." C'eft fur des ob- fervations de cette nature que 1'artifte jardinier doit fonder fes compofitions, En'mariant les couleurs il faut faire une attention continuelle aux figures; fuivant les préceptes très-juftes de ce même obfervateur clairvoyant '„II faut," dit-il, „éviter avec Ia plus grande attention, qu'elles „ne forment pas de larges bandes les unes derrière les autres: mais il „faut qu'elles foient parfaitement fondues enfemble, ou ce qui eft ordi^nairement plus agréable, que de grandes & belles pieces de différentes „teintes foient placées a cóté les unes des autres en différentes propor„tions. II ne faut pas vifer a. 1'exaditude dans les contours, on n'y par„viendroit pas: mais fi les grandes lignes extérieures font bien tirées, de „petites variations produites par les inégafités qui fe trouvent dans la hau„teur des arbres, ne gateront rien." . . . Ces remarques regardent les bofquets êVles bois comme maffes confidérables de feuillage, & ce n'eft auffi. que la qu'il faut chercher Ie eontrafte des couleurs qui feroit d'une énergie équivoque & peu fignifieative dans des petits grouppes & des buiffons. Cé n'eft que dans des parties vaftes & dans un certain éloignernent que Ie eontrafte peut exercer fon effet avec une vigueur convenable, comme par exemple lorsque les ténebres d'un bois de fapin font a cóté de la clarté que jette ie *) L'art de fèrmer' les jardüï3 modernes, page' 43* 9  Seconde Section. Ie jeune grain'qui commence a poindre, ou que'la feuille naiffante'du chêne paroit auprès d'une forèt de hètres dont la verdure hative commence a fe rembrunir. Mais dans les maffifs 8c les petits buiffons doit régner un mélange doux & agréable de peu de couleurs, quifemarient aifémentenfemble,& fe fondent 1'une dans 1'autre comme celles de Parc-enCiel Souvent un grouppe a une fi petite circonférence, 8c une telle fituation qu'il ne fouffre qu'une feule couleur fimple. Veut-on amufer par 1'oppofition des couleurs, on peut faire corirafter les grouppes enfemble en les ramaffant, vu que le dcfaut de place ne permet pas dele faire dans un feul. Dans ce cas on les plantera en obfervant ce qui a été dit plus haut de la Iiaifon & des dégradations réciproques des verds, & on les diftribuera 8c placera de maniere que 1'enfemble faffe un tableau continu 8c féduifant. L'expérience nous enfeigne que plus Ies'objef: s'éloignent plus ils deviennent confus. D'après cette obfervation, de deux grouppes également diltants, celui qui fera d'un verd plus clair parokra plus éloigné que celui d'un verd plus foncé. La nature du fond caufe une nouvelle différence. Une montagne, plus encore une chaine de roes pelés, qui s'éleve derrière un bois ou une plantation, augmente leur obfeurité, au lieu que Péclat de Phorizon azuré la diminue. On peut encore faire fuir d'avantage les objets en augmentant graduellement la teinte verte dont ils font revêtu. Enfin 1'entente du clair-obfeur eft auffi dans 1'art des jardins un moyen fécond de rapprocher 8c d'écarter en apparence les différentes parties des forèts. L'artifte jardinier doit autant' que le'payfagifte poneder le talent de réfléchir fur toutes fortes de relations, 8c avoir un ceil pénétrant 8c un fentiment fur des différents effets que produifent dans une compofition les mafïes, les rapports 8c les contrafles. II faut qu'il étudie lui-même affidument 1'art de peindre'. avec les feuillages qui eft une branche délicate 8c peu pratiquée encore de 1'art des jardins; 8c il faut qu'il Pétudie d'autant plus que nous ne pouvons lui donner ici que quelques indices fur  Des arbres & des arbriffeaux, ou arhtfies. «5 fur une chofe fi compliquée 8c oü presque tout dépend de Pexpérience Sc de Pobfervation. b- Scenes bocageres. Même dans les bofquets Sc les bois non embellis encore par Ie goüt, 1'ami de la nature rencontre de 1'amufement Sc des plaifirs variés. Tantöt il fe promene fous les voütes fombres que forment des arbres touffus, Sc il y refpire une fraicheur reftaurante ; tantót il foule un gazon découvert d'oü il voit en liberté le fake élevé des arbres Sc le ciel Tantöt il eft occupé du jet vigoureux 8c de Ja'hauteur des arbres; defécorce liffe qui garnit les tiges; de la richeffe 8c de la forme des branches,' 8c de la maniere dont elles fe dreffent ou fe penchent, 8c offrent un afpecl embarraffé ou léger; de Ia clarté Sc de Pobfcurité, de Ia grandeur Sc de Pélégance du feuillage; enfin des jeux admirables du jour 8c des ombres. Tantót il eft égayé par la variété 8c Pair animé des buiffons, des plantes Sc des fleurs qui décorent le fol. Ils s'étend auprès de ces objets fur la tendre peloufe, s'y perd en contemplations Sc refpire les douces odeurs dont ils recompenfent fon attention. Ici fejouentautour de lui de jeunes effaims d'infecles diaprées: la un oifeau inconnu voltige devant lui dans le fentier, regarde Pétranger inattendu avec autant de curiofité qu'il en eft regardé, 1'attire par un fautillement amical 8c un air en apparence apprivoifé, trompe fubitement fon attente en Tome II. I s'en-  (35 Seconde Seclion. s'envolant, & entonne fur une cime que fon aile légere atteint a linftant, des chants fans arts a 1'honneurde la liberté: d'autres fe joignent en concert, & un mélange aimable d'accents enjoués interromp tout a coup le filence qui régnoit dans ces bocages, & fait rétentir les échos d'alentour. La folitude fe change en un féjour délicieux peuplé de créatures heureufes qui célebrent la liberté & 1'amour; & un fentiment de volupté noble qu'infpire 1'idée du créateur de tout remplit le cceur de lobfervateur fenfé. II porte fes pas plus loin, & voit un demi-jour s'étendre majefhjeufement devant lui; il s'approche, & un coude fubit le frappe par un afpeél riant. II apperqoit de loin 1'agitation joyeufe de la moiffon, & entend rétentir les chanfons d'amour qui fortent de la bouche ruftique des faifeufes de gerbes. Tantót une ouvermre pittoresque i'arrète & conduit de grouppe en grouppe fes regards,. a travers mille mouvements des jours & des ombres qui fe jouent, jusqu'a un fond montueux. Enfin il fe repofe & porte la vue dans un creux qu'occupe une fombre refruite oü murmure une cafcade dérobée a fes yeux. Cependant le jour fur fon déclin prépare a cette fcene le plus fuperbe embelliflement. Tandis que la rougeur du ciel colore les cimes des arbres, une clarté plus douce fe répand de branche en branche fur tout leur feuillage mitoyen & fur celui des buiffons; les feuilles extérieures s'enorgueilliffent de leur luftre, & les intérieures paroiffent jaloufes & s'avancer pour avoir part a cette charmante parure; un doux reflêt fe joue ca & la fur le terrein, & le plus petit brin d'herbe fe redreffe au regard fouriant que lui jette le Dieu du jour en fe couchant. Enfin, pendant que 1'ceil enivré fe repait de la beauté de cette décoration, la mufique fi ^uiffante du cor de chaffe qui s'étend dans ce féjour & fait répéter fes tons aux échos, vient potter 1'enthoufiasme dans 1'ame & mettre le comble aux transports qu'infpire cette fcene. Et ce n'en eft pas une imaginaire; c'eft la nature elle-mème & fans fard; encore ne 1'eft-ce pas toute entiere, mais en petite partie: & cependant que font vis-a-vis de ces tableaux toutes vos charmilles élevées & vos longues avenues, ó vous feclateurs aveuglés d'un art frivole? Afa <#  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. <5y A fa place faites approcher Ie bon goüt pour embellir modeftement les bois. II ne défigurera, ne bouleverfera rien; il ne faura que choifir les fcenes deltinées par la nature a différentes efpeces d'amufements Sc deplaifirs; il faqonnera les difpofitions qu'elle luipréfente, 8c enrenforcera les effets. Ici il ouvrira une fcene pleine d'attraits. De jeunes arbres déliés environnent de leurs grouppes le pied d'une colline ondoyante, qui a travers une ouverture que préfentent les arbres les plus élevés domine un afpeél raviffant de monts Sc de bois lointains, au milieu desquels reluit un lac limpide. Les autres cótés de la colline font ombragés par des monticules boifés. Sur fon fommet arrondi s'éleve un élégant cabinet de plaifance auquel les graces mêmes ont mis la main. Alentour les plusaimables fleurs exhalent leur parfum; elles brillent au milieu de la mouffe fraiche qui tapiffe toutes les pentes de la hauteur. Entre les fleurs autour du cabinet, 8c jusqu'aux grouppes d'arbres qui décorent le pied de la colline, font répandus cja 8c la de petits arbriffeaux fleuris qui augmentent la bonne odeur de ce canton, 8c font entre-mèlés de fleurs de la grande efpece 8c dont les nuances font vives & variées. Du haut des monticules boifés qui répandent un melange de jour & de ténebres, refonnent les foupirs fouvent interrompus d'un roffignol folitaire: tout fe tait dans les environs, hors le chantre ailé, 8c le gafouillement d'un ruifleau qui fe joue entre des cailloux. Tout eft tranquille, doux 8c calme; la nature entiere ne refpire que la paix; elle paroït ici enfoncée en elle-même 8c occupée a Ia voluptueufe jouiflance de fes propres attraits. Heureux féjour des ames tendres, qui goüterent en ce lieu pour la première fois, parmi les fleurs 8c les plaintes de philomele, les douceurs de 1'amour! Une autre fcene eft principalement vouée au repos 6c a la réflexion. Nul objet important ou animé qui attire 1'attention de 1'ame; nul loin- I 2 tain  68 Seconde Settion. tam qui la diftraife. Une petite place entourée d'un épais tiflu d'arbres, une eau paiüble oü ils mirent leurs tètes, un cabinet confacré a la ledure & a ia réflexion & pourvu d'autant d'ouverture & de lumiere qu'il eft néceffaire pour diftinguer cette fcene d'une fcene mélancolique, fuffifent ici. Les Deux oü 1'on veut jouir des plaifirs de la mufique ou de la danfe ne demandent point de lointains; un fite tranquille 6c folitaire leur con-  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. 69 convient mieux. Mais outre 1'édifice, il faut une place libre & commode, oü 1'on puiffe fe promener, & un ombrage agréable. Les délices de Ia table redoublent d'attraits dans un bois; on peut choifir des lieux expres pour cet ufage. La fituation en fera dégagée & ornée d'afpeéts riants; la fortie d'un bois fur une hauteur d'oü 1'ceil peut errer dans le vafte payfage y paroit fur-tout propre. On eftréjoui par la beauté du coup d*ceil, on eft entouré d'air fraix, de liberté, de gayeté & de la muhque des chantres ailés. Le'batiment peut avoir I 3 la  ^0 Seconde Sehlion. la forme d'un tempte, afin de former ün bel objet en perfpeéuve. Une promenade découverte au devant fert aprendre du mouvement après les repas. Des fcenes bien plus nö&'es encore, des fcenes intéreffantes non uniquement pour les fens & Mmagination, mais auffi pour le cueur, peuvent s'offrir dans un bois. Nous connoiffons 1'effet des cantons oü regne la douce mélancolie, oü 1'ame eft, pour ainfi dire, reconduite en elle-même par la tranquillité 8c la folitude; oü elle fe trouve plus dispofée a fe livrer a de douces rêveries; a fe concentrer délicieufement en elle-mème; a fe retracer la mémoire tout a la fois douloureufe & agréable des jouiffances paffées de la vie, de ces jours qui fe font évanouis & nous font cependant encore préfents, de ces événements qui nous furent chers 8c qui nous attendriffent encore, de ces accidents dont nous nous rappellons aujourd'hui 1'ifiue avec étonnemenr — a repaffer fur  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbuftes. fur nos fentiments les plus chéris 8c que tous les cceurs aiment k diftinguer dans le cercle de leur exiftence, ne fut-ce que comme de fimples retours d'imagination — k jetter fur le ténébreux avenir ces regards férieux & incertains qui décelent la timide efpérance. On fent ce que 1'on a été, 8c 1'on fe doute de ce que 1'on fera. Nous n'ignorons pas jusqu'a quel point un canton naturel a par lui-mème 1'énergie nëceffaire pour mettre 1'ame dans cette fituation, & avec quel empreffement il eft vifité par des cceurs fenfibles. Si de plus on 1'ordonne d'une maniere qui s'accorde avec fon caractere, qui réveille d'avantage la réfiexion, qui tende plus k produire une émotion déterminée de 1'ame, il n'eft pas douteux què ce canton n'acquiere une impréffion irréfiftible. L'on peut ainfi faire nakre toute forte de fentiments nobles Sc importants. On peut faire rentrer 1'ame en elle-même; on peut, en luiretracant un mérite étranger, la remplir d'amour, d'admiration, d'émulation. Des monuments funebres font fur-tout propres a. cet effet, Sc ne font presque jamais mieux placés que dans la partie fombre 8c folitaire d'un bois. On  Seconde Settion. 1* On peut méme y placer des tombeaux. Depuis combien de temps nes'eft-onpas déja récrié contre lacoutume barbare de faire pourrir les cadavres pres des maifons des villes, & même dans les temples confacrés a la divinité? Les enterrements hors des cités, quele moine accorda fans peine en Italië a un fage gouvernement, & que le clergé demanda inftamment en France, 1'Allemand, qui fe targue tant de fa liberté, 1'Allemand n'a fait que les louer fans les introduire. Seroit-il cependant rien de plus facile & de plus convenable que de voir le poffeffeur d'une terre placer dans un endroit de fon pare, ou dans un bois, un cimétiere au moins deftiné a fa familie, & d'arranger ce lieu de maniere qu'il nourrit & foutint les fentimens moraux. Avec quel profond attendriffement fappergoisicile tombeau deRouffeau, de cet homme fi attaché a l humanité dont il eut tant a fouffrir! Son efprit eft élevé au deffus de ce diéatre & parcourt des régions plus 1 heureufes,  Des arbres & des arbriffeaux', ou arbujles. ^ heureufes, mais fa dépouille terreftre repofe ici en face de Ia nature, qu'il décrivit avec autant de vérité qu'il Ia fentoit. A lui, a qui la France dut la première aurore qui fe leva fur fes jardins *), étoit deftiné, non un fimple monument, mais une fépulture dans un pare que fon ami, le Marquis de Gérardin planta a Ermenonville a dix lieues de Paris, avec tout le goüt qu'il a montré dans fon ouvrage fur les jardins **). La, fous Ia protecfion de la plus noble hofpitalité, al'abri de Ia perfécution des prêtres 8c des efprits forts, Rouffeau avoit retrouvé la paix du fage qui fe fuffit a lui-mème, „la il paffa les derniers jours „de fa vie dans une petite maifon voifme . . . . du chateau, mais fé„parée des arbres, & tenant a un bofquet, dans lequei il alloit chaque „jour fe promener Sc recueillir des plantes." Maintenant il y dort jusqu'a la fin de Ia plus longue des nuits, „la face tournee vers le lever du „foleil, dans 1'ile que 1'on appelloit l'ile des peupliers, & que 1'on appel„le a préfent \Elyfée. L'eau qui 1'entoure, coule fans bruit; le vent „femble craindre toujours d'en augmenter le mouvement presque in„fenfible. Le petit'lac qu'elle forme, eft environné de cóteaux qui Ia „dérobent au refte de la nature, 8c répandent fur cet afyle un myfte* „re" qui n'a rien de fombre ou de trifte, „mais entraine a la mélan„colie. Les cóteaux font chargés de bois & terminés au bord de l'eau „par des routes folitaires, dans lesquelles" il ne manque pas d'étrangers fenfibles regardant l'Elyfée & quelquefois traverfant l'eau pour s'y rendre. Au milieu s'éleve au deffus de ces faintes reliques „un mau„folée de fix pieds de haut Sc d'une décoration fimple, mais belle."***) De *) Voyez i Vol. p. 149-152. II mourut le 2 de Juillet 177S. **) Voyez 1 Vol. p. 154. La defcription critique d'Ermenonville fe trouve dans la Théorie des jardins, 8- Paris, 1776. p. 23Ó &c. ***) Voyez la Gazette littéraire de 1'Europe. Oétobre 1778. Tornt II. K  ^ Steunde Settion. De hauts peupliers fortent d'un terrein tapiffé de gazon &' orné de quelques rofes, & forment un ombrage vénérable qui fe prolonge encore en fe réfléchiffant dans l'eau paifible. Et 1'idée: ici .repofe Rouffeau, renferme tout ce qui pourroit augmenter.la folemnité touchante de cette fcene. Souvent un fimple monument peut rappeller des fouvenirs très-intéreffants. Qyel ami de la promenade folitaire ne feroit pas vivement ému, en rencontrant dans un bois un maufolée érigé k un homme digne de fon eftime! Surpris il s'approche & reconnoit celui dont on a confacré ici le mérite. II voit cette marqué extérieure, qui facilite les fouvenirs de 1'ame, fe dérober modeftement aux yeux entre des arbres touffus, image de rhommequi étoit tout en foi & cherchoit k fe cacher en lui-même. Une épaiffe enceinte d'arbres entoure ce féjour. Au milieu repofe une eau paifible, d'oü découle avec un doux murmure un petit ruiffeau qui fe gliffe au pied du monument. La lune fe leve fur les bofquets, & y répand une lumiere qui a quelque chofe de folemnel; elle femble retarder fa courfe dans le ciel pour regarder ce lieu révéré. Sa face pale fe mire dans les eaux, & le jour argenté qu'elle jette s'infinue entre les arbres & les buiffons, & éclaire le tout d'une aimable lueur. Le maufolée mème femble fe réjouir du doux lullre qui le releve ; le papiUon, image de 1'immortalité, devient vifible, & 1'idée de la mort perd de fon effroi. On n'entend aucun fon; par-tout regnea 1'entour un profond & majeftueux filence. Pénétré de I'iropreffion que fait cette fcene, enfoncé dans les réflexions & la douleur, 1'obfervateur fenfible s'appuye contre un chêne voifin, porte les yeux vers 1'endroit oü la lune éclaire le .nom de Sulzer *); il détourne la vuej une larme tombe! On *) Les voeux que je faifois a la fin de 1'avertiffement du i volume n'ont pa« été exaucés: il mourut le 25 Février 1779.  Des arbres'& des arbriffeaux, ou arbuftes. 75 On peut ennoblir encore plus les êmotions de 1'ame en plagant dans les bofquets & les bois des chapelles, édifices propres a la dévotion & k Ia priere, & qui dans ces lieux peuvent être du plus grand effet. On fait de quelle vénération les anciens Germains & d'autres peuples Celtes étoient pénén-és pour leurs bois facrés. La hauteur formidable & I'antiquité refpedtable des chènes couverts de mouffe, le filence majeftueux, t'obfcurité, le frémiffement refpeftable des cimes qui alloient fe perdre dans les nues, produifoient malgré le défaut de goüt & 1'apreté des mceurs une impreffion irréfiftible fur ces cceurs difficiles k émouvoir; & avec du K 2 goüt  ^5 Seconde SeUiom goüt & du jugement, on peut encore faire naitre cette mème imprefRon propre a de nobles effets. Lorsque nous entrons fous des voütes ténébreufes de feuillage, le repos fe répand fur tous nos fens: notre amefe trouve foudain dans une fituation qui lui fait rctirer fon activité en ellemême; bientót elle ne s'occupe plus que de foi, elle commence a fe livrer entiërement a. 1'imagination, k rappeller d'anciennes idees, a en créer de nouvelles. La myftérieufe obfcurité, la profonde folitude, & le repos qui offre toujours quelque chofe de folemnel, joints aux grands objets de la nature, ne laiffent pas que de remuer puiffamment 1'ame dans cette fituation, d'enfanter des émotions conformes k tout ce qui s'offre extérieurcment, & d'étendre leur action jusque fur les réfiexions les plus délicates de 1'efprit. Et ces fenfations préparatoires, ce friflbn religieux, s'accordent très-bien avec les mouvements rélevés que produifent en nous 1'idée & 1'adoration de 1'être fuprème, la contemplation de fa grandeur & de notre dépendance, le fentiment de fes bienfaits, & la penfée triomphante qu'il eft un autre monde au dela de celui-ci. L'abondante diverfité des plantations poflibles d'arbres que nous avons obfervée jusqu'a préfent, peut encore être confidérablement augmentée par le goüt & par un génie créateur. Et de quelle variété de fcenes  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. ?7 fcenes 8c d'amufements n'auroit-on pas pu enrichir les jardins! Mais 1'art antique, qui paroiffoit avoir de l'averfion pour les attraits multipliés de Ia nature, prit une route oü 1'on ne pouvoit trouver que de 1'uniformité fous une vaine apparence de pompe. Nous allons jeter encore un coup d'ceil fur 1'ufage que 1'on faifoit ci-devant des arbres 8c des arbriffeaux dans les jardins, moins dans le deffein de pourfuivre d'anciens abus par une nouvelle critique, que dans celui d'examiner fi 1'on ne pourroit pas en tirer encore quelques inftruélions utiles. aa. Arbres. L'ancienne maniere défiguroit jusqu'aux arbres ifolés. On oublia que 1'art n'eft jamais plus révoltant que lorsqu'il veut contraindre les objets de la belle nature a prendre des formes forcées. Un bel arbre qui déploye librement 8c négligemment fes rameaux Sc fes feuilles, plait a tous les yeux non gatés encore; mais il faut qu'il déplaife dés que la main téméraire du jardinier le taille artiftement en globe, en pyramide, en vafe, Sc en mille autres figures ridicules. On ne fe contenta pas de rendre difformes les arbres détachés; on fit des cabinets, des falies a manger, des couvents, des théatres, des arcs de triomphe de verdure; on tenta tout pour pouffer auffi loin qu'il étoit poffible ces enfantillages, Sc toujours dans la finguliere idéé de produire des beautés convenables aux jardins. bb. H a i e s. Cetefprit de raffinement qui commencoit aux objets ifolés, s'étendit jusque fur les compofitions. On planta des haies, qui en réveillant 1'idée de clóture ont quelque chofe d'angoiffant, Sc qui transformées en murs deviennent trés - choquantes. Leur multitude rendoit les jardins humides Sc triftes. La monotonie étoit leur apanage. Pour rémédier a K 3 ces  0 . Seconde Seiïion. ces impreffions fatigantes on métamorphofa en fïgures humaines Sc animales, Sc en cent autres auffi ridicules, quelques arbres qui s'avanqoient en faillie hors des haies. _ Tout cela préfente peu cfamufement 8c encore moins d'inftruéhon. Rien ne fqauroit donc nous empècher de rejeter entiérement les haies artiftement tondues, fur-tout vu que, mème dans de petits jardins, des arbriffeaux 8c des buiffons croiffant avec leur liberté naturelle, font preférables .de beaucoup, tant pour garnir les promenades, que pour masquer des afpeds désagréables. cc. AH è e s. Lorsque les allées, compofées d'arbres tandis que les haies le font d'arbriffeaux 8c de buiffons, offrent ainfi que cesdernieres les traces des cifeaux du jardinier le long de leurs cótés 8c fur leur fuperficie, elles doivent fe ranger dans la mème claffe. Mais lorsqu'elles préfentent fimplement un plan régulier, oü chaque arbre conferve 1'aifance de fon cru fans altération artificieile, elles ne font pas a condamner toutes fans exception, 8c méritent que nous les examinions de plus prés. i. II eft certain que 1'art le plus ancien a commencé par planter les arbres dans un certain ordre. Si Ie quinconce n'a pas été précifément la première diftribution adoptée, au moins étoit-il a coup für aimé par les Romains qui paroiflent 1'avoir tenu des Perfes. C'eft ainfi qu'étoient plantées les allées de ces premiers, tandis qu'au contraire les petites haies, fur-tout arrangées comme elles le font aujourdhui, ont été inventées par les Francpis, 8c fe font enfuite répandues plus loin. Le quinconce eft régulier, 8c cependant lorsqu'il eft compofé, ilfournit une certaine variété 8c une certaine augmentation dé vues. Dans les temps plus modernes on a principalement employé la distribution oü deux longues lignes droites font formées d'arbres en regard. On  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. 79 On peut objecter fans doute que cet arrangement n'eft pas affez naturel; qu'il ennuie a la longue, & qu'un jardin qui n'a que des allées droites offre une apparence roide & monotone. On fentit ce désagrément, & 1'on introduifit dans les jardins modernes une alternative répétée d'arbres & d'allées, de buiffons & de petits grouppes, ou bien, après une foule de diftributions artiflcielles, on laiffa peu a peu les jardins fe perdre dans une maniere plus négligée & plus ruffique. Cependant les allées ont encore leur mérite, & avec de certaines reftri&ions elles plaifent toujours. Elles ne paroiffent pas tout-a-fait contre nature, pourvu qu'elles ne s'étendent pas trop loin. Car ne voyons-nous pas fouvent dans un bois les troncs arrangés fuivant un ordre apparent? mais la ligne qu'ils décrivent eft bientót rompue. Tout dépend, ou de diminuer la trop grande régularité par quelque petit changement, ou de planter des allées dans des lieux oü 1'apparence mème de la régularité ne produit aucun effet rebutant. 2. On peut fur-tout rompre la régularité en faifant quelquefois fuccéder la ligne ondoyante a la droite. Enfuite on peut s'aider de la diverfité des efpacements, des hauteurs, des jets, & des feuillages. Que tantót donc les arbres fe rapprochent, & tantót s'écartent; que tantót ils foient plus & tantót moins hauts, & tantót fuccédés par de foibles buiffons; qu'ici les feuillées fe compriment en voute, & la laiffent un paffage au jour; qu'ici paroiffe une coupure, la un angle, & la une continuation élégante en ligne droite. Plus une allée eft longue, plus on Ia regarde ordinairement comme belle. Cependant une longueur trop grande fatigue par le yuide qu'offre fon immenfe étendue. L'ceil fe perd dans cette efpece d'infini apparent, fans être arrèté par aucun objet qui puiffe 1'occuper. On devroit quelquefois ménager un petit coude au bout de ces longues allées, enforte que la vue n'en appercut pas la fin; la perfpedtive fe perdroit, il eft vrai, ■mais 1'imagination s'exagéreroit 1'étendue du lieu, & 1'idée de folitude ie renforceroit. _ _ Une  o0 Seconde Seïïion. Une avenue droite & courte n'eft point déplacée en elle - mème devant une maifon de campagne. C'eft ici qu'elle peut s'étaler dans toute fa régularité, le batiment répandant dans fes environs une idee d'art, d'ordre, & d'exaclitude qui fe communiqué au voifinage. Sous les voütes de fes arbres réunis, l'habitant trouve une promenade commode pendant la chaleur ou la pluie, un fiege rafraichiffant & dégagé, & quand. il le juge a propos un réfe&oire. Cependant il eft fur que de petits grouppes épars autour d'une maifon de campagne rendent les mèmes fervices, & bien plus encore celui de montrer le batiment a travers différentes ouvertures pittoresques. Rien n'eft plus commun que des allées droites en avenues devant des chateaux & d'autres lieux oü refide la nobleffe. Et elles font recommandées pour cet ufage tant par la commodité que par 1'envie que nous avons de parvenir bientót, & fans qu'aucun détour nous retarde, a un objet déterminé, but de notre mouvement & centre de notre repos. Si cependant 1'allée continuoit long-temps en ligne droite, on éprouveroit un certain mal-aife caufé par 1'uniformité de Favenue & par 1'éternelle immobilité du batiment, toujours a la mème place devant nos yeux "fans le moindre changement, & dont l'afpect. eft rétréci & dépouillé d'apparence par 1'allée même. Cette uniformité choquante fe fera bien "plus fentir encore dans un chemin oü toute vue eft mafquée des deux cótés, & oü 1'ceil ne peut chercher a fe diltraire de fon chagrin & de 'fon ennui en fe détournant fur les objets adjacents. De plus, la ligne droite partage le terrein en deux parties désunies, & gate le plus beau fite. Home *) a déja confeillé par cette raifon de préférer un chemin oblique & en ligne ondoyante, garni d'arbres ifolés & d'autres objets épars. Dans une avenue finueufe tout ce qui eft interpofé femble met'tre la maifon en mouvement 5 elle marche avec le voyageur & paroüt diriger fa route de maniere a venir, pour ainfi dire, le recevoir avec une hofpitalité amicale. La variété y gagne auffi; le batiment s'offrant perpé- .*) Elements of criticifm, dans le chapitre qui traite des jardins & de 1'architefture.  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. g i perpétuellement fous divers points de vue, on diroit qu'a chaque pas il prend une nouvelle forme. Chaque efpece d'avenue a donc fes avantages; la directe eft commode; 1'ondoyante, variée. L'avenue eft-elle courte, il faut fans doute préférer la ligne droite; 1'autre demande un plus grand efpace pour faire un bon effet. Des avenues d'une longue étendue ne fgauroient fe paffer de finuofités ni de diverfité. 3- Un beau modele en ce genre fe trouve en Angleterre a Caversham prés de Reading, campagne appartenant au Lord Cadogan: on en lira ici avec plaifir la defcription tracée par la main d'un grand connoiffeur. *) „Quoique l'avenue de Caversham n'ait qu'un mille de longueur, & „qu'elle ne préfente la maifon pour point de vue, que lorsqu'elle en eft „fort prés, on ne'peut fe méprendre fur fa deftination. C'eft le feul „paffage au travers du pare qui foit parfaitement diftingué, & marqué „dans toute fa longueur avec la plus grande précifion. Les deux cótés „de 1'entrée font ornés d'un pavillon élégant, dont 1'intervalle eft rem„pli par une belle paliffade ouverte, & croifant toute lalargeur d'unjo„li vallon. L'avenue ferpente dans le fond fur un terrein dont les in„égalités font trés-douces, & tous les détours préfentent quelque fcene „nouvelle. Cette route agréable fe termine obiiquement a une petite „colline, fur laquelle eft fituée la maifon. Qiioique cette éminence foit „réellement très-élevée au deffus du niveau de la plaine, elleparoit peu „confidérable, paree qu'on y eft monté infenfiblement & fans jamais „fortir du vallon. L'avenue ne coupe aucune des fcenes qu'elle traverfe. „Les plantations & les percés fe continuent fans interruption, en croi- „fant *) Whately. Voyez 1'Art de former les jardins medernes &c. p. 185 & fuir vantes. Tornt II. L  g2 Seconde Seïïion. „fant le vallon, dont les cótës oppofés font parfaitement lies 1'unal'au„tre, & confervent leur rapport fans fymmétrie 8c fans eontrafte. II „ne paro'it pas que dans la difpofition des objets on ait fait quelque attention au chemin, & les différentes fcenes fe rapportent toujours au „pare. Chacune en particulier eft confervée toute entiere, & fe déploie „dans toute fon étendue. Le commencement de la defcente du chemin „dans le vallon eft trés-doux, & parfemé d'un petit nombre de grands „aubépins, de hètres 8c de chènes, dont les intervalles font remplispar „la perfpective qu'offre la fmuofité du vallon. Dans 1'angle du prebier détour, fur une élévation trés-hardie, eft fufpendu un vafte maf„fif qui diminue en defcendant, 8c fe fubdivife en grouppes toujours plus „petits, jusqu'a. ce qu'ils ne foient plus que des arbres feuls, qui abou„tiffent a un charmant bocage fur le fommet oppofé. Le chemin paffe „entre les grouppes, fous un fuperbe berceau de frènes, pour entrer „dans une clairiere tranchée a gauche par un feul arbre, & a droite par „quelques hètres fi rapprochés les uns des autres, qu'ils femblent n'en „former qu'un feul. Cette clairiere eft terminée par un joli bocage, qui „préfente d'un cóté une obfeurité profonde, 8c de 1'autre, fe divife en „différens bouquets, qui donnent paffage a desmaffes.de lumiere. Ce „bocage vient gagner le bord, & couvre en partie le penchant d'un petit „vallon qui nait du premier, 8c fe dérobe infenfiblement a la vue. Le fond „en eft plus bas 8c plus applati que celui du vallon principal. Les bords de „ce dernier prés de la réunion, s'adouciffent beaucoup; mais ceux du „cóté oppofé font efcarpés 8c couverts de maffifs, parmi lesquels d'une „éminence, dont la forme eft trés-agréable, defcendent deux ou trois „grouppes de beaux arbres qui viennent remplir le fond, 8c dont les „branches pendantes rendent ce point de vue plus agréable. A tous „ces objets fuccede un efpace ouvert, diverfifié feulement par quelques „arbres répandus qa. 8c lk, 8c dont le milieu eft marqué par ungroup„pe de beaux hètres qui fe croifent 8c ombragent l'avenue, qui les tra„verfe, en profltant de I'intervalle étroit 8c obfeur que forment leurs ti„ges. A quelque diftance de la, après avoir traverfé un bois fort épais, „elle  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. „elle s'éleve rapidement jusqu'a cette partie du jardin qui touche Ia mai„fon, d'oü 1'on découvre tout k coup une des perfpeétives les plus ri„ches & les plus vaftes. On voit k plein Ia ville & les temples de Rea„ding, & les hauteurs de Windfor rafent 1'horizon. Un femblable point „de vue, qui eüt terminé une longue avenue en droite ligne, auroit k „peine balancé Pennui d'une promenade auffi uniforme; mais la route „qui conduit k Caversham eft auffi agréable que la fcene qui Ia termine. „On pourroit peut-être y blamer un peu d'uniformité dans le fiyle; mais „ce défaut eft couvert par cette grande quantité de plantations ouver„tes, jettées fans confufion, & formant différentes fcenes, toutes mar„quées par quelque particularité. L'une eft caractérifée par un bocage, „la fuivante par des maffifs, d'autres par de petits grouppes, oudes ar$,bres ifolés: les bois couvrent quelquefois le fommet & fe dérobent k „nos yeux; quelquefois ils paroiflent fufpendus fur les bords, les cótés „& le penchant. Ici le fond eft clair-femé, la tout le vallon eft entié„rement rempli, fouvent les intervalles préfentent des tapis verds affez „étendus; d'autres fois ce ne font que de petites clairieres dans les bocages, „ou des percés fort étroits qui s'ouvrent au milieu d'un bois. Le ter„rein, fans être coupé en parties trop petites, fe divife en une infinité „de formes élégantes, qui paffent infenfiblement de Ia pente Ia plus dou„ce a la chüte la plus précipitée. Les arbres même font de différentes „efpeces, & leurs ombres fe peignent par les gradations & les teintes „les plus variées; celles des maronniers d'Inde font très-épaiffes & très„fortes. Les hètres en général répandent un ombrage moins obfeur, „mais plus étendu: ces arbres font quelquefois fi vaftes, & forment des „fuites de maffifs fi prodigieufes, qu'ils jettent des ombres affez profon„des pour marquer chaque arbre en particulier. Les intervalles font „fouvent remplis par d'autres efpeces. Les érables font fi grands, qu'on „les diftingue mème auprès des plus grands arbres. Des aubépins fort „touffus, quelques chènes, & beaucoup de tüleuls, peut-être trop nom„breux, feuls reftes des anciennes avenues, entrent dans ce mélange. „On y voit auffi des frènes extrèmement élevés, dont le feuillage clair L 2 „eft  Seconde Settion. „eft légérement réfléchi fur le gazon, quitapifTele terrein inférieur, pendant que leur verdure particuüere diverfifie les nuances des grouppes „dont ils . font partie." 4- Cependant on peut trés-bien fe paffer d'avenues en allées devant les maifons de campagne. Elles feroient mème d'un effet désavantageux pour plufieurs fituations dont le caractere eft d'être dégagées & aérées. On les a fur-tout introduites autour d'habitations qui giffent dans la plaine. Souvent elles mafquent 1'afpeét d'un beau batiment lokitain; confidérées depuis la maifon, elles empèchent encore quelquefois toute vue riante du payfage, & répandent un air morne fur le féjour des, plaifirs. Cette mème impreffion, qui s'accorde fi peu avec des maifons de campagne oü regne la gayeté, eft caufe que nous voyons avec plaifir de hautes & larges allées fervir d'avenues a d'anciens chateaux gothiques. Non feulement elles font a leur place, mais elles ont encore cet air refpeétable & folemnel que nous avons coutume de trouver aux voütes altieres & aux longs corridors fombres des cathédrales & des couvents. La hauteur & 1'obfcurité élevent 1'ame: elle fe croit transportée dans les temps de la vénérable antiquité. Ces arbres qui cachent leur mouffe dans les nues, & fubfiftent depuis des fiecles tandis que des générations entieres ont péri, ces fortes & lourdes maffes de mur, ces habitations détruites jadis féjour des héros; ces traces ca & la vifibles de la violence & de la foibleffe du temps, de caducité & de durée, de rufticité dans le fentiment & d'une faine énergie dans le bon fens — tout enfemble cnfante un mélange d'émotions très-intéreffantes, & oü fe fuccedent 1'étonnement & la crainte, 1'adiniration & la pitié, la vénération & 1'eftime de foi-mème. Les allées baffes & obfcures, que 1'on a fouvent coutume de défigner par le nom d'allées des philofopties, doivent ètre en Iiaifon avec des fcenes du même cara&ere, par exemple avec des grottes, des hermitages;  Des arbres & des arbrifeaux, ou arbujles. 85 mitages; ou bien elles doivent y aboutir ou en partir. Elles font des appartenances d'une partie particuliere, & doivent par conféquent demeurer dans les limites convenables. A une certaine diftance de la fcene de laquelle elles dëpendent, elles peuvent même fervir a caufer de la furprife, en préfentant tout a coup des perfpectives riantes. On avouera au refte fans peine que la maniere naturelle de diftribuer les arbres & les arbriffeaux que 1'on doit employer, comme nous 1'avons remarqué, dans 1'ordonnance des grouppes, des bofquets & des bois, eft plus conforme au goüt fain de la nature & a Ia deftination des jardins, que les compofitions de 1'art, & doit par conféquent leur être préférée. Les arts, ces efclaves ferviles De nos defirs efféminés, Transportent le luxe des villea Au milieu des champs étonnés. Nos yeux qu'un vain charme fafciue, Sont plus furpris que fatisfaits; ,On quitte les jardins d'Alcine *) Pour ceux que la nature a faits. Pourquoi, dans nos maifons champêcres, Emprifonner ces cïairs ruiffeaux, Et forcer 1'orgueil de ces hètres A fubir le joug des berceaux? Qu'on vente ailleurs l'archite&ure De ces treillages éclatans: Pourquoi contraindre Ia nature? Laiflons refpirer le printemps. Quelle étonnante barbarie D'afTervir la variété Au cordeau de la fymmétrie? L 3 De *) Qui étoient cependant plutót plan- des jardins de Louis XIV, & le contés par la nature que par 1'art. Le poe- tralie eüt été plus parfait, te auroit du choillr, par oppofition, un  gö Seconde SeBim. De polir la rufticité D'un bois fait pour la rêverie, Et d'orncr la fimplicité De cette riante, prairie ? BE RN is. dd. Berceaux. L/art ancien prodiguoit auffi dans les berceaux la fymmëtrie de Tordonnance 8c la pompe des décorations. On les accabloit de trex lales de fculptures & de dorures, 8c a peine le verd feuillage pouvoit-ü ttouver place parmi tout ce bois mort. On les mettoit 1'un vis-a-v* de ïautre avec une exaétitude trés - mal - employee, enforte quon eut dt que Cëtoient des boutiques drefifées k la foire; enfin a leur entree 2 mettoit en fentinelle des fpbinx, des dragons, 8c d'autres figures monllrucufes 8c difformes. II eft frappant combien tout cela choque la nature. Les; berceaux font des lieux derepos voués a la jouiffance de 1'ombrage 8c de la fraicheur k la foUtude 8c k la focieté, aux occupations de lefpnt 8c aux  Des' arbres & des arbriffeaux, ou arbufies. 8? plaifirs de la table. Ils demandent un fite tranquille, également écarté du tumulte & des regards des curieux; une abondante feuillée; 8c lorsque les circonftances le permettent, une vue peu vafte, mais offrant des objets agréables 8c amufants. Dans des lieux boifés, Ia nature compofé fes berceaux de la voüte épaiffe, étendue & affaiffée du feuillage: Partifte jardinier doit tacher d'imiter dans fes ouvrages, cette aifance &- cette négligence fans art. La nature nous indique fur-tout une diftribution noble 8c fans gêne des arbres 8c des arbriffeaux, un feuillage qui s'incline 8c ondoie en liberté & dont Ia voüte fournit 1'ombrage, de petites ouvertures au travers desquelles paffent des rayons qui fejouent agréablement, une mouffe fraiche parfemëe de fleurs, enfin des arbuftes 8c des plantes voifines dont le parfum ranime les fens. L'artifte jardinier doit chercher a faconner tous ces objets avec goüt, non a. les défigurer par des additions mal-afforties & des raffinements frivoles. La fimplicité de Ia nature eft Ie plus puiffant attrait des berceaux: ils ne fouffrent aucune magnificence. Leur mérite fans fafte fe borne modeftement a la beauté des feuilles 8c de leur verdure, a 1'agrément des fleurs, a 1'attrait des ombres & des petits jeux de Ia lumiere qui perce. C'eft dans ce goüt pur de Ja nature que Milton *) nous peint le féduifant berceau d'Eve. „La voüte étoit un tiflu de laurier,'de myrte, & des plus hauts ar„briffeaux, dont Ie feuillage odorant ck durable formoit le couvert le „plus épais. De tous cótés 1'acanthe, & mille petits buiffons exquis „par leur fenteur, paliffadoient le mur verdoyant. Enne les branches „1'iris, nuée de fuperbes couleurs, les rofes, le jafmin, & toutes for„tes de fleurs curieufes élevoient glorieufement leurs tétes parfumées „qui faifoient un agréable mélange. Sous les pieds, la violette, lefafran „8c 1'hyacinthe émailloient Ia terre." La *) Le Paradis perdu de Milton, poè'me héroique, traduit de TAnglois. Paris, 1757. Chant IV.  Seconde Seclion. La mème négligence aimable doit régner dans les allées en berceaux qui ne font qu'une fucceffion ou réunion de berceaux, & qui afLdües de toute furcharge de treillage, & abandonnées a la liberté nitis naturelle de 1'accroiffement & au petit air fauvage qu'il leur donne, L feront foutenues qu'autant que la néceffité, & nettoyées qu'autant "e la commodité 1'exigeront. Des arbuftes a larges feuilles luifantes, l fleurs de couleurs vives & d'un parfum agréable, des plantes farmenteufes, & a fleurs odorantes conviennent ici; & pour porter 1'embelliffement au plus haut degré, on peut les entre-mèler d'arbres fruitiers. Ce n'eft pas un plaifir médiocre que de fe promener fous la voüte fraiche de verds rameaux, de voir ga & la entre les feuilles nreffées une pêche meurifiante, ou une grappe de raifin nous founre; & tantót nous inviter a une douce jouiffance, tantót faire name fefpecance de l'avenir. ce. Labyrinthef. Suivant Home*) les labyrinthes ne font'que des babioles, & il les met au deffous d'une énigme; vü que quand mème les allées & les haïes feroient agréables, difpofées en forme de dédale elles ne feroient bonnes ou'a caufer de 1'embarras; la pénétration ne fervant a rien pour decouvrir Kffue d'un labyrinthe, tandis qu'au moins elle eft un mérite quand on de- vine une énigme. . C'étoit fans doute un emploi vulgaire & aviliffant pour les labyrinthes que Celui de ne tendre qui jetter les promeneurs dans une inqmetudel laquelle lhomme d'efprit & 1'idiot étoient également fujets. De olus les allées étroites & les haies élevées qui formoientles anciens labyrinthes, infpiroient aifément de la crainte au folitaire qui les parcourroit Un vuide perpétuel les rendoit ennuyantes, & 1'expofition d'horriblês ftatues, fur-tout en des lieux oü on les appercevoit fubl£^' *) Elements of Criticifm.  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. gQ devoit, en caufant une frayeur foudaine augmentée encore par I'éloignement du monde, paroitre une forte de cruauté qui autorifoit 1'indignation. Joignez a cela les entrelacements recherchés & artificieux du plan, & 1'on comprendra fans peine Ie peu d'applaudiffement que doivent efpérer du bon goüt les labyrinthes de 1'ancienne maniere. Cependant il eft conftant que des cantons boifés & montueux renferment des dédales naturels, & qu'une fois défaits de Ia crainte de quelque danger ou de celle d'errer éternellement, nous nous plaifons a nous y perdre avec une tranquille indolence, & a nous y Iaiffer aller tantót k de graves méditations, tantót aux jeux magiques de 1'imagination. Une promenade a 1'avanture dans des fentiers nouveaux ou peu connus, fournit k 1'ame une forte d'occupation, tient notre attente en fufpens en Ia trompant tantót plus, tantót moins, & caufe Ie plaifir de la furprife en offrant fubitement une iffue. La nature anime ordinairement ces labyrinthes fauvages par des plantes & des arbriffeaux, dont la rareté ou la beauté attire notre attention , & par de petits ruiffeaux & des oifeaux qui voltigent & chantent ici en toute liberté. On peut tirer de ces dédales naturels plufieurs avantages agréables pour un pare qui embraffe une multitude de cantons, & mème pour des jardins d'une petite étendue, pourvü qu'ils confinent k des montagnes couvertes de bois & k des landes garnies d'arbriffeaux. Mais que 1'art ne tente pas de montrer ici fes forces. La négligence & la rufticité caraétérifent le vrai labyrinthe naturel. L'entrée ne devroit pas, comme dans Tanden goüt, être trop clairement défignée par un treillage, ou une ftatue; pas même par une porte élégante: rien ne doit annoncer la fcene qui fe prépare, ni diminuer par une idéé prématurée qu'on va errer k 1'avanture, 1'effet des impreffions qui doivent fe réveiller dans la fuite. Un petit fentier agréable vous engage k le pourfuivre; il vous attire dans un bofquet fi féduifant que vous ne pouvez plus 1'abandonner. Une fcene qui fuccede vous captive encore plus, augmente Tornt IL M encore  ^0 Seconde Seciio-n. encore votre attente. On s'y perd fans vouloir s'y perdre, & 1'on eft comme entrainé dans ce dédale par un fecret enchantcment. ff. Orangerie.f) Les orangeries, jadis encore plus récherchées dans nos jardins qu'aujourd'hui, valent bien la. peine que nous^en difions ici un mot par ocCtifïon Les arbres cukivés dans les orangeries [font fans contredit au rang des plus nobles & des plus beaux. Leur tige droite & leur jet fuperbe; leur feuilles luifantes & toujours vertes; leurs fleurs blanches & trésodorantes; leurs fruits de, la plus belle teinte, depuis le blanc jaunatre iusqu'au doré, jusqu'au couleur de feu & jusqui la nuance la plus foncée ; la longueur de leur demeure aux arbres, employant quelquefois jusqu'a quinze mois pour meurir, tandis que de nouvelles fleurs s'epanourf- *) Les meilkures inftruftions touchant même un jardin, oü dès le commencement les oranges, les limons, & les citrons, de ce fiecle on .voit commence une „- nue le Chevalier de Linné réunit fous le che colleftion d'arbres de cette efpece, „om générique Citrus, fe trouvent dans & qui en 1714 'enfermoit deja^49 un ouvrage allemand de feu de Mr. de tes d'oranges, l33 delimons, & 38 de Munchhaufen intitulé: Le Pere de famil- citrons. ie, 3me partie. Cet auteur poffédoit lui-  Des arbres & des arbriffeaux, ou arbujles. gi fent entre ces pommes d'or; tout fe réunit pour les rendre'précieux. Auffi, dans leur patrie 8c dans les contrées oü ils croiffent en plein vent, comme dans les jardins du Levant, de 1'Italië & del'Efpagne, ces arbres font fans doute de 1'effet le plus agréable pour les promenades 8c les bofquets qu'ils embelliffent a ravir. Mais on faifoit des orangeries plus de" cas qu'il ne falloit lorsqu'on imaginoit que fans elles un jardin allemand ne fc,auroit être beau; préjugé qui dominoit non les princes feulement, mais auffi les riches bourgeois, L'entretien d'une grande orangerie n'eft pas k confeiller en AIlemagne, tant k caufe qu'elle elt trés - difpendieufe 8c demande beaucoup de foins, que paree que ces arbres ne font parmi nous que des étrangers maladifs, qui ne pouvant fe faire a notre climat, afpirent toujours a rentrer dans les ferres, qui leur fervent d'hópitaux. Combien n'avonsnous pas d'arbres 8c d'arbriffeaux qui fupportent parfaitement notre climat 8c qui nous réjouiffent par leur variété 8c leur beauté, fans que nous foyonsobligés d'aller chercher péniblement 8c k grands fraix des plantes étrangeres, qui presque toujours languifiént 8c périffent fi facilement. Depuis l'introduétion des arbres de XAmèrique feptentrionale qui commencent afe répandre dans plufieurs provinces d'AUemagne, 8c même en Suiffe, 1'amour endioufiafte que 1'on portoit aux orangeries s'elt beaucoup diminué. M2 TROI-  g2 Troijieme SeBion. TROISIEME SECTION. Des fleurs. Les fleurs remédient non feulement k l'air d'abandon qu'oftrent les places nues; elles enchantent encore autour d'elles par la beauté, la variété & la diverfité des nuances, qu'envain 1'art jaloux s'efforce d'atteindre: elles raniment par Ia douceur des odeurs propres a plufieurs efpeces d'entr'elles, & font en elles -mèmes des objets fi agréables que 1'on crut long-temps leur préfence fuffifante pour former un jardin, & leur abfence pour en faire évanouir jusqu'a 1'idée. Les fleurs oftrant un fpediacle fi féduifant, & ranimant en même temps fi fort par leur parfum, il feroit tres-mal de les éloigner du voifmage & des regards de 1'homme, ou de les cacher derrière des haies & des arbuftes, ainfi que l'exigeoit fouvent la vieille mode. L'effet de la plupart des fleurs eft en général très-foible dans le lointain; il faut donc les rapprocher de 1'ceil du fpetfateur. Quoique 1'on puiffe les répandre ca & la dans des endroits convenables du jardin, cependant on ne fauroit que louer la coutume de les planter autour de 1'habitation, oü d'ailleurs doit régner un peu plus de culture & un plus grand degré d'agrément, & autour des berceaux & des autres Üeux oü 1'on s'arrète fou- vent* II eft ordinaire d'encadrer remplacement oü 1'on eleve des fleurs choifies, & d'y montrer un ordre pluS exaét & plus de culture; & cela n'eft point a blamer. Mais 1'antique maniere de compaffer les lits de fleurs, de les partager en mille parties, & de leur donner artificieufement la figure d'un feuillage fadice, d'un animal, & d'autres formes étranges, eft un badinage trop puérile pour être excufé. Addifon appelloit les auteurs des lits de fleurs a la francoife des faifeurs de fonnets, & leur faifoit par la un reproche très-fondé. L'effet produit par une belle couche ' de fleurs non feulement ne gagne rien k ces orne- ments  Des fleurs. 93 ments contraints, mais il eft même fouvent diminué par ces raffinements choquants qui s'offrent a 1'ceil en mème temps. Et pourquoi donner un cadre fi finguliérement décoré aux beautés fi nombreufes & fi puiffantes qu'étale la nature floriffante? Offrez la grappé délicieufe du raifin fur la feuille nette que porte le même farment; préfentez-la fur un plat élégamment chantourné, & voyez comment elle vous paroit la plus appétiffante. Un autre mauvais effet, déja remarqué ailleurs, des lits de fleurs ordinaires, c'eft que la diftribution fymmétrique des fleurs fait difparokre leur diverfité naturelle. De plus leur quantité amoncelée diftrait 1'ceil, & diminue 1'impreffion qu'elles feroient fans cela. Le premier défaut pêche le plus contre la nature. Dans quel vallon, dans quelle forèt arrange-t-elle fymmétriquement les fleurs qu'elle pouffe, même lorsqu'elle en fait épanouir une nombreufe familie dans un mème endroit? Ne les répand-elle pas préférablement fur tout le tapis que déploie la terre, afin qu'elles paroiffent croitre plutót au hafard qu'a deffein. Suivons les traces de la nature. Des fleurs choifies, qui, au lieu d'être plantées par couches compaffées, font négligemment diftribuées qa & la fur un gazon ras, & entre-mêlées de jolies fleurs champètres, ne fauroient que faire fur Ie tapis verd une broderie d'un effet très-agréablè par fon eontrafte & fa variété. On fe plak a trouver ces fleurs la oü 1'on ne s'y attendoit pas, & oü elles font cependant fi bien, paree qu'elles y paroiflent femées des mains de la nature. Un goüt fain, qui s'écarte des lits de fleurs ordinaires, reconnoitra dans les fleurs mêmes un excellent moyen d'embelliffements & dont on peut faire une multitude d'ufages. D'abord les fleurs font une appartenance des cantons agréables, gais & fer eins; elles concourrent fur-tout a former ce dernier; c'eft une de leurs deftinations naturelles & que nous ne devons pas négliger. La beauté de leurs nuances & la fuavité de leur odeur rend les fleurs recommandables pour toutes les places oü 1'on veut flatter Ia vue, oü lhomme veut s'abandonner aux fentimens les plus enjoués. C'eft encore par la qu'elles plaifent dans les fcenes M 3 printa-  24 Troïfieme SeÏÏion. printanieres & effivales'. Les efpeces les plus'nobles conviennent aux cantons décorés j les plus ordinaires, aux cantons d'une fimplicité champètre. Mais elles font teUement le propre du canton agréable qu'elles font devenir tel tout canton ou elles fe trouvent & égaient les landes mème. Du moins le devant d'une grotte, ou bien un canton mélancolique ne fupporteroit guere que quelques efpeces de fleurs moins diftinguées: la richeffe & la vivacité des nuances changeroient bientöt la décoration. Tout pavillon, au contraire, placé fur une hauteur riante, tout cabinet dont la fituation eft dégagée, tout berceau touffu fe plak a voir une plantation de fleurs a fon entrée ou dans fes environs. Ici, oü 1'on aime a s'arrêter, oü 1'ceil contemple a loifir les objets, ici peuvent s'épanouir les families des fleurs a qui la nature a le plus prodigué la beauté & la richeffe du coloris. Qu'ici la tulipe, lahyacinthe, l'ceillet, 1'anemone, 1'oreille d'ours, la renoncule, la primevere, fins, la balfamine, le pav'ot, la paffe-rofe *), le pied d'alouette, la belle de nuit *% & en automne 1'after &c, étalent avec complaifance la pompe orgueilleufe & Fétonnante fécondité de leurs nuances, & offrent le fpedacle le plus varié. ( Que d'autres fleurs farmenteufes & grimpantes s'elevent ici lelong des parois & des fenètres, & pénétrant dans Tintérieur y répandent un paifible agrément; ou qu'animées par 1'haleine duzéphyre, elles produifcnt un jeu charmant de jours & d'ombres. C'eft dans les lieux oü lhomme fe repofe, oü il s'abandonne a fes penfées & a fon imagination, oü il préfere Ie fentiment a la réflexion, que les families des fleurs odorantes doivent, en répandant leurs parfums doux, balfamiques & rafraichiffants, rehauffer la fenfation des délices de la création par le contentement d'un nouveau fens. Que les places *) Qu'on nomme aufli: rofe d'outremer, tremier, rofe d'Hongrie, rofe tremie- re ou mauve de jardin. **) Ou encore: merveille du Pérou.  D e s f l e u r ï. 05 places deftinées k fe repofer & k dormir, que les cabinets d'étude, les fallons k manger, les bains foient environnés des fuaves odeurs de Ia violette, du muguet, de la julienne ou julianne*), de la girofflée jaune, de la girofflée, de la mouarde, du narciffe blanc, du lis blanc, de la hyacinthe, de 1'ceillet, de Ia mignonnette ou réféda d'Egypte, de la tubéreufe, de Ia hyacimhe tazetie, de la jonquille 8c c. La jouiffance de ces parfums répand d'une maniere inexprimable une forte de récréation 8c de calrne dans 1'intérieur de lhomme, 8c verfe dans fon ame la paix, 8c un fentiment de complaifance qui 1'échauffe doucement. Les fleurs offrent de plus un excellent moyen d'encadrer 8c d'embellir les bords d'un bofquet, d'un buiffon, d'un pré, d'une promenade. Quelques-unes, comme Ia fritillaire **), I'orchis, le nard celtique ***), la narciffe fauvage, égaient lorsqu'ön les rencontre difperfées dans la verdure 8c fur le gazon. Le plus beau fpecfacle que préfentent les fleurs, fur-tout celles qui fe diftinguent par la clarté 8c la vivacité de leurs nuances 8c par une certaine hauteur de tige, c'eft, lorsque feméesfur lamoufle 8c parmi des herbes fauvages, elles bordent un ruiffeau ou quelqu'autre piece d'eau. Les images réfléchies par Tonde, 8c le jeu de leurs mouvements qui doublé ici, pare d'un nouvel attrait cette fcene toute nature en ellemême. Qu'il eft féduifant pour 1'ceil d'appercevoir, tandis que nous nous gliffons le long des rives du ruiffeau, le lis-flamme ****), la couronne impériale *****), 1'iris f), Ie glais ou glayeul , la grande perficaire du Levant, le martagon, le lis-narciffe, Ia digitale ft) 5 'a hyacinthe, la chafle- bofte ftt)? le balifier fttt) mirer leurs couleurs variées dans *) Ou encore: girofflée cFAngleterre, girofflée musquée, violette girofflée des dames. **) Quelquefois encore: damier. ***) Ou: gaulois. ****) Lis rouge» ou deSt. Jean. *****) Ou: lis royal. ■f) Ou: flambe. •)■"[•) Foucane & gand's notre Dame» flf) Ou: perce-bofte, tttt) Canne d'Indej Baralou.  g Troifume ScUion. dans l'eau' Si 1'on peut faire quelque dépenfe en fleurs, elle eft certainement bien employee a une pareille décoration, qui nous récompèrd'unbien plus grand plaifir que quelques plantes rares & mauves foigneufement confervées dans une ferre couteufe. On peut encore très-bien employer les fleurs k tapiffer de petites collines & de petits monticules, qui fouvent ne fouffrent aucun autre ornement Ceci peut donner lieu k plufieurs fcenes particuliere» aux fleu r ft*-tout fi 1'on peut les tourner vers le levant. Rien ne releve Is l'éclat & la pompe de leur coloris que 1'aurore matinale. Les tente rayons qui ne fatiguent point 1'ceil du fpedateur, la chaleur doucement vivifiahte & qui fait tout épanouir, les jeux de la umiere tomSrobliquement, les perles de la rofée qui brillent & ègouttent le p pi n qui réveillé voltige gaiement tout k l^tour, & mille autres a del gracieux fe réuniffent pour embellir cette fcene. Et c'eft,* Zon peut faire avec les couleurs & les nuances des fleurs un taMeau qui ne fauroit ètre que 1'ouvrage d'un artifte jardinier intelhgent On seft long-temPs occupé k forcer les différentes families des fleurs k s accommoder d'une certaine fymmétrie, mais on n'a guere penfe quen mariant les plantes & les fleurs mèmes fuivant leurs différentes hauteurs, couleurs & grandeurs, on pourroit créer un tableau fuperbe, & qui demande un ceil délicat, une connoiffance profonde du colons & beaucoup de jugement pour paroitre dans toute fa perfecta. Ici s'ouvre un nouveau champ d'obfervations & d'étude pour 1'art.fte jardinier. II neut furpaffer de bien loin Ie peintre defleurs par Ia vivacite & la fraicheur; Ia nature elle-même lui prète la main. Mais auffi les changements continuels qui arrivent journellement dans les fleurs, exigent une attention fofeneufe & une réflexion perpétuelle. Que le jardinier fafie fur-tout attention aux plantes qui pouffent en mème temps; & lorsqu'il en mele de tardives & de hatives, qu'il réfléchiffe d'avance a l'effet que prodmra la différence des tiges, des feuilles, des boutons & des fleurs qui com-  Dei fleurt. commencent a poindre ou a s'épanouir, & de celles qui brillent déja de tout leur éclat. Toute plante farmenteufe, dont les couleurs font fades, les feuilles raboteufes & rares, eft peu convenable dans le tableau que forme une couche de fleurs. Les nuances les plus délicates & les plus douces doivent être placées le plus pres de 1'ceil; les fortes & les briilantes plus loin. Que fon paffe du blanc au paille, de la couleur de chair a la couleur de rofe, du violet au bleu foncé, du jaune doré au pourpre, tout comme 1'on paffe infenfiblement des plantes les moins élevées au plus hautes. La teinte grife, brune, ou verte des tiges, les différents verds des feuilles, la forme & Ia diftribution de celles-ci & des fleurs mêmes, tout doit entrer en confidération. Les tranfitions plaifent lorsqu'elles ne font pas brusques, mais douces & progreffives; il faut que les nuances claires s'accordent affeclueufement avec les foncées. — Un ceil exercé & fcrutateur, & une obfervation foutenue, découvriront encore une foule d'autres petites regies utiles; & en s'appliquant ainfi a 1'examen des families les plus aimables des fleurs, & a la maniere d'en rehauffer l'effet, on rendra plus amufant & plus féduifant 1'efpece de commerce qu'on aura avec elles, & qui en lui-même elt une fource abondante de réflexions morales. Enfin, la nature produit une fi riche variété de fleurs depuis les premiers jours du printemps jusqu'a Ia fin de l'automne, que chaque mois en voit éclore plufieurs efpeces; & cette fucceflion continuelle eft comme un ordre de ne jamais laiffer vuide le théatre confacré aux beautés de ce genre. *) *) La maniere d'élever & de culti- vrage compofé avec beaucoup de faver les fleurs n'entrant point dans le voir & d'exaétitude botanique, & d'après plan de cet ouvrage, il furïïra de re- 1'expérience, & par conféquent trèscommander ici, entre une foule d'écrits propre a guider des amateurs peu exerqui traitent de cette matiere, un ou- cés encore. Ici i'auteur rapporte le tiToms II. N tre  Trotfteme Seïïion. De Jleurt. QJJATRIEJME tre d'un euvrage allemand pubüé en 1777 m 8- a Hannovre par Mr. F. H. H. Lueder, furintendant éccléfiaftique a Dannenberg dans Ja principauté de Luneburg, & que nous omettons paree que 1'ouvrage n'eft pas connu en France. Nous croyons pouvoir hardiment lui fubfeituer 1'encyclopédie reconomique &c. &c. pubiiée a Yverdon en 16 volumes, 8. 177c, qui nous parol t avoir les mêmes qualités, & oü Ton trouve a chaque article refpe&if tout ce qui peut intéreffer dans cette matiere. L'auteur, après avoir remarqué que les marchands fleuriftes ne manquent dans aucune grande ville, recommande en particulier Mffrs. Jean & Matthias Klefeker aHambourg, fameux dans ce genre de commerce.  99 QUATRIEME SECTION. Des gazons. Dts places Bres & découvertes Jont non feulement néceffaires dans uft jardin pour la fanté & pour la commodité; elles font encore fusceptibles d'étaler aux yeux un agrément & des attraits particuliers. Lorsqu'on y parvient au fortir d'une promenade touffue, elles réjouiffent par le ciel & l'air pur qu'elles offrent; on s'y rafraichit pendant les heures moins chaudes du matin & du foir, ou après une pluie d'été, tandis que les nuages flottent fur nos tètes, & y tracent, varient & effacent leurs aimables tableaux. Elles dévoilent 1'afpecl: des rayons prolongés & des jeux dé 1'arc-en-ciel. Elles développent tout a coup des perfpeétives inattendues, & fouffrent dans leur enceinte mille fcenes qui peuvent en rehauffer infiniment la beauté. Elles font enfin presque les mèmes doux effets que les prairies. *) Ces places font bien plus agréables lorsqu'elles offrent un gazon verd &libre que lorsqu'elles repréfentent des foi-difants parterres, qui font, ou des furfaces nues & fablonneufes, afpeél des plus triftes! oudescompartiments de figure finguliere, bordés de buis, & par ci par lk garnis de coquilles, de cailloux colorés & d'autres babioles enfantines. Mais les parterres franfois, fur-tout furchargésde la vaine pompe des ornements modernes, ne méritent pas mèmed'entrer en comparaifon avec le tapis verd noble & débaraffé que la nature nous a montré avant les Anglois**). N 2 Car *) Voyez i.vol. pages 233 & 234. duit par laye le mot allemand adopté »*) Les Lawns des Anglois ne font au- pour le mot anglois La»n, paree que tre chofe que de grands gazons ou des telle eft la fignification ordinaire du fe- places découvertes, unies & revêtues cond. Si la définition qu'en donne ici d'un beau verd, & entourées de buif- 1'auteurnous eüt été connue dès le com- fons, debofquets & de bois. Jusqu'ici mencement, nous aurions employé le 1'auteur. Nous avons conftamment tra- mot clairier* qui convient bien mieux que  ICO Quatrieme Seblion. Car lorsque, avec quelques - uns, Tón regarde les 'gazons comme une invention des Bretons, on ne fe rappelle pas que les jardins étoient décorés long-temps auparavant de cette garniture, mais qu'elle n'a été perfeélionnée que dans les parcs anglois modernes, oül'humidité du climat la favorifoit. . La première Ioi de la nature touchant les gazons, c'eft qu'ils ne foient ni quarrés ni d'aucune autre figure compaffée. Toute régularité eft ici choquante, ainfi que toute forme anguleufe, aigue, ai!ant en pointe. Les Iignes terminantes doivent être foigneufement cachées, & rien de tout ce qui pourroit décéler la main artifte de 1'homme, ne doit paroitre. Car un tapis verd planté k deffein n'eft intéreffant qu'autant qu'il femble produit par la nature même. Une peloufe parfaitement unie fatigue bientót après avoir rafraichi, &fur-tout Iorsqu'elle eft dénuée de tout autre objet. Des défigurations vifiblement artificielles, comme p. e. des remparts, des fortereffes &c., font trop éloignées de la deftination des jardins pour pouvoir feulement fe fiatter d'être tolérées. De petites inégalités du fol augmentent la beauté des gazons, en rompant 1'uniformité de la ligne droite & caufant de jolies nuances. Dans 'quelques parcs anglois le tapis verd s'étend fur de petites collines plantées d'arbres d'un cóté, fe deploie entre des grouppes & des bofquets, ici fe perd dans l'ombre obfcure d'une forêt, & la reparoit en des endroits découvertsj afpect très-pittoresque! Plus la teinte verte eft pure, animée, brillante, plus les gazons confidérés en général, font agréables. Ici encore on peut ménager une multitude de nuances; non feulement la nature du gazon, mais encore les élévations & les enfoncements du fol, & leurs diverfes combinaifons, peuvent y contribuer beaucoup. Lorsque dans un pare très-étendu, il fe trouve plufieurs peloufes, on les diitinguera tant par la variété de leurs verds que laye,& dont nous nous fervirons dans fure qu'un ouvrage paroit, & fans avoir la fuite. Et voila un des inconvénients in- pu le lire en entier. Voyez 1'avertiffe. évitables, dans toute traduftionfaiteame- mentduTraducfeur alatêtedu i.volume.  Des gazons. 101 verds que par ceile de leur grandeur. Un "verd gai eft principalement le propre des gazons. Cependant pour une fcene mélancolique, ou l'avenue d'un hermitage, on choifira des efpeces a teinte foncée. L'ordonnance d'une vafte peloufe doit être en général aifée & fans art, & s'accommoder fur-tout a la fituation des places & des décorations qui 1'environnent. Les pieces gazonnées doivent principalement fuccéder a des fcenes clofes & a d'obfcurs ombrages, paree que en vertu de leur nature elles réveillent 1'idée de la liberté & de la gaieté. Leur grandeur fera proportionnée aux autres parties du jardin, fur-tout a celles qui les avoifinent. Comme elles exigent une étendue confidérable pour pouvoir faire quelque impreffion, elles ne conviennent qu a des jardins ou des parcs d'un certain circuit. Mais alors mème il ne les faut pas trop multiplier. Dans quelques parcs anglois, qui quelquefois ne confiftent qu'en clairieres, en grouppes' d'arbres & en pieces d'eau, la quantité des gazons empêche, fouvent fort mal-a-propos, d'autres fcenes naturelles capables de produire une impreffion plus forte, & donne au tableau un air a Ia vérité champètre, mais uniforme. Le trop d'étendue d'un tapis verd en diminue l'effet, que 1'on rehauffe en ménageant des interruptions. Celles-ci lui donnent encore une apparence plus naturelle que lorsque 1'efpace vuide déploie aux yeux toute fon étendue. Pour le rompre on peut fe fervir en partie d'objets . artificiels, tels que fabriques, ftatues &c, & en partie de grouppes d'arbres. Par ces moyens 1'on diminue 1'uniformité de cès places, & 1'on y jette plus de mouvement. Mous voyons que les prairies & les peloufes ne font presque jamais plus agréables que lorsqu'elles fe préfentent a 1'improville dans un bois, & ferpentent enfuite avec mille finuofités entre des maffifs d'arbres, qui, formant de leurs têtes rapprochées un épais couronnement, laiffent des paffages libres a Ia vue entre leurs tiges, tandis que la mouffe verte emprunte ici une teinte plus riante de I'éclat du foleil, & la, fe jouant dans un doux crépufcule,s'étend vers des places couvertes d'une obfeurité rèftaurante. L'aménité du verd gazon peut étre mife en eontrafte avec le feuillage des arbres. On aura le tableau le plus agréable en relevant qk & la la mouffe fraiche d'arbres fruitiers couverts de leurs fleurs blanches & rouges. N 3 On  102 Quatrieme Setïion. Des gazons. On peut encore égayer la peloufe par de petits grouppes de fleurs \ couleurs vives. Auprès des repofoirs & des cabinets on peut auffi très-bien répandre fur le gazon des plantes odoriférantes, qui n'ont d'ailleurs aucun attrait pour lceil. La, tout comme autour des bains & des grottes, on pourra, pour augmenter 1'agrément, faire un ufage avantageux du romarin, de Ia lavande, de Ia marjolaine, de la fauge, de la menthe, du thym, de la méliffe ordinaire & de Turquie, du ferpolet, de la citronelle, de 1'byfope &c. En général un des premiers devoirs de l'artifte jardinier eft, en fuivant les préceptes de la nature dans la fphere de fon aétivité, de garnir par - tout d'herbes & de plantes la furface nue de la terre, & de lui donner cette apparence faine & riante qu'elle offre ï 1'ceil dans les payfages fertiles. CINQUIEME  103 Nous avons déja donné une idee générale des beautés & des effèts avantageux des eaux dans Ie payfage *). La nature nous les montre fous différentes formes & avee différents caracferes, tant par rapport k la grandeur, que par rapport au repos ou au mouvement. Elle nous offre les eaux tantót dormantes, tantót courantes, tantót tombantes. Le premier de ces caracferes comprend la mer, les lacs, les étangs, les pieces d'eau; le fecond, les torrents, les rivieres, les ruif eaux; le troifieme, les filets d''eau, les cafcades, les chütes d'eau ou cataraÏÏes. ï. M e r. La mer ne fe foumet pas k la main de 1'homme; celui - ci ne fauroit la forcer k devenir une partie de fon plan. Cependant elle peut y entrer comme point de vue, & ce n'eft auffi que de cette maniere qu'elle eft fusceptible d'être mife en ceuvre. On peut néanmoins, en travaillant & cultivant fes rivages, multiplier & varier Ia perfpeétive, & 1'art acquiert ainfi une efpece de fouveraineté fur le plus fougueux des éléments. La mer eft une fource d'émotions trés-nobles; elle nous infpire tous les fentiments qu'entrament Ia profondeur, 1'étendue, Timmenfité. L'évenement accidentel d'une tempête ou d'un orage lui fait repréfenter une fcene également fuperbe & majeftueufe, qui faifit Ie cceur humain & 1'éléve au deffus de lui-même. Et ces chateaux fiottants, qui fouvent ne paroiflent que fufpendus k 1'horifon, rappellent toujours k 1'homme 1'audace & 1'énergie de 1'efprit qui 1'anime. Les *) Voyez i. vol. p. 330 &e. CINQUIEME SECTION. Des eaux.  Cinquieme ScbTion. Les hauteurs & les promontoires qui bordent la mer' offrent aux maifons de ^impagne, & fur-tout aux chateaux, des fituations fuperbes qui fe diftinguent par leur hardieffe & leur fingularité. De gothiques chateaux a plufieurs tours, & d'antiques couvente a maffes lourdes 6c informes, 'paroiflent convenir, particuliérement, k de pareils fites. Dans un jardin que baigne la mer on peut pratiquer k travers les bois, les rochers & les montagnes, des points de vue 8c des ouvertures qui donnant fur Ia plaine humide intéreffent 8c frappent extrêmement; on peut encore ménager des furprifes d'un grand effet. Une fituation femblable eft propre k un jardin du genre folemnd*), ou du moins aimprimer ce caraftere k une partie du jardin. 2. Lacs. Un lac' fait'rarement'partie d'un jardin; ordinairement onn'enjouit que comme lointain, ou comme confin. Cependant un lac paroit être presque *) Vcyez i. vol. p. 253-254. 263.  Des eaux. 105 presque Indifpenfable dans un jardin d'une vafte étendue, dans un pare confidérable. II anime toutes les fcenes environnantes, charme de loin & amufe de prés; fon eau limpide & paifible réfléchit, en les embelliffant, & les couleurs changeantes du ciel, %c les décorations qui parent le rivage; fon circuit, la configuration de fes ances, la forme &] la garniture de fes bords, les inégalités de leurs hauts & de leurs bas, fa Iiaifon avec des collines, des forêts, des villages font fufceptibles d'une riche variété; enfin il infpire un fentiment de tranquillité & de douce joie champêtre. Un lac fait donc une des parties effentielles d'un féjour oü 1'on cherche ces fentiments. U n'eft pas une des appartenances du canton mélancolique, du folemnel; il peut, a la vérité, entrer comme eontrafte dans le canton romanesque; mais il n'en demeure pas moins le plus bel apanage du canton ferein & riant. Le caraétere du lac elt le repos, qu'il a de commun avec toute eau dormante. Le mouvement lui manque en lui-mème. Mais au premier fouffle de vent fa furface fe ride, & fes ondes commencent a fe jouer. Ce mouvement rend la fcene plus nouvelle, plus animée, plus attrayante. Qui ne s'arrèteroit avec plaifir auprès du doux murmure des flóts parfemés d'étincelles qui fe jouent, brillent difperfées & s'éteignent? Rarement le mouvement deviendra-t-il affez fort pour réveiller, comme la mer, des fentiments d'une efpece plus relevée; vu la moindre étendue du lac, fa fituation plus abritée, les collines ou les, bois qui en garniffent d'ordinaire les bords, il reftera dans une certaine modération qui ne troublera nullement l'effet de cette fcene n'offrant que calme & doux amufement. Un lac d'une vafte enceinte flattera d'avantage Ia vue, lorsqu'il fera rompu par des iles, ou qu'il ira fe perdre derrière des forèts ou des monticules. Le lac permet des ances qui fervent a multiplier la variété; & fes rives peuvent être agréablement décorés, tantót d'élévations, tantót d'enfoncements, tantót de buiffons adjacents, tantót de grands . ar. Temt II. O  I06 Gnquieme Setlion. bres penchés. Ici un petit promontoire, ou une chaïne de collines, dont les penchants font couverts de moutons graviffants, s'enfonce bien avant dans le lac; la un bofquet paroit nager au milieu des flots; de ce eóté une langue étroite tapiffée d'un verd gazon & dénuée d'arbres & de buiffons, s'avance en ferpentant dans l'eau; quelques pieces de gros bétail qui femblent fortir de 1'onde, paiffent en ce lieu 8c regardent avec un muet étonnement leurs images réfiéchies; a cet autre bord 1'humide élément difparok dans Fouverture que lui préfente un bois touffu de ehènes, & 1'imagination pénetre la oü 1'ceil eft arrêté. Rien n'eft plus riche en décorations & en liaifons agréables qu'un lac; combiné feulement avec une forèt, fous combien d'apparences 8c de points de vue ne peut-il pas s'offrir! Et quelle jouiffance quand on le confidere du haut d'une montagne dans toute fa beauté, dans toute la magie de fes reflèts! II fuffit ici que 1'artifte jardinier ouvre les yeux, 6c faconne, comme la nature faqonne, toujours avec aifance 6c avec variété. Lorsqu'on fait un lac artificiel, il faut foigneufement cacher tout ce qui pourroit décéler 1'art; 6c c'eft fur-tout a 1'égard du rivage qu'il faut être attentif, afin de ne pas manquer au moins 1'apparence de Ia nature. Que 1'étendue de l'eau fok en jufte proportion avec le canton. Ainfi qu'un petit ruiffeau s'éclipfe dans une vafte plaine 6c demeure fans effet, de même une trop grande furface humide peut diminuer 1'impreffion des autres objets du payfage. En rehauffant le bord oppofé, en formant des plantations d'arbres a haute futaie 6c a feuillage touffu, en conftruifant des fabriques revêtues d'une couleur vive, on peut refferrer les limites, 8c rapprocher les lointains; tout comme au contraire ï'abaiffement du rivage, 1'abfence de tout objet élevé, trompe; les regards par un aggrandiffement illufoire. Un lac qui s'offre a 1'ceil tout a la fois, doit avoir des rives décorées avec richeffe 6c avec variété; car une contemplation répétée 8c prolongée de cette furface d'eau nous fait éprouver une certaine uniformité rarement rompue par des embarcations comme  D t s eaux. 107 comme fur Ia mer & les rivieres navigables: il faut donc que ia vue trouve dans le voifinage du lac des objets qui l'attirent & 1'occupent. Les ances & les faillies ne doivent pas ètre trop nombreufes; elles effaceroient toute forme déterminée, & diviferoient trop 1'impreffion que doit faire 1'enfemble. Une fuite de baies pareilles entr'elles feroit un effet tout auffi foible qu'une fuite de petites couches dans un jardin potager, oudechamps de grains fymmétriquement partagés; une fcene de cette efpece eft déchiquetée, non variée. Au refte il ne fera fans doute pas néceffaire de s'arrêter a développer qu'un lac artificiel ne doit point affeéler de figure parfaitement réguliere, ni en ligne droite, nren quarré, ni circulaire. O 2 Les  ioÖ Cinquieme Seftion. Les iles fervent dans un lac tant a rompre la furface nue de l'eau, qu'a enrichir la fcene; auffi les voit-on presque toujours avec plaifir, & d'autant plus qu'elles font fufceptibles des fituations les plus pittoresques. Cependant elles ne font pas toujours néceffaires, & 1'on n'elt pas obligé de chercher a les pratiquer par-tout dans un lac artificiel. Quelquefois même elles peuvent gater la belle perfpecfive qu'offre la plaine humide, comme lorsqu'elles font trop grandes relativement a celle-ci, ou lorsqu'on ne peut appercevoir l'eau entr'elles & le bord oppofé, & qu'ainfi elles y paroiffent attenantes, ou enfin qu'elles font trop entourées d'arbuftes, de joncs & de rofeaux incultes. La oü fe trouve plus d'une ile, il faut les diftinguer par Ia différence de leurs formes & de leurs garnitures. Deux a trois iles font affez pour varier fuffïfamment un lac d'une certaine étendue. Leur multiplicité étouffe le caraécere de celui -ci, qui devient alors une fimple piece d'eau. Ici encore il ne faut pas nuire au deffein en le furchargeant. Une ile toute nue fcroit un effet choquant vis-a- vis des autres beautés de Ia fcene; de mème une plantation trop abondante empêcheroit 1'agrément que caufe la vue de quelques petites plaines. Les élévations & les enfoncements du terrein, 1'alternative de places cultivées & de places découvertes, font auffi recommandables. Des grouppes compofés de beaux arbres donnent, en fe mirant au bord de l'eau, un charmant fpeclacle. Des promenades fur des collines boifées & ornées de berceaux d'oü 1'on apperqoit des perfpeclives riantes; des repofoirs raffraichis par 1'ombrage & par le lac; des hermitages dans des lieux écartés, oü 1'on entend le frémiffement des joncs & Ie murmure de 1'onde; des cabanes de pêcheurs oü fon peut s'amufer a prendre du poiffon; quelques canots ou bateaux difperfés pour Ie plaifir de la promenade ou de la chaffe aux canards, font tout autant de décorations qui paroiffent propres a une ile. Lorsqu'on ne lui deftine pas le caraóftere d'une foiitude complete, ou quelque monument de douleur, ce qui neparoit guere s'accorder avec fa fituation dégagée au milieu d'un lac Iimpide, on peut orner  Des eaux. ioq orner une ile des embelJifTements les plus flatteurs, de tout ce qui annoncé de loin la culture 6c 1'aclivitéj 8c mème de fabriques dans le genre noble, Defcrtjptioh de deux lacs fameux. a. Le lac de Keswiek *). Le lac de Keswiek eft célebre dans toute 1'Angleterre. On reftime de dix milles anglois en circonfërence. II eft oblong 8c entoure de montagnes énormes, qui, pendant quelques mois de Pannée, cachent leurs fommets dans les nues. La meilleure maniere de le voir c'eft de cótoyer tout autour le rivage dans un bateau, 8c d'en defcendre de temps en temps a terre pour confidérer les belles perfpeétives qui fe préfentent. O 3 De *) Voyages d'Artfrur Young dans les provinces feptentrionales d'Angleterre. IJde partie, lettre 17.  I iq Cïiiquieme SeffioK. De la viile, on fe rend a Cockf huthill, petite 'colline fituée dans 1'amphithéatre formé par les montagnes, 8c qui n'elt cultivée que depuis quelque temps. Ici 1'afpedf du lac eft fuperbe. On a devant foi une belle plaine liquide dans Iaquelle on remarque cinq iles, & qui cependant eft affez élevée pour qu'on puiffe voir l'eau les cnvironner. L'ile du milieu renferme cinq arpents de pré 8c une maifon fous un grouppe d'arbres. Une feconde eft couverte de fapins, 8t les trois autres font plus éloignées. Telle eft la furface du plus fuperbe des amphithéatres. Ses parois font d'un ftyle tout auffi noble. A gauche on remarque d'abord une colline de roe garnie de toutes fortes de broffailles, & plus loin une chaine des plus affreux rochers élevés de prés de douze cents pieds, 8c qui de leurs fommets pel és furmontent des arbres plantés au bas; enfin le lac paroit. fe perdre entre des monts' & des rochers les uns plus hauts que les autres, ce qui donne a 1'enfemble un afpeét fauvage. Du cóté oppofé font une foule de monticules, & plus loin Ie Skiddow, la plus élevée de toutes les montagnes (falentour & dont la cime atteint jusqu'aux nuages. On defcend de cette colline au bateau. L'eau du lac eft d'une limpidité incroyable; le fond eft tout couvert de cailloux, dont le mouvement tremblottant de l'eau fait briller les blancs comme des diamants. On vogue le long de la cóte gauche, dont les rochers tantót s'avancentdans le lac, tantót fe retirent, & 1'on parvient a Wallow-cray, un de ces énormes roes dont nous avons parlé, 8c au pied duquel on apperqoit une jolie vue. Les rochers 8c la chaine de montagnes fe préfentent d'un air majeftueux, & font garnis d'arbres fufpendus qui occupent le tiers de leur hauteur; le lac fait un golfe vis-a-vis duquel eft l'ile de Bramps-holm; au-dela du cap on découvre l'ile des Lords: des bois 8c quelques édifices donnent une apparence agréable a la rive oppofée. On rentre dans le bateau 8c 1'on continue a voguer jusqu'a ce qu'on foit vis -a- vis de 1'ouverture qui eft entre Wallow 8c Barrow-cray, oü I on entend le bruit d'une cafcade fans la voir. Ici 1'on fe rend vers un pont  Des eaux. in pont ruiné 8c 1'on appergoit un enfoncement compofé de roes & de bois, 8c un torrent qui tombe pittoresquement entre les fentes des rochers 8c de terraffe en terraffe. D'ici Pon rame vers Barrow-cray, oü 1'on découvre une jolie perfpeétive du haut d'une éminence. L'eau forme plufieurs ances 8c plufieurs iles 5 k Pautre coin du lac on voit des collines cultivées 8c ;entourées de haies, 8c qui garnies de maifons ifolées, 8c environnées de hautes montagnes, forment un grand eontrafte avec le bout méridio* nal du lac encadré de roes formidables 8c menagants ruine. En continuant k ramer le long de Ia cóte, décorée d'arbres clairfemés 8c d'enclos cultivés, on atteint un bois épais duquel fort avec violence un torrent qui s'élance par deffus des rochers. Alors on amarre dans une baie dont les environs font réellement effrayants. On fe trouve fous un énorme rocher rabotteux, recouvert de buiffons jusqu'aux bords, 8c Pon eft entouré de tout cóté d'une enceinte de roes femblables 8c k pic. On continue enfuite fa route le long de groffes maffes' de pierres, qui fuccefTivement détachées des montagnes, font tombées iei. Quelques-unes, arrétées en chemin par de plus grandes, ne font point parvenues jusquyen bas; d'autres ont entraïné avec elles dans le lac des arbres, des broffailles 8c tout ce qu'elles rencontroient. Auffi tout ce canton préfente Pafpect Ie plus défolé. Plus loin on remarque une charmante cafcade, 8c pour en bien jouiron débarque. On voit une parois perpendiculaire de roe, duquel fortent par-gi par-la des buiffons qui paroiffent nager dans Pair. Un Iarge ruiffeau [ s'offre au haut 8c tombe en plufieurs cafcades jusqu'a quelques centaines de pieds. Après une chüte de quelques toifes, un roe faillant le divife en trois branches qui vont fe perdre derrière les buiffons. Plus bas on les voit fe réunir 8c briller k travers 1'obfcurité des arbres. L'eau fe perd encore 8c reparok de nouveau en plufieurs courants que fouvent Pon n'appergoit que reluifant entre les rameaux. Enfin au bas tous ces petits ruiffeaux fe raffemblent 8c fe jettent dans un abyme  j j 2 .Cinquieme Seïïim. abyme entouré de buiffons. On ne peut voir rien de plus pittoresque que cette cafcade. On fait enfuite le tour d'un ilot qui femble un maffif d'arbres croiffant hors du lac. Après on parvient a la partie étroite de ce dernier, oü 1'on eft entouré de rochers effrayants qui renferment une cafcade. Cet afbeet jette le fpetfateur dans 1'étonnement. Deux pointes de roe d'une hauteur formidable & garnies de buiffons difperfés font fufpendues fur fa têtej entr'elles s'offre un gouffre compofé de morceaux de rochers rompus fur lesquels fe précipite le torrent qui mugit & écume. Tout ce coup d'ceil eft beau, noble, & vraiment romanesque. On fe rend de la, par un chemin tortueux que fe fraie un courant d'eau rapide au travers du bois, vers une nouvelle décoration de la belle nature. A droite on découvre Ia cafcade que nous venons de decrire mais de cóté & fous un nouveau point de vue entre des rochers & des arbres fufpendus. Devant foi 1'on voit une nouvelle cafcade, cui femble fortir, pour ainfi dire, du tronc vieux & pourri d'un arbre renverfé pour fe jeter fur une furface irréguliere de roe, & qui, vu cette circonftance, fe divife tantót en petits, tantót en gros filets d'eau, cmelquefois mème en gouttes, & préfente a 1'ceil la plus agréable diverfité. Enfin la cafcade fe verfe dans le courant & forme une nouvelle fcene pittoresque. En pourfuivant fa route on parvient a un nouvel amphithéatre magnifique compofé de roes & de monts, d'un cóté interrompus & irréguliers, mais faifant de l'autre une parois, & qui tous enfemble ferment un gouffre fuperbe. Entre-t-on dans 1'embouchure de la riviere Grange, on parvient a un pont oü fe montre un nouvel afpeft terrible de rochers. En quittant le bateau pour fe rendre au village, on rencontre une colline de roe conique & boifée, qui s'éleve au milieu d'un fond entouré de hautes montagnes. On rame maintenant autour d'un joli cap, & 1'on fe trouve dans un petit archipel qui plairoit même a une perfonne dénuée de goüt. v On  D e s e a u x. Hg On' a devant foi le majeftueux mont Skiddow, un autre presque auffi haut d'un cóté, & de 1'autre une belle colline couverte d'arbres. En cótoyant le rivage on parvient d'abord a une éminence garnie depuis fon fommet jusqu'au bord de l'eau de grands arbres propres a. la batiffe, 8c enfuite k une petite baie d'oü 1'on apperqoit plufieurs enclos qui contraftent trés-bien avec les roes 8c les montagnes. Doublé-t-on un petit cap, on entre dans une baie toute entourée de terres 6c d'oü 1'on découvre un beau bois. Alors Ia cóte devient nés - inégale; tantót elle s'avance dans lelac, tantót elle fe recule. On paffe d'une baie k 1'autre 6c 1'on jouit d'une variété continuelle de lointains, jusqu'a ce que Ia rive devienne plate peu loin de la ville de Keswiek. Pour bien examiner celle-ci, il faut' gravir les roes élevés décrits dés Ie commencement. On a un chemin trés-rapided'un mille 8c demi (d'Angleterre) a monter, ou plutót agrimper; ce chemin paffe deffus le courant qui forme la première cafcade. On voit 6c 1'on entend la riviere couler en mugiffant clans les abymes au deffous ; quelquefois elle fe cache fous les arbres 6c les rochers. D'ici 1'on fe traïne k travers un épais buiffon vers le bord du roe pour jouir de la yue fuperbe de tout le lac 6c de fes iles. Auffi - tót que 1'on a pénétré le hallier, on eft tout a coup furpris des plus agréablement 8c jeté dans 1'admiration, Mais lorsqu'on atteint le fommet le plus haut de la montagne, I'afpeér. eft réellement fuperbe. On eft tellement êlevé au deffus du lac qu'il paroit comme fitué dans un autre monde. Les humbles collines s'enfient d'une maniere trés-pittoresque; la ville eft toute entiere au milieu des bois; 8c derrière elle s'éleve le majeftueux Skiddow. Defcend-on dans Ia ville pour remonter de 1'autre cóté fur cette derniere montagne, on a, il eft vrai, cinq milles (anglois; a faire jusqu'a fa cime, mais cette peine eft richement récompenfée. De cette hauteur étonnante le lac paroit un baffin médiocre, 8c fes iles y furnagent comme autant de petites taches. Les collines 8c les montagnes de roe Tams IL P que  j Gnquietne Seiïion. que 1'on découvre montrent la nature dans fa pompe'fauvage; 8c ces maffes & amas admirables occupent fur-tout la vue. On appergoit de plus les collines d'Ecoffe, la mer, 1'Ue de Man, & des cótes élevées & lointaines, outre un efpace de quelques müles en Angleterre mème. Keswiek offre tant de grands objets, tant de variété de tout ce que la nature a de plus fuperbe, d'eaux, de monts, de roes, de cafcades, que ce lieu doit frapper d'admiration quiconque vifite ces contrées. L'on y trouve le plus heureux eontrafte de toutes les fcenes de la nature, & celle-ci ayant tout fait, 1'art ne trouve plus rien a faire. — Que de travaux 8c de fraix n'a-t-on pas prodigué pour donner une apparence féduifante a nombre de chateaux de plaifance 8c de maifons de campagne, & pour y ménager toutes fortes de fcenes champêtres! Etque font toutes ces entreprifes en comparaifon des merveilles qu'a créées ici la nature ? Qu'eft toute la magnificence de l o u i s le grand mife en parallele avec lesjeux de la nature que préfentent les environs de Keswiek? Tous les efforts de 1'art ne font rien vis - a - vis des beautés de la nature. L'afped de fcenes auffi frappantes s'empare de 1'ame toute entiere, 8c celle- ci s'égare dans les fentimens d'admiration que lui infpire la toutepuiffance d'un être qui montre fa grandeur dans une variété infinie d'objets auffi pompeux, b. Le  Des eaux: «5 b. Le lac de Geneve. Ce lac "eft fans contredit une des plus belles eaux qui roulent fur notre terre. Son rivage & fes décorations n'ont pas par-tout le caractere de majefté qu'offre ie lac de Keswiek; le lac de Geneve avoifinant auffi des plaines & des terreins bien cultivés, il ne montre pas par-tout les cantons férieux, folitaires & fauvages qui s'entaffent autour de celuici. Mais en revanche, il préfente, outre plufieurs perfpeétives finguliérement romanesques & folemnelles, une diverfité qu'on ne fauroit décrire, & les décorations les plus nobles & les plus belles que jamais la pittoresque nature ait raffemblées pour créer un payfage riant. La longueur du lac de Geneve eft d'environ quinze, & fa plus grande largeur d'environ fix lieues de Suiffe. La partie vers Ie levant eft appellée Lac de Laufanne, de la ville du mème nom fituée k fa rive feptentrionale. Sa forme eft celle d'un croiffant dont les deux cornes font émouffées, & dont 1'une des deux a une grande échancrure arrondie. La largeur du lac diminue confidérablement des deux cótés. Une multitude de voiles anime fa furface claire & paifible. Tout a 1'entour on eft enchanté par les plus beaux & les plus fertiles payfages ornés de plaines, de collines & de chaines de montagnes, de villes, de villages, de maifons de campagne, de chateaux, decabanes, de jardins & de yignes, ici tout le monde content vit dans une heureufe aifance. Une courfe dans le voifinage de ce lac fait naitre une fuite des fentiments les plus vifs qui jamais aient animé Ie cceur humain. Voici quelques-uns des plus beaux cantons, & des plus beaux points de vue tels que les a nouvellement tracés un vrai connoifTeur de Ia nature & des arts. *) P 2 En *) Feu Sulzer. Voyez un journal al- de Poriginal allemand on a publié a Berkmand intitulé: Deutfches Mufeum, ne & Winterthur, en un volume in g-, lome cahier, 1778- Depuis rimpreülon les obfervations & les remarques de Sulzer  nö Cïnquieme Se&ion. En defcendant vers Laufanne lorsque 1'on vient de Moudon, on a un coup d'ceil d'une variété & d'une beauté indicibles. On découvre presque tout le lac de Geneve, & de plus une partie conüdérable de ion riche rivage citérieur garni de nombre de villes & de villages. En dela du lac tombent tout a Ia fois fous la vue la plus belle partie du duché de Chablais avec plufieurs villes & villages & une fucceffion alternative de collines & de vallées, derrière elles les Alpes de Savoie d'une hauteur étonnante & couvertes de neige, & plus vers 1'orient les montagnes fauvages du Vallais & les Alpes bernoifes attenantes. Peut-ètre ne trouveroit-on en aucun autre lieu de la terre un afpeél plus riche & plus varié. On voit devant foi une étendue de pays d'environ quarante milles d'AUemagne en quarré, fur lequel la plus grande fertilité & le plus haut degré de culture fe montrent a cóté des contrées les plus fauvages; & le tout environnant avec une diverfité féduifante un trèsgrand lac, qu'on découvre cependant tout entier de la hauteur. Au couchant de Laufanne, hors de la ville, Ia nature a fait une trés-haute terraffe qui eft abondamment garnie d'arbres & offre une des plus belles promenades du monde; car, comme elle eft encore fort élevée au defiüs du lac, on apperqoit d'ici le plus fuperbe coup d'ceil imaginable. Le lac y fait précifément un coude, &, rentrant un peu vers ie midi, fe courbe d'ici de cóté & d'autre, ou vers le levant& le couchant, cnforte qu'on le découvre tout entier. Lorsque le temps eft favorable on peut voir quantité de villes, de chateaux & de villages. A ia rive du lac oppofée a Laufanne on voit les villes d'Evian & de Tonon, le beau couvent de Ripaille, & enfuite, de la en defcendant vers Geneve, un riche rivage compofé de petites collines des plus agréables & de plaines fertiles qui leur fuccedent, avec une foule infinie de villages ck de maifons ifolées. A 1'orient de ce mème rivage naiffent infenfiblement des montagnes plus élevées & attenantes au lac, au haut duquel zer pendant les voyagesqu'il fit en 1775 allemand, & font tirées par fragments & 1776 dans 1'Allemagne, la Suiffe & du journal de ce Philofophe. 1'Icalie. Ces obfervations &c. font en  D e s e a u x. quel elles vont fe joindre aux Alpes valaifanes & bernoifes. ' Au haut du lac paroit Ville-Neuve dans le gouvernement d'Aigle. Le long du rivage en deqa, on découvre ce qu'on appellé la Cóte, avec les villes de Morges, Rolles, Nyon, Copet, & les hauteurs qui s'élevent peu k peu derrière elles, & qui font couvertes des plus beaux vignobles & d'une infinité de maifons de campagne. Un chemin trés-agréable, qui s'étend de Laufanne a Vevay le long du lac au pied d'une montagne couverte de raifin, conduit en quelques heures a cette petite ville. La fituation de Vevay eft tout-a-fait finguliere, & paroit la deftiner k être le féjour de 1'homme paifible, qui féparé du monde fe déleéle aux beautés romanesques de la nature. Le bout fupérieur du lac de Geneve eft entouré de monts très-hauts & très-efcarpés qui 'touchent fon rivage. A droite de la cóte, ou vers la cóte feptentrionale, les monts s'écartent un peu du lac & laiffent le long de la rive une plage d'environ une demi-lieue, & qu'ils enveloppent enforte qu'elle n'eft libre que vers le midi ou le lac. Du bord de ce dernier, la plage s'éleve infenfiblement vers les montagnes environnantes, & forme en plufieurs collines & vers Ie lac, un amphithéatre dont Vevay occupe le fond. Les montagnes, qui font comme 1'arriere-fond du tableau, diminuent quelque peu de hauteur vers le nord. La ville eft donc dans une enceinte de monts élevés, ckn'a d'ouverture que vers le midi oü fe trouve le lac. Le terrein, qui va de la ville vers les montagnes en fe rehauffant infenfiblement, eft trés-fertile, tant fur les collines que dans les vallées qui les féparent; il eft diftribué en beaux jardins, en prairies, en vignobles & en champs, & garni d'une foule de jolies maifons de campagne & d'autres habitations. Derrière celles-ci les montagnes plus hautes préfentent des villages entiers, enforte que 1'afped du rivage offre dans cet amphidiéatre une quantité d'objets. Vis-k-vis de la ville on apperqoit au bord oppofé, les monts trés-élevés, efcarpés & fauvages qui font fitués partie en Savoie & partie dans la république du Valais; mais vers le fud-oueft on a la vue libre furie lac, & elle s'étend auffi loin que 1'ceil peut porter. P 3 D'abord  j j g Cnquieme Seiïion. D'abord au fortir de Laufanne la route qui mene a Geneve, defcend vers le rivage uni du lac, & le cótoie enfuite continuellement, enforte qu'on ne s'en écarté jamais au-dela de quelques. centaines de pas. On traverfe plufieurs jolies villes & plufieurs jolis villages fitués au bord du lac, 8c a droite 1'on a les fuperbes collines, en grande partie couvertes de raifin, que 1'on appellé proprement la Cóte. Au fommet 8c au pied de ces collines font plufieurs beaux villages, des chateaux nobles, &une multitude de maifons de campagne appartenant la plupart a de riches particuliersbernois, qui paffent ici 1'automne, & rendent par leurpréfence Ia campagne plus animée. Toute 1'étendue de pays entre Laufanne & Geneve elt belle a r^vir, 8c doit fe mettre au nombre des plus beaux féjours du monde. La fituation de la petite ville d'Aubonne dominéé par fon chateau, eft fi féduifante, que le fameux Tavernier, après avoir parcourru tant de pays fur la terre, choifit ce lieu pour fa demeure, lorsqu'il voulut fe livrer au repos. Les lointains furpaffent encore ceux qu'on découvre de Laufanne, 8c font d'une beauté au deffus de toute defcription; car 1'on apperepit ici d'une hauteur affez confidérable Ie lac de Geneve, tout le Chablais fitué a l'oppofite, ainfi que le rivage citérieur du lac avec toutes fes villes, villages, chateaux 8c maifons de campagne. Tout le pays a 1'entour de Geneve mème 8c appartenant a fon diftriét, eft garni de belles maifons de campagne 8c de pavillons qui annoncent 1'opulence, 8c particuliérement les deux rives du lac. Par-tout oü 1'on porte la vue 1'on apperqoit les marqués les plus certaines d'un peuple vivant dans 1'abondance. Les maifons de campagne ne font k la vérité pas des palais; mais elles font la plupart paffablement grandes 8c bien baties, 8c fi bien entretenues qu'elles paroiffent toutes entiérement neuves. Au - dela des maifons font de beaux jardins foigneufement cultivés; fouvent auffi des vignobles, des prairies, 8c des champs labourés. Comme le lac fe rétrécit remarquablement vers la ville, on peut du chemin voir diftinétement Ie terrein de 1'autre rive avec une foule de maifons de plaifance, de jardins, 8c de biens de terre. Ce riche payfage,  D e s e a u x. tig fage, Ia ville 'même fituée a 1'embouchure du Rhóne, & que 1'on apperr qoit au milieu de cette vafte enceinte de pavillons comme Ia capitale k qui tout appartient, & derrière elle une tres-haute & très-large montagne qui fert de fond au payfage, compofent un fpeclacle qu'on ne fauroit envifager fans la plus vive émotion. On peut aifément imaginer combien un voyage fur Ie lac doit faire varier les cantons & les préfenter fous des points de. vue enchanteurs. La jouiffance de tant d'objets féduifants apperqus fous des afpecls divers, ne fauroit qu'être une récréation intéreffante pour un ami de la nature; & celui qui ne peut pas s'embarquer lui-même, trouvera du moins avec plaifir; ici une partie de Ia defcription *) pittoresque d'une des plus charmantes promenades fur l'eau. „Le mème cóteau enchanté que nous avions parcouru jusqu'a „Evian pourfuit jusqu'a Millerie. Voguant lentement a quelque diftance „du bord, notre ceil avide en faififfoit 1'enfemble; épaiffes forêts entées „par grouppes les unes au deffus des autres, clairs bocages, entre-mê„lës du roux des moiffons & des vertes prairies, tours élevées, anti„ques chateaux, frappoient a la fois nos regards; rien ne feperdoit de „ce fuperbe amphithéatre; les champs montoient au deffus des forêts, „les prés dominoient les rochers arides, les chateaux pendoient fur la ci„me des arbres: au-dela les pointes hériffées des Alpes, oü de noirs ro„chers cariés par les ans, ou brülés par la foudre, contraftoient avec „la blancheur éclatante des neiges qui couvrent ces monts dès Porigi„ne du monde. Cet immenfe tableau dreffé perpendiculairement par les „mains de la nature, & enluminé de fes plus vives couleurs s'offroit en en„tier a nos regards, & frappoit a la fois toutes les puiffances de notre „ame. Notre bateau voguoit lentement; il déroboit peu k peu k nos „yeux les objets dont ils s'étoient raffafiés, & leur préfentoit toujours „de *) Voyage pittoresque aux 'glacieres meur - Libraire, au bas du College 1773. deSavoie, fait en 1772. Par M. B. (Bour- I. Partie, Chap. IV. ret.) a Geneve chez L. A. Caille, Impri-  I20 Cinquieme Seclion. „de nouveaux points de vue; les bois, les champs, les maifons, les "prairies difparoiffoient infenfiblement, & d'autres leur fuccédoient dans ' une pofition différente: nous parcourions fucceffivement la Grande Rive la Tour Ronde, les chateaux de Blonay, de St. Paul. ' „Arrivés a Millerie nous coupons le lac en droite ligne pour gagner Vevay. La un nouveau fpectacle s'offre a nos regards. Le cóteau for"tuné que nous avions fuivi fe change tout a coup en montagnes affreu"fes. Une gorge étroite & profonde les coupe perpendiculairement, "& donne paffage a un torrent bourbeux & rapide. Millerie eft affife "au pied du gouffre, fur une étroite efplanade, qu'a forrnée, avec les "ans le limon que charie le ruiffeau. L'afpeét. des maifons blanchatres "& écrafées, rafant d'un cóté la furface desondes, furmontées de 1'au','tre par ces'hauteurs inacceffibles, offre le coup d'ceil le plus pittores„que & le plus frappant Arrivés en plein lac, notre adnüration fe tourna vers d'autres objets. Nos regards plongerent fur cette étendue immenfe d'eau douce "& limpide, dans 1'azur transparent de laquelle 1'ceil pénétroit a la plus "grande profondeur; nous contemplions ce vafte refervoir, creufé par "les mains du Tout-Puiffant dans le fein des hautes montagnes, qui „après avoir baigné 36 lieues de cótes, arrofé treize villes, & fécondé leurs campagnes, va enfuite régler le Rhóne dans fon cours, fuppléer a fes féchereffes, & abforber fes inondations. La vue fe perdoit dans cette vafte furface; tantót femblable a la mer, fes vagues amoncelées s'élevent comme de petites montagnes, vont en frémiffant fe brifer fur les roes efcarpés qui bordent la cóte, & après les avoir blanchis de leur écume, rebrouffent avec fureur fur celles qui les fuivent, & augmentent leur maffe & leur viteffe; tantót claire & unie comme „la glacé, 1'onde tranquille rendoit a doublé les cóteaux fortunés que „nous venions de quitter; chateaux, bocages, prairies fe peignoient „avec toutes leurs couleurs, mais agités du léger mouvement des „fiots. „Huit  Des eaux. r2i „Huit villes s'offroient alors a notre afpeét, entourées d'une infinité „de bourgades, qui s'élevoient par degrés jusqu'au fommet des montagnes „Une douce rêverie occupoit toutes les facultés de notre ame; le „léger frémiffement des vagues, 1'agitation d'un petit vent frais, 1'éloigne„ment & la marche lente des cótes, la retraite progreflive des villes & des „campagnes, 1'allure & le cri des oifeaux aquatiques, les mouvements „des poiffons, les diverfes couleurs imprimées par le vent a la furface des „ondes, la un violet foncé, ici un bleu éclatant, quelquefois un gris trou„ble ou même une ëpaiffe noirceur; tout, jusqu'au bruit des rames, & „aux fülons qu'imprimoit notre foible nacelle, ajoutoit au calme de notre „ame & augmentoit fa langueur." 3- E t a n g s. Outre les eaux nécelTaires pour les jets d'eau, on fe bornoit ordi» nairement dans les anciens jardins a des étangs immobiles. II fembloit Tome IL CL que  j 2 2 Cinquieme Seffiion. que 1'on vouloit bannlr abfolument tout ce qui pouvoit réveiller 1'idée de vie ou de mouvement. On s'écartoit de la riviere qui murmure en coulant avec majefté} on enterroit le ruiffeau dégagé .& riant pour en former un étang; & autour de 1'habitation on conduifoit un marais infecl. On ne fauroit outrcr ce qui eft rebutant & choquant plus qu'on ne 1'a fait dans les jardins a 1'égard des étangs & des canaux. L homme dont le fentiment étoit le plus groffier ne comprenoit-il donc pas que ces eaux dormantes ne plaifent point du tout ou trés-peu a 1'ceil? que, vu les exhalaifons mal-faines & les incommodes infeftes qu'elles font éclore, elles doivent bien plutót être bannies que tolérées? Un foffé quarré ou oblong, plein d'une eau Itagnante &trouble, qui, couverte d'une fange verdatre & dlnfeftes, croupit & s'évapore en infeétion, offre un fpedacle on ne peut pas plus dégoutant; fpedtacle propre a des déferts, a des lieux oü les monltres pouffent leurs hurlements, non a ceux qu'habite 1'homme penfant & appellé au bonheur. Et feroit - ce peut-être la nature qui 1'a banni dans ce trifte féjour? Oh! non; luimême fe 1'eft formé: il creufe, morcele, défigure un bel emplacement, pour dormir au bord d'un marais, ou fe promener le long d'un bourbier. On a de plus commis nombre d'autres incongruités en crcufant des étangs. On n'a pas penfé que 1'on pouvoit imiter la noble aifance de la nature mème dans les fïgures, & 1'on choifit, tantót la circulaire qui décele trop 1'artiiïce, tantót 1'anguleufe qui eft infoutenable. Souvent 1'on plaqoit plufieurs étangs a la file, ce qui faifoit un effet peu convenable. On les expofoit tout nuds a 1'ceil, fans les couvrir en partie de buiffons pour leur donner par ce moyen une apparence plus naturelle & un agrandmement illufoire. On les plaqoit en des endroits oü, dans les mois les plus chauds de 1'année, ils fe defféchoient entiérement, tandis que 1'abondance d'eau pouvoit feule compenfer leurs défeuts. On les entouroit de charpente ou de maqonnerie, &l'on achevoit ainfi d'expulfer tout air naturel, & de convaincre 1'ceil de la peine que  D e s e a u-xl 123 que Ton avoit prïfe pour contenir un peu d'eau troublc, bourbeufe & croupiffante. Croit-on' ne pas pouvoir fe palTer d'étang, oule juge-t-on affortiffant a tel ou tel difhict du jardin, il faudra commencer par éviter tous les vices qu'on vient de rapporter. Creufez, non une plaine, on n'y peut guere éviter 1'empreinte de 1'art, mais un vallon, un bas-fond oü l'eau fe rafiemble d'elle-mème. Ayez foin de ménager de 1'écoulement, & de la propreté. De la terre excavée formez une colline qui donne un air de vérité a 1'enfoncement adjacent. Aux bords ne fouffrez point d'élévations argilleufes, fablonneufes cknues, mais revêtez- les d'un verd gazon & d'une plantation d'arbres foreftiers qui s'étendent jusqu'a une certaine diftance. Immédiatement au deffus de l'eau fufpendez quelques buiffons incultes, pour rendre la fcene plus naturelle. Bref, que 1'ouvrage entier foit éloigné de toute géne 8c de toute roideur, enforte que 1'ceil leplus clair-voyant n'apperqoive point ici la main de 1'homme, 8c malgré tout cela une riviere, ou un lac, offrira toujours un plus bel afped qu'un étang. Mème lorsque 1'étang ne fert 'que de vivier il eft fufceptible d'une ordonnance 8c d une décoration plus naturelles qu'a 1'ordinaire. Cependant on peut auffi nourrir dans une eau courante, bien plus analogue a la deftination de la plus grande partie des fcenes ruftiques, plufieurs efpeces de poiffons, qui par 1'afpecl de leurs jeux 8c lapetite occupation que préfente leur pêche, offrent une récréation champêtre. Au refte les étangs paroiffent convenir le mieux en des endroits reculés 8c touffus. Rarement leur eau eft affez limpide pour jeter des reflèts animés; au contraire, fon obfcurité naturelle eft encore renforcée par les arbres d'alentour. Cette obfcurité, combinée avec 1'immobilité éternelle de l'eau, donne aux étangs un caraclere particulier, celui de la mélancolie 8c de la triftefïe. On peut donc trés-bien expofer dans leur Q_ 2 voifina-  j 2^ .Cmquieme Seüion. voifinage des urnes & des monuments qui rappellent la fragUité des chofes de ce monde. 4- Pieces d'eau. Sous ce nom nous comprenons, non les baffins ordinaires, mais un affemblage de diverfes maffes d'eau naturelles, libres, inégales, plus ou moins confidérables, qui ne font ni lac ni étang, & qui, fans compofer un tout, repofent désunies 1'une k cóté de 1'autre dans un basfond. Ces pieces d'eau fe forment facilement dans de larges vallées par d'abondantes ravines ou des ruiffeaux que fourniffent les hauteurs, par des rivieres qui fe débordent, ou par de riches fources fouterraines. Ces eaux s'arrêtent dans les fonds, s'approchent plus ou moins 1'une de 1'autre, & font féparées par des langues de terre, ce qui produit une furface, partie en eau, partie en terre, qui n'a point de Iiaifon apparen- te,  Des eaux. 125 te, point de continuation prolongée, & dont le caraétere eft d'être déchiquetée & morcelée. Et cependant une décoration de cette efpece ne manque pas d'agrément; qui plus eft, dans la plupart des cas elle intéreffe plus qu'un étang. L'eau demeure a la vérité en repos. Mais les alternatives des eaux & des 'gazons qui s'interrompent réciproquement, leurs formes & leurs tournures différentes, la fucceffion des places claires & des obfcures, Ia variété des coups de jour dans les ombrages, les intervalles & les transparents qu'offrent des arbres & des petits grouppes difperfés ga & la, & qui font ici le meilleur embelliffement, les jeux des reflèts incertains, fe réuniffent tous pour livrer un tableau des plus frais & des plus féduifants. Cette fcene gagne fur-tout a être obfervée du fommet d'une éminence, êi fon effet elt de faire éprouver une tranquille complaifance, & Q_ 3 une  I2g Cinquieme Se ff ion. une douce fraichcur qui pénetre jusqu'au fond de 1'ame. Cette impreffion eft encore renforcée par la clarté accidentelle de la lune, lorsque fa tendre lueur vient vifiter cette fcene, & qu'elle dëploie dans leplus profond filence, entre les eaux & les arbres, un fpedacle qu'on ne fauroit peindre & encore moins décrire; qu'il eft permis quelquefois a fami fenfibie de la nature de voir, mais jamais de retracer. 5- Torrent t. Les torrents, les rivieres & les ruiffeaux font dans les eaux une nouvelle variété, qui ne confifte pas feulement dans la propriété de fe mouvoir de foi - mème, mais encore dans celle d'avancer. Ces caraéteres font communs a tous trois; ils fe diftinguent cependant par la maffe plus ou moins confidérable d'eau, par le plus ou le moins de viteffe de leurs cours, & par la diverfité du bruit qui rend leur préfence fenfible a l'oreille. , , Le cara&ere propre au torrent eft la grandeur & 1'impetuolite de fon cours. Ses maffes confidérables fe roulent & fe précipitent avec force & hardieffe; elles détruifent tout ce qui veut s'oppofer a elles; ou lorsque l'obftacle eft infurmontable, elles percent d'un autre cóté, & mugiffent  D e s e a u x. 127 mugifïent dans de nouveaux détours avec une efpece d'indignation & de fureur. Les eaux d'un torrent font dans une agitation perpétuelle; toujours fe preffant, toujours bouillonnant, écumant. Ses bords font preuve de fa violence; ils font dépouillés de plantes, arides, inégaux, déchirés; des arbres fufpendus, dont les racines nues fortent de terre, menacent ruine a chaque inftant. Des feuilles arrachées & des plantes enlevées au fol qui les vit naitre, nagent difperfées fur les ondes tourbillonnantes. Son lit porte par-tout des marqués de Ia violence du tyran, qui ne fauroit repofer dans fon fein, qui cherche de nouveaux objets a fa fureur lorsqu'ils lui manquent, qui charrie & raffemble du fable, des décombres, des pierres, des morceaux de roe & des branches d'arbres, pour les battre de fes fiots. Soh fauvage mugiffement fait trembler au loin la folitude, car le gibier épouvanté s'eft enfui, & le voyageur ifolé, qui fe gliffe a travers le labyrinthe que forment des buiffons touffus, ne s'approche qu'en friffonnant. Mais, outre les torrents ordinaires, une eau peut en conferver Ie caraétere mème dans une campagne découverte. Car la préfence ou 1'abfence d'un encadrement boifé ne fauroit produire un changement effentiel dans le charactere qui confifte dans la quantité d'eau & dans la rapidité & la turbulence de fon cours: ce font ces qualités qui en font un torrent, quelle que foit d'ailleurs la décoration du canton. Les torrents fe forment dans des endroits oü le fol elt plein de fortes inégalités, de terraffes & de différents obftacles qui s'oppofent au courant libre des eaux. Ils font une partie de la lande, mais d'une lande qu'il faut bien diftinguer du défert; qui n'infpire ni la crainte, ni 1'effroi comme celui-ci, mais jette dans 1'admiration & 1'étonnement. Les torrents ne conviennent donc ni dans un canton agréable, ni dans un canton mélancolique; ils font le propre des cantons oü domine la folemnité, & fur-tout le romanesque. Oü ceux-ci fe rencontrent dans un vafte pare, la. les torrents peuvent auffi déployer leurs effets. Non feulement ils concourent beaucoup k déterminer le cara&ere romanesque;  j 2 g Cinquieme Seftion. que; ils fervent encore, après une fuite de fcenes élégantes, agréables Sc paifibles, a produire un violent eontrafte. La rapidité & le bruiffement du torrent réveillent Ie fentiment du fublime; leurs dégats mème ramenent a des idéés de force & de violence Mais les mouvements finguliers de l'eau, les flots irrités qui fe preffent fe repouffent, tourbillonnent & écument, difparoiffent & reparoiffent'de nouveau, 1'irrégularité de leurs cours, les formes des rochers qui les furmontent & du rivage, les jeux des rayons du foleil, & d'autres accidents, préfentent une fcene qui remplit le fpe&ateur d'etonnement & d'admiration. 6. Rivieres. La riviere a de commun avec le torrent 1'abondance d'eau; mais elle s'en dlftingue par fon cours plus en ligne droite, & par la lenteur  Des eaux. 12q & Ia régularité de fa marche. II eft vrai qu'une riviere eft fufceptible de détours variés, & que ceux-ci font même une partie néceffaire de'fa beauté; qui plus eft, un cours tiré conftamment au cordeau feroit contre nature. Cependant une riviere continue plus long-temps en ligne droite qu'un torrent, la rapidité & 1'impétuofité des eaux de ce dernier fobligeant a faire nombre de coudes & de finuofités. Une riviere dans fa marche circonfpe&e ne rencontre point d'obftacles qui f'arrètent, ou du moins elle en rencontre plus rarement; au lieu que Ia précipitation & Ia turbulence qui font Peffence du torrent, 1'entrainentperpétuellement dans de nouvelles difficultés. Dans la plupart des cas une riviere peut être plus large qu'un torrent; car ce dernier fe difperfant en plufieurs détours, fa maffe d'eau diminue, tandis que la première, dont le cours eft plus tranquille, garde Ia fienne plus raffemblée. Mais auffi lorsqu'une riviere s'élargit trop, elle perd fon cara&ere, qui confifte dans fa progreffion en longueur, & elle devient un étang, une eau dormante. Pour faire un bon effet il faut que les bords de la riviere foient vifibles des deux cótés, & n'aillent pas-fe perdre trop loin 1'un de 1'autre, quoiqu'ils puiffent s'écarter tantöt plus, tantöt moins. Tous les yeux reconnoiffent une riviere lorsqu'ils voient une eau confidérable, & dont on n'apperqoit Ie commencement ni la fin, fe rouler & s'étendre en longueur. Les ances font un mauvais effet aux bords d'une riviere, paree qu'ils en retardent le cours, & en changent le caraétere, en rendant fon eau dormante. Quoique celle-ci ne foit nullement désagréable en elle-même, elle le devient cependant dans ces circonftances, paree que 1'idée de mouvement progreffif qui nous amufoit, difparoit tout a coup,' & qu'au lieu d'une maffe liquide qui s'avanqoit nous n'avons plus fous les yeux qu'un baffin. Toute faillie, toute échancrure donc, quiplaifent dans un lac, doivent être rejetées quand il s'agit d'une riviere. ^Bienque, conformément a fon caraétere, celle-ci s'avance en longueur, & que ce foit précifément cette longueur qui en fait Ia beauté, ceTmtIL R pendant  Cinquieme Seiïion. pendant elle ne peut pas toujours ètre en ligne droite, vu les inégalités naturelles du terrein, ee qui d'ailleurs lui donneroit un afpeft uniforme & approchant de eelui d'un canal artificiel. Au contraire une riyiere naturelle fait des détours qui 1'embelliffent des attraits de la variété. Mais ces détours doivent s'arrondir doucement, non fe flechir brusquement, rien n'offcnfe plus la vue qu'un pafiage fubit de la ligne droite a la courbè. Ces détours ne doivent pas non plus ètre trop multiplies, paree qu alors ils interrompent trop remarquablement 1'idée de mouvement progreflit Cenendant les diverfes fmuofités d'une riviere quicoule entre de verds gazons & de petits buiffons, de, cabanes ifölées & des grouppes d'arbres qu'on peut appercevoir tout a la fois du haut d'une éminence, offrent un des plus beaux fpcdacles de lumiere & de mouvement, & que 1'on s'arrète avec plaifir a confidérer. , . Les bords d'une riviere font fufceptibles d'une grande diverfité, tant dans leur forme que dans leur décoration. Tantót ils foitt éleves, tantót bas tantót en pente douce ou en talus ondoyant, tantot unis, tantöt rab'oteux & rompus. Leur garniture naturelle confifie en gazon, en fleurs, en buiffons & en arbres/ Quelquefois un rivage nuddefigne lè cours du rapide torrent; mais un rivage fertile & agréablement tapifle ome une riviere. Ici les arbres fe raffemblent en maffifs touffus & fe penchent fur i'onde en y jetant un aimable demi-jour; lk ils fe difperfent ifolés, ou s'écartent un peu du rivage, ou font fuccédés par de petits buiffons & des arbres, entre lesquels paroit de nouveau la clarte des places découvertes. Une riviere qui s'offre toute nue eft tres-belle en elle-même; mais des grouppes d'arbres & des buiffons répandus ca & la peuvent former tant d'ouvertures pittoresques k travers lesquelles l'eau mobile fe montre en fe jouant, tant de coups de foleil rompus, que cet embelliflement en rehauffe encore les attraits. Cependant il ne faut pas qu'il ne 1'abandonne jamais. Que fe dégageant de fombrage, la riviere fe déploie au-delk avec de nouveaux charmes, & que libre & brillante elle fe roule fiere de fa propre beauté. Des  D e s e a u x. 131 Des objets artifïciels peuvent auffi fervir convenablement a dëcorer Jes rivages d'une riviere. Presque toutes fortes d'édifices font fufceptibles d'y trouver place, car 1'idée qu'une riviere ferpente auprès des habitations fertiles de 1'homme & favorife la pêche & la navigation, les rend naturels. Que des pavillons pourvus de forties pour la promenade fur 1'eaa & de places propres k Ia pêche, que toutes fortes de moulins, de cabanes de pècheurs &c., contribuent donc k animer les plantations de toute efpece qui parent ces lieux. Une riviere, qui en elle-même eft un fi bel objet, peut de plus fervir de moyen d'embellifiement pour des places environnantes; on en peut tirer des ruiffeaux & des cafcades; on peut; I'élargir pour former des ilots. L'eau vive & les bords d'une riviere égaient Pceil; le mouvement progreflïf occupe 1'imagination, qui, pour ainfi dire, plane a fa fuite fans favoir oü elle va, ni oü elle fe repofera. Une riviere étant le meilleur moyen d'animer toutes les fcenes, elle ne convient pas au canton folitaire & au 'mélancolique; c'eft du gai & du féduifant qu'elle eft la propriété. La riviere produit des fentiments nobles de volupté, lorsque grande, libre & majeftueufe, elie murmure k travers un bois d'arbres k haute futaie, & fe montre par' plufieurs ouvertures qui menent a des perfpeclives lointaines. Les variétés dont fon cours & fa combinaifon avec d'autres objets font fufceptibles, lui donnent une place dans les cantons folemnels & fur-tout dans les romanesques. Bouillonne-t-elle fur des ëcueils dans un fond, au pied d'une haute chaine de montagnes rembrunies par des bois de fapins; fe cache-t-elle dans des gouffres rétentiffants pour reparoitre bientót en ondes écumantes; elle fait dans cette fituation & dans cette Iiaifon une partie du canton folemnel. Des détours finguliers, une fucceffion extraordinaire de viteffe & de lenteur dans fon cours, fa combinaifon avec des rochers, le long des parois perpendiculaires desquels elle fe.güffe fous des arbres fufpendus, ou dans les crevaffes desquels elle s'épanche avec un mugiffement fourd, la revêtent du caracfere romanesque. R 2 Tanf  i%2 Cinqukme Sehlion. Tant a caufe des beautés qui lui font propres, qu'a caufe de fes acceffoires, on aime qu'une riviere faffe partie d'un grand jardin; & 1'on fe plak a la voir couler dans le voifinage d'un petit. Avec quels fraix ne s'eft-on pas fouvent efforcé en Angleterre de détourner vers un pare, une riviere éloignée! Ses effets furpaffent de beaucoup ceux de 1'étang & même d'un beau lac. L'aifance naturelle avec laquelle elle coule, 1'attrait inféparable du mouvement, 1'incertitude oü 1'on eft fur fon commencement & fa fin, les variétés de fon cours, qui tantót eft droit, tantót courbe, tantót découvert, tantót masqué, les différentes formes de fon rivage & de fes décorations, tout fe réunit pour la rendre plus animée, plus recréative k 1'ceil & a Pimagination. Lorsque dans un pare on conftruit des rivieres artiflcielles, on fera principalement attentif aux remarques faites ci-deffus en développant en quoi confiltent leurs beautés. Mais quelqu'agréable que foit une riviere naturelle, elle plak rarement lorsqu'elle elt artificielie, paree que fouvent on trouve des obftacles presque infurmontables a la dépouiller de 1'apparence d'un canal creufé a la main. Cependant il faut mettre la plus grande attention a éviter tout ce qui pourroit avoir l'air d'art. Placez donc TOtre riviere au pied d'une montagne ou d'une colline, oü l'eau s'amaffe ordinairement d'elle-même & en abondance, tant par les pluies que par les ruiffeaux & les fources fouterraines; cachez-enle commencement & la fin avec des arbres & des buiffons, ou derrière des éminences; faites paroitre 1'onde pendant un efpace affez long; h 1'endroit oü elle finit ou fe difperfe en petites parties, masquez la vue par une lande; donnez a l'eau un courrant libre, foit par les inégalités de fon lit, foit par desterralTes dérobées, foit par un mouIin; garniffez d'arbriffeaux qui viennent naturellement, ou de plantations, les  Des eaux. 133 les places qui pourroient deceler la main de 1'art; enfin donnez aux bords un contour naturel, facile 8c fans gêne. 1- Ruif/en v: Le ruiffeau n'a ni Ia quantité d'élément ni Ia largeur de Ia riviere, mais en revanche il a d'ordinaire plus de rapidité. II fait plus de détours, paree qu'il eft docile 8c ne fe fraie que rarement une nouvelle route; il cede avec complaifance a 1'opiniatreté du fol; trop föible pour entrainer un obftacle un peu fort, il 1'évite. De la les écarts répétés de fon cours; R 3 de  1^4 Cinqukme SetHiott. de la encore la multiplicité de finuofités qui lui eft propre 8c le diftingue de la riviere. La vivacité eft le caraétere propre du ruiffeau. II convient donc furtout aux cantons agréables, gais 8c riants, 8c en eft un embelliffement effentiel. On le rencontre en abondance dans des lieux parfemés de collines ou de montagnes, 8c dans des vallées riches enfources: même par fon origine il appartient au payfage animé. II eft, plus que la riviere, au pouvoir de 1'artifte jardinier qui peut bien mieux le guider 8c le faqonner. II fouffre des places deftinées au bain 8c ala pêche, de petites cafcades 8c des ponts, décorations des plus agréables dans des fcenes ruftiques: la garniture de fon rivage eft fufceptible d'autant de diverfité que celle des bords d'une riviere. Le ruiffeau anime 8c embellit tout ce qui 1'environne. II peut mème devenir un afpeét féduifant, lorsqu'il change de cours tantót ici 8c tantöt la, 8c montre fa furface, ici découverte 8c brillant aux rayons dufoleil, la luifant entre de verds buiffons qui 1'ombragent. Que de variété 8c d'agrément dans la finuofité de fon cours, dans fon mouvement, dans fon murmure! Fufi igitür per mille vias fugientibus undis Undique praecipitent, fefto fub gramine, rivi: Pars rapidis paffim, loca per praerupta, fluentis Excurrat; qualis multo tumefaftus ab imbre Dat fonitum faxis, glomerato vertice, torrens; Pars timido curfu per humum trepidare Iaboret Obliquam, quaefitus obex eunttetur euntem; Perftrepat ille cavas, arguto murmure, valles; Infultansque folo tenues aflurgere in iras Difcat & imbelli iam faxa laceflere pulfu; lam ripae intentare minas, et litora circum Nequicquam obftrepere et fpumis afpergere truncos.*) Dans *) Rapin. in Hort. lib. HL  D e s e a n x. 135 Dans un vafte payfage un ruiffeau fe perd au milieu de Ia foule 8c de la grandeur des autres objets; pour faire effet il faut donc qu'il s'offre dans un petit diftricl, oü rceil puiffe faifir fes beautés & 1'oreille fon murmure. C'eft dans un canton un peu renfermé, oü rien ne d'ftrait 1'attention, oü n'apparoit aucun objet frappant, que les attraits d'un ruiffeau feront le plus d'impreffion; non feulement ils attireront, mais ils amuferont encore. Par fon gazouillement le ruiffeau invite a la réflexion, 8c infpire un. fentiment reftaurant de gaieté champêtre & de repos. Et a cóté du ruiffeau un bain placé au milieu d'un buiffon couvert de fleurs odorantes; ou bien un fiege de gazon, un berceau touffu propre a goüter les douceurs du fommeil que fait nakre le murmure d'une cafcade voifine; ou bien encore une haie peuplée de roffignols qui chantent dans cette heureufe foütude les charmes d'un amour tranquille — quelles fcenes aimables 8c touchantes! Ici le ruiffeau fe trouve dans une Iiaifon" tres - avantageufe. Car quoique, vu fon mouvement 8c fon petit bruit, il plaife presque par-tout, cependant une décoration convenable, en rend 1'imprelTion plus déterminée 8c plus fenfible. II fcroit fans effet dans une haute forèt de chênes, ou dans une vafte chaine de montagnes. II ne contrediroit pas moins les impreffions qu'on attend de la fcene, fi limpide il couloit devant un monument de douleur. Le gazouillement d'un ruiffeau n'eft pas un' moyen peu confidérable d'animer un petit canton, fur-tout étant fufceptible de plufieurs variations dans fes tons clairs 8c étouffés, perqants 8c doux. L'artifte jardinier eft maitre de toutes ces diverfités; il peut augmenter, diminuer 8c fixer comme il lui plak, le mouvement 8c leton; car il peut a fon gré ménager les pentes, les enfoncements 8c les élévations du terrein, pra- tiquer  , 0 Cinquieme Section. tiquer des chütes 8c difpofer le fol fur lequel elles tombent, enfin óter les obftacles naturels 8c les placer ailleurs. Ces mêmes variations de ton 8c de mouvement rendent le ruiffeau tres-propre a relever encore les divers cara&eres des fcenes avec lesquelles on le combine. Auprès des grottes, que fon eau foit cachée, fon mouvement un murmure. Dans un bofquet de plaifance ouvert & riant, que fon cours rapide faffe mille détours, brille, puis fe cache de nouveau 8c caufe un gazouillement plus animé. Autour d'un berceau décoré de verd clair, ou autour d'un lit de fleurs, que fa courfè gaiement précipitée jailliffe avec bruit par deffus de petites plate-formes, 8c faffe en fe jouant mille détours de fon eau claire 8c limpide fur un fol net garni de cailioux 8c de pierres qui font briiler leurs couleurs variées. Des ruiffeaux trés- petits ou étroits, ou tout morcelës en petites parties ifolées 8c refïemblantes, ne font point un embelliffement réel; dans Ie dernier cas mème ils caufent de la confufion, fur-tout lorsque nombre de ces petites parties tombent a la fois fous les yeux. Un autre défaut c'eft de vouloir éviter la ugne droite en donnant aux ruiffeaux faits expres, des finuofités trop compaffées, qui n'offrent qu'un afpeét artificiel 8c choquant. Au refte les ruiffeaux ont tant d'attraits, qu'on 'ne fauroit affez s'étonner de ce qu'un goüt étrange leur a fi long-temps préféré des canaux uniformes 8c dégoutants pleins d'une eau croupiffante. Tandis que les nations de 1'Europe qui prétendent le plus a la délicateffe du fentiment, prenoient plaifir a ces marais, le Suiffe, dont la faqon de penfer eft conforme a la nature, 8c dont ces mèmes nations décrierent fi fouvent la rufticité des mceurs, le Suiffe recevoit avec gratitude les clairs ruiffeaux qui découloient du haut de fes montagnes, 8c s'en fervoit pour animer fes jardins féduifants par leur fimplicité. Les ruiffeaux furent  Des eau k. furent en Suiffe plutót qu'en Angleterre Ia décoration des jardins, car ils n'y perdirent jamais leurs droits. «• Filets d'eau. La vivacité, fuivant différents degrés, fait le caraétere général des eaux tombantes. Par-tout elles annoncent leur préfence al'oreille, lors même que 1'ceil ne les découvre pas, & cela k commencer du gazouillement léger & aimable jusqu'au plus féroce mugiffement. Elles animent le payfage non feulement k la vue, mais auffi a 1'ouie; & leurs impreffions renforcées pénetrent 1'ame. La première idéé qu'infpire une eau tombante c'eft qu'elle vient d'une éminence, de collines, de montagnes, de chaines de montagnes, & de rochers, qui par conféquent lui fervent comme d'une efpece de fond. Leur différentes difpofitions, telles que leur plus ou moins de hauteur, Leurs pentes partagées en terraffes ou unies, douces ou perpendiculaires, leurs garnitures, foit d'arbres, d'arbriffeaux, de broffailles, ou de moufTomell. S . fe7  3 138 Gnquieme Seiïion. fe, ou leur entiere nudité, cauferont donc des changements remarquables a une eau de cette efpece. Le terrein mème fur lequel elle fe verfe peut produire de la variété: il peut recevoir 8c tranquillifer l'eau dans fon fein uni, fablonneux ou gazonné; ou 1'irriter encore par fes cailloux 8c fes morceaux de roe, contre lesquels elle rebondit 8c fe roule en écumant. Toutes ces circonftances changent 8c le mouvement 8c la forme de l'eau tombante. Un feul filet d'eau mince eft presque fans effet; au moins n'en éprouve-t-on 1'agrément que dans un petit diftriél paifible. Mais plufieurs filets d'eau qu'on apperqoit 1'un a cóté de 1'autre, ou qu'on entend tous a Ia fois, contribuent beaucoup a animer un canton. Ce qui leur manque du cóté de 1'abondance de 1'élement, eft compenfé par la multiplicité des filets ifolés. Caufent-ils en fe verfant un gazouillement irrégulier, ils tiennent 1'imagination en haleine. Tombent-ils en filets réguliers, 1'égalité de leur murmure met 1'ame dans une paifible indifférence. Ces derniers, bien qu'ils aient une certaine vivacité, bercent pour ainfi dire 1'ame, 8c donnent des charmes k Ia leclure, alaréflexion & au fommeil; mais cette fituation difparoit au bruiiTement d'une cafcade confidérable. D'après ces obfervations les filets d'eau conviennent aux cantons gais 8c agréables; la vivacité qui fait le caraélere de cette forte de décoration, ne s'accorde guere avec les cantons mélancoliques. Les filets d'eau donnent du mouvement k 1'imagination 8c produifent une aimable fraicheur. Ils font une partie importante de petits jardins féduifants. Ils offrent encore un ornement flatteur k des cantons 8c k des fcenes ifoIëes. Autour de grottes 8c de fieges ombragés, ils peuvent defcendre d'un rocher ou fe jouer entre les broffailles. Que leur gazouillement fans art fe faffe entendre dans une petite lande. Que leur chüte foit réguliere 8c toujours la mème, aux environs d'un bain 8c d'un dortoirou derrière un berceau confacré k la leélure. Souvent ils augmentent d'agrément lorsqu'ils font cachés, paree que préfents feulement k 1'oreille 8c l^non k 1'ceil, 1'imagination s'en occupe: elle fe les figure dans un autre lieu,  D e s i n u x, lieu, fous une autre forme qu'ils ne font. Qui plus eft, quand ils font peu confidérables par leur ordonnance & par leur quantité d'eau, la néceflité même exige qu'on les dérobe aux regards. Des eaux tombantes font en général trés - difficiles a faire artificiellement: elles décelent bien vite la main de 1'homme, & n'ont que rarement Pempreinte de la nature. Ici fur-tout il faut s'attacher a cacher les moyens qu'on a emploiés. On fe rend ridicule dés que 1'on manque Ia nature, que 1'on fe propofoit d'imiter a force de fraix & d'efforts. Cependant de petits filets d'eau artificiels font plus aifés a pratiquer qu'une feule cafcade un peu grande. Les premiers peuvent être voilés, ou de moins 1'ceil n'eft pas rigide en les jugeant: mais une cafcade perd h n'être point vue; elle doit pouvoir fe montrer hardiment, & elle. ne Ie peut qu'autant qu'elle eft recommandable par fa beauté. s ö Q. Cafcade.  *40 Cinquieme SctHion. 9- Cafcade. La beauté de la cafcade, diftinguée du filet d'eau' par la quantité 8c Ia force de cet élément, eft principalement déterminée par la hauteur de laquelle elle tombe, & par Pabondance & la limpidité de fes ondes. Des cafcades fituées dans une riviere ou a 1'iffue d'un lac, peuvent plaire a. 1'oreille par leur bruit; elles n'ont que peu d'attraits pour 1'ceil. Mais d'abord que l'eau defcend en fe jouant d'une hauteur confidérable, d'un mont, ou d'un roe, la fcene gagne en impreffion, fur-tout lorsque des maffes liquides, claires & transparentes en animent 1'afpeét. La hauteur peut même relever cette impreffion jusqu'a 1'admiration 8c 1'étonnement. Dans les Alpes fe trouvent des cafcades dont les flots écumants femblent jaillir des nues, le brouillard qui les environne cachant 'eur origine. „L*étranger voit avec furprife des rivieres couler dans les airs, fortir „des nues, 8c fe transformer elles-mêmes ennuages."*) C'eft un des fpeétacles les plus grands 8c les plus pompeux dont la nature fe ferve dans ces lieux pour exciter une vive admiration. Dans d'autres cantons auffi des cafcades font effet, quoique plus foiblement, lorsqu'elles viennent d'une certaine hauteur; car c'eft celle-ci feule 8c non la largeur qui fait leur beauté. Plus l'eau qui fe joue le long du rocher eft claire, plus elle laiffe voir diftinctement fon fond, plus elle nous charme. La quantité 8c la variété de fes chütes, Ia diverfité des arbres 8c des buiffons fufpendus, entre la verdure desquels brillent fes ondes argentées, contribuent extrèmement k la beauté de la cafcade. Mais fon *) Poéfies de Mr. Haller traduites de l'AUemand. Berne 1760. 3 vol. 8. Poè'me intitulé: les Alpes.  Des eaux. 141 fon embelliffement le plus animé lui vient des coups de jour'produits par le foleil, fur-tout lorsque 1'aftre fe coucbant répand des rayons adoucis & une lueur d'un rouge tendre. Une cafcade fur laquelle, repofe en plein la lumiere du foleil eft belle, mais elle 1'eft bien plus encore quand la lueur du foir y jette a travers les ouvertures des arbres environnants des couleurs mèlangées & qui forment un fpeétacle charmant. On fera attentif a procurer aux cafcades aroficielles une fituation fufceptible de cet embelliffement. Quoique une eau tombante plaifefans aucune décoration, lors mème qu'elle découle d'un roe nud, cependant elle devient plus agréable lorsqu'elle defcend en fe jouant parmi la mouffe, les brouffailles 8c les arbres. Cette obfervation doit fervir de guide quand on conftruit des cafcades artificielles; car dans ce cas elles déplairont bientót par leur apparence facfice, fi on les offre nues 8c découvertes a 1'ceil. Auffi les cantons oü ne domine pas abfolument l'air fauvage de la nature depouillëe de tout ornement, nous offrent-ils des cafcades décorées, finon d'arbres, au moins de mouffe, de lierre 8c de petits arbriffeaux. Les branches d'un buiffon qui fe penche par deffus pourront donc voiler une partie de Ia cafcade, mais fans la mafquer entiérement afin que les coups de foleil accidentels ne foient pas interceptés. Quelquefois un fond totalement dérobé donne un effet romanesque a la cafcade, qui nait alors au fein d'un épais buifionj ou fe précipite a travers les cimes des arbres qui la couvrent. D'ordinaire on pratique les cafcades en forte qu'on les voit de bas en haut; mais elles font un beaucoup meilleur effet lorsqu'on les confidere de haut en bas. L'afpeér. de leur chüte dans une fombre crevaffe oü l'eau fe cache dans des routes fecretes, 8c celui de leur perpétuel mouvemem progreflif, dont on ne voit ni le commencement ni la fin, préfente quelque chofe de continu 8c d'intariffable qui appartient k 1'idée de S 3 gran-  1^2 Cinquieme SeSion. grandeur. Une eau qui tombe dans une profondeur confidérable, vue d en haut infpire déja un fentiment qui tient du fublime. Le jugement nous crie de laiffer a chaque canton les fcenes qui lui font propres, & de ne pas prétendre qu'un feul diftriét renferme toutes les fortes de beautés champêtres. Mais qu'on fait peu d'attention a fa voix'. Rien n'eft plus ordinaire que de ménager des cafcades dans la plaine, 8c de laiffer enfuite l'eau couler dans un canal tiré au cordeau. Une ordonnance femblable ne peut que déplaire, étant fi éloignée des préceptes de la nature. Eft-il rien de moins convenable qu'une cafcade dans un terrein tout plat? La nature ne nous offre des cafcades que dans des lieux femés de collines, de montagnes ou de rochers. Lorsque le fol n'a pas une pente remarquable, ou que celle-ci eft I'ouvrage de 1'art, une cafcade eft contre nature. Des cafcades modérées peuvent, a caufe de leur vivacité, s'allier a des cantons agréables. Cependant que des eaux caimes repofent dans les lieux oü les paifibles attraits des champs 8t du repos fe déploient entre de petites collines, de riants bofquets 8c des vallées fleuries; une forte cafcade en troubleroit le caractere. Qu'elle s'écarte donc des endroits oü doivent dominer la paix, la tranquillité 8c 1'agrément champètre, ou qu'elle s'y divife en filets d'eau. Mais elle peut paroitre dans un canton oü regne la douce mélancolie; qu'elle y tombe en murmurant du haut de quelques ruines entre des buiffons clair-femés, 8c qui fe fanent, pourvu que, ni par fa grandeur, ni fur-tout par la vivacité de fon gazouillement, elle ne nuife a 1'impreffion que fait la fcene. Les cafcades appartiennent le plus fouvent aux cantons romanesques, a caufe des formes variées 8c fingulieres fous lesquelles elles fe verfent du haut des rochers, 8c k caufe des accidents qui les accompagnent. Elles contribuent beaucoup a produire du eontrafte, en répandant un fauvage mugiffement fur les hauteurs, tandis que le calme 8c la paix habitent la vallée voifine. Plufieurs  Des eaux. 143 Plufieurs petites chütes amufent, animent, ëgaient de diverfes manieres; mais une feule chüte confidérable eft d'un effet plus déterminé. Lorsqu'on fe propofe de caufer des fentiments vifs d'une certaine efpece, on doit fans contredit préférer une cafcade unique a une multitude de filets d'eau qui ceffent de faire effet. On peut la faqonner & la varier fuivant le but particulier qu'on a, & fuivant les befoins de la fcene. On peut lui donner un afpect. férieux par des roches brutes, un afpedt agréable par de vertes plantations &c. La maniere dont Ie fameux Shenftone a ordonné les Leafowes, & fur-tout le bofquet folitaire confacré a la mémoire de Virgile, prouve, entre nombre d'autres exemples qui s'offrent ici, combien une cafcade modelée fur la nature contribue a jeter du mouvement dans une fcene. Le bofquet, dit Heely, *) s'ouvre & préfente toutes fes beautés: 1'ceil avide qui voudroit tout faifir k la fois, ne fait, oü fe repofer, tant Ie choix eft difficile. L'objet lointain Ie plus noble s'offre k travers une ouverture naturelle. C'eft une belle cafcade qui fe précipite d'un rocher dans une efpece de grotte, & qui eft fituée dans l'ombre d'une refuite. La chüte eft haute, abondante en eau, & harmonieufe, & forme au bas un refervoir écumarrf, au devant duquel eft une Venus fortant du bain dans une attitude modefte. La décharge de cette piece d'eau fe dérobe aux yeux 1'efpace de quelques pas, & puis reparoit & coule doucement. Peu après elle murmure entre de groffes pierres, fe divife, forme une ile, coule de nouveau paifiblement, jusqu'a ce qu'elle parvienne a une feconde chüte; enfuite, après plufieurs *) Lettres fur les beautés des Lea- page 317. note.) & qui, fi je ne me fowes, publiées en Anglois par feu trompe, n'ont pas été traduites en Mr. Dodsley (v.oyez l'Art de former Fran§ois. les jardins modernes &c. Paris, 1771.  Cinquiemt Seiïion. plufieurs détours, elle paffe fous une arche de pont d'un goüt fimple, & tombe dans un lac qui reluit plus bas ï travers les arbres. Catarafte. Le nom même diftingue la cataraéle de la cafcade, en donnant a la première un caraélere de plus grande rapidité"& de véhémence. Un mouvement entrainant, turbulent, impétueux, une abondance d'eaux troubles & toujours agitées, des maffes blanchatres d'écume, un mugiffement féroce, une violence qui chaffe ou détruit tous les obftacles, un brouillard environnant, & 1'échodes rochers, font toutes des qualités & des  Des eaux. 145 des circonftances qui dëfïgnent la cataraéte. Sa demeure eft. dans des contrées montueufes, parmi des roes élevés, entre des efpaces étroits, dans des landes oü fe déchainent fouvent les tempétes, les ravines, les inondations & les volcans. Son lit porte des marqués d'emportement & de fureur; il eft inégal, déchiré, plein de creux, embarraffé depierres & de morceaux de roes; a 1'entour des broufTailles dont les racines font a nud, ou des arbres fufpendus & menaqant ruine, offrent un morne afpect. L'effet des cataraétes eft de produire de I'incertitude, deTinquiétude, de 1'étonnement, fouvent une forte d'épouvante. Elles n'appartiennent point aux cantons agréables; bien moins encore k ceux oü domine une douce mélancolie: elles font une partie caractériftique des cantons romanesques, & encore plus des folemnels. Dans de vaftes parcs, fur-tout dans les fcenes empreintes du dernier de ces caradteres, les cataraétes peuvent fans doute fe montrer dans toute leur grandeur; en partie paree que Femplacement plus étendu le permet, en partie paree que le fentiment du füblirne qu'elles caufent, fe combine plus facilement avec les autres décorations. Dans un jardin borné, une cataracte mugiffante détruiroit les impreffions plus douces des autres objets. La nature paroit avoir réfervé la formation des cataraéles uniquement k fon pouvoir créateur; ici 1'art, après avoir inutilement prodigué fes forces & fes fraix, fera forcé & de céder & d'avouer fafoibleffe. Pour fentir toutes les difficultés de 1'entreprife, il fuffit d'obferver que la cataraéte n'eft d'un bon effet qu'autant qu'elle fe précipite du haut des rochers, & que la feule lande créée par la nature paroit naturelle. La cataracte eft de plus accompagnée de tant d'accidents divers, qui paroiffent tous appartenir k fon caractere, qu'il eft très-difficile d'en obtenir feulement une partie dans 1'imitation. Les cataractes de la première grandeur ont toujours été regardées fur notre terre comme des fcenes naturelles affez remarquables pour attirer 1'attention, non feulement des géographes, mais encore des poê'tes Tome II. T &  l/j.6 Cmquieme Seftion. & des peintres. Sans doute qu'on ne fera pas faché de voir ici dans la defeription de quelques cataraétes les plus fameufes, la multiplicité de leurs décorations & de leurs accidents. La chüte de la riviere de Tees, peu loin de Bernard-Caftle eft, fuivant ce que Young*) en raconte,une des plus grandes curiofités naturelles d'Angleterre. Le chemin mene tantót entre de rapides torrents, tantót lelong de rochers raboteux, tantót par deffus des montagnes pelées, tantót dans le lit même de la rivierd, lit creufé par la violence des torrents. On commence bientót a entendre Ia cataracte, & presque a s'en effrayer. Lorsqu'on eft parvenu a 1'endroit oü la Tees fe précipite fur des rochers, un bois en empèche la vue, mais le tintamarre eft épouvantable. L'afpeét lui-même eft réellement fuperbe; tout le torrent, qui n'eft pas petit, eft partagé en haut en deux parties par un roe placé ■au milieu, & tombe ainfi perpendiculairement d'une hauteur dequatrevingts pieds. L'écume & Ia pouffiere en laquelle l'eau fe réfoud, produifent toujours un are-en-ciel aux rayons du foleil. L'afpeél eft rendu plus terrible encore par les rochers qui s'entaffent des deux cótés jusqu'a plus de cent pieds de hauteur, & desquels fe penchent de grands arbres fauvages & difformes^ La nature n'a rempli aucun pays de plus de cafcades, grandes ou petites, & de plus de cataraéles que la Suiffe. Dans fes contrées montagneufes on entend murmurer de tout cóté des ruiffeaux & des torrents. Nous paffons f0113 filence Ia fameufe chüte du Rhin prés de Schafhoufe, fi fouvent peinte & décrite. Une des cataraéles les plus fingulieres eft fans contredit celle qui fe trouve au cóté feptentrional du mont St. Gotthard au bout de la vallée d'Urzel. Suivant la defcription récente de Sulzer,**) la fortie de cette vallée paroit impoffible, paree qu'elle eft par-tout environnée de montagnes de roe qui s'élevent perpendiculairement. La Reufs feule s'eft creufé un étroit paffage vers le nord entre de *) Voyages dans les provinces fèptentrionales d'Angleterre, t vol. lettre 9. **) Voyez le Cahier du Deutfches Mujhm, 1778.  D es eaux. de hauts rochers. Mais cömme elle n'a point dè rivages & coule entre ces rochers comme dans un canal, on ne peut pas fortir par la. On a donc été obligé de percer une route au milieu d'un roe placé a cóté de la Reufs. Ce fentier n'eft long que de quafre-vingt pas, juftement affez large pour que deux chevaux puiffent paffer I'un a cóté de 1'autre, 8c affez haut pour que le cavalier ne donne pas de la tête contre Ia voüte. Au milieu eft une petite ouverture laterale vers la riviere, pour fournir un peu de jour a fallée. On ne fauroit peut - ètre voir de plus grand eontrafte dans la nature que celui que font ici les deux fcenes que 1'on apperqoit, 1'une d'un cóté, & 1'autre de 1'autre cóté d'un paffage qui n'a que quatre-vingt pas de longueur. Avant d'y entrer on fe trouve dans une vallée unie, pleine de terreins fertiles, paifible & trés-agréable, féjour qui réveille les fentiments du plus doux repos. Eft-on forti de l'allée du cóté oppofé, on a tout d'un coup devant les yeux une fcene qu'on ne fauroit imaginer ni plus bruiante ni plus terrible: le fracas impétueux d'une riviere affez abondante & qui fe précipite trés -i)as par deffus une foule de terraffes; une crevaffe trés-étroite & épouvantabie dans le röc; cent rochers fendus 8c ménaqant ruine en apparence; uachemin taillé dans un roe élevé a pie, chemin qui paroit pour ainfi dire fufpendu én l'air bien au deffus du gouffre oü fe jette Ia riviere avec tant de furie; 8c enfin un pont étroit 8c jeté au deffus de cet abyme; c'eft le pont nommé le Pont du diable, 8c fur lequel il faut paffer pour parvenir au chemin' percé dans le roe dont nous avons parlé. Au milieu de ce pont on eft étourdi par Ie bruit effroyable des flots & par Ia hauteur a laquelle on fe trouve, 8c tout mouillé par l'eau réduite en pouffiere 8c voltigeant en l'air. L'afpect terrible de cette fcene eft au deffus de toute defeription, 8c 1'on comprend a peine comment des hommes ont pu entreprendre de s'y frayer un chemin. Une autre cataraéte de Suiffe moins connue, mais non moins remarquable, c'eft celle qu'on nommé Piffe-vache dans Ie Valais.*). „Un T 2 „gros *) Voyage pittoresque aux glacieres de Savoie &c. II Part. chap. 3.  148 CinquUmé&Uion. „gros torrent fe précipïte de la hauteur d'environ deux cent pieds. Le „roe d'oü il tombe eft perpendiculaire; les efforts de l'eau 1'ont creufé „dans fon fommet en forme d'entonnoir; après avoir roulé quelque „temps avec bruit dans cette pente rapide, tout d'un coup la maffe en„tiere de l'eau fe détache, & tombe a plomb au bas de la montagne. „Dans la courbure que décrit la chüte le jet fe trouve entiérement ifolé „du mont, & fans les petits filets qui s'en féparent, & qui frappant les „rochers latéraux inondent tous les environs, on pourroit paffer a pied „fee entre le rocher & la cafcade, & fe mettre a 1'abri de la pluie fous „une demi-voüte d'eau vive, agitée d'un mouvement rapide. „Le fpeéfacle de cette eau pendante, fans ceffe precipitée & fans „ceffe renouvellée, toujours tombante & toujours fufpendue eft un charge qui enleve 1'ame, & qui fixe en un inftant toutes fes facultés. Mille „formes bifarres, dont pas une ne reffemble k 1'autre, fe fuccedent coup „fur coup avec une rapidité incroyable. La c'eft le torrent entier qui „fe précipite majeftueufement d'une feule piece, & qui frappant avec fu„reur le bas du rocher, & repouffé par lui avec Ia même violence ré„jaillit en entier fur l'eau qui le fuit, & feme par - tout une pluie épaiffe, „femblable k celle du plus grand orage. Ici de petits filets s'élancent „hors de la maffe totale avec Ia viteffe de leclair, & fehatent de ladé„vancer dans fa chüte. La plufieurs grouppes de 1'étément liquide fe „heurtent avec violence, roulent en tourbillon les uns fur les autres „dans 1'étendue de l'air, & atteignent ainfi le bas de la montagne. Quelquefois une partie de Ia riviere, chaffée par Ia violence du vent, eft je„tée fur les rochers voifins; elle s'y rompt avec un fracas terrible, un „grand efpace fe couvre d'écume, 1'onde brifée part en tout fens, mil„le ruiffeaux coulent de toutes parts, les arbriffeaux lointains font inon„dés. Ici l'eau fufpendue eft d'une couleur noiratre; la elle offre Ia plus „vive blancheur; ici elle fe fond en nuages & difparoit entiérement. „Mille mouvements divers fe préfentent tout d'un coup. Mille fons dif„férens font répétés k la fois par mille rochers frappés de différentes ma„nieres; & dans Ie bas la maffe totale de l'eau, fans ceffe lancée & „fans  Des eaux. 149 „fans ceffe repouffée, Ie melange des vagues, des rochers, de 1'êcume, „des nuages confondus, agités, battus avec la plus terrible violence, of„fre 1'image de la nature retournant k grands pas a fon premier cahos, „& du combat de tous les éléments réunis pour la deftru&ion du „monde. „Nous ne vimes point la cafcade au foleil Ievant, au moment oü „les rayons de 1'affre incliné a 1'horifon font brifésparles vapeurs, & fe „réfléchiffent décompofés dans leurs couleurs primitives, préfentant par„tout 1'arc-en-ciel; mais le torrent grofïi par les pluies rendoit un effet „plus confidérable. Nous le confidérions en filence placés au deffus du „vent, a fabri de 1'épais nuage qui fe portoit par-tout, & jusques fur „lesmonts a 1'oppofite au-dela du Rhóne. Des maifons couvertes de „chaume amoncelées a quelque diftance, la hauteur des montagnes qui „entouroient le fpeéhcle, le torrent qui traverfe avec violence un pe„tit efpace en plaine, & qui va décharger le refte de fa colere dans le „Rhóne, les roulemens fourds du fleuve, tout jusqu'au petit pont fur lequel „on traverfe la riviere ajoutoit quelque chofe au tableau. La hauteur „de ce faut le rend plus intéreffant que celui de Sehaffoufe; il n'eft pas „effrayant comme celui de Niagara. . . ." Vers les reftes du fameux temple de Tivoli, le Teverone forme une des plus belles cataraétes de 1'Italie. Le cours de la riviere eft rétréci par deux collines au deffus de Tivoli, fuivant la defeription de Volkmann, *) & la deffus il fe précipite prés du temple, par deffus un rocher, d'une hauteur de foixante pieds dans la vallée au deffous, avec un tel bruit qu'on 1'entend de trés-loin. La phiie fine qui réjaillit aux environs en pouffiere, offre un bel are-en-ciel quand on a le foleil devant foi. A droite font quatre cafcades plus petites, qui fe réuniffent avec grand fracas au tour&Uon caufé par Ia cataraéte principale, roulent en mugiffant fous des rochers, & forment de nouveau a quelque diftance de petites cafcades qui font aller des papeteries & d'autres genres defa- T 3 briques. *) Mémoires fur 1'Italie &c. lid vol. pag. 838  Cinquleme Setlion. briques. On ne peut fe figurer un' afpeét: plus pittoresque.' La chüte mème avec des rochers fauvages & couverts de mouffe qui s'entaffent les uns fur les autres, le temple refpeétable fitué au deffus, la ville, le. beau payfage, les arbres, la riviere, les troüpeaux qu'on y mene s'abreuver, tout enfin ce qui peut rendre une campagne riche en objets variés fe trouve ici raffemblé. Le Pouflin, Vernet, & d'autres grands maitres ont fouvent profité de cette fcene clans leurs tableaux. L'Italie pofïede encore a Terni *) une cataracle plus grande & plus fameufe, éloignée de quatre milles d'Italie de la ville du même nom. Elle eft formée par le Velino qui fe jete perpendiculairement de plus de deux cents pieds de haut dans la Nera. La violence de l'eau a tellement poli les pierres du bord fupérieur fur lequel elle fe verfe, qu'il réfiéchit uné lueur blanchatre. Les ondes fe précipitent les unes fur les autres avec un fi grand fracas qu'on ne peut entendre rien d'autre que leur bruitj les yeux & les oreilles font frappés d'un étonnement tout a la fois effrayant 8c agréable. La hauteur eft caufe que l'eau eft divifée par la réfiftance de fair, 8c changée en pluie 8c en écume, qui, en réjailiiffant avec la plus grande violence fur les rochers d'en bas, remonte comme une fumée blanche fous la forme d'un gros nuage. Dans un temps ferein les rayons du foleil vont s'y réfléchir, 8c forment le plus bel arcen-ciel. Tout Pair eft rempli par une pluie en poufliere des plus fines',qui s'éleve de beaucoup au deffus de la montagne attenante, 8c qui chaffée par le vent, mouille le fpeétateur 8c 1'environne pour ainfi dire d'une nuée humide. Les plantes d'alentour 8c les feuilles des arbres font couvertes d'une poudre blanche très-déliée, qu'on peut facilement effuyer; eUe réfulte des particules de marbre détachées par la chüte, 8c qui lancées en l'air avec l'eau, retombent avec la pluie fine 8c fe fechent. Tout ce que le torrent faifit en haut eft perdu fans reflburce, 8c eft entrainé dans fabyme 8c broyé. Hors le faut de Niagara dans Ia province du Canada en Amérique, il n'eft aucune cataraéle dans le monde auiourcfhui connu, qui foit comparable a celle de Terni. De *) Ibid. Mme Vol. p. 373 &c.  Des eaux. 141 De mème que les rivieres & les chaïnes de montagnes du nouveau monde font en général d'une grandeur qu'on n'avoit jamais vue avant fa découverte, de mème auffi Ie faut de Niagara eft le plus confidérable que connoifTe jusqu'a préfent la Géopraphie, malgré toute Pétendue qu'elle a acquife. La riviere eft d'un demi-mille (anglois) de largeur a fa chüte; le roe qui Ia traverfe repréfente une demi-lune. Avant d'arriver a la cataraéle fe trouve une ile longue d'un demi-mille (anglois), qui finit peu avant la chüte, 8c qui partage en deux parties la riviere. D'abord celle-ci coule lentement; mais a méfure qu'elle approche du faut, fa viteffe augmente & d'une telle force qu'elle lance l'eau en Pair & ne fait paroitre que de Pécume- La chüte perpendiculaire eft de cent cinquante pieds 8c jette tous- ceux qui Papperqoivent dans 1'étonnement. On voit une énorme.quantité d'eau fe précipiter avec violence furies rochers d'en bas, 8c réjaillir en l'air transformée en écume. Souvent on entend te fracas jusqu'a. quinze millés d'Angleterre de diftance; on découvre d'un trés-grand éloignement les exhalaifons qui s'en élévent fous Papparence d'üne nue ou colonne de vapeurs; 8c fuivant que les rayons du foleil s'y réfléchiffent, elle préfente a 1'ceil un are-en-ciel. Nombre d'animaux 8c d'oifeaux qui veulent traverfer le torrent, perdent la vie dans la chüte, 8c on les retrouve en pieces au bas; une foule d'aigles planent aux environs en guettant les dépouiiles de ces infortunés. Remar-  Cinquieme Seiïion. Remarques mêlêes fur les eaux. On fera maintenant convaincu de la multiplicité d'effets contenus dans les caracleres principaux que la nature nous montre dans les eaux, Sc que nous avons décrits jusqu'a préfent. L'eau eft effedtivement un des plus fuperbes objets de la creation & 1'ame d'un payfage. II n'eft point de fcene fi petite a Iaquelle elle ne convienne fous une forme quelconque; il n'en eft point d'affez grande pour qu'elle n'y ajoute pas de la vivacité & de 1'énergie, point d'affez brillante pour qu'elle n'en rehauffe pas la fplendeur. L'eau peut paroïtre avantageufement, quoique fous différentes formes & avec différents caraderes, dans toute fortes de cantons, dans l'agréable, le ferein, 1'animé, lefolitaire, le mélancolique, le romanesque, le folemnel. Même fans faire attention k fes différents effets intéreffants, elle plaït par-tout; on fe réjouit de 1'appercevoir pourvu qu'elle foit pure & en überté; Ia vie & la fraicheur coulent avec elle. Quelque rebelle 8c indomptable que foit l'eau en de certaines maffes 8c fous certains caradteres, elle obéit cependant dans d'autres cas au pouvoir de 1'homme. II peut la guider & la faqonner comme il veut. H peut la mettre en mouvement ou en repos, 1'étendre ou la refferrer, varier 8c décorer fes rivages, la laiffer découverte ou 1'ombrager, 8c lui donner tous les tons, depuis le doux murmure d'un ruiffeau invitant au fommeil, jusqu'au fauvage mugiffement de la cafcade qui épouvante le voyageur. U peut, par fa diftribution 8c par fa combinaifon avec d'autres objets, rendre fes effets plus fürs, plus forts, plus intéreffants; k fon aide il peut changer toutes les fcenes, 8c exciter tous ies fentiments. Et cependant 1'homme n'a pas-voulu fe borner aux caracleres variés fous lesquels la natare nous montre les eaux. Non content encore de les voir tantót dormantes, tantót courantes, tantót tombantes, 8c cela avec tant de diverfité de grandeur, de mouvement, de bruit, 8c de mille accidents, ü les forga kfélancer en l'air. Les  D t s eaux. \^ Les eaux jailliffantes, que 1'art a ajoutées aux caraéteres naturels des eaux, étoient déja connues des anciens, 8t peu rares dans les jardins de 1'Italie romaine. L'amour de la nouveauté 8c de Ia fingularité n'a pas fans doute moins de part a leur invention, que le deffein de fe procurer commodément dans un'petit emplacement, Ie plaifir de Ia fraicheur 8c du gazouillement qu'elles. produifent. Les eaux jailliffantes ne doivent pas précifément être rejetées, paree qu'elles font Ie réfultat de 1'art. II eft vrai qu'elles dominoient par-tout dans la maniere guindée de le Nótre, 8c qu'elles chafferent 1'aimable ruiffeau 8c la noble cafcade. Mais ce n'eft pas paree qu'elles font pouffées en l'air, qu'elles commencent a être oppofées k la nature, car cette derniere nous montre auffi des eaux jailliffantes, quoique comme un phénomene rare. On remarque, p. e., en Islande dans divers endroits, qk 8c la dans Ie pays, 8c le plus fouvent k quelque diftance des volcans, même fur Ia cimedes glacieres, une foule de fources chaudes 8c jailliffantes. Nulle part dans le monde connu l'eau n'eft lancée auffi haut qu'ici, plus haut que dans les eaux fameufes de St. Cloud, d'Herrenhaufen, 8c du Winterkaften auprès de Caffel. Quelques fources bouillantes jettent une colonne d'eau, épaiffe de quelques pieds k bien plus de cent pieds de hauteur; quelques-unes ne jailliffent qu'en de certains temps, d'autres toujours. Troil *) vit autour d'un petit lac huit différentes fources tout k Ia fois* d'oü l'eau s'élanqoit 8c répandoit une vapeur dans l'air pur du matin; une d'entr'elles pouffoit conftamment une colonne d'eau épaiffe de fixahuit pieds, •) Lettres touchant un voyage fait en en Allemand, mais non encore en FranIslande pendant 1'année 1772, & dont eois que je fache. Lettres 1 & 21. 1'original fuédois a été traduit en 1779 Tornt IL V  s^ Cinquieme Stïïion. pieds, jusqu'a vingt-quatre pieds de hauteur. Prés de Geyfer, non loin de Skaalholt un des fieges épifcopaux d'Islande, il trouva dans un diftrift d'un demi-mille, jusqu'a cinquante fources bouillantes, dont la plus grande avoit un cylindre de dix-neuf pieds de diamètre, qui fe terminoit par un baffin de cinquante neuf pieds de diamètre, & lancpit l'eau jusqu'a foixante braffes. D'après cette remarque je crois, que fur-tout dans les cantons romanesques, qui fe diftinguent par des fcenes & des accidents finguhers & presque fabuleux, 1'art eft autorifé k imiter ces colonnes d'eau qui s'élevent. Elles y paroiffent k leur véritable place, & aident beaucoup a renforrer l'effet. On voit dans quelques endroits du canton de Berne, en pleine campagne fouvent au pied de hauteurs compofées de roe, des fources jailliffantes ménagées pour abreuver les troupeaux, lancer en l'air leur jets argentés. Elles font Ik une impreffion d'autant plus vive qu'on les y attend moins. Je ne les..ai jamais apperques fans admiration & fans une furprife agréable. Les eaux jailliffantes méritent donc principalement d'être recommandées dans les jardins romanesques. Mais dans d'autres elles ne paroiffent qu'un raflnement dont on peut fe paffer, fur-tout quand elles y font multipliées. Dans des cantons d'un attrait fimple & modefte, dans des deffeins oü regne une naïveté champêtre, le ruiffeau ou le filet d'eau confervent leurs privileges; un fuperbe jet d'eau feroit incompatible avec le caraétere des autres décorations. Cependant, pour ne pas ètre opiniatres, permettons-le dans quelques places ifolées, pourvu qu'il foit ménagé avec tant de goüt qu'il ne choque pas. C'elt ainfi qu'une fontaine médiocre, qui jaillit en l'air & produit un gazouillement clair &animé, fera toujours une décoration agréable au milieu, d'un petit emplacement garni de fleurs. On voit avec plaifir le jet criflallin s'élever entre mille couleurs brillantes, puis retomber 8? répandre en murmurant une légere  Dt.tea.nx>. 155 gere rofée'autour de lui; cette pluie fine donne de la fertilité & de 1'embelliffement, & les fleurs les plus voifines voient avec étonnement leurs têtes vaciller dans le miroir tremblottant qu'offre le baffin. La nature & 1'art s'accordent ici trés-bien a former enfemble un petit fpedlacle enchanteur, qui gagne encore quelquefois aux rayons que lui jette le foleil & dont on jouit avec une efpece de volupté auprès de 1'entrée d'une falie a manger, devant un cabinet confacré a 1'étude ou au repos. Dans les villes auffi de hauts jets d'eau placés devant des palais ou dans des places publiques, fourniffent, outre 1'utilité de leurs eaux, un bon ornement. Ils renforcent 1'idée de magnificence, & répandent une forte de vie autour d'eux. Et lorsqu'ils font décorés de marbres & d'ouvrages de fculpture, ils font d'autant moins a blamer ici, oü 1'art & les efforts de 1'homme fe montrent dans les batiments qui s'élevent tout alentour. Jamais Ie bon goüt n'a plus été blefle que par les décorations & les ftatues qu'on a prodiguées aux jets d'eau & aux autres machines hydrauliques. On ne pouvoit pouffer Ie luxe & le ridicule plus loin qu'on ne 1'a fait, a commencer par les femeufes cafcades de St. Cloud & de Fontainebleau, & a finir par les jouets que 1'on trouve dans les jardins des boutiquiers. Le jugement le plus ordinaire auroit bien dü s'appercevoir qu'on ne peut pas convenablement faire jeter de l'eau par des figures humaines, ni par des animaux qui vivent fur terre. Cependant que de fautes groffieres a cet égard! Le jardin de Ia célebre Villa Eftenfe prés de Rome, a, p. e,, une allée hydraulique longue de quelques centaines de pas, oü, des deux cötés, plus de trois cents aigles, & mème des pots a fleurs, lancent des jets d'eau. On n'a qu'a voir dans les jardins de Verfailles les fontaines de Latone, d'Apollon, de Diane, de Cérès, de Bacchus & de Flore, pour reli 2 marquer  156 Cinquieme SetHion. marquer a cet égard un goüt des plus mauvais, & que toute la'magnificence du monde ne fauroit voiler. Se peut-il rien de plus ridicule que des lions & des daims a cóté les uns des autres, les premiers repréfentés avides a la proie, les autres en fuite, & qui transformés fubitement comme par miracle, lancent de l'eau en l'air? — Quoique la pierre brute puiffe fans doute fervir de foutien, cependant c'eft un contre-fens manifefte que de lui donner la forme d'un poiffon, qui par fa nature ne peut rien foutenir, & qui préfentant 1'afpeét d'une fouffrance non méritée, réveille un fentiment désagréable. La fontaine de la pyramide dans les jardins de Verfailles montre combien 1'on peut être ingénieux dans de pareilles décorations; précifément fur la marche fupérieure fe trouvent quatre écreviffes qui fervent de fupport. On n'a pas même eu honte de recommander dans plufieurs ouvrages des inventions auffi fubtilement ridicules. C'eft ainfi, p. e., que Decker *) tracé le :deffein d'une fontaine dans le baffin de laquelle font couchés un cerf, un daim, un loup, un fanglier, un renard & un chien qui jettent de l'eau; dans une autre il en fait vomir a desferpents, des cigogries, des paons, des cignes, des pigeons, & parmi le tout une vache; & dans une autre encore s'offrent des lions, des tigres, des chameaux, des canards, un finge & une aneffe en compagnie , & la fïgure dominante de ce beau grouppe eft — Apollon! — Et des animaux marins dans un jardin! Ce mélange de ce qui n'appartient qu'a 1'océan avec ce qui eft propre a la terre, eft tout au moins des plus étranges; & pourquoi 1'étaler dans les jardins? Une eaulimpide qui ruiffele le long d'une verte colline n'eft-elle pas affez agréable en elle-mème? En devient-elle plus belle, lorsqu'elle eft lancée impétueufement en l'air par un monftre marin, dont la flgure même eft *) Dans fon ouvrage intitulé: Der ftivftliche Baumeijler, c'eft a dire: 1'Archite&eroyal. Augsburg, Fol. 1713,  Dei eaux. eft fouvent effrayante', ou renouvelle du. moins Ie fouvenir terrible de i'hiftoire de fes hoftilités en vers lhomme? Ou 1'afpecf de pareilles créatures ne fert-il pas plutót k troubler Pémotion agréable que réveille une eau vive qui murmure doucement? Des impreffions trompeufes de cette efpece peuvent-elles s'accorder avec la deftination des jardins? Et fuppofé que la figure d'une baleine, d'un crocodille, ou d'un autre animal marin, ne paroiffe pas contre nature dans une vafte piece d'eau, ne 1'eft-elle pr.s dans un baffin, dont le circuit circonfcrit de tout cóté par fon rivage, tombe tout k la fois fous les yeux, 8c qui eft ornbragé de berceaux élevés & de haies? Loin des jardins, monftres marins horribles, même quoique le Nótre vous recommande 8c que louis le grand vous approuve! Ces remarques feront fuffifantes pour mettre les privileges qu'a la nature auffi de ce cóté, k 1'abri des ufurpations du mauvais goüt. Les jets d'eau font "8c demeurent un rafraichiffement agréable, dans les climats chauds fur-tout oü ils prirent naiffance; dans les contrées feptentrionales ils ne font en grande partie que de fimples imitations, 8c 1'on peut plütót s'en paffer; quelquefois même ils nuifent aux Mtiments voifins par 1'humidité qu'ils répandent. Cependant, que ménagés en des endroits convenables 8c quittes des difformités ordinaires a leurs refervoirs, ils amufent encore les amateurs. Mais qui ne leur préféreroit le courant, la chüte 8c le murmure d'un clair ruiffeau? Ce ruiffeau, 1'amour' de Zéphire, Qui du voile des cieux réfléchiffoit 1'azur, Et de Flore autrefois embelliffoit 1'empire, Captif dans un baffin de marbre ou de porphire^ N'eft plus ni fi clair, ni fi pur. Efclave de 1'art qui 1'enchaine, Dans fa prifon fuperbe il ferpente avec peinfr U 3 Libre  j^g Cinqideme Seïïion. Des eaux. Libre autrcfois, dans fes longues erreurs, II embraffoit, il arrofoit la plaine, Et donnoit en fuyant la vie k mille fleurs. BE RN IS- SIXIEME  159 SIXIEME SECTION. Des chemins & des fentiers. i. Dans les traités du jardinage on trouve des inftruétions fuffifantes fur la conftruétion, la folidité, & la commodité des chemins & des fentiers néceffaires dans les jardins, & pour lesquels il faut principalement faire attention a la nature du climat & du fol. Nous ne rechercherons ici la maniere de diftribuer les chemins qu'entant qu'elle eft foumife au bon goüt. Des fentiers fuperflus, comme p. e. dans une plaine ouverte, oü nuPobftacle n'arrète la marche, font choquants; & il eft désagréable de ne les pas trouver dans des lieux oüils font néceffaires. On nuit a l'effet des fcenes ruftiques, tant en pratiquant trop ou trop peu de chemins, qu'en les diftribuant enforte qu'on n'en rencontre point la précifément oü ü en faudroit. La deftination principale des fentiers eft de mener a toutes les fcenes remarquables, fans obliger a retourner fur fes pas. Mais a cette deftination s'en joint une autre, favoir qu'ils foient ménagés de faqon a varier & a multiplier non feulement en général les afpecfs, mais a préfenter encore fous le développement le plus favorable, les plus beaüx lointains, tantót tout a la fois, tantót fuccefllvement, tandis qu'au contraire tout fpeélacle déplaifant demeure entiérement mafqué. La diftribution des chemins exige donc une attention foigneufe aux points de vue fous lesquels ils offrent les objets aux yeux. Suivant la fituation & la nature du fol & des fcenes .champêtres mèmes, les fentiers tantót s'arrêteront dans les fonds, tantót s'éleveront avec les éminences, tantót s'étendront en ligne droite, tantót fe replieront, tantót fe rétréciront, tantót s'élargiront, & aurontpar conféquent  160 Sixieme Sellion. féquent par cela même une certaine variété. En s'attachant conftamment a faire jouir des perfpedtives 8c des effets les plus agréables de toutes les décorations, il ne fera pas difEcile d'ordonner heureufement les fentiers. Une conduite oppofée fera commettre une foule de fautes k cet égard, 8c rendra femblable aux jardiniers vulgaires, qui jettent leurs chemins oü le leur dicte le caprice, ou bien oü le fol & le cordeau leur en indiquent une facilité quelconque. II eft donc contradictoire d'obliger un jardin a s'accommoder a des fentiers deffinés avant que toute fon ordonnance foit achevée. Les chemins ne peuvent fe déterminer convenablement & fe bien diftribuer, que lorsque toutes les parties 8c les fcenes du jardin font entiérement plantées 8c faqonnées. Les fentiers n'étant qu'un acceffoire, non une partie capitale du jardin, il feroit trés-mal - a-propos de les difpofer enforte que plufieurs d'entr'eux, au lieu d'être mafqués par ci par la, tombaffent en's'offrant tout a la fois fous les yeux, 8c imitaftent en quelque faqon les rues d'une ville. Ce font d'ailleurs des objets trop peu confidérables pour mériter d'être étalés en fpeétacle. 2. La plupart des mal-entendus K 1'égard des chemins ontpris naiffan•ce avec la queftion, s'il falloit les difpofer en ligne droite ou en ligne ondoyante. On fe fouviendra que 1'ancienne maniere ne fuivoit que la ligne droite dans fes fentiers. Lorsque le nouveau goüt introduif par les Bretons, commenca a fe répandre, on la rejeta entiérement pour la ligne ondoyante que 1'on pratiquoit par-tout. Mais la ligne qui ferpente réguliérement eft presque tout auffi uniforme que la droite. La ligne qui fe courbe librement 8c fans exaétitude, 8c fe réplie de maniere k produire;:du changement, mérite fans contredit la preférence. Nous 1'appellerons la ligne naturelle, paree qu'elle s'offre a nos yeux dans les modeles que nous préfente la nature, 8c paree que la mème oü elle eft deffinée par la main de 1'homme, elle fe regie fur la difpofition du fol, 8c fur la fituation des objets naturels. Si  Des chemins & des fentiers. 161 Si 1'on demande de laquelle des «j^ux lignes doit fe fervir Partifte jardinier, la réponfe ne pourra qu'ètre favorable a toutes les deux. Voici Ie fait La ligne droite n'eft pas contre nature, & elle ne mérite pas non plus d'être rejetée paree qu'elle dominoit dans Fancienne maniere. Elle eft accompagnée d'une efpece de commodité, & il eft des cas oü non feulement on peut la tolérer, mais encore 1'employer avantageufèment. Elle convient 8c aux grandes promenades publiques & aux Iarges allées garnies des deux cótés d'arbres a haute futaie. La oü doivent s'ouvrir des perfpectives lointaines, oü 1'on cherche 1'amufement que fournit 1'étendue 8c la grandeur, oü 1'ceil doit ètre fixement attaché k un objet intérefïant placé devant lui & deftiné a maintenir dans fattente, les chemins alignés font les meilleurs. Un fentier tortueux paroitroit déplacé dans une plaine entiérement droite 8c unie. Lors qu'on n'a rien a préfenter a, la vue des deux cótés du diemin, que les écarts de la ligne droite ne meneroient point a de nouveaux afpects, ne cauferoient aucune variété, que Ton n'a d'autre but que celui de parvenir bientót 6c commodément a un lieu préfïx, le chemin tiré au cordeau mérite fans doute la préférence. Outre tous ces cas, la ligne droite eft encore fouvent néceffaire uniquement pour le eontrafte & 1'interruption. Dans dè vaftes jardins, des routes toutes ondoyantes, ainfi que des chemins tous alignés, donneroient a 1'enfemble une empreinte d'uniformité fatigante. Le mélange ingénieux de ces deux efpeces devient non feulement indifpenfable dans une grande étendue, mais même agréable a caufe de la diverfité qu'il y répand. Lorsque le fol 8c le but propofé 1'exigent, continuez quelque temps Ia ligne droite, 8c rompez-la de nouveau par 1'ondoyante, lorsqu'il s'en préfente une occafion avantageufe. Le fentier finueux eft d'abord prefcrit par la néceffité, quand les' enfoncements 8c les éminences du terrein, quand des arbres, des eaux, 8c d'autres obftacles naturels s'oppofent a la ligne droite. Enfuite on le Tome II. X choifit  jg3 Sixieme- SeBion. choifit expres & par goüt fur-tout convenable aux fcenes & aux plantations que 1'on doit parcourir en fe promenant tranquillement & avec réflexion, & en éprouvant un agrément infenfiblement progreffif, & oü la vue doit ètre guidée graduellement d'un objet, d'un afpeét. a 1'autre. On fe plak a errer dans des fentiers tortueux au milieu des bofquets de plaifance & des buiffons, dans des landes & le long des eaux; on fe plak a fe couler fur ces mèmes fentiers dans des bas-fonds touffus & vers des hermitages obfcurs; on fe plak enfin a les monter en tournoyant autour des monticules, ce qui multipïie & diverfifie fucceffivement les perfpeétives. Dans des jardins d'une moindre étendue, les fentiers finueux peuvent encore fervir k procurer une apparence d'agrandiffement. Mais en eonftruifant des chemins tortueux, il faut d'abord éviter tout ce qui pourroit décéler 1'art. Les finuofités doivent par-tout êcre naturelles; il faut qu'il ne fe rencontre aucune progreffion, aucune rentree, aucune faiilic, qui ne paroiffe née de la nature même du fol, & qui ne s'accorde k la difpofition des objets dont elle eft gamie. Un feul arbre ifolé peut quelquefois ètre caufe qu'il n'eft plus indifférent au fentier de paffer de ce cóté ou de 1'autre. Les détours du chemin ne doivent pas fe rompre brufquement, fi ce n'eft dans quelques endroits oü Pon fe propofe de furprendre le promeneur, ou de Ie mener fubitement vers une fcene, vers un afpecl: inattendu. En tout autre cas, que les détours fe ploient doucement, fans gêne & fans apprèt, & ne foient ni coupés net, ni embarrafies, ni entrelacés. Outre les changements qu'offrent les finuofités mèmes du chemin, il peut encore gagner de la variété en fe débordant quelquefois en petites places gazonnées, & entre les arbres & les buiffons, & tantót en defcendant, tantót en remontant, tantót en s'élargiffant, tantót en fe refferrant, tantót en fe préfentant garni de plantations ou recouvert de buiffons fufpendus, & tantót Iibre & découvert. Qu'un fentier étroit fe détourne vers une cabane ou un hermitage fans art; qu'un  Des chmiins & des fentiers. x6? qu'un chemin aligné, large, dégagé, conduife k un temple, ou k quelqu'autre fcene brillante; & qu'une allee touffue ou recouverte d'une voüte de feuillage defcende en ferpentant vers Ia fcene mélancolique qui repofe dans le vallon. Que le plus nu le moins de culture des chemins fe regie toujours fur les décorations entre lesquelles ils s'étendent, ou auxquelles ils conduifent. 3- Des petits buiffons 8c des fleurs fervent k I'enjoiivement des fentiers; 8c ici encore il faut faire attention au canton 8c k fes fcenes. Le chemin qui traverfe un diflriél fimple 8c champêtre , n'a pas befoin de parure particuliere; du gazon 8c des fleurs fauvages fuffifent pour fon cadre. Dans des lieux deftinés k fe promener délicieufement pendant les foirées fereines 8c au clair argenté des rayons que lance amicalement Ia lune, les fentiers ferontgarnis de buiffons k fleurs odorantes 8c de plantes balfamiques. Le long des routes qui conduifent a des fcenes nobles 8c pompeufes, de grands arbriffeaux 8c des fleurs k nuances brillantes peuvent élever fiérement leurs têtes de cóté 8c cPautre. Ici Fon fera fur-tout attention k la variété des verdures 8c k la vivacité des couleurs; Ie voifinage de ces objets attire Ie fpeétafeur, 1'arrête, 1'occupe, 8c lui fait rencontrer de 1'amufement oü il ne cherchoit qu'un fimple paffage. II fuffit que les "chemins foient commodes, 8c if n'eft pas néceffaire de les aftreindre k cette régularité d'apprêt qu'offenfe le plus petit brin d'herbe qui vient k pouffer. Ils ne doivent pas reffembler au plancher net de nos chambres de parade, mais offrir au contraire une partie de cette négligence 8c de cet abandon que la nature ruftique a coutume de répandre, non fur fes propres ouvragesuniquement, mais auffi fur les fcenes arnficielles qui lui font alliées. A 1'iffue des parcs 8c des jardins, de petits fentiers étroits qui s'écartent au loin, peuvent devenir un bon moyen deprolonger 1'idée d'éten- X 2 due.  164 Sixieme SeUion. Des chemins & des fentiers. due. Lorsqu'ils ne font pas deftinés a quelque ufage réel, ils n'ont qu'a s'enfoncer a quelque diftance qk 8c la dans la campagne, ou a s'aller perdre dans un buiffon. Tout dépend feulement de féduire 1'ceil par une apparence d'agrandiffement, mais fans qu'il s'apperqoive de 1'illufion, car cette découverte lui feroit auffi importune que la penfée qu'un lieu agréable eft circonfcrit. APPENDICE.  APPENDICE. DESCRIPTION DE QUELQUES JARDINS. I. Defeription du Heefchenberg. II. Defeription de Sklkeck. III. Defcriptions de jardins autour de Darmfladt. IV. Defeription du pare d'Envil. V. Defeription du pare de HackfaË. VI. Defeription du pare de PainshilL VII. Defeription du pare de Persfietd. VIII. Defeription du pare de Guifcard.   t Defeription du Heefchenberg. *) Adeux milles (d'Allemagne) a 1'oueft de Kiel s'éieve, dans la feigneurie de Schirenfée, le Heefchenberg, ou mont de Heefchen, auquel la nature donna une fituation enchantereffe au milieu d'un payfage fertile & cultivé,. une riche garniture de forêts, & une foule d'inégalités Sc de pentes pour multiplier les perfpeélives intérieures 8c extérieures. Le payfage d'alentour réunit dans fa modefte fimplicité tous les agréments de la nature champêtre. Point d'objets magnifiques, dignes d'étonnement ou d'admiration, point de cha'mes de montagnes,point de rochers, point de bois qui fe penchent fur leurs fiancs, point de vue fur 1'immenfité de la mer. Mais en revanche tout ce qui peut contribuer k caraclécifer le payfage le plus agréable, & a infpirer un doux calme, une joie innocente 8c rille de la nature.. Par-tout dans les environs une variété y une fuceeffion continuelle de hauteurs 8c d'enfoncements, d'arbres ifolés 8c en grouppes, de forêts 8c.de buiffons, de chemins bordés de haies. 8c de champs, de prairies, de paturages, de grains meuriffants, dont le luftre fe montre en fe jouant fur les cóteaux entre des encadrements plus fombres; 8c le tout dans une fituation pittoresque 8c avec une diverfité prodigue de combinaifons. La nature a diltingué les cótés méridional 8c occidental de la contrée par des attraits encore plus rélevés. lei 1'ceil efl: réjoui par les douces éminences du terrein, par quelques montagnes qui s'élevent les unes derrière les autres, fur les penchants desquelles verdoient des paturages 8c brillent des cliamps de bleds, 8c par un beau couronnement de bois qui fait le fond de ces hauteurs, 8c qui, quoique compofé de plufieurs maffes différentes y ne forme quyuiv feul *) Pare dans la terre noble de Schiren- I. de Ruflie, ci - devant fon Ambafladeur fee dans le Holftein, appartenant a Mon- & premier Commiffaire, ChevaJier de fieur Cafpar de Saldern, Confeiller inti- l ordre de 1'Eléphant & autres ordres. me aftuel, & Miniftre d' Etat de S. M. f67  i68 Appendice. feul enfemble dans le lointain, & offre une enceinte fuperbe. Tout dans ce circuit eft champètre, folitaire, calme; tout eft doux & paifible, répanduavec une tranquille aménité, fraix, & rafraichiffant Ie cceurfenfible, qui s'approche de cette fcene. Son impreffion eft encore renforcée par le filence qui regne ici 8c que rien n'interrompt, fi-non quelquefois les joyeux mugiffements des troupeaux qui paiffent aux environs, & les chants des oifeaux qui s'égaient dans ces contrées touffues. D'après fon caraélere & fes effets, ce lieu paroifioit vraiment deftinc par la nature a être la retraite d'un génie, qui retourne des grandes occupations du monde a la folitude chérie de la campagne, qui veut paffer le foir de fa vie fous un ombrage tranquille & a lui, & y goüter, avec le plaifir que caufent le fouvenir des fervices rendus au public, la douce volupté d'une vie privée 8c bienfaifante. Quel changement, 8c cependant qu'il a d'attraits 8c de vivacité! Plus d'orage de cour, plus de difputes entre des monarques; d'ici le monde entier paroit appaifé 8c content. Toutes les fcenes environnantes n'offrent que repos & que doux rafraichiffement. Pendant qu'il erre ici avec les fentiments dont la nature 8c le fouvenir du paffé Ie récompenfent, la lune fe leve derrière les bois, 8c éclaire cet heureux fpeclacle en applaudiffant en filence, tandis que le fake occidental des forêts d'alentour fe tracé fur la rougeur du foleil couchant qui 1'éclaire 8c paroit s'arrêter avec complaifance a 1'horizon. Le caractere de repos 8c de fraicheur champètre imprimé par Ia nature au payfage, eft auffi confervé dans toutes les difpofitions 8c dans tous les arrangements que le goüt 8c 1'art y ont ajoutés. Car le génie agiflant du poffeffeur ne pouvoit fe borner a habiter 8c jouir; accoutumé a créer, il exerqa fon activité en produifant une foule d'embelliffements. Au fommet du touffu mont Heefchen fe préfente d'abord Ie grand pavillon, fans pompe, mais d'un goüt d'archite&ure pur 8c noble, la'facjade tournée vers 1'occident. L'infcription  Defeription de quelques jardins: 169 L'infcription en Iettres d'or qui furmonte fon entree annonce fa deftination: Tranquillitati! Au bas en entrant une grande falie, haute & Tornt IL Y bien  170 Appendice. bien décorée, eft au milieu de deux cabinets qui occupent les cótés; dans Ie premier étage font les chambres k coucher. Ce batiment fert uniquement au feigneur, & il eft affez grand pour fa demeure, vu qu'on n'y refte pas I'hyver, Ia fituation & la diftribution de ce lieu ne le rendant propre qu a 1'ëté. Le toit peint en rouge eft orné d'une jolie petite tour, 8c les murs extérieurs font revêtus d'un enduit bleuatre. Derrière 1'édifice eft une rangée de petites tentes oü demeurent les domeftiques. La cuifme, la boulangerie, la glaciere, & tous les autres batiments néceffaires au ménage, fe cachent de cóté dans des buiffons; ils font fi fort k I'ombre que 1'on peut paffer trés-prés fans les découvrir; aucun rayon du foleil ne pénétre ce, féjour renferme, & aucun bruit n'y décele le travail. Au devant du pavillon eft une petite allee de tilleuls avec des fieges. Elle fert k prendre du thé, k jouer 8c k fouper au frais, 8c favorife Ia vue; car on découvre de la falie k travers cette allée 8c droit devant foi, 1'afpect agréable d'un efpace occupé par des prés & des champs, puis celui de la métairie appartenant a la terre feigneuriale 8c qui eft dans tin fond, derrière elle celui d'une montagne, 8c enfin celui d'un beau bois qui termine Ia fcene. L'allée peu longue de tilleuls eft compofée d'un large fentier au milieu, 8c de deux plus étroits k cóté, lesquels *bnt bornés par une charmille qui fert en même temps de cadre au bois. Cette charmille n'a rien d'apprêté, elle eft tracée Iibrement, 8c les arbres foreftiers la furmontent immédiatement. Au bout de falléc de tilleuls on voit droit devant foi, une terraffe k neufs gradins confidérables, 8c qui s'incline trés-bas: elle eft garnie des deux cótés de haies 8c de bois, 8c au bas eft une petite piece d'eau, dans laquelle fe mirent les têtes des arbres circonvoilins. La terraffe n'eft point faite pour ètre montée 8c n'a point d'efcaliers. Des fentiers s'étendent de part Sc d'autre du bois fur les gradins, 8c offrent, fuivant les différentes hauteurs, différentes vues du grand pavillon au fommet, 8c du payfage au pied de la montagne. Les gradins font pourvus de re- pofoirs  Defeription de quelques jardins. j^j pofoirs d'oü 1'on peut jouir de ces vues, qui tantót s'élargiffent, tantót fe rétréciffent: ils font de plus décorés de fleurs & ga 6c la de fuperbes lauriers pittoresquement grouppes. Un repofoir charmant fe préfente k gauche de Ia place devant le pavillon, 8c a 1'ombre de maronniers touftus attenants a un grillage peu élevé qui entouré le bord de cette hauteur garnie de fleurs odoriférantes. L'ceil paffe par deffus une avant-fcene garnie d'épais buiffons 8: embellie de grands arbres des deux cótés, 8c qui, fe penchant le long du flanc méridional de la montagne, forme une belle décoration bocagere, puis va plonger dans un enfoncement confidérable occupé par un vivier artificiel. Ses rives font couronnées de buiffons de rofes; du cóté oppofé eft encore une jeune plantation de maronniers, qui dans Ia fuite contribuera k 1'embelliffement de l'eau. Au bord d'en deqa brille un lit';de fleurs a nuances vives 8c variées, qui fe réfiéchiffant dans Tonde, forment un nouveau fpeélacle tandis qu'on fe promene au bas de I'éminence. On voit d'en haut, lelong de 1'étang, unfiege propre au plaifir de la pêche, plufieurs bancs, 8c k droite un batiment de pierre couvert de chaume, qui eft d'un tres-bon effet dans ce lointain. Au-dela de l'eau on découvre encore dans le bas-fond la plus grande partie d'un bofquet furmonté ci 8c la par de grands arbres, coupé par des fentiers qui ferpentent, 8c animé par une petite cafcade. Derrière cette décoration Ia campagne commence k fe rehauffer. A travers les grands arbres du bofquet, on apperqoit s'élever une chaine de collines 8c de montagnes oü brillent des paturages 8c des champs de bied. Plus loin vers 1'ouelt les montagnes s'élevent d'avantage, 8c n'étantpas fort éloignées, fe montrent trés - diftinctement a l'ceil; leur fake eft couronné d'une file de bois qui s'étendent depuis le cóté méridional jusqu'au -dela de 1'occidental, 8c par les ouvertures desquels quelques champs enfemencés viennent mèler leurs nuances plus claires au refte du tableau, 8c y jeter un plus grand eontrafte de jours 8c d'ombres. Quelquefois la vue eft frappée d'étonnement par les apparitions accidentelies qui s'offrent Y 2 au  xj2 J pp en die e. au travers de ces mèmes ouvertures. Les hauteurs les plus'reculées 8t couvertes de champs enfemencés s'élevent au deffus du bois qui s'incline du cóté du fpeftateur, la charrue paroit fouvent errer dans Ia cime des arbres, ou le moiffonneur menacer leurs tètes de fa faux. — Les bois terminent 1'horifon 8c enveloppent le payfage dans leur folitude. Defcend-on a gauche du grand pavillon 8c de cóté dans Penfoncement, on parvient bientót a un petit édifice dont le toit eft rouge & 1'enduit bleuatre, 8c qui contient une chambre 8c un cabinet a coucher. D'ici 1'on appercpit une partie de lapente couverte de buiffons; mais la vue eft bornée. De ce batiment part un chemin vers 1'orient de la montagne, d'oü les régards parcourent des enclos en prairie, s'élevent 'le long d'une éminence, 8c vont fe repofer fur un bois; un autre fentier, droit devant 1'entrée, mene en ferpentant dans le bas-fond. Lors qu'on eft defcendu, la pointe du pavillon s'offre en haut entre les arbres d'une maniere trés-pittoresque. Un pont propre a la pêche, 8c qui conduit par deffus un canal oü s'amaffe Peau de 1'étang, eft muni d'un fiege. D'ici 1'on découvre de prés l'eau, les fleurs 8c leurs images réfiéchies, Ia maifon couverte de chaurne dont 1'infcription eft Bon - bon, 8c tout alentour une enceinte boifée. En errant dans le bofquet on rencontre de petits canaux qui vont en ferpentant fe verfer dans 1'étang, 8c des aunes élevés, liffes, Scjjdéliés qui s'élancent en l'air. Le bofquet, compofé d'un mélange d'aunes, de charmes, de pruniers 8cc., eft peu haut, rare 8c aéré; il s'étend avec fes fentiers tortueux pendant un efpace affez long vers le levant du pied de la montagne, 8c a des bancs qui invitent au repos. De ces fen' jgffi&sque toujours en vue la tour du grand pavillon fur Ia " ' ' i''' du bofquet vers le couchant, on arrivé k Pédifice furiï~bon, 8c de la k une grande grotte. On laiffe k gauche une 'Ïk-iK'. #eorée d'une urne blanche 8c de fleurs; l'eau fait une chüte, r- \ . h drvife en filets. La grotte eft un ouvrage folide en pierre, 4||rant 8c k fes cótés de grandes ouvertures fans portes. Elle . eft  Defeription de quelques jardins. 173 eft fpacleufe, élevée, fraiche, au dedans incruftée naturellement de cailloux, & repofe a 1'ombre de grands arbres. Droit devant 1'ouverture du milieu eft une maffe de roe, par deffus Iaquelle fe précipite une cafcade en faifant trois chütes affez confidérables; a fon bruit fe joint le frémiffement des arbres qui fe balancent fufpendus au deffus de 1'onde. De cette grotte un chemin tres-agréable ferpente vers le haut de la montagne: un autre mene Ie long de fon bord, a une fuite de filets d'eau, a des ponts, a un étang & a de petits gazons. Ce fentier préfente vers le couchant des montagnes qui s'élevent infenfiblement, des bois faillants & rentrants, la métairie avec fes batiments, la nouvelle demeure feigneuriale *) d'un bon goüt d'archite&ure, & plus loin vers Ie nord la vue libre d'un payfage richement décoré. Les fentiers qui parcourent la pente occidentale de • Ia montagne préfentent les mèmes objets, mais fous un afpeél tout différent, paree que ceux-ci fe retirent plus dans les bas-fonds & ne paroiffent que ca & la par parties a travers les efpaces des arbres. Ce point de vue donne plus d'importance a la piece d'eau fituée au deffous, qui, fes rives n'étant pas clairement défignées, paroit plus grande a travers les petits intervalles du feuillage. En fuivant un de ces fentiers qui fe fléchiffent vers Ie nord de Ia montagne, on paffe devant un batiment voué ala folitude, ainfi que le témoigne, non feulement fon infeription, mais encore fa fituation. Ce batiment fe détourne un peu a la gauche du chemin, & s'enfonce dans le crépufcule caufé par 1'ombrage des arbres. Ce fite eft tel qu'il doit être, caché, tranquille, touffu; tout lointain environnant eft mafqué; cependant le batiment, confiftant en une ehambre & un dortoir, a une jolie petite avant-place. Y 3 Pour- *) Dans d'autres provinces d'Allemagne on 1'appelleroit" on cMteaw. Voyez- en le deffein a la fin de cette defeription.  Appêndice. Pourfuit-on'ce chemin, on parvient bientót a une place'ronde, attenant a laqueile eft un autre petit batiment d'une feule chambre, 8c qui a caufe de 1'afpecl vafte 8c fuperbe qui frappe ici l'ceil vers le nord, fe diftingue par 1'infcription Belle-vue. Ce lointain s'étend a plufieurs milles, eft riche, 8c d'une grande fraicheur, 8c fait d'autant plus de plaifiV qu'on le trouve au fortir d'une fcene clofe 8c mafquée. Immédiatement devant foi, on a une longue terraffe acceffible, bordée de bois des deux cótés, 8c munie de plufieurs gradins 8c de marches commodes de gazon, a 1'aide desquelles on peut defcendre au pied de la montagne. Sur les devants paroiffent des prairies, des paturages, des champs 8c quelques maifons. Un peu plus loin la vue eft ranimée par un beau lac, dont la limpidité forme un eontrafte enchanteur avec un bois fombre 8c adjacent a droite. Au-dela fe montrent des champs de bied, des villages, des forêts, 8c lorsque le temps eft ferein, deux maifons feigneuriales, l'une desquelles, Kleinnordfee, eft vifible même fans luneite d'approche, 8c nombre d'autres variétés 8c mélanges finguliers que peut offrir un payfage qui fe perd dans la vapeur azurée de Fhorifon. Cette perfpeétive eft la plus vafte, la plus dégagée, 8c la plus riante qu'on apperqoive de la montagne, entourée presque de tous les autres cótés par des bois. Elle répand une aimable vivacité fur ce tableau, fans altérer le caradlere de 1'enfemble, qui eft le repos 8c la folitude champètre, \oi qu'aucun bruit voifin, aucun mouvement violent ne s'offre alentour, mais que plutót le calme de la nature paifible plane fur ces fcenes qui s'étendent au loin. En fe détournant de cette vue 8c jetant les yeux' en arriere, on apperqoit a travers une large allée droite qui va en montant, un cóté du grand pavillon. Mais on préférera fans doute le plaifir que donne le chemin qui conduit de la terraffe vers la pente feptentrionaie de la montagne. Ici 1'on entre d'abord dans un canton trés-agréable, folitaire 8c touffu. Plufieurs fentiers montent 8c defcendent le long du flanc  Defeription de quelques jardins. 175 fianc de Ia hauteur. Une fraicheur modérée & les aimables jeux des jours & des ombres fe répandent entre les arbres élevés. Les rayons difperfés du foleil tombent a travers la voüte: a gauche Ia Campagne montre cja 8c la. par des ouvertures rompues fes prairies voifines, fes élévations ondoyantes 8c fes champs de bied. Un batiment de pierre, uniquement deftiné a cet ufage, offre en bas un fiege frais & folitaire pour fe livrer au repos & a la contemplation. De ce fiege on découvre tout auprès de foi une partie d'une grande prairie & celle d'un bois qui eft la fin du couronnement déploié fur les hauteurs du midi depuis le levant jusqu'au-dela du couchant: a droite fe préfentent encore des enclos & des maifons ifolées; mais a gauche Ia nouvelle habitation feigneuriale fe dérobe aux regards. Un'peu plus loin une porte blanche' conduit a un nouveau deffein d'un caraétere trés-agréable & trés-doux. II eft au bord extreme de la montagne, s'étend du nord a Peft, 8c confilte en une éminence boifée 8c une jeune plantation, entre lesquelles ferpente, dans un enfoncement presque entiérement fait par la nature, une eau peu confidérable mais limpide. On fe promene dans une route garnie de charmes, de jeunes noyers 8c de fleurs, 8c qui s'étend au pied d'une petite colline toute voilée par un buiffon court 8c épais compofé d'arbriffeaux 8c d'arbuftes variés. Deux fentiers étroits montent en ferpentant dans cette petite lande enchantcreffe, y font quelques détours, 8c redefcendent de 1'autre cóté vers une partie de l'eau joignant laquelle tournoie un chemin découvert. Deux fieges agréables, entourés de fleurs 8c de gazon, 8c fitués le long de l'eau fous des arbres, n'attirent pas envain; on fe plak a s'y repofer pour jouir plus longtemps d'une fcene auffi flatteufe. On traverfe une chauffée, fous laquelle eft conduite l'eau néceffaire pour arrofer la grande prairie qu'on découvroit en partie depuis le batiment de pierre, 8c qui maintenant développe tout fon beau contour. D'ici 1'on appercoit derechef fous un  j^g Jlppsndict. un point de vue féduifant, Ia nouvelle habitation feigneuriale & fes appartenances, la chaine de montagnes, qui s'élevent k différentes hauteurs les unes derrière les autres, les bois qui couronnent les hauteurs d'alentour, & leurs entre-deux pittoresques. L'habitation 8c les ëdifices attenants fe penchent dans un petit enfoncement entre les montagnes; derrière elle s'éleve un bois, qui, bien qu'éloigné, paroit dans cette direétion toucher de trés-prés ces demeures; a droite s'étend une campagne plus unie, décorée d'éminences douces, de champs de bied, d'arbres ifolés, de buiffons 8c d'enclos. Le chemin mene par deffus la chauffée a la nouvelle plantation qui confifte en plufieurs efpeces fauvages d'arbres, comme charmes, ypreaux, cormiers, fapins 8cc, 8c qui promet beaucoup avec le temps; elle monte Ie long du bord de l'eau, fe fléchit a droite, 8c s'étend en plufieurs allées: a peu prés au müieu du diftriét qu'elle occupe de ce cóté vers le Ievant, s'éleve un tertre arrondi couronné de maronniers, & d'oü 1'on a une vue agréable 8c libre tout alentour, principalement du cóté d'oü 1'on eft venu. Deux chauffées, auprès desquelles murmurent des filets d'eau, 8c qui offrent a 1'amateur de la pêche a la ligne 1'occafion d'interrompre les jeux innocents de la truite, traverfent l'eau 8c réuniffent la plantation a un joli petit verger élégant qui décore le pied de la montagne. Devant la feconde chauffée eft un édifice de pierre deftiné a s'affeoir, 8c d'oü 1'on voit une partie du verger 8c ie bois qui s'éleve fur la hauteur. On apperqoit encore d'ici trois batiments; la demeure du jardinier au bout de la plantation; dans le verger une autre maifon fournie de bonnes chambres; 8c plus haut, vis-a-vis d'une allee de cormiers & de fapins, 8c fur une colline joignant le bois, 1'auberge a laquelle cette fituation 8c le voifinage de quelques petits paturages environnants, donnent un afpeft champètre très-animê. De ce cóté on peut choifir entre plufieurs chemins 8c plufieurs terraffes, pour parvenir aux promenades de Ia pente oriëntale de la montagne.  Defeription de quelques jardins. 177 tagne. De deux terrafles, qui munies d'efcaliers de pierre montent entre les bois, 1'une mene droit a un pavillon. Tornt II. Ceê  i78 Appendice. Cet édifice mérite la première place après Ie grand pavillon, dont il eft moins éloigné que les autres. II eft rond, recouvert d'un toit d'ardoife de la mème forme, & enduit par dehors d'un crépi bleuatre. Au milieu eft une falie circulaire décorée avec goüt; des deux cótés des cabinets a coucher. La falie n'a point de fenètres dans fes murs; la lumiere tombe d en haut k travers deux ceils de bceuf, 6c pénetre de cóté par fa porte vitree. Le point de vue eft ici d'un ftyle tout-a-fait champètre. On ne découvre point d'eau, mais uniquement des champs rompus de buiffons, d'arbres ifolés, d'enclos 8t de bois qui paroiffent terminér Ie payfage par un terrein inculte 8c fauvage, tandis que droit devant foi, la tour blanche d'une églife de. village iürmonte 1'obfcurité des forêts. Retournc-t-on de ce petit pavillon au grand, on apperqoit bientót a gauche, au-dela d'un chemin propre aux voitures, une pente de la montagne, après laqueÜe le fol parfemé de champs 8c de prés enclos, fe releve de nouveau vers un bois dont 1'entrée offre une paifible cabane de payfan. La multiplicitë, la commodité, 8c Ia diverfité des fentiers qui traverfent en tout fens la forèt de la montagne, 6c menent fucceffivement a- toutes les fcenes remarquables, font une grande partie de 1'agrément de ce pare. Quelques routes font affez larges pour les voitures; d'autres deviennent quelquefois des fentiers étroits. Les grands chemins 6c les avenues qui conduifent aux batiments principaux, font alignés comme ils doivent 1'être; en d'autres endroits oü 1'on fe plait a errer k l'aventure, ou bien oü Ie promeneur doit être guidé vers une furprife, ils ferpentent en finuofités variées 6c fans art. Les fentiers paroiffent ici dans un mouvement perpétuel, quoique fimmobilité foit leur apanage; tantót ils montent, tantót ils defcendent, fuivant les enfoncements 6c les inégalités du terrein qui contribuent tant au changement des décorations 6c des lointains. En quelques places ils font bordés de haies, qui ont un air naturel paree qu'elles font comme une efpece de couronnement qui entouré les arbres foreftiers. Quelquefois les chemins font libres  Defeription de quelques jardins: 17g libres 8c découverts, quelquefois ombragés. Lorsque la difpofition du fol 1'exige, ils fe transforment en efcaliers commodes de gazon ou de pierres. Dans plufieurs endroits ils fe développent en places rondes, caintes de beaux arbres & décorées de bancs. Les hètres qui compofent le bois, font d'un jet avantageux, & entre -mêlés de chênes, de trembles, de cormiers, de fapins, Sc d'autres efpeces d'arbres. Les clairs fuccedent aux ombres, la oü d'épais fousarbriffeaux offrent un afyle affuré a. une foule variée de chantres ailés qui fe réjouiffent d'habiter ce lieu. Dans quelques allées les arbres s'élevent a. une hauteur qui infpire un fentiment de dignité 8c de fublime, fur-tout lorsque leurs cimes fe heurtent avec un frémirfement majeftueux. Tantót un ombrage profond fe déploie fufpendu fur le chemin; tantót le ciel riant paroit entre les faites des arbres; on jette les yeux en haut, & ils retournent récréés. Tantót la perfpeétive elt mafquée par-tout; tantót elle fe rouvre, ici toute entiere, la feulement en partie: tantót les lointains fe préfentant fubitement 8c droit devant le fpectateur, le frappent d'une vive furprife; tantót ils fe dévoilentpeu k peu en détours fucceffifs, afind'amufer plus long-temps. Un des plus beaux embelliffements de ce féjour font les différents ëdifices dont nous avons parlé, 8c qui répandus qk 8c la dans la forèt, peuvent être regardés comme autant de temples confacrés k Phofpitalité. Car ce ne font pas de fimples fabriques uniquement deltinées k défigner un coup d'ceil ou a jeter du mouvement dans les fcenes; ce font des demeures Sc des cabinets a coucher pour les étrangers qui ont le bonheur d'être accueillis par la liberalité de 1'hóte, 8c dejouir de fon fpirituel entretien. Tous ces petits édifices font recommandables par la beauté de leur fite, par la commodité de leur diftribution, 6c par Ie goüt fain 8c fans apprèt de leur décoration. L'idée d'ordonner ces fabriques en forte qu'elles puiffent fervir d'habitations, elt une invention trés-agréable 8c très-avantageufe. Elle répand une nouvelle fraicheur fur le tableau, en y tracjant 1'image de 1'hofpitalité 6c de la liberté, 8c concourt encore heureufement k conferver le cara&ere tranquille, folitaire, Z 2 8c  xg0 /tpptndice. & ruftique qui regne dans 1'enfemble. Ce caraftere feroit inconteftablement détruit par la préfence d'une vafte maifon remplie du bruit que caufent des compagnies raffemblées, & du tumulte des domeftiques. Maintenant tout refpire ici le repos & 1'indépendance. Chaque étranger eft maitre de fon temps & de fes mouvements. U n'embaraffe ni n'eft embaraffé. 11 peut refter feul, ou s'égayer enfaifant des vifites; il peutfe regarder comme le propriétaire de fon habitation, fermer & ouvrir fa porte comme il lui plait. Un appartement eft la pour le domeftique. En fe promenant le matin 1'étranger rencontre une connoiffance ou un ami avec lequel il peut lier une converfation agréable; ou bien il abandonne avec 1'aurore fon dortoir pour être plus long-temps feul, ou bien encore fe gliffe dans des lieux d'oü il peut s'échapper par divers chemins. Quelquefois la belle fituation d'une autre demeure qu'il rencontre, 1'invite k s'y rendre: il frappe & la trouve vuide; celui qui 1'habite s'amufe déja depuis long-temps k parcourir des promenades écartées. Souvent il trouve un autre habitant que celui qu'il croyoit rencontrer; il fe voit trompé dans fon attente, & fe ttanquillife de nouveau. — Les occupations, les amufements, les converfations, les récréations folitaires fe fuccedent ici tour-k-tour, jusqu'a ce que le fon de la cloche appellé k 1'heure fixée les hótes difperfés, & leur faifant quitter leurs folitudes ou la compagnie avec laquelle ils fe promenoient, les raffemble k table dans le grand pavillon fur la hauteur. Telles font, en fuivant le cours de la route que j'ai prife, & k mon avis, les fcenes principales qui rehauffent la beauté du Heefchenberg. D'autres, en choififïant autrement leur chemin, rencontreront peut-ètre encore plus d'amufement. On voit ici la nature & le goüt fe difputer k 1'envi la décoration d'une campagne, qui, de 1'aveu des connoiffeurs, étrangers ou non, eft une des chofes les plus remarquables de 1'art des jardins, non feulement dans le Holftein, mais en Allemagne. Afchberg *) doit presque tout k la nature, & 1'on ne voit qu'avec *) Voyez Ie i vol. pag. 85 & fuivantes.  Defeription de quelques jardins. 181 qu'avec peine ce lieu abandonné par la main qui pourroit I'embellir en le fagonnant avec modération. Le Heefchenberg aü contraire n'eft pas un deffein féduifant uniquement tracé par les mains de la complaifante nature; ici fe trouvent de plus, une ordonnance pleine de goüt, un entretien foigné, & une culture continuée avec ardeur. L'ouvrage n'eft pas encore achevé. La ligne d'embelliffement que décrit 1'allée de cormiers & de fapins, doit s'étendre a la gauche de 1'auberge, & enceindre la montagne boifée qui s'éleve la vers 1'orient, & ce développement elt un projet qui fait efpérer un des plus fuperbes lieux de plaifance. Le bois eft orné des plus beaux arbres; il elt muni de buiffons 8c d'inégalités variées du fol; il offre de tout cóté les lointains les plus flatteurs; & ce qui embellit finguliérement fa fituation, un lac s'étend a fes pieds vers le levant. Ici 1'on voit la lumiere du jour poindre & tracer les fcenes matinales les plus riantes dans un payfage richement décoré; 8c fi le ciel accorde plus long-temps a notre fiecle le poffeffeur de cette terre, on peut fe promettre dans ces lieux & dans les contrées d'alentour, des travaux qui rehaufferont les attraits de la nature fans en troubler 1'harmonie. Le féjour d'un homme célebre, de Ia grandeur duquel je ne dirai rien paree que fhiftoire en pariera un jour, piqué en lui-même la curiofité d'un étranger. Mais ici on voit plus que ce que 1'on eft accoutumé de voir. On voit des inventions & des diftributions toutes forties de 1'efprit du poffeffeur lui-même. On voit une entrée hbre pour tout le monde dans les promenades, 1'hofpitalité exercée envers les étrangers, 8c des égards rendus au mérite. On s'en retourne faire des recits qui hatent de nouveaux voyages vers cette demeure. Peut-ètre pendant un de ces pélérinages, quelque ami des jardins prendra un jour cette defeription en main. II obferve, lit 8c compare: il trouve que 1'imagination n'a rien flatté: il n'a devant les yeux qu'une petite topographie qui ne peut avoir d'autre mérite que la fidélité. Mais il découvrira en revanche combien elle eft incomplete 8c pardonnera ce défaut, en réfléchiffant que la nature a plus de grandeur Z 3 8c  jg2 Appendice. & de richeffe que le langage ne peut en rendre; que dans une defeription faite d'aprês nature, ainfi que dans un tableau en payfage, il faut omettre bien des chofes, qui plaifent dans la réalité & non dans la narration; que les rapports, les tranfitions, les liaifons délicates de la nature, font a peine fufceptibles d'être repréfentées par le pinceau du payfagifte le plus hardi. Enfin, s'il trouve des changements, Ü les pardonnera non feulement a la defeription, mais encore au temps. II. Defeription  Defeription de quelques jardins* 183 II. I Defeription de Sielbeck Au-dela du'village de Sielbeck, a un demi-mille de la réfidence du PrinceEvêque d'Eutin, dans Ie duché deHolftein, fe diftingue par fa beauté finguliere, un lieu de plaifance *) également nommé Sielbeck. Tout le payfage des environs a un caractere marqué d'agrément. II confifte en un mélange riche & varié de montagnes garnies au fommet 8c le long de leurs flancs de belles forêts, de collines dont les penchants fe parent des plus jolis bofquets 8c grouppes de hètres, de vallées fécondes en herbes, de champs enfemencés, de paturages 8c de villages peuplés. Les fcenes bocageres, 8c les buiffons répandus avec grace fur les hauteurs d'alentour, font peuplés d'oifeaux mélodieux, & pleins de gibier qui offre une chaffe abondante. Parmi ces objets 8c ces lointains s'ouvrent quelques lacs d'une grande beauté, dont les rives font par ci par la ombragées de bois, öu couronnées d'éminences verdoyantes. La limpidité pure de ces eaux confidérables préfente a l'ceil un attrait enchantcur en fe jouant au milieu de 1'obfcurité des bois éloignés; de prés on voit les ondes paifibles fe gliffer doucement, car la profondeur du fite 8c les montagnes circonvoifines les défendent du foulevement que caufe 1'orage: on voit le pêcheur retirer gaiment fes filets abondants, 8c derrière les buiffons qui ombragent les embouchures des lacs, 1'amateur de la chaffe guetter les canards fauvages. Le lac de Keiler, d'environ un mille (d'Allemagne) en circonférence, fait le milieu fuperbe du payfage de Sielbeck. Afin de jouir de la vue de ce lac 8c des contrées qui 1'entourent,. on a élevé vers 1'eft un pavillon fur une montagne. II *) II fat commencé en 1778 par mieres & du goüt de cet homme plein Monfieur le Confeiller de Légation Wil- de mérites, lagaard, & eft un monument des lu-  ^ Appendice. II eft fur une place ronde & unie, entiérement libre par devant, & féparée uniquement du champ attenant par un petit grillage de bois, peu élevé, peint en blanc, diftant d'environ vingt pas du batiment auquel il ne tient point par fes deux extrèmités. Au devant du pavillon deux allées droites de tilleuls partent a gauche & k droite le long de la bordure du bois; & derrière eft Ia cour . entourée de frênes élevés & d'un beau jet. Ce pavillon n'a'qu'un étage qui confifte en une falie au milieu de deux cabinets. La falie, fpacieufe, haute, claire, récrépie en platre blanc, a fes murs, fon plafond & fes portes décorées avec goüt; elle recoit beaucoup de lumiere par fes grandes fenètres & fes portes vitrées de devant & de derrière, & des vues riantes attirentles regards de tout cóté. Les deux cabinets font petits & plus bas; cependant ils ont auffi un doublé lointain devant leurs fenètres. Tout l'édifice porte 1'empreinte d'une bonne architeéture. Le toit azuré & 1'enduit blanc des murs extérieurs font de loin fur l'ceil une impreffion qu'acheve de prés i'élegance de la forme. Quoique ce bativ ment  Dtfcrijjtiön de quelques jardint. jg^ ment foit cleftirié a 1'amufement de perfonnes fouveraines, il n'eft cependant pas furchargé de la pompe ordinaire des décorations. Sa beauté fe borne k la beauté vraie de fon architeéture, de fes proportions & de fa forme. II n'eft pas fait pour être une habitation k demeure, mais pour fournir une courte récréation, pour faire gouter les plaifirs qu'offre Ia nature, 8c fa diftribution fe regie fur fon ufage. Ce pavillon a une fituation champètre, noble, dégagée & convenable a la contrée qui n'a rien de fublime, de folemnel, de romanesque, mais bien les attraits infinuants de 1'agrément & de Ia férénité. Sa pofition lui permet de s'embellir des derniers rayons du foleil qui fe couche k droite presqu'en face, 8t colore toute fa faqade blanche du feu qui brüle k 1'occident. Au devant de ce batiment on eft frappé par une perfpeétive qui renfermeun tréfor d'agréments ruftiques. Droit & immédiatement devant 1'édifice s'étend fur la pente qui va joindre lelac, un terrein confidérable compofé de champs 8c de.prés; k gauche une belle file de collines boifées voile en defcendant les lointains, tandis qu'a droite l'ceil eft amufé par un mélange de hauteurs, d'enfoncements & de buiffons. Sielbeck, petit village dont les toits de chaume furmontent les arbres fruitiers, les paturages 8c les coudraies qui le mafquent, forme 1'avant- fcene du tableau vers le rivage plat. On découvre d'en haut le fuperbe fpectacle qu'offre un lac Iimpide dont Ia circonférence tombe toute entiere fous les regards, excepté dans quelques endroits oü des ances k formes variées vont fe perdre entre des collines 8c des forêts. La nature paroit avoir déployé tous fes attraits fïatteurs pour décorer ce lac. II eft en-, vironné presque par-tout de montagnes, d'éminences 8c de bois, qui qk 8c la s'inclinent dans l'eau 8c paroiffent y nager. En d'autres endroits, de petites langues étroites de terre, garnies de buiffons 8c de beaux arbres , s'avancent dans 1'onde. A gauche trois riches forêts couronnanf des hauteurs, 8c fituées k cóté 1'une de 1'autre de maniere que chacune fe diftingue clairement, s'élevent d'un air de beauté majeftueufe & compofent une perfpeétive fuperbe. La forèt du milieu eft Ia plus voifine des yeux, 8c comme la plus belle femble auffi demander le plus d'atTomtll. Aa tention.  l86 Appendice. tention. Le contour & Ia voüte de ce bois, diftingué des autres par fon nom Pmmhok (le bois du Prince), eft un chef-d'ceuyre de la nature. En cótoyant le lac, il fe montre par- tout fous un afpeft des plus pittoresques & fait un effet admirable fur la vue. Les bois font la plupart de hètres entre -mèlés de chènes auxquels la hauteur de leurs jets & leur feuillage donnent une belle apparence. En s'arrètant encore au pavillon, qui elt le lieu le plus favorable aux points de we, 8c portant les regards droit au-dela du lac, on remarque une ouverture large & peu élevée qui invite 1'ceil a errer dans les lointains bleuatres du vafte pavfage. A cette ouverture touche un bois a haute futaie qui fait partie du couronnement du lac, & paroit avantageufement en perfpeétive: le refte du couronnement a droite confifte plutót en buiffons 8c en un affemblage de bofquets ifolés, qu'en une forèt continue. De ce meme cóté ,deux villages, outre celui de 1'avant-fcene, animent encore le payfage par leurs fituations agréables; un village fe préfente encore avec fon eMife presque en ligne droite de 1'autre cóté du lac. & Cette vue qui s'étend entre des collines & des forêts fur une plaine liquide auffi vafte 8c auffi libre, fait la partie principale de ce fite. La limpidité de l'eau, dans laquelle Ia moitié du ciel paroit fe mirer, & la beauté des bois environnants qui fe diftinguent tous 1'un de 1'autre dans la perfpeaive, répandent par- tout une gaieté finguliere. La hauteur mème de laquelle on découvre cet afped, ajoute encore a fa beauté: on difcerne clairement tous les objets principaux qui concourent a décorer Ie tableau; 8t les moins confidérables fe perdent d'avantage dans lavapeur du lointain, après avoir fervi a la Iiaifon, au rempliffage 8c al'achevement du contour de 1'enfemble. On trouve fur-tout ici un théatre propre a la douce contemplation 8c aux plaifirs champêtres. Car l'eau 8c les forêts qui vont fe perdre dans un certain éloignement, fans cependant s'écarter affez pour nepas offrir une vue avantagcufe, refpirent d'autantplus le calme, qu'une efpece de filence religieux femble y repofer. Un fpeétacle aquatique qui, comme celui -ci, n'a pas une enceinte trop confidérable 8c eft combiné , , av ec  Defeription de quelques jardins. 13 7 avec des bois, n'a rien qui réveille 1'étonnement ou 1'admiration; mais il a une énergie particuliere pour élever 1'ame au deffus de la fphere ordinaire de fes fenfations, & pour la remplir de fentiments qui 1'animent doucement. L'étendue nous offre, pour ainfi dire, la jouiffance de fon efpace libre & découvert, & 1'impreffion de ces fcenes fi douces & fi paifibles, dont l'effet eft encore augmenté par leur extenfion, eft nourrie de tout cóté. L'afpeét gagne encore a 1'embelliffement accidentel du foleil couchant, qui, en defcendant derrière les collines de la droite garnies de bofquets & de buiffons, dore leurs tètes verdoyantes, & difperfe fur l'eau, de ce cóté du lac, une douce lueur dont les aimables jeux fe joignent a ceux des ondes tremblottantes. Tandis que 1'obfervateur voit la lumiere du jour s'éteindre en paffant de nuance en nuance, & la vapeur qui s'éleve, voiler infenfiblement le lointain, le cceur auffi prend part au repos naiflant de la nature; M rentre en lui-même & jou* de fon exiltence. Derrière le pavillon Ia vue eft mafquée par un bois adjacent; une feule ouverture étroite conduit les regards entre les arbres fur une piece d'eau; ce qui fait un changement de décoration. On appercoit a travers 1'intervalle, & dans un enfoncement très-brusque, une partie d'un lac très-voifin, nommé Ukley, au-dela duquel l'ceil fe repofe fur une forèt qui dans ce point de vue couronne le rivage. Le lac n'eft comparable, ni en grandeur, ni en beauté, a celui de Keiler; fon circuit eft petit, & 1'on peut aifément le parcourir dans une heure. Mais fes environs & le bas-fond dans lequel il poroit du haut de cette colline le rendent intéreffant. En s'approchant davantage de f ouverture l'ceil tombe, pour ainfi dire, timidement le long d'une terraffe efcarpee & décorée de fieges de gazon. En bas on remarque des bancs difpofés le long de l'eau, & une jetée qui s'avance dans le lac, tant pour favorifer le plaifir de la pêche, que pour faciliter 1'entree des bateaux deftinés a eet ufage. „ Defcend-on les fentiers commodes qui font a cotede cette ouverture & menent au rivage, on découvre le lac tout entier avec les col- Aa 2 imes>  i88 Jppendice. Unes, les buiffons & les bois dont il eft entouré. L'enfemble forme un beau contour. La vue ne fauroit s'étendre d'aucun cóté; elle ne peut fe porter que jusqu'a Penceinte du rivage peu éloigné de ce petit lac. Tout repofe dans une clóture champètre 8c folitaire. Cependant des chemins 8c des fentiers fe répandent entre les bois 8c les buiffons presque tout autour de ce lac, 8c coupent ce canton, qui préfente entiérement 1'afpedt d'une paifible folitude 8c,recele beaucoup de gibier dans fes ombrages. La montagne que furmonte le pavillon eft couverte de hètres, 8c a presque par-tout de profonds enfoncements vers le petit lac. On fe promene entre les arbres dans des fentiers tortueux, on entend le chant de plufieurs oifeaux, 8c 1'on voit l'eau voifine briller agréablement k travers le feuillage. Quelques fentiers fe déploient en bas le long du rivage;' d'autres en haut fur la pente de la montagne 8c a l'ombre des arbres; ils font cja 8c la plantés de petits buiffons 8c de fleurs, 8c en d'autres endroits garnis de cormiers, dont les baies rouges parent les jours d'automne 8c favorifent la prife des grives. Le long des promenades, des bancs 8c des fieges de gazon invitent a fe repofer ou a jouir.de quelque vue: quelquefois celle-ci eft bornée k un afpect intérieur, ou au contour boifé d'une place peu vafte, 8c en fe délaffant Pon goüte les plaifirs qu'offrent la préfence de Ia verdure, les exhalaifons des plantes d'alentour, 8c la fraicheur. Dans d'autres lieux s'ouvrent des perfpectives libres, tantót fur Ie lac qui occupe le fond du tableau, tantót fur fon rivage couvert de buiffons, tantót fur les champs de la campagne. A droite, 8c k 1'iflue du bois, coule, dans un enfoncement, un ruiffeau qui prend naiffance dans le lac 8c forme une petite cafcade. Celle-ci deviendroit plus intéreffante fi on augmentoit fon eau, 8c fi on lui donnoit plus de chüte 8c un fond plus naturel. Cependant on confidere ce joli fpeclacle avec plaifir: de chaque cóté de la cafcade eft une petite élévation de gazon ornée de fieges ombragés par des arbres, d'oü 1'on peut voir tomber l'eau. Un petit pont qui traverfe Ie ruiffeau au bas de la cafcade, fert non feulement k lier mais encore a décorer l'enfemble. Ce  Defeription de quelques jardins. i gc) Ce lieu de plaifance elt, par fa dimïbution & par la nature du payfage environnant, trés -propre a faire jouir des fentiments que 1'on y cherche. Ce n'eft point un pare, mais ce qu'il doit être, un lieu de délice, un féjour qu'habitent la puix 8c 1'agrément des campagnes. Cependant ce payfage eft compofé d'un fi grand nombre de cantons caraétérifés par la nature mème, qu'on pourroit avec le meilleur fuccès en former un vafte pare. Les bois, les bofquets 8c les buiffons, fourniffent tout autant de parties 8c de petits cantons; des places gazonnées, des champs, des montagnes 8c des vallées entourent un lac fuperbe qui reppfe au centre. Tous ces cantons & toutes ces décorations naturelles pourroient fe mettre en Iiaifon de maniere a ne faire qu'un enfemble 8c a fe-préfenter fucceffivement dans un enchainement harmonieux qui feroit naitre une fuite d'émotions trés-fortes 8c très-intéreffantes. La nature elIe-mème a déja. eu foin de varier les objets & les afpeefs; de faire fuccéder tour a tour Ie clair a Pobfcur, les lieux dos 8c. couverts aux libres & dégagés: elle-même encore a préparé ici toutes fortes de deffeins, depuis celui qui conftitue le canton gai & riant, jusqu'a celui qui conftitue le canton mélancolique: elle-même encore a déja difpofé des places propres aux récréations de Ia pêche, de Ia chaffe, 8c a celles qu'offrent les différentes manieres de prendre les oifeaux: elle-même encore a déja fait des clairieres dans les enfoncements, 8c planté des bofquets nar les hauteurs. Elle n'a guere doté plus richement, mieux préparé 8c mieux or~ donné d'avance, un payfage propre a un pare que celui-ci, oü des fecours modérés du cóté de l'art fuffiroient. Parmi les chemins, qui tantót s'étendroient autour du lac, tantót iroient fe perdre vers le haut dans les forêts, on pourroit admettre quelques grands chemins qui ferviroient a lier entr'eux les villages voifins & a jeter du mouvement dans les fcenes. En travaillant les bois, Sc en faifant de nouvelles plantations, on pourroit encore augmenter la variété du tableau, Sc créer une fuite de cantons Sc de fcenes qui ne manqueroient jamais de produire des impreffions fortes 8c durables. Ce changement ne demanderoit qu'une dépenfe modique, 8c pourroit même fournir une agréable occupation Aa 3 pendant  Appendice. a . «j,ei[es euffent été plantées de la mème maniere, elles auroient compofé une de ces pittoresques 8c magnifiques perfpedives que nous voyons fi rarement, mais que nous admirons toujours: ouvrage de la nature feule, perfedionné par le tems. Painshill eft tout entier de nouvelle création, le deffein en eft hardi, fexécution heureufe, & les efforts de 1'art pour égaler la nature, y ont été portés k un point furprenant. D'un autre cóté, de la mème hauteur, on découvre un payfage trés-différent du dernier dans toutes fes particularités, k 1'époque prés de fon exiftence. II eft entiérement concentré dans le pare 8c dominé par un batiment gothique, ouvert, fitué fur le bord d'un précipice très-élevé, dont le pied eft baigné par les eaux d'un trés-beau lac artificiel; on ne'peut jamais voir ce lac dans toute fon étendue; mais fa forme, Ia difpofition de quelques Hes, 8c les arbres dont elles font couvertes, ainfi que le rivage, le font paroitre plus confidérable qu'il n'eft. A gauche, font des plantations continues qui cachent la campagne; k droite, le pare s-ouvre tout entier, & 1'on voit en face au-dela du lac, ce bois fufpendu qu'on n'avoit appercu que comme un point, mais qui remplit ici presque entiérement la perfpedive, Sc déploie toute fon étendue 8c toutes fes variétés. Une belle riviere qui fort du lac, paffe fous un pont de cinq arches affez prés du point de fa fëparaüon, 8c dirige fon cours vers le bois, au deffous duquel elle ferpente. Sur un des cótés de la colline, eft placé un petit hermitage entouré d'un bofquet & plongé dans 1'ombre Et k une certaine diftance vers la droite, fur le fommet le plus remarquable, s'éleve une fuperbe tour au deffus de tous les arbres. Aux environs de 1'hermitage, 1'épaiffeur du bofquet 8c les verds foncés répandent beaucoup d'obfcurité; mais ailleurs les teintes font plus mèlangees, 8c  Defeription de quelques jardins. 21^ 8e il y a tel endroit oü un vif rayon de Iumiere marqué une'ouverture dans le bois, 8c diverfifïe fon uniformité fans diminuer fa grandeur. Malgré la variété de cette belle perfpedive, toutes fes parties lont parfaitement liées les unes aux autres. Les plantations qui ornent le fond, tiennent au bois fufpendu fur la colline: celles qui couvrent les portions de terrein les plus élevées du pare, percent dans des bocages qui fe divifent enfuite en maffifs, dont les grouppes diminuent fucceffivement 8c deviennent enfin des arbres ifolés. Le terrein, quoique trés - varié, tend de tous cótés vers le lac, 8c,defcendant moins rapidement a mefure qu'il en eft plus prés, vient fe perdre infenfiblement dans l'eau. Les bocages 8c les peloufes fe diftinguent par la richeffe 8c 1'élégance. Cette belle nappe d'eau que préfente le lac, animée par les arbres qui font fur fes bords, 8c par 1'image du pont qu'elle rëfléchit, donne de la vie i ce payfage, pendant que d'un autre cóté, l'étendue 8c la hauteur du bois fufpendu, jettent un air de grandeur fur l'enfemble. Une pente douce 8c tortueufe conduit du batiment gothique au lac, 8c fe continue par un chemin lelong du rivage, 8c au travers d'une ile, étant terminée d'un cóté par les eaux, 8c de 1'autre par un bois. C'eft une fcene des plus riantes, quoique parfaitement folitaire. Le lac eft calme, mais plein jusqu'aux bords, point obfeurci par des ombres: le chemin eft doux, presque de niveau, 8c rafe le bord de l'eau. Le bois qui cache la campagne, eft compofé d'arbres de la forme la plus élégante 8c du verd le plus gai. II eft bordé d'arbriffeaux 8c de fleurs, 8c quoique toute la fcene foit presque entiérement environnée de bois, elle eft découverte, trés-riante, 8c embellie par trois ponts, une arche ruinée 8c une grotte. Le batiment gothique, qui elt trés-prés 8c fufpendu diredement fur Ie lac, • fait auffi partie-de la mème fcene: mais tous ces objets ne fe préfentent pas en même tems; on les apperqoit fucceffivement en parcourant le chemin, 8c leur multitude enrichit la perfpedive fans confufion. De ce lieu charmant, oü 1'on a tant prodigué les ornements, Ie pafrage eft rapide 8c presque immédiat, a une fcene moins cultivée, 8c qui n'eft précifément que fauvage, fans avoir rien de terrible ni de pit* TomeH. Ee t0reS^e'  App endice. toresque. C'eft un bois 'qui couvre entiérement un terrein vafte 8c trèsinégal. Les clairieres dont il eft percé, font les feuls endroits d'oü 1'on ait enlevé les buiffons 8c les plantes naturelles au fol. Ces clairieres font quelquefois terminées par des bofquets, quelquefois elles ont été pratiquées dans les efpaces découverts & au travers des bruyeres. Les méIezes même Sc les fapins qui font mêlés aux hètres fur un des cótés de la principale clairiere, font dans un état fi négligé, qu'ils reffemblent plus a des producfions de la nature fauvage, qu'a des objets de décoration. C'eft la le bois fufpendu qu'on a jusqu'ici admiré comme un des plus beaux points de perfpective, Sc qui forme maintenant une folitude profonde Sc écartée. Prés de la tour les arbres font clair - femés, mais aux environs de 1'hermitage," le bois eft trés-épais Sc d'un verd trèsfoncé. Des fapins d'Ecoffe Sc de fuperbes fapins ordinaires couvrent de leur ombrage un terrein fi ftérile d'ailleurs, qu'il ne produit qu'un peu de mouffe, Sc point de fougere. Sous cet ombrage, un chemin étroit 8c obfcur conduit a la celluie qui eft compofée de troncs d'arbres 8c de racines. Le deffein en eft auffi fimple que les matériaux, 8c les meubles dont elle eft ornée font vieux 8c grofïiers. Toutes les circonftances rélatives a ce caractere, ont été confervëes dans toute leur pureté le long du chemin 8c aux environs de 1'hermitage. Mais bientót après, la fcene change tout a. coup; on jouit pleinement de la vue des jardins 8c d'une riche campagne bien peuplée 8c bien cultivée. La perfpeétive qu'offre Ie haut de la tour fituée fur le fommet de la colline, eft beaucoup plus étendue fans être plus belle. Les objets n'en font pas auffi bien choifis, 8c ne fe préfentent pas fous un afpeét auffi favorable: quelques-uns font trop éloignés, 8c d'autres trop prés de l'ceil; d'ailleurs un vafte ^hamp de_bruyere jette une efpece de nuage fur cette perfpective. A peu de diftance de la tour, on eft conduit a une fcene qui a été travaillée Sc ornée avec un art exquis. On y remarque un grand batiment d'ordre dorique, appellé le temple de Bacchus, dont le frontifpice préfente un fuperbe portique, furmonté d'un riche fronton, rempli par de beaux morceau de fculpture, avec un rang de pilafires de chaque  Defeription de quelques jardins. 2Iq que cóté. L'intérieur eft dëcoré de quantité de buftes antiques, Sc d'une trés-belle ftatue du dieu placée au centre. On n'y trouve point cette obfcurité majeftueufe qu'on affe&e de répandre dans les batiments de <:e caractere; mais fans avoir rien de pompeux, ce temple eft fuffifamment éclairé, 8c décoré avec goüt. Sa fituation eft fur une hauteur qui domine une agréable perfpective, 8c dont Ie fommet eft un terrein plat, diverfifié par quantité de bofquets 8c de larges promenades qui les traverfent en ferpentant. Ces promenades fe croifent fi fréquemment, 8c leurs rapports avec le tout font fi fenfibles, tant du cóté de 1'étendue, que du cóté du ftyle, que 1'idée de l'enfemble ne feperd jamais dans les divifiöns; le interruptions ne détruifent donc pas la grandeur; elles ne font que changer les limites 8c multiplier les figures.' Ajoutez-y toute la richeffe dont les plantations font fufceptibles. Les bofquets font compofés d'arbriffeaux fleuris, Sc toutes les falies ou places découvertes, font ornées de jolis petits grouppes d'arbres trés-élégants, qui bordent ou croifent les clairieres; mais cette fcene n'a rien de trop petit, rien qui ne rëponde aux environs du temple. Ici finiffent les jardins. Tout I'efpace compris entre cette extrêmité du terrein élevé 8c la maifon batie fur I'extrémité oppofée, eft une promenade découverte, qui traverfe Ie pare. Dans Pendroit oü elle paffe, fur une belle éminence, on a élevé un pavillon, d'oü Ia vue plonge dans le lac, qui ne fe préfente nulle part fous un afpect auffi favorable. La plus grande étendue eft au pied de la colline, Sc Ia riviere qui en eft la continuation, s'étend dans différentes directions; quelquefois elle s'arrête au deffous des bois; quelquefois elle pénetre jusqu'au milieu, 8c fouvent elle vient fe perdre fur les derrières en ferpentant. Le principal pont de cinq arches eft prëcifément fous le pavillon; plus loin, dans le fond du bois, eft un autre pont d'une feule arche, jeté fur Ia riviere, qu'on perd de vue un peu au-dela. La ligne de pofition de ce dernier, croife celle du premier: Pceil embraffe 1'un dans fa longueur, Sc 1'autre dans fa largeur. Le plus grand eft de pierre, 8c le plus petit eft de bois; ainfi deux objets portant le même nom, ne furent jamais plus Ee 2 diffé-  220 Appendict. différens par leur flgure & leur fituation. Les bords du lac font auffi mnniment diverfifiés: ils font ouverts d'un cóté, & de 1'autre couverts de plantations qui s'étendent quelquefois jusqu'au bord de l'eau, 8t quelquefois laiffent affez d'efpace pour une promenade. Les clairieres "ont été pratiquées fur les cótés ou dans le plus épais du bois, & fouvent elles 1'environnent du cóté de la campagne, qui paroit s'élever dans le lointain au deffus de cette fcene fi variée 8c fi pittoresque, au travers d'un grand efpace découvert, entre le bois fufpendu Sc.la colline couronnée de la tour gothique. *) Campagne .de Monfieur Morris, prés de Chepftowe dans le Monmouthfhire. VIL Defeription du pare de Persfield. *) Persfield n'eft pas un lieu des plus vaftes; le.parc ne contient guere que trois cents arpents, au milieu desquels la maifon eft lituée. Sur un des cótés de l'avenue, les inégalitës du terrein font extrémement douces Sc les plantations très-jolies, mais on n'y voit rien de grand; de 1'autre cóté, une belle peloufe fe précipite dans un profond vallon, dont le milieu s'abaiffe fenfiblement. Les penchants font ornés de maffifs Sc de bocages, Sc de beaux arbres s'étendent dans le fond. La peloufe eft environnée d'un bois, Sc ce bois eft traverfe par des promenades qui s'ouvrent au-dela fur un grand nombre de fcenes pittoresques qui décorent le pare, Sc font le triomphe de Persfield. La Wye coule immédiatement au defibus du bois: cette riviere eft un peu trouble, mais fon cours eft très-varié. Elle tourne d'abord en forme de fera cheval, s'avanceenfuite, en/aifant un grand écart, vers la ville de Chepftowe, Sc fe jette enfin dans la Severne; fes bords font des collines élevées, taillées a pic dans certains endroits, marquées fur les  Defeription de quelques jardins. 5 221 les cótés par des failiies ou des enfoncements, arrondies, applaties, ou irrégulieres au fommet, Sc couvertes de bois ou hériffées de rochers: on les voit tantót de front, Sc tantót grouppées, fe réunir, s'élever & fe précipiter les unes fur les autres, s'écarter pour ouvrir un paffage a la riviere, ou refferrer le lit dans fes différens détours. Le bois qui entouré le tapis verd, couronne une fuite trés-étendue de collines, qui dominent celles du rivage oppofé, avec les campagnes qui font au-dela; Sc comme elles ferpentent avec la riviere, leurs cótés, qui forment des points de vue auffi riches qu'agréables, fe montrent alternativement, de maniere que chaque perfpective fe trouve réduite fucceffivement a un feul objet qui orne la perfpective fuivante. Dans plufieurs endroits, l'objet principaL n'eft qu'un rocher continu d'un quart de mille de longueur, perpendiculaire, trés - élevé, Sc fitué fur une colline. II elt affez ordinaire aux rochers de reffembler a des ruines: mais on ne vit jamais des ruines d'un feul jet, qui approchafient de cette énorme maffe; elle reffemble plutót aux reftes d'une ville détruite; Sc de plus petits fragmens répandus tout autour, femblent nous retracer, quoique plus foiblement, 1'ancienne étendue, Sc ajoutent encore a. la reffemblance. Ce rocher s'étend le long de cette chaine de collines qui termine la forèt de Drane. Toute fa furface elt compofée d'immenfes bloes de pierre, fans afpérités. Le fommet eft nud Sc inégal, mais fans pointes; depuis le pied du rocher jusqu'a la riviere, le terrein offre une pente douce, couverte d'un bois, excepté qu'elle eft coupée d'un cóté par une ligne de petits rochers, tous différens par leur couleur Sc leur direction. Immédiatement après la grotte, le rocher principal femble s'élever au deffus d'un bois épais qui regne au pied d'une colline; Sc au deffous du point de vuè, eft une vallée de traverfe, dont ' Ie fond baigné par la Wye, borde les rives oppofées, Sc fe continue fans interruption jusqu'au pied du rocher. D'un certain point de vue, ce même rocher eft le feul objet qui nous frappe, de forte qu'on n'apperqoit pas fabafe; d'un autre point, il fe préfente de front avec tous fes acceffoires; Sc quelquefois il elt intercepté en partie par les arbres; mais Ee 3 * on  222 Apptndice. on peut le fuivre' dans fa longueur jusqu'a une trés-grande diftance, au travers des ouvertures du bois. Un autre objet capital, c'eft le chateau de Chepftowe, ruines fuperbes 8c d'une grande étendue. II eft bati fur 1'extrèmité d'un rocher perpendiculaire avec lequel il elt fi parfaitement uni, que le tout enfemble ne préfente qu'une même furface; & que depuis, le fommet des créneaux, jusqu'au pied du rocher baigné des eaux de la riviere, ce n'eft qu'un feul précipice. Les mèmes branches de lierre qui couvrent toute la furface des ruines d'un cóté, s'entrelacent parmi les fragmens épars: de 1'autre cóté, plufieurs tours, de grands pans de muraille & une grande partie de la chapelle fubfiftent encore. Non loin de la eft un pont de bois des plus pittoresques. II eft trés-ancien, d'une forme finguliere, 8c extrèmement élevé au deffus de la riviere: une de fes extrèmités femble s*appuyer fur les ruines, 8c 1'autre, fur quelques éminences compofées de rochers. Le chateau eft fi prés de la grotte, qu'on peut en obferver jusqu'aux moindres parties: des autres points de vue plus éloignés, 8c mème du tapis-verd 8c du bocoge d'arbriffeaux qui le borde d'un cóté, le chateau frappe toujours d'une maniere diftincle 8: agréable, foit qu'on 1'apperqoive feul, ou avec d'autres objets, tels que le pont, Ia ville , 8c les riches prairies qui bordent les rives de la Wye, 1'efpace de trois milles, jusqu'a fa jonétion avec la Severne. La perfpective eft terminée en général par le vafte circuit de la riviere, les collines rougeatres dont elle eft bordée, 8c les beaux pays qui s'élevent en lointain dans les comtés de Sommerfet & de Glocefter. La plupart des collines des environs de Persfield font pleines de rochers: quelques - unes font ornées de bois qui couvrent les penchants, 8c de la maniere la plus variée. Ici elles débordent les bois; lk elles en font entourées: tantót elles font couronnées, 8c tantót terminées d'un cóté ou fëparées par des grouppes d'arbres. Du chemin qui conduit a la grotte, on voit frequemment une longue fuite de ces collines, qui s offre en perfpective, toutes de couleur obfcure, 8c remplies de bois dans leurs intervalles. Ailleurs les rochers font plus fauvages 8c plus hérif- fés 5  Defeription de quelques j'ardins. 223 fes; quelquefois ils s'élevent fur les fommets des collines les plus élevées, & quelquefois ils s'abaiffent jusqu'au niveau de la^iviere: dans quelques fcenes ils frappent comme objet principal, & dans d'autres comme limites. Les bois grouppés avec les rochers, contribuent beaucoup k rendre les fcenes de Persfield extrêmement pittoresques. Ils y font par-tout répandus en abondance: ils couvrent les fommets & les penchans des collines, & rempliffent les profondeurs des yallées. Dans certains endroits ils forment Ie point de vue total, dans d'autres ils s'élevent au deffus, & dans d'autres ils defcendent plus bas. Ailleurs, ils femblent fair les uns derrière les autres, & leurs ombres deviennent plus profondes k méfure qu'ils s'éloignent. Quelquefois une ouverture qui fépare deux bois, eft terminée par un troifieme qu'on apperqoit dans 1'éloignement. Une hauteur, appellée le Saut de 1'Amant *), domine immédiatement un enfoncement trés-vafte & couvert d'un épais feuillage. Au deffous du temple chinois, Ia riviere de Wye prend dans fon cours la forme d'un fer k cheval. Elle eft bordée d'un cóté par un bois demi-circulaire en amphithéatre, & de 1'autre, par les hauteurs perpendiculaires d'une colline, dont le fommet eft une furface. Le grand rocher remplit les intervalles entre le bois & la colline. Au milieu de cette fcene fi brute & fauvage, eft une presqu'ile formée par la riviere, d'environ un mille de longueur, & dont la culture a été portée au plus haut point deperfeétion. Prés de I'ifthme le terrein s'éleve confidérablement, & s'abaiffe enfuite jusqu'au bord de l'eau, en préfentant une furface trés - inégale. Toute la presqu'ile eftdivifée enterres labourées&en paturages: des haies, des taillis & des bofquets en forment les féparations; des maffifs ouverts, & des arbres ifolés, mèlés de maifons & d'autres batiments qui appartiennent a des fermes, font répandus indiftinctement fur les prairies. Cet enfemble, compofé d'une fcene fi cultivée & d'objets fi fauvages, dont elle eft environnée de toutes parts, eltun des payfages les plus finguliers & les plus charmants. Les Communications entre les points les plus;remarquables de Persfield, 'confiftent en général dans des promenades bordées de différents objets *) Lover's Leap.  224. Appendice. objets dans toufe leur longueur. En fortant du bois qui fe termine prés du batiment chinois, on trouve un chemin qui conduit a travers les parties fupérieures du pare jusqu'a un temple ruftique, dont les vues font trèsramufantes. D'un cóté il dornine quelques-unes de ces perfpeétives fi pittoresques, dont j'ai déja parlé, & de 1'autre, les collines Cultlvées & les riches vallées de Ia comté de Montmouth. A ces tableaux fi magnifiques, quoique fi fauvages, fuccede un pays agréable, riche & fertile. H eft divifé en enclos, & 1'on n'y voit ni bois, ni rochers, ni précipices. Quoiqu'il ne foit varié que par de petits monticules, & des enfoncements très-doux, le point de vue n'a rien de petit: ce font de hautes collines, & le vafte circuit de la Severne qu'on voit couler d'ici 1'efpaav de plufieurs milles, & recevoir dans fon cours les rivieres de Wye & d'Avon. Un autre chemin conduit du temple ruftique a Windcliff. C'eft de toutes les collines de Persfield la plus élevée, elle dornine tout le pays des environs. La Wye coule au pied de la hauteur, & la péninfule eft iuftement au deffous. On voit pleinement le bois profond qui couvre le penchant de la colline oppofée, & dont la forme elt celle d'un croiffant; au deffus de ce bois, le grand rocher avec fabafe& tous les objets qui 1'environnent; immédiatement au-dela, de vaftes campagnes, couvertes de jolies éminences; enfin les payfages élevés des comtés de Sommerfet & de Glocefter, qui terminent 1'horifon. La Severne elt un objet frappant par fa beauté. Sa largeur au deffous de Chepftowe eft d'environ quatre milles •, & fes eaux s'étendent majeftueufement, comme celles de la mer. Les rives les moins éloignées font dans la comté de Montmouth j & entre les belles collines dont elles font couvertes, paroiffent W une trés - grande diftance, les montagnes de Brecknock & de la comté de Glamorgan. Peu;de perfpe&ives font auffi vaftes, auffi majeftueufes & auffi variées que celle-ci: elle comprend toutes les magnifiques fcenes de Persfield, environnées d'un des plus beaux pays d'Angleterrre. VIII. Defeription  Defeription de quelques jardins. 225 VUL Defeription du pare de Guifcard. *) L'ancien pare, de 400 arpens a-peu-pres, étoit régulier dans toutes fes parties. En face du chateau il y avoit une avenue, par oü 1'on ne.venoit jamais; elle devoit fon exiftence, non au befoin, mais a 1'ufage qui vouloit qu'une longue aliée d'arbres dirigée fur le milieu du chateau lui fut efTentielle, mème lorsqu'elle étoit inutile. Celle-ci fe terminoit a des cours 8c des avant-cours, 8c par une diftribution plus ordinaire qu'agréable, le chateau fe trouvoit placé entr'elles 8c le parterre. De droite 8c de gauche on avoit planté des bofquets, oü toutes les figures de géométrie avoient été épuifées. Des allées droites découpoient 8c perqoient les bois' dans toute forte de direéfion; de hautes charmilles bordoient 8c enveloppoient fi exaélement les maffifs, qu'k I'exception de la furface de ces allées, lerefte du pare, c'eft-a-dire, plus des cinqfixiemes étoit abfolument nul pour la jouiffance. De grands 8c profonds foffés entouroient le manoir 8c fes dépendances, 8c ne contribuoient ni k Ia gaieté, ni k la falubrité de 1'habitation. Dans le pare, les eaux ffagnantes circonfcrites dans des baffins de forme réguliere, quoique vaftes, n'étoient apperques que de la, crète des talus hauts 8c roides qui les enfermoient: on fe doute bien qu'elles n'étoient pas exemptes de ces plantes qui les faliffent 8c les corrompent 8c rendent leur afpeéf. déplaifant. Tout le terrein venoit en pente fur le chateau 8c ne lui prëfentoit, pour perfpective, que le fymmétrique parterre, borné par deux allées paralleles d'arbres quarrés fur toutes les faces; au-dela une Iarge trouée dans *) Cette defeription, tirée de la Theo- même temps avec quel fuccès on peut rie des jardins, 8- Paris, 1776. p. 267- quelquefois transformer 1'ancienne Sc 306. (voyez le I Vol. p. 154.) & dont mauvaife maniere en de nouveaux def1'auteur éclaire a pratiqué TArt des jar- feins de bon goüt. dins depuis plus de dix ans, prouve en Tomell. Ff  22ö •' 'A-pptndict. dans les bois terminoifla perfpeaive: le ciel, tranche par une ligne de niveau, dans la partie la plus élevée du terrein, ne compofoit qu'un horizon pauvre, fee & fans accident. La terre forte & compade rendoit le marcher ifnpraticable en tout temps; 1'humidité la changeoit en boue épaiffe, & dans la féchereffe les parties ratiffées, les feules oü 1'on put marcher, n'offroient qu'un fol aride 6c couvert de petites afpérités dures & fatiguantes pour les pieds. En faifant connoitre 1'état des anciens jardins de Guifcard qui, dans leur fymmétrie, réuniffoient toutes les beautés du genre régulier*), j'ai en vue, non d'en faire la critique, mais de montrer les reffources que 1'artifte peu trouver dans les parcs de cette efpece, dont les plantations font toutes venues, quand il aura occafion de les arranger fur les principes que j'établis dans cette théorie. Depuis cinq ans tout au plus que je m'occupe de celui-ci, les parties linies font tout l'effet qu'on n'obtient qu'après trente ans d'exiftence. Au moment oü j'écris, il ne lui refte rien de fes anciennes formes; toutes les lignes droites fe font évanouies, tous les contours faaices font effacés: il n'y a nul veftige d'allées droites, quoique les bois en fuffent criblés; & la marche du terrein, partout altérée, a repris partout fa pente naturelle. Ce pare, dont 1'étendue eft plus du doublé de ce qu'elle étoit, préfente au premier coup-d'ceil trois grandes parties dont l'enfemble eitimpofant Une vafte peloufe, en face du chateau, un trés-grand lac qui en baigne les bords & des bois confidérables qui la terminent. Le chateau, dont les foffés ont été comblés, elt aauellement fur le bord de la peloufe, *) M. le Duc d'Aumont, propriétaire étoit un genre plus intéreffant. C'eft de cette terre, avoit jadis fait planter les fon goüt pour les arts, c'eft Ie defir de jardins de ce pare, qui paffoient pour les contribuer a leur perfeftion, & non cetplus beaux de la province. Au-deffus te inquiétude qui agite continuellement des préjugés, ni la réputation de ces jar- & fait changer fouvent ceux qui ont la dins, ni cette affeftion qu'on a naturel- malheureufe facilité de jouir de tout, qui lement pour fon propre ouvrage n'ont l;a engagé a tenter ce nouveau genre & point empêché ce Seigneur de fentir qu'il a lui facriiier fon pare,  Defeription de quelques jardins. 227 peloufe, & tout au milieu des jardins. Jadis placé dans le plus bas du terrein, il paroit fitué a mi - cóte,, par la maniere dont les pentes ont été dirigées; il dornine fur la partie du pare du [cóté du foir; il jouit de la peloufe qui eft k fes pieds, de Ia ligne des bois qui forment fon enceinte; il découvre une partie du grand lac, au-dela duquel, des plantations fur la rive oppofée s'ouvrent en face d'une joüe vallée. Quoique d'une conftruclion moderne, Ie chateau nemanque pas de cette nobleffe qui convient au manoir feigneurial; fa maffe générale a de la grandeur, elle offre un développement confidérable, paree que, préfentant un de fes angles fur les jardins, il eft peu de place d'oü 1'on ne découvre deux de fes faces; il eft d'ailleurs bien proportionné k 1'étendue du fite danslequel il eft placé; la teinte qu'il recoit des briques, dont il eft en partie conftruit, le lie de ton avec le payfage beaucoup mieux que tous les enduits. Enfin les fortes faillies de fes pavillons, le jeu de fes combles, dont les hauteurs font inégales, & les formes différentes, lui donnent une importance qui annonce, fans équivoque, i'habitation du Seigneur du lieu. La grande peloufe embraffe fes deux faces principales; celle du cóté du midi, k Pendroit oü étoit Ie parterre, la voit venir k elle par une pente trés - douce, & celle du foir la voit retourner & defcendre par une pente plus douce encore jusqu'au lac oü elle fe perd. Non loin du chateau Sc du mème cóté, un baffin, formé par des fources abondantes qui fortent de deffous quelques rochers, donne naiffance k unjoli ruiffeau, dont les èaux limpides laiffent voir Ie fond de fable fur lequel elles coulent; il eft orné de quelques plantations d'arbres frais de 1'efpece de ceux qui fe plaifent prés des eaux vives; il fuit Ia pente de Ia peloufe du foir, & après 1'avoir traverfée par des détours, auxquels leforcent les finuofités du petit vallon, dans lequel il ferpente, il va fe jeter dans lelac \is-a-vis de la vallée au-dela. De 1'extrémité de chaque facade du chateau partent immédiatement les plantations & les promenades k 1'ombre. Sur la gauche en fortant de Ia terraffe, ce batiment eft lié k un bocage par un fentier k travers des maf- Ff2 fifs  228 Jppendixe. m d.arbres agréables 5c d'arbuftes a fleurs, dont les odeurs lui font appor- tées par les vents frais du matin Sa ligne extérieure deffine la gauche de Ia grande peloufe du midi, par un contour cïabord affez doux; elle laiffe appercevoir a travers quelques ouvertures 1'éclat des fleurs, dont il eft abondamment pourvu & le jeu des maffifs légers 8c variés qui le compofent: on joint du coup de lumiere que recoit fa principale clairiere, ainfi que de l'effet des ombres qu« les arbres projettent fur le gazon uni qui la tapifle. Cette ligne fait enfuiteune brufque 8c forte failhe, par une plantation épaiffe de tilleuls qui repouffe 8c éloigne celle des bois au-dela 8c laiffe foupqonner Un grand enfoncement derrière elle ou la peloufe en effet fe prolonge; e'eft par-la qu'eUe fe Ue a une grande route qm traverfe une partie des bois. La ligne revient enfuite fur elle-mème par un grand contour, 8c ferme le cadre de Ia peloufe du midi Dans ce reL,r elle fe combine avec un heurt trés - naturel qm fert d'mtermediaire entr'elle 8c les bois; tantót découvert, il laiffe voir tous fes mouvemens 8c toutes fes inflexions; tantót il échappe a la vue fous les plantations qui le cachent; des maffes légeres 8c des arbres ifolés, jettes en avant, contribuent encore a en rompre la continuité; dans quelques endroits il s abbaiffe 8c fe fépare en forme de petit vallon, pour facihter rentree des bois qui, en s'ouvrant femblent concourir au mème but. Arrivée a peu prés a la hauteur 8c en, face de 1'angle du chateau, la ligne retourne précipitamment 8c décide la forme de la gauche de la peloufe du foir; alors le heurt s'efface infenfiblement; d fe confond avec la pente du terrein qui, devenant plus marquée a mefure qu'elle s'avance, forme un cóteau légérement incliné, fur lequel la peloufe monte; elle va fe cacher fous des maffifs d'arbres très-efpaces, 8c qui s'epaiffiffent mfenfiblement a mefure qu'ils acquierent de la profondeur. Au devant d eux, des arbres ifolés 8c des arbuftes épars rendent laligne mdecife, 8c la fondent avec la peloufe. Toutes ces plantations vont, en s'écartant, defcendre presque jusqu'au bord du lac. L'autre  Defeription de quelques jardins. 22Q L'autre face du chateau eft flanquée d'un gros pavillon, du pied duquel part une fuite d'arbres ifolés & fort efpacés fur une affez grande profondeurj/ils enferment, en s'avanqant, lecöté droit de la peloufe du foir. Au milieu de cette plantation circule une large route qui va jusqu'a la tête du lac; la, elle fe réunit a une allee d'ormes qui terminoit Tanden pare de ce cóté. On a laiffe fubfifter les arbre? de cette allée, paree qu'étant trés-élevés, ils cachent des terres, dont Tafpecl n'a rien d'intéreffant, & qu'ils ombragent agréablement Ie lac; mais«on en a abattus vis-k- vis de Ia vallée, dont nous avons parlé, pours'en procurer la vue, & joüir d'une jolie prairie presque toute couverte de faules, qui s'éleve avec lenteur k mefure qu'elle s'éloigne 8c fe continue jusqu'a un bois qui couronne Ia cóte k une affez grande diftance, & borde agréablement Thorizon. Ce charmant accident met fous Ie chateau un tableau frais & champètre qui fe voit pardela le lac, donne au pare, trop également terminé de ce cóté, du mouvement & une étendue confidérable, 8c femble en faire partie par la précaution qu'on a prife d'affimiler les plantations intérieures aux extérieures. La maffe d'arbres ifolés, qui part du gros pavillon, non feulement appuie le chateau, mais elle a encore pour objet de le lier aux jardins dont, fans elle, il paroitroit trop détaché. *) Une autre peloufe, ou'pour mieux dire, Ia continuation de la peloufe du foir, en fe prolongeant fur la droite par-deffous les arbres ifolés, occupe Templacement de Tavant-cour, qui, dans cet état, peut paffer pour telle aux yeux de ceux qui tiennent encore a cette manie; elle eft deffinée par une bordure de taillis, divifée en deux ou trois grandes maffés: dans le contour que décrivent ces maffes, elles fe réuniffent k Textrémité des arbres ifolés, 8c aux plantations qui ornent la tète du lac. Si *) Les grands arbres, qui avoifinent dins. Cette affociation les fait 'valoir & les b&timents, font un excellent moyen préfente a 1'afpeft une fituation intépour obtenir cette Iiaifon, & les mettre reffante que n'offrent point ceux qui en comnaunieation intime avec les jar- en font privés. Tome II. Gg  230 jlppendice. Si 1'on remonte la peloufe du midi jusqu'au-deft du gros maffif de tilleuls, on rencontre fur la gauche 1'entrêe de la route qui traverfe une narde des bois; elle eft couverte d'un tapis verd dans toute fa longueurUn pont de bois, qu'on apperqoit bientöt, ne laiffe aucune incert.tude fur fa continuité; il eft fitué fur un petit ruiffeau, al'endroit ou d fe jette dans une piece d'eau qui forme un petit lac, de figure oblongue, tout ombrage de grands arbres: les eaux de ce ruiffeau proviennent de quelques fources, que jadis on avoit fait venir de loin &a grands frais, pour cmbellir le grand parterre de trois petits jets. Ce ruiffeau, quoique peu confidérable, en parcourant un petit vallon au milieu des bois, feit un accident agréable par la fraicheur qu'il leur procure, par la vivacité de fon cours & le murmure qu'occafionnent de petites chutes, & les arbres qui le contrarient dans fa fuite, en s'oppofant fouvent a fon paffage. ■ Je ne penfe pas que l'effet que produifent ces eaux, laiffe jamais re^retter celui auquel on les avoit d'abord deftinées. ° Du pont la route verte traverfe, dans une largeur inégale, les bois de la gauche; elle marcte par des détours qui offrent toujours un grand développement: elle conduit a une vieille futaie placée a 1'extrémite du pare & percée de diverfes routes. Celle qui fe préfente en face,^ la traverfe d'un bout a 1'autre, & fe termine a un plateau précifément a 1'angie de la futaie, & au point oü le cóteau fait une croupe avancée; cette difpofition procure la vue d'un trés-beau payfage, couronne d'un vafte horizon. Tout au bas du cóteau on voit en face une vallee couverte d'arbres irrégulierement plantés fur une prairie qu'arrofe un ruiffeau; des viilages & des maifons éparfes embelliffent & peuplent cette perfpeétive: les montagnes, dont les fommets font chargés de bois, s'étendent au loin & foient avec la vallée qui fe perd dans leürs détours Au-deffous des bois,' des champs fertiles font diverfifies par le détail des cultures. Sur la gauche, la fcene change; la difpofition du terrein ne permet de voir qu'une enceinte de montagnes qui deffinent dans le ciel une ligne a- peu -prés demi -circulaire; elles ont un coupd'ceil fombre, paree qu'elles font couvertes d'épaiffes forêts, qu'elles font plus  Defeription de quelques jardins. 23.1 plus rapprochées & qu'étant continues, elles ne donnent ouverture k aucun lointain. Sur la droite, on voit unè partie du lac, au deffus duquel doivent figurer les enclos & les batimens d'une ferme agricole k conftruire. Pour jouir a fon aife de cette belle vue qui embraffe les deux tiers de 1'horizon, & qu'on ne rencontre pas fans furprife après avoir traverfe une fuite de bois, on fe propofede conftruire un pavillon ouVert fur ce plateau donné par la nature, & qu'elle a elle-même heureufcment ombrage par quelques chènes vigoureux & touftus qui partagent 1'afpeél en plufieurs tableaux. Sur Ia droite la cóte retourne & prend une pente plus rapide que toutes celles qu'on a parcourues. Le fol couvert d'un excellent paturage elt parfemé de hauts & fuperbes chènes, diftribués a de trés-grandes diftances; émondés de temps en temps, leur tronc droit & filé n'eft garni que de petites branches depuis le bas jusqu'a Ia touffe oui Ie coëffe. Ce paturage defcend dans un vallon très-frais, dont Ia naiffance s'élargit en s'enfonqant dans le bois, & forme une maniere de baffin terminé par une cóte rapide; Ia prairie qui en tapiffe Ie fond, fe continue par un tournant infenfible, paffe au-deffous des batimens projetés de la ferme agricole, & va fe rendreau grand lac. Pour ne pas fufpendre Ia marche de la route verte, j'ai négligé de faire remarquer les trois embranchemens qu'on rencontre en la parcourant. L'un conduit fur une trés-grande clairiere renfermée par des bois contraftés, tant par les lignes qu'ils tracent, que par la variété des arbres; on y arrivé par un fombre taillis au point oü elle fe montre dans fon plus grand dcveloppement. L'effet de cette tranfition eft d'autant plus frappant que cette vafte clairiere tient k une autre qu'on apperqoit dans 1'enfoncement k travers quelques arbres; ce qui donne une trésgrande profondeur, fur une pente infenfible que l'ceil n'abandonne jamais. Gg 2 Une  23s 'jipptndice. Une ferme paftorale ruftique doit préfenter fur la gauche une fabrique analogue au lieu qui par lui-mème eft très-agrefte; les bètiments, en terre & en bois & couverts de chaume, feront appuyés ala vieille futaie, & renfermés par des haies négligées & dé groffiers palis; & feront appercjus a travers quelques maffes de grands arbres. Le lieu de la fcene, qui ne tient a aucun objet extérieur, & qui n'eft qu'un vafte paturage au milieu des bois, tout couvert de beftiaux, donnera au tableau le caraétere ruftique qui convient a une ferme de.ce genre. Si 1'on traverfe les deux clairieres, 1'on arrivé a des bocages compofës d'un affemblage de maffifs d'arbres foreftiers de toutes fortes d'efpece, de forme & de dimenfion; le tapis verd, fur lequel ils font plantés', préfente au promeneur nombre de paffages, pour les parcourir, & d'iffues pour en fortir. Quoique détachés, ces maffifs forment une ombre continue, fous laquelle 1'on parvient, en circulant, aux terres de la ferme agricole, fur le penchant d'un cóteau qui defcend jusqu'au lac. C'eft du haut de ce cóteau que cette fuperbe piece d'eau fe montre dans toute fon étendue, qu'on peut juger de fa forme, du contour de fes bords & des accidens qui varient & embelliffent fes rives. ' Le fecond embranchement de la route verte part d'un carrefour trés-agréable, par la maniere dont les arbres le compofent; fur la gauche il mene au grand chemin a travers d'un taillis. La une paliffade appuyée contre un pavillon fort fimple indiquera 1'entrée du pare & l'avenue du chateau. De 1'autre cóté du chemin, une barrière ferme'ra une route qui conduira a un bois confidérable, percé pour la facilité de 1'exploitation & 1'agrément de la chaffe; on pourra encore, par un autre chemin, parvenir a ce bois plus négligé que tous ceux dont nous avons parlé. La troificme communication part du pont, & a pour objet non-feulement de lier plus intimément ce bois au pare, mais encore de procurer une plus grande longueur a une route dcfönée a Ja courfe, foit a cheval, foit en voitUre, que je décrirai bientót en expli-  Defeription de quelques jardins. 233 expliquant en même temps la marche & les principes d'après lesquels elle a été conque. Cette quantité de bois feroit faftidieufe, fi 1'on ne s'étoit attaché k leur donner la plus grande variété; fi 1'on ne s'étoit attaché k leur donner la plus grande variété; fi 1'on n'avoit pris foin de les divifer par des clairieres qui en interrompent la continuité; d'en nuancer les effets par une grande diverfité de caraétere, par des tableaux & des points - de - vue, par la nature des plantations & la maniere dont les maffifs font compofés. En effet, tantót ce font de grandes maffes d'arbres ifolés qui laiffent voir le jeu de leur tronc dans toute leur profondeur, & même les objets au-dela; par leur efpacement, ils donnent une ombre légere, mais non interrompue, qui ne prejudicie point aux gazons, & ne fait nul obftacle k la libre circulation de l'air. Tantót ce font des taillis de plufieurs ages, plus ou moins épais, dont quelques-uns font parfemés de grands arbres, & d'autres font entre-mêlés de petites clairieres & d'agréables fentiers. Ailleurs on rencontre une vieille futaie, dont I'ombre & la fraicheur conftante font recherchées dans les grandes chaleurs de 1'été. Trés-élancés par l'effet de leur rapprochement, les arbres décrivent des voütes élevées &fombres, qui en impofent par leur hauteur & leur obfcurité. Plus loin on s'égare dans des fuites de maffifs de toutes efpeces; les uns plus clairs & plus légers, les autres plus ferrés & plus touffus. On trouve par - tout ou un ciel découvert & leclat du grand jour, ou une ombre perpétuelle & de fombres abris; paree que 1'intervalle des maffes deffine ou des fentiers qui vont dans toutes fortes de direétions, ou des clairieres trèsétendues. Enfin ces bois forment une fuite de bocages de différens genres qui offrent k chaque pas des effets nouveaux & inattendus. Dans quelques années, tous ces, effets feront encore plus marqués, paree que les arbres, jadis entaffés & fans air n'étoient que des troncs fans rameaux, & qu'a préfent, éclaircis & dégagés, ils ont la liberté de s'étendre, de fe développer, & de fe peupler de branches & de feuilles; ce qu'ils ont acquis, depuis le peu de temps que cette falutai- Gg 3 re  Appendice. 234- ri re opération a été feite, annonce ce qu'ils. deviendront & tout ce qu'on doit en attendre par la fuite. Ce eui rend ces bois plus agréables encore, c'eft 1'attention qu'on a «,e de varier & d'adoucir les pentes du terrein fur lequel ils font plantes$ cvft un marcher commode & fecile qui feit le charme des promenades; ce font les belles peloufes qui doivent généralement couvrir toute la furface telles qu'elles fe font voir dans les parties déja arrangees; c'eft une multitude de fentiers folidement feits, praticables dans toutes les faifons & dans tous les momens du jour, qui circulent, fe commumquentles uns aux autres, & conduifent le promeneur dans tous les endroits de ce pare les plus dignes de fes regards. Au moyen de toutes ces fectütés il peut errer k fon gré fur tous les points de cette vafte furface Qu-ombrage fans interruption une fuite de bois & de bocages qui joig- . nent k une variété continuelle, tout ce que les fcenes de ce genre peuvent offrir de plus aimable & de plus attrayant J'ai dit que la paliffade & Ie pavillon placés fur le grand chemin annoncoient 1'entrée du pare & l'avenue du chateau. Ce paffage y conduit en effet par Ia route verte, par le pont fur le petit ruiffeau des hois & la peloufe du midi. Cette avenue, qui feit partie des jarams, oui les développe k mefure qu'on la parcourt, eft fans doute preferable, nar la variété des objets & des fites qu'on rencontre dans fes détours, l ces Hgnes droites d'arbres égaux & femblables, d'autant plus triftes qu'elles font plus belles, c'eft-k-dire plus longues. - - - Le lac mérite quelqu'attention par le grand róle qu'il joue dans ces iardins Cette grande piece d'eau, d'une furface de plus de foixante 4ens, ferabientót achevée. Dans fon origine, elle compofoit deux étangs de différens niveaux, l'un en dedans du pare, 1'autre au dehors, divifés par une grande chauffée. Tous les deux a&uellement renfermés dans le pare feront inceffamment réunispour ne faire qu'un lac de f>-me irréguüere&alongée, dont les contours feront foumis k 1'inégal mouve-  Defeription de quelques jardins. 235 mouvement du terrein qui le renferme. Son rivage du cóté de la grande peloufe elt presque par-tout d'une pente infenfible, fur-tout en face du chateau; ce qui fait que les eaux fe voient aifement, & que, continuellement battues par les vents, elles font toujours propres & nettes: de grandes baies de différentes proportions les laifferont pénétrer dans les terres, tandis qu'ailleurs ce feront les terres qui, en s'avanqant les forceront a. reculer. Du cóté oppofé, les bords plus élevés & en partie couverts de plantations, marchent fur une projection plus uniforme. Dans quelques endroits, les plantations s'approchent, piongent même dans l'eau, 8c fe peignent fur fa furface. Dans d'autres, elles s'éloignent 8c laiffent k découvert les inégalités & les variétés de fes rives; par-tout elles deffinent des lignes qui contrafient ou fe marient avec celles des bords. Le jeu de ces plantations ne fera pas une des moindres beautés qui les feront valoir. Dans 1'épaiffeur de ces plantations on rencontrera des bocages champêtres, des fentiers couverts de faules,' des ombrages de toute efpece d'arbres entre-mêlés de tapis de gazons. A Tabri des rayons rafans du foleil couchant, ce lieu fera pour Ie foir une promenade fraiche 8c agréable, d'oü 1'on aura outre 1'afpecT: du lac, celui d'une partie du pare qui, de ce cóté, fournit de nouveaux tableaux; on verra le chateau 8c Ia peloufe fur laquelle il eft affis, Ia grande maffe d'arbres ifolés qui 1'appuie, 8c ce qu'elle permet d'appercevoir au-dela; on jouira du beau développement qu'offre Ia cóte oppofée, couronnée de grands arbres qui lui donnent plus d'élévation,' fans en faire paroitre les pentes plus fortes. On comprend combien les oifeaux aquatiques qui fe joueront fur les eaux, les barques, les chaloupes, les mats 8c leurs banderolles, mêlés 8c confondus avec les arbres, procureronf de mouvement k cette fcene, 8c jetteront d'agrément fur cette vafte piece d'eau. En fe prolongeant du cóté du midi, Ie lac baigne une partie des terres de la ferme agricole. Cette fcene, d'un genre différent de la ferme  ,,„5 Appendice. me paftorale, placée expres au bout du pare dans le fite qui lui convient le mieux, 8c liée avec lui, deviendra un accident qui y jettera de la variété par un nouvel ordre de chofes; les batiments 8c leurs environs, s'ils font bien compofés, fourniront des tableaux d'une autre efpece, fans être difparates. Les travaux qu'exige fa culture, les animaux 8c les beftiaux qui doivent la meubler, animeront cette partie: & le maitre .... jettera de temps en temps un coup d'ceil fur les intéreffantes occupations de la campagne, & trouvera, dans cette affociation de Tagréable 8c du frudueux, une nouvelle reffource pour fon amufement 8c une diltradion, a laquelle il ne fera pas infenfible. *) J'ai promis de faire connoitre la "route deftinée aux courfes. Cet exercice, réfervé aux grands Seigneurs, lui marqué naturellement fa place dans le pare, qui eft leur jardin. Les anciens, qui faifoient un grand cas des exercices du corps, 8c qui s'y livroient par goüt 8c par raifon, pratiquoient dans leurs jardins un lieu qui leur étoit fpéchlement affedé, que les Latins nommoient xyfius pour ceux de la gym- naftique, *) Les charmes de la nature, la va- de trés-vaftes paturages propres anourriéte des tableaux, les perfpeftives rir des beftiaux, & a faire des éleves agréables , les promenades engageantes, qui feront en même temps les jardimers la falubrité, en nn mot tout ce qui rend des peloufes, paree qu'en les paturant, intéreffants les jardins de la nature ne ils les entretiendront. Ce pare eft d'ailfont pas les feuls avantages qu'on en re- leurs d'un modique entretien, puisqu'il tire; 'il en eft un autre qui contribue n'eft queftion ni d'élaguer, ni de tondre, plus qu'on ne penfe a leur agrément: ni de ratiffer; qu'on en a profcrit touc'eft leur produit. II y a peu de par- tes les fleurs qui demandent des foins ties dans ceux de Guifcard qui ne foient journaliers; qu'il n'y a ni eaux forcées, un objet de revenu. La grande pelou- ni murs de terraffe, ni murs de clóture, fe eft une trés-bonne prairie; tous les & que les. chemins & les fentiers font taillis font en coupes rcglées; les eaux d'une conftru&ion folide. font empoiffonnées ; il y a dans les bois  Defeription de quelque! j ar dint. 237 naftique, & hippodromus pour ceux du cheval. *) Ces mots empruntés des Grecs prouvent que cet ufage remontoit jusqu'a eux. Nous avons confervé les coürfes a cheval & en voiture; mais nous ne nous fommes jamais occupé de ce qui peut les rendre agréables. Les Anglois, qui en font leurs délices, ont imaginé les premiers de faire entrer dans la compofition de leurs jardins des routes propres a cet objet, qu'ils appellent Riding, expreffion qu'un écrivain de goüt a traduit par celle de carrière que j'adopte volontiers; voici les principes qui m'ont guidé dans celle que j'ai tracée a Guifcard. II m'a femblé que le grand agrément d'une carrière confifioit dans la variété des fites, des tableaux, des points- de -vue qu'on rencontre en la parcourant; qu'il falloit que fes pentes Fuffent douces &aifées, & le fol praticable en tout temps pour les chevaux & les voitures. J'ai cru que celui qui la parcourt ne devant jamais paffer par le même endroit, il convenoit qu'elle partit d'un cóté & arrivat de 1'autre, & qu'elle eüt conféquemment une certaine étendue; mais comme il arrivé qu'on n'eft pas toujours difpofé k faire une longue courfe, j'ai penfé qu'il étoit bien de la diftribuer de forte, qu'elle püt s'abréger k volonté, fans qu'on füt obligé de revenir fur fes pas. J'ai fenti que malgré toutes ces précautions, elle ennuieroit bientót, fi elle étoit tellement circonferite, qu'on ne püt jamais en fortir; qu'elle devoit bien ètre indiquée d'une maniere non équivoque pour ne pas s'égarer, mais qu'elle ne devoit pas être féparée comme 1'eft un fentier entre deux haies, ou un chemin entre deux fofies: car, dans toute circonftance, & furtout dans celle-ci, il ne faut jamais oppofer d'obftacle k la volonté, ni donner d'entraves k la liberté. Engagez par un marcher facile, invitez par 1'efpoir du plaifir, attirez par le charme des beaux effets de la nature, *) Voyez dans les Lettres de Pline le tre 17.) la defeription qu'il donne de Conful, (liv. 5. lettre 6. & liv. 2. let- fes jardins de Tofcane & du Laurentin. Tornt 11. Hh  338 Jppendice. ture, femez des agrémens & de la variété fur la route: voila les feules barrières dont on doit enceindre une carrière; mais ne contraignez jamais. La contrainte chagrine & 1'uniformité ennuie: il n'y a point de grace fans la liberté, comme Ü n'y a point de plaifir fans la variété. II eft encore une obfervation que j'ai crue effentielle: c'eft de ne pas faire d'une carrière un objet toujours difiinét & détaché des jardins dans lesquels elle paffe. Elle peut quelquefois s'en écarter, quand le local s'y prète, [& que la variété 1'exige; mais lorsqu'elle en fait partie, elle doit fe confondre tellement avec eux, qu'on ne la remarque que quand on la parcourt. Enfin il m'a paru que, fi dans les lieux les plus intéreffants, 1'on établiffoit des repofoirs, oü celui qui fe livre a cet utile exercice, s'arrète avec plaifir & puiffe fe délaffer; fi 1'on conftruifoit des afyles, pour fervir d'abricontre le mauvais temps, riennemanqueroit a fon agrément. Telles font les conditions' que j'ai obfervées, en tracant la carrière de Guifcard. Elle eft liée aux jardins d'une maniere intime, ou, pour mieux dire, elle ne fait qu'un tout avec eux. Elle a beaucoup de variété dans les fites qui fe rencontrent fur fon paffage foit qu'elle faffe partie des jardins, foit qu'elle les'abandonne; & par-tout fes pentes font douces. Elle part immédiatement du chateau, traverfe la peloufe du midi, pour gagner le pont fur le petit ruiffeau des bois; elle fe continue jusqu'au grand bois, au-dela du chemin public, par une route formée par un taillis dam cóté & de 1'autre par des arbres ifolés, pour laiffer jouir de la vue qu'offre la gauche. Ce bois, qui eft vafte, procure, au moyen des diverfes routes qui le coupent, une grande longueur a la carrière : longueur qu'on peut abréger a fa fantaifie. On a cependant obfervé de diftinguer la fuite de la carrière dans ce bois, par des. routes circulaires; elles conduifent a une iffue, & ramenent au pare par une troifieme Iiaifon de 1'un a 1'autre. Dans ce paffage, on a pour afpeét une grande partie du pays, dont les différentes perfpeétives préfentent des payfages trés - agréables. Dela on va bientót rejoindre la vieille futaie; on  Defeription de quelques jardins* 239 on Ia" 'traverfe par Ia route qui conduit au pavillon qui la termine. Non loin dela, une ouverture donnera fur une chauffée qui defcend dans le fond de Ia vallée au deffous du grand lac, & remonte fur le cóteau oppofé par des chemins plantés d'arbres, qui traverfent des champs cultivés; d'oü 1'on découvre fur Ia droite dans I'éloignement les montagnes du levant, toutes couvertes de forêts; fur le devant on voit une partie du lac, au-deffus duquel Ia vieille futaie, qu'on vient de traverfer, préfente fur la crête de Ia cóte une ligne de bois d'un beau développement, qui va defcendre & fe perdre dans ce vallon enfoncé que nous avons décrit. Enfin ces chemins aboutiffent a une grille qui s'ouvre fur 1'allée d'ormes; & en cótoyant le lac k travers les plantations, 1'on arrivé a Ia route pratiquée au milieu de la grande maffe d'arbres ifolés qui ramene au chateau par un cóté oppofé a celui d'oü 1'on étoit parti. On rencontrera des afyles diftribués Ie long de cette carrière; il y aura auffi des repofoirs de toutes efpeces, aux endroits qui préfenteront les afpecls les plus beaux, ou les retraites les plus invitantes. Cette carrière, telle qu'on vient de la faire parcourir, fournit une courfe de plus de quatre mille toifes; elle a toute Ia variété que les divers accidents du pays peuvent procurer; elle traverfe des bois, des terres cultivées, des prairies, des peloufes; elle a des niveaux & des pentes plus ou moins fortes, mais faciles. Elle peut auffi s'abréger de plufieurs manieres, foit en laiffant le grand bols, & en continuant la route verte, foit en évitant les chemins a travers les cultures; 1'on peut même fe procurer une carrière, fans fortir du pare, en fuivant la route verte, gagnant &traverfant la vieille futaie, & defcendant au-deffous de la ferme, jusqu'au bord du lac qui conduit au chateau par la peloufe du foir. J'omets nombre de détails intéreffants qui embelliffent ce pare; ils me meneroient trop loin: cequej'en ai dit peut fuffire, pour faire connoitre le ftyle qui conftitue cette efpece de jardin; pour montrer le part! qu'on a tiré de la pofition, des diverfes fituations & de fon ancien état; pour donner une idéé de fes effets & indiquer dans quel efprit il a été compofé; pour prouver qu'on a cherché a faire reprendre au terrein fa Ef.h 2 marche  240 Apptndict. marche naturelle , & a donner aux eaux un grand cara&ere ; enfin qu'on s eft attaché particulierement a procurer aux bois tout ce que cette importante partie des jardins a de plus agréable 8c de plus varié, tant comme fite que comme afpeét. Et quoique ce pare n'offre aucun de ces accident* finguüers, aucun de ces effets extraordinaires, tels que des rochers impofans, d'étonnantes chütes d'eau, de brufques mouvemens de terrein, on les y regrette peu, Sc fa grande variété fait qu'on ne les defire pas. Spêcificat'wn  Spêcification des gravures contenues dans ce Volume. No. i. Le Chateau de Friedensburg du cóté des jardins. Page 4» No. 2. Le Chateau de Hirfchholm vers l'avenue principle. P. 7. No. 3. Nouvel édiflce dans le jardin de Hirfchholm. P. 9. No. 4. Le Chateau de Sophienberg du cóté de la mer. P. 12. No. 5. Nouveau batiment dans les jardins du Chateau de Friederichsburg. P. 15. Tiré de la feconde Partie du Vitruve Danois. Copenhague, 1749. No. 6. Le Chateau de Carlberg vers le nord. P. 30. No. 7. Le Chateau de Saalitadt vers 1'eft. P. 38. Tirés de la première Partie de la Suecia antiqua & hodierna. No. 8- 9' Projets de Maifons de campagne, tirés du Recueil Élémentaire d'Ar- chiteéture &c. par de Neufforge. Paris, 1767. P. 41. 46. No. 10. 11. Cantons de Brandt. P. 49. 54. No. 13. 13. 14. Projets de Maifons de campagne tirés du New and compleat Syftem of Architect-ure delineated&c. de Halfpenny. Londres, 1749. P.57- 58'60. No. 15. Maifon de campagne tirée du Recueil de Maifons de campagne & de Pavillons pour la Noblelïe publié par Nette. P. 65. No. 16. 17. 18- 19- Cantons de Brandt. P. 68. 69. 70. 71. No. 20. Tombeau de RoufTeau. P. 72. No. 21. Canton de Brandt avec le tombeau de Sulzer. P. 75. No. 22. Projet d'un pavillon par Nette. P. 76. No. 23.24.25. Maifons de campagne italiennes fituées fur la Brenta. ¥.$6.90.91. Tirées des Delizie della Brenta &c. *) Hh 3 No. 26. *) Je fins parvenu a me procurer 1'ou- ?ois: Les Délices de Ia Brenta, ou Recueil vrage de Cofta cité a la p. 36 du 1 Vol. de de Perfpeftives des plus beaux Palais, Vilcette Théorie, & qui eft très-difficile a lages, & Maifons de campagne^ qui fe trouver; en voici Ie titre un peu différent voient aux deux bords de cette riviere dcde celui que j'ai donné: Le Delizie della puisla ville de Padoue jusqu'a la LaguBrenta, o lia Raccplta di Perfpeaive de' piü ne de Venife. II Vol. foi. Royal. 144 Planbel Palazzi, Villagi e Cafini di Campagna, ches. Je peux maintenant en porter un juche fi veggono fulle due fponde di detto gement. Ce recueil eft presque dans le Fiume da' Padoua fino alla Laguna Veneta. même goüt que celui des Maifons de camOpera divifa in due Volumi in fog. Reale, pagne de Tofcane dont on parle au même che eontiene 144 Veduteineifein rame, col- endroit. La plus grande panie des édi/ices Ie lero Iferizioni, che fi vendono dall' AI- ne font pas d un goüt pur d'architefturc, & brizzi in Venezia. Sans année. L'ou- ceux copiés aux No. 23. 24. 25. m'ont pavra-^c porte en même temps ce titre fran- iu les meilleurs. Plufieurs font antiques; quelques  No. 26. Canton'de Brandt. P. 103. No. 27. Maifon de campagne italienue de Palladio. P. 104. No. 28- Canton de Brandt. P. 107. No. 29.30.31.32. Maifons de campagne italieunes de Palladio. P. 109.114.121.124. No. 33. Canton de Brandt. P. 125. No. 34. 35. 36. 37- Maifons de campagne italiennes de Palladio. P. 136. 128-133137. No. 38- Maifon de campagne aKew. P- 139- Tirée de Chambers Plans &c. of the Gardens and Buildings atKew.London, 1763. No. 39. Canton de Brandt. P. 144. No. 40. Maifon de campagne a Houghton dans le Norfolk, vue du cóté occidental. P. 141. Tiree de fouvrage publié par J. Ware en r737> foL fous le titre: The Plans, Elevations and Seftions of Houghton in Norfolk, the Seat of the Rt. Honourable Sr. Robert Walpole &c. No. 41. Maifon de campagne a Bernftorf prés de Copenhague. P. 158No. 42. Maifon de campagne l Proetzel a quelques lieues de Berlin. Voyez les Voyages de Mr. Bernouilli dans le Brandenbourg. 1779. 1 Vol p. 13 &c. P. 164. No. 43. 44. Pavillon fur le mont Heefchen. P. 177. No. 45. Nouvelle habitation a Schirenfee. P. 182- No. 46. Pavillon a Sielbeck. P. 184- No. 47. Maifon de campagne prés de Darmftadt. P. 192. No. 48- Canton de Brandt. P. 195. No. 49. Pavillon de Goldmann. P. 240. ouelques-uns ne font que des mafTes ïnfor- mes aftifs. La gravure eft mal foignée. Au rnes de chateaux. Mais tous ont une finia- refte les planchcs ne fonc accompagnées don enchanterefle aux rives de la Brenta, d'aucune defeription ou exphcation. animées par de jolies barques & des hom-  Errata. Ier Volume. Page 4. Ligne 28. pour ff écrire lifez dicrire. lage J. ligne IJ. p. faifoit lif. faifoient. Ibid. ligne 24. p. . Ibid. ligne 28. p. poupes lif. grouppes. Page 220. ligne 4. p. elle lif. il. Page 220. ligne 6. p. de tout ce qu'on peut appelIer cloture Is? ombrage lif. <5 Mat ce qui exige de la cloture ij de l' ombrage. Page 220. ligne 27. p. vou/oit lif voulut. Page 225. ligne I de la note, Héloife lif. Hé/oif'e. Page 232. ligne 12. p. de lif. des. Page 246. ligne 26. p. Doivedale lif. Doveda/e. Page 248. ligne II. p. crsvajfêes lif. erevaffés. Page2Ó3. ligne 19. après itf ajoutez de. lld Volume. Page 13. ligne 7. après lentement ajoutez a. Page 14. ligne 26. p.fonr-tout lifez fur-tout. Page 19. ligne 10. p. opperées lif. oppofées. Page 27. ligne 27. p. Aubor lif. Aubonr. Page 28. ligne 12. aprèsarfe/nr ajoutez. a. Page 29. ligne 6. p. petote WCpelote. Page 34. Iigne22. p.guaiJtier lif. gainier. Ibid, ligne 26. p. gauinier lif. 'gainier. Page 56. ligne 4. p. Guimaure lif. G«imauve. Page 43. Jigne 2. p. four-tout ïit furtout. Page J3. ligne 6. p. /»& lif, /»'<«. Ibid. ligne 14, après té ajoutez une virgule. Page 57. ligne 8. p. exifte lif. f«i>e. Page 59. ligne 11. cantradiHions lif, contradittions. Page 65. ligne 20. p. diaprées lif. diaprés. Page 66. Jigne 17. p. refruite lif. refuite. Page 68. ligne 3. p. diftratft lif. diftraie. Page 84. ligne 17. p. e//er /b'ü lif. elles y font. Page 95. ligne J. p. monarde lif. monarde. Page 96. ligne 13. p. digonttent üf.g« lif, bocage.